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Full text of "L'Éternité, retraite de Notre-Dame"

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L'ÉTERNITÉ 



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BIBLIOTHEQUE 
SAINTE | 
GENEVIEVE 



Paris. — Imprimerie Téqui, 92, rue de Vaugirard, 92. 



1 



GENEVIEVE 



LE R. P. FELIX, S. J 



L'ETERNITE 



RETRAITE DE NOTRE-DAME 





PARIS 

T É Q U I , L I B R A I II E - É D IT E U II 

DE L'ŒUVRE SAINT-MICHEL 

85, RDB DE RENNES, 8!j. 

1888 



AU LECTEUR 






Le livre que nous publions sous ce titre : VÉ- 
ternité , est le complément indispensable du 
livre intitulé : La Destinée, publié récemment: 
de même que le premier est le préliminaire 
obligé du second (i). 

Tous ceux qui ont lu le volume La Destinée, 
ont pu constater que l'auteur y fait, autant que 
possible, abstraction de l'Eternité ou de l'Eter- 
nelle durée. Mais, il est de toute évidence que 
l'une de ces deux idées appelle l'autre, et que 
l'une et l'autre se complètent mutuellement. 
On ne comprend pas plus la Destinée finale 
sans une d"rée Eternelle, que l'on ne comprend 

(i) Voyez La Destinée, chez Téqui, librairie Saint 
Michel, rue de Rennes, 85. Paris. 



— Il 



la survivance Eternelle sans une Destinée fi- 
nale. 

Dans notre précédent volume, après avoir 
montré, sous toutes ses faces principales, ce 
que nous avons appelé la Destinée, nous 
sommes arrivé finalement à cette conclusion : 
Dieu seul est notre Destinée. 

Cette conclusion suprême, la Destinée hu- 
maine dans la possession de Dieu, renferme 
déjà implicitement l'idée de l'Éternelle durée de 
notre vie; car, comment concevoir que notre 
àme, une fois en possession de Dieu, s'en sé- 
pare et rentre dans son néant? 

Mais, autre chose est de déduire une vérité- 
d'une autre vérité par voie de conséquence, 
autre chose est de montrer directement cette 
vérité elle-même , en l'environnant de toute la 
clarté qu'elle reçoit de sa propre démonstration. 

Or l'idée de la vie ou de la survivance Eter- 
nelle est d'une telle importance en elle-même, 
et par elle-même, qu'elle nous a paru devoir 
être exposée avec tout le développement qu'elle 
comporte; et nous n'avons pas hésité à lui con- 
sacrer tout le volume qu'on va lire. 



\ 



\ 



-• III 



Mais l'importance de donner à cette vérité 
tout son légitime développement se révèle dans 
une lumière bien plus grande encore, si nous 
la considérons en face des idées et des tendances 
contemporaines. 

Si la libre pensée fait aujourd'hui plus que 
jamais,par tous ses systèmes, une opposition 
flagrante à l'idée de la Destinée, telle que nous 
l'avons définie, c'est-à-dire d'une Destinée in- 
tentionnelle et voulue par le Créateur, elle fait 
à l'idée d'une existence ou d'une vie Etemelle, 
une opposition bien plus flagrante encore. 

Jamais, à aucune époque de l'humanité, on 
ne vit dans aucune société éclater un tel anta- 
gonisme à l'idée de l'Eternel. Des hommes, au 
milieu de nous, se rencontrent, qui font à cette 
doctrine de l'Eternel une guerre acharnée. On 
dirait que ce spectre de l'Eternité les épouvante 
et les irrite. Ils voudraient, s'ils le pouvaient, 
en chasser de l'humanité entière, même la 
simple idée; et toute parole, tout livre qui la 
défend, excite leur fureur. Ils éprouvent je ne 
sais quel frénétique désir de se renfermer, avec 
l'animal, dans le présent comme en une étroite 



IV — 



prison, et de se faire de tout ce qui est du temps, 
une défense contre l'Eternité. 

Nous voudrions en vain nous le dissimuler: 
il surgit au milieu de nous, en plein Christia- 
nisme, une race d'hommes qui abdique ouver- 
tement l'Eternel et le Divin, et qui a juré d'en 
finir avec tout ce qui dépasse l'humanité et le 
temps. Tout ce qui croit non seulement à.V au- 
delà, mais à l' Immortel, elle le poursuit de ses 
haines ; tout ce qui, sous une forme quelconque, 
représente l'un et l'autre, elle travaille à l'ané- 
antir: et le serment qu'Annibal fit contre 
la Rome antique, le serment de l'extermina- 
tion, elle le fait contre la Rome nouvelle, cette 
Rome que bien mieux que Paris, nous pouvons 
nommer la Ville-lumière, parce que c'est de là 
surtout que part cette prédication, qui illumine 
le monde, la prédication de X au-delà, de YEter- 
nel et du Divin. 

Combien d'autres qui aujourd'hui, sans 
prendre à ce point en haine et en exécration la 
doctrine de l'Eternel et l'Eglise qui l'enseigne, 
la réduisent aux proportions d'un système ou 
d'une opinion, et parlent de l'Eternité comme 






d'une chose problématique, sur laquelle leur 
philosophie n'ose encore prendre son part! dé- 
finitif, et, sans la répudier positivement, ne la 
professe que négativement, ne la défend que 
timidement. 

Et, même parmi les hommes qui n'ont pas 
effacé de leur front le signe de leur baptême 
et prétendent rester fidèles aux enseignements 
de l'Eglise leur Mère, combien qui,sur ce point 
. fondamental, ne gardentqu'une foi chancelante, 
et sentent passer sur leur âme de croyants je 
ne sais quels souffles de doute-, combien qui, 
sous prétexte qu'ils ne peuvent comprendre ce 
mystère de l'Eternel avenir, hésitent à le croire 
tout à fait-, et, parce que devant cette mysté- 
rieuse perspective, ils croient sentir vaciller leur 
raison, sont tentés de lui refuser leur foi ! 

Il faudrait fermer les yeux à la lumière de la 
publicité pour ne pas voir comment,en présence 
de ces trois catégories des hommes de cetemps, 
cette prédication de l'Eternel prend une im- 
portance qu'il est impossible de méconnaître. 
Et quant à tous ceux qui croient avec nous, 
sans, hésitation aucune, ce dogme souverain 



-• VI — 



del'Eternel, ils ontbesointoujoursd'enentendre 
parler et de se mettre le plus possible en face 
de cette grande lumière de l'Eternité, qui éclaire 
toute la vie du temps, afin d'en faire passer 
dans leurs actions et leurs pratiques le rayon- 
nement salutaire et les influences fécondes. 
Car, si la pensée de la Destinée est, comme 
nous l'avons montré, si puissante déjà sur la 
vraie direction et le bon gouvernement de notre 
vie, bien plus puissante encore doit être la 
pensée de l'Eternité. 

Le bienveillant accueil fait au livre La 
Destinée, malgré l'austérité inhérente aux en- 
seignements qu'il renferme, nous fait espérer 
pour celui-ci un accueil pareil, malgré des en- 
seignements peut-être plus austères encore. 

Au milieu de ces bruits du temps qui, au- 
jourd'hui plus que jamais, attristent les âmes 
droites et désolent les cœurs honnêtes, il ne 
peut être que consolant et doux d'entendre un 
peu la voix de l'Eternité. A l'heure ^où les 
spectacles, que ce siècle nous offre de toutes 
parts, ont je ne sais quoi d'écœurant, pour ne 
pas dire de décourageant, il ne peut être que 



— vu — 

bon, salutaire et fortifiant de tourner nos 
regards vers les perspectives Eternelles. Et, 
pour nous, à mesure que nous approchons da- 
vantage de ce terme final où tous doivent 
aboutir, nous éprouvons de plus en plus le 
besoin de laisser dans nos écrits quelques 
rayons de cette grande lumière de l'Eternité: 
rayons affaiblis par l'infirmité même de cette 
parole; mais qui, tout affaiblis qu'ils sont, 
pourront encore éclairer quelque peu non seu- 
lement ceux qui marchent avec nous aujour- 
d'hui, mais encore ceux qui demain mar- 
cheront après nous au chemin de cette vie du 
temps. 



L'ÉTERNITÉ 



CERTITUDE DE L'ETERNITE 

TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D' AUTORITÉ 



Ibit homo in domum 
œternitatis suce 

L'homme ira dans la. de 
meure de son Éternité. 

(Ecclé. XII. 5J 

Monseigneur, 

« 
Messieurs, 

Il y a un mot qui éveille au fond des âmes 
humaines les échos les plus profonds, parce 
qu'il exprime ce qu'il y a de plus décisif pour la 
vie présente, et surtout pour la vie future; un 
mot qui, depuis bientôt deux mille ans, retentit 
au fond des cloîtres, des solitudes, des sanc- 
tuaires, et surtout duhautdenos chaires, comme 
la grande révélation de Jésus-Christ et le grand 
enseignement de l'Eglise; un mot que, dans 

1. 



10 



CERTITUDR DE L ETERNITE 



tous les espaces et tous les siècles, sous des 
formules diverses et avec une conviction unani- 
me, l'humanité a prononcé; un mot, souverain 
et dominateur entre tous les mots, qui a, tout à 
la fois, la puissance d'illuminer, d'émouvoir, de 
convertir et de sanctifier; un mot, enfin, qui est 
la consolation des bons, la terreur des méchants, 
qui est tout ensemble le plus grand ascendant 
de la parole sacerdotale, et la plus efficace pro- 
tection des générations populaires. 

Ce mot est celui-là même que je viens de pro- 
noncer : Eternité ! Et c'est lui qui va retentir 
surtout pendant nos saints exercices. 

Ce mot répond, en l'expliquant et en le com- 
plétant, à un autre mot qui a retenti dans cette 
même enceinte, en une circonstance pareille: 
La Destinée (1). 

Nous l'avons démontré : nous avons une Des- 
tinée, et cette Destinée, c'est Dieu même, Dieu 
possédé par l'homme arrivé au terme de sa vie. 
Sur ce point déjà votre conviction est faite, et 
nous n'avons pas à y revenir. 

Mais ici se pose la question grave entre 
toutes : Cette Destinée, doit-elle finir, ou 



(1) Voir ha. Destinée. Retraite de Notre-Dame, 
léqui, rue de Rennes, 85. Paris. 



chez 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D' AUTORITÉ 11 

bien,doit-elle durer toujours? End'autres termes: 
la Destinée humaine est -elle Éternelle? 

Ge voyage, que nous accomplissons à travers 
le temps, à quoi doit-il finalement aboutir ? Se- 
ra-ce à une autre station du temps , ou bien 
sera-ce à l'Eternité? Tout nous répond avec 
VEcclésiaste: Y Eternité. Oui, l'homme, au sortir 
de la vie du temps, entrera dans la maison de 
son Eternité ; ibit homo in domum œternitatis 

suœ (1). 

Ce que c'est que l'Eternité considérée en elle- 
même? Quelle est. vis-à-vis d'elle, notre vraie 
situation? Quelle influence elle exerce même 
sur notre vie du temps? Ce qu'elle réserve, dans 
l'autre vie, aux élus et aux réprouvés? Ce 
qu'elle est par rapport au bonheur des uns et au 
malheur des autres? Ce n'est pas ce que je me 
propose dédire aujourd'hui. Ce que je veux éta- 
blir, avant d'entrer dans le fond de ce mystère, 
c'est la pleine certitude de l'Eternité, c'est-à- 
dire d'une durée sans fin, considérée comme 
terme final de notre voyage du temps. 

Jamais, peut-être, il ne fut plus urgent de re- 
mettre devant les yeux cette vérité fondamen- 



(1) Ecclé. XII, 5. 



12 



CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ 



taie, sans laquelle le mystère de la vie humaine 
et de la Providence divine reste incompris. L'E- 
temel offusque et déconcerte la libre pensée 
contemporaine; et elle détourne, autant qu'elle 
peut, les yeux des perspectives qu'ouvre devant 
elle l'Éternité , ou l'Éternel avenir. 

Raison décisive pour mettre dans sa pleine 
lumière cette vérité, que trop volontiers on re- 
tient dans l'ombre, alors même qu'on n'ose la 
nier tout à fait : Il y a une Éternité. 

Pour bien établir cette vérité préliminaire et 
fondamenlale en ce sujet, je me propose d'évo- 
quer deux témoignages, qui se répondent et se 
complètent : le témoignage du dehors et le té- 
moignage du dedans; en d'autres termes, le té- 
moignage de Y autorité et le témoignage de Yâme; 
c'est-à-dire les voix qui parlent en dehors de 
nous, et les voix qui parlent au dedans de nous. 
Pour ne pas trop exiger de votre bienveillante 
attention, je me borne aujourd'hui à vous faire 
entendre les voix du dehors, ou le témoignage 
d'autorité, témoignage en ce sujet absolument 
irrécusable. 

Or, deux grandes autorités se rencontrent ici 
dans l'affirmation d'une même vérité, c'est-à- 
dire dans l'affirmation de l'Eternelle vie: le té- 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D' AUTORITÉ 13 

moignàge du Christianisme, et le témoignage de 
l'Humanité; ce qui revient à dire: le témoignage 
divin et le témoignage humain. 

C'est tout ce que je veux montrer dans ce dis- 
cours. 

Demain, j'essayerai de compléter la démons- 
tration en vous faisant entendre le témoignage 
del'âme. Etvous verrez commentvous êtes vous- 
mêmes,dans le temps,les témoins de votre Eter- 
nité. 



I 



Et tout d'abord, chrétiens que nous sommes, 
nous avons à entendre ici le témoignage de 
notre Christianisme. 

Pour nous, qui professons cette divine reli- 
gion, tout ce qu'elle enseigne clairement est 
d'une autorité absolument irrécusable, d'une 
certitude absolument indéniable. 

Or, que le Christianisme enseigne et professe 
l'Eternel; qu'il soit, # considéré sous toutes ses 
faces, la religion de l'Eternel, c'est ce qu'Userait 
à peine nécessaire de démontrer, si des parti- 



14 



CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ 



sans, ou pour mieux dire, des inventeurs d'un 
faux Christianisme ne cherchaient à amasser 
les nuages autour de cette vérité, par elle-même 
si resplendissante de sa propre lumière. 

Pour restituer ici à cette vérité devant tous 
les esprits toute sa légitime clarté, et rendre la 
démonstration aussi complète que lumineuse, 
nous considérerons le Christianisme sous ce tripl e 
rapport : dans Jésus-Christ, dans V Eglise, dans les 
chrétiens. Dans Jésus-Christ, auteurdu Christia- 
nisme; dans l'Egiise, organisation du Christia- 
nisme; dans les chrétiens, disciples du Christia- 
nisme, c'est-à-dire le Christianisme considéré 
dans son Chef, dans son corps et dans ses 
membres. 

Et vous allez voir comment, vu sous ce tri- 
ple aspect, le Christianisme est bien ce que je 
viens de le nommer, la religion de l'immortel 
et de l'Eternel, et que, par conséquent, tous ceux 
qui se proclament chrétiens ne pourraient sur ce 
point, sans une contradiction monstrueuse, hé- 
siter une minute. 

I* Ecoutons, avant tout, le témoignage de 
Jésus-Christ, fondateur et chef du Christianisme. 

Tout ce qu'a dit et enseigné ce divin Révéla- 
teur est pour nous la vérité, rien que la vérité. 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'ACTORITÉ 15 

Jésus-Christ a dit de lui-même : « Je suis la 
vérité. Ego sum veritas. Il est le Verbe de Dieu; 
il est l'affirmation divine elle-même; il est l'in- 
faillibilité incarnée. Si donc Jésns-Chist affir- 
me la vie étemelle, force nous est de l'affirmer 
avec Lui. 

Or, ce Verbe divinement infaillible, en je ne 
sais combien d'endroits de son Evangile, affir- 
me l'Eternité ou l'Éternelle vie. L'Eternité est au 
fond de toutes les paroles qu'il prononce, de 
toutes les promesses qu'il fait, de toutes les 
espérances qu'il donne. Quedis-je? Il s'identifie 
lui-même avec cette Eternité qu'il affirme et 
qu'il promet. En sorte que, ôter de son ensei- 
gnement l'affirmation de la vie Eternelle, ce 
n'est pas seulement scinder et mutiler sa doc- 
trine, c'est le scinder et le mutiler lui-même , 
c'est, en un mot, l'anéantir avec son Evangile 
tout entier. Car, cette affirmation de la vie éter- 
nelle, ou de l'Éternité réalisée en Lui, c'est tout 
le contexte de l'Evangile. 

Ecoutez, Messieurs, quelques-unes de ses pa- 
roles si pleines d'immortalité. 

Jésus parle de son propre enseignement, et il 
dit : « En vérité, je vous le dis : quiconque en- 



16 



CERTITUDE DE L ETERNITE 



« tend ma parole et y croit, a la vie Éternelle; 
« habet vilam œternam(l). » 

Parole prodigieuse qui jamais ne s'est posée 
sur les lèvres d'un homme. Qui donc osa jamais 
promettre, comme récompense de la foi à sa pa- 
role, l'Éternité de la vie? 

Jésus proclame le dogme mystérieux de la di- 
vine Eucharistie, et il dit et répète à plusieurs 
reprises : 

« Je suis le Pain vivant descendu du ciel : 
« Celui qui mange de ce Pain vivra Éternelle- 
« ment, in œternum. Oui, celui qui mange ma 
« chair et boit mon sang, aura la vie Eternelle, 
« vitam œtemam\ et je le ressusciterai au dernier 
« jour, parce que celui qui mange ce Pain vivra 
« Élernellement,vivet in œternum (2).» Et il dit et 
redit encore la même affirmation, afin que 
l'ombre même d'un doute ne puisse demeurer 
sur ce point. 

Comment, en effet, en présence de cette insis- 
tance à affirmer l'Eternité de la vie, comme le 
fruit du grand mystère Eucharistique, comment 
concevoir sur la vraie pensée de Jésus-Christ le 
moindre doute? Si, par ces paroles il n'a pas 

(1) (Jean, V. 24) 

(2) (Jean, VI, 27-55) 




TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'AUTORITÉ 17 

voulu nous garantir l'Eternité de la vie, ou la 
vie sans fin; alors, on se demande ce qu'il a 
voulu dire'Et l'on se demande.enmême temps, 
de quels termes plus clairs et plus précis il 
aurait pu se servir, pour nous en donner par sa 
parole la divine assurance? 

Jésus-Christ fait, dans sonEvangile,de notre 
Éternelle vie une autre affirmation, qui, pour 
être implicite seulement, n'en est pas moins 
claire; car il affirme l'identification de la vie 
de ses disciples avec sa propre vie. 

Que Jésus-Christ ait affirmé lui-même l'Eter- 
nité de sa propre vie, c'est ce qu'il serait super- 
flu de démontrer ; il est de toute évidence qu'indé- 
pendamment des autres affirmations qu'il en fait > 
en affirmant sa Divinité, il affirme son Eternité. 
Comment concevoir qu'il s'affirme lui-même 
Dieu, sans s'affirmer en même temps Eternel? 
La divinité sans l'Eternité, c'est la contra- 
diction même. 

Eh bien, cette vie personnelle, il l'identifie 
avec la vie des siens, ou plutôt, il identifie la vie 
des siens avec sa propre vie. Il dit : « Je suis 
la vigne, et vous êtes les rameaux .Ego sum 
vitis, vos palmiles (1). Or, la vie de la vigne et la 

(1) Jean. XVI, I. 



18 



CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ 



vie des rameaux ne sont pas deux vies, mais 
une seule vie. Donc en affirmant l'Eternité de 
l'une, il affirme l'Eternité de l'autre ; comme 
s'il disait : Vous et moi nous sommes un, car 
ma vie c'est votre vie. Je suis Éternel; donc 
vous vivrez Éternellement. 

Jésus se donne comme le bon pasteur, et II 
dit : « Je connais mes brebis; elles me suivent; 
« et moi je leur donne la vie Éternelle, do eis 

* vitam œternam ; et elles ne périront jamais , 
<i non peribunl in œternum (Y). » 

Jésus se révèle à la Samaritaine, et il lui dit : 
« Celui qui boit de cette eau ( l'eau du puits de 

* Jacob), aura soif encore; mais l'eau que je lui 
« donnerai deviendra en lui une source qui jail- 
« lira jusque dans l'Eternelle vie, salientis in vi- 
« tam œternam (2). » 

Jésus précise en quoi consiste cette vie Éter- 
nelle, et dit : « Cette vie Éternelle est dans la 
« connaissance qu'ils ont de vous , ô mon Père, 
« et de votre Christ que vous avez envoyé. Vous 
« lui avez donné la puissance sur tous les 
« hommes , afin que lui-même leur donne la 



<*1 



(1) Joan x. 27.) 

(2) Joan. iv. 13 ) 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'AUTORITÉ 19 

« vie Éternelle, ut clet eis vitam œternam (1). » 
Jésus parle au peuple qui l'a suivi au désert, 
non pour voir des miracles , mais pour manger 
le pain qu'il lui distribue, et il lui donne ce divin 
conseil : « Faites-vous, non un pain qui doit périr, 
« mais un pain qui demeure jusque dans la vie 
« Eternelle, qui permanet in vitam œternam (2). » 

Mais de toutes les affirmations par lesquelles 
Jésus-Christ enseigne et garantit l'Eternité de 
la vie , la plus décisive, la plus solennelle de 
toutes, c'est, sans contredit, celle qu'il met dans 
la bouche du souverain Juge au jugement der 
nier. Alors le juge dira aux élus : c Venez, les 
« bénis de mon Père ; entrez avec moi dans le 
« royaume qui vous fut préparé dès le commen- 
« cément du monde, c'est-à-dire dans mon ro- 
« yaume Éternel. » Et il dira aux réprouvés : 
t Allez,maudits,auieu Éternel.» Ecoutez la suite: 
« Et ceux-ci iront dans le supplice Eternel; et les 
« justes dans la vie Eternelle (3). » 
1 Ce n'est pas ici le lieu d'insister sur l'Éternité 
de la peine, d'ailleurs si clairement affirmée par 
cesparoles ; je me contente de dire, en demeurant 



(l)îJoan. xvn,(2. 

(2)jJoan. v. 7.{ 

(3) Matth. xxv. 46. 



20 



CERTITUDE DE L ETERNITE 



dans le sujet présent , que Jésus-Christ affirme 
aussi clairement et aussi solennellement que 
possible, pour tous les hommes, l'Éternité delà 
vie. Et, ici encore, ici surtout on peut se de- 
mander, étant supposé que Jésus-Christ voulût 
vraiment affirmer l'Éternelle vie, de quels termes 
plus clairs et plus expressifs il aurait pu se ser- 
vir , pour faire cette grande affirmation ? 

Ces divines paroles par lesquelles Jésus- 
Christ,, dans son Evangile, affirme l'Éternel et 
l'immortel, pourraient beaucoup plus se multi- 
plier. Ces citations suffisent pour mettre dans 
une pleine évidence, sur l'Éternité de notre vie 
par delà notre tombe, la pensée du divin Révéla- 
teur. Il faudrait, pour tout dire, citer l'Evangile 
tout entier, l'Evangile que volontiers je nomme- 
rais la divine et universelle affirmation de l'Éter- 
nelle vie par le Verbe infaillible. 

C'est qu'en effet l'Eternité affirmée par le Verbe 
divin, c'est le fond de l'Evangile. Elle est au 
commencement , au milieu et à la fin de tout son 
enseignement; elle y perce à travers toutes ses 
paroles. Et non seulement il la porte sur ses 
lèvres divines; il la montre en lui-même; il fait 
de son propre cœur l'habitacle vivant de l'Éter- 
nelle vie; il s'en constitue lui-même le centre; 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D" AUTORITE 21 

car, cette vie, dont il affirme et affirme encore 
l'Eternité, n'est autre que lui-même. « Je suis 
« venu , pour qu'ils aient la vie ( ses disciples) et 
* qu'ils l'aient avec abondance, veni utvitam ha- 
« béant etabundanliushabeant; et cette vie, c'est 
« moi-même; moi la résurrection et la vie. Ego 
« sum resurreclio et vita » ; la résurrection après 
laquelle il n'y a plus de mort, la vie qui n'aura 

pas de fin. 

Voilà, Messieurs, par rapport à l'Eternité , la 
grande et souveraine affirmation de notre Chnst- 

Yérité. 

Dès lors, si l'on suppose un moment que l'Eter- 
nelle vie n'est qu'une chimère , si l'on admet que 
toute vie humaine meurt à la limite du temps, 
ou que par delà notre tombe elle s'arrête à un 
point quelconque de la durée; dans cette hypo- 
thèse, que devient d'un bout à l'autre tout notre 
Evangile, si ce n'est une suite d'énigmes, 
toutes plus incompréhensibles les unes que les 
autres, un obscur labyrinthe où les contradic- 
tions se croisent avec les contradictions? Et 
Jésus-Christ lui-mème,que devient-il? Non seu- 
lement il n'est plu s un Dieu,il n'est plus mêmeun 
homme, un homme en possession de sa raison; 



22 



CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ 



car, il fait lui-même sur lui-même des affirma- 
tions inouïes, insensées, incohérentes. 

Ainsi, pour nous, chrétiens, pour nous qui 
croyons d'une ferme foi à l'infaillibilité de notre 
i dmn Révélateur, sur ce dogme fondamental le 
moindre doute ne peut être permis ; et , même en 
taisant abstraction de toute autre autorité, nous 
ne pourrions ni ne devrions hésiter. 

Dès lors, que penser de ces semi-chrétiens je 
devrais plutôt dire de ces faux chrétiens , qui 
sur une vérité cent fois répétée par notre Christ 
infaillible, semblent ne pouvoir prendre leur 
parti, et à l'absolue affirmation de Jésus-Christ 
opposent, si ce n'est des négations, au moins 
des hésitations, que je ne crains pas de 
nommer antichrétiennes. 

Que penser de ces chrétiens qui croient pou- 
voir choisir entre un dogme et un dogme révélés 
par ce Christ.dont ils se proclament encore les 
disciples; acceptant l'un et repoussant l'autre, 
selon l'accord ou le désaccord qu'ils croient y 
voir avec leur infirme raison ; faisant ainsi,à leur 
gré.d'un côté sa part au Verbe divin, et de l'autre 
sa part à leur verbe humain; c'est-à-dire à 
leur propre pensée. 
Que dire aussi de ceux qui distinguent dans 



TÉMOIGNAGES DD DEHORS OU D'AUTORITÉ 



23 



leur croyance entre une Eternité et une Eternité? 
Consentant à croire à l'Eternité de la récompense 
et se refusant à croire à l'Eternité du châtiment; 
alors que le divin Révélateur affirme l'une et 
l'autre avec une même force et une même clarté. 

J'arriverai bientôt, Messieurs, à ce dogme re- 
doutable de l'Eternité delà peine, qui est parti- 
culièrement le scandale des intelligences con- 
temporaines. 

Pour le moment, je n'aborde pas ce point. Je 
mécontente d'affirmer avec Jésus-Christ l'Eter- 
nité delà vie ; et vous tous, chrétiens que vous 
êtes, de par l'autorité de ce Christ, divinement 
infaillible, j'ose vous sommer de l'affirmer avec 
moi, sous peine de renoncer à votre foi, d'abdi- 
quer votre Christianisme et d'outrager Jésus- 
Christ 

Ah ! tous ici , je crois vous entendre faire sortir 
de vos âmes illuminées par ce Verbe divin, votre 
adhésion unanime à son infaillible parole , et 
chacun de vous dit avec moi et comme moi :Je 
suis chrétien; et comme tel, je crois à la parole 
de mon Christ affirmant l'Eternité. 

'Voyez comme sur ce point la parole de l'E- 
glise notre Mère s'accorde divinement avec la 
parole de Jésus-Christ notre Chef. 



'-4 C15UTITDDE DIS l/b/TGttNlTL: 

2° Avec l'infaillible voix du Christ , mon 
Maître, j'aime à entendre aussi, sur ce point si 
décisif, la divine voix de l'Eglise ma Mère. 

L'Eglise existe pour être dans l'humanité en- 
tière l'écho partout et toujours retentissant de 
la voix du Verbe divin. Donc, puisque Jésus- 
Christ a dit un jour : Eternité, on doit s'attendre 
à ce que l'Eglise redise partout et toujours, com- 
me un écho fidèle : Eternité. C'est, en effet, ce 
que l'Eglise n'a cessé de faire, depuis que le 
Verbe incarné lui a dit, dans la personne de ses 
apôtres : » Allez, enseignez les nations. Qui vous 
« croira sera sauvé;, et qui ne vous croira pas 
« sera condamné. » 

Depuis ce jour-là, une -voix retentit dans les 
espaces et les siècles, comme jamais voix n'a 
retenti sous le ciel ; c'est la voix de l'Eglise ca- 
tholique : grande et solennelle voix, qui ne se 
tait ni jour ni nuit ; parce que, comme elle parle 
à tous les points que le soleil éclaire, elle parle 
aussi à tous les instants que le temps nous me- 
sure. 

Eh' bien! queditcette incomparable voix? Elle 
dit,avec la pleine certitude de ne pas se tromper : 
«Je croisa la vie Éternelle.» Credo vitam œlernam. 
Oui, l'Eglise, ma divine Mère, dit partout et 






TEMOIGNAGES DU DEHORS OU D AUTORITE A> 

toujours cette parole, avec une autorité que n'a 
sur la terre aucune autre parole. Son espérance 
est pleine d'Immortalité; et elle proclame, sans 
hésitation aucune, le grand dogme de l'Eter- 
nité. 

Comment? Par son Symbole, par son culte, par 
ses fêtes „ par ses sacrements , par ses cérémonies , 
par sa prédication. 

Et d'abord, YElernité, c'est le grand mot de 
son Symbole. • ' 

Au commencement de ce Symbole, elle pro- 
clame l'origine de toute créature par l'action de 
Dieu Créateur : « Je crois en Dieu le Père tout- 
« puissant, Créateur du ciel et de la terre. Crea- 
torem Cœli et terrœ. Et, à la fin de ce même Sym- 
bole, elle proclame la vie Eternelle de l'homme 
sa créature. Credo vilam œternam. 

Ainsi, de ces deux grands mystères du com- 
mencement et de la fin, elle fait deux dogmes 
fondamentaux : ou si vous voulez, de ces deux 
grandes énigmes, elle fait deux grandes affirma- 
tions; et nous pouvons ajouter les deux grands 
flambeaux qui éclairent, d'une double clarté, 
toute la route de l'humanité, et la fixent sur 
les deux points les plus décisifs de toute la vie: 
l'Origine et la Fin. 

2 



26 



CERTITUDE DE L 'ÉTERNITÉ 



Les philosophes, incertains et troublés entre 
ces deux mystères, viennent et disent : Après la 
vie du temps, y a-t-il une Eternité? L'Eglise 
répond : Credo vitam œternam. 

Autour d'elle, les systèmes, les écoles, les aca- 
démies posent des questions et encore des ques- 
tions. De toutes parts on suscite des doutes et 
encore des doutes ; on risque des hypothèses et 
encore des hypothèses : L'homme, par delà 
sa tombe, doit-il vivre encore? Et s'il vit, quelle 
sera cette vie? Quelle sera sa nature? sa durée? 
sa condition? 

Ainsi, sur ce mystère de l'avenir, on doute, 
on hésite, on discute, si l'on ne nie tout à fait. 
Eh bien! sur cette vérité exceptionnellement 
grave, l'Eglise ne doute pas, n'hésite pas, ne 
discute pas. Sur ce point, elle ne pose pas de 
question; elle pose son universelle, perpétuelle 
et souveraine affirmation : c Je crois à la vie 
Eternelle. Credo vitam œternam. » 

Tel est, au point de vue où nous sommes, 
l'enseignement dogmatique de l'Eglise : l'Eter- 
nité y est le dernier mot de son Symbole, comme 
la création en est le premier ; et ce dogme est 
dans l'Eglise vraiment souverain et absolument 
fondamental. 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU l/AUTORITÉ 27 

Aussi, à ce dogme divinement révélé l'Eglise 
ne permettra jamais que l'homme porte la main. 
Quiconque devant elle osera dire cette parole 
impie:/? n'y a pas d'Eternitél quel qu'il puisse 
être, consul, roi, empereur, maîtredu monde en- 
tier,il verra tomber sur sa tête cette foudre.qui va 
frapper l'erreur partout où elle se pose ; et cette 
foudre dira, en frappant l'erreur qui nie et l'im- 
piété qui blasphème : Anathème).. Moi, l'Eglise 
Catholique, organe officiel de mon Christ-Dieu, 
écho fidèle de son infaillible voix, j'affirme avec 
lui et comme lui l'Eternité de la vie ; et, pour la 
défendre contre toute erreur, je suis prête à 
verser même le plus 'pur de mon sang. 

L'Eternité! Ce n'est pas seulement ce que pro- 
clame notre 'Symbole; c'est encore ce que pro- 
clament nos fêtes, c'est-à-dire les manifestations 
publiques et solennelles de notre dogme. Ces 
fêtes, en sffet, toutes pleines d'une éclatante lu- 
mière, semblent instituées tout exprès pour 
nous rappeler, à nous exilés dans le temps, le 
souvenir de notre Éternelle patrie. Quelques-unes 
ici nous tiendront lieu de toutes. 

Que nous dit l'aurore brillante de la Résurrec- 
tion 1 ? Elle nous dit qu'associés à la vie de notre 
Christ ressuscité, c'est-à-dire de ce Christ « qui 



28 



CERTIT0DE DE L ETERNITE 



ne meurt plus »,le sépulcre ne doit pas nous dé 
vorer tout entiers, et qu'unis à sa propre immor- 
talité, nous ne traversons l'ombre de cet empire 
de la mort que pour rejoindre notre Maître glo- 
rifié au séjour et dans la gloire de l'Immortelle 
vie. 

Que nous dit encore notre Mère, l'Eglise ca- 
tholique, dans la fête non moins radieuse de 
Y Ascension, alors qu'elle nous montre le divin 
Réparateur, après son œuvre accomplie sur la 
terre, remontant au ciel, et allant s'asseoir sur 
son trône Éternel à la droite de son Père? Que 
nous dit-elle, si ce n'est que, nous aussi, nous 
serons près de lui assis sur des trônes Éternels ? 
Et que veut dire le divin Maître lui-même , alors 
qu'annonçant à ses disciples son retour vers son 
Père, il ajoute : « Je vais vous préparer une place ; 
« Vado parare vobis locum '? » 

Pouvait-il nous dire d'une manière plus 
expressive que notre place réservée, notre lieu 
prédestiné, notre vraie patrie à nous, voyageurs 
du temps, n'est autre que l'Eternité elle-même, 
l'Eternité pendant laquelle il doit régner dans 
la société de tous les siens, unis et incorporés à 
son immortelle vie? 

Ce que je dis de ces deux fêtes si pleines d'es- 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'AUTORITÉ 29 

pérance et d'immortalité, je pourrais le dire de 
bien d'autres fêtes encore, par exemple, de Y As- 
somption de la Mère de Dieu, associée à l'Eter- 
nelle gloire de son divin Fils ; et de la fête de la 
Trinité, dans laquelle l'Eglise nous montre au 
fond du ciel, comme notre suprême félicité, l'E- 
ternelle possession du Père, du Fils et du Saint- 
Esprit. 

Mais, parmi toutes ces belles fêtes de l'Eglise, 
il en est une qui mieux encore que toutes les 
autres, jette sur l'Eternité une lumière éclatante, 
et mieux que toutes les autres, ouvre devant nous 
les perspectives Éternelles : c'est la fête de la 
Toussaint. Ce jour-là, parée comme une épouse 
pour l'heure de ses noces, l'Eglise montre à tous 
ses enfants de la terre tous ses enfants du ciel, 
et elle nous dit : Comme vous, ils ont connu les 
jours mauvais de l'exil; comme eux, si vous le 
voulez, vous jouirez des jours heureux à&YEter- 
nelle patrie. Ils ont été ce que vous ètes,livrés aux 
luttes et aux épreuves de leur vie passagère: vous 
avez la vocation d'être un jour ce qu'ils sont, 
c'est-à-dire, après les combats du temps, cou- 
ronnés d'une gloire Éternelle. Dans cette fête, 
plus que dans toute autre, l'Eglise chante par- 
toutes les voix qu'elle fait retentir : Eternité! 

2. 



30 



CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ 



Eternité dans la vision.l'amour et la possession 

Et ce qu'elle chante ce jour-là, d'une voix 
Pleine de joie et d'allégresse, elle le chante le 
«demain, d'une voix pleine de soupirs et de 
tnstesse; car elle fait entendre la voix plaintive 
de nosfrerestrépassés.appelant, par d'ineffables 
gémissements, l'heure où ils pourront s'envo- 

l d " ; U t leUrS souff ^ces transitoires au 
paradis des Eternelles joies. 

Ainsi , l'Eglise par la voix de toutes ses fêtes 
nous crie à toutes les étapes du temps : Il y a 
une Eternité. J 

Et n'est-ce. pas aussi ce qu'elle nous révèle 
ot nous enseigne par la voix de ses Sacrements ? 

Que fait l'Eglise par le Baptême? Elle dépose 
dans l'âme de l'enfant les germes de la vie sur- 
naturelle, c'est-à-dire de la vie même de Jésus- 
Christ, donc d'une vie Eternelle. Elle lui infuse 
lafoi à 1-Eternel, l'espêrancede l'Eternel, l'amour 
de 1 Eternel, c'est-à-dire de Dieu même; et elle 
dit à l'enfant régénéré : Va, et porte jusqu'au 
bout, à travers les luttes du temps, ce triple 
trésor de ta foi.de ton espérance et de ta charité 
jusqu'à ce que tu arrives à l'Eternelle vision à 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'AUTORITÉ 31 

l'Eternel amour et à l'Eternel embrassement de 

ton Dieu. 

Par la Confirmation, que fait l'Eglise? Elle, 
affermit le chrétien dans la voie où il est entré; 
elle l'arme pour les combats de cette vie , en lui 
promettant l'Eternelle couronne des vainqueurs; 
elle lui donne la force de renverser tous les 
obstacles qui l'empêchent de conquérir son 
Eternelle Destinée. 

Par la Pénitence, que fait l'Eglise? Elle relève 
le chrétien déchu de la dignité et de la gloire de 
son baptême; elle le purifie des souillures que 
lui ont laissées la poussière et la fange de cette 
route du temps; et elle lui rend cette robe d'in- 
nocence, nécessaire pour entrer dans l'Eternelle 
demeure des anges. 

Dans Y Eucharistie , que fait pour le chrétien 

l'Eglise notre Mère? Elle entretient et augmente 

de plus en plus la vie reçue dans le Baptême; 

elle refait de station en station, par un aliment 

divin, ses forces défaillantes, afin qu'il puisse 

arriver à la demeure de son Eternité ; et elle lui 

dit, en déposant sur ses lèvres l'hostie sainte : 

« Que le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ 

« garde votre âme pour la vie éternelle.» Et 

ainsi, elle renouvelle sans cesse la promesse 



32 



CERTITUDE DE L'É'l B8NH É 



de 1 Eternité faite par ] e Sauveur lui-même. 
Dans le sacrement de Mariage, l'Elise appose 
à 1 union des époux .comme un sceau Etemel. 
Elle les enchaîne l'un à l'autre par un lien 
mdissoluble,ann qu'unis dans tout leur voyage 
du temps, ils marchent la main dans la main 
jusqu au jour sans fin de leurs noces éternelles' 

1 JL l l ëraM Sacrement Qui constitue 

ord re sacerdotal, ne voyez-vous pas comme 
1 idée de l'Eternité entre, ici encore, dans le fond 
du mystère? Comme tout, dans la consécration 
du prêtre, parle de vie Eternelle? Et comment 
1 Eglise, en imprimant dans son âme un carac- 
tère que ni le temps ni l'Éternité ne pourront ef- 
tacer, lui dit cette parole solennelle : « Vous 
êtes prêtre, et c'est pour l'Eternité; tu es sa- 
cerdos in œternum ?» 

Mais de tous les Sacrements.celui qui parle le 
plus explicitement d'immortalité et d'Eternité 

CestleSacrementd'Extrème-Onction.C'estalors' 
alors surtout qu'aux clartés du flambeau fu- 
nèbre, se découvrent aux yeux du mourant les 
horizons Eternels. C'est alors que ce Christ qui 
ne meurt plus, vient à lui pour être son via- 
tique, et l'accompagner des rivages du temps 
aux rivages de l'Eternité. 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'AOTORITÉ 



33 



Ainsi,par ses sacrements comme par ses fêtes, 
l'Eglise nous dit et nous redit : Eternité. 

L'Eternité! c'est la voix de notre culte aussi : 
voix de nos temples et de nos autels; voix de 
notre sacrifice et de nos cérémonies; voix de 
toutes nos prières et de tous nos chants. 

Le temple catholique,qu'est-ce donc,si ce n'est, 
dans le temps,comme un vestibule de l'Eternité , 
une sorte de station de cette vie passagère, où 
nous nous arrêtons pour méditer les années 
Eternelles? Avec son attitude religieuse et son 
austère recueillement,de quoi nous parle même, 
en son silence, cet édifice étranger par sa forme 
à tous les usages de cette vie du temps, si ce 
n'est de l'Eternité , et encore de l'Eternité? 

Et l'autel , qu'est-ce pour nous, si ce n'est le 
lieu trois fois auguste où s'offre.dans un perpé- 
tuel sacrifice.le prix de' notre salut Eternel? Et 
que venons-nous chercher au pied de cet autel, 
par la participation à ce divin sacrifice, si ce n'est 
la garantie de cette vie Eternelle scellée par le 
sang du Sauveur? 

Nos cérémonies religieuses elle-mèmes sont- 
elles donc autre chose, aux regards de tous, 
qu'un spectacle anticipé des splendeurs de la 






34 

certitude m i/kternitè 
Cr,"Z^' éS - - «™.. nos 

«- p*L e r^c Êr,:;- b :L si - 

d<* Prophéties de notre Etern«™' e ' Mm ?f 

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« n'y a pas de m „ t „ préa ' ca ' wn chrétienne. 

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chrétienne neTe L;' S - M m0 '' '" Prédlcati <"> 
«nntir Mmme ItZZJZ^T "'- 

«-^ondred^ttetrotrrS 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'AUTORITÉ 35 

frayeurs , elle ne manquera jamais de vous en- 
voyer, avec ce mot, de nécessaires avertisse- 
ments. 

3° Ainsi, l'Eglise catholique, qui est le corps 
mystique, ou la vie du Christ organisée dans 
l'humanité, parle comme son divin Chef; ce 
que la tète affirme est affirmé par tout le corps. 

Et nous pouvons ajouter que ce qui est 
proclamé par le Chef et par le corps, est affirmé 
partons les membres du Christianisme, c'est-à- 
dire par tous les chrétiens, et plus spécialement 
par tous les grands chrétiens, c'est-à-dire l'aris- 
tocratie du Christianisme. 

Oui, l'affirmation de l'Eternité, c'est l'affir- 
mation de tous les chrétiens; sur ce point, il 
n'y a pas d'exception; il y a une véritable una- 
nimité. Tout ceux qui, pendant nos dix-neuf 
siècles de Christianisme,ont fait profession d'être 
chrétiens, ont cru au dogme de l'Eternité. Non 
seulement ils l'ont cru dans leur âme, mais ils 
en ont mis sur leurs lèvres le public témoignage. 

Et, quand on vient à se rendre compte du 
nombre des baptisés qui, depuis le Calvaire, ont 
passé sur la terre; on est en face du plus im- 
posant témoignage qu'il soit possible d'ima- 
o-iner. Car, tout calcul fait, il n'y a pas moins de 



36 CERTITUDE DE L'ÉTEUNITÉ 

dix milliards de créatures humaines qui ont 
1 dans leur main le drapeau u Cy- 
nisme • et toutes ont passe sur la terre en 
disant à tous les points du monde catholique. 
Nous croyons à la vie Éternelle. 
E chose remarquable, c'est parleur action 
m feux encore que par leur parole, que tous ces 
"ilUards et ce" milliards de chrétiens ont pro- 
clamé leur foi unanime à l'Eternité 

Cette universelle conviction d un tternei 

avenir fut, partout et toujours comme , le pivot 

sur lequel a roulé leur vie tout ***«»- ™j£ 

commencement du Christianisme tous les -chrtr 

tiens marchaient en regardant devant eux es 

perspectives de l'Éternelle vie : tous invanable- 

S gardaient dans le présent, en face de leur 

avenir, cette attitude sublime dont parlele pieux 

auteur de limitation : « Debout sur les choses du 

! temps et contemplant les choses éternelles, 

Xaisleschretiei^^^s^ 

?ou 'môme dans leurs plus grandes défection» 
ont gaTdé la foi à l'Eternel avenir; et l'histoire de 
ÎBgUse ne raconte pas un seul exemple dune 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'AUTORITÉ 37 

hérésie ou d'un schisme supprimant de son sym- 
bole le dogme de l'Eternité, sauf cette universelle 
hérésie qui se nomme rationalisme, et qui est 
la négation totale du Christianisme. Mais, tout 
ce qui est demeuré chrétien, à un titre et à un 
degré quelconque, a professé l'Eternité de la vie. 
Parmi ces milliards de chrétiens , il en 
est qui ont proclamé avec plus d'éclat leur foi à 
l'Eternel; ce sont ceux qui ont porté plus haut 
le drapeau de Jésus-Christ, et qui ont laissé, de 
leur passage à travers les siècles, un sillon plus 
resplendissant. 

L'Eternité, les Apôtres, mais surtout les plus 
grands apôtres, à partir de saint Paulet de saint 
Pierre, l'ont fait retentir sur tous les rivages du 
monde, comme le son de la trompette; et tous les 
peuples ont par eux entendu ce mot, qui fut le 
plus grand principe inspirateur deleur apostolat. 
L'Eternité! Tous nos Martyrs l'ont saluée du 
haut de tous les échafauds et du milieu de tous 
les amphithéâtres, où ils apparaissaient pour 
mourir, et d'où ils entrevoyaient, à travers les 
flots de leur sang versé, et à travers la fumée de 
- leur» chairs consumées , les Éternelles clartés. 
Tous, sous les violences quiles broyaient, tsousles 
supplices qui les déchiraient, ont jeté leur sang 






38 CERTITUDE DE i/ÉTEBNITlï 

en témoignage; et, en facede leurs tyrans et de 
leurs bourreaux, ils ont dit et redit cette parole : 
Il y a une Eternité ; nous croyons à la vie Eter- 
nelle ; nous le jurons par ce sang. 

L'Eternité! Tous les grands ascètes, et les 
grands anachorètes l'ont méditée au fondde leurs 
cloîtres et de leurs solitudes. L'Eternité, ah! ils 
l'attestaientparleursaustérités.leurspénitences 
et leurs flagellations. Là, au sein de leurs re- 
traites parfois les plus affreuses, leur vie de 
soixante ou de quatre-vingts ans n'était qu un 
perpétuel face à face avec l'Eternité ; et tous les 
chantsdontleursvoixettouslesbruitsdontleurs 

macérations faisaient retentir leurs solitudes, 
n'étaient qu'une longue attestation de leur foi 
unanime à l'Éternel avenir. 

L'Eternité! Tous les plus illustres Confesseurs 
de la foi l'ont attestée depuis bientôt deux mille 
ans dans tous les espaces et dans tous les siècles 
où a régné le Christ et flotté le drapeau du Caî* 
vaire; tous, sans exception, comme les martyrs 
eux-mêmes, en face de tous les dangers qui les 
menaçaient, ont fait.eux aussi, la profession pu- 
blique de leur croyance à l'Eternel; et ils ont 
donné.dans une même parole,le témoignage si- 



TEMOIGNAGES DU DEHOES OU D'AUTORITÉ 39 

multané à la divinité de leur Christ et à leur 
propre Immortalité!. 

L'Eternité! Toutes les vierges chrétiennes 
auxquelles l'Egiise a dressé des autels sur 
la terre et que Jésus-Christ couronne de sa 
gloire dans le ciel, l'ont professée; et elles l'ont 
professée et chantée avec d'autant plus d'en- 
thousiasme et de ravissement, que dans la pra- 
tique souvent héroïque de leur virginité, ce qui 
les soutenait, les encourageait et les ravissait, 
c'était l'attente de leur union Éternelle avec le 
divin Epoux. 

L'Eternité!... Je pourrais dire ici que nos plus 
grands hommes et tous les plus illustres génies, 
dont la gloire resplendit par de magnifiques 
reflets au front de l'Eglise elle-même, les 
plus grands de nos philosophes, de nos poètes 
et de nos orateurs chrétiens, les Descartes et 
les Leibnitz, les Dante et les Milton, les Bossuet 
et les Fénelon, et tant d'autres que je ne puis 
même nommer, tous ont fait de cette vérité nue 
profession grande et éclatante comme leur gé- 
nie; et plusieurs parmi eux ont dû à cette idée 
de l'Eternel leurs enseignements les plus élevés, 
leursaccents les plus éloquents et leurs tableaux- 
les plus émouvants 




40 



CERTITUDE DE L ETERNITE 



Mais ceux-là surtout que nous pouvons ap- 
peler.à juste titre, les véritables grands hommes 
du Christianisme, ceux dont nous environnons 
de plus de respect les enseignements et dont les 
paroles sont par nous consultées et redites 
comme des oracles, les Pères de VEglise, dans 
lesquels nous saluons le génie de la philosophie, 
de l'éloquence et même de la poésie, nos Cyprien 
et nos Ambroise, nos Jérôme et nos Augustin, 
puis nos Chrysostome et nos Basile, nos Gré- 
goire et nos Cyrille, nos Ephrem et nos Atha- 
nase : ah ! ceux-là surtout ont donné au dogme 
de l'Eternité le témoignage le plus autorisé, le 
plus solennel, le plus éloquent , j'allais dire le 
plus sonore et le plus harmonieux . 

Tous ces authentiques témoins de la doctrine 
traditionnelle du Christianisme, le sont notam- 
ment de la croyance à l'Eternité de la vie Si, sous 
quelques rapports, des divergences ontpu se pro- 
duire entre eux, ils sont sur ce point absolument 
unanimes. 

L'Eternité! Elle est attestée, enfin, par cette 
héroïque lég-ion de Saints qui marche à la tète 
de la grande armée du Christanisme, et marque 
'fepasàtoute humanité qui veut marcher après elle 
et avec elle dans la voie de ses véritables progrès. 






TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'AUTORITÉ 41 



Tous ces saints, élite glorieu se de l'humanité etdu 
Christianisme lui-même, apparaissent dans nos 
temples portant au front le rayon de cette Im- 
mortalité dont, tous ont fait leur règle, leur lu- 
mière, leur étoile dans la traversée plus ou moins 
orageuse de leur vie du temps. Pas un, en effet, 
parmi eux, pas un qui n'y ait marché toujours, 
le regard de sa foi fixé sur l'Eternel. 

Ainsi.toute cette immense armée de chrétiens, 
tousportantdansleurmain le drapeau de Jésus- 
Christ, et à leur tète les chrétiens les plus il- 
lustres dans le Christianisme, tous ont marché 
dans les siècles et marchent encore aujourd'hui 
en redisant la parole de leur invincible foi : Nous 
croyons à la vie Eternelle; il y a une Eternité! 
Vous le voyez, Messieurs, tout concorde ici 
divinement pour constituer, en faveur de l'Eter- 
nité de la vie : le grand témoignage du Chris- 
tianisme, Jésus-Christ, l'Eglise, les chrétiens, 
c'est-à-dire le Chef, le corps, et tous les membres. 
Donc, quand même, par hypothèse, l'huma- 
nité qui ne connaît ni le Christ, ni l'E- 
glise, Li les chrétiens, ferait sur ce dogme sous 
verain un silence absolu, je n'en dirais pas 
moins, appuyé sur ce triple témoigna«e-?^fii:<?do 
vitam œternam. Je crois à la vie 




42 



CERTITUDE DE L ÉTERNITÉ 



Je suis le disciple de ce Verbe divin qui af- 
firme l'Eternité, et qui veut unir ma vie à son 
éternelle vie. 

Je suis le fils de cette Mère immortelle, qui 
partout et toujours se fait dans l'humanité l'écho 
vivant et fidèle de ce Verbe infaillible, et avec lui, 
enseig-ne et proclame l'Éternelle vie. 

Je suis, en Jésus-Christ et dans l'Eglise, le 
frère de ces milliards de chrétiens qui, avec mon 
Christ-Dieu et avec l'Eglise ma Mère, affirment 
l'Eternel. 

Je suis, enfin, membre de ce grand corps du 
Christianisme, qui par toutes ses faces mani- 
feste et par toutes ses voix révèle l'Eternel. 

Et voilà pourquoi, même en dehors de tout 
autre témoigmag-e et dans le silence universel de 
l'humanité païenne ou non-chrétienne, sans 
crainte de me tromper et avec une certitude ab- 
solue, je dirais encore avec mon Christ- Dieu, 
avec l'Eglise ma Mère et avec tous les chrétiens 
mes frères : Je crois à la vie Éternelle. Credo 
vitam ϕernam. 

Mais, il s'en 'faut bien que le Christianisme 
soit seul à affirmer ce dogrne fondamental. Et 
vous allez voir comment, sous des formes diverses, 
l'humanité universelle parle sur ce point comme 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS 00 D'AUTOBUS 43 

le Christanisme, et comment ici le témoignage 
humain répond au témoignage divin. 



II 



Un moment supposons que, sur le dogme de 
l'Eternité, Jésus-Christ , l'Eglise et les chré- 
tiens se taisent; le libre-penseur serait-il au- 
torisé à nier cette vérité , qu'il prétend être en 
désaccord avec la voix de sa raison ?Non, mille 

fois non. 

Pourquoi? Parce que, même en dehors du 
témoignage du Christ, de l'Eglise et des chré- 
tiens, c'est-à-dire du Christianisme intégral, 
l'humanité entière, sauf quelques rares excep- 
tions, rend le même témoignage, et elle aussi 
crie de siècle en siècle et d'espace en espace : 
«Je crois à la vie éternelle. Voyageuse dans le 
temps, je vais à l'Eternité. Je marche sur la 
terre comme au lieu de mon exil transitoire, 
pour arriver à la patrie, c'est-à-dire à la cité 
permanente. Ma vie n'est qu'un court passage; 



A\ 



CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ 



et, comme tout voyageur, d'étape eu étape je vais 
à ma fin, à ma fin suprême; et tout me dit, au 
plus intime de moi-même, qu'une fois venue, 
cette fin ne finira plus : donc, je vais à l'Eter- 
nité; car, l'Eternité, c'est cela même, c'est la 
fin , œlernitas est finis ; et cette fin ne doit plus 
finir, est finis sine fine. 

Eh quoi ! s'écrie ici le nég-ateur audacieux de 
l'Eternel; quoi! l'humanité a dit cela? Oui, l'hu- 
manité l'a dit ; et la majesté de son affirmation 
défie l'audace de vos nég-ations. 

Il est vrai, cette vérité, l'humanité souvent l'a 
voilée sous des mythes qui semblent nous la 
dérober. Elle l'a variée et diversifiée dans ses 
expressions et ses formules; elle l'a altérée 
par des rites plus ou moins grossiers. Mais, 
jusque sous ces altérations, la vérité se re- 
connaît et se fait jour; et, au sein de cette va- 
riété et de cette diversité, éclate une admirable 
unité, l'unité dans cette croyance unanime : 

Il y a une Eternité. 

C'est ce que je vais essayer de mettre dans 
tout son jour. 

Mais, Messieurs, avant d'aller plus loin, il faut 
bien entendre quelle est la valeur et quelle est 
la portée de cet imposant témoig-nag-e, alors 



TÉMOIGNAGES DU UEHOBS OU r>'AUTOR!TÉ 45 









qu'il réunit toutes les conditions du témoignage 
universel de l'humanité, c'est-à-dire du témoi- 
gnage le plus véritablement humain. 

11 est de mode, je le sais, dans un certain 
milieu, de faire bon marché de ce grand témoi- 
gnage humain. Nos libres penseurs trouvent 
très simple et surtout très commode de penser 
et de dire, qu'avant eux et en dehors d'eux, 
toute l'humanité s'est trompée, qu'elle a pris 
ses rêves pour la réalité, et que ses croyances, si 
permanentes et si universelles qu'on les suppose, 
ne sont que les produits de ses ignorances etde 
sespassions. Ils disentquedanstousles temps et 
surtout dansles temps les plus reculés,l'humanité 
s'est plu à se repaître de chimères, pour se con- 
solerdes souffrances de son présentpar l'attente 
de son avenir, et de tousses malheurs du temps 
par la perspective de l'Eternité. Elle a supposé 
que pour faire une légitime compensation aux 
épreuves de cette vallée des larmes, de cette 
terre de l'exil, ce n'était pas trop que l'espérance 
d'une patrie Eternelle et d'une Eternité de joie. 
De là, dans cette humanité crédule, parce qu'elle 
se sentait malheureuse, des hypothèses et en- 
core des hypothèses, des mythes et encore des 
mythes, des fables et encore des fables. De là 

3. 






4C> 



CERTITUDE DE L ETERNITE 



surtout, ce qu'ils appellent volontiers l'hypo- 
thèse de l'Eternité ou la grande fable de l'Eter- 
nel Avenir. A les entendre et à les en croire, 
l'humanité nouvelle, guidée par le flambeau de 
la libre pensée, en a fini avec tous ces mythes, 
toutes ces fables, toutes ces hypothèses de l'hu- 
manité du passé, et elle s'affranchit surtout 
de la croyance au sombre dogme de l'Eternité. 

Ainsi, de parti pris, la libre pensée, c'est-à- 
'dire, en fait, un groupe relativement minime de 
l'humanité vivante, récuse ce grand tômoigmage 
humain; sans examen et sans discussion, elle 
s'inscrit en faux contre toutes les croyances de 
l'humanité, et notamment contre sa croyance à 
l'Eternité. Prétention d'autant plus étrange, 
que répudiant tout témoignage divin, force lui 
est de croire au témoignage humain, sous peine 
de nier toute certitude et de se précipiter'dans 
un scepticisme universel. 

Chose remarquable ! Les négateurs à outrance 
de tout témoignage divin sont encore les plus 
acharnés à démolir l'autorité du témoignage 
humain. Et nous, qui sommes les défenseurs du 
premier, nous nous trouvons être encore les 
seuls défenseurs du second! 

Certes, que la libre pensée récuse le témoi- 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D J AUTORITÉ 47 



gnage humain , lorsqu'il ne réunit pas les condi- 
tions essentielles qui constituent et garantis- 
sent son autorité, rien de plus légitime et de 
plus admissible au tribunal de la raison hu- 
maine; et c'est ce qu'au besoin nous pratiquons 
nous-mêmes. 

Mais lorsqu'un témoignage humain, quel que 
soit son objet, réalise toutes les conditions et 
porte tous les caractères qui partout et toujours 
ont fondé la certitude; lorsque, par exemple, 
ce témoignage ne s'explique par aucun intérêt 
humain, par aucun calcul humain, par aucune 
convention, par aucune persuasion, par aucune 
passion humaine; et surtout lorsque ce témoi- 
gnage a revêtu les caractères et offre les pro- 
portions qui constituent un phénomène de vé- 
ritable universalité' : alors, comment le récuser 
sans répudier le sens commun lui-même, ce 
génie de l'humanité? 

A cette lumière que la raison elle-même pro- 
jette ici sur notre sujet, examinons les carac- 
tères du témoignage humain attestant l'Eter- 
nité ; et voyons ce que peut à ce témoignage 
opposer la libre pensée. 

Et tout d'abord, il est manifeste que cette 
croyance du genre humain à une vie Éternelle, 



48 



CERTITUDE DE L ETERNITE 



c'est-à-dire à l'existence d'une Eternité, réunit 
les trois grands caractères distinctifs de cette 
universalité qui, en tout ordre de choses, porte 
devant la raison et le bon sens le signe au- 
thentique de la vérité. 

C'est qu'en effet, cette croyance est tout à la 
fois universelle dans la dure'e, dans l'espace et 
dans l'humanité'; trois proportions, trois carac- 
tères qui constituent la véritable universalité. 

Oui, cette foi à l'Éternelle vie est tout d'abord 
universelle dans le temps ou la durée, Car elle 
est la croyance de tous les siècles sans excep- 
tion. Cette universalité dans la durée se recon- 
naît surtout à ces trois signes authentiques : 
l'ancienneté', la perpétuité', l'actualité. 

Or, la croyance à l'Eternel porte dans la lu- 
mière de l'histoire ces trois signes incontesta- 
bles. Ancienne comme l'humanité, elle porte, 
avec d'autres croyances, le signe des révéla- 
tions primitives ; elle est comme un reflet de la 
lumière qui a brillé sur le berceau de notre race; 
et, le caractère de sa perpétuité répond au ca- 
ractère de son ancienneté. 

Depuis six mille ans, la croyance du genre 
humain n'a pas changé. Je dis la croyance 
du genre humain, non la croyance de tout 



TEMOIGNAGES DU DEHORS OU d'aUTOIUTK 49 

homme. Sur ce point comme sur tous les 
autres dogmes, même les mieux enracinés 
dans les générations humaines, il a pu y 
avoir des dérogations , et il y en a eu en effet. 
Quelques hommes ça et là, comme il arrive tou • 
jours, ont pu jeter un désaccord dans l'uni- 
versel concert ; mais l'universalité du concert 
n'en existe pas moins . Les négateurs de 
V Eternel, qui d'ordinaire ne sont autres que les 
adorateurs du néant, sont ici, dans la croyance 
universelle, ce que sont les monstres dans 
la nature; ils dérogent à la loi générale, mais 
ne l'anéantissent pas. L'humanité les voit 
passer comme ces rares météores dont l'ap- 
parition l'épouvante; et, gardant avec une 
inébranlable certitude sa foi pleine au dogme 
souverain.de l'Éternelle vie, elle leur jette, avec 
ses mépris et ses dédains, ses anathèmes et ses 
malédictions. 

Enfin , ce qui complète, en faveur de la 
croyance à l'éternelle vie, l'universalité dans la 
durée de ce grand témoignage humain, c'est 
son actualité. 

Certes, si cette foi à une survivance éternelle 
n'eût été qu'une chimère, ou le produit des,, ima- 
ginations troublées par leurs propres inven- 



50 



CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ 



tions; l'humanité, depuis tant de siècles, aurait 
eu le temps de se réveiller des rêves fantasti- 
ques qui lui creaient.au bout de cette vie,la fic- 
tion de l'éternelle vie. 

Comment se fait-il que, malgré tout ce que 
des hommes ont tenté et tentent encore, pour 
anéantir dans le genre humain cette croyance 
prétendue erronée et chimérique, elle subsiste 
et résiste à toutes leurs tentatives? Et, tandis 
que ce qu'ils nomment l'idée moderne, la lu- 
mière de la civilisation, traverse de plus 'en plus 
en tout sens notre monde nouveau; comment 
expliquer que ce monde demeure si opiniâtre 
dans sa foi à l'Eternel,et que la croyance antique 
et séculaire à l'Eternité garde, avec son an- 
cienneté et sa perpétuité, toute son actualité? 

Ah! que les négateurs- de l'Eternel, qui du 
haut de leur dédain transcendant, traitent de 
chimère et d'invention humaine cette foi du 
genre humain, nous disent, s'ils le savent, 
quand et par qui cette croyance a été inventée; 
comment cette chimère est entrée dans l'âme 
humaine; qu'ils disent, comment à travers tant 
de siècles elle a persévéré au sein de cette hu- 
manité perpétuellement changeante; comment 
enfin, malgré tous les progrès qui, au dire de la 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU n' AUTORITE 51 

libre pensée, marquent de siècle en siècle la 
marche du genre humain , cette croyance garde, 
en plein dix-neuvième siècle, toute sa force et 
toute son actualité? 

En attendant les révélations nouvelles que 
nous promet la libre-pensée, nous continuerons 
d'affirmer dans la croyance à l'Eternel, le ca- 
ractère de l'universelle durée. 

Universelle dans la durée, la croyance à l'Eter- 
nel ne l'est pas moins dans l'espace . Comme elle 
est de tous les siècles, elle est de tous les peuples 
et de toutes les sociétés. 

Phénomène vraiment remarquable: sans s'être 
ni entendus ni concertés, sans s'être même 
ni connus ni rapprochés en aucune manière, 
tons ces peuples si différents, et souvent même 
si opposés par leurs convictions, leur foi, leurs 
principes, leur religion, leurs mœurs, leur ca- 
ractère, leurs habitudes, leurs intérêts, et, quel- 
quefois même, armés les uns contre les autres 
par des antipathies de race, par des haines na- 
tionales et des préjugés traditionnels , chose 
étonnante, et pourtant véritable, tous ces peuples 
se sont rencontrés dans la même croyance à 
l'Eternité de la vie. Oui, tous, à travers la dis- 
tance et des extrémités les plus lointaines, se 






52 CERTITUDE DE L ETERNITE 

renvoient d'échos en échos l'universel retentis- 
sement d'une même parole, la proclamation 
d'une même foi. L'Orient dit comme l'Occident, 
et le Midi comme le Septentrion : « Je crois à la 
vie Eternelle. » 

Déjà nous avons établi la croyance de l'huma- 
nité à une vie d'outre-tombe. Nous avons vu 
commentràme, par toutes ses aspirations, appelle 
une vie future. Mais nous n'avons vu nulle part, 
qu'à cette vie d'outre-tombe les peuples aient 
assigné une limite quelconque. Tous, sous des 
formules diverses, ont attesté que cette vie d'ou- 
tre-tombe, succédant à notre vie du temps, est 
sans limites dans sa durée, donc éternelle. 

Sans doute, tous ces peuples n'ont pas expri- 
mé cette croyance avec la précision de notre 
langue catholique et théologique. Mais, sous 
les formules, les images, les symboles et les ri- 
tes par lesquels se traduisent leurs convictions, 
la même foi subsiste ; et cette foi unanime affir- 
me l'Eternité. 

Remarquez-le bien, il s'agit ici, encore une 
fois, non delà croyance de tel homme ou de tels - 
hommes en particulier ; il ne s'agit pas même 
de la croyance de telle ou telle secte philosophi- 
que ou religieuse ; il s'agit, comme ensemble, 






TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D AUTORITE 



53 



de la croyance des peuples et des sociétés; ce 
qui est tout autrement significatif. 

En vain on chercherait à nous prouver, 
par exemple, que telle secte des Hindous croit à 
une sorte d'anéantissement d'outre-tombe; ce 
qui n'est pas d'ailleurs réellement démontré, le 
Nirwana des Hindous étant plutôt une sorte 
d'absorption dans le sein de Brahma, et comme 
un retour de l'être humain au centre de l'être 
divin ; ce qui diffère tout à fait de la cessation de 
l'être, ou de l'anéantissement proprement dit. 

Quoi qu'il en soit de ces profondeurs obscures, 
où s'égare le génie fantastique de l'Inde; nous 
ne leur accorderons jamais de prévaloir, dans 
notre pensée, sur les vastes horizons des sociétés 
et des peuples tout rayonnants de la lumière de 
l'histoire. En admettant qu'il y ait au fond 
de ces hypothèses nébuleuses une croyance 
réelle à l'anéantissement, et par suite la négation 
implicite de l'Eternité de la vie ; il n'y aurait 
jamais là que le fait de sectes plus ou moins 
restreintes et fragmentaires, à mettre en face 
de l'immense fait des sociétés et des peuples, 
c'est-à-dire d'un fait, (pour parler ici la langue 
de ce temps) à la lettre vraiment humanitaire. 
Et l'on se demande, sans pouvoir se répondre, 



54 



CE11TITUDE DE L'ÉTERNITÉ 



par quel intérêt, pour quel but et sous l'aspi- 
ration de quelle idée, tous les peuples de la terre 
ont pu se rencontrer, et, plus ou moins s'unir 
dans la profession d'une croyance, en elle-même 
au point de vue spéculatif, la moins accessible à 
la raison populaire, et, par ses conséquences pra- 
tiques, la plus antipathique aux passions hu- 
maines? 

Enfin, à l'universalité de ce grand témoignage 
dans le temps et dans l'espace correspond, en la 
complétant, l'universalité dans l'humanité elle- 
même, c'est-à-dire, dans tous les degrés de la- 
hiérarchie humaine. J'entends par là que l'huma- 
nité, dans toutes ses conditions et toutes ses si- 
tuations, rend ici le même témoignage; témoi- 
gnage divers 'dan s sa formé et dans son expres- 
sion, mais identique dans son fond et sonaffir- 
mation. 

Je pourrais vous dire et vous montrer longue- 
ment que cette foi à l'Eternel, c'est la foi des 
grands et des petits, la foi des riches et des 
pauvres, la foi des savants et des ignorants, la 
foi des princes et la foi du peuple ; et vous ver- 
riez avec admiration comment, entre ces diver- 
ses catégories que d'ordinaire tant de choses 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU «' AUTORITÉ 55. 

divisent , tous se rencontrent dans l'unité de la 
croyance à l'Eternel. 

Mais il y a surtout dans l'humanité univer- 
selle, trois grandes classifications de générations 
humaines, que mille choses d'ordinaire séparent: 
la Civilisation, la Barbarie, la Sauvagerie. 

Or, c'est un fait tout inondé de la lumière de 
l'histoire, à ces trois grands degrés de la hié- 
rarchie humaine et sociale se rencontre, à la fois, 
la croyance à Dieu et la croyance à l'Eternité ; 
c'est-à-dire sous des formes multiples, la foi au 
Divin et la foi à l'Eternel. 

Des voyageurs plus ou moins distraits et des 
observateurs plus ou moins superficiels, ont cru 
avoir constaté dans quelques peuples, surtout 
dans des peuples sauvages ou barbares, l'absen- 
ce de cette double croyance. Mais ces peuples, 
mieux observés, mieux étudiés, mieux creusés 
dans leurs mœurs et dans leurs idées, ont révélé, 
même à leur surface, ce qu'ils avaient dans leur 
fond, à savoir : la foi au Divin et à l'Eternel. 

Quelle est la valeur numériqit,e de ce témoi- 
gnage de toutes les catégories humaines se ren- 
contrant ici dans une même affirmation? C'est 
ce qu'il est impossible de dire avec quelque pré- 
cision. Mais, si le nombre des témoins chrétiens 



56 



CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ 



atteint déjà le chiffre que nous avons énoncé, 
plus de dix milliards : quel sera le nombre des 
témoins humains qui se lèvent du sein de tous 
les peuples et de tous les degrés de la hiérarchie 
sociale, pour attester la même croyance à l'Eter- 
nel ? 

Mais cette foi s'est révélée avec plus d'éclat 
dans les plus hauts représentants de la pensée 
de l'humanité. 

Cette croyance à V Eternel, les plus grands 
poètes l'ont chantée dans des poèmes consacrés 
par l'universelle admiration des siècles, par 
des hymnes que toute l'humanité civilisée a pu 
entendre, et qui désormais ne se tairont plus. 

Lesphilosophes les plus illustres l'ont enseignée 
dans des leçons que l'humanité a retenues et 
qu'elle est impuissante à oublier. 

Les orateurs les plus fameux l'ont proclamée 
dans des discours dont les échos d'âge en âge 
et de distance en distance, sont parvenus jusqu'à 
nous, et lui ont emprunté souvent, avec leurs 
plus sublimes inspirations, leurs accents les 
plus émouvants. 

Tous ces organes les plus retentissants de la 
croyance et de la foi de l'humanité : poètes,ora- 
teurs, philosophes, ^littérateurs, n'ont fait que 



■ v"r"r- 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU d'ADTOBITB 57 

donner de siècle en siècle, et d'espace en espace, 
une voix plus distincte et plus retentissante a 
ce grand témoignage de la hiérarchie humaine 
tout entière. Sous ce rapport, il en est de la foi 
humaine comme de la foi chrétienne : elle a dans 
les plus grands hommes sa manifestation la 

plus éclatante. 

Je pourrais ajouter que même les sectateurs 
d'erreurs célèbres, et jusqu'aux créateurs des 
fables et des mythes de l'antiquité, ont confirmé 
à leur manière ce témoignage rendu à ce dogme 
de l'Eternelle vie, plus ou moins explicitement 
proclamé par l'humanité tout entière. 

Qu'est-ce, en effet, que les divers systèmes de 
métempsycose enseignés par des génies égares, 
si ce n'est une altération de la croyance a la 
perpétuité de la vie? Qu'est-ce que cette survi- 
vance des âmes marchant, de l'autre côte de la 
tombe, de purification en purification et cette 
migration continue, allant de corps en corps 
ou de monde en monde, sous des formes toujours 
changeantes? Qu'est-ce que cette tendance mdr- 
finie vers une perfection qu'elles ne doivent ja- 
mais atteindre? Qu'est-ce que ce voyage éternel 
vers un terme où elles ne doivent jamais arri- 
ver? Qu'est-ce, enfin, que cette absorption de la 



S8 CERTITUDE ÛE L'ÉTERNITÉ 

vie passagère dans le sein de Brahma, selon la 
pensée des Hindous, si ce n'est une altération de 
notre grand dogme de l'Eternité, une affirma- 
tion indirecte et voilée, mais réelle et positive 
de l'existence, après la mort, d'une Eternelle 
vie? 

Oui, sur ce point l'erreur elle-même rend 
hommage à la vérité. Et nous pouvons ajouter 
que la fable parle comme l'histoire. 

La fable, en effet, par desfictionsplus ou moins 
ingénieuses, a figuré et symbolisé V Eternité des 
peines dont nous parlerons plus tard : or, ces 
figures et ces images n'étaient autres que la 
traduction et la représentation fidèle de la 
croyance des peuples à l'Eternel, car l'Eternité 
des peines suppose l'Eternité de la vie. 
, Rien donc ne manque, et tout s'accorde pour 
constztuer.en faveur de l'Eternelle vie,un témoi- 
gnage humain, non seulement une fois, mais 
trois fois universel, dans la durée, dans l'espace 
et dans l'humanité; et c'est d'une voix vraiment 
unanime, qu'elle fait entendre l'universel con- 
cert de son affirmation de l'Eternité, et que du 
fond de tous les espaces, de tous les points de 
la durée, et de tous les degrés de sa hiérarchie 
elle dit, avec le Christ, avec l'Eglise et avec tous 



TÉMOIGNAGES DU DEHOBS OU D'AUTORITÉ 59 

les chrétiens, c'est-à-dire avec le Christianisme 
tout entier : Il y a une Eternité, 

J'aurais pu, sur ce point, multiplier les témoi- 
gnages même de l'antiquité païenne, un seul 
nous tiendra lieu de tous les autres. 

Platon, dans Gorgias, parle explicitement 
des douloureux et effroyables supplices qu'après 
leur mort les grands coupables souffrent pour 
toute l'Eternité (1). 

Dauscetexposérapide.esquisséàgraudstraits, 
de l'universalité de ce prodigieux témoignage, 
nous n'avons pu entrer dans les détails, ni accu- 
muler des citations que ne comportent pas les 
étroites limites d'un discours. Ppur apporter à 
l'appuidenotredémonstrationtousles documents 
qu e peuvent fournir les histoires, les littéra- 
tures et les religions de tous les peuples., il eût 
fallu, non pas un discours, mais un livre, et 
plus même qu'un livre. Nous ne pouvions donner 
ici qu'un tableau en raccourci de ce grand fait 
humain, vu de haut et de loin : l'humanité en- 
tière dans sa vie passagère, attestant sa croyan- 
ce àl'Eternel avenir; fait immense, resplendis- 
sant à travers l'histoire de l'éclat de sa propre 

(1) Tôt «si xpovov. 









60 



CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ 



lumière, et, dans son vaste ensemble, sauf quel 
ques rares dérogations, absolument incontes- 
table. 

Assurément, si les limites d'un discours, si 
les convenances du lieu et du moment le com- 
portaient, j'aurais pu, en résumant tout ce qui 
a été écrit sur ce point, déployer à l'appui de 
cette démonstration un luxe d'érudition. 

"Vous auriez vu clairement, à la lumière de 
1 histoire, comment cette croyance à l'Eternel 
implicitement etsouvent même explicitement,est 
attestée par tous les peuples : Par les Egyptiens ; 
par les Aryens, conquérants des Indes; par les 
Hindous eux-mêmes; par les Chinois et les Ja- 
ponais; par les Mèdes et les Perses ; par les 
Grecs et les Romains; par les Etrusques et 
les Gaulois ; par les Germains et les Scan- 
dinaves; par les Thraces, les Gètes et les Ibères. 
Dans les contrées sauvages ou barbares des 
tea-ps modernes, la même croyance est professée 
par tous les peuples et toutes les peuplades de 
l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique; par les Zé 
landais,par les Incas, et même par les Patagons" 
et les Hottentots, c'est-à-dire les peuples les 
plus dégradés. 

Et si nous voulions évoquer les noms des peu- 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU d'AUTOUITÉ 61 

seurs et des philosophes, dont les doctrines ont 
jeté plus d'éclat à travers les ténèbres du Paga- 
nisme, il nous faudrait nommer entre beaucoup 
d'autres, les Phérécyde, les Pythagore, les Timée 
de Locres, les Platon, les Socrate,les Zenon, les 
Cicéron, les Sénèque, et les Plotin. 

Parmi tous ces peuples et surtout parmi les 
principaux représentants des croyances et des 
traditions au sein des génération s païennes, un 
bon nombre ont formulé explicitement l'idée de 
l'Eternité ou de l'Eternelle vie; et tous ont af- 
firmé, sous mille formules que je ne puis redire, 
la survivance des âmes par-delà la tombe. 

Les mœurs, les habitudes des peuples, le 
culte des ancêtres et des tombeaux, les céré- 
monies sépulcrales, le dépôt des offrandes et 
l'immolation des victimes sur les tombes où repo- 
saient les corps, etc. , tout cet ensemble de mani- 
festations de respect et, si je le puis dire, de 
religion des âmes, même après la dissolution 
des corps, tout cela démontre avec une clarté 
d'évidence qui s'impose à toute pensée, que 
tous les peuples partout et toujours se sont ren- 
contrés dans la croyance à la permanence de la 
vie de l'autre côté de la tombe. Tous ne disent 
pas peut-être explicitement : Eternité; mais 

4. 



G2 



CERTITUDE DE L ETERNITE 



tous le disent implicitement; car, à cette survi- 
vance des âmes par delà le tombeau, nulle part 
ou ne pose de limites, ni de restriction; d'où 
l'on peut conclure que le toujours de Platon 
exprime et traduit exactement la pensée de tous 
et l'universalité de la croyance. Encore une 
fois, je le répète, il a pu exister sur ce point ca- 
pital, notamment dans les philosophes et les 
penseurs, des divergences d'opinion , même 
des négations : mais ces dissonances laissent 
subsister le fait absolument indéniable de îuni- 
versel concert. 

Ceux d'entre vous, Messieurs, qui voudraient, 
par des citations textuelles satisfaire ici leur 
légitime curiosité, peuvent sur ce point consulter 
les ouvrages spéciaux. 

Ici, je me contente, ne pouvant faire mieux, 
d'affirmer que ces témoignages existent; et que 
ces témoignages établissent avec une irrécu- 
sable autorité et une irréfragable certitude, l'u- 
niverselle croyance à une vie Eternelle. Les 
ombres des doutes, des scepticismes et même 
des négations qu'ont essayé d'amasser autour 
de cet immense témoignage, quelques rares es- 
prits, ne pourront jamais rien pour obscurcir la 
lumière qui jaillit de cette univers elle affirmation. 



TÉMOIGNAGES DU DEHOBS OU D'AUTORITE o3 

Et maintenant, la raison vous demande 
avec l'humanité entière : si la vie éternelle n'est 
qu'une séduction de notre espérance et une chi- 
mère de notre imagination; comment cette foi 
a-t-elle pu germer et pousser dans l'humanité 
entière ces racines profondes? Pourquoi et com- 
ment, une humanité prédestinée au néant, at- 
tend-elle avec une si invincible espérance et une 
si opiniâtre certitude, la perpétuité de l'être et 
l'Eternité do la vie? Comment expliquer cette 
conspiration fatale pour l'affirmation d'un même 
dogme, si ce dogme est une erreur? Pourquoi 
au sein de toutes les sociétés humaines, cette fan- 
taisie religieuse qui consisterait à se créer, au 
bout de la carrière du temps, ce fantôme d'Eter- 
nité capable d'assombrir toutes les clartés et 
d'attrister toutes les joies de notre vie d'un jour? 
Quel intérêt commun , universel, constant ont 
pu avoir les nations.de se tromper sciemment et 
volontairement sur un point si grave et si dé- 
cisif pour la vie pratique et réelle de l'humanité 

entière ? 

Ah ! si je nie ma vie Éternelle, ma Destinée 
Éternelle, me voici non seulement devant V inex- 
plicable, le mystérieux, l'incompréhensible; que 



64 



CERTITUDE DE L ETERNITE 



dis-je? me voici face à face avec l'absurde, avec 
l'impossible. 

Pour échapper aux étreintes de la vérité 
qui nous presse d'affirmer avec le genre humain 
l'Eternité de la vie, oserons-nous dire: « — Oui, 
si la croyance universelle existe, nous affirme- 
rons, nous aussi, ce que l'humanité affirme, et 
avec elle nous dirons : Il y a une Eternité; il y 
a une vie Eternelle. Mais, si cette croyance n'ex- 
iste pas réellement; si ce que nous nommons de 
ce nom, n'est qu'une imagination, un rêve, une 
hallucination?...» — Quoi ! partout, toujours et 
à tous les degrés de la hiérarchie humaine et 
sociale, l'humanité dupe de son imagination, 
victime d'un rêve, et livrée au malheur d'une 
perpétuelle et universelle hallucination? Qui 
osera le dire? Qui surtout pourra jamais le 
croire? Et qui, mieux que l'auteur d'une telle 
supposition, se montre ici victime du rêve ou de 
l'hallucination? 

Quoi! lorsque, comme on vient de le voir, l'hu- 
manité de tous les temps et de tous les espaces 
vous dit : « Je crois à une autre vie que cette 
vie, et je crois que cette autre vie est Eternelle; 
credo!... » Quoi! vous viendrez lui répondre : 
Non, vous ne le croyezpas; non, votre prétendue 

4. 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'AUTOhlTÉ 65 

croyance n'est pas une conviction de votre âme, 
c'est un produit de votre imagination, c'est le 
fantôme d'un rêve, c'est l'erreur d'une halluci- 
nation? 

Ah! le rêve éveillé d'un homme malade, l'hal- 
lucination transitoire d'un homme et même de 
quelques hommes, je comprends. Mais, dans 
l'humanité entière, le rêve permanent, l'hal- 
lucination universelle, est-ce possible? Comment, 
dans tous les s : ècles et dans tous les espaces, 
cette humanité, livrée à la fatalité de l'erreur, 
a-t-elle pu prendre pour le fond de sa pensée le 
spectre de son imagination, et pour la réalité 
de sa conviction, son rêve et son hallucination? 
Mystère ! mystère plus incompréhensible que 
l'Eternité elle-même! 

Mais, si vous voulez absolument supposer que 
cette croyance universelle à l'Eternelle vie n'ait 
pas existé , au moins ètes-vous forcé de recon- 
naître que le mot qui l'exprime existe, et, que 
l'humanité partout et toujours a nommé VEter- 

nile. 

Eh bien! Messieurs.si l'Eternité n'est qxi'une 
chimère, une imagination, une sorte de spectre 
vide que l'humanité s'est créé tout exprès, pour 
mieux se tromper elle mème;alorsjelcdcmauili , , i 

4. 



*< 



-M*MI 



66 



CERTITUDE DE L ÉTERNITÉ 



comment a-t-elle prononcé ce mot? Si l'huma- 
nité n'a pas réellement cru à l'Eternité, pour- 
quoi et comment l'a-t-elle nommée ? Si la foi à 
l'Eternel n'a pas été dans son âme, comment 
le mot s'est-il posé sur ses lèvres? Comment ce 
mot, qui n'exprimerait que le néant et ne ren- 
fermerait que le vide, a-t-il pu entrer et s'in- 
cruster tellement dans le tissu de toutes les 
langues humaines que, sans corrompre le lan- 
gage humain, vous ne pourriez l'en arracher? 

Ah! dirai-je ici au négateur audacieux de 
l'Eternelle vie : vous niez l'Eternel; soit, mais 
alors allez jusqu'au bout de votre négation. Niez 
le mot aussi, le mot qui, en l'exprimant, la dé- 
montre. Vous détruisez le fait immense attestant 
la croyance de l'humanité : donc, détruisez la 
parole qui atteste le fait, ou croyez à ce qu'at- 
testent ensemble le fait et la parole. 

Mais non; j'en jure par le témoignage de l'hu- 
manité entière; vous n'anéantirez ni l'un ni 
l'autre, ni le fait qui explique la parole, ni la 
parole qui atteste le fait. La langue despeuples 
est faite; l'Eternité est dedans; vous ne l'en 
ferez pas sortir; et la parole et le fait disent en- 
semble, et diront à jamais : II y a une Eternité. 

Ainsi le témoignage de l'humanité demeure 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'aOTORTTK 07 

appuyé sur des bases historiques que rien , ab- 
solument rien, ne saurait ébranler; et il confir- 
me magnifiquement le témoignage que rend à 
cette vérité le Christianisme par la voix de Jésus- 
Christ, de l'Eglise et de tous les chrétiens, re- 
disant sous tous les cieux et sur tous les rivages, 
le mot simple et profond qui termine et couronne 
son Symbole : Je crois à la vie Eternelle. Credo 
vitam cpternam. 

Ah! Messieurs, quels témoignages que ces 
témoignages! Et dans ces témoignages, quelle 
incomparable autorité ! 

Quelstémoignages comparer à celui de Jésus- 
Christ: témoignage du Verbe Idivinement infail- 
lible; témoignage d'autorité humaine et d'auto- 
rité divine? Quels témoignages comparera celui 
de l'Eglise Catholique, associée à l'infaillibilité 
de son divin Epoux? Témoignage d'une autorité 
telle, que l'Eglise même dépouillée de sa divine 
autorité serait encore la plus grande autorité 
humaine. Quel témoignage que celui de tous les 
chrétiens, par des milliards de voix chantant à 
tous les bouts du monde le credo de l'Eternelle 
vie! Et quels témoins que ces témoins : jamais 
tant de vertus et tant de saintetés, tant de dé- 
vouements et tant de sacrifices, tant de sciences 



H 



68 



CKRTITUDE DE L ETERNITE 



et de génies ont-ils pu donner à une institution 
humaine, à une réunion d'hommes quelcon- 
que, une telle puissance d'affirmation? 

Quels témoignages, enfin, comparer à celui 
de l'humanité universelle, affirmant partout, tou- 
jours et à tous les degrés, par l'affirmation laplus 
spontanée, la plus sincère et la plus désintéres- 
sée, l'Eternité de la vie? Et quelle puissance 
d'attestation, quelle garantie de vérité et de cer- 
titude résulte de ces deux témoignages, du té- 
moignage divin et du témoignage humain se 
rencontrant dans cette même affirmation : Il y 
a une Eternité ! Ah! si de telles autorités et de 
tels témoignages pouvaient nous tromper; que 
pourrions-nous affirmer encore avec une ab- 
solue certitude? Et que nous resterait-il, si ce 
n'est de nous précipiter,sans espérance d'arriver 
jamais à la vérité certaine, dans l'abîme du doute 
universel? 

Et pourtant, j'entends dire que des hommes 
de ce temps prétendent s'inscrire en faux contre 
ce témoignage deux fois auguste et deux fois 
démonstratif. Voyous donc ce que vaut ici leur 
négation contre cette imposante affirmation. 

Que peut opposer à la majesté de ces deux té- 
moignages, l'audace de la négation contempo- 



TÉMOI&NAGES BU DEHORS OU D AUTORITE 



69 



raine? Quoi donc? l'autorité de quelques hom- 
mes, essayant de se faire par le public démenti 
donné à cette double autorité, la célébrité de 
l'erreur et l'illustration de l'insolence? Combien 
sont-ils, en réalité, les négateurs bruyants de 
l'Eternité de la vie? Et pour combien leur témoi- 
gnage doit-il compter? Quoi ! un groupe d'hom- 
mes contre des milliards d'hommes? Encore une 
fois, combien sont-ils, ces hommes qui protes- 
tent contre ce grand dogme de l'Eternel, et pré- 
tendent avoir raison contre l'humanité entière? 
Ah! je le sais, ie bruit qu'ils font au milieu 
de nous, facilement peut vous faire illusion sur 
leur nombre. Mais comptez-les , si vous le pou- 
vez, et vous verrez ce que sont en réalité devant 
nos deux immenses témoignages, ces contra- 
dicteurs bruyants. 

Fussent-ils plus nombreux qu'ils ne le sont, 
que vaudrait leur témoignage ? Car , ce 
qui doit faire autorité dans le témoignage, ce 
n'est pas seulement le nombre des témoins, 
c'est leur valeur aussi. 

Eh bien! quelle est la valeur, la valeur mo- 
rale de ces hardis négateurs de l'Eternelle vie? 
Ah! grand Dieu! d'ordinaire, quelshommes!Des 
hommes qui, en essayant d'ébranler dans leur 



70 



CERTITUDE DE L ETERNITE 



propre pensée et dans la pensée de tous , ce 
dogme souverain de l'Eternelle vie, ont besoin 
de se rassurer contre ses menaces : hommes 
tristement intéressés à réclamer, au terme de . 
cette vie, leur propre néant, et cherchant à se 
faire par leur négation, dans les désordres de 
leur vie du temps, un rempart contre cette Eter- 
nité, dont le regard les trouble et jette l'amer- 
tume et la tristesse dans ce qu'ils nomment leur 
joie, leur paix et leur félicité. 

Ils disent, je le sais, qu'ils rendent du fond de 
leur conscience éclairée par leur raison, contre 
le doe-mc de l'Eternité, un témoignage désin- 
téressé de toute passion. Ils le disent, oui; mais 
parviennent-ils à le croire sincèrement eux- 
mêmes ? Il est bien permis d'en douter. S'ils 
mentent, s'ils mentent aux autres et s'ils se 
mentent à eux-mêmes , je ne veux pas le savoir, 
et volontiers je consens à l'ignorer. 

Mais ce que je ne puis ignorer, ce que je sais 
bien, c'est que tout homme, qui par le vice et le 
désordre s'éloigne ou se sépare de Dieu, perd le 
sens de sa Destinée, de sa vraie liberté, de sa 
vraie dignité, et finalement le sens de son Im- 
mortalité. 

Ce que je sais bien, c'est que l'homme de 



TÉMOIGNAGES DO DKHOKS OU D'AUTORITÉ 71 

l'orgueil, de l'avarice et de la volupté, cherche 
à se créer lui-même contre l'Eternité de sa vie 
un intérêt d'un jour. 

Ce que je sais bien, c'est que tout grand pré- 
varicateur a besoin , pour se trouver à l'aise au 
sein de ses désordres, que tout finisse avec ses 
plaisirs, sa fortune, sa chair. 

Ce que je sais bien, c'est que lorsque dans 
l'homme tout se fait jouissance, corps et matière; 
alors sa vie tend à se ramasser et à se concentrer 
tout entière sur la minute qui passe. 

Ce que je sais bien, c'est que tout grand dé- 
sordre dans la vie développe dans l'homme un 
affreux besoin de finir; tandis que la vie dans 
l'ordre, la vie grande, généreuse et pure, cherche 
des horizons Eternels et aspire à son Immor- 
talité. 

Ce que je sais bien, c'est que (sauf de rares 
épreuves , que Dieu permet même en des âmes 
qui l'aiment), les tentations contre la foi à la vie 
Eternelle sont contemporaines des grandes pré- 
varications de la vie présente; c'est que le vol et 
l'injustice, le sensualisme et la volupté, toutes 
les honteuses passions élèvent contre l'Eternité 
leurs protestations intéressées. 

Ce que je sais bien , enfin , c'est que la mort 



72 



CERTITUDE DE L ETERNITE 



appelle la mort, et que plus une âme par le péché 
se donne la mort à elle-même, plus elle gravite 
vers le néant qu'elle convoite, et plus elle s'é- 
loigne de cette Eternité qu'elle repousse. 

Au contraire, plus une âme est dans l'ordre, 
la justice et la sainteté, c'est-à-dire plus elle se 
sent vivante par son union à la source de toute 
vie; plus elle aspire à prolonger et à étendre, 
dans le sens de l'Infini, sa vie grandissante. 
Oui, plus elle est, par sa perfection et sa pureté, 
dans le voisinage de Dieu, plus elle aspire à 
s'associer à son Eternité; bref, plus elle se sent 
s ainte, plus elle se sent immortelle, c'est-à-dire 
prédestinée à l'Eternité de la vie. 

Aussi, n'est-ce pas seulement parle nombre, 
que le grand témoignage de l'humanité et du 
Christianisme en faveur de l'Eternelle vie l'em. 
porte sur celui de ses rares négateurs ; c'est en- 
core et surtout par la qualité des témoins, par 
leur vertu, leur dignité, leur moralité, leur 
valeur, enfin. 

Rapprochez, en effet, par la pensée, l'huma- 
nité qui croit et l'humanité qui ne croit pas à la 
vie Éternelle : quelle différence frappante, quel 
contraste saisissant! 

Tous les sages et tous les vertueux affirment 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU DAUTOK1T1Ï 73 



la vie Eternelle et proclament l'Eternité; et tous 
les vicieux et tous les pervers, règle générale, 
tendent plus ou moins à nier l'Eternelle vie : s'ils 
n'arrivent pas tous à la complète négation, tous, 
d'ordinaire, en ont la tentation. 

Tout ce qu'il y eut dans l'humanité de plus 
digne, de plus grand, de plus noble, de plus vé- 
nérable salue, de l'autre côté de la tombe, la ra- 
dieuse aurore de l'Eternelle vie. 

Tout ce qu'il y a de plus abject, de plus vil et 
de plus méprisable dans l'humanité, ne voit 
après la mort que l'affreux spectre du néant. 

Bref, toutes les illustrations de la vertu, de 
l'honneur, du courage et du dévouement, sauf, 
/s'il en est) de très rares exceptions , ont passé 
dans l'humanité en disant par leurs actes comme 
par leur parole : Je crois qu'après la mort il y a 
l'Eternité de la vie. 

Et toutes les célébrités de l'opprobre, delà lâ- 
cheté, du vice, de l'égoïsme et de la scélératesse 1 , 
sauf quelques exceptions plus rares encore, ont 
passédansl'humanitéendisant : Jecrois qu'aprèà 
la mort, il y a le néant de la vie. 

Entre ces témoins et ces témoins, entre ceux 
qui affirment et ceux qui nient la vie Eternelle, 
comment uu instant pourrions-nous hésiter? 

5 



74 



CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ 



Donc, quand même (ce qui n'est pas), ces 
disciples de la négation égaleraient en nombre 
les disciples de l'affirmation, force nous serait 
encore d'affirmer avec l'humanité vertueuse, et 
de répudier le témoignage de l'humanité perverse. 
Oui, même en cette hypothèse, le devoir nous 
incomberait encore de croire avec l'humanité 
qui cherche, dans sa foi à l'Eternel, le courage 
de répudier le mal en embrassant le bien, et de 
nous séparer, en rejetant sou témoignage, de 
cette humanité qui cherche dans sa foi au néant, 
la liberté effrénée de rejeter tout bien en em- 
brassant tout mal. 

Qu'est-ce donc, quand nous venons à consi- 
dérer que la négation de l'Eternel est le fait d'une 
minorité infime, c'est-à-dire le fait de quelques 
hommes se rencontrant çà et là, à travers les 
siècles et les espaces ; tandis que l'affirmation de 
V Eternel est le fait de milliards et de milliards 
d'hommes ?Qu'est-ce, lorsque aux clartés de l'his- 
toire universelle nous pouvons constater qu'en 
face du dogme de la vie Eternelle, la négation 
c'est une fraction minime do l'humanité, et 
que l'affirmation c'est l'humanité entière; l'hu- 
manité qui, depuis six mille ans, traverse les 
siècles et les espaces en redisant, à tous les 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS 00 D'AUTORITÉ 75 

degrés de sa hiérarchie, par toutes ses voix et 
notamment par la voix de ses plus hauts et de 
ses plus illustres représentants : 

«Je marche dans le temps, où ma vie semble 
fuir comme l'ombre; mais je sais que cette vie 
passagère me conduit dans la demeure de mon 
Eternité; in âomum œtemitatis. »Et,si cette huma- 
nité éparse de siècle en siècle et d'espace en es- 
pace, pouvait nous apparaître ici tout entière 
dans le rayon d'un seul regard, elle nous dirait 
comme un seulhomme : « Oui , je le crois avec le 
Christianisme, il y a une Eternité; avec lui je crois 
à la vie Eternelle : Credo vitam œternarn. » 



CONCLUSION 



Tels sont, Messieurs, en faveur de l'éternelle vie, 
ce que j'ai nommé les témoignages du dehors, le 
témoignage de l'autorité : témoignage du Chris- 
tianisme tout entier, et témoignage de l'hu- 
manité universelle. 

J'avais annoncé comme attestant la même vé- 
rité, ce que j'ai nommé le témoignage du dedans 




70 



CERTITUDE DE l/ÉTEHNlTÉ 



P^t"tl e> tém ° igUa ^ de ^me humaine. 
' etî »t trop pour un seul discours 

Bouc, à demain le témoignage de Y âme. 

Ne vous étonnez pas si j'insiste sur ce point 
1 eœutence de l'Eternité; car, c'est le poinçon! 
damental, sur lequel doit s'appuyer to ce "i 

nous reste à dire, et sur lequel ne peut plane 
même l'ombre d'nn doute ><P'aner 

b,s B oinT P d i entre V ° US ' Je Iesu PP°^,u' ntpa S 

xnonT' ? ^ P '' 0Pre COmpte > de cet <e dé- 

monstration. 

Mais ianégation et la répudiation de VEiernel 
est. le penchant de ce siècle de matérialisme et 
de positivisme; et tous, plus que jamais, vous 
av*z besoin de mieux entendre le bien-fondé de 
notre croyance à l'Eternité, et l'inanité de ce que 
lw opposent les négateurs de l'Eternel 

Je dirai donc demain comment l'âme humaine 
confirme par son propre témoignage, les deux 

augustestemo.gnagesqnevousvenezd'entendre 
et comment vous êtes vous-mêmes les témoins 
de ce qu'ils vous affirment. 

En attendant, ouvrons nos intelligences à la 
lumière qui nous vient de ces grands témoi- 
gnages. Soyons saintement heureux et fiers de 
croire à une vérité qui a de tels témoins, et que 






TKMOTWAGES DU DKHORS OU D'AOTOBITÉ 7? 

le Christianisme et l'humanité tout entière en- 
vironnent de si resplendissantes clartés. 

Et, en face de cette Eternité, qui doit être pour 
nous la grande préoccupation de notre vie du 
temps, imitons l'Eglise, notre Mère. Ne nous 
contentons pas de la croire et de la proclamer par 
notre, parole; comme elle, cherchons-la par 
toutes nos actions et de toutes les manières. 

Que veut, en effet, que cherche, qu'amhitionne 
l'Eglise par tous les mouvements de sa vie , par 
toutes ses entreprises, toutes ses fatigues, tous 
ses combats, toutes ses souffrances, toutes ses 
victoires, tous ses triomphes? Une seule et même 
chose : conduire les âmes, et, si elle le peut, 
toutes les âmes au bonheur Éternel, c'est-à-dire 
donner à tous un Dieu, un ciel, une Eternité. 

Oui, tandis que toutes les institutions hu- 
maines visent le terrestre, le matériel et le tem- 
porel : seule l'Eglise, dans toutes ses actions, 
toutes ses démarches, toutes ses aspirations, 
vise le céleste, le spirituel et le divin, l'E- 
temel et encore l'Eternel. Cherchez, à travers sa 
longue et vaste histoire, un mouvement de sa 
vie, un entreprise de son ambition qui ait un 
autre objet, un autre but, que cet objet et que 
ce but; vous ne le trouverez pas. L'Eglise peut, 



CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ 

dans soa action, s'appuyer sur les choses du 
emp s , mais c'est pour mieux vous élever vers 
le choses étemelles. Et, alors même q Z VE 
g se apparaît le plus mêlée, par son actton nu 
SSTr réalitéS P aSSa ^eset aux évén ment^ 

nelle: t ^ * m ° nde des réa ^és Éter- 

terï et se T^^ P ar «>* action un ! 
verselle et séculaire, ait eu un autre but et un 

autre objectif que ce qui est Eternel, Jama Soh 
jamais, vous dis- je . Partout et o^ourst 
d le à sa mission, à son Christ et à ell ZZ!l 

112' n0D SeUl6ment 6Û m ° nt ^ "rus- 
ses enfants, comme elle voya-eurs rl*n* 

temps, les perspectives de leurs D°est Les Ft 
jjg-jl. elle Ies p u S8e) et, ££**£ 

cette Ri' •! ■ entmîne aV6C e ^-même vers 

t ù lue' f " ^ * miSSi ° n *» leS C0 »^ 
et ou elle leur prépare avec elle-même „n 

triomphe sans fin. un 

Enfants de l'Eglise, marchons sur ses 
mutons l'exemple de notre Mère. P ' 



TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU DAUÏORITÉ 79 

Tout en étantaux devoirs, aux fonctions et aux 
labeurs que nous impose cette vie passagère, 
marchons-y en regardant l'Eternel, en aspirant 
à l'Eternel, en cherchant l'Eternel. 

Dès ce soir, retirés dans vos demeures, vous 
vous direz, dans le silence des passions et dans 
le recueillement de vos âmes : Chrétien, je crois 
avec le Christianisme; homme, je crois avec l'hu- 
manité, qu'il y a une Eternité. De tels témoins 
ne me peuvent tromper. Oui, j'en suis certain, 
j'irai dans la demeure de mon Eternité;»!- domum 
œtemilatis. 

Faites ainsi tous, Messieurs, et déjà vous 
vous demanderez en face de Dieu et de vous- 
mêmes ce que doit vous inspirer, pour la réforme 
pratique de votre vie du temps, cette grande 
nensée de l'Eternité. Ainsi soit-il. 



EXISTENCE DE L'ÉTERNITÉ 
TÉMOIGNAGE DE L'AME 



Annos œternos in 
mente habui. 

J'ai porté dans mon 
âme les années éter- 
nelles. (Ps. 76, '6.) 



Monseigneur, 
Messieurs, 

Ces paroles qui indiquent plus directement la 
méditation des années éternelles,peuvent signi- 
fier aussi que nous en portons au fond même de 
notre âme l'invincible témoignage. 
Nousavonsmontré,dans notre premier discours, 
comment l'existence de l'Eternelle vie nous est 
attestée par les témoignages du dehors ou les 
témoignages d'autorité, notamment par ces deux 
grands témoignages que, comme chrétiens et 
comme hommes, nous ne pouvons récuser, à 



h2 



l'éternité 



^dateur d/cSS^S t ^ST f* * 

coms; et dp +n„c i i. , tt ff"se, comme 

E' ce témoigna"» ri., rk • •• Eternel, 

«oaement confirm pâ r fe ^7™" "" n ' a!?ni - 
manité; témoigne £o ^f* 8 » " e '' H °- 

SassSSïS 

">« trompe; si ton, l es ch^rtfon^' A % 
^ l'Humanitéeiie-méme tont en « 7n e tZS 
-namemetrompera-t.eiiean.^EriZn- 



TÉMOIGNAGE DE l'aMK 



83 






chide l'autorité de ces deux témoignages du 
dehors, aurai-je aussi la liberté de me sous- 
traire à la puissance de ce témoignage du dedans! 
Me sera-t-il possible de faire taire cette voix qui 
dit au plus intime de ma vie : Il y a une Eter- 
nité ? 

Oh non ! mille fois non. Quoi qu'il en pût être 
de tous les autres témoignages qui attestent 
l'Eternelle vie , il en est un qui serait toujours 
pour moi absolument irrécusable; c'est celui de 
mon verbe intérieur, c'est le témoignage de mon 
âme. Donc, dirai-je avec Tertullien : 

àme humaine, parais ici comme témoin au 
tribunal de la vérité; 6 anima, consiste in média ; 
j'en appelle à la simplicité et à la véracité de ton 
témoignage : Te simplicem appello. 

Je pourrais prendre pour point d'appui de 
la démonstration de l'Eternelle vie attestée par 
l'âme humaine, ce prineipeposépar Saint Thomas 
d'Aquin, à savoir que nul être créé, même dans 
l'ordre matériel, ne doit rentrer dans le néant. 
Dieu, dit le grand Docteur, a créé les choses pour 
qu'elles fussent: Creavil res ut essent. Les élé- 
ments même de la nature ne seront pas anéan- 
tis, et tout ce qui est subsistera éternellement, 



L ETBRN1TÉ 

Par l'inébranlable décret rt„ i 

vine (1) m de la volonté di- 

.y aura ti ansfortnation; il n'y fl „». 
««/««««en* de la matière m, , PM ^ 

subsistera éternelTemlt ' f ° 1S ^ eIIe 

^^ïrïrrr de l,âme suit 

subsister; comme" 1? * matière doit 

elle pas éiernelmnl ? iHus" T^" 
dout la nature mèm ZllTl t t SUrt ° Ut ' 
corruptibilité'Ft^ii-a 7 Ut éIéme nt de 

^-iir^::zzz r ce qu ' eiie est > 

sens de son immor a^ O , § *? VltaHté le 
âme non anéantie 1 Q Ser&lUce W™ 

sous le ™^?Ïl ) ^ 1,1,,en « ibto . et ^-ant 
éternel? " d Un SOmmei * tout à fait 

Vue sous cet aspect pl us o én é- a ] m „ 

d) Contra Gentes. L. iv. c. 97. 



TEMOIGNAGE DE L AME 



85 



immortalité, et comme le témoin authentique 
de l'Eternelle vie. 

Mais je néglige ce point de vue qui embrasse 
toute la création; et regardant l'âme de plus près, 
pour la considérer sous ses divers aspects.je veux 
essayer de montrer comment par tout, ce qui est 
'en elle, l'âme, spontanément et naturellement, 
affirme, et par là même démontre l'existence de 
l'Eternité. 

Ainsi, vous verrez dans une lumière surabon- 
dante, resplendir la vérité souveraine de l'Eter- 
nelle vie; et, avec la joie intime que j'en éprouve 
moi-même, vous entendrez les voix qui parlent 
en vous, s'accorder dans une complète harmonie, 
avec les grandes voix qui parlent en dehors de 
vous. 



Messieurs, 



Avant d'écouter les voix distinctes, mais har- 
monieusement unies de ce témoignage personnel, 
il est nécessaire que nous constations d'abord un 



S6 



l'ktekniïé 






fait ou si vous aime, mieux, un phénomène qui 
Hoji être la lumière de tout ce discours; ce fait le 
vomi : l'âme respire et aspire naturellement l'E- 
ternel. Oui, par un phénomène de prime abord 
et en apparence contradictoire, l'Eternité est 
comme la respiration naturelle de l'âme dans 
la vie passagère du temps; et c'est là ce qui 
constitue avec son caractère propre sa grandeur 
originale : rien de pareil ne se rencontrant nulle 
part dans ce panorama des êtres créés dont 

I nomme est,par son âme,le roi et le dominateur. 

Mais ce que je tiens surtout à mettre dans 
une pleine lumière , c'est que, par cette respira- 
tion native et spontanée de l'Eternel, l'âme fait 
sortir elle-même de toutes ses profondeurs la 
plus irrécusable, la plus démonstrative a'tes = . 
tation de l'existence de sa propre Eternité 

En effet, si (par hypothèse)/ il n'y a pas pour 
lame une éternelle vie : alors toutes «es affir- 
mations intimes et spontanées de l'Eternel 
constituent dans l'âme humaine un fait inexpli- 
cable, un effet ou un phénomène sans cause et 
sans raison d'être. 

II y â plus encore; si l'Eternité n'est qu'une 
chimère, la respiration et l'aspiration de l'Eter- 
nel par l'âme humaine n'est pas seulement 



TÉMOIGNAGE DE L AME 



87 



un fait sans cause ; c'est une contradiction fla- 
grante ; parce que c'est une tendance sans 
terme , une aspiration sans objet qui lui ré- 
ponde. 

C'est ici, Messieurs, veuillez bien le remar- 
quer, le fondement solide sur lequel repose toute 
la démonstration présente : un fait sans cause 
assignable, un phénomène contradictoire, la 
contradiction même, la contradiction universelle 
inhérente à la nature humaine. 

Considérons , en effet , les grands traits qui la 
distinguent; examinons les principaux actes 
qu'elle produit spontanément, et nous allons 
voir comment, si l'Eternité n'existe pas, l'âme 
en toutes ses facultés et toutes ses puissances 
devient l'inexplicable et le contradictoire. 

L'âme pense., et par sa pensée elle affirme 
YElemel. 

L'âme espère, et elle a l'attente de l'Eternel. 

L'âme aime , et elle a l'amour de l'Eternel. 

L'âme veut, et elle a la volonté de l'Eternel. 

L'âme agit, et en toutes ses actions elle cher- 
che l'Eternel. 

L'âme, enfin , par toutes ses facultés maî- 
tresses, dit à qui sait entendre cet infaillible 
oracle : Y? Eternité existe; il y a pour moi une vie 



88 



l'éternité 



'Eternelle; on je suis trompée par les illusions de 
ma pensée, par les élans de mon espérance, par 
le besoin de mon amour, par les ambitions de 
mon vouloir, bref, par tous les mouvemnets de 
ma vie; je suis, enfin, par tout mon être, non 
seulement l'inexplicable et le mystérieux : je suis 
la contradiction vivante. 
Or, tout crie en moi : Cela ne peut pas être. 



Le premier témoin qui, au fond de l'âme ftu- 
maine, atteste l'existence de l'Eternité, c'est l'in- 
tellig-ence. L'intelligence, ce regard de l'âme ou- 
vert sur les réalités du monde intelligible. 

Mais, comment mon intelligence est-elle ici 
un irrécusable témoin de l'Eternité? 

Parce qu'elle porte en elle-même la pensée de 
l'Eternel, et que la présence de cette pensée dans 
mon âme est un fait interne, un phénomène 
subjectif que je ne puis expliquer que par l'exis- 
tence de l'Eternité. 
C'est, tout d'abord, la premier fait sans cause 



TÉMOIGNAGE DE l'aME 



89 



et la première contradiction que je suis forcé de 
constater en moi, si, par hypothèse, l'Eternité 
n'existe pas. 

En effet, s'il n'y a pas d'Eternité; si l'Eternel 
n'est qu'un rêve, un produit fantastique démon 
imagination; si tout ce quiest de moi et en moi, 
tout ce qui est moi-même, doit s'évanouir à ce 
terme, à ce point obscur, qui s'appelle la mort, 
ou, par delà mon tombeau, à un point plus ou 
moins lointain de la durée; si, arrivé là, à cette 
dernière étape de ma vie, je dois retomber dans 
mon néant; bref, si je n'existe que pour le 
transitoire et pour le temporaire , c'est-à-dire 
pour une durée qui se mesure; alors je me de- 
mande sans pouvoir me répondre, pourquoi dans 
mon âme, sans que je l'aie cherchée, cette pensée 
de l'Immortel et de l'Eternel, c'est-à-dire d'une 
durée sans mesure, d'une existence sans li- 
mite et sans fin ? 

Ce phénomène ne me devient explicable 
que par l'existence réelle de cette Eternité, dont 
la pensée que j'en porte, dans mon intelligence, 
est pour moi le témoin intime et vivant. 

Certes, Messieurs, je ne prétends pas dire, 
comme certaine métaphysique trop subtile, que 
de par la seulepuissancedel'idée.nous puissions 



90 



L'ÉTERNITÉ 



toujours et en tout couclure lég-itimement à la 
réalité substantielle de ce qu'elle nous repré- 
sente; comme si l'idée seule de l'être équivalait 
à la vision même de l'être. Nous ne reconnais- 
sons pas à l'idée pure la puissance de nous dé- 
montrer directement et par elle-même la réalité 
et la substance de son objet, comme si elle en 
était la vue ou la vision proprement dite 

Notre procédé de démonstration est ici tout 
différent. Nous allons de l'existence même d'un 
fait à la cause de ce fait; à peu près comme de 
1 existence d'un monde qui n'a pas en lui-même 
sa raison d'exister, nous concluons à l'existenco 
de 1 être nécessaire, qui seul en peut être.et en est 
en effet la raison suffisante. Et nous nous ap- 
puyons sur cet autre principe de philosophie 
fondamentale, à savoir qu'il ne peut v avoir en ' 
nous de pensée qui s'impose subjectivement 
sans une réalité qui lui réponde objectivement' 
Or, voici un fait intérieur, un phénomène 
subjectif absolument indéniable, et pour être 
intérieur et purement subjectif, c'est- à-dire in- 
visible, ce fait, ce phénomène n'en est pour 
moi ni moins certain ni moins démonstratif • la 
pensée de l'Etemel, ie ne sais quelle conviction 
intime d'une vie qui ne doit pas finir, s'impose à 



TÉMOIGNAGE DE l'aMIS 



91 



mon âme qui pense. Cette pensée, je ne suis 
pas seul à la porter en moi ; les intelligences 
•que j'interroge autour de moi, les âmes qui 
touchent à mon âme, me font la même révélation . 
Et cette pensée de l'Eternel,àlaquelle j'essayerais 
en vain de me dérober tout à fait, ce n'est pas 
seulement mon Christianisme, c'est ma nature 
même qui me l'impose . 

Eh hien ! je le demande : ce phénomène inté- 
rieur, que je constate dans les autres comme 
on moi-même, d'où vient-il? Quelle est sa 
cause et sa vraie raison d'être ? Chose remar- 
quable! Nos plus grandshommes,nos plus beaux 
génies dans le Christianisme, se sont posé une 
question pareille. «0 Eternité! Ô Infinité! » s'é- 
■ crie St Augustin , « comment es-tu entrée dans 
« nos âmes, toi que nos sens ne soupçonnent 

« pas même? » 

«Quel est ce miracle?» demande à son tour Bos- 
suet. « Nous, qui ne sentons rien que de borné, 
« où avons-nous pu penser cette Eternité? Où 
« avons-nous pu songer eette Infinité? » 

Et moi aussi, abrité sous l'autorité de ces deux 
grands hommes, je m'écrie dans mon humble 
sphère: Eternité ! ô Infinité, qui l'une et l'autre 
êtes sans limites, comment avez-vous pu entrer 



92 



L KTEltNITK 






dans mon âme 9 Comment avez- vous pris pos- 
session de mon intelligence? 

A cette question, l'âme qui se connaît et so 
sent, peut et doit répondre : si, je porte en moi 
la pensée de l'Eternel, si j'affirme et atteste l'E- 
ternité de la vie, c'est que je me vois moi-même 
dans le reflet de sa lumière. Tout ce miracle, 
dont parle Bossue*, c'est qu'en me voyant moi- 
même, je vois l'image de l'Eternité se reflétant 
en moi, aussi claire, aussi visible à ma pensée 
qu'est visible à mes yeux l'image du soleil, se 
reflétant au fond d'un lac tranquille et trans- 
parent. 

. D'où me pourrait venir, en effet, cette idée de 
V Etemel ? Serait-ce de mon corps ? Mais je vois 
tous les jours, et presque à toute heure.ce corps 
qui s'en va, qui se dérobe comme une ombre.qui 
s'écoule comme une eau, qui tombe comme une 
ruine; hélas ! ce corps ne me parle que de sa fra- 
gilité, de sa caducité, de son impuissance de 
durer, bref, de sa mortalité; comment, dès lors, 
pourrait-il me donner.la pensée de ma perma- 
nence et surtout démon immortalité? 

Eh bien! au milieu de cette fuite de mon exis- 
tence, dans cette ruine de ma vie et dans cette 
perpétuité de ma mort, j'entends une voix qui 



e 



TÉMOIGNAGE DE l'âME ï» 

crie au fond de moi-même : Je suis Eternelle. 

D'où, me vient-elle donc cette pensée de l'Eter- 
nité' Peut-être de la Société', c'est-à-dire des 
hommes que la marche du temps emporte avec 
moi au chemin de lavie? 

Mais que vois-je, en regardant autour de 
moi, si ce n'est des hommes qui fuient comme 
des fantômes; instables et rapides figures qui 
ont disparu déjà, lorsque à peine j'ai eu le temps 
de les approcher, de les voir et de les connaître 
Hommes , comme moi-même, fragiles etcaducs ; 
société mouvante et perpétuellement chan- 
geante, qui se renouvelle, passe et disparaît 
avec une rapidité telle, qu'elle semble comme 
mon corps, qui s'échappe, ne me donner d'autre 
témoignage que celui de samortalité. Comment, 
dès lors, cette société qui, elle aussi, fuit comme 
une ombre devant un rayon de soleil, me don- 
nerait-elle l'idée de l'Eternel? Où donc, dans sa 
course précipitée, aurait-elle pris elle-même la 
pensée de son Eternité? 

Eh bien! au milieu de cet immense courant 
delà vie sociale, qui emporte autour de moi, 
comme un torrent, les générations qui s'écou- 
lent, mon àme garde le sens indestructible de 
sa permanence et de son immortalité ; elle af- 



91 



l'kternité 



nrme son Eternelle vie; et elle dit, en regardant 
passer le torrent avec tout ce qu'il entraîne dan 
son conrs : Tont passe, tout fuit autour de moi ■ 
moi, je suis Immortelle. 

D'où me viendrait donc cette pensée de l'E- 
ternel, sicen'est de l'Eternité elle-même rayon- 
nant sur mon âme? 

Serait-ce de la nature, et de tous les spectacles 
qu elle offre à mes regards? 

Mais que vois-je;aussi dans la nature, si ce 
nest l'universel spectacle de l'instabilité'? Qu'y 
vois-je, si ce n'est la vie, marcher du printemps 
à 1 hiver de l'hiver au printemps . et pour ainsi 
dire, du berceau à la tombe et de la tombe au 
berceau? 

Les arbres et les fleurs meurent, tous les vé- 
gétaux meurent, tous les animaux meurent, tout 
dans ces deux mondes meurt et disparaît ■ 
les astres eux-mêmes sont emportés dans un 
mouvement qui semble ne me laisser d'eus 
comme de mon corps , de la société et de la na- 
ture,- que l'idée de ce qui passe et meurt 

Et pourtant, devant l'universel écroulement 
detoutid-bas.je garde l'inébranlable convic- 
tion que je ne passerai pas. Mon âme, ferme sur 
cette pensée qui la rattache à l'Eternel, dira tou- 



TEMOIGNAGE DE LAME 



05 



jours : Que tout passe autour de moi, que mon 
corps passe, que la société passe, que la nature 
passe, que le monde passe:je saisqueje nepas- 
serai pas. Du fond de. cet empire de toutes les 
décadences et de toutes les mortalités, je sens 
que je tiens à l'Eternel , et que j'y tiens par une 
chaîne que je ne puis pas plus rompre que je ne 
puis m'anéantir moi-même. 

Qu'est-ce donc , enfin, qui me donne une si in- 
invincible certitude de mon Eternelle Destinée? 
A travers les ombres de la mortalité, qui m'en- 
vironnent de toutes parts, qu'est-ce qui fait 
briller devant moi si clair et si radieux le phare 
de l'Eternité? Qu'est-ce, si ce n'est sa réalité 
même s'imposant à ma propre pensée, et seule 
me rendant compte de l'image et du reflet que 
j'en porte en motasrême : phénomène intérieur 
qui ne s'explique bien que par l'existence même 
de l'Eternelle vie. 

C'est ainsi que mon intelligence, par la pensée 
qu'elle a de l'Eternel, est dans mon âme le pre- 
mier témoin de l'Eternité. 



96 



L ETKRNITÉ 



II 



Mais , Messieurs , nous n'avons pas seulement 
idée de 1 Eternel, nous en avons l'espérance; et 
tandïs que notre intelligence l'affirme, toute 
notre ame se porte vers lui. Et, de même que 
notre ame dit : J affirme l'Eternité, parce que je 
la reconnais dans la pensée que j'en porte en 
moi-même et dans l'impression que j'en garde 
intérieurement; notre âme nous dit avec la 
même assurance : J'affirme l'Eternité, parce que 
je 1 espère et que je la pressens, dans l'espérance 
que j en ai nécessairement. 

Oui, tous, sans nous en rendre compte et 
même sans y song-er, nous portons au plus in- 
time de notre âme la confirmation spontanée 
de cette parole de l'Ecriture : « Spes noslm 
irnoionalitaieplcna est ;notre espérance estpleine 
d immortalité. » L'attente, disons mieux, la cer- 
titude de quelque chose d'Eternel est au fond de 
notre espérance; j'entends non seulement de 
1 espérance chrétienne proprement dite, mais 



TÉMOIGNAGE DE L'AME 




même de l'espérance naturelle, telle qu'elle se 
rencontre au fond de toute âme humaine, 
que ses crimes ne portent pas à invoquer le 
néant. 

Il y a dans l'âme humaine, il est vrai, des es- 
pérances qui ont pour objectif le passager et le 
transitoire, c'est-à-dire un bien, un plaisir, un 
bonheur fugitif: ainsi le malade espère la santé; 
le pauvre, la richesse; l'exilé, le retour dans la 
patrie ; le nautonier, le repos au rivage. C'est 
ce qu'on pourrait appeler la petite espérance. 

Mais, au-dessus de tout cela, il y a la, grande 
espérance, l'espérance des choses d'outre-tombe, 
l'espérance de Y au delà ; et c'est là ce qui seul, à 
proprement parler, mérite d'être nommé de ce 
beau nom : l'Espérance. Or, cette espérance im- 
plique l'attente de l'Eternité , ou l'essor de l'âme 
vers l'Eternel. 

Qui donc, en effet, à cette espérance de Y au 
delà, à cette attente du grand avenir, a jamais 
voulu mettre une limite, un nec plus ultra quel- 
conque? 

Qui donc, espérant survivre à ce dénouement 
delà vie du temps, qui s'appelle la mort, a pu 
dire : De l'autre côté de ma tombe, j'attends la 
vie, mais jusqu'à telle limite seulement; j'espère 

G 



98 



i'ÛTEBNITÉ 



«on, jamais âme humaine rf nnt , 
n'ont pas obscurci le re^lT f ont ,1? ^^ 
n'ont pas perverti le sens n ° r Z l™* 10 ™ 
manière son attente T« lmité de Cette 

elle n'a dit w, e \ SOn es P éra nce; jamais 

dit-elle donc 1W anS de vie - Qne 

—CESSÉS 

*™ »•»,,:„ rf, s^iir h c r espé - 

« la c<m,,ad,c,i„ m me sf e 1 °' "" ~ 
delà mon tombeau ™, J ™ re par 

tombe jusqu'à telle heure de te' in, 

û'aurais-je pas l'esnob / J ' P ° UrqUOi 
J pas i espoir de vivre toujours? 



TÉMOIGNAGE DE L'AME 



99 



Qui ne voit, dès lors , comme on voit le soleil, 
que YEternel est au fond de notre espérance; et 
que notre espérance démontre son objet, c'est-à- 
dire l'Eternité? 

Voyez, en effet, comment dans notre vie du 
temps tout accuse l'attente de l'Eternel, et 
comme conséquence, la certitude de l'Eternité. 
Qu'est-ce que notre vie sur la terre.? 
Notre vie, c'est le travail et encore le travail, 
non seulement le travail pour les besoins de cette 
vie, mais surtout le travail pour la récompense 
dans l'Eternelle vie. 

Nous sommes les ouvriers de Dieu ; c'est pour 
Lui que nous travaillons, et notre travail n'est 
qu'une forme du service que nous lui devons. 
Quelle récompense, dès lors , plus digne de nous 
et de Lui peut-il nous réserver, si ce n'est de se 
donner Lui-même à nous, Lui l'Infini, Lui l'E- 
ternel? 

Aussi ce n'est pas seulement par sa parole 
extérieure, c'est aussi parcelle qui retentit au 
plus intime de notre âme, que Dieu nous dit : 
Ego ero merces veslra magna nimis. C'est pour 
moi que vous travaillez; vous êtes les serviteurs 
de ma Majesté, vous êtes les ouvriers de ma 
gloire : Moi-même je serai votre récompense. 



100 



l'éternité 



Et quelle récompense? Plus grande que tout ce 
que vous imaginez : Magna nimis; car je suis 

rinfini,jesuisrEternel;etcetterécompensevenue 
de moi, et que je suis moi-même, demeure Eter- 
nellement : Merces Deimanet in œternum(l). 
Qu'est-ce encore que notre vie sur la terre? 
Notre vie, c'est le combat, et encore le combat. 
Mihlia vitahominis super terram: combat du de- 
hors et combat du dedans ; lutte universelle et 
lutte permanente, ne finissant jamais que pour 
recommencer toujours. 

Or, à ces combats de toute notre vie du temps, 
qu'est-ce, pensez-vous, que réserve l'autre vie' 
Et du fond de toutes les luttes , au milieu de tous 
les champs de bataille où notre vie est aux 
prises avec tous ses ennemis, qu'appelle et qu'at- 
tend notreâme, sicen'estceque saintPierremon- 
trait et promettait aux premiers chrétiens, à sa- 
voir , cet héritage que rien ne corrompt, ne 
souille, ni ne flétrit : Hœreditatem incorruptibilem 
incontaminatam et immarcessibilem (2); et 
dans ce royaume, notre légitime héritage, la 
gloire promise à ceux qui auront vaillamment 
combattu, c'est-à-dire la gloire Eternelle? 

(l)Fccli. xvin, 22. 
(2) i P<Mr. i,4 1 



TÉMOIGNAGE DE l'.'.MK 



101 



Ah! cette ravissante perspective de l'Eternelle 
Gloire du Ciel , succédant à nos luttes tempo- 
raires de la terre, ce n'est pas l'Eglise seule qui 
l'entr'ouvre sur nos têtes , dans la rayonnante 
fête de tous les Saints; c'est notre espérance aus- 
si qui du plus profond de notre âme, au flam- 
beau de sa pure lumière , nous en fait entrevoir 
les splendeurs et nous en donne, avec le pres- 
sentiment prophétique, comme une invincible 

certitude. 

Qu'est-ce, enfin, que notre vie sur la terre? 
Ah! tout nous répond en nous et en dehors de 
nous '.Souffrance* Souffrances du corps; souf- 
france s de l'âme; souffrances du cœur.Etquelles 

souffrances ! 

Eh bien ! qu'est-ce qui met et maintient au plus 
intime de notre âme cet indomptable courage de 
souffrir, de souffrir encore, de souffrir toujours, 
sans impatience, sans murmure et sans défail- 
lance, les douleurs même les plus atjoces et les 
malheurs même les plus accablants? 

Qu'est-ce , si ce n'est l'attente de ce para- 
dis des éternelles joies, que l'espérance nous 
montre par delà toutes nos souffrances du 

temps ? 

Ah! ce besoin d'espérer, après ces souffrances 

0. 



102 



l'etkrnitjî 



transitoires, l'Eternelle félicité, est si fort et si 
profondément ancré dans notre âme, que Dieu 
n a pu l'y mettre sans lui garantir l'objet de son 
espérance. 

Aussi, nous tous qui plus ou moins souffrons 
sur la terre, nous sentons au plus intime et au 
plus vif de nous-mêmes, ce que nous révèle 
saint Paul.alors qu'il s'écrie: « Léger et momen- 
tané est le poids de nos tribulations du présent 
devant l'Eternel poids de gloire qu'il nous pré- 
pare dans l'avenir: Œternum ffloriœ pondus ope- 
ratur in nobis (1). » 

Et quand même saint Paul n'aurait pas révélé 
par sa parole cette vérité qui illumine d'un rayon 
divin le présent et l'avenir de notre humanité 
nous en aurions encore, au sanctuaire même de' 
notre vie, l'infaillible et consolante révélation- 
car là même, au plus intime de notre vie l'es- 
pérance, même celle qui ne s'inspire pas direc- 
tement du grand mystère chrétien, nous dit 
comme saint Paul, et avec une certitude pareille ■ 
Après nos tribulations et nos souffrances de 
quelques jours, le festin de l'Eternelle joie : tel 
est le cri de l'espérance, surtout de l'espérance 
chrétienne; espérance pleine d'immortalité, et 

(!) n. Cor. iv. 17. 



TÉMOIGNAGE DE L'AME 



103 



ambitieuse de l'Eternelle vie: Spes immortalilale 
plena est (1). 

Ainsi, vous le voyez, tout dans notre vie, le 
travail, le combat, la souffrance, nous parle d'es- 
pérance, et tout dans notre espérance nous parle 
d'Eternité. 

Que dis-je? Tout ce que nous faisons de bien 
dans le temps, même quand nous n'y pensons 
pas, plus ou moins directement vise le perma- 
nent, l'impérissable, l'Etemel, enfin. 

Quand nous pratiquons une vertu ; quand nous 
accomplissons un dévouement; quand nous con- 
sommons un sacrifice , surtout un sacrifice de 
nous-mêmes, que prétendons-nous? Voulons- 
nous que ce bien réalisé par nous meure et fi- 
nisse avec nous? Non ; nous désirons, nous vou- 
lons qu'il dure ; nous voulons qu'il demeure, 
sous le regard de Dieu, une réalité permanente 
et vraiment Éternelle. 

Tout en l'accomplissant, à un point de la du- 
rée, nous y attachons comme un sceau de per- 
pétuité. 

Et ce bien qui est nuire parce que, la grâce 
de Dieu aidant, c'est nous qui l'avons fait, nous 
prétendons, même après notre court passage 

Sap. vu, 4. 






104 



1. JÎTEttNITÉ 



dans le temps, le voir et le posséder Éternelle- 
ment. Que dis-je? ce bien, qui peut-être s'est 
accompli dans l'ombre de notre voyage de la 
terre, nous voulons le contempler dans les éter- 
nelles splendeurs du ciel. 

Oui, même en ne consultant que le témoignage 
de notre âme, de cette àme naturellement chré- 
tienne, nous pouvons dire avec l'apôtre saint 
Paul: Spesautem non confondit. Non, notre espé- 
rance ne sera point confondue; elle attendit par 
son attente elle affirme l'Eternel. Donc l'Eter- 
nel existe. 

Comment, en effet, en pourrait-il être autre- 
ment? Comment, si notre àme n'a pas la voca- 
tion de vivre éternellement , a-t-elle, de ce côté 
de sa tombe, l'espérance spontanée de l'Eternité 
de la vie d'outre-tombe ? 

Comment, sans une amère dérision, le Dieu 
infiniment sage et infiniment bon aurait-il pu 
mettre, entre l'aspiration de notre espérance et 
l'objet de notre espérance, cet antagonisme vrai- 
ment incompréhensible? 

Comment ce Dieu qui a mis lui-même, au 
fond de notre âme, l'attente de l'Eternel, l'élan 
vers l'Eternel, consentirait-il à frustrer cette 






TEMOIGNAGE DE L AME 



10j 



attente, à tromper cet élan, en nous dérobant 
l'Eternel? 

Comment concevoir qu'après avoir mis dans 
notre âme, pendant notre course du temps, l'es- 
pérance, l'attente et le besoin de l'Eternité, il 
nous arrête, un jour, à telle ou telle limite de 
notre vie d'outre-tombe, et nous condamne à re- 
tomber, avec notre attente déçue, nos aspirations 
trompées et notre espoir confondu, dans les 
profondeurs du néant ? 

A cette question mon âme elle-même répond, 
et elle dit : Cela ne peut pas être : l'Eternité 
existe, j'en ai pour garant l'attente de YEterne 1 
qui est le fond de mon espérance, mon espérance 
elle-même. 

Ainsi, notre âme par son espérance et son at- 
tente, comme par sa conviction et sa foi, rend à 
l'existence de l'Eternité deux invincibles témoi- 
gnages. 

Nous pourrions, ce semble, ne pas aller plus 
loin. Mais il y a sur ce point, dans l'âme, ou si 
vous voulez, dans le cœur de l'homme, un té- 
moignage non pas plus invincible peut-être, 
mais assurément plus éloquent ; c'est le témoi- 
gnage de notre amour. 



106 



L ETHKNITÉ 



III. 



L'âme qui se connaît et se sent elle-même 
ne dit pas seulement : Je pense et j'affirme 
1 Eternel ; j'espère et j'attends l'Eternel ■ elle 

ditencoreetsurtout:J'a^l'Eternel,j'a Si nV e àl'E- 
ternité dans l'amour; donc , l'Eternité existe 
J appelle, comme terme suprême de ma vie un 
amour qui ne meurt pas; et moi-même je porte 
dans mon cœur un amour qui ne veut pas mourir 
Donc je ne mourrai pas; je suis éternelle; j'en ai 
pour garant le témoignage de mon amour. 

Je ne sais, Messieurs, si vous avez jamais pénô- 
trf profondément^ compris parfaitement tout ce 
que renferme ce mot magique: aimer. Pour moi 
je l'avoue, plus je le médite, plus je lui demandé 
ce qu'il contient, plus je demeure convaincu que 
l'Eternité est dedans , et que cet acte le plus 
souverain de la vie humaine, cet acte pris dans 
son sens le plus élevé et le plus profond, est 
une attestation de l'Eternelle vie. 
^ L'idéal de cet amour vraiment transcendant, 
c'est-à-dire planant au-dessus de tous les vul- 



TEMOIGNAGE DE L AME 



107 



gaires amours, renferme surtoat ces trois condi- 
tions : aimer un seul être; aimer sans réserve ; 
et, par-dessus tout, aimer Eternellement. 

Je néglige les deux premières conditions, 
qui ne tiennent que de loin au sujet actuel. 
J'insiste sur la troisième : aimer Éternellement. 
C'estl'invinciblebesiondetout grand amour, et 
ce besoin démontre absolument l'Eternité de la 
vie. 

Pour bien mesurer la portée de cette démons- 
tration qui s'appuie sur le cœur humain, il faut 
se rappeler ce principe qui a, dans l'ordre moral, 
la valeur d'un axiome ; à savoir, que toute aspi- 
ration naturelle de l'amour, comme toute intui- 
tion spontanée de la pensée, a un objectif qui 
lui répond. En ce sens, les aspirations prophé- 
tisent les destinées, parce qu'elles supposent 
leur objet, sans lequel elles n'auraient pas de 
raison d'exister. 

Or, voici une naturelle et invincible aspira- 
tion de notre cœur : il aspire à Y Éternel amour; 
et de ce chef, il affirme et démontre son Eter- 
nité. 

Oui, Messieurs, tout amour sincère et profond 
aspire à s'Eterniser lui-même. Ses désirs 
et ses ambitions ont quelque chose d'infini, Il 



108 



L'iSTEttNlTlj 



qu'il ai/no. Oh ' s'écrit t n - ^^sion de ce 
la Durée! .^ t^T "^ 
jesuisetdansce.uer;,:," 16 ^.^ 806 ^" 
quelle durée vous fau - n JT ^ ° amour ! 

pas > N„ Q ° l!U ? SlèCle mémene ™» suffi t 

vérité ' rCP0Ud m ° Q am0U ^ Quand j'aimo 

^miab]eme ni; etsouver a ine m ent,pourrépoZe 

au besoin de m0 n amour, ce n'estpas trouve 

dun souffle; peut-être nZ «npressum 

ia caducité ^icïrr: 6 

par un flot sur le fleuve de mTT P ° rte 

quelques fleurs du ri V J C tJ^T^^ 
on Passant leur parfu m °d;n-o u ? tdereSpi - 
Mais si j'aime, dans le ff rand SP n e n 



TÉMOIGNAGE DE L AME 



109 



alors , que venez-vous me parler de finir ? Ah ! 
si vraiment ce que j'aime doit m'échapper, je 
vous en prie, ne me le dites pas ; je ne veux pas 
vous entendre. Voilez, voilez plutôt devant mon 
cœur la fin de ce que j'aime, car la fin de ce que 
j'aime m'apparaît comme la mort démon amour, 
et mon amour ne veut pas mourir; il veut vivre, 
et s'il le peut, vivre Eternellement, et Eternel- 
lement aussi vivre avec. ce qu'il aime. 

Tel est, Messieurs, l'indéracinable besoin de 
notre cœur; telle est la naturelle respiration de sa 

vie. 

Eh bien ! à ce besoin n'y aurait-il pas une sa- 
tisfaction? Ou serions-nous condamnés à porter, 
pour notre supplice, dans une vie que le temps 
dévorerait tout entière , cet inépuisable besoin 
de l'Eternel amour,? Oh! non, mille fois non; un 
Dieu qui est lui-même tout amour, n'a pu nous 
destiner à cette cruelle déception. 

Mais qu'y a-t-il en cette vie, qui soit capable 
de donner à notre cœur la satisfaction et le ras- 
sasiement qu'il appelle par chacun de ses bat- 
tements? Et qu'est-ce qui, en dehors de l'Eternel, 
pourra répondre à sa nécessaire aspiration? Ah! 
je le sens et tous vous ie sentez avec moi; pour 
porter Le poids d'un tel amour, ce n'est pas trop 

7 



110 



L ÉTERNITl'î 



ae l'Eternel ; à la lettre, il faut réellement cette 
Eternité qu'il aspire nécessairement. 

Oui, ce qu'il me faut pour combler l'abîme que 
creuse en moi le besoin de cet amour, c'est la 
permanence de mon être uni à un être Eternel, 
et par moi Eternellement aimé. Car, pour satis- 
faire un amour qui ne veutpas mourir, la première 
et la suprême condition, c'est de durer, de durer 
toujours. Et, pour réaliser ce toujours ou cette 
Eternité dans l'amour, il faut trouver en soi et 
dans ce que l'on aime, la perpétuité de l'existence 
et l'Eternité dans la vie. 

Chose bonne à méditer : tous les terrestres 
amours , même les plus mondains, même les 
plus coupables; ces amours qui s'attachent avec 
acharnement à tout ce qu'il y a de plus fragile 
et de plus fugitif; ces amours qui se ruent sur 
le périssable, et se cramponnent aujourd'hui à 
ce qui ne doit pas avoir de lendemain; eh bien! 
même ceux-là, au sein de la caducité de tout ce 
qu'ils aiment , rêvent l'Immortalité de leur vie et 
de leur félicité. 

Ah! Messieurs, qui donc, parmi vous.pourrait 
ignorer encore cette histoire toujours ancienne 
et toujours uouvelle,où se peint dans les amours 
humaines l'invincible besoin de se perpétuer et 



TÉMOIGNAGE DU L'AME 



111 



de s'éterniser, même quand ils s'attachent à ce 
qui va les quitter,et déjà plus ou moins fuit et se 
dérobe ? 

Un jour, deux êtres humains possédés d'un 
ég-albesoin d'aimer, se rencontrent au chemin de 
cette vie; un instinct mystérieux, et je ne sais 
quelle mutuelle attraction les attire et les rap- 
proche; et dans l'illusion d"un bonheur qui 
voudrait se faire Eternel, ils se sont dit : Nous 
nous aimons aujourd'hui; eh! qui donc nous em- 
pêchera de nous aimer encore demain, après- 
demain et toujours? Oui, toujours, toujours!... 
Hélas! tandis que ce toujours retentit sur leurs 
' lèvres en trompant leurs cœurs, le temps fait un 
pas, et il emporte toute cette Eternité, qu'on rêvait 
de se faire dans la minute qui passe. 

Mais il n'en reste pas moins vrai que, dans 
cette félicité qui n'a pu même se perpétuer deux 
jours, on voulait mettre quelque chose d'Eternel. 

Et voilà, Messieurs, quand nous ne regardons 
que la terre et le temps, ce qui jette ici-bas à 
nos cœurs, affamés de l'Eternel amour, de si 
amers défis : c'est de sentir tout ce que nous 
aimons se dérober à nous; car le temps est une 
fuite des choses qui nous arrache chaque jour, 
et parfois même à toute heure qui sonne, ce que 



112 



L ETERNITE 



nous avions l'ambition d'aimer éternellement 
' Ah ! pour moi , mon cœur me dit qu'il n'en peut 
être finalement ainsi, et que ces séparations etces 
violences de la mort ne peuvent être le suprême 

dénoûmentd^unevieambitieused'aimertoujours 
Oui, j'en suis certain; il y a quelque chose, au 
plutôt, il y a quelqu'un que j'aimerai toujours 
Ce que j'appelle par toutes les aspirations de 
mon cœur, c'est un amour éternel dans un cœur 
éternel; car un Dieu sage, un Dieu juste, un 
Dieu bon n'a pu vouloir condamner mon cœur 
a aspirer un amour qu'il ne devrait jamais em- 
brasser, c'est-à-dire un amour Eternel. 

Que dis-je! Même quand j'accorde à une créa- 
ture fragile et caduque comme moi-même la 
mesure d'affection que Dieu permet et que sa 
Providence consacre; je sens que là encore en 
cet amour transitoire, j'ai une garantie de mon 
Eternité; car là même, en cette créature qui 
m apparaît ce qu'elle est, c'est-à-dire périssable 
je sens que je mets un amour qui ne veut pas 
périr; car ce que j'aime aujourd'hui, si je le 
trouve digne de mon amour, pourquoi ne l'ai- 
merais-je plus demain, après-demain et toujours' 
Et ce que j'ai une fois aimé, je me demande 
quelle puissance pourrait m'empècher de l'aimer 



TÉMOIGNAGE DE L'AME 



113 



à jamais? J'aime mon père et j'aime ma mère; 
j'aime mes frères et j'aime mes sœurs; j'aime 
tous ceux à qui j'ai fait du bien , et j'aime tous 
ceux qui m'en ont fait à moi-même. J'aime les 
âmes qui ont compris mon âme. J'aime, enfin, 
tous ceux quej'ai sentis vibrer comme moi-même 
sous ce souffle fraternel, où la vie répond à la 
vie, où le frère reconnaît son frère... 

Et vous pensez que je pourrais encore accepter 
cette idée pour moi vraiment désespérante : un 
jour, tout ce que tu aimes ne sera plus; ou, si ce 
que tu aimes peut être encore , toi-même tu ne 
seras plus là pour lui faire don de ton amour, 
ou plutôt pour lui continuer cet amour qui voulait 
se faire Eternel?... 

Ahl la main sur ce cœur ambitieux d'aimer 
éternellement, je m'écrie devant vous, qui avez 
un cœur comme mon cœur, un cœur affamé 
d'un amour Eternel : Impossible , impossible ! 
J'en crois au témoig-nag-e de ce cœur, qui 
m'atteste à la fois deux Immortalités : l'Im- 
mortalité de ce qu'il aime et l'Immortalité de son 
propre amour. Ah! si cette attestation me trompe, 
si cette affirmation pour moi n'est pas certaine; 
je renonce à toute certitude; je me voue sans 
espoir à l'empire de l'erreur , je m'enfonce 



114 



i/ÉTERNITÉ 



dans l'obscur et sombre abîme du doute uni- 
versel. 

Messieurs, si votre cœur vous a dit un jour 
tout ce qu'il y a de vie, d'espérance et d'avenir 
dans cette parole : j'aime; pour vous l'Eternité est 
absolument démontrée, et votre cœur avec le 
mien affirme l'Eternel. 

Ah! si, à l'heure qu'il est, et malgré tout ce 
que je viens de dire, vous pouviez douter encore 
de la véracité de cet infaillible témoignage de 
l'amour; je me contenterais de vous dire : Aimez 
une fois dans votre vie, mais dans le grand et 
noble sens où j'emploie ici ce mot : Alors vous 
croirez sans hésiter à l'Eternité de la vie. 

La foi, qui d'ordinaire est la racine de l'amour, 
sortira elle-même toute vivante du fond même 
de votre amour; vous croirez à l'Eternelle vie, 
parce que vous éprouverez le besoin d'aimer 
Eternellement. 

Pour moi, je l'avoue et je le proclame tout 
haut devant ce vaste auditoire, pour moi cette 
démonstration est absolument décisive. Et, en 
vous voyant ici tous vibrer sous ce souffle de vie 
qui sort de mon âme, pour aller, par la parole, 
toucher à toutes vos âmes; en sentant se re- 
muer dans ma poitrine ce je ne sais quoi qui at- 



— ■■■ 



TÉMOIGNAGE DE. L'AME 



115 



tire mon cœur vers vos cœurs, pour vous em- 
brasser tous à la fois, dans l'unité vivante d'un 
même amour; j'ai besoin de m' écrier dans la 
clarté d'évidence qui jaillit de cet amour même: 
Frères, je vous aime ; frères, vous m'aimez ! Oh ! 
oui, nous nous aimons; et parce que nous nous 
aimons aujourd'hui, nous voulons, n'est-il 
pas vrai? nous aimer encore demain et toujours! 

Dès lors, pour nous la démonstration est faite : 
nous sommes immortels. 11 y a pour nous un 
éternel amour dans une Eternelle vie. 

Certes, ce témoignage pourrait nous suffire ; 
mais il faut aller jusqu'au bout, et entendre 
'toutes les voix intimes par lesquelles notre âme 
nous dit : 

11 y a une Eternité. 



IV 



Jusqu'ici, Messieurs, nous avons entendu trois 
témoins sortis des profondeurs de notre âme, et 
tous trois attestant l'existence de l'Eternité : 
l'intelligence,par la pensée qu'elle a de l'Eternel ; 



116 



l'éternité 



' !êTn P efT e ' Parl ' éIanqUMap0USSe --l'E- 
e ne i amour , par la pasgioQ ^ 

Il est dans notre âme un quatrième témoin de 
1 Eternel; c est cette faculté royale que nous ap,: 
pelons notre volonté. l 

Ce témoin a,par son attestation, une autorité 
* autant plus grande, quela volonté remplitdans 
le fonctionnement de notre vie un rôle pL émt 
nent, et y exerce un empire vraiment souverain 
Car S1 1 homme est roi dans la création, la vo- 
lonté est reine dans l'homme même : elle tient 
en réalité le gouvernement de la vie humaine 
C est ce qui nous explique pourquoi les hommes 
valent surtout par leur volonté; cequia faitdire 
au grand saint Augustin :. Les hommes sont ! 
-des volontés. Homme* sunt voluntates » 

Ecoutons donc cet autre témoin del'Eternelle 
vie. C'est le parfait accord de toutes les voix de 
1 âme qui en fait, pour attester le vrai, l'incom- 
parable puissance. Et, au point de vue où nous 
sommes, le témoignage de notre vouloir, non 
seulement n'est ni moins recevahle ni moins dé- 
monstratif que celui de nos autres facultés ; mais 






^ 



TEMOIGNAGE DE LAME 



117 



encore, il est prépondérant, et par sa royale au- 
torité particulièrement décisif. 
Ce témoignage de la volonté est à la fois triple 
et un ; parce qu'elle veut d'un même acte trois 
choses qui se tiennent par un indissoluble lien. 

Elle veut le bien, le bien complet, le souverain 
bien. 

Elle veut la fin, la fin dernière ou la Destinée 
finale. 

Elle veut le bonheur, le bonheur parfait, le su- 
prême bonheur. 

Or, il est manifeste que ce vouloir triple et un 
implique logiquement la volonté de l'Eternel. 

Ce témoignage de la volonté humaine attestant 
par ces actes essentiels et spontanés l'Eternité 
de la vie, peut être, pour beaucoup d'hommes 
inattentifs, plus ou moins inconscient et sa voix 
plus ou moins sourde. Mais, pour quicon- 
que veut se recueillir au sanctuaire de sa vie 
intime et se rendre attentif à tout ce qui parle 
en lui-même, ce témoignage paraîtra assez sai- 
sissable , cette voix assez distincte, pour y 
entendre une affirmation de l'Eternel, encore 
plus puissante et plus décisive que celles que 
nous avons déjà entendues. 

Et tout d'abord, il y a dans le vouloir humain 

7. 



H8 l'éternité 

cette volonté première et fondamentale, qui tient 
à sa nature même, à savoir : la volonté du bien, 
et, dans son fond le plus intime, la volonté du 
souverain bien. 

L'âme humaine a évidemment des volontés 
multiples; mais elle a aussi, et par-dessus tout, 
une volonté supérieure, éminente, générale, et! 
en quelque sorte unique: c'est la volonté du bien, 
du bien sans détermination ou délimitation par- 
- ticulière. 

^ Assurément, l'objectif de tout vouloir humain 
c'est un bien, un bien quelconque, un bien réel 
ou imaginaire, une chose bonne par quelque 
endroit, ou du moins supposée telle. 

Nous voulons ce bien ou cet autre bien. Et 
même, quand nous voulons embrasser le mal, 
nous lui prêtons/pour mieux l'embrasser, le vê- 
tement et la physionomie du bien : tant il est 
vrai que la volonté a pour nécessaire objectif 
un bien, ou un mal vu sous l'aspect du bien 
Celui-là même qui, trompé par le prestige et la 
séduction de ses passions, se laisse tomber jus- 
qu'aux plus profonds abîmes du mal, prétend 
encore y trouver un bien; et sous ce rapport, il 
n'est pas jusqu'aux plus grands scélérats qui 
ne se fassent, en leurs actes les plus pervers 




TEMOIGNAGE DE LAME 



119 



l'illusion du bien; même dans la fange de leurs 
vices, comme certains animaux dans la boue 
qu'ils remuent, ils trouvent ou ils s'imaginent 
trouver encore quelque chose de bon. 

Mais ce serait méconnaître la nature, l'es- 
sence et le mouvement de la volonté humaine, 
de supposer que, dans ses vouloirs multiples 
et variés, elle ne veut que tel ou tel bien parti- 
culier. Elle veut sans doute ceci et cela, hoc et 
illud, dit saint Augustin, c'est-à-dire ce bien et 
cet autre bien. Mais, ajoute ce grand homme : 
« Otez ceci et cela, toile hoc et toile illud; que 
« reste-t-il? » Il reste ce que l'âme veut avant 
tout, avant toute limite et toute restriction, c'est- 
à-dire le bien, rien que le bien; et remanet bo~ 
num; c'est-à-dire ce que l'âme veut primitive- 
ment, ce qu'elle veut spontanément; ce qu'elle 
veut, enfin, nécessairement. Par ses volontés 
libres, elle veut, elle choisit tel ou tel bien ; par 
sa volonté spontanée, par sa volonté nécessaire, 
elle veut simplement le bien. De même que l'âme 
par l'intelligence, au fond de toutes les vérités 
qu'elle perçoit et connaît, découvre et saisit 
avant tout la vérité; de même , par sa vo- 
lonté au fond et au-dessus de tous les biens par- 
ticuliers, elle veut le bien, rien que le bien; le 



l'éternité 

bien sans restriction, le bien sans limites. 
Cest dire que lame veut, avant tout, le bien 

sou Verai „e bien suprême, à la lettre le bien 
înfim, ou l'Infini du bien. 

Or, vouloir l'Infini du bien, qu'est-ce, si co 
n est vouloir en même temps l'Eternité du bien' 
Que serait pour nous cet Infini du bien si 
cet Infini du bien que nous voulons, n'était 'pas 
Eternel? Un Infini limité dans la durée ZZ 
encore un Infini? Et serait-ce encore le bien que 
J e veux embrasser?Oh ! non vraiment .Tout le crie 

hLn™ ^ bl<m S ° UVerain ' ° e bi6n SU P rême > ce 
bien mfini, q U1 est au fond de mon vouloir et 

qui est ma volonté elle-même, ce bien estéternel 
b H ne 1 est pas, alors ce n'est plus le bien que 
je veux, le bien que j'appelle et auquel j'ai 
| ambition de m'unir, comme au véritable ob- 
jectif de mon vouloir. Car, je le sens, un bien que 
je posséderais aujourd'hui et qui devrait me 
manquer demain; un bien même que j'embras- 
serais pendant des siècles, sans avoir la certi- 
tude de 1 embrasser éternellement, ce bien si 
grand et si plein fut-il, ne répondrait pas à l'am- 
bition qu a ma volonté d'embrasser et de pos- 
séder le bien; parce que ce bien fait à la mesure 
de ma faculté de vouloir, ce n'est pas seulement 



TÉMOIGNAGE DE L'AME 



121 



un bien infini en lui-même ou dans sa substance, 
c'est encore un bien infini dans sa durée. 

Donc, ou Dieu me trompe par la volonté qu'il 
m'a donnée lui-même, ou je posséderai avec 
l'Infinité l'Eternité du bien. 

Cette possession de l'Eternel m'est garantie 
encore par ma volonté considérée sous un autre 
aspect. 

Ce que veut instinctivement et spontanément 
notre humaine volonté, c'est sa fin, sa fin der- 
nière ou sa Destinée finale. Inutile d'insister ici 
sur ce point précédemment établi (I). 

Or, cette fin dernière ou cette Destinée finale,, 
nous l'avons également démontré, ne peut être 
et n'est autre que Dieu lui-même. 

Eh bien ! cette fin qui est en Dieu , Dieu lui- 
même la pose devant ma volonté libre, et il me 
dit : Voici ta fin, ta fin suprême ; si tu la veux, 
tu la peux conquérir. Ma justice t'en fait un de- 
voir et mon amour t'y invite; car je suis moi- 
même ta fin , parce que je suis ton Créateur, ton 
souverain Maître, ton centre béatifique : viens 
donc! 

Je le suppose : j'ai répondu à l'appel de Dieu ; 



Cl) Voir la Destinée, 2" Discours. 



■ 



122 



l'éternité 



ma volonté, ma volonté libre a marché vers ce 
terme indiqué par la Providence, la justice et 
l'amour : j'ai touche le but final ; j'ai conquis ma 
fin dernière, c'est-à-dire j'ai embrassé Dieu 
même. 

Et maintenant, je le demande: cette fin une 
fois atteinte, quand finira-t-elle? Cet embras- 
sementde mon Dieu , devenu ma souveraine béa- 
titude, quand cessera-t-il d'exister? Jamais ! oh 
non, jamais! Cet embrassement de ma Destinée 
vivante ne peut plus cesser d'être; il est Etemel. 
Eh .'comment, en effet, cet embrassement de 
mon âme et de Dieu cesserait-il d'exister? Est- 
ce Dieu qui s'arracherait à moi, ou bien est-ce 
moi qui m'arracherais à Dieu ? Laquelle de ces 
deuxhypothèses la raison pourrait-elle admettre? 
Ni l'une ni l'autre. 

Quoi ! Dieu m'arracherma fin? Dieu me dérober 
ma Destinée, en se dérobant lui-même à moi?..'. 
Mais cette fin, c'est Lui qui me la fait, c'est Lui 
qui me commande de l'atteindra, c'est Lui qui 
me dit par sa volonté souveraine : Embrassetafin 
en m'embrassant moi-même. 

Eh bien! j'ai fait ce qu'il a voulu : j'ai em- 
brassé ma fin, et avec elle Dieu même ; et Lui- 
même m'arracherait ma fin en se dérobant à 



TÉMOIGNAGE DE L'AME 



123 



moi? Quoi! une heure sonnerait où ce même 
Dieu qui m'a ordonné de l'embrasser au terme 
final de ma vie , comme mon suprême bonheur, 
me dirait en me repoussant de Lui : C'est 
assez jouir de moi; assez longtemps tu m'as 
possédé. Maintenant , retire-toi ; va , si tu le 
peux, trouver ailleurs ta félicité, ou rentre dans 

ton néant. 

Arrière! arrière une telle hypothèse! Tout crie 
en moi, comme en Dieu même : Impossible! 

Comment donc ma Destinée, une fois conquise 
et embrassée par ma volonté libre, pourra-t- elle 
finir? Est-ce que moi-même, je m'arracherai à 

ma fin? 

Quoi ! moi-même me dérober à l'embrassement 
de Dieu? Mais comment? Où irais-je, en quit- 
tant ma fin et en m'arrachant à mon Dieu? Où 
me précipiter au delà? Et comment retourner en 
arrière?Ce quej'aimoi-mème voulu,je l'ai trouvé; 
j'ai conquis ma Destinée, je la tiens, je ne l'aban- 
donnerai pas ; comme elle , et avec elle , je vivrai 
Eternellement. 

Eh! comment, je vous prie, pourrais-je avoir 
la volonté de m'arracher moi-même à ma félicité 
suprême, en m'arrachant à ma fin dernière? 
Ce que veut ma volonté, avant tout et par- 






124 



l'éternité 



dessus tout,quand elle embrasse sa fin dernière, 
qu'est-ce, si ce n'est embrasser son bonheur? La 
fin dernière et le bonheur se tiennent par une 
nécessaire relation; ils sont liés l'un à l'autre 
par une chaîne plus forte que tout ; chaîne que 
nen, absolument rien ne saurait briser, et qui 
s appelle la force même des choses. Toute ten- 
dance vers la véritable fin, si petite et si pri- 
nutive soit-elle , c'est le bonheur qui com- 
mence; et la possession de la fin, le repos 
dans la fin, c'est le bonheur qui s'achève 
La suprême déviation de la fin dernière, c'est le 
suprême malheur, c'est le malheur même de 
l'enfer; et la conquête totale et définitive de la 
Destinée finale c'est le suprême bonheur, le bon- 
heur même du ciel. 

Ainsi l'exige l J ordre fondamental ; ainsi le pro- 
clame la plus vulgaire raison , l'irrécusable 
témoignage du sens commun. 

Inutile d'insister sur un point rayonnant de 
a propre clarté , et d'une évidence qu'on i 
peut appeler primitive. 

Mais, [ce [qu'il faut surtout bien entendre ici 
c'estque la volonté humaine veut nécessairement 
son bonheur, son suprême bonheur.et que pour 
être complet, achevé et suprême dans le vrai 



TÉMOIGNAGE DE L'AME 



125 



sens de ce mot, ce bonheur doit être Eternel. • 

Que l'homme en tout veuille son bonheur, 
son suprême bonheur, c'est une vérité devenue 
banale à force d'avoir été dite. 

Mais il fallait la rappeler, parce qu'elle 
touche au fond même de ce sujet. Si l'homme 
ravi hors de lui-même par un mouvement de 
généreuse et sublime abnégation , peut, un mo- 
ment, faire abstraction de son propre bonheur; 
il n'en peut jamais faire la complète abdication. 
Dans chacune de ses actions, par chacun de ses 
mouvements, l'homme, avons-nous dit, veut un 
bien, mais il le veut surtout, d'ordinaire, dans 
ses rapports avec son bonheur du temps ou son 
bonheur de l'Eternité. Et si.comme nous l'avons 
dit aussi, il veut en tout, non seulement tel bien 
particulier, limité, restreint, mais le bien total, 
souverain, suprême, enfin, il le veut surtout com- 
me son suprême bonheur. 

Or, il n'y a pas de suprême bonheur sans la 
permanence et l'Eternité danslebonheur.Cicéron 

déjà l'avait compris, alors qu'il disait qu'on ne 
peut être vraiment heureux que dans la posses- 
sion d'un bien stable et permanent : Nemo, nisi 
in stabili et permanente bono beatus esse potest. 
L'Eternité entre donc essentiellement comme 



126 



l'bternitk 



. élément constitutif dans la plénitude du bon- 
heur. Que serait pour moi un bonheur que je 
saurais devoir un jour finir, si ce n'est un bon- 
heur incompatible avec le suprême bonheur? 

Et, puisque ma volonté veut le bonheur com- 
plet, achevé, en un mot, le parfait bonheur, il en 
résulte qu'elle veut nécessairement l'Eternité 
dans le bonheur. 

Cela posé, il faut avec la volonté humaine 
affirmer l'Eternelle vie, ou se précipiter dans les 
contradictions: contradictiqn dans l'homme 
et contradiction en Dieu lui-même. Comment 
comprendre (si l'Eternité n'existe pas) cette si- 
tuation absolument contradictoire dans une vo- 
lonté humaine : vouloir spontanément et néces- 
sairement ce qui doit lui échapper fatalement. 
Contradiction .humaine doublée de la contradic- 
tion divine : Dieu mettant dans l'homme la vo- 
lonté nécessaire de son bonheur suprême, et lui 
en refusant la condition absolument indispen- 
sable, à savoir, l'Eternité dans le bonheur. 

Tel est , Messieurs , le témoignage d'une gra- 
vité spéciale que l'âme humaine rend par sa 
volonté à l'Eternité de sa vie. Elle dit : Je veux le 
bien, le bien complet, l'Infini dans le bien; et le 
le bien n'est ni complet, ni infini, s'il n'est pas 



TEMOIGNAGE DE L'AME 



127 



Eternel. Je veux ma fin, ma fin dernière; et ma 
fin dernière doit être Eternelle. Je veux, enfin, 
mon bonheur, mon bonheur complet, mon bon- 
heur parfait ; et mon bonheur ne peut être ni 
parfait, ni complet, s'il n'est pas Eternel. 

Donc, il y a une Eternité . 

Et c'est ainsi que la volonté, répondant de sa 
voix royale aux autres voix qui parlent au fond 
de l'âme humaine, affirme avec une puissance 
vraiment irrésistible , non seulement une fois, 
mais trois fois, l'existence de l'Eternelle vie. 



V 



Ne vous semble-t-il pas. Messieurs, que pour 
attester notre Eternel avenir, le témoignage de 
notre âme est aussi complet qu'il se peut con- 
cevoir? 

Cependant, si nous y regardons de près, nous 
trouvons dans cette attestation de l'Eternité par 
l'âme humaine, quelque chose peut-être encore 
plus décisif que tout ce que nous avons dit jus- 
qu'ici: c'est le témoignage de son action. 



128 



l'éternité 



Non seulement notre âme pense, espère, aime 
et veut l'Eternel dans sa Destinée future; en fait 
elle le cherche, elle le poursuit avec un invincible 
besoin de l'atteindre. 

C'est qu'en effet, notre marche dans le temps 
n'est, à la bien définir, qu'une poursuite cons- 
tante de l'Eternité. 

Nous venons de montrer comment l'acte es- 
sentiel de notre volonté est de vouloir le bonheur 
et le suprême bonheur. En ce moment, nous al- 
lons plus loin.et nous disons non plus seulement 
que notre âme veut avec le suprême, l'Eternel 
bonheur : nous disons qu'elle le cherche et le 
poursuit; et que cette recherche et cette poursuite 
est le grand ressort et l'universel mobile de toute 
son action. 

Quiconque connaît un peu l'humanité, n'igno- 
re plus que toute l'action humaine peut se résu- 
mer en cette formule : 

Chercher l'Eternel. 

Vous-mêmes jMessieurs,vous qui semblez,par 
tous les mouvements de votre vie , ne chercher 
et ne poursuivre que tout ce qui est du temps ; 
ne sentez-vous pas, au fond de tous ces mouve- 
ments, une force mystérieuse qui vous pousse 
vers l'Eternel ? Et, tandis que vous paraissez ne 



TEMOIGNAGE DE L'AME 



129 



chercher qu'un bonheur qui a pour durée au- 
jourd'hui, et, peut-être, pour extrême limite de- 
main: n'est-il pas vrai qu'en réalité vous 
cherchez un bonheur sans fin? 

Adorateurs des choses du temps, même sans 
y penser, c'est l'Eternité que vous poursuivez. 
Ambitieux de trouver le bonheur dans la 
gloire, vous cherchez une gloire Eternelle; am- 
bitieux de trouver le bonheur dans la posses- 
sion de la richesse, vous cherchez une richesse 
Eternelle ; ambitieux de vous faire un bonheur 
au sein de la volupté, vous poursuivez une vo- 
lupté Eternelle. 

Et vous, qui mettez votre bonheur dans l'éclat 
de la beauté , même de la beauté fugitive 
d'ici-bas; dites, pourquoi ètes-vous triste, lors- 
que vous sentez descendre sur votre front les 
premières ombres de cette vieillesse qui flétrit 
tout, et qui pour vous va bientôt venir, si elle 
n'est déjà venue? Fleur humaine que vous êtes, 
mais fleur d'un jour, vous portez même sous 
cette beauté, qui déjà se décolore, l'ambition de 
fleurir Eternellement. 

D'où vient, en un mot, la grande douleur et 
parfois le désespoir de nous arracher à tout ce 
qui nous quitte, si ce n'est parce que nous 



J30 



l'kteïjnité 



de caducité, la secrète ambition d'Eterniser nos 

jo-s et nos félicités d'un jour; et que, dai s a 
possession co mme dans la perte de'tout ce q • 

est du temps, nous gardons notre, constante 
recherche de l'Eternité? liante 

Ainsi, dans des situations et sous des faces 
d-r.es, sommes-nous tous dans ce vo^ 

vons U l'Ft° J T ,r ; danS ^ tempS ' n0US Pa- 
vons 1 Jj.tern.te. Et, chose remarquable, au fond 

*« . P énomènes et des incidents qui nous mon- 

comrons la preuve démonstrative de notre 
marche vers un terme qui ne doit pas finir 

Rappelons ici ce qui, sur ce point, est déve- 
loppe ailleurs (1). 

Comme le voyageur, nous passons, et passons 
toujo urs; et cette continuité du passage nous 
condamne à la perpétuité des déplacements 

Au fond de ce mouvement qui nous fait mar- 
ier toujours, en nous déplaçant sans cesse 
nest-Upas vrai que nous cherchons un point 

(1) Voyez dans le volume intitulé la n„„,- , ,. 

veloppement de cette vérité • L« »,>«, DegUne e, le dé- 
cours, veine . m oieestuncoyage, 4e dis- 



TÉMOIGNAGE DE L'AME 



131 



d'arrêt , un point d'arrêt définitif, et qu'à, tra- 
vers toutes les étapes que nous parcourons, 
nous avons l'ambition d'arriver à mie station 
Éternelle ? 

Comme le voyageur, nous quittons toujours 
quelqu'un ou quelque chose ; et la perpétuité de 
nos déplacements implique, comme conséquence 
forcée, la continuité de nos séparations. Qui donc 
a vécu et peut ignorer encore cette inéluctable 
loi de la vie : se séparer, se séparer encore , se 
séparer toujours? 

Comment se fait-il, cependant, que sous le 
coup de ces séparations toujours renouvelées, 
nous gardions l'indéracinable instinct et l'irré- 
sistible besoin d'une union qui ne doit pas finir? 
Ali! c'est qu'une voix secrète mais révélatrice 
nous dit à tous (quand nous savons l'écouter), 
qu'à travers toutes ces séparations, dont nous 
portons au cœur la blessure toujours saignante, 
nous poursuivons une union Éternelle. 

Comme le voyageur encore, nous cheminons 
dans le travail, la fatigue et l'agitation. Et 
pourtant n'est-il pas vrai qu'au milieu de cette 
perpétuelle agitation, et de cette perpétuelle 
fatigue nous cherchons un repos, non un re- 
pos transitoire, mais un repos Éternel"' 



132 



l'éternité 



appelle surToTlÏ ??" !' C ° < " W "^ 
«a»»? wwcueu . Bequiem œter- 

P aX M ntzr^• r n - dans Mtre -*• 

ne S ent ns U ;:; U a "^ ™ '- *». et n0Ils 

-Tx t rr; d f i rr- ta -- 

'« coûtes sacrées de ses basin™ " c ',,„ ^ 

œternam! LUU ^ame. Vitam 

Messieurs, j'insiste sur ce cnint „ ■• ■ , 



TÉMOIGNAGE DE l'aME 



133 



nelle vie , le besoin de vivre, et de vivre Éter- 
nellement. 

, Où donc est-il sur la terre,celui qui veut mou- 
rir et mourir tout à fait ? Où donc est-il, l'être 
humain qui n'a pas la passion de vivre, et de 
vivre le plus possible ? 

Est-ce le vieillard? Mais il n'a fait en vivant 
que développer en lui le besoin de vivre ; et son 
ambition de la vie semble croître à mesure 
qu'il avance vers la mort. Oui, même l'octog-é- 
naire dit, en se penchant vers sa tombe : Vitam 
œtemam. La vie Eternelle ! La vie Eternelle !... 

Qui donc vraiment sent le besoin de mourir ? 
Le malheureux, dites-vous, celui que la vie ac- 
cable ? Mais, ce malheureux, ne voyez-vous pas 
qu'il a besoin de vivre davantage, et que son 
malheur est précisément de ne pas vivre assez? 

Qui donc, enfin, ne veut plus vivre, et aspire 
à mourir tout à fait? Ah ! je vous entends : le 
suicidé : celui-là, dites-vous, a bien perdu l'am- 
bition de vivre, et surtout ue vivre Eternel- 
lement. 

Eh bien, vous vous trompez : si cet homme 
veut secouer sa vie du temps, c'est que cette vie 
pour lui ressemble trop à une mort; sa vie se 
' • 8 



134 



l'éternité 



I 



sent a 1 étroit ; il fa désire une ère 
lar*e; sa vie étouffe; il cherche à ses aspira- 
bons un air plus libre; il rêve de trouver, de 

1 autre coté de sa tombe, une atmosphère incon- 
nue ou sa vie, que le temps a flétrie, puisse s'épa- 

Zl S ° US n im S ° Ieil PlUS doux ^ sous des 
souilles meilleurs. 

Et moi-même je sens, au plus profond de mon 
être, que si la tentation me venait un jour de 
précipiter ma mort, ah ! ce ne serait pas pour 
conquérir le sommeil du néant, mais pour em- 
brasser l'Eternité de la vie. 

Ainsi, sous quelque face que je considère ma 
vie voyageuse, elle m'atteste la certitude d'une 
Eternité :à travers mes déplacements, je cherche 
un terme Eternel ; à travers mes séparations 
je cherche une union Eternelle ; à travers toutes' 
mes fatigues, je cherche un repos Eternel; et à 
travers toutes mesmortsje cherche une vie Eter- 
nelle. 

Voyageur que je suis, au chemin de cette vie, 
]en ambitionne qu'une chose : arriver- oui ar 
river, pour moi c'est tout. 

Or, pour moi, arriver, cela veut dire : toucher 
au terme final, à la fin oui ne finit plus- donc, à 
1 Etermte, car l'Eternité c'est cela même 






TEMOIGNAGE DE L AME 



135 



Là, je veux m' arrêter et m'arrêter pour tou- 
jours. Là, je veux aimer et m'unir pour toujours. 
Là, je veux me reposer et me reposer pourtou- 
ours. Là, enfin, je veux vivre et vivre pour 
toujours. 

Et ce mot suprême de mon Symbole : Vitam 
œternam , c'est le cri de toute ma vie. Donc, je 
vivrai Éternellement. 

Ou bien il faut que je récuse, avec le témoi- 
gnage du Christianisme et de l'Humanité, le té- 
moignage de mon âme; il faut que je consente 
à me contredire, à me nier, à m'abdiquer, et 
j'allais dire, à m' anéantir moi-même. 

Je n'y consentirai pas ; oh ! non, jamais ! Hier 
je disais, et tous vous disiez avec moi : Je crois 
à la parole de mon Verbe divin; je crois à la pa- 
role de l'Eglise infaillible ; je crois à la parole 
du genre humain. 

Aujourd'hui je dis, et tous vous direz avec 
moi: Je crois à la voix de mon verbe intérieur, 
qui me crie de toutes les profondeurs de mon 
être : Il y a une Eternité. 

Ah! oui, je le crois, credo ; car, ce n'est plus 
seulement le Christ, l'Eglise,les chrétiens, l'hu- 
manité , c'est mon âme qui me crie d'une voix 
que je ne puis étouffer: Tu es fiancé par ton Dieu 



136 



l'éternité 



même à la fin qui t'appelle et t'attend, pour ac- 
complir avec lui-même le mystère de ton Eter- 
nelle union : union béatifique qui a,pour se pré- 
parer.toute la vie du temps, pour se consom- 
mer, toute la vie de l'Eternité ! . . . 



RÉSUMÉ ET CONCLUSION 



Telle est, Messieurs, la conclusion finale de 
ces deux discours qui n'en font qu'un. Il y a une 
Eternité : nous vivrons Eternellement. C'est ce 
qu'attestent à la fois les témoig-nag-es du dehors 
et les témoig-nag-es du dedans;en d'autres termes, 
lestèmoignages d'autorité et les témoig-nag-es de ' 
l'âme. 

Deux grandes autorités affirment ensemble 
l'Eternelle vie: le Christianisme et l'Humanité. 
Le Christianisme, par la voix du Christ qui en est 
le Chef, de l'Egiise qui en est le corps, et de tous 
les chrétiens qui en sont les membres, affirme 
de toutes les manières son Dog-me souverain, 
VEternile. 






TEMOIGNAGE DE L AME 



137 



D'autre part l'Humanité entière, à tousleslieux 
de l'espace, à tous les moments de sa durée, et 
à tous les degrés de sa hiérarchie, fait à la grande 
voix du Christianisme un écho universel, et avec 
lui affirme l'Eternité. 

Et il se trouve qu'à ce témoignage du dehors 
répond harmonieusement le témoignage du 
dedans, et au témoig-nag-e d'autorité le témoi- 
gnage de notre âme. 

Par sa pensée, par son espérance, par son 
amour, par sa volonté, par sa recherche de l'E- 
ternel, notre âme nous dit à chacun et à tous, 
non seulement une fois, mais cinq fois : Eternité! 

Eternité! c'est, Messieurs, le mot que je vous 
laisse comme l'abrégé de ma parole d'hier et de 
ma parole d'aujourd'hui; et avant de finir, que 
puis-je vous demander, si ce n'est de lui donner 
dans vos âmes recueillies un retentissement 
profond, surtout un retentissement efficace? 

L'Eternité!... ah! je vous en prie, laissez-la 
parler en vous; laissez-la retentir jusqu'au plus 
intime sanctuaire de vos âmes; car, je vous le dis 
en vérité, ce mot parle plus fortement et plus 
efficacement que ne pourrait le faire le plus 
grand des orateurs, cet orateur fût-il même !e 
génie de l'éloquence. 

8. 



138 



L'ETERNITE 



Oh! cette parole, n'ayez pas peur de l'entendre 
et de la méditer; car il n'en est pas qu'il vous 
importe plus d'écouter et de comprendre. 

Donc, allez, et dans tous les chemins où vous 
emporte le mouvement de votre vie, écoutez-le 
bien, ce mot dominateur; oui.jusquedanslefracas 
des affaires et des préoccupations du temps, 
écoutez-la, écoutez-la encore cette incomparable 
parole, qui, même au milieu de tous les bruits 
de ce monde passager, vous dit au plus intime de 
vous-mêmes : Voyageurs du temps, song-ez-y, 
vous êtes immortels; vous vivrez Eternellement- 

Ah! Messieurs, comment pourriez-vous n'y 
pas penser? Quoi! à la rumeur que fait autour 
de vous tout ce qui passe, tout ce qui va bientôt 
finir, vous permettriez d'étouffer en vous la 
pensée de ce qui ne passe pas, et de ce qui ne 
finit pas? Et vous laisseriez toutes les voix du 
temps, voix de l'heure qui sonne et de la minute 
qui fuit, dominer en vous la grande voix de 
l'Eternité? Oh! non vraiment, dans l'amour que 
j'ai pour vos âmes, et dans l'intérêt que je porte 
à votre salut, je n'y puis consentir. 

Messieurs , laissez-moi vous le dire : telle est 
sur ce point la sollicitude de mon cœur aposto- 
lique, que si, au sortir de cette enceinte, il dé- 



i „j 



TEMOIGNAGE DE LAME 



139 



pendait de moi de vous suivre, je voudrais m'at- 
tacher à vos pas, pour vous faire entendre et 
entendre encore ce mot qui ne doit jamais cesser 
tout à fait de retentir dans vos âmes créées pour 
l'Eternel ! 

Que dis-je? je voudrais m'en aller sur vos 
places publiques, et jusque dans vos forums 
bruyants; et là, redire à ces foules si absorbées 
par les choses du temps : Eternité'. Eternité'! 
vous tous qui vivez aujourd'hui et qui mourrez 
demain, ah! ne l'oubliez jamais : vous n'êtes pas 
faits pour ce qui fuit, mais pour ce qui demeure. 
Au bout de ce chemin où vous marchez, tantôt 
dans le plaisir et la volupté, tantôtdans le travail 
et la fatigue, il y a l'Eternité. 

Oui, Messieurs, voilà ce que je voudrais dire 
et redire, non seulement à vous, mais à tous 
ceux qui, avec vous, passent au chemin de cette 
vie d'un jour. 

Ah! du moins, ce mot vous l'emporterez dans 
vos âmes comme un écho prolongé de mon 
discours. Tous les jours, et s'il se peut, à toute 
heure de chaque jour, vous renouvellerez votre 
actede ferme foi et d'adhésion absolueà ce dogme 
souverain. Oui, à chaque pas que vous ferez dans 
votre course rapide du temps, vous direz : Je 



140 



l'éternité 



crois à la vie Etemelle : Credo vitam œternam;y en 

suis certain, il y a une Eternité. 

Messieurs, j'ai beaucoup insisté sur cette 
grande et ferme base de la vie du temps : la Cer- 
titude d'une Eternité: Il le fallait. Demain j'es- 
sayerai de vous dire ce que cette Eternité est 
pour nous,dans notre vie présente et dans notre 
vie future. Je ne vous convie pas à venir m'en- 
tendre : votre concours d'aujourd'hui me ga- 
rantit d'avance votre concours de demain. 









INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ 



SUR LA VIE PRESENTE 



Annos œternos in mente 
habui. Ps. 76. 

J'ai médité les années 
éternelles. 



Monseigneur, 

i Messieurs, 

Nous savons désormais qu'après cette vie 
transitoire il y a pour nous une vie qui ne doit 
plus finir; c'est-à-dire,dans le sens le plus propre 
et le plus strict de ce mot, une vie Eternelle, vi- 
tam œternam. 

Cette Eternité de la vie nous est attestée, et 
par toutes les voix qui nous parlent par le de- 
hors, et par toutes les voix qui nous parlent par 
le dedans, c'est-à-dire, par tous les témoignages 
de l'autorité et par tous les témoignages de 
l'âme. 



142 



INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ 



Sous le double ascendant de cet irrésistible 
témoignage, je me suis écrié tout haut, etchacun 
de vous, ce me semble, a dit avec moi : Credo! 
Oui, je le crois : Il y a une Eternité'. 

Maintenant, Messieurs, pour mieux mesurer 
la portée de ce que nous avons dit jusqu'ici, et 
surtout de ce qui nous reste encore à dire, ce se- 
rait le moment de poser, en essayant d'y répon- 
dre, cette grande question : Qu'est-ce que l'Eter- 
nité? Quel est le fond de son mystère? Quelle 
est sa largeur? sa profondeur? sa longueur? 
Ah! sa longueur, surtout! Et comment mesurer 
son incommensurable durée? 

C'est ce que j'avais pensé d'abord à vous 
dire dans ce discours. 

Imitant ce qu'ont fait, sur un pareil sujet, des 
prédicateurs célèbres, j'aurais, moi aussi, voulu 
tenter cet impossible: vous faire comprendre ce 
que c'est que cette Eternité. Appelant au secours 
de la pensée toutes les ressources et toutes les 
puissances de l'imagination, par les rapproche- 
ments ou les contrastes des choses les plus ex- 
trêmes, par les images, les comparaisons et les 
hypothèses les plus capables de frapper la pensée 
du peuple, et même l'intelligence des savants, 
j'aurais essayé de vous donner, sinon la compré- 









SUR LA VIE PRESENTE 



143 



hension,au moins une idée de la dnrée des an- 
nées Eternelles, ou de l'Eternité : et assurément 
votre pensée comme la mienne, devant le mys- 
tère de l'Eternelle durée, fût demeurée dans une 
sorte de religieuse stupéfaction. 

Le temps me manque pour vous faire entrer 
dans ce profond mystère. J'aime mieux, d'ailleurs, 
vous laisser vous-mêmes par votre pensée soli- 
taire pénétrer dans son fond. Et je me contente 
de vous livrer en passant la parole d'un Saint 
Père, qui vous dit tout en ces deux mots : « L'E- 
« ternité , c'est la fin ; et cette fin ne finira plus : 
« JElernitas est finis sine fine ». « Eternité!» s'écrie 
Saint Augustin, « son nom est bientôt dit, car il 
«n'a que quatre syllabes, quatuor syllabis constat; 
« maisen elle-même elle est sans fin, m se est sine 
« fine » 

Je vous laisse donc, Messieurs , sous la clarté 
rayonnante et l'impression salutaire de cette 
idée qui résume et abrège tout : « Une fin qui ne 
« finit plus; finis sine fine ,-» c'est-à-dire un terme 
où finit tout ce qui est du temps, et lui-même ne 
devant plus finir ; bref, la durée sans limite et 
sans fin, et pour tout dire en un seul mot : Yin- 
lerminable. Voilà l'Eternité. 

Sans entrer plus avant dans cet insondable 



144 



INFLUENCE DE L ETERNITE 



abîme, je me place à un point de vue à la fois 
plus saisissable et plus pratique ; et je vais es- 
sayer de montrer quelle est la puissance efficace 
et l'influence décisive de cette pensée de l'E- 
ternité ainsi comprise , soit qu'il s'agisse de 
notre vie présente , soit qu'il s'agisse de notre 
vie future. 

N'aimant à dire qu'une chose à la fois, et 
trouvant d'ailleurs ces deux considérations trop 
vastes pour un seul discours, je remets à 
demain de vous parler de la seconde. Je vais 
me borner aujourd'hui à vous montrer l'incom- 
parable ascendant qu'exerce sur notre vie pré- 
sente, cette idée de l'Eternité, alors qu'elle nous 
entre profondément dans l'âme. 

La puissance que doit exercer sur l'âme 
humaine la pensée de la survivance Eternelle, 
apparaît si évidente , que j'ai plutôt à vous la 
rappeler qu'à vous la démontrer ; et je n'aurai 
pasdepeineàvousfairecomprendreeommentelle 
est, tout à la fois, puissance d'illumination, de 
consolation, de conversion, de sanctification et 
finalement d'apostolat ou de propagation. 

C'est ce qui va faire, ce soir, l'objet de votre 
religieuse attention. 



SDR LA VIE PRESENTE 



145 



I 



Et tout d'abord , remarquez, Messieurs, que 
l'idée de l'Eternelle vie ou la perspective de l'E- 
ternité exerce sur nos âmes une étonnante puis- 
sance d' illumination. 

J'entends par là l'éclatante lumière que cette 
pensée répand sur toutes les choses du temps, 
pour nous en découvrir le vide et nous en laisser 
voir le néant. 

En dehors de cette vision ou de cette pensée 
de l'Eternel, tout dans le temps nous trompe et 
nous apparaît dans un faux jour, qui nous eu 
voile le vide et nous en dissimule l'inanité. 

Mais, où donc est l'âme sincère qui, lace à 
face avec l'Eternel avenir, eu tète à tète avec l'E- 
ternité, n'éprouvera pas le besoin de s'écrier dans 
la lumière qu'elle projette sur toutes les choses 
de la terre et du temps: Eternité! Eternité! 
puisque pour moi tu dois durer toujours ; puis- 
qu'il est vrai que tu es la fin, et que cette fin no 
doit plus finir; puisque ta durée surpasse toutes 
les durées que j'imagine, et toutes celles que je 
ne puis pas même imaginer; ô Eternité, puisque 
tu es vraiment, dans le sens le plus strict et le 

9 



INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ 

plus absolu de ces mnu i\- 
l'interminable : l^Z'àoT^^ 80 ^ 16 et 
cette vie du temps et 1 t ^ d0nC peuser de 

Qu'est-ce Pou^t ct^ftr nfenne ^ 
toutes ses réalités oldaLne Jf ^ If ^ 
Pas qu'elle fait au chemin • V ' Chaque 

courir demain; que d^^ vÏ" aUJ0Md ™<* 
et courir tout a ïbeure 'à ^ T ? m ° ment 
être! Hélas' ûuW antmême >Peut- 

condamnée à di re le tou^e? " ' Sera 

marquent son heure „„„,„ le Jima ' s °"i 

^™^w..?z r rxs emen,pr&mt - 

U Eternité, ô Eternité ! dis mm , 

bitenr ■ 7, ■ " PlUS 1Utlme des âmes qui l'ha . 
Ditent . Toujours! Jamais! Ah 1 devant tn L 
qui se découvre devint t„ ° H abîme 

vêle à ma pensée ant , mjStère qui Se ré " 
uu P en see, autant du moins one po++„ • 

nos lèvres %„„ • , nies et prononcent 

1. P^BXuTp^Ietr f q "'™ P °" te 
nous poussant «rstlf ' "' n0tre vle . « 



SUR LA VIE PRÉSENTE 



147 



Lorsque notre vie court, lorsqu'elle se préci- 
pite plus rapideque tousles neuves qui courente 
se précipitent à la mer, plus rapide que vos 
chars emporta par le souffle de la vapeur ; et 
lorsque à toute heure, à tout instant de cette 
course, l'Eternité peut nous arrêter et nous dire 
en nous ouvrant son sein : Me voici; qu est-ce, 
en effet, que les toujours et les jamais de ce lieu 
du passage, par lesquels nous essayons de non 
tromper nous-mêmes et les autres avec nous, si 
ce n'est une ironie de cette vie du temps pour 
mieux se faire illusion, simulant l'Eternel? 

Ah' sicerayonillurninateurquer-Etermte ense 
découvrant, projette sur le temps ne nous ^désa- 
buse pas sur la valeur de tout ce qu il renferme, 
qu'est-ce donc qui pourra nous arracher ce voile 
ou plutôt ce bandeau qui nous en cache 1 mainte i 
Chose remarquable! en dehors de cette pensée 
de l'Eternelle durée, rien n'arrive à nous con- 
vaincre tout à fait de ce néant, de ce rien de 
toutes les choses du temps. 

One de choses cependant, dans notre vie du 
temps, semblent faites pour nous désabuser de 
leur valeur propre et nous convaincre de leur 
néant' Ah! des choses de cette vie nous vous 
avons un jour montré tout à la fois et l'uni- 



148 



INFLUENCE DE L ETERNITE 



verselle instabilité, et l'agitation permanente, 
et le vide profond, et l'inexorable ennui, et l'ir- 
rémédiable souffrance, et, avec tout cela, la ra- 
dicale et absolue impuissance de tout ici-bas, 
pour nous donner ce que nous rêvons et ce que 
nous poursuivons toujours, par un invincible 
instinct, sans le rencontrer jamais (1). 

Qu'y a-t-il de plus propre, ce semble, à nous 
donner la souveraine conviction que tout ici-bas 
est vain ? 

Et cependant rien n'y fait. A cette instabilité, 
à cette agitation, à ce vide, à ce fond inépuisa- 
ble de la souffrance, sans cesse renaissant de la 
souffrance elle-même, nous nous attachons, nous 
nous cramponnons quand même. 

Même la certitude que cette vie a un terme, et 
qu'elle va bientôt finir, ne suffit pas à arracher 
les hommes à tout ce qui les agite, à tout ce qui 
les fatigue, à tout ce qui les ennuie, à tout ce 
qui les tourmente, à tout ce qui leur échappe, à 
tout ce qui demain, ou même aujourd'hui, peut- 
être, va les quitter tout à fait. Et vous pouvez 
les entendre redire, dans les festins qu'ils se 
font sur ce fleuve du temps qui les emporte : 



(1) Voir le volume précédent, 
cours. 



la Destinée. 3"' e dis- 



— 



SUR LA VIE PRÉSENTE 



149 



« Mangeons et buvons; car nous mourrons de- 
« main. Manducemus et bibamus; cras enim mo- 
« riemur. » 

Que dis-je ? l'idée même que tout ne finit pas 
avec la mort, l'idée d'une survivance quelconque 
par-delà notre tombe ne suffit pas à nous donner 
de l'inanité de toutes les choses qui passent avec 
nous-mêmes une conviction complète etcapable, 
sur ce point, de nous éclairer et de nous ins- 
truire-assez, capable surtout de nous arracher, 
par un détachement effectif, à la puissance de 
leurs séductions, de leurs charmes et de leurs 
fascinations. 

Mais, Messieurs, l'idée fixe et acceptée, la 
certitude absolue qu'à cette vie qui va finir, doit 
succéder une vie qui ne finira plus; l'idée qu'au 
delà de ce terme où va s'arrêter notre vie du 
temps, il y aura une vie qui n'aura plus de 
terme, une vie, dans le sens absolu de ce mot, 
vraiment in 1er minable : ah ! dans cette idée et 
dans cette conviction, si l'on a gardé la faculté 
de voir et d'entendre, quelle force et quelle puis 
sance pour nous montrer et pour nous persua- 
der «combien «—selon lebeaumotde Bossuet - 
« tout, ici-bas, n'est rien ! » 

Supposez seulement qu'au sortir de ce monde, 






150 INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ 

vous avez à vivre dans l'autre, heureux ou mal- 
heureux, un milliard de siècles ; que sera pour 
vous.dans la balance de la plus vulgaire raison, 
le poids ou la valeur de cette vie ? Que dis-je ? 
supposez qu'après ce milliard de siècles écoulés, 
il doit y avoir encore pour vous à vivre d'autres 
milliards de siècles... 

Eh bien ! qu'en pensez-vous? Alors, que vau- 
dra pour vous, en face de ces milliards et ces 
milliards de siècles, ce court moment de votre 
vie passagère? Et qu'y aura-t-il pour vous 
dans cette vie, malgré tous ses charmes et tous 
ses bonheurs possibles ou impossibles.qui puisse 
être mis en balance avec cette autre vie si ef- 
froyablement longue et séculaire? 

Qu'est-ce donc, si, même tous ces milliards 
de siècles supposés, ne vous donnent pas le der- 
nier mot de l'éternelle vie? Qu'est-ce, si,comme 
l'enseigne le dogme Catholique et comme vous 
le croyez vous-mêmes, qu'est-ce, si, après ces 
milliards il faudra compter d'autres milliards, 
et toujours, sans voir jamais le terme, d'autres 
milliards de siècles; et cela, dans le bonheur ou 
le malheur, dans la récompense ou le châtiment; 
selon le libre usage que vous aurez fait de ce 



SUR LA VIE PRÉSENTE 



151 



moment que Dieu vous aura donné de passer 
dans le temps ? 

Oh ! comprenez-vous alors, Messieurs, le sens 
profond de cette question si éminemment rai- 
sonnable, qu'un jeune Saint posait en face de 
toute chose du temps : Quid hoc ad œtemitatem '! 
Qu'est-ce que cela devant l'Eternité? Qu'est-ce 
que cette vie qui se dérobe, qui m' échappe, et tout 
à l'heure va finir avec tout ce qu'elle porte 
avec elle, devant cette autre vie, dont la Destinée 
est de demeurer toujours et de ne finir jamais? 
Ah ! Messieurs, comme dans cette grande lu- 
mière, qui sort du fond de cette Eternité pour 
nous montrer, sous leur vrai jour, toutes les 
choses du temps, apparaît la folie des hommes 
si haletants, si acharnés à la poursuite des va- 
nités, des bagatelles, des riens de cette vie d'un 
jour, et si distraits, si oublieux, si insouciants 
des intérêts suprêmes de l'éternelle et intermi- 
nable vie ! Folie des folies, à nulle autre com- 
parable 

Folie de s'attacher à ce qui passe, et de 
tourner le dos à ce qui ne peut passer! 

Folie de se préoccuper du temporel, c'est- 
à-dire du transitoire, du fugitif, du fragile, du 
périssable ; et de sedésoccuper de l'Eternel, c'est- 



152 



INFLUENCE DE L ETERNITE 



à-dire de l'impérissable, du permanent, de l'in- 
terminable, enfin. 

Folie de prêter l'oreille à toutes ces agitations, 
à toutes ces luttes, à tous ces bruits qu'emporte 
avec elle l'heure qui sonne, et vous dit en 
fuyant : Vanité, vanité de tout ce qui est du temps; 
et folie plus grande encore, de se rendre sourd 
à la voix qui vous crie de l'autre côté de votre 
tombe : Valeur incomparable, valeur infinie de 
tout ce qui est de l'Eternité ! 

Malheur, malheur à vous, qui sur ce fleuve du 
temps, qui vous pousse dans l'Eternité, essayez 
de vous faire aujourd'hui une halte, un repos 
qui ne sera plus demain! Malheur à vous qui sur 
ce flot fugitif qui porte à l'abîme où vous allez 
tomber, bravez l'Eternel ; l'Eternel qui vous at- 
tend, l'Eternel qui déjà vous ouvre son sein, et 
qui demain, aujourd'hui même, peut-être, dans 
une lumière bien autrement éclatante que celle 
qu'il nous envoie au chemin de cette vie , 
va vous montrer comment pour vous le temps 
n'est rien et l'Eternité est tout. 

Ainsi, l'idée de l'Eternité est pour notre vie 
sur la terre la grande puissance d'illumination. 

Ajoutons qu'elle est, en même temps, pour tout 









SDR LA VIE PRESENTE 



153 



ce qui souffre ici-bas, la grande puissance de 
consolation, 

II 

Ah! Messieurs, la consolation 1 , qui donc sur 
la terre ne l'invoque aussi grande, plus grande 
même que la souffrance ? Le besoin d'être con- 
solé tient tellement à la souffrance, que l'acte 
même de souffrir est une naturelle et comme 
une nécessaire aspiration vers la consolation; 
et ceux qui sous les étreintes de la souffrance 
disent n'avoir pas besoin de consolateur, es- 
sayent en -vain défaire croire aux autres ce qu'ils 
ne peuvent croire eux-mêmes. 

Voyez- vous d'ici le sillon bridé par le soleil, 
et appelant pour le désaltérer la pluie du ciel ? 

Voyez-vous aussi, sous des souffles arides, la 
jeune plante qui incline ses rameaux languis- 
sants , la petite fleur repliant tristement son ca- 
lice ; et l'une et l'autre appelant quelques g-outtes 
de rosée pour retrouver leur fraîcheur , et mon- 
trer leur beauté ? 

Voilà le cœur humain flétri par la souffrance, 
consumé par le chagrin; le voilà invoquant 
un sourire de compassion tombant sur lui comme 
le rayon de soleil sur la plante inclinée, ou une 

9, 



154 INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ 

parole d'affection descendant sur lui comme la 
goutté de rosée sur la fleur desséchée. 
.. Et voilà peut-être, parmi tous ceux qui en- 
tendent ceci, la situation de plusieurs d'entre 
vous. Car, j'ai assez appris à connaître la mi- 
sère qui s'attache avec la souffrance à toute 
humanité, pour ne plus ignorer qu'il est impos- 
sible d'appeler autour de soi un grand nombre 
d'êtres humains, sans réunir en même temps 
autour de soi un grand nombre de souffrances 
humaines ; donc, un grand nombre de cœurs, 
pareils au cœur du Roi-Prophète, invoquant la 
consolation et disant avec lui : « J'ai cherché un 
« consolateur; quœsivi consolantem me. » 

Mais, hélas ! combien doivent ajouter avec 
lui : « Et je ne l'ai pas trouvé , et non in- 
« veni ! » 

Où trouver, en effet, sur la terre et dans l'e 
temps,la consolation telle que nous l'appelons ? 
Une consolation qui soit à la mesure de notre 
souffrance? Certes, je ne dirai pas que rien, 
absolument rien, sur la terre, ne puisse nous 
apporter au moins une consolation quelconque; 
et je veux bien convenir que, dans une situation 
donnée, les larmes d'un ami peuvent tomber 
sur notre cœur désolé, à peu près comme ces 



SUR LA VIE PRESENTE 



155 



gouttes de rosée, dont je viens de parler, tom- 
bent sur le sillon altéré, sur la plante languis- 
sante ou sur la fleur flétrie. 

Mais, outre que de tels amis sont rares, plus 
rares qu'on ne le peut dire; combien qui, dans les 
plus longues souffrances, ne trouveront jamais, 
ici-bas, avec ces larmes de l'amitié, ce quart 
d'heure de consolation! 

Qu'est-ce donc qui pourra donner à vos souf- 
frances transitoires du temps, non pas une con- 
solation légère, fugitive, superficielle, c'est- 
à-dire la petite consolation, mais la consolation 
permanente, la consolation profonde, la conso- 
lation suffisante, en un mot, la grande consola- 
tion? Qu'est-ce si ce n'est, dans vos souffrances 
temporaires, la perspective et l'espérance de 
l'Eternel ? 

Ah ! l'espérance, nous bavons vu, est à elle 
seule une démonstration de l'Eternité; et de 
son côté l'Eternité, ou l'éternelle vie, apporte à 
notre âme la consolation de ce que nous avons 
appelé la grande espérance. Imaginez, en effet, 
dans une âme sur la terre, la souffrance la plus 
longue et la plus accablante : qu'est-ce que cette 
souffrance, si longue soit-elle, devant la lon- 
gueur de l'Eternité ? Et qu'est-ce que ce poids 



156 



INFLUENCE DE L' ÉTERNITÉ 



de la souffrance, si accablant soit-il, devant le 
poids de l'Eternelle gloire succédant à la souf- 
france du temps ? 

Messieurs, ce sont ces souffrances qui dé- 
passent la mesure ordinaire de la souffrance 
humaine, ces souffrances vraiment exception- 
nelles qui ont besoin , surtout, de demander la 
consolation aux perspectives et aux espérances 
de l'Eternelle vie. 

Il est, dans notre humanité blessée par la 
chute, des souffrances, des afflictions, des tor- 
tures et des désolations que ceux-là seuls 
pourraient vous dire ou vous peindre, qui en 
ont subi la redoutable épreuve; souffrances 
privées, dont le douloureux mystère ne s'est 
révélé tout à fait qu'aux regards de Dieu et de 
ses anges; souffrances publiques, dont le 
spectacle s'est manifesté aux regards des na- 
tions. 

Martyres de la douleur cachés dans le secret 
de la solitude, ou montrés au monde dans la 
lumière de la publicité; mais d'un côté comme 
de l'autre, effroyables martyres que rien, abso- 
lument rien n'a pu consoler dans le temps, et 
qui ont su trouver, avec le courage de souffrir, 
d'ineffables consolations dans l'attente de 



SUR LA VIE PRESENTE 



157 



l'Eternité, cette unique consolatrice des su- 
prêmes désolations, pour lesquelles le temps 
n'a pas de consolateurs. 

Ah! de ces souffrances silencieusement so- 
litaires, que le monde n'a pas consolées, parce 
qu'il n'a pu même les connaître, combien qui 
ont passé sur cette terre et n'ont pu avoir dans 
le temps d'autre consolateur que le rayon de 
l'espérance, tombant sur eux du fond de cette 
Eternité entrevue, à travers leurs larmes, du 
fond de leurs souffrances, de leurs tortures, de 
leurs martyres ! 

Regardez ! Voici un homme couvert de toutes 
les souffrances, qui peuvent tomber sur une vie 
humaine ; le voici pareil à un lépreux; de la 
plante de ses pieds jusqu'au sommet de sa tête 
ce n'est qu'une blessure, et dans chaque bles- 
sure c'est une douleur affreuse, quelque chose 
qui ronge sa chair vivante, comme un ver ronge 
le cadavre; quelque chose qui le brûle, comme 
un fer rougi dans la fournaise, ou plutôt comme 
une flamme dévorante qu'on croirait empruntée 
au feu même de l'enfer. Et cet homme est 
pauvre, et il est seul ! A peine une main amie 
vient de temps en temps l'aider à remuer sur 
sa couche son corps de toutes parts blessé et de 



158 



INFLUENCE DE [/ETERNITE 



toutes parts souffrant. Sous l'action de la pour- 
riture qui le gagne tout vivant, il voit sa chair 
tomber lambeau par lambeau. 

Eh bien! chose étonnante, devant cette ruine 
de lui-même, qui se fait jour par jour et heure 
par heure, cet homme sourit; oui, en regardant 
ses chairs qui tombent, il montre sur ses lèvres 
le sourire de l'espérance, et il se dit : Ce corps 
en ruine est comme le dernier mur qui me 
sépare de mon Eternité. Encore quelques jours, 
encore quelques lambeaux tombés de cette chair 
qui va mourir tout à fait; ô Eternité, ô Eternité, 
seule consolatrice de mes douleurs, je verrai se 
lever pour moi ta radieuse aurore. Et que sera 
alors pour moi tout ce que j'aurai souffert sur 
la terre, devant tout ce que tu me réserves dans 
ton sein? 

Voulez-vous contempler un spectacle non 
moins émouvant, et dans lequel apparaît avec 
non moins d'éclat la puissance de l'Eternité, 
pour nous consoler des souffrances du temps? 

Voyez-Vous d'ici, dans le feu d'une effroyable 
mêlée, ce jeune soldat qui tombe renversé et 
blessé à mort sur le champ du carnage? De ses 
horribles blessures et de ses membres fracassés 
par la mitraille, son sang coule à flots, et il 



SUR LA VIE PRESENTE 



159 



1 



sent sa vie s'en aller avec son sang-. Pendant ce 
temps-là, le carnage continue, le fort du combat 
se déplace; et le voilà seul avec ses blessures, et 
ses douleurs grandes comme ses blessures. 
C'est l'hiver ; la brise souffle ; la neige tombe, 
et bientôt couvre le pauvre blessé, qui se roule 
en d'effroyables tortures. Et là, près de lui per- 
sonne! Personne pour le relever! Personne 
pour le panser! Personne même pour lui ap- 
porter, dans une parole fraternelle, une conso 
lation suprême ! 

Et pourtant, ni le désespoir n'est dans son 
âme, ni le murmure sur ses lèvres. Il va 
mourir, et mourir dans d'effroyables tortures; 
mourir là seul, loin de tous ceux qui l'aiment, 
et qui demain vont pleurer sur lui ! Comment se 
consolera- t-il? Comment? Ah! notre jeune 
martyr de la patrie croit à une autre patrie. Ce 
blessé, cet agonisant, ce supplicié du temps 
croit à l'Eternité. Il se tourne vers. elle; il l'im- 
plore comme sa suprême consolatrice; et le 
rayon de l'éternelle vie vient réjouir son âme 
et embellir sa mort. 

Mais, voici un supplice et une mort qui, plus 
encore que tous les autres supplices et toutes 
les autres morts, ne peuvent recevoir d'autre 



160 



INFLUENCE DE L ETERNITE 



consolation que de l'attente de l'éternelle vie ; 
c'est le supplice de l'innocent- condamné à 
mort, et à nue mort réputée infâme. 

Un homme naguère s'est rencontré, digne, 
par l'éclat de ses vertus et l'héroïsme de ses dé- 
vouements, de conquérir l'estime et l'admiration. 
Mais, un jour la jalousie et la haine sont 
venues. Armées de la calomnie, elles ont flétri sa 
réputation, et fait tomber de son front l'auréole 
de gloire et de respect dont ses vertus et ses dé- 
vouements l'avaient couronné. Grâce à l'ha- 
bileté et au mensonge sataniques conspirant 
avec des passions humaines, l'innocent, le ver- 
tueux, le saint, devant le tribunal de l'opinion et 
de la justice, est réputé coupable, criminel, in- 
fâme! Comme tel, il va mourir, sans pouvoir 
se défendre ni prouver son innocence; et la 
calomnie victorieuse va poser sur sa tombe, avec 
le sceau de l'universel mépris, le sceau d'une 
irréparable infamie. 

Ah ! comment à son heure suprême mon frère 
le calomnié, le déshonoré, l'infâme, enfin, se 
consolera-t-il? Je vais vous le dire : Par 
delà cette tombe, où il va descendre déshonoré, 
il verra briller la lumière de son éternelle réha- 
bilitation . Sous le coup de la calomnie qui le 



SUR LA VIE PRESENTE 



161 



tue et de la sentence qui le déshonore, il garde 
avec un cœur tranquille un visage serein, et il 
dit en regardant devant lui son éternel avenir : 
Mon Dieu, soyez béni; car votre bonté et votre , 
justice me réservent, après cette heure d'infamie, 
l'Eternité de la gloire, « Cette espérance repose 
dans mon sein. » 

Ainsi, des multitudes d'êtres humains ont 
passé dans le temps, personnifiant en eux 
toutes, les souffrances, portant le poids de tous 
les martyres: martyres du cœur par l'accumula- 
tion de toutes les tristesses et de toutes'les ago- 
nies; martyres du corps parlebroiement de leurs 
os et le déchirement de leurs chairs ; martyres de 
l'âme par la grandeur de leur humiliation, de 
leur déshonneur et de leur infamie. 

Et tous ces souffrants du cœur, de l'âme et du 
corps;to us ces agonisants qui ont eu leur 
Gethsémani ; tous ces humiliés qui ont reçu, 
dans la Jérusalem de l'iniquité, avec leur con- 
damnation, le sceau de leur infamie; et tous ces 
crucifiés qui ont connu , eux aussi, les tortures 
de leur Calvaire; tous ces martyrs, enfin, que le 
temps et l'humanité broyaient, accablaient, dé- 
sespéraient, oui, tous, comme tous les martyrs 
que l'Eglise honore, au milieu de leurs tor- 



162 



INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ 



tures,de leurs humiliations et de leurs agonies, 
ont gardé ces deux choses qui ont été leur su- 
prême consolation et souvent même leur inef- 
fable joie: l'amour de leur Dieu, et l'attente de 
leur Eternité ! 

Mais, Messieurs, ce spectacle émouvant de 
l'Eternité consolatrice, que l'on peut contempler 
partout et dans toutes les situations même les 
plus obscures, apparaît avec un éclat d'autant 
plus grand et suscite une émotion d'autant plus 
profonde, qu'il se montre dans des situations 
plus élevées et sur ce qu'on appelle les hau- 
teurs sociales. 

Je n'en voudrais d'autre preuve que l'exemple 
de ce roi fameux condamné tout à la fois par 
le triomphe de l'iniquité, à descendre du trône 
et à monter sur l'échafaud. Car, s'il est une 
grande image du malheur dans l'humanité, 
c'est le spectacle d'une majesté royale vue dans 
l'ombre de son infortune, entre le trône d'où 
elle vient de tomber et l'échafaud où elle va 
monter; et en face d'une telle infortune, on se 
demande ce qui peut consoler cette royauté de 
la terre, si ce n'est l'espoir de l'éternelle 
royauté du ciel. 

Charler I" d'Angleterre est condamné à mort. 



SUR LA YIE PRESENTE 



163 



Le matin du jour de son exécution, éveillé d'un 
sommeil tranquille, il dit à son serviteur : 
« Voici le jour de mon second mariage ; je veux 
« être vêtu comme au jour de mes noces. » 11 
gravit les degrés de l'échafaud; et sa tète royale 
déjà placée sur le billot fatal, il dit en sou- 
verain : « Je vais d'une couronne corruptible à 
« une couronne incorruptible. » Oui, ajouta 
l'évêque Juxon, — vous changez une couronne 
« périssable contre une couronne éternelle. » 

Et Charles mourut, lui aussi, la joie au cœur 
et le sourire aux lèvres. 

Ainsi parurent, à l'heure suprême et dans 
une situation pareille, d'autres infortunes non 
moins illustres. 

Telle se montra cette intéressante et noble 
victime d'une jalousie cruelle, qui se nomma 
Marie Stnart. Et telle aussi se montra l'auguste 
victime d'un peuple en délire, qui se nomma 
Louis XVI. 

L'une et l'autre, comme Charles d'Angleterre, 
du haut de leur échafaud ont reg'ardé l'Eternité. 

Du milieu d'une infortune dont le poids semblait 
devoir accabler leur grande âme , et dont le dé- 
nouement lugubre semblait devoir jeter dans 
leur noble cœur une immense, une inconsolable 



164 



INFLUENCE DE L ETERNITE 



désolation, ces deux sympathiques et augustes 
victimes ont contemplé la lumière de l'Eternelle 
vie. Tandis qu'une ineffable joie surabondait dan s 
leur cœur, elles ont montré resplendissant sur 
leur front le rayon de l'espérance; et elles ont 
murmuré elles aussi cette parole, comme leur 
unique consolation : Après une royauté d'un 
jour, une royauté éternelle. Après cette infortune 
qui va finir, un bonheur qui ne finira plus. 

Ainsi, Messieurs, dans la pensée de l'Eter- 
nité réside, avec la puissance d'illumination, la 
puissance de consolation. 

Il en est une troisième qu'il importe encore 
plus de vous montrer, et que j'appelle la puis- 
sance de conversion. 

III 

La conversion! La conversion du mal au 
bien, est-ce que ce n'est pas, pour nous prédi- 
cateurs, la suprême ambition? 

Que voulons-nous, par-dessus tout,en montant 
dans cette chaire , si ce n'est , au besoin , 
vous arracher aux bras de Satan, pour vous re- 
jeter dans les bras de Dieu; c'est-à-dire vous 
dérober à la domination de votre tyran, pour 
vous ramener à l'amour de votre père; bref, vous 



SUR LA- VIE PRÉSENTE 



165 



affranchir de toutes les servitudes du mal et du 
péché, pour vous rendre toutes les saintes li 
certes du filial amour et de la filiale obéissance? 
Aussi, est-ce parce que nous croyons à l'in- 
comparable puissance de l'idée de l'Eternel, que 
nous osons poser devant vous, dans toute cette 
retraite, cette chose saintement austère, dont 
beaucoup en dehors de vous ne consentent pas 
même à entendre parler : l'Eternité. Ah! c'est 
que dans ce mot gît surtout la puissance de vous 
convertir. Que serait notre prédication, sans 
cette idée de l'Eternel qui la pénètre, en tous 
sens, de sa propre puissance? Un auteur con- 
temporain, homme du monde, en a fait lui- 
même la juste remarque : ce qui fait le privi- 
lège réservé et l'incomparable empire de la 
prédication chrétienne, c'est de pouvoir - comme 
nous le faisons ici - devant un vaste auditoire 
et sous les voûtes majestueusement silencieuses 
d'une grande cathédrale, prononcer, et pro- 
noncer encore ce mot qui en est toute l'élo- 
quence, ce mot qui, en éveillant dans les âmes 
des échos profonds, exerce sur elles, sur leurs 
pensées, leurs sentiments et leurs résolutions, 
leur conversion enfin, une puissance à nulle 
autre pareille : Eternité 1 Eternité! 



166 



INFLUENCE DE L ÉTERNITÉ 



Assument, il peut être à la conversion des 

r, : ms à i aut r motifs que ia p ensée <*«*» 

d«lE.ermte. La malice, le désordre, le crime 
la servitude, le malheur, le châtiment du péché- 
et puis, les souffrances et la mort de Jésus-Christ' 
Om tout cela peut exercer sur la conversion du . 

Mais 1 influence la plus décisive, la puissance 
ici la plus vraiment et la plus généralement ef- 
ficace, c est ce grand mot : Eternité; alors que 
les âmes s'ouvrent assez à son retentissement 
pour entendre au moins quelque chose de son 
sens profond. 

Cette pensée :Il y a une Eternité, est comme 
un glaive qui tue les passions, ou du moins 
renverse l'empire qu'elles se font dans les âmes 
I n.j a pas de pensée plus forte pour faire 
tomber d un seul coup, toutes leurs séductions 
et tous leurs entraînements. Ce qui fait sur les 
pécheurs leur grande puissance, c'est qu'elles 
les enferment dans le présent, et qu'elles murent 
devant eux l'avenir, surtout l'Eternel avenir 

Voilà pourquoi, Messieurs, nous vous disons 
et vous disons encore: Ouvrez, ouvrez toutes 
les portes de vos âmes et de vos cœurs, pour ' 
entendre ce que vous dit ce mot, à la fois rêvé- 



SUR LA VIE PRÉSENTE 



167 



lateur, dominateur et lihèvateuv : révélateur , oui. 
et comme tel vous révélant le mystère qu'il vous 
importe le plus de connaître , de méditer et de 
pénétrer; dominateur, oui, et comme tel, devant 
exercer sur vous tous le plus légitime et le plus 
puissant empire ; libérateur, oui, et comme tel, 
plus capable que tout autre de briser toutes les 
chaînes que le temps et l'habitude, conspirant 
avec votre péché, rivent autour de votre vouloir, 
et par là compromettent tout à la fois, avec le 
bonheur de votre vie présente , le bonheur de 
votre vie future. 

Là est, en effet, le secret de cette incompa- 
rable puissance de conversion que nous attri- 
buons à ce mot : Eternité. C'est que, quand on 
l'écoute et qu'on le laisse parler au plus profond 
de l'âme , il brise toutes les chaînes qui tiennent 
le pécheur captif, et notamment les trois grands 
liens qui l'attachent à son péché. 

Ces trois chaînes vivantes qui d^irdinaire en- 
lacent le pécheur, et lui créent parfois une triple , 
servitude, ah! vous l'avez deviné déjà, ce sont les 
trois grandes passions, autrement dit , les trois 
concupiscences; ces trois filles de l'égoïsme, qui 
se font sur les âmes humaines , depuis le coup 
désastreux qui les a déchaînées sur le monde, 



168 



INFLUENCE DE 1. ETERNITE 



un empire toujours ancien et toujours nou- 
veau. 

Or, ce qui ébranle et renverse le plus souvent 
dans les âmes ce triple empire du mal, c'est la 
perspective de l'Eternelle vie, c'est-à-dire de 
l'Eternelle récompense ou de l'Eternel châtiment, 
selon que l'on aura perpétué ou brisé en soi cette 
tyrannie trois fois satanique. 

Et d'abord ce qui rive, avant tout, à son péché 
l'âme du pécheur, ce qui l'y attache par une 
chaîne plus dure qu'une chaîne de diamant, c'est 
la suptrbe de la vie, autrement dit, l'orgueil; 
l'orgueil, le principe le plus primitif et le plus ra- 
dical de toute apostasie ou de toute séparation 
de Dieu; l'orgueil, qui a engendré le mal même 
dans le ciel et l'a fait retomber sur la terre. 

Aussi, comme cet orgueil serre et étreint 
l'âme du pécheur dans la chaîne qu'il lui fait! 
Et comme il l'arrête et l'épouvante à la pensée 
de revenir à son Dieu et de se convertir! Ah! 
c'est que se convertir cela veut dire, tout d'abord, 
s'accuser, donc s'humilier devant soi-même, 
devant Dieu, et souvent aussi devant l'homme. 
Et l'orgueil lui dit : t'humilier ? Oh non, ja- 
mais ! 

superbe, ù esclave que tu es, cette chaîne 



SUR LA VIE PRESENTE 



169 



de diamant dans laquelle ton org-ueil retient ta 
volonté captive, qu'est-ce qui aura la force de la 
briser? Ah! la grande voix de l'Eternité qui te dit 
en t'ouvrant son sein, où tu vas tomber demain : 
esclave du temps, hâte-toi de briser ta chaîne; 
sors, sors de ta servitude, si tu ne veux être 
dans mon sein un esclave éternel!. .. 

Avec la superbe de la vie, une autre passion, 
ou plutôt un autre tyran conspire à retenir 
l'homme dans son péché et à empêcher sa con- 
version : C'est la concupiscence des yeux, ou la 
cupidité. Dans quelles prévarications la soif 
maudite de l'or précipite les cœurs humains! Et 
de quelles prévarications aussi elle les empêche 
de sortir ! Qui dira combien de pécheurs sont 
précipités d'abord, puis retenus dans leur péché, 
par cet autre tyran qui s'appelle l'amour ef- 
fréné de l'or? cupide, ô avare, ô consom- 
mateur, ô adorateur de l'or, qu'est-ce qui ar- 
rachera ton âme et ton cœur au culte de ton 
idole, si servilement et si sacrilèg-ement adorée? 
— Moi, dit ici encore la voix de l'Eternité reten- 
tissant dans une âme ; moi qui, au lieu de cette 
vile poussière que tu nommes ta richesse, et qui 
s'évanouit en un jour, te donnerai, si tu le veux, 
la possession de Dieu même, c'est-à-dire l'Infini, 

10 



170 INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ 

et cela pour toujours! idolâtre de cette pous- 
sière hàte-toi donc de rompre ces chaînes que 
t'a forgées ta cupidité ; hâte-tci de secouer sou 
ior.g- hâte-toi de t'affranchir, dans le temps qui 
te reste, de la tyrannie de ta richesse, si tu ne 
veux connaître, dans mon sein, le supplice de 
l'éternelle misère!... 

Mais combien, Messieurs, parmi vous peut- 
être, tiennent à leur péché par une chaîne plus 
forte encore que les deux autres, la chaîne cou- 
verte des fleurs du plaisir et de la volupté 
chaînes d'autant plus difficiles à briser, quelles 
sont elles-mêmes plus aimées et d ordinaire , 
rivées par l'amour même au plus intime du cœur. 
C'est cette chaîne que Saint Augustin jeune en- 
core, sentait serrée autour de son vouloir- alors 
qu'il s'écriait, en parlant de la servitude ou 
{'avait précipité la passion : « ^ soupirais en- 
« chaîné que j'étais, non par un lien qui m éti ei- 
i o-nîtparle dehors, mais par ma propre vo- 
« Tonte devenue au dedans de moi comme une 
« chaîne de fer; wspirabam Ugatus, non ferro 
« aliéna, seelmea ferrm voluntate. » 

En vain l'esclave de la volupté sent peser sur 

lui-même, en cette vie , le poids de la servitude 

" i raccable; sa servitude lui plaît, et il lui est 



SUR LA. VIE PRESENTE 



171 



doux de se sentir accablé, comme dit encore 
Augustin, en parlant de lui-même: «.Dulciterpre- 
rnebar. » Kn vain il sent que sa volupté le ronge 
et le dévore, qu'elle le ruine par le dedans et 
même par le dehors : sa servitude s'obstine. 

EU bien! cette chaîne dure comme le fer, 
mais couverte des fleurs et tout embaumée du 
parfum de tes voluptés, ô voluptueux, esclave 
de ton plaisir, quand trouveras-tu la force et le 
courag-e de la briser? Ah! lorsque, à travers l'om- 
bre et l'obscurité dont tu enveloppes le mystère 
de tes voluptés, un rayon de l'éternelle vie aura 
pénétré au plus intime de ton âme; lorsque tu 
auras entendu sa voix tonnante te crier au sein 
même de ton plaisir : Moi, l'Eternité, me voici! 
Demain, aujourd'hui, je vais venir à toi et tu 
vas venir à moil 

Oh ! alors , réveillé comme en sursaut par cette 
lumière et cette voix de l'Eternité présente qui 
t'appelle et te menace, tu diras, en brisant ta 
chaîne, même avec douleur et g-émissement: 
Plutôt une joie éternelle qu'une volupté d'un 
jour; plutôt une heure de sacrifice qu'une Eter- 
nité de supplice. 

Telle apparaît, Messieurs, dans l'idée de l'Eter- 
nelle vie , la plus grande puissance pour ar- 



■" 



172 • INFLUENCE DE l'ÉTERNTTÉ 

racher les pécheurs à la tyrannie de ces trois 
o-randes passions essentiellement asservis- 
santés: l'Orgueil, la Cupidité, laVolupté; doue 
la plus grande puissance de conversion. 

Ah! tous ceux qu'a convertis et ramenés à 
Dieu ce mot Eternité, combien sont-ils , pensez- 
vous? Oui.combien sont-ils, ceux qui, sous l'as- 
cendant de cette parole, se sont affranchis, la 
o-ràce divineaidant, de la servitude de l'orgueil, 
en renonçant à toutes les grandeurs du monde? 
de la servitude de la cupidité, en renonçant à 
la possession de toute richesse? de la servitude 
de la volupté, par le renoncement à toutes les 
jouissances de la chair? Combien sont-ils, enfin 
ceux qui, sous le coup de tonnerre de ce mot 
Eternité, retentissant aux profondeurs de leur 
âme troublée, ont frappé sur leur cœur le coup 
transformateur et régénérateur du repentir, et 
ont fait sortir, par le même coup, de ce cœur 
ouvert à toutes les libéralités, des trésors de 
charité qui consolaient les pauvresenréjouissant 
l'E-lise? Combien ils sont? Mais ils sont des 
minions. De ces miracles de conversion ac- 
complis par la puissance de ce mot", qui vaut 
pins à lui seul que toutes les éloquences du 
monde, vous en rencontrez à tous les âges de 



SUR LA VIE PRESENTE 



173 



l'Eglise, et surtout au grand âge du Christia- 
nisme. Si je voulais compter seulement les 
prodiges de charité, de dévouement et de sacri- 
fice accomplis dans le temps par ces convertis 
de l'Eternité, je ne sais quand vous verriez la 
fin de ce discours. 

Et laissez-moi vous le dire, Messieurs, en 
vous voyant si recueillis , si saintement at- 
tentifs à cette parole, j'ose croire qu'elle aura 
sur plusieurs d'entre vous la même puissance 
et la même efficacité. 

IV 

Mais l'Eternité exerce sur les âmes, qui en- 
tendent ses leçons et agissent sous ses inspi- 
rations, une puissance plus grande encore : la 
puissance de sanctification. Si elle a converti 
beaucoup de pécheurs, elle a fait aussi beaucoup 
de saints; et ses miracles de sanctification 
égalent au moins, si même ils ne les surpassent 
en nombre, ses miracles de conversion. 

La sainteté, ou la vie des saints dans le Chris- 
tianisme, est l'un des phénomènes les plus pro- 
digieux qui se soient jamais produits dans l'his- 
toire de l'humanité. La sainteté dans le Chris- 
tianisme, c'est la vertu élevée à sa plus haute 

10. 



174 INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ 

puissance; c'est le Christianisme lui-même 
réalisé dans toute sa plénitude. Bref, la sainteté, 
c'est l'héroïsme dans la vertu. Voilà pourquoi 
l'Eglise exige, comme condition première, dans 
les vertus de ceux qu'elle inscrit au Livre d'or 
de ses Saints, le caractère de fhéroïcité. 

En sorte que, dans cette grande légion de 
saints, qui montent avec leur divin Capitaine 
vers les plus hauts sommets de la perfection, 
l'héroïsme est le fait et la gloire de tous. Sans 
doute.dans ces héroïsmesil y a des degrés divers; 
mais l'héroïsme est pour tous le niveau général; 
c'est l'héroïsme devenu populaire. Héroïsmes 
prodigieux atteignant, par leurs réactions cou- 
rageuses, à l'extrême opposé de^ orgies de la 
concupiscence; héroïsmes des volontaires humi- 
liations, cherchant l'abaissement et le mépris 
comme d'autres la grandeur et la gloire; hé- 
roïsmes des volontaires dépouillements, échan- 
geant les manteaux de pourpre et d'or contre la 
robe de bure et le vêtement grossier de l'ex- 
trême pauvreté; héroïsmes des volontaires chas- 
tetés, répudiant les charmes de toutes les vo- 
luptés, et faisant éclore dans les cœurs la fleur 
parfumée de toutes les virginités; héroïsmes des 
volontaires obéissances élevées, comme celle du 



SUR LA VIE PRESENTE 



175 



divin Obéissant, jusqu'àl' acceptation delà mort; 
héroïsmes, enfin , des sacrifices volontaires 
portés jusqu'à la totale immolation de soi-même. 

Et tous ces héros, toutes ces héroïnes, qui 
montrent à la terre et au ciel ce spectacle uniq ue 
dans l'humanité, ils sont des millions et encore 
des millions ! 

Maintenant je le demande, qu'est-ce surtout 
qui nous explique ce phénomène , de prime 
abord inexplicable, au seiu de notre humanité, 
blessée, même dans l'ordre naturel, par sa chute 
profonde' Ah! quand on se rend compte de 
l'impétuosité de ce torrent de toutes les concu- 
piscences qui traverse le monde , et porte aux 
abîmes les multitudes qui se laissent aller à 
son cours ; on se demande où ces millions 
d'hommes et de femmes ont trouvé la force et 
le courage de remonter ce courant, aussi en- 
traînant qu'il est universel et permanent dans 
l'humanité? 

Peut-être dans la conviction qu'il fallait , 
pour maintenir l'ordre dans leur vie, pousser 
jusqu'à l'extrême opposé les réactions contre 
tous les principes de désordre? Qu'il fallait, 
pour vaincre en eux l'orgueil, l'extrême dans 
l'humilité; pour vaincre la cupidité, l'extrême 



176 



INFLUENCE DE l'ÉTEBNITÉ 



dans la pauvreté; pour vaincre la volupté, l'ex- 
trême dans la chasteté; pour vaincre l'indé- 
pendance, l'extrême dans l'obéissance; bref, 
pour vaincre l'égoïsme, l'extrême dans l'im- 
molation et le sacrifice? 

Assurément, tous les Saints l'ont comprise 
cette nécessité de réagir contre le désordre . 
extrême de tous les vices, par la pratique ex- 
trême de toutes les vertus. 

Mais, pour élever des millions d'êtres humains 
jusqu'au prodige de tous ces héroïsmes que nous 
venons de signaler, que pouvait, je vous prie, 
cette conviction purement abstraite, si pro- 
fonde qu'on la suppose? Quand il s'agit de faire 
embrasser par des millions d'hommes ce qui de- 
mande à toute vie humaine son suprême effort; 
que peut valoir en réalité la puissance d'une 
abstraction? 

Direz-vous que les Saints ont trouvé la force et 
le courage de ces vertus transcendantes, dans la 
joiegénéreuse qu'ils en ressentaient? Mais n'est- 
il pas de toute évidence que cette joie magna- 
nime était non pas la cause, mais l'effet de ces 
héroïsmes? Et que ce qui devait les saisir tout 
d'abord, ce n'était pas la joie qu'ils en pouvaient 
attendre, mais l'effroi que la nature inspire 



SDR LA VIE PRESENTE 



177 



pour ces suprêmes efforts, qui tendent à la sur- 
monter, à la vaincre et à la broyer elle-même 9 

Qu'est-ce donc qui peut être ici la cause ef- 
ficace et suffisante de ces vertus, portées par 
des millions et des millions d'hommes à des 
hauteurs qui étonnent la raison et épouvantent 
la nature? Ah ! je crois vous entendre ; vous dites 
ici : la puissance de l'amour ! Les Saints ont 
aimé Dieu avec une sainte passion; et même, 
abstraction faite de toute vue sur l'Eternel, de 
toute perspective de l'Eternité, cet amour les 
élevait à toutes les magnanimités et à tous les 
héroïsmes. 

Oui, quelques Saints ont déclaré que même, 
abstraction faite de toute récompense à espérer 
et de tout châtiment à redouter, l'amour suffisait 
à expliquer les réalités de leurs héroïques vies. 

Mais, tout d'abord, qui oserait affirmer que 
ce fait, dont témoignent les paroles enflammées 
de quelques Saints , doit être accepté comme le 
fait de toup les Saints? Et même ces Saints, 
en faisant sortir de leur cœur ces prodigieux 
accents d'un amour qui semble avoir je ne sais 
quoi de surhumain, expriment-ils par ces accents 
l'état normal ou, ordinaire de leur vie? Ou n'ex- 
primaient-ils pas plutôt un moment d'enthou- 



178 



INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ 



siasme sacré ou de sainte exaltation, tels qu'un 
grand amour peut en produire dans les plus 
grands cœurs? Et, alors même que leur 
amour leur arrachait ces cris qui avaient quelque 
chose de séraphique, de céleste, d'extatique; 
doit-on admettre que cet amour, déjà si béatifié 
dans le temps, se désintéressait lui-même du 
bonheur d'aimer éternellement, et qu'il n'y eût 
pas dans son fond quelque chose comme un 
rêve A' Etemel amour ? 

Quoi qu'il en puisse être de ces quelques 
grandes figures de Saints, rares même parmi 
les Saints ; il demeure incontestable que, règle 
générale, les saintetés sont écloses surtout sous 
les inspirations de l'idée de l'Eternel , de l'é- 
ternelle récompense ou de l'éternel châtiment, 
d'une Eternité de bonheur ou d'une Eternité de 
malheur; ou si vous voulez, sous l'inspiration 
de cette grande pensée de l'avenir d'outre-tombe, 
à savoir : l'Eternel amour, ou l'Eternelle haine. 
L'éternel amour qui est le fond du paradis; 
l'Eternelle haine qui est le fond de l'eufer. 
^Quoi qu'il en soit; la puissance de l'Eternité sur 
l'âme des Saints, pour y produire la sainteté, 
constitue dans l'ensemble un fait aussi indé- 
niable qu'il est prodigieux. 



SUR' LA VIE PRESENTA 



179 



Mais comment l'Eternité est-elle si puis- 
sante sur l'âme des Saints? Comment y fait-elle 
germer,sous son regardées plus grandes vertus 
et les plus belles fleurs de la sainteté? Et com- 
ment y produit-elle surtout ces vertus héroïques, 
qui demandent à notre humanité son suprême 
effort? 

C'est qu'à la lumière de leur foi et de leur es- 
pérance, ils aperçoivent entre tous les actes ac- 
complis dans le temps et leur résultat final 
dans l'Eternité, une corrélation nécessaire. Ils 
savent qu'en tout ce qu'ils font ici-bas, au Mo- 
mentané doit correspondre V Eternel. Oui, ils 
savent qu'à chaque vertu, à chaque bonne œuvre 
accomplie dans tel moment de leur vie passagère, 
correspond dansle ciel unerécompense éternelle; 
qu'à chacune de leurs souffrances du temps, cor- 
respond une mesure de joie éternelle ; à chacune 
de leurs humiliations du temps, un degré de 
gloire éternelle. Oui, le Saint peut se dire a 
chaque œuvre qu'il accomplit, et pour ainsi dire, 
à chaque heure et à chaque minute du temps : 
Je sais que dans cette heure qui passe, dans 
cette minute qui fuit, je crée pour moi quelque 
chose d'Eternel. Credo ; je le crois. Cette œuvre 
que j'accomplis, en elle-même pèse peu et 



180 



INFLUENCE DE L'kTEBNJTÉ 



dure peu; elle est légère et momentanée : « Mo- 
! m ° ntane « m ^ levé; . mais, je sais qu'aux yeux 
de Dieu elle a son poids de gloire etque ce p^ds 

d la slteL T' qUelle eXdtati0n à ^éroïsme 
ae la sainteté, de pouvoir se dire ■ 

A cette heure, volontairement je m'humilie: 
mais e sais que cette humiliation me prépare 
une gloire éternelle. Piepare 

A cette heure, volontairement je souffre- mais 
^ ir cette S ouW m e présa , e ^ 

A cette heure, volontairement je me dépouille 

«■-»: * garantit la possession d'une 

richesse éternelle. 

A cette heure, enfin, volontairement je m'im 
-oie et Je me sacrifie ; mais je sais que ciacun de 
mes sacrifices du temps doit attacher une p rie 
ou un diaman, de plus à ma couronne éternelle 
Ainsi, en tout et toujours, aux divines clartés 
dont enr foi s'illumine, les Saints ffla ^ 
dans la vie; et à chaque pas qu'ils y font, par 
chaque act e qu , Is y accomplissent,^ sa've'n 

l^JeT CQt ^ ^ ^^^ le *«»• de 



SUB LA. VIE PRESENTE 



181 



Et dès lors, pour eux qui traversent le temps, 
le regard toujours fixé sur l'Eternité , ne com- 
prenez-vous pas comment et pourquoi cette 
perspective continue de l'Eternel devient le plus 
puissant ressort de leurs vertus, et comment 
elle les élève à leur plus haute puissance, c'est- 
à-dire jusqu'à cet héroïsme qui est l'essence 
même de la sainteté ? 

Aussi le plus sûr moyen de vous faire des 
Saints une idée juste, c'est de vous les repré- 
senter comme nous les représente le pieux auteur 
de l'Imitation de Jésus-Christ, « Debout sur les 
« choses du temps, regardantes éternelles :Spe- 
«culantes œtema;y> mieux encore, comme une 
grande armée marchant à travers le temps à la 
conquête de l'Eternité, et puisant dans cette 
perspective et cette ambition, la force d'accom- 
plir tous les prodiges de leur sainteté. 

V 

Puissance d'illumination, de consolation, de 
^conversion et de sanctification, l'Eternité est 
enfin la grande puissance d'apostolat ou de 
propagation; non seulement parce que son nom 
seul est, comme nous l'avons assez montré, la 
plus grande force pour éclairer, consoler, con- 

11 



182 



INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ 



I 
3 ; 



vertir et sanctifier les âmes auxquelles s'adresse 
I Apôtre; mais encore, et surtout, parce qu'elle 
agit directement sur l'Apôtre lui-même, et 
qu elle est eu lui le ressort le plus fort de sou 
apostolat, le plus puissant moteur de ses am- 
bitions apostoliques. 

Il est, je le sais, à l'apostolat catholique, un 
autre ressort, ou du moins un ressort portant 
un autre nom; c'est l'amour de Jésus-Christ 
selon le beau mot de StPaul : « Charitas Chrisïi 
« urget nos, -M charité du Christ nous presse; elle 
nous presse de communiquer aux autres le don 
qui nous fut fait à nous-mêmes. Oui là gît 
tout d'abord, la force motrice qui meut 'les vrais' 
apôtres. L'amour de Jésus-Christ est au zèle 
apostolique ce que le feu est à la flamme. 

Mais, remarquez-le bien, cet amour lui-même 
bien loin de faire, dans ses ambitions aposto- 
liques, abstraction de l'idée et de la perspective 
de 1 Eternel, y trouve au contraire, pour a-ir 
pour souffrir et pour conquérir, le complément 
de son énergie et de sa puissance. 

Ahl je le crois bien : cette pensée que par' 
uue parole, par un dévouement, par un sacri- 
fice, je puis donner à des âmes non pas une vie 
d un jour, mais uue vie éternelle, et les associer 



SUR LA VIE PRESENTE 



183 



à la fois à l'infinité ëtâ l'Eternité de Dieu; qu'y- 
a-t-il de plus fort pour susciter toutes les am- 
bitions et tous les héroïsmes de l'apostolat? 

C'est là surtout ce qui élève notre apostolat 
au-dessus de tous les autres apostolats. Comme 
l'Eternité l'emporte sur les temps, et le ciel sur 
la terre; ainsi l'apostolat catholique l'emporte 
sur tout apostolat humain. 

Voyez à l'œuvre tous les apostolats de la terre, 
même les meilleurs : au milieu de tout le travail 
qu'ils s'imposent, de tous les plans qu'ils mé- 
ditent,de tous les dévouements qu'ils prodiguent, 
de toutes les conquêtes qu'ils vantent et de tout 
le bruit qu'ils font, où trouver une idée de l'E- 
ternel, une préoccupation, une ambition, une 
recherche de l'Eternel? Nulle part! Non, là, rien 
ne rappelle, rien ne vise l'Eternel. Que dis-je? 
là, pas même une mention, un souvenir d'une 
vie d'outre-tombe, ni d'une survivance quel- 
conque. Là, toujours l'humain, toujours le ter- 
restre, toujours le temporel et le transitoire; 
mais le céleste, le divin, l'Eternel, ah! l'Eternel 
surtout, jamais! Seul notre apostolat, par sa 
parole, montre l'Eternel ; par ses ambitions, 
cherche l'Eternel; par ses fatigues, travaille à 
enfanter l'Etemel; et par tous ses dévouements 



184 INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ 

et ses sacrifices du temps, à donner aux âmes 
et s'il le peut à toutes les âmes, une vérité Eter- 
nelle, un amour Eternel, une vie Eternelle 
- bref, une félicité Eternelle. 

Et, dès lors, qui pourrait ne pas comprendre 
comment une pareille idée, une fois entrée dans 
une âme humaine, et une telle ambition pre- 
nant possession d'un cœur humain, doivent 
susciter dans les vrais apôtres, pour conquérir 
et sauver les âmes, un courage capable de tout 
entreprendre, une intrépidité capable de tout 
oser, une patience capable de tout souffrir 
des héroïsmes capables de tout braver, même' 
les plus horribles supplices, et de cueillir à la 
fois, avec la palme de l'apostolat, la palme du 
martyre? 

Messieurs ,■ quand on vient à se dire 
qu'il y a sur toute la surface de cette terre, des 
millions et des millions d'âmes dont nous pou- 
vons, par un labeur, par une fatig-ue, par un 
sacrifice volontaire, assurer le bonheur Eternel; 
et, lorsqueau flambeau de notre foi, nous croyons 
voir ces multitudes suspendues sur l'Eternel 
abîme, et menacées d'y tomber aujourd'hui ou 
demain , si nous ne volons à leur secours ; com- 
ment s'étonner que des hommes, et même des 






SUR LA VIE PRESENTE 



185 



multitudes d'hommes trouvent, dans cette pen- 
sée, la résolution de courir jusqu'au bout du 
monde, s'il le faut, même à travers toutes les 
souffrances, même au péril de leur propre 
vie, pour fermer sous leurs pieds l'enfer des 
Eternels supplices , et ouvrir sur leur tête le ciel 
de l'Eternelle félicité? 

Quoi! moi, chrétien, disciple du Sauveur 
mort pour le salut de tous; moi son prêtre, moi 
son apôtre , et, comme tel, constitué et envoyé 
pour continuer et étendre, si je le puis, à l'hu- 
manité entière le bienfait de sadivineréparation; 
quoi ! je saurais à n'en pouvoir douter, que là- 
bas, bien loin , à quatre mille lieues d'ici, il y a 
d'innombrables multitudes qu'un rayon de mon 
Christ n'a pas encore illuminées , et qu'une 
goutte de son sang- n'a pas encore touchées; 
quoi! je les entendrais du fond de leurs ténèbres 
et de leur délaissement, me crier de leur porter 
l'un et l'autre : et je pourrais hésiter à me dé- 
vouer, à souffrir, à me sacrifier, et, au besoin, 
à mourir pour elles? 

Ah! si quelque chose ici semble pouvoir 
étonner, n'est-ce pas plutôt que cette conviction 
ne suscite pas en nous tous cette héroïque am- 
bition? 



180 



IXI'-I.ULÏNCrc DE I.KTKUNITÉ 



Mais .«ellenela suscite pas eu tous, elle 
lasuscite en un assez grand nombre, pour nous 
montrer avec éclat, dans cette idée de l'Eté™" 
la grande puissance de l'apostolat, et l'éner- 

^:r derexpansionetde]a ^ a ^- 

c >ù?TZ e 4 et ,; au fond de tous les a p° stoiat ^ 

cest-a-die,penetrezjus q uau P lu S inti me detou S 
iescœursd'apôtres; qu'y trouve Z -vous,sice n'est 
avec ambition d'étendre le règne de Jésus^ 
Chnst d le temp ^ celie d , assurer ^ bQûh 

des âmes dans l'Eternité? Deux ambitions qui 
se tiennent et n'en font qu'une : le règ-ne tem- 
porel du Christ ayant pour but propre et im- 
médiat le salut Eternel des âmes 

fZ7 e \t rœUVre t0US IeS a P°^olats; apos- 
tolats h^rarcM q ues, apostolats éducateurs, 
apostolats conquérants. Sous les formes et dans 
leb situations les plus diverses, c'est la même 
pensée qui les dirige, l'idée de l'Eternel; c'est 
le même moteur qui les pousse, la conquête 
de 1 Eternel salut des âmes. 
i Que veulent avant tout,chacun à leur poste et 
s eur degré, tous les représentants de l'apos- 
tolat hiérarchique? 

Que cherchele Prêtre-Pasteur dans saparoisse, 



Si.'R LA YIH l'KliSlCNTR 



1S7 



si ce n'est, avanttout, l'Eternclbonheur de tous 
ses paroissien.,? 

Que cherche le Prêtre- Evèque dans son dio- 
cèse, si ce n'est le bonheur Eternel de tous ses 
diocésains? 

Que cherche le Prêtre- Pontife, du plus haut 
sommet de la hiérarchie et du centre de tout 
apostolat, qu'est-ce, si ce n'est l'Eternel bonheur 
de toute l'humanité? Là, au sein de cette di- 
vine hiérarchie, s'il est des fonctions diverses 
et des 'actions multiples, tout est coordonné 
par rapport à ce but suprême : pour la plus 
grande gdoire de Dieu sauver toutes les âmes ; 
cVst-à-dire leur assurer , par l'application 
des mérites du Rédempteur , l'Eternité de 
leur bonheur dans l'Eternelle possession de 
Dieu. 

Et tous ces apostolats que j'ai nommés Edu- 
cateurs, ces apostolats qui ont tous, dans leur 
mesure, la fécondité du sacrifice; eh bien! 
que veulent tous ces apostolats, souvent aussi 
obscurs qu'ils sont laborieux; que veulent-ils 
surtout par ces dévouements, ces abnégations, 
et ces immolations parfois poussés jusqu'à 
l'héroïsme; que veulent-ils, si ce n'est, en les 
initiant à la vie du temps, ouvrir aux enfants la 



188 



INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ 



voie qui doit les conduire droit à la bienheu- 
reuse Eternité? 

Mais, Messieurs, ce qui fait mieux éclater la 
puissance de l'idée de l'Eternel sur l'action apos- 
tolique et propagatrice, c'est ce que j'ai nommé 
l'apostolat conquérant : j'entends parla, surtout, 
l'apostolat du prêtre-<missionnaire. Ah! c'est 
qu'en lui particulièrement apparaît dans son plus 
haut degré, l'héroïsme de la vie apostolique, et 
souvent le sacrifice poussé jusqu'au martyre.' 

Regardez: voici le jeune prêtre, portant 
encore à son front la trace de Ponction sacer- 
dotale. Nouveau Xavier.il s'est dit en regardant 
l'image du grand apôtre de l'Inde et du Japon : 
pour donner aux âmes Dieu et l'Eternité , moi 
aussi j'irai au bout du monde. Le voilà qui s'é- 
lance; qu'a-t-il fait? Il a brisé, en un jour, tous 
les liens qui l'attachaient à tout ce que l'on 
aime le plu», à la patrie, à la famille, au cœur 
d'un père, au cœur d'une mère. Le cœur sai- 
gnant de ses blessures les plus profondes, il a 
passé à travers toutes les larmes en essuyant et 
en dissimulant les siennes; et le voici, à quatre 
mille lieues de tout ce qui fut son bonhsur,. près 
de toucher à un affreux rivage. Là, le sauvage 
apparaît, son casse-tête à la main, jetant sur sa 






SUR LA VIE PRESENTE 



189 



victime de demain un regard féroce, et semblant 
dire, en roulant des yeux où se peint, comme 
en un miroir, la soif du sang- : Voici ma proie; 
demain je le tuerai et je le mangerai. 

Que vas-tu faire, ô mon frère l'Apôtre, que 
vas-tu faire? Reculer? Mais, pourquoi es-tu 
venu? Non, tu ne reculeras pas. Le missionnaire 
du Christ ne recule jamais. Que faire? Avancer? 
Mais, c'est te vouer à une mort certaine. N'im- 
porte, j'avancerai, heureux de faire tomber sur 
ce rivage inhospitalier une goutte du sang répa- 
rateur, et,s'il le faut, de l'arroser de mon propre 
sang. Il dit et il aborde l'affreux rivage; il y 
plante la croix, et il y offre une fois le divin sacri- 
fice. Le lendemain, le sauvage accourt; il lui 
brise la tète, et l'apôtre fait du sacrifice de sa 
vie la consommation de son apostolat. 

Eh bien! qu'est-ce qui lui a inspiré ce cou- 
rage de consommer, même par le martyre, cet 
apostolat héroïque? Qu'est-ce, si ce n'est l'espoir 
de donner au moins à une âme l'Eternelle pos- 
session de Dieu? 

Que d'héroïsmes et de sacrifices pareils je 
pourrais vous montrer ici, tous puisés dans la 
même pensée : donner aux âmes, ne fût-ce 
même qu'à une seule âme , l'Infini et l'Eternité. 

11 



190 



INFLUENCE DE L ETERNITE 



Voyez d'ici, dans ies plaines glacées de l'A- 
mérique du Nord, cet autre héros de l'apostolat, 
marchant dans la neige, sous la bise qui souffle. 
La nuit vient; le voilà seul en cette froide so- 
.litude, sans feu, sans abri, n'ayant d'autre res- 
source, pour attendre le retour de l'aurore, que 
de se creuser dans la neige, non pas un lit qui 
le repose, mais un rempart contre le vent qui 
le glace ! 

Que cherche cet homme? Où va-t-il? Que veut- 
il? 

Ah! là-bas, plus loin, plus loin encore, un 
pauvre sauvage va mourir. Et à ce pauvre, placé 
au bord de son Eternité, l'intrépide apùtre va 
porter,avec son Dieu, le gage de l'Eternelle vie. 

Et voyez cet autre ruisselant de sueur, haletant, 
harrassé de fatigue , sous les feux de l'équateur, 
et marchant, marchant quand même au soleil 
dévorant du désert? Ses pieds brûlent sur le sol 
embrasé, sa tète brûle dans l'atmosphère en- 
flammée que forme autour de lui la réverbéra- 
tion, sur le sable, des rayons du soleil; tout son 
corps brûle, et semble à tout instant succomber 
sous la chaleur qui le pénètre et tout entier l'ac- 
cable. 11 marche quand même, ou plutôt il se 
traîne 



SUE LA V1H PRESENTE 



101 



Où va-t-iî? Que veut-il? Quecherche-t-il, lui 
aussi? Il va porter à un pauvre nègre mourant 
et délaissé la consolation et le bienfait suprême 
de l'apôtre. A ce malheureux prêt à quitter le 
rivage du temps, il va porter le divin Viatique, 
qui doit ouvrir devant lui les portes de la bien- 
heureuse Eternité! 

Je m'arrête! Pour vous montrer tous les hé" 
roïsmes semblables, il faudrait un livre tout 
entier; ou plutôt il faudrait un poëme, lepoëme 
de l'apostolat poursuivant la conquête des âmes, 
par tous les sacrifices et par tous les martyres, à 
la grande lumière et sous la puissante inspira- 
tion de l'Eternité. 



CONCLUSION 



Et voilà que j'ai dit l'incomparable puissance 
qu'exerce sur l'âme humaine la pensée et la 
perspective de l'Eternelle vie. 

Oui, ô Eternité! c'est toi qui, en nous illu- 
minant de tes clartés transcendantes, nous 
montres, en face de toi, le néant de tout ce qui 
est du temps. C'est toi qui, en ouvrant devant 
les plus grandes souffrances du temps les pers- 



192 



INFLUENCE DE L ETERNITE 



pectives d'une félicité sans fin, leur apportes, 
alors que tout les délaisse, une consolation 
suprême. C'est toi qui, en montrant de loin aux 
pécheurs le châtiment qui les attend dans ton 
sein, leur donnes la force de s'arracher à toutes 
les tyrannies de la triple concupiscence et de 
retrouver, en se convertissant, l'honneur de la 
liberté et la joie de l'espérance. C'est toi qui, 
sous la lumière de ton regard, fais éclore dans 
les âmes, avec l'héroïsme de toutes les vertus, 
les fleurs de toutes les saintetés, et multiplies 
sur la terre ces générations de Saints et de 
Saintes qui traversent les obscurités et les 
épreuves du temps , le regard toujours fixé sur 
tes splendeurs et tes béatitudes sans fin. C'est 
toi enfin, qui, en suscitant au cœur des apôtres 
l'ambition à nulle autre pareille, de donner 
à des millions d'âmes le bonheur de l'Eter- 
nelle vie, produis, sous tes inspirations toutes- 
puissantes, dans des multitudes incalculables, 
les apostolats héroïques et-les sacrifices poussés 
jusqu'au martyre I 

Telle, Messieurs , m'est apparue à moi-même 
dans le recueillement de la méditation , ce que 
j'ai nommé la puissance sur l'âme humaine de 
la grande pensée de l'Eternité. 



SUR LA VIE PRESENTE 



193 



Donc, vous aussi, avec moi et qomme moi, 
voyageurs du temps, à cette lumière de l'Eter- 
nité et sous sa féconde et salutaire influence, 
éclairez-vous dans vos ténèbres etvos obscurités; 
consolez-vous dans vos épreuves et vos tribu- 
lations; affranchissez-vous de la servitude de vos 
péchés et de vos passions; convertissez-vous. Ce 
n'est pas assez, sous les inspirations de l'Eter- 
nelle vie, vous aussi devenez des Saints; vous 
aussi devenez des apôtres; et, avec tant d'autres 
qui vous ont précédés dans la voie, le regard fixé 
sur l'Eternité, montez, montez toujours sur ce 
chemin royal, où ontpassé tous les grands Saints 
et tous les grands apôtres; et, si Dieu vous le 
donne, arrivez avec eux jusqu'à l'héroïsme de 
la sainteté et de l'apostolat. 

Et puissiez-vous tous, un jour, vous rencontrer 
au ciel, dans le sein béatifiquede cette Eternité 
dont le rayonnement, même de loin, produit 
sur la terre les grandes illuminations, les 
grandes consolations, les grandes conversions 
et, avec tous les prodig-es de sanctification, 
tous les miracles d'apostolat et de propagation. 

Amen. 



L'ETERNITE 



ET 



LA VIE FUTURE 



Et iblt homo in domum 
œternitatis suœ. 

Et l'homme ira dans la 
demeure de son Eternité. 
(Ps. 102.; 



Après avoir établi qu'il y a une Eternité, par 
le double témoignage de l'âme et de l'autorité, 
nous nous sommes demandé quelle est, par 
rapport à nous , sa véritable influence ; en 
d'autres termes , ce que l'idée et la réalité 
de l'Eternelle durée opèrent dans notre vie, 
dans' notre vie présente et dans, notre vie fu- 
ture. 

Déjà vous savez, par notre dernier discours , 
quelle est, sur notre vie présente, l'influence fé- 
conde et le puissant ascendant de la pensée de 
l'Eternel. Nous avons dit : l'idée ou la pensée 



196 



l'éternité et la vie future 



de l'Eternité , c'est la grande puissance d'illumi- 
nation ; car c'est elle qui nous découvre, dans une 
pleine lumière, tout le ne'antàes choses du temps. 

C'est la grande puissance de consolation; parce 
que seule cette perspective de l'Eternité console 
bien les infortunes que rien du temps ne peut 
plus consoler. 

C'est la grande puissance de conversion; parce 
que c'est dans cette pensée de l'Eternité surtout 
que le pécheur trouve la force de briser tous les 
liens qui l'attachent à son péché dans le temps. 

C'est la grande puissance de sanctification, 
parce que cette pensée ou cette attente de l'Eter- 
nité pousse les âmes à tous les héroïsmes de la 
vertu et de la sainteté. 

C'est, enfin, la grande puissance d'apostolat 
et de propagation ; parce que cette pensée de 
donner aux âmes une félicité Eternelle, est le 
plus énergique ressort des ambitions et des sa- 
crifices de la vie apostolique. 

Maintenant, Messieurs, se pose devant nous 
la question plus grave et plus décisive encore 
que la précédente : Qu'est-ce que l'Eternité est 
par rapport à notre vie future? Qu'est-ce qu'elle 
doit ajouter elle-même et par elle-même à notre 
bonheur età notre malheur d'outre-tombe ?Com- 



l' éternité et la vie future 



197 



ment l'Eternité complète, d'un côté, le malheur 
des réprouvés, et de l'autre, la félicité des élus? 
En deux mots: l'Eternité dans l'enfer, ou le lieu 
des supplices; l'Eternité dans le ciel, ou le lieu 
de la béatitude de l'autre vie. Voilà ce que je 
vais essayer de vous faire au moins entrevoir, à 
la lumière de ce discours, et mieux encore à la 
lumière de votre foi. 

Ce sujet a deux faces profondément distinctes ; 
il a son côté sombre et son côté radieux. Je com- 
mencerai par vous montrer le premier, et je 
terminerai en vous montrant le second. 

Peut : être ces deux choses extrêmes eussent 
gagné à être traitées séparément et avec un dé- 
veloppement plus vaste et plus complet. Le 
temps nous manque, et je me vois obligé de les 
condenser dans le cadre d'un seul discours. 
Mais le développement que je ne puis donner 
sera, je l'espère, dans vos esprits attentifs, com- 
pensé par la condensation elle-même; et peut- 
être que du contraste de ces deux extrémités , 
jaillira dans vos âmes une lumière plus vive. 

Puisse le Seigneur, que j'invoque pour vous 
tous, en faire sortir aussi, avec une grande et 
abondante lumière, de suprêmes et énergiques 
résolutions. 



198 



l'kternit/: et la ywi fhtu 



nu 



Ce que l'Eternité ajoute à la souffrance des 
réprouvés, en d'autres termes, l'Eternité dans 
1 enter, voilà ce qu'il nous faut avoir le coura-e 
de méditer d J abord ensemble. 

Remarquez, Messieurs, que je n'entreprends 
pas de vous montrer au détail et sous tous ses 
aspacts le supplice des réprouvés. 11 me suffit 
de prendre ici, P our point de départ, l'enseigne- 
ment de l'Eg-lise, et de vous dire en deux mots 
avec elle: les réprouvés, ou les pécheurs im- 
pénitents, souffrent l'action et le supplice du feu- 
es réprouvés souffrent le supplice de la sépara- 
tion de Dieu. 

Quelle est la nature, l'intensité de ce feu? 
Quel est le mystère intime de cette séparation 
de D ie u?Quel est, en un mot, le mode et le 
comment de ces deux supplices qui n'en font 
quun, et qu'on nomme, d'ordinaire, peine du 
sens et peine du daml Un discours spécial et 
direct sur l'enfer pourrait essayer de répondre 
à ces questions : je ne le ferai pas ; je n'en ai pas 
besoin pour le but que je me propose; car 
ce qui me préoccupe et doit uniquement vous 



L ETUJRNITE ET LA VIE FUTURE 



199 



préoccuper avec moi, c'est dans 1» lieu du sup- 
plice le point de vue de l'Etemel.' 

Remarquez encore, afin d'écarter toute con- 
fusion trop facile en un tel sujet, que je neveux 
pas ici établir le dog-me austère de l'Eternité des 
peines. Ce dog-me, pour le moment je le sup- 
pose, et, admettant avec l'Eglise dans les con- 
damnés de la justice, le double supplice que je 
viens de nommer, quelle qu'en soit l'intensité, 
je veux vous aider à comprendre comment l'E- 
ternité l'ag-grave, et comment dans leur sup- 
plice total l'Eternité est le facteur principal. 

Pour le mieux entendre, creusons un peu ces 
deux abîmes qui se répondent: l'abîme de YE- 
temitp' elle-même mise en face du supplice; et 
l'abîme de l'âme humaine en face de cette Eter- 
nité. 

Qu'est-ce que l'Eternité en elle-même est par 
rapport au supplice du réprouvé? Et quelle ag-- 
gravation apporte à ce supplice la perspective 
de son éternelle durée? 

Tout d'abord ce qui saisit ma pensée en face 
de la souffrance du damné , c'est son éternelle 
uniformité, ou son éternelle monotonie. 

Dans cette vie du temps tout se déplace et tout 
chang-e; dans l'Eternité, rien ; rien ne chang-e et 



200 



l'éternité et la vie future 



ne se déplace; c'est l'effroyable statu quo ; c'est 
la plus accablante des monotonies, la monoto- 
nie dans la souffrance. 

La monotonie en toute chose pèse à la nature 
humaine, même la monotonie dans le plaisir et ' 
la jouissance. L'uniformité dans le plaisir, la 
monotonie dans la jouissance, ce n'est plus le 
plaisir, ce n'est plus la jouissance ; c'est l'ennui, 
c'est la fatig-ue, et finalement la souffrance. Les 
artistes le savent, ceux-là surtout qui travaillent 
pour plaire et pour réjouir. Le grand effort et le 
succès le plus assuré de leur art, c'est de varier 
les aspects et les nuances du plaisir, et surtout 
d'y ménag-er par cette variation le progrès dans 
la jouissance. 

Voulez-vous connaître par votre propre expé- 
rience ce que peut l'uniformité ou la monoto- 
nie, pour anéantir la jouissance et créer la souf- 
france? Ecoutez. 

Je le suppose, on va vous faire dans la jouis- 
sance, même ici-bas, la situation la plus dé- 
sirable pour la satisfaction de tous vos sens. 
Vous voilà, par exemple, étendu sur la couche 
la plus molle, embaumé par tous les parfums 
les plus suaves, et bercé par les sons des plus 
charmantes harmonies ; mais à une condition , 



l'éternité et la. vie future 



201 



à la condition que cette position une fois ac- 
ceptée, vous la garderez non seulement un jour, 
mais une année, mais un siècle, mais une Eter- 
nité. Une année entière, une année seulement, 
pourriez- vous y demeurer? Et cette monotonie 
dans la jouissance, pourriez-vous la supporter? 

Qu'est-ce donc, si cette monotonie, c'est la 
souffrance? Qu'est-ce, surtout, si c'est la mo- 
notonie, non pas même dans une souffrance 
quelconque, mais dans une effroyable souffrance? 
Qu'est-ce, enfin, si cette monotonie doij; durer 
non seulement des jours, des années, des siècles, 
mais l'Eternité tout entière? Qu'est-ce d'être 
attaché avec sa souffrance à ce roc immobile de 
l'Eternité; et là, être forcé de se dire : souffrir, 
souffrir toujours , et toujours la même chose? 

Quelle situation! Compter une à une toutes 
les heures et toutes les minutes d'une souffrance 
que l'on sait ne devoir et ne pouvoir jamais 
finir! 

Qui ne sait combien longue et douloureuse 
apparaît l'insomnie au malade qu'une souffrance 
aiguë empêche de dormir. PendaDt ces tristes et 
longues nuits, le mouvement cadencé de l'hor- 
loge envoie toujours le même son à son oreille 
qui l'écoute dans le silence; chaque battement 



202 



L'ETEKNITÉ et lv vie future 



du balancier semble lui dire : encore une souf- 
france, encore une souffrance! Faible et insuf- 
fisante image de la situation du réprouvé, à qui 
la voix monotone de l'interminable durée redit 
sans cesse et redira toujours: Eternité! Eter- 
nité! Ce que tu souffres à l'instant, tu le souf- 
ffriras toujours, oui, toujours! 

Une seconde cause d'ag-gravaiion que l'Eter- 
nité apporte au supplice du réprouvé et qui 
touche à la première, c'est, dans la vue de cette 
Eternité et dans la sensation du supplice qu'elle 
aggrave, la continuité la plus complète, ou l'ab- 
sence absolue de toute intermittence. Le sens 
toujours présent de sa souffrance et la vue tou- 
jours fixée sur son Eternité; ah! voilà dans la 
vie du réprouvé, une situation dont rien, mais 
absolument rien , sur la terre et dans le temps, 
ne peut nous donner une idée. Les souffrances 
d'ici-bas, même les plus atroces, même celles 
qui tiennent le plus en éveil l'âme qui souffre, 
ne peuvent nous représenter même de loin, 
cette effroyable continuité dans la vue et le sens 
d'un supplice Eternel. 

Chose remarquable, toutes nos souffrances du 
temps ont des instants d'arrêt, des heures d'in- 
termittence. Entre nos souffrances et nous, 



L ÉTERNITÉ ET LA VIE FUTURE 



203 



quelque chose s'interpose, qui nous en dérobe 
la vue et nous en arrache plus ou moins le sen- 
timent. Nous ne nous représentons pas toujours 
avec la mè.me vivacité, et nous ne ressentons 
pas toujours avec la même acuité ce qui nous 
torture, nous supplicie, nous martyrise. 

Jusques dans nos plus grandes et nos plus 
longues souffrances, nous connaissons le bien- 
fait des intermittences. 

Nous connaissons l'intermittence que nous 
procure l'oubli ; l'oubli qui, tout fugitif qu'il est, 
un moment nous soulage; parce que, ce à quoi 
nous cessons de penser, ce que nous oublions 
est pour nous, au moment même de l'oubli, à 
peu près comme s'il n'était pas. 

En ce sens, oublier les souffrances c'est les 
apaiser ou du moins les diminuer; et rappeler les 
souffrances, c'est les renouveler et souvent 
même les multiplier. 

Cet oubli qui apaise ou calme un moment la 
souffrance n'est pas impossible ici-bas, et même 
les plus souffrants y parviennent quelquefois. 

Mais, dans l'Eternité , comment oublier, lors- 
que le supplice est , par-dessus tout, le face à face 
avec cette Eternité elle-même? 

frères malheureux, vous que vos crimes 



204 l'éternité et la vie future 

sans repentir ont précipités dans l'abîme; vous 
qui, depuis des siècles et des siècles, êtes tombés 
de vos désordïes du temps dans l'Eternel sup- 
plice; ohl dites-nous, quand avez-vous pu vous 
dérober à la pensée, au regard, au face à face 
de votre Eternité? Combien de jours l' avez-vous 
oubliée? 'Aucun. Combien d'heures ? Aucune . 
Combien d'instants? Aucun. Combien de mi- 
nutes? Aucune! 

Qu'est-ce donc qui pourra apporter dans la 
vision et le sens de cette Eternité, une inter- 
mittence quelconque? Sera-ce la distraction? 

Ah! la distraction dans les souffrances de la 
terre, je comprends. Volontiers à ceux qui souf- 
frent vous conseillez la distraction, • comme re- 
mède ou apaisement de la douleur. La distrac- 
tionc, 'est-à-dire, un je ne sais quoi, un moment 
nous saisit, nous captive, nous charme, et par 
là, nous tirant plus ou moins hors de nous- 
mêmes, nous arrache au sentiment de notre 
souffrance; ainsi la lecture d'un livre, la con- 
versation d'un ami, l'attrait d'un plaisir, la con- 
templation d'un grand spectacle, d'un ciel 
étoile, d'une mer en tourmente, le son d'une ra- 
vissante harmonie, etc., oui, tout cela peut, 
dans le temps , apporter par La distraction, au 



L ETERNITE ET LA VIE FUTURE 



20E 



sentiment de la souffrance, une accalmie qui re 
pose. 

Mais, dans l'Eternité, rien , absolument rien 
de pareil; rien que le spectacle continu de sa 
propre souffrance; rien que la conversation avec 
l'Eternelle amertume de sou âme; et pour toute 
harmonie, rien que cette voix lamentable re- 
disant éternellement : Souffrir, souffrir encore, 
souffrir toujours ; oui , toujours ! 

Ah ! si du moins le sommeil , comme il ar- 
rive dans le temps , pouvait venir interrompre 
ou suspendre la violence du mal qui tourmente! 

Quel malade étendu sur un lit , où son mal le 
tient en éveil, n'invoque comme un soulagement 
ce bienfait du sommeil? Comme par chaque res- 
piration de sa poitrine oppressée, il semble dire: 
sommeil, ô doux, ô bienfaisant sommeil, 
quand viendras-tu, en fermant mes yeux, sus- 
pendre un moment ma souffrance et me donner 
le repos? Et quand il est venu; oh ! alors au ré- 
veil, quelles actions de grâces envoie au ciel ce 
souffrant de la terre, de lui avoir envoyé ce court 
sommeil comme un ange chargé d'apaiser un 
moment sa douleur ! 

Mais, hélas! dans la vie d'outre-tombe, il n'y 
a plus de sommeil , comme il n'y a plus ni oubli, 

12 



^06 



l'éternité et la vie future 



ni distraction possible. Le réprouvé veille, il 
veille toujours. Sa vie, c'est la veillée éternelle, 
dans une souffrance qui ne doit jamais finir! 
Vous la représentez-vous, Messieurs, cette éter- 
nelle veillée de la souffrance? Oh! si le ré- 
prouvé pouvait se promettre, dans la durée de 
son supplice , cette bienheureuse intermittence 
d'un jour ou d'une heure de sommeil; ne vous 
semble-t-il pas qu'il tressaillerait de joie, même 
dans les étreintes de sa souffrance? 

Mais non, de sommeil jamais, de distraction 
jamais, d'oubli jamais! Toujours la vue pré- 
sente de l'Eternité, et des souffrances qu'elle 
réserve au fond de sa durée sans fin! 

Et voilà la seconde cause d'aggravation que 
l'Eternité ajoute à la souffrance du réprouvé : 
son interminable continuité'. 

Avec l'uniformité et la continuité qui aggra- 
vent le supplice du réprouvé, il y a une chose 
' dans ce supplice plus aggravante encore, c'est, 
à chaque instant de son Eternelle durée, la plé- 
nitude ou la simultanéité de l'Eternelle souf- 
france. 

Dans le temps, même ceux qui souffrent le 
plus, ne sontjamais accablés par la plénitude de 
leurs souffrances. Chaque partie de leurs souf- 



l'éternité et la vie futore 207 

frances est, pourainsi dire, distribuée sur tous 
les moments de leur vie souffrante; jamais la 
souffrance ne se fait sentir à l'un de ces moments 
toute à la fois. 

Eh bien! ce qui n'est jamais, ce qui ne peut 
pas être dans le temps, est toujours et nécessai- 
rement dans l'Eternité; et c'est là ce qui sur- 
tout, dans ce supplice, doit frapper d'une reli- 
gieuse frayeur toute pensée attentive : V Eternité 
tout entière, venant peser de tout son poids sur 
chaque instant de l'éternelle durée. 

Mais pourquoi?-Comment expliquer cette con- 
centration de l'Eternel supplice sur chaque mo- 
ment de la vie du supplicié? Ah! c'est que l'homme 
de l'Eternité malheureuse, par une terrible puis- 
sance de prévoir qu'il maudit et qu'il voudrait 
anéantir, ramasse, pour ainsi dire, sur son 
présent toute l'horreur de son interminable 
avenir. A chaque instant de sa vie souffrante, il 
pressent, ou pour mieux dire, il sent tout ce 
qu'il sait avoir à souffrir pendant toute son Eter- 
nité. 

Qui ne connaît la prodigieuse puissance de la 
prévision, pour torturer une âme qui attend 
une grande douleur, ou une profonde humilia- 
tion? 



208 l'éternité et la vie future 

Un jour, on vint annoncer à un condamné à 
mort, pour le lendemain, l'heure de son exé- 
cution. Pendant toute la nuit, l'imagination ne 
lui représenta que des éehafauds dressés. A 
chaque instant, cet homme croyait sentir sur 
lui la main du bourreau ou le tranchant de 
l'acier fatal. Et tel fut [le saisissement que lui 
causa la prévision du supplice 'qui l'attendait, 
que le lendemain, quand on ouvrit sa prison, on 
trouva sa tète blanchie comme la neige ; tant 
l'effroi de l'attente l'avait profondément remué. 
Et cependant, que pressentait et qu'attendait 
cet homme? Un supplice d'un moment; rien de 

plus. 

Qu'est-ce donc que la nécessaire prévision de 
l'Eternité qui, devant la pensée du réprouvé, à 
chaque instant se dresse de toute sa hauteur, 
de toute sa largeur, de toute sa longueur; ah! 
de sa longueur surtout, et semble tout entière 
s'étendre sur lui, pour l'accabler de son incom- 
mensurable poids I 

Ua fable, vous le savez, comme si elle avait 
deviné quelque chose de cet effroyable mystère, 
nous a représenté un géant foudroyé, luttant, 
luttant toujours pour soulever le mont Etna, 
qui sans cesse sur lui retombe et l'accable. Ce 






L'ÉTEEN.TÉ ET LA VUS VC/TURE 209 

n'est là sans doute qu'une fiction; mais ne 

vous semble-t-il Das m, 'il ■* o > e 

fiction nn. ^ q y ' mSme dans ce tte 

7 ' G VIVe lma ^ e de l'effroyable réalité 
q^ncn, n tj , essayedeyou ^ ahté 

Ah cette Eternité si large, si haute, si lon- 

pesan surr^T^ ^ *» le ^ E ^ 
pesant sur le géant Encelade, j e me fio . ure ,„ 

tou ^r C o Qstantde sadJe - « ™ 

tout entière, comme en un seul point- et là J 
-hier le damné des millions et d'e m n ons ' de 

ettor q U tf tente pour le soulever, il sen t h, 
aussz retomber sur lui son effroyab e a deau e 
impuissant mêmeà changer de place e fit 
dans pp ^ r ,„ A replace, et à trouver 

aans ce déplacement un soulagement nuel 
conque Je crois l'entendre à c^eTel^tn 
de sa vie tourmentée, demander en es™ le 
s en débarrasser tout à fait- ^ 6SSayant de 
^ temps supporter ce ËL^T, T^ 
£ dit en retombant : Eucot^k^ ^ 
Encore une Eternité ! eimtei... 

Clntnt: ëi 7 S ' raMmeqUe rEte ™^ ouvra 
aevant nous , effroyable abîme qui s'apnrofnndJ 
a mesure que nous le creusons, pou t^ 
quelque chose de ce mystère de soufeanS Z 

-perspective ajoute au supplice du rép^vt 

12. 



210 l'éternité et l\ vie future 

Nous y voyons à la fois ces trois choses, dout 
nous pouvons bien avoir l'idée, mais dont la 
compréhension nous échappe, même en nos plus, 
grandes souffrances de la terre; l'Eternelle uni- 
formité', l'Eternelle continuité, l'Eternelle simul- 
tanéité fans, le supplice du réprouvé; en d'autres 
termes, le damné souffrant uniformément, con- 
tinuellement et simultanément son Eternel sup- 
plice, souffrant toujours la même chose, souf- 
frant sans intermittence aucune, et souffrant, à 
chaque instant de son éternel supplice, l'Eternité 
tout entière. 

Vous le voyez, ce sont comme trois abîmes 
qui se creusent au fond d'un même abîme, sans 
compter tous ceux qui nous échappent,et que nous 
ne pouvons sonder au fond de l'insondable Eter- 
nité. 

Mais, après avoir visité, ou du moins en- 
' tr'ouvert sous nos yeux cet abîme de l'Eternité 
mis en face du supplice des réprouvés, nous 
avons à regarder dans un autre abîme, l'abîme 
de l'âme mise en face de son Eternité, c'est-à- 
. dire de son éternel malheur; et nous aurons 
ainsi le dernier mot de ce que la perspective de 
l'Eternité ajoute d'aggravation au supplice du 
réprouvé. 






L ETERNITE ET LA VIE FUTURE 



211 



Oui, Messieurs, pour mieux entendre comment 
l'Eternité est le dernier mot du malheur des ré- 
prouvés dari s l'autre vie, il faut pénétrer dans 
cet autre abîme, l'abîme de l'âme humaine elle- 
même. Il faut nous demander ce que l'âme du 
damné doit ressentir et ressent en effet, en face 
de cette Eternité , telle que nous venons de la 
montrer. 

Or, indépendamment des autres causes de 
son malheur, l'âme du pécheur impénitent, en 
face de l'Eternité, renferme ces trois supplices 
qui se compénètrent et n'en font, pour ainsi dire, 
qu'un seul : supplice de l'Eternel regret, de l'E- 
ternel remords, de l'Eternel désespoir ; c'est-à-dire 
la privation totale des trois éléments de félicité 
que nous pouvons connaître même sur la terre. 

Il y a surtout trois choses qui entrent comme 
éléments dans nos félicités relatives du temps : 
le passé, le présent, l'avenir; le passé par le 
souvenir, le présent par la possession,, l'avenir 
par l'attente ou par l'espérance. Si le bonheur 
est ici-bas si difficile et si rare, c'est qu'il nous 
est d'ordinaire impossible de nous y faire une 
situation qui ne soit troublée ni parle regret, ni 
par le remords , ni parle découragement ou la 
désespérance. 



212 



l'éternité et là vie future 



I 

f 



Et bien ! l'homme de la malheureuse Eternité 
ne trouve dans son supplice aucun de ces trois 
refuges; car, son passé, c'est son éternel regret; 
son présent, c'est son éternel remords; son 
avenir, c'est son éternel désespoir. Et ainsi 
l'âme elle-même répond par ces trois ahîmes , 
aux trois ahîmes de l'Eternité que nous venons 
d'entrevoir. 

Oui, ce qu'il y a d'abord au fond de l'âme du 
réprouvé, dans l'Eternité, c'est ce que j'appelle 
son premier abîme ; l'abîme du plus amer et du 
plus inguérissable des regrets . 

Le regret, qu'est-ce à dire? c'est-à-dire la 
douleur d'un bien perdu, et que l'on pouvait ne 
pas perdre ; la conscience d'un bonheur refusé, 
et d'un malheur attiré par sa propre faute. 

Dans le regret ainsi conçu, il est deux choses 
qui en agrandissent l'amertume; la première 
c'est d'avoir beaucoup perdu, la seconde de ne 
pouvoir rien réparer. Et voilà ce qui explique 
l'inexprimable douleur du regret,dans l'homme- 
de l'Eternité malheureuse : il sait qu'il a tout 
perdu et qu'il ne peut rien réparer. 

Avoir tout perdu, mais ce qui s'appelle tout, 
et ne pouvoir rien, absolument rien réparer; dans 
l'universalité de la ruine l'impossibilité ab- 



L ETERNITE ET LA. VIE FUTURE 



213 



solue de toute réparation: Grand Dieu! quelle 
situation! Dans cette situation, quel regret! Et 
dans ce regret, quelle douleur! 

Ah! tous nos regrets de la terre, -même les 
plus grands et les plus amers, ne peuvent nous 
en donner une idée. D'ordinaire, nous ne per- 
dons jamais tout. Toujours quelque chose ou 
quelqu'un nous demeure; et dans nos ruines et 
nos désastres les plus universels, combien il est 
rare que nous ne puissions réparer quelque 
chose. Alors même que nous ne pouvons égaler 
les réparations aux ruines et les restaurations 
aux désastres, notre impuissance de réparer 
n'est jamais absolue. 

Eh bien! Messieurs, ce que nous ne pouvons 
même imaginer dans le temps, c'est dans l'Eter- 
nité la complète réalité. 

Qu'a-t-il perdu, mon frère le réprouvé? Tout. 
Que peut réparer mon frère le réprouvé? Rien^ 

Le voyez-vous d'ici, à l'heure décisive où, à 
travers les orag-es du temps il vient échouer au 
rivage de l'Eternité? Le voilà pour toujours jeté 
comme un naufragé sur ce rocher immobile; et 
regardant derrière lui les flots de cette mer du 
monde qui semblent encore murmurer à ses 
pieds , il s'écrie : Hélas ' tout est perdu !... Oui , 



214 



L'KTKRNfTK ET LA VIE MJTUBB 



perdu tout ce qui est de la terre, et perdu pour 

7J «>«t ce q„i est du ciel; perdu ton? ce Te" 
uem et pgrdu tQut ce ^ ^ ^ m= 

perdu tout ce qiu est de rhomme, et 
- qu, est de Dieu, P laisirs , richesses, ho nU rs 
g-loires, triomphes, où êtes-vous? Hélas' du 
-ut de ce roc de PEternité, où m'a jeté la mort 
e vous vo.s pareils à des épaves, flottant après 
le naufrage sur une mer encore agitée. Ah ! s 
dans cette perte de tout ce qui est de la terre 
du temps, Dieu du moins me demeurait et 
J.™. le ciel eu espérance, Mais, ôDiù où 
etes-vous ? Ociel,oùêtes-v us ? Hélas! vous 
aussi, je vous ai perdus, Tandis que le ciel se 
ferme sur ma tête, ô Dieu, ô Dieu juste, je ns 
que pour toujours vous me repousse, de vous, 

perte a hTl "? nihie lmiverse ^> dans cette 
peite absolue de tout ce qui est de la terre et de 
tout ce qm est du ciel, si ce naufragé du terni 

temps la, je recommencerai ma vie, une vie 

Plus grandes même q ue mes désastres . Re _ 

urner? Mais il est trop lardi oui , trop ^ ■ 
L Eternelle pnson, où m'ont précipité les pré- 
vancatumsdemavie, a des portes mille fo s 



i. ETERNITE ET LA VIE FUTURE 



ïlt 



plus dures que le diamant. En vain contre ces 
portes infrangibles je me briserais la tète; ah I 
c'est fini, c'est à jamais fini; le temps ne me re- 
verra plus; et de oe côté, pour réparer mes pertes, 
je ne puis rien, et je ne pourrai jamais rien! 

D'où me viendra, pour guérir la blessure de 
mes regrets, la puissance réparatrice? Sera-ce 
du côté de mou Eternité elle-même? Mais, 
comment trouverais-je en elle une puissance de 
réparation, lorsque c'est d'elle-même surtout 
que me vient Yirre'parabilité absolue de mes dé- 
sastres du temps ? Comment demanderais-je 
à mon Eternité le secret d'acquitter ma dette et 
de réparer mes pertes, lorsqu'en vertu et par la 
iorce inéluctable de la condamnation qui :i fait 
de moi, au sortir de ma vie du temps, le ré- 
prouvé de l'amour même, je demeure devant la 
justice un débiteur éternel? Eternité! je le sais, 
jamais tu neguériras mes inguérissables regrets, 
parce que jamais tu ne m'acquitteras devant la 
justice qui se sert de toi, non pour m'absoudrc, 
mais pour me châtier. Je pleure aujourd'hui et 
je pleurerai éternellement mon incomparable 
malheur; et je sais que mes larmes, en tombant 
sur ce roc où je pleure, n'acquitteront et ne ré- 
pareront jamais rien, et qu'elles ne feront que 



216 



L ETERNITE ET LA VIE FUTURE 



raviver mes regrets éternellement renaissants ; 
je sais que je garderai dans l'absolue irrépara- 
bilité de tout ce que j'ai perdu, l'inguérissable 
blessure de cet éternel regret. 

Une cbose pourrait, peut-être, en adoucir l'a- 
mertume : Ce serait de pouvoir se dire : J'ai tout 
perdu et je ne puis rien réparer; mais, ce n'est 
pas ma faute. Hélas ! voici précisément ce qui fait 
la grande et poignante douleur du reprouvé; 
c'est que , dans la pleine lumière de sa cons- 
cience, il est forcé de se dire : C'est ma faute; si 
j'ai tout perdu, c'est que je l'ai voulu. Si je suis 
attaché au malheur, c'est que j'ai repoussé le 
bien pour embrasser le mal; et si je suis voué à 
la haine , à l'Eternelle haine , ah ! c'est que par 
mon égoïsme j'ai repoussé l'amour. 

Et ainsi , à la douleur du regret, s'ajoute dans 
l'âme du damné une douleur plus grande en- 
core : la douleur du remords, et d'un remords 
absolument inapaisable. 

Le remords !... qui ignore ce que peut être, dans 
l'homme qui a gardé le sens de l'ordre, cette 
morsure de l'âme blessée par le désordre qu'elle 
a mis en elle? Car le remords , c'est cela-même, 
c'est le sens, de l'ordre dans l J âme qui a con- 
sommé le désordre ; c'est le sens du bien dans 



L ETERNITE ET LA VIE FUTURE 



217 



l'âme qui a embrassé le mal. Le remords! étrange 
châtiment, où le prévaricateur est tout à la fois 
le bourreau et la victime; le remords! monstre 
mystérieux qui décore au fond d'une conscience 
troublée les fantômes de bonheur et de paix 
que l'on essaye de se faire au sein même du dé- 
sordre. 

Le remords ainsi conçu est dans l'hu- 
manité l'un des phénomènes les plus émouvants. 
Des génies de premier ordre, même dans l'an- 
tiquité, en ont créé des tableaux et des types, 
qui ont conquis la gloire de l'immortalité. 

Mais, Messieurs, qui pourra vous dire ce que 
doit être dans l'âme du réprouvé P'Eternité du 
remords, créé par ses désordres du temps? 
Comme la douleur du rçgret, la douleur du 
remords, croît et grandit aussi en proportion de 
deux choses, à'savoir : en proportion de l'appa- 
rition du désordre accompli et de l'impuissance 
à le chasser de soi 

Or, ces deux éléments de la souffrance et de 
l'amertume du remords, sont, dans le réprouvé, à 
leur suprême degré ou à leur plus haute puis- 
sance. 

A peine arrivé au seuil de l'Eternité, le pê- 
cheur voit s'évanouir subitement toutes lesobs- 

13 



' 



218 



L'ÉTERNITÉ ET EA VIE FUTURE 



curitésque le temps laisse planer sur les splen- 
deurs de l'ordre ; et une lumière vraiment fulgu- 
rante fait briller dans son âme une formidable 
clarté. L'ordre que Dieu a établi lui apparaît dans 
sa plus complète irradiation ; et sa violation se 
révèle au coupable dans toute son horrible lai- 
deur. 

Ici-bas , la faiblesse même de notre humaine 
pensée, les nuages de Terreur, les ténèbres 
amassées par les plaisirs et par les voluptés, 
obscurcissent pour nous la lumière de l'ordre, et 
par suite diminuent dans l'âme.avec le sens du 
désordre, la douleur du remords. 

Mais quand la mort vient de sa main retirer 
devant le réprouvé le voile qui lui en cachait les 
splendeurs éternelles; et lorsque cet ordre 
Eternel et immuable lui apparaît dans toute sa 
clarté: oh! qui pourra jamais dire ce qu'est alors, 
dans cette pleine lumière, au fond de la cons- 
cience, le remords de l'avoir violé? Et que sont, 
devant le supplice de ce remords d'outre-tombe, 
les remords qui ont fait,à travers l'histoire, leurs 
plus éclatantes.et leurs plus tragiques explosions? 
Ce qui complète dans l'Eternité ce supplice 
du remords, c'est l'impossibilité absolue d'y ap- 
porter un apaisement quelconque. Comme le 



l'éternité et la vie future 



219 



regret y est inguérissable, le remords y est ma- 
paisable. 

Sur la terre , que de causes apaisent ou en- 
dorment le remords ! Le charme des plaisirs , 
l'ivresse des voluptés, l'habitude même de la 
prévarication, l'influence des erreurs et des doc- 
trines pervertissant la conscience, Semblent plus 
ou moins amortir le remords , si elles ne le tuent 
tout à fait. Et, pour le chasser de lui, le pécheur 
a un moyen essentiellement efficace : la confiance 
de son pai'don puisée dans le repentir. 

Mais, dans l'Eternité, quel charme, quelle 
ivresse, quelle erreur capables d'émousser pour 
le damné l'aiguillon du remords? Et surtout, 
quel repentir capable de lui rendre, par l'extinc- 
tion du remords, la paix de l'innocence? La co- 
habitation Eternelle et inévitable de son âme 
avec le péché qu'il a emporté, en passant par la 
mort, au sein de son Eternité, c'est le remords 
avec toutes ses tortures à jamais fixé dans sa 
conscience; c'est comme un serpent enfermé 
dans la poitrine et y faisant sentir une morsure 
Eternelle; c'est, comme le vautour, dont parle la 
fable, éternellement attaché aux entrailles de 
Prométhée : image affaiblie de l'Eternel et ina- 
paisable remords attaché pour toute l'Eternité au 



220 



L'ÉTUKNITlî ET LA VIE FUTURE 



tond de Ja conscience coupable. Disons mieux; 
avec 1 Ecriture, c'est le ver qui ne meurt pas 
mais qui ronge éternellement cette âme qui l'a 
enfermé en elle avec le remords : VermU eorum 
non moritur. 

Ainsi , dans l'âme du réprouvé,avec l'Eternité 
du regret, l'Eternité du remords. Je ne connais 
Plus quune chose plus aggravante encore, 
dans le supplice du pécheur impénitent, l'Eter- 
nité du désespoir. 

Le désespoir! c'est-à-dire la rupture avec 
toute espérance : là est, si je le puis dire, l'idéal 
de la douleur; là gît, même en cette vie ] a 
cause ou la raison secrète des plus grandes 
souffrances : Ne plus rien espérer! La mère dé- 
sespérant de conserver ou de revoir son enfant- 
1 enfant désespérant de revoir sa mère; l'épousé 
sans espoir de revoir son époux; l'exilé n'es- 
pérant plus revoir sa patrie; le prisonnier n'es- 
pérant plus revoir la lumière ; le malade déses- 
pérant de revenir à la santé : Ne sont-ce pas là 
d ordinaire, les types ou les personnifications 
les plus émouvantes de la souffrance humaine' 
Et, lorsque cette désespérance atteint dans 
1 homme son plus haut degré; lorsque le 
malheureux ici-bas n'attend plus rien, abscr 



L ETERNITE ET LA VIE FUTURE 



221 



lumeut rien; lorsqu'il a senti tout ce qui 
l'attachait encore à l'existence se briser au- 
tour de lui, et tout ce qu'il aimait se re- 
tirer de lui; ah! n'est-ce pas alors que trop 
souvent la vie s'effondre, comme un édifice qui 
a perdu tous ses appuis? Oui, c'est alors que 
l'homme se penche sous le plus lourd fardeau 
qu'il soit possible de porter, une vie qui n'es- 
père et n'attend plus rien; et que la rejetant 
comme un poids qui l'écrase, il s'écrie, la tris- 
tesse au cœur, la pâleur au visage et le poignard 
à la main : Allons, c'est fini; nous n'avons plus 
qu'à mourir! Plus d'espérance! 

11 setrompepourtant. l'infortuné; oui, le suicidé 
se trompe; il a encore une espérance, car il se 
dit, en rejetant sa viedu temps: Dans l'autre vie, 
ce sera mieux, peut-être! Et s'il ne croit plus 
même à une autre vie, il espère encore; car il 
invoque la mort comme une délivrance, et si je 
le puis dire, comme une dernière espérance. 

Ainsi, même en ceux que tout dans le temps 
désespère le plus, il y a encore une espérance. 
Et nos désespoirs, même les plus profonds n'y 
sont jamais que relatifs. 

Mais le désespoir absolu, le désespoir éternel 
au sein d'une nuit qui l'enveloppe, sans lui 



222 l'éternité et la vie future 

laisser même leplus petit rayon d'espérance, ah! 
comment comprendre tout ce qu'il ajoute d'ag- 
gravation au supplice du réprouvé? Se sentir 
attaché, sans pouvoir la rejeter jamais, à une 
vie où la souffrance doit renaître éternellement 
delà souffrance, sans pouvoir lui dire à une 
heure, par une parole efficace : « Va-t'en, laisse- 
moi; » et à tout instant de sa souffrance atten- 
dre encore une Eternité de souffrance ! 

C'est l'effroyable situation du désespéré de 
L'autre vie : ne pouvoir plus rien attendre, si ce 
n'est ce à quoi il voudrait s'arracher : la douleur, 
et toujours la douleur ! 

Voilà le caractère le plus affreusement ini- 
mitable que l'Eternité imprime au supplice du 
volontaire réprouvé : l'absolu dans le désespoir; 
l'impossibilité de toute espérance. Impossibilité 
qu'exprimait un grand génie éclairé par sa foi, 
en montrant inscrit sur la porte des éternels 
châtiments : «. Vous gui entrez par cette porte, 
laissez-y V Espe'rance ! » car, si l'espérance y 
pouvait entrer, ce ne serait plus l'enfer; l'en- 
fer, où l'on n'espère plus! 

Si du moins, dans ce naufrage de toutes 
les espérances de la vie, il pouvait garder en- 
core l'espoir de la mort!... Ah! s'écrie ce vivant 



l'éternité et la vie future 



223 



sans espérance, si je pouvais mourir! Si le 
néant nie restait comme libérateur de cette ser- 
vitude, qui fait de moi un esclave éternel! 
Mais c'est là précisément ce qui met le com- 
ble à son désespoir et à son malheur : l'impos- 
sibilité de mourir. 

Les malheureux , s'écrie Job , attendent et 
cherchent la mort , expectant morlem. Et com- 
me on creuse la terre pour trouver un trésor, 
eux la creusent pour trouver un sépulcre; quasi 
effodienles thesaurum. Et, quand ils ont trouvé 
un tombeau , ils tressaillent de joie : Oaudent- 
que vehementer cum invenerint sepulcrum (]). 

Mais l'Eternité, c'est la fin, la fin qui ne doit 
plus finir; comment faire dès lors, pour s'ouvrir 
un sépulcre? En vain le réprouvé essayerait de 
creuser dans ce granit, en s'écriant : La mort, 
la mort! Après le sépulcre qui a dévoré mon 
corps, où trouverai-je un sépulcre qui dévore 
mon âme ?... Mais la mort ne vient pas; elle ne 
viendra jamais cette mortsiardemmentdésirée; 
exspectant mortem et non venit. mort! ô mort! 
viens, viens à mon secours. L'Eternité répond: 
La vie, la vie! Vivre toujours; mourir jamais 
Et tandis que l'Eternité lui porte le défi de mou- 
Ci) Job III. 2t. 



224 



L'ÉTERNITÉ Et LA VIE FUTURE 



nr. en lui disant : La vie! la vie! lui, s'écrie 
dans un désespoir sans remède et sans conso- 
lation: Eternité! Eternité! Et l'un et l'autre 
cest.a-d.re l'Eternité et lui, di.ent ensemble' 
comme cette voix d'un damné que Dieu feisaii 
un jour arriver, pour le convertir, à l'oreille 
d un moribond, du plus profond de l'Eternel 
abîme : Plus d'Espérance! Plus d'Espérance' 
Messieurs, j'ai fait sur moi . méme un 

cZ7ef V PaT V ° US Petenir aV6Cm0i d —t 
eue effroyable perspective. Je respire, en pen- 
sant que j ai maintenant à vous en montrer une 
autre bien différente. Aussi, après vous avo 
X ^ ^ ™***é est par rapport a 
ma heur des réprouvés ; j'ai hâte de vous dire ce 
qu elle est par rapport au bonheur des Elus. 

II 

. Ce que la pensée de l'Eternité est par rapport 
aubonheur de. élus dans le ciel, L'ert^ 

^rV 3 raiS °' n Gt d6Vant Ia foi ' le ^nheur 
des élus doitetrele W ^bonheur; un bonheur 
qui, bien que s'élevant dans chacun avec le de- 



rilKtti 



l'éternité et la vie future 



2>5 



gré du mérite, sera dans tous le rassasiement 
complet des désirs ; en sorte que l'élu, même le 
moins élevé dans la hiérarchie des célestes fé- 
licités , n'aura plus rien à désirer, et ignorera 
dans le ciel cette chose qui blesse tous nos 
bonheurs de la terre, à savoir : le sentiment du 
vide. A qui peut-il échapper, en effet , que qui- 
conque se sent vide par quelque e adroit, aspire 
naturellement au delà de ce qu'il possède, et que 
celui qui aspire au- delà, n'est pas en réalité 
parfaitement heureux. 

Ce principe une fois admis, et il est incon- 
testable, il sera facile de comprendre ce que 
la perspective de l'Eternité est par rapport au 
bonheur du ciel. Elle en est tellement la con- 
dition nécessaire et l'élément essentiel, que 
sans elle, le parfait bonheur ne se peut plus 
même concevoir. Sans la certitude d'une durée 
éternelle, il en serait à peu près de la félicité 
du ciel, ce qui en est de nos félicités de la 
terre : la crainte de la voir finir en trou- 
blerait la possession. Là est la grande blessure 
qui atteint en leur fond le plus intime tous les 
bonheurs que nous essayons de nous faire ici- 
bas : l'impuissance absolue de les perpétuer. 

Alors même que la Providence vous fait sur 

13 



226 



L'ÉTERNITÉ ET LA VIE FUTURE 



la terre dans la situation la pl us souhaitable le 
Plus grand bonheur que vous puisse imaginer 
unechose, bon gré, mal gré, en trouble la posses^ 
sion: vous savez que ce bonheur doit finir, et 
même qu'il va bientôt finir. 

Imaginez la possession la plus complète et la 
moins troublée de tout ce qu'un homme peut 
posséder ici-bas. Voici un homme, pareil au 
roi Salomon, en possession de toute richesse 
de tout honneur, de tout plaisir, de toute 
science; a la lettre, tout y est et rien n'y 
manque, ce semble, pour réaliser l'idéal de la 
terrestre félicité. 

^ Ah -iY letr0mpe ' unechose 7 manque, la 
sécurité dans la possession, la certitude d'as- 
surer pour l'avenir le bonheur de son présent 
Non seulement, comme Salomon, il sent le 
vide ou la vanité qui est au fond de tout : , Et 
vdt guod omnia estent vanitas. » Mais, alors 
même qu'il ne sentirait pas le vide, qui résulte 
de la disproportion entre ce que l'on possède et 
la faculté de posséder, une autre raison plus 
munie et plus profonde encore l'empèeherait de 
jouir tout à fait, et de trouver la paix au sein de 
a jouissance : c'est l'inévitable pressentiment 
de la fin, de cette fin dont l'ombre triste vient 



l'éternité et la vie future 83? 

assombrir même ses meilleures joies. 

6i vous vous représentez la possession de 
tous les biens et de tous les plaisirs de cette vie, 
comme un banquet splendide où un homme 
vient s'asseoir avec ses heureux convives ; com^ 
ment pourra-t-il, sans ombre de tristesse, jouij* 
de ce banquet de la vie, si, comme au festin de 
Balthazar, il croit voir une main mystérieuse 
écrire sur la muraille cette parole qui vient en 
troubler la joie : Finir! finir! Voici venir la 

fin! 

Il résulte de ce que nous venons de dire, que 
même la possession de Dieu ne nous remplirait 
pas et ne nousbéatifieraitpastout à fait, si, par- i 
hypothèse, cette possession de Dieu pouvait finir 
un jour. L'homme, dans cette hypothèse, doué 
qu'il est de la puissance de prévoir, troublerait 
son présent par la prévision de son avenir, et 
même au sem et dans les bras de Dieu, ne se sen- 
tirait pas parfaitementheureux. A chaque instant, 
il pourrait se dire : Je sais que mon bonheur doit 
finir; mais quand? Sera-ce demain? Après- 
demain? Et ne pouvons-nous pas même ajouter 
que plus grand seraitsonbonheurdansla posses- 
sion de Dieu, plus grande aussi serait la frayeur 
de le perdre; et que la joie de l'embrasser serait 



228 



L'ÉTERNITÉ ET LA VIE FUTURE 



^alee, et peut-être môme surpassée par 1-, 
crainte ou plutôt par la certitude d'en etr un 
jour séparé? Qui ne sait que, même sur if T 
ce sont les plus heureu x q ui ^ZZ on S 
Plus tourmentés par la pensée de voirWflïfi 
tout leur bonheur , Comment, d s ^ SfT 

-e.nde Dieu.alors qu'atout instant il pourrait 
lm dire mon Dieu, beauté! bonté" 
Quoi! après vous avoir vue et possédée, ilfaud a 

titude de ne le perdre jamais 

Donc, Messieurs, rien n'est plus certain • l P 
bonheur du ciel, pour être un p'arfa t on Lu 
doit être Eternel. Nous pourrions à langue 
pas aller plus loin. *4Tueui ne 

Mais, ce que je veux surtout montrer ici, ce 



L liTliRÇITJE ET LA VIE FUTURE 



229 



n'est pas seulement la nécessité, pour le parfait 
bonheur de l'autre vie, d'être Eternel, c'est-à- 
dire sans fin; ce que je veux mettre surtout dans 
une pleine lumière, c'est tout ce que la pensée 
de l'Eternité ajoute, sous tous les rapports, à la 
félicité du ciel. 

Que ferons-nous, dans le ciel?. . . 

Dans le ciel nous verrons Dieu, videbimus. 
Dansle ciel nous aimerons Dieu, amabimus. Dans 
le ciel nous posséderons Dieu; et, dans l'extase 
de cette vision, de cet amour et de cette posses- 
sion, nous le louerons, laudabimus. 

Après le bonheur de le croire sur la terre , le 
bonheur de le voir face à face dans le ciel; après 
le bonheur de l'espérer et de l'aimer sur la terre, 
le bonheur de l'embrasser dans le ciel; et après 
le bonheur de souffrir pour lui sur la terre, le 
bonheur de jouir de lui dans le ciel : telle est, 
pour la résumer en trois mots, la réalité de la 
céleste béatitude. 

Or, qui pourra jamais comprendre, et surtout, 
qui pourra jamais dire, ce que la perspective de 
l'Eternelle durée ajoute à cette félicité triple et 
une tout ensemble? Remarquez-le bien, de même 
que je n'avais pas tout à l'heure à vous dire tout 
le mystère du supplice de l'enfer, je n'ai pas non 



230 



l'éternité et la. vie future 



plus maintenant à vous décrire tout le bonheur 
du ciel, ni à vous faire pénétrer jusqu'au fond de 
son ineffable mystère; mystère qui, au dire de 
saint Paul lui-même, - qui en avait eu cepen- 
dant la sublime vision, ~ dépasse tout entende- 
ment et tout sentiment humain . Les discours les 
mieux concertés et les plus éloquents ne man- 
quent pas d'ailleurs sur ce grand sujet. Ce que je 
veux montrer uniquement, o'est ce qu'ajoute la ' 
pensée Ae l'Etemel à la céleste béatitude, consi,' 
dérée sous le triple rapportque jeviensd'énoncer. 
Et d'abord, le premier élément de la céleste 
béatitude, c'est la visiou, la vision intuitive de 
Dieu même, c'est-à-dire de llnfini^Sur la terre, 
nous avons une certaine vue de Dieu; mais nous 
ne le voyons que comme on voit dans un miroir 
un reflet ou une imag-e; et malgré cette vue ré- 
flexe do Dieu, son essence et sa vie intime nous 
demeurent une énig-me,ou comme une chose in- 
comprise. Mais, au ciel, nous le verrons face à 
face; nous le connaîtrons comme nous nous con- 
naissons ucus-mêmes. C'est le dog-meque pro- 
fesse l'Eglise appuyée sur la révélation de saint 
Paul dans sa lettre aux Corinthiens : Videmnt 
nnneper spéculum in enigmatejunc autemfaeie ad 
faciern (I). 

(!) Con:Uh. XIII. 12. 



L ETERNITE ET LA VIE FUTURE 



231 






Ce qu'est en elle-même et comment se réalise 
cette vision intuitive de Dieu; ce que donne de 
ravissement et de bonheur extatique cette vue 
claire et face à face de l'Infini, il n'est pas démon 
sujet d'entreprendre de le dire; le fût-il même 
que je désespérerais de pouvoir y réussir; car 
nous sommes ici en face de l'incompréhensible, 
du mystéiieux et de l'inexprimable. Tous ce- 
pendant/devant ce mystère de la vision intuitive, 
nous pouvons nous dire : Si le face à face avec 
lé fini et le créé, si la vue des merveilles de la 
création nous donne quelquefois je ne sais 
quels transports et quels ravissements béati- 
fiques , ah! que sera-ce de contempler cette 
Infinie beauté, dont toutes les beautés de la 
création ne sont que de pâles reflets? Si donc 
nous nepouvons nous faire une idée, surtout une 
idée complète du bonheur de cette céleste vision, 
nous pouvons en avoir jusque dans nos visions 
delà terre, comme un prophétique pressentiment. 

A.h ! si la séraphique Thérèse, pour avoir eu la 
vision d'une seule main de Jésus Christ, trouvait 
que toutes les splendeurs de la lumière et du 
soleil n'étaient pour elle que pâleur devant l'éclat 
ineffable de cette divine main; ah! Thérèse ne 
pouvait-elle pas pressentir quelque chose de ce 



232 



L'ÉTERNITÉ ET LA VIE FUTURE 









que sera au ciel la pleine vision du Christ tout 
entier; de ce Christ, c'est-à-dire de ce Verbe in- 
carné et glorifié, en qui et par qui nous verrons 
Dieu et tout ce qui est de Dieu ; de ce Christ qui 
nous montrera sur son front la condensation de 
toutes les beautés créées, transfigurées par la 
lumière de la divine et éternelle beauté? 
^ Mais que serait, pour la parfaite félicité des 
Saints dans le ciel, même cette vision de l'In- 
fini, s'ils pou valent, un moment, douter de sonEter- 
nelle durée? Que deviendrait le bonheurde cette 
inénarrable vision de l'Infinie beauté, s'ils de- 
vaient se dire,mème dansl'extasedecettecontem- 
plation: beauté divine, ô Infini de la beauté, 
quel bonheurdevous voir! Mais quelle tristesse de' 
penser qu'un jour nous ne vous verrous plus! 
Qui ne comprend, dans cette hypothèse, quel 
nuage viendrait pour eux obscurcir le ciel même 
de la béatitude ? 

Mais dans cette vision béatifique, dans ce face 
à face avec la divine beauté, supposez la pers- 
pective d'une éternelle durée; oh! alors quelle 
différence! Alors, dans cette contemplation de 
l'Infini de Dieu, quel accroissement, et quel ra- 
jeunissement perpétuel de la félicité! 

Oh ! comme ce bonheur de la vision semble à 



L ETERNITE ET LA. VIE FUTURE 



233 



tout instant se multiplier par lui-même, alors 
qu'à ce bonheur de voir l'Infinie beauté se joint 
sans cesse le bonheur de savoir qu'on la verra 
toujours. Et comme le ravissement succède au 
ravissement, alors que l'Eternité pour eux tou- 
jours présente, promet aux bienheureux de ré- 
'véler à leurs regards toujours ravis des beautés 
toujours nouvelles, et de faire briller dans ce 
monde de l'Infinie lumière des astres toujours 
nouveaux! 

J'entends des hommes qui disent : Mais que 
peut, pour le bonheur des élus.ce face à face sans 
fin? Qu'est-ce que cet éternel regard jeté sur la 
beauté de Dieu, si ce n'est l'éternel ennui dans 
l'éternelle uniformité? Ahl l'ennui, la souffrance 
de l'ennui dans l'uniformité et la monotonie du 
supplice, je la comprends, et nous venons de le 
voir. 

Que dis-je? l'ennui dans la vision des choses 
infimes de cemonde, nous le pouvons comprendre 
encore. Et c'est d'elles que nous pouvons dire avec 
l'Esprit-Saint : « Non satialur oculus visu. L'œil 
« n'est pas rassasié parce qu'il voit; » c'est-à-dire 
l'âme, par sa faculté de voir, n'est remplie par 
aucun spectacle d'ici-bas. 

L'ennui dans la contemplation? Ah! s'il s'a- 



234 



l'éternité et LA VIE future 




g-issaitdela contemplation d'une beauté impar- 
faite, d'une beauté finie, d'une beauté terrestre; 
peut-être» Mais l'ennui dans la vision de la 
beauté Infinie; oh! non, jamais. Comment con- 
cevoir cet éternel ennui, alors que baignés de 
toutes parts dans les flots de la lumière Infinie, 
les Saints se meuvent dans cet océan sans ri- 
vage.et y vont, selon le beau mot de Saint Paul, 
de clarté en clarté, de claritate in claritatem; et 
cela, dans une extase qui n'a pas plus de fin 
que cet océan de lumière n'a lui-même de li- 
mites ! 

N'entendez-vous pas ces bienheureux con- 
' templateurs de l'Infinie beauté, s'écrier dans leur 
perpétuelle extase :ODieu,quelle est ravissante, 
votre Infinie beauté! Quel bonheur de' la voir 
aujourd'hui! Mais quel accroissement dans ce 
bonheur de vous voir, de savoir, sans crainte de 
nous tromper, que nous vous verrons encore 
demain, après-demain, et toujours! 

Ainsi l'Eternité complète la béatitude de la 
vision intuitive. 

Quoi ! et l'on vient nous parler de monotonie 
dans la contemplation de Dieu,- et d'ennui dans 
cet éternel regard de la créature jeté sur son 
Créateur! Comment expliquer une telle aber- 






l'éternité et la vie future 



235 



ration dans la pensée, j'allais dire une telle ex- 
travagance dans l'esprit humain? 

Ah! c'est que sans doute dans ce regard et 
cette contemplation, on oublie deux choses. On 
oublie d'abord que cette contemplation c'est la 
contemplation de l'Infini, qui par son infinité 
même exclut l'uniformité , parce qu'il renferme, 
au sein de son unité, l'infinie diversité. On 
oublie, surtout, que cet éternel regard jeté 
sur la divine beauté, c'est un regard d'amour, et 
d'un amour dont nos terrestres amours ne peu- 
vent pas même nous donner une idée. 

Qui ne sait comment, même sur la terre, l'a- 
mour, alors qu'il est profond et vraiment sou- 
verain, se plaît à prolonger le regard jeté sur le 
bien-aimé?Ah ! c'est que ceux qui s'aiment, non 
seulement sont heureux de se voir et de so voir 
encore; mais ils attachent avec bonheur l'un 
sur l'autre un long- regard, regard pour eux 
relativement béatifique, et qu'ils voudraient, s'ils 
le pouvaient, prolonger indéfiniment. Que peu- 
vent-ils v.oir cependant en se regardant, si ce 
n'est le fini, le fugitif,l'imparfait?Kt néanmoins 
que de félicité déjà l'amour croit trouver dans 
ce regard! 

Que doit donc être dans le ciel le .bonheur de 



236 



L'JÏT^ENITB HT LA VIE FUTUHB 



ce regard éternel, alors que ce qu'il voit ^ 
piment beau, l'inflniinent ^ ™ £* 

™rr ,e; aiors - enfin - <- » ^" 

un eg-ar.1 d amour jeté sur l'Etre dont l'amour 

Aussi no v U 6St am ° Ur ; DéUS ^itasest. 

Aussi, pour bien comprendre comment TEter- 

mte complète dans le ciel le bonheur de la *. 

W Ïu^el ' " *" ^^ ^ le V«JZ- 

ZTon T ^ '° nS1Ste PaS SeulemeQt ^ la 
^sion, mais qu'il consiste, plus encore, dans 

1 amour dans son centre est le fond du paradis 
ou de la céleste béatitude ûu Parad 1S ,, 

talt a rw n T 8 * aUSSl SimplG *™ fondamen- 
aie. C est que l'amour est à la fois et le fond de 

la nature humaine, et le fond de la nature divi- 
L'amour est le principe vital et le principe 

s°c z: mr humaine - c ' est «« ie -ur : 

la poitr n P '' ^ * ^ "^ COm ™ 

la poitrine respire; et cet amour du cœur hu 

maing-ravite vers un autre amour. D'où il résulte 
que le parfait bonheur de l'homme doit et n 
repos dans un légitime amour 
D'autre part, Dieu lui-même est amour, Beus 



tmamm 



l'étfrnite et la vie future 



237 



charitas est; et il aime, comme le feu brûle, 
comme la lumière rayonne. Donc vivre et se 
reposer en Dieu, c'est vivre et se reposer dans 
l'amour. 

Ces deux raisons qui n'en font, pour ainsi dire, 
qu'une seule, démontrent la même vérité, à sa- 
voir : la nécessité de l'amour pour le suprême et 
parfait bonheur de l'homme. D'où cette conclu- 
sion.exigée tout à la fois par la nature humaine 
et par la nature divine, à savoir, que le ciel est, 
par-dessus tout, le lieu de l'amour, la paix, la 
tranquillité, l'ordre, le repos dans l'amour. En 
un mot, comme je viens de le dire, l'amour est 
le fond et le centre du paradis. La vision de l'In- 
fini est le repos de l'intelligence ; l'amour de l'In- 
fini est le repos du cœur. En un mot, aimer, 
aimer Vu r.our même, l'amour infini, est la néces- 
sité souveraine du parfait bonheur du ciel. Je 
n'insiste pas sur une vérité dont nous avons 
tous, au plus intime de nous-mêmes, la révé- 
lation spontanée. 

Mais, j'insiste pour montrer qu'ici encore, 
l'Eternité, ou la perspective de l'Eternelle vie, est 
la condition absolue du parfait bonheur! Quand 
on aime, pour être parfaitement heureux dans 



238 



l'éternité et la vie future 



son amour, il faut avoir la certitude que l'on ai- 
mera toujours . 

Hélas! c'est l'irrémédiable douleur, c'est l'in- 
guérissable blessure de tous les amours d'ici- 
bas, de se sentir impuissants à se perpétuer, et 
de ae pouvoir apposer sur nos cœurs et sur le 
cœur de c*ux que nous aimons, le sceau de l'im- 
mortalité. Oui, ce qui frappe et blesse au cœur 
les félicités que l'on essaye de se faire dans les 
amours de la terre, c'est d'en sentir,à toute heure 
les fragilités et les caducités; c'est de trop bien 
savoir que nos unions.mème les plus heureuses 
même les plus durables, ne font que nous 
prophétiser nos douloureuses et inévitables sé- 
parations. 

Séparations! Ah! voilà bien le mot qui, pareil 
à un glaive, pénètre au plus intime de nos cœurs 
pour y tuer, ou du moins blesser à mort, les fé- 
licités que notre amour essaye de se faire ici- 
bas. Séparations ! Au fond de nos grandes 
souffrances etde nos grandes désolations, y a-t-il 
donc autre chose? Creusez jusque dans leur 
tond les souffrances humaines, sous quelque 
forme qu'elles se présentent, qu'y trouvez-vous, 
si ce n'est un amour séparé de ce qu'il aime' 
Souffrance de l'orphelin, souffrance delà veuve 



-.'..'.. 



L ETERNITE ET LA VIE FUTURE 



239 



souffrance de la mère, souffrance du prisonnier, 
souffrance de l'exilé, souffrance de l'isolement... 
Au fond, c'est toujours la même chose : un amour 
qui pleure l'abseuce de ce qu'il aime, en un mot, 
un amour séparé. 

Voilà ce qui fait non seulement la tristesse 
et le découragement, mais parfois même le dé- 
sespoir de tous ceux qui aiment dans le temps 
sans mettre dans leur amour quelque chose 
d'Eternel. 

Ah ! s'écriait naguère un homme qui en avait 
fait la désolante expérience : « Malheureux que 
« je suis , je n'ai rien aimé d'immortel. Tout ce 
« j'ai aimé, je l'ai pris dans le temps; et voici 
« que cette fuite du temps et de tout ce que j'ai 
« aimé dans le temps, est pour moi comme le dé- 
« sespoir... » 

Au contraire, quelle joie, quelle joie sans mé- 
lange, quand on aime vraiment et profondé- 
ment ce qui est légitime ce qui est pur, ce 
qui est saint, de pouvoir se dire que ce qu'on 
aime aujourd'hui, on l'aimera toujours ! Tou- 
jours ! c'est-à-dire non seulement le toujours 
que le temps nous mesure, mais le toujours des 
siècles éternels ! 

Même alors que ce que nous aimons n'est pas 



240 



L ETERNITE ET LA VIE FUTURE 



infini, et que de toutes parts nous touchons les 
limites qui enferment les objets de notre amour; 
quelle surabondance de joie, quel surcroît de fé- 
licité ce serait pour nous , si nous pouvions 
nous dire en les étreig-nant |dans nos bras, tout 
impuissants qu'ils sont à -remplir toute la ca- 
pacité de notre cœur : Ah! ces êtres chéris, ces 
êtres préférés, à qui j'ai donné le meilleur de 
mon cœur et le plus pur de mon amour, je sais 
qu'ils ne me manqueront jamais ; je sais que le 
même amour fera toujours battre nos cœurs ; 
et que nous nous aimerons éternellement. 

Oh ! qui pourra comprendre tout le mystère 
de la joie que pourrait mettre dans un cœur 
humain, l'amour même d'un bien fini, mais un 
amour sûr de son éternité? 

Qu'est-ce donc, si ce que j'aime c'est l'Infini 
lui-même, l'infiniment bon, l'infiniment parfait, 
l'infiniment aimable, c'est-à-dire l'être vivant, 
seul capable de répondre à toute ma puissance 
d'aimer? Et si je puis dire, à chaque moment de 
ce béatifique amour : ah ! cet être infiniment ai- 
mable, cet être qui m'aime lui-même d'un amour 
infini, Je l'aime! Et n'eussé-je qu'un jour à 
l'aimer,ce serait pour moi déjà un bonheur que 
nul amour de la terre ne peut me représenter. 



L ETERN1TK ET LA VIE FOÏDRE 



24] 



Mais ce qui est pourmoi le comble du bonheur, 
c'est de savoir que cet être infiniment aimable, 
ie l'aime pour toute mon Eternité. 

Et voilà ce qui fait non seulement l'Eternel 
bonheur, mais encore l'Eternel ravissement de 
mon amour. Ah ! c'est que je sais que bien dif- 
férent de tous les amours de la terre et du temps, 
cet amour ne connaîtra jamais ni la lassitude, 
ni le regret, ni le dégoût, ni un décroissement 
quelconque ; je sais qu'il ira se ravivant sans 
cesse, et que sa flamme ne s'éteindra pas ; 
parce que cet amour ne connaît ni caducité, ni 
vieillissement quelconque; il a la jeunesse de 
l'Eternité. 

Aussi, Messieurs, comme l'intellig-ence des 
habitants de la céleste patrie est éternellement 
béatifiée, en voyant se révéler au fond de l'In- 
fini des beautés toujours nouvelles et des splen- 
deurs qu'ils n'avaient pas encore contemplées ; 
ainsi leur cœur est éternellement béatifié, en 
sentant au sein de cet Infini qu'il aime, des 
amabilités et des trésors d'amour qu'il n'avait 
pas encore soupçonnés. Et je crois entendre 
tous ces béatifiés du divin amour s'écrier, dans 
la certitude qu'ils ont d'aimer éternellement l'a- 
mour même : amour! amour infini ! Vous 

14 



242 



l'éternité et la vie future 



aimer, vous aimer encore, vous aimer, toujours 
est le bonheur que vous nous avez préparé 
des le commencement du monde et pour toute 
l'Eternité!... 

Mais, nous lavons dit: au ciel non seulement 
nous verrons Dieu, non seulement nous aimerons 
Dieu; nous V embrasserons, et dans la joie exta- 
tique de cet embrassement, nous le louerons; 
laudabimus . 

Oui, au ciel nous embrasserons Dieu, c'est-à- 
dire l'Infini, ou plutôt pour parler plus juste, 
c est cet Infini lui-même qui nous embrassera. ' 
Quel est le mystère de cet embrassement divin' 
Et comment avec les faibles sons de cette voix 
pourrais-je vous en révéler quelque chose ? 

Du reste, ici encore, je ne creuse pas dans 
son essence et dans son fond ce mystère de la 
céleste béatitude , je le constate ; et je me con- 
tente de vous dire : Oui, pour nous le suprême 
bonheur du ciel, le dernier mot, le mot abrégé 
de notre paradis, c'est un embrassement divin • 
c'est l'homme embrassant Dieu, ou plutôt, c'est 
Dieu embrassant l'homme. 

En ce sens vrai, mais ineffable, se réalisera 
la communion intime, aussi intime qu'il est pos- 
sible de l'imaginer, entre la vie humaine trans- 



L ÉTERNITÉ ET LA VIE FUTURE 



243 



figurée eu Dieu et la vie divine communiquée 
à l'homme ; et ce sera non pas la communion 
purement mystique, qu'opère en nous la vie sur- 
naturelle, et qui ne donne pas par elle-même le 
sens intime de sa réalité; ce sera la communion 
vraiment béatifique, dans laquelle la vie tres- 
saille de sa joie et de son bonhaur au contact 
de la vie. Véritable possession, ineffable jouis- 
sance de Dieu lui-même, où l'âme humaine 
plougée dans l'Infini, comme le poisson dans la 
mer, connaîtra ce qu'à défaut d'autre mot, saint 
Bonaventure appelle l'enivrement de la divine 
suavité, divinœ suavitatis inebriatio . 

Mais, encore une fois, vous dire ce que peut et 
ce que doit être en soi pour le bonheur de l'hom- 
me, cette jouissance ou cet enivrement de Dieu 
même, ce n'est pas le but de ce discours. Ce que 
je veux montrer, comme je viens de le faire pour 
le bonheur de la vision et de l'amour, c'est ce que 
doit ajouter à cette jouissance et à cet enivre- 
ment de l'essence divine, la considération de 
l'Etemelle durée dans cet enivrement lui-même. 

Et ici encore, ici surtout, devant le mystère de 
cette vie pénétrée et enivrée de l'essence divine 
elle-même, je me dis : Cet embrassement de Dieu, 
ne fùt-il que d'un jour, qui, parmi nous, ne sou- 



2^4 L'ÉTERNITÉ ET LA VIE FUTURE 

Citerait, même au prix de tous les sacrifices 
davo.r connu la joie d'un tel jour? Et, comment 
pouvons-nousnousfig-urer.comment, même pou- 
vons-nous concevoir tout à fait la joie, l'inénar- 
rable joie de cette communion, où l'âme humai- 
ne, arrivée au terme de sa destinée suprême, non 
seulement embrasse Dieu, mais jouit et s'enivre 
de Lid? 

Qu'est-ce donc, si vous supposez que cette com- 
mumon ne doit jamais finir? Qu'est-ce, si cet 
embrassement de Dieu doit durer, non seule- 
ment des années, non seulement des siècles 
mais des milliards et encore des milliards de siè- 
clés? 

Nous qui sommes ici-bas condamnés à n'em- 
brasser que le fini et le misérable, le fugitif et le 
penssable.comment pourrions-nous comprendre 
et dire ce que c'est que l'Eternité dans l'em- 
brassement et la jouissance de l'Infini» 

Ici, Messieurs, plus qu'en tout autre sujet, 
je sens, pour exprimer quelque chose du mys- 
tère divin, l'insuffisance de la parole humaine- 
et je comprends que mon silence serait, pour le 
dire, plus éloquent que cette impuissante parole 
Ornes frères les Saints, vous qui êtes assis à 
cet éternel banquet des divines suavités; vous 



l'iîteanité et la vie kdtdre 



245 



qui, comme nous sur la terre, n'avez plus seu- 
lement de ce bonheur un pressentiment, un soup- 
çon, mais vous qui en g-oùtez les ineffables dé- 
lices, ah! vous seuls, oui, vous seuls pourriez 
bien exprimer et dire ce qui est pour nous l'inef- 
fable et l'inexprimable ! 

Sans doute, ce mystère, vos âmes, dans leur 
éternelle extase, le disent et le redisent, par ce 
parler sans paroles.que connut la-séraphique Thé- 
rèse. Et si Dieu me donnait de pénétrer, ne fût-ce 
qu'un instant, dans votre société bienheureuse; 
il me semble que je vous entendrais tous vous 
écrier dans le tressaillement et dans l'ivresse de 
ce divin embrassement : Ah ! mon bien-aimé, non 
seulement je le vois, je l'aime, mais je l'embras- 
se; je le tiens, et je ne l'abandonnerai pas, tenui 
eum, t ner. dimittam ; et je sais que lui-même ne - 
me manquera et ne me repoussera jamais! 
Dieu, qui m'embrassez, et en m'embrassant me 
rassasiez de vous, oh! qu'il m'est doux de me 
sentir dans vos bras et de me reposer sur votre 
cœur ! Après vous avoir de loin entrevu par ma 
foi, après vous avoir attendu par mon espéran- 
ce, quel bonheur de vous posséder enfin! Quel 
bonheur d'être uni à vous, de jouir de vous, et 

14. 



de savoir que rien désormais ne pourra me ,* 
parer de vous! Pourra me se- 

notre apg-oisse, c'était d'à,™ "'Mlation, 

ilW, Quoi don 'Jt IZi La SÏÏ '""^ '" 

«oor„,,,e vous; notre soif , o-élaitdln^ «sa 
téref à la source de toute vi» et ,i„ ,„ , 

«t eu vous, et que vou 3 1, t ' '™ ^ 

■ . 4 v uub êtes vous-mèmp • a + 

nous voie, nous nourrissant et nous Sîil l 
m vous. Quoi donc? enfin pour an. * 

M Peut-être la l^^T^Z 

Sécu^pn humaine ou satanique pourrai d S0] 
m? m* atteindre? Quelle ^1 
et S1 ai gu so.t-ij, p 0urra nous détacher jamaïde 
vous, alors que le glaive de votre amour 7 e nous 
transperce q ue pour nous fixer éternellement 

Oh I non, nous en sommes certains • rien ni „ 
vie, m la mort; ni les puissances de la terr ni 
les nuisances de l'enfer; ni la hauteur du c 'i 
m la profondeur de l'abîme; rt le ^ £ ' 



L ETERNITE ET LA V/E FUTURE 



247 



ni l'avenir! Neque inslantia , neque fuiura 
ne pourront nous arracher à vous . Le pré- 
sent? Mais notre présent, c'est de vous embras- 
ser et de vous posséder; et notre avenir, ah! nous 
le savons, c'est la durée sans fin, c'est l'Eterni- 
té de cet embras sèment lui-même (1)! 

Ainsi, vous le voyez, Messieurs, sous quel- 
que aspect qu'on la considère, l'Eternité est la 
suprême raison de la félicité du ciel. Le bonheur 
de voir l'Infini, le bonheur d'aimer l'Infini, le 
bonheur d'embrasser l'Infini, sans crainte aucune 
de voir jamais finir ni cette vision, ni cet amour, 
ni cetembrassement: voilà le ciel, le véritable 
ciel: Le repos, mais le repos éternel dans la 
vision, dans l'amour et dans la possession de 
Dieu. Ah! comment avec nos bonheurs si fra- 
giles et nos joies si courtes delà terre, pourrions- 
nous nous faire une idée de ce bonheur et de 
cette joie du ciel? 

Ah! le ciel, sans la perspective radieuse de 
l'Eternelle* durée, serait-ce encore vraiment le 
ciel?Le paradis, sans la certitude de son Eternité, 
serait-ce encore vraiment le paradis, c'est-à-dire 
le lieu d'un repos sans agitation possible? Quel 
que puisse être en lui-même l'objet et l'intensité 

(1 Saint Paul, ad Rom. vm 35-36. 



248 



L'ÉTERNITli ET LA VIE FUTURE 






du bonheur qu'on y goûte, comment supposer 
qu'on s'y repose tout à fait, si la crainte de le 
voir finir vient à tout instant en troubler la 
possession? 

Aussi, lorsque le bienheureux, du terme où il 
est arrivé, c'est-à-dire du haut de sa bienheu- 
reuse Eternité, lorsque de ce point éternelqu'il 
a touché, il regarde la mer orageuse qu'il a tra- 
versée; oh! alors, quelle ineffable joie de se voir 
arrivéàce terme béatifique qu'il ne quittera plus ! 
Qu'il se sent heureux d'avoir sacrifié les féli- 
cités de ce jour fugitif qui se nomme le temps, 
pour la félicité de ce jour permanent qui se 
nomme l'Eternité! Quelle joie d'avoir traversé 
sans naufrage tous les écueils , tous les dangers, 
toutes les tempêtes, etd'enavoirrapportéuncœur 
sans souillure, une conscience sans remords, une 
âme sans regrets ! 

Et, quand il regarde devant lui, quel 
accroissement de joie, de se sentir fixé dans 
un ordre parfait et, par suite, dans un 
bonheur Eternel! Oui, en face de ce passé et de 
ce présent, de ce passé sans regret et de ce 
présent sans remords, quel bonheur de pouvoir 
en souriant regarder l'avenir, ce radieux avenir 
qui lui-même lui sourit du fond de son Eternité, 



L liTEEtNITU ET LA. VIE FUTURE 



249 



et d'en voir surtir sans cesse l'assurance d'un 
bonheur qui ne doit jamais finir! 

Ah! c'est qu'en effet, en se tournant vers cet 
éternel avenir, il voit surgir de son fond la source 
de joie qui doit jaillir éternellement du Cœur de 
Dieu dans son propre cœur. Et cette perspective 
multiplie, si je le puis dire, la joie de son présent 
par toutes les joies que lui réserve cet éternel 
avenir. 

Il n'y a pas, en effet, d'exagération à dire que 
pour les bienheureux du ciel, le bonheur de toute 
l'Eternité se fait sentir à chaque moment de sa 
durée. En possession de leur destinée finale, c'est- 
à-dire de leur destinée éternelle, Ils jouissent à 
la fois, et du bonheur qu'ils ressentent dans leur 
présent, et de celui qu'ils entrevoient et pres- 
sentent au fond de leur avenir; ou pour parler 
peut-être plus exactement; toute leur durée ne 
leur paraîtra que comme un instant, dans lequel 
se remassera, par une mystérieuse concentra- 
tion, tout le bonheur de leur Eternité ; ineffable 
multiplication de l'éternelle félicité, par chaque 
moment de son éternelle durée. Nous disions 
tout à l'heure que le réprouvé, par la prévision 
de son éternel supplice, sent peser sur chaque 
moment de sa souffrance tout le poids de sou 



250 



L'ÉTERNiTÉ ET LA VIE FUTURE 



Eternité malheureuse. Par contre, nous disons 
maintenant que les élus dans le ciel jouissent, à 
chaque instant de leur vie heureuse, de tout le 
bonheur de leur Eternité. 

Même nos bonheurs de la terre, dans cer- 
taines conditions, peuvent nous laisser entre- 
voir ce que peut être, dans le ciel, ce bonheur des 
élus, ayant toujours en perspective le bonheur 
de leur Eternel avenir. Même ici-bas, l'attente 
d un bonheur, n'est-ce pas déjà le bonheur? 
Bonheur de l'espérance, plus grand quelquefois 
que celm de la possession ; cette douce et béati- 
nque espérance multipliant souvent par de lon ffs 
jours, le bonheur de la possession qui ne sera 
peut-être lui-même que de quelques jours 

En ce sens, on peut dire que la joie de la pos- 
session, selon la longueur de l'attente, est plus 
on moins multipliée par la joie de l'anticipation • 
phénomène constant et universel dans l'huma- 
nité, et qui nous aide à deviner et à pressentir 
même sur la terre, comment,dans nos frères les 
Saints, la céleste félicité est multipliée par tous 
les instants de son éternelle durée ! 

Je m'arrête, Messieurs, impuissant que je me 
sens ici encore à vous mieux montrer ce que la 
perspective de l'Eternité ajoute, pour nos frères 



l'éternité et la vie future 



251 



les Saints, à leur félicité du ciel, et, commentées 
deux choses, félicité et Eternité, félicité parfaite 
et durée Eternelle, se tiennent attachées l'une à 
l'autre par une chaîne que rien , absolument rien 
ne peut briser. 



CONCLUSION 



Et en face de cette Eternelle félicité qui doit être 
la nôtre, et pour laquelle Dieu nous à tous créés, 
je vous demande, Messieurs, quf parmi vous, 
pourra s'attacher encore, comme à sa Destinée, 
à ces courts bonheurs que la terre et le temps 
vous promettent ici-bas? 

Ah ! de tout ce qu'on nomme les bonheurs de 
la terre, que ne pourrais-je pas vous dire? Je 
pourrais vous dire qu'ils sont petits, effroyable- 
ment petits, et que rien d'eux ne répond à l'im- 
mense capacité de nos désirs. Je pourrais vous 
dire que ces bonheurs sont superficiels, et 
qu'ils effleurent à peine les surfaces de la vie, 
sans pouvoir jamais pénétrer dans son fond. 
Je pourrais vous dire que ces bonheurs août 




252 



L'ÉTERNITÉ ET LA VJE EDTURE 



trompeur*, et que jamais ils ne donnent ce 
qu ils promettent. Je pourrais vous dire, enfin 
que ces bonheurs sont amers, et que trop sou- 
vent les plaisirs, qu'ils donnent sont submenrés 
dans les cœurs par les flots de la tristesse^ 

Je néglige et je laisse toutes ces misères de 
nos terrestres bonheurs et d'autres encore. Je me 
contente de vous dire: Ces bonheurs sont dé- 
sespérément courts; ils durent ce que durent 
les roses, et quelquefois moins encore. 

Vérité banale à force d'avoir été dite, mais 
qu il faut vous redire toujours, à vous les voya- 
geurs du temps, et qui tous trop facilement vous 
trompez sur la valeur, et surtout sur la durée 
des plaisirs fugitifs et des félicités transitoires. 
• Du reste, Messieurs, entre les deux extrémités 
du malheur et de la félicité, vous avez inévita- 
blement à choisir. 

D'un côté, l'Eternité aggravant le supplice 
d 's réprouvés par l'uniformité, la continuité et 
la simultanéité de la souffrance; et l'âme du 
réprouvé répondant à ces trois abîmes par trois 
autres abîmes éternellement creusés au fond 
d elle-même : abîmes de l'éternel regret, de 
1 éternel remords et de l'éternel désespoir. 
De l'autre côté, l'Eternité agrandissant dans 









L ETERNITE ET LA VIE FUTfHE 



253 



le ciel, d'une manière ineffable, la fé'ici+é des 
Saints par le bonheur de l'Eterncllevision, de l'E- 
ternel amour et de l'Eternelle possession, ou de 
TEternel embrassement de l'Infini. 

En face de ces deux perspectives, quelles 
qu'aient pu être la gravité et l'énormité de vos 
prévarications, quelle consolation de savoir 
qu'avec un seul acte de repentir vous pouvez, 
tout à la fois, fermer sous vos pieds ces trois 
grands abîmes de l'éternel regret, de l'éternel 
remords et de l'éternel désespoir; et ouvrir sur 
vos tètes ces trois abîmes de l'éternelle vision, 
de l'éternel amour et de l'éternelle possession 
daDieu!... Entre ces deux extrémités vous avez 
à choisir. Et quand on se dit , ce qui est abso- 
lument vrai et ce que vous croyez tous, qu'une 
heure du temps suffit à décider pour nous l'une ou 
l'autre de ces deux Eternités, ah! je me demande 
comment vous pourriez encore hésiter? 

Hésiter? Oh! non, j'en gardela confiance, vous 
n'hésitez pas : vous tomberez à genoux ; vous 
frapperez sur votre poitrine, ou plutôt sur votre 
cœur le coup triomphant du repentir. Et même 
en cette vie, au lieu du regret, pour vous ce sera 
la joie; au lieu du remords, ce sera la paix; et au 
lieu du désespoir, ce sera l'espérance, la douce 

15 



n 



L'ÉTERNITÉ ET I A t7t„ 

espérance qui pt!t ,,,., 

^ et ;• attte^r^ ** Ie 
™us conduira S ûrem P n7 * VOtre a *nour 

Pressentiment et comme un ^ d ° ûné un 

terre. ° mme UQ avant-g- ût sur la 

Amen. 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



LES PREUVES 



Et ibunt ht in supplicium 
œternum. Math, xxv, 46. 
Et ceux-ci iront au sup- 
plice éternel. 



' Nous avons vu, dans notre dernière réunion, 
ce que l'Eternité est par rapport à notre vie fu- 
ture. Nous avons vu, à la double lumière de la 
raison et de la foi, d'un côté, ce que l'Eternité 
ajoute au supplice des réprouvés, et de l'autre, 
ce qu'elle ajoute à la béatitude des élus ; en deux 
mots, l'Eternité dans Yenfer et l'Eternité dans 

le ciel. 

Je n'insiste pas sur ces deux choses, qui mar- 
quent les deux pôles extrêmes de la Destinée : 
l'éternelle fixité dans le malheur, et l'éternelle 
fixité dans la béatitude. J'ose croire que sur ces 
deux sujets, comme sur les précédents, votre 
conviction est faite. 

Mais, Messieurs, il me semble qu'il reste dans 



256 



ETERNITE DES PEINES 



vos esprits un point encore obscur, sur lequel 
vous appelez la lumière. 
Tandis que je vous voyais hier si attentifs à 
, la parole, vous montrant ces deux extrémités 
de la Destinée finale, je croyais entendre une 
voix qui tout bas murmurait dans vos âmes : 
Ah! l'Eternité dans le ciel, l'Eternité dans 
la félicité : parfait; nous comprenons, et ce 
dénouement du drame de la Destinée nous 
paraitdignedeDieu.de sa sagesse et de sa 
bonté. Mais l'Eternité dans Y enfer! L'Eternité 
dans le supplice... Mon père, sur ce point noir, 
un peu de lumière, s'il vous plaît. 

L'Eternité du supplice, l'Eternité des peines, 
ah! je le sais, c'est là ce qui toujours, mais au- 
jourd'hui surtout, soulève les protestations de 
la raison, pour ne pas dire des passions. Sans 
doute, vous, chrétiens, malgré son obscurité ap- 
parente, et appuyés que vous êtes sur l'autorité 
de l'Eglise votre infaillible mère, vous y croyez 
à cette Eternité de la peine ; et si je ne tenais 
compte que de votre foi, je n'aurais pas à y 
insister davantage : l'affirmation de l'Eglise 
fondée sur celle de Jésus-Christ vous suffit. 
Mais dans ce monde où vous vivez, dans cette 
atmosphère que vos inteslligence respirent avec 



LES PREUVES 



257 



tant d'autres, ce dogme de l'Eternité des peines 
souffre contradiction, et vous ne pouvez ignorer 
jusqu'où vont, contre cette vérité fondamentale 
du Christianisme, les insultes, les sarcasmes, 
les blasphèmes. C'est au milieu de nous, chré- 
tiens catholiques, que naguère un auteur tris- 
tement célèbre osait écrire : « L'Eglise romaine 
s'est porté le dernier coup ; elle a consommé son 
suicide lejour où elle a fait Dieu implacable, et la 
damnation éternelle! (1) » 

A ce compte, il y a dix-neuf siècles que l'Eglise 
devrait être morte; car il y a dix-neuf siècles 
qu'elle professe et enseigne l'Eternité des peines , 

Un autre ne se contente pas de prophétiser; 
il insulte ; et il insulte par des paroles que 
je vous demande la permission de pronon- 
cer, pour vous mieux montrer jusqu'où va 
l'outrage fait à notre dogme par l'impiété con- 
temporaine. « Ce dogme de l'Eternité des peines 
« est un épouvantail, qui n'effraye plus que les 
« enfants... Ce dogme de l'Eternité des peines 
« est contraire à la nature ds Dieu, à la nature 
« de l'âme, à l'instinct de tous les cœurs et à 
« la raison. Il est dès à présent évident pour 
« quiconque réfléchit, que ce dogme touche 
(1) G. Santl. Spiridion. 



258 



ETERNITE DES PEINES 



« à sa fin. Le clergé lui-même fléchit sur ce 
« point (1). » 

J'omets d'autres citations plus outrageantes 
encore, et que le respect du temple et de vos 
âmes ue me permet pas. Sous cent formules 
diverses, la même négation, ou plutôt la même 
insulte a retenti au milieu de nous. 

Messieurs, à notre tour de parler et de pro- 
clamer à temps et à contre-temps notre 
dogme souverain ; à nous de montrer que ce qui 
touche à sa fin, ce n'est pas ce dogme qui, depuis 
bientôt deux milleans, règne dans la catholicité, 
mais bien les philosophies et les systèmes qui 
en prophétisent la ruine. A nous, enfin, de vous 
dire que bien loin de fléchir sur ce point, comme 
on ose nous en accuser, et de rien retirer de 
notre austère croyance, nous la maintenons, 
nous l'affirmons et la proclamons avec la même 
assurance et la même certitude que nos Pères 
dans la foi. 

Pour procéder avec ordre et sûreté dans cette 
démonstration, la plus décisive et la plus grave 
de toutes, nous examinerons successivement ces 
trois choses : ce qui appuie et établit ce dogme ; 
ce qu'on prétend lui opposer ; ce qu'on essaye de 
(1) Voir Univers, 4 féyr. 1859. Citations. 



LES PREUVES 



259 



lui substituer; en trois mots, les preuves, les 
objections, les hypothèses. 

Aujourd'hui je me borne à vous montrer, ou 
plutôt à vous rappeler les preuves qui établissent 
l'existence de l'éternité des peines. 

Peut-être, pendant ce discours , les objections 
viendront en foule obstruer les avenues de votre 
pensée. Mais je vous demande de les éconduire, 
ou du moins de les prier d'attendre à demain. 
Il faut d'abord entendre la preuve, si l'on veut 
bien voir ce que vaut l'objection. 

Il s'agit donc, Messieurs, uniquement dans 
le présent discours, de vous montrer les fon- 
dements sur lesquels s'appuie l'affirmation des 
peines éternelles ; et ce que nous avons dit lors- 
qu'il s'agissait d'établir l'existence de l'Eternité, 
doit se dire , à plus forte raison, de ce dogme 
de l'éternel supplice, à savoir, que ce dogme 
s'appuie surtout et avant tout sur V autorité qui 
l'affirme. 

Nous pourrons demander ensuite ce que 
pense la raison elle-même de ce dogme, appuyé 
sur le témoignage de l'autorité. Nous verrons 
quelle est devant cette affirmation de l'autorité, 
sa véritable attitude, si elle nie ou si elle af- 
firme, si elle approuve ou désapprouve; bref, 



260 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



=eS8rw?=s sa 

sont dédslf, et n Sl CeS témoi ^es 

irrécusab H * ' aUt0riM 6St tout ^ fait 

est Tv !' S S6ra fadle de Prtcisep quelle 

tal ^ f te affirmati0 ° autoritaire, la v 
able attitude de la puissance rationne le- et , 
sera manifeste qu'étant données la vé ' ! , 

-nen.ibie, ne pourra plus reculer. 

exilent 1 "/' ^^ * W C6S lignages 
ex.stent, et quils sont irrécusables. Lesquels 
demandez vous? Ceux-là mêmes déjà invoqués' 
pour établir l'existence de l'Eternité, à sX 



Et tout d'abord , il y a un témoignage que 




LES PREUVES 



261 



humain; c'est la parole de l'humanité de tous les 
lieux et de tous les temps se levant ici comme un 
seul homme, pour attester la vérité de la peine 
éternelle réservée aux grands coupables morts 
sans repentir. 

Pour quiconque prétend repousser l'Eternité 
des peines comme absurde impossible, inad- 
missible, voici un fait étrange, étonnant, inex- 
plicable : 

Tous les peuples, sans exception, par des for- 
mules de langages , par des symboles et des 
rites religieux , ont plus ou moins explicitement 
exprimé la même idée : l'Eternité des peines poul- 
ies méchants, comme l'Eternité de la récompense 
pour les bons. Les nations en masse y ont cru; 
les philosophes eux-mêmes, en général, ceux-là 
du moins qui ne faisaient profession ni d'un ma- 
térialisme grossier, ni d'un scepticisme uni- 
versel, ont cru avec le peuple et comme le 
peuple. Et ceux qui, par orgueil et par la 
passion de se distinguer des multitudes réputées 
ignorantes et crédules , affectaient de répudier 
tout ce que croyait l'humanité; eh bienl ceux- 
là même rendaient un témoignage relatif à la 
vérité qu'ils prétendaient nier; car ils consta- 
taient par leur négation personnelle et leur 

15. 



262 



ÉTEBNITÉ DES PEINES 



incrédulité solitaire, le fait universel de l'af- 
firmation et de la croyance populaires. Que.dans 
eur -dédain et leur mépris fastueux, ils aient 
traité de superstition, de fanatisme et de folie S 
tons ces rites et tous ces symboles, nous voulons 
bien en convenir ;nous reconnaissons même que 
trop souvent le peuple traduisait sa croyance à 

Eternité de la peine, comme sa croyance même , 
à la Divinité, par des cérémonies absurdes et par 
des rites incohérents. Mais, tout en niant l'idée 
qui se cachait sous ces rites et sous ces cérémo- 
nies, les prétendus grands penseurs n'en cons- 
tataient pas moins ce fait varié dans ses formes 
mais identique dans son fond ; ce fait, lui aussi' 
trois fois universel, se produisant à tous les 
points de l'espace, à tous les moments de la 
durée, a tous les degrés de l'humanité, à savoir ' 
que, sauf quelques rares exceptions qui ne comp- . 
tent pas devant l'immensité de ce témoignage 
tous les peuples ont cru et croient encore à 1 V 
ternité des peines. 

Qu'importent l'absurdité, l'incohérence et la 
grossièreté des inventions et des moyens'ima- 
firmes par les peuples, pour exprimer leur 
croyance* Ce qui importe ici, par-dessus tout, 
et à vrai dire uniquement, c'est la croyance elle- 



LES PREUVES 



263 



même dont ces peuples, par leurs cultes et leurs 
rites plus ou moins révoltants, sont les irrécu- 
sables témoins. Je vous épargne, Messieurs, 
un luxe d'érudition que vous trouverez étalé dans 
des livres spéciaux, d'une incontestable autorité. 
Je me contente d'affirmer le fait historique et uni- 
versel des manifestations de la croyancedes peu- 
ples à l'existence des peines éternelles. 

Les poètes eux-mêmes , pour être partout et 
toujours les témoins authentiques et les inter- 
prètes véridiques de la pensée populaire, ont re- 
produit dans leurs poèmes ce que la libre pensée 
se plaît à nommer le mythe ou la légende de 
Yenfer éternel. Et ici encore, la fable parle 
comme l'histoire. 

Qui' ne connaît, sous ce rapport, le témoi- 
gnage écrit en caractères plus ou moins sai- 
sissants, dans toutes les littératures du monde? 
Pour ne parler que d'une seule; qui n'a encore 
dans sa mémoire, ce Tartare, le lieu le plus 
profond de l'enfer, siège des supplices éter- 
nels et demeure de ces Titans foudroyés, 
dont l'audace faisait l'éternel effroi du ciel? 
Qui a oublié ce Tytius dont les entrailles re^ 
naissent éternellement, sous le rostre qui lés dé- 
vore? Ce Tantale condamné à désirer toujours 



I 



264 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



UUe eau <Ï U1 s enfuit éternellement? Cp «■ i 
«m roule, dans un travail éterne , n f *"*' 
retombe toujours? Cette t; T Cher qui 

portes de l'effroi ï Tutphone vei "ant aux 

qu'aucun fc^**™"'*»" »***» 

qui roule éternellement sur elle-n^m CenT 

éternellement assis sur ,,„-.. , m f- LeT ^»ee 

ct b!5l s sur une p le rre immobile • 

-■^tœtemumquesedebit 
Infelix Theseus? 

Depuis Tes r^ du Z ° UteS ^ littéra ^s- 

qu'aux profondeurs de l^él, * JUS ~ 

sousdesformesdiverses et J? * \! Part ° Ut > 
Animent variés vZ rf SJmb ° les iudé - 

;e même doS S^^?Sïïr ttnt 

lig-ions et la ™â m toutes les re- 

'*» ^s péup"? Cr ° yaaCe éCrite « *«* <ie 

on -pe„ , tpas ° 1 C P ™ s e TL 1 ' i '" e ' Pré,er; 
nier. Ce fait est la m ' beailcon P moins le 

essayerait ne l'ébranler *"" Ce Qui 









LES PREUVKS 



265 



Eh bienl ce fait étant admis comme certain, et 
reconnu dans la grande lumière de sa publicité 
il s'agit d'en expliquer l'existence, et, sans parti 
pris et sans jugement préconçu, d'en rechercher 
la raison d'être. Devant toute intellig-ence ca- 
pable de se rendre compte des phénomènes hu- 
mains, la question doit se poser, et je la pose 
hardiment devant vous : Pourquoi cet étrangle 
phénomène? Si l'Eternité des peines n'existe pas 
et ne peut pas exister, pourquoi et comment 
l'humanité a-t-elle cru et croit-elle encore non 
seulement à l'Eternité de la vie, comme nous 
l'avons déjà vu, mais à l'Eternité de la peine? 
Comment trouver, dans la nature humaine, la 
raison suffisante de ce fait universel dans l'hu- 
manité? 

Certes , Messieurs , que l'humanité, telle que 
nousla connaissons, trouve, dans sa nature sen- 
suelle, voluptueuse et réfractaire à toute souf- 
france, des raisons pour repousser ce dogme de 
l'éternelle souffrance; tous facilement nous le 
pouvons comprendre; car, alors que l'existence 
de l'éternel enler lui est invinciblement dé- 
montrée, et alors même qu'elle croit fermement 
à ce dogme souverain , il demeure vrai que ce 
dogme, même admis, semble déconcerter sa 



266 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



pensée, effrayer son imagination,etparfoismème 
étonner sa raison. Car, de prime abord, l'éternel 
supplice semble faire horreur à la nature hu- 
maine; ses passions n'en ont pas besoin, elles 
en ont peur; et facilement elles poussent l'hom- 
me à se débarrasser d'un frein qui les gêne. 
Bref, l'homme par sa nature déchue,tend plutôt 
à écarter qu'à appeler l'Eternité des peines. 

Comment donc l'humanité en masse a-t-elle 
eu partout et toujours l'étrange idée de se créer 
à elle-même cet épouvantail? Comment a-t-elle 
pu seulement imaginer, au terme de sa vievoya- 
geuse, le spectre de l'éternel supplice, pour s'en 
effrayer elle-même au chemin? 

Je pose la question , et je somme la libre pen- 
sée d'y répondre, non avec le rire de Voltaire et 
la légèreté de son siècle, mais avec le sérieux et 
la gravité dont se vante le nôtre. 

Il est à peine croyable jusqu'où va le ridicule 
des réponses, que prétendait faire à cette ques- 
tion grave ce siècle du rire et de l'insulte, et 
quelles étranges solutions il se vantait de donner 
au problème que pose la raison la plus vulgaire, 
en face de ce grand fait humain. Ecoutez : Vous' 
nous demandez pourquoiet comment fut admise, 
dans les générations humaines, la croyance à 






LES PREUVES 



287 



l'éternité des peines? La réponse est facile et le 
secret est "bien simple : 
Les prêtres l'ont inventée. 
Vraiment, vous le croyez? Les prêtres ont eu 
cette idée? cette audace? cette puissance? ce 
succès? Ils ont inventé l'enfer éternel; et ce 
qui est plus prodigieux, ils l'ont fait accepter! 
Mais à quelle époque? On* y acru toujours. Mais 
dans quel peuple? On y a cru partout. Mais quel 
fut l'inventeur? Comment se nomme cet homme- 
prodige? Comment l'histoire n'a-t-elle pas re- 
tenu et inscrit partout le nom de cet étonnant 
génie, qui s'est signalé parla plus prodigieuse 
découverte qu'on ait jamais pu lire dans les 
annales humaines? 

Quoi ! vous le croyez ? Les prêtres ont inventé 
le dogme de l'éternel châtiment? Mais pourquoi? 
Dans quel but? Et à quel dessein? Car, encore 
en faut-il un. L'humanité douée d'intelligence, 
de raison et de liberté, l'humanité en masse, 
comment a-t-ellepu, sans raison, sans motif et 
sans but, tenter une telle entreprise? Quel est 
ce motif et ce but? 

Ah! je vous entends : les sacerdoces ont 
inventé l'éternel enfer pour effrayer le peuple, 



268 

MBHOTTjj DES pEmEs 

et pour se faire de cett* a 

domination égoïste ^^ même une 

Quoi! tous ces prêtres de relie-ion, h 
Passwns.de doctrines et ZT ' ^^ de 
—es, quoi - tous ces HÎes à 7 1Cti0nS * ^ 
Paces et les siècles sans^T ^ leS es ~ 

ui même connus, des ZîélTV* ^^ 
«"" de l'espace et de 1^/ ^ W 
Pour accréditer dans toi**» i ° Qt cons P i ré 

croyance obligatoire * „„ * décrété la 

ture tend à reL usser n ^ qUe not ™ "a- 
darent contra^ *' S^, 1 *? 11 ^ dé ~ 
f ont partout réussi? D u S 7^^ et 
Maires, ils ont crié partout d ^ Sanc ~ 

et formidable : U yïunlj ^ "«^ 
** Peuples effrayés de tofrf £"*" Et tous 
^ fond de tous tes £ Z ont 7* ^^ 
«yaun éternel enfer Et ;n, POûdU : 0ui > 
terre ont redit d'espace en ^ éCh ° S de Ja 

« -ecle, et «dl^^^ ** "** 
Etemel enfer ! . ' Eternel enfer, 

*«» «elle invenZ : ££*'** * r "' , ~ 

P°™ient pas avoir la pen/éé'ë T T"'" 8 "" 

pensée et la résolution 



LES PREUVES 



263 



de la repousser? Et croyez-vous , en vérité, que 
pour faire accepter par tous les peuples à la fois 
un tel épou vantail, il suffisait simplement de 
l'avoir inventé? 

Quoi! Messieurs, aujourd'hui que ce dogme, 
depuis bientôt vingt siècles , a été formulé, en- 
seigné et cru par des générations innom- 
brables, et qu'il a pour lui partout les plus au- 
gustes témoignages ; ce même dogme, appuyé 
sur tant de preuves, éclairé de tant de lumière, 
excite encore partout, plus ou moins, les 
révoltes, les attaques, les insultes et les blasphè- 
mes : et, un jour, alor^s qu'il n'aurait encore été ni 
enseigné, nicruparpersonne, pour le plaisir d'ef- 
frayer les nations et de les dominer en les ef- 
frayant, ce dogme formidable nous l'aurions in- 
venté, proclamé, imposé ; et tous les peuples à 
la fois nous auraient cru et nous auraient 
obéi?... Fils du XIX e siècle, ah! si vous le croyez, 
retournez jusqu'à Voltaire; allez annoncer à son 
siècle incrédule la plus incroyable des décou- 
vertes et la plus impossible des dominations. 

Nedites pas, pour essayer d'expliquer l'inexpli- 
cable, que nous sommes un siècle de lumières; 
qu'à ce titre, vous repoussez une croyance qui 
est née dans les ténèbres, et que notre civilisa- 



270 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



™s le dire sans S« C ° mmem po »™ 2 - 

WetoutemZirTZT "f '^o™^ alors 

s'impose que Z ^T " aTCC ™ ** fe 

cMlisés, comme Lp^r PeUples l8 I> tas 
Romain se ™. ,! E WPt"«s, les Grecs et les 

*■ barba" ZZT T * Pei "* S Ies 
a™ en, ce conce^ 4 £** * fo ™»' 

sl W ;neV„*ie Se i t,m N :r™T éq,,ete 
doerme delà peine éterne^nw ^'^ le 
«on d„ sacerdoce. - M tZ T ° M . taTC ''- 
Et comment a t n ■ .Ir! "' dou "mt-il? 

autre invention p™ , Ecou *ez cette 

p re m iè re.rc n ;,irt i „ p r , ;,r4:r; a 
«r-^r H r^ p r. è d« hU t 

impossible que celui ^ „ MlraCle encore P^s 
taie. de * «vention sacerdo- 



LES PREUVES 



271 



D'après ce système de la critique nouvelle 
(système importé d'outre-ïthin), l'humanité se 
créée à elle-même des dogmes et des religions 
en harmonie naturelle avec ses besoins. Elle 
produit, elle pousse des religions comme un 
arbre ses rameaux ; et ces religions portent avec 
elles leurs dogmes enveloppés sous la forme du 
mythe ou de la légende, comme les rameaux de 
l'arbre portent d'eux-mêmes leurs fruits envelop- 
pés sous l'écorce. 

Ainsi, à entendre notre critique nouvelle, se 
serait produite chez tous les peuples la croyance 
à l'éternel enfer ; croyance historiquement in- 
contestable. 

Vous le voyez, selon le siècle de Voltaire, le 
dogme de l'éternité des peines a le sacerdoce 
pour père ; et d'après le nôtre, il aurait la spon- 
tanéité pour mère. 

Spontanéité vraiment étrange qui, à tous les 
points de l'espace et du temps, produirait des 
religions et des dogmes en opposition radicale 
avec les besoins de notre nature, et avec ce que 
l'on prétend être les exigences de laraison. 

prodigieux logiciens, dirais-je ici volontiers 
aux inventeurs de cette théorie nouvelle : quand 
donc saurez-vous au moins être d'accord avec 



272 



àtÉàkilà DES PEINES 



* pctnan désaccord? Onnif « . 
dans votre d^qin t„ y 0l! Partout. 

vo« s n M „ rez q : e et c e s 2T r sm!it ™>; 

«.Nature, RaU„ M n me ° t £"" ,! RaiS °° 
">'°i que cette humant „ Nat , uralls me ; et 
son e, nature, P-ÏÏ^T,"^ °» e »* 
«a «wtoW*- pro 7"°"' et to "J0»r S p ar 

™-. mto e 3 , «s/pp;':: TaTat"" 8 ' "'^ 
raison? Vraiment L nature e ' la 

neco mpre ™ s D , aV ™° Sad " lire . ««■> fois je 

vaut le bon sens D i° ° flagTante >et, de- 

Vous dites et :^ U di tes ai r entréVOltailte? 

à elle-mè me des mythes uïn ^ Se fait 

^alités,, des lég*X ; dont ' ^ P ° Ur deS 
à se faire des do™, v ""^ Un J our 



LES PREUVES 



273 



blême, vous vous mentez à vous-mêmes, c'est- 
à-dire au principe que vous avez vous-mêmes 
posé. 

D'après votre hypothèse, en effet, en elle- 
même d'ailleurs absolument gratuite, si la na- 
ture humaine est douée de cette étonnante 
puissance que vous lui attribuez, de se créer à 
elle-même, par sa spontanéité propre, des my- 
thes et des légendes, et par suite, des symboles 
et des dogmes; est-ce qu'il n'est pas absolument 
contradictoire de supposer qu'elle se crée de*s 
mythes et des légendes, des symboles et des 
dogmes en opposition absolue avec ses besoins 
les plus profonds, ses instincts les plus natifs, 
ses aspirations les plus naturelles et les plus 
vraiment spontanées? 

Quelle étrange pensée, quelle singulière idée, 
pour ne rien dire de plus, d'admettre et d'en- 
seigner que la nature humaine, par sa sponta- 
néité, produit des fruits absolument antipa- 
thiques à la nature humaine, pour repousser 
ensuite, avec un dédain superbe, ces fruits de sa 
spontanéité elle-même? Et ce serait toujours la 
même humanité qui, tour à tour, éprouverait le 
besoin de se créer et de repousser ces mythes, 
ces légendes et ces dogmes produits par elle- 



274 



ÉTERNITÉ DBS PEI NES 



tion.'O contradiction' aiS ° n? -- ° contradic- 

^t^S^^-ette e Ipli . 
est elle-même, sion .^ ^ ° ™"jmais elle 
We des énigmes- et 1. ♦? P S luex P^a- 

toute son antoni toi PeiûeS ' ë ' arde ' aVeC 
ttonstration " PUiSSaUCe de dé- 



II 

Pour nous, chrétiens cath^Z, i,'"""""'" 4 

tonte plus DartinniiA u «cisit, une au- 

c'est l4t K f é r eût aU ^ USte Gt VéQérée ' 
dont nous sommes ie S d :f Q r ^ * Re%iWl 

11 ne se peut que ie nwT ' Chrtattan i«»e. 

déjà invoqué S2T «*°fe*a*, 
tude de lEternitToul L. eDCe * I& Cer «- 

*" -a répét^^lt^f ^^ ° e *'«* 
' cest Uûe Progression. 



LES PREUVES 



275 



car avoir démontré par ce témoignage l'Eternité 
de la vie, ce n'était pas encore avoir démontré 
l'Eternité de la peine. 

Eh bien! j'affirme maintenant que ce di- 
vin témoignage ne se borne pas à attes- 
ter pour tous, de l'autre côté de la tombe, une 
survivance éternelle , mais qu'il atteste encore, 
pour les méchants, un châtiment étemel. 

Et d'abord, envisagez, si je puis ainsi parler, 
le personnel du Christianisme, c'est-à-dire la 
masse des chrétiens qui, depuis près de vingt 
siècles, affirment l'éternité des peines ; un mo- 
ment, si vous voulez, faites abstraction de l'au- 
torité divine dont relève et s'inspire tout ce 
monde des chrétiens; et ne voyez en eux que 
des hommes formant, des extrémités de l'espace 
et des siècles chrétiens, un immense collège 
d'intelligences humaines. 

Eh bien ! même réduit à ces proportions et 
vu sous ce jour, quel auguste, quel imposant 
témoignage déjà! Tous les apôtres et tous les 
martyrs; tous les docteurs et tous les confes- 
seurs; tous les èvêques et tous les pontifes; 
tous les prêtres et tous les religieux ; tous les 
théologiens et tous les apologistes; tous les 
saints; bref, tous les chrétiens. 



276 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



Quoi! tous ces hommes , depuis bientôt deux 
nulle ans, ont affirmé et affirment encore, sans 
hésitation aucune, non seulement l'Eternité de 
a vie d'outre-tombe, mais encore l'Eternité de 
la peine; et cela, en pleine civilisation, et mal- 
gré les oppositions systématiques, les nég-ations 
opiniâtres et les attaques acharnées de la libre 
pensée! Et, chose remarquable, parmi eux vous 
voyez apparaître, ici encore, en tout genre et 
dans toutes les sphères, les hommes les plus 
illustres et les plus justement fameux ries plus 
grands orateurs, lesplus grauds philosophes 
les plus grands moralistes,- des hommes comme 
Saint Augustin, comme Saint Anselme et Saint 
Thomas d'Aquin ; des hommes comme Saint 
Ambroise et Saint Jean Chrysostome; et plus 

rapprochés de nous, des hommes comme Bossuet 
Bourdaloue, Fénelon, et avec eux, tant d'au- 
tres qui ont été, plus ou moins, leurs rivaux 
de savoir, d'éloquence, de gloire et d'illustra- 
tion. 

• Et, remarquez-le bien, tous ces grands hom- 
mes ne se sont pas contentés de donner au 
dogme de la peine éternelle, le témoignage de 
leur parole et de leur savoir, ils lui ont donné 
surtout le témoignage de leurs actes; car tous 









LES PREUVES 



277 



ont fait de ce grand dogme, avec la règle de 
leur foi , la base même de leur vie. Et toute cette 
multitude d'hommes grands parmi les plus 
grands, et illustres parmi les plus illustres, 
qui pourra la compter : midtitudinem quis enar- 
rabitl 

Voilà, Messieurs, même abstraction faite de 
tout caractère surnaturel, voilà l'immense, l'in- 
comparable collège d'intelligences humaines 
qui se lèvent de tous les points de la chrétienté, 
pour rendre hommage au dogme divin ; et je 
demande au libre penseur, quel qu'il âoit : Que 
pensez- vous de cette autorité? Que pensez-vous 
du témoignage qu'elle rend à la vérité : Il y a 
une peine éternelle? 

Le rationaliste osera-t-il répondre : Cela n'est 
rien? profond penseur! Quoil avec votre intel- 
ligence incertaine, vacillante, isolée, vous vous 
poserez en face de tous ces apostolats et de tous 
ces martyres, de toutes ces gloires et de toutes 
ces saintetés; et, regardant au visage toutes 
ces grandeurs scientifiques et philosophiques, 
toutes ces illustrations littéraires , morales , his '■ 
toriques, en un mot, toute cette majesté sécu- 
laire, vous oserez dire : Cela n'est riea, quan- 
tité négligeable 1 ! 



278 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



Ainsi , toute cette multitude (et quelle multi- 
tude!) faisant à travers les espaces et les siècles 
une même et publique affirmation: rien, quan- 
tité négligeable] Cette autorité, même humaine- 
ment la plus grande qu'il y ait au monde, négli- 
geable^. Ce témoignage, le plus important par le 
nombre, par la science, par la vertu, bref, par 
la valeur des témoins, négligeable] 

Je le demande encore une fois, qui donc dans 
la suffisance ou pour mieux dire, dans l'outre- 
cuidance de sa pensée solitaire, pourra, avec 
une ombre de raison , tenir un pareil langage? 
. Qui osera dire: Moi, homme de lettres; moi, 
homme de finance; moi, journaliste; moi, artiste;' 
moi, médecin, avocat, jurisconsulte, je vois 
mieux que tous ces apôtres, tous ces martyrs, 
tous ces docteurs, tous ces théologiens, tous ces 
apologistes, tous ces millions de saints, tous 
ces milliards de chrétiens ; et contre eux et en 
face d'eux, je leur donne un démenti, je nie l'E- 
ternité des peines?... 

Ah ! vous niez. Vous dites : Il n'yapas de peine ■ 
éternelle. Mais comment le démontrez-vous? 
Je pourrais vous demander : En êtes-vous bien 
sûr? En feriez-vous, devant le ciel et la terre, le 
serment solennel? Combien, parmi ces hardis 






LES PREUVES 



2.79 



négateurs, le soir, avant de s'endormir, oseraient 
dire devant Dieu et leur conscience : Je le jure, 
il n'y a pas d'éternel enfer? Et combien, pour 
défendre leur négation, seraient prêts à mourir 
et à lui donner la signature de leur sang? 

Et puis , ici encore ce serait le lieu de leur 
demander : Combien êtes-vous, pour appuyer 
votre négation? Combien ètes-vous, vous, qui 
avez contre l'unanime et ferme affirmation de 
tous les enfants de l'Eglise et de tous les dis- 
.ciples de Jésus-Christ, non pas un doute seu- 
lement, une opinion seulement, une objection 
seulement, mais une certitude, une inébranlable 
certitude ? 

Eh bien! nous tous, chrétiens, nous voici po- 
sant devant vous , non comme une opinion , non 
comme une probabilité, non comme une hypo- 
thèse, mais comme une absolue certitude, cette af- 
firmation souveraine : l'Eternité' des peines! 'Nous 
.Sommes (aujourd'hui encore près de trois cent 
millions nous rencontrant dans la même affir- 
mation; et, lorsque nous nous unissons par la 
pensée à tous nos frères, qui à travers dix-neuf 
siècles ont affirmé avec nous ; oh ! alors, nous ne 
pouvons plus nous compter; et, devant cette in- 
calculable multitude , du milieu de laquelle se 



280 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



détachent tant de grandes figures , entre cette 
autorité et votre autorité, entre ce témoignage 
et votre propre témoignage , la vérité vous 
somme de choisir. 

Ainsi, même en n'envisageant que comme pu- 
rement humain ce témoignage, que l'Eglise rend 
par tous ses membres au dogme de la peine 
éternelle; ce témoignage par le nombre, la 
valeur et la durée, dépasse tout témoignage 
qu'on essayerait de lui opposer. 

Qu'est-ce donc si nous, chrétiens, catholiques, 
nous venons à considérer que ce grand témoi- 
gnage, avec son autorité humaine, porte le signe 
inimitable d'un témoignage divin? Que ce dogme 
de la peine éternelle, l'Eglise divinement infail- 
lible l'enseigne, le proclame et le défend de- 
puis bientôt deux mille ans; et cela, malgré 
toutes les révoltes de la raison, toutes les ré- 
pulsions de la nature, et toutes les fureurs des 
passions conjurées pour renverser ce dogme, 
que l'on attaque toujours et qui ne tombe 
jamais? 

Aussi, cette miraculeuse opiniâtreté de l'E- 
glise catholique à maintenir l'intégrité de ce 
dogme, est-elle une éclatante preuve de sa divine 
révélation et de sa propre divinité. Que de 



LES PREUVES 



281 



raisons l'Eglise humainement n'aurait-elle pas 
eues d'abandonner ce dogme, si elle n'en avait 
gardé l'invincible certitude, et si elle avait pu, 
un jour, se persuader qu'il lui fut possible, sans 
trahir la vérité, de transiger sur ce point? Est- 
ce que ce n'est pas surtout contre ce dogme que 
se sont heurtés de siècle en siècle, et se heurtent 
encore aujourd'hui, les naufragés de la foi? Est- 
ce que ce n'est pas son formidable mystère qui 
soulève contre l'Eglise, non seulement les mur- 
mures, mais souvent les colères des rationa- 
lismes? Est-ce quecen'estpasausid spécialement 
sur ce point, que ses ennemis de tous les temps 
sont venus lui demander une transaction, en 
lui promettant en retour leur réconciliation? 
Combien de fois, de nos jours surtout, sous 
mille formes diverses , ne lui ont-ils pas dit : 
— Mais, est-ce qu'enfin ce dogme lugubre, votre 
dogme prétendu divin de la peine éternelle, ne 
s'effacera pas devant la marche progressive de 
l'esprit humain? Est-ce que vous n'accorderez 
rien, obstinée que vous êtes, au progrès et à 
l'idée moderne, pas même le sacrifice de ce 
dogme barbare, désormais impossible? Est-ce 
que vous ne voyez pas que le maintien de ce 
dogme éloigne de vous de plus en plus les gé- 

16. 



282 



ÉTERNITÉ DBS PEINES 



nérations nouvelles, et qu'il doit, dans un pro- 
chain avenir, consommer votre propre suicide? 
N'accorderez-vous rien à la philosophie, à la 
science, à la pensée moderne? Vous vous plai- 
gnez que les hommes en masse désertent vos 
temples et vos chaires catholiques; eh bien, re- 
tranchez de votre symbole ce mot qui révolte : 
Un supplice éternel. Oui, donnez à une exigence 
légitime cette satisfaction nécessaire ; et le 
monde moderne revient à vous. 

Ainsi les sages du siècle ont dit à l'Eglise. 
, Qu'a répondu l'Eglise? L'Eglise a répondu et 
répond toujours : Je crois ; et voilà pourquoi je 
proclame qu'il y a un enfer éternel. 

Or, qui pourrait ne pas voir que cette intrépide 
et permanente opiniâtreté de l'Eglise à main- 
tenir un'dogme-, contre la conspiration séculaire 
des erreurs et des passions conjurées pour l'a- 
néantir, est une démonstration de sa divinité,' 
et une démonstration de la vérité du dogme 
qu'elle affirme? 

Ah ! gloire à la vérité, et honneur à l'Eglise ! 
A tout ceux qui lui ont demandé le sacrifice de 
son dogme, l'Eglise, ma divine Mère, a pu ré- 
pondre, en effet, toujours : Si je n'étais qu'une 
institution humaine, et si, comme telle, j'avais 



m 









LES PREUVES 



283 



pu transiger sur ma doctrine, est-ce que cent 
t'ois pour une je n'en aurais pas fini avec ce 
dog'me, qui provoque contre moi une guerre qui 
ne finit jamais que pour recommencer toujours? 1 
Est-ce que, depuis long-temps, je ne l'aurais pas 
jeté comme uue facile concession à la faiblesse 
des intelligences et à la lâcheté des cœurs? On 
me promettait de tout croire et de tout em- 
brasser dans ma doctrine, oui, tout, excepté mon 
dogme effrayant de la peine éternelle. Eh bien ! 
j'ai résisté; j'ai maintenu mon dogme et je le 
maintiens encore et le maintiendrai toujours, 
avec la même certitude et la même indépen- 
dance. Mes ennemis ont dit : « Le dogme de 
l'Eternité des peines touche à sa fin. » philo- 
sophes, ô prophètes de mensonge, écoutez : 
Demain on ne parlera plus de vous ni de vos 
systèmes, ni de vos prophéties; et ce dogme , 
dont vous prophétisez la fin, moi, l'Eglise catho- 
lique, l'immortelle épouse de mon Christ im- 
mortel, je le proclamerai et le chanterai sur 
votre tombe; et pas plus que moi-même mon 
dogme ne périra. 

Vous dites que, sur ce point grave, mes 
« prêtres eux-mêmes fléchissent. » Ces prêtres, 
où sont-ils? S'ils existent, qu'ils soient, ana- 









284 



ETERNITE DES PEINES 



thèmes. S'ils n'existent pas, pourquoi les in- 
ventez-vous? 

Ainsi dit notre divine Mère; et ainsi tous, avec 
elle, nous affirmons ce dogme souverain devant 
ce siècle le plus fier de lui-même, le plus con- 
fiant en la liberté de sa pensée et en la suffi- 
sance de sa raison. Et ce dogme ne serait, 
qu'une chimère? Et cette affirmation ne serait 
qu'un mensonge? 

Mais alors, que sommes-nous donc tous aux 
yeux de la libre pensée? 

Quoi! il y a bientôt deux mille ans qu'avec 
notre Mère l'Eglise, nous disons à l'humanité : 
Peine éternelle, Eternité de supplices; et nous 
ne disons pas vrai? Et, avec l'Eglise, nous trom- 
pons les générations humaines? L'Eglise se-fait 
de ce mot un épouvantail pour mieux les do- 
miner? Et nous sommes, nous, les échos de sa 
voix ; et nous mentons avec elle, pour le plaisir 
de révolter votre raison, d'indigner votre philo- 
sophie et de troubler votre repos? 

Mais, s'il en est ainsi, encore une fois, je le 
demande, que sommes-nous donc, nous tous 
qui affirmons et proclamons avec l'Eglise et 
tous les chrétiens, ce même dogme de la peine 
éternelle? Que sommes-nous, en vérité? Ah! 



LES PREUVES 



285 



peut-être nous ne sommes que des fanatiques, 
et notre fanatisme nous fait imaginer, pour vous 
tourmenter, vous indigner, vous révolter, un 
enfer, et, dans cet enfer, une Eternité? 

Mais quoi? Un fanatisme qui dure depuis 
près de deux mille ans? Un fanatisme de 
tous les peuples catholiques et de toutes les con- 
ditions humaines, c'est-à-dire un fanatisme 
trois fois universel? Le fanatisme aussi dans 
toutes les catégories dont nous venons de faire 
l'énumération ; dans tous les apôtres, dans tous 
les martyrs, dans tous les docteurs, dans tous 
les saints, dans tous les grands hommes, enfin, 
qu'a produits le Christianisme? Est-ce possible, 
vraiment? Et qui pourra le croire? 

Ou bien, pour nous épargner l'injure de cette 
appellation : fanatiques! direz-vous, ce qui serait 
plus injurieux encore, que nous sommes des 
trompeurs, et même des hypocrites*! 

Oserez-vous dire, par exemple, que de ce 
dogme effrayant de l'éternel supplice, nous ne 
croyons rien nous-mêmes ; et que, nous prêtres, 
nous travaillons à envoyer au peuple qui nous 
écoute, à propos de ce dogme , des terreurs que 
nous n'éprouvons pas? Que nous demandons à 
tous, sur ce point, une foi que nous n'avons pas ; 



286 



ETERNITE DES PEINES 



et que nous prêchons, pour vous faire frémir, une 
croyance dont nous ne faisons que rire? 

Ah! je le sais, des hommes ont eu cette au- 
dace : ils ont prêté à des millions et à des mil- 
lions de chrétiens, même aux plus saints, aux 
plus savants, aux plus dignes de foi et de vé- 
nération, ce rôle de la plus odieuse des hypo- 
crisies. 

Eh bien, Messieurs, du haut de cette chaire, 
assurément l'une des plus grandes du monde ; 
au nom de toutes ces autorités ; au nom de plus de 
dix milliards de chrétiens, je proteste : et, la 
main étendue devant l'autel où réside le Dieu 
que nous adorons, et devant vous tous qui m'é- 
coutez, je le jure: oui, tous nous croyons à l'E- 
ternité des peines ; tous nous croyons à un enfer 
éternel. Et chacun de nous dit, en toute sin- 
cérité : Ou,:, je le crois; et, parce que j'ai cru, j'ai 
parlé. Ma foi est la raison de ma parole ; et ma 
parole est l'attestation de ma foi. Credidi, propter 
quod locutussum. 

Soit, dira peut-être ici la théologie de la libre 
pensée, telle est la foi et l'affirmation de l'Eglise 
et des chrétiens ; et nous voulons bien en con- 
venir, c'est un grand témoignage. Mais il est 

(1) Ps. 115. 



LES PREUVES 



287 



pour nous et pour les chrétiens eux-mêmes, un 
témoignage plus grand que celui-là. Quoi donc? 
le témoignage de l'Evangile, la parole de Jésus - 
Christ lui-même. 

Quoi ! vous nous opposez à nous, chrétiens 
et catholiques, le témoignage de Jésus-Christ? 
Ah! nous le savons, c'est la tactique de l'erreur 
contemporaine, surtout des théories et rêveries 
■ humanitaires, de séparer l'Eglise de Jésus-Christ, 
et la doctrine catholique, des enseignements 
évangéliques. Je n'en suis pas étonné. 

L'Evangile jouit encore , même au milieu des 
générations les moins chrétiennes, d'une im- 
mense et impérissable popularité ; et la philoso- 
phie soi-disant humanitaire voudrait confisquer 
à son profit cette impérissable popularité de l'E- 
vangile. Mais elle l'essaye en vain. Entre l'E- 
glise et Jésus-Christ, entre la doctrine et l'E- 
vangile, l'alliance .est immortelle. Qui attaque 
l'Eglise, attaque l'Evangile; et qui nie la doc- 
trine catholique, nie la doctrine évangélique. 

Disciples de la libre pensée, vous faites appel 
à l'Evangile contre le témoignage de l'Eglise : 
Eh bien, disciple et ministre de Jésus-Christ, 
, pour confirmer le témoignage de l'Eglise, j'in- 
voque, moi, le témoignage de TEvangile. Vous 



288 



ETERNITE DES PEINES 



en appelez à l'Ev angile, pour convaincre de faux 
notre dogme de la peine éternelle : soit; nous 
acceptons; et nous affirmons que, même sur ce 
point, l'Evangile est contre vous, et que notre 
Christ lui-même donne par sa parole à votre 
négation, le plus solennel démenti. 

Certes, Messieurs, je pourrais citer de nom- 
breux témoignages de l'Evangile, et compter 
combien dé fois le divin Révélateur parle « du 
« ver qui ne meurt pas; vermis eorum non mo- 
« ritur, » et du feu qui ne s'éteint pas; « ignis 
« incxtinguibilis » Je n'en ai pas besoin et je 
me contente d évoquer un seul témoignage, 
parce qu'il est absolument décisif, et qu'il peut 
tenir lieu de tous les autres. 

Les adversaires de l'Eglise, négateurs à ou- 
trance de l'austère prédication de son dogme de 
la peine éternelle, se plaisent à commenter cette 
admirable page de l'Evangile, où Jésus-Christ 
lui-même déroule , dans toute sa majesté tout 
à la fois rayonnante et lugubre, le drame à nul 
autre pareil du jugement dernier; alors que 
lui-même doit proclamer la loi d'amour comme 
le signe du discernement des bons et des mé- 
chants, et comme le critérium suprême de sa di- 
vine justice . 






■HMMMMM 



LES PREUVES 



289 



Je ne relirai pas tout entière cette incomparable 
page;. il faut la lire soi-même, au chapitre vingt- 
cinquième de saint Matthieu, pour se faire une 
idée de la témérité, ou plutôt de l'impudence ra- 
tionaliste osant invoquer, contre l'éternité des 
peines, le témoignage de l'Evangile et la parole 
de Jésus-Christ. prodigieux interprètes de 
notre divin Evangile, quoi! vous osez rappeler 
au prédicateur même de cet Evangile, une page 
que certes notre prédication n'a jamais oubliée, 
puisque depuis près de vingt siècles elle en a 
fait, devant tous les peuples qui l'écoutent, les 
commentaires les plus publics, et souvent aussi 
les plus chrétiennement éloquents. 

Eh bien, nous-mêmes osons vous porter le 
défi de comprendre autrement que nous, avec 
une ombre de raison, cette grande et décisive 
paroledu Sauveur, devenu notre Souverain juge; 
et nous vous sommons de répondre : cette pa^gè 
solennelle de notre Evangile, l'admettez-vous 
comme l'oracle authentique de la vérité , comme 
la doctrine et la révélation du Christ-Dieu, donc 
d'un Christ infaillible? Oui ou non, la tenez- 
vous pour telle? Si vous répondez : Non, nous 
ne lui reconnaissons, recette valeur doctrinale, 
ni cette puissance révélatrice : mais alors , pour- 

17 






290 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



quoi contre nous et notre dogme., l'évoquer en 
témoignage? Répondrez -vous : Oui, nous l'ad- 
mettons ; alors, puisque vous l'admettez, cette 
page divinement révélatrice et véridique, lisez- 
la tout entière, et ne la scindez pas. 

Ecoutez : Jésus-Christ, selon sa divine pro- 
phétie, vient environné d'une grande puissance 
et d'une grande majesté. Autour de lui toutes 
les nations sont rassemblées. Entre les boucs 
et les brebis, entre les justes et les méchants, 
la séparation est faite : les uns sont à droite, les 
autres sont à gauche; et tous attendent la pa- 
role qui va fixer à jamais leur suprême Destinée. 
Que dira ce souverain juge à ceux qui sont à sa 
droite? Ecoutez : vous tous les bénis de mon 
père, venez; venite Benedicli Patris mei, et pos- 
sédez le royaume qui vous a été préparé depuis 
le commencement du monde : Possidete regnum 
vobis paratum a constilulione mundi. 

Voilà la Destinée, c'est-à-dire la sentence qui 
fixe à jamais la Destinée des bons. Et voici la 
raison qui légitime la sentence : « J'ai eu faim, 
« et vous m'avez donné à manger, etc. » C'est, 
au tribunal de la divine justice, la suprême pro- 
clamation de la loi d'amour. 

Jusqu'ici, pas d'objection, et l'incrédulité elle- 



LES PREUVES 



291 



même applaudit au triomphe de la loi d'amour, 
devant le tribunal même des suprêmes justices. 
Mais attendez; le drame n'est pas fini. « Et 
« Jésus dira à ceux qui sont à sa gauche : Allez, 
maudits, au feue7emeZ,qui a été préparé au diable 
et à ses anges: Ile, maledicliin ignem œtebnum, 
qui praparalus est diabolo et angelis ej.us. 

Ai-je besoin d'insister pour expliquer le sens 
de ces divines paroles? Qui ne comprend ce der- 
nier mot de la justice sortant avec une si ful- 
gurante clarté de la bouche même de l'amour? 
« Allez, maudits, au feu éternel; in ignem œter- 
num (1). » 

Puis-je , moi prédicateur de la parole du 
Christ, puis-je altérer par des interprétations 
arbitraires et atténuer par des ménagements 
humains la force et la portée de cette malédic- 
tion divine : Allez au feu étemel'! Au feu éter- 
nel!... Cela est-il écrit, oui ou non? Et si cela 
est écrit, qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut-il 
dire : Allez, rentrez dans le néant? Cela veut-il 
dire : Allez, repentez-vous ; allez, purifiez-vous 
par les supplices momentanés que réclame ma 
justice outragée;allez,à force d'expiations,faites- 
vous innocents; et puis, revenez plus tard avec 
(1) Matth. xxv (31-46). 



292 



ETERNITE DES PEINES 






mes élus, dans les bras de mon amour, et dans 
l'éternelle béatitude qui leur [fut préparée? Qui 
oserait, à ce point, altérer la sentence de la di- 
vine justice? Il y a là une malédiction : Ite, male- 
dicti ; et une malédiction éternelle. Il y a là une 
condamnation : quelle condamnation? Une con- 
damnation à un feu, donc à un supplice éternel : 
In ignem œternum ! En vérité, si cela n'est pas 
clair, il n'y a rien de clair dans l'Evangile ; et il 
faut renoncer à l'invoquer, pour attester une vé- 
rité quelconque. 

Impossible de reculer devant cette conclusion 
si précise et si nette du jugement divin, pro- 
clamant pour la Destinée des bons et des mé- 
chants, l'éternelle durée : Et ceux-ci iront au 
supplice éternel ; et les justes à la vie étemelle. 

Eu vain on voudrait introduire dans le texte 
une disjonction absurde. Le texte ne comporte 
pas une telle violence. En vain on dirait ce qu'on 
a dit, en effet : Eternité pour la récompense, soit, 
nous l'admettons. Eternité pour le supplice, non, 
nous ne l'admettons pas. Il n'y a pas à hésiter ce- 
pendant : Jésus-Christ envoie les uns à un sup- 
plice éternel, aussi clairementqu'il appelle les 
autres à une vie éternelle. Si d'un côté vous ad- 
mettez qu'Eternel veut dire une durée sans fin; 



LES PREUVES 



293 



comment, de l'autre côté, Etemel sig-nifiera-t-il 
un a durée qui doit finir? Pourquoi et comment, 
dans un même texte, à un même mot, un sens et 
un autre sens , alors que le souverain juge af- 
firme l'éternel supplice de la même manière 
qu'il affirme l'éternelle vie, ou l'éternelle béa- 
titude? 

Déjà de son temps Saint Augustin confondait 
cette interprétation fantaisiste, qui scinde à vo- 
lonté le texte de l'Evangile, c'est-à-dire la 
parole de Jésus-Christ. « Si le sort des bons et 
« des méchants est déclaré éternel ; si ulrumque 
« œternum; alors, ou l'un et l'autre aura une fin, 
« ou l'un et l'autre sera sans fin : aitt utrumque 
«. cum fine diutumum,aut utrumque sine fine perpe- 
« tuum débet intelligi (1).» 

Ainsi, rien n'est plus certain ni plus mani- 
feste, sur ce point si grave et si décisif; de même 
quel'Eglise parle comme l'humanité,l'Evangile, 
de son côté, parle comme l'Eglise' : l'une et l'au- 
tre, c'est-à-dire la voix divine et son écho divin, 
disent ensemble : Enfer éternel, Eternité des 
peines. 

(1) St Aug. de Civitate Dei L. xxi. c. 9 et 23. 



294 



ÉTERNITÉ r>ES PEINES 



III 



Vous le voyez, Messieurs, le libre penseur 
doit en prendre sou parti : il a contre lui et le 
témoignage de l'Eglise , et le témoignage de 
Jésus-Christ , et le témoignage de l'humanité 
entière. — Soit, répond le rationaliste; mais 
il y a un témoignage qui est pour nous et contre 
vous : c'est le témoignage de la raison, qui est 
lui aussi, lui surtout, le vrai témoignage de 
l'humanité. Vous avez beau évoquer, en faveur 
du sombre dogme de la peine éternelle, des au- 
torités et encore des autorités. Il n'y a pas <I'au" 
torité qui puisse prévaloir sur l'autorité de la 
raison. Or, vous avez contre vous la raison, la 
raison philosophique et la raison populaire. 
« Aucun principe de la raison ne conduit à l'E- 
« ternité des peines, et ne permet de l'ad- 
« mettre (1). » 

Ainsi disent, ainsi font nos philosophes ratio- 
nalistes, même les meilleurs; ils tranchent, ils 
décident. 

« Aucun principe de la raison ne conduit à 
« l'Eternité des peines » : par voie de démons- ! 

(1) Jules Simon. 'ReU'jion, Naturelle, p . 349. 



LES PBEOVES 



295 



tration rigoureuse, soit. Nous n'avons nul 
besoin de le contester.Mais, vous-mêmes, oseriez- 
vous affirmer que la raison ne dit rien, abso- 
lument rien en faveur de ia peine éternelle? 

Surtout, sommes-nous obligés de vous ac- 
corder « qu'aucun principe de la raison ne 
permet de l'admettre? » et devons-nous convenir 
que toute bonne philosopbie, au nom de la 
raison, doit prendre parti contre notre dogme? 
Oh! non, mille fois non, nous n'en conviendrons 
pas; et nous ne craignons pas de sommer les 
plus rationalistes des philosophes de se de- 
mander quelle est , en face de notre dogme ca- 
tholique, la véritable attitude de la raison hu- 
maine? Car, c'est de quoi il s'agit en ce moment. 

Oui, Messieurs, il s'agit de savoir précisé- 
ment quelle est, vis-à-vis du dogme de la peine 
éternelle, l'attitude réelle de notre raison : est- 
elle neutre? Est-elle pour? Est-elle contre' 

Avant d'aller plus loin , remarquons que notre 
dogme catholique ne prétend nullement s'ap- 
puyer sur les données et sur les principes de la 
raison humaine, comme sur son principal fon- 
dement. Notre dogme, comme nous venons de 
le voir, s'appuie avant tout, et par-dessus tout, 
sur l'autorité; non seulement sur l'autorité hu- 






296 



ETERNITE DES PEINES 



maine la plus imposante, et pour tous la plus 
irrécusable; mais ce qui est pour nous, chré- 
tiens, plus imposantet plus irrécusable encore,sur 
l'autorité de Jésus-Christ et de l'Eglise, c'est-à- 
dire sur une autorité rigoureusement divine. 

Or, ce qu'affirme une autorité divine doit être 
tenu pour vrai et n'a pas besoin, pour être cru 
et affirmé par nous-mêmes, d'être démontré par 
des principes de raison. Il n'est donc pas néces- 
saire « qu'un principe quelconque de la raison 
« conduise à l'Eternité des peines. » Mais, autre 
chose est que cette raison toute seule ne nous y 
conduise pas , et autre chose est qu'elle ne per- 
mette pas de l'admettre. 

Notre grand dogme, étant appuyé sur des au- 
torités qui ne nous peuvent tromper, nous 
n'avons pas à montrer qu'un principe de raison 
y conduit; c'est à la raison elle-même, ou plutôt 
aux grands penseurs, qui prétendent l'incarner 
en eux, de prouver que ce dogme est, avec une 
donnée absolument certaine de l'humaine raison 
dans une contradiction évidente. Le rationaliste 
déclare que la raison ne permet pas d'admettre 
l'Eternité des peines : à lui de le démontrer 
contre l'autorité qui l'affirme . 

Mais nous sommes en droit d'aller plus loin ; 



LES PREUVES 



297 



et nous pouvons affirmer que si la raison ne 
démontre pas toute seule notre dogme divin, elle 
en donne cependant des motifs qui, sans cons- 
tituer par la démonstration une absolue certi- 
tude, fondent au moins, par vraisemblance et 
insinuation, une certaine probabilité, aligna 
probabilitas, comme disent les théologiens. 

Ce serait ici le lieu d'abriter ma parole sous le 
bouclier du- génie et de la raison de nos plus 
grands hommes et de nos plus profonds penseurs 
du Christianisme. Il est par trop commode de 
s'attribuer à soi-même le privilège exclusif de la 
raison; comme si ces hommes incomparables 
avaient été par leur foi destitués de toute raison. 
Eh! qui donc, après avoir lu et compris la 
Somme Théologique de saint Thomas, oserait 
s'attribuera lui-même une raison supérieure à ce 
prodige déraison? 

Eh bien ! Saint Thomas, pour ne parler que de 
lui, non seulement n'admet pas que la raison 
repousse par elle-même le dogme de l'Eternité 
des peines; mais en je ne sais combien d'en- 
droits, que je n'ai pas le temps de citer, il in- 
siste pour bien établir que, si la raison toute 
seule ne le démontre pas , elle l'insinue, elle y 

17. 



^■■HNMMHMN 



298 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



incline et l'approuve plutôt qu'elle ne le désap- 
prouve. 

En compagnie de ce grand génie , et sous la 
sauvegarde de sa haute raison, je ne crains donc 
pas de dire, moi aussi, que ma raison, ma raison 
dégagée des obscurcissements du préjugé et de 
la passion, non seulement ne condamne pas le 
dogme delà peine éternelle, mais qu'elle l'ap- 
prouve, et, si je le puis dire, elle applaudit à 
l'autorité qui l'affirme. 

Que dit ici en effet ma raison? Elleme dit que 
la damnation éternelle peut être admise comme 
la conséquence logique de la volontaire excom- 
munication dont le réprouvé se frappe par sa 
libre séparation de Dieu. Elle médit que la peine 
éternelle paraît être la seule sanction tout à 
lait suffisante,-po\iv le maintien de l'ordre moral, 
et qu'elle est en' même temps l'une des plus 
grandes sauvegardes de l'ordre social. Bref, 
ordre logique, ordre moral, ordre social, ap- 
prouvent et appellent ensemble, plutôt qu'ils ne 
la repoussent, l'Eternité des peines. 

Et d'abord,ne vous semble-t-il pas, Messieurs, 
comme à moi-même, que Y éternelle damnation 
peut être admise comme conséquence logique 






LES PREUVES 



299 



de l'excommunication dont le réprouvé se frappe 
librement lui-même? 

Dieu se pose devant l'homme, au terme final de 
sa vie, comme sa suprême félicité et comme l'objet 
du choix qui doit décider sa propre Destinée. Il lui 
dit : Si tu le veux, moi-même je serai ta récom- 
pense , ta récompense surabondante , Ego : ero 
merces tua magna nimis. Oui, si tu le veux, tu 
posséderas éternellement toute ma vérité, tout 
mon amour, toute ma vie, tout moi-mème,enfin. 
Pour t'aider à me chercher, je te donne ma lu- 
mière; pour t'aider à me conquérir, je te donne 
ma force; et pour te préparer à jouir de ma gloire, 
jeté donne la foi. Viens donc, si tu le veux, 
mais seulement si tu le veux; car je t'ai créé 
libre par un acte de mon amour, et c'est par 
ton libre amour que je veux être embrassé. 

Voilà l'homme prévenu par la grâce, et averti 
par la Providence divine; l'homme illuminé par 
les clartés du vrai, et invité par les tendresses 
de l'amour. Et voilà Dieu faisant appel à l'hom- 
me ; mais dans ces illuminations de la vérité et 
ces invitations de l'amour lui laissant, pour 
fixer sa Destinée , la pleine liberté de son choix. 
Pour se décider, l'homme a vingt ans, il a qua- 
rante ans , il a soixante ans, quatre-vingts ans 



300 



ÉTERNITÉ DES PEtNES 



■ 



peut-être. Pendant tout ce temps, Dieu attend 
la réponse qu'il va faire aux appels de son amour. 

Or, je le suppose, pendant vingt, trente, 
quarante, soixante ou quatre-vingts ans,l'homme 
répond à Dieu qui l'appelle : Non, je n'irai pas à 
toi. Il dit à la vérité, qui veut l'éclairer : Laisse- 
moi. Il dit à l'amour,qui veut l'embrasser : Non, 
je ne t'embrasserai pas. Il dit enfin, à Dieu, 
le mot de son apostasie : Va-t'en, retire-toi 
de moi, recède... Quoi! se récrie à cette pensée 
le sens humain, quoi! l'homme' dire à Dieu 
une telle parole? Qui pourra jamais le croire et 
se le figurer? Ah! sans doute cette parole, 
l'homme, même prévaricateur, d'ordinaire ne 
la dit pas à Dieu par des discours qu'il lui 
adresse, mais par des actes qui le repoussent. 
Suis-je téméraire de prétendre que/peut-être , il en 
est, dans ce grand auditoire, qui depuis dix ans, 
depuis vingt ans disent à l'amour divin qui les 
poursuit et les sollicite, quelque chose de pareil? 
Ah ! cette affreuse parole : Retire-toi de moi, va- 
t'en] vous ne l'avez pas prononcée par des sons 
articulés; mais qu'importe, si par d'opiniâtres 
prévarications vous l'avez pratiquée? f 

Eh bien, demande ici la raison elle-même, 
sans blesser sa justice et sans se renier lui- 






■>■».■«! ■ 



LES PREUVES 



301 



même, nu prévaricateur obstiné qui, depuis de 
longues années dit à cet amour qui l'invite : 
Non, je ne veux pas; va-t'en, retire-toi de moi — 
Dieu ne peut-il répondre : Soit ; qu'il te soit "fait 
comme tu l'as voulu. Tu me repousses, malheu- 
reux; depuis vingt ans tu me dis et me redis : 
Retire-toi de moi. Je respecte la liberté que je 
t'ai donnée moi-même ; je t' obéis; je me retire; 
je m'en vais de toi : va-t'en toi-même; et loin 
de moi, sois heureux si tu peux! 

Ainsi l'homme se damne, c'est-à-dire s'excom- 
munie lui-même de la communion de Dieu ; il 
se fixe librement dans la séparation de Dieu. 
Arraché par lui-même à sa fin suprême, il la 
fuira éternellement ; comme un corps lancé 
hors de sa sphère fuirait éternellement son 
centre. 

Est-ce que la plus simple raison ne m'autorise 
pas à voir, dans cette damnation éternelle, 
comme une conséquence logique de la libre ex- 
communication dontle pécheur obstiné se frappe 
lui-même ? 

Je ne dis pas , remarquez-le bien , qu'il y ait 
en ceci une démonstration rigoureuse de la peine 
éternelle; mais essayez de trouver une raison 
démonstrative qui force Dieu à mettre lui-même 



302 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



un terme à cette volontaire séparation : vous ne 
ponvez pas même l'imaginer. L'homme qui s'u- 
nit volontairement à Dieu , l'embrasse pour l'é- 
ternité. Qu'est-ce qui empêche que l'homme qui 
se sépare volontairement de Dieu , s'en sépare 
aussi pour l'Eternité? J'ai beau creuser ici par 
ma pensée les profondeurs de la sagesse, de l'a- 
mour, de la justice de Dieu, de l'ordre, enfin, qui 
est en lui et qu'il est lui-même; ma raison ne 
parvient pas à trouver en défaut le Dieu infini- 
ment sage, infiniment juste et infiniment bon, 
qui, par respect pour cette liberté, qui est l'hon- 
neur et fait le mérite de l'homme, laisse le pé- 
cheur apposer lui-même à sa propre Destinée le 
sceau de sa libre excommunication. 

Si cette sentence, ou plutôt cette permission 
divine peut vous demeurer un mystère, la raison 
vous défend d'y trouver contre Dieu une légiti- 
me accusation. Essayez de vous dire, dans le 
silence de vos passions et sous la seule inspira- 
tion de votre raison : cette attitude est indigne 
de Dieu; vous n'y parviendrez pas. La vérité 
vous en porte le défi. 

Bref, contre cette ratification faite par Dieu, 
de la volontaire excommunication Me l'hom- 
me, logiquement la raison n'a rien à dire; elle 



LES PREUVES 



303 



approuve plutôt qu'elle n» désapprouve ce sceau 
de l'éternelle durée, que Dieu permet à l'homme 
d'apposer à la damnation voulue et consommée 
par l'homme lui-même. , 

Maintenant, si de l'ordre logique nous passons 
à l'ordre moral, voulez-vous savoir ce que dit la 
raison? Elle rend au dogme de la peine éternelle 
un témoignage et donne un assentiment que 
sans doute vous n'attendiez pas : elle dit que ce 
dogme est l'un des plus fermes appuis du monde 
moral; parce qu'il est à la fois le ressort le plus 
fort pour pousser à la vertu , et le frein le plus 
puissant pour enchaîner les passions et arrêter 
les crimes. Sous ce rapport, cette vérité définie 
dogmatiquement et crue religieusement vous 
est bonne et salutaire. Vous la déclarez dérai- 
sonnable, injuste, cruelle même. Eh bien, moi, 
dit la raison au rationaliste lui-même, je la dé- 
clare utile, si ce n'est tout à fait nécessaire au 
maintien de l'ordre moral. C'est que sans elle, 
quoi que vous fassiez,vous ne trouvez facilement 
ni à la justice une sanction tout à fait suffisante, 
ni aux passions un frein assez puissant pour en- 
chaîner en elles, en certaines situations surtout ) 
la volonté du mal. 

Quelques-uns, je le sais, acceptent pour satis- 



304 



ETERNITE DES PEINES 



fairela passion d'un moment la perspective d'un 
éternel châtiment; mais c'est l'exception. Règle 
générale, l'homme ne pèche pas en hravant au- 
dacieusement la certitude de l'éternel supplice; 
il pèche surtout en l'oubliant, et en se faisant 
de ce quart d'heure de jouissance un simulacre 
de félicité qui lui dérobe, un moment, la pers- 
pective lugubre de la peine éternelle. Mais, s'il 
se met en face de son Eternité, et s'il fixe de son 
regard, au fond de cette Eternité, le supplice 
qui l'attend; d'ordinaire cette pensée l'arrête, ce 
regard l'épouvante, et, le plus souvent, il n'y 
a pour l'arrêter et le retenir tout à fait, que cette 
pensée et ce regard. 

Un jour, sous le coup de la tentation, un 
homme, même croyant, s'apprête à donuer à sa 
passion la satisfaction qu'elle exige. Sous le 
charme qui le fascine, tel lui apparaît ce bon- 
heur de la passion satisfaite, que l'attrait de 
cette félicité présente menace de l'emporter en 
lui sur la crainte d'un malheur futur. Ah! s'il 
était bien sûr de voir, un jour, la fin de ce mal- 
heur auquel il s'expose, ne fût-ce même qu'après 
un siècle : devant ce supplice d'un siècle et 
ce bonheur d'un jour, devant cette peine qui 
l'attend de loin et ce plaisir qui le sollicite de 



LES PBEUVES 



305 



près, peut-être son choix ne serait pas douteux. 
Détournant sa pensée d'un avenir plein de ter- 
reur, il embrasserait ce présentple.in de charmes. 
Mais, se dit-il, jouir un jour, une heure, pour 
souffrir toujours; oui, ô mon Dieu, toujours 
loin de vous, et loiu de vous toujours dans les 
supplices; ah! c'est trop. M'exposer à cet irré- 
médiable malheur, oh I non, je n'y puis consentir. 
Joies perfides, plaisirs, trompeurs, retirez- vous 
et ne venez pas, pour le bonheur d'un instant, 
compromettre mon bonheur de l'Eternité. 

Il en est ainsi, Messieurs ; pour empêcher une 
âme, à l'heure de la tentation, d'embrasser le 
mal, le mal qui attire, le mal qui charme, qui 
séduit et qui, par toutes les fascinations de sa 
présence, menace de donner le vertige, il n'y a 
rien de plus fort que la perspective d'un supplice 
■ éternel. 

Et c'est par ce dogme qu'aujourd'hui encore 
l'Eglise catholique garde, pour enchaîner les 
passions et réprimer les crimes, une puissance 
morale à nulle autre pareille. 

Ah! je le sais, cette puissance, même en ceux 
qui croient à la peine éternelle, ne suffit pas 
toujours à vaincre le redoutable attrait du 
plaisir présent et fascinateur; mais elle suffît 



306 



ETERNITE DES PEINES 



souvent; et, en tout cas, nulle autre puissance 
ne la remplace. Quand, sous l'influence du doute 
ou sous le coup de la négation, ce frein vient 
à se relâcher ou à se briser tout à fait; alors 
qu'arrive-t-il? Les âmes en masse vont à la cor- 
ruption, et bientôt se précipitent dans toutes les 
fanges. La destruction du dogme de la peine 
éternelle dans les intelligences renverse, dans 
les générations, le plus ferme rempart des 
saintes mœurs. 

Messieurs, ouvrez les yeux ; regardez autour 
de vous et voyez : parmi les hommes dont la 
foi, sur ce point, a fait dans la tourmente des 
erreurs ou des passions, un lamentable nau- 
frage, où sont les grandes figures de la pureté 
et de la justice? Où sont surtout les héros du 
dévouement et du sacrifice? Où sont-ils? Nulle 
part. Qui parmi eux du moins, même dans le ' 
sens vulgaire de ce mot, fait véritablement le 
bien? Personne! .. Non est guifaciat bonum. Non, 
il n'y en a pas un , (1) Non est usque ad unum. 

Ainsi la ruine de ce grand dogme de la peine 
éternelle entraîne, plus ou moins rapidement, 
la ruine de l'ordre, moral. 

Que dis-je? ce n'est pas seulement l'ordre 

(1) Ps. Xlll, I. 



LUS PREUVES 



307 



moral, c'est l'ordre social aussi qui est com- 
promis par la ruine de ce dogme essentiellement 
salutaire et conservateur. 

Savez-vous, Messieurs, ce qui rend, à l'heure 
qui sonne, le peuple si redoutable pour l'ordre 
social et si menaçant pour la société vivante? 

Ah! je vais vous le dire : le peuple en masse 
ne croit plus, ou du moins ne croit plus assez 
au dogme de l'Eternité des peines ; et c'est par 
cette brèche ouverte dans les âmes, que les 
passions antisociales tendent à faire irruption 
dans la cité et troublent le sommeil de la patrie, 
trop souvent menacée de se réveiller dans les 
horreurs de l'anarchie. 

Allez trouver ces multitudes trompées par des 
sectaires, et qui, au grand soleil de la publi- 
cité, annoncent et proclament tout haut des 
projets de brigandage, de dépouillement et 
d'assassinat. Sondez le mystère de leur cro- 
yance : elles, surtout, ne croient plus à l'éternel 
enfer. Et voilà pourquoi leurs fureurs fratricides, 
franchissant ce rampart écroulé des menaces 
divines, méditent de se faire, par des crimes 
sans remords et sans repentir, des biens de ce 
monde un paradis de quelques jours. A cette 
parole : Plus d'enfer éternel, répond bientôt 






308 



ETERNITE DES PEINES 



cette autre : Le Paradis dans le temps , n'im- 
porte par quels moyens, et même sur des ruines 
arrosées par le sang. 

En vain espéreriez- vous que le dogme de la 
peine éternelle, une fois détruit au fond de 
l'âme populaire, la croyance à un châtiment 
temporaire de l'autre côté de la tombe y pourrait 
tenir encore, et former un rempart assez fort 
pour contenir le torrent des passions,et arrêter 
le débordement des crimes qu'elles enfantent : 
vain espoir. Cette dernière ressource ne vous reste 
pas même. L'abolition de la peine éternelle 
conduit vite à la suppression de toute peine 
d'outre-tombe ; et la négation de l'éternel enfer 
précipite, par une pente rapide, la négation ab- 
solue de l'enfer lui-même. Ah! ne nous faisons 
pas illusion : pour le peu pie, nier l'Eternité de 
l'enfer, c'est bientôt nier l'enfer lui-même. 
Cette négation suprême le pousse à la destruction 
de tout frein dans sa conscience intime, et au 
dehors, au renversement de tout rempart capable 
de contenir sa fureur impatiente de courir, le 
poignard ou la torche à la main, à l'assassinat 
des frères et à la destruction de la société. 

Donc, ô vous tous qui voulez comme nous le 
maintien de l'ordre social, et avec lui la sauve- 



LES PREUVES 



309 



garde de la propriété, de la familie, de vous- 
mêmes, n'oubliez pas que, pour empêcher ces 
projets de massacre, de bouleversement et d'ex- 
termination de germer dans l'âme du peupla 
et défaire demain ou après-demain leur effroya- 
ble explosion, il faut que sa croyance enchaîne 
sa conscience, et que sa conscience enchaîne ses 
convoitises. Pourquoi? Vous demandez pour- 
quoi? Ah! c'est que ce peuple a faim et soif de 
bonheur, et que, par un instinct en quelque 
sorte irrésistible, il convoite avec ardeur et 
souvent avec fureur ce qu'il en croit être la con- 
dition essentielle et le moyen nécessaire : la 
richesse. Lui pauvre, lui misérable, il veut être 
riche, il le veut absolument. 

Voilà pourquoi, une fois affranchie de toute 
croyance et débarrassée de tout frein sa passion 
de jouir le pousse, comme invinciblement, à 
convoiter le bien d'autrui. Déshérité de tous les 
biens de ce monde, dites-moi, comment se rési- 
gnera-t-il à votre richesse et à sa propre indi- 
gence? S'il se sent le plus fort, qui donc 
l'enpèchera, un jour, d'étendre son bras pour 
frapper vos fortunes, vos biens et, si vous lui 
résistez, vous-mêmes? * 

Et si ce géant de la force et du nombre, dans 



3 *0 

*T EmiTE DEg pEmEs 

» soif de jouissance, vi ent » 

devant vous, menaçant to„tT "' dresser 

««* et - U s- mêrae s av t ; qm V ° US a ^- 
m ande, qU el moyen a Jl ' Je V ° US le d e- 

P°»r retenir son bra S prêt aT^ ^-^ 
Uûe ^ je vous le dta ™ PP6r? EaCOre 
conscience et arrêter ] a f ' P enchaî «er J a 
-f chose est ass ez lïTjV^' ^ 
«t décidée à un bonheur 01 -' I& foi fer ™ 
réservé à ses vertus ou T ^ mIheur ^ /, 

P-dis éternel :tt u rent:rV° nC à - 
<^ le peupIej w » e ^ er kernel. Ah ! c'est 

-^eux, a cette su r^ZÏ "* ™™ 

va ê-«e que ]ui montrent „ Udétermi * é ° et 

-WP» delàson tombeau Vo^r- Prétendus 

»> a p as d' e nfe r éternel ni * dit6S «»** 

su ^» ** qu'il n ^v a 1 \ T Prend t0ut de 

est tout, et qu'au-d.fà , n "' qUe Cette ™ 

^ n'est-ce q pas ,a, d e n àl ^ a J ien - 
Parvenu à faire croire à,! qUe r ° n est " 

la doctrine de Jésus Ph,. P6Uple déshérité de 
*™ entre ses ma £?T« *> rB #*»>'0n 

à" doute, de la néT^l?^ ' Catéchis ™ 
catéchisme disait * du blas Phèmef Ce 

Y a ~ WJ uu enfer éternel ? 



LES PREUVES 



311 



— Non, il n'yapas d'enfer éternel. 

Ouest le lieu de la Destinée humaine? Où est le 
paradis ? Est-ce au ciel ? Est-ce sur la terre ? 

— Le paradis est sur la terre. Le paradis du 
ciel est une chimère , et l'enfer de l'autre vie un 
épouvantail, dont on se sert pour retenir le peu- 
ple dans la servitude de sa misère et dans l'enfer 
de ses souffrances. 

Qu'est-ce donc que le vrai paradis et le vé- 
ritable enfer? 

— Leparadis, c'est l'homme jouissant delà terre; 
l'enfer,c'est l'hommepauvre, l'homme misérable, 
se débattant ici-bas dans les étreintes de sa mi- 
sère. Arrière le rêve d'un paradis de l'autre monde! 
Arrière,surtout,l'épouvantail d'un éternel enfer.. 

Eh bien, Messieurs, qu'en pensez-vous? Est--. 
il bon, est-il salutaire à l'ordre social, de faire 
germer au fond de l'âme populaire de pareilles 
doctrines? Et que peut attendre la société de tels 
enseignements, s'ils viennent à se généraliser? 

Ah! quand ces épouvantables erreurs auront 
•envahi l'âme des multitudes, ne comprenez- 
vous pas, et la raison ne vous dit-elle pase elle- 
même que, selon touteprévision, elles essayeront 
de se faire, des biens de ce monde, ce terrestre 
paradis, dont le rêve les séduit d'autant plus 



332 

^BRNITÉ DES P EINES 

Qu'elles souffrent a»„ * 

*>* fr eiD , rien ne iZrlT qU ' aÛ ™^ de 
P^ même la spolia 0n P ° UI * le réalise ^ 

etqu'unjour, Tu a p? u ' P T même bassinât 
la colère au œu^l '* ^^ s ' éc »er, 

Poig-nardàla^^.f; 1130 ; ^ lè " es <* « 
main . i« nc/W ow ^ ^^ 

CONCL.USION. 

Voilà, Messieurs, en résumé , 
faisonelle-n.èmeenfacedem A *" dlt Ia 
E "e dit qu'elle peut Ïre adm ' é deSpeiDeS - * 
«équence % J e J ^ ^»« comme la con- 
tre dontle pécheur AT7 UmCation v °lon- 
e "e dit q ue Tdo^: d f ^^ *****■! 
*»" Tordre «orj, ™ ^T f"^ eSt < 
de la vertu, et ] e frl , PlUS puissa ^ 

elle dit, enfin qu 1 * 1° PlUS fort d u crime; 
conservateur ' est i? ^ esseûti elWnt 
l'ocre sociale Î meii f ^ rem P art de 
société. Et ainseiC^r *""«*«*> de la 
fois, mais tr Tsfo is 7 ? ^ SGuWnt ^e 

elle approuve écriai 10 " T^^ 
éternelle, app Uyé su ^!? Ie K , d0g - me de la Peine 
^ni S meet P d P ern:mi:it° UbIeaUt0ritéd ^hri s . 

AprêSCeIa '^'e rationaliste vienne nous 



LES PREUVES 



313 



dire qu'aucun principe de la raison ne conduit à 
V Eternité des peines, et qu'il ajoute que la raison 
ne permet pas de l'admettre : appuyés sur l'iné- 
branlable fondement de ces grandes et infail- 
libles autorités de Jésus-Christ et de l'Eglise, 
nous persisterons à dire que la raison, bien loin 
de répudier leur témoignage, y joint son propre 
suffrage; et nous continuerons d'affirmer que, 
si la raison elle-même et par elle-même ne dé- 
montre pas seule et directement l'Eternité des 
peines, elle ne la repousse pas non plus; et 
que, d'après ce que vous venez d'entendre, il est 
manifeste qu'elle tend plus à l'affirmer qu'à la 
nier, quelle l'approuve plus qu'elle ne la dé- 
sapprouve; que la raison, en un un mot, sur ce 
point exceptionnellement grave, n'est pas une 
adversaire qui la combat, mais une auxiliaire 
de l'autorité qui l'affirme. 

Certes, Messieurs, je n'ignore pas tout à fait 
les difficultés que le rationalisme, au nom de la 
raison, prétend opposer à ce dogme de la peine 
éternelle, et par lesquelles même il se vante de 
le confondre. 

Ces difficultés sont de deux catégories, que 
je distingue et que j'appelle, d'un côté les ob- 
jections, et de l'autre les hypothèses. 

18 



314 



ÊTEENITÉ DES PEINES 



Ma 1S avant de les aborder en face, il fallait 
montrer tout d'abord comment notre do-me 
dans sa substance, s'appuie sur des autorités et 
des temo^na-es pour tous irrécusables 

Peut-être jusqu'à présent, cette vérité que 
les erreurs et les passions tendent chaque jour 
à obscurcir, ne vous avait-elle pas encore apparu 
sous ce jour et environnée de cette lumière 

Et maintenant, j'imagine, vous êtes curieux 
de savoir ce que la vérité peut réppndre aux 
difficultés soulevées contre elle. Revenez demain 
et après-demain aussi nombreux qu'aujourd'hui- 
et,Dieu aidant, j'espère donner à votre légitimé 
cunosité une légitime satisfaction, en vous 
montrant avec quelque clarté, que les objection, 
quon oppose à notre dogme, ne prouvent rien 
contre notre dogme, que les hypothèses qu'on 
prétend lui substituer, ne se soutiennent pas • 
et que la raison elle-même renverse les objec- 
tions et les hypothèses par lesquelles on pré- 
tend nous combattre et nous vaincre, au nom 
de la raison 






ETERNITE DES PEINES 

LES OBJECTIONS 



Et ibunt lu in ignem œtuvnum. 
Et ceux-ci iront au feu éternel. 



ath.XXV.46.) 



Messieurs, 

Nous savons maintenant sur quels fonde- 
ments repose le dogme de l'Éternité des peines. 
Ce dogme est affirmé par l'humanité entière; 
affirmation absolument inexplicable, si l'on sup- 
pose quelapeineéternelle n'existe pas. Ce dog-me 
est affirmé d'une manière plus explicite et plus 
définie par le Christianisme, c'est-à-dire par tous 
les chrétiens, par l'Église, par Jésus-Christ lui- 
même. Et ce dogme appuyé sur ces grandes et irré- 
cusables autorités, non seulement n'est pas dé- 
savoué par la raison, mais elle-même l'approuve 
et le confirme par un témoignage d'une valeur 






- 



316 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



m£»w " ' ^^ aV ° ir Iap ° rtée d ' une dé- 
monstration proprement dite, constitue, en fa- 
feu du 0fme prodamé par ^ 

réelle probabilité'. 

Mais Messieurs, déjà je vous l'ai fait pressen- 
te dogme de la peine éternelle , malgré Sa 
certitude bien établie, devait naturellement 
-lever des objections, et il en a souleva 
coup en effet. Il n'y a rien en cel a qu i doive 

toul °n er fi Ce î° ëme par une ^ - fa - 

touche a 1 Infini, donc au mystérieux; et, plus 
que les autres, il entr'ouvre dans Paven r des 
perspectives devant lesquelles facilement not 
esprit semble prendre une sorte de verti^ Ce 

dogme^ailleur S ,p a Hui-m ê mepar t iculi è ;Ln; 
austère a, pour la pratique delà vie présente les 

pusg ra vesconséquences;etronconçLq Ue ' n- 

se faisantplusoumoinscomplice des passions se 

contre tous les autres dogmes 

J'essayerai donc de donner à vos esprits 

trop mquiets et trop timides souvent en face dé 

objection, la satisfaction qu'ils réclamen t ,en 

epondant aux principales objections que s'ou- 

'ève contre notre dogme le rationalisme de tous 



LES OBJECTIONS 



317 



les temps, et très spécialement le rationalisme 
de notre temps. 

Toutefois, avant de venir au détail de ces ob- 
jections, nous devons savoir préalablement ce 
qu'il faut penser de l'objection elle-même en 
face des vérités qu'elle attaque. 

On a d'ordinaire, sur ce point, des idées peu 
exactes qu'il importe de rectifier, avant de croi- 
ser contre l'arme infirme de Terreur le glaive 
tranchant de la vérité. 

En général, l'objection se présente en face de 
la vérité avec une apparence de supériorité , qui 
trompe les spectateurs du duel qu'elle engage 
avec le dogme, et qui semble d'avance lui assu- 
rer la victoire. Elle a pour elle, en effet, la sym- 
pathie de l'esprit humain, depuis la chute origi- 
nelle porté à l'objection plus qu'à l'affirmation, 
et presque touj ours la complicité des passions tou- 
jours armées contre la vérité, et toujours prêtes à 
applaudir au triomphe de l'erreur . Aussi, l'homme 
de l'objection, si faible qu'il soit par lui-même, 
paraît, alors qu'il objecte, comme investi d'une 
force factice, qui prévient en sa faveur et fait 
préjuger aux esprits superficiels le résultat de 
la lutte. C'est peut-être là ce qui a fait donner 

18. 



3 1R 

fomiùÊ d ES PEINES 

Voyons donc ce q u w ' A . ' 
«o;n me «ty*^ devant! ,0^^ Ce qU '° n 
Prétention de renverser ^ qU ' elle a la 

Plus ordinaire et son ^ ^ Sa WrM la 

^e Z voirco mi nente^ p ;;/;; Q s CiPaI - EtV0 - 
P« ?uit3 de sa puissance. , " ^^ e * 
b-n; alors surto'u qu e £ ^ °* la connaît 
1° cas présent, en fi^dïn f P * ° 0mme C ' est 
*W et d'uni vér d I n ^ P^texnont 
trée. déja cl airement démon- 

p a ^^:ir tedewie6 ^ci. 

^, ra edelapeinrrnlT en e Vr temeDtaU 
*W voir, avec nne certain dar J ^ V ° US 
t^ons, bien l oin de renverser ^ UeC6SOb J ec - 
soutiennent pas et feîwf 0g " me > Ge s « 



Et d'abord, Messieurs , quelle e,, ,0 , 



LES OBJECTIONS 



319 



Je laisse de côté les quelques rares exceptions 
qui peuvent se rencontrer sur ce point, comme 
il s'en rencontre en toutes choses humaines, re- 
levant de l'empire de la liberté; et j'affirme que, le 
plus souvent, l'objection en face du dogme ca- 
tholique ou de la vérité dogmatique, est ou 
faiblesse d'esprit ou ignorance des choses ou faus- 
seté' du point de vue où l'on se place pour le 
regarder et le juger. Elle est, d'ordinaire, l'une de 
ces trois choses, et quelquefois même toutes les 
trois ensemble. 

Oui, d'ordinaire l'objection contre le dogme 
porte ce signe : faiblesse de l'esprit, infirmité de 
la pensée. 

L'homme qui soulève les objections et mul- 
tiplie les difficultés contre des vérités admises 
par le plus grand nombre des intelligences , fa- 
cilement se persuade, comme je viens de l'insi- 
nuer, faire preuve de force et de puissance intel- 
lectuelle. Il met superbement son intelligence 
qui repousse le dogme, au-dessus de toutes les 
intelligences qui l'admettent; il s'admire dans 
la supériorité qu'il s'attribue et dans la royauté 
qu'il se fait. Aussi il objecte, il objecte toujours. 
Pareil au Jupiter de la fable, il se complaît dans 
les nuages qu'il amasse; et il n'est pas bien 






ÉTERNITÉ DES PEINES 

loin d'imiter ce dieu du tonnerre, et de prendre 
la foudre pour renverser autour de lui W7 
qu'adore le vulgaire des eS p r it s ** 

Vœlà le penchant de l'esprit humain inspiré 
par 1 orgueil, et ignorant encore du my s ère 1 
hunnhté chrétienne. Il s ' exalte ^^Jl 
sauce pour triompher de l'affirmation par le pr s 
tige de l'objection. Mais, règle générale Z« 
Prétendue puissance n'est q°ue la fatbts'se J 
son objection soi-disant triomphante a'p'ou 
cause son impuissance même. Il en est ainsi les 
objectons de notre esprit contre le dogme abi 
on pour cause son infirmité c'est-à-dire «on 
défaut de compréhension, d'intuition, dev^u ur 
et de pénétration. c "g-ueur 

Voilà pourquoi Dieu, qui possède tout cela à la 
Plus haute puissance, Dieu, dontl>intelligtc ea 
ont a la fois une force et une compréhC L 
infinies, ne peut. faire d'objection 
Et pi us uu hommej par ,, 

ieu , plus il augmente sa puissant 

H„ ,• ', ,, COntra ' re ' m oius l'homme a la force 
de lmtel ll(? euce, alors qu'il estime surtout ta 
posséder. PtaH sent croître eu ,„nepeXùt 




LES OBJECTIONS 



321 



à l'objection. Si le rayonnement direct de la lu- 
mière du soleil fait palpiter notre paupière et 
nous empêche de voir, c'est que nous n'avons ni 
le regard assez ferme, ni l'œil assez sain. Ainsi 
en est-il, à peu prés, de la vision intellectuelle. 
Si telle ou telle vérité nous offusque et semble, 
quand nous la regardons, nous donner le ver- 
tige, c'est que le regard de notre intelligence 
manque de fermeté et de force suffisantes. Sinous 
étions dans l'ordre intellectuel et le monde in- 
telligible, comme l'aigle dans le monde physique, 
nous fixerions, sans en être éblouis et surtout 
sans en être blessés, le soleil de la vérité. 

Donc. Messieurs, gardez-vous de prendre la fa- 
cilité avec laquelle l'objection vient offusquer 
votre esprit, comme un témoignage de votre force 
intellectuelle. Gardez-vous de croire, surtout, que 
votre regard est d'autant plus profond et votre 
génie d'autantplus vigoureux, que vous soulevez 
plus d'objections contre le dogme, et vous 
créez à vous-mêmes plus de difficultés. 

Soit dit, sans offenser l'homme ou les hom- 
mes à objections, c'est le contraire qui est vrai. 
Pour ne plus avoir de difficulté, pour ne plus 
faire d'objection, sur tel ou tel point où se heurte 
votre raison, que vous faudrait-il souvent? Une 



seule chose: un reo-arrl ^i 

«ne diminution de la v 1" e *^n t oa 
M œil infirme d Vu £ «'un œil fenné 

^ qui aurait, toute L^^.^-.ue 
6-ard ma i ade n'aurait m* i I IClé et Ie *>- 

c ^tre le bienfait d fa ^^f" 11 d '°V«*« 
aw ^^én'ap M m é * I 1 U T W? Est ' Ce ^ 
^ la nier, et de 1 ^!^*" 1 **» -turelle 

f f . dont il enten7^L U, | meDS0 ^ e ce 
Br ef, si nous avi y™ î\ GS merv eilles? 
— voyions mi u ° x D « '«** Plus f erme , et s . 

s ^ance de „ £, "f^ de DOtre -prit, rin . 
»otre ignorance. "' ° S ° US dire le mot, 

Le Plus soavent nnn« no 
« «avons pas assez et voT^ 5 PaS ' ° U Q0US 
Pourquoinousobjectôn, ^ pres< ï ue toujours 
»*> ^tion fansse, in ex et™* ^^s Chose * 
forons tout à fait 1 mC0nî P lète , ounous 
cette ignorance profett, V* **"* r ° mhre * M 
I- nous objectons lonLT^ iatelU ^e , - 
t» naître vly^^£™**». Von. sen- 

v °«s propose: y ous dil, UQ dog,me ^'°a 

- susdites sans hésiter : ^«^, ; 




LES OBJECTIONS 



323 



impossible. Allez aufonddel'afflrmatioir, creusez- 
la, pénétrez-la, connaissez-la enfin, non telle 
qu'un préjugé vous l'a faite , mais telle qu'elle 
est en elle-même; et il n'y a plus de difficulté pour 
le regard qui a vu l'objection s'évanouir, comme 
une ombre sous un rayon de soleil. Combien 
parmi vous, du fond de leur pensée obscurcie par 
le préjugé, l'erreur et quelquefois l'ignorance, 
dans la meilleure foi du monde, objectent contre 
une trinité qui n'est pas notre Trinité, contre un 
péché originel qui n'est pas notre péché originel, 
contre une incarnation qui n'est pas notre In- 
carnation, en un mot, contre un dogme qui n'est 
pas notre Dogme? Combien dont l'esprit troublé 
demeure, des années et des années, dans les obs. 
curités et sous les étreintes d'une objection ar- 
tificielle et d'une difficulté imaginaire ; jusqu'à 
ce qu'une rencontre heureuse, une lecture, une 
•> conversation, une prédication, une illumination 
quelconque, un rayon venu de l'homme ou de 
Dieu, fasse évanouir le fantôme qui troublait la 
pensée, ou tomber le sophisme qui tenait l'in- 
telligence captive! Hier vous aviez devant votre 
pensée une objection qui vous paraissait triom- 
phante; elle voilait pour vous le vaste champ 
de la vérité, comme ces corps placés devant votre 






W 



324 



ÉTERNITÉ DES PEWES 



; i 



^eg-ard, et d'autan ni S™* 88 ** 8 °us votre 
davantage P,US que T S e * *PP«>coiez 

Parole a défini ni' T ° n d& lumière " Ce «e 

s'est trouvé que oh me ; m ° atré Ia réaIité ' « « 
vous obsédai c hp f? 1 ° nétaitUnfantôm Mu i . 
de la vérité ; n r *' daQS le champ 
<eurs de"etrirhL COmbattre t0UteS Ies e '~ 
torts de r ntenl m * redYeSSer tous ** 

mes et que vous Ll f * ^ deS faDtô - 

(Pardonne/; e U ; ^n jVT"' V0US »»<■ 

Mais, Messieurs? } ' »^-à-^. 

^ora;ceT;r M a ; e cL notre faibIesse et notre 

minuer à nos JI, ^° Se eaCOre ** doi ' di- 
aos objecZT^ \T eaF Gt ^P^nce de 
où nous nons ;i l /"r^ 11 P ° iDt de ™ e 
garder les choses Sl 'n P * ^^ P ° Ur re " 
ces deux cond tions n PP0S6Z ^ ^ rëaIisez 

Pautenr de Tob e cl *? ^^ S0Uveilt à 

. ei °°J e ction : la fermeté du reaarrl p+ i 
connussance des choses dontil s'ait m 
si.pourreo-arfïp,. »^ • us a ^"' <ï u importe, 
ourre arder, examineroudiscnternn dog-me, 




•3t*>*' 









LES OBJECTIONS 



325 



une doctrine, vous vous placez à un point de vue 
essentiellement fautif? Vous regardez de trop 
haut ou de trop bas, vous ne voyez qu'à moitié; 
vous regardez de trop loin, vous ne voyez plus; 
vous regardez de trop près, vous ne voyez pas 
davantage. Car si l'œil ne voit pas ce qui lui 
échappe, il ne voit pas non plus ce qui le touche, 
selon la remarque d'un grand écrivain. Dans 
l'ordre intellectuel comme dans l'ordre physi- 
que il y a, pour bien voir des conditions d'op- 
tique. Il y a une mesure de distance et une 
élévation de point de vue qui donne la vision 
totale de la chose regard -e, et la montre telle 
qu'elle est, sans tromperie ou illusion de pers- 
pective. Vue de là, presque toujours l'objection 
disparaît. 

Surtout, il y a une chose qui fait d'ordinaire 
disparaître la valeur de l'objection: voir l'en- 
semble au lieu de ne voir que la partie séparée. 
Dans une doctrine religieuse, les dogmes se 
tiennent, les mystères se répondent et s'ap- 
pellent les uns les autres. Le côté lumineux et 
doux d'un mystère éclaire et adoucit le côté aus- 
tère et obscur d'un autre mystère. Si vous faites 
entre l'un et l'autre la disjonction, si vous sé- 
parez le second du premier, et l'un et l'autre de 

19 



326 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



e "e «Ublie la r^tanS^S^ "* 

estera de l'Incarnation du V rbe Un ""* 

jour, vous vous prenez à îWn autre 

^nel; vot.e ^^XtiT*"**? 

vertig-e; mais vous oubliez le" J T^ * 

et l'Infini se donnant 1 uïmèn ^ n J ^ 

En un mot, il y a dan „ ,„ f] T ' rec °mpense. 

une économie"^ Z e ° ^T «"»**** 

maître, ou pl utôt de main ^ ^u , S 
suivre du reg-ard le mouvemen et kt " de 
l'ensemble, vous regarde, Tne 1 lham ° mede 
isolée dont le rapporfav' r P ' Uûe pièce 

^eure Ignoré QuoTIm ^^ V0US de ~ 

8UUlt! ' yuoi a étonnant d^« i^,.„ 

objections TOns obsMent J"^ 8 £»J*> h. 
c °"»me des folles les unes snrl f °° , """" 

«g-énmux mécanismes créés o„T ,, ^f" 5 "' 



LES OBJECTIONS 



327 



être, mais fort ignorant de la mécanique et des 
créations de notre génie dans l'ordre matériel, 
cet homme regarde ébahi et stupéfait; il ne com- 
prend rien à ce mouvement multiple dont les 
complications l'intriguent et dont le fracas l'é- 
tonne et l'étourdit Volontiers dirait-il en mul- 
tipliant ses questions : Pourquoi ce rouage qui 
se meut? Et cet autre? Et puis cet autre?... 
L'envie lui prend même à chaque pas de faire 
des objections, et il n'est pas loin de se de- 
mander commenttout cemouvement est possible? 

Que lui manque-t-il, à cet homme d'esprit, 
pour trouver tout cela très simple? Une seule 
chose : voir l'ensemble ; surtout connaître le 
grand moteur qui fait marcher le tout . Un homme 
vient qui lui découvre la force d'impulsion, qui 
lui montre les points de contact où la force ré- 
pond à la force, où le rouage s'engrène auroua- 
ge, où le mouvement produit le mouvement, et 
chaque partie s'harmonise avec le tout. Alors, 
l'homme d'esprit comprend le mystère industriel, 
et il n'a plus d'objection. 

Ainsi, Messieurs, le grand secret, pour faire 
tomber devant soi l'objection qu'on se faisait à 
soi-même contre telle ou telle donuée de la re- 
ligion, est surtout celui-ci : voir et regarder 



33S 



ÉTERNITÉ ORS PErNES 



apparentes. S ce h f d T * «""""»<*'<>■* 
^-^Pa S Ba,au^ e :'la' , n t r ye! ' lé 

^tère; et si rotre £~" an Pmden ' à Ce 
4 fait à s'arracher elle 1 P """" PaS tont 
*ta ^ g eaie • ' ^ '« — ter- 
ne Prendra pl„ s l 8 .e^"" "' "" ">o lns elle 

fois, à ferce de retfarderl ° arri ™ I>a, '- 

oofo„dderia S oSt e ;rr rSlemêmeP ° iM 

choses, fausseté du point T i "T"""* aos 
regarde. e Tue d °» on les 



LES OBJECTIONS 



329 



Yoici maintenant une seconde considération 
qui rend nos objections contre certains dogmes 
encore plus suspectes, et partant moins rece- 
vables; c'est la source d'où elles émanent le plus 
souvent. Quelle est cette source? Je ne dois rien 
vous déguiser de la vérité, dans la crainte de 
vous déplaire. Cette source, quand il s'agit par- 
ticulièrement de l'enfer et de l'Eternité, c'est 
l'antagonisme implacable de nos passions et des 
dogmes redoutables aux passions. 

Je ne veux pas dire assurément que toute 
objection contre l'Eternité des peines n'est faite 
que par une passion qui a peur, et cherche à 
briser elle-même avec le dogme le frein qui la 
retient. Il y a dans les âmes les plus pures et les 
mieux douées, des quarts d'heure d'éblouis- 
sements, et je ne sais quel vertige que donne 
facilement la fixation par la pensée de tout ce 
qui touche à l'Infini; mais ces éblouissements 
passent, ces vertiges s'apaisent, et il reste au 
fond de l'âme, la sérénité de la foi dans la calme 
possession de la vérité, même incomprise. 

11 n'en est pas de même des objections qui 
prétendent ébranler ou renverser le dogme et 
qui se révèlent souvent, jusque dans leur ex- 
pression et leur forme, comme un acte d'hosti- 



330 



ETERNITE DES PEINES 



lité et comme une machine de guerre. Ces ob- 
jections, d'où viennent-elles le plus souvent? 11 
faut avoir le courage de se l'avouer à soi-même ; 
d'ordinaire, elles viennent de nos passions. 

Je faisais remarquer tout à l'heure, que l'ob- 
jection tient souvent à la faiblesse ou à l'étroi- 
trsse de notre esprit; je dois ajouter qu'elle 
tient encore plus souvent à la force et à la vio- 
lence de nos passions. 

L'homme qui gouverne ses passions et em- 
brasse avec courage l'austérité de la vertu, le 
chrétien dévoué , humble , chaste , vertueux 
enfin , dans le grand sens de ce mot, rarement 
pousse à outrance contre l'enfer et l'Eternité 
l'arme de l'objection. Humble, il adore; chaste et 
pur, il se fait de ses vertus un abri contre la 
terreur du châtiment. Il n'a pas de raison per- 
sonnelle pour repousser et anéantir la peine 
éternelle. 

11 en est tout autrement de l'homme vicieux, 
décidé, quand même, à satisfaire ses passions. 
La passion est exigeante, la passion est into- 
lérante, la passion est impatiente. Oui, impatiente 
de ce qui la trouble ou la gène, elle dit: « Arrière 
a Votre enfer! Arrière vos châtiments éternels ! 






Frv? 



LES OBJECTIONS 



331 



« Moi je ne connais que le Dieu bon, le Dieu de 
« la miséricorde et de l'amour. » 

Aussi, règle générale, tous les hommps vi- 
cieux , fussent -ils baptisés, chrétiens, catho- 
liques, font des objections contre l'enfer et 
l'Eternité des peines. Je le comprends, ils pnt 
eux aussi leurs raisons; raisons du cœur « que 
la Raison ne connaît pas. » 

Sans doute nous pouvons, sur ce point, 
nous faire de faciles et chères illusions; mais 
la vérité est que le plus souvent, notre objec- 
tion, c'est notre présomption ; notre objection, 
c'est notre indépendance ; notre objection , 
c'est notre orgueil; notre objection, c'est notre 
volupté; en un mot, notre objection, c'est notre 
passion. 

Autrefois humbles et dociles que vous étiez, 
soumis en tout à la volonté divine, chastes et 
purs encore de tout contact avec le mal , la 
passion ne vous armait pas contre la vérité, 
et contre la peine éternelle votre raison ne 
protestait pas. Si parfois, malgré vous, elle sou- 
levait au fond de vous-même une légère pro- 
testation ; dans le silence de la réflexiqn ellp 
écoutait la réponse que lui faisait la vérité, et 



332 



KTICRN'ITK UKS PtëINliS 



facilement et bien vite elle se déclarait satis- 
faite. 

Mais si, un jour, pour assouvir une passion 
dans le présent, sans avoir à redouter le châ- 
timent de l'avenir, vous avez commencé à 
murmurer tous bas : Est-il bien sûr qu'il y 
ait un enfer'*. Et surtout un enfer éternell On 
le dit; mais qui en est revenu? Et, si passant 
du doute à la négation, vous avez osé dire : 
Mais non, ce n'est pas possible; il n'y a pas 
d'éternel enfer. Oh ! alors, votre passion, de- 
venue volontairement hostile à notre grand 
dogme, vous a paru donner à votre pensée un 
semblant de force et de raison, que jusque-là 
elle ne se connaissait pas. Alors, il vous a 
paru découvrir, tout à coup, entre l'Eternité des 
peines et les principes de la raison, un anta- 
gonisme à jamais irréconciliable. Alors sont 
venues des objections que vous estimiez triom- 
phantes ; et avec une assurance que rien ne 
semblait pouvoir désormais ébranler, vous som- 
miez l'Eglise, tous les chrétiens, Jésus-Christ 
lui-même de vous répondre. 

Qu'était-il arrivécependant?Une lumière nou- 
velle vous était-elle tout à coup venue? Un so- 
leil nouveau s'était-il levé sur vous pour éclairer 



LES OBJECTIONS 



333 



votre pensée? Non, rien de pareil ne s'était pro- 
duit en vous. Qu'y avait-il donc là, pour faire si 
soudainement unp si fière opposition à la vérité 
d J un dogme que, hier encore, vou s admettiez sans 
peine, et contre lequel vous n'aviez pas à faire 
de sérieuse objection? 

11 n'y avait là de nouveau qu'un obscurcisse- 
ment survenu, et je ne sais quels nuages accu- 
mulés par la passion dans votre intelligence. 
L'antagonisme n'était pas entre notre croyance 
et votre raison; il n'était qu'entre vos passions 
qui repoussaient notre dogme, et notre dogme 
qui déconcertait vos passions. 

Donc, dirai-je ici à l'homme armé par sa pas- 
sion contre notre croyance et notre conviction : 
si vous le voulez, un accord parfait entre notre 
dogme et votre raison peut revenir encore : ren- 
versez l'empire de cette passion qui vous de- 
mande, pour se satisfaire, le sacrifice de votre 
foi; soyez humble, d'orgueilleux que vous étiez; 
soyez chaste, de voluptueux que vous étiez; 
oui, soyez chaste, surtout, soyez cnaste six 
mois ; et peut-être, à votre grande et heureuse 
surprise, six mois passés dans l'innocence et la 
pureté ; contre la vérité qui vous offusque et 
vous révolte, vous n'aurez plus d'objections; ou 

19. 



334 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



s'il s'en présente encore au seuil de votre intel- 
ligence, facilement votre bon sens en fera justice. 
Le dogme de l'Eternité n'aura plus de raison de 
vous révolter, parce qu'il ne vous troublera plus; 
et il ne vous troublera plus, parce que vous 
aurez l'espoir fondé sur vos vertus et vos 
mérites du temps, de trouver après cette vie 
l'Eternité de la récompense et de la béatitude. 

Et quels que puissent être à l'avenir les mur- 
mures et les protestations involontaires de 
votre raison devant la perspective de la peine 
éternelle ; vous ne pourrez trouver déraison- 
nable et antirationnel, d'admettre avec l'Evan- 
gile, avec l'Eglise, avec l'humanité entière,_que 
de même qu'il y aura pour les justes une féli- 
cité éternelle, il peut y avoir pour les méchants 
dans l'autre vie une peine éternelle. 

Donc, n'en doutez pas, Messieurs, la source 
profonde, toujours ancienne et toujours nou- 
velle, d'oq jaillissent perpétuellement les protes- 
tations et les objections contre le dogme, de la 
peine éternelle, du moins la source incontesta- 
blement la plus ordinaire et la plus féconde, ce 
sont les passions du cœur humain, intéressées 
qu'elles sont à repousser un dogme qui les 






LES OBJECTIONS 



335 



gêne et qui, par le freiu.de la croyance en- 
chaîne leur puissance. 

Bref, la source des objections soulevées con- 
tre l'austérité de ce dogme, est la mèrne d'où 
s'échappent les objections contre tous les autres 
dogmes, même contre le dogme fondamental et 
générateur de tous les autres, le dogme de 
l'existence de Dieu. « L'insensé a dit d aQS son 
« cœur : Dieu n'est pas; » oui, l'Insensé a dit 
dans son cœur, et contre toute raison : Il n'y 
pas de Dieu; Dixit insipiens in corde suo : non est 
Deus (1) . 

Ainsi, ce n'est pas par sa raison et dans son 
intelligence, mais c'est dans squ cœur et spus 
l'inspiration de ses passions, que l'homme a 
dit : Il n'y a pas & éternel enfer. Si toutes les 
négations ne dérivent pas de la même source , 
je ne crains pas de l'affirmer, la plupart ont 
cette source. 

Nous venons de voir, Messieurs, cornment la 
valeur intripsèque et la source principale des 
objections que l'on oppose à la vérité de nos 
dogmes, en amoindrissent la puissance et la 
portée, si elles ne les annulent tout à fait. 

Mais il y a une chose qu'il importe encore 

(1) Ps.xm. I, 



33 5 



ETERNITE DES PEINES 



plus de considérer : c'est le but que se propose 
et que prétend atteindre l'objection rationaliste, 
alors qu'elle se pose en face de nos dogmes . 

Ce but est manifestement de les renverser et 
d'élever sur leurs ruines le trône de la raison, 
devenue désormais souveraine maîtresse, et la 
seule révélatrice du présent et de l'avenir. 

Comment le rationalisme prétend-il attein- 
dre son but et réaliser cette étrange ambi- 
tion? Le voici : en opposant à nos dogmes ce 
qu'il appelle des difficultés insolubles et des ob- 
jections sans réponse possible. Ainsi, par 
exemple, se pose devant nous, c'est-à-dire devant 
nos dogmes, le rationaliste ; il dit : Nous avons, 
nous libres penseurs, contre vos dogmes et 
vos croyances, des difficultés qu'il est impossible 
de résoudre ; et jamais notre raison ne consen- 
tira à admettre un dogme ou des dogmes con- 
tre lesquels se lèvent des objections, pour elle et 
pour les croyants eux-mêmes, tout à fait inso- 
lubles. Je me fais à moi-même,avec une pleine sin- 
cérité, contre un dogme que vous professez, une 
difficulté, une objection à laquelle, malgré mon 
bon vouloir, je ne parviens pas, et vous ne par- 
venez pas vous-mêmes à donner une pleine sa- 
tisfaction. D,>k Lrs, quoique vous affirmiez sur 






LES OBJECTIONS 



337 



ce dogme, et quelles que soient les preuves soi- 
disaut convaincantes sur lesquelles vous dites 
l'appuyer, je ne l'admettrai pas ; et devant ma 
raison votre dogme doit reculer. 

Ainsi, Messieurs, ï 'insolubilité de l'objection: 
voilà la fin de non-recevoir que nous oppose le 
rationaliste, dans le but avoué de faire reculer 
et de renverser le dogme. 

Telle est, en effet, la portée que s'attribue 
d'ordinaire à elle-même l'objection rationaliste, 
qui se pose face à face avec le dogme. Elle dit : 
Je vous attaque, et vous ne savez pas vous dé- 
fendre; je vous fais une difficulté, et vous ne 
savez pas y répondre; du moins votre solution 
directe à mon objection me demeure insuffisante; 
donc votre dogme ne se soutient pas ; il est con- 
fondu, renversé, anéanti par l'objection. 

Certes, Messieurs, avec un tel procédé il se- 
rait facile de tout réduire à néant. On ébranle- 
rait l'une des plus légitimes et des plus fermes 
bases du raisonnement bumain en tout ordre 
de eboses; si l'on consentait à admettre qu'une 
vérité quelconque, une fois établie par des 
preuves et des démonstrations réelles, cesse de' 
se soutenir, dès qu'il y a contre elle une objec- '{ 



338 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



tion à laquelle on ne répond pas, et réputée re- 
lativement insoluble. 

Or, c'est là tout d'abord un principe contre 
lequel nous protestons, et contre lequel dans la 
pratique, vous protestez vous-mêmes et de mille 
manières avec la raison et le sens commun . 

Contre telle ou telle vérité de votre foi vous 
avez, je le suppose, des objections qui vous pa- 
raissent insolubles , et auxquelles vous ne par- 
venez pas à donner une réponse absolument 
satisfaisante ; eh bien ! est-ce que, même dans 
cette hypothèse, vous vous croyez obligés, au 
nom de la raison et de par son autorité, de re- 
jeter la vérité ou le dogme dont il s'agit? Je 
vous pose la question, en vous conjurant d'y 
répondre dans le secret de vos âmes sincères. 

Mais , Messieurs , où n'irions-nous pas , gui- 
dés par un tel principe? Si vous admettez qu'il 
faut rejeter toute affirmation contre laquelle s'é- 
lèvent telles difficultés que vous ne pouvez ré- 
soudre, telles objections auxquelles vous ne 
pouvez répondre; quelle vérité, je vous prie, 
pourra demeurer debout daus votre intelligence, 
sous la sauvegarde de la certitude? 

En dehors de quelques vérités principes et 
de quelques axiomes primitifs , qui supportent 



■-_■'-■. 



LES OBJECTIONS 



339 



l'édifice de toutes les connaissances, et sont 
comme le granit sur lequel s'appuie tout le 
monde intellectuel ; ou , pour me servir d'une autre 
image, si vous exceptez ces vérités premières, 
flambeaux allumés par la main de Dieu au fond 
de nos âmes pour y tout éclairer, et qui eux- 
mêmes brillent de leur propre lumière ; où sont 
les vérités par vous tous admises et acceptées 
comme certaines, contre lesquelles même un 
médiocre génie, un esprit quelque peu subtil 
et perspicace, ne serait pas assez puissant pour 
soulever des diifieultés dont vous ne pourriez 
dénouer le nœud, et formuler des objections 
dont la solution se dérobant à votre esprit vous 
trouverait sans réponse? 

Certes, Messieurs, je crois, autant que tout 
autre , reconnaître avec sincérité la faiblesse de 
mon intelligence ; et cependant, même avec le 
sentiment de cette infirmité, je crois me sentir 
encore assez fort pour poser devant la plupart 
des vérités que tous vous admettez comme cer- 
taines, des objections auxquelles même les plus 
habiles d'entre vous ne pourraient répondre, ou 
du moins ne répondraient qu'imparfaitement. 

Tous, vous admettez avec l'existence de Dieu, 
la création, la Providence, la spiritualité et l'im- 



340 



ÉTERNITÉ DES PKINFS 



mortalité de l'âme, la liberté, la personnalité, 
la responsabilité humaine. Or, croyez-vous 
qu'un esprit un peu exercé à la gymnastique de 
la pensée et de la parole, ne pourrait ici vous ob- 
jecter des difficultés qui vous embarrasseraient 
tort, et peut-être vous amèneraient à confesser 
simplement votre impuissance de répondre? 

Pourquoi , malgré ces difficultés pour vous in- 
solubles, n'en concluriez-vous pas à la négation 
de ces vérités queje viens d'énoncer? Pourquoi?... 
Parce que vous avez de ces vérités des démons- 
trations qui vous en garantissent la certitude, 
et que vous reconnaissez avec; la raison, la lo- 
gique et le bon sens, qu'aucune objection, mè- • 
me réputée humainement insoluble, ne saurait 
prévaloir contre une vérité démontrée certaine, 
et contre la possession intellectuelle de la certi- 
tude acquise. 

Impossible à nous, qui croyons et savons aussi 
pourquoi nous devons croire, d'abandonner à 
l'ennemi cette position vraiment inexpugnable. 
Telle est, en effet, devant toutes les attaques 
de Terreur et du doute, notre vraie position. 
Nous avons dans la théologie une démonstration 
de la révélation chrétienne; et la certitude qui 
sort de cette démonstration atteint tous les 






LES OBJECTIONS 



341 



dogmes enseignés par l'Eglise. Nous avons de 
plus une démonstration de chaque dogme parti- 
culier. Cela posé, une objection nous fût- elle in- 
soluble, ne nous fera jamais abandonner le 
dogme. La démonstration, si vous la supposez 
réelle, est une possession de la vérité. L'objection 
est,contre cette possession, une sorte de reven- 
dication faite au nom de la raison. 

Jusqu'à ce que vous ayez démontré contre 
nous, dans la lumière de l'évidence, l'illégiti- 
mité de nos titres, c'est-à-dire la fausseté de 
nos preuves, nous demeurons dans la possession 
acquise; et nous pouvons ici nous appliquer cet 
axiome de la jurisprudence : Melior est conditio 
possidentis. Vous objectez ; par défaut de connais- 
sauce, de réflexion, d'habileté, et par suite mê- 
me de l'infirmité native de ma pensée, je ne 
parviens pas à vous répondre. Mais, mes preu- 
ves subsistent; je demeure, quand même, en 
possession de la vérité : vous essayez de la ren- 
verser; elle se soutient appuyée sur l'inébran- 
lable base de sa propre démonstration. 

Prenons, Messieurs, parmi toutes les vérités 
qu'enseigne l'Eglise et que vous croyez avec 
l'Eglise, un exemple qui pourra nous tenir lieu 
de tous les autres. 






345 



ETERNITE DES PEINES 



Nous croyons tous avec l'Eglise, et je puis 
ajouter avec toute doctrine spiritualiste, ces 
deux vérités avec la même certitude : d'un côté , 
la liberté de l'homme, et de l'autre, la prescience 
de Dieu. Or, à ce moment que nous appelons hier, 
Dieu a vu clairement l'acte ou les actes que je 
pose aujourd'hui librement. 

Comment puis-je concilier ces deux vérités : 
la prescience divine et ma liberté humaine? Si 
Dieu a vu hier l'acte que je pose aujourd'hui; 
comment suis-je encore libre de ne pas le poser? 
Et si je suis libre de ne pas le poser, comment 
Dieu a-t-il prévu que je le poserais? Donc, ou il 
faut, pour sauver la prescience de Dieu, nier la 
liberté de l'homme ; ou, pour sauver la liberté 
de l'homme, uier la prescience de Dieu. Que ré- 
pondre, pour sauver l'une et l'autre? Je réponds : 
H y aune prescience divine; j'en ai la certi- 
tude qui me vient de l'évidence, /'intelligence 
infinie ne pouvant rien ignorer. Et il y a une 
liberté humaine ; j'en ai la certitude qui me vient 
de mon sens intime qui ne peut me tromper. 

J e suppose qu'à cette difficulté je n'aie pas 
•d'autre réponse ; est-ce qu'à cause de cela, je 
lâcherai l'une de ces deux certitudes: ou la pres- 
cience de Dieu, ou la liberté de l'homme? Non 



LES OBJECTIONS 



343 



mille fois, non; à cause de ce qui est obscur je 
ne nierai pas ce qui est clair : Non sunt neganda 
clara pr opter obscur a. 

Joseph de Maistre, par un exemple ingénieux, 
nous montre la nécessité de maintenir ce prin- 
cipe de logique ou de philosophie populaire. 

Je suppose, dit-il, qu'il soit historiquement 
certain qu'Archimède, avec un miroir ardent, a 
incendié, sous les murs de Syracuse, la flotte des 
Romains. 

Un savant vient, au nom delà science, essayer 
de me démontrer qu'un tel fait n'a pu exister ; et 
il me fait, par une longue suite de déductions 
scientifiques, des objections auxquelles, par 
défaut de science suffisante, j'ai de la peine à ré- 
pondre. De la série de ses raisonnements 
scientifiques il semble résulter que, pour pou- 
voir à l'aide d'un miroir ardent incendier à dis- 
tance la flotte des Romains, Archimède aurait 
dû faire fonctionner un miroir dont la grandeur 
eût égalé au moins l'étendue de la ville de Syra- 
cuse. — Que répondez- vous à cela? — Je réponds 
qu'Archimède, avec un miroir ardent, a brûlé la 
flotte des Romains sous les murs de Syracuse. 
J'ignore comment cela a pu se faire ; mais je 
sais que cela s'est fait. Dès lors, je suis certain, 



344 



ETERNITE DES PEiNES 



malgré mon impuissance de répondre à votre 
objection, que la chose est possible, par la 
raison démonstrative que la chose a existé. Un 
jour, après deux mille ans, un autre savant, Kir- 
cher.viendra.et retrouvera le miroird'Archimède. 
Mais je n'avais pas besoin de cette nouvelle 
découverte, car, d'après l'axiome connu : Du 
fait à la possibilité, je conclus avec certitude; 
et, à cause de ce qui est obscur, je ne nierai pas 
ce qui est clair. 

Ainsi, vous le voyez, Messieurs, l'objection 
d'ordinaire si fière et en apparence si triom- 
phante en face du dogme qu'elle attaque, perd 
singulièrement de son prestige et de sa force, 
vue et considérée dans sa valeur intrinsèque, 
dans sa source et surtout dans son but, qui est 
de prévaloir contre la vérité.mème appuyée sur 
d'irrécusables témoignages. 

Aussi, quand elle s'attaque directement à 
notre grand dogme de la peine éternelle, nous 
pourrions à la rigueur lui opposer une simple 
fin de non-recevoir, en possession que. nous 
sommes de son inébranlable certitude, et ap- 
puyés sur la terre ferme de notre démonstration. 
Mais nous ne voulons pas nous renfermer, 
vis-à-vis de l'objection, dans cette situation pu- 



LES OBJECTIONS 



345 



rement négative. Et encore bien que, même im- 
puissants à lui répondre, nous maintiendrions, 
quand même, la vérité de notre dogme, il nous 
plaît de l'aborder en face. Et vous allez voir si, 
aux principales objections qu'elle nous fait 
nous n'avons qu'à opposer un silence prudent. 

Les objections que soulève le rationalisme 
contre notre dogme de la peine éternelle, sont 
pour ainsi dire à l'infini. Elles sont semées dans 
les intelligences comme les grains de poussière 
d:ins l'atmosphère que nous respirons. 

Elles peuvent toutefois se ramener à ces trois 
chefs principaux : La Providence divine; la Jus- 
tice divine ; la .Bom^' divine. 

Les adversaires, dont bon nombre croient à 
peine en Dieu, prétendent défendre ces trois at- 
tributs divins contre un dogme qu'ils disent les 
anéantir. N'avons-nous rien à leur répondre? 
C'est ce que nous allons examiner. 



II 



Et tout d'abord, pour ce qui concerne l'objec- 
tion tirée de l'attribut de la Providence, veuillez, 
Messieurs, remarquer, l'incompétence de la rai- 
son humaine, pour trouver en défaut le plan de 



346 



ETERNITE DES PEINES 



la divine sagesse. Qui a pu lire jusqu'en son 
fond l'harmonie infinie des plans de la Provi- 
dence' Qui en a découvert tous les secrets,touché 
tous les ressorts, saisi toutes les faces, embrassé 
toute l'étendue, pénétré toutes les profondeurs, 
creusé tous les abîmes? Qui a pu être son con- 
seiller? Et qui pourra être son juge ?iit pourtant, 
j'entends -des hommes qui se portent pour juges, " 
et juges sans appel, des plans de la Providence 
divine dans les destinées humaines. 

Votre dogme, disent-ils, insulte la sagesse et 
la Providence divine; parce qu'étant donnée l'E- 
ternité des peines, Dieu n'atteint pas et ne peut 
atteindre son but dans l'œuvre de la création. 
Le but de Dieu créateur étant le bonheur final 
de la créature, il est impossible de concevoir un 
état de supplice, qui exclut à jamais pour elle 
la possession du bonheur. Or, telle est, ajoutent- 
ils, la situation inhérente à l'éternité des peines : 
des âmes créées libres et réduites, bon gré 
ma lgré, à l'impossibilité absolue d'atteindre leur 
fin en arrivant au bonheur . 

Que répondre à cette objection, qui a la double 
prétention de justifier Dieu et de confondre notre 
dogme? Je réponds que cette objection s'appuie 
sur une ignorance, l'ignorance du vrai plan de 



LES OBJECTIONS 34 i 

la création; elle n'embrasse pas, dans tonte sa 
vérité et toute son étendue, la notion ou l'idée 
du plan providentiel. Il est faux, métaphysique- 
ment faux, que la fin dernière et suprême de la 
création soit le bonheur même de la créature, 
ou de l'être créé. 

La vraie fin, la fin suprême de la création, c'est 
la glorification du Créateur par la créature. Sans 
doute le bonheur de l'être créé entre nécessai- 
rement dans le plan du Créateur, Dieu l'ayant 
créé par le motif et sous l'impulsion de son 
amour. Mais il faut manquer de la plus vul- 
gaire philosophie, pour ne pas comprendre cette 
vérité de métaphysique élémentaire, à savoir, 
que Dieu ne pouvant avoir hors de Lui un but 
qui lui fût supérieur ou même égal, n'a pu avoir 
en créant, d'autre but suprême que lui-même; 
parce qu'il est à lui-même nécessairement son 
principe et sa fin, selon ce mot simple et profond: 
« Je suis le principe et la fin. Ego sum princi- 
« pium et finis. » 

Et parce que cette glorification du Créateur, 
but suprême de la création, doit résulter de la 
manifestation de ses perfections par la créature, 
il en résulte que, dans le premier plan de sa 
Providence, Dieu a uni harmonieusement ces 



I 



348 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



deux choses: la gloire du Créateur et le bonheur 
de la créature. Mais, par cela même que ces 
deux choses sont harmonisées, il faut absolu- 
ment que Tune des deux soit coordonnée par 
rapport â l'autre. Est-ce la gloire de Dieu qui 
sera coordonnée par rapport au bonheur de 
l'homme? Ou bien, le bonheur de l'homme par 
rapport à la gloire de Dieu? Sur la question 
ainsi posée, qui donc, je vous pire, pourrait hé- 
siter une minute? 

Vous le voyez tout de suite, Messieurs, cette 
objection pèche par la base, et s'appuie sur une 
erreur; car le but principal, essentiel et final de 
la création, ce n'est pas, ce ne peut pas être le 
bonheur de la créature, mais bien la gloire du 
Créateur Toutes les subtilités de la sophistique, 
et toutes les niaiseries de la philosophie senti- 
mentalistene peuvent rien changer à la néces- 
sité métaphysique et à la force même des choses. 
Car, enfin, il n'y a pas à hésiter et à tergiverser 
sur ce point ; toute la question revient à savoir 
si, parce qu'une âme révoltée jusqu'à la fin, est 
par sa faute damnée éternellement, \z Providence 
de Dieu est en défaut et sa sagesse vaincue. 

Eh' qui donc, au nom de la plus vulgaire phi- 
losophie, oserait le prétendre'? Ah! ce qui nous 



LES OBJECTIONS 



349 



manque sur ce point, comme sur beaucoup d'au- 
tres, pour bien voir la faiblesse et l'inanité de 
l'objection, c'est cela même, c'est la philosophie 
la plus élémentaire. Oui, Messieurs, croyez-le 
bien, d'ordinaire, pour ne pas dire toujours, on 
nous attaque au nom de la philosophie, par dé- 
faut de philosophie; au nom de la raison, par 
défaut de raison, et au nom de la science, par 
défaut de science, ou du moins de science suffi- 
sante. Je n'en voudrais pour preuve que la ma- 
nière dont on prétend mettre notre dogme en 
contradiction avec le plan de Dieu créateur et 
Providence. 

Vous dites que si le pécheur est condamné à 
la peine éternelle, le Créateur a manqué son 
but, et que le plan de sa Providence est ren- 
versé . 

Vous oubliez que Dieu créateur,par rapport à 
la créature a un double plan; l'un qui fait abs- 
traction de la prévarication, et l'autre qui la 
suppose; le premier que la théologie nomme 
antécédent, le second qu'elle nomme conséquent. 
Dans le premier plau, évidemment, le bonheur 
de la créature entre comme moyen coordonné 
par rapport à la fin principale, qui est la gloire 
du Créateur; Dieu, dans son premier dessein, 

20 



350 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



n'ayant pu prédestiner l'homme libre à une iné- 
vitable damnation. L'Eglise catholique répudie 
et frappe d'anathèmc ce sombre dog-me de l'hé- 
résie calviniste. 

Mais, dans le second plan de sa Providence, 
c'est-à-dire dans celui qui suppose la libre vio- 
lation par l'homme de l'ordre divin, comment 
Dieu pourrait-il être forcé de faire tout aboutir 
à la félicité de l'homme, même sa prévarication? 
Dieu a fait l'homme libre de choisir sa Destinée. 
Ce principe est-il contestable? Non. En agissant 
ainsi, Dieu a-t-il bien fait? Oui. Dès lors, si 
l'homme a voulu choisir son malheur; Dieu sera- 
t-il forcé de l'empêcher, et doit-il à sa sagesse 
de lui imposer le partage de sa félicité? Dieu a 
proposé à l'homme de choisir avec le bien le 
bonheur ; son amour, de toutes les manières, l'y 
a sollicité. L'homme a choisi le mal, et avec le 
mal son malheur. En quoi la divine Providence 
manque-t-elle son but? — Mais elle le manque, 
dit-on, parce qu'elle n'atteint pas ce qu'elle a 
voulu, la félicité de l'homme.-Entendons-nous: 
ce qu'elle a voulu d'une volonté relative et su- 
bordonnée à la liberté humaine, soit ; mais ce 
qu'elle a voulu d'une volonté absolue, c'est-à- 
dire, sa gloire par la manifestation de ses per- 



LES OBJECTIONS 



351 



fections, je vous dis qu'elle l'atteint; car cette 
gloire que le pécheur réprouvé ne publiera pas 
par son éternelle félicité, force lui sera de la 
publier par son éternel supplice. Oui, que vous 
le vouliez ou que vous ne le vouliez pas, la fin su- 
prême du Créateur s'accomplira dans la créa- 
ture. Si vous faites le bien, si jusqu'au bout 
vous marchez dans l'ordre , vous accomplirez 
sa volonté première; si vous faites le mal et jus- 
qu'au bout persévérez dans le désordre, vous 
accomplirez sa volonté seconde ; et dans l'un et 
•l'autre cas. vous proclamerez sa gloire. Ecarté 
' par votre libre prévarication de la fin dernière 
que Dieu s'est proposée, vous y serez ramené par 
un châtiment forcé . 

Ainsi Dieu sauvegarde à la fois, avec la souve- 
raineté de ses droits, l'infaillibilité de ses desseins 
et le plan total de sa Providence. Malgré la pré- 
varication de l'homme, sa sagesse triomphe; et 
l'Eternité de la peine, loin d'être une insulte à 
sa Providence et un outrage à ses desseins, 
sera au contraire, devant toute intelligence, l'é- 
ternelle justification de ses desseins et l'éternelle 
glorification de sa Providence. 

Mais — ajoute-t-on, — c'est un principe, que 
l'amélioration et la réhabilitation du pécheur est 



352 



ETERNITE DES PEINES 



le but que Dieu doit se proposer en le châtiant. 
Or, comment, avec ce principe, concilier votre 
dogme de la peine éternelle? — Mais, d'abord, ce 
prétendu principe est-il vraiment un principe? 
Dieu, à vous entendre, ne pourrait punir le pé- 
cheur qu'en vue de l'améliorer, et finalement de 
le rendre heureux en le faisant innocent. Vous 
l'affirmez; mais qui jamais démontrera la vérité 
d'une telle affirmation, alors qu'il s'agit de Dieu 
outragé et de l'homme prévaricateur? Est-ceque 
vous ne voyez pas qu'au-dessus des intérêts de 
l'homme pécheur, plus haut que sa réhabilita-* 
tion et sa félicité personnelle, il y a la nécessaire 
restauration de l'ordre établi par le Créateur, 
et renversé par l'homme pécheur lui-même? 

Si, dans cette nécessité de restaurer l'harmonie 
brisée par la libre prévarication de l'homme, 
Dieu cherche avant tout à donner à l'ordre uni- 
versel et essentiel, c'est-à-dire à lui-même, une 
légitime satisfaction; qu'avons-nous à murmurer 
et à nous révolter contre les plans de sa divine 
sagesse, et contre l'œuvre de sa création et de 
sa Providence? — Dieu doit, dites-vous, au 
pécheur, après son supplice la réhabilitation. — 
Dieu doit? folie humaine, prétendant prendre 
en défaut la sagesse divine! Dieu doit? Qu'est-ce 



. 



LES OBJECTIONS 



353 



à dire? C'est-à-dire le devoir de Dieu, de Dieu ré- 
duit à s'incliner devant le droit de l'homme? Dieu 
doit '! Gomment ? Dieu créateur, et à ce titre, le sou- 
verain par excellence, et dans un sens, le seul 
vrai souverain, quoi! ce souverain, souverain 
outragé et insulté par le pécheur, c'est lui qui 
doit la réhabilitation à ce pécheur lui-même, à 
ce pécheur obstiné, opiniâtre dans sa révolte, 
et poussant jusqu'à l'insulte ses résistances aux. 
poursuites du divin Amour? Mais où prenea- 
vous donc cette étrange métaphysique, qui fait 
du créateur le débiteur d'une créature, et d'une 
créature qui lui doit à lui-même réparation de 
ses volontaires et libres insultes? Dieu doitt.. 
aveuglement des esprits ! renversement des 
idées ! Dieu créateur ne doit rien , il ne peut rien 
devoir à sa créature, même innocente : que lui 
doit-il donc, coupable? A h ! le débiteur ici ce n'est 
pas Dieu, c'est l'homme, l'homme qui a offensé 
Dieu ; et ce qu'il doit à l'offensé, c'est ce qui tien t 
à l'offense même, c'est-à-dire le châtiment. — 
Mais Dieu, pour montrer eu châtiant une sa- 
gesse vraiment digne de lui, ne doit-il pas 
vouloir que ce châtiment soit tout ensemble, et 
une satisfaction donnée à l'ordre violé, et la 
réhabilitation du violateur lui-même? — 

20. 



354 



ETERNITE DES PEINES 



Ah! je vous en prie, ne parlons plus ici de 
devoir; car, encore une fois, il n'y en a pas , il 
ne peut pas y en avoir. Le devoir de Dieu offensé 
envers sa créature qui 1'oftense, c'est un non- 
sens absolu; c'est une logomachie tout à la fois 
absurde et sacrilège. Parlons de ce que Dieu veut, 
de ce que Dieu fait, de ce que Dieu cherche en 
réalité, dans ses rapports avec ses libres créatures. 
' Ah ! ce que Dieu veut , ce qu'il cherche ici-bas 
par la souffrance , l'épreuve , le châtiment infligé 
au pécheur qui l'offense et l'outrage, c'est en 
effet, le bien, l'amélioration, la conversion, le 
salut, le bonheur enfin du pécheur lui-même. 
C'est ce que l'Eglise, organe de la divine bonté, 
s'efforce, chaque jour et à toute heure du temps, 
d'obtenir du pécheur, par le travail purificateur 
et par la souffrance réparatrice et satisfactoire 
de la pénitence. Eh ! qui dira tout ce que fait en 
faveur de ses enfants prévaricateurs cette divine 
maternité? C'est là aussi la signification des 
malheurs et des catastrophes que Dieu laisse 
souvent tomber, ici-bas,- sur les crimes des 
pécheurs, et dont le but est de les préserver eu 
cette vie, par les épreuves temporaires, des satis- 
factions éternelles que doit dans l'autre vie re- 
vendiquer sa justice. 



m 



LES OBJECTIONS 



355 



La justice! mais comment, Messieurs, oserai- 
je ici prononcer ce mot, alors que l'adversaire 
en appelle surtout au tribunal de la divine jus- 
tice , pour essayer de convaincre l'Eternité des 
peines de souveraine injustice? Je l'oserai pour- 
tant; et vous allez voir que sur ce point, la jus- 
tice de Dieu n'est pas plus atteinte que sa Pro- 
vidence par le glaive de l'objection, et 'que 
l'une et l'autre demeurent intactes et invulné- 
rables. 

Eternité de la peine, outrage à la justice de 
DieulVoilàdoncceque les rationalistes opposent 
avec un éclat plus grand encore, à la vérité de 
notre dogme. Oui, sur ce point, ils font retentir 
plus haut encore que quand il s'agit de la Provi- 
dence, les revendications et les objections soi- 
disant triomphantes de l'humaine raison. Mê- 
me les moins avisés s'estiment assez sages, pour 
prétendre nous convaincre de folie. Ils disent 
avoir pour eu \ l'arme puissante du sens commun, 
ce génie de l'humanité, contre lequel rien ue 
prévaut. A sa lumière, c'est-à-dire, à la grande 
lumière qui éclaire l'intelligence populaire , ils 
croient découvrir entre l'éternité des peines et 
la justice de Dieu, entre le supplice éternel de 
l'homme prévaricateur et l'essentielle équité de 



356 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



Dieu vengeur, une opposition radicale, un an- 
tagonisme absolu ; en sorte que l'une de ces deux 
choses vues dans cette lumière repousse néces- 
sairement l'autre. Aies entendre, s'il y a une 
Eternité des peines, plus de justice de Dieu ; et 
s'il y une justice de Dieu, plus d'éternité des 
peines. Leur esprit va jusqu'à découvrir qu'entre 
ce qui est fini et ce qui est infini' l'égalité n'existe 
pas et la proportion ne se peut concevoir. 
D'où, sans trop de peines, ils arrivent à con- 
clure qu'un châtiment infini infligé à une faute 
essentiellement finie, révolte le bon sens et in- 
sulte la justice ; et voilà pourquoi l'idée d'un Dieu 
infiniment juste repousse essentiellement l'idée 
d'un coupable châtié éternellement. 

Ici encore , à cette objection n'avons-nous 
rien à répondre? Et devons-nous admettre que 
la vérité du dogme que nous professons est en 
contradiction flagrante avec la justice du Dieu 
que nous adorons? 

Avant de répondre, je vous fais remarquer 
que nous n'avons pas à montrer que la justice 
de Dieu vengeur exige l'éternel supplice de 
l'homme prévaricateur, mais bien que ce sup- 
plice éternel ne répugne pas à la divine justice 



LES OBJECTIONS 



357 



ce qui nous fait en face de l'objection une atti- 
tude bien différente. C'est à l'adversaire même 
de notre dogme qu'il incombe de démontrer, avec 
une pleine clarté, entre la divine justice et la 
peine éternelle, la contradiction qu'entre l'une 
et l'autre il prétend accuser. Or, ceUe démons- 
tration comment la fera-t-il, et sur quel prin- 
cipe l'appuyer? 

Et d'abord , Messieurs, ne vous semble-t-il 
pas que nous pourrions retourner contre lui- 
même la contradiction dont il ose nous accuser? 
L'adversaire de notre dogme de la peine éter- 
nelle, d'ordinaire du moins , n'a pas d'objection 
contre l'idée de la récompense éternelle; et nous 
l'en félicitons. La raison, en effet, même sans 
le secours de la foi, nous dit : De l'autre côté de 
la tombe, la récompense c'est la fin obtenue, 
c'est le terme conquis, c'est la Destinée faite. 
Or, il ne peut pas y avoirde motif pour arracher 
l'homme à la possession de sa Destinée finale; 
et volontiers, même au nom de la seule raison, 
on applaudit à l'éternelle possession de Dieu, 
donc à l'Eternité de la récompense. Dès lors, 
comment sans quelque contradiction repousser 
l'Eternité de la peine? Est-ce que lapins sim- 
ple équité ne vous semble pas exiger que la 



358 



ETERNITE DES PEINES 



peine soit par rapport au crime commis et non 
expié, ce que la récompense est par rapport au 
mérite acquis et à la vertu pratiquée? Si l'équité 
et la justice exigent ici quelque chose, n'est-ce 
pas, d'un côté comme de l'autre, la permanence 
et l'Eternité? 

Vous dites qu'un châtiment éternel manque 
de proportion avec un délit temporaire. Mais 
est-ce qu'un mérite également temporaire ne 
manque pas aussi de proportion avec une ré- 
compense éternelle? Si la disproportion ne 
vous révolte pas d'un côté, pourquoi vous ré- 
volta-t-elle de l'autre? Et si une Eternité 
de bonheur, pour les mérites d'un jour, ne vous 
semble pas déroger à la divine justice; pour- 
quoi crli« divine justice serait-elle anéantie, 
jaijsu que la prévarication serait suivie d'une 
Eternité de supplices? 

C'est donc, vous le voyez, avec quelque 
raison que nous renvoyons au négateur de 
notre dogme la contradiction dans laquelle il 
prétend nous enfermer. 

Mais, là ne se borne pas notre réponse, et il 
nous plaît d'entrer plus avant dans la difficul- 
té qu'on nous oppose, et d'objecter à notre tour 
contre l'objection elle-même. 



. 



LES OBJECTIONS 



359 



Pour ébranler le dogme de notre foi, on nous 
dit que la raison dénie à Dieu le droit de punir 
éternellement, parce que le premier principe de 
toute justice humaine et divine, c'est X égalité 
ou du moins, la proportion entre la faute et la 
punition, entre le crime et le châtiment; et 
l'on ajoute qu'entre la faute d'un jour ou de 
quelques jours et l'Eternité du supplice, l'égalité 
et la proportion font absolument défaut. 

Nous pourrions répondre, avec de grands 
'théologiens et de grands penseurs, que cette 
prétendue inégalité entre la faute et le châti- 
ment est un mensonge, que l'ignorance de 
l'homme oppose insolemment à la justice de 
Dieu ; et qu'en tout cas, l'adversaire est im- 
puissant à démontrer cette inégalité, par la 
raison très simple et très radicale qu'il ne peut 
se faire une idée complète et bien définie des 
deux termes qu'il s'agit de rppprocher, à savoir, 
d'un côté la grandeur de l'offensé, et de l'autre 
la grandeur de l'offense. 

Vous dites : Entre la prévarication tempo- 
raire de l'homme pécheur et le supplice éternel 
de l'homme réprouvé, la proportion n'existe pas, 
ne peut pas exister. Vous le dites, mais com- 
ment le démontrez-vous? Pour le démontrer sUr 



360 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



quelle donnée certaine vous appuyez- vous 9 Et de 
cesdeux choses dont vous décidez l'inégalitéet la 
disproportion, quelle connaissance avez-vous? 
La justice de Dieu, à laquelle vous prétendez 
donner des lois et tracer des limites, l'avez- 
■ vous pénétrée jusqu'en son profond mystère? 
Non; car cette justice est infinie. Cette majesté 
de Dieu, que le pécheur insulte en l'offensant 
en face, l'avez- vous mesurée tout entière? 
Non; car elle est infinie. Cette souveraineté de 
Dieu, que vous outragez et contre laquelle 
vous vous révoltez en lui désobéissant, la 
connaissez-vous bien? Non; car elle est infinie. 
Cette gloire de Dieu, qui est le but de toute la 
création, cette gloire que le pécheur dérobe à 
Dieu pour se satisfaire lui-même, la compre- 
nez-vous? Non; car elle est infinie, et le regard 
de votre âme ne la saurait fixer sans en être ac- 
cablé. La libéralité 'de Dieu, qui vous a prodigué 
tant et tant de bienfaits; bienfaits gratuits 
dont vous vous êtes servis pour outrager votre 
Bienfaiteur, et que vous avez retournés contre 
lui; ah! cette ineffable libéralité, l'avez-vous 
comprise et embrassée dans son immensité? 
Non; car elle est infinie. Cette sagesse de Dieu 
dont vous avez, ô pécheur, autant que vous 



LES OBJECTIONS 



361 



l'avez pu, comrarié les desseins, en brisant 
l'harmonie de ses plans, la pénétrez-vous? Non; 
car elle est infinie. Cet amour de Dieu, qui vous 
a créé, conservé, racheté, et à tout instant vous 
porte dans ses bras, comme une mère son en- 
fant; cet amour blessé au cœur par le glaive, 
de votre péché, le comprenez-vous bien ? Oh ! 
non, car cet amour est infini; et personne n'en 
peut sonder le mystère. Et ce «w^ divin versé 
pour le salut du monde par cet amour lui- 
même; ah! savez-vous ce que vaut ce sang-, si 
ce n'est ce que vaut Dieu lui-même? c'est-à- 
dire (Infini? 

Ainsi, sous quelque face que vous envisagiez 
l'Etre de Dieu, c'est-à-dire l'Etre offensé, "ou- 
tragé; vous êtes en face de l'Infini, donc, de l'in- 
saisissable, de l'Incompréhensible, de l'Incom- 
mensurable. 

Dès lors, comment prétendre mesurer avec 
votre humaine raison, jusqu'où s'étend la divine 
justice ; quelles sont ses lois, ses exigences, ses 
droits de punir et de châtier? 

Et quand même, par impossible, vous auriez 
pénétré tout le mystère des divines justices- 
pour nier, avec compétence et avec quelque 
raison, la proportion entre la faute et le châ- 

21 



■ 



362 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



timent, encore faudrait-il pouvoir creuser aussi 
tout le mystère de la prévarication humaine. 

Or, cet abîme de la prévarication et de la ma- 
lice humaine, l'avez-vous creusé? En avez-vous 
sondé toute la profondeur? Avez-vous consi- 
déré et avez-vous compris ce que c'est, pour 
l'homme qui pèche mortellement, sous le re- 
gard même de la divine majesté et de la divine 
justice, que de choisir une créature qu'ilmet au- 
dessus de Dieu même, et de lui dire en fait, 
en s'y arrêtant comme à sa fin dernière: Je t'aime 
plus que tout, et plus que Dieu même ; je me 
donne et je me livre à toi, à toi seule, à toi 
sans réserve, à toi tout entier. Dieu, je le sais, 
me demande adoration,amour,service.Maisnon; 
toi plutôt que Dieu. Ce que je veux aimer, 
adorer, servir, c'est toi, rien que toi, et, tou- 
jours toi. Oui, s'il dépendait de moi de donner 
à cet amour et à cette adoration le sceau de 
l'Eternel, oui vraiment, ce serait mon désir et 
ma volonté de t' aimer, de t'adorer et de te ser- 
vir tout le temps et toute l'Eternité. 

Qui oserait dire, Messieurs, que l'amour hu- 
main, qui s'égare et se pervertit, n'arrive 
jamais à cette extrémité des volontaires aberra- 
tions et des libres perversions ? 



LES OBJECTIONS 



363 



Est-ce que vos romans et vos drames, qui ont 
pour but la représentation des réalités et des 
passions humaines, ne sont pas pleins de ces 
protestations sacrilèges qui jettent à l'amour 
de Dieu et à sou Eternité de monstrueuses in- 
sultes, en jurant à une créature fragile et 
quelquefois la plus vile et la plus méprisable, 
une adoration et une fidélité éternelles ? 

Ne s'en est-il pas même rencontré qui se 
vouaient, les yeux fermés, même à l'tEernité 
de la damnation; pourvu que l'amour de la cré- 
ature leur assurât, par l'assouvissement d'une 
passion, ce qu'ils nommaient un paradis d'un 
jour ? 

En vain, pour atténuer devant la divine jus- 
tice les responsabilités d'un tel choix, on es- 
sayerait de dire que l'homme pécheur, à l'heure 
même de sa prévarication, n'a pas de telles 
pensées. Mais ce prévaricateur sait-il, oui ou 
non, que Dieu défend, et que son acte viole avec 
l'ordre la défense divine ? S'il l'ignore ; alors ce 
n'est plus l'hypothèse, car dans ce cas, la res- 
ponsabilité est nulle. S'il le sait; alors il mesure 
la portée de son acte. Et voilà ce qui est la réa- 
lité effrayante; voilà l'homme acceptant libre- 



364 



ETERNITE DES PEINES 



ment l'éternel amour et l'éternelle adoration de 
la créature, plutôt, que d'adorer, d'aimer et de 
servir son Créateur. Combien, sans le formuler 
tout à fait dans les termes que je viens de dire, 
font dans la plénitude de leur liberté ce choix 
abominable, où, comme dans la Passion de Jé- 
sus-Christ, une vile créature l'emporte sur le 
Créateur, c'est-à-dire sur l'Infini lui-même ! 

Eh bien, si Dieu saisit l'homme dans l'acte 
même de son choix; s'il l'évoque au tribunal de 
sa justice, à l'heure même où par l'amour et 
par l'adoration d'une créature mortelle, il in- 
sulte tout à la fois son amour et son Eternité; 
qui osera décider que l'Eternité de la peine 
infligée à cette volontaire apostasie, est, de la 
part de Dieu, la consommation d'une injustice? 

Quoi! l'Infini dans la grandeur, dans la sou- 
veraineté, dans l'amour, dans la justice de Dieu, 
vous échappe ; et l'énormité, l'immensité, j'allais 
dire l'infini de la prévarication de l'homme, se 
dérobe à votre pensée; et l'Eternité dans la 
peine révolte votre raison ? 

Quoi ! de ces deux termes qu'il faut comparer 
et par conséquent parfaitement connaître, pour 
décider si l'un des deux répond adéquatement à 
l'autre, ou du moins si l'un des deux est propor- 



LES OBJECTIONS 



365 



donné à, l'autre, vous n'eu connaissez pas même 
un; etvous dites fièrement : Entre la faute qui 
offenseDieu et le châtiment que Dieu inflige à la 
faute, il n'y a pas d'égalité, pas de proportion ; 
car la faute est finie, la peine est infinie. Donc 
l'Eternité.ou l'infinité de la peine dans l'homme 
pécheur, c'est l'injustice, l'injustice flagrante 
dans Dieu vengeur. 

C'est ici, Messieurs, en apparence du moins, 
contre notre dogme , l'arme la plus forte de 
l'adversaire ; et il est facile de voir comment, 
sous le glaive de la plus simple logique, cette 
arme se brise dans sa main. Vous dites : La 
faute est finie, la peine est infinie ? 

Mais comment le démontrez-vous ? 

Si je vous conteste l'une et l'autre ; qu'aurez- 
vous à repondre, pour maintenir l'incrimination 
que vous articulez contre Dieu, et soutenir le 
procès que vous intentez contre sa justice ? Sije 
conteste que la faute soit finie, finie sous tout 
rapport; et sije conteste que la peine soit infinie, 
infinie sous tout rapport : que devient votre ac- 
cusation contre notre dogme et contre Dieu ? 

La faute finie, la peine infinie? Soyons donc. 
Encore faut-il s'entendre sur le sens de ces 
mots, par lesquels, sans examen et sans dis- 



366 



ETERNITE DES PEINES 



cussion, vous tranchez une question grave 
entre toutes les questions. 

La peine est infinie; mais comment l'eD tendez- 
vous? Infinie dans sa nature? Non. Infinie dans 
sonmtenMYe'?Non.Commentdonc?Vous dites: In- 
finie danssarfwrfe?Ehbien,enprenautle3 choses 
dans toute leur rigueur, c'est encore une erreur. 
Une durée infinie est celle qui n'a ni commence- 
ment ni fin; telle la durée deDieului-mème;or,la 
peine du damné a un commencement, et de ce 
chef elle n'est pas rigoureusement infinie. Et 
si vous voulez absolument maintenir le terme 
impropre d'infinie, force vous est de reconnaître 
que son infinité est relative, et sous un rapport 
seulement, c'est-à-dire, par sa durée sans fin ; 
car personne ne prétend que la peine du damné 
soit infinie sous un autre rapport quelcon- 
que. 

Et la faute, que faut-il en penser au point de 
vue où nous sommes ? Assurément la faute est 
finie dans le degré 1 qui en mesure la malice et le 
désordre qu'elle renferme. Elle est finie dans le 
sujet qui la consomme ; l'être fini n'étant pas 
susceptible de poser un acte subjectioement infini. 
Mais si vous regardez l'objet ou le terme de 
l'offense, c'est-à-dire l'Infini off.msë; est-ce 






" i "m 



LES OBJECTIONS 



367 



qu'alors la raison vous autorise encore à la dé- 
clarer finie, et finie de toutes manières ? 

Non, car votre raison elle-même vous montre 
ici l'offense grandissant avec l'être offensé, 
C ' es t-à-dire grandissant jusqu'à l'Infini. N'est- 
ce pas.en effet, la raison elle-même qui vous dit 
avec tous les moralistes, même les plus auto- 
risés, que toutes choses égales d'ailleurs, l'of- 
fense matériellement la même grandit avec la 
grandeur de la personne offensée ? Qui ne voit, 
dès lors, comment l'offense montant de degré 
en degré, emprunte à son objet un caractère 
d'infinité en s'adressant à Dieu', c'est-à-aire à 
une Majesté infinie, à l'Infini lui-même en per- 
sonne? 

Ce n'est là, je le veux bien,qu'une infinité re- 
lative ; mais la peine n'a, elle aussi, qu'une in- 
finité relative. La faute et la peine, si vous 
voulez, sont infinies, mais sous un aspect seu 
lement : la faute ne Tétant que dans son objet, 
et la peine ne l'étant que dans sa durée. Si donc 
la raison et le bon sens déclarent et montrent 
sur ce point quelque chose, c'est l'égalité même 
que vous osez invoquer au tribunal de la divine 
justice. 

Donc, Messieurs, au nom même de la raison 



368 



ÉTERNITÉ DES PEi NES 



onctions soi-disanVa^:;:;^:^ 068 
Yeuses de notre propre iî3 S- FlIles tene - 
^ontrent bien Un e fo T*£ ^ 3 
de notre esprit , MtToi " £ faiblesse 

et, plus souvent encore |'„ , P ens ees, 

Passions. Et fél dl' '^ de Û0S 

ment toutes ces d m TZ^^ de Voir ^ m . 

la justice et la l^ll^ZiZT ^ 
s^ster dans toute l eur in ^1^ P "^ ** 
et sa justice, et même fh Provid ence 

l'une et rautecoml/ "^ reS P lend ^ 
nous voilent le sZnll *?*«"' qUi P arfois 
Cirant, r e ; p ^^^- --n 

PafeTco^tl e :l 1 :;: ie ?7 r ^---n,tes 

Ions bien reconnaître o„p n£ ' ° US V0U - 

bien loin d'être en o P ZLTn ^ ^^ 
Providence et la justfce de 7 ^^ 3VeC Ia 
témoigner en ^Zlt^T^ ^ 
»? a une troisième chos Q -, P ^ Mais 
Pouvoir justifier en D ' T "' S6mble P as 

et le cœur ^koZe TestlT ^^ 
• C est 1 Amour et la Bonté. 



1 



LES OBJECTIONS 



369 



J'irai jusqu'au bout, et je veux, avant de des- 
cendre de cette chaire, vous donner, même sur 
ce point délicat, une dernière satisfaction. 

h 7 amour ! L'amour de Dieu créateur envers 
sa créature, et avec son Amour son infinie Bonté: 
tel est, Messieurs, surtout, le grand motqu'on 
oppose à l'Eternité des peines. 
A entendre,surcepoint, l'erreur antichrétienne, 
par ce dogme de la peine éternelle, du Dieu essen- 
tiellement aimant nous faisons un Dieu cruel, 
un maître impitoyable, un bourreau de ses créa- 
tures, une sorte de monstre affreux se repais- 
sant, pendant toute l'Eternité, du supplice et des 
souffrance de ses victimes. 

... On s'étonnera, s'écrie un libre penseur, on 
« s'étonnera qu'on ait pu attribuer à Dieu 
« une pénalité si monstrueuse, l'enfer éternel ! 
« Modèle affreux des geôles, des chambres de 
« tortures, des roues et des bûchers d'un siècle 
«de fer, pèle-mèle sauvage de victimes diverses, 
« règne idéal des bourreaux, vous impressionnez 
« encore les imaginations , mais pour y exciter 
« l'horreur et non plus l'épouvante , et soulever 
« les âmes contre de détestables mensonges (1). 

Ces paroles nous tiennent lieu de beaucoup 
(1) Jean Reynaud (Ciel et terre). 

21. 



370 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



, d'autres, et nous donnent la note et l'accent que 
prend l'objection , prétendant, au nom de l'A- 
mour et de la bonté de Dieu , renverser le dogme 
de la peine éternelle. 

Cette objection toujours ancienne et toujours 
nouvelle, s'est produite et se produit encore, sur- 
toutàl'kéureou nous sommes,sous toutes lesfor- 
mes. Elle a pris, successivement et quelque- 
fois simultanément, toutes les formules; for- 
mules de la logique, formules de l'imag-ination, 
formules de l'injure, formules du mépris, for- 
mules du sentiment, oh Isurtoutdu sentiment, ou 
plutôt du sentimentalisme. Oui, on a dit et redit 
à l'infini : Un supplice éternel ? Mais c'est ab- 
surde, c'est fanatique, c'est cruel, oui, par des- 
sus tout, cruel. Quoi ! Un Dieu vindicatif, un 
Dieu bourreau , un Dieu qui vous châtie, qui 
vous déchire, qui vous brûle, et cela, éternel- 
lement? Est-ce là celui qu'on nomme Je bon Dieu? 
Ainsi l'objection , pour venger l'Amour de Dieu 
de la prétendue injure que lui fait notre dogme, 
fait appel à tous les meilleurs instincts de l'âme 
humaine.Elle invoque, avec toutes les amabilités 
du cœur de Dieu, toutes les tendresses du cœur 
de l'homme. Elle met dans toutes les for- 
mules dont elle se sert, des soupirs, des at- 



LES OBJECTIONS 



371 



tendrissements, des larmes, toutes les éloquen- 
ces du sentiment.tous les accents et tous les gé- 
missements d'un sentimentalisme éploré. Et, 
comme pour mieux assurer contre l'austérité, 
ou plutôt, ainsi qu'elle le crie par toutes ses voix, 
contre la monstruosité de notre dogme ,1a cons- 
piration de toutes les âmes émues et de tous les 
cœurs attendris, elle fait appel à toutes les res- 
sources de la littérature , à toutes les séductions 
de la poésie , à tous les charmes du roman , à 
toutes les fascinations du drame; et, je ne sau- 
rais vous dire combien d'auteurs , hommes ou 
femmes , ont épuisé contre le dogme de la peine 
éternelle, avec toutes les ressources de l'es- 
prit et toutes les sensibilités du cœur, tous 
les rêves plus ou moins extravagants d'une ima- 
gination en délire. 

Messieurs , je crois vous honorer en écondui- 
sant des objections si futiles, et venues de si 
bas . Je ne leur ferai pas à elles-mêmes l'hon- 
neur immérité d'une discussion sérieuse. Que 
répondre, en effet, à tous ceux qui dans un 
tel sujet, au lieu de nous opposer les principes 
ou les déductions de leur raison, ne nous oppo- 
sent que les sentiments, ou plutôt les sensibi- 
lités de leur cœur, et les fantômes ouïes spectres 



372 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



de leur imagination? A ces hommes ou àces fem- 
mes si habiles à exploiter et à tourner contre 
notre dogme les sentiments du cœur les im- 
pressions des sens et les féeries de Hmagina- 
tion, qu'il nous suffise de répondre, que l'Amour 
et la tendresse de Dieu ne sont pas, et ne peu- 
vent pas être ce que les fait une pensée bornée à 
la terre, à la chair et au sang ; qu'ils n'ont rien 
qui ressemble aux émotions de nos cœurs aux 
tressaillements de nos sens ni aux larmes de 
nos yeux; et j'estime que faire appel à ces vul- 
gaires ressources de la sensiblerie et de la fan- 
tasmagorie humaine, pour renverser un dogme 
professé par les plus augustes autorités, c'est 
se montrer indigne de recevoir directement une 
réponse d'une parole, qui prétend vous respecter 
et elle-même avec vous. 

Quelques courtes observations sur le fond du 
sujet suffiront pour avoir raison de toute cette 
magie théâtrale de l'imagination et de la sensi- 
blerie. 

On suppose toujours, dans ces représentations 
fantaisistes de l'amour de Dieu et de l'Eternité 
de la peine, que c'est l'Amour de Dieu qui re- 
pousse et damne le réprouvé ; tandis que.comme 
déjà nous l'avons remarqué, c'est le pécheur lui- 



LES OBJECTIONS 



373 



même qui. se damne en repoussant l'Amour; et 
l'on prétend condamner Dieu à ramener à lui et 
embrasser, quand même, l'apostat et l'insulteur 
de son amour. Car enfin, si, ce qui n'est pas 
impossible, ce damné volontaire s'obstine éter- 
nellement à haïr et à repousser cet Amour; Dieu 
devra donc, pour donner raison à l'humaine sen- 
sibilité et à sa divine tendresse, embrasser ce ré- 
prouvé, tout apostat, tout haïsseur et tout in- 
sulteur qu'il sera de son Amour? 

Que la conciliation ou la compatibilité de l'é- 
ternel supplice, d'un côté,etd'un éternel Amour, 
de l'autre, nous demeure un mystère, soit; que 
nous n'ayons pas et ne puissions pas avoir la 
vision intuitive ou Y introspection du comment 
de cette conciliation, soit encore, vous dirai-je , 
Mais, une chose est sur ce point absolument 
certaine: c'est, dans le fond de la natur3 divine, 
l'insépar abrité essentielle et indestructible de 
l'Amour et de la Justice. Entre l'un et l'autre le 
mariage est éternel, et l'accord nécessairement 
parfait. Ce qu : exig-e la justice, l'Amour ne le 
peut refuser ; et tout ce que veut et fait le divin 
Amour.la divine Justice l'autorise et l'approuve. 

Donc, par cela même que nous avons montré 
explicitement que la peine éternelle dans l'homme 



374 



ETERNITE DES PEINES 



n'est pas incompatible avec l'éternelleJustice en 
Dieu , nous avons montré implicitement qu'elle 
ne peut être incompatible avec le divin Amour. 
Bref, comme la Justice en Dieu ne s'oppose en 
rien aux manifestations de l'Amour ; l'amour de 
son côté ne met pas opposition aux manifes- 
tations de la Justice, c'est-à-dire aux satisfac- 
tions qu'elle exige pour le maintien ou la res- 
. tauration de l'ordre outragé par la prévarication 
de l'homme. 

Vordre! L'ordre qui a dans Dieu même son 
centre immuable, éternel, infini, ah! Messieurs, 
voilà le mot qui dissipe, comme le soleil dissipe 
les nuages, toutes les obscurités amassées par 
le sophisme et le sentimentalisme, autour de 
cet autre mot; V amour! l'amour dont on se 
fait une arme déloyale pour combattre la jus- 
tice; l'amour de Dieu qui ne se peut plus dé- 
fendre, dit-OD, si on laisse subsister le dogme 
cruel qui l'outrage. Oui devant cette grande 
lumière rayonnant du sein de Dieu même, tous 
ces rêves, tous ces fantômes de tyrannie, de 
bourreau, de geôles, de bûchers disparaissent, 
comme les dernières ombres de la nuit devant 
les premiers rayons du jour. 

Mais comment, demandez-vous? Pour cette 



LES OBJECTIONS 



375 



raison aussi décisive qu'elle est élémentaire : 
c'est que, ce que Dieu aime essentiellement, né- 
cessairement et par-dessus tout, c'est l'Ordre; 
l'ordre substantiel qu'il contemple en lui-même^ 
et dont il aime le reflet dans l'harmonie de toutes 
ses créations. De tout l'Amour qu'il a pour 
l'ordre, qui est en lui et hors de lui, il hait et re- 
pousse le désordre incompatible avec lui; le dé- 
sordre, c'est-à-dire, l'antagonisme avec l'har- 
monie, qui est le fond de sa nature et qui est 
la beauté de toute la création. 

Comment veut-on, dès lors, que Dieu infini- 
ment bon, comme il est infiniment juste, ait des 
tendresses de père pour le désordre à la plus 
haute puissance, personnifié dans le pécheur 
réprouvé? La nature divine peut-elle, à ce point, 
se mentir à elle-même? Et quelle étrange aber- 
ration, de prétendre que ce divin amour, qui est 
en essence l'amour de Tordre, se pervertisse en 
quelque sorte lui-même , en devenant l'amour 
de ce désordre vivant qui s'appelle un ré- 
prouvé? 

Sans doute, Dieu aime dans le réprouvé de sa 
justice, ce qui vient de lui-même : il aime en lui 
ce qu'y a mis son Amour en le créant , c'est-à- 
dire, la substance de son être. Mais le désordre 



376 



ETERNITE DES PEINES 



que le réprouvé a mis en lui-mêrae,en retournant 
contre Dieu l'œuvre même de Dieu, comment 
ce divin Amour pourrait-il, sans se mentir à lui- 
même, l'aimer, l'attirer, l'embrasser pour l'unir 
éternellement à lui? Ne serait-ce pas se nier, 
et pour ainsi dire, se suicider lui-même? 

Donc, en voulant condamner l'Amour divin, 
c'est-à-dire l'amour de l'ordre, à consommer son 
éternelle union avec le désordre, l'adversaire 
de notre dogme se heurte, non plus seulement 
au mystérieux, mais à l'absurde, au non-sens, 
à la contradiction, à l'impossible. 

D'ailleurs, le tort de l'objection devant la 
plus vulgaire raison, c'est de prétendre scinder 
Dieu même et de séparer les inséparables, en 
mettant d'un côté sa Justice [et de l'autre son 
Amour ; alors que l'un et l'autre en Dieu se 
tiennent, s'embrassent, se complètent, et par là 
constituent en Lui l'Ordre essentiel et à jamais 
inviolable. Son tort, plus grand encore.c'est , en 
considérant en Dieu les exigences et les mani- 
festations de la justice dans le châtiment du 
pécheur impénitent, de faire dans l'économie 
totale du Christianisme une abstraction com- 
plète des multiples et magnifiques manifesta- 
tions de l'Amour: La Création, la Conservation, 



LES OBJECTIONS 



377 



l'Incarnation, la Rédemption, la Communion, et 
tant d'autres mystères, où l'Amour se produit 
avec plus ou moins d'éclat; puis les sollicita- 
tions, les prévenances, les poursuites de Dieu, 
si nombreuses, si pressantes et si persévé- 
rantes souvent dans la vie d'un pécheurtou- 
jours rebelle aux avances de ce divin Amour. 
Comment, quand on prétend faire le procès à ce 
même Amour, oublier ou laisser dans l'ombre 
toutes les divines industries mises en œuvre 
pour arriver à conquérir l'âme et le corps d'un 
homme libre, et comme tel capable de lui résister 
et lui résistant toujours? Est-ce la faute de Dieu, 
si ce pécheur obstiné à repousser dans le temps 
l'Amour qui le sollicite.a mis lui-mème,par sa vo- 
lontaire apostasie, le sceau à son éternelle sé- 
paration? vous, qui reprochez à cet Amour 
de ne pas ouvrir son cœur au condamné de la 
Justice, ah! si vous le pouvez, voyez jusqu'où 
Dieu a poussé dans le temps envers le pécheur 
les poursuites de son Amour; et peut-être vous 
comprendrez comment et pourquoi cet Amour 
laisse la Justice exercer sur son volontaire et 
opiniâtre apostat, un éternel et légitime châ- 
timent. 
Enfin, Messieurs, une dernière raison, raison 



378 



ETERNITE DES PEINES 



pour tous parfaitement intelligible, confond 
ici le génie calomniateur de ce divin Amour. Pour 
donner satisfaction à l'objection soi-disant hu- 
manitaire, demandant au nom de l'Amour et de 
la Bonté la suppression de la peine éternelle, 
Dieu devrait réaliser au terme final de la Des- 
tinée, cette chose vraiment monstrueuse: tous 
les scélérats et tous les saints, tous les pervers 
et tous les vertueux, tous les impurs et tous les 
chastes, un jour, tous se rencontrant et s'em- 
brassant au sein du même Amour; c'est-à-dire, 
tous ceux qui ont adoré, aimé et servi ce divin 
Amour, condamnés à embrasser pendant toute 
l'Eternité tous ceux qui l'ont haï, repoussé et 
maudit dans le temps !... 

Ah ! en face de ce spectacle , ou plutôt de ce 
rèvevraimentabominable.etque tous vos cœurs, 
j'en suis sûr, repoussent avec le mien , j'oserai 
vous dire, non plus seulement que la peine 
éternelle est conciliable avec ce divin Amour, 
mais que cet Amour, d'accord avec la Sagesse et 
la Justice, non seulement l'approuve, mais la 
commande et l'exige lui-même ; parce qu'il ne 
semble pas pouvoir permettre pour ceux qui 
l'ont aimé, adoré et servi dans le temps, un tel 



LES OBJECTIONS 



379 



opprobre et une telle humiliation dans l'Eter- 
nité. 

Mais je m'arrête ; ce rêve de l'erreur anti- 
chrétienne devant se présenter encore devant 
nous, dans l'examen qui nous reste à faire des 
hypothèses qu'elle prétend, au nom de la raison, 
substituer à notre donnée dogmatique. 



CONCLUSION. 



En attendant, veuillez, Messieurs, emporter 
dans vos âmes le résumé substantiel de ce que 
nous venons de dire des objections que l'on 
oppose à notre dogme. 

Considérant, dans une première partie de ce 
discours la valeur, la source et le but ordinaire 
de l'objection, nous avons constaté son infir- 
mité native, et par suite, son impuissance à 
ébranler un dogme démontré et appuyé sur 
d'irréfragables témoignages ; et nous avons 
conclu et reconnu,comme un principe, que même 
notre impuissance de répondre aux objections 
laisse subsister dans toute sa certitude la vérité 
appuyée sur sa démonstration. 

Venant ensuite au dogme particulier dont il 



380 



ETERNITE DES PEINES 



s'agit dans ces discours, nous avons examiné 
rapidement les trois chefs principaux d'objec- 
tions qu'on nous oppose : La Sagesse et la Pro- 
vidence de Dieu, la Justice et le Droit de Dieu, 
Y Amour et la Bonté de Dieu. 

Vous avez pu voir si à ces trois chefs de 
l'objection, nous n'avons rien à répondre. Et 
si, comme j'ose le croire, vous m'avez tout à 
fait compris; vous avez constaté comme moi et 
avec moi, que non seulement nous avons quel- 
que chose à répondre à l'objection qu'on nous 
fait au nom de la raison , mais que l'objection 
elle-même ne se soutient pas devant la raison. 

Donc, Messieurs, que désormais l'objection 
contre notre dogme de la peine éternelle, n'ait 
plus le privilège immérité d'effrayer votre foi 
en troublant votre raison. Laissez en paix passer 
sur vos tètes les nuages du préjugé et la pous- 
sière de l'objection. 

Et si vous voulez bien revenir demain , j'es- 
père, Dieu aidant, vous montrer avec une même 
clarté que les hypothèses, que l'on substitue à 
notre dogme, ne se soutiennent et ne se dé- 
fendent pas plus que les objections elles- 
mêmes. 






ETERNITE DES PEINES 

LES HYPOTHÈSES 



Messieurs, 

Après avoir établi par des preuves irréfra- 
gables le dogme de l'Eternité des peines, nous 
avons examiné, dans notre dernière instruction, 
les objections qu'on prétend lui opposer au nom 
de la raison. 

Avant d'aborder de front les principales ob- 
jections, par lesquelles on essaye d'ébranler la 
certitude de notre dogme, nous avons d'abord 
recherché quelle est, devant un dogme dont la 
Certitude est établie, la valeur de l'objection. 
L'objection, avons-nous dit, règle générale, 
vient ou de l'étroitesse de l'intelligence, ou de 
l'ignorance des choses, ou des passions que le 



382 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



dogme gêne, importune ou épouvante. De là 
son impuissance et sa faiblesse intrinsèques. 
Eût-elle même contre nous une puissance appa- 
rente, et soulevât-elle contre nos dogmes et 
nos mystères des objections pour nous inso- 
lubles,TLO\x& n'en garderions pas moins notre iné- 
branlable foi aux dogmes et aux mystères dont 
l'existence nous est garantie par d'irrécusables 
témoignages. 

Venant ensuite aux trois principaux chefs 
d'objections que le rationalisme prétend tirer 
de la Providence, de la Justice et de la bonté' di- 
vines, nous avons montré que ces objections 
soulevées spécialement contre notre dogme de 
l'Eternité des peines, non seulement n'en 
ébranlent pas la certitude, mais qu'elles-mêmes 
ne peuvent tenir devant la raison et le bon 
sens. Et nous avons fait remarquer comment 
elles provoquent contre elles- mêmes,avec d'autres 
objections qui les confondent, des preuves et des 
démonstrations qui en révèlent la fausseté, le 
vide et l'impuissance. 

Mais, Messieurs, c'est assez, c'est trop peut- 
être, nous défendre contre l'objection. Et 
quelque victorieuse I et triomphante que soit 
cette défense, nous ne pouvons ni ne devons 



LES HYPOTHESES 



383 



nous en contenter. Demander à la raison, et 
surtout aux passions, des objections contre 
telle ou telle vérité dogmatique, sera toujours 
fort facile à l'adversaire ; et c'est là ce qui, de 
prime abord, lui donne un semblant de force et 
de puissance. 

Mais ce qui lui est moins facile, c'est de s'af- 
firmer lui-même avec sa doctrine et son sym- 
bole, et surtout de défendre ses propres affir- 
mations. C'est ce qu'un jour un rationaliste 
disait à l'un de ses amis, rationaliste comme 
lui-même, et grandement occupé à battre en 
brèche cette citadelle de la vérité qui se nomme 
l'Eglise, ou le Ghristianisne organisé : « Mon 
« ami, c'est assez détruire ; il est temps de 
«construire. Les chrétiens disent leur Credo. 
* Dites le vôtre , vous aussi; ne les niez plus: 
« mais affirmez-vous vous-même. » 

Eh bienl ces paroles d'un rationaliste sincère, 
je les adresse aux négateurs de notre dogme 
de la peine éternelle, et je leur dis : Vous niez 
notre dogme delà peine éternelle. Fort bien; 
mais qu'affirmez-vous vous-mêmes ? Et par 
quelle doctrine, ce dogme écarté, prétendez-vous 
résoudre, le problème de la Destinée finale? C'est 
ici que l'impuissance de l'adversaire se découvre 



384 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



tout entière. Investi, quand il attaque, d'une 
force apparente, il est, quand il s'agit de se 
défendre lui-même avec sa propre doctrine, 
d'une faiblesse qui fait pitié . 

Permettez donc, Messieurs, qu'avant de 
quitter cette grave question de la peine éternelle, 
nous changions les positions devant l'adversaire, 
et qu'à notre tour contre lui nous prenions 

l'offensive.' 

Demandons-lui comment et par quoi, pour 
résoudre la grande énigme de notre Destinée, 
il prétend remplacer le dogme de la peine 

éternelle. 

Il y a trois principales hypothèses par les- 
quelles les rationalistes, selon le camp auquel 
ils appartiennent, proposent de remplacer notre 
dogme ; et encore ces trois hypothèses pourraient- 
elles rigoureusement se ramener à deux. 

Or, ces trois hypothèses imaginées au nom de 
la ra'ison, pour être substituées au dogme de la 
peine éternelle, vous allez voir que non seu- 
lement elles ne se soutiennent pas, mais qu'elles 
sont elles-mêmes, au tribunal de la raison, con- 
vaincues d'erreur, de non-sens et de contra- 
diction; et avec moi vous constaterez ici plus 
encore que dans tout ce que uous avons dit 



LES HYPOTHÈSES 



385 



jusqu'ici, comment elles laissent sans solu- 
tion rationnelle le problème de la Destinée, si 
parfaitement résolu par le dogme de notre foi. 
Suivez-moi attentivement, Messieurs, et avec 
le glaive de la vérité poursuivons ensemble 
l'erreur jusque dans ses derniers retran- 
chements. 



Avant de montrer comment les trois hypo- 
thèses dont nous allons-parler, sont impuissantes 
à se défendre contre l'objection, et sont dé- 
savouées et condamnées au tribunal de la 
raison, il importe de bien noter, entre l'affirma- 
tion de notre doctrine des peines éternelles et 
l'affirmation des hypothèses qu'on lui oppose, 
la différence essentielle des situations respectives. 
L'affirmation de notre dogme, comme on l'a 
vu, n'est pas une affirmation gratuite et pure- 
ment hypothétique; c'est une affirmation qui 
s'appuie sur la démonstration, et notamment 
sur les trois irréfragables témoignages de Jésus- 
Christ, de l'Eglise et de l'humanité entière; té- 
moignages qu'il est impossible de récuser, à 
moins de récuser tout témoignage et d'anéantir 
toute certitude. 

22 



386 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



11 estévident,dèslors,queledogmeappuyésur 
sa démonstration demeure inébranlable , même 
en face de l'objection supposée insoluble. 

Il en est tout autrement des hypothèses qu'on 
prétend substituer à la démonstration de notre 
dogme. L'hypothèse est ce qu'elle est, c'est-à- 
dire une simple supposition; elle ne repose 
préalablement sur aucune preuve démonstra- 
tive, ni sur aucun témoignage absolument irré- 
cusable. Elle ne peut donc pas, elle, tenir devant 
l'objection insoluble et beaucoup moins encore 
devant l'objection, qui l'accule dans l'impasse 
sans issue de la contradiction. 

A la lumière de cette distinction nécessaire et 
de cette observation préliminaire, abordons 
maintenant, pour en demander compte , les hy- 
pothèses que nous oppose l'adversaire. 



La première hypothèse que l'on prétend subs- 
tituer à notre doctrine de l'Eternité des peines, 
c'est l'hypothèse de l'anéantissement , c'est-à- 
dire de la vie humaine, à une heure de son 



LES HYPOTHESES 



387 



exitence, retombant dans l'abîme du néant, par 
la cessation absolue de l'être. 

Cet anéantissement, qui supprime radicale- 
ment toute survivance , donc toute peine éter- 
nelle, tous ne l'admettent pas dans les mêmes 
conditions, ni sous l'inspiration des mêmes 
principes. Toutes les diversités de système et 
d'opinions relatives à Thypothèse de l'anéantis- 
sement peuvent se ramener à ces trois caté- 
gories , que j'appelle anéantissement fatal, 
anéantissement obligatoire, anéantissement fa- 
cultatif ; fatal du côté de la nature , obliga- 
toire du côté de Dieu , et facultatif du côté de 
l'homme. Ces trois systèmes d'anéantissement 
concluant également , quoique à des points de 
vue différents, à la négation de la peine éter- 
nelle, il importe de les considérer séparément. 

Tout d'abord, j'appelle anéantissement fatal 
celui qui , d'après ses défenseurs , doit ré- 
sulter nécessairement de la constitution de la 
vie humaine, soumise par sa nature à une dis- 
solution totale et inévitable. C'est, vous l'avez 
déjà deviné, l'hypothèse matérialiste- 

L'homme, d'après cette hypothèse, n'est qu'une 
matière organisée. Son organisme, bien que plus 
délicat, plus harmonieux , plus parfait que tous 



388 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



les autres organismes produits par la nature, 
n'en est pas moins exclusivement matière ; et 
la pensée elle-même n'est que la résultante, et 
comme la quintessence la plus déliée des forces 
de cette matière si parfaitement et si admira- 
blement organisée. La mort n'est que la rup- 
ture de cet organisme; c'est la dissolution totale 
des éléments qui le constituent; c'est la machine 
qui se décompose; c'est l'homme s'évanouissant 
tout entier dans sa propre poussière. Même en 
admettant que les molécules ou les atomes qui en- 
trent dans la composition de l'organisme maté- 
riel, se transforment sans cesser d'exister, il y a 
quelque chose qui cesse absolument d'exister: 
c'est Vétre humain, c'est le souffle vital, l'âme 
enfin, de quelque nom qu'on la nomme et de 
quelque manière qu'on la conçoive. 

Il est de toute évidence que dans cette tri- 
viale hypothèse, il n'y a plus de place pour la 
peine éternelle; car il n'y a plus même de survi- 
vance quelconque, et la responsabilité humaine 
n'a plus de sens. 

Certes, Messieurs, j'aurais ici beaucoup à dire, 
si j'avais à réfuter directement ce système gros- 
sier, immoral et antisocial , qui se nomme le 
matérialisme. Son incompatibilité absolue avec 



LES HYPOTHÈSES 



389 



l'idée du Moi, ou de la personnalité humaine ; 
son incompatibilité avec l'idée de la pensée dont 
l'essence, comme celle du moi, échappe à toute 
division et se révèle comme l'indivisibilité même ; 
son incompatibilité également absolue avec 
toute idée de vertu ou de vice; l'une et l'autre, 
de l'aveu d'un matérialiste célèbre, n'étant que 
des produits, comme le sucre ou le vitriol; son 
incompatibilité non moins absolue avec l'idée 
sociale, avec l'autorité, la liberté, la fraternité, la 
responsabilité. Oui, je pourrais longuement et 
victorieusement démontrer tout cela. Mais tout 
cela vous est assez connu; et je n'ai pas à re- 
faire ici une démonstration que j'ai faite un jour 
dans cette même chaire (1). 

Je me contente de dire : cette hypothèse est 
ce qu'elle est, hypothèse, et rien déplus. Aucune 
démonstration intrinsèque, aucun témoignage 
extérieur n'en fonde la certitude. Ce que l'on a 
faussement osé dire contre le dogmederEternité 
despeinesjeledis en toute vérité contre l'hypo- 
thèse matérialiste de l'Anéantissement : aucun 
principe de raison n'y conduit et ne permet de 
l'admettre; aucun témoignage, même purement 

Lel\^aLn S 0n(érenCe " ** No > e -D»™, année 1865. _ 



■ 



390 



ETERNITE DES PEINES 



humain, ne dépose en faveur de cette hypothèse, 
absolument dénuée de fondement. 

Ah! je le sais, il y a eu de loin en loin, dans 
les espaces et les siècles , des individus maté- 
rialistes, des sectes matérialistes; il en est en-, 
core aujourd'hui, et selon toute apparence, il 
y en aura toujours; parce qu'il y aura toujours 
des passions charnelles, impatientes de briser, 
pour se satisfaire, tous les freins de la cons- 
cience, et de faire de la matière un sépulcre au 
remords. Oui, Messieurs, il s'est rencontré tou- 
jours jusqu'ici , et toujours il se rencontrera 
dans l'humanité, des hommes intéressés par leurs 
convoitises au régne exclusif de la matière, et 
qui se font des plaisirs de leurs seDsetdes souil- 
lures de leur chair, des arguments contre la di- 
gnité de Tâme et des révoltes contre la royauté 
de l'esprit. 

Mais l'humanité vue dans ses grandes lignes 
et sous son aspect général, l'humanité en masse 
n'a jamais été, et jamais ne sera matérialiste ; 
parce qu'elle porte en elle-même le témoignage 
universel de sa nature spirituelle. 

•Ainsi l'opposition doctrinale que prétend faire 
au dogme de la peine éternelle la doctrine maté- 
rialiste de l'anéantissement, ne repose que sur 



LES HYPOTHESES 



391 



une hypothèse, et sur une hypothèse qui a contre 
elle, avec les principes mêmes de la raison, le té- 
moignage universel de l'humanité. Je respecte 
trop cet auditoire et moi-même, pour insister 
plus longuement sut l'hypothèse de l'anéantis- 
sement pris dans ce sens ravalé; et j'ai hâte d'ar- 
river aune autre hypohèse, celle que j'ai nommée 
l'hypothèse de l'anéantissement obligatoire, et 
qui sans être plus fondée en raison , a la 
prétention de se respecter davantage elle- 
même. 

Cette seconde théorie de l'hypothèse de l'anéan- 
tissement, admet la survivance de l'âme à la dis- 
solution du corps. Elle admet même, par delà 
notre tombe, avec une récompense pour les dods, 
un châtiment pour les méchants. Elle est donc, 
sous un double rapport, profondément distincte 
de la précédente , bien qu'elle prétende , elle 
aussi, échapper à la domination de notre dogme 
de la peine éternelle. 

Mais, pour y échapper, que suppose-t-elle? 
Ecoutez : elle dit qu'après avoir donné à sa 
justice une satisfaction suffisante, par un châ- 
timent proportionné à la faute, mais limité dans 
sa durée, Dieu se doit à lui-même de laisser l'âme 
du coupable, qui a expié, retomber dans le néant; 



3Q9 

ETERNITE DES PEINES 

c-o^de la part de Dieu J'anéantissement oUiya, 

D'après la philosophie audacieuse qui risque 
cette hypothèse, ne pouvant infliger un supphce 
eernel sans mentir à sa justice et à sa bon é 
et d autre part, n'ayant pas de raison pour ré^ 
compenser l'âme qui n'a que démérité, Dieu 
Plus d'autre parti à prendre, pour sauver sa jus 
tice et sa bonté, que d'anéantir l'âme coupable 
après un châtiment dont la durée a pour mesuré 
1 étendue et la gravité de sa prévarication 

Ici encore, nous sommes en face d'une pure 
hypothèse, et d'une hypothèse qui ne s'app'ui 
elle aussi, sur aucun témoignage 

Eh bien, Messieurs, qu'en pensez-vous? Pour 
répudier cette gratuite affirmation, n'avons, 
nous aucune raison? Mais qui ne voit du pre- 
mier regard de sa pensée, qu'une telle supposi- 

-n est tout à- la fois le désordre dans la crt- 
tion et 1 opprobre du Créateur lui-même; donc 
absolument» contradiction avec la saine raison 
Comment, en effet, la plus vulgaire raison 
pourrait-elle, sans protester, admeL une hy- 
pothèse qui jette le désordre dans la création 
rustre et renverse le plan du créateur? Quoi < 
Dieu, nous l'avons vu, a créé l'homme pou £a 



LES HYPOTHESES 



393 



fût éternellement, et pour tirer de cette immorta- 
lité de l'homme une glorification sans fin; et 
Dieu, par la faute de l'homme, serait réduit à 
abdiquer la gloire qu'il s'était promise de l'im- 
mortalité de sa créature? Dieu serait forcé, par 
la malice de l'homme, à l'anéantissement de son 
œuvre de choix et à la suppression de la gloire 
qu'il en attendait!. .Quoi île pécheur obstiné dans 
son crime, opiniâtre dans son opposition à Dieu, 
pourrait dire à son Créateur, en bravant tout à 
la fois sa Providence, sa Justice, son Amour et 
sa Puissance : Anéantis-moi; retire-moi cet être 
que tu m'as donné et que je ne t'avais pas de- 
mandé. Tu m'as créé pour toi-même, et ton am- 
bition était de m'attirer à toi, et de m'embrasser 
éternellement. Mais pour être embrassé par toi 
dans ton ciel, je devrais faire ta volonté sur la 
terre. Eh bien, je refuse; je ne ferai que la 
mienne. D'un autre côté, ta justice, sans se men- 
tir à elle-même, ne peut me châtier' éternelle- 
ment. Donc, de par ma volonté, je te somme 
de m'anéantir. 

Et Dieu, devant cette sommation du crime, 
serait obligé d'abaisser la loi de sa justice et 
l'honneur de son infinie Majesté? Il devrait 
exaucer ce vœu , ou plutôt, obéir à cette injonc- 



394 



ETERNITE DES PEINES 



tion impérative du coupable, et répondre à son 
ordre par son anéantissement? Et cet anéantis- 
sement du pécheur, Dieu devrait l'accomplir pour 
le dérober au supplice éternel? C'est-à-dire que, 
pour arracher l'homme à l'Eternité de la peine! 
on ne craint pas de condamner Dieu lui-même 
à l'Eternité de l'opprobre! Car enfin, cette né- 
cessité que vous imposez à Dieu d'anéantir 
l'homme, et cette prétendue interdiction faite à 
sa justice de punir éternellement, qu'est-ce 
donc, si ce n'est l'opprobre et l'humiliation de 
Dieu créateur? 

Oui, l'opprobre etl'humiliationdeDkucrèateuT, 
pour une autre raison encore; parce que ce se- 
rait le désordre dans la création entière. Pour- 
quoi et comment, demandera- t-on peut-être? 
Je réponds : parce que cette nécessité imposée 
à Dieu d'anéantir des volontés rebelles, sous 
prétexte de les dérober à la peine éternelle.entraî- 
nerait, comme conséquence, dans la création un 
schisme universel, et par suite.un épouvantable 
désordre. Une part de l'humanité, l'humanité 
fidèle et prédestinée, serait emportée vers Dieu, 
pour vivre éternellement en'lui ; et l'autre part 
de l'humanité, c'est-à-dire l'humanité réprouvée, 
à une heure donnée devrait, au nom de la divine 






LES HYPOTHESES 



3 15 



justice et sous la main forcée du créateur, re- 
tomber dans son néant. Ainsi une moitié de 
l'humanité, en possession de sa fin suprême, 
glorifierait Dieu et lui chanterait un hymne 
étemel; et l'autre moitié, créée, elle aussi, pour 
chanter et publier sa gloire dans le silence de 
son néant, se tairait éternellement?.. Se peut-il 
rien imaginer de plus opposé, tout à la fois, à la 
raison humaine et à la gloire divine? Est-ce que 
Dieun'a pas créé les êtres intelligents pour qu'ils 
comprennent éternellementl'harmonie de lacré- 
ation? Est-ce qu'il ne les a pas créés libres pour 
qu'ils le glorifient éternellement, ou par l'Eter- 
nité de leur bonheur ou par l'Eternité de leur 
supplice? Oui, chanter éternellement dans le 
ciel le triomphe du divin amour, ou chanter 
éternellement, dans l'enfer, le triomphe de la 
divine justice : c'est l'alternative finale; et d'un 
côté, comme de l'autre, la gloire do Dieu doit 
resplendir. Mais l'anéantissement obligatoire 
de la créature ne peut être que le désordre dans 
la création, et l'opprobre du Créateur. 

Vous venez d'entendre, Messieurs.ee que vaut, 
devant la raison, l'hypothèse de l'anéantis- 
sement obligatoire du côté de Dieu. 

Mais voici une autre théorie de l'anéantisse- 



396 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



Zn^f 7l tentim d ' êtrephlS ^OHnene, 
etquiestaufondplusdéraisonnableencore^'es 
celle que nous avons appelée, comme elle se 
nomme elle-même, la théorie de l'immortalité 
facultative; celle qui fait dépendre notre survi- 
vance éternelle ou notre anéantissement, de 
notre propre liberté. Idée singulièrement origi- 
nale, mais plus remarquable encore par sa 
bizarrerie que par son originalité 

D'après cette idée, mise au jour par un auteur 
con empora in (1), Dieu ne nous crée pas absolu- 
ment pour être immortel,. Notre immortalité 
neutre pas nécessairement dans la Destinée 
qu il nous fait. Notre immortalité ne résulte pas 
non plus nécessairement de notre nature spiri- 
tuelle; et le caractère d'indivisibilité, qui est de 
1 essence de notre âme, n'est pour rien dans notre 
immortalité. Cette immortalité ne résulte pas 
non plus des aspirations natives de notre âme 
qm, spontanément et invinciblement, appelle 
•mmortel et l'éternel. C'est notre liberté/notre 

liberté seule qui décide si, oui ou non, nous 
serons immortels et vivrons éternellement. H 
dépend de nous, et de nous seulement, d'étein- 
te ou de développer, dans l'avenir, la vie que 
(1) Lambert, Système du monde moral. 



US 



LES HYPOTHÈSHS 



397 






nous confère notre espèce. Vous pouvez à vo- 
lonté, ad libitum, vous émanciper de la vie par 
votre propre anéantissement, ou la continuer 
dans une autre sphère. C'est le néant seul qui 
doit vous châtier, si vous vous rendez coupable. 
L'Eternité des peines n'est que l'Eternité du 
néant. Vous pouvez, selon votre choix, aboutir 
au néant ou à la sublimation de votre vie. Soyez 
bons, et il faut que vous viviez éternellement. 
Soyez méchants, et il faut que vous mouriez né- 
cessairement. 

Tel est, en résumé, ce système de l'immorta- 
lité facultative et de l'anéantisseement ad libi- 
tum; système plus étrange encore que tous les. 
autres, et que des humanitaires au cœur bon et 
à l'esprit mow«e,prétendent substituer à notre 
dogme de l'Eternité des peines. 

Cette bizarre hypothèse, comme les précéden- 
tes manque absolument de base doctrinale et 
de témoignage authentique. Elle n'a ni un prin- 
cipe qui la fonde, ni une autorité qui l'appuie ; 
j'entends un principe évident, une autorité ir- 
récusable. C'est une opinion, et rien qu'une opi- 
nion; une opinion hasardeuse, et à peu près so- 
litaire. Il n'y a donc pas à beaucoup insister 
pour la réfuter et la confondre. 

£3 



398 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



Mais je constate, en passant, que cette hypo- 
thèse outrage plus particulièrement, avec le 
bon sens humain, la sainteté, l'amour et la sou- 
veraineté de Dieu. 

Quoi ! un Dieu mûnimenUaint serait condam- 
né à contempler, dans une vie humaine,le spec- 
tacle d'un désordre universel et permanent le 
mal même à sa plus haute puissance; spectacle, 
qui répugne essentiellement à la divine sainteté; 
et Dieu ne pourrait rien pour venger cette sain- 
teté partout et toujours outragée par le pécheur • 
et, sans pouvoir lui infliger un légitime châ- 
timent, il laisserait libre de rentrer dans son néant 
la créature qui lui aurait donné ce spectacle ré- 
voltant du crime et du désordre en permanen- 
ce? 

^ Quoi! un Dieu infiniment aimant a créé 
l'homme par amour; et l'homme pourrait à son 
gré, et de toutes les manières, abuser du don de 
ce divin Amour? Et Dieu, privé lui-même par cet 
abus.de la fin qu'il s'est proposée par la création, 
devra se déclarer satisfait, si le pécheur, pour 
se dérober àl'Eternitéde son légitime châtiment, 
en vertu de son immortalité facultative décide 
lui-même son propre anéantissement? 
Quoi! Dieu est souverain Maître, parce qu'il 



a 



LES HYPOTHESES 



399 



est créateur ; Dieu est suprême autorité, parce 
qu'il est le suprême, et dans un sens vrai , 
l'unique auteur de tout ce qui est créé : et, au 
lieu, comme c'est son droit inaliénable, de 
fixer lui-même la Destinée de la créature selon 
l'usage qu'elle aura fait de sa liberté , ce serait 
l'homme qui, usurpant la fonction de Dieu créa- 
teur, déciderait lui-même facultativement sa 
propre Destinée? Vraiment, de telles hypothèses 
ne se discutent pas ; elles tombent d'elles- 
mêmes, appuyées qu'elles sont sur le vide, et 
s'évanouissent dan s l'absurde etla contradiction. 

C'est ce que fait d'ordinaire la libre pensée : 
sous prétexte d'échapper au mystérieux et à 
l'incompréhensible, elle se réfugie dans l'absurde 
et l'impossible. Parfois même elle aboutit au 
ridicule; et,en voulant se dérober à des dogmes 
dont l'austérité lui fait peur, elle en arrive à des 
conclusions dont la bizarrerie prête à rire. 

Ainsi font, en particulier, les défenseurs de 
ces trois modes de l'anéantissement par lesquels 
ils prétendent, au nom de leur infirme raison, 
échapper au dogme inébranlable de notre foi 
catholique. Non seulement ils ne se justifient 
pas devant la raison, mais iLs sont condamnés 
par la raison elle-même; et ils finissent par 



400 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



succomber, après avoir dit leur dernier mot, sous 
le dédain philosophique et la risée populaire. 

D'ailleurs, contre ces trois hypothèses, toutes 
les preuves irréfragables données antérieurement 
de la permanence de la vie et de la certitude de 
l'Eternité, gardent toute leur force. 

Nous avons vu comment les grands témoi- 
gnages du dehors, Jésus-Christ, l'Eglise, l'hu- 
manité tout entière attestent, sous toutes les 
formes et de toutes les manières, l'Eternité de 
la vie. 

Nous avons vu aussi comment l'âme humaine, 
par toutes ses voix intérieures, atteste la même 
indéniable vérité : Il y a une Eternité. Dès lors, 
la doctrine ou plutôt l'hypothèse de l'anéantis- 
sement, sous quelque forme qu'elle se produise, 
est sapée par la base. Il y a une Eternité; l'âme 
humaine est immortelle ; donc l'anéantissement 
ne peut pas être. Quelque cause, quelque motif 
qu'on prétende lui donner; sur quelque principe 
qu'on essaye de l'appuyer, devant la nécessité et 
l'existence d'une vie éternelle surabondamment ' 
démontrée, l'anéantissement ne peut tenir; 
ni l'anéantissement forcé, ni l'anéantissement 
libre.Dieu.ditSaint Thomas.acréé tous les êtres 
pour qu'ils fussent. Cette grande affirmation du 



^m, — 



LES HYPOTHÈSES 



401 



Docteur angélique s'applique même aux êtres 
inanimés. Son incomparable génie repousse, 
comme indigne de Dieu, l'anéantissement même 
desètres matériels, et il proclame la permanence 
indéfinie même du moindre atome. Dès lors, 
comment admettre comme possible l'anéantis- 
sement des âmes qui, par toutes leurs puissan- 
ces et toutes leurs respirations, appellent et af- 
firment leur propre immortalité ? 



IL 

Mais c'est assez, Messieurs, nous arrêter à 
l'hypothèse de l'anéantissement. Peut-être ne 
méritait-elle pas de fixer si long-temps votre re- 
ligieuse attention. 

Après l'hypothèse de l'anéantissement, tou- 
jours en vue d'échapper au dogme de la peine 
éternelle, te] que nous le professons, on a ima- 
giné une autre hypothèse, en apparence moins 
absolue et moins hostile à notre croyance : c'est 
ce qu'on a nommé l'hypothèse de l'amoindrisse- 
ment successif et progressif de la peine du ré- 
prouvé. D'après ce système, Dieu, pour donner 
satisfaction à sa justice, châtie réellement le cou- 
pable de l'autre côté de la tombe; mais, pour 



402 



ETERNITE DES PEINES 



donner satisfaction à son amour, il diminuerait 
progressive ment,dan s le damné,l'intensité delà 
souffrance. 

Il nous sera facile de montrer que ce système 
ne résout pas le problème de la Destinée, et que 
finalement il aboutit, ou peu s'en faut, à la mê- 
me impasse que l'anéantissement lui-même. 

Mais, avant de l'examiner de plus près, je dois 
vous faire remarquer, pour éviter toute équivo- 
que et toute méprise, que ce système diffère es- 
sentiellement de l'opinion professée par des théo- 
logiens et attribuée mèmeà des Pères de l'Eglise; 
opinion qui consiste à admettre, comme possi- 
ble et nullement hétérodoxe, une certaine miti- 
gaiion dans le supplice des damnés. 

Pour bien entendre la part que l'on peut faire 
à cette opinion, et ce qu'on doit lui refuser, il 
faut se rappeler que, dans le supplice total du 
réprouvé, ily a deux sortes de peines qu'il ne faut 
pas confondre, et que les théologiens nomment 
bien la peineessetttielleet la peine accidente lie. La 
première tient à l'essence même de la damnation 
etchàtielespéchésquisontcausede la damnation. 
Laseconde s'ajoute à la peine essentielle, mais 
sans tenir à l'essence même de l'éternelle dam- 
nation. A la lumière de cette simple distinction, 






LES HYPOTHESES 



403 



vous pouvez faire à l'opinion qui admet dans le 
châtiment du damné unemitigation, la conces- 
sion que Saint Thomas ne repousse nullement 
et qui ne déroge en rien à la parfaite ortho- 
doxie . 

Remarquez qu'il y a dans le châtiment du ré- 
prouvé, dans l'autre vie, une mitigation ou une 
diminution de peines très convenable et parfai- 
tement conforme à l'équité et à la justice. On 
peut concevoir, en effet, qu'en dehors des péchés 
mortels, pour lesquels il est damné, le réprouvé 
emporte dans le lieu de son supplice des péchés 
véniels, pour lesquels il doit à Dieu une satisfac- 
tion particulière; et que, même pour les péchés 
dont il a reçu l'absolution et pour lesquels il n'a 
pas donné à Dieu sur la terre une satisfaction 
suffisante, le damné demeure débiteur envers la 
divine justice. Dieu,dans ce cas, qui estsans doute 
lecas d'un grand nombre, peut exiger une satis- 
faction particulière par une peine proportionnée 
àladette,c'est-à-dire,limitée dans sa durée. Cela 
revient à dire que la divine justice, pour ces 
fautes et ces dettes indépendantes de la damna- 
tion proprement dite, peut revendiquer dans 
l'enfer une.satisfaction qu'elle eût exigée dans 
le purgatoire. Cette satisfaction une fois don- 



404 



.ÉTERNITÉ DES>KINKS 



née, et cet acquittement une fois accompli, on 
comprend que Dieu accorde au damnédans l'enfer 
la libération de la peine, qui est le prix de l'ac- 
quittement; libération qu'il eût accordée, si le 
pécheur, au lieu de tomber dans l'enfer et de 
subir l'éternelle damnation, n'avait eu qu'à 
passer momentanément par le lieu des pu- 
rifications. . 

La mitigation des peines dans l'enfer, entant 
qu'elle porte sur ces peines accidentelles et 
s'exerce dans ces conditions, non seulement n'a 
rien qui blesse l'orthodoxie ou déroge aux 
droits de la justice; mais elle paraît conforme 
à l'équité naturelle, et à la loi que Dieu a posée, 
pour se donner à lui-même par le châtiment du 
coupable une légitime satisfaction. . 

Cette doctrine n'implique nullement qu'il 
puisse y avoir une rédemption dans l'enfer, 
contrairement à la parole connue de tous : In 
inferno nu lia est redemptio; parce que cet ac- 
quittement temporel de la dette du pécheur, par 
voie de châtiment momentané, n'est pas préci- 
sément une rémission, mais une solution adé- 
quate de la dette contractée. 
• La saine théologie n'est nullement en oppo- 
sition avec cet enseignement de la mitigation 






LES HYPOTHESES 



405 



des peines du damné, comprise comme nous 
venons de l'exposer. Les plus grands théologien s 
lui prêtent l'autorité de leurs suffrages. C'est Saint 
Thomas lui-même , l'Ange de l'école, qui a écrit 
ces paroles : « La peine dont un coupable reste 
« débiteur,mème après la rémission de sa faute, 
« sera subie temporellement dans l'Eternité. In 
« œlerno punietur tempor aliter; et il n'en résulte 
« pas (ajoute Saint Thomas) qu'il y ait en enfer 
« une rédemption : Nec propter hoc sequitur, 
« quod in in fer no sit redemptio; parce que là où 
« il y a un acquittement, il n'y a pas une ré- 
« mission. » 

Vous le voyez, Messieurs, cette doctrine delà 
mitigation des peines du réprouvé, ne touche en 
rien à la doctrine de la peine éternelle; et notre 
dogme subsiste dans toute son intégrité. 

Maintenant, pouvons-nous admettre aussi une 
mitigation des peines infligées au damné,mème 
pour les crimes qui ont été la cause de la 
damnation? 

La théologie chrétienne, considérée dans son 
ensemble, se montre peu favorable à cette opi- 
nion, et toujours elle l'a plus ou moins tenue en 
suspicion. Il faut reconnaître cependant que 
quelques hommes graves, et même quelques 

23, 



406 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



Docteurs, tout en maintenant l'Eternité des 
peines proprement dite, penchent vers cette 
opinion, et semblent l'admettre comme compa- 
tible avec une rigoureuse orthodoxie; et c'est 
un théologien d'une assez rare valeur, le célèbre 
Père Petau, qui « croit pouvoir déclarer que sur 
« cette mitigation possible des peines des dam- 
« nés, rien de certain et de dogmatique n'a été 
« encore décrété par l'Eglise :De hacdamnatorum 
« respiralione, nih.il adh-uc certi decr&tumest abEc- 
« cirsia eatholicà (7).Quoique,à vrai dire.cette opi- 
« nion s'éloignedu sentiment le plus commun des 
« théologiens. » 

Nous avons donc toute raison, si ce n'est de 
repousser absolument, du moins d'écarter dis- 
crètement une opinion purement hypothétique; 
une opinion peu sympathique à la théologie, et 
qui ne s'appuie sur aucune preuve vraiment' dé- 
monstrative; une opinion qui,dailleurs,ne peut 
rien préciser, rien déterminer sur la nature, le 
mode et l'étendue de la mitigation qu'elle sup- 
pose sans la démontrer, et qu'elle affirme sans 
la définir. 

Je vous demande, Messieurs, la permission 
de ne pas insister davantage sur une question 
(1) Petau, de Angelis 1. III. c. VIII -83 



LES HYPOTHESES 



407 



qui ne se débat guère qu'entre catholiques; et 
je me hâte bien vite de vous faire remarquer que 
tous ceux qui l'admettent prétendent bien main- 
tenir, quand même, une véritable Eternité des 
peines, dogme invariable et croyance obliga- 
toire dans la catholicité. 

Mais surtout, je tiens à bien constater que 
quoiqu'il en puisse être de cette opinion, selon 
certains théologiens dogmatiquement tolérable, 
elle diffère essentiellement d'un système philo- 
sophique de la diminution progressive des peines 
des damnés ; système qu'il est impossible d'ad 
mettre sans entamer le dogme lui-même, et 
qui, d'autre part, ne peut se maintenir et se jus- 
tifier devant la raison et le bon sens. 

Pour peu, en effet, qu'on jette sur cette autre 
hypothèse le regard de la saine raison, et qu'on 
la soumette au criieriu,n de la logique la plus 
élémentaire, on arrive tout de suite à constater 
que non seulement cette opinion ne peut s'ap- 
puyer sur aucune donnée dogmatique de la foi, 
mais qu'elle ne repose, elle non plus, sur aucune 
donnée philosophique et sur aucune base vrai- 
ment rationnelle. 

Voyons cependant ce qu'on essaye d'imaginer, 
pour donner à cette opinion de la diminution 



408 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



un semblant de rai- 



progressive de la peine 
son. 

Ne peut-on pas supposer, demande une phi- 
losophie bienveillante et légèrement humant- 
taire, que sans anéantir absolument la créa- 
ture réprouvée par sajustice, Dieu diminue pro- 
gressivement la rigueur et l'intensité de son 
châtiment? 

Vous le voyez, Messieurs, ici encore c'est l'hy- 
pothèse, rien que l'hypothèse, et avec elle le 

doute,letâtonnement.Etencore, q uellehv P othèse 
devant la raison et le bon sens. Quy a-t-il 
dans la supposition que l'on risque, qu'y a-t-il de 
Clair, de précis, de déterminé, de certain? La cli- 
mmutton progressif, cela est bientôt dit. Mais 
dans la dimunition supposée, de quelle peine 
a»U question? S'agit-il seulement de la peine 
accidentelle, dont nous parlions tout à l'heure' 
Maiscettepeine n'admet pas de diminution indé- 
finiment progressive, étant elle-même tempo- 
raire et limitée dans sa durée. D'ailleurs, là pour 
le moment n'est pas la question. Il s'agit uni- 
quement ici du châtiment du péché, cause ef- 
fective de la damnation. Et dans ce cas, s'agit- 
il uniquement de la diminution dans la peine 
ûufeuy Mais, alors reste toujours la peine du 



I 



LES HYPOTHESES 



409 



dam, la séparation de Dieu; et.sous ce rapport, 
que peut signifier la diminution successive ou 
progressive de ce châtiment? 

La séparation de Dieu ne peut se diviser, se 
scinder, se diminuer. Comment, dès lors, l'inef- 
fable souffrance qui résulte du sentiment même 
de cette séparation, pourrait-elle se diviser, se 
sciuder, se diminuer elle-même? La séparation 
de Dieu demeure-t-elle, oui ou non ? Si elle cesse, 
que devient la damnation, et comment subsiste 
encore l'Eternité de la peine? Si la séparation 
de Dieu demeure, etdemeureéternellement;alors 
comment le sentiment, c'est-à-dire la souffrance 
de cette séparation, elle aussi, ne demeurerait- 
elle pas éternellement? Comment concevoir Ja 
moitié, le tiers, le quart, le dixième de cette sé- 
paration de Dieu, et par suite, la moitié, le tiers, 
le quart, le dixième de la peine qui en résulte 
pour le damné? Il faut donc, en toute hypothèse, 
en revenir forcément à la séparation totale de 
Dieu, comme supplice principal du damné. Or, 
cette séparation demeurant tout entière, et de- 
meurant éternelle, que gag-nez- vous alors à l'hy- 
pothèse d'une dimunition progressive du châ- 
timent; hypothèse qui laisse subsister dans sa 
rigoureuse acception l'éternelle damnation, et 



410 



ETERNITE DKS PEINES 



par conséquent V Eternité de la peine, à laquelle 
on prétend échapper par cette supposition ? 

Comment fera l'adversaire pour sortir de cette 
impasse, qui semble ne lui laisser aucune issue? 
Et que pourra inventer le génie même le plus 
subtil, pour échapper à l'étreinte de ce dilemme 
que la raison elle-même oppose ici encore à l'hy- 
pothèse rationaliste? 

Cependant on imagine une dernière ressource, 
pour se dérober à la rigueur du dogme de la 
peine éternelle. Laquelle, demandez - vous ? 
Ecoutez : on suppose que Dieu, sans l'anéantir 
tout à fait , diminue progressivement dans le 
damné la vie elle-même; et qu'en diminuant 
avec la vie le sentiment de la séparation de l'In- 
fini, il diminue progressivement en lui la souf- 
france qui en résulte; cette souffrance ne pou- 
vant avoir pour mesure que le degré et l'inten- 
sité même de la vitalité. 

Telle est l'issue par où le libre penseur croit 
pouvoir se dérober à la peine éternelle. 

Mais manifestement cette issue n'en est pas 
une, et le rationaliste s'enfonce de plus en plus 
dans l'impasse terrible dont il ne peut sortir. 
Car enfin, de deux choses l'une : ou bien cette 
diminution de la vie, entraînant avec elle la di- 



LES HYPOTHESES 



411 



minution de la peine , doit aboutir à une sup- 
pression de la vie ; et dans ce cas, nous voilà de 
nouveau ramenés face à 'face devant le spectre 
du néant, et cette hypothèse équivaut à celle de 
l 'anéantissement total. Ou bien, on suppose que 
cette vie et la souffrance qu'elle renferme iront 
diminuant toujours, et toujours s'approchant du 
néant sans y arriver jamais; et alors, si petite 
qu'on suppose encore l'intensité du supplice, 
nous retombons cependant dans l'Eternité de la 
peine, qu'on prétend repousser au nom de la 
raison. Dès lors, la solution laissant subsister 
le principal, ne roule plus que sur un accident; 
et devant la raison l'énigme formidable de l'é- 
ternel supplice subsiste tout entière : car, 
quelle que soit l'intensité intrinsèque du sup- 
plice, le supplice reste éternel; et la même dif- 
ficulté se dresse devant cette hypothèse qui pré- 
tendait la supprimer. 

Ainsi de quelque côté qu'on se tourne, on 
ouvre devant soi d'insondables abîmes; au mys- 
tère imposé par le Christianisme, on substitue 
gratuitement un mystère de son choix, avec l'in- 
conséquence de plus et la certitude de moins. 

Vous le voyez, Messieurs, cette théorie soi- 
disant radicale, et promettant de résoudre toute 



I 



413 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



difficulté et de supprimer tout mystère, n'a- 
boutit à aucune solution, et laisse subsister tout 
le mystère. Elle ne donne à la vie aucune con- 
clusion nette et définie. Elle ne tranche rien; 
elle ne dénoue rien; et le nœud de la difficulté 
demeure au fond même de l'hypothèse imaginée 
pour la résoudre, ou aboutit à une autre hypo- 
thèse déjà repoussée, c'est-à-dire à l'hypothèse 
de Y anéantissement. 

C'est plus qu'il n'en faut assurément.pour re- 
jeter ce système aventureux, qui part de l'hypo- 
thétique et de l'inconnu,pour aboutir à l'absurde 
et à l'impossible. 

Mais, au point de vue moral et même social, 
cette théorie, veuillez le remarquer, est parti- 
culièrement dangereuse et funeste dans ses con- 
séquences. En apparence innocente et bienveil- 
lante, elle a une tendance mauvaise. Elle tend à 
l'énervement de la justice; et elle se fait.incons- 
ciemment peut-être, complice d'une grande et 
redoutable erreur moderne : erreur qui tend à 
s'universaliser et à se populariser de plus en 
plus, à savoir, l'effacement progressif de la dif- 
férence essentielle entre le bien et le mal; dif- 
férence radicale qui doit, au terme final de la 
vie, séparer par un abîme l'humanité coupable 



LES HYPOTHESES 



413 



de l'humanité fidèle, l'humanité perverse et per- 
sévérant dans le mal, de l'humanité sainte et 
à jamais fixée dans le bien. 

Chez les inventeurs de cette théorie qui pré- 
tend à la fois venger la justice divine et flatter 
la faiblesse humaine, ce n'est, si vous voulez , 
qu'une tendance; mais la tendance est redou- 
table ; elle conduit à l'abîme des suprêmes né- 
gations ; et elle a surtout, pour point de départ, 
la négation de la peine éternelle, sous quelque 
forme qu'elle se produise et sous quelque voile 
qu'elle se dissimule. 

La négation systématique de l'Eternité des 
peines repose, en effet, sur un profond radica- 
lisme doctrinal ; radicalisme monstrueux qui 
n'est autre que le rapprochement progressif du 
bien et du mal, et l'effacement successif de leur 
différence intrinsèque et essentielle. 

Chose remarquable et bonne à méditer : 
toutes les doctrines et les théories modernes, 
qui nient systématiquement la peine éternelle, 
tendent toutes, plus ou moins directement, vers 
ce point central : conciliation , harmonie, em- 
brassement fraternel du bien et du mal. En 
d'autres termes, les bons et les méchants, les 
saints et les scélérats, tous devant se rencontrer 



I 



414 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



par toutes les voies convergentes de la vie au 
rendez-vous final de la Destinée, pour sedonner 

laauseind'uneprétendueharmonie.qmne serai! 
que le désordre élevé à sa dernière puissance 
un embrassement sacrilège. 

Ecoutez cette doctrine monstrueuse, destruc- 
tive de toute justice divine, de toute moralité 
humaine et de tout ordre social : 

i Jusqu'ici, entre Jésus et Mahomet, ce fut 
« 1 antagonisme et l'hostilité; mais ils finiront ' 
« par se rencontrer un jour, dans une harmonie 
« supérieure (1). > 

Que dis-je? Selon le rêve d'un poète en dé- 
ire, et pris de la folie révolutionnaire et antire- 
ligieuse, la conciliation des extrêmes doit aller 
plus loin encore; car, le Christ et Satan se ré- 
concilieront. 

« Et quand ils seront près des degrés de lumière 
i n„; i " r nous ' seu,s aperçus, 
« Oui, tous seront si beaux, que Dieu dont l'œil flambovP 
«Ne distinguera pl US) Père ébloui de i e y ' 
BéUal de Jésus! (2) ' 

Tel est Messieurs , le dernier mot de ces 
belles théories soi-disant conciliantes,', frater- 

$c™l ea -- Etu J es - tome v - P480. 
(2) Confessions d'un révolutionnaire. 



LES HYPOTHESES 



415 



nelles, sociales et humanitaires , nous montrant 
sur les ruines de notre dogme de la peine éter- 
nelle, l'idéal de la Destinée humaine entrevu 
dans le rêve, ou plutôt dans le cauchemar du 
génie révolutionnaire et antichrétien. 

Et qui pourra jamais concevoir et dire ce que 
deviendraient l'ordre moral et l'ordre social,sous 
l'influence d'une telle doctrine, si elle venait à 
se généraliser un jour? Si l'union et l'identifi- 
cation du bien et du mal, si l'embrassement fra- 
ternel et universel de tous ceux qui ont dans 
leur vie personnifié l'un ou l'autre, doit être la 
conclusion finale de la Destinée : alors, qui ne 
voit qu'au chemin de cette vie, notre vertu et 
notre mérite doivent consister à rapprocher de 
plus en plus, en nous-mêmes, ces deux extrêmes 
destinés à se rencontrer, à se toucher et à s'i- 
dentifier au terme? Et ce que pourrait devenir 
une société se développant sous l'inspiration 
d'une idée si profondément et si sataniquement 
antisociale, ah ! je n'entreprendrai pas cle vous la 
dire : il faudrait vous peindre l'inimaginable et 
vous exprimer l'inexprimable. Je me contente 
de vous dire tout par un mot qui vous abrège 
tout : ce serait l'enfer de la vie future devenu 
l'enfer de la vie présente, et la société des 



416 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



hommes devenue comme ia société des démons • 
indescriptible chaos, véritable ehfer, enfin où' 
comme dans celui de l'autre vie, il n'y aur.it 'plus 
d ordre, et où habiterait une éternelle horreur 

Cela dit sur ce monstrueux système, je passe, 
avant de finir, à l'examen de la dernière et prin- 
cipale hypothèse, substituée par l'erreur contem- 
poraine au dogme de la peine éternelle 



III 

Notre siècle a, pour une autre hypothèse ima- 
ginée en vue de remplacer notre dogme de l'E- 
ternité des peines, une faveur marquée- et il 
ne se peut que je termine ce discours, sans la 
signaler d'une manière plus particulière à votre 
religieuse attention : hypothèse hardie et auda- 
cieuse, qui naguère se posait parmi nous en 
face de notre dogme séculaire. 

L'homme, d'après cette hypothèse, sous un 
rapport supérieure à l'hypothèse de l'anéantis- 
sement, do.t vivre éternellement. Loin de ré- 
pudier l'Eternel, comme le matérialisme, elle 
1 affirme et, à sa manière, elle le dogmatise 

La mort, d'après cette théorie , n'est pas pour 
nous lederniermotdela vie, etellenefixepasnotre 



LES HYPOTHESES 



-417 



Destinée. Nous passons par la mort, comme par 
uneporte ouverte, de notre vie du temps dans no- 
tre vie d'outre-tombe; et nous y entrons toujours 
armés de notre liberté pour conquérir notre 
Destinée suprême. La dette que l'homme pécheur 
a contractée envers la divine justice dans le 
monde qu'il vient de quitter, il la paye dans un 
autre monde par des purifications et des ex- 
piations successives. A mesure qu'il expie et se 
purifie, et par là se perfectionne, il monte de 
degré en degré, gravitant indéfiniment vers 
l'infini; et un jour doit venir où tous les crimes 
étant expiés, toutes les purifications étant ache- 
vées; tous les hommes, quelle qu'ait pu être 
leur vie du passé, devront se rencontrer dans le 
même mouvement qui les emporte vers un 
avenir qui n'a pas de limite, c'est-à-dire dans 
le vague de l'Indéfini, sans jamais les faire ar- 
river à un terme véritablement final, c'est-à- 
dire à la possession même de l'Infini. 

D'après cette hypothèse, il y a, de l'autre côté 
de notre tombe, des purifications et encore des 
purifications; mais il n'y a plus de peine éter- 
nelle. Il est même remarquable que les hommes 
qui enseignent cette doctrine et se portent pour 
les interprètes infaillibles du dernier mot de 



418 



ÉTERNITÉ DES PEINRS 



notre symbole, vitam œternam, manifestent, à 
l'endroit de notre dogme de l'Eternité des peines, 
une antipathie particulière ; et nous avons en- 
tendu ces prétendus révélateurs de notre grand 
avenir, jeter à notre dogme catholique de la peine 
éternelle des défis insolents, et je puis ajouter, 
des injures grossières. Aux yeux de cette philo- 
sophie superbe et dédaigneuse, nous tous, qui 
croyons à un supplice éternel, nous avons per- 
du le sens; et nous imposons à l'esprit humain, 
avec notre dogme, la tyrannie de l'absurde. 

Nous avons donc le droit et même le devoir, 
nous surtout les porteurs de la divine parole* 
et les échos vivants de la voix de l'Eglise, de 
citer à notre tour, au tribunal de la raison et du 
bon sens, cette théorie fastueuse, cette préten- 
tieuse hyppothèse dont la popularité a pu, un 
moment.vous voiler le vide et l'inanité -j'allais 
dire la folie et Vabsurdité. 

Et tout d'abord, la plus simple raison repousse 
tout à fait l'étrange immortalité que cette doc- 
trine oppose à l'immortalité qu'affirme notre foi, 
d'accord avec notre raison. Elle nous dit : La 
tombe n'est pas le terme où finit votre vie ; vous 
vivrez toujours, car vous êtes immortel. Mais, 
qu'est-ce que cette immortalité bizarre, cette im- 



HHH| 



LES HYPOTHÈSES 



419 



mortalité sans but, ou condamnée à poursuivre 
toujours un but qu'elle n'atteindra jamais? Tel 
est, en effetje vice radical de cette hypothèse, que 
le bon sens réprouve; elle suppose, après cette 
vie, une immortalité sans but déterminé. Elle 
suppose, après cette mort du temps, l'être immor- 
tel s'en allant à travers le vague d'un avenir in- 
défini, marchant toujours et n'arrivant jamais, 
ne pouvant même jamais arriver, et poursuivant 
éternellement le terme éternellement désiré: 
terme étrange , terme qui ne termine rien et 
qui semble, à mesure qu'on avance, fuir d'une 
fuite éternelle ! Car cette théorie , en appa- 
rence séduisante, comme tout ce qui flotte dans 
le vague et l'indéterminé, est en essence la théo- 
rie ou la doctrine de Y indéfini; l'indéfini en ar- 
rière, l'indéfini en avant, et toujours et partout 
l'indéfini. Eh bien, demande la raison : est-ce 
là une conclusion rationnelle donnée à notre vie 
humaine? Est-ce là une solution suffisante à 
la grande énigme de la Destinée? N'insistons 
pas davantage sur le vice radical déjà signalé 
ailleurs ; et examinons surtout cette hypothèse 
dans ses rapports' avec le dogme qu'elle prétend 
remplacer, en s'y substituant elle-même. 
D'après l'hypothèse que nous examinons en 



420 



ÉT3RNITH DES PEINES 



ce moment, l'homme qui a emporté dans l'autre 
vie,avec le péché,les responsabilités qu'il impose 
peut encore se convertir, et il se convertira ; car' 
il passera par des purifications successives qui 
lui donneront, avec la sainteté complète, son 
bonheur réputé final. 

Aussi, pour résoudre le problème de la Des- 
tinée, à Y Eternité te la peine l'hypothèse subs- 
.titue des purifications et des expiations indéfi- 
nies, jusqu'à complète réhabilitation du pécheur 
et jusqu'au recouvrement de l'innocence et delà" 
sainteté. 

• A cette gratuite affirmation nous pourrions 
d'abord répondre, sans entrer plus avant dans 
le fond du système : si la purification peut et 
même doit inévitablement se faire dans l'autre 
vie; alors pourquoi se préoccuper d'acccomplir 
en ce monde une purification et une expiation 
meoitables dans l'autre? Pourquoi, dans cette vie, - 
où de toutes les manières les passions, les plai' 
sirs et les voluptés me sollicitent, pourquoi me 
contenir, me mortifier, me faire souffrir, pour 
retrouver dans mon présent une innocence que 
je suis certain de retrouver dans mon avenir? 

Et dès lors, voilà les hommes sur la terre, se 
livrant sans mesure et sans frein à tous les 'en- 






— — « 



I 



LES HYPOTHESES 



421 



traînements du mal, se roulant dans toutes 
les fanges ;appuyés qu'ils sont — d'après le sys- 
tème— sur la certitude d'une purification future 
qui ne peut manquer de se faire. Combien 
parmi les pécheurs, si naturellement enclins 
aux ajournements successifs , alors qu'il s'agit 
de se convertir et d'expier, combien seraient 
tentés d'ajourner et ajourneraient en effet, à 
leur vie d'outre-tombe, l'expiation des iniquités 
et des prévarications dont ils souillent leur vie 
du temps , s'ils croyaient avoir la garantie d'une 
expiation non seulement possible, mais certaine 
dans l'Eternité! 

Nous pourrions ajouter que cette purification 
progressive dans l'autre vie n'est qu'une hypo- 
thèse ; une hypothèse qui ne s'appuie ni sur 
aucun principe de raison, ni sur aucun témoi- 
gnage d'autorité. Il est absolument impossible 
en effet, de trouver ni une raison, ni une auto- 
rité qui nous en garantisse la réalité. Tout au 
plus pourriez-vous en garantir la possibilité. 
Et encore , cette possibilité, sur quoi l'appuyez- 
vous ? Vous dites : Après tout, cette purification 
d'outre-tombe est possible. Nous, nous la dé- 
clarons simplement absurde ; qu'avez-vous à 
répondre ? Notre affirmation vaut la vôtre. 

21 




422 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



Mais un instant, si vous le voulez, admettons 
sans la discuter, la possibilité de ces expiations 
purificatrices. Ces purifications telles qu'elles, 
pour pouvoir justifier et innocenter le pécheur] 
et par là l'arrachera un supplice éternel, en- 
core faut-il qu'elles soient par le pécheur volon- 
tairement acceptées. L'homme, d'après le sys- 
tème, garde même après sa mort la plénitude 
de sa liberté ; il demeure donc libre d'accepter 
ou de refuser les purifications et expiations dont 
il s'agit. 

Eh bien, s'il refuse, et s'il refuse obstinément 
de se purifier et de s'améliorer, que doit-il en 
résulter? Assurément, d'après la théorie elle- 
même, Dieu ne peut sauver le pécheur qui re- 
fuse d'être sauvé ; il ne peut ouvrir son sein 
qu'au bon vouloir, et sa sainteté même lui dé- 
fend d'embrasser qui le repousse librement. 
Dieu donc, dans l'hypothèse présente, dirait à 
l'homme, demeuré, par delà son tombeau . libre 
de fixer lui-même par son choix sa propre Des- 
tinée : Tu es libre encore, et, comme tel, ta peux, 
si tu le veux, par tes volontaires purifications 
retrouver l'innocence ; car ta libre purification 
peut encore te justifier ; et, redevenu par ton 
libre choix innocent et juste, ma sainteté et ma 



LES HYPOTHESES 



423 



Justice ne te repoussent plus. Tu peux venir, 
Rapprocher et graviter éternellement vers moi » 
mais il faut le vouloir, et le vouloir librement : 
car ma bonté elle-même ne peut attirer celui 
qui la repousse, et la repousse librement. 

Manifestement on suppose, dans la théorie, 
que tout pécheur quel qu'il soit, pour échapper 
au supplice éternel, tût ou tard voudra rompre 
avec le mal, et finalement se convertira. 

Mais si l'homme ne le veut pas, que doit-il ar- 
river? Je pose hardiment la question qui porte 
sur le point capital et décisif : si le pécheur, 
malgré les plus long-ues expérimentations du 
désordre et du mal, ne veut pas revenir à l'ordre 
et au bien ; si, malgré toutes les avances du di- 
vin Amour, il ne consent pas à répondre à ses 
appels; s'il persiste 'à vouloir braver éternelle- 
ment tour, à la fois la justice et l'Amour; Dieu 
sera-t-il réduit ou à sauver ce pécheur maigre lui, 
ou à être éternellement bravé par lui ? Il faut 
répondre. Il faut qu'ici le rationalisme sorte du 
vague et de l'obscur, et que clairement sur ce 
point il se prononce et s'explique. 

— Pourquoi, dit-il, n'y -aurait-il pas, dans 
l'autre vie, des épreuves et des purifications à 
l'infini?— Pourquoi,pourrions-nous demander à 



424 



ETERNITE DES PEINES 



notre tour, y aurait-il pour le pécheur des puri- 
fications à l'infini ? Vous voulez savoir pourquoi 
il ne pourrait pas y avoir dans l'autre vie des 
purifications à l'infini? Certes, nous pourrions 
en donner bien des raisons et des raisons tout 
à fait décisives. Je mécontente d'en donner une 
seule , et je vous réponds : Parce que Dieu ne 
peut pas permettre que le pécheur le brave et 
l'insulte à l'infini. 

Mais le rationaliste insiste : « Comment 
« concevoir que l'homme tourne éternellement, 
« contre la volonté et la g-loire de Dieu, la puis- 
« sance de sa propre liberté ? Il sera tôt ou tard 
« convaincu de la folie de son obstinatian daus 
« le mai et de sa résistance à Dieu. Sachant que 
« sa prévarication tourne toujours à son propre 
<r malheur, l'instinct de son propre bonheur le 
« convertira. Il n'est pas probable qu'après tant 
« et tant d'expériences aboutissant toujours à 
« le rendre malheureux, l'homme prenne le parti 
« de résister éternellement à Dieu (1). » 

Ainsi le décide le rationaliste : après la mort, 

le pécheur se convertira ; il ne pourra pas ne pas 

se convertir. Nous pourrions nous contenter de 

lui répondre : Prophète, comment le savoz- 

(1) Jean Reynaud, Ciel et terre. 



I 



LES HYPOTHÈSES 



425 



vous? Et comment, en réalité, pourriez-vous le 
savoir? Vous dites : L'homme lie prendra 
pas le parti de résister éternellement à Dieu; ce 
n'est pas probable. Mais vous êtes forcé de con- 
venir du moins que c'est rigoureusement possi- 
ble ; or, si c'est possible, comment osez-vous dé- 
cider qu'il n'en sera jamais ainsi ? Si la chose 
ne se réalise pas dans un grandnombre, comment 
être sûr et comment affirmer, sans crainte de se 
tromper, qu'elle ne se réalisera pas au moins 
dans quelques-uns ? N'y en eîit-il qu'un seul à 
résister éternellement à Dieu , est-ce que cela 
ne suffirait pas à renverser votre gratuite et 
aventureuse hypothèse ? Car, enfin , est-il pos- 
sible d'admettre, même pour un seul homme, une 
situation qui serait une éternelle insulte à Dieu? 
Et comment savoir avec certitude qu'il ne se 
rencontrera pas un obstiné, un re'volté éternel '! 
Voltaire, pour ne citer que lui, après plus de 
soixante ans d'impiété et d'insultes au Christ- 
Dieu, était-il désabusé par son expérience? Son- 
g-eait-il à mettre fin à sa révolte contre Dieu et 
son Christ? Et si la divine condescendance eût 
accordé à Voltaire encore cent ans de vie et d'é- 
preuves; serait-il téméraire et absurde de penser 
que, selon toute pré vision. Voltaire, après cent 

24, 




426 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



ans, serait encore Voltaire, c'est-à-dire un en- 
nemi de Jésns-Christ? Et si, par supposition , 
Voltaire eût été immortel, Dieu, pour lui épar- 
gner l'Eternité du châtiment, aurait donc dû 
accepter de l'impie une éternelle insulte? 
_ Qu'on ne dise pas qu'une telle supposition est 
inadmissible, qu'elle est la supposition de l'im- 
possible. 

L'impossible? Mais pourquoi? Sans remonter 
jusqu'au grand impie, qui se nomma Voltaire' 
est-ce que vous n'avez pas entendu,même,autour 
de vous, des hommes qui bravaient Dieu et in- 
sultaient son nom trois fois saint, par des ou- 
trages impossibles à redire sous ces voûtes 
sacrées, et par des blasphèmes inconnus jus- 
qu'il dans l'histoire même des blasphèmes' 
Eh bien, est-il tellement absurde de supposer 
que les hommes qui osent jeter à Dieu de telles 
injures et proférer de tels blasphèmes , sont dé- 
cidés à proférer toujours les mêmes blasphèmes, 
et à jeter toujours à Dieu les mêmes injures' 
Et,dans cette hypothèse, Dieu, pour ne pas in- 
fliger à ses ennemis acharnés une peine éter- 
nelle, devrait donc se laisser par eux insulter 
éternellement? 
Quoi! des impies obstinés dans leur impiété, 



LES HYPOTHESE 



427 



éternellement repoussant Dieu, éternellement 
haïssant Dieu, éternellement se révoltant contre 
Dieu; et ce même Dieu destitué du droit d'in- 
fliger à ces éternels insulteurs un éternel sup- 
plice?.. 

Et contre une telle situation, dont la possibi- 
lité s'impose à l'intelligence, ô profonds 
penseurs, votre raison n'a rien à dire et n'élève 
pas même la moindre protestation? Et contre 
cette absurde hypothèse, qui vous ferait hausser 
je i épaules, si elle était défendue par nous, vous 
n'avez pas d'objection? Eh bien, nous en 
avons une, nous, à opposer à cette hypothèse, 
qui prétend renverser le dogme inébranlable de 
l'Eternité des peines; c'est, sans compter toutes 
les autres, l'irréfutable objection de la contra- 
diction. 

Ah! c'est qu'en effet, ce blasphème éternel, 
cette Eternité de l'injure, de l'outrage et de la 
haine, ce serait déjà l'enfer, l'Eternité de cet 
enfer même que vous voulez anéantir ; donc 1-a 
plus flagrante contradiction . 

Mais admettons,un moment, que nul homme 
ne bravera Dieu éternellement, et que tous les 
coupables s'en iront de purifications en purifi- 
cations, se justifiant de plus en plus, pour ar- 






^r 




428 



ETERNITE DES PlilNES 



river, enfin, à reconquérir une complète in- 
nocence. 

Eh bien! même en cette hypothèse, quel sera 
le résultat final de la Destinée? La lignée des 
bons et la lignée des méchants, à travers leurs 
pérégrinations indéfinies, convergeront-elles 
l'une et l'autre vers un point de jonction, pour 
de là continuer ensemble vers l'Infini qu'elles 
nedoivent jamais atteindre, leur voyage Eternel? 
Arrivées à ce point, s'il en est un, la race des 
bons et la race des méchants, les Robespierre et 
les Vincent de Paul se retrouveront- ils en- 
semble, dans une même innocence et une 
même sainteté , confondus dans un même 
amour et une même unité ? Le mal et le bien , 
enfin, s'embrasseront-ils, pour s'unir et s'iden- 
tifier? Et, comme l'a dit cette poésie délirante, 
dont je viens de vous citer les effroyables pa- 
roles : Bélial embrassera-t-il Jésas?Et Jésus em- 
brassera-t-il Bélial? 

Mais alors, nous voilà retombés dans l'hypo- 
thèse deux fois absurde et déjà par nous con- 
vaincue d'erreur et de folie, à savoir, la com- 
plète et absolue identification du bien et du 
mal, comme conclusion de la Destinée suprême , 
e'est-à-dire ce qu'il y a de plus radicalement 






LES HYPOTHÈSES 



429 



opposé au dictamen le plus primitif de la droite 
raison, et aux premières données du sens 
commun. 

J'entends parler de conversions qui doivent 
tôt ou tard toucher la bonté de Dieu et désarmer 
sa justice. Mais vous vous trompez de temps et 
de lieu; et par le plus étrange des paralogismes, 
vous argumentez de ce que Dieu fait dans le 
temps pour les pécheurs, à ce qu'il doit faire 
pour eux dans l'Eternité ; de ce qu'il fait dans la 
route pour l'homme voyageur , à ce qu'il doit 
faire pour l'homme qui a touché le terme. Et 
comment et d'après quel principe, obligez-vous 
la Providence à identifier son gouvernement de 
l'Eternité avec son gouvernement du temps? 

Encore j'ai supposé jusqu'ici la possibilité de 
cette pérégrination indéfinie, qui doit pousser 
d'étape en étape la vie d'outre-tombe, à travers 
des purifications progressives, vers un terme 
que la vie n'atteindra jamais. D'après ce sys- 
tème, en effet, de l'autre côté de la tombe il n'y 
a pas de terme où la vie doive s'arrêter , et où 
elle pourra dire : J'ai touché ma Destinée, j'ai 
atteint mon terme, et c'est à jamais. Non, cette 
station éternelle au terme de la vie, le système 
la repousse, il la répudie, il la blasphème; et 



430 



ÉTERNITÉ DES PEINES 



cet éternel repos de l'homme qui a touché sa 
' fin, et comme ils le disent, ce « loisir éternel » 
sous le regard et dans l'embrassement de 
Dieu, prête à rire à nos profonds penseurs. 

Ce que suppose le système, ce qui en cons- 
titue la donnée fondamentale, c'est la vie s'ap- 
prochant toujours d'une fin qu'elle n'atteindra 
jamais, c'est-à-dire d'une fin qui n'est pas 
une fin, mais une marche éternelle vers l'é- 
ternel par-delà ; c'est-à-dire la contradiction 
dans les mots et l'impossibilité dans les choses- 
une course éternelle vers un but qui fuit éter- 
nellement; une marche continue pour ne jamais 
arriver; un voyage qui ne doit jamais aboutir- 
une course sans fin dans un exil étemel, et qui 
condamtr- !>. x ilé à poursuivre une patrie qu'il 
n'u;t' i:, ilra jamais! 

Je le demande, se peut-il rien concevoir de 
plus radicalement opposé aux plus vulg-aires 
données de l'humaine raison, et de ce sens 
commun que nous avons nommé le g-énie de 
l'humanité? 

Ah ! dans un ordre purement logique et de pure 
abstraction, que le génie des mathématiques 
puisse concevoir deux lignes s'approchant indé- 
finiment sans se toucher et se confondre absolu- 






LES HYPOTHESES 



431 



ment; je le comprends. Mais qu'une existence ré- 
elle, qu'une àme vivante soit jetée ponrtoujours, 
parlamainduCréateur.dansunvoyag-equinedoit 
arriver nulle part, dans un chemin sans terme et 
sans issue, où la vie doit avancer toujours pour 
ne jamais arriver ; s'en aller de monde en monde 
et d'espace en espace, et peut-être, comme l'admet 
l'hypothèse , de soleil en soleil, montant d'ascen- 
sion en ascension, à mesure que l'on se perfection- 
ne davantag-e, vers un idéal vide, abstrait , insai- 
sissable, sans arriver jamais à un terme quel- 
conque ; et cela, alors que la vie en mouvement 
porte , au plus profond d'elle-même , l'irrésistible 
besoin d'arriver; et lorsque conquérir une Des- 
tinée , une Destinée déterminée , fixe et vraiment 
finale est, comme nous l'avons surabondamment 
démontré, l'invincible aspiration de l'âme hu- 
maine : en vérité, est-ce que ce n'est pas le 
comble de la contradiction , et se peut-il con- 
cevoir de plus solennelle insulte au bon sens de 
notre humanité? 

Ainsi, Messieurs, vous le voyez, les hypo- 
thèses, pas plus que les objections qu'on oppose à 
notre dogme de la peine éternelle, ne se sou- 
tiennent pas : ni l'hypothèse de l'anéantissement, 
de l'anéantissement fatal, obligatoire ou facul- 



^ 



432 



ETERÎs'ITE DES PEINES 



tatif; ni l'hypothèse de la diminution pro- 
gressive de la peine des réprouvés; ni l'hy- 
pothèse fantaisiste des purifications et justifi- 
cations indéfinies. 

Nous avons vu, en effet, comment aucune de 
ces trois hypothèses n'a pour elle ni un prin- 
cipe de raison qui la fonde , ni aucun témoignage 
d'autorité qui l'affirme. 

Comment concevoir, dès lors, que des hypo- 
thèses sans aucun appui, ni dans ;la raison, ni 
dans l'autorité, aient la prétention d'ébranler et 
même de renverser un dogme appuyé sur l'auto- 
rité et approuvé par la raison? 

Et quand nous disons qu'aucune de ces hypo- 
thèses ne s'appuie ni sur la raison, ni sur l'au- 
torité, nous ne disons pas assez; car ces hypo- 
thèses ont positivement contre elles , avec toutes 
les raisons que nous venons de dire, les plus 
grands témoignages de l'humanité. 

Que nous importent alors, dirons- nous ici au 
sectateur de ces théories absolument gratuites, 
les difficultés que soulève votre imagination 
contre notre dogme, lorsque nous avons nous- 
mêmes contre vos doctrines appuyées sur le vide, 
des raisons qui vous confondent et des objections 
auxquelles vous ne pouvez vous-mêmes ré- 



LES HYPOTHÈSES 433 

pondre? 

Aussi, l'attaque que vous dirigez contre nous 
en opposant à notre croyance dogmatique, des 
théories purement hypothétiques, la vérité 
nous autorise et même nous oblige à la retourner 
contre vous , mais d'une manière bien autrement 
victorieuse, armés que nous sommes de l'autorité 
et de la raison elle-même , et nous pouvons 
ajouter, armés d'objections pour vous absolument 
irréfutables; et cela, contre des hypothèses, 
encore une fois, je le répète , sans appui ni dans 
la raison, ni dans l'autorité; hypothèses, par 
conséquent, absolument insoutenables et con- 
damnées à mourir avec ceux qui les ont conçues 
tandis que notre dogme toujours vivant, et 
appuyé sur ses inébranlables fondements, con- 
tinuera de chanter, sur les ruines de vos hypo- 
thèses convaincues d'inanité : Il y a un enfer 
éternel. Il y a, pour les méchants obstines, une 
Eternité de supplices, comme il y a, pour les 
élus prédestinés, une Eternité de bonheur. 



Prl 



w 



434 ÉTERNITÉ DES PEINES 

RÉSUMÉ OU SOMMAIRE 

M SWEt DE L'ETERmtÉ DES PEl , Es . 

Messieurs, 

*> tout ce que „„„„ avons „„' ™ ™ S J°«™ 
Sf , SOramaire ' »' de «™ W 1» es 

'i^ue e ttrail e s^ m :r; r :re„™ s .t 

"iverseue , et nous avons ajouté 



LES HYPOTHÈSES 



435 



que la raison elle-même, bien loin de protester 
contre ces deux grands témoignages, les ap- 
prouve plutôt qu'elle ne les désapprouve, et 
dans un sens vrai.y joint son propre témoignage' 
Nous avons vu.cn second lieu.commentaucune 
des objections dirigées contrenotradogme, n'a la 
puissance de l'ébranler. Ces objections qui,p ur 
la plupart, naissent de la faiblesse de notre es- 
prit, de l'ignorance de la doctrine et des exi- 
gences de nos passions, manquent absolument 
de force pour vaincre un dogme appuyé sur sa 
démonstration. Fussent-elles pour nous inso- 
lubles elles n'auraientpasencorela puissance de 
prévaloir contre le dogme établi. Et vous avez p u 

comprendre comment les principales objections 
tirées delà Providence, delà justice et de l'amour 
de Dieu, non seulement n'entament pas la ve- 
nte de no t re dogme, mais sont, elles-mêmes, 
réfutées par la raison. 

Nous avons vu, enfin, que toutes les hypo- 
heses qu'on essaye de substituer au dogme de 
la peine éternelle, manquent absolument de 
principes rationnels et de témoignages autori- 
taires, et sont elles-mêmes, sous leur triple 
forme, condamnées devant le double tribunal de 
la raison et de l'autorité. 



436 



ÉTÉ UNITÉ DES PEINES 



Donc, que l'on ne vienne plus nous dire qu'au- 
cune donnée certaine de la « raison ne nous 
conduit à l'affirmation de l'Eternité des peines. » 
Eh! que nous importe, puisque le dogme s'ap- 
puie sur des autorités humainement et divine- 
ment irréfragables, et que la raison elle-même, 
bien loin de le nier, incline plutôt à l'affirmer? \ 

Qu'on ne nous dise plus que l'esprit humain 
soulève contre la peine éternelle des difficultés 
réputées insolubles ; alors qu'il n'en est pas une 
seule qui l'entame victorieusement, et que nos 
réponses triomphent mieux des objections, que 
les objections ne triomphent de notre dogme. 

Qu'on ne vienne plus nous dire, surtout, que 
pour remplacer le dogme de l'Eternité des peines 
et pour résoudre le problème de la Destinée, on 
a trouvé des solutions plus rationnelles et par- 
tant plus acceptables ; alors que parmi ces hy- 
pothèses, qui ne s'appuient sur aucune autorité, 
il n'en est pas une que la raison ne désavoue et 
que le bon sens ne condamne. 

Ainsi, bien que la raison laissée à elle-même 
ne démontre pas, avec une certitude complète, 
notre dogme de l'Eternité despeines;ilrésiste,par 
les témoignages qui l'appuient et par la raison 
elle-même, à toutes les attaques que dirigen t con- 



LES HYPOTHÈSES 



437 



trelui tous les scepticismes et tous les rationa- 
lismes. Et la résistance qu'il oppose, depuis 
bientôt deux mille ans, aux erreurs, aux igno- 
rances, aux préjugés, et surtout aux passions 
qui l'attaquent, il l'opposera jusqu'à la con- 
sommation des siècles. 

Manifestement, Messieurs, ce dogme sera tou- 
jours le scandale des libres penseurs et la ter- 
reurs des libres viveurs; et toujours les uns 
et les autres auront intérêt à se débarrasser 
d'une vérité qui les importune, les déconcerte ou 
les épouvante. -L'orgueil et la volupté notam- 
ment se donneront toujours la main, et se prê- 
teront mutuellement leurs armes, pour attaquer 
un dogme qui les gêne . Mais il ralliera tou- 
jours autour de son mystère les âmes droites et 
verueuses, qui n'ont aucun motif d'égoïsme in- 
tellectuel ou d'égoïsme sensuel pour supprimer' 
la foi aux destinées éternelles; parce que, 
malgré le côté obscur de son mystère, ce dogme 
seul donne de la Destinée, une notion nette- 
ment définie ; et qu'eu debors de cette grande 
donnée tbéologique, la Destinée demeure dans 
le vague de l'indéterminé et de l'inconnu, en- 
veloppée d'un impénétrable nuage et du plus 
incompréhensible des mystères. 






438 



ÉTERNITÉ DBS PK, NES 



Donc que la libre pensée en prenne son par- 
era comme passe la poussière „„ ,. n ° ™ e T .% 

ië i "S 7 US "7 que la s p<^« w 

ieu - lvlais te dogme deineurpra ti „ ±- 
-ême du fond de J!^ 1 ' ^ 

a^ses a. ce Z^^Z^^l 

S ch Te"" 6 ' e " PaSSMl ' d '™ "«-"« 
quelque cliose. Le voyag-eur disparaît dans I» 

Pouss.ere ou le sable du désert „, i 

demeure aminvi. ' la P^w» de 

Aia s ,'; a 3rfd 6 4:e S ?eS;S/r™ en,S - 
Sr d et e e S ure a "° M,iSmeS »"»"■ - ■*• 






LKS HYPOTHÈSES 



439 



Messieurs, 

Le temps nous est mesuré; et il me force de 
m'arrèter ici. Un dernier mot, pourtant, sur ce 
grave sujet de l'Eternité. 

Pour le compléter, surtout au point de vue 
plus pratique, il me restait à vous dire quelle 
est, dans le temps, notre situation vraie par 
rapport à l'Eternité. J'aurais voulu la résumer 
par ces trois affirmations qui se tiennent en se 
complétant, et qui, par leur importance, ont par- 
ticulièrement droit à occuper notre religieuse 
pensée : 
Nous allons à l'Eternité. 
Nous approchons de l'Eternité. 
Nous touchons à l'Eternité. 
^ En d'autres termes : l'Eternité est inévitable; 
elle est proche ; elle est présente. 

Je regrette de ne pouvoir donner à ces trois 
pensées le développement qu'elles comportent. 
Peut-être nous sera-t-il donné d'y revenir. 

En attendant, emportez-les dans vos âmes 
comme le fruit saintement austère de ces exer- 
cices. Dites-vous souvent, au chemin de cette 
vie, où Dieu vous donne de marcher encore :~ 



440 ÉTERNITÉ DES PEJNKÏ 

Je vais à mon Eternité; elle m'attend; j'y arri- 
verai. 

Je suis près de mon Eternité; je vais y arriver. 

Je touche à mon Eternité; voici que j'y arrive. 

Non seulement mon Eternité est inévitable , 
non seulement elle est proche, elle est actuelle : 
rien ne m'en défend, rien ne m'en sépare, et à 
l'instant même, si Dieu le veut, j'y tombe. 

Ainsi, Messieurs, maichons.., d'étape en 
étape, dans cette vie voyageuse, le regard de 
l'âme fixé sur l'Eternel. Dieu nous fera-t-il en- 
core nous retrouver ensemble à l'une de ces 
religieuses stations du temps, d'où l'on découvre 
mieux l'Eternité?.. Je l'ignore. Puissions-nous 
du moins, c'est l'ambition et le vœu de mon 
cœur d'apôtre, puissions-nous, après avoir re- 
gard 's ensemble, au chemin, cette Eternité qui 
nous attend, nous retrouver tous, au terme, 
dans l'inénarrable béatitude que Dieu nous ré- 
serve dans son sein. 

2 XAinsi soit-il. 







V 






TABLE DES MATIÈRES 



CERTITUDE DE L'ETERNITE 



II. 



Témoignage du dehors, ou D'autorité. 
L'existence de l'Eternité est atteatie : 
Par le Christianisme tout entier, c'est-à- 
dire : Par Jésus-Christ, par l'Eglise , par 
tous les chrétiens. ...... 

Par {'humanité entière , c'est-à-dire par 
son témoignage universel, dans la durée, 
dans l'espace et dans toutes les conditions 
de la vie humaine . 



31 



43 



II 



CERTITUDE DE L'ETERNITE 



Témoignage du dedans, ou de i.'âme. . 79 

I. L'âme par toutes ses jouissances atteste 

l'Eternité . 88 

II. L'âme pense, l'âme espère, l'âme aime . . 96 

III. L'âme veut, l'âme cherche l'Eternel . . . 106 

IV. Donc il y a une Eternité . . . .115 



— 442 — 



II. 



III 
INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ 

sur la vie prétente . . , 
La pensée de l'Eternité **i ™ 

IV 
INFLUENCE DE L'ÉTERMTÉ 

sur la vie future. 

c v:. e de ? E r ité . est ^-^- b0I1 ; 

ml fZ- ° eSUà - dire rfit ? rai ^ dans 
1 Enfer, el l'Eternité dans le ciel 



143 



145 



195 

198 



224 



I. 



L'ÉTERNITÉ DES PEINES 
t. • Les preuves. . . 9K . 



— 443 — 

qui partout et toujours, dans son ensem- 
ble, la crue et attestée . 

II. Par le témoignage du Christianisa,' qui 

i affirme -et la dogmatise. 

III. Par le témoignage de la Raison qui, san i 

la ^montrer positivemenM'approuve et la 
confirme. . 



260 



274 



294 



II. 



VI 

L'ÉTERNITÉ DES PEINES 

Les objections ... 3l5 

Faiblesse de l'objection en général contre 
son dogmes, et en particulier contre le 
dogme de la pamc éternelle 
Des objections principales contre la peine 
étemelle tirées de la Providence , de la 
Justice et de l'Amour de Dieu . 



VII 



318 



m 



L'ÉTERNITÉ DES PEINES 
(Les hypothèses.) 

'b™* .*. p-™ ,„ so „„„„, d0 ; an « * 



— UA — 

I. Ni l'hypothèse de J anéantissement deia vie. 380 

II. Ni l'hypothèse de la diminution progressioe 

de la souffrance 3gg 

III. Ni l'hypothèse des purifications indéfinies 

d'outre-lomljc. . 40} 

Donc, le dogme demeure appuvô_ 
propre démonstration (1). /^%M 




FIN DE LA TABLE DES MATIERES. 



1 Pour paraître prochainement : La Préoarication. 

(Note de l'éditeur.) 



I 



Paris. - Imprimerie TÉQU1, 02, rue de Vaugirard