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L'ÉTERNITÉ
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BIBLIOTHEQUE
SAINTE |
GENEVIEVE
Paris. — Imprimerie Téqui, 92, rue de Vaugirard, 92.
1
GENEVIEVE
LE R. P. FELIX, S. J
L'ETERNITE
RETRAITE DE NOTRE-DAME
PARIS
T É Q U I , L I B R A I II E - É D IT E U II
DE L'ŒUVRE SAINT-MICHEL
85, RDB DE RENNES, 8!j.
1888
AU LECTEUR
Le livre que nous publions sous ce titre : VÉ-
ternité , est le complément indispensable du
livre intitulé : La Destinée, publié récemment:
de même que le premier est le préliminaire
obligé du second (i).
Tous ceux qui ont lu le volume La Destinée,
ont pu constater que l'auteur y fait, autant que
possible, abstraction de l'Eternité ou de l'Eter-
nelle durée. Mais, il est de toute évidence que
l'une de ces deux idées appelle l'autre, et que
l'une et l'autre se complètent mutuellement.
On ne comprend pas plus la Destinée finale
sans une d"rée Eternelle, que l'on ne comprend
(i) Voyez La Destinée, chez Téqui, librairie Saint
Michel, rue de Rennes, 85. Paris.
— Il
la survivance Eternelle sans une Destinée fi-
nale.
Dans notre précédent volume, après avoir
montré, sous toutes ses faces principales, ce
que nous avons appelé la Destinée, nous
sommes arrivé finalement à cette conclusion :
Dieu seul est notre Destinée.
Cette conclusion suprême, la Destinée hu-
maine dans la possession de Dieu, renferme
déjà implicitement l'idée de l'Éternelle durée de
notre vie; car, comment concevoir que notre
àme, une fois en possession de Dieu, s'en sé-
pare et rentre dans son néant?
Mais, autre chose est de déduire une vérité-
d'une autre vérité par voie de conséquence,
autre chose est de montrer directement cette
vérité elle-même , en l'environnant de toute la
clarté qu'elle reçoit de sa propre démonstration.
Or l'idée de la vie ou de la survivance Eter-
nelle est d'une telle importance en elle-même,
et par elle-même, qu'elle nous a paru devoir
être exposée avec tout le développement qu'elle
comporte; et nous n'avons pas hésité à lui con-
sacrer tout le volume qu'on va lire.
\
\
-• III
Mais l'importance de donner à cette vérité
tout son légitime développement se révèle dans
une lumière bien plus grande encore, si nous
la considérons en face des idées et des tendances
contemporaines.
Si la libre pensée fait aujourd'hui plus que
jamais,par tous ses systèmes, une opposition
flagrante à l'idée de la Destinée, telle que nous
l'avons définie, c'est-à-dire d'une Destinée in-
tentionnelle et voulue par le Créateur, elle fait
à l'idée d'une existence ou d'une vie Etemelle,
une opposition bien plus flagrante encore.
Jamais, à aucune époque de l'humanité, on
ne vit dans aucune société éclater un tel anta-
gonisme à l'idée de l'Eternel. Des hommes, au
milieu de nous, se rencontrent, qui font à cette
doctrine de l'Eternel une guerre acharnée. On
dirait que ce spectre de l'Eternité les épouvante
et les irrite. Ils voudraient, s'ils le pouvaient,
en chasser de l'humanité entière, même la
simple idée; et toute parole, tout livre qui la
défend, excite leur fureur. Ils éprouvent je ne
sais quel frénétique désir de se renfermer, avec
l'animal, dans le présent comme en une étroite
IV —
prison, et de se faire de tout ce qui est du temps,
une défense contre l'Eternité.
Nous voudrions en vain nous le dissimuler:
il surgit au milieu de nous, en plein Christia-
nisme, une race d'hommes qui abdique ouver-
tement l'Eternel et le Divin, et qui a juré d'en
finir avec tout ce qui dépasse l'humanité et le
temps. Tout ce qui croit non seulement à.V au-
delà, mais à l' Immortel, elle le poursuit de ses
haines ; tout ce qui, sous une forme quelconque,
représente l'un et l'autre, elle travaille à l'ané-
antir: et le serment qu'Annibal fit contre
la Rome antique, le serment de l'extermina-
tion, elle le fait contre la Rome nouvelle, cette
Rome que bien mieux que Paris, nous pouvons
nommer la Ville-lumière, parce que c'est de là
surtout que part cette prédication, qui illumine
le monde, la prédication de X au-delà, de YEter-
nel et du Divin.
Combien d'autres qui aujourd'hui, sans
prendre à ce point en haine et en exécration la
doctrine de l'Eternel et l'Eglise qui l'enseigne,
la réduisent aux proportions d'un système ou
d'une opinion, et parlent de l'Eternité comme
d'une chose problématique, sur laquelle leur
philosophie n'ose encore prendre son part! dé-
finitif, et, sans la répudier positivement, ne la
professe que négativement, ne la défend que
timidement.
Et, même parmi les hommes qui n'ont pas
effacé de leur front le signe de leur baptême
et prétendent rester fidèles aux enseignements
de l'Eglise leur Mère, combien qui,sur ce point
. fondamental, ne gardentqu'une foi chancelante,
et sentent passer sur leur âme de croyants je
ne sais quels souffles de doute-, combien qui,
sous prétexte qu'ils ne peuvent comprendre ce
mystère de l'Eternel avenir, hésitent à le croire
tout à fait-, et, parce que devant cette mysté-
rieuse perspective, ils croient sentir vaciller leur
raison, sont tentés de lui refuser leur foi !
Il faudrait fermer les yeux à la lumière de la
publicité pour ne pas voir comment,en présence
de ces trois catégories des hommes de cetemps,
cette prédication de l'Eternel prend une im-
portance qu'il est impossible de méconnaître.
Et quant à tous ceux qui croient avec nous,
sans, hésitation aucune, ce dogme souverain
-• VI —
del'Eternel, ils ontbesointoujoursd'enentendre
parler et de se mettre le plus possible en face
de cette grande lumière de l'Eternité, qui éclaire
toute la vie du temps, afin d'en faire passer
dans leurs actions et leurs pratiques le rayon-
nement salutaire et les influences fécondes.
Car, si la pensée de la Destinée est, comme
nous l'avons montré, si puissante déjà sur la
vraie direction et le bon gouvernement de notre
vie, bien plus puissante encore doit être la
pensée de l'Eternité.
Le bienveillant accueil fait au livre La
Destinée, malgré l'austérité inhérente aux en-
seignements qu'il renferme, nous fait espérer
pour celui-ci un accueil pareil, malgré des en-
seignements peut-être plus austères encore.
Au milieu de ces bruits du temps qui, au-
jourd'hui plus que jamais, attristent les âmes
droites et désolent les cœurs honnêtes, il ne
peut être que consolant et doux d'entendre un
peu la voix de l'Eternité. A l'heure ^où les
spectacles, que ce siècle nous offre de toutes
parts, ont je ne sais quoi d'écœurant, pour ne
pas dire de décourageant, il ne peut être que
— vu —
bon, salutaire et fortifiant de tourner nos
regards vers les perspectives Eternelles. Et,
pour nous, à mesure que nous approchons da-
vantage de ce terme final où tous doivent
aboutir, nous éprouvons de plus en plus le
besoin de laisser dans nos écrits quelques
rayons de cette grande lumière de l'Eternité:
rayons affaiblis par l'infirmité même de cette
parole; mais qui, tout affaiblis qu'ils sont,
pourront encore éclairer quelque peu non seu-
lement ceux qui marchent avec nous aujour-
d'hui, mais encore ceux qui demain mar-
cheront après nous au chemin de cette vie du
temps.
L'ÉTERNITÉ
CERTITUDE DE L'ETERNITE
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D' AUTORITÉ
Ibit homo in domum
œternitatis suce
L'homme ira dans la. de
meure de son Éternité.
(Ecclé. XII. 5J
Monseigneur,
«
Messieurs,
Il y a un mot qui éveille au fond des âmes
humaines les échos les plus profonds, parce
qu'il exprime ce qu'il y a de plus décisif pour la
vie présente, et surtout pour la vie future; un
mot qui, depuis bientôt deux mille ans, retentit
au fond des cloîtres, des solitudes, des sanc-
tuaires, et surtout duhautdenos chaires, comme
la grande révélation de Jésus-Christ et le grand
enseignement de l'Eglise; un mot que, dans
1.
10
CERTITUDR DE L ETERNITE
tous les espaces et tous les siècles, sous des
formules diverses et avec une conviction unani-
me, l'humanité a prononcé; un mot, souverain
et dominateur entre tous les mots, qui a, tout à
la fois, la puissance d'illuminer, d'émouvoir, de
convertir et de sanctifier; un mot, enfin, qui est
la consolation des bons, la terreur des méchants,
qui est tout ensemble le plus grand ascendant
de la parole sacerdotale, et la plus efficace pro-
tection des générations populaires.
Ce mot est celui-là même que je viens de pro-
noncer : Eternité ! Et c'est lui qui va retentir
surtout pendant nos saints exercices.
Ce mot répond, en l'expliquant et en le com-
plétant, à un autre mot qui a retenti dans cette
même enceinte, en une circonstance pareille:
La Destinée (1).
Nous l'avons démontré : nous avons une Des-
tinée, et cette Destinée, c'est Dieu même, Dieu
possédé par l'homme arrivé au terme de sa vie.
Sur ce point déjà votre conviction est faite, et
nous n'avons pas à y revenir.
Mais ici se pose la question grave entre
toutes : Cette Destinée, doit-elle finir, ou
(1) Voir ha. Destinée. Retraite de Notre-Dame,
léqui, rue de Rennes, 85. Paris.
chez
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D' AUTORITÉ 11
bien,doit-elle durer toujours? End'autres termes:
la Destinée humaine est -elle Éternelle?
Ge voyage, que nous accomplissons à travers
le temps, à quoi doit-il finalement aboutir ? Se-
ra-ce à une autre station du temps , ou bien
sera-ce à l'Eternité? Tout nous répond avec
VEcclésiaste: Y Eternité. Oui, l'homme, au sortir
de la vie du temps, entrera dans la maison de
son Eternité ; ibit homo in domum œternitatis
suœ (1).
Ce que c'est que l'Eternité considérée en elle-
même? Quelle est. vis-à-vis d'elle, notre vraie
situation? Quelle influence elle exerce même
sur notre vie du temps? Ce qu'elle réserve, dans
l'autre vie, aux élus et aux réprouvés? Ce
qu'elle est par rapport au bonheur des uns et au
malheur des autres? Ce n'est pas ce que je me
propose dédire aujourd'hui. Ce que je veux éta-
blir, avant d'entrer dans le fond de ce mystère,
c'est la pleine certitude de l'Eternité, c'est-à-
dire d'une durée sans fin, considérée comme
terme final de notre voyage du temps.
Jamais, peut-être, il ne fut plus urgent de re-
mettre devant les yeux cette vérité fondamen-
(1) Ecclé. XII, 5.
12
CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ
taie, sans laquelle le mystère de la vie humaine
et de la Providence divine reste incompris. L'E-
temel offusque et déconcerte la libre pensée
contemporaine; et elle détourne, autant qu'elle
peut, les yeux des perspectives qu'ouvre devant
elle l'Éternité , ou l'Éternel avenir.
Raison décisive pour mettre dans sa pleine
lumière cette vérité, que trop volontiers on re-
tient dans l'ombre, alors même qu'on n'ose la
nier tout à fait : Il y a une Éternité.
Pour bien établir cette vérité préliminaire et
fondamenlale en ce sujet, je me propose d'évo-
quer deux témoignages, qui se répondent et se
complètent : le témoignage du dehors et le té-
moignage du dedans; en d'autres termes, le té-
moignage de Y autorité et le témoignage de Yâme;
c'est-à-dire les voix qui parlent en dehors de
nous, et les voix qui parlent au dedans de nous.
Pour ne pas trop exiger de votre bienveillante
attention, je me borne aujourd'hui à vous faire
entendre les voix du dehors, ou le témoignage
d'autorité, témoignage en ce sujet absolument
irrécusable.
Or, deux grandes autorités se rencontrent ici
dans l'affirmation d'une même vérité, c'est-à-
dire dans l'affirmation de l'Eternelle vie: le té-
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D' AUTORITÉ 13
moignàge du Christianisme, et le témoignage de
l'Humanité; ce qui revient à dire: le témoignage
divin et le témoignage humain.
C'est tout ce que je veux montrer dans ce dis-
cours.
Demain, j'essayerai de compléter la démons-
tration en vous faisant entendre le témoignage
del'âme. Etvous verrez commentvous êtes vous-
mêmes,dans le temps,les témoins de votre Eter-
nité.
I
Et tout d'abord, chrétiens que nous sommes,
nous avons à entendre ici le témoignage de
notre Christianisme.
Pour nous, qui professons cette divine reli-
gion, tout ce qu'elle enseigne clairement est
d'une autorité absolument irrécusable, d'une
certitude absolument indéniable.
Or, que le Christianisme enseigne et professe
l'Eternel; qu'il soit, # considéré sous toutes ses
faces, la religion de l'Eternel, c'est ce qu'Userait
à peine nécessaire de démontrer, si des parti-
14
CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ
sans, ou pour mieux dire, des inventeurs d'un
faux Christianisme ne cherchaient à amasser
les nuages autour de cette vérité, par elle-même
si resplendissante de sa propre lumière.
Pour restituer ici à cette vérité devant tous
les esprits toute sa légitime clarté, et rendre la
démonstration aussi complète que lumineuse,
nous considérerons le Christianisme sous ce tripl e
rapport : dans Jésus-Christ, dans V Eglise, dans les
chrétiens. Dans Jésus-Christ, auteurdu Christia-
nisme; dans l'Egiise, organisation du Christia-
nisme; dans les chrétiens, disciples du Christia-
nisme, c'est-à-dire le Christianisme considéré
dans son Chef, dans son corps et dans ses
membres.
Et vous allez voir comment, vu sous ce tri-
ple aspect, le Christianisme est bien ce que je
viens de le nommer, la religion de l'immortel
et de l'Eternel, et que, par conséquent, tous ceux
qui se proclament chrétiens ne pourraient sur ce
point, sans une contradiction monstrueuse, hé-
siter une minute.
I* Ecoutons, avant tout, le témoignage de
Jésus-Christ, fondateur et chef du Christianisme.
Tout ce qu'a dit et enseigné ce divin Révéla-
teur est pour nous la vérité, rien que la vérité.
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'ACTORITÉ 15
Jésus-Christ a dit de lui-même : « Je suis la
vérité. Ego sum veritas. Il est le Verbe de Dieu;
il est l'affirmation divine elle-même; il est l'in-
faillibilité incarnée. Si donc Jésns-Chist affir-
me la vie étemelle, force nous est de l'affirmer
avec Lui.
Or, ce Verbe divinement infaillible, en je ne
sais combien d'endroits de son Evangile, affir-
me l'Eternité ou l'Éternelle vie. L'Eternité est au
fond de toutes les paroles qu'il prononce, de
toutes les promesses qu'il fait, de toutes les
espérances qu'il donne. Quedis-je? Il s'identifie
lui-même avec cette Eternité qu'il affirme et
qu'il promet. En sorte que, ôter de son ensei-
gnement l'affirmation de la vie Eternelle, ce
n'est pas seulement scinder et mutiler sa doc-
trine, c'est le scinder et le mutiler lui-même ,
c'est, en un mot, l'anéantir avec son Evangile
tout entier. Car, cette affirmation de la vie éter-
nelle, ou de l'Éternité réalisée en Lui, c'est tout
le contexte de l'Evangile.
Ecoutez, Messieurs, quelques-unes de ses pa-
roles si pleines d'immortalité.
Jésus parle de son propre enseignement, et il
dit : « En vérité, je vous le dis : quiconque en-
16
CERTITUDE DE L ETERNITE
« tend ma parole et y croit, a la vie Éternelle;
« habet vilam œternam(l). »
Parole prodigieuse qui jamais ne s'est posée
sur les lèvres d'un homme. Qui donc osa jamais
promettre, comme récompense de la foi à sa pa-
role, l'Éternité de la vie?
Jésus proclame le dogme mystérieux de la di-
vine Eucharistie, et il dit et répète à plusieurs
reprises :
« Je suis le Pain vivant descendu du ciel :
« Celui qui mange de ce Pain vivra Éternelle-
« ment, in œternum. Oui, celui qui mange ma
« chair et boit mon sang, aura la vie Eternelle,
« vitam œtemam\ et je le ressusciterai au dernier
« jour, parce que celui qui mange ce Pain vivra
« Élernellement,vivet in œternum (2).» Et il dit et
redit encore la même affirmation, afin que
l'ombre même d'un doute ne puisse demeurer
sur ce point.
Comment, en effet, en présence de cette insis-
tance à affirmer l'Eternité de la vie, comme le
fruit du grand mystère Eucharistique, comment
concevoir sur la vraie pensée de Jésus-Christ le
moindre doute? Si, par ces paroles il n'a pas
(1) (Jean, V. 24)
(2) (Jean, VI, 27-55)
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'AUTORITÉ 17
voulu nous garantir l'Eternité de la vie, ou la
vie sans fin; alors, on se demande ce qu'il a
voulu dire'Et l'on se demande.enmême temps,
de quels termes plus clairs et plus précis il
aurait pu se servir, pour nous en donner par sa
parole la divine assurance?
Jésus-Christ fait, dans sonEvangile,de notre
Éternelle vie une autre affirmation, qui, pour
être implicite seulement, n'en est pas moins
claire; car il affirme l'identification de la vie
de ses disciples avec sa propre vie.
Que Jésus-Christ ait affirmé lui-même l'Eter-
nité de sa propre vie, c'est ce qu'il serait super-
flu de démontrer ; il est de toute évidence qu'indé-
pendamment des autres affirmations qu'il en fait >
en affirmant sa Divinité, il affirme son Eternité.
Comment concevoir qu'il s'affirme lui-même
Dieu, sans s'affirmer en même temps Eternel?
La divinité sans l'Eternité, c'est la contra-
diction même.
Eh bien, cette vie personnelle, il l'identifie
avec la vie des siens, ou plutôt, il identifie la vie
des siens avec sa propre vie. Il dit : « Je suis
la vigne, et vous êtes les rameaux .Ego sum
vitis, vos palmiles (1). Or, la vie de la vigne et la
(1) Jean. XVI, I.
18
CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ
vie des rameaux ne sont pas deux vies, mais
une seule vie. Donc en affirmant l'Eternité de
l'une, il affirme l'Eternité de l'autre ; comme
s'il disait : Vous et moi nous sommes un, car
ma vie c'est votre vie. Je suis Éternel; donc
vous vivrez Éternellement.
Jésus se donne comme le bon pasteur, et II
dit : « Je connais mes brebis; elles me suivent;
« et moi je leur donne la vie Éternelle, do eis
* vitam œternam ; et elles ne périront jamais ,
<i non peribunl in œternum (Y). »
Jésus se révèle à la Samaritaine, et il lui dit :
« Celui qui boit de cette eau ( l'eau du puits de
* Jacob), aura soif encore; mais l'eau que je lui
« donnerai deviendra en lui une source qui jail-
« lira jusque dans l'Eternelle vie, salientis in vi-
« tam œternam (2). »
Jésus précise en quoi consiste cette vie Éter-
nelle, et dit : « Cette vie Éternelle est dans la
« connaissance qu'ils ont de vous , ô mon Père,
« et de votre Christ que vous avez envoyé. Vous
« lui avez donné la puissance sur tous les
« hommes , afin que lui-même leur donne la
<*1
(1) Joan x. 27.)
(2) Joan. iv. 13 )
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'AUTORITÉ 19
« vie Éternelle, ut clet eis vitam œternam (1). »
Jésus parle au peuple qui l'a suivi au désert,
non pour voir des miracles , mais pour manger
le pain qu'il lui distribue, et il lui donne ce divin
conseil : « Faites-vous, non un pain qui doit périr,
« mais un pain qui demeure jusque dans la vie
« Eternelle, qui permanet in vitam œternam (2). »
Mais de toutes les affirmations par lesquelles
Jésus-Christ enseigne et garantit l'Eternité de
la vie , la plus décisive, la plus solennelle de
toutes, c'est, sans contredit, celle qu'il met dans
la bouche du souverain Juge au jugement der
nier. Alors le juge dira aux élus : c Venez, les
« bénis de mon Père ; entrez avec moi dans le
« royaume qui vous fut préparé dès le commen-
« cément du monde, c'est-à-dire dans mon ro-
« yaume Éternel. » Et il dira aux réprouvés :
t Allez,maudits,auieu Éternel.» Ecoutez la suite:
« Et ceux-ci iront dans le supplice Eternel; et les
« justes dans la vie Eternelle (3). »
1 Ce n'est pas ici le lieu d'insister sur l'Éternité
de la peine, d'ailleurs si clairement affirmée par
cesparoles ; je me contente de dire, en demeurant
(l)îJoan. xvn,(2.
(2)jJoan. v. 7.{
(3) Matth. xxv. 46.
20
CERTITUDE DE L ETERNITE
dans le sujet présent , que Jésus-Christ affirme
aussi clairement et aussi solennellement que
possible, pour tous les hommes, l'Éternité delà
vie. Et, ici encore, ici surtout on peut se de-
mander, étant supposé que Jésus-Christ voulût
vraiment affirmer l'Éternelle vie, de quels termes
plus clairs et plus expressifs il aurait pu se ser-
vir , pour faire cette grande affirmation ?
Ces divines paroles par lesquelles Jésus-
Christ,, dans son Evangile, affirme l'Éternel et
l'immortel, pourraient beaucoup plus se multi-
plier. Ces citations suffisent pour mettre dans
une pleine évidence, sur l'Éternité de notre vie
par delà notre tombe, la pensée du divin Révéla-
teur. Il faudrait, pour tout dire, citer l'Evangile
tout entier, l'Evangile que volontiers je nomme-
rais la divine et universelle affirmation de l'Éter-
nelle vie par le Verbe infaillible.
C'est qu'en effet l'Eternité affirmée par le Verbe
divin, c'est le fond de l'Evangile. Elle est au
commencement , au milieu et à la fin de tout son
enseignement; elle y perce à travers toutes ses
paroles. Et non seulement il la porte sur ses
lèvres divines; il la montre en lui-même; il fait
de son propre cœur l'habitacle vivant de l'Éter-
nelle vie; il s'en constitue lui-même le centre;
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D" AUTORITE 21
car, cette vie, dont il affirme et affirme encore
l'Eternité, n'est autre que lui-même. « Je suis
« venu , pour qu'ils aient la vie ( ses disciples) et
* qu'ils l'aient avec abondance, veni utvitam ha-
« béant etabundanliushabeant; et cette vie, c'est
« moi-même; moi la résurrection et la vie. Ego
« sum resurreclio et vita » ; la résurrection après
laquelle il n'y a plus de mort, la vie qui n'aura
pas de fin.
Voilà, Messieurs, par rapport à l'Eternité , la
grande et souveraine affirmation de notre Chnst-
Yérité.
Dès lors, si l'on suppose un moment que l'Eter-
nelle vie n'est qu'une chimère , si l'on admet que
toute vie humaine meurt à la limite du temps,
ou que par delà notre tombe elle s'arrête à un
point quelconque de la durée; dans cette hypo-
thèse, que devient d'un bout à l'autre tout notre
Evangile, si ce n'est une suite d'énigmes,
toutes plus incompréhensibles les unes que les
autres, un obscur labyrinthe où les contradic-
tions se croisent avec les contradictions? Et
Jésus-Christ lui-mème,que devient-il? Non seu-
lement il n'est plu s un Dieu,il n'est plus mêmeun
homme, un homme en possession de sa raison;
22
CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ
car, il fait lui-même sur lui-même des affirma-
tions inouïes, insensées, incohérentes.
Ainsi, pour nous, chrétiens, pour nous qui
croyons d'une ferme foi à l'infaillibilité de notre
i dmn Révélateur, sur ce dogme fondamental le
moindre doute ne peut être permis ; et , même en
taisant abstraction de toute autre autorité, nous
ne pourrions ni ne devrions hésiter.
Dès lors, que penser de ces semi-chrétiens je
devrais plutôt dire de ces faux chrétiens , qui
sur une vérité cent fois répétée par notre Christ
infaillible, semblent ne pouvoir prendre leur
parti, et à l'absolue affirmation de Jésus-Christ
opposent, si ce n'est des négations, au moins
des hésitations, que je ne crains pas de
nommer antichrétiennes.
Que penser de ces chrétiens qui croient pou-
voir choisir entre un dogme et un dogme révélés
par ce Christ.dont ils se proclament encore les
disciples; acceptant l'un et repoussant l'autre,
selon l'accord ou le désaccord qu'ils croient y
voir avec leur infirme raison ; faisant ainsi,à leur
gré.d'un côté sa part au Verbe divin, et de l'autre
sa part à leur verbe humain; c'est-à-dire à
leur propre pensée.
Que dire aussi de ceux qui distinguent dans
TÉMOIGNAGES DD DEHORS OU D'AUTORITÉ
23
leur croyance entre une Eternité et une Eternité?
Consentant à croire à l'Eternité de la récompense
et se refusant à croire à l'Eternité du châtiment;
alors que le divin Révélateur affirme l'une et
l'autre avec une même force et une même clarté.
J'arriverai bientôt, Messieurs, à ce dogme re-
doutable de l'Eternité delà peine, qui est parti-
culièrement le scandale des intelligences con-
temporaines.
Pour le moment, je n'aborde pas ce point. Je
mécontente d'affirmer avec Jésus-Christ l'Eter-
nité delà vie ; et vous tous, chrétiens que vous
êtes, de par l'autorité de ce Christ, divinement
infaillible, j'ose vous sommer de l'affirmer avec
moi, sous peine de renoncer à votre foi, d'abdi-
quer votre Christianisme et d'outrager Jésus-
Christ
Ah ! tous ici , je crois vous entendre faire sortir
de vos âmes illuminées par ce Verbe divin, votre
adhésion unanime à son infaillible parole , et
chacun de vous dit avec moi et comme moi :Je
suis chrétien; et comme tel, je crois à la parole
de mon Christ affirmant l'Eternité.
'Voyez comme sur ce point la parole de l'E-
glise notre Mère s'accorde divinement avec la
parole de Jésus-Christ notre Chef.
'-4 C15UTITDDE DIS l/b/TGttNlTL:
2° Avec l'infaillible voix du Christ , mon
Maître, j'aime à entendre aussi, sur ce point si
décisif, la divine voix de l'Eglise ma Mère.
L'Eglise existe pour être dans l'humanité en-
tière l'écho partout et toujours retentissant de
la voix du Verbe divin. Donc, puisque Jésus-
Christ a dit un jour : Eternité, on doit s'attendre
à ce que l'Eglise redise partout et toujours, com-
me un écho fidèle : Eternité. C'est, en effet, ce
que l'Eglise n'a cessé de faire, depuis que le
Verbe incarné lui a dit, dans la personne de ses
apôtres : » Allez, enseignez les nations. Qui vous
« croira sera sauvé;, et qui ne vous croira pas
« sera condamné. »
Depuis ce jour-là, une -voix retentit dans les
espaces et les siècles, comme jamais voix n'a
retenti sous le ciel ; c'est la voix de l'Eglise ca-
tholique : grande et solennelle voix, qui ne se
tait ni jour ni nuit ; parce que, comme elle parle
à tous les points que le soleil éclaire, elle parle
aussi à tous les instants que le temps nous me-
sure.
Eh' bien! queditcette incomparable voix? Elle
dit,avec la pleine certitude de ne pas se tromper :
«Je croisa la vie Éternelle.» Credo vitam œlernam.
Oui, l'Eglise, ma divine Mère, dit partout et
TEMOIGNAGES DU DEHORS OU D AUTORITE A>
toujours cette parole, avec une autorité que n'a
sur la terre aucune autre parole. Son espérance
est pleine d'Immortalité; et elle proclame, sans
hésitation aucune, le grand dogme de l'Eter-
nité.
Comment? Par son Symbole, par son culte, par
ses fêtes „ par ses sacrements , par ses cérémonies ,
par sa prédication.
Et d'abord, YElernité, c'est le grand mot de
son Symbole. • '
Au commencement de ce Symbole, elle pro-
clame l'origine de toute créature par l'action de
Dieu Créateur : « Je crois en Dieu le Père tout-
« puissant, Créateur du ciel et de la terre. Crea-
torem Cœli et terrœ. Et, à la fin de ce même Sym-
bole, elle proclame la vie Eternelle de l'homme
sa créature. Credo vilam œternam.
Ainsi, de ces deux grands mystères du com-
mencement et de la fin, elle fait deux dogmes
fondamentaux : ou si vous voulez, de ces deux
grandes énigmes, elle fait deux grandes affirma-
tions; et nous pouvons ajouter les deux grands
flambeaux qui éclairent, d'une double clarté,
toute la route de l'humanité, et la fixent sur
les deux points les plus décisifs de toute la vie:
l'Origine et la Fin.
2
26
CERTITUDE DE L 'ÉTERNITÉ
Les philosophes, incertains et troublés entre
ces deux mystères, viennent et disent : Après la
vie du temps, y a-t-il une Eternité? L'Eglise
répond : Credo vitam œternam.
Autour d'elle, les systèmes, les écoles, les aca-
démies posent des questions et encore des ques-
tions. De toutes parts on suscite des doutes et
encore des doutes ; on risque des hypothèses et
encore des hypothèses : L'homme, par delà
sa tombe, doit-il vivre encore? Et s'il vit, quelle
sera cette vie? Quelle sera sa nature? sa durée?
sa condition?
Ainsi, sur ce mystère de l'avenir, on doute,
on hésite, on discute, si l'on ne nie tout à fait.
Eh bien! sur cette vérité exceptionnellement
grave, l'Eglise ne doute pas, n'hésite pas, ne
discute pas. Sur ce point, elle ne pose pas de
question; elle pose son universelle, perpétuelle
et souveraine affirmation : c Je crois à la vie
Eternelle. Credo vitam œternam. »
Tel est, au point de vue où nous sommes,
l'enseignement dogmatique de l'Eglise : l'Eter-
nité y est le dernier mot de son Symbole, comme
la création en est le premier ; et ce dogme est
dans l'Eglise vraiment souverain et absolument
fondamental.
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU l/AUTORITÉ 27
Aussi, à ce dogme divinement révélé l'Eglise
ne permettra jamais que l'homme porte la main.
Quiconque devant elle osera dire cette parole
impie:/? n'y a pas d'Eternitél quel qu'il puisse
être, consul, roi, empereur, maîtredu monde en-
tier,il verra tomber sur sa tête cette foudre.qui va
frapper l'erreur partout où elle se pose ; et cette
foudre dira, en frappant l'erreur qui nie et l'im-
piété qui blasphème : Anathème).. Moi, l'Eglise
Catholique, organe officiel de mon Christ-Dieu,
écho fidèle de son infaillible voix, j'affirme avec
lui et comme lui l'Eternité de la vie ; et, pour la
défendre contre toute erreur, je suis prête à
verser même le plus 'pur de mon sang.
L'Eternité! Ce n'est pas seulement ce que pro-
clame notre 'Symbole; c'est encore ce que pro-
clament nos fêtes, c'est-à-dire les manifestations
publiques et solennelles de notre dogme. Ces
fêtes, en sffet, toutes pleines d'une éclatante lu-
mière, semblent instituées tout exprès pour
nous rappeler, à nous exilés dans le temps, le
souvenir de notre Éternelle patrie. Quelques-unes
ici nous tiendront lieu de toutes.
Que nous dit l'aurore brillante de la Résurrec-
tion 1 ? Elle nous dit qu'associés à la vie de notre
Christ ressuscité, c'est-à-dire de ce Christ « qui
28
CERTIT0DE DE L ETERNITE
ne meurt plus »,le sépulcre ne doit pas nous dé
vorer tout entiers, et qu'unis à sa propre immor-
talité, nous ne traversons l'ombre de cet empire
de la mort que pour rejoindre notre Maître glo-
rifié au séjour et dans la gloire de l'Immortelle
vie.
Que nous dit encore notre Mère, l'Eglise ca-
tholique, dans la fête non moins radieuse de
Y Ascension, alors qu'elle nous montre le divin
Réparateur, après son œuvre accomplie sur la
terre, remontant au ciel, et allant s'asseoir sur
son trône Éternel à la droite de son Père? Que
nous dit-elle, si ce n'est que, nous aussi, nous
serons près de lui assis sur des trônes Éternels ?
Et que veut dire le divin Maître lui-même , alors
qu'annonçant à ses disciples son retour vers son
Père, il ajoute : « Je vais vous préparer une place ;
« Vado parare vobis locum '? »
Pouvait-il nous dire d'une manière plus
expressive que notre place réservée, notre lieu
prédestiné, notre vraie patrie à nous, voyageurs
du temps, n'est autre que l'Eternité elle-même,
l'Eternité pendant laquelle il doit régner dans
la société de tous les siens, unis et incorporés à
son immortelle vie?
Ce que je dis de ces deux fêtes si pleines d'es-
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'AUTORITÉ 29
pérance et d'immortalité, je pourrais le dire de
bien d'autres fêtes encore, par exemple, de Y As-
somption de la Mère de Dieu, associée à l'Eter-
nelle gloire de son divin Fils ; et de la fête de la
Trinité, dans laquelle l'Eglise nous montre au
fond du ciel, comme notre suprême félicité, l'E-
ternelle possession du Père, du Fils et du Saint-
Esprit.
Mais, parmi toutes ces belles fêtes de l'Eglise,
il en est une qui mieux encore que toutes les
autres, jette sur l'Eternité une lumière éclatante,
et mieux que toutes les autres, ouvre devant nous
les perspectives Éternelles : c'est la fête de la
Toussaint. Ce jour-là, parée comme une épouse
pour l'heure de ses noces, l'Eglise montre à tous
ses enfants de la terre tous ses enfants du ciel,
et elle nous dit : Comme vous, ils ont connu les
jours mauvais de l'exil; comme eux, si vous le
voulez, vous jouirez des jours heureux à&YEter-
nelle patrie. Ils ont été ce que vous ètes,livrés aux
luttes et aux épreuves de leur vie passagère: vous
avez la vocation d'être un jour ce qu'ils sont,
c'est-à-dire, après les combats du temps, cou-
ronnés d'une gloire Éternelle. Dans cette fête,
plus que dans toute autre, l'Eglise chante par-
toutes les voix qu'elle fait retentir : Eternité!
2.
30
CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ
Eternité dans la vision.l'amour et la possession
Et ce qu'elle chante ce jour-là, d'une voix
Pleine de joie et d'allégresse, elle le chante le
«demain, d'une voix pleine de soupirs et de
tnstesse; car elle fait entendre la voix plaintive
de nosfrerestrépassés.appelant, par d'ineffables
gémissements, l'heure où ils pourront s'envo-
l d " ; U t leUrS souff ^ces transitoires au
paradis des Eternelles joies.
Ainsi , l'Eglise par la voix de toutes ses fêtes
nous crie à toutes les étapes du temps : Il y a
une Eternité. J
Et n'est-ce. pas aussi ce qu'elle nous révèle
ot nous enseigne par la voix de ses Sacrements ?
Que fait l'Eglise par le Baptême? Elle dépose
dans l'âme de l'enfant les germes de la vie sur-
naturelle, c'est-à-dire de la vie même de Jésus-
Christ, donc d'une vie Eternelle. Elle lui infuse
lafoi à 1-Eternel, l'espêrancede l'Eternel, l'amour
de 1 Eternel, c'est-à-dire de Dieu même; et elle
dit à l'enfant régénéré : Va, et porte jusqu'au
bout, à travers les luttes du temps, ce triple
trésor de ta foi.de ton espérance et de ta charité
jusqu'à ce que tu arrives à l'Eternelle vision à
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'AUTORITÉ 31
l'Eternel amour et à l'Eternel embrassement de
ton Dieu.
Par la Confirmation, que fait l'Eglise? Elle,
affermit le chrétien dans la voie où il est entré;
elle l'arme pour les combats de cette vie , en lui
promettant l'Eternelle couronne des vainqueurs;
elle lui donne la force de renverser tous les
obstacles qui l'empêchent de conquérir son
Eternelle Destinée.
Par la Pénitence, que fait l'Eglise? Elle relève
le chrétien déchu de la dignité et de la gloire de
son baptême; elle le purifie des souillures que
lui ont laissées la poussière et la fange de cette
route du temps; et elle lui rend cette robe d'in-
nocence, nécessaire pour entrer dans l'Eternelle
demeure des anges.
Dans Y Eucharistie , que fait pour le chrétien
l'Eglise notre Mère? Elle entretient et augmente
de plus en plus la vie reçue dans le Baptême;
elle refait de station en station, par un aliment
divin, ses forces défaillantes, afin qu'il puisse
arriver à la demeure de son Eternité ; et elle lui
dit, en déposant sur ses lèvres l'hostie sainte :
« Que le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ
« garde votre âme pour la vie éternelle.» Et
ainsi, elle renouvelle sans cesse la promesse
32
CERTITUDE DE L'É'l B8NH É
de 1 Eternité faite par ] e Sauveur lui-même.
Dans le sacrement de Mariage, l'Elise appose
à 1 union des époux .comme un sceau Etemel.
Elle les enchaîne l'un à l'autre par un lien
mdissoluble,ann qu'unis dans tout leur voyage
du temps, ils marchent la main dans la main
jusqu au jour sans fin de leurs noces éternelles'
1 JL l l ëraM Sacrement Qui constitue
ord re sacerdotal, ne voyez-vous pas comme
1 idée de l'Eternité entre, ici encore, dans le fond
du mystère? Comme tout, dans la consécration
du prêtre, parle de vie Eternelle? Et comment
1 Eglise, en imprimant dans son âme un carac-
tère que ni le temps ni l'Éternité ne pourront ef-
tacer, lui dit cette parole solennelle : « Vous
êtes prêtre, et c'est pour l'Eternité; tu es sa-
cerdos in œternum ?»
Mais de tous les Sacrements.celui qui parle le
plus explicitement d'immortalité et d'Eternité
CestleSacrementd'Extrème-Onction.C'estalors'
alors surtout qu'aux clartés du flambeau fu-
nèbre, se découvrent aux yeux du mourant les
horizons Eternels. C'est alors que ce Christ qui
ne meurt plus, vient à lui pour être son via-
tique, et l'accompagner des rivages du temps
aux rivages de l'Eternité.
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'AOTORITÉ
33
Ainsi,par ses sacrements comme par ses fêtes,
l'Eglise nous dit et nous redit : Eternité.
L'Eternité! c'est la voix de notre culte aussi :
voix de nos temples et de nos autels; voix de
notre sacrifice et de nos cérémonies; voix de
toutes nos prières et de tous nos chants.
Le temple catholique,qu'est-ce donc,si ce n'est,
dans le temps,comme un vestibule de l'Eternité ,
une sorte de station de cette vie passagère, où
nous nous arrêtons pour méditer les années
Eternelles? Avec son attitude religieuse et son
austère recueillement,de quoi nous parle même,
en son silence, cet édifice étranger par sa forme
à tous les usages de cette vie du temps, si ce
n'est de l'Eternité , et encore de l'Eternité?
Et l'autel , qu'est-ce pour nous, si ce n'est le
lieu trois fois auguste où s'offre.dans un perpé-
tuel sacrifice.le prix de' notre salut Eternel? Et
que venons-nous chercher au pied de cet autel,
par la participation à ce divin sacrifice, si ce n'est
la garantie de cette vie Eternelle scellée par le
sang du Sauveur?
Nos cérémonies religieuses elle-mèmes sont-
elles donc autre chose, aux regards de tous,
qu'un spectacle anticipé des splendeurs de la
34
certitude m i/kternitè
Cr,"Z^' éS - - «™.. nos
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chrétienne neTe L;' S - M m0 '' '" Prédlcati <">
«nntir Mmme ItZZJZ^T "'-
«-^ondred^ttetrotrrS
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'AUTORITÉ 35
frayeurs , elle ne manquera jamais de vous en-
voyer, avec ce mot, de nécessaires avertisse-
ments.
3° Ainsi, l'Eglise catholique, qui est le corps
mystique, ou la vie du Christ organisée dans
l'humanité, parle comme son divin Chef; ce
que la tète affirme est affirmé par tout le corps.
Et nous pouvons ajouter que ce qui est
proclamé par le Chef et par le corps, est affirmé
partons les membres du Christianisme, c'est-à-
dire par tous les chrétiens, et plus spécialement
par tous les grands chrétiens, c'est-à-dire l'aris-
tocratie du Christianisme.
Oui, l'affirmation de l'Eternité, c'est l'affir-
mation de tous les chrétiens; sur ce point, il
n'y a pas d'exception; il y a une véritable una-
nimité. Tout ceux qui, pendant nos dix-neuf
siècles de Christianisme,ont fait profession d'être
chrétiens, ont cru au dogme de l'Eternité. Non
seulement ils l'ont cru dans leur âme, mais ils
en ont mis sur leurs lèvres le public témoignage.
Et, quand on vient à se rendre compte du
nombre des baptisés qui, depuis le Calvaire, ont
passé sur la terre; on est en face du plus im-
posant témoignage qu'il soit possible d'ima-
o-iner. Car, tout calcul fait, il n'y a pas moins de
36 CERTITUDE DE L'ÉTEUNITÉ
dix milliards de créatures humaines qui ont
1 dans leur main le drapeau u Cy-
nisme • et toutes ont passe sur la terre en
disant à tous les points du monde catholique.
Nous croyons à la vie Éternelle.
E chose remarquable, c'est parleur action
m feux encore que par leur parole, que tous ces
"ilUards et ce" milliards de chrétiens ont pro-
clamé leur foi unanime à l'Eternité
Cette universelle conviction d un tternei
avenir fut, partout et toujours comme , le pivot
sur lequel a roulé leur vie tout ***«»- ™j£
commencement du Christianisme tous les -chrtr
tiens marchaient en regardant devant eux es
perspectives de l'Éternelle vie : tous invanable-
S gardaient dans le présent, en face de leur
avenir, cette attitude sublime dont parlele pieux
auteur de limitation : « Debout sur les choses du
! temps et contemplant les choses éternelles,
Xaisleschretiei^^^s^
?ou 'môme dans leurs plus grandes défection»
ont gaTdé la foi à l'Eternel avenir; et l'histoire de
ÎBgUse ne raconte pas un seul exemple dune
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'AUTORITÉ 37
hérésie ou d'un schisme supprimant de son sym-
bole le dogme de l'Eternité, sauf cette universelle
hérésie qui se nomme rationalisme, et qui est
la négation totale du Christianisme. Mais, tout
ce qui est demeuré chrétien, à un titre et à un
degré quelconque, a professé l'Eternité de la vie.
Parmi ces milliards de chrétiens , il en
est qui ont proclamé avec plus d'éclat leur foi à
l'Eternel; ce sont ceux qui ont porté plus haut
le drapeau de Jésus-Christ, et qui ont laissé, de
leur passage à travers les siècles, un sillon plus
resplendissant.
L'Eternité, les Apôtres, mais surtout les plus
grands apôtres, à partir de saint Paulet de saint
Pierre, l'ont fait retentir sur tous les rivages du
monde, comme le son de la trompette; et tous les
peuples ont par eux entendu ce mot, qui fut le
plus grand principe inspirateur deleur apostolat.
L'Eternité! Tous nos Martyrs l'ont saluée du
haut de tous les échafauds et du milieu de tous
les amphithéâtres, où ils apparaissaient pour
mourir, et d'où ils entrevoyaient, à travers les
flots de leur sang versé, et à travers la fumée de
- leur» chairs consumées , les Éternelles clartés.
Tous, sous les violences quiles broyaient, tsousles
supplices qui les déchiraient, ont jeté leur sang
38 CERTITUDE DE i/ÉTEBNITlï
en témoignage; et, en facede leurs tyrans et de
leurs bourreaux, ils ont dit et redit cette parole :
Il y a une Eternité ; nous croyons à la vie Eter-
nelle ; nous le jurons par ce sang.
L'Eternité! Tous les grands ascètes, et les
grands anachorètes l'ont méditée au fondde leurs
cloîtres et de leurs solitudes. L'Eternité, ah! ils
l'attestaientparleursaustérités.leurspénitences
et leurs flagellations. Là, au sein de leurs re-
traites parfois les plus affreuses, leur vie de
soixante ou de quatre-vingts ans n'était qu un
perpétuel face à face avec l'Eternité ; et tous les
chantsdontleursvoixettouslesbruitsdontleurs
macérations faisaient retentir leurs solitudes,
n'étaient qu'une longue attestation de leur foi
unanime à l'Éternel avenir.
L'Eternité! Tous les plus illustres Confesseurs
de la foi l'ont attestée depuis bientôt deux mille
ans dans tous les espaces et dans tous les siècles
où a régné le Christ et flotté le drapeau du Caî*
vaire; tous, sans exception, comme les martyrs
eux-mêmes, en face de tous les dangers qui les
menaçaient, ont fait.eux aussi, la profession pu-
blique de leur croyance à l'Eternel; et ils ont
donné.dans une même parole,le témoignage si-
TEMOIGNAGES DU DEHOES OU D'AUTORITÉ 39
multané à la divinité de leur Christ et à leur
propre Immortalité!.
L'Eternité! Toutes les vierges chrétiennes
auxquelles l'Egiise a dressé des autels sur
la terre et que Jésus-Christ couronne de sa
gloire dans le ciel, l'ont professée; et elles l'ont
professée et chantée avec d'autant plus d'en-
thousiasme et de ravissement, que dans la pra-
tique souvent héroïque de leur virginité, ce qui
les soutenait, les encourageait et les ravissait,
c'était l'attente de leur union Éternelle avec le
divin Epoux.
L'Eternité!... Je pourrais dire ici que nos plus
grands hommes et tous les plus illustres génies,
dont la gloire resplendit par de magnifiques
reflets au front de l'Eglise elle-même, les
plus grands de nos philosophes, de nos poètes
et de nos orateurs chrétiens, les Descartes et
les Leibnitz, les Dante et les Milton, les Bossuet
et les Fénelon, et tant d'autres que je ne puis
même nommer, tous ont fait de cette vérité nue
profession grande et éclatante comme leur gé-
nie; et plusieurs parmi eux ont dû à cette idée
de l'Eternel leurs enseignements les plus élevés,
leursaccents les plus éloquents et leurs tableaux-
les plus émouvants
40
CERTITUDE DE L ETERNITE
Mais ceux-là surtout que nous pouvons ap-
peler.à juste titre, les véritables grands hommes
du Christianisme, ceux dont nous environnons
de plus de respect les enseignements et dont les
paroles sont par nous consultées et redites
comme des oracles, les Pères de VEglise, dans
lesquels nous saluons le génie de la philosophie,
de l'éloquence et même de la poésie, nos Cyprien
et nos Ambroise, nos Jérôme et nos Augustin,
puis nos Chrysostome et nos Basile, nos Gré-
goire et nos Cyrille, nos Ephrem et nos Atha-
nase : ah ! ceux-là surtout ont donné au dogme
de l'Eternité le témoignage le plus autorisé, le
plus solennel, le plus éloquent , j'allais dire le
plus sonore et le plus harmonieux .
Tous ces authentiques témoins de la doctrine
traditionnelle du Christianisme, le sont notam-
ment de la croyance à l'Eternité de la vie Si, sous
quelques rapports, des divergences ontpu se pro-
duire entre eux, ils sont sur ce point absolument
unanimes.
L'Eternité! Elle est attestée, enfin, par cette
héroïque lég-ion de Saints qui marche à la tète
de la grande armée du Christanisme, et marque
'fepasàtoute humanité qui veut marcher après elle
et avec elle dans la voie de ses véritables progrès.
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'AUTORITÉ 41
Tous ces saints, élite glorieu se de l'humanité etdu
Christianisme lui-même, apparaissent dans nos
temples portant au front le rayon de cette Im-
mortalité dont, tous ont fait leur règle, leur lu-
mière, leur étoile dans la traversée plus ou moins
orageuse de leur vie du temps. Pas un, en effet,
parmi eux, pas un qui n'y ait marché toujours,
le regard de sa foi fixé sur l'Eternel.
Ainsi.toute cette immense armée de chrétiens,
tousportantdansleurmain le drapeau de Jésus-
Christ, et à leur tète les chrétiens les plus il-
lustres dans le Christianisme, tous ont marché
dans les siècles et marchent encore aujourd'hui
en redisant la parole de leur invincible foi : Nous
croyons à la vie Eternelle; il y a une Eternité!
Vous le voyez, Messieurs, tout concorde ici
divinement pour constituer, en faveur de l'Eter-
nité de la vie : le grand témoignage du Chris-
tianisme, Jésus-Christ, l'Eglise, les chrétiens,
c'est-à-dire le Chef, le corps, et tous les membres.
Donc, quand même, par hypothèse, l'huma-
nité qui ne connaît ni le Christ, ni l'E-
glise, Li les chrétiens, ferait sur ce dogme sous
verain un silence absolu, je n'en dirais pas
moins, appuyé sur ce triple témoigna«e-?^fii:<?do
vitam œternam. Je crois à la vie
42
CERTITUDE DE L ÉTERNITÉ
Je suis le disciple de ce Verbe divin qui af-
firme l'Eternité, et qui veut unir ma vie à son
éternelle vie.
Je suis le fils de cette Mère immortelle, qui
partout et toujours se fait dans l'humanité l'écho
vivant et fidèle de ce Verbe infaillible, et avec lui,
enseig-ne et proclame l'Éternelle vie.
Je suis, en Jésus-Christ et dans l'Eglise, le
frère de ces milliards de chrétiens qui, avec mon
Christ-Dieu et avec l'Eglise ma Mère, affirment
l'Eternel.
Je suis, enfin, membre de ce grand corps du
Christianisme, qui par toutes ses faces mani-
feste et par toutes ses voix révèle l'Eternel.
Et voilà pourquoi, même en dehors de tout
autre témoigmag-e et dans le silence universel de
l'humanité païenne ou non-chrétienne, sans
crainte de me tromper et avec une certitude ab-
solue, je dirais encore avec mon Christ- Dieu,
avec l'Eglise ma Mère et avec tous les chrétiens
mes frères : Je crois à la vie Éternelle. Credo
vitam ϕernam.
Mais, il s'en 'faut bien que le Christianisme
soit seul à affirmer ce dogrne fondamental. Et
vous allez voir comment, sous des formes diverses,
l'humanité universelle parle sur ce point comme
TÉMOIGNAGES DU DEHORS 00 D'AUTOBUS 43
le Christanisme, et comment ici le témoignage
humain répond au témoignage divin.
II
Un moment supposons que, sur le dogme de
l'Eternité, Jésus-Christ , l'Eglise et les chré-
tiens se taisent; le libre-penseur serait-il au-
torisé à nier cette vérité , qu'il prétend être en
désaccord avec la voix de sa raison ?Non, mille
fois non.
Pourquoi? Parce que, même en dehors du
témoignage du Christ, de l'Eglise et des chré-
tiens, c'est-à-dire du Christianisme intégral,
l'humanité entière, sauf quelques rares excep-
tions, rend le même témoignage, et elle aussi
crie de siècle en siècle et d'espace en espace :
«Je crois à la vie éternelle. Voyageuse dans le
temps, je vais à l'Eternité. Je marche sur la
terre comme au lieu de mon exil transitoire,
pour arriver à la patrie, c'est-à-dire à la cité
permanente. Ma vie n'est qu'un court passage;
A\
CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ
et, comme tout voyageur, d'étape eu étape je vais
à ma fin, à ma fin suprême; et tout me dit, au
plus intime de moi-même, qu'une fois venue,
cette fin ne finira plus : donc, je vais à l'Eter-
nité; car, l'Eternité, c'est cela même, c'est la
fin , œlernitas est finis ; et cette fin ne doit plus
finir, est finis sine fine.
Eh quoi ! s'écrie ici le nég-ateur audacieux de
l'Eternel; quoi! l'humanité a dit cela? Oui, l'hu-
manité l'a dit ; et la majesté de son affirmation
défie l'audace de vos nég-ations.
Il est vrai, cette vérité, l'humanité souvent l'a
voilée sous des mythes qui semblent nous la
dérober. Elle l'a variée et diversifiée dans ses
expressions et ses formules; elle l'a altérée
par des rites plus ou moins grossiers. Mais,
jusque sous ces altérations, la vérité se re-
connaît et se fait jour; et, au sein de cette va-
riété et de cette diversité, éclate une admirable
unité, l'unité dans cette croyance unanime :
Il y a une Eternité.
C'est ce que je vais essayer de mettre dans
tout son jour.
Mais, Messieurs, avant d'aller plus loin, il faut
bien entendre quelle est la valeur et quelle est
la portée de cet imposant témoig-nag-e, alors
TÉMOIGNAGES DU UEHOBS OU r>'AUTOR!TÉ 45
qu'il réunit toutes les conditions du témoignage
universel de l'humanité, c'est-à-dire du témoi-
gnage le plus véritablement humain.
11 est de mode, je le sais, dans un certain
milieu, de faire bon marché de ce grand témoi-
gnage humain. Nos libres penseurs trouvent
très simple et surtout très commode de penser
et de dire, qu'avant eux et en dehors d'eux,
toute l'humanité s'est trompée, qu'elle a pris
ses rêves pour la réalité, et que ses croyances, si
permanentes et si universelles qu'on les suppose,
ne sont que les produits de ses ignorances etde
sespassions. Ils disentquedanstousles temps et
surtout dansles temps les plus reculés,l'humanité
s'est plu à se repaître de chimères, pour se con-
solerdes souffrances de son présentpar l'attente
de son avenir, et de tousses malheurs du temps
par la perspective de l'Eternité. Elle a supposé
que pour faire une légitime compensation aux
épreuves de cette vallée des larmes, de cette
terre de l'exil, ce n'était pas trop que l'espérance
d'une patrie Eternelle et d'une Eternité de joie.
De là, dans cette humanité crédule, parce qu'elle
se sentait malheureuse, des hypothèses et en-
core des hypothèses, des mythes et encore des
mythes, des fables et encore des fables. De là
3.
4C>
CERTITUDE DE L ETERNITE
surtout, ce qu'ils appellent volontiers l'hypo-
thèse de l'Eternité ou la grande fable de l'Eter-
nel Avenir. A les entendre et à les en croire,
l'humanité nouvelle, guidée par le flambeau de
la libre pensée, en a fini avec tous ces mythes,
toutes ces fables, toutes ces hypothèses de l'hu-
manité du passé, et elle s'affranchit surtout
de la croyance au sombre dogme de l'Eternité.
Ainsi, de parti pris, la libre pensée, c'est-à-
'dire, en fait, un groupe relativement minime de
l'humanité vivante, récuse ce grand tômoigmage
humain; sans examen et sans discussion, elle
s'inscrit en faux contre toutes les croyances de
l'humanité, et notamment contre sa croyance à
l'Eternité. Prétention d'autant plus étrange,
que répudiant tout témoignage divin, force lui
est de croire au témoignage humain, sous peine
de nier toute certitude et de se précipiter'dans
un scepticisme universel.
Chose remarquable ! Les négateurs à outrance
de tout témoignage divin sont encore les plus
acharnés à démolir l'autorité du témoignage
humain. Et nous, qui sommes les défenseurs du
premier, nous nous trouvons être encore les
seuls défenseurs du second!
Certes, que la libre pensée récuse le témoi-
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D J AUTORITÉ 47
gnage humain , lorsqu'il ne réunit pas les condi-
tions essentielles qui constituent et garantis-
sent son autorité, rien de plus légitime et de
plus admissible au tribunal de la raison hu-
maine; et c'est ce qu'au besoin nous pratiquons
nous-mêmes.
Mais lorsqu'un témoignage humain, quel que
soit son objet, réalise toutes les conditions et
porte tous les caractères qui partout et toujours
ont fondé la certitude; lorsque, par exemple,
ce témoignage ne s'explique par aucun intérêt
humain, par aucun calcul humain, par aucune
convention, par aucune persuasion, par aucune
passion humaine; et surtout lorsque ce témoi-
gnage a revêtu les caractères et offre les pro-
portions qui constituent un phénomène de vé-
ritable universalité' : alors, comment le récuser
sans répudier le sens commun lui-même, ce
génie de l'humanité?
A cette lumière que la raison elle-même pro-
jette ici sur notre sujet, examinons les carac-
tères du témoignage humain attestant l'Eter-
nité ; et voyons ce que peut à ce témoignage
opposer la libre pensée.
Et tout d'abord, il est manifeste que cette
croyance du genre humain à une vie Éternelle,
48
CERTITUDE DE L ETERNITE
c'est-à-dire à l'existence d'une Eternité, réunit
les trois grands caractères distinctifs de cette
universalité qui, en tout ordre de choses, porte
devant la raison et le bon sens le signe au-
thentique de la vérité.
C'est qu'en effet, cette croyance est tout à la
fois universelle dans la dure'e, dans l'espace et
dans l'humanité'; trois proportions, trois carac-
tères qui constituent la véritable universalité.
Oui, cette foi à l'Éternelle vie est tout d'abord
universelle dans le temps ou la durée, Car elle
est la croyance de tous les siècles sans excep-
tion. Cette universalité dans la durée se recon-
naît surtout à ces trois signes authentiques :
l'ancienneté', la perpétuité', l'actualité.
Or, la croyance à l'Eternel porte dans la lu-
mière de l'histoire ces trois signes incontesta-
bles. Ancienne comme l'humanité, elle porte,
avec d'autres croyances, le signe des révéla-
tions primitives ; elle est comme un reflet de la
lumière qui a brillé sur le berceau de notre race;
et, le caractère de sa perpétuité répond au ca-
ractère de son ancienneté.
Depuis six mille ans, la croyance du genre
humain n'a pas changé. Je dis la croyance
du genre humain, non la croyance de tout
TEMOIGNAGES DU DEHORS OU d'aUTOIUTK 49
homme. Sur ce point comme sur tous les
autres dogmes, même les mieux enracinés
dans les générations humaines, il a pu y
avoir des dérogations , et il y en a eu en effet.
Quelques hommes ça et là, comme il arrive tou •
jours, ont pu jeter un désaccord dans l'uni-
versel concert ; mais l'universalité du concert
n'en existe pas moins . Les négateurs de
V Eternel, qui d'ordinaire ne sont autres que les
adorateurs du néant, sont ici, dans la croyance
universelle, ce que sont les monstres dans
la nature; ils dérogent à la loi générale, mais
ne l'anéantissent pas. L'humanité les voit
passer comme ces rares météores dont l'ap-
parition l'épouvante; et, gardant avec une
inébranlable certitude sa foi pleine au dogme
souverain.de l'Éternelle vie, elle leur jette, avec
ses mépris et ses dédains, ses anathèmes et ses
malédictions.
Enfin , ce qui complète, en faveur de la
croyance à l'éternelle vie, l'universalité dans la
durée de ce grand témoignage humain, c'est
son actualité.
Certes, si cette foi à une survivance éternelle
n'eût été qu'une chimère, ou le produit des,, ima-
ginations troublées par leurs propres inven-
50
CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ
tions; l'humanité, depuis tant de siècles, aurait
eu le temps de se réveiller des rêves fantasti-
ques qui lui creaient.au bout de cette vie,la fic-
tion de l'éternelle vie.
Comment se fait-il que, malgré tout ce que
des hommes ont tenté et tentent encore, pour
anéantir dans le genre humain cette croyance
prétendue erronée et chimérique, elle subsiste
et résiste à toutes leurs tentatives? Et, tandis
que ce qu'ils nomment l'idée moderne, la lu-
mière de la civilisation, traverse de plus 'en plus
en tout sens notre monde nouveau; comment
expliquer que ce monde demeure si opiniâtre
dans sa foi à l'Eternel,et que la croyance antique
et séculaire à l'Eternité garde, avec son an-
cienneté et sa perpétuité, toute son actualité?
Ah! que les négateurs- de l'Eternel, qui du
haut de leur dédain transcendant, traitent de
chimère et d'invention humaine cette foi du
genre humain, nous disent, s'ils le savent,
quand et par qui cette croyance a été inventée;
comment cette chimère est entrée dans l'âme
humaine; qu'ils disent, comment à travers tant
de siècles elle a persévéré au sein de cette hu-
manité perpétuellement changeante; comment
enfin, malgré tous les progrès qui, au dire de la
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU n' AUTORITE 51
libre pensée, marquent de siècle en siècle la
marche du genre humain , cette croyance garde,
en plein dix-neuvième siècle, toute sa force et
toute son actualité?
En attendant les révélations nouvelles que
nous promet la libre-pensée, nous continuerons
d'affirmer dans la croyance à l'Eternel, le ca-
ractère de l'universelle durée.
Universelle dans la durée, la croyance à l'Eter-
nel ne l'est pas moins dans l'espace . Comme elle
est de tous les siècles, elle est de tous les peuples
et de toutes les sociétés.
Phénomène vraiment remarquable: sans s'être
ni entendus ni concertés, sans s'être même
ni connus ni rapprochés en aucune manière,
tons ces peuples si différents, et souvent même
si opposés par leurs convictions, leur foi, leurs
principes, leur religion, leurs mœurs, leur ca-
ractère, leurs habitudes, leurs intérêts, et, quel-
quefois même, armés les uns contre les autres
par des antipathies de race, par des haines na-
tionales et des préjugés traditionnels , chose
étonnante, et pourtant véritable, tous ces peuples
se sont rencontrés dans la même croyance à
l'Eternité de la vie. Oui, tous, à travers la dis-
tance et des extrémités les plus lointaines, se
52 CERTITUDE DE L ETERNITE
renvoient d'échos en échos l'universel retentis-
sement d'une même parole, la proclamation
d'une même foi. L'Orient dit comme l'Occident,
et le Midi comme le Septentrion : « Je crois à la
vie Eternelle. »
Déjà nous avons établi la croyance de l'huma-
nité à une vie d'outre-tombe. Nous avons vu
commentràme, par toutes ses aspirations, appelle
une vie future. Mais nous n'avons vu nulle part,
qu'à cette vie d'outre-tombe les peuples aient
assigné une limite quelconque. Tous, sous des
formules diverses, ont attesté que cette vie d'ou-
tre-tombe, succédant à notre vie du temps, est
sans limites dans sa durée, donc éternelle.
Sans doute, tous ces peuples n'ont pas expri-
mé cette croyance avec la précision de notre
langue catholique et théologique. Mais, sous
les formules, les images, les symboles et les ri-
tes par lesquels se traduisent leurs convictions,
la même foi subsiste ; et cette foi unanime affir-
me l'Eternité.
Remarquez-le bien, il s'agit ici, encore une
fois, non delà croyance de tel homme ou de tels -
hommes en particulier ; il ne s'agit pas même
de la croyance de telle ou telle secte philosophi-
que ou religieuse ; il s'agit, comme ensemble,
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D AUTORITE
53
de la croyance des peuples et des sociétés; ce
qui est tout autrement significatif.
En vain on chercherait à nous prouver,
par exemple, que telle secte des Hindous croit à
une sorte d'anéantissement d'outre-tombe; ce
qui n'est pas d'ailleurs réellement démontré, le
Nirwana des Hindous étant plutôt une sorte
d'absorption dans le sein de Brahma, et comme
un retour de l'être humain au centre de l'être
divin ; ce qui diffère tout à fait de la cessation de
l'être, ou de l'anéantissement proprement dit.
Quoi qu'il en soit de ces profondeurs obscures,
où s'égare le génie fantastique de l'Inde; nous
ne leur accorderons jamais de prévaloir, dans
notre pensée, sur les vastes horizons des sociétés
et des peuples tout rayonnants de la lumière de
l'histoire. En admettant qu'il y ait au fond
de ces hypothèses nébuleuses une croyance
réelle à l'anéantissement, et par suite la négation
implicite de l'Eternité de la vie ; il n'y aurait
jamais là que le fait de sectes plus ou moins
restreintes et fragmentaires, à mettre en face
de l'immense fait des sociétés et des peuples,
c'est-à-dire d'un fait, (pour parler ici la langue
de ce temps) à la lettre vraiment humanitaire.
Et l'on se demande, sans pouvoir se répondre,
54
CE11TITUDE DE L'ÉTERNITÉ
par quel intérêt, pour quel but et sous l'aspi-
ration de quelle idée, tous les peuples de la terre
ont pu se rencontrer, et, plus ou moins s'unir
dans la profession d'une croyance, en elle-même
au point de vue spéculatif, la moins accessible à
la raison populaire, et, par ses conséquences pra-
tiques, la plus antipathique aux passions hu-
maines?
Enfin, à l'universalité de ce grand témoignage
dans le temps et dans l'espace correspond, en la
complétant, l'universalité dans l'humanité elle-
même, c'est-à-dire, dans tous les degrés de la-
hiérarchie humaine. J'entends par là que l'huma-
nité, dans toutes ses conditions et toutes ses si-
tuations, rend ici le même témoignage; témoi-
gnage divers 'dan s sa formé et dans son expres-
sion, mais identique dans son fond et sonaffir-
mation.
Je pourrais vous dire et vous montrer longue-
ment que cette foi à l'Eternel, c'est la foi des
grands et des petits, la foi des riches et des
pauvres, la foi des savants et des ignorants, la
foi des princes et la foi du peuple ; et vous ver-
riez avec admiration comment, entre ces diver-
ses catégories que d'ordinaire tant de choses
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU «' AUTORITÉ 55.
divisent , tous se rencontrent dans l'unité de la
croyance à l'Eternel.
Mais il y a surtout dans l'humanité univer-
selle, trois grandes classifications de générations
humaines, que mille choses d'ordinaire séparent:
la Civilisation, la Barbarie, la Sauvagerie.
Or, c'est un fait tout inondé de la lumière de
l'histoire, à ces trois grands degrés de la hié-
rarchie humaine et sociale se rencontre, à la fois,
la croyance à Dieu et la croyance à l'Eternité ;
c'est-à-dire sous des formes multiples, la foi au
Divin et la foi à l'Eternel.
Des voyageurs plus ou moins distraits et des
observateurs plus ou moins superficiels, ont cru
avoir constaté dans quelques peuples, surtout
dans des peuples sauvages ou barbares, l'absen-
ce de cette double croyance. Mais ces peuples,
mieux observés, mieux étudiés, mieux creusés
dans leurs mœurs et dans leurs idées, ont révélé,
même à leur surface, ce qu'ils avaient dans leur
fond, à savoir : la foi au Divin et à l'Eternel.
Quelle est la valeur numériqit,e de ce témoi-
gnage de toutes les catégories humaines se ren-
contrant ici dans une même affirmation? C'est
ce qu'il est impossible de dire avec quelque pré-
cision. Mais, si le nombre des témoins chrétiens
56
CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ
atteint déjà le chiffre que nous avons énoncé,
plus de dix milliards : quel sera le nombre des
témoins humains qui se lèvent du sein de tous
les peuples et de tous les degrés de la hiérarchie
sociale, pour attester la même croyance à l'Eter-
nel ?
Mais cette foi s'est révélée avec plus d'éclat
dans les plus hauts représentants de la pensée
de l'humanité.
Cette croyance à V Eternel, les plus grands
poètes l'ont chantée dans des poèmes consacrés
par l'universelle admiration des siècles, par
des hymnes que toute l'humanité civilisée a pu
entendre, et qui désormais ne se tairont plus.
Lesphilosophes les plus illustres l'ont enseignée
dans des leçons que l'humanité a retenues et
qu'elle est impuissante à oublier.
Les orateurs les plus fameux l'ont proclamée
dans des discours dont les échos d'âge en âge
et de distance en distance, sont parvenus jusqu'à
nous, et lui ont emprunté souvent, avec leurs
plus sublimes inspirations, leurs accents les
plus émouvants.
Tous ces organes les plus retentissants de la
croyance et de la foi de l'humanité : poètes,ora-
teurs, philosophes, ^littérateurs, n'ont fait que
■ v"r"r-
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU d'ADTOBITB 57
donner de siècle en siècle, et d'espace en espace,
une voix plus distincte et plus retentissante a
ce grand témoignage de la hiérarchie humaine
tout entière. Sous ce rapport, il en est de la foi
humaine comme de la foi chrétienne : elle a dans
les plus grands hommes sa manifestation la
plus éclatante.
Je pourrais ajouter que même les sectateurs
d'erreurs célèbres, et jusqu'aux créateurs des
fables et des mythes de l'antiquité, ont confirmé
à leur manière ce témoignage rendu à ce dogme
de l'Eternelle vie, plus ou moins explicitement
proclamé par l'humanité tout entière.
Qu'est-ce, en effet, que les divers systèmes de
métempsycose enseignés par des génies égares,
si ce n'est une altération de la croyance a la
perpétuité de la vie? Qu'est-ce que cette survi-
vance des âmes marchant, de l'autre côte de la
tombe, de purification en purification et cette
migration continue, allant de corps en corps
ou de monde en monde, sous des formes toujours
changeantes? Qu'est-ce que cette tendance mdr-
finie vers une perfection qu'elles ne doivent ja-
mais atteindre? Qu'est-ce que ce voyage éternel
vers un terme où elles ne doivent jamais arri-
ver? Qu'est-ce, enfin, que cette absorption de la
S8 CERTITUDE ÛE L'ÉTERNITÉ
vie passagère dans le sein de Brahma, selon la
pensée des Hindous, si ce n'est une altération de
notre grand dogme de l'Eternité, une affirma-
tion indirecte et voilée, mais réelle et positive
de l'existence, après la mort, d'une Eternelle
vie?
Oui, sur ce point l'erreur elle-même rend
hommage à la vérité. Et nous pouvons ajouter
que la fable parle comme l'histoire.
La fable, en effet, par desfictionsplus ou moins
ingénieuses, a figuré et symbolisé V Eternité des
peines dont nous parlerons plus tard : or, ces
figures et ces images n'étaient autres que la
traduction et la représentation fidèle de la
croyance des peuples à l'Eternel, car l'Eternité
des peines suppose l'Eternité de la vie.
, Rien donc ne manque, et tout s'accorde pour
constztuer.en faveur de l'Eternelle vie,un témoi-
gnage humain, non seulement une fois, mais
trois fois universel, dans la durée, dans l'espace
et dans l'humanité; et c'est d'une voix vraiment
unanime, qu'elle fait entendre l'universel con-
cert de son affirmation de l'Eternité, et que du
fond de tous les espaces, de tous les points de
la durée, et de tous les degrés de sa hiérarchie
elle dit, avec le Christ, avec l'Eglise et avec tous
TÉMOIGNAGES DU DEHOBS OU D'AUTORITÉ 59
les chrétiens, c'est-à-dire avec le Christianisme
tout entier : Il y a une Eternité,
J'aurais pu, sur ce point, multiplier les témoi-
gnages même de l'antiquité païenne, un seul
nous tiendra lieu de tous les autres.
Platon, dans Gorgias, parle explicitement
des douloureux et effroyables supplices qu'après
leur mort les grands coupables souffrent pour
toute l'Eternité (1).
Dauscetexposérapide.esquisséàgraudstraits,
de l'universalité de ce prodigieux témoignage,
nous n'avons pu entrer dans les détails, ni accu-
muler des citations que ne comportent pas les
étroites limites d'un discours. Ppur apporter à
l'appuidenotredémonstrationtousles documents
qu e peuvent fournir les histoires, les littéra-
tures et les religions de tous les peuples., il eût
fallu, non pas un discours, mais un livre, et
plus même qu'un livre. Nous ne pouvions donner
ici qu'un tableau en raccourci de ce grand fait
humain, vu de haut et de loin : l'humanité en-
tière dans sa vie passagère, attestant sa croyan-
ce àl'Eternel avenir; fait immense, resplendis-
sant à travers l'histoire de l'éclat de sa propre
(1) Tôt «si xpovov.
60
CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ
lumière, et, dans son vaste ensemble, sauf quel
ques rares dérogations, absolument incontes-
table.
Assurément, si les limites d'un discours, si
les convenances du lieu et du moment le com-
portaient, j'aurais pu, en résumant tout ce qui
a été écrit sur ce point, déployer à l'appui de
cette démonstration un luxe d'érudition.
"Vous auriez vu clairement, à la lumière de
1 histoire, comment cette croyance à l'Eternel
implicitement etsouvent même explicitement,est
attestée par tous les peuples : Par les Egyptiens ;
par les Aryens, conquérants des Indes; par les
Hindous eux-mêmes; par les Chinois et les Ja-
ponais; par les Mèdes et les Perses ; par les
Grecs et les Romains; par les Etrusques et
les Gaulois ; par les Germains et les Scan-
dinaves; par les Thraces, les Gètes et les Ibères.
Dans les contrées sauvages ou barbares des
tea-ps modernes, la même croyance est professée
par tous les peuples et toutes les peuplades de
l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique; par les Zé
landais,par les Incas, et même par les Patagons"
et les Hottentots, c'est-à-dire les peuples les
plus dégradés.
Et si nous voulions évoquer les noms des peu-
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU d'AUTOUITÉ 61
seurs et des philosophes, dont les doctrines ont
jeté plus d'éclat à travers les ténèbres du Paga-
nisme, il nous faudrait nommer entre beaucoup
d'autres, les Phérécyde, les Pythagore, les Timée
de Locres, les Platon, les Socrate,les Zenon, les
Cicéron, les Sénèque, et les Plotin.
Parmi tous ces peuples et surtout parmi les
principaux représentants des croyances et des
traditions au sein des génération s païennes, un
bon nombre ont formulé explicitement l'idée de
l'Eternité ou de l'Eternelle vie; et tous ont af-
firmé, sous mille formules que je ne puis redire,
la survivance des âmes par-delà la tombe.
Les mœurs, les habitudes des peuples, le
culte des ancêtres et des tombeaux, les céré-
monies sépulcrales, le dépôt des offrandes et
l'immolation des victimes sur les tombes où repo-
saient les corps, etc. , tout cet ensemble de mani-
festations de respect et, si je le puis dire, de
religion des âmes, même après la dissolution
des corps, tout cela démontre avec une clarté
d'évidence qui s'impose à toute pensée, que
tous les peuples partout et toujours se sont ren-
contrés dans la croyance à la permanence de la
vie de l'autre côté de la tombe. Tous ne disent
pas peut-être explicitement : Eternité; mais
4.
G2
CERTITUDE DE L ETERNITE
tous le disent implicitement; car, à cette survi-
vance des âmes par delà le tombeau, nulle part
ou ne pose de limites, ni de restriction; d'où
l'on peut conclure que le toujours de Platon
exprime et traduit exactement la pensée de tous
et l'universalité de la croyance. Encore une
fois, je le répète, il a pu exister sur ce point ca-
pital, notamment dans les philosophes et les
penseurs, des divergences d'opinion , même
des négations : mais ces dissonances laissent
subsister le fait absolument indéniable de îuni-
versel concert.
Ceux d'entre vous, Messieurs, qui voudraient,
par des citations textuelles satisfaire ici leur
légitime curiosité, peuvent sur ce point consulter
les ouvrages spéciaux.
Ici, je me contente, ne pouvant faire mieux,
d'affirmer que ces témoignages existent; et que
ces témoignages établissent avec une irrécu-
sable autorité et une irréfragable certitude, l'u-
niverselle croyance à une vie Eternelle. Les
ombres des doutes, des scepticismes et même
des négations qu'ont essayé d'amasser autour
de cet immense témoignage, quelques rares es-
prits, ne pourront jamais rien pour obscurcir la
lumière qui jaillit de cette univers elle affirmation.
TÉMOIGNAGES DU DEHOBS OU D'AUTORITE o3
Et maintenant, la raison vous demande
avec l'humanité entière : si la vie éternelle n'est
qu'une séduction de notre espérance et une chi-
mère de notre imagination; comment cette foi
a-t-elle pu germer et pousser dans l'humanité
entière ces racines profondes? Pourquoi et com-
ment, une humanité prédestinée au néant, at-
tend-elle avec une si invincible espérance et une
si opiniâtre certitude, la perpétuité de l'être et
l'Eternité do la vie? Comment expliquer cette
conspiration fatale pour l'affirmation d'un même
dogme, si ce dogme est une erreur? Pourquoi
au sein de toutes les sociétés humaines, cette fan-
taisie religieuse qui consisterait à se créer, au
bout de la carrière du temps, ce fantôme d'Eter-
nité capable d'assombrir toutes les clartés et
d'attrister toutes les joies de notre vie d'un jour?
Quel intérêt commun , universel, constant ont
pu avoir les nations.de se tromper sciemment et
volontairement sur un point si grave et si dé-
cisif pour la vie pratique et réelle de l'humanité
entière ?
Ah ! si je nie ma vie Éternelle, ma Destinée
Éternelle, me voici non seulement devant V inex-
plicable, le mystérieux, l'incompréhensible; que
64
CERTITUDE DE L ETERNITE
dis-je? me voici face à face avec l'absurde, avec
l'impossible.
Pour échapper aux étreintes de la vérité
qui nous presse d'affirmer avec le genre humain
l'Eternité de la vie, oserons-nous dire: « — Oui,
si la croyance universelle existe, nous affirme-
rons, nous aussi, ce que l'humanité affirme, et
avec elle nous dirons : Il y a une Eternité; il y
a une vie Eternelle. Mais, si cette croyance n'ex-
iste pas réellement; si ce que nous nommons de
ce nom, n'est qu'une imagination, un rêve, une
hallucination?...» — Quoi ! partout, toujours et
à tous les degrés de la hiérarchie humaine et
sociale, l'humanité dupe de son imagination,
victime d'un rêve, et livrée au malheur d'une
perpétuelle et universelle hallucination? Qui
osera le dire? Qui surtout pourra jamais le
croire? Et qui, mieux que l'auteur d'une telle
supposition, se montre ici victime du rêve ou de
l'hallucination?
Quoi! lorsque, comme on vient de le voir, l'hu-
manité de tous les temps et de tous les espaces
vous dit : « Je crois à une autre vie que cette
vie, et je crois que cette autre vie est Eternelle;
credo!... » Quoi! vous viendrez lui répondre :
Non, vous ne le croyezpas; non, votre prétendue
4.
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'AUTOhlTÉ 65
croyance n'est pas une conviction de votre âme,
c'est un produit de votre imagination, c'est le
fantôme d'un rêve, c'est l'erreur d'une halluci-
nation?
Ah! le rêve éveillé d'un homme malade, l'hal-
lucination transitoire d'un homme et même de
quelques hommes, je comprends. Mais, dans
l'humanité entière, le rêve permanent, l'hal-
lucination universelle, est-ce possible? Comment,
dans tous les s : ècles et dans tous les espaces,
cette humanité, livrée à la fatalité de l'erreur,
a-t-elle pu prendre pour le fond de sa pensée le
spectre de son imagination, et pour la réalité
de sa conviction, son rêve et son hallucination?
Mystère ! mystère plus incompréhensible que
l'Eternité elle-même!
Mais, si vous voulez absolument supposer que
cette croyance universelle à l'Eternelle vie n'ait
pas existé , au moins ètes-vous forcé de recon-
naître que le mot qui l'exprime existe, et, que
l'humanité partout et toujours a nommé VEter-
nile.
Eh bien! Messieurs.si l'Eternité n'est qxi'une
chimère, une imagination, une sorte de spectre
vide que l'humanité s'est créé tout exprès, pour
mieux se tromper elle mème;alorsjelcdcmauili , , i
4.
*<
-M*MI
66
CERTITUDE DE L ÉTERNITÉ
comment a-t-elle prononcé ce mot? Si l'huma-
nité n'a pas réellement cru à l'Eternité, pour-
quoi et comment l'a-t-elle nommée ? Si la foi à
l'Eternel n'a pas été dans son âme, comment
le mot s'est-il posé sur ses lèvres? Comment ce
mot, qui n'exprimerait que le néant et ne ren-
fermerait que le vide, a-t-il pu entrer et s'in-
cruster tellement dans le tissu de toutes les
langues humaines que, sans corrompre le lan-
gage humain, vous ne pourriez l'en arracher?
Ah! dirai-je ici au négateur audacieux de
l'Eternelle vie : vous niez l'Eternel; soit, mais
alors allez jusqu'au bout de votre négation. Niez
le mot aussi, le mot qui, en l'exprimant, la dé-
montre. Vous détruisez le fait immense attestant
la croyance de l'humanité : donc, détruisez la
parole qui atteste le fait, ou croyez à ce qu'at-
testent ensemble le fait et la parole.
Mais non; j'en jure par le témoignage de l'hu-
manité entière; vous n'anéantirez ni l'un ni
l'autre, ni le fait qui explique la parole, ni la
parole qui atteste le fait. La langue despeuples
est faite; l'Eternité est dedans; vous ne l'en
ferez pas sortir; et la parole et le fait disent en-
semble, et diront à jamais : II y a une Eternité.
Ainsi le témoignage de l'humanité demeure
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU D'aOTORTTK 07
appuyé sur des bases historiques que rien , ab-
solument rien, ne saurait ébranler; et il confir-
me magnifiquement le témoignage que rend à
cette vérité le Christianisme par la voix de Jésus-
Christ, de l'Eglise et de tous les chrétiens, re-
disant sous tous les cieux et sur tous les rivages,
le mot simple et profond qui termine et couronne
son Symbole : Je crois à la vie Eternelle. Credo
vitam cpternam.
Ah! Messieurs, quels témoignages que ces
témoignages! Et dans ces témoignages, quelle
incomparable autorité !
Quelstémoignages comparer à celui de Jésus-
Christ: témoignage du Verbe Idivinement infail-
lible; témoignage d'autorité humaine et d'auto-
rité divine? Quels témoignages comparera celui
de l'Eglise Catholique, associée à l'infaillibilité
de son divin Epoux? Témoignage d'une autorité
telle, que l'Eglise même dépouillée de sa divine
autorité serait encore la plus grande autorité
humaine. Quel témoignage que celui de tous les
chrétiens, par des milliards de voix chantant à
tous les bouts du monde le credo de l'Eternelle
vie! Et quels témoins que ces témoins : jamais
tant de vertus et tant de saintetés, tant de dé-
vouements et tant de sacrifices, tant de sciences
H
68
CKRTITUDE DE L ETERNITE
et de génies ont-ils pu donner à une institution
humaine, à une réunion d'hommes quelcon-
que, une telle puissance d'affirmation?
Quels témoignages, enfin, comparer à celui
de l'humanité universelle, affirmant partout, tou-
jours et à tous les degrés, par l'affirmation laplus
spontanée, la plus sincère et la plus désintéres-
sée, l'Eternité de la vie? Et quelle puissance
d'attestation, quelle garantie de vérité et de cer-
titude résulte de ces deux témoignages, du té-
moignage divin et du témoignage humain se
rencontrant dans cette même affirmation : Il y
a une Eternité ! Ah! si de telles autorités et de
tels témoignages pouvaient nous tromper; que
pourrions-nous affirmer encore avec une ab-
solue certitude? Et que nous resterait-il, si ce
n'est de nous précipiter,sans espérance d'arriver
jamais à la vérité certaine, dans l'abîme du doute
universel?
Et pourtant, j'entends dire que des hommes
de ce temps prétendent s'inscrire en faux contre
ce témoignage deux fois auguste et deux fois
démonstratif. Voyous donc ce que vaut ici leur
négation contre cette imposante affirmation.
Que peut opposer à la majesté de ces deux té-
moignages, l'audace de la négation contempo-
TÉMOI&NAGES BU DEHORS OU D AUTORITE
69
raine? Quoi donc? l'autorité de quelques hom-
mes, essayant de se faire par le public démenti
donné à cette double autorité, la célébrité de
l'erreur et l'illustration de l'insolence? Combien
sont-ils, en réalité, les négateurs bruyants de
l'Eternité de la vie? Et pour combien leur témoi-
gnage doit-il compter? Quoi ! un groupe d'hom-
mes contre des milliards d'hommes? Encore une
fois, combien sont-ils, ces hommes qui protes-
tent contre ce grand dogme de l'Eternel, et pré-
tendent avoir raison contre l'humanité entière?
Ah! je le sais, ie bruit qu'ils font au milieu
de nous, facilement peut vous faire illusion sur
leur nombre. Mais comptez-les , si vous le pou-
vez, et vous verrez ce que sont en réalité devant
nos deux immenses témoignages, ces contra-
dicteurs bruyants.
Fussent-ils plus nombreux qu'ils ne le sont,
que vaudrait leur témoignage ? Car , ce
qui doit faire autorité dans le témoignage, ce
n'est pas seulement le nombre des témoins,
c'est leur valeur aussi.
Eh bien! quelle est la valeur, la valeur mo-
rale de ces hardis négateurs de l'Eternelle vie?
Ah! grand Dieu! d'ordinaire, quelshommes!Des
hommes qui, en essayant d'ébranler dans leur
70
CERTITUDE DE L ETERNITE
propre pensée et dans la pensée de tous , ce
dogme souverain de l'Eternelle vie, ont besoin
de se rassurer contre ses menaces : hommes
tristement intéressés à réclamer, au terme de .
cette vie, leur propre néant, et cherchant à se
faire par leur négation, dans les désordres de
leur vie du temps, un rempart contre cette Eter-
nité, dont le regard les trouble et jette l'amer-
tume et la tristesse dans ce qu'ils nomment leur
joie, leur paix et leur félicité.
Ils disent, je le sais, qu'ils rendent du fond de
leur conscience éclairée par leur raison, contre
le doe-mc de l'Eternité, un témoignage désin-
téressé de toute passion. Ils le disent, oui; mais
parviennent-ils à le croire sincèrement eux-
mêmes ? Il est bien permis d'en douter. S'ils
mentent, s'ils mentent aux autres et s'ils se
mentent à eux-mêmes , je ne veux pas le savoir,
et volontiers je consens à l'ignorer.
Mais ce que je ne puis ignorer, ce que je sais
bien, c'est que tout homme, qui par le vice et le
désordre s'éloigne ou se sépare de Dieu, perd le
sens de sa Destinée, de sa vraie liberté, de sa
vraie dignité, et finalement le sens de son Im-
mortalité.
Ce que je sais bien, c'est que l'homme de
TÉMOIGNAGES DO DKHOKS OU D'AUTORITÉ 71
l'orgueil, de l'avarice et de la volupté, cherche
à se créer lui-même contre l'Eternité de sa vie
un intérêt d'un jour.
Ce que je sais bien, c'est que tout grand pré-
varicateur a besoin , pour se trouver à l'aise au
sein de ses désordres, que tout finisse avec ses
plaisirs, sa fortune, sa chair.
Ce que je sais bien, c'est que lorsque dans
l'homme tout se fait jouissance, corps et matière;
alors sa vie tend à se ramasser et à se concentrer
tout entière sur la minute qui passe.
Ce que je sais bien, c'est que tout grand dé-
sordre dans la vie développe dans l'homme un
affreux besoin de finir; tandis que la vie dans
l'ordre, la vie grande, généreuse et pure, cherche
des horizons Eternels et aspire à son Immor-
talité.
Ce que je sais bien, c'est que (sauf de rares
épreuves , que Dieu permet même en des âmes
qui l'aiment), les tentations contre la foi à la vie
Eternelle sont contemporaines des grandes pré-
varications de la vie présente; c'est que le vol et
l'injustice, le sensualisme et la volupté, toutes
les honteuses passions élèvent contre l'Eternité
leurs protestations intéressées.
Ce que je sais bien , enfin , c'est que la mort
72
CERTITUDE DE L ETERNITE
appelle la mort, et que plus une âme par le péché
se donne la mort à elle-même, plus elle gravite
vers le néant qu'elle convoite, et plus elle s'é-
loigne de cette Eternité qu'elle repousse.
Au contraire, plus une âme est dans l'ordre,
la justice et la sainteté, c'est-à-dire plus elle se
sent vivante par son union à la source de toute
vie; plus elle aspire à prolonger et à étendre,
dans le sens de l'Infini, sa vie grandissante.
Oui, plus elle est, par sa perfection et sa pureté,
dans le voisinage de Dieu, plus elle aspire à
s'associer à son Eternité; bref, plus elle se sent
s ainte, plus elle se sent immortelle, c'est-à-dire
prédestinée à l'Eternité de la vie.
Aussi, n'est-ce pas seulement parle nombre,
que le grand témoignage de l'humanité et du
Christianisme en faveur de l'Eternelle vie l'em.
porte sur celui de ses rares négateurs ; c'est en-
core et surtout par la qualité des témoins, par
leur vertu, leur dignité, leur moralité, leur
valeur, enfin.
Rapprochez, en effet, par la pensée, l'huma-
nité qui croit et l'humanité qui ne croit pas à la
vie Éternelle : quelle différence frappante, quel
contraste saisissant!
Tous les sages et tous les vertueux affirment
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU DAUTOK1T1Ï 73
la vie Eternelle et proclament l'Eternité; et tous
les vicieux et tous les pervers, règle générale,
tendent plus ou moins à nier l'Eternelle vie : s'ils
n'arrivent pas tous à la complète négation, tous,
d'ordinaire, en ont la tentation.
Tout ce qu'il y eut dans l'humanité de plus
digne, de plus grand, de plus noble, de plus vé-
nérable salue, de l'autre côté de la tombe, la ra-
dieuse aurore de l'Eternelle vie.
Tout ce qu'il y a de plus abject, de plus vil et
de plus méprisable dans l'humanité, ne voit
après la mort que l'affreux spectre du néant.
Bref, toutes les illustrations de la vertu, de
l'honneur, du courage et du dévouement, sauf,
/s'il en est) de très rares exceptions , ont passé
dans l'humanité en disant par leurs actes comme
par leur parole : Je crois qu'après la mort il y a
l'Eternité de la vie.
Et toutes les célébrités de l'opprobre, delà lâ-
cheté, du vice, de l'égoïsme et de la scélératesse 1 ,
sauf quelques exceptions plus rares encore, ont
passédansl'humanitéendisant : Jecrois qu'aprèà
la mort, il y a le néant de la vie.
Entre ces témoins et ces témoins, entre ceux
qui affirment et ceux qui nient la vie Eternelle,
comment uu instant pourrions-nous hésiter?
5
74
CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ
Donc, quand même (ce qui n'est pas), ces
disciples de la négation égaleraient en nombre
les disciples de l'affirmation, force nous serait
encore d'affirmer avec l'humanité vertueuse, et
de répudier le témoignage de l'humanité perverse.
Oui, même en cette hypothèse, le devoir nous
incomberait encore de croire avec l'humanité
qui cherche, dans sa foi à l'Eternel, le courage
de répudier le mal en embrassant le bien, et de
nous séparer, en rejetant sou témoignage, de
cette humanité qui cherche dans sa foi au néant,
la liberté effrénée de rejeter tout bien en em-
brassant tout mal.
Qu'est-ce donc, quand nous venons à consi-
dérer que la négation de l'Eternel est le fait d'une
minorité infime, c'est-à-dire le fait de quelques
hommes se rencontrant çà et là, à travers les
siècles et les espaces ; tandis que l'affirmation de
V Eternel est le fait de milliards et de milliards
d'hommes ?Qu'est-ce, lorsque aux clartés de l'his-
toire universelle nous pouvons constater qu'en
face du dogme de la vie Eternelle, la négation
c'est une fraction minime do l'humanité, et
que l'affirmation c'est l'humanité entière; l'hu-
manité qui, depuis six mille ans, traverse les
siècles et les espaces en redisant, à tous les
TÉMOIGNAGES DU DEHORS 00 D'AUTORITÉ 75
degrés de sa hiérarchie, par toutes ses voix et
notamment par la voix de ses plus hauts et de
ses plus illustres représentants :
«Je marche dans le temps, où ma vie semble
fuir comme l'ombre; mais je sais que cette vie
passagère me conduit dans la demeure de mon
Eternité; in âomum œtemitatis. »Et,si cette huma-
nité éparse de siècle en siècle et d'espace en es-
pace, pouvait nous apparaître ici tout entière
dans le rayon d'un seul regard, elle nous dirait
comme un seulhomme : « Oui , je le crois avec le
Christianisme, il y a une Eternité; avec lui je crois
à la vie Eternelle : Credo vitam œternarn. »
CONCLUSION
Tels sont, Messieurs, en faveur de l'éternelle vie,
ce que j'ai nommé les témoignages du dehors, le
témoignage de l'autorité : témoignage du Chris-
tianisme tout entier, et témoignage de l'hu-
manité universelle.
J'avais annoncé comme attestant la même vé-
rité, ce que j'ai nommé le témoignage du dedans
70
CERTITUDE DE l/ÉTEHNlTÉ
P^t"tl e> tém ° igUa ^ de ^me humaine.
' etî »t trop pour un seul discours
Bouc, à demain le témoignage de Y âme.
Ne vous étonnez pas si j'insiste sur ce point
1 eœutence de l'Eternité; car, c'est le poinçon!
damental, sur lequel doit s'appuyer to ce "i
nous reste à dire, et sur lequel ne peut plane
même l'ombre d'nn doute ><P'aner
b,s B oinT P d i entre V ° US ' Je Iesu PP°^,u' ntpa S
xnonT' ? ^ P '' 0Pre COmpte > de cet <e dé-
monstration.
Mais ianégation et la répudiation de VEiernel
est. le penchant de ce siècle de matérialisme et
de positivisme; et tous, plus que jamais, vous
av*z besoin de mieux entendre le bien-fondé de
notre croyance à l'Eternité, et l'inanité de ce que
lw opposent les négateurs de l'Eternel
Je dirai donc demain comment l'âme humaine
confirme par son propre témoignage, les deux
augustestemo.gnagesqnevousvenezd'entendre
et comment vous êtes vous-mêmes les témoins
de ce qu'ils vous affirment.
En attendant, ouvrons nos intelligences à la
lumière qui nous vient de ces grands témoi-
gnages. Soyons saintement heureux et fiers de
croire à une vérité qui a de tels témoins, et que
TKMOTWAGES DU DKHORS OU D'AOTOBITÉ 7?
le Christianisme et l'humanité tout entière en-
vironnent de si resplendissantes clartés.
Et, en face de cette Eternité, qui doit être pour
nous la grande préoccupation de notre vie du
temps, imitons l'Eglise, notre Mère. Ne nous
contentons pas de la croire et de la proclamer par
notre, parole; comme elle, cherchons-la par
toutes nos actions et de toutes les manières.
Que veut, en effet, que cherche, qu'amhitionne
l'Eglise par tous les mouvements de sa vie , par
toutes ses entreprises, toutes ses fatigues, tous
ses combats, toutes ses souffrances, toutes ses
victoires, tous ses triomphes? Une seule et même
chose : conduire les âmes, et, si elle le peut,
toutes les âmes au bonheur Éternel, c'est-à-dire
donner à tous un Dieu, un ciel, une Eternité.
Oui, tandis que toutes les institutions hu-
maines visent le terrestre, le matériel et le tem-
porel : seule l'Eglise, dans toutes ses actions,
toutes ses démarches, toutes ses aspirations,
vise le céleste, le spirituel et le divin, l'E-
temel et encore l'Eternel. Cherchez, à travers sa
longue et vaste histoire, un mouvement de sa
vie, un entreprise de son ambition qui ait un
autre objet, un autre but, que cet objet et que
ce but; vous ne le trouverez pas. L'Eglise peut,
CERTITUDE DE L'ÉTERNITÉ
dans soa action, s'appuyer sur les choses du
emp s , mais c'est pour mieux vous élever vers
le choses étemelles. Et, alors même q Z VE
g se apparaît le plus mêlée, par son actton nu
SSTr réalitéS P aSSa ^eset aux évén ment^
nelle: t ^ * m ° nde des réa ^és Éter-
terï et se T^^ P ar «>* action un !
verselle et séculaire, ait eu un autre but et un
autre objectif que ce qui est Eternel, Jama Soh
jamais, vous dis- je . Partout et o^ourst
d le à sa mission, à son Christ et à ell ZZ!l
112' n0D SeUl6ment 6Û m ° nt ^ "rus-
ses enfants, comme elle voya-eurs rl*n*
temps, les perspectives de leurs D°est Les Ft
jjg-jl. elle Ies p u S8e) et, ££**£
cette Ri' •! ■ entmîne aV6C e ^-même vers
t ù lue' f " ^ * miSSi ° n *» leS C0 »^
et ou elle leur prépare avec elle-même „n
triomphe sans fin. un
Enfants de l'Eglise, marchons sur ses
mutons l'exemple de notre Mère. P '
TÉMOIGNAGES DU DEHORS OU DAUÏORITÉ 79
Tout en étantaux devoirs, aux fonctions et aux
labeurs que nous impose cette vie passagère,
marchons-y en regardant l'Eternel, en aspirant
à l'Eternel, en cherchant l'Eternel.
Dès ce soir, retirés dans vos demeures, vous
vous direz, dans le silence des passions et dans
le recueillement de vos âmes : Chrétien, je crois
avec le Christianisme; homme, je crois avec l'hu-
manité, qu'il y a une Eternité. De tels témoins
ne me peuvent tromper. Oui, j'en suis certain,
j'irai dans la demeure de mon Eternité;»!- domum
œtemilatis.
Faites ainsi tous, Messieurs, et déjà vous
vous demanderez en face de Dieu et de vous-
mêmes ce que doit vous inspirer, pour la réforme
pratique de votre vie du temps, cette grande
nensée de l'Eternité. Ainsi soit-il.
EXISTENCE DE L'ÉTERNITÉ
TÉMOIGNAGE DE L'AME
Annos œternos in
mente habui.
J'ai porté dans mon
âme les années éter-
nelles. (Ps. 76, '6.)
Monseigneur,
Messieurs,
Ces paroles qui indiquent plus directement la
méditation des années éternelles,peuvent signi-
fier aussi que nous en portons au fond même de
notre âme l'invincible témoignage.
Nousavonsmontré,dans notre premier discours,
comment l'existence de l'Eternelle vie nous est
attestée par les témoignages du dehors ou les
témoignages d'autorité, notamment par ces deux
grands témoignages que, comme chrétiens et
comme hommes, nous ne pouvons récuser, à
h2
l'éternité
^dateur d/cSS^S t ^ST f* *
coms; et dp +n„c i i. , tt ff"se, comme
E' ce témoigna"» ri., rk • •• Eternel,
«oaement confirm pâ r fe ^7™" "" n ' a!?ni -
manité; témoigne £o ^f* 8 » " e '' H °-
SassSSïS
">« trompe; si ton, l es ch^rtfon^' A %
^ l'Humanitéeiie-méme tont en « 7n e tZS
-namemetrompera-t.eiiean.^EriZn-
TÉMOIGNAGE DE l'aMK
83
chide l'autorité de ces deux témoignages du
dehors, aurai-je aussi la liberté de me sous-
traire à la puissance de ce témoignage du dedans!
Me sera-t-il possible de faire taire cette voix qui
dit au plus intime de ma vie : Il y a une Eter-
nité ?
Oh non ! mille fois non. Quoi qu'il en pût être
de tous les autres témoignages qui attestent
l'Eternelle vie , il en est un qui serait toujours
pour moi absolument irrécusable; c'est celui de
mon verbe intérieur, c'est le témoignage de mon
âme. Donc, dirai-je avec Tertullien :
àme humaine, parais ici comme témoin au
tribunal de la vérité; 6 anima, consiste in média ;
j'en appelle à la simplicité et à la véracité de ton
témoignage : Te simplicem appello.
Je pourrais prendre pour point d'appui de
la démonstration de l'Eternelle vie attestée par
l'âme humaine, ce prineipeposépar Saint Thomas
d'Aquin, à savoir que nul être créé, même dans
l'ordre matériel, ne doit rentrer dans le néant.
Dieu, dit le grand Docteur, a créé les choses pour
qu'elles fussent: Creavil res ut essent. Les élé-
ments même de la nature ne seront pas anéan-
tis, et tout ce qui est subsistera éternellement,
L ETBRN1TÉ
Par l'inébranlable décret rt„ i
vine (1) m de la volonté di-
.y aura ti ansfortnation; il n'y fl „».
««/««««en* de la matière m, , PM ^
subsistera éternelTemlt ' f ° 1S ^ eIIe
^^ïrïrrr de l,âme suit
subsister; comme" 1? * matière doit
elle pas éiernelmnl ? iHus" T^"
dout la nature mèm ZllTl t t SUrt ° Ut '
corruptibilité'Ft^ii-a 7 Ut éIéme nt de
^-iir^::zzz r ce qu ' eiie est >
sens de son immor a^ O , § *? VltaHté le
âme non anéantie 1 Q Ser&lUce W™
sous le ™^?Ïl ) ^ 1,1,,en « ibto . et ^-ant
éternel? " d Un SOmmei * tout à fait
Vue sous cet aspect pl us o én é- a ] m „
d) Contra Gentes. L. iv. c. 97.
TEMOIGNAGE DE L AME
85
immortalité, et comme le témoin authentique
de l'Eternelle vie.
Mais je néglige ce point de vue qui embrasse
toute la création; et regardant l'âme de plus près,
pour la considérer sous ses divers aspects.je veux
essayer de montrer comment par tout, ce qui est
'en elle, l'âme, spontanément et naturellement,
affirme, et par là même démontre l'existence de
l'Eternité.
Ainsi, vous verrez dans une lumière surabon-
dante, resplendir la vérité souveraine de l'Eter-
nelle vie; et, avec la joie intime que j'en éprouve
moi-même, vous entendrez les voix qui parlent
en vous, s'accorder dans une complète harmonie,
avec les grandes voix qui parlent en dehors de
vous.
Messieurs,
Avant d'écouter les voix distinctes, mais har-
monieusement unies de ce témoignage personnel,
il est nécessaire que nous constations d'abord un
S6
l'ktekniïé
fait ou si vous aime, mieux, un phénomène qui
Hoji être la lumière de tout ce discours; ce fait le
vomi : l'âme respire et aspire naturellement l'E-
ternel. Oui, par un phénomène de prime abord
et en apparence contradictoire, l'Eternité est
comme la respiration naturelle de l'âme dans
la vie passagère du temps; et c'est là ce qui
constitue avec son caractère propre sa grandeur
originale : rien de pareil ne se rencontrant nulle
part dans ce panorama des êtres créés dont
I nomme est,par son âme,le roi et le dominateur.
Mais ce que je tiens surtout à mettre dans
une pleine lumière , c'est que, par cette respira-
tion native et spontanée de l'Eternel, l'âme fait
sortir elle-même de toutes ses profondeurs la
plus irrécusable, la plus démonstrative a'tes = .
tation de l'existence de sa propre Eternité
En effet, si (par hypothèse)/ il n'y a pas pour
lame une éternelle vie : alors toutes «es affir-
mations intimes et spontanées de l'Eternel
constituent dans l'âme humaine un fait inexpli-
cable, un effet ou un phénomène sans cause et
sans raison d'être.
II y â plus encore; si l'Eternité n'est qu'une
chimère, la respiration et l'aspiration de l'Eter-
nel par l'âme humaine n'est pas seulement
TÉMOIGNAGE DE L AME
87
un fait sans cause ; c'est une contradiction fla-
grante ; parce que c'est une tendance sans
terme , une aspiration sans objet qui lui ré-
ponde.
C'est ici, Messieurs, veuillez bien le remar-
quer, le fondement solide sur lequel repose toute
la démonstration présente : un fait sans cause
assignable, un phénomène contradictoire, la
contradiction même, la contradiction universelle
inhérente à la nature humaine.
Considérons , en effet , les grands traits qui la
distinguent; examinons les principaux actes
qu'elle produit spontanément, et nous allons
voir comment, si l'Eternité n'existe pas, l'âme
en toutes ses facultés et toutes ses puissances
devient l'inexplicable et le contradictoire.
L'âme pense., et par sa pensée elle affirme
YElemel.
L'âme espère, et elle a l'attente de l'Eternel.
L'âme aime , et elle a l'amour de l'Eternel.
L'âme veut, et elle a la volonté de l'Eternel.
L'âme agit, et en toutes ses actions elle cher-
che l'Eternel.
L'âme, enfin , par toutes ses facultés maî-
tresses, dit à qui sait entendre cet infaillible
oracle : Y? Eternité existe; il y a pour moi une vie
88
l'éternité
'Eternelle; on je suis trompée par les illusions de
ma pensée, par les élans de mon espérance, par
le besoin de mon amour, par les ambitions de
mon vouloir, bref, par tous les mouvemnets de
ma vie; je suis, enfin, par tout mon être, non
seulement l'inexplicable et le mystérieux : je suis
la contradiction vivante.
Or, tout crie en moi : Cela ne peut pas être.
Le premier témoin qui, au fond de l'âme ftu-
maine, atteste l'existence de l'Eternité, c'est l'in-
tellig-ence. L'intelligence, ce regard de l'âme ou-
vert sur les réalités du monde intelligible.
Mais, comment mon intelligence est-elle ici
un irrécusable témoin de l'Eternité?
Parce qu'elle porte en elle-même la pensée de
l'Eternel, et que la présence de cette pensée dans
mon âme est un fait interne, un phénomène
subjectif que je ne puis expliquer que par l'exis-
tence de l'Eternité.
C'est, tout d'abord, la premier fait sans cause
TÉMOIGNAGE DE l'aME
89
et la première contradiction que je suis forcé de
constater en moi, si, par hypothèse, l'Eternité
n'existe pas.
En effet, s'il n'y a pas d'Eternité; si l'Eternel
n'est qu'un rêve, un produit fantastique démon
imagination; si tout ce quiest de moi et en moi,
tout ce qui est moi-même, doit s'évanouir à ce
terme, à ce point obscur, qui s'appelle la mort,
ou, par delà mon tombeau, à un point plus ou
moins lointain de la durée; si, arrivé là, à cette
dernière étape de ma vie, je dois retomber dans
mon néant; bref, si je n'existe que pour le
transitoire et pour le temporaire , c'est-à-dire
pour une durée qui se mesure; alors je me de-
mande sans pouvoir me répondre, pourquoi dans
mon âme, sans que je l'aie cherchée, cette pensée
de l'Immortel et de l'Eternel, c'est-à-dire d'une
durée sans mesure, d'une existence sans li-
mite et sans fin ?
Ce phénomène ne me devient explicable
que par l'existence réelle de cette Eternité, dont
la pensée que j'en porte, dans mon intelligence,
est pour moi le témoin intime et vivant.
Certes, Messieurs, je ne prétends pas dire,
comme certaine métaphysique trop subtile, que
de par la seulepuissancedel'idée.nous puissions
90
L'ÉTERNITÉ
toujours et en tout couclure lég-itimement à la
réalité substantielle de ce qu'elle nous repré-
sente; comme si l'idée seule de l'être équivalait
à la vision même de l'être. Nous ne reconnais-
sons pas à l'idée pure la puissance de nous dé-
montrer directement et par elle-même la réalité
et la substance de son objet, comme si elle en
était la vue ou la vision proprement dite
Notre procédé de démonstration est ici tout
différent. Nous allons de l'existence même d'un
fait à la cause de ce fait; à peu près comme de
1 existence d'un monde qui n'a pas en lui-même
sa raison d'exister, nous concluons à l'existenco
de 1 être nécessaire, qui seul en peut être.et en est
en effet la raison suffisante. Et nous nous ap-
puyons sur cet autre principe de philosophie
fondamentale, à savoir qu'il ne peut v avoir en '
nous de pensée qui s'impose subjectivement
sans une réalité qui lui réponde objectivement'
Or, voici un fait intérieur, un phénomène
subjectif absolument indéniable, et pour être
intérieur et purement subjectif, c'est- à-dire in-
visible, ce fait, ce phénomène n'en est pour
moi ni moins certain ni moins démonstratif • la
pensée de l'Etemel, ie ne sais quelle conviction
intime d'une vie qui ne doit pas finir, s'impose à
TÉMOIGNAGE DE l'aMIS
91
mon âme qui pense. Cette pensée, je ne suis
pas seul à la porter en moi ; les intelligences
•que j'interroge autour de moi, les âmes qui
touchent à mon âme, me font la même révélation .
Et cette pensée de l'Eternel,àlaquelle j'essayerais
en vain de me dérober tout à fait, ce n'est pas
seulement mon Christianisme, c'est ma nature
même qui me l'impose .
Eh hien ! je le demande : ce phénomène inté-
rieur, que je constate dans les autres comme
on moi-même, d'où vient-il? Quelle est sa
cause et sa vraie raison d'être ? Chose remar-
quable! Nos plus grandshommes,nos plus beaux
génies dans le Christianisme, se sont posé une
question pareille. «0 Eternité! Ô Infinité! » s'é-
■ crie St Augustin , « comment es-tu entrée dans
« nos âmes, toi que nos sens ne soupçonnent
« pas même? »
«Quel est ce miracle?» demande à son tour Bos-
suet. « Nous, qui ne sentons rien que de borné,
« où avons-nous pu penser cette Eternité? Où
« avons-nous pu songer eette Infinité? »
Et moi aussi, abrité sous l'autorité de ces deux
grands hommes, je m'écrie dans mon humble
sphère: Eternité ! ô Infinité, qui l'une et l'autre
êtes sans limites, comment avez-vous pu entrer
92
L KTEltNITK
dans mon âme 9 Comment avez- vous pris pos-
session de mon intelligence?
A cette question, l'âme qui se connaît et so
sent, peut et doit répondre : si, je porte en moi
la pensée de l'Eternel, si j'affirme et atteste l'E-
ternité de la vie, c'est que je me vois moi-même
dans le reflet de sa lumière. Tout ce miracle,
dont parle Bossue*, c'est qu'en me voyant moi-
même, je vois l'image de l'Eternité se reflétant
en moi, aussi claire, aussi visible à ma pensée
qu'est visible à mes yeux l'image du soleil, se
reflétant au fond d'un lac tranquille et trans-
parent.
. D'où me pourrait venir, en effet, cette idée de
V Etemel ? Serait-ce de mon corps ? Mais je vois
tous les jours, et presque à toute heure.ce corps
qui s'en va, qui se dérobe comme une ombre.qui
s'écoule comme une eau, qui tombe comme une
ruine; hélas ! ce corps ne me parle que de sa fra-
gilité, de sa caducité, de son impuissance de
durer, bref, de sa mortalité; comment, dès lors,
pourrait-il me donner.la pensée de ma perma-
nence et surtout démon immortalité?
Eh bien! au milieu de cette fuite de mon exis-
tence, dans cette ruine de ma vie et dans cette
perpétuité de ma mort, j'entends une voix qui
e
TÉMOIGNAGE DE l'âME ï»
crie au fond de moi-même : Je suis Eternelle.
D'où, me vient-elle donc cette pensée de l'Eter-
nité' Peut-être de la Société', c'est-à-dire des
hommes que la marche du temps emporte avec
moi au chemin de lavie?
Mais que vois-je, en regardant autour de
moi, si ce n'est des hommes qui fuient comme
des fantômes; instables et rapides figures qui
ont disparu déjà, lorsque à peine j'ai eu le temps
de les approcher, de les voir et de les connaître
Hommes , comme moi-même, fragiles etcaducs ;
société mouvante et perpétuellement chan-
geante, qui se renouvelle, passe et disparaît
avec une rapidité telle, qu'elle semble comme
mon corps, qui s'échappe, ne me donner d'autre
témoignage que celui de samortalité. Comment,
dès lors, cette société qui, elle aussi, fuit comme
une ombre devant un rayon de soleil, me don-
nerait-elle l'idée de l'Eternel? Où donc, dans sa
course précipitée, aurait-elle pris elle-même la
pensée de son Eternité?
Eh bien! au milieu de cet immense courant
delà vie sociale, qui emporte autour de moi,
comme un torrent, les générations qui s'écou-
lent, mon àme garde le sens indestructible de
sa permanence et de son immortalité ; elle af-
91
l'kternité
nrme son Eternelle vie; et elle dit, en regardant
passer le torrent avec tout ce qu'il entraîne dan
son conrs : Tont passe, tout fuit autour de moi ■
moi, je suis Immortelle.
D'où me viendrait donc cette pensée de l'E-
ternel, sicen'est de l'Eternité elle-même rayon-
nant sur mon âme?
Serait-ce de la nature, et de tous les spectacles
qu elle offre à mes regards?
Mais que vois-je;aussi dans la nature, si ce
nest l'universel spectacle de l'instabilité'? Qu'y
vois-je, si ce n'est la vie, marcher du printemps
à 1 hiver de l'hiver au printemps . et pour ainsi
dire, du berceau à la tombe et de la tombe au
berceau?
Les arbres et les fleurs meurent, tous les vé-
gétaux meurent, tous les animaux meurent, tout
dans ces deux mondes meurt et disparaît ■
les astres eux-mêmes sont emportés dans un
mouvement qui semble ne me laisser d'eus
comme de mon corps , de la société et de la na-
ture,- que l'idée de ce qui passe et meurt
Et pourtant, devant l'universel écroulement
detoutid-bas.je garde l'inébranlable convic-
tion que je ne passerai pas. Mon âme, ferme sur
cette pensée qui la rattache à l'Eternel, dira tou-
TEMOIGNAGE DE LAME
05
jours : Que tout passe autour de moi, que mon
corps passe, que la société passe, que la nature
passe, que le monde passe:je saisqueje nepas-
serai pas. Du fond de. cet empire de toutes les
décadences et de toutes les mortalités, je sens
que je tiens à l'Eternel , et que j'y tiens par une
chaîne que je ne puis pas plus rompre que je ne
puis m'anéantir moi-même.
Qu'est-ce donc , enfin, qui me donne une si in-
invincible certitude de mon Eternelle Destinée?
A travers les ombres de la mortalité, qui m'en-
vironnent de toutes parts, qu'est-ce qui fait
briller devant moi si clair et si radieux le phare
de l'Eternité? Qu'est-ce, si ce n'est sa réalité
même s'imposant à ma propre pensée, et seule
me rendant compte de l'image et du reflet que
j'en porte en motasrême : phénomène intérieur
qui ne s'explique bien que par l'existence même
de l'Eternelle vie.
C'est ainsi que mon intelligence, par la pensée
qu'elle a de l'Eternel, est dans mon âme le pre-
mier témoin de l'Eternité.
96
L ETKRNITÉ
II
Mais , Messieurs , nous n'avons pas seulement
idée de 1 Eternel, nous en avons l'espérance; et
tandïs que notre intelligence l'affirme, toute
notre ame se porte vers lui. Et, de même que
notre ame dit : J affirme l'Eternité, parce que je
la reconnais dans la pensée que j'en porte en
moi-même et dans l'impression que j'en garde
intérieurement; notre âme nous dit avec la
même assurance : J'affirme l'Eternité, parce que
je 1 espère et que je la pressens, dans l'espérance
que j en ai nécessairement.
Oui, tous, sans nous en rendre compte et
même sans y song-er, nous portons au plus in-
time de notre âme la confirmation spontanée
de cette parole de l'Ecriture : « Spes noslm
irnoionalitaieplcna est ;notre espérance estpleine
d immortalité. » L'attente, disons mieux, la cer-
titude de quelque chose d'Eternel est au fond de
notre espérance; j'entends non seulement de
1 espérance chrétienne proprement dite, mais
TÉMOIGNAGE DE L'AME
même de l'espérance naturelle, telle qu'elle se
rencontre au fond de toute âme humaine,
que ses crimes ne portent pas à invoquer le
néant.
Il y a dans l'âme humaine, il est vrai, des es-
pérances qui ont pour objectif le passager et le
transitoire, c'est-à-dire un bien, un plaisir, un
bonheur fugitif: ainsi le malade espère la santé;
le pauvre, la richesse; l'exilé, le retour dans la
patrie ; le nautonier, le repos au rivage. C'est
ce qu'on pourrait appeler la petite espérance.
Mais, au-dessus de tout cela, il y a la, grande
espérance, l'espérance des choses d'outre-tombe,
l'espérance de Y au delà ; et c'est là ce qui seul, à
proprement parler, mérite d'être nommé de ce
beau nom : l'Espérance. Or, cette espérance im-
plique l'attente de l'Eternité , ou l'essor de l'âme
vers l'Eternel.
Qui donc, en effet, à cette espérance de Y au
delà, à cette attente du grand avenir, a jamais
voulu mettre une limite, un nec plus ultra quel-
conque?
Qui donc, espérant survivre à ce dénouement
delà vie du temps, qui s'appelle la mort, a pu
dire : De l'autre côté de ma tombe, j'attends la
vie, mais jusqu'à telle limite seulement; j'espère
G
98
i'ÛTEBNITÉ
«on, jamais âme humaine rf nnt ,
n'ont pas obscurci le re^lT f ont ,1? ^^
n'ont pas perverti le sens n ° r Z l™* 10 ™
manière son attente T« lmité de Cette
elle n'a dit w, e \ SOn es P éra nce; jamais
dit-elle donc 1W anS de vie - Qne
—CESSÉS
*™ »•»,,:„ rf, s^iir h c r espé -
« la c<m,,ad,c,i„ m me sf e 1 °' "" ~
delà mon tombeau ™, J ™ re par
tombe jusqu'à telle heure de te' in,
û'aurais-je pas l'esnob / J ' P ° UrqUOi
J pas i espoir de vivre toujours?
TÉMOIGNAGE DE L'AME
99
Qui ne voit, dès lors , comme on voit le soleil,
que YEternel est au fond de notre espérance; et
que notre espérance démontre son objet, c'est-à-
dire l'Eternité?
Voyez, en effet, comment dans notre vie du
temps tout accuse l'attente de l'Eternel, et
comme conséquence, la certitude de l'Eternité.
Qu'est-ce que notre vie sur la terre.?
Notre vie, c'est le travail et encore le travail,
non seulement le travail pour les besoins de cette
vie, mais surtout le travail pour la récompense
dans l'Eternelle vie.
Nous sommes les ouvriers de Dieu ; c'est pour
Lui que nous travaillons, et notre travail n'est
qu'une forme du service que nous lui devons.
Quelle récompense, dès lors , plus digne de nous
et de Lui peut-il nous réserver, si ce n'est de se
donner Lui-même à nous, Lui l'Infini, Lui l'E-
ternel?
Aussi ce n'est pas seulement par sa parole
extérieure, c'est aussi parcelle qui retentit au
plus intime de notre âme, que Dieu nous dit :
Ego ero merces veslra magna nimis. C'est pour
moi que vous travaillez; vous êtes les serviteurs
de ma Majesté, vous êtes les ouvriers de ma
gloire : Moi-même je serai votre récompense.
100
l'éternité
Et quelle récompense? Plus grande que tout ce
que vous imaginez : Magna nimis; car je suis
rinfini,jesuisrEternel;etcetterécompensevenue
de moi, et que je suis moi-même, demeure Eter-
nellement : Merces Deimanet in œternum(l).
Qu'est-ce encore que notre vie sur la terre?
Notre vie, c'est le combat, et encore le combat.
Mihlia vitahominis super terram: combat du de-
hors et combat du dedans ; lutte universelle et
lutte permanente, ne finissant jamais que pour
recommencer toujours.
Or, à ces combats de toute notre vie du temps,
qu'est-ce, pensez-vous, que réserve l'autre vie'
Et du fond de toutes les luttes , au milieu de tous
les champs de bataille où notre vie est aux
prises avec tous ses ennemis, qu'appelle et qu'at-
tend notreâme, sicen'estceque saintPierremon-
trait et promettait aux premiers chrétiens, à sa-
voir , cet héritage que rien ne corrompt, ne
souille, ni ne flétrit : Hœreditatem incorruptibilem
incontaminatam et immarcessibilem (2); et
dans ce royaume, notre légitime héritage, la
gloire promise à ceux qui auront vaillamment
combattu, c'est-à-dire la gloire Eternelle?
(l)Fccli. xvin, 22.
(2) i P<Mr. i,4 1
TÉMOIGNAGE DE l'.'.MK
101
Ah! cette ravissante perspective de l'Eternelle
Gloire du Ciel , succédant à nos luttes tempo-
raires de la terre, ce n'est pas l'Eglise seule qui
l'entr'ouvre sur nos têtes , dans la rayonnante
fête de tous les Saints; c'est notre espérance aus-
si qui du plus profond de notre âme, au flam-
beau de sa pure lumière , nous en fait entrevoir
les splendeurs et nous en donne, avec le pres-
sentiment prophétique, comme une invincible
certitude.
Qu'est-ce, enfin, que notre vie sur la terre?
Ah! tout nous répond en nous et en dehors de
nous '.Souffrance* Souffrances du corps; souf-
france s de l'âme; souffrances du cœur.Etquelles
souffrances !
Eh bien ! qu'est-ce qui met et maintient au plus
intime de notre âme cet indomptable courage de
souffrir, de souffrir encore, de souffrir toujours,
sans impatience, sans murmure et sans défail-
lance, les douleurs même les plus atjoces et les
malheurs même les plus accablants?
Qu'est-ce , si ce n'est l'attente de ce para-
dis des éternelles joies, que l'espérance nous
montre par delà toutes nos souffrances du
temps ?
Ah! ce besoin d'espérer, après ces souffrances
0.
102
l'etkrnitjî
transitoires, l'Eternelle félicité, est si fort et si
profondément ancré dans notre âme, que Dieu
n a pu l'y mettre sans lui garantir l'objet de son
espérance.
Aussi, nous tous qui plus ou moins souffrons
sur la terre, nous sentons au plus intime et au
plus vif de nous-mêmes, ce que nous révèle
saint Paul.alors qu'il s'écrie: « Léger et momen-
tané est le poids de nos tribulations du présent
devant l'Eternel poids de gloire qu'il nous pré-
pare dans l'avenir: Œternum ffloriœ pondus ope-
ratur in nobis (1). »
Et quand même saint Paul n'aurait pas révélé
par sa parole cette vérité qui illumine d'un rayon
divin le présent et l'avenir de notre humanité
nous en aurions encore, au sanctuaire même de'
notre vie, l'infaillible et consolante révélation-
car là même, au plus intime de notre vie l'es-
pérance, même celle qui ne s'inspire pas direc-
tement du grand mystère chrétien, nous dit
comme saint Paul, et avec une certitude pareille ■
Après nos tribulations et nos souffrances de
quelques jours, le festin de l'Eternelle joie : tel
est le cri de l'espérance, surtout de l'espérance
chrétienne; espérance pleine d'immortalité, et
(!) n. Cor. iv. 17.
TÉMOIGNAGE DE L'AME
103
ambitieuse de l'Eternelle vie: Spes immortalilale
plena est (1).
Ainsi, vous le voyez, tout dans notre vie, le
travail, le combat, la souffrance, nous parle d'es-
pérance, et tout dans notre espérance nous parle
d'Eternité.
Que dis-je? Tout ce que nous faisons de bien
dans le temps, même quand nous n'y pensons
pas, plus ou moins directement vise le perma-
nent, l'impérissable, l'Etemel, enfin.
Quand nous pratiquons une vertu ; quand nous
accomplissons un dévouement; quand nous con-
sommons un sacrifice , surtout un sacrifice de
nous-mêmes, que prétendons-nous? Voulons-
nous que ce bien réalisé par nous meure et fi-
nisse avec nous? Non ; nous désirons, nous vou-
lons qu'il dure ; nous voulons qu'il demeure,
sous le regard de Dieu, une réalité permanente
et vraiment Éternelle.
Tout en l'accomplissant, à un point de la du-
rée, nous y attachons comme un sceau de per-
pétuité.
Et ce bien qui est nuire parce que, la grâce
de Dieu aidant, c'est nous qui l'avons fait, nous
prétendons, même après notre court passage
Sap. vu, 4.
104
1. JÎTEttNITÉ
dans le temps, le voir et le posséder Éternelle-
ment. Que dis-je? ce bien, qui peut-être s'est
accompli dans l'ombre de notre voyage de la
terre, nous voulons le contempler dans les éter-
nelles splendeurs du ciel.
Oui, même en ne consultant que le témoignage
de notre âme, de cette àme naturellement chré-
tienne, nous pouvons dire avec l'apôtre saint
Paul: Spesautem non confondit. Non, notre espé-
rance ne sera point confondue; elle attendit par
son attente elle affirme l'Eternel. Donc l'Eter-
nel existe.
Comment, en effet, en pourrait-il être autre-
ment? Comment, si notre àme n'a pas la voca-
tion de vivre éternellement , a-t-elle, de ce côté
de sa tombe, l'espérance spontanée de l'Eternité
de la vie d'outre-tombe ?
Comment, sans une amère dérision, le Dieu
infiniment sage et infiniment bon aurait-il pu
mettre, entre l'aspiration de notre espérance et
l'objet de notre espérance, cet antagonisme vrai-
ment incompréhensible?
Comment ce Dieu qui a mis lui-même, au
fond de notre âme, l'attente de l'Eternel, l'élan
vers l'Eternel, consentirait-il à frustrer cette
TEMOIGNAGE DE L AME
10j
attente, à tromper cet élan, en nous dérobant
l'Eternel?
Comment concevoir qu'après avoir mis dans
notre âme, pendant notre course du temps, l'es-
pérance, l'attente et le besoin de l'Eternité, il
nous arrête, un jour, à telle ou telle limite de
notre vie d'outre-tombe, et nous condamne à re-
tomber, avec notre attente déçue, nos aspirations
trompées et notre espoir confondu, dans les
profondeurs du néant ?
A cette question mon âme elle-même répond,
et elle dit : Cela ne peut pas être : l'Eternité
existe, j'en ai pour garant l'attente de YEterne 1
qui est le fond de mon espérance, mon espérance
elle-même.
Ainsi, notre âme par son espérance et son at-
tente, comme par sa conviction et sa foi, rend à
l'existence de l'Eternité deux invincibles témoi-
gnages.
Nous pourrions, ce semble, ne pas aller plus
loin. Mais il y a sur ce point, dans l'âme, ou si
vous voulez, dans le cœur de l'homme, un té-
moignage non pas plus invincible peut-être,
mais assurément plus éloquent ; c'est le témoi-
gnage de notre amour.
106
L ETHKNITÉ
III.
L'âme qui se connaît et se sent elle-même
ne dit pas seulement : Je pense et j'affirme
1 Eternel ; j'espère et j'attends l'Eternel ■ elle
ditencoreetsurtout:J'a^l'Eternel,j'a Si nV e àl'E-
ternité dans l'amour; donc , l'Eternité existe
J appelle, comme terme suprême de ma vie un
amour qui ne meurt pas; et moi-même je porte
dans mon cœur un amour qui ne veut pas mourir
Donc je ne mourrai pas; je suis éternelle; j'en ai
pour garant le témoignage de mon amour.
Je ne sais, Messieurs, si vous avez jamais pénô-
trf profondément^ compris parfaitement tout ce
que renferme ce mot magique: aimer. Pour moi
je l'avoue, plus je le médite, plus je lui demandé
ce qu'il contient, plus je demeure convaincu que
l'Eternité est dedans , et que cet acte le plus
souverain de la vie humaine, cet acte pris dans
son sens le plus élevé et le plus profond, est
une attestation de l'Eternelle vie.
^ L'idéal de cet amour vraiment transcendant,
c'est-à-dire planant au-dessus de tous les vul-
TEMOIGNAGE DE L AME
107
gaires amours, renferme surtoat ces trois condi-
tions : aimer un seul être; aimer sans réserve ;
et, par-dessus tout, aimer Eternellement.
Je néglige les deux premières conditions,
qui ne tiennent que de loin au sujet actuel.
J'insiste sur la troisième : aimer Éternellement.
C'estl'invinciblebesiondetout grand amour, et
ce besoin démontre absolument l'Eternité de la
vie.
Pour bien mesurer la portée de cette démons-
tration qui s'appuie sur le cœur humain, il faut
se rappeler ce principe qui a, dans l'ordre moral,
la valeur d'un axiome ; à savoir, que toute aspi-
ration naturelle de l'amour, comme toute intui-
tion spontanée de la pensée, a un objectif qui
lui répond. En ce sens, les aspirations prophé-
tisent les destinées, parce qu'elles supposent
leur objet, sans lequel elles n'auraient pas de
raison d'exister.
Or, voici une naturelle et invincible aspira-
tion de notre cœur : il aspire à Y Éternel amour;
et de ce chef, il affirme et démontre son Eter-
nité.
Oui, Messieurs, tout amour sincère et profond
aspire à s'Eterniser lui-même. Ses désirs
et ses ambitions ont quelque chose d'infini, Il
108
L'iSTEttNlTlj
qu'il ai/no. Oh ' s'écrit t n - ^^sion de ce
la Durée! .^ t^T "^
jesuisetdansce.uer;,:," 16 ^.^ 806 ^"
quelle durée vous fau - n JT ^ ° amour !
pas > N„ Q ° l!U ? SlèCle mémene ™» suffi t
vérité ' rCP0Ud m ° Q am0U ^ Quand j'aimo
^miab]eme ni; etsouver a ine m ent,pourrépoZe
au besoin de m0 n amour, ce n'estpas trouve
dun souffle; peut-être nZ «npressum
ia caducité ^icïrr: 6
par un flot sur le fleuve de mTT P ° rte
quelques fleurs du ri V J C tJ^T^^
on Passant leur parfu m °d;n-o u ? tdereSpi -
Mais si j'aime, dans le ff rand SP n e n
TÉMOIGNAGE DE L AME
109
alors , que venez-vous me parler de finir ? Ah !
si vraiment ce que j'aime doit m'échapper, je
vous en prie, ne me le dites pas ; je ne veux pas
vous entendre. Voilez, voilez plutôt devant mon
cœur la fin de ce que j'aime, car la fin de ce que
j'aime m'apparaît comme la mort démon amour,
et mon amour ne veut pas mourir; il veut vivre,
et s'il le peut, vivre Eternellement, et Eternel-
lement aussi vivre avec. ce qu'il aime.
Tel est, Messieurs, l'indéracinable besoin de
notre cœur; telle est la naturelle respiration de sa
vie.
Eh bien ! à ce besoin n'y aurait-il pas une sa-
tisfaction? Ou serions-nous condamnés à porter,
pour notre supplice, dans une vie que le temps
dévorerait tout entière , cet inépuisable besoin
de l'Eternel amour,? Oh! non, mille fois non; un
Dieu qui est lui-même tout amour, n'a pu nous
destiner à cette cruelle déception.
Mais qu'y a-t-il en cette vie, qui soit capable
de donner à notre cœur la satisfaction et le ras-
sasiement qu'il appelle par chacun de ses bat-
tements? Et qu'est-ce qui, en dehors de l'Eternel,
pourra répondre à sa nécessaire aspiration? Ah!
je le sens et tous vous ie sentez avec moi; pour
porter Le poids d'un tel amour, ce n'est pas trop
7
110
L ÉTERNITl'î
ae l'Eternel ; à la lettre, il faut réellement cette
Eternité qu'il aspire nécessairement.
Oui, ce qu'il me faut pour combler l'abîme que
creuse en moi le besoin de cet amour, c'est la
permanence de mon être uni à un être Eternel,
et par moi Eternellement aimé. Car, pour satis-
faire un amour qui ne veutpas mourir, la première
et la suprême condition, c'est de durer, de durer
toujours. Et, pour réaliser ce toujours ou cette
Eternité dans l'amour, il faut trouver en soi et
dans ce que l'on aime, la perpétuité de l'existence
et l'Eternité dans la vie.
Chose bonne à méditer : tous les terrestres
amours , même les plus mondains, même les
plus coupables; ces amours qui s'attachent avec
acharnement à tout ce qu'il y a de plus fragile
et de plus fugitif; ces amours qui se ruent sur
le périssable, et se cramponnent aujourd'hui à
ce qui ne doit pas avoir de lendemain; eh bien!
même ceux-là, au sein de la caducité de tout ce
qu'ils aiment , rêvent l'Immortalité de leur vie et
de leur félicité.
Ah! Messieurs, qui donc, parmi vous.pourrait
ignorer encore cette histoire toujours ancienne
et toujours uouvelle,où se peint dans les amours
humaines l'invincible besoin de se perpétuer et
TÉMOIGNAGE DU L'AME
111
de s'éterniser, même quand ils s'attachent à ce
qui va les quitter,et déjà plus ou moins fuit et se
dérobe ?
Un jour, deux êtres humains possédés d'un
ég-albesoin d'aimer, se rencontrent au chemin de
cette vie; un instinct mystérieux, et je ne sais
quelle mutuelle attraction les attire et les rap-
proche; et dans l'illusion d"un bonheur qui
voudrait se faire Eternel, ils se sont dit : Nous
nous aimons aujourd'hui; eh! qui donc nous em-
pêchera de nous aimer encore demain, après-
demain et toujours? Oui, toujours, toujours!...
Hélas! tandis que ce toujours retentit sur leurs
' lèvres en trompant leurs cœurs, le temps fait un
pas, et il emporte toute cette Eternité, qu'on rêvait
de se faire dans la minute qui passe.
Mais il n'en reste pas moins vrai que, dans
cette félicité qui n'a pu même se perpétuer deux
jours, on voulait mettre quelque chose d'Eternel.
Et voilà, Messieurs, quand nous ne regardons
que la terre et le temps, ce qui jette ici-bas à
nos cœurs, affamés de l'Eternel amour, de si
amers défis : c'est de sentir tout ce que nous
aimons se dérober à nous; car le temps est une
fuite des choses qui nous arrache chaque jour,
et parfois même à toute heure qui sonne, ce que
112
L ETERNITE
nous avions l'ambition d'aimer éternellement
' Ah ! pour moi , mon cœur me dit qu'il n'en peut
être finalement ainsi, et que ces séparations etces
violences de la mort ne peuvent être le suprême
dénoûmentd^unevieambitieused'aimertoujours
Oui, j'en suis certain; il y a quelque chose, au
plutôt, il y a quelqu'un que j'aimerai toujours
Ce que j'appelle par toutes les aspirations de
mon cœur, c'est un amour éternel dans un cœur
éternel; car un Dieu sage, un Dieu juste, un
Dieu bon n'a pu vouloir condamner mon cœur
a aspirer un amour qu'il ne devrait jamais em-
brasser, c'est-à-dire un amour Eternel.
Que dis-je! Même quand j'accorde à une créa-
ture fragile et caduque comme moi-même la
mesure d'affection que Dieu permet et que sa
Providence consacre; je sens que là encore en
cet amour transitoire, j'ai une garantie de mon
Eternité; car là même, en cette créature qui
m apparaît ce qu'elle est, c'est-à-dire périssable
je sens que je mets un amour qui ne veut pas
périr; car ce que j'aime aujourd'hui, si je le
trouve digne de mon amour, pourquoi ne l'ai-
merais-je plus demain, après-demain et toujours'
Et ce que j'ai une fois aimé, je me demande
quelle puissance pourrait m'empècher de l'aimer
TÉMOIGNAGE DE L'AME
113
à jamais? J'aime mon père et j'aime ma mère;
j'aime mes frères et j'aime mes sœurs; j'aime
tous ceux à qui j'ai fait du bien , et j'aime tous
ceux qui m'en ont fait à moi-même. J'aime les
âmes qui ont compris mon âme. J'aime, enfin,
tous ceux quej'ai sentis vibrer comme moi-même
sous ce souffle fraternel, où la vie répond à la
vie, où le frère reconnaît son frère...
Et vous pensez que je pourrais encore accepter
cette idée pour moi vraiment désespérante : un
jour, tout ce que tu aimes ne sera plus; ou, si ce
que tu aimes peut être encore , toi-même tu ne
seras plus là pour lui faire don de ton amour,
ou plutôt pour lui continuer cet amour qui voulait
se faire Eternel?...
Ahl la main sur ce cœur ambitieux d'aimer
éternellement, je m'écrie devant vous, qui avez
un cœur comme mon cœur, un cœur affamé
d'un amour Eternel : Impossible , impossible !
J'en crois au témoig-nag-e de ce cœur, qui
m'atteste à la fois deux Immortalités : l'Im-
mortalité de ce qu'il aime et l'Immortalité de son
propre amour. Ah! si cette attestation me trompe,
si cette affirmation pour moi n'est pas certaine;
je renonce à toute certitude; je me voue sans
espoir à l'empire de l'erreur , je m'enfonce
114
i/ÉTERNITÉ
dans l'obscur et sombre abîme du doute uni-
versel.
Messieurs, si votre cœur vous a dit un jour
tout ce qu'il y a de vie, d'espérance et d'avenir
dans cette parole : j'aime; pour vous l'Eternité est
absolument démontrée, et votre cœur avec le
mien affirme l'Eternel.
Ah! si, à l'heure qu'il est, et malgré tout ce
que je viens de dire, vous pouviez douter encore
de la véracité de cet infaillible témoignage de
l'amour; je me contenterais de vous dire : Aimez
une fois dans votre vie, mais dans le grand et
noble sens où j'emploie ici ce mot : Alors vous
croirez sans hésiter à l'Eternité de la vie.
La foi, qui d'ordinaire est la racine de l'amour,
sortira elle-même toute vivante du fond même
de votre amour; vous croirez à l'Eternelle vie,
parce que vous éprouverez le besoin d'aimer
Eternellement.
Pour moi, je l'avoue et je le proclame tout
haut devant ce vaste auditoire, pour moi cette
démonstration est absolument décisive. Et, en
vous voyant ici tous vibrer sous ce souffle de vie
qui sort de mon âme, pour aller, par la parole,
toucher à toutes vos âmes; en sentant se re-
muer dans ma poitrine ce je ne sais quoi qui at-
— ■■■
TÉMOIGNAGE DE. L'AME
115
tire mon cœur vers vos cœurs, pour vous em-
brasser tous à la fois, dans l'unité vivante d'un
même amour; j'ai besoin de m' écrier dans la
clarté d'évidence qui jaillit de cet amour même:
Frères, je vous aime ; frères, vous m'aimez ! Oh !
oui, nous nous aimons; et parce que nous nous
aimons aujourd'hui, nous voulons, n'est-il
pas vrai? nous aimer encore demain et toujours!
Dès lors, pour nous la démonstration est faite :
nous sommes immortels. 11 y a pour nous un
éternel amour dans une Eternelle vie.
Certes, ce témoignage pourrait nous suffire ;
mais il faut aller jusqu'au bout, et entendre
'toutes les voix intimes par lesquelles notre âme
nous dit :
11 y a une Eternité.
IV
Jusqu'ici, Messieurs, nous avons entendu trois
témoins sortis des profondeurs de notre âme, et
tous trois attestant l'existence de l'Eternité :
l'intelligence,par la pensée qu'elle a de l'Eternel ;
116
l'éternité
' !êTn P efT e ' Parl ' éIanqUMap0USSe --l'E-
e ne i amour , par la pasgioQ ^
Il est dans notre âme un quatrième témoin de
1 Eternel; c est cette faculté royale que nous ap,:
pelons notre volonté. l
Ce témoin a,par son attestation, une autorité
* autant plus grande, quela volonté remplitdans
le fonctionnement de notre vie un rôle pL émt
nent, et y exerce un empire vraiment souverain
Car S1 1 homme est roi dans la création, la vo-
lonté est reine dans l'homme même : elle tient
en réalité le gouvernement de la vie humaine
C est ce qui nous explique pourquoi les hommes
valent surtout par leur volonté; cequia faitdire
au grand saint Augustin :. Les hommes sont !
-des volontés. Homme* sunt voluntates »
Ecoutons donc cet autre témoin del'Eternelle
vie. C'est le parfait accord de toutes les voix de
1 âme qui en fait, pour attester le vrai, l'incom-
parable puissance. Et, au point de vue où nous
sommes, le témoignage de notre vouloir, non
seulement n'est ni moins recevahle ni moins dé-
monstratif que celui de nos autres facultés ; mais
^
TEMOIGNAGE DE LAME
117
encore, il est prépondérant, et par sa royale au-
torité particulièrement décisif.
Ce témoignage de la volonté est à la fois triple
et un ; parce qu'elle veut d'un même acte trois
choses qui se tiennent par un indissoluble lien.
Elle veut le bien, le bien complet, le souverain
bien.
Elle veut la fin, la fin dernière ou la Destinée
finale.
Elle veut le bonheur, le bonheur parfait, le su-
prême bonheur.
Or, il est manifeste que ce vouloir triple et un
implique logiquement la volonté de l'Eternel.
Ce témoignage de la volonté humaine attestant
par ces actes essentiels et spontanés l'Eternité
de la vie, peut être, pour beaucoup d'hommes
inattentifs, plus ou moins inconscient et sa voix
plus ou moins sourde. Mais, pour quicon-
que veut se recueillir au sanctuaire de sa vie
intime et se rendre attentif à tout ce qui parle
en lui-même, ce témoignage paraîtra assez sai-
sissable , cette voix assez distincte, pour y
entendre une affirmation de l'Eternel, encore
plus puissante et plus décisive que celles que
nous avons déjà entendues.
Et tout d'abord, il y a dans le vouloir humain
7.
H8 l'éternité
cette volonté première et fondamentale, qui tient
à sa nature même, à savoir : la volonté du bien,
et, dans son fond le plus intime, la volonté du
souverain bien.
L'âme humaine a évidemment des volontés
multiples; mais elle a aussi, et par-dessus tout,
une volonté supérieure, éminente, générale, et!
en quelque sorte unique: c'est la volonté du bien,
du bien sans détermination ou délimitation par-
- ticulière.
^ Assurément, l'objectif de tout vouloir humain
c'est un bien, un bien quelconque, un bien réel
ou imaginaire, une chose bonne par quelque
endroit, ou du moins supposée telle.
Nous voulons ce bien ou cet autre bien. Et
même, quand nous voulons embrasser le mal,
nous lui prêtons/pour mieux l'embrasser, le vê-
tement et la physionomie du bien : tant il est
vrai que la volonté a pour nécessaire objectif
un bien, ou un mal vu sous l'aspect du bien
Celui-là même qui, trompé par le prestige et la
séduction de ses passions, se laisse tomber jus-
qu'aux plus profonds abîmes du mal, prétend
encore y trouver un bien; et sous ce rapport, il
n'est pas jusqu'aux plus grands scélérats qui
ne se fassent, en leurs actes les plus pervers
TEMOIGNAGE DE LAME
119
l'illusion du bien; même dans la fange de leurs
vices, comme certains animaux dans la boue
qu'ils remuent, ils trouvent ou ils s'imaginent
trouver encore quelque chose de bon.
Mais ce serait méconnaître la nature, l'es-
sence et le mouvement de la volonté humaine,
de supposer que, dans ses vouloirs multiples
et variés, elle ne veut que tel ou tel bien parti-
culier. Elle veut sans doute ceci et cela, hoc et
illud, dit saint Augustin, c'est-à-dire ce bien et
cet autre bien. Mais, ajoute ce grand homme :
« Otez ceci et cela, toile hoc et toile illud; que
« reste-t-il? » Il reste ce que l'âme veut avant
tout, avant toute limite et toute restriction, c'est-
à-dire le bien, rien que le bien; et remanet bo~
num; c'est-à-dire ce que l'âme veut primitive-
ment, ce qu'elle veut spontanément; ce qu'elle
veut, enfin, nécessairement. Par ses volontés
libres, elle veut, elle choisit tel ou tel bien ; par
sa volonté spontanée, par sa volonté nécessaire,
elle veut simplement le bien. De même que l'âme
par l'intelligence, au fond de toutes les vérités
qu'elle perçoit et connaît, découvre et saisit
avant tout la vérité; de même , par sa vo-
lonté au fond et au-dessus de tous les biens par-
ticuliers, elle veut le bien, rien que le bien; le
l'éternité
bien sans restriction, le bien sans limites.
Cest dire que lame veut, avant tout, le bien
sou Verai „e bien suprême, à la lettre le bien
înfim, ou l'Infini du bien.
Or, vouloir l'Infini du bien, qu'est-ce, si co
n est vouloir en même temps l'Eternité du bien'
Que serait pour nous cet Infini du bien si
cet Infini du bien que nous voulons, n'était 'pas
Eternel? Un Infini limité dans la durée ZZ
encore un Infini? Et serait-ce encore le bien que
J e veux embrasser?Oh ! non vraiment .Tout le crie
hLn™ ^ bl<m S ° UVerain ' ° e bi6n SU P rême > ce
bien mfini, q U1 est au fond de mon vouloir et
qui est ma volonté elle-même, ce bien estéternel
b H ne 1 est pas, alors ce n'est plus le bien que
je veux, le bien que j'appelle et auquel j'ai
| ambition de m'unir, comme au véritable ob-
jectif de mon vouloir. Car, je le sens, un bien que
je posséderais aujourd'hui et qui devrait me
manquer demain; un bien même que j'embras-
serais pendant des siècles, sans avoir la certi-
tude de 1 embrasser éternellement, ce bien si
grand et si plein fut-il, ne répondrait pas à l'am-
bition qu a ma volonté d'embrasser et de pos-
séder le bien; parce que ce bien fait à la mesure
de ma faculté de vouloir, ce n'est pas seulement
TÉMOIGNAGE DE L'AME
121
un bien infini en lui-même ou dans sa substance,
c'est encore un bien infini dans sa durée.
Donc, ou Dieu me trompe par la volonté qu'il
m'a donnée lui-même, ou je posséderai avec
l'Infinité l'Eternité du bien.
Cette possession de l'Eternel m'est garantie
encore par ma volonté considérée sous un autre
aspect.
Ce que veut instinctivement et spontanément
notre humaine volonté, c'est sa fin, sa fin der-
nière ou sa Destinée finale. Inutile d'insister ici
sur ce point précédemment établi (I).
Or, cette fin dernière ou cette Destinée finale,,
nous l'avons également démontré, ne peut être
et n'est autre que Dieu lui-même.
Eh bien ! cette fin qui est en Dieu , Dieu lui-
même la pose devant ma volonté libre, et il me
dit : Voici ta fin, ta fin suprême ; si tu la veux,
tu la peux conquérir. Ma justice t'en fait un de-
voir et mon amour t'y invite; car je suis moi-
même ta fin , parce que je suis ton Créateur, ton
souverain Maître, ton centre béatifique : viens
donc!
Je le suppose : j'ai répondu à l'appel de Dieu ;
Cl) Voir la Destinée, 2" Discours.
■
122
l'éternité
ma volonté, ma volonté libre a marché vers ce
terme indiqué par la Providence, la justice et
l'amour : j'ai touche le but final ; j'ai conquis ma
fin dernière, c'est-à-dire j'ai embrassé Dieu
même.
Et maintenant, je le demande: cette fin une
fois atteinte, quand finira-t-elle? Cet embras-
sementde mon Dieu , devenu ma souveraine béa-
titude, quand cessera-t-il d'exister? Jamais ! oh
non, jamais! Cet embrassement de ma Destinée
vivante ne peut plus cesser d'être; il est Etemel.
Eh .'comment, en effet, cet embrassement de
mon âme et de Dieu cesserait-il d'exister? Est-
ce Dieu qui s'arracherait à moi, ou bien est-ce
moi qui m'arracherais à Dieu ? Laquelle de ces
deuxhypothèses la raison pourrait-elle admettre?
Ni l'une ni l'autre.
Quoi ! Dieu m'arracherma fin? Dieu me dérober
ma Destinée, en se dérobant lui-même à moi?..'.
Mais cette fin, c'est Lui qui me la fait, c'est Lui
qui me commande de l'atteindra, c'est Lui qui
me dit par sa volonté souveraine : Embrassetafin
en m'embrassant moi-même.
Eh bien! j'ai fait ce qu'il a voulu : j'ai em-
brassé ma fin, et avec elle Dieu même ; et Lui-
même m'arracherait ma fin en se dérobant à
TÉMOIGNAGE DE L'AME
123
moi? Quoi! une heure sonnerait où ce même
Dieu qui m'a ordonné de l'embrasser au terme
final de ma vie , comme mon suprême bonheur,
me dirait en me repoussant de Lui : C'est
assez jouir de moi; assez longtemps tu m'as
possédé. Maintenant , retire-toi ; va , si tu le
peux, trouver ailleurs ta félicité, ou rentre dans
ton néant.
Arrière! arrière une telle hypothèse! Tout crie
en moi, comme en Dieu même : Impossible!
Comment donc ma Destinée, une fois conquise
et embrassée par ma volonté libre, pourra-t- elle
finir? Est-ce que moi-même, je m'arracherai à
ma fin?
Quoi ! moi-même me dérober à l'embrassement
de Dieu? Mais comment? Où irais-je, en quit-
tant ma fin et en m'arrachant à mon Dieu? Où
me précipiter au delà? Et comment retourner en
arrière?Ce quej'aimoi-mème voulu,je l'ai trouvé;
j'ai conquis ma Destinée, je la tiens, je ne l'aban-
donnerai pas ; comme elle , et avec elle , je vivrai
Eternellement.
Eh! comment, je vous prie, pourrais-je avoir
la volonté de m'arracher moi-même à ma félicité
suprême, en m'arrachant à ma fin dernière?
Ce que veut ma volonté, avant tout et par-
124
l'éternité
dessus tout,quand elle embrasse sa fin dernière,
qu'est-ce, si ce n'est embrasser son bonheur? La
fin dernière et le bonheur se tiennent par une
nécessaire relation; ils sont liés l'un à l'autre
par une chaîne plus forte que tout ; chaîne que
nen, absolument rien ne saurait briser, et qui
s appelle la force même des choses. Toute ten-
dance vers la véritable fin, si petite et si pri-
nutive soit-elle , c'est le bonheur qui com-
mence; et la possession de la fin, le repos
dans la fin, c'est le bonheur qui s'achève
La suprême déviation de la fin dernière, c'est le
suprême malheur, c'est le malheur même de
l'enfer; et la conquête totale et définitive de la
Destinée finale c'est le suprême bonheur, le bon-
heur même du ciel.
Ainsi l'exige l J ordre fondamental ; ainsi le pro-
clame la plus vulgaire raison , l'irrécusable
témoignage du sens commun.
Inutile d'insister sur un point rayonnant de
a propre clarté , et d'une évidence qu'on i
peut appeler primitive.
Mais, [ce [qu'il faut surtout bien entendre ici
c'estque la volonté humaine veut nécessairement
son bonheur, son suprême bonheur.et que pour
être complet, achevé et suprême dans le vrai
TÉMOIGNAGE DE L'AME
125
sens de ce mot, ce bonheur doit être Eternel. •
Que l'homme en tout veuille son bonheur,
son suprême bonheur, c'est une vérité devenue
banale à force d'avoir été dite.
Mais il fallait la rappeler, parce qu'elle
touche au fond même de ce sujet. Si l'homme
ravi hors de lui-même par un mouvement de
généreuse et sublime abnégation , peut, un mo-
ment, faire abstraction de son propre bonheur;
il n'en peut jamais faire la complète abdication.
Dans chacune de ses actions, par chacun de ses
mouvements, l'homme, avons-nous dit, veut un
bien, mais il le veut surtout, d'ordinaire, dans
ses rapports avec son bonheur du temps ou son
bonheur de l'Eternité. Et si.comme nous l'avons
dit aussi, il veut en tout, non seulement tel bien
particulier, limité, restreint, mais le bien total,
souverain, suprême, enfin, il le veut surtout com-
me son suprême bonheur.
Or, il n'y a pas de suprême bonheur sans la
permanence et l'Eternité danslebonheur.Cicéron
déjà l'avait compris, alors qu'il disait qu'on ne
peut être vraiment heureux que dans la posses-
sion d'un bien stable et permanent : Nemo, nisi
in stabili et permanente bono beatus esse potest.
L'Eternité entre donc essentiellement comme
126
l'bternitk
. élément constitutif dans la plénitude du bon-
heur. Que serait pour moi un bonheur que je
saurais devoir un jour finir, si ce n'est un bon-
heur incompatible avec le suprême bonheur?
Et, puisque ma volonté veut le bonheur com-
plet, achevé, en un mot, le parfait bonheur, il en
résulte qu'elle veut nécessairement l'Eternité
dans le bonheur.
Cela posé, il faut avec la volonté humaine
affirmer l'Eternelle vie, ou se précipiter dans les
contradictions: contradictiqn dans l'homme
et contradiction en Dieu lui-même. Comment
comprendre (si l'Eternité n'existe pas) cette si-
tuation absolument contradictoire dans une vo-
lonté humaine : vouloir spontanément et néces-
sairement ce qui doit lui échapper fatalement.
Contradiction .humaine doublée de la contradic-
tion divine : Dieu mettant dans l'homme la vo-
lonté nécessaire de son bonheur suprême, et lui
en refusant la condition absolument indispen-
sable, à savoir, l'Eternité dans le bonheur.
Tel est , Messieurs , le témoignage d'une gra-
vité spéciale que l'âme humaine rend par sa
volonté à l'Eternité de sa vie. Elle dit : Je veux le
bien, le bien complet, l'Infini dans le bien; et le
le bien n'est ni complet, ni infini, s'il n'est pas
TEMOIGNAGE DE L'AME
127
Eternel. Je veux ma fin, ma fin dernière; et ma
fin dernière doit être Eternelle. Je veux, enfin,
mon bonheur, mon bonheur complet, mon bon-
heur parfait ; et mon bonheur ne peut être ni
parfait, ni complet, s'il n'est pas Eternel.
Donc, il y a une Eternité .
Et c'est ainsi que la volonté, répondant de sa
voix royale aux autres voix qui parlent au fond
de l'âme humaine, affirme avec une puissance
vraiment irrésistible , non seulement une fois,
mais trois fois, l'existence de l'Eternelle vie.
V
Ne vous semble-t-il pas. Messieurs, que pour
attester notre Eternel avenir, le témoignage de
notre âme est aussi complet qu'il se peut con-
cevoir?
Cependant, si nous y regardons de près, nous
trouvons dans cette attestation de l'Eternité par
l'âme humaine, quelque chose peut-être encore
plus décisif que tout ce que nous avons dit jus-
qu'ici: c'est le témoignage de son action.
128
l'éternité
Non seulement notre âme pense, espère, aime
et veut l'Eternel dans sa Destinée future; en fait
elle le cherche, elle le poursuit avec un invincible
besoin de l'atteindre.
C'est qu'en effet, notre marche dans le temps
n'est, à la bien définir, qu'une poursuite cons-
tante de l'Eternité.
Nous venons de montrer comment l'acte es-
sentiel de notre volonté est de vouloir le bonheur
et le suprême bonheur. En ce moment, nous al-
lons plus loin.et nous disons non plus seulement
que notre âme veut avec le suprême, l'Eternel
bonheur : nous disons qu'elle le cherche et le
poursuit; et que cette recherche et cette poursuite
est le grand ressort et l'universel mobile de toute
son action.
Quiconque connaît un peu l'humanité, n'igno-
re plus que toute l'action humaine peut se résu-
mer en cette formule :
Chercher l'Eternel.
Vous-mêmes jMessieurs,vous qui semblez,par
tous les mouvements de votre vie , ne chercher
et ne poursuivre que tout ce qui est du temps ;
ne sentez-vous pas, au fond de tous ces mouve-
ments, une force mystérieuse qui vous pousse
vers l'Eternel ? Et, tandis que vous paraissez ne
TEMOIGNAGE DE L'AME
129
chercher qu'un bonheur qui a pour durée au-
jourd'hui, et, peut-être, pour extrême limite de-
main: n'est-il pas vrai qu'en réalité vous
cherchez un bonheur sans fin?
Adorateurs des choses du temps, même sans
y penser, c'est l'Eternité que vous poursuivez.
Ambitieux de trouver le bonheur dans la
gloire, vous cherchez une gloire Eternelle; am-
bitieux de trouver le bonheur dans la posses-
sion de la richesse, vous cherchez une richesse
Eternelle ; ambitieux de vous faire un bonheur
au sein de la volupté, vous poursuivez une vo-
lupté Eternelle.
Et vous, qui mettez votre bonheur dans l'éclat
de la beauté , même de la beauté fugitive
d'ici-bas; dites, pourquoi ètes-vous triste, lors-
que vous sentez descendre sur votre front les
premières ombres de cette vieillesse qui flétrit
tout, et qui pour vous va bientôt venir, si elle
n'est déjà venue? Fleur humaine que vous êtes,
mais fleur d'un jour, vous portez même sous
cette beauté, qui déjà se décolore, l'ambition de
fleurir Eternellement.
D'où vient, en un mot, la grande douleur et
parfois le désespoir de nous arracher à tout ce
qui nous quitte, si ce n'est parce que nous
J30
l'kteïjnité
de caducité, la secrète ambition d'Eterniser nos
jo-s et nos félicités d'un jour; et que, dai s a
possession co mme dans la perte de'tout ce q •
est du temps, nous gardons notre, constante
recherche de l'Eternité? liante
Ainsi, dans des situations et sous des faces
d-r.es, sommes-nous tous dans ce vo^
vons U l'Ft° J T ,r ; danS ^ tempS ' n0US Pa-
vons 1 Jj.tern.te. Et, chose remarquable, au fond
*« . P énomènes et des incidents qui nous mon-
comrons la preuve démonstrative de notre
marche vers un terme qui ne doit pas finir
Rappelons ici ce qui, sur ce point, est déve-
loppe ailleurs (1).
Comme le voyageur, nous passons, et passons
toujo urs; et cette continuité du passage nous
condamne à la perpétuité des déplacements
Au fond de ce mouvement qui nous fait mar-
ier toujours, en nous déplaçant sans cesse
nest-Upas vrai que nous cherchons un point
(1) Voyez dans le volume intitulé la n„„,- , ,.
veloppement de cette vérité • L« »,>«, DegUne e, le dé-
cours, veine . m oieestuncoyage, 4e dis-
TÉMOIGNAGE DE L'AME
131
d'arrêt , un point d'arrêt définitif, et qu'à, tra-
vers toutes les étapes que nous parcourons,
nous avons l'ambition d'arriver à mie station
Éternelle ?
Comme le voyageur, nous quittons toujours
quelqu'un ou quelque chose ; et la perpétuité de
nos déplacements implique, comme conséquence
forcée, la continuité de nos séparations. Qui donc
a vécu et peut ignorer encore cette inéluctable
loi de la vie : se séparer, se séparer encore , se
séparer toujours?
Comment se fait-il, cependant, que sous le
coup de ces séparations toujours renouvelées,
nous gardions l'indéracinable instinct et l'irré-
sistible besoin d'une union qui ne doit pas finir?
Ali! c'est qu'une voix secrète mais révélatrice
nous dit à tous (quand nous savons l'écouter),
qu'à travers toutes ces séparations, dont nous
portons au cœur la blessure toujours saignante,
nous poursuivons une union Éternelle.
Comme le voyageur encore, nous cheminons
dans le travail, la fatigue et l'agitation. Et
pourtant n'est-il pas vrai qu'au milieu de cette
perpétuelle agitation, et de cette perpétuelle
fatigue nous cherchons un repos, non un re-
pos transitoire, mais un repos Éternel"'
132
l'éternité
appelle surToTlÏ ??" !' C ° < " W "^
«a»»? wwcueu . Bequiem œter-
P aX M ntzr^• r n - dans Mtre -*•
ne S ent ns U ;:; U a "^ ™ '- *». et n0Ils
-Tx t rr; d f i rr- ta --
'« coûtes sacrées de ses basin™ " c ',,„ ^
œternam! LUU ^ame. Vitam
Messieurs, j'insiste sur ce cnint „ ■• ■ ,
TÉMOIGNAGE DE l'aME
133
nelle vie , le besoin de vivre, et de vivre Éter-
nellement.
, Où donc est-il sur la terre,celui qui veut mou-
rir et mourir tout à fait ? Où donc est-il, l'être
humain qui n'a pas la passion de vivre, et de
vivre le plus possible ?
Est-ce le vieillard? Mais il n'a fait en vivant
que développer en lui le besoin de vivre ; et son
ambition de la vie semble croître à mesure
qu'il avance vers la mort. Oui, même l'octog-é-
naire dit, en se penchant vers sa tombe : Vitam
œtemam. La vie Eternelle ! La vie Eternelle !...
Qui donc vraiment sent le besoin de mourir ?
Le malheureux, dites-vous, celui que la vie ac-
cable ? Mais, ce malheureux, ne voyez-vous pas
qu'il a besoin de vivre davantage, et que son
malheur est précisément de ne pas vivre assez?
Qui donc, enfin, ne veut plus vivre, et aspire
à mourir tout à fait? Ah ! je vous entends : le
suicidé : celui-là, dites-vous, a bien perdu l'am-
bition de vivre, et surtout ue vivre Eternel-
lement.
Eh bien, vous vous trompez : si cet homme
veut secouer sa vie du temps, c'est que cette vie
pour lui ressemble trop à une mort; sa vie se
' • 8
134
l'éternité
I
sent a 1 étroit ; il fa désire une ère
lar*e; sa vie étouffe; il cherche à ses aspira-
bons un air plus libre; il rêve de trouver, de
1 autre coté de sa tombe, une atmosphère incon-
nue ou sa vie, que le temps a flétrie, puisse s'épa-
Zl S ° US n im S ° Ieil PlUS doux ^ sous des
souilles meilleurs.
Et moi-même je sens, au plus profond de mon
être, que si la tentation me venait un jour de
précipiter ma mort, ah ! ce ne serait pas pour
conquérir le sommeil du néant, mais pour em-
brasser l'Eternité de la vie.
Ainsi, sous quelque face que je considère ma
vie voyageuse, elle m'atteste la certitude d'une
Eternité :à travers mes déplacements, je cherche
un terme Eternel ; à travers mes séparations
je cherche une union Eternelle ; à travers toutes'
mes fatigues, je cherche un repos Eternel; et à
travers toutes mesmortsje cherche une vie Eter-
nelle.
Voyageur que je suis, au chemin de cette vie,
]en ambitionne qu'une chose : arriver- oui ar
river, pour moi c'est tout.
Or, pour moi, arriver, cela veut dire : toucher
au terme final, à la fin oui ne finit plus- donc, à
1 Etermte, car l'Eternité c'est cela même
TEMOIGNAGE DE L AME
135
Là, je veux m' arrêter et m'arrêter pour tou-
jours. Là, je veux aimer et m'unir pour toujours.
Là, je veux me reposer et me reposer pourtou-
ours. Là, enfin, je veux vivre et vivre pour
toujours.
Et ce mot suprême de mon Symbole : Vitam
œternam , c'est le cri de toute ma vie. Donc, je
vivrai Éternellement.
Ou bien il faut que je récuse, avec le témoi-
gnage du Christianisme et de l'Humanité, le té-
moignage de mon âme; il faut que je consente
à me contredire, à me nier, à m'abdiquer, et
j'allais dire, à m' anéantir moi-même.
Je n'y consentirai pas ; oh ! non, jamais ! Hier
je disais, et tous vous disiez avec moi : Je crois
à la parole de mon Verbe divin; je crois à la pa-
role de l'Eglise infaillible ; je crois à la parole
du genre humain.
Aujourd'hui je dis, et tous vous direz avec
moi: Je crois à la voix de mon verbe intérieur,
qui me crie de toutes les profondeurs de mon
être : Il y a une Eternité.
Ah! oui, je le crois, credo ; car, ce n'est plus
seulement le Christ, l'Eglise,les chrétiens, l'hu-
manité , c'est mon âme qui me crie d'une voix
que je ne puis étouffer: Tu es fiancé par ton Dieu
136
l'éternité
même à la fin qui t'appelle et t'attend, pour ac-
complir avec lui-même le mystère de ton Eter-
nelle union : union béatifique qui a,pour se pré-
parer.toute la vie du temps, pour se consom-
mer, toute la vie de l'Eternité ! . . .
RÉSUMÉ ET CONCLUSION
Telle est, Messieurs, la conclusion finale de
ces deux discours qui n'en font qu'un. Il y a une
Eternité : nous vivrons Eternellement. C'est ce
qu'attestent à la fois les témoig-nag-es du dehors
et les témoig-nag-es du dedans;en d'autres termes,
lestèmoignages d'autorité et les témoig-nag-es de '
l'âme.
Deux grandes autorités affirment ensemble
l'Eternelle vie: le Christianisme et l'Humanité.
Le Christianisme, par la voix du Christ qui en est
le Chef, de l'Egiise qui en est le corps, et de tous
les chrétiens qui en sont les membres, affirme
de toutes les manières son Dog-me souverain,
VEternile.
TEMOIGNAGE DE L AME
137
D'autre part l'Humanité entière, à tousleslieux
de l'espace, à tous les moments de sa durée, et
à tous les degrés de sa hiérarchie, fait à la grande
voix du Christianisme un écho universel, et avec
lui affirme l'Eternité.
Et il se trouve qu'à ce témoignage du dehors
répond harmonieusement le témoignage du
dedans, et au témoig-nag-e d'autorité le témoi-
gnage de notre âme.
Par sa pensée, par son espérance, par son
amour, par sa volonté, par sa recherche de l'E-
ternel, notre âme nous dit à chacun et à tous,
non seulement une fois, mais cinq fois : Eternité!
Eternité! c'est, Messieurs, le mot que je vous
laisse comme l'abrégé de ma parole d'hier et de
ma parole d'aujourd'hui; et avant de finir, que
puis-je vous demander, si ce n'est de lui donner
dans vos âmes recueillies un retentissement
profond, surtout un retentissement efficace?
L'Eternité!... ah! je vous en prie, laissez-la
parler en vous; laissez-la retentir jusqu'au plus
intime sanctuaire de vos âmes; car, je vous le dis
en vérité, ce mot parle plus fortement et plus
efficacement que ne pourrait le faire le plus
grand des orateurs, cet orateur fût-il même !e
génie de l'éloquence.
8.
138
L'ETERNITE
Oh! cette parole, n'ayez pas peur de l'entendre
et de la méditer; car il n'en est pas qu'il vous
importe plus d'écouter et de comprendre.
Donc, allez, et dans tous les chemins où vous
emporte le mouvement de votre vie, écoutez-le
bien, ce mot dominateur; oui.jusquedanslefracas
des affaires et des préoccupations du temps,
écoutez-la, écoutez-la encore cette incomparable
parole, qui, même au milieu de tous les bruits
de ce monde passager, vous dit au plus intime de
vous-mêmes : Voyageurs du temps, song-ez-y,
vous êtes immortels; vous vivrez Eternellement-
Ah! Messieurs, comment pourriez-vous n'y
pas penser? Quoi! à la rumeur que fait autour
de vous tout ce qui passe, tout ce qui va bientôt
finir, vous permettriez d'étouffer en vous la
pensée de ce qui ne passe pas, et de ce qui ne
finit pas? Et vous laisseriez toutes les voix du
temps, voix de l'heure qui sonne et de la minute
qui fuit, dominer en vous la grande voix de
l'Eternité? Oh! non vraiment, dans l'amour que
j'ai pour vos âmes, et dans l'intérêt que je porte
à votre salut, je n'y puis consentir.
Messieurs , laissez-moi vous le dire : telle est
sur ce point la sollicitude de mon cœur aposto-
lique, que si, au sortir de cette enceinte, il dé-
i „j
TEMOIGNAGE DE LAME
139
pendait de moi de vous suivre, je voudrais m'at-
tacher à vos pas, pour vous faire entendre et
entendre encore ce mot qui ne doit jamais cesser
tout à fait de retentir dans vos âmes créées pour
l'Eternel !
Que dis-je? je voudrais m'en aller sur vos
places publiques, et jusque dans vos forums
bruyants; et là, redire à ces foules si absorbées
par les choses du temps : Eternité'. Eternité'!
vous tous qui vivez aujourd'hui et qui mourrez
demain, ah! ne l'oubliez jamais : vous n'êtes pas
faits pour ce qui fuit, mais pour ce qui demeure.
Au bout de ce chemin où vous marchez, tantôt
dans le plaisir et la volupté, tantôtdans le travail
et la fatigue, il y a l'Eternité.
Oui, Messieurs, voilà ce que je voudrais dire
et redire, non seulement à vous, mais à tous
ceux qui, avec vous, passent au chemin de cette
vie d'un jour.
Ah! du moins, ce mot vous l'emporterez dans
vos âmes comme un écho prolongé de mon
discours. Tous les jours, et s'il se peut, à toute
heure de chaque jour, vous renouvellerez votre
actede ferme foi et d'adhésion absolueà ce dogme
souverain. Oui, à chaque pas que vous ferez dans
votre course rapide du temps, vous direz : Je
140
l'éternité
crois à la vie Etemelle : Credo vitam œternam;y en
suis certain, il y a une Eternité.
Messieurs, j'ai beaucoup insisté sur cette
grande et ferme base de la vie du temps : la Cer-
titude d'une Eternité: Il le fallait. Demain j'es-
sayerai de vous dire ce que cette Eternité est
pour nous,dans notre vie présente et dans notre
vie future. Je ne vous convie pas à venir m'en-
tendre : votre concours d'aujourd'hui me ga-
rantit d'avance votre concours de demain.
INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ
SUR LA VIE PRESENTE
Annos œternos in mente
habui. Ps. 76.
J'ai médité les années
éternelles.
Monseigneur,
i Messieurs,
Nous savons désormais qu'après cette vie
transitoire il y a pour nous une vie qui ne doit
plus finir; c'est-à-dire,dans le sens le plus propre
et le plus strict de ce mot, une vie Eternelle, vi-
tam œternam.
Cette Eternité de la vie nous est attestée, et
par toutes les voix qui nous parlent par le de-
hors, et par toutes les voix qui nous parlent par
le dedans, c'est-à-dire, par tous les témoignages
de l'autorité et par tous les témoignages de
l'âme.
142
INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ
Sous le double ascendant de cet irrésistible
témoignage, je me suis écrié tout haut, etchacun
de vous, ce me semble, a dit avec moi : Credo!
Oui, je le crois : Il y a une Eternité'.
Maintenant, Messieurs, pour mieux mesurer
la portée de ce que nous avons dit jusqu'ici, et
surtout de ce qui nous reste encore à dire, ce se-
rait le moment de poser, en essayant d'y répon-
dre, cette grande question : Qu'est-ce que l'Eter-
nité? Quel est le fond de son mystère? Quelle
est sa largeur? sa profondeur? sa longueur?
Ah! sa longueur, surtout! Et comment mesurer
son incommensurable durée?
C'est ce que j'avais pensé d'abord à vous
dire dans ce discours.
Imitant ce qu'ont fait, sur un pareil sujet, des
prédicateurs célèbres, j'aurais, moi aussi, voulu
tenter cet impossible: vous faire comprendre ce
que c'est que cette Eternité. Appelant au secours
de la pensée toutes les ressources et toutes les
puissances de l'imagination, par les rapproche-
ments ou les contrastes des choses les plus ex-
trêmes, par les images, les comparaisons et les
hypothèses les plus capables de frapper la pensée
du peuple, et même l'intelligence des savants,
j'aurais essayé de vous donner, sinon la compré-
SUR LA VIE PRESENTE
143
hension,au moins une idée de la dnrée des an-
nées Eternelles, ou de l'Eternité : et assurément
votre pensée comme la mienne, devant le mys-
tère de l'Eternelle durée, fût demeurée dans une
sorte de religieuse stupéfaction.
Le temps me manque pour vous faire entrer
dans ce profond mystère. J'aime mieux, d'ailleurs,
vous laisser vous-mêmes par votre pensée soli-
taire pénétrer dans son fond. Et je me contente
de vous livrer en passant la parole d'un Saint
Père, qui vous dit tout en ces deux mots : « L'E-
« ternité , c'est la fin ; et cette fin ne finira plus :
« JElernitas est finis sine fine ». « Eternité!» s'écrie
Saint Augustin, « son nom est bientôt dit, car il
«n'a que quatre syllabes, quatuor syllabis constat;
« maisen elle-même elle est sans fin, m se est sine
« fine »
Je vous laisse donc, Messieurs , sous la clarté
rayonnante et l'impression salutaire de cette
idée qui résume et abrège tout : « Une fin qui ne
« finit plus; finis sine fine ,-» c'est-à-dire un terme
où finit tout ce qui est du temps, et lui-même ne
devant plus finir ; bref, la durée sans limite et
sans fin, et pour tout dire en un seul mot : Yin-
lerminable. Voilà l'Eternité.
Sans entrer plus avant dans cet insondable
144
INFLUENCE DE L ETERNITE
abîme, je me place à un point de vue à la fois
plus saisissable et plus pratique ; et je vais es-
sayer de montrer quelle est la puissance efficace
et l'influence décisive de cette pensée de l'E-
ternité ainsi comprise , soit qu'il s'agisse de
notre vie présente , soit qu'il s'agisse de notre
vie future.
N'aimant à dire qu'une chose à la fois, et
trouvant d'ailleurs ces deux considérations trop
vastes pour un seul discours, je remets à
demain de vous parler de la seconde. Je vais
me borner aujourd'hui à vous montrer l'incom-
parable ascendant qu'exerce sur notre vie pré-
sente, cette idée de l'Eternité, alors qu'elle nous
entre profondément dans l'âme.
La puissance que doit exercer sur l'âme
humaine la pensée de la survivance Eternelle,
apparaît si évidente , que j'ai plutôt à vous la
rappeler qu'à vous la démontrer ; et je n'aurai
pasdepeineàvousfairecomprendreeommentelle
est, tout à la fois, puissance d'illumination, de
consolation, de conversion, de sanctification et
finalement d'apostolat ou de propagation.
C'est ce qui va faire, ce soir, l'objet de votre
religieuse attention.
SDR LA VIE PRESENTE
145
I
Et tout d'abord , remarquez, Messieurs, que
l'idée de l'Eternelle vie ou la perspective de l'E-
ternité exerce sur nos âmes une étonnante puis-
sance d' illumination.
J'entends par là l'éclatante lumière que cette
pensée répand sur toutes les choses du temps,
pour nous en découvrir le vide et nous en laisser
voir le néant.
En dehors de cette vision ou de cette pensée
de l'Eternel, tout dans le temps nous trompe et
nous apparaît dans un faux jour, qui nous eu
voile le vide et nous en dissimule l'inanité.
Mais, où donc est l'âme sincère qui, lace à
face avec l'Eternel avenir, eu tète à tète avec l'E-
ternité, n'éprouvera pas le besoin de s'écrier dans
la lumière qu'elle projette sur toutes les choses
de la terre et du temps: Eternité! Eternité!
puisque pour moi tu dois durer toujours ; puis-
qu'il est vrai que tu es la fin, et que cette fin no
doit plus finir; puisque ta durée surpasse toutes
les durées que j'imagine, et toutes celles que je
ne puis pas même imaginer; ô Eternité, puisque
tu es vraiment, dans le sens le plus strict et le
9
INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ
plus absolu de ces mnu i\-
l'interminable : l^Z'àoT^^ 80 ^ 16 et
cette vie du temps et 1 t ^ d0nC peuser de
Qu'est-ce Pou^t ct^ftr nfenne ^
toutes ses réalités oldaLne Jf ^ If ^
Pas qu'elle fait au chemin • V ' Chaque
courir demain; que d^^ vÏ" aUJ0Md ™<*
et courir tout a ïbeure 'à ^ T ? m ° ment
être! Hélas' ûuW antmême >Peut-
condamnée à di re le tou^e? " ' Sera
marquent son heure „„„,„ le Jima ' s °"i
^™^w..?z r rxs emen,pr&mt -
U Eternité, ô Eternité ! dis mm ,
bitenr ■ 7, ■ " PlUS 1Utlme des âmes qui l'ha .
Ditent . Toujours! Jamais! Ah 1 devant tn L
qui se découvre devint t„ ° H abîme
vêle à ma pensée ant , mjStère qui Se ré "
uu P en see, autant du moins one po++„ •
nos lèvres %„„ • , nies et prononcent
1. P^BXuTp^Ietr f q "'™ P °" te
nous poussant «rstlf ' "' n0tre vle . «
SUR LA VIE PRÉSENTE
147
Lorsque notre vie court, lorsqu'elle se préci-
pite plus rapideque tousles neuves qui courente
se précipitent à la mer, plus rapide que vos
chars emporta par le souffle de la vapeur ; et
lorsque à toute heure, à tout instant de cette
course, l'Eternité peut nous arrêter et nous dire
en nous ouvrant son sein : Me voici; qu est-ce,
en effet, que les toujours et les jamais de ce lieu
du passage, par lesquels nous essayons de non
tromper nous-mêmes et les autres avec nous, si
ce n'est une ironie de cette vie du temps pour
mieux se faire illusion, simulant l'Eternel?
Ah' sicerayonillurninateurquer-Etermte ense
découvrant, projette sur le temps ne nous ^désa-
buse pas sur la valeur de tout ce qu il renferme,
qu'est-ce donc qui pourra nous arracher ce voile
ou plutôt ce bandeau qui nous en cache 1 mainte i
Chose remarquable! en dehors de cette pensée
de l'Eternelle durée, rien n'arrive à nous con-
vaincre tout à fait de ce néant, de ce rien de
toutes les choses du temps.
One de choses cependant, dans notre vie du
temps, semblent faites pour nous désabuser de
leur valeur propre et nous convaincre de leur
néant' Ah! des choses de cette vie nous vous
avons un jour montré tout à la fois et l'uni-
148
INFLUENCE DE L ETERNITE
verselle instabilité, et l'agitation permanente,
et le vide profond, et l'inexorable ennui, et l'ir-
rémédiable souffrance, et, avec tout cela, la ra-
dicale et absolue impuissance de tout ici-bas,
pour nous donner ce que nous rêvons et ce que
nous poursuivons toujours, par un invincible
instinct, sans le rencontrer jamais (1).
Qu'y a-t-il de plus propre, ce semble, à nous
donner la souveraine conviction que tout ici-bas
est vain ?
Et cependant rien n'y fait. A cette instabilité,
à cette agitation, à ce vide, à ce fond inépuisa-
ble de la souffrance, sans cesse renaissant de la
souffrance elle-même, nous nous attachons, nous
nous cramponnons quand même.
Même la certitude que cette vie a un terme, et
qu'elle va bientôt finir, ne suffit pas à arracher
les hommes à tout ce qui les agite, à tout ce qui
les fatigue, à tout ce qui les ennuie, à tout ce
qui les tourmente, à tout ce qui leur échappe, à
tout ce qui demain, ou même aujourd'hui, peut-
être, va les quitter tout à fait. Et vous pouvez
les entendre redire, dans les festins qu'ils se
font sur ce fleuve du temps qui les emporte :
(1) Voir le volume précédent,
cours.
la Destinée. 3"' e dis-
—
SUR LA VIE PRÉSENTE
149
« Mangeons et buvons; car nous mourrons de-
« main. Manducemus et bibamus; cras enim mo-
« riemur. »
Que dis-je ? l'idée même que tout ne finit pas
avec la mort, l'idée d'une survivance quelconque
par-delà notre tombe ne suffit pas à nous donner
de l'inanité de toutes les choses qui passent avec
nous-mêmes une conviction complète etcapable,
sur ce point, de nous éclairer et de nous ins-
truire-assez, capable surtout de nous arracher,
par un détachement effectif, à la puissance de
leurs séductions, de leurs charmes et de leurs
fascinations.
Mais, Messieurs, l'idée fixe et acceptée, la
certitude absolue qu'à cette vie qui va finir, doit
succéder une vie qui ne finira plus; l'idée qu'au
delà de ce terme où va s'arrêter notre vie du
temps, il y aura une vie qui n'aura plus de
terme, une vie, dans le sens absolu de ce mot,
vraiment in 1er minable : ah ! dans cette idée et
dans cette conviction, si l'on a gardé la faculté
de voir et d'entendre, quelle force et quelle puis
sance pour nous montrer et pour nous persua-
der «combien «—selon lebeaumotde Bossuet -
« tout, ici-bas, n'est rien ! »
Supposez seulement qu'au sortir de ce monde,
150 INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ
vous avez à vivre dans l'autre, heureux ou mal-
heureux, un milliard de siècles ; que sera pour
vous.dans la balance de la plus vulgaire raison,
le poids ou la valeur de cette vie ? Que dis-je ?
supposez qu'après ce milliard de siècles écoulés,
il doit y avoir encore pour vous à vivre d'autres
milliards de siècles...
Eh bien ! qu'en pensez-vous? Alors, que vau-
dra pour vous, en face de ces milliards et ces
milliards de siècles, ce court moment de votre
vie passagère? Et qu'y aura-t-il pour vous
dans cette vie, malgré tous ses charmes et tous
ses bonheurs possibles ou impossibles.qui puisse
être mis en balance avec cette autre vie si ef-
froyablement longue et séculaire?
Qu'est-ce donc, si, même tous ces milliards
de siècles supposés, ne vous donnent pas le der-
nier mot de l'éternelle vie? Qu'est-ce, si,comme
l'enseigne le dogme Catholique et comme vous
le croyez vous-mêmes, qu'est-ce, si, après ces
milliards il faudra compter d'autres milliards,
et toujours, sans voir jamais le terme, d'autres
milliards de siècles; et cela, dans le bonheur ou
le malheur, dans la récompense ou le châtiment;
selon le libre usage que vous aurez fait de ce
SUR LA VIE PRÉSENTE
151
moment que Dieu vous aura donné de passer
dans le temps ?
Oh ! comprenez-vous alors, Messieurs, le sens
profond de cette question si éminemment rai-
sonnable, qu'un jeune Saint posait en face de
toute chose du temps : Quid hoc ad œtemitatem '!
Qu'est-ce que cela devant l'Eternité? Qu'est-ce
que cette vie qui se dérobe, qui m' échappe, et tout
à l'heure va finir avec tout ce qu'elle porte
avec elle, devant cette autre vie, dont la Destinée
est de demeurer toujours et de ne finir jamais?
Ah ! Messieurs, comme dans cette grande lu-
mière, qui sort du fond de cette Eternité pour
nous montrer, sous leur vrai jour, toutes les
choses du temps, apparaît la folie des hommes
si haletants, si acharnés à la poursuite des va-
nités, des bagatelles, des riens de cette vie d'un
jour, et si distraits, si oublieux, si insouciants
des intérêts suprêmes de l'éternelle et intermi-
nable vie ! Folie des folies, à nulle autre com-
parable
Folie de s'attacher à ce qui passe, et de
tourner le dos à ce qui ne peut passer!
Folie de se préoccuper du temporel, c'est-
à-dire du transitoire, du fugitif, du fragile, du
périssable ; et de sedésoccuper de l'Eternel, c'est-
152
INFLUENCE DE L ETERNITE
à-dire de l'impérissable, du permanent, de l'in-
terminable, enfin.
Folie de prêter l'oreille à toutes ces agitations,
à toutes ces luttes, à tous ces bruits qu'emporte
avec elle l'heure qui sonne, et vous dit en
fuyant : Vanité, vanité de tout ce qui est du temps;
et folie plus grande encore, de se rendre sourd
à la voix qui vous crie de l'autre côté de votre
tombe : Valeur incomparable, valeur infinie de
tout ce qui est de l'Eternité !
Malheur, malheur à vous, qui sur ce fleuve du
temps, qui vous pousse dans l'Eternité, essayez
de vous faire aujourd'hui une halte, un repos
qui ne sera plus demain! Malheur à vous qui sur
ce flot fugitif qui porte à l'abîme où vous allez
tomber, bravez l'Eternel ; l'Eternel qui vous at-
tend, l'Eternel qui déjà vous ouvre son sein, et
qui demain, aujourd'hui même, peut-être, dans
une lumière bien autrement éclatante que celle
qu'il nous envoie au chemin de cette vie ,
va vous montrer comment pour vous le temps
n'est rien et l'Eternité est tout.
Ainsi, l'idée de l'Eternité est pour notre vie
sur la terre la grande puissance d'illumination.
Ajoutons qu'elle est, en même temps, pour tout
SDR LA VIE PRESENTE
153
ce qui souffre ici-bas, la grande puissance de
consolation,
II
Ah! Messieurs, la consolation 1 , qui donc sur
la terre ne l'invoque aussi grande, plus grande
même que la souffrance ? Le besoin d'être con-
solé tient tellement à la souffrance, que l'acte
même de souffrir est une naturelle et comme
une nécessaire aspiration vers la consolation;
et ceux qui sous les étreintes de la souffrance
disent n'avoir pas besoin de consolateur, es-
sayent en -vain défaire croire aux autres ce qu'ils
ne peuvent croire eux-mêmes.
Voyez- vous d'ici le sillon bridé par le soleil,
et appelant pour le désaltérer la pluie du ciel ?
Voyez-vous aussi, sous des souffles arides, la
jeune plante qui incline ses rameaux languis-
sants , la petite fleur repliant tristement son ca-
lice ; et l'une et l'autre appelant quelques g-outtes
de rosée pour retrouver leur fraîcheur , et mon-
trer leur beauté ?
Voilà le cœur humain flétri par la souffrance,
consumé par le chagrin; le voilà invoquant
un sourire de compassion tombant sur lui comme
le rayon de soleil sur la plante inclinée, ou une
9,
154 INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ
parole d'affection descendant sur lui comme la
goutté de rosée sur la fleur desséchée.
.. Et voilà peut-être, parmi tous ceux qui en-
tendent ceci, la situation de plusieurs d'entre
vous. Car, j'ai assez appris à connaître la mi-
sère qui s'attache avec la souffrance à toute
humanité, pour ne plus ignorer qu'il est impos-
sible d'appeler autour de soi un grand nombre
d'êtres humains, sans réunir en même temps
autour de soi un grand nombre de souffrances
humaines ; donc, un grand nombre de cœurs,
pareils au cœur du Roi-Prophète, invoquant la
consolation et disant avec lui : « J'ai cherché un
« consolateur; quœsivi consolantem me. »
Mais, hélas ! combien doivent ajouter avec
lui : « Et je ne l'ai pas trouvé , et non in-
« veni ! »
Où trouver, en effet, sur la terre et dans l'e
temps,la consolation telle que nous l'appelons ?
Une consolation qui soit à la mesure de notre
souffrance? Certes, je ne dirai pas que rien,
absolument rien, sur la terre, ne puisse nous
apporter au moins une consolation quelconque;
et je veux bien convenir que, dans une situation
donnée, les larmes d'un ami peuvent tomber
sur notre cœur désolé, à peu près comme ces
SUR LA VIE PRESENTE
155
gouttes de rosée, dont je viens de parler, tom-
bent sur le sillon altéré, sur la plante languis-
sante ou sur la fleur flétrie.
Mais, outre que de tels amis sont rares, plus
rares qu'on ne le peut dire; combien qui, dans les
plus longues souffrances, ne trouveront jamais,
ici-bas, avec ces larmes de l'amitié, ce quart
d'heure de consolation!
Qu'est-ce donc qui pourra donner à vos souf-
frances transitoires du temps, non pas une con-
solation légère, fugitive, superficielle, c'est-
à-dire la petite consolation, mais la consolation
permanente, la consolation profonde, la conso-
lation suffisante, en un mot, la grande consola-
tion? Qu'est-ce si ce n'est, dans vos souffrances
temporaires, la perspective et l'espérance de
l'Eternel ?
Ah ! l'espérance, nous bavons vu, est à elle
seule une démonstration de l'Eternité; et de
son côté l'Eternité, ou l'éternelle vie, apporte à
notre âme la consolation de ce que nous avons
appelé la grande espérance. Imaginez, en effet,
dans une âme sur la terre, la souffrance la plus
longue et la plus accablante : qu'est-ce que cette
souffrance, si longue soit-elle, devant la lon-
gueur de l'Eternité ? Et qu'est-ce que ce poids
156
INFLUENCE DE L' ÉTERNITÉ
de la souffrance, si accablant soit-il, devant le
poids de l'Eternelle gloire succédant à la souf-
france du temps ?
Messieurs, ce sont ces souffrances qui dé-
passent la mesure ordinaire de la souffrance
humaine, ces souffrances vraiment exception-
nelles qui ont besoin , surtout, de demander la
consolation aux perspectives et aux espérances
de l'Eternelle vie.
Il est, dans notre humanité blessée par la
chute, des souffrances, des afflictions, des tor-
tures et des désolations que ceux-là seuls
pourraient vous dire ou vous peindre, qui en
ont subi la redoutable épreuve; souffrances
privées, dont le douloureux mystère ne s'est
révélé tout à fait qu'aux regards de Dieu et de
ses anges; souffrances publiques, dont le
spectacle s'est manifesté aux regards des na-
tions.
Martyres de la douleur cachés dans le secret
de la solitude, ou montrés au monde dans la
lumière de la publicité; mais d'un côté comme
de l'autre, effroyables martyres que rien, abso-
lument rien n'a pu consoler dans le temps, et
qui ont su trouver, avec le courage de souffrir,
d'ineffables consolations dans l'attente de
SUR LA VIE PRESENTE
157
l'Eternité, cette unique consolatrice des su-
prêmes désolations, pour lesquelles le temps
n'a pas de consolateurs.
Ah! de ces souffrances silencieusement so-
litaires, que le monde n'a pas consolées, parce
qu'il n'a pu même les connaître, combien qui
ont passé sur cette terre et n'ont pu avoir dans
le temps d'autre consolateur que le rayon de
l'espérance, tombant sur eux du fond de cette
Eternité entrevue, à travers leurs larmes, du
fond de leurs souffrances, de leurs tortures, de
leurs martyres !
Regardez ! Voici un homme couvert de toutes
les souffrances, qui peuvent tomber sur une vie
humaine ; le voici pareil à un lépreux; de la
plante de ses pieds jusqu'au sommet de sa tête
ce n'est qu'une blessure, et dans chaque bles-
sure c'est une douleur affreuse, quelque chose
qui ronge sa chair vivante, comme un ver ronge
le cadavre; quelque chose qui le brûle, comme
un fer rougi dans la fournaise, ou plutôt comme
une flamme dévorante qu'on croirait empruntée
au feu même de l'enfer. Et cet homme est
pauvre, et il est seul ! A peine une main amie
vient de temps en temps l'aider à remuer sur
sa couche son corps de toutes parts blessé et de
158
INFLUENCE DE [/ETERNITE
toutes parts souffrant. Sous l'action de la pour-
riture qui le gagne tout vivant, il voit sa chair
tomber lambeau par lambeau.
Eh bien! chose étonnante, devant cette ruine
de lui-même, qui se fait jour par jour et heure
par heure, cet homme sourit; oui, en regardant
ses chairs qui tombent, il montre sur ses lèvres
le sourire de l'espérance, et il se dit : Ce corps
en ruine est comme le dernier mur qui me
sépare de mon Eternité. Encore quelques jours,
encore quelques lambeaux tombés de cette chair
qui va mourir tout à fait; ô Eternité, ô Eternité,
seule consolatrice de mes douleurs, je verrai se
lever pour moi ta radieuse aurore. Et que sera
alors pour moi tout ce que j'aurai souffert sur
la terre, devant tout ce que tu me réserves dans
ton sein?
Voulez-vous contempler un spectacle non
moins émouvant, et dans lequel apparaît avec
non moins d'éclat la puissance de l'Eternité,
pour nous consoler des souffrances du temps?
Voyez-Vous d'ici, dans le feu d'une effroyable
mêlée, ce jeune soldat qui tombe renversé et
blessé à mort sur le champ du carnage? De ses
horribles blessures et de ses membres fracassés
par la mitraille, son sang coule à flots, et il
SUR LA VIE PRESENTE
159
1
sent sa vie s'en aller avec son sang-. Pendant ce
temps-là, le carnage continue, le fort du combat
se déplace; et le voilà seul avec ses blessures, et
ses douleurs grandes comme ses blessures.
C'est l'hiver ; la brise souffle ; la neige tombe,
et bientôt couvre le pauvre blessé, qui se roule
en d'effroyables tortures. Et là, près de lui per-
sonne! Personne pour le relever! Personne
pour le panser! Personne même pour lui ap-
porter, dans une parole fraternelle, une conso
lation suprême !
Et pourtant, ni le désespoir n'est dans son
âme, ni le murmure sur ses lèvres. Il va
mourir, et mourir dans d'effroyables tortures;
mourir là seul, loin de tous ceux qui l'aiment,
et qui demain vont pleurer sur lui ! Comment se
consolera- t-il? Comment? Ah! notre jeune
martyr de la patrie croit à une autre patrie. Ce
blessé, cet agonisant, ce supplicié du temps
croit à l'Eternité. Il se tourne vers. elle; il l'im-
plore comme sa suprême consolatrice; et le
rayon de l'éternelle vie vient réjouir son âme
et embellir sa mort.
Mais, voici un supplice et une mort qui, plus
encore que tous les autres supplices et toutes
les autres morts, ne peuvent recevoir d'autre
160
INFLUENCE DE L ETERNITE
consolation que de l'attente de l'éternelle vie ;
c'est le supplice de l'innocent- condamné à
mort, et à nue mort réputée infâme.
Un homme naguère s'est rencontré, digne,
par l'éclat de ses vertus et l'héroïsme de ses dé-
vouements, de conquérir l'estime et l'admiration.
Mais, un jour la jalousie et la haine sont
venues. Armées de la calomnie, elles ont flétri sa
réputation, et fait tomber de son front l'auréole
de gloire et de respect dont ses vertus et ses dé-
vouements l'avaient couronné. Grâce à l'ha-
bileté et au mensonge sataniques conspirant
avec des passions humaines, l'innocent, le ver-
tueux, le saint, devant le tribunal de l'opinion et
de la justice, est réputé coupable, criminel, in-
fâme! Comme tel, il va mourir, sans pouvoir
se défendre ni prouver son innocence; et la
calomnie victorieuse va poser sur sa tombe, avec
le sceau de l'universel mépris, le sceau d'une
irréparable infamie.
Ah ! comment à son heure suprême mon frère
le calomnié, le déshonoré, l'infâme, enfin, se
consolera-t-il? Je vais vous le dire : Par
delà cette tombe, où il va descendre déshonoré,
il verra briller la lumière de son éternelle réha-
bilitation . Sous le coup de la calomnie qui le
SUR LA VIE PRESENTE
161
tue et de la sentence qui le déshonore, il garde
avec un cœur tranquille un visage serein, et il
dit en regardant devant lui son éternel avenir :
Mon Dieu, soyez béni; car votre bonté et votre ,
justice me réservent, après cette heure d'infamie,
l'Eternité de la gloire, « Cette espérance repose
dans mon sein. »
Ainsi, des multitudes d'êtres humains ont
passé dans le temps, personnifiant en eux
toutes, les souffrances, portant le poids de tous
les martyres: martyres du cœur par l'accumula-
tion de toutes les tristesses et de toutes'les ago-
nies; martyres du corps parlebroiement de leurs
os et le déchirement de leurs chairs ; martyres de
l'âme par la grandeur de leur humiliation, de
leur déshonneur et de leur infamie.
Et tous ces souffrants du cœur, de l'âme et du
corps;to us ces agonisants qui ont eu leur
Gethsémani ; tous ces humiliés qui ont reçu,
dans la Jérusalem de l'iniquité, avec leur con-
damnation, le sceau de leur infamie; et tous ces
crucifiés qui ont connu , eux aussi, les tortures
de leur Calvaire; tous ces martyrs, enfin, que le
temps et l'humanité broyaient, accablaient, dé-
sespéraient, oui, tous, comme tous les martyrs
que l'Eglise honore, au milieu de leurs tor-
162
INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ
tures,de leurs humiliations et de leurs agonies,
ont gardé ces deux choses qui ont été leur su-
prême consolation et souvent même leur inef-
fable joie: l'amour de leur Dieu, et l'attente de
leur Eternité !
Mais, Messieurs, ce spectacle émouvant de
l'Eternité consolatrice, que l'on peut contempler
partout et dans toutes les situations même les
plus obscures, apparaît avec un éclat d'autant
plus grand et suscite une émotion d'autant plus
profonde, qu'il se montre dans des situations
plus élevées et sur ce qu'on appelle les hau-
teurs sociales.
Je n'en voudrais d'autre preuve que l'exemple
de ce roi fameux condamné tout à la fois par
le triomphe de l'iniquité, à descendre du trône
et à monter sur l'échafaud. Car, s'il est une
grande image du malheur dans l'humanité,
c'est le spectacle d'une majesté royale vue dans
l'ombre de son infortune, entre le trône d'où
elle vient de tomber et l'échafaud où elle va
monter; et en face d'une telle infortune, on se
demande ce qui peut consoler cette royauté de
la terre, si ce n'est l'espoir de l'éternelle
royauté du ciel.
Charler I" d'Angleterre est condamné à mort.
SUR LA YIE PRESENTE
163
Le matin du jour de son exécution, éveillé d'un
sommeil tranquille, il dit à son serviteur :
« Voici le jour de mon second mariage ; je veux
« être vêtu comme au jour de mes noces. » 11
gravit les degrés de l'échafaud; et sa tète royale
déjà placée sur le billot fatal, il dit en sou-
verain : « Je vais d'une couronne corruptible à
« une couronne incorruptible. » Oui, ajouta
l'évêque Juxon, — vous changez une couronne
« périssable contre une couronne éternelle. »
Et Charles mourut, lui aussi, la joie au cœur
et le sourire aux lèvres.
Ainsi parurent, à l'heure suprême et dans
une situation pareille, d'autres infortunes non
moins illustres.
Telle se montra cette intéressante et noble
victime d'une jalousie cruelle, qui se nomma
Marie Stnart. Et telle aussi se montra l'auguste
victime d'un peuple en délire, qui se nomma
Louis XVI.
L'une et l'autre, comme Charles d'Angleterre,
du haut de leur échafaud ont reg'ardé l'Eternité.
Du milieu d'une infortune dont le poids semblait
devoir accabler leur grande âme , et dont le dé-
nouement lugubre semblait devoir jeter dans
leur noble cœur une immense, une inconsolable
164
INFLUENCE DE L ETERNITE
désolation, ces deux sympathiques et augustes
victimes ont contemplé la lumière de l'Eternelle
vie. Tandis qu'une ineffable joie surabondait dan s
leur cœur, elles ont montré resplendissant sur
leur front le rayon de l'espérance; et elles ont
murmuré elles aussi cette parole, comme leur
unique consolation : Après une royauté d'un
jour, une royauté éternelle. Après cette infortune
qui va finir, un bonheur qui ne finira plus.
Ainsi, Messieurs, dans la pensée de l'Eter-
nité réside, avec la puissance d'illumination, la
puissance de consolation.
Il en est une troisième qu'il importe encore
plus de vous montrer, et que j'appelle la puis-
sance de conversion.
III
La conversion! La conversion du mal au
bien, est-ce que ce n'est pas, pour nous prédi-
cateurs, la suprême ambition?
Que voulons-nous, par-dessus tout,en montant
dans cette chaire , si ce n'est , au besoin ,
vous arracher aux bras de Satan, pour vous re-
jeter dans les bras de Dieu; c'est-à-dire vous
dérober à la domination de votre tyran, pour
vous ramener à l'amour de votre père; bref, vous
SUR LA- VIE PRÉSENTE
165
affranchir de toutes les servitudes du mal et du
péché, pour vous rendre toutes les saintes li
certes du filial amour et de la filiale obéissance?
Aussi, est-ce parce que nous croyons à l'in-
comparable puissance de l'idée de l'Eternel, que
nous osons poser devant vous, dans toute cette
retraite, cette chose saintement austère, dont
beaucoup en dehors de vous ne consentent pas
même à entendre parler : l'Eternité. Ah! c'est
que dans ce mot gît surtout la puissance de vous
convertir. Que serait notre prédication, sans
cette idée de l'Eternel qui la pénètre, en tous
sens, de sa propre puissance? Un auteur con-
temporain, homme du monde, en a fait lui-
même la juste remarque : ce qui fait le privi-
lège réservé et l'incomparable empire de la
prédication chrétienne, c'est de pouvoir - comme
nous le faisons ici - devant un vaste auditoire
et sous les voûtes majestueusement silencieuses
d'une grande cathédrale, prononcer, et pro-
noncer encore ce mot qui en est toute l'élo-
quence, ce mot qui, en éveillant dans les âmes
des échos profonds, exerce sur elles, sur leurs
pensées, leurs sentiments et leurs résolutions,
leur conversion enfin, une puissance à nulle
autre pareille : Eternité 1 Eternité!
166
INFLUENCE DE L ÉTERNITÉ
Assument, il peut être à la conversion des
r, : ms à i aut r motifs que ia p ensée <*«*»
d«lE.ermte. La malice, le désordre, le crime
la servitude, le malheur, le châtiment du péché-
et puis, les souffrances et la mort de Jésus-Christ'
Om tout cela peut exercer sur la conversion du .
Mais 1 influence la plus décisive, la puissance
ici la plus vraiment et la plus généralement ef-
ficace, c est ce grand mot : Eternité; alors que
les âmes s'ouvrent assez à son retentissement
pour entendre au moins quelque chose de son
sens profond.
Cette pensée :Il y a une Eternité, est comme
un glaive qui tue les passions, ou du moins
renverse l'empire qu'elles se font dans les âmes
I n.j a pas de pensée plus forte pour faire
tomber d un seul coup, toutes leurs séductions
et tous leurs entraînements. Ce qui fait sur les
pécheurs leur grande puissance, c'est qu'elles
les enferment dans le présent, et qu'elles murent
devant eux l'avenir, surtout l'Eternel avenir
Voilà pourquoi, Messieurs, nous vous disons
et vous disons encore: Ouvrez, ouvrez toutes
les portes de vos âmes et de vos cœurs, pour '
entendre ce que vous dit ce mot, à la fois rêvé-
SUR LA VIE PRÉSENTE
167
lateur, dominateur et lihèvateuv : révélateur , oui.
et comme tel vous révélant le mystère qu'il vous
importe le plus de connaître , de méditer et de
pénétrer; dominateur, oui, et comme tel, devant
exercer sur vous tous le plus légitime et le plus
puissant empire ; libérateur, oui, et comme tel,
plus capable que tout autre de briser toutes les
chaînes que le temps et l'habitude, conspirant
avec votre péché, rivent autour de votre vouloir,
et par là compromettent tout à la fois, avec le
bonheur de votre vie présente , le bonheur de
votre vie future.
Là est, en effet, le secret de cette incompa-
rable puissance de conversion que nous attri-
buons à ce mot : Eternité. C'est que, quand on
l'écoute et qu'on le laisse parler au plus profond
de l'âme , il brise toutes les chaînes qui tiennent
le pécheur captif, et notamment les trois grands
liens qui l'attachent à son péché.
Ces trois chaînes vivantes qui d^irdinaire en-
lacent le pécheur, et lui créent parfois une triple ,
servitude, ah! vous l'avez deviné déjà, ce sont les
trois grandes passions, autrement dit , les trois
concupiscences; ces trois filles de l'égoïsme, qui
se font sur les âmes humaines , depuis le coup
désastreux qui les a déchaînées sur le monde,
168
INFLUENCE DE 1. ETERNITE
un empire toujours ancien et toujours nou-
veau.
Or, ce qui ébranle et renverse le plus souvent
dans les âmes ce triple empire du mal, c'est la
perspective de l'Eternelle vie, c'est-à-dire de
l'Eternelle récompense ou de l'Eternel châtiment,
selon que l'on aura perpétué ou brisé en soi cette
tyrannie trois fois satanique.
Et d'abord ce qui rive, avant tout, à son péché
l'âme du pécheur, ce qui l'y attache par une
chaîne plus dure qu'une chaîne de diamant, c'est
la suptrbe de la vie, autrement dit, l'orgueil;
l'orgueil, le principe le plus primitif et le plus ra-
dical de toute apostasie ou de toute séparation
de Dieu; l'orgueil, qui a engendré le mal même
dans le ciel et l'a fait retomber sur la terre.
Aussi, comme cet orgueil serre et étreint
l'âme du pécheur dans la chaîne qu'il lui fait!
Et comme il l'arrête et l'épouvante à la pensée
de revenir à son Dieu et de se convertir! Ah!
c'est que se convertir cela veut dire, tout d'abord,
s'accuser, donc s'humilier devant soi-même,
devant Dieu, et souvent aussi devant l'homme.
Et l'orgueil lui dit : t'humilier ? Oh non, ja-
mais !
superbe, ù esclave que tu es, cette chaîne
SUR LA VIE PRESENTE
169
de diamant dans laquelle ton org-ueil retient ta
volonté captive, qu'est-ce qui aura la force de la
briser? Ah! la grande voix de l'Eternité qui te dit
en t'ouvrant son sein, où tu vas tomber demain :
esclave du temps, hâte-toi de briser ta chaîne;
sors, sors de ta servitude, si tu ne veux être
dans mon sein un esclave éternel!. ..
Avec la superbe de la vie, une autre passion,
ou plutôt un autre tyran conspire à retenir
l'homme dans son péché et à empêcher sa con-
version : C'est la concupiscence des yeux, ou la
cupidité. Dans quelles prévarications la soif
maudite de l'or précipite les cœurs humains! Et
de quelles prévarications aussi elle les empêche
de sortir ! Qui dira combien de pécheurs sont
précipités d'abord, puis retenus dans leur péché,
par cet autre tyran qui s'appelle l'amour ef-
fréné de l'or? cupide, ô avare, ô consom-
mateur, ô adorateur de l'or, qu'est-ce qui ar-
rachera ton âme et ton cœur au culte de ton
idole, si servilement et si sacrilèg-ement adorée?
— Moi, dit ici encore la voix de l'Eternité reten-
tissant dans une âme ; moi qui, au lieu de cette
vile poussière que tu nommes ta richesse, et qui
s'évanouit en un jour, te donnerai, si tu le veux,
la possession de Dieu même, c'est-à-dire l'Infini,
10
170 INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ
et cela pour toujours! idolâtre de cette pous-
sière hàte-toi donc de rompre ces chaînes que
t'a forgées ta cupidité ; hâte-tci de secouer sou
ior.g- hâte-toi de t'affranchir, dans le temps qui
te reste, de la tyrannie de ta richesse, si tu ne
veux connaître, dans mon sein, le supplice de
l'éternelle misère!...
Mais combien, Messieurs, parmi vous peut-
être, tiennent à leur péché par une chaîne plus
forte encore que les deux autres, la chaîne cou-
verte des fleurs du plaisir et de la volupté
chaînes d'autant plus difficiles à briser, quelles
sont elles-mêmes plus aimées et d ordinaire ,
rivées par l'amour même au plus intime du cœur.
C'est cette chaîne que Saint Augustin jeune en-
core, sentait serrée autour de son vouloir- alors
qu'il s'écriait, en parlant de la servitude ou
{'avait précipité la passion : « ^ soupirais en-
« chaîné que j'étais, non par un lien qui m éti ei-
i o-nîtparle dehors, mais par ma propre vo-
« Tonte devenue au dedans de moi comme une
« chaîne de fer; wspirabam Ugatus, non ferro
« aliéna, seelmea ferrm voluntate. »
En vain l'esclave de la volupté sent peser sur
lui-même, en cette vie , le poids de la servitude
" i raccable; sa servitude lui plaît, et il lui est
SUR LA. VIE PRESENTE
171
doux de se sentir accablé, comme dit encore
Augustin, en parlant de lui-même: «.Dulciterpre-
rnebar. » Kn vain il sent que sa volupté le ronge
et le dévore, qu'elle le ruine par le dedans et
même par le dehors : sa servitude s'obstine.
EU bien! cette chaîne dure comme le fer,
mais couverte des fleurs et tout embaumée du
parfum de tes voluptés, ô voluptueux, esclave
de ton plaisir, quand trouveras-tu la force et le
courag-e de la briser? Ah! lorsque, à travers l'om-
bre et l'obscurité dont tu enveloppes le mystère
de tes voluptés, un rayon de l'éternelle vie aura
pénétré au plus intime de ton âme; lorsque tu
auras entendu sa voix tonnante te crier au sein
même de ton plaisir : Moi, l'Eternité, me voici!
Demain, aujourd'hui, je vais venir à toi et tu
vas venir à moil
Oh ! alors , réveillé comme en sursaut par cette
lumière et cette voix de l'Eternité présente qui
t'appelle et te menace, tu diras, en brisant ta
chaîne, même avec douleur et g-émissement:
Plutôt une joie éternelle qu'une volupté d'un
jour; plutôt une heure de sacrifice qu'une Eter-
nité de supplice.
Telle apparaît, Messieurs, dans l'idée de l'Eter-
nelle vie , la plus grande puissance pour ar-
■"
172 • INFLUENCE DE l'ÉTERNTTÉ
racher les pécheurs à la tyrannie de ces trois
o-randes passions essentiellement asservis-
santés: l'Orgueil, la Cupidité, laVolupté; doue
la plus grande puissance de conversion.
Ah! tous ceux qu'a convertis et ramenés à
Dieu ce mot Eternité, combien sont-ils , pensez-
vous? Oui.combien sont-ils, ceux qui, sous l'as-
cendant de cette parole, se sont affranchis, la
o-ràce divineaidant, de la servitude de l'orgueil,
en renonçant à toutes les grandeurs du monde?
de la servitude de la cupidité, en renonçant à
la possession de toute richesse? de la servitude
de la volupté, par le renoncement à toutes les
jouissances de la chair? Combien sont-ils, enfin
ceux qui, sous le coup de tonnerre de ce mot
Eternité, retentissant aux profondeurs de leur
âme troublée, ont frappé sur leur cœur le coup
transformateur et régénérateur du repentir, et
ont fait sortir, par le même coup, de ce cœur
ouvert à toutes les libéralités, des trésors de
charité qui consolaient les pauvresenréjouissant
l'E-lise? Combien ils sont? Mais ils sont des
minions. De ces miracles de conversion ac-
complis par la puissance de ce mot", qui vaut
pins à lui seul que toutes les éloquences du
monde, vous en rencontrez à tous les âges de
SUR LA VIE PRESENTE
173
l'Eglise, et surtout au grand âge du Christia-
nisme. Si je voulais compter seulement les
prodiges de charité, de dévouement et de sacri-
fice accomplis dans le temps par ces convertis
de l'Eternité, je ne sais quand vous verriez la
fin de ce discours.
Et laissez-moi vous le dire, Messieurs, en
vous voyant si recueillis , si saintement at-
tentifs à cette parole, j'ose croire qu'elle aura
sur plusieurs d'entre vous la même puissance
et la même efficacité.
IV
Mais l'Eternité exerce sur les âmes, qui en-
tendent ses leçons et agissent sous ses inspi-
rations, une puissance plus grande encore : la
puissance de sanctification. Si elle a converti
beaucoup de pécheurs, elle a fait aussi beaucoup
de saints; et ses miracles de sanctification
égalent au moins, si même ils ne les surpassent
en nombre, ses miracles de conversion.
La sainteté, ou la vie des saints dans le Chris-
tianisme, est l'un des phénomènes les plus pro-
digieux qui se soient jamais produits dans l'his-
toire de l'humanité. La sainteté dans le Chris-
tianisme, c'est la vertu élevée à sa plus haute
10.
174 INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ
puissance; c'est le Christianisme lui-même
réalisé dans toute sa plénitude. Bref, la sainteté,
c'est l'héroïsme dans la vertu. Voilà pourquoi
l'Eglise exige, comme condition première, dans
les vertus de ceux qu'elle inscrit au Livre d'or
de ses Saints, le caractère de fhéroïcité.
En sorte que, dans cette grande légion de
saints, qui montent avec leur divin Capitaine
vers les plus hauts sommets de la perfection,
l'héroïsme est le fait et la gloire de tous. Sans
doute.dans ces héroïsmesil y a des degrés divers;
mais l'héroïsme est pour tous le niveau général;
c'est l'héroïsme devenu populaire. Héroïsmes
prodigieux atteignant, par leurs réactions cou-
rageuses, à l'extrême opposé de^ orgies de la
concupiscence; héroïsmes des volontaires humi-
liations, cherchant l'abaissement et le mépris
comme d'autres la grandeur et la gloire; hé-
roïsmes des volontaires dépouillements, échan-
geant les manteaux de pourpre et d'or contre la
robe de bure et le vêtement grossier de l'ex-
trême pauvreté; héroïsmes des volontaires chas-
tetés, répudiant les charmes de toutes les vo-
luptés, et faisant éclore dans les cœurs la fleur
parfumée de toutes les virginités; héroïsmes des
volontaires obéissances élevées, comme celle du
SUR LA VIE PRESENTE
175
divin Obéissant, jusqu'àl' acceptation delà mort;
héroïsmes, enfin , des sacrifices volontaires
portés jusqu'à la totale immolation de soi-même.
Et tous ces héros, toutes ces héroïnes, qui
montrent à la terre et au ciel ce spectacle uniq ue
dans l'humanité, ils sont des millions et encore
des millions !
Maintenant je le demande, qu'est-ce surtout
qui nous explique ce phénomène , de prime
abord inexplicable, au seiu de notre humanité,
blessée, même dans l'ordre naturel, par sa chute
profonde' Ah! quand on se rend compte de
l'impétuosité de ce torrent de toutes les concu-
piscences qui traverse le monde , et porte aux
abîmes les multitudes qui se laissent aller à
son cours ; on se demande où ces millions
d'hommes et de femmes ont trouvé la force et
le courage de remonter ce courant, aussi en-
traînant qu'il est universel et permanent dans
l'humanité?
Peut-être dans la conviction qu'il fallait ,
pour maintenir l'ordre dans leur vie, pousser
jusqu'à l'extrême opposé les réactions contre
tous les principes de désordre? Qu'il fallait,
pour vaincre en eux l'orgueil, l'extrême dans
l'humilité; pour vaincre la cupidité, l'extrême
176
INFLUENCE DE l'ÉTEBNITÉ
dans la pauvreté; pour vaincre la volupté, l'ex-
trême dans la chasteté; pour vaincre l'indé-
pendance, l'extrême dans l'obéissance; bref,
pour vaincre l'égoïsme, l'extrême dans l'im-
molation et le sacrifice?
Assurément, tous les Saints l'ont comprise
cette nécessité de réagir contre le désordre .
extrême de tous les vices, par la pratique ex-
trême de toutes les vertus.
Mais, pour élever des millions d'êtres humains
jusqu'au prodige de tous ces héroïsmes que nous
venons de signaler, que pouvait, je vous prie,
cette conviction purement abstraite, si pro-
fonde qu'on la suppose? Quand il s'agit de faire
embrasser par des millions d'hommes ce qui de-
mande à toute vie humaine son suprême effort;
que peut valoir en réalité la puissance d'une
abstraction?
Direz-vous que les Saints ont trouvé la force et
le courage de ces vertus transcendantes, dans la
joiegénéreuse qu'ils en ressentaient? Mais n'est-
il pas de toute évidence que cette joie magna-
nime était non pas la cause, mais l'effet de ces
héroïsmes? Et que ce qui devait les saisir tout
d'abord, ce n'était pas la joie qu'ils en pouvaient
attendre, mais l'effroi que la nature inspire
SDR LA VIE PRESENTE
177
pour ces suprêmes efforts, qui tendent à la sur-
monter, à la vaincre et à la broyer elle-même 9
Qu'est-ce donc qui peut être ici la cause ef-
ficace et suffisante de ces vertus, portées par
des millions et des millions d'hommes à des
hauteurs qui étonnent la raison et épouvantent
la nature? Ah ! je crois vous entendre ; vous dites
ici : la puissance de l'amour ! Les Saints ont
aimé Dieu avec une sainte passion; et même,
abstraction faite de toute vue sur l'Eternel, de
toute perspective de l'Eternité, cet amour les
élevait à toutes les magnanimités et à tous les
héroïsmes.
Oui, quelques Saints ont déclaré que même,
abstraction faite de toute récompense à espérer
et de tout châtiment à redouter, l'amour suffisait
à expliquer les réalités de leurs héroïques vies.
Mais, tout d'abord, qui oserait affirmer que
ce fait, dont témoignent les paroles enflammées
de quelques Saints , doit être accepté comme le
fait de toup les Saints? Et même ces Saints,
en faisant sortir de leur cœur ces prodigieux
accents d'un amour qui semble avoir je ne sais
quoi de surhumain, expriment-ils par ces accents
l'état normal ou, ordinaire de leur vie? Ou n'ex-
primaient-ils pas plutôt un moment d'enthou-
178
INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ
siasme sacré ou de sainte exaltation, tels qu'un
grand amour peut en produire dans les plus
grands cœurs? Et, alors même que leur
amour leur arrachait ces cris qui avaient quelque
chose de séraphique, de céleste, d'extatique;
doit-on admettre que cet amour, déjà si béatifié
dans le temps, se désintéressait lui-même du
bonheur d'aimer éternellement, et qu'il n'y eût
pas dans son fond quelque chose comme un
rêve A' Etemel amour ?
Quoi qu'il en puisse être de ces quelques
grandes figures de Saints, rares même parmi
les Saints ; il demeure incontestable que, règle
générale, les saintetés sont écloses surtout sous
les inspirations de l'idée de l'Eternel , de l'é-
ternelle récompense ou de l'éternel châtiment,
d'une Eternité de bonheur ou d'une Eternité de
malheur; ou si vous voulez, sous l'inspiration
de cette grande pensée de l'avenir d'outre-tombe,
à savoir : l'Eternel amour, ou l'Eternelle haine.
L'éternel amour qui est le fond du paradis;
l'Eternelle haine qui est le fond de l'eufer.
^Quoi qu'il en soit; la puissance de l'Eternité sur
l'âme des Saints, pour y produire la sainteté,
constitue dans l'ensemble un fait aussi indé-
niable qu'il est prodigieux.
SUR' LA VIE PRESENTA
179
Mais comment l'Eternité est-elle si puis-
sante sur l'âme des Saints? Comment y fait-elle
germer,sous son regardées plus grandes vertus
et les plus belles fleurs de la sainteté? Et com-
ment y produit-elle surtout ces vertus héroïques,
qui demandent à notre humanité son suprême
effort?
C'est qu'à la lumière de leur foi et de leur es-
pérance, ils aperçoivent entre tous les actes ac-
complis dans le temps et leur résultat final
dans l'Eternité, une corrélation nécessaire. Ils
savent qu'en tout ce qu'ils font ici-bas, au Mo-
mentané doit correspondre V Eternel. Oui, ils
savent qu'à chaque vertu, à chaque bonne œuvre
accomplie dans tel moment de leur vie passagère,
correspond dansle ciel unerécompense éternelle;
qu'à chacune de leurs souffrances du temps, cor-
respond une mesure de joie éternelle ; à chacune
de leurs humiliations du temps, un degré de
gloire éternelle. Oui, le Saint peut se dire a
chaque œuvre qu'il accomplit, et pour ainsi dire,
à chaque heure et à chaque minute du temps :
Je sais que dans cette heure qui passe, dans
cette minute qui fuit, je crée pour moi quelque
chose d'Eternel. Credo ; je le crois. Cette œuvre
que j'accomplis, en elle-même pèse peu et
180
INFLUENCE DE L'kTEBNJTÉ
dure peu; elle est légère et momentanée : « Mo-
! m ° ntane « m ^ levé; . mais, je sais qu'aux yeux
de Dieu elle a son poids de gloire etque ce p^ds
d la slteL T' qUelle eXdtati0n à ^éroïsme
ae la sainteté, de pouvoir se dire ■
A cette heure, volontairement je m'humilie:
mais e sais que cette humiliation me prépare
une gloire éternelle. Piepare
A cette heure, volontairement je souffre- mais
^ ir cette S ouW m e présa , e ^
A cette heure, volontairement je me dépouille
«■-»: * garantit la possession d'une
richesse éternelle.
A cette heure, enfin, volontairement je m'im
-oie et Je me sacrifie ; mais je sais que ciacun de
mes sacrifices du temps doit attacher une p rie
ou un diaman, de plus à ma couronne éternelle
Ainsi, en tout et toujours, aux divines clartés
dont enr foi s'illumine, les Saints ffla ^
dans la vie; et à chaque pas qu'ils y font, par
chaque act e qu , Is y accomplissent,^ sa've'n
l^JeT CQt ^ ^ ^^^ le *«»• de
SUB LA. VIE PRESENTE
181
Et dès lors, pour eux qui traversent le temps,
le regard toujours fixé sur l'Eternité , ne com-
prenez-vous pas comment et pourquoi cette
perspective continue de l'Eternel devient le plus
puissant ressort de leurs vertus, et comment
elle les élève à leur plus haute puissance, c'est-
à-dire jusqu'à cet héroïsme qui est l'essence
même de la sainteté ?
Aussi le plus sûr moyen de vous faire des
Saints une idée juste, c'est de vous les repré-
senter comme nous les représente le pieux auteur
de l'Imitation de Jésus-Christ, « Debout sur les
« choses du temps, regardantes éternelles :Spe-
«culantes œtema;y> mieux encore, comme une
grande armée marchant à travers le temps à la
conquête de l'Eternité, et puisant dans cette
perspective et cette ambition, la force d'accom-
plir tous les prodiges de leur sainteté.
V
Puissance d'illumination, de consolation, de
^conversion et de sanctification, l'Eternité est
enfin la grande puissance d'apostolat ou de
propagation; non seulement parce que son nom
seul est, comme nous l'avons assez montré, la
plus grande force pour éclairer, consoler, con-
11
182
INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ
I
3 ;
vertir et sanctifier les âmes auxquelles s'adresse
I Apôtre; mais encore, et surtout, parce qu'elle
agit directement sur l'Apôtre lui-même, et
qu elle est eu lui le ressort le plus fort de sou
apostolat, le plus puissant moteur de ses am-
bitions apostoliques.
Il est, je le sais, à l'apostolat catholique, un
autre ressort, ou du moins un ressort portant
un autre nom; c'est l'amour de Jésus-Christ
selon le beau mot de StPaul : « Charitas Chrisïi
« urget nos, -M charité du Christ nous presse; elle
nous presse de communiquer aux autres le don
qui nous fut fait à nous-mêmes. Oui là gît
tout d'abord, la force motrice qui meut 'les vrais'
apôtres. L'amour de Jésus-Christ est au zèle
apostolique ce que le feu est à la flamme.
Mais, remarquez-le bien, cet amour lui-même
bien loin de faire, dans ses ambitions aposto-
liques, abstraction de l'idée et de la perspective
de 1 Eternel, y trouve au contraire, pour a-ir
pour souffrir et pour conquérir, le complément
de son énergie et de sa puissance.
Ahl je le crois bien : cette pensée que par'
uue parole, par un dévouement, par un sacri-
fice, je puis donner à des âmes non pas une vie
d un jour, mais uue vie éternelle, et les associer
SUR LA VIE PRESENTE
183
à la fois à l'infinité ëtâ l'Eternité de Dieu; qu'y-
a-t-il de plus fort pour susciter toutes les am-
bitions et tous les héroïsmes de l'apostolat?
C'est là surtout ce qui élève notre apostolat
au-dessus de tous les autres apostolats. Comme
l'Eternité l'emporte sur les temps, et le ciel sur
la terre; ainsi l'apostolat catholique l'emporte
sur tout apostolat humain.
Voyez à l'œuvre tous les apostolats de la terre,
même les meilleurs : au milieu de tout le travail
qu'ils s'imposent, de tous les plans qu'ils mé-
ditent,de tous les dévouements qu'ils prodiguent,
de toutes les conquêtes qu'ils vantent et de tout
le bruit qu'ils font, où trouver une idée de l'E-
ternel, une préoccupation, une ambition, une
recherche de l'Eternel? Nulle part! Non, là, rien
ne rappelle, rien ne vise l'Eternel. Que dis-je?
là, pas même une mention, un souvenir d'une
vie d'outre-tombe, ni d'une survivance quel-
conque. Là, toujours l'humain, toujours le ter-
restre, toujours le temporel et le transitoire;
mais le céleste, le divin, l'Eternel, ah! l'Eternel
surtout, jamais! Seul notre apostolat, par sa
parole, montre l'Eternel ; par ses ambitions,
cherche l'Eternel; par ses fatigues, travaille à
enfanter l'Etemel; et par tous ses dévouements
184 INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ
et ses sacrifices du temps, à donner aux âmes
et s'il le peut à toutes les âmes, une vérité Eter-
nelle, un amour Eternel, une vie Eternelle
- bref, une félicité Eternelle.
Et, dès lors, qui pourrait ne pas comprendre
comment une pareille idée, une fois entrée dans
une âme humaine, et une telle ambition pre-
nant possession d'un cœur humain, doivent
susciter dans les vrais apôtres, pour conquérir
et sauver les âmes, un courage capable de tout
entreprendre, une intrépidité capable de tout
oser, une patience capable de tout souffrir
des héroïsmes capables de tout braver, même'
les plus horribles supplices, et de cueillir à la
fois, avec la palme de l'apostolat, la palme du
martyre?
Messieurs ,■ quand on vient à se dire
qu'il y a sur toute la surface de cette terre, des
millions et des millions d'âmes dont nous pou-
vons, par un labeur, par une fatig-ue, par un
sacrifice volontaire, assurer le bonheur Eternel;
et, lorsqueau flambeau de notre foi, nous croyons
voir ces multitudes suspendues sur l'Eternel
abîme, et menacées d'y tomber aujourd'hui ou
demain , si nous ne volons à leur secours ; com-
ment s'étonner que des hommes, et même des
SUR LA VIE PRESENTE
185
multitudes d'hommes trouvent, dans cette pen-
sée, la résolution de courir jusqu'au bout du
monde, s'il le faut, même à travers toutes les
souffrances, même au péril de leur propre
vie, pour fermer sous leurs pieds l'enfer des
Eternels supplices , et ouvrir sur leur tête le ciel
de l'Eternelle félicité?
Quoi! moi, chrétien, disciple du Sauveur
mort pour le salut de tous; moi son prêtre, moi
son apôtre , et, comme tel, constitué et envoyé
pour continuer et étendre, si je le puis, à l'hu-
manité entière le bienfait de sadivineréparation;
quoi ! je saurais à n'en pouvoir douter, que là-
bas, bien loin , à quatre mille lieues d'ici, il y a
d'innombrables multitudes qu'un rayon de mon
Christ n'a pas encore illuminées , et qu'une
goutte de son sang- n'a pas encore touchées;
quoi! je les entendrais du fond de leurs ténèbres
et de leur délaissement, me crier de leur porter
l'un et l'autre : et je pourrais hésiter à me dé-
vouer, à souffrir, à me sacrifier, et, au besoin,
à mourir pour elles?
Ah! si quelque chose ici semble pouvoir
étonner, n'est-ce pas plutôt que cette conviction
ne suscite pas en nous tous cette héroïque am-
bition?
180
IXI'-I.ULÏNCrc DE I.KTKUNITÉ
Mais .«ellenela suscite pas eu tous, elle
lasuscite en un assez grand nombre, pour nous
montrer avec éclat, dans cette idée de l'Eté™"
la grande puissance de l'apostolat, et l'éner-
^:r derexpansionetde]a ^ a ^-
c >ù?TZ e 4 et ,; au fond de tous les a p° stoiat ^
cest-a-die,penetrezjus q uau P lu S inti me detou S
iescœursd'apôtres; qu'y trouve Z -vous,sice n'est
avec ambition d'étendre le règne de Jésus^
Chnst d le temp ^ celie d , assurer ^ bQûh
des âmes dans l'Eternité? Deux ambitions qui
se tiennent et n'en font qu'une : le règ-ne tem-
porel du Christ ayant pour but propre et im-
médiat le salut Eternel des âmes
fZ7 e \t rœUVre t0US IeS a P°^olats; apos-
tolats h^rarcM q ues, apostolats éducateurs,
apostolats conquérants. Sous les formes et dans
leb situations les plus diverses, c'est la même
pensée qui les dirige, l'idée de l'Eternel; c'est
le même moteur qui les pousse, la conquête
de 1 Eternel salut des âmes.
i Que veulent avant tout,chacun à leur poste et
s eur degré, tous les représentants de l'apos-
tolat hiérarchique?
Que cherchele Prêtre-Pasteur dans saparoisse,
Si.'R LA YIH l'KliSlCNTR
1S7
si ce n'est, avanttout, l'Eternclbonheur de tous
ses paroissien.,?
Que cherche le Prêtre- Evèque dans son dio-
cèse, si ce n'est le bonheur Eternel de tous ses
diocésains?
Que cherche le Prêtre- Pontife, du plus haut
sommet de la hiérarchie et du centre de tout
apostolat, qu'est-ce, si ce n'est l'Eternel bonheur
de toute l'humanité? Là, au sein de cette di-
vine hiérarchie, s'il est des fonctions diverses
et des 'actions multiples, tout est coordonné
par rapport à ce but suprême : pour la plus
grande gdoire de Dieu sauver toutes les âmes ;
cVst-à-dire leur assurer , par l'application
des mérites du Rédempteur , l'Eternité de
leur bonheur dans l'Eternelle possession de
Dieu.
Et tous ces apostolats que j'ai nommés Edu-
cateurs, ces apostolats qui ont tous, dans leur
mesure, la fécondité du sacrifice; eh bien!
que veulent tous ces apostolats, souvent aussi
obscurs qu'ils sont laborieux; que veulent-ils
surtout par ces dévouements, ces abnégations,
et ces immolations parfois poussés jusqu'à
l'héroïsme; que veulent-ils, si ce n'est, en les
initiant à la vie du temps, ouvrir aux enfants la
188
INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ
voie qui doit les conduire droit à la bienheu-
reuse Eternité?
Mais, Messieurs, ce qui fait mieux éclater la
puissance de l'idée de l'Eternel sur l'action apos-
tolique et propagatrice, c'est ce que j'ai nommé
l'apostolat conquérant : j'entends parla, surtout,
l'apostolat du prêtre-<missionnaire. Ah! c'est
qu'en lui particulièrement apparaît dans son plus
haut degré, l'héroïsme de la vie apostolique, et
souvent le sacrifice poussé jusqu'au martyre.'
Regardez: voici le jeune prêtre, portant
encore à son front la trace de Ponction sacer-
dotale. Nouveau Xavier.il s'est dit en regardant
l'image du grand apôtre de l'Inde et du Japon :
pour donner aux âmes Dieu et l'Eternité , moi
aussi j'irai au bout du monde. Le voilà qui s'é-
lance; qu'a-t-il fait? Il a brisé, en un jour, tous
les liens qui l'attachaient à tout ce que l'on
aime le plu», à la patrie, à la famille, au cœur
d'un père, au cœur d'une mère. Le cœur sai-
gnant de ses blessures les plus profondes, il a
passé à travers toutes les larmes en essuyant et
en dissimulant les siennes; et le voici, à quatre
mille lieues de tout ce qui fut son bonhsur,. près
de toucher à un affreux rivage. Là, le sauvage
apparaît, son casse-tête à la main, jetant sur sa
SUR LA VIE PRESENTE
189
victime de demain un regard féroce, et semblant
dire, en roulant des yeux où se peint, comme
en un miroir, la soif du sang- : Voici ma proie;
demain je le tuerai et je le mangerai.
Que vas-tu faire, ô mon frère l'Apôtre, que
vas-tu faire? Reculer? Mais, pourquoi es-tu
venu? Non, tu ne reculeras pas. Le missionnaire
du Christ ne recule jamais. Que faire? Avancer?
Mais, c'est te vouer à une mort certaine. N'im-
porte, j'avancerai, heureux de faire tomber sur
ce rivage inhospitalier une goutte du sang répa-
rateur, et,s'il le faut, de l'arroser de mon propre
sang. Il dit et il aborde l'affreux rivage; il y
plante la croix, et il y offre une fois le divin sacri-
fice. Le lendemain, le sauvage accourt; il lui
brise la tète, et l'apôtre fait du sacrifice de sa
vie la consommation de son apostolat.
Eh bien! qu'est-ce qui lui a inspiré ce cou-
rage de consommer, même par le martyre, cet
apostolat héroïque? Qu'est-ce, si ce n'est l'espoir
de donner au moins à une âme l'Eternelle pos-
session de Dieu?
Que d'héroïsmes et de sacrifices pareils je
pourrais vous montrer ici, tous puisés dans la
même pensée : donner aux âmes, ne fût-ce
même qu'à une seule âme , l'Infini et l'Eternité.
11
190
INFLUENCE DE L ETERNITE
Voyez d'ici, dans ies plaines glacées de l'A-
mérique du Nord, cet autre héros de l'apostolat,
marchant dans la neige, sous la bise qui souffle.
La nuit vient; le voilà seul en cette froide so-
.litude, sans feu, sans abri, n'ayant d'autre res-
source, pour attendre le retour de l'aurore, que
de se creuser dans la neige, non pas un lit qui
le repose, mais un rempart contre le vent qui
le glace !
Que cherche cet homme? Où va-t-il? Que veut-
il?
Ah! là-bas, plus loin, plus loin encore, un
pauvre sauvage va mourir. Et à ce pauvre, placé
au bord de son Eternité, l'intrépide apùtre va
porter,avec son Dieu, le gage de l'Eternelle vie.
Et voyez cet autre ruisselant de sueur, haletant,
harrassé de fatigue , sous les feux de l'équateur,
et marchant, marchant quand même au soleil
dévorant du désert? Ses pieds brûlent sur le sol
embrasé, sa tète brûle dans l'atmosphère en-
flammée que forme autour de lui la réverbéra-
tion, sur le sable, des rayons du soleil; tout son
corps brûle, et semble à tout instant succomber
sous la chaleur qui le pénètre et tout entier l'ac-
cable. 11 marche quand même, ou plutôt il se
traîne
SUE LA V1H PRESENTE
101
Où va-t-iî? Que veut-il? Quecherche-t-il, lui
aussi? Il va porter à un pauvre nègre mourant
et délaissé la consolation et le bienfait suprême
de l'apôtre. A ce malheureux prêt à quitter le
rivage du temps, il va porter le divin Viatique,
qui doit ouvrir devant lui les portes de la bien-
heureuse Eternité!
Je m'arrête! Pour vous montrer tous les hé"
roïsmes semblables, il faudrait un livre tout
entier; ou plutôt il faudrait un poëme, lepoëme
de l'apostolat poursuivant la conquête des âmes,
par tous les sacrifices et par tous les martyres, à
la grande lumière et sous la puissante inspira-
tion de l'Eternité.
CONCLUSION
Et voilà que j'ai dit l'incomparable puissance
qu'exerce sur l'âme humaine la pensée et la
perspective de l'Eternelle vie.
Oui, ô Eternité! c'est toi qui, en nous illu-
minant de tes clartés transcendantes, nous
montres, en face de toi, le néant de tout ce qui
est du temps. C'est toi qui, en ouvrant devant
les plus grandes souffrances du temps les pers-
192
INFLUENCE DE L ETERNITE
pectives d'une félicité sans fin, leur apportes,
alors que tout les délaisse, une consolation
suprême. C'est toi qui, en montrant de loin aux
pécheurs le châtiment qui les attend dans ton
sein, leur donnes la force de s'arracher à toutes
les tyrannies de la triple concupiscence et de
retrouver, en se convertissant, l'honneur de la
liberté et la joie de l'espérance. C'est toi qui,
sous la lumière de ton regard, fais éclore dans
les âmes, avec l'héroïsme de toutes les vertus,
les fleurs de toutes les saintetés, et multiplies
sur la terre ces générations de Saints et de
Saintes qui traversent les obscurités et les
épreuves du temps , le regard toujours fixé sur
tes splendeurs et tes béatitudes sans fin. C'est
toi enfin, qui, en suscitant au cœur des apôtres
l'ambition à nulle autre pareille, de donner
à des millions d'âmes le bonheur de l'Eter-
nelle vie, produis, sous tes inspirations toutes-
puissantes, dans des multitudes incalculables,
les apostolats héroïques et-les sacrifices poussés
jusqu'au martyre I
Telle, Messieurs , m'est apparue à moi-même
dans le recueillement de la méditation , ce que
j'ai nommé la puissance sur l'âme humaine de
la grande pensée de l'Eternité.
SUR LA VIE PRESENTE
193
Donc, vous aussi, avec moi et qomme moi,
voyageurs du temps, à cette lumière de l'Eter-
nité et sous sa féconde et salutaire influence,
éclairez-vous dans vos ténèbres etvos obscurités;
consolez-vous dans vos épreuves et vos tribu-
lations; affranchissez-vous de la servitude de vos
péchés et de vos passions; convertissez-vous. Ce
n'est pas assez, sous les inspirations de l'Eter-
nelle vie, vous aussi devenez des Saints; vous
aussi devenez des apôtres; et, avec tant d'autres
qui vous ont précédés dans la voie, le regard fixé
sur l'Eternité, montez, montez toujours sur ce
chemin royal, où ontpassé tous les grands Saints
et tous les grands apôtres; et, si Dieu vous le
donne, arrivez avec eux jusqu'à l'héroïsme de
la sainteté et de l'apostolat.
Et puissiez-vous tous, un jour, vous rencontrer
au ciel, dans le sein béatifiquede cette Eternité
dont le rayonnement, même de loin, produit
sur la terre les grandes illuminations, les
grandes consolations, les grandes conversions
et, avec tous les prodig-es de sanctification,
tous les miracles d'apostolat et de propagation.
Amen.
L'ETERNITE
ET
LA VIE FUTURE
Et iblt homo in domum
œternitatis suœ.
Et l'homme ira dans la
demeure de son Eternité.
(Ps. 102.;
Après avoir établi qu'il y a une Eternité, par
le double témoignage de l'âme et de l'autorité,
nous nous sommes demandé quelle est, par
rapport à nous , sa véritable influence ; en
d'autres termes , ce que l'idée et la réalité
de l'Eternelle durée opèrent dans notre vie,
dans' notre vie présente et dans, notre vie fu-
ture.
Déjà vous savez, par notre dernier discours ,
quelle est, sur notre vie présente, l'influence fé-
conde et le puissant ascendant de la pensée de
l'Eternel. Nous avons dit : l'idée ou la pensée
196
l'éternité et la vie future
de l'Eternité , c'est la grande puissance d'illumi-
nation ; car c'est elle qui nous découvre, dans une
pleine lumière, tout le ne'antàes choses du temps.
C'est la grande puissance de consolation; parce
que seule cette perspective de l'Eternité console
bien les infortunes que rien du temps ne peut
plus consoler.
C'est la grande puissance de conversion; parce
que c'est dans cette pensée de l'Eternité surtout
que le pécheur trouve la force de briser tous les
liens qui l'attachent à son péché dans le temps.
C'est la grande puissance de sanctification,
parce que cette pensée ou cette attente de l'Eter-
nité pousse les âmes à tous les héroïsmes de la
vertu et de la sainteté.
C'est, enfin, la grande puissance d'apostolat
et de propagation ; parce que cette pensée de
donner aux âmes une félicité Eternelle, est le
plus énergique ressort des ambitions et des sa-
crifices de la vie apostolique.
Maintenant, Messieurs, se pose devant nous
la question plus grave et plus décisive encore
que la précédente : Qu'est-ce que l'Eternité est
par rapport à notre vie future? Qu'est-ce qu'elle
doit ajouter elle-même et par elle-même à notre
bonheur età notre malheur d'outre-tombe ?Com-
l' éternité et la vie future
197
ment l'Eternité complète, d'un côté, le malheur
des réprouvés, et de l'autre, la félicité des élus?
En deux mots: l'Eternité dans l'enfer, ou le lieu
des supplices; l'Eternité dans le ciel, ou le lieu
de la béatitude de l'autre vie. Voilà ce que je
vais essayer de vous faire au moins entrevoir, à
la lumière de ce discours, et mieux encore à la
lumière de votre foi.
Ce sujet a deux faces profondément distinctes ;
il a son côté sombre et son côté radieux. Je com-
mencerai par vous montrer le premier, et je
terminerai en vous montrant le second.
Peut : être ces deux choses extrêmes eussent
gagné à être traitées séparément et avec un dé-
veloppement plus vaste et plus complet. Le
temps nous manque, et je me vois obligé de les
condenser dans le cadre d'un seul discours.
Mais le développement que je ne puis donner
sera, je l'espère, dans vos esprits attentifs, com-
pensé par la condensation elle-même; et peut-
être que du contraste de ces deux extrémités ,
jaillira dans vos âmes une lumière plus vive.
Puisse le Seigneur, que j'invoque pour vous
tous, en faire sortir aussi, avec une grande et
abondante lumière, de suprêmes et énergiques
résolutions.
198
l'kternit/: et la ywi fhtu
nu
Ce que l'Eternité ajoute à la souffrance des
réprouvés, en d'autres termes, l'Eternité dans
1 enter, voilà ce qu'il nous faut avoir le coura-e
de méditer d J abord ensemble.
Remarquez, Messieurs, que je n'entreprends
pas de vous montrer au détail et sous tous ses
aspacts le supplice des réprouvés. 11 me suffit
de prendre ici, P our point de départ, l'enseigne-
ment de l'Eg-lise, et de vous dire en deux mots
avec elle: les réprouvés, ou les pécheurs im-
pénitents, souffrent l'action et le supplice du feu-
es réprouvés souffrent le supplice de la sépara-
tion de Dieu.
Quelle est la nature, l'intensité de ce feu?
Quel est le mystère intime de cette séparation
de D ie u?Quel est, en un mot, le mode et le
comment de ces deux supplices qui n'en font
quun, et qu'on nomme, d'ordinaire, peine du
sens et peine du daml Un discours spécial et
direct sur l'enfer pourrait essayer de répondre
à ces questions : je ne le ferai pas ; je n'en ai pas
besoin pour le but que je me propose; car
ce qui me préoccupe et doit uniquement vous
L ETUJRNITE ET LA VIE FUTURE
199
préoccuper avec moi, c'est dans 1» lieu du sup-
plice le point de vue de l'Etemel.'
Remarquez encore, afin d'écarter toute con-
fusion trop facile en un tel sujet, que je neveux
pas ici établir le dog-me austère de l'Eternité des
peines. Ce dog-me, pour le moment je le sup-
pose, et, admettant avec l'Eglise dans les con-
damnés de la justice, le double supplice que je
viens de nommer, quelle qu'en soit l'intensité,
je veux vous aider à comprendre comment l'E-
ternité l'ag-grave, et comment dans leur sup-
plice total l'Eternité est le facteur principal.
Pour le mieux entendre, creusons un peu ces
deux abîmes qui se répondent: l'abîme de YE-
temitp' elle-même mise en face du supplice; et
l'abîme de l'âme humaine en face de cette Eter-
nité.
Qu'est-ce que l'Eternité en elle-même est par
rapport au supplice du réprouvé? Et quelle ag--
gravation apporte à ce supplice la perspective
de son éternelle durée?
Tout d'abord ce qui saisit ma pensée en face
de la souffrance du damné , c'est son éternelle
uniformité, ou son éternelle monotonie.
Dans cette vie du temps tout se déplace et tout
chang-e; dans l'Eternité, rien ; rien ne chang-e et
200
l'éternité et la vie future
ne se déplace; c'est l'effroyable statu quo ; c'est
la plus accablante des monotonies, la monoto-
nie dans la souffrance.
La monotonie en toute chose pèse à la nature
humaine, même la monotonie dans le plaisir et '
la jouissance. L'uniformité dans le plaisir, la
monotonie dans la jouissance, ce n'est plus le
plaisir, ce n'est plus la jouissance ; c'est l'ennui,
c'est la fatig-ue, et finalement la souffrance. Les
artistes le savent, ceux-là surtout qui travaillent
pour plaire et pour réjouir. Le grand effort et le
succès le plus assuré de leur art, c'est de varier
les aspects et les nuances du plaisir, et surtout
d'y ménag-er par cette variation le progrès dans
la jouissance.
Voulez-vous connaître par votre propre expé-
rience ce que peut l'uniformité ou la monoto-
nie, pour anéantir la jouissance et créer la souf-
france? Ecoutez.
Je le suppose, on va vous faire dans la jouis-
sance, même ici-bas, la situation la plus dé-
sirable pour la satisfaction de tous vos sens.
Vous voilà, par exemple, étendu sur la couche
la plus molle, embaumé par tous les parfums
les plus suaves, et bercé par les sons des plus
charmantes harmonies ; mais à une condition ,
l'éternité et la. vie future
201
à la condition que cette position une fois ac-
ceptée, vous la garderez non seulement un jour,
mais une année, mais un siècle, mais une Eter-
nité. Une année entière, une année seulement,
pourriez- vous y demeurer? Et cette monotonie
dans la jouissance, pourriez-vous la supporter?
Qu'est-ce donc, si cette monotonie, c'est la
souffrance? Qu'est-ce, surtout, si c'est la mo-
notonie, non pas même dans une souffrance
quelconque, mais dans une effroyable souffrance?
Qu'est-ce, enfin, si cette monotonie doij; durer
non seulement des jours, des années, des siècles,
mais l'Eternité tout entière? Qu'est-ce d'être
attaché avec sa souffrance à ce roc immobile de
l'Eternité; et là, être forcé de se dire : souffrir,
souffrir toujours , et toujours la même chose?
Quelle situation! Compter une à une toutes
les heures et toutes les minutes d'une souffrance
que l'on sait ne devoir et ne pouvoir jamais
finir!
Qui ne sait combien longue et douloureuse
apparaît l'insomnie au malade qu'une souffrance
aiguë empêche de dormir. PendaDt ces tristes et
longues nuits, le mouvement cadencé de l'hor-
loge envoie toujours le même son à son oreille
qui l'écoute dans le silence; chaque battement
202
L'ETEKNITÉ et lv vie future
du balancier semble lui dire : encore une souf-
france, encore une souffrance! Faible et insuf-
fisante image de la situation du réprouvé, à qui
la voix monotone de l'interminable durée redit
sans cesse et redira toujours: Eternité! Eter-
nité! Ce que tu souffres à l'instant, tu le souf-
ffriras toujours, oui, toujours!
Une seconde cause d'ag-gravaiion que l'Eter-
nité apporte au supplice du réprouvé et qui
touche à la première, c'est, dans la vue de cette
Eternité et dans la sensation du supplice qu'elle
aggrave, la continuité la plus complète, ou l'ab-
sence absolue de toute intermittence. Le sens
toujours présent de sa souffrance et la vue tou-
jours fixée sur son Eternité; ah! voilà dans la
vie du réprouvé, une situation dont rien, mais
absolument rien , sur la terre et dans le temps,
ne peut nous donner une idée. Les souffrances
d'ici-bas, même les plus atroces, même celles
qui tiennent le plus en éveil l'âme qui souffre,
ne peuvent nous représenter même de loin,
cette effroyable continuité dans la vue et le sens
d'un supplice Eternel.
Chose remarquable, toutes nos souffrances du
temps ont des instants d'arrêt, des heures d'in-
termittence. Entre nos souffrances et nous,
L ÉTERNITÉ ET LA VIE FUTURE
203
quelque chose s'interpose, qui nous en dérobe
la vue et nous en arrache plus ou moins le sen-
timent. Nous ne nous représentons pas toujours
avec la mè.me vivacité, et nous ne ressentons
pas toujours avec la même acuité ce qui nous
torture, nous supplicie, nous martyrise.
Jusques dans nos plus grandes et nos plus
longues souffrances, nous connaissons le bien-
fait des intermittences.
Nous connaissons l'intermittence que nous
procure l'oubli ; l'oubli qui, tout fugitif qu'il est,
un moment nous soulage; parce que, ce à quoi
nous cessons de penser, ce que nous oublions
est pour nous, au moment même de l'oubli, à
peu près comme s'il n'était pas.
En ce sens, oublier les souffrances c'est les
apaiser ou du moins les diminuer; et rappeler les
souffrances, c'est les renouveler et souvent
même les multiplier.
Cet oubli qui apaise ou calme un moment la
souffrance n'est pas impossible ici-bas, et même
les plus souffrants y parviennent quelquefois.
Mais, dans l'Eternité , comment oublier, lors-
que le supplice est , par-dessus tout, le face à face
avec cette Eternité elle-même?
frères malheureux, vous que vos crimes
204 l'éternité et la vie future
sans repentir ont précipités dans l'abîme; vous
qui, depuis des siècles et des siècles, êtes tombés
de vos désordïes du temps dans l'Eternel sup-
plice; ohl dites-nous, quand avez-vous pu vous
dérober à la pensée, au regard, au face à face
de votre Eternité? Combien de jours l' avez-vous
oubliée? 'Aucun. Combien d'heures ? Aucune .
Combien d'instants? Aucun. Combien de mi-
nutes? Aucune!
Qu'est-ce donc qui pourra apporter dans la
vision et le sens de cette Eternité, une inter-
mittence quelconque? Sera-ce la distraction?
Ah! la distraction dans les souffrances de la
terre, je comprends. Volontiers à ceux qui souf-
frent vous conseillez la distraction, • comme re-
mède ou apaisement de la douleur. La distrac-
tionc, 'est-à-dire, un je ne sais quoi, un moment
nous saisit, nous captive, nous charme, et par
là, nous tirant plus ou moins hors de nous-
mêmes, nous arrache au sentiment de notre
souffrance; ainsi la lecture d'un livre, la con-
versation d'un ami, l'attrait d'un plaisir, la con-
templation d'un grand spectacle, d'un ciel
étoile, d'une mer en tourmente, le son d'une ra-
vissante harmonie, etc., oui, tout cela peut,
dans le temps , apporter par La distraction, au
L ETERNITE ET LA VIE FUTURE
20E
sentiment de la souffrance, une accalmie qui re
pose.
Mais, dans l'Eternité, rien , absolument rien
de pareil; rien que le spectacle continu de sa
propre souffrance; rien que la conversation avec
l'Eternelle amertume de sou âme; et pour toute
harmonie, rien que cette voix lamentable re-
disant éternellement : Souffrir, souffrir encore,
souffrir toujours ; oui , toujours !
Ah ! si du moins le sommeil , comme il ar-
rive dans le temps , pouvait venir interrompre
ou suspendre la violence du mal qui tourmente!
Quel malade étendu sur un lit , où son mal le
tient en éveil, n'invoque comme un soulagement
ce bienfait du sommeil? Comme par chaque res-
piration de sa poitrine oppressée, il semble dire:
sommeil, ô doux, ô bienfaisant sommeil,
quand viendras-tu, en fermant mes yeux, sus-
pendre un moment ma souffrance et me donner
le repos? Et quand il est venu; oh ! alors au ré-
veil, quelles actions de grâces envoie au ciel ce
souffrant de la terre, de lui avoir envoyé ce court
sommeil comme un ange chargé d'apaiser un
moment sa douleur !
Mais, hélas! dans la vie d'outre-tombe, il n'y
a plus de sommeil , comme il n'y a plus ni oubli,
12
^06
l'éternité et la vie future
ni distraction possible. Le réprouvé veille, il
veille toujours. Sa vie, c'est la veillée éternelle,
dans une souffrance qui ne doit jamais finir!
Vous la représentez-vous, Messieurs, cette éter-
nelle veillée de la souffrance? Oh! si le ré-
prouvé pouvait se promettre, dans la durée de
son supplice , cette bienheureuse intermittence
d'un jour ou d'une heure de sommeil; ne vous
semble-t-il pas qu'il tressaillerait de joie, même
dans les étreintes de sa souffrance?
Mais non, de sommeil jamais, de distraction
jamais, d'oubli jamais! Toujours la vue pré-
sente de l'Eternité, et des souffrances qu'elle
réserve au fond de sa durée sans fin!
Et voilà la seconde cause d'aggravation que
l'Eternité ajoute à la souffrance du réprouvé :
son interminable continuité'.
Avec l'uniformité et la continuité qui aggra-
vent le supplice du réprouvé, il y a une chose
' dans ce supplice plus aggravante encore, c'est,
à chaque instant de son Eternelle durée, la plé-
nitude ou la simultanéité de l'Eternelle souf-
france.
Dans le temps, même ceux qui souffrent le
plus, ne sontjamais accablés par la plénitude de
leurs souffrances. Chaque partie de leurs souf-
l'éternité et la vie futore 207
frances est, pourainsi dire, distribuée sur tous
les moments de leur vie souffrante; jamais la
souffrance ne se fait sentir à l'un de ces moments
toute à la fois.
Eh bien! ce qui n'est jamais, ce qui ne peut
pas être dans le temps, est toujours et nécessai-
rement dans l'Eternité; et c'est là ce qui sur-
tout, dans ce supplice, doit frapper d'une reli-
gieuse frayeur toute pensée attentive : V Eternité
tout entière, venant peser de tout son poids sur
chaque instant de l'éternelle durée.
Mais pourquoi?-Comment expliquer cette con-
centration de l'Eternel supplice sur chaque mo-
ment de la vie du supplicié? Ah! c'est que l'homme
de l'Eternité malheureuse, par une terrible puis-
sance de prévoir qu'il maudit et qu'il voudrait
anéantir, ramasse, pour ainsi dire, sur son
présent toute l'horreur de son interminable
avenir. A chaque instant de sa vie souffrante, il
pressent, ou pour mieux dire, il sent tout ce
qu'il sait avoir à souffrir pendant toute son Eter-
nité.
Qui ne connaît la prodigieuse puissance de la
prévision, pour torturer une âme qui attend
une grande douleur, ou une profonde humilia-
tion?
208 l'éternité et la vie future
Un jour, on vint annoncer à un condamné à
mort, pour le lendemain, l'heure de son exé-
cution. Pendant toute la nuit, l'imagination ne
lui représenta que des éehafauds dressés. A
chaque instant, cet homme croyait sentir sur
lui la main du bourreau ou le tranchant de
l'acier fatal. Et tel fut [le saisissement que lui
causa la prévision du supplice 'qui l'attendait,
que le lendemain, quand on ouvrit sa prison, on
trouva sa tète blanchie comme la neige ; tant
l'effroi de l'attente l'avait profondément remué.
Et cependant, que pressentait et qu'attendait
cet homme? Un supplice d'un moment; rien de
plus.
Qu'est-ce donc que la nécessaire prévision de
l'Eternité qui, devant la pensée du réprouvé, à
chaque instant se dresse de toute sa hauteur,
de toute sa largeur, de toute sa longueur; ah!
de sa longueur surtout, et semble tout entière
s'étendre sur lui, pour l'accabler de son incom-
mensurable poids I
Ua fable, vous le savez, comme si elle avait
deviné quelque chose de cet effroyable mystère,
nous a représenté un géant foudroyé, luttant,
luttant toujours pour soulever le mont Etna,
qui sans cesse sur lui retombe et l'accable. Ce
L'ÉTEEN.TÉ ET LA VUS VC/TURE 209
n'est là sans doute qu'une fiction; mais ne
vous semble-t-il Das m, 'il ■* o > e
fiction nn. ^ q y ' mSme dans ce tte
7 ' G VIVe lma ^ e de l'effroyable réalité
q^ncn, n tj , essayedeyou ^ ahté
Ah cette Eternité si large, si haute, si lon-
pesan surr^T^ ^ *» le ^ E ^
pesant sur le géant Encelade, j e me fio . ure ,„
tou ^r C o Qstantde sadJe - « ™
tout entière, comme en un seul point- et là J
-hier le damné des millions et d'e m n ons ' de
ettor q U tf tente pour le soulever, il sen t h,
aussz retomber sur lui son effroyab e a deau e
impuissant mêmeà changer de place e fit
dans pp ^ r ,„ A replace, et à trouver
aans ce déplacement un soulagement nuel
conque Je crois l'entendre à c^eTel^tn
de sa vie tourmentée, demander en es™ le
s en débarrasser tout à fait- ^ 6SSayant de
^ temps supporter ce ËL^T, T^
£ dit en retombant : Eucot^k^ ^
Encore une Eternité ! eimtei...
Clntnt: ëi 7 S ' raMmeqUe rEte ™^ ouvra
aevant nous , effroyable abîme qui s'apnrofnndJ
a mesure que nous le creusons, pou t^
quelque chose de ce mystère de soufeanS Z
-perspective ajoute au supplice du rép^vt
12.
210 l'éternité et l\ vie future
Nous y voyons à la fois ces trois choses, dout
nous pouvons bien avoir l'idée, mais dont la
compréhension nous échappe, même en nos plus,
grandes souffrances de la terre; l'Eternelle uni-
formité', l'Eternelle continuité, l'Eternelle simul-
tanéité fans, le supplice du réprouvé; en d'autres
termes, le damné souffrant uniformément, con-
tinuellement et simultanément son Eternel sup-
plice, souffrant toujours la même chose, souf-
frant sans intermittence aucune, et souffrant, à
chaque instant de son éternel supplice, l'Eternité
tout entière.
Vous le voyez, ce sont comme trois abîmes
qui se creusent au fond d'un même abîme, sans
compter tous ceux qui nous échappent,et que nous
ne pouvons sonder au fond de l'insondable Eter-
nité.
Mais, après avoir visité, ou du moins en-
' tr'ouvert sous nos yeux cet abîme de l'Eternité
mis en face du supplice des réprouvés, nous
avons à regarder dans un autre abîme, l'abîme
de l'âme mise en face de son Eternité, c'est-à-
. dire de son éternel malheur; et nous aurons
ainsi le dernier mot de ce que la perspective de
l'Eternité ajoute d'aggravation au supplice du
réprouvé.
L ETERNITE ET LA VIE FUTURE
211
Oui, Messieurs, pour mieux entendre comment
l'Eternité est le dernier mot du malheur des ré-
prouvés dari s l'autre vie, il faut pénétrer dans
cet autre abîme, l'abîme de l'âme humaine elle-
même. Il faut nous demander ce que l'âme du
damné doit ressentir et ressent en effet, en face
de cette Eternité , telle que nous venons de la
montrer.
Or, indépendamment des autres causes de
son malheur, l'âme du pécheur impénitent, en
face de l'Eternité, renferme ces trois supplices
qui se compénètrent et n'en font, pour ainsi dire,
qu'un seul : supplice de l'Eternel regret, de l'E-
ternel remords, de l'Eternel désespoir ; c'est-à-dire
la privation totale des trois éléments de félicité
que nous pouvons connaître même sur la terre.
Il y a surtout trois choses qui entrent comme
éléments dans nos félicités relatives du temps :
le passé, le présent, l'avenir; le passé par le
souvenir, le présent par la possession,, l'avenir
par l'attente ou par l'espérance. Si le bonheur
est ici-bas si difficile et si rare, c'est qu'il nous
est d'ordinaire impossible de nous y faire une
situation qui ne soit troublée ni parle regret, ni
par le remords , ni parle découragement ou la
désespérance.
212
l'éternité et là vie future
I
f
Et bien ! l'homme de la malheureuse Eternité
ne trouve dans son supplice aucun de ces trois
refuges; car, son passé, c'est son éternel regret;
son présent, c'est son éternel remords; son
avenir, c'est son éternel désespoir. Et ainsi
l'âme elle-même répond par ces trois ahîmes ,
aux trois ahîmes de l'Eternité que nous venons
d'entrevoir.
Oui, ce qu'il y a d'abord au fond de l'âme du
réprouvé, dans l'Eternité, c'est ce que j'appelle
son premier abîme ; l'abîme du plus amer et du
plus inguérissable des regrets .
Le regret, qu'est-ce à dire? c'est-à-dire la
douleur d'un bien perdu, et que l'on pouvait ne
pas perdre ; la conscience d'un bonheur refusé,
et d'un malheur attiré par sa propre faute.
Dans le regret ainsi conçu, il est deux choses
qui en agrandissent l'amertume; la première
c'est d'avoir beaucoup perdu, la seconde de ne
pouvoir rien réparer. Et voilà ce qui explique
l'inexprimable douleur du regret,dans l'homme-
de l'Eternité malheureuse : il sait qu'il a tout
perdu et qu'il ne peut rien réparer.
Avoir tout perdu, mais ce qui s'appelle tout,
et ne pouvoir rien, absolument rien réparer; dans
l'universalité de la ruine l'impossibilité ab-
L ETERNITE ET LA. VIE FUTURE
213
solue de toute réparation: Grand Dieu! quelle
situation! Dans cette situation, quel regret! Et
dans ce regret, quelle douleur!
Ah! tous nos regrets de la terre, -même les
plus grands et les plus amers, ne peuvent nous
en donner une idée. D'ordinaire, nous ne per-
dons jamais tout. Toujours quelque chose ou
quelqu'un nous demeure; et dans nos ruines et
nos désastres les plus universels, combien il est
rare que nous ne puissions réparer quelque
chose. Alors même que nous ne pouvons égaler
les réparations aux ruines et les restaurations
aux désastres, notre impuissance de réparer
n'est jamais absolue.
Eh bien! Messieurs, ce que nous ne pouvons
même imaginer dans le temps, c'est dans l'Eter-
nité la complète réalité.
Qu'a-t-il perdu, mon frère le réprouvé? Tout.
Que peut réparer mon frère le réprouvé? Rien^
Le voyez-vous d'ici, à l'heure décisive où, à
travers les orag-es du temps il vient échouer au
rivage de l'Eternité? Le voilà pour toujours jeté
comme un naufragé sur ce rocher immobile; et
regardant derrière lui les flots de cette mer du
monde qui semblent encore murmurer à ses
pieds , il s'écrie : Hélas ' tout est perdu !... Oui ,
214
L'KTKRNfTK ET LA VIE MJTUBB
perdu tout ce qui est de la terre, et perdu pour
7J «>«t ce q„i est du ciel; perdu ton? ce Te"
uem et pgrdu tQut ce ^ ^ ^ m=
perdu tout ce qiu est de rhomme, et
- qu, est de Dieu, P laisirs , richesses, ho nU rs
g-loires, triomphes, où êtes-vous? Hélas' du
-ut de ce roc de PEternité, où m'a jeté la mort
e vous vo.s pareils à des épaves, flottant après
le naufrage sur une mer encore agitée. Ah ! s
dans cette perte de tout ce qui est de la terre
du temps, Dieu du moins me demeurait et
J.™. le ciel eu espérance, Mais, ôDiù où
etes-vous ? Ociel,oùêtes-v us ? Hélas! vous
aussi, je vous ai perdus, Tandis que le ciel se
ferme sur ma tête, ô Dieu, ô Dieu juste, je ns
que pour toujours vous me repousse, de vous,
perte a hTl "? nihie lmiverse ^> dans cette
peite absolue de tout ce qui est de la terre et de
tout ce qm est du ciel, si ce naufragé du terni
temps la, je recommencerai ma vie, une vie
Plus grandes même q ue mes désastres . Re _
urner? Mais il est trop lardi oui , trop ^ ■
L Eternelle pnson, où m'ont précipité les pré-
vancatumsdemavie, a des portes mille fo s
i. ETERNITE ET LA VIE FUTURE
ïlt
plus dures que le diamant. En vain contre ces
portes infrangibles je me briserais la tète; ah I
c'est fini, c'est à jamais fini; le temps ne me re-
verra plus; et de oe côté, pour réparer mes pertes,
je ne puis rien, et je ne pourrai jamais rien!
D'où me viendra, pour guérir la blessure de
mes regrets, la puissance réparatrice? Sera-ce
du côté de mou Eternité elle-même? Mais,
comment trouverais-je en elle une puissance de
réparation, lorsque c'est d'elle-même surtout
que me vient Yirre'parabilité absolue de mes dé-
sastres du temps ? Comment demanderais-je
à mon Eternité le secret d'acquitter ma dette et
de réparer mes pertes, lorsqu'en vertu et par la
iorce inéluctable de la condamnation qui :i fait
de moi, au sortir de ma vie du temps, le ré-
prouvé de l'amour même, je demeure devant la
justice un débiteur éternel? Eternité! je le sais,
jamais tu neguériras mes inguérissables regrets,
parce que jamais tu ne m'acquitteras devant la
justice qui se sert de toi, non pour m'absoudrc,
mais pour me châtier. Je pleure aujourd'hui et
je pleurerai éternellement mon incomparable
malheur; et je sais que mes larmes, en tombant
sur ce roc où je pleure, n'acquitteront et ne ré-
pareront jamais rien, et qu'elles ne feront que
216
L ETERNITE ET LA VIE FUTURE
raviver mes regrets éternellement renaissants ;
je sais que je garderai dans l'absolue irrépara-
bilité de tout ce que j'ai perdu, l'inguérissable
blessure de cet éternel regret.
Une cbose pourrait, peut-être, en adoucir l'a-
mertume : Ce serait de pouvoir se dire : J'ai tout
perdu et je ne puis rien réparer; mais, ce n'est
pas ma faute. Hélas ! voici précisément ce qui fait
la grande et poignante douleur du reprouvé;
c'est que , dans la pleine lumière de sa cons-
cience, il est forcé de se dire : C'est ma faute; si
j'ai tout perdu, c'est que je l'ai voulu. Si je suis
attaché au malheur, c'est que j'ai repoussé le
bien pour embrasser le mal; et si je suis voué à
la haine , à l'Eternelle haine , ah ! c'est que par
mon égoïsme j'ai repoussé l'amour.
Et ainsi , à la douleur du regret, s'ajoute dans
l'âme du damné une douleur plus grande en-
core : la douleur du remords, et d'un remords
absolument inapaisable.
Le remords !... qui ignore ce que peut être, dans
l'homme qui a gardé le sens de l'ordre, cette
morsure de l'âme blessée par le désordre qu'elle
a mis en elle? Car le remords , c'est cela-même,
c'est le sens, de l'ordre dans l J âme qui a con-
sommé le désordre ; c'est le sens du bien dans
L ETERNITE ET LA VIE FUTURE
217
l'âme qui a embrassé le mal. Le remords! étrange
châtiment, où le prévaricateur est tout à la fois
le bourreau et la victime; le remords! monstre
mystérieux qui décore au fond d'une conscience
troublée les fantômes de bonheur et de paix
que l'on essaye de se faire au sein même du dé-
sordre.
Le remords ainsi conçu est dans l'hu-
manité l'un des phénomènes les plus émouvants.
Des génies de premier ordre, même dans l'an-
tiquité, en ont créé des tableaux et des types,
qui ont conquis la gloire de l'immortalité.
Mais, Messieurs, qui pourra vous dire ce que
doit être dans l'âme du réprouvé P'Eternité du
remords, créé par ses désordres du temps?
Comme la douleur du rçgret, la douleur du
remords, croît et grandit aussi en proportion de
deux choses, à'savoir : en proportion de l'appa-
rition du désordre accompli et de l'impuissance
à le chasser de soi
Or, ces deux éléments de la souffrance et de
l'amertume du remords, sont, dans le réprouvé, à
leur suprême degré ou à leur plus haute puis-
sance.
A peine arrivé au seuil de l'Eternité, le pê-
cheur voit s'évanouir subitement toutes lesobs-
13
'
218
L'ÉTERNITÉ ET EA VIE FUTURE
curitésque le temps laisse planer sur les splen-
deurs de l'ordre ; et une lumière vraiment fulgu-
rante fait briller dans son âme une formidable
clarté. L'ordre que Dieu a établi lui apparaît dans
sa plus complète irradiation ; et sa violation se
révèle au coupable dans toute son horrible lai-
deur.
Ici-bas , la faiblesse même de notre humaine
pensée, les nuages de Terreur, les ténèbres
amassées par les plaisirs et par les voluptés,
obscurcissent pour nous la lumière de l'ordre, et
par suite diminuent dans l'âme.avec le sens du
désordre, la douleur du remords.
Mais quand la mort vient de sa main retirer
devant le réprouvé le voile qui lui en cachait les
splendeurs éternelles; et lorsque cet ordre
Eternel et immuable lui apparaît dans toute sa
clarté: oh! qui pourra jamais dire ce qu'est alors,
dans cette pleine lumière, au fond de la cons-
cience, le remords de l'avoir violé? Et que sont,
devant le supplice de ce remords d'outre-tombe,
les remords qui ont fait,à travers l'histoire, leurs
plus éclatantes.et leurs plus tragiques explosions?
Ce qui complète dans l'Eternité ce supplice
du remords, c'est l'impossibilité absolue d'y ap-
porter un apaisement quelconque. Comme le
l'éternité et la vie future
219
regret y est inguérissable, le remords y est ma-
paisable.
Sur la terre , que de causes apaisent ou en-
dorment le remords ! Le charme des plaisirs ,
l'ivresse des voluptés, l'habitude même de la
prévarication, l'influence des erreurs et des doc-
trines pervertissant la conscience, Semblent plus
ou moins amortir le remords , si elles ne le tuent
tout à fait. Et, pour le chasser de lui, le pécheur
a un moyen essentiellement efficace : la confiance
de son pai'don puisée dans le repentir.
Mais, dans l'Eternité, quel charme, quelle
ivresse, quelle erreur capables d'émousser pour
le damné l'aiguillon du remords? Et surtout,
quel repentir capable de lui rendre, par l'extinc-
tion du remords, la paix de l'innocence? La co-
habitation Eternelle et inévitable de son âme
avec le péché qu'il a emporté, en passant par la
mort, au sein de son Eternité, c'est le remords
avec toutes ses tortures à jamais fixé dans sa
conscience; c'est comme un serpent enfermé
dans la poitrine et y faisant sentir une morsure
Eternelle; c'est, comme le vautour, dont parle la
fable, éternellement attaché aux entrailles de
Prométhée : image affaiblie de l'Eternel et ina-
paisable remords attaché pour toute l'Eternité au
220
L'ÉTUKNITlî ET LA VIE FUTURE
tond de Ja conscience coupable. Disons mieux;
avec 1 Ecriture, c'est le ver qui ne meurt pas
mais qui ronge éternellement cette âme qui l'a
enfermé en elle avec le remords : VermU eorum
non moritur.
Ainsi , dans l'âme du réprouvé,avec l'Eternité
du regret, l'Eternité du remords. Je ne connais
Plus quune chose plus aggravante encore,
dans le supplice du pécheur impénitent, l'Eter-
nité du désespoir.
Le désespoir! c'est-à-dire la rupture avec
toute espérance : là est, si je le puis dire, l'idéal
de la douleur; là gît, même en cette vie ] a
cause ou la raison secrète des plus grandes
souffrances : Ne plus rien espérer! La mère dé-
sespérant de conserver ou de revoir son enfant-
1 enfant désespérant de revoir sa mère; l'épousé
sans espoir de revoir son époux; l'exilé n'es-
pérant plus revoir sa patrie; le prisonnier n'es-
pérant plus revoir la lumière ; le malade déses-
pérant de revenir à la santé : Ne sont-ce pas là
d ordinaire, les types ou les personnifications
les plus émouvantes de la souffrance humaine'
Et, lorsque cette désespérance atteint dans
1 homme son plus haut degré; lorsque le
malheureux ici-bas n'attend plus rien, abscr
L ETERNITE ET LA VIE FUTURE
221
lumeut rien; lorsqu'il a senti tout ce qui
l'attachait encore à l'existence se briser au-
tour de lui, et tout ce qu'il aimait se re-
tirer de lui; ah! n'est-ce pas alors que trop
souvent la vie s'effondre, comme un édifice qui
a perdu tous ses appuis? Oui, c'est alors que
l'homme se penche sous le plus lourd fardeau
qu'il soit possible de porter, une vie qui n'es-
père et n'attend plus rien; et que la rejetant
comme un poids qui l'écrase, il s'écrie, la tris-
tesse au cœur, la pâleur au visage et le poignard
à la main : Allons, c'est fini; nous n'avons plus
qu'à mourir! Plus d'espérance!
11 setrompepourtant. l'infortuné; oui, le suicidé
se trompe; il a encore une espérance, car il se
dit, en rejetant sa viedu temps: Dans l'autre vie,
ce sera mieux, peut-être! Et s'il ne croit plus
même à une autre vie, il espère encore; car il
invoque la mort comme une délivrance, et si je
le puis dire, comme une dernière espérance.
Ainsi, même en ceux que tout dans le temps
désespère le plus, il y a encore une espérance.
Et nos désespoirs, même les plus profonds n'y
sont jamais que relatifs.
Mais le désespoir absolu, le désespoir éternel
au sein d'une nuit qui l'enveloppe, sans lui
222 l'éternité et la vie future
laisser même leplus petit rayon d'espérance, ah!
comment comprendre tout ce qu'il ajoute d'ag-
gravation au supplice du réprouvé? Se sentir
attaché, sans pouvoir la rejeter jamais, à une
vie où la souffrance doit renaître éternellement
delà souffrance, sans pouvoir lui dire à une
heure, par une parole efficace : « Va-t'en, laisse-
moi; » et à tout instant de sa souffrance atten-
dre encore une Eternité de souffrance !
C'est l'effroyable situation du désespéré de
L'autre vie : ne pouvoir plus rien attendre, si ce
n'est ce à quoi il voudrait s'arracher : la douleur,
et toujours la douleur !
Voilà le caractère le plus affreusement ini-
mitable que l'Eternité imprime au supplice du
volontaire réprouvé : l'absolu dans le désespoir;
l'impossibilité de toute espérance. Impossibilité
qu'exprimait un grand génie éclairé par sa foi,
en montrant inscrit sur la porte des éternels
châtiments : «. Vous gui entrez par cette porte,
laissez-y V Espe'rance ! » car, si l'espérance y
pouvait entrer, ce ne serait plus l'enfer; l'en-
fer, où l'on n'espère plus!
Si du moins, dans ce naufrage de toutes
les espérances de la vie, il pouvait garder en-
core l'espoir de la mort!... Ah! s'écrie ce vivant
l'éternité et la vie future
223
sans espérance, si je pouvais mourir! Si le
néant nie restait comme libérateur de cette ser-
vitude, qui fait de moi un esclave éternel!
Mais c'est là précisément ce qui met le com-
ble à son désespoir et à son malheur : l'impos-
sibilité de mourir.
Les malheureux , s'écrie Job , attendent et
cherchent la mort , expectant morlem. Et com-
me on creuse la terre pour trouver un trésor,
eux la creusent pour trouver un sépulcre; quasi
effodienles thesaurum. Et, quand ils ont trouvé
un tombeau , ils tressaillent de joie : Oaudent-
que vehementer cum invenerint sepulcrum (]).
Mais l'Eternité, c'est la fin, la fin qui ne doit
plus finir; comment faire dès lors, pour s'ouvrir
un sépulcre? En vain le réprouvé essayerait de
creuser dans ce granit, en s'écriant : La mort,
la mort! Après le sépulcre qui a dévoré mon
corps, où trouverai-je un sépulcre qui dévore
mon âme ?... Mais la mort ne vient pas; elle ne
viendra jamais cette mortsiardemmentdésirée;
exspectant mortem et non venit. mort! ô mort!
viens, viens à mon secours. L'Eternité répond:
La vie, la vie! Vivre toujours; mourir jamais
Et tandis que l'Eternité lui porte le défi de mou-
Ci) Job III. 2t.
224
L'ÉTERNITÉ Et LA VIE FUTURE
nr. en lui disant : La vie! la vie! lui, s'écrie
dans un désespoir sans remède et sans conso-
lation: Eternité! Eternité! Et l'un et l'autre
cest.a-d.re l'Eternité et lui, di.ent ensemble'
comme cette voix d'un damné que Dieu feisaii
un jour arriver, pour le convertir, à l'oreille
d un moribond, du plus profond de l'Eternel
abîme : Plus d'Espérance! Plus d'Espérance'
Messieurs, j'ai fait sur moi . méme un
cZ7ef V PaT V ° US Petenir aV6Cm0i d —t
eue effroyable perspective. Je respire, en pen-
sant que j ai maintenant à vous en montrer une
autre bien différente. Aussi, après vous avo
X ^ ^ ™***é est par rapport a
ma heur des réprouvés ; j'ai hâte de vous dire ce
qu elle est par rapport au bonheur des Elus.
II
. Ce que la pensée de l'Eternité est par rapport
aubonheur de. élus dans le ciel, L'ert^
^rV 3 raiS °' n Gt d6Vant Ia foi ' le ^nheur
des élus doitetrele W ^bonheur; un bonheur
qui, bien que s'élevant dans chacun avec le de-
rilKtti
l'éternité et la vie future
2>5
gré du mérite, sera dans tous le rassasiement
complet des désirs ; en sorte que l'élu, même le
moins élevé dans la hiérarchie des célestes fé-
licités , n'aura plus rien à désirer, et ignorera
dans le ciel cette chose qui blesse tous nos
bonheurs de la terre, à savoir : le sentiment du
vide. A qui peut-il échapper, en effet , que qui-
conque se sent vide par quelque e adroit, aspire
naturellement au delà de ce qu'il possède, et que
celui qui aspire au- delà, n'est pas en réalité
parfaitement heureux.
Ce principe une fois admis, et il est incon-
testable, il sera facile de comprendre ce que
la perspective de l'Eternité est par rapport au
bonheur du ciel. Elle en est tellement la con-
dition nécessaire et l'élément essentiel, que
sans elle, le parfait bonheur ne se peut plus
même concevoir. Sans la certitude d'une durée
éternelle, il en serait à peu près de la félicité
du ciel, ce qui en est de nos félicités de la
terre : la crainte de la voir finir en trou-
blerait la possession. Là est la grande blessure
qui atteint en leur fond le plus intime tous les
bonheurs que nous essayons de nous faire ici-
bas : l'impuissance absolue de les perpétuer.
Alors même que la Providence vous fait sur
13
226
L'ÉTERNITÉ ET LA VIE FUTURE
la terre dans la situation la pl us souhaitable le
Plus grand bonheur que vous puisse imaginer
unechose, bon gré, mal gré, en trouble la posses^
sion: vous savez que ce bonheur doit finir, et
même qu'il va bientôt finir.
Imaginez la possession la plus complète et la
moins troublée de tout ce qu'un homme peut
posséder ici-bas. Voici un homme, pareil au
roi Salomon, en possession de toute richesse
de tout honneur, de tout plaisir, de toute
science; a la lettre, tout y est et rien n'y
manque, ce semble, pour réaliser l'idéal de la
terrestre félicité.
^ Ah -iY letr0mpe ' unechose 7 manque, la
sécurité dans la possession, la certitude d'as-
surer pour l'avenir le bonheur de son présent
Non seulement, comme Salomon, il sent le
vide ou la vanité qui est au fond de tout : , Et
vdt guod omnia estent vanitas. » Mais, alors
même qu'il ne sentirait pas le vide, qui résulte
de la disproportion entre ce que l'on possède et
la faculté de posséder, une autre raison plus
munie et plus profonde encore l'empèeherait de
jouir tout à fait, et de trouver la paix au sein de
a jouissance : c'est l'inévitable pressentiment
de la fin, de cette fin dont l'ombre triste vient
l'éternité et la vie future 83?
assombrir même ses meilleures joies.
6i vous vous représentez la possession de
tous les biens et de tous les plaisirs de cette vie,
comme un banquet splendide où un homme
vient s'asseoir avec ses heureux convives ; com^
ment pourra-t-il, sans ombre de tristesse, jouij*
de ce banquet de la vie, si, comme au festin de
Balthazar, il croit voir une main mystérieuse
écrire sur la muraille cette parole qui vient en
troubler la joie : Finir! finir! Voici venir la
fin!
Il résulte de ce que nous venons de dire, que
même la possession de Dieu ne nous remplirait
pas et ne nousbéatifieraitpastout à fait, si, par- i
hypothèse, cette possession de Dieu pouvait finir
un jour. L'homme, dans cette hypothèse, doué
qu'il est de la puissance de prévoir, troublerait
son présent par la prévision de son avenir, et
même au sem et dans les bras de Dieu, ne se sen-
tirait pas parfaitementheureux. A chaque instant,
il pourrait se dire : Je sais que mon bonheur doit
finir; mais quand? Sera-ce demain? Après-
demain? Et ne pouvons-nous pas même ajouter
que plus grand seraitsonbonheurdansla posses-
sion de Dieu, plus grande aussi serait la frayeur
de le perdre; et que la joie de l'embrasser serait
228
L'ÉTERNITÉ ET LA VIE FUTURE
^alee, et peut-être môme surpassée par 1-,
crainte ou plutôt par la certitude d'en etr un
jour séparé? Qui ne sait que, même sur if T
ce sont les plus heureu x q ui ^ZZ on S
Plus tourmentés par la pensée de voirWflïfi
tout leur bonheur , Comment, d s ^ SfT
-e.nde Dieu.alors qu'atout instant il pourrait
lm dire mon Dieu, beauté! bonté"
Quoi! après vous avoir vue et possédée, ilfaud a
titude de ne le perdre jamais
Donc, Messieurs, rien n'est plus certain • l P
bonheur du ciel, pour être un p'arfa t on Lu
doit être Eternel. Nous pourrions à langue
pas aller plus loin. *4Tueui ne
Mais, ce que je veux surtout montrer ici, ce
L liTliRÇITJE ET LA VIE FUTURE
229
n'est pas seulement la nécessité, pour le parfait
bonheur de l'autre vie, d'être Eternel, c'est-à-
dire sans fin; ce que je veux mettre surtout dans
une pleine lumière, c'est tout ce que la pensée
de l'Eternité ajoute, sous tous les rapports, à la
félicité du ciel.
Que ferons-nous, dans le ciel?. . .
Dans le ciel nous verrons Dieu, videbimus.
Dansle ciel nous aimerons Dieu, amabimus. Dans
le ciel nous posséderons Dieu; et, dans l'extase
de cette vision, de cet amour et de cette posses-
sion, nous le louerons, laudabimus.
Après le bonheur de le croire sur la terre , le
bonheur de le voir face à face dans le ciel; après
le bonheur de l'espérer et de l'aimer sur la terre,
le bonheur de l'embrasser dans le ciel; et après
le bonheur de souffrir pour lui sur la terre, le
bonheur de jouir de lui dans le ciel : telle est,
pour la résumer en trois mots, la réalité de la
céleste béatitude.
Or, qui pourra jamais comprendre, et surtout,
qui pourra jamais dire, ce que la perspective de
l'Eternelle durée ajoute à cette félicité triple et
une tout ensemble? Remarquez-le bien, de même
que je n'avais pas tout à l'heure à vous dire tout
le mystère du supplice de l'enfer, je n'ai pas non
230
l'éternité et la. vie future
plus maintenant à vous décrire tout le bonheur
du ciel, ni à vous faire pénétrer jusqu'au fond de
son ineffable mystère; mystère qui, au dire de
saint Paul lui-même, - qui en avait eu cepen-
dant la sublime vision, ~ dépasse tout entende-
ment et tout sentiment humain . Les discours les
mieux concertés et les plus éloquents ne man-
quent pas d'ailleurs sur ce grand sujet. Ce que je
veux montrer uniquement, o'est ce qu'ajoute la '
pensée Ae l'Etemel à la céleste béatitude, consi,'
dérée sous le triple rapportque jeviensd'énoncer.
Et d'abord, le premier élément de la céleste
béatitude, c'est la visiou, la vision intuitive de
Dieu même, c'est-à-dire de llnfini^Sur la terre,
nous avons une certaine vue de Dieu; mais nous
ne le voyons que comme on voit dans un miroir
un reflet ou une imag-e; et malgré cette vue ré-
flexe do Dieu, son essence et sa vie intime nous
demeurent une énig-me,ou comme une chose in-
comprise. Mais, au ciel, nous le verrons face à
face; nous le connaîtrons comme nous nous con-
naissons ucus-mêmes. C'est le dog-meque pro-
fesse l'Eglise appuyée sur la révélation de saint
Paul dans sa lettre aux Corinthiens : Videmnt
nnneper spéculum in enigmatejunc autemfaeie ad
faciern (I).
(!) Con:Uh. XIII. 12.
L ETERNITE ET LA VIE FUTURE
231
Ce qu'est en elle-même et comment se réalise
cette vision intuitive de Dieu; ce que donne de
ravissement et de bonheur extatique cette vue
claire et face à face de l'Infini, il n'est pas démon
sujet d'entreprendre de le dire; le fût-il même
que je désespérerais de pouvoir y réussir; car
nous sommes ici en face de l'incompréhensible,
du mystéiieux et de l'inexprimable. Tous ce-
pendant/devant ce mystère de la vision intuitive,
nous pouvons nous dire : Si le face à face avec
lé fini et le créé, si la vue des merveilles de la
création nous donne quelquefois je ne sais
quels transports et quels ravissements béati-
fiques , ah! que sera-ce de contempler cette
Infinie beauté, dont toutes les beautés de la
création ne sont que de pâles reflets? Si donc
nous nepouvons nous faire une idée, surtout une
idée complète du bonheur de cette céleste vision,
nous pouvons en avoir jusque dans nos visions
delà terre, comme un prophétique pressentiment.
A.h ! si la séraphique Thérèse, pour avoir eu la
vision d'une seule main de Jésus Christ, trouvait
que toutes les splendeurs de la lumière et du
soleil n'étaient pour elle que pâleur devant l'éclat
ineffable de cette divine main; ah! Thérèse ne
pouvait-elle pas pressentir quelque chose de ce
232
L'ÉTERNITÉ ET LA VIE FUTURE
que sera au ciel la pleine vision du Christ tout
entier; de ce Christ, c'est-à-dire de ce Verbe in-
carné et glorifié, en qui et par qui nous verrons
Dieu et tout ce qui est de Dieu ; de ce Christ qui
nous montrera sur son front la condensation de
toutes les beautés créées, transfigurées par la
lumière de la divine et éternelle beauté?
^ Mais que serait, pour la parfaite félicité des
Saints dans le ciel, même cette vision de l'In-
fini, s'ils pou valent, un moment, douter de sonEter-
nelle durée? Que deviendrait le bonheurde cette
inénarrable vision de l'Infinie beauté, s'ils de-
vaient se dire,mème dansl'extasedecettecontem-
plation: beauté divine, ô Infini de la beauté,
quel bonheurdevous voir! Mais quelle tristesse de'
penser qu'un jour nous ne vous verrous plus!
Qui ne comprend, dans cette hypothèse, quel
nuage viendrait pour eux obscurcir le ciel même
de la béatitude ?
Mais dans cette vision béatifique, dans ce face
à face avec la divine beauté, supposez la pers-
pective d'une éternelle durée; oh! alors quelle
différence! Alors, dans cette contemplation de
l'Infini de Dieu, quel accroissement, et quel ra-
jeunissement perpétuel de la félicité!
Oh ! comme ce bonheur de la vision semble à
L ETERNITE ET LA. VIE FUTURE
233
tout instant se multiplier par lui-même, alors
qu'à ce bonheur de voir l'Infinie beauté se joint
sans cesse le bonheur de savoir qu'on la verra
toujours. Et comme le ravissement succède au
ravissement, alors que l'Eternité pour eux tou-
jours présente, promet aux bienheureux de ré-
'véler à leurs regards toujours ravis des beautés
toujours nouvelles, et de faire briller dans ce
monde de l'Infinie lumière des astres toujours
nouveaux!
J'entends des hommes qui disent : Mais que
peut, pour le bonheur des élus.ce face à face sans
fin? Qu'est-ce que cet éternel regard jeté sur la
beauté de Dieu, si ce n'est l'éternel ennui dans
l'éternelle uniformité? Ahl l'ennui, la souffrance
de l'ennui dans l'uniformité et la monotonie du
supplice, je la comprends, et nous venons de le
voir.
Que dis-je? l'ennui dans la vision des choses
infimes de cemonde, nous le pouvons comprendre
encore. Et c'est d'elles que nous pouvons dire avec
l'Esprit-Saint : « Non satialur oculus visu. L'œil
« n'est pas rassasié parce qu'il voit; » c'est-à-dire
l'âme, par sa faculté de voir, n'est remplie par
aucun spectacle d'ici-bas.
L'ennui dans la contemplation? Ah! s'il s'a-
234
l'éternité et LA VIE future
g-issaitdela contemplation d'une beauté impar-
faite, d'une beauté finie, d'une beauté terrestre;
peut-être» Mais l'ennui dans la vision de la
beauté Infinie; oh! non, jamais. Comment con-
cevoir cet éternel ennui, alors que baignés de
toutes parts dans les flots de la lumière Infinie,
les Saints se meuvent dans cet océan sans ri-
vage.et y vont, selon le beau mot de Saint Paul,
de clarté en clarté, de claritate in claritatem; et
cela, dans une extase qui n'a pas plus de fin
que cet océan de lumière n'a lui-même de li-
mites !
N'entendez-vous pas ces bienheureux con-
' templateurs de l'Infinie beauté, s'écrier dans leur
perpétuelle extase :ODieu,quelle est ravissante,
votre Infinie beauté! Quel bonheur de' la voir
aujourd'hui! Mais quel accroissement dans ce
bonheur de vous voir, de savoir, sans crainte de
nous tromper, que nous vous verrons encore
demain, après-demain, et toujours!
Ainsi l'Eternité complète la béatitude de la
vision intuitive.
Quoi ! et l'on vient nous parler de monotonie
dans la contemplation de Dieu,- et d'ennui dans
cet éternel regard de la créature jeté sur son
Créateur! Comment expliquer une telle aber-
l'éternité et la vie future
235
ration dans la pensée, j'allais dire une telle ex-
travagance dans l'esprit humain?
Ah! c'est que sans doute dans ce regard et
cette contemplation, on oublie deux choses. On
oublie d'abord que cette contemplation c'est la
contemplation de l'Infini, qui par son infinité
même exclut l'uniformité , parce qu'il renferme,
au sein de son unité, l'infinie diversité. On
oublie, surtout, que cet éternel regard jeté
sur la divine beauté, c'est un regard d'amour, et
d'un amour dont nos terrestres amours ne peu-
vent pas même nous donner une idée.
Qui ne sait comment, même sur la terre, l'a-
mour, alors qu'il est profond et vraiment sou-
verain, se plaît à prolonger le regard jeté sur le
bien-aimé?Ah ! c'est que ceux qui s'aiment, non
seulement sont heureux de se voir et de so voir
encore; mais ils attachent avec bonheur l'un
sur l'autre un long- regard, regard pour eux
relativement béatifique, et qu'ils voudraient, s'ils
le pouvaient, prolonger indéfiniment. Que peu-
vent-ils v.oir cependant en se regardant, si ce
n'est le fini, le fugitif,l'imparfait?Kt néanmoins
que de félicité déjà l'amour croit trouver dans
ce regard!
Que doit donc être dans le ciel le .bonheur de
236
L'JÏT^ENITB HT LA VIE FUTUHB
ce regard éternel, alors que ce qu'il voit ^
piment beau, l'inflniinent ^ ™ £*
™rr ,e; aiors - enfin - <- » ^"
un eg-ar.1 d amour jeté sur l'Etre dont l'amour
Aussi no v U 6St am ° Ur ; DéUS ^itasest.
Aussi, pour bien comprendre comment TEter-
mte complète dans le ciel le bonheur de la *.
W Ïu^el ' " *" ^^ ^ le V«JZ-
ZTon T ^ '° nS1Ste PaS SeulemeQt ^ la
^sion, mais qu'il consiste, plus encore, dans
1 amour dans son centre est le fond du paradis
ou de la céleste béatitude ûu Parad 1S ,,
talt a rw n T 8 * aUSSl SimplG *™ fondamen-
aie. C est que l'amour est à la fois et le fond de
la nature humaine, et le fond de la nature divi-
L'amour est le principe vital et le principe
s°c z: mr humaine - c ' est «« ie -ur :
la poitr n P '' ^ * ^ "^ COm ™
la poitrine respire; et cet amour du cœur hu
maing-ravite vers un autre amour. D'où il résulte
que le parfait bonheur de l'homme doit et n
repos dans un légitime amour
D'autre part, Dieu lui-même est amour, Beus
tmamm
l'étfrnite et la vie future
237
charitas est; et il aime, comme le feu brûle,
comme la lumière rayonne. Donc vivre et se
reposer en Dieu, c'est vivre et se reposer dans
l'amour.
Ces deux raisons qui n'en font, pour ainsi dire,
qu'une seule, démontrent la même vérité, à sa-
voir : la nécessité de l'amour pour le suprême et
parfait bonheur de l'homme. D'où cette conclu-
sion.exigée tout à la fois par la nature humaine
et par la nature divine, à savoir, que le ciel est,
par-dessus tout, le lieu de l'amour, la paix, la
tranquillité, l'ordre, le repos dans l'amour. En
un mot, comme je viens de le dire, l'amour est
le fond et le centre du paradis. La vision de l'In-
fini est le repos de l'intelligence ; l'amour de l'In-
fini est le repos du cœur. En un mot, aimer,
aimer Vu r.our même, l'amour infini, est la néces-
sité souveraine du parfait bonheur du ciel. Je
n'insiste pas sur une vérité dont nous avons
tous, au plus intime de nous-mêmes, la révé-
lation spontanée.
Mais, j'insiste pour montrer qu'ici encore,
l'Eternité, ou la perspective de l'Eternelle vie, est
la condition absolue du parfait bonheur! Quand
on aime, pour être parfaitement heureux dans
238
l'éternité et la vie future
son amour, il faut avoir la certitude que l'on ai-
mera toujours .
Hélas! c'est l'irrémédiable douleur, c'est l'in-
guérissable blessure de tous les amours d'ici-
bas, de se sentir impuissants à se perpétuer, et
de ae pouvoir apposer sur nos cœurs et sur le
cœur de c*ux que nous aimons, le sceau de l'im-
mortalité. Oui, ce qui frappe et blesse au cœur
les félicités que l'on essaye de se faire dans les
amours de la terre, c'est d'en sentir,à toute heure
les fragilités et les caducités; c'est de trop bien
savoir que nos unions.mème les plus heureuses
même les plus durables, ne font que nous
prophétiser nos douloureuses et inévitables sé-
parations.
Séparations! Ah! voilà bien le mot qui, pareil
à un glaive, pénètre au plus intime de nos cœurs
pour y tuer, ou du moins blesser à mort, les fé-
licités que notre amour essaye de se faire ici-
bas. Séparations ! Au fond de nos grandes
souffrances etde nos grandes désolations, y a-t-il
donc autre chose? Creusez jusque dans leur
tond les souffrances humaines, sous quelque
forme qu'elles se présentent, qu'y trouvez-vous,
si ce n'est un amour séparé de ce qu'il aime'
Souffrance de l'orphelin, souffrance delà veuve
-.'..'..
L ETERNITE ET LA VIE FUTURE
239
souffrance de la mère, souffrance du prisonnier,
souffrance de l'exilé, souffrance de l'isolement...
Au fond, c'est toujours la même chose : un amour
qui pleure l'abseuce de ce qu'il aime, en un mot,
un amour séparé.
Voilà ce qui fait non seulement la tristesse
et le découragement, mais parfois même le dé-
sespoir de tous ceux qui aiment dans le temps
sans mettre dans leur amour quelque chose
d'Eternel.
Ah ! s'écriait naguère un homme qui en avait
fait la désolante expérience : « Malheureux que
« je suis , je n'ai rien aimé d'immortel. Tout ce
« j'ai aimé, je l'ai pris dans le temps; et voici
« que cette fuite du temps et de tout ce que j'ai
« aimé dans le temps, est pour moi comme le dé-
« sespoir... »
Au contraire, quelle joie, quelle joie sans mé-
lange, quand on aime vraiment et profondé-
ment ce qui est légitime ce qui est pur, ce
qui est saint, de pouvoir se dire que ce qu'on
aime aujourd'hui, on l'aimera toujours ! Tou-
jours ! c'est-à-dire non seulement le toujours
que le temps nous mesure, mais le toujours des
siècles éternels !
Même alors que ce que nous aimons n'est pas
240
L ETERNITE ET LA VIE FUTURE
infini, et que de toutes parts nous touchons les
limites qui enferment les objets de notre amour;
quelle surabondance de joie, quel surcroît de fé-
licité ce serait pour nous , si nous pouvions
nous dire en les étreig-nant |dans nos bras, tout
impuissants qu'ils sont à -remplir toute la ca-
pacité de notre cœur : Ah! ces êtres chéris, ces
êtres préférés, à qui j'ai donné le meilleur de
mon cœur et le plus pur de mon amour, je sais
qu'ils ne me manqueront jamais ; je sais que le
même amour fera toujours battre nos cœurs ;
et que nous nous aimerons éternellement.
Oh ! qui pourra comprendre tout le mystère
de la joie que pourrait mettre dans un cœur
humain, l'amour même d'un bien fini, mais un
amour sûr de son éternité?
Qu'est-ce donc, si ce que j'aime c'est l'Infini
lui-même, l'infiniment bon, l'infiniment parfait,
l'infiniment aimable, c'est-à-dire l'être vivant,
seul capable de répondre à toute ma puissance
d'aimer? Et si je puis dire, à chaque moment de
ce béatifique amour : ah ! cet être infiniment ai-
mable, cet être qui m'aime lui-même d'un amour
infini, Je l'aime! Et n'eussé-je qu'un jour à
l'aimer,ce serait pour moi déjà un bonheur que
nul amour de la terre ne peut me représenter.
L ETERN1TK ET LA VIE FOÏDRE
24]
Mais ce qui est pourmoi le comble du bonheur,
c'est de savoir que cet être infiniment aimable,
ie l'aime pour toute mon Eternité.
Et voilà ce qui fait non seulement l'Eternel
bonheur, mais encore l'Eternel ravissement de
mon amour. Ah ! c'est que je sais que bien dif-
férent de tous les amours de la terre et du temps,
cet amour ne connaîtra jamais ni la lassitude,
ni le regret, ni le dégoût, ni un décroissement
quelconque ; je sais qu'il ira se ravivant sans
cesse, et que sa flamme ne s'éteindra pas ;
parce que cet amour ne connaît ni caducité, ni
vieillissement quelconque; il a la jeunesse de
l'Eternité.
Aussi, Messieurs, comme l'intellig-ence des
habitants de la céleste patrie est éternellement
béatifiée, en voyant se révéler au fond de l'In-
fini des beautés toujours nouvelles et des splen-
deurs qu'ils n'avaient pas encore contemplées ;
ainsi leur cœur est éternellement béatifié, en
sentant au sein de cet Infini qu'il aime, des
amabilités et des trésors d'amour qu'il n'avait
pas encore soupçonnés. Et je crois entendre
tous ces béatifiés du divin amour s'écrier, dans
la certitude qu'ils ont d'aimer éternellement l'a-
mour même : amour! amour infini ! Vous
14
242
l'éternité et la vie future
aimer, vous aimer encore, vous aimer, toujours
est le bonheur que vous nous avez préparé
des le commencement du monde et pour toute
l'Eternité!...
Mais, nous lavons dit: au ciel non seulement
nous verrons Dieu, non seulement nous aimerons
Dieu; nous V embrasserons, et dans la joie exta-
tique de cet embrassement, nous le louerons;
laudabimus .
Oui, au ciel nous embrasserons Dieu, c'est-à-
dire l'Infini, ou plutôt pour parler plus juste,
c est cet Infini lui-même qui nous embrassera. '
Quel est le mystère de cet embrassement divin'
Et comment avec les faibles sons de cette voix
pourrais-je vous en révéler quelque chose ?
Du reste, ici encore, je ne creuse pas dans
son essence et dans son fond ce mystère de la
céleste béatitude , je le constate ; et je me con-
tente de vous dire : Oui, pour nous le suprême
bonheur du ciel, le dernier mot, le mot abrégé
de notre paradis, c'est un embrassement divin •
c'est l'homme embrassant Dieu, ou plutôt, c'est
Dieu embrassant l'homme.
En ce sens vrai, mais ineffable, se réalisera
la communion intime, aussi intime qu'il est pos-
sible de l'imaginer, entre la vie humaine trans-
L ÉTERNITÉ ET LA VIE FUTURE
243
figurée eu Dieu et la vie divine communiquée
à l'homme ; et ce sera non pas la communion
purement mystique, qu'opère en nous la vie sur-
naturelle, et qui ne donne pas par elle-même le
sens intime de sa réalité; ce sera la communion
vraiment béatifique, dans laquelle la vie tres-
saille de sa joie et de son bonhaur au contact
de la vie. Véritable possession, ineffable jouis-
sance de Dieu lui-même, où l'âme humaine
plougée dans l'Infini, comme le poisson dans la
mer, connaîtra ce qu'à défaut d'autre mot, saint
Bonaventure appelle l'enivrement de la divine
suavité, divinœ suavitatis inebriatio .
Mais, encore une fois, vous dire ce que peut et
ce que doit être en soi pour le bonheur de l'hom-
me, cette jouissance ou cet enivrement de Dieu
même, ce n'est pas le but de ce discours. Ce que
je veux montrer, comme je viens de le faire pour
le bonheur de la vision et de l'amour, c'est ce que
doit ajouter à cette jouissance et à cet enivre-
ment de l'essence divine, la considération de
l'Etemelle durée dans cet enivrement lui-même.
Et ici encore, ici surtout, devant le mystère de
cette vie pénétrée et enivrée de l'essence divine
elle-même, je me dis : Cet embrassement de Dieu,
ne fùt-il que d'un jour, qui, parmi nous, ne sou-
2^4 L'ÉTERNITÉ ET LA VIE FUTURE
Citerait, même au prix de tous les sacrifices
davo.r connu la joie d'un tel jour? Et, comment
pouvons-nousnousfig-urer.comment, même pou-
vons-nous concevoir tout à fait la joie, l'inénar-
rable joie de cette communion, où l'âme humai-
ne, arrivée au terme de sa destinée suprême, non
seulement embrasse Dieu, mais jouit et s'enivre
de Lid?
Qu'est-ce donc, si vous supposez que cette com-
mumon ne doit jamais finir? Qu'est-ce, si cet
embrassement de Dieu doit durer, non seule-
ment des années, non seulement des siècles
mais des milliards et encore des milliards de siè-
clés?
Nous qui sommes ici-bas condamnés à n'em-
brasser que le fini et le misérable, le fugitif et le
penssable.comment pourrions-nous comprendre
et dire ce que c'est que l'Eternité dans l'em-
brassement et la jouissance de l'Infini»
Ici, Messieurs, plus qu'en tout autre sujet,
je sens, pour exprimer quelque chose du mys-
tère divin, l'insuffisance de la parole humaine-
et je comprends que mon silence serait, pour le
dire, plus éloquent que cette impuissante parole
Ornes frères les Saints, vous qui êtes assis à
cet éternel banquet des divines suavités; vous
l'iîteanité et la vie kdtdre
245
qui, comme nous sur la terre, n'avez plus seu-
lement de ce bonheur un pressentiment, un soup-
çon, mais vous qui en g-oùtez les ineffables dé-
lices, ah! vous seuls, oui, vous seuls pourriez
bien exprimer et dire ce qui est pour nous l'inef-
fable et l'inexprimable !
Sans doute, ce mystère, vos âmes, dans leur
éternelle extase, le disent et le redisent, par ce
parler sans paroles.que connut la-séraphique Thé-
rèse. Et si Dieu me donnait de pénétrer, ne fût-ce
qu'un instant, dans votre société bienheureuse;
il me semble que je vous entendrais tous vous
écrier dans le tressaillement et dans l'ivresse de
ce divin embrassement : Ah ! mon bien-aimé, non
seulement je le vois, je l'aime, mais je l'embras-
se; je le tiens, et je ne l'abandonnerai pas, tenui
eum, t ner. dimittam ; et je sais que lui-même ne -
me manquera et ne me repoussera jamais!
Dieu, qui m'embrassez, et en m'embrassant me
rassasiez de vous, oh! qu'il m'est doux de me
sentir dans vos bras et de me reposer sur votre
cœur ! Après vous avoir de loin entrevu par ma
foi, après vous avoir attendu par mon espéran-
ce, quel bonheur de vous posséder enfin! Quel
bonheur d'être uni à vous, de jouir de vous, et
14.
de savoir que rien désormais ne pourra me ,*
parer de vous! Pourra me se-
notre apg-oisse, c'était d'à,™ "'Mlation,
ilW, Quoi don 'Jt IZi La SÏÏ '""^ '"
«oor„,,,e vous; notre soif , o-élaitdln^ «sa
téref à la source de toute vi» et ,i„ ,„ ,
«t eu vous, et que vou 3 1, t ' '™ ^
■ . 4 v uub êtes vous-mèmp • a +
nous voie, nous nourrissant et nous Sîil l
m vous. Quoi donc? enfin pour an. *
M Peut-être la l^^T^Z
Sécu^pn humaine ou satanique pourrai d S0]
m? m* atteindre? Quelle ^1
et S1 ai gu so.t-ij, p 0urra nous détacher jamaïde
vous, alors que le glaive de votre amour 7 e nous
transperce q ue pour nous fixer éternellement
Oh I non, nous en sommes certains • rien ni „
vie, m la mort; ni les puissances de la terr ni
les nuisances de l'enfer; ni la hauteur du c 'i
m la profondeur de l'abîme; rt le ^ £ '
L ETERNITE ET LA V/E FUTURE
247
ni l'avenir! Neque inslantia , neque fuiura
ne pourront nous arracher à vous . Le pré-
sent? Mais notre présent, c'est de vous embras-
ser et de vous posséder; et notre avenir, ah! nous
le savons, c'est la durée sans fin, c'est l'Eterni-
té de cet embras sèment lui-même (1)!
Ainsi, vous le voyez, Messieurs, sous quel-
que aspect qu'on la considère, l'Eternité est la
suprême raison de la félicité du ciel. Le bonheur
de voir l'Infini, le bonheur d'aimer l'Infini, le
bonheur d'embrasser l'Infini, sans crainte aucune
de voir jamais finir ni cette vision, ni cet amour,
ni cetembrassement: voilà le ciel, le véritable
ciel: Le repos, mais le repos éternel dans la
vision, dans l'amour et dans la possession de
Dieu. Ah! comment avec nos bonheurs si fra-
giles et nos joies si courtes delà terre, pourrions-
nous nous faire une idée de ce bonheur et de
cette joie du ciel?
Ah! le ciel, sans la perspective radieuse de
l'Eternelle* durée, serait-ce encore vraiment le
ciel?Le paradis, sans la certitude de son Eternité,
serait-ce encore vraiment le paradis, c'est-à-dire
le lieu d'un repos sans agitation possible? Quel
que puisse être en lui-même l'objet et l'intensité
(1 Saint Paul, ad Rom. vm 35-36.
248
L'ÉTERNITli ET LA VIE FUTURE
du bonheur qu'on y goûte, comment supposer
qu'on s'y repose tout à fait, si la crainte de le
voir finir vient à tout instant en troubler la
possession?
Aussi, lorsque le bienheureux, du terme où il
est arrivé, c'est-à-dire du haut de sa bienheu-
reuse Eternité, lorsque de ce point éternelqu'il
a touché, il regarde la mer orageuse qu'il a tra-
versée; oh! alors, quelle ineffable joie de se voir
arrivéàce terme béatifique qu'il ne quittera plus !
Qu'il se sent heureux d'avoir sacrifié les féli-
cités de ce jour fugitif qui se nomme le temps,
pour la félicité de ce jour permanent qui se
nomme l'Eternité! Quelle joie d'avoir traversé
sans naufrage tous les écueils , tous les dangers,
toutes les tempêtes, etd'enavoirrapportéuncœur
sans souillure, une conscience sans remords, une
âme sans regrets !
Et, quand il regarde devant lui, quel
accroissement de joie, de se sentir fixé dans
un ordre parfait et, par suite, dans un
bonheur Eternel! Oui, en face de ce passé et de
ce présent, de ce passé sans regret et de ce
présent sans remords, quel bonheur de pouvoir
en souriant regarder l'avenir, ce radieux avenir
qui lui-même lui sourit du fond de son Eternité,
L liTEEtNITU ET LA. VIE FUTURE
249
et d'en voir surtir sans cesse l'assurance d'un
bonheur qui ne doit jamais finir!
Ah! c'est qu'en effet, en se tournant vers cet
éternel avenir, il voit surgir de son fond la source
de joie qui doit jaillir éternellement du Cœur de
Dieu dans son propre cœur. Et cette perspective
multiplie, si je le puis dire, la joie de son présent
par toutes les joies que lui réserve cet éternel
avenir.
Il n'y a pas, en effet, d'exagération à dire que
pour les bienheureux du ciel, le bonheur de toute
l'Eternité se fait sentir à chaque moment de sa
durée. En possession de leur destinée finale, c'est-
à-dire de leur destinée éternelle, Ils jouissent à
la fois, et du bonheur qu'ils ressentent dans leur
présent, et de celui qu'ils entrevoient et pres-
sentent au fond de leur avenir; ou pour parler
peut-être plus exactement; toute leur durée ne
leur paraîtra que comme un instant, dans lequel
se remassera, par une mystérieuse concentra-
tion, tout le bonheur de leur Eternité ; ineffable
multiplication de l'éternelle félicité, par chaque
moment de son éternelle durée. Nous disions
tout à l'heure que le réprouvé, par la prévision
de son éternel supplice, sent peser sur chaque
moment de sa souffrance tout le poids de sou
250
L'ÉTERNiTÉ ET LA VIE FUTURE
Eternité malheureuse. Par contre, nous disons
maintenant que les élus dans le ciel jouissent, à
chaque instant de leur vie heureuse, de tout le
bonheur de leur Eternité.
Même nos bonheurs de la terre, dans cer-
taines conditions, peuvent nous laisser entre-
voir ce que peut être, dans le ciel, ce bonheur des
élus, ayant toujours en perspective le bonheur
de leur Eternel avenir. Même ici-bas, l'attente
d un bonheur, n'est-ce pas déjà le bonheur?
Bonheur de l'espérance, plus grand quelquefois
que celm de la possession ; cette douce et béati-
nque espérance multipliant souvent par de lon ffs
jours, le bonheur de la possession qui ne sera
peut-être lui-même que de quelques jours
En ce sens, on peut dire que la joie de la pos-
session, selon la longueur de l'attente, est plus
on moins multipliée par la joie de l'anticipation •
phénomène constant et universel dans l'huma-
nité, et qui nous aide à deviner et à pressentir
même sur la terre, comment,dans nos frères les
Saints, la céleste félicité est multipliée par tous
les instants de son éternelle durée !
Je m'arrête, Messieurs, impuissant que je me
sens ici encore à vous mieux montrer ce que la
perspective de l'Eternité ajoute, pour nos frères
l'éternité et la vie future
251
les Saints, à leur félicité du ciel, et, commentées
deux choses, félicité et Eternité, félicité parfaite
et durée Eternelle, se tiennent attachées l'une à
l'autre par une chaîne que rien , absolument rien
ne peut briser.
CONCLUSION
Et en face de cette Eternelle félicité qui doit être
la nôtre, et pour laquelle Dieu nous à tous créés,
je vous demande, Messieurs, quf parmi vous,
pourra s'attacher encore, comme à sa Destinée,
à ces courts bonheurs que la terre et le temps
vous promettent ici-bas?
Ah ! de tout ce qu'on nomme les bonheurs de
la terre, que ne pourrais-je pas vous dire? Je
pourrais vous dire qu'ils sont petits, effroyable-
ment petits, et que rien d'eux ne répond à l'im-
mense capacité de nos désirs. Je pourrais vous
dire que ces bonheurs sont superficiels, et
qu'ils effleurent à peine les surfaces de la vie,
sans pouvoir jamais pénétrer dans son fond.
Je pourrais vous dire que ces bonheurs août
252
L'ÉTERNITÉ ET LA VJE EDTURE
trompeur*, et que jamais ils ne donnent ce
qu ils promettent. Je pourrais vous dire, enfin
que ces bonheurs sont amers, et que trop sou-
vent les plaisirs, qu'ils donnent sont submenrés
dans les cœurs par les flots de la tristesse^
Je néglige et je laisse toutes ces misères de
nos terrestres bonheurs et d'autres encore. Je me
contente de vous dire: Ces bonheurs sont dé-
sespérément courts; ils durent ce que durent
les roses, et quelquefois moins encore.
Vérité banale à force d'avoir été dite, mais
qu il faut vous redire toujours, à vous les voya-
geurs du temps, et qui tous trop facilement vous
trompez sur la valeur, et surtout sur la durée
des plaisirs fugitifs et des félicités transitoires.
• Du reste, Messieurs, entre les deux extrémités
du malheur et de la félicité, vous avez inévita-
blement à choisir.
D'un côté, l'Eternité aggravant le supplice
d 's réprouvés par l'uniformité, la continuité et
la simultanéité de la souffrance; et l'âme du
réprouvé répondant à ces trois abîmes par trois
autres abîmes éternellement creusés au fond
d elle-même : abîmes de l'éternel regret, de
1 éternel remords et de l'éternel désespoir.
De l'autre côté, l'Eternité agrandissant dans
L ETERNITE ET LA VIE FUTfHE
253
le ciel, d'une manière ineffable, la fé'ici+é des
Saints par le bonheur de l'Eterncllevision, de l'E-
ternel amour et de l'Eternelle possession, ou de
TEternel embrassement de l'Infini.
En face de ces deux perspectives, quelles
qu'aient pu être la gravité et l'énormité de vos
prévarications, quelle consolation de savoir
qu'avec un seul acte de repentir vous pouvez,
tout à la fois, fermer sous vos pieds ces trois
grands abîmes de l'éternel regret, de l'éternel
remords et de l'éternel désespoir; et ouvrir sur
vos tètes ces trois abîmes de l'éternelle vision,
de l'éternel amour et de l'éternelle possession
daDieu!... Entre ces deux extrémités vous avez
à choisir. Et quand on se dit , ce qui est abso-
lument vrai et ce que vous croyez tous, qu'une
heure du temps suffit à décider pour nous l'une ou
l'autre de ces deux Eternités, ah! je me demande
comment vous pourriez encore hésiter?
Hésiter? Oh! non, j'en gardela confiance, vous
n'hésitez pas : vous tomberez à genoux ; vous
frapperez sur votre poitrine, ou plutôt sur votre
cœur le coup triomphant du repentir. Et même
en cette vie, au lieu du regret, pour vous ce sera
la joie; au lieu du remords, ce sera la paix; et au
lieu du désespoir, ce sera l'espérance, la douce
15
n
L'ÉTERNITÉ ET I A t7t„
espérance qui pt!t ,,,.,
^ et ;• attte^r^ ** Ie
™us conduira S ûrem P n7 * VOtre a *nour
Pressentiment et comme un ^ d ° ûné un
terre. ° mme UQ avant-g- ût sur la
Amen.
ÉTERNITÉ DES PEINES
LES PREUVES
Et ibunt ht in supplicium
œternum. Math, xxv, 46.
Et ceux-ci iront au sup-
plice éternel.
' Nous avons vu, dans notre dernière réunion,
ce que l'Eternité est par rapport à notre vie fu-
ture. Nous avons vu, à la double lumière de la
raison et de la foi, d'un côté, ce que l'Eternité
ajoute au supplice des réprouvés, et de l'autre,
ce qu'elle ajoute à la béatitude des élus ; en deux
mots, l'Eternité dans Yenfer et l'Eternité dans
le ciel.
Je n'insiste pas sur ces deux choses, qui mar-
quent les deux pôles extrêmes de la Destinée :
l'éternelle fixité dans le malheur, et l'éternelle
fixité dans la béatitude. J'ose croire que sur ces
deux sujets, comme sur les précédents, votre
conviction est faite.
Mais, Messieurs, il me semble qu'il reste dans
256
ETERNITE DES PEINES
vos esprits un point encore obscur, sur lequel
vous appelez la lumière.
Tandis que je vous voyais hier si attentifs à
, la parole, vous montrant ces deux extrémités
de la Destinée finale, je croyais entendre une
voix qui tout bas murmurait dans vos âmes :
Ah! l'Eternité dans le ciel, l'Eternité dans
la félicité : parfait; nous comprenons, et ce
dénouement du drame de la Destinée nous
paraitdignedeDieu.de sa sagesse et de sa
bonté. Mais l'Eternité dans Y enfer! L'Eternité
dans le supplice... Mon père, sur ce point noir,
un peu de lumière, s'il vous plaît.
L'Eternité du supplice, l'Eternité des peines,
ah! je le sais, c'est là ce qui toujours, mais au-
jourd'hui surtout, soulève les protestations de
la raison, pour ne pas dire des passions. Sans
doute, vous, chrétiens, malgré son obscurité ap-
parente, et appuyés que vous êtes sur l'autorité
de l'Eglise votre infaillible mère, vous y croyez
à cette Eternité de la peine ; et si je ne tenais
compte que de votre foi, je n'aurais pas à y
insister davantage : l'affirmation de l'Eglise
fondée sur celle de Jésus-Christ vous suffit.
Mais dans ce monde où vous vivez, dans cette
atmosphère que vos inteslligence respirent avec
LES PREUVES
257
tant d'autres, ce dogme de l'Eternité des peines
souffre contradiction, et vous ne pouvez ignorer
jusqu'où vont, contre cette vérité fondamentale
du Christianisme, les insultes, les sarcasmes,
les blasphèmes. C'est au milieu de nous, chré-
tiens catholiques, que naguère un auteur tris-
tement célèbre osait écrire : « L'Eglise romaine
s'est porté le dernier coup ; elle a consommé son
suicide lejour où elle a fait Dieu implacable, et la
damnation éternelle! (1) »
A ce compte, il y a dix-neuf siècles que l'Eglise
devrait être morte; car il y a dix-neuf siècles
qu'elle professe et enseigne l'Eternité des peines ,
Un autre ne se contente pas de prophétiser;
il insulte ; et il insulte par des paroles que
je vous demande la permission de pronon-
cer, pour vous mieux montrer jusqu'où va
l'outrage fait à notre dogme par l'impiété con-
temporaine. « Ce dogme de l'Eternité des peines
« est un épouvantail, qui n'effraye plus que les
« enfants... Ce dogme de l'Eternité des peines
« est contraire à la nature ds Dieu, à la nature
« de l'âme, à l'instinct de tous les cœurs et à
« la raison. Il est dès à présent évident pour
« quiconque réfléchit, que ce dogme touche
(1) G. Santl. Spiridion.
258
ETERNITE DES PEINES
« à sa fin. Le clergé lui-même fléchit sur ce
« point (1). »
J'omets d'autres citations plus outrageantes
encore, et que le respect du temple et de vos
âmes ue me permet pas. Sous cent formules
diverses, la même négation, ou plutôt la même
insulte a retenti au milieu de nous.
Messieurs, à notre tour de parler et de pro-
clamer à temps et à contre-temps notre
dogme souverain ; à nous de montrer que ce qui
touche à sa fin, ce n'est pas ce dogme qui, depuis
bientôt deux milleans, règne dans la catholicité,
mais bien les philosophies et les systèmes qui
en prophétisent la ruine. A nous, enfin, de vous
dire que bien loin de fléchir sur ce point, comme
on ose nous en accuser, et de rien retirer de
notre austère croyance, nous la maintenons,
nous l'affirmons et la proclamons avec la même
assurance et la même certitude que nos Pères
dans la foi.
Pour procéder avec ordre et sûreté dans cette
démonstration, la plus décisive et la plus grave
de toutes, nous examinerons successivement ces
trois choses : ce qui appuie et établit ce dogme ;
ce qu'on prétend lui opposer ; ce qu'on essaye de
(1) Voir Univers, 4 féyr. 1859. Citations.
LES PREUVES
259
lui substituer; en trois mots, les preuves, les
objections, les hypothèses.
Aujourd'hui je me borne à vous montrer, ou
plutôt à vous rappeler les preuves qui établissent
l'existence de l'éternité des peines.
Peut-être, pendant ce discours , les objections
viendront en foule obstruer les avenues de votre
pensée. Mais je vous demande de les éconduire,
ou du moins de les prier d'attendre à demain.
Il faut d'abord entendre la preuve, si l'on veut
bien voir ce que vaut l'objection.
Il s'agit donc, Messieurs, uniquement dans
le présent discours, de vous montrer les fon-
dements sur lesquels s'appuie l'affirmation des
peines éternelles ; et ce que nous avons dit lors-
qu'il s'agissait d'établir l'existence de l'Eternité,
doit se dire , à plus forte raison, de ce dogme
de l'éternel supplice, à savoir, que ce dogme
s'appuie surtout et avant tout sur V autorité qui
l'affirme.
Nous pourrons demander ensuite ce que
pense la raison elle-même de ce dogme, appuyé
sur le témoignage de l'autorité. Nous verrons
quelle est devant cette affirmation de l'autorité,
sa véritable attitude, si elle nie ou si elle af-
firme, si elle approuve ou désapprouve; bref,
260
ÉTERNITÉ DES PEINES
=eS8rw?=s sa
sont dédslf, et n Sl CeS témoi ^es
irrécusab H * ' aUt0riM 6St tout ^ fait
est Tv !' S S6ra fadle de Prtcisep quelle
tal ^ f te affirmati0 ° autoritaire, la v
able attitude de la puissance rationne le- et ,
sera manifeste qu'étant données la vé ' ! ,
-nen.ibie, ne pourra plus reculer.
exilent 1 "/' ^^ * W C6S lignages
ex.stent, et quils sont irrécusables. Lesquels
demandez vous? Ceux-là mêmes déjà invoqués'
pour établir l'existence de l'Eternité, à sX
Et tout d'abord , il y a un témoignage que
LES PREUVES
261
humain; c'est la parole de l'humanité de tous les
lieux et de tous les temps se levant ici comme un
seul homme, pour attester la vérité de la peine
éternelle réservée aux grands coupables morts
sans repentir.
Pour quiconque prétend repousser l'Eternité
des peines comme absurde impossible, inad-
missible, voici un fait étrange, étonnant, inex-
plicable :
Tous les peuples, sans exception, par des for-
mules de langages , par des symboles et des
rites religieux , ont plus ou moins explicitement
exprimé la même idée : l'Eternité des peines poul-
ies méchants, comme l'Eternité de la récompense
pour les bons. Les nations en masse y ont cru;
les philosophes eux-mêmes, en général, ceux-là
du moins qui ne faisaient profession ni d'un ma-
térialisme grossier, ni d'un scepticisme uni-
versel, ont cru avec le peuple et comme le
peuple. Et ceux qui, par orgueil et par la
passion de se distinguer des multitudes réputées
ignorantes et crédules , affectaient de répudier
tout ce que croyait l'humanité; eh bienl ceux-
là même rendaient un témoignage relatif à la
vérité qu'ils prétendaient nier; car ils consta-
taient par leur négation personnelle et leur
15.
262
ÉTEBNITÉ DES PEINES
incrédulité solitaire, le fait universel de l'af-
firmation et de la croyance populaires. Que.dans
eur -dédain et leur mépris fastueux, ils aient
traité de superstition, de fanatisme et de folie S
tons ces rites et tous ces symboles, nous voulons
bien en convenir ;nous reconnaissons même que
trop souvent le peuple traduisait sa croyance à
Eternité de la peine, comme sa croyance même ,
à la Divinité, par des cérémonies absurdes et par
des rites incohérents. Mais, tout en niant l'idée
qui se cachait sous ces rites et sous ces cérémo-
nies, les prétendus grands penseurs n'en cons-
tataient pas moins ce fait varié dans ses formes
mais identique dans son fond ; ce fait, lui aussi'
trois fois universel, se produisant à tous les
points de l'espace, à tous les moments de la
durée, a tous les degrés de l'humanité, à savoir '
que, sauf quelques rares exceptions qui ne comp- .
tent pas devant l'immensité de ce témoignage
tous les peuples ont cru et croient encore à 1 V
ternité des peines.
Qu'importent l'absurdité, l'incohérence et la
grossièreté des inventions et des moyens'ima-
firmes par les peuples, pour exprimer leur
croyance* Ce qui importe ici, par-dessus tout,
et à vrai dire uniquement, c'est la croyance elle-
LES PREUVES
263
même dont ces peuples, par leurs cultes et leurs
rites plus ou moins révoltants, sont les irrécu-
sables témoins. Je vous épargne, Messieurs,
un luxe d'érudition que vous trouverez étalé dans
des livres spéciaux, d'une incontestable autorité.
Je me contente d'affirmer le fait historique et uni-
versel des manifestations de la croyancedes peu-
ples à l'existence des peines éternelles.
Les poètes eux-mêmes , pour être partout et
toujours les témoins authentiques et les inter-
prètes véridiques de la pensée populaire, ont re-
produit dans leurs poèmes ce que la libre pensée
se plaît à nommer le mythe ou la légende de
Yenfer éternel. Et ici encore, la fable parle
comme l'histoire.
Qui' ne connaît, sous ce rapport, le témoi-
gnage écrit en caractères plus ou moins sai-
sissants, dans toutes les littératures du monde?
Pour ne parler que d'une seule; qui n'a encore
dans sa mémoire, ce Tartare, le lieu le plus
profond de l'enfer, siège des supplices éter-
nels et demeure de ces Titans foudroyés,
dont l'audace faisait l'éternel effroi du ciel?
Qui a oublié ce Tytius dont les entrailles re^
naissent éternellement, sous le rostre qui lés dé-
vore? Ce Tantale condamné à désirer toujours
I
264
ÉTERNITÉ DES PEINES
UUe eau <Ï U1 s enfuit éternellement? Cp «■ i
«m roule, dans un travail éterne , n f *"*'
retombe toujours? Cette t; T Cher qui
portes de l'effroi ï Tutphone vei "ant aux
qu'aucun fc^**™"'*»" »***»
qui roule éternellement sur elle-n^m CenT
éternellement assis sur ,,„-.. , m f- LeT ^»ee
ct b!5l s sur une p le rre immobile •
-■^tœtemumquesedebit
Infelix Theseus?
Depuis Tes r^ du Z ° UteS ^ littéra ^s-
qu'aux profondeurs de l^él, * JUS ~
sousdesformesdiverses et J? * \! Part ° Ut >
Animent variés vZ rf SJmb ° les iudé -
;e même doS S^^?Sïïr ttnt
lig-ions et la ™â m toutes les re-
'*» ^s péup"? Cr ° yaaCe éCrite « *«* <ie
on -pe„ , tpas ° 1 C P ™ s e TL 1 ' i '" e ' Pré,er;
nier. Ce fait est la m ' beailcon P moins le
essayerait ne l'ébranler *"" Ce Qui
LES PREUVKS
265
Eh bienl ce fait étant admis comme certain, et
reconnu dans la grande lumière de sa publicité
il s'agit d'en expliquer l'existence, et, sans parti
pris et sans jugement préconçu, d'en rechercher
la raison d'être. Devant toute intellig-ence ca-
pable de se rendre compte des phénomènes hu-
mains, la question doit se poser, et je la pose
hardiment devant vous : Pourquoi cet étrangle
phénomène? Si l'Eternité des peines n'existe pas
et ne peut pas exister, pourquoi et comment
l'humanité a-t-elle cru et croit-elle encore non
seulement à l'Eternité de la vie, comme nous
l'avons déjà vu, mais à l'Eternité de la peine?
Comment trouver, dans la nature humaine, la
raison suffisante de ce fait universel dans l'hu-
manité?
Certes , Messieurs , que l'humanité, telle que
nousla connaissons, trouve, dans sa nature sen-
suelle, voluptueuse et réfractaire à toute souf-
france, des raisons pour repousser ce dogme de
l'éternelle souffrance; tous facilement nous le
pouvons comprendre; car, alors que l'existence
de l'éternel enler lui est invinciblement dé-
montrée, et alors même qu'elle croit fermement
à ce dogme souverain , il demeure vrai que ce
dogme, même admis, semble déconcerter sa
266
ÉTERNITÉ DES PEINES
pensée, effrayer son imagination,etparfoismème
étonner sa raison. Car, de prime abord, l'éternel
supplice semble faire horreur à la nature hu-
maine; ses passions n'en ont pas besoin, elles
en ont peur; et facilement elles poussent l'hom-
me à se débarrasser d'un frein qui les gêne.
Bref, l'homme par sa nature déchue,tend plutôt
à écarter qu'à appeler l'Eternité des peines.
Comment donc l'humanité en masse a-t-elle
eu partout et toujours l'étrange idée de se créer
à elle-même cet épouvantail? Comment a-t-elle
pu seulement imaginer, au terme de sa vievoya-
geuse, le spectre de l'éternel supplice, pour s'en
effrayer elle-même au chemin?
Je pose la question , et je somme la libre pen-
sée d'y répondre, non avec le rire de Voltaire et
la légèreté de son siècle, mais avec le sérieux et
la gravité dont se vante le nôtre.
Il est à peine croyable jusqu'où va le ridicule
des réponses, que prétendait faire à cette ques-
tion grave ce siècle du rire et de l'insulte, et
quelles étranges solutions il se vantait de donner
au problème que pose la raison la plus vulgaire,
en face de ce grand fait humain. Ecoutez : Vous'
nous demandez pourquoiet comment fut admise,
dans les générations humaines, la croyance à
LES PREUVES
287
l'éternité des peines? La réponse est facile et le
secret est "bien simple :
Les prêtres l'ont inventée.
Vraiment, vous le croyez? Les prêtres ont eu
cette idée? cette audace? cette puissance? ce
succès? Ils ont inventé l'enfer éternel; et ce
qui est plus prodigieux, ils l'ont fait accepter!
Mais à quelle époque? On* y acru toujours. Mais
dans quel peuple? On y a cru partout. Mais quel
fut l'inventeur? Comment se nomme cet homme-
prodige? Comment l'histoire n'a-t-elle pas re-
tenu et inscrit partout le nom de cet étonnant
génie, qui s'est signalé parla plus prodigieuse
découverte qu'on ait jamais pu lire dans les
annales humaines?
Quoi ! vous le croyez ? Les prêtres ont inventé
le dogme de l'éternel châtiment? Mais pourquoi?
Dans quel but? Et à quel dessein? Car, encore
en faut-il un. L'humanité douée d'intelligence,
de raison et de liberté, l'humanité en masse,
comment a-t-ellepu, sans raison, sans motif et
sans but, tenter une telle entreprise? Quel est
ce motif et ce but?
Ah! je vous entends : les sacerdoces ont
inventé l'éternel enfer pour effrayer le peuple,
268
MBHOTTjj DES pEmEs
et pour se faire de cett* a
domination égoïste ^^ même une
Quoi! tous ces prêtres de relie-ion, h
Passwns.de doctrines et ZT ' ^^ de
—es, quoi - tous ces HÎes à 7 1Cti0nS * ^
Paces et les siècles sans^T ^ leS es ~
ui même connus, des ZîélTV* ^^
«"" de l'espace et de 1^/ ^ W
Pour accréditer dans toi**» i ° Qt cons P i ré
croyance obligatoire * „„ * décrété la
ture tend à reL usser n ^ qUe not ™ "a-
darent contra^ *' S^, 1 *? 11 ^ dé ~
f ont partout réussi? D u S 7^^ et
Maires, ils ont crié partout d ^ Sanc ~
et formidable : U yïunlj ^ "«^
** Peuples effrayés de tofrf £"*" Et tous
^ fond de tous tes £ Z ont 7* ^^
«yaun éternel enfer Et ;n, POûdU : 0ui >
terre ont redit d'espace en ^ éCh ° S de Ja
« -ecle, et «dl^^^ ** "**
Etemel enfer ! . ' Eternel enfer,
*«» «elle invenZ : ££*'** * r "' , ~
P°™ient pas avoir la pen/éé'ë T T"'" 8 ""
pensée et la résolution
LES PREUVES
263
de la repousser? Et croyez-vous , en vérité, que
pour faire accepter par tous les peuples à la fois
un tel épou vantail, il suffisait simplement de
l'avoir inventé?
Quoi! Messieurs, aujourd'hui que ce dogme,
depuis bientôt vingt siècles , a été formulé, en-
seigné et cru par des générations innom-
brables, et qu'il a pour lui partout les plus au-
gustes témoignages ; ce même dogme, appuyé
sur tant de preuves, éclairé de tant de lumière,
excite encore partout, plus ou moins, les
révoltes, les attaques, les insultes et les blasphè-
mes : et, un jour, alor^s qu'il n'aurait encore été ni
enseigné, nicruparpersonne, pour le plaisir d'ef-
frayer les nations et de les dominer en les ef-
frayant, ce dogme formidable nous l'aurions in-
venté, proclamé, imposé ; et tous les peuples à
la fois nous auraient cru et nous auraient
obéi?... Fils du XIX e siècle, ah! si vous le croyez,
retournez jusqu'à Voltaire; allez annoncer à son
siècle incrédule la plus incroyable des décou-
vertes et la plus impossible des dominations.
Nedites pas, pour essayer d'expliquer l'inexpli-
cable, que nous sommes un siècle de lumières;
qu'à ce titre, vous repoussez une croyance qui
est née dans les ténèbres, et que notre civilisa-
270
ÉTERNITÉ DES PEINES
™s le dire sans S« C ° mmem po »™ 2 -
WetoutemZirTZT "f '^o™^ alors
s'impose que Z ^T " aTCC ™ ** fe
cMlisés, comme Lp^r PeUples l8 I> tas
Romain se ™. ,! E WPt"«s, les Grecs et les
*■ barba" ZZT T * Pei "* S Ies
a™ en, ce conce^ 4 £** * fo ™»'
sl W ;neV„*ie Se i t,m N :r™T éq,,ete
doerme delà peine éterne^nw ^'^ le
«on d„ sacerdoce. - M tZ T ° M . taTC ''-
Et comment a t n ■ .Ir! "' dou "mt-il?
autre invention p™ , Ecou *ez cette
p re m iè re.rc n ;,irt i „ p r , ;,r4:r; a
«r-^r H r^ p r. è d« hU t
impossible que celui ^ „ MlraCle encore P^s
taie. de * «vention sacerdo-
LES PREUVES
271
D'après ce système de la critique nouvelle
(système importé d'outre-ïthin), l'humanité se
créée à elle-même des dogmes et des religions
en harmonie naturelle avec ses besoins. Elle
produit, elle pousse des religions comme un
arbre ses rameaux ; et ces religions portent avec
elles leurs dogmes enveloppés sous la forme du
mythe ou de la légende, comme les rameaux de
l'arbre portent d'eux-mêmes leurs fruits envelop-
pés sous l'écorce.
Ainsi, à entendre notre critique nouvelle, se
serait produite chez tous les peuples la croyance
à l'éternel enfer ; croyance historiquement in-
contestable.
Vous le voyez, selon le siècle de Voltaire, le
dogme de l'éternité des peines a le sacerdoce
pour père ; et d'après le nôtre, il aurait la spon-
tanéité pour mère.
Spontanéité vraiment étrange qui, à tous les
points de l'espace et du temps, produirait des
religions et des dogmes en opposition radicale
avec les besoins de notre nature, et avec ce que
l'on prétend être les exigences de laraison.
prodigieux logiciens, dirais-je ici volontiers
aux inventeurs de cette théorie nouvelle : quand
donc saurez-vous au moins être d'accord avec
272
àtÉàkilà DES PEINES
* pctnan désaccord? Onnif « .
dans votre d^qin t„ y 0l! Partout.
vo« s n M „ rez q : e et c e s 2T r sm!it ™>;
«.Nature, RaU„ M n me ° t £"" ,! RaiS °°
">'°i que cette humant „ Nat , uralls me ; et
son e, nature, P-ÏÏ^T,"^ °» e »*
«a «wtoW*- pro 7"°"' et to "J0»r S p ar
™-. mto e 3 , «s/pp;':: TaTat"" 8 ' "'^
raison? Vraiment L nature e ' la
neco mpre ™ s D , aV ™° Sad " lire . ««■> fois je
vaut le bon sens D i° ° flagTante >et, de-
Vous dites et :^ U di tes ai r entréVOltailte?
à elle-mè me des mythes uïn ^ Se fait
^alités,, des lég*X ; dont ' ^ P ° Ur deS
à se faire des do™, v ""^ Un J our
LES PREUVES
273
blême, vous vous mentez à vous-mêmes, c'est-
à-dire au principe que vous avez vous-mêmes
posé.
D'après votre hypothèse, en effet, en elle-
même d'ailleurs absolument gratuite, si la na-
ture humaine est douée de cette étonnante
puissance que vous lui attribuez, de se créer à
elle-même, par sa spontanéité propre, des my-
thes et des légendes, et par suite, des symboles
et des dogmes; est-ce qu'il n'est pas absolument
contradictoire de supposer qu'elle se crée de*s
mythes et des légendes, des symboles et des
dogmes en opposition absolue avec ses besoins
les plus profonds, ses instincts les plus natifs,
ses aspirations les plus naturelles et les plus
vraiment spontanées?
Quelle étrange pensée, quelle singulière idée,
pour ne rien dire de plus, d'admettre et d'en-
seigner que la nature humaine, par sa sponta-
néité, produit des fruits absolument antipa-
thiques à la nature humaine, pour repousser
ensuite, avec un dédain superbe, ces fruits de sa
spontanéité elle-même? Et ce serait toujours la
même humanité qui, tour à tour, éprouverait le
besoin de se créer et de repousser ces mythes,
ces légendes et ces dogmes produits par elle-
274
ÉTERNITÉ DBS PEI NES
tion.'O contradiction' aiS ° n? -- ° contradic-
^t^S^^-ette e Ipli .
est elle-même, sion .^ ^ ° ™"jmais elle
We des énigmes- et 1. ♦? P S luex P^a-
toute son antoni toi PeiûeS ' ë ' arde ' aVeC
ttonstration " PUiSSaUCe de dé-
II
Pour nous, chrétiens cath^Z, i,'"""""'" 4
tonte plus DartinniiA u «cisit, une au-
c'est l4t K f é r eût aU ^ USte Gt VéQérée '
dont nous sommes ie S d :f Q r ^ * Re%iWl
11 ne se peut que ie nwT ' Chrtattan i«»e.
déjà invoqué S2T «*°fe*a*,
tude de lEternitToul L. eDCe * I& Cer «-
*" -a répét^^lt^f ^^ ° e *'«*
' cest Uûe Progression.
LES PREUVES
275
car avoir démontré par ce témoignage l'Eternité
de la vie, ce n'était pas encore avoir démontré
l'Eternité de la peine.
Eh bien! j'affirme maintenant que ce di-
vin témoignage ne se borne pas à attes-
ter pour tous, de l'autre côté de la tombe, une
survivance éternelle , mais qu'il atteste encore,
pour les méchants, un châtiment étemel.
Et d'abord, envisagez, si je puis ainsi parler,
le personnel du Christianisme, c'est-à-dire la
masse des chrétiens qui, depuis près de vingt
siècles, affirment l'éternité des peines ; un mo-
ment, si vous voulez, faites abstraction de l'au-
torité divine dont relève et s'inspire tout ce
monde des chrétiens; et ne voyez en eux que
des hommes formant, des extrémités de l'espace
et des siècles chrétiens, un immense collège
d'intelligences humaines.
Eh bien ! même réduit à ces proportions et
vu sous ce jour, quel auguste, quel imposant
témoignage déjà! Tous les apôtres et tous les
martyrs; tous les docteurs et tous les confes-
seurs; tous les èvêques et tous les pontifes;
tous les prêtres et tous les religieux ; tous les
théologiens et tous les apologistes; tous les
saints; bref, tous les chrétiens.
276
ÉTERNITÉ DES PEINES
Quoi! tous ces hommes , depuis bientôt deux
nulle ans, ont affirmé et affirment encore, sans
hésitation aucune, non seulement l'Eternité de
a vie d'outre-tombe, mais encore l'Eternité de
la peine; et cela, en pleine civilisation, et mal-
gré les oppositions systématiques, les nég-ations
opiniâtres et les attaques acharnées de la libre
pensée! Et, chose remarquable, parmi eux vous
voyez apparaître, ici encore, en tout genre et
dans toutes les sphères, les hommes les plus
illustres et les plus justement fameux ries plus
grands orateurs, lesplus grauds philosophes
les plus grands moralistes,- des hommes comme
Saint Augustin, comme Saint Anselme et Saint
Thomas d'Aquin ; des hommes comme Saint
Ambroise et Saint Jean Chrysostome; et plus
rapprochés de nous, des hommes comme Bossuet
Bourdaloue, Fénelon, et avec eux, tant d'au-
tres qui ont été, plus ou moins, leurs rivaux
de savoir, d'éloquence, de gloire et d'illustra-
tion.
• Et, remarquez-le bien, tous ces grands hom-
mes ne se sont pas contentés de donner au
dogme de la peine éternelle, le témoignage de
leur parole et de leur savoir, ils lui ont donné
surtout le témoignage de leurs actes; car tous
LES PREUVES
277
ont fait de ce grand dogme, avec la règle de
leur foi , la base même de leur vie. Et toute cette
multitude d'hommes grands parmi les plus
grands, et illustres parmi les plus illustres,
qui pourra la compter : midtitudinem quis enar-
rabitl
Voilà, Messieurs, même abstraction faite de
tout caractère surnaturel, voilà l'immense, l'in-
comparable collège d'intelligences humaines
qui se lèvent de tous les points de la chrétienté,
pour rendre hommage au dogme divin ; et je
demande au libre penseur, quel qu'il âoit : Que
pensez- vous de cette autorité? Que pensez-vous
du témoignage qu'elle rend à la vérité : Il y a
une peine éternelle?
Le rationaliste osera-t-il répondre : Cela n'est
rien? profond penseur! Quoil avec votre intel-
ligence incertaine, vacillante, isolée, vous vous
poserez en face de tous ces apostolats et de tous
ces martyres, de toutes ces gloires et de toutes
ces saintetés; et, regardant au visage toutes
ces grandeurs scientifiques et philosophiques,
toutes ces illustrations littéraires , morales , his '■
toriques, en un mot, toute cette majesté sécu-
laire, vous oserez dire : Cela n'est riea, quan-
tité négligeable 1 !
278
ÉTERNITÉ DES PEINES
Ainsi , toute cette multitude (et quelle multi-
tude!) faisant à travers les espaces et les siècles
une même et publique affirmation: rien, quan-
tité négligeable] Cette autorité, même humaine-
ment la plus grande qu'il y ait au monde, négli-
geable^. Ce témoignage, le plus important par le
nombre, par la science, par la vertu, bref, par
la valeur des témoins, négligeable]
Je le demande encore une fois, qui donc dans
la suffisance ou pour mieux dire, dans l'outre-
cuidance de sa pensée solitaire, pourra, avec
une ombre de raison , tenir un pareil langage?
. Qui osera dire: Moi, homme de lettres; moi,
homme de finance; moi, journaliste; moi, artiste;'
moi, médecin, avocat, jurisconsulte, je vois
mieux que tous ces apôtres, tous ces martyrs,
tous ces docteurs, tous ces théologiens, tous ces
apologistes, tous ces millions de saints, tous
ces milliards de chrétiens ; et contre eux et en
face d'eux, je leur donne un démenti, je nie l'E-
ternité des peines?...
Ah ! vous niez. Vous dites : Il n'yapas de peine ■
éternelle. Mais comment le démontrez-vous?
Je pourrais vous demander : En êtes-vous bien
sûr? En feriez-vous, devant le ciel et la terre, le
serment solennel? Combien, parmi ces hardis
LES PREUVES
2.79
négateurs, le soir, avant de s'endormir, oseraient
dire devant Dieu et leur conscience : Je le jure,
il n'y a pas d'éternel enfer? Et combien, pour
défendre leur négation, seraient prêts à mourir
et à lui donner la signature de leur sang?
Et puis , ici encore ce serait le lieu de leur
demander : Combien êtes-vous, pour appuyer
votre négation? Combien ètes-vous, vous, qui
avez contre l'unanime et ferme affirmation de
tous les enfants de l'Eglise et de tous les dis-
.ciples de Jésus-Christ, non pas un doute seu-
lement, une opinion seulement, une objection
seulement, mais une certitude, une inébranlable
certitude ?
Eh bien! nous tous, chrétiens, nous voici po-
sant devant vous , non comme une opinion , non
comme une probabilité, non comme une hypo-
thèse, mais comme une absolue certitude, cette af-
firmation souveraine : l'Eternité' des peines! 'Nous
.Sommes (aujourd'hui encore près de trois cent
millions nous rencontrant dans la même affir-
mation; et, lorsque nous nous unissons par la
pensée à tous nos frères, qui à travers dix-neuf
siècles ont affirmé avec nous ; oh ! alors, nous ne
pouvons plus nous compter; et, devant cette in-
calculable multitude , du milieu de laquelle se
280
ÉTERNITÉ DES PEINES
détachent tant de grandes figures , entre cette
autorité et votre autorité, entre ce témoignage
et votre propre témoignage , la vérité vous
somme de choisir.
Ainsi, même en n'envisageant que comme pu-
rement humain ce témoignage, que l'Eglise rend
par tous ses membres au dogme de la peine
éternelle; ce témoignage par le nombre, la
valeur et la durée, dépasse tout témoignage
qu'on essayerait de lui opposer.
Qu'est-ce donc si nous, chrétiens, catholiques,
nous venons à considérer que ce grand témoi-
gnage, avec son autorité humaine, porte le signe
inimitable d'un témoignage divin? Que ce dogme
de la peine éternelle, l'Eglise divinement infail-
lible l'enseigne, le proclame et le défend de-
puis bientôt deux mille ans; et cela, malgré
toutes les révoltes de la raison, toutes les ré-
pulsions de la nature, et toutes les fureurs des
passions conjurées pour renverser ce dogme,
que l'on attaque toujours et qui ne tombe
jamais?
Aussi, cette miraculeuse opiniâtreté de l'E-
glise catholique à maintenir l'intégrité de ce
dogme, est-elle une éclatante preuve de sa divine
révélation et de sa propre divinité. Que de
LES PREUVES
281
raisons l'Eglise humainement n'aurait-elle pas
eues d'abandonner ce dogme, si elle n'en avait
gardé l'invincible certitude, et si elle avait pu,
un jour, se persuader qu'il lui fut possible, sans
trahir la vérité, de transiger sur ce point? Est-
ce que ce n'est pas surtout contre ce dogme que
se sont heurtés de siècle en siècle, et se heurtent
encore aujourd'hui, les naufragés de la foi? Est-
ce que ce n'est pas son formidable mystère qui
soulève contre l'Eglise, non seulement les mur-
mures, mais souvent les colères des rationa-
lismes? Est-ce quecen'estpasausid spécialement
sur ce point, que ses ennemis de tous les temps
sont venus lui demander une transaction, en
lui promettant en retour leur réconciliation?
Combien de fois, de nos jours surtout, sous
mille formes diverses , ne lui ont-ils pas dit :
— Mais, est-ce qu'enfin ce dogme lugubre, votre
dogme prétendu divin de la peine éternelle, ne
s'effacera pas devant la marche progressive de
l'esprit humain? Est-ce que vous n'accorderez
rien, obstinée que vous êtes, au progrès et à
l'idée moderne, pas même le sacrifice de ce
dogme barbare, désormais impossible? Est-ce
que vous ne voyez pas que le maintien de ce
dogme éloigne de vous de plus en plus les gé-
16.
282
ÉTERNITÉ DBS PEINES
nérations nouvelles, et qu'il doit, dans un pro-
chain avenir, consommer votre propre suicide?
N'accorderez-vous rien à la philosophie, à la
science, à la pensée moderne? Vous vous plai-
gnez que les hommes en masse désertent vos
temples et vos chaires catholiques; eh bien, re-
tranchez de votre symbole ce mot qui révolte :
Un supplice éternel. Oui, donnez à une exigence
légitime cette satisfaction nécessaire ; et le
monde moderne revient à vous.
Ainsi les sages du siècle ont dit à l'Eglise.
, Qu'a répondu l'Eglise? L'Eglise a répondu et
répond toujours : Je crois ; et voilà pourquoi je
proclame qu'il y a un enfer éternel.
Or, qui pourrait ne pas voir que cette intrépide
et permanente opiniâtreté de l'Eglise à main-
tenir un'dogme-, contre la conspiration séculaire
des erreurs et des passions conjurées pour l'a-
néantir, est une démonstration de sa divinité,'
et une démonstration de la vérité du dogme
qu'elle affirme?
Ah ! gloire à la vérité, et honneur à l'Eglise !
A tout ceux qui lui ont demandé le sacrifice de
son dogme, l'Eglise, ma divine Mère, a pu ré-
pondre, en effet, toujours : Si je n'étais qu'une
institution humaine, et si, comme telle, j'avais
m
LES PREUVES
283
pu transiger sur ma doctrine, est-ce que cent
t'ois pour une je n'en aurais pas fini avec ce
dog'me, qui provoque contre moi une guerre qui
ne finit jamais que pour recommencer toujours? 1
Est-ce que, depuis long-temps, je ne l'aurais pas
jeté comme uue facile concession à la faiblesse
des intelligences et à la lâcheté des cœurs? On
me promettait de tout croire et de tout em-
brasser dans ma doctrine, oui, tout, excepté mon
dogme effrayant de la peine éternelle. Eh bien !
j'ai résisté; j'ai maintenu mon dogme et je le
maintiens encore et le maintiendrai toujours,
avec la même certitude et la même indépen-
dance. Mes ennemis ont dit : « Le dogme de
l'Eternité des peines touche à sa fin. » philo-
sophes, ô prophètes de mensonge, écoutez :
Demain on ne parlera plus de vous ni de vos
systèmes, ni de vos prophéties; et ce dogme ,
dont vous prophétisez la fin, moi, l'Eglise catho-
lique, l'immortelle épouse de mon Christ im-
mortel, je le proclamerai et le chanterai sur
votre tombe; et pas plus que moi-même mon
dogme ne périra.
Vous dites que, sur ce point grave, mes
« prêtres eux-mêmes fléchissent. » Ces prêtres,
où sont-ils? S'ils existent, qu'ils soient, ana-
284
ETERNITE DES PEINES
thèmes. S'ils n'existent pas, pourquoi les in-
ventez-vous?
Ainsi dit notre divine Mère; et ainsi tous, avec
elle, nous affirmons ce dogme souverain devant
ce siècle le plus fier de lui-même, le plus con-
fiant en la liberté de sa pensée et en la suffi-
sance de sa raison. Et ce dogme ne serait,
qu'une chimère? Et cette affirmation ne serait
qu'un mensonge?
Mais alors, que sommes-nous donc tous aux
yeux de la libre pensée?
Quoi! il y a bientôt deux mille ans qu'avec
notre Mère l'Eglise, nous disons à l'humanité :
Peine éternelle, Eternité de supplices; et nous
ne disons pas vrai? Et, avec l'Eglise, nous trom-
pons les générations humaines? L'Eglise se-fait
de ce mot un épouvantail pour mieux les do-
miner? Et nous sommes, nous, les échos de sa
voix ; et nous mentons avec elle, pour le plaisir
de révolter votre raison, d'indigner votre philo-
sophie et de troubler votre repos?
Mais, s'il en est ainsi, encore une fois, je le
demande, que sommes-nous donc, nous tous
qui affirmons et proclamons avec l'Eglise et
tous les chrétiens, ce même dogme de la peine
éternelle? Que sommes-nous, en vérité? Ah!
LES PREUVES
285
peut-être nous ne sommes que des fanatiques,
et notre fanatisme nous fait imaginer, pour vous
tourmenter, vous indigner, vous révolter, un
enfer, et, dans cet enfer, une Eternité?
Mais quoi? Un fanatisme qui dure depuis
près de deux mille ans? Un fanatisme de
tous les peuples catholiques et de toutes les con-
ditions humaines, c'est-à-dire un fanatisme
trois fois universel? Le fanatisme aussi dans
toutes les catégories dont nous venons de faire
l'énumération ; dans tous les apôtres, dans tous
les martyrs, dans tous les docteurs, dans tous
les saints, dans tous les grands hommes, enfin,
qu'a produits le Christianisme? Est-ce possible,
vraiment? Et qui pourra le croire?
Ou bien, pour nous épargner l'injure de cette
appellation : fanatiques! direz-vous, ce qui serait
plus injurieux encore, que nous sommes des
trompeurs, et même des hypocrites*!
Oserez-vous dire, par exemple, que de ce
dogme effrayant de l'éternel supplice, nous ne
croyons rien nous-mêmes ; et que, nous prêtres,
nous travaillons à envoyer au peuple qui nous
écoute, à propos de ce dogme , des terreurs que
nous n'éprouvons pas? Que nous demandons à
tous, sur ce point, une foi que nous n'avons pas ;
286
ETERNITE DES PEINES
et que nous prêchons, pour vous faire frémir, une
croyance dont nous ne faisons que rire?
Ah! je le sais, des hommes ont eu cette au-
dace : ils ont prêté à des millions et à des mil-
lions de chrétiens, même aux plus saints, aux
plus savants, aux plus dignes de foi et de vé-
nération, ce rôle de la plus odieuse des hypo-
crisies.
Eh bien, Messieurs, du haut de cette chaire,
assurément l'une des plus grandes du monde ;
au nom de toutes ces autorités ; au nom de plus de
dix milliards de chrétiens, je proteste : et, la
main étendue devant l'autel où réside le Dieu
que nous adorons, et devant vous tous qui m'é-
coutez, je le jure: oui, tous nous croyons à l'E-
ternité des peines ; tous nous croyons à un enfer
éternel. Et chacun de nous dit, en toute sin-
cérité : Ou,:, je le crois; et, parce que j'ai cru, j'ai
parlé. Ma foi est la raison de ma parole ; et ma
parole est l'attestation de ma foi. Credidi, propter
quod locutussum.
Soit, dira peut-être ici la théologie de la libre
pensée, telle est la foi et l'affirmation de l'Eglise
et des chrétiens ; et nous voulons bien en con-
venir, c'est un grand témoignage. Mais il est
(1) Ps. 115.
LES PREUVES
287
pour nous et pour les chrétiens eux-mêmes, un
témoignage plus grand que celui-là. Quoi donc?
le témoignage de l'Evangile, la parole de Jésus -
Christ lui-même.
Quoi ! vous nous opposez à nous, chrétiens
et catholiques, le témoignage de Jésus-Christ?
Ah! nous le savons, c'est la tactique de l'erreur
contemporaine, surtout des théories et rêveries
■ humanitaires, de séparer l'Eglise de Jésus-Christ,
et la doctrine catholique, des enseignements
évangéliques. Je n'en suis pas étonné.
L'Evangile jouit encore , même au milieu des
générations les moins chrétiennes, d'une im-
mense et impérissable popularité ; et la philoso-
phie soi-disant humanitaire voudrait confisquer
à son profit cette impérissable popularité de l'E-
vangile. Mais elle l'essaye en vain. Entre l'E-
glise et Jésus-Christ, entre la doctrine et l'E-
vangile, l'alliance .est immortelle. Qui attaque
l'Eglise, attaque l'Evangile; et qui nie la doc-
trine catholique, nie la doctrine évangélique.
Disciples de la libre pensée, vous faites appel
à l'Evangile contre le témoignage de l'Eglise :
Eh bien, disciple et ministre de Jésus-Christ,
, pour confirmer le témoignage de l'Eglise, j'in-
voque, moi, le témoignage de TEvangile. Vous
288
ETERNITE DES PEINES
en appelez à l'Ev angile, pour convaincre de faux
notre dogme de la peine éternelle : soit; nous
acceptons; et nous affirmons que, même sur ce
point, l'Evangile est contre vous, et que notre
Christ lui-même donne par sa parole à votre
négation, le plus solennel démenti.
Certes, Messieurs, je pourrais citer de nom-
breux témoignages de l'Evangile, et compter
combien dé fois le divin Révélateur parle « du
« ver qui ne meurt pas; vermis eorum non mo-
« ritur, » et du feu qui ne s'éteint pas; « ignis
« incxtinguibilis » Je n'en ai pas besoin et je
me contente d évoquer un seul témoignage,
parce qu'il est absolument décisif, et qu'il peut
tenir lieu de tous les autres.
Les adversaires de l'Eglise, négateurs à ou-
trance de l'austère prédication de son dogme de
la peine éternelle, se plaisent à commenter cette
admirable page de l'Evangile, où Jésus-Christ
lui-même déroule , dans toute sa majesté tout
à la fois rayonnante et lugubre, le drame à nul
autre pareil du jugement dernier; alors que
lui-même doit proclamer la loi d'amour comme
le signe du discernement des bons et des mé-
chants, et comme le critérium suprême de sa di-
vine justice .
■HMMMMM
LES PREUVES
289
Je ne relirai pas tout entière cette incomparable
page;. il faut la lire soi-même, au chapitre vingt-
cinquième de saint Matthieu, pour se faire une
idée de la témérité, ou plutôt de l'impudence ra-
tionaliste osant invoquer, contre l'éternité des
peines, le témoignage de l'Evangile et la parole
de Jésus-Christ. prodigieux interprètes de
notre divin Evangile, quoi! vous osez rappeler
au prédicateur même de cet Evangile, une page
que certes notre prédication n'a jamais oubliée,
puisque depuis près de vingt siècles elle en a
fait, devant tous les peuples qui l'écoutent, les
commentaires les plus publics, et souvent aussi
les plus chrétiennement éloquents.
Eh bien, nous-mêmes osons vous porter le
défi de comprendre autrement que nous, avec
une ombre de raison, cette grande et décisive
paroledu Sauveur, devenu notre Souverain juge;
et nous vous sommons de répondre : cette pa^gè
solennelle de notre Evangile, l'admettez-vous
comme l'oracle authentique de la vérité , comme
la doctrine et la révélation du Christ-Dieu, donc
d'un Christ infaillible? Oui ou non, la tenez-
vous pour telle? Si vous répondez : Non, nous
ne lui reconnaissons, recette valeur doctrinale,
ni cette puissance révélatrice : mais alors , pour-
17
290
ÉTERNITÉ DES PEINES
quoi contre nous et notre dogme., l'évoquer en
témoignage? Répondrez -vous : Oui, nous l'ad-
mettons ; alors, puisque vous l'admettez, cette
page divinement révélatrice et véridique, lisez-
la tout entière, et ne la scindez pas.
Ecoutez : Jésus-Christ, selon sa divine pro-
phétie, vient environné d'une grande puissance
et d'une grande majesté. Autour de lui toutes
les nations sont rassemblées. Entre les boucs
et les brebis, entre les justes et les méchants,
la séparation est faite : les uns sont à droite, les
autres sont à gauche; et tous attendent la pa-
role qui va fixer à jamais leur suprême Destinée.
Que dira ce souverain juge à ceux qui sont à sa
droite? Ecoutez : vous tous les bénis de mon
père, venez; venite Benedicli Patris mei, et pos-
sédez le royaume qui vous a été préparé depuis
le commencement du monde : Possidete regnum
vobis paratum a constilulione mundi.
Voilà la Destinée, c'est-à-dire la sentence qui
fixe à jamais la Destinée des bons. Et voici la
raison qui légitime la sentence : « J'ai eu faim,
« et vous m'avez donné à manger, etc. » C'est,
au tribunal de la divine justice, la suprême pro-
clamation de la loi d'amour.
Jusqu'ici, pas d'objection, et l'incrédulité elle-
LES PREUVES
291
même applaudit au triomphe de la loi d'amour,
devant le tribunal même des suprêmes justices.
Mais attendez; le drame n'est pas fini. « Et
« Jésus dira à ceux qui sont à sa gauche : Allez,
maudits, au feue7emeZ,qui a été préparé au diable
et à ses anges: Ile, maledicliin ignem œtebnum,
qui praparalus est diabolo et angelis ej.us.
Ai-je besoin d'insister pour expliquer le sens
de ces divines paroles? Qui ne comprend ce der-
nier mot de la justice sortant avec une si ful-
gurante clarté de la bouche même de l'amour?
« Allez, maudits, au feu éternel; in ignem œter-
num (1). »
Puis-je , moi prédicateur de la parole du
Christ, puis-je altérer par des interprétations
arbitraires et atténuer par des ménagements
humains la force et la portée de cette malédic-
tion divine : Allez au feu étemel'! Au feu éter-
nel!... Cela est-il écrit, oui ou non? Et si cela
est écrit, qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut-il
dire : Allez, rentrez dans le néant? Cela veut-il
dire : Allez, repentez-vous ; allez, purifiez-vous
par les supplices momentanés que réclame ma
justice outragée;allez,à force d'expiations,faites-
vous innocents; et puis, revenez plus tard avec
(1) Matth. xxv (31-46).
292
ETERNITE DES PEINES
mes élus, dans les bras de mon amour, et dans
l'éternelle béatitude qui leur [fut préparée? Qui
oserait, à ce point, altérer la sentence de la di-
vine justice? Il y a là une malédiction : Ite, male-
dicti ; et une malédiction éternelle. Il y a là une
condamnation : quelle condamnation? Une con-
damnation à un feu, donc à un supplice éternel :
In ignem œternum ! En vérité, si cela n'est pas
clair, il n'y a rien de clair dans l'Evangile ; et il
faut renoncer à l'invoquer, pour attester une vé-
rité quelconque.
Impossible de reculer devant cette conclusion
si précise et si nette du jugement divin, pro-
clamant pour la Destinée des bons et des mé-
chants, l'éternelle durée : Et ceux-ci iront au
supplice éternel ; et les justes à la vie étemelle.
Eu vain on voudrait introduire dans le texte
une disjonction absurde. Le texte ne comporte
pas une telle violence. En vain on dirait ce qu'on
a dit, en effet : Eternité pour la récompense, soit,
nous l'admettons. Eternité pour le supplice, non,
nous ne l'admettons pas. Il n'y a pas à hésiter ce-
pendant : Jésus-Christ envoie les uns à un sup-
plice éternel, aussi clairementqu'il appelle les
autres à une vie éternelle. Si d'un côté vous ad-
mettez qu'Eternel veut dire une durée sans fin;
LES PREUVES
293
comment, de l'autre côté, Etemel sig-nifiera-t-il
un a durée qui doit finir? Pourquoi et comment,
dans un même texte, à un même mot, un sens et
un autre sens , alors que le souverain juge af-
firme l'éternel supplice de la même manière
qu'il affirme l'éternelle vie, ou l'éternelle béa-
titude?
Déjà de son temps Saint Augustin confondait
cette interprétation fantaisiste, qui scinde à vo-
lonté le texte de l'Evangile, c'est-à-dire la
parole de Jésus-Christ. « Si le sort des bons et
« des méchants est déclaré éternel ; si ulrumque
« œternum; alors, ou l'un et l'autre aura une fin,
« ou l'un et l'autre sera sans fin : aitt utrumque
«. cum fine diutumum,aut utrumque sine fine perpe-
« tuum débet intelligi (1).»
Ainsi, rien n'est plus certain ni plus mani-
feste, sur ce point si grave et si décisif; de même
quel'Eglise parle comme l'humanité,l'Evangile,
de son côté, parle comme l'Eglise' : l'une et l'au-
tre, c'est-à-dire la voix divine et son écho divin,
disent ensemble : Enfer éternel, Eternité des
peines.
(1) St Aug. de Civitate Dei L. xxi. c. 9 et 23.
294
ÉTERNITÉ r>ES PEINES
III
Vous le voyez, Messieurs, le libre penseur
doit en prendre sou parti : il a contre lui et le
témoignage de l'Eglise , et le témoignage de
Jésus-Christ , et le témoignage de l'humanité
entière. — Soit, répond le rationaliste; mais
il y a un témoignage qui est pour nous et contre
vous : c'est le témoignage de la raison, qui est
lui aussi, lui surtout, le vrai témoignage de
l'humanité. Vous avez beau évoquer, en faveur
du sombre dogme de la peine éternelle, des au-
torités et encore des autorités. Il n'y a pas <I'au"
torité qui puisse prévaloir sur l'autorité de la
raison. Or, vous avez contre vous la raison, la
raison philosophique et la raison populaire.
« Aucun principe de la raison ne conduit à l'E-
« ternité des peines, et ne permet de l'ad-
« mettre (1). »
Ainsi disent, ainsi font nos philosophes ratio-
nalistes, même les meilleurs; ils tranchent, ils
décident.
« Aucun principe de la raison ne conduit à
« l'Eternité des peines » : par voie de démons- !
(1) Jules Simon. 'ReU'jion, Naturelle, p . 349.
LES PBEOVES
295
tration rigoureuse, soit. Nous n'avons nul
besoin de le contester.Mais, vous-mêmes, oseriez-
vous affirmer que la raison ne dit rien, abso-
lument rien en faveur de ia peine éternelle?
Surtout, sommes-nous obligés de vous ac-
corder « qu'aucun principe de la raison ne
permet de l'admettre? » et devons-nous convenir
que toute bonne philosopbie, au nom de la
raison, doit prendre parti contre notre dogme?
Oh! non, mille fois non, nous n'en conviendrons
pas; et nous ne craignons pas de sommer les
plus rationalistes des philosophes de se de-
mander quelle est , en face de notre dogme ca-
tholique, la véritable attitude de la raison hu-
maine? Car, c'est de quoi il s'agit en ce moment.
Oui, Messieurs, il s'agit de savoir précisé-
ment quelle est, vis-à-vis du dogme de la peine
éternelle, l'attitude réelle de notre raison : est-
elle neutre? Est-elle pour? Est-elle contre'
Avant d'aller plus loin , remarquons que notre
dogme catholique ne prétend nullement s'ap-
puyer sur les données et sur les principes de la
raison humaine, comme sur son principal fon-
dement. Notre dogme, comme nous venons de
le voir, s'appuie avant tout, et par-dessus tout,
sur l'autorité; non seulement sur l'autorité hu-
296
ETERNITE DES PEINES
maine la plus imposante, et pour tous la plus
irrécusable; mais ce qui est pour nous, chré-
tiens, plus imposantet plus irrécusable encore,sur
l'autorité de Jésus-Christ et de l'Eglise, c'est-à-
dire sur une autorité rigoureusement divine.
Or, ce qu'affirme une autorité divine doit être
tenu pour vrai et n'a pas besoin, pour être cru
et affirmé par nous-mêmes, d'être démontré par
des principes de raison. Il n'est donc pas néces-
saire « qu'un principe quelconque de la raison
« conduise à l'Eternité des peines. » Mais, autre
chose est que cette raison toute seule ne nous y
conduise pas , et autre chose est qu'elle ne per-
mette pas de l'admettre.
Notre grand dogme, étant appuyé sur des au-
torités qui ne nous peuvent tromper, nous
n'avons pas à montrer qu'un principe de raison
y conduit; c'est à la raison elle-même, ou plutôt
aux grands penseurs, qui prétendent l'incarner
en eux, de prouver que ce dogme est, avec une
donnée absolument certaine de l'humaine raison
dans une contradiction évidente. Le rationaliste
déclare que la raison ne permet pas d'admettre
l'Eternité des peines : à lui de le démontrer
contre l'autorité qui l'affirme .
Mais nous sommes en droit d'aller plus loin ;
LES PREUVES
297
et nous pouvons affirmer que si la raison ne
démontre pas toute seule notre dogme divin, elle
en donne cependant des motifs qui, sans cons-
tituer par la démonstration une absolue certi-
tude, fondent au moins, par vraisemblance et
insinuation, une certaine probabilité, aligna
probabilitas, comme disent les théologiens.
Ce serait ici le lieu d'abriter ma parole sous le
bouclier du- génie et de la raison de nos plus
grands hommes et de nos plus profonds penseurs
du Christianisme. Il est par trop commode de
s'attribuer à soi-même le privilège exclusif de la
raison; comme si ces hommes incomparables
avaient été par leur foi destitués de toute raison.
Eh! qui donc, après avoir lu et compris la
Somme Théologique de saint Thomas, oserait
s'attribuera lui-même une raison supérieure à ce
prodige déraison?
Eh bien ! Saint Thomas, pour ne parler que de
lui, non seulement n'admet pas que la raison
repousse par elle-même le dogme de l'Eternité
des peines; mais en je ne sais combien d'en-
droits, que je n'ai pas le temps de citer, il in-
siste pour bien établir que, si la raison toute
seule ne le démontre pas , elle l'insinue, elle y
17.
^■■HNMMHMN
298
ÉTERNITÉ DES PEINES
incline et l'approuve plutôt qu'elle ne le désap-
prouve.
En compagnie de ce grand génie , et sous la
sauvegarde de sa haute raison, je ne crains donc
pas de dire, moi aussi, que ma raison, ma raison
dégagée des obscurcissements du préjugé et de
la passion, non seulement ne condamne pas le
dogme delà peine éternelle, mais qu'elle l'ap-
prouve, et, si je le puis dire, elle applaudit à
l'autorité qui l'affirme.
Que dit ici en effet ma raison? Elleme dit que
la damnation éternelle peut être admise comme
la conséquence logique de la volontaire excom-
munication dont le réprouvé se frappe par sa
libre séparation de Dieu. Elle médit que la peine
éternelle paraît être la seule sanction tout à
lait suffisante,-po\iv le maintien de l'ordre moral,
et qu'elle est en' même temps l'une des plus
grandes sauvegardes de l'ordre social. Bref,
ordre logique, ordre moral, ordre social, ap-
prouvent et appellent ensemble, plutôt qu'ils ne
la repoussent, l'Eternité des peines.
Et d'abord,ne vous semble-t-il pas, Messieurs,
comme à moi-même, que Y éternelle damnation
peut être admise comme conséquence logique
LES PREUVES
299
de l'excommunication dont le réprouvé se frappe
librement lui-même?
Dieu se pose devant l'homme, au terme final de
sa vie, comme sa suprême félicité et comme l'objet
du choix qui doit décider sa propre Destinée. Il lui
dit : Si tu le veux, moi-même je serai ta récom-
pense , ta récompense surabondante , Ego : ero
merces tua magna nimis. Oui, si tu le veux, tu
posséderas éternellement toute ma vérité, tout
mon amour, toute ma vie, tout moi-mème,enfin.
Pour t'aider à me chercher, je te donne ma lu-
mière; pour t'aider à me conquérir, je te donne
ma force; et pour te préparer à jouir de ma gloire,
jeté donne la foi. Viens donc, si tu le veux,
mais seulement si tu le veux; car je t'ai créé
libre par un acte de mon amour, et c'est par
ton libre amour que je veux être embrassé.
Voilà l'homme prévenu par la grâce, et averti
par la Providence divine; l'homme illuminé par
les clartés du vrai, et invité par les tendresses
de l'amour. Et voilà Dieu faisant appel à l'hom-
me ; mais dans ces illuminations de la vérité et
ces invitations de l'amour lui laissant, pour
fixer sa Destinée , la pleine liberté de son choix.
Pour se décider, l'homme a vingt ans, il a qua-
rante ans , il a soixante ans, quatre-vingts ans
300
ÉTERNITÉ DES PEtNES
■
peut-être. Pendant tout ce temps, Dieu attend
la réponse qu'il va faire aux appels de son amour.
Or, je le suppose, pendant vingt, trente,
quarante, soixante ou quatre-vingts ans,l'homme
répond à Dieu qui l'appelle : Non, je n'irai pas à
toi. Il dit à la vérité, qui veut l'éclairer : Laisse-
moi. Il dit à l'amour,qui veut l'embrasser : Non,
je ne t'embrasserai pas. Il dit enfin, à Dieu,
le mot de son apostasie : Va-t'en, retire-toi
de moi, recède... Quoi! se récrie à cette pensée
le sens humain, quoi! l'homme' dire à Dieu
une telle parole? Qui pourra jamais le croire et
se le figurer? Ah! sans doute cette parole,
l'homme, même prévaricateur, d'ordinaire ne
la dit pas à Dieu par des discours qu'il lui
adresse, mais par des actes qui le repoussent.
Suis-je téméraire de prétendre que/peut-être , il en
est, dans ce grand auditoire, qui depuis dix ans,
depuis vingt ans disent à l'amour divin qui les
poursuit et les sollicite, quelque chose de pareil?
Ah ! cette affreuse parole : Retire-toi de moi, va-
t'en] vous ne l'avez pas prononcée par des sons
articulés; mais qu'importe, si par d'opiniâtres
prévarications vous l'avez pratiquée? f
Eh bien, demande ici la raison elle-même,
sans blesser sa justice et sans se renier lui-
■>■».■«! ■
LES PREUVES
301
même, nu prévaricateur obstiné qui, depuis de
longues années dit à cet amour qui l'invite :
Non, je ne veux pas; va-t'en, retire-toi de moi —
Dieu ne peut-il répondre : Soit ; qu'il te soit "fait
comme tu l'as voulu. Tu me repousses, malheu-
reux; depuis vingt ans tu me dis et me redis :
Retire-toi de moi. Je respecte la liberté que je
t'ai donnée moi-même ; je t' obéis; je me retire;
je m'en vais de toi : va-t'en toi-même; et loin
de moi, sois heureux si tu peux!
Ainsi l'homme se damne, c'est-à-dire s'excom-
munie lui-même de la communion de Dieu ; il
se fixe librement dans la séparation de Dieu.
Arraché par lui-même à sa fin suprême, il la
fuira éternellement ; comme un corps lancé
hors de sa sphère fuirait éternellement son
centre.
Est-ce que la plus simple raison ne m'autorise
pas à voir, dans cette damnation éternelle,
comme une conséquence logique de la libre ex-
communication dontle pécheur obstiné se frappe
lui-même ?
Je ne dis pas , remarquez-le bien , qu'il y ait
en ceci une démonstration rigoureuse de la peine
éternelle; mais essayez de trouver une raison
démonstrative qui force Dieu à mettre lui-même
302
ÉTERNITÉ DES PEINES
un terme à cette volontaire séparation : vous ne
ponvez pas même l'imaginer. L'homme qui s'u-
nit volontairement à Dieu , l'embrasse pour l'é-
ternité. Qu'est-ce qui empêche que l'homme qui
se sépare volontairement de Dieu , s'en sépare
aussi pour l'Eternité? J'ai beau creuser ici par
ma pensée les profondeurs de la sagesse, de l'a-
mour, de la justice de Dieu, de l'ordre, enfin, qui
est en lui et qu'il est lui-même; ma raison ne
parvient pas à trouver en défaut le Dieu infini-
ment sage, infiniment juste et infiniment bon,
qui, par respect pour cette liberté, qui est l'hon-
neur et fait le mérite de l'homme, laisse le pé-
cheur apposer lui-même à sa propre Destinée le
sceau de sa libre excommunication.
Si cette sentence, ou plutôt cette permission
divine peut vous demeurer un mystère, la raison
vous défend d'y trouver contre Dieu une légiti-
me accusation. Essayez de vous dire, dans le
silence de vos passions et sous la seule inspira-
tion de votre raison : cette attitude est indigne
de Dieu; vous n'y parviendrez pas. La vérité
vous en porte le défi.
Bref, contre cette ratification faite par Dieu,
de la volontaire excommunication Me l'hom-
me, logiquement la raison n'a rien à dire; elle
LES PREUVES
303
approuve plutôt qu'elle n» désapprouve ce sceau
de l'éternelle durée, que Dieu permet à l'homme
d'apposer à la damnation voulue et consommée
par l'homme lui-même. ,
Maintenant, si de l'ordre logique nous passons
à l'ordre moral, voulez-vous savoir ce que dit la
raison? Elle rend au dogme de la peine éternelle
un témoignage et donne un assentiment que
sans doute vous n'attendiez pas : elle dit que ce
dogme est l'un des plus fermes appuis du monde
moral; parce qu'il est à la fois le ressort le plus
fort pour pousser à la vertu , et le frein le plus
puissant pour enchaîner les passions et arrêter
les crimes. Sous ce rapport, cette vérité définie
dogmatiquement et crue religieusement vous
est bonne et salutaire. Vous la déclarez dérai-
sonnable, injuste, cruelle même. Eh bien, moi,
dit la raison au rationaliste lui-même, je la dé-
clare utile, si ce n'est tout à fait nécessaire au
maintien de l'ordre moral. C'est que sans elle,
quoi que vous fassiez,vous ne trouvez facilement
ni à la justice une sanction tout à fait suffisante,
ni aux passions un frein assez puissant pour en-
chaîner en elles, en certaines situations surtout )
la volonté du mal.
Quelques-uns, je le sais, acceptent pour satis-
304
ETERNITE DES PEINES
fairela passion d'un moment la perspective d'un
éternel châtiment; mais c'est l'exception. Règle
générale, l'homme ne pèche pas en hravant au-
dacieusement la certitude de l'éternel supplice;
il pèche surtout en l'oubliant, et en se faisant
de ce quart d'heure de jouissance un simulacre
de félicité qui lui dérobe, un moment, la pers-
pective lugubre de la peine éternelle. Mais, s'il
se met en face de son Eternité, et s'il fixe de son
regard, au fond de cette Eternité, le supplice
qui l'attend; d'ordinaire cette pensée l'arrête, ce
regard l'épouvante, et, le plus souvent, il n'y
a pour l'arrêter et le retenir tout à fait, que cette
pensée et ce regard.
Un jour, sous le coup de la tentation, un
homme, même croyant, s'apprête à donuer à sa
passion la satisfaction qu'elle exige. Sous le
charme qui le fascine, tel lui apparaît ce bon-
heur de la passion satisfaite, que l'attrait de
cette félicité présente menace de l'emporter en
lui sur la crainte d'un malheur futur. Ah! s'il
était bien sûr de voir, un jour, la fin de ce mal-
heur auquel il s'expose, ne fût-ce même qu'après
un siècle : devant ce supplice d'un siècle et
ce bonheur d'un jour, devant cette peine qui
l'attend de loin et ce plaisir qui le sollicite de
LES PBEUVES
305
près, peut-être son choix ne serait pas douteux.
Détournant sa pensée d'un avenir plein de ter-
reur, il embrasserait ce présentple.in de charmes.
Mais, se dit-il, jouir un jour, une heure, pour
souffrir toujours; oui, ô mon Dieu, toujours
loin de vous, et loiu de vous toujours dans les
supplices; ah! c'est trop. M'exposer à cet irré-
médiable malheur, oh I non, je n'y puis consentir.
Joies perfides, plaisirs, trompeurs, retirez- vous
et ne venez pas, pour le bonheur d'un instant,
compromettre mon bonheur de l'Eternité.
Il en est ainsi, Messieurs ; pour empêcher une
âme, à l'heure de la tentation, d'embrasser le
mal, le mal qui attire, le mal qui charme, qui
séduit et qui, par toutes les fascinations de sa
présence, menace de donner le vertige, il n'y a
rien de plus fort que la perspective d'un supplice
■ éternel.
Et c'est par ce dogme qu'aujourd'hui encore
l'Eglise catholique garde, pour enchaîner les
passions et réprimer les crimes, une puissance
morale à nulle autre pareille.
Ah! je le sais, cette puissance, même en ceux
qui croient à la peine éternelle, ne suffit pas
toujours à vaincre le redoutable attrait du
plaisir présent et fascinateur; mais elle suffît
306
ETERNITE DES PEINES
souvent; et, en tout cas, nulle autre puissance
ne la remplace. Quand, sous l'influence du doute
ou sous le coup de la négation, ce frein vient
à se relâcher ou à se briser tout à fait; alors
qu'arrive-t-il? Les âmes en masse vont à la cor-
ruption, et bientôt se précipitent dans toutes les
fanges. La destruction du dogme de la peine
éternelle dans les intelligences renverse, dans
les générations, le plus ferme rempart des
saintes mœurs.
Messieurs, ouvrez les yeux ; regardez autour
de vous et voyez : parmi les hommes dont la
foi, sur ce point, a fait dans la tourmente des
erreurs ou des passions, un lamentable nau-
frage, où sont les grandes figures de la pureté
et de la justice? Où sont surtout les héros du
dévouement et du sacrifice? Où sont-ils? Nulle
part. Qui parmi eux du moins, même dans le '
sens vulgaire de ce mot, fait véritablement le
bien? Personne! .. Non est guifaciat bonum. Non,
il n'y en a pas un , (1) Non est usque ad unum.
Ainsi la ruine de ce grand dogme de la peine
éternelle entraîne, plus ou moins rapidement,
la ruine de l'ordre, moral.
Que dis-je? ce n'est pas seulement l'ordre
(1) Ps. Xlll, I.
LUS PREUVES
307
moral, c'est l'ordre social aussi qui est com-
promis par la ruine de ce dogme essentiellement
salutaire et conservateur.
Savez-vous, Messieurs, ce qui rend, à l'heure
qui sonne, le peuple si redoutable pour l'ordre
social et si menaçant pour la société vivante?
Ah! je vais vous le dire : le peuple en masse
ne croit plus, ou du moins ne croit plus assez
au dogme de l'Eternité des peines ; et c'est par
cette brèche ouverte dans les âmes, que les
passions antisociales tendent à faire irruption
dans la cité et troublent le sommeil de la patrie,
trop souvent menacée de se réveiller dans les
horreurs de l'anarchie.
Allez trouver ces multitudes trompées par des
sectaires, et qui, au grand soleil de la publi-
cité, annoncent et proclament tout haut des
projets de brigandage, de dépouillement et
d'assassinat. Sondez le mystère de leur cro-
yance : elles, surtout, ne croient plus à l'éternel
enfer. Et voilà pourquoi leurs fureurs fratricides,
franchissant ce rampart écroulé des menaces
divines, méditent de se faire, par des crimes
sans remords et sans repentir, des biens de ce
monde un paradis de quelques jours. A cette
parole : Plus d'enfer éternel, répond bientôt
308
ETERNITE DES PEINES
cette autre : Le Paradis dans le temps , n'im-
porte par quels moyens, et même sur des ruines
arrosées par le sang.
En vain espéreriez- vous que le dogme de la
peine éternelle, une fois détruit au fond de
l'âme populaire, la croyance à un châtiment
temporaire de l'autre côté de la tombe y pourrait
tenir encore, et former un rempart assez fort
pour contenir le torrent des passions,et arrêter
le débordement des crimes qu'elles enfantent :
vain espoir. Cette dernière ressource ne vous reste
pas même. L'abolition de la peine éternelle
conduit vite à la suppression de toute peine
d'outre-tombe ; et la négation de l'éternel enfer
précipite, par une pente rapide, la négation ab-
solue de l'enfer lui-même. Ah! ne nous faisons
pas illusion : pour le peu pie, nier l'Eternité de
l'enfer, c'est bientôt nier l'enfer lui-même.
Cette négation suprême le pousse à la destruction
de tout frein dans sa conscience intime, et au
dehors, au renversement de tout rempart capable
de contenir sa fureur impatiente de courir, le
poignard ou la torche à la main, à l'assassinat
des frères et à la destruction de la société.
Donc, ô vous tous qui voulez comme nous le
maintien de l'ordre social, et avec lui la sauve-
LES PREUVES
309
garde de la propriété, de la familie, de vous-
mêmes, n'oubliez pas que, pour empêcher ces
projets de massacre, de bouleversement et d'ex-
termination de germer dans l'âme du peupla
et défaire demain ou après-demain leur effroya-
ble explosion, il faut que sa croyance enchaîne
sa conscience, et que sa conscience enchaîne ses
convoitises. Pourquoi? Vous demandez pour-
quoi? Ah! c'est que ce peuple a faim et soif de
bonheur, et que, par un instinct en quelque
sorte irrésistible, il convoite avec ardeur et
souvent avec fureur ce qu'il en croit être la con-
dition essentielle et le moyen nécessaire : la
richesse. Lui pauvre, lui misérable, il veut être
riche, il le veut absolument.
Voilà pourquoi, une fois affranchie de toute
croyance et débarrassée de tout frein sa passion
de jouir le pousse, comme invinciblement, à
convoiter le bien d'autrui. Déshérité de tous les
biens de ce monde, dites-moi, comment se rési-
gnera-t-il à votre richesse et à sa propre indi-
gence? S'il se sent le plus fort, qui donc
l'enpèchera, un jour, d'étendre son bras pour
frapper vos fortunes, vos biens et, si vous lui
résistez, vous-mêmes? *
Et si ce géant de la force et du nombre, dans
3 *0
*T EmiTE DEg pEmEs
» soif de jouissance, vi ent »
devant vous, menaçant to„tT "' dresser
««* et - U s- mêrae s av t ; qm V ° US a ^-
m ande, qU el moyen a Jl ' Je V ° US le d e-
P°»r retenir son bra S prêt aT^ ^-^
Uûe ^ je vous le dta ™ PP6r? EaCOre
conscience et arrêter ] a f ' P enchaî «er J a
-f chose est ass ez lïTjV^' ^
«t décidée à un bonheur 01 -' I& foi fer ™
réservé à ses vertus ou T ^ mIheur ^ /,
P-dis éternel :tt u rent:rV° nC à -
<^ le peupIej w » e ^ er kernel. Ah ! c'est
-^eux, a cette su r^ZÏ "* ™™
va ê-«e que ]ui montrent „ Udétermi * é ° et
-WP» delàson tombeau Vo^r- Prétendus
»> a p as d' e nfe r éternel ni * dit6S «»**
su ^» ** qu'il n ^v a 1 \ T Prend t0ut de
est tout, et qu'au-d.fà , n "' qUe Cette ™
^ n'est-ce q pas ,a, d e n àl ^ a J ien -
Parvenu à faire croire à,! qUe r ° n est "
la doctrine de Jésus Ph,. P6Uple déshérité de
*™ entre ses ma £?T« *> rB #*»>'0n
à" doute, de la néT^l?^ ' Catéchis ™
catéchisme disait * du blas Phèmef Ce
Y a ~ WJ uu enfer éternel ?
LES PREUVES
311
— Non, il n'yapas d'enfer éternel.
Ouest le lieu de la Destinée humaine? Où est le
paradis ? Est-ce au ciel ? Est-ce sur la terre ?
— Le paradis est sur la terre. Le paradis du
ciel est une chimère , et l'enfer de l'autre vie un
épouvantail, dont on se sert pour retenir le peu-
ple dans la servitude de sa misère et dans l'enfer
de ses souffrances.
Qu'est-ce donc que le vrai paradis et le vé-
ritable enfer?
— Leparadis, c'est l'homme jouissant delà terre;
l'enfer,c'est l'hommepauvre, l'homme misérable,
se débattant ici-bas dans les étreintes de sa mi-
sère. Arrière le rêve d'un paradis de l'autre monde!
Arrière,surtout,l'épouvantail d'un éternel enfer..
Eh bien, Messieurs, qu'en pensez-vous? Est--.
il bon, est-il salutaire à l'ordre social, de faire
germer au fond de l'âme populaire de pareilles
doctrines? Et que peut attendre la société de tels
enseignements, s'ils viennent à se généraliser?
Ah! quand ces épouvantables erreurs auront
•envahi l'âme des multitudes, ne comprenez-
vous pas, et la raison ne vous dit-elle pase elle-
même que, selon touteprévision, elles essayeront
de se faire, des biens de ce monde, ce terrestre
paradis, dont le rêve les séduit d'autant plus
332
^BRNITÉ DES P EINES
Qu'elles souffrent a»„ *
*>* fr eiD , rien ne iZrlT qU ' aÛ ™^ de
P^ même la spolia 0n P ° UI * le réalise ^
etqu'unjour, Tu a p? u ' P T même bassinât
la colère au œu^l '* ^^ s ' éc »er,
Poig-nardàla^^.f; 1130 ; ^ lè " es <* «
main . i« nc/W ow ^ ^^
CONCL.USION.
Voilà, Messieurs, en résumé ,
faisonelle-n.èmeenfacedem A *" dlt Ia
E "e dit qu'elle peut Ïre adm ' é deSpeiDeS - *
«équence % J e J ^ ^»« comme la con-
tre dontle pécheur AT7 UmCation v °lon-
e "e dit q ue Tdo^: d f ^^ *****■!
*»" Tordre «orj, ™ ^T f"^ eSt <
de la vertu, et ] e frl , PlUS puissa ^
elle dit, enfin qu 1 * 1° PlUS fort d u crime;
conservateur ' est i? ^ esseûti elWnt
l'ocre sociale Î meii f ^ rem P art de
société. Et ainseiC^r *""«*«*> de la
fois, mais tr Tsfo is 7 ? ^ SGuWnt ^e
elle approuve écriai 10 " T^^
éternelle, app Uyé su ^!? Ie K , d0g - me de la Peine
^ni S meet P d P ern:mi:it° UbIeaUt0ritéd ^hri s .
AprêSCeIa '^'e rationaliste vienne nous
LES PREUVES
313
dire qu'aucun principe de la raison ne conduit à
V Eternité des peines, et qu'il ajoute que la raison
ne permet pas de l'admettre : appuyés sur l'iné-
branlable fondement de ces grandes et infail-
libles autorités de Jésus-Christ et de l'Eglise,
nous persisterons à dire que la raison, bien loin
de répudier leur témoignage, y joint son propre
suffrage; et nous continuerons d'affirmer que,
si la raison elle-même et par elle-même ne dé-
montre pas seule et directement l'Eternité des
peines, elle ne la repousse pas non plus; et
que, d'après ce que vous venez d'entendre, il est
manifeste qu'elle tend plus à l'affirmer qu'à la
nier, quelle l'approuve plus qu'elle ne la dé-
sapprouve; que la raison, en un un mot, sur ce
point exceptionnellement grave, n'est pas une
adversaire qui la combat, mais une auxiliaire
de l'autorité qui l'affirme.
Certes, Messieurs, je n'ignore pas tout à fait
les difficultés que le rationalisme, au nom de la
raison, prétend opposer à ce dogme de la peine
éternelle, et par lesquelles même il se vante de
le confondre.
Ces difficultés sont de deux catégories, que
je distingue et que j'appelle, d'un côté les ob-
jections, et de l'autre les hypothèses.
18
314
ÊTEENITÉ DES PEINES
Ma 1S avant de les aborder en face, il fallait
montrer tout d'abord comment notre do-me
dans sa substance, s'appuie sur des autorités et
des temo^na-es pour tous irrécusables
Peut-être jusqu'à présent, cette vérité que
les erreurs et les passions tendent chaque jour
à obscurcir, ne vous avait-elle pas encore apparu
sous ce jour et environnée de cette lumière
Et maintenant, j'imagine, vous êtes curieux
de savoir ce que la vérité peut réppndre aux
difficultés soulevées contre elle. Revenez demain
et après-demain aussi nombreux qu'aujourd'hui-
et,Dieu aidant, j'espère donner à votre légitimé
cunosité une légitime satisfaction, en vous
montrant avec quelque clarté, que les objection,
quon oppose à notre dogme, ne prouvent rien
contre notre dogme, que les hypothèses qu'on
prétend lui substituer, ne se soutiennent pas •
et que la raison elle-même renverse les objec-
tions et les hypothèses par lesquelles on pré-
tend nous combattre et nous vaincre, au nom
de la raison
ETERNITE DES PEINES
LES OBJECTIONS
Et ibunt lu in ignem œtuvnum.
Et ceux-ci iront au feu éternel.
ath.XXV.46.)
Messieurs,
Nous savons maintenant sur quels fonde-
ments repose le dogme de l'Éternité des peines.
Ce dogme est affirmé par l'humanité entière;
affirmation absolument inexplicable, si l'on sup-
pose quelapeineéternelle n'existe pas. Ce dog-me
est affirmé d'une manière plus explicite et plus
définie par le Christianisme, c'est-à-dire par tous
les chrétiens, par l'Église, par Jésus-Christ lui-
même. Et ce dogme appuyé sur ces grandes et irré-
cusables autorités, non seulement n'est pas dé-
savoué par la raison, mais elle-même l'approuve
et le confirme par un témoignage d'une valeur
-
316
ÉTERNITÉ DES PEINES
m£»w " ' ^^ aV ° ir Iap ° rtée d ' une dé-
monstration proprement dite, constitue, en fa-
feu du 0fme prodamé par ^
réelle probabilité'.
Mais Messieurs, déjà je vous l'ai fait pressen-
te dogme de la peine éternelle , malgré Sa
certitude bien établie, devait naturellement
-lever des objections, et il en a souleva
coup en effet. Il n'y a rien en cel a qu i doive
toul °n er fi Ce î° ëme par une ^ - fa -
touche a 1 Infini, donc au mystérieux; et, plus
que les autres, il entr'ouvre dans Paven r des
perspectives devant lesquelles facilement not
esprit semble prendre une sorte de verti^ Ce
dogme^ailleur S ,p a Hui-m ê mepar t iculi è ;Ln;
austère a, pour la pratique delà vie présente les
pusg ra vesconséquences;etronconçLq Ue ' n-
se faisantplusoumoinscomplice des passions se
contre tous les autres dogmes
J'essayerai donc de donner à vos esprits
trop mquiets et trop timides souvent en face dé
objection, la satisfaction qu'ils réclamen t ,en
epondant aux principales objections que s'ou-
'ève contre notre dogme le rationalisme de tous
LES OBJECTIONS
317
les temps, et très spécialement le rationalisme
de notre temps.
Toutefois, avant de venir au détail de ces ob-
jections, nous devons savoir préalablement ce
qu'il faut penser de l'objection elle-même en
face des vérités qu'elle attaque.
On a d'ordinaire, sur ce point, des idées peu
exactes qu'il importe de rectifier, avant de croi-
ser contre l'arme infirme de Terreur le glaive
tranchant de la vérité.
En général, l'objection se présente en face de
la vérité avec une apparence de supériorité , qui
trompe les spectateurs du duel qu'elle engage
avec le dogme, et qui semble d'avance lui assu-
rer la victoire. Elle a pour elle, en effet, la sym-
pathie de l'esprit humain, depuis la chute origi-
nelle porté à l'objection plus qu'à l'affirmation,
et presque touj ours la complicité des passions tou-
jours armées contre la vérité, et toujours prêtes à
applaudir au triomphe de l'erreur . Aussi, l'homme
de l'objection, si faible qu'il soit par lui-même,
paraît, alors qu'il objecte, comme investi d'une
force factice, qui prévient en sa faveur et fait
préjuger aux esprits superficiels le résultat de
la lutte. C'est peut-être là ce qui a fait donner
18.
3 1R
fomiùÊ d ES PEINES
Voyons donc ce q u w ' A . '
«o;n me «ty*^ devant! ,0^^ Ce qU '° n
Prétention de renverser ^ qU ' elle a la
Plus ordinaire et son ^ ^ Sa WrM la
^e Z voirco mi nente^ p ;;/;; Q s CiPaI - EtV0 -
P« ?uit3 de sa puissance. , " ^^ e *
b-n; alors surto'u qu e £ ^ °* la connaît
1° cas présent, en fi^dïn f P * ° 0mme C ' est
*W et d'uni vér d I n ^ P^texnont
trée. déja cl airement démon-
p a ^^:ir tedewie6 ^ci.
^, ra edelapeinrrnlT en e Vr temeDtaU
*W voir, avec nne certain dar J ^ V ° US
t^ons, bien l oin de renverser ^ UeC6SOb J ec -
soutiennent pas et feîwf 0g " me > Ge s «
Et d'abord, Messieurs , quelle e,, ,0 ,
LES OBJECTIONS
319
Je laisse de côté les quelques rares exceptions
qui peuvent se rencontrer sur ce point, comme
il s'en rencontre en toutes choses humaines, re-
levant de l'empire de la liberté; et j'affirme que, le
plus souvent, l'objection en face du dogme ca-
tholique ou de la vérité dogmatique, est ou
faiblesse d'esprit ou ignorance des choses ou faus-
seté' du point de vue où l'on se place pour le
regarder et le juger. Elle est, d'ordinaire, l'une de
ces trois choses, et quelquefois même toutes les
trois ensemble.
Oui, d'ordinaire l'objection contre le dogme
porte ce signe : faiblesse de l'esprit, infirmité de
la pensée.
L'homme qui soulève les objections et mul-
tiplie les difficultés contre des vérités admises
par le plus grand nombre des intelligences , fa-
cilement se persuade, comme je viens de l'insi-
nuer, faire preuve de force et de puissance intel-
lectuelle. Il met superbement son intelligence
qui repousse le dogme, au-dessus de toutes les
intelligences qui l'admettent; il s'admire dans
la supériorité qu'il s'attribue et dans la royauté
qu'il se fait. Aussi il objecte, il objecte toujours.
Pareil au Jupiter de la fable, il se complaît dans
les nuages qu'il amasse; et il n'est pas bien
ÉTERNITÉ DES PEINES
loin d'imiter ce dieu du tonnerre, et de prendre
la foudre pour renverser autour de lui W7
qu'adore le vulgaire des eS p r it s **
Vœlà le penchant de l'esprit humain inspiré
par 1 orgueil, et ignorant encore du my s ère 1
hunnhté chrétienne. Il s ' exalte ^^Jl
sauce pour triompher de l'affirmation par le pr s
tige de l'objection. Mais, règle générale Z«
Prétendue puissance n'est q°ue la fatbts'se J
son objection soi-disant triomphante a'p'ou
cause son impuissance même. Il en est ainsi les
objectons de notre esprit contre le dogme abi
on pour cause son infirmité c'est-à-dire «on
défaut de compréhension, d'intuition, dev^u ur
et de pénétration. c "g-ueur
Voilà pourquoi Dieu, qui possède tout cela à la
Plus haute puissance, Dieu, dontl>intelligtc ea
ont a la fois une force et une compréhC L
infinies, ne peut. faire d'objection
Et pi us uu hommej par ,,
ieu , plus il augmente sa puissant
H„ ,• ', ,, COntra ' re ' m oius l'homme a la force
de lmtel ll(? euce, alors qu'il estime surtout ta
posséder. PtaH sent croître eu ,„nepeXùt
LES OBJECTIONS
321
à l'objection. Si le rayonnement direct de la lu-
mière du soleil fait palpiter notre paupière et
nous empêche de voir, c'est que nous n'avons ni
le regard assez ferme, ni l'œil assez sain. Ainsi
en est-il, à peu prés, de la vision intellectuelle.
Si telle ou telle vérité nous offusque et semble,
quand nous la regardons, nous donner le ver-
tige, c'est que le regard de notre intelligence
manque de fermeté et de force suffisantes. Sinous
étions dans l'ordre intellectuel et le monde in-
telligible, comme l'aigle dans le monde physique,
nous fixerions, sans en être éblouis et surtout
sans en être blessés, le soleil de la vérité.
Donc. Messieurs, gardez-vous de prendre la fa-
cilité avec laquelle l'objection vient offusquer
votre esprit, comme un témoignage de votre force
intellectuelle. Gardez-vous de croire, surtout, que
votre regard est d'autant plus profond et votre
génie d'autantplus vigoureux, que vous soulevez
plus d'objections contre le dogme, et vous
créez à vous-mêmes plus de difficultés.
Soit dit, sans offenser l'homme ou les hom-
mes à objections, c'est le contraire qui est vrai.
Pour ne plus avoir de difficulté, pour ne plus
faire d'objection, sur tel ou tel point où se heurte
votre raison, que vous faudrait-il souvent? Une
seule chose: un reo-arrl ^i
«ne diminution de la v 1" e *^n t oa
M œil infirme d Vu £ «'un œil fenné
^ qui aurait, toute L^^.^-.ue
6-ard ma i ade n'aurait m* i I IClé et Ie *>-
c ^tre le bienfait d fa ^^f" 11 d '°V«*«
aw ^^én'ap M m é * I 1 U T W? Est ' Ce ^
^ la nier, et de 1 ^!^*" 1 **» -turelle
f f . dont il enten7^L U, | meDS0 ^ e ce
Br ef, si nous avi y™ î\ GS merv eilles?
— voyions mi u ° x D « '«** Plus f erme , et s .
s ^ance de „ £, "f^ de DOtre -prit, rin .
»otre ignorance. "' ° S ° US dire le mot,
Le Plus soavent nnn« no
« «avons pas assez et voT^ 5 PaS ' ° U Q0US
Pourquoinousobjectôn, ^ pres< ï ue toujours
»*> ^tion fansse, in ex et™* ^^s Chose *
forons tout à fait 1 mC0nî P lète , ounous
cette ignorance profett, V* **"* r ° mhre * M
I- nous objectons lonLT^ iatelU ^e , -
t» naître vly^^£™**». Von. sen-
v °«s propose: y ous dil, UQ dog,me ^'°a
- susdites sans hésiter : ^«^, ;
LES OBJECTIONS
323
impossible. Allez aufonddel'afflrmatioir, creusez-
la, pénétrez-la, connaissez-la enfin, non telle
qu'un préjugé vous l'a faite , mais telle qu'elle
est en elle-même; et il n'y a plus de difficulté pour
le regard qui a vu l'objection s'évanouir, comme
une ombre sous un rayon de soleil. Combien
parmi vous, du fond de leur pensée obscurcie par
le préjugé, l'erreur et quelquefois l'ignorance,
dans la meilleure foi du monde, objectent contre
une trinité qui n'est pas notre Trinité, contre un
péché originel qui n'est pas notre péché originel,
contre une incarnation qui n'est pas notre In-
carnation, en un mot, contre un dogme qui n'est
pas notre Dogme? Combien dont l'esprit troublé
demeure, des années et des années, dans les obs.
curités et sous les étreintes d'une objection ar-
tificielle et d'une difficulté imaginaire ; jusqu'à
ce qu'une rencontre heureuse, une lecture, une
•> conversation, une prédication, une illumination
quelconque, un rayon venu de l'homme ou de
Dieu, fasse évanouir le fantôme qui troublait la
pensée, ou tomber le sophisme qui tenait l'in-
telligence captive! Hier vous aviez devant votre
pensée une objection qui vous paraissait triom-
phante; elle voilait pour vous le vaste champ
de la vérité, comme ces corps placés devant votre
W
324
ÉTERNITÉ DES PEWES
; i
^eg-ard, et d'autan ni S™* 88 ** 8 °us votre
davantage P,US que T S e * *PP«>coiez
Parole a défini ni' T ° n d& lumière " Ce «e
s'est trouvé que oh me ; m ° atré Ia réaIité ' « «
vous obsédai c hp f? 1 ° nétaitUnfantôm Mu i .
de la vérité ; n r *' daQS le champ
<eurs de"etrirhL COmbattre t0UteS Ies e '~
torts de r ntenl m * redYeSSer tous **
mes et que vous Ll f * ^ deS faDtô -
(Pardonne/; e U ; ^n jVT"' V0US »»<■
Mais, Messieurs? } ' »^-à-^.
^ora;ceT;r M a ; e cL notre faibIesse et notre
minuer à nos JI, ^° Se eaCOre ** doi ' di-
aos objecZT^ \T eaF Gt ^P^nce de
où nous nons ;i l /"r^ 11 P ° iDt de ™ e
garder les choses Sl 'n P * ^^ P ° Ur re "
ces deux cond tions n PP0S6Z ^ ^ rëaIisez
Pautenr de Tob e cl *? ^^ S0Uveilt à
. ei °°J e ction : la fermeté du reaarrl p+ i
connussance des choses dontil s'ait m
si.pourreo-arfïp,. »^ • us a ^"' <ï u importe,
ourre arder, examineroudiscnternn dog-me,
•3t*>*'
LES OBJECTIONS
325
une doctrine, vous vous placez à un point de vue
essentiellement fautif? Vous regardez de trop
haut ou de trop bas, vous ne voyez qu'à moitié;
vous regardez de trop loin, vous ne voyez plus;
vous regardez de trop près, vous ne voyez pas
davantage. Car si l'œil ne voit pas ce qui lui
échappe, il ne voit pas non plus ce qui le touche,
selon la remarque d'un grand écrivain. Dans
l'ordre intellectuel comme dans l'ordre physi-
que il y a, pour bien voir des conditions d'op-
tique. Il y a une mesure de distance et une
élévation de point de vue qui donne la vision
totale de la chose regard -e, et la montre telle
qu'elle est, sans tromperie ou illusion de pers-
pective. Vue de là, presque toujours l'objection
disparaît.
Surtout, il y a une chose qui fait d'ordinaire
disparaître la valeur de l'objection: voir l'en-
semble au lieu de ne voir que la partie séparée.
Dans une doctrine religieuse, les dogmes se
tiennent, les mystères se répondent et s'ap-
pellent les uns les autres. Le côté lumineux et
doux d'un mystère éclaire et adoucit le côté aus-
tère et obscur d'un autre mystère. Si vous faites
entre l'un et l'autre la disjonction, si vous sé-
parez le second du premier, et l'un et l'autre de
19
326
ÉTERNITÉ DES PEINES
e "e «Ublie la r^tanS^S^ "*
estera de l'Incarnation du V rbe Un ""*
jour, vous vous prenez à îWn autre
^nel; vot.e ^^XtiT*"**?
vertig-e; mais vous oubliez le" J T^ *
et l'Infini se donnant 1 uïmèn ^ n J ^
En un mot, il y a dan „ ,„ f] T ' rec °mpense.
une économie"^ Z e ° ^T «"»****
maître, ou pl utôt de main ^ ^u , S
suivre du reg-ard le mouvemen et kt " de
l'ensemble, vous regarde, Tne 1 lham ° mede
isolée dont le rapporfav' r P ' Uûe pièce
^eure Ignoré QuoTIm ^^ V0US de ~
8UUlt! ' yuoi a étonnant d^« i^,.„
objections TOns obsMent J"^ 8 £»J*> h.
c °"»me des folles les unes snrl f °° , """"
«g-énmux mécanismes créés o„T ,, ^f" 5 "'
LES OBJECTIONS
327
être, mais fort ignorant de la mécanique et des
créations de notre génie dans l'ordre matériel,
cet homme regarde ébahi et stupéfait; il ne com-
prend rien à ce mouvement multiple dont les
complications l'intriguent et dont le fracas l'é-
tonne et l'étourdit Volontiers dirait-il en mul-
tipliant ses questions : Pourquoi ce rouage qui
se meut? Et cet autre? Et puis cet autre?...
L'envie lui prend même à chaque pas de faire
des objections, et il n'est pas loin de se de-
mander commenttout cemouvement est possible?
Que lui manque-t-il, à cet homme d'esprit,
pour trouver tout cela très simple? Une seule
chose : voir l'ensemble ; surtout connaître le
grand moteur qui fait marcher le tout . Un homme
vient qui lui découvre la force d'impulsion, qui
lui montre les points de contact où la force ré-
pond à la force, où le rouage s'engrène auroua-
ge, où le mouvement produit le mouvement, et
chaque partie s'harmonise avec le tout. Alors,
l'homme d'esprit comprend le mystère industriel,
et il n'a plus d'objection.
Ainsi, Messieurs, le grand secret, pour faire
tomber devant soi l'objection qu'on se faisait à
soi-même contre telle ou telle donuée de la re-
ligion, est surtout celui-ci : voir et regarder
33S
ÉTERNITÉ ORS PErNES
apparentes. S ce h f d T * «""""»<*'<>■*
^-^Pa S Ba,au^ e :'la' , n t r ye! ' lé
^tère; et si rotre £~" an Pmden ' à Ce
4 fait à s'arracher elle 1 P """" PaS tont
*ta ^ g eaie • ' ^ '« — ter-
ne Prendra pl„ s l 8 .e^"" "' "" ">o lns elle
fois, à ferce de retfarderl ° arri ™ I>a, '-
oofo„dderia S oSt e ;rr rSlemêmeP ° iM
choses, fausseté du point T i "T"""* aos
regarde. e Tue d °» on les
LES OBJECTIONS
329
Yoici maintenant une seconde considération
qui rend nos objections contre certains dogmes
encore plus suspectes, et partant moins rece-
vables; c'est la source d'où elles émanent le plus
souvent. Quelle est cette source? Je ne dois rien
vous déguiser de la vérité, dans la crainte de
vous déplaire. Cette source, quand il s'agit par-
ticulièrement de l'enfer et de l'Eternité, c'est
l'antagonisme implacable de nos passions et des
dogmes redoutables aux passions.
Je ne veux pas dire assurément que toute
objection contre l'Eternité des peines n'est faite
que par une passion qui a peur, et cherche à
briser elle-même avec le dogme le frein qui la
retient. Il y a dans les âmes les plus pures et les
mieux douées, des quarts d'heure d'éblouis-
sements, et je ne sais quel vertige que donne
facilement la fixation par la pensée de tout ce
qui touche à l'Infini; mais ces éblouissements
passent, ces vertiges s'apaisent, et il reste au
fond de l'âme, la sérénité de la foi dans la calme
possession de la vérité, même incomprise.
11 n'en est pas de même des objections qui
prétendent ébranler ou renverser le dogme et
qui se révèlent souvent, jusque dans leur ex-
pression et leur forme, comme un acte d'hosti-
330
ETERNITE DES PEINES
lité et comme une machine de guerre. Ces ob-
jections, d'où viennent-elles le plus souvent? 11
faut avoir le courage de se l'avouer à soi-même ;
d'ordinaire, elles viennent de nos passions.
Je faisais remarquer tout à l'heure, que l'ob-
jection tient souvent à la faiblesse ou à l'étroi-
trsse de notre esprit; je dois ajouter qu'elle
tient encore plus souvent à la force et à la vio-
lence de nos passions.
L'homme qui gouverne ses passions et em-
brasse avec courage l'austérité de la vertu, le
chrétien dévoué , humble , chaste , vertueux
enfin , dans le grand sens de ce mot, rarement
pousse à outrance contre l'enfer et l'Eternité
l'arme de l'objection. Humble, il adore; chaste et
pur, il se fait de ses vertus un abri contre la
terreur du châtiment. Il n'a pas de raison per-
sonnelle pour repousser et anéantir la peine
éternelle.
11 en est tout autrement de l'homme vicieux,
décidé, quand même, à satisfaire ses passions.
La passion est exigeante, la passion est into-
lérante, la passion est impatiente. Oui, impatiente
de ce qui la trouble ou la gène, elle dit: « Arrière
a Votre enfer! Arrière vos châtiments éternels !
Frv?
LES OBJECTIONS
331
« Moi je ne connais que le Dieu bon, le Dieu de
« la miséricorde et de l'amour. »
Aussi, règle générale, tous les hommps vi-
cieux , fussent -ils baptisés, chrétiens, catho-
liques, font des objections contre l'enfer et
l'Eternité des peines. Je le comprends, ils pnt
eux aussi leurs raisons; raisons du cœur « que
la Raison ne connaît pas. »
Sans doute nous pouvons, sur ce point,
nous faire de faciles et chères illusions; mais
la vérité est que le plus souvent, notre objec-
tion, c'est notre présomption ; notre objection,
c'est notre indépendance ; notre objection ,
c'est notre orgueil; notre objection, c'est notre
volupté; en un mot, notre objection, c'est notre
passion.
Autrefois humbles et dociles que vous étiez,
soumis en tout à la volonté divine, chastes et
purs encore de tout contact avec le mal , la
passion ne vous armait pas contre la vérité,
et contre la peine éternelle votre raison ne
protestait pas. Si parfois, malgré vous, elle sou-
levait au fond de vous-même une légère pro-
testation ; dans le silence de la réflexiqn ellp
écoutait la réponse que lui faisait la vérité, et
332
KTICRN'ITK UKS PtëINliS
facilement et bien vite elle se déclarait satis-
faite.
Mais si, un jour, pour assouvir une passion
dans le présent, sans avoir à redouter le châ-
timent de l'avenir, vous avez commencé à
murmurer tous bas : Est-il bien sûr qu'il y
ait un enfer'*. Et surtout un enfer éternell On
le dit; mais qui en est revenu? Et, si passant
du doute à la négation, vous avez osé dire :
Mais non, ce n'est pas possible; il n'y a pas
d'éternel enfer. Oh ! alors, votre passion, de-
venue volontairement hostile à notre grand
dogme, vous a paru donner à votre pensée un
semblant de force et de raison, que jusque-là
elle ne se connaissait pas. Alors, il vous a
paru découvrir, tout à coup, entre l'Eternité des
peines et les principes de la raison, un anta-
gonisme à jamais irréconciliable. Alors sont
venues des objections que vous estimiez triom-
phantes ; et avec une assurance que rien ne
semblait pouvoir désormais ébranler, vous som-
miez l'Eglise, tous les chrétiens, Jésus-Christ
lui-même de vous répondre.
Qu'était-il arrivécependant?Une lumière nou-
velle vous était-elle tout à coup venue? Un so-
leil nouveau s'était-il levé sur vous pour éclairer
LES OBJECTIONS
333
votre pensée? Non, rien de pareil ne s'était pro-
duit en vous. Qu'y avait-il donc là, pour faire si
soudainement unp si fière opposition à la vérité
d J un dogme que, hier encore, vou s admettiez sans
peine, et contre lequel vous n'aviez pas à faire
de sérieuse objection?
11 n'y avait là de nouveau qu'un obscurcisse-
ment survenu, et je ne sais quels nuages accu-
mulés par la passion dans votre intelligence.
L'antagonisme n'était pas entre notre croyance
et votre raison; il n'était qu'entre vos passions
qui repoussaient notre dogme, et notre dogme
qui déconcertait vos passions.
Donc, dirai-je ici à l'homme armé par sa pas-
sion contre notre croyance et notre conviction :
si vous le voulez, un accord parfait entre notre
dogme et votre raison peut revenir encore : ren-
versez l'empire de cette passion qui vous de-
mande, pour se satisfaire, le sacrifice de votre
foi; soyez humble, d'orgueilleux que vous étiez;
soyez chaste, de voluptueux que vous étiez;
oui, soyez chaste, surtout, soyez cnaste six
mois ; et peut-être, à votre grande et heureuse
surprise, six mois passés dans l'innocence et la
pureté ; contre la vérité qui vous offusque et
vous révolte, vous n'aurez plus d'objections; ou
19.
334
ÉTERNITÉ DES PEINES
s'il s'en présente encore au seuil de votre intel-
ligence, facilement votre bon sens en fera justice.
Le dogme de l'Eternité n'aura plus de raison de
vous révolter, parce qu'il ne vous troublera plus;
et il ne vous troublera plus, parce que vous
aurez l'espoir fondé sur vos vertus et vos
mérites du temps, de trouver après cette vie
l'Eternité de la récompense et de la béatitude.
Et quels que puissent être à l'avenir les mur-
mures et les protestations involontaires de
votre raison devant la perspective de la peine
éternelle ; vous ne pourrez trouver déraison-
nable et antirationnel, d'admettre avec l'Evan-
gile, avec l'Eglise, avec l'humanité entière,_que
de même qu'il y aura pour les justes une féli-
cité éternelle, il peut y avoir pour les méchants
dans l'autre vie une peine éternelle.
Donc, n'en doutez pas, Messieurs, la source
profonde, toujours ancienne et toujours nou-
velle, d'oq jaillissent perpétuellement les protes-
tations et les objections contre le dogme, de la
peine éternelle, du moins la source incontesta-
blement la plus ordinaire et la plus féconde, ce
sont les passions du cœur humain, intéressées
qu'elles sont à repousser un dogme qui les
LES OBJECTIONS
335
gêne et qui, par le freiu.de la croyance en-
chaîne leur puissance.
Bref, la source des objections soulevées con-
tre l'austérité de ce dogme, est la mèrne d'où
s'échappent les objections contre tous les autres
dogmes, même contre le dogme fondamental et
générateur de tous les autres, le dogme de
l'existence de Dieu. « L'insensé a dit d aQS son
« cœur : Dieu n'est pas; » oui, l'Insensé a dit
dans son cœur, et contre toute raison : Il n'y
pas de Dieu; Dixit insipiens in corde suo : non est
Deus (1) .
Ainsi, ce n'est pas par sa raison et dans son
intelligence, mais c'est dans squ cœur et spus
l'inspiration de ses passions, que l'homme a
dit : Il n'y a pas & éternel enfer. Si toutes les
négations ne dérivent pas de la même source ,
je ne crains pas de l'affirmer, la plupart ont
cette source.
Nous venons de voir, Messieurs, cornment la
valeur intripsèque et la source principale des
objections que l'on oppose à la vérité de nos
dogmes, en amoindrissent la puissance et la
portée, si elles ne les annulent tout à fait.
Mais il y a une chose qu'il importe encore
(1) Ps.xm. I,
33 5
ETERNITE DES PEINES
plus de considérer : c'est le but que se propose
et que prétend atteindre l'objection rationaliste,
alors qu'elle se pose en face de nos dogmes .
Ce but est manifestement de les renverser et
d'élever sur leurs ruines le trône de la raison,
devenue désormais souveraine maîtresse, et la
seule révélatrice du présent et de l'avenir.
Comment le rationalisme prétend-il attein-
dre son but et réaliser cette étrange ambi-
tion? Le voici : en opposant à nos dogmes ce
qu'il appelle des difficultés insolubles et des ob-
jections sans réponse possible. Ainsi, par
exemple, se pose devant nous, c'est-à-dire devant
nos dogmes, le rationaliste ; il dit : Nous avons,
nous libres penseurs, contre vos dogmes et
vos croyances, des difficultés qu'il est impossible
de résoudre ; et jamais notre raison ne consen-
tira à admettre un dogme ou des dogmes con-
tre lesquels se lèvent des objections, pour elle et
pour les croyants eux-mêmes, tout à fait inso-
lubles. Je me fais à moi-même,avec une pleine sin-
cérité, contre un dogme que vous professez, une
difficulté, une objection à laquelle, malgré mon
bon vouloir, je ne parviens pas, et vous ne par-
venez pas vous-mêmes à donner une pleine sa-
tisfaction. D,>k Lrs, quoique vous affirmiez sur
LES OBJECTIONS
337
ce dogme, et quelles que soient les preuves soi-
disaut convaincantes sur lesquelles vous dites
l'appuyer, je ne l'admettrai pas ; et devant ma
raison votre dogme doit reculer.
Ainsi, Messieurs, ï 'insolubilité de l'objection:
voilà la fin de non-recevoir que nous oppose le
rationaliste, dans le but avoué de faire reculer
et de renverser le dogme.
Telle est, en effet, la portée que s'attribue
d'ordinaire à elle-même l'objection rationaliste,
qui se pose face à face avec le dogme. Elle dit :
Je vous attaque, et vous ne savez pas vous dé-
fendre; je vous fais une difficulté, et vous ne
savez pas y répondre; du moins votre solution
directe à mon objection me demeure insuffisante;
donc votre dogme ne se soutient pas ; il est con-
fondu, renversé, anéanti par l'objection.
Certes, Messieurs, avec un tel procédé il se-
rait facile de tout réduire à néant. On ébranle-
rait l'une des plus légitimes et des plus fermes
bases du raisonnement bumain en tout ordre
de eboses; si l'on consentait à admettre qu'une
vérité quelconque, une fois établie par des
preuves et des démonstrations réelles, cesse de'
se soutenir, dès qu'il y a contre elle une objec- '{
338
ÉTERNITÉ DES PEINES
tion à laquelle on ne répond pas, et réputée re-
lativement insoluble.
Or, c'est là tout d'abord un principe contre
lequel nous protestons, et contre lequel dans la
pratique, vous protestez vous-mêmes et de mille
manières avec la raison et le sens commun .
Contre telle ou telle vérité de votre foi vous
avez, je le suppose, des objections qui vous pa-
raissent insolubles , et auxquelles vous ne par-
venez pas à donner une réponse absolument
satisfaisante ; eh bien ! est-ce que, même dans
cette hypothèse, vous vous croyez obligés, au
nom de la raison et de par son autorité, de re-
jeter la vérité ou le dogme dont il s'agit? Je
vous pose la question, en vous conjurant d'y
répondre dans le secret de vos âmes sincères.
Mais , Messieurs , où n'irions-nous pas , gui-
dés par un tel principe? Si vous admettez qu'il
faut rejeter toute affirmation contre laquelle s'é-
lèvent telles difficultés que vous ne pouvez ré-
soudre, telles objections auxquelles vous ne
pouvez répondre; quelle vérité, je vous prie,
pourra demeurer debout daus votre intelligence,
sous la sauvegarde de la certitude?
En dehors de quelques vérités principes et
de quelques axiomes primitifs , qui supportent
■-_■'-■.
LES OBJECTIONS
339
l'édifice de toutes les connaissances, et sont
comme le granit sur lequel s'appuie tout le
monde intellectuel ; ou , pour me servir d'une autre
image, si vous exceptez ces vérités premières,
flambeaux allumés par la main de Dieu au fond
de nos âmes pour y tout éclairer, et qui eux-
mêmes brillent de leur propre lumière ; où sont
les vérités par vous tous admises et acceptées
comme certaines, contre lesquelles même un
médiocre génie, un esprit quelque peu subtil
et perspicace, ne serait pas assez puissant pour
soulever des diifieultés dont vous ne pourriez
dénouer le nœud, et formuler des objections
dont la solution se dérobant à votre esprit vous
trouverait sans réponse?
Certes, Messieurs, je crois, autant que tout
autre , reconnaître avec sincérité la faiblesse de
mon intelligence ; et cependant, même avec le
sentiment de cette infirmité, je crois me sentir
encore assez fort pour poser devant la plupart
des vérités que tous vous admettez comme cer-
taines, des objections auxquelles même les plus
habiles d'entre vous ne pourraient répondre, ou
du moins ne répondraient qu'imparfaitement.
Tous, vous admettez avec l'existence de Dieu,
la création, la Providence, la spiritualité et l'im-
340
ÉTERNITÉ DES PKINFS
mortalité de l'âme, la liberté, la personnalité,
la responsabilité humaine. Or, croyez-vous
qu'un esprit un peu exercé à la gymnastique de
la pensée et de la parole, ne pourrait ici vous ob-
jecter des difficultés qui vous embarrasseraient
tort, et peut-être vous amèneraient à confesser
simplement votre impuissance de répondre?
Pourquoi , malgré ces difficultés pour vous in-
solubles, n'en concluriez-vous pas à la négation
de ces vérités queje viens d'énoncer? Pourquoi?...
Parce que vous avez de ces vérités des démons-
trations qui vous en garantissent la certitude,
et que vous reconnaissez avec; la raison, la lo-
gique et le bon sens, qu'aucune objection, mè- •
me réputée humainement insoluble, ne saurait
prévaloir contre une vérité démontrée certaine,
et contre la possession intellectuelle de la certi-
tude acquise.
Impossible à nous, qui croyons et savons aussi
pourquoi nous devons croire, d'abandonner à
l'ennemi cette position vraiment inexpugnable.
Telle est, en effet, devant toutes les attaques
de Terreur et du doute, notre vraie position.
Nous avons dans la théologie une démonstration
de la révélation chrétienne; et la certitude qui
sort de cette démonstration atteint tous les
LES OBJECTIONS
341
dogmes enseignés par l'Eglise. Nous avons de
plus une démonstration de chaque dogme parti-
culier. Cela posé, une objection nous fût- elle in-
soluble, ne nous fera jamais abandonner le
dogme. La démonstration, si vous la supposez
réelle, est une possession de la vérité. L'objection
est,contre cette possession, une sorte de reven-
dication faite au nom de la raison.
Jusqu'à ce que vous ayez démontré contre
nous, dans la lumière de l'évidence, l'illégiti-
mité de nos titres, c'est-à-dire la fausseté de
nos preuves, nous demeurons dans la possession
acquise; et nous pouvons ici nous appliquer cet
axiome de la jurisprudence : Melior est conditio
possidentis. Vous objectez ; par défaut de connais-
sauce, de réflexion, d'habileté, et par suite mê-
me de l'infirmité native de ma pensée, je ne
parviens pas à vous répondre. Mais, mes preu-
ves subsistent; je demeure, quand même, en
possession de la vérité : vous essayez de la ren-
verser; elle se soutient appuyée sur l'inébran-
lable base de sa propre démonstration.
Prenons, Messieurs, parmi toutes les vérités
qu'enseigne l'Eglise et que vous croyez avec
l'Eglise, un exemple qui pourra nous tenir lieu
de tous les autres.
345
ETERNITE DES PEINES
Nous croyons tous avec l'Eglise, et je puis
ajouter avec toute doctrine spiritualiste, ces
deux vérités avec la même certitude : d'un côté ,
la liberté de l'homme, et de l'autre, la prescience
de Dieu. Or, à ce moment que nous appelons hier,
Dieu a vu clairement l'acte ou les actes que je
pose aujourd'hui librement.
Comment puis-je concilier ces deux vérités :
la prescience divine et ma liberté humaine? Si
Dieu a vu hier l'acte que je pose aujourd'hui;
comment suis-je encore libre de ne pas le poser?
Et si je suis libre de ne pas le poser, comment
Dieu a-t-il prévu que je le poserais? Donc, ou il
faut, pour sauver la prescience de Dieu, nier la
liberté de l'homme ; ou, pour sauver la liberté
de l'homme, uier la prescience de Dieu. Que ré-
pondre, pour sauver l'une et l'autre? Je réponds :
H y aune prescience divine; j'en ai la certi-
tude qui me vient de l'évidence, /'intelligence
infinie ne pouvant rien ignorer. Et il y a une
liberté humaine ; j'en ai la certitude qui me vient
de mon sens intime qui ne peut me tromper.
J e suppose qu'à cette difficulté je n'aie pas
•d'autre réponse ; est-ce qu'à cause de cela, je
lâcherai l'une de ces deux certitudes: ou la pres-
cience de Dieu, ou la liberté de l'homme? Non
LES OBJECTIONS
343
mille fois, non; à cause de ce qui est obscur je
ne nierai pas ce qui est clair : Non sunt neganda
clara pr opter obscur a.
Joseph de Maistre, par un exemple ingénieux,
nous montre la nécessité de maintenir ce prin-
cipe de logique ou de philosophie populaire.
Je suppose, dit-il, qu'il soit historiquement
certain qu'Archimède, avec un miroir ardent, a
incendié, sous les murs de Syracuse, la flotte des
Romains.
Un savant vient, au nom delà science, essayer
de me démontrer qu'un tel fait n'a pu exister ; et
il me fait, par une longue suite de déductions
scientifiques, des objections auxquelles, par
défaut de science suffisante, j'ai de la peine à ré-
pondre. De la série de ses raisonnements
scientifiques il semble résulter que, pour pou-
voir à l'aide d'un miroir ardent incendier à dis-
tance la flotte des Romains, Archimède aurait
dû faire fonctionner un miroir dont la grandeur
eût égalé au moins l'étendue de la ville de Syra-
cuse. — Que répondez- vous à cela? — Je réponds
qu'Archimède, avec un miroir ardent, a brûlé la
flotte des Romains sous les murs de Syracuse.
J'ignore comment cela a pu se faire ; mais je
sais que cela s'est fait. Dès lors, je suis certain,
344
ETERNITE DES PEiNES
malgré mon impuissance de répondre à votre
objection, que la chose est possible, par la
raison démonstrative que la chose a existé. Un
jour, après deux mille ans, un autre savant, Kir-
cher.viendra.et retrouvera le miroird'Archimède.
Mais je n'avais pas besoin de cette nouvelle
découverte, car, d'après l'axiome connu : Du
fait à la possibilité, je conclus avec certitude;
et, à cause de ce qui est obscur, je ne nierai pas
ce qui est clair.
Ainsi, vous le voyez, Messieurs, l'objection
d'ordinaire si fière et en apparence si triom-
phante en face du dogme qu'elle attaque, perd
singulièrement de son prestige et de sa force,
vue et considérée dans sa valeur intrinsèque,
dans sa source et surtout dans son but, qui est
de prévaloir contre la vérité.mème appuyée sur
d'irrécusables témoignages.
Aussi, quand elle s'attaque directement à
notre grand dogme de la peine éternelle, nous
pourrions à la rigueur lui opposer une simple
fin de non-recevoir, en possession que. nous
sommes de son inébranlable certitude, et ap-
puyés sur la terre ferme de notre démonstration.
Mais nous ne voulons pas nous renfermer,
vis-à-vis de l'objection, dans cette situation pu-
LES OBJECTIONS
345
rement négative. Et encore bien que, même im-
puissants à lui répondre, nous maintiendrions,
quand même, la vérité de notre dogme, il nous
plaît de l'aborder en face. Et vous allez voir si,
aux principales objections qu'elle nous fait
nous n'avons qu'à opposer un silence prudent.
Les objections que soulève le rationalisme
contre notre dogme de la peine éternelle, sont
pour ainsi dire à l'infini. Elles sont semées dans
les intelligences comme les grains de poussière
d:ins l'atmosphère que nous respirons.
Elles peuvent toutefois se ramener à ces trois
chefs principaux : La Providence divine; la Jus-
tice divine ; la .Bom^' divine.
Les adversaires, dont bon nombre croient à
peine en Dieu, prétendent défendre ces trois at-
tributs divins contre un dogme qu'ils disent les
anéantir. N'avons-nous rien à leur répondre?
C'est ce que nous allons examiner.
II
Et tout d'abord, pour ce qui concerne l'objec-
tion tirée de l'attribut de la Providence, veuillez,
Messieurs, remarquer, l'incompétence de la rai-
son humaine, pour trouver en défaut le plan de
346
ETERNITE DES PEINES
la divine sagesse. Qui a pu lire jusqu'en son
fond l'harmonie infinie des plans de la Provi-
dence' Qui en a découvert tous les secrets,touché
tous les ressorts, saisi toutes les faces, embrassé
toute l'étendue, pénétré toutes les profondeurs,
creusé tous les abîmes? Qui a pu être son con-
seiller? Et qui pourra être son juge ?iit pourtant,
j'entends -des hommes qui se portent pour juges, "
et juges sans appel, des plans de la Providence
divine dans les destinées humaines.
Votre dogme, disent-ils, insulte la sagesse et
la Providence divine; parce qu'étant donnée l'E-
ternité des peines, Dieu n'atteint pas et ne peut
atteindre son but dans l'œuvre de la création.
Le but de Dieu créateur étant le bonheur final
de la créature, il est impossible de concevoir un
état de supplice, qui exclut à jamais pour elle
la possession du bonheur. Or, telle est, ajoutent-
ils, la situation inhérente à l'éternité des peines :
des âmes créées libres et réduites, bon gré
ma lgré, à l'impossibilité absolue d'atteindre leur
fin en arrivant au bonheur .
Que répondre à cette objection, qui a la double
prétention de justifier Dieu et de confondre notre
dogme? Je réponds que cette objection s'appuie
sur une ignorance, l'ignorance du vrai plan de
LES OBJECTIONS 34 i
la création; elle n'embrasse pas, dans tonte sa
vérité et toute son étendue, la notion ou l'idée
du plan providentiel. Il est faux, métaphysique-
ment faux, que la fin dernière et suprême de la
création soit le bonheur même de la créature,
ou de l'être créé.
La vraie fin, la fin suprême de la création, c'est
la glorification du Créateur par la créature. Sans
doute le bonheur de l'être créé entre nécessai-
rement dans le plan du Créateur, Dieu l'ayant
créé par le motif et sous l'impulsion de son
amour. Mais il faut manquer de la plus vul-
gaire philosophie, pour ne pas comprendre cette
vérité de métaphysique élémentaire, à savoir,
que Dieu ne pouvant avoir hors de Lui un but
qui lui fût supérieur ou même égal, n'a pu avoir
en créant, d'autre but suprême que lui-même;
parce qu'il est à lui-même nécessairement son
principe et sa fin, selon ce mot simple et profond:
« Je suis le principe et la fin. Ego sum princi-
« pium et finis. »
Et parce que cette glorification du Créateur,
but suprême de la création, doit résulter de la
manifestation de ses perfections par la créature,
il en résulte que, dans le premier plan de sa
Providence, Dieu a uni harmonieusement ces
I
348
ÉTERNITÉ DES PEINES
deux choses: la gloire du Créateur et le bonheur
de la créature. Mais, par cela même que ces
deux choses sont harmonisées, il faut absolu-
ment que Tune des deux soit coordonnée par
rapport â l'autre. Est-ce la gloire de Dieu qui
sera coordonnée par rapport au bonheur de
l'homme? Ou bien, le bonheur de l'homme par
rapport à la gloire de Dieu? Sur la question
ainsi posée, qui donc, je vous pire, pourrait hé-
siter une minute?
Vous le voyez tout de suite, Messieurs, cette
objection pèche par la base, et s'appuie sur une
erreur; car le but principal, essentiel et final de
la création, ce n'est pas, ce ne peut pas être le
bonheur de la créature, mais bien la gloire du
Créateur Toutes les subtilités de la sophistique,
et toutes les niaiseries de la philosophie senti-
mentalistene peuvent rien changer à la néces-
sité métaphysique et à la force même des choses.
Car, enfin, il n'y a pas à hésiter et à tergiverser
sur ce point ; toute la question revient à savoir
si, parce qu'une âme révoltée jusqu'à la fin, est
par sa faute damnée éternellement, \z Providence
de Dieu est en défaut et sa sagesse vaincue.
Eh' qui donc, au nom de la plus vulgaire phi-
losophie, oserait le prétendre'? Ah! ce qui nous
LES OBJECTIONS
349
manque sur ce point, comme sur beaucoup d'au-
tres, pour bien voir la faiblesse et l'inanité de
l'objection, c'est cela même, c'est la philosophie
la plus élémentaire. Oui, Messieurs, croyez-le
bien, d'ordinaire, pour ne pas dire toujours, on
nous attaque au nom de la philosophie, par dé-
faut de philosophie; au nom de la raison, par
défaut de raison, et au nom de la science, par
défaut de science, ou du moins de science suffi-
sante. Je n'en voudrais pour preuve que la ma-
nière dont on prétend mettre notre dogme en
contradiction avec le plan de Dieu créateur et
Providence.
Vous dites que si le pécheur est condamné à
la peine éternelle, le Créateur a manqué son
but, et que le plan de sa Providence est ren-
versé .
Vous oubliez que Dieu créateur,par rapport à
la créature a un double plan; l'un qui fait abs-
traction de la prévarication, et l'autre qui la
suppose; le premier que la théologie nomme
antécédent, le second qu'elle nomme conséquent.
Dans le premier plau, évidemment, le bonheur
de la créature entre comme moyen coordonné
par rapport à la fin principale, qui est la gloire
du Créateur; Dieu, dans son premier dessein,
20
350
ÉTERNITÉ DES PEINES
n'ayant pu prédestiner l'homme libre à une iné-
vitable damnation. L'Eglise catholique répudie
et frappe d'anathèmc ce sombre dog-me de l'hé-
résie calviniste.
Mais, dans le second plan de sa Providence,
c'est-à-dire dans celui qui suppose la libre vio-
lation par l'homme de l'ordre divin, comment
Dieu pourrait-il être forcé de faire tout aboutir
à la félicité de l'homme, même sa prévarication?
Dieu a fait l'homme libre de choisir sa Destinée.
Ce principe est-il contestable? Non. En agissant
ainsi, Dieu a-t-il bien fait? Oui. Dès lors, si
l'homme a voulu choisir son malheur; Dieu sera-
t-il forcé de l'empêcher, et doit-il à sa sagesse
de lui imposer le partage de sa félicité? Dieu a
proposé à l'homme de choisir avec le bien le
bonheur ; son amour, de toutes les manières, l'y
a sollicité. L'homme a choisi le mal, et avec le
mal son malheur. En quoi la divine Providence
manque-t-elle son but? — Mais elle le manque,
dit-on, parce qu'elle n'atteint pas ce qu'elle a
voulu, la félicité de l'homme.-Entendons-nous:
ce qu'elle a voulu d'une volonté relative et su-
bordonnée à la liberté humaine, soit ; mais ce
qu'elle a voulu d'une volonté absolue, c'est-à-
dire, sa gloire par la manifestation de ses per-
LES OBJECTIONS
351
fections, je vous dis qu'elle l'atteint; car cette
gloire que le pécheur réprouvé ne publiera pas
par son éternelle félicité, force lui sera de la
publier par son éternel supplice. Oui, que vous
le vouliez ou que vous ne le vouliez pas, la fin su-
prême du Créateur s'accomplira dans la créa-
ture. Si vous faites le bien, si jusqu'au bout
vous marchez dans l'ordre , vous accomplirez
sa volonté première; si vous faites le mal et jus-
qu'au bout persévérez dans le désordre, vous
accomplirez sa volonté seconde ; et dans l'un et
•l'autre cas. vous proclamerez sa gloire. Ecarté
' par votre libre prévarication de la fin dernière
que Dieu s'est proposée, vous y serez ramené par
un châtiment forcé .
Ainsi Dieu sauvegarde à la fois, avec la souve-
raineté de ses droits, l'infaillibilité de ses desseins
et le plan total de sa Providence. Malgré la pré-
varication de l'homme, sa sagesse triomphe; et
l'Eternité de la peine, loin d'être une insulte à
sa Providence et un outrage à ses desseins,
sera au contraire, devant toute intelligence, l'é-
ternelle justification de ses desseins et l'éternelle
glorification de sa Providence.
Mais — ajoute-t-on, — c'est un principe, que
l'amélioration et la réhabilitation du pécheur est
352
ETERNITE DES PEINES
le but que Dieu doit se proposer en le châtiant.
Or, comment, avec ce principe, concilier votre
dogme de la peine éternelle? — Mais, d'abord, ce
prétendu principe est-il vraiment un principe?
Dieu, à vous entendre, ne pourrait punir le pé-
cheur qu'en vue de l'améliorer, et finalement de
le rendre heureux en le faisant innocent. Vous
l'affirmez; mais qui jamais démontrera la vérité
d'une telle affirmation, alors qu'il s'agit de Dieu
outragé et de l'homme prévaricateur? Est-ceque
vous ne voyez pas qu'au-dessus des intérêts de
l'homme pécheur, plus haut que sa réhabilita-*
tion et sa félicité personnelle, il y a la nécessaire
restauration de l'ordre établi par le Créateur,
et renversé par l'homme pécheur lui-même?
Si, dans cette nécessité de restaurer l'harmonie
brisée par la libre prévarication de l'homme,
Dieu cherche avant tout à donner à l'ordre uni-
versel et essentiel, c'est-à-dire à lui-même, une
légitime satisfaction; qu'avons-nous à murmurer
et à nous révolter contre les plans de sa divine
sagesse, et contre l'œuvre de sa création et de
sa Providence? — Dieu doit, dites-vous, au
pécheur, après son supplice la réhabilitation. —
Dieu doit? folie humaine, prétendant prendre
en défaut la sagesse divine! Dieu doit? Qu'est-ce
.
LES OBJECTIONS
353
à dire? C'est-à-dire le devoir de Dieu, de Dieu ré-
duit à s'incliner devant le droit de l'homme? Dieu
doit '! Gomment ? Dieu créateur, et à ce titre, le sou-
verain par excellence, et dans un sens, le seul
vrai souverain, quoi! ce souverain, souverain
outragé et insulté par le pécheur, c'est lui qui
doit la réhabilitation à ce pécheur lui-même, à
ce pécheur obstiné, opiniâtre dans sa révolte,
et poussant jusqu'à l'insulte ses résistances aux.
poursuites du divin Amour? Mais où prenea-
vous donc cette étrange métaphysique, qui fait
du créateur le débiteur d'une créature, et d'une
créature qui lui doit à lui-même réparation de
ses volontaires et libres insultes? Dieu doitt..
aveuglement des esprits ! renversement des
idées ! Dieu créateur ne doit rien , il ne peut rien
devoir à sa créature, même innocente : que lui
doit-il donc, coupable? A h ! le débiteur ici ce n'est
pas Dieu, c'est l'homme, l'homme qui a offensé
Dieu ; et ce qu'il doit à l'offensé, c'est ce qui tien t
à l'offense même, c'est-à-dire le châtiment. —
Mais Dieu, pour montrer eu châtiant une sa-
gesse vraiment digne de lui, ne doit-il pas
vouloir que ce châtiment soit tout ensemble, et
une satisfaction donnée à l'ordre violé, et la
réhabilitation du violateur lui-même? —
20.
354
ETERNITE DES PEINES
Ah! je vous en prie, ne parlons plus ici de
devoir; car, encore une fois, il n'y en a pas , il
ne peut pas y en avoir. Le devoir de Dieu offensé
envers sa créature qui 1'oftense, c'est un non-
sens absolu; c'est une logomachie tout à la fois
absurde et sacrilège. Parlons de ce que Dieu veut,
de ce que Dieu fait, de ce que Dieu cherche en
réalité, dans ses rapports avec ses libres créatures.
' Ah ! ce que Dieu veut , ce qu'il cherche ici-bas
par la souffrance , l'épreuve , le châtiment infligé
au pécheur qui l'offense et l'outrage, c'est en
effet, le bien, l'amélioration, la conversion, le
salut, le bonheur enfin du pécheur lui-même.
C'est ce que l'Eglise, organe de la divine bonté,
s'efforce, chaque jour et à toute heure du temps,
d'obtenir du pécheur, par le travail purificateur
et par la souffrance réparatrice et satisfactoire
de la pénitence. Eh ! qui dira tout ce que fait en
faveur de ses enfants prévaricateurs cette divine
maternité? C'est là aussi la signification des
malheurs et des catastrophes que Dieu laisse
souvent tomber, ici-bas,- sur les crimes des
pécheurs, et dont le but est de les préserver eu
cette vie, par les épreuves temporaires, des satis-
factions éternelles que doit dans l'autre vie re-
vendiquer sa justice.
m
LES OBJECTIONS
355
La justice! mais comment, Messieurs, oserai-
je ici prononcer ce mot, alors que l'adversaire
en appelle surtout au tribunal de la divine jus-
tice , pour essayer de convaincre l'Eternité des
peines de souveraine injustice? Je l'oserai pour-
tant; et vous allez voir que sur ce point, la jus-
tice de Dieu n'est pas plus atteinte que sa Pro-
vidence par le glaive de l'objection, et 'que
l'une et l'autre demeurent intactes et invulné-
rables.
Eternité de la peine, outrage à la justice de
DieulVoilàdoncceque les rationalistes opposent
avec un éclat plus grand encore, à la vérité de
notre dogme. Oui, sur ce point, ils font retentir
plus haut encore que quand il s'agit de la Provi-
dence, les revendications et les objections soi-
disant triomphantes de l'humaine raison. Mê-
me les moins avisés s'estiment assez sages, pour
prétendre nous convaincre de folie. Ils disent
avoir pour eu \ l'arme puissante du sens commun,
ce génie de l'humanité, contre lequel rien ue
prévaut. A sa lumière, c'est-à-dire, à la grande
lumière qui éclaire l'intelligence populaire , ils
croient découvrir entre l'éternité des peines et
la justice de Dieu, entre le supplice éternel de
l'homme prévaricateur et l'essentielle équité de
356
ÉTERNITÉ DES PEINES
Dieu vengeur, une opposition radicale, un an-
tagonisme absolu ; en sorte que l'une de ces deux
choses vues dans cette lumière repousse néces-
sairement l'autre. Aies entendre, s'il y a une
Eternité des peines, plus de justice de Dieu ; et
s'il y une justice de Dieu, plus d'éternité des
peines. Leur esprit va jusqu'à découvrir qu'entre
ce qui est fini et ce qui est infini' l'égalité n'existe
pas et la proportion ne se peut concevoir.
D'où, sans trop de peines, ils arrivent à con-
clure qu'un châtiment infini infligé à une faute
essentiellement finie, révolte le bon sens et in-
sulte la justice ; et voilà pourquoi l'idée d'un Dieu
infiniment juste repousse essentiellement l'idée
d'un coupable châtié éternellement.
Ici encore , à cette objection n'avons-nous
rien à répondre? Et devons-nous admettre que
la vérité du dogme que nous professons est en
contradiction flagrante avec la justice du Dieu
que nous adorons?
Avant de répondre, je vous fais remarquer
que nous n'avons pas à montrer que la justice
de Dieu vengeur exige l'éternel supplice de
l'homme prévaricateur, mais bien que ce sup-
plice éternel ne répugne pas à la divine justice
LES OBJECTIONS
357
ce qui nous fait en face de l'objection une atti-
tude bien différente. C'est à l'adversaire même
de notre dogme qu'il incombe de démontrer, avec
une pleine clarté, entre la divine justice et la
peine éternelle, la contradiction qu'entre l'une
et l'autre il prétend accuser. Or, ceUe démons-
tration comment la fera-t-il, et sur quel prin-
cipe l'appuyer?
Et d'abord , Messieurs, ne vous semble-t-il
pas que nous pourrions retourner contre lui-
même la contradiction dont il ose nous accuser?
L'adversaire de notre dogme de la peine éter-
nelle, d'ordinaire du moins , n'a pas d'objection
contre l'idée de la récompense éternelle; et nous
l'en félicitons. La raison, en effet, même sans
le secours de la foi, nous dit : De l'autre côté de
la tombe, la récompense c'est la fin obtenue,
c'est le terme conquis, c'est la Destinée faite.
Or, il ne peut pas y avoirde motif pour arracher
l'homme à la possession de sa Destinée finale;
et volontiers, même au nom de la seule raison,
on applaudit à l'éternelle possession de Dieu,
donc à l'Eternité de la récompense. Dès lors,
comment sans quelque contradiction repousser
l'Eternité de la peine? Est-ce que lapins sim-
ple équité ne vous semble pas exiger que la
358
ETERNITE DES PEINES
peine soit par rapport au crime commis et non
expié, ce que la récompense est par rapport au
mérite acquis et à la vertu pratiquée? Si l'équité
et la justice exigent ici quelque chose, n'est-ce
pas, d'un côté comme de l'autre, la permanence
et l'Eternité?
Vous dites qu'un châtiment éternel manque
de proportion avec un délit temporaire. Mais
est-ce qu'un mérite également temporaire ne
manque pas aussi de proportion avec une ré-
compense éternelle? Si la disproportion ne
vous révolte pas d'un côté, pourquoi vous ré-
volta-t-elle de l'autre? Et si une Eternité
de bonheur, pour les mérites d'un jour, ne vous
semble pas déroger à la divine justice; pour-
quoi crli« divine justice serait-elle anéantie,
jaijsu que la prévarication serait suivie d'une
Eternité de supplices?
C'est donc, vous le voyez, avec quelque
raison que nous renvoyons au négateur de
notre dogme la contradiction dans laquelle il
prétend nous enfermer.
Mais, là ne se borne pas notre réponse, et il
nous plaît d'entrer plus avant dans la difficul-
té qu'on nous oppose, et d'objecter à notre tour
contre l'objection elle-même.
.
LES OBJECTIONS
359
Pour ébranler le dogme de notre foi, on nous
dit que la raison dénie à Dieu le droit de punir
éternellement, parce que le premier principe de
toute justice humaine et divine, c'est X égalité
ou du moins, la proportion entre la faute et la
punition, entre le crime et le châtiment; et
l'on ajoute qu'entre la faute d'un jour ou de
quelques jours et l'Eternité du supplice, l'égalité
et la proportion font absolument défaut.
Nous pourrions répondre, avec de grands
'théologiens et de grands penseurs, que cette
prétendue inégalité entre la faute et le châti-
ment est un mensonge, que l'ignorance de
l'homme oppose insolemment à la justice de
Dieu ; et qu'en tout cas, l'adversaire est im-
puissant à démontrer cette inégalité, par la
raison très simple et très radicale qu'il ne peut
se faire une idée complète et bien définie des
deux termes qu'il s'agit de rppprocher, à savoir,
d'un côté la grandeur de l'offensé, et de l'autre
la grandeur de l'offense.
Vous dites : Entre la prévarication tempo-
raire de l'homme pécheur et le supplice éternel
de l'homme réprouvé, la proportion n'existe pas,
ne peut pas exister. Vous le dites, mais com-
ment le démontrez-vous? Pour le démontrer sUr
360
ÉTERNITÉ DES PEINES
quelle donnée certaine vous appuyez- vous 9 Et de
cesdeux choses dont vous décidez l'inégalitéet la
disproportion, quelle connaissance avez-vous?
La justice de Dieu, à laquelle vous prétendez
donner des lois et tracer des limites, l'avez-
■ vous pénétrée jusqu'en son profond mystère?
Non; car cette justice est infinie. Cette majesté
de Dieu, que le pécheur insulte en l'offensant
en face, l'avez- vous mesurée tout entière?
Non; car elle est infinie. Cette souveraineté de
Dieu, que vous outragez et contre laquelle
vous vous révoltez en lui désobéissant, la
connaissez-vous bien? Non; car elle est infinie.
Cette gloire de Dieu, qui est le but de toute la
création, cette gloire que le pécheur dérobe à
Dieu pour se satisfaire lui-même, la compre-
nez-vous? Non; car elle est infinie, et le regard
de votre âme ne la saurait fixer sans en être ac-
cablé. La libéralité 'de Dieu, qui vous a prodigué
tant et tant de bienfaits; bienfaits gratuits
dont vous vous êtes servis pour outrager votre
Bienfaiteur, et que vous avez retournés contre
lui; ah! cette ineffable libéralité, l'avez-vous
comprise et embrassée dans son immensité?
Non; car elle est infinie. Cette sagesse de Dieu
dont vous avez, ô pécheur, autant que vous
LES OBJECTIONS
361
l'avez pu, comrarié les desseins, en brisant
l'harmonie de ses plans, la pénétrez-vous? Non;
car elle est infinie. Cet amour de Dieu, qui vous
a créé, conservé, racheté, et à tout instant vous
porte dans ses bras, comme une mère son en-
fant; cet amour blessé au cœur par le glaive,
de votre péché, le comprenez-vous bien ? Oh !
non, car cet amour est infini; et personne n'en
peut sonder le mystère. Et ce «w^ divin versé
pour le salut du monde par cet amour lui-
même; ah! savez-vous ce que vaut ce sang-, si
ce n'est ce que vaut Dieu lui-même? c'est-à-
dire (Infini?
Ainsi, sous quelque face que vous envisagiez
l'Etre de Dieu, c'est-à-dire l'Etre offensé, "ou-
tragé; vous êtes en face de l'Infini, donc, de l'in-
saisissable, de l'Incompréhensible, de l'Incom-
mensurable.
Dès lors, comment prétendre mesurer avec
votre humaine raison, jusqu'où s'étend la divine
justice ; quelles sont ses lois, ses exigences, ses
droits de punir et de châtier?
Et quand même, par impossible, vous auriez
pénétré tout le mystère des divines justices-
pour nier, avec compétence et avec quelque
raison, la proportion entre la faute et le châ-
21
■
362
ÉTERNITÉ DES PEINES
timent, encore faudrait-il pouvoir creuser aussi
tout le mystère de la prévarication humaine.
Or, cet abîme de la prévarication et de la ma-
lice humaine, l'avez-vous creusé? En avez-vous
sondé toute la profondeur? Avez-vous consi-
déré et avez-vous compris ce que c'est, pour
l'homme qui pèche mortellement, sous le re-
gard même de la divine majesté et de la divine
justice, que de choisir une créature qu'ilmet au-
dessus de Dieu même, et de lui dire en fait,
en s'y arrêtant comme à sa fin dernière: Je t'aime
plus que tout, et plus que Dieu même ; je me
donne et je me livre à toi, à toi seule, à toi
sans réserve, à toi tout entier. Dieu, je le sais,
me demande adoration,amour,service.Maisnon;
toi plutôt que Dieu. Ce que je veux aimer,
adorer, servir, c'est toi, rien que toi, et, tou-
jours toi. Oui, s'il dépendait de moi de donner
à cet amour et à cette adoration le sceau de
l'Eternel, oui vraiment, ce serait mon désir et
ma volonté de t' aimer, de t'adorer et de te ser-
vir tout le temps et toute l'Eternité.
Qui oserait dire, Messieurs, que l'amour hu-
main, qui s'égare et se pervertit, n'arrive
jamais à cette extrémité des volontaires aberra-
tions et des libres perversions ?
LES OBJECTIONS
363
Est-ce que vos romans et vos drames, qui ont
pour but la représentation des réalités et des
passions humaines, ne sont pas pleins de ces
protestations sacrilèges qui jettent à l'amour
de Dieu et à sou Eternité de monstrueuses in-
sultes, en jurant à une créature fragile et
quelquefois la plus vile et la plus méprisable,
une adoration et une fidélité éternelles ?
Ne s'en est-il pas même rencontré qui se
vouaient, les yeux fermés, même à l'tEernité
de la damnation; pourvu que l'amour de la cré-
ature leur assurât, par l'assouvissement d'une
passion, ce qu'ils nommaient un paradis d'un
jour ?
En vain, pour atténuer devant la divine jus-
tice les responsabilités d'un tel choix, on es-
sayerait de dire que l'homme pécheur, à l'heure
même de sa prévarication, n'a pas de telles
pensées. Mais ce prévaricateur sait-il, oui ou
non, que Dieu défend, et que son acte viole avec
l'ordre la défense divine ? S'il l'ignore ; alors ce
n'est plus l'hypothèse, car dans ce cas, la res-
ponsabilité est nulle. S'il le sait; alors il mesure
la portée de son acte. Et voilà ce qui est la réa-
lité effrayante; voilà l'homme acceptant libre-
364
ETERNITE DES PEINES
ment l'éternel amour et l'éternelle adoration de
la créature, plutôt, que d'adorer, d'aimer et de
servir son Créateur. Combien, sans le formuler
tout à fait dans les termes que je viens de dire,
font dans la plénitude de leur liberté ce choix
abominable, où, comme dans la Passion de Jé-
sus-Christ, une vile créature l'emporte sur le
Créateur, c'est-à-dire sur l'Infini lui-même !
Eh bien, si Dieu saisit l'homme dans l'acte
même de son choix; s'il l'évoque au tribunal de
sa justice, à l'heure même où par l'amour et
par l'adoration d'une créature mortelle, il in-
sulte tout à la fois son amour et son Eternité;
qui osera décider que l'Eternité de la peine
infligée à cette volontaire apostasie, est, de la
part de Dieu, la consommation d'une injustice?
Quoi! l'Infini dans la grandeur, dans la sou-
veraineté, dans l'amour, dans la justice de Dieu,
vous échappe ; et l'énormité, l'immensité, j'allais
dire l'infini de la prévarication de l'homme, se
dérobe à votre pensée; et l'Eternité dans la
peine révolte votre raison ?
Quoi ! de ces deux termes qu'il faut comparer
et par conséquent parfaitement connaître, pour
décider si l'un des deux répond adéquatement à
l'autre, ou du moins si l'un des deux est propor-
LES OBJECTIONS
365
donné à, l'autre, vous n'eu connaissez pas même
un; etvous dites fièrement : Entre la faute qui
offenseDieu et le châtiment que Dieu inflige à la
faute, il n'y a pas d'égalité, pas de proportion ;
car la faute est finie, la peine est infinie. Donc
l'Eternité.ou l'infinité de la peine dans l'homme
pécheur, c'est l'injustice, l'injustice flagrante
dans Dieu vengeur.
C'est ici, Messieurs, en apparence du moins,
contre notre dogme , l'arme la plus forte de
l'adversaire ; et il est facile de voir comment,
sous le glaive de la plus simple logique, cette
arme se brise dans sa main. Vous dites : La
faute est finie, la peine est infinie ?
Mais comment le démontrez-vous ?
Si je vous conteste l'une et l'autre ; qu'aurez-
vous à repondre, pour maintenir l'incrimination
que vous articulez contre Dieu, et soutenir le
procès que vous intentez contre sa justice ? Sije
conteste que la faute soit finie, finie sous tout
rapport; et sije conteste que la peine soit infinie,
infinie sous tout rapport : que devient votre ac-
cusation contre notre dogme et contre Dieu ?
La faute finie, la peine infinie? Soyons donc.
Encore faut-il s'entendre sur le sens de ces
mots, par lesquels, sans examen et sans dis-
366
ETERNITE DES PEINES
cussion, vous tranchez une question grave
entre toutes les questions.
La peine est infinie; mais comment l'eD tendez-
vous? Infinie dans sa nature? Non. Infinie dans
sonmtenMYe'?Non.Commentdonc?Vous dites: In-
finie danssarfwrfe?Ehbien,enprenautle3 choses
dans toute leur rigueur, c'est encore une erreur.
Une durée infinie est celle qui n'a ni commence-
ment ni fin; telle la durée deDieului-mème;or,la
peine du damné a un commencement, et de ce
chef elle n'est pas rigoureusement infinie. Et
si vous voulez absolument maintenir le terme
impropre d'infinie, force vous est de reconnaître
que son infinité est relative, et sous un rapport
seulement, c'est-à-dire, par sa durée sans fin ;
car personne ne prétend que la peine du damné
soit infinie sous un autre rapport quelcon-
que.
Et la faute, que faut-il en penser au point de
vue où nous sommes ? Assurément la faute est
finie dans le degré 1 qui en mesure la malice et le
désordre qu'elle renferme. Elle est finie dans le
sujet qui la consomme ; l'être fini n'étant pas
susceptible de poser un acte subjectioement infini.
Mais si vous regardez l'objet ou le terme de
l'offense, c'est-à-dire l'Infini off.msë; est-ce
" i "m
LES OBJECTIONS
367
qu'alors la raison vous autorise encore à la dé-
clarer finie, et finie de toutes manières ?
Non, car votre raison elle-même vous montre
ici l'offense grandissant avec l'être offensé,
C ' es t-à-dire grandissant jusqu'à l'Infini. N'est-
ce pas.en effet, la raison elle-même qui vous dit
avec tous les moralistes, même les plus auto-
risés, que toutes choses égales d'ailleurs, l'of-
fense matériellement la même grandit avec la
grandeur de la personne offensée ? Qui ne voit,
dès lors, comment l'offense montant de degré
en degré, emprunte à son objet un caractère
d'infinité en s'adressant à Dieu', c'est-à-aire à
une Majesté infinie, à l'Infini lui-même en per-
sonne?
Ce n'est là, je le veux bien,qu'une infinité re-
lative ; mais la peine n'a, elle aussi, qu'une in-
finité relative. La faute et la peine, si vous
voulez, sont infinies, mais sous un aspect seu
lement : la faute ne Tétant que dans son objet,
et la peine ne l'étant que dans sa durée. Si donc
la raison et le bon sens déclarent et montrent
sur ce point quelque chose, c'est l'égalité même
que vous osez invoquer au tribunal de la divine
justice.
Donc, Messieurs, au nom même de la raison
368
ÉTERNITÉ DES PEi NES
onctions soi-disanVa^:;:;^:^ 068
Yeuses de notre propre iî3 S- FlIles tene -
^ontrent bien Un e fo T*£ ^ 3
de notre esprit , MtToi " £ faiblesse
et, plus souvent encore |'„ , P ens ees,
Passions. Et fél dl' '^ de Û0S
ment toutes ces d m TZ^^ de Voir ^ m .
la justice et la l^ll^ZiZT ^
s^ster dans toute l eur in ^1^ P "^ **
et sa justice, et même fh Provid ence
l'une et rautecoml/ "^ reS P lend ^
nous voilent le sZnll *?*«"' qUi P arfois
Cirant, r e ; p ^^^- --n
PafeTco^tl e :l 1 :;: ie ?7 r ^---n,tes
Ions bien reconnaître o„p n£ ' ° US V0U -
bien loin d'être en o P ZLTn ^ ^^
Providence et la justfce de 7 ^^ 3VeC Ia
témoigner en ^Zlt^T^ ^
»? a une troisième chos Q -, P ^ Mais
Pouvoir justifier en D ' T "' S6mble P as
et le cœur ^koZe TestlT ^^
• C est 1 Amour et la Bonté.
1
LES OBJECTIONS
369
J'irai jusqu'au bout, et je veux, avant de des-
cendre de cette chaire, vous donner, même sur
ce point délicat, une dernière satisfaction.
h 7 amour ! L'amour de Dieu créateur envers
sa créature, et avec son Amour son infinie Bonté:
tel est, Messieurs, surtout, le grand motqu'on
oppose à l'Eternité des peines.
A entendre,surcepoint, l'erreur antichrétienne,
par ce dogme de la peine éternelle, du Dieu essen-
tiellement aimant nous faisons un Dieu cruel,
un maître impitoyable, un bourreau de ses créa-
tures, une sorte de monstre affreux se repais-
sant, pendant toute l'Eternité, du supplice et des
souffrance de ses victimes.
... On s'étonnera, s'écrie un libre penseur, on
« s'étonnera qu'on ait pu attribuer à Dieu
« une pénalité si monstrueuse, l'enfer éternel !
« Modèle affreux des geôles, des chambres de
« tortures, des roues et des bûchers d'un siècle
«de fer, pèle-mèle sauvage de victimes diverses,
« règne idéal des bourreaux, vous impressionnez
« encore les imaginations , mais pour y exciter
« l'horreur et non plus l'épouvante , et soulever
« les âmes contre de détestables mensonges (1).
Ces paroles nous tiennent lieu de beaucoup
(1) Jean Reynaud (Ciel et terre).
21.
370
ÉTERNITÉ DES PEINES
, d'autres, et nous donnent la note et l'accent que
prend l'objection , prétendant, au nom de l'A-
mour et de la bonté de Dieu , renverser le dogme
de la peine éternelle.
Cette objection toujours ancienne et toujours
nouvelle, s'est produite et se produit encore, sur-
toutàl'kéureou nous sommes,sous toutes lesfor-
mes. Elle a pris, successivement et quelque-
fois simultanément, toutes les formules; for-
mules de la logique, formules de l'imag-ination,
formules de l'injure, formules du mépris, for-
mules du sentiment, oh Isurtoutdu sentiment, ou
plutôt du sentimentalisme. Oui, on a dit et redit
à l'infini : Un supplice éternel ? Mais c'est ab-
surde, c'est fanatique, c'est cruel, oui, par des-
sus tout, cruel. Quoi ! Un Dieu vindicatif, un
Dieu bourreau , un Dieu qui vous châtie, qui
vous déchire, qui vous brûle, et cela, éternel-
lement? Est-ce là celui qu'on nomme Je bon Dieu?
Ainsi l'objection , pour venger l'Amour de Dieu
de la prétendue injure que lui fait notre dogme,
fait appel à tous les meilleurs instincts de l'âme
humaine.Elle invoque, avec toutes les amabilités
du cœur de Dieu, toutes les tendresses du cœur
de l'homme. Elle met dans toutes les for-
mules dont elle se sert, des soupirs, des at-
LES OBJECTIONS
371
tendrissements, des larmes, toutes les éloquen-
ces du sentiment.tous les accents et tous les gé-
missements d'un sentimentalisme éploré. Et,
comme pour mieux assurer contre l'austérité,
ou plutôt, ainsi qu'elle le crie par toutes ses voix,
contre la monstruosité de notre dogme ,1a cons-
piration de toutes les âmes émues et de tous les
cœurs attendris, elle fait appel à toutes les res-
sources de la littérature , à toutes les séductions
de la poésie , à tous les charmes du roman , à
toutes les fascinations du drame; et, je ne sau-
rais vous dire combien d'auteurs , hommes ou
femmes , ont épuisé contre le dogme de la peine
éternelle, avec toutes les ressources de l'es-
prit et toutes les sensibilités du cœur, tous
les rêves plus ou moins extravagants d'une ima-
gination en délire.
Messieurs , je crois vous honorer en écondui-
sant des objections si futiles, et venues de si
bas . Je ne leur ferai pas à elles-mêmes l'hon-
neur immérité d'une discussion sérieuse. Que
répondre, en effet, à tous ceux qui dans un
tel sujet, au lieu de nous opposer les principes
ou les déductions de leur raison, ne nous oppo-
sent que les sentiments, ou plutôt les sensibi-
lités de leur cœur, et les fantômes ouïes spectres
372
ÉTERNITÉ DES PEINES
de leur imagination? A ces hommes ou àces fem-
mes si habiles à exploiter et à tourner contre
notre dogme les sentiments du cœur les im-
pressions des sens et les féeries de Hmagina-
tion, qu'il nous suffise de répondre, que l'Amour
et la tendresse de Dieu ne sont pas, et ne peu-
vent pas être ce que les fait une pensée bornée à
la terre, à la chair et au sang ; qu'ils n'ont rien
qui ressemble aux émotions de nos cœurs aux
tressaillements de nos sens ni aux larmes de
nos yeux; et j'estime que faire appel à ces vul-
gaires ressources de la sensiblerie et de la fan-
tasmagorie humaine, pour renverser un dogme
professé par les plus augustes autorités, c'est
se montrer indigne de recevoir directement une
réponse d'une parole, qui prétend vous respecter
et elle-même avec vous.
Quelques courtes observations sur le fond du
sujet suffiront pour avoir raison de toute cette
magie théâtrale de l'imagination et de la sensi-
blerie.
On suppose toujours, dans ces représentations
fantaisistes de l'amour de Dieu et de l'Eternité
de la peine, que c'est l'Amour de Dieu qui re-
pousse et damne le réprouvé ; tandis que.comme
déjà nous l'avons remarqué, c'est le pécheur lui-
LES OBJECTIONS
373
même qui. se damne en repoussant l'Amour; et
l'on prétend condamner Dieu à ramener à lui et
embrasser, quand même, l'apostat et l'insulteur
de son amour. Car enfin, si, ce qui n'est pas
impossible, ce damné volontaire s'obstine éter-
nellement à haïr et à repousser cet Amour; Dieu
devra donc, pour donner raison à l'humaine sen-
sibilité et à sa divine tendresse, embrasser ce ré-
prouvé, tout apostat, tout haïsseur et tout in-
sulteur qu'il sera de son Amour?
Que la conciliation ou la compatibilité de l'é-
ternel supplice, d'un côté,etd'un éternel Amour,
de l'autre, nous demeure un mystère, soit; que
nous n'ayons pas et ne puissions pas avoir la
vision intuitive ou Y introspection du comment
de cette conciliation, soit encore, vous dirai-je ,
Mais, une chose est sur ce point absolument
certaine: c'est, dans le fond de la natur3 divine,
l'insépar abrité essentielle et indestructible de
l'Amour et de la Justice. Entre l'un et l'autre le
mariage est éternel, et l'accord nécessairement
parfait. Ce qu : exig-e la justice, l'Amour ne le
peut refuser ; et tout ce que veut et fait le divin
Amour.la divine Justice l'autorise et l'approuve.
Donc, par cela même que nous avons montré
explicitement que la peine éternelle dans l'homme
374
ETERNITE DES PEINES
n'est pas incompatible avec l'éternelleJustice en
Dieu , nous avons montré implicitement qu'elle
ne peut être incompatible avec le divin Amour.
Bref, comme la Justice en Dieu ne s'oppose en
rien aux manifestations de l'Amour ; l'amour de
son côté ne met pas opposition aux manifes-
tations de la Justice, c'est-à-dire aux satisfac-
tions qu'elle exige pour le maintien ou la res-
. tauration de l'ordre outragé par la prévarication
de l'homme.
Vordre! L'ordre qui a dans Dieu même son
centre immuable, éternel, infini, ah! Messieurs,
voilà le mot qui dissipe, comme le soleil dissipe
les nuages, toutes les obscurités amassées par
le sophisme et le sentimentalisme, autour de
cet autre mot; V amour! l'amour dont on se
fait une arme déloyale pour combattre la jus-
tice; l'amour de Dieu qui ne se peut plus dé-
fendre, dit-OD, si on laisse subsister le dogme
cruel qui l'outrage. Oui devant cette grande
lumière rayonnant du sein de Dieu même, tous
ces rêves, tous ces fantômes de tyrannie, de
bourreau, de geôles, de bûchers disparaissent,
comme les dernières ombres de la nuit devant
les premiers rayons du jour.
Mais comment, demandez-vous? Pour cette
LES OBJECTIONS
375
raison aussi décisive qu'elle est élémentaire :
c'est que, ce que Dieu aime essentiellement, né-
cessairement et par-dessus tout, c'est l'Ordre;
l'ordre substantiel qu'il contemple en lui-même^
et dont il aime le reflet dans l'harmonie de toutes
ses créations. De tout l'Amour qu'il a pour
l'ordre, qui est en lui et hors de lui, il hait et re-
pousse le désordre incompatible avec lui; le dé-
sordre, c'est-à-dire, l'antagonisme avec l'har-
monie, qui est le fond de sa nature et qui est
la beauté de toute la création.
Comment veut-on, dès lors, que Dieu infini-
ment bon, comme il est infiniment juste, ait des
tendresses de père pour le désordre à la plus
haute puissance, personnifié dans le pécheur
réprouvé? La nature divine peut-elle, à ce point,
se mentir à elle-même? Et quelle étrange aber-
ration, de prétendre que ce divin amour, qui est
en essence l'amour de Tordre, se pervertisse en
quelque sorte lui-même , en devenant l'amour
de ce désordre vivant qui s'appelle un ré-
prouvé?
Sans doute, Dieu aime dans le réprouvé de sa
justice, ce qui vient de lui-même : il aime en lui
ce qu'y a mis son Amour en le créant , c'est-à-
dire, la substance de son être. Mais le désordre
376
ETERNITE DES PEINES
que le réprouvé a mis en lui-mêrae,en retournant
contre Dieu l'œuvre même de Dieu, comment
ce divin Amour pourrait-il, sans se mentir à lui-
même, l'aimer, l'attirer, l'embrasser pour l'unir
éternellement à lui? Ne serait-ce pas se nier,
et pour ainsi dire, se suicider lui-même?
Donc, en voulant condamner l'Amour divin,
c'est-à-dire l'amour de l'ordre, à consommer son
éternelle union avec le désordre, l'adversaire
de notre dogme se heurte, non plus seulement
au mystérieux, mais à l'absurde, au non-sens,
à la contradiction, à l'impossible.
D'ailleurs, le tort de l'objection devant la
plus vulgaire raison, c'est de prétendre scinder
Dieu même et de séparer les inséparables, en
mettant d'un côté sa Justice [et de l'autre son
Amour ; alors que l'un et l'autre en Dieu se
tiennent, s'embrassent, se complètent, et par là
constituent en Lui l'Ordre essentiel et à jamais
inviolable. Son tort, plus grand encore.c'est , en
considérant en Dieu les exigences et les mani-
festations de la justice dans le châtiment du
pécheur impénitent, de faire dans l'économie
totale du Christianisme une abstraction com-
plète des multiples et magnifiques manifesta-
tions de l'Amour: La Création, la Conservation,
LES OBJECTIONS
377
l'Incarnation, la Rédemption, la Communion, et
tant d'autres mystères, où l'Amour se produit
avec plus ou moins d'éclat; puis les sollicita-
tions, les prévenances, les poursuites de Dieu,
si nombreuses, si pressantes et si persévé-
rantes souvent dans la vie d'un pécheurtou-
jours rebelle aux avances de ce divin Amour.
Comment, quand on prétend faire le procès à ce
même Amour, oublier ou laisser dans l'ombre
toutes les divines industries mises en œuvre
pour arriver à conquérir l'âme et le corps d'un
homme libre, et comme tel capable de lui résister
et lui résistant toujours? Est-ce la faute de Dieu,
si ce pécheur obstiné à repousser dans le temps
l'Amour qui le sollicite.a mis lui-mème,par sa vo-
lontaire apostasie, le sceau à son éternelle sé-
paration? vous, qui reprochez à cet Amour
de ne pas ouvrir son cœur au condamné de la
Justice, ah! si vous le pouvez, voyez jusqu'où
Dieu a poussé dans le temps envers le pécheur
les poursuites de son Amour; et peut-être vous
comprendrez comment et pourquoi cet Amour
laisse la Justice exercer sur son volontaire et
opiniâtre apostat, un éternel et légitime châ-
timent.
Enfin, Messieurs, une dernière raison, raison
378
ETERNITE DES PEINES
pour tous parfaitement intelligible, confond
ici le génie calomniateur de ce divin Amour. Pour
donner satisfaction à l'objection soi-disant hu-
manitaire, demandant au nom de l'Amour et de
la Bonté la suppression de la peine éternelle,
Dieu devrait réaliser au terme final de la Des-
tinée, cette chose vraiment monstrueuse: tous
les scélérats et tous les saints, tous les pervers
et tous les vertueux, tous les impurs et tous les
chastes, un jour, tous se rencontrant et s'em-
brassant au sein du même Amour; c'est-à-dire,
tous ceux qui ont adoré, aimé et servi ce divin
Amour, condamnés à embrasser pendant toute
l'Eternité tous ceux qui l'ont haï, repoussé et
maudit dans le temps !...
Ah ! en face de ce spectacle , ou plutôt de ce
rèvevraimentabominable.etque tous vos cœurs,
j'en suis sûr, repoussent avec le mien , j'oserai
vous dire, non plus seulement que la peine
éternelle est conciliable avec ce divin Amour,
mais que cet Amour, d'accord avec la Sagesse et
la Justice, non seulement l'approuve, mais la
commande et l'exige lui-même ; parce qu'il ne
semble pas pouvoir permettre pour ceux qui
l'ont aimé, adoré et servi dans le temps, un tel
LES OBJECTIONS
379
opprobre et une telle humiliation dans l'Eter-
nité.
Mais je m'arrête ; ce rêve de l'erreur anti-
chrétienne devant se présenter encore devant
nous, dans l'examen qui nous reste à faire des
hypothèses qu'elle prétend, au nom de la raison,
substituer à notre donnée dogmatique.
CONCLUSION.
En attendant, veuillez, Messieurs, emporter
dans vos âmes le résumé substantiel de ce que
nous venons de dire des objections que l'on
oppose à notre dogme.
Considérant, dans une première partie de ce
discours la valeur, la source et le but ordinaire
de l'objection, nous avons constaté son infir-
mité native, et par suite, son impuissance à
ébranler un dogme démontré et appuyé sur
d'irréfragables témoignages ; et nous avons
conclu et reconnu,comme un principe, que même
notre impuissance de répondre aux objections
laisse subsister dans toute sa certitude la vérité
appuyée sur sa démonstration.
Venant ensuite au dogme particulier dont il
380
ETERNITE DES PEINES
s'agit dans ces discours, nous avons examiné
rapidement les trois chefs principaux d'objec-
tions qu'on nous oppose : La Sagesse et la Pro-
vidence de Dieu, la Justice et le Droit de Dieu,
Y Amour et la Bonté de Dieu.
Vous avez pu voir si à ces trois chefs de
l'objection, nous n'avons rien à répondre. Et
si, comme j'ose le croire, vous m'avez tout à
fait compris; vous avez constaté comme moi et
avec moi, que non seulement nous avons quel-
que chose à répondre à l'objection qu'on nous
fait au nom de la raison , mais que l'objection
elle-même ne se soutient pas devant la raison.
Donc, Messieurs, que désormais l'objection
contre notre dogme de la peine éternelle, n'ait
plus le privilège immérité d'effrayer votre foi
en troublant votre raison. Laissez en paix passer
sur vos tètes les nuages du préjugé et la pous-
sière de l'objection.
Et si vous voulez bien revenir demain , j'es-
père, Dieu aidant, vous montrer avec une même
clarté que les hypothèses, que l'on substitue à
notre dogme, ne se soutiennent et ne se dé-
fendent pas plus que les objections elles-
mêmes.
ETERNITE DES PEINES
LES HYPOTHÈSES
Messieurs,
Après avoir établi par des preuves irréfra-
gables le dogme de l'Eternité des peines, nous
avons examiné, dans notre dernière instruction,
les objections qu'on prétend lui opposer au nom
de la raison.
Avant d'aborder de front les principales ob-
jections, par lesquelles on essaye d'ébranler la
certitude de notre dogme, nous avons d'abord
recherché quelle est, devant un dogme dont la
Certitude est établie, la valeur de l'objection.
L'objection, avons-nous dit, règle générale,
vient ou de l'étroitesse de l'intelligence, ou de
l'ignorance des choses, ou des passions que le
382
ÉTERNITÉ DES PEINES
dogme gêne, importune ou épouvante. De là
son impuissance et sa faiblesse intrinsèques.
Eût-elle même contre nous une puissance appa-
rente, et soulevât-elle contre nos dogmes et
nos mystères des objections pour nous inso-
lubles,TLO\x& n'en garderions pas moins notre iné-
branlable foi aux dogmes et aux mystères dont
l'existence nous est garantie par d'irrécusables
témoignages.
Venant ensuite aux trois principaux chefs
d'objections que le rationalisme prétend tirer
de la Providence, de la Justice et de la bonté' di-
vines, nous avons montré que ces objections
soulevées spécialement contre notre dogme de
l'Eternité des peines, non seulement n'en
ébranlent pas la certitude, mais qu'elles-mêmes
ne peuvent tenir devant la raison et le bon
sens. Et nous avons fait remarquer comment
elles provoquent contre elles- mêmes,avec d'autres
objections qui les confondent, des preuves et des
démonstrations qui en révèlent la fausseté, le
vide et l'impuissance.
Mais, Messieurs, c'est assez, c'est trop peut-
être, nous défendre contre l'objection. Et
quelque victorieuse I et triomphante que soit
cette défense, nous ne pouvons ni ne devons
LES HYPOTHESES
383
nous en contenter. Demander à la raison, et
surtout aux passions, des objections contre
telle ou telle vérité dogmatique, sera toujours
fort facile à l'adversaire ; et c'est là ce qui, de
prime abord, lui donne un semblant de force et
de puissance.
Mais ce qui lui est moins facile, c'est de s'af-
firmer lui-même avec sa doctrine et son sym-
bole, et surtout de défendre ses propres affir-
mations. C'est ce qu'un jour un rationaliste
disait à l'un de ses amis, rationaliste comme
lui-même, et grandement occupé à battre en
brèche cette citadelle de la vérité qui se nomme
l'Eglise, ou le Ghristianisne organisé : « Mon
« ami, c'est assez détruire ; il est temps de
«construire. Les chrétiens disent leur Credo.
* Dites le vôtre , vous aussi; ne les niez plus:
« mais affirmez-vous vous-même. »
Eh bienl ces paroles d'un rationaliste sincère,
je les adresse aux négateurs de notre dogme
de la peine éternelle, et je leur dis : Vous niez
notre dogme delà peine éternelle. Fort bien;
mais qu'affirmez-vous vous-mêmes ? Et par
quelle doctrine, ce dogme écarté, prétendez-vous
résoudre, le problème de la Destinée finale? C'est
ici que l'impuissance de l'adversaire se découvre
384
ÉTERNITÉ DES PEINES
tout entière. Investi, quand il attaque, d'une
force apparente, il est, quand il s'agit de se
défendre lui-même avec sa propre doctrine,
d'une faiblesse qui fait pitié .
Permettez donc, Messieurs, qu'avant de
quitter cette grave question de la peine éternelle,
nous changions les positions devant l'adversaire,
et qu'à notre tour contre lui nous prenions
l'offensive.'
Demandons-lui comment et par quoi, pour
résoudre la grande énigme de notre Destinée,
il prétend remplacer le dogme de la peine
éternelle.
Il y a trois principales hypothèses par les-
quelles les rationalistes, selon le camp auquel
ils appartiennent, proposent de remplacer notre
dogme ; et encore ces trois hypothèses pourraient-
elles rigoureusement se ramener à deux.
Or, ces trois hypothèses imaginées au nom de
la ra'ison, pour être substituées au dogme de la
peine éternelle, vous allez voir que non seu-
lement elles ne se soutiennent pas, mais qu'elles
sont elles-mêmes, au tribunal de la raison, con-
vaincues d'erreur, de non-sens et de contra-
diction; et avec moi vous constaterez ici plus
encore que dans tout ce que uous avons dit
LES HYPOTHÈSES
385
jusqu'ici, comment elles laissent sans solu-
tion rationnelle le problème de la Destinée, si
parfaitement résolu par le dogme de notre foi.
Suivez-moi attentivement, Messieurs, et avec
le glaive de la vérité poursuivons ensemble
l'erreur jusque dans ses derniers retran-
chements.
Avant de montrer comment les trois hypo-
thèses dont nous allons-parler, sont impuissantes
à se défendre contre l'objection, et sont dé-
savouées et condamnées au tribunal de la
raison, il importe de bien noter, entre l'affirma-
tion de notre doctrine des peines éternelles et
l'affirmation des hypothèses qu'on lui oppose,
la différence essentielle des situations respectives.
L'affirmation de notre dogme, comme on l'a
vu, n'est pas une affirmation gratuite et pure-
ment hypothétique; c'est une affirmation qui
s'appuie sur la démonstration, et notamment
sur les trois irréfragables témoignages de Jésus-
Christ, de l'Eglise et de l'humanité entière; té-
moignages qu'il est impossible de récuser, à
moins de récuser tout témoignage et d'anéantir
toute certitude.
22
386
ÉTERNITÉ DES PEINES
11 estévident,dèslors,queledogmeappuyésur
sa démonstration demeure inébranlable , même
en face de l'objection supposée insoluble.
Il en est tout autrement des hypothèses qu'on
prétend substituer à la démonstration de notre
dogme. L'hypothèse est ce qu'elle est, c'est-à-
dire une simple supposition; elle ne repose
préalablement sur aucune preuve démonstra-
tive, ni sur aucun témoignage absolument irré-
cusable. Elle ne peut donc pas, elle, tenir devant
l'objection insoluble et beaucoup moins encore
devant l'objection, qui l'accule dans l'impasse
sans issue de la contradiction.
A la lumière de cette distinction nécessaire et
de cette observation préliminaire, abordons
maintenant, pour en demander compte , les hy-
pothèses que nous oppose l'adversaire.
La première hypothèse que l'on prétend subs-
tituer à notre doctrine de l'Eternité des peines,
c'est l'hypothèse de l'anéantissement , c'est-à-
dire de la vie humaine, à une heure de son
LES HYPOTHESES
387
exitence, retombant dans l'abîme du néant, par
la cessation absolue de l'être.
Cet anéantissement, qui supprime radicale-
ment toute survivance , donc toute peine éter-
nelle, tous ne l'admettent pas dans les mêmes
conditions, ni sous l'inspiration des mêmes
principes. Toutes les diversités de système et
d'opinions relatives à Thypothèse de l'anéantis-
sement peuvent se ramener à ces trois caté-
gories , que j'appelle anéantissement fatal,
anéantissement obligatoire, anéantissement fa-
cultatif ; fatal du côté de la nature , obliga-
toire du côté de Dieu , et facultatif du côté de
l'homme. Ces trois systèmes d'anéantissement
concluant également , quoique à des points de
vue différents, à la négation de la peine éter-
nelle, il importe de les considérer séparément.
Tout d'abord, j'appelle anéantissement fatal
celui qui , d'après ses défenseurs , doit ré-
sulter nécessairement de la constitution de la
vie humaine, soumise par sa nature à une dis-
solution totale et inévitable. C'est, vous l'avez
déjà deviné, l'hypothèse matérialiste-
L'homme, d'après cette hypothèse, n'est qu'une
matière organisée. Son organisme, bien que plus
délicat, plus harmonieux , plus parfait que tous
388
ÉTERNITÉ DES PEINES
les autres organismes produits par la nature,
n'en est pas moins exclusivement matière ; et
la pensée elle-même n'est que la résultante, et
comme la quintessence la plus déliée des forces
de cette matière si parfaitement et si admira-
blement organisée. La mort n'est que la rup-
ture de cet organisme; c'est la dissolution totale
des éléments qui le constituent; c'est la machine
qui se décompose; c'est l'homme s'évanouissant
tout entier dans sa propre poussière. Même en
admettant que les molécules ou les atomes qui en-
trent dans la composition de l'organisme maté-
riel, se transforment sans cesser d'exister, il y a
quelque chose qui cesse absolument d'exister:
c'est Vétre humain, c'est le souffle vital, l'âme
enfin, de quelque nom qu'on la nomme et de
quelque manière qu'on la conçoive.
Il est de toute évidence que dans cette tri-
viale hypothèse, il n'y a plus de place pour la
peine éternelle; car il n'y a plus même de survi-
vance quelconque, et la responsabilité humaine
n'a plus de sens.
Certes, Messieurs, j'aurais ici beaucoup à dire,
si j'avais à réfuter directement ce système gros-
sier, immoral et antisocial , qui se nomme le
matérialisme. Son incompatibilité absolue avec
LES HYPOTHÈSES
389
l'idée du Moi, ou de la personnalité humaine ;
son incompatibilité avec l'idée de la pensée dont
l'essence, comme celle du moi, échappe à toute
division et se révèle comme l'indivisibilité même ;
son incompatibilité également absolue avec
toute idée de vertu ou de vice; l'une et l'autre,
de l'aveu d'un matérialiste célèbre, n'étant que
des produits, comme le sucre ou le vitriol; son
incompatibilité non moins absolue avec l'idée
sociale, avec l'autorité, la liberté, la fraternité, la
responsabilité. Oui, je pourrais longuement et
victorieusement démontrer tout cela. Mais tout
cela vous est assez connu; et je n'ai pas à re-
faire ici une démonstration que j'ai faite un jour
dans cette même chaire (1).
Je me contente de dire : cette hypothèse est
ce qu'elle est, hypothèse, et rien déplus. Aucune
démonstration intrinsèque, aucun témoignage
extérieur n'en fonde la certitude. Ce que l'on a
faussement osé dire contre le dogmederEternité
despeinesjeledis en toute vérité contre l'hypo-
thèse matérialiste de l'Anéantissement : aucun
principe de raison n'y conduit et ne permet de
l'admettre; aucun témoignage, même purement
Lel\^aLn S 0n(érenCe " ** No > e -D»™, année 1865. _
■
390
ETERNITE DES PEINES
humain, ne dépose en faveur de cette hypothèse,
absolument dénuée de fondement.
Ah! je le sais, il y a eu de loin en loin, dans
les espaces et les siècles , des individus maté-
rialistes, des sectes matérialistes; il en est en-,
core aujourd'hui, et selon toute apparence, il
y en aura toujours; parce qu'il y aura toujours
des passions charnelles, impatientes de briser,
pour se satisfaire, tous les freins de la cons-
cience, et de faire de la matière un sépulcre au
remords. Oui, Messieurs, il s'est rencontré tou-
jours jusqu'ici , et toujours il se rencontrera
dans l'humanité, des hommes intéressés par leurs
convoitises au régne exclusif de la matière, et
qui se font des plaisirs de leurs seDsetdes souil-
lures de leur chair, des arguments contre la di-
gnité de Tâme et des révoltes contre la royauté
de l'esprit.
Mais l'humanité vue dans ses grandes lignes
et sous son aspect général, l'humanité en masse
n'a jamais été, et jamais ne sera matérialiste ;
parce qu'elle porte en elle-même le témoignage
universel de sa nature spirituelle.
•Ainsi l'opposition doctrinale que prétend faire
au dogme de la peine éternelle la doctrine maté-
rialiste de l'anéantissement, ne repose que sur
LES HYPOTHESES
391
une hypothèse, et sur une hypothèse qui a contre
elle, avec les principes mêmes de la raison, le té-
moignage universel de l'humanité. Je respecte
trop cet auditoire et moi-même, pour insister
plus longuement sut l'hypothèse de l'anéantis-
sement pris dans ce sens ravalé; et j'ai hâte d'ar-
river aune autre hypohèse, celle que j'ai nommée
l'hypothèse de l'anéantissement obligatoire, et
qui sans être plus fondée en raison , a la
prétention de se respecter davantage elle-
même.
Cette seconde théorie de l'hypothèse de l'anéan-
tissement, admet la survivance de l'âme à la dis-
solution du corps. Elle admet même, par delà
notre tombe, avec une récompense pour les dods,
un châtiment pour les méchants. Elle est donc,
sous un double rapport, profondément distincte
de la précédente , bien qu'elle prétende , elle
aussi, échapper à la domination de notre dogme
de la peine éternelle.
Mais, pour y échapper, que suppose-t-elle?
Ecoutez : elle dit qu'après avoir donné à sa
justice une satisfaction suffisante, par un châ-
timent proportionné à la faute, mais limité dans
sa durée, Dieu se doit à lui-même de laisser l'âme
du coupable, qui a expié, retomber dans le néant;
3Q9
ETERNITE DES PEINES
c-o^de la part de Dieu J'anéantissement oUiya,
D'après la philosophie audacieuse qui risque
cette hypothèse, ne pouvant infliger un supphce
eernel sans mentir à sa justice et à sa bon é
et d autre part, n'ayant pas de raison pour ré^
compenser l'âme qui n'a que démérité, Dieu
Plus d'autre parti à prendre, pour sauver sa jus
tice et sa bonté, que d'anéantir l'âme coupable
après un châtiment dont la durée a pour mesuré
1 étendue et la gravité de sa prévarication
Ici encore, nous sommes en face d'une pure
hypothèse, et d'une hypothèse qui ne s'app'ui
elle aussi, sur aucun témoignage
Eh bien, Messieurs, qu'en pensez-vous? Pour
répudier cette gratuite affirmation, n'avons,
nous aucune raison? Mais qui ne voit du pre-
mier regard de sa pensée, qu'une telle supposi-
-n est tout à- la fois le désordre dans la crt-
tion et 1 opprobre du Créateur lui-même; donc
absolument» contradiction avec la saine raison
Comment, en effet, la plus vulgaire raison
pourrait-elle, sans protester, admeL une hy-
pothèse qui jette le désordre dans la création
rustre et renverse le plan du créateur? Quoi <
Dieu, nous l'avons vu, a créé l'homme pou £a
LES HYPOTHESES
393
fût éternellement, et pour tirer de cette immorta-
lité de l'homme une glorification sans fin; et
Dieu, par la faute de l'homme, serait réduit à
abdiquer la gloire qu'il s'était promise de l'im-
mortalité de sa créature? Dieu serait forcé, par
la malice de l'homme, à l'anéantissement de son
œuvre de choix et à la suppression de la gloire
qu'il en attendait!. .Quoi île pécheur obstiné dans
son crime, opiniâtre dans son opposition à Dieu,
pourrait dire à son Créateur, en bravant tout à
la fois sa Providence, sa Justice, son Amour et
sa Puissance : Anéantis-moi; retire-moi cet être
que tu m'as donné et que je ne t'avais pas de-
mandé. Tu m'as créé pour toi-même, et ton am-
bition était de m'attirer à toi, et de m'embrasser
éternellement. Mais pour être embrassé par toi
dans ton ciel, je devrais faire ta volonté sur la
terre. Eh bien, je refuse; je ne ferai que la
mienne. D'un autre côté, ta justice, sans se men-
tir à elle-même, ne peut me châtier' éternelle-
ment. Donc, de par ma volonté, je te somme
de m'anéantir.
Et Dieu, devant cette sommation du crime,
serait obligé d'abaisser la loi de sa justice et
l'honneur de son infinie Majesté? Il devrait
exaucer ce vœu , ou plutôt, obéir à cette injonc-
394
ETERNITE DES PEINES
tion impérative du coupable, et répondre à son
ordre par son anéantissement? Et cet anéantis-
sement du pécheur, Dieu devrait l'accomplir pour
le dérober au supplice éternel? C'est-à-dire que,
pour arracher l'homme à l'Eternité de la peine!
on ne craint pas de condamner Dieu lui-même
à l'Eternité de l'opprobre! Car enfin, cette né-
cessité que vous imposez à Dieu d'anéantir
l'homme, et cette prétendue interdiction faite à
sa justice de punir éternellement, qu'est-ce
donc, si ce n'est l'opprobre et l'humiliation de
Dieu créateur?
Oui, l'opprobre etl'humiliationdeDkucrèateuT,
pour une autre raison encore; parce que ce se-
rait le désordre dans la création entière. Pour-
quoi et comment, demandera- t-on peut-être?
Je réponds : parce que cette nécessité imposée
à Dieu d'anéantir des volontés rebelles, sous
prétexte de les dérober à la peine éternelle.entraî-
nerait, comme conséquence, dans la création un
schisme universel, et par suite.un épouvantable
désordre. Une part de l'humanité, l'humanité
fidèle et prédestinée, serait emportée vers Dieu,
pour vivre éternellement en'lui ; et l'autre part
de l'humanité, c'est-à-dire l'humanité réprouvée,
à une heure donnée devrait, au nom de la divine
LES HYPOTHESES
3 15
justice et sous la main forcée du créateur, re-
tomber dans son néant. Ainsi une moitié de
l'humanité, en possession de sa fin suprême,
glorifierait Dieu et lui chanterait un hymne
étemel; et l'autre moitié, créée, elle aussi, pour
chanter et publier sa gloire dans le silence de
son néant, se tairait éternellement?.. Se peut-il
rien imaginer de plus opposé, tout à la fois, à la
raison humaine et à la gloire divine? Est-ce que
Dieun'a pas créé les êtres intelligents pour qu'ils
comprennent éternellementl'harmonie de lacré-
ation? Est-ce qu'il ne les a pas créés libres pour
qu'ils le glorifient éternellement, ou par l'Eter-
nité de leur bonheur ou par l'Eternité de leur
supplice? Oui, chanter éternellement dans le
ciel le triomphe du divin amour, ou chanter
éternellement, dans l'enfer, le triomphe de la
divine justice : c'est l'alternative finale; et d'un
côté, comme de l'autre, la gloire do Dieu doit
resplendir. Mais l'anéantissement obligatoire
de la créature ne peut être que le désordre dans
la création, et l'opprobre du Créateur.
Vous venez d'entendre, Messieurs.ee que vaut,
devant la raison, l'hypothèse de l'anéantis-
sement obligatoire du côté de Dieu.
Mais voici une autre théorie de l'anéantisse-
396
ÉTERNITÉ DES PEINES
Zn^f 7l tentim d ' êtrephlS ^OHnene,
etquiestaufondplusdéraisonnableencore^'es
celle que nous avons appelée, comme elle se
nomme elle-même, la théorie de l'immortalité
facultative; celle qui fait dépendre notre survi-
vance éternelle ou notre anéantissement, de
notre propre liberté. Idée singulièrement origi-
nale, mais plus remarquable encore par sa
bizarrerie que par son originalité
D'après cette idée, mise au jour par un auteur
con empora in (1), Dieu ne nous crée pas absolu-
ment pour être immortel,. Notre immortalité
neutre pas nécessairement dans la Destinée
qu il nous fait. Notre immortalité ne résulte pas
non plus nécessairement de notre nature spiri-
tuelle; et le caractère d'indivisibilité, qui est de
1 essence de notre âme, n'est pour rien dans notre
immortalité. Cette immortalité ne résulte pas
non plus des aspirations natives de notre âme
qm, spontanément et invinciblement, appelle
•mmortel et l'éternel. C'est notre liberté/notre
liberté seule qui décide si, oui ou non, nous
serons immortels et vivrons éternellement. H
dépend de nous, et de nous seulement, d'étein-
te ou de développer, dans l'avenir, la vie que
(1) Lambert, Système du monde moral.
US
LES HYPOTHÈSHS
397
nous confère notre espèce. Vous pouvez à vo-
lonté, ad libitum, vous émanciper de la vie par
votre propre anéantissement, ou la continuer
dans une autre sphère. C'est le néant seul qui
doit vous châtier, si vous vous rendez coupable.
L'Eternité des peines n'est que l'Eternité du
néant. Vous pouvez, selon votre choix, aboutir
au néant ou à la sublimation de votre vie. Soyez
bons, et il faut que vous viviez éternellement.
Soyez méchants, et il faut que vous mouriez né-
cessairement.
Tel est, en résumé, ce système de l'immorta-
lité facultative et de l'anéantisseement ad libi-
tum; système plus étrange encore que tous les.
autres, et que des humanitaires au cœur bon et
à l'esprit mow«e,prétendent substituer à notre
dogme de l'Eternité des peines.
Cette bizarre hypothèse, comme les précéden-
tes manque absolument de base doctrinale et
de témoignage authentique. Elle n'a ni un prin-
cipe qui la fonde, ni une autorité qui l'appuie ;
j'entends un principe évident, une autorité ir-
récusable. C'est une opinion, et rien qu'une opi-
nion; une opinion hasardeuse, et à peu près so-
litaire. Il n'y a donc pas à beaucoup insister
pour la réfuter et la confondre.
£3
398
ÉTERNITÉ DES PEINES
Mais je constate, en passant, que cette hypo-
thèse outrage plus particulièrement, avec le
bon sens humain, la sainteté, l'amour et la sou-
veraineté de Dieu.
Quoi ! un Dieu mûnimenUaint serait condam-
né à contempler, dans une vie humaine,le spec-
tacle d'un désordre universel et permanent le
mal même à sa plus haute puissance; spectacle,
qui répugne essentiellement à la divine sainteté;
et Dieu ne pourrait rien pour venger cette sain-
teté partout et toujours outragée par le pécheur •
et, sans pouvoir lui infliger un légitime châ-
timent, il laisserait libre de rentrer dans son néant
la créature qui lui aurait donné ce spectacle ré-
voltant du crime et du désordre en permanen-
ce?
^ Quoi! un Dieu infiniment aimant a créé
l'homme par amour; et l'homme pourrait à son
gré, et de toutes les manières, abuser du don de
ce divin Amour? Et Dieu, privé lui-même par cet
abus.de la fin qu'il s'est proposée par la création,
devra se déclarer satisfait, si le pécheur, pour
se dérober àl'Eternitéde son légitime châtiment,
en vertu de son immortalité facultative décide
lui-même son propre anéantissement?
Quoi! Dieu est souverain Maître, parce qu'il
a
LES HYPOTHESES
399
est créateur ; Dieu est suprême autorité, parce
qu'il est le suprême, et dans un sens vrai ,
l'unique auteur de tout ce qui est créé : et, au
lieu, comme c'est son droit inaliénable, de
fixer lui-même la Destinée de la créature selon
l'usage qu'elle aura fait de sa liberté , ce serait
l'homme qui, usurpant la fonction de Dieu créa-
teur, déciderait lui-même facultativement sa
propre Destinée? Vraiment, de telles hypothèses
ne se discutent pas ; elles tombent d'elles-
mêmes, appuyées qu'elles sont sur le vide, et
s'évanouissent dan s l'absurde etla contradiction.
C'est ce que fait d'ordinaire la libre pensée :
sous prétexte d'échapper au mystérieux et à
l'incompréhensible, elle se réfugie dans l'absurde
et l'impossible. Parfois même elle aboutit au
ridicule; et,en voulant se dérober à des dogmes
dont l'austérité lui fait peur, elle en arrive à des
conclusions dont la bizarrerie prête à rire.
Ainsi font, en particulier, les défenseurs de
ces trois modes de l'anéantissement par lesquels
ils prétendent, au nom de leur infirme raison,
échapper au dogme inébranlable de notre foi
catholique. Non seulement ils ne se justifient
pas devant la raison, mais iLs sont condamnés
par la raison elle-même; et ils finissent par
400
ÉTERNITÉ DES PEINES
succomber, après avoir dit leur dernier mot, sous
le dédain philosophique et la risée populaire.
D'ailleurs, contre ces trois hypothèses, toutes
les preuves irréfragables données antérieurement
de la permanence de la vie et de la certitude de
l'Eternité, gardent toute leur force.
Nous avons vu comment les grands témoi-
gnages du dehors, Jésus-Christ, l'Eglise, l'hu-
manité tout entière attestent, sous toutes les
formes et de toutes les manières, l'Eternité de
la vie.
Nous avons vu aussi comment l'âme humaine,
par toutes ses voix intérieures, atteste la même
indéniable vérité : Il y a une Eternité. Dès lors,
la doctrine ou plutôt l'hypothèse de l'anéantis-
sement, sous quelque forme qu'elle se produise,
est sapée par la base. Il y a une Eternité; l'âme
humaine est immortelle ; donc l'anéantissement
ne peut pas être. Quelque cause, quelque motif
qu'on prétende lui donner; sur quelque principe
qu'on essaye de l'appuyer, devant la nécessité et
l'existence d'une vie éternelle surabondamment '
démontrée, l'anéantissement ne peut tenir;
ni l'anéantissement forcé, ni l'anéantissement
libre.Dieu.ditSaint Thomas.acréé tous les êtres
pour qu'ils fussent. Cette grande affirmation du
^m, —
LES HYPOTHÈSES
401
Docteur angélique s'applique même aux êtres
inanimés. Son incomparable génie repousse,
comme indigne de Dieu, l'anéantissement même
desètres matériels, et il proclame la permanence
indéfinie même du moindre atome. Dès lors,
comment admettre comme possible l'anéantis-
sement des âmes qui, par toutes leurs puissan-
ces et toutes leurs respirations, appellent et af-
firment leur propre immortalité ?
IL
Mais c'est assez, Messieurs, nous arrêter à
l'hypothèse de l'anéantissement. Peut-être ne
méritait-elle pas de fixer si long-temps votre re-
ligieuse attention.
Après l'hypothèse de l'anéantissement, tou-
jours en vue d'échapper au dogme de la peine
éternelle, te] que nous le professons, on a ima-
giné une autre hypothèse, en apparence moins
absolue et moins hostile à notre croyance : c'est
ce qu'on a nommé l'hypothèse de l'amoindrisse-
ment successif et progressif de la peine du ré-
prouvé. D'après ce système, Dieu, pour donner
satisfaction à sa justice, châtie réellement le cou-
pable de l'autre côté de la tombe; mais, pour
402
ETERNITE DES PEINES
donner satisfaction à son amour, il diminuerait
progressive ment,dan s le damné,l'intensité delà
souffrance.
Il nous sera facile de montrer que ce système
ne résout pas le problème de la Destinée, et que
finalement il aboutit, ou peu s'en faut, à la mê-
me impasse que l'anéantissement lui-même.
Mais, avant de l'examiner de plus près, je dois
vous faire remarquer, pour éviter toute équivo-
que et toute méprise, que ce système diffère es-
sentiellement de l'opinion professée par des théo-
logiens et attribuée mèmeà des Pères de l'Eglise;
opinion qui consiste à admettre, comme possi-
ble et nullement hétérodoxe, une certaine miti-
gaiion dans le supplice des damnés.
Pour bien entendre la part que l'on peut faire
à cette opinion, et ce qu'on doit lui refuser, il
faut se rappeler que, dans le supplice total du
réprouvé, ily a deux sortes de peines qu'il ne faut
pas confondre, et que les théologiens nomment
bien la peineessetttielleet la peine accidente lie. La
première tient à l'essence même de la damnation
etchàtielespéchésquisontcausede la damnation.
Laseconde s'ajoute à la peine essentielle, mais
sans tenir à l'essence même de l'éternelle dam-
nation. A la lumière de cette simple distinction,
LES HYPOTHESES
403
vous pouvez faire à l'opinion qui admet dans le
châtiment du damné unemitigation, la conces-
sion que Saint Thomas ne repousse nullement
et qui ne déroge en rien à la parfaite ortho-
doxie .
Remarquez qu'il y a dans le châtiment du ré-
prouvé, dans l'autre vie, une mitigation ou une
diminution de peines très convenable et parfai-
tement conforme à l'équité et à la justice. On
peut concevoir, en effet, qu'en dehors des péchés
mortels, pour lesquels il est damné, le réprouvé
emporte dans le lieu de son supplice des péchés
véniels, pour lesquels il doit à Dieu une satisfac-
tion particulière; et que, même pour les péchés
dont il a reçu l'absolution et pour lesquels il n'a
pas donné à Dieu sur la terre une satisfaction
suffisante, le damné demeure débiteur envers la
divine justice. Dieu,dans ce cas, qui estsans doute
lecas d'un grand nombre, peut exiger une satis-
faction particulière par une peine proportionnée
àladette,c'est-à-dire,limitée dans sa durée. Cela
revient à dire que la divine justice, pour ces
fautes et ces dettes indépendantes de la damna-
tion proprement dite, peut revendiquer dans
l'enfer une.satisfaction qu'elle eût exigée dans
le purgatoire. Cette satisfaction une fois don-
404
.ÉTERNITÉ DES>KINKS
née, et cet acquittement une fois accompli, on
comprend que Dieu accorde au damnédans l'enfer
la libération de la peine, qui est le prix de l'ac-
quittement; libération qu'il eût accordée, si le
pécheur, au lieu de tomber dans l'enfer et de
subir l'éternelle damnation, n'avait eu qu'à
passer momentanément par le lieu des pu-
rifications. .
La mitigation des peines dans l'enfer, entant
qu'elle porte sur ces peines accidentelles et
s'exerce dans ces conditions, non seulement n'a
rien qui blesse l'orthodoxie ou déroge aux
droits de la justice; mais elle paraît conforme
à l'équité naturelle, et à la loi que Dieu a posée,
pour se donner à lui-même par le châtiment du
coupable une légitime satisfaction. .
Cette doctrine n'implique nullement qu'il
puisse y avoir une rédemption dans l'enfer,
contrairement à la parole connue de tous : In
inferno nu lia est redemptio; parce que cet ac-
quittement temporel de la dette du pécheur, par
voie de châtiment momentané, n'est pas préci-
sément une rémission, mais une solution adé-
quate de la dette contractée.
• La saine théologie n'est nullement en oppo-
sition avec cet enseignement de la mitigation
LES HYPOTHESES
405
des peines du damné, comprise comme nous
venons de l'exposer. Les plus grands théologien s
lui prêtent l'autorité de leurs suffrages. C'est Saint
Thomas lui-même , l'Ange de l'école, qui a écrit
ces paroles : « La peine dont un coupable reste
« débiteur,mème après la rémission de sa faute,
« sera subie temporellement dans l'Eternité. In
« œlerno punietur tempor aliter; et il n'en résulte
« pas (ajoute Saint Thomas) qu'il y ait en enfer
« une rédemption : Nec propter hoc sequitur,
« quod in in fer no sit redemptio; parce que là où
« il y a un acquittement, il n'y a pas une ré-
« mission. »
Vous le voyez, Messieurs, cette doctrine delà
mitigation des peines du réprouvé, ne touche en
rien à la doctrine de la peine éternelle; et notre
dogme subsiste dans toute son intégrité.
Maintenant, pouvons-nous admettre aussi une
mitigation des peines infligées au damné,mème
pour les crimes qui ont été la cause de la
damnation?
La théologie chrétienne, considérée dans son
ensemble, se montre peu favorable à cette opi-
nion, et toujours elle l'a plus ou moins tenue en
suspicion. Il faut reconnaître cependant que
quelques hommes graves, et même quelques
23,
406
ÉTERNITÉ DES PEINES
Docteurs, tout en maintenant l'Eternité des
peines proprement dite, penchent vers cette
opinion, et semblent l'admettre comme compa-
tible avec une rigoureuse orthodoxie; et c'est
un théologien d'une assez rare valeur, le célèbre
Père Petau, qui « croit pouvoir déclarer que sur
« cette mitigation possible des peines des dam-
« nés, rien de certain et de dogmatique n'a été
« encore décrété par l'Eglise :De hacdamnatorum
« respiralione, nih.il adh-uc certi decr&tumest abEc-
« cirsia eatholicà (7).Quoique,à vrai dire.cette opi-
« nion s'éloignedu sentiment le plus commun des
« théologiens. »
Nous avons donc toute raison, si ce n'est de
repousser absolument, du moins d'écarter dis-
crètement une opinion purement hypothétique;
une opinion peu sympathique à la théologie, et
qui ne s'appuie sur aucune preuve vraiment' dé-
monstrative; une opinion qui,dailleurs,ne peut
rien préciser, rien déterminer sur la nature, le
mode et l'étendue de la mitigation qu'elle sup-
pose sans la démontrer, et qu'elle affirme sans
la définir.
Je vous demande, Messieurs, la permission
de ne pas insister davantage sur une question
(1) Petau, de Angelis 1. III. c. VIII -83
LES HYPOTHESES
407
qui ne se débat guère qu'entre catholiques; et
je me hâte bien vite de vous faire remarquer que
tous ceux qui l'admettent prétendent bien main-
tenir, quand même, une véritable Eternité des
peines, dogme invariable et croyance obliga-
toire dans la catholicité.
Mais surtout, je tiens à bien constater que
quoiqu'il en puisse être de cette opinion, selon
certains théologiens dogmatiquement tolérable,
elle diffère essentiellement d'un système philo-
sophique de la diminution progressive des peines
des damnés ; système qu'il est impossible d'ad
mettre sans entamer le dogme lui-même, et
qui, d'autre part, ne peut se maintenir et se jus-
tifier devant la raison et le bon sens.
Pour peu, en effet, qu'on jette sur cette autre
hypothèse le regard de la saine raison, et qu'on
la soumette au criieriu,n de la logique la plus
élémentaire, on arrive tout de suite à constater
que non seulement cette opinion ne peut s'ap-
puyer sur aucune donnée dogmatique de la foi,
mais qu'elle ne repose, elle non plus, sur aucune
donnée philosophique et sur aucune base vrai-
ment rationnelle.
Voyons cependant ce qu'on essaye d'imaginer,
pour donner à cette opinion de la diminution
408
ÉTERNITÉ DES PEINES
un semblant de rai-
progressive de la peine
son.
Ne peut-on pas supposer, demande une phi-
losophie bienveillante et légèrement humant-
taire, que sans anéantir absolument la créa-
ture réprouvée par sajustice, Dieu diminue pro-
gressivement la rigueur et l'intensité de son
châtiment?
Vous le voyez, Messieurs, ici encore c'est l'hy-
pothèse, rien que l'hypothèse, et avec elle le
doute,letâtonnement.Etencore, q uellehv P othèse
devant la raison et le bon sens. Quy a-t-il
dans la supposition que l'on risque, qu'y a-t-il de
Clair, de précis, de déterminé, de certain? La cli-
mmutton progressif, cela est bientôt dit. Mais
dans la dimunition supposée, de quelle peine
a»U question? S'agit-il seulement de la peine
accidentelle, dont nous parlions tout à l'heure'
Maiscettepeine n'admet pas de diminution indé-
finiment progressive, étant elle-même tempo-
raire et limitée dans sa durée. D'ailleurs, là pour
le moment n'est pas la question. Il s'agit uni-
quement ici du châtiment du péché, cause ef-
fective de la damnation. Et dans ce cas, s'agit-
il uniquement de la diminution dans la peine
ûufeuy Mais, alors reste toujours la peine du
I
LES HYPOTHESES
409
dam, la séparation de Dieu; et.sous ce rapport,
que peut signifier la diminution successive ou
progressive de ce châtiment?
La séparation de Dieu ne peut se diviser, se
scinder, se diminuer. Comment, dès lors, l'inef-
fable souffrance qui résulte du sentiment même
de cette séparation, pourrait-elle se diviser, se
sciuder, se diminuer elle-même? La séparation
de Dieu demeure-t-elle, oui ou non ? Si elle cesse,
que devient la damnation, et comment subsiste
encore l'Eternité de la peine? Si la séparation
de Dieu demeure, etdemeureéternellement;alors
comment le sentiment, c'est-à-dire la souffrance
de cette séparation, elle aussi, ne demeurerait-
elle pas éternellement? Comment concevoir Ja
moitié, le tiers, le quart, le dixième de cette sé-
paration de Dieu, et par suite, la moitié, le tiers,
le quart, le dixième de la peine qui en résulte
pour le damné? Il faut donc, en toute hypothèse,
en revenir forcément à la séparation totale de
Dieu, comme supplice principal du damné. Or,
cette séparation demeurant tout entière, et de-
meurant éternelle, que gag-nez- vous alors à l'hy-
pothèse d'une dimunition progressive du châ-
timent; hypothèse qui laisse subsister dans sa
rigoureuse acception l'éternelle damnation, et
410
ETERNITE DKS PEINES
par conséquent V Eternité de la peine, à laquelle
on prétend échapper par cette supposition ?
Comment fera l'adversaire pour sortir de cette
impasse, qui semble ne lui laisser aucune issue?
Et que pourra inventer le génie même le plus
subtil, pour échapper à l'étreinte de ce dilemme
que la raison elle-même oppose ici encore à l'hy-
pothèse rationaliste?
Cependant on imagine une dernière ressource,
pour se dérober à la rigueur du dogme de la
peine éternelle. Laquelle, demandez - vous ?
Ecoutez : on suppose que Dieu, sans l'anéantir
tout à fait , diminue progressivement dans le
damné la vie elle-même; et qu'en diminuant
avec la vie le sentiment de la séparation de l'In-
fini, il diminue progressivement en lui la souf-
france qui en résulte; cette souffrance ne pou-
vant avoir pour mesure que le degré et l'inten-
sité même de la vitalité.
Telle est l'issue par où le libre penseur croit
pouvoir se dérober à la peine éternelle.
Mais manifestement cette issue n'en est pas
une, et le rationaliste s'enfonce de plus en plus
dans l'impasse terrible dont il ne peut sortir.
Car enfin, de deux choses l'une : ou bien cette
diminution de la vie, entraînant avec elle la di-
LES HYPOTHESES
411
minution de la peine , doit aboutir à une sup-
pression de la vie ; et dans ce cas, nous voilà de
nouveau ramenés face à 'face devant le spectre
du néant, et cette hypothèse équivaut à celle de
l 'anéantissement total. Ou bien, on suppose que
cette vie et la souffrance qu'elle renferme iront
diminuant toujours, et toujours s'approchant du
néant sans y arriver jamais; et alors, si petite
qu'on suppose encore l'intensité du supplice,
nous retombons cependant dans l'Eternité de la
peine, qu'on prétend repousser au nom de la
raison. Dès lors, la solution laissant subsister
le principal, ne roule plus que sur un accident;
et devant la raison l'énigme formidable de l'é-
ternel supplice subsiste tout entière : car,
quelle que soit l'intensité intrinsèque du sup-
plice, le supplice reste éternel; et la même dif-
ficulté se dresse devant cette hypothèse qui pré-
tendait la supprimer.
Ainsi de quelque côté qu'on se tourne, on
ouvre devant soi d'insondables abîmes; au mys-
tère imposé par le Christianisme, on substitue
gratuitement un mystère de son choix, avec l'in-
conséquence de plus et la certitude de moins.
Vous le voyez, Messieurs, cette théorie soi-
disant radicale, et promettant de résoudre toute
I
413
ÉTERNITÉ DES PEINES
difficulté et de supprimer tout mystère, n'a-
boutit à aucune solution, et laisse subsister tout
le mystère. Elle ne donne à la vie aucune con-
clusion nette et définie. Elle ne tranche rien;
elle ne dénoue rien; et le nœud de la difficulté
demeure au fond même de l'hypothèse imaginée
pour la résoudre, ou aboutit à une autre hypo-
thèse déjà repoussée, c'est-à-dire à l'hypothèse
de Y anéantissement.
C'est plus qu'il n'en faut assurément.pour re-
jeter ce système aventureux, qui part de l'hypo-
thétique et de l'inconnu,pour aboutir à l'absurde
et à l'impossible.
Mais, au point de vue moral et même social,
cette théorie, veuillez le remarquer, est parti-
culièrement dangereuse et funeste dans ses con-
séquences. En apparence innocente et bienveil-
lante, elle a une tendance mauvaise. Elle tend à
l'énervement de la justice; et elle se fait.incons-
ciemment peut-être, complice d'une grande et
redoutable erreur moderne : erreur qui tend à
s'universaliser et à se populariser de plus en
plus, à savoir, l'effacement progressif de la dif-
férence essentielle entre le bien et le mal; dif-
férence radicale qui doit, au terme final de la
vie, séparer par un abîme l'humanité coupable
LES HYPOTHESES
413
de l'humanité fidèle, l'humanité perverse et per-
sévérant dans le mal, de l'humanité sainte et
à jamais fixée dans le bien.
Chez les inventeurs de cette théorie qui pré-
tend à la fois venger la justice divine et flatter
la faiblesse humaine, ce n'est, si vous voulez ,
qu'une tendance; mais la tendance est redou-
table ; elle conduit à l'abîme des suprêmes né-
gations ; et elle a surtout, pour point de départ,
la négation de la peine éternelle, sous quelque
forme qu'elle se produise et sous quelque voile
qu'elle se dissimule.
La négation systématique de l'Eternité des
peines repose, en effet, sur un profond radica-
lisme doctrinal ; radicalisme monstrueux qui
n'est autre que le rapprochement progressif du
bien et du mal, et l'effacement successif de leur
différence intrinsèque et essentielle.
Chose remarquable et bonne à méditer :
toutes les doctrines et les théories modernes,
qui nient systématiquement la peine éternelle,
tendent toutes, plus ou moins directement, vers
ce point central : conciliation , harmonie, em-
brassement fraternel du bien et du mal. En
d'autres termes, les bons et les méchants, les
saints et les scélérats, tous devant se rencontrer
I
414
ÉTERNITÉ DES PEINES
par toutes les voies convergentes de la vie au
rendez-vous final de la Destinée, pour sedonner
laauseind'uneprétendueharmonie.qmne serai!
que le désordre élevé à sa dernière puissance
un embrassement sacrilège.
Ecoutez cette doctrine monstrueuse, destruc-
tive de toute justice divine, de toute moralité
humaine et de tout ordre social :
i Jusqu'ici, entre Jésus et Mahomet, ce fut
« 1 antagonisme et l'hostilité; mais ils finiront '
« par se rencontrer un jour, dans une harmonie
« supérieure (1). >
Que dis-je? Selon le rêve d'un poète en dé-
ire, et pris de la folie révolutionnaire et antire-
ligieuse, la conciliation des extrêmes doit aller
plus loin encore; car, le Christ et Satan se ré-
concilieront.
« Et quand ils seront près des degrés de lumière
i n„; i " r nous ' seu,s aperçus,
« Oui, tous seront si beaux, que Dieu dont l'œil flambovP
«Ne distinguera pl US) Père ébloui de i e y '
BéUal de Jésus! (2) '
Tel est Messieurs , le dernier mot de ces
belles théories soi-disant conciliantes,', frater-
$c™l ea -- Etu J es - tome v - P480.
(2) Confessions d'un révolutionnaire.
LES HYPOTHESES
415
nelles, sociales et humanitaires , nous montrant
sur les ruines de notre dogme de la peine éter-
nelle, l'idéal de la Destinée humaine entrevu
dans le rêve, ou plutôt dans le cauchemar du
génie révolutionnaire et antichrétien.
Et qui pourra jamais concevoir et dire ce que
deviendraient l'ordre moral et l'ordre social,sous
l'influence d'une telle doctrine, si elle venait à
se généraliser un jour? Si l'union et l'identifi-
cation du bien et du mal, si l'embrassement fra-
ternel et universel de tous ceux qui ont dans
leur vie personnifié l'un ou l'autre, doit être la
conclusion finale de la Destinée : alors, qui ne
voit qu'au chemin de cette vie, notre vertu et
notre mérite doivent consister à rapprocher de
plus en plus, en nous-mêmes, ces deux extrêmes
destinés à se rencontrer, à se toucher et à s'i-
dentifier au terme? Et ce que pourrait devenir
une société se développant sous l'inspiration
d'une idée si profondément et si sataniquement
antisociale, ah ! je n'entreprendrai pas cle vous la
dire : il faudrait vous peindre l'inimaginable et
vous exprimer l'inexprimable. Je me contente
de vous dire tout par un mot qui vous abrège
tout : ce serait l'enfer de la vie future devenu
l'enfer de la vie présente, et la société des
416
ÉTERNITÉ DES PEINES
hommes devenue comme ia société des démons •
indescriptible chaos, véritable ehfer, enfin où'
comme dans celui de l'autre vie, il n'y aur.it 'plus
d ordre, et où habiterait une éternelle horreur
Cela dit sur ce monstrueux système, je passe,
avant de finir, à l'examen de la dernière et prin-
cipale hypothèse, substituée par l'erreur contem-
poraine au dogme de la peine éternelle
III
Notre siècle a, pour une autre hypothèse ima-
ginée en vue de remplacer notre dogme de l'E-
ternité des peines, une faveur marquée- et il
ne se peut que je termine ce discours, sans la
signaler d'une manière plus particulière à votre
religieuse attention : hypothèse hardie et auda-
cieuse, qui naguère se posait parmi nous en
face de notre dogme séculaire.
L'homme, d'après cette hypothèse, sous un
rapport supérieure à l'hypothèse de l'anéantis-
sement, do.t vivre éternellement. Loin de ré-
pudier l'Eternel, comme le matérialisme, elle
1 affirme et, à sa manière, elle le dogmatise
La mort, d'après cette théorie , n'est pas pour
nous lederniermotdela vie, etellenefixepasnotre
LES HYPOTHESES
-417
Destinée. Nous passons par la mort, comme par
uneporte ouverte, de notre vie du temps dans no-
tre vie d'outre-tombe; et nous y entrons toujours
armés de notre liberté pour conquérir notre
Destinée suprême. La dette que l'homme pécheur
a contractée envers la divine justice dans le
monde qu'il vient de quitter, il la paye dans un
autre monde par des purifications et des ex-
piations successives. A mesure qu'il expie et se
purifie, et par là se perfectionne, il monte de
degré en degré, gravitant indéfiniment vers
l'infini; et un jour doit venir où tous les crimes
étant expiés, toutes les purifications étant ache-
vées; tous les hommes, quelle qu'ait pu être
leur vie du passé, devront se rencontrer dans le
même mouvement qui les emporte vers un
avenir qui n'a pas de limite, c'est-à-dire dans
le vague de l'Indéfini, sans jamais les faire ar-
river à un terme véritablement final, c'est-à-
dire à la possession même de l'Infini.
D'après cette hypothèse, il y a, de l'autre côté
de notre tombe, des purifications et encore des
purifications; mais il n'y a plus de peine éter-
nelle. Il est même remarquable que les hommes
qui enseignent cette doctrine et se portent pour
les interprètes infaillibles du dernier mot de
418
ÉTERNITÉ DES PEINRS
notre symbole, vitam œternam, manifestent, à
l'endroit de notre dogme de l'Eternité des peines,
une antipathie particulière ; et nous avons en-
tendu ces prétendus révélateurs de notre grand
avenir, jeter à notre dogme catholique de la peine
éternelle des défis insolents, et je puis ajouter,
des injures grossières. Aux yeux de cette philo-
sophie superbe et dédaigneuse, nous tous, qui
croyons à un supplice éternel, nous avons per-
du le sens; et nous imposons à l'esprit humain,
avec notre dogme, la tyrannie de l'absurde.
Nous avons donc le droit et même le devoir,
nous surtout les porteurs de la divine parole*
et les échos vivants de la voix de l'Eglise, de
citer à notre tour, au tribunal de la raison et du
bon sens, cette théorie fastueuse, cette préten-
tieuse hyppothèse dont la popularité a pu, un
moment.vous voiler le vide et l'inanité -j'allais
dire la folie et Vabsurdité.
Et tout d'abord, la plus simple raison repousse
tout à fait l'étrange immortalité que cette doc-
trine oppose à l'immortalité qu'affirme notre foi,
d'accord avec notre raison. Elle nous dit : La
tombe n'est pas le terme où finit votre vie ; vous
vivrez toujours, car vous êtes immortel. Mais,
qu'est-ce que cette immortalité bizarre, cette im-
HHH|
LES HYPOTHÈSES
419
mortalité sans but, ou condamnée à poursuivre
toujours un but qu'elle n'atteindra jamais? Tel
est, en effetje vice radical de cette hypothèse, que
le bon sens réprouve; elle suppose, après cette
vie, une immortalité sans but déterminé. Elle
suppose, après cette mort du temps, l'être immor-
tel s'en allant à travers le vague d'un avenir in-
défini, marchant toujours et n'arrivant jamais,
ne pouvant même jamais arriver, et poursuivant
éternellement le terme éternellement désiré:
terme étrange , terme qui ne termine rien et
qui semble, à mesure qu'on avance, fuir d'une
fuite éternelle ! Car cette théorie , en appa-
rence séduisante, comme tout ce qui flotte dans
le vague et l'indéterminé, est en essence la théo-
rie ou la doctrine de Y indéfini; l'indéfini en ar-
rière, l'indéfini en avant, et toujours et partout
l'indéfini. Eh bien, demande la raison : est-ce
là une conclusion rationnelle donnée à notre vie
humaine? Est-ce là une solution suffisante à
la grande énigme de la Destinée? N'insistons
pas davantage sur le vice radical déjà signalé
ailleurs ; et examinons surtout cette hypothèse
dans ses rapports' avec le dogme qu'elle prétend
remplacer, en s'y substituant elle-même.
D'après l'hypothèse que nous examinons en
420
ÉT3RNITH DES PEINES
ce moment, l'homme qui a emporté dans l'autre
vie,avec le péché,les responsabilités qu'il impose
peut encore se convertir, et il se convertira ; car'
il passera par des purifications successives qui
lui donneront, avec la sainteté complète, son
bonheur réputé final.
Aussi, pour résoudre le problème de la Des-
tinée, à Y Eternité te la peine l'hypothèse subs-
.titue des purifications et des expiations indéfi-
nies, jusqu'à complète réhabilitation du pécheur
et jusqu'au recouvrement de l'innocence et delà"
sainteté.
• A cette gratuite affirmation nous pourrions
d'abord répondre, sans entrer plus avant dans
le fond du système : si la purification peut et
même doit inévitablement se faire dans l'autre
vie; alors pourquoi se préoccuper d'acccomplir
en ce monde une purification et une expiation
meoitables dans l'autre? Pourquoi, dans cette vie, -
où de toutes les manières les passions, les plai'
sirs et les voluptés me sollicitent, pourquoi me
contenir, me mortifier, me faire souffrir, pour
retrouver dans mon présent une innocence que
je suis certain de retrouver dans mon avenir?
Et dès lors, voilà les hommes sur la terre, se
livrant sans mesure et sans frein à tous les 'en-
— — «
I
LES HYPOTHESES
421
traînements du mal, se roulant dans toutes
les fanges ;appuyés qu'ils sont — d'après le sys-
tème— sur la certitude d'une purification future
qui ne peut manquer de se faire. Combien
parmi les pécheurs, si naturellement enclins
aux ajournements successifs , alors qu'il s'agit
de se convertir et d'expier, combien seraient
tentés d'ajourner et ajourneraient en effet, à
leur vie d'outre-tombe, l'expiation des iniquités
et des prévarications dont ils souillent leur vie
du temps , s'ils croyaient avoir la garantie d'une
expiation non seulement possible, mais certaine
dans l'Eternité!
Nous pourrions ajouter que cette purification
progressive dans l'autre vie n'est qu'une hypo-
thèse ; une hypothèse qui ne s'appuie ni sur
aucun principe de raison, ni sur aucun témoi-
gnage d'autorité. Il est absolument impossible
en effet, de trouver ni une raison, ni une auto-
rité qui nous en garantisse la réalité. Tout au
plus pourriez-vous en garantir la possibilité.
Et encore , cette possibilité, sur quoi l'appuyez-
vous ? Vous dites : Après tout, cette purification
d'outre-tombe est possible. Nous, nous la dé-
clarons simplement absurde ; qu'avez-vous à
répondre ? Notre affirmation vaut la vôtre.
21
422
ÉTERNITÉ DES PEINES
Mais un instant, si vous le voulez, admettons
sans la discuter, la possibilité de ces expiations
purificatrices. Ces purifications telles qu'elles,
pour pouvoir justifier et innocenter le pécheur]
et par là l'arrachera un supplice éternel, en-
core faut-il qu'elles soient par le pécheur volon-
tairement acceptées. L'homme, d'après le sys-
tème, garde même après sa mort la plénitude
de sa liberté ; il demeure donc libre d'accepter
ou de refuser les purifications et expiations dont
il s'agit.
Eh bien, s'il refuse, et s'il refuse obstinément
de se purifier et de s'améliorer, que doit-il en
résulter? Assurément, d'après la théorie elle-
même, Dieu ne peut sauver le pécheur qui re-
fuse d'être sauvé ; il ne peut ouvrir son sein
qu'au bon vouloir, et sa sainteté même lui dé-
fend d'embrasser qui le repousse librement.
Dieu donc, dans l'hypothèse présente, dirait à
l'homme, demeuré, par delà son tombeau . libre
de fixer lui-même par son choix sa propre Des-
tinée : Tu es libre encore, et, comme tel, ta peux,
si tu le veux, par tes volontaires purifications
retrouver l'innocence ; car ta libre purification
peut encore te justifier ; et, redevenu par ton
libre choix innocent et juste, ma sainteté et ma
LES HYPOTHESES
423
Justice ne te repoussent plus. Tu peux venir,
Rapprocher et graviter éternellement vers moi »
mais il faut le vouloir, et le vouloir librement :
car ma bonté elle-même ne peut attirer celui
qui la repousse, et la repousse librement.
Manifestement on suppose, dans la théorie,
que tout pécheur quel qu'il soit, pour échapper
au supplice éternel, tût ou tard voudra rompre
avec le mal, et finalement se convertira.
Mais si l'homme ne le veut pas, que doit-il ar-
river? Je pose hardiment la question qui porte
sur le point capital et décisif : si le pécheur,
malgré les plus long-ues expérimentations du
désordre et du mal, ne veut pas revenir à l'ordre
et au bien ; si, malgré toutes les avances du di-
vin Amour, il ne consent pas à répondre à ses
appels; s'il persiste 'à vouloir braver éternelle-
ment tour, à la fois la justice et l'Amour; Dieu
sera-t-il réduit ou à sauver ce pécheur maigre lui,
ou à être éternellement bravé par lui ? Il faut
répondre. Il faut qu'ici le rationalisme sorte du
vague et de l'obscur, et que clairement sur ce
point il se prononce et s'explique.
— Pourquoi, dit-il, n'y -aurait-il pas, dans
l'autre vie, des épreuves et des purifications à
l'infini?— Pourquoi,pourrions-nous demander à
424
ETERNITE DES PEINES
notre tour, y aurait-il pour le pécheur des puri-
fications à l'infini ? Vous voulez savoir pourquoi
il ne pourrait pas y avoir dans l'autre vie des
purifications à l'infini? Certes, nous pourrions
en donner bien des raisons et des raisons tout
à fait décisives. Je mécontente d'en donner une
seule , et je vous réponds : Parce que Dieu ne
peut pas permettre que le pécheur le brave et
l'insulte à l'infini.
Mais le rationaliste insiste : « Comment
« concevoir que l'homme tourne éternellement,
« contre la volonté et la g-loire de Dieu, la puis-
« sance de sa propre liberté ? Il sera tôt ou tard
« convaincu de la folie de son obstinatian daus
« le mai et de sa résistance à Dieu. Sachant que
« sa prévarication tourne toujours à son propre
<r malheur, l'instinct de son propre bonheur le
« convertira. Il n'est pas probable qu'après tant
« et tant d'expériences aboutissant toujours à
« le rendre malheureux, l'homme prenne le parti
« de résister éternellement à Dieu (1). »
Ainsi le décide le rationaliste : après la mort,
le pécheur se convertira ; il ne pourra pas ne pas
se convertir. Nous pourrions nous contenter de
lui répondre : Prophète, comment le savoz-
(1) Jean Reynaud, Ciel et terre.
I
LES HYPOTHÈSES
425
vous? Et comment, en réalité, pourriez-vous le
savoir? Vous dites : L'homme lie prendra
pas le parti de résister éternellement à Dieu; ce
n'est pas probable. Mais vous êtes forcé de con-
venir du moins que c'est rigoureusement possi-
ble ; or, si c'est possible, comment osez-vous dé-
cider qu'il n'en sera jamais ainsi ? Si la chose
ne se réalise pas dans un grandnombre, comment
être sûr et comment affirmer, sans crainte de se
tromper, qu'elle ne se réalisera pas au moins
dans quelques-uns ? N'y en eîit-il qu'un seul à
résister éternellement à Dieu , est-ce que cela
ne suffirait pas à renverser votre gratuite et
aventureuse hypothèse ? Car, enfin , est-il pos-
sible d'admettre, même pour un seul homme, une
situation qui serait une éternelle insulte à Dieu?
Et comment savoir avec certitude qu'il ne se
rencontrera pas un obstiné, un re'volté éternel '!
Voltaire, pour ne citer que lui, après plus de
soixante ans d'impiété et d'insultes au Christ-
Dieu, était-il désabusé par son expérience? Son-
g-eait-il à mettre fin à sa révolte contre Dieu et
son Christ? Et si la divine condescendance eût
accordé à Voltaire encore cent ans de vie et d'é-
preuves; serait-il téméraire et absurde de penser
que, selon toute pré vision. Voltaire, après cent
24,
426
ÉTERNITÉ DES PEINES
ans, serait encore Voltaire, c'est-à-dire un en-
nemi de Jésns-Christ? Et si, par supposition ,
Voltaire eût été immortel, Dieu, pour lui épar-
gner l'Eternité du châtiment, aurait donc dû
accepter de l'impie une éternelle insulte?
_ Qu'on ne dise pas qu'une telle supposition est
inadmissible, qu'elle est la supposition de l'im-
possible.
L'impossible? Mais pourquoi? Sans remonter
jusqu'au grand impie, qui se nomma Voltaire'
est-ce que vous n'avez pas entendu,même,autour
de vous, des hommes qui bravaient Dieu et in-
sultaient son nom trois fois saint, par des ou-
trages impossibles à redire sous ces voûtes
sacrées, et par des blasphèmes inconnus jus-
qu'il dans l'histoire même des blasphèmes'
Eh bien, est-il tellement absurde de supposer
que les hommes qui osent jeter à Dieu de telles
injures et proférer de tels blasphèmes , sont dé-
cidés à proférer toujours les mêmes blasphèmes,
et à jeter toujours à Dieu les mêmes injures'
Et,dans cette hypothèse, Dieu, pour ne pas in-
fliger à ses ennemis acharnés une peine éter-
nelle, devrait donc se laisser par eux insulter
éternellement?
Quoi! des impies obstinés dans leur impiété,
LES HYPOTHESE
427
éternellement repoussant Dieu, éternellement
haïssant Dieu, éternellement se révoltant contre
Dieu; et ce même Dieu destitué du droit d'in-
fliger à ces éternels insulteurs un éternel sup-
plice?..
Et contre une telle situation, dont la possibi-
lité s'impose à l'intelligence, ô profonds
penseurs, votre raison n'a rien à dire et n'élève
pas même la moindre protestation? Et contre
cette absurde hypothèse, qui vous ferait hausser
je i épaules, si elle était défendue par nous, vous
n'avez pas d'objection? Eh bien, nous en
avons une, nous, à opposer à cette hypothèse,
qui prétend renverser le dogme inébranlable de
l'Eternité des peines; c'est, sans compter toutes
les autres, l'irréfutable objection de la contra-
diction.
Ah! c'est qu'en effet, ce blasphème éternel,
cette Eternité de l'injure, de l'outrage et de la
haine, ce serait déjà l'enfer, l'Eternité de cet
enfer même que vous voulez anéantir ; donc 1-a
plus flagrante contradiction .
Mais admettons,un moment, que nul homme
ne bravera Dieu éternellement, et que tous les
coupables s'en iront de purifications en purifi-
cations, se justifiant de plus en plus, pour ar-
^r
428
ETERNITE DES PlilNES
river, enfin, à reconquérir une complète in-
nocence.
Eh bien! même en cette hypothèse, quel sera
le résultat final de la Destinée? La lignée des
bons et la lignée des méchants, à travers leurs
pérégrinations indéfinies, convergeront-elles
l'une et l'autre vers un point de jonction, pour
de là continuer ensemble vers l'Infini qu'elles
nedoivent jamais atteindre, leur voyage Eternel?
Arrivées à ce point, s'il en est un, la race des
bons et la race des méchants, les Robespierre et
les Vincent de Paul se retrouveront- ils en-
semble, dans une même innocence et une
même sainteté , confondus dans un même
amour et une même unité ? Le mal et le bien ,
enfin, s'embrasseront-ils, pour s'unir et s'iden-
tifier? Et, comme l'a dit cette poésie délirante,
dont je viens de vous citer les effroyables pa-
roles : Bélial embrassera-t-il Jésas?Et Jésus em-
brassera-t-il Bélial?
Mais alors, nous voilà retombés dans l'hypo-
thèse deux fois absurde et déjà par nous con-
vaincue d'erreur et de folie, à savoir, la com-
plète et absolue identification du bien et du
mal, comme conclusion de la Destinée suprême ,
e'est-à-dire ce qu'il y a de plus radicalement
LES HYPOTHÈSES
429
opposé au dictamen le plus primitif de la droite
raison, et aux premières données du sens
commun.
J'entends parler de conversions qui doivent
tôt ou tard toucher la bonté de Dieu et désarmer
sa justice. Mais vous vous trompez de temps et
de lieu; et par le plus étrange des paralogismes,
vous argumentez de ce que Dieu fait dans le
temps pour les pécheurs, à ce qu'il doit faire
pour eux dans l'Eternité ; de ce qu'il fait dans la
route pour l'homme voyageur , à ce qu'il doit
faire pour l'homme qui a touché le terme. Et
comment et d'après quel principe, obligez-vous
la Providence à identifier son gouvernement de
l'Eternité avec son gouvernement du temps?
Encore j'ai supposé jusqu'ici la possibilité de
cette pérégrination indéfinie, qui doit pousser
d'étape en étape la vie d'outre-tombe, à travers
des purifications progressives, vers un terme
que la vie n'atteindra jamais. D'après ce sys-
tème, en effet, de l'autre côté de la tombe il n'y
a pas de terme où la vie doive s'arrêter , et où
elle pourra dire : J'ai touché ma Destinée, j'ai
atteint mon terme, et c'est à jamais. Non, cette
station éternelle au terme de la vie, le système
la repousse, il la répudie, il la blasphème; et
430
ÉTERNITÉ DES PEINES
cet éternel repos de l'homme qui a touché sa
' fin, et comme ils le disent, ce « loisir éternel »
sous le regard et dans l'embrassement de
Dieu, prête à rire à nos profonds penseurs.
Ce que suppose le système, ce qui en cons-
titue la donnée fondamentale, c'est la vie s'ap-
prochant toujours d'une fin qu'elle n'atteindra
jamais, c'est-à-dire d'une fin qui n'est pas
une fin, mais une marche éternelle vers l'é-
ternel par-delà ; c'est-à-dire la contradiction
dans les mots et l'impossibilité dans les choses-
une course éternelle vers un but qui fuit éter-
nellement; une marche continue pour ne jamais
arriver; un voyage qui ne doit jamais aboutir-
une course sans fin dans un exil étemel, et qui
condamtr- !>. x ilé à poursuivre une patrie qu'il
n'u;t' i:, ilra jamais!
Je le demande, se peut-il rien concevoir de
plus radicalement opposé aux plus vulg-aires
données de l'humaine raison, et de ce sens
commun que nous avons nommé le g-énie de
l'humanité?
Ah ! dans un ordre purement logique et de pure
abstraction, que le génie des mathématiques
puisse concevoir deux lignes s'approchant indé-
finiment sans se toucher et se confondre absolu-
LES HYPOTHESES
431
ment; je le comprends. Mais qu'une existence ré-
elle, qu'une àme vivante soit jetée ponrtoujours,
parlamainduCréateur.dansunvoyag-equinedoit
arriver nulle part, dans un chemin sans terme et
sans issue, où la vie doit avancer toujours pour
ne jamais arriver ; s'en aller de monde en monde
et d'espace en espace, et peut-être, comme l'admet
l'hypothèse , de soleil en soleil, montant d'ascen-
sion en ascension, à mesure que l'on se perfection-
ne davantag-e, vers un idéal vide, abstrait , insai-
sissable, sans arriver jamais à un terme quel-
conque ; et cela, alors que la vie en mouvement
porte , au plus profond d'elle-même , l'irrésistible
besoin d'arriver; et lorsque conquérir une Des-
tinée , une Destinée déterminée , fixe et vraiment
finale est, comme nous l'avons surabondamment
démontré, l'invincible aspiration de l'âme hu-
maine : en vérité, est-ce que ce n'est pas le
comble de la contradiction , et se peut-il con-
cevoir de plus solennelle insulte au bon sens de
notre humanité?
Ainsi, Messieurs, vous le voyez, les hypo-
thèses, pas plus que les objections qu'on oppose à
notre dogme de la peine éternelle, ne se sou-
tiennent pas : ni l'hypothèse de l'anéantissement,
de l'anéantissement fatal, obligatoire ou facul-
^
432
ETERÎs'ITE DES PEINES
tatif; ni l'hypothèse de la diminution pro-
gressive de la peine des réprouvés; ni l'hy-
pothèse fantaisiste des purifications et justifi-
cations indéfinies.
Nous avons vu, en effet, comment aucune de
ces trois hypothèses n'a pour elle ni un prin-
cipe de raison qui la fonde , ni aucun témoignage
d'autorité qui l'affirme.
Comment concevoir, dès lors, que des hypo-
thèses sans aucun appui, ni dans ;la raison, ni
dans l'autorité, aient la prétention d'ébranler et
même de renverser un dogme appuyé sur l'auto-
rité et approuvé par la raison?
Et quand nous disons qu'aucune de ces hypo-
thèses ne s'appuie ni sur la raison, ni sur l'au-
torité, nous ne disons pas assez; car ces hypo-
thèses ont positivement contre elles , avec toutes
les raisons que nous venons de dire, les plus
grands témoignages de l'humanité.
Que nous importent alors, dirons- nous ici au
sectateur de ces théories absolument gratuites,
les difficultés que soulève votre imagination
contre notre dogme, lorsque nous avons nous-
mêmes contre vos doctrines appuyées sur le vide,
des raisons qui vous confondent et des objections
auxquelles vous ne pouvez vous-mêmes ré-
LES HYPOTHÈSES 433
pondre?
Aussi, l'attaque que vous dirigez contre nous
en opposant à notre croyance dogmatique, des
théories purement hypothétiques, la vérité
nous autorise et même nous oblige à la retourner
contre vous , mais d'une manière bien autrement
victorieuse, armés que nous sommes de l'autorité
et de la raison elle-même , et nous pouvons
ajouter, armés d'objections pour vous absolument
irréfutables; et cela, contre des hypothèses,
encore une fois, je le répète , sans appui ni dans
la raison, ni dans l'autorité; hypothèses, par
conséquent, absolument insoutenables et con-
damnées à mourir avec ceux qui les ont conçues
tandis que notre dogme toujours vivant, et
appuyé sur ses inébranlables fondements, con-
tinuera de chanter, sur les ruines de vos hypo-
thèses convaincues d'inanité : Il y a un enfer
éternel. Il y a, pour les méchants obstines, une
Eternité de supplices, comme il y a, pour les
élus prédestinés, une Eternité de bonheur.
Prl
w
434 ÉTERNITÉ DES PEINES
RÉSUMÉ OU SOMMAIRE
M SWEt DE L'ETERmtÉ DES PEl , Es .
Messieurs,
*> tout ce que „„„„ avons „„' ™ ™ S J°«™
Sf , SOramaire ' »' de «™ W 1» es
'i^ue e ttrail e s^ m :r; r :re„™ s .t
"iverseue , et nous avons ajouté
LES HYPOTHÈSES
435
que la raison elle-même, bien loin de protester
contre ces deux grands témoignages, les ap-
prouve plutôt qu'elle ne les désapprouve, et
dans un sens vrai.y joint son propre témoignage'
Nous avons vu.cn second lieu.commentaucune
des objections dirigées contrenotradogme, n'a la
puissance de l'ébranler. Ces objections qui,p ur
la plupart, naissent de la faiblesse de notre es-
prit, de l'ignorance de la doctrine et des exi-
gences de nos passions, manquent absolument
de force pour vaincre un dogme appuyé sur sa
démonstration. Fussent-elles pour nous inso-
lubles elles n'auraientpasencorela puissance de
prévaloir contre le dogme établi. Et vous avez p u
comprendre comment les principales objections
tirées delà Providence, delà justice et de l'amour
de Dieu, non seulement n'entament pas la ve-
nte de no t re dogme, mais sont, elles-mêmes,
réfutées par la raison.
Nous avons vu, enfin, que toutes les hypo-
heses qu'on essaye de substituer au dogme de
la peine éternelle, manquent absolument de
principes rationnels et de témoignages autori-
taires, et sont elles-mêmes, sous leur triple
forme, condamnées devant le double tribunal de
la raison et de l'autorité.
436
ÉTÉ UNITÉ DES PEINES
Donc, que l'on ne vienne plus nous dire qu'au-
cune donnée certaine de la « raison ne nous
conduit à l'affirmation de l'Eternité des peines. »
Eh! que nous importe, puisque le dogme s'ap-
puie sur des autorités humainement et divine-
ment irréfragables, et que la raison elle-même,
bien loin de le nier, incline plutôt à l'affirmer? \
Qu'on ne nous dise plus que l'esprit humain
soulève contre la peine éternelle des difficultés
réputées insolubles ; alors qu'il n'en est pas une
seule qui l'entame victorieusement, et que nos
réponses triomphent mieux des objections, que
les objections ne triomphent de notre dogme.
Qu'on ne vienne plus nous dire, surtout, que
pour remplacer le dogme de l'Eternité des peines
et pour résoudre le problème de la Destinée, on
a trouvé des solutions plus rationnelles et par-
tant plus acceptables ; alors que parmi ces hy-
pothèses, qui ne s'appuient sur aucune autorité,
il n'en est pas une que la raison ne désavoue et
que le bon sens ne condamne.
Ainsi, bien que la raison laissée à elle-même
ne démontre pas, avec une certitude complète,
notre dogme de l'Eternité despeines;ilrésiste,par
les témoignages qui l'appuient et par la raison
elle-même, à toutes les attaques que dirigen t con-
LES HYPOTHÈSES
437
trelui tous les scepticismes et tous les rationa-
lismes. Et la résistance qu'il oppose, depuis
bientôt deux mille ans, aux erreurs, aux igno-
rances, aux préjugés, et surtout aux passions
qui l'attaquent, il l'opposera jusqu'à la con-
sommation des siècles.
Manifestement, Messieurs, ce dogme sera tou-
jours le scandale des libres penseurs et la ter-
reurs des libres viveurs; et toujours les uns
et les autres auront intérêt à se débarrasser
d'une vérité qui les importune, les déconcerte ou
les épouvante. -L'orgueil et la volupté notam-
ment se donneront toujours la main, et se prê-
teront mutuellement leurs armes, pour attaquer
un dogme qui les gêne . Mais il ralliera tou-
jours autour de son mystère les âmes droites et
verueuses, qui n'ont aucun motif d'égoïsme in-
tellectuel ou d'égoïsme sensuel pour supprimer'
la foi aux destinées éternelles; parce que,
malgré le côté obscur de son mystère, ce dogme
seul donne de la Destinée, une notion nette-
ment définie ; et qu'eu debors de cette grande
donnée tbéologique, la Destinée demeure dans
le vague de l'indéterminé et de l'inconnu, en-
veloppée d'un impénétrable nuage et du plus
incompréhensible des mystères.
438
ÉTERNITÉ DBS PK, NES
Donc que la libre pensée en prenne son par-
era comme passe la poussière „„ ,. n ° ™ e T .%
ië i "S 7 US "7 que la s p<^« w
ieu - lvlais te dogme deineurpra ti „ ±-
-ême du fond de J!^ 1 ' ^
a^ses a. ce Z^^Z^^l
S ch Te"" 6 ' e " PaSSMl ' d '™ "«-"«
quelque cliose. Le voyag-eur disparaît dans I»
Pouss.ere ou le sable du désert „, i
demeure aminvi. ' la P^w» de
Aia s ,'; a 3rfd 6 4:e S ?eS;S/r™ en,S -
Sr d et e e S ure a "° M,iSmeS »"»"■ - ■*•
LKS HYPOTHÈSES
439
Messieurs,
Le temps nous est mesuré; et il me force de
m'arrèter ici. Un dernier mot, pourtant, sur ce
grave sujet de l'Eternité.
Pour le compléter, surtout au point de vue
plus pratique, il me restait à vous dire quelle
est, dans le temps, notre situation vraie par
rapport à l'Eternité. J'aurais voulu la résumer
par ces trois affirmations qui se tiennent en se
complétant, et qui, par leur importance, ont par-
ticulièrement droit à occuper notre religieuse
pensée :
Nous allons à l'Eternité.
Nous approchons de l'Eternité.
Nous touchons à l'Eternité.
^ En d'autres termes : l'Eternité est inévitable;
elle est proche ; elle est présente.
Je regrette de ne pouvoir donner à ces trois
pensées le développement qu'elles comportent.
Peut-être nous sera-t-il donné d'y revenir.
En attendant, emportez-les dans vos âmes
comme le fruit saintement austère de ces exer-
cices. Dites-vous souvent, au chemin de cette
vie, où Dieu vous donne de marcher encore :~
440 ÉTERNITÉ DES PEJNKÏ
Je vais à mon Eternité; elle m'attend; j'y arri-
verai.
Je suis près de mon Eternité; je vais y arriver.
Je touche à mon Eternité; voici que j'y arrive.
Non seulement mon Eternité est inévitable ,
non seulement elle est proche, elle est actuelle :
rien ne m'en défend, rien ne m'en sépare, et à
l'instant même, si Dieu le veut, j'y tombe.
Ainsi, Messieurs, maichons.., d'étape en
étape, dans cette vie voyageuse, le regard de
l'âme fixé sur l'Eternel. Dieu nous fera-t-il en-
core nous retrouver ensemble à l'une de ces
religieuses stations du temps, d'où l'on découvre
mieux l'Eternité?.. Je l'ignore. Puissions-nous
du moins, c'est l'ambition et le vœu de mon
cœur d'apôtre, puissions-nous, après avoir re-
gard 's ensemble, au chemin, cette Eternité qui
nous attend, nous retrouver tous, au terme,
dans l'inénarrable béatitude que Dieu nous ré-
serve dans son sein.
2 XAinsi soit-il.
V
TABLE DES MATIÈRES
CERTITUDE DE L'ETERNITE
II.
Témoignage du dehors, ou D'autorité.
L'existence de l'Eternité est atteatie :
Par le Christianisme tout entier, c'est-à-
dire : Par Jésus-Christ, par l'Eglise , par
tous les chrétiens. ......
Par {'humanité entière , c'est-à-dire par
son témoignage universel, dans la durée,
dans l'espace et dans toutes les conditions
de la vie humaine .
31
43
II
CERTITUDE DE L'ETERNITE
Témoignage du dedans, ou de i.'âme. . 79
I. L'âme par toutes ses jouissances atteste
l'Eternité . 88
II. L'âme pense, l'âme espère, l'âme aime . . 96
III. L'âme veut, l'âme cherche l'Eternel . . . 106
IV. Donc il y a une Eternité . . . .115
— 442 —
II.
III
INFLUENCE DE L'ÉTERNITÉ
sur la vie prétente . . ,
La pensée de l'Eternité **i ™
IV
INFLUENCE DE L'ÉTERMTÉ
sur la vie future.
c v:. e de ? E r ité . est ^-^- b0I1 ;
ml fZ- ° eSUà - dire rfit ? rai ^ dans
1 Enfer, el l'Eternité dans le ciel
143
145
195
198
224
I.
L'ÉTERNITÉ DES PEINES
t. • Les preuves. . . 9K .
— 443 —
qui partout et toujours, dans son ensem-
ble, la crue et attestée .
II. Par le témoignage du Christianisa,' qui
i affirme -et la dogmatise.
III. Par le témoignage de la Raison qui, san i
la ^montrer positivemenM'approuve et la
confirme. .
260
274
294
II.
VI
L'ÉTERNITÉ DES PEINES
Les objections ... 3l5
Faiblesse de l'objection en général contre
son dogmes, et en particulier contre le
dogme de la pamc éternelle
Des objections principales contre la peine
étemelle tirées de la Providence , de la
Justice et de l'Amour de Dieu .
VII
318
m
L'ÉTERNITÉ DES PEINES
(Les hypothèses.)
'b™* .*. p-™ ,„ so „„„„, d0 ; an « *
— UA —
I. Ni l'hypothèse de J anéantissement deia vie. 380
II. Ni l'hypothèse de la diminution progressioe
de la souffrance 3gg
III. Ni l'hypothèse des purifications indéfinies
d'outre-lomljc. . 40}
Donc, le dogme demeure appuvô_
propre démonstration (1). /^%M
FIN DE LA TABLE DES MATIERES.
1 Pour paraître prochainement : La Préoarication.
(Note de l'éditeur.)
I
Paris. - Imprimerie TÉQU1, 02, rue de Vaugirard