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BIBLIOTHEQUE SAINTE - GENEVIEVE
D 910 593944 2
BIBLIOTHEQUE
SAINTE I
GENEVIEVE
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SIGNE DE LA CROIX
XIX B SIECLE
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BIBLIOTHEQUE
SAINTE |
GENEVIEVE
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I
GAUME et C l6 , éditeurs, 3, rue de l'Abbaye.
Histoire de l'Église catholique depuis Jésus-
Christ jusqu'aux temps actuels, à l'usage des éco-
les et des' familles, par L. Jaunay, professeur au
petit séminaire de Paris. Édition publiée avec l'au-
torisation de Mgr Mamle, évêque de Versailles, et
approuvée par NN. SS. les évoques de Vannes, de
Châlons, de Nancy et de Toul. 1 vol. in-12, bro-
ché: 2 fr. 50. — Car t. 2 fr. 75.
Nous ne connaissons pas d'histoire de l'Eglise qui soit mieux
adaptée à l'usage des écoles et des familles, comme l'indique
son titre trop modeste, que cet intéressant abrégé. C'est un in-12
de 500 et quelques pages. Le caractère est net, large, assez Tort,
par conséquent facile et agréable à lire, les paragraphes sont
courts et bien tranchés, les titres et les sommaires bien en lu-
mière. Les synchronismes qui terminent chaque chapitre, sobres
et clairs, s'impriment comme d'eux-mêmes dans la mémoire.
La partie typographique est admirablement soignée.
Hâtons-nous de le dire. Le fond des choses n'est pas moins
attrayant. Sous une forme simple et sans prétention, ce qui n'ost
'pas un petit mérite, l'auteur témoigne, dans cet ouvrage, d'une
érudition de bon aloi, d'un jugement théologique très-sûr, d'une
admiration ardente, quoique contenue, pour l'ensemble aussi
bien que pour les détails de ce grand monument de Dieu qui
s'appelle l'Église catholique.
Ce qu'il y a de particulièrement ingénieux, dans ce résumé,
c'est la division de toute l'histoire par siècles, soit dix-neuf cha-
pitres, et de chaque siècle par tableaux, qui portent le nom ou
d'un homme célèbre, ou d'une institution, ou d'une hérésie, ou
d'un événement caractéristique. Une page ou deux suffisent au
développement de chaque tableau ; quinze à vingt tableaux à la
peinture physionomique de chaque siècle. Les faits sont ainsi
groupes d'une façon intelligente, littéraire, j'allais dire artisti-
que. C'est de la bonne, saine et sérieuse illustration. Sans tirer
l'œil elle le satisfait, sans charger l'esprit elle l'instruit, sans
enseigner la morale ex professa elle enrichit l'imagination et
le cœur d'idées élevées, de sentiments généreux.
Approuvée par trois évèques, NN. SS. de Versailles, de Nancy,
de Vannes, cette histoire offre toutes les garanties désirables au
point de vue de la doctrine.
Ajoutons encore que l'auteur vient de recevoir une très-haute
approbation, bien honorable pour lui, celle même de Sa Sainteté
Pie IX qui lui envoie directement sa bénédiction apostolique.
Cette histoire de l'Église devrait trouver place dans toutes
les familles à côté de la vie des saints. Elle pourrait être aussi
un utile manuel pour les aspirants et les aspirantes au Brevet
de capacité pour L'instruction primaire.
5,718-78. — Corbbil. Typ. de CretÉ-
LE
SIGNE DE LA CROIX
XIX 1 SIÈCLE
PAR
nr g a u m e
PB.OTONOTAIHB APOSTOLIQUE
In hoc sigiio vinces.
Par ce signe tu -vaincras.
(Euseb., Vit Const., I, 22.)
CINQUIÈME ÉDITION
Précédée d'un Bref de 9. S. Pie IX, qui attache au Signe de la Croii
une indulgence de cinquante jours.
PARIS
GAUME ET O, ÉDITEURS
3, 'eue de l'abbaye, 3
187 8 yfT-.KWrt
Droit» résenèTt V
- I
<5>6
w*
PRÉFACE
DE LA DEUXIÈME EDITION
Un mot sur la publication de cet opus-
cule et sur le succès inespéré qu'il obtient.
Comment nous est venue l'idée de ce li-
vre ? Qui a ménagé la circonstance im-
prévue cà laquelle il doit son origine ?
Pourquoi un ouvrage, destiné à réveiller
la foi du monde catholique au signe de
la croix, paraît-il aujourd'hui, et non
deux ou trois siècles plus tôt ? Pourquoi,
jusqu'à nous, aucun Pape n'a-t-il eu la
pensée d'attacher une faveur spirituelle à
cette formule la plus vénérable, la plus
ancienne, la plus habituelle de la reli-
gion ? Comment, au milieu de tant de
6 PRÉFACE
sollicitudes, Pie IX a-t-il daigné prêter
l'oreille à notre faible voix, et s'est-il em-
pressé d'avertir les chrétiens actuels de
recourir le plus souvent possible au signe
de la croix, conformément à l'exemple
de leurs premiers ancêtres ? Pourquoi,
afin de les encourager, a-t-il voulu en
enrichir l'usage d'une indulgence dou-
blement précieuse ?
A toutes ces questions nous ne savions
d'abord que répondre. Aujourd'hui la
lumière s'est faite. Tout vient à point
dans l'Eglise, car la Providence ne tâ-
tonne jamais. Habituée à se servir de ce
qui 71 est pas, pour confondre ce qui est,
elle ne se montre pas moins admirable
dans les petites choses que dans les gran-
des : Magnus in magnis, non parvus in
minimis.
Or, le signe de la croix est l'arme de
précision contre le démon. Instruits im-
médiatement par les apôtres, les pre-
DE LA DEUXIÈME ÉDITION. 7
miers chrétiens le savaient. En lutte per-
manente avec Satan, dans toute la puis-
sance de son règne et la cruauté de sa
rage, régulateur des mœurs, des idées,
des arts, des théâtres, des fêtes et des
lois, maître des autels et des trônes,
souillant tout et faisant de tout un ins-
trument de corruption, ils avaient sans
cesse recours à l'infaillible moyen de
dissiper le charme fascinateur, et de pa-
rer les traits enflammés de l'ennemi.
De là, l'usage continuel du signe de la
croix, devenu pour eux un exorcisme de
tous les instants : quacumque nos con-
versatio exercet, frontem crucis signaculo
terimus.
Si donc aujourd'hui paraît, sans des-
sein prémédité de la part de l'auteur,
un ouvrage destiné à faire reprendre
aux chrétiens l'arme victorieuse de leurs
ancêtres; si, malgré tant de chances
contraires, cet ouvrage se répand avec
8 PRÉFACE
rapidité ; s'il conquiert, à Rome même,
le plus auguste et le plus précieux de
tous les suffrages ; enfin si, après dix-
huit siècles, le Vicaire de Jésus-Christ,
le Chef de l'éternel combat, vient, par
un acte solennel, presser le monde chré-
tien de recourir incessamment au signe
victorieux du paganisme : n'est-il pas lo-
gique de conclure que nous nous trou-
vons, sous plus d'un rapport, dans une
position analogue à celle des premiers
chrétiens ?
S'ils étaient en face de Satan, roi et
dieu du siècle ; s'ils vivaient au milieu
d'un monde qui n'était pas chrétien, qui
ne voulait pas le devenir, qui ne voulait
pas qu'on le fût, qui persécutait à ou-
trance ceux qui voulaient continuer de
l'être : ne sommes -nous pas en face de
Satan, déchaîné sur la terre, insurgeant
les nations contre Jésus-Christ et leur
faisant crier d'une voix infatigable :
DE LA DEUXIÈME ÉDITION. 9
Nous ne voulons plus qu'il règne sur
nous, nolumus hune regnare super nos !
Dans quel milieu -vivent les chrétiens
d'aujourd'hui ? Ne sont-ils pas envelop-
pés dans un monde qui cesse d'être chré-
tien ; qui ne veut pas le redevenir ; qui
ne veut pas qu'on le soit ; qui persécute de
toute manière ceux qui s'obstinentàl'ètre?
La ruse et la violence, l'injure, le blas-
phème, le sarcasme, la calomnie, la spo-
liation, l'exil, la mort même, ne sont-ils
pas employés contre les enfants, comme
ils le furent contre les pères ? Des arts,
des théâtres, des livres, des fêtes, des
lois, des sciences, ne fait-on pas aujour-
d'hui, comme autrefois, des armes contre
le christianisme ? Est-il étonnant que la
sentinelle d'Israël, le Souverain Pontife,
soit venu par un acte, inconnu de ses pré-
décesseurs, réveiller la foi des chrétiens
au signe protecteur de l'Église et de la
société ?
l.
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■
■
10 l'IlÉFACE
L'analogie est tellement réelle, que les
protestants eux-mêmes en sont frappés.
A leurs yeux, comme aux nôtres, il n'y a
de salut pour le monde actuel que dans
la croix. Au commencement d'octobre,
le journal prussien la Gazette de la Croix
a publié un long article intitulé : Par ce
signe tu vaincras : In hoc signo vinces.
« Aujourd'hui, dit l'écrivain protestant,
nous sommes dans le même combat spi-
rituel, contre le même antichristianisme
que Constantin a jadis vaincu avec le
glaive matériel. Sans aucun doute, il
faut encore dire actuellement : tu vain-
cras par ce signe, in hoc signo vinces.
Des puissances occultes et sauvages mon-
tent à l'assaut de la Royauté par la grâce
de Dieu, clef de voûte de l'ordre social
chrétien. »
Ne faut-il pas que le mal et le remède
soient également incontestables, pour
voir ces mêmes protestants, qui ont jadis
DE LA DEUXIÈME EDITION.
11
répudié le signe de la croix comme un
acte d'idolâtrie, proclamer la nécessité
d'y recourir aujourd'hui comme à l'arme
indispensable, si on veut vaincre le?
puissances occultes et sauvages dont le
triomphe serait celui de la barbarie ?
L'apparition en quelque sorte provi-
dentielle du Signe de la croix au dix-
neuvième siècle explique seule le rapide
succès qu'il obtient. La première édition
française s'est écoulée en quelques mois.
Trois traductions en ont été faites dans
les différentes langues de l'Europe : une
en Allemagne, une à Turin, une à Rome.
Les journaux catholiques le recomman-
dent à l'envi ; et de nombreuses lettres
sont venues nous apporter les félicita-
tions des hommes les plus respectables
de la France et de l'étranger : Soli Deo
honor et cjlorja. Toutes s'accordent à
montrer l'à-propos de notre humble tra-
vail, et à faire ressortir la grandeur de
H^^HM
12 PREFACE
la grâce pontificale qui en est le résultat
éternel. Citons seulement quelques li-
gnes, en priant les personnes qui les ont
écrites de recevoir l'expression de toute
notre reconnaissance.
La savante revue napolitaine Scienza
e Fede termine sa longue analyse, en di-
sant : « Quel profit, demande notre so-
ciété, enfoncée jusqu'aux épaules dans le
matérialisme, l'humanité pourra-t-elle
retirer de ce nouvel ouvrage de Monsei-
gneur Gaume? Donnera-t-il quelques
secours aux pauvres ouvriers que la ré-
volution laisse sans travail? Enrôlera-t-il
quelques volontaires pour la Pologne?
Exterminera-t-il le brigandage qui désole
l'Italie ?... Il fera mieux que tout cela. Il
donnera le pain de la foi à ceux qui en
manquent. Dans la guerre acharnée qu'ils
ont à soutenir contre le biigand infer-
nal, il enrôlera de nouveau les chré-
tiens du dix-neuvième siècle sous l'éten-
DE LA DEUXIÈME ÉDITION. 13
dard de la croix : étendard divin qui a
sauvé le monde et qui seul peut le sauver
encore. Quel que soit l'avenir, il leur ap-
prendra à être de nobles vainqueurs ou
de nobles victimes : in hoc vinces. »
Ravi de voir une indulgence attachée
au signe de la croix, le vénérable doyen
de la chaire catholique nous écrit : « Le
signe de la croix indulgencié à votre de-
mande !... Que vont dire tant de person-
nages que je ne veux pas nommer ? Le
Saint-Père vient de vous payer avec
usure la peine que vous vous êtes don-
née, pour arrêter le paganisme qui nous
envahit.
« Toute l'Eglise reçoit à cause de vous
et par vous la faveur insigne d'une indul-
gence, large comme l'univers, durable
comme les siècles, et qui désormais des-
cendra à toute heure, à toute seconde,
en rosée rafraîchissante sur les âmes du
Purgatoire. Que de bénédictions ces
u
TREFACE
sain les âmes vont appeler sur vous ! Et si
vous étiez obligé, au moment de votre
mort, de leur faire une petite visite,
quelle réception vous attendrait ! »
Passons d'autres témoignages et venons
aux pièces émanées de Rome.
La commission chargée du soin des
écoles régionnaires a cru devoir adresser
à tous ceux qui les dirigent la Circulaire
suivante :
« Parmi tant de livres inutiles et dan-
gereux, surtout pour la jeunesse, il ne
manque pas non plus de livres utiles et
propres à répandre dans l'âme des jeunes
gens les plus belles maximes et l'amour
des plus saintes pratiques de notre au-
guste religion.
« Un de ces ouvrages est sans contre-
dit celui qui vient de sortir de l'impri-
merie Tibérine et qui est intitulé : le
Signe de la Croix au dix-neuvième siècle,
DE LA DEUXIEME EDITION.
15
dont un grand nombre de journaux ca-
tholiques ont fait l'éloge.
« Le soussigné, en recommandant for-
tement à messieurs les maîtres de ne per-
mettre dans leurs écoles aucun ouvrage
non approuvé par la commission, leur re-
commande également de faire que le sus-
dit ouvrage soit acheté et lu par leurs
élèves. Eux-mêmes pourraient s'en servir
pour le donner en prix dans les distri-
butions privées qu'ils ont coutume de
faire dans leurs écoles respectives. —
Rome, du Secrétariat de la commission.
Le député L. Peirano. »
Avant cette Circulaire avait paru la
lettre qu'on va lire.
LETTRE
DE S. Éffl. LE CARDINAL ALTIERI
Préfet de la Sacrée-Congrégation de l'Index
A M 8r GAUME
Protonotaire apostolique.
« Rome, le 7 août 1863.
« Monseigneur illustrissime,
Par la publication de votre admirable ouvrage sur
le Signe de la Croix, vous avez rendu un nouveau et
très-signalé service à la cause de l'Église de Jésus-
Christ. En effet, vous avez fait connaître aux fidèles,
sous la forme la plus attachante, tout ce que contient
manifestement, ce qu'enseigne, ce qu'opère de su-
blime, de saint, de divin, et par conséquent de sou-
verainement utile aux âmes, cette formule sacrée et
aussi ancienne que l'Église elle-même.
« L'auguste chef de cette même Église, le Vicaire
de Jésus-Christ, le Souverain Pontife ne pouvait pas
no pas accueillir avec joie un ouvrage si précieux et
si utile au peuple chrétien. Aussi, non-seulement il
a exprimé sa vive satisfaction, lorsque j'ai déposé
entre ses mains sacrées l'exemplaire que vous vous
êtes empressé de lui offrir par mon entremise ; il a
voulu do plus, exaucer avec bonté le vœu que vous
avez manifesté de voir enrichir d'une indulgence la
pratique du signe de la croix, afin d'exciter les fidèles
17
à en faire usage pour la défense de leurs âmes sans
respect humain, et aussi souvent que possible.
« Dans le Bref ci-joint,-! vous verrez combien le
Saint- Père s'est montré large dans la concession d'une
pareille grâce, et comme il en fait apprécier la valeur.
Il importe grandement que cette nouvelle faveur du
suprême dispensateur des trésors célestes, accordée
pour l'avantage de l'Église militante, soit universelle-
ment connue, en même temps que se répandra et
s'appréciera de plus en plus votre très-excellent livre.
Dans la traduction italienne qu'en fait, bien a propos,
l'incomparable Ange d'Aquila, se trouvera le Bref dont
il s'agit, et il faudrait aussi l'insérer dans les nou-
velles éditions qui certainement ne manqueront pas
de se succéder. De cette manière sera comblé le vide
que vous avez signalé dans la Raccolta délie Indul-
genze.
« Ainsi Votre Excellence recevra la digne récom-
pense, et certainement la plus ambitionnée de son
cœur en voyant ouvert le trésor de la Rédemption,
pour le bien des âmes encore vivantes sur cette terre,
ou déjà descendues au purgatoire, par l'effet du tra-
vail que vous avez composé dans le but d'attirer l'at-
tention universelle sur le premier signe du culte, que
tous doivent rendre au principal instrument de la
rédemption.
« Agréez l'expression de la plus sincère et de la
plus haute estime avec laquelle je suis, Monseigneur
illustrissime, votre très-affecteux serviteur,
ii L. Cardinal Altiebi.
Voici la traduction du Bref de Sa Sain-
teté :
PIE IX, PAPE.
« POUR MÉMOIRE ÉTERNELLE.
« Parfaitement certains que le salutaire
mystère de la Rédemption et la vertu divine
sont contenus dans le signe de la croix de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, les fidèles de
la primitive Église faisaient de ce signe le
plus fréquent usage, ainsi que nous l'ap-
prennent les plus anciens et les plus insi-
gnes monuments. C'est même par ce signe
qu'ils commençaient toutes leurs actions.
« A chaque mouvement et à chaque pas,
en entrant et en sortant, en allumant les
flambeaux, en allant prendre notre repas,
en nous asseyant, quoi que nous fassions
et où que nous allions, nous marquons
notre front du signe de la croix, » disait
Tertullien.
19
« Considérant ces choses, nous avons
jugé a propos de réveiller la piété des fidè-
les envers le signe salutaire de notre Ré-
demption, en ouvrant les célestes trésors
des indulgences, afin que, imitant les
beaux exemples des premiers chrétiens,
ils ne rougissent pas de se munir plus
fréquemment, et ouvertement, et publi-
quement, du signe de la croix, qui est
comme l'étendard de la milice chrétienne.
« C'est pourquoi, confiant en la miséri-
corde du Dieu tout-puissant et en l'autorité
de ses bienheureux apôtres Pierre et Paul,
Nous accordons, dans la forme accoutumée
de l'Église, à tous et à chacun des fidèles
de l'un et de l'autre sexe, toutes les fois
qu'au moins contrits de cœur, et en ajoutant
l'invocation de la très-sainte Trinité, ils
feront le signe de la croix, cinquante jours
d'indulgences pour les pénitences qui leur
auraient été imposées ou qu'ils devraient
pour une autre raison quelconque; Nous
accordons de plus, miséricordieusement
dans le Seigneur, que ces indulgences
so
puissent être appliquées, par manière de
suffrage, aux âmes des fidèles qui ont quitté
ce monde dans la grâce de Dieu.
« Nonobstant toutes choses contraires,
les présentes devant valoir à perpétuité.
Nous voulons en outre qu'aux copies ma-
nuscrites ou exemplaires imprimés des
présentes Lettres, signés par un notaire
public et munis du sceau d'une personne
ecclésiastique constituée en dignité, on ac-
corde absolument la même foi qu'on accor-
derait à ces présentes elles-mêmes, si elles
étaient exhibées ou montrées ; et aussi,
qu'un exemplaire de ces mêmes Lettres
soit porté à la Secrétairerie de la Sacrée-
Congrégation des Indulgences et des Saintes
Reliques, sous peine de nullité, confor-
mément au décret de la même Sacrée-Con-
grégation en date du 19 janvier 1756, et
approuvé par Notre prédécesseur de sainte
mémoire, le pape Benoît XIV, le 28 du
même mois et de la même année.
« Donné à Rome, près de saint Pierre,
sous l'anneau du Pêcheur, le 28 juillet 1863,
il
de Notre Pontificat la dix-huitième année.
« N. Cardinal Paracciani Clarelli.
» Les présentes Lettres apostoliques, en
forme de Bref, datées du 28 juillet 1863,
ont été présentées à la Secrétairerie de la
Sacrée-Congrégation des Indulgences le
4 août de la môme année, conformément
au décret de la même Sacrée-Congrégation
en date du 1-i avril 1856.
u En foi de quoi donné à Rome, à la
môme Secrétairerie, les jour et an que
dessus.
» A. Archev. Prinzivalli, substitut. »
PIUS, PP- ix.
■
Ad perpetuam rei memoriam. Quum saluti,
ferae reparationis myslerium virlutemque divi-
nam in Crucis Domini Nostri Jesu Christi vexillo
r.ontineri perspectum haberent primi Ecclesiae
fidèles, frequentissimo illo signo eosdem usos
fuisse vetustissima et insignia monumenta décla-
rant. Quin ab eodem signo quascumque actiones
auspicabantur, et ad omnem progressum atque
promotum, ad omnem adilum et exilum, ad lu-
mina, ad cubilia, ad sedilia, quacumque nos
conversatio exercet, frontem Crucis signaculo ten-
mus, inquiebatTertullianus. Hœc nos perpenden-
tes fidelium pietatem erga illud salutiferum
Redemptionis nostrae signum cœlestes Indulgen-
tiarum tbesauros reserando iterum excitandam
censuimus; quopulchra veterum Christianorum
exempla imitantes signo Crucis, quœ tanquam
tessera et Christianae militite frequentius et pa-
lam etiam ac publiée se munire non erubescant.
Quare de Omnipotentis Dei misericordia, ac BB.
Pétri et Pauli App. auctoritate confisi, omnibus
23
et singulisutriusque sexus Christi fidelibusquo-
tiessaltemcordecontrito,adjectaqueSanctissimœ
Trinitutis invocalione Crucis forma se signave-
rint, toties quinquaginta dies de injunctis eis seu
alias quomodolibet debitis pœnilenliis in forma
Ecclesiœ consueta relaxamus ; quas pœnitentia-
rum relaxationes etiam animabus Christi fide-
lium, quœ Deo in charilate conjunctœ ab hac
luce migraverint, per modum suffragii applicare
possint,misericordiler in Domino concedimus. In
contrarium facientibus non obslantibus quibus-
cumque, prœsenlibus, perpeluis futuris tempo-
ribus, valituris. Volumus autem, ut prœsentium
litterarum transumptis seu exemplis etiam im-
pressis, manu alicujusNotarii publici subscriptis,
et sigillo personae in ecclesiastica dignitate consti-
tutif munitis eadem prorsus fides adhibeatur
quae adhiberetur ipsis praesentibus si forent ex-
hibitoc velostensœ; utque earumdem exemplar
ad Secretariam S. Congrégations Indulgentia-
rum Sacrisque Reliquiis prscposilse deferatur,
secus nullas esse eas volumus, juxta Decretum
ab eadem S. Congregatione sub die XIX Januarii
MDCCLYI latum, et a. s. m. Benedicto PP. XIV
Preedecessore Nostro die XVIII dicti mensis et
anni adprobatum.Datum Romce apudS. Petrum
■
subannuloPiscatorisdieXXVIIIJuliiMDCCCLXIII,
Pontificatus nostri anno decimo octavo.
Présentes Litterœ apostolicse in forma Brevis
sub die de 28 Julii 1803 exhibitae fuerunt in se-
cretaria S. Congregationis indulgentiarum die 4
Augusti ejusdein anni ad formam decreti ipsius
S. Congregationis die 14 Aprilis 1856.
In quorum fidem datum Romœ ex eadem se-
cretaria die el anno ut supra.
A. Archiepiscopus Pmnzivalu, substitutus.
Pour copie conforme :
J. GAUME,
Protonotaire apostolique,
Vicaire général d'Aquila,
Paris, 15 septembre 1863.
■■
AVANT-PROPOS
DE LA PREMIÈRE ÉDITION
Au mois de novembre de cette année
1862 est arrivé à Paris, pour suivre les
cours du Collège de France, un jeune
Allemand catholique, de grande distinc-
tion. Fidèle à l'usage traditionnel de
son pays, de faire le signe de la croix
avant et après les repas, il est devenu,
dès le premier jour, l'étonnement de
ses camarades de pension. Le lende-
main, en vertu de la liberté des cultes,
il était l'objet de leurs moqueries. Dans
une de ses visites, il nous a prié de lui
2
■B
[BK
2 6 AVANT-PROPOS.
dire ce que nous pensions de la pratique
dont on essayait de le faire rougir, et du
signe de la croix en général. Les lettres
suivantes sont la réponse à ces deux
questions.
PREMIERE LETTRE
Paris, 25 novembre 1802.
État Je la question. — Le momie actuel ne fait plus, ou il
fait rarement, ou il fait mal le signe de la croix. — Les
premiers chrétiens le faisaient, ils le faisaient souvent, ils
le faisaient bien. — Nous avons raison, et ils avaient
tort; ou nous avons tort, et ils avaient raison; lequel des
deux?
.Mon ciier Frédéric,
Il y a quinze jours à peine, les journaux
annonçaient le naufrage du capitaine Wal-
ker. Ce récit, que nous lisions ensemble,
était d'autant plus douloureux qu'il nous
apprenait la mort de plusieurs passagers
de notre connaissance. Le navire avait tou-
ché contre un écueil ; une large voie d'eau
s'était déclarée. Malgré les efforts de l'é-
quipage, il fut impossible de la fermer. En
moins d'une heure, la cale était inondée. Le
2 8 LE SIGNE DE LA CROIX
navire descendait à vue d'œil au-dessous
de sa ligne de flottaison.
Pour le soulager, on commença par jeter
à la mer les marchandises. Après les mar-
chandises, les provisions de guerre ; après
les provisions de guerre, les meubles et une
partie des agrès. Puis, vinrent les provi-
sions de bouche à l'exception de deux ou
ou trois boîtes à eaufet de quelques sacs de
biscuit. Tout fut inutile. Le navire conti-
nuait d'enfoncer, et le naufrage devenait
imminent. Comme dernière ressource, ;Wal-
ker ordonna de jeter les embarcations à la
mer; on s'y précipita. Malheureusement la
plupart des passagers, au lieu d'y trouver
leur salut, y trouvèrent la mort (1).
A quelques variantes près, ce récit est,
comme tu sais, l'histoire de tous les grands
naufrages. Les malheureux qui, dans cette
extrémité, commandent le bâtiment et ceux
qui le montent, sont d'ailleurs parfaitement
excusables de jeter à la mer tout ce qui peut
y être jeté. La vie avant tout.
(1) Voir les journaux d'octobre.
■
AU XIX e SIÈCLE.
29
Le monde actuel, ce monde qui se dit
encore chrétien, et auquel sans doute ap-
partiennent tes jeunes camarades, offre
plus d'un trait de ressemblance avec un na-
vire avarié et prêt à périr. Les furieuses tem-
pêtes, qui, depuis longtemps, n'ont cessé
de battre le vaisseau de l'Église, y ont pra-
tiqué de larges voies d'eau. Par là, sont en-
trées à grands flots des doctrines, des
mœurs, des usages, des tendances antichré-
tiennes. Gare, non pas au navire, qui est
impérissable; mais aux passagers, qui ne
le sont pas. Qu'a-t-on fait? Je ne parle pas
du monde ouvertement païen : son naufrage
est consommé ; je parle de ce monde qui se
prétend encore chrétien.
Qu'a-t-il fait, que fait-il chaque jour des
provisions de guerre et de bouche, des mar-
chandises, des meubles et des agrès dont
l'Eglise avait pourvu le navire, afin d'assu-
rer, malgré les coups de vent et les écueils,
le succès de la navigation jusqu'au port de
l'éternité ? Il a tout ou presque tout jetéàla
mer.
30 LE SIGNE DE LA CROIX
Où est la prière en commun dans les fa-
milles? A la mer. Les lectures pieuses, la
méditation ? A la mer. La bénédiction de la
table? A la mer. L'assistance habituelle au
saint sacrifice, le scapulaire, le chapelet? A
lamer. La sanctification sérieuse du diman-
che par l'assistance aux instructions et aux
offices, parla visite des pauvres, des affligés
et des malades? A la mer. La pratique ré-
gulière des sacrements, les lois du jeûne et
de l'abstinence? A la mer. L'esprit de sim-
plicité, de modestie et de mortification dans
le vêtement, dans l'amusement, dans l'a-
meublement, dans le logement, dans la
nourriture ; le crucifix, les images saintes,
l'eau bénite dans les appartements? A la
mer, à la mer.
Cependant le navire continue d'enfoncer.
L'esprit chrétien diminue; l'esprit contraire
gagne à vue d'œil. On se jette sur des em-
barcations, je veux dire dans des espèces
de religions qu'on se fait suivant son âge,
sa position, son tempérament, ses goûts, le
milieu dans lequel on vit.
AU XIX SIÈCLE. 3 1
Assister à une messe basse le dimanche :
et comment ? A la grand'messe, trois ou
quatre fois l'an; à vêpres, jamais. Fréquen-
ter les spectacles et les bals ; lire tout ce qui
se présente ; ne se refuser rien, excepté ce
qu'on ne peut pas se donner: voilà les frê-
les esquifs auxquels on confie son salut.
Faut-il s'étonner de tant de naufrages? Pau-
vres passagers, séparés du navire, que vous
êtes à plaindre ! Qu'elle est à plaindre sur-
tout la génération qui s'élève?
Parmi les usages catholiques, si impru-
demment abandonnés par le monde actuel,
il en est un, respectable entre tous, que je
voudrais à tout prix sauver du naufrage.
C'est celui que méprisent, sans savoir ce
qu'ils font, tes jeunes camarades : j'ai
nommé le signe de la croix. Il est temps
de pourvoir à sa conservation. Encore un
peu, et il aura le tort de tant d'autres pra-
tiques traditionnelles, que nous devons à la
sollicitude maternelle de l'Église et à la
piété intelligente des siècles chrétiens.
Veux-tu savoir, mon cher Frédéric, où
3î
LE SIGNE DE LA CROIX
en est aujourd'hui, dans le monde prétendu
chrétien, le signe de la croix ? Place-toi un
jour de dimanche à la porte d'une grande
église. Examine la foule qui entre dans la
maison de Dieu. Un grand nombre s'avan-
cent fièrement ou sottement, ce qui est tout
un, dans le lieu saint, sans même regarder
le bénitier et sans faire le signe de la croix.
D'autres, en nombre à peu près égal, pren-
nent ou reçoivent, font mine de prendre et
de recevoir de l'eau bénite et de faire le si-
gne de la croix. Tu les verras plonger leur
main gantée dans le bénitier, ce qui n'est
pas plus liturgique que de se confesser ou
de communier avec des gants.
Pour leur manière de faire le signe de la
croix, le mieux serait de n'en rien dire.
Aussi bien je la crois capable de dérouter le
plus habile explicateur d'hiéroglyphes. Un
mouvement de main irréfléchi, hâté, tron-
qué, machinal, auquel il estimpossible d'as-
signer une forme ni de donner une signifi-
cation, si ce n'est que les auteurs n'atta-
chent pas la moindre importance à ce
AU XIX e SIECLE.
33
qu'ils font : voilà leur signe de croix du di-
manche.
Combien dans cette foule baptisée ren-
contreras-tu de personnes qui fassentsérieu-
sement, régulièrement, religieusement le
signe vénérable du salut? Or, si, en public
et dans une circonstance solennelle, la plu-
part ne font pas ou font mal le signe de la
croix, j'ai peine à me persuader qu'ils le
font et qu'ils le font bien dans les autres,
où il y a, en apparence, moins de motifs de
le faire et de le bien faire.
C'est donc un fait : les chrétiens d'aujour-
d'hui nefont plus, ou font rarement, ou font
mal le signe de la croix. Sur ce point,
comme sur beaucoup d'autres, nous som-
mes aux antipodes de nos aïeux, les chré-
tiens de la primitive Église. Eux faisaient
le signe de la croix ; ils le faisaient bien ; ils
le faisaient très-souvent.
En Orient comme en Occident, à Jérusa-
lem, à Athènes, à Rome, les hommes et les
femmes, les jeunes gens et les vieillards, les
riches et les pauvres, les prêtres et les sim-
34
LE SIGNE DE LA CROIX
pies fidèles, toutes les classes de la société
observaient religieusement cet usage tradi-
tionnel. L'histoire n'offre pas de fait plus
certain. Tous les Pères de l'Église, témoins
oculaires, en font foi, tous les historiens le
constatent, {lien ne me serait plus facile
que de citer leurs paroles. Tu les trouveras
dans l'ouvrage De cruce, de ton savant com-
patriote Gretzer.
Au nom de tous écoute seulement Tertul-
lien : « A chaque mouvement et à chaque
pas, en entrant et en sortant, en nous habil-
lant, en nous chaussant, en nous baignant,
en nous mettant à table, en allumant les
flambeaux, en dormant (1), en nous asseyant,
quoi que nous fassions et où que nous al-
lions, nous marquons notre front du signe
de la croix (2). »
(1) Les mains croisées sur la poitrine.
(2) Ad omnem progressum atque promotum, ad
omnom aditum et exitum, ad vestitum et calceatum,
ad lavacra, ad mensas, ad lumina, ad cubilia, ad se-
dilia, quacumque nos conversatio exercet, frontem
crucis signaculo terimus. {De Coron, milit, c. m.) —
AU XIX SIÈCLE.
35
Voilà qui est entendu : à chaque instant
nos aïeux faisaient, d'une manière ou d'une
autre, le signe de la croix. Ils le faisaient
non-seulement sur leur front, mais encore
sur leurs yeux, sur leur bouche, sur leur
poitrine (1).
Il résulte de là que, si les premiers chré-
tiens reparaissaient sur nos places publiques
ou dans nos maisons, et faisaient aujour-
d'hui ce qu'ils faisaient il y a dix-huit siè-
cles, nous serions tentés de les prendre pour
des maniaques. Tant il est vrai, encore un
coup, qu'à l'égard du signe de la croix, nous
sommes à leurs antipodes. Ils avaient tort,
et nous avons raison ; ou ils avaient raison,
et nous avons tort. C'est l'un ou l'autre : il
n'y a pas de milieu. Lequel des deux?
Telle est la question. Elle est grave, très-
grave, beaucoup plus grave assurément que
1
Habituellement ils le faisaient sur le front avec le
pouce, afin de ne pas se trahir.
(1) In frontibus, et in oculis, et in ore, et in pec-
tore, et in omnibus membris nostris. (S. Epbrem,
Serm. in ret. et vivif. crucem.)
3 6 LE SIGNE DE LA CROIX AU XIX e SIÈCLE.
ne le pensent tes camarades et ceux qui leur
ressemblent. J'espère t'en convaincre dans
mes prochaines lettres.
DEUXIEME LETTRE
Ce 27 novembre.
Examen de la question. — Préjugés en faveur des premiers
chrétiens. — Premier préjugé : leurs lumières, ou leur voisi-
nage des apôtres. — Second préjugé : leur sainteté.
Troisième préjugé : la pratique des vrais chrétiens dans
tous les siècles. — Les Pères de l'Église fureut-ils de grands
génies ?
Mon cher ami,
Dans les causes ordinaires, les circon-
stances extérieures jouent un grand rôle.
Souvent, à l'égal des témoignages directs,
elles contribuent à former l'opinion des ju-
ges. Tu sais qu'on appelle ainsi les antécé-
dents, la position, le caractère moral des
personnes intéressées dans le débat. Pour-
quoi les écarterions-nous du procès qui
nous occupe ? Ainsi, avant de produire les
3
38
LE SIGNE DE LA CROIX
raisons des premiers chrétiens, tirées de la
nature même du signe de la croix, exami-
nons ensemble les préjugés qui militent en
faveur de leur conduite.
Premier préjugé en faveur des premiers
chrétiens : Leurs lumières, ou leur voisinage
des apôtres. Les apôtres avaient conversé
avec le Verbe incarné lui-même, la Yérité
en personne. Ils l'avaient vu de leurs yeux,
et touché de leurs mains. Ils étaient les dé-
positaires et les organes infaillibles de sa
doctrine. Ordre leur avait été donné de
l'enseigner tout entière, rien de plus, rien
de moins. A leur tour, les premiers chré-
tiens avaient vu les apôtres et les hommes
apostoliques. Ils les avaient fréquentés, en-
tendus. De leur Bouche ils avaient reçu la
foi, de leur main le baptême. A la source
même ils avaient bu la vérité.
Cette vérité, à laquelle ils devaient tout,
ils s'en nourrissaient, ils en faisaient la rè-
gle de leurs actions, ils la gardaient avec
une fidélité inviolable, persévérantes in doc-
trina apostolorum. Personne évidemment ne
*-•'*.
AU XIX e SIÈCLE. 39
fut jamais dans de meilleures conditions
pour connaître la pensée des apôtres et de
Noire-Seigneur lui-môme.
Si donc les premiers chrétiens faisaient
le signe de la croix à chaque instant, on est
bien forcé de conclure qu'ils obéissaient à
une recommandation apostolique. Autre-
ment les apôtres et leurs premiers succes-
seurs, gardiens infaillibles du triple dépôt
de la foi, des mœurs et de la discipline, se
seraient empressés d'interdire un usage
inutile, superstitieux et propre à exposer
les néophytes aux moqueries du paganisme
ignorant. Ainsi, je le répète, en faisant très-
souvent le signe de la croix, les chrétiens
de la primitive Église agissaient en pleine
connaissance de cause. Premier préjugé en
faveur de leur conduite.
Second préjugé en faveur des premiers
chrétiens: Leur sainteté. Non-seulement les
premiers chrétiens étaient très-instruits do
la doctrine des apôtres ; ils étaient de plus
très-fidèles à la mettre en pratique. La
preuve en est qu'ils étaient très-saints.
4 1E SIGNE DE LA CROIX
Qu'une haute sainteté fût le caractère géné-
ral des premiers chrétiens, rien n'est mieux
établi.
1° Ils aimaient mieux tout perdre, les
biens et même la vie, au milieu des suppli-
ces, plutôt que d'offenser Dieu. Leur hé-
roïsme dura autant que les persécutions,
trois siècles.
2° Ils étaient très-charitables. Le ciel et
la terre se sont réunis pour faire de leur
amour mutuel un éloge, unique dans les
annales du monde. Ils n'étaient qu'un cœur
et qu'une âme, cor unum et anima una, a
dit Dieu lui-même. Voyez comme ils s'ai-
ment et comme ils sont toujours prêts à
mourir les uns pour les autres, vide ut in-
vicem se diligant et ut pro alterutro mori sint
parali, s'écriaient les païens 1
3° Ils étaient pleins d'une respectueuse
tendresse pour les apôtres, auxquels ils
obéissaient avec une soumission filiale.
Saint Paul, qui ne faisait pas de compli-
ments, écrit aux chrétiens de Rome que
leur foi est célèbre dans le monde entier;
AU XIX SIÈCLE.
41
et à ceux d'Asie, qu'ils l'aimaient telle-
ment, que, s'ils l'avaient pu, ils se seraient
arraché les yeux pour les lui donner. A sa
prière toutes les Églises volent au secours
des frères de Jérusalem, et Philémon reçoit
Onésime.
4° Les Pères de l'Église, témoins oculai-
res, ont continué de rendre le plus éclatant
témoignage à leur sainteté. S'adressant aux
juges, aux préteurs, aux proconsuls de
l'Empire, Tertullien leur jetait ce défi so-
lennel : « J'en appelle à vos procédures,
magistrats chargés de rendre la justice.
Parmi cette multitude d'accusés qui chaque
jour paraissent à la barre de vos tribunaux,
quel est l'empoisonneur, l'assassin, le sa-
crilège, le corrupteur, le voleur qui soit
chrétien ? C'est des vôtres que regorgent les
prisons ; c'est des vôtres que sont peu-
plées les mines ; c'est des vôtres que
s'engraissent les bêtes de l'amphithéâtre ;
c'est des vôtres que sont formés les trou-
peaux de gladiateurs. Parmi eux pas un
seul chrétien, à moins qu'il n'y soit
42
LE SIGNE DE LA. CROIX
pour le seul crime d'être chrétien (1). »
o° Les historiens païens reconnaissaient
leur innocence, et les persécuteurs eux-
mêmes rendaient hommage à leur vertu.
Tacite, cet auteur beaucoup trop surfait et
si injuste à l'égard de nos pères, raconte
l'affreuse boucherie des chrétiens sous Né-
ron. « Une multitude énorme, dit-il, multi-
tudo ingens, périt dans les plus affreux sup-
plices. Ils étaient innocents de ce qu'on leur
reprochait ; mais ils étaient coupables de la
haine du genre humain, odio generis hu-
mani. » Voilà le mot.
Quel était le genre humain de Tacite ?
Lui-même le dit : c'était la boue vivante,
la cruauté vivante. Pourquoi sa haine ?
Parce que le mal est l'ennemi irréconci-
liable du bien. La sainteté de nos pères
était la condamnation impitoyable des cri-
mes monstrueux dont se souillaient les
païens. De là, les bûchers de Néron et ses
flambeaux vivants.
(I) ApoL,
AU XIX e SIECLE.
43
Quarante ans après Néron, Pline le Jeune,
gouverneur de Bithynic, est chargé par
Trajan d'informer contre les chrétiens.
Courtisan zélé, il exécute avec rigueur les
ordres de son maître et fait traquer nos
aïeux. Appliqués à la torture, lui-même les
interroge. Quel résultat lui donnent ses
sanglantes procédures? « Tout le crime des
chrétiens, écrit-il à Trajan, consiste à s'as-
sembler certain jour avant le lever de
l'aurore, pour chanter des louanges à Christ
comme à un dieu ; à s'obliger par serment,
non à commettre aucun crime, mais à évi-
ter le vol, le brigandage, l'adultère, le
parjure. J'en ai fait mettre à la torture, et
je ne les ai trouvés coupables que d'une mau-
vaise et excessive superstition (1). »
Je me suis étendu, mon cher Frédéric,
sur la sainteté de nos ancêtres. A mes yeux
elle forme le plus puissant préjugé en faveur
du signe de la croix. Quand des hommes de
ce caractère, et toujours en face de la mort,
(1) Epist, lib. X, opist. 97.
44
LE SIGNE DE LA CROIX
se montrent invariablement fidèles à un
usage, il faut que cet usage soit un peu
plus important que ne le croient tes nou-
veaux camarades.
Troisième préjugé en faveur des pre-
miers chrétiens : La pratique des vrais chré-
tiens dans les siècles suivants. De très-bonne
heure il se forma, en Orient et en Occi-
dent, des communautés religieuses d'hom-
mes et de femmes. C'est dans ces asiles
séparés du monde qu'on trouve, sinon im-
mobilisés, du moins perpétués avec le plus
de fidélité, le véritable esprit de l'Évangile
et la pure tradition des enseignements apos-
toliques.
Au nombre des anciens usages, conservés
avec un soin jaloux, figure le signe de la
croix. « Nos pères, les anciens moines, écrit
un de leurs historiens, pratiquaient très-
fréquemment et très-religieusement le si-
gne de la croix. Ils le faisaient surtout en
se levant, en se couchant, avant de travail-
ler, en sortant de leurs cellules et du mo-
nastère, en y rentrant, en se mettant à table,
AV XIX e SIECLE.
4 5
sur le pain, sur le vin, sur chaque mets (à). »
Dans le monde marche sur une ligne pa-
rallèle l'usage traditionnel du signe ré-
dempteur. Tous ces grands hommes qui,
pendant plus de cinq cents ans, se sont suc-
cédé en Orient et en Occident ; ces génies
incomparables qu'on appelle les Pères de
l'Église : Terlullien, Cyprien, Athanase,
Grégoire, Basile, Augustin, Chrysostome,
Jérôme, Ambroise, et tant d'autres dont la
liste effrayante pour l'orgueil l'écrase de
son poids ; toutes ces hautes intelligences
faisaient très-assidûment le signe de la
croix et recommandaient avec instance à
tous les chrétiens de le faire dans chaque
occasion.
J'ai appelé les Pères de l'Église de grands
génies et de grands hommes. Si, comme
tels, tu les opposes à tes camarades, at-
tends-toi à un sourire de pitié : ne leur en
veux pas. Pauvres jeunes gens 1 ils con-
(1) Martène, De antiq. monach. ritib., lib. I, c. i,
n. 25, etc.
3.
46
LE SIGNE DE LA CROIX
naissent les Pères de l'Église, comme ils
connaissent les antipodes. A ton tour, de-
mande-leur ce qu'ils entendent par grands
hommes. A défaut de leur réponse, voici la
mienne : au besoin, elle pourra te servir.
J'appelle grands hommes ceux qui par
l'élévation, la profondeur et l'étendue de
leur génie, embrassent d'immenses hori-
zons dans le monde de la vérité ; qui con-
naissent les sciences, les hommes et les
choses, non pas à la surface, mais dans
leurs principes, dans leur but et dans leur
nature intime ; non pas seulement la ma-
tière qui est au-dessous, mais l'esprit qui
est au-dessus ; non pas l'homme seule-
ment, mais l'ange ; non pas seulement la
créature, mais le Créateur ; non pas seu-
lement ce qui est en deçà du tombeau, mais
ce qui est au delà ; non pas un détail, mais
l'ensemble ; non pas une loi isolée de la
création, mais tout le système, dont ils font
jaillir d'inattendues, de lumineuses appli-
cations au perfectionnement de l'humanité.
Voilà le génie, et voilà le Père de l'E-
AU XIX SIECLE.
47
glise. Tu peux mettre au défi tes camara
des de trouver, parmi les anciens et parmi
les modernes, personne qui ait vérifié
mieux ou aussi bien la définition du grand
homme. Si renommées qu'elles soient, les
spécialités, surtout les spécialités actuel-
les, en chimie, en physique, en mécani-
que, en industrie, ne sont ni des génies ni
de grands génies. L'homme dont le regard
n'embrasse qu'une loi secondaire de l'har-
monie universelle ne mérite pas le nom de
génie ; et on n'appelle pas grand le musi-
cien qui ne sait tirer qu'un son de son ins-
trument, mais celui qui en fait résonner
harmonieusement toutes les cordes.
Le temps ne me permet pas d'achever
ma lettre ce soir : je la reprendrai demain.
H
m
TROISIEME LETT1ÎE
Ce 28 novembre.
Suite du troisième préjugé : les docteurs de l'Orient et de
l'Occident. — Constantin, Théodose, Cbarlemagnc, saint
Louis, Bayard, dim Juan d'Autriche, Sobieski. — Qua-
trième préjugé : la conduite de l'Église. — Cinquième
préjugé : ceux qui ne font pas le sigue de la croix. — Ré-
sumé.
Or, mon cher ami, sans exception au-
cune, tous ces grands génies faisaient le
signe de la croix comme de petites filles.
Us le faisaient très-souvent et ne cessaient
de recommander aux chrétiens de le faire
en toute occasion. « Faire le signe de la
croix, dit l'un d'eux, sur ceux qui mettent
leur espérance en Jésus-Christ, est la pre-
mière chose qui a lieu parmi nous et la plus
connue, primum est et notissimum (i). » Un
autre :
(1) S. Basil., De Sp. S., c. kvii.
LE SIGNE DE LA CBOIX AU XIX SIECLE.
49
« La croix se trouve partout : chez les
princes et chez les sujets, chez les femmes,
chez les hommes, chez les vierges et chez
les femmes mariées, chez les esclaves et
chez les personnes libres, et tous en mar-
quent la plus noble partie de leur corps, le
front... Jamais ne franchissez le seuil de
vos maisons sans dire : Je renonce à Satan
et je m'attache à Jésus-Christ, et sans accom-
pagner ces paroles du signe de la croix :
cum hoc verbo et crucem in fronte impri-
mas (1). »
Un autre : « Nous devons faire le signe
de la croix à chaque action du jour, omne
dieiopus in signo facere Salvatoris (2). » D'au-
tres encore : « Que le signe de la croix
se fasse constamment sur le cœur, sur la
bouche, sur le front, à table, au bain, au
lit, à l'entrée et à la sortie, dans la joie et
dans la tristesse, assis, debout, en parlant,
en marchant, bref, en toutes nos œuvres,
(1) S. Chrys., Quocl Christus
xxi, ad popul. Antioch.
(2) S. Ambr., Sera., xliii.
sit Deus ; et Homil.
50
LE SIGNE DE LA CROIX.
uerfio, dicam in omni negotio . Faisons-le sur
notre poitrine et sur tous nos membres,
afin que notre être tout entier soit couvert
de cette invincible armure des chrétiens :
armemur hac insuperabili chrislianorum ar-
rnatura (1). »
Jusqu'au dernier soupir, confirmant leurs
paroles par leur exemple, nous voyons ces
grands génies mourir comme l'illustre
Chrysostome, le roi de l'éloquence, en fai-
sant le signe de la croix. Formés à leur
école, les plus nobles chrétiens marchent
sur leurs traces. Parlant de sainte Paule,
la petite-fdle des Scipions, saint Jérôme
dit : « Lorsqu'elle fut sur le point de rendre
l'àme et qu'à peine nous l'entendions par-
ler, elle tenait le doigt sur sa bouche, et,
fidèle à l'usage, elle imprimait le signe de
la croix sur ses lèvres (2). »
Franchissons les siècles et signalons
(1] S. Gaudont. opisc. Brixien., Trait, de lecl.
évang. ; S. Cyrill. Hier., Calecli., iv, n. 14 ; S. Eph.,
de Panopl'n.
(2) Ad. lîustoch., de Epitaph. PauLe.
AU XIX" SIECLE. 51
quelques brillants anneaux de la chaîne tra-
ditionnelle. Sans parler de ces immortels
empereurs, législateurs et guerriers, Cons-
tantin, Théodose, Gharlemagne, si fidèles
à l'usage du signe de la croix, arrivons au
plus grand de nos rois, saint Louis. Son ami
et son historien, le sire de Joinville, nous
a laissé ce témoignage : « A la table, au
conseil, au combat, en toutes ses actions,
le Roi commençait toujours par le signe
de la croix (1). » Le chevalier sans peur et
sans reproche, Bayard, est blessé à mort.
Digne de sa vie, son dernier acte est le si-
gne de la croix, qu'il fait avec son épée.
Représentées par deux flottes de plus de
quatre cents voiles, la pui>sance catholi-
que et la puissance musulmane sont en pré-
sence dans le golfe de Lépante. Du combat
va dépendre le salut de la civilisation, ou
le triomphe de la barbarie. Les destinées
de l'Europe sont dans les mains de don Juan
d'Autriche. Avant de donner le signal de
(1) Vie,
52
LE BIfiNB DE LA CROIX
l'attaque, le héros chrétien fait le signe de
la croix. Tous les capitaines le répètent, et
l'islamisme subit une défaite dont il ne s'est
jamais relevé.
Toutefois, un siècle plus tard, il essaye
de réparer son échec. Ses hordes innom-
brables s'avancent jusque sous les murs de
Vienne. Sobieski est appelé. Comparées à
celles de l'ennemi, ses forces ne sont rien.
Mais Sobieski est chrétien. Avant de des-
cendre dans la plaine, il fait faire le signe
de la croix à son armée, lui-même se fait
signe de croix vivant, entendant la messe
les bras étendus en forme de croix. C'est là,
dit un guerrier chrétien, que le grand vizir
fut hilttu.
Je n'en finirais pas, mon cher ami, si je
voulais citer, les uns après les autres, tous
les faits qui établissent la perpétuité et la
fréquence du signe de la croix, chez les
vrais chrétiens de tous les siècles et de tou-
tes les conditions, dans le monde comme
dans les cloîtres, en Orient et en Occident.
Cette glorieuse tradition ne forme-t-elle
AU XIX SIECLE.
5 3
pas un préjugé passablement respectable,
en faveur de nos aïeux de la primitive
Église ? Qu'en pensent tes jeunes cama-
rades?
Quatrième préjugé en faveur des pre-
miers chrétiens : L'usage de l'Eglise. Les
siècles passent, et avec les siècles les hom-
mes changent. Lois, habitudes, modes, lan-
gage, manières de voir et de juger : tout se
modifie. Seule, l'Église ne change pas. Im-
muable comme la vérité, dont elle est la
maîtresse, ce qu'elle enseignait, ce qu'elle
faisait hier, elle l'enseigne, elle le fait au-
jourd'hui, elle l'enseignera, elle le fera de-
main et toujours.
Quelle est sa pensée, quelle est sa con-
duite à l'égard du signe de la croix? Nul
point sur lequel se manifeste avec plus
d'éclat sa divine immutabilité. Depuis dix-
huit siècles, on peut dire que l'Église vit
du signe de la croix. Pas un instant elle ne
cesse de l'employer. Elle commence, con-
tinue, achève tout par ce signe. De toutes
ses pratiques, le signe de la croix est la
54
LK SIGNE DE LA CROIX
principale, la plus ordinaire, la plus fami-
lière. Il estl'àme de ses exorcismes, de ses
prières et de ses bénédictions.
Ce que nous lui voyons faire sous nos
yeux, dans nos basiliques, elle le faisait
sous les yeux de nos pères, dans les cata-
combes. « Sans le signe de la croix, di-
sent-ils, rien parmi nous ne se fait légi-
timement, rien n'est parfait, rien n'est
saint (I). »
Semblable à celui de son divin fondateur,
le pouvoir de l'Église s'exerce sur les créa-
tures et sur l'homme. Il s'étend au ciel et
sur la terre : Data est inihi omnis potestas m
cœlo et in terra. Comment l'exerce-t-elle?
Par le signe de la croix. Tout ce qu'elle des-
tine à ses usages : Teau, le sel, le pain, le
vin, le feu. la pierre, le bois, l'huile, le
baume, le linge, la soie, les bronzes, les mé-
taux précieux ; tout ce qui appartient à ses
(1) Sine quo signo nihil est sanctum, neque alia
consecratio meretur effectum. (S. Cypr., de Ba.pt.
chr.) — Quod sigmirn nisi adhibeatur, nihil recte
perficitur. (S. Aug., Tract. 128, in Joan., n. 5.)
^m
AU XIX e SIECLE. a 5
enfants : leurs demeures, leurs champs,
leurs troupeaux, leurs instruments de tra-
vail, les inventions de leur industrie; elle
prend possession de tout par le signe de la
croix.
Veut-elle préparer au Dieu du ciel une
habitation sur la terre, avant tout le signe
de la croix doit consacrer l'emplacement
de l'édifice. « Que personne, disent les con-
ciles, ne se permette de bâtir une église sans
que l'évêque vienne sur les lieux et y fasse
le signe de la croix, afin d'en chasser les
démons (1). » Le signe de la croix est la
première chose qu'elle emploie pour bénir
les matériaux du temple. Elle le grave vingt
fois sur le pavé, sur les piliers, sur l'autel.
Pour l'immobiliser, elle le fabrique en fer
et le place au sommet de l'édifice. Lorsque
ses enfants viendront dans la maison de
Dieu, que feront-ils avant d'en franchir le
(I) Nemo ecclesiam œdificet, antequam episcopus
civitatis veniat et ibidem crucem figat : addit glossa,
ad abigendas inde dœmonum phantasias. (Novella V,
paragraph. 1, cap. Nemo de co?isecrat., dist. 1.)
mm
■2H
56
LE SIGNE DE LA CROIX
seuil? Le signe de la croix. Par où les chefs
de la prière, les évêques et les prêtres com-
menceront-ils à célébrer les louanges du
Très- Haut? Par le signe de la croix.
« Lorsque au commencement des offices
nous faisons le signe de la croix, accompa-
gné de ces paroles : Dieu, venez à mon aide,
c'est comme si nous disions, écrit un an-
cien liturgiste : Seigneur, votre croix est
notre aide; la main vous en représente le
signal, et la langue vous en prie. Le diable
est le colonel de tous les ennemis de notre
salut; il gouverne le monde, il flatte la
chair pour nous amorcer. Si donc par votre
croix, Seigneur, vous nous donnez aide, lui
et tous nos ennemis seront mis en dé-
route (1). »
Vois surtout sa conduite à l'égard de
l'homme, temple vivant de la Trinité. La
première chose qu'elle fait sur lui, au sortir
du sein de sa mère, c'est le signe de la
croix; la dernière, lorsqu'il rentre dans
(1) Raisons de l'office, etc., p. 270.
AU XIX e SIECLE.
57
les entrailles de la terre, c'est encore le signe
de la croix. Au fils de sa tendresse, voilà
son premier bonjour et son dernier adieu.
Dans l'intervalle qui sépare le berceau de
la tombe, combien de signes de croix sur
l'homme ! Au baptême, où il devient enfant
de Dieu, le signe de la croix; à la confirma-
tion, où il devient soldat de la vertu, le
signe de la croix; à l'eucharistie, où il se
nourrit du pain des anges, le signe de la
croix; à la pénitence, où il recouvre la vie
divine, le signe la croix; à l'extrême-onc-
tion, où il est fortifié pour le dernier com-
bat,' le signe de la croix; à l'ordre et au
mariage, où il est associé à la paternité de
Dieu lui-môme, le signe de la croix. Tou-
jours et partout, aujourd'hui comme autre-
fois, en Orient comme en Occident, le signe
de la croix sur l'homme (1).
Cela n'est rien encore. Vois ce que fait
(I) Si regenerari oportet, crux adest; si mystico
illo cibo nitriri, si ordinari, et si quidvis aliud facien-
dum ubuiue nobis adest hoc Victoria; syrabolum.
(S Ctarys., m Matth. homil. 54, n. 4.) - Quod signum
58
LE SIGNE DE LA CROIX
l'Église lorsque, dans la personne du prêtre,
elle monte à l'autel. Armée de la toute-
puissance qui lui a été donnée, elle vient
commander, non plus à la créature, mais
au Créateur; non plus à l'homme, mais à
Dieu. A sa voix Je ciel s'ouvre; le Verbe
s'incarne et renouvelle tous les mystères de
sa vie, de sa mort et de sa résurrection.
Est-il un acte qui doive être accompli avec
une plus solennelle gravité, un acte duquel
il faille bannir avec plus de soin tout ce
qui serait étranger ou superflu?
Or, dans le cours de Yaction par excel-
lence, l'Église, plus que jamais, multiplie le
signe de la croix; elle s'enveloppe du signe
de la croix; elle marche à travers le signe
de la croix ; elle le répète si souvent, que le
nombre auquel elle arrive pourrait paraître
exagéré, s'il n'était pas profondément mys-
térieux. Sais-tu combien de fois le prêtre
msi adliibeatur frontibus credentium, sive ipsi aquœ
m qua regenerantur, sive oleo quo chrismate ungun-
tur, sive sacrificio quo aluntur, nilnl eorum recte per-
iicitur. (S. Aug., in Joan., tract. 128, n. 5.)
AU XIX e SIECLE.
59
fait le signe de la croix pendant la messe?
11 le fait quarante-huit fois! Je dis mal : tant
que dure l'auguste sacrifice, le prêtre est
un signe de croix vivant.
Et l'Église catholique, la grave institu-
trice des nations, la grande maîtresse de la
vérité, s'amuserait à répéter si souvent,
dans l'acte le plus solennel, un signe inu-
tile, superstitieux ou d'une minime impor-
tance 1 Si tes camarades croient cela, ils ont
tort d'être incrédules : ce n'est pas la cré-
dulité qui leur manque. La conduite de
l'Église et des vrais chrétiens de tous les
siècles est donc un préjugé victorieux en
faveur de nos premiers ancêtres.
Cinquième préjugé en faveur des premiers
chrétiens : Ceux qui ne font pas le signe de
la croix.
Il y a sur la terre six catégories d'êtres
qui ne font pas le signe de la croix.
Les païens : Chinois, Indous, Thibétains,
Hottentots, sauvages de l'Occanie, adora-
teurs d'idoles monstrueuses, peuples pro-
fondément dégradés et non moins malheu-
I
■
60
LE SIGNE DE LA CROIX
reux : ils ne font pas le signe de la croix.
Les mahométans : pourceaux par le sen-
sualisme, tigres par la cruauté, automates
par le fatalisme : ils ne font pas le signe de
la croix.
Les juifs : profondément encroûtés dans
une couche épaisse de superstitions ridicu-
les, pétrification vivante d'une race déchue :
ils ne font pas le signe de la croix.
Les hérétiques : sectaires impertinents
qui ont prétendu réformer l'œuvre de Dieu,
et qui, en punition de leur orgueil, en sont
venus à perdre jusqu'au dernier lambeau
de vérité. « Je me fais fort, disait naguère
un de leurs ministres prussiens, d'écrire,
sur l'ongle de mon pouce, tout ce qui reste
de croyances communes, parmi les protes-
tants : » les protestants ne font pas le signe
de la croix !
Les mauvais catholiques : renégats de
leur baptême, esclaves du respect humain,
superbes ignorants qui parlent de tout et
qui ne savent rien, adorateurs du dieu
ventre, du dieu chair, du dieu matière, et
AU XIX SIECLE. 61
dont la vie intime est un linge souillé : ils
ne font pas le signe de la croix.
Les botes : bipèdes et quadrupèdes de
toutes espèces : chiens, chats, ânes, mu-
lets, chameaux, hiboux, crocodiles, huîtres,
hippopotames : ils ne font pas le signe delà
croix.
Telles sont les six catégories d'êtres qui
ne font pas le signe de la croix. Si, en pré-
sence des tribunaux, le caractère moral du
demandeur ou du défendeur contribue puis-
samment, même avant l'examen de la cause,
à fixer l'opinion des juges, je le laisse à
penser si le caractère des êtres qui ne font
pas le signe de la croix est un mince pré-
jugé en faveur des premiers chrétiens!
En résumé, relativement à l'usage très-
fréquent du signe de la croix, le monde se
divise en deux camps opposés.
Pour: les admirables chrétiens de la pri-
mitive Église, les plus saints et les plus
grands génies de l'Orient et de l'Occident,
les vrais chrétiens de tous les siècles, l'É-
glise catholique elle-même, la maîtresse de
4
6 2 LE SIGNE DE LA CROIX AU XIX e SIECLE.
Contre: les païens, les mahométans, les
juifs, les hérétiques, les mauvais catholi-
ques et les bêtes.
Il me semble que tu peux déjà te pro-
noncer. A plus forte raison, ta conviction
sera formée lorsque tu sauras les motifs qui
justifient les uns et qui condamnent les au-
tres. Je te les dirai dans les lettres sui-
vantes.
QUATRIEME LETTRE.
Ce 20 novembre.
Réponse à une objection : les temps sont changés. — Raisons
en faveur des premiers chrétiens, tirées de la nature même
du signe de la cruix. — Le signe de la croix est cinq choses.
— Un signe qui ennoblit l'homme. — Preuves que le signe
de la croix est divin.
« Pour moi, me dis-tu, mon cher Frédé-
ric, la question est jugée. Jamais je ne croi-
rai que Dieu a donné la vérité et le bon
sens en partage à ses ennemis, tandis qu'il
aurait condamné ses meilleurs amis à l'er-
reur et à la superstition. »
Cet aveu me réjouit sans me surprendre.
Ton esprit cherche la vérité et ton cœur ne
la repousse pas. Si tous étaient dans les
mêmes dispositions, la tâche de l'apologiste
serait facile. Par malheur, il en est autre-
ment. Dans la plupart des controverses, sur-
tout des controverses religieuses, l'homme
I
64
LE SIGNE DE LA CROIX
discute, non avec sa raison, mais avec ses
passions. Ce n'est pas pour la vérité qu'il
combat, c'est pour la victoire. Triste vic-
toire qui consiste à s'afffermir dans l'escla-
vage de l'erreur et du vice !
Ce que je sais de tes camarades et de tant
d'autres prétendus catholiques de notre
temps, me donne lieu de craindre qu'ils
n'ambitionnent cette funeste victoire. Je les
aime trop pour ne pas la leur disputer.
Afin d'arracher le bandeau dont ils se cou-
vrent et d'éclairer de plus en plus ta propre
conviction, je vais exposer les raisons in-
trinsèques qui justifient l'inviolable fidélité
des vrais chrétiens à l'usage très-fréquent
du signe de la croix.
Faisons d'abord justice de la grande ob-
jection des modernes contempteurs du signe
adorable. « Autres temps, autres mœurs,
disent-ils. Ce qui était utile, nécessaire
même dans les premiers siècles de l'Église,
ne l'est plus aujourd'hui. Les temps sont
changés ; il faut vivre avec son siècle. »
Saint Paul leur répond : Jésus-Christ était
AU XIX e SIÈCLE.
65
hier, il est aujourd'hui, et il sera le même aux
siècles des siècles. Tertullien ajoute : le Verbe
incarné s'appelle la vérité et non pas la cou-
tume. Or, la vérité ne change pas. Ce que
les apôtres, les chrétiens de la primitive
Eglise, les vrais chrétiens de tous les siècles
ont tenu pour utile, et jusqu'à un certain
point nécessaire, n'a pas cessé de l'ôtre.
J'ose même affirmer qu'il l'est aujourd'hui
plus que jamais. La raison en est dans les
rapports de ressemhlancc qui existent entre
la position des chrétiens des premiers siè-
cles et celle des chrétiens du dix-neuvième
siècle.
Quelle était la position de nos pères de
la primitive Église ? Ils étaient en face d'un
monde qui n'était pas chrétien, qui ne vou-
lait pas le devenir, qui ne voulait pas qu'on
le fût, et qui persécutait à outrance ceux
qui s'obstinaient à l'être. Et nous, ne som-
mes-nous pas en face d'un monde qui cesse
d'être chrétien, qui neveut pas le redevenir,
qui ne veut pas qu'on le soit, et qui persé-
cute tantôt par la ruse, tantôt par la vio_
4.
66
lence,
LE SIGNE DE LA CHOIX
qui s'obstinent à
ceux qui sonsuueiii a l'être ?
Si, dans une pareille situation, les pre-
miers chrétiens, formés à l'école des apô-
tres, ont regardé comme nécessaire l'usage
si fréquent du signe de la croix, quelles rai-
sons aurions-nous de l'abandonner? Som-
mes-nous plus habiles, ou plus forts? les
dangers sont-ils moins grands, les ennemis
moins nombreux, ou moins perfides? Poser
de pareilles questions, c'est les résoudre.
Passons,
Jusqu'ici, mon cher Frédéric, je n'ai fait
valoir que les circonstances extérieures de
la cause ; il faut maintenant le plaider au
fond, en déduisant les raisons prises de la
nature même du signe de la croix. Pour toi,
pour moi, pour tous les hommes sensés,
elles se résument ainsi :
Fils de la poussière, le signe de la croix
est un signe divin qui nous ennoblit;
Ignorants, le signe de la croix estun livre
qui nous instruit ;
Pauvres, le signe de la croix estun trésor
qui nous enrichit ;
AU XIX" SIÈCLE.
67
Soldats, le signe de la croix est une arme
qui dissipe l'ennemi ;
Voyageurs pour le ciel, le signe delacroix
est un guide qui nous conduit.
Passe ta robe de juge, assieds-toi sur ton
siège, coiffe-toi de ta toque et écoute.
Fils de la poussière, le signe de la croix
EST UN SIGNE DIVIN QUI NOUS ENNOBLIT. — Quel
est, dis-moi, cet être qui vient au monde en
pleurant ; qui rampe comme le ver, soumis
comme le petit de l'animal à toutes les in-
firmités, et, plus longtemps que lui, inca-
pable de suffire à ses besoins? Que l'homme
qui s'appelle prince, roi, empereur ; que la
femme qui s'appelle comtesse, duchesse,
impératrice, ne soient pas trop fiers. Un re-
gard en arrière leur apprendra qu'ils sont
cet être : car cet être, c'est l'homme : ver de
terre au berceau, pâture des vers dans la
tombe (1) .
(I) Primam voeem similcm omnibus emisi plorans.
In involumentis nutritus sum, et curis magnis. Nemo
enim ex regibus aliudhabuit nativitatis initium. (Sap. ,
vu, 32.) Nihil est ita imperfectum, inops, nudum,
68
LE SIGNE DE LA CROIX
Cet être si infime, si nul, si honteuse-
ment confondu, pendant les premières an-
nées de son existence, avec les plus faibles
et les plus vils animaux, n'est d'ailleurs que
trop poussé par ses instincts à leur ressem-
bler. Toutefois cet être est l'image de Dieu,
le roi de la création : il ne faut pas qu'il se
dégrade. Dieu le touche au front et lui im-
prime un signe divin qui l'ennoblit. No-
blesse oblige. Respecté des autres, il se
respectera lui-même. Ces lettres de no-
blesse, ce signe divin, c'est le signe de la
croix.
Il est divin, puisqu'il vient du ciel et
non de la terre. Il vient du ciel, puisque
le propriétaire seul a le droit de marquer ses
produits au coin de son effigie. Il vient du
ciel, puisque la terre avoue ne l'avoir pas
inventé. Parcours tous les pays et tous les
siècles, nulle part lu ne trouveras l'homme
qui a imaginé le signe de la croix, le saint
qui l'a enseigné, le concile qui l'a imposé.
informe, spurcum, ut homo a partu. (Plutarch., Lib.
de amore prolis .)
AU XIX SIÈCLE.
69
« La tradition l'apprend, dit Tertullien,
la coutume le confirme, la foi le pra-
tique (1). »
Dans Tertullien tu viens d'entendre la
dernière moitié du second siècle de l'Église.
Saint Justin parle pour la première et t'ap-
prend non-seulement l'existence du signe
de la croix, mais la manière dont il se fai-
sait (2). Nous voilà dans ces temps primitifs,
temps d'éternelle mémoire, que les héréti-
ques eux-mêmes appellent l'âge d'or du
christianisme, et par la pureté de la doctrine
et par la sainteté des mœurs. Or, nous y
trouvons le signe de la croix en pleine pra-
tique, en Orient comme en Occident.
Avançons de quelques pas, et nous don-
nons la main à saint Jean, le dernier survi-
vant des apôtres. Tu vois le vénérable vieil-
lard faisant le signe de la croix sur une
(1) Harum et aliarum lrajusmodi diciplinarum si le-
gem expostules scripturarum nuUamin venies. Tradi-
tio tibi prœtenditur auctrix, consuetudo confirmatrix
etfides observatrix. (Tortul., De Coron, mil., c. m.)
(2) Dextra manu in nomine Christi quos crucis si-
gno obsignandi sunt obsignamus. (Quœst., 118.)
7o
LE SIGNE DE LA CROIX
coupe empoisonnée et buvant impunément
la liqueur meurtrière (1). Un peu plus loin,
voici ses illustres collègues l'ierre et Paul.
Gomme Jean, le disciple chéri du divin
Maître, Pierre etPaul, princes de l'apostolat,
font religieusement le signe de la croix, et
renseignent de l'Orient à l'Occident, à
Jérusalem, à Antioche, à Athènes, à Rome,
aux Grecs et aux barbares. Écoutons un ir-
récusable témoin de la tradition. «Paul, dit
saint Augustin, porte partout le royal éten-
dard de la croix. 11 pèche les hommes, et
Pierre marque les nations du signe de la
croix (2). »
Non-seulementils le font sur les hommes,
ils le font encore sur les créatures inanimées
et ils le font faire, 'i Toute créature de Dieu
est bonne, écrit le grand Apôtre, et il ne faut
rien rejeter de ce qui peut être reçu avec
actions de grâces ; parce qu'il est sanctifié
(1) S. Simcon, Metaph. in Joan.
(2) Circumfert Paulus Dominicum in cruce voxil-
lum. Et istc piscatoi- ho'minum, et ille titulat signo
crucis gentiles. (Senn., xxvm.)
9*
AU .\IX B SIECLE.
71
par la parole de Dieu et parla prière (1). »
Telle est la règle. Quel en est le sens?Dans
l'étude du droit, si on rencontre un texte
obscur, que fait-on? Pour l'élucider, on con-
sulte l'interprète le plus autorisé et le plus
voisin du législateur: sa parole fail loi.
Ecoute l'interprète le pi us autorisé de saint
Paul, le grand Chrysostome. « Paul, dit-il,
établit ici deux choses : la première, que
nulle créature n'est immonde. La seconde,
qu'en la supposant telle, le moyen de la pu-
rifier est sous la main. Faites-lui le signe de
la croix, rendez grâces et gloire à Dieu, et à
l'instant toute souillure disparaît (2). » Voilà
l'enseignement apostolique.
Les princes des apôtres ne font pas seule-
ment le signe de la croix sur les créatures
inanimées et sur les multitudes qui accou-
rent à la foi ; on le fait sur eux-mêmes. Ce
(1) I. Tim., iv, i-5.
(:») Duo capita ponit, uimm quidem quod creatura
nulla communis est. Secundo, quod etsi communia
sit, medicamentum in promptu est. Signum illi cru-
cis imprime, gratias âge, Deo gloriam refer, et proti-
nus immunditia omnis abscessit. (In Tim., Homil. xn.
72
LE SIGNE DE LA CROIX
signe existait donc avant eux. Paul, le per-
sécuteur, est renversé sur le chemin de Da-
mas. Il faut qu'il devienne l'apôtre du Dieu
qu'il poursuit. Quel sera le premier acte du
Dieu vainqueur? Ce sera de marquer le
vaincu du signe de la croix. « Va, dit-il à
Ananie, et marque-le de mon signe (1). »
Quel est donc l'auteur et l'instituteur du
signe delà croix? Pour le trouver, il faut
franchir tous les siècles, toutes les créatures
visibles, toutes les hiérarchies angéliques ;
il faut s'élever jusqu'au Verbe éternel, la
vérité en personne.
Écoute encore un témoin parfaitement
placé pour le savoir, témoin d'autant plus
irréprochable qu'il a signé son témoignage
de son sang. J'ai nommé l'immortel évoque
de Cartilage, saint Cyprien. « Seigneur, s'é-
crie-t-il, Prêtre saint, vous nous avez légué
i rois choses impérissables : le calice de votre
sang, le signe de la croix, et l'exemple de
(1) Vade ad cum, et signa oum charactere meo. (S.
Vug,, Serm II et XXV, de Sanctis.)
AU XIX" SIECLE. 7 3
vos douleurs (1). » Saint Augustin ajoute :
« C'est vous-même qui avez voulu que ce
signe nous fût imprimé sur le front (2). »
11 seraitaisé de citer vingt autres témoins.
Mais comme j'écris des lettres et non pas
un livre, je m'arrête. Le signe de la croix est
un signe divin ; premier fait acquis à la dis-
cussion. Il en est un autre dont je te parlerai
demain.
(1) Tu, Domine, sacerdos sancte, constituisti nobis
inconsumptibiliter potum vivificum, crucis signum,
et mortificationis oxemplum. (Ser. de Puss . Chr.)
(2) Signum suum Christus in fronte nobis figi vo-
luit. (In ps. 130.)
CINQUIEME LETTRE
Ce 30 novembre.
Le signe de la croix nous ennoblit. — II est le signe exclusif
de l'élite de l'humauité. — Il est le blason du catholique. —
Ce que c'est qu'un catholique. — En nous ennoblissant, le
signe de la croix nous enseigne le respect de nous-mêmes. —
Importance de cette leçon. — Honle de ceux qui ne font pas
le signe de la croix. — Tableau du mépris qu'ils ont pour
eux-mêmes.
J'ai ajouté, mon cher Frédéric, que le
signe de la croix est un signe qui ennoblit.
Il nous ennoblit, parce qu'il est divin. Tout
ce qui est divin ennoblit. Cette seule raison
pourrait dispenser de toute autre. J'ajoute
néanmoins que le signe de la croix nous
ennoblit, parce qu'il est le signe exclusif
de l'élite de l'humanité. Tes camarades y
ont-ils jamais réfléchi?
Tout ce qui ne fait pas le signe de la croix,
LE SIGNE DE LA CROIX AU XIX 8 SIÈCLE.
75
à plus forte raison tout ce qui est assez
malheureux pour en rougir, demeure con-
fondu avec les païens, les mahométans, les
Juifs, les hérétiques, les mauvais catholi-
ques et les bêtes : c'est-à-dire avec la lie de
la création. Qu'en penses-tu ? M'y a-t-il pas
de quoi être fier d'un signe qui nous dis-
tingue si noblement de tout ce qui ne le
porte pas ?
L'enfant est fier d'être membre d'une
famille vénérable par son antiquité, illus-
tre par ses services, respectable par ses
vertus, puissante par ses richesses. Aussi
comme il est jaloux de son blason! Il le
taille en pierre, en marbre, en argent, en
or, en agate, en rubis ; il le grave sur son
habitation : il le sculpte dans ses meubles;
il le dessine sur sa vaisselle et sur son linge;
il le marque sur son cachet; il voudrait le
marquer sur son front. Il le peint sur les
parois de sa voiture ; il en décore jusqu'aux
harnais de ses chevaux. Vanité à part, il a
raison. Sa conduite proclame la loi émi-
nemment sociale de la solidarité. La gloire
7 6 LE SIGNE DE LA CROIX
des aïeux est la gloire des enfants : c'est un
patrimoine de famille.
Catholique, le signe de la croix est mon
blason. Il me dit, il dit à tous la noblesse
de ma race, son antiquité, ses services,
ses gloires, ses vertus. Et je n'en serais
pas fier! Je renierais le sang illustre qui
coule dans mes veines ! Indigne de porter
un grand nom, je répudierais lâchement
la loi de solidarité, jetant mes armoiries
dans la boue et au vent le riche héritage
de mes aïeux!
Les hommes sont fiers d'appartenir à
une nation aristocratique. L'Espagnol est
fier d'être Espagnol ; l'Anglais est fier d'être
Anglais ; le Français est lier d'être Fran- _
çais : ainsi des autres grands peuples.
Dis-moi, mon ami, quelle est la plus
grande, la plus aristocratique nation du
globe?
Il est une nation plus ancienne, et qui
compte à elle seule plus de citoyens que
tous les peuples dont je viens de prononcer
le nom; une nation qui par ses lumières
AU XIX SIÈCLE.
77
brille dans le monde, comme le soleil
dans le firmament; une nation essentielle-
ment expansive, qui, au prix de son sang,
a tiré le genre humain de l'a barbarie et qui,
au même prix, l'empêche d'y retomber, té-
moin l'histoire et la mappemonde ; une na-
tion qui voit, et qui voit seule, parmi ses
enfants, tout ce que l'homme a connu de
plus grand par le génie, parla vertu, par la
science, par le courage ; des légions en-
tières de docteurs, de vierges, de martyrs,
d'orateurs, de poètes, de philosophes, d'ar-
tistes ; les grands législateurs, les bons rois,
les guerriers illustres, dans toutes les par-
ties du monde; une nation d'autant plus
aristocratique que toutes les autres lui doi-
vent leur supériorité. Quoi qu'on dise et
quoi qu'on fasse, l'histoire a nommé la
grande nation catholique. Je lui appartiens.
Le signe de la croix est son blason : et j'en
rougirais !
Dieu lui-même a pris soin de montrer
par d'éclatants miracles combien s'honore
à ses yeux et la personne et le membre qui
78
LE SIGNE DE LA CROIX
fait le signe de la croix. Sainte Édithe, fille
d'Edgar, roi d'Angleterre, eut dès l'enfance
la croix dans le cœur. Cette petite prin-
cesse, une des plus belles fleurs de virgi-
nité qui aient orné l'ancienne Ile des Saints,
ne faisait rien sans marquer du signe salu-
lutaire son front et sa poitrine.
Ayant fait bâtir une église en l'honneur
de saint Denis, elle pria saint Dunstan, ar-
chevêque de Gantorbéry, de venir la dé-
dier. Il le fit volontiers, et dans les diverses
conversations qu'il eut avec la sainte, il fut
frappé de la voir, à l'exemple des premiers
chrétiens, faire très-souvent le signe de la
croix, avec le pouce, sur son front.
Cette dévotion lui fit tant de plaisir, qu'il
pria Dieu de bénir ce pouce et même de le
préserver de la corruption du tombeau. Il
fut exaucé. Morte bientôt après, à l'âge de
vingt-trois ans, la sainte lui apparut. Vous
lèverez, lui dit-elle, mon corps de sa tombe.
Vous le trouverez sans corruption, hormis
les parties dont j'ai fait un mauvais usage
dans la légèreté de mon enfance. Ces par-
AU XIX SIÈCLE.
79
ties étaient les yeux, les pieds et les mains
qui se trouvèrent effectivement consumés,
à la réserve du ponce, dont elle avait cou-
tume de faire le signe de la croix (1).
Au point de vue de l'honneur, nos aïeux
avaient-ils tort de faire si souvent le signe
de la croix? Et nous, avons-nous raison de
ne plus le faire? Ah! qu'ils avaient bien
autrement que nous la fierté de leur no-
blesse et le sentiment de leur dignité 1 Aussi,
en se redisant sans cesse que noblesse
oblige, je ne m'étonne pas qu'ils aient fait
une société unique dans les annales du
monde, par l'héroïsme de ses vertus : tu
vas le comprendre.
En nous ennoblissant à nos yeux, le pre-
mier sentiment que développe en nous le
signe de la croix, c'est le respect de nous-
mêmes. Le respect de nous-mêmes! Quel
grand mot, cher ami, je viens de pronon-
cer ! Je regarde autour de moi : je vois un
siècle, un monde, une jeunesse, qui ne ces-
sent de parler de dignité humaine, d'éman-
(I) Voir sa Vie, c. ni.
80
LE SIGNE DE LA CROIX.
cipation, de liberté. Ces mots, vides de
sens, ou pleins d'un sens mauvais, rendent
le siècle, le monde, la jeunesse, ingouver-
nables. Impatients du joug de toute auto-
rité divine, sociale, civile, paternelle, ils
s'en vont répétant à tout ce qu'ils rencon-
trent : Respectez-moi.
Très-bien ; mais, si lu veux être respecté,
commence par te respecter. Le respect des
autres pour nous se mesure à celui que
nous avons pour nous-même. La cruauté,
l'hypocrisie, la débauche, le vice doré,
ganté, fardé, empanaché, éperonné, cou-
ronné, peut inspirer la crainte : obtenir
le respect, jamais. Or, l'homme actuel,
jeune homme ou vieillard, qui ne fait plus
le signe de la croix, se respecte-il? Faisons
un essai d'autopsie.
La plus noble partie de l'homme, c'est
son âme et la plus noble faculté de son
âme, c'est l'intelligence. Vase précieux,
façonné de la main de Dieu même pour re-
cevoir la vérité, rien que la vérité : tout ce
qui n'est pas la vérité le souille et le pro-
AU XIX SIÈCLE.
8t
fane. L'homme actuel respecte-t-il son
intelligence? Est-ce la vérité qu'il y dépose?
Il n'a que du dégoût pour les sources pures
d'où elle découle. Oracles divins, sermons,
livres d'ascétisme ou de philosophie chré-
tienne, lui donnent des nausées.
Si lu descends dans cette intelligence
baptisée, tu te croiras dans une boutique
de bric-à-brac. Là, tu trouves entassés
pêle-mêle des ignorances, des billevesées,
des frivolités, des préjugés, des mensonges,
des erreurs, des doutes, des objections, des
négations, des impiétés, des niaiseries, des
riens. Triste spectacle, qui me rappelle
l'autruche morte dernièrement à Lyon. Tu
sais qu'à l'autopsie, un des estomacs du
stupide animal a présenté un vrai magasin
de-vieille ferraille, de bouts de corde et de
bouts de bois. Voilà de quoi nourrit son in-
telligence l'homme qui ne fait plus le signe
de la croix. Voilà de quelle manière il la
respecte (1).
(1) Qui nutriebantur in croceis, amplexati sunt ster-
cora. [Tkren., iv, 5),
5.
82
LE SIGNE DE LA CROIX
Et son cœur ? Dispense-moi, cher Fré-
déric, de t'en révéler les ignominies. Au
lieu de se faire en haut, ses mouvements se
font en bas. Au lieu de s'élever comme
l'aigle, il rampe comme la chenille. Au lieu
de se nourrir comme l'abeille du suc parfumé
des fleurs, comme la mouche stercoraire il
s'abat sur l'ordure. Pas une violation de la
loi immaculée devant laquelle il recule; pas
une souillure qu'il s'épargne. Et, déjà tu as
pu t'en convaincre, la bouche parlant de
l'abondance du cœur, son gosier est comme
le soupirai] d'un sépulcre en putréfac-
tion (1).
Et son corps? Jeune homme, qui trouves
au-dessous de toi de faire le signe de la
croix, tu te crois un grand esprit : tu fais
pitié. Tu te crois indépendant; tu es es-
clave. Tu ne veux pas t'honorer en faisant
ce que fait l'élite de l'humanité ; par un juste
châtiment, tu te déshonoreras en faisant ce
que fait de plus honteux la lie de l'humanité.
(I) Sepulcrum patens est guttur eorum, (Ps. v, II.)
#fi
AU XIX e SIÈCLE.
83
Ta main no touchera pas ton front du signe
divin, et elle touchera ce qu'elle ne devrait
jamais toucher.
Tu ne veux armer du signe protecteur ni
tes yeux, ni tes lèvres, ni ta poitrine : et tes
yeux se souilleront en regardant ce qu'ils ne
devraient pas regarder ; et tes lèvres, ba-
vard muet, loquaces muti. comme parle un
grand génie (1), ne diront rien de ce qu'elles
devraient dire, diront tout ce qu'elles ne
devraient pas dire; et ta poitrine, autel
profané, brûlera d'un feu dont le nom seul
est une honte. Ceci est de l'histoire intime.
Tu peux la nier; tu ne l'effaceras pas. Écrite
sur ce papier avec de l'encre, elle se lit dans
toutes les parties de ton être, écrite avec le
sang du péché, in sanguine peccati.
Et sa vie! L'homme qui ne fait pas, ou
qui ne fait plus le signe de la croix, perd
l'estime de sa vie. 11 la vilipende, il la gas-
pille ; car jamais il ne la prend au sérieux.
Faire de la nuit le jour et du jour la nuit ;
(l) S. Aug., Médit., xxxv, 2.
84
LE SIGNE DE LA CROIX
travailler peu, dormir beaucoup ; manger
délicatement ; ne rien refuser à ses goûts; se
consumer pour le temps sans rapport avec
l'éternité, c'est-à-dire tisser des toiles d'a-
raignée, prendre des mouches et bâtir des
châteaux de cartes; en un mot, user de la
vie comme si on en était propriétaire : ce
n'est pas la prendre au sérieux. Prendre la
vie au sérieux, c'est en faire l'usage voulu par
celui qui nous l'a confiée et qui nous en deman-
dera compte, non pas en bloc, mais en dé-
tail; non par année, mais par minute.
Quand le contempteur du signe divin, qui
devrait ennoblir sa vie en lui inspirant le
respect de son âme et de son corps, s'est
fatigué dans la voie de la bagatelle et de l'i-
niquité, que fait-il? Trop souvent il rejette
la vie comme un fardeau insupportable. Se
regardant comme une bête, pour laquelle
il n'y a ni crainte ni espérance au delà du
tombeau, il se tue.
Ici, mon bon Frédéric, comment t'expri-
mer ma douleur? Ce que l'Apôtre, ravi
d'admiration, disait des merveilles du ciel :
AU XIX SIECLE.
85
que l'œil de l'homme n'a rien vu, son oreille
rien entendu, son esprit rien conçu de sem-
blable, il faut le dire aujourd'hui en gémis-
sant, en rougissant, en tremblant. Non; à
aucune époque, sous aucun climat, chez
aucun peuple, même païen, même anthro-
pophage, l'œil de l'homme n'a vu, son oreille
n'a entendu, son esprit n'a conçu ce que
nous voyons, ce que nous entendons, ce que
nous touchons de nos mains : quoi? Le sui-
cide ; le suicide sur une échelle sans ana-
logue dans l'histoire. En France seulement,
cent mille suicides, dans les trente dernières
années. Cent mille! et la progression va
toujours croissant.
Or, j'en ai la certitude, sans en avoir la
preuve, sur ces cent mille désespérés, plus
de qualre-vingt-dix-neuf mille avaient
perdu l'usage de faire souvent, sérieuse-
ment, religieusement le signe de la croix.
Tiens cela pour le treizième article de ton
Symbole. A demain.
m.sM Bh
SIXIEME LETTRE
Ce 1" décembre.
Résumé de la lettre précédente. — Le signe de la croix est un
livre qui nous instruit. — Création, Rédemption, Glorifica-
tion : trois mots qui renferment toute la science de Dieu, de
l'homme et du monde. — Le signe de la croix dit ces trois
mots avec autorité, — avec lucidité, — avec profondeur.
11 les dit à tous, — partout — et toujours.
Signe divin, signe distinclif de l'élite de
l'humanité, blason du catholique : tel est,
mon cher Frédéric, le signe de la croix, con-
sidéré à son premier point de vue. S'il est
vrai que noblesse oblige, je ne connais pas,
pour inspirer à l'homme le sentiment de sa
dignité et le respect de lui-même, de moyen
plus simple, plus facile, plus efficace que le
signe de la croix, fait souvent, sérieuse-
ment, religieusement. Là est une de ses rai-
sons d'être.
LE SIGNE DE LA CROIX AU XIX e SIÈCLE.
87
« Ce signe, dit un Père, est une garde
puissante. Il est gratuit à cause des pauvres;
facile à cause des faibles. Bienfait de Dieu,
étendard des fidèles, terreur des démons,
loin de te porter à le dédaigner, que sa
gratuité même augmente ta reconnais-
sance (1). » J'ajoute que l'éloquence du
signe de la croix est égale à sa puissance.
Que dit-il à l'homme? Nous allons le voir.
Ignorants, le signe de la croix est un li-
vre qui nous instruit. — Création, Ré-
demption, Glorification : toute science
théologique, philosophique, sociale, politi-
que, historique, divine et humaine, est dans
ces trois mots. Science du passé, science du
présent, science de l'avenir : tout est là et
n'est que là. Flambeaux du monde;, bases
même de l'intelligence, suppose un instant
que le genre humain oublie ces trois mois
(1) Magna hase est custodia, quœ propter pauperes
gratis datur : sine labore propter infirmos, cum a Deo
sit hœc gratia, signum fidelium, et timor dremonum.
Nequc propterea quod est gratuitum, contemnas hoc
signaculum ; sed id eo magis venerare benefactorem.
(S, Cyrill. Hier., Catech., xm.)
i*3tt
88
LE SIGNE DE LA CROIX
ou qu'il en perde les sens : que devient-il?
Agglomération d'atomes se mouvant dans
le vide, sans direction et sans but; aveugle-
né sans guide et sans bâton : mystère inexpli-
cable à lui-même ; malheureux sans conso-
lation ; galérien sans espoir : voilà l'homme,
voilà la société.
Création, Rédemption, Glorification : ces
trois mots sont donc plus nécessaires au
genre humain que le pain qui le nourrit ou
l'air qu'il respire. Ils sontnécessaires à tous,
à chaque heure et toujours. Seuls ils orien-
tentlavieet toutes les vies, l'action et toutes
les actions, la parole et toutes les paroles,
la pensée et toutes les pensées, la joie et
toutes les joies, la tristesse et toutes les tris-
tesses, le sentiment et tous les sentiments.
Cela posé, la simple raison dit que Dieu
se devait à lui-même d'établir un moyen
universel, facile, permanent de donner à
tous cette connaissance fondamentale ; non
pas seulement de la donner une fois, en
passant; mais de la renouveler sans cesse,
comme il renouvelle à chaque seconde l'air
que nous respirons.
'.1'--*
AU XIX SIECLE.
89
Quel docteur sera chargé de cet enseigne-
ment indispensable? Saint Paul, saint Au-
gustin, saint Thomas, n'importe quel grand
génie de l'Orient ou de l'Occident? Non. Ces
docteurs meurent, et il m'en faut un qui ne
meure pas. Ces docteurs habitent un lieu
déterminé, et il m'en faut un qui soit par-
tout. Ces docteurs parlent des langues que
tous ne comprennent pas; et il m'en faut un
qui parle une langue intelligible à tous, au
sauvage de l'Océanie, comme au civilisé de
l'ancien monde.
Quel sera donc mon docteur? Tu l'as
nommé : c'est le signe de la croix. Lui et lui
seul remplit toutes les conditions exigées. Il
ne meurt pas ; il est partout ; sa langue est
universelle. Un instant lui suffit pour donner
sa leçon : à tous un instant suffit pour la
comprendre. En preuve de ce que j'avance,
laisse-moi, cher ami, te découvrir un mys-
tère. Le Verbe incarné, qu'Isaïe appelle avec
raison le Précepteur du genre humain, avait
résolu de mourir pour nous. Bien des genres
de mort se présentaient : la lapidation, la
90
LE SIGNE DE LA CROIX
décollation, le poison, la précipitation d'un
lieu élevé, le feu, l'eau, que sais-je? Parmi
tous ces genres de mort, pourquoi a-t-il
choisi la croix?
Un savant théologien a répondu, il y a
bien des siècles : « Une des raisons pour les-
quelles la Sagesse infinie a choisi la croix,
c'est qu'un léger mouvement de la main
suffit pour tracer sur nous l'instrument du
divin supplice : signe lumineux et puissant,
qui nous enseigne tout ce qui nous sert de
bouclier contre nos ennemis (1). »
Voilà le signe de la croix dûment établi
catéchiste du genre humain. Est-il vrai, me
demandes-tu, qu'il s'acquitte bien de ses
fonctions, en d'autres termes, qu'il redit, et
qu'il redit, comme il convient, les trois
grands mots : Création, Rédemption, Glori-
fication? Non-seulement il les redit, mais
(I) Noluit Dominus lapidari, aut gladio truncari,
quod videlicet nos semper nobiscum lapides aut fer-
rum ferre non possumus quibus defendamur. Elegit
vero crucem, quœ levi manus motu exprimitur, qua
et contra inimici versutias muuimur. (Alcuin., de
Divin. Offic, c. xvm.)
AU XIX e SIÈCLE.
91
il les explique avec une autorité, une pro-
fondeur, une lucidité, qui n'appartiennent
qu'à lui.
Avec autorité
divin dans son origine, il
est l'organe de Dieu même.
Avec profondeur et lucidité : tu vas le
voir.
Lorsque tu portes la main à ton front en
disant au nom, sans s, le signe de la croix
t'enseigne l'indivisible unité de l'essence di-
vine. Par ce seul mot, enfant ou bonne
femme, tu en sais plus que tous les philo-
sophes du paganisme. Quel progrès d'un
seul coup!
En disant du Père, nouveau et immense
rayon de lumière dans ton intelligence. Le
signe de la croix t'a dit qu'il y a un Être,
Père de tous les pères, principe éternel de
l'être, de qui sont sorties toutes les créatu-
res, célestes et terrestres, visibles et invisi-
bles (1). A ce nouveau mot, se sont éva-
(l) Ex quo omnis paternitas in cœlis et in terra no-
minatur. (Eph., ni, 15.)
9 2
LU SIGNE DE LA CROIX
nouis, pour toi, les épais brouillards qui,
pendant vingt siècles, couvrirent aux yeux
du monde païen l'origine des choses.
Tu continues en disant : et du Fils. Le si-
gne de la croix aussi continue sa leçon. 11 te
dit que le Père des Pères a un fils semblable
à lui. En te faisant porter la main à la poi-
trine lorsque tu prononces son nom, il L'ap-
prend que ce Fils éternel de Dieu s'est fait
un jour fils de l'homme, dans le sein d'une
Vierge, pour racheter l'homme. L'homme
est donc tombé?
Quelle lumière éclatante ce troisième mot
fait lever sur ton intelligence! La coexis-
tence du bien et du mal sur la terre, le ter-
rible dualisme que tu sens en toi-même; ce
mélange de nobles instincts et de penchants
abjects, d'actions sublimes et d'actes hon-
teux, la nécessité de la lutte, la possibilité
et les moyens de la réhabilitation : tous ces
mystères, dont la profondeur fit tourner la
tète à la philosophie païenne, n'ont plus de
voile pour toi.
Tu achèves en disant : et du Saint-Esprit.
AU XIX SIÈCLE. 9 3
Ce mot complète l'enseignement du signe
de la croix. Grâce à lui, tu sais qu'il y a
en Dieu Unité d'essence et Trinité de per-
sonnes. Tu as l'idée juste de l'être par ex-
cellence, de l'Être complet. Il ne serait pas
tel, s'il n'était un et trois. Si la première
personne est nécessairement puissance, la
seconde nécessairement sagesse, la troi-
sième est nécessairement amour. Cet Amour,
essentiellement bienfaisant, complète l'œu-
vre du Père qui crée, et l'œuvre du Fils qui
rachète : il sanctifie l'homme et le conduit
à la gloire.
Pour la direction de la vie des nations et
delà vie des individus, pour les rois comme
pour les sujets, quel lumineux enseigne-
ment ! Si Aristote, si Platon, si Cicéron, si
tous ces anciens chercheurs de vérités, phi-
losophes, législateurs et moralistes, usés
d'études et tourmentés de doutes insolubles,
avaient ouï parler d'un maître qui enseignât
avec la profondeur et la lucidité du signe de
la croix, tenons pour certain qu'ils seraient
allés au bout du monde pour le voir, heu-
9 4 LE SIGNE DE LA CROIX
reux de passer leur vie à l'entendre.
En prononçant le nom du Saint-Esprit,
tu as formé la croix. Tu ne connais pas
seulement le Rédempteur, tu connais en-
core l'instrument de la rédemption. Ainsi,
pendant qu'il inonde l'esprit de lumières
éblouissantes, le signe de la croix ouvre
dans le cœur une source d'intarissable
amour : nouveau bienfait, dont nous parle-
rons plus tard.
En attendant, réponds-moi : est-il pos-
sible d'enseigner en moins de mots, avec
autant d'éloquence et dans une langue
plus intelligible, les trois grands dogmes :
Création, Rédemption, Glorification, pivots
du monde moral et principes générateurs
de l'intelligence humaine ? Être créé, être
destiné à la gloire éternelle, être racheté :
homme, voilà ce que tu es.
Qu'en penses-tu, cher ami, est-ce là de
la théologie? Mais si la théologie est la
science de Dieu, de l'homme et du monde;
si la philosophie, connaissance raisonnée
de Dieu, de l'homme et du monde, est
AU XIX SIÈCLE.
95
fille de la théologie ; si de la théologie et
de la philosophie découlent toutes les scien-
ces, la politique, la morale, l'histoire : il
en résulte que le signe de la croix est le
docteur le plus savant et le moins verbeux
qui ait jamais enseigné.
Veux-tu savoir quelle place il tient dans
le monde? Je te le dirai demain.
SEPTIÈME LETTRE
Ce 1 décembre.
Place que le signe de la croix tient dans le monde. — Ce qu'était
le genre humain avant de savoir faire le signe de la
croix. — Ce que devient le monde en cessant de faire le
ligne de la croix. — Nouveau point de vue : Le signe de la
croix est un trésor qui nous enrichit.
Cher ami,
Ceux qui méprisent ou qui dédaignent
le signe de la croix ne se doutent guère de
la place qu'il tient dans le monde. Ils ap-
partiennent à cette catégorie d'êtres, si
nombreux aujourd'hui, qui ne doutent de
rien, parce qu'ils ne se doutent de rien. Un
instant quitte ton siège déjuge, donne-moi
la main, et faisons un petit voyage dans le
monde ancien et dans le monde moderne.
Visitons d'abord la brillante antiquité,
fetc*^
LE SIGNE DE LA CROIX AU XIX SIÈCLE.
07
avant que le genre humain sût faire le signe
de la croix; et, pèlerins de la vérité, par-
courons l'Orient et l'Occident. Memphis,
Athènes, Rome, trois grands centres de
lumières, nous appellent à l'école des sa-
ges. Que disent ces illustres maîtres sur
les points qu'il nous importe le plus de
connaître ?
Le monde est-il éternel, ou a-t-il été
créé? S'il a été fait, par qui a-t-il été fait?
L'auteur de la nature est-il corps, ou es-
prit? Est-il éternel, libre, indépendant?
Sont-ils plusieurs ?
Réponse: bégayements, incertitudes, con-
tradictions flagrantes.
Qu'est-ce que le bien? Qu'est-ce que le
mal? Quelle en est l'origine? Comment
se trouvent-ils dans l'homme et dans le
monde? Le mal a-t-il un remède, ou bien
est-il inguérissable? Quel est ce remède?
Qui le possède? Comment l'obtenir? Com-
ment l'appliquer?
Réponse : bégayements, incertitudes,
contradictions flagrantes.
6
98
LE SIGNE DE LA CHOIX
Qu'est-ce que l'homme? A-t-il une âme?
De quelle nature est cette âme ? Est-ce un
feu, un souffle, un esprit, une matière aéri-
forme? Est-elle libre, ou dépend-elle du
destin? Périt-elle avec le corps, ou lui survit-
elle? Si elle lui survit, quelle est sa destinée?
Quel est le but de son existence?
A toutes ces questions et à mille autres,
Réponse : bégayements, incertitudes, con-
tradictions flagrantes.
Ah ! prétendus grands hommes et pré-
tendus grands peuples, qui ne savez pas le
premier mot de réponse à ces questions
fondamentales, vous n'êtes que de grands
ignorants! Que nous importe que vous sa-
chiez fabriquer des systèmes, aiguiser des
sophismes, inonder de votre inépuisable
faconde les écoles, les sénats et les aréo-
pages ; conduire des cbars dans le cirque,
bâtir des villes, livrer des batailles, con-
quérir des provinces, rendre la terre et les
mers tributaires de vos concupiscences :
dès que vous ignorez qui vous êtes, d'où
vous venez, où* vous allez, vous n'êtes,
AU XIX SIÈCLE.
99
pour parler comme l'un des vôtres, que des
pourceaux plus ou moins gras ou troupeau
d'Ëpicure, Epicuri de greffe porci.
Voilà le monde avant le signe de la croix.
Ce signe éloquent a paru. Toutes les hon-
teuses ténèbres se sont dissipées. En le fai-
sant, le genre humain, lettré ou illettré, a
appris la science de lui-même, du monde
et de Dieu. En le répétant sans cesse, il l'a
gravée jusqu'au fond de son âme, de ma-
manière à ne jamais l'oublier.
Quoi qu'on en dise, grâce à l'usage très-
fréquent du signe de la croix, dans toutes
les classes de la société, dans les villes aussi
bien que dans les campagnes, le monde ca-
tholique des premiers siècles et du moyen
âge conserva, à un degré inconnu avant
et après lui, la science divine, mère de
toutes les autres et lumière de la vie.
Pouvait-il en être autrement? Que, pen-
dant quarante ans, un homme se répète
sérieusement, dix fois le jour, une erreur
quelconque, il finira par en être complète-
ment imbu et par s'identifier avec elle.
10 LE SIGNE DE LA CROIX
Pourquoi n'en serait-il pas de même de la
vérité?
Désires-tu la contre-épreuve de ce que
j'avance ? Continuons notre voyage , et
viens avec moi dans le monde moderne. Il
a abandonné le signe de la croix. Dès lors,
plus de moniteur toujours à ses côtés, qui
lui redise à chaque instant les trois grands
dogmes, nécessaires à sa vie morale. 11 les
oublie ; ils sont pour lui comme s'ils n'é-
taient pas. Aussi, vois ce qu'il devient en
fait de science.
Comme le monde d'autrefois, l'entends-tu
bégayer honteusement sur les principes les
plus élémentaires de la religion, du droit, de
la famille et de la propriété ? Quel fonds de
vérités alimente ses conversations ? De quoi
sont remplis ses livres de politique et de
philosophie ? A la lueur de quels flambeaux
marche sa vie publique et privée ? Et les
journaux, ces nouveaux pères de l'Eglise,
qu'en penses-tu? Dans les torrents de paro-
les qu'ils versent chaque jour sur la société,
combien pourrais-tu nommer d'idées saines
AU XIX e SIÈCLE.
1 01
sur Dieu, sur l'homme et sur le monde ?
Que sait-il donc, ce monde moderne, ce
siècle de lumières, qui ne sait plus faire
le signe de la croix? Ni plus n j moins que
les païens, ses maîtres et ses modèles. Il
sait et il adore le Dieu-Moi, le Dieu-Com-
merce, le Dieu-Coton, le Dieu-Écu, le Dieu-
Ventre, Deus venter. Il sait et il adore la
Déesse-Industrie, la Déesse-Tapeur la
Déesse-Électricité . Moyen de satisfaire
toutes ses convoitises, il sait et il adore la
science de la matière, la chimie, la phy-
sique, la mécanique, la dynamique, les
sels, les essences, les quintessences, les
sulfates, les nitrates, les carbonates. Voilà
ses Dieux, son culte, sa théologie, sa philo-
sophie, sa politique, sa morale, sa vie.
Encore quelques progrès, et il en saura
autant que les contemporains de Noé, des-
tinés à périr dans les eaux du déluge. Pour
eux aussi, toute la science consistait à con-
naître et à adorer les dieux du monde mo-
derne ; à boire, à manger, à bâtir, à vendre,
à acheter, à marier, à se marier. L'homme
6.
102 LE SIGNE DE LA CROIX
avait concentré sa vie dans la matière. Lui-
même était devenu chair, ignorant comme
la chair, souillé comme la chair (1).
De toutes ces tendances, laquelle manque
au monde actuel? Pour être moins avancée
que celle des géants, sa science n'est-elle
pas de la même nature ? Au reste, il ne lui
demande rien de mieux. Ne sachant plus
faire, ne faisant plus le signe de la croix,
il se matérialise : et, en vertu de la loi de
gravitation morale, il retombe forcément
dans l'état où était le genre humain avant
de savoir faire le signe de la croix.
Ignorants, le signe de la croix est donc un
livre qui nous instruit. A ce point de vue,
tu peux juger si nos pères avaient tort de le
faire incessamment. Que l'ignorance déplo-
(1) Sicut autem in diebus Noe, ita erit et adventus
Filii hominis. Sicut enim erantin diebus ante diluvium
comedentes et bibentes, nubentes et nuptui tradentes...
donec venit diluvium et tulit omnes. {Matth., xxiv,
37-38-39.) — Edebant et bibebant ; emebant et ven-
debant ; plantabant et aidifleabant. (Luc, xvh, 28.)
— Omnis quippe caro corruperat viam suam super
terram. (Gers., vi, 12). — Quia caro est. [Ibid., 3.Ï
AU XIX e SIÈCLE.
103
rable du monde actuel doive être imputée,
en grande partie du moins, à l'abandon
du signe de la crois, tu vas le comprendre
mieux encore.
Qu'est-ce que l'ignorance ? L'ignorance est
l'indigence de l'esprit. En matière de reli-
gion, elle accuse le plus souvent l'indigence
du cœur. L'indigence du cœur vient de sa
faiblesse à pratiquer la vertu et à repousser
le mal. Pourquoi cette faiblesse? Parce que
l'homme néglige les moyens d'obtenir la
grâce ou de la rendre efficace. Le premier,
le plus vulgaire, le plus prompt, le plus fa-
cile de ces moyens est, comme tu sais, la
prière. De toutes les prières, la plus facile,
la plus prompte, la plus vulgaire, et peut-
être la plus puissante, c'est le signe de la
croix. Pour toi nouvelle étude, et pour les
premiers chrétiens nouvelle justification.
Pauvres, le signe de la choix est un tré-
sor qui nous enrichit. - Le mendiant est
celui qui chaque jour s'en va, de porte en
porte, demander son pain. Crésus était un
mendiant, Alexandre, un mendiant, César
■
104
LE SIGNE DE LA CHOIX
un mendiant, les empereurs et les rois des
mendiants ; les impératrices et les reines
des mendiantes : mendiants et mendiantes
couronnés, mais toujours des mendiants
et des mendiantes. Quel est l'homme, si
opulent qu'on le suppose, qui ne soit obligé
de dire chaque jour à la porte du grand
Père de famille : Donnez-nous aujourd'hui
notre pain quotidien ? Le plus puissant mo-
narque peut-il faire un grain de blé ?
Vie physique et vie morale, moyens de
conservation de l'une et de l'autre, l'homme
a tout reçu, quid habes quod non accepisti?
Il ne possède rien en propre, pas même un
cheveu de sa tête. Ce qu'il a reçu, il ne l'a
pas reçu une fois pour toutes. Son indi-
gence est de tous les jours, de toutes les
heures, de toutes les secondes. Si Dieu, qui
lui a tout donné, cessait un instant de tout
lui donner, il mourrait. Puisque l'homme
n'a rien et qu'à chaque instant il a besoin
de tout, il faut donc qu'il demande. De là,
mon cher Frédéric, une grande loi du
monde moral, à laquelle, pour sûr, tes jeu-
AU XIX SIÈCLE.
105
nés camarades n'ont jamais réfléchi : j'ai
nommé la loi de la prière.
Les peuples païens d'autrefois, les ido-
lâtres et les sauvages d'aujourd'hui, ont
perdu une partie plus ou moins considé-
rable du patrimoine des vérités tradition-
nelles. Mais aucun n'a perdu la connais-
sance de la loi de la prière. Sous une forme
ou sous une autre, le genre humain, depuis
son apparition sur le globe, l'a invariable-
ment observée.
Plus fort que toutes les passions, plus
éloquent que tous les sophismes, l'instinct
de la conservation lui a dit que de cette
invariable fidélité dépendait son existence :
il ne l'a pas trompé. Le jour où pas une
prière humaine ni angélique ne s'élèverait
vers Dieu, tout rapport cesserait entre le
Créateur et la créature, entre le riche et le
mendiant ; et le fleuve de la vie serait à
l'instant suspendu.
N'est-ce pas le profond mystère que le
"Verbe incarné lui-même a révélé au monde,
en disant : Il faut toujours prier et ne ja-
10 6 LE SIGNE DE LA CROIX
mais cesser. Oportet semper orare et nun-
quam deficere ? Remarque ce qu'il y a d'im-
pératif dans ces paroles. Le législateur
n'invite pas, il commande ; et le comman-
dement est une nécessité absolue, oportet
Il n'admet aucune intermittence, ni de jour
ni de nuit, dans l'accomplissement de la
loi, oportet semper.
Tant qu'il sera vrai que devant Dieu le
genre humain est un mendiant, la loi de la
prière ne sera ni modifiée, ni rapportée, ni
suspendue. Et comme le genre humain
sera toujours mendiant, il en résulte que
la loi de la prière conservera son empire
jusqu'au dernier jour du monde : et nun-
quam deficere. Le monde physique lui-môme
a été organisé en vue de l'observance per-
pétuelle de cette loi conservatrice du
monde moral. Grâce au passage successif
du soleil sur l'un et l'autre hémisphère, la
moitié du genre humain est toujours éveil-
lée pour la prière.
Or, une des plus puissantes prières, c'est
le signe de la croix. Ainsi l'a cru le genre
AU XIX SIECLE.
107
humain tout entier. Il ne l'a cru que pour
l'avoir appris ; il n'a pu l'apprendre que
de Dieu lui-môme, de qui il a tout appris.
Je dis le genre humain tout entier, et c'est à
dessein. Tes jeunes camarades croient peut-
être que le signe de la croix date du chris-
tianisme ; ou du moins que l'usage en a été
circonscrit chez le peuple juif et chez lepeu-
ple catholique. Ma première lettre te mon-
trera quelle confiance mérite leur opinion.
■a
HUITIEME LETTRE
Ce 3 décembre.
Le signe de la croix connu et pratiqué depuis l'origine du
moude. — Contradiction seulement apparente. — Sept ma-
nières de faire le signe de la croix. — Jacob, Moïse, Samson,
ont l'ait le signe de la croix. — Témoignages des pères. —
David, Salomon, tout le peuple juif faisait le signe de la croix
et en connaissait la valeur. — Preuves.
Mon cher Frédéric,
Tes oreilles, et celles de bien d'autres,
vont tinter à la première phrase de ma let-
tre : Le signe de la croix remonte à l'origine
du monde. Il a été fait par tous les peuples,
même païens, dans les prières solennelles,
dans les occasions importantes, où il s'a-
gissait d'obtenir quelque grâce décisive.
Remarquons d'abord qu'entre cette pro-
position et ce que j'ai dit dans ma lettre
précédente, il n'y a point de contradiction.
LE SIGNE DE LA CROIX AU XIX SIÈCLE. 109
Hier, j'ai parlé du signe de la croix dans
sa forme parfaite et parfaitement comprise,
tel que nous le pratiquons depuis l'Évan-
gile. Aujourd'hui, je parle du signe de la
croix dans sa forme élémentaire, quoique
réelle, et plus ou moins mystérieuse pour
ceux qui en faisaient usage avant l'Évan-
gile. Une explication te paraît nécessaire :
je vais la donner.
Le signe de la croix est tellement naturel
à l'homme, qu'à aucune époque, chez au-
cun peuple, dans aucune religion, l'homme
ne s'est mis en rapport avec Dieu par la
prière, sans faire le signe de la croix. Con-
nais-tu des peuples qui aient eu l'usage de
prier les bras pendants ? Pour moi, je n'en
connais aucun. Tous ceux que je connais,
et je connais lesjuifs, les païens etles catho-
liques, ont prié en faisant lesignedelacroix.
Il y a sept manières de le faire.
Les bras éLendus : et l'homme tout en-
tier devient un signe de croix ;
Les mains jointes, avec les doigts entre-
lacés : et voilà cinq signes de croix ;
7
Il
110
LE SIGNE DE LA CROIX
Les mains appliquées l'une contre l'autre
et le pouce superposé au pouce : encore le
signe de la croix ;
Les mains croisées sur la poitrine : autre
forme du signe de la croix ;
Les bras également croisés sur la poi-
trine : nouveau signe de la croix ;
Le pouce de la main droite passé sous
l'index et reposant sur le doigt du milieu :
autre signe de croix fort en usage, comme
nous le verrons bientôt ;
Enfin, la main droite passant du front à
la poitrine et de la poitrine aux épaules :
forme plus explicite que tu connais.
Sous l'une ou sous l'autre de ces formes,
le signe de la croix a été pratiqué partout
et toujours, dans les circonstances solen-
nelles et avec la connaissance plus ou
moins claire de son efficacité.
Jacob est sur le point de mourir. Autour
de lui sont ses douze fils, pères futurs des
douze tribus d'Israël. Inspiré de Dieu, le
saint patriarche annonce à chacun ce qui
doit lui arriver dans la suite des siècles. A
AU XIX e SIECLE.
III
la vue d'Éphraïm et de Manassès, les deux
enfants de Joseph, le vieillard ému ap-
pelle sur leurs têtes toutes les bénédictions
du Ciel. Pour les obtenir, que fait-il ? Il
croise les bras, dit l'Ecriture, et place la
main gauche sur l'enfant qui est à sa droite,
et la droite sur l'enfant qui est à sa gauche.
Voila le signe de la croix, source éternelle
de bénédictions.
La tradition ne s'y est pas trompée. Ja-
cob était la figure du Messie. En ce moment
solennel, paroles et attitude, tout dans le
patriarche devait être prophétique. « Jacob,
dit saint Jean de Damas, croisant les mains
pour bénir les enfants de Joseph, forme
le signe de la croix ; rien n'est plus évi-
dent (1). »
Dès les temps apostoliques, Tertullien
constatait le même fait et lui donnait le
même sens. « L'Ancien Testament, dit-il,
nous montre Jacob bénissant les fils de
(1) Jacob, alternatis cancollatisque manibus, filios
Joseph benedicens, signum crucis manifestissime
scripsit. (De Fiti. orthod., Mb. IV, c. XII.)
112
LE SIGNE Dti LA CHOIX
Joseph, la main gauche passée sur la tôle
de celui qui était à droite, et la droite sur
la tête de celui qui était à gruche. Dans
cette position, elles formaient la croix et
annonçaient les bénédictions dont le Cruci-
fié devait être la source (1). »
Franchissons le temps de la servitude
d'Egypte, et passons à Moïse. Arrivés au
milieu du désert, les Hébreux se trouvent
en face d'Amalech. A la tête d'une puis-
sante armée, le roi ennemi leur barre le
passage. Une bataille décisive devient iné-
vitable. Que fera Moïse ? Au lieu de rester
dans la plaine et d'eucourager, du geste et
de la voix, les bataillons d'Israël, il monte
sur la montagne qui domine le champ de
bataille.
Pendant le combat, que fait le législa-
(1) Sod est hoc quoque de veteri sacramento, quo
nepotes suos ex Joseph, Ephraim et Manasses, Jacob,
impositis capitibus, et intermutatis manibus, bene-
dixerit, et quidem ita transversim obliquatis in se,
ut Christum déformantes, jam tune protenderet be-
nedictionem in Christum faturam, (De Baptism.)
AU XIX e SIECLE.
1 1 3
teur inspiré de Dieu ? Le signe de la croix,
rien que le signe de la croix, le signe de la
croix durant toute l'action. On ne voit nulle
part qu'il ait prononcé aucune parole. Les
mains ouvertes et les bras étendus vers le
Ciel, il se fait signe de croix vivant. Dieu le
voit dans cette attitude, et la victoire est
gagnée (■!).
Ce n'est pas une vaine supposition.
PJcoute encore les Pères de l'Eglise. « Ama-
lech, s'écrie saint Jean de Damas, ce sont
ces mains étendues en croix qui t'ont
vaincu (2). »
Et le grand Tertullien : « Pourquoi Moïse,
au moment où Josué va combattre Ama-
lech, fait-il ce qu'il n'a jamais fait, priant
les mains étendues ? Dans une circonstance
si décisive n'aurait-il pas dû. pour donner
plus d'efficacité à sa prière, fléchir les ge-
noux, se frapper la poitrine et se prosterner
le front dans la poussière ? Rien de tout
(1) E.rorL, xvii, 10.
(2) Manus crucis instar extensœ Amalocli repule-
runt. (De Fiel, orthod., lib. IV, c. xn.)
■
1 1 4
LE SIGNE DE LA CROIX
cela. Pourquoi ? Parce que le combat du
Seigneur qui se livrait contre Amaleeh pré-
figurait les batailles du Verbe incarné con-
tre Satan, et le signe de la croix par lequel
il devait remplacer la victoire (1).
Et le philosophe martyr, saint Justin, qui
touche aux apôtres : « Moïse, les mains
étendues, restant sur la montagne jusqu'au
coucher du soleil, soutenu par Hur et par
Aaron : qu'est-il autre chose que le signe
de la croix vivant (2) ? »
Insensibles aux miracles de sollicitude
paternelle dont ils étaient le constant objet,
(1) Jam vero Moyses quid utique nunc tantum, cum
Jésus adversus Amaleeh prajliabatur, expansis mani-
bus orat residens, quando in rébus tam attonitis, raa-
gis utique genibus depositis, et manibus cajdentibus
pectus, et facie humi volutante, orationem comraen-
dare debuisset ; nisi quia illic novera Domini dimica-
bat, dimicaturœ quandoque adversus diabolum crucis
quoque erat habitus necessarius, per quam Jésus vic-
toriam esset relaturus ? (Contr. Marcion., n. 111.)
(2) Moyses expansis manibus in colle ad vesperam
usque permansit, cum manus ejus sustentarentur,
quod sane nullam aliam nisi crucis figuram exhibet.
(Dialog. cum Tryph., n. 666.)
■E
AU XIX SIÈCLE.
I 15
les Hébreux murmurent contre Moïse et
contre Dieu. Le murmure s'élève jusqu'à la
révolte, et la révolte devient générale, opi-
niâtre. Le châtiment ne se fait pas attendre
et prend les mêmes caractères. Des serpents
royaux, affreux reptiles dont le venin brûle
comme le feu, se jettent sur les coupables
et les déchirent de leurs morsures. Le camp
se remplit de morts et de mourants. A la
prière de Moïse, Dieu se laisse toucher.
Pour mettre en fuite les serpents et gué-
rir les innombrables malades, quel moyen
va-t-il indiquer? Des prières? Non. Des jeû-
nes? Non. Un autel, une colonne expiatoire?
Rien de tout cela. Il ordonne de faire un si-
gne de croix permanent et visible à tous;
signe de croix que chaque malade fera de
cœur, seulement en le regardant. Telle sera
la puissance de ce signe, qu'un seul regard
suffira pour rendre la santé.
La signification de ce signe divinement
commandé n'est pas douteuse. Le vrai Signe
de croix, le Signe de croix éternellement
vivant, Notre-Seigneur lui-même a révélé au
H 6
LE SIGNE DE LA CROIX
genre humain que le signe du désert était
sa figure. « De même, dit-il, que Moïse éleva
le serpent dans le désert, ainsi il faut que le
Fils de l'homme soit élevé, afin que quicon-
que croit en lui ne périsse pas, mais qu'il
ait la vie éternelle (1). »
Si les bornes d'une lettre le permettaient,
nous parcourrions ensemble les annales dû
peuple figuratif, et tu verrais, mon cher ami,
dans toutes les occasions importantes, les
seules que nous connaissions bien, recourir
au signe de la croix. Je vais t'en citer quel-
ques-unes.
« Dans les sacrifices, le prêtre élevait d'a-
bord l'hostie, selon qu'il était prescrit par
la loi. Il la portait ensuite de l'Orient à l'Oc-
cident, comme nous l'apprennent les Juifs
eux-mêmes : ce qui formait la figure de la
croix. C'est en faisant le même mouvement
que le grand prêtre et même les simples
prêtres bénissaient le peuple après les sacri-
fices (2).
(1) Jomi., m, H.
(.2] Duguet, Traité de la Croix de N.-S. c. vin.
AU .XIX e SIÈCLE.
I 17
De l'Église judaïque, ce signe est passé
dans l'Église chrétienne. Les premiers fidè-
les, frappésde l'ancienne manière de bénir
avec la figure de la croix, ont été facilement
instruits par les apôtres de la signification
mystérieuse de ce signe, et naturellement
portés h le continuer, en y ajoutant les di-
vines paroles qui en donnent l'explication.
Au temps du prophète Ézéchiel, les abo-
minations de Jérusalem étaient au comble.
Un personnage mystérieux, dit le prophète,
reçoitordre de traverser la ville et de marquer
du signe T le front de tous ceux qui gémis-
saient des iniquités de cette coupable capi-
tale. A ses côtés marchaient six autres per-
sonnages, portant chacun une arme de
mort, avec ordre de tuer indistinctement
tous ceux qui ne seraient pas marqués du
signe salutaire (1).
Comment ne pas voir là une figure frap-
pante du signe de la croix, qui se fait sur
notre front? Ainsi l'entendent les Pères de
(I) Ezec/i., ix. •'(, me.
I IN
LE SIGNE DE LA CIIOIX
l'Église, entre autres Tertullien et saint Jé-
rôme. « De même, disent-ils, que le signe
Tau, marqué sur le front des habitants de
Jérusalem, qui gémissaient sur les crimes
de cette ville, les protégeait contre les anges
exterminateurs, ainsi le signe de la croix
dont l'homme marque son front est une
assurance qu'il ne sera pas la victime du
démon et des autres ennemis du salut, s'il
gémit sincèrement des abominations que ce
signe interdit (1). »
Les Philistins ont réduit les Israélites à la
plus humiliante servitude. Samson a com-
mencé leur délivrance. Malheureusement
le fort d'Israël s'est laissé surprendre. Ils
l'ont enchaîné, après luiavoircrevé les yeux.
Dans cet état, ils s'en font un jouet pour
amuser leurs fêtes. Cependant Samson mé-
dite une vengeance. D'un seul coup il pro-
jette d'écraser des milliers d'ennemis.
La Providence a tellement ménagé les
(1) Tertull., adv. Uarcion., lib. III, c. xxil ; S.
Hier., in Ezech., c. x.
AU XIX e SIÈCLE.
■119
choses, que c'est en faisant le signe de la
croix qu'il exécutera son dessein. « Placé
entre deux colonnes qui soutiennent tout
l'édifice, dit saint Augustin, le fort d'Israël
étend ses bras en forme de croix. Dans cette
attitude toute-puissante, il secoue les colon-
nes, les ébranle, écrase ses ennemis : et
comme le grand Crucifié, dont il était la
figure, il meurt lui-même enseveli dans son
triomphe (1). »
David, accablé de chagrin, est réduit à la
plus grande extrémité dans laquelle se
puisse trouver un roi : un fils parricide, des
sujets révoltés, un trône chancelant, la
vieillesse qui arrive à grands pas. Que fera
le monarque inspiré? Il priera. Mais com-
ment? En faisant le signe de la croix (2).
Salomon vient d'achever le temple de Jé-
rusalem. Le magnifique édifice est consacré
(1) Jam hic imaginera crucis attendite : expansus
enim raanus ad duas columnas, quasi ad duo signa
crucis extendit ; sed adversarios suos interemptos op-
pressit, et illius passio interfectio facta est perse-
quentium. (Serm. 107, de Temp.)
12) Expandi marras measadte. (Ps. lxxxhi, 142, etc.)
120
LE SIG.N'Ë DE LA CROIX
avec une pompe digne du monarque. Il faut
attirer les bénédictions du ciel sur la nou-
velle demeure du Dieu d'Israël, et obtenir
ses faveurs pour ceux qui viendront y prier.
Que fait Salomon?Il prie en faisant le signe
de la croix.
« Debout devant l'autel du Seigneur, dit
le texte sacré, en présence de tout le peuple
d'Israël, Salomon étend ses mains vers le ciel,
et dit : Seigneur, Dieu d'Israël, il n'est point
de Dieu semblable à vous dans le ciel au-
dessus, ni sur la terre au-dessous. Regardez
la prière de votre serviteur. Que vos yeux
soient ouverts sur cette demeure nuit et
jour, afin d'exaucer les supplications de
votre serviteur et de votre peuple Israël (1).»
Croire que les patriarcbes, les juges, les
prophètes, les rois, les voyants d'Israël, fus-
sent seuls à connaître le signe de la croix
et à le pratiquer, serait une erreur. Tout le
peuple le connaissait, et dans les dangers
publics en faisait religieusement usage.
(1) III Reg., vm, 22 et seqq.
AU XIX SIECLE.
I 21
Sennachérib a marché de victoire en vic-
toire. La plus grande partie de la Palestine
est envahie : Jérusalem est menacée. Vois-
tu ce que fait ce peuple, hommes, femmes,
enfants, pour repousser l'ennemi? Comme
Moïse, il fait le signe de la croix, il se fait
signe de croix, a Et ils invoquèrent le Sei-
gneurdes miséricordes, et, étendant les mains,
Us les élevèrent vers le ciel. Et le Seigneur les
exauça (1). »
Un autre danger menace. Voici Héliodore
qui vient, accompagné d'une troupe de sol-
dats, pour piller les trésors du temple. Déjà
il est entré dans le parvis extérieur; encore
un peu et le sacrilège sera consommé. Les
prêtres sont prosternés au pied de l'autel ;
mais rien n'arrête le spoliateur. Que fait le
peuple ? 11 recourt à son arme traditionnelle :
il prie en faisant le signe de la croix. Tu sais
le reste (2).
S'il est incontestable que prier les bras
étendus est une forme du signe de la croix,
(1) Eccli., xlviii, 22.
(2) // Machab., m, 20.
122 LE SIGNE DE LA CROIX" AU XIX e SIÈCLE.
tu vois que de toute antiquité les juifs ont
connu le signe de la croix et qu'ils l'ont
pratiqué, avec l'instinct plus ou moins mys-
térieux de sa toute-puissance. Nous verrons
demain si les païens étaient beaucoup moins
instruits.
wm
■■■■iBi
NEUVIÈME LETTRE
Ce 4 décembre.
Le signe de la croix chez les païens. — Nouveaux délails sur
une forme extérieure du signe de la croix chez les premiers
ehréliens. — Les martyrs dans l'amphithéâtre. — Étymologie
du mot u adorer » . — Les païens adoraient en faisant le sipne
de la croix. — Comment ils le faisaient — Première
manière.
Le signe de la croix chez les païens : tel
est, mon ami, le sujet de cette lettre. Afin
de suivre jusqu'au bout la chaîne tradition-
nelle qui unit la synagogue à l'Église, je vais
te dire un mot du signe de la croix chez les
premiers chrétiens. Déjà tu sais qu'ils le
faisaient à chaque instant; mais tu ignores
peut-être que, pour ne pas l'interrompre en
priant, ils se transformaient eux-mêmes en
signe de croix. Dans tous les cas, il y a cent
à parier contre un, que tes camarades n'en
savent rien.
!2-'i
1E SIGNE DIC LA CROIX
Ce que Moïse, Samson, David, les Israéli-
tes ne firent que par intervalle, nos pères le
faisaient toujours : tu en comprendras la
raison. Amalech, les Philistins, Héliodore,
étaient des ennemis passagers ; tandis que le
colosse romain ne déposait jamais les ar-
mes. Entre lui et nos pères la lutte était
engagée, lutte à outrance, lutte sans trêve
ni répit.
Dans ces conditions, ils devenaient au-
tant de Moïses sur la montagne. Non pas
un jour, mais trois siècles, leur mains de-
meurèrent étendues vers le ciel, deman-
dant, comme celles du législateur hébreu,
la victoire pour les martyrs descendus dans
l'arène et la conversion de leurs persécu-
teurs.
Sur leur pensée et sur leur attitude dans
la prière, laissons parler un témoin ocu-
laire. « Nous prions, dit Tertullien, les yeux
élevés au ciel et les mains étendues, parce
qu'elles sont innocentes ; la tête nue, parce
que nous n'avons point à rougir; sans mo-
niteur, parce que nous prions de cœur. Dans
■
AU XIX SIÈCLE. 12 5
cette attitude nous ne cessons de demander
pour tous les empereurs une vie longue, un
règne paisible, un palais sans embûche, des
armées valeureuses, un sénat fidèle, un peu-
ple vertueux, un monde tranquille, en un
mot, tout ce qui est dans les vœux de
l'homme et de César (l). »
Ainsi priaient, en Orient et en Occident,
les hommes, les femmes, les enfants, les
jeunes gens, les jeunes vierges, les vieil-
lards, les sénateurs, les matrones, les fidè-
les de toute condition. Cette mystérieuse
attitude, ils la gardaient non-seulement
dans leurs synaxes, au fond des catacombes,
en plaidant les intérêts d'autrui. Ils ne man-
quaient pas de la prendre, lorsque, traînés
dans les amphithéâtres, ils avaient à com-
(I) IUud suspicientes christiani manibus expansis,
quia innocuis, capite nudo, quia non erubescimus,
denique sine monitore, quia de pectore oramus; pre-
cantes sumus semper pro omnibus irnperatoribus,
vitam illis prolixam, imperium securum, domum tu-
tam, exercitus fortes, senatum fidelem, populum
probum, orbem quietum, qusecumquo hominis et Cse-
saris vota sunt. (Apol., c. xxx.i
■
12G
LE SIGNE DE LA CROIX
battre pour eux-mêmes, sous les yeux d'in-
nombrables spectateurs, les grands combats
du martyre.
Te figures-tu, mon cher ami, un spec-
tacle plus attendrissant que celui dont Eu-
sèbe nous a conservé la description ? « La
persécution de Dioclétien sévissait avec voi-
lence en Phénicie. Un jour on vit entrer
dans l'amphithéâtre un grand nombre de
chrétiens, condamnés aux bêtes. Les spec-
tateurs ne purent se défendre d'une pro-
fonde émotion à la vue de cette multitude
d'enfants, de jeunes gens et de vieillards,
dépouillés de leurs vêtements, les yeux le-
vés au ciel, les bras levés en croix, immo-
biles, sans étonnement et sans frayeur, au
milieu des tigres et des lions affamés. La
crainte qui devait agiter les condamnés,
était passée dans l'âme des spectateurs et
même des juges (1). »
Cette attitude n'était pas une chose ex-
ceptionnelle. Laissons encore parler le
(I) Hist. eccl., liv. VIII, c. v.
m
HpBes
NOIHI
AU XIX SIÈCLE,
•127
même historien. Nul n'est plus digne de foi ;
il fut témoin oculaire de ce qu'il raconte.
Vous auriez vu, dit-il, au milieu de l'am-
phithéâtre, un jeune homme au-dessous
de vingt ans, libre de tous liens, tranquil-
lement debout, les bras en croix, les yeux
et le cœur fixés vers le ciel, priant avec
ardeur, immobile, entouré d'ours et de
léopards dont la fureur exhalait la mort ;
puis, ces terribles animaux, prêts à lui dé-
chirer les chairs, muselés tout à coup par
une puissance mystérieuse, se hâter de
prendre la fuite (1). »
(1) Vidisscs adolescentulum, nondum viginti annos
integros natum, nullis constrictum vinculis, firraiter
consistentem, manitras in crucis modum e transverso
expansis, robusta et excelsa mente in precibus ad Dei
numen fundcndis ardentissime defixum ; neque om-
nino se commoventem, neque in hanc vel illam par-
tem, de loco in quo steterat deflectentem; idque cum
ursi et pardi furorem et mortem in eum exhalarent.
CuraquR jam ejus carnem dentibus lacerare aggre-
derentur, quorum ora divina quadam et inexplica-
bili potentia, nescio quo pacto, fuere prope obturata,
et iterum ipsi rétro propere recurrerunt. (Hist. eccl.,
liv. VIII, c. vu.)
128 LE SIGNE DE LA CROIX
A raison de la délicatesse de la victime,
l'Occident t'offre un spectacle plus atten-
drissant encore. C'était au milieu de la
grande Rome : jamais pareille foule n'avait
encombré les degrés du cirque. L'héroïne
était Agnès, noble jeune vierge de treize
ans. Condamnée au feu, elle entre dans le
bûcher.
« La voyez-vous, dit saint Ambroise, ten-
dre ses mains vers le Christ, et jusqu'au
milieu des flammes arborer l'étendard vic-
torieux du Seigneur ? Les mains étendues à
travers les flammes, elle fait à Dieu cette
prière : vous qu'il faut adorer, honorer
et craindre, Père Tout-Puissant de Notre-
Seigneur Jésus-Christ, je vous bénis, parce
que, grâce à votre Fils unique, j'ai échappé
aux mains des hommes impies et traversé
sans souillure les impuretés du démon. Et
voici de plus que sous la rosée du Saint-
Esprit s'éteint le feu qui m'environne ; la
llamme se divise et les ardeurs de mon bû-
cher menacent ceux qui l'ont allumé (1). »
(1) Tendere Cliristo inter ignés marras, atque in
«£3
AU XIX e SIECLE.
129
Telle était la l'orme éloquente du signe
de la croix, usitée parmi les chrétiens de
la primitive Église, ces Moïses de la nou-
velle alliance. Tu peux en voir une nou-
velle preuve dans les peintures des cata-
combes. Cette forme a duré longtemps.
Je l'ai encore vue, il y a trente ans, chez
quelques populations catholiques d'Alle-
magne.
Mais si elle s'est perdue parmi les fidèles,
l'Église l'a religieusement conservée. Les
deux cent mille prêtres qui chaque jour
montent à l'autel, sur tous les points du
globe, sont les anneaux, visibles à nos yeux,
de la chaîne traditionnelle, qui, de nous,
s'étend aux Catacombes, des Catacombes
au Calvaire, du Calvaire à la montagne de
Raphidim, et de là se perd dans la nuit des
temps.
Arrivons aux païens. Eux aussi ont fait le
signe de la croix. Ils l'ont fait en priant, et
l'ont cru, avec raison, doué d'une force mys-
ipsis sacrilegis focis tvopha?um Doraini signarc vic-
toris, etc. (Lib. I, de Virgin,)
13
LE SIGNE DE LA CROIX
térieuse de grande importance. Demande à
tes camarades l'étymologie du verbe ado-
rer, adorare. Ils ne seront pas embarrassés
de te répondre. Si ce verbe était une créa-
tion de l'Église, tu pourrais te dispenser de
les interroger; mais il se trouve dans la
langue latine du siècle d'Or, comme on
parle dans les collèges ; et, bacheliers frais
émoulus, ils doivent le savoir.
Or, en le décomposant, le verbe adorer
signifie, d'après tous les étymologistes, por-
ter la main à la bouche et la baiser, manum
ad os admovere. Telle était la manière dont
les païens honoraient leurs dieux. Les preu-
ves abondent. « Quand nous adorons, dit
Pline, nous portons la main droite à notre
bouche, et nous la baisons ; puis, décrivant
un cercle avec notre corps, nous tournons
sur nous-mêmes (1). »
(I) In adorando dexteram ad osculum referinius, to-
tumquo corpus circumagimus. (Hist. nat., 1. XXViH )
— Nous tournons sur nous-même. Que signifie ce
genre d'adoration ? En portant la main à la bouche
1 homme fait hommage de sa personne à la divinité ;
en tournant sur lui-même, il imite le mouvement des
AU XIX SIÈCLE.
131
Et Minutais Félix : « Cécilius avait vu la
statue de Sérapis, et, suivant la coutume du
vulgaire superstitieux, il porta la main à sa
bouche et la baisa (1). »
Et Apulée : « jEmilianus jusqu'ici n'a
prié aucun Dieu ; il n'a fréquenté aucun
temple. S'il passe devant un lieu sacré, il
regarde comme un crime d'approcher la
main de ses lèvres pour adorer (2). »
astres et fait à la divinité hommage du monde entier,
dont les corps célestes sont la plus noble portion.
Cette manière d'adorer fait partie du sabéisme ou
de l'idolâtrie des astres, qui remonte à la plus haute
antiquité. Par les pythagoriciens, elle était venue à
Numa qui prescrivit le tournement : Circumagi tecum
deos adoras. « On dit, ajoute Putarque, que c'est
une représentation du tour que fait le ciel par son
mouvement. » — (Vie de Numa, ch. xii.) Cette prati-
que, profondément mystérieuse, était fort répandue
en Amérique avant la découverte ; elle est encore en
usage chez les derviches tourneurs de l'Orient.
(1) Caîcilius simulacro Serapidis denotato, ut vul-
gus superstitiosus solet, manum ori admovens, oscu-
lum labiis pressit. (In Octav.)
(2) Nulli Deo ad hoc sévi supplicavit ; nullum tem-
plum frequentavit ; si fanum aliquod pratereat, nefas
habet adorandi gratia manum labris admovere. (Apol.,
I, vers. fin.
132
LU SIGNE DE LA CROIX.
Pourquoi ce geste exprimait-il le culte
souverain, le culte d'adoration? Je vais te
le dire en deux mots. L'homme est l'image
de Dieu, Dieu est tout entier dans son
Verbe, c'est par lui qu'il fait tout. Comme
Dieu, l'homme est tout entier dans son
Verbe, c'est par lui qu'il fait tout. Porter la
main sur la bouche, c'est comprimer le
Verbe, c'est en quelque sorte s'anéantir. Le
faire, comme les païens pour honorer le dé-
mon, c'était se déclarer ses vassaux, ses su-
jets, ses esclaves et le reconnaître lui-môme
pour Dieu. Tu vois que c'était un crime
énorme.
De là ces remarquables paroles de Job,
plaidant sa cause : « Lorsque j'ai vu le so-
leil brillant de tous ses feux, et la lune s'a-
vançant environnée de lumière, mon cœur
s'est-il réjoui en secret, et jamais ai-je baisé
ma main ? Ce qui est la plus grande iniquité
et la négation du Dieu très-haut, iniquitas
maxima est negatio contra Deum altissi-
mmn{\). »
(l)Job, xxxii, "iO, etc.
AH XIX" SIÈCLE. I33
Ce geste mystérieux était tellement le
signe de l'idolâtrie, qu'en parlant des Isra- ,
élites demeurés fidèles, Dieu dit : « Je me
suis réservé en Israël sept mille hommes
qui n'ont pas fléchi les genoux devant Baal
et toute bouche qui ne l'a pas adoré en
baisant la main (1). »
Les païens adoraient en portant la main
à la bouche et en la baisant : le fait n'est pas
contestable; mais en tout cela, me dis-tu
je ne vois pas le signe de la croix. Tu vas le
voir dans la forme du baisement de main.
Regarde ce païen, le genou en terre, ou
la tête inclinée devant ses idoles. Le vois-
in passant le pouce de sa main droite sous
l'index et le reposant sur le doigt du mi-
lieu, de manière à former une croix; puis
baisant dévotement cette croix, avec quel-
ques paroles murmurées en l'honneur de
ses dieux? Fais toi-même la répétition du
(1) Derelinquam mihi in Israël septem mfflk vi-
rorum quorum germa non sunt incurvata ante Baal
et omne os (J uod non adoravit cum osculo mauus.'
(III Rey., xix, 18.)
13'.
LE SIGNE DE LA CROIX
même geste, et tu verras que le signe de la
croix ne saurait être mieux formé.
Que telle fut la manière du baisemenl
adorateur, entre beaucoup d'autres païens,
Apulée en fait foi : « Une multitude de ci-
toyens et d'étrangers, dit-il, étaient accou-
rus au bruit du ravissant spectacle. Ébahis
à la vue de l'incomparable beauté dont ils
étaient témoins, ils portaient la main droite
à leur bouche, l'index reposant sur le
pouce ; et, par de religieuses prières, l'ho-
noraient comme la divinité elle-même (1). »
Cette manière de faire le signe de la croix
est tellement réelle et tellement expressive,
qu'elle est demeurée, même de nos jours,
(1) Multi civium et advonœ copiosi, quos eximii
spectaculi rumor studiosa celebritate congregabat,
inaccessaa formositatis admiratione stupidi, admo-
vcntes oribus suis dexteram, priore digito in erectum
pollicem résidente, ut ipsam prorsus deam Vencrem
religiosisorationibusvenerabantur. (Asin.,Aur.\\h.l\.)
— Quant au murmure d'accompagnement, on connaît
les vers d'Ovide, vi, Métamorph. :
Restitit, et pavido, faveas mihi, murmure dixit
Dux meus : et simul. faveas mihi, murmure dixi.
Al! Xl\° SIÈCLE.
135
familière à un grand nombre de chrétiens
dans tous les pays. Elle n'était pas la seule
connue des païens. Comme les âmes les
plus pieuses, ils faisaient le signe de la
croix en joignant les mains sur la poitrine.
Nous trouvons ce signe de croix dans une
des circonstances les plus solennelles, et
les plus mystérieuses en même temps, de
leur vie publique. Je laisse ta curiosité jeû-
ner jusqu'à demain.
DIXIÈME LETTRE
Ce 5 décembre.
Seconde et troisième manière dont les païens faisaient le signe
de la cro.x. - Témoignages. - La Pietas publica. - Les
païens reconnaissaient une puissance mystérieuse au signe de
la croix. - D'où leur Tenait cette croyance? _ Grand
mystère du monde moral. _ Importance du signe de la epoij
aux yeux de Dieu. - Le signe de la croix dans le monde physi-
que. - Paroles des Pères et de Platon. - Inconséquence "des
païens ancens et modernes. - Raison de la haine particu-
lière du démon pour le signe de la croix.
Au sortir du collège, après dix ans d'é-
tudes grecques et latines, nous ne connais-
sons pas le premier mot de l'antiquité
païenne. L'éducation nous montre cons-
tamment le dessus des cartes; le dessous,
j amais. Ce qui se passe en France se passe
également, j'ai de bonnes raisons de le
croire, chez tous nos voisins. De là vient,
mon cher ami, que le fait dont j'ai à t'en-
LE SIGNE DE LA CHOIX AU XIX 8 SIÈCLE.
1 3'
tretenir sera pour le grand nombre une
étrange nouveauté : le voici.
Lorsqu'une armée romaine venait mettre
le siège devant une ville, la première opé-
ration du général, quel que fût son nom,
Camille, Fabius, Métellus, César ou Scipion,
était non de creuser des fossés ou d'élever
des lignes de circonvallation, mais d'évo-
quer les dieux défenseurs de la ville et de
les appeler dans son camp. La formule cf é-
vocation est trop longue pour une lettre.
Tu la trouveras dans Macrobe.
Or, en la prononçant, le général faisait
deux fois le signe de la croix. D'abord,
comme Moïse, comme les premiers chré-
tiens, comme, aujourd'hui encore, le prêtre
à l'autel, les mains étendues vers le ciel,
il prononçait en suppliant le nom de Ju-
piter. Puis, rempli de confiance dans l'ef-
ficacité de sa prière, il croisait dévotement
les mains sur la poitrine (1). Voilà bien le
(I) Cum Jovem dicit, manus ad cœlum lollit ; cum
votum recipere dicit. manibus pectus taneit. [Satur
lib. III, c. il.)
s.
138
LK SIGNE DE LA CHOIX
signe de la croix sous deux formes iucon-
testables, universelles et parfaitement ré-
gulières.
Si ce fait remarquable est généralement
ignoré, en voici un autre qui l'est un peu
moins. L'usage de prier les bras en croix
était familier aux païens de l'Orient et de
l'Occident. Sur ce point, entre eux, les
Juifs et nous, aucune différence. Relis tes
classiques.
Tite-Live te dira : <i A genoux, elles éle-
vaient leurs mains suppliantes vers le ciel
et vers les dieux (1). »
Denys d'Halicarnasse : « Brutus, appre-
nant le malheur et la mort de Lucrèce,
éleva les mains au ciel et appela Jupiter
avec tous les dieux (2). »
Et Virgile : « Le père Anchise, sur le
(1) Nixae genibus supinas manus ad cœlum ac deos
tendentes. (Lib. XXXIV.)
(2) Brutus, ut cognovit casum et necem Lucretiœ,
protensia ad cœlum manibus : Jupiter, iuquit, diique
omnes, etc. {Antiquit., lib. IV.)
AU XIX e SIÈCLE.
139
rivage, les mains étendues, invoque les
grands dieux (1). »
Et Athénée : « Darius, ayant appris avec
quels égards Alexandre traitait ses filles
captives, étendit ses mains vers le soleil,
et demanda, si lui-môme ne devait pas
régner, que l'empire fût donné à Alexan-
dre (2). »
Enfin Apulée déclare formellement que
cette manière de prier n'était pas une ex-
ception, ou, comme quelques jeunes mo-
dernes pourraient la qualifier, une excen-
tricité, mais une coutume permanente :
« L'attitude de ceux qui prient, dit-il, est
d'élever les mains au ciel (3). »
Un instinct que j'appellerai traditionnel,
car autrement il n'aurait pas de nom, leur
apprenait la valeur de ce signe mystérieux.
(1) At pater Anchises, passis de littore palmis,
Numina magna vocat. (jEneid., lib. III.)
(2) Cum hoc Darius cognovisset, manus ad solem
extendens, precatus est, ut vel ipse imperaret, vel
Alexander. (Lib. XIII, c. xxvn.)
(3) Habitus orantium sic est, ut manibus extensis
ad cœlum precemar. {Lib. de Mundo, vers, fin.)
140 LE SIGNE DL LA CROIX
Pouvoir le faire à leurs derniers moments
était pour eux un gage assuré de salut. « Si
la mort, dit Arien, vient à me surprendre
au milieu de mes occupations, ce sera assez
pour moi si je puis élever mes mains vers
le ciel (1). »
Fais bien attention ; il ne dit pas : Si je
puis tomber à genoux, ou me frapper la
poitrine, ou courber mon front dans la
poussière ; mais : Si je puis étendre mes
brus en croix et les élever vers le ciel. Pour-
quoi cela ? Demande-le à tes camarades.
Demande-leur encore pourquoi les Égyp-
tiens plaçaient la croix dans leurs temples,
priaient devant ce signe adorable et le re-
gardaient comme l'annonce d'un bonheur
futur? Au temps de Théodose, rapportent
les historiens grecs Socrate et Sozomène,
lorsqu'on détruisait les temples des faux
dieux, celui de Sérapis, en Egypte, se
trouva rempli de pierres, marquées dé ca-
(I) Si versantem talibus in actionibus, mors arrr-
piat, satis mihi erit si, porrectis ad Deum manitros
sic loqui valeam. (In Epietet., lib. IV, c. x.)
AU XIX L SIECL1Î.
I 41
ractères hiéroglyphiques en forme de croix.
Les Néophytes égyptiens affirmaient que
ces caractères signifiaient la croix, signe de
la vie future, suivant les interprètes (1).
Chez les Romains, ce même instinct s'é-
tait traduit par un fait dont je serais lente
de douter, si une médaille antique, placée
sous mes yeux, ne m'en donnait la preuve
matérielle. D'une part, connaissant l'effica-
cité du signe de la croix, que je viens de
décrire ; d'autre part, ne voulant, ni comme
Moïse ni comme les premiers chrétiens,
rester les bras en croix durant toutes leurs
prières, que firent ces maîtres du vieux
monde ? Ils imaginèrent une déesse chargée
d'intercéder toujours pour la république,
et ils la représentèrent dans l'attitude de
Moïse sur la montagne.
(\J Theodosio magno régnante, cum fana gfintillum
diruerentur, inventas sunt in serapidis templo hiero-
glyphicœ litterœ habentes crucis formant, quas viden-
tes illi qui ex gentibus Christo crediderant, aiebant.
signiflcare crucem, apud peritos hieroglyphicarum
notarum, vitam venturam. (Sozom., 1. V, c. xvn • —
ld., lib. VII, e. xv.)
i \i
LE SIGNE DE LA CHOIX
Donc à Rome, au milieu du Forum oli-
torrum, où se voient aujourd'hui les restes
du théâtre de Marcellus, s'élevait la statue
de la déesse appelée : Pietas publica. Elle
est représentée debout, les bras étendus
en croix, absolument comme Moïse sur la
montagne, ou comme les premiers chré-
tiens dans les catacombes. Elle a de plus,
à sa gauche, un autel sur lequel brûle de
l'encens, symbole de la prière (1).
Sur la valeur impétratoire et latreutique
du signe de la croix, le haut Orient était
d'accord avec l'Occident, le Chinois avec
le Romain. Croiras-tu qu'un empereur de
Chine, si ancien qu'il est presque mytho-
logique, I/ien-Yuen, avait, comme Platon,
pressenti le mystère de la croix? « Pour
honorer le Très-Haut, cet ancien empereur
joignait ensemble deux morceaux de bois,
l'un droit, l'autre de travers (2). »
(1) Gretzer, De Cruce, p. 33. — Foreellini, art. Pie-
tas, etc.
(2) Discours prélim. du Chotl-King, par le P. Pré-
mare, ch. ix, p. xcn.
AU XIX e SIÈCLE.
1 '. 3
Ainsi, des sept manières de faire le signe
de la croix, les païens en connaissaient trois ;
et ils les pratiquaient religieusement, sur-
tout dans les occasions importantes. Tout
cela est très-bien, me dis-tu ; mais savaient-
ils ce qu'ils faisaient? N'était-ce pas là un si-
gne purement arbitraire, dès lors insigni-
fiant et duquel on ne saurait rien conclure?
Que les païens aient compris comme nous
le signe de la croix, ce n'est pas ce que je
prétends. Il en était chez eux du signe de la
croix, à peu près comme des figures chez les
Juifs. A leurs yeux, il avait une significa-
tion réelle, une valeur considérable, quoique
plus ou moins mystérieuse, suivant les
lieux, les temps et les personnes.
Tu connais les lettres écrites avec de
l'encre sympathique. A première vue, les
caractères, bien que réellement tracés, sont
très-peu apparents ; mais à l'approche du
feu ou d'un réactif, ils ressortent tout à
coup et deviennent parfaitement lisibles.
Tel était le signe de la croix chez les païens.
Lorsqu'il fut frappé des rayons de la lu-
1 44
LE SIGNE DE LA CROIX
mière évangélique, ce clair-obscw- ne chan-
gea pas plus de nature que les figures de
l'Ancien Testament; mais, comme elles il
devint intelligible à tous ; il se découvrit ': il
parla.
Croire que chez les païens le signe de la
croix fût un signe arbitraire, une pareille
supposition tombe d'elle-même. Rien de ce
qui est universel n'est arbitraire : le signe
de la croix moins que tout le reste. Nous
touchons ici, mon cher Frédéric, un des
plus profonds mystères de l'ordre moral.
N'oublie pas que mon but actuel est de
montrer, dans le signe de la croix, un trésor
qui nous enrichit. Pour être enrichi, il faut
que l'homme demande et que Dieu l'exauce.
Pour que Dieu exauce l'homme, il faut que
l'homme soit agréable à Dieu : Deus pecca-
lores non exaudit. Il n'y a d'agréables à Dieu
que son Fils et ceux qui lui ressemblent.
Or, le Fils de Dieu, cet unique médiateur
entre Dieu et les hommes, est un signe de
croix vivant; et vivant éternellement signe
de croix, depuis l'origine du monde. Agnus
MQB^Bi
AU .\'IX° SIÈCLE. 145
occisus ab ongini mundi. C'est le grand Cru-
cifié; et ce grand Crucifié, c'est le nouvel
Adam, c'est le type du genre humain. Pour
être agréable à Dieu, il faut donc que
l'homme ressemble à son divin modèle et
soit un crucifié, un signe de croix vivant.
Telle est, comme celle du Verbe lui-même,
sa destinée sur la terre. Mendiant, telle
est surtout l'attitude qu'il doit prendre, lors-
qu'il se présente devant Dieu pour deman-
der l'aumône.
La Providence n'a pas voulu qu'il ignorât
cette condition nécessaire du succès. Pas
plus que le souvenir de sa chute et l'espérance
de sa rédemption, l'homme n'a perdu la con-
naissance de l'instrument rédempteur. De là,
l'existence ut la pratique, sous une forme
ou sous une autre, du signe de la croix, en
priant, chez tous les peuples, depuis l'ori-
gine des siècles jusqu'à nos jours.
Dieu n'a pas seulement gravé l'instinct du
signe de la croix dans le cœur de l'homme.
Pour tenir sans cesse présente, même à ses
yeux corporels, la nécessité de ce signe sa-
9
146 LE SIGNE DE LA CROIX
lutaire, et lui faire comprendre le rôle sou-
verain qu'il doit jouer dans le monde mo-
ral, le Créateur a voulu que dans le monde
matériel tout se fît par le signe de la croix ;
que tout en montrât l'action nécessaire et
en reproduisît l'image. Écoute les hommes
qui eurent des yeux pour voir.
« Il est infiniment remarquable, dit Gret-
zer, que dès l'origine du monde Dieu a voulu
tenir constamment la figure de la croix sous
les yeux du genre humain, et organisé les
choses de manière que l'homme ne pût pres-
que rien faire sans l'intervention du signe
delà croix (1). »
Gretzer est le centième écho de la philo-
sophie traditionnelle. Prête l'oreille à quel-
ques-uns : « Regardez, disent-ils, toutes
les choses qui sont dans le monde, et voyez
si toutes ne sont pas gouvernées et mises
(1) Illud consideratione dignissimum est, quodDeus
figuram crucis ab initio semper in hominum oculis
yersari voluit, remque ita instituit, ut homo propemo-
dum nihil agere posset, sine interveniente crucis spe-
cio. (De Cruce, lib. I, c. lu.)
AU XIX SIÈCLIÎ.
147
en œuvre par le signe de la croix. L'oiseau
qui vole dans les airs, l'homme qui nage
dans les eaux ou qui prie, forment le signe
de la croix et ne peuvent agir que par elle.
« Pour tenter la fortune et aller chercher
des richesses aux extrémités du monde, le
navigateur a besoin d'un navire. Le na-
vire ne peut voguer sans mât, et le mât
avec ses vergues forme la croix. Sans elle
nulle direction possible, nulle fortune à
espérer. Le laboureur demande à la terre
sa nourriture, la nourriture des riches et
des rois. Pour l'obtenir, il lui faut une char-
rue. La charrue ne peut ouvrir le sein de la
terre si elle n'est armée de son couteau;
et la charrue armée du couteau forme la
croix (1).
(I) Aves quando volant ad aetliera formam crucis
assumunt, homo natans per aquas vol orans, forma
crucis visitur. (S. Hier., in c. xi Mare.) Antennœ na-
vium, velorum cornua, sub figura nostrœ crucis vo-
litant. (Orig., Bomil. vin, in divers.) — Sicut autem
Ecclcsia sine cruce stare non potest, ita et sine arbore
uavis infirma est. Statim enim diabolus inquiétât, et
illam vcntis allidit. At ubi signum crucis erigitur, sta-
1/|S
LE SIGNE DE LA CROIX
« Si le signe de la croix est le moyen par
lequel l'homme agit sur la nature, il est
encore l'instrument de son action sur ses
semblables. Dans les batailles, n'est-ce pas
la vue du drapeau qui anime les soldats?
Que nous montrent chez les Romains les
cantabra et les siparia des étendards, sinon
la croix? Les uns et les autres sont des
lances dorées et surmontées d'un bois,
placé horizontalement, d'où pend un voile
d'or et de pourpre. Les aigles aux ailes dé-
ployées placées aux haut des lances et les
autres insignes militaires, toujours termi-
nés par deux ailes étendues, rappellent in-
variablement le signe de la croix.
« Monuments des victoires remportées,
les trophées forment la croix. La religion
des Romains est toute guerrière; elle adore
les étendards ; elle jure par les étendards ;
elle les préfère à tous les dieux : et tous
ses étendards sont des croix : omnes Mi
tim et diaboli iniquitas vepellitur, et ventorum pro-
ccllasopitur. (S.Maxim. Taur., ap. S. Ambr., t. III, scr.
56, etc., etc.) On peut citer mille autres applications.
AU .XIX e SIÈCLE.
1 49
imaginum suggestifs insignes nvmilia crueium
sunt (1). » Aussi, lorsqu'il voulut perpétuer
le souvenir de la croix par laquelle il avait
vaincu, Constantin n'eut point à changer
l'étendard impérial, il se contenta d'y faire
graver le chiffre du Christ, comme s'il lui
importait seulement de nommer Celui de
qui il avait eu la vision et non l'objet de
celte vision (2).
« L'homme, à son tour, se distingue ex-
térieurement de la bête, parce qu'il marche
debout et qu'il peut étendre les bras; et
l'homme debout, les bras étendus, c'est la
croix. Aussi, il nous est ordonné de prier
dans cette attitude, afin que nos membres
eux-mêmes proclament la passion du Sei-
gneur. Quand, chacun à sa manière, notre
âme et notre corps confessent Jésus en
croix, c'est alors que notre prière est plus
prompternent exaucée.
« Le ciel lui-même est disposé en forme
(1) Tertull., Apolog., xvi.
(2) Euseb., lib. IX Bistor., :).
150
LE SIGNE DE LA CROIX
de croix. Que représentent les quatre points
cardinaux, sinon les quatre bras de la croix
et l'universalité de sa vertu salutaire? La
création tout entière porte l'empreinte de la
croix. Platon lui-même n'a-t-il pas écrit
que la Puissance la plus voisine du premier
Dieu s'est étendue sur le monde en forme de
croix (1)? ii
De là, cettte réponse péremptoire de Mi-
nutius Félix aux païens qui reprochaient
aux chrétiens de faire le signe de la croix :
« Est-ce que la croix n'est pas partout? leur
disait-il. Vos enseignes, vos drapeaux, les
étendards de vos camps, vos trophées, que
sont-ils, sinon des croix ornées et dorées?
Ne priez-vous pas comme nous, les bras
(1) Ideo elevatis manibus oraro pra;cipimur, ut ipso
quoque membrorum gestu passionem Domini fatea-
mur. Tum enim citius nostra exauditur oratio, cum
Christum, quem mens loquitur, etiam corpus imita-
tur. (S. Maxim. Taur., apud S. Ambr., t. III, ser. 56 ;
— S. Hier., in Marc, xi; — Tertull., Apol., xvi ; —
Orig., H omit, vin in divers.) — Dixit, vim quse primo
Dco proxima erat, in modum X littoras porrectam et
oxtensam esse. (S. Just., Apol., h, etc., etc.)
AU XIX SIÈCLE. 151
étendus? Dans cette attitude solennelle,
n'employez-vous pas les formules par les-
quelles vous proclamez un seul Dieu? Ne
ressemblez-vous pas alors aux chrétiens
adorateurs d'un Dieu unique, et qui ont le
courage de confesser leur foi au milieu des
tortures, en étendant leurs bras en croix?
« Entre nous et votre peuple, quelle dif-
férence y a-t-il, lorsque, les bras en croix,
il dit: GrandDieu, vrai Dieu, si Dieu le veut ?
Est-ce le langage naturel du païen, ou la
prière du chrétien ? Ainsi, ou le signe de la
croix est le fondement de la raison natu-
relle, ou il sert de base à votre religion (1).»
Pourquoi donc, ajoutaient d'autres apo-
logistes, le persécutez-vous? Et moi aussi,
mon cher Frédéric, je puis adresser la même
question aux modernes païens. Pourquoi
persécutez-vous le signe de la croix ? Pour-
quoi en rougissez-vous ? Pourquoi poursui-
vez-vous de vos sarcasmes ceux qui ont le
courage de le faire? La réponse est la
(I) Ita signo crucis aut ratio naturalis innititur, an
vostra religio formatur. (Octav.)
152
LE SIGNE DE LA CHOIX
même aujourd'hui qu'autrefois. Satan, ce
grand singe de Dieu, s'était emparé du si-
gne de la croix; il permettait aux païens
de le faire à son profit. Le perfide ! il était
heureux de voir les hommes employer,
pour l'adorer et pour se perdre, le signe
même destiné à honorer le vrai Dieu et à les
sauver.
Quant aux chrétiens, c'était autre chose.
Par eux le signe de la croix était ramené à
sa véritable destination. Il honorait le vrai
Dieu, le Verbe incarné surtout, objet per-
sonnel de la haine de Satan, auquel il arra-
chait l'homme, sa victime. Et, dans le chré-
tien, le signe de la croix devenait un objet
de risée, un crime digne de mort. Rien n'a
changé. Qu'aujourd'hui, devant les esclaves
du démon, le signe de la croix se fasse par
moquerie, ou pour des usages profanes, ou
dans des pratiques occultes, il ne provoque
ni haine ni sarcasme.
D'où viennent, dans les méchants de tous
les siècles, ces dispositions, en apparence
contradictoires, d'amour et de haine, de
AU XIX e SIECLE.
155
respect et de mépris pour le signe adorable?
« De Satan lui-même, répond Tertullien.
Esprit de mensonge, son rôle est d'altérer
la vérité et de faire tourner les choses les
plus saintes au profit des idoles. Il baptise
ses fidèles, en les assurant que l'eau remet-
tra leurs péchés: c'est ainsi qu'il initie au
culte de Mithra. Il marque au front ses sol-
dats. Il célèbre l'oblation du pain. Il promet
la résurrection, et la couronne achetée par
le glaive.
« Que dirai-je ? Il a un souverain pontife,
à qui il interdit les secondes noces. 11 a ses
vierges, il a ses continents. Si nous exami-
nons en détail les superstitions établies par
Numa, les offices sacerdotaux, les insignes,
les privilèges, l'ordre et le détail des sa-
crifices, les ustensiles sacrés, les vases
même, les sacrifices, tous les objets servant
aux expiations et aux prières : n'est-il pas
manifeste que le démon, voleur de Moïse,
a contrefait tout cela? Depuis l'Évangile
la contrefaçon continue (1). »
(1) A diabolo scilicet, cujus sunt partes interver-
9.
154 LE SIGNE DE LA CROIX
Satan est allé plus loin. Connaissant
toute la puissance de la croix, il a voulu
s'en faire un attribut personnel, et se sub-
stituer ainsi, pour accaparer les hommages
du monde, au Dieu crucifié.
« Instruit par les oracles prophétiques, dit
Firmicus Maternus, l'implacable ennemi du
genre humain a fait servir d'instrument
d'iniquité, ce qui était établi pour le salut
du monde. Que sont ces cornes qu'il se
vante d'avoir? La caricature de celles dont
parle le prophète inspiré de Dieu, et que
toi, Satan, tu crois pouvoir adapter à ta hi-
deuse figure. Gomment peux-tu y chercher
l'ornement et la gloire? Ces cornes ne sont
autre chose que la figure du signe vénérable
de la croix (1). »
tendi vcritatem, qui ipsas quoque res sacramentorum
divinormn ad idolorum mysteria œmulatur, etc. (De
Preso-ipt.)
(1) Agitans et contorquons cornua biformis... ne-
quissimum hostem generis humani, de sanctis vene-
randisque prophetarum oraculis ad contarainata fu-
roris sui scelera transtulisse. Quaj sunt ista cornua
quœ habere se jactat ? Alia suât cornua, qute propheta
■■i^HHMHHHI
AU XIX SIÈCLE. 153
Aussi, le front marqué du signe sacré le
•fait frémir de rage. Il ne trouve pas de sup-
plices assez cruels, pour le punir d'avoir
porté l'image du Verbe incarné. Vois, cher
ami, comment il traite nos pères, nos mères,
nos frères, nos sœurs, les martyrs de tous
les temps et de tous les pays. Tantôt il leur
fait écorcher le front ; et sur les os dénudés
graver, au fer rouge, des caractères d'igno-
minie. Tantôt il le fait fendre en forme de
croix; ou comprimer, avec des cordes, au
point de le déformer; ou labourer à coups
de nerfs de bœuf, de manière à le rendre
méconnaissable (1).
Grande leçon ! Que la haine de Satan
pour le signe de la croix soit la mesure de
notre amour et de notre confiance pour ce
Sancto Spiritu annuente commémorât, quae tu, dia-
bolo, ad maculatam faciom tuam putas posse trans-
ferre. Undo tibi ornamenta quosris et gloriam? Cor-
nua mb.il aliud nisi venorandum crucis signum mons-
trant. (Lie Error. profan. relig., c. .xxn.j
(1) Voir Gretzer, De Criice, lib. IV, c. xxxn, p. G28-
029.
156 LE SIGNE DE LA CROIX AU XIX SIÈCLE.
signe adorable. Tu verras demain qu'il
possède d'autres titres à ces deux senti-
ments.
ONZIEME LETTRE
Ce C décembre.
te signe de la croii est un trésor qui nous enrichit, parce qu'il
est une prière : Preuves. — Prière puissante : Preuves. —
Prière universelle : Preuves. — 11 pourvoit à tous les besoins.
— Pour son àmc l'homme a besoin de lumières. — Le signe
de la croix les obtient : Preuves. — De force le signe de la
croix la procure : Preuves. — Exemples des martyrs.
Le signe delà croix est un trésor qui nous
enrichit : là se trouve une de ses raisons
d'être. Il nous enrichit, parce qu'il est une
excellente prière. Voilà, mon cher ami, tu
ne l'as pas oublié, le point de doctrine que
nous établissons en ce moment.
Déjà la moitié de la preuve est faite. Elle
est dans l'antiquité, l'universalité, la per-
pétuité du signe de la croix. Au milieu du
naufrage dans lequel le monde idolâtre
laissa avarier ou périr tant de révélations
158
LE SIGNE DE LA CROIX
primitives, on voit surnager le signe de la
croix. Que dit ce fait étrange, nouveau pour
toi; incompréhensible pour un grand nom-
bre ; mais très-rationnel pour le chrétien
habitué à réfléchir? Il dit éloquemment la
haute utilité du signe de la croix pour
l'homme ; parce qu'il dit sa puissante effi-
cacité sur le cœur de Dieu. Du raisonne-
ment passons aux faits.
Le signe de la croix est une prière : une
prière puissante, une prière universelle.
C'est une prière. Qu'est-ce qu'un homme
qui prie? C'est un homme qui confesse de-
vant Dieu son indigence : indigence intel-
lectuelle, indigence morale, indigence ma-
térielle. C'est le mendiant à la porte du ri-
che. Or, le mendiant prie par sa voix, mais
plus éloquemment par son visage blême et
amaigri, par ses infirmités, par ses haillons,
par son attitude. Ainsi priait sur la croix l'a-
dorable Mendiant du Calvaire. Danscetétat.
le Fils de Dieu était plus que jamais l'objet
des complaisances infinies de son Père.
Lui-même nous dit que cette prière élo-
AU XIX e SIÈCLE.
15 9
quente, plus en action qu'en parole, fut le
levier puissant qui attire tout à lui (1).
Que fait l'homme en formant le signe de
la croix, soit avec la main, soit en étendant
les bras? 11 imprime sur lui-môme l'image
du divin Mendiant: il s'identifie avec lui.
C'estJacob se couvrant des vêtements d'É-
saiï, pour obtenir la bénédiction paternelle.
Par cette attitude de foi, d'humilité, de dé-
vouement, que dit-il à Dieu? Il dit: Voyez
en moi votre Christ, respice in faciem Christi
fut. Prière plus éloquente que toutes les
paroles : « Elle monte, dit saint Ambroise,
et l'aumône descend : Ascendit deprecatio
et descendit Dei miseratio. » Tel est le signe
de la croix, même sans formule. Il ne parle
pas, et il dit tout.
C'est une prière puissante. Lorsqu'un
agent de l'autorité, commissaire de police,
maire ou gendarme, met la main sur un
(I) Cum cxaltatus fuero a terra, omnia traliam ad
i'sum. (Joann.. xn, 32.) Humiliavit semetipsum,
anus obediens usque ad mortem... propter quod cxal-
t;i\il un m, etc. [PhUipp., n, 8.)
160
LH SIGNE DE LA CROIX
délinquant, il lui dit : Au nom de la loi, je
t'arrête. Dans ce mot, au nom de la loi, le
coupable voit l'autorité de son pays, la force
armée, les juges, le roi lui-même. La peur
le prend et il se laisse arrêter.
Quand l'homme, menacé d'un danger, as-
sailli par le doute, persécuté par la tenta-
tion, en proie à la souffrance, à la maladie,
prononce cette parole de solennelle auto-
rité : Au nom du Père et du Fils et du Saint-
Esprit ; et qu'en la prononçant il fait le si-
gne rédempteur du monde, le signe vainqueur
de l'enfer: comment expliquerais- tu la ré-
sistance du mal ? L'homme n'a-t-il pas rem-
pli toutes les conditions du succès ? Dieu
n'est-il pas, en quelque sorte, mis en
demeure d'intervenir, et, en intervenant, de
glorifier son nom et la puissance de son
Christ?
Aussi, l'efficacité particulière du signe de
la croix n'a jamais été douteuse, ni pour
l'Église ni pour les siècles chrétiens. Les
plus graves théologiens enseignent même
que le signe de la croix opère par lui-même,
AU XIX SIECLE.
161
et indépendamment des dispositions de ce-
lui qui le fait. Ils en donnent plusieurs preu-
ves : je n'en citerai que deux.
La première, c'est l'usage incessamment
répété du signe de la croix. « S'il ne pro-
duisait pas, disent-ils, ses effets de lui-
même, les chrétiens n'auraient aucune rai-
son d'en faire un si fréquent usage. A quoi
bon d'y recourir, quand un mouvement de
l'âme ou une bonne œuvre quelconque suf-
firait pour obtenir et pour réaliser ce qu'ils
espèrent obtenir et réaliser par le signe de la
croix (1)?»
La seconde repose sur des faits célèbres
dans l'histoire et d'une authenticité incon-
testable: en voici quelques-uns.
(1) Dicimus signum sanctissimœ emeis producere
suos effectus ex opere operato. (Gretzev, lib. IV, c. lxii,
p. 103.) — Ita etiam doctissimi quique theologi sen-
tiunt, ut Grcgorius de Valentia, Franciscus Suarez,
Bellarminus, Tyra?us et alii. (Ibid.) Et certe nisi ex.
opère operato crux effectus suos ederet, non esset
cur tam sedulo a fidelibus usurparetur ; quia bono
animi motu et actu, omne illud perficere œque certo
possent, quod adhibito crucis signaculo peragunt et
se peracturos sperant. [Ibid.)
162 LE SIGNE DE LA CROIX
Le premier est celui de Julien l'Apostat.
Déserteur du vrai Dieu, cet empereur de-
vient, comme cela est inévitable, adorateur
du démon. Pour connaître les secrets de
l'avenir, il cherche dans toute la Grèce les
hommes en rapport avec le mauvais Esprit.
Un évocateur se présente qui promet de
satisfaire sa curiosité. Julien est conduit
dans un temple d'idoles. Les évocations
faites, l'empereur se voit entouré dedémons,
dont la figure l'épouvante.
Par un mouvement de crainte irréfléchi ;
il fait le signe de la croix, et tous les démons
disparaissent. L'évocateur s'en plaint et re-
commence l'évocation. Les démons repa-
raissent. Julien s'oublie encore et fait le si-
gne de la croix. Nouvelle disparition des
esprits de ténèbres ()).
(I) Ad crueem confugit caque se adversus terrores
consignât, eumque quem persequebatur in auxilium
adsciscit. Valuit signaculum, cedunt dsemones, pel-
luntur timorés. Quid deinde? reviviscit nialuni, rur
sus ad audaciam redit ; nirsus aggrcditur, rursus
[idem icrrores urgent, rursus objecto signaculo dœ-
AT JCU* SIÈCLE.
I 6 S
Ce fait, rapporté par saint Grégoire de
Nazianze.par Théodoret et les autres Pères
de l'Église, lit grand bruitdans toutl'Oricnt.
Le second est plus connu de l'Occident.
Nous le devons au pape saint Grégoire.
L'illustre pontife en commence le récit par
ces mots : « Le fait que je vais raconter
n'est pas douteux, car il y a presque autant
de témoins que la ville de Fondi compte
d'habitants (1).
«Un Juif, venant de la Campanie et se
rendant à Rome, par la voie Appienne, ar-
riva dans la petite ville de Fondi. Comme
il était tard, il ne put trouver à loger et se
retira, pour passer la nuit, dans un vieux
temple d'Apollon. Cette antique demeure
des démons lui fit peur, et, bien qu'il ne
fût pas chrétien, il eut soin de se munir du
mones conquiescunt, perplexusque hseret discipulus.
(S. Grég. Nazian., Orat. u contr. Julian.)
(I) Nec rcs est dubia quam narro, quia pcnc tanti
in ea testes sunt, quanti et ejusdem loci habitatores
existant. (Dial., lib. III, c. vu.)
164
LE SIGNE DE LA CROIX
signe de la croix. A minuit, effrayé de sa
solitude, il était encore éveillé.
« Tout à coup il voit une troupe de dé-
mons qui semblent venir rendre hommage
à leur chef, assis au chevet du temple. A
mesure qu'ils se présentent, celui-ci les in-
terroge et demande à chacun en particu-
lier ce qu'il a fait pour porter les hommes
au péché. Tous lui dévoilent leurs artifices.
Au milieu de ces discours, un d'eux s'avance
qui raconte la grave tentation dont il est
parvenu à faire sentir les atteintes au véné-
rable évoque de la ville. Jusqu'ici, disait-il,
j'avais perdu ma peine ; mais hier au soir
j'ai réussi à lui faire donner un petit coup
sur l'épaule de la sainte femme qui s'occupe
de sa maison. — Continue, lui répond l'an-
tique ennemi du genre humain ; achève ce
que tu as commencé, et une si grande vic-
toire te vaudra une récompense exception-
nelle.
« Cependant, le Juif témoin de ce spec-
tacle respirait à peine. Pour le faire mourir
de frayeur, le président de l'infernale as-
AU XIX SIÈCLE.
ltio
semblée, instruit de sa présence, ordonne
de s'informer quel est le téméraire qui a
osé venir s'abriter dans le temple. Les mau-
vais esprits s'approchent, le regardent avec
une attention curieuse, et, le voyant mar-
qué du signe de la croix, ils s'écrient: Mal-
heur, malheur 1 vaisseau vide et scellé : Vœ,
Vœ l vas vacuum et signatum ! A ces mots,
toute la troupe infernale disparut.
« De son côlé, le Juif se hâta de sortir.
Il se rend à l'église, où se trouve déjà le vé-
nérable évêque. L'ayant pris à part, il lui
raconte ce qui vient d'arriver, comment il
a eu connaissance du coup donné la veille,
et le but que se propose le démon. Surpris
au delà de toute expression, l'évoque ren-
voie immédiatement la sainte femme atta-
chée à son service et interdit l'entrée de sa
demeure à toute personne du sexe. Il con-
sacre à saint André levieuxtempled' Apollon
et le Juif se convertit (l). »
Citons un autre fait. On litdans l'Histoire
1) Dial, lib. III, cap. vu.
166
LE SIGNE DE LA CROIX
ecclésiastique de Nicéphore que, sous l'em-
pereur Maurice, leroi de Perse, Chosroès II,
envoya en ambassade à Constantinople des
Persans, qui avaient tous le signe de la
croix marqué sur le front. L'empereur leur
demanda pourquoi ils portaient un signe
auquel ils ne croyaient pas. « Ce que
vous voyez sur nos fronts, répondirent-ils,
est le témoignage d'une insigne faveur que
nous avons reçue autrefois. La peste rava-
geait notre pays. Quelques chrétiens nous
conseillèrent de graver le signe de la croix
sur notre front, comme un préservatif con-
tre le fléau. Nous les avons crus et nous
avons été sauvés, au milieu de nos familles
moissonnées par la peste (1). »
A la suite de ces faits se place naturelle-
ment la réflexion du grand évêque d'Hippone
qui paraît décisive en faveur de l'enseigne-
ment des théologiens. « Il ne faut pas s'é-
tonner, dit-il, de la puissance du signe de la
croix, quand il est fait par de bons chrétiens,
(1) Hist., lib. XVIII, c. xx.
AU XIX e SIÈCLE.
167
puisqu'il a tant de force lorsqu'il est em-
ployé par des étrangers qui n'y croient pas,
et cela pour l'honneur du grand Roi (1). »
Afin de rester dans les limites de l'ortho-
doxie, il fauteependantajouterque le signe
de la croix n'opère pas de lui même, pure-
ment et simplement ; mais en tant qu'il est
utile à notre salut et à celui des autres. Il
en est de même de certaines pratiques,
telles, par exemple, que les exorcismes,
auxquels nulle promesse divine n'atlribue
un effet infaillible et sans condition aucune.
J'ajoute encore que la piété de celui qui
fait le signe de la croix contribue à son effi-
cacité. Le signe de la croix est une invoca-
tion tacite de Jésus crucifié, par conséquent
il est d'autant plus efficace qu'il est fait avec
une ferveur plus grande. Ainsi, l'invocation
de cœur ou de bouche est d'autant plus
(1) Nec mirum quod hœc signa valent, cum a bo-
nis christiania adhibentur, quando miam cum usur-
pantur ab extraneis, qui omnino suum nomen ad is-
tam militiam non dederunt, propter honorem tamen
excellentissimi Imperatoris valent. (Lib. cleSZ quœst.,
quœst. 79.)
168
LE SIGNE DE LA CROIX
propre à obtenir son effet, que le fidèle est
plus vertueux, plus agréable auSeigneur (1).
C'est une prière universelle. En un sens]
le signe de la croix peut dire comme le Sau-
veur lui-même : Toute puissance m' a été donne
au ciel et sur la terre. Ici, plus qu'ailleurs, il
faut, mon cher Frédéric, raisonner avec des
faits. Ils sont tellement nombreux que la
seule difficulté est de choisir. Tous, et cha-
cun à sa manière, proclament, d'une part,
la foi de nos aïeux, et, de l'autre, l'empire
du signe de la croix sur le monde visible et
sur le monde invisible. Besoins de l'âme et
besoins du corps, il pourvoit à tout.
Pour son âme, l'homme a besoin de lu-
mière, et le signe de la croix les obtient.
Saint Porphyre, évêque de Gaza, doit dis-
puter contre une femme manichéenne. A lin
de dissiper, par la clarté de ses raisonne-
ments, les ténèbres dont la malheureuse est
enveloppée, il fait le signe de la croix; et la
lumière éclate dans cetteintelligence égarée.
(1) Gretzer, ubi supra.
KanBI
H
AU XIX e SIECLE.
169
Julien, sophiste couronné, provoque à
une controverse Césaire, frère de saint Gré-
goire de Nazianze. Le généreux athlète
entre en lice, muni du signe de la croix. A
un ennemi consommé dans l'art de laguerre
et habile à manier le raisonnement, il op-
pose l'étendard du Verbe : et l'esprit de
mensonge se trouve pris dans ses propres
filets (1).
Saint Cyrille de Jérusalem, si puissant
d'ailleurs en paroles et en œuvre, ordonne
de recourir au signe de la croix, toutes les
fois qu'il s'agit de combattre les païens, et
il assure qu'ils seront réduits au silence (2).
Dans l'ordre temporel, non moins que
dans l'ordre spirituel, les lumières divines
sont nécessaires à l'homme : le signe de la
croix les obtient. Aussi les empereurs d'O-
rient, successeurs de Constantin, avaient
(1) L. Greg. Nazian., In laud. Cœsar.
(2) Accipe arma contra adversarios hujus crucis ;
cum enim de Domino crueeque contra infidèles quajs-
tio tibi erit, prius statue manu tua signum, et ob-
mutescet contradicens. (Catech,, xm.)
10
170 LE SIGNE DE LA CROIX
coutume, lorsqu'ils devaient parler devant
le sénat, de commencer par le signe de la
croix (1).
Comme nous l'avons vu, saint Louis, avant
de discuter en conseil les affaires de son
royaume, se conformait à cette très-an-
cienne et très-religieuse pratique.
Si, à l'exemple des plus grands princes
qui aient gouverné le monde, les empereurs
et les rois du dix-neuvième siècle recou-
raient eux-mêmes au signe de la croix, pen-
ses-tu que les affaires en iraient plus mal ?
Pour moi, je suis convaincu, comme de
mon existence, qu'elles iraient beaucoup
mieux. Les gouvernants d'aujourd'hui ont-
ils moins besoin de lumières que ceux d'au-
trefois ? Ont-ils la prétention de les trouver
ailleurs que dans Celui qui enest la source,
(1) Ipso coronatus solium conscendit avitum.
Atquc crucis faciens signum venerabile sedit.
Erectaque manu, cuncto prœsente senatu,
Ore pio ha?c orans ait.
(Coripp., De laud. Justin. Junior.)
AU XIX e SIÈCLE.
171
lux mundi ? Connaissent-ils un moyen plus
éprouvé de l'invoquer avec succès, que le
signe de la croix ? Tous les siècles ne dépo-
sent-ils pas de son efficacité ?
L'Église, qui devait être leur oracle, ne
continue-t-elle pas de la proclamer? Est-il
un concile, un conclave, une assemblée reli-
gieuse qui ne commence par le signe de la
croix? Fidèles héritiers de la tradition, les
prêtres catholiques parlent-ils jamais du
haut de la chaire, sans s'être armés de ce
signe de force et de lumière? En cela ils
observent les prescriptions des anciens Pè-
res. « Faites le signe de la croix, écrit saint
Cyrille de Jérusalem, et vous parlerez, Fac
hoc signum et loqueris (1). »
Ce que j'ai dit des rois, mon cher ami,
doit se dire de tous ceux qui sont chargés
d'enseigner les autres. Le Verbe incarné
n'est-il pas le Dieu des sciences, et de tou-
tes les sciences, le professeur des profes-
seurs, le maître des maîtres?
(1) Catech. illuminât., iv.
172 LE SIGNE DE LA CHOIX
Si le signe de la croix présidait à toutes les
leçons qui se donnent aujourd'hui, à tous
les livres qui s'impriment, crois-tu que
nous serions inondés, comme nous le som-
mes, d'erreurs, de sophismes, d'idées faus-
ses, de systèmes incohérents, dont le ré-
sultat incontesté est de faire descendre, à
vue d'œil, le monde moderne dans les ténè-
bres intellectuelles, d'où le christianisme
l'avait tiré ?
Pour son Ame, l'homme a besoin de
force : le signe de la croix en est la source
féconde. Regarde tes illustres aïeux, les
martyrs. A qui demandent-ils le courage
pour triompher dans leurs héroïques com-
bats? Au signe de la croix. Généraux d'ar-
mée, centurions, soldats, magistrats, séna-
teurs, patriciens ou plébéiens, enfants ou
vieillards, matrones et jeunes vierges, tous
ont soin, en descendant dans l'arène, de se
couvrir de cette invincible armure, msupe-
rabtïis cliristianorum armatura.
Viens avec moi : je t'en nommerai quel-
ques-uns. A Césarée, le généreux martyr
AU XIX SIÈCLK.
173
qui marche au supplice, au milieu d'un peu-
ple immense, c'est le centurion Gordius.
Le vois-tu, calme et recueilli, armant son
Iront du signe de la croix (1)?
Quelle est cette ville d'Arménie, assise au
milieu des neiges, sur le bord d'un lac
glacé ? C'est Sébaste. Voici venir, sur le
soir, quarante hommes, garrottés et dé-
pouillés de leurs vêtements, qu'on traîne
au milieu du lac, condamnés à y passer la
nuit. Quels sont-ils? Quarante vétérans de
l'armée de Licinius. Une force surhumaine
de résistance leur est d'autant plus néces-
saire, que sur le rivage sont des bains
chauds, préparés pour les déserteurs. Ils
font le signe de la croix, et une mort hé-
roïque vient couronner leur courage (2).
Nous avons vu la jeune Agnès, signe de
croix vivant, au milieu des flammes. Voici
(1) S. Basil., Orat. in S. Gord.
(2) Isti autem in uno crucifm signaculo, Christum
in se quasi legis loco omnibus prœscripserunt... cru-
ceiii signlfera figura in mente gestabant. (S. Ephrem,
Encom. in 40 SS'. Martyr.)
10.
174
LU SIGNE DE LA CHOIX
d'autres vierges chrétiennes, nées comme
elle dans l'âge d'or des martyrs. La pre-
mière est sainte Thècle, illustre par sa nais-
sance, plus illustre par sa foi. Les bour-
reaux l'ont saisie; il la conduisent au bû-
cher; elle y monte d'un pas assuré, fait le
signe de la croix et demeure tranquille au
milieu des flammes. A l'instant tombe un
torrent d'eau qui éteint le feu, et, comme
les enfants de Babylone, la jeune héroïne
sort du bûcher sans avoir perdu un seul
cheveu (1).
La seconde est sainte Euphémie, non
moins célèbre que la première. Sur l'ordre
du juge, les instruments de supplice sont
préparés en un clin d'œil. La jeune vierge
va être étendue sur la roue. Elle fait le
signe de la croix, s'avance d'elle-même vers
(1) Capta ab apparatoribus, ut in focum jaclaretur,
sponto pyram ascendit, et signo crucis facto, virili
animo inter médias flammas stetit, subitoque facta
inundatione pluviarum, ignis extinctus est, et beata
virgo illaosa, virtute superna erigitur. (Ado, in Mar-
tyrol., 23 sept.)
AU XIX e SIECLE.
175
l'affreuse machine, hérissée de pointes de
fer, la fixe sans pâlir et d'un regard la fait
voler en éclats (1).
Regarde encore ; nous sommes dans un
de ces prétoires romains tant de fois rougis
du sang de nos pères, tant de fois témoins
de leurs sublimes réponses et de leur héroï-
que constance. C'estau plus fortde la persé-
cution de Dèce : tu sais, ce sanguinaire em-
pereur que Lactance appelle un exécrable
animal, exsecrabile animal Decius. Devant
le juge est une troupe de chrétiens. L'ac-
cusateur vient, suivant l'usage, de les char-
ger de toutes sortes de crimes. Ils sont
condamnés d'avance; ils le savent. Que
font-ils ? Élevant les yeux au ciel, ils
funt le signe de la croix, et disent
au proconsul : « Tu verras que nous ne
(\) Postquam autem ipsœ machinas dicto citius fue-
runt construetfe et martyr in eas erat conjicienda,
validis continue- in se paratis armis, nempe divina cru-
cis figura, et ea signata, adversus rotas processif uul-
lam qu'idem vultu ostendens tristitiam, etc. (Apud
Sur., t. V, et Baron., Martyrol., 10 sept.)
17G
LE SIGNE DE LA CHOIX
sommes ni des lâches ni des peureux (1). »
Si je voulais continuer cette nomencla-
ture, il faudrait faire défiler devant toi toute
l'immense armée des martyrs. Pas un des
valeureux soldats du Crucifié qui n'ait, en
allant au combat, arboré l'étendard de son
Moi. Qu'il suffise d'en nommer quelques-
uns : saint Julien, saint Ponlien, saint Cons-
tant et saint Crescenl, saint Isidore, saint
Nazaire, saint Celse, saint Maximin, saint
Alexandre, sainte Sophie et ses trois filles,
saint Paul et sainte Julienne, saint Cyprien
et sainte Justine (2).
Pris dans tous les pays et dans toutes les
conditions, ils témoignent de l'usage uni-
versel, parmi les martyrs, de s'armer du
signe de la force avant d'entrer en lice avec
les hommes, avec les hôtes, ou avec les élé-
ments.
Bien mieux; dans la crainte que le poids
(1) Oculis in cœlum sublatis, cum se Christi signa-
culo muniissent, dixorunt : Scias te non incidisse in
viros pusilli et abjecti animi. [Apud Sur., 13 april.)
(2) Voir leurs actes.
AU XIX SIÈCLE.
177
des chaînes ne les empêchât de former le
si<me de la croix, ils priaient les chrétiens
leurs frères, ou les prêtres leurs pères, de
les armer du signe victorieux. Converti à la
foi par le martyr saint Éleuthère, Corébus
va lui-même chercher dans l'amphithéâtre
la couronne du martyre. « Priez pour moi,
dit-il à son père en Jésus-Christ ; et armez-
moi des mêmes armes, le signe de la croix,
dont vous avez armé Félix, le chef du com-
hat(l).»
Glycérie, noble fille d'un père trois fois
consul, est jetée brusquement dans une
étroite prison. La première chose qu'elle l'ait
en se voyant aux prises avec l'ennemi, c'est
de prier le saint prêtre Philocrate de lui
faire le signe de la croix sur le front. Le
prêtre se rend à son désir et lui dit : Que
ce signe du Crucifié comble vos vœux (2).
Ils furent comblés en effet.
(1) Ora pro me, et me arma Iris armis, nempo
Cliristi signaculo, quibus ducem exercitus muirivisti
Felicem. (Apud Sur., 18 april.)
(2) Signa me Christi signo. Ad luec Plrilocrates près-
178 LE SIGNE DE LA CHOIX AU XIX e SIÈCLE.
La jeune héroïne descend dans l'amphi-
théâtre. Au moment de cueillir la palme de
la victoire, se tournant vers les chrétiens,
mêlés dans la foule, elle leur dit avec la
fierté du soldat qui meurt pour son dra-
peau : « Frères, sœurs, enfants, pères, et
vous qui me tenez lieu de mère, voyez, veil-
lez sur vous; et considérez bien quel est
1 Empereur dont nous portons le caractère
etquel est le signe gravé sur nos fronts (1).»
Tu viens de l'entendre; tous les martyrs
ont cherché leur force dans le signe de la
croix. Et ils auraient cherché un appui dans
le néant ! Et ce grand Empereur, pour le-
quel ils meurent, les aurait laissés dans une
incurable illusion ! Si quelqu'un le croit,
qu'il donne ses preuves.
A bientôt.
byter: signura, inquit, Christi vota tua compleat
( Und., t. III, et Baron., t. II.)
(1) Fratres, sorores, filii, patres, et quœcumque
matris loco roihi estis, videte et vobis cavete, ac di-
ligenteranimadvertite, qualis est Impcrator ille, cuius
characterem habomus, et quali forma in fronte signât!
sumus. (Ibid.)
DOUZIEME LETTRE
Ce 7 décembre.
Nécessité perpétuelle du signe de la croix pour obtcDÎr la force.
— Recommandation et pratique des chefs de la lutte spirituel!:.
— Signe de la croix dans les tentations. — Signe de la croix
à la mort. — Exemple des martyrs. —Exemple des rra s
chrétiens mourant de mort naturelle. — Les mourants se fai-
sant faire le signe de la croix par leurs frères.
GnEri Frédéric,
Le signe de la croix n'a rien perdu de
sa puissance ni de sa nécessité. 11 est vrai,
les tyrans sont morts et les amphithéâtres
en ruines. Le signe de la croix a vaincu les
uns, fait écrouler les autres. Si les seconds
ne se relèvent pas, les premiers, de temps
en temps, sortent de leurs tombeaux. La
race des Nérons de sera jamais éteinte :1e
plus redoutable est encore à venir.
Avec une fureur antique, ceux qui ont
180
LE SIGNE DE LA CROIX
paru depuis les Césars ont décimé les chré-
tiens, cette autre race également immortelle,
race vouée àla mort, comme dit Tertullien,
expeditum morti genus. Ce qu'ils ont fait
hier en Occident, ce qu'ils font aujourd'hui
en Orient, ils peuvent le refaire demain par-
tout on ils régneront. Avis aux combat-
tants ; que nul n'oublie où est la source de
la force.
En attendant, souviens-toi, cher ami, qui
la paix a'aussi ses martyrs, habet et pax mar-
tyres, suos. Quel est l'homme qui ne porte en
lui-même un ou plusieurs Nérons? Est-il
un jour de sa vie raisonnable, et même une
heure, où il n'ait à veiller et à combattre?
Que dis-je? Vingt fois le jour, des objets sé-
duisants se présentent à ses regards, des
pensées mauvaises importunent son esprit,
les sens révoltés sollicitent son cœur à de
lâches trahisons. Oh! qu'il a besoin de
force !
Où la trouvera-t-il? Dans le signe de la
croix. Le témoignage des siècles, l'expé-
rience des vétérans et des conscrits de la
AU XIX SIÈCLE.
181
vertu, aitestenl aujourd'hui, comme ils
l'attestaient hier, la puissance souveraine
du signe divin, pour dissiper les charmes
séducteurs, chasser les mauvaises pensées
et réprimer les mouvements delà concupis-
cence.
Écoute le chantre des martyrs, Prudence,
qui connut tout à la fois les détails de leurs
triomphes et le secret de leurs victoires.
« Lorsqu'à l'invitation du sommeil tu gagnes
ton chaste lit, fais le signe de la croix sur ton
front et sur ton cœur. La croix te préservera
de tout péché : devant elle fuiront les puis-
sances des ténèbres; l'âme, sanctifiée parce
signe, ne saurait vaciller (1). »
Écoute encore les chefs de l'éternel com-
(1) Fac, cum vocante somno
Castum pt-tis cubile,
Frontem locumque cordis
Crucis figura signet:
Crux pellet omne crimen,
Fugiunt. erneem tenebrae.
Tali dicata signo
Mens fluctuare nescit.
(Apud.S. Greg. Turon., Jib. I, Miracul., c. 106.)
H
182
LE SIGNE DE LA CROIX
bat. Grands génies et grands saints, con-
sommés dans l'art de la guerre spirituelle,
qu'on appelle l'ascétisme, tous n'ont qu'une
voix pour recommander aux soldats chré-
tiens l'usage du signe de la croix. « Sens-tu
ton cœur s'enflammer, dit saint Chryso-
stome? Fais le signe de la croix sur ta poi-
trine, et à l'instant la colère se dissipera
comme la fumée (1). »
Et saint Augustin : « Amalech, votre en-
nemi tente-t-il de vous barrer la route et de
vous empêcher d'avancer? Faites le signe de
la croix, et il sera vaincu (2). »
Et le grand serviteur de Dieu, Marc, qui
prédit à l'empereur Léon l'heure de sa
mort : « J'ai connu par mon expérience que
le signe de la croix apaise les troubles inté-
rieurs et procure la santé de l'âme. Aussitôt
(1) Si succendi cor tuum senseris, pectus continue)
signaculo crucis signato, et ira illico tanquam pulvis
dissipabitur. (In Matih., Hom. 88.)
(2) Si adversarius Amalecita iter intercludere atque
impedire conabitur, pro reverentissima extensione
brachiorum ejusdom crucis indicio superetur. (Lib. L.
HomiL, Homil. 20.)
MMUfliH
•«y.-
■
■mbhmii^h
AU XIX e SIÈCLE. 183
après le signe de la croix, la grâce opère ;
tout s'apaise, la chair aussi bien que le
coeur (i). »
Saint Maxime de Turin : « C'est du signe
de la croix que nous devons attendre la
guérison de nos blessures. Si le venin de
l'avarice se répand dans nos veines, faisons
le signe de la croix, et le venin est chassé.
Si le scorpion de la volupté nous pique, re-
courons au môme moyen, et nous sommes
gu ris. Si les pens'es grossièrement terres-
tres cherchent à nous souiller, faisons en-
core le signe de la croix, cl nous vivons de
la vie divine (-2).
Saint Bernard : « Quel est l'homme assez
maître de ses pensées pour ne jamais en
éprouver d'impures? Mais il faut sur-le-
champ réprimer leurs attaques, afin de
vaincre l'ennemi là où il espérait triompher.
(1) Statim post signum crucis, gratia sic operatur:
seda! omnia, membre pariter et cor. [Biblioth. PP
t. V.)
(2) Apud S. Ami,,,, ter. 55.
18 4
LE SIGNE DE LA CROIX
L'infaillible moyen d'y réussir, c'est défaire
le signe delà croix (1). »
Saint Pierre Damien : « Si vous sentez une
mauvaise pensée naître dans votre esprit,
faites aussitôt avec le pouce le signe de la
croix, et soyez certain qu'elle disparaî-
tra (2). »
Le pieux Ecberth : « Rien n'est plus effi-
cace que le signe de la croix pour dissiper
les tentations, môme les plus honteu-
ses (3). »
Résumant tous ces témoignages : « Quelle
que soit la tentation qui nous presse con-
clut saint Grégoire de Tours, il faut la re-
pousser. Pour cela, faites, non pas lâche-
ment, mais courageusement le signe de la
croix, ou sur votre front, ou sur votre poi-
trine (4) » .
(1) De passion. Dom., a. six, n. 65.
(2) Cum pravarn. tibiraet cogitationem esse persen-
seris, extento pollice protinus cor tuum signare fes-
tines, certus, etc. (Instit. monast.)
(3) Signe- crucis nihil efficucius ad turpes effugan-
das tentationes. (Lib. viar. Domin., c. xxi.)
(-1) Viriliter et non tepide signum, vel fronti, vel
pectori salutare superponas. [Ubi supra.)
AU XIX e SIÈCLE.
1S5
S'il en était besoin, mille faits viendraient
confirmer ce que tu viens d'entendre. Un
seul suffira. C'est la révélation dont fut fa-
vorisé un saint religieux, nommé Patrocle,
et par laquelle Dieu lui fit voir la puissance
souveraine du signe de la croix contre les
tentations.
Un jour le démon, se transformant en
ange de lumière, se montra au vénérable
abbé. Il commença, par des paroles pleines
d'astuce, à lui conseiller de quitter la soli-
tude et de retourner dans le monde. Mais
l'homme de Dieu, sentant tout aussitôt
courir dans ses veines un feu pestilentiel, se
prosterna en oraison, priant le Seigneur de
lui faire accomplir sa volonté. Sa prière
est exaucée. Un ange lui apparaît, et lui dit :
« Si tu veux connaître le monde, monte sur
celte colonne, et tu verras ce qu'il est. »
Ravi en extase, le pieux solitaire croit
avoir devant lui une colonne d'une hauteur
prodigieuse : il y monte. Du sommet, il voit
des homicides, des vols, des massacres, des
fornications et tous les plus grands crimes
186 LE SIGNE DE I.A CROIX
de l'univers. Hélas! s'écrie-t-il en descen-
dant, hélas! Seigneur, ne permettez pas que
je retourne jamais au milieu de tant d'abo-
minations.
Alors l'ange lui dit : « Cesse donc de re-
gretter le monde, de peur que tu ne péris-
ses avec lui. Va-t'en plutôt dans ton ora-
toire prier le Seigneur de te faire trouver un
soutien, au milieu des épreuves de ton pèle-
rinage. » Il s'y rendit, et trouva le signe de
croix sculpté sur une brique. Il comprit
le don de Dieu, et connut que ce signe était
une forteresse ixexpugnable contre les ten-
tations (1).
Martyr de la guerre ou martyr de la
paix : voilà l'homme pendant la vie. Qu'est-
il à la mort ? Vois-tu ce malade en proie à
la douleur, délaissé de tout le monde, ou
entouré de parents et d'amis impuissants?
Derrière lui, le temps qui fuit ; devant lui,
l'éternité qui s'avance et dans laquelle il
se sent couler, sans que désormais aucune
(i) Greg. Turon., TU. part., c. ix.
AU XIX SIÈCLE.
187
puissance humaine puisse retarder le mo-
ment du départ, ou adoucir les angoisses du
voyage.
Ce malade, c'est toi, cher ami, c'est moi,
c'est tout homme, riche ou pauvre, sujet ou
monarque. Si, pendant les combats de la
vie, nous avons besoin de lumière, de force,
de consolation et d'espérance, dis-moi si
nous n'en avons pas un besoin mille fois
plus grand, dans les luttes décisives de la
mort? Eh bien! le signe de la croix est tout
cela. Sous ce nouveau rapport, qu'il fut
cher à nos aïeux, et qu'il doit nous être
cher à nous-mêmes !
Gomme les martyrs, en marchant au der-
nier combat, ne manquaient pas de se forti-
fier par le signe de la croix; ainsi les vrais
chrétiens des siècles passés recouraient sans
cesse au même signe, pour adoucir leurs
douleurs et sanctifier leur mort; citons
quelques exemples.
Parlant de sa sœur bien-aimée, sainte
Macrine, que lui-même assista dans ses
derniers moments, saint Grégoire de Nysse
188
LE SIGNE DB LA CROIX
s'exprime ainsi : « Elle disait : Seigneur,
pour mettre l'ennemi en fuite et protéger
leur vie, vous avez donné à ceux qui vous
craignent le signe de la croix. En pronon-
çant ces paroles, elle formait le signe ado-
rable sur ses yeux, sur ses lèvres et sur son
cœur (I). »
_ Son illustre frère, saint Grégoire de Na-
zianze, douant le démon, lui disait : « Si tu
oses m'altaquer au moment de ma mort,
prends garde, je te mettrai honteusement
en fuite par le signe de la croix (2). »
Au lieu de le faire avec la main, souvent
les premiers chrétiens, sur le point de mou- •
rir, faisaient le signe de la croix en éten-
dant les bras. C'est ce qu'ils appelaient le
sacrifice du soir, sacrificium vespertinum.
A cette manière de faire le signe de la croix
dans les derniers moments, Arnobe appli-
que les paroles du Psalmite : L'élévation de
(1) Tu ai hostis perniciem et vitae nostrœ securita-
era dedisti sigmirn nietuentibus te, notam sanctse
crucis, sterne Deus. Hœc dicens oculis, et ori et
cordi, crucis signum apposuit. (Vit. S. Marc )
(2> Carm. 22. '
A0 XIX e SIÈCLE. ls9
mes mains, c'est mon sacrifice du soir. Il dit :
« Au moment de la mort, nous sommes
réellement au sacrifice du soir, toute notre
attention doit être d'élever nos mains en
croix, afin de nous réjouir dans le Sau-
veur Jésus, au moment où nous allons à
lui (i). >,
C'est dans une pareille attitude que mou-
rut Paul, le patriarche du désert, et qu'il
l'ut trouvé par saint Antoine (2).
Même spectacle donné par saint Pacôme :
« Etant sur le point de mourir, dit l'auteur
de sa vie, il s'arma du signe de la croix, vit
avec une grande joie un ange de lumière ve-
nir à lui, et rendit sa sainte âme à Dieu (3). »
De la même manière mourut saint Ara-
Ci Tunc enim in sacrificio vespertino sumus. Ibi
est tota nostrœ cogitationis ponenda intentio, ut le-
vantes manus nostras, in signo cracis dura ad Domi-
num pergimus, gratulemur in Cbristo Jpsu. (In
ps. 140.)
(2) Introgressus speluncam, vidit genibus compli-
catis, erecta cervice, extensisque in altum manibus,
corpus exanime. (S. Hier., De vit. S. Paul.)
(3) Vie de S. Pacôme, c. Lin.
I 1.
190
LE SIGNE DE LA CROIX
broise : « Le dernier jour de sa vie, écrit le
prêtre Paulin, depuis la onzième heure en-
viron, jusqu'au moment où il rendit l'âme,
il pria les mains étendues en croix (1). »
De Milan passons à Gonstantinople. Yoici
un autre évoque qui va mourir. « Saint
Eutychius, dit son historien, fut pris vers
le milieu de la nuit d'une fièvre violente.
11 resta sept jours dans cet état, ne cessant
de prier et de se fortifier par le signe de la
croix (2). »
Achevons notre voyage par la France, et
assistons à la mort de quelques-uns de nos
rois. Un instant arrêtons-nous à Aix-la-Cha-
pelle pour voir mourir le grand empereur.
« Le lendemain étant venu, dit un évêque,
témoin oculaire, Gharlemagne, sachant ce
(1) Eodem tempore quo migravit ad Dominum. ab
hnra circiter undecima diei, usque ad illam horam
qua eraisit spiritum, expansis manibus in modum
crucis oravit. (Paulin., In Vit. S. Ambr.)
(2) Vehementi febre circa mediam noctem correp-
tus est : atque ita mansit septem dies, assidue pre-
cibus incumbens, seque signo cvucis muniens. (Apud
Sur., 2 lui.)
AU XIX" SIÈCLE. 191
qu'il devait faire, étendit sa main droite et
autant qu'il put, il fit le signe de la croix
sur son front, sur sa poitrine et sur tout son
corps (I). » Ainsi devait mourir ce grand
homme.
Voici son fils, Louis le Pieux. « Ayant mis
ordre aux affaires et fait ses recommanda-
tions, il ordonna de réciter près de lui l'of-
fice de la nuit et de lui placer sur la poitrine
une relique de la vraie croix. Pendant ce
temps, lui-môme, autant que ses forces le lui
permirent, faisait le signe de la croix sur son
front et sur son cœur. Quand il était trop
fatigué, il priait son frère de continuer (2). »
Venons à l'un de ses successeurs les plus
(1) In crastinum vero luce adveniente, sciens quod
facturas erat, extenso manu dextra, virtute, qua po-
terat, signum sancta; crucis fronti impressit, et super
pectus et omne corpus consignavit. (Thegan., De
Gestis Luilov. Imper.)
(2) His peractis et dictis, praecepit ut ante se celo-
brarentur vigiliœ nocturna?, et Iigno sancta» crucis
pectus muniretur ; et quamdiu valebat manu propria
tam frontem quam pectus eodem signaculo insignibat.
Si quando lassabatur per manus fratris sui nutu id
Heri poscebat. (Apud Gretzer, lib. IV, c. xxvi, p. 018.)
!
192
LE SIGNE DE LA CROIX
dignes du trône, le bon roi Robert. Dans les
derniers jours de sa vie, il ne cessait d'appe-
ler à son aide, du geste et de la voix, les
saints du paradis, se fortifiant continuelle-
ment par le signe de la croix sur le front,
sur les yeux, sur les narines et sur les lèvres,
sur la gorge et sur les oreilles, en mémoire
de l'Incarnation du Seigneur, de la Nativité,
de la Passion, delà Résurrection, de l'Ascen-
sion et du Saint-Esprit. Telle avait été pen-
dant toute sa vie l'habitude de ce prin< m,
qui volontairement ne fut jamais sans avoir
de l'eau bénite avec lui (1). »
Citons encore Louis le Gros. Se voyant
près de mourir, il fit étendre un tapis par
terre, et sur ce tapis répandre de la cendre
en forme de croix. Déposé par ses officiers
(1) Dei sunctis is auxilium suum venire, voce, si-
gnis, indesinonter orabat, muniens se semper iii fronte
et oculis, naribus et labiis, gutture et auribus, per
signum sanctoe crucis, memoria Diimiuica- incai'na-
tionis, nativitatis, passionis, resui-rrctiimis, et aseen-
sionis et Spiritus sancti. Habuit linc r\ mon- iu vita ;
cui n un quant defuit voluntate aqua benedieta i Hel-
gald., m Epitom. vit. Robert.)
AU XIX e SIÈCLE. 19 3
sur ce lit qui rappelait celui du roi du Cal-
vaire, le vertueux monarque ne cessa de
faire le signe de la croix, jusqu'au dernier
soupir (1). Pour un roi, mourir comme un
Dieu : y a-t-il rien qui déroge ? Ce qui dé-
roge, c'est de mourir sans comprendre la
mort, avec l'insensibilité de la bote.
Tu as vu que les martyrs, dans la crainte
de ne pouvoir faire eux-mêmes, avant de
mourir, le signe de la force, se le faisaient
faire par les chrétiens leurs frères. Il en
était de même de nos aïeux, mourant de
mort naturelle. Outre l'exemple de Louis le
Débonnaire que tu viens de lire, je vais t'en
rappeler quelques autres. Pris dans les pre-
miers siècles, ils montrent la perpétuité de
la tradition.
Saint Zénobe, l'ami intime de saint Am-
broise, sur le point de terminer sa belle vie
par une mort précieuse, éleva la main et fit
le signe de la croix sur toutes les personnes
qui l'entouraient. Ensuite il pria les évoques
(I) Gretzer, p. GIT.
l»4 LE SIGNE DE LA CROIX
de faire sur lui de leurs mains consacrées
le signe de la force, de l'espérance et du
salut (1).
Du lit d'un prêtre, passons près de la
couche d'un simple fidèle. Voici une fille
dévouée qui assiste sa tendre, son illustre
mère. Aujourd'hui la plupart se contentent
de donner à leurs plus chers malades des
soins matériels. Ils se reprocheraient de
manquer aux moindres prescriptions du
médecin. Mais l'assistance chrétienne? Mais
les prescriptions du divin médecin et de l'E-
glise notre mère : quelle est leur sollicitude
à les remplir? Aux soins les plus dévoués,
nos aieux, plus intelligents et meilleurs
que nous, ajoutaient les remèdes de l'âme.
Donc, a Bethléem, l'illustre fille des Fa-
bius, sainte Paule, va mourir. Près de son
lit est Euslochium, digne fille de sa mère.
Que fait cet ange de tendresse? « Elle neces-
(1) Elevata aliquantulum manu oranes benedixit
rogavUque ad tantes episcopos, ut sanctissimis suis
mambus eum cruels signo comraunirent. t.lput Sur
2j maii.) r '
AU XIX e SIECLK.
19;
sait, dit saint Jérôme, de former le signe de
la croix sur les lèvres et sur la poitrine de sa
mère, s'efforçant d'adoucir ses souffrances
par l'impression du signe consolateur (1). »
Tu le vois : à la vie et à la mort, le signe
de la croix était, chez nos aïeux, le moyen
constamment employé pour obtenir à soi-
même et aux autres lumière, force, rési-
gnation, courage, espérance. Que le signe
de la croix est donc une grande chose I s'é-
criait avec raison un témoin de ses admi-
rables effets : Magna res signwm crucù (2) !
Demain, nous verrons son efficacité dans un
nouvel ordre de choses.
(1) Eustochium Paula? matris 08 stomachumque si-
gnabat, et matris dolorem crucis impressione niteba-
tur lenire. {In Epitaph. Pauls.)
(•>) S. Elig., De rectitud catech., etc., inter op.
S. Aug., t. VI.
TREIZIEME LETTRE
Ce 8 décembre.
BITeft du signe de la croix dans l'ordre temporel. - Il guérit
toute» les maladies et éloigne tout ee qui peut nous nuire.-
Il seud la vue aux aveugles, l'ouïe aux sourds, la parole aux
muets, 1 usage des membres aux boiteux et aux paralytiques,
guérit, les autres maladies et rend la vie aux morts. "
Indigent dans l'ordre spirituel, l'homme
ne l'est pas moins dans l'ordre temporel.
Son corps et son âme ne vivent que d'au-
mônes. Parmi les biens nécessaires au
corps, il en est deux en particulier, mon
cher ami, que je vais te signaler : la santé
et la sécurité. Le signe de la croix procure
efficacement l'un et l'autre.
La santé. Le Verbe éternel est la vie vi-
vante et vivifiante. Parlant de lui lorsqu'il
conversait parmi les hommes, l'Évangile
LE SIGNE DE LA CROIX AU XIX SIECLE. 197
nous dit cette parole aussi simple que su-
blime : Une vertu sortait de lui qui guéris-
sait toutes les maladies : Virtus deitlo exibat
et sanabat omnes. L'histoire nous apprend
que cette parole s'applique dans toute son
étendue au signe de la croix.
Que les premiers chrétiens se servissent
du signe de la croix pour guérir les mala-
dies, rien n'est mieux établi. Saint Cyrille
et saint Jean Chysostôme, l'un patriarche
de Jérusalem et l'autre de Constantinople,
assurent positivement que le signe de la
croix continuait, à leur époque, comme au
temps de leurs ancêtres, de guérir les ma-
ladies et la morsure des bêtes féroces (I).
Venons aux preuves. Tous les sens de
l'homme sont sujets à la maladie : commen-
çons par le plus noble, la vue. Si, au lieu
de pâlir continuellement sur les auteurs
païens, les jeunes gens étudiaient quelque-
fois les actes des martyrs, ils auraient vu
(I) Hoc signum ad hodiemum diem curât morbos.
(Catech., xm; S. Chrys., In Matth., Hom. 54.)
198 LE SIGNE DE LA CROIX
dans ceux de saint Laurent, l'éclatant mi-
racle que l'Église chante encore aujour-
d'hui, qui per siynum crucis cœcos illumi-
navit.
L'illustre archidiacre de Rome était entré
dans la maison du chrétien. Là, se trouvait
l'aveugle Crescention, qui, fondant en
larmes, se jeta aux genoux du saint et lui
dit : « Mettez votre main sur mes yeux, afin
que je vous voie. » Le bienheureux Laurent,
profondément touché, dit ; « Que Noire-
Seigneur Jésus, qui a ouvert les yeux de
l'ayeugle-né, vous donne la lumière. » En
même temps il fait le signe de la croix sur
les yeux de Crescention, qui voit le jour et
le bienheureux Laurent, comme il l'avait
désiré (1).
Le savant Théodoret raconte de sa propre
mère ce qui suit : « Ma mère avait à l'œil un
mal qui défiait toutes les ressources de la
médecine. On avait feuilleté tous les vo-
lumes, interrogé tous les vieux auteurs,
(I) Apud Sur., 10 aug.
AU XIX SIÈCLE.
199
aucun ne donnait de remède applicable au
mal présent. Nous en étions là, lorsqu'une
amie de ma mère vintla voir.Elle lui parla d'un
homme de Dieu, appelé Pierre, lui racontant
un miracle opéré par lui. La femme du gouver-
neur d'Orient, lui disait-elle, a eu le même
mal que vous. Elle s'est adressée à Pierre,
qui est de Pergame, et il l'a guérie en priant
pour elle eten lui faisant le signe de la croix.
« Ma mère ne perd pas un instant. Elle
va trouver l'homme de Dieu, se jette à ses
pieds, et le conjure delà guérir. Je ne suis,
lui répond-il, qu'un pauvre pécheur, et je
suis loin d'avoir auprès de Dieu le pouvoir
que vous me supposez. Ma mère redouble
ses prières et ses larmes, protestant qu'elle
ne le quittera pas qu'il ne l'ait guérie.
« Dieu, lui dit-il, est le médecin de
ces maux (I). Il exauce toujours ceux qui
croient. Il vous exaucera vous-même, non
en vue de mes mérites, mais à cause de
(1) Le saint raisonnait comme Ambroise Paré, le
père de la chirurgie française : Je le pansai, et Dieu
le guérit.
200
LE SIGNE DE LA CROIX
votre foi. Si donc vous l'avez sincère, vraie,
pure et sans hésitation, laissant de côté les
médecins et les médicaments, acceptez le
remède que Dieu vous donne. A ces mots,
il étend la main sur l'œil, fait le signe de la
croix, et le mal est guéri (1). »
Des faits plus rapprochés de nous vont
te montrer qu'en franchissant les siècles,
le signe de la croix n'a pas cessé d'être le
meilleur oculiste. Saint Éloi, évoque de
Noyon, traversant un des ponts de Paris,
guérit un aveugle, qui, au lieu de l'aumône,
lui demanda de faire le signe de la croix
sur ses yeux (ri).
Un miracle analogue se fit dans la vie de
saint Frobert, abbé d'un monastère, près
de Troyes, en Champagne. Il était encore
enfant, lorsque sa mère, aveugle depuis
plusieurs années, le prit sur ses genoux ;
(1) Hœc cum dixissct, manum imposait oculo, et
salutaris crucis signo facto morbum expulit. (Hist. SS.
Patr. in Petro.)
(2) Vie du suint, par S. Omn, éuéqu« de Rouen
c. xxix.
AU XIX e SIÈCLE.
201
puis, l'embrassant et le caressant, le pria
de lui faire le signe de la croix sur les yeux.
Le jeune saint refusa d'abord ; mais, pressé
par les instances maternelles, il invoqua
le nom du Seigneur, fit le signe de la croix
demandé, et à l'instant sa mère recouvra
la vue (1).
Dans la vie de saint Bernard, Mabillon
cite plus de trente aveugles de tout âge et
de toute condition, en France, en Allema-
gne, en Italie, guéris en présence des rois
et des grands seigneurs, au moyen du signe
de la croix, fait sur eux par le thaumaturge
de Clairvaux (2).
De la vue, passons à l'ouïe et aux autres
sens. Comme Notre-Seigneur lui-même, le
signe de la croix fait entendre les sourds et
parler les muets. Nous voici au milieu de la
grande Rome, dans le palais du préfet. De-
vant nous est un jeune et brillant officier :
il s'appelle Sébastien. Ce nom, illustre en-
tre tous, ne se prononce jamais dans les
(1) Sa vie au -31 décembre.
(2) T. II.
>02
LE SIGNE DE LA CROIX
collèges. Tu apprendras donc à tes cama-
rades que saint Sébastien était commandant
de la première cohorte prétorienne, sous
Dioctétien. En langage moderne, cela veut
dire colonel d'un régiment de la garde im-
périale.
Doué d'une éloquence égale à son intré-
pidité, il employait les dons de Dieu à en-
courager les martyrs, amenés journelle-
ment au prétoire. Un jour Zoë, femme du
préfet de Rome, muette depuis six ans, eut
le bonheur d'assister à un de ses discours.
Elle en fut, quoique païenne, si vivement
touchée, qu'elle se jeta aux genoux du saint,
tâchant de lui faire entendre par gestes
qu'elle désirait être guérie. Elle fut comprise.
Un signe de croix fait sur sa bouche lui
rendit à l'instant la parole, dont le premier
usage fut la demande du baptême (1).
Tu leur diras encore que, par le même
signe, l'immortel abbé de Clairvaux, saint
Bernard a guéri une foule de sourds et de
(I) Ad. de S. Sebast.
AU XIX SIÈCLE.
20 3
muets. A Cologne, une fille sourde depuis
plusieurs années ; à Bourlémont, un en-
fant sourd et muet de naissance; à Bàle,
un sourd; à Metz, un sourd, en présence
d'une foule immense ; à Constance, à Spire,
à Maëstrichl, des sourds et des muets ; à
Troyes, une fille boiteuse et muette, en
présence des évêques Geoffroi de Langres
et Henri de Troyes. Enfin, à Clairvaux, un
enfant sourd-muet qui attendait son arrivée
depuis quinze jours (l).
Pendant que le même saint était à Spire,
où il opérait beaucoup de guérisons mira-
culeuses, arriva Anselme, évoque d'Ha-
velsperg. 11 avait un grand mal de gorge,
en sorte qu'il pouvait à peine avaler ou
parler. Tous devriez aussi me guérir, dit-il
à saint Bernard. Si vous aviez autant de foi
que les bonnes femmes, lui répondit agréa-
blement le saint abbé, je pourrais peut-être
vous rendre le même service. Si ma foi ne
suffit pas, reprit l'évêque, que la vôtre me
(I) Mabillon, ubi supra.
204
LE SIGNE DE LA CROIX
guérisse. Le saint le toucha en faisant le
signe de la croix, et à l'instant la douleur
et l'enflure s'évanouirent (1).
Répandu par tout le corps, le sens du
toucher est celui qui présente une plus
grande surface aux atteintes de la maladie.
Comment détailler les maux, plus doulou-
reux les uns que les autres, auxquels il
est exposé I Si nombreux qu'ils soient, il
est consolant de penser qu'aucun n'échappe
à la puissance salutaire du signe de la croix.
A sa vertu, on reconnaît Celui qui guéris-
sait toute espèce de maladie parmi le peu-
ple, omnem languorem in populo.
Un des évoques les plus saints et les plus
aimables qui aient gouverné le diocèse de
Paris, saint Germain, allait un jour rendre
visite à saint Hilaire de Poitiers, son digne
collègue. Sur son passage, deux hommes
amenèrent, avec beaucoup de peine, une
pauvre femme muette et boiteuse. Le saint
n'eut pas plutôt fait sur elle le signe de la
(1) Signavit eum Pater... et continuo dolor omais-
quo tumor abscessit. {Vit., lib. VI, c. V, n. 19.)
AU XIX SIÈCLE.
2 5
croix, qu'elle recouvra l'usage de la parole
et des jambes. Trois jours après, elle put
venir remercier son bienfaiteur (I).
Môme miracle observé par saint Euthyme,
le grand archimandrite de Palestine. Té-
rébon, fils du gouverneur des Sarrasins
d'Arabie, était depuis sa plus tendre jeu-
nesse paralysé de la moitié du corps.
Ayant ouï parler du saint abbé, il se fit
conduire près de lui, accompagné de son
père et d'un grand nombre de barbares. Le
saint fit le signe de la croix sur Térébon,
et le guérit à l'instant. Cette guérison fut
suivie de la conversion non-seulement du
fils et du père, mais encore des Sarrasins,
compagnons de leur voyage et témoins du
miracle (2).
Longtemps après, saint Vincent Ferrier
opérait en France le même prodige qui avait
réjoui l'Orient. Gomme il était à Nantes, on
lui amena un homme paralytique depuis
(1) Ut signum sanctas crucis expressit, confestim
omnis vigor per membra diffunditur. (Vita,c. xlvi.)
(2) Fleury, Hist. ecct., liv. xxiv, n. 28.
12
206
LE SIGNE DE LA CROIX
dix-huit ans, afin qu'il lui donnât sa béné-
diction. Je n'ai ni or ni argent, dit le saint
au malade; mais je prie Notre-Seigneur de
vous accorder la santé du corps et de l'âme.
Ensuite, il fit le signe de la croix sur ses
membres. Aussitôt le paralytique, guéri, se
leva, rendit grâces à Dieu et au saint, re-
tourna chez lui, et ne ressentit plus rien de
son ancien mal (1).
Telle est quelquefois la violence de la
douleur, qu'elle occasionne des transports
au cerveau et prive ainsi le malheureux
fils d'Adam de la raison et de la santé. Le
signe de la croix force la maladie dans ce
nouveau retranchement. Edmer, historien
de saint Anselme, archevêque de Cantor-
béry, rapporte que ce saint homme, allant
à Cluny, guérit, par le moyen du prix de
la croix, une femme qui avait perdu l'esprit
et qui était furieuse (2).
(1) Mox multa ejus membra cruce consignât, et ille
se sentit incolumis. (Vit., lib. IV.)
(2) Vit. S. Anselm., lib. II.
AU XIX SIÈCLE. 20 7
Saint Bernard fil la môme chose à Se-
chingen et à Cologne. Dans cette dernière
ville on lui présenta une femme frénétique,
depuis la mort de son mari et à l'occasion
de cetle mort. La malheureuse tournait ses
forces contre elle-même, au point qu'on
était obligé de la tenir enchaînée. Le saint
en eut grande compassion. Il fit le signe
de la croix sur elle, et à l'instant le calme et
la raison lui revinrent (I).
Le Verbe Rédempteur, que l'Évangile
nous montre si souvent guérissant les fiè-
vres les plus opiniâtres, a communiqué au
signe de la croix la vertu d'opérer le même
prodige. Saint Prix, évoque de Clermont en
Auvergne, étant venu au monastère de
Darouge, dans les Vosges, trouva l'abbé
Amarin si fortement attaqué d'une fièvre
maligne, qu'il ne pouvait ni marcher ni
rien prendre qu'un peu d'eau. Le saint
évêquc eut recours à son arme ordinaire, et
paya sa bienvenue par un miracle. Il fit le
(I) Mabillon, ubi supra, lib. IV, c. iv, n. 33.
208
LE SIGNE DE LA CROIX
signe de la croix sur le malade, qui se leva
parfaitement guéri (1).
Même puissance à lcgard d'une maladie
liicn plus grave que la fièvre et bien autre-
ment difficile à guérir, l'épilépsîe. Dans la
vie de saint Malachie, archevêque d'Ar-
magh, qui mourut à Clairvaux, saint Ber-
nard dit ; « Avant de partir pour Rome, où
il allait recevoir le pallium des mains du
pape Eugène III, le saint archevêque rendit
la santé à un épileptique, en faisant le signe
de la croix sur la poitrine de ce mal-
heureux , qui tombait plusieurs fois le
jour. »
Saint Bernard lui-même opéra un sem-
blable miracle, en faveur d'une fille de
Troyes, en Champagne. Telle avait été la
force du mal qu'il lui avait ôté l'usage de
l'a parole. Le saint abbé lui imposa les
mains, fil le signe de la croix sur elle, et
(1) Cum vexillum crucis super rpgrum fecisset, pro-
tinus, fugata febro, sanatus reger surrexit. (Vie des
SS., 25 janv.)
AU XIX SIÈCLE.
209
aussitôt, pleine de santé, elle parla en pré-
sence des assistants (1).
A mon exemple, guérissez les lépreux,
avait dit Notre-Seigneur. Ses disciples ont
accueilli cette parole, dont la vertu divine
a passé dans le signe de la croix. Saint
François Xavier remplissait les Indes du
bruit de son nom. Ce bruit vint aux oreilles
d'un lépreux, qui depuis plusieurs années
cherchait en vain sa guérison. N'osant pa-
raître en public, il conjura le saint de venir
le voir.
Xavier, fort occupé, ne put se rendre
aux désirs de cet homme ; mais il lui en-
voya un de ses compagnons avec ordre de
demander trois fois au malade s'il croirait
à l'Évangile, au cas où il serait guéri. S'il
promettait d'embrasser la foi, l'envoyé de-
vait faire le signe de la croix trois fois sur
lui. Tout se passa comme Xavier l'avait
ordonné. A peine le lépreux eut-il fait sa
(1) Signavit eam statimque locuta est. (Mabillon,
ubi supra, c. xiv, n. 47.)
12.
310
LE SIGNE DE LA CROIX
promesse, que son corps devint net, comme
s'il n'avait jamais eu de lèpre (I).
Avant d'aller plus loin, je crois devoir,
mon cher ami, placer ici une remarque de
saint Chrysostome, applicable à la guérison
des maladies, ou à l'éloignement des acci-
dents et des fléaux par le signe de la croix.
Si malgré sa puissance le signe de la croix,
bien qu'il soit fait dans les dispositions con-
venables, ne guérit pas toujours les uns et
n'éloigne pas toujours les autres, ce n'est
pas la vertu qui lui manque, mais c'est qu'il
nous est utile d'être éprouvés (2).
Il est une maladie non moins cruelle que
la lèpre et beaucoup plus commune, c'est
le cancer. Pas plus que les autres infirmi-
tés humaines, il ne résiste à la puissance du
signe de la croix. Écoute ce fait rapporté
par saint Augustin, témoin oculaire.
(1) Vie, liv. V, p. 3 19.
(2) Morbis itnpcrans terribile est hoc noraen, et si
non abigerit morbum, non bine est quod infirmum sit
hoc nomen, sed <]Uod utilis est morbus. [Ad Colons., H,
liomil., ix.)
AU XIX e SIECLE.
211
« A Cartilage, dit-il, vivait une très-pieuse
dame, des plus illustres familles de la ville,
nommée Innocentia. Elle avait au sein un
cancer, mal horrible que les médecins re-
gardent comme incurable. Il faut ou l'ex-
traire jusqu'à la racine, ou, pour procurer
quelque soulagement au malade, employer
sans cesse des liniments. Or, suivant Hippo-
crate, quand la maladie est évidemment mor-
telle, il est inutile de faire souffrir le malade.
« Son médecin, qui était l'ami intime de
la famille, ne lui avait rien caché. Inno-
centia s'était tournée vers Dieu par la prière,
en confiant à lui seul le soin de sa gué-
rison . Une nuit, aux approches de Pâ-
ques, elle est avertie en songe de se rendre
au baptistère du côté des femmes, où at-
tendaient les catéchumènes, et de se faire
faire le signe de la croix sur le membre ma-
lade, par la première des néophytes qui
se présenterait devant elle. Elle obéit, et à
l'instant elle est guérie.
« Le médecin qui lui avait annoncé que
son mal était incurable, l'ayant trouvée
212
LE SrGNlî DE LA CROIX
parfaitement rétablie, s'empressa de lui de-
mander quel remède elle avait employé,
Elle lui raconta ce qui avait eu lieu. Alors,
d'un air indifférent et qui fit craindre à la
bonne dame quelque parole peu respec-
tueuse pour Notre-Seigneur, le médecin lui
répondit : Je m'attendais à ce que vous me
diriez quelque chose d'extraordinaire, ta
voyant de plus en plus inquiète, il se hâta
d'ajouter : Qu'y a-t-il d'étonnant que Jésus-
Christ ait guéri un cancer, lui qui a ressus-
cité un mort de quatre jours (1) ?»
Jamais miracle ne fut mieux attesté : il
eut pour témoin.la ville entière.
Aux maladies naturelles viennent trop
souvent s'ajouter, pour ôter à l'homme la
santé et la vie, les attaques des bêtes féro-
ces ou venimeuses. Le remède à leurs bles-
sures est encore dans le signe de la croix.
« Le saint anachorète Thalasse, écrit Théo-
doret, voyageant la nuit, marcha sur une
(1) Quid grand* fuit Christus sanare cancerum,
qui quatriduanum mortuum suscitavit? (De Civ. Dei,
lib. XXII, c. vin.
AU XIX e SIECLE.
213
vipère endormie. Le reptile se réveille en
fureur et lui enfonce les dents dans la
plante du pied. Le saint se baisse et porte la
main droite à sa blessure. La vipère la lui
mord et n'épargne pas non plus la main
gauche, accourue au secours de la droite.
« Après avoir assouvi sa rage et lui avoir
fait plus de dix blessures, le venimeux
reptile se glisse dans son trou et laisse sa
victime en proie à des douleurs intoléra-
bles. Dans cette circonstance, pas plus que
dans les autres, le serviteur de Dieu ne
crut devoir recourir à la médecine. Pour
guérir ses blessures, il se contenta d'em-
ployer les remèdes de la foi : le signe de la
croix, la prière et l'invocation du nom du
Seigneur (1). »
Maître de la vie, Notre-Seigneur l'est
aussi de la mort. Cet empire souverain se
retrouve dans le signe de la croix. Yoici
(1) Sed neque tune passus est uti arte medica, sed
■vulneribus adhibuit sola fidei medicamenta, crucis-
que signaculum et orationem et Dei iiivocationem.
(In Thalass.)
2 1'
LE SIGNE DE LA CROIX
ce que nous lisons dans la vie de saint Do-
minique. Étant à Rome, il prêchait un jour
dans l'ancienne église de Saint-Marc. Parmi
ses auditeurs était une dame romaine, nom-
mée Guttadone, qui avait une grande dévo-
tion pou rie serviteur de Dieu. Afin d'entendre
le sermon, elle avait quitté un de ses enfants
malade. A son retour elle le trouva mort.
Sans faire éclater sa douleur, elle prit
avec elle ses servantes, et porta son enfant
à saint Dominique. Elle le rencontre sur la
porte du couvent de Saint-Sixte, met l'en-
fant devant lui, se prosterne, et, fondant en
larmes, le prie de lui rendre son fils. Le
saint, ému de compassion, se met à ge-
noux, et, après une courte prière, fait le
signe de la croix sur l'enfant, le prend par
la main, le relève plein de vie, et le rend à
sa mère en lui recommandant un silence
absolu. Mais, dans l'excès de son bonheur,
cette dame publie le miracle, dont Rome
entière est bientôt informée (1).
(1) Vie de saint Dominique, liv. II
c. m.
AU XIX 1 - SIECLE.
215
Deux siècles plus tôt nous trouvons saint
Jean Gualbert. Ce noble et saint militaire
a pardonné à l'assassin de son frère. Dieu
le récompense par la vocation religieuse et
le don des miracles. Du signe de la croix
il se sert comme d'une épée contre le dé
mon. Furieux de ses nombreuses défaites,
le grand homicide arme ses suppôts qui,
pendant la nuit, attaquent le monastèi^,
brûlent l'église, démolissent les bâtiments
et blessent à mort tous les religieux. Le
saint accourt, et d'un signe de croix les rap-
pelle tous à la vie et à la santé (1).
Tu comprends, mon cher Frédéric, que
je me suis contenté de citer une ou deux
guérisons de chaque maladie. Si on vou-
lait les rapporter toutes, d'énormes volu-
mes ne suffiraientpas. Saint Augustin, saint
Chrysostome, saint Cyrille, saint Ephrem,
saint Grégoire de Nysse, saint Paulin et
cent autres témoins de l'Orient et de l'Oc-
cident, dans tous les siècles, prouvent, par
des milliers de faits, que le signe adora-
Il) Voir sa Vie.
2 1G LE SIGNE DE LA CROIX AU XIX" SIÈCLE.
ble de Celui qui est venu pour guérir toute
maladie, n'a pas cessé de rendre la vue
aux aveugles, l'ouïe aux sourds, la parole
aux muets, la santé aux malades et la vie
aux morts.
Voila l'histoire. Ou il faut l'accepter telle
qu'elle est, ou il faut en déchirer toutes les
pages et tomber dans le scepticisme ; ou il
faut en faire une autre plus véridique. De-
mande à tes camarades s'ils sont de force
à l'entreprendre ; puis, quand elle sera
faite, nous verrons.
A demain.
QUATORZIÈME LETTRE
Ce 9 décembre.
Le signe de la croii préservatif contre tout ce qui peut com-
promettre la santé et la vie. — Il appaise les tempêtes. —
Eteint le feu. - Protège contre les accidents. — Arrête les
flots. — Fait rentrer les eaux dans leur lit. — Éloigne les
betes féroces. - Préserve du poison. — De la foudre. — Fait
des créatures des instruments de prodiges.
Puissant pour rendre la santé et la vie,
le signe de la croix, mon cher Frédéric,
ne l'est pas moins pour éloigner ce qui
peut les compromettre. Ici encore les faits
abondent ; mais les limites d'une lettre ne
me permettront que d'en citer quelques-
uns. Depuis la révolte originelle, tous
les éléments, soumis à l'influence du dé-
mon, sont conjurés contre l'homme. L'air,
le feu, l'eau, que sais-je ? lui font une
guerre continuelle et trop souvent meur-
trière. Pour nous défendre, une arme uni-
13
218
LE SIGNE DE LA. CROIX
verselle nous a été laissée, c'est le signe de
la croix.
Le Dieu dont la voix commandait aux
vents et aux tempêtes leur commande en-
core par l'adorable signe de notre rachat.
Nous lisions dans la vie de saint Nicet, évo-
que de Trêves, que, se rendant dans son
diocèse, il s'endormit sur le vaisseau où
il avait pris passage. Au milieu de la tra-
versée, un vent violent soulève les flots,
les voiles sont déchirées, les mâts brisés,
le navire est prêt à sombrer. Les passagers
éperdus réveillent le saint. 11 fait tranquil-
lement le signe de la croix sur les vagues
en fureur, et aussitôt le calme succède à la
tempête (i).
Suivant la foi de l'Église, si explicitement
exprimée dans le Pontifical romain, le dé-
mon est le grand assembleur de nuages.
Sur l'air, son séjour et celui de ses innom-
brables légions, il exerce une influence par-
ti) Excitatus quoque a suis focit signum crucis su-
per aquas et cessavit procella. (S. Grog. Turon., De
yloria coyifess., c. xvn )
AU XIX e SIECLE. 219
ticulière. Combien de fois il s'en sert pour
désoler les campagnes et surtout pour em-
pêcher les hommes de Dieu de travailler à
la destruction de son empire !
Attendu la foule immense qui accourait
à ses sermons, un de ses puissants athlètes,
saint Vincent Ferrier, prêchait presque tou-
jours en plein air. Pour empêcher la pré-
dication, le démon manquait rarement de
former des orages, que le saint était obligé
de dissiper. Un des plus terribles est celui
qu'il conjura avec le signe de la croix et
l'eau bénite, dans un bourg de Catalogne, le
jour des saints apôtres Pierre et Paul, après
avoir célébré la messe et avant d'avoir
quitté les ornements sacerdotaux (1).
Comme l'air, le feu obéit au signe de la
croix. Saint Tiburce, fils du préfet de Rome,
est condamné à offrir de l'encens aux ido-
les, ouàmarcher sur un lit de feu. Le jeune
(1) Sparsit aquam sacratam et deinde crucis ex-
pressif signum, illico tempestas dissipatur... sa?pis-
sime... ortas tempestates crucis signo compescuit.
(Vit, lib. m.)
220
LE SIGNE DE LA CHOIX
martyr fait le signe de la croix et, sans hé-
siter, s'avance au milieu des brasiers. De-
bout et pieds nus sur des charbons ardents :
« Renonce maintenant à tes erreurs, dit-il
au juge, et reconnais qu'il n'y a d'autre
Dieu que le nôtre. Mets, si tu l'oses, ta
main dans l'eau bouillante au nom de ton
Jupiter; et que ce Jupiter, que tu appelles
ton dieu, t'empêche d'en sentir l'ardeur.
Pour moi, il me semble que je marche sur
un lit de roses (1). »
Sulpice Sévère rapporte, comme le te-
nant de saint Martin lui-même, qu'une
nuit le feu prit à la chambre où reposait
le thaumaturge des Gaules. Réveillé en sur-
saut, le saint cherche à éteindre les flam
mes qui déjà dévorent ses vêtements. Inuti-
les efforts ! Tout à coup il revient à lui-
même, et ne songe ni à éteindre le feu ni à
se sauver ; mais, plein de confiance, il fait
le signe de la croix. Les flammes se divi-
sent, et, formant un arc au-dessus de sa
(1) Act. S. Sebast.
AU XIX SIECLE.
221
tête, lui permettent de continuer tranquille-
ment sa prière (1).
Laisse-moi te citer encore un fait per-
sonnel an grand évèque. Ennemi infati-
gable de l'idolâtrie, Martin avait abattu un
temple d'idoles très-fameux et très-ancien.
Restait un grand pin qui en était pro-
che. Il voulut aussi l'abattre, parce qu'il était
un objet de superstition. Le prêtre du dieu
et les autres païens s'y opposèrent. Enfin,
ils disent au courageux évêque : Puisque tu
as tant de confiance en Ion Dieu, nous cou-
perons l'arbre nous-mêmes, à la condition
que tu resteras dessous quand il tombera.
La condition est acceptée.
En présence d'une foule innombrable, le
saint se laissa lier et mettre du côté où l'ar-
bre penchait. Ses compagnons étaient dans
des frayeurs mortelles. Cependant l'arbre à
demi coupé commence à tomber : avant
une minute le vénérable évêque sera écrasé.
(1) Epist. 1 ad Euseb: presbyt., et Vit. S. Martini,
lib. x.
222
LE SIGNE DE LA CROIX
Que fait l'homme de Dieu ? Il élève tran-
quillement la main et forme le signe de la
croix. A l'instant l'arbre se redresse, et, re-
poussé comme par un vent violent, s'en va
tomber du côté opposé. Un cri d'admiration
s'élève, et de l'immense multitude il n'y
eut presque personne qui ne demandât le
baptême (1).
Ce qui a lieu dans les Gaules va se re-
nouveler en Italie. Le vénérable abbé Hono-
rât, fondateur du monastère de Fondi, vit
un jour ce saint asile, où vivaient deux cents
religieux, menacé d'une ruine totale. Du
sommet de la montagne, au pied de laquelle
le monastère est bâti, se détache un rocher
qui va tout écraser sous son poids. Le saint
accourt, invoque le nom du Seigneur, étend
la main droite et oppose au rocher le signe
du salut. La masse énorme s'arrête et de-
meure immobile sur le flanc de la monta-
gne : position qu'elle garde encore aujour-
d'hui (2).
(1) ld. ubi supra.
(2) S. Greg., Dial.,m. I, c. i.
AU XI.V S SIE'-.LE.
2 2. S
De l'Occident passons à l'Orient. Nous
verrons que la puissance souveraine du
signe delà croix n'est limitée ni par la dif-
férence des climats ni par les degrés de
latitude ou de longitude. Écoutons saint
Jérôme : « Le tremblement de terre univer-
sel qui suivit la mort de Julien l'Apostat,
fit sortir les mers de leurs bornes. Comme
si Dieu eût menacé le monde d'un second
déluge, ou que toutes choses dussent re-
tourner dans leur ancien chaos, les vais-
seaux pendaient sur le haut des montagnes,
où les flots en courroux les avaient portés.
Les habitants d'Épidaure, voyant d'effroya-
bles masses d'eau fondre sur les côtes, et
craignant, ainsi qu'il était arrivé autrefois,
que leur bourg ne fût submergé, vinrent
trouver le saint vieillard Hilarion.
« Comme s'ils fussent allés au combat, ils
le mirent à leur tête. Arrivé au rivage, le
sain fait trois signes de croix sur le sable,
et étend les mains vers le déluge qui s'a-
vance en mugissant. A ce signe, il n'est pas
croyable jusqu'à quelle hauteur la mer s'en-
2 2/| LE SIGNE DE LA CROIX
fia et se tint ainsi devant lui. Mais, après
avoir longtemps grondé, comme irritée de
l'obstacle que lui oppose Hilarion, elle s'a-
baisse peu à peu et ramène ses vagues sur
elles-mêmes, sans oser franchir la borne
sacrée. Épidaure et toute la contrée publient
encore ce miracle. Les mères le racontent
à leurs entants, afin d'en faire passer la
mémoire à la postérité (1).»
Voici un l'ait analogue, mais beaucoup
plus récent. Notre historien français, Mé-
zeray, rapporte qu'en 1196 des pluies tor-
rentielles firent déborder les rivières et les
étangs. Il en résulta des inondations qui
ressemblaient à un véritable déluge. On ne
connut d'autre moyen d'arrêter le fléau que
par des prières, des processions et des sup-
plications publiques : il fut employé. A peine
(1) Qui cum tria crucis signa pinxisset in sabulo,
manusque contra tenderet, incredibile dictu est in
quantam altitudiaem intumescens mare ante eum
steterit, ac diu fremens et quasi ad obicem indignans,
paulatim in semetipsum relapsum est. [Vit, S. Hila-
rion., vers, fin.)
AT Xl\ c SIÈCLE.
225
eut-on fait le signe de la croix sur les eaux,
qu'elles se retirèrent incontinent dans leur
lit(l).
Si la verge de Moïse, figure de la croix, a
pu diviser les eaux de la mer Rouge et les
tenir suspendues comme des montagnes,
pourquoi le signe même de la croix ne pour-
rait-il pas faire rentrer dans leur lit des tor-
rents débordés?
Revenons à l'immortelle Thébaïde, et lais-
se-moi te rapporter quelques autres mer-
veilles, dont ses angéliques habitants furent
les acteurs et le signe de la croix, l'instru-
ment. Un d'eux, Julien, surnommé Sabas,
ou le vieillard aux cheveux blancs, traverse
l'aride solitude. Sur son chemin l'attend un
énorme dragon. L'affreux animal jette sur
lui un regard de sang, ouvre une gueule
béante et s'élance pour le dévorer. Sans s'é-
mouvoir, le vénérable anachorète ralentit
le pas, invoque le nom du Seigneur, fait le
(1) llist. de France, t. II, p. 135.
13.
2-26 LE SIGNE DE LA CROJX
signe de la croix, et le monstre tombe
mort (1).
Plus loin, voici saint Marcien, solidaire de
Syrie, qui renouvelle le même miracle.
Comme il faisait oraison à la porte de sa
cellule, Euscbe, son disciple, qui était assez
loin de là, vit un monstrueux reptile, sur le
haut du mur du côté de l'orient, et prêt à
s'élancer sur le saint pour le dévorer. Eu-
sébe, épouvanté, crie de toutes ses forces
pour avertir son maître, en le conjurant de
s'enfuir.
Marcien le reprend de sa frayeur, et fait
le signe.de la croix en soufflant contre l'af-
freuse bête. On voit alors l'effet de la parole
primitive : J'établirai une guerre à mort entre
sa race et la tienne. L'air sorti de la bouche
du saint fut comme une flamme qui embrasa
ce dragon, de telle sorte qu'il tomba par
1) At ego Dei nomen appellans, digitoque trophaeum
crucis ostendens, et omnem metum excussi, et bel-
luara extemplo corruentem vidi. (Theodoret, Relig.
hist., c. il.)
au \ix c siècli . m
pièces, ainsi qu'un roseau brûlé par le
feu (1).
Il serait aisé de multiplier les faits accom-
plis dans ces lieux à jamais célèbres. M lis,
pour grouper les merveilles du môme genre,
venons en Italie, sauf à retourner encore en
Orient. Saint Grégoire le Grand rapporte
que saint Amance, prêtre de Tipheme, au-
jourd'hui Città di CasteIlo,en Ombrie, avait
un tel empire sur les serpents les plus cruels,
les plus terribles, qu'ils ne pouvaient tenir
devant lui. D'un signe de croix il en faisait
périr autant qu'il en trouvait. Se sauvaient-
ils dans leur trou, Amance les scellait du
signe de la croix, et le serpent en était tiré
mort, tué par une puissance invisible. C'é-
tait l'accomplissement de la parole du Maî-
tre: Ils tueront les serpents, serpentes Col-
lent (2).
(1) Digito crucis signum expressit, et ore insufflons
vi'tcros inimicitias patefecit; mox enim draco, spiritu
oris veluti flamma quadam correptus, esustœ in tar
arundinis, in multas partes dissectus est. [Ibid., c. in.)
(2) In quolibet loco, quamvis immanissimss asperi-
iSS
LE SIGNE DE LA CROIX
Tu sais que notre Seigneur ajoute immé-
diatement : El s'ils boivent quelque chose
d'empoisonné, ils n'en ressentiront aucun
mal : Et si martiferum quid bibennt, non eis
nocebit. Quelques preuves entre mille. La
ville de ISosra, dans l'Idumée, avait pour
évoque saint Julien. Eu haine de la religion,
quelques notables habitants formèrent le
complot de l'empoisonner. Ils corrompirent
le serviteur de l'évoque, lui procurèrent du
poison et le chargèrent de le mettre dans
la coupe de son maître, Le malheureux
obéit.
Divinement instruit de ce qui s'était pas-
sé, le saint prend la coupe, la dépose devant
lui, et, sans y toucher, dit à son serviteur :
« Va de ma part prier à dîner les principaux
habitants de la ville. » Il savait que parmi
eux se trouveraient les coupables. Tous se
rendent a l'invitation. Alors le saint hom-
me, qui ne voulait diffamer aucun d'eux,
tatis serpontem r^pororit, mox ut eum signo crucis
ngnaverit, exstinguit. [Dialog., Bb. III, c. xxxv.;
■I
AU XIX e SIÈCLE.
229
leur dit avec une douceur angélique : « Puis-
que vous voulez empoisonner l'humble Ju-
lien, voici le poison, et je vais le boire. »
A ces mots, il fait trois fois le signe de la
croix sur la coupe, en disant : « Au nom du
Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, je bois
cette coupe. » Il l'épuisé jusqu'à la dernière
goutte et ne ressent aucun mal. A ce spec-
tacle ses ennemis tombent à ses pieds et lui
demandent pardon (1).
Il faut être bachelier du dix-neuvième siè-
cle, pour ignorer le fait suivant. S'il est un
homme dont la vie devait être connue de
tous et dans tous ses détails, c'est à coup
sûr le patriarche des moines en Occident
saint Benoît. Nouveau Moïse, n'est-ce pas à
lui et à ses enfants que l'Europe doit d'avoir
(!) Voce mitissima omnibus dixit : Si arbitramini
humilem Julianum veneno occidere, ecco coram vo-
is pestiferum calicera bibo : signansque ter digito
suo calicem, et dicens : In nomine Patris et Filii et
Spiritus Sancti, bibo hune calicem. Bibit illum coram
omnibus totum, atque illœsus perstitit. Quod illi cum
vidissent,prostrati veniampetiore. (Sophron., inPrat.
Sfiir.)
î 3
LE SIGNE DE LA CROIX
été tirée de la barbarie? Montrez une lande
matérielle ou morale, que le bénédictin n'ait
pas défrichée ? Un principe civilisateur qu'il
n'ait cultivé, enseigné, pratiqué? Dieu sait
au prix de quels efforts.
Ce que nous savons, c'est que Satan, le
vieux Pharaon, ne recula devant aucun
moyen pour empêcher l'œuvre libératrice.
A peine retiré dans la solitude, Benoît voit
venir à lui quelques moines indignes de ce
nom, qui le prient de les prendre sous sa
conduite. Le saint leur impose une règle,
et par ses paroles comme par ses exemples
s'efforce de les soumettre au joug de la dis-
cipline.
Vains efforts ! Les exemples blessent leur
orgueil, les paroles provoquent leur colère
et arment leur haine. La résolution est prise
d'empoisonner le vénérable supérieur. Ils
mêlent du poison dans du vin et en rem-
plissent un verre qu'ils lui présentent à
table, afin qu'il le bénît, suivant l'usage du
monastère. Benoît étend la main, forme le
signe de la croix ; et par ce signe sacré,
AU XIX e SIÈCLE. 231
comme d'un coup de pierre, le verre em
poisonné vol en éclats. Le saint comprit
qu'on lui avait présenté une coupe de mort,
qui n'avait pu soutenir le signe de la vie (1).
Par ces exemples et par mille autres, tu
vois, cher ami, quelle puissante prière est
le signe de la croix, de combien de grâces
il nous enrichit, de combien de dangers il
préserve notre frôle existence. Venons à une
nouvelle application du signe protecteur.
En France, en Espagne, en Italie, et je
crois aussi, dans ton pays, les catholiques
ont coutume, lorsqu'il tonne ou qu'il éclai-
re, de faire le signe de la croix. Ceux qui
ne doutent de rien prennent cela pour une
faiblesse : comme si les vrais catholiques
des dix-huit siècles qui nous précèdent,
étaient tous des esprits faibles et des bon-
nes femmes superstitieuses.
(1) Extensa manu Benedictus signum crucis edidit,
et vas quud longius tenebatur eodem signo rupit, sic-
que confractum est, ac si in illo vase mortis pro cruce
lapidem dedisset. Intellexit protinus vir Dei quia po-
tura mortis habuerat, quod portare non potuit signum
vit». (S. Greg., Dialog., lib.II, c. m.)
232
y
LE SIGNE DE LA CROIX
Or, dansle cas indiqué, et même dans tout
danger imprévu, nous voyons le signe de la
croix en usage, parmi les chrétiens de l'O-
rient et de l'Occident, dès les premiers âges
de l'Eglise. Saint Êphrem, saint Augustin,
saint Grégoire de Tours, mille autres té-
moins l'ont vu pour nous et l'attestent. «Si
tout à coup, dit le saint diacre d'Édesse,
l'éclair déchire la nue, si le tonnerre éclate
avec fracas, l'homme a peur, et, tous effrayés
nous nous inclinons vers la terre (I). »
Parlant de ceux qui fréquentent les as-
semblées mondaines, saint Augustin ajoute':
« Si par hasard quelque chose leur fait
peur, aussitôt ils forment le signe de la
croix (2). »
(1) Si repente fulgur aliquod vel tonitruum clarius
ac vastius contingat, omnem subito sui formidine per-
terret hominem, cunctique horrore percussi in ter-
rant nos inclinamus. (Ser. de cruce.) Le Saint parle
du signe de la croix, et, bien qu'il ne le nomme pas,
il est bien évident qu'il avait lieu dans cette circons-
tance, puisqu'on ne manquait pas de le faire à cha-
que instant et dans les actions les plus ordinaires.
(2) Si forte aliqua ex causa expavescant, continuo
se signant. (Lib. L Homil., homil. 21.)
AU XIX SIECLE.
23 3
Saint Grégoire rapporte, comme une
chose de notoriété publique, que sous l'im-
pression d'une crainte et à la vue d'un 'dan-
ger quelconque, les chrétiens recourent au
signe protecteur. Ce n'est pas en vain : en-
tre mille le fait suivant en est une preuve.
Deux hommes allaient de Genève à Lau
sanne. Bientôt éclate un violent orage, ac-
compagné de vifs éclairs et de coups de ton-
nerre répétés. Suivant la coutume tradition-
nelle des chrétiens, un des voyageurs s'em-
presse de faire le signe de la croix. L'autre,
se moquant, lui dit : « Est-ce que tu chasses
les mouches ? Laisse donc ces superstitions
de bonne femme. De pareilles momeries
déshonorent la religion et sont indignes
d'un homme éclairé. »
Il n'avait pas fini, qu'un coup de tonnerre
l'étend roide mort aux pieds de son compa-
gnon. Plus que jamais celui-ci continue de
se protéger par le signe de la croix. Son
voyage s'achève heureusement, et il raconte
dans tout le pays ce qui était arrivé (1).
(1) Tilman., Collect. des SS. Pères, liv. VII, c. lviii.
234
LE SIGNE DE LA CROIX
Avis aux esprits forts, assurés contre la
foudre.
Le signe de la croix ne protège pas seu-
lement la vie de l'homme; il est encore un
gage de sécurité pour tout ce qui lui appar-
tient. De là vient l'usage universel du signe
libérateur sur les maisons, les champs, les
fruits, les animaux.
« Les catholiques, dit le grave Stuckius,
ont des prières accompagnées du signe de
la croix pour toutes les créatures en parti-
culier, les eaux, les feuilles, les fleurs, l'a-
gneau de Pâques, le lait, le miel, le fromage,
le pain, les légumes, les œufs, le vin, l'huile
et les vaisseaux qui les contiennent. Dans
chaque formule ils demandent expressé-
ment l'éloignement de la puissance malfai-
sante du démon, et la santé du corps et de
l'âme.
« Le jour de la Résurrection, ils bénis-
sent le lait, le miel, les viandes, les oeufs,
les pains, toutes choses qu'on garde ou
qu'on donne comme étant salutaires à l'âme.
Le jour de l'Assomption : les herbes, les
AU XIX e SIECLE.
235
plantes, les racines, les fruits des arbres,
afin de leur communiquer une vertu di-
vine.
« Le jour de Saint-Jean : le vin, regardé,
sans cela, comme impur et principe de mal.
Le jour de Saint-Étienne : les pâturages. Le
jour de Saint-Marc : les blés. Ils suivent en
cela le précepte de saint Paul, qui ordonne
aux fidèles de bénir tout ce qui sert à la vie
et de rendre grâces : usages mystérieux dont
les théologiens donnent d'excellentes rai-
sons (1). »
A leur tour, ces créatures délivrées des
influences du démon deviennent, grâce au
signe delà croix, les instruments de la puis-
sante bonté du Créateur.
On lit dans saint Grégoire de Tours qu'une
maladie pestilentielle faisait de tels ravages
parmi les animaux, qu'on était à se deman-
der si les espèces ne disparaîtraient pas en-
tièrement. Dans leur désolation, quelques
(1) Cujus sane rei a theologis, et quidem optimœ.
gravissimœque rationes afferuntur. (Antiq. convivial.,
Mb. II, c. xxxvi, p. 430.)
236
LE SIGNE DE LA CROIX
habitants des campagnes vinrent à la basi-
lique de Saint-Martin, et prirent de l'huile
des lampes avec de l'eau bénite, b'ayant
portée dans leurs maisons, ils en firent le
signe de la croix sur la tète des animaux
que le fléau n'avait pas encore atteints, et
en donnèrent à boire à ceux qui étaient
près de périr : à l'instant tous furent
sauvés (1).
Citons un dernier exemple de la puis-
sance protectrice du signe de la croix. Saint
Germain, évoque de Paris, allait au-devant
des reliques de saint Symphorien, martyr.
Gomme il passait dans un village, les habi-
tants vinrent le supplier d'avoir compassion
d'une pauvre veuve nommée Panitia, dont
le petit champ de blé était ravagé par des
ours. « Yenez, lui dirent-ils, voir ce pauvre
champ, et que les botes malfaisantes fuient
à votre présence ! »
Malgré l'opposition de ceux qui l'accom-
pagnaient, le saint se rendit sur les lieux, se
l\) Mox dicto citius clandestins peste propulsa, pe-
cora liberata sunt. (Lih. III, Miracul S. Mort., c. xvm.)
AU XIX e SIECLE. 237
mit en prière, et fit le signe de la croix sur
le petit héritage. Bientôt deux ours arrivent;
mais, transportés de fureur, ils se jettent
l'un sur l'autre. Un des deux reste sur le
champ de bataille. L'autre, gravement
blessé, est tué d'un coup d'épieu, et la pau-
vre veuve n'a plus à déplorer la perle de sa
récolte (1).
L'histoire abonde en faits semblables;
mais c'est assez pour aujourd'hui.
(1) Fortunat., In vit. S. Germ.
QUINZIÈME LETTRE
Ce 10 décembre.
Réponse à une question. — Le signe de la croix est une arme
qui dissipe l'ennemi. — La vie est une lutte. — Contre qui.
Nécessité d'une arme à la portée de tous. — Quelle est cette
arme? — Preuves que le signe de la croix est l'arme spéciale,
l'urine de précision coutre les mauvais esprits.
Si tu communiques ma dernière lettre à
les camarades, il est probable, mon cher
ami, qu'ils te diront: Le signe de la croix
est aussi puissant qu'on vous l'écrit, pour-
quoi ne fait-il plus ce qu'il a fait? A cette
question il y a plusieurs réponses.
La première est donnée par saint Au-
gustin. En parlant des miracles, le grand
docteur fait une observation très-juste. Il
dit : « Les miracles rapportés dans le ca-
non des livres saints ont une grande publi-
cité. Tout le monde lisant ou entendant
AU XIX SIÈCLE. 239
lire l'Écriture, personne ne les ignore. Il
en devait être ainsi, puisqu'ils sont les preu-
ves de la foi.
« Aujourd'hui encore il se fait des mira-
cles au nom de Notre-Seigneur, par les sa-
crements, par les prières et aux tombeaux
des saints; mais ils n'ont pas, à beaucoup
près, la môme notoriété que les premiers.
On les connaît là où ils se font, et même
si la ville est considérable, c'est à peine si
tout le monde en a connaissance. Il arrive
môme souvent qu'un très petit nombre en
sont informés. Quand ils les racontent ail-
leurs et aux autres, l'autorité de leur té-
moignage n'est pas telle, qu'on les admette
sans difficulté et sans hésitation, bien que
rapportés par des chrétiens à des chré-
tiens (1). »
(1) Nam plerumque etiam ibi paucissimi sciunt,
ignorantibus caeteris, maxime si magna sit civitas ; et
quando alibi aliisque narrantur, non tanta ea com-
mandât auctoritas, ut sine difficultate vel dubitatione
credantur, quamvis cbristianis fidelibus a fidelibus
indicentur. {De Civ. Dci, lib. XVII, c. vm.)
240
LE SIGNE DE LA CHOIX
En preuve de ce qu'il avance, le saint ra-
conte plusieurs miracles opérés sous ses
yeux, dont quelques-uns par le signe de la
croix. Ainsi, de ce que tes camarades ou
d'autres personnes ne connaissent pas les
miraclesaccomplisde nos jours par le signe
de la croix, ce n'est pas une raison de con-
clure qu'il n'en fait plus.
A cette première réponse s'en joint na-
turellement une seconde. Elleestd'un autre
grand docteur, le pape saint Grégoire. Dis-
tinguant les temps anciens des temps nou-
veaux : « Au commencement de l'Église,
dit-il, les miracles furent nécessaires. C'est
par eux que la foi des peuples devait s'affer-
mir. Lorsque nous plantons un arbre, nous
l'arrosons jusqu'à ce qu'il ait pris racine.
Le jour où nous en sommes assurés, l'arro-
sement finit. Voilà pourquoi l'apôtre dit:
Le don des langues est un signe non pour
les fidèles, mais pour les infidèles (I). »
(1) Bine est enim quod Paulus dicit : Linguas in
signum sunt, non fidelibus, sed infidolibus. (//<
sus, in kvang.)
AU XIX SIÈCLE. 2 '. 1
Il en est de la culture morale comme de
la culture matérielle. Aujourd'hui que le
christianisme a pris racine dans les entrail-
les du monde, les miracles ne sont plus, à
beaucoup près, aussi nécessaires que dans
le moment de la divine plantation. Il y a
quinze cents ans que saint Augustin disait
déjà: De nos jours, celui qui pour croire
demande des prodiges, est lui-même le plus
grand des prodiges (1).
Pour un instant, replace le monde dans
les circonstances où il se trouvait à la nais-
sance de l'Église, et tu verras le signe de la
croix renouveler tous ses anciens miracles.
Écoute l'histoire contemporaine :
« Le croiriez-vous ? écrit un de nos évo-
ques missionnaires, dix villages se sont
convertis. Le diable est furieux et fait les
(1) Cur, inquiunt, nunc illa miracula, quœ prœdi-
catis facta esse, non flunt ? Possem quidem dicere,
necessaria fuisse priusquam crederet mundus, ad hoc
ut crederet mundus. Quisquis adlmc prodigia ut cre-
dat inquirit, magnum est ipse prodigium qui mundo
credente non crédit. (Ubi suprà.)
14
2 4 2
LE SIGNE DE LA CROIX
cent coups. Il y a eu, pendant les quinze
jours que je viens de prêcher, cinq ou six
possessions. Nos catéchumènes, avec l'eau
bénite et le signe de la croix, chassent les
diables, guérissent les malades. J'ai vu des
choses merveilleuses. Le diable m'est d'un
grand secours pour convertir les païens.
Comme au temps de Notre-Seigneur, quoi-
que père du mensonge, il ne peut s'empô-
cher de dire la vérité. Voyez ce pauvre pos-
sédé, faisant mille contorsions et disant à
grands cris : Pourquoi prôches-tu la vraie
religion? Je ne puis souffrir que tu m'enlè-
ves mes disciples. — Comment t'appelles-
tu? lui demande le catéchiste. Après quel-
ques refus : Je suis l'envoyé de Lucifer. —
Combien êtes-vous?— Nous sommes vingt-
deux. L'eau bénite et le signe de la croix
ont délivré ce possédé (1). »
Mais en admettant, ce que je n'admets
pas, que le signe de la croix ne fait plus de
(1) Lettre de M" Anouilh, évoque d'Abydos, mis-
sionnaire en Chine. - Tching-Ting-Fou, province
de Pékin, 12 mars 1862.
AU XIX SIÈCLE.
243
miracles chez les peuples chrétiens, par
combien d'efl'ets surhumains ne révèle-t-il
pas sa puissance, à chaque heure du jour et
de la nuit, dans tous les lieux de la terre
chrétienne? Si tu supposes cent millions de
tentations dans un jour, tiens pour certain
que plus des trois quarts sont dissipées par
le signe de la croix. Qui n'en a pas fait l'ex-
périence pour lui-même? Pars de là; et, te
rappelant ce que tu fais, les autres le font,
tu pourras mesurer la puissance permanente
et universelle du signe libérateur.
Je vais plus loin, et j'admets que le signe
de la croix ne réussit pas toujours à chasser
les pensées importunes, à dissiper les char-
mes séducteurs, à retenir l'âme sur le pen-
chant de l'abîme : à qui la faute? N'est-ce
pas au peu de foi des chrétiens de nos jours?
Ne faut-il pas dire de l'inefficacité du signe
de la croix, ce qu'on dit avec raison de l'inu-
tilité de la communion pour un grand nom-
bre : le défaut n'est pas dans la nourriture,
mais dans les dispositions de celui qui
mange : Defectus non in cibo est, sedin eden-
tù dispositione?
2«
LE SIGNE HE LA CHOIX
G'eslen vue de guérir ce défaut de foi qui
appauvrit et qui ruine les chrétiens, que j'ai
entrepris notre correspondance. Je vais la
continuer en développant un nouveau titre
du signe de la croix à la confiance des ca-
tholiques du dix-neuvième siècle.
Soldats, le signe de la choix est une
ahme qui dissipe l'ennemi. — II y a plus de
trois mille ans que Job a défini la vie : Une
lulteincessante : mililiaest vita hominis super
terrain. Les siècles ont passé ; les générations
ont succédé aux générations; les empires
ont fait place à d'autres empires ; vingt fois
la face du monde s'est renouvelée, et la dé-
finition de Job reste toujours vraie.
La vie est une lutte, lutte pour toi comme
pour moi, comme pour tes camarades ; pour
le riche comme pour le pauvre. Lutte com-
mencée au berceau, pour ne finir qu'à la
tombe ; lutte de tous les instants du jour et
de la nuit, en santé comme en maladie.
Lutte décisive : de la victoire ou de la dé-
faite dépend non la fortune, non la santé,
non les avantages temporels que nous esti-
AU XIX SIECLE.
245
mons si fort, mais, infiniment plus que tout
cela : une éternité de bonheur ou une éter-
nité de malheur. Telle est, mon cher ami,
la condition de l'homme ici-bas : nous ne
pouvons rien y changer.
Quels sont ses ennemis, les tiens et les
miens? Eh! qui ne les connaît non-seule-
mentpar leur nom, mais par leurs attaques?
Le démon, la chair, le monde : trois puis-
sances formidables acharnées à notre perte.
N'ayant nullement la pensée de te faire un
cours complet d'ascétisme, je m'occuperai
seulement de la première.
Aussi certain qu'il y a un Dieu, aussi cer-
tain il est qu'il y a des démons. « Pas de
Satan, pas de Dieu, » disait Voltaire; et il
avait raison. S'il n'y a pas de Satan, il n'y a
pas de chute; pas de chute, pas de rédemp-
tion; pas de rédemption, pas de christia-
nisme, tout est faux : le genre humain est
fou, et Dieu n'est pas.
Or, les démons sont des anges déchus.
Par l'intelligence, par la force, par l'agilité,
ils sont bien supérieurs à l'homme. Leur
24 6 LE SIGNE DE LA CROIX
nombre est incalculable. Jusqu'au jugement
dernier, ils ont pour séjour l'enfer et l'at-
mosphère qui nous environne. Jaloux des
fils d'Adam appelés au bonheur qu'ils ont
perdu, leur occupation du jour et de la nuit
consisteà nous tendre des pièges, à fomenter
nos passions, à faire naître des situations
dangereuses, à obscurcir en nous le regard
de la foi, à émousser le sens moral, à étouffer
le remords, à nous faire les complices de leur
révolte, pour nous faire les compagnons de
leur supplice. Toutes ces vérités, je le répète,
sont aussi certaines que l'existence de Dieu.'
Tyrans de l'homme par le péché, les dé-
mons le sont des créatures soumises à
l'homme : le roi vaincu, son royaume ap-
partient au vainqueur. Répandus dans tou-
tes les parties de la création et dans chaque
créature en particulier, ils les pénètrent de
leurs malignes influences. Dans les limites
du pouvoir qui leur est abandonné, ils en
font les instruments de leur haine contre
l'homme, contre son âme et contre son corps.
C'est encore un dogme de la foi universelle.
AU XIX e SIECLE.
247
Que sait celui qui l'ignore? Rien. Celui
qui en doute? Moins que rien. Celui qui le
nie ne compte plus parmi les êtres intelli-
gents.
Étant donnés la lutte et l'homme tels
qu'ils sont, concevrais-tu que la sagesse di-
vine eût laissé le genre humain sans défense?
Comment ne pas comprendre, au contraire,
comme on comprend que deux et deux font
quatre, que, pour équilibrer la lutte, Dieu a
donné à l'homme une arme puissante, uni-
verselle, toujours sous sa main et à la portée
de tous? Quelle est cette arme?
Interrogeons tous les siècles, surtout les
siècles chrétiens. D'une voix unanime, ils
répondent que c'est le signe de la croix.
L'usage constant qu'ils en ont fait affirme
leur réponse. Ce point de vue illumine toute
l'histoire du signe adorable. Il en montre la
raison; il justifie hautement la conduite des
premiers chrétiens, et non moins hautement
il condamne la nôtre.
Que le signe de la croix soit l'arme spé-
ciale, l'arme de précision contre Satan et ses
248
LIC SIGNE DE LA CROIX
anges, rien n'est plus certain. Dis-moi •
quand on veut connaître la valeur d'un ca-
non, d'une carabine, ou de telle autre arme
de nouvelle invention, quelle est la manière
de procéder?
On ne s'en rapporte pas aveuglément à
I inventeur. L'autorité nomme une commis-
sion. L'arme est essayée en présence de ju-
ges compétenls. Les expériences, constatées
par eux, décident du mérite de l'engin de
guerre soumis à leur examen.
Qu'il en soit de môme pour le signe de la
croix. Rappelle-toi seulement que le signe
divin n'est pas une arme de nouvelle fabri-
que Elle est vieille, très-vieille; mais elle
n est ni rouillée, ni affaiblie, ni hors de ser-
vice. Quant au jury d'examen, il est formé
depuis longtemps, et ne laisse rien à désirer
1 se compose des hommes les plus compè-
re l'Orient et de K)c^^
pcciaux, qui, d'ancienne date, connaissent
1 arme en question et le métier de la guerre
non-seulement en théorie, mais en pratique.'
Vo,là le tribunal; écoute son jugement
AU XIX SIÈCLE.
249
Croyait-il à la puissance du signe de la
croix et à la bonté de cette arme divine con-
tre les démons, le juge qui exprime son vote
en ces termes? « Ne sors jamais de ta mai-
son sans faire le signe de la croix. Il sera
pour toi bâton, arme, tour inexpugnable.
Ni bomme, ni démon n'osera t'attaquer, en
te voyant couvert d'une pareille armure.
Qu'à toi-même ce signe apprenne que tu es
un soldat prêt au combat contre le démon,
et luttant pour la couronne de justice.
Ignores-tu ce qu'a fait la croix? La mort
vaincue, le péché détruit, l'enfer vidé, Satan
détrôné, l'univers ressuscité : et tu doute-
rais de sa puissance (1) ! »
Y croyait-il, ce second juge dont voici les
paroles? « Le signe de la croix est l'armure
invincible des chrétiens. Soldat du Christ,
que cette armure ne te quitte jamais, ni le
(1) ... Sed cum os januœ vestibula transgrossurus...
crucem in frontc imprime. Ignoras quanta crux per-
fecit? mortem dissolvit; peccatum extinxet; orcum
inanem reddidit ; diaboli solvit potentiam... totum or-
bemexsuscitavit;ettuinipsa non confidis! (S. Chrys.,
HomiL, xxii, ad popul. Antioch.)
25 LE SIGNE DE LA CHOIX
jour, ni la nuit, ni dans aucun instant ni
dans aucun lieu. Sans elle n'entreprends
ncn. Mais que tu dormes ou que tu voyages,
que tu veilles ou que tu travailles, que tu
manges ou que tu boives, que tu navigues
sur mer ou que tu traverses les fleuves, sois
toujours revêtu de cette cuirasse.
« Orne et protège chacun de tes membres
de ce signe vainqueur, et rien ne pourra te
nuire. Nul bouclier aussi puissant contre les
traits de l'ennemi. A la vue de ce signe, les
puissances infernales, effrayées et tremblan-
tes, prennent la fuite (1). »
Y croyait-il, ce troisième juge qui adresse
aux chrétiens et à lui-môme la recomman-
dation suivante? «Faisons hardiment le si-
gne de la croix. Lorsque les démons le
(I) Armemur insuperabili bac christianorum arma
tura bac te lorica circumtego, membraque tua om-
ma salutan slKno exorna atque circumsepi, et non
«cèdent ad te mala... Sunt enim vehementer Con-
tran., , C | 13 lnimici . Hoc sjgno conspecto adversariœ
potestates conterrita.. trementesque recedunt.(S. Epli
SmÎSÏ " de P ' J " ilen " apud Gretz °' p - * 80 '
AU XIV e SIÈCLE.
251
voient, ils se rappellent le Crucifié, ils pren-
nent la fuite, se cachent et nous laissent (1). »
Et ce quatrième, qui dit : « Portons sur
nos fronts l'immortel étendard. Sa vue fait
trembler les démons. Eux qui ne craignent
pas les Capitoles dorés, ont peur de la
croix (2). h
Ainsi juge l'Orient par l'organe de ses
plus grands hommes, saint Chrysostome,
saint Éphrem, saint Cyrille de Jérusalem,
Origène, auxquels il serait aisé d'ajouter
d'autres noms également respectables.
Écoutons l'Occident. Saint Augustin disait
aux catéchumènes : « C'est avec le symbole
et le signe de la croix qu'il faut marcher à
l'ennemi. Revêtu de ces armes, le chrétien
triomphera sans peine de son antique et su-
(1) Hoc signum ostendamus audacter, quando enini
diminues crucom viderint, recordantur crucifixi...
cfl'ugat daimones, déclinant, recedunt, (S. Cyi-ill.,
Catech., xin.)
(2) Immortale vcxillum portemus iu frontibus nos-
tris, quod, ciim dœmones viderint, contremiscent ;
qui aurata capitolia non timent, crucem timent.
Orig., Homil. vu, in divers. Eoung. locis.)
S59
LE SIGNE DE LA CROIX
perbe tyran. La croix suffit pour faire éva-
nouir toutes les machinations des esprits de
ténèbres (1). »
Son illustre contemporain, saint Jérôme :
« Le signe de la croix est un bouclier qui
nous met à couvert des floches enflammées
du démon (2J. »
Ailleurs : a Faites souvent le signe de la
croix sur votre front, afin de ne pas donner
prise à l'exterminateur de l'Egypte (3). »
Et Lactance : « Quiconque veut connaître
la puissance du signe de la croix, n'a qu'à
voir combien ce signe est redoutable aux
démons : adjurés au nom de Jésus-Christ,
il les fait sortir des corps des possédés. Qu'y
a-t-il d'étonnant? Lorsque le Fils de Dieu
était sur la terre, d'une parole il mettait les
(I) Noverint cum symboli sacramento et crucis
vexiUo ei debere occurri, ut talibus armis indutua
facile jroical christiairas, de cujus oppressions malean-
tea tpiumphaveral neqnissimus. (Lib. detymb., ci.)
(V Scutum fldei, in quo ignit» diaboli exstinguun-
tnrsagitt». [Ep. xvm, ad Eustoch.)
(3) Crebro -iu-naculo crucis nmnias frontem tuam
pti in te locum reparlât. (Bpist.
Demetriad.)
AU XIX e SIÈCLE.
253
démons en fuite, et rendait le repos et la
santé à leurs malheureuses victimes. Au-
jourd'hui ses disciples chassent les mômes
esprits immondes, au nom de leur maître et
par le signe de sa passion (1). »
L'Orient et l'Occident ont parlé. Les juges
les plus compétents proclament le signe de
la croix une arme excellente, l'arme spéciale
contre le démon. Des expériences en nom-
bre incalculable servent de base à leur juge-
ment. Aux premiers siècles de l'Église elles
se répétaient chaque jour, en présence des
chrétiens et des païens, sur tous les points
de la terre.
Elles étaient tellement concluantes, qu'un
témoin oculaire, le grand Athanase, disait
sans crainte d'ôtre démenti : « Par le signe
de la croix tous les artifices de la magie sont
impuissants, tous les enchantements ineffi-
caces, toutes les idoles abandonnées. Par lui
sont modérées, apaisées, arrêtées les fou-
Ci) ... Ita nunc soctatores cjus eosdem spiritus in-
quinatos de hominibus et noraine magistri sui et signo
passioms excludunt. (Lib. IV, c. xxvn.) '
15
254
LE SIGNE DE LA CROIX
gues de la volupté la plus brutale, et l'âme
courbée vers la terre se relève vers le ciel.
« Autrefois les démons trompaient les
hommes en prenant différentes formes ; et,
se tenant au bord des fontaines et des fleu-
ves, dans les bois et sur les rochers, ils sur-
prenaient par leurs prestiges les mortels
insensés. Mais, depuis la venue du Yerbe
divin, leurs artifices sont impuissants, le
signe de la croix suffit pour démasquer
toutes leurs fourberies.
« Quelqu'un veut-il faire l'épreuve de ce
que je dis? 11 n'a qu'à venir au milieu des
prestiges des démons, des impostures des
oracles, des miracles de la magie ; qu'il fasse
le signe de la croix en invoquant le nom du
Seigneur, et il verra comment, par crainte
de ce signe sacré, les démons s'enfuient, les
oracles se taisent, les charmes et les malé-
fices sont frappés d'impuissance (1). »
Je vais te citer quelques-unes de ces expé-
(1) Signo crucis omnia magica compescuntur, vcno-
ficia inefiicacia liant, idola universa relinquuntur.
Lib. de Incarnat. Yerb.)
AU XIX e SIÈCLE.
•55
riences.Le précepteur du fils de Constantin,
Lactance, qui connaissait mieux que per-
sonne les secrets de la cour impériale,- rap-
porte celle-ci : « Pendant qu'il était en
Orient, l'empereur Maximin , très-curieux
scrutateur de l'avenir, immolait un jour des
victimes, et cherchait dans leurs entrailles
le secret des choses futures. Quelques-uns
de ses gardes, qui étaient chrétiens, firent
sur leur front le signe immortel, immortale
signum. A l'instant les démons se sauvent,
et le sacrifice demeure muet (1). »
Si, à la vue du signe de la croix, le démon
est obligé de fuir de ses temples, comment
tiendrait-il dans les autres lieux ? Écoutons
un des plus graves docteurs de l'Orient,
saint Grégoire de Nysse.
Dans la vie de saint Grégoire le Thauma-
turge, appelé le Moïse de l'Arménie, l'illus-
tre historien rapporte ce qui suit : « Troade,
son diacre, arrive un soir à Néocésarée. Fa-
tigué du voyage, il trouve utile de prendre
(1) Quo facto, fugatis dasmonibus, sacra turbata
sunt. (Lactant., De mortib. persecut., c. x.)
256
LE SIGNE DE LA CROIX
un bain pour se délasser, et se rend aux bains
publics. Ce lieu était alors hanté par un dé-
mon homicide, qui mettait à mort tous ceux
qui osaient y entrer après la chute du jour.
C'est pourquoi on fermait les portes au cou-
cher du soleil.
« Le diacre se présente et demande qu'on
les ouvre. Le maître du bain lui apprend ce
qui se passe. « Vous pouvez m'en croire, lui
dit-il, quiconque ose entrer ici, à l'heure où
nous sommes, n'en sort pas sur ses pieds. A
la nuit, le démon est maître delà place. Et
combien de malheureux ont payé leur témé-
rité par des cris de douleur, et par la mort ! »
« Troade ne tient aucun compte de ces
renseignements, et insiste pour que les
portes lui soient ouvertes. Importuné de ses
instances, le maître du bain crut trouver un
expédient pour mettre sa vie en sûreté et
pour satisfaire le désir du solliciteur. Il lui
donne les clefs, n'osant pas lui-même ouvrir
la porte, et s'enfuit. Le diacre entre seul.
Arrivé dans la première salle, il commence
à quitter ses vêtements.
AU XIX e SIÈCLE.
257
« Tout à coup, et de toutes parts, sujets
d'horreur et d'épouvante : des spectres va-
riés, moitié feu, moitié fumée, figures d'hom-
mes et Qgures de bêtes, s'offrent à ses re-
gards, sifflent à ses oreilles, l'infectent de
leur haleine et l'enveloppent comme d'un
cercle infranchissable. Sans s'émouvoir, le
diacre fait le signe de la croix, invoque le
nom du Seigneur, et traverse sain et sauf la
première pièce.
« Entré dans la salle du bain, il tombe au
milieu d'un spectacle plus horrible. Le dé-
mon se présente à lui sous une forme à faire
mourir de frayeur. La terre tremble, les
murs craquent, la pièce s'entr'ouvre; et,
sous ses pieds, le diacre voit une fournaise
dont les étincelles lui sautent jusqu'au vi-
sage. 11 recourt à la même arme, le signe
de la croix et le nom du Seigneur : tout dis-
parait,
« Ayant pris son bain, il se hâte de sortir.
Mais le démon lui barre le passage et tient
la porte fermée. Devant le signe de la croix,
l'opposition de Satan est de nouveau vain-
258
LE SIGNE DE LA CHOIX
eue, et la porte s'ouvre d'elle-même. Comme
le courageux diacre sortait, le démon lui
dit d'une voix humaine, huinana voce : N'at-
tribue pas à ta vertu d'avoir échappé à la
mort. Tu le dois à Celui dont tu as invoqué
le nom. Ayant donc été sauvé, comme nous
l'avons dit, Troade fut uu sujet d'admiration
pour le maître du bain et pour ceux qui
connurent l'événement (1). »
Le fait que tu viens de lire, mon cher ami,
n'est pas isolé. C'est une partie d'un vaste
ensemble de faits semblables, attestés par
mille témoins dans les temps passés, et qui
se reproduisent encore de nos jours chez les
peuples idolâtres. Rome en fut souvent
témoin.
Laissons parler Lactance : « Lorsque les
païens, dit-il, sacrifient à leurs dieux, si
quelqu'un des assistants marque son front
du signe de la croix, le sacrifice ne réussit
pas, et l'oracle consulté ne rend point de
réponse. Telle a été souvent la cause pour
1) VU. B. Greg. Inter. oper. Nyss.
■B89
AU XIX SIÈCLE. 259
laquelle les mauvais empereurs ont persé-
cuté les chrétiens. Quelques-uns des nôtres,
les accompagnant à leurs sacrifices, fai-
saient le signe de la croix, et les démons,
mis en fuite, ne pouvaient marquer dans les
entrailles des victimes les signes indicateurs
de l'avenir.
« Lorsque les aruspiecs venaient à s'en
apercevoir, ils ne manquaient pas, poussés
par les démons auxquels ils sacrifiaient,
de se plaindre de la présence des pro-
fanes. Les princes entraient en fureur et
poursuivaient le christianisme à outrance,
afin de pouvoir se souillerpar des sacrilèges
dont ils portèrent si cruellement la
peine (1). »
Ma première lettre contiendra quelques
autres faits.
(1) Cum enim quidam nostrorum, sacrificantibus
dominis assistèrent, imposito frontibus signo, deos
eorum fugaverunt, ne posaent in visceribus hostia-
rum futura depingere. (Lact., lib. IV, c. xvn.)
SEIZIÈME LETTRE
Ce 11 décembre.
Le M;;ne de la croii brise les idoles et en chasse les démons :
exemples. — 11 les chasse des possédés : exemples. — Anec-
dote récente. — Nouvelles preuves : les exorcismes. —Il
rend vaines les attaques directes des démons : exemples. —
Leurs attaques indirectes: preuves. — Toutes les créatures
asservies au démon lui servent d'instruments pour nous nuire.
— Le signe de la croix les affranchit et les empêche d'être
nuisibles à noire corps et à notre âme. — Profonde philoso-
phie des premiers chrétiens. — Usage qu'ils faisaient du signe
de la croix. — Tableau par saint Chrysostome.
La puissance du signe de la croix doit
être, cher Frédéric, aussi étendue que celle
de Satan. L'usurpateur infernal s'est em-
paré de toutes les parties de la création, le
propriétaire légitime a dû l'en chasser et
donner à ses ayants droit le moyen de l'ex-
pulser eux-mêmes. Ainsi, non-seulement le
signe de la croix empêche les démons de
parler, et les oblige à fuir des lieux qu'ils
LE SIGNE DE LA CROIX AU XIX e SIÈCLE. 261
habitent, il les chasse encore des corps
qu'ils possèdent : quelques faits entre mille,
à l'appui de ces vérités, évidentes par elles-
mêmes.
C'était sous l'empereur Antonin. Le Cé-
sar philosophe persécutait cruellement les
fidèles. Rome était pleine d'idoles. A leurs
pieds on traînait nos aïeux pour les forcer
à leur offrir de l'encens. Une de nos héroï-
ques sœurs, Glycérie, paraît devant le gou-
verneur de la ville impériale. « Voyons,
lui dit-il, prend ce flambeau et sacrifie à
Jupiter. — Je n'en ferai rien, répond Gly-
cérie. Je sacrifie au Dieu éternel, et pour
cela je n'ai pas besoin de flambeaux qui ré-
pandent de la fumée. Fais-les donc éteindre,
afin que mon sacrifice lui soit agréable.
Le gouverneur dit, et les flambeaux sont
éteints.
« Alors la noble et chaste vierge lève les
yeux au ciel, et étendant la main vers le
peuple: — Yoyez-vous, leur dit-elle, le
brillant flambeau qui est gravé sur mon
front ? A ces mots, elle fait le signe de la
15.
2G2
LE SIGNE DE LA CROIX
croix et dit : « Dieu tout-puissant, que vos
« serviteurs glorifient par la croix de Jésus-
« Christ, brisez ce démon fait de main
« d'homme. » A l'instant, un coup de ton-
nerre retentit; et le Jupiter de marbre
tombe en morceaux (1). »
Nous lisons la même chose de saint Pro-
cope, martyr sous Dioclétien. Amené de-
vant les idoles, le glorieux athlète se tient
debout, tourné vers l'Orient, et forme le
signe de la croix sur tout son corps; puis,
levant les yeux et les mains au ciel, il dit :
« Seigneur Jésus-Christ! » En même temps
il fait contre les statues un signe de la croix,
qu'il accompagne de ces paroles: «Simu-
lacres immondes, je vous le dis, craignez
le nom de mon Dieu ; fondez-vous en eau,
et répandez-vousdansce temple.» Cequi fut
fait (2).
Obligés à la vue du signe de la croix de
(1) Baron., t. II.
(2) Vobis, inquit, dico immundis simulacris, timete
Dei mei nomen, et in aquam resoluta, in hoc templo
dispergamini, quod factum est. (Sur., 8 jul.)
AD .XIX e SIÈCLE.
263
lai-ser les lieux qu'ils habitent, les démons
sont également contraints, par la vertu du
môme signe, de quitter les corps des mal-
heureux dont ils se sont emparés. Ici encore
les faits abondent, attestés par d'irrécusa-
bles témoins.
Voici d'abord saint Grégoire, un des plus
grands papes qui aient gouverné lu monde
catholique. Il parle d'un fait récent, accom-
pli dans son pays. « Au temps des Goths,
dit-il, le roiTotila vint à Nafni(I). Cette ville
avait pour évoque le vénérable Cassius. Le
saint homme crut devoir aller à la rencon-
tre du prince. L'habitude de verser des lar-
mes avait enflammé son visage. Totila, qui
ne s'en doutait guère, attribua cequ'il voyait
à l'habitude de boire du vin, et il témoigna
un profond mépris pour l'homme de
Dieu.
« Mais le Tout-Puissant voulut montrer
combien était grand celui dont on faisait si
peu de cas. Dans la plaine de Narni, à la
(1) Petite ville, peu éloignée de Rome.
■
264
LE SIGNE DI3 LA CROIX
vue de toute l'armée, un démon s'empare
de l'écuyer de Totila, et le tourmente cruel-
lement. En présence du roi, on l'amène au
vénérable Cassius. Le saint se met en priè-
res, fait le signe de la croix, et le démon
est chassé. Dès ce moment, le mépris de
Totila se changea en respect, connaissant à
fond celui qu'il avait méprisé sur les appa-
rences (1).
Ecoute cet autre fait arrivé dans ta patrie.
En Prusse, dans un endroit appelé Velsen-
berg, vivait un homme riche et puissant,
nommé Étbelbert. Il était possédé du dé-
mon, et on le tenait attaché avec du fer et
des chaînes. Comme il était en proie à des
douleurs atroces, il recevait de fréquentes
visites. Enfin, un jour, en présence de quel-
ques prêtres d'idoles et de plusieurs païens,
le démon se mit à crier : Si le serviteur du
Dieu vivant, Swibert, évoque des Chrétiens,
ne vient pas, je ne sortirai jamais d'ici.
Tu n'ignores pas que saint Swibert fut un
(1) Vir Domini, oratione facta, signo Crucis expu"
lit. (Diuloy., lib. III, c. vi.)
AU XIX e SIECLE.
265
des apôtres de la Frise et d'une partie de
l'Allemagne. Comme le démon ne cessait
de répéter le môme cri, les idolâtres con-
fondus se retirèrent, ne sachant à quoi se
résoudre. Après bien des hésitations, ils se
décident à chercher le saint. L'ayant trouvé,
ils le prient avec instance de se rendre au-
près du démoniaque.
Swibert y consent. A peine est-il en mar-
che que le possédé se met à écumer, à grin-
cer des dents et à pousser des cris plus hor-
ribles que jamais. Comme le saint approchait
de l'habitation, le possédé se calme tout
à coup, et demeure tranquille dans son lit,
semblable à un homme doucement endormi.
Le saint, l'ayant regardé, ordonne à ses
compagnons de se mettre tous en prière.
Lui-même conjure le Seigneur de daigner,
pour la gloire de son saint nom et pour la
conversion des incrédules, chasser le dé-
mon du corps de ce malheureux.
Sa prière finie, il se lève et fait le signe de
la croix sur le démoniaque, en disant : «Au
« nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, je
«66 le SIGNE DE LA CROIX
t'ordonne, esprit immonde, de sortir de
celte créature de Dieu, afin qu'elle con-
naisse celui qui est vraiment son Créateur...
A l'instaut l'esprit mauvais sortit en lais-
sant après lui une horrible infection (I). De
son côté le malade, ivre de bonheur, tombe
aux pieds du saint, et demande le baptême
à grands cris ; ce qui lui fut accordé.
Voila, cher Frédéric, ce qui se passait en
Prusse, lorsqu'elle fut tirée de la barbarie.
Là, comme partout ailleurs, c'est à coup de
miracles que l'Évangile se fit. accepter; et
le signe de la croix en fut l'instrument or-
dinaire. Quelle est aujourd'hui la religion
des Prussiens? Est-ce celle de leurs pre-
miers apôtres? celle qui enseigne à faire le
signe de la croix ?
Et les protestants ne cessent de répéter
qu'un honnête homme ne doit pas chan-
(1) Signavit daemoniacum signo salutiferas crucis,
dicens : I» nomine Domini nostri Jesu Christi prœci
pio tibi, Immonde spiritus, ut cxeas ab liac Dei crea-
tura ut agnoscat suum verum Creatorem. Statimquo
cum fetore spiritus malignus cxiit. (Marcellin.. in
> 't. .S. iswibert, c. XX.)
AU XIX e SIECLE.
267
ger de religion! Ils aiment, disent-ils, les
hommes qui tiennent à la religion de leurs
pères ; pour moi, j'aime encore mieux ceux
qui tiennent à la religion de leurs grands-
pères.
A ce propos, tu connais sans doute l'a-
necdote relative au célèbre comte de Stol-
berg. Cet aimable et savant homme, une
des gloires contemporaines de votre Alle-
magne, avait abjuré le protestantisme. Le
roi de Prusse en fut vivement contrarié, et
cessa de le voir. Cependant quelques années
s'écoulent, et le roi, ayant besoin d'un con-
seil, fait appeler le comte. Tout en l'abor-
dant, Guillaume lui dit : Je ne puis vous dis-
simuler, monsieur le comte, que j'ai peu d'es-
time pour un homme gui change de religion.
Le comte, s'inclinant, répond : Voilà pour-
quoi, Sire, je méprise profondément Luther.
Que le signe de la croix soit l'arme uni-
verselle et toute-puissante avec laquelle on
chasse les démons du corps des possédés,
la preuve en est dans les exorcismes de
l'Eglise. Si tu veux jeter un coup d'œil sur
268
LE SIGNE DE LA CROIX
le Rituel Romain, ta] auras la preuve de ce
que j'avance. Or, les exorcismes avec les
insufflations et le signe de la croix remon-
tent au berceau du christianisme. Il en est
fait mention dans tous les Pères qui ont
parlé du baptême, et presque tous en ont
parlé, soit en Orient, soit en Occident.
Au nom de tous écoutons saint Grégoire
le Grand : « Lorsque le catéchumène se
présente pour être exorcisé, le prêtre doit
d'abord lui souffler sur le visage, afin que,
le démon étant chassé, l'entrée soit ouverte
à Jésus-Christ, notre Dieu. Ensuite il lui
fait le signe de la croix sur le front en di-
sant : Je place sur ton front le signe de la
croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et
sur la poitrine en disant : Je place sur ta
poitrine le signe de la croix de Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ (I). »
(I) Cum ad exoreizandum ducitur, primo a sacer-
dote insuffletur in faciem ejus, ut, fugato diabolo,
Christo Deo nostro pateat introitus. Et tune in fronte
crux Christi agatur, dicondo, etc. (S. Grog., Sacra-
ment. I
AU XIX SIECLE.
269
Tels qu'ils sont ici dépeints, les exorcis-
mes ont traversé les siècles. A l'heure qu'il
est, ils sont encore en usage sur tous les
points du globe, où se trouve un prêtre
catholique en mission et une créature hu-
maine à soustraire à l'empire de Satan.
Mais les démons ne sont pas seulement
dans les temples et dans les statues où ils se
l'ont adorer, ni dans le corps des malheu-
reux qu'ils tourmentent : ils sont partout,
L'air en est plein. Ennemis infatigables, ils
nous attaquent sans cesse par eux-mêmes,
ou par l'intermédiaire des créatures. Direc-
tes ou indirectes, ouvertes ou masquées,
leurs attaques échouent devant le signe de
la croix : « Le Seigneur, dit Arnobe, a ins-
truit nos doigts au combat, afin que, lors-
que nous nous sentons attaqués par nos
ennemis visibles ou invisibles, nous nous
servions de nos doigts pour former sur notre
front le signe triomphant de la croix (1). »
(1) Docuit digitos nostros ad bellum, ut dura bel-
lum sive visibilium, sive invisibilium senserimus hos-
270
LE SIGNE DE LA CROIX
Entre des milliers d'autres héroïnes,
jeunes comme elle, exposées comme elle'
Justine de Nicomédie savait manier cette
arme victorieuse. Née de parents nobles,
riche et douée d'une rare beauté, la jeune
vierge chrétienne, malgré sa modestie et
sa fuite du monde, inspira une violente pas-
sion à un jeune païen, nommé Aglaïde. Of-
fres, promesses, prières, il mit tout en œu-
vre pour arriver à ses fins. Voyant ses efforts
inutiles, il eut recours à Cyprien, magicien
fameux dans la ville. Celui-ci partagea bien-
tôt la passion du jeune homme, et employa
toutes les ressources de la magie dans le
but de réussir pour lui-même.
Il n'eut pas de peine à obtenir le secours
de l'enfer. Les démons les plus violents
furent envoyés pour tenter la jeune sainte.
Se voyant si fortement attaquée, Justine
redoubla de prières, de vigilance et de mor-
tification. Au plus fort du combat, elle
tium, nos digitis armemus frontem triumpbo crucis
(Arnob., m ps. 143.) '
AU XIX e SIÈCLE. 271
faisait le signe de la croix, et les démons
prenaient la fuite. Non-seulement elle sauva
sa vertu; elle eut encore la gloire de con-
vertir Cyprien, qui devint un illustre martyr
et une des plus nobles conquêtes du signe
libérateur (1).
11 savait aussi manier cette arme victo-
rieuse, le grand atblète du désert, Antoine,
dont la vie se passa a lutter contre les dé,
mons, dans le paroxysme de leur rage et
sous leurs formes les plus effrayantes. Lais-
sons parler le digne historien d'un tel
homme :
« Quelquefois, dit saint Athanase, un
bruit soudain se faisait entendre. L'habita-
tion d'Antoine tremblait, et par les parois
entr'ouvertes se précipitait une foule de
démons. Prenant des formes de bêles et de
serpents, ils la remplissaient de lions, de
taureaux, de loups, d'aspics, de dragons,
de scorpions, d'ours et de léopards. Chacun
d'eux poussait son cri naturel. Le lion ru-
(1) Vie, 2G septembre.
272
LE SIGNE DE LA CROIX
gissait prêt à dévorer ; le taureau menaçait
du mugissement et des cornes; le serpent
faisait entendre ses sifflements; le loup
montrait ses dents; par ses couleurs va-
riées, le léopard représentait les ruses de
l'esprit infernal : tous, figures affreuses à
voir, voix horribles à entendre.
« Antoine, battu et blessé, sentait de vi-
ves douleurs dans son corps, mais son âme
attentive demeurait imperturbable. Bien
que ses blessures lui arrachassent des cris
de douleurs, néanmoins, toujours le même,
il parlait à ses ennemis en se moquant. Si
vous aviez quelque force, leur disait- il, un
seul d'entre vous suffirait pour me combat-
tre; mais, parce que la puissance de mon
Dieu vous énerve, vous vene; en troupes
afin de m'effrayer.
« Il ajoutait : Si vous avez quelque pou-
voir, si Dieu m'a livré à vous, me voilà, dé-
vorez-moi. Si vous ne me pouvez rien, pour-
quoi tant d'efforts inutiles? Le signe de la
croix et la confiance en Dieu sont pour nous
une forteresse inexpugnable. Alors ils grin-
AU XIX SIÈCLE.
873
« •.■lient des dents, et faisaient mille menaces
a Antoine, en voyant que par leurs attaques
ils ne réussissaient qu'à se faire moquer
d'eux (1). »
Le fier langage que la foi d'Antoine te-
nait aux démons, elle le tenait aux philo-
sophes païens. « A quoi bon dispuster? di-
sait le patriarche du désert à ces éternels
chercheurs de vérité. Nous prononçons le
nom du Crucifié, et tous les démons que
vous adorez comme des dieux rugissent. Au
premier signe de la croix, ils sortent des
possédés. Voyez : où sont les oracles men-
teurs? où les enchantements des Égyptiens?
A quoi servent les paroles magiques? Tout
a été détruit, du jour où le nom de Jésus
crucifié a retenti dans le monde. »
Puis, ayant fait venir des possédés, il con-
tinua de dire à ses interlocuteurs : « Or sus.
par vos syllogismes ou par tel autre charme
qu'il vous plaira, chassez de ces malheu-
(1) Signum enim crucis et fides ad Dominum in-
expugnabilis nobis murus est. (De vit. S. Anton.)
274
1-E SIGNE DE LA CROIX
reuses victimes ceux que vous appelez
vos dieux. Si vous ne le pouvez pas, con-
fessez que vous êtes vaincus. Recourez au
signe de la croix, et l'humilité de votre foi
sera suivie d'un miracle de puissance. A ces
mots, il invoque le nom de Jésus, fait le si-
gne de la croix sur le front des possédés, et
les démons fuient en présence des philoso-
phes confondus (1). m
Presque aussi nombreuses que les pages
de l'histoire sont les faits du même genre.
Tu les connais, et je passe.
Aux attaques directes et palpables, les
démons ajoutent les attaques indirectes et
masquées. Non moins dangereuses que les
premières, elles sont beaucoup plus fré-
quentes. On en compte deux sortes : les
unes intérieures, et les autres extérieures.
Les premières sont les tentations propre-
ment dites. Or, je te l'ai dit, le signe de la
croix est l'arme victorieuse qui les dissipe,
et, en le disant, je ne suis que l'écho de là
(1) De uita S. Anton.
AU XIX SIECLE.
275
tradition universelle et de l'expérience
journalière.
« Lorsque vous faites le signe de la croix,
dit saint Chrysostome, rappelez-vous ce que
la croix signifie, et vous apaisez la colère
et tous les mouvements désordonnés de
l'âme (1). »
Origène ajoute : n Telle est la puissance
du signe de la croix, que, si vous le placez
devant vos yeux, si vous le retenez fidèle-
ment dans votre cœur, il n'y a ni concupis-
cence, ni volupté, ni fureur, qui puissent lui
résister; mais à son aspect toute l'armée de
la chair et du péché prend la fuite (2).
Les secondes attaques viennent du de-
hors. Pas une créature qui échappe à la ma-
ligne influence de Satan, et de toutes il fait
(1) Cum signaris, tibi in mentem veniat totum cru-
cis argumentum, ac tum iram omnesque a ratione
adversos animi impetus extinxeris. (De ador. prêt,
crue, n. 3.)
(2) Est enim tanta vis crucis Christi ut... nulla con-
cupiscontia, nulla libido, nullus furor, nulla supe-
rare possit invidia. Sod continuo ad ejus prœsentiam
totus peccati et carnis fugatur exercitus. (Origen.,
Comm. in epist. ad Rom., lib. VI, n. 1.)
276
LE SIGNE DE LA CaOIX
les instruments de sa haine implacable
contre l'homme. Ceci, je te l'ai montré, est
un article du symbole du genre humain.
Quelle arme Dieu nous a-t-il donnée, car
il nous en a donné une pour les délivrer,
et, en les délivrant, préserver notre âme
et notre corps des funestes atteintes de
celui qui est appelé avec raison le grand
Homicide, Homicida ah initia ?
Toutes les générations catholiques se lè-
vent de leurs tombeaux pour me crier :
C'est le signe de la croix. Tous les catholi-
ques actuellement vivants, dans les cinq
parties du monde, unissent leur voix à celle
de leurs ancêtres et répètent : C'est le signe
de la croix.
Bouclier impénétrablo, tour imprenable,
arme spéciale contre le démon, arme uni-
verselle, également puissante contre les en-
nemis visibles et invisibles, arme facile pour
les faibles, gratuite pour les pauvres : telle
est, nous l'avons vu, la définition que les
morts et les vivants nous donnent du signe
adorable.
AU XIX e SIÈCLE, 27 7
Ainsi, deux grandes vérités : l'asservis-
sement de toutes les créatures au démon,
et la puissance du signe de la croix pour
les délivrer et les empêcher de nous nuire.
De ces deux vérités profondément senties,
toujours anciennes et toujours nouvelles,
sortent deux faits incontestablement logi-
ques. Le premier : l'emploi persévérant des
exorcismes dans l'Église catholique; le se-
cond, l'usage incessant du signe de la croix
chez les premiers chrétiens.
Que signifie l'exorcisme ? La foi de l'É-
glise à l'asservissement des créatures au
démon. Qu'opère l'exorcisme ? La déli-
vrance des créatures. Or, comme il n'y a
pas une créature que l'Église catholique
n'exorcise, il en résulte qu'à ses yeux l'u-
nivers dans toutes ses parties est un grand
captif, un grand possédé, une grande ma-
chine de guerre, toujours dirigée contre
nous.
A son tour, qu'est-ce que le signe inces-
sant de la croix chez les premiers chré-
tiens ? Un exorcisme continuel. Si, avec
16
278
LE SIGNE DE La CROIX
l'Eglise catholique et le genre humain tout
entier, on admet que toutes les créatures
sont asservies au démon, que toutes ser-
vent de véhicules à ses malignes influences;
qu'à chaque heure, à chaque instant, à
chaque action l'homme entre en contact
avec elles; quoi de plus rationnel que l'em-
ploi constant d'une arme toujours néces-
saire ?
Ainsi, l'usage incessant du signe de la
croix annonce chez nos aïeux une pro-
fonde philosophie. Ils connaissaient dans
sa redoutable étendue la grande loi du
monde moral, le dualisme. Ils compre-
naient que, l'attaque étant universelle et
incessante, il fallait, pour maintenir l'é-
quilibre, que la défense fût universelle et
incessante. Encore un coup, quoi de plus
logique ?
Ils faisaient donc le signe de la croix
sur chacun de leurs sens. Veux-tu savoir
pourquoi ? Les sens sont les portes de
l'âme: ils servent d'intermédiaire entre elle
et les créatures. Une fois qu'ils sont mar-
AU XIX e SIÈCLE.
279
qués du signe de la croix, les créatures ne
peuvent plus entrer en communication avec
l'âme, qu'en passant par un milieu sancti-
fié, où elles perdent leurs funestes in-
fluences.
Mais ce n'était pas assez pour nos pères.
Ils faisaient le signe de la croix sur tous les
objets h leur usage et môme, autant qu'il
était en eux, sur toutes les parties de la
création. Les maisons, les meubles , les por-
tes, les fontaines, les bornes des champs,
les colonnes des édifices, les navires, les
ponts, les médailles, les drapeaux, les cas-
ques, les boucliers, les anneaux : tout était
marqué du signe adorable.
Empêchés par leurs occupations ou par
la distance des lieux de le répéter partout
et toujours, ils l'immobilisaient en le gra-
vant, en le peignant, en le sculptant, au
front de toutes les créatures, parmi les-
quelles s'écoulait leur existence. Paraton-
nerre et monument de victoire : tel était
alors le signe auguste.
Paratonnerre divin, bien autrement puis-
»80
LE SIGNE DE LA CROIX
sant pour éloigner les princes de l'air avec
leur incalculable malice, que les tiges de
métal placées sur nos édifices pour déchar-
ger le nuage gros de la foudre.
Monument de victoire, attestant le triom-
phe du Verbe incarné sur le roi de ce
monde : comme les colonnes élevées par
le vainqueur sur le champ de bataille attes-
tent la défaite de l'ennemi. Des hauteurs
de Constantinople contemplons avec saint
Chrysostome le monde émaillé de ces para-
tonnerres divins et de ces monuments de
victoire.
« Plus précieuse que l'univers, dit l'élo-
quent patriarche, la croix brille sur le dia-
dème des empereurs. Partout elle s'offre
à mes regards : je la trouve chez les princes
et chez les sujets, chez les femmes et chez
les hommes, chez les vierges et chez les
femmes mariées, chez les esclaves et chez
les personnes libres. Tous la gravent inces-
samment sur la plus noble partie de leur
corps, le front, où elle resplendit comme
une colonne de gloire.
AU XIX e SIÈCLE. 281
« A la table sacrée, elle y est; dans les
ordinations des prêtres, elle y est; dans la
cène mystique du Sauveur, elle y est. Elle
se dessine à tous les points de l'horizon, au
faîte des maisons, sur les places publiques,
dans les lieux habités et dans les déserts,
sur les routes, sur les montagnes, dans les
bois, sur les collines, sur la mer, au som-
met des navires, sur les îles, aux fenêtres,
sur les portes, au cou des chrétiens, sur
les lits, sur les vêtements, sur les livres,
sur les armes, sur les lits de table, dans les
festins, sur les vases d'or et d'argent, sur
les pierres précieuses, dans les peintures
des appartements.
« On la fait sur les animaux malades,
sur les possédés du démon, dans la guerre,
dans la paix, le jour, la nuit, dans les réu-
nions de plaisir et dans les assemblées de
pénitence. C'est à qui cherchera la protec-
tion de ce signe admirable.
« Qu'y a-t-il d'étonnant ? Le signe de la
croix est le symbole de notre délivrance, le
monument de la liberté du monde, le sou-
1G.
288 LE SIGNE DE LA CROIX AU XIX e SIÈCLE.
venir de la mansuétude du Seigneur. Quand
tu le fais, songe au prix qui a été compté
pour ta rançon, et tu ne seras esclave de
personne. Fais-le donc, non pas seulement
avec ton doigt, mais avec ta foi.
« Si tu le graves ainsi sur ton front, il n'y
a pas d'esprit immonde qui puisse tenir
devant toi. 11 voit le coutelas qui l'a blessé,
î'épée qui l'a frappé à mort. Si à la vue des
lieux patibulaires, nous sommes saisis
d'horreur, pense à ce que doivent souffrir
Satan et ses anges, en voyant l'arme dont
le Verbe éternel s'est servi pour abattre leur
puissance et couper la tête du dragon (1). »
A demain les réflexions que fait naître ce
ravissant spectacle, si éloquemment décrit.
(1) Quod Christus sit Dens, opp. t. I, p. (i97. Edit.
Paris, altéra; id in Mat th. liomil., 54, opp. t. VII
p. 620, et in c. m, ad Philipp.
DIX-SEPTIEME LETTRE
Ce 12 décembre.
Résume. — Nature du signe de la croix. — Le cas qu'on en fait
aujourd'hui. — Ce qu'annonce l'oubli, le mépris du signe de
la croix. — Spectacle du monde actuel. — Satan revient. —
Rester Qdèle au signe de la croix. — Surtout avant et après les
repas. —La raison, l'honneur, la liberté, le commandent. —
La rai on est-elle pour ou contre ceux qui font le signe de la
croix sur la nourriture : exemples et raisonnements
Arme universelle, arme invincible pour
l'homme, paratonnerre pour les créatures,
souvenir de liberté pour le monde et mo-
nument de victoire pour le Verbe Rédemp-
teur : tel fut, mon cher Frédéric, le signe
de la croix aux yeux des premiers chré-
tiens. De là, l'usage qu'ils en faisaient, les
sentiments qu'il leur inspirait, le magni-
fique spectacle auquel nous venons d'as-
sister.
Avons-nous conservé la foi de nos pères?
2g 4 LE SIGNE DE LA CROIX
Pour les chrétiens du dix-neuvième siècle
qu est-ce que le signe de la croix' Quel
usage en font-ils pour eux-mêmes et pour
les créatures? Sont-ils bien vifs, sont-Us
même réels les sentiments de foi, de con-
fiance, de respect, de reconnaissance et d'à-
mourqu il éveille en eux? La plupart de
ceux qui le font, ne le font-ils pas sans sa-
crée qu Us font, et sans y attacher ni
grande valeur ni grande importance? Com-
bien qui ne le font plus? Combien qui rou-
lent de le faire? Combien même dont il
fatigue les regards.
Et ils Font ôté du faîte de leurs maisons;
Ton \Z b rî\ deleurs a PP^ements; ils
1 ont effacé de leurs meubles. Ils lont fait
disparaître des places publiques et des pro-
menad les de leow cités, de s jardins et des
X T 1 UeS ' d6S Chemins de ^urs
MUages, de la plupart des lieux où nos pè-
res lavaient arboré; ils ont brisé les croix!
Ou e st.ce que cela? et qu'annoncent de
pareils symptômes? Veux-tu le savoir? Re-
monte au principe qui illumine toute l'his-
AU XIX e SIÈCLE.
2 85
toire : Deux esprits opposés se disputent
l'empire du monde : l'Esprit du bien, et
l'Esprit du mal. Tout ce qui se fait est
d'inspiration divine, ou d'inspiration sata-
nique. L'établissement du signe de la croix,
l'usage incessant du signe de la croix, la
confiance au signe de la croix, la vertu
toute-puissante attribuée au signe de la
croix, est-ce une inspiration divine, ou
une inspiration satanique ? C'est l'une ou
l'autre.
Si c'est une inspiration satanique, l'élite
de l'humanité, qui seule fait le signe de la
croix, est, depuis dix-huit siècles et au
delà, frappée d'un incurable aveuglement;
tandis que tout ce qui n'est pas l'élite de
l'humanité est en pleine possession de la
lumière : ce qui veut dire que les myopes,
les borgnes et les aveugles voient plus clair
que ceux qui ont deux bons yeux. Penses-
tu qu'il y ait quelque part un orgueil assez
désespéré pour avancer un pareil paradoxe,
une incrédulité assez robuste pour le sou-
tenir ?
28C LE SIGNE DE LA CROIX
Mais si le signe de la croix pratiqué, ré-
pété, chéri, regardé comme l'arme invinci-
ble, universelle, permanente, nécessaire de
l'humanité contre Satan, ses tentations et
ses anges, est une inspiration divine, que
veux-tu que je pense d'un monde qui ne
comprend plus le signe de la croix, qui ne
fait plus le signe de la croix, qui méprise le
signe de la croix, qui rougit du signe de la
croix, qui ne salue plus la croix, qui n'en
veut plus ni devant ses yeux ni à la face de
son soleil ?
A moins que la nature humaine n'ait ra-
dicalement changé, et que le dualisme ne
soit une chimère; à moins que Satan ne se
soit retiré du combat; a moins que les créa-
tures n'aient cessé d'être les véhicules de
ses funestes influences : le chrétien d'au-
jourd'hui, contempteur du signe de la croix,
n'est plus que le rejeton dégénéré d'une no-
ble race.
C'est un ralionnaliste insensé qui ne com-
prend plus la lutte ni les conditions de la
lutte ; le dix-neuvième siècle, un soldat pré-
AU Xl\° SIÈCLE. 287
somptueux qui, après avoir brisé ses armes
et jeté son armure, se précipite en aveugle
au milieu des épées et des lances, les bras
liés et la poitrine nue; la société moderne,
une ville démantelée, environnée d'enne-
mis inombrables, impatients d'en faire une
ruine et de passer la garnison par les ar-
mes.
En faire une ruine! Mais déjà n'est-elle.
pas faite? Ruine des croyances, ruine des
mœurs, ruine de l'autorité, ruine de la tra-
dition, ruine de la crainte de Dieu et de la
conscience, ruine de la vertu, de la probité,
de la mortification, de l'obéissance, de l'es-
prit de sacrifice, de la résignation et de l'es-
pérance : de toutes parts ruines commen-
cées ou ruines consommées.
Dans la vie publique et dans la vie privée,
dans les villes et dans les campagnes, dans
les gouvernants et dans les gouvernés, dans
l'ordre des idées et clans le domaine des
faits, hommes ou choses carrément catho-
liques : combien en reste-t-il debout?
En cela, cher Frédéric, rien qui doive
S88
LE SIGNE DE LA CROIX
nous étonner. Otez le signe de la croix, et
tout s'explique. Le signe de la croix de
moins dans le monde, c'est Satan de plus.
Le signe de la croix est le paratonnerre du
monde ; ôtez-le, et la foudre tombe qui vous
écrase et qui vous brûle. Le signe de la
croix est un trophée qui atteste la domina-
tion du vainqueur. Le briser, c'est réjouir
l'antique tyran de l'humanité et lui prépa-
rer la voie du retour.
Écoute ce qu'écrivait, il y a dix-sept siè-
cles, un des hommes qui ontle mieux connu
la mystérieuse puissance du signe de la
croix. J'ai nommé le martyr, illustre entre
tous les martyrs, saint Ignace d'Antioche.
Contemple cet évêque, à cheveux blancs,
chargé de fers, franchissant six cents lieues
pour aller se faire dévorer par les lions,
sous les yeux de la grande Rome. Le vois-
tu, calme comme s'il était à l'autel, joyeux
comme s'il se rendait à une fête, semant '
sur sa route des instructions et des encou-
ragements pour les églises d'Asie, accou-
rues à son passage?
AU XIX e SIÈCLE. 289
Dans son admirable lettre aux chrétiens
de Pmhppes, il dit : « Le prince de ce
monde se réjouit, lorsqu'il voit quelqu'un
renier la croix. Il sait que c'est là croix qui
lui donne la mort; car elle est l'arme des-
tructive de sa,puissance. Sa vue lui fait hor-
reur, son nom l'épouvante. Avant qu'elle fût
faite, il ne négligea rien pour la faire fabri-
quer. A cette œuvre il poussa les fils d'in-
crédulité, Judas, les Pharisiens, les Sadu-
ceens, les vieillards, les jeunes gens, les
prelres.
« Mais, lorsqu'il la voit sur le point d'être
achevée, il se trouble. Il jette le remords
dans lame du traître; il l ui présente , a
corde et le pousse à se pendre. Il épouvante
par un songe pénible la femme de Pilate
et fait tous ses efforts pour empêcher là
confection de la croix. Ce n'est pas qu'il
eut des remords; s'il en avait, il ne serait
pas complètement mauvais; mais il pres-
sentait sa défaite. Il ne se trompait pas. La
croix est le principe de sa condamnation le
principe de sa mort, le principe de sa ruiné. »
17
9
LE SIGNE DE LA CROIX
Ainsi deux enseignements : horreur et
crainte du démon à la vue de la croix et du
signe de la croix ; joie du démon, à l'absence
de l'une et de l'autre. Voit-il une âme, un
pays sans le signe de la croix, il y entre
sans crainte, il y est à l'aise. Aussi inévita-
blement qu'au coucher du soleil les ténè-
bres succèdent à la lumière, aussi inévita-
plement il y rétablit son empire. Le monde
actuel en est la preuve sensible.
Je ne parle pas de ce déluge de négations,
d'impiétés, de blasphèmes inouïs, dont il
est inondé. Que sont, pour qui ne veut
pas se payer de mots, ces millions de tables
tournantes et parlantes, ces esprits frap-
beurs ou familiers, ces apparitions, ces évo-
cations, ces oracles, ces consultations mé-
dicales, ces conversations avec de prétendus
morts, qui ont tout à coup envahi l'ancien
et le nouveau monde (1) ?
(1) A l'heure où nous écrivons, il se manifeste une
recrudescence inouïe de pratiques occultes. A Paris,
le spiritisme forme des associations nombreuses, qui
ont leurs assemblées régulières. Outre une foule de
livres, huit feuilles spéciales leur servent d'organes
AU XIX SIÈCLE. 291
Ces choses sont-elles nouvelles ? Non ;
déjà l'humanité les a vues. A quelle époque?
Alors que le signe de la croix ne protégeait
pas le monde, et que Satan était Dieu et Roi
des sociétés. En reparaissant aujourd'hui,
dans des proportions inconnues depuis l'an-
cien paganisme, que nous disent-elles, sinon
que le signe libérateur cessant de protéger
le monde, Satan en reprend possession?
Tu vois, cher ami, combien peu sont in-
telligents ceux qui abandonnent le signe de
la croix. Plaignons-les, mais ne les imitons
pas. Entre toutes, il est une circonstance
périodiques. Metz et Bordeaux comptent, assure-t-on,
plusieurs milliers de sfiirites. Lyon en renferme au
moins quinze mille, avec un Journal, dans lequel ils
prétendent que la religion des Esprits sera la reli-
gion de l'avenir. Qu'est-ce à dire ? Tout simplement
que, après dix-huit siècles de christianisme, il y a en
France des milliers d'idolâtres, qui, le sachant ou sans
le savoir, font publiquement ce qu'on faisait, il y a
deux mille ans, à Delphes, à Dodone, à Sinope, dans
toutes les villes de l'antiquité païenne. Les choses en
sont venues à ce point, que plusieurs évêques se sont
vus forcés de prémunir, par de nouveaux mandements,
le clergé et les fidèles de leurs diocèses, contre l'en-
vahissement satanique.
29 î
LE SIGNE DE LA CROIX
où il faut invariablement nous séparer
d'eux. Pour nous, comme pour nos pères,
le signe de la croix, avant et après le repas!
doit être une chose sacrée. Ainsi le com-
mandent la raison, l'honneur, la liberté.
La raison. Si tu demandes à tes cama-
rades pourquoi ils ne font pas le signe de la
croix avant de prendre leur nourriture, cha-
cun te dira : «Je ne venx pas me singulari-
ser, en faisant autrement que les autres. Je
ne veux pas me faire remarquer et moquer
de moi, en observant une pratique inutile et
passée de mode. »
Ils ne veulent pas se singulariser l Pour leur
honneur, je veux croire qu'ils ne compren-
nent pas la valeur des mots. Se singulariser
veut dire se mettre au singulier, s'isoler, ne
pas faire comme tout le monde. Dans ce
sens, on peut très-bien se singulariser sans
être ridicule. Quelquefois même on est
obligé de le faire, sous peine d'être coupa-
ble. Au milieu d'un hôpital de fous, l'homme
raisonnable qui fait des actes sensés; dans
un pays de voleurs, l'honnête homme qui
AU XIX e SIÈCLE.
293
respecte la propriété d'autrui, se mettent
au singulier. Sont-ils ridicules ?
Au sens où le prennent tes camarades,
se singulariser veut dire se mettre au sin-
gulier, en faisant une chose qui tranche
ridiculement sur les usages reçus. Reste à
savoir si faire le signe de la croix, avant et
après le repas, est se mettre au singulier
et s'y mettre d'une manière ridicule.
Nul doute, répondent-ils, puisque c'est
faire autrement que les autres. Mais il y a
autres et autres. Il y a les autres qui font le
signe de la croix, et les autres qui ne le
font pas. Ainsi, en le faisant, nous ne nous
mettons pas plus au singulier qu'en ne le
faisant pas; nous restons parfaitement au
pluriel. Sommes-nous ridicules? Pour ré-
pondre, il suffit de voir quels sont les autres
qui font le signe de la croix, et les autres qui
ne le font pas.
Les autres qui le font, c'est toi, c'est moi,
c'est ta respectable famille, c'est la mienne :
et nous ne sommes pas seuls. Derrière nous,
autour de nous, avec nous, sont tous les
294
LE SIGNE DE LA CROIX
catholiques vrais, instruits et courageux, de
l'Orient et de l'Occident, depuis dix-huit
siècles. Or, nous l'avons vu, ces catholiques-
là forment, ni plus ni moins, l'élite de l'hu-
manité. On est si peu ridicule de demeurer
en pareille compagnie, qu'on se rend parfai-
tement ridicule en n'y demeurant pas. Ex-
cepté pour les autres qui se payent de mots
et qui voudraient en payer les autres, la
proposition est indiscutable.
Que l'élite de l'humanité ait toujours fait
le signe de la croix avant de manger, rien
n'est mieux établi. Les Pères que je t'ai cités,
Tertullien, saint Cyrille, saint Éphrem, saint
Chrysostome, ne laissent aucun doute sur
l'universalité de cette religieuse pratique,
chez les chrétiens de la primitive Église.
J'en ajoute quelques autres. « Lorsqu'on
se met a table, dit saint Athanase, et qu'on
prend le pain pour le rompre, on fait dessus
trois signes de croix, et on rend grâces.
Après le repas, on renouvelle l'action de
grâces en disant trois fois : Le Seigneur bon
et miséricordieux a donné la nourriture à
AU XIX SIÈCLE.
295
ceux qui le craignent: Gloire au Père, etc. (1).
Saint Jérôme : « Que jamais on ne se
mette à table sans avoir prié, et que jamais
on n'en sorte sans avoir rendu grâce au
Créateur (2). » Saint Chrysostome flétrit
comme ils le méritent ceux qui se dispen-
sent de cette loi sacrée de la sagesse et delà
reconnaissance : « Il faut prier avant et après
le repas. Entendez cela, pourceaux qui vous
nourrissez des dons de Dieu, sans lever les
yeux vers la main qui vous les donne (3). »
La bénédiction de la table par le signe
de la croix n'était pas en usage seulement
dans les familles et dans la vie civile ; les
(1) Cum in monsa sederis, cœperisque frangera pa-
nem, ipsum ter consignato signo crucis, gratias âge.
Cum igitur surrexeris a mensa, rursum gratias agendo
tribus vicibus dicas, etc. (De Virginit., n. 13.)
(2) Nec cibi sumantur, nisi oratione praîmissa ; nec
recedatur a mensa, nisi referatur Creatori gratia.
(Epist. xxii, ad Eustoch., De custod. Virginit.)
(3) Et hymno dicto exlemnt id montem Oliveti.
Audiant quotquot, porcorum instar, contra mensam
sensibilem comedentes calcitrant, et temulenti sur
gunt, cum oporteret gratias agere et in hymnos desi-
nere. (Homil. 82, in Matt., n. 2, t. VII, p. b&b id.,
Homil. 49, in id., n. 2, p. 5G9, edit. novi.j
29 6 LE SIGNE DE LA CROIX
soldats eux-mêmes, dans la vie des camps,
^observaient avec une religieuse fidélité.
A ce propos, saint Grégoire de Nazianze
rapporte un fait demeuré célèbre
Julien l'Apostat gratifie ses troupes d'une
distribution extraordinaire de vivres et d'ar-
gent. Près de l'empereur est une cassolette
allumée. Chaque soldat y laisse tomber
quelques grains d'encens. Les soldats chré-
tiens le font comme les autres, sans soup-
çonner qu'ils se rendaient coupables d'un
acte d'idolâtrie. La distribution terminée
on se réunit pour fêter le prince.
Au commencement du repas, la coupe
est présentée à un soldat chrétien qui sui-
vant l'usage, la bénit par le signe de la
croix. Aussitôt une voix s'élève qui lui crie ■
te que tu fais est en contradiction avec ce
que tu viens de faire. _ Q u 'ai-je fait ? _
As-tu donc oublié l'encens et la cassolette ?
Ne sais-tu pas que tu as fait un acte d'idolâ-
trie et renié ta foi ?
A ces mots, lui et ses braves compagnons
d armes se lèvent de table, poussent des
AU XIX e SIÈCLE. 297
gémissements, s'arrachent les cheveux, sor-
tent sur la place, se déclarent hautement
chrétiens, accusent l'empereur de les avoir
indignement trompés, et demandent une
nouvelle épreuve pour confesser leur foi.
L'apostat les fait arrêter, lier, condamner
à mort, et conduire au lieu du supplice.
Mais, pour ne pas faire de martyrs, il leur
accorde la vie et les relègue aux frontières
les plus reculées de l'empire (1).
Lorsqu'un prêtre se trouvait parmi les
convives, c'est à lui que revenait l'honneur
de faire le signe de la croix sur les ali-
ments (2).
On regardait la bénédiction de là table
comme tellement sainte, que nous voyons
encore, au neuvième siècle, les Bulgares,
convertis à la foi, demander au pape Nico-
las I er , si le simple fidèle pouvait remplacer
le prêtre dans cette fonction. « Sans aucun
(1) Orat., i, contr. Julian.; Theodoret, Hist., Iib. III,
c. xvi.
(2) Voir D. Ruinart, Actes du martyre de saint
Theodote.
298 LE SIGNE DE LA CROIX
doute, répondit le pape ; car il a été donné
à chacun de préserver, par le signe de la
croix tout ce qui lui appartient, des embû-
ches du démon, et par le nom de Notre-
Seigneur de triompher de toutes ses atta-
ques (1). »
Les âges suivants ont vu l'usage du signe
de la en»*, avant et après les repas, se per-
pétuer chez les vrais catholiques de l'Orient
et de l'Occident : et tu sais qu'il y subsiste
encore.
Nous connaissons les autres qui font le
signe de la croix avant de manger. Voyons
quels sont les autres qui ne le font pas, et
auxquels tes camarades donnent la préfé-
rence. Les païens ne le font pas ; les juifs ne
Je font pas ; les mahométans ne le font pas ■
es hérétiques ne le font pas ; les athées ne
le lont pas ; les mauvais catholiques ne le
font pas ; les catholiques ignorants ou
hoclii V no m /)! nDibUS d u atUm CSt ' Ut et ° m ™ "*■
élus oZihnr mUS ^ inSidiiS mMire diaboli > « '1»
mumphare. {liep. ad consu/t. liulgar.)
AU XIX SIÈCLE.
299
esclaves du respect humain ne le font pas.
Voilà les autres qui ne font pas le signe
de la croix, et qui se moquent de ceux qui
le font. De quel côté est la singularité ridi-
cule?
A ma première lettre, la suite de l'ob-
jection.
DIX-HUITIÈME LETTRE
Ce 13 décembre.
L'honneur commande de prier aTant et après le repu _ r.
pr,ere sur les aliments aussi ancienne que le monde', auss,
étendue que le genre humain. - Preuves : BenedicuT*
Grâces de tous les peuples. - Ne pas les dire, c'est V as^m
B;nÎMaTn 4Ui , n ' aPP r' ,iennent ^ à '«P^e iTuma te"-
Bénir la table est une loi de l'humanité-.
Mo.V CHER AMI,
L'honneur est un second motif de rester
fidèle à l'antique usage du signe de la croix-
avant et après les repas. Tes camarades, au'
contraire, semblent croire qu'il est honora-
ble de s'en abstenir. Ils disent : Je ne veux
pas me faire remarquer et moquer de moi.
Passons à l'autopsie de ce nouveau pré-
texte.
D'abord, la raison, comme nous l'avons
vu, condamne les contempteurs du signe de
la croix; donc l'honneur ne saurait les ab-
LE SIGNE DE LA CROIX AU XIX SIÈCLE.
301
soudre. Jamais l'honneur ne fut du côté de
la déraison.
Ils ajoutent qu'ils ne veulent pas se faire
remarquer. Impossible : quoi qu'ils fassent,
ils se font remarquer. Je ne les crois pas
assez malheureux pour ne se trouver jamais
à table avec de vrais catholiques. Mais alors
ils se font nécessairement remarquer, et
assez tristement, je t'assure.
Il est vrai, puisqu'ils le disent, que cela
leur est fort égal. Ce fier dédain est-il fondé?
Ici revient la question, déjà résolue, des
autres et des autres. Quant à la moquerie
dont ils ont peur, elle suit la remarque.
Seulement chez le vrai catholique, elle se
tourne en pitié.
Toutefois, en me contentant d'exposer tes
camarades et leurs pareils aux remarques
des catholiques, j'ai usé d'indulgence. Tu
vas voir qu'en s'abstenant de prier avant
de prendre leurs repas, sous prétexte de ne
pas se faire remarquer, ils se déshonorent
aux yeux de l'humanité tout entière : suis-
moi.
30â
LE SIGNE DE LA CROIX
Celui-là se déshonore aux yeux de tout ce
qui est homme, qui se met volontairement
au rang des bêtes. Or, jusqu'ici on ne con-
naissait dans la nature qu'une sorte d'êtres
qui mangeassent sans prier. Aujourd'hui on
en connaît deux : les botes et ceux qui leur
ressemblent. Je dis qui leur ressemblent; car,
entre un homme qui mange sans prier et un
chien, quelle différence y a-t-il ? Pour moi
je n'en vois qu'une et l'Académie des scien-
ces non plus : le premier est un bipède, et
le second un quadrupède; mais tous deux
sont des bûtes.
Bipède ou quadrupède, assis ou couché,
gazouillant, jasant ou grognant, ils ont,
l'un comme l'autre, les mains ou les pattes,
les yeux, le cœur et les dents enfoncés dans
la matière, dévorant stupidement leur pâ-
ture sans lever la tête vers la main qui la
donne. L'homme qui agit ainsi se déclasse.
Bête il se met à table, bote il y reste, bête il
en sort.
Ma proposition te paraît bien absolue
et tu te récries. Est-il bien vrai, me dis-tu,
AU XIV e SIÈCLE.
303
qu'avant notre époque on ne connaissait
que les bêtes, bœufs, ânes, mulets, pour-
ceaux, huîtres, crocodiles qui mangeassent
sans prier? Rien de plus vrai. La prière sur
LES ALIMENTS EST AUSSI ANCIENNE QUE LE MONDE,
AUSSI ÉTENDUE QUE LE GENRE HUMAIN.
De toute antiquité on la trouve chez les
Juifs. « Lorsque tu mangeras, dit la loi de
Moïse, et que tu seras rassasié, bénis le Sei-
gneur (1). » Voilà bien la prière sur la nour-
riture.
Fidèle à cette prescription divine, les an-
ciens Juifs observaient, en mangeant, les
cérémonies suivantes. Le père de famille,
environné de ses enfants, disait : « Béni
soit le Seigneur notre Dieu, dont la bonté
donne la nourriture à toute chair. » Puis,
prenant de la main droite une coupe de vin,
il la bénissait en disant : « Béni soit le Sei-
gneur notre Dieu, qui a créé le fruit de la
vigne. » Il en goûtait le premier et le pas-
(I) Cum comederis et satiatus fueris, benodicas
Domino. (Deut., vin, 10.)
304
LE SIGNE DE LA CHOIX
sait à tous les convives, qui en goûtaient
aussi.
Venait ensuite la bénédiction du pain. Le
tenant tout entier des deux mains, le père
de famille disait : « Loué et béni soit le
Seigneur notre Dieu, qui a tiré le pain de
la terre. » Il rompait ensuite le pain, en
mangeait un morceau et en donnait un à
chaque convive. C'est alors seulement que
le repas commençait.
Lorsqu'on changeait de vin, ou qu'on ap-
portait de nouveaux plats, il se faisait des
bénédictions particulières, en sorte que
chaque aliment était purifié et consacré. Le
repas fini, on chantait un hymne d'actions
de grâces (1).
Tous ces rites sont d'autant plus vénéra-
bles, qu'ils ont été consacrés par le Fils de
Dieu lui-même. Rien n'en montre mieux
l'importance. Que fait l'adorable Précepteur
(I) Ex his omnibus apparet, veteres illos Judœos,
nullos cibosabsque benedictionc et gratiarum actione,
sumero fuisse solitos. (Stuckius, Antiq. convivial.,
lib. II, c. xxxvi, p. 436, éd. in-folio 1695.)
AU XIX e SIECLE.
305
du genre humain, dans la dernière cène,
où il mange l'agneau pascal avec ses disci-
ples ? Que fait-il, lorsqu'après la cène il
chante, avec ses disciples, l'hymne d'actions
de grâces : Et hymno dicto exierunt in mon-
tent Oliveti ? Il se conforme religieusement
aux usages de la nation sainte. Il prend la
coupe, la hénit et la passe à chacun des
convives (1).
Dans combien d'autres circonstances nous
voyons le Modèle éternel de l'homme prier
avant de prendre ou de donner la nourri-
ture ! « II rompt les pains, partage les petits
poissons, et les distribue au peuple. Ayant
pris les cinq pains et les deux poissons, il
élève les yeux au ciel et les bénit (2). »
Toutes ces expressions, suivant les Pères,
indiquent la bénédiction des aliments. Le
verbe incarné l'a fait pour nous apprendre
à ne jamais manger sans bénir et rendre
grâces (3).
(1) Et accepto calice gratias egit et dixit : Accipite
et (lividité inter vos. (Luc, xxn, 17.)
(2) Marc, vin. Matth., xiv.
(3) Consecrat sive benedicit panes... ut me doceret,
306 LK SIGNE DE LA CROIX
Est-il étonnant que nous ayons trouvé la
bénédiction de la table chez les premiers
chrétiens ? Les exemples de l'Homme-Dieu
n'étaient-ils pas la règle de leur conduite?
Les apôtres faisaient-ils autre chose que de
les leur rappeler ? Parmi nous, dit Polydore
Virgile, la coutume est de bénir la table
avant de manger : cela se fait à limitation
de Noire-Seigneur. L'Évangile rapporte qu'il
s'est conformé à cet usage, lorsque dans le
désert il bénit les cinq pains, et à Emmaus
la table des deux disciples (1). »
Et Tertullien : « La prière commence et
finit le repas (2). »
Je pourrais citer de nouveau saint Chry-
sostome, saint Jérôme, Origène, les Pères
ut mnnsam ittingentes gntiaa prias asamus et dein-
< ibum capiamus, etc. (Theopbylact., in Mntth..
XIV.)
il) Xostris mos est mensam jam instructam sacris
quibusdam sanctifican' rerbis, priusqaam vesti inci-
piiant. qnod a.l imitationem Christi Ht; quippe qui
ritum servaase fertur, cum in deserto quinque panes,
cum in Emauso corara duobus discipulis mensam
sanctificavit. (Apiul SluckiiK. p, 128.)
(2) Oratio auspicatur et claudit cibum. [Apol, m, 9.)
AU MX SIÈCLE.
107
latins et grecs (2). Mais le fait n'étant pas
contesté, à quoi bon multiplier les témoi-
gnages ? J'ajouterai seulement que nous
avons le Benedicite et les Grâces des pre-
miers chrétiens, en magnifiques vers de
Prudence : Christi prius Genitore potens, etc.
Ces chants après le repas sont une preuve
de plus de la ponctualité avec laquelle nos
aïeux se conformaient aux exemples de
Notre-Seigneur, comme lui-même s'était
conformé à l'usage des anciens Juifs, et
ceux-ci aux prescriptions de Dieu môme.
Nous les avons aussi en prose. Voici ces
monuments de notre antiquité trois fois vé-
nérable. Avant le repas : « vous qui don-
nez la nourriture à tout ce qui respire, dai-
gnez bénir les aliments que nous allons
prendre. Vous avez dit que, si jamais il nous
arrivait de boire quelque chose d'empoi-
sonné, nous n'en ressentirions aucun mal,
pourvu que nous invoquions votre nom,
car vous êtes tout-puissant. Otez donc de
(1) Voir Duranti,
p. 65R, édit. 1592.
Ue ritibus Eccl. cath., lib. II,
308
LE SIGNE DE LA CROIX
ces aliments tout ce qu'ils renferment de
malfaisant et de nuisible (1). »
Après le repas : « Béni soyez-vous, Sei-
gneur notre Dieu, qui nous avez nourris
depuis notre enfance et avec nous tout ce
qui respire. Remplissez nos cœurs de joie
afin que nous abondions en toute sorte de
bonnes œuvres, par Jésus-Christ Notre-
beigneur, à qui soit avec vous et le Saint-
Esprit, gloire, honneur et puissance. Ainsi
soit-il (2). »
Ces formules, profondément philosophi-
ques, comme nous le verrons bientôt, ont
traversé les siècles. Modifiées ou non elles
sont demeurées en usage chez tous les ca-
tholiques, jusqu'à notre époque. Mal-ré
leur hostilité contre l'Église, beaucoup de
protestants les ont conservées. Encore au-
jourd'hui, dans un grand nombre de famil-
les, en Allemagne et en Angleterre, les repas
ne se font jamais sans prière.
(1) Voir .Mamachi, Costum. de primitivi cristiam,
n\ S ' On S 0n -. m J oan., p. 36.
(t) btuckius, ubi supra, p. 129.
AU XIX SIÈCLE.
309
Ce qui te paraîtra plus étrange, la béné-
diction de la table se trouve cbez les peuples
païens. Oui, mon cber Frédéric, les Ro-
mains et les Grecs, ces modèles obligés de
la jeunesse du collège, faisaient religieuse-
ment ce dont rougissent tes camarades,
leurs disciples et leurs admirateurs. »
« Jamais les anciens, dit Athénée, ne pre-
naient leurs repas sans avoir imploré les
dieux (1). »
Parlant des Égyptiens en pasticulier, il
ajoute : «Après avoir pris place sur les lits
de table, ils se levaient, se mettaient à ge-
noux, et le chef du festin ou le prêtre com-
mençait les prières traditionnelles, qu'ils
récitaient avec lui : après quoi ils se remet-
taient à table (1). »
Même chose chez les Romains. A l'occa-
(1) Veteres nunquam cibum cepisse, nisi prius
deos plaçassent [Dipnosophis., lib. IV.)
(2) Post discubitum surgebant rursus, atque in ge-
nua procidebant, et praecunte prœcone, seu sacrorum
administra, patrias quasdam preces simnl profundc-
bant, quibus absolutis, denuo mensse accumbebant.
[Ibid., lib. IV.)
310 LE SIGNE DE LA CROIX
sion du meurtre d'un homme, ordonné pen-
dant un repas, pour plaire à une courtisane,
par le consul Quintus Flaminius, Tite-Livè
s'exprime ainsi : « Cet acte monstrueux fut
commis au milieu des vases remplis de vin,
au milieu d'un repas, où il est d'usage
de prier les dieux et de leur offrir des liba-
tions (1). »
Tu sais que les libations étaient une forme
de prière, connue partout et très-souvent
répétée. Les Romains, par exemple, en fai-
saient presque à toutes les heures du jour :
le matin en se levant, le soir en se mettant
au lit, lorsqu'ils entreprenaient quelque
voyage, dans les sacrifices, dans les maria-
ges au commencement et à la fin des repas.
Ces anciens maîtres du monde ne touchaient
jamais à leur nourriture, qu'après en avoir
consacré une partie à la divinité. La portion,
prélevée sur le festin, était mise sur un au Le!
ou sur une tablette Pâte 'la, qui en tenait
(1) Commissum est facinus hoc saevum atque atrox
mter pocula, atque epulas, ubi libare diis dapes, ub
bene precari mos esset. {Decad. iv, lib. IX.)
AU XIX SIÈCLE.
311
lieu. C'était leur Benedicite et leurs Grâces.
Remarquable perpétuité de la tradition !
Nous avons vu chez les Juifs des bénédic-
tions nouvelles, au changement de vin et
à chaque nouveau plat. Même usage chez
les Romains. Au second service, il y avait
des libations particulières en l'honneur des
dieux, qu'on croyait présider à la table.
Chaque convive répandait un peu de vin de
sa coupe sur la table ou à terre, avec cer-
taines prières adressées à ces dieux (1).
Les Grecs avaient servi de modèle aux
Romains. Chez eux, même fréquence et
même usage des libations, au commence-
ment et à la fin du repas ; mêmes prières
particulières au changement de vin.
« Chaque fois, dit Diodore de Sicile,
qu'on donnait du vin pur aux convives,
l'antique coutume était de dire : Don du bon
Génie ; et, lorsqu'à la fin du repas on donnait
du vin mêlé d'eau, on disait : Don deJupiUr
Sauveur; parce que le vin pur est aussi
(1) Dict. des Antiq., art. Libations.
312
LE SIGNE DE LA CHOIX
contraire à la santé de l'âme qu'à la santé
du corps (1). »
On ne s'en tenait pas à cette action de
grâces particulière ; il y en avait une géné-
rale qui terminait le repas et qui s'adressait
au maître des dieux (2).
L'usage de bénir la nourriture était si res-
pecté des païens, qu'il avait donné lieu à ce
proverbe : Ne tire pas du chaudron la nourri-
ture non sanctifiée : Ne a chytropode cibum
nondum sanclificatum rapias.
« Ce proverve, dit Érasme, signiûe : Ne
vous jetez pas sur les aliments comme les
botes ; et ne mangez qu'après avoir offert les
prémices aux dieux. En effet, chez les an-
ciens, au rapport de Plutarque, les repas,
même quotidiens, étaient mis au nombre
dos choses sacrées. Voilà pourquoi les con-
vives en consacraient les prémicesaux dieux,
(1) Olim moris fait quotios in cœna merum vinum
dabatur omnibus, ut dicatur : boni Dzmonis ; quum
posi cœnam aqua temporatum acclamabatur Jovis
Servatons, etc. (lib. TV.)
(2) Post cœnam a lotis manibus inferri solere cali-
cem Jovis Sorvatoris. (id., «lib. II.)
AU XIX SIÈCLE.
313
et témoignaient par leur maintien, que man-
ger était pour eux une chose mystérieuse et
sainte (1). »
Aussi, dans le célèbre banquet du fau-
bourg d'Antioche, Julien l'Apostat, pour
renouer publiquement la chaîne des tradi-
tions païennes, eut soin de faire bénir les
tables par le prêtre dAppollon (2).
Les barbares imitaient en cela les peuples
policés. Dans leurs repas, les Vandales fai-
saient circuler une coupe, consacrée à leurs
dieux par certaines formules (3).
Aux Indes, le roi ne goûtait d'aucun mets
qu'il n'eût été consacré au démon.
Malgré la différence de mœurs, de civi-
lisation et de climats, les habitants de la
zone glaciale avaient la même pratique que
ceux de la zone torride. Les anciens Li-
(1) Antiquitus enim, ut auctor est Plutarchus in
Symposittcis, inter res sacras babebatur niensa quoti-
tidiana, etc. (Apud Stuckius, p. 441.)
(2) Sozomen., Hist., lib. III, c. xiv.
('■>} Vandali in conviviis pateram circumferontes
olim certis vorbis consecrabant, sub norainibus deo-
rum. [Crmitz., lib. III, Vundal., c. xxxvn.)
18
314
LE SIGNE DE LA CROIX
thuaniens, les Samogi tiens et autres barbares
du Nord appelaient les démons eux-mêmes
à sanctifier leurs tables : et ils venaient.
Dans l'angle de leurs huttes étaient en-
tretenus des serpents familiers. A certain
jour, on les faisait monter sur la table, au
moyen d'une nappe blanche ; ils goûtaient
à tous les mets et rentraient dans leur trou.
Les viandes étaient sanctifiées, et les bar-
bares mangeaient sans crainte (1).
La bénédiction de la table se trouve éga-
lement chez les Abyssiniens, chez les Turcs
et chez les Juifs modernes. Fidèles aux tra-
ditions de leurs aïeux, ces derniers conser-
vent môme l'usage de plusieurs prières pen-
dant le repas. Ainsi, quand on apporte
des fruits, ils disent: «Béni soit le Seigneur
notre Dieu, qui a créé les fruits des ar-
bres. » Au dessert : « Béni soit le Seigneur
notre Dieu, quia créé différentes sortes d'a-
liments (2). »
(1) Stuckius, ubi supra.
(2) lùid., et c. xxxvm, De libationibus ante et post
epulas.
AU XI.V SIECLE.
315
Si matérialisés qu'ils soient, les peuples
actuels de l'Indo-Chine, de la Chine et du
Thibet ne font pas exception à l'usage uni-
versel, dont l'existence se retrouvera, j'en
suis convaincu, môme parmi les nègres les
plus dégradés de l'Afrique.
« Nous arrivâmes à la grande pagode
d'Ouên-chou-yuên, un peu avant onze heu-
res, écrit un missionnaire de Chine. C'était
le moment où les bonzes se mettaient à
table. Voici le spectacle dont nous fûmes
témoins. Dans un vaste réfectoire, quatre-
vingt-dix bonzes, placés dos à dos, assis
devant une longue table fort étroite, les
mains jointes, les yeux constamment fixés
à terre, chantaient en commun des paroles
qu'aucun de nous ne put comprendre. Cette
prière dura bien dix minutes. Le grand
bonze était au centre, derrière une idole
dorée, priant assis comme les autres, seul
devant une petite table plus élevée, d'où il
dominait l'assistance.
« Au milieu du réfectoire, et en face de
l'idole, était un autre bonze habillé de
316
LE SIGNE DE LA CHOIX
jaune, qui offrait au dieu une écuelle pleine
de riz. Les prières finies, le bonze qui of-
frait l'écuelle la plaça sous le menton du
dieu. Alors les servants se hâtèrent de
remplir les plats des différentes tables. Au-
cun des convives ne remuait. Le grand
bonze donna le signal, et tous se mirent à
l'œuvre. En un instant, ils dévorèrent bon
nombre de seaux de riz avec force auber-
gines, et rien de plus (1). »
Voilà bien le bénédicité dans sa forme la
plus solennelle. Ainsi le disaient les pre-
miers chrétiens, ainsi le disent encore les
séminaires et les communautés. Quel ha-
bile singe que Satan ! Nos missionnaires
ont retrouvé la bénédiction de la table jus-
que chez les sauvages les plus dégradés de
l'Amérique septentrionale. Au début du
repas ils jettent au dehors de leurs cabanes
les premiers morceaux de leurs festins,
comme la part réservée au Grand-Esprit,
(1) Annal, de la Prop. de la foi, n. 95, p. 340, an-
née 184i.
AU XIX SIECLE.
317
et lui offrent aussi les prémices de la fumée
qui sort de leur calumet (1).
Gomme je l'ai avancé, tu vois, cher ami,
que la prière, avant et après le repas, est
aussi ancienne que le monde, aussi étendue
que le genre humain. Or, si l'existence
d'une loi se reconnaît à la permanence des
effets ; si, par exemple, en voyant le soleil
se lever chaque jour à un point déterminé
de l'horizon, tout homme est fondé à dire
qu'une loi préside à ses mouvements ; ai-je
moins raison d'affirmer que béni?' les ali-
ments est une loi de V humanité?
L'observer, c'est faire comme tout le
genre humain. Ne pas l'observer, c'est faire
comme les êtres qui n'appartiennent pas au
genre humain : c'est liltéralement s'assi-
miler à la bête (2). Tu peux demander à tes
camarades si l'honneur y trouve son compte.
A bientôt l'explication de la loi qui or-
donne la bénédiction de la table.
(1) Annales, etc., n. 91C, p. 288.
(2) Homo cum in honore esset non intellexit, com-
paratus est jumentis insipicntibus, et similis factus
est illis. (Ps, xlviii.)
1S.
DIX-NEUVIÈME LETTRE
Ce 15 décembre.
Raison de la bénédiction de la table. — C'est un acte de li-
berté. — Trois tyrans : le monde, la chair, le démon. —
Triple victoire du signe de la croix et de la prière sur les
aliments. — Victoire sur le monde : Preuves. — Sur la chair :
Preuves. — Sur le démon : Preuves. — Remarquable témoi-
gnage de Porphyre. — Fait cité par saint Grégoire. —
Conclusion.
« Il n'y a que les crocodiles qui mangent
sans prier. » Tel est, me dis-tu, cher ami,
l'axiome qui résume vos deux dernières
lettres.
Ton mot restera.
« Mes camarades, ajoutes-tu, ont été,
comme vous dites en France, aplatis par
les faits que vous avez rappelés, faits tout
nouveaux pour eux. Malgré cela, pas plus
aujourd'hui que hier, ils ne font le signe de
la croix, avant et après leurs repas. Seu-
LE SIGNE DE LA CROIX AU XIX e SIÈCLE. 319
lement je puis le faire impunément : ils ont
peur de mon axiome. »
Ces détails n'ont rien qui m'étonne.
Comme tant d'autres, tes camarades et leurs
pareils, grands parleurs de liberté et d'indé-
pendance, sont esclaves, esclaves du tyran
le plus vil, le respect humain. Pauvres jeu-
nes gens! afin de masquer leur esclavage,
ils terminent leurs objections en disant :
Le siyne de la croix sur les aliments est une
pratique inutile et passée de mode.
Dans leur pensée intime, ce langage si-
gnifie : Tout ce qui ne mange pas comme
nous, c'est-à-dire comme les animaux,
appartient à l'espèce plus ou moins res~
pectable des ganaches. Les prêtres et les
religieux, ganaches ; les vrais catholiques
de tous les pays, ganaches ; les Juifs, les
Egyptiens, les Grecs, les Romains, gana-
ches; l'élite de l'humanité, ganache; l'hu-
manité tout entière, ganache; mon père,
ma mère, mes sœurs, ganaches; moi et
mes pareils, nous sommes seuls sages sur
la terre, seuls éclairés parmi les mortels.
320
LE SIGNE DE LA CROIX
J'ai donc à déchirer le masque dont ils
essayent de se couvrir. Il suffît pour cela
de montrer que la bénédiction de la table
avec le signe de la croix, est un acte de li-
berté, un acte très-utile, un acte qui n'est
passé de mode que dans les basses régions
du crétinisme moderne. Jointe à la raison
et à l'honneur, cette dernière considération
justifie pleinementnotre conduite, en même
temps qu'elle rend compte de la pratique
universelle du genre humain.
La liberté. Trois se disputent la liberté
de l'homme, la tienne, la mienne, aussi
bien que celle de tes camarades. Ces tyrans
sont : le monde, la chair, le démon. C'est
pour n'être esclaves aucun d'eux, que nous
faisons, et toute l'humanité avec nous, la
bénédiction de la table. Nous l'avons vu, et
je le répète : ne pas faire le signe de la croix
avant de manger, c'est se séparer de l'élite
de l'humanité; ne pas prier c'est s'assimiler
à la bête. Dans l'un et l'autre cas, c'est être
esclave.
La soumission à un pouvoir despotique
AU XIX e SIÈCLE. 32 1
constitue l'esclavage. Le pouvoir despoti-
que est celui qui n'a pas le droit de com-
mander, ou qui commande contre la rai-
son, contre le droit, contre l'autorité. Quel
est donc le pouvoir qui me défend de faire
le signe de la croix avant de manger, et,
qui, si j'ai le courage de lui désobéir, me
menace de ses moqueries ? Quel est son
droit ? De qui tient-il son mandat ? Où sont
les titres qui le recommandent à ma doci-
lité, les raisons qui motivent sa défense ?
Ce pouvoir usurpateur, c'est le monde
actuel : monde inconnu dans les annales
des siècles chrétiens, monde des salons,
des théâtres, des cafés, des cabarets, de
l'agiotage et de la bourse; c'est l'usage de
ce monde, l'impiété de ce monde, l'épais
matérialisme de ce monde : la Béotie de
l'intelligence. Or, cette minorité, née d'hier
et déjà décrépite, cette minorité factieuse
en insurrection permanente contre la rai-
son, contre l'honneur, contre le genre hu-
main, a la prétention de m'imposer ses ca-
prices !
322
LE SIGNE DE LA CROIX
Et je serais assez faible pour m'y soumet-
tre! Et, après avoir fait divorce avec la rai-
son, avec l'honneur, avec l'élite de l'huma-
nité, j'aurais le courage déparier de dignité
de liberté, d'indépendance! Vaine parade'
Sous les oripeaux de l'orgueil perceraient
les 1ers de l'esclave; mon masque troué ca-
cherait mal la figure de la bête. Et le bon
sens irait répétant sur mon passage : Mtdas
le roiMidas a des oreilles d'âne. Que les indé-
pendants d'aujourd'hui soient flattés d'un
pareil compliment, c'est leur affaire. Pour
nous autres ganaches, nous n'en voulons à
aucun prix.
Honteux est l'esclavage du monde, plus
honteux est l'esclavage du vice. L'ingrati-
tude est un vice; la gourmandise est un
vice; l'impureté est un vice. Contre ces ty-
rans nous protègent le signe de la croix et
la prière avant et après le repas.
L'ingratitude. Il y a aujourd'hui deux re-
ligions : la religion du respect et la religion
du mépris.
La première respecte Dieu, l'Église, l'an-
AU XIX SIÈCLE.
323
torité, la tradition, l'âme, le corps, les créa-
tures. Pour elle, tout est sacré; car tout
vient de Dieu, tout appartient à Dieu, tout
doit retourner à Dieu. Elle m'apprend à user
de tout en esprit de dépendance, car rien
n'est à moi; en esprit de crainte, car il fau-
dra rendre compte de tout; en esprit de re-
connaissance, car tout est bienfait, même
l'air que je respire.
La seconde méprise tout : Dieu, l'Église,
l'autorité, la tradition, l'âme, le corps et les
créatures. Ses sectaires usent et abusent de
la vie et des biens de Dieu, comme s'ils en
étaient propriétaires, ej, propriétaires irres-
ponsables. La première porte écrit sur sa
bannière : reconnaissance ; la seconde : in-
gratitude.
L'une et l'autre signalent leur présence
au moment où l'homme s'assimile, par la
manducalion, les dons divins nécessaires
à sa vie. Fidèle à la religion du respect,
l'élite de l'humanité prie et rend grâces. Elle
a trop le sentiment de sa dignité, pour se
confondre avec la bête; et trop le sentiment
324
LE SIGNE DE LA. CH01.'
du devoir, pour rester muette à la vue des
biens dont elle est comblée.
Si l'ingratitude à l'égard de l'homme est
odieuse, elle la trouve, avec raison, mille fois
plus odieuse à l'égard de Dieu. Être esclave
d'un pareil vice, est une flétrissure qu'elle
n'accepte pas. Honte à celui pour qui la re-
connaissance est un poids difficile à porter :
le cœur ingrat ne fut jamais un bon cœur.
L'adepte de la religion du mépris rougit
de la reconnaissance. Et il mange comme la
bote, ou comme le fils dénaturé qui ne trouve,
ni dans son cœur un sentiment de tendresse,
ni sur ses lèvres un mot de gratitude pour
le père, dont l'inépuisable bonté pourvoit à
ses besoins et môme à ses plaisirs. « Le
Toyez-vous, disait un illustre chancelier
d'Angleterre, cet enfant bien élevé qui, assis
à la table de son père, mange son pain sans
jamais parler de lui, l'outrage souvent par
ses paroles, et, a peine repu, lui tourne le dos,
comme à l'étranger auquel il ne doit rien (1)!»
(1) Th. Morus, an. Durant), De ritibus, etc., lib. II,
p. 5;,9.
AU XIX e SIÈCLE.
325
Et parce qu'il s'affranchit du devoir, il se
croit libre! Il se proclame indépendant ! In-
dépendant de qui et de quoi? Indépendant
de tout ce qu'il faut respecter et chérir : dé-
pendant de tout ce qu'il faut haïr et mépri-
ser. Glorieuse indépendance, vraiment!
La gourmandise. Autre tyran qui se met
à table avec nous. Enchaînant aux viandes
la vue, le goût, l'odorat, il jette l'homme en
adoration devant le dieu-ventre. Au lieu de
parler de l'abondance du cœur, sa bouche
ne parle plus que de l'estomac. Ce n'est pas
la qualité réparatrice qu'il cherche dans les
aliments, c'est le goût. Il ne mange pas pour
vivre, il vit pour manger.
En attendant, l'organisme développe son
empire; l'intelligence s'épaissit, l'âme de-
vient esclave. La bonne chère est incompa-
tible avec la sagesse. Jamais grand homme
ne fut gourmand : tous les saints ont été des
modèles de sobriété (1).
(I) Sapientia non invenitur in terra suaviter viven
tiura. ( Job. xxviii, I3.J
19
326
LE SIGNE DE LA CHOIX
Remarque bien, mon cher ami, que je ne
parle de la gourmandise que comme re-
cherche des aliments, délicatesse dans le-
choix, avidité et sensualité dans le manger.
Trop souvent elle est suivie de l'intempé-
rance. Or, l'intempérance traîne à sa suite
un tel cortège d'infirmités et de maladies,
que la gourmandise tue plus d'hommes que
l'épée : plures occidit crapula quam gla-
dius (1).
Ainsi, Nabuchodonosor, Pharaon, Alexan-
dre, César, Tamerlan et tous les bourreaux
couronnés qui jonchèrent le monde de ca-
davres, ont fait périr moins d'hommes que
la gourmandise. Redoutable mystère, qui
montre tout ce qu'il y a de profonde sa-
gesse dans l'usage du signe de la croix et de
la prière avant et après le repas.
Par là, nous appelons Dieu à notre secours
et nous nous armons contre un ennemi per-
fide, qui attaque tous les âges, tous les sexes,
toutes les conditions, et qui tend à nous en-
Ci) Vigilia, choiera et tortura viro infrunito. (Eccli.,
ixxi, 23, et xxxvii, 34.)
AU XIX e SIÈCLE.
327
chaîner aux plus grossiers instincts. Par là
nous apprenons que manger est une guerre,
et que, pour n'être pas vaincus, il faut, sui-
vant le mot d'un grand génie, prendre les
aliments comme on prend les remèdes, par
besoin, non par plaisir (1).
L'impureté. Commencé par la gourman-
dise, l'esclavage de l'âme fmitpar l'impureté.
— Qui nourrit délicatement sa chair, en su-
bira les honteuses révoltes. — L'esclave
gras et dodu regimbe. — Chose luxurieuse
que le vin. — Dans le vin réside la luxure.
— Le vin pur est aussi contraire à la santé
de l'âme qu'à la santé du corps. — Bu in-
considérément, il écume en volupté. — Dans
l'estomac du jeune homme le vin est l'huile
dans le feu.
— La gourmandise est la mère de la luxure,
et le bourreau de la chasteté. — Être gour-
mand et prétendre être chaste, c'est vouloir
éteindre un incendie avec de l'huile. — La
(1) Hoc docuisti me, Domino, ut quomadmodum nie-
dicamenta, sic alimenta sumpturus accodam. (S. Aug.,
Confess., lib. X, c. xxxi.)
328 LE SIGNE DE LA CROIX
gourmandise est l'éteignoir de l'intelligence.
— Le gourmand est un idolâtre, il adore le
dieu-ventre. Le temple du dieu-ventre, c'est
la cuisine; l'autel, la table; les prêtres, les
cuisiniers; les victimes, les plats; l'encens,
l'odeur des viandes. — Ce temple est l'école
de l'impureté.
Bacchus et Vénus se donnent la main.
— La gourmandise nous attaque toujours :
si elle triomphe, elle appelle aussitôt sa
sœur, la luxure. La gourmandise et la luxure
sont deux démons inséparables. — La mul-
titude des plats et des bouteilles attire la
multitude des esprits immondes : le plus
mauvais de tous est le démon du ventre. —
La santé physique et morale des peuples se
calcule sur le nombre des cuisiniers (1).
(l)Luxuriosa res vinum. Prov., xx, I, — Gula ge-
nitnx est luxurias et castitatis carnifex (S Hier He-
!)id. monach., c. xxxvi.) - Qui, ventri dum obsèqui-
tur, formcationis spiritum vincere vult, is ei similis
est qui oleo incendium extinguere nititur. (S. Joan
Chm., Grad., xiv.) — Doo ventri tcraplum est cc~
quina; altare, mensa ; ministri, coqui; immolatœ pe-
cudes, cocta3 carnes ; fumus incensorum, odor sapo-
rum. (Hug. a S. Vict., De claustr. anim., lib. II c
AU XIX SIÈCLE.
329
Tu viens d'entendre les oracles de la sa-
gesse divine et de la sagesse profane. C'est
la voix des siècles confirmée par l'expérience.
Quel moyen pour l'homme de conserver sa
liberté en face d'un ennemi, d'autant plus
dangereux qu'il enchaîne et qu'il tue en
flattant? Le passé et le présent n'en con-
naissent qu'un seul : c'est le secours de Dieu.
L'avenir n'en connaîtra pas d'autre.
Le secours de Dieu s'obtient par la prière.
Une prière spéciale a été établie et prati-
quée chez tous les peuples, pour fortifier
l'homme contre les tentations de la table.
Ceux qui la font n'en sortent pas toujours
xix.) — Esus carnium et potus vini, vontrisque satu-
ritas, scminai'ium libidinis est : undo comicus : Sine
Cerere, inquit, ot Libero friget Venus. (S. Hier., ad
Jovin,, lib.II.) — Immundi spiritus se magis injiciunt,
ubi plus viderint escarum etpotuum. (S. Isidor. Hisp. ,
De sum. bono, sent. c. xliv, sent. 3.) — Gula semper
est in pugna... Si gulam non vieeris, sed ipsa te vi-
cerit, statimadvocatsororem suam luxuriam. (S. Bern.,
De inter. (Dom., c. xxxix; S. Donav., De pugn. spirit.,
c. H.) — Gula et Luxuria, conjurata dœmonia. (Ter-
tull.) — Multos raorbos, multa fccula ferunt : innu-
merabiles esso morbos miraris? coquos numera. (Se-
nec, Ep. xcv, etc., etc.)
330
LE SIGNE DE LA CHOIX
victorieux (1). Et ceux qui ne la font jamais,
qui la dédaignent, qui s'en moquent, vou-
draient nous persuader qu'ils demeurent
toujours maîtres du champ de bataille !
Pour les croire, il faut d'autres preuves
que des paroles : il faut des faits. Les faits
sont des mœurs. Qu'ils montrent donc au
grand jour les mystères de leurs pensées,
de leurs désirs, de leurs regards, de leurs
discours intimes, de leur conduite. Mais pa-
reille exhibition n'est pas nécessaire : nous
l'avons chaque semaine dans les bordereaux
du scandale et de l'immortalité publique.
Le démon. C'est ici que brille de tout son
éclat l'ignorance stupide du monde actuel.
Sans doute le devoir sacré de la reconnais-
sance, ainsi que l'impérieuse nécessité de
nous défendre contre la gourmandise et la
volupté, justifient pleinement l'usage de la
bénédiction de la table. J'ose ajouter ce-
ci) Quis est, Domine, qui non raptatur aliquantu-
lum extra metas necessitatis? quisquis est raagnus,
magnificot nomen tuum : ego autom non sum, quia
peccatorhomo sum. (S. Aug., Confess., lib. X, 310
AU XIX e SIECLE. 331
pendant qu'il repose sur une raison plus
puissante et plus profonde. Nous l'avons
dit : il y a un dogme dont le genre humain
n'a jamais perdu le souvenir, c'est l'asser-
vissement de toutes les créatures au prince
du mal, depuis sa victoire sur les pères de
notre race.
Tous les peuples ont cru, comme à l'exis-
tence de Dieu, que les créatures, pénétrées
des malignes influences du démon, étaient
les instruments de sa haine contre l'homme,
De là, cette variété infinie de purifications;
employées dans toutes les religions, dans
tous les siècles et sous tous les climats.
Mais il est une circonstance où l'usage de
ces purifications se montre invariable : c'est
la manducation.
L'université, l'inflexibilité de cet usage
au moment du repas, est fondée sur deux
faits. Le premier, que le démon de la table
est le plus dangereux (1) ; le second, que
l'union opérée par la manducation entre
l_l) lis qui ad luxum mensarum propensi surit, prie-
est drcmon belluo maximus, quem ego non verebor
332 LE SIGNE DE LA CROIX
l'homme et la nourriture est de toutes la
plus intime: elle va jusqu'à l'assimilation.
De l'aliment qu'il a digéré l'homme peut
dire : C'est l'os de mes os, la chair de ma
chair, le sang de mon sang.
_ Voilà pourquoi, les créalures étant vi-
ciées, Dieu n'a jamais permis que l'homme
perdît de vue le danger extrême d'une
pareille communication. Que cette crainte
universelle soit la profonde raison d'être
du signe de la croix et de la prière sur les
aliments, la preuve en est dans les formules
mêmes de la bénédiction et d'action de grâ-
ces. Chrétiennes ou païennes, toutes, sans
exception, demandent l'éloignement des in-
fluences malfaisantes, dont les créatures
sont remplies.
Veux-tu quelque chose de mieux, et qui
sera, pour tes camarades, plus convaincant
que toutes les autorités prises dans l'Église?
Le plus grand théologien du paganisme,
appellari ventris dœmonom, daanonum omnium pes-
simum et permciosissimum. (Clcm. Alex., Pœ/og
lit). 11, c. I.) J '
AU XIX e SIÈCLE. 33a
l'interprète le plus savant des mystères et
des rites de l'ancienne idolâtrie, Porphyre,
dit en propres termes : « Il faut savoir que
toutes les habitations sont pleines de dé-
mons. C'est pourquoi on les purifie, enchâs-
sant ces hôtes malfaisants, toutes les fois
qu'on veut prier les dieux.
« Bien plus, toutes les créatures en sont
remplies ; car ils savourent particulière-
ment certains genres de nourriture. Aussi,
lorsque nous nous mettons à table, ils ne pren-
nent pas seulement place à côté de nous, ils
s'attachent encore à notre corps. De là vient
l'usage des lustrations, dont le but princi-
pal n'est pas tant d'invoquer les dieux que
de chasser les démons.
« Ils se délectent surtout dans le sang et
dans les impuretés, et, pour s'en rassasier,
ils s'introduisent dans le corps de ceux qui
y sont sujets. Nul mouvement violent de
volupté dans la chair, nul appétit véhément
de la convoitise dans l'esprit, qui ne soit
excité par la présence de ces hôtes (1). »
(1) Plense siquidem sunt eorum (improborum dos-
334
LE SIGNE DE LA CHOIX
Est-ce saint Paul que nous venons d'en-
tendre ? On le croirait, tant est précise cette
révélation des mystères du monde surna-
turel. Outre les influences occultes et per-
manentes des démons sur notre nourriture,
Dieu permet de temps à autre des faits
éclatants qui révèlent et la présence de l'en-
nemi et la nécessité de l'éloigner des ali-
ments, avant d'en faire usage.
On lit dans saint Grégoire le Grand :
a Au monastère de l'abbé Équitius, il est
arrivé qu'une religieuse, entrant un jour
dans le jardin, vit une laitue qui excita
son appétit. Elle la prit, et, oubliant de
faire le signe de la croix, elle en mangea
avec avidité. A l'instant même, elle fut pos-
monum) œdes univers», quas ante propterea ipsis
ejiciendis expliant, quotics diis supplicaturi sunt. Quin
etiam eorumdem plena sunt corpora, quod certo quo-
dam ciborum génère prascipue delectantur. Itaque re-
cumbentibus nobis non accedunt ipsi modo, sed etiam
nostnim ad corpus adhrcrescunt, quae causa est quam-
obrom lustrationes adliiberi censueverint, non utique
propter Deos potissimum, sed potius ut dœmones re-
cedere atque alio migrare cogantur, etc. (Apud Eu-
seb., Prœp. evang., lib. IV, c. xxn.)
AU XIX SIÈCLE.
335
sédée du démon, renversée par terre, et en
proie à d'affreuses convulsions.
« Le vénérable abbé accourt et se met
en prière, demandant le soulagement de
celte malheureuse. Bientôt le démon, tour-
menté à son tour, se met à crier : Qu'ai-je
fait ? qu'ai-je fait ? J'étais sur cette laitue ;
elle ne m'en a pas éloigné, et elle en a
mangé. Au nom de Jésus-Christ le saint
abbé lui ordonna de sortir du corps de
cette servante de Dieu et de ne plus oser
jamais la molester. Le démon obéit, et
la religieuse fut pleinement guérie (1). »
Ainsi, les. faits parlent comme les té-
moignages ; la théologie païenne, comme
la théologie chrétienne; l'Orient comme
l'Occident ; l'antiquité,' comme les temps
modernes; Porphyre, comme saint Grégoire.
Quelle autorité ont tes camarades à opposer
à cette autorité?
Dire que le genre humain est une gana-
che, et l'usage universel de bénir les
(I) Dial, lib. I, Dial. iv.
336 LE SIGNE DE LA CROIX AU XIX e SIÈCLE.
aliments une superstition passée de mode
c'est facile, c'est poli et surtout concluant.
Toutefois, comme je ne me paye pas de
mots, dis-leur que si, pour s'autoriser à ne
pas bénir la table, ils peuvent donner une
saule raison qui vaille un sou de Monaco,
je promets à chacun d'eux un buste au
Panthéon.
Et, en attendant, il reste établi que prier
avant de manger est une loi de l'humanité ;
et qu'il était réservé à notre époque de
produire des esprits assez forts pour trou-
ver glorieux de s'assimiler publiquement,
deux fois le jour, au chien, au ebat, au cro-
codile.
Je te laisse sur cette vérité, en t'annon-
çant pour demain un nouveau point de vue.
VINGTIÈME LETTRE
Ce 16 décembre.
Le signe de la croix est un guide qui nous conduit. — Besoin
d'un guide. — Etat de l'homme ici-bas. — Le signe de la
croix conduit l'homme à sa fin par le souvenir et par l'imi-
tation. — Souvenir qu'il rappelle. — Souvenir général. —
Souvenir particulier. — Imitation particulière.
Ennobli, instruit, enrichi, protégé parle
signe de la croix, que reste-t-il à l'homme
pour atteindre heureusement le but de son
pèlerinage? Il lui reste à trouver un guide
sûr qui le conduise.
Comme l'archange Baphaël, envoyé pour
accompagner le jeune Tobie dans son loin-
tain voyage, le signe de la croix se pré-
sente, et offre de nous rendre à tous, à
toi comme à moi, cher ami, le même ser-
vice. Tel est le dernier point de vue sous
lequel nous allons envisager ce signe ado-
rable.
338
LE SIGNE DE LA CROIX
Voyageurs pour le ciel, le signe de la
CROIX EST UN GUIDE QUI NOUS CONDUIT. — Il
est minuit, le tonnerre gronde de toutes
parts, la pluie tombe à torrents, les bêtes
féroces sorties de leurs tanières rugissent
et courent dans tous les sens. On n'entre-
voit les objets qu'à la lueur des éclairs.
Tu es seul au milieu de votre forêt Noire,
telle qu'elle était du temps de César, im-
mense, horrible, sans route, ni sentier, ni
habitation, vaste repaire de ces grands ours
de Germanie dont la vue effrayait les Ro-
mains, jusque sur les gradins inaccessibles
du Colisée.
Que devenir? Sens-tu le besoin d'un
guide charitable qui, apparaissant subite-
ment à tes côtés, viendrait te rassurer par
sa présence, et te donner la main, pour te
conduire, sain et sauf, au milieu de ta fa-
mille?
Faibles images de la réalité! La forêt
Noire, c'est le monde ; la tempête avec ses
ténèbres, ses tonnerres, ses dangers, ses
terreurs, c'est la vie. Où suis-je ? Où vais-
J e
AU XIX e SIÈGLIÎ. 3 39
? Quel chemin prendre? A.u milieu do
cette nuit pleine d'angoisses, voilà les pre-
mières questions que s'adresse l'homme
éperdu.
La réponse ne se fait pas attendre : elle
est tout entière dans le signe de la croix.
Aussi, l'Église, pleine de sollicitude, lui
apprend à le faire dès le berceau. Interprété
par la voix de sa mère, le signe éloquent
dissipe toutes les ténèbres, illumine la route
et oriente la vie.
« Venu de Dieu, dit-il à l'homme, tu re-
tournes à Dieu. Image de Dieu qui est
amour, tu dois retourner à Dieu par l'a-
mour. L'amour comprend le souvenir et
l'imitation. Te souvenir de Dieu et imiter
Dieu : voilà pour toi la voie, la vérité, la
vie. Comprends-moi, et tu accompliras sans
peine les deux lois fondamentales de ton
existence. » Rien de plus vrai que ce lan-
gage du guide divin : quelques détails suffi-
ront à le montrer.
Le souvenir. On le dit en France, comme
en Allemagne, comme partout; aujour-
3 4<> LE SIGNE DE IA CROIX
d'hui, comme il y a quatre mille ans • le
souvenir est le pouls de l'amitié. Tant que
le pouls bat, la vie existe. Elle s'éteint
quand il cesse de battre. De même, tant que
le souveuir de l'objet aimé subsiste, l'affec-
tion continue. Elle languit, quand le sou-
venir s'efface; elle s'éteint, quand il dispa-
raît. Tout cela, comme tu le sais, est élé-
mentaire.
On est tellement convaincu que le sou-
venir estun signe, une cause, une condition
des affections humaines, que les amis ne
manquent pas de se dire en se quittant :
JSe m oubliez pas; je ne vous oublierai jamais ■
et de se donner des objets pour entrete-
nir, malgré l'absence, le souvenir récipro-
que.
U en est de l'amour de Dieu comme des
amitiés humaines. Le souvenir en est le si-
gne, l'âme et la vie. Nous souvenir de Dieu
étant la première loi de notre être, il était
de la Sagesse infinie de nous donner un
moyen de l'accomplir. Cette loi étant uni-
verselle, ce moyen devait être universel.
AU XIX SIÈCLE.
341
Cette loi étant pour tous, riches et pauvres,
savants et ignorants, hommes, de loisir et
hommes de peine, ce moyen devait être
accessible à tous. Cette loi étant fondamen-
tale, ce moyen devait être d'une grande
efficacité.
Je viens de dire, mon cher Frédéric, que
la loi du souvenir est une loi fondamentale
de l'humanité. La justification de cette pa-
role va te montrer, sous un nouveau jour,
l'importance du signe de la croix.
Ce qu'est le soleil dans le monde physi-
que, Dieu l'est à tous égards, et plus en-
core, dans le monde moral. Qu'au lieu de
continuer à verser sur le globe ses torrents
de lumière et de chaleur, le soleil s'éteigne
tout à coup : imagine ce que devient la na-
ture.
A l'instant, la végétation s'arrête; les
fleuves et les mers deviennent des plaines
de glace, la terre se durcit comme le ro-
cher. Tous les animaux malfaisants, que la
lumière enchaîne au fond des forêts, sor-
tent de leurs cavernes, et par d'affreux hur-
3. '.2
LE SIGNE DE LA CHOIX
Iemcnts, s'appellent au carnage. Le trouble
et l'épouvante s'emparent de l'homme.
Partout régnent la confusion, le désespoir,
la mort : quelques jours suffisent pour ra-
mener le monde au chaos.
Que Dieu, soleil nécessaire des intelli-
gences, vienne à disparaître : aussitôt la
vie morale s'éteint. Toutes les notions du
bien et du mal s'effacent. La vérité et l'er-
reur, le juste et l'injuste se confondent dans
le droit du plus fort. Au milieu de ces
épaisses ténèbres, toutes les hideuses cupi-
dités, tous les instincts sanguinaires, as-
soupis dans le cœur de l'homme, se réveil-
lent, se déchaînent, et, sans crainte comme
sans remords, se disputent les lambeaux
mutilés des fortunes, des cités et des em-
pires. La guerre e^l partout : guerre de
tous contre tous, qui fait du monde un
vaste repaire de voleurs et d'assassins.
Ce spectacle, l'œil de l'homme ne l'a ja-
mais vu, pas plus qu'il n'a vu l'univers sans
l'astre qui le vivifie. Mais ce qu'il a vu,
c'est un monde où, semblable au soleil voilé
AU XIX e SIÈCLE.
343
par d'épais nuages, l'idée de Dieu ne jetait
plus qu'une lueur incertaine.
Alors les tâtonnements sans fin, des sys-
tèmes creux et immoraux, des superstitions
grossières et cruelles, les passions à la place
des lois, les crimes à la place des vertus, le
matérialisme àla base, le despotisme au som-
met, l'égoïsme partout, avec les combats de
gladiateurs et les festins de chair humaine.
Moins complet que chez les païens, l'ou-
bli de Dieu produisait cependant chez les
Juifs des effets analogues. Par l'organe des
prophètes, vingt fois le Seigneur attribue à
ce crime les iniquités de Jérusalem et les
châtiments dont elle est accablée. Or, tu
le sais, Jérusalem est le type des peuples.
« Yoici ce que dit le Seigneur : Qui a ja-
mais ouï parler d'horreurs pareilles à celles
que commet la vierge Israël... parce qu'elle
m'a oublié? Tu as marché dans la voie de
ta sœur Samarie, et je mettrai sa coupe
dans ta main. Tu boiras la coupe de ta
sœur, coupe large et profonde, et tu devien-
dras la risée des nations.
3 *4 LE SIGNE DK LA CROIX
« Tu seras enivrée de douleurs, enivrée
du calice de l'amertume et de la tristesse,
du calice de ta sœur Samarie. Et tu le boi-
ras, et tu l'épuiseras jusqu'à la lie, et tu
en dévoreras les fragments, et tu te déchire-
ras les entrailles. Parce que tu m'as oublié
et que tu m'as mis au-dessous de ton corps,
tu porteras ton crime et le châtiment de
ton crime (1). »
Peut-on caractériser avec plus d'énergie
les suites funestes de l'oubli de Dieu? Or,
l'énormité du crime se mesure à la sainteté
de la loi dont il est la violation. Le souve-
nir de Dieu est donc la loi vitale de l'huma-
nité. Sur cette base, calcule l'importance
du signe de la croix, spécialement destiné
à faire vivre dans l'homme ce souvenir sa-
lutaire.
J'ai dit tpéaalement, et pour cause. Le
signe de la croix est un vase tout rempli
de souvenirs divins. En \c faisant, tous ces
souvenirs divins, comme une liqueur vivi-
(1) Jérém., xviii, 13, 15. Ezech., xxm, 31, 35. Is.,
lvii, 11, etc., etc.
AU XIX SIÈCLE.
345
fiante, se répandent jusque dans les pro-
fondeurs de mon être, je me souviens né-
cessairement du Père ; Je me souviens néces-
sairement du Fils ; je me souviens nécessai-
rement du Saint-Esprit. Je me souviens du
Père créateur; du Fils rédempteur; du Saint-
Esprit sanctificateur.
Le Père rappelle à toi, comme à moi,
comme à tout homme qui a un esprit pour
comprendre et un cœur pour aimer, tous les
bienfaits divins dans l'ordre de la création.
J'existe, et c'est à vous, Père des pères, que je
dois la vie, la vie, base de tous les biens na-
turels, la vie que vous m'avez donnée, de
préférence à tant de millions d'êtres possibles.
Je vous dois la conservation de la vie
Chaque battement de mon cœur est un bien-
fait. Vous le renouvelez à chaque seconde
du jour et de la nuit. Vous le continuez de-
puis de longues années, malgré mon ingra-
titude, malgré le mauvais usage que j'en
fais. Vous me le continuez préférablement
à tant d'autres qui, nés avec moi, après
moi, sont morts avant moi.
346
LE SIGNE DE LA CROIX
Je vous dois tout ce qui entretient, con-
sole et embellit la vie. Et le soleil qui m'é-
claire, et l'air que je respire, et la terre qui
me porte, et les aliments qui me nourrissent,
et les animaux qui me servent, et les vêle-
ments qui me couvrent, et les remèdes qui
me guérissent, et mes parents, et mes amis,
et mon corps avec ses sens, et mon âme avec
ses facultés, et toutes les créatures visibles
et invisibles, mises si magnifiquement à mon
service : Père créateur, je vous dois tout.
Le Fils rappelle tous les bienfaits divins
dans l'ordre de la Hédemplion. Quand je le
prononce, ô Fils adorable ! votre nom me
transporte dans les splendeurs de l'éternité.
Là, je vous vois égal au Père, assis sur le
môme trône, heureux d'une félicité infinie.
l'iiis, tout à coup, je tombe dans une
pauvre étable, devant une pauvre crèche ;
et là, je vous vois petit enfant, dénué de
tout, tremblant de froid, couché sur un peu
de paille, à peine réchauffé par les caresses
de votre mère et par le souffle de deux ani-
maux.
AD XIX e SIÈCLE.
347
De la crèche j'arrive à la croix. Quel spec-
tacle ! Vous, mon Dieu, le monarque des
mondes, le roi des anges et des hommes,
pendu à un gibet entre le ciel et la terre,
encadré de deux -voleurs, le corps déchiré,
les membres percés, la tête couronnée d'é-
pines, le visage souillé de sang et de cra-
chats : et tout cela par amour pour moi !
La croix me conduit au tabernacle. De-
vant mon Dieu anéanti; devant mon Dieu
devenu mon pain ; devant mon Dieu devenu
mon prisonnier, mon serviteur, obéissant à
ma voix, à la voix d'un enfant : devant cet
abrégé de tous les miracles de l'amour, ma
bouche reste muette. Aussi bien la langue
des hommes et la langue des anges sont im-
puissantes à balbutier quelque chose d'un
mystère, que seul l'amour infini a pu con-
cevoir.
Le Saint-Esprit rappelle tous les bienfaits
divins dans l'ordre de la sanctification.
Amour consubstantiel du Père et du Fils,
c'est à vous que le monde est redevable de
tout. Le Yerbe incarné, son Rédempteur, il
34S
LE SIGNE DE LA CROIX
vous le doit: qui conceptus est de Spirttu
cto. Marie, sa mère, il vous la doit: Spi-
ritus Sanctus superveniet in te. La sainte
Église catholique, cette autre mère qui est
pour le monde et pour moi ce que Marie est
pour Jésus, il vous la doit: Credo in Spiri-
tttm Sanclum, sanctam Ecclesiam.
Ses entrailles m'ont porté, son lait m'a
nourri, ses sacrements me fortifient et me
guérissent. A elle, je dois la communion des
Saints, glorieuse société qui me met en rap-
ports intimes, moi chétive créature, avec
toutes les hiérarchies angéliques, avec tous
les saints, depuis Abel jusqu'au dernier des
élus. A elle je dois la conservation de l'É-
vangile, lumineux flambeau, inestimable
bienfait, qui a tiré le genre humain de la
barbarie et qui l'empôche d'y retomber.
Connais-tu un souvenir aussi fécond,
aussi éloquent que le signe de la croix? Le
philosophe, le politique, le chrétien, deman-
dent quelquefois des livres à méditer : en
voilà un qui peut remplacer tous les autres.
Ce livre, intelligible à toute tribu, lisible à
AU XIX e SIÈCLE.
3 49
toute heure, gratuitement donné, est entre
les mains de tous. Ainsi Dieu l'a fait; et ce
qu'il a fait est bien fait.
L'imitation. Nous souvenir de Dieu est la
première loi de notre être. Tu vois, cher ami,
l'importance de cette loi, et comment le si-
gne de la croix nous aide à l'accomplir.
Imiter Dieu, est une autre loi non moins
fondamentale. Sur ce point, le moindre
doute n'entra jamais dans un esprit sensé.
Tout être n'est-il pas obligé de tendre à
sa perfection? N'est-ce pas pour cela, et
uniquement pour cela, que la vie lui a été
donnée? La perfection d'un être, quel qu'il
soit, ne consiste-t-elle pas dans sa ressem-
blance avec le type sur lequel il a été formé?
Le tableau n'est-il pas d'autant plus parfait,
qu'il exprime mieux les traits du modèle ?
L'homme est fait à l'image de Dieu. Co-
pier trait pour trait cette divine image, n'as-
signer à sa perfection d'autres bornes que la
perfection même de son sublime modèle .
telle est la loi de son être et le labeur obligé
de sa vie tout entière.
20
350
LE SIGNE DE LA CROIX
« Je vous ai donné l'exemple, disait le
Dieu-homme, afin que vous fassiez comme
j'ai fait moi-même. » Et son grand Apôtre :
« Soyez mes imitateurs, comme moi-même
je le suis du Verbe incarné : pas de salut
pour ceux qui ne seront pas trouvés con-
formes au type divin. » Or, rien n'est plus
propre à nous guider dans cette voie d'imi-
tation que le signe de la croix.
Que fait l'homme en le formant? Il pro-
nonce le nom de Dieu; car Dieu, c'est le
Père et le Fils et le Saint-Esprit, trois per-
sonnes distinctes dans une seule et même
Divinité. En redisant à l'homme le nom de
Dieu, le signe de la croix lui remet devant
les yeux son éternel modèle, l'être par ex-
cellence, en qui sont réunies à un degré
infini toutes les perfections.
De plus, en répétant le nom de chaque
personne de l'auguste Trinité, il propose à
notre imitation les perfections particulières
de chacune d'elles.
Dans le Père, la puissance infinie ; et il me
dit : Tu dois imiter la puissance du Père,
AU XIX SIECLE.
351
créateur et modérateur de toutes choses,
par le gouvernement de toi-même et du
monde; par l'empire sur tes passions, sur
les maximes, les usages, les intérêts, les
modes, les menaces, les promesses, contrai-
res à la liberté et à la dignité d'un enfant de
Dieu, roi comme son Père.
Dans le Fils, la sagesse infinie ; et il me
dit : Tu dois imiter la sagesse du Fils, par
la justesse de tes appréciations et de tes
jugements ; par la préférence invariablement
donnée à l'âme sur le corps, à l'éternité sur
le temps, au devoir sur le plaisir, aux riches-
ses qui demeurent, sur les biens qui passent.
Dans le Saint-Esprit, l'amour infini; et il
me dit : Tu dois imiter la charité du Saint-
Esprit, en disciplinant tes affections et en
les ennoblissant; en arrachant de ton cœur
jusqu'à la dernière fibre de l'égoïsme, de la
jalousie, de la haine, et de tous les vices qui
produisent la dégradation au dedans et le
trouble au dehors.
Qu'en penses-tu ? Le signe de la croix
n'est-il pas un excellent guide ? Où est le
352 LE SIGNE DE LA CROIX AU XIX SIÈCLE.
professeur de philosophie qui peut se flatter
de montrer plus clairement, à chaque puis-
sance de notre âme, la roule de la perfec-
tion? Toutefois, nous ne connaissons qu'une
partie de ses enseignements : les autres, à
demain.
VINGT ET UNIEME LETTRE
Go 18 décembre.
Imitation général. — Imitation de la sainteté de Dieu. — Ce
qu'est la sainteté. — Le signe de la croix sanctiQcateur de
l'homme et des créatures. — Imitation de la charité de Dieu.
— Ce qu'est ta charité en Dieu. — Ce qu'elle doit être en
nous. — Eu nous l'enseignant, te signe de la croix est un
signe éloquent et sûr. — Preuves sans réplique.
Cher ami,
Grâce au signe de la croix, chaque per-
sonne de l'adorable Trinité pose en quelque
sorte devant nous et se laisse copier. Sous
le grand nom de Dieu, elles offrent à notre
imitation toutes les perfections réunies. J'en
choisis deux, brillantes d'un éclat plus vif
et plus nécessaires à imiter aujourd'hui que
jamais : la sainteté de la charité.
La sainteté. Sainteté veut dire unité, exem-
ption de tout mélange étranger. Dieu est
saint, parce qu'il est un. Il est trois fois saint,
20.
354
LE SIGNE DE LA CROIX
parce qu'il est trois fois un. Un en puissance,
puisqu'elle est infinie; un en sagesse, puis-
qu'elle est infinie ; un en amour, puisqu'il est
infini. En Dieu, rien ne limite ni n'altère
cette triple unité. Il est saint, parfaitement
saint, complètement saint en lui-même, par
la raison que je viens de .dire.
Il est saint dans ses œuvres. Dans aucune,
il ne peut souffrir le mélange coupable, le
désordre, ou, pour l'appeler par son nom,
le péché. Les anges tombés du ciel, l'homme
chassé du paradis terrestre, le monde noyé
par le déluge, Sodome consumée par le feu,
l'empire romain s'écroulant sous les coups
des Barbares, la grande Victime du Calvaire
crucifiée entre deux voleurs, les calamités
publiques et privées, l'enfer avec ses feux
éternels : autant de témoins de l'inexorable
sainteté de Dieu dans ses créatures.
Grande leçon, que me donne incessam-
ment le signe de la croix! Je ne puis le faire
sans qu'il me dise : image d'un Dieu saint,
trois fois saint, inexorablement saint, tu
dois être saint toi-même, trois fois saint,
AU XIX e SIECLE.
355
inexorablement saint, dans ta mémoire, dans
ton entendement, dans ta volonté.
Saint dans mon âme et dans mon corps,
saint en moi-même et saint dans mes œu-
vres, seul ou en compagnie, jeune ou vieux,
puissant ou faible, saint en tout, saint par-
tout, saint toujours : telle est la sublime
unité que je dois réaliser en moi. bomme !
que tu es grand, s'écrie Tertullien, si tu te
comprends toi-même ! homo, tantum no-
men si intelligas te !
Ce n'est pas assez : comme Dieu même,
je dois la réaliser au dehors. Sur tout ce
qui m'entoure doit rayonner la sainteté ou
l'unité de la vie. Exemples, paroles, prières,
rien en moi qui ne serve à éloigner le mal,
le dualisme, de mon prochain, image de
Dieu comme moi, comme moi créé pour
l'unité. Dans cette obligation, si vivement
rappelée par le signe de la croix, prennent
leur source les prodiges de dévouement sans
cesse renaissants au sein du catholicisme.
Demande à nos légions d'apôtres, de l'un
et de l'autre sexe, ce qui les porte à mettre
356
LE SIGNE DE LA CROIX
au service de barbares inconnus, les intelli-
gences les plus nobles, les vies les plus pu-
res, le sang le plus généreux. Tous te répon-
dront : La parole du Maître. Nous avons
entendu le Verbe rédempteur, ordonnant
d'imprimer à tous les membres de la famille
humaine le signe auguste de la Trinité.
Immortelle comme lui, cette parole retentit
à notre cœur, et, partout où il reste un front
à marquer du signe libérateur, nous accou-
rons, nous travaillons, nous mourons.
Écoute le généralissime de ces légions hé-
roïques, le saint Paul des temps modernes,
Xavier. Tu sais que, par ses gigantesques
travaux, cet homme prodigieux a conquis
un monde à la civilisation et à la foi. Mais
quel ressort puissant éleva son courage,
éleva encore celui de ses successeurs, jus-
qu'à la témérité, son ambition et la leur
jusqu'à l'enthousiasme et à la folie? sanc-
tissima Trinitas/ très-sainte Trinité I Ce
cri de guerre, presque aussi fréquent que la
respiration sur les lèvres de Xavier, te ré-
vèle la pensée commune.
AU XIX e SIECLE.
357
De son regard illuminé par la foi, l'apôtre
a considéré les peuples nombreux de l'Inde,
de la Chine et du Japon. Il les a vus, assis à
l'ombre de la mort et portant sur leurs
fronts déshonorés le signe de la bête, au
lieu du caractère glorieux de la Trinité. Au
spectacle de cette immense dégradation,
son zèle s'enflamme, et de sa poitrine sou-
levée s'échappe le cri de guerre : sanctis-
sima TrinitasI très-sainte Trinité! Quelle
honte pour vous! Quel malheur pour l'ou-
vrage de vos mains !
Et pour réparer ces images défigurées,
en gravant sur tous les fronts le signe di-
vin, Xavier s'élance comme un géant. L'es-
pace fond sous ses pieds. Il se rit des dan-
gers, et ne connaît d'autres bornes à son
ambition réparatrice, que les limites du
monde. Le monde même lui paraît trop pe-
tit pour son cœur, et il marche assez pour
en faire trois fois le tour (11.
Si la mort ne lui permet pas de le par-
(1) Vie de S. Fr. Xav., t. II, liv. VI, p. 208-213.
358
LE SIGNE DE LA CROIX
courir dans tous les sens, il montre du
doigt à ses successeurs les nations à conqué-
rir. Son désir est compris. Portés sur l'aile
des vents, comme dit Fénelon, des milliers
de missionnaires arriveront dans toutes les
îles, dans toutes les forêts, sur toutes les
plages, si reculées et si inhospitalières
qu'elles puissent être.
Leur premier soin sera de rétablir sur le
front de l'homme déchu jusqu'à l'anthropo-
phagie, le signe sanctificateur de la croix,
en répétant comme leur chef : sanctissima
Trinitas / Que tel soit le motif qui anime les
conquérants de l'Évangile, la preuve en est
que tout leur ministère consiste à marquer
du sceau des adorables personnes, les na-
tions infidèles ; puis, à maintenir inviola-
blela divine ressemblance.
Le signe de la croix fait plus encore, il
sanctifie tout ce qu'il touche : l'homme et
les créatures. Or, en sanctifiant les créatu-
res après avoir sanctifié l'homme, le guide
divin ramène toutes choses à leur fin, l'u-
nité. C'est un article de la foi universelle,
AU XIX e SIÈCLE.
359
que les signes religieux ont le pouvoir de
modifier les créatures inanimées : nous l'a-
vons vu dans tout ce qui précède.
Parce qu'elle est universelle, une pareille
croyance ne saurait être fausse. La grande
maîtresse de la vérité la regarde comme
une partie du dépôt confié à sa sollicitude.
Chaque jour elle la pratique et ensigne à la
pratiquer. Vois, depuis dix-huit siècles et
dans toutes les parties du globe, l'Église
catholique sanctifiant par le signe de la
croix : l'eau, le sel, l'huile, le pain, la cire,
la pierre, le bois, les créatures insensi-
bles.
Qu'est-ce à dire théologiquement, que
le signe de la croix sanctifie l'homme et les
créatures? A l'égard de l'homme, je ne pré-
tends pas que le signe de la croix lui con-
fère la grâce sanctifiante, ou soit un instru-
ment propre àla lui conférer, comme les sa-
crements. Je veux dire qu'il communique une
espèce de sanctification, semblable à celle
du catéchumène, sur lequel on fait ce signe
divin avant le baptême : « Car, dit saint
360
LE SIGNE DE LA CROIX
Augustin, il y a des sanctifications de plu-
sieurs sortes (I). »
Le signe de la croix est un acte auquel
Dieu attache l'application des mérites de
son Fils, sans pour cela lui donner la vertu
du baptême ou de la pénitence. L'aumône
n'est pas un sacrement; et cependant, de
l'aveu de tous, elle est une chose bonne,
pieuse, salutaire et sanctifiante.
Quant aux créatures, sanctifier une chose
inanimée, ce n'est pas lui donner une qua-
lité physique et inhérente ; c'est la ramener
à sa pureté native et lui communiquer une
vertu supérieure à sa nature. De là, deux
effets de la sanctification.
Le premier purifie les créatures, en ce
sens qu'il les dégage des influences du dé-
mon. Le secon dles rend propres à produire
des effets au-dessus de leurs forces natu-
(I) Non unius modi est sanctificatio ; nam et cate-
churaenum secundum quemdam suum modum per
signum Christi et orationem manus impositions puto
sanctiflcari. (Lib. II, De peccat. merit. et remiss.,
C. CXXVI.)
AU XIX SIECLE.
3 61
relies. Ainsi modifiées, elles deviennent
entre les mains de l'homme des instruments
de guérison, des armes contre les démons,
des préservatifs contre les dangers de l'âme
et du corps.
Combien on pourrait citer d'événements
miraculeux, publics ou privés, anciens et
modernes, dus à ces créatures insensibles,
mais sanctifiées par le signe de la croix !
Si, au lieu de passer le temps à barboter
dans les fables païennes, dans les légendes
païennes de Rome et de la Grèce, les jeunes
générations étudiaient l'histoire de l'Église
et la vie des saints, tes camarades con-
naîtraient, à cet égard, une foule de faits
plus avérés que ceux d'Alexandre et de
Socrate (I).
Ce n'est pas seulement par l'imitation de
la sainteté divine, mais encore de la charité
divine, que le signe de la croix, guide élo-
quent et sûr, nous met, nous maintient et
nous pousse dans notre voie.
(1) Voir Gretzer, p. COG et suiv.
21
362
LE SIGNE DE LA CROIX
La Charité. Le Dieu dont nous sommes
les enfants, et dont nous devons être l'i-
mage, est charité, Deus charitas est. Ce mot
dit tout. Il dit tout ce qu'est Dieu en lui-
même et dans ses œuvres. Le Père, étant
Dieu, est charité. Le Fils, étant Dieu, est
charité. Le Saint-Esprit, étant Dieu, est
charité. La Trinité tout entière est charité.
Dieu est charité ! Connais-tu un nom plus
beau? Et ce nom, le signe de la croix,
chaque fois que nous le faisons, le redit à
notre cœur.
Charité veut dire union et effusion. Entre
les trois augustes Personnes, tout est union
et unité : unité de puissance, unité de pen-
sées, unité d'opérations, unité de bonheur,
unité d'essence. L'ombre même d'un dé-
saccord jamais ne vient troubler celte ra-
vissante harmonie. Pourquoi? Parce qu'un
seul amour, amour plénier, éternel, inalté-
rable, est le lien délicieux de la Trinité.
Effusion. Essentiellement communicative
la charité tend à se répandre au dehors, et
la charité infinie avec une force et une
AU XIX SIÈCLE.
363
abondance infinie. Or, les œuvres extérieures
de Dieu sont : la création, la conservation,
la rédemption, la sanctification, la glorifi-
cation.
Ainsi, créer, c'est aimer; conserver, c'est
aimer; racheter, c'est aimer; sanctifier,
c'est aimer ; glorifier, c'est aimer. Toute
charité vient du cœur. Dieu est donc un
cœur. Connais-tu un nom plus délicieux?
Et ce nom, le signe de la croix nous le redit
chaque fois que nous le faisons.
Dieu est charité. A toi, comme à moi,
comme à tout homme, quel que soit son
âge ou sa condition, ce mot, dit ce que nous
devons être. Images de Dieu, nous devons
lui ressembler. Lui ressembler, c'est être
charité, charité en nous-mêmes et dans nos
œuvres.
En nous-mêmes, par le lien surnaturel
de la grâce qui unit entre elles toutes nos
facultés, les ennoblit, les fortifie l'une par
l'autre et les fait tendre au même but, la
formation de la ressemblance parfaile de
Dieu en nous. Dans nos œuvres, par le
36 4
LE SIGNE DE LA CROIX
principe divin qui, nous unissant à tous les
hommes, comme les membres d'un même
corps, fait battre notre cœur à l'unisson du
leur, le répand en effusions salutaires sur
tout ce qui leur appartient, et réalise ce
dernier vœu du divin Maître : Père! qu'ils
soient un comme nous sommes un.
Je m'en tiens, mon cher Frédéric, à ces
aperçus, qu'il te sera facile de développer,
ils suffisent pour montrer l'importance du
signe de la croix, comme guide de l'homme.
Si tes camarades avaient le malheur d'en
douter, adresse-leur les questions suivan-
tes :
Est-il vrai, oui ou non, que rien n'est plus
propre que le signe de la croix à nous rap-
peler Dieu et la Trinité ?
Est-il vrai, oui ou non, que l'homme est
formé à l'image de Dieu?
Est-il vrai, oui ou non, que le premier
devoir et la tendance naturelle d'un être
quelconque, est de reproduire en luiletype
sur lequel il a été fait?
Est-il vrai, oui ou non, que si l'homme ne
AU XIX SIÈCLE.
365
fait pas de persévérants efforts pour se for-
mer à l'image de Dieu, il se forme inévita-
blement à l'image du démon et de ses pas-
sions déréglées ; de sorle que, ne devenant
pas dejourenjourplus saint, plus charitable,
plus Dieu, il devient de jour en jour plus
pervers, plus égoïste, plus démon, plus bête,
animalis homo ?
Est-il vrai, oui ou non, quel'homme tend
sans cesse, le sachant ou sans le savoir, à
faire tout ce qui l'entoure à son image, et
que de cette action permanente vient la sanc-
tification ou la perversion, l'ordre ou le dé-
sordre, le salut ou la ruine des individus,
des familles, des sociétés, des croyances et
des mœurs?
Pour peu qu'ils aient de logique et sur-
tout d'impartialité, leur réponse, je n'en
doule pas, sera ce qu'elle doit être. Avec
nous, ils concluront que rien n'est mieux
fondé, ou, pour parler la langue du jour,
rien n'est plus profondément philosophi-
que que l'usage fréquent et très-fréquent
du signe de la croix.
366 LE SIGNE DE LA. CROIX AU XIX* SIÈCLE.
Ils concluront que ni les premiers chré-
tiens, ni les vrais chrétiens de tous les siè-
cles, ni l'Église catholique, ni enfin l'élite
de l'humanité, ne se sont trompés, en con-
servant invariablement l'usage de ce signe
mystérieux.
Ils concluront que l'erreur, le tort et la
honte sont du côté des contempteurs du
signe de la croix ; qu'en ne le faisant pas,
en rougissant de le faire, en se moquant de
ceux qui le font, ils se placent dans la lie de
l'humanité, descendent au-dessous même
des païens, et s'assimilent à la bête.
Que reste-t-il donc et pour eux et pour
nous ? Mes dernières lettres te l'appren-
dront.
VINGT-DEUXIEME LETTRE
Ce 19 décembre.
Prononcé du jugement entre nous et les premiers chrétiens. —
Première obligation, faire résolument le signe de la croix, le
faire souvent et le bien faire. — Raisons de le faire résolu-
ment. — Honte et dangers de ne pas le faire. — État de la
santé physique et morale du monde actuel. — Impossibilité
pour l'homme de ne pas porter le signe de Dieu ou le signe
du démon. — Ce qu'est le signe du démon.
Cher Frédéric,
Lorsque, dans les affaires civiles, un ju-
gement sans appel est rendu, que reste-t-il
aux parties? Une seule chose. Sous peine de
révolte et de toutes les conséquences de la
révolte, elles doivent s'exécuter. Il en est de
même dans les questions de doctrine. Lors-
qu'une autorité infaillible a décidé un fait
en litige, il reste une seule chose. Sous
peine d'une révolte bien plus grave, et de
368 LE SIGNE DE LA CROIX
toutes les conséquences de cette révolte, il
faut prendre pour règle de conduite l'arrêt
du tribunal suprême.
Un procès était engagé entre nous et les
premiers chrétiens. Il s'agissait de savoir
qui avait tort ou raison: des premiers chré-
tiens qui faisaient le signe de la croix, qui
le faisaient t-ès-souvent, qui le faisaient
bien ; ou des chrétiens modernes, qui ne
font plus le signe de la croix, qui le font ra-
rement, qui le font mal.
La cause a été soigneusement examinée ;
les débats ont été publics, les plaidoyers
entendus. Constituée en tribunal souverain,
l'élite de l'humanité, ayant pour assesseurs:
la foi, la raison, l'expérience, les peuples,
même païens, a prononcé en faveur des
chrétiens de la primitive Église. Que nous
reste-t-il?Ilnous reste à renouer laglorieuse
chaîne de nos antiques traditions, si mal-
heureusement rompue, et àfaire résolument
le signe de la croix, à le faire souvent et à
le bien faire.
Faire résolument, ostensiblement le signe
AU XIX e SIÈCLE.
369
de la croix. Et pourquoi ne le ferions-
nous pas ainsi? Pourquoi rougirions-nous
de le faire? Remarque bien, mon cher ami,
que faire ou ne pas faire le signe de la
croix, n'est pas une faute facultative. Qui le
fait s'honore, qui ne le fait pas se désho-
nore.
En faisant le signe de la croix, nous avons
derrière nous, autour de nous, avec nous,
tous les grands hommes et tous les grands
siècles de l'Orient et de l'Occident, toute
l'immortelle nation catholique, l'élite de
l'humanité. En ne le faisant pas, nous avons
derrière nous, autour de nous, avec nous,
les petits hérétiques, les petits mécréants,
les petits ignorants, les petites etlesgrosses
bêtes. «
En faisant le signe de la croix, nous nous
couvrons, nous et les créatures, d'une ar-
mure invincible. En ne le faisant pas, nous
nous désarmons et nous nous exposons,
nous et les créatures, aux plus graves pé-
rils.
L'homme et le monde vivent nécessaire-
21.
370
LE SIGNE DE LA CROIX
ment sous l'influence de l'Esprit du bien, ou
sous l'influence de l'Esprit du mal. Maître
de l'homme et des créatures, l'Esprit du
mal leur fait sentir ses malignes influences :
le corps et l'âme, l'esprit et la matière en
sont viciés. Sur cette vérité fondamentale a
vécu le genre humain.
Aussi, depuis dix-huit siècles surtout, les
chefs de l'éternel combat n'ont qu'une voix,
pour nous crier de nous couvrir, nous et
les créatures, du signe de la croix : bouclier
impénétrable aux flèches enflammées de
l'ennemi : Scutum in quo ignitœ diaboli
extinguuntur sagittœ. Et, soldats infidèles à
la consigne, nous jetterions volontairement
notre armure ! Et, la poitrine nue, nous
resterions stupidement exposés aux coups
mortels de l'armée ennemie! Tout cela
pour ne pas déplaire aux autres: et quels
autres ?
Mais ils disent : Le monde actuel ne fait
plus le signe de la croix, et il ne s'en porte
-pas plus mal. Est-ce bien sûr? Quelle est
aujourd'hui la santé publique de l'homme
AU XIX e SIECLE.
371
et de la nature? Chaque jour, n'entends-
tu pas répéter en Allemagne, comme en
France, comme partout: Il n'y a plus de
santé ? Ce mot, devenu populaire, n'est-il
qu'un mot?
Optimistes quand même, vous le dites.
Vous croyez donc que les lois divines faites
pour l'homme, esprit et matière, n'ont pas
dès cette vie une double sanction, l'une mo-
rale et l'autre physique?
Vous croyez que la profanation de plus
en plus générale des jours consacrés au
repos de l'homme et des créatures ; le mé-
pris des lois du jeûne et de l'abstinence,
l'abandon du pain de vie, ne peuvent com-
promettre que le salut de l'àme ?
Vous croyez que la surexcitation des af-
faires, les agitations de la politique, la fièvre
des jouissances, caractère distinclif d'un
monde qui a entrepris de faire descendre
le ciel sur terre; la mollesse des mœurs, l'ha-
bitude anormale de faire de la nuit le jour
et du jour la nuit ; les recherches de la sen-
sualité dans les aliments, l'effrayante con
372
LE SIGNE DE LA CROIX
sommation d'alcool, et nos cinq cent mille
cafés ou cabarets, sont sans influence fâ-
cheuse sur la santé publique?
D'où vient alors la diminution de forces
dans les générations modernes ? Serait-il
aisé de trouver aujourd'hui beaucoup de
jeunes gens, capables de manier les armes
de nos aïeux du moyen âge, ou même de
porter leur armure ?
Les réformes si nombreuses, opérées par
les conseils de révision, pour cause d'étio-
lement, ou pour vices de conformation ;
l'impuissance de tant de personnes, même
religieuses, à observer la loi du jeûne,
pourtant si adoucie, n'ont-elles aucun
sens(l)?
(1) Çn journal non suspect, la Nation, présente des
réflexions d'une certaine gravité sur les effets du re-
crutement en France. Elle constate « qu'en dépit des
progrès successifs de l'hygiène et de la vulgarisation
du bien-être, la population, loin de s'améliorer, dégé-
nère et s'abâtardit rapidement. » Voilà, il faut en con-
venir, do singuliers résultats! et le progrès, l'hygiène
et le bien-être ont des conséquences bien inatten-
dues! Au commencement du siècle, dit la Nation, la
Uille du soldat était fixée à cinq pieds deux pouces,
AU XI,\* SIECLE.
373
Que dit l'augmentation considérable et
toujours croissante des pharmaciens, des
médecins, des officiers de santé et des mé-
diums guérisseurs, dont les antichambres
seront bientôt aussi fréquentées que les sa-
lons des sommités médicales?
Enfin, les cas de suicide et d'aliénation
mentale, arrivés à des chiffres inconnus
jusqu'ici, et toujours croissants, forment-
ils des symptômes bien rassurants de la
santé publique? Môme en ne leur accordant
qu'une valeur restreinte, ces faits, et d'au-
tres encore, démontrent-ils que l'homme
d'aujourd'hui ne se porte pas plus mal que
celui d'autrefois?
Et la santé de la nature, sur laquelle on
ne fait plus le signe libérateur, est-elle
en progrès? Que signifie la maladie des
pommes de terre, la maladie de la vigne,
la maladie des arbres, des végétaux, des
elle a été abaissée à cinq pieds, puis à quatre pieds
dix pouces ; aujourd'hui, elle est réduite à quatre
pieds huit pouces. Si cette progression continue, Dieu
sait où l'on s'arrêtera.
3 74 LE SIGNE DE LA CROIX
plantes, des herbes même fourragères?
Tous ces malades, au nombre de plus de
cent, atteints simultanément de maladies
graves, inconnues, opiniâtres, accusent-ils
la parfaite santé des créatures? Ce phéno-
mène, d'autant plus sinistre qu'il est sans
analogue dans l'histoire, ne semble-t-il pas
plutôt donner à la nature actuelle l'air d'un
grand hôpital, où, comme dans l'espèce
humaine, tout souffre, tout languit et s'é-
tiole (1)?
(1) Je mets sous tes yeux une nomenclature des
arbres, des arbustes, des plantes et des végétaux ac-
tuellement malades, avec l'indication des maladies
qui les dévorent.
T, indique la lèpre, ou taches noires. — O, Oïdium.
— R, Rouille. — I, Insectes : petits vers logés dans
l'épidémie des feuilles ou sur la surface.
Arbres.
Lo chêno T. I.
Le hêtre T. I.
L'orme T. R. I.
Le charme T. I.
Le bouleau T. R.
Le frêne T. I.
Le peuplier d'Italie T. I.
Le peupl. du Canada T. R ,
Le châtaignier T.
L'érable T.
Le saule T. R.
L'ébénier T. I.
Le tilleul T.
Lo platane T.
AU XIX e SIÈCLE.
375
On ne peut donc le nier : considéré dans
l'homme et dans les créatures immédiate-
ment soumises à l'homme, le monde ac-
Le pommier T. I.
Le poirier T. I.
Le cerisier T.
Le prunier T.
L'abricotier T. O.
Le mûrier T. O.
L'oranger. T. O.
Arbustes.
La vigne T. O.
La canne h sucre T. O.
Rosier T. R. O. I.
Épines T. O. I.
Glicynia cinonsis T.
Framboisier T. R.
Ronces T. R. O.
Églantier O.
Groseillier T. I.
Ribes nigra et rubra T.
Berberina vulgaris O.
Le lilas T. I.
Le jasmin do Valence T.
Le sureau T.
La boule do neige T.
Le wezelia T.
L'argousier du Canada T.
Le seringa vulgaris T.
L'althaeaT. I.
Le noisetier T. I.
La pomme-cerise T.
L'osier T. R.
Plantes.
Pivoines de différentes es-
pèces T.
MillefoliumT. O.
D'anthcr T.
Campanula R.
L'ortie T. O.
Chardon-bénit R.
Plantes saurages do diffé-
rentes cspècesT. R. O.
La camomille T.
La violette T.
Le plilox T.
LYruhrynum cristagalli
T.
Los oculéos O.
Les marguerites T,
La dictytera spectabilis T.
La reine des prés T.
L'héliotrope T.
376
LE SIGNE DE LA CROIX
tuel est malade, plus malade qu'autrefois.
Mais qu'est-ce que la maladie ? C'est l'affai-
blissement de la vie. Le Yerbe créateur est
La primevère T.
Les haricots T. R,
Le pissenlit R.
Le salsifis R.
Le gladiolus T. R.
Le céleri R.
La chicorée T. R. 0.
L'oseille R.
La scabieuse T.
Le chou T. R.
L'aigremoine T.
Le navet R. I.
L'achemille T.
La betterave R.
Le long-dragon R.
La fève T. R.
Le trèfle T. 0.
Végétaux.
Le jonc T. R.
Le roseau R.
Le froment T. R.
Herbes des prairies, de
Le seigle R.
différentes espèces R.
L'avoine T. R.
Herbes sauvages, de diffé-
L'orge R.
rentes espèces T. R. 0.
La pomme de terre T.
Nous devons cette nomenclature à l'obligeance d'un
savant naturaliste, M. F. Verecruysse de Courtrai.
Lui-même a recueilli, cette année ISG2, des feuilles de
tous les sujets malades, dont il a bien voulu nous en-
voyer des spécimens. Qu'il nous permette de lui offrir
l'expression publique de toute notre reconnaissance.
Les crétures matérielles, étant incapables de bien
et de mal, ne sont malades que par ricochet, elles sui-
vent la condition de l'homme. L'homme étant le cen-
tre et l'abrégé do la création, renferme en lui toutes
AU XIX" SIÈCLE.
377
la vie et toute vie. S'approcher de lui, aug-
mentation de vie ; s'éloigner de lui, dimi-
nution de vie.
Au jugement de l'Église et de tous les siè-
cles chrétiens, l'acte extérieur, le trait
d'union le plus universel et le plus ordinaire
qui met l'homme et les créatures en contact
avec la Yie, c'est le signe de la croix. Or,
vous vous en moquez : vous ne le faites pas :
vous ne voulez plus le faire.
En ce qui vous concerne, vous le rempla-
les lois qui régissent les créatures inférieures. S'il les
viole, le résultat de la violation se fait sentir à toute
la nature. Témoin le péché d'Adam. A la même cause
reproduite dans la suite des siècles, il faut attribuer
les maladies des créatures, toujours en raison directe
de l'intensité de la cause qui les produit Isaie^ ne
semblc-t-il pas avoir eu les yeux fixés sur notre épo-
que, lorsqu'il écrivait : « La terre a été infectée par ses
habitants. De là, les larmes, le deuil, les langueurs
de la terre, la décadence du globe , la maladie de la
vigne, et les gémissemenis des cultivateurs. » Luxït
etdefluxit terra, et infirmata est... defluxit orbis...
et terra infecta est ab habitatoribus suis, quia... Mu-
taverunt Jus. . . propter hoc. . . infirmata est vitis, etc.
(xxiv, 4 et seqq.) Habacuc, Jérémie et les autres pro-
phètes parlent, dans les mêmes termes, de cotte ago-
nie de la nature.
378
LE SIGNE DE LA CROIX
cez, ainsi que la prière et les pèlerinages
d'autrefois, par les bains de mer, par les
eaux tièdes, chaudes, froides, sulfureuses,
ferrugineuses, de Vichy, de Suisse, d'Alle-
magne, des Pyrénées.
Pour les créatures, par l'engrais artificiel,
par l'échenillage, par le drainage, par le
soufrage. Très-bien; seulement il fallait
faire l'un et ne pas omettre l'autre : Hœc
oportuit facere et Ma non omittere.
Ainsi, contempteur de la sagesse divine et
de la sagesse humaine, le monde actuel
croit qu'on peut violer impunément une loi,
religieusement observée depuis le christia-
nisme, et respectée même des païens qui
qui l'avaient formulée par cette maxime
célèbre : Il faut prier pour jouir de la santé
physique et morale : Orandum est ut sit
mens sana in corpore sano. Ne nous plai-
gnons pas nous avons ce qui est, et ce qui
doit être.
Quand la santé physique de l'homme et
de la nature, veufs du signe de la croix, se-
rait aussi florissante qu'on le prétend, reste-
AU XIX e SIÈCLE.
379
rait la santé morale, bien plus importante
que la première. Or quel est l'état sanitaire
des âmes dans le monde actuel ? La réponse
me conduirait trop loin.
Je te rappelle seulement que l'homme
moral, comme l'homme physique, est dans
l'alternative inévitable de vivre sous l'in-
fluence salutaire du bon Esprit, ou sous
l'influence malfaisante du mauvais Esprit.
Le signe de la croix nous place sous la pre-
mière, l'absence du signe de la croix nous
abandonne à la seconde. Tel est encore l'en-
seignement de l'Église, confirmé par la pra-
tique des siècles chrétiens.
Cette expérience de dix-huit cents ans
n'est rien pour vous. Vous ne voulez plus
du signe libérateur. Vous n'y avez plus de
foi. Vous n'en marquez plus ni votre front,
ni vos lèvres, ni votre cœur, ni vos aliments.
Eh bien : le démon y marquera le sien. Sur
tous ces fronts, sur toutes ces lèvres, sur
tous ces cœurs, sur tous ces aliments, on
verra, sans avoir besoin de microscope, le
signe de la bête.
380
LE SIGNE DE LA CROIX
Quel est le signe de la bête sur le front ?
C'est l'orgueil, l'insubordination, la colère,
le mépris, l'effronterie, la vanité, l'agitation
des traits; l'inaptitude aux sciences spiri-
tualistes ; le dégoût des études morales ; les
joues décolorées par le vice impur ou brû-
lées par le vin; la dépression du front;
l'exiguité de l'angle facial, quelque chose
d'épais, de bas, de terne, de bestial dans la
physionomie, enfin ce cynisme des yeux
pleins d'adultère, pleins d'un péché qui ne
finit pas, et provocateurs incessants des
âmes inconstantes (I).
Quel est-il sur les lèvres? Le rire immo-
déré ou impudique, niaisement impie ou
cruellement moqueur ; la loquacité sans rè-
gle, sans importance et sans but ; les paroles
obscènes, les paroles de mensonge, d'irré-
ligion, de blasphème, de haine, de médi-
sance, de jalousie : trop-plein des concupis-
(1) Animalis autem homo non percipit ea quœ sunt
Spiritus Dei. (I Cor., xi, 14.) Oculos habentes plenos
adulterii et incessabilis delicti, pellicientes anima
instabiles. (II Petr., ne, 14.)
AU XIX e SIECLK.
!Sl
cences qui sort en écume, infecte comme
les exhalaisons d'un sépulcre, meurtrière
comme le venin de la vipère (1).
Quel est-il sur le cœur? Les mauvaises
pensées, les mauvais désirs, les fornications,
les impuretés, les trahisons, les honteuses
petitesses de l'égoïsme, les vols, les empoi-
sonnements, les meurtres (2), le règne des
courtisanes et l'apothéose des actrices.
Quel est-il sur les aliments? Leur in-
fluence pernicieuse. N'ayant pas été déli-
vrés par le signe rédempteur, ils servent,
comme l'ont reconnu les païens eux-mô-
mes, de véhicules au démon. Mis par la
manducation en contact intime avec la par-
tie inférieure de l'âme, ils surexcitent ses
appétits, flattent ses bas instincts, remuent
toutes ses passions.
De là, ce que nous voyons et la recherche,
(I) Sepulcrum patens est guttur eorum. (Ps. v, 11.)
— Despumantes suas confusiones. (Jicd., xm.j
(-') De corde enim exeunt cogitationes malœ, homi-
cidia, adulteria, fornicatiunes, furta, falsa tostimonia,
blasphemiae. (Matth., xv, 19, etc.)
3 8î
LE SIGNE DE LA CROIX
la sensualité dans le boire et dans le man-
g res,le depotisme de la chair, le dégoût du
travail, l'impuissance de résister aux tenta-
tions, l'abaissement et quelquefois l'abrutis-
sement de l'intelligence, la mollesse des
mœurs, le sybaritisme des habitudes, l'ado-
ration du dieu-ventre, finissant aujourd'hui
plus que jamais par le mépris de soi, par
l'étouffement de la conscience et du sens
moral, par l'infanticide et par le suicide (1).
Regarde autour de toi, mon cher ami ;
cherche les fronts, les lèvres, les cœurs, les
tables, où se conservent la sainteté, la di-
gnité, la sobriété de l'homme et du chré-
tien; les vies mortifiées et pures; les vies
f( >rtes contre les tentations ; les vies dévouées
à la charité et a la vertu ; les vies qui peu-
vent sans rougir se révéler aux amis et aux
ennemis : lu ne les trouveras que sous la
protection du signe de la croix.
(1) ...Inimicos crucis Christi, quorum finis interi-
tus : quorum deus venter est et gloria in confusion©
ipsorum. [P/iilip., m, 18.)
AU XIX SIECLE.
38 3
Ce que je te dis aujourd'hui, accepte-le
comme un fait d'expérience. Demain je t'en
donnerai les raisons et les preuves.
VINGT-TROISIÈME LETTRE
Ce 20 décembre.
Raisons de la puissance et de la haute mission du signe de la
croix — Dogme fondamental. — Ci qui se passe dans l'ordre
publie, lnu qui .< lies dut l'ordre m. .rai. — La
Reforme, prai re fille de la H. t,.i,s- .h. i- .1 ; |,i..,iii. M i.., abat
tonte* I,- croix. — \jx Révolution française, seconde fille du
'mite sa sœur. — Seconde obligation; faire sou-
i.e de la croix. — Raisons prises à l'état actuel.
Troisiémo obligation ; bien faire le signe de la croix : cmidi-
Uon. — le si. ne de la croix signe éternel de victoire.
Untin. — Louanges du signe de la croix.
Tu n'oublies pas, mon cher Frédéric, que
nous tirons les conséquences pratiques du
ement rendu enlre nous et nos aïeux. La
première est que nous devons faire résolu-
ment le signe de la croix.
Bien que la décision sans appel du tribu-
nal suffise à déterminer notre conduite, j'ai
voulu, pour te la rendre plus respectable, te
LE SIGNE DE LA CROIX AU XIX e SIÈCLE. 385
montrer la honte, les dangers et les mal-
heurs qui seraient la conséquence d'une ré-
volte théorique ou pratique. Les faits ont
parlé. Tu as vu le signe de la bête, gravé
sur les fronts, sur les lèvres, sur les cœurs,
sur les aliments que ne sanctifie pas le signe
divin. D'où cela vient-il? J'ai promis de te
le dire.
Que le signe de la bête soit inévitable-
ment marqué sur tout homme et sur toute
chose, que ne protège pas le signe libérateur
de l'homme et du monde, il n'en peut être,
il n'en pourra jamais être autrement. Pour
l'homme, il n'y a qu'un préservatif du dé-
mon, comme pour le monde il n'y a qu'un
paratonnerre : c'est le signe de la croix. Où
il n'est pas, Satan est le maître.
Ce fait tient, comme nous l'avons plu-
sieurs fois répété, au dogme le plus pro-
fond, et tout ensemble le plus incontesta-
ble, de l'humanité : l'asservissement de l'homme
et du monde à l'Esprit du mal, depuis la chute
originelle. Pour rendre palpable ce que je
dis de la haute mission du signe de la croix,
386
LE SIGNE DE LA CROIX
laisse-moi te rappeler quelques faits histori-
ques trop peu remarqués.
Ce qui se passe dans l'ordre politique,
n'est qu'un reflet de ce qui a lieu dans l'or-
dre moral. Or, lorsqu'une dynastie est sur
le trône, elle a soin d'arborer partout son
étendard et de graver ses armoiries. C'est le
signe de sa domination.
Vient-elle à être renversée? Le premier
acte du vainqueur est de faire disparaître
les emblèmes de la dynastie vaincue, et de
les remplacer par les siens. Ainsi s'annonce,
aux yeux des peuples, l'inauguration du
nouveau règne. Combien de fois, depuis
soixante-dix ans, n'avons-nous pas vu, en
France et ailleurs, ce changement de cou-
leurs et d'écussons!
En venant reprendre possession de son
royaume, le Verbe incarné trouva Satan roi
et dieu du monde. Les statues, les trophées,
les armoiries, le blason de l'usurpateur,
étaient partout. Vaincu, tous ces signes de
domination disparurent. A leur place brilla
le blason du vainqueur, la croix.
AU XIX e SIECLE.
387
Quand, pour ses crimes, une âme ou un
pays est de nouveau abandonné à Satan et
qu'il en prend possession, le premier acte
de l'usurpateur est de faire disparaître le
signe delà croix. C'est alors, et alors seule-
ment, que, n'ayant plus à craindre ce signe
redoutable, il agit en maître.
Relis une page de l'histoire de ton pays.
De 1520 à 1530, quel spectacle te présente
l'Allemagne V Du Rhin au Danube, toutes les
croix qui, depuis la victoire du christia-
nisme sur l'idolâtrie Scandinave, dominaient
les montagnes et les collines, bordaient les
chemins, émaillaient les campagnes, or-
naient le faîte des maisons, brillaient au
sommet des églises, décoraient les apparte-
ments du riche ou consolaient la chaumière
du pauvre, furent abattues, brisées en mor-
ceaux, jetées au vent, ou traînées dans la
boue, au milieu des vociférations d'un peu-
ple en délire.
Qu'annonçait l'ouragan destructeur? L'ar-
rivée du vainqueur et le rétablissement de
son règne. A partir de ce moment, l'Esprit
38 8 LE SIGNE DE LA CROIX
de ténèbres domine l'Allemagne. [Il y règne,
comme dans l'ancien monde, par le despo-
tisme, par la volupté, par la cruauté, par le
brigandage, par la confusion du juste et de
l'injuste, par l'anarchie intellectuelle, sous
tous les noms et sous toutes les formes.
Même spectacle en Prusse, en Saxe, en
Hollande, en Danemark, en Suède, en Nor-
wége, en Angleterre, en Suisse, et dans tou-
tes les contrées, où l'usurpateur remplace
le roi légitime.
Ce fait est d'autant plus significatif, qu'il
n'est pas isolé dans l'histoire. On le voit se
produire toutes les fois que Satan reprend
possession d'un pays. Particulier ou général,
lent ou rapide, il donne le caractère de la
victoire infernale et en mesure l'étendue. En
1830, nous comptâmes par centaines seule-
ment les croix abattues : 1830 fut un avor-
tement de 93.
A cette dernière époque, époque de
triomphe complet du paganisme, il en fut
bien autrement. C'est par milliers qu'il faut
compter les croix abattues et mutilées sur le
AU XIX" SIECLE.
389
sol de la France. Dans ce temps de lugubre
mais d'instructive mémoire, il est un jour
néfaste entre tous.
Sous les coups de hordes fanatisées, le
10 août 1792 vit s'écrouler dans le sang le
trône et Faulel. Les massacres des Carmes
et de Saint-Firmin, la proclamation de la
république, l'assassinat de Louis XVI, les
hécatombes de la Terreur, les immondices
du Directoire, les apostasies, les sacrilèges,
les déesses de la Raison, ne furent que les
conséquences de cette lamentable journée.
Éternellement elle marquera l'heure pré-
cise, où Satan fit sa rentrée triomphante
dans le royaume très-chrétien.
« Or, en ce moment, écrit un historien de
cette époque, un orage sans exemple écla-
tait sur Paris. Une chaleur lourde et morte
avait tout le jour étouffé la respiration. D'é-
pais nuages, marbrés, vers le soir, de teintes
sinistres, avaient comme englouti le soleil
dans un océan suspendu.
« Yers dix heures, l'électricité se dégagea
par des milliers d'éclairs, semblables à des
S90
LE SIGNE DE LA CROIX
palpitations lumineuses du ciel. Les vents,
emprisonnés derrière ce rideau de nuages,
s'en dégagèrent avec le mugissement des va-
gues, courbant les moissons, brisant les
branches des arbres, emportant les toits.
La pluie et la grêle retentirent sur le sol,
comme si la terre eût été lapidée d'en haut.
Les maisons se fermèrent. Les rues et les
routes se vidèrent en un instant.
a La foudre, qui ne cessa d'éclater et de
frapper, pendant huit heures de suite, tua
un grand nombre de ces hommes et de ces
femmes, qui viennent la nuit approvision-
ner Paris. Des sentinelles furent trouvées
foudroyées dans la cendre de leurs guérites.
Des grilles de fer, tordues par le vent et par
le feu du ciel, furent arrachées des murs où
elles étaient scellées par leurs gonds, et em-
portées à des distances incroyables.
« Les deux dômes naturels qui s'élèvent
au-dessus de l'horizon de la campagne de
Paris, Montmartre et le mont Valérien, sou.
tirèrent en plus grande surface le fluide
amoncelé dans les nues qui les envelop-
AU XIX SIÈCLE.
391
paient. Le tonnerre, s'attachant de préfé-
rence à tous les monuments isolés et cou-
ronnés de fer, abattit toutes les croix qui s'é-
levaient dans la campagne, aux carrefours
et routes, depuis la plaine d'Issy et les bois
de Saint-Germain et de Versailles, jusqu'à
la croix du pont de Charenton.
« Le lendemain, les bras de ces croix jon-
chaient partout le sol, comme si une armée
invisible eût renversé, sur son passage, tous les
signes répudiés du culte chrétien. »
Il n'y a pas de hasard dans l'ordre moral,
pas plus qu'il n'y a de saut dans la nature.
Les faits que je -viens de rappeler ont donc
une signification. Or, les circonstances qui
les ont accompagnées et suivies, prouvent,
jusqu'à l'évidence, la raison d'être du signe
de la croix dans un pays, ou sa raison de
n'être pas.
Elles prouvent encore aux nations, aux
provinces, aux villes, aux campagnes, aux
hommes quels qu'ils soient, combien il
leur importe de conserver, de multiplier,
d'honorer le signe protecteur de la création
tout entière.
39Î
LE SIGNE DE LA CROIX
Faire le signe de la croix souvent est la
deuxième conséquence pratique du juge-
ment rendu. Et pourquoi ne le ferions-nous
pas? Pourquoi chacun, en ce qui le con-
cerne, ne reviendrait-il pas à la pratique
de nos pères? Ils ne se croyaient pas en sû-
reté, même un instant, môme dans les ac-
tions les plus ordinaires de la vie, s'ils n'é-
taient protégés par le signe salutaire.
Sommes-nous plus forts qu'eux? Nos ten-
tations sont-elles moins nombreuses ou
moins vives, nos dangers moins pressants,
nos obligations moins grandes? Chaque fois
que nos pères sortaient de leurs demeures,
leurs yeux étaient offensés par la vue de
statues, de peintures, d'objets obscènes,
d'usages et de fêtes, où l'Esprit du mal écla-
tait de toutes parts.
Quels discours, quelles conversations,
quels chants frappaient leurs chastes oreil-
les? Sous toutes les formes les plus sédui-
santes, le sensualisme et le naturalisme des
idées et des mœurs, publiques et privées,
étaient une conspiration permanente contre
AU XIX e SIÈCLE. 3 93
le surnaturalisme de leur vie, contre leur
esprit de mortification, de simplicité, de
pauvreté, de détachement.
Puis, ils avaient à défendre leur foi con-
tre les sarcasmes, les mépris et les sophis-
mes de la plèbe et de la philosophie païenne.
Ils avaient à en répondre devant les juges
et à la certifier dans les amphithéâtres. Pour
se sauver de tant de périls, quel était leur
secret? Le signe de la croix, toujours le si-
gne de la croix.
Et nous, catholiques du dix-neuvième
siècle, quelle est notre condition ? Tout ou
presque tout ce qui nous entoure, n'est-il
pas redevenu païen? Où trouver un mot
d'Évangile dans la plupart des hommes et
des choses ? Comme celles d'autrefois, les
villes de l'Europe actuelle ne sont-elles pas
inondées de statues, de tableaux, de gra-
vures, d'objets capables d'allumer dans les
âmes les plus froides les feux impurs de la
concupiscence?
Dans les rues, dans les salons, dans les
lectures quotidiennes, de quoi sont frap-
394 LE SIGNE DE LA CROIX
pées nos oreilles ?Pour être complètement
païen dans son luxe de table, d'ameuble-
ment, de logement, de vêtement et de
jouissances, que manque-t-il au monde
actuel ? L'esclavage et la richesse. Les ins-
tincts sont les mêmes qu'au temps des Cé-
sars 1
Un pareil spectacle n'est-il pas un piège
continuel? Malheur à qui ne le verrait pas 1
Malheur surtout à qui ne veillerait pas,
nuit et jour, sur son cœur et sur ses sens!
S'il est difficile de défendre nos mœurs,
quelle guerre nous avons à soutenir pour
sauvegarder notre foi !
Ne vivons-nous pas à une époque où les
idées fausses, les mensonges, les sophismes,
circulent dans la société, nombreux comme
les atomes de l'air? Partout sont les am-
phithéâtres où nous devons combattre pour
l'Eglise, pour nos croyances, pour nos tra-
ditions, pour nos usages, pour le surna-
turalisme chrétien. L'arène n'est jamais
fermée ; un combat n'est pas fini qu'un au-
tre recommence.
AU XIX SIÈCLE. 395
Placés dans les mêmes conditions que
nous, les premiers chrétiens n'ont connu
qu'une arme victorieuse, une arme uni-
verselle, familière à tous, et dontils faisaient
un usage continuel : c'est le signe de la
croix. En avons-nous une meilleure?
Ahl si jamais il fut nécessaire de faire sou-
vent le signe protecteur, sur nous et sur les
créatures, c'est aujourd'hui. Qui nous em-
pêche d'imiter nos aieux? Que peut avoir
d'incompatible avec nos occupations, le si-
gne de la croix fait sur le cœur ou, à la ma-
nière antique, sur le front avec le pouce,
ou sur la bouche avec le pouce et l'index ?
Si nous sommes vaincus, à qui sera la faute?
Perditio tup ex te, Israël !
Bien faire le signe de la croix est la troi-
sième application de la sentence pro-
noncée. La régularité, le respect, l'atten-
tion, la confiance, la dévotion, doivent ac-
compagner notre main, lorsqu'elle forme
le signe adorable.
La régularité : elle veut que le signe de la
croix, dans sa forme parfaite, se fasse sui-
396 LE SIGNE DE LA CROIX
vant la loi traditionnelle, c'est-à-dire de la
main droite, et non de la main gauche, en
portant lentement la main, du front à la
poitrine, de la poitrine à l'épaule gauche,
puis à la droite, en prononçant le nom des
trois personnes de l'auguste Trinité (1).
Rien de tout cela n'est arbitraire.
S'ils sortaient de leurs tombeaux, c'est
ainsi que les chrétiens des temps apostoli-
ques feraient le signe de la croix. Écoutons
un témoin oculaire : « Nous faisons le signe
de la croix de la main droite sur les caté-
chumènes, dit saint Justin, parce que la
main droite est censée plus noble que la
gauche, bien qu'elle n'en diffère que par sa
position, et non par sa nature ; ainsi, nous
prions tournés vers l'Orient, comme étant
la partie la plus noble de la création. De
qui l'Eglise a-t-elle reçu cette manière de
prier? De ceux-là mêmes qui lui ont appris
à prier : les Apôtres (2). n
(1) Nominato Spiritu Sancto, dum ab unoad alterum
latus fit transversio. (Navarr., Comment de Orat. et
horis canon., c. xix, n. 20U.)
(2) Quemadmodum dextera manu in nomine Christi
AU XIX e SIÈCLE. 397
Sur la noblesse de la main droite, nous
avons un curieux passage de saint Augus-
tin. « Ne reprenez-vous pas, dit-il, celui qui
veut manger de la main gauche ? Si vous
regardez comme faisant injure à votre
table, le convive qui mange de la main
gauche, comment ne serait-ce pas une in-
jure à la table divine, de faire de la main
gauche ce qui doit être fait de la main
droite ; et de la main droite ce qui doit être
fait de la main gauche (i) ? »
Saint Grégoire ajoute : « Telle est la ma-
nière de parler parmi les hommes : Nous
eos, qui crucis signo obsignandi sunt, obsignamus,
proptcrea quod dextera manus prœstantior censetur
quam sinistra ; quamquam situ, non natura, ab ea dif-
férât : sic Oriens, ut quse pars sit in natura prœstan-
tior, ad Dei venerationcm cultumque sécréta est... a
quibus autem Ecclesia precandi morem accepit ? Ab
iis etiam ubi precandum sit 'accepit, id est, ab apos-
tolis. (Quœst., xvin.)
(1) Nonne corripis eum qui de sinistra voluerit man-
ducare? Si mensœ tua? injuriam putas fierï, maudu-
cante conviva de sinistra ; quomodo non fit injuria
mensa; Dei, si quod dextrum est, sinistrum feceris ; et
quod sinistrum est, dextrum feceris ? (In ysal. cxxxvi.
23
398
LE SIGNE DE LA CROIX
appelons noble et précieux ce qui est à
droite, moins précieux et moins noble ce qui
est à gauebe (1). »
Quant aux paroles qui accompagnent le
mouvement de la main,- elles sont aussi de
tradition apostolique. « Sur tout ce que
vous rencontrez, dit saint Épbrem, faites le
signe de la croix au nom du Père et du Fils
et du Saint-Esprit (2). »
EtTertullien : « La foi est signée dans le Père
et dans le Fils et dans le Saint-Esprit (3). »
Et saint Alexandre, soldat et martyr
sous Maximien, se voyant condamné à
mort, se tourne vers l'Orient, fait trois fois
le signe de la croix sur tout son corps et
dit : Gloire à vous, Dieu de nos pères, Père
et Fils et Saint-Esprit (4).
(1) Ipso enim locutionis usu, pro.dextro habere di-
cimur quod pro magno pensamus: pro sinistro vero
quod despicimus. (Moral., lib. XX, c. xvm.)
(2) Quœcumque pertransis, signa primum in nomine
Patris et Filii et Spiritus Sancti. (De panoplia.)
(3) Fides obsignata in Pâtre otFilioetSpiritu Sancto.
(De liaptism., c. vi.)
(4) Totura corpus cruce ter signavit et ad Orientem
versus : Gloria, inquit, tibi sit Deus patrum nostro-
AU XIX e SIÈCLE. 399
Toutefois, la forme que je viens de dé-
crire était moins usitée chez les premiers
chrétiens que parmi nous. Leur manière
ordinaire était de faire le signe de la croix
avec le pouce sur le front : Frontem crucis
signaculo terimus. Gela tenait à la crainte
de se trahir et à la répétition incessante du
signe adorable. Tel est encore le signe de la
croix le plus fréquent en Espagne et dans
plusieurs autres pays.
Pourquoi sur le front plutôt que sur le
cœur? Ici, mon cher Frédéric, comme dans
tout ce qui est ancien, il y a de grands mys-
tères. J'en compte cinq.
Le premier, l'honneur du divin Crucifié.
« Ce n'est pas sans raison, dit saint Au-
rum, Pater et Films et Spiritus. (Apud. Sur., 13 mai.)
On cite deux manières de tenir la main en faisant le
signe de la croix.' La première consiste à étendre les
trois premiers doigts, en fermant les deux autres.
Cette manière, qui exprime distinctement le mystère
de la sainte Trinité, était encore très-usitée au trei-
zième siècle. La seconde consiste à étendre les cinq
doigts de la main. Elle rappelle les cinq plaies de N.-S.
Aujourd'hui elle est seule en usage dans l'Église
d'Occident.
400
LE SIGNE DE LA CROIX
gustin, que le Verbe incarné a voulu que
son signe fût marqué sur notre front. Le
front est le siège de la pudeur, et il a voulu
que le chrétien ne rougît pas des opprobres
de son Maître. Si donc vous le faites en pré-
sence des hommes, et si vous n'en rougissez
pas, comptez sur la divine miséricorde (1). »
Le second, l'honneur de notre front. « Le
signe de la croix, dit Tertullien, est le signe
des fronts, signaculum frontium (2).
Et saint Augustin : « Un front sans signe
de croix est une tête sans cheveux. La tête
chauve est un sujet de honte et de dérision.
Il en est de même du front que n'orne pas
le signe de la croix. Un tel front est impu-
dent. Entendez-vous l'homme qui en insulte
un autre? Il lui dit : Tu n'as pas de front.
Qu'est-ce à dire, qu'il est impudent ? Que
Dieu me préserve d'avoir le front nu ; que la
(1) Non sino causa signum suum Christus in froute
nobis Agi voluit, tanquam in sede pudoris, ne Christi
opprobria cliristianus erubescat. (In ps. xxx, Enarr.,
iv, n. 8.)
(2) Contr. Marciori., lib. V.
AD XIX" SIÈCLE. 40 1
croix de mon Maître l'orne et le couvre (1). »
Le troisième, le miracle de la Rédemp-
tion. Le signe de la croix est un trophée.
Les trophées se placent non dans les lieux
obscurs, mais sur les places publiques, où
tout le monde peut les voir, et, en les voyant,
se rappeler les triomphes du vainqueur.
« Pourquoi donc, s'écrie le grand Augustin,
le Verbe divin n'aurait-il pas placé sur le
front de l'homme, sur le membre le plus
visible et le plus noble des membres, le si-
gne de la victoire remportée par la croix
sur les puissances infernales (2)? »
En passant des lieux de supplice sur le
front des empereurs, il fallait que la croix
proclamât éternellement le grand miracle
de la conversion de l'univers.
Le quatrième, la propriété divine. Rentré
en possession de l'homme, le divin Crucifié
l'a marqué de son cachet, comme le pro-
(1) Non habeam nudam frontem; togat eam crux
Domini mei. (In ps. cxxxi.)
(2) Ipsam crucom de diabolo supevato tanquam tro-
pbœmn in frontibus fldolium positurus erat. (InJonn.,
Tract, .xxxvi.)
402
LE SIGNE DE LA CHOIX
priétaire marque du sien les objets qui lui
appartiennent.
« Aussitôt, dit saint Gésaire d'Arles, que
le Rédempteur eut rendu l'homme à la li-
berté, il le marqua de son signe. Ce signe,
c'est la croix. Gravée aux portes des palais'
nous la portons sur notre front. C'est le
vainqueur qui l'y place, pour apprendre à
tous que nous sommes rentrés en sa pos-
session, et que nous sommes ses palais et
ses temples vivants. Aussi le démon, jaloux,
furieux, rôde sans cesse, cherchant à nous
voler le signe de notre affranchissement, la
charte de notre liberté (1). »
Le cinquième, la dignité de l'homme. Le
front est la plus noble partie du corps, et
comme le siège de l'âme. Qui est maître de
la tête est maître de l'homme. Aussi, de
toutes les parties du corps humain, le front
est celle que le démon s'est le plus acharné
à déformer.
(1) Et idoo mine (diabolus) gémit, invidet, circuit
sin forte vel furto a nobis possit auferre instrumentum
ipsius manuraissionis et acquisitoe tabulœ libertatis.
[Homil. V, depascha.)
AU XIX SIECLE.
403
La déformation de cet organe par les
compressions artificielles a fait le tour du
monde : dans beaucoup de pays elle sub-
siste encore. Défigurer l'image de Dieu, af-
faiblir les facultés intellectuelles, dévelop-
per les plus bas instincts : tels sont les
résultats constatés de cette déformation hu-
mainement inexplicable.
Réparateur de toutes choses, Noire-Sei-
gneur a voulu que le signe de la croix fût
de préférence marqué sur le front, afin de
le délivrer, et, en le délivrant, de rendre à
l'homme, avec la plénitude de ses facultés,
toute la dignité de son être.
Le respect est une autre condition pour
bien faire le signe de la croix. Le respect;
parce que c'est un acte de religion quatre
fois vénérable : par son origine, par son an-
tiquité, par l'usage qu'en a fait tout ce que
le monde a vu de plus grand et de plus
saint, les apôtres, les martyrs, les vrais ca-
tholiques de la primitive Église et de tous
les siècles; par la gloire dont il brillera au
dernier jour du monde, lorsque, annonçant
404
LE SIGNE DE LA CROIX
l'arrivée du souverain Juge, il apparaîtra
dans les nues, éclatant de lumière, et
viendra majestueusement se placer à côté
du tribunal suprême, pour la consolation
des justes et la confusion éternelle des mé-
chants.
L'attention; sans elle le signe rédemp-
teur n'est plus qu'un mouvement machinal,
trop souvent inutile à nous-mêmes et peut-
être injurieux à Celui dont il rappelle la ma-
jesté, l'amour et les bienfaits.
La confiance; mais une confiance filiale,
vive, forte, fondée sur le témoignage des
siècles, sur la pratique de l'Église, sur les
effets merveilleux produits par ce signe, re-
doutable au démon et libérateur de l'homme
et du monde.
La dévotion, qui met le cœur à l'unisson
des lèvres. En faisant le signe de la croix,
que fais-je? Je me proclame le disciple,
.le frère, l'ami, l'enfant d'un Dieu crucifié.
Sous peine de me mentir et de mentir à
Dieu, je dois être ce que je dis.
Ecoute nos pères : « Lorsque tu te signes,
AU XIX 8 SIECLE.
405
songe à tous les mystères renfermés dans
la croix. Il ne suffit pas de la former simple-
ment avec le doigt, il faut auparavant la
faire avec la foi et la bonne volonté... Lors-
que tu marques du signe de la croix ta poi-
trine, tes yeux et tous tes membres, offre-
toi en hostie agréable à Dieu...
« Si, en te marquant du signe de la croix,
tu te proclames soldat chrétien, et qu'en
même temps tu ne pratiques, suivant ton
pouvoir, ni la charité, ni la justice, ni la
chasteté, le signe de la croix nete sert de rien.
« C'est une grande chose que le signe de
la croix ; il ne faut s'en servir que pour mar-
quer des choses grandes et précieuses. Que
sert-il d'apposer un cachet d'or sur du foin
ou de la boue? Que signifie le signe de la
croix sur le front et sur les lèvres, si inté-
rieurement l'âme est remplie de crimes et
de souillures (1)?
(1) S. Chrys., Bomil. 54, in Matth.; S. Eph., Dr
adorât, vivif. crue; S. Aug., Serm., 215, De Temp.
— Signum maximum atquo sublime. Lact., Div.instit,,
lib. IV, c. xxvi.
33.
406
LE «IGNE DE LA CROIX
« Former le signe de la croix et pécher
qu'est-ce faire? C'est placer le signe de là
vie sur sa bouche et s'enfoncer le poignard
dans le cœur(l).»
De là, ce proverbe des premiers chré-
tiens : Frères, ayez Jésus-Christ dans le
cœur, et son signe sur le front : Habete
Lhnstum m cordibus, et signum ejus in fron-
tibus (2).
De là encore ce mot de saint Augustin:
« Dieu demande non des peintres, mais des
opérateurs de ses mystères. Si vous portez
sur votre front le signe de l'humilité de
Jésus-Christ, portez dans votre cœur l'imi-
tation de l'humilité de Jésus-Christ (3). »
Nous avons tous raison d'agir ainsi. Que
nul ne dise : Faire bien ou mal le signe de
la croix, c'est peu de chose. Autrement
ont pensé les siècles chrétiens ; autrement
(1) Qui se signât et aliquid de sacrilego cibo man-
ducat, quomodo se signât in ore, et gladium sibi mit-
tit înpectore. (S. Cœs., Serm. 278, inter Augustin )
(2) Bcd., t. III, In collect. flor. et paraph.
(3) Factorem quaerit Deus signorum suorum, non
pictorem, etc. (S. Aug., Ser, 32.)
AU XIX 8 SIÈCLE. 407
pense encore l'Église catholique, la maî-
tresse de la vérité ; autrement a pensé la
Vérité en personne. En admettant même
qu'un signe de croix est peu de chose, le
Verbe incarné n'a-t-il pas dit : Celui qui est
fidèle aux petites choses sera fidèle aux
grandes ; comme celui qui est infidèle aux
petites choses sera infidèle aux grandes ?
N'est-ce pas cette fidélité journalière qui
forme la vie chrétienne et prépare la for-
tune éternelle? Dans l'afiaire du salut,
comme dans toute autre affaire, ce qui
suffit ne suffit pas. Qui ne veut faire que le
nécessaire ne le fera pas longtemps.
Dix fois le jour, je fais le signe de la
croix. S'il est bien fait, voilà dix bonnes
œuvres de plus, dix degrés de gloire et de
bonheur de plus, pour toute l'éternité.
Voilà dix pièces de monnaie de plus, pour
payer mes dettes ou celles de mes frères
de la terre et du purgatoire ; dix instan-
ces de plus, pour obtenir la conversion
des pécheurs et la persévérance des jus-
tes, éloigner du monde et des créa-
AOS
LE SIGNE DE LA CROIX
tures les maladies, les dangers et les fléaux.
Calcule la somme de mérites accumulés
à la fin d'une semaine, d'une année, d'une
vie de cinquante ans. Et on dira que cela
est peu de chose !
Tu connais maintenant, cher Frédéric,
le signe de la croix et la manière de le faire!
Laisse-moi te confier une pensée d'ambition.
Je suppose qu'un étranger arrive à Paris et
demande quel est le jeune homme qui,
dans l'immense capitale, fait le mieux le
signe de la croix: je veux qu'on puisse te
nommer. Ace prix, je te promets une vie
digne de nos aïeux de la primitive Église,
une mort précieuse devant Dieu et au be-
soin les honneurs de la canonisation : In
hoc vince : Par ce signe tu vaincras.
Ce mot divin est toujours ancien et tou-
jours nouveau, car il est la formule d'une
loi. Constantin, qui le premier mérita de l'en-
tendre, est le type de l'homme. Le grand
empereur s'avançait à marches forcées pour
combattre Maxence, affreux tyran qui s'était
emparé de la capitale du monde. Tout à
AU XIX e SIÈCLE.
409
coup, par un temps serein, un peu après
l'heure de midi, le signe de la croix paraît
dans les airs, étincelant de lumière, et se
fait voir à Constantin et à toute son armée,
avec cette inscription : Par ce signe tu
vaincras. In hoc vince. La nuit suivante, le
Fils de Dieu apparaît à l'empereur, tenant
en main le signe de la veille, etlui ordonne
d'en faire un semblable, dont il se servira
dans les combats, avec promesse de la vic-
toire.
Constantin obéit. Le signe céleste, res-
plendissant d'or et de pierreries, brille aux
regards des légions et devient le célèbre
Labarum. Partout où paraît cette enseigne,
la confiance anime les soldats de Constan-
tin et épouvante ceux de Maxence. Les ai-
gles romaines fuient devant la croix ; le pa-
ganisme, devant le christianisme ; Satan, le
vieux tyran de Rome et du monde, devant
Jésus-Christ, sauveur de Rome et du monde.
Il en devait être ainsi.
Maxence défait et noyé, Constantin entre
dans Rome. Une statue le représente tenant
410
LE SIGNE DE LA CROIX
la croix à la main, avec cette inscription
qu'il dicte lui-même : « C'est par ce signe
salutaire, vrai symbole de force, que j'ai
délivré votre ville du joug de la tyrannie, et
que, rendant la liberté au sénat et au peuple
romain, je les ai rétablis dans leur ancienne
majesté et leur ancienne splendeur (1). »
Constantin, c'est toi, c'est moi, c'est toute
âme baptisée, c'est le monde chrétien. Jetés
au milieu de la grande arène de la vie, à
la tête de nos sens et de nos facultés, nous
marchons à la rencontre d'un tyran plus re-
doutable que Maxence. Rome, à nous, c'est
le ciel; il veut nous en fermer l'accès. Con-
tre nous il vient à la tête de ses légions in-
fernales. Le combat est inévitable.
Comme au fils de Constance, Dieu nous
donne le même moyen de vaincre : le signe
de la croix : In hoc vince. Aujourd'hui
(1) Hanc inscriptionem, latino sermone, mandat in-
cidere : Hoc salutari signo, vero fortitudinis indicio,
civitatem vestram tyrannidis jugo liberavi et S, P. Q.
R. in libcrtatcm vindicans pristinse amplitudini et
splendori restitui. (Euseb., Vit. Constant., lib, C,
c. XXXIII.)
AU XIX 8 SIÈCLE.
411
comme autrefois, ce signe est la terreur des
démons, formido dwmonum. Faisons-le avec
foi, et le chemin de la Ville éternelle nous
est ouvert.
Vainqueurs, et vainqueurs pour toujours,
notre reconnaissance élèvera, aux regards
des anges et des élus, une statue portant
l'inscription constantinienne : C'est par ce
signe salutaire, vrai symbole de force, que
j'ai vaincu le démon, délivré mon âme et
mon corps de sa tyrannie, et qu'en rendant
à mes sens, à mes facultés, à mon être tout
entier la liberté véritable, je les ai établis,
pour toute l'éternité, dans les splendeurs
d'une gloire sans mélange et sans limites :
In hoc vince.
Salut donc, dirai-je en empruntant la voix
des Pères et des Docteurs de l'Orient et de
l'Occident, salut, signe de la croix! éten-
dard du grand Roi, immortel trophée du
Seigneur, signe de vie, signe de salut, signe
de bénédiction, épouvante de Satan et des
légions infernales, rempart inexpugnable,
armure invincible, bouclier impénétrable,
412 LE SIGNE DE LA CROIX AU XIX e SIECLE.
épée royale, honneur du front, espérance des
chrétiens, remède des malades, résurrection
des morts, guide des aveugles, soutien des fai-
bles, consolation des pauvres, joie des bons,
effroi des méchants, frein des riches, ruine
des superbes, juge desinjustes, libertédes es-
claves, gloire des martyrs, chasteté des vier-
ges, vertu des saints, fondement de l'Église (1).
Tu as désormais, cher Frédéric, ma ré-
ponse à tes deux questions. L'autorité de
tous les siècles les résout- en ta faveur. Cette
apologie victorieuse de ta noble conduite
t'armera, je l'espère, pour toujours contre
les moqueries et les sophismes.
D'une part, tu sais combien est impor-
tante et solidement fondée la pratique habi-
tuelle du signe de la croix ; d'autre part, tu
es en mesure d'apprécier à sa juste valeur
l'intelligence de ceux qui ne le font pas, et
d'estimer comme il le mérite le caractère de
ceux qui rougissent de le faire : In hoc vmce,
(I) Gretzer, lib. IV, c. lxiv, etc.
FIN.
TABLE DES MATIERES
PREMIÈRE LETTRE.
État de la question. — Le monde actuel ne fait plus, ou il
fait rarement, ou il fait mal le signe de la crois. — Les
premiers chrétiens le faisaient, ils le faisaient souvent, ils
le faisaient bien. — Nous avons raison, et ils avaient
tort- ou nous avons tort, et ils avaient raison; lequel des
deui? 27 à 30
DEUXIÈME LETTRE.
Examen de la question. — Préjugés en faveur des pre-
miers chrétiens. — Premier préjugé : leurs lumières, ou
leur voisinage des apôtres. — Second préjugé : leur sain-
teté. — Troisième préjugé : la pratique des vrais chré-
tiens dans tous les siècles. — Les Pères de l'Église furent-
ils de grands génies ? 37 a i7
TROISIEME LETTRE.
Suite du troisième préjugé : les docteurs de l'Orient et de
l'Occident. — Constantin, Théodose, Charlemagne, saint
Louis, Bavard, don Juan d'Autriche, Sobiesky. — Qua-
414
TABLE DES MATIÈRES.
Même préjugé : la conduite de l'Église. - Cinquième
préjugé : ceux qui ne font pas le signe de la croix. - Ré-
48 à 62
sumé.
QUATRIÈME LETTRE.
Réponse à une objection : les temps sont changés. - Raisons
en faveur des premiers chrétiens, tirées de la nature même
du signe de la croix. _ Le signe de la croix est cinq
choses. - Un signe qui ennoblit l'homme. — Preuves
que le signe de la croix est divin 63 â 73
CINQUIÈME LETTRE.
Le signe de la croix nous ennoblit. - Il est le signe exclu-
sif de 1 élite de l'humanité. _ Il est le blason du catholi-
que. _ Ce que c'est qu'un catholique. - En nous enno-
blissant, le signe de la croix nous enseigne le respect de
nous-mêmes. — Importance de cette leçon. — Honte de
ceux qui ne font pas le signe de la croix. _ Tableau du
mépris qu'ils ont pour eux-mêmes 74 à 85
SIXIÈME LETTRE.
Résumé de la lettre précédente. - Le signe de la croix
est un livre qui nous instruit. — Création, Rédemption,
Glorification trois mots qui renferment toute la science de
Dieu, de l'homme et du monde. _ Le signe de la croix
dit ces trois mots avec autorité, — avec lucidité, — avec
profondeur. _ 11 les dit à tous, - partout - et tou-
J° urs 86à9S
SEPTIÈME LETTRE.
Place que le signe de la croix tient dans le monde. — Ce
qu'était le genre humain avant de savoir faire le signe de
la croix. — Ce que devient le monde en cessant de faire
TABLE DES MATIERES. 415
le signe de la croix. — Nouveau point de vue : Le signe
de la croix est un trésor qui nous enrichit 96 à 107
HUITIEME LETTRE.
Le signe de la croix connu et pratiqué depuis l'origine du
monde. — Contradiction seulement apparente. — Sept ma-
nières de faire le signe de la croix. — Jacob, Moïse, Samson,
ont fait le signe de la croix. — Témoignages des Pères. —
David, Saloraon, tout le peuple juif faisait le signe de la
croix et en connaissait la valeur. — Preuves.... 108 à 122
NEUVIÈME LETTRE.
Le signe de la croix chez les païens. — Nouveaux détails sur
une forme extérieure du signe de la croix chez les pre-
miers chrétiens. — Les martyrs dans l'amphithéâtre. —
Étymologie du mot a adorer ». — Les païens adoraient en
faisant le signe de la croix. — Comment ils le faisaient. —
Première manière 123 à 135
DIXIÈME LETTRE.
Seconde et troisième manière dont les païens faisaient le signe
de la croix. — Témoignages. — La Pietas publica. — Les
païens reconnaissaient une puissance mystérieuse au signe de
la croix. — D'où leur venait cette croyance? — Grand
mystère du monde moral. — Importance du signe de la croix
aux yeux de Dieu. — Le signe de la croix dans le monde physi-
que. — Paroles des Pères et de Platon. — Inconséquence des
païens anciens et modernes. — Raison de la haine particu-
lière du démon pour le signe de la croix 136 à 156
ONZIEME LETTRE.
Le signe de la croix est un trésor qui nous enrichit, parce
qu'il est une prière : Preuves. — Prière puissante : Preu-
'. I 6
TABLE DES MATIÈRES.
vos. — Prière universelle : Preuves. — H pourvoit à tous
Ils besoins. — Pour son âme l'humme a besoin de lumières.
— Le signe de la croix les obtient : Preuves. — De furce le
signe de la croix la procure : Preuves. — Exemple tics
157 i 179
martyn .
DOUZIÈME LETTRE.
Nécessité perpétuelle du signe de la croix pour obtenir la force.
— Recommandation et pratique des chefs de la lutte spiri-
tuelle. — signe de la croix dans les tentations. — Signe de
la croix à la mort. — Exemple des martyrs. — Exemple des
vrai» chrétiens mourant de mort naturelle". — Les mourants se
faisant faire le signe de la croix par leurs frères. 180 à 196
TREIZIÈME LETTRE.
Effet! du signe de la croix dans l'ordre temporel. — Il guérit
tuutes les maladies et éloigne tout ce qui peut nous nuire.
Il rend la vue aux aveugles, l'ouïe aux sourds, la parole 001
muets, l'usage des membres aux boiteux et aux paralytiques,
guérit les autres maladies etrend la vie aux morts. 197 à 217
QUATORZIÈME LETTRE.
Le Mfçne île la croix préservatif contre tout ce qui peut
compromettre la santé et la vie. — Il apaise les tempêtes.
— Eteint le feu. — Protège contre les accidents. — Ar-
rête les Ilots. — Fait rentrer les eaux dans leur lit.
Éloigne les bûtes féroces. — Préserve du poison. — De
U foudre. — Fait des créatures des instruments de pro-
il &* 218 à 238
QUINZIÈME LETTRE.
Réponse à une question. — Le signe de la croix est une
arme qui dissipe l'ennemi. — La vie est une lutte.
BHI
TABLE DES MATIÈRES. 417
Contre qui. — Nécessité d'une arme à la portée de tous. —
Quelle est cette arme? — Preuves que le signe de la croix:
est l'arme spéciale, l'arme de précision contre les mauvais
esprits 239 à 26i
SEIZIÈME LETTRE.
Le signe de la croix brise les idoles et en chasse les démons :
exemples. — Il les chasse des possédés : exemples. —
Anecdote récente. — Nouvelles preuves : les exorcismes. —
Il rend vaines les attaques directes des démons : exem-
ples. — Leurs attaques indirectes : preuves. — Toutes
les créatures asservies au démon lui servent d'instruments
pour nous nuire. — Le signe de la croix les affranchit et
les empêche d'être nuisibles à notre corps et à notre âme.
— Profonde philosophie des premiers chrétiens. — Usage
qu'ils faisaient du signe de la croix. — Tableau par saint
Chrysostome ■ 262 à 284
DIX-SEPTIÈME LETTRE.
Résumé. — Nature du signe de la croix. — Le cas qu'on en
fait aujourd'hui. — Ce qu'annonce l'oubli, le mépris du
signe de la croix. — Spectacle du monde actuel. — Satan
revient. ■ — Rester fidèle au signe de la croix. — Surtout
avant et après les repas. — La raison, l'honneur, la liberté,
le commandent. — La raison est-elle pour ou contre ceux
qui font le signe de la croix sur la nourriture : exemples
et raisonnements 285 à 301
DIX-HUITIÈME LETTRE.
L'honneur commande de prier avant et après le repas. — La
prière sur les aliments aussi ancienne que le monde, aussi
étendue que le genre humain. — Preuves : Benedîcite et
Grâces de tous les peuples. — Ne pas les dire, c'est s'assimi-
ler aux êtres qui n'appartiennent pas à l'espèce humaine. —
Rénir la table est une loi de l'humanité 302 à 320
418
TABLE DES MATIÈRES.
DIX-NEUVIÈME LETTRE.
Raison de la bénéd.ct.on de la table. - C'est un acte de H-
™nt _ r° ,S ^ ranS : Ie m ° ndc ' ,a chair - le «-on. -
Tuple v.cto.re du s.gne de la croit et de la prière sur les
aliments. - Victoire sur le monde : Preuves. - Sur la
chair : Preuves. _ Sur le démon : Preuves. - Remarquable
321 à 340
VINGTIÈME LETTRE.
Le signe de la croix est un guide qui nous conduit. - Besoin
duu gu.de. _ Etat de l'homme ici-bas. _ Le signe de a
ero.x conduit l'homme à sa fin par le souvenir *" y L"
tatou souvenir qu'il rappelle. _ Souvenir général -
Souvenir particulier. _ imitation particulière... 341 à 356
VINGT ET UNIÈME LETTRE. v
In,itation générale. - Imitation de la sainteté 'de Dieu. _
de IWe T%î Z ? ^ de ta ™* «anetifi ateu,
de otu fe ■ "> , T ~ Imilati0n de la ch * rité
dt D,eu. - Ce quest la charité en Dieu. - Ce qu'elle
«oit être en nous. - En nous l'enseignant, le signe de la
pZe UD S ' gDe ël ° qUent et SÛr - ~ I*L-i
357 à 370
VINGT-DEUXIÈME LETTRE.
Prononcé du jugement entre nous et les premiers chrétiens. _
rem.ere obligation, faire résolument le signe de la croix le
ment ""S? f ^ ""■ ~ Raisons de *■ ^ire réso.i-
ment. Honte et dangers de ne pas le faire. - État de la
santé physique et morale du monde actuel. - Impossibilité
pour l'homme de ne pas porter le signe de Dieu ouTe* ZZ
démon. _ Ce qu'est le signe du démon 371 à 386
.JifcJ»*»*'' : -
TABLE DES MATIERES.
419
VINGT-TROISIEME LETTRE.
Raisons de la puissance et de la haute mission du signe de la
croix. — Dogme fondamental. — Ce qui se passe dans
l'ordre politique, image de ce qui a lieu dans l'ordre mo-
ral. — La Réforme, première fille de la Renaissance du
paganisme, abat toutes les croix. — La Révolution française,
seconde fille du paganisme, imite sa sœur. — Seconde
obligation; faire souvent le signe de la croix. — Raisons
prises de l'état actuel. — Troisième obligation; bien faire
le signe de la croix : condition. — Le signe de la croix
signe éternel de victoire. — Constantin. — Louanges du
signe de la croix 3S7 à 416
FIN DE LA TABLE.
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5111-78. — CoHBEtt. Typ. et stér. de Crête.
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