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DE SIENNE
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DIALOGUE
DE
SAINTE CATHERINE
DE SIENNE
TRADUIT DE 1. ITALIEN'
PAR E. CARTIER
Troisième édition
PAIilS
'. LETHÏELLÈUX, Libraire-Éditec»
10, HUE CASSETTE, 10
el ;mx bureaux de l'Année Dominicaine
!M, RUE DU BAC, 91.
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AVANT-PROPOS
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L'Église est le tribunal de Dieu sur la terre ; elle juge a
vie et la doctrine des hommes, et elle en éprouve l'or sur la
Pierre fondamentale, qui est le Christ. En décernant à sainte
Catherine de Sienne le triomphe des autels, Celui qui pré-
side ce tribunal lui a donné le plus magnifique éloge que
puisse recevoir la parole humaine ; il a déclaré que sa doc-
trine n'était pas acquise, mais infuse : Dootrina ejm infusa,
non acquisita (i) . .,*»„*
Depuis la chute originelle, l'esprit vit par le travail ; il faut
qu'il arrache avec fatigue les ronces de l'ignorance et de
l'erreur et le Soleil qui éclaire les intelligences ne mûrit le*
moissons que sur des sillons péniblement ouverts. Ceux qui
ont charge d'enseigner dans l'Église sont soumis à la même
loi La sience théologique s'acquiert par l'étude, comme la
science profane ; les trésors de la Révélation et de la Tradition
sont des semences que chacun doit faire fructifier, et toutes
les -erbes précieuses portées dans les greniers du Père cé-
leste' pour la nourriture de ses enfants, sont la récompense
de longues veilles et de persévérants efforts.
Cependant Dieu, dans sa toute puissante liberté, peut com-
muniquer plus simplement sa lumière aux intelligences.
Il se révèle quelquefois tout à coup à" l'âme, et triomphe de
sa volonté en l'inondant de splendeurs ; il renverse son per-
sécuteur sur le chemin de Damas, pour en faire l'apotres de
la Vérité Dieu aussi se manifeste directement aux âmes
pures qui s'ouvrent à lui dans la prière. La prière obtient
plus que l'étude, au témoignage de saint Thomas d'Aquin
lui-même. Dieu répond à cet appel; il éclaire l'esprit pour
enflammer le cœur, et l'âme reçoit en un instant d'amour
ce que toutes les paroles des hommes ne sauraient lui ap-
prendre ; elle est initiée aux secrets de l'intimité divine, et
elle contemple d'un regard privilégié les mystères que nous
possédons dans les obscurités de la foi.
<1) Bulle de Canonisation, par Pie II.
dialogue de Ste Cath. de S. — A.
I
J
1 I
DIALOGCE DE SAINTE CATHERIN!
C'est de cette source sacrée qu'est venue la doctrine de
sainte Catherine de Sienne. Notre Seigneur Jésus-Christ vou-
lut être le maître unique rie celle qu'il s'était choisie pour
épouse. Non seulement il lui apprit miraculeusement à lire
et à écrire, mais il lui communiqua toutes les lumières né-
cessaires à l'apostolat qu'il lui destinait. Elle puisa dans
les clartés de l'extase une science qu'ont admirée les plus
grands théologiens, et que l'Église a sanctionnée par ses suf-
frages.
Ces rapports surnaturels de l'âme et du Créateur ont été
niés, comme tant d'autres vérités que la raison ne pouvait
expliquer. Le mysticisme a été classé parmi les maladies de
l'esprit humain, et tous les phénomènes qu'il présente ont été
regardés comme la continuation des prestiges et des failles
de l'antiquité païenne. Ces jugements ne nous surprennent
pas ; ceux qui les portent succèdent aux savants du xviiî"
siècle, qui attribuaient la création du monde au hasard
Plus éclairés ou moins audacieux que leurs devanciers, ils
admettent l'existence de Dieu, comme un axiome néces-
saire, une véritable mathématique qui commence toute
chose; mais ce principe, cette cause première est sans con-
trôle, sans amour pour son œuvre. L'homme, affranchi de sa
puissance, a une activité propre, une sphère indépendante ;
le monde visible qui l'entoure est son empire, et tous ses
efforts doivent tendre à y vivre heureusement et longtemps.
Tl n'a rien à démêler avec un monde supérieur, et il lui suf-
fit de débattre avec la société ses droits et ses devoirs. Le
bien pour lui est le plaisir de l'esprit et du corps, le mal.
tout ce qui peut y mettre obstacle ; et la science n'a qu'un
but, celui de procurer le plus de jouissances possible.
Que doivent penser ces sages lorsqu'ils rencontrent des
chrétiens agissant en dehors de cette doctrine, plaçant leurs
désirs au delà de l'horizon, adorant Dieu comme leur bien-
faiteur et leur Père, et lui sacrifiant leur vie dans les œuvres
et les élans d'un amour sans bornes? Peuvent-ils com-
prendre ces rapports avec le Créateur et les conséquences
de cette intimité divine, eux que la foi n'a point initiés aux
mystères de la Rédemption? Aussi pour s'expliquer les phéno-
mènes extérieurs du mysticisme, ils cherchent à combiner
une théorie qui les rassure contre la vérité. Ils groupent des
faits disparates sans remonter aux causes; ils repoussent
AVANT-PROPOS
toute action du monde invisible, et finissent par déclarer
qu'en dehors de la vie positive et commune, tout est illu-
sion des sens et rêve de l'imagination. C'est la crédulité qui
l'ait les miracles ; la folie des Saints obtient les mêmes résul-
tats que la supercherie des charlatans. Les extatiques du
chiistianisme et ceux de l'Inde se ressemblent, et toutes ces
hallucinations réduisent l'âme à un état déplorable d'imbé-
cillité que la médecine doit combattre et guérir.
Nous ne suivrons pas ces écrivains dans le dédale de leur
érudition, pour leur montrer que les faits qu'ils citent sont
mal observés, et que les conséquences qu'ils en tirent doivent
être toutes contraires ; nous nous contenterons de leur op-
poser le livre que nous publions, et qui a été dicté par
sainte Catherine en extase. S'ils n'y reconnaissent pas l'ins-
piration d'une âme divinisée, nous n'avons rien à leur dire :
nous ne pouvons les empêcher de nier la lumière. Du reste.
la Providence nous retire peu à peu des régions arides et
désolées où nous avait égarés l'orgueil. L'incrédulité du
dernier siècle ne sera bientôt plus qu'un doute méthodique
dont nos croyances sortiront fortes et victorieuses. Il suffit
d'une vérité pour reconquérir toutes les autres, et cha-
que jour l'Église voit revenir dans son sein un grand nombre
de ses enfants.
En analysant la matière, la science moderne en a reconnu
les limites ; elle s'est trouvée en présence d'un monde in-
visible où se règlent la moralité de nos actes et la destiner
des empires. Elle a reconnu au delà de notre vie extérieure
et grossière une vie intime et mystérieuse par laquelle l'âme
établit des relations avec des êtres supérieurs. Les religions
lui offrent l'histoire de ces relations ; leurs doctrines, leurs
cultes, leurs sacerdoces, leurs sacrifices, viennent d'un ré-
vélateur dont l'influence bonne ou mauvaise s'efforce d'atti
rer l'homme. Dès l'origine du monde, Dieu et le démon se
disputent sa liberté, et des deux côtés, dans ce grand com-
bat du vice et de la vertu, se manifestent des faits inexpli-
cables sans l'intervation d'une puissance surnaturelle. L'er-
reur et la vérité ont eu leurs adorateurs, leurs prophètes,
leurs miracles ; comment distinguer, dans ces phénomènes
semblables en apparence, des principes si différents ?
La science est saisie de ces grandes questions; mais quel
que soit le résultat de ses recherches, elle trouvera l'Eglise
I
■
i
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
pour la juger. L'Église possède la vérité complète à l'état la-
tent; le moindre choc de l'erreur fait jaillir la lumière de son
sein, et chaque progrès de l'esprit de l'homme est un triom-
phe pour elle. Quand l'étude aborde une nouvelle région,
elle trouve que l'Église l'y a précédée, comme sur ces
terres lointaines où la charité des missionnaires devance
l'avide ambition des peuples. Le mysticisme est, la vie intime
■ le l'Église, qui est l'Épouse du Christ, puisque la religion
n'a d'autre but que d'unir l'a me à Dieu et de la préparer
à la vie béatiflque.
L'Église est établie pour élever l'âme à cette vie supé-
rieure et la mettre en rapport avec l'Infini. Sa sphère véri-
table est le monde invisible, et elle y règne par le pouvoir
qui lui a été confié. Elle nous donne la foi, qui élève la rai-
son au dessus de la science, et nous montre au delà du
temps les splendeurs de l'éternité. Elle nous distribue la
grâce, qui est la nourriture de notre exil ; elle met dans
notre cœur et sur nos lèvres la prière, qui est une force
contre Dieu même. Elle perpétue dans l'Eucharistie l'Incar-
nation, pour nous rapprocher de notre Médiateur et nous en
revêtir devant la justice du Père. Ses Sacrements purifient,
divinisent la nature et nous rendent victorieux des puissan-
ces infernales. Elle unit les vivants et les morts par les liens
de la charité, pour nous transformer tous en Dieu, et nous
faire participer à sa félicité suprême.
La Mystique n'est autre chose que la science de la perfec-
tion chrétienne. Sa doctrine est l'Évangile, et tout ce qui
s'éloigne de cet enseignement sacré ne peut être qu'illusion
et mensonge. L'homme doit tendre à sa fin, qui est Dieu ;
mais, pour franchir la distance qui sépare la créature du
Créateur, il faut suivre une route où l'Église nous guide et
nous soutient. Nous arrivons au ciel par trois degrés, que
les théologiens appellent la vie purgative, la vie illuminative
et la vie unitive.
Nous devons en effet nous séparer d'abord du mal en
nous purifiant de nos fautes, et en détruisant tout ce qui
s'oppose à l'action de la grâce. Nous devons corriger notre
nature viciée par la faute originelle, et changer nos pen-
chants mauvais par des habitudes contraires. Puis, quand
ces efforts ont dissipé les ténèbres des sens, l'âme découvre
les horizons lumineux do la vertu, l'amour de Dieu, sa bon-
AVÀXT-PROPOS "
té, ses grandeurs, ses perfections infinies. Elle cherche à lui
plaire par ses désirs et par ses œuvres, jusqu'à ce qu'elle ait
mérité, par la parfaite union de sa volonté à la sienne, cette
grâce supérieure qui la fait vivre de la vie divine au milieu
des peines de la terre, comme les bienheureux dans les
joies du ciel.
Nous sommes tous appelés à parcourir ces trois degrés,
mais nous ne pouvons les atteindre que l'un après l'autre.
Nous rêvons les béatitudes de la vie unitive sans vouloir
affronter les fatigues de la vie purgative. Nous végétons
dans une faiblesse perpétuelle entre le vice et la vertu,
entre la crainte du combat et le désir de la victoire : il est
impossible d'obtenir ainsi la récompense.
La'vie mystique a des phénomènes extérieurs qu i sont
naturels ou surnaturels, selon la cause qui les produit. L'es-
prit et le corps, par leur étroite union, exercent l'un sur
l'autre une influence incontestable. Leurs tendances sont
opposées ; l'esprit aime la vérité, le corps recherche la ma-
tière, mais leur existence est commune. Leurs jouissances
et leurs peines sont et seront inséparables. Si le corps en-
traine l'esprit, il ne lui donne qu'une vie animale et gros-
sière ; si l'esprit attire le corps, il l'ennoblit en l'associant
à ses hautes fonctions. Toute direction exclusive agit pro-
fondément sur l'organisme de l'homme. Le système nerveux
qui unit ces deux vies si différentes en reçoit une surexcita-
tion qui développe l'activité de l'àme, l'attache à l'objet
qu'elle saisit, et l'identifie pour ainsi dire à sa substance ;
mais cette activité surabondante de l'àme réagit sur le
corps, et y détermine des accidents extraordinaires. Ces ac-
- cidents varient selon leur principe et suivant les natures
particulières. La médecine peut les étudier comme des ma-
ladies véritables, puisqu'ils modifient la vie du c orps et
qu'ils altèrent la santé ; mais les phénomènes psychologi-
ques qui les accompagnent en sont distincts, et doivent être
étudiés séparément. L'ivresse, la folie et l'extase durèrent
autant parleurs causes que par leurs résultats.
Ces phénomènes ont entre eux, il est vrai, des points de
ressemblance, puisqu'ils ont dans l'homme un élément com-
mun. Les organes peuvent, être affectés de la même ma-
nière, et l'âme paraîtra subir la même impression ; mais si
l'on examine tout l'ensemble de ces phénomènes, qui
V | lil Al.nr.ci-; DE SATNTK CATIIKIUNK
pourra confondre les rêves de la folie et les inspirations du
génie, l'ivresse des sens et l'extase de la sainteté? Quand
Dieu surtout visite l'âme, il doit le faire avec des signes qui
ne peuvent tromper.
Les phénomènes de la vie mystique sont naturels lors-
qu'ils viennent de l'âme et du corps. Dieu seul produit des
phénomènes surnaturels, parce que seul il agit directement
sur l'âme; seul il lui donne une lumière supérieure qui
l'éclairé, et des dons qui la sanctifient. Cette grâce, qui la
transforme en lui, rejaillit sur le corps et lui communique
par instants les qualités glorieuses que posséderont les bien-
heureux après la résurrection (1).
Dieu a choisi ces phénomènes comme des signes qui
doivent certifier sa présence. Le démon, père du mensonge,
s'efforce de contrefaire la lumière et de nous égarer pai-
rie trompeuses clartés, mais il ne peut agir qu'à l'extérieur
de notre âme ; il s'attaque à nos sens, et cherche à nous
séduire par de fausses visions. Nous pouvons toujours le
reconnaître, parce que tout ce qui vient de. lui n'apporte
jamais à l'homme que le trouble et la confusion.
L'Église connaît tous les phénomènes de la vie mystique ;
elle donne des règles certaines pour discerner les causes
qui les produisent. Sa prudence surtout est admirable dans
la canonisation des saints. Ce sont leurs vertus, et non les
faits extraordinaires de leur vie qu'elle examine pour leur dé-
cerner les honneurs d'un culte public. Les miracles mêmes ne
sont pour elle que des preuves secondaires. Le bienheureux
Raymond de Capoue le remarque dans la Vie de sainte
Catherine de Sienne. Il admire plus son humilité, sa cha-
rité, sa patience, que les prodiges de son existence mer-
veilleuse. 11 n'est peut-être pas de saint qui offre un en-
semble aussi complet des phénomènes mystiques ; mais
ces phénomènes ne sont évidemment que l'extérieur de sa
sainteté, le rayonnement de ses vertus.
La canonisation des saints n'entraîne pas l'entière appro-
bation de leur doctrine; Dieu a fait de l'infaillibilité le pri-
vilège exclusif de l'Église, et les saints peuvent tomber à
leur insu dans l'erreur. L'esprit s'égare quelquefois à la
(1) Les ouvrages les plus importants sur cette matière sont : De la Distinction
des esprits, par le cardinal Bona, et De la Canonisation des serviteurs de
Dieu, par le pape Benoit XIV.
I
AVANT-PROPOS
VU
recherche de la vérité ; l'imagination sort de la réalité pour
s'élancer dans la sphère du possible; et jusqu'au milieu de
l'extase, l'élément humain peut agir en dehors de l'élément
divin Les lumières célestes peuvent aussi s'affaiblir comme
te souvenir d'un songe, et les expressions mal rendre des
choses trop élevées pour notre langage. L'Eglise na rien
trouvé à reprendre dans la doctrine de sainte Catherine
de Sienne; elle l'a déclarée au contraire d'en haut: Doc-
trina ejus infusa, non açquisila.
Dieu avait tiré sainte Catherine de l'obscurité de sa cel-
lule pour en faire la lumière de son siècle ; il lui donna une
science et une éloquence miraculeuses. Les théologiens les
plus habiles venaient la consulter, et les prélats les plus
savants de la Cour pontificale qui l'examinèrent furent ravis
d'admiration. Elle parla plusieurs fois en présence des
cardinaux et des papes Grégoire XI et Urbain VI ; tous
déclarèrent que jamais personne ne s'était exprime comme
elle et que le Saint Esprit parlait par sa bouche (1). Les
fruits de son apostolat furent immenses ; les populations
entières accouraient pour l'entendre, et trois religieux qui
l'accompagnaient ne pouvaient suffire à confesser ceux
qu'elle convertissait,
La Providence a bien voulu laisser arriver jusqu a nous
quelque chose de ces divins enseignements. Les lettres et
le livre qu'a dictés sainte Catherine peuvent nous donner
une idée de la puissance de sa parole. Le caractère parti-
culier de ces œuvres est une onction qui communique a
l'âme la lumière et la chaleur. Le but en est essentiellement
pratique ; la vérité s'y revêt de formules accessibles à tous.
Ce ne sont pas les hautes spéculations des autres mysti-
ques, qui analysent les mystères de l'amour, et donnent
des règles aux âmes qui suivent des voies extraordinaires.
Ce sont les appels d'une ardente charité, les rayons d'un.'
science qui éclaire et enflamme ; ce sont des paroles subs-
tantielles, où les saints et les pécheurs trouvent également
la nourriture de leur âme.
Le Dialogue dont nous donnons la traduction est le résu-
mé de ces enseignements. Sainte Catherine le laissa comme
héritage à ses disciples ; elle le leur dicta peu de temps
,1) Numquam sic locutus est homo et absque dubio ista non est minier,
qua> loquitur, imo Spiritus Sanctus (Lettre d'Etienne Maconi).
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1
VII] DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
avant sa mort. Cet entretien entre Dieu et l'âme n'est poinl
un cadre choisi par l'imagination pour présenter plus heu-
reusement là vérité ; c'est l'expression fidèle de la réalité,
le reflet direct des lumières célestes, la reproduction des
paroles sublimes échangées dans l'extase. Sainte Catherine
était complètement privée de l'usage de ses sens, pendant
que ses secrétaires recueillaient les mots qui tombaient de
ses lèvres inspirées.
Sainte Catherine avait demandé à Dieu la vertu pour
elle, la réforme de l'Église, la conversion du monde et le
secours particulier de la Providence. Dieu le Père, en ré-
pondante ces quatre demandes, explique tout l'ensemble
de la vie chrétienne, et trace la route que l'àme doit suivre
pour arriver à lui. Il indique les distances, les obstacles,
les moyens, et montre les récompenses qui couronnent
nos efforts.
Le but suprême de l'àme est son union parfaite avec
Dieu. Elle doit d'abord se renfermer dans la connaissance
d'elle-même, pour y voir son néant et la bouté de Dieu. Puis,
quand elle a reconnu celui qui est l'Être véritable, elle doit
s'attacher à lui en accomplissant sa volonté. La vertu con-
siste à aimer Dieu et le prochain (chapitre i). Toute oeuvre
est stérile sans l'obéissance à ces deux commandements.
qui sont inséparables, et qui s'accomplissent l'un par l'autre.
Nous devons à Dieu l'amour qu'il a pour nous, mais nous
ne pouvons lui rendre cet amour gratuit et désintéresse
qu'indirectement. Nos actes atteignent Dieu dans nos sem-
blables ; nous devons les aimer comme Dieu nous aime lui-
même. Tout bien et tout mal s'accomplit par le prochain (iv).
La vie de chaque homme est intimement liée à celle des
autres hommes, tous sont unis par les liens de la charité.
Dieu demande les prières de ses serviteurs pour faire mi-
séricorde au monde (vu).
Les vices ravagent le monde, sans y détruire les vertus :
ils les éprouvent au contraire et les fortifient (vin). Les
vertus ont pour règle et pour mesure la discrétion, qui naît,
dans l'àme, de la connaissance de Dieu et d'elle-même ( ix i.
La discrétion fait accomplir toute justice, puisqu'elle établil
les vrais rapports entre l'àme et son Créateur (xi ). Ces rap-
ports sont troublés dans le monde. L'homme se sépare de
Dieu, malgré tout ce que Dieu fait pour l'attirer à lui. Sa
I
..*>
AVANT-PROPOS IN
divine ressemblance est altérée ; les bienfaits de l'Incarna-
tion deviennent inutiles (xiv ). La source de tout mal est
l'amour-propre, qui est l'opposé de l'amour de Dieu ( xvii ).
Mais l'homme a beau faire, il ne peut échapper a Dieu, il ap-
partient à sa justice, s'il n'appartient pas à sa misen-
corde ( xvni ).
Entre Dieu et l'homme, un médiateur était nécessaire ;
Notre Seigneur Jésus-Christ est le pont qui unit la terre a.,
ciel (xxi). C'est ce pont qui sépare les hommes ; ceux qui
passent dessus arrivent à la vie éternelle, ceux qui passent
dessous tombent dans les flammes de l'enfer (xxvn). Ces
deux routes si différentes sont pénibles ; mais les peines des
bons deviennent des jouissances, et les plaisirs des mé-
chants des peines; leurs vices portent des fruits amers, e
Dieu les punit dans ce monde et dans l'autre (xxxi) Ceux
au contraire qui suivent les commandements reçoivent pour
récompense la possession de Dieu même, et la béatitude
de leur âme rejaillira sur leurs corps après la résurrection
(X La vie du temps n'est qu'une épreuve ; les tentations ût
les tribulations sont les moyens de mériter. Le démon cher-
che à nous égarer par des apparences de bonheur (XLIV) ;
mais les préceptes et les conseils nous sont donnes pour en
triompher. Personne ne peut obéir aux préceptes sans sui-
vre mentalement les conseils. Dieu permet d'avoir des ri-
chesses, mais non pas de les aimer (xlvii).
Jésus- Christ est le pont qui unit la terre au ciel, 1 homme
à la Divinité. Sur ce pont il y a trois degrés : les pieds, le
cœur et la bouche. Ces trois degrés corresponde.! aux trois
puissances de l'âme, qui sont la mémoire, l'intelligence e
la volonté. L'âme doit les unir en Dieu, pour arriver a sa
lin (li) ; les trois degrés du pont signifient trois amours
l'amour servile, l'amour intéressé, l'amour généreux et
parfait (lvi). L'âme séparée du monde et du pèche pai 1.
crainte s'élève successivement par ces trois degrés, et U.c..
se manifeste à elle selon la mesure de son amour (lxi)
Les chapitres auxquels on a donné le titre de Traité d<
la prière, expliquent l'amour et les rapports intimes de
Dieu et de l'âme, La prière humble et persévérante est te
moyen certain d'acquérir toutes les vertus. Cette ^prére
doit être quelquefois vocale et toujours mentale. Cest
I
DIALOGUE DE SAINTE CATHERIN'»
désir qui en est la sève, et qui change en prière tout ce
qu'on l'ait pour Dieu et pour le prochain (lxvi). L'amour
parfait ne recherche pas les consolations et les visions spi-
rituelles, parce qu'elles sont passagères et souvent trom-
peuses (lxxi). La paix en est le signe véritable, et on n'y
arrive que par le sacrifice complet de sa volonté. L'âme
atteint d'abord les pieds de Notre Seigneur en se dépouillant
de l'affection du péché; elle arrive ensuite à la plaie de
son côté, où elle apprend les secrets du cœur par le Sang
qui en découle dans le baptême et les sacrements ; elle par-
vient enfin à la bouche, qui lui donne le baiser de la paix .
divine (lxxvi).
Alors son union avec Dieu est si grande, qu'elle vit sur
la terre de la vie du ciel ; elle jouit de Dieu par la grâce,
comme les bienheureux par la gloire ; elle a le même
amour et les mêmes désirs. Le désir de l'honneur de Dieu
est inséparable de son amour; et ce désir est toujours satis-
fait, parce que toutes les créatures glorifient Dieu volontai-
rement ou involontairement, dans ce monde ou dans l'autre
' lxxx). La mort des saints détruit en eux la peine du désir,
mais non le désir; c'est un encens qu'ils purent à Dieu pour
le salut des hommes (lxxxii).
L'amour de l'àme a des signes extérieurs qui sont lés lar-
mes ; le cœur en répand par les yeux, et ces larmes sont
«les larmes de mort ou de vie, selon l'amour qui les cause
ixc). Elles ont aussi des fruits bien différents: les larmes
du monde produisent le trouble, la haine, le désespoir, tandis
que les larmes de la crainte et de l'amour de Dieu purifient
la conscience, font naître la vertu, excitent les saints désirs
et donnent faim du salut des âmes ; mais les larmes les
plus parfaites sont les larmes enflammées de la charité qui
s'unissent aux gémissements du Saint Esprit dont parle saint
Paul. Ces larmes transfigurent l'àme et remplissent les puis-
sances de toutes les lumières divines (xc.vi).
Dieu, qui est la Lumière, répond par des lumières à tous
les degrés de l'amour de l'àme. Il y a deux sortes de lu-
mières, la lumière de la raison et la lumière de la foi. La lu-
mière de la raison est donnée à tout homme, la lumière de la
foi est donnée dans le baptême ; et la raison, éclairée par cet-
te lumière, suit la voie de la vérité pour parvenir à Dieu La
lumière que reçoit l'àme a trois degrés : elle lui faiteonnaî-
T
AVANT-PHOPOS
XI
fôiki*»» et le néant du monde qui passe; elle
tre sa propre faiblesse et it nei , té ento , eU e
lui fait combattre ses sens edetu^e sa ,
,,ànit d'une manière . P«*»** Dwo, q ^
l'en distraire et l'en séparer. Lameomtcie
reuse dans son principe, mais non dan sa P
"arce qu'elle éprouve encore la peine du de,, £)
La lumière a été donnée au monde elle ses
eu Jésus-Christ, et tous peuvent la ^T^^S la
eucharistie. La Lumière, en P^*J£*J ^ nonrr ,
couleur de notre humanité. Elle est . « cvel lori .
tare que l'Église est «^e d ç d^r.b^ Le coj p ^
Les sens du corps sont trompes, ma. . non pas co. *
et l'empreinte lui en reste lorsque les saintes Lsp
sont consommées (cxn). nhareés
Combien est grande ^ dignité de ceux quo^^,
(le distribuer le sang de Jésus-Christ ! Quel lejtoit e
,a pureté de ceux qui répandent ce* Les faute
des ministres ne diminuent pas la sainteté ue
ils doivent les respecter, a cause du tréso qui
confié. Tout ce qu'on fait contre eus est fait contre l)
.exercera ses justices (cxxxm). nerfecUo n et Les
SSsEsSfess
crié d'abord à son image et à sa ressemblance ; puis, lorsque
■
■
XII
DIALOGUE DE SAINTE CATHEBINE
la faute d'Adam l'eut exilé du ciel, il lui donna pour y ren-
trer son Fils unique, dansl'lnearnationetPEucbaristie(cxxxv).
Les grands secours de la Providence ont été, sous l'Ancien
Testament, la Loi et les Prophètes, et sous le Nouveau, les
Apôtres, les martyrs, les confesseurs, et cette génération
de saints qui vivifient l'Église et perpétuent la lumière.
La Providence n'oublie aucune créature, et tous les événe-
ments sont des preuves de sa toute puissante honte. Ceux,
qui n'espèrent pas en elle sont des aveugles qui ne savent
distinguer où se trouve la vie et la vérité (cxl).
Dieu attire l'homme à lui par le bonheur et par l'adver-
sité: il varie ses moyens avec une ingénieuse tendresse, il
éveille dans les pécheurs le cri de leur conscience, il sollicite
pour eux les prières de ses serviteurs, dont il augmente la cha-
rité. Aux imparfaits il envoie le trouble, la tentation, ou îles
affections saintes, qui détournent leurs cœurs des plaisirs
passagers de la terre, pour les attacher plus intimement
a lui. Aux parfaits il prodigue la tribulation, les souffran-
ces, les persécutions, les sécheresses, pour fortifier leurs
vertus dans la patience et l'humilité (cxlv). Tous, dans
tous les instants et dans toutes les circonstances de leur vie,
éprouvent les effets de sa paternelle providence.
La providence brille au ciel et sur la terre, elle aétabli la
société sur l'inégalité des conditions, afin d'unir les hommes
par les liens de la charité. La mort ne peut interrompre cet
échange de services ; la prière va et vient pour secourir
ceux qui combattent dans le monde et qui souffrent dans le
purgatoire. Les bienheureux au sein de Dieu même se ser-
vent les uns les autres ; le plus petit et le plus grand se
communiquent leur bonheur (cxlviii). Mais ceux que la
Providence aime avec le plus de tendresse, ce. sont les
pauvres volontaires; elle veille sur tous leurs besoins et
leur prodigue des trésors inconnus, tandis que ceux qui
poursuivent les richesses ont une vie pleine d'angoisses et
de privations. La pauvreté est la royale épouse du Christ
et la tille bicn-airnée de la Providence (eu).
L'obéissance est le moyen de répondre aux desseins de
la Providence. Dieu a tout disposé pour conduire l'homme
au ciel, mais c'est l'obéissance qui lui en ouvre la porte
(ÇLV). Cette porte avait été fermée par la désobéissance
d'Adam ; elle a été ouverte par l'obéissance de Jésus-Christ ;
J
AVANT- PROPOS
XIII
el c'est en suivant la doctrine et les exemples du Sauveur
que nous pouvons entrer à notre tour. L'obéissance est géné-
rale ou particulière, selon qu'elle est Adèle aux préceptes et
aux conseils (cxvn) ; elle est fille de la charité et sœur de la
patience; elle donne à ceux qui la possèdent la paix, la lu-
mière et la force, tandis que ceux qui ne l'aiment pas sont
dans un trouble et des tourments continuels (clix).
Les Ordres religieux sont établis pour faciliter l'obéis-
sance; ce sont des barques qui affrontent les tempêtes sous
la conduite du Saint Esprit. Elles ont des pavillons diffé-
rents: saint François a choisi la pauvreté, saint Dominique
la science; mais les mêmes vertus les accompagnent, parce
qu'elles sont toutes, comme l'obéissance, filles de la charité.
Heureux ceux qui sont dans ces barques; mais malheur à
ceux qui veulent en sortir et qui n'y tiennent que par leur
habit; car ils courent risque de périr dans les flots du monde
et de tomber dans la damnation (clxi).
Le mérite de l'obéissance n'est pas dans la longueur du
temps qu'on y consacre ou dans la fatigue qu'on y trouve, il
est tout entier dans l'amour avec lequel on l'accomplit. C'est
par l'amour que ceux qui viennent à toutes les heures travail-
ler à la vigne du Père de famille gagnent le denier unique
de la vie éternelle (clxv).
Ainsi le livre admirable dont nous venons de donner une
esquisse rapide et décolorée, commence et finit par cette loi
d'amour qui nous unit à Dieu. Il décrit la route céleste que
suit l'âme, gravitant vers son centre et parcourant les espa-
ces que lui ouvre la Providence, pour qu'elle reflète sur le
prochain les rayons de la charité divine. Ces enseignements
sont revêtus d'une poésie et d'une beauté de langage qui ont
fait du Dialogue un chef-d'œuvre de la littérature italienne.
La pensée transfigure l'expression, qui est toujours simple,
ardente et lumineuse. Cet ouvrage rappelle saint Jean et
saint Thomas d'Aquin, les deux maîtres que Notre Seigneur
avait spécialement donnés à sainte Catherine. On dirait l'E-
vangile du disciple bien-aimé paraphrasé par l'Ange de l'é-
cole.
Au Dialogue nous avons ajouté les prières de sainte Cathe-
rine recueillies pendant ses extases. Elle s'y rattachent na-
turellement, et nous font connaître les derniers accents de
cette âme sublime au moment de quitter la terre. Nous don-
XIV DIALOGUE DK SAINTE CATHEMNE
nons aussi un petit traite de la Perfection, qu'on attribué
sainte Catherine, et qui n'est point indigne de ses autr
ouvrages.
Avant de publier cette traduction, nous avons cru de-
voir consulter des ecclésiastiques recomniandahles par leur
science et leur vertu; c'est leur décision que nous oppose-
rons à ceux qui pourraient nous blâmer de n'avoir pas sup-
primé le tableau des vices du clergé au xiv c siècle (1).
Les œuvres complètes de sainte Catherine de Sienne oui
reçu l'approbation du Saint-Siège; elles ont été imprimées
dans les États de l'Église, et nous savons personnellement
combien le souverain pontife, Pie IX, désire les voir con-
nues en France. Jamais l'Église n'a craint la vérité; elle con-
damne les insultes de l'orgueil, mais elle écoute les plaintes
de la charité. Elle gémit elle-même des fautes de ses minis-
tres infidèles, et elle seconde de tous ses efforts le zèle des
réformateurs qui ressentent la sainte colère dont Notre Sei-
gneur a donné l'exemple contre les prêtres de l'ancienne
loi.
Les passages du Dialogue que nous publions ne peuvent
offrir aucun danger; c'est Dieu lui-même qui expose les
plaies de son Église. Il le fait avec l'accent de la miséri-
corde, pour éveiller la compassion des âmes saintes et en
obtenir" des prières qui puissent lui permettre de sauver les
coupables. Le spectacle de leurs fautes ne doit point affai-
blir le respect que réclame la grandeur de leur ministère.
Le sang de Notre Seigneur Jésus-Christ, qu'ils sont chargés
de distribuer dans l'Église, rend sacrées leurs personnes el
les protège contre l'insulte et le mépris. Il faut pleurer sur
leurs fautes, et en laisser à Dieu le jugement.
Ces fautes ne doivent pas servir d'excuse à ceux qui pen-
sent justifier leurs vices par ceux des autres. Il s'agit d'ail-
leurs d'une époque éloignée de la nôtre, et personne assu-
rément n'adressera de semblables reproches au clergé de
France. Sa conduite désespère la calomnie; ses vertus sont
l'espérance de l'avenir et la joie du Père commun des
fidèles.
S'il n'y a pas danger, dira-t-on, il y a inutilité peut-être.
Il est toujours utile de connaître la vérité. Rien ne prouve
OiCliap. cxxi à cxxx.
J
AVANT-PROPOS
XV
mieux l'origine divine de l'Église que les scandales qui l'ont
affligée; puisque seule elle a résisté aux causes de destruc-
tion qui renversent les dynasties et les empires. Son exis-
tence sur terre est un combat, et ce combat une perpétuelle
victoire. Elle ne redoute pas plus la vérité qu'elle ne veut
profiter du mensonge. La réaction qui s'est faite depuis quel-
ques années en faveur du moyen âge a des exagérations
qu'il faut maintenant reconnaître. Cette époque a été regar-
dée comme la plus chrétienne de l'histoire. Il semble qu'alors
l'Église régna paisiblement sur les hommes et ne rencontra
jamais des conditions plus heureuses pour répandre ses di-
vines inspirations.
L'Église au moyen âge, il est vrai, eut à remplir un grand
rôle. Elle dut sauver la civilisation et discipliner les races
nouvelles qui avaient détruit l'empire romain. C'est clans ce
but que la Providence augmenta son pouvoir. Elle s'en servit
pour reconstituer la société, refondre la législation et déve-
lopper l'agriculture, la science et l'industrie. Elle éleva sur-
tout des monuments merveilleux, parce que l'art fut alors
religieux et populaire. Ces deux conditions sont les bases
essentielles de l'art, et c'est en les détruisant que la Renais-
sance amena la décadence.
Cette admirable action de l'Église ne fut pas cependant
facile et incontestée. Semblable a l'arche sur les flots du dé-
luge, l'Église eut à traverser bien des tempêtes et des abi-
mes, et c'est pour la sauver de ces dangers que Dieu lui donna
saint Bernard, saint Dominique, saint François, saint Louis el
sainte Catherine. Le monde ancien avait péri. Le pouvoir, sans
unité, était incapable d'opposer une digue aux passions in-
dividuelles; la féodalité suivait la loi du plus fort, et met-
tait la violence du barbare au service des mœurs de l'Orient .
Le grand mouvement des croisades fut arrêté par les vices
des chrétiens plutôt que par les armes des infidèles. La si-
monie et la débauche désolaient le sanctuaire, et, s'il faut
croire le témoignage des Saints, jamais la dépravation ne fut
plus universelle qu'au xiv° siècle.
La peste noire, le plus terrible fléau qui ait ravagé la terri'
depuis le déluge, fut envoyée pour punir ces abominations;
le Dialogue de sainte Catherine de Sienne nous explique
cette grande expiation. La main qui gouverne le monde y
répand les trésors de sa bonté ou les châtiments de sa co-
XVI
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
1ère, selon le bien ou le mal que font les hommes; il existe
entre eux tous une solidarité véritable. La faute la plus se-
crète et la plus solitaire pèse clans les destinées d'une na-
lion; le moindre de nos actes, une pensée bonne ou mau-
vaise peut, à un moment donné, faire pencher la balance
divine et décider de la vie ou de la mort d'un grand nombre.
Notre volonté nous rend homicides ou sauveurs.
Le livre de sainte Catherine de Sienne, qui proclame si
hautement cette solidarité, doit surtout nous faire aimer
l'Église, la lumière et le salut des nations. Le spectacle des
vices qui ont autrefois souillé ses ministres nous prouvera
combien sont inébranlables ses fondements; les faibles se-
ront rassurés, et les âmes saintes ne cesseront jamais ces
prières victorieuses que Dieu sollicite pour faire miséricorde
au monde.
La vie de sainte Catherine de Sienne et les témoignages
de ses disciples nous permettent de préciser l'époque à la-
quelle fut composé le Dialogue. Le bienheureux Raymond
île Oapoue dit positivement que ce fut deux ans avant sa
mort, circa bienniufn ante transitum çjus; et il ajoute que ce
livre fut composé en peu de temps, in brevi tenipore'compo-
silus est (1). La même indication se trouve dans la légende
du bienheureux Thomas Cafl'arini, et dans la déposition de
l'inquisiteur de Ferrare, au procès de Venise. Enfin, un des
manuscrits les plus anciens nous apprend que ce livre a été
terminé le 13 octobre 1378. Cette date concorde parfaite-
ment avec l'histoire.
Ce fut vers le milieu de l'année 1377 que sainte Catherine
fut envoyée aux Florentins par Grégoire XI. Sa mission se
continua sous le pontificat d'Urbain VI, et la paix ne fut
conclue et ratifiée qu'au mois de juillet 1378. Sainte Cathe-
rine revint alors à Sienne, et y resta jusqu'au moment où le
souverain pontife la fit appeler près de lui par le bienheu-
reux Raymond de Capoue. Elle arriva à Rome le 28 novem-
bre 1378. Ainsi, ce fut entre les mois de juillet et d'octobre
de cette même année que sainte Catherine dicta le Dialogue;
elle avait alors trente et un ans.
Le Dialogue fut écrit par ses secrétaires pendant ses ex-
tases. Aux témoignages du bienheureux Raymond de Ca-
(1) Vie de sainte Catherine, III p., cl), ni.
AVANT-PROPOS
XV IV
poue et d'Etienne Maconi,nous joindrons celui de Christophe
tihanni. Christophe avait été converti par notre Sainte, et
■quand elle mourut, il quitta le monde et ses fonctions de
notaire pour servir les pauvres de Jésus-Christ dans le célè-
bre hospice de la Scala. Les archives de cet hospice con-
servent un petit volume écrit de sa main; il y parle du Dia-
logue et raconte comment il fut composé. Sainte Catherine
£tait complètement privée de l'usage de ses sens; Dieu le
l'ère parlait en elle, et elle répondait; elle répétait ensuite
les paroles de ce céleste entretien. Ses secrétaires écrivaient.
C'était tantôt Barduccio, tantôt Etienne Maconi, tantôt Henri
I.andoccio. Christophe Channi était présent, il entendait
ioutet il écrivait aussi (1).
La forme du Dialogue est une preuve frappante de cette
origine miraculeuse. On n'y aperçoit pas le travail de l'intel-
ligence et les efforts de la pensée pour suivre un plan tracé ;
• une inspiration continuelle en vivifie toutes les parties et les
conserve dans une magnifique unité. Il semble que sainte Ca-
therine l'ait dicté dans une seule extase. Quel que fût l'in-
tervalle d'une séance à l'autre, elle ne relisait jamais ce qui
avait été écrit, mais elle continuait où elle s'était arrêtée; et
quand le livre fut terminé, elle le résuma fidèlement tout
entier.
Les divisions du Dialogue ne sont pas de sainte Catherine.
Les indications des chapitres viennent de notes que ses dis-
ciples ont mises aux marges de leur manuscrit. L'ouvrage
lui-même a reçu des titres différents; celui qui semble le
plus ancien est le Livre de la Doctrine divine, que lui don-
nent Christophe Ghanni (2) et le bienheureux Raymond, dans
sa traduction latine. Le texte publié par Cigli porte celui de
Traité de la divine Providence. Nous avons préféré conserver
au livre de sainte Catherine le simple nom de Dialogue, qui
est consacré par une longue tradition.
(1) Questo fece tutto, essendo cita in astrattione, pcrduti tutti o sentiment'!, sal-
ve che la lengua. Dio Padre parlava in liei, et ella rispondeva, et domandava.
et ella medesima recitava le parole di Dio Padre dette di liei, et anco la medesime
<li'olla diceva Ella diceva, c une scriveva, quando Ser Barduccio, quando il
<letto donno Stefano, et quando Ncri di Landoccio. Questo pare clie sia cosa de non
<-rcdure, ma coloro che lo scrissero e udiro, non lo'pare cosi, et to sono uno di
■quegli (Archives de la Scala, carton des contrats publics).
(2) Questo libro fu poi intitolato cosi : Libro delta dii'ina dottnna dala i»'r
ta peraona di Dio Padre,parlando allô inteUetto délia gloriosae santa vcryi-
j,e Caterina da Siena del VAbilo dellapenilenzadclVOrdmede'Predtcaton.
DIAI.OCL'E de Ste Catherine. — B.
•i,li
XVI11 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
Le Dialogue a été divisé en quatre traités: Traités de la
Discrétion, do la Prière, de la Providence et de l'Obéissance.
La traduction latine du bienheureux Raymond sépare en
deux parties les traités de la Prière et de la Providence;
Malgré ces divisions, il n'y a pour tout l'ouvrage qu'une
seule série cle chapitres. Les titres des chapitres manquent
"lisent de concision, et nous les avons quelquefois simpli-
fiés. Nous avons cru aussi devoir partager le texte en un
plus grand nombre d'alinéas, que nous avons numéroté»,
afin d'en faciliter la lecture et les citations.
Les disciples de sainte Catherine firent de nombreuses co-
pies du Dialogue, qu'ils répandirent en Europe. Christophe
Ghanni en donna une à un évêque français qui écrivit en-
suite au bienheureux Raymond que ce livre avait été très
admiré dans son pays. Ces manuscrits présentent quelques
variantes, et le défaut de ponctuation a fait naître des diffi-
cultés que les éditeurs ont interprétées d'une manière diffé-
rente. Le texte que nous avons" suivi est celui que Glgli ;i
choisi entre tous. Ce savant auteur le croit écrit de la main
d'Etienne Maconi. Ce manuscrit en elTèt est de son époque.
les notes marginales sont postérieures; il contient des lettres
inédites cle sainte Catherine, et celui qui l'a écrit annonce
qu'il va raconter la mort de la Sainte, malgré la grande don-
leur qu'elle lui cause; enfin il est signé avec la formule
qu'Etienne Maconi mettait au bas des lettres que lui dictait
sainte Catherine; il y réclamait des prières pour lui. en ajou-
tant: Peega per lo lno inutile fratello peccatore.
Plusieurs traductions latines du Dialogue ont été faites
par des disciples de sainte Catherine. Christophe Ghanni eu
fit une, comme on le voit dans la déposition de frère Tho-
mas de Sienne, au procès de Venise. Etienne Maconi en lit
une autre ; il nous l'apprend dans une note qu'il écrivit sur
un manuscrit de la chartreuse de Sainte-Marie des Grâces.
Il donna en échange de ce manuscrit un exemplaire du Dia-
logue qu'il avait mis en latin (1). Enfin, dans le premier pro-
logue de la Vlede sainte Catherine île Sienne, le bienheureux
Raymond de Capoue nous dit qu'il a traduit cet ouvrage, ci
qu'il a eu beaucoup de peine à rendre en latin l'élévation
( 1 1 Loco c-iijns exbibui prfefato V. Thomas Dialogum quoi]] sanctn mater I
iïnn composuit, liccl in vulgari, sed c-go lutinizavi.
AVANT-PROPOS
XIX
du style et Ja profondeur des pensées (1). Celte traduction,
qui seule a été imprimée, est bien loin de rendre en effet la
; beauté de l'original; Elle manque de vigueur et de conci-
i sion, mais elle donne le sens théologique de quelques pas-
sages difficiles. Personne n'était plus capable que le bien-
! heureux Raymond d'interpréter la pensée de sainte Cathc-
\ rine.
Il existe aussi deux anciennes traductions en français du
& Dialogue. L'une a été faite par les Pères Dominicains de la
rue Saint-Jacques, et publiée en 1580(2) ; l'autre a été fade
[par le Père Louis Chardon, en 4G48. Elle sont rares mainte-
nant et d'une lecture pénible.
/ Nous avons fait tous nos efforts pour rendre cette traduc-
t tion meilleure ; nous espérons qu'elle est fidèle, mais nous
f sentons eombien nous sommes loin de la grâce et des beau-
f tés de l'original ; aussi nous prions nos lecteurs de nous si-
mialer toutes les imperfections qu'ils remarqueront dans
: notre travail; nous désirons le rendre plus digne de notre
chère Sainte, et nous recevrons leurs observations avec re-
connaissance.
Ce livre a besoin d'être lu dans le recueillement et la
prière ; il est surtout destiné aux âmes que Dieu attire à lui
par une vocation privilégiée. Puissent les enseignements de
sainte Catherine les éclairer et les embraser ! Puisse la cha-
rité qui s'échappe de cette source divine inonder leur cœur,
pour déborder ensuite sur le prochain ! Celui qui a écrit ces
pages réclame leurs prières ; il dit aussi en finissant : Prego
per In tuo inutile fratello peecatore.
E. CABTIER.
(I) Qui quidein stilus est altissimus, itaut vix inveniatur sermo latinus corres-
pondons altitudini stili ejus proutinprœsentiaruin experior ego ipse, qui transferre
Inlatinum ipsum satago. Sententite ru ni tam altte, parte et profondie, quod si
cas in l„tino perceperis prolatas, Aurclii Augustin! putes potins fuisse quam eu,
juscumque alterius (ProL.p. S).
' @) La Doctrine spirituelle descripte par forme de dialogue, de I .-..<<(-
tente vierge sainte Catherinede Sienne, religieuse du Tiers-Ordre de s -
Dominique. A Paris. ehezGervais Mallot. Eckhart et Quétif n'ont connu que la
seconde édition de cet ouvrage, faite en 1ÔK7, chez Chaudière
II
TOI
I
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
DE SIENNE
AU NOM DE JÉSUS CRUCIFIÉ,
DE LA DOUCE VIERGE MARIE, DU GLORIEUX
PATRIARCHE DOMINIQUE.
I. — Dne âme, avide de la gloire de Dieu et du prochain, s'ap-
plique humblement à la prière ; elle adresse quatre de-
mandes à Dieu, lorsqu'elle lui est unie par la charité.
1. — Une âme qui désire ardemment l'honneur de Dieu
et le salut du prochain s'applique d'abord aux exercices
ordinaires et se renferme dans l'étude de sa propre fragi-
lité, afin de mieux connaître la bonté de Dieu à son
égard. Cette connaissance fait naître l'amour, et l'amour
cherche à suivre et à revêtir la vérité. '
2. — Rien ne donne plus la douceur et la lumière de
la vérité qu'une prière humble et continuelle, qui a pour
fondement la connaissance de Dieu et de soi-même. Cette
prière unit l'âme à D:eu en lui faisant suivre les traces
de Jésus crucifié, et en la rendant un autre lui-même par
la tendresse du désir et par l'intimité de l'amour. Notre-
Seigneur n'a-t-il pas dit : « Si quelqu'un m'aime, il gar-
dera mes commandements » ; et ailleurs : » Celui qui m'ai-
dialogue de S. Cath. de S.
1.
2 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
me est aimé de mon Père : je l'aimerai et je me mani-
festerai à lui ; il sera une même chose avec moi, et moi
avec lui» (S. Jean, XIV, 21 ).
3. — Nous trouvons dans l'Écriture plusieurs paroles
semblables, qui nous prouvent que l*ame, par reflet de l'a-
mour de Dieu, devient un autre lui-même ; et pour nous
en convaincre, voici ce qu'une servante de Dieu, étroite-
ment unie à lui dans la prière, avait appris de son bon
Maire au sujet de l'amour infini qu'il porte à ceux qui
le servent:
4. _ « Ouvre l'œil de ton intelligence, lui disait-il, re-
garde en moi, et tu verras la dignité et la beauté de ma
créature raisonnable. Entre toutes les grâces dont j'ai
embelli l'âme en la créant à mon image et ressemblance,
admire le vêtement nuptial de la charité et l'ornement
des vertus que portent ceux qui me sont continuellement
unis par l'amour. Si tu me demandes qui sont ceux-là,
je te répondrai, ajoutait le très doux et très aimable Verbe
de Dieu, ceux-là sont d'autres moi-même qui ont voulu
perdre et détruire leur volonté pour se conformer à la
mienne, et l'âme s'unit à moi en toute choses ». Il est donc
bien vrai que l'âme s'unit à Dieu par l'amour.
5. — Lorsque cette âme voulut connaître plus claire-
ment la vérité, afin de pouvoir la suivre davantage, elle
fit à Dieu le Père quatre demandes humbles et ferventes :
la première était pour elle, parce qu'elle comprenait qu'on
ne peut être utile au prochain par son enseignement,
ses exemples et ses prières, si l'on n'acquiert pas la vertu
soi-même ; la seconde demande était pour la réforme de
la sainte Église ; la troisième demande était pour l'univers
entier, afin d'obtenir surtout le salut et la paix de ces
chrétiens qui insultent et persécutent l'Église avec tant
d'acharnement ; par la quatrième demande, elle implorait
le secours de la divine Providence pour tous les hommes
et pour un cas particulier.
II. _ Dieu augmente le désir de l'âme en lui montrant la
misère du monde.
\. — Ce désir de l'honneur de Dieu et du salut des
hommes était grand et continuel; mais il s'accrut bien
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE,
CH. III
davantage lorsque la Vérité suprême lui eut montré la
misère du monde, les périls et les vices où il est plongé ;
elle le comprit aussi en recevant une lettre clans laquelle
son père spirituel lui expliquait la peine et la douleur
immense que doivent causer l'outrage fait à Dieu, la perte
des âmes et les persécutions contre la sainte Église.
2. — L'ardeur de son désir augmentait alors ; elle pleu-
rait l'offense de Dieu, mais elle se réjouissait aussi clans
l'espérance que la miséricorde infinie voudrait bien arrêter
de semblables malheurs. Et parce que, dans la sainte com-
munion, l'âme s'unit plus doucement à Dieu et connaît da-
vantage la vérité, puisque alors elle est en Dieu, et Dieu
est en elle, comme les poissons qui sont dans la mer en
sont eux-mêmes pénétrés, cette âme avait hâte d'arriver
au lendemain matin, afin de pouvoir entendre la messe.
3. — C'était une fête de la Sainte Vierge : dès que le
jour eut paru et que la messe fut sonnée, elle y courut
avec tous les désirs qui l'agitaient ; elle avait une telle
connaissance de sa faiblesse et de ses imperfections,
qu'elle croyait être la principale cause de tout le mal qui
se faisait dans le monde, et cette connaissance lui ins-
pirait une horreur d'elle-même et une soif de la justice
qui la purifiaient de toutes les taches qu'elle apercevait en
elle. Elle disait: Père éternel, je. m'accuse moi-même
devant vous, punissez-moi de mes offenses; et puisque
je suis la cause principale des peines que supporte mon
prochain, faites-les moi souffrir, je vous en conjure.
III. — Les œuvres de l'homme sont insuffisantes pour ex-
pier et mériter dés qu'elles sont séparées de la charité.
1. — L'éternelle Vérité acceptait le désir de cette âme
et l'attirait en haut comme l'offrande des sacrifices de
l'Ancien Testament, lorsque le feu du ciel descendait et
prenait ce qui était agréable à Dieu. La douce Vérité
faisait de même en cette âme ; elle lui envoyait le feu
de l'Esprit Saint qui consumait le sacrifice du désir qu'elle
lui avait offert, et elle lui disait : Ne sais-tu pas, ma fille,
que toutes les peines que souffre et que peut souffrir
une âme dans cette vie, sont incapables d'ex.pier la faute
1/
4 DIALOGUE DE SAINTE CATHEK1NE
la plus légère? L'offense faite à moi, qui suis le Bien in-
fini demande une satisfaction infime,
ô' le veux que tu saches que toutes les peines ne
sont pas données en cette vie pour expier, ma.s pour
sont pas aonn un père pom .
corriger. Cewnt tes moy u satisfactio n est dans
changer un enfant qui Joffen . ^^^ et qui
ET péch . STcïïiTU. satisfait a la faute
et à la peine, non par la douleur qu'on éprouve, ma.s
„„.. ip désir infini qu'on ressent.
P " 1 Celui qui est infini veut un amour et une dou-
,eur infinis II veut la douleur infinie de l'âme, d abord
p"ur «offenses qu'elle a faites a son Créateur et en-
suite pour celles qu'elle voit commettre par le pro-
chain Ceux qui ont ce désir infini, et qui me sont par
conséquent unis par l'amour, faussent animent lo-
au'ils m'offensent ou qu'ils me voient offenser. Leurs
peines, spirituelles ou corporelles, de quelque cote qu elles
Kent, acquièrent un mérite infini et satisfont a la
faute qu méfait une peine infinie, quoique ces œuvres
cTlÏÏ-mèmes soient finies et accomplies dans le temps
qui est fini. Ils ont agi avec un désir infini et eu* .pei-
nes ont été supportées avec une contrition, un regret
de Sensé infinis, et c'est pour cela que la satisfaction
€ 1 P *est ce qu'explique saint Paul lorsqu'il dit : « J'au-
rai' beau parler la langue des anges et des hommes , pro-
nliétiser donner tout mon bien aux pauvres et livrai
îTco'rps aux flammes, si te n* paSla chanté *j
cela ne me servira de rien» (I Cor., XIII, 1-3, ). bApo-
?è prouve par là que les œuvres finies sont incapables
d'expier et de mériter sans le concours de la chante.
IV - Le désir et la contrition du cœur satisfont à la
faute et à la peine pour soi et pour les autres, quel-
quefois à la faute seulement et non a la peine.
! _ je t'ai montré, ma fille bien-aimée, que la faute
n'est pas punie par la seule peine qu'on souffre dans te
lu : s P conime expiation, mais par la peine qu, vien de
l'amour et de la contrition du cœur; Ainsi 1 efficacité
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
CH. IV
n'est pas dans la peine, mais dans le désir de l'âme;
et ce désir, comme toutes les autres vertus, n'a de va-
leur et de force qu'en Jésus-Christ, mon Fils unique ; sa me-
sure est l'amour que l'âme a pour lui et sa fidélité à sui-
vre ses traces. C'est là le seul et véritable moyen.
2. _ Les peines ne satisfont à la faute que par ce
doux et intime amour qui naît de la connaissance de
ma bonté, et par cette amère et profonde contrition du
cœur qui vient de la connaissance de soi-même et de ses
fautes. Cette connaissance produit la haine et la fuite du
péché et de la sensualité. Elle fait comprendre qu'on est
digne de toutes sortes de châtiments et qu'on ne mérite-
aucune consolation.
3. — La très douce Vérité disait encore : Oui, la con-
trition du cœur et les sentiments d'une patience sincère
et d'une humilité véritable, font que rame se trouve digne
de peines et indigne de récompenses ; l'humilité porte à
tout souffrir avec patience, et c'est en cela que consiste
la satisfaction.
4. — Tu me demandes des peines pour satisfaire aux
offenses que commettent contre moi les créatures, et tu
désires me connaître et m'aimer, moi qui suis la Vérité
suprême et la Source de la vie. Le moyen d'acquérir ma
connaissance et de goûter ma vérité éternelle, c'est de
ne jamais sortir de la connaissance de toi-même. En
t'abaissant dans la vallée de l'humilité, tu me connaîtras
en toi, et tu trouveras dans cette connaissance tout ce
qui te sera nécessaire.
5. — Aucune vertu ne peut exister sans la charité et
sans l'humilité, qui est la gouvernante et la nourrice
de la charité. La connaissance de toi-même te donnera
l'humilité, parce que tu verras que tu n'as pas l'être
par toi-même, mais par moi, qui vous aimais jusque
dans les profondeurs du néant ; et cet amour ineffable
que j'ai eu pour vous a voulu vous renouveler dans la
grâce en vous lavant et vous recréant par ce sang que
mon Fils unique a répandu avec tant d'ardeur. C'est ce
sang qui enseigne la vérité à celui qui a dissipé le nuage
de l'amour-propre par la connaissance de soi-même ; et
ce sang est l'unique maître.
6. — L'âme, en recevant ces leçons, éprouve un amour
(i
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
immense, et cet amour lui cause une peine continuelle,
non pas une peine qui l'afflige et la dessèche, mais qui
l'engraisse au contraire. Elle a connu ma vertu, et ses
fautes, l'ingratitude et l'aveuglement des hommes; elle
en ressent une peine inexprimable, mais elle souffre parce
qu'elle aime; sans l'amour elle ne souffrirait pas ainsi.
Dès que vous aurez connu ma vérité, il faudra supporter
jusqu'à la mort les tribulations, les injures et les affronts
de toutes sortes, en l'honneur et à la gloire de mon
nom.
7. — Souffrez ces épreuves avec une vraie patience,
avec une douleur sincère de tout ce qui m'offense, avec
un amour ardent de tout ce qui peut glorifier mon nom.
Vous satisferez ainsi à vos fautes et à celles de mes
autres serviteurs. Vos peines, rendues efficaces par la
puissance de la charité, pourront expier et mériter pour
vous et pour les autres. Pour vous, vous recevrez le fruit
de la vie ; les fautes qui vous sont échappées seront effacées,
et je ne me rappellerai pas que vous les avez commises :
pour les autres, je prendrai votre charité en considéra-
tion, et je leur donnerai selon les dispositions avec les-
quelles ils les recevront. A ceux qui écouteront avec
respect et humilité mes serviteurs, je remettrai la faute
et la peine, parce qu'ils parviendront à la connaissance
et à la contrition de leurs péchés.
8. —Les prières et les ardents désirs de mes serviteurs se-
ront pour eux des semences de grâces ; en les recevant
humblement ils en profiteront à des degrés différents,
selon les efforts de leur volonté. Oui, ils seront par-
donnés à cause de vos saints désirs, à moins que leur
obstination soit telle, qu'ils veuillent être séparés de moi
par le désespoir et qu'ils méprisent le sang de mon Fils,
qui les a rachetés avec tant d'amour.
9. — Quel fruit en retireront-ils? Le fruit qu'ils en
retireront, c'est que, contraint par les prières de mes ser-
viteurs, je les éclairerai ; j'exciterai les aboiements de
leur conscience, et je leur ferai sentir la bonne odeur
de la vertu, en leur rendant douce et profitable la so-
ciété de mes amis.
10. — Quelquefois je permettrai que le monde leur
laisse entrevoir ses misères, les passions qui l'agitent
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE — CIÏ. IV
et le peu de stabilité qu'il présente, afin que leurs désirs
s'élèvent aux choses supérieures et qu'ils se dirigent vers
le ciel, leur patrie. J'emploierai mille moyens ; l'œil ne
saurait voir, la langue raconter, et le cœur imaginer
toutes les ruses qu'invente mon amour pour leur donner
ma grâce et les remplir de ma vérité. J'y suis poussé
par cette inépuisable charité qui me les a fait créer,
et aussi par les prières, les désirs et les angoisses de
mes serviteurs. Je ne puis rester insensible à leurs lar-
mes, à leurs sueurs et à leurs humbles demandes ; car
c'est moi-même qui leur fais aimer ainsi leur prochain
et qui leur inspire cette douleur de la perte des âmes.
11. _ je ne puis cependant pas remettre la peine,
mais seulement la faute, à ceux qui, de leur côté, ne
sont pas disposés à partager mon amour et l'amour de
mes serviteurs. Leur contrition est parfaite comme leur
amour, et ils n'obtiennent pas comme les autres la
satisfaction de la peine, mais seulement le pardon de la
faute ; car il faut qu'il y ait rapport entre celui qui
donne et celui qui reçoit. Us sont imparfaits, et ils re-
çoivent imparfaitement la perfection des désirs et des
peines qui me sont offerts pour eux.
12. — Je t'ai dit qu'ils recevaient avec le pardon en-
core d'autres grâces, et c'est la vérité ; car, lorsque la
lumière de la conscience et les autres moyens que je
viens d'indiquer leur ont fait remettre leur faute, ils
commencent à connaître leur intérieur et à vomir la cor-
ruption de leur péché ; ils se purifient et obtiennent de
moi des grâces particulières.
13. — Ceux-là sont dans la charité commune, qui ac-
ceptent en expiation les peines que je leur envoie ; et
s'ils ne font point résistance à la clémence du Saint-
Esprit, ils quittent le péché et reçoivent la vie de la
grâce. Mais par ignorance et par ingratitude, ils mé-
connaissent ma bonté et les fatigues de mes serviteurs ;
tout ce qu'ils ont reçu de ma miséricorde leur tourne
en ruine et en condamnation. Ce n'est pas la miséri-
corde qui leur fait défaut, ni le secours de ceux qui
l'ont humblement obtenue pour eux, mais c'est leur libre
arbitre qui a malheureusement rendu leur cœur dur
comme; le diamant. Cette dureté, ils peuvent la vaincre
8 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
tant qu'ils sont maitres de leur libre arbitre, ils peuvent
réclamer le sang de mon Fils et l'appliquer sur leur
cœur pour l'attendrir, et ils recevront le bénéfice de ce
sang qui a payé pour eux.
-14. — Mais s'ils laissent passer le délai du temps, il
n'y aura plus de remède, parce qu'ils n'auront point fait
fructifier le trésor que je leur avais confié en leur don-
nant la mémoire pour se rappeler mes bienfaits, l'in-
telligence pour voir et connaître la vérité, et l'amour
pour les attacher à moi, qui suis cette Vérité éternelle
que l'intelligence leur avait fait connaître ! C'est là le
trésor que je vous ai donné et qui doit me rapporter ;
ils le vendent et l'aliènent au démon, qui devient leur
maitre et le propriétaire de tout ce qu'ils ont acquis
pendant la vie. Ils ont rempli leur mémoire de plaisirs
et de souvenirs déshonnétes ; ils sont souillés par l'or-
gueil, l'avarice, l'amour-propre et la haine du prochain,
qui leur devient insupportable ; ils ont même persécuté
mes serviteurs, et toutes ces fautes ont égaré leur in-
telligence dans le désordre de la volonté. Ils tomberont
avec le démon clans les peines de l'enfer, parce qu'ils
n'auront pas satisfait à leurs fautes par la contrition et
la haine du péché.
15. — Ainsi tu vois que l'expiation de la faute est
dans la parfaite contrition du cœur, et non dans les
souffrances temporelles ; non seulement la faute, mais la
peine qui en est la suite, est remise à ceux qui ont
cette contrition parfaite, et en général, comme je te l'ai
dit, ceux qui sont purifiés de la faute, c'est-à-dire qui
sont exempts de péchés mortels, reçoivent la grâce ; mais
s'ils n'ont pas une contrition suffisante et un amour ca-
pable de satisfaire à la peine, ils vont souffrir dans le
purgatoire.
. 16. — Tu vois que la satisfaction est dans le désir de
l'àme unie à moi, le Bien infini, et qu'elle est petite ou
grande selon la mesure de l'amour de celui qui fait la
prière et du désir de celui qui reçoit. C'est cette mesure
de celui qui m'offre et de celui qui reçoit qui est la
mesure de ma bonté. Ainsi, travaille à augmenter les
flammes de ton désir, et ne te lasse pas un instant de
crier humblement vers moi et de m'offrir pour ton pro-
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
CH. V
9
Chain d'infatigables prières. Je le dis pour toi et pour le
père spirituel que je' t'ai donné sur terre, afin que vou s
agissiez avec courage et que vous mouriez à toutes
sortes de sensualités.
V. — Combien plaît à Dieu le désir de souffrir pour lui.
1. — Rien ne m'est plus agréable que le désir de souf-
frir jusqu'à la mort des peines et des épreuves pour le
salut des âmes ; plus on souffre, plus on prouve qu'on
m'aime ; l'amour fait connaître davantage ma vérité ; et
plus on la connaît, plus on ressent de douleur des fau-
tes qui m'offensent. Ainsi, en me demandant de punir
sur toi les péchés des autres, tu me demandes l'amour,
la lumière, la connaissance de la vérité; car l'amour se
proportionne à la douleur, et augmente avec elle.
2. — Je vous ai dit : Demandez, et vous recevrez ; je
ne refuserai jamais celui qui me demandera dans la vé-
rité. L'ardeur de la divine charité est si unie clans l'âme
avec la patience parfaite, que l'une ne peut y subsister
sans l'autre. Dès que l'âme veut m'aimer, elle doit vou-
loir aussi supporter, par amour pour moi, toutes les pei-
nes que je lui accorderai, quelles que soient leur mesure
et leur forme. La patience ne vit que de peines et la
patience est la compagne inséparable de la charité. Ainsi
donc supportez tout avec courage ; sans cela vous ne
sauriez être les époux de ma vérité, les amis de mon
Fils, et vous ne pourriez montrer le désir que vous avez
de mon honneur et du salut des âmes.
VI. —Toute vertu et tout défaut se développent par le moyen
du prochain.
1. — Je veux que tu saches que toute vertu et tout
défaut se développent par le moyen du prochain. Celui
qui est dans ma disgrâce fait tort au prochain et à lui-
même, qui est son principal prochain. Ce tort est général
et particulier; il est général parce que vous êtes obligé
d'aimer votre prochain comme vous-même, et qu'en l'ai-
mant, vous devez lui être utile spirituellement par vos
i
I0 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
prières et vos paroles; vous devez le conseiller et l'aider
dans son âme et dans son corps, selon ses nécess.tes, au
moins de désir, si vous ne pouvez le faire autrement.
2 - Celui qui ne m'aime pas, n'aime pas son prochain,
et ne l'aimant pas il ne peut lui être utile. Il se lait tort,
puisqu'il se prive de la grâce ; il fait tort au prochain, puis-
qu'il le prive des prières et des saints dés.rs qu .1 devait
m' offrir pour lui, et dont la source est mon amour et
l'honneur de mon nom. ,
' 3 _ Ainsi tout mal vient à l'occasion du prochain qu on
n'aime pas, dès qu'on ne m'aime pas; et quand on n'a plus
cette double charité, on fait le mal puisqu'on n accomplit
plus le bien. A qui fait-on le mal, si ce n'est à soi-même
ou au prochain ? Ce n'est pas à moi, car le mal ne saura,
m'atteindre, et je ne regarde fait à moi que celui qu. est fait
aux autres.
4 - On fait le mal contre soi-même, puisqu on se pri-
ve de ma grâce, et qu'on ne peut par conséquent se
nuire davantage. On fait le mal contre le prochain puis-
qu'on ne lui donne pas ce qui lui est dû au nom de la-
mour, et qu'on ne m'oiïre pas pour lut les prières et les
saints désirs de la charité. _
5 - C'est là une dette générale envers toute créature
raisonnable; mais elle est plus sacrée à l'égard de
tous ceux qui vous entourent, parce que vous êtes obliges
,1e vous soutenir les uns les autres par vos paroles et
vos bons exemples, recherchant en toutes choses l utilité
de votre prochain, comme celle de votre âme, sans pas-
sion et sans intérêt. Celui qui n'agit pas ainst manque
,1e charité fraternelle, et fait par conséquent tort à son
prochain; non seulement il lui fait tort en ne lui fa.sant
pas le bien qu'il pourrait lui faire, mais encore en le
portant au mal.
6 - Le péché est actuel ou mental dans 1 homme : il
se commet mentalement lorsqu'on se délecte dans la
pensée du péché, et lorsqu'on déteste la vertu par un
effet de l'amour sensitif, qui détruit la chanté qu on
doit avoir pour moi et pour le prochain. Dès qu on a
conçu ainsi le péché, on l'enfante contre le procha.n de
diverses manières, selon la perversité de la volonté sensi-
tîva C'est quelquefois une cruauté spirituelle et corporelle :
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE — CH. VI
11
elle est spirituelle, lorsqu'on se voit ou qu'on voit les
créatures en danger de mort et de damnation par la perte
de la grâce, et qu'on est assez cruel pour ne pas recou-
rir à l'amour de la vertu et à la haine du vice.
7. — Quelquefois on pousse cette cruauté jusqu'à vou-
loir la communiquer aux autres: non seulement on ne
lui donne pas l'exemple de la vertu, mais on fait l'office
du démon, en retirant les autres de la vertu autant
qu'on le peut, et en les conduisant au vice. Quelle cruauté
plus grande peut-on exercer envers l'âme que de lui ôter
ainsi la vie de la grâce et de lui donner la mort éter-
nelle? La cruauté envers le corps a sa source dans la
cupidité. Non seulement on néglige d'assister son pro-
chain, mais encore on le dépouille jusque dans sa pau-
vreté, soit par force, soit par fraude, en lui faisant ra-
cheter son bien et sa vie.
8. — cruauté impitoyable, pour laquelle je serai sans
miséricorde, si elle n'est pas rachetée par la compassion
et la bienveillance envers le prochain ! Elle enfante des
paroles que suivent souvent la violence et le meurtre,
ou bien des impuretés qui souillent et changent les autres
en animaux immondes ; et ce n'est pas une personne
ou deux qui sont infectées, ce sont tous ceux qui fré-
quentent et approchent seulement ce cruel corrupteur.
9. — Que n'enfante pas aussi l'orgueil, si avide de
réputation et d'honneur ! On méprise le prochain, on s'é-
lève au dessus de lui et on lui fait injure. Si l'on est
dans une position supérieure, on commet l'injustice, et
on devient le~~bourreau des autres.
10. — ma fille bien-aimée, gémis sur toutes ces offenses
et pleure sur tous ces morts, afin que tes prières les res-
suscitent. Tu vois quand et comment les hommes com-
mettent le péché contre le prochain et par son moyen.
Sans le prochain, il n'y aurait pas de péchés secrets ou
publics. Le péché secret, c'est de ne pas l'assister comme
on doit le faire ; le péché public, c'est cette génération
de vices dont je viens de parler. Il est donc vrai que
toutes les offenses me sont faites par le moyen du pro-
chain.
12
DIALOGUE DE SAINTE CATHEIUNK
VII. — Les vertus s'accomplissent par le moyen du prochain.
— Pourquoi elles sont si différentes dans les créatures.
1. — Je t'ai dit que tous les péchés se font par le moyen
du prochain ; leur cause est dans le défaut de la charité,
qui seule fait naître, vivifie et développe toute vertu.
L'amour-propre qui détruit la charité et l'amour du pro-
chain, est le principe et le fondement de tout mal. Le
scandale, la haine, les cruautés, toutes les fautes viennent
de cette racine mauvaise, qui empoisonne le monde en-
tier, et qui trouble le corps de la sainte Église et toute
la chrétienté.
2. — Je t'ai dit que les vertus avaient leur fondement
dans l'amour du prochain, parce que c'est la charité qui
donne la vie à toutes les vertus; il est impossible d'ac-
quérir aucune vertu sans la charité, c'est-à-dire sans
mon amour.
3. — Dès que l'âme se connaît, elle trouve l'humilité
et la haine de la passion sensitive, parce qu'elle connaît
la loi mauvaise, qui captive la chair et combat sans
cesse l'esprit. Elle conçoit alors de la haine et de l'hor-
reur contre la sensualité, et elle s'applique avec zèle à la
soumettre à la raison.
4. — Tous les bienfaits qu'elle a reçus de moi lui font
comprendre la grandeur de ma bonté, et l'intelligence
qu'elle en a lui donne l'humilité, parce qu'elle sait que
c'est ma grâce seule qui l'a tirée des ténèbres et lui
procure la clarté de cette lumière. Dès qu'elle a recon-
nu ma bonté, elle aime d'une manière désintéressée, et
d'une manière intéressée: d'une manière désintéressée,
quant à son utilité particulière ; d'une manière intéressée
quant à la vertu qu'elle a embrassée pour moi, parce
qu'elle sait qu'elle ne me serait point agréable si elle
n'avait pas la haine du péché et l'amour de la vertu.
5. — Dès qu'elle m'aime, elle aime le prochain, sans
cela son amour ne serait pas véritable ; car mon amour
et l'amour du prochain ne font qu'un. Plus une âme
m'aime, plus elle aime le prochain, parce (pic l'amour
qu'on a pour lui procède de mon amour.
.
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE — CH. VII
13
6. — C'est là le moyen que je vous ai .donné pour que
vous exerciez et cultiviez en vous la vertu. Votre vertu
ne peut m'ètre utile, mais elle doit profiter au prochain.
Vous montrez que vous avez ma grâce en m'offrant pour
lui de saintes prières et les désirs ardents que vous avez
de mon bonheur et du salut des âmes.
7. — L'âme qui est amoureuse de ma vérité ne cesse
jamais d'être utile aux autres en général et en particulier,
peu ou beaucoup, selon la disposition de celui qui reçoit,
et selon l'ardent désir de celui qui demande et me force
de donner. Je te l'ai dit, en t'expliquant que, sans l'ar-
dent désir, la peine ne pouvait suffire à expier la faute.
8. — Lorsque l'âme possède cet amour qu'elle puise
en moi et qu'elle étend au prochain et au salut du
monde entier, elle cherche à faire partager aux autres
les avantages et la vie de la grâce qu'elle en retire. Elle
s'applique à satisfaire aux besoins particuliers de ceux qui
l'entourent. Elle montre la charité générale pour toutes
les créatures. Elle veut servir ses proches en leur com-
muniquant, selon leur nombre et leur mesure, les grâces
dont je l'ai faite dépositaire et ministre. Car j'ai chargé
les uns de faire le bien dans l'enseignement de la doc-
trine, sans avoir égard à leurs intérêts, et j'ai chargé
les autres de le faire par les saints exemples que vous
êtes tous obligés de ieur donner pour l'édification du
prochain.
9. — Ces vertus et bien d'autres, qu'il serait trop long
de nommer, sont les fruits de l'amour véritable du pro-
chain, je les donne à chacun d'une manière différente,
afin qu'étant partagées entre tous, la vertu et la charité
naissent de leur harmonieux ensemble.
10. — J'ai donné une vertu à celui-ci, et une autre
vertu à celui-là ; mais aucune vertu ne peut être parfaite
sans qu'on ait à un certain degré les autres ; car toutes
les vertus sont liées ensemble, et chaque vertu est le
commencement et le principe des autres. A l'un je donne
la charité, à l'autre la justice, l'humilité ou une foi vive,
la prudence, la tempérance, la patience ou la force.
Je diversifie ainsi mes dons dans les âmes, distribuant à
toutes des grâces spéciales. Mais dès que l'âme possède
une vertu qu'elle pratique et qu'elle développe de pré-
■Vii:
14
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
férence, cette vertu entraîne naturellement les autres ;
car, comme je l'ai dit, toutes les vertus sont liées par
les liens de la charité.
11. — Mes dons sont temporels ou spirituels. .l'appelle
temporels toutes les choses nécessaires à la vie de
l'homme, et ces choses je les dispense avec une grande
inégalité. Je ne les donne pas toutes à un seul, afin que
des besoins réciproques deviennent une occasion de
vertu et un moyen d'exercer la charité. 11 m'était très
facile de donner à chacun ce qui est utile à son corps
et à son âme; mais j'ai voulu que tous les hommes
eussent besoin les uns des autres pour devenir ainsi les
ministres et les dispensateurs des dons qu'ils ont reçus
de moi. Que l'homme le veuille ou non, il est forcé d'exer-
cer la charité envers son prochain : seulement, si cette
charité ne s'exerce pas par amour pour moi, elle ne
sert de rien dans l'ordre de la grâce.
12. — Ainsi tu vois que c'est pour organiser la charité
que j'ai rendu les hommes mes ministres, et que je les
ai placés dans des états et des rapports si différents.
Il y a bien des manières d'être dans ma maison, et l'a-
mour est la seule chose que je vous demande ; car c'est
en m'aimant qu'on aime le prochain, et celui qui aime
le prochain accomplit la loi ; quiconque possède l'amour
rend avec bonheur à son prochain tous les services qu'il
peut lui rendre.
VIII. — Les vertus s'éprouvent et se fortifient par leurs
contraires.
1. — Je t'ai dit que l'homme, en servant son prochain,
prouve l'amour qu'il a pour moi. J'ajoute que c'est par
le prochain qu'on pratique les vertus et surtout la pa-
tience, quand il en reçoit des injures. Il exerce son
humilité avec le superbe, sa foi avec l'incrédule, son
espérance avec celui qui désespère, sa justice avec l'in-
juste, sa bonté avec le méchant, sa douceur avec celui
qui est en colère.
2. — Le prochain est l'occasion de toutes les vertus,
comme il est aussi celle de tous les vices. L'humilité
m
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
Cil. VIII
15
brille par l'orgueil, car l'humilité détruit l'orgueil et
en triomphe. Le superbe ne peut nuire à celui qui est
humble, et l'infidélité de celui qui ne m'aime pas et
n'espère pas en moi ne peut nuire à celui qui m'est
fidèle, ni affaibir la foi et l'espérance que lui donne
mon amour. Elle les fortifie au contraire et les montre
dans la charité qu'il a pour le prochain ; car, lorsque
mon serviteur fidèle voit quelqu'un qui n'espère plus en
lui et en moi, il ne cesse pas pour cela de l'aimer, et
il demande au contraire son salut avec plus d'ardeur.
Celui qui ne m'aime pas ne peut avoir foi en moi ; son
espérance est dans la sensual té qui captive son cœur.
Tu vois donc que c'est par l'infidélité et par le défaut
d'espérance des autres que la foi s'exerce; c'est là
qu'elle trouve les occasions d'agir et de se développer.
3. — La justice aussi n'est pas détruite par l'injustice;
la patience de celui qui souffre montre au contraire la
justice, comme la douceur et la résignation brillent d'un
plus grand éclat dans les orages de la colère: l'envie,
le mépris et la haine sont aussi vaincus par la charité,
par le désir et la faim du salut des âmes.
4. — Non seulement ceux qui rendent le bien pour le
mal montrent leur vertu, mais ils la communiquent sou-
vent. Ils mettent les charbons ardents de la charité sur
la tête de leur prochain ; ils chassent la haine qui s'était
emparée de son cœur, et la colère se change tout à
coup en bienveillance; c'est un miracle que produit l'affec-
tueuse patience de celui qui supporte la colère du mé-
chant et qui lui pardonne. La force et la persévérance
ont leurs aliments dans l'injure et dans la calomnie des
hommes qui, par la violence ou la séduction, veuleut
détourner mes serviteure du chemin de la vérité. Celui
qui est fort et persévérant le montre, dans sa conduite
envers le prochain ; celui qui succombe alors prouve que
sa vertu n'est rien.
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION
IX. — On doit s'attacher plus aux vertus qu'à la pénitence.
— La discrétion tire sa vie de l'humilité ; elle rend à cha-
cun ce qui lui est dû (1).
1. — Les œuvres douces et saintes que je réclame de
mes serviteurs sont les vertus intérieures d'une âme
éprouvée, plutôt que les vertus qui s'accomplissent au
moyen du corps, par les abstinences et les mortifications :
ce sont là les instruments de la vertu plutôt que la
vertu. Celui qui les emploie sans la vertu me sera peu
agréable, et môme, s'il les emploie sans discrétion en
Rattachant d'une manière exagérée à la pénitence, il
nuira véritablement à la perfection.
2. — Le fondement de la perfection est l'ardeur de
mon amour, une sainte haine de soi-même, une humilité
vraie, une patience parfaite, et toutes ces vertus inté-
rieures de l'Ame qui s'unissent à un désir insatiable
de ma gloire et du salut des âmes. Ces vertus prouvent
que la volonté est morte, et que la sensualité est vain-
cue par l'amour. C'est avec cette discrétion qu'on doit faire
pénitence : la vertu est le but principal ; la pénitence n'est
qu'un moyen pour l'atteindre, et il faut toujours l'employer
dans la seule mesure du possible.
3. — En s'appuyant trop sur la pénitence, on nuit à sa per-
fection, parce qu'on ne suit pas la lumière de la connaissance
de soi-même et de ma souveraine bonté, et qu'on n'obéit pas
(1) Nous donnons au mot dicrélion toute l'étendue qu'il a dans la langue
théologique. 11 signifie le discernement qui règle la mesure et les rapports de tou-
tes les vertus. Voiries Conférences de Cassien, 2 e confér.
16
TRAITE DE LA DISCRÉTION
CH. IX
17
à la vérité en dépassant les bornes de ma haine ou de mon
amour.
4. —La discrétion n'est autre chose qu'une connaissance
vraie que l'âme doit avoir d'elle-même et'de moi, et c'est
dans cette connaissance qu'elle prend racine ; elle a un reje-
ton qui est lié et uni à la charité. Elle en a beaucoup d'au-
tres, comme un arbre a beaucoup de rameaux, mais ce qui
donne la vie à l'arbre et aux rameaux, c'est la racine; cette
racine doit être plantée dans la terre de l'humilité, qui
porte et nourrit la charité, ouest enté le rejeton et l'arbre
de la discrétion.
5. — La discrétion ne serait plus une vertu et ne produirait
pas de fruits de vie si elle n'était plantée dans l'humilité, par-
ce que l'humilité vient de la connaissance que l'âme a d'elle-
même. Aussi t'ai-je dit que la racine de la discrétion était
une connaissance vraie de soi-même et de ma bonté, qui fait
rendre à chacun ce qui lui est dû le plus justement possible.
6. — L'âme me rend ce qui m'est dû en rendant gloire et
louange à mon nom, en m'attribuant les grâces et les dons
qu'elle sait avoir reçus de moi; elle se rend â elle-même ce
qui lui est dû en reconnaissant qu'elle n'est pas, que son ê-
tre lui vient uniquement de ma grâce, et tout ce qu'elle a de
plus vient de moi et non pas d'elle. Il lui semble qu'elle est
ingrate pour tant de bienfaits, qu'elle est coupable d'avoir si
peu profité du temps et des grâces reçues, et qu'elle mérite
d'en être sévèrement punie. Elle conçoit alors un regret vio-
lent et une profonde haine de ses défauts.
7. — Voici ce que fait la discrétion fondée sur la connais-
sance de soi-même et sur une humilité vraie. Sans l'humilité
l'âme ne serait pas juste, et son défaut de discrétion aurait
sa source dans l'orgueil, comme la discrétion a la sienne
- dans l'humilité. Elle me déroberait mon honneur en se l'at-
tribuant à elle-même, et elle m'attribuerait ce qui lui ap-
partient en se plaignant et en murmurant injustement de ce
que j'ai fait pour elle et pour mes autres créatures. Elle se
scandaliserait également de moi et du prochain.
8. — Ceux qui ont la discrétion n'agissent point ainsi.
Lorsqu'ils m'ont rendu et qu'ils se sont rendu justice,
Ils accomplissent aussi leur devoir envers le prochain en
l'aimant d'une charité sincère, en priant pour lui avec
une humble persévérance, comme il faut le faire les uns
dialogue de Ste Calh. <Je S. — 2.
18
DIALOGUE DE SAINTE CATHEIUNE
pour les autres ; en lui donnant tous les enseignements
et les bons exemples, les conseils et les secours qui
sont nécessaires à son salut. Quelle que soit la position
de l'homme, qu'il commande ou qu'il obéisse, s'il a
cette vertu, tout ce qu'il fera pour le prochain sera
fait avec discrétion et charité, car ces deux choses sont
inséparables : elles reposent sur une humilité sincère, qui
vient de la connaissance de soi-même.
X. — La charité, l'humilité et la discrétion sont inséparables,
et l'âme doit les posséder.
1. — Sais-tu dans quel rapport sont ces trois vertus? Sup-
pose un cercle tracé sur la terre, et au milieu un arbre avec
un rejeton qui lui serait uni ; l'arbre se nourrit de la terre
contenue dans la largeur du cercle; s'il en était arraché, il
mourrait et ne pourrait donner de fruits tant qu'il n'y serait
pas replanté. L'âme aussi est un arbre fait pour l'amour et
qui ne peut vivre que d'amour. Si l'âme n'a pas l'amour di-
vin d'une parfaite charité, elle ne donnera pas de fruits de
vie, mais des fruits de mort. Il faut que sa racine se nourris-
se dans le cercle d'une véritable connaissance d'elle-même,
et cette connaissance la fixe en moi, qui n'ai ni commence-
ment ni fin. Quand tu tournes dans un cercle, tu n'en trouves
ni le commencement ni la fin, et cependant tu t'y vois ren"
fermée.
2. — Cette connaissance que l'âme a de moi et d'elle-même
repose sur la terre d'une véritable humilité, dont l'étendue est
proportionnée à celle du cercle de cette connaissance qu'elle
a de moi en elle. Sans cela, le cercle ne serait pas sans com-
mencement et sans fin ; il aurait un commencement, puis-
qu'il commencerait à la connaissance d'elle-même, et finirait
dans la confusion, parce que cette connaissance serait sépa-
rée de moi.
3.— L'arbre de la charité se nourrit de l'humilité et produit
le rejeton d'une véritable discrétion, ainsi que je te l'ai mon-
tré. La moelle de l'arbre, c'est-à-dire de la charité dans l'âme,
est la patience qui prouve que je suis dans l'âme et que l'â-
me est en moi. Quand cet arbre est ainsi planté, il porte des
fleurs d'une éclatante vertu et les parfums les plus délicieux;
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — GH. XI
19
il donne des fruits excellents à tous ceux qui désirent suivre
et imiter mes serviteurs ; il rend ainsi honneur et gloire à
mon nom et il accomplit le but de la création. Il arrive à son
terme, à moi qui suis la vie véritable, et rien ne peut le dé-
pouiller s'il n'y consent pas. Tous les fruits de cet arbre sont
inséparables, et ils viennent de la discrétion.
XI. — La pénitence doit être le moyen d'acquérir la vertu
et non le but principal de l'àme. — Des lumières de la dis-
crétion en diverses circonstances.
\ ._ Les fruits que je demande d'une âme doivent prouver la
réalité de la vertu au temps de l'épreuve. Souviens-toi de ce
que je t'enseignais autrefois, losque tu désirais faire de gran-
des pénitences ; tu me disais : « Que pourrais-je faire, que
pourrais-je endurer pour vous » ? Je te répondais intérieure-
ment : « J'aime peu de paroles, mais beaucoup d'œuvres »' r
afin de te faire comprendre que je m'attache peu à celui dont
la bouche me dit : « Seigneur, Seigneur, que puis-je faire
pour vous »? et qui désire par amour pour moi mortifier son
corps par la pénitence, sans vaincre et tuer sa volonté. Ce
que je préfère, ce sont les actes d'une courageuse patience
et les œuvres d'une vertu intérieure, qui agit toujours sous
l'influence de la grâce ; tout ce qu'on fait en dehors de ce
principe, je le regarde comme de simples paroles, parce
que ce sont des actes bornés, et moi, qui suis l'infini, je
veux des actes et un amour sans borne.
2. — Je veux que les œuvres de pénitence et les au très
pratiques corporelles soient le moyen et non pas le but
de l'âme ; si c'était le but, ce serait un acte borné, comme
la parole qui sort des lèvres et qui n'existe plus, quand
elle ne sort pas avec l'amour de l'âme qui conçoit et en-
fante véritablement la vertu. Si ce que j'appelle une parole est
uni à l'ardeur de la charité, alors cette parole me devient
agréable, parce qu'elle n'est pas seule, mais qu'elle est ac-
compagnée d'une discrétion véritable, et que l'acte du
corps est un moyen et non pas le but principal.
3. — Il ne convient pas que le but principal de l'âme soit
dans la pénitence et dans les autres œuvres extérieures,
car ces œuvres sont finies et s'accomplissent dans le temps ;
il faut quelquefois que la créature les abandonne ou qu'on
nm
20
DIALOGUE DE SAINTE CATHEUINE
les lui défende. Les circonstances et l'ordre des supérieurs
peuvent l'exiger : les accomplir alors serait, non pas un
mérite, mais une grande offense. Tu vois donc que ce sont
des œuvres bornées, qu'il faut prendre pour moyen et non
pour but; car, en les prenant pour but, . l'âme serait vide
lorsqu'il faudrait les laisser.
4. _ Aussi mon Apôtre, le glorieux saint Paul, dit dans son
Kpitre, de mortifier le corps et de tuer la volonté, c'est-;':-
dire de dompter le corps en macérant la chair losqu'elle
veut se révolter contra l'esprit. Mais la volonté a besoin
d'être entièrement vaincue, détruite et soumise à ma volon-
té. On triomphe ainsi de la volonté par le moyen de la
vertu de discrétion, qui fait que l'âme déteste ses fautes et sa
sensualité en acquérant la connaissance d'elle-même; c'est là
l'arme victorieuse qui tue l'amour-propre né de la volonté.
5 _ ceux qui agissent ainsi m'offrent non seulement des
paroles, mais encore beaucoup d'oeuvres, et en disant beau-
coup, je n'en fixe pas le nombre, parce que la charité fait
naître toutes les vertus, et l'âme qui y est affermie ne doit
pas connaître de limites. Je n'exclus pas non plus les pa-
roles, mais je dis qu'elles doivent être peu nombreuses, par-
ce que les œuvres extérieures sont bornées. Elles me sont
.agréables cependant, lorsqu'elles sont le moyen de la vertu
et non pas le but principal.
fi. — Il faut bien se garder de mesurer la perfection sur la
pénitence. Celui qui tue son corps par la mortification peut
être moins parfait que celui qui le traite plus doucement.
La vertu et le mérite ne consistent pas dans l'acte ; car que
deviendrait celui qui, pour une cause légitime, ne pourrait
l'accomplir? La vertu et le mérite sont dans la charité unie
à la discrétion, et la discrétion ne met pas de bornes à la
charité, parce que je suis la souveraine et éternelle Vérité.
7. — Il ne peut y avoir de mesure à mon amour, mais il y
en a à l'amour du prochain : c'est la lumière de la discré-
tion, née de la charité, qui le règle ; car il n'est jamais per-
mis de commettre une faute dans l'intérêt même du pro-
chain. Si l'on pouvait par un seul péché retirer le monde en-
tier de l'enfer ou produire un grand bien, il ne faudrait pas
commettre ce péché, parce que la charité ne serait pas dis-
crète, et qu'on ne doit pas faire le mal pour le bien et l'utili-
té du prochain.
TRAITÉ DE LA DISCRETION
CH. XI
21
8. — Une sainte discrétion apprend aux puissances de l'â-
me à me servir avec courage ; elle enseigne à aimer le pro-
chain avec ardeur et à donner la vie du corps pour le sa-
lut des âmes, si l'occasion s'en présente. Elle fait souffrir
mille tourments pour procurer aux autres la vie de la grâce,
et elle sacrifie le nécessaire même pour les assister et les se-
courir dans leurs nécessités corporelles.
9. _ C'est ainsi qu'agit la discrétion dans la lumière que
lui donne la charité. Toute âme qui veut vivre de ma grâce
doit avoir pour moi un amour sans borne et sans mesure, et
avec cet amour aimer le prochain selon les régies de la cha-
rité, sans jamais commettre de faute pour lui être utile.
10. — C'est l'enseignement de saint Paul lorsqu'il dit que
la charité bien ordonnée est de commencer par soi-même ;
autrement on ne servirait pas parfaitement le prochain ; car
lorsque la perfection n'est pas dans l'âme, tout ce qu'elle fait
pour elle et pour les autres est imparfait. Serait-il covena-
ble que, pour sauver des créatures qui sont finies et créées,
on m'offensât, moi qui suis le Bien éternel et infini"? La faute
ne pourrait jamais être compensée par le bien qu'elle pro-
curerait; ainsi on ne doit jamais la commettre.
11. — La véritable charité le comprend, parce qu'elle porte
avec elle la lumière d'une sainte discrétion. Cette lumière
dissipe les ténèbres, détruit l'ignorance, prépare toutes les
vertus et devient le principal moyen. Elle est une prudence
qui ne peut s'égarer, une force qui est invincible, une persé-
vérance qui unit les extrêmes, le ciel à la terre, parce qu'elle
conduit de ma connaissance à la connaissance de soi-mê-
me, et de mon amour à l'amour du prochain.
12. — Elle échappe par l'humilité à tous les pièges du
tentateur, et par la prudence à toutes les séductions des créa-
tures. Sa main, qui n'a d'autre arme que la patience, triom-
phé du démon et de la chair avec l'aide de cette douce et
bonne lumière, parce qu'elle connaît sa fragilité, et que, la
connaissant, elle a pour elle la haine qu'elle mérite. Dès
lors elle dédaigne, méprise et foule aux pieds le monde ;
elle en reste maîtresse.
13.— Tous les tyrans de la terre ne peuvent ôter la vertu d'u-
ne âme ; leurs persécutions, au contraire, la fortifient et l'aug-
mentent. Cette vertu que mon amour a fait naître s'éprouve
et se développe par le prochain ; car si elle ne se manifes-
92
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
tait pas flans l'occasion, si elle ne répandait pas ses clartés
sur les créatures, ce serait une preuve qu'elle ne viendrait
pas de la vérité. La vertu ne peut être parfaite et utile que
par l'intermédiaire du prochain.
14. — L'àme est comme une femme qui conçoit un fils ;
si elle ne le met pas au monde, si elle ne le montre pas aux
hommes, son époux ne peut pas dire qu'il a un fils. Et moi
qui suis l'époux de l'âme, si elle n'enfante pas ce fils de la
vertu dans la charité du prochain, si elle ne le montre pas
quand l'occasion le demande, ne peut-on pas dire qu'elle est
stérile? Ce que j'ai dit des vertus, on peut le dire des vices ;
ils s'exercent tous par l'intermédiaire du prochain.
XII. — Dieu promet aux souffrances de ses serviteurs le
repos et la réforme de l'Église.
1. — Ma souveraine bonté t'a montré la vérité et la
doctrine par laquelle tu peux acquérir une grande perfec-
tion et la conserver. Je t'ai dit comment tu devais satis-
faire à la faute et à la peine, en toi et en ton prochain.
La souffrance que supporte une créature attachée à un
corps mortel ne peut satisfaire à la faute et à la peine,
si elle n'est pas unie à une charité sincère, à une con-
trition véritable et à une haine profonde du péché. La
souffrance, lorsqu'elle est unie à la charité, ne satisfait
pas par sa propre vertu, mais par la vertu de la charité
et du regret qu'on a de ses péchés. La charité s'acquiert
par la lumière de l'intelligence et par la sincérité du cœur
qui se fixe en moi, qui suis la Charité. Je t'ai expliqué
ces choses lorsque tu m'as demandé de souffrir.
2. — Je t'ai enseigné comment mes serviteurs doivent
s'offrir à moi en sacrifice ; ce sacrifice doit être à la fois
et corporel et spirituel. Le vase n'est pas séparé de l'eau
quand on la présente au maître. L'eau sans le vase ne
pourrait lui être présentée, et le vase sans l'eau lui serait
inutile. Vous devez donc m'offrir le vase de toutes les
peines que je vous envoie, sans en choisir le lieu, le temps
et la mesure, qui dépendent de mon bon plaisir. Mais ce
vase doit être plein, c'est-à-dire que vous devez endurer
les peines avec amour, avec résignation, et supporter avec
TRAITÉ DE LA DISCRETION
CH. XII
23
patience les défauts du prochain, ne haïssant que le péché.
Votre vase alors est plein de l'eau de ma grâce qui donne
la vie, et je reçois avec délices ce présent que me font
mes épouses, les âmes fidèles. J'accepte leurs ardents dé-
sirs, leurs larmes, leurs soupirs, leurs ferventes prières ;
et ces preuves de leur amour apaisent ma colère contre mes
ennemis et les hommes pervers, qui commettent contre
moi tant d'offenses.
3. — Ainsi donc, souffrez avec courage jusqu'à la mort ;
ce sera- le signe évident de votre amour pour moi. Après
avoir mis la main à la charrue, ne regardez pas en arrière
par crainte de quelque créature ou de quelque tribulation.
Réjouissez-vous au contraire dans vos épreuves ; le monde
se complaît dans ses injustices ; pleurez-les, et celles qui
m'offensent vous offensent, et celles qui vous offensent m'of-
fensent. Ne suis-je pas devenu une seule chose avec vous ?
4. _ j e vous ai donné mon image et ma ressemblance.
Lorsque vous avez perdu la grâce par le péché, pour vous
rendre la vie, j'ai uni ma nature à la vôtre en revêtant
votre humanité. Vous avez mon image, et j'ai pris la vôtre
en me faisant homme. Je suis donc une même chose avec
vous, et si l'âme veut bien m'aimer, si elle ne me quitte
pas par le péché mortel, elle est en moi, et moi en elle.
C'est pour cela que le monde la persécute, parce que le
monde n'a pas ma ressemblance et qu'il a persécuté mon
Fils unique jusqu'à la mort ignominieuse de la Croix. Il
agit de même envers vous ; il vous poursuit et vous pour-
suivra jusqu'à la mort, parce qu'il ne m'aime pas ; si le
monde m'avait aimé, il vous aimerait ; mais réjouissez-vous,
car votre joie sera grande dans le ciel.
5. — En vérité, je vous le dis, plus la tribulation abon-
dera dans le corps mystique de la sainte Eglise, plus aussi
abondera la douceur de la consolation. Et quelle sera cette
douceur ? Ce sera la réforme et la sainteté de ses ministres
qui fleuriront pour la gloire et l'honneur de mon nom, et
qui élèveront vers moi le parfum de toutes les vertus. Ce
sont les ministres de mon Église qui seront réformés, et
non pas mon Église, car la pureté de mon épouse ne peut-
être diminuée et détruite par les fautes de ses serviteurs.
6. — Réjouis-toi donc, ma fille, avec le directeur de ton
âme et avec mes autres serviteurs ; réjouissez-vous dans
1
1
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24
DIALOGUE PE SAINTE CATHERINE
votre douleur. Moi qui suis la Vérité éternelle, je vous
promets de vous soulager. Après la douleur viendra la
consolation, parce que vous aurez beaucoup souffert pour
la réforme de la sainte Église.
XIII. — L'àme consolée dans sa peine, et fortifiée dans ses
espérances par les paroles de Dieu, prie ponr la sainte
Église et pour tous les hommes.
i. — Alors cette âme se sentit embrasée d'un ardent dé-
sir et d'un amour ineffable pour la bonté infinie de Dieu.
Elle voyait et connaissait l'étendue de cette charité, qui
avait bien voulu répondre avec tant de douceur à ses de-
mandes et les exaucer, en adoucissant par l'espérance la
douleur que lui avaient causée les offenses contre Dieu,
le malheur de l'Église et la connaissance de sa propre
misère. Elle cessait ses larmes, mais elle en versait bientôt
de nouvelles lorsque Dieu lui montrait la voie de la per-
fection, les péchés commis contre lui, et le danger que
couraient les âmes.
2. — La connaissance que cette âme avait d'elle-même
lui faisait mieux connaître Dieu, parce qu'elle lui montrait
sa bonté ; et elle voyait dans la douce connaissance de
Dieu, comme dans un miroir, sa dignité et son indignité :
sa dignité, car la création l'avait faite à l'image de Dieu,
et cela par grâce et non par mérite ; son indignité, car
elle était tombée d'elle-même dans le péché. L'âme aper-
cevait ses souillures dans la pureté divine, et elle désirait
les effacer. Plus cette lumière et cette connaissance aug-
mentaient, plus sa douleur augmentait ; mais plus aussi
elle diminuait par l'espérance que lui donnait la vérité.
3. — Ainsi que le feu s'accroît a mesure qu'on l'alimente,
l'ardeur de cette âme grandissait au point qu'il eût été impos-
sible au corps de la supporter, et que la mort serait ve-
nue, si elle n'avait puisé sa force en celui qui est la force
suprême. Purifiée par les flammes de la charité qu'elle
trouvait dans la connaissance de Dieu et d'elle-même,
de plus en plus excitée par l'espérance du salut du monde
et de la réforme de l'Église, dont elle voyait la lèpre et
les misères, elle s'éleva avec confiance devant le Seigneur,
et lui dit comme autrefois Moïse : Seigneur, jetez les re-
TRAITÉ DE LA. DISCRÉTION — CH. XIII
25
gards de votre miséricorde sur votre peuple et sur le corps
mystique de la sainte Église. Si vous pardonnez à tantde
créatures, si votre bonté infinie les retire du péché mortel
et de l'étemelle damnation, vous serez plus glorifié que si
vous ne pardonnez qu'à moi, misérable, qui vous ai tant
offensé, qui suis l'occasion et l'instrument de tant de mal.
4. — Je vous en conjure, ineffable Charité, vengez-vous
sur moi et faites miséricorde à votre peuple. Je gémirai
en votre présence jusqu'à ce que vous m'ayez exaucée. A
quoi me sert d'avoir la vie, si votre peuple est dans la
mort, si votre épouse, qui doit être la lumière, reste dans
les ténèbres,, et cela par ma faute plutôt que par celle
des autres créatures? Aussi je vous en conjure, faites
miséricorde à votre peuple, au nom de cet amour qui vous
a porté à créer l'homme à votre image et à votre res-
semblance.
5. — En disant cette ineffable parole : « Faisons l'homme
à notre image et à notre ressemblance », et en l'accom-
plissant, vous avez voulu faire participer l'homme à votre
adorable Trinité. Vous lui avez donné la mémoire, pour
qu'il retint vos bienfaits et qu'il participât à votre puissance.
O Père éternel, vous lui avez donné l'intelligence, pour
qu'il comprit votre bonté et qu'il participât à la sagesse
de votre Fils unique ; vous lui avez donné la volonté, pour
qu'il aimât ce que l'intelligence verrait et connaîtrait de
la vérité, et qu'il participât à l'ardeur du Saint-Esprit. Et
qu'est-ce qui vous a fait élever l'homme à une si haute di-
gnité ? C'est cet amour incompréhensible avec lequel vous
avez regardé en vous-même votre créature ; vous vous êtes
passionné pour elle, vous l'avez créée, vous lui avez 'don-
né l'être, afin de la faire jouir de vous, qui êtes le Bien
suprême.
6. — Le péché qu'elle a commis l'a fait déchoir du rang
où vous l'aviez placée ; sa révolte l'a mise en opposition
avec votre bonté, et nous sommes devenus vos ennemis.
Alors le même amour qui vous avait porté à nous créer,
vous a porté à relever le genre humain de l'abîme où il
était tombé. La paix a remplacé la guerre ; vous nous
avez donné le Verbe, votre Fils unique, qui nous a récon-
ciliés avec vous. Il a été notre justice, parce qu'il a pris
sur lui nos injustices ; il s'est fait obéissant pour nous,
2G
DIALOGUE IlK SAINTE CATHKIUNE
en revêtant, lorsque vous le lui avez ordonné, la chair de
notre humanité.
7. — O abime de charité, comment le cœur ne se brise-
t-il pas en voyant tant de grandeur unie à tant de bas-
sesse ? Nous étions faits à votre image, et vous vous faites
à la nôtre, en vous unissant à l'homme, en cachant votre
divinité sous la chair misérable et corrompue d'Adam ; et
pourquoi ? par amour. Dieu se fait homme, et l'homme
devient Dieu. Au nom de cet amour qui vous presse, faites
miséricorde, je vous en supplie, à toutes vos créatures.
XIV. — Dieu se plaint des péchés des chrétiens, et particu-
lièrement de ceux de ses ministres. — Du sacrement de l'Eu-
charistie et des bienfaits de l'Incarnation.
1 . — Alors Dieu jeta un regard miséricordieux sur cette âme
qui l'invoquait avec des larmes si ferventes; il se laissa vain-
cre par l'ardeur de ses désirs, et il lui dit: Ma bien douce
fille, tes larmes sont toutes puissantes, parce qu'elles sont
unies à ma charité et qu'elles sont répandues par amour
pour moi. Je ne puis résister à tes désirs. Mais regarde leî
souillures qui déshonorent le visage de mon épouse. Elle
porte comme une lèpre affreuse l'impureté, l'amour-propre,
l'orgueil et l'avarice de ceux qui vivent dans leurs péchés.
Tous les chrétiens en sont infectés, et le corps mystique de
la sainte Église n'en est point exempt !
2. — Oui, mes ministres, qui se nourrissent du lait de son
sein, ne songent pas qu'ils doivent le distribuer à tous les
fidèles et à ceux qui veulent quitter les ténèbres de l'erreur
et s'attacher à l'Église. Vois avec quelle ignorance, avec quel-
le ingratitude ils me servent. Combien sont indignes et irres-
pectueuses les mains qui reçoivent le lait de mon Épouse et
le sang de mon Fils ! Ce qui donne la vie leur cause la mort,
parce qu'ils abusent de ce sang, qui doit vaincre les ténè-
bres, répandre la lumière et confondre le mensonge.
;î. — Ce sang précieux est la source de tout bien ; il sauve
et rend parfait tout homme qui s'applique à le recevoir; il
donne la vie et la grâce avec plus ou moins d'abondance, se-
lon les dispositions de rame ; mais il n'apporte que la mort
à celui qui vit dans le péché. C'est la faute de celui qui vit
dans le péché. C'est la faute de celui qui reçoit, et non pas
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. XIII
27
la faute du sang ou la faute de ceux qui l'administrent; ils
pourraient être plus coupables sans en altérer la vertu ; leur
péché ne peut nuire à celui qui reçoit, mais à eux seulement,
s'ils ne se purifient pas dans la contrition et le repentir.
4. — Oui, c'est un grand malheur de recevoir indignement
le sang de mon Fils; c'est souiller son âme et son corps ; c'est,
être bien cruel envers soi-même et envers le prochain ; car
c'est se priver de la grâce; c'est fouler aux pieds le bénéfice
du sang reçu dans le baptême qui a lavé la tache originelle.
Je vous ai donné le Verbe, mon Fils unique, parce que le
genre humain tout entier était corrompu par le péché du
premier homme, et que, sortis de la chair viciée d'Adam,
vous ne pouviez plus acquérir la vie éternelle.
5. _ j'ai voulu unir ma grandeur infinie à la bassesse de
votre humanité, afin de guérir votre corruption et votre mort,
et de vous rendre la grâce qu'avait détruite le péché. Je ne
pouvais souffrir comme Dieu la peine que ma justice récla-
mait pour le péché, et l'homme était incapable d'y satisfaire.
S'il le pouvait dans une certaine mesure pour lui, il ne le
pouvait pas pour les autres créatures raisonnables ; et d'ail-
leurs sa satisfaction ne pouvait être complète, puisque
l'offense était commise contre moi, qui suis la bonté infinie.
6. — Il fallait racheter l'homme malgré sa faiblesse et sa
misère, et c'est pour cela que j'ai envoyé le Verbe mon Fils,
revêtu de votre nature déchue, afin qu'il souffrit dans la
chair môme qui m'avait offensé, et qu'il apaisât ma colère
en endurant la douleur jusqu'à la mort ignominieuse de la
croix. Il satisfît ainsi à ma justice, et ma miséricorde put
pardonner à l'homme, et lui rendre encore accessible la
félicité suprême pour laquelle il avait été créé. La nature
humaine unie à la nature divine racheta le genre humain,
non seulement par la peine qu'elle supporta dans la chair
d'Adam, mais par la vertu de la Divinité, dont la puissance
est infinie.
7. — Cette union des deux natures m'a rendu agréable le
sacrifice de mon Fils, et j'ai accepté son sang, mêlé à la Divi-
nité et- tout embrasé du feu de cette charité, qui l'attachait
et le clouait à la croix. La nature humaine satisfit au péché
parlemente de la nature divine: la tache originelle d'Adam
disparut, et il n'en resta qu'un penchant au mal, et une fai-
28
DIALOGUE DU SAINTE CATHERINE
lilcsse des sens qui est dans l'homme comme la cicatrice
d'une plaie.
8. — La chute d'Adam vous avait mortellement blessés j
mais le grand médecin, mon Fils unique, est venu pour vous
guérir; il a bu le breuvage amer que l'homme ne pouvait boira
à cause de sa faiblesse ; il a fait comme la nourrice qui prend
une médecine pour guérir son enfant, parce qu'elle est gran-
de et forte, et que son enfant ne peut en supporter l'amer-
tume. Mon Fils a pris aussi, dans la grandeur et la force de
la Divinité unie à votre nature, l'amère médecine du Calvai-
re, la mort douloureuse de la croix, pour guérir ses enfants
et leur rendre la vie que le péché avait détruite.
9. — Il reste seulement une trace du péché originel que
vous a donné la naissance; cette trace même est effacée presi
que entièrement par le baptême, qui contient et donne la vie
de la grâce que lui communique le glorieux et précieux san,'
démon Fils. Dès que l'âme reçoit le saint baptême, le péché
originel disparait, et la grâce y entre. Le penchant au mal,
qui est la cicatrice du péché originel, s'affaiblit même, et
l'âme peut le vaincre si elle le veut. Elle peut recevoir et
augmenter la grâce dans la mesure du désir qu'elle aura de
m'aimer et de me servir:
10. — La grâce du saint baptême lui laisse toute sa liber-
té pour le bien et pour le mal ... Quand vient le moment de
jouir du libre arbitre, elle peut en user dans toute la pléni-
tude de sa volonté; et cette liberté, conquise par le sang
glorieux de mon Fils, est si grande, que ni le démon ni les
créatures ne peuvent lui faire commettre la moindre faute
sans son consentement. La servitude du péché est détruite,
et l'homme peut dominer ses sens et acquérir le bonheur
pour lequel il a été créé.
11. — homme misérable, qui te délectes dans la boue
comme le fait l'animal, et qui méconnais la grandeur du
bienfait que tu as reçu de ma bonté ! () malheureuse créatu-
re, tu ne pouvais recevoir davantage au milieu des ténèbres
épaisses de ton ignorance.
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. XVI
29
XV. — Le péché est plus gravement puni depuis la Passion
de Jésus-Christ. — Dieu promet de faire miséricorde, en
considération des prières et des souffrances de ses servi-
teurs.
1. — Tu le vois, ma fille bien-aimée, les hommes ont été
régénérés dans le sang de mon Fils et rétablis clans la grâce,
mais ils la méconnaissent et s'enfoncent de plus en plus dans
le mal; ils me poursuivent de leurs outrages et méprisent
mes bienfaits. Non seulement ils repoussent ma grâce, mais
ils me la reprochent, comme si j'avais d'autre but que leur
sanctification. Plus ils s'endurciront, et plus ils seront punis;
et leur châtiment sera plus terrible qu'il ne l'aurait été avant
la Rédemption, qui a effacé la tache du péché originel. N'est-
il pas juste que celui qui a beaucoup reçu doive beaucoup?
2. — L'homme a reçu beaucoup. Il a reçu l'être, il a été
fait à mon image et à ma ressemblance ; il devait m'en rendre
gloire, et il ne l'a pas fait pour se glorifier lui-même. Il a
violé les ordres que je lui avais donnés, et il est devenu mon
ennemi. J'ai détruit par l'humilité son orgueil ; j'ai abaissé
ma divinité jusqu'à revêtir votre humanité; je vous ai déli-
vrés de l'esclavage du démon; je vous ai rendus libres. Non
seulement je vous ai donné la liberté, mais j'ai fait l'homme
Dieu, comme j'ai fait Dieu homme, en unissant la nature di-
vine à la nature humaine.
3. — Ne me doivent-ils donc rien, ceux qui ont reçu le
trésor de ce sang précieux qui les a rachetés, et la dette
n'est-elle pas plus grande après la Rédemption qu'avant'?
Les hommes sont obligés de me rendre gloire et honneur en
suivant la parole incarnée de mon Fils : ils me doivent l'a-
mour envers moi et envers le prochain. Ils me doivent des
vertus sincères et véritables, et s'ils ne s'acquittent pas, plus
ils me doivent et plus ils m'offensent.
4. — Ma justice alors demande que je proportionne la pei
ne à l'offense et que je les frappe d'une damnation éternel-
le. Aussi le mauvais chrétien est-il beaucoup plus puni que
le païen. Le feu terrible de ma vengeance, qui brûle sans
consumer, le torture davantage, et le ver rongeur de la cons-
\ence le dévore plus profondément. Quels que soient leurs
30
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
tourments, les damnés ne peuvent perdre l'être ; ils deman-
dent la mort sans pouvoir l'obtenir, le péché ne leur ôte que
la vie de la grâce. Oui, le péché est plus puni depuis la
Rédemption qu'avant, parce que les hommes ont plus reçal
Les malheureux n'y pensent pas, et se font mes ennemis
après avoir été réconciliés dans le sang précieux de mon
Fils.
5. — Il y a cependant un moyen d'apaiser ma colère ; mes
serviteurs peuvent l'arrêter par leurs larmes et la vaincre
par l'ardeur de leurs désirs : c'est ainsi que tu en as triom-
phé, parce que je t'en ai donné la puissance, afin de pou-
voir faire miséricorde au monde. Oui, j'excite moi-môme
dans mes serviteurs une faim et une soif dévorantes du salut
des âmes, parce que .leurs larmes tempèrent les rigueurs de
ma Justice. Versez donc des larmes abondantes ; puisez-les
dans l'océan de ma charité, et lavez avec des larmes la face
de mon épouse bien-aimée. Vous lui rendrez cette beauté
que ne donnent pas la guerre et la violence, mais que
procurent les humbles et douces prières de mes serviteurs
et les larmes qu'ils répandent dans l'ardeur de leurs désirs.
Oui, je satisferai ces désirs ; j'éclairerai avec la lumière de
votre patience les ténèbres des méchants. Ne craignez pas
les persécutions du monde ; je serai toujours avec vous, et
ma providence ne vous manquera jamais.
XVI. — L'âme, à la vue de la bonté divine, prie pour
l'Église et pour le monde.
i. — Alors cette âme, excitée par ces paroles qui l'éclai-
raient, se présenta pleine de joie devant la Majesté divine.
Elle se confiait dans sa miséricorde, et l'amour ineffable
qu'elle ressentait lui faisait comprendre que Dieu désirait
pardonner aux hommes, malgré tous leurs outrages. C'était
pour le pouvoir qu'il demandait à ses amis de lui faire une
sainte violence, et qu'il leur apprenait le moyen d'apaiser
les rigueurs de sa justice.
2. — Alors toute crainte se dissipait ; elle ne redoutait plus
les persécutions du monde, puisque le Seigneur devait l'as-
sister et combattre pour elle. L'ardeur de ses désirs aug-
mentait, et ses prières s'étendaient au monde tout entier.
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION
CH. XVII
3"1
Non seulement elle priait pour le salut des chrétiens et des
infidèles qui tiennent à l'Église, mais encore comme Dieu
l'y poussait pour la conversion de tous les hommes. Misé-
ricorde, criait-elle, ô Père éternel ! miséricorde pour ces
pauvres brebis dont vous êtes le bon pasteur. Ne tardez pas
à faire miséricorde au monde ; hàtez-vous, car il se meurt,
parce que les hommes n'ont pas l'union de la charité envers
vous ni envers eux-mêmes ; ils ne s'aiment pas d'un amour
fondé sur vous, ô éternelle Vérité !
XVII. — Dieu se plaint de ses créatures raisonnables et
surtout de leur amour-propre.
1. Dieu, tout embrasé d'amour pour notre salut, exci-
tait de plus en plus l'amour et la douleur dans cette âme,
en lui montrant avec quelle passion il avait cherché l'homme,
et il lui disait : Ma fille, ne vois-tu pas que l'homme me
frappe et m'offense, moi qui l'ai créé avec tant d'amour, moi
qui l'ai comblé de dons presque infinis, que je lui ai accor-
dés par grâce et non par mérite. Tu vois combien de pé-
chés différents il commet contre moi et combien il m'offense
surtout par ce misérable et abominable amour-propre d'où
vient tout le mal.
2. — C'est cet amour qui empoisonne le monde entier ;
car si mon amour produit toutes les vertus qui s'appliquent
au prochain, l'amour-propre renferme en lui tout mal, parce
qu'il vient de l'orgueil, comme le mien vient de la charité.
Ce mal s'accomplit par le moyen de la créature et détruit
la charité du prochain, parce que celui qui ne m'aime pas,
n'aime pas le prochain : ces deux amours sont unis ensem-
ble. Je t'ai dit que tout bien et tout mal se faisaient par le
prochain.
3. — N'ai-je pas raison de me plaindre de l'homme, qui
n'a reçu de moi que des bienfaits, et qui ne me rend que
de la haine et des offenses ? Cependant, je te l'ai dit et je te
le répète, les larmes de mes serviteurs peuvent apaiser ma
colère; oui, vous tous qui me servez, répandez sans cesse
en ma présence vos ferventes prières et vos ardents désirs ;
pleurez amèrement les offenses qui me sont faites et le
■
32
DIALOGUE DE KAINTE CATHERINE
malheur des âmes qui se perdent, et vous adoucirez la ri-
gueur de mes divins jugements.
XVIII. —Personne ne peut échapper aux mains de Dieu: tous
éprouvent sa miséricorde ou sa justice.
1. — Apprends, ma fille, que personne ne peut échap-
per à mes mains, parce que je suis celui qui suis. Vous
n'avez pas l'être par vous-mêmes, mais vous êtes faits
par moi, qui suis le créateur de toutes les choses qui
participent à l'être, excepté du péché, qui n'est pas, car
il n'a pas été fait par moi, et comme il n'est pas en moi,
il n'est pas digne d'être aimé.
2. — La créature se rend coupable parce qu'elle aime
le péché, qu'elle ne devrait pas aimer, et parce qu'elle
me hait, moi qu'elle devrait tant aimer, puisque je suis
le souverain Bien, et que je lui ai donné l'être avec
tant d'amour. Mais elle ne peut m'échapper: ou elle est
punie par ma justice pour ses fautes, ou elle est sauvée
par ma miséricorde. Ouvre donc l'œil de ton intelligence
et regarde ma main, et tu verras la vérité de ce que je
te dis.
3. _ cette âme, pour obéir à l'ordre du Père suprême,
regarda, et vit dans sa main l'univers tout entier. Et Dieu
lui disait : Ma fille, vois et comprends que personne ne
peut m'échapper; tous sont les sujets de ma justice ou
de ma miséricorde, car tous ont été créés par moi, et je
les aime d'un amour ineffable; malgré toutes leurs ini-
quités, je leur ferai miséricorde, et je t'accorderai ce que
tu m'as demandé avec tant de larmes et d'ardeur.
XIX. — L'âme, de plus en plus embrasée d'amour, désire
répandre son sang.— Elle s'accuse elle-même, et prie par-
ticulièrement pour son père spirituel.
i. — Alors cette âme, ivre d'amour et tout hors
d'elle-même, dans l'ardeur toujours croissante de ses saints
désirs, était à la fois heureuse et pleine de douleur.
Elle était heureuse parce qu'elle était unie à Dieu, jouis-
sant des largesses de sa bonté et tout anéantie dans sa
TRAITE DE LA DISCRETION
CH. XX
33
■i.
' I
■
miséricorde ; elle était pleine de douleur parce qu'elle
voyait offenser cette bonté infinie. Elle rendait grâces à
la Majesté divine en comprenant que Dieu lui avait mani-
festé les défauts de ses créatures pour la contraindre à
s'adresser à lui avec plus de zèle et de désir.
2. — Elle sentait son amour se renouveler au sein de
Dieu, et cette sainte flamme de l'amour devenait si ar-
dente, qu'elle désirait changer en sueurs de sang ces
sueurs que causaient à son corps les violences de son âme,
parce que l'union de son âme avec Dieu était plus gran-
de que l'union de son âme et de son corps. La force
de l'amour la baignait de sueurs, mais elle en avait honte,
car c'était son sang qu'elle aurait voulu voir couler. Elle
se disait à elle-même: ma pauvre âme, tu as perdu
tous les instants de ta vie; il y a tant de péchés dans
le monde et dans l'Église, tant de malheurs généraux et
particuliers ! Je voudrais te les voir réparer par une sueur
de. sang.
3. _ c'est que cette âme avait bien compris les ensei-
gnements de l'éternelle Vérité, le besoin de se connaître,
la bonté de Dieu à son égard, et le moyen de réparer le
mal dans le monde et d'apaiser la justice irritée du Ciel
par d'humbles et continuelles prières. Elle excitait de plus
en plus ses désirs et appliquait davantage son intelligence
â la contemplation de la charité divine; elle voyait et
sentait combien nous sommes tenus d'aimer et de cher-
cher la gloire et la louange du nom de Dieu dans le
salut des âmes. Elle comprenait que c'était la vocation
des serviteurs de Dieu. C'était surtout celle à laquelle la
Vérité éternelle appelait le père de son âme, et elle l'of-
frait à la bonté divine, demandant avec ferveur pour lui
la lumière de la grâce, afin qu'il accomplit véritablement
la volonté de Dieu en toutes choses.
XX. — On ne peut plaire à Dieu qu'en supportant les
tribulations avec patience.
1.— Alors Dieu répondit à cette demande que lui inspirait
l'ardent désir qu'elle avait du salut de son père spirituel.
Il lui disait: Ma fille, ma volonté est qu'il cherche à me
dialogue do Ste Cath. de S. — 3.
^n^H ^h
34
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
plaire par sa faim et son zèle pour le salut des âmes ; mais
ni toi ni lui ne pourrez y parvenir sans souffrir les nom-
breuses persécutions que je jugerai utile de vous accorder.
2. — Si vous désirez me voir honorer dans l'Église, vous
devez vouloir et aimer souffrir avec patience: ce sera la
preuve que toi, ton père spirituel, et mes autres serviteurs,
vous cherchez véritablement ma gloire. Vous mériterez
ainsi ma tendresse paternelle ; vous reposerez sur la poi-
trine de mon Fils bien-aimé, que je vous ai donné comme
un pont, pour que tous vous puissiez atteindre votre fin
dernière, et recevoir le fruit des peines que vous aurez
supportées courageusement par amour pour moi.
XXI. — Le chemin du ciel ayant été interrompu par la
désobéissance d'Adam, Dieu a fait de son Fils un pont par
lequel on peut passer.
i. — Je t'ai dit que j'avais fait du Verbe, mon Fils uni-
que, un pont, et c'est la vérité. Je veux que vous sachiez,
vous qui êtes mes enfants, que la route a été rompue
par le péché et la désobéissance d'Adam. Personne ne
pouvait arriver à la vie éternelle, l'homme ne rendait plus
la gloire qu'il me devait et ne recevait plus le bien pour
lequel je l'avais créé à mon image et ressemblance, et
dès lors ma vérité ne s'accomplissait pas.
2. — Cette vérité était que je l'avais créé pour qu'il
eût la vie éternelle, et qu'en participant à moi, il goûtât
les ineffables douceurs de ma bonté suprême. Le péché
l'empêchait d'arriver à ce but, et ainsi ma vérité n'était
pas accomplie, parce que la faute avait fermé le ciel et
la porte de la miséricorde. Cette faute produisit pour
l'homme les épines, les souffrances et les tribulations.
3.— La créature trouva la révolte en elle-même, dès qu'elle
se fut révoltée contre moi : la chair combattit l'esprit.
L'homme, en perdant l'état d'innocence, devint un être
immonde contre lequel toutes les choses créées se ré-
voltèrent, tandis qu'elles lui auraient été toujours sou-
mises, s'il se fût conservé dans l'état où je l'avais placé.
En ne s'y conservant pas, il a violé l'obéissance et mé-
rité la mort éternelle de l'âme et du corps. Dès qu'il eut
TRAITE DE LA DISCRÉTION — CH. XXII
35
péché, un fleuve plein de tempêtes se précipita sur lui et
l'inonda de peines et de persécutions qui venaient de
lui-même, du démon et du monde.
4. _ Vous périssiez tous dans ce fleuve, car personne,
par son propre mérite, ne pouvait atteindre la vie éter-
nelle. Pour vous préserver de ce malheur, je vous ai don-
né mon Fils comme un pont sur lequel vous pouvez pas-
ser sans danger le fleuve et les orages de cette vie. Vois
combien la créature me doit, et combien elle est aveugle
en voulant toujours se noyer dans ce fleuve et en ne
prenant pas le remède que je lui ai donné.
XXII. — Dieu invite l'âme à regarder la grandeur de ce
pont, et comment il va de la terre au Ciel.
-1. — Ouvre l'œil de ton intelligence, ma fille, et tu verras
les pauvres aveugles, tu verras aussi les imparfaits et les
parfaits qui me suivent dans la vérité; tu pleureras sur
la perte des aveugles, et tu te réjouiras de la perfection
de mes enfants bien-aimés. Tu verras comment font ceux
qui marchent dans la lumière et ceux qui marchent dans
les ténèbres ; mais avant, je veux que tu regardes ce pont
de mon Fils unique, et que tu voies sa grandeur qui s'étend
du ciel à la terre, car il comble la distance qui est entre
l'infini et votre humanité, il unit le ciel et la terre par
l'union que j'ai faite des deux natures.
1. — Il fallait bien rétablir la route qui était rompue,
comme je te l'ai dit, afin que vous arriviez à la vie, et que
vous traversiez les flots amers du monde. La terre ne pou-
vait suffire à ce grand travail, qui devait vous faire passer
le fleuve et vous procurer la vie éternelle. La nature de
Thomme était incapable de satisfaire à la faute, et d'effacer
la souillure du péché d'Adam qui corrompait et infectait
tout le genre humain ; il fallait l'unir à la grandeur de ma
nature divine, afin qu'elle pût satisfaire pour tous les hom-
mes ; il fallait que la nature humaine souffrît la peine, et
que la nature divine unie à cette nature humaine acceptât
le sacrifice de mon Fils qui m'était offert pour vous, pour
vous délivrer de la mort et vous donner la vie.
3. — La grandeur de la Divinité s'abaissa jusqu'à la terre
36
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
de votre humanité, et c'est cette union qui fit ce pont et
rétablit la route. Pourquoi mon Fils s'est-il fait lui-même
le chemin? C'est pour que vous puissiez jouir de la vie éter-
nelle avec les anges. Mais pour acquérir le bonheur, il ne
suffit pas que mon Fils soit devenu un pont, il faut encore
vous en servir.
XXIII. — Tous sont des travailleurs que Dieu envoie tra-
vailler à la vigne de la sainte Eglise.
4. — L'éternelle Vérité montrait à cette âme qu'elle nous
avait créés sans nous, mais qu'elle ne pouvait nous
sauver sans nous. Il faut pour cela faire un bon usage du
libre arbitre et employer le temps à la pratique des vertus.
Elle ajoutait : Vous devez tous passer sur ce pont, en cher-
chant sans cesse la gloire de mon nom clans le salut des
âmes et en supportant toutes sortes de fatigues, à la suite
du doux et tendre Verbe ; sans cela vous ne pourrez ja-
mais venir à moi.
2. — Vous êtes les ouvriers que j'ai envoyés travailler
à la vigne de la sainte Église. Vous travaillez clans le corps
universel de la religion chrétienne. Je vous y ai conduits
par ma grâce lorsque je vous ai donné la lumière du saint
baptême. Vous recevez ce baptême dans le corps mystique
de l'Église, par les mains de ses ministres que j'ai envoyés
travailler avec vous.
3. — Vous êtes clans le corps universel, et eux sont dans
le corps mystique pour nourrir vos âmes et vous admi-
nistrer le sang de mon Fils dans les sacrements que vous
recevez d'eux, lorsqu'ils vous délivrent des épines du péché
mortel et qu'ils sèment en vous la grâce. Ce sont les ou-
vriers qui travaillent à la vigne de vos âmes unie à la vigne
de la sainte Église.
4. — Toute créature qui a la raison possède une vigne
en elle-même : c'est la vigne de son ame, dont le libre
arbitre est le vigneron tant que dure la vie. Dès que le
temps est passé, personne ne peut travailler ni bien ni
mal ; mais tant qu'il vit, il peut cultiver la vigne que je
lui ai confiée. Chaque vigneron a reçu une force si grande,
que le démon ni aucune créature ne peut le dépouiller sans
son- consentement. Il est devenu fort par le saint baptême,
TRAITE DE LA DISCRETION
CH. XXIII
37
et il a reçu comme instruments l'amour de la vertu et
la haine du péché. Cet amour et cette haine, il les trouve
dans le sang, parce que, par amour pour vous et par haine
pour le péché, mon Fils unique est mort et vous a donné
son sang, qui vous communique la vie dans le baptême.
5. — Puisque vous êtes armés, votre libre arbitre doit
se servir de ce fer, pendant qu'il est temps, pour arra-
cher les épines du péché mortel et pour cultiver la vertu ;
sans cela vous ne recevriez pas le fruit du sang que doi-
vent vous donner les ouvriers que j'ai mis dans la sainte
Église pour ôter le péché mortel de la vigne de l'âme, et
distribuer la grâce en administrant le sang dans les Sacre-
ments établis par l'Église.
6. — Il faut donc exciter d'abord en vous la contrition
du cœur, l'horreur du péché, l'amour de la vertu ; et alors
vous recevrez le fruit du sang. Mais vous ne le pouvez rece-
voir, si de votre côté vous n'êtes pas comme les rameaux
de mon Fils unique, qui est la vigne ; car il a dit : « Je suis
la vigne véritable, mon Père est le vigneron et vous êtes les
rameaux » ( S. Jean, xv, 4-5 ) ; et cela est vrai.
7. — Je suis le vigneron, car tout ce qui a l'être est venu
ou vient par moi. Ma puissance est infinie, c'est elle qui
gouverne l'univers, et rien n'est fait ni ordonné sans moi.
Je suis le vigneron qui ai mis mon Fils unique, la vigne
véritable, dans la terre de votre humanité, afin que vous
en soyez les rameaux qui portent le fruit.
8. — Celui qui ne portera pas le fruit de saintes et bon-
nes œuvres sera retranché de la vigne et se desséchera ;
car, dès qu'il est séparé de la vigne, il'perd la vie de la
grâce et est jeté au feu éternel. Ainsi le rameau qui ne porte
pas de fruit est retranché de la vigne et mise au feu ; il
ne peut servir à autre chose. Ceux qui sont retranchés par
leur faute, et qui meurent dans le péché mortel, sont jetés
par la justice divine, parce qu'ils sont inutiles, dans le feu
qui dure éternellement.
9. — Ceux-là n'ont pas cultivé leur vigne ; ils J'ont au
contraire détruite ainsi que celle des autres. Non seule-
ment ils ont négligé de produire des rejetons de vertus,
mais encore ils ont ôté la semence de la grâce qu'ils avaient
reçue dans la lumière du saint baptême, en participant
au sang de mon Fils, qui est le vin que porte cette vigne
1
38
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
véritable, ils ont enlevé cette semence, et ils l'ont donnée
en pâture aux animaux, c'est-à-dire à leurs nombreuses
iniquités. Ils l'ont foulée aux pieds de l'amour déréglé
avec lequel ils m'ont offensé, et ils ont nui à eux-mê-
mes et à leur prochain.
10. — Mes serviteurs n'agissent pas ainsi, et vous devez
faire comme eux, c'est-à-dire être unis et greffés sur la
vigne véritable, et alors vous porterez des fruits abondants,
parce que vous participerez à la sève de la vigne.
11. — Si vous êtes dans mon Fils bien-aimé, vous êtes
en moi, parce que je suis une même chose avec lui, et
lui avec moi. En étant avec lui, vous suivrez sa doctrine,
et en suivant sa doctrine, vous participerez à la substance
du Verbe ; c'est-à-dire vous participerez à la divinité unie
à l'humanité, et vous y puiserez un amour divin qui enivre
l'âme fidèle. En vérité, je vous le dis, vous participerez
à la substance de la vigne véritable.
j
XXIV. — Dieu taille les rameaux unis à la vigne véritable. —
La vigne de chacun est tellement unie à celle du prochain,
que personne ne peut cultiver ou endommager la sienne
sans cultiver ou endommager celle du prochain.
1 - Apprends, ma fille, ma conduite envers mes ser-
viteurs qui sont unis à mon Fils bien-aimé par leur fidélité
à suivre sa doctrine. Je les taille pour qu'ils portent beau-
coup de fruits, et que ce fruit soit excellent et non pas
sauvage. Les rameaux de la vigne sont coupés par le vi-
gneron, pour que le vin soit meilleur et plus abondant;
et les branches qui ne portent pas de fruits sont retranchées
et mises au feu. Je ferai de même, moi qui suis le vigneron
véritable ; je taille par la tribulation les serviteurs qui
sont en moi, afin que leur vertu soit éprouvée et donne
des fruits plus abondants et plus , parfaits. Ceux qui sont
stériles sont retranchés et jetés au feu.
2 - Les vrais ouvriers sont ceux qui cultivent bien leurs
âmes ; ils en arrachent l'amour-propre et retournent en moi
la terre de leur cœur, pour y nourrir et y dévolopper la
semence de la grâce qu'ils ont reçue au saint baptême Ln
cultivant leur vigne, ils cultivent celle du prochain ; et ils
TRAITÉ DE LA DISCRETION
CH. XXV
39
ne peuvent cultiver l'une sans l'autre, car, je l'ai dit, tout
le bien et le mal se fait par le moyen du prochain. "Vous
êtes mes ouvriers ; je vous ai choisis ; moi, je suis l'ouvrier
éternel et suprême ; et je vous ai unis et greffés à la vigne
véritable par l'union que j'ai faite avec vous.
3. — Remarque, ma fille, que toutes les créatures rai-
sonnables ont en elles une vigne naturellement unie à la
vigne de leur prochain. Ces vignes sont tellement unies,
qu'elles ne peuvent agir sans que le bien ou le mal qu'elles
font ne leur soit commun. "Vous formez tous la vigne uni-
verselle, qui est la société des fidèles unie à la vigne mys-
tique de la sainte Église, où vous puisez la vie.
4. — Dans cette vigne est plantée la vigne de mon Fils
unique, sur lequel vous devez être greffés. Si vous ne l'êtes
pas, vous êtes rebelles à la sainte Église, et vous êtes
comme les membres retranchés qui se corrompent sur-le-
champ. Vous avez, il est vrai, le temps pour détruire cette
corruption du péché par une contrition véritable et par
le secours de mes ministres, qui sont les ouvriers chargés
de distribuer le vin, c'est-à-dire le sang sorti de la vi-
gne véritable. Ce sang est si pur et si parfait, qu'aucun
défaut de celui qui l'administre ne peut en altérer la vertu,
5. — C'est la charité qui lie les rameaux avec les liens
d'une humilité sincère, acquise par la connaissance de soi-
même et de moi. Tu vois que je vous ai tous envoyés tra-
vailler, et je vous y invite de nouveau, parce que le monde
décline, et que les épines s'y sont tellement multipliées,
qu'elles étouffent la semence, et que les hommes ne veu-
lent plus porter les fruits de la grâce.
6. — Je veux donc que vous soyez mes ouvriers, et que
vous alliez avec zèle travailler aux âmes dans le corps
mystique de la sainte Église. Je vous ai choisis pour cela,
parce que je veux faire miséricorde au monde, pour lequel
tu m'adresses de si ferventes prières.
XXV. - L'âme rend grâces à Dieu, et le prie de lui montrer
ceux qui passent sur le pont et ceux qui n'y passent pas.
1. — Alors cette âme, dans son ardent amour, s'écriait :
Q douce et ineffable Charité, qui ne s'enflammerait pas
40
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
à tant d'amour ? Quel cœur pourrait se défendre d'en être
consumé ? abime de charité, vous aimez si éperdûment
vos créatures, qu'il semble que vous ne pouvez vivre
sans elles ; et cependant vous êtes notre Dieu, qui n'a
pas besoin de nous. Notre bien n'ajoute rien à votre gran-
deur, car vous êtes immuable ; notre mal ne peut vous
atteindre, car vous êtes l'éternelle et souveraine bonté.
Qui vous porte donc à tant de miséricorde ? L'amour, et
non pas le devoir, ni le besoin que vous avez de nous.
Nous ne sommes que des enfants coupables et de mau-
vais débiteurs.
2. — Oui, je ne m'aveugle pas, ô souveraine Vérité,
j'ai fait le mal, et vous êtes puni pour moi ; je vois le
Verbe, votre Fils, attaché et cloué à la croix, et vous
m'en avez fait un pont, ainsi que vous me l'avez montré
A moi votre misérable servante. C'est pour cela que mon
cœur se brise, et il ne se brise pas autant que le vou-
drait l'ardent désir qui m'enflamme pour vous. Je me rap-
pelle que vous vouliez me montrer quels sont ceux quj
passent sur ce pont et ceux qui n'y passent pas. Qu'il
plaise à votre bonté de le faire. Je serai bienheureuse
de le voir et de l'entendre.
XXVI. — Le pont a trois degrés, qui sont trois états de l'â-
me. —Explication de cette parole: « Si je suis élevé de
terre, j'attirerai tout à moi ».
•1. _ Alors le Dieu éternel, afin d'exciter et d'enflammer
de plus en plus cette âme pour le salut des hommes, lui ré-
pondit: Avant de te montrer ce que je veux te montrer et ce
que tu me demandes, je vais te dire comme est fait ce pont.
Je t'ai dit qu'il tient du ciel à la terre par l'union que j'ai
faite avec l'homme, qui est formé du limon de la terre. Ce
pont, qui est mon Fils unique, a trois degrés. Deux furent
faits sur le bois de la sainte croix, et le troisième est dans
la grande amertume qu'il ressentit lorsqu'il fut abreuvé de
fiel et de vinaigre. A ces trois degrés correspondent trois
états de l'ame que je t'expliquerai bientôt.
2. — Le premier degré c'est ses pieds, qui signifient l'af-
fection ; les pieds portent le corps, comme l'affecticn porte
l'àme. Ces pieds percés doivent te servir de degrés pour ar-
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. XXVI
41
river au côté, qui est le second degré où te sera révèle le
secret du cœur. Car, dès que l'âme s'est élevée à l'affection
des pieds, elle commence à goûter l'affection du cœur ; elle
fixe l'œil de l'intelligence dans le cœur entr'ouvert de mon ,
Fils, où elle trouve la perfection' de l'amour. Son amour est
parfait, car ce n'est pas l'intérêt qui l'inspire. En quoi pou-
vez-vcus lui être utile, puisqu'il est une même chose avec
moi? , „
3. - Alors l'âme s'emplit d'amour en voyant qu elle est
tant aimée. Elle monte du second degré T*u troisième, c'est-
à-dire à cette bouche pleine de douceur où elle trouve la
paix, après la grande guerre qu'avaient causée ses fautes.
Le premier degré la détache des affections de la terre et la
dépouille du vice ; le second degré la remplit d'amour pour
la vertu ; le troisième lui fait goûter la paix.
4 -Ce pont a trois degrés, afin qu'en montant le premier
et le second vous puissiez arriver au dernier. Il est élevé,
pour que l'eau qui passe ne puisse vous nuire, et qu'il n y
ait en vous aucun poison du péché. Ce pont touche au
ciel, et il n'est pourtant pas séparé de la terre. Sais-tu quand
il a été élevé? Au moment où mon Fils a été sur le bois de
la très sainte croix, sans que sa nature divine fût séparée
de la bassesse de votre humanité. C'est ainsi que, maigre
son élévation, il n'a pas été séparé de la terre; car ses deux
natures étaient unies et mêlées ensemble. Personne ne pou-
vait passer sur ce pont avant qu'il fût élevé en haut ; et c'est
pourquoi mon Fils a dit : « Si je suis élevé de terre, j'attire-
rai tout à moi » ( S. Jean, xn, 32 ).
5. — Lorsque ma bonté vit que vous ne pouviez être atti-
rés d'une autre manière, j'ordonnai qu'il fût élevé sur
l'arbre de la Croix, et que l'humanité fût battue sur cette
enclume, pour qu'elle fût délivrée de la mort et revêtue de
la vie de la grâce. Mon Fils a attiré toute chose en montrant
l'amour ineffable qu'il avait pour vous ; car le cœur de l'hom-
me est toujours attiré par l'amour. Il ne pouvait vous mon-
trer un plus grand amour qu'en donnant sa vie pour vous.
Cet amour doit donc faire violence à l'homme, si son aveu-
glement et son ingratitude n'y mettent pas obstacle. Il a dit
que quand il serait élevé de terre il attirerait toute c
à lui, et c'est la vérité.
6. — Ceci doit s'entendre de deux manières. Premi
■
42
DIALOGUE DE SAINTE CATHEIUNE
si l'amour attire le cœur de l'homme, avec lui sont attirées
toutes les puissances de l'àme, la mémoire, l'intelligence et
la volonté. Dès que ces trois puissances sont unies et assem-
blées en mon nom, toutes les autres opérations, actuelles et
mentales, se fixent et s'unissent en moi par l'efTetde l'amour.
L'àme s'élève à la suite de l'amour crucifié. Ainsi ma Vérité
s'est donc bien exprimée en disant : « Si je suis élevé de
terre, j'attirerai tout à moi » ; car, dès qu'il attire le cœur et
les puissances de l'àme, il attire tous leurs actes.
7. — Secondement, tout a été créé pour le service de l'hom-
me. Les choses créées ont été faites pour lui être utiles et
fournir à ses besoins. La créature raisonnable n'est pas fai-
te pour les choses créées, mais pour moi, afin qu'elle me
serve de tout son cœur et de toutes ses forces, Dès que
l'homme est attiré, tout est attiré, puisque tout est fait
pour lui. Il fallait donc que le pont fût élevé et qu'il eût
des degrés, pour que vous puissiez monter plus facilement.
XXVII. — Ce pont est bâti de pierres qui signifient les véri-
tables vertus. —Ceux qui passent sur le pont vont à la vie,
ceux qui passent dessous vont à la mort.
1. — Ce pont est bâti avec des pierres, pour que la pluie
n'en intercepte pas le passage. Et quelles sont ces pierres ?
ce sont les vertus sincères et véritables. Ces pierres n'étaient
pas réunies avant la Passion démon Fils ; aussi personne ne
pouvait parvenir à sa fin, même en suivant la bonne route.
Le ciel n'était pas encore ouvert avec la clef du sang, et la
pluie de la justice empêchait de passer. Mais les pierres fu-
rent taillées et posées, sur le corps de mon Fils bien-aimé,
qui est le pont : il les réunit, et, pour les cimenter, il détrem-
pa la chaux avec son sang, c'est-à-dire que le sang fut mêlé
à la chaux de la Divinité par la force et le feu de la charité.
2. — Ma puissance posa les pierres des vertus sur mon
Fils, parce que toute vertu est éprouvée en lui ; c'est de lui
qu'elle reçoit la vie. Personne ne peut acquérir la vertu qui
manifeste la vie de la grâce, si ce n'est par lui, c'est-à-dire
s'il ne suit ses traces et sa doctrine. Il a posé les vertus com-
me les pierres vives de l'édifice ; il les a fortement cimentées
avec son sang, afin que tous les fidèles pussent passer sûre-
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. XXVII
43
ment et sans craindre servilement la pluie de la jus tice div -
ne, parce qu'ils sont abrités par la miséricorde La misé £
cord'e est descendue du ciel dans Incarnation de, jon F 1s
Et comment a-t-elle ouvert le eiel'? avec la clef de son
S T_ Ainsi, tu le vois, le pont est construit de pier-
res • il est abrité par la miséricorde, et dessus se tiou-
ve H ôtellerie et le jardin de la sainte Eglise qui dsto-
bue le pain de vie et donne à boire le sang preoeux,
afin que'mes créatures qui passent ne défaillent pas ans
leur pèlerinage. C'est ma charité qui vous fat distribuer
ainsi ï Tsang et le corps de mon Fils bien-aimé, homme et
T^SC* est passé, on arrive a la porte qui
en'fait aussi partfe; c'est par elle que ton. doivem entrer,
car il a dit: « Je suis la voie, la vente, la vie. (S Jean, xiv
s tu" le rappelles, je te l'ai montré en te faisant voir la
voie. Il a dit qu'il était la voie, et c'est la vente e ta
fait voir cette voie sous la forme d'un pont. Il a dit Ji 1
est la vérité, et cela est, car il est uni a moi qui suis la
vé i e Celui qui le suit marche par la vente et la vie et
ce uf qui suit cette vérité reçoit la vie de la grâce et ne
peut mourir de faim, car la vérité devient sa nourri ure
P 5 -ïne peut tomber dans les ténèbres, parce qu'il est la
lumièr sarî aucune erreur. La vérité confond et detrui
Tmensonge du démon, par qui Eve fut trompée^ st ce
mensonge qui a rompu la voie du ciel, et la vente la re
par" ""consolidée avec son précieux sang. W —
cette voie sont les fils de la vérité, parce quils Rivent la
Se ^ ils Passent par la porte delà vérité et se Uouven
unis en moi par mon Fils, qui est la porte, la voie, 1 eter
^Si^Spas cette voie passe sous le pont,
par la roule du fleuve, qui n'est pas garnie de pierres e qui
est tout inondée ; et parce que l'eau n'a aucune c^sistan
ce personne ne peut y marcher sans penr. Cette eau dan
gere'use est le monde, avec ses plaisirs et -s honneuis.
7. -L'àme n'y place pas ses affections sur la pierre solide,
44
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
car elle aime d'un amour déréglé les créatures; elle les aime
et les possède hors de moi. Ces choses créées ressemblent
à des eaux courantes, l'homme est entraîné comme elles ; il
croit que ce sont les choses qu'il aime qui passent, et c'est
lui qui va sans cesse vers la mort. Il voudrait se retenir et
fixer sa vie dans les choses qu'il aime, mais tout lui échap-
pe par la mort ou par ma providence.
8. — Ceux qui suivent la voie du mensonge sont les fils du
démon, qui est le père du mensonge; et parce qu'ils pas-
sent par la porte du mensonge, ils tombent dans la dam-
nation éternelle. Mais je t'ai montré la vérité et je t'ai montré
le mensonge; ma voie est la vérité, la voie du démon est
le mensonge.
XXVIII. — Du bonheur de l'âme qui passe sur le pont.
i. — Ce sont les deux voies; dans l'une et dans l'autre on
marche péniblement. Regarde combien l'homme est ignorant
et aveugle: il veut passer par le fleuve, et il a une autre
route où tout ce qui est amer devient doux, et tout ce qui
est pesant devient léger. Au milieu des ténèbres du corps on
y trouve la lumière, et ceux qui meurent y acquièrent la vie
immortelle, car ils goûtent par l'amour et la lumière de la foi
l'éternelle vérité, qui a promis le repos à ceux qui se fati-
guent pour moi.
2. — Je suis fidèle, reconnaissant et juste ; je donne à
chacun selon ses mérites ; tout bien est récompensé, et tout
mal est puni. Le bonheur que possède celui qui suit la voie
véritable, la langue ne pourra jamais le raconter, l'oreille
l'entendre, et l'œil le contempler, car celui-là possède et
goûte déjà le bien qui est préparé pour la vie du ciel.
3. — Qu'il est insensé celui qui méprise un si grand bien
et préfère avoir, dès cette vie, un avant-goùt de l'enfer,
puisqu'il passe par le chemin du monde, où il ne trouve
que des fatigues sans repos et sans jouissance, car ses pé-
chés le privent de moi, qui suis le bien éternel et suprême.
4. — Tu as donc bien raison de gémir, et je veux que toi
et mes autres serviteurs, vous pleuriez amèrement l'offense
qui m'est faite, et que vous ayez compassion de ces pauvres
aveugles qui perdent leurs âmes. Tu as vu et entendu com-
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. XXIX
45
ment est fait ce pont, car je t'ai expliqué que mon FUs uni-
que était le moyen qui unit la grandeur de Dieu à la bas-
sesse de l'homme.
XXIX. — Ce pont s'est élevé jusqu'au ciel le jour de l'Ascen-
sion, sans quitter cependant la terre.
L _ Lorsque mon Fils retourna vers moi, quarante jours
après sa résurrection, le pont s'éleva de la terre, c'est-à-dire
de la société des hommes. Il monta jusqu'au ciel parla vertu
de ma nature divine et se fixa à ma droite, ainsi que l'ange
le dit aux disciples le jour de l'Ascension, lorsqu'ils étaient
comme morts, parce que leurs coeurs avaient quitté la terre
pour le ciel avec la sagesse de mon Fils. Il ne faut, pas vous
arrêter davantage, leur dit-il, parce que le Seigneur Jésus
est monté au ciel, où il est assis à la droite du Père.
2. — Lorsqu'il fut monté vers moi, avec son corps qui ne
se sépara jamais de la divinité, j'envoyai aux hommes le
grand maître, le Saint-Esprit, qui vint avec ma puissance,
avec la sagesse du Fils, et avec sa clémence ; car il est une
même chose avec moi le Père et avec mon Fils ; il complète la
voie de la doctrine que ma vérité avait laissée dans le mon-
de. Mon Fils n'était pas visible, mais sa doctrine y restait
avec les vertus, qui sont les pierres vives fondées sur la doc-
trine pour former la voie de ce pont doux et glorieux. Il
avait travaillé le premier, et ses œuvres avaient tracé la
voie ; car il vous a donné sa doctrine plutôt par ses exemples
que par ses paroles; il agit avant de parler.
. 3. — La clémence du Saint-Esprit confirma cette doctrine
en donnant aux disciples la force de confesser la vérité et
d'enseigner la voie véritable, c'est-à-dire la doctrine de Jé-
sus crucifié. Il convainquit par leur moyen le inonde d'in-
justices et de faux jugements. Je t'expliquerai bientôt quels
sont ces injustices et ces faux jugements.
4. — Je t'ai dit tout ceci afin qu'aucune erreur ne puisse
obscurcir l'esprit, et qu'on ne dise pas : Le corps de Jésus-
Christ est bien un pont par l'union de la nature divine avec
la nature humaine, c'est la vérité ; mais ce pont s'est séparé
de nous en montant au ciel. Il était vraiment le chemin du
salut, et il nous enseignait la vérité par ses paroles et ses
46
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
exemples ; maintenant, que nous est-il resté? Où trouver la
voie? Je te le dirai pour ceux qui sont tombés dans cet a-
veuglement. La doctrine de mon Fils a été confirmée par les
apôtres, prouvée par le sang des martyrs, illuminée par les
uoeteurs, reconnue par les confesseurs, écrite par les ëvati-
gélistes ; et tous ces témoins en ont confessé la vérité dans le
corps mystique de la sainte Église.
5.— Ilssont comme le flambeau placé sur le chandelier, pour
montrer la voie de la vérité qui conduit à la vie dans une par-
faite lumière. Non seulement ils l'ont enseignée, mais ils
l'ont montrée en eux-mêmes. Chacun est assez éclairé pour
connaître la vérité, s'il le veut, et s'il n'étouffe pas la lumiè-
re de sa raison par l'amour déréglé de soi-même. Oui, la
doctrine de mon Fils, qui est la vérité, est restée dans le
monde, comme une barque pour sauver l'àme des tempêtes
de la mer et la conduire au port du salut.
0. — Ainsi j'ai fait d'abord de mon Fils un pont pour le
salut du monde, lorsqu'il conversait parmi les hommes ; et
lorsque le pont s'est élevé de la terre, il y est cependant res-
té, car c'est la voie de la doctrine inséparablement unie à
ma puissance, à la sagesse du Fils et à la clémence du Saint-
Esprit. La puissance donne la vertu de force à celui qui suit
la voie ; la sagesse donne la lumière pour connaître la vérité ;
l'Esprit Saint donne l'amour qui chasse l'amour-propre sen-
suel de l'âme, et n'y laisse que l'amour de la vertu.
7. — Ainsi de toute manière, par lui-même ou par sa doc-
trine, mon Fils est la voie, la vérité, la vie, le pont qui vous
conduit jusqu'au ciel. C'est ce qu'il voulait dire par ces pa-
roles : «Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le monde,
et maintenant je quitte le monde, et je retourne vers le Pè-
re » (S. Jean, xvi, 28), et je viendrai vers vous ; c'est-à-dire,
mon Père m'a envoyé vers vous ; et je me suis fait votre
pont pour que vous passiez le fleuve, et que vous puissiez
arriver à la vie. Et il ajoute : « Je reviendrai vers vous, je
ne vous laisserai pas orphelins; mais je vous enverrai le
Consolateur » (S. Jean, xiv, 18) ; c'est-à-dire, je retourne
vers mon Père, et je reviendrai quand le Saint-Esprit, qui
est appelé le Consolateur, viendra plus clairement vous
montrer que je suis la voie de la vérité, et vous confirmer la
doctrine que je vous ai donnée.
8. — Il dit qu'il reviendra, et il revient ; car le Saint-Esprit
TRAITÉ DE LA. DISCRÉTION — CH. XXIX
47
ne vient pas seul, mais il vient avec la puissance du Père,
avec la sagesse du Fils, et avec la clémence du Saint-Esprit.
Tu vois donc qu'il revient, non pas visiblement, mais par sa
vertu. Il fortifie la route de la doctrine, et cette route ne
peut, être détruite ou fermée à celui qui veut la suivre, parce
qu'elle est sûre et solide, et qu'elle vient de moi, qui suis
immuable. Vous devez donc suivre cette route avec courage
et sans hésitation, puisque vous êtes éclairés par la lumière
de la foi, dont vous a revêtus le saint baptême.
9. — Ainsi je t'ai clairement montré que le pont et la doc-
trine sont une même chose ; et j'ai fait connaître aux igno-
rants Celui qui a ouvert cette voie de vérité et ceux qui
l'enseignent. J'ai dit que c'étaient les apôtres, Ijs évangélis-
tes, les martyrs, les confesseurs, les saints docteurs, placés
comme des lampes dans l'Église. Je t'ai expliqué comment
mon Fils, en venant à moi, est retourné à vous, non pas
visiblement, mais virtuellement, lorsque le Saint-Esprit des-
cendit sur les disciples. Il ne retournera visiblement qu'au
dernier jour du jugement, lorsqu'il viendra avec ma majesté
et ma puissance pour juger le monde, lorsqu'il glorifiera les
bons et récompensera les fatigues de leur âme et de leur
corps, tandis qu'il punira d'une peine éternelle ceux qui au-
ront commis le mal pendant leur vie.
10. — Maintenant je veux remplir ma promesse et te mon-
trer ceux qui marchent imparfaitement, ceux qui marchent
parfaitement et ceux qui avancent avec une plus grande per-
fection ; comment ils marchent, et comment les méchants se
noient dans le fleuve et tombent par leur faute dans les sup-
plices et les tourments.
11. — Je vous conjure, mes fils bien-aimés, de passer sur
le pont et non pas dessous, car ce n'est pas la voie de la vé-
rité, mais celle du mensonge, que suivent les pécheurs dont
jeté parlerai ; c'est pour les pécheurs que je vous conjure de
m'adresser des prières, c'est pour eux que je réclame vos
larmes et vos sueurs, afin qu'ils reçoivent de moi miséri-
corde.
!*•*•
■S
48
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
XXX. — L'àme, pleine d'admiration pour la miséricorde de
Dieu, célèbre les dons et les grâces qu'en a reçu le genre
humain.
1. — Alors cette âme, ivre d'amour, ne pouvait plus se
contenir, et elle disait en présenee de Dieu: O éternelle
Miséricorde, qui couvrez toutes les fautes de vos créatures,
je ne m'étonne plus si vous dites à ceux qui sortent du
péché mortel et qui retournent à vous : Je ne me rappellerai
pas vos offenses. O Miséricorde ineffable, je ne m'étonne
plus si vous dites à ceux qui sortent du péché, puisque
vous dites de ceux qui vous persécutent : Je veux que vous
me priiez pour eux afin de pouvoir leur faire miséricorde.
2. — O Miséricorde, qui venez du Père, et qui gouvernez
par votre puissance l'univers tout entier ! O Dieu, c'est
votre miséricorde qui nous a créés, qui nous a régénérés
dans le sang de votre Fils ; c'est votre miséricorde qui nous
conserve; votre miséricorde a fait lutter votre Fils sur le
bois de la croix. Oui, la mort a lutté contre la vie, la
vie contre la mort. La vie a vaincu la mort du péché,
et la mort du péché a ravi la vie corporelle de l'innocent
Agneau. Qui est resté vaincu? la mort. Et quelle en ftit la
cause? votre miséricorde.
H. — Votre miséricorde donne la vie ; elle donne la lu-
mière qui fait connaître votre clémence en toute créature,
dans les justes et dans les pécheurs. Votre miséricorde
brille au plus haut des cieux, dans vos saints ; et si je
regarde sur la terre, votre miséricorde y abonde. Votre misé-
ricorde luit même dans les ténèbres de l'enfer, car vous ne
donnez pas aux damnés tous les tourments qu'ils méritent.
4. — Votre miséricorde adoucit votre justice ; par miséri-
corde, vous nous avez purifiés dans le sang de votre Fils;
par miséricorde, vous avez voulu habiter avec vos créatures
â force d'amour. Ce n'était pas assez de vous incarner, vous
avez voulu mourir; ce n'était pas assez de mourir, vous avez
voulu descendre aux enfers et délivrer les saints, pour ac-
complir en eux votre vérité et votre miséricorde. Votre bon-
té a promis de récompenser ceux qui vous servent fidèle-
ment, et vous êtes descendu aux limbes pour tirer de peine
TRAITE DE LA DISCRETION — CH. XXXI
49
ceux qui vous avaient servi, et leur rendre le fruit de leurs
travaux.
5. — Votre miséricorde vous a forcé à faire encore davantage
pour l'homme : vous vous êtes donné en nourriture, afin que
nous ayons un secours dans notre faiblesse, et que, malgré
notre oublieuse ignorance, nous ne perdions pas le souve-
nir de vos bienfaits ; tous les jours vous vous offrez à l'hom-
me dans le Sacrement de l'autel, dans le corps mystique de
la sainte Église. Et qui a fait cela? votre miséricorde. Mi-
séricorde, le cœur s'enflamme en pensant à vous ; de quel-
que côté que je me tourne, je ne trouve que miséricorde.
Père éternel, pardonnez à mon ignorance qui ose parler de-
vant vous ; mais l'amour de votre miséricorde me servira
d'excuse auprès de votre bonté.
XXXI. — De l'indignité de ceux qui passent par le fleuve. —
L'âme qui suit cette route est un arbre de mort, dont les
racines tiennent à quatre vices principaux.
1. — Lorsque cette âme eut un peu, par ces paroles, dila-
té son cœur dans la miséricorde divine, elle attendit hum-
blement l'accomplissement de la promesse qui lui avait été
faite, et Dieu continua de la sorte : Ma fille bien-aimée, tu
as parlé devant moi de ma miséricorde, parce que je te l'ai
fait goûter et voir en te disant : « C'est pour ceux qui m'of-
fensent que je vous demande de m'adresser vos prières».
Mais sois persuadée que, sans aucune comparaison, ma mi-
séricorde est beaucoup plus grande envers vous que tu ne
peux le voir ; car ta vue est imparfaite et finie, tandis que ma
miséricorde est infinie et parfaite. Il y a donc entre ton ap-
préciation et la réalité toute la distance du fini à l'infini.
2. — J'ai voulu te faire connaître cette miséricorde et aus-
si la dignité de l'homme, que je t'ai déjà expliquée, afin de
te faire mieux comprendre la méchanceté et l'indignité des
pécheurs qui passent par la route inférieure. Ouvre donc
l'œil de ton intelligence, et regarde ceux qui se noient vo-
lontairement dans le fleuve du monde ; vois l'abîme où ils
tombent par leur faute.
3. — Ils sont devenus d'abord infirmes et malades, parce
que, dès qu'ils conçoivent le péché mortel dans leur âme et
Dialogue de Ste Cath. do S. — i.
I
50
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
qu'ils l'enfantent par leurs œuvres, ils perdent la vie de la
grâce : et comme les morts sont insensibles et n'ont d'autre
mouvement que ceux qui leur viennent de l'extérieur, ceux
qui sont noyés dans le fleuve do l'amour déréglé du monde
sont morts à la grâce ; et parce qu'ils sont morts, leur mé-
moire perd le souvenir de ma miséricorde; l'œil de leur in-
telligence ne voit plus, ne reconnaît plus ma vérité ; car la
sensibilité est détruite, et l'intelligence est livrée à la mort
de l'amour des sens. Leur volonté aussi est morte à ma vo-
lonté, parce qu'elle n'aime que des choses mortes. Les trois
puissances de l'àme étant mortes, toutes leurs opérations
actuelles et mentales sont mortes, quant à la grâce ; l'â-
me ne peut se défendre de ses ennemis et n'échappe qu'au-
tant que je la secoure moi-même.
i. — Toutes les fois, il est vrai, que ce mort, en qui res-
te encore le libre arbitre, demandera mon secours pen-
dant sa vie mortelle, il pourra l'obtenir, mais il ne pour-
ra rien par lui-même. Il est cause de son impuissance;
il a voulu asservir le monde, et il a été asservi par une
chose qui n'est pas, c'est-à-dire par le péché ; car le pé-
ché n'est rien que la privation de la grâce, comme l'aveu-
glement est la privation de la lumière. Ceux qui le com-
mettent sont esclaves du péché. Je les avais faits des ar-
bres d'amour par la vie de la grâce, et ils se sont faits des
arbres de mort ; car ils sont morts, comme je te l'ai dit.
5. — Sais-tu où est la racine de cet arbre ? Dans l'élé-
vation de l'orgueil, qu'entretient l'amour-propre. La moelle
est l'impatience, dont le fils est l'aveuglement. Ce sont ces
quatre vices qui tuent l'âme de celui qui est devenu un ar-
bre de mort, parce qu'il n'a pas puisé la vie dans la grâce ;
à l'intérieur de l'arbre se nourrit le ver de la conscience,
que l'homme vivant dans le péché sent bien peu, parce qu'il
est aveuglé par l'amour-propre. Les fruits de cet arbre sont
mortels, car ils ont tiré la sève de la racine empoisonnée de
l'orgueil.
6. — La pauvre âme est pleine d'ingratitude, et de là vient
tout le mal. Si elle était reconnaissante des bienfaits reçus,
elle me connaîtrait ; si elle me connaissait, elle se connaî-
trait elle-même et resterait dans mon amour ; mais elle est
si aveugle, qu'elle veut se fixer sur ce fleuve, sans s'aperce-
voir que cette eau qui passe ne peut la soutenir.
■■
^■■i
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. XXXIII
51
XXXII. — Les fruits de cet arbre sont aussi variés que les
péchés; et d'abord du péché de la chair.
A. — Cet arbre donne autant de fruits empoisonnés qu'il y
a de sortes de péchés. Il y en a qui servent de pâture aux
animaux immondes : ce sont ceux que commettent ces hom-
mes qui abusent de leur esprit et de leur corps ; ils se vau-
trent dans la boue de la chair, comme les pourceaux dans
la fange. âme abrutie, qu'as-tu fait de ta dignité? tu as été
faite la sœur des anges, et tu es devenue une brute grossière!
Ces pécheurs sont tombés si bas, que non seulement moi,
qui suis la pureté suprême, je ne puis les souffrir, mais que
les démons, dont ils se sont faits les amis et les serviteurs,
ne peuvent les regarder commettre leur impureté.
2. _ Aucun péché n'est plus abominable et ne détruit
plus la lumière de l'intelligence. Les philosophes eux-mêmes
le savaient, non par la lumière de la grâce qu'ils n'avaient
pas, mais par celle que la nature leur donnait ; et comme ils
comprenaient que ce péché obscurcissait l'intelligence, ils
gardaient la continence afin de pouvoir mieux étudier. Ils je-
taient aussi les richesses loin d'eux, pour que le souci des
richesses ne troublât pas leur cœur. Ce n'est pas ce que fait
l'aveugle et faux chrétien, qui a perdu la grâce par sa
faute.
XXXIII. — De l'avarice et des maux qui en procèdent.
1. — Le fruit de quelques autres pécheurs est de terre : c'est
celui des avides et des avares, qui, comme la taupe, vivent
dans la terre jusqu'à la mort, et n'ont aucun secours quand
ils sont arrivés à leur dernier instant. ; leur avarice insulte
ma richesse en vendant au prochain le temps qui ne leur
appartient pas. Ces usuriers tourmentent et volent leur pro-
chain, parce que leur mémoire ne garde pas le souvenir de
ma miséricorde : ils ne seraient pas sans cela si cruels eu.
vers eux et envers les autres ; ils auraient de la compassion
et de la miséricorde pour eux-mêmes en pratiquant la ver-
tu, et pour le prochain en le secourant par l'aumône. Oh !
combien de maux viennent de ce péché maudit ! combien
52
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
d'homicides, de vols, de fourberies, de gains illicites, de
coups mortels et d'injustices ! Ce péché tue l'ame, et la rend
tellement esclave des richesses, qu'elle ne songe plus à ob-
server mes commandements ; l'avare n'aime personne, si ce
n'est par intérêt.
2. _ Ce vice procède de l'orgueil et nourrit l'orgueil ; l'un
vient de l'autre, parce que l'avarice entraîne toujours le dé-
sir de paraître, qui s'unit sur-le-champ à l'orgueil ; et le mal
augmente, parce que l'orgueil est plein d'estime de lui-mê-
me! Alors s'allume un feu qui donne la fumée de la vaine
gloire et la vanité du cœur qui se glorifie de ce qui ne lui
appartient pas. C'est une racine qui a plusieurs rameaux :
le principal est l'estime de soi, d'où sort l'ambition d'être plus
grand que les autres ; et alors le cœur, au lieu d'être sincè-
re et généreux, devient hypocrite et menteur. La langue dit
autre chose que ce qu'il renferme; elle cache la vérité et
invente le mensonge quand son intérêt le demande. Ce vi-
ce produit aussi l'envie, ce ver qui ronge toujours et que
ne peuvent rassasier les biens de l'avare et les biens des
autres.
3. — Comment ces méchants tombés si bas donneraient-ils
leurs richesses aux pauvres, puisqu'ils volent leur prochain?
Comment sauveraient-ils leur âme souillée, puisqu'ils la traî-
nent dans la fange ? Quelquefois ils s'abrutissent tellement,
qu'ils ne regardent plus leurs enfants et leurs familles qu'ils
laissent dans la misère. Cependant ma miséricorde les suppor-
te et ne commande pas à la terre de les engloutir, pour qu'ils
puissent reconnaître leurs fautes. Comment donneraient-
ils leur vie pour le salut des âmes, puisqu'ils ne donnent
pas même leur argent? Comment aimeraient-ils leurs frères,
puisqu'ils sont rongés d'envie?
4. _ o vice misérable qui abaisse et détruit le ciel de
famé ! oui, je dis le ciel, car j'ai fait de l'âme un ciel où
j'habite par ma grâce, où je me cache, où je me plais à rési-
der par l'amour ; et l'âme se sépare de moi comme une adul-
tère ; elle s'aime, elle aime les créatures et les choses créées
plus que moi ; elle fait d'elle un dieu et me poursuit de ses
nombreux péchés, et tout cela parce qu'elle oublie le bienfait
de ce sang de mon Fils répandu avec tant d'amour.
1M
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. XXXV
53
XXXIV. — De ceux qui ont la puissance :
qu'ils commettent.
et des injustices
1. _ H y en a qui sont fiers de leur puissance et qui affi-
chent l'injustice. Ils sont injustes envers moi, envers le pro-
chain, envers eux-mêmes : injustes envers eux, car ils n'ac-
quièrent pas la vertu qu'ils devraient avoir; injustes envers
moi, car ils ne me rendent pas l'honneur qui m'est dû en ne
louant pas, ne glorifiant pas mon nom comme ils devraient
le faire. Ils prennent comme des voleurs ce qui m'appartient
pour le donner aux sens, qui sont faits pour les servir. Ils
commettent l'injustice envers moi et envers eux-mêmes,
parce qu'ils ne me connaissent pas en eux, tant ils sont
aveuglés par leur ignorance et leur amour-propre.
2 - Ainsi firent les Juifs et les Pharisiens, qu'aveuglèrent
tellement l'amour-propre et l'envie, qu'ils méconnurent mon
Fils Unique, et qu'ils ne rendirent pas hommage à l'éternelle
Vérité descendue parmi eux, comme elle disait elle-même :
Le royaume de Dieu est au milieu de vous (S. Luc, xvn, 21).
Ils ne le reconnaissent pas parce qu'ils avaient perdu la lu-
mière de la raison ; et alors ils ne rendaient pas l'honneur
et la gloire qui sont dus à moi et à mon Fils qui est avec
moi une même chose. Dans leur aveuglement ils furent in-
justes, en poursuivant d'opprobres mon Fils jusqu'à la mort
ignominieuse de la croix. De même ces hommes sont injus-
tes envers eux, envers moi, et aussi envers le prochain, en
vendant le sang de ceux qui sont soumis à leur puissance.
XXXV. — Les vices conduisent aux faux jugements.
1 — Leur égarement les fait tomber dans de faux juge-
ments, comme' je te fexpliquerai bientôt. Ils se scandalisent
de mes œuvres, qui toutes sont justes et véritablement ins-
pirées par l'amour et la miséricorde. Ce sont ces faux juge-
ments et le venin de l'orgueil et de l'envie, qui firent calom-
nier et juger injustement les œuvres de mon Fils bien-aime.
Ces Juifs menteurs disaient : « Celui-ci agit par la puissance
de Béelzébub » (S. Matth., xn, 24 ) ; de même les méchants
égarés dans l'amour-propre, l'impureté, l'orgueil, l'avance
M*
54
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
et l'envie, perdus par l'ignorance, par l'impatience et par
tous les péchés qu'ils commettent, se scandalisent de moi et
de mes serviteurs. Ils jugent la vertu une hyprocrisie, parce
que leur cœur est corrompu et leur goût vicié. Ils trouvent
-mauvaises les choses bonnes, et bonnes les choses mauvai-
ses, c'est-à-dire, les dérèglements de la vie.
. 2. — O aveuglement de l'homme, qui ne voit pas sa digni-
té ! De grand tu te fais petit ; de maitre, tu deviens esclave
de la plus vile puissance qu'on puisse trouver, puisque tu te
fais serviteur et esclave du péché, et que tu deviens sembla-
ble à ce que tu sers. Le péché est un néant ; tu retournes au
néant, tu quittes la vie, tu te donnes la mort.
3. — La vie et la puissance vous ont été données par
le Verbe, mon Fils unique: vous étiez les esclaves du démon,
et il vous a délivrés de sa servitude. Il s'est fait esclave
pour vous affranchir ; il a embrassé l'obéissance d'Adam,
et il s'est humilié jusqu'à l'opprobre de la croix pour con-
fondre l'orgueil ; il a vaincu tous les vices par sa mort, et
personne ne peut dire : Ce vice est resté impuni ; car
tout vice a été frappé sur son corps, qui a servi d'enclume
à ma justice.
4. — Tous les remèdes sont donnés à ces hommes pour
éviter la mort éternelle, et ils méprisent ce sang pré-
cieux ; ils le foulent aux pieds de leur amour déréglé.
C'est là l'injustice et le faux jugement dont le monde
sera convaincu au dernier jour du jugement. C'est ce que
signifiait cette parole de ma Vérité : « J'enverrai le Conso-
.lateur, qui convaincra le monde d'injustice et de faux
jugement »; et il en fut en effet convaincu, lorsque
j'envoyai le Saint-Esprit sur les Apôtres. ■
XXXVI.— Explication de cette parole de Jésus-Christ : « J'en-
verrai le Consolateur, qui convaincra le monde d'injustice
et de faux jugements » ( S. Jean, VI, 8 ).
\. — Il y a trois condamnations qui confondent le
monde. La première fut portée quand le Saint-Esprit
descendit sur les Apôtres, et qu'ils le reçurent dans sa
plénitude, fortifiés par ma puissance et illuminés par
la sagesse de mon Fils bien-aimé. Alors le Saint-Esprit,
qui est une même chose avec moi et avec mon Fils,
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. XXXVI
55
accusa le monde par la bouche des disciples avec la
doctrine de ma Vérité. Les disciples et ceux qui leur
ont succédé, en suivant la vérité qu'ils en avaient reçue,
accusèrent aussi le monde ; et cette accusation est per-
manente. J'accuse le monde par le moyen de la sainte
Écriture et de mes serviteurs, sur la langue desquels
je mets l'Esprit Saint lorsqu'ils annoncent ma vérité,
comme le démon se met sur la langue de ses serviteurs
qui suivent les flots du monde. Mais cette accusation
n'est qu'un doux reproche, inspiré par l'ardent amour
que j'ai pour le salut des âmes.
2. — Personne ne peut dire : Je n'ai pas été enseigné et
repris, car la vérité a fait discerner le vice et la vertu.
J'ai révélé la récompense de la vertu et le châtiment du
vice, pour inspirer de bons désirs et une crainte salutaire,
pour faire aimer la vertu et déteste- le vice. La vérité n'a
pas été enseignée par un ange, pour qu'on ne dise pas:
Un ange est un esprit bienheureux qui ne peut pécher,
et qui ne sent pas comme nous les attaques de la chair
et le fardeau du corps.
3. - Cette excuse n'est pas possible, car ma Vente s est
revêtue d'une chair comme la vôtre. Et voyez ceux qui
ont suivi mon Verbe, n'étaient-ils pas des hommes mortels
et passibles comme vous? n'éprouvaient-ils pas des révoltes
de la chair contre l'esprit? Mon héraut, le glorieux saint
Paul, et tant d'autres saints, n'ont-ils pas eu à combattre
ainsi d'une manière ou d'une autre?
4. — J'ai permis, et je permets ces passions, pour ac-
croître la grâce et augmenter la vertu dans les âmes.
Les saints' sont nés sous la loi du péché comme vous;
ils se sont nourris de la même nourriture, et je suis le
même Dieu que j'étais alors. Ma puissance n'a pas faibli
et ne peut faiblir; je puis et je veux assister ceux qui
réclament mon assistance. L'homme veut que je l'assiste,
quand il quitte le fleuve du monde et va sur le pont de
ma Vérité en suivant ma doctrine.
5 _ H n'y a donc pas d'excuse, puisque l'homme est
prévenu et 'que la vérité lui est continuellement mon-
trée. S'il ne se corrige pas quand il est temps encore,
il sera condamné au second jugement. Au moment de
la mort, lorsque ma justice criera: «Levez-vous, morts;
■
50
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
venez au jugement. Surgite, mortui, venite ad judirium »,
c'est-à-dire: Vous qui êtes morts à la grâce et qui allez
mourir à la vie, levez-vous, et venez devant le Juge su-
prême avec vos injustices et vos faux jugements, avec
cette lumière éteinte de la foi, qu'avait allumée en vous
le baptême, et qu'ont étouffée l'orgueil et les vanités du
cœur. Vous avez tendu votre voile à tous les vents con-
traires à votre salut; le souffle de la flatterie a enflé
le voile de l'amour-propre et vous avez descendu le fleuve
des délices et des honneurs dn monde, en suivant volon-
tairement les faiblesses de la chair et les tentations du
démon. Le démon, aidé par votre volonté, vous a menés
par sa route d'en bas dans les eaux courantes, qui vous
ont entraînés avec lui dans la damnation éternelle.
XXXVII. — De la seconde condamnation, où l'homme est
convaincu d'injustice et de faux jugements.
-1. — Cette seconde condamnation a lieu, ma très chère
fille, dans le moment suprême, où il n'y a plus de res-
source. Quand parait la mort, et que l'homme voit qu'il
ne peut m'échapper, le ver de la conscience, engourdi
par l'amour-propre, commence à se réveiller et à ronger
l'âme, en la jugeant et en lui montrant l'abîme où elle
va tomber par sa faute. Si l'âme alors avait assez de
lumières pour connaître et pleurer sa faute, non pas à
cause de la peine de l'enfer qui la menace, mais à cause
de moi qu'elle a offensé, moi qui suis l'éternelle et* sou-
veraine bonté, l'âme trouverait encore miséricorde. Mais
si elle passe cette limite de la mort sans ouvrir les yeux,
sans espérer dans le sang de mon Fils, avec le seul re-
mords de la conscience et le regret de son malheur, et
non pas celui de mon offense, elle tombe dans la damna-
tion éternelle.
2. — Alors elle est jugée rigoureusement par ma justice,
et convaincue d'injustice et d'erreur : non seulement d'in-
justice et d'erreur générales parce qu'elle a suivi les sen-
tiers coupables du monde, mais d'injustice et d'erreur
particulières, parce qu'à son dernier moment, elle aura
jugé sa misère plus grande que ma miséricorde. C'est
TRAITÉ DE LA DISCRETION
CH. XXXVIII
57
I
là le péché qui ne se pardonne, ni en ce monde ni eh
l'autre. Elle a repoussé, méprisé ma miséricorde; et ce
péché est plus grand que tous ceux qu'elle a commis.
Le désespoir de Judas m'a plus offensé et a été plus
pénible à mon Fils que sa trahison même. L'homme est
surtout condamné pour avoir faussement jugé son péché
plus grand que ma miséricorde ; c'est pour cela qu'il est
puni et torturé avec les démons éternellement.
3. — L'homme est convaincu d'injustice parce qu'il re-
grette plus son malheur que mon offense, car il est
injuste en ne faisant pas ce qu'il me doit et ce qu'il se
doit à lui-même. Il me doit l'amour et les larmes amères
de son cœur pour l'injure qu'il m'a faite, et loin de me
les offrir, il pleure, seulement par amour pour lui-même,
la peine qu'il a méritée. Tu vois donc qu'il est coupable
d'injustice et d'erreur, et qu'il est puni de l'une et de
l'autre. 11 a méprisé ma miséricorde, et ma justice le
livre aux supplices avec ses sens et avec le démon, le
cruel tyran dont il s'est rendu l'esclave par ces sens,
qui devaient le servir. Ils seront tourmentés ensemble
comme ils ont péché ensemble : l'homme sera tourmenté
par mes ministres, les démons, que ma justice a chargés
de torturer ceux qui font le mal.
XXXVIII. — Des quatre principaux supplices des damnés,
auxquels se rapportent tous les autres.
i. — Ma fille, ma langue ne pourra jamais dire ce que
souffrent ces pauvres âmes. Il y a trois vices principaux :
l'amour-propre, l'estime de soi-même et l'orgueil, qui en
découle, avec toutes ses injustices, ses cruautés, ses dé-
bauches et ses excès ; il y a aussi dans l'enfer quatre sup-
plices qui surpassent tous les autres : le damné est d'abord
privé de ma vision, et cette peine est si grande, que, s'il
était possible, il aimerait mieux souffrir le feu et les
autres tourments , et me voir , qu'être exempt de toute
souffrance et ne pas me voir.
2. — Cette peine en produit une seconde, qui est le
ver de la conscience qui la ronge sans cesse. Le damné
voit que, par sa faute, il s'est privé de ma vue et de
il!
■
58
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
la société des anges, et qu'il s'est rendu digne de la so-
ciété et de la vue du démon.
3. — Cette vue du démon est la troisième peine, et
cette peine double son malheur. Les saints trouvent leur
bonheur éternel dans ma vision ; ils y goûtent dans la joie
la récompense des épreuves qu'ils ont supportées avec
tant d'amour pour moi et tant de mépris pour eux-mêmes.
Ces infortunés, au contraire, trouvent sans cesse leur sup-
plice dans la vision du démon, parce qu'en le voyant
ils se connaissent et comprennent ce qu'ils ont mérité
par leurs fautes. Alors le ver de la conscience les ronge
plus cruellement et les dévore comme un feu insatiable.
Ce qui rend cette peine terrible, c'est qu'ils voient le
démon dans sa réalité ; et sa figure est si affreuse, que
l'imagination de l'homme ne pourrait jamais le concevoir.
4. — Tu dois te rappeler que Je te le montrai un seul
instant au milieu des flammes, et que cet instant fut si
pénible, que tu aurais préféré, en revenant à toi, mar-
cher dans le feu jusqu'au jugement dernier plutôt que
de le revoir; et cependant ce que tu en as vu ne peut te
faire comprendre combien il est horrible, car la justice divi-
ne le montre bien plus horrible encore à l'âme qui est sépa-
rée de moi, et cette peine est proportionnée à la grandeur
de sa faute.
5. — Le quatrième supplice de l'enfer est le feu. Ce feu
brûle et ne consume pas, parce que l'âme, qui est incorpo-
relle, ne peut être consumée par le feu comme la matière ;
ma justice veut que ce feu la brûle et la torture sans la dé-
truire, et ce supplice est en rapport avec la diversité et la
gravité de ses fautes.
C. — Ces quatre principaux tourments sont accompagnés
de beaucoup d'autres, tels que le froid, le chaud et les grin-
cements de dents. Voilà comment seront punis ceux qui,
après avoir été convaincus d'injustice et d'erreur pendant
leur vie, ne se seront pas convertis et n'auront pas voulu, à
l'heure de leur mort, espérer en moi et pleurer l'offense
qu'ils m'avaient faite plus que la peine qu'ils avaient mé-
ritée.
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. XXXIX
59
XXXIX. — De la troisième condamnation, qui aura lieu au
jour du jugement.
1. — Il me reste à te parler de la troisième condamna-
tion, qui aura lieu au dernier jour du jugement. Je t'ai par-
lé des deux autres, mais tu verras mieux, en connaissant la
troisième, à quel point l'homme se trompe. Le jugement gé-
néral renouvellera et augmentera le supplice de cette pau-
vre àme par la réunion de son corps, qui lui causera une
confusion, une honte insupportable. Lorsqu'au dernier jour,
le Verbe, mon Fils, viendra dans ma majesté juger le monde
avec sa justice divine, il n'apparaîtra pas dans sa faiblesse,
comme quand il naquit dans le sein d'une vierge, dans une
étable, parmi des animaux, et mourut entre deux voleurs.
2. — Alors je cachais ma puissance en lui ; je le laissai
souffrir et mourir comme homme, sans que la nature divine
fût séparée de la nature humaine, afin qu'il pût satisfaire
pour vous. Il ne viendra pas ainsi au dernier jour ; il viendra
juger dans toute sa puissance et sa personnalité ; toute créa-
ture sera dans l'épouvante, et il rendra à chacun ce qui lui
est dû.
3. — Les malheureux damnes éprouveront à son aspect
un tel supplice, une si grande terreur, que des paroles ne
pourraient jamais l'exprimer ; les justes éprouveront une
crainte respectueuse mêlée d'une grande joie. Le visage du
juge ne changera pas, parce qu'il est immuable ; selon la na-
ture divine, il est une môme chose avec moi ; et selon la na-
ture humaine, il est immuable encore, car il a revêtu la
gloire de la résurrection. Mais le réprouvé ne le verra que
d'un œil ténébreux et vicié. L'œil malade qui regarde la
lumière du soleil n'y voit que ténèbres, tandis que l'œil
sain en admire la splendeur. Ce n'est pas la faute du soleil,
qui ne change pas plus pour l'aveugle que pour celui qui
voit, mais c'est la faute del'œil qui est malade. De même les
damnés verront mon Fils dans les ténèbres, la confusion et
la haine. Ce sera leur faute et non celle de la majesté divine
avec laquelle il viendra juger le monde.
Il
!
■
60
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
XL. — Les damnés ne peuvent vouloir ni désirer aucun
bien.
4 — La haine des damnés est telle, qu'ils ne peuvent
vouloir ni désirer aucun bien, mais ils blasphèment sans
cesse contre moi. Pourquoi ne peuvent-ils désirer aucun
bien? parce qu'avec la vie de l'homme finit l'usage de son h- ■
bre arbitre; il a perdu le temps qu'il avait pour pouvoir mé-
riter. Quand, par le péché mortel, on meurt dans la haine,
la justice divine enchaîne pour toujours à la haine l'âme,
qui reste éternellement obstinée dans le mal qu'elle a com-
mis, se dévorant elle-même et augmentant sa peine des pei-
nes'de ceux dont elle a causé la damnation.
2 — Le mauvais riche demandait en grâce que Lazare
allât trouver ses frères qui étaient restés dans le monde
pour leur annoncer son supplice (S Luc, xvi, 27-28). Ce no-
tait pas par charité qu'il le faisait, ni par compassion pour
ses frères, puisqu'il était privé de charité et qu'il ne pouvait
désirer rien d'utile à mon honneur et au salut des autres. Je
t'ai dit que les damnés ne peuvent vouloir aucun bien à leur
prochain, et qu'ils me blasphèment, parce que leur vie a fi-
ni dans la haine de Dieu et de la vertu.
3 -Pourquoi la demande du mauvais riche? Il la faisait
parce qu'il avait été le plus grand parmi ses frères et qu'il
leur avait fait partager les iniquités de sa vie. Il était ainsi
cause de leur' damnation, et il craignait de voir augmenter
sa peine, leurs tourments devant s'ajouter aux siens ; car
ceux qui meurent dans la haine se dévorent éternellement
entre eux dans la haine.
XLI. — De la gloire des Bienheureux.
•1 - De même l'âme juste qui termine sa vie dans la cha-
rité est éternellement liée à l'amour. Elle ne peut plus croî-
tre en vertu parce que le temps est passé, mais elle peut
toujours aimer avec l'ardeur qu'elle a eue pour venir à
moi, et c'est cette ardeur qui est la mesure de sa félicite.
Toujours elle me désire, toujours elle aime, et son désir
\ m-
■
ri
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. XLI
Gl
n'est pas trompé-: elle a faim et elle est rassasiée, elle est
rassasiée et elle a faim, sans jamais éprouver l'ennui de la
satiété ni la peine de la faim.
2. — Les élus de l'amour jouissent de mon éternelle
vision ; ils participent au bien que j'ai en moi-même, cha-
cun selon sa mesure, et cette mesure est l'amour qu'ils
avaient en venant à moi. Parce qu'ils ont eu ma chanté et
celle du prochain, et qu'ils sont unis ensemble par une chante
générale et particulière qui vient du même principe, ils
jouissent et participent parla charité au bien de chacun, et
ce bonheur s'ajoute au bonheur universel qu'ils ont tous
ensemble ; ils jouissent avec les anges, parmi lesquels les
saints sont placés selon les différentes vertus qu'ils ont eues
dans le monde avant d'être liés dans les liens de la charité.
3. — Ils participent surtout d'une manière particulière
au bonheur de ceux qu'ils aimaient plus étroitement sur
terre. Cet amour était un moyen d'augmenter en eux la
vertu; ils étaient les uns pour les autres des occasions
de glorifier mon nom en eux et dans leur prochain, et. com-
me l'amour qui les unissait n'est pas détruit dans le ciel,
ils en jouissent avec plus d'abondance, et cet amour aug-
mente leur bonheur.
4. _ Ne crois pas que les élus jouissent seuls de leur
bonheur particulier ; il est partagé partous les heureux habi-
tants du ciel, par les anges et par mes enfants bien-aimés. Dès
qu'une âme parvient à la vie éternelle, tous participent
au bonheur de cette âme, et cette âme participe au bonheur
de tous. La coupe de leur bonheur ne s'agrandit pas et elle
n'a pas besoin d'être remplie, car elle est pleine et ne peut
plus dilater ses bords ; mais leur joie, leur félicité, leur
ivresse s'augmentent à la vue de cette âme ; ils voient
que ma miséricorde l'a sauvée de la terre par la plénitude
de la grâce, et ils se réjouissent en moi du bonheur que
cette âme a reçu de ma bonté.
5. — Cette âme est heureuse en moi, dans les âmes et
dans les esprits bienheureux, parce qu'elle voit et goûte
en eux la bonté et la douceur de ma charité. Leurs désirs
s'élèvent toujours vers moi pour le salut du monde ; leur
vie a fini dans l'amour du prochain, et cet amour ne les a
pas quittés ; ils ont passé avec lui par la porte de mon
Fils Bien-aimé, en prenant le moyen dont je te parlerai bien-
I
62
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
m
tût. Remarque qu'ils conservent et conserveront ce lien de
l'amour, que n'a pas brisé la mort.
(i. — Us sont unis à ma volonté, et ils ne peuvent vouloir
que ce que je veux, parce que leur libre arbitre est enchaî-
né par la charité, de sorte que la créature raisonnable
qui se sépare du temps et meurt en état de grâce ne peut
plus pécher. Sa volonté est si unie à la mienne, qu'en voyant
un père, une mère, un fils dans l'enfer, elle ne peut en
souffrir : elle est môme heureuse de les voir punis, parce
que ce sont mes ennemis; elle ne peut être en désaccord
avec moi en la moindre chose, et tous ses désirs sont sa-
tisfaits.
7. — Le désir des bienheureux est de me voir honoré
en vous, pèlerins voyageurs qui précipitez sans cesse vos
pas vers la mort. Le désir de ma gloire leur fait désirer vo-
tre salut, qu'ils me demandent toujours pour vous. Je satisfais
ce désir, pourvu que dans votre aveuglement vous ne résis-
tiez pas à ma miséricorde. Ils désirent aussi avoir la ré-
compense de leurs corps, et ce désir n'est pas une peine
quoiqu'il ne soit pas satisfait sur-le-champ, parce qu'ils
jouissent de la certitude qu'il le sera un jour; et ils ne souf-
frent pas d'attendre, car rien ne manque à leur félicité.
8. — Ne crois pas que la béatitude du corps, après la
résurrection, ajoute à la béatitude de l'âme ; car il s'ensuivrait
que tant qu'elle n'aurait pas son corps, l'âme n'aurait
qu'une béatitude imparfaite, ce qui ne peut être, parce que
rien ne manque à sa perfection. Ce n'est pas le corps qui
donne la béatitude à l'âme, mais c'est l'âme qui donne
la béatitude au corps ; elle l'enrichira de son abondance,
lorsqu'au jour du jugement, elle se revêtira de la chair
dont elle s'était séparée.
9. — L'âme est devenue immortelle et immuable en moi ;
le corps, par cette union, deviendra immortel ; il perdra
sa pesanteur et sera subtil et léger. Le corps glorifié
passera à travers tous les obstacles et ne craindra ni l'eau
ni le feu, non par sa vertu, mais par la vertu de l'âme,
qui est ma vertu communiquée par la grâce et par cet
amour ineffable avec lequel je l'ai créée à mon image et
à ma ressemblance. Non, l'œil de ton intelligence ne peut
voir, l'oreille entendre, la langue raconter et le cœur com-
prendre la félicité des bienheueux.
TBA1TÉ DE LA DISCRÉTION — CH. XLII
03
10. — Quel bonheur ils ont de me voir, moi qui suis le
souverain bien ! Quel bonheur ils auront quand leur
corps sera glorifié ! Ils n'en jouiront qu'au jugement der-
nier, mais ils ne souffrent pas d'attendre, parce que rien
ne manque à la béatitude dont l'âme déborde et qu'elle
épanchera sur son corps.
11. — Que te dire de cette joie ineffable des corps glorifiés
dans l'humanité glorifiée de mon Fils unique, qui vous a
donné la certitude de votre résurrection ! Ils tressailliront
dans ses plaies, qui sont restées fraîches et ouvertes sur
son corps, afin de crier sans cesse miséricorde pour vous,
vers moi le Père éternel et souverain ; et tous seront con-
formes à lui dans la joie et l'allégresse. Oui, par vos yeux,
vos mains, volie corps tout entier, vous serez unis aux
yeux, aux mains, au corps de l'aimable Verbe, mon Fils
bien-aimé. Etant en moi, vous serez en lui, parce qu'il est
une même chose avec moi. L'œil de votre corps se dilatera
dans l'humanité glorifiée du Verbe mon Fils unique : pour-
quoi '! parce quela vie qui finit dans les liens de ma cha-
rité durera éternellement.
12. — Les bienheureux ne peuvent faire aucun bien, mais
ils jouissent de celui qu'ils ont fait ; le temps de mériter
est passé pour eux, car c'est sur la terre seulement qu'on
mérite ou qu'on pèche, selon l'usage que la volonté fait du
libre arbitre. Les bienheureux attendent le jugement géné-
ral, non dans la crainte, mais dans la joie. Le visage de
mon Fils ne leur paraîtra pas terrible et plein de haine,
parce qu'ils sont morts dans mon amour et dans l'amour
du prochain. Le visage du juge qui viendra dans ma majesté
ne changera pas, mais il sera différent pour ceux qui se-
ront jugés : ceux qui seront damnés le verront dans la
haine et la justice, ceux qui seront sauvés le contemple-
ront dans l'amour et la miséricorde.
I
XLII. — Le jugement général augmentera la
peine des damnés.
1. — Je t'ai parlé de la gloire des justes pour te faire
mieux comprendre le malheur des damnés. Une de leurs
peines sera de voir la béatitude des justes ; ce spectacle
<)i
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
augmentera leurs tourments, comme la vue des damnés
augmentera, dans les justes, la jouissance de ma bonté:
car la lumière se connaît mieux par les ténèbres et les té-
nèbres par la lumière. La vue du bonheur sera un supplice
pour les damnés, et ils attendent avec effroi le jugement
dernier, parce qu'ils comprennent qu'il augmentera leur
malheur.
2. — En effet, à cette parole terrible : Levez-vous, morts ;
venez au jugement! l'âme se réunira au corps pour le
glorifier dans les justes et le torturer éternellement dans les
méchants. Les damnés seront couverts de honte et de
confusion en présence de ma Vérité et de tous les bienheu-
reux.
3. — Alors le ver de la conscience rongera la moelle de
l'arbre, c'est-à-dire l'âme, et son écorce, c'est-à-dire le corps.
Contre eux s'élèvera le sang précieux répandu pour les ra-
cheter et leur acquérir les miséricordes spirituelles et tem-
porelles que je leur ai faites par mon Fils. 11 leur sera
demandé compte des obligations que l'Évangile leur impo-
sait envers le prochain ; ils seront convaincus de cruauté
pour les autres, d'orgueil, d'amour-propre et de débauche.
La vue de la miséricorde dont ils étaient l'objet rendra leur
condamnation plus terrible. Au moment de la mort, elle n'at-
taquait que leur âme ; mais au jugement dernier, elle
frappera à la fois leur âme et leur corps. Car le corps est
le compagnon, l'instrument de l'âme pour le bien ou le
mal, selon le bon plaisir de sa volonté.
4.— Tout acte, bon ou mauvais, s'accomplit par l'intermé-
diaire du corps. Il est donc juste, ma chère lille, que mes
élus jouissent de la gloire et du souverain bien avec
leur corps glorifié, pour que le corps et l'âme soient
récompensés tous les deux des fatigues qu'ils ont suppor-
tées ensemble pour moi. De même, le corps des méchants
partagera leurs peines éternelles, parce qu'il a été l'instru-
ment du mal : leur supplice se renouvellera et augmentera
lorsqu'ils reprendront leur corps en présence de mon Fils.
5. — Leur misérable sensualité et leurs débauches seront
condamnées en voyant la nature humaine unie en Jésus-
Christ à la pureté de la Divinité, en apercevant la chair
d'Adam au dessus de tous les chœurs des anges, tandis
qu'eux, par leur faute, sont plongés dans les profondeurs
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. XLII
65
de l'enfer, ils verront la grandeur de ma miséricorde briller
dans les bienheureux qui ont profité du sang de l'Agneau,
et ils reconnaîtront que les peines souffertes par amour
pour moi sont devenues pour le corps comme une belle
frange sur un vêtement ; et cela non par la vertu du corps,
mais par l'exubérance de l'âme qui donne aux corps le prix
de sa peine, parce qu'il l'a aidée à pratiquer la vertu. Cette
récompense est visible ; elle apparaît sur le corps comme
le visage de l'homme se reflète dans un miroir.
6.— En présence de tant de gloire dont ils sont privés,
les damnés sentiront augmenter leur peine et leur confu-
sion. Dans leur corps aparaitront les marques des péchés
qu'ils ont commis, et les supplices qu'ils ont mérités.
Quand retentira pour eux cette parole épouvantai île : Allaz,
maudits, au feu éternel, l'aine et le corps iront demeurer
avec les démons, sans aucune lueur d'espérance, dans cette
sentine du monde, où chacun apportera l'infection de ses
iniquités.
7. — L'avare y brûlera avec les trésors de la terre qu'il
a tant aimés ; le cruel y sera avec ses cruautés, le débauché
a* r ee ses excès, l'envieux avec son envie, et celui qui hait
son prochain avec sa haine. Ceux qui se seront aimés de
cet amour déréglé qui cause tous les maux, parce qu'il est
«avec l'orgueil le principe cle tous les vices, ceux-là seront
dévorés par un feu insupportable ; tous, selon leurs fautes,
seront punis à la fois dans leur âme et dans leur corps.
8. _ Voilà la lin déplorable cle ceux qui vont par la
route inférieure, et qui suivent le fleuve du monde, sans
vouloir se reconnaître et recourir à la miséricorde. Ainsi
que je te l'ai dit, ils arrivent à la porte du mensonge, parce
qu'ils suivent la doctrine du démon, qui est le père du
mensonge ; et le démon est la porte par laquelle ils arrivent
à la damnation éternelle.
9. _ Mes élus, mes enfants bien-aimés, prennent la
route supérieure, celle du pont ; ils suivent la voie de la
vérité, et la vérité est la porte de la vie ; car mon Fils a
dit : « Personne ne peut aller à mon Père, si ce n'est par
moi » ; il est la porte et la voie qu'il faut prendre pour
entrer en moi, l'océan de la paix.
10. — Los réprouvés, au contraire, qui suivent la voie
ténébreuse du mensonge, n'arrivent qu'à une eau morte ;
Dialogue do S. Cath. de S. — 5.
I
66
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
le démon les y appelle, comme s'il disat : Que celui
qui a soif d'eau morte vienne à uni, et je lui en donnerai.
Les aveugles et les insensés ne s'en aperçoivent pas, car
ils ont perdu la lumière de la loi.
XLIII. - L'utilité d3S tentations. — L'àm3, au moment de
la mort, voit la peine ou la gloire qui lui est destinée,
même avant d'être séparée de son corps.
1. - Le démon est le bourreau que ma justice a chau-
de tourmenter les àm3* qui m'ont misérablement offensé.
Je lui permets pendant cette vie de tenter et d'inquiéter
mes créatures, non pas pour qu'elles soient vaincues, mais
au contraire pour qu'elles triomphent et qu'elles reç.oiveni
de moi la pal me de la victoire qu'elles auront gagné* par
la vertu. Personne ne doit craindre de conibittre et d'être
vaincu par les tentations du démon, parce que j'ai fait
l'homme fort, en lui donnant la force de la volonté fortifié.'
dans le sang de mon Fils.
2. — Cette volonté, ni le démon, ni la créature ne peuvent
la changer, parce qu'elle est à vous et que je vous l'ai don-
née Vous pouvez donc, avec le libre arbitre, résister ou
céder, selon votre bon plaisir. La volonté est une arme
que vous livrez au démon pour vous frapper et vous tuer.
Mais si l'homme ne met pas cette arme entre les mains du
démon, c'est-à-dire s'il ne cède pas à ses tentations et a ses
attaques, il ne sera jamais blessé par le péché dans aucune
tentation ; il sera fortifié, au contraire, parce que l'œil de
son intelligence verra que ma charité permet la tentation
pour éprouver et augmenter la vertu.
3. — L'homme acquiert la vertu en connaissant sa faibles-
se et ma bonté. Cette connaisssance est plus parfaite au
temps de la tentation, parce qu'alors il comprend qu'il
n'a pas l'être par lui-môme, puisqu'il ne peut éviter les
peines et les tentations qu'il voudrait fuir. Il me connaît
dans sa volonté, à laquelle ma bonté donne la force de
résister à ses tentations. Il comprend pourquoi ma chant. ■
les envoie. Le démon est impuissant ; il ne peut rien
sans mon consentement, et si je le donne, c'est par amour,
non par haine; c'est pour que vous soyez vainqueur et
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. XLIII
67
non vaincu ; c'est pour que vous parveniez à une connais-
sance plus parfaite de vous-même et de moi, et que votre
vertu soit éprouvée, car elle n'est éprouvée que par son
contraire.
4. _ Tu vois donc que les démons sont mes ministres
chargés de tourmenter les damnés en enfer, et d'exercer,
d'éprouver la vertu des âmes en cette vie. Leur intention
n'est certainement pas d'éprouver la vertu, car ils n'ont
pas la charité ; ils veulent la détruire en vous, mais ils ne
pourront jamais le faire, si vous ne voulez pas y consentir.
5. — Maintenant, considère la folie de l'homme qui se
rend faible par le moyen que je lui avais donné pour être
fort, et qui se livre lui-même aux mains du démon. Aussi
je veux que tu saches ce qui arrive au moment de la
mort à ceux qui, pendant leur vie, ont volontairement
accepté le joug du démon qui ne pouvait les y contraindre.
Quand la mort les surprend dans ce honteux esclavage, ils
n'ont d'autres juges qu'eux-mêmes ; l'arrêt de leur conscien-
ce suffit, et ils sa précipitent avec désespoir dans l'éternelle
damnation. Avant d'en passer les limites, ils l'acceptent
par haine de la vertu et choisissent l'enfer pour le parta-
ger avec les démons, leurs maîtres.
6. — Les justes, au contraire, qui ont vécu dans la charité
meurent dans l'amour. Quand vient leur dernier instant,
s'ils ont pratiqué parfaitement la vertu, éclairés par la
lumière de la foi et soutenus par l'espérance du sang de
l'Agneau, ils voient le bien que je leur ai préparé; ils
l'embrassent avec amour et m'attirent à eux avec tendres-
se, moi, l'éternel et souverain Bonheur. Ils jouissent ainsi
du ciel même avant que leur âme se sépare de leur corps.
7. — Pour ceux qui ont passé leur vie dans une charité
moins parfaite, lorsqu'ils arrivent à la mort, ils se jettent
dans les bras de ma miséricorde avec la même lumière
de la foi et la même espérance qu'ils ont eue à un degré
inférieur. Malgré leur imperfection, ils embrassent ma mi-
séricorde, parce qu'ils la trouvent plus grande que leurs
fautes. Les pécheurs font le contraire : ils voient avec
désespoir la place qui les attend, et ils l'acceptent avec
haine.
8. — Les uns et les autres n'attendent pas leur jugement.
Chacun, au sortir de la vie, prend lui-même possession de
68 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
son sort- il l'éprouve même avant de quitter son corps.
Les damnés suivent la haine et le désespoir ; les parfaits
suivent l'amour, la lumière de la foi, l'espérance du sang
de l'Agneau ; les imparfaits se confient à ma miséricorde et
vont en purgatoire.
XLIV. - Le démon trompe toujours l'àme sous l'apparence
de quelque bien.
1 _ Je t'ai dit que le démon invite les hommes à boire
l'eau morte qui est son partage ; il les trompe avec
les délices et les honneurs du monde, il les sedu.t par
l'apparence de quelque bien. 11 ne pourrait réussir au-
trement, car ils ne se laisseraient pas attirer s ils ne
trouvaient quelque avantage personnel, quelque jouis-
S1HC6
2 — L';\me, par sa nature, recherche toujours le bien ;
mais comme elle est aveuglée par l'amour-proprc, elle ne
connaît et ne discerne pas le vrai bien, ce qui est utile
à l'àme et au corps. Et alors le démon, dans sa méchanceté,
voyant l'homme aveuglé par l'amour-propre sensitil, lui
propose des fautes qui sont colorées de quelque utilité et de
quelque bien, il les propose selon l'état de chacun et selon
les vices auxquels il parait le plus enclin. Il tente diverse-
ment le séculier, le religieux et ceux qui ont des dignités
spirituelles ou temporelles.
3 - Je t'ai déjà parlé de ceux qui se noient dans le neuve,
parce qu'ils ne pensent qu'à eux et m'outragent par leur
coupable amour-propre. Tu verras combien ils se trompent.
En voulant fuir la peine, ils tombent en de plus grandes.
U leur semble qu'il est bien dur de me suivre par la voie
que mon Fils vous a tracée ; ils reculent devant quelques
épines. Qu'ils sont aveugles ! ils ne voient pas la vente et
la méconnaissent. Je te l'ai expliquée au commencement de
ta vie, quand tu me priais de faire miséricorde au mon-
de et de le retirer des ténèbres du péché mortel.
4 - Tu sais que je me suis révélé à toi sous la figure d'un
arbre dont tu n'apercevais pas le principe et la fin; tu
voyais seulement que sa racine s'unissait à la terre. C était
la nature divine unie à la terre de votre humanité. Au pied
de l'arbre, s'il t'en souvient, il y avait quelques ép.nes qui
«■
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. XLIV
69
éloignaient tous ceux qui aiment leur sensualité; ceux-là
couraient à une montagne d'épis battus, qui représentait
tous les plaisirs du monde. Ces épis paraissaient contenir
du bon grain, mais ils étaient vides ; et les pauvres âmes
périssaient de faim. Beaucoup reconnaissaient les trom-
peries du monde ; ils retournaient à l'arbre et traversaient
les épines, c'est-à-dire les résolutions de la volonté.
5.— Ces résolutions, avant d'être prises, semblent des
épines qui embarrassent le chemin de la vérité, parce qu'il
y a un combat entre la conscience et la sensualité ; mais
dès que la baine et le mépris de soi-même font dire
avec courage : Je veux suivre Jésus crucifié, aussitôt ces
épines s'émoussent et deviennent d'une douceur extrême.
Chacun les sent plus ou moins, selon ses dispositions par-
ticulières.
6. — Je te disais alors : Je suis votre Dieu immuable ;
je ne change pas, et je ne me retire jamais de la créature
qui veut venir à moi. Je montre à tous la vérité; je me
rends visible, quoique je sois invisible ; et je fais voir ce
que c'est que d'aimer quelque chose sans moi. Mais ceux
qu'aveuglent les ténèbres de l'amour-propre ne me con-
naissent pas et ne se connaissent pas. Vois combien ils
sont dans l'erreur, puisqu'ils aiment mieux mourir de faim
que de traverser quelques épines. Et pourtant, ils ne peu-
vent éviter de souffrir des peines ; car, en cette vie, per-
sonne ne peut vivre sans souffrir, excepté ceux qui sui-
vent le chemin d'en haut ; ceux-là rencontrent aussi la
souffrance, mais cette souffrance leur devient une conso-
lation.
7. — C'est le péché d'Adam qui a fait naître dansle monde
les épines et les ronces ; c'est lui qui est la source de ce
fleuve qui se précipite comme une mer orageuse ; et je
vous ai donné un pont pour que vous n'y soyez pas englou-
tis. Ainsi, tu vois combien se trompent ceux qui craignent
sans raison. Je suis votre Dieu, et je ne change pas ; je ne
m'arrête pas aux personnes, mais aux saints désirs. C'est ce
que je t'ai fait comprendre par la figure de cet arbre.
M
70
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
XLV. - Quels sont ceux que ne blessent pas les épines du
monde, quoique personne, en cette vie, ne puisse éviter
la souffrance.
\ - Je veux maintenant te montrer ceux que blessent ou
que ne blessent pas les ép nés et les ronces que la terre
produit à cause du péché. Je t'ai fait voir jusqu'à présent
ma bonté et la damnation des méchants qui sont trompes
par leurs sens; je te dis maintenant qu'eux seuls sont bles-
sés par les épines du monde.
2 - Quiconque nait à la vie ne peut être exempt de
peines corporelles ou spirituelles. Mes serviteurs ont des
peines corporelles, mais leur âme est toujours libre. Us ne
souffrent pas de la souffrance, parce que leur volonté est
unie à la mienne ; et c'est par la volonté que l'homme souf-
fre. Ils souffrent au contraire de l'esprit et du corps, ceux
qui ont, dès cette vie, un avant-goût de l'enfer, comme mes
serviteurs ont un avant-goût de la vie éternelle. Tu sa.s que
le bonheur principal des bienheureux est d'avoir leur vo-
lonté pleine de ce qu'ils désirent. Ils me désirent ; en me
désirant, ils me possèdent et me goûtent sans aucun
obstacle, car ils ont laissé le poids de leur corps, qui était
une force opposée à l'esprit.
3 - Le corps était un intermédiaire qui les empêchait
de connaître la vérité; ils ne pouvaient me voir face a face
parce que le corps ne leur permettait pas de me contempler.
Mais dès que l'âme est délivrée du corps, sa volonté est sa-
tisfaite ; elle désirait me voir, elle me voit, et c'est cette vi-
sion qui fait sa béatitude. Qui me voit me connaît, qui me
connaît m'aime, et qui m'aime me possède, moi le bien su-
prême, éternel. Cette possession apaise et remplit sa vo-
lonté, qui était le désir de me voir et de me connaître. Des
lors il me désire et il me possède; il me possède et il
me désire ; et, comme je te l'ai dit, ce désir est sans peine
et cette possession sans satiété.
4 - Ainsi, tulevois,lagrandecausedela béatitude de
mes serviteurs est de me voir et de me connaître. Cette vi-
Faon et cette connaissance remplissent la volonté de ce
qu'elle désire ; elle est donc heureuse. Jouir de la vie eter-
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. XLV
71
nelle, c'est surtout posséder ce que la volonté désire. Me
voir, me connaître et m'aimer, donne la félicité parfaite.
5 - Ceux qui, dans cette vie, ont un avant-gout de la
vie éternelle, jouissent de ce qui fait le bonheur des bien-
heureux. Comment ont-ils cet avant-goùt 1 Par la vue de
ma bonté envers eux et par la connaissance de ma vente.
Cette connaissance est clans l'entendement qui est l'œil
de l'àme éclairé par moi. La pupille de cet œil est la sainte
foi dont la lumière fait discerner, connaître et suivre la
voie et la doctrine de ma Vérité, le Verbe incarné. Sans la
foi l'àme ne saurait voir: elle est comme celui dont un
voile obscurcit la pupille, qui est la partie lumineuse de
l'œil La pupille de l'œil de l'àme est la foi. Si 1 amour-
propre la couvre du voile de l'infidélité, elle ne peut plus
voir. Elle possède bien un œil, mais non pas la lumière,
dont elle s'est elle-même privée.
6 - Ainsi, tu le comprends, mes serviteurs en me voyant
me connaissent, en me connaissant m'aiment, en m'ai-
mant s'anéantissent et perdent toute volonté propre. Des
qu'ils ont perdu leur volonté, ils revêtent la mienne ; et
moi, je ne veux que votre sanctification. Ils quittent aus-
sitôt le chemin d'en bas et commencent à gravir le pont ;
ils ne craignent plus les épines. Leurs pi ds ne peuvent
pas en être blessés, car ils sont garantis par l'amour de
ma volonté. Ils souffrent du corps et non de l'esprit, parce
queleur volonté sensitive est morte; et c'est celle qui afflige
et tourmente l'àme de la créature. Dis que la volonté
n'existe plus, la peine disparait ; ils supportent tout avec
reconnaissance et se réjouissent d'être éprouvés pour moi,
parce qu'ils ne désirent que ce que je veux.
7. — Je permets que le démon les tourmente et que les
tentations éprouvent leur vertu ; ils résistent par leur vo-
lonté qui est affermie en moi. Ils s'humilient et se recon-
naissent indignes de la paix, du repos de l'àme ; ils pensent
qu'ils méritent la tribulation, et ils vivent ainsi dans la joie
et la connaissance d'eux-mêmes, sans éprouver de véritables
afflictions. Si l'épreuve leur vient des hommes, de la mala-
die, de la pauvreté, d'un revers de fortune, de la privation
de leurs enfants ou des personnes qui leur sont chères, ils
supportent ces épines que le péché a fait naître sur la terre,
avec la lumière de la raison et de la sainte foi. Leurs yeux
72
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
sont Qxôs sur mo,, qui suis la bonté suprême et qui ne
peux vouloir que leur bien ; tout ee qui leur arrive, c'est
l'amour et non la haine qui le leur envoie.
8. - Dès qu'ils voient que je les aime, ils s'examinent et
œconna^sent leurs défauts ; ,1s voient à la lumière de la f
que tout bien do.t être récompensé et toute faute punie
Us comprennent que la moindre faute mérite une peine in-'
Ame parce qu'elle est faite contre moi, qui suis le bien in-
fini Os regardent comme une faveur d'en être punis pen-
dant cette vie, qui passe si rapidement. Ils se purifient
ams du péché par la contrition du cœur, et acquiè eut I '
«par I, i perfection * leur patience. Leurs peil
2e snX r U " bieii SanS lneSUre ^ ils savent qae
temps. CeUe Vie GSt fUgiUve comm «'^
un MnÏ-T' 38 ^ qU ' Un P ° int ; le tCmi1S P asse ™mme
oeti > r ', S ° l " TranCe P flSse a ™C Un, elle est donc bien
pente. Ils la supportent avec patience et marchent sur le,
nï'll 1 t0n ' e Sa ' 1S ét, '° blessés S elles n'atteignent
pas leu, , œur parce que leur cœur n'est plus à eux ; il en a
Oc ote avec 1 amour sensitif pour mètre ôtroitenent uni
par les liens de l'amour. 11 est donc bien vrai qu'il jouissent
de la vie éternelle qu'ils en ont un avant-goût dès cette
vie ils traversent Peau sans être mouillés; ils marchent
su lesepmes sans être blessés, parce qu'ils me connais-
se,, moi le souverain bien, parce qu'ils le cherchent là
ol se trouve, c'est-à-dire dans le Verbe, mon Fils bien-
rlt.urr r m P rocédent *° l'aveuglement de
Intelligence. -Le hien qui n'est pas fait en état d e
grâce ne sert pas à la vie éternelle
m . ' Ul dlt ces choses I^ur que tu comprennes
mieux comment ceux dont je t'ai fait connaître l'erreur
ont un avant-goût de l'enfer. Je te dirai maintenant d'où
vient leur erreur et comment ils reçoivent eet avant-août
tVv r)-r, e V arCe qU ' Us ont av6 «gléle ir intelligence
par 1 infidélité de leur amour-propre. La vérité s'acquiert
par la lumière de la foi et le mensonge par l'infidélité. Je
TRAITÉ DE LA DISCRETION
C.H. XLVI
73
parle de l'infidélité de ceux qui ont reçu lo saint baptême,
dans lequel la pupille de la foi est donnée à l'œil de
l'intelligence.
2. — Lorsque vient l'âge db raison, ceux qui s'exercent
à la vertu conservent la lumière de la foi et enfantent
des vertus vivantes qui profitent au prochain. De même
qu'une femme qui donne le jour à un enfant le présente
avec joie à son époux, ils m'offrent leurs vertus vivantes,
à moi qui suis l'époux de leur âme. Mais au contraire,
les malheureux qui, à l'âge de raison, ne profitent pas
de la lumière de la foi, n'enfantent pas les vertus de
la vie de la grâce, et ne produisent que des œuvres
mortes. Elles sont mortes, parce qu'elles sont faites dans
la mort du péché, et sans la lumière de la foi. Ils ont
la forme du baptême, mais ils n'en ont plus la lumière,
parce qu'ils en sont privés par les ténèbres de la faute
que t'ait commettre l'amour-propre, qui couvre entièrement
leur vue.
3. — On dit que ceux-là ont la foi sans les œuvres et
que leur foi est morte. De même qu'un mort ne voit pas,
de même l'œil de l'intelligence dont la pupille est obs-
curcie ne voit pas. L'âme ne se connaît pas et ne con-
naît pas les péchés qu'elle a commis; elle ne connaît
pas ma bonté envers elle en lui donnant l'être et les
grâces que j'y ai ajoutées. M'ignorant et s'ignorant elle-
même, elle ne hait pas sa propre sensualité, mais elle
l'aime et cherche à satisfaire ses désirs. Elle enfante
ainsi les œuvres mortes du péché. Elle ne m'aime pas,
et ne m'aimant pas, elle n'aime pas ce que j'aime, c'est-à-
dire le prochain, et elle ne se plait point à faire ce qui
peut m'ètre agréable.
4. _ ce sont les vraies et solides vertus qu'il m'est
agréable de voir en vous, et ce n'est pas à cause de
moi. De quelle utilité pouvez-vous être puiir moi? Je suis
Celui qui agit, et rien ne se fait sans moi, excepté le
péché, qui n'est que néant, puisqu'il prive l'âme de moi,
qui suis le bien suprême, en la privant de la grâce. Les
vertus me plaisent à cause de vous, parce que je puis
les récompenser en moi, qui suis la vie éternelle.
5. _ Tu vois que leur foi est morte, puisqu'elle est sans
les œuvres : les œuvres'qu'ils font ne servent point pour
71
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
la v.e étemelle, puisqu'ils n'ont pas la vie de la grâce
Cependant on ne doit jamais cesser de faire le bien qu'on
son en état de grâce ou qu'on n'y soit pas, parc^ 'qïe le
ta» es toujours récompensé comme la Faute est toujl
éterSue Tir^ "• ^ ™ ^ ** «*» ^ à ^
ne Ter nU . , ■*"■ " ** e " état de P éché m onel
ne .sert pas a la v,e éternelle, mais il est récompensé de
différentes mamères, comme je te l'ai expliqué
b. - Je le récompense quelquefois en accordant le temps
cœurT 6 P0U, ' Se reC ° nnaitre ; ^elquefois en mettant au
cœur de mes serviteurs de ferventes prières qui retirent les
coupables du mal et les sauvent de leur misère. D'autres
fois je ne leur accorde ni temps ni prières, mais je les ré-
compense par l'abondance des choses temporelles Ils sont
comme les animaux qu'on engraisse pour les mener a la
boucherie, et cela arrive à ceux qui résistent de toute ma-
dehort T , 1 6t q,,i '' 0nt ce P endant «ï^lque bien en
dehors de a grâce et dans le péché. Ils n'ont pas voulu
profiter du temps qui leur était accordé, des prières qu'on
Rusait pour eux, et de tous les moyens que j'employais
Pour les attirer. Je les repousse à cause de leurs Ses
mais ma bonté veut récompenser ce qu'ils peuvent aveu-
lait d utile; je leur accorde des biens temporels qui les
engraissent, et, s'ils ne se convertissent pas, ils vont
ainsi au supplice de l'enfer.
7 Tu vois quelle est leur erreur; mais, s'ils y tom-
bent, n est-ce pas leur faute? Ils se sont privés de la
lumière de la foi, et ils marchent à tâtons comme des
aveugles, s'attachant à tout ce qu'ils touchent. Parce crue
leur vue est obscurcie, ils ne placent leur affection que
dans des choses transitoires; ils se trompent comme ces
lous que séduit l'or, sans prendre garde au poison qu'il
cache. Toutes les choses du monde, ses joies^ ses p.ai-
sirs, si on les possède, si on les goûte sans moi, avec
un amour déréglé, sont comme ces scorpions que je te
montrais dans les commencements, après la figure de
1 arbre: ,1s portaient de l'or devant eux et du poison
par derrière ; il n'y avait pas de poison sans or ni d'or
sans poison ; mais c'était l'or qu'on voyait le premier,
et personne n'évitait le poison, à moins d'être éclairé
par la lumière de la foi.
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. XLVII
75
XLVII. —On ne peut observer les commandemants, si on
n'observe pas aussi les conseils.
1. — Je t'ai dit que ceux qui sont éclairés par la lu-
mière de la foi, retranchaient le poison des sens avec
le glaive à deux tranchants de la haine du vice et de
l'amour de la vertu; ceux qu'éclaire seulement la lu-
mière de la raison acquièrent et possèdent l'or des choses
terrestres qu'ils veulent conserver; mais ceux qui veu-
lent atteindre la perfection méprisent ces biens réelle-
ment et spirituellement, ils observent les conseils de ma
Vérité. ,
2 -Les autres possèdent et observent les commande-
ments et ne suivent les conseils que spirituellement ;
mais comme les conseils sont liés aux commandements,
personne ne peut observer les commandements sans ob-
server les conseils, non pas réellement, mais spirituelle-
ment En possédant les richesses du monde, on doit les
posséder avec humilité, et non pas avec orgueil ; on doit
les posséder comme une chose prêtée, car ma bonté ne
vous les donne que pour votre usage. Vous ne les avez
qu'autant que je vous les donne ; vous ne les conservez
qu'autant que je vous les laisse, et je ne vous les laisse
qu'autant que je vois qu'elles servent à votre salut. G est
ainsi que vous devez en user.
3 - Si l'homme en use de la sorte, il observe les com-
mandements, puisqu'il m'aime par-dessus toutes choses
et qu'il aime le prochain comme lui-même. Il vit avec
un cœur libre, il ne s'attache pas aux richesses par le
désir il ne les aime pas et ne les tient que de ma vo-
lonté'; et, s'il les possède matériellement, il n'en observe
pas moins le conseil dans son cœur, parce qu'il s'est
purifié du poison de l'amour déréglé.
4 - Ceux qui agissent ainsi sont dans la chante com-
mune, mais ceux qui observent les commandements et
les conseils spirituellement et réellement sont dans_ la
charité parfaite ; ils observent dans toute sa simplicité le
conseil que ma Vérité, le Verbe incarné, donnait à ce
jeune homme qui lui demandait: Maître, que puis-je
faire pour avoir la vie éternelle? Mon Fils lui dit: Ob-
, ■
76
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
«t'eTrT 6 ' 1 "" 18 ^ ^ l0i " Le J«™ homme
icponcht. Je les observe ; et mon Fils lui dit: C'est bien
ayez et donnez-le aux pauvres (S. Matthieu, xix, 16-21)
Alors ce jeune homme devint triste, parce que les '
cbesses qu , avait u les ^^ ^ J™^£
10U1 ' \ est ce C I U1 causait sa peine. Mais les narCnits
vent', f l6Ur C0, ' PS P ar la Pénitence, par les
veilles, par d'humbles et continuelles prières.
dent^Ta ï! , '^ tent ; i dails la charité commune ne per-
*"' 'i- -Cesses, parce qu'ils n'y sont pas obligés;
vînt 'le L ^^ ,6S C " 0SeS dU m0,lde > i,s do^
1 < P èchen ";;: nCJe tS ral enSelg,lé - El1 ^Possédant
exe, l, , ^ ^ t0UteS C6S Ch0s « sont bonnes,
^" u,/ n Ct ""**" Par moi ' *»' ^is la bon:
te souveraine, elles sont laites pour servir à mes créa-
veulent le , ^ *" déUCCS du monde - C ^ W>
l'en ser ir „Tn ren ° nCent à ,a élection ; ils doivent
dS sel- u, t/", COmm0 ^ maitr0S ' ma - comme
fm t ain , T ^ déSirS d ° ivent étre pour ™> ! «
leu sôu nr - P0SS f dCr . le rCSte Comm3 "«s choses qui
leur sont prêtées et q ( „ ne leur appartiennent pas
Dositionf i'f f aU ° Un C ° mptu des P^sonnes et des
positons e ne m'arrête qu'aux saints désirs. Dans tout
saîte 1 et ÎT e ^^ ^ "" ^ V ° Io " té *>™*
de sen S e i"lonr hT " luao W°I>** Par la haine
riflée de cl ' rerta ' DèS r ' Lle Ia volont é est pu-
eminte de Dieu TH " "^ ^ ra,n ° ur ut la sa ^e
7. Quoique la plus grande perfection, celle qui m'est
d n : :^^h: é capab : e d ' atte <- d — p-s^Tis:
Son son II ' M 8 " '' â : 3ter danS la Charité commune
selon son état. Ma bonté l'a décidé, afin que oersonne
ne puisse excuser son péché dans 'aueune'cond'ÏÏTI
I
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — Cil. XLVIII
77
a-t-il en effet une excuse possible, puisque j'accorde aux
passions et à la faibleese de l'homme de pouvoir rester
dans le monde, posséder la richesse, tenir un rang, vivre
dans le mariage et travailler à établir ses enfants?
L'homme peut choisir l'état qu'il veut, pourvu qu'il se
purifie du venin de la sensualité, qui donne la mort éter-
nelle. . .
8 — La sensualité tue l'âme comme un poison qui tour-
mente le corps et le fait enfin mourir, si on ne le re-
jette pas et si on ne prend aucune médecine. Le monde
est un scorpion qui empoisonne par ses jouissances. Ce
ne sont pas les choses temporelles qui tuent par elles-
mêmes, car elles sont bonnes et faites par moi, qui suis
la bonté suprême; on peut en user avec amour et crainte:
le poison vient de la volonté perverse de l'homme. Il
empoisonne l'âme et lui donne la mort, si elle ne le re-
jette par une sainte confession qui délivre le cœur. La
confession est une médecine qui guérit de ce poison, mais
ce remède parait amer à la sensualité.
9. — Tu vois donc combien sont dans l'erreur ceux qui
pourraient me posséder, fuir la tristesse et goûter la joie,
la consolation. Ceux-là veulent le mal qui a l'apparence
du bien, et ils s'attachent à l'or avec un amour déréglé.
Parce qu'ils sont- aveuglés par de nombreuses infidélités,
ils ne reconnaissent pas le poison ; ils voient qu'ils sont
empoisonnés, et ne prennent pas de remède; ils por-
tent la croix du démon et ils ont un avant-goût de l'en-
fer.
XLVIII. — Les serviteurs du monde ne sont pas rassasiés de
leurs biens. — Du supplice que leur cause leur volonté
perverse.
4. - Je t'ai dit que de la volonté venaient les peines
de l'homme. Comme mes serviteurs se sont dépouillés
de leur volonté et revêtus de la mienne, ils n'éprouvent
aucune affliction ; ils sont toujours satisfaits, parce qu'ils
sentent que je suis dans leur âme par la grâce. Ceux
qui ne m'ont pas ne peuvent être satisfaits, lors même
qu'ils posséderaient le monde tout entier ; car les choses
78
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
créées sont moindres que l'homme, puisqu'elles sont foi
tes pour l'homme, et non l'homme-' pourrie Lh omm
ne peut s'en contenter; mo i seu. je puS >î salisfaT
et pourtant ces malheureux sont si H£JL *S '
fatiguent inutilement à poursuivre ce auS ^ *
avoir parce qu'ils ne Pressent pottTl^T™!
rais tout leur donner. ^
2. -Veux-tu connaître leur tourment? Tu sais mil .
amour souffre quand il perd la chose à laquelle fl s'est
identifie. Ceux qui s'identifient à la terre nar l'I
::rz i e :TtT à : a terre: ies - -^C"
leurs richesses, a leurs honneurs, à leurs enfanta i„
r;:r nt po,,rse aon ™™ *&£*£
Siren H t " C ° rPS "" animal immonde i tous ainsi
désirent la terre et s'en repaissent. Ils voudraient ane
<* choses fussent durables, mais elles ne le sont pas
,;• Passent comme le vent. La mort leur en éve^e
quils mment, ou ma volonté les en prive
leilouleur^r" 011 ^ P ° U '' eu * Une peine intolérable;
Séo r si L ! grande que lei,r amour ™a été
qu'elle" ?oi e t!n.e UPPliCe ^ ,eS remords <^ la conscience!
quelle toi tu, e éprouve celui qui a soif de vengeance'
Il se dévore lui-môme et tue son âme avant de tuer son
T-Cesalr ^ étendre que la mort éternelle.
i>. Ce sont ceux-là qui sont blessés par les éoine.
de la tribulation, et qui se tourmentent eux-mîmes par
leur volonté déréglée. Ils souffrent à l'inténeu, etTlK-
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. XL1X
79.
térieur; leur àme et leur corps endurent des peines sans
aucun mérite, parce qu'ils les reçoivent sans patience et
avec colère. Ils possèdent l'or des délices du monde
avec un amour déréglé ; ils sont privés de la vie de la
grâce et de l'ardeur de ia charité. Ils deviennent des
arbres de mort, toutes leurs actions sont mortes et ils
s'en vont péniblement se noyer dans le fleuve, dont les
eaux empoisonnées les engloutissent. Ils passent pleins
de haine par la porte du démon, et reçoivent la damna-
tion éternelle. Tu vois donc quelle est leur erreur, avec
quelle peine ils arrivent à l'enfer et se font les martyrs
du démon; ce qui les aveugle, c'est le nuage de l'amour-
propre qui intercepte la lumière de la foi.
6 — Les tribulations du monde qui entourent de toute
part mes serviteurs, ne les atteignent qu'extérieurement.
Ils sont persécutés, mais leur âme est tranquille parce
qu'ils sont unis à ma volonté et qu'ils sont contents de
souffrir pour moi. Les serviteurs du monde au contraire
sont frappés au dedans et au dehors ; ils sont surtout
tourmentés intérieurement par la crainte de perdre ce
qu'ils possèdent, et par l'amour de ce qu'ils ne peuvent
avoir. Les autres peines qui sont causées par ces deux
peines principales sont innombrables, et ta langue ne
pourrait les dire. Ainsi donc, môme en cette vie, il vaut
mieux être juste que pécheur; tu connais maintenant la
route et la fin des uns et des autres.
XLIX. — La crainte servile ne suffit pas pour acquérir la
vie éternelle, mais elle peut conduire à l'amour de la
vertu.
!
1
1. _ Quelques-uns se sentent éprouvés par les tribu-
lations du monde, que j'envoie pour apprendre à l'âme
que sa fin n'est pas en cette vie, que toutes ces choses
étant imparfaites et transitoires, elle doit les prendre
comme telles, et ne désirer que moi, qui suis sa fin
véritable. Ils commencent à écarter le nuage de leurs
yeux, à cause des peines qu'ils souffrent, et à cause de
celles qui doivent punir leur péché. Cette crainte servile
les fait sortir du fleuve et vomir le venin que le scor-
I
I
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE 8 ()
pion leur avait communiqué par l'appât de l'or qu'ils ai
matent sans mesure. Us aperçoivent ce qui donne la mort"
et ils commencent à faire des efforts pour gagner la rive et
attendre le pont ; mais la crainte servile ne suffit pas pour
arriver. l l
2. -Purifier du péché mortel sa demeure, sans la remplir
'les vertus fondées sur l'amour et non sur la crainte ce
Best pas mériter la vie éternelle ; il faut placer les d'eux
Pieds sur le premier degré du pont, c'est-à-dire y par-
venu par l'amour et le désir, qui sont les pieds de lame
pour atteindre la Vérité, dont je vous ai fait un pont'
il faut monter le premier degré que je t'ai fait voir en
te présentant comme un pont le corps de mon Fils'
3. - Il est vrai que presque toujours les serviteurs du
monde commencent à se convertir par la crainte de la
punition: les tribulations leur rendent souvent la vie in-
supportable et les détachent du monde. Si la lumière de
la lo. éelaire leur crainte, ils peuvent arriver à l'amour
'les vertus; mais il y en a qui marchent avec tant de
tiédeur, qu ,1s retombent souvent dans leurs fautes Lors-
quils sont sur la rive-, ils rencontrent des vents con-
jures et sont battus par les flots orageux de cette vie
ténébreuse.
4 - Le vent de la prospérité surtout les éprouve avant
quils aient monté le premier degré par l'amour des
vertus; ,1s retournent en arrière et s'attachent encore
dune manière déréglée aux jouissances du monde S,
■est le vent de l'adversité qui souille, ils reculent par
I impatience, parce qu'ils ne détestent pas leurs fautes
comme une offense qui m'est laite, mais par crainte de
la punition qu'elle mérite. Sans cette crainte ils ne se-
raient pas convertis; mais toute vertu veut la persévé-
rance et dès qu'ils ne persévèrent pas, ils ne peuvent
atteindre le but de leurs désirs, ils abandonnent ce qu'ils
avaient commencé ; la persévérance seule obtiendrait la
récompense de leurs efforts.
5. -Ainsi les rechutes viennent de causes différentes-
es uns succombent dans les combats de la chair contre
J esprit; les autres sont vaincus par les créatures qu'ils
aiment hors de moi, ou par l'impatience que leur cause
les injures reçues; d'autres par les attaques variées et
TRAITÉ DE LA DISCRETION
CH. L
81
nombreuses du démon, qui les décourage en dépréciant
leurs œuvres. Ce bien que vous entreprenez, leur dit-il,
ne sert à rien, à cause de vos fautes et de vos vices ;
et il les fait ainsi retourner en arrière et abandonner le
peu qu'ils avaient entrepris.
6. — Quelquefois il les abuse en leur donnant une
fausse confiance dans ma miséricorde. Pourquoi, leur dit-
il, tant vous fatiguer? Jouissez de la vie, et au dernier
moment vous vous reconnaîtrez et vous obtiendrez misé-
ricorde. Par ce moyen le démon leur fait perdre cette
crainte par laquelle ils avaient commencé. Toutes ces
ruses, ces attaques les empêchent de persévérer, et cela
arrive parce que la racine de l'amour-propre n'est pas
arrachée de leur cœur ; c'est ce qui cause leur chute.
Ils présument de ma miséricorde; ils n'ont qu'une in-
juste et coupable espérance, puisqu'ils comptent sur ma
miséricorde pour m'outrager sans cesse.
7. — La miséricorde ne leur est pas donnée pour
nf offenser', mais pour les défendre de la malice du dé-
mon et les préserver du désespoir. Ils font tout le con-
traire, puisqu'ils m'offensent en s'appuyant sur ma mi-
séricorde elle-même. 11 en est ainsi, parce qu'ils n'ont
pas complété ce premier changement, qu'ils avaient opé-
ré en se retirant du péché mortel par crainte du châ-
timent, lorsqu'ils avaient senti l'aiguillon de la tribula-
Lion. En s'arrétant, ils n'arrivent pas à l'amour de la
vertu et ils manquent de persévérance. L'unie ne peut
rester immobile, il faut qu'elle avance ou qu'elle recule.
Quand on avance dans la vertu, on abandonne l'imper-
fection de la crainte ; quand on n'arrive pas à l'amour,
on retourne en arrière.
L. — L'âme déplore l'aveuglement de ceux qui se noient dans
le fleuve.
4. — Alors cette âme tourmentée de désirs considérait
son imperfection et celle des autres ; elle souffrait d'en-
tendre et de voir tant d'aveuglement dans les créatures,
parce qu'elle savait combien grande était la bonté de
Dieu, qui n'a rien mis dans cette vie qui puisse empê-
cher le salut et qui ne serve au contraire à exercer et
Dialogue do S. Calh. de S. — 6.
82
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
à éprouver la vertu. Et malgré cela, elle voyait que
l'amour-propre et les affections déréglées entraînent les
hommes dans le fleuve, et causent, quand ils ne s'en
corrigent pas, leur damnation éternelle.
2. — Beaucoup de ceux qui avaient bien commencé
retournaient en arrière pour les raisons que l'ineffable
bonté de Dieu avait daigné lui révéler, et cette vue la
plongeait dans une douleur profonde; elle fixait ses re-
gards en Dieu le Père, et elle lui disait : O amour inex-
primable, combien grande est l'erreur de vos créatures!
Qu'il plaise à votre bonté de m'expliquer plus particu-
lièrement les trois degrés figurés sur le corps de votre
Fils bien-aimé, comment on doit faire pour sortir entiè-
rement de ces Ilots et pour suivre la voie de votre vé-
rité, et quels sont ceux qui montent ces degrés.
LI. — Les trois degrés figurés sur le pont signifient les trois
puissances de l'âme.
1. —Alors la divine Bonté, abaissant le regard de sa
miséricorde sur le désir qui tourmentait cette âme, lui
disait: Ma fdle bien-aimée, je ne méprise pas les saints
désirs, et je me plais à les satisfaire. Aussi je vais te
montrer ce que tu me demandes. Tu me demandes que
je t'explique la ligure des trois degrés, et comment on
peut sortir du fleuve et monter sur le pont. Je t'ai déjà
dit l'erreur et l'aveuglement de ces hommes, qui, pen-
dant leur vie, sont les martyrs du démon et acquièrent
la damnation éternelle pour prix de leurs iniquités. Et
en te disant ces choses, je t'ai indiqué par quels moyens
ils doivent éviter ces malheurs. Mais maintenant je m'é-
tendrai davantage, pour satisfaire ton désir.
2. — Tu sais que tout mal est fondé sur l'amour-pro-
pre. Cet amour est un nuage qui obscurcit la lumière
de, la raison, et la raison a en elle la lumière de la foi ;
on ne perd pas l'une sans perdre l'autre.J'ai créé l'âme à
mon image et ressemblance, en lui donnant la mémoire,
l'intelligence et la volonté. L'intelligence est la plus no-
ble partie de l'âme. L'intelligence est excitée par l'affec-
tion, et l'affection est nourrie par l'intelligence. C'est la
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION
CM. LI
83
main de l'amour, c'est-à-dire l'affection, qui remplit la
mémoire de mon souvenir et du souvenir de mes bien-
faits. Ce souvenir rend l'âme active et reconnaissante ;
elle la préserve de négligence et d'ingratitude; chaque
puissance aide l'autre : ainsi se nourrit l'âme dans la vie
de la grâce.
3. — L'âme ne peut vivre sans amour ; elle veut tou-
jours aimer quelque chose, car elle est faite d'amour, et
je l'ai créée par amour. L'affection excite l'intelligence ;
elle lui dit: « Je veux aimer, parce que l'aliment dont je
me nourris est l'amour ». Alors l'intelligence, éveillée par
l'affection, se lève et lui dit: « Si tu veux aimer, je te
donnerai un bien que tu puisses aimer». Aussitôt elle se
met à considérer la dignité que l'âme a reçue par la
création, et l'indignité où elle est tombée par le péché.
Dans la dignité de son être, elle admire mon ineffable
bonté et la charité incréée avec laquelle je l'ai créée ; et
dans la profondeur de sa misère, elle trouve et contem-
ple ma miséricorde, qui lui a donné le temps du repen-
tir et qui l'a sauvée des ténèbres.
4, _ Alors l'affection se nourrit d'amour ; elle se rassa-
sie par ses saints désirs de la haine des sens, et elle savoure
dans cette haine l'humilité véritable et la parfaite patience.
Une fois que les vertus ont germé, elles se développent
parfaitement ou imparfaitement, selon que l'âme s'exerce
à la perfection, comme je te le dirai bientôt.
5. — Mais au contraire, si l'affection est inclinée vers
les choses sensibles, le regard de l'intelligence se tourne!
de ce côté, et n'offre plus pour objet que des choses
transitoires, qui entretiennent l'amour-propre, le dégoût
de la vertu et l'attrait du vice, ce qui fait naître l'or-
gueil et l'impatience. La mémoire ne se remplit que de
ce que lui présente l'affection. Cet amour obscurcit la
vue, qui ne distingue et ne voit qu'une fausse lumière.
C'est cette lumière que l'intelligence voit en toute chose,
et que l'affection aime à cause de son apparence de
bien et de plaisir. Sans cette apparence l'homme ne pé-
cherait pas ; car, par sa nature, il ne peut désirer autre
chose que le bien. Le vice est coloré d'une apparence
de bien personnel qui fait pécher l'âme. Mais, parce
que l'œil ne distingue plus rien dans son aveuglement,
■
84
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
il méconnaît la vérité ; il s'égare en cherchant le bien
et le plaisir où ils ne sont pas.
C — Je t'ai dit que les plaisirs du monde sans moi
sont des épines empoisonnées. Dès que l'intelligence se
trompe dans ce qu'elle voit, la volonté se trompe dans son
amour, puisqu'elle aime ce qu'elle ne devrait pas aimer. La
mémoire s'abuse de ce qu'elle retient. L'intelligence fait
comme un voleur qui dépouille les autres. La mémoire
retient aussi continuellement des choses qui sont hors de
moi, et l'âme est ainsi privée de la grâce.
7. — L'une de ces trois puissances de l'âme est si
grande, que je ne puis être offensé par l'une sans que
toutes les trois ne m'ofTensent; car l'une communique à
l'autre, ainsi que je te l'ai dit, le bien ou le mal, selon le
bon plaisir du libre arbitre. Ce libre arbitre est uni à
l'an'edion et l'excite selon qu'il lui plait, avec ou sans
la lumière de la raison. Vous avez votre raison unie à
moi tant que le libre arbitre ne la sépare pas par un
amour déréglé, et vous avez une loi perverse qui com-
bat sans cesse contre l'esprit. A'ous avez donc deux par-
tis, la sensualité et la raison. La sensualité est servante,
elle est faite pour obéir à l'âme ; c'est par le corps que
s'éprouvent et s'exercent les vertus.
8. —L'âme est libre; elle est affranchie du péché dans
le sang de mon Fils ; elle ne peut être opprimée si elle
n'y consent par la volonté. La volonté est unie au libre
arbitre, et le libre arbitre ne fait qu'une chose avec la
volonté en s'accordant avec elle. Il est placé entre la
sensualité et la raison, et il peut se tourner du côté
qu'il choisit. Il est vrai que quand l'âme veut, par l'in-
termédiaire du libre arbitre, réunir ses puissances en
mou nom, comme je te l'ai dit, alors toutes ses opéra-
tions spirituelles et temporelles sont bien ordonnées. Le
libre arbitre se détache de la sensualité et s'unit â la
raison. Alors, par ma grâce, je me repose au milieu
d'elles.
9. — Mon Verbe incarné a dit : « Quand deux ou trois
seront réunis en mon nom, je serai au milieu d'eux »
(S. Matth., xvm, 20), et c'est la vérité. Car je te l'ai
déjà dit: Personne ne peut venir à moi, si ce n'est par
lui. Aussi est-il devenu pour le genre humain un pont à
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. LUI
85
trois degrés, et ces trois degrés figurent également les
trois états de l'âme, comme je te l'expliquerai bientôt.
LU - Si les trois puissances de l'Ame ne sont pas unies en-
semble, il lui est impossible d'avoir la persévérance neces
saire pour arriver à sa fin.
1 - Je t'ai expliqué que les trois degrés figuraient en géné-
ral les trois puissances de l'âme. Ces degrés ne peuvent être
montés séparément, si l'on veut passer par la doctrine le
pont de ma Vérité. Si l'âme n'accorde pas ces trois puissan-
ces elle ne peut avoir la persévérance dont je t ai parle,
lorsque tu me demandais comment ces voyageurs devaient
sortir du fleuve. Je te disais que, sans la persévérance, per-
sonne ne peut atteindre le but. 11 y a deux buts qu'atteint
la persévérance, le vice ou la vertu. Si tu veux arriver a la
vie il faut persévérer dans la vertu ; celui qui veut arriver a
la mort éternelle persévère dans le vice. La persévérance con
duit à moi, qui suis la vie, ou au démon, qui fait boire la
mort.
LUI. - Explication de ces paroles de Jésus-Christ : « Qui
a soif vienne à moi et boive >>.
1 - Ma vérité vous a tous généralement et particulièrement
appelés, lorsque mon Fils, plein d'un ardent désir, criait dans
le temple : « Que celui qui a soif vienne à moi et boive
(S. Jean, vu, 37), car je suis la fontaine d'eau vive ». 11 ne
dit pas, qu'il aille à mon Père et boive; mais il dit: « qu .1
vienne à moi », parce que la peine ne peut être en moi le
Père mais bien en mon Fils unique. Vous qui êtes voya-
geurs et pèlerins dans cette vie mortelle; vous ne pouvez,
être sans peine, parce que le péché fait naître les épines
sur la terre. ,
2 - Pourquoi dit-il : « Venez à moi et buvez » ? Parce qu en
suivant sa doctrine, ou par la voie des commandements et
l'amour des conseils, ou par la pratique réelle des comman-
dements et des conseils, c'est-à-dire par la charité parfaite
ou par la vie commune, quelle que soit la route que vous
preniez pour aller à lui en suivant sa doctrine, vous trouve-
I
86
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
com S^I^; 'S"f r ,^ ter par les ép,nes « les ve " ts
vous renconS "vous deveH? * T^ *" ^ * ue
Parœ^nesnlTl ^ : ' IemÛa * f ° ntaine d ' eau vive »?
S 'union deT n T "T nUt ' nt ' ™> «N donnera»,
Pourquoi diU S n ^ d ' Vin<? a la nature >'™ne.
persévémnce W " ^ qi '' U *"' P '' endre Suivre avee
e ■ cà, H n , - S " e P ° UmeZ boire a^ement de l'eau vi-
,' ar Ia Persévérance est la vertu qui reçoit la gloire et la
couronne en moi, qui suis le bien suprême';
UV - Quel moyen doit prendre toute créature raisonnable
pour^ouvo, sortir désuets du monde et passerTa^
Jp^S e Z a " Xtro fl iS *** Pa ' ' CSqUelS i! faut alIer P°ur
ne pas peu, dansée neuve, pour atteindre l'eau vive àla-
v u; r teS T P f iS ' etP ° Ur qUe je ---ntinuellLent
en vou S , car dant VQtre pè ,
ne repose par la grâce au milieu de vos âmes II faut di
Xïdit^n ^ ^f ^ qUe C6UXqUi -t«Ïp£
qu il est dit . « Qui a soif vienne à moi et boive »
i. - Gelu. qu. n' a passo if ne saurait persévérer- il se lais
sera arrêter par la fatigue ou le plaisi,!, ne prendra ni vase
■in
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. LIV
87
'". I ■ M It
pour puiser, ni compagnon pour ne pas aller seul ; il retour-
nera en arrière dès qu'il rencontrera la persécution, parce
qu'il l'a en horreur. Il craint parce qu'il est seul, mais s'il
était accompagné, rien ne l'effraierait. S'il avait monté les
trois degrés, il serait en sûreté, parce qu'il ne serait pas
seul.
3—11 faut donc que vous ayez soif et que vous vous réunis-
siez ensemble, comme je vous l'ai dit, deux ou trois, ou da-
vantage. Pourquoi deux ou trois? Parce que deux ne sont
pas sans trois, trois sans deux, ni trois et deux sans davan-
tage Celui qui est seul ne peut pas ta'avoir en lui, parce
qu'il n'a pas de compagnon, et je ne puis me tenir an milieu
de lui II n'est rien parce qu'il est seul dans son amour-pro-
pre et qu'il est séparé de ma grâce et privé de la chante du
prochain. Dès qu'il est exclu de moi par sa faute, il est dans
le néant, parce que je suis seul Celui qui suis; il est isole
dans son amour-propre, et il n'est compté pour rien dans ma
Vérité ; il est rejeté de moi.
3 _ h est dit : Quand ils seront deux ou trois, ou davantage,
assemblés en mon nom, je serai au milieu d'eux. Je t'ai dit
ciue deux n'étaient pas sans trois ni trois sans deux, et c est
-là vérité. Tu sais que les commandements se réduisent a
deux sans lesquels toute la loi ne peut être observée: il faut
m'aimer par-dessus toute chose et aimer le prochain comme
soi-même; c'est là le commencement, le milieu et la fin des
commandements de la loi.
5. _ Ces deux commandements ne peuvent être réunis en
mon nom sans la réunion des trois puissances de l'âme, à
savoir- la mémoire, l'intelligence et la volonté. La mémoire
doit retenir ma bonté et mes bienfaits, l'intelligence doU
contempler l'amour ineffable que je vous ai montré par le
moyen de mon Fils unique: je l'ai donné pour objet à votre
intèlliçence, pour qu'elle y voie le foyer de ma charité. La
volonté. alors s'unit à la mémoire et à l'intelligence, en m'ai-
mant et me désirant comme sa fin.
6.- Quand ces trois puissances sont ainsi saintement assem-
blées, je suis au milieu d'elles par la grâce; et alors, parce
que l'homme se trouve plein de ma charité et de celle du
prochain, il se trouve sur-le-champ dans la compagnie de
nombreuses et solides vertus. Le désir de l'âme lui donne
soif de la vertu, de mon honneur, du salut des âmes; toute
:i
DIALOGUE DIC SAINT,; CATHERINE
autre soif est éteinte et morte en elle. Elle marche ,
rance et sans aucune crainte servile eiif ? aBeu '
des choses passagères; el le L ïl et , * aU " deSSUS
o.— liés quelle a monté ces dearés elle «p t™„,
compagnie- elle on^M* i* ' t'ouveen sainte
uupiocnan, avec la mémoire pour retenir pî„
elle ne pourra t y panen , % , ' P " C8 qUP Sa " S Ce " e voi "
son cœur vidé L Z^ ^"^ Ct P orte '« vase de
ce que rien ne peut rester vide "' " " rempllt » pa '"
TKAITÉ DE LA. DISCRÉTION — CH. LV
89
LV. — Résumé de plusieurs choses qui ont été déjà dites.
i. —3e t'ai montré comment toute créature raisonnable
peut sortir de la mer du monde et éviter la mort et la dam-
nation éternelle: je t'ai montré trois degrés principaux qui
sont les trois puissances de l'àme, et personne n'en peut
monter un sans monter les autres. Je t'ai expliqué cette pa-
role de mon Fils: Quand ils seront deux ou trois, ou plu-
sieurs, réunis en mon nom. Cette réunion est celle des trois
puissances de l'âme, qui s'accordent avec les deux princi-
paux commandements de la loi: m'aimer par-dessus toutes
choses et aimer le prochain comme soi-même. Dès que
l'homme a fait cette réunion et monté ces degrés, il a soif
de l'eau vive ; il avance, il passe sur le pont en suivant la
doctrine de ma Vérité.
2. —Et alors vous accourez à la voix qui vous crie comme
dans le temple : Que celui qui a soif vienne à moi et boive,
car je suis la fontaine d'eau vive. Je t'ai expliqué cette paro-
le et comment il fallait l'entendre, afin que tu connaisses
mieux l'abondance de ma charité et le honteux aveuglement
de ceux qui se plaisent à courir par la route du démon, qui
leur offre une eau empoisonnée.
3. —Tu me demandais les moyens de ne pas périr dans le
fleuve; je te les ai montrés, et je t'ai dit qu'il fallait mon-
ter sur le pont en unissant les deux commandements de la
loi dans la charité du prochain et en m'apportant son cœur
et son amour comme un vase; car je donne à boire à qui
m'en demande. Il faut suivre la voie de Jésus crucifié et y
persévérer jusqu'à la mort; voilà ce que doit faire l'homme,
quel que soit son état, car l'état n'est jamais une excuse ; on
peut et on doit toujours remplir cette obligation de toute
créature raisonnable.
4. — Personne ne peut s'en défendre en disant: J'ai une po-
sition, des enfants et d'autres embarras du monde, et il m'est
impossible de suivre cette route. On ne peut alléguer ces
obstacles; car je te l'ai dit, tout état m'est agréable, pourvu
qu'on y apporte une bonne et sainte volonté. Toute chose
est bonne et parfaite, puisqu'elle a été faite par moi, qui
suis la souveraine bonté. Les créatures ne vous ont pas été
00
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
données pour vous causer la mort, mais pour que vous ayez
la vie. Ce que je vous demande est bien facile, car quoi de
plus facile et de plus doux que l'amour? Je ne réclame
qu'une chose, l'amour; m'ai mer et aimer le prochain.
5.— En tout temps, en tout lieu, en tout état, l'homme peut
aimer et se servir de tout, pour l'honneur et la gloire de
mon nom. Mais, tu le sais, les aveugles ne suivent pas la
lumière; ils se couvrent de leur amour-propre; ils aiment
et possèdent les créatures en dehors de moi; ils passent
cette vie dans des peines insupportables qu'ils se causent;
et, s'ils ne changent de route, ils tombent dans la damna-
tion éternelle. Ainsi je t'ai fait connaître ce que tout homme
doit faire.
LVI. -
Les trois degrés du pont correspondent à trois états
de l'âme.
-1. —Je t'ai dit la route que doivent suivre et que suivent
ceux qui sont dans la charité commune, c'est-à-dire ceux
qui observent les commandements et qui acceptent les con-
seils spirituellement; maintenant je veux te parler de ceux
qui ont commencé à monter ces degrés, et qui veulent sui-
vre la voie parfaite et observer complètement les commande-
ments et les conseils dans les trois états que je vais t'expli-
quer plus particulièrement.
2. — L'àme a trois états auxquels s'appliquent ses trois
puissances : le premier est imparfait, le second parfait, le
troisième très parfait. Dans le premier, l'homme est pour
moi un mercenaire, dans le second un serviteur fidèle, et
dans le troisième un fils qui m'aime sans songer à lui. Ces
I rois états peuvent se rencontrer en diverses créatures, et
quelquefois se trouver dans une même personne. Ils se trou-
vent en une même personne lorsqu'elle court avec une ar-
deur parfaite dans la voie, employant son temps de manière
qu'elle arrive de l'état servile à l'état généreux, et de l'état
généreux à l'état filial.
3. — Elève-toi au-dessus de toi-même; ouvre l'œil de ton
intelligence et vois comment tous ces voyageurs s'avancent;
les uns marchent imparfaitement, les autres parfaitement
dans la voie des commandements, d'autres très parfaite-
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. LVIII
91
ment, dans la voie des conseils. Tu verras d'où vient l'im-
perfection, d'où vient la perfection, et quel est l'aveugle-
ment de l'âme qui n'arrache pas d'elle-même la racine de
['amour-propre. En quelque état que se trouve l'homme, il a
besoin de tuer en lui l'amour-propre.
LVII. — L'âme, en regardant dans le divin miroir, voit les
créatures marcher de différentes manières.
1,— Alors cette âme, embrasée d'un saint désir, con-
templait dans le doux miroir de la Divinité les créatures
qu'elle voyait prendre différentes routes et différents mo-
yens pour arriver à leur fin. Beaucoup commençaient à
"monter en étant tourmentés par la crainte servile, c'est-à-
dire en redoutant leur propre peine ; beaucoup d'autres
triomphaient de cette crainte et parvenaient à la perfection,
mais bien peu arrivaient à la grande et véritable perfection.
LVIII. — La crainte servile ne suffit pas sans l'amour delà
vertu. — La loi de crainte et la loi d'amour sont unies
ensemble.
■
1. _. Alors la bonté de Dieu, voulant satisfaire le désir de
cette âme, lui disait : Remarque ceux que la crainte
servile a détachés de la corruption du péché mortel ;
s'ils n'avancent pas avec l'amour do la vertu, la crainte
servile ne leur suffira pas pour obtenir la vie bienheureuse;
mais l'amour uni à la crainte suffit, parce que la loi est
fondée sur l'amour et la crainte. ,
2. — La loi de crainte est la loi ancienne que j'ai donnée
à Moïse, et qui était fondée sur la crainte, parce que la
peine punissait la faute commise. La loi d'amour est la loi
nouvelle donnée par le Verbe, mon Fils unique ; elle est
fondée sur l'amour. Mais cette loi nouvelle ne détruit pas
l'ancienne : elle l'accomplit au contraire. Ma vérité a dit :
« Je ne suis pas venu détruire la loi, mais l'accomplir »
S. Matth., v, 17 ).
3. — Il a uni la loi de crainte à la loi d'amour. L'amour
a été l'imperfection de la crainte de la peine, mais il
a laissé la perfection de la bonne crainte, c'est-à-dire la
92
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
crainte de m'offensera non pas à cause de la punition,
mais à cause de moi, qui suis la bonté suprême. Aiasi la
loi imparfaite est devenue parfaite par la loi d'amour
4. - Mo,, Fils unique est venu comme un char de feu et
H a répandu les flammes de ma charité dans votre huma-
nité L abondance de ma miséricorde a éloigné la peine
des fautes qui se commettent. Celui qui m'offense n'est
pas pun, sur-le-champ dès cette vie, comme le voulait
autrefois la loi de Moïse. La punition est maintenant dif-
férée, et la crainte servile est inutile. La faute n'est pa<
pour cela impunie ; elle sera punie quand l'âme sera
séparée du corps, si celui qui commet la faute ne la punit
pas, des cette vie, par une contrition parfaite.
5. - La vie est le temps de ma miséricorde, et la mort le
temps de la justice. Il faut donc quitter la crainte servile et
embrasser mon amour et ma sainte crainte. Sans cela l'hom-
me retombe dans le fleuve, dès qu'il rencontre les flots
de la tribulation, et les épines des consolations qui bles-
sent 1 ame qui les aime et les possède d'une manière déré-
glée.
LIX. - Comment de la crainte servile, qui est l'état d'im-
perfection, on parvient à l'état de perfection.
i. — Je t'ai dit que personne ne pouvait sortir du
fleuve et passer le pont sans monter trois degrés On les
monte imparfaitement, parfaitement et très parfaitement
Ceux qui sont conduits, par la crainte servile montent et
reunissent imparfaitement les puissances de leur âme L'â-
me voit la peine qui suit la faute; elle se lève et appelle
la mémoire pour chasser la pensée du vice, l'intelligence
pour voir la punition de la faute, afin que la volonté puisse
la détester. Ce premier acte, ce premier effort doit être
fait avec la vue de l'intelligence éclairée par la sainte foi
2. - Elle doit non seulement regarder la peine, mai';
la recompense de la vertu et l'amour que je lui porte, afin
qu elle puisse monter par amour, avec une affection dégagée
de toute crainte servile. On devient ainsi serviteur fidèle" et
non mercenaire, en me servant par amour et non par
crainte, en s'efforçant d'arracher avec une sainte haine
TUAITÉ DE LA. DISCRÉTION — CH. LX
93
la racine de l'amour-propre, en agissant avec prudence,
courao-e et persévérance. Mais il y en a beaucoup qui
montent si lentement et qui me rendent ce qu'ils me
doivent avec tant de mollesse et d'ignorance, qu'ils s'arrê-
tent bientôt et retournent en arrière au moindre vent
qu'ils rencontrent. Et parce qu'ils ont monté si imparfaite-
ment le premier degré de Jésus crucifié, ils n'arrivent
pas au second, qui est son cœur.
LX. - De l'imperfection de ceux qui aiment et servent Dieu
pour leur utilité, leur plaisir et leur consolation.
1 - Il y en a qui deviennent mes serviteurs fidèles en
me' servant sans crainte de la punition et par amour. Mais
cet amour est imparfait, parce qu'il vient de l'utilité, du
plaisir et de la douceur qu'ils trouvent en moi. Sais-tu
ce qui montre que cet amour est imparfait ? C'est que,
quand ils sont privés de la consolation qu'ils trouvent en
moi, leur amour se refroidit et disparaît souvent. Ils ai-
ment le prochain avec la même imperfection.
2 — Si je veux éprouver mon serviteur dans son intérêt,
pour le retirer de l'imperfection et l'exercer à la vertu,
j'éloigne de lui la consolation qu'il goûtait en moi, et je
"le laisse attaquer par la tribulation : c'est le moyen de
lui donner une connaissance plus parfaite de lui-même,
et de lui montrer qu'il reçoit de moi seul l'être et la
grâce. Ces combats le portent à se réfugier en moi, à recon-
naître mes bienfaits et à ma chercher seul avec une humilité
sincère. C'est pour cela que je lui donne et que je lui retire
la consolation, mais jamais la grâce.'
3 — Beaucoup alors se refroidissent et reculent par défaut
de patience. Ils abandonnent leurs pieux exercices et croient
se justifier en disant : ces actes ne me profitent pas, puis-
que je n'en retire aucune consolation pour mon âme.
4. - C'est agir comme l'imparfait qui n'a pas encore
dégagé la lumière de la foi du voile de son amour-propre
spirituel ; car si ce voile était levé, l'âme verrait bien
que toute chose vient de moi, et qu'une feuille d'arbre ne
tombe pas sans ma providence. Tout ce que je donne, ou
permets, arrive pour la sanctification de mes serviteurs,
94
DIALOGUE DE SAINTS CATHERINE
,,»'"•
af crét: IS P0SSÔdent ^ biGn 6t Ia fln P0Ur *«* * H*
5- - Us doivent voir et reconnaître que je ne venv
autre chose que leur bonheur dans le IJ ZnZ
unique, qui les purifie de leurs iniquités. Sans ce sfÏÏ
Is peuvent connaître nia vérité et voir que je les ai S
;;;;;;;; ^; ; ^ «/ r «»"-ce, qJe ji £ S S ?
a nouveau à la grâce par le sang de mon propre Fils
pour les rendre mes enfants adoptifs ; mais, parce au'iÏs
sont ..«parfaits, ils me servent par intérêt e nïnient le
prochain qu'avec tiédeur. "aiment le
6: - Les uns perdent courage pour éviter la peine •
les autres se ralentissent dans le service de luvlr^
;•—,,, s,, refroidissent dans leur charité, parce qu'ils n ? on ^
Plus les avantages et les consolations qu'ils y louvaienl
'I <i est ainsi, parce que leur amour n'est pas pur et
f** aiment leur prochain, avec la même imperfection
Qu'Us m'annent, c'est-à-dire par intérêt. S'ils ne recT
lisent pas leur Imperfection, s'ils ne désirent pas & % n
cornger, Us retournent nécessairement en arriére
ment sans 'inr T CeUX ^ VéUlent Ia vie éte ™ elle ai-
mut sans intérêt, parce qu'il ne suffit pas de fuir le
pèche par crainte du châtiment, ou d'embrasser la Ter u
par amour de ses avantages, il faut encore fuir ,e pSé
P^ce qu U me déplaît, et aimer la vertu par amour 'pot
8. - H est vrai qu'ordinairement la crainte est le prê-
ter pas des pécheurs vers la pénitence. L'âme est impar
aile, a la perfection, ou pendant la vie en pratim.ant li
ché Vu 1 , t m ' a ; mant d ' un cœar iibre ' ^*£T££
cht, ou a la mort en reconnaissant son imperfection et en
temps de la ribulation, il l'abandonna et changea telle-
ment, qu'au heu de mourir pour lui, comme il avait dit
le rema par peur et déclara qu'il ne l'avait jamais
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. LXI
95
■10. — L'âme succombe ainsi lorsquelle monte ces degrés
par crainte servile ou par amour mercenaire. Il faut donc
sortir de cette imperfection, m'aimer d'un amour filial et
me servir sans intérêt ; car je sais récompenser toute
peine, et je rends à chacun selon son état et ses efforts.
■11. — Ceux qui n'abandonnent pas leurs prières et leurs
bonnes œuvres, mais qui travaillent avec persévérance à aug-
menter leurs vertus, arriveront à l'amour des enfants. Je les
aimerai avec cet amour, car je rends toujours l'amour
qu'on me donne. Si quelqu'un m'aime comme le serviteur
aime son maître, je le récompense comme un maître paie
son serviteur, mais je ne me livre pas il lui, parce que les
secrets ne se confient qu'à l'amitié : on ne fait qu'un avec
son ami, mais non pas avec son serviteur. Il est vrai que
Je serviteur peut augmenter tellement sa vertu et l'amour
qu'il a pour son maître, qu'il deviendra son plus cher
ami.
12. — Il en arrive ainsi à mes serviteurs : tant qu ils
restent dans l'amour mercenaire, je ne me manifeste point
à eux. Mais s'ils rougissent de leur imperfection et s'ils
aiment la vertu, s'ils arrachent avec une sainte haine la
racine de l'amour-propre spirituel qui est en eux, si,
montant sur le tribunal de leur conscience, ils font justice
de la crainte servile et de l'amour mercenaire que n'a pas
encore détruits dans leur cœur la lumière de la foi, alors
ils me sont si agréables, que je les aime comme des amis,
je me manifesterai à eux, puisque ma Vérité a dit :
« Celui qui m'aimera sera aimé de mon Père, et je l'ai-
merai ; je me manifesterai à lui, et nous demeurerons en-
semble » ( S. Jean, xiv, 21-35 ). C'est la condition des
vrais amis d'être deux corps et une seule âme par l'a-
mour, car l'amour transforme dans la chose aimée. S'ils
n'ont qu'une âme, comment peuvent-ils avoir des secrets
l'un pour l'autre ? Aussi mon Fils l'a dit: « Je viendrai,
et nous demeurerons ensemble »; et c'est la vérité.
LXI. — Comment Dieu se manifeste à l'âme qui l'aime.
1. — Sais-tu comment je me manifeste dans l'âme qui
m'aime en vérité et qui suit la doctrine de mon doux
~ I
90
DIALOGUE DE SAINTE CATtfEBINE
et bien-aimé Verbe ? Je manifeste de différentes manières
ma vérité dans l'Ame, selon son désir, et j'ai trois sortes
de manifestations.
2. - Je manifeste premièrement dans l'âme mon amour
et ma chanté par le moyen du Verbe, mon Fils ■ et cet
amour, cette charité se voit dans son sang répandu avec
tant d'ardeur. La charité se montre de deux manières •
1 une est générale et commune à tous ceux qui vivent
dans la charité ordinaire. Ils la voient et l'éprouvent
dans les nombreux bienfaits qu'ils reçoivent de moi ■
I autre manière est réservée à ceux qui sont devenus
mes amis ; ils connaissent la charité plus que les autres
Parce qu'ils la connaissent, la goûtent et l'éprouvent
sensiblement dans leurs âmes.
3. - La seconde manifestation est pour ceux annuels j e
me revoie par le sentiment de l'amour. Je ne regarde
pas la créature, mais les saints désirs, et je me montre
à lame avec la même perfection qu'elle me recherche
Quelquefois je me révèle, dans cette seconde manifesta
tion, en donnant l'esprit de prophétie et en montrant les
choses futures : et cela de beaucoup de manières, selon
les besoins de cette âme ou des autres créatures
ie /j fo^, D ', aUt T f ° iS ' 6t C ' 6St Ia troisiènie manifestation,
c foi me clans leur esprit la présence de ma Vérité mon
tils unique par plusieurs moyens, selon que l'âme le 'désire
et e veut. Tantôt elle me cherche dans la prière en v OU
tant connaître ma puissance, et je la satisfais en lui faisant
goûter et sentir ma vertu ; tantôt elle me cherche daTs la
sagesse de mon Fils, et je ,a satisfais en l'offrant aux
égards de son intelligence ; tantôt elle me cherche dans
la ce in (le 1>Esprif et aiQrs ma dan
goûter le feu de la divine charité, qui enfante les vraies e
solides vertus, fondées sur la charité pure du prochain
IXII.
Pourquoi Jésus-Christ ne dit pas : <■ Je manifesterai
mon Père », mais : « Je me manifesterai ».
i. - Tu vois que mon Fils a dit la vérité dans cette na
rôle: « Celui qui m'aimera sera une même chose avec mo ■
car en suivant sa doctrine avec amour vous êtes unis à
k
IBM
■M
*.~..*.W-
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. LXII
97
lui et étant unis à lui vous êtes unis à moi, parce que
nous sommes une même chose, et puisque nous sommes
une même chose, je me manifesterai aussi à vous.
2. — Ainsi mon Fils a dit la vérité en disant : « Je me
manifesterai à vous», parce qu'en se manifestant il me
manifeste, et en me manifestant il se manifeste. Mais pour-
quoi ne dit-il pas : Je vous manifesterai mon Père ? Pour
trois raisons. La première est qu'il veut montrer que
je ne suis pas séparé de lui, ni lui de moi ; et quand saint
Philippe lui dit : « Montrez-nous le Père, et cela nous suf-
fira », il répond: « Qui me voit, voit le Père; et qui voit
le Père, me voit » ( S, Jean, xiv, 8-9 ). Il le dit parce qu'il
est une même chose avec moi ; et ce qu'il avait, il l'avait
de moi, et non pas moi de lui. Aussi dit-il aux Juits : « Ma
doctrine n'est pas de moi, mais de mon Père, qui m'a en-
voyé » Parce que mon Fils procède de moi, et non pas
moi de lui. Mais comme je suis une môme chose avec lui
et lui avec moi, il ne dit pas ; Je manifesterai le Père,
mais je me manifesterai ; parce que je suis une même
chose avec le Père.
3 - La seconde raison, c'est qu'en se manifestant a vous
il ne montrait que ce qu'il avait de moi, le Père ; comme
s'il eût voulu dire : Le Père s'est manifesté entièrement
en moi, puisque je suis une même chose avec lui. Je me
manifesterai et je le manifesterai à vous par mon
moyen.
4. — La troisième raison est, qu'étant invisible, je ne
puis être vu de vous tant que vous ne serez pas séparés de
vos corps. Alors vous verrez ma divinité face à face, et
vous verrez aussi le Verbe, mon Fils intellectuellement jus-
qu'au temps de la résurrection, générale, lorsque votre hu-
manité se conformera et se réjouira dans l'humanité du
Verbe, comme je te l'ai dit en te parlant de la résurrec-
tion '(1).
5. — Vous ne pouvez me voir maintenant dans mon es-
sence, et alors j'ai voilé la nature divine avec le voile de
votre humanité, afin que vous pussiez me voir. Moi, l'invisi-
ble, je me suis fait pour ainsi dire visible en vous donnant
(1) Le texte dit: nel Trattato délia resurrettione. Ces mots semblent indi-
quer un ouvrage de sainte Catherine de Sienne qui ne nous est pas parvenu.
Dialogue de S. Cath. de S. — ''■
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1 El Bill ■
98
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
le verbe, mon Fils, revêtu de votre nature ; il m'a manifesté
a vous. Il ne dit pas : Je manifesterai mon Père, mais : Je me
manifesterai à vous ; comme s'il disait : Selon ce que m'a
donné mon Père, je me manifesterai à vous. Tu vois que
dans cette manifestation, en se manifestant il me manifeste
Tu ne lui a pas entendu dire : Je vous manifesterai le I^ère
car tant que vous êtes dans un corps mortel, vous ne pou-
vez me voir ; mais mon Fils est une même chose avec moi.
LXIII.
Comment l'âme monte sur le second degré du
pont.
F — Tu as pu comprendre l'excellence de celui qui est
parvenu à l'amour de l'ami; il a monté par les pieds de
l'affection, et il est arrivé au secret du cœur, c'est-à-dire
au second degré, figuré sur le corps de mon Fils. Je t'ai dit
que ces trois degrés correspondaient aux trois puissances de
l'âme ; et maintenant je les appliquerai aux trois états de
l'âme. Avant de te conduire au troisième degré, je veux te
montrer comment on parvient à être ami, et quand on est
ami, comment on devient enfant par l'amour filial ; ce que
fait celui qui est ami, et à quel signe on reconnaît l'ami.
2. — Premièrement, comment parvient-on à être ami '>
L'homme était d'abord imparfait par la crainte servile ;
mais avec l'exercice et la persévérance il parvient à l'a-
mour de la jouissance et de l'utilité qu'il trouve en moi.
Telle est la voie par laquelle passe celui qui désire arriver
à l'amour parfait, c'est-à-dire à l'amour des amis et des en-
fants.
3. - Je dis que l'amour filial est parfait, parce que, dans
l'amour du Fils, l'homme reçoit mon héritage, l'héritage du
Père éternel ; et parce que l'amour du Fils comprend tou-
jours l'amour de l'ami, je t'ai dit que l'ami était devenu fils.
Quel est le moyen de parvenir à l'amour filial? Le voici.
Toute perfection et toute vertu procède de la charité, et la
charité est nourrie par l'humilité ; l'humilité vient de la con-
naissance et de la haine de soi-même, c'est-cà-dire de sa sen-
sualité. Pour y arriver, il faut persévérer et rester dans la
cellule de la connaissance de soi-même, où on connaîtra ma
miséricorde dans le sang de mon Fils unique, en attirant par
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. LXIII
99
son amour ma charité divine, en s'exerçant à détruire toute
mauvaise volonté spirituelle et temporelle, et en se cachant
humblement dans son intérieur.
4. — C'est ce que fit Pierre avec les autres disciples: il
gémit amèrement après avoir eu le malheur de renier mon
Fils. Sa douleur était encore imparfaite, et elle fut imparfai-
te pendant quarante jours et jusqu'après l'Ascension; car,
mon Fils étant retourné vers moi quant à son humanité,
Pierre et les autres disciples se cachèrent dans le cénacle
pour attendre la venue du Saint-Esprit, que ma Vérité leur
avait promis. Ils étaient renfermés par crainte, car l'âme
craint toujours jusqu'à ce qu'elle soit arrivée à l'amour vé-
ritable; mais en persévérant dans leurs veilles et dans leurs
humbles prières jusqu'à ce qu'ils eussent reçu l'abondance
de l'Esprit Saint, ils perdirent la crainte ; ils suivirent et
prêchèrent Jésus crucifié.
5. _ Ainsi, après s'être purifiée' du péché mortel et s'ê-
tre reconnue coupable, Pâme qui veut parvenir à la perfec-
tion commence à pleurer par crainte du châtiment ; puis elle
s'élève à la considération de ma miséricorde, où elle trouve
son bien-être et son avantage. Elle est encore imparfaite, et
pour la faire arriver à la perfection, après quarante jours,
c'est-à-dire après ces deux états, je me retire d'elle de temps
en temps, non par grâce, mais par sentiment.
6. — C'est ce que mon Fils annonçait lorsqu'il disait aux
disciples: « Je m'en vais, et je reviendrai vers vous ». Tout
ce qu'il disait en particulier à ses disciples était dit en gé-
néral à tous les hommes présents et futurs. Il dit : Je m'en
vais, et je reviendrai vers vous; et il en fut ainsi : car lors-
que l'Esprit Saint fut descendu sur les disciples, il revint
lui-môme. Le Saint-Esprit ne vint pas seul, mais il vint avec
ma puissance, avec la sagesse du Fils, qui est un avec moi,
et avec la clémence du Saint-Esprit, qui procède du Père et
du Fils.
7. — Or, je te le dis de même: Pour faire sortir l'âme de
son imperfection, je me retire d'elle d'une manière sensible
et je la prive de la consolation qu'elle avait d'abord. Lors-
qu'elle était dans la souillure du péché mortel, elle s'est
éloignée de moi, et je l'ai privée de ma grâce par sa faute,
parce qu'elle m'avait fermé la porte de son désir. Le soleil
de la grâce ne brille plus au dedans, non par la faute du so-
I fi
100
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
ÏÏ, m l S Pai ' la faUte de la créature ' ^ ne lui ouvre pas
par e des.r ; mais dès qu'elle reconnaît les ténèbres elle ou
vre la fenêtre et nettoie sa demeure par une site confi
Mon. Alors, par ma grâce, je retourne dans l'âme et si L
ïïïïïsï» elle ne perd pas ia «*»> £sz
la foi et lu, faire acquérir la prudence. Alors si eH ^
d une manière désintéressée, avec une foi vive et avec la haf
ne d'elle-même, elle se réjouit dans la peine, pa'ce queSe
se trouve mdigne de la paix et du repos de l'esprit! clstte
antde 6 , r tr ° iS Ch ° SeS qUe je énonçais en" te promet-
tant de expliquer comment l'âme arrive à le perfection i
ce quelle fait quand elle y est arrivée. Voici ce qu' Sut
Quand elle sent que je me suis retiré, elle ne retourne pas
«oe* et se renferme avec soin dans la connaissance d'elle-
Jh * E ï le n attend aVeC U " e foi vive ''avènement de l'Es-
m' teïï elfe fpn a " e " d ' T' * ^ de h «*»*"■ Go «
es e le; t Ln r r'' """ da,1S l '<** n "> mais dans
les veilles et dan b la prière continuelle; non seulement dans
lesveil les du corps, mais dans les veilles de l'intXgence
Lœ 1 de son intelligence ne se ferme jamais; elle yJe à S
tannje de la foi pour arracher par la haine les pensées mu
Wesdeson cœur; elle attend l'ardeur de ma charité cm- ë le
âmes q Te Je " ?" PSS aUtre Ch ° Se qne la ^nctifica'tion des
âmes . le sang de mon Fils l'a bien prouvé
10. - Pendant que son intelligence veille ainsi dans ma
connaissance et clans la connaissance d'elle - même 'âme
pne toujours par une sainte et ferme volonté- c'esUa prière
continuelle. Elle prie aussi par laprière a otuellet'estl£t
qu'elle fait dans leur temps les p/eres ordonnées par 'ÉguÏ
?e s sr V ée rr isse s t défauts - parce * Ue > ^ s
eLconZnd c ° nsola "on, elle éprouve sa faiblesse ;
elle comprend que seule elle ne peut être ferme et persévé-
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION — CH. LXIV
404
rante, et par là elle découvre la racine de l'amour-propre
spirituel. Elle se connaît ainsi, elle s'élève au-dessus d'elle-
même, et s'asseyant sur le tribunal de sa conscience, elle ne
fait grâce à aucun sentiment blâmable en arrachant la racine
de l'amour-propre avec la haine de cet amour et avec l'a-
mour de la vertu.
LXIV. — En aimant Jésus imparfaitement, on aime impar-
faitement le prochain. — Signes de cet amour imparfait.
4. — Je veux que tu saches que toute imperfection et tou-
te perfection qui se manifestent et s'acquièrent en moi, se
manifestent et s'acquièrent par le moyen du prochain. C'est
ce qu'éprouvent les âmes simples qui aiment les créatures
d'un amour spirituel. Si l'on m'aime d'un amour pur et dé-
sintéressé, on aime de même le prochain.
2. _ Quand on remplit un vase à une fontaine, si on le
retire de la fontaine pour boire, le vase est bientôt vide,
mais si l'on boit en tenant le vase dans la fontaine, il ne se
vide pas, mais il est toujours plein. Il en est de même de l'a-
mour spirituel ou temporel du prochain, il faut y boire en
moi, sans le tirer à soi.
3. — Je vous demande que vous m'aimiez comme je vous
aime. Vous ne pouvez le faire complètement, puisque je
vous ai aimés sans être aimé. L'amour que vous avez pour
moi est une dette que vous acquittez, et non pas une grâce
que vous m'accordez. L'amour que j'ai pour vous au contrai-
re est une grâce, et non une dette.
4. _ Vous ne pouvez donc me rendre l'amour que je ré-
clame; et cependant je vous en offre le moyen dans votre
prochain : faites pour lui ce que vous ne pouvez faire
pour moi. Mon Fils l'a montré lorsqu'il disait à Paul qui me
persécutait: « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? »
(Acte ix, 4). Il le disait parce que Paul me persécutait en
persécutant mes fidèles.
5. — Il faut que votre amour soit pur et qu'avec cet a-
mour dont vous m'aimez, vous aimiez les autres. Sais-tu,
ma fille, comment on reconnaît que l'amour spirituel dont on
aime n'est pas parfait? Il est imparfait si l'âme souffre quand
il lui semble que la créature qu'elle aime ne répond pas à son
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
102
amour ou qu'elle n'en est pas aimée autant qu'elle croit l'ai-
mer. Si elle soufïre de la perte de sa présence, de ses conso-
lations, ou de la préférence qu'elle donne à un autre.
C — C'est à cela et à beaucoup d'autres choses sembla-
bles qu'on voit l'imperfection de l'amour que l'âme a pour
moi et pour le prochain. Elle boit alors dans le vase hors de
la fontaine, quoique l'amour l'ait rempli de moi. Mais parce
qu'elle m'aime encore imparfaitement, elle montre qu'elle
aime imparfaitement aussi le prochain. Cela vient de la
racine de l'amour-propre spirituel, qui n'est pas encore
arrachée.
7. — Je permets souvent ces épreuves de l'amour pour
que l'âme se connaisse dans son imperfection. Je lui retire
ma présense sensible pour qu'elle se renferme dans la con-
naissance d'elle-même, et qu'elle acquière ainsi la perfection.
Je reviens ensuite avec une plus abondante lumière, avec
une connaissance plus grande de ma vérité, pourvu qu'elle
soit persuadée que c'est par ma grâce seulement qu'elle
pourra tuer sa volonté.
8. — Qu'elle ne cesse jamais de travailler à sa vigne, d'en
arracher les épines des pensées inutiles, et d'y mettre les
pierres des vertus affermies dans le sang de Jésus crucifié,
qu'elle a trouvées en allant par le pont de mon Fils bien-
aimé. Car je te l'ai dit, si tu te le rappelles bien, sur ce pont
de la doctrine de ma Vérité sont les pierres fondées sur la
vertu de son sang, et les vertus vous donnent la vie par la
vertu du sang.
TRAITÉ DE LÀ PRIÈRE
LXV. - Du moyen que prend l'âme pour arriver à l'amour
pur et généreux.
i - Lorsque l'âme est entrée dans le chemin de la
perfection, en passant par la doctrine de Jésus crucifie
avec l'amour véritable de la vertu et avec la haine du
vice lorsqu'elle est arrivée par une sainte persévérance
à la cellule de la connaissance d'elle-même, elle s y ren-
tome dans les veilles et la prière continuelle, et elle se
sépare de la conversation des hommes. Pourquoi se ren-
ïerme-t-elle? Elle se renferme par la crainte que lui cau-
se la vue de son imperfection, et par le désir quelle a
d'arriver à l'amour généreux et parfait. Elle voit et com-
prend qu'on ne peut y arriver par un autre moyen et
elle attend avec une foi vive ma venue par 1 augmenta- .
tion de la grâce en elle. A quoi se reconnaît cette foi
vive 1 ? A la persévérance dans la vertu et dans la sainte
prière quelque chose qui arrive. A moins que ce ne soit
par obéissance ou par charité, vous ne devez jamais aban-
donner la prière.
2 -Souvent le démon obsède plus l'âme de ses ten-
tations pendant le temps destiné à la prière que pendant
le temps qui n'y est pas consacré : il voudrait vous ins-
pirer l'ennui de la prière. Quelquefois il dit : Cette prière
ne vous sert de rien, parce qu'on ne doit pas être ainsi
distrait. Le démon s'efforce par ce moyen de troubler et
de dégoûter l'âme de l'exercice de la prière, parce que
la prière est une arme avec laquelle l'âme se défend
contre tous ses ennemis, lorsqu'elle la prend avec la
main de l'amour et le bras du libre arbitre, et quelle
combat à la lumière de la sainte foi.
103
11!
104
DIALOGIE DE SAINTE CATHERINE
LXVI. — L'âme doit passer de la prière vocale à
prière mentale.
la
\ . — Tu sais, ma fille bien-aimée, que c'est en persé-
vérant dans une prière humble, continuelle et fidèle, que
l'âme acquiert toute vertu. Elle doit persévérer , et ne
se laisser jamais arrêter par les illusions du démon ou
par sa propre fragilité. Elle doit résister aux pensées,
aux mouvements de la chair, et aux propos que l'esprit
du mal met sur la langue des hommes pour la détour-
ner de la prière. Oh ! que cette prière est douce à l'Ame,
et qu'elle m'est agréable, lorsqu'elle est faite avec la
connaissance de sa bassesse et la connaissance de ma
bonté, à la lumière de la sainte foi et avec l'ardeur de
ma charité !
2. — Cette charité s'est rendue visible dans la personne
de mon Fils unique, qui vous la montra en répandant
son sang. Ce sang enivre l'âme et l'embrase du feu de
la charité divine ; cette nourriture sacramentelle qui vous
est offerte par la sainte Église est 1e corps et le sang
de mon Fils, tout Dieu et tout homme. Mon Vicaire, qui
tient la clef de ce précieux sang, est chargé de vous le
distribuer. On le trouve dans cette hôtellerie établie sur
le pont pour nourrir et assister les pèlerins qui passent
par la doctrine de ma vérité, afin qu'ils ne périssent pas
de faiblesse.
3. — Cette nourriture soutient peu ou beaucoup, selon
le désir et les dispositions de celui qui la prend saera-
mentellement ou virtuellement : sacramentellement en re-
cevant la sainte Hostie des mains du prêtre, virtuelle-
ment par le saint désir de la Communion ou par la pieu-
se contemplation du sang de Jésus crucifié. L'âme y
trouve et goûte le sentiment de l'amour qui l'a fait ré-
pandre ; elle s'y enivre, s'y enflamme d'un saint désir,
et se remplit uniquement de ma charité et de la charité
du prochain. Où acquiert-elle cette charité? Dans la cel-
lule de la connaissance d'elle-même, par la sainte orai-
son, comme Pierre et les disciples, qui, en se renfermant
dans les veilles et la prière, perdirent leur imperfection
TRAITÉ DE LA PRIÈRE — CH. LXVI
105
et acquirent la perfection. Par quel moyen? Par la per-
sévérance unie à la sainte foi.
4. — Mais ne pense pas qu'on reçoive cette ardeur et
cette force divine par une prière purement vocale. Beau-
coup me prient plutôt des lèvres que du cœur. Ils ne
songent qu'à réciter un certain nombre de psaumes et de
Pater noster. Dès qu'ils ont rempli leur tâche, ils ne pen-
sent pas à autre chose; ils mettent toute leur piété dans
de simples paroles. Il ne faut pas agir de la sorte ; quand
on ne fait pas davantage, on en retire peu de fruit et on
m'est peu agréable. Faut-il quitter la prière vocale pour
la prière mentale, à laquelle tous ne semblent pas appe-
lés ? Non, mais il faut procéder avec ordre et mesure.
5. — Tu sais que l'âme est imparfaite avant d'être par-
faite; sa prière doit être de môme. Pour ne pas tomber
dans' l'oisiveté, lorsqu'elle est encore imparfaite, l'âme doit
s'appliquer à la prière vocale ; mais elle ne doit pas
faire la prière vocale sans la faire mentale ; pendant que
les lèvres prononcent des paroles, elle s'efforcera d'élever
et de fixer son esprit dans mon amour, par la considéra-
tion de ses défauts en général et du sang de mon Fils,
où elle trouvera l'abondance de ma charité et la rémis-
sion de ses péchés.
6. — Elle doit le faire pour que la connaissance d'elle-
même et la vue de ses fautes lui fassent connaître ma
bonté envers elle et continuer sa prière avec une humi-
lité véritable. Je ne veux pas qu'elle considère ses fautes
en particulier, mais en général, pour qu'elle ne soit pas
souillée par le souvenir de ses péchés honteux. Je dis
aussi qu'elle ne doit pas considérer ses péchés en géné-
ral et en particulier sans y joindre la considération du
sang de mon Fils et les souvenirs de mon inépuisable
miséricorde, afin qu'elle ne tombe, pas dans la confusion.
7. — Si la connaissance d'elle-même et la vue de son
péché n'étaient pas accompagnées de la mémoire du sang
et de l'espérance de la miséricorde, elle serait nécessai-
rement troublée, et le démon se servirait de sa confusion
et de son regret pour la faire tomber dans la damna-
tion éternelle. Ce trouble la conduirait au désespoir, par-
ce qu'elle ne s'appuierait pas sur le bras de ma misé-
ricorde.
106
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
8. - C'est là un des pièges les plus dangereux craa 1*
démon tende à mes serviteurs. Pour échapper • T ma
ore e err7vSe agréable H VOUS ""* 55-»^
voire cœur et votre amour dans mon infinie miséricorde
par une humilité sincère. Tu sais que l'orgueil™,, émon
ne peut supporter une âme humble, et qu'il est confou
dès que 1 ame espère véritablement en moi
9. - Souviens-toi que le démon voulait te perdre en
ç troublant; il tâchait de te persuader que ta TétS
volonté Tu fis alors ce que tu devais faire, et ce que ma
bonté tW enseigné, car ma bonté est toujours p^ésenTe
à qui veut la recevoir. Tu t'appuyais avec hun.ilit,: ^su ma
TTSït* tUdi T ■ ^ C ° nfCSSe à m °" dateur ql
ma vie s est passée dans les ténèbres, mais je me cache-
Z^Jl^ d6 . JéSUS Mfié >* ™ 4"orai da s
bon sang. J elTacera, amsi mes iniquités, et je me réiouirai
par mon désir dans mon Créateur. réjouira.
oJ°'f\ L f- d6m ° n P1 ' U la fuite ' mais jl ^int avec une
autre tentation, et voulut te porter à l'orgueil en te disant
u es parfaite et agréable à D.eu ; i. est° inutile de S-'
ger davantage et de pleurer tes fautes. Ma lumière e fit
humible et lu repond.s au démon: Misérable que je suis-
• ean B aptlste n ,, jamais m d& eTcVfié dans
e et'u^ir f' ^ " a fàit P ° Urtant b6aUCOU P P éni *«
ce et mo, qui a, comm,s tant de fautes, ai-je commencé à
les reconnaître et à les pleurer? ai-je compris ce quï*
Dieu, e t ce que je suis, moi qui l'offense?
.11. - Alors le démon, ne pouvant supporter l'humilité
e 1 espérance en ma bonté, te cria: Sois maudite, ca e
ci," tu S " " , t0i : " je VCUX t>abaisser P-'« déses-
ve v £, ^ les P érance d « ta miséricorde; si je
Sx etZ P T, lOTgUeiI ' tU t>abaisses Parl'humilité ju -
quaux enfers, ou tu me po.ursuis. Je te fuirai maintenant,
ca tu me frappes toujours avec le bâton de la charité.
de •na'bo.r M ^^ ^ C6SSe U " ir à la connaissance
ance "! "" d'elle-même, et à la connais-
sance d elle-même ma connaissance. C'est ainsi que la
prière vocale sera utile à l'âme qui la fera, et qu'e le „ e
TRAITÉ DE LA PRIÈRE — CH. LXVI
107
sera agréable; de la prière vocale imparfaite elle arrivera
par la pratique et la persévérance à la prière mentale par-
faite. Mais si elle se contente de réciter un certain nombre
de prières, et si pour la prière vocale elle laisse la prière
mentale, elle n'y arrivera jamais.
13. — Souvent l'âme, dans son ignorance, s'obstine à ré-
citer de vive voix certaines prières, lorsque je. la visite,
tantôt en lui donnant une claire connaissance d'elle-même
et la contrition de ses fautes, tantôt en lui faisant com-
prendre la grandeur de ma charité, d'autres fois en lui
manifestant de différentes manières, comme il me plaît
et comme elle l'avait désiré, la présence de mon Fils
bien-aimé ; mais elle, pour accomplir la tâche qu'elle
s'est imposée, néglige ma visite et se fait un cas de
conscience de ne pas achever ce qu'elle a commencé.
14. — Elle ne doit pas agir ainsi, car ce serait être le
jouet du démon. Dès qu'elle sent au contraire ma visite
par les moyens que je viens de dire, elle doit aban-
donner la prière vocale pour la prière mentale, et ne la
reprendre que si elle a le temps. Si elle n'en a pas le
temps, elle ne doit pas s'en attrister et se troubler, par-
ce qu'elle a fait ce qu'elle devait faire. Il faut excepter
cependant l'office divin, que les ecclésiastiques et les re-
ligieux sont obligés de dire : en ne le disant pas ils
m'offensent, puisqu'ils y sont tenus jusqu'à la mort. S'ils
sentent leur esprit attiré vers la prière mentale à l'heure
qu'ils devaient consacrer à la récitation de l'office, ils
doivent faire en sorte de le dire avant ou après, parce
qu'ils ne doivent jamais y manquer.
15. — L'âme doit commencer par la prière vocale pour
arriver à la prière mentale, et dès qu'elle s'y trouve dis-
posée, elle gardera le silence. La prière vocale, faite com-
me je l'ai dit, conduit à la prière parfaite ; il ne faut
donc pas l'abandonner, mais suivre le mode que je t'ai
enseigné : et ainsi, par la pratique et la persévérance,
l'âme goûtera la prière véritable et se nourrira du sang
de mon Fils bien-aimé.
16. — Je t'ai dit que quelques-uns participaient au corps
et au sang du Christ virtuellement, quoique non sacra-
mentellement, parce qu'ils participaient à l'ardeur de la
charité, qui se goûte au moyen de la sainte prière, peu
H
!
108
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
ou beaucoup, selon le désir de celui qui prie Celui «ni
pne avec peu d'application recueille peu;œmi *„/ S
avec beaucoup d'application recueille beaucoup r£ , Ce
s efforce d'affranchir son amour et de s'unir à moi a H
lumière de l'intelligence, plus elle me connaît ■ us el e
m 1 : sr plus e,le m ' aime ; p,us e,le m ' ai -' C-2
„n 47 T A i" Si ' tU VOis que la P rière Parfaite ne consiste
pas dans la multitude des paroles, mais dans 1 ardeur d u
so "n^tet i e râmeVerS ^ Par ,a connaissance de
Se " il fait din C ° nna,S , Sance de ma bonté jointes ensem-
ble . .1 faut donc unir la prière mentale et la prière vo-
cnle comme la vie active et la vie contemplative
w- - il y a différentes manières d« comprendre H
Sr e cïïï e / la ^^ mentale - Car je «K e
désir, cest-a-dn-e une volonté bonne et sainte, était une
11 u 'e e t C d a n ns nUeHe - CettG V ° l0nté Se manifeste S "»
lieu et dans un moment donné, et surajoute à la prière
continuelle du désir; et ainsi la prière vocale unie à a
sainte volonté de l'ame, se fera dans le temps prescri
ou quelquefois se continuera au delà, si la charité" Tt
qui se dit et se fait pour le salut du prochain es tune
prière mémoire, mais qui n'exempte pas de la prière
lieu L P dT lte f U " Cmain mome "^t dans un certa „
ait da„ t v, ^ Prlère obU ^™e, tout ce qui se
aù'on fait t dG DiGU Ct dU prochai "' ^ ce '
quon fa, même pour soi avec une intention droite peut
stnn a K e o Une PrièrC; "'' C ° mme le dit mon »pS
naTdP i ' 6 CGSSe PaS de Prier dès q»' " ™ «esse
as le bien faire: aussi j'ai dit que la prière se faisait
de plusieurs manières, en unissant la prière actuelle à là
prière mentale Cette prière actuelle est inspirée par l'a"
deur de la charité, et cette ardeur de la charité est la
prière continuelle. Ja
20- - Je t'ai dit comment on parvenait à la prière
mentale, par la pratique, par la persévérance, et en lais-
sant la prière vocale pour la prière mentale lorsque je-
TRAITÉ DE LA PRIÈRE — CH. LXV1I
109
visite l'âme ; je t'ai dit ce qu'étaient la prière publique
et la prière vocale faite en dehors du temps prescrit, la
prière du désir, et comment tout ce qu'on fait pour soi
ou pour son prochain avec une intention droite était une
prière II faut donc que l'âme s'excite avec courage a la
Prière, qui enfante la vertu ; et l'âme y parviendra si elle
se renferme dans la connaissance d'elle-même avec un
amour tendre et filial. Si l'âme ne le fait pas, elle reste-
ra toujours dans sa tiédeur et son imperfection; elle n ai-
mera qu'autant qu'elle trouvera son avantage et son plai-
sir en moi et dans le prochain.
LXVII. - De l'erreur des gens du monde qui aiment et
servent Dieu pour leur consolation.
A — Je veux te parler de l'amour imparfait et de l'er-
reur de ceux qui m'aiment pour leur propre consolation.
Tu sauras que le serviteur qui m'aime imparfaitement,
cherche plutôt la consolation qu'il ne me cherche moi-
même: cela est évident, puisqu'il se trouble dès qu'il man-
que de consolations spirituelles ou temporelles.
2. — Les consolations temporelles charment les hommes
du monde, qui font quelque bien tant qu'ils sont dans
la prospérité; mais quand vient la tribulation que je leur
donne dans leur intérêt, ils se troublent et abandonnent
le peu de bien qu'ils faisaient. Si vous leur demandez:
Pourquoi vous troublez-vous? Ils répondront: Parce que je
suis dans la peine, et le peu de bien que je faisais dans
la prospérité me semble inutile, puisque je ne le fais plus
avec le même amour et le même esprit. C'est la tribula-
tion qui en est cause, car il me semble que j'agissais
bien mieux, avec plus de paix et de calme, autrefois que
maintenant.
3. — Celui qui parle ainsi est aveuglé par l'intérêt. Il
n'est pas vrai que ce soit la tribulation qui diminue son
amour et ses œuvres. Ce qu'on fait dans la tribulation
vaut autant que ce qu'on fait dans la consolation, et même
le mérite en augmenterait si l'on avait la patience. Mais
cela vient de ce que ces hommes s'attachent trop à la
prospérité. Ils m'aiment peu par vertu, et se reposent l'es-
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DIALOGUE r«E SAINTE CATHERINE
pnt dans quelques bonnes œuvres. Dès qu'ils sont privés
de ce qu . les charme, il leur semble qu'ils n'ont ,1 s ï
paix nécessaire pour bien faire; D leur arrive comme à
un homme qu, est dans un beau jardin: parce quTs'v
Ptatt, il aime y travailler; i, croit aimer son travail ma*
ces le beauté du jardin qu'il aime. Il est facile de voiT
qu'il aune plus le jardin que le travail; car dès ou'i il
quitté le jardin, il ne ressent plus de pl'aiï ' « son lt
sir venait du travail, i, ne l'aurait pas ainsi pe,du ,
I aurait toujours, parce que la faculté de bien faire 'ne
peut se perdre sans la volonté de l'homme, même lorï
$£ZT&* la prospérité ' comme
àit n 7- ï? passion égare ceux qui agissent ainsi et q^
disent Je sais que je faisais mieux et que j'avais plus de
consolations avant d'être éprouvé. J'aimais à faire le bien
i«|us maintenant je n'y ai aucun goût. Ils se font illusion'
s ils eussent aimé le bien par amour du bien, ils n'auraien
pas cesse de l'aimer, et, loin d'en perdre le goût, us ri-
raient davantage ; mais ils faisaient le bien pour le plaisir
qu ils y trouvaient ; leur amour du bien cesse avec ce plai-
sir, et c'est là une erreur où tombent la plupart de ceux
qui font des bonnes œuvres ; ils s'abusent sur le plaisir
qu'elles leur causent. p
LXVIII. - Combien se trompent ceux qui aiment Dieu avec
cet amour imparfait.
i. - Mes serviteurs qui sont encore dans l'amour im-
parfa.t me cherchent et m'aiment à cause de la consola
tion et du bonheur qu'ils trouvent en moi. Et comme ie
récompense tout le bien qui se fait, petit ou grand se-
on la mesure de l'amour qui agit, je donne des cônso-
ations spirituelles, tantôt d'une manière, tantôt d'une au-
tre, dans le temps de la prière. Je ne le fais pas pour
que lame reçoive mal la consolation, c'est-à-dire quelle
s arrête plus à la consolation que je lui donne qu'à moi-
même mais bien pour qu'elle regarde plus l'ardeur de
nia chante à donner et son indignité à recevoir, que le
plaisir qu'elle trouve dans ces consolations. Mais si, dans
TRAITÉ DE LA PRIÈRE — Cil. LXVIII
1-11
son ignorance, elle s'arrête à la seule jouissance, sans faire
attention à mon amour envers elle, alors elle tombe dans
un malheur et un égarement que je vais te faire con-
naître. , „
2 - Elle est trompée d'abord par cette consolation qu elle
cherche et dans laquelle elle se complaît. Car quelquefois
te la console et je la visite plus qu'à l'ordinaire; et quand
je me retire, elle revient sur ses pas pour retrouver les
jouissances dans la route qu'elle avait suivie. Je ne don-
ne pas toujours de la même manière, afin qu'elle sache
que je distribue ma grâce comme il plaît à ma bonté et
comme le demandent ses besoins. Mais l'âme ignorante
recherche la consolation dans les mêmes choses, comme
si elle voulait imposer une règle à l'Esprit Saint.
3 - Elle ne doit pas agir ainsi, mais elle doit passer
avec courage par ce pont de la doctrine de Jésus cruci-
fié et recevoir en la manière, au lieu et au moment choi-
sis'par ma bonté pour lui donner. Si je ne lui donne pas,
je le fais par amour et non par haine, pour qu elle me
cherche en vérité et qu'elle ne m'aime pas seulement pour
son plaisir, mais qu'elle s'attache plutôt à ma chante qu a
la consolation. Si elle ne le fait pas, et si elle cherche
la jouissance selon sa volonté et non selon la mienne,
elle trouvera la peine et la honte, parce qu'elle se verra
privée de ce plaisir où elle avait fixé le regard de son
intelligence. .
4 — Tels sont ceux qui s'arrêtent aux consolations : ils
ont goûté ma visite d'une certaine manière, et ils veu-
lent toujours y revenir. Leur ignorance est telle, que, si
je les visite d'une autre façon, ils résistent et ne veulent me
recevoir que comme ils le désirent. Cette erreur vient de
leur attachement à la jouissance spirituelle qu'ils ont trou-
vée en moi.
5 -L'âme se trompe, parce qu'il est impossible qu elle
soit visitée toujours de la même manière. Elle ne peut rester
stationnaire, elle avance ou elle recule dans la vertu, et alors
elle ne peut recevoir de ma bonté les mêmes grâces ; je les
varie au contraire, je lui donne tantôt la grâce spirituelle,
tantôt une contrition et un regret qui semblent la boulever-
ser Ouelquefois je serai dans l'âme, et elle ne me sentira
pas ; quelquefois je manifesterai ma volonté, c'est-a-dire
m
s
■
s
1
m
1
il
I
I
H2
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
mon Verbe incarné, de différentes manières aux yeux de son
intelligence, et cependant il semblera que l'âme ne goûte
pas l'ardeur et la joie que cette vision devrait lui donner.
D'autres fois, au contraire, elle ne verra rien, et goûtera un
grand bonheur.
6. — Je fais tout cela par amour, pour la sauver, pour la
faire croitre dans l'humilité et la persévérance, pour lui
apprendre à ne pas vouloir me donner de règle, et à ne
pas mettre sa fin dans la consolation, mais seulement dans
la vertu, dont je suis le fondement. Qu'elle reçoive hum-
blement les différents états où elle se trouve, qu'elle re-
connaisse avec amour l'amour avec lequel je donne. Qu'elle
croie fermement que j'agis toujours uniquement pour la
sauver ou la faire parvenir à une plus grande perfection.
Elle doit être toujours humble et placer son principe et
sa fin dans la fidélité à ma charité, et recevoir dans cette
charité le plaisir et la privation, selon ma volonté et non
selon la sienne. Le moyen d'éviter les pièges de l'ennemi est
de recevoir tout de moi par amour, parce que je suis la fin
suprême de l'homme et que toute chose doit être basée sur
ma douce volonté.
LXIX. — De ceux qui, pour ne pas perdre lapais et la conso-
lation, négligent d'assister le prochain.
1. — Je t'ai parlé de l'erreur de ceux qui veulent nie
goûter et me recevoir à leur manière ; maintenant je veux
te faire connaître combien se trompent ceux qui s'atta-
chent tellement à la consolation, que, voyant les besoins
spirituels ou temporels du prochain, ils ne font rien pour
les soulager, sous prétexte de mieux faire; ils disent: Cela
m'ôte la paix de l'àme et m'empêche de réciter mes prières
ordinaires.
2. — Ils croient m'offenser parce qu'ils n'ont plus de
consolations, mais leur amour-propre spirituel les abuse;
car ils m'offensent bien plus en ne secourant pas leur
prochain qu'en abandonnant toutes leurs consolations. Si
j'ordonne des prières vocales et mentales, c'est pour que
l'âme puisse arriver à la charité envers moi et envers le
prochain, c'est pour qu'elle persévère dans cette charité.
TRAITÉ DB*LA PRIÈRK — CH. LXX
113
3. — Elle m'offense plus en- abandonnant la charité du
prochain pour prier et. pour conserver la paix, qu'en lais-
sant ses exercices pour assister le prochain. Aussi l'âme
me trouve dans la charité du prochain, tandis qu'elle me
perd dans les consolations où elle me cherche. Car en
n'assistant pas le prochain, la charité du prochain dimi-
nue par là même. Dès que la charité du prochain dimi-
nue, mon amour pour elle diminue, et avec mon amour
diminue aussi la consolation.
4. — En voulant gagner on perd, en voulant perdre
on gagne ; car celui qui renonce à la consolation pour le
salut du prochain me gagne, et gagne le prochain en l'assis-
tant et en le servant avec charité. Il goûte ainsi toujours la
douceur de ma charité. Celui qui ne le fait pas, au contraire,
est toujours dans la peine ; car souvent l'obéissance, les
liens particuliers, les infirmités spirituelles ou temporelles
des autres le contraindront à s'occuper du prochain : et
alors il le fera avec chagrin, avec ennui et trouble de cons-
cience; il deviendra insupportable à lui-même et aux
antres.
5. — Si vous lui demandez : Pourquoi ressentez-vous de
la"peine? Il vous répondra: lime semble que j'ai perdu
la paix et la tranquillité d'esprit; je n'ai pas fait mes
exercices ordinaires, et je crois que j'ai offensé Dieu. Il
n'en est rien; mais parce qu'il ne regarde que sa pro-
pre consolation, il ne sait connaître et discerner vérita-
blement où est son offense. S'il le savait, il verrait que
l'offense ne consiste pas à être privé de consolation spi-
rituelle et à laisser l'exercice de la prière lorsque les be-
soins du prochain le réclament, mais à manquer de cha-
rité pour le prochain, qu'on doit aimer et servir par amour
pour moi. Tu vois donc que l'âme se trompe elle-même
h cause de son amour-propre spirituel.
M
I
m
m
1XX.- De l'erreur de ceux qui mettent toute leur affection
dans les consolations et les visions.
1 - L'amour-propre . spirituel cause un mal plus grand à
l'âme lorsqu'elle aime et recherche uniquement les consu-
ltions et les visions que j'accorde souvent a mes ser-
DiALOCliE de S. Calh. de S. — 8.
114
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
viteors. Dès qu'elle s'en voit privée, elle tombe dans le
chagrin et l'ennui, parce qu'il lui semble qu'elle est privée
de la grâce lorsqu'elle ne sent plus ma présence ; car, com-
me je te l'ai dit, je parais et je disparais dans l'âme, afin de
la rendre parfaite. Elle tombe dans l'abattement et croit
être réprouvée dès qu'elle perd la consolation et qu'elle
sent les attaques de la tentation.
2. — Elle ne devrait pas se laisser ainsi abuser par l'amour-
propre spirituel, qui lui cache la vérité. Qu'elle sache que
moi, le souverain Bien, je suis en elle pour soutenir sa
volonté pendant le combat, et pour l'empêcher de reculer
en recherchant la consolation. Elle doit s'humilier et se
reconnaître indigne de la paix et du repos de l'esprit. Je
me retire d'elle pour qu'elle s'humilie et qu'elle reconnaisse
ma charité dans la volonté droite que je lui conserve pen-
dant le combat.
3. — Il faut qu'elle ne reçoive pas seulement le lait de
la douceur que je lui présente, mais il faut qu'elle s'at_
tache au sein de ma Vérité, et qu'elle reçoive le lait
avec la chair, c'est-à-dire qu'elle se nourrisse du lait
de ma douceur par le moyen de la chair de Jésus cru-
cifié, dont j'ai fait un pont pour que vous arriviez à moi.
C'est pour cela qne je me retire. Si l'âme avance avec
prudence et sagesse, je reviens bientôt à elle avec plus
de douceur, de force et de charité ; mais si elle reçoit
avec trouble et tristesse la privation des douceurs spiri-
tuelles, elle y gagne peu et reste dans sa tiédeur.
LXXI. — Ceux qui s'attachent aux consolations spirituelles
peuvent être trompés par le démon qui se transforme en an-
ge de lumière. — Des signes auxquels on peut reconnaître
qu'une vision vient de Dieu ou du démon.
1. — Ceux qui s'attachent aux consolations spirituelles
sont souvent exposés à d'autres pièges du démon, qui se
transforme en ange de lumière. Le démon tente toujours
l'âme sur ce qu'elle désire davantage, et, s'il la voit pas-
sionnée pour les consolations et les visions spirituelles,
si elle y met tout son bonheur, au lieu de le mettre dans
la vertu en se reconnaissant indigne des douceurs de mon
TRAITÉ DE LA PRIÈRE — CH. LXXI
115
amour, alors il revêt pour elle des formes de lumière :
tantôt il prend l'apparence d'un ange, tantôt celle de mon
Fils, tantôt celle de quelque saint. 11 agit ainsi pour pren-
dre l'âme à l'amorce du plaisir qu'elle trouve dans les
visions et les douceurs spirituelles. Si l'âme ne se retire
pas avec une humilité profonde en repoussant la jouissance
qui lui est offerte, elle tombe par ce piège dans les mains
du démon. Mais si elle se sépare de la jouissance par
l'humilité, si elle s'attache par l'amour à moi qui donne,
plutôt qu'à mes présents, alors le démon est vaincu,
parce que son orgueil ne peut supporter l'humilité de l'âme.
2. — Si tu me demandes comment on peut reconnaître
ce qui vient du démon et ce qui vient de moi, je te répon-
drai que c'est à ce signe : Si c'est le démon qui se présente
à l'âme sous forme de lumière, elle en reçoit une vive
joie ; mais plus la vision se prolonge, plus la joie diminue, et
il ne reste bientôt que trouble, tristesse et ténèbres qui obs-
curcissent tout l'intérieur. Mais si c'est moi, l'éternelle Véri-
té, qui visite l'âme, elle éprouve au premier moment une
sainte frayeur, et avec cette frayeur, la joie, l'assurance, une
douce prudence qui fait qu'en doutant elle ne doute pas.
3. — La connaissance d'elle-même la persuade de son in-
dignité. Elle dit : Je ne suis pas digne de recevoir votre visi-
te, et, puisque je n'en suis pas digne, comment cela peut-il
être ? Alors elle se confie à la grandeur de ma charité ; elle
comprend que je puis lui donner ce qu'il me plaît, en ne
regardant pas son indignité, mais ma dignité, qui me rend
capable de me recevoir en elle-même par grâce et d'une
manière sensible. Je ne méprise pas son désir qui m'appelle,
et elle me reçoit humblement en disant : Voici votre servan-
te, qu'il me soit fait selon votre volonté. Alors elle quitte
l'oraison et les douceurs de ma présence avec joie, avec hu-
milité, parce qu'elle se trouve indigne de tout ce qu'elle re-
çoit de ma charité.
" 4. _ Tel est le signe qui montre si l'âme est visitée par
moi ou par le démon. Ma visite commence par la crainte,
elle continue et finit dans la joie et l'espoir de la vertu ;
celle du démon commence par la joie, mais elle se ter-
mine dans la confusion et les ténèbres de l'esprit. Je vous
ai donné ce signe pour que l'âme qui veut marcher avec
humilité et prudence ne puisse être trompée; elle le sera
WÊ I
I
116
DIALOGUE DE SAINTE CATHEHIHE
quand elle voudra avancer seulement avec l'amour im-
parfait de sa propre consolation, et non pas avec mon
amour.
LXXII. — L'àme qui se connaît évite les tromperies du dé-
mon.
1. — Je n'ai pas voulu te cacher, ma fille bien-aimée,
l'erreur où tombent ordinairement les hommes qui se com-
plaisent dans le peu de bien qu'ils font au temps de la
consolation, et celle de mes serviteurs qui s'attachent tel-
lement aux douceurs spirituelles, qu'ils ne peuvent plus
connaître la vérité de mon amour et discerner où se trou-
ve le péché. Je t'ai dit le piège où le démon les prend
par leur faute s'ils ne suivent pas le moyen que je t'ai en-
seigné. Ainsi toi et mes autres serviteurs, vous devez sui-
vre la vertu par amour pour moi, et non par un autre
motif.
2. — Ces erreurs et ces dangers sont pour ceux dont
l'amour est imparfait, c'est-à-dire pour ceux qui aiment
plus mes bienfaits que moi-même. Mais l'âme qui est entrée
dans la connaissance d'elle-même en s'exerçant à l'oraison
parfaite, en rejetant l'imperfection de l'amour et de la prièrç,
comme je te l'ai expliqué, cette âme me reçoit par l'a-
mour ; elle s'efforce d'attirer à elle le lait de ma douceur
sur le sein de la doctrine de Jésus crucifié.
3. — Elle est arrivée au troisième état, c'est-à-dire à l'a-
mour tendre et filial; elle n'a pas un amour mercenaire, mais
elle agit avec moi comme un ami agit avec son ami qui lui
fait un présent : il ne regarde pas au présent, mais au cœur
de celui qui donne, et il n'aime le présent que par amour
pour son ami. Ainsi fait l'âme qui est parvenue à l'amour
parfait. Quand elle reçoit mes bienfaits et mes grâces, elle
ne s'arrête pas au présent, mais son intelligence contemple
la grandeur de ma charité qui donne.
4. — Pour que l'âme ne puisse s'excuser de ne pas
faire ainsi, j'ai voulu unir le bienfait au bienfaiteur, en
unissant la nature humaine à la nature divine, lorsque
je vous ai donné le Verbe, mon Fils unique, qui est une
même chose avec moi comme moi avec lui. Par cette
TRAITÉ DE LA PRIÈRE — CH. LXXIII
117
union vous ne pouvez voir le présent sans voir celui
Z vous le fait. Comprenez donc avec quel amour vous
Svelainier le don et le donateur. Si vous flûtes cela
vou aurez un amour non pas mercenaire mais pur et
généreux, comme ceux qni se renferment dans la con-
naissance d'eux-mêmes.
LXXIII.- Comment l'âme quitte l'amour imparfait et arrive
à l' amour parfait.
i - Jusqu'à présent je fài montré de différentes ma-
nières comment l'âme quitte l'imperfection pour arriver ^à-
l'amour parfait, et comment elle agit quand elle est par-
•enue à l'amour intime et filial. Je t'ai dit et je te répète
qu'elle y arrive par la persévérance, en se renfermant
dans la connaissance d'elle-même. Cette conna.sanced elle-
même doit être accompagnée de la connaissance de ma
bonté, pour qu'elle n'en soit pas troublée. Car la con-
naissance d'elle-même lui donnera la haine de son aniom
sensitif et de l'attrait qu'elle a pour les consolations. De
cette haine fondée sur l'humilité doit naître la pa tience.
2 - La patience deviendra sa force contre les attaques
du démon et contre les persécutions des hommes. Elle
s'en servira avec moi, lorsque, pour son bien, je lui retire
la consolation. Elle supportera tout au moyen de cette
vertu. Si la sensualité voulait, dans quelques épreuves,
se révolter contre la raison, le juge de la conscience
s'élèverait au-dessus d'elle avec une sainte haine et terait
justice de tout mouvement coupable. Car l'âme qui ne
s'aime pas se corrige toujours et se reprend non seule-
ment des mouvements qui sont contre la raison, mais
encore quelquefois de ceux qui viennent de moi.
3 - C'est ce que veut faire comprendre mon doux ser-
viteur saint Grégoire, lorsqu'il dit qu'une conscience sainte
et pure trouvait le péché là où il n'était pas, oest-a-
dire que sa délicatesse était si grande, qu'elle voyait une
faute où il n'y en avait pas. L'âme doit faire de même
si elle veut quitter l'imperfection, et si elle attend, dans
la connaissance d'elle-même et à la lumière de la foi, ce
qu'ordonnera ma Providence.
U8
DIALOGUE I)K SAINTE CATHERINE
4.— Ainsi firent mes disciples, lorsqu'ils se renfermèrent
dans le Cénacle, persévérant dans les veilles et la prière
jusqu'à la descente du Saint-Esprit. L'âme, comme je te
l'ai dit , fait de môme. Elle s'éloigne de l'imperfection et
se renferme en elle-même pour atteindre la perfection.
Elle veille, et fixe le regard de son intelligence sur la doc-
trine de ma Vérité. Elle se connaît et persévère humble-
ment dans la prière d'un saint désir, parce qu'elle éprouve
en elle l'ardeur de ma charité.
LXXIV, — Des signes auxquels on connaît que lame est ar-
rivée à l'amour parfait.
1. — Je vais te dire maintenant quel signe prouve que
l'àme est arrivée à l'amour parfait. Ce signe est le même
signe qu'on vit dans mes disciples, lorsqu'ils eurent reçu
l'Esprit Saint. Ils sortirent du Cénacle, perdirent toute
crainte et annoncèrent ma parole, la doctrine du Verbe
mon Fils biep-aimé. Loin de redouter la souffrance, ils
s'en glorifiaient ; ils ne craignaient pas de paraître devant
les tyrans du monde et de leur dire la vérité pour l'hon-
neur et la gloire de mon nom.
2. — Ainsi, lorsque l'àme s'est renfermée dans la con-
naissance d'elle-même, comme je te l'ai dit, je retourne
vers elle par le feu de ma charité. Cette charité, pendant
qu'elle persévérait dans sa retraite, lui a fait concevoir
la vertu par amour, en lui communiquant ma puissance;
avec cette puissance elle a dominé et vaincu sa passion
sensitive.
3. — Par la même charité, je l'ai fat participer à la
sagesse de mon Fils, et dans cette sagesse elle voit et
connaît, par l'œil de l'intelligence, ma vérité et les éga-
rements de l'amour-propre spirituel, c'est-à-dire l'amour im-
parfait de la consolation. Elle connaît la malice et les
mensonges avec lesquels le démon abuse l'àme qui est
liée à cet amour imparfait; elle se lève avec la haine de
l'imperfection et avec l'amour de la perfection.
4. — Par cette même charité, qui est le Saint-Esprit, je
la fais participer à sa volonté, en fortifiant la volonté
qu'elle a de supporter toute peine, de sortir de la retraite
TRAITÉ DE LA. PRIÈRE — CH. LXXV
119
pour mon nom, et de produire des bonnes œuvres envers
le prochain. Elle ne sort pas de sa connaissance, mais
elle fait sortir d'elle-même les vertus conçues par l'amour.
Elle les montre de différentes manières, quand les besoins
du prochain le réclament ; car elle n'a plus la crainte
qu'elle avait de perdre ses consolations spirituelles.
5 —Elle est parvenue à l'amour généreux et parfait, et
elle agit au dehors sans penser à elle-même. L'âme arrive
au second degré de ce troisième état parfait, où elle goûte
et enfante la charité du prochain. Elle obtient ce degré
de parfaite union en moi. Ces deux derniers degrés sont
unis ensemble, et l'un n'est pas sans l'autre ; mon amour
n'est jamais sans l'amour du prochain, et celui du pro-
chain sans le mien, ils ne peuvent être jamais sépares : de
même, ces deux degrés ne sont jamais l'un sans l'autre,
comme je te le montrerai en l'expliquant le troisième état.
LXXV. - Les imparfaits veulent suivre seulement le Père,
tandis que les parfaits suivent le Fils.
1 - Je t'ai dit que ceux qui sortent ainsi dehors, mon-
trant qu'ils ont quitté l'imperfection et sont arrives à la
perfection. Ouvre les yeux de ton intelligence, et vois-les
courir sur le pont de Jésus crucifié, votre règle, votre loi
et votre doctrine. Ils ne se proposent pas d'autre but que
Jésus crucifié. Ce n'est pas moi le Père qu'ils se proposent,
comme font ceux qui sont dans l'amour imparfait et qui
ne veulent pas supporter de peine, parce qu'en moi ne
peut se trouver la peine.
2 - Les imparfaits ne veulent suivre que la consolation
qu'ils trouvent en moi. Je te le dis, ce n'est pas moi qu'ils
suivent, c'est la consolation qu'ils trouvent en moi. Les
parfaits, au contraire, font autrement: embrasés par l'a-
mour, ils ont' uni les trois puissances de l'âme et monte
les trois degrés figurés sur le corps de Jésus crucifie. Avec
les pieds de son affection, leur âme est parvenue des
pieds de mon Fils à son côté, où elle trouve le secret du
cœur et connaît le baptême de l'eau, qui a sa vertu par
le sang. L'âme y reçoit la grâce du saint baptême et y
devient un vase capable de contenir la grâce unie et mé-
langée de ce sang.
%
■■ I
1 I
120
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
3. — Où rame connaît-elle la dignité d'être unie et mé-
langée au sang de l'Agneau, en recevant le saint baptê-
me par la vertu de ce sang? Dans le côté de mon Fils
où elle connaît le feu de la divine charité. Si tu te le rap-
pelles, ma Vérité incarnée te l'a révélé, lorsque tu l'inter-
rogeais en lui disant: Doux Agneau sans tache, vous étiez
mort quand votre côté a été ouvert. Pourquoi vouloir que
votre cœur soit ainsi frappé et entr'ouvert? Mon Fils te
répondit, s'il t'en souvient, qu'il avait eu bien des rai-
sons; et il te dit les principales.
4. — Son désir de sauver le genre humain était infini,
et son corps ne pouvait supporter la douleur et les tour-
ments que dans une certaine mesure; ce qui était fini
ne pouvait donc montrer l'amour infini dont il vous ai-
mait; alors il voulut que vous vissiez le secret de son
cœur, et il vous le montra ouvert, pour vous faire com-
prendre qu'il vous aimait plus que ne le pouvait montrer
sa mort.
5. — L'eau et le sang qui en sortirent signifiaient le
saint baptême de l'eau, que vous recevez en vertu du
sang ; il répandit le sang et l'eau pour marquer deux bap-
têmes de sang: le premier, que reçoivent ceux qui ré-
pandent leur sang pour moi : ce sang tire sa vertu du
sang de mon Fils, et remplace le baptême qu'ils n'ont pu
recevoir ; le second est le baptême de feu, que reçoivent
ceux qui désirent le baptême avec un ardent amour sans
pouvoir l'obtenir; et il n'y a pas de baptême do feu sans
le sang ; parce que ce sang est pénétré par le feu de la
divine charité qui l'a fait répandre.
6. — L'âme reçoit aussi le baptême de sang d'une autre
manière, pour parler par figure; ma divine charité l'accor-
de parce qu'elle voit l'infirmité et la fragilité de l'homme
qui l'entraine au péché. Sa fragilité, ni aucune autre cause
ne l'entraînerait au péché, s'il n'y consentait pas; mais
il y tombe par faiblesse, et le pécré lui fait perdre la
grâce qu'il avait reçue au baptême en vertu du sang;
alors il fallait que ma divine bonté perpétuât le baptême
du sang par la contrition du cœur et par la sainte con-
fession, en s'adressant, quand on le peut, à mes ministre*
qui gardent les clefs du sang.
7. - Le sang est versé sur l'âme par l'absolution, et quand
TRAITÉ DE LA PRIÈRE — CH. LXXV
4-2-1
on ne peut se confesser, il suffit de la contrition du cœur:
alors c'est la main de ma clémence qui vous donne le
bénéfice du sang. Mais celui qui pourra se confesser de-
vra le faire, et celui qui le pourra, et ne le fera pas, sera
privé du bénéfice du sang.
g _ Il est vrai que, quand on le veut, au moment de
la mort, et qu'on ne le peut pas, on reçoit le sang. Mais
que personne ne soit assez insensé pour espérer se faire
pardonner ses fautes au dernier instant; car il peut crain-
dre que, pour punir son obstination, ma divine justice
lui dise : Tu ne t'es pas souvenu de moi pendant la vie,
quand tu en avais le temps; je ne me souviendrai pas de
toi dans la mort. On ne doit donc jamais différer sa con-
version ; mais, alors même, on doit jusqu'à la fin espérer
dans le sang et en recevoir le baptême.
9 — Ainsi tu vois que le baptême de sang peut toujours
couler sur l'âme; et dans ce baptême tu reconnais l'ac-
tion de mon Fils. La peine de la croix est finie, mais le
fruit que vous en recevez est infini à cause de la nature
divine infinie qui est unie à la nature humaine finie. La
nature humaine souffrait dans mon Verbe revêtu de votre
humanité, mais comme les deux natures sont unies et pé-
nétrées l'une pour l'autre, la divinité attire à elle la peine
qu'elle a supportée sur la croix avec un amour ineffable, et
son action peut être appelée infinie.
40. — La peine n'était pas infinie, puisqu'elle était limitée
par le corps, et que le désir de souffrir pour vous rache-
ter a cessé sur la croix quand l'âme de mon Fils s'est sé-
parée de son corps; mais le fruit qui est sorti de cette
peine est infini comme le désir de votre salut, et vous le re-
cevez d'une manière infinie ; car s'il n'était pas infini, le
genre humain ne pourrait pas être sauvé dans le passé, dans
le présent et dans l'avenir. L'homme qui m'offense ne pour-
rait se relever sans cesse, si le baptême de sang ne lui
était accordé d'une manière infinie, et si le fruit du sang
n'était pas infini.
11. _ c'est ce que mon Fils vous a montré par la bles-
sure de son côté ; c'est là que vous trouvez le secret de
son coeur, parce que vous y voyez qu'il vous aime plus qu'il
ne peut vous le montrer par une peine finie. Il vous le
montre d'une manière infinie, par le baptême du sang uni
■ i ii,<
122
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
au feu de la charité divine, car c'est l'amour qui l'a fait
répandre. Le baptême est donné à tous les chrétiens, et
a quiconque veut le recevoir, dans l'eau unie au sang et
au feu. L'âme est ainsi pénétrée par le sang de mon Fils,
et c'est pour vous faire comprendre ces choses qu'il a
fait sortir le sang et l'eau de son côté. J'ai maintenant
répondu à ce que tu m'avais demandé.
LXXVI. — L'âme au troisième degré parvient à la bouche
de Jésus-Christ. — La mort de la volonté propre est le
signe qu'elle y est arrivée.
1. — Tout ce que je viens de te dire, mon Fils te l'avait
enseigné; mais j'ai voulu te le répéter, en te parlant de lui
pour te faire mieux comprendre l'excellence de l'âme par-
venue au second degré, où elle connaît et acquiert si bien
l'ardeur de l'amour, qu'elle court aussitôt au troisième de-
gré, c'est-à-dire à la bouche : et là elle montre qu'elle est
parvenue à l'état parfait. Par où passe-t-elle ? L'âme passe
par le cœur, c'est-à-dire qu'elle se rappelle où elle a été
baptisée, et laissant l'amour imparfait, par la connaissance
que lui donne cet aimable cœur, elle voit, elle goûte et res-
sent le feu de ma charité.
2. — Ceux qui sont arrivés à la bouche font ce que fait la
bouche. La bouche parle avec la langue qu'elle a ; elle
goûte les aliments, elle les retient pour les donner à
l'estomac, et les dents les broient pour qu'ils puissent
être avalés. L'âme fait de même ; elle me parle d'abord
avec la langue, qui est dans la bouche du saint désir, c'est-
à-dire avec la langue d'une sainte et continuelle prière.
Cette langue parle, réellement et mentalement: elle parle
mentalement lorsqu'elle m'offre ses doux et amoureux dé-
sirs pour le salut des âmes ; elle parle réellement lors-
qu'elle annonce la doctrine de ma Vérité, lorsqu'elle aver-
tit et conseille le prochain, lorsqu'elle confesse la foi sans
craindre ce que le monde peut lui faire souffrir. Elle parle
hardiment devant toute créature, de toutes les manières et
à chacun selon son état.
3. — L'âme aussi apaise la faim qu'elle a des âmes pour
mon honneur sur la table de la très sainte Croix. Nulle au-
TRAITÉ DE LA PRIÈRE — CH. LXXVI
423
tre chose et nulle autre table ne pourraient la rassasier
parfaitement. Elle broie sa nourriture avec les dents, sans
lesquelles elle ne peut rien avaler. La haine et l'amour sont
comme deux rangées de dents dans la bouche du saint
désir • la nourriture qu'elle reçoit est préparée pas la haine
d'elle-même et par l'amour de la vertu, en elle et dans son
prochain. Elle broie l'injure, le mépris, les affronts, les re-
proches, les persécutions nombreuses ; elle supporte la
faim, la soif, le froid, le chaud, les angoisses, les larmes
et les sueurs pour le salut des âmes. Elle accepte tout
pour mon honneur et ne rejette jamais son prochain.
4 - Quand tout est ainsi préparé, elle goûte et savoure
le fruit de sa fatigue, et la douceur de ces âmes dont elle
se rassasie dans ma charité et dans la charité du prochain.
Cette nourriture parvient à l'estomac, qui est excite par le
désir et la faim des âmes ; et cet organe est l'amour et le
zèle de son cœur pour le prochain. Elle se plaît tant a sa-
vourer et à s'approprier cette nourriture, qu'elle perd le
goût des délicatesses de la vie corporelle, afin de pouvoir
mieux se rassasier de cet aliment, qu'elle trouve sur la ta-
ble de la sainte Croix et de la doctrine de Jésus crucifie.
5 - Alors l'âme s'engraisse de solides et véritables ver-
tus et se développe tellement dans l'abondance, que le
vêtement de la sensualité qui la couvre se déchire, c'est-a-
dire que son corps perd tout désir sensuel. Ce qui est ainsi
déchiré meurt, et la volonté sensitive disparait ; car la vo-
lonté de l'âme qui vit en moi est revêtue de mon éternelle
volonté : la sensualité meurt donc en elle. Telle est lame
arrivée au troisième degré de la bouche. Ce qui indique
son progrès, c'est que la volonté propre est morte en goû-
tant l'ardeur de ma charité.
6 - L'âme trouve dans la bouche la paix et le repos, lu
sais que la bouche donne le baiser de paix : aussi à ce degré
l'âme possède tellement la paix, que personne ne peut la
troubler, parce qu'elle a perdu et détruit sa volonté propre,
dont la mort seule procure la paix et le repos. L'âme alors
enfante sans douleur des vertus à l'égard du prochain : non
pas qu'elle soit exempte de peine, mais sa volonté, qui est
morte, ne peut plus les ressentir, et elle supporte tout volon-
tairement pour l'honneur de mon nom. Elle court avec ar-
deur dans la voie de Jésus crucifié ; elle ne se la.sse point
':' ; : : !
124
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
arrêter par l'injure, par les persécutions qu'elle rencontre ou
par les plaisirs que le monde voudrait lui donner: elle sur-
monte tout avec force et persévérance.
7. — Son amour s'est revêtu du feu de ma charité ; il se
rassasie du salut des âmes avec une patience sincère et par-
faite. Cette patience est la preuve certaine que l'âme m'ai-
me parfaitement et sans intérêt. Car si elle m'aimait et ai-
mait le prochain pour sa consolation, elle serait impatiente
et s'arrêterait dans sa route. Mais parce qu'elle m'aime pour
moi, qui suis la souveraine Bonté, seule digne d'être aimée,
parce qu'elle s'aime et qu'elle aime le prochain pour moi,
pour louer et glorifier mon nom, elle est patiente, forte et
persévérante.
LXXVII. — Des œuvres de l'âme parvenue au troisième degré.
1 . — Il y a trois glorieuses vertus qui sont fondées sur la
charité, et qui sont les fruits de ses branches : ces vertus
sont la patience, la force, la persévérance. Elles sont couron-
nées par la lumière de la très sainte foi ; cette lumière dis-
sipe les ténèbres de l'âme qui court dans la voie de la Véri-
té ; l'âme est exaltée par un saint désir, et personne n'est
capable de l'arrêter. Le démon ne peut lui nuire par ses ten-
tations, car il craint l'âme embrasée du feu de la charité.
Les persécutions et les injures des hommes sont impuissan •
tes contre elle ; si le monde la poursuit, le monde aussi la
redoute. Ma bonté le permet pour la fortifier et la faire gran-
dir devant moi et devant le monde, parce qu'elle s'est faite
petite par humilité.
2. — Ne le vois-tu pas dans mes saints, qui se sont abais-
sés pour moi et que j'ai élevés en moi, et dans le corps,
mystique de la sainte Église, qui parle toujours d'eux, parce,
que leurs noms sont écrits en moi, le livre de vie ? Oui, le
monde les respecte, parce qu'ils ont méprisé le monde. Ils
ne cachent pas leur vertu par crainte, mais par humilité; et
si le prochain a besoin de leurs services, ils ne se cachent
pas de peur de souffrir et de perdre leur consolation ; mais
ils le servent avec courage, s'oubliant et se sacrifiant eux-
mêmes.
3. — De quelque manière qu'ils consacrent leur vie et
TRAITÉ DE LA PRIÈRE — CH. LXXVII
125
leur temps à mon honneur, ils sont Heureux et trouvent
fjfe le repos de l'esprit. Pourquoi? Parce qu Us
veuïïnt me servir, non pas selon leur volonté, maïs selon
la rnern" et qu'ils aiment le temps de la consola mn
comme le ^emps'de la tribulation, la prospérité ; comm e 1 ^ad-
vprsité- l'une ne leur pèse pas plus que 1 autre paice
ZCloul chose ils trouvent ma volonté, et qu'ils n'ont
jL d'autre pensée que de s'y conformer des quils la
T-nf ont vu que rien ne se fait sans moi et que tout
«t'ordonne mystérieusement par ma providence excepté
le péché, qui est un néant. C'est pour cela qu ils détestent
e pelé e? qu'ils acceptent avec respect les autres choses. I s
sont fënues et inébranlables dans leur volonté de suivre a
oie delà vérité. Ils ne se ralentissent jamais, et servent Mé-
lement leur prochain, sans s'arrêter à son .gnorance ^e àson
ingratitude. Si quelquefois le méchant leur dit des mures
etl u fait des reproches, ils n'en continuent pas moins leur
bonnes œuvres et les prières ^'"^7^0^
ils souffrent plus de l'offense qu'il me fait et du tort
qu'il cause à son âme que de toutes les injures qui leur
sont adressées. C'était ce que disait mon glorieux apôtre
saint Paul : « Le monde nous maudit, et nous bénissons ,
il nous persécute, et nous le souffrons avec patience et
actions de grâce ; il blasphème, et nous prions ; nous sommes
rejetés comme les ordures du monde, et nous le sup-
portons » (I Cor., iv, 12-13).
5 -Tu vois, ma fille bien-aimée, le signe par excellence
qui' montre que l'âme a quitté l'amour imparfait pour
l'amour parfait: ce signe est la vertu de patience qui
lui fait suivre le doux Agneau sans tache, mon cher Fils.
Lorsqu'il était sur la Croix où les clous de l'amour l'atta-
chaient, il ne tint pas compte des injures des Juifs, qui
lui criaient: «Descends, et nous croirons en toi » (S.Matth.
xxvn, 42). Votre ingratitude ne l'empêcha pas de persé-
vérer' dans l'obéissance que je lui avais imposée, et sa
patience fut si grande, qu'on n'entendit pas la moindre
plainte sortir de ses lèvres.
' • 6. — Ainsi font mes enfants bien-aimés, mes fidèles ser-
viteurs qui suivent la doctrine et l'exemple de ma Vérité:
Le monde a beau vouloir les faire reculer par ses caresses
1
12G
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
ou ses menaces; ils ne tournent jamais la tête en arrière,
et fixent toujours leurs regards sur ma Vérité. Ils ne veu-
lent jamais quitter le champ de bataille, pour venir re-
prendre chez eux le vêtement qu'ils y ont laissé, c'est-
à-dire cet amour qui fait préférer la créature au Créateur.
Ils restent joyeusement dans la mêlée, tout enivrés du
sang de Jésus crucifié, de ce sang que j'ai chargé la sainte
Eglise de distribuer pour soutenir et animer mes vrais che-
valiers, qui combattent la sensualité, la chair, le monde
et le démon, avec la haine de leurs ennemis et l'amour
de la vertu. Cet amour est une armure qui résiste à tous
les coups et rend invulnérable tant qu'on la conserve et
que le libre arbitre ne livre pas volontairement à l'ennemi
le glaive qu'il tient dans ses mains. Ceux qui sont enivrés
du sang de mon Fils ne le font jamais; ils persévèrent
.•oiirageuseinent jusqu'à la mort, où tous leurs ennemis
sont confondus.
7. — glorieuse vertu, combien tu me plais ! tu brilles
dans le monde même, aux yeux ténébreux des ignorants,
qui ne peuvent s'empêcher de participer à la lumière de'
mes serviteurs. Dans la haine avec laquelle ils les pour-
suivent brille la bonté de mes serviteurs, qui désirent leur
salut. Dans leur envie brille la grandeur de la charité
dans leur cruauté la pitié : car plus ils sont cruels, plus
mes serviteurs sont compatissants. Dans l'injure triomphe
la patience, qui règle et gouverne toutes les vertus, parce
qu'elle est la moelle de la charité. Elle prouve et affermit
les vertus de l'âme; elle montre si elles sont fondées ou
non en moi. Elle est victorieuse et jamais vaincue, car
elle est accompagnée, comme je te l'ai dit, de la force et
de la persévérance ; elle remporte la victoire, et quand
elle quitte le champ de bataille, c'est pour venir à moi
le Père, l'Eternel, qui récompense toute fatigue et qui lui
donne la couronne de gloire.
LXXVIII. — Du quatrième état, qui n'est pas séparé du troi-
sième. — Des œuvres de l'âme arrivée à cet état, et com-
ment Dieu ne se sépare jamais d'elle d'une manière sensible.
1. - Je t'ai dit comment on reconnaît que l'àme est arrivée
TRAITÉ DE LA PRIÈRE — CH. LXXVIII
127
à la perfection de l'amour sincère et filial ; maintenant je
veux te dire le bonheur qu'elle goûte en moi, même dans
Ion' corps mortel. Lorsqu'elle est arrivée au troisième état
dont je t'ai parlé, elle en atteint un quatrième, qui n est
pas séparé du troisième, mais qui lui est un. nécessairement,
comme ma charité est toujours unie à la chante du prochain .
C'eT un fruit qui sort de ce troisième état par l'union
parfaite que l'âme contracte avec moi ; elle y trouve une
force si grande que non seulement elle souffre avec pa-
tience, mais qu'elle désire avec ardeur souffrir pour 1 hon-
neur et la gloire de mon nom.
2 - Elle se glorifie dans les opprobres de mon Fils uni-
que comme le disait mon apôtre saint Paul : «Je me glorifie
dans la tribulation et dans les opprobres de Jésus cruci-
fie" » (II Cor., xii, 9). Et ailleurs: «Puis-je me glorifie!
en autre chose qu'en Jésus crucifié » ? Il disait aussi : « Je
porte les stigmates de Jésus crucifié dans mon corps »
f Gai vi U-17 ). De même, ceux qui se passionnent poui
non "honneur et qui sont affamés du salut des âmes
cornent à la table de la très sainte Croix; Us veulent
souffrir beaucoup pour être utiles au Prochain pour con-
server et acquérir des vertus en portant les stigmates du
Christ dans leur corps. Car l'amour crucifié qui les brûle
brille dans leur corps, et ils le montrent en se méprisant eux-
mêmes, en se réjouissant des opprobres, des peines que
je leur accorde, de quelque côté ou de quelque manière
qu'elles leur viennent. ,■■„„*
3 - Pour ces fils bien-aimés la peine est un plaisir et
le plaisir une fatigue. Ils repoussent les consolations et
les jouissances que leur offre le monde; non seulement ils
ne veulent pas celles que le monde leur donne par ma
permission, car quelquefois les serviteurs du monde sont
forcés par ma bonté à les vénérer et à les assistei dans
leurs besoins, mais encore ils ne veulent pas des consola-
tions spirituelles qu'ils reçoivent de moi, et cela par hu-
milité et par haine d'eux-mêmes. Ils ne méprisent pas la
consolation, le présent de ma grâce, mais le plaisir que
l'âme trouve dans cette consolation. Ce qui les inspiré,
c'est la vertu d'une humilité sincère acquise par une sain c
haine; cette humilité est la gardienne et la nourrice de
la charité que donne la connaissance de moi et d eux-me-
ifis
■
1
-128
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
mes. Aussi tu vois briller dans leur esprit et dans leur
corps la vertu et les stigmates de Jésus crucifié.
4. — Je leur fais la grâce de ne jamais me séparer d'eux
d'une manière sensible, comme je le fais pour les autres
dont je me rapproche et m'éloigne, non par la grâce mais
par la douceur de ma présence. Je. n'agis pas de la sorte
avec ceux qui sont arrivés à la grande perfection et qui
sont entièrement morts à leur volonté ; car je me repose
continuellement dans leur âme par ma grâce et d'une ma-
nière sensible. Dès qu'ils veulent s'unir à moi par un re-
gard d'amour, ils le peuvent, parce que leur désir les
attache tellement à moi que rien ne peut les en séparer.
Tous les lieux et les instants leur conviennent pour la
prière, parce que leur conversation s'est élevée au-dessus
de la terre, et s'est fixée dans le ciel. Ils ont perdu toute
affection terrestre, tout amour-propre sensitif ; ils se sont
élevés au-dessus d'eux-mêmes jusque clans les hauteurs
des cieux, par l'échelle des vertus et les trois degrés que
je t'ai montrés sur le corps de mon Fils.
5. — Au premier degré, ils ont dépouillé les pieds de leur
affection de l'amour du vice ; au second, ils ont goûté le
secret et l'affection du cœur, et ils ont conçu l'amour pour
les vertus ; au troisième, où est la paix de l'esprit, ils ont
acquis les vertus en quittant l'amour imparfait, et ils sont
parvenus à la grande perfection, où ils ont trouvé le re-
pos dans la doctrine de ma Vérité.
6. — Ils ont trouvé la table, la nourriture et le serviteur.
La nourriture, ils la goûtent au moyen de la doctrine de
Jésus crucifié. C'est moi qui suis le lit et la table ; mon
doux et tendre Fils est la nourriture ; car ils se rassasient
en lui du salut des âmes, et ils se nourrissent de lui-même,
.le vous l'ai donné pour aliment; vous recevez au Sacre-
ment de l'Autel sa chair et son sang, sa divinité, son
humanité tout entière, que ma bonté vous offre pour que
vous ne tombiez pas de faiblesse pendant votre pèlerinage,
pour que vous n'oubliiez pas le bénéfice du sang versé
pour vous avec tant d'amour, mais pour que vous soye i
toujours pleins de force et d'ardeur dans votre voyage.
7. — L'Esprit Saint les sert, car l'ardeur de ma charité leur
distribue les dons et les grâces. Ce doux serviteur va et
vient pour les servir; il me porte leurs ardents et amou-
TOAITÉ DE LA PRIÈRE. — CH. LXXVI1I
d29
reux désirs, et il leur porte le fruit de leurs fatigues, dont
ils goûtent et savourent la douceur dans leurs âmes. Ainsi
tu le vois, je suis la table, mon Fils est la nourriture, et
le Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils, est le servi-
teur.
8. — Remarque qu'ils me possèdent toujours d'une ma-
nière sensible : plus ils ont rejeté les jouissances et voulu
la peine, plus ils ont perdu la peine et trouvé la jouis-
sance. Pourquoi ? Parce qu'ils sont enflammés et em-
brasés de ma charité qui a consumé leur volonté. Aussi
le démon redoute les coups de leur charité ; il leur jette de
loin ses flèches et n'ose pas en approcher.
9. — Le monde les frappe à l'extérieur, croyant les
blesser, et c'est lui qui se blesse ; car le trait qui ne
peut pénétrer revient sur celui qui le jette. Ainsi le monde,
lorsqu'il lance les injures, la persécution et les murmures,
sur mes parfaits serviteurs, ne trouve aucun endroit où
il puisse les atteindre, parce que le jardin de leur àme
est fermé ; et le trait revient sur celui qui l'a lancé,
empoisonné par la faute. Il ne peut blesser d'aucun côté
les parfaits, parce qu'en frappant le corps il n'atteint
pas l'âme qui reste heureuse et affligée, affligée de la
faute du prochain, et heureuse de la chanté qu'elle possède.
10. — Elle suit ainsi l'Agneau sans tache, mon Fils
bien-aimé, qui, sur la croix, était heureux et affligé. Il était
affligé de la croix que souffrait son corps, et de la croix
du désir qu'il avait d'expier la faute des hommes ; il était
heureux, parce que la nature divine, unie à la nature
humaine, ne pouvait souffrir et ravissait toujours son âme
en se montrant à elle sans voile. Il était heureux et
affligé, parce que la chair souffrait, mais que la divinité
ne pouvait souffrir, pas plus que son âme dans la partie
supérieure de son entendement. De même, mes enfants
bien-aimés, lorsqu'ils sont arrivés au troisième et au qua-
trième degré, sont affligés par des croix spirituelles et cor-
porelles, puisqu'ils souffrent dans leur corps, comme je
le permets, et qu'ils sont tourmentés du regret que leur
causent mon offense et le malheur du prochain ; mais ils
sont heureux parce que le trésor de la charité qu'ils possè-
dent ne peut leur être enlevé; et c'est pour eux une
source d'allégresse et de béatitude.
Dialogue de S. Cath. de S. — tf.
■
120
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
11. — Leur affliction n'est pus une douleur qui dessèche
l'âme: elle l'engraisse, au contraire, clans l'ardeur de la
charité. La peine augmente la vertu, la fortifie, la développe
•et l'excite. Elle n'affecte pas l àme, mais elle la nourrit.
Aucune douleur, aucune peine ne peut la retirer du foyer
d'amour où elle est plongée. Un tison qui est embrasé
dans une fournaise ne peut être saisi parce qu'il est tout
en feu : de même l'âme qui est jetée dans la fournaise
de ma charité n'est plus rien en dehors de moi ; sa volonté
est détruite et elle est toute embrasée en moi; personne
ne peut la prendre et la retirer de ma grâce, parce qu'elle
est devenue une mérne chose avec moi, et moi une même
chose avec elle.
12. — Jamais je ne lui retire ma présence comme je
le fais pour les autres dont je me rapproche et m'éloigne
pour les conduire à la perfection. Lorsqu'ils y sont arrivés
je cesse ce jeu de l'amour; cette alternative de visites et
d'absences est un jeu de l'amour ; c'est par amour que je
pars, c'est par amour que je reviens. Je ne me retire pas
réellement, car je suis un Lieu immuable et je ne change
pas ; mais c'est l'effet sensible de ma charité clans l'àme qui
parait et disparait.
LXXIX. — Dieu ne se sépare jamais des parfaits par grâce
et par sentiment, mais par union (1).
L — Je te disais que les parfaits ne perdent jamais le
sentiment de ma présence. Je m'éloigne cependant d'une
autre manière, parce que leur âme, qui est unie à leur
corps, ne pourrait supporter continuellement l'union que
je contracte avec elle. Et parce qu'elle ne le peut pas, je
m'éloigne, non par sentiment ou par grâce, mais par union.
2. — Lorsque l'àme s'élance avec ardeur vers la vertu
par le pont de la doctrine de Jésus crucifié, et qu'elle
arrive à la porte divine, elle élève son esprit en moi, elle
se baigne et s'enivre du sang ; elle brûle du feu de l'amour
et goûte en moi la divinité même. L'àme s'unit tellement à
cet océan tranquille, qu'elle ne peut avoir de pensée qu'en
(1) Dans sa traduction latine, le bienheureux Raymond, confesseur de sainte Ca-
therine, affirme ici que l'état dont il est question était celui de notre sainte.
1
TRAITÉ DE LA PRIERE.
CH. LXXIX
131
moi. Dès sa vie mortelle elle' goûte le bien de l'immortalité,
et malgré le poids de son corps elle reçoit les joies de
l'esprit.
3. — Souvent son corps est élevé de terre par la par-
faite union de l'âme avec moi, comme si le corps était
déjà devenu subtil. Il n'a pas perdu sa pesanteur, mais
parce que l'union de l'âme avec moi est plus parfaite que
son union avec le corps, la force de l'esprit fixé en moi
soulève de terre le poids du corps, et le corps reste immo-
bile et brisé par l'amour de l'âme : tellement que, comme-
tu l'as entendu dire de quelques personnes, il lui serait
impossible de vivre si ma bonté ne lui en donnait pas la
force. Et je veux que tu saches que c'est un plus grand
miracle de voir l'âme ne pas quitter le corps dans cette :
union, que de voir plusieurs corps morts ressusciter.
4. — Aussi j'arrête pour quelque temps cette union de
l'âme et je la fais retourner dans le vase de son corps; la
sensibilité de ses organes, qui avait été suspendue par
l'ardeur de l'âme, recommence ses fonctions. Car l'âme
n'est complètement séparée du corps que par la mort,
mais elle perd seulement ses puissances par l'amour qui
l'unit à moi. La mémoire ne contient d'autre chose que
moi; l'intelligence ne contemple d'autre objet que ma
Vérité, et l'amour qui suit l'intelligence, n'aime et ne
s'unit qu'à ce que voit l'intelligence. Toutes ses puissances
sont unies, abîmées et consumées en moi. Le corps perd
tout sentiment. L'œil en voyant ne voit pas, l'oreille en
entendant n'entend pas, la langue en parlant ne parle pas,
à moins que quelquefois, à cause de la plénitude du cœur,
je ne permette à la langue de le laisser déborder et de
parler pour la gloire de mon nom.
5. — Ainsi, la langue en parlant ne parle pas, la main
en touchant ne touche pas, les pieds en marchant ne
marchent pas ; tous les membres sont liés et retenus par
les liens de l'amour, et ces liens les soumettent telle-
ment à la raison et les unissent si étroitement à l'ardeur
de l'âme, que tous ensemble, contrairement à la nature,
ils crient vers moi le Père éternel pour que le corps soit
séparé de l'âme et l'âme du corps. C'est ce que me criait
le glorieux saint Paul: «Malheureux que je suis! qui me
délivrera de ce corps de mort? Je vois dans mes membres
JJ*
U2
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
une loi contraire à la loi de l'esprit» (Rom., vu , 23-2i).
6. — Paul ne parlait pas seulement du combat de la
chair contre l'esprit, car ma parole l'avait pour ainsi dire
rassuré, lorsqu'il lui avait été dit: « Paul, ma grâce te
suffit» ii Cor., xn, 9). Il parlait ainsi parce qu'il se sen-
tait enfermé dans son corps, qui empêchait ma vision pour'j
quelque temps. Jusqu'au moment de la mort, l'œil ne
peut voir l'éternelle Trinité de la même vision que les!
Bienheureux qui rendent sans cesse honneur et gloire à
mon nom. Tant que Paul se trouvait parmi les hommes
qui sans cesse m'offensent, il était privé de me voir dans
mon essence.
7.— Mes serviteurs me voient et me goûtent, non pas
dans mon essence, mais dans l'effet de la charité, de diffé-
rentes manières, selon qu'il plait à ma bonté de me ma-
nifester ; mais cette vue de l'âme unie au corps est une
obscurité quand on la compare à la vue de l'àme sépa-
rée du corps. Il semblait à Paul que la vue corporelle
empêchait la vue spirituelle, et que ses sens grossiers
privaient son âme de me contempler face à face. Sa volon-
té lui paraissait liée de telle sorte qu'il ne pouvait aimer
autant qu'il devait aimer, parce que tout amour dans cet,
te vie est imparfait jusqu'à ce qu'il arrive à sa perfection..
8. — L'amour de Paul, comme celui de mes autres vrais
serviteurs, n'était pas imparfait quant à la grâce etî
à la charité ; il était parfait sous ce rapport, mais il était
imparfait parce qu'il ne pouvait rassasier son amour. Gé-'
tait là sa peine. S'il avait pu satisfaire son désir de ce
qu'il aimait, il n'aurait eu aucune peine; mais il souffrait
parce que l'amour, tant qu'il est dans un corps mortel
n'a pas parfaitement ce qu'il aime.
9. — Dès que l'àme, au contraire, est séparée du corps,
■son désir est rempli et l'amour est sans peine. L'ami
alors est rassasiée, mais elle l'est sans dégoût, parce
qu'étant rassasiée elle a toujours faim, sans avoir la peine
de la faim ; car dès que l'àme est séparée du corps, elle
■déborde d'une félicité parfaite, et elle ne peut rien dési-
rer sans l'avoir. Elle désire me voir, et elle me voit face a
face ; elle désire voir la gloire de mon nom dans mes
saints, et elle la voit dans la nature angélique et dans la
.nature humaine.
TRAJTÉ DE LA PRIÈRE. — CH. LXXXI
[■63.
LXXX.— Les mondains rendent gloire à Dieu, qu'ils le veuillent
ou ne le veuillent pas.
\. — La vue de l'âme bienheureuse est si parfaite^
qu'elle voit la gloire et l'honneur de mon nom, non seule-
ment dans les habitants du ciel, mais encore dans ceux
de la terre. Qu'il le veuille ou non, le monde me rend 1
gloire. Il est vrai qu'il ne le fait pas comme il devrait, en
m'aimant par dessus toute chose ; mais moi je trouve dans
les hommes la gloire et la louange de mon nom, puis-
qu'en eux brillent ma miséricorde et la grandeur de ma
charité.
2. — Je leur laisse le temps, et je ne commande pas-
à la terre de les engloutir pour leurs fautes ; je les at-
tends, au contraire, et je dis à la terre de leur donner ses
fruits, au soleil de les éclairer et de les chauffer de ses ray-
ons ; je conserve au ciel la régularité de ses mouvements
et je répands ma miséricordieuse bonté sur toutes les
choses qui sont faites pour eux. Non seulement je ne las-
leur retire pas à cause de leurs fautes, mais encore je les
donne au pécheur comme au juste, et même souvent plus
au pécheur qu'au juste, parce que le juste peut souffrir,
et que je le prive des biens de la terre pour lui donner
plus abondamment les biens du ciel. Ainsi, ma miséricor-
de et ma charité brillent sur eux.
3. _ Quelquefois les persécutions que les serviteurs du
monde font supporter à mes serviteurs éprouvent leur
patience et leur charité ; elles ne servent qu'à me faire
offrir d'humbles et continuelles prières; elles tournent
ainsi à la gloire et à l'honneur de mon nom. Qu'il le
veuille ou non, le méchant cause ma gloire, même par ce
qu'il fait pour m'offenser.
LXXXI. — Comment les démons même rendent gloire à Dieu.
4. — De même que les pécheurs servent dans cette vie-
à augmenter la vertu de mes serviteurs, de même les dé-
mons dans l'enfer sont les bourreaux et les ministres de-
ma justice sur les damnés. Ils servent aussi mes créatures-
1
;
134
DIALOGUE DE SAINTE CATHEniNE
qui, dans leur pèlerinage terrestre, désirent arriver à moi, |
leur lin. Ils les servent en exerçant leur vertu par des at- 1
taques et des tentations de toute sorte, en les exposant I
aux injures et aux injustices des autres afin de leur faire I
perdre la charité ; mais en voulant dépouiller mes servi- l
tours, lis les enrichissent en exerçant leur patience, leur I
'force et leur persévérance. De cette manière ils rendent
gloire et honneur à mon nom.
2. — Ainsi s'accomplit ma vérité en eux. Je les avais
créés pour me louer, me glorifier et pour les faire parti-
ciper à ma heautô ; mais ils se sont révoltés contre moi
par orgueil, ils sont tombés, ils ont été privés de ma vision, j
Ils ne me rendent pas gloire par l'amour ; mais moi, la ;
Vérité éternelle, je les ai faits des instruments pour exer-
cer mes serviteurs à la vertu, et des bourreaux pour punie
les damnés ou pour purifier ceux qui sont dans le purga-
toire. Tu vois que ma vérité s'accomplit véritablement en
"eux, puisqu'ils me rendent gloire, non pas comme les ha-
bitants du ciel, dont ils sont exilés par leur faute, mais
comme les ministres de ma justice dans les enfers et dans
le purgatoire.
LXXXII. — L'âme, délivrée de cette vie, voit parfaitement la
gloire de Dieu dans toute créature ; elle n'a plus la peine du
désir, mais seulement le désir.
i. — Qui est-ce qui voit et goûte en toute chose, dans
.1 es créatures raisonnables et dans les démons même la
gloire et l'honneur de mon nom? C'est l'âme dépouillée
de son corps et parvenue à moi, qui suis sa fin. Elta
voit parfaitement et connaît la Vérité. En me voyant, moi,
le Père, elle aime ; en aimant, elle est rassasiée ; en étant
rassasiée, elle connaît la vérité, et cette connaissance de
la vérité fixe sa volonté dans la mienne ; elle y est tel-
lement ferme et attachée, que rien ne peut lui causer de
peine, parce qu'elle a ce qu'elle désirait avoir. Elle dési-
rait avant tout me voir et voir glorifier mon nom; elle
le voit pleinement et véritablement dans mes saints, dans
les anges, dans toutes les créatures, dans les démons
mômes.
2. — Elle voit l'offense qui m'est faite; elle ne peut
TRAITÉ DE LA PRIÈRE. — CH. LXXXIIT
135
plus comme autrefois en ressentir de la douleur, elle en
éprouve seulement de' la compassion ; elle aime sans pei-
ne et prie toujours avec charité pour que je fasse misé-
ricorde au monde. En elle la peine est passée, mais non
la charité. Le Verbe, mon Fils, vit finir, dans la mort
douloureuse de la Croix, la peine du désir de votre salut
qui le tourmentait; mais le désir de votre salut n'a pas cesse
avec la peine.
3 - Si l'ardeur de ma charité que je vous ai montrée
en mon Fils avait cessé pour vous, vous ne seriez pas.
Vous êtes faits par amour; si je retirais l'amour, cest-a-i
dire si je n'aimais pas votre être, vous ne seriez pas;
mais mon amour vous a créés, mon amour vous conserve,
et parce que je suis une même chose avec mon Verbe
et' mon Verbe avec moi, la peine du désir a cesse, mais
non pas le désir. , ^
4 - De même les saints qui ont la vie éternelle con-
servent le désir du salut des âmes, mais sans en avoir
la peine ; la peine s'est éteinte dans leur mort, mais non
'ardeur de la charité. Ils sont comme enivrés du sang de
l'Agneau sans tache, et revêtus de la charité du prochain
Ils°ont passé par la porte étroite, tout inondés du sang
de Jésus crucifié, et ils se trouvent en moi, l'océan de la
paix, délivrés de l'imperfection, c'est-à-dire de la peme
du désir, car ils sont arrivés à cette perfection ou ils
sont rassasiés de tout bien.
IXXXIII. — Comment saint Paul, après avoir vu la gloire
des Bienheureux, désirait être délivré de son corps.
1. — Paul avait vu et goûté ce bien quand je l'élevai
au troisième ciel, c'est-à-dire à la hauteur de la Trinité.
Il avait connu et goûté ma vérité en recevant la pléni-
tude du Saint-Esprit, et en apprenant la doctrine de mon
Verbe incarné. Son âme se revêtit de moi, le Père, par
union et par sentiment, comme les Bienheureux dans le
ciel, excepté que son âme n'était pas séparée de son
corps. Il plut à ma bonté d'en faire un vase d'élection
dans l'abîme de ma Trinité, et je le dépouillai de moi,
parce qu'en moi ne peut être la peine ; et je voulais
qu'il souflrit pour mon nom.
If
430
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
2. — Je donnai pour objet à son intelligence Jésus cru-
cifié, le revêtant du vêtement de sa doctrine, le liant et
l'enchaînant avec la clémence du Saint-Esprit, qui est le
feu de la charité. Il devint par ma bonté un vase utile
et nouveau ; il ne résista pas quand il fut frappé, mais il
dit : « Seigneur, que voulez-vous que je fasse ; dites ce
que vous voulez que je fasse et je le ferai ». (Act., ix,
G). Alors je l'enseignai en lui montrant Jésus crucifié, en
le revêtant de la doctrine de ma charité. Je l'illuminai
parfaitement par la lumière de la vraie contrition, avec
laquelle il effaça ses fautes, en s'appuyant sur ma cha-
rité (1).
3. — Il se revêtit tellement de la doctrine de Jésus
crucifié, il y fixa si fortement son ûme, qu'il ne put en
être dépouillé et séparé, ni par les tentations du démon,
ni par les combats de la chair, que ma bonté permet-
tait pour le faire croître en mérite et en grâce, pour
conserver son humilité après qu'il eut joui des grandeurs
de la Trinité. Jamais il ne quitta en la moindre chose
ce vêtement de Jésus-Christ; il le garda dans toutes ses
épreuves et ses tribulations, et il persévéra toujours dans
la doctrine de la Croix. Il se l'était tellement incorporé,
qu'il donna sa vie pour ne pas s'en séparer, et retourna
vers moi avec ce vêtement divin.
4. — Paul avait goûté ce que c'était que jouir de moi
sans le poids de son corps; je lui avais permis d'en jouir
par union, mais non pas complètement séparé de son
corps. Quand il fut revenu à lui, revêtu de Jésus cruci-
fié, il lui sembla que son amour était imparfait en le
comparant à la perfection de l'amour qu'il avait goûté
en moi, et qu'il avait vu dans les Bienheureux séparés
de leurs corps. Il sentait que le poids de son corps était
un obstacle qui empêchait la perfection et le rassasie-
ment dont l'âme jouit après la mort. Sa mémoire lui
paraissait faible et imparfaite, et cette faiblesse, cette
imperfection le rendaient incapable de pouvoir me rete-
nir, me recevoir, me goûter avec la perfection des saints
dans le ciel.
(1) La fin de ce chapitre et le commencement du chapitre suivant ne 8C
trouvent pas dans l'édition italienne de Gigli. Nous les donnons d'après la tra-
duction latine du bienheureux Raymond de Caponfl.
TRAITÉ DE LA PRIÈRE. — CH. LXXXVI
137
5-11 lui semblait que, tant qu'il était dans son .corps
mortel, il rencontrait en toute chose une loi mauvaise
qui combattait l'esprit, non par un entraînement au pé-
ché, puisque je lui avais dit: « Paul, ma grâce te suffit»,
mais par un empêchement à la perfection de 1 espnt, qui
consiste à me voir dans mon essence. Et comme cette
vision est impossible avec la loi et la pesanteur du corps,
Paul s'écriait : « homme infortuné que je suis ! qui me
délivrera de ce corps de mort? car j'ai dans mes mem-
bres une autre loi qui combat la loi de mon esprit ».
6 - C'est la vérité ; car la mémoire est combattue par
l'imperfection du corps, l'intelligence, arrêtée par sa pe-
santeur, ne peut me voir tel que je suis dans mon es-
sence, et la volonté, enchaînée par ses liens, ne peut me
goûter sans peine, comme je te l'ai fait comprendre. Ainsi
Paul avait bien raison de dire: J'ai dans mon corps une
loi qui combat la loi de mon esprit. De même mes ser-
viteurs que je t'ai montrés parvenus au troisième et au
quatrième degré d'union parfaite avec moi, crient aussi
qu'ils désirent être délivrés et séparés des liens de leur
corps.
LXXXIV. — Des causes qui font désirer à l'àme d'être sépa-
rée de son corps.
1 — Mes fidèles serviteurs ne connaissent pas la crainte
et l'angoisse de la mort, ils la désirent au contraire.
Dans là rude guerre qu'ils ont faite à leurs corps avec
une sainte haine, ils ont perdu cette tendresse naturelle
qui unit le corps et l'àme ; ils ont vaincu et detrmt 1 a-
mour d'eux-mêmes, et ils désirent mourir par amour pour
moi. Ils disent : Qui me délivrera de ce corps de mort? Je
désire en être affranchi pour être avec le Christ. Ils di-
sent avec l'Apôtre: La mort est mon désir, mais je prends
la vie en patience. Dès que l'âme est élevée à l'union
parfaite, elle ne souhaite plus que de me contempler et de
me voir glorifié en toutes choses.
2. — (1) Quand l'àme revient à ses sens corporels, qui
avaient été absorbés en moi par l'effet de l'amour, elle
(l)Le chapitre lxxxiv commence ici dans l'édition italienne.
[38
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
supporte péniblement la vie, parce qu'elle se voit privée
de l'union qu'elle avait avec moi, et de la société désira-
ble îles Bienheureux qui me rendent sans cesse gloire:
Elle se retrouve parmi les hommes, dont elle voit les ini-
quités si nombreuses. Ce spectacle lui cause une amère
douleur et augmente son désir du me voir. La vie lui
devient insupportable.
3. _ Cependant comme sa volonté ne lui appartient plus
et qu'elle est devenue par l'amour une même chose avec
moi, elle ne peut vouloir et désirer autre chose que ce
que je veux. Elle désire venir, mais elle est contente de
nstor si je l'ordonne, et de souffrir beaucoup pour ma
gloire et pour le salut des Ames. Elle ne s'éloigne en rien
de ma volonté, mais elle court avec ardeur ; revêtue de
Jésus crucifié, elle passe par le pont de sa doctrine, eu
se glorifiant dans les opprobres et dans la peine. Plus elle
souffre, plus elle se réjouit : la multitude des tribulations
calme le désir qu'elle a de la mort, et souvent l'amour
des souffrances adoucit la peine qu'elle éprouve de n'être
pas délivrée de son corps.
4. _ Kon seulement mes serviteurs souffrent alors avec
patience comme ceux qui sont au troisième degré, mais
ils se glorifient encore de souffrir beaucoup en mon nom;
quand "ils souffrent, ils se réjouissent; et quand ils ne
souffrent pas, ils s'en affligent, parce qu'ils craignent que
je ne veuille les récompenser en cette vie, et que le sa-
crifice de leurs désirs ne me soit point agréable. Dès que
je leur envoie au contraire beaucoup d'épreuves, ils sont
heureux de se voir revêtus des peines et des opprobres
de .lésus-Christ.
5. — S'ils pouvaient être vertueux sans fatigue, ils n'y
consentiraient pas ; ils préféreraient se réjouir sur la croix
avec le Christ, et acquérir la vie éternelle par la souffran-
ce plutôt que par tout autre moyen. Pourquoi? Parce
qu'ils sont abîmés et embrasés dans ce sang où ils trou-
vent ma charité, ce feu qui sort de moi pour ravir leur
eœur, leur esprit et consumer le sacrifice de leur désir.
C'est ainsi que le regard de l'intelligence s'élève à cette con-
templation de ma divinité, où l'amour s'unit et se développe
en suivant l'entendement. Cette vue surnaturelle est une grâce
infinie que je donne à l'âme qui m'aime et me sert en vérité.
TRAITÉ DE LA PIAIÈHE. — Cil, LXXXV
139
LXXXV - Ceux qui sont arrivés à cet état unitif sont éclai-
rés dans leur intelligence par une lumière surnaturelle et
infuse de la grâce. - Il vaut mieux consulter, pour le sa-
lut de son âme, un humble qui a une conscience pure, qu un
savant qui a de l'orgueil.
i _ C'est avec cette lumière qui éclairait son intelli-
gence que me vit saint Thomas d'Aquin et qu'il acquit,
Tes clartés de la science, comme le firent saint Augustin-
saint Jérôme et mes autres saints docteurs. Ils étaient
éclairés d'en haut et comprenaient dans les ténèbres ma
vérité c'est-à-dire la Sainte Écriture qui parait obscure
parce' qu'elle n'est pas comprise, non par le défaut de
l'Écriture, mais par l'ignorance de celui qui ne la com-
prend pas. Aussi j'ai donné ces lampes pour éclairer les
aveugles et les intelligences grossières, afin que l'homme
puisse connaître la vérité dans les ténèbres.
2 _ Moi le feu qui consume le sacrifice, je les ai ra-
vis 'en leur donnant la lumière surnaturelle qui fait com-
prendre la vérité clans les ténèbres. Et alors ce qui pa-
raissait obscur est devenu évident pour les ignorants
comme pour les savants. Chacun reçoit la lumière selon
sa capacité et selon la préparation qu'il apporte a me
connaître; car je ne méprise les bonnes dispositions de
personne. . ,
3 - L'intelligence reçoit une lumière infuse par la
grâce, supérieure à la lumière naturelle, une lumière avec,
laquelle les saints docteurs et mes autres serviteurs ont
connu la lumière dans les ténèbres. Des ténèbres est ve-
nue la lumière, car l'intelligence a été formée avant 1 E-
criture; c'est de l'intelligence que vient la science, puis-
que c'est en voyant qu'elle discerne. _
4 - Avec cette lumière, les prophètes ont vu 1 avène-
ment et la mort de mon Fils ; les apôtres l'ont possédée
après la descente du Saint-Esprit; les évangéhstes, les
docteurs, les confesseurs, les vierges, les martyrs en ont
tous été' éclairés; tous l'ont reçue selon que le deman-
daient leur salut, le salut des âmes et l'enseignement de
la Sainte Écriture.
*
140
DIALOCilK DE SAINTE CATHERINE
5. — Les docteurs l'ont reçue pour expliquer la doc-
trine de ma Vérité, la prédication des Apôtres et les textes
des Évangélisles ; les martyrs, pour montrer par leur sang
la lumière de la foi, le trésor et le fruit du sang de
l'Agneau ; les vierges l'ont montrée par la chanté et la
pureté. Les obéissants ont fait briller l'obéissance du
Verbe, cette obéissance parfaite que mon Fils a embras-
sée pour courir à la mort ignominieuse de la Croix.
0. — Cette lumière est visible dans l'Ancien et dans le
Nouveau Testament. Dans l'Ancien Testament, par les
prophètes dont l'intelligence a été surnaturellement éclai-
rée par ma grâce; dans le Nouveau Testament, par la
vie évangélique révélée • au chrétien fidèle. La nouvelle
loi venait de la même lumière, car elle n'a pas détruit
l'ancienne, elle en est inséparable; elle en a seulement
ôté l'imperfection, parce qu'elle était fondée sur la crainte.
7. — Lorsque le Yerbe mon Fils vint avec la loi d'amour,
il l'accomplit en lui donnant l'amour, en étant la crainte
de la peine, et en ne lui laissant que la bonne et sainte
crainte. Aussi, mon Fils disait à ses disciples pour mon-
trer qu'il ne détruisait pas la loi : « Je ne suis pas
venu pour détruire la loi, mais l'accomplir » (S. RÎatth.,
v. 47 ). Comme s'il disait : Jusqu'à présent, la loi était
imparfaite ; mais avec mon sang je la rendrai parfaite et
je l'accomplirai en ce qui lui manque, parce que j'ôterai
la crainte de la peine; je l'établirai sur l'amour et sur
la crainte sainte et filiale.
8. — Comment la Vérité est-elle connue? Par la lumière
surnaturelle qui est donnée à qui veut la recevoir de ma
grâce. Toute lumière qui .sort de la sainte Écriture, sort
de cette lumière. Les ignorants, orgueilleux de leur scien-
ce, s'aveuglent dans la lumière, parce que leur orgueil et
les nuages de l'amour-propre en couvrent et en cachent
la clarté. Ils comprennent la lettre et l'apparence de
l'Écriture plus qu'ils n'en saisissent le sens ; ils goûtent
la lettre en consultant beaucoup de livres, mais ils ne
goûtent pas la moelle de l'Écriture, parce qu'ils sont pri-
vés de la lumière avec laquelle l'Écriture a été formée et
présentée.
9. — Ceux-là s'étonnent et murmurent quand ils voient
des gens sans instruction plus éclairés sur la vérité que
m*w
TRAITÉ DE LA PRIÈRE. — Cil. LXXXVI
141
ceux qui ont longtemps étudié. Ce n'est pas surprenant,
puisqu'ils possèdent la cause de la lumière d'où vient la
science; mais, parce que les superbes ont perdu la lu-
mière, ils ne voient pas et ne connaissent pas ma bonté
et la lumière de la grâce répandue sur mes serviteurs.
10 - Aussi je te dis qu'il vaut mieux prendre pour le
conseiller de son âme une personne humble qui a une
conscience droite et pure, qu'un savant orgueilleux qui a
beaucoup étudié. Car on ne peut donner que ce qu'on a
soi-même. Une vie de ténèbres change souvent en ténè-
bres pour les autres la lumière des Saintes Ecritures. Tu
trouveras le contraire dans mes serviteurs parce que la
lumière qu'ils ont en eux, ils la présentent avec l'ardent
désir du salut des âmes.
11 — Je te dis cela, ma très douce fille, pour te faire
con naître la perfection de l'état unitif, où l'intelligence est
ravie par le feu de ma charité qui donne la lumière sur-
naturelle. L'âme m'aime avec cette lumière, parce que
l'amour suit l'intelligence ; plus elle connaît, plus elle aime,
et plus elle aime, plus elle connaît. L'intelligence et l'a-
" mour se nourrissent réciproquement.
12. — C'est par cette lumière que l'âme isolée du corps
parvient à mon éternelle vision, où elle me goûte en vé-
rité comme je te l'ai dit en t'expliquant le bonheur que
l'âme reçoit en moi. C'est l'état le plus élevé où l'âme
dans sa vie mortelle puisse goûter la vie des Bienheu-
reux. Souvent son union est si grande, qu'elle sait à peine
si elle est avec son corps ou sans son corps. Elle a un
avant-goût de la vie éternelle, parce qu'elle m'est étroite-
ment unie, et que sa volonté est morte en elle : c'est cette
mort qui l'unit à moi, et il n'y a pas d'autre moyen de
s'unir à moi parfaitement. L'âme goûte la vie éternelle des
qu'elle est délivrée de l'enfer de sa volonté propre. L'hom-
me souffre comme un damné quand il obéit à sa volonté
•sensitive.
LXXXVI. — Résumé de ce qui précède. — Dieu invite l'àme
à prier pour toute créature et pour la sainte Église.
1. — Tu as vu avec ton intelligence et tu a entendus
•1 '.'2
DIALOGCE DE SAINTE CATHERINE
avec ton cœur, comment tu devais profiter pour toi et
pour ton prochain de la doctrine et de la connaissance
de ma Vérité. Je te l'ai dit en commençant, tu dois arri-
ver à la connaissance de la vérité par la connaissance dé
toi-même ; mais cette connaissance de toi-même doit être
jointe et unie à la connaissance do moi-même en toi.
C'est ce qui te donnera l'humilité, la haine, le mépris per-
sonnel et le feu de la charité que tu trouveras dans ma
connaissance; tu parviendras ainsi à l'amour du prochain,
en lui étant utile par la doctrine et les exemples d'une
vie sainte.
2. — .le t'ai montré un pont et les trois degrés qui re-
présentent les trois puissances de l'àme. Personne ne peut
avoir la vie de la grâce s'il ne monte ces trois degrés,
c'est-à-dire, s'il ne réunit toutes ses puissances en mon
nom. Je t'ai montré plus parfaitement ces trois degrés de
l'àme figurés sur le corps de mon Fils unique, dont je
fais un moyen de vous élever, en parvenant à ses pieds
percés, à l'ouverture de son côté, et à sa bouche où l'âme
goûte la paix et le repos.
3. — Je t'ai fait connaître l'imperfection de la crainte
servile, et l'imperfection de l'amour de ceux qui m'aiment
à cause de la douceur qu'ils trouvent en moi. Tu as vu
la perfection du troisième degré, celle de ceux qui sont
arrivés à la paix de la bouche, après avoir couru avec
un ardent désir sur le pont de Jésus crucifié et avoir
monté les trois degrés principaux, en unissant les puis-
sances de leur âme et toutes leurs opérations en mon nom,
comme je te l'ai clairement expliqué. Tu les as vus, après
avoir franchi les trois degrés particuliers, passer de l'état
imparfait à l'état parfait dans lequel ils courent en vé-
rité.
4. — Je t'ai fait goûter la perfection de l'àme et les par-
fums de ses vertus. Je t'ai montré aussi les pièges où elle
peut tomber avant d'arriver à la perfection, si elle na
s'applique pas toujours à se connaître et à me connaître
Je t'ai montré le malheur de ceux qui se noient dans le
fleuve, en ne passant pas par le pont de la doctrine de
ma Vérité, que je vous ai donné pour que vous ne pé-
rissiez pas ; mais les insensés ont préféré se noyer dans
les misères et la fange du inonde.
TRAITÉ DE LA PHÏÈBE. — CH. LXXXVII
143
5 -Je t'ai montré ces choses pour augmenter en toi le
feu' des saints désirs et la douleur de la perte des âmes,
afin que la douleur et l'amour te poussent à me faire vio-
lenceVr les larmes, les sueurs, les humbles et con£
nuelles prières que tu m'offriras avec ^™™£V»M
pour que beaucoup d'autres qui me servent m entende
et pour qu'enflammés de ma charité, vous m imploriez tous
et vous me forciez à faire miséricorde au monde et au
corps mystique de la sainte Eglise pour lequel tu mas
tant j>ne. ^ ^_^ ^ ^ ^ ^ ^^^ d > e * aucer vos
saints désirs et de récompenser vos peines. Je reformerai
la sainte Église en lui donnant de bons et saints pasteurs.
Ce ne sera pas avec la guerre, le glaive et la cruauté,
mais avec la paix, le calme, les larmes et les sueurs de
mes amis ; je vous ai envoyés travailler à vos âmes et a
celles du prochain, dans le corps mystique de la sainte
Église, en agissant par la vertu, l'exemple et la doctnne,
en m'offrant de continuelles prières pour le salut des
hommes, et eu produisant des vertus dans le prochain. Car
je veux que vous soyez utiles à votre prochain, cest le
moyen véritable de faire fructifier votre vigne.
7 - Ne cessez jamais de faire monter vers moi le bon
encens, de vos prières pour le salut des âmes, parce que je
veux faire miséricorde au monde. Je laverai avec vos
prières vos sueurs et vos larmes, la face de mon épouse,
la sainte Église, que je t'ai montrée sous la forme d'une
femme dont le visage est sali et pour ainsi dire couvert
de lèpre, parce que les ministres de la religion et tous
les chrétiens l'ont souillée de leurs fautes, comme je te
l'expliquerai bientôt.
LXXXVII. -L'âme demande à Dieu de vouloir bien lui faire
connaître les différentes sortes de larmes.
1. — Alors cette âme tourmentée d'un immense désir, et
tout enivrée de son union avec Dieu et de ce qu'elle avait
entendu de la Vérité suprême, se désolait de l'aveuglement
des créatures qui méconnaissaient leur bienfaiteur et l'ar-
deur de la charité divine. Elle se réjouissait cependant de
144
DIALOGUE DE SAINTE CATHEMNE
l'espérance que Dieu lui avait donnée, en lui enseignant ce
qu'elle devait faire avec ses autres serviteurs, pour obtenir
sa miséricorde au monde. Elle fixa le regard de son intelli-
gence dans la douce Vérité à laquelle elle était unie, parce
qu'elle voulait savoir quelque chose des états de l'Ame dont
Dieu lui avait parlé. Et comme elle voyait que l'aine pas3e
à cesétats parles larmes, elle désirait apprendre de la Vérité
la différence des larmes, ce qu'elles sont, d'où elles viennent
et les fruits qu'elles produisent.
2. — La vérité ne pouvant être connue et comprise que
par la Vérité même, elle s'adressait à la Vérité, où rien ne
s'aperçoit que par l'intelligence. Celui qui veut la connaî-
tre doit s'élever vers elle par l'ardeur du désir, en ouvrant
l'œil de son intelligence par la lumière de la foi, en fixant
son regard sur la Vérité. Quand donc cette âme eut connu
qu'elle ne s'était pas écartée de la doctrine que Dieu, la Vé-
rité même, lui avait enseignée, et qu'il n'y avait pas d'autres
moyens de connaître ce qu'elle voula.t savoir des différentes
larmes et de leurs fruits, elle s'éleva au dessus d'elle-même
par un effort extraordinaire de son désir, et à la lumière
d'une foi vive, elle fixait son regard dans la Vérité éternelle
où elle vit et connut la vérité de ce qu'elle demandait.
Dieu se manifestait à elle, et. sa bonté condescendait à son
ardent désir et accueillait favorablement sa demande.
LXXXVIII. — Des larmes qui se rapportent aux différents
états de l'âme.
1. — La Vérité suprême lui disait doucement : Ma très dou-
ce et très chère fille, tu me demandes de rapprendre les
causes des larmes et leurs résultats; je veux satisfaire ton
désir. Ouvre donc l'œil de ton intelligence, et je te montre-
rai par les trois états de l'ame les larmes imparfaites qui
viennent de la crainte. Mais avant je t'expliquerai celles que
répandent les hommes coupables du monde: ce sont des lar-
mes de damnation. Les secondes larmes sont cellesde la crain-
te, celles de ceux qui fuient le péché pour éviter le châti-
ment et qui pleurent par crainte. Les troisièmes sont celles de
ceux qui, purifiés du péché, pleurent avec douceur en com-
mençant à me goûter et à me servir. Mais, parce que leur
TRAITÉ DE LA PRIEBE.
CH. I.XXXIX
-145
amour est imparfait, leurs larmes sont encore imparfaites.
Les quatrièmes sont celles de ceux qui sont arrivés à la per-
fection de la charité du prochain, en m'aimant sans intérêt
' pour eux-mêmes. Ceux-là pleurent, et leurs larmes sont
parfaites. Les cinquièmes sont mêlées aux quatrièmes; ces
larmes sont, d'une douceur extrême, et il y a un grand char-
me à les répandre, comme je te le dirai bientôt.
2. — Je te parlerai aussi des larmes de feu, que l'œil ne
verse pas, parce que ce sont celles de ceux qui voudraient
pleurer et ne le peuvent pas. L'àme passe par ces différentes
larmes en quittant la crainte et l'amour imparfait pour arri-
ver à la charité parfaite de l'état unitif. Je vais t'explique! 1
toutes ces larmes.
LXXXIX. — Des différentes sortes de larmes.
\ ; _ Apprends, ma fille, que toute larme vient du cœur,
car aucune partie du corps ne correspond si parfaitement
<iue l'œil aux affections du cœur. Si le cœur souffre, l'œil le
fait paraître. Si sa douleur est sensuelle, les larmes le sont
aussi et engendrent la mort, parce qu'elles procèdent d'un
amour déréglé qui m'offense et qui e mpoisonne la douleur
•et les larmes. Cette douleur et ces larmes sont plus ou moins
coupables, selon la mesure de l'amour déréglé,ceux qui pleu-
rent ainsi répandent les larmes de mort dont je t'ai parlé.
2. — Voici maintenant les larmes qui commencent à don-
ner la vie: ce sont les larmes de ceux qui à la vue de leurs
fautes commencent à pleurer par crainte du châtiment. Ces
larmes sont humaines et sensibles, parce que l'âme n'a pas
encore la haine parfaite de sa faute, à cause de l'offense qu'elle
m'afaite; sa douleur vient de la peine qui suit le péché com-
mis, et l'œil pleure parce qu'il obéit au mouvement du cœur.
3. — Lorsque l'âme s'exerce à la vertu, elle commence à
perdre la crainte, parce qu'elle connaît que la seule crainte
«e suffit pas pour donner la vie éternelle, comme je te l'ai
expliqué dans le second état de l'âme. Alors elle s'élève
avec amour à la connaissance d'elle-même et de ma bonté
pour elle, et elle commence àespérer de ma miséricorde dans
laquelle se réjouit son cœur. La douleur de sa faute se mêle
à la joie de l'espérance dans ma miséricorde, etl'œil commen-
ce à verser des larmes qui viennent de la source du cœur.
Dialogue de S. Cath. de S. — 10.
1 16
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE.
4. — Mais, parce que l'àme n'est pas parvenue à la véri-
table perfection, souvent ces larmes sont encore Sensuelles,
Et si tu me demandes pourquoi, je te répondrai: Parce qne
la racine de l'amour-propre n'est pas détruite : .le ne parle
pas de l'amour-propre sensitif, car il est vaincu, mais de L'a-
mour-propre spirituel,, qui fait désirer à l'âme les consola-
tions qui viennent de moi ou de quelque créature qu'elle
aime d'une affection spirituelle.
5. — Lorsqu'elle est privée de ces consolations intérieures
ou extérieures, intérieures si elles viennent de moi, ou exté-
rieures si elles viennent des créatures, lorsqu'elle est éprou-
vée par les tentations du démon et par les persécutions des
hommes, son cœur souffre, et aussitôt l'œil ressent sa dou-
leur et commence à répandre des larmes personnelles qui
viennent de la tendresse que l'àme a pour elle-même, parce
que sa volonté propre n'est pas encore entièrement foulée
aux pieds et détruite. Ces larmes sont sensuelles, car elles
procèdent d'une passion spirituelle dont je t'ai montré l'im-
perfection.
6 — Mais si l'àme, en augmentant la connaissance d elle-
même, se méprise et se hait parfaitement; si elle acquiert
ainsi une vraie connaissance de ma bonté et un ardent
amour, elle commence à unir et conformer sa volonté à la
mienne, et à ressentir intérieurement la joie de la compas-
sion, la'joie de l'amour et la compassion du prochain, com-
me je te l'ai dit en parlant du troisième état. Aussitôt l'œil
qui veut satisfaire le cœur verse des larmes excitées par ma
charité et par l'amour du prochain. L'àme pleure sur l'offen-
se qui m'est faite, et sur le malheur du prochain, sans pen-
ser à la peine qu'elle peut en recevoir elle-même, parce
qu'elle s'oublie pour ne penser qu'à rendre gloire à mon
nom; et dans l'ardeur de son désir elle se rassasie à la ta-
ble de la sainte Croix, en imitant l'humilité, la patience de
l'Agneau sans tache, mon Fils unique, dont j'ai fait un pont
pour les hommes.
7 — Lorsque l'àme a passé sur ce pont, en suivant la doc-
trine de ma Vérité et l'exemple de mon Verbe, elle souffre
avec une sincère patience les épreuves et les afflictions que
je permets pour son salut; non seulement elle les supporte
avec patience, mais encore avec joie et empressement. Elle
trouve que c'est une gloire d'être persécutée pour mon nom,
TRAITÉ DE LA PRIERE.
CH. LXXXIX
147
selon ma volonté et non selon la sienne. Elle est con-
tente, pourvu qu'elle souffre, et elle goûte une consolation
et une paix qu'aucune langue n'est capable d'exprimer.
8. — En suivant ainsi la doctrine de mon Fils, elle fixe son
intelligence en moi, la Vérité suprême ; en me voyant elle
me connaît, en me connaissant elle m'aime. L'amour suit
l'intelligence et savoure ma divinité qu'elle connaît et qu'elle
voit dans la nature divine unie à votre humanité. Elle se re-
pose en moi, l'océan de la paix, et son cœur m'est uni par
les liens de l'amour, comme je l'ai dit dans le quatrième état
unitif. Le sentiment de ma divinité fait verser aux yeux de
douces larmes qui sont un lait pur dont l'âme se nourrit
dans la patience. Ces larmes sont un baume précieux qui ré-
pand un parfum d'une extrême suavité.
9. — ma fille bien-aimée ! quelle gloire pour cette âme
qui a réellement su passer de la mer orageuse du monde à
moi, l'ccéan de la paix, pour y remplir le vase de son cœur
dans les abîmes de ma divinité! L'œil, qui est le canal du
cœur, en reçoit les larmes et les répand avec abondance.
C'est le dernier état, où l'âme est heureuse et affligée : heu-
reuse par l'union quelle éprouve en moi, et par l'amour di-
vin qu'elle goûte ; affligée par l'offense qu'elle voit faire à
ma bonté, à ma grandeur qu'elle a vue et goûtée dans la
connaissance d'elle-même. C'est par cette connaissance et
par la mienne qu'elle arrive à ce dernier état.
10. — Cet état unitif n'empêche pas qu'elle ne répande
des larmes d'une extrême douceur, que lui causent la con-
naissance d'elle-même et la charité du prochain. Elle pleure
d'amour pour ma divine miséricorde, et de douleur pour
l'offense du prochain ; elle pleure avec ceux qui pleurent, et
se réjouit avec ceux qui se réjouissent. L'âme se réjouit avec
ceux qui vivent dans la charité, parce qu'elle me voit ren-
dre grâce et honneur par mes serviteurs.
11. — Les secondes larmes n'empêchent pas les derniè-
res, c'est-à-dire celles du second état d'union. Les unes con-
duisent aux autres. Si les dernières larmes, où l'âme a trou-
vé une si grande union, n'étaient pas venues des secondes,
c'est-à-dire du troisième état de la charité du prochain,
elles ne seraient pas parfaites. Il faut qu'elles viennent les
unes des autres : sans cela la présomption serait à craindre ;
le vent perfide de la propre estime pourrait faire tomber
148
DIALOGUE RE SAINTE CATHERINE
l'âme des hauteurs de la vertu jusqu'aux abîmes «les pre-
mières chutes.
12. — Il faut soutenir et entretenir la charité du prochain
par la vraie connaissance de soi-même. Ainsi s'alimentera
le feu de ma charité dans l'àme, pare.- que la charité do
prochain vient de ma charité, c'est-à dire de cette connais-
sance que l'âme a d'elle et de ma bonté en elle. Elle voit
un amour ineffable envers elle, et du même amour dont
elle se voit aimée, elle aime toute créature raisonnable.
C'est pour cela que l'âme, aussitôt qu'elle me connaît, aime 3
le prochain, et elle aime, avec ardeur ce qu'elle voit que
j'aime le plus.
13. — Elle comprend qu'elle ne peut m'ètre utile person-
nellement et me rendre ce pur amour que je lui porte ;
alors elle s'applique à me rendre cet amour par le moyen
que je lui ai donné, e'est-â-dire par le prochain. C'est le
moyen dont vous devez profiter ; car, comme je te l'ai dit,
toute vertu s'accomplit par le moyen du prochain, en agis- fl
sant envers lui en général et en particulier, selon les grâ-
ces de la vocation que je vous donne.
14. —Vous devez aimer du même amour pur dont je vous
aime. Vous ne le pouvez faire à mon égard, parce que
je vous ai aimés sans être aimé et sans aucun intérêt,
car je vous ai aimés avant même votre existence. L'amour
m'a porté à vous créer à mon image et ressemblance. Vous -
ne pouvez me rendre cet amour gratuit, mais vous devez
le rendre aux créatures raisonnables; vous devez les ai-
mer sans en être aimés et sans songer à aucun intérêt
spirituel ou temporel. Vous devez les aimer uniquement
pour l'honneur et la gloire de mon nom, parce que je les
aime: et ainsi vous accomplirez le commandement delà
loi qui est de m'aimer par dessus toute chose et d'aimer
le prochain comme vous-mêmes.
15. — Il est vrai qu'on ne peut arriver à cette hau-
teur que par le second degré de l'union ; et, quand on y
est parvenu, on ne peut le conserver, si on s'éloigne de
cet amour qui conduit aux secondes larmes. Il est impos-
sible d'accomplir ma loi sans celle qui regarde le prochain.
Ce sont les deux pieds de l'affection qui fout observer
les commandements et les conseils que vous a donnés
ma Vérité, Jésus crucifié. Ces deux états, qui n'en font
H
TRAITÉ DE LA PRIÈRE.
CH. CX
149
qu'un, nourrissent l'âme dans la vertu, en augmentant sa
perfection et son état d'union. L'âme ne change pas d'état
quand elle est parvenue à ce degré ; mais à ce degré aug-
mente la richesse de la grâce par de nouveaux dons et
d'admirables extases, avec une connaissance de la Vérité
qui semble être du ciel plus que de la terre, parce que le
sentiment de sa propre sensualité est vaincu, et que sa
volonté est morte par l'union qu'elle a avec moi.
16. — Oh ! combien cette union est douce pour l'âme
qui en jouit et qui voit ainsi mes secrets ! Souvent l'es-
prit de prophétie lui fait connaître les choses futures ;
c'est un don de ma bonté, que l'âme humble ne doit, pas
demander, parce qu'elle doit fuir, non pas les effets de
ma charité, mais le désir des consolations. Pour entrete-
nir sa vertu, elle se reconnaît indigne do la paix et du
repos ; elle ne s'arrête pas au second état, mais elle des-
cend dans la vallée de la connaissance de sa faiblesse.
17. --Ma grâce lui accorde cette lumière pour qu'elle
grandisse. Car l'âme n'est jamais si parfaite en cette vie,
qu'elle ne puisse arriver â une plus grande perfection
d'amour. Il n'y a que mon Fils bien-aimé, votre Chef, qui
ne pouvait pas croître en perfection, parce qu'il était une
même chose avec moi et moi avec lui. Son âme était
bienheureuse par l'union de sa nature divine. Mais vous
qui êtes ses membres, voua pouvez, pendant votre pèle-
rinage, croître toujours en perfection ; vous ne pouvez,
cependant arriver à un autre état que celui dont je
vous ai parlé ; vous êtes arrivés au dernier, mais vous
pourrez toujours y croître dans la perfection, autant que
vous le désirerez, avec le secours de ma grâce.
XC. — Résumé du chapitre précédent. — Le démon fuit
ceux qui sont arrivés aux cinquièmes larmes. — Les atta-
ques du démon sont la voie véritable pour parvenir
à cet état.
1.— Tu as vu maintenant toutes les larmes et leur
différence, parce qu'il a plu â ma Vérité de satisfaire
ton désir. Les premières viennent de ceux qui sont dans
un état de mort et de péché mortel. Tu as vu que la
150
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
"douleur procède généralement du cceur, et comme lé
principe du sentiment qui cause les larmes est corrompu,
cette douleur est corrompue et misérable, et toutes leurs
oeuvres sont mauvaises. Dans le second état se trouvent
ceux qui commencent à connaître leur malheur par le
châtiment qui doit suivre la faute. C'est là un premier mou-
vement que ma bonté donne aux faibles et aux aveugles qui
se noient dans le fleuve, en méprisant la doctrine de mon
Fils. Mais il en est un très grand nombre qui connaissent
leur malheur sans crainte servile du châtiment et qui res-
sentant aussitôt une grande haine d'eux-mêmes ; à causa
de cette haine ils se reconnaissent dignes de toutessortes de
peines.
2. — Plusieurs s'appliquent en toute simplicité à me
servir et à se repentir de l'offense qu'ils ont faite à leur
Créateur. Il est vrai que celui qui a une grande haine de
lui-même est plus apte que tout autre à parvenir à la per-
fection ; tous y arrivent en s'exerçant à la vertu, mais
celui-là y arrive le premier. Celui qui avance avec une
grande haine de lui même doit prendre garde de rester
dans la crainte servile ; celui qui marche plus simple-
ment doit prendre garde de s'engourdir dans la tiédeur :
cette route cependant est la vocation la plus commune.
3. — Dans le troisième et. le quatrième état se trouvent
ceux qui ont quitté la crainte, pour arriver à l'amour et à
l'espérance; ils goûtent ma divine miséricorde, et reçoive*
de moi des faveurs et des consolations abondantes, leurs
yeux pleurent d'abord pour satisfaire le sentiment de leur
cœur, mais comme ce sentiment est encore imparfait et
mélangé de regrets spirituels, en s'exerçant à la vertu, ils
arrivent au degré où l'âme, augmentant son désir, s'unit et
se conforme tellement à ma volonté, qu'elle ne peut vou-
loir et désirer que ce que je veux. Elle trouve alors en elle
des pleurs d'amour et de douleur pour l'offense et le mal-
heur du prochain. Cet état est inséparable de la perfection
où l'âme s'unit dans la vérité, et augmente l'ardeur du saint
désir.
4 - Le démon fuit ce saint désir et ne peut ébranler
l'âme, ni par l'injure qui lui est faite parce qu'elle est de-
venue patiente dans la charité du prochain, ni par les COj
solations spirituelles ou temporelles parce que la haine
TRAITÉ DE LA PRIÈRE. — CH. XC
151
d'elle-même, son humilité sincère lui font tout mépriser.
n est v ai que de son côté le démon ne dort jamais : fl vous
Sonne en cela des leçons, lorsque par votre négligence vou
perdez à dormir le temps dont vous pourriez profite^ Mais
sa vigilance ne peut nuire à cette âme, parce qui ne peut
supporter l'ardeur de sa charité, ni l'odeur de l'union qu elle
a contractée avec moi, l'océan de la paix.
5. -L'âme ne peut être trompée tant qu'elle est unie a
moi ; le démon s'en éloigne, comme la mouche u ^va-
peur d'un vase qui bout sur le feu ; s. le vase était tiède, la
moliehe nele craindrait pas; elle s'y -f^^
souvent elle y périsse, en y trouvant plus de ohàtonrq? elle
ne croyait. Il en arrive de même pour l'ame qui n est pas
encore parvenue à l'état parfait : le démon, parce qu ,1 la
roit tièSe, s'y présente avec beaucoup de tentations mais
il y trouve une connaissance de soi-même, une ferveur et
une horreur des fautes qui lui résistent et fixent a vo on e
dans les liens de la haine du péché et de lamoui de la
Ve 6 l - Oue l'âme se réjouisse quand elle éprouve ces ten-
tations, car c'est là le chemin pour arriver à ce doux et
glorieux degré. Je te l'ai dit, vous arrivez à la perfection
èar la connaissance et la haine de vous-mêmes,^ et. par
la connaissance de ma bonté. Jamais l'ame ne se connaît
aussi parfaitement, si je suis en elle, qu'au moment de
ces combats : elle se connaît en se voyant dans des com-
bats qu'elle ne peut éviter malgré sa volonté; elle peut
seulement y résister en refusant toujours son consentement
mais pas autrement. Elle peut alors comprendre quelle
n'est pas; car si -elle était quelque chose par elle-même,
elle se délivrerait de ces tentations qui lui répugnent.
7 -Elle s'humilie ainsi dans la connaissance d elle-même,
et avec la lumière de la sainte foi elle court vers moi
l'Éternel, dont la bonté conserve sa volonté dans la droi-
ture et la justice, si elle ne consent pas, pendant le com-
bat, à obéir à ces misères qui la tourmentent. Vous avez
donc bien raison de vous fortifier dans la doctrine du doux
et tendre Verbe, mon Fils unique, lorsque l'adversité et
les tentations des hommes et du démon vous éprouvent
car ce sont des moyens pour augmenter la vertu et par-
venir à la perfection.
±-#rà»fc*i
152
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
XCI. — Ceux qui désirent pleurer et ne le peuvent pas, ont
des larmes de feu. — Pour quelle raison Dieu retire les lar-
mes corporelles.
■^H
■
4. _j c fai parlé des larmes parfaites et imparfaites,
toutes sortent du cœur comme d'un vase, qu'elle qu'en
soit la raison : aussi peut-on les appeler toutes des larmes
du cœur. Leur différence vient de l'amour réglé ou déré-
glé, parfait ou imparfait, comme je te l'ai dit : il me reste
maintenant à te parler, pour satisfaire ton désir, de ceux,
qui souhaitent la perfection des larmes et semblent ne
pouvoir l'atteindre.
2. — Y a-t-il une autre manière de pleurer? Oui, car il
y a des larmes de feu, c'est-à-dire les larmes d'un vrai et
saint désir, les larmes de ceux qui se consument d'amour
et qui voudraient perdre la vie dans la douleur, par haine
pour eux-mêmes, par zèle pour le salut des aines; et il
semble qu'ils ne peuvent y réussir. Je te dis que ceux-
là ont des larmes de feu, par lesquelles le Saint-Esprit
pleure devant moi, pour eux et pour le prochain. Ma di-
vine charité embrase de ses flammes cette âme, qui m'offre
ses ardents désirs sans pouvoir pleurer.
3. —Ces larmes sont des larmes de feu, et c'est pour cela
que je te dis que le Saint-Esprit pleure dans cette âme.
Au lieu des larmes qu'elle ne peut répandre, elle offre le
désir, la volonté qu'elle a de pleurer par amour pour moi.
Lorsque mes serviteurs exhalent le parfum des saints dé-
sirs, et offrent en ma présence d'humbles et continuelles
prières, l'Esprit Saint gémit en eux. C'est ce que mort
glorieux apôtre saint Paul voulait exprimer lorsqu'il disait
que l'Esprit Saint me sollicite pour vous par des gémis-
sements inénarrables (Rom., VIII, 2(3).
4. _ Tu vois donc que ces larmes de feu ne sont pas
moins efficaces que les larmes qui coulent des yeux. Sou-
vent même elles valent davantage, selon la mesure dr-
l'amour. L'âme ne doit donc pas se troubler et se croire
privée de moi parce qu'elle désire les larmes et qu'elle ne
peut en répandre comme elle le voudrait. Elle doit les
désirer en conformant sa volonté à la mienne, et s'humilie*
TRAITÉ DÉ LA PRIÈRE. — CH. XCII
153
toujours, qu'elle les obtienne ou qu'elle ne les obtienne
uas selon qu'il plaît à ma bonté divine.
*5 - Quelquefois je n'accorde pas les larmes du corps
pour que l'âme persévère dans l'humilité, la prière et e
Sïir de me goûter; car si elle recevait de moi ce quelle
Te demande elle n'en retirerait pas l'utilité qu'elle en ^at-
tend mais elle serait eontente de posséder ce quellede-
ÏÏ^'et ralentirait son ardeur. Pour soutenir e. , augrn^r
sa vertu, je la prive des larmes des yeux; je lui donne
des larmes du cœur tout embrasées du feu de ma divine
charité. Je suis le médecin, et vous êtes les malades é
donne à tous ce qui est nécessaire a votre salut et à la
nerfection de vos âmes.
6 - Ceci est la vérité et l'explication des différentes sortes
de 'larmes que tu m'as demandée, ma fille ^en-année
Baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié, dans le sang de
l'humble Agneau sans tache, et avance toujours dans la
vertu, afin d'augmenter en toi le feu de ma divine chant,.
XCII. -Dieu veut être servi comme l'Être infini, et non com-
me une chose finie.
\ - Ces cinq états sont comme cinq canaux principaux
dont quatre versent une abondance et une variété de
larmes infinies, qui toutes donnent la vie s. elles sont
appliquées à la vertu. Vous n'êtes pas infinis dans votre
douleur, mais vos larmes sont infinies par le désir infini
*2 -Tu sais maintenant que toute larme procède du cœur,
c'est le cœur qui donne les larmes aux yeux lorsque 1 ar-
deur du désir les y fait naître. Quand le bois vert est dans
le feu la force de la chaleur le fait pleurer, parce qu il est
vert; s'il était sec il ne pleurerait pas. De môme le cœur
reverdit par l'action de la grâce, et perd la sécheresse de
l'amour-propre qui dessèche l'âme; ce cœur renouvelé
trouve des larmes dans le feu des saints désirs, et, parce
que le désir ne finit jamais, il ne peut être rassasie en cette
VÎ6
3 - Plus l'âme aime, moins il lui semble aimer. Aussi
excite-t-elle sans cesse le saint désir, qui est fonde sur la
'•-eS
154
liIAUxil-K I)K SAINTE C.ATHEMNK
charité et (jui lui l'ait répandre des larmes. Mais dès que
l'ame est séparée du corps et qu'elle est arrivée à moi, sa
fin, elle n'ahaïulonne plus le désir qui la porte vers moi
et vers la charité du prochain; car la charité est outrée
dans le ciel comme une reine, avec le fruit de toutes les
autres vertus.
4. — Il est vrai que la peine du désir est finie, mais le
désir dure toujours. L'àme me désire, niais elle me pos-
sède en vérité, sans aucune crainte de perdre ce qu'elle a si
longtemps désiré, etdecette manièreelle se nourrit de sa faim,
elle a faim et elle est rassasiée; elle est rassasiée et elle
a faim, sans jamais connaître le dégoût de la satiété, ni
la douleur de la faim, parce que sa béatitude est parfaite.
5. — Ainsi votre désir est infini. Aucune vertu ne pour-
rait vous mériter la vie éternelle, si vous me serviez d'une
manière finie; car moi, le Dieu infini, je veux être ser-
vi par vous d'une manière infinie, et vous n'avez d'infini
que le désir et l'élan de votre Ame. Aussi je disais que.
vous aviez une variété de larmes infinies, et c'est la vérité,
à cause du désir infini qui se mêle à vos larmes.
6. — Aussitôt que l'àme est séparée du corps, les lar-
mes des yeux lui sont étrangères; mais l'ardeur de la
charité attire le fruit des larmes qu'elle a consumées, com-
me l'eau est absorbée par une fournaise : l'eau ne reste
pas dehors, mais la chaleur du l'eu l'attire et la détruit.
De même, l'àme qui est parvenue à goûter le feu de ma
charité divine, et qui a quitté la vie avec l'ardeur de ma
charité et de la charité du prochain dans l'amour iinitit'
qui lui faisait répandre des larmes, ne cesse jamais île
m'offrir ses saints désirs, toujours pleins de bonheur et de
larmes.
7. — Ces larmes ne sont pas pénibles comme celles qui
l'œil répand et que le feu a consumées, mais ce sont les
larmes de feu du Saint-Esprit. Tu vois donc que ces larmes
sont infinies, et dans cette vie même, la langue ne peut
suffire à raconter la variété de celles qui coulent en cet
état. Je t'ai expliqué la différence des quatre états des lar-
mes, il me reste à te dire le fruit des larmes du désir et
ce qu'il produit dans l'àme (1).
(1) Dans l'édition de Gigli, cette dernière phrase commence le chapitre sui-
vant. La traduction latine nous semble préférable.
TRAITÉ DE LA PRIÈRE. — CH. XCIII
XCIII. - Du fruit des larmes que répandent les hommes du
monde.
i - Je commencerai d'abord par les premières larmes
dont je t'ai parlé, c'est-à-dire par celles que répandent les
Malheureux qui vivent dans le monde, et qui ton tlem
Dieu des choses créées et de leur propre sensual te, * ^
entraîne la ruine de leur àme et de leur corp s Je te d. a
que toute larme procède du cœur, et c'est la vente, car
S cœur souffre autant qu'il aime. Les hommes du monde
pleurent quand leur cœur souffre, c'est-à-dire quand il est
nrivé de ce qu'il aime. .
2 : - Us ont bien des sortes de larmes. Sais-tu combien 3
Autant qu'ils ont de sortes d'amour. Et parce que la racine
est corrompue par l'amour-propre sensuel, tout ce qui en
sort est corrompu: c'est un arbre qui na que des ; fruits
de mort, des fleurs infectes, des feuilles souillées, des ra-
meaux qui traînent à terre et qu'agitent tous les vents.
Tel est l'arbre de l'âme. Vous êtes tous des arbres d'amour,
et sans l'amour vous ne pouvez vivre; car vous avez été
its par moi, par amour. L'à.ne qui vit saintement p Urne
la racine de son arbre dans la vallée de l'humilité vérita-
ble; mais celle qui vit misérablement l'enterre dans la
montagne de l'orgueil, et, parce que l'arbre est mal plante
il ne produit pas des fruits de vie, mais des fruits de
"'s' 1 - ces fruits sont leurs œuvres, qui sont toutes em-
poisonnées par le péché, et si parfois ils font que que
bien, comme la racine est gâtée, ce qui en sort 1 est aussi.
L'âme qui est en péché mortel ne peut faire aucune chose
méritoire pour la vie éternelle, puisqu elle n est pas en
état de grâce. Elle ne doit pas cependant abandonner les
bonnes œuvres, parce que tout bien est récompense et
toute faute punie. Le bien fait en dehors de la grâce ne
sert pas à la vie éternelle, mais ma bonté et ma justice
divine donnent une récompense imparfaite comme 1 œuvre
imparfaite que l'âme me présente.
4 - Quelquefois je la récompense par des biens tempo-
' rels ; quelquefois je lui accorde, comme je te lai dit, du
I
n
"..M
£«•>-;
150
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
temps pour qu'elle puisse se corriger. D'autres fois je lui
donne la vie de la grâce par le moyen de mes serviteurs
que j'aime et que j'écoute. Ainsi l'ai-je fait pour mon glo-
rieux apôtre saint Paul, qui, par la prière de saint Etienne,
cessa d'être infidèle et de persécuter les chrétiens. Dans
quelque état que l'homme se trouve, il ne doit jamais
cesser de bien faire.
5. — Je t'ai dit que les fleurs de cet arbre étaient corrom-
pues, et c'est la vérité. Ces fleurs sont les pensées infeeteâ
du cœur qui m'offense et qui déteste le prochain ; l'homme,
comme un voleur, dérobe mon honneur pour se le donner
à lui-même. Ses fleurs répandent l'infection des faux ju-
gements de deux manières. D'abord l'homme me juge
faussement en jugeant mal mes jugements secrets et mes
mystères; il reçoit avec haine ce que j'ai l'ait par amour ;
il voit le mensonge où j'ai mis la vérité, et la mort où
j'ai placé la vie. Il juge et condamne d'après sa faiblesse
et son ignorance. Parce qu'il a obscurci l'œil de l'intelli-
gence recouvert la pupille de la sainte foi avec l'amour-
propre sensuel, il ne peut plus voir et connaître la vé-
rité.
6. — Il juge ensuite faussement le prochain ; ce qui cause
souvent de grands maux. Ce pauvre homme, qui s'ignore
lui-même, veut connaître le cœur et les sentiments de la
créature raisonnable, et les juger d'après un acte qu'il
verra ou une parole qu'il entendra. Mes serviteurs jugent
toujours en bien, parce qu'ils s'appuient sur moi, le Bien
suprême ; les malheureux, au contraire, jugent tout en
mal, parce qu'ils partent d'un principe mauvais. Leurs
jugements engendrent souvent la haine, l'homicide, l'aver-
sion pour le prochain et l'éloignement de l'amour de la
vertu dans mes serviteurs.
7. — Viennent ensuite les feuilles, qui sont les paroles
qui sortent de la bouche pour me blâmer, pour profaner
le sang de mon Fils et pour injurier le prochain. Ils ne
songent à autre chose qu'à maudire et condamner mes
œuvres, à blasphémer et à dire du mal de tous ceux qu'ils
rencontrent et qu'ils jugent témérairement. Ils ne pensent
pas, les malheureux, que la langue est uniquement faite
pour m'honorcr, pour confesser leurs fautes, pour prati-
quer la vertu et travailler au salut du prochain. Ce sont
TRAITÉ DE LA PRIÈRE. — CH. XCIV
-157
là les feuilles du péché, car le cœur d'où elles viennent
n'est pas pur; il est tout souillé de fausseté et de mi-
sère Outre le tort que cause à l'âme la privation de la
srâce que de malheurs temporels occasionnent ces langues
coupables! car par leurs paroles combien ne voit-on pas de
changements de fortune, de bouleversements dans les villes
d'homicides et de catastrophes? Une parole entre dans le
cœur de celui qui l'entend ; elle pénètre là ou ne pou-
vait arriver le poignard. .... . avvP
8 - Cet arbre a sept branches qui trament pai terre
et qui donnent des fleurs et des feuilles, comme je viens
de le dire Ces branches sont les sept péchés capitaux, qui
en portent tant d'autres. Leur commune racine est l'amour
de soi-même et l'orgueil, d'où partent les fleurs des pen-
sées mauvaises, les feuilles des paroles coupables et les
fruits des actions criminelles.
9 _ Les branches sont courbées jusqu'à terre, car les
. péchés mortels inclinent vers la terre et abaissent vers
les choses fragiles du monde les hommes qui ne songent
qu'à s'en repaître sans pouvoir s'en rassasier. Ils sont in-
satiables et insupportables à eux-mêmes. Il est bien juste
qu'ils soient toujours inquiets, toujours vides, pmsqu ils ne
désirent qu'une chose qui ne pourra jamais les satisfaire
Ce qui les empêchent d'être rassasiés, c'est qu'ils désirent
une chose finie, tandis qu'ils sont une chose infime, puis-
que leur être ne finira jamais, quoiqu'ils meurent à la
grâce par le péché. .
" 10 - L'homme est au-dessus des choses créées, et les
choses créées ne sont pas au dessus de lui ; il ne peut se
rassasier et trouver le repos que dans une chose plus
grande que lui. Au dessus de lui; il n'y a rien que moi,
l'Éternel; aussi je puis seul le rassasier. Tant qu il se
prive de moi par sa faute, il est dans une peine et un
tourment continuels. Après la peine viendront les larmes,
et les vents frapperont l'arbre de l'amour sensuel, qui
est le principe de tout mal.
XCIV. — Les mondains qui pleurent sont battus par quatre
vents différents.
— Les mondains sont agités par quatre sortes de vents,
-'
J~ "RI
158
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
le vent de la prospérité, le vent de l'adversité, le vent
de la crainte et le vent de la conscience. Le vent de la
prospérité nourrit dans l'âme l'orgueil, la haute estime de
soi-même et le mépris du prochain. S'il domine, il mul-
tiplie l'injustice, la vanité du cœur, les impuretés du
corps et de l'esprit, l'amour-propre, et tous les vices qui
en viennent. Ta langue ne suffirait pas à les raconter.
2. — Est-ce le vent de la prospérité qui est corrompu
lui-même? Non certainement, ni ce vent ni les autres. Ce
qui est corrompu, c'est la racine de l'arbre, et tout ce
qui en sort est corrompu. Moi qui suis la Bonté suprême,
je vous donne toute chose, et le vent de la prospérité
que je vous envoie ne peut être mauvais. Si les mondains
pleurent, c'est que leur cœur n'est pas rassasié, il désire
ce qu'il ne peut avoir ; cette privation cause sa peine et
la peine cause les larmes, parce que l'œil veut toujours
satisfaire le cœur.
3. —Vient ensuite le vent de la crainte servile, qui fait
que l'homme a peur de son ombre, tant il craint de perdre
ce qu'il aime. Il craint de perdre, ou sa vie, ou ses enfants, ou
d'autres créatures. Il tremble pour sa fortune ou celle des
autres qui l'intéressent, pour ses honneurs et ses richesses.
Cette crainte ne le laisse pas jouir en paix, parce qu'il ne
possède pas selon les règles de ma volonté : de là sa
crainte servile et continuelle. 11 se rend l'esclave mal-
heureux du péché ; il s'assimile à la chose qu'il sert, et
comme le péché est un néant, il va au néant.
4. — Lorsque le vent de la crainte l'a frappé, il res-
sent bientôt celui de l'adversité, qu'il redoutait et qui le
prive de ce qu'il possède , en tout ou en partie. Quel-
quefois il perd tout en perdant la vie ; la mort le dépouille
de toute chose. Quelquefois la ruine n'est pas si complété
il perd la santé, ou ses enfants, ses richesses, son rang,
ses honneurs, selon que moi, le bon médecin, je vois
que votre salut le réclame. Je vous avais donné ces choses
pour votre bien, mais votre fragilité a tout corrompu. LYime
inéconnait la vérité et ne goûte pas le fruit de la patience.
Elle produit l'impatience, les scandales, 1er murmures, la
haine, l'aversion pour moi et pour mes créatures.
5. — Ainsi, ce que je lui avais donné pour la vie, elle
le reçoit pour la mort, et la douleur de leur perte est
TRAITÉ DE LA PIUERE
CH. XCIV
159
11
proportionnée à leur amour. Elle est réduite à des larmes
pleines d'impatience, qui la dessèchent et la tuent, en lui
enlevant la vie de la grâce. Le corps lui-même se consume
et dépérit; l'homme malheureux perd la vue spirituelle
et corporelle ; il n'a plus de bonheur, d'espérance, parce
qu'il est privé de ce qu'il aimait, de ce qui était son affec-
tion, sa foi, son espérance; et il verse des larmes. Ce ne
sont pas seulement ces larmes qui causent ces tristes effets,
c'est aussi l'amour déréglé et la peine du cœur d'où vien
nent ces larmes.
6. — Les larmes des yeux ne donnent pas la mort, c'est la
racine d'où elles procèdent, c'est-à-dire l'amour-propre déré-
glé du cœur. Si le cœur était réglé et avait la vie de la
grâce, ses larmes seraient réglées, et il connnaitrait que
moi, l'Éternel, je veux lui faire miséricorde. J'ai dit que
les larmes donnaient la mort, car les larmes sont des mes-
sagères qui vous annoncent la vie ou la mort qui est
dans le cœur.
7. _ Le vent de la conscience se fait aussi sentir, et
c'est un acte de ma divine bonté. J'ai voulu attirer l'hom-
me par l'amour, au moyen de la prospérité. J'ai essayé
ensuite la crainte, pour le porter par le trouble de son
cœur à aimer d'une manière sainte et méritoire. Je l'ai
enfin éprouvé par la tribulation, afin qu'il con-nût la fra-
gilité et le peu de consistance du monde. Lorsque tout a
été inutile, mon amour ineffable lui accorde le remords
de la conscience, afin qu'il ouvre la bouche et qu'il vomisse
la corruption du péché par la sainte confession. Mais les
malheureux obstinés s'éloignent toujours de moi par leur
faute et ne veulent recevoir ma grâce d'aucune manière.
Ils fuient le remords de la conscience, et s'en délivrent
par des plaisirs coupables, par des offenses contre moi et
contre le prochain. Il en est ainsi parce que la racine et
l'arbre sont corrompus : tout devient mortel pour eux, et ils
sont dans des peines continuelles et des larmes amères.
8. — S'ils ne se convertissent pas pendant qu'ils ont encore
le temps de se servir du lihre arbitre, ils passent des larmes
finies à des larmes infinies. Le fini devient infini, parce que
ces larmes ont été répandues avec une haine infinie de la
vertu, c'est-à-dire avec un désir de l'âme fondé sur une
haine infinie. Il est vrai que, s'ils avaient voulu, ils seraient
160
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
sortis de ces larmes, avec le secours de ma grâce, quand
ils étaient encore libres. J'ai dit ces larmes infinies quant
au désir et à l'être de l'âme, mais non quant à la haine et
à l'amour qui est dans I'àme. Car, tant que vous êtes dans
cette vie, vous pouvez aimer et haïr à votre gré : mais si
l'homme finit dans l'amour de la vertu, il reçoit un bien
infini, et s'il finit dans la haine, il reste dans une haine
infinie en recevant l'éternelle damnation, comme je te l'ai
dit lorsque je te parlais de ceux qui se noyaient dans le fleuve.
9. — Ceux-là ne peuvent désirer le bien parce qu'ils sont
privés de ma miséricorde et de la charité que goûtent
les saints, les uns avec les autres. Ils sont privés aussi
de votre charité pendant que vous êtes voyageurs sur cette
terre, où je vous ai placés pour que vous arriviez à moi,
la Vie éternelle ; les prières, les aumônes, les autres bonnes
œuvres ne leur servent plus de rien. Ce sont des membres
retranchés du corps de ma charité divine, parce que,
pendant qu'ils ont vécu, ils n'ont pas voulu être unis à
l'obéissance de mes saints commandements, dans le corps
mystique de la sainte Église, leur mère, dans sa douce
obéissance, où vous puisez le sang de l'Agneau sans tache,
mon Fils bien-aimé.
10. — Ils recueillent le fruit de l'éternelle damnation, avec
les pleurs et les grincements de dents. Ce sont les martyrs
du démon; le démon leur donne le fruit qu'il a lui-même.
Ainsi, tu le vois, les pleurs des mondains leur procurent des
peines amères dar.s le temps, et à la mort la société éter-
nelle des démons.
XCV. — Du fruit des secondes et des troisièmes larmes.
4 . — Il me reste maintenant à te parler du fruit que
reçoivent ceux qui commencent à quitter le péché par crain-
te du châtiment. Quelques-uns sortent de la mort du pé-
ché mortel par crainte du châtiment, et, comme je te l'ai
dit, c'est la vocation commune. Quel fruit en retirent-ils?
Ils commencent à purifier la demeure de leur âme des
souillures du péché. Le libre arbitre y est déterminé
par la crainte, et dès qu'ils ont ainsi purifié l'âme de
ses fautes, ils reçoivent la paix de la conscience, disposent
*5*if
TRAITÉ DE LA P.RIÈRE— CH. XCV
161
leur âme à l'amour, et, en considérant leur intérieur, ou
ils n'apercevaient, avant de l'avoir débarrassé, que la corrup-
tion de leurs nombreux péchés, ils commencent à recevoir
la consolation, parce que le ver de la conscience est tran-
quille et qu'ils sont prêts à prendre la nourriture des
vertus. .
2 - Ainsi fait l'homme lorsque son estomac est dé-
barrassé des humeurs mauvaises ; son appétit le porte à
prendre des aliments. De même ceux-ci attendent que la
main du libre arbitre prépare avec le désir la nourriture
des vertus que l'âme doit prendre. En effet, l'âme, en éprou-
vant cette crainte, purifie du péché ses affections ; elle
reçoit le second fruit, c'est-à-dire le second état des larmes
• où" l'âme, poussée par l'amour, commence à orner de ver-
tus sa demeure, quoiqu'elle soit encore imparfaite. Pourvu
qu'elle quitte la crainte, elle reçoit la consolation et la
douceur, parce que son cœur jouit de ma vérité et de moi,
qui suis l'amour même. Et à cause de la douceur, et de
la consolation qu'elle trouve en moi, elle commence à aimer
avec bonheur, parce qu'elle jouit de moi et des créatures
à cause de moi.
3. — En exerçant l'amour qui est entré dans le cœur
purifié par la crainte, l'âme commence à goûter les fruits
de ma divine bonté ; et dès que l'amour est maître de
l'âme, elle commence à jouir en recevant les fruits nom-
breux et variés de la consolation. Par la persévérance, elle
obtient enfin de s'asseoir au festin, c'est-à-dire que, quand
elle a passé de la crainte à l'amour des vertus, et qu'elle
est arrivée aux troisièmes larmes, elle s'asseoit à son festin,
elle dresse la table de la très sainte Croix dans son cœur ;
dès qu'elle l'a mise, elle y trouve la nourriture du doux
et tendre Verbe, qui lui montre mon honneur et votre
salut; car c'est pour mon honneur et votre salut que le
cœur' de mon Fils bien-aimé a été ouvert, et que sa chair
vous a été offerte en aliment. Alors elle se nourrit de mon
honneur et du salut des âmes, avec la haine et l'horreur du
péché.
4. _ Quel fruit reçoit l'âme de ce troisième état des larmes.'
Elle reçoit une force fondée sur une sainte haine de la sen-
sualité, avec le doux fruit d'une humilité véritable et d'une
patience qui ôte tout scandale et délivre l'âme de toute
dialogue de Stc Ca!h. do S. - 11
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DIALOGUE DK SAINTE CATHERINE
afliction, parce qu'avec le glaive de la haine elle a tué sa
propre volonté, principe de vos peines. 11 n'y a que la vo-
lonté sensitive qui se scandalise des injures, des persécutions,
de la privation des consolations temporelles et spirituelles,
comme je te l'ai dit, et c'est ainsi que l'àme tombe dans
l'impatience. Mais quand sa volonté est morte dans les
.louées larmes du désir, elle commence à goûter le fruit de
la patience.
5. _ fruit d'une extrême suavité, combien tu es doux
a qui te goûte, et combien tu m'es agréable ! Tu fais trouver
la douceur dans l'amertume, la paix au milieu des injures.
Lorsque la mer est bouleversée par la tempête, et que les
vents furieux poussent des vagues immenses sur la barque
«le ton âme, tu restes calme et tranquille sans recevoir au-
cun mal. Ta baïque est protégée par la volonté divine,
une ardente charité l'enveloppe comme d'un vêtement, et
il est impossible à l'eau d'entrer.
6. — O ma fille bien-aimée, la patience est une reine
qui résiste sur un roc inébranlable ; elle est toujours victo-
rieuse, jamais vaincue. Elle n'est pas seule, car la persé-
vérance l'accompagne ; elle est la moelle de la charité, et
c'est celle qui montre qu'on porte la robe nuptiale. Si ce
vêtement est déchiré par l'imperfection, elle le fait voir sur-
le-champ par son contraire, c'est-à-dire par l'impatience.
7. — Toutes les vertus peuvent tromper quelque temps
et faire croire qu'elles sont parfaites, lorsqu'elles sont im-
parfaites ; mais elles ne peuvent se cacher devant toi, Q
Patience, parce que tu es le miroir de l'âme: tu es l'essence
de la charité et tu montres si les vertus sont vivantes et
parfaites. Dès que tu es absente, on voit que toutes les
vertus sont imparfaites, et qu'elles ne sont pas encore
nourries à la table de la sainte Croix. L'âme te conçoit
dans la connaissance d'elle-même et dans la connaissance
de ma bonté ; elle t'enfante par une sainte haine et te
fortifie par une humilité véritable ; tu peux toujours prendre
la nourriture de mon honneur et du salut des âmes, et
tu t'en rassasies sans cesse.
8. — Ma fille bien-aimée, regarde mes doux et glorieux
martyrs, qui se nourrissaient des Ames par la patience.
Leur mort donnait la vie ; ils ressuscitaient les morts, et
chassaient les ténèbres du péché. Le monde et toutes ses
TRAITÉ DK I-A PHIKRE
CH. XCVI
103
grandeurs , les princes et toute leur puissance ne pouvaient
leur résister, ù cause de la royale vertu de la patience.
9. _ cette vertu est la lampe sur le candélabre ; c'est
le fruit glorieux que donnent les larmes, lorsque l'âme,
parvenue à la charité du prochain, se nourrit avec l'Agneau
sans tache, mon Fils unique, par le supplice de son désir,
et le tourment qu'elle ressent de l'offense qui m'outrage.
Ce n'est pas une peine qui l'afflige, parce que l'amour avec
la vraie patience tue la crainte et l'amour-propre, qui donnent
la peine. Mais c'est une peine pleine de douceur qui vient de
l'offense qui m'est faite, et du malheur du prochain. Elle
a pour principe la charité, et cette peine engraisse l'âme
qui s'en réjouit, parce que c'est une preuve qui lui montre
que je suis en elle par ma grâce.
XCVI. — Du fruit des quatrièmes larmes unitives.
i. — Je t'ai dit le fruit des troisièmes larmes; vient ensui-
te le quatrième et dernier état des larmes unitives, qui n'est
pas séparé du troisième. Ils sont unis ensemble, comme ma
charité avec celle du prochain; l'une est préparée par l'au-
tre; mais, en arrivant au quatrième état, l'âme a fait tant de
progrès, qu'elle souffre non seulement avec patience, mais
qu'elle désire encore souffrir. Elle méprise toute jouissan-
ce, de quelque côté qu'elle vienne, pourvu qu'elle puisse
ressembler à Jésus crucifié.
2. — Elle reçoit un fruit de paix spirituelle, une union par
sentiment avec ma nature divine, dont elle goûte le lait
comme l'enfant qui se repose paisiblement sur le sein de sa
mère, pendant que ses lèvres y puisent la nourriture: de
même, l'âme arrivée à ce dernier état repose sur le sein de
ma divine charité, Elle tient les lèvres du saint désir sur la
chair de Jésus crucifié : c'est-à-dire qu'elle suit ses traces et
sa doctrine; car elle a bien' compris dans le troisième état,
qu'on ne pouvait avancer par moi le Père, parce qu'en moi
ne peut se trouver la peine; elle se trouve dans mon Fils
bien-aimé, le doux et tendre Verbe.
3. — Oui, vous ne pouvez avancer sans peine; c'est en
souffrant beaucoup que vous arriverez à des vertus solides.
L'âme se place donc sur le sein de Jésus crucifié; elle tire à
Hl
164
DIAL.DGCE DE
SAINTE CATHERINE
elle le lait des vertus qui lui donnent la vie de la grâce, elle
y goûte ma nature divine qui rend douces les vertus. Les
vertus en elles-mêmes n'étaient pas douces, mais elles le
sont devenues, parce qu'elles ont été faites et unies en moi,
l'Amour suprême; car Pâme n'a pas pensé à elle, mais seu-
lement à mon honneur et au salut des Aines.
4. _ Regarde, ma Tille, combien est doux et glorieux cet
état où l'âme s'attache tellement au sein de la charité, que
jamais ses lèvres ne se séparent de cette source inépuisable.
L'âme ne se trouve ainsi jamais sans Jésus crucifié, et sans
moi le Père, qu'elle a trouvé en goûtant l'éternelle et souve-
raine Déité. Oh! qui pourra comprendre combien s'enrichis-
sent les puissances de cette Ame? La mémoire se remplit
continuellement de mon souvenir; elle se rappelle avec a-
mour tous mes bienfaits ; non pas à cause des bienfaits eux-
mêmes, mais à cause, de la charité avec laquelle je les lui ai
accordés. Elle se rappelle d'abord le bienfait de la création
qui l'a faite à mon image et ressemblance; puis, dans le pre-
mier état, la peine qui a puni son ingratitude, et ensuite la
délivrance de ses fautes par le bienfait du sang du Christ
dans lequel je l'ai fait renaître à la grâce en lui étant la lè-
pre du péché. Elle se rappelle que, dans le second état, elle
a goûté la douceur de l'amour et le repentir du pèche
qu'elle voit m'avoirtellement déplu que je l'ai puni sur le corps
de mon Fils unique. Elle se rappelle enfin le bienfait de la
venue du Saint-Esprit, qui l'a éclairée, et qui l'éclairé dans
la vérité. ,
5 — Quand l'âme reçoit-elle cette lumière? Lorsqu elle a
reconnu, dans le premier et le second état, ma libéralité en-
vers elle. Elle reçoit alors la lumière parfaite; elle connaît
ma vérité, c'est-à-dire que par mon amour paternel je l'ai
créée pour lui donner la vie éternelle; et cette vérité je l'ai
montrée par le sang de Jésus crucifié. Dès qu'elle la connaît
elle l'aime; dès qu'elle l'aime, elle le prouve en aimant pure-
ment ce que j'aime et en haïssant ce que je hais. Elle se
trouve ainsi dans le troisième état de la charité du prochain.
La mémoire se nourrit alors sur le sein de la charité ; elle
se dépouille de toute imperfection, parce qu'elle s'est rap-
pelé et qu'elle a retenu mes bienfaits.
6. — L'intelligence a reçu la lumière; en regardant dans la
mémoire elle a connu la vérité, et en perdant l'aveuglement
TRAITÉ DE LA PKiKRE — CH. XCVI
165
de l'amour-propre, elle est restée dans le soleil de son objet,
Jésus crucifié, qu'elle connaît vrai Dieu et vrai homme. Ou-
tre cette connaissance que lui donne cette union, elle s'élève
à une lumière acquise, non par sa nature, ni par son propre
mérite, mais par la grâce particulière que lui donne ma Vé-
rité, qui ne méprise jamais l'ardeur des désirs et les fatigues
qu'on offre devant moi. Alors le cœur qui suit toujours l'in-
telligence, s'unit à moi d'un amour très parfait et très en-
flammé. Et si quelqu'un me demandait ce qu'est cette âme,
je répondrais : Un autre moi-même par l'union de l'amour.
7. _ Quelle langue pourrait dire l'excellence de ce dernier
état, et les fruits nombreux et variés qu'en retirent les trois
puissances de l'âme? C'est de leur sainte union que jeté
parlais en t'expliquant, à l'occasion des trois degrés, la pa-
role de ma Vérité. Non, la langue ne peut le dire; cependant
les saints docteurs, éclairés par cette glorieuse lumière, l'ont
montrée en expliquant la sainte Écriture. Tu sais que le
grand saint Thomas d'Aquin, de ton Ordre, puisa plutôt la
science dans la prière, l'extase et la lumière de l'intelligence,
que dans les études humaines. C'est une lumière que j'ai
donnée au corps mystique de la sainte Église pour dissiper
les ténèbres de l'erreur.
8. — Si tu regardes le glorieux évangéliste saint Jean,
quelle lumière puisa-t-il sur le sein du Christ, ma Vérité! Et
avec cette lumière, combien longtemps il annonça ma Véri-
té ! Tous, par leur parole, ont propagé cette lumière d'une
manière ou d'une autre. Mais quant au sentiment intérieur,
à la douceur ineffable que donne l'union parfaite, la langue
ne pourra jamais l'exprimer, puisqu'elle est une chose finie.
C'est ce que saint Paul affirmait en disant: « L'œil ne peut
voir, l'oreille entendre, le cœur imaginer le bonheur que
Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment véritablement »
(I Cor. , il, 9).
9. — Oh ! qu'elle est douce cette demeure ! douce au des-
sus de toutes les douceurs, par l'union parfaite de l'âme en
moi. Cette union est telle que la volonté disparait de l'âme,
parce qu'elle ne fait plus qu'un avec moi. Elle répand par
le monde le parfum et le fruit de ses humbles et continuelles
prières ; l'encens de son désir prie sans cesse pour le salut
des âmes ; c'est une voix sans parole humaine, qui crie tou-
jours en présence de ma divine Majesté.
19
166
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
10. - Ce sont ces fruits de l'union qui nourrissent 1 âme
pendant la vie, dans ce dernier état, acquis par bien des fa-
tigues, des larmes et des sueurs. Elle passe ains! avec la
persévérance dans la grâce de cette union qui est encore
imparfaite, à l'union durable et éternelle. Je dis imparfaite-
ment, uniquement parce qu'elle ne peut se rassasier de ce
qu'elle désire tant qu'elle est dans les liens d'un corps mor-
tel, où se trouve une loi perverse; cette loi est endormie pat
l'amour de la vertu: elle n'est pas morte, et elle peut se .<-
veiller, si la puissance de la vertu qui l'endort, disparaît.
C'est pour cela qu'on peut appeler cette union imparfaite;
mais cette union imparfaite conduit l'àme à recevoir la per-
fection durable que rien ne peut détruire, comme je te le c
sais en parlant des Bienheureux qui me goûtent véritable-
ment, moi la Vie, le Bien suprême qui ne finit jamais.
11. - Ceux-là ont reçu la vie, tandis que les autres n ont
recueilli de leurs larmes que la mort. Ils sont arrivés a la
joie par des larmes qui leur ont mérité des récompenses
éternelles, et leur ardente charité crie toujours vers moi et
m'offre sans cesse des larmes de feu pour vous. Mamtenant
je t'ai dit les différents degrés de larmes, leur valeur, leurs
perfections et les fruits qu'en retirent les âmes. Les parfaits re-
çoivent la vie éternelle et les méchants l'éternelle damnation.
XCVII. - L'àme remercie Dieu de lui avoir appliqué les
larmes, et elle lui fait trois demandes.
1 - Alors cette âme ennammée d'un ardent désir par les
explications que Dieu, la Vérité même, lui avait données des
différents états de larmes, disait dans la violence de son a-
fflour: Grâces, grâces vous soient rendues, ô Père, qui satis-
faites les saints désirs, et qui vous passionnez pour notre
salut; vous qui, au moment où nous étions en guerre avec
vous, nous avez montré tant d'amour, par le moyen de No-
tre Fils unique! Au nom de cet amour ineffable, je vous de-
mande, par grâce et miséricorde, de pouvoir arriver sûre-
ment à vous, non dans les ténèbres, mais dans la lumière;
de suivre la doctrine de votre Vérité, que vous m'avez clai-
rement montrée.
2. — Afin de pouvoir distinguer deux pièges que je crains
TRAITÉ DE LA PRIÈRE — CH. XCVIII
1G7
de rencontrer, je voudrais, ô Père éternel, qu'avant de finir
ce sujet vous m'expliquiez ces deux points : D'abord, si
quelqu'un s'adressait à moi ou à un de vos autres serviteurs,
et demandait conseil sur la manière de vous servir, quelle
doctrine faudrait-il lui donner? Je sais bien, mon Dieu, que
vous m'avez déjà expliqué cette parole que vous m'avez dite :
« Je suis celui qui aime peu de mots et beaucoup d'actions ».
Cependant, s'il plaisait à votre bonté de m'en dire encore
quelque chose, je serais bien heureuse.
3. — Si en priant pour vos créatures et particulièrement
pour vos serviteurs, je voyais, dans l'oraison, une âme bien
disposée et paraissant jouir de vous; et si j'en voyais une au-
tre qui semblerait obscure, devrais-je, ô Père éternel, juger
que l'une est dans la lumière et l'autre dans les ténèbres?
Ou si je voyais quelqu'un faire de grandes pénitences et un
autre y être étranger, devrais-je juger qu'il y a une plus
grande perfection dans celui qui fait de grandes pénitences
que dans celui qui n'en fait pa&? Faites, mon Dieu, que je ne
m'égare pas dans mon peu de clairvoyance, et expliquez-moi
plus" particulièrement ce que vous m'avez dit d'une manière
générale.
4. — La seconde chose que je vous demande, c'est de me
montrer davantage le signe, auquel on reconnaît si c'est vous
qui visitez l'âme, ou si ce n'est pas vous. Il me semble que
vous me disiez, ô Vérité éternelle, que l'âme reste alors jo-
yeuse et portée à la vertu. Je voudrais savoir si cette joie
peut être une illusion de la passion spirituelle; si cela était,
je ne m'arrêterais qu'au signe de la vertu. Ces choses, je
vous les demande afin de pouvoir vous servir dans la vérité,
afin de servir le prochain et de ne faire aucun faux juge-
ment à l'égard de vos créatures et de vos serviteurs. Car ju-
ger ainsi éloigne l'âme de vous, et je ne voudrais pas tom-
ber dans ce malheur.
XCVIII. — La lumière de la raison est nécessaire à celui
qui veut servir Dieu. — De la lumière générale.
1. _ Alors l'Éternel, se délectant de la soif et de la faim
de cette âme, de la pureté de son cœur et du désir avec
lequel elle demandait les moyens de le servir, jeta sur elle
les regards de sa miséricordieuse bonté, en lui disant : Ma
.j(S8 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
bien-aimée, ma ehêre et douce fille, mon épouse fidèle, élè-
ve-toi au dessus de toi-même, et ouvre l'oeil de ton intelli-
gence pour contempler ma bonté infinie et l'amour ineffa-
ble que j'ai pour toi et pour mes autres serviteurs. Ouvre
l'oreille de ton cœur et de ton désir; car, si tu ne voyais
pas, tu ne pourrais pas entendre et connaître ma Vérité.
g! — L'âme qui ne voit pas avec l'œil de son intelligence
l'objet de ma Vérité, ne peut entendre ni connaître ma Vé-
rité et je veux que, pour la mieux connaître, tu t'élèves au
dessus de tes sens. Tes demandes et tes désirs me sont
agréables et je vais y satisfaire. Mon bonheur ne peut venir
de vous, car je suis Celui qui suis; je puis vous enrichir, et
vous ne pouvez rien pour moi ; je me réjouis en moi-même
de mes œuvres.
3. — Alors cette âme obéissante s'éleva au dessus d'elle-
même, pour connaître la vérité sur ce qu'elle demandait :
et l'Éternel lui dit: Afin que tu puisses mieux comprendre
ce que je te dirai, je commencerai par te parler des trois lu-
mières qui sortent de moi, la vraie Lumière.
i— La première lumière est une lumière générale pour ceux
qui sont dans la charité commune. Je t'en ai déjà entretenu
de plusieurs manières, mais je te répéterai certaines choses.
afin que ton faible entendement comprenne mieux ce que
lu désires savoir. Les deux autres lumières sont pour ceux
qui se séparent du monde et veulent atteindre la perfection,
et sur ce sujet je te dirai ce que tu m'as demandé, et je t'ex-
pliquerai particulièrement ce que j'en ai dit d'une manière
générale.
5. — Tu sais que, sans la lumière de la raison, personne
ne peut aller par la voie de la vérité ; et cette lumière de la
raison, vous la tirez de moi, la vrai Lumière, au moyen de
l'intelligence et avec la lumière de la foi que je vous ai don-
née dans le saint baptême, si vous ne vous en privez pas
par vos fautes.
6. — Le baptême, par la vertu du sang de mon Fils uni-
que, vous a donné la forme de la foi; et cette foi s'exeive
par la vertu, par la lumière de la raison. La raison s'illu-
mine de cette lumière qui vous donne la vie et vous fait
marcher dans la voie de la vérité. Avec cette lumière vous
parvenez à moi, la vraie Lumière, et sans elle vous n'arri-
veriez qu'aux ténèbres.
TRAITÉ DE LA PHIÈRK — CH. XCVI1I
109
7 _ D eux lumières qui viennent de celle lumière vous
sont nécessaires, et à ces deux lumières j'en joindra, une
troisième. La première vous fait clairement comprendre les
choses transitoires du monde qui passe comme le vent;
mais vous ne pouvez le bien connaître, si vous ne connais-
sez pas d'abord votre propre fragilité, et combien elle s in-
cline vers la loi perverse qui est attachée à vos membres
pour combattre contre moi, votre Créateur. Cette loi ne peut
forcer personne à commettre le moindre péché, si la volon-
té n'y consent pas, mais elle combat violemment contre
l'esprit.
8 - Je n'ai pas donné cette loi pour que la créature rai-
sonnable fut vaincue, mais pour que la vertu augmentât et
fût éprouvée dans l'âme, car la vertu ne s'éprouve que par
les contraires. La sensualité est contraire à l'esprit, et c esl
par la sensualité que l'âme montre l'amour qu'elle a pour
moi, son Créateur. Comment le prouve-t-elle? Lorsqu elle se
combat elle-même par le mépris.
9 - J'ai aussi donné cette loi aux hommes, pour les con-
server dans l'humilité véritable. Tu dois voir qu'en créant l'â-
me à mon image et à ma ressemblance, et en l'élevant a une
si haute dignité et beauté, je l'ai associée en même temps
aux choses les plus viles en lui donnant cette loi perverse,
en la liant à un corps formé de la fange de la terre, alin
que, voyant sa beauté, elle ne levât pas orgueilleusement
la tête contre moi.
10. - Ainsi donc, l'homme fragile qui a cette lumière a
raison d'humilier son âme, et n'a aucun sujet de s'enor-
gueillir, mais il doit concevoir une humilité sincère et par-
faite. Cette loi ne peut aucunement forcer au pèche, mais
elle est un moyen de vous donner la connaissance de vous-
même et de l'instabilité de la vie présente. C'est ce que doit
' voir l'œil de l'intelligence avec la lumière de la sainte lo
qui est, comme je te l'ai dit, la prunelle de l'œil.
■H - Cette lumière est nécessaire à toute créature rai-
sonnable qui désire, dans quelque état que ce soit, partici-
per à la vie de la grâce et au fruit du sang de l'Agneau sans
tache. C'est la lumière générale que chacun doit avoir ; et,
s'il ne l'avait pas, il serait en état de damnation. Et ce qu.
l'empêche d'être en état de grâce, c'est de n'avoir pas la lu-
mière ; celui qui n'a pas la lumière ne connaît pas le mal
170
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
de la faute et ce qui en est la cause, et par conséquent il nia
peut pas fuir et détester cette cause.
12. — 11 ne connaît pas non plus le bien et la cause du
bien, c'est-à-dire la vertu ; il ne peut m'aimer et me désirer.
moi qui suis le Bien suprême , il ne peut aimer et désirer la
vertu, que je vous ai donnée comme instrument et comme
moyen pour obtenir ma grâce et le bien véritable. Tu dois
comprendre quel besoin vous avez de cette lumière ; car
vos fautes ne consistent qu'à aimer ce que je hais et à haïr ce
que j'aime. J'aime la vertu et je hais le vice ; celui qui aime
le vice et hait la vertu, m'outrage et se prive de ma grâce.
Il va comme un aveugle, ne connaissant pas la cause du
vice, qui est l'amour-propre sensitif. Il ne se hait pas lui-
même ; il ne connaît pas le vice et le mal qui vient du vice;
il ignore aussi la vertu, et il m'ignore, moi qui lui donne la
vertu et qui lui accorde la vie et la dignité où il se con-
serve et acquiert la grâce par le moyen de la vertu. Tu vois
que son aveuglement est la cause de son mal, et que cette
lumière vous est nécessaire.
XCIX. — De la seconde lumière, plus parfaite que la lu-
mière générale.
1 . — Lorsque l'àme est parvenue à la lumière générale
dont je viens de te parler, elle ne doit pas s'en contenter;
car tant que vous êtes dans le pèlerinage de cette vie, vous
pouvez avancer, et celui qui n'avance pas recule. II faut
avancer dans la lumière générale acquise par ma grâce et
s'efforcer d'atteindre la seconde lumière en allant de l'im-
parfait au parfait, parce qu'il faut avec la lumière arriver
ù la perfection.
2. — Dans cette seconde lumière il y a deux sortes de
parfaits ; les parfaits sont ceux qui ont quitté la vie com-
mune du monde, et dans cette perfection il y a deux états :
le premier, où sont ceux qui s'appliquent entièrement à châ-
tier leur corps par de rudes et de grandes pénitences,
pour que leurs sens ne se révoltent pas contre la raison :
ils mettent plus de soin à mortifier leur corps qu'à tuer
leur volonté, comme je te l'ai déjà dit.
3. — Ceux-là se nourrissent à la table de la pénitence.
TRAITÉ DE LA PRIÈRE — CH. C
171
Ils sont bons et parfaits si leur pénitence est fondée en
moi, avec la lumière de la discrétion, c'est-à-dire avec
l'humble connaissance d'eux-mêmes et de moi, surtout
s'ils s'appliquent plus à voir ma volonté- que celle des
hommes. S'il en -était autrement, c'est-à-dire s ils ne se
revêtaient pas humblement de ma volonté, ils nuiraient
souvent à leur perfection, en jugeant mal ceux qui ne sui-
vent pas la voie où ils marchent. Et sais-tu pourquoi cela
leur arriverait ? Parce qu'ils mettent plutôt leurs soins et
leurs désirs à mortifier leur corps qu'à tuer leur volonté.
A - Ils veulent choisir eux-mêmes le temps, le heu
des consolations spirituelles, comme aussi les tribulations
du monde et les attaques du démon. Ils se laissent éga-
rer par la volonté propre que j'ai appelée la volonté
spirituelle, et ils disent : Je voudrais cette consolation et
non cette tentation, cette attaque du démon. Je ne le
désire pas pour moi, mais pour plaire davantage a Dieu
et avoir une grâce plus abondante dans mon unie ; car
il me semble que je le servirai bien mieux de cette ma-
nière que d'une autre.
5 — C'est ainsi que souvent l'âme tombe dans la peine
et l'ennui, et qu'elle devient insupportable à elle-même.
Elle nuit de la sorte à sa perfection et ne s'aperçoit pas
de la corruption de l'orgueil qui l'envahit. Car, si l'âme
était véritablement humble et sans présomption, elle
verrait, à la lumière de la raison, que moi, la Vente
même, js distribue à chacun l'état, le temps, le heu, la
consolation, la tribulation, selon que le réclament votre
salut et la perfection à laquelle j'appelle les âmes ; elle
verrait que toute chose vient de mon amour et quelle
doit recevoir tout par conséquent avec soumission et
amour, comme le font ceux qui parviennent au troisième
état et qui restent dans la lumière parfaite.
C. - De la troisième et parfaite lumière. - Des œuvres de
l'âme parvenue à cette lumière.
1 — Ceux qui arrivent à cette glorieuse lumière sont
parfaits dans toutes les conditions où ils se trouvent:
Ils reçoivent avec respect tout ce qui leur arrive par ma
172
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
permission, ainsi que je te l'ai dit en le parlant du troi-
sième état unitif de l'âme. Ils se croient clignes des peines,
des scandales du monde, et de la privation de toute sorte
de consolation ; comme ils se croient dignes des peints,
ils se trouvent indignes des récompenses qui suivent les
peines.
2. — Ils connaissent et goûtent dans la lumière mon
éternelle volonté qui ne veut autre chose que votre bien,
car tout ce que je donne et permet est afin que vous
soyez sanctifiés en moi. Dès que l'âme l'a reconnu, elle
se revêt de ma volonté ; elle ne songe à autre chose qu'au
moyen de conserver et d'accroître sa perfection pour
la gloire et l'honneur de mon nom. Elle fixe par la lu-
mière de la foi l'oeil de son intelligence sur Jésus cruci-
fié, mon Fils unique, en aimant et en suivant sa doctrine
qui est la règle et la voie des parfaits et des imparfaits.
Elle voit que le tendre Agneau, mon Fils, lui donne la
doctrine de la perfection, et cette vue la remplit d'amour.
3. — La perfection est la connaissance de ce doux et
tendre Verbe, mon Fils unique, qui s'est nourri â la
table du saint désir, en cherchant l'honneur de son
Père et votre salut. C'est ce désir qui l'a fait courir avec
ardeur à la mort ignomineuse de la Croix, et satisfaire â
l'obéissance que moi le Père, je lui avais imposée. Il
n'a pas craint la fatigue et les opprobres ; il n'a pas re-
culé devant votre ingratitude et votre aveuglement à ne
pas reconnaître les bienfaits dont il vous comblait. Il ne
s'est pas laissé arrêter par les persécutions des Juifs,
les mépris, les affronts, les murmures du peuple; mais
il a triomphé de tout comme un vaillant capitaine, un
généreux chevalier que j'avais envoyé sur le champ de
bataille pour vous tirer des mains du démon, pour vous
affranchir, vous délivrer du plus triste esclavage où vous
puissiez tomber, pour enseigner la voie et la doctrine
qui peut vous conduire à moi, la Vie éternelle, au mo-
yen de son sang précieux, répandu avec tant d'amour et
avec tant de haine de vos fautes.
4. — C'est comme si le doux et tendre Verbe, mon
Fils, vous disait : Voici que je vous ai tracé la voie et
que je vous ai ouvert la porte avec mon sang ; ne soyez
donc pas négligents à la suivre, ne vous arrêtez pas dans
*ï*;-
TBAITÉ DE LA PRIÈRE. — Cil. C.
173
votre amour-propre, dans l'ignorance de la voie et dans
la prétention de vouloir me servir à votre manière
et non à la mienne. Je vous ai trace la voie droite
par le moyen du Verbe incarné qui l'a arrosée de son
san- Levez-vous donc et suivez-le, car personne ne peut
tenir à moi, le Père, si ce n'est par lui. Il est la voie
et la porte par laquelle il faut entrer en moi, 1 océan
% - Lorsque l'âme est parvenue à goûter cette lumière
et qu'elle en connaît la douceur parce qu'elle l'a goutee,
elle court vers moi dans l'ardeur et la passion de son
amour, sans penser à elle, sans chercher les consolations
spirituelles et temporelles, comme une personne qui a
complètement renoncé à sa propre volonté. Dans cette
lumière et cette connaissance, elle ne fuit aucune fatigue,
de quelque côté qu'elle vienne : elle se réjouit au contraire
de souffrir les opprobres, les attaques du démon, les
murmures des hommes ; elle se nourrit de mon honneur
et du salut des âmes sur la table de la sainte Croix.
Elle ne demande aucune récompense ni de moi ni des créa-
tures car elle s'est dépouillée de l'amour mercenaire qui
m'aime par intérêt. Elle s'est revêtue de la lumière par-
faite en m'aimant, sans songer à autre chose qua la
gloire, à la louange de mon nom, et en me servant, sans
penser au bonheur qu'elle y trouve et à l'utilité que lui
procure le prochain, mais en agissant par pur amour.
6 - Ceux-là se sont perdus eux-mêmes et se sont dé-
pouillés du vieil homme, c'est-à-dire de la sensualité,
pour se revêtir de l'homme nouveau, le Chnst, le doux
Jésus, ma Vérité, qu'ils suivent avec courage. Ceux-là
sont assis à la table du saint désir et s'appliquent plus
à tuer leur propre volonté qu'à tuer et à mortifier leur
corps Ils mortifient bien aussi leur corps, mais ce n est
pas là leur but principal; c'est seulement un moyen poul-
ies aider à tuer leur propre volonté, comme je te l'ai
dit en l'expliquant cette parole : que je voulais peu de
mots et beaucoup d'actions.
7 — En effet, tous vos efforts doivent tendre à tuer votre
volonté, et ne vouloir autre chose que suivre ma douceVén-
té le Christ crucifié, en cherchant l'honneur et la gloire
de mon nom et le salut des âmes. Ceux qui sont dans
l74 DIAliOGUE DE SAINTE CATHERINE
cette glorieuse lumière le font, et c'est pour cela qu'ils
sont toujours dans la paix et le repos. Rien ne les
scandalise, parce qu'ils ont éloigné ce qui cause le scan-
dale c'est-à-dire la volonté propre. Les persécutions que
le monde et le démon peuvent soulever passent a leurs
pieds ils traversent les grandes eaux de la tribulation
et de la tentation sans qu'elles puissent leur nuire, parce
au'ils sont revêtus et fortinés par l'ardeur de leur désir.
Ils se réjouissent de tout, et ne jugent pas mes serviteurs
ni aucune créature raisonnable.
8 — Ils sont heureux de tout ce qu'ils voient, de tout
ce qu'ils rencontrent, et ils disent: Grâces vous soient
rendues, ô Père éternel! de ce qu'il y a en votre maison
plusieurs demeures ( S. Jean, x,v, 2 ). Us se réjouissent
plus de voir mes amis suivre des routes différentes que
de les voir suivre tous le même chemin, parce (puis
admirent plus la grandeur de ma honte ; tout leur est
aeréable, et leur semble des roses. Non seulement ils
sont édifiés du bien, mais ils ne veulent pas juger ce qui
est évidemment mal ; ils éprouvent seulement alors une
sainte et vraie compassion, me priant pour ceux qui
m'offensent et disant avec une humilité parfaite : Aujour-
d'hui c'est toi, demain ce sera moi, si la grâce divine
ne me conserve.
9 -Orna fille bien-aimée ! passionne-toi pour ce doux,
cet excellent état. Contemple ceux qui courent à cette
glorieuse lumière; vois comme leurs âmes sont saintes et
se nourrissent pour mon honneur de la nourriture des
âmes à la table du saint désir. Ils sont revêtus du beau
vêtement de l'Agneau, mon Fils unique cest-achre de
sa doctrine, par l'ardeur de sa charité. Ils ne perdent
pas le temps à faire de faux jugements sur mes serviteurs
et sur les serviteurs du monde ; ils ne sont jama.s scan-
dalisés d'aucun murmure contre eux ou contre le pro-
chain Ils sont contents de souffrir pour mon nom, et quand
une injure est faite aux autres, ils la supportent en com-
patissant au prochain, ne murmurant pas contre celui qui
la fait ou contre celui qui lareçoit.
10 - 1 rur amour est réglé en moi, le Père céleste,
ils ne S'égarent jamais, et parce qu'il est réglé, ma chère
fille ils ne se scandalisent pas de ceux qu'ils a.ment m
TRAITÉ DE LA PlUKllK - CH.
I7ï
11 To.ii' nn'mion est morte et
l'aucune créature raisonnable. Lem P » ^
n0 n vivante. Us ne *«««££? ^expression de ma
autres, mais ils ne ^*^£ la c Ltrinc qui, tu
miséricordieuse bonté. Us observe _
que tu eu cherchais les moyen tu sa s œ q
pondu. Tu t'étais endormie daoa" des , P^
T- Ma Vérité te disait « ^ ^^par
a la pureté parfaite, et que ton espr ne
aucun scandale, il faut t oupurs^ ^ "V suis le feu
car je suis la souverain c 1 etei neUe . i l heras de
qui purifie l'âme véritablement P us tu tap .
moi, plus tu deviendras P^J * ,en «^
mille» des injures que tu reçu, «e que -
permet pour éprouver la ver » eu tm et «
teurs, pensant que ce, ^qm « f J^^ SMl b00ne8 ;
r^nT^n^ * ~» *» -, *
'' « mme r.e uetu ne vois pas être évidemment up péché
voir que ma volonté.. Lors,™ « ™ir compassion ;
tu ne dois pus le condamner, mas ei nvo P
de cette manière tu arriveras u la puiete panait ,
I
, '1/
170
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
qu'en faisant ainsi, ton esprit ne sera scandalisé ni en
moi, ni dans le prochain. Vous tombez dans le mépris du
prochain lorsque vous ne voyez que sa mauvaise volon-
té envers vous, et non pas ma volonté dans ses actes. Ce
mépris et ce scandale séparent l'âme de moi, et em-
pêchent sa perfection. Dans quelques-uns même la grâce
est détruite plus ou moins, selon la gravité du mépris
et de la haine qu'ils ont contre le prochain en le ju-
geant.
14. — Le contraire arrive à l'âme qui en tout, comme je
te l'ai dit, voit ma volonté toujours attentive à votre bien.
Tout ce que je donne et permets est pour que vous par-
veniez à la fin pour laquelle je vous ai créés. Le moyen
de rester toujours dans l'amour du prochain est de res-
ter toujours dans le mien, et l'âme en m'aimant m'est
toujours unie.
15. — Si tu veux absolument parvenir à cette pureté que
tu me demandes, il faut faire surtout trois choses: T'unir
à moi par l'amour, en conservant dans ta mémoire le sou-
venir des bienfaits que tu as reçus de moi ; voir avec
l'œil de ton intelligence l'ardeur ineffable de ma charité
envers vous; voir enfin ma volonté dans la volonté de
l'homme, et non pas sa méchanceté, parce que c'est moi
qui suis juge, ce n'est pas vous. Tu arriveras ainsi à la
perfection. Telle est la doctrine que t'enseigna ma Vérité,
s'il t'en souvient bien.
16. — Maintenant, ma très chère fille, je dis que ceux qui
suivent cette doctrine ont, dès cette vie, un avant-goût de
la vie éternelle. Si tu la conserves dans ton âme, tu ne
tomberas jamais dans les pièges du démon; car tu les
reconnaîtras aux signes que tu m'as demandés. Mais pour
satisfaire plus complètement tes saints désirs, je te mon-
trerai que votre jugement ne doit jamais condamner, mais
seulement compatir.
CI. — Ceux qui sont dans la perfection de la troisième lu-
mière reçoivent dés ce monde un avant -goût de la vie
éternelle.
1. — Mes serviteurs reçoivent les arrhes de la vie éter-
TRAITÉ DE LA PRIÈRE — CB. CI
177
nelle. Je dis les arrhes et non pas la plénitude de la ré-
compense, parce qu'ils espèrent la recevoir en moi,, la
Vie durable, où la vie est sans mort, le rassasiement sans
dégoût, la faim sans souffrance ; la peine alors sera sé-
parée de la faim, parce qu'ils auront ce qu'ils désirent,
et leur rassasiement ne connaîtra pas l'ennui, parce que
je suis une nourriture sans aucun défaut. Ici-bas ils re-
çoivent les arrhes de ce bonheur, parce que l'âme est
affamée de mon honneur et du salut des âmes ; et comme
elle en a faim, elle s'en nourrit, c'est-à-dire que l'âme
se nourrit de la charité du prochain, dont elle a faim
comme d'une nourriture, et en s'en nourrissant elle ne
s'en rassasie jamais, parce qu'elle est insatiable et qu'elle
a une faim continuelle.
2. _ Les arrhes sont une garantie qu'on donne à l'homme
pour qu'il attende le payement. Cette sûreté n'est pas par-
faite en elle-même, mais par la foi elle donne la certitude
d'arriver au complément, et de recevoir en totalité le paye-
ment. De même cette âme passionnée et revêtue de ma
Vérité a reçu, dès cette vie, les arrhes de ma charité et
de la charité du prochain; elle n'est pas parfaite, mais
elle attend la perfection de la vie éternelle.
3. — Ce qu'elle reçoit n'est pas parfait, parce qu'elle n'est
pas arrivée à cette perfection où elle ne souffre ni en
elle, ni dans les autres : en elle, par l'offense que me cause
la loi perverse qui est dans ses membres et qui combat
contre l'esprit; dans les autres, par les fautes du prochain.
Ce qu'elle reçoit est parfait quant à la grâce, mais elle
n'a pas la perfection dont jouissQnt les saints dans le ciel;
car, comme je te l'ai dit, leurs désirs sont sans peine,
tandis que les vôtres vous font souffrir.
4. —Mes serviteurs, qui se nourrissent â la table des saints
-désirs, sont heureux et affligés comme mon Fils unique
l'était sur le bois de la sainte Croix ; car sa chair était
douloureuse et tourmentée, tandis que son âme était bien-
heureuse par l'union de la nature divine. De même ceux-
là sont bienheureux par l'union de leur saint désir en
moi, parce qu'ils ont revêtu ma douce volonté. Ils souffrent
parce qu'ils compatissent au malheur du prochain, et qu'ils
affligent leurs sens en leur retranchant tous les plaisirs
et toutes les consolations temporelles.'
dialogue do Ste Cath. de S. — 12.
'
178
DIALOGUE I1E SAINTE CATHERINE
Cil. — Comment on doit reprendre le prochain sans tom-
ber dans de faux jugements.
i. — Ma fille bien-aimée, écoute maintenant, alin que
tu puisses mieux comprendre ce que tu me demandais.
Je t'ai parlé de la lumière générale que vous devez tous
avoir, dans quelque état que vous soyez, dès que vous
êtes dans la charité commune. Je t'ai dit que ceux quj
étaient dans la lumière parfaite l'avaient de deux manières;
les uns se séparent du monde et s'appliquent a morti-
fier leurs corps ; les autres mettent tous leurs soins à tuer
leur volonté; ce sont les parfaits qui se nourrissent à la
lalile du saint désir.
2. — Maintenant je te parlerai plus particulièrement, el
en te parlant je parlerai aux autres et je satisferai ton.
désir. Je veux surtout que tu fasses trois choses, afin que
l'ignorance n'empêche pas la perfection à laquelle je t'ap-
pelle. Il ne faut pas que le démon, sous le manteau de
la charité du prochain, nourrisse en toi la racine de la
présomption pour le faire tomber dans les faux jugements
que je t'ai défendus. Tu croirais juger bien et tu juge-
rais mal, si tu suivais tes impressions, et le démon te
ferait souvent voir beaucoup de vérités pour te conduire
au mensonge. Cela t'arriverait si tu te faisais juge des pen-
sées et des intentions des créatures raisonnables ; cal
comme je te l'ai dit, je dois seul les juger.
3. — C'est là une des trois choses que je te recom-
mande d'observer. Je veux que tu ne juges personne sans
une règle, et je veux que cette règle soit celle-ci : A moins
que je ne t'aie manifesté clairement, non seulement une
ou deux fois, mais plusieurs fois, le défaut de ton pro-
chain., tu ne dois pas reprendre particulièrement celui
en qui tu crois voir ce défaut, mais tu dois reprendre
d'une manière générale les vices de celui qui vient t<-
visiter, et lui prêcher la vertu avec charité et douceur,
en n'ajoutant la sévérité à la douceur que si tu en vois
le besoin.
4. — S'il te semble que je t'ai montré soiivént les dé-
fauts de quelqu'un, mais si tu ne vois pas que ce soit
TRAITE DK LA l'IUKHK — Cil. CLI I
170
une révélation formelle, comme je te l'ai dit, tu ne dois
pas le reprendre particulièrement ; tu dois suivre la voie
la plus sûre, afin d'éviter les pièges et la malice du dé-
mon qui pourrait te prendre par l'amorce du désir, en
te faisant souvent voir dans le prochain ce qui n'y se-
rait pas ; tu pourrais ainsi te scandaliser injustement.
5. — Que ta bouche garde donc le silence, ou qu'elle
parle seulement de la vertu pour combattre le vice ; et
quand tu croiras reconnaître dans les autres un défaut,
reprends-le aussi en toi-même par un acte d'une sincère
humilité. Si ce défaut est véritablement dans cette per-
sonne, elle se corrigera mieux, en se voyant si doucement
reprise, et tes avis lui seront plus profitables, en te disant
à toi-même ce que tu voulais dire. Tu seras plus tran-
quille toi-même et tu auras repoussé le démon, qui ne
pourra pas te tromper et empêcher la perfection de ton
âme.
6. — Je veux que tu saches que tu ne dois pas te fier
à ce que tu vois ; il vaut mieux détourner la tête et tâ-
cher de ne rien voir ; mais il faut seulement persévérer
dans la vue et la connaissance de toi-même, et dans celle
de ma bonté et de ma générosité envers toi. Ainsi font
ceux qui sont arrivés au dernier état dont je te parle,
ils retournent toujours à la vallée de la connaissance d'eux-
mêmes. Cela n'empêche pas leur élévation et leur union
avec moi. C'est là une des trois choses que je t'ai dit que
je voulais te voir faire pour que tu me serves en vérité.
CIII. — Celui qui voit une âme pleine de ténèbres ne doit
pas en conclure qu'elle est en péché mortel.
i'i:rS
i. — Voici maintenant la seconde explication : si, en
priant particulièrement pour deux âmes, tu vois dans l'une
la lumière de ma grâce que tu ne vois pas dans l'autre,
quoique les deux me soient fidèles, il ne faut pas con-
clure des ténèbres de l'âme éprouvée que son état vient
de quelque faute; car souvent ton jugement pourrait être
faux. Quelquefois, en priant pour quelqu'un tu trouveras
en lui une lumière et un désir de moi si saint, qu'il le
semblera que ton âme s'engraisse de sa vertu, comme le
^1
180 DIALOGUE RK SAINTE CATHERINE
veut l'ardeur de la charité qui fait participer chacun au
bien des autres. Une autre fois au contraire son âme t,
semblera éloignée de moi et si pleine de ténèbres et dfl
citions, que ce te sera une fatigue d'oOr.r pour «He
tes prières devant moi. H pourra se fa.re que cet tat
vienne de quelque défaut de celui pour qu, tu pr.es Mai*
e plus souvent ce ne sera pas la punition d'une faute,
mais l'effet d'une de ces privations que j'envo.e souvetf
pour faire parvenir à la perfection, ainsi que je te lai dit
en te parlant des états de l'âme.
2 - Je me serai retiré par sentiment et non par grâce.
L'âme ne sentira plus de douceur et de consolation; e le
sera plongée dans la sécheresse, l'aridité, la peine; et cette
peine, je la fais sentir à ceux mêmes qui prient pou,
cette âme. J'agis ainsi par amour pour cette âme qu.es
l'objet delà prière, afin que celui qui prie s unisse a elle
pour dissiper le nuage qui l'environne. Ainsi tu vois, ma
douce et chère fille, combien serait ignorant et digne M
blâme celui qui jugerait sur les apparences et qui croi-
rait que c'est le péché qui cause les ténèbres que je ta.
montrées dans cette âme; car tu as vu qu'elle n était pas
privée de ma grâce, mais seulement de la douceur du
sentiment que je lui donnais de ma présence.
3 _Oui vous tous, mes serviteurs, vous devez désire,
vous connaître parfaitement vous-mêmes, afin que vous
connaissiez plus parfaitement ma bonté envers vous. La.s-
sez-moi les jugements sur les autres, car c'est ma part
et non la vôtre. Abandonnez-moi la justice qui m appar-
tient- ayez seulement compassion de votre prochain, et
faim 'de mon honneur et du salut des âmes. Prêche* H
vertu avec l'ardeur du désir et reprenez le vice en vous
et dans les autres, comme je l'ai dit plus haut.
4 - C'est ainsi que tu viendras à moi en vente et que
tu montreras que tu gardes et que tu observes la doc-
trine que t'a donnée mon Fils. Ne vois que ma volontt
et non celle des hommes; c'est le seul moyen d'acquérir
une vertu réelle et de demeurer dans la parfaite et grande
lumière, en te nourrissant à la table des saints désin*
de la nourriture des âmes, pour la gloire et l'honneur de
mon nom.
T1UIT1
> DE LA PR1KBK — Cil.
C1V
•181
CIV - On ne doit pas prendre pour fondement de l'âme la
pénitence, mais l'amour de la vertu.
i _ Ma fille bien-aimëe, après ces deux choses, je t'en
dirai une troisième à laquelle je veux que tu fasses at-
tention pour en profiter toi-même, si le démon ou la fa-
ble se d P e ta vue'te portait à vouloir conduire mes ser-
viteurs par la voie où tu as marché toi-même, car c se-
rait contre la doctrine que tu as reçue de ma Venté II
arrive souvent qu'en voyant marcher les autres pa la voie
d'une austère pénitence, on veut que tous su .vent la mcmc
route, et s'ils ne la prennent pas, on en est afflige, scan-
dalisé, et on pense qu'ils font mal.
2 - Vois cependant quelle erreur. Souvent celui qu'on
iu-e mal parce qu'il fait moins pénitence, fera mieux et
sera plus vertueux, quoiqu'il ne pratique pas les austé-
rités de celui qui murmure. Je te l'ai dit, si ceux qui se
nourrissent à la table de la pénitence n'agissent pas avec
une humilité véritable, s'ils ne prennent pas la pénitence,
non comme but principal, mais comme instrument de vei-
tu leurs murmures nuiront souvent à leur perfection.
3 - Ils doivent savoir que la perfection ne consiste pas
à macérer et à tuer son corps, mais à détruire sa propre
volonté, et c'est par cette voie de la volonté anéantie
et soumise à ma douce Volonté que vous devez désire,
ce que je veux que tu désires pour tous. C'est la doctrine
éclatante de cette glorieuse Lumière, où court l'âme pas-
sionnée et revêtue de ma Vérité.
4 -Je ne méprise pas cependant la pénitence; car la
pénitence est bonne à dompter le corps, quand .1 veut
combattre contre l'esprit. Mais je ne veux pas, ma chère
fille que tu la prennes pour règle générale, parce que
tous les corps ne sont pas égaux et n'ont pas la même
complexion ; la nature est plus forte dans l'un que dans
l'autre, et souvent il arrive, comme je te l'ai dit, que les
circonstances forcent à abandonner les austérités qu ■on
avait commencées. Alors, si tu avais pris ou si tu avais
fait prendre la pénitence pour base de conduite, il y au-
rait découragement, imperfection ; l'âme perdrait la con-
solation et la vertu.
1K-2
DIALO«l r E DK SAINTE CATHEMNE
5. — Parce que vous êtes privés d'une chose que vous
aimiez trop et que vous aviez prise pour votre but, vous
vous croyez privés de moi, et en vous croyant séparés de
ma bonté, vous tombez dans l'ennui, le dégoût et le trou-
ble. Vous perdez ainsi la pratique de l'oraison et la fer-
veur que vous aviez quand vous faisiez pénitence. Les cir-
constances vous ont forcés à l'abandonner, et vous ne
trouvez plus dans la prière la douceur que vous goûtiez
auparavant. Cela vient de ce que vous avez pris pour fon-
dement l'amour de la pénitence, et non l'ardeur du àésii
des véritables et solides vertus.
6. — Tu vois le mal qui arrive lorsque vous prenez pour
base principale la pénitence : vous êtes dans l'erreur et
vous tombez dans des murmures contre mes serviteurs.
Vous rencontrez l'ennui, l'amertume, et vous voulez me
servir par des œuvres finies, moi qui suis le Bien infini
et qui vous demande un désir infini. La chose principale
pour vous est de tuer et d'anéantir la volonté-propre.
C'est en la soumettant entièrement à ma volonté que vous
me présenterez, comme une agréable offrande, l'ardeur de
votre désir infini pour mon honneur et le salut des
Ames.
7. — Vous vous nourrirez ainsi à la table du saint dé-
sir, et vous ne serez jamais scandalisés, ni à votre occa-
sion, ni à celle du prochain ; mais vous vous réjouirez
en toute chose, et vous profiterez des moyens si variés
que je donne à l'àme. Ce n'est pas ce que font les mal-
heureux qui ne suivent pas cette douce doctrine, et la
voie droite donnée par ma Vérité. Ils jugent au contraire
selon l'aveuglement et l'infirmité de leur vue ; ils vont
comme des insensés qui ignorent leur route; ils se privent
des biens de la terre et du ciel. Dos cette vie, comme
je te l'ai dit dans un autre endroit, ils ont un avant-
goût de l'enfer.
CV. — Résumé des choses précédentes. — Explication sur la
correction du prochain.
1 — Maintenant, ma très chère fille, je satisferai ton
désir, et je t'expliquerai ce que tu me demandais sur la
TRAITÉ DE EA PRIÈRE — CH. CV
183
manière de reprendre ton prochain sans te laisser trom-
per par le démon, ou par la faiblesse de ta vue. Tu dois
le reprendre d'une manière générale, et non particulière,
à moins que je ne te l'aie expressément révèle ; mais
toujours avec une grande humilité, et en te reprenant
toi-même avec les autres.
2 - Je t'ai dit, et je te répète qu'en aucune occasion
il n'est permis de juger les créatures et les âmes de mes
serviteurs suivant les dispositions heureuses ou fâcheuses
où on les trouve. Car tu es incapable de les juger, et
en le faisant tu te tromperais dans tes jugements. Vous
devez compatir au prochain, et me le laisser juger.
3 - Je t'ai dit aussi la règle que tu devais donner
à ceux qui viendraient te consulter et qui voudraient
sortir des ténèbres du péché mortel et suivre les sentiers
de la vertu. Il faut leur donner pour principe et fondement
l'amour de la vertu, par la connaissance d'eux-mêmes et
la connaissance de ma bonté envers eux; il faut leur
faire tuer et détruire leur propre volonté, afin qu'elle ne se
révolte jamais contre moi. Montre-leur la pénitence comme
un moyen, et non comme un but; elle ne doit pas être
('.gale pour tous, mais elle doit se régler sur l'aptitude,
les forces et l'état de chacun : les uns peuvent beaucoup,
les autres moins, selon leurs dispositions extérieures.
4. - Je t'ai dit qu'il ne fallait reprendre le prochain que
d'une manière générale, et c'est la vérité. Je ne veux pas
cependant que tu penses qu'en voyant un défaut formel
dans quelqu'un, tu ne puisses le reprendre entre toi et
lui. Tu peux le faire, et même s'il s'obstine et s'il ne se
corrige pas, tu peux le dire à deux ou trois personnes ,
et si cela ne sert de rien, tu peux le déclarer au corps
mystique de la sainte Église (S. Matthieu, xvni, 15-17).
Mais je t'ai dit d'être prudente et de ne pas te hâter sur
des apparences que tu verras dans ton esprit ou extérieu-
rement. A moins de voir clairement la vérité, ou d'en
recevoir une révélation positive, tu ne dois reprendre per-
sonne, si ce n'est comme je te l'ai dit : c'est le parti le
plus sur pour que le démon ne te trompe pas sous le
manteau de la charité. J'ai fini maintenant, ma bien chère
fille, de t'expliquer ce qui est nécessaire pour conserver
et accroître la perfection de l'âme.
'.
ISi
DIALOGUE l)K SAINTE CATHERINE
CVI. — Des signes qui font connaître si les visites et les vi-
sions spirituelles viennent de Dieu ou du démon.
1. — Je vais te dire maintenant ce que tu me demandais
sur le signe que je donne à l'âme dans ses visions et ses
consolations spirituelles pour distinguer les visites qu'elle
reçoit, et pour reconnaître si elles viennent de moi ou
d'un autre. Je l'ai dit que le signe de ma visite était la
joie que je laissais dans l'urne et la faim de la vertu
qu'elle ressent, les sentiments d'une humilité sincère et
l'ardeur de la divine charité. Tu m'as demandé si dans
cette joie ne pouvait pas se rencontrer quelque illusion,
parce que tu voudrais suivre la route la plus sûre et le
signe de la vertu qui né peut t'égarer. Je te dirai le piégé
que tu dois craindre et comment tu reconnaîtras si cette
joie est bonne ou mauvaise. Voici la manière dont renne
mi peut vous tromper.
2. — Apprends que toute créature raisonnable qui aime
et désire une chose, éprouve de la joie lorsqu'elle la pos-
sède ; et plus elle aime cette chose, moins elle la voit
avec discernement, moins elle s'applique à la connaître
avec prudence. Elle est tout entière à la jouissance de
ce qu'elle a désiré, et la joie qu'elle y trouve la rend
aveugle à son sujet. Aussi ceux qui aiment et désirent
trop les consolations spirituelles, recherchent les visions
et s'attachent plus aux douceurs des consolations qu'à
moi-même, comme je te l'ai dit de ceux qui sont dans
l'état imparfait, parce qu'ils s'arrêtent plus aux faveurs
qu'ils reçoivent de moi qu'à l'ineffable charité avec laquelle
je leur donne.
3. — Ces personnes peuvent être trompées dans leur
joie, sans compter les autres dangers qui les menacent.
Comment sont-elles trompées ? Le voici : Lorsque l'ànic
s'est passionnée pour la consolation et qu'elle la reçoit
de quelque manière, elle ressent une grande joie, paire
qu'elle voit ce qu'elle aime et ce qu'elle désire. Souvent
ces consolations peuvent venir du démon, et l'âme en res-
sent cependant de la joie. Mais, je te l'ai dit, quand c'est
le démon qui agit, cette visite de l'âme commence dans
TRAITÉ DE LA PB1KBE
CH. GVI
185
la joie et finit dans la peine, le trouble de la conscience
.et l'indifférence de la vertu.
4. — Quelquefois l'âme peut avoir cette joie et la con-
server jusqu'à la fin de l'oraison, mais si cette joie se
trouve sans un ardent désir de la vertu, si elle n'est pas
embaumée d'humilité et embrasée du feu de ma divine
charité, ces visites, ces consolations, ces visions qu'elle
a reçues sont du démon et non de moi, quoiqu'elle éprou-
ve le signe de la joie. Puisque cette joie n'est pas unie
à l'amour de la vertu, il est évident qu'elle vient de
l'amour que l'âme avait pour sa propre consolation. Elle
jouit, elle est heureuse parce qu'elle a ce qu'elle désirait,
car c'est le propre de tout amour de ressentir de la joie
quand il reçoit ce qu'il aime.
5. — Tu ne dois donc pas te fier à ta seule joie, lors
même qu'elle durerait pendant toute la consolation, et en-
core davantage. L'amour aveuglé par cette joie ne peut re-
connaître la tromperie du démon, s'il n'agit pas avec pru-
dence, mais en agissant avec prudence, l'âme verra si la joie
est accompagnée de l'amour de la vertu, et par ce moyen elle
connaîtra si la' visite qu'elle reçoit vient de moi ou du démon.
6. — Ainsi pour reconnaître quand c'est moi qui te vi-
site, il faut que ta joie soit unie à la vertu ; c'est le signe
que je t'ai donné et qui te fera discerner l'erreur et la véri-
té, c'est-à-dire la joie qui viendra réellement de moi et la
joie qui viendra de l'amour-propre spirituel uniquement at-
taché à la consolation. Ma visite donne la joie unie à l'amour
de la vertu, et celle du démon donne la joie seulement. Quand
on s'aperçoit que la vertu n'augmente pas, on doit en con-
clure que la joie procède de l'amour de la consolation.
7. — Je veux que tu saches que tous ne sont pas trom-
pés par cette joie ; il n'y a que les imparfaits qui re-
cherchent la consolation et qui s'attachent plus au bienfait
qu'au bienfaiteur. Mais ceux qui sont embrasés pour moi
d'un amour pur et désintéressé, ceux qui aiment le bienfait
à cause du bienfaiteur et non à cause de leur consola-
tion, ceux-là ne peuvent jamais être trompés par cette
joie; car ils ont un signe certain pour reconnaître que le dé-
mon veut les tromper en se transformant en ange de lu-
mière et en les remplissant d'allégresse. Ils ne sont point
passionnés pour la consolation, et ils reconnaissent avec
ISti
DIALOGUE I>K SAINTE CATHEHINE
prudence le piège du démon ; leur joie passe vite. et.
comme ils voient qu'ils sont dans les ténèbres, ils s'hu-
milient dans la vraie connaissance d'eux-mêmes. Ils mé-
prisent toute consolation et embrassent avec, ardeur la
doctrine de ma Vérité. Le démon, honteux de sa défaite.
ne revient jamais ou presque jamais sous cette forme.
8. — Ceux qui aiment leur consolation seront souvent
ainsi trompés, mais ils reconnaîtront leur illusion par le
moyen que je t'indique, c'est-à-dire en s'apercevant que
cette joie n'est pas accompagnée de l'amour de la verlu.
de l'humilité, de la vraie charité, du désir de mon hon-
neur et du salut des âmes. Mon ineffable bonté donne
ainsi aux parfaits et aux imparfaits, dans quelque état
qu'ils soient, un moyen de n'être jamais trompé. Si vous
voulez conserver la lumière de l'intelligence que je vous"
donne par la sainte foi, ne la laissez jamais obscurcir
par le démon et par l'amour-propre ; car si vous ne la
perdez pas volontairement, personne ne pourra vous l'en-
lever.
CVII. — Dieu satisfait aux désirs de ses serviteurs. — Com-
bien lui sont agréables ceux qui frappent avec persévé-
rance à la porte de la Vérité.
1. — Maintenant, ma très chère fille, j'ai clairement
dévoilé à l'œil de ton intelligence les pièges que le démon
pourrait te tendre, et j'ai satisfait aux demandes que tu
m'avais adressées, car je ne méprise jamais les désirs de
mes serviteurs; je donne à qui demande, et je vous in-
vite à demander. J'ai en aversion celui qui ne frappe pas
véritablement à la porte de mon Fils en suivant sa doctrine.
Suivre sa doctrine, c'est frapper en m'appelant par la
voix du saint désir, par d'humbles et continuelles prière*
2. — Je suis le Père qui vous donne le pain de la grâce
à la porte de ma douce Vérité. Quelquefois, pour éprouver
vos désirs et votre persévérance, je parais ne pas entendre,
mais je vous entends bien et je vous donne ce dont vous
ave/, besoin ; car je vous donne la faim et la voix avec la-
quelle vous criez vers moi. En voyant votre cons-
tance, j'accomplis vos désirs lorsqu'ils sont justes et diri
gés vers moi. C'est à demander ainsi que ma Vérité vous
'n
TRAITÉ UIC LA PRIERE
GIF.
18'
invite lorsqu'elle dit : « Appelez et on vous répondra ; frap-
pez et on vous ouvrira; demandez et on vous donnera ».
- 3. — Et moi je te le dis aussi : Je ne veux pas que tu
te lasses de désirer et de chercher mon secours. Que ta
voix ne cesse jamais de crier vers moi pour que je fasse
miséricorde au monde. Frappe toujours à la porte de mon
Fils ; aime à être avec lui sur la croix, à te nourrir de
la nourriture des âmes pour la gloire et l'honneur de mon
nom, et à gémir dans l'angoisse de ton cœur sur la perte
des hommes que tu vois plongés dans une telle misère,
que .la langue ne saurait jamais la raconter. C'est par vos
cris et vos gémissements que je veux faire miséricorde
au monde. Et c'est pour cela que je les demande à mes
serviteurs ; ils me prouveront ainsi qu'ils m'aiment en
vérité, et je te l'ai dit, je ne mépriserai pas leur désir.
CVIII. - L'âme rend grâces à Dieu et prie pour le monde, et
en particulier pour le corps mystiqSe delà sainte Église.
1. _ Alors cette âme, tout enivrée, paraissait hors
d'elle-même ; l'action de ses sens était suspendue par
l'amour qui l'unissait à son Créateur ; son intelligence était
ravie dans la contemplation de l'éternelle Vérité ; ce qu'elle
voyait l'enflammait d'ardeur, et elle disait:
2. — souveraine et étemelle bonté de Dieu! qui suis-
je, misérable, pour que vous le Père, vous me manifes-
tiez votre vérité et les pièges secrets du démon, les dan-
gers de l'amour-propre auxquels je suis exposée pendant
le pèlerinage de cette vie, pour que je ne sois pas trom-
pée par le démon et par moi-même? Qui vous fait agir
ainsi ? L'amour ! Vous m'avez aimée avant d'être aimé de
moi.
3. _ O foyer d'amour ! grâces, grâces vous soient rendues
à vous, ô Père éternel ! Je suis imparfaite et remplie de té-
nèbres, vous êtes la perfection et la lumière. Vous m'avez
montré la perfection et la voie lumineuse de la doctrine de
votre Fils unique. J'étais morte et vous m'avez ressuscitée;
j'étais malade et vous m'avez guérie. Non seulement vous
m'avez donné lé remède du sang que vous avez appliqué au
genre humain malade, par votre Fils unique, mais vous m'a-
■188
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
vez donné un remède pour les infirmités secrètes que je ne
connaissais pas, en m'apprenant qu'il ne fallait juger au-
cune créature raisonnable, surtout vos serviteurs : je tom-
bais souvent dans cet aveuglement et cette infirmité, en 1rs
jugeant témérairement, comme par zèle pour votre honneur
et pour le salut des Ames.
4. — Je vous remercie, souveraine et éternelle Bonté, de
m'avoirfait connaître mon infirmité en me manifestant votre
vérité et les illusions du démon et de l'amour-propre. Je
supplie votre grâce et votre miséricorde de me mettre dans
l'impossibilité de m'écarter des enseignements que vous
avez daigné donner à moi et à tous ceux qui voudront les
suivre. Sans vous, rien ne peut se faire ; j'ai donc recoursà
vous, je me réfugie en vous , ô Prie éternel, et je ne vous im-
plore pas pour moi seule, mais pour le mondeentier et par-
ticulièrement pour le corps mystique de la sainte Kglise.
5. — Que cette doctrine que vous m'avez enseignée, à moi
misérable, brille dans vos ministres. Je vous le demande
aussi spécialement pour tous ceux que vous m'avez donmV.
que j'aime d'un amour particulier et (pie vous avez laits une
même chose avec moi ; car ils seront ma joie pour la gloire
et l'honneur de votre nom, si je les vois courir dans cette
douce et droite voie, parfaitement morts à leur volonté, à
leurs opinions, purs de tout jugement, de tout scandale et
de tout murmure contre leur prochain. Je vous demande, ô
mon doux Amour, qu'aucun ne me soit ravi par les mains
de l'infernal démon, mais que tous parviennent à vous,0
Père, qui êtes Jeur fin dernière.
6. _ Je vous fais aussi une autre prière pour les deux
appuis que vous avez donnés à ma faiblesse, pour les deux
pères auxquels vous avez confié ici-bas la garde et l'ensei-
gnement de ma misère, depuis le commencement de ma
conversion jusqu'à cette heure. Unissez-les ensemble ; que
leurs deux corps n'aient qu'une âme, et qu'ils ne pensent
qu'à accomplir en eux et dans le ministère que vous leur
avez donné, la gloire et l'honneur de votre nom pour le sa-
lut des âmes. Et moi, leur indigne et misérable servante,
que j'agisse avec eux par amour pour vous, avec un grand
respect et une sainte crainte, et que je fasse tout pour votre
honneur, pour leur paix et leur repos et pour l'édification
du prochain.
TRAITÉ DE LA PRIÈRE - CH. C1X
-189
7 _ Je suis certaine, ô Vérité suprême ! que vous ne mé-
la sainte **«» ■ , u comme ttent. S'a plaît a
%?£££ "tSfvoticoute^ pour augmenter en
Ll la douleur, la compassion que l'ai pour *, et 1 aident
désir que je ressens pour leui salut ca ■ } e
vous m'avez promis d'accorder aux sounrances, au
] l IZ lueurs aux prières de vos serviteurs, le repos et
SrmïdeSïïparde bons et saints pasteurs. Pour
queTpuii mieux y travailler, accordez-moi ma de-
mande.
CIX.
Dieu sollicite l'âme à la prière et répond à quelques-
unes de ses demandes.
! _ Alors Dieu, jetant un regard de miséricorde sur cette
,„e ne méprisa pas son désir. Il accueillit sa prière, e
££ slisftùre à ^demande qu'elle lui -ait faite au sme
le sa promesse, il lui disait: O ma très douce et très dure
Se je satisferai ton désir comme tu me le demandes,
pourvu que de ton côté tu ne commettes pas d'erreur ou
Négligence ; car ta faute serait beaucoup plus grave et
beaucoup plus digne de reproche maintenant qu aupara-
vant pique tu connais davantage ma vérité. Applique-toi
donc à prier pour toutes les créatures raisonnables, pour le
corps mystique de la sainte Église et pour ceux que ,e tai
donnés et que tu aimes d'un amour part.cu lier
2 -Oui, ne cesse jamais de prier avec ardem offre a
tous l'exemple de ta vie, l'enseignement de ta parole ; «™-
bats le vice et prêche la vertu autant que tu 1 , pomras
Pour les appuis que je t'ai donnés, ce que tu m as dit es
vrai. Tâche d'être un moyen de donner a chacun ce dont ,1
a besoin ; c'est moi, ton Créateur, qui te ferai faire ce qui
■
m
11 M)
Hl M.uiil K DE SAINTE i: Al 111:111 NK
IftUf convient, car sans moi tu ne pourrais rien faire. "Je
remplirai tous tes désirs; mais ne cesse jamais d'espé-
rer en moi, parce que ma providence ne voiré manquera
jamais. Que chacun reçoive humblement ce qu'il est capa-
ble de recevoir; qu'il remplisse le ministère que je lui ai
confié, selon la mesure qu'il a reçue et qu'il recevra de ma
bonté.
CX. — De la dignité des prêtres. — De la sainte Eucharistie,
et de ceux qui la reçoivent dignement ou indignement.
1. — Je vais répondre à ce que tu m'as demandé sur le.
ministres de la sainte Église, et pour que tu comprennes
mieux la vérité, ouvre l'œil de ton intelligence et regarde
leur excellence et la dignité à laquelle je les ai élevés.
Comme les choses se comprennent mieux par leur contraire
je veux te montrer la grandeur de ceux qui font saintement
valoir le trésor que je leur ai confié. Tu verras ainsi davan-
tage la misère de ceux qui, à celte époque, sont attachés au
sein de l'Église, mon épouse.
2. — Alors cette âme obéissante contempla la Vérité, et
vit briller la vertu de ceux qui la goûtent véritablement
Dieu lui disait : Ma fdle bien-aimée, je veux d'abord te mon-
trer la dignité que ma bonté leur a donnée, outre l'amour
général que j'ai eu pour mes autres créatures en les créant
à mon image et ressemblance, et en les faisant renaître à la
grâce dans le sang de mon Fils unique.
3. — L'union de ma divinité à la nature humaine par mon
Fils vous a tellement élevés, qu'en cela vous surpassez l'an-
ge même, puisque la Divinité a pris votre nature et non
celle de l'ange, tellement que, comme je. te l'ai dit, Dieu
s'est fait homme et l'homme est devenu Dieu par l'union des
deux natures. Cette grandeur a été donnée à toutes les
créatures raisonnables ; mais parmi les créatures j'ai choisi
des ministres pour votre salut, afin que vous receviez de leur
main le sang de l'humble Agneau sans tache, mon Fils uni-
que. Je leur ai donné la charge d'administrer le soleil, en leur
confiant la lumière de la science et la chaleur de la divine
charité, et avec cette lumière et cette chaleur, la couleur,
c'est-à-dire le sang et le corps de mon Fils.
TU.UTK DE LA KVIEKK
— fiH. C*
i - Ce corps est un soleil ; car il n'est qu'une même
chose avec le vrai Soleil, et cette union est si grande, que
l'a séparation est impossible ; le soleil ne peut séparer sa
lumière de sa chaleur, ni sa chaleur de sa lumière, tant
leur union est parfaite. Ce Soleil ne quitte pas son centre,
il ne se divise pas pour éclairer tout le monde: quiconque
le veut, participe à sa chaleur. Aucune souillure ne peut
l'atteindre, et sa lumière lui est unie, ainsi que je te la.
dit
5 _ Le Verbe, mon Fils, avec son sang précieux, est donc-
un soleil tout Dieu et tout homme ; car il est une même cho-
se avec moi, et moi avec lui. Ma puissance n'est pas sépa-
rée de sa sagesse, et la chaleur, le feu du Saint-Espnt, a est
pas séparée du Père et du Fils, car il est une même chose
avec nous. Le Saint-Esprit procède du Père et du Fds ; nous
ne sommes qu'un même soleil.
6 - Moi, je suis le Soleil, le Dieu éternel, principe du
Fils et du Saint-Esprit; au Saint-Esprit est attribuée ar-
deur, au Fils la sagesse, et dans cette sagesse mes ministres
reçoivent une lumière de grâce, parce qu'ils administrent
cette lumière avec la lumière et la gratitude du bienfait
qu'ils ont reçu de moi, le Père, en suivant la doctrine de la
Sagesse, mon Fils unique.
7 - Cette lumière est celle qui a en elle la couleur de
votre humanité, unie l'une avec l'autre. La lumière de ma
divinité a été la lumière unie à la couleur de votre humani-
té et cette couleur est devenue lumineuse, quand elle de-
vint impassible par la lumière de la nature divine. Par ce
moyen, c'est-à-dire par le Verbe incarné, mêlé et uni a ma
nature divine et à la chaleur, au feu de l'Esprit-Saint, vous
avez reçu la Lumière. A qui l'ai-je donnée cette Lumière a
administrer? Ames ministres, dans le corps mystique de
la sainte Église, afin que vous ayez la vie, en vous donnant
son corps pour aliment et son sang pour breuvage.
8 - Je t'ai dit que ce corps est un soleil, et le corps ne
peut vous être donné sans le sang, le sang ni le corps sans
l'âme du Verbe; et l'âme ni le corps sans ma divinité, parce
que l'une ne peut être séparée de l'autre ; je t'ai dit ailleurs
que la nature divine ne pouvait jamais être séparée de la na-
ture humaine, ni par la mort, ni par aucune cause imagina-
ble Ainsi, dans cet ineffable sacrement, vous recevez toute
m
192
DIALOGUE DB SAINTE CATHERINE
l'essence divinesous la blancheur du pain, et comme le soleil
ne peut se diviser, la divinité et l'humanité entières ne peu-
vent se diviser dans la blancheur de cette Hostie. Quand
même l'Hostie serait divisée en des millions départies, dans
chacune de ses parties se trouverait le Dieu et l'homme
tout entiers, comme je te l'ai dit. En partageant un mi-
roir, on ne partage pas l'image qui se voit dans le miroir ;
de même en divisant l'Hostie, on ne divise pas la divinité
et l'humanité, mais elles se trouvent en chaque partie dans
leur totalité et sans être diminuées, comme le feu peut
le faire comprendre.
9. — Si tu avais une lumière, et si tout le monde venait en
profiter, la lumière ne diminuerait pas pour cela, et chacun"
l'aurait vue complètement. Il est vrai qu'on participe plus ou
moins à cette lumière, selon ce qu'on présente a la flamme ;
un exemple te le fera comprendre. Si des personnes por-
taient des flambeaux de poids différents, d'une once, de
deux, de trois, de six onces, ou d'une livre, et si elles les
allumaient à une lumière, les flambeaux, petits ou grands
recevraient tous la lumière, sa chaleur et son éclat, et pour-
tant le flambeau d'une once aurait moins que celui d'une
livre.
10. — lien est de même de ceux qui reçoivent ce sacre-
ment : chacun porte son flambeau, c'est-à-dire le saint désir
avec lequel il reçoit ce sacrement. Le flambeau est éteint, et
il s'allume en recevant le sacrement. Je dis qu'il est éteint,
parce que par vous-mêmes vous n'êtes rien. Il est vrai que
je vous ai donné la matière avec laquelle vous pouvez ali-
menter en vous cette lumière et la recevoir. Cette matière est
l'amour ; car je vous ai créés par amour, et vous ne pouvez
vivre sans amour.
11. — Cet être que vous a donné l'amour, a reçu au saint
baptême, en vertu du sang de mon Fils, la disposition sans
laquelle vous ne pourriez participer à cette lumière. Vous
seriez comme un flambeau sans mèche, qui ne peut briller et
recevoir la lumière. Il en serait de même pour vous, si votre
âme n'avait cette mèche qui reçoit la lumière de la sainte
foi, unie à la grâce que vous recevez au baptême, avec cette
faculté de votre âme créée pour aimer. L'âme est tellement
faite pour aimer, que sans amour elle ne peut vivre ; car
l'amour est vraiment sa nourriture. Mais où s'allume l'àme
TRAITE DE LA PRIERE — CH. C.X
193
ainsi préparée? Au feu de ma divine charité, en m'aimant,
en me craignant et en suivant la doctrine de mon Fils.
-12. — Il est vrai qu'elle s'enflammera plus ou moins, se-
lon la matière qu'elle aura pour alimenter le feu, Tjien que
vous ayez la même matière, puisque tous vous êtes créés à
mon image et ressemblance, et qu'étant chrétiens, vous avez
la lumière du saint baptême. Mais chacun peut croître en
amour et en vertu, selon qu'il le veut, avec le secours de
ma grâce. Vous ne changez pas la forme que je vous ai don-
née ; vous grandissez seulement et vous augmentez vos ver-
tus, en exerçant votre libre arbitre dans l'ardeur de la cha-
rité, pendant que vous en avez le temps ; car lorsque le
temps est passé, vous ne pouvez rien faire.
43. — Ainsi, vous pouvez croître en amour, comme je vous
l'ai dit, et avec cet amour vous devez venir recevoir l'inef-
fable Sacrement, cette douce et glorieuse Lumière, que j'ai
chargé mes ministres de vous distribuer pour votre nourri-
ture. Vous recevez cette lumière selon la mesure de votre
amour et l'ardeur de votre désir ; vous la recevez, comme
je te l'ai expliqué, par l'exemple de ceux qui ont des flam-
beaux, et qui reçoivent la lumière selon l'importance de ces
flambeaux, quoique la lumière soit complète et indivisible.
14.— Cette lumière ne peut être divisée par l'imperfection
de celui qui la reçoit ou de celui qui l'administre. Vous par-
ticipez à la lumière, c'est-à-dire à la grâce que vous recevez
dans ce sacrement, autant que vous vous disposez à le rece-
voir par un saint désir. Et si quelqu'un s'approche de ce
sacrement en état de péché mortel, il ne reçoit pas la grâce,
quoiqu'il reçoive réellement l'Homme-Dieu tout entier, ainsi
que je te l'ai dit.
15. — Ma fille bien-aimée, sais-tu à quoi ressemble cette
âme qui me reçoit indignement ? Elle ressemble à un flam-
beau qui est tombé dans l'eau et qui ne fait que pétiller
quand on l'approche du feu ; la flamme s'éteint dès qu'on
l'y met, et il ne reste que la fumée. Il en est ainsi de l'âme :
elle porte en elle le flambeau qu'elle a reçu clans le saint
baptême, mais elle jette en elle l'eau du péché, et cette eau
mouille la mèche, destinée à la lumière de la grâce dans le
saint baptême. Tant qu'elle ne l'a pas séchée par le feu
d'une vraie contrition et par l'humble confession de ses fau-
tes, elle va au banquet de l'Autel recevoir cette lumière cor-
Dialocue de Ste Cath. de S. — 13.
194
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
porellemcnt, mais non spirituellement.
16. — Ainsi, quand l'âme n'est pas disposée comme elle
devrait l'être pour un aussi grand mystère, cette vraie Lu-
mière ne reste pas en elle par la grâce ; mais elle disparaît,
elle s'éteint, et l'âme reste dans une confusion plus grande ;
les ténèbres du péché augmentent, et elle n'éprouve autre
chose de ce sacrement qu'un remords de conscience de
plus, non par l'effet de la Lumière qui ne peut jamais être
altérée, mais par l'effet de l'eau du péché qui est dans l'âme
et qui l'empêche de recevoir la Lumière.
17 _ Xu vois donc qu'en aucune manière cette Lumière,
unie à sa chaleur et à sa couleur, ne peut être altérer, ni
par la faiblesse du désir que l'àme apporte à recevoir ce
sacrement, ni par la faute de l'âme qui le reçoit, ni par
celle de celui qui l'administre. Je te disais que le soleil, en
éclairant une chose immonde, n'en est jamais souillé ; de
même cette douce Lumière, dans ce sacrement, ne peut
jamais être souillée, ni divisée, ni diminuée, ni séparée de
son centre, quoique le monde entier participe à sa lumière
et à sa chaleur.
18. — Ainsi, le soleil du Verbe, mon Fils, ne se sépare
jamais de moi, le Soleil son Père, lorsque dans le corps
mystique de la sainte Église, il est administré à tous ceux
qui veulent le recevoir ; mais il est toujours en moi ; et
vous le recevez cependant, Dieu et homme tout entier,
comme je te l'ai expliqué par la comparaison de la lu-
mière, où tous les hommes pourraient allumer leurs flam-
beaux, en la laissant dans sa totalité.
CXI. — Les sens du corps sont trompés dans ce sacrement,
mais non pas ceux de l'âme, qui le voit, le goûte et le tou-
che. — Belle vision de sainte Catherine.
1. — ma fille bien-aimée ! ouvre l'œil de ton intelli-
gence et contemple l'abîme de ma charité. Le cœur de
toute créature raisonnable ne devrait-il pas se briser d'amour
en voyant au milieu des bienfaits que vous recevez de
moi le bienfait que vous recevez dans ce divin sacrement '.'
Avec quels sens, ma chère fille, devez-vous voir et toucher
cet ineffable mystère? Ce n'est pas seulement avec les sens
TRAITÉ DE LA PRIÈRE — Cil. CXI
-195
du corps, car ils sont tous trompés. Tu sais que l'œil ne
voit que la blancheur du pain, la main ne touche et le goût
ne goûte que les apparences du pain; les sens grossiers sont
trompés, mais les sens de l'âme ne peuvent être trompés,
si elle le veut, c'est-à-dire si elle ne veut pas se priver dé
la lumière de la sainte foi par l'infidélité.
2. — Qui peut donc goûter, voir et toucher ce sacre-
ment? Les sens de lame. Avec quel œil voit-elle? Avec
l'œil de l'intelligence: si cet œil a la prunelle de la sainte
foi, cet œil voit dans cette blancheur l'Homme-Dieu tout
entier, la nature divine unie à la nature humaine, le
corps, l'âme et le sang du Christ, l'âme unie au corps, le
corps et l'âme unis en ma nature divine, et no se sépa-
rant pas de moi. Je t'ai montré ces choses, presque au
commencement de ta vie, non pas seulement aux regards
de ton intelligence, mais aussi aux yeux de ton corps, qui
furent aveuglés par l'éclat de la lumière et en laissèrent
la contemplation à l'intelligence. Je t'ai fait voir ces choses
pour te fortifier contre les attaques du démon sur ce sa-
crement, et pour te faire croître en amour dans la lumière
de la très sainte foi.
3. - Tu sais qu'en allant à l'église, dès l'aurore, pour
entendre la messe, après avoir été tourmentée par le dé-
mon, tu allas te placer en face de l'autel du Crucifix Le
prêtre était à l'autel de Marie, et toi, tu j'estais à exami-
ner ton indignité; tu craignais de m'avoir offensé par le
trouble que le démon t'avait causé, et tu considérais la
grandeur de ma charité qui avait bien voulu te faire en-
tendre la messe, tandis que tu pensais ne pas mériter
même d'entrer dans mon saint temple. Lorsque le prêtre
fut arrivé à la Consécration, tu levas les yeux sur lui et
pendant qu'il prononçait les paroles delà Consécration' je
me manifestai à toi. Tu vis sortir de mon sein, une lu-
mière semblable au rayon du soleil qui sort de son dis-
que sans cependant le quitter, et dans cette lumière venait
une colombe unie avec elle, et elle frappait sur l'Hostie
et le calice par la vertu des paroles de la Consécration
que le prêtre prononçait.
4. - Alors l'œil de ton corps ne fut plus capable de
supporter cette lumière ; il ne te resta pour en jouir que
1 œil de ton intelligence, et tu pus voir et goûter l'abîme
•196 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
de la Trinité, l'Homme-Dieu tout entier, caché et voilé
sous cette blancheur. Tu vis que la présence lumineuse
du Verbe, que ton intelligence voyait dans cette blancheur,
ne détruisait pas la blancheur du pain. L'une n'empêchait
pas l'autre- la vue de l'Homme-Dieu n'empêchait pas la
forme de ce pain, c'est-à-dire qu'elle n'en détruisait pas
la blancheur, le goût et le contact. Cela te fut montré par
ma bonté.
5 — Gomment as-tu joui de cette vision? Par 1 œil de
ton intelligence, avec la prunelle de la sainte foi. L'œil
de l'intelligence doit donc être le principal moyen de voir,
parce qu'il ne peut être trompé. C'est ainsi que vous de-
vez regarder ce sacrement. Et comment devez-vous le tou-
cher ? Avec la main de l'amour. C'est cette main qui
touche ce que l'intelligence a vu et connu dans le sacre-
ment ; l'âme touche avec la main de l'amour, comme pour
s'assurer de ce qu'elle voit par la foi et connaît par l'in-
telligence. Et comment le goùte-t-elle ? Avec le goût du
saint désir. Le goût du corps goûte la saveur du pain, et
le goût de l'âme, c'est-à-dire son saint désir, goûte l'IIom-
me-Dieu.
6. — Ainsi tu vois que les sens du corps sont trompés,
mais non ceux de l'âme ; l'âme au contraire est éclairée et
affermie, parce que l'œil de l'intelligence a vu avec la pru-
nelle de la foi ; et parce qu'elle voit et connaît, elle touche
avec la main de l'amour, elle goûte avec un ardent désir
l'ardeur de mon amour ineffable. C'est cet amour qui l'a ren-
due digne de recevoir un si grand mystère, et la grâce que
lui donne le sacrement. Tu vois que non seulement vous de-
vez recevoir et voir ce sacrement avec les sens du corps,
mais avec les sens spirituels, en disposant toutes les puis-
sances de l'âme à le contempler, à le recevoir, à le goûter
avec amour.
CXII. — De l'excellence que l'àme acquiert en recevant en
sacrement en état de grâce.
1 _. Regarde, ma fille bien-aimée, quelle excellence ac-
quiert l'âme qui reçoit comme elle doit le recevoir ce pain
TRAITÉ DE LA PRIÈRE - CH. CXIII
197
Hp vie cette nourriture des anges. En recevant ce sacre-
*nt elle est en moi et moi en elle ; comme le poisson
r L a mer et la mer dans le poisson, moi je su, dans
Pâme et Varna est en moi, rOcéa» *e la pai .m dansée
T-Tmi laisse l'empreinte de la grâce, comme fait le
ùmïre de la sagesse de mon Fils. L'œil de l'intelligence est
Siré de la sagesse du Verbe, pour qu'elle connusse e
comèmple la doctrine de ma Vérité; et cette sagesse qui
Se avec force, la fait participer à ma force toute pmssante
qui fortifie ramé contre sa propre passion sensitivc, contre
'V-^\T^X^^ reste quand le sceau
est levé c'est-à-dire quand les accidents de la sainte Hos-
tt SOT consom.es et que leSoleU retourne , à «* > disque,
dort il n'a jamais été cependant sépare, comme je te 1 ai dit
car il est toujours uni avec moi. L'excès de mon amour
voulu vous donner cette nourriture en cette vie, ou vous
êtes exilés et voyageurs, pour que vous ayez un soulage-
ment et que vous ne perdiez pas la mémoire du bénéfice du
sang Ma divine providence a voulu subvenir à vos besoins
en vous nourrissant de ma douce Vérité uge ™mtenan
combien vous êtes obligés de me payer d'amour, moi qm
vous aime tant, moi l'éternelle, la souveraine Bonté, si di-
gne d'être aimée !
CXIII - La grandeur du sacrement doit faire comprendre la
dignité de ceux qui en sont les ministres, - Dieu leur
demande une plus grande pureté qu'aux autres créatures.
1 - Je t'ai dit toutes ces choses, ma fille bien-aimée,
pour te faire mieux comprendre la dignité de mes ministres
et te faire plem." "lus amèrement sur leurs misères. S ils
193
DIALOGUE DK SAINTE CATHERINE
considéraient eux-mêmes leur dignité, ils ne resteraient
pas dans les ténèbres du péché mortel et ne souilleraient
pas ainsi leur âme. Non seulement ils ne m'offenseraient
pas et ne profaneraient pas leur dignité, mais, en livrant
même leur corps aux flammes, il leur semblerait ne pas
reconnaître assez le bienfait qu'ils ont reçu : car dans cette
vie présente, il leur est impossible d'attendre une plus
haute dignité.
2. — Je les ai sacrés et je les ai appelés mes Christs, parce
que je les ai chargés de me donner à vous. Je les ai placés
comme des fleurs odoriférantes dans le corps mystique
de la sainte Église. L'ange n'a pas cette dignité, et je l'ai
donnée aux hommes que j'ai choisis pour mes ministres.
Je les ai établis comme des anges, et ils doivent être
des anges terrestres en cette vie. Je demande à toute
âme la pureté et la charité ; je veux qu'elle m'aime et
qu'elle aime le prochain, l'aidant comme elle peut, l'as-
sistant de ses prières, et vivant en union avec lui, com-
me je te l'ai dit en traitant ce sujet. Mais j'exige bien
davantage la pureté dans mes ministres ; je leur demande
un plus grand amour envers moi et envers le prochain,
auquel ils doivent administrer le corps et le sang de mon
Fils, avec l'ardeur de la charité et la faim du salut des
âmes, pour la gloire et la louange de mon nom.
3. — Comme les prêtres veulent la pureté du calice où
se fait le sacrifice, moi je veux la pureté et la netteté de
leur cœur, de leur âme, de leur esprit. Et, parce que le
corps est l'instrument de l'âme, je veux aussi qu'ils le
conservent dans une pureté parfaite, et qu'ils ne le souillent
pas dans une fange immonde ; qu'ils ne soient pas enflés
■d'orgueil ni d'ambition pour les hautes dignités ; qu'ils ne
soient pas cruels envers eux et envers le prochain ; car ils
ne peuvent être cruels envers eux sans l'être pour le pro-
chain. S'ils sont cruels à eux-mêmes par le péché, ils sont
cruels aux âmes de leur prochain, parce qu'ils ne donnent
pas l'exemple d'une sainte vie et ne travaillent pas à tirer
les âmes des mains du démon et à distribuer le corps et
le sang de mon Fils unique, et moi la vraie Lumière, dans
Ues sacrements de l'Église. Si donc ils sont cruels à eux-
mêmes, ils le sont aux autres.
TRAITÉ DE LA PRIÈRE — Cil. CXIV
•199
CXIV - Les sacrements ne doivent pas se vendre m s'ache-
ter' - Ceux qui reçoivent les sacrements doivent fournir
aux prêtres les choses temporelles, dont les prêtres doivent
faire trois parts.
1 _ Je veux que mes ministres soient généreux et non pas
avares, c'est-à-dire qu'ils ne vendent pas par cupidité et
par avance la grâce du Saint Esprit, Ils ne doivent pas le fai-
re et je ne veux pas qu'ils agissent ainsi. Ce qu'ils reçoivent
de' moi par charité et par bonté, ils doivent le donner de
môme généreusement par amour pour mon honneur et pour
le salut du prochain; ils doivent le communiquer charitable-
ment à toute créature qui le demande humblement Ils ne
doivent le vendre d'aucune manière, puisqu'ils ne 1 ont pas
acheté, mais qu'ils l'ont reçu gratuitement de moi pour
au'ils en soient les ministres. Ils peuvent recevoir 1 aumône,
et celui qui participe aux sacrements est obligé de sub-
venir selon 'ses moyens, aux besoins de celui qui les lui
donne. , , .
y - Il est juste que vous fournissiez les choses tempo-
relles à ceux 'qui vous nourrissent de la grâce et des
biens spirituels, c'est-à-dire des sacrements que j'ai établis
dans la sainte Église pour qu'ils vous procurent le salut.
Et je vous dis en vérité qu'ils vous donnent incompara-
blement plus que vous ne leur donnez ; car on ne peut
comparer les choses finies et transitoires dont vous les
assistez, à moi, l'Infini, que ma providence et ma chante
les chargent de vous communiquer. Non seulement leur
ministère, mais encore les moindres grâces spirituelles
qu'une créature quelconque vous obtiendra par ses prières
ou par d'autres moyens, ne pourront jamais être reconnues
par toutes vos richesses temporelles, car elles n'ont aucune
valeur si on les compare à celles que reçoivent vos âmes.
3. — Maintenant, je te dirai que mes ministres doivent faire
trois parts des biens qu'ils reçoivent de vous. Ils vivront
de la première ; ils assisteront les pauvres avec la seconde,
et consacreront la troisième à l'Église et à ses besoins. S'ils
agissent autrement, ils m'offenseront.
CXV. — De la dignité du sacerdoce. — La vertu des sacre-
ments ne diminue pas par les fautes de ceux qui les admi-
nistrent, ou qui les reçoivent.
1. — Ainsi faisaient mes doux et glorieux ministres dont
je te disais que je voulais te faire voir les mérites avec
la dignité que je leur ai donnée en les faisant mes Christs,
car en exerçant saintement cette dignité, ils sont revêtus
de ce doux et glorieux Soleil que je leur ai donné à commu-
niquer. Regarde Grégoire, Sylvestre et tous les papes qui,
avant et après eux, ont succédé à Pierre, au premier
Souverain Pontife qui reçut la clef du royaume des cieux,
lorsque ma Vérité incarnée lui dit: « Je te donnerai les
clefs du royaume du ciel, et ce que tu délieras sur la terre
sera délié dans le ciel ; ce que tu lieras sur la terre sera lié
dans le ciel » (S. Matth., xvi, 19).
2. — Considère, ma fille bien-aimée, qu'en te montrant la
beauté de leur vertu, je te ferai mieux comprendre la di-
gnité à laquelle j'ai élevé mes ministres. Cette clef est
celle du sang de mon Fils unique, qui vous ouvre la vie
éternelle, depuis longtemps fermée par le péché d'Adam,
C'est pour cela que je vous ai donné ma Vérité, le Verbe
mon Fils, qui, en souffrant et en mourant, a détruit votre
mort et vous a fait un bain de son sang. Ce sang et cette
mort, par la vertu de la nature divine unie à la nature
humaine, a ouvert au genre humain la vie éternelle.
3. — A qui ai-je laissé les clefs de ce sang ? Au glorieux
apôtre Pierre et à tous ceux qui sont venus et qui viendront
après lui jusqu'au jour du jugement. Tous ont eu et auront
la même autorité que Pierre, et aucune de leurs fautes ne
diminuera cette autorité et n'affaiblira la perfection du sang
dans les sacrements ; car comme je te l'ai dit, ce Soleil n'est
souillé par aucune impureté, et il ne perd pas sa lumière par
les ténèbres du péché mortel qui se trouvent dans celui
qui le distribue ou qui le reçoit. La faute d'un homme ne
peut jamais nuire aux sacrements de l'Église ni diminuer leur
vertu, elle diminue seulement la grâce, et la culpabilité
augmente dans ceux qui les administrent ou les reçoivent
indignement.
4. — Ainsi le Pape, mon Christ sur terre, tient les clefs
TRAITÉ DE LA PRIÈRE — CH. CXVI
201
du sang comme je te l'ai montré en figure lorsque je voulus
te faire comprendre quel respect les séculiers devaient avoir
pour mes ministres, bons ou mauvais, et combien ils m'offen-
saient en ne les respectant pas. Tu sais que je t'ai montré
le corps mystique de la sainte Église sous la figure d'un
cellier qui renfermait le sang de mon Fils unique, et c'est
par ce sang que tous les sacrements ont leur vertu et con-
tiennent la vie.
5. — A la porte de ce cellier est mon Christ sur terre ;
il est chargé de distribuer le sang et de désigner ceux qui
aideront son ministère dans toute l'étendue de la chétienté.
A lui seul appartient l'onction qui donne le pouvoir; nul
ne peut le faire que lui ; c'est de lui que sort tout le
clergé, et il donne à chacun ses fonctions dans la distri-
bution de ce précieux sang.
6. — Comme il les a choisis pour ses auxiliaires, il a le
droit de les corriger de leurs fautes, et je veux qu'il en
soit ainsi. A cause de la dignité et de l'autorité dont
ils sont revêtus, je les ai affranchis du pouvoir et de la
servitude des princes de la terre. La loi civile n'a pas
à les punir de leurs infidélités, ils ne relèvent que de leur
supérieur dans la loi divine. Je les ai sacrés, et il est dit
clans l'Écriture : «Ne touchez pas à mes Christs » (Ps. civ,15).
Aussi, le plus grand malheur qui puisse arriver à l'homme,
c'est de se faire leur juge et leur bourreau.
■■
CXI.— Dieu regarde comme dirigées contre lui les persécutions
faites contre l'Église et ses ministres.
1. — Si tu me demandes pourquoi la faute de ceux qui
persécutent l'Église est plus grande que toutes les autres
fautes, et pourquoi je ne veux pas que les défauts des mi-
nistres affaiblissent le respect qu'on leur doit, je te répon-
drai que le respect qu'on leur doit ne s'adresse pas à eux
mais à moi, à cause de la vertu du sang que je les ai
chargés d'administrer. Sans cela, vous ne leur devriez pas
plus de respect qu'aux autres hommes ; mais leur ministère
vous oblige à un plus grand respect, car il faut que vous
vous adressiez à eux, non pas pour eux, mais à cause de
la vertu que je leur ai donnée, si vous voulez recevoir les
■■■■VI
202
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
sacrements de la sainte Église ; et si pouvant les recevoir
vous ne le vouliez pas, vous seriez et vous mourriez en
état de damnation.
2. — Votre respect s'adresse donc à moi et au glorieux
sang de mon Fils, qui est une même chose avec moi par
l'union de la nature divine à la nature humaine. Comme
ce n'est pas à eux, mais à moi que s'adresse ce respect,
c'est à moi aussi que le manque de respect s'adresse. Je
te l'ai déjà dit, vous ne leur devez pas le respect pour
eux, mais pour l'autorité que je leur ai donnée ; et en
les offensant, c'est moi et non pas eux qu'on offense ;
je l'ai formellement défendu en disant : Je ne veux pas
qu'on touche à mes Christs.
3. _ Personne ne peut s'excuser en disant : Je ne fais pas
injure à l'Église et je ne me révolte pas contre elle, mais
contre les défauts des mauvais pasteurs. Celui qui parle ain-
si se ment à lui-même et s'aveugle par amour-propre ; il voit
la vérité, mais il veut paraître ne pas la voir, pour cacher
les remords de sa conscience. Il voit bien qu'il persécute le
Verbe, Tnon Fils, et non pas de simples hommes; l'injure
s'adresse à moi comme le respect. Je reçois tous les torts,
les mépris, les affronts, les reproches, les opprobres dont
ils sont l'objet ; car je regarde comme fait à moi-même tout
ce qu'on leur fait.
4. _ j e le répète, je ne veux pas qu'on touche à mes
Christs ; c'est moi seul qui dois les punir. Les méchants
montrent le peu de respect qu'ils ont pour le sang de mon
Fils, et combien ils font peu de cas du trésor que je leur ai
donné pour le salut et la vie de leurs âmes : pou vez-vous rece-
voir plus qu'un Homme-Dieu pour nourriture? Parce que je
ne suis pas honoré par mes ministres, ils m'honorent moins
encore en les persécutant à cause de leurs défauts et de leurs
péchés. S'ils les respectaient véritablement, à cause de moi,
ils ne cesseraient pas de le faire, à cause de leurs défauts,
car aucun de leurs défauts ne diminue la vertu du sang de
mon Fils et ne doit par conséquent diminuer le respect :
quand ce respect diminue, on m'offense.
5. — Cette offense est plus grave que toutes les autres,
pour beaucoup de raisons, dont voici les trois principales.
Premièrement, ce qu'on leur fait est fait à moi-même. Se-
condement, on viole mon commandement, puisque j'ai de-
■■§■
TRAITE DE LA PRIERE — CH. CXVI
203
fendu de les toucher : on méprise ainsi la vertu du sang re-
çu dans le saint baptême ; car on désobéit en faisant ce qui
est défendu et en se révoltant contre ce sang qu'on ne res-
pecte plus et qu'on persécute. Ceux qui agissent ainsi sont
des membres corrompus, séparés du corps mystique de la
sainte Église ; et s'ils persistent dans leur révolte, s'ils de-
meurent dans leur mépris, ils tombent dans la damnation
éternelle. Si dans leurs derniers instants ils s'humilient et
reconnaissent leur faute, s'ils veulent se réconcilier avec
leurs chefs sans le pouvoir, je leur ferai miséricorde ; mais
ils ne doivent pas attendre ce dernier instant, parce qu'ils
ne sont pas sûrs de l'avoir.
6. — La troisième raison qui rend leur faute plus grave
que les autres, est que leur péché se commet avec malice et
préméditation. Ils savent qu'ils ne peuvent agir ainsi en
conscience, et ils m'offensent par un coupable orgueil, sans
aucune jouissance corporelle. Ils perdent ainsi leur âme et
leur corps. L'âme se meurt par la privation de la grâce, et
souvent le ver de la conscience la dévore. Leurs biens tem-
porels se consument au service du démon, et leur corps pé-
rit ensuite comme celui des animaux.
7. — Ce péché est commis directement contre moi, sans
utilité et sans jouissance, mais par malice et par orgueil.
Cet orgueil a sa racine dans l'amour-propre sensitif et dans
cette crainte coupable qu'eut Pilate, lorsque, par peur de
perdre son pouvoir, il fit mourir le Christ, mon Fils unique.
Ainsi font ceux qui ne respectent pas mes ministres. Beau-
coup de péchés sont commis par faiblesse ou par ignorance
et faute de lumière, ou par malice lorsqu'on connaît le mal
qu'on fait, et que pour un plaisir déréglé ou pour un avanta-
ge qu'on croit y trouver, on m'offense.
18. — Cette offense est commise contre moi, contre le
prochain et contre l'âme. Contre moi, parce qu'on ne rend
pas honneur et gloire à mon nom ; contre le prochain, parce
qu'on n'accomplit pas envers lui la charité. Cet acte ne
m'atteint pas, quoiqu'il se fasse contre moi ; mais l'homme
se blesse, et cette offense me déplaît à cause du mal qu'il
H lui cause.
9. — Cette offense s'adresse à moi directement. Les autres
péchés ont quelque prétexte, quelque apparence de raison,
quelque intermédiaire ; car je t'ai dit que tout péché et tou-
204
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
l
te vertu s'accomplissaient par le moyen du prochain. Le pé-
ché se fait par le manque de charité envers moi et envers
le prochain, tandis que la vertu vit de la charité. En offen-
sant le prochain, on m'offense en lui. Mais entre toutes mes
créatures raisonnables j'ai choisi mes ministres, et je les ai
consacrés pour dispenser le corps et le sang de mon Fils
unique, c'est-à-dire la nature divine unie à votre humanité.
Aussi, dès qu'ils célèbrent, ils représentent la personne du
Christ, mon Fils.
10. — Tu vois donc que cette offense est faite au Verbe,
et dès qu'elle est faite à lui, elle est faite à moi, car nous
sommes une même chose : les malheureux persécutent le
précieux Sang et se privent du trésor qu'ils pourraient en
tirer. C'est pour cela que cette offense faite à moi, et non à
mes ministres, m'est plus odieuse que les autres péchés;
car l'honneur ou la persécution s'adresse véritablement à
moi, c'est-à-dire au glorieux sang de mon Fils, qui est un
avec moi. Aussi je te dis que si tous les autres péchés
étaient d'un côté et celui-là de l'autre, ce serait ce péché qui
pèserait davantage.
11. — Je t'ai manifesté ces choses pour que tu aies plus
sujet de pleurer l'injure qui m'est faite, et la perte de ces
malheureux. Tes larmes amères et celles de mes serviteurs
peuvent obtenir que ma miséricordieuse bonté dissipe les té-
nèbres où sont plongés ces membres corrompus, séparés du
corps mystique de le sainte Église. Mais je ne trouve pour
ainsi dire personne qui gémisse sur cet outrage qu'on fait au
glorieux et précieux sang de mon Fils, tandis que j'en trou-
ve beaucoup qui m'attaquent sans cesse avec les traits de
l'amour déréglé, de la crainte servile et de la présomption.
Ils sont si aveugles, qu'ils se glorifient de ce qui est mal, et
rougissent de ce qui est bien, comme serait de s'humilier
devant leur chef. Ce sont ces défauts qui les ont portés à
persécuter le sang de mon Fils (1).
CXVII. — De ceux qui persécutent de différentes manières
la sainte Église et ses ministres.
1. — Je t'ai dit que plusieurs me frappaient, et c'est la
(1) Cette dernière phrase n'est pas dans le latin, qui diffère de ponctua-
tion avec l'italien pendant tout ce chapitre.
TRAITÉ DE LA PRIÈRE
CH. CXVII
205
vérité. Ils me frappent dans leur intention autant qu'ils le
peuvent. Aucun coup ne peut certainement m'atteindre et
me blesser; il arrive pour moi ce qui arrive sur une pierre
très dure, le coup qu'elle reçoit ne peut l'entamer et retour-
ne vers celui qui l'a frappée. Les offenses odieuses qui sont
dirigées contre moi ne peuvent me nuire : les flèches em-
poisonnées du péché retournent contre ceux qui le com-
mettent, et les privent de la grâce et du fruit du sang pré-
cieux de mon Fils. Si au dernier moment ils no recourent,
pas à la sainte confession et à la contrition du cœur, ils
arrivent à l'éternelle damnation ; ils sont séparés de moi et
liés au démon, car ils se sont unis à lui.
2. _ Dès que l'âme est privée de la grâce, elle est liée
dans le péché par la haine de la vertu et l'amour du vice; oc
lien, c'est le libre arbitre qui le met dans les mains du dé-
mon pour les enchaîner, car sans cela ils ne pourraient l'ê-
tre. Ce lien unit ensemble tous les persécuteurs du précieux
Sang, et comme ils deviennent ainsi les membres du démon,
ils font l'office du démon.
3. — Le démon s'applique à pervertir mes créatures, aies
retirer de la grâce et â les faire tomber daus le péché mortel,
pour qu'elles partagent son châtiment. Ainsi font lis mal-
heureux qui sont devenus les membres du démon : ils dé-
tournent les enfants de l'épouse du Christ, nn.ii fils unique;
ils leur ôtentles liens do la charité pour les charger de leurs
tristes chaînes et les priver comme eux des fruits du Sang
précieux; ils portent les chaînes de l'orgueil, de la présomp-
tion et de la crainte servile. Pour ne pas perdre leur puis-
sance temporelle, ils perdent la grâce et ils tombent dans la
plus grande confusion qui puisse leur arriver, puisqu'ils sont
privés de la vertu du sang. Ces liens sont scellés avec le
sceau des ténèbres, car ils ne connaissent pas dans quels
malheurs et quelles misères ils sont tombés et font tomber
les autres. Ne le sachant pas, ils ne peuvent se corriger, et
ils se glorifient de la ruine de leur âme et de leur corps.
4. _ Oma fille bien-aimée! pleure, pleure amèrement sur
l'aveuglement de ceux qui ont été comme toi lavés dans le
sang, ils ont été nourris de ce sang sur le sein de la sainte E-
glise, et maintenant ils se révoltent sous prétexte de corriger
les défauts de mes ministres, que j'ai déclarés inviolables ; ils
ont quitté le sein de leur mère. Tous mes serviteurs doivent
20G
DIALOGUE DK SAINTE CATHEIUXE
trembler en entendant raconter leur odieuse tyrannie, et ta
langue ne pourra jamais redire combien je l'ai en horreur. Kt
ce qui est plus lamentable, c'est que sous le manteau des dé-
fauts de mes ministres, ils veulent cacher et couvrir leurs pro-
pres défauts ; ils ne pensent pas qu'ils ne peuvent, sous aucun
voile, rien cachera mes regards. On peut bien se cacher aux
yeux des créatures, mais non pas aux miens, car les choses les
plus cachées me sont présentes ; je vous aimais et je vous con-
naissais avant votre naissance.
5. — Ce qui empêche ces infortunés mondains de se con-
vertir, c'est qu'ils ne croient pas avec une foi vive que je les
vois. S'ils croyaient véritablement que je vois leurs fautes,
que je punis tout mal et que je récompense tout bien, ils ne
commettraient pas tant de péchés, mais ils se repentiraient
de ceux qu'ils ont faits ; ils me demanderaient humblement
miséricorde, et je leur ferais miséricorde par le sang de mon
Fils ; mais ils persévèrent dans le mal et soDt rejetés par
ma bonté à cause de leurs fautes. Pour comble de malheur,
ils perdent la lumière, et dans leur aveuglement ils devien-
nent les persécuteurs du sang de mon Fils, el cette persécu-
tion ne peut être excusée par aucune faute de ceux qui ad-
ministrent ce sang.
CXVIII. — Résumé de ce qui a été dit sur la sainte Église et
ses ministres.
1. — Je t'ai dit, ma fille bien-aimée, quelque chose du
respect qu'on doit avoir pour mes ministres malgré leurs
défauts. Ce respect ne leur est pas dû à cause d'eux, mais
à cause de l'autorité que je leur ai donnée. Et parce que
leurs défauts ne peuvent affaiblir et diviser la vertu des
sacrements, ils ne doivent pas non plus diminuer le respect
qu'on leur doit, non pour eux, mais pour le trésor du sang
dont ils sont dépositaires.
2. — Quant à ceux qui font le contraire, je ne t'ai presque
rien dit de l'indignation qu'ils me causent et du tort qu'ils
se font en ne respectant pas et en persécutant le sang de
mon Fils, en se liguant contre moi avec le démon, dont ils
sont les esclaves. Je t'a; fait connaître ces choses pour que
tu les pleures. Ce que je t'ai dit de ceux qui persécutent
TRAITE DE LA. PRIERE
CH. CXIX
207
la sainte Église, je pourrais te le dire de tous les chrétiens
qui, en restant dans le péché mortel, méprisent le sang
de mon Fils, et se privent de la vie de la grâce ; tous me
sont odieux, mais surtout ceux dont je viens de t'entretenir.
CXIX. — De la perfection, des vertus et des œuvres des
saints prêtres.
1. — Maintenant, pour reposer un peu ton âme et adoucir
la douleur que te causent les ténèbres de ces malheureux
pécheurs, je veux t'entretenir de la vie sainte de mes minis-
tres. Je t'ai dit qu'ils avaient les qualités du soleil. Le par-
fum de leurs vertus corrige l'infection du vice, et leur lu-
mière dissipe les ténèbres. Tu pourras, avec cette lumière,
mieux connaître les ténèbres et les défauts de mes autres
ministres.
2. — Ouvre donc l'œil de ton intelligence et regarde en
moi, le Soleil de justice. Tu verras mes glorieux ministres
qui, en administrant le Soleil, prennent les qualités du So-
leil, comme je te l'ai dit de Pierre, le prince des apôtres,
qui a reçu les clefs du royaume céleste. Il en est ainsi des
autres qui, dans le jardin de la sainte Église, distribuent la
Lumière, c'est-à-dire le corps et le sang de mon Fils, le So-
leil unique et indivisible, avec tous les sacrements de l'É-
glise qui donne la vie en vertu de ce précieux sang.
3. —Tous, à des degrés différents et selon leurs fonctions,
sont appelés à répandre la grâce du Saint Esprit. Et com-
ment la répandent-ils ? Avec la lumière de la grâce qu'ils
ont tirée de la vraie Lumière. Cette Lumière est-elle seule?
Non ; car la lumière de la grâce ne peut être seule et ne
peut être divisée ; il faut qu'on l'ait tout entière ou qu'on eu
soit complètement privé.
4. — Celui qui est en péché mortel est privé de la lumiè-
re de la grâce, et celui qui a la grâce est éclairé clans son
intelligence pour me connaître, moi qui lui ai donné la
grâce et la vertu qui conserve la grâce. Il connaît dans
cette lumière, la misère du péché et la raison du péché qui
est l'amour-propre sensitif. Il le hait et parce qu'il le hait,
il reçoit dans son cœur l'ardeur de la charité ; car l'amour
suit l'intelligence et reçoit la couleur de cette glorieuse Lu-
208
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
mière en suivant la doctrine de ma douce Vérité, et la mé-
moire se remplit ainsi du souvenir des bienfaits du sang.
5. _ Tu vois qu'on ne peut recevoir la lumière sans rece-
voir la chaleur et la couleur, car elles sont unies ensemble
et forment une même chose. Comme je te l'ai dit, on ne peut
avoir une puissance de l'ame disposée à me recevoir, moi,
le vrai Soleil, sans que les trois puissances soient toutes dis-
posées et réunies en mon nom. Dès que l'intelligence s'élè-
ve avec la lumière de la foi au-dessus de la vision sensitive
et me contemple, l'amour suit en aimant ce que l'intelli-
gence voit et connaît ; la mémoire se remplit de ce que le
cœur aime, et aussitôt toutes les puissances de l'ame par
ticipent à moi, le Soleil, et elles sont éclairées par ma puis-
sance, par la sagesse de mon Fils unique, et par l'ardente
bonté du Saint Esprit.
G. — Ainsi, tu vois que mes ministres fidèles ont les qua-
lités du soleil, puisque les puissances de leur âme sont plei-
nes de moi, le vrai Soleil. Ils font comme le soleil : le soleil
réchauffe et illumine, et sa chaleur féconde la terre : il en
est de même des ministres que j'ai choisis et envoyés au
corps mystique de la sainte Église, pour administrer mon
Soleil, c'est-à-dire le corps et le sang de mon Fils unique,
avec les sacrements qui ont la vie par ce sang. Ils l'admi-
nistrent réellement et spirituellement en répandant dans le
corps mystique de la sainte Église la lumière de la science
surnaturelle par la couleur d'une vie pure et sainte, en sui-
vant la doctrine de ma Vérité et en communiquant le feu
de la plus ardente charité.
7. — Leur chaleur fait fructifier les âmes stériles en les
éclairant par la lumière de la science. Leur vie sainte et
exemplaire dissipe les ténèbres du péché. mortel et de l'infi-
délité ; ils règlent la vie de ceux qui vivent d'une manière
déréglée dans les ténèbres du péché et dans la privation de
la grâce. Tu vois qu'ils sont des soleils, car ils en ont pris
les qualités ; ils se sont revêtus de moi, le vrai Soleil, puis-
que l'amour les rend une même chose avec moi. Tous, selon
le degré où je les ai placés, ont répandu la lumière dans
l'Église.
8. — Pierre l'a répandue par sa prédication, sa doctrine,
et enfin par son sang ; Grégoire, par sa science, son intelli-
gence des Saintes Écritures et les exemples de sa vie ; Syl-
TU.UTE DE LA P1UEUE — Cil. CXIX.
209
vestre la fit briller contre les infidèles par ses discussions et
les preuves qu'il a données de la très sainte foi par ses pa-
roles et ses actions. Si tu regardes Augustin, Thomas d'A-
quin, Jérôme et tant d'autres, tu verras de quelle lumière
ils ont éclairé la divine Épouse, en dissipant les erreurs
avec une humilité sincère et parfaite, comme des flambeaux
posés sur le candélabre. Ils étaient affamés de mon honneur
et du salut des âmes, et ils s'en rassasiaient avec délices au
banquet de la très sainte Croix.
9. — Les martyrs ont répandu la lumière avec leur sang.
Ce sang exhalait son parfum en ma présence, et cette odeur
du sang et de la vertu, unie avec la lumière de la science,
donnait des fruits à l'Épouse ; ils propageaient la foi ; ceux
qui étaient dans les ténèbres venaient à la lumière, et la lu-
mière de la foi brillait en eux.
■10. — Les pasteurs établis par mon Christ sur la terre m'of-
fraient un sacrifice de justice par la sainteté de leur vie.
La perle précieuse de la justice enchâssée dans une humi-
lité sincère et une ardente charité, brillait en eux et dans
ceux qui leur étaient soumis, avec la lumière de la discré-
tion. Elle brillait en eux surtout parce qu'ils me rendaient
ce qui m'est dû, c'est-à-dire gloire et honneur à mon nom,
tandis qu'ils détestaient leurs sens, méprisaient le vice el
accomplissaient la vertu par amour pour moi et pour le
prochain. Ils foulaient aux pieds l'orgueil par l'humilité ;
ils allaient à l'Autel avec la puri ;té des anges, et ils m'offraient
le Sacrifice dans la sincérité d'une âme tout embrasée des
flammes de la charité.
11- — Parce qu'ils accomplissaient la justice en eux, ils
l'accomplissaient aussi dans ceux qui leur étaient soumis.
Ils voulaient les voir vivre saintement; ils les reprenaient
sans aucune crainte servile, parce qu'ils ne pensaient point
à eux-mêmes, mais uniquement à mon honneur et au salut
îles âmes, comme doivent le faire les bons pasteurs qui sui-
vent le bon pasteur, mon Fils, que je vous ai donné pour
vous conduire et mourir pour vous. Ils ont suivi ses l races,
ils ont agi avec ardeur et n'ont pas laissé les membres se
corrompre en ne les corrigeant pas; mais ils les ont charita-
blement corrigés avec le baume de la douceur. Ils n'ont pas
craint do brûler avec le feu la plaie de leur vice ; ils ont
employé la réprimande et la pénitence, peu ou beaucoup
Dialogue de Ste Calh. de S. — 1 i.
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de la justice. Les té ™*™»™ ^ ^.^ ne
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PeUt ^"au ne corrige Pas ou n'est pas corrigé ressen,.,.,
car celui qui ne corn, P ^^ ^.^ ;iV( „.
à "r me fntsanf Purifier la plaie. Bientôt tout le corps esl
de l'onguent sans puni lu y supérieurs
même corps, cest-à mie au ^ médg _
«/ c;ic^ ôtiipnt au contiaue, ue buie
44. _ S ils étaient, au Daste urs d'autrefois, ils
la réprimande , et si ie meuuuc v au tres
retrancheraient du corps pour qu rt n^gâUt pas les au^
avec nnfection ^^he moUeh f n^inî ne pas s'aperce-
font plus aujourd hui , ils P*»™ . do ram0 ui-
propre vit en eux, »t' fn . t „ no ip,,,- dignité, ls se
TRAITE DE LA. PRIERE
CH. CXIX
211
justice, ils l'observeraient. Mais, parce qu'ils n'ont pas la
lumière, ils ne le savent pas.
15. — Ils croient conserver avec l'injustice, en ne repre-
nant pas les défauts de ceux qui leur sont soumis, mais
ils sont trompés par l'amour-propre sensitif et par le
désir du pouvoir et de la prélature. Ils ne disent rien
aussi, parce qu'ils ont eux-mêmes 'les mêmes vices et de
plus grands encore. Ils se sentent coupables des mêmes
fautes et ils perdent le zèle et la fermeté. Ils sont retenus
par la crainte servile et font semblant de ne pas voir. S'ils
voient des choses évidentes, ils ne les reprennent pas et
même ils se laissent endormir par des paroles qui
les flattent et par des présents. Ils savent trouver des
excuses pour ne pas punir. Ainsi s'accomplit en eux la
parole de ma Vérité : « Ce sont des aveugles qui conduisent
des aveugles ; et si un aveugle en conduit un autre, ils
tomberont tous les deux dans l'abîme » ( S. Matth
xv, 14 ).
16. — Ce n'est pas ainsi que faisaient leurs prédécesseurs
mes ministres bien-aimés, qui avaient les propriétés et
les conditions du Soleil. Ceux qui leur ressemblent sont
des soleils ; en eux ne se trouvent pas les ténèbres du
péché et de l'ignorance, car ils suivent la doctrine de
ma Vérité, Ils ne sont pas tiôdes, car ils sont embrasés
du feu de ma charité. Ils méprisent les grandeurs, les
richesses et les délices du monde, et ils ne craignent
jamais de corriger le vice. Celui qui ne désire pas la puis-
sance et les honneurs ne craint pas de les perdre et
agit avec vigueur. Celui qui n'a aucune faute sur la con-
science ne craint rien.
17. — Voilà pourquoi cette perle précieuse de la justice
n'était point obscurcie dans mes Christs fidèles dont je te
parlais. Elle y brillait, au contraire; ils embrassaient la
pauvreté volontaire ; ils cherchaient l'abaissement avec une
humilité profonde et ne s'arrêtaient pas aux mépris, aux af-
fronts, aux reproches des hommes, aux injures, aux oppro-
bres, aux peines et aux tourments. On blasphémait contre
eux, et ils bénissaient ; ils supportaient tout avec une vérita-
ble patience, comme des anges de la terre : et ils étaient
plus que des anges, non par leur nature, mais par leur minis-
''■" 1
<m DIALOGCE DE SAINTE CAXMBtlUB
tère puisqu'ils avaient reçu la grâce surnaturelle de dis-
cemnmni.p.men - ^ ■ ,„. „,,,„„ puisqu .» s „,„ s
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,,nn, votre aveuglerne et vmrn a,e >« - |p ^^
? e ""S„ .«"en voi aidant, L» le .'ai du. de leurs
"' Tl,«.pl« et de leurs enseignement Avec
i;Sri— d dHeuvernaientet entretenaient ceux ,u,
leur étaient soumis ! _ vivaient ! Ils
20. - Avec quelle ^ péran e et quell ejo, 1^ ^
ne craignaient Pas de J- ^-^J^ avec largesse
pour eux et leui troupeau, ^ Us observaient
aux pauvres les biens de la «unie t 8 P^ IL
..nrraitenrent Pel>.i f t u» ou , s -* ^ |
pour leurs besoins, poiu les pao i | ..
n'avaient pas de testament a 'a.re.ca. ' , „ se
ils n avaient ,»s de crainte se^vde^ .m .m ■<
q ^rS5'Hrr^=e^
.!.-'•-«■• ■£■-- mi" i:^- «
leur manquer. Avec cet» c tourmentent d
qu'ils placent dans ^^^^^^sAe^
misérablement pour acquérir et consu
TRAITÉ DE LA PRIÈRE — CH. CXIX
213
rels, qu'ils semblent ne pas se soucier des biens spirituels,,
dont personne ne parait s'inquiéter.
22. — Ils ne pensent pas, les pauvres orgueilleux, que moi
seul je pourvois à toutes les choses nécessaires à l'âme et
au corps, et que ma providence mesure son assistance se-
lon l'espérance que vous avez en moi. Ces misérables pré-
somptueux ne songent pas que je suis Celui qui suis, tan-
dis qu'eux ne sont rien par eux-mêmes , et qu'ils ont reçu
de ma bonté l'être et toutes les grâces qui y sont ajoutées.
C'est bien en vain que se fatigue celui qui garde la cité, si je
ne la garde moi-même ; tous ses efforts sont stériles s'il
compte sur ses efforts et son zèle pour la garder ; car il n'y
a que moi qui la garde. Il est vrai que je veux vous voir
faire fructifier pour la vertu, pendant la vie, l'être et les
grâces que je vous ai donnés, en vous servant du libre-
arbitre que vous avez reçu avec la lumière de la raison ;
car je vous ai créés sans vous, mais je ne puis vous sauver
sans vous.
23. — Je vous ai aimés avant votre naissance. Mes bien-
aimés serviteurs le savaient, et c'est pour cela qu'ils m'ai-
maient d'un si grand amour. Cet amour faisait qu'ils espé-
raient fermement en moi et qu'ils ne redoutaient jamais
rien. Sylvestre ne tremblait pas devant l'empereur Constan-
tin lorsqu'il disputait avec douze Juifs, en présence de la
multitude ; mais il croyait fermement que si j'étais pour lui,
personne ne pourrait lui nuire. Mes autres serviteurs ban-
nissaient ainsi toute crainte ; car ils n'étaient jamais
seuls, mais toujours accompagnés. En restant dans la cha-
rité, ils étaient en moi et recevaient de moi la lumière de la
sagesse de mon Fils ; ils recevaient de moi la puissance
pour être forts contre les princes et les tyrans du mon-
de ; ils recevaient de moi le feu de l'Esprit Saint et par-
ticipaient à sa clémence, à son amour. Cet amour était
toujours accompagné de la lumière de la foi, de l'espérance,
de la force, de la vraie patience et de la persévérance jus-
qu'à l'heure de la mort.
24. — Tu vois donc que mes ministres n'étaient pas seuls,
mais qu'ils étaient accompagnés ; aussi n'avaient-ils aucune
crainte. Celui-là craint qui se sent seul, qui espère en lui-
même et qui n'a pas la charité. La moindre chose lui fait
peur; car il est seul et privé de moi, qui donne l'assurance
H
214
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
parfaite à lame qui me possède par l'amour. Ces glorieux
ot chers serviteurs ont bien éprouvé que rien ne pouvait
nuire à leur âme ; car, au contraire, ils étaient forts contre
les hommes et les démons, qui souvent étaient enchaînés
par la vertu et la puissance que je leur donnais sur eux ;
et cela était parce que je répondais à l'amour, à la foi, à
l'espérance qu'ils avaient placés en moi.
25. _ Ta langue ne pourrait raconter leur vertu, et l'œil
de ton intelligence est incapable de voir la récompense
qu'ils ont reçue dans le ciel et que recevront tous ceux qui
suivront leurs traces. Ils sont comme des pierres précieuses
en ma présence, parce que leurs travaux m'ont été agréables
et qu'ils ont éclairé et embaumé de leurs vertus le corps
mvstique de la sainte Église. Je les ai comblés d'honneurs
dans la vie éternelle, où ils ont reçu la béatitude et la gloire
de ma vision, parce qu'ils ont donné l'exemple d'une vie-
sainte, et distribué la lumière du corps et du sang de mon
Fils dans les sacrements.
26. — Je les aime d'un amour particulier, parce que je
les ai élevés à la dignité de mon sacerdoce, et parce qu'ils
n'ont pas enfoui, par leur négligence et leur ignorance, le
trésor que je leur ai confié ; ils ont reconnu qu'il venait de
moi et ils l'ont fait valoir avec zèle et humilité par de soli-
des et véritables vertus. Je les avais revêtus d'une haute
dignité pour le salut des hommes, et ces bons pasteurs ont
travaillé sans cesse à ramener les brebis dans la bergerie
de la sainte Église. Leur ardent amour et leur faim des
âmes leur faisaient affronter la mort pour les retirer des
mains du démon. Ils étaient faibles, ou paraissaient 1 être
avec les faibles. Souvent pour empêcher le désespoir du
prochain ou pour mieux lui faire comprendre sa misère, ils
disaient : Je suis faible comme vous l'êtes.
27 — Ils pleuraient avec ceux qui pleurent ; ils se ré-
jouissaient avec ceux qui se réjouissent. Ils savaient dou-
cement donner à chacun la nourriture qui lui convenait; ils
conservaient les bons, dont les vertus les remplissaient
d'allégresse ; car ils n'étaient pas dévorés par l'envie, mais
leur cœur se dilatait dans l'ardeur de la charité pour le
prochain, et surtout pour ceux qui leur étaient confies.
28 - Quant à ceux qui étaient pécheurs, il les retiraient
du péché, en se prêtant à leur faiblesse et à leur infirmité
TRAITÉ DE LA PRIÈRE — CH. CXX
215
par une sainte et vraie compassion ; ils les corrigeaient des
fautes où ils tombaient, et partageaient charitablement avec
eux leur pénitence. L'amour qu'ils portaient à ces pénitents
leur rendait la pénitence qu'ils donnaient plus pénible a
eux-mêmes qu'à ceux qui la recevaient. Quelquefois même
il y en avait qui s'en chargeaient réellement, surtout quand
ils voyaient qu'elle répugnait trop à ceux qu'ils dirigeaient,
et par ce moyen la rigueur de la pénitence devenait douce
29 - Ces biens-aimés ministres abaissaient humblement
leur dignité devant ceux qui leur étaient soumis. Ils étaient
les maîtres, et ils se faisaient les serviteurs ; ils étaient
exempts de toute infirmité, purs de tout mal, et ils se tai-
saient infirmes ; ils étaient forts, et ils se faisaient faibles, ils
se montraient simples avec les simples, petits avec les petits,
et savaient ainsi, par humilité et charité, se proportionner a
tous, et donner à chacun la nourriture qui lui convenait.
30 _ Qu'est-ce qui les faisait agir de la sorte? La faim,
le désir qu'ils avaient de mon honneur et du salut des âmes.
Ils couraient pour se rassasier au banquet de la sainte
Croix ; ils ne fuyaient, ne refusaient aucune fatigue ; mais,
pleins de zèle pour les âmes, le bien de la sainte Eglise et
l'expansion de la foi, ils se jetaient au milieu des épines de
la tribulation et affrontaient tous les dangers avec une véri-
table patience, en m'offrant le parfum précieux de leur ar-
dent désir et de leurs humbles et continuelles prières. Leurs
larmes et leurs pleurs étaient un baume salutaire pour les
plaies que le péché mortel avait faites au prochain, et ceux
qui recevaient humblement ce remède précieux y trouvaient
une santé parfaite.
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CXX. — Résumé de ce qui précède. — Respect qu'on doit aux
prêtres, qu'ils soient bons ou mauvais.
i. — Ma fille bien-aimée, je t'ai montré une étincelle de
la gloire de mes ministres ; je dis une étincelle, en com-
paraison de ce qu'elle est réellement. Je t'ai fait voir la
dignité à laquelle je les avais élevés en les choisissant
pour être mes ministres ; et à cause de cette autorité que
je leur ai donnée, je ne veux pas que la main des sécu-
210
DIALOGUE DE SAIMTE CATHE1UNB
liers les punisse de leurs fautes ; car eu le faisant ils
m'offensent d'une manière déplorable. Je veux quon les
respecte non pour eux, mais pour moi et à cause de 1 au-
torité dont ils sont revêtus. Ce respect ne doit jama,s di-
minuer, même lorsque la vertu diminuerait en eux. Il
faut le conserver pour les mauvais et pour les bons, par-
ce que je les ai tous faits les ministres du Soleil, c est-a-
dire . lu corps et du sang de mon Fils dans les sacrements.
2 -Les bons et les mauvais ont la même dignité;
tous sont revêtus des mêmes fonctions, mais je t'a. mon-
tré que les parfaits avaient les qualités du soleil, puis-
qu'ils illuminent et réchauffent le prochain par 1 ardeur
de leur charité. Cette ardeur produit des fruits et fait naître
des vertus dans les âmes de ceux qui leur sont conhes.
Je t'ai dit aussi qu'ils étaient des anges que je vous avais
donnés pour vous garder, car ils vous gardent et répan-
dent dans vos cœurs de saintes inspirations par leurs
prières, leurs enseignements et leurs exemples. Ils vous
servent et vous administrent les sacrements comme le
fait l'ange qui vous garde et qui met en vous de bonnes
et saintes pensées. ....
3 -Tu vois qu'outre la dignité où je les ai places, j«
veux qu'ils soient ornés de toutes les vertus, afin que voi-
les aimiez et que vous ayez pour eux le plus grand res-
pect. Car ce sont mes fils bien-aimés qui ressemblent a
un soleil, éclairant par leur vertu le corps mystique de
la sainte Église. Tout homme vertueux est digne d'amour:
à bien plus forte raison celui auquel j'ai confie un pareil
ministère. Vous devez les aimer à cause de la sainteté du
Sacrement. Vous devez haïr les fautes de ceux qui vivent
mal mais je ne veux pas que vous vous fassiez leurs juges,
parce qu'ils sont mes Christs, et que vous devez aimer et
vénérer l'autorité que je leur ai confiée.
4 - Si un homme sale et mal vêtu vous portait un
grand trésor qui vous donnerait la vie, par amour pour
ce trésor et pour le prince qui vous l'enverrait, vous ne
détesteriez pas le porteur, quoiqu'il fût sale et mal vêtu.
Son extérieur ne vous plairait pas sans doute, mais ;
cause du maître vous tâcheriez de le laver et de le vêtir.
La charité ordonne que vous agissiez ainsi, et je veM
que vous traitiez de la même manière mes ministres peu
TRAITÉ DE LA PRIERE
CH. CXXI
217
exemplaires, dont les mains sont souillées et les vêtements
déchirés par le défaut de charité, mais qui vous portent
de grands trésors, c'est-à-dire les sacrements de la sainte
Église, par lesquels vous recevez la vie de la grâce.
5. — Vous devez les honorer, quels que soient leurs dé-
fauts, par amour pour moi qui vous les envoie, et par
amour de la vie de la grâce que vous trouvez clans le
grand trésor qu'ils vous portent, puisqu'ils vous donnent
un Dieu-Homme tout entier, c'est-à-dire le corps et le
sang de mon Fils unis à ma nature divine. Il faut déplo-
rer et haïr leurs fautes; il faut vous efforcer de les revêtir
par le zèle de votre charité et la sainteté do vos prières ;
il faut les laver de leurs souillures avec vos larmes, et me
les présenter avec un grand désir, pour que ma bonté les
couvre du vêtement de la charité.
6. _ Vous savez bien que je veux leur faire grâce,
pourvu qu'ils s'y disposent, et que vous me le demandiez.
Car ce n'est pas ma volonté qu'ils vous distribuent le So-
leil dans les ténèbres, étant eux-mêmes dépouillés du vê-
tement des vertus et souillés par une vie coupable. Je
vous les ai au contraire donnés pour qu'ils soient vos anges
de la terre et votre lumière. S'ils ne le sont pas, vous de-
vez prier pour eux et ne pas les juger, mais me les laisser
juger moi-même. Je désire pouvoir leur faire miséricorde
par vos prières. S'ils ne se convertissent pas, la dignité
qu'ils ont reçue sera leur ruine ; et s'ils ne changent pas,
s'ils ne profitent pas de la grandeur de ma miséricorde,
moi, le Juge suprême, je les confondrai à l'heure de la
mort, et je les enverrai au feu éternel.
CXXI. — De la vie coupable des ministres infidèles.
1. — Écoute maintenant, ma fille bien-aimée. Afin que
vous tous mes serviteurs, vous soyez excités à m'offrit'
pour mes ministres infidèles d'humbles et continuelles priè-
res, je vais te montrer leur vie coupable. De quelque côté
que tu regardes, que ce soient les séculiers, les religieux,
les clercs, les prélats, les petits, les grands, les jeunes
et les vieux, dans toutes les conditions, tu ne verras
qu'offenses contre moi. Tous me jettent l'infection du péché
■ H
218
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
|
mortel ; mais cette infection ne saurait m'atteindre, elle
ne nuit qu'à eux-mêmes.
2. — Je t'ai dit jusqu'à présent la dignité de mes mi-
nistres et la vertu de ceux qui sont bons, pour donner un
peu de repos à ton âme, et. te faire ensuite mieux con-
naître le malheur de ces infortunés. Tu verras combien
ils sont coupables et dignes d'un châtiment terrible. Au-
tant mes bien-aimés ministres, qui font saintement valoir
le trésor que je leur ai confié, méritent d'être magnifique-
ment récompensés, et d'être comme des pierres précieuses
en ma présence, autant ces misérables méritent au con-
traire les foudres de ma justice.
3. — Écoute, ma fille bien-aimée, et apprends, dans la
douleur et l'amertume de ton cœur, quel est le principe
et le fondement de leur égarement : c'est famour-propre,
d'où nait l'arbre de l'orgueil qui produit l'aveuglement.
Comme ils ne savent pas discerner la vérité, ils s'attachent
aux hommes, à la gloire, et recherchent les grandes di-
gnités, le faste et les délicatesses du corps. Ils m'outragent
et m'offensent ; ils s'attribuent ce qui ne leur appartient
pas, et m'attribuent ce qui n'est pas de moi.
4. — La gloire et l'honneur doivent m'appartenir, et ils
doivent n'avoir pour eux que la haine de leurs sens. Ils
doivent se connaître assez pour se réputer indignes du
sublime ministère qu'ils ont reçu, et ils font le contraire.
Tout pleins d'orgueil, ils ne peuvent se rassasier de la boue
des richesses et des délices du monde ; ils sont avides,
impitoyables, avares à l'égard des pauvres, et à cause de
ce misérable orgueil et de cette avarice qu'engendre l'a-
mour-propre sensitif, ils abandonnent le soin des" âmes. Ils
ne pensent qu'à conserver et soigner les choses temporelles,
et ils laissent mes brebis que je leur ai confiées, comme
des troupeaux sans pasteur. Ils ne les conduisent pas et
ne les nourrissent ni spirituellement ni temporellement.
5. — Ils administrent, il est vrai, spirituellement les sa-
crements de la sainte Église, et ces sacrements ne peu-
vent, par leur faute, perdre leur efficacité et leur vertu ;
mais ils ne nourrissent pas les âmes de prières ferventes,
de l'ardent désir de votre salut et d'une vie sainte et hon-
nête. Ils ne nourrissant pas non plus leur troupeau des
choses temporelles; ils n'assistent pas les pauvres des
TRAITÉ DE LA PRIÈRE — CH. CXXI
219
biens de l'Église, dont ils doivent faire trois parts, comme
je te l'ai dit : une pour leurs besoins, une autre pour les
pauvres, et l'autre peur l'utilité de l'Église.
6. _ ils font le contraire ; car non seulement ils ne
donnent pas ce qu'ils sont obligés de donner aux pauvres,
mais encore ils dépouillent le prochain par la simonie et
la passion de l'argent; ils vendent la grâce du Saint Esprit.
Il s'en trouve souvent de si infidèles, que ce que je leu
ai donné gratuitement pour qu'ils vous le donnent de
même, ils le refusent à ceux qui en ont besoin, à moins
qu'on ne leur remplisse la main et qu'on ne les comble
de présents. Ils n'aiment ceux qui leur sont confiés qu'au-
tant qu'ils en retirent quelque utilité, et jamais davan-
tage.
7. — Ils dépensent les biens de l'Église en riches orne-
ments, pour aller, vêtus avec délicatesse, non comme des
clercs et des religieux, mais comme des grands seigneurs
et des hommes de cour. Ils s'appliquent à avoir de beaux
chevaux, une quantité de vases d'or et d'argent, et de
magnifiques ameublements ; ils possèdent toutes ces cho-
ses, qu'ils ne devraient pas avoir, avec une grande vani-
té de cœur. Leurs discours sont aussi déréglés : ils ne rêvent
que festins somptueux et font un dieu de leur ventre ;
ils mangent et boivent sans mesure , et tombent bientôt
dans la fange et le désordre (1).
8. — temples du démon ! je vous avais choisis pour
être des anges sur la terre, et vous êtes des démons ;
vous en faites l'office ! Les démons répandent les ténèbres
qu'ils ont en eux, et deviennent de cruels bourreaux. Ils
s'efforcent, autant qu'ils peuvent, par leurs tentations et
leurs attaques, de détruire la grâce dans les âmes, poul-
ies faire tomber clans le péché mortel. Le péché ne peut
souiller une âme, si elle n'y consent ; mais ils font tous
leurs efforts pour l'y décider. Ces malheureux, indignes
dê'tre appelés mes ministres, sont des démons incarnés,
(1) Vie, vas ipsorum vitae miserabili et infelici ! quoniam illud quod unigenitus
Filiusmeus acquisivit, cum gravissima pœna, super ligno sanctissimœ Cracis,
ipsi cum meretricibus expendunt. Et itadamnabiliterjugiter animas dévorant et
occidunt Jesu Christi sanguine pretioso redemptas, eas diversimode cum fetenti
miseria corrumpendo, et de patrimonic vel htereditate pauperum filios adulté-
rines alunt et ornant.
■
r
±20
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
puisque par leurs fautes ils se sont soumis à la volonté du
démon, et qu'ils en remplissent les fonctions. Ils me dis-
tribuent, moi, le vrai Soleil, au milieu des ténèbres du
péché mortel, et ils répandent les ténèbres de leur vie
coupable et déréglée parmi les créatures raisonnables qui
leur sont confiées. Ils troublent et scandalisent ceux qui
les voient vivre ainsi, et souvent leurs mauvais exemples
égarent les autres loin de la grâce et de la voie de la vérité,
dans les sentiers du mal et de l'erreur.
9. — Celui qui les suit n'a pourtant pas d'excuse ; car
ces démons visibles, pas plus que les démons invisibles, ne
peuvent forcer l'homme à pécher. Personne ne doit imiter
leur vie et faire ce qu'ils font ; car, comme ma Vérité vous
renseigne dans le saint Évangile, vous devez faire ce qu'ils
vous disent (S. Matth., xxm, 3), c'est-à-dire suivre la
doctrine qui vous a été donnée dans le corps mystique
de la sainte Église, qui est consignée dans la sainte Écri-
ture et proclamée par les prédicateurs chargés d'annon-
cer ma parole. Gardez-vous d'imiter leur vie coupable et
de les punir comme ils le méritent; car vous m'offenseriez
10. — Ne vous arrêtez pas à leurs vices, et suivez seu-
lement ma doctrine. Laissez-moi le châtiment ; car je suis
le Dieu bon et éternel, je récompense tout bien et je punis
tout mal. Je ne leur ménagerai pas la vengeance ; ma jus-
tice ne les épargnera pas parce qu'ils ont eu l'honneur
d'être mes ministres. Ils seront, au contraire, s'ils ne se
convertissent, plus terriblement punis que les autres, parce
qu'ils auront plus reçu de ma bonté ; plus ils m'offensent
misérablement, plus ils sont dignes de punition. Tu vois
bien que ce sont des démons, tandis que mes élus, dont
je t'ai parlé, sont des anges sur la terre, et remplissent les
fonctions des anges.
CXXII. — De ceux qui commettent l'injustice en ne reprenant
pas leur prochain.
1. — Je t'ai dit qu'en mes ministres bien-aimés bril-
lait la perle précieuse de la justice. Maintenant je te dis
que ces malheureux portent pour ornement l'injustice.
Cette injustice procède et est inséparable de l'amour-
Tr.AlTÉ DE LA PH1KRE — CU . CXXIf
221
propre. C'est par l'amour-propre qu'ils commettent 1 n-
ustice envers leurs âmes et envers moi dans les té-
nèbres de leur aveuglement. Envers moi , car ils ne me
rendent pas gloire ; et envers eux, car ils n ont pas une
ve honnête e°t sainte, le désir du salut des âmes et a
faim des vertus; c'est pourquoi ils commett en H ^ ice
envers leur troupeau et leur prochain, dont ils ne coi
ient pas les vLs. Ils ne les voient pas même dan
leur aveuglement, et la crainte coupable cm ils ont de
déplaire aux autres, fait qu'ils les laissent dormir et
languir dans leurs infirmités.
2°_ Ils ne s'aperçoivent pas qu'en voulant plane aux
créatures, ils leur nuisent et déplaisent au Créateur^
quelquefois ils les reprennent pour se couvrir dupe
apparence de justice, mais ils ne s adressent pa aux
grands qui peut-être seront plus coupables que les
petits, parce qu'ils craignent par là de nuire à leur
position et à leur fortune ; mais ils reprendront les
e qui ne peuvent rien contre eux et leur puis-
ïnce Voilà le ft$ de leur injustice et de leur déplo-
rable amour-propre.
3 - L'amour-propre corrompt le monde et le coips
mystique de la sainte Église : il rend sauvage le jardin
de l'Époux, et le remplit de fleurs empoisonnées. Ce jar-
din émit bien cultivé par les vrais jardiniers mes
saints ministres ; .1 était orné d'une multitude de fleurs
-odoriférantes. La vie de ceux qui s'y trouvaient _ i eta
pas encore viciée par leurs pasteurs, qui leur donnaient, au
contraire, l'exemple de la vertu et de la sainteté
4 - 11 n'en est plus ainsi maintenant, car les mauvais
pasteurs rendent mauvais ceux qui leur sont ^confies.
L'Épouse est entourée des épines et des ronces du-
ché Elle ne peut être atteinte elle-même de la corrup-
tion du péché, parce que la vertu des sacrements ne
peut recevoir aucune atteinte; mais ceux qui se nour-
rissent sur le sein de l'Épouse reçoivent le poison dans
leur âme, en perdant la dignité à laquelle je les avais
élevés La dignité ne diminue pas en elle-même, mais
elle diminue pour eux, parce que leurs fautes font mé-
priser le précieux sang de mon Fils. Les séculiers ne
les respectent pas comme ils devraient toujours le faire,
m
I m
2-2-2
DIALOGl'E DE SAINTE CATHERINE
;'i cause de ce précieux Sang : et ce manque de res-
pect n'a pas son excuse dans les fautes des ministres.
Ces malheureux sont des modèles d'iniquité, tandis que
je les avais choisis pour être des modèles de vertu.
CXXIII.— Des autres vices des mauvais ministres.
1. — Apprends, ma fille bien-aimée, la source véritable
de toute cette corruption. C'est la sensualité, qui, avec
l'amour-propre, triomphe de l'àme et la rend esclave, tan-
dis que je l'ai affranchie avec le sang de mon Fils, lors-
que tout le genre humain fut délivré de la servitude et
de la puissance du démon, toute créature raisonnable
participe à cette grâce, mais mes ministres sont particu-
lièrement affranchis de la servitude du monde ; ils sont
choisis pour me servir et pour administrer les sacrements
de la sainte Église. Je les ai rendus indépendants, et je
ne veux pas qu'aucun prince temporel se fasse leur juge.
2. — Sais-tu, ma fille bien-aimée, comment ils recon-
naissent les grands bienfaits qu'ils ont reçus de moi ? Ils
me remercient en m'outrageant sans cesse par tant de
vices et de crimes, que tu ne pourrais jamais les redire,
et que tu n'aurais pas même la force de les entendre. Je
veux t'en dire cependant encore quelque chose, pour que
tu puisses gémir sur eux et en avoir compassion.
3. — Ils devaient s'asseoir au banquet de. la Croix par
leurs saints désirs, et s'y nourrir du salut des âmes, pour
m'honorer : toute créature raisonnable doit le faire ;
mais ils doivent le faire bien davantage, puisque je les
ai choisis pour distribuer le corps et le sang de Jésus
crucifié, mon Fils, pour vous donner l'exemple d'une sainte
vie et pour se rassasier de vos âmes, en suivant ma vérité
avec une infatigable ardeur. Ils vont au contraire dans les
tavernes ; ils jurent et blasphèment, ils affichent publique-
ment leurs vices ; ils deviennent, dans leur aveuglément,
des animaux sans raison, et toutes leurs actions, toutes
leurs paroles respirent le mal.
4. — Us ne savent plus ce que c'est que l'Office, et,
s'ils le disent quelquefois, c'est avec les lèvres seulement,
mais leur cœur est loin de moi. Ils se conduisent comme
TRAITÉ DE LA PRIÈRE — CH. CXX1V
223
des libertins. Après avoir joué et perdu leur âme, ils
iouent et risquent les biens de l'Eglise et ce qu'ils ont reçu
en vertu du sang de mon Fils. Aussi les pauvres n on
pas ce qui leur est du ; l'Eglise est dépouillée et n a pas
ce qui est nécessaire au culte. Comment peuvent-i s avoir
soin de mon temple, puisqu'ils sont devenus les temple
du démon i Cette pompe qu'ils devaient deployei dans
1 Égbse pour bonore'r le sang de mon Fils, ils la mettent
dans les maisons qu'ils habitent (1).
5 - démons plus démons que les démons, si au moins
vos'iniquités étaient ignorées de ceux qui vous sont soumis.
En les commettant secrètement, vous m'offenseriez et vous
vous perdriez, mais vous ne perdriez pas ^prochain par
le scandale de votre vie. Vos exemples empêchent les au-
tres de sortir du vice,, et les font tomber dans des pèches
semblables, et dans de plus grands encore. Est-ce la pureté
que j'exige de mes ministres, surtout quand ils vont célé-
brer à l'Autel ? Doivent-ils ainsi, le matin, l'àme et le corps
souillés par le péché, se lever pour offrir le Sacrifice 1
6-0 tabernacle du démon, où sont tes veilles de a
nuit et l'Office que tu devais réciter? où sont tes continuel-
les et ferventes prières? Pendant cette nuit même, tu devais
te préparer aux fonctions que tu avais à remplir au com-
mencement du jour, en l'examinant et en te reconnaissant
indigne d'un si grand ministère ; tu devais reconnaître que
c'était ma bonté, et non pas ton mérite, qui te lavait fait
donner pour l'utilité des autres créatures.
CXXIV. - Combien sont coupables ces ministres prévari-
cateurs.
j. _ songe, ma fille bien-aimée, que j'exige des fidèles
(1) Et cmod etiam détenus est, ipsi faciunt valuti sponsus, qui sponsam
propriam ornât : ita faciunt isti dœmones incarnat!, qui de substantia temporal,
suarum ecclesiarum ornant abominabiles atque dœmoniacas suas concubinas,
cum quibus inique, sceleratissime vivant, et absque verecundia quacnmque
faciunt eas ad ecclesiam cum aliis ambulare, atque divinis ofiiciis intéresse, dum
ipsi miserabilesin altari consistait ad consecrandum unigeniti Filn me. corpus
et sanguinem. Nec erubescunt quod infelices ilte concubine filios eorum ad ma-
rium adducant ut offerant una cum alio populo.
r M
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I
-2i
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
et des prêtres, dans ce sacrement, toute la pureté que l'hom-
me peut avoir sur terre. Tous, vous devez faire sans cesse
vos efforts pour l'acquérir, et vous devez penser que si les
anges eux-mêmes pouvaient se purifier, ils devraient le faire
pour remplir un semblable ministère. Mais cela ne peut être;
leur nature n'a pas besoin d'être purifiée, car la souillure
du péché ne peut les atteindre. Je te dis seulement cela
pour te faire comprendre quelle pureté je réclame de vous
et surtout des prêtres dans ce Sacrement. Hélas ! les mal-
heureux font tout le contraire ; car ils s'en approchent non
seulement tout souillés de ces impuretés auxquelles vous
êtes entraînés par votre fragile nature, quoique la raison,
si le libre arbitre le veut, puisse dompter sa révolte ; niais
encore, loin de surmonter ces faiblesses, ils vont au delà,
et commettent le péché que j'ai maudit.
2. — Les insensés ont obscurci la lumière de leur intel-
ligence, et ils ne voient plus la corruption et la fange où
ils sont plongés. Ce péché me cause une si grande horreur,
que, pour le punir, ma vengeance a englouti cinq villes.
Ma justice ne pouvait les supporter, tant ce péché me fait
horreur ; et ce n'est pas à moi seulement, car il répugne
aux démons même, que ces malheureux ont choisis pour
maîtres. Ce n'est pas que le mal leur déplaise, ils ne peuvent
aimer aucun bien ; mais, parce qu'ils ont reçu une nature
angélique, ils ne peuvent, à cause de cela, voir commettre
une telle monstruosité ; ils lancent, il est vrai, la flèche
empoisonnée par le venin de la concupiscence ; mais, quand
s'accomplit l'acte du péché, ils s'enfuient, comme je te l'ai
dit.
3. _ Rappelle-toi qu'avant la peste, je t'ai montré com-
bien j'avais en horreur ce péché et combien le monde ea
était infecté. Je t'élevai alors au-dessus de toi-même dans
l'ardeur de tes désirs, et je te fis voir l'univers tout entier.
Tu vis ce malheureux péché dans presque toutes les con-
ditions, et les démons qui s'enfuyaient pour ne pas le voir,
et l'infection qu'il causait ; la peine que tu en ressentais dans
ton âme était si grande, que tu te croyais sur le point de
mourir. Et tu n'apercevais pas pour toi et mes autres s r-
viteurs un endroit où vous puissiez vous réfugier, car cette
lèpre était répandue partout ; tu ne trouvais aucun asile
parmi les petits et les grands, parmi les vieux et parmi
TRAITE DE LA PRIERE
CH. cxxrv
225
les jeunes ; les religieux et les laïques, les maitres et les ser-
viteurs, presque tous avaient l'âme et le corps souillés de
ce vice maudit.
4. — Je t'ai montré cependant, au milieu de tous ces cou-
pables, un grand nombre de préservés ; car, parmi les mé-
chants, j'ai toujours des élus, dont la vertu £t les bonnes
œuvres retiennent ma justice et m'empêchent décomman-
der aux rochers d'écraser les coupables, à la terre de les
engloutir, aux animaux de les dévorer, et aux démons d'em-
porter leur âme et leur corps. Je cherche même des moyens
pour pouvoir leur faire miséricorde, en les faisant changer
de vie : j'y emploie mes serviteurs qui sont purs de cette
lèpre, et je les fais prier pour eux.
5. — Quelquefois je leur dévoile ces honteux péchés, pour
qu'ils soient plus ardents à désirer leur salut, pour qu'ils
m'invoquent avec une plus grande compassion et une
plus vive douleur de ces outrages, et pour que j'exauce
leurs prières comme j'ai exaucé les tiennes; car, si
tu te le rappelles, lorsque je te fis sentir quelque chose
de cette infection, tu en souffrais tant, que tu n'en pou-
vais plus et que tu me disais : « Père éternel, ayez pi-
tié de moi et de toutes les créatures, ou bien retirez mon
âme de mon corps, car il me semble que je ne puis plus
y résister. Donnez-moi quelque soulagement et montrez-
moi un lieu où, moi et vos autres serviteurs, nous puis-
sions nous reposer, sans que cette lèpre puisse nous suivre
et altérer la pureté de nos âmes et de nos corps».
6. — Je te répondis, en jetant sur toi un regard de ten-
dresse : « Ma fille, votre repos est de rendre honneur et
gloire à mon nom, et de m'offrir l'encens d'une continuelle
prière pour ces malheureux dont les péchés méritent les
rigueurs de mes jugements. Votre asile est Jésus crucifié,
mon Fils unique; réfugiez-vous, cachez-vous dans la plaie
de son côté; l'amour vous y fera goûter, par son huma-
nité, ma nature divine. Dans son cœur entr'ouvert vous
trouverez ma charité et celle du prochain ; car, pour ho-
norer son Père et accomplir les ordres que je lui avais
donnés pour vous sauver, il a couru à la mort ignomi-
nieuse de la Croix. En voyant et en goûtant cet amour
vous suivrez sa doctrine, et vous vous rassasierez au ban-
quet de la Croix, en supportant avec charité, avec une vé-
Dialogue de S. Cath. de S. — 15.
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■
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DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
22G
ritable patience, votre prochain elles peines,. ■« ™JJ
iT fatigues, de quelque côté qu'elles viennent. Cest am-
r„ueCu vous sauverez et que vous éviterez la epre
Crest le moyen que je t'ai donné et que je donne a tous
"T'celrXpêcha pas ton àme de sentir
tion et ton Intelligence de voir ces ténèbres; mais ma
rôvidence v pourvut, car, en participant au corps et an
Providence i parfait, tels que vous
ïreceveTà rlnïl -mme preuve de la vérité, l'infection
ut Suite parle parfum que vous donne ce sacrement.
It lÏ ténèbres furent dissipées par la lumière que vous
v trouve Un miracle de ma bonté fit rester 1 odeur de
ce Sang dans ta bouche, et tu en jouis pendant plusieurs
■ i0 8 r - Tu vois, ma fille bien-aimée, combien ce péché m'est
odieu, en toute créature: mais songe qu'il doit m irriter
Tel davantage en ceux que j'appelle à vivre dans la con-
tinencT surtout en ceux que j'ai séparés du monde par
à vTe' religieuse ou par le sacerdoce, pourtour fa.re
norter des fruits dans le corps myst.que de 1 Eglise, \ou*
ne pourrez jamais comprendre combien ce pèche me d -
plaît p us en eux que dans tous ceux qui vivent dans l,
Sonde ou qui devraient vivre dans la continence.
a -Je t'ai dit qu'ils étaient des lampes placées sur le
candélabre pour répandre ma lumière par leur vertu e
m leur vie et ils ne répandent que les ténèbres Ils son.
ïnehs d^ ténèbres, qu'ils n'entendent pas la Sainte
Écr£ e o mes élus puisent la lumière avec la humer,
sn nlr'ene que je leur donne. Parce qu'ils sont enfles
«U et souillés d'impureté, ils ne voient et ne corn-
™nt que l'écorce et la lettre, sans y trouver aucune
saveur L 9 goùt de leur amour est vicié par l'amour-propre
Scor ompu par l'orgueil; ils ne se repaissent que du*
Letés e ne songent qu'à jouir de leurs plaisirs cou-
l abÏÏ La cupidité! l'avarice les poussent ar i ma un «
rnmmette.it publiquement sans honte; et ilb exercent m
s™^ j'ai défendue et qui rend si misérables ceux qui
s'y livrent.
TRAITE DE LA PRIERE.
CH. CXXV
227
CXXV. — Dss maux que ces vices causent dans le monde.
"t. — Comment ceux qui ont de pareils vices pourraient-ils
reprendre, corriger et punir ceux qui leur sont soumis?
Leurs fautes leur ôtent nécessairement le courage et le zèle
de la sainte justice ; et si quelquefois ils veulent parler, les
coupables savent leur dire: Médecin, guéris-toi d'abord (S.
Luc, îv, 23), tu me soigneras ensuite, et je prendrai les re-
mèdes que tu me diras. Il est plus vicieux que moi, et il me
fait des reproches.
2. — Celui-là fait mal qui veut reprendre les autres par sa
parole, sans y ajouter une bonne et sainte vie. Qu'il soit
bon ou mauvais, le supérieur doit toujours reprendre le vice
dans ceux qui lui sont soumis ; mais il fait mal de ne pas le
combattre, surtout par ses exemples. Celui-Là fait plus mal
encore qui ne reçoit pas humblement la correction et qui ne
change pas de conduite, que l'avertissement vienne d'un bon
ou d'un mauvais supérieur; car il nuit plus à lui-même
qu'aux autres, et c'est lui qui sera puni de ses fautes.
3. — Tous ces maux arrivent, ma très chère fille, parce
que les pasteurs ne corrigent pas les autres par une bonne
et sainte vie. Et pourquoi ne le font-ils pas? Parce qu'ils
sont aveuglés par l'amour-propre, qui est la source de. tous
leurs vices. Ils ne songent qu'aux moyens de se procurer de
coupables jouissances. C'est l'unique pensée des pasteurs et
du troupeau, des clercs et des religieux.
4. — Hélas ! ma douce fille, où est l'obéissance des reli-
gieux qui devraient vivre comme des anges dans leur Ordre,
et qui sont pires que les démuns ! Ils sont choisis pour an-
noncer ma doctrine et ma vérité ; mais le bruit de leur pr-
role est inutile, ils ne produisent aucun fruit dans le cœur
de leurs auditeurs. Leurs prédications sont plutôt faites
pour plaire aux hommes et charmer leurs oreilles que pour
m'honorer. Ils s'appliquent non pas à bien vivre, mais à bien
parler. Ils ne sèment pas le bon grain de ma Vérité, et ne
travaillent pas à arracher les vices et à faire renaître les ver-
tus. Comme ils n'ont point arraché les épines de leurjar-
■
D1A LOGUE DE SAINTE CATHERINE
enlever celles du jardin des
228
din, ils ne cherchent pas à
autres. , _„..„,. i PU r corps, leurs
5. - Toute leur jouissance est de parer leur <^ ^
chambres, et d'aller causer ^an a > e Ces
aux poissons qm meure *££££ perdent en quitt ant
religieux qui vivent si leg courent les
coupables, qui leur la.sseut toule lib «£ de
qui ne veillent pas sur ceux qu leu. ^
dissent libres et les envoient f ^ ê ™^°™ ils ont de
connaissaient pas leurs misères et ^g*^ Tu ne
leur cellule. C'est a.nsi que Ment pou. eu
pourrais >— «^^ï—ï du dé-
£T eUlÏS^Ter^poLn de leur corruption au de-
dans et au dehors. séculiers et les religieux.
7 . _ us ™f*;^;JZÏe tous veulent dominer,
Ils n'ont pas la chai .te fi aterne i e éceple et au
tous cherchent à posséder ^^^^ ^ ^ „,
vœu qu'ils ont fait. Ils ont pion. mais ils se
la violent; non seulement ils ^observe P ^
mettent couune ^^-gS e^ïsTde souillures.
S S^îS en persécutant et en tournant
„ Na ra aUquando videntes ^^^^^^^^
ad monasteria dirigunt, ubi ^I^^^M* S <* usa ruin;e aUeriUS ; ""S
natas : et ita cum ingenio sabffl. e adm '™™ "° erit sub colore devotioms : sed
dpiu.n autem ipsorum ex «l 1 ^"^ ^elaselva, non diu durât is.e colorhu-
quoniam utriusque vita m_.serab.ta est atque tac ^ .^.^ mord
jusmodi simulât* devot.on.s, qma sub.t ^ a ?n fetentes immundarom et
natœ dévotion». Et pr.mo ^XXndès veAorum turpium, et ex utraque par e
iSt^r^rSâ^^raU^ et iP sa pubUca .e-
retrix effleitur.
TRAITÉ DE LA PRIÈRE — CH. CXXV
229
en dérision les bons religieux, cacher leurs défauts, et' ils
les font paraître bien davantage. Voilà le mal qui désole les
jardins de l'Église , les saints Ordres établis et fondés par
l'Esprit Saint.
8. — Un Ordre en lui-même ne peut être gâté et corrom-
pu par les défauts des inférieurs et des supérieurs ; celui
qui veut y entrer ne doit pas faire attention à ceux qui sont
mauvais, mais il doit s'appuyer sur la règle qui ne peut fai-
blir, et ne la point abandonner jusqu'à la mort. Les jardins
de la vie religieuse sont ainsi désolés par les supérieurs et
les inférieurs relâchés qui n'observent pas la règle, ne te-
nant aucun compte des usages, et ne faisant leurs cérémo-
nies que pour plaire au public et cacher leurs vices.
9. — Tu vois qu'ils n'observent pas leur premier vœu, qui
est d'obéir à leurs constitutions. Je te parlerai ailleurs de
l'obéissance. Ils ont également promis d'observer la pauvre-
té volontaire et la continence. Comment l'observent-ils? Vois
les propriétés et les richesses qu'ils possèdent, contrairement
à la charité qui devrait leur faire partager tous ces biens
avec leurs frères, comme l'exige leur règle. Ils ne veulent
engraisser qu'eux et leurs animaux :' une bête nourrit ainsi
les autres. Tandis que leurs pauvres frères meurent de froid
et de faim, ils sont bien vêtus et bien nourris; ils ne pén-
■ sent pas aux autres, et ne veulent pas se trouver avec eux
à la pauvre table du réfectoire. Leur bonheur est de se trou-
ver où ils peuvent s'emplir de viande et satisfaire leur glou-
tonnerie.
10. — Peuvent-ils observer ainsi leur troisième vœu de
continence ? Un estomac chargé ne rend pas l'esprit chaste :
aussi deviennent-ils lascifs, et sentent-ils des mouvements
désordonnés qui les font tomber de faute en faute. Leur ri-
chesse les entraîne aussi dan a de grandes chutes; car, s'ils
n'avaient rien à dépenser, ils ne vivraient pas dans le dé-
sordre et n'auraient pas des relations coupables. L'amour
et l'amitié fondés sur l'intérêt ou le plaisir, et non sur la
parfaite charité, ne durent pas quand on n'a rien à donner.
11. — Les malheureux, dans quelle misère les précipite
le péché ! et je les avais élevés à une si grande dignité ! Ils
fuient l'église comme la peste; et s'ils s'y trouvent, ils prient
des lèvres, mais leur cœur est loin de moi: Ils ont pris l'ha-
bitude d'aller à l'Autel sans aucune préparation, comme ils
• ■
ts»
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
iraient à une table ordinaire. Tous ces maux et bien d'autres
dont je ne veux plus te parler, pour ne pas souiller tes oreil-
les, tous ces maux sont causés par les mauvais supérieurs,
qui ne corrigent pas et ne punissent pas les fautes de leurs
inférieurs. Ils n'ont aucun zèle pour la règle, parce qu'ils ne
l'observent pas eux- mêmes.
12. — Ils imposent bien les grands fardeaux de l'obéis-
sance à ceux qui veulent l'observer, et ils les punissent
même des fautes qu'ils n'ont pas commises. Us agissent
ainsi parce que la perle de la justice ne brille pas eu
eux. L'injustice les fait au contraire poursuivre de leur
haine et de leurs rigueurs ceux qui mériteraient leur affec-
tion et leur bienveillance, tandis qu'ils aiment et favorisent
ceux qui sont les membres du démon, et ils leur confient
les charges de l'Ordre. Ils vivent comme des aveugles ; et
comme des aveugles aussi, ils distribuent les fonctions et
gouvernent leurs inférieurs. S'il ne se corrigent pas, ils
tomberont dans la damnation éternelle, et, ils auront à ren-
dre compte des âmes de leurs inférieurs devant moi, le
souverain Juge ; ils ne pourront se justifier, et ils rece-
vront le châtiment qu'ils méritent.
CXXVI. — De ceux qui s'abandonnent aux plaisirs des sens.
i. —Ma fille bien-aimôe, je t'ai dit quelque chose de ceux
qui vivent en religion avec le vêtement des agneaux, tan-
dis qu'ils sont des loups ravisseurs. Je reviens maintenant
aux ecclésiastiques et aux ministres de la sainte Église,
pour déplorer avec toi les péchés qu'ils ajoutent à ceux
dont je t'ai parlé. Je t'entretiendrai des trois colonnes du
vice que je t'ai montré une fois. Ces colonnes sont l'im-
pureté, l'orgueil et la cupidité qui fait vendre la grâce du
Saint Esprit. Ces vices se tiennent entre eux, leur fonde-
ment commun est l'amour-propre. Tant que ces trois co-
lonnes sont debout et ne sont pas renversées par la force de
l'amour des vertus, elles suffisent pour fixer et maintenir
l'àrae dans tous les vices. Tous les vices naissent de l'a-
mour-propre, qui est lui-même le père de l'orgueil. L'homme
orgueilleux est privé du sentiment de la charité ; son or-
gueil l'entraine à l'impureté et à l'avarice, et il se lie ainsi
avec les chaînes du démon.
TRAITE DE LA PRIERE — CH. CXXVI
231
2. — Considère maintenant, ma fille, combien l'orgueil
et l'impureté souillent leur âme et leur corps. Je veux a-
jouter quelque chose pour que tu connaisses mieux l'abon-
dance de ma miséricorde, et que tu aies une plus grande
compassion de ces malheureux. Quelques-uns sont si pos-
sédés du démon, que non seulement ils outragent les sacre-
ments et ne respectent pas la dignité que je leur ai don-
née, mais qu'ils s'oublient et s'égarent dans l'amour des
créatures. Quand ils ne peuvent avoir ce qu'ils désirent,
ils pratiqueront des sortilèges et se serviront môme du
Sacrement qui est votre nourriture et votre vie, pour com-
poser des maléfice et ssatisfaire leurs pensées impures et
leurs coupables volontés. Les pauvres brebis dont ils de-
vaient nourrir les âmes et les corps sont ainsi tourmentées
par ces détestables moyens, et par d'autres que je passerai
sous silence, pour ne pas t'affliger davantage. Tu les as vues
ces pauvres brebis, comme folles et hors d'elles-mêmes, sen-
tir leur volonté violentée par ces démons incarnés, et entraî-
nées à faire ce qu'elles ne voulaient pas. La résistance
qu'elles opposaient causait à leur corps d'horribles souf-
frances. Il est inutile de te rappeler ces malheurs et tant
d'autres. Tu sais quelle en est la cause : une vie impure
et coupable.
3. — ma fille bien-aimée ! la chair, qui est élevée au
dessus de tous les chœurs des anges par ma nature divine
unie à votre nature humaine, ils l'emploient à de telles ini-
quités ! Homme abominable et semblable à la brute, ta chair
(lue j'ai consacrée par Fonction sainte, tu la livres aux pros-
tituées et à des choses plus viles encore. Cette chair, et celle
du genre humain, avaient été guéries de la plaie que lui
avait faite le péché d'Adam, par le corps de mon Fils tor-
turé sur l'arbre de la Croix. Malheureux ! il t'a honoré et
tu l'outrages; il a guéri tes plaies avec son sang, il t'a
fait son ministre, et tu le poursuis de tes honteux péchés.
Le bon Pasteur avait lavé ses brebis dans son sang ; tu salis
celles qui sont pures, et tu fais tous tes efforts pour les
plonger dans la fange.
4.— Tu devais donner l'exemple de la pureté, et tu
donnes celui de la débauche. Tu emploies toutes les par-
ties de ton corps à commettre le mal, et tu fais le con-
traire de ce qu'a fait mon Fils. J'ai permis que ses yeux
232 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
fassent bandés pour teclairer, et tu ouvres les tiens pour
empoisonner ton àme et le cœur des autres par des regarda
criminels. J'ai souffert qu'il lut abreuvé de fiel et de vmai-
K re et toi tu te repais, comme l'animal, de mets délicate ;
Tu fais un dieu de ton ventre . Ta langue est pleine de
paroles frivoles et déshonnètes, tandis que tu devais 1 em-
ployer à reprendre le prochain, à enseigner ma vente, et
à réciter pieusement ton Office . Je n'en reçois que la
corruption. Tu jures et tu blasphèmes souvent comme un
libertin. J'ai souffert que les mains de mon Fils fussent
liées pour te délivrer et délivrer le genre humain des liens du
péché; tes mains, qui ont été consacrées pour administrer
la sainte Eucharistie, tu les souilles par tes vices, toutes
les œuvres qu'elles font sont mauvaises et destinées au
service du démon. Malheureux! Je t'ai élevé cependant a
une si grande dignité pour que tu m'honores et que tu
serves mes créatures.
5 - J'ai voulu que les pieds de mon Fils fussent per-
cés' pour te faire parvenir à son corps; j'ai voulu que
Son coté fût ouvert pour te faire voir le secret de son cœur;
je vous l'ai offert comme un asile où vous pouvez contem-
pler et goûter l'amour ineffable que j'ai ressenti pour vous-
en unissait ainsi ma nature divine à votre nature huma,
ne. Ce sang, dont tu es le ministre, est un bam pou,
lav er vos iniquités, et tu as fait de ton cœur le temple
du démon Tu ne fixes pas en moi ton affection, iep t
sentie par les pieds, et tu ne m'offres que la ^ corruption
et le blasphème. Tes pieds te portent ou le démon tap
pelle . ÏSsi tout ton corps persécute le corps , de moi.
Mis • tu fais sans cesse le contraire de ce qu il a fait, t
de ce que toi et toutes les autres créatures, êtes obliges de
T- Tous les organes de ton corps sont viciés parée
qU e les trois puissances de ton àme sont un,« au nom
du démon au lieu d'être unies en mon nom. Ta memoirt
devrait èu; Pleine des bienfaits que tu as reçus de moi.
et elle est pfeine de choses déshonnètes et coupable -
Ton Intelligence devrait contempler, à la lumière de la fo.
lésurclfné, mon Fils unique, dont tu es »*?£££
tu l'appliques aux délices, aux honneurs aux riches»
du monde Ton amour devrait m'appartenir sans pertag*
TRAITÉ DK La PRIÈRE - CH. CXXVII 233
et tu le donnes misérablement aux créatures. Tu me pré-
ères ton corps et jusqu'à tes animaux. Qu'est-ce qui e pre a
ILes e T C ° ntre m0i qUand je enlève ce quel
c"is '„u1,r f ' if nPatl( f nCe C ° lltre Ie Pr0chain » tu
Il t q V quelque tort. Tu le hais et tu l'outra-
ge : ; tu te sépares de ma charité et de la sienne. infor-
di n S Z T Ch fï P ° Ur répandre Ie feu de Ia ctanï
itérs'p éiu d ^ r aUSe dSteS P,aish ' S C0Upab]es etd -
e.ers préjudices que tu reçois du prochain. Voilà ma fille
J™; S de ces trois malhe ~ — ** ^
CXXVII. - De l'avarice et des maux qu'elle cause à l'Église.
mon7'i| L s a r°, nd ? COl0nne dU mal GSt ravai ' ice - Ce que
eu le vendïe T'ï ?™ "* de génér0sité > 1>a »
veut ie vendre. Son divin corps, sur l'arbre de la croix
c e ta l°"r e ' T R Sang C0Ulait de t0Ute ^- ï'Ït avS
^ ' 1 amour vous a rachetés, et non pas avec de
01 et de l argent. Ce n'était pas pour la moitié du monde
pou fus ce ePa " dU ' maiS P ° Ur t0Ut le e' e "œ humain :
pour tous ceux qui ont été, qui sont et qui seront Ce
sang „ e vous a pas été administré sans le Teu ■ ca C S
ces Lte s t ram ° Ur qUe Je V ° US Fai «> « -"- "
à 1 i? ur eT PaSSan ? la » at ^.ivine, parfaitement unie
sur' la rl t01 ' tU 6S aVai ' e de ce que mon Fil * a gagné
Ce a a 'il ï"', P ° Ur C6S âmeS raChetées avec ta "t d'amour
Ce qui ta donne en te faisant ministre de son sanT ta'
ImZ tTllT ; - tu veus vendre Ia ^ S&dï
esprit, et tu exiges qu'on t'achète ce que tu as reçu era
tmtement: tu ne cherches point à te rassasier les âmes"
pour mon honneur, mais à te repaître d'argent. Tu es s
peu généreux de ce que tu as reçu avec tant de laUesse
qu .1 est évident que je ne suis pas en toi par la Se S
Te lT^Tr St T Par1 '"- L6S biG " S l - p - '
dance et dans in **■'* "^ tU leS Te * ois e » a ^""
aançe, et, dans ton avarice, tu ne les fais pas servir ',
d autres qu'a toi. Voleur digne de la m0 rt éternelle, tu
23.4 DULOGOE DE SAINTE CATHERINE
- n > i'â<rli«p nour vivre dans le
,i,-.nnnilles les pauvres et ï icgnsc pjui
S avec tes parents et avec des gens saus - duU ;
tu les dépouilles pour te procurer des jouissances
*% ^ otSrable, où sont les fils des solides et saintes
3. - O miseiamL, ra ,. d ente charité que tu
vertus que * de»a» «o ir 7 Où esUa ^^
e V-c4t toi et ceux qui te ressentent que tu revêts et
que tu engraisses des biens de l'Eg «se ; tu en nour .s mé-
L des animaux, ces beaux chevaux q ue tu a P
plaisirs, et non pour to^^î, ll0 mmes
borner au nécessaire. Ces plaisirs son t«w ^
du monde ; tes jouissances devraient et.e d assiste! y
^ es , de visiter les infirmes et ^^^^ «-
soins spirituels et temporels ; car ce nés P P
tre chose que je t'ai fait mon ^J^^Ji semD , a -
d'une si grande dignité. Mais, parce que tu rte .la
Ue aux bêtes, tu te plaisau m, u des £~U g . |
aveugle ! Si tu voyais les supplices qui ^
ne changes, tu ne te conduirais pas de a s . e ^
repentirais des fautes passées, et tu emploie
temps présent. h : en -aimée, combien j'ai raison
k Tu vois ma nlle nieu-amn-c, ^
J' '^aindre de ces misérables ^^ £££
né veux envers eux, et combien . s sont avare
Qu e te dire encore ? Apprends qu >1 > en ^ \ s P usurier *
usure. Ils ne mettent pas » g nes— le
publics, mais ils ont une fou >e ^^^coupable avi-
lendre le temps à leur prochain avec u ne c
dité , ce qui "'est jamais permis S on ^ur
sent, si petit qu'il soit, et s ,1s le reçmvei p ^
service qu'il ont rendu en prêtant de 1 argent,
TRAITÉ DK LA PRIÈRE — CH.
CXXVU
233
6 ' îéT °u- ^ qU '° n 1,eCOit POU1 " P a J' er Ic ^mps.
cuLT et S\ ? f P0U1 ' qU ' ilS défeilde »t l'usure aux sé-
les trouve nn î eUX - lnêmes ' Bie « I*», ■« quelqu'un va
es tiouve, pour les consulter sur cette matière, parce
son le Ce V r et ^'' ls ont Perdu la lumière de' la rai-
Son le conseil qu'Us donneront sera ténébreux et plein
< e la pass.on qui est dans leur âme. Ce défaut, et bïen
on ! eT t V n T nt , danS ,eU1 " CœU1 ' étr0it ' envieux * - < '
on peut bien dire d'eux ce que dit mon Fils lorsqu'il entra
eu"': r 1316 , 61 ^ e " Chassa a vec un fouette c„Me
Père a L ' enda,ent . et Jetaient: « De la maison de mon
1ère, qui es une maison de prière, vous avez fait une ca-
verne de voleurs . (S. Mattb., xxr, 13).
7. - Tu Je vois, ma douce fille, mon Église, qui est le
"de,; efT 6 ' "* ^ BM C ™ de ^ ^
Sint Ë st)rf r , y . achètent ; ils ^"q^nt de la grâce du
Saint Esprit Celui qui désire les dignités et les bénéfices
de la sainte Eglise, les achète par de nombreux pré-
Ti^: a rr bl T heaucoup à des -*s«»
essolH^ i 'es malheureux ne regardent pas si ceux qui
-s olhctent sont bons ou mauvais ; mais, pour leur plaire
eu s eZr S Cadea " X qU ' i,S ° nt reClts ' entons
e ardm Ï ?" "^ <** plaDteS ^.léneuses dans
au Si, aSa " lte EgliSe ' I1S ,es commanderont
au V«ure de Jésus Christ. Ainsi le protecteur elle pro-
tège tromperont le Christ de Dieu sur terre, tand s q ' ils
devaient lui dire toute la vérité 5
( e 8 iI^oiM S ^ IeViCairede mon Fil « «aperçoit de leur fau-
te, il doit les punir et retirer les pouvoirs de celui qui ne se
corrige pas et n'amende pas sa mauvaise vie. Quant à celui
z:t:iïz bénéf r u serait bon de ie mei ° « "S-
pour qu ,1 change, et que la crainte empêche les autres de
H fait" ,7 H" 6 ™ 1516 - Si le ChriSt de Ia tel ' re ** «e la sor
a mZ ■ r 0ir ' • ] " ^ feit PaS ' S ° n Péché » e re ^
Tde Ts bre°bï U P"*"*»"* ""P*? «"ta* comp-
cene^„ Ma fil ' e ' S ° iS P ersuadêé ^ e oê désordre existe à
cette époque ; et c'est ce qui a fait tomber l'Église dans une
Ex cf ° ,ati0n ; " n ' 6Xamine Pas ,a ^ "e cetqu'
mauvi Si S 8 " 8 ' r " e demande Pas S ' ils sont b0 "s «n
mauvais. Si 1 on prend quelques informations, c'est auprès
K.
■
MAL060E DE SAINTE CATHERINE
230
i i.„k viros et qui donnent
de ceux qui sont **r£%^^££« les «ne-
toujours des témoignages ^;*; P mlissl ! nce , aux belles
mes défauts. On ne ^ ar f ^ J,^ „ien dire en plein
on regarde à la beauté dt > corps. ^ ^^ ^
10. - Us devraient choisit les p , recherchent
fuient ,es honneurs, et ils prenne" ^ ceux q «^ ^ ^
avec orgueil. Us se ^^^^m. lorsque celui
ce est bonne en elle-même elle est p ^^
qui la possède y joint ^^^rguedleux et un liber-
Mais si la science se trouve dans un g ^ ^
Un, elle est empoisonnée. Ce ^ savant ■ ^ parcfi
[ettre des Saintes Écritures , est da ^ ^
qu'il a perdu la ^££~™ £ï de la raison, aidée
de son intelligence. Ces avec la re K .
de la lumière surnaturelle, que la Sam
expliquée et comprise, ^eje^l « d ^
14 . - Ainsi, tu vois que ■ * « J ^ ^ ^
me , mais non pas en çelu W «en s ^ ^^ §I|I
pas s'en servir car elle sera pou . une vie bon .
ne change pas de ™JJ™^ homme qu i a une conduite
d T-Dans ma maison, qui devra. ^^*£
prière , ou devraient briller la perle de a , .tice, 1
de la science, la sainteté de la vie, r i" S abonde le menson-
vrait être pleine du parfum de la ver te abon ^
ge. on devrait y voir la ^^°}° a ^^ ns du démon ; et
sir de sauver les âmes, de les tt m desmmn»
ces ministres infidèles désirent les ^ &e soi|1 (1 „
tant des choses temporelles qu ils abando et
choses spirituelles. Us ne font q«» jm« , r ™> ° ^
multiplier leurs biens. ^— ^ ^ ent richeS es
que c'est le moyen de les peidre car s es comUB .
vertu, et s'ils s'appliquaient aux choses spiru
*
^m
TRAITE DE LA PRIÈRE
cit. cxxvn
237
ils le doivent, ils auraient les choses temporelles en abon.
dance, et beaucoup de révoltes contre l'Église, mon épouse,
n'auraient pas lieu.
•13. — Ils doivent laisser les morts ensevelir leurs morts
(S. Luc, ix, 60), pour suivre la doctrine de mon Fils et ac-
complir en eux ma volonté, c'est-à-dire faire ce que je les ai
chargés de faire, mais ils font tout le contraire ; car ils s'ap-
pliquent à ensevelir, avec un amour déréglé, les choses
mortes et passagères, et ils font ce qui regarde les hommes
du monde; ce qui me déplait grandement, et nuit beaucoup
à la sainte Église. Il faut laisser aux séculiers leurs affaires.
Un mort doit ensevelir l'autre, c'est-à-dire que ceux qui sont
placés pour gouverner les choses temporelles doivent les
gouverner.
14. — Pourquoi t'ai-je dit qu'un mort doit ensevelir l'autre ?
Apprends que cela doit s'entendre de deux manières. La pre.
inière, quand on administre les choses temporelles en état
de péché mortel, avec un amour déréglé - r la seconde, quand
on le fait seulement avec le corps sans s'y attacher; car le
corps est une chose morte : il n'a pas la vie en lui-même, il
la (i^nt de l'âme et participe à sa vie tant qu'il n'en est pas
séparé. Il faut donc que mes ministres, qui doivent vivre
comme des anges, laissent les choses mortes aux morts, et
gouvernent les âmes, qui sont des choses vivantes et qui' ne
meurent jamais quant à l'être.
15. — Ils doivent les gouverner, leur administrer les sacre-
ments, les dons et les grâces du Saint Esprit, et leur distri-
buer la nourriture spirituelle en vivant saintement. De cette
manière, ma maison sera la maison de la prière; ils la rem-
pliront de grâces et de vertus. Mais comme ils ne' le font pas
et qu'ils font le contraire, je puis dire qu'elle est devenue
une caverne de voleurs ; car ils se sont faits marchands par
avance; ils vendent, ils achètent (I). Tu vois combien ces
desordres sont plus grands que ceux dont je t'ai parlé. Ils
viennent des deux colonnes de mort qui sont l'impureté et
l'avarice.
(1) Et est effeeta receptaculum animalium, ex eo quia vivunt ut animalia hmi ,
^mhonestate leUda. Et „oc eni m ex Ula fecerunt veluti s ZZ „m 7 onia™ £
cent nUonenUi inhonestatis. Etita tenent in ecclosla ctemoniacas coneubl
nas suas, absque vorecundia. sicut sponsus honorifice sponsam in domo sua iet ne .
238
DIALOGUE DK SAINTE CATHERINE
CXXVIII.— De l'orgueil, qui détruit la connaissance
de la vérité.
i. — Je veux maintenant te parler de la troisième colonne
qui est l'orgueil: je l'ai placé le dernier, mais il est le dernier
et le premier des vices; car tous les vices sont basés sur
l'orgueil, comme toutes les vertus ont pour base et pour vic-
ia charité. L'orgueil nait et se nourrit de l'amour-propro
sensitif, qui est le fondement de ces trois colonnes et de tous
les péchés que commettent les créatures. Celui qui s'aime
d'un amour déréglé est privé de mon amour, puisqu'il no
m'aime pas; et en ne m'aimant pas, il m'offense, puisqu'il
n'observe pas le commandement de la loi qui lui ordonne
do m'aimer par dessus toute chose, et d'aimer le prochain
comme lui-même. ,
2. — Aussi, parce qu'il s'aime d'un amour sensitif, il no
m'aime pas et ne me sert pas; mais il aime et sert le monde,
car l'amour sensitif et le monde n'ont aucune conformité
avec moi; et parce qu'il n'y a aucune conformité entre ees
deux amours, il faut nécessairement que celui qui aime le
monde d'un amour sensitif et le sert d'une manière sen-
suelle, me haïsse. Celui qui m'aime en vérité hait le monde.
Ma Vérité a dit que personne ne pouvait servir deux mai
très contraires. Dès qu'il en sert un, il sera opposé à l'autre
iS. Matth., vi, 24).
3. — Tu vois que l'amour-propre prive l'àme de ma cha-
rité et le revêt du vice de l'orgueil. L'amour-propre est la
source de tout péché. Je me plains de toute créature raison-
nable coupable d'ainour-propre; mais je me plains bien da-
vantage de nies ministres, qui devraient être humbles. Tous
doivent avoir cette vertu de l'humilité, que nourrit la charité,
mais surtout ceux qui sont les ministres de l'humble Agneau
sans tache, mon Fils bien-aimé. Comment eux et tous les
hommes n'ont-ils pas honte de S'enorgueillir, lorsqu'ils me
voient humilié jusqu'à l'homme par l'union du Verbe mon
Fils à votre chair ?
4. — Ils voient le Verbe se soumettre avec ardeui à l'obéis-
sance que je leur ai imposée, et s'abaisser jusqu'à la mort
ignominieuse de la Croix. Il a la tête inclinée pour vous sa-
luer, la couronne sur la tète pour vous orner, les bras étcn-
TRAITE DE LA PRIERE.
GII. CXXVIII
239
dus pour vous embrasser, les pieds percés pour ne pas vous
quitter. Et toi, malheureux, qu'il a fait son ministre avec
tant de générosité et d'humilité, tu devrais embrasser la
croix, et tu la fuis pour l'unir à de coupables et immondes
créatures ; tu devrais être ferme et inébranlable dans la voie
de ma Vérité, lui livrant ton cœur et ton esprit, et tu flottes
comme la feuille emportée par le vent. Tu vas au gré du
temps; la prospérité t'agite d'une joie déréglée, l'adversité te
jette dans l'impatience; car, comme la patience est la moelle
de la charité, l'impatience est celle de l'orgueil. Tout agite
et scandalise ceux qui sont orgueilleux et colères.
5. — L'orgueil me déplaît tant, que je l'ai précipité du ciel
lorsque l'ange voulut s'élever. L'orgueil ne monte pas au ciel,
il tombe au fond des enfers. Ma Vérité a dit: Celui qui s'élè-
vera, c'est-à-dire l'orgueilleux, sera humilié, et celui qui s'hu-
miliera .sera élevé (S. Luc, xiv, M). Dans toutes les classes
d'hommes l'orgueil me déplait; mais il me déplaît plus dans
mes ministres, que j'ai choisis pour servir l'humble Agneau.
Ils font tout le contraire. Comment ce malheureux prêtre
n'a-t-il pas honte d'être orgueilleux, lorsqu'il me voit descen-
dre jusqu'à vous en vous donnant mon Fils unique, et eu le
prenant pour ministre? Le Verbe ne s'est-il pas humilié par
obéissance jusqu'à la mort ignominieuse de la Croix 1 Sa tête
est couronnée d'épines, et son ministre lève la tête contre
moi et contre son prochain. Au lieu d'être un humble agneau,
c'est un bélier avec des cornes d'orgueil, et il frappe tous
ceux qui l'approchent.
b\ — Infortuné, tu ne penses pas que lu ne peux m'é-
chapper. T'ai-je chargé de me frapper avec les cornes de
l'orgueil, de m'injurier et d'outrager le prochain sans raison'.'
Où est la douceur que tu devrais avoir pour célébrer
le Mystère du corps et du sang de mon fils Jésus ? Tu
es devenu comme une bête féroce, sans aucune crainte de
moi. Tu dévores ton prochain ; tu mets la division partout
et tu favorises les personnes qui te servent, qui te sont
utiles, ou celles qui te plaisent, parce qu'elles vivent
comme toi. Tu devrais les corriger et combattre leurs défauts ;
mais tu fais le contraire en leur donnant des exemples
qu'elles suivent et qu'elles dépassent. Si tu étais bon,
agirais-tu de la sorte? Parce que tu es mauvais, lu ne
sais pas corriger et haïr les fautes d'autrui.
240
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
7. — Tu méprises les humbles et les pauvres vertueux.
Tu les fuis, et tu as des motifs pour les fuir, quoique
tu ne doives pas le faire. Tu les fuis parce que la cor-
ruption de tes vices no peut supporter l'odeur de la vertu.
Tu rougis de voir mes pauvres à ta porte, et tu refuses
d'aller les visiter dans leurs besoins. Tu les vois mourir
de faim, et tu ne les secours pas. C'est la grandeur de
ton orgueil qui en est cause ; ton orgueil refuse de se
plier au moindre acte d'humilité. Pourquoi ? Parce que
l'amour-propre, qui nourrit l'orgueil, règne en toi, et ne
veut pas consentir à donner gratuitement aux pauvres les
secours temporels et spirituels.
8. — maudit orgueil qui vient de l'amour-propre !
comme tu as aveuglé l'œil de l'intelligence ! Ils ne voient
pas qu'en s'aimant avec cette tendresse, ils sont cruels
envers eux-mêmes, et qu'ils perdent ce qu'ils croient gagner.
Ils croient être dans les plaisirs, les richesses, les grau»
deurs, et ils sont plongés dans la misère et la plus extrême
pauvreté ; ils sont privés des richesses de la vertu ; ils
sont tombés des hauteurs de la grâce dans l'abaissement
du péché mortel. Ils paraissent voir, et ils sont aveugles;
car ils ne se connaissent pas et ne me connaissent pas;
ils ne connaissent pas leur état et la dignité à laquelle
je les avais élevés ; ils ne connaissent pas la fragilité
du monde et son peu de solidité ; car s'ils le connaissaient
s'en feraient-ils un dieu ?
9. — Qu'est-ce qui leur ôte cette connaissance '? L'orgueil,
qui les a rendus des démons, tandis que je les avais choisis
pour être les anges de la terre en cette vie. Ils sont touillés
de la hauteur des deux au fond des ténèbres ; et ces ténè-
bres se sont tellement multipliées avec leurs iniquités,
qu'ils commettent quelquefois une faute que je veux te faire
connaître.
10. — Quelques-uns sont tellement possédés du démon,
qu'ils font semblant de consacrer, et ne consacrent pas, par
crainte de mes jugements et pour faire plus librement le
mal. Ils ont quitté le matin la débauche, et le soir les excès
de la table, lorsqu'il leur faut, pour satisfaire le peuple, cé-
lébrer les saints Mystères. Alors la vue de leurs iniquités et
le cri de leur conscience les arrêtent, et ils ne consacrent
pas par une sorte de crainte de ma justice que leur eau-
TRAITÉ DE LA PRIERE. — CH. CXXIX
2-M
^H
se, non pas la haine du vice, mais l'amour d'eux-mêmes
•H. — Vois, ma fille bien-aimée, quel aveuglement. Au
lieu de recourir à la contrition du cœur, au lieu de détes-
ter leurs vices et de prendre la résolution de se corriger,
ils ont recours à un autre moyen, ils ne consacrent pas. Ils
ne voient pas que le mal devient plus grand encore, puis-
que le peuple prend une hostie non consacrée pour le corps
et le sang de Jésus, mon Fils unique, vrai Dieu et vrai hom-
me. Il adore celte hostie comme si elle était consacrée,
tandis qu'elle n'est que du pain. Combien est grande cette
abomination, et quelle patience il nie faut pour la suppor-
ter ? S'ils ne se corrigent, toutes mes grâces retourneront
contre eux (1).
-12. — ma fille bien-aimée ! qui empêche la terre de les
engloutir, et ma puissance de les arrêter et de les rendre
immobiles pour les couvrir de confusion devant le peuple?
C'est ma miséricorde ; je me retiens moi-môme, c'est-à-
dire que ma miséricorde contient ma justice, afin de les
vaincre à force de miséricorde. Mais ils ne connaissent
rien dans leur obstination diabolique ; ils ne voient pas ma
miséricorde, et ils paraissent croire que je leur dois ce que
je leur donne; ils sont si aveugles, qu'ils ne voient pas
qu'ils reçoivent tout de ma grâce sans y avoir aucun droit.
CXXIX. — Des autres péchés qui viennent de l'orgueil et de
l'amour-propre.
■
1 — Tout ce que j'ai dit, ma fille, est pour te faire pleurer
plus amèrement sur l'aveuglement de ceux qui sont dans cet
état de damnation, et pour te faire mieux connaître ma mi-
séricorde, afin que tu places dar.s cette miséricorde toute ta
confiance, et que tu l'invoques en présentant devant moi ces
ministres delà sainte Église et l'univers tout entier. Plus tu
(1) Populus autem ad vitanduœ illud inconveniens, débet adoraro cum ista con-
ditione, dicens : In quantum iste minister omnia qutc débet, dlxerit atque feeerit,
ego credo quod tu es Jésus Cbristus Filius Dei vivi, mihi datus in cibum ab in;esti
mabili charitate divina, in memorîam tuse dulcissima; passionis et excellentissimi
beneflcii sanguinis eftusi, cum inaestimabili charitatis igné, ad abluendas iniquita-
tes meas atque totius universi. Itaque faciendo sic ex aliqua cœcitaie cujuscumque,
nullus offendet adorando unam rem pro alia. quamvis illa culpa peccati solum est
iUius iniqui ministri, tamen actualiter ibi fleret quod est omnino prohibitum.
dialogue de Stc Cath. de S. — 10.
■
■
1
Ma
m
242 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
m'offriras pour eux tes tendres et douloureux désirs, plus
tu me témoigneras l'amour que tu as pour moi. M toi n. mes
serviteurs vous ne pouvez m'étre utiles, mais vous devez, me
rendre service par ce moyeu.
2 - Oui je me laisserai faire violence par les des.rs, les
larmes et lès prières de mes serviteurs; je ferai miséricorde
'on Épouse en la réformant par de saints et bons pasteurs;
Ces bons pasteurs corrigeront leurs inférieurs; car presque
tout le mal que font les inférieurs est causé par les mauvais
pa teurs. S'ils les reprenaient, s, la perle de la just.ce brillai.
dans toute leur conduite, les choses ne seraient point au»
Sais-tu ce qui résulte de tous ces vices? C'est que 1 un su..
Tes traces de l'autre; les inférieurs n'obéissent pas parce
pie le supérieur, avant de le devenir, n'obéissait pas a se*
supérieur; on lui fait ce qu'il a fait lui-même, et connue .1..
mal obéi, il est mauvais pasteur. J
3 - La cause de tous ces désordres est l'orgueil qui v.ent
de l'amour-propre. 11 était ignorant et superbe lorsqu'il ot.,,t
nféHeur; il est encore plus ignorant et plus superbe mainte-
nant qu'il commande. Son ignorance est si grande, qu il pousj
se 'aveuglement jusqu'à donner le sacerdoce à un idiot qu.
sa mbre à peine et qui ne pourra dire son Office. Que que-
fois même i ne connaîtra pas bien les paroles sacramentel^
les et. il ne consacrera pas. Il fera ainsi par ignorance ce
que d'autres font par malice; il ne consacrera pas, tout eu
paraissant consacrer.
4 -Au lieu de choisir des hommes expérimentés et veg
tueux, qui savent et comprennent ce qu'ils disent, ces
mauvais pasteurs feront le contraire; ils ne regardera
S LsavL ni à l'âge, et ils aimeront mieux choisir dej
enfants que des hommes murs. Ils n'examineront pas s.
Sr vie'est exemplaire, et s'ils comprennent la d.gn te
qu'ils vont recevoir et le grand mystère qu ils auront à
accomplir; ils ne songent qu'au nombre et non pas au*
ver ûs ils sont aveugles et conduisent des aveugles. Us
S pensent pas qu'à l'heure de la mort je ]eur demande-
rai comnte de toutes ces choses.
5 1 Après avoir fait dos prêtres si déplorables, ,1s leur
savent pas se conduire eux-mêmes. Comment < eux « u
^connaissent pas leurs fautes pourront-ils les connaître
TRAITE DE LA PRIÈRE. — CH. CXXIX
243
et les corriger dans les autres? Ils ne peuvent pas et
ne veulent pas agir contre eux-mêmes. Les brebis qui
n'ont pas de pasteur pour les soigner et les conduire
s'égareront facilement et seront souvent attaquées et dévo-
rées par les loups.
6. — Le mauvais pasteur n'a pas soin d'avoir un chien
qui aboie en voyant venir le loup ; il en a un qui ne
vaut pas mieux que lui. Le pasteur sans sollicitude pour
les cames n'a pas le chien de la conscience ; il ne tient
pas dans ses mains le bâton de la justice ni la verge
de la correction. Le chien de la conscience n'aboie pas,
parce qu'ils ne se reprennent pas eux-mêmes, et les bre-
bis s'écartent de la voie de la vérité, c'est-à-dire de l'ob-
servation de mes commandements. Ils ne s'appliquent
pas à les y ramener, pour que le loup infernal ne les
dévore pas. Si le chien de leur conscience aboyait, s'ils
corrigeaient leurs défauts avec la verge de la justice, '
les brebis reviendraient et rentreraient au bercail ; mais
parce que le pasteur est sans bât on et sans chien
ses brebis périssent, et il ne s'en inquiète pas.
7. — Le chien de la conscience languit et n'aboie pas,
parce qu'il ne lui donne pas de nourriture. La nourritu-
re qu'il doit lui donner, c'est la nourriture de l'Agneau
mon Fils; car, quand la mémoire qui est le vase de
l'âme , est pleine du sang de l'Agneau , la conscience
s'en nourrit. Le souvenir du Sang allume dans l'âme la
haine du vice et l'amour de la vertu . Cette haine et cet
amour purifient l'âme de la souillure du péché mortel
et donnent tant de force à la conscience qu'ils gardent
l'âme et éloignent l'ennemi , c'est-à-dire le péché ; s'il veut
entrer non seulement dans le coeur, mais aussi dans la
pensée, aussitôt la conscience, comme un chien vigilant,
appelle la raison et empêche de commettre l'injustice ;
car celui qui a une conscience possède la justice.
8. — Ces coupables ne sont pas dignes d'être appelés
mes ministres, ni même des créatures raisonnables , parce
qu'ils se sont abrutis par leurs vices. Ils n'ont pas
de chien, parce que leur conscience est si affaiblie,
qu'elle semble ne pas exister; ils n'ont pas la vergé
de la sainte justice , et leurs fautes les ont rendus °si
timides, qu'une ombre leur fait peur ; leur crainte n'est
■
■
244
DIALOGUE DE SAINTE CATHEIUNE
pas sainte, mais servile. Ils devraient s'exposer à la mort
pour retirer les âmes des mains du démon, et ils les lui
livrent au contraire, en ne leur donnant pas l'enseignement
d'une lionne vie, et en ne voulant pas supporter une
seule parole injurieuse pour leur salut.
9. _ Souvent une âme qui leur est confiée sera chargée
de grandes fautes et devra beaucoup au prochain. Mais
l'amour déréglé que ce ministre infidèle aura pour sa famil-
le arrêtera la restitution, pour ne pas la dépouiller. Il se
taira lors même que le scandale sera public, et qu'on
le lui aura fait connaître afin qu'il guérisse cette aine
dont il est le médecin. Quelquefois le malheureux si
cidera à parler comme il le doit; mais un mot, une injure,
un regard menaçant l'empêcheront de lé faire. Une autre
fois ce sera un présent, et ce présent ou cette crainte
servile lui feront laisser cette âme eutre les mains du
démon.
■10. — 11 lui donnera le corps de mon Fils, quoiqu'il
voie et qu'il sache bien qu'elle est plongée dans les té-
nèbres du péché mortel, pour plaire aux hommes, par
crainte ou par intérêt. Il administrera les sacrements
aux indignes, et ensevelira dans l'église avec de grands
honneurs ceux qui devaient en être rejetés comme des
animaux et des membres retranchés. Qui est cause de
cela? L'amour-propre et la grandeur de son orgueil : car,
s'il m'avait aimé au dessus de toute chose, s'il avait aimé
cette pauvre âme, il eut cherché son salut avec humi-
lité et sans crainte.
11 _ Tu vois combien de maux viennent des trois vices
qui sont les supports, les colonnes de tous les autres pé-
chés : l'orgueil, l'avarice, l'impureté de l'esprit et du corpfc
Ton oreille ne pourrait entendre toutes les iniquités que
commettent les membres du démon par ces trois vices (1) .
(1) Tu enim aliquando viuisU simplices aliquas bonaj fidei qui scntiunt ali-
quem in sua pei-sona dofectum ex aliquo timoré procedentem : dubitantai
autem m a d;emonio vexari, vadunt ad miserum eacerdotom, existimanttg
nb eo posse liberari sive juvari ; et vadunt ut unus diabolus expellat alium :
ipse vero vetut avanis ut acceptabit ab ea donum, et velut lasctvus et mhonestg
tafelici muliereuhe dicet : Ab isto defectu nullo modo liberan potefctis, msi
pei talem modum : et ita roiserabililer inducet eain ad perdendum pud.citiam
secum.
TRAITÉ DE LA PRIERE.
CH. CXXIX
245
12. — démon pire que les démons, et qui fais plus
mal qu'eux! car beaucoup de démons ont horreur de
ce péché que tu commets, et tu t'y plonges comme le
pourceau dans la fange. brute immonde, est-ce donc là
ce que je demande de toi? Je t'ai, par la vertu du
sang de mon Fils, chargé de chasser le démon des âmes,
et c'est toi qui l'y introduis. Tu ne vois pas que la hache
de la justice divine est déjà à ta racine. Et je te dis
que tes iniquités seront punies avec usure en temps
et lieu, si tu ne les punis toi-même par la pénitence et
par la contrition du cœur. Tu ne seras pas épargné
parce que tu es prêtre : tu seras frappé au contraire ri-
goureusement pour ces péchés et pour ceux des autres ;
c'est toi qui seras le plus cruellement torturé , et tu te
souviendras d'avoir chassé le démon avec le démon de
la concupiscence (1).
13. —Malheureux, est-ce pour de tels sacrilèges que je
t'ai élevé au sacerdoce? C'était par des veilles et des
prières que tu devais te préparer à célébrer, le matin ;
c'était le parfum de la vertu et non l'infection du vice
qu'il fallait offrir aux fidèles. Je t'ai élevé à l'état des
anges, afin que tu puisses converser avec les anges, dès
cette vie, par de saintes méditations, et me goûter en-
suite avec eux dans. le ciel. Tu te plais à être avec les
démons et à t'entretenir avec eux, même avant la mort.
14. — La corne de ton orgueil a frappé dans ton intel-
ligence l'œil de la sainte foi. Tu as perdu la lumière, et
tu ne vois pas dans quelle misère tu es tombé, tu ne
crois pas véritablement que toute faute est punie et toute
vérité récompensée; car, si tu le croyais, tu n'agirais
pas de la sorte. Tu ne chercherais pas à t'entretenir
avec le démon, tu craindrais d'entendre son nom même ;
(l) Insuper et aliam infelicem vidisti ligatam in peccato mortali, quœ va-
dens ad miserum sacerdotem ut eara absolveret a suo peccato, ab eo fortius
est alligata in graviori culpa quam erat, et per admirabiles vias induxit eam
ad peceandum secum. Ergo vere tatis pastor est absquecane conscientiœ, imo
suflocat conscientiam aliorum , nec tantum non vult conservare proprian).
Ego namque elegi eos ut ad honorem raeum cantent divinum officiuni atque
psalmizent in nocte. Ipsi vero student in malis, et ad dœmonum incantiones,
et juxla posse satagunt ut operatione diabolica, nocte média adducantur eis,
aliquœ creaturae quas amore polluto diligunt. Ita namque judicant esse, sed
illuduntur a diabolo : quoniam in veritate non est ita.
■
240
niALOGTE DE SAINTE CATHERINE
mais parce que tu suis sa volonté, tu prends plaisir à
ses œuvres. O aveugle, plus qu'aveugle, demande donc
au démon le service qu'il peut te rendre pour ce que
tu fais. Il répondra qu'il te donnera ce qu'il a pour lui-
même. Il ne peut te donner que les affreux tourments
et les flammes éternelles, où son orgueil l'a précipité
du haut du ciel.
15. — Toi, l'ange de la terre, ton orgueil t'a précipité
des hauteurs du sacerdoce et des richesses de la vertu
dans un abime de misères, et si tu ne te corriges pas,
tu tomberas au fond des enfers. Tu as fait de toi et du
monde ton dieu et ton seigneur. Tu as joui du monde
et de ses délices pendant cette vie ; tes sens ont abusé
de ses biens ; dis donc maintenant au monde et à ses
plaisirs de répondre pour toi devant moi, le souverain
Juge. Ils te répondront : Nous ne pouvons t'aider en rien ;
ils se moqueront de toi, en disant qu'il est bien juste
que tu sois couvert de confusion devant moi et devant le
monde.
16. — Tu as méprisé le sacerdoce que je t'avais confié, et
le monde te méprise. Tu ne vois pas ton malheur, parce
que ton orgueil t'aveugle ; mais tu le verras au moment
de la mort, lorsque tu ne trouveras le secours d'aucune
vertu. Tu n'auras d'autre refuge que ma miséricorde, si
tu espères dans le Sang dont je t'ai fait ministre. Per-
sonne ne sera rejeté, s'il espère dans ce Sang et dans ma
miséricorde, mais personne aussi ne doit être assez aveu-
gle et assez insensé pour attendre à ce dernier moment.
17. — Songe qu'à ce dernier moment, le démon, le monde
et les sens accusent celui qui a mal vécu ; ils ne le
trompent plus, en lui montrant comme autrefois le plaisir
où est l'amertume, le bien où est le mal, la lumière où
se trouvent les ténèbres. Ils lui font tout voir dans la
réalité. Alors le chien de la conscience, qui était muet,
commence à aboyer avec tant de violence qu'elle jette
presque l'àme dans le désespoir. Il ne faut jamais s'y
laisser aller, mais au contraire toujours espérer dans le
Sang de mon Fils, malgré tous les crimes qu'on a com-
mis. Ma miséricorde, que vous recevez par ce Sang, est
infiniment plus grande que tous les péchés qui se com-
mettent clans lé monde. Mais il ne faut pas différer,
TBA1TÉ DE LA PRIÈRE. — CH. CXXX
247
car c'est une chose terrible pour l'homme que de se
trouver désarmé au milieu des ennemis sur le champ
de bataille. ,
CXXX.-De beaucoup d'autres fautes que commettent les
mauvais pasteurs.
1 ._ o ma fille bien-aimée, ces malheureux n'y pensent
pas. S'ils y pensaient, ils ne commettraient pas ces fautes,
et tant d'autres; mais ils feraient comme ceux qui vivent
.saintement, et qui aimeraient mieux mourir que de m' of-
fenser en souillant leur âme et la dignité que je leur ai
donnée. Ils augmentent au contraire la dignité et la beauté
de leur âme. La dignité du sacerdoce ne peut, il est vrai,
croître par la vertu, ni diminuer par le vice ; mais les ver- .
tus sont un ornement pour l'âme, une parure ajoutée à la
beauté, à la pureté que je lui ai donnée dans le principe en
la créant à mon image et à ma ressemblance. Ceux-là n'ont
pas méconnu ces trésors de ma bonté, parce que l'orgueil
et l'amour-propre ne les ont point aveuglés et privés de
la lumière de la raison ; ils ne l'ont pas perdue, car ils
m'aimaient et ils aimaient, le salut des âmes.
2.— Mais ces pauvres malheureux sont entièrement privés
de cette lumière, et ils ne s'inquiètent pas d'aller de vice
en vice, jusqu'à ce qu'ils tombent dans l'abîme. Du temple
de leur âme et delà sainte Église, qui est un jardin, ils
ont fait un repaire d'animaux. O ma chère fille, combien
m'est odieuse leur maison, qui devait être pleine de mes
serviteurs et de mes pauvres ! Ils devaient y avoir pour
épouse leur bréviaire, et pour enfants les livres de la
Sainte Écriture ; ils devaient s'y complaire, afin d'enseigner
leur prochain et de lui donner de saints exemples ; et
leur demeure est pleine de désordres et de personnes
vicieuses (1).
3. — Le jour de Pâques et les autres fêtes, que ce prêtre
devait employer à glorifier mon nom par le saint Office,
(1) Sed ipsi sponsam breviarii pertractant veluti adulterara, et in suo loco tenent
nnam diabolicam concubinam, cum qua vivunt immundissime, cum fetenti mise-
ria. Libri vero sui sunt acies filiorum quus acquisierunt in lanta miaeria et iniquita-
te, et absque verecimdia quacumque cum lus impudentissime delectantur.
■I
2i8
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
et à m'offrir l'encens de ses humbles et ferventes prières*
il les passe à jouer, à se divertir avec des femmes, et q
s'amuser avec les gens du inonde, à la chasse et à la
pipée, comme s'il était un séculier et un homme de cour.
4. — Malheureux, où en es-tu venu? Tu devais prendre
des âmes pour la gloire de mou nom, et garder le jardin
de la sainte Église, et tu vas courir les bois. Et celay
parce que tu es abruti en laissant entier dans ton âme,
comme des animaux, tant de péchés mortels: voilà coin
me tu es devenu chasseur et oiseleur! Le jardin de ton
âme est inculte et rempli d'épines, parce que tu te plais
dans les lieux déserts à poursuivre les bétes sauvagesj
5. — Rougis donc, malheureux, et regarde tes défauts.
De quelque côté, que tu te tournes, tu trouves un sujet
de confusion. Mais tu ne rougis pas, parce que tu as perdu
ma crainte salutaire (2). démon incarné, privé de toute
lumière, tu cherches ce que tu ne dois pas chercher; tu
loues et tu vantes ce qui devrait te faire rougir et te cou-
vrir de confusion devant moi, qui vois l'intérieur de ton
cœur. Tu es déshonoré devant toutes les créatures, mais
ton orgueil t'empêche de voir ta honte.
G. — ma fille bien-aimée, je l'ai placé sur le pont de
ma doctrine et de ma Vérité pour vous administrer pendant
votre pèlerinage les sacrements de la sainte Église; et le
malheureux se tient sous le pont, dans le fleuve des dé-
lices et des misères du monde : c'est là qu'il exerce son
ministère, et il ne s'aperçoit pas que le flot de la mort s'ap-
proche et va l'entraîner avec les démons ses maitres, qui
le conduisent par le fleuve, sans aucune résistance. S'il ne
se corrige pas il arrivera à l'éternelle damnation avec tan!
de charges contre lui, que ta bouche ne pourrait jamais
les dire ; et il sera plus puni qu'un autre, car la même
faute sera plus châtiée en lui qu'en ceux qui étaient du
monde; et au moment de la mort, tous ses ennemis se
lèveront contre lui pour l'accuser avec plus d'acharnement
que tout autre.
(1) Imo veluti merelrix absque verecundia, quandoque te jaclabis haberc mtffidl
Statuts, pulchram habere familiam, et aciem lilioi-um ; et si furte nnn babes, juxtu
posse satagis bobere, ut tibi succédant bseredes : unde tu fur es atquelatro, quoniam
optime nosti quod ita facerenon debes. Hœredescnim tui debent esse paiq
ecclesia tibi commissa.
TRAITE DE LA PRIERE.
CH. CXXXI
249
:
!
CXXXI. — Différence de la mort des justes et des pécheurs.
— Mort des justes.
4. — Je t'ai dit comment le monde, les démons et les
sens accusaient ces malheureux prévaricateurs. Je veux te
parler plus longuement à ce sujet, afin que tu en aies
plus grande compassion, et que tu voies la différence qui
existe entre les combats qu'ont S. souffrir les justes et les
pécheurs, combien leur mort est différente, et avec quelle
paix meurent les justes, selon la perfection de leur âme.
2, — Apprends d'abord que toutes les peines des créatu-
res raisonnables ont leur cause dans la volonté; car si leur
volonté était soumise et unie à la mienne, elles ne souffri-
raient pas. Elles ne seraient certainement pas exemptes
d'épreuves, mais leur volonté, qui les supporterait avec-
joie par amour pour moi, n'en ressentirait aucune peine,
puisqu'elles n'y verraient que ma volonté.
3. — La sainte haine que le juste a de lui-môme lui fait
combattre le monde, le démon et les sens. Aussi, quand
vient la mort, il la reçoit au milieu de la paix, parce qu'il
a vaincu ses ennemis pendant la vie. Le monde ne peut
l'accuser, parce qu'il a reconnu ses mensonges et qu'il a
renoncé à tous ses plaisirs. Ses sens et son corps ne peu-
vent l'accuser, car il les a domptés avec le frein de la rai-
son, en macérant sa chair par la pénitence, par les veilles,
et par d'humbles et continuelles prières. Il a tué la volonté
sensitive par l'horreur qu'il a pour le vice et l'amour qu'il
a pour la vertu. Il a détruit toute tendresse pour son corps,
et c'est cette tendresse, cet amour que l'âme a naturelle-
ment pour son corps qui lui fait paraître la mort terrible.
4. — L'homme craint naturellement la mort. Mais parce
que la vertu, dans le juste parfait, surmonte la nature,
c'est-à-dire cette crainte de la mort, elle l'éteint par la
haine sainte et par le désir de retourner à sa fin. La ten-
dresse naturelle ne peut donc lui faire la guerre, et sa
conscience est tranquille, parce que pendant sa vie elle a
fait bonne garde, en aboyant quand l'ennemi voulait s'em-
parer de la cité de son âme ; car, comme le chien qui est
à la porte aboie lorsqu'il voit l'ennemi, et réveille les gardes,
le chien de la conscience réveille le garde de la raison,
&■
250
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
et la raison avec le libre arbitre reconnaît, à la lumière
rie l'intelligence, si c'est un ami ou un ennemi qui ap-
proche.
5. — Si c'est un ami, c'est-à-dire la vertu et les saintes pen-
sées du cœur, ils les reçoivent avec empressement, avec
amour, et les cultivent avec ardeur. Si c'est l'ennemi,
c'est-à-dire le vice et les pensées mauvaises, ils les chassent
par la haine et le dégoût. Le juste, armé du glaive de la
haine et de l'amour, triomphe de ses ennemis avec la
lumière de la raison et la main du libre arbitre. Aussi,
quand vient la mort, sa conscience ne le tourmente pas,
parce qu'elle a fait bonne garde, et il se repose en paix.
0. — L'âme du juste, il est vrai, parce qu'elle est humble
et qu'elle connaît le prix du temps et de la vertu, se re-
prend elle-même à l'heure de la mort de n'avoir pas bien
employé ce temps ; mais ce n'est pas là une peine qui
l'afflige ; elle l'engraisse, au contraire; car elle fait que
l'âme se recueille en elle-même, et contemple le sang de
l'humble Agneau sans tache, mon Fils. Elle ne regarde
pas en arrière pour admirer ses vertus passées, parce
qu'elle ne veut pas espérer en ses mérites, mais seule-
ment dans le Sang précieux où elle trouvera ma miséri-
corde ; et comme elle a vécu dans la pensée continuelle
de ce Sang, elle s'y plonge ; elle en est enivrée à l'heure
de la mort.
7. — Pourquoi les démons ne pourront-ils pas la convaincre
fie péché ? Parce que, pendant sa vie, elle aura triomphé
de leur malice par sa sagesse. Us se présentent cependant
pour voir s'ils pourront gagner quelque chose. Us pren-
nent des apparences horribles et lui offrent souvent des
visions hideuses pour l'effrayer ; mais parce que l'âme
est pure du venin du péché, leur aspect ne lui fait pas
peur comme à ceux qui ont vécu d'une manière coupable
dans le monde. Aussi, lorsque les démons voient que l'âme
s'est plongée dans le Sang de mon Fils avec une ardente
charité, ils ne peuvent plus lui résister, et ils se bernent
à lui jeter de loin quelques-unes de leurs flèches.
8. — Leurs attaques et leurs cris ne nuisent point à l'âme,
parce qu'elle a commencé à jouir de la vie éternelle, comme
je te l'ai dit autre part. L'œil de son intelligence, éclairé
parla lumière de la sainte foi, me contemple, moi le Bien
TRAITE DE LA PRIERE.
CH. CXXX1
251
éternel et infini qu'elle attend de ma grâce et non de ses
mérites, par la vertu de Jésus-Christ mon Fils. Elle tend
vers ce Bien suprême les bras de l'espérance ; elle l'embras-
se avec les mains de l'amour ; elle en jouit avant d'y être,
comme je te l'ai expliqué. Puis, toute baignée de ce Sang,
elle entre par la porte étroite de mon Verbe ; elle arrive
à moi, l'océan de la paix ; l'océan et la porte ne font qu'un,
parce que moi et mon Fils nous sommes une même chose.
9. — Quelle joie reçoit l'âme qui se voit si doucement ar-
rivée à ce passage, et qui goûte enfin la félicité des anges
et des bienheureux ! Tout ceux qui meurent saintement
participent à cette félicité. Mais les ministres que je t'ai
montrés vivant comme des anges reçoivent davantage,
parce que dans cette vie ils ont vécu dans une plus grande
connaissance et dans une faim plus ardente de mon honneur
et du salut des âmes. Non seulement ils ont eu la lumière
de la vertu, que tous peuvent avoir, mais ils ont uni à la
lumière d'une vie sainte la lumière surnaturelle de la
science, qui leur a fait connaître davantage ma Vérité ;
et plus on connaît, plus on aime ; plus on aime, plus on
reçoit. Votre mérite est mesuré sur l'amour.
10. — Quelqu'un qui n'a pas de science peut-il arriver
à cet amour ? Oui certainement, il est possible qu'il y par-
vienne. Mais une chose particulière n'est pas une loi gé-
nérale. Ceux-là sont élevés en dignité par le sacerdoce,
puisque je les établis pour le bien des âmes ; et, s'il
vous est ordonné â tous de rester dans l'amour du pro-
chain, il est de plus ordonné à ceux-ci d'administrer le
sang de mon Fils et de gouverner les âmes. S'il le font
avec zèle et avec l'amour de la vertu, comme je te l'ai
dit, ils recevront plus que les autres.
11. — Oh ! combien est heureuse leur âme lorsqu'ils
arrivent au moment de la mort ! Ils ont été les apôtres
et les défenseurs de la foi pour leur prochain ; ils l'ont
tellement incarnée dans la moelle de leur âme, que par
elle ils se voient en moi. Ils ont tellement espéré en
ma providence pendant leur vie, qu'ils ont perdu l'espé-
rance d'eux-mêmes, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas espéré
dans leur propre science ; et parce qu'ils ont perdu
cette fausse espérance, ils n'ont eu d'amour déréglé pour
aucune créature. Ils ont vécu pauvres volontairement,
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
et ils ont mis leur espérance en moi avec une grande
douceur. Leur cœur fut un vase d'amour qui portail mon
nom avec une ardente charité, et ils l'annonçaient au
prochain par les exemples de leur sainte vie et les en-
seignements de leur parole.
I L J. — Ce cœur du ministre fidèle s'est élevé vers moi
avec une ardeur ineffable ; il m'a embrassé avec amour,
moi qui suis sa fin ; il m'a présenté la perle de la jus-
tice, car il la porte toujours devant lui, accomplissant
la justice et rendant fidèlement à chacun ce qui lui est dû.
Il me rend justice par son humilité ; il rend gloire et hon-
neur à mon nom, en reconnaissant que c'est par ma grâce
qu'il a parcouru le temps avec une conscience sainte et
pure, et en confessant qu'il était indigne de recevoir une
telle faveur.
-13.— Sa conscience lui rend bon témoignage, et moi je
lui donne la couronne de justice qu'il mérite; je la lui
donne tout ornée des pierres précieuses de la vertu,
C'est-à-dire du fruit que la charité a tiré de la vertu.
ange de la terre ! que tu es heureux de n'avoir pas reçu
mes bienfaits avec ingratitude, et de n'en avoir pas
abusé par négligence ou par ignorance, mais d'avoir,
avec la vraie lumière, sans cesse tenu les yeux attachés
sur ceux qui t'étaient confiés ! Comme un fidèle et cou-
rageux pasteur, tu as toujours suivi la doctrine du vrai
et bon pasteur, du Christ, le doux Jésus , mon Fils uni-
que. Tu as réellement passé par lui, en te baignant,
en te noyant dans son précieux sang, avec le troupeau
de tes brebis que tu as conduites, par une sainte doc-
trine et par ta vie, jusqu'à la vie éternelle, et tu eu
as laissé beaucoup d'autres en état de grâce.
14. _ o ma fille bien-aimée, ceux-là no souffriront pas
des visions du démon, parce qu'ils me voient par la
foi et me possèdent par l'amour. Le poison du péché
n'est pas en eux ; les ténèbres et les choses terribles
ne peuvent les troubler et les faire craindre, car leur
crainte n'est pas servile, mais sainte. Ils ne redoutent
pas les illusions du démon, parce qu'avec la lumière
surnaturelle et la lumière des Saintes Ecritures, ils recon-
naissent tous ses pièges. Aussi leur àme ne peut ôtrt
obscurcie et troublée. Ils meurent glorieusement baignés
TRAITÉ DE LA PRIÈRE. — CH. CXXXII
253
dans le sang de mon Fils, avec la faim du salut des
âmes et tout embrasés de la charité du prochain ; ils
passent par la porte du Verbe, ils entrent en moi, et
ma bonté leur donne le rang qui leur convient, selon
la mesure de l'amour qu'ils m'ont donné.
CXXXII. — De la mort des pécheurs et de leurs peines
au dernier moment.
1. — Ma fille bien-aimêe, le bonheur de mes ministres
fidèles est grand, sans doute; mais le malheur des in-
fortunés dont je l'ai parlé est encore plus grand. Que
leur mort est affreuse et terrible ! Dans leurs derniers
instants, les démons les accusent et les épouvantent eh
leur apparaissant. Tu sais que leur figure est si hideuse,
qu'il vaudrait mieux souffrir toutes les peines de la vie
que de voir le démon dans sa réalité.
2. — Le remords de la conscience renaît aussi pour
ronger et dévorer le pécheur. Tous les plaisirs déréglés,
les sens qui étaient les maîtres, et la raison qui était
esclave, l'accusent d'une manière terrible, parce, qu'il re-
connaît la vérité de ce qu'il avait méconnu d'abord ; son
erreur le couvre de confusion. Pendant toute sa vie il a
été infidèle, tandis qu'il devait me servir ; mais l'amour-
propre avait obscurci dans son intelligence la lumière
de la sainte foi. Aussi le démon le poursuit de la pensée
de ses infidélités pour le faire tomber dans le désespoir.
3. — Oh ! combien ce combat est dur ! Le pécheur est
sans défense ; il n'est pas armé des sentiments de la
charité ; il en est complètement privé, parce qu'il est
devenu un membre du démon. Il n'a pas la lumière
surnaturelle, ni celle de la science qu'il ne peut com-
prendre, parce que son orgueil ne lui permet pas d'en
savourer la douceur. Aussi, quand vient le grand combat,
il ne sait plus que faire. Il n'est pas soutenu par l'es-
pérance, car il n'a pas espéré en moi, ni dans le Sang
dont je l'ai fait ministre ; il a espéré en lui-môme, dans
les honneurs et les délices du monde ; ce malheureux
ne voyait pas que tout lui était prêté, et qu'il devait
m'en rendre compte comme à un créancier. Il se trouve
■r
25 i
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
nu et sans vertu, et de quelque côté qu'il se tourne il
ne voit que des sujets de honte et de confusion
4. - L'injustice dont il s'est rendu coupable pendant toute
sa vie, l'accuse tellement devant sa conscience cu'il
n ose demander autre chose que la justice. Sa confusion
est s. grande, qu'il ne peut plus, comme il faisait pen-
dant sa vie, espérer dans ma miséricorde ; ses fautes
montraient que cette espérance n'était que présomption-
car celui qui m'offense en s'appuyant sur ma misera
corde ne peut pas dire qu'il espère en ma miséricorde ;
il compte seulement sur elle. Si, quand vient l'heure de
la mort, ,1 reconnaît ses fautes et décharge sa conscience
par une sainte confession, la présomption cesse et il
ae m'offense plus. La miséricorde lui reste, et avec cette
miséricorde il peut, s'il le veut, se rattacher à l'espé-
rance. Sans cela il ne pourrait éviter le désespoir, qui
1 entraînerait avec les démons dans l'éternelle damnation
5. - G est ma miséricorde qui fait espérer l'homme en ma
miséricorde pendant sa vie. Je ne lui accorde pas cette
grâce pour qu'il m'offense, mais pour qu'il se livre à ma
charité et à la considération de ma bonté. Celui-là fait le
contraire quand il m'offense, parce qu'il compte sur ma
miséricorde. Cependant je le conserve dans l'espérance de
ma miséricorde, afin qu'au moment de la mort il puisse
s'y attacher, et qu'il ne périsse pas en tombant dans le
désespoir. Car ce qui est le plus odieux pour moi et le
plus malheureux pour lui, c'est le désespoir.
0. - Ce dernier péché est plus grand que tous ceux
qu.la commis. Ce qui lait que ce péché m'irrite et lui
nuit plus que les autres, c'est qu'il y a clans les autres
pèches un certain plaisir, un entraînement des sens, et qu'on
peut en avoir un regret qui attire la miséricorde ; mais
dans le péché de désespoir, comment prétexter la Èublesse
puisqu'on n'y trouve aucune jouissance, mais au contraire
une peme insupportable? Le désespoir est Je mépris de
ma miséricorde; il fait croire la faute plus grande que ma
miséricorde et ma bonté. Celui qui tombe clans ce péché
ne se repent pas et ne pleure pas véritablement de m'avoir
outrage; il pleure son malheur et non mon offense ; et c'esl
pourquoi il tombe dans l'éternelle damnation.
7. - Ce péché seul le conduit en enfer, où il sera tour-
TRAITÉ DE LA PRIÈRE. — CH. CXXXII 4M
mente pour ce péché et pour tous ceux qu'il a commis.
S'il se fût repenti de l'offense qu'il m'avait faite, s'il avait
espéré dan's ma miséricorde, il eût trouvé miséricorde. Car,
comme je te l'ai dit, ma miséricorde est infiniment plus
grande que tous les péchés que peuvent commettre les créa-
tures. Aussi ceux qui la jugent inférieure à leurs péchés me
déplaisent plus que tous les autres. C'est là le péché qui
n'est pardonné ni en cette vie ni en l'autre. Quand vient
l'heure de la mort pour celui qui a vécu clans le désordre
et le crime, le désespoir me déplaît tant, que je voudrais
le faire espérer dans ma miséricorde ; c'est pour cela que,
pendant sa vie, je me suis servi d'un doux stratagème, en
le laissant trop compter sur ma miséricorde. L'habitude de
l'espérance l'expose moins à la perdre au moment de la mort,
au milieu des combats terribles qu'il éprouve alors.
8. — Cette grâce vient du foyer de mon ineffable cha-
rité ; mais, parce que l'homme la reçoit avec les ténèbres
de l'amour-propre, d'où procède toute faute, il la mécon-
naît, et la douceur de ma miséricorde n'a été pour son
cœur qu'un motif de présomption ; c'est ce que sa con-
science lui reproche en présence des démons ; elle lui
rappelle la patience et la grandeur de ma miséricorde,
sur laquelle il comptait. 11 devait se livrer à la charité
et à l'amour des vertus, et employer saintement le temps
que lui avait donné mon amour, et il a employé le temps
et l'espérance de ma miséricorde pour m'offenscr.
9. _ aveugle plus qu'aveugle ! tu as enterré la perle
et le talent que j'avais mis dans tes mains pour les
faire profiter. Par présomption, tu n'as pas voulu faire ma
volonté; tu as enfoui ton trésor sous la terre de l'amour
déréglé de toi-même, et maintenant tu en retires un gain
de mort. malheureux, combien grande est la peine que
tu reçois à cette heure dernière ! Tes misères ne te sont
plus cachées, car le ver de la conscience ne dort plus,
mais il ronge. Les démors t'insultent et te payent le prix
de ta fidélité à les servir, c'est-à-dire la confusion et les
reproches. Pour qu'au moment de la mort tu n'échappes
pas à leurs mains, ils veulent te jeter dans le désespoir;
ils te troublent , afin de partager ensuite avec toi ce qu'ils
ont pour eux-mêmes.
10. — Malheureux, la dignité à laquelle je t'avais élevé,
■
'./«SÏ-J!
256
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
tu ta vois maintenant sublime comme elle l'est; tu re-
'' ia»s à ta bonté que tu l'as profanée, et que lu as
employé 1rs biens de l'Église dans les ténèbres du péché.
Tu vois maintement que tu as dérobé et partie ce que
tu devais rendre aux pauvres et à la sainte Église. Ta
Conscience te reproche de l'avoir employé à payer tes
coupables plaisirs, à enrichir tes parents et à te ruiner
en repas, en meublés pour ta maison et en vaisselle d'ar-
gent, toi qui devais vivre dans la pauvreté volontaire. Ta
conscience te rappelle l'Office divin, que tu as négligé
sans l'inquiéter de commettre ainsi un péché mortel, et,
quand tu le récitais, c'était de bouche; ton cœur était
loin de moi.
11. — Et ceux qui t'étaient confiés, la charité, le zèle
que tu devais avoir pour les porter à la vertu, t'obli-
geaient à leur donner de saints exemples et à les battre
avec la main delà miséricorde et la verge de la justice.
Tu as l'ait le contraire, et ta conscience te le reproche
en présence des démons. Dans ta puissance, tu confiais
.les charges et des âmes à des sujets indignés, sans y
l'aire attention ; ta conscience te le montre maintenant.
Tu ne devais pas alors te laisser influencer par des flat-
teries, par des présents, par le désir de plaire aux autres;
tu ne devais considérer que la vertu, mon honneur et
le salut des âmes. Tu ne l'as pas fait ; ta conscience te le
redira pour ta honte, pour ton supplice, et à la lumière
île ton intelligence tu verras clairement que tu as lait
ce que tu ne devais pas faire, et que tu n'as pas l'ait
ce que tu devais faire.
12. — Ma chère fille, on apprécie le blanc prés du noir, et
le noir près du blanc, mieux que s'ils étaient séparés l'un
de l'autre. 11 en est de même pour ces malheureux. A leur
mort et à celle des autres hommes, l'âme commence a voir
plus distinctement son malheur ou sa béatitude. Le coupa-
ble voit clairement sa vie criminelle. Personne n'a besoin de
la lui montrer, parce que sa conscience le met en présence
des fautes qu'il a commises et des vertus qu'il devait pra-
tiquer. Pourquoi des vertus ? Pour que sa confusion soit
plus grande, parce qu'en rapprochant le vice delà vertu,
la vertu fait mieux connaître le vice, et plus il est connu,
plus la honte est grande. Le coupable, par la connaissance
/
TRAITÉ DE LA PRIÈRE.
CH. CXXXII
257
de ses fautes, connaît mieux la perfection de la vertu, et
alors sa douleur augmente, parce qu'il voit que sa vie a été
éloignée de toute vertu.
43 _ Dans la connaissance qu'il a du vice et de la vertu
le pécheur voit clairement le bien qui récompense l'homme
vertueux, et le châtiment qui punit le coupable, plongédan
les ténèbres du péché mortel. Je ne lui donne pas cette con-
naissance pour qu'il tombe dans le désespoir, mais pour
qu'il ait une connaissance plus parfaite de lui-même, et qu'il
rougisse de ses fautes avec espérance; cette honte et cette
connaissance le convertiront, et il apaisera ma colère en
implorant humblement ma miséricorde.
14. — L'homme juste grandit dans la joie et la connais-
sance de ma charité, parce qu'il attribue non pas à lui, mais
à moi, la grâce qu'il a eue de suivre la vertu par la doctrine
de ma Vérité, et il se réjouit en moi ; avec cette lumière et
cette connaissance véritable, il goûte et reçoit cette douce
fin, dont je t'ai parlé ailleurs. Le juste qui a vécu dans l'ar-
deur de la charité surabonde de joie, tandis qne le coupa-
ble qui a vécu dans les ténèbres est accablé par la douleur.
Les apparitions des démons ne nuisent point au juste, et il
ne les craint pas, parce qu'il n'y a que le péché qu'il re-
doute et qui puisse lui nuire. Mais ceux qui ont vécu dans
le vice et la débauche tremblent et souffrent à la vue des
démons ; cette vue, s'ils le veulent, ne doit pas entraîner
dans le désespoir, mais seulement réveiller leur conscience
et les conduire par la crainteau repentir.
15. _ Tu vois, ma très chère fille, combien sont diffé-
rents pour le juste et le pécheur les derniers instants de
la vie et les combats de la mort. Je t'en ai à peine dit
un mot. Ce que j'ai montré aux regards de ton intelligence
n'est pour ainsi dire rien en comparaison de la réalité,
c'est-à-dire de la peine que le pécheur endure, et du bien
que le juste reçoit. Considère l'aveuglement des hommes,
et surtout celui des malheureux dont je t'ai parlé : plus
ils ont reçu de moi, plus ils sont éclairés par les Saintes
Écritures, et plus ils ont d'obligations, plus ils recevront
une honte intolérable. Plus ils auront connu le saint Évan-
gile pendant leur vie, plus ils connaîtront à leur mort les
grandes fautes qu'ils ont commises ; ils auront à souffrir
des tourments plus grands que les autres, comme les
dialogue de Ste Cath. de S. — 17.
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258
DIALOGUE DE SAINTE < A 1 HIJUINK
bons jouiront au contraire d'une plus douce récompense.
16. — Il leur arrive comme au mauvais chrétien, qui dans
l'enfer est plus torturé que le païen, parce qu'il a eu la lu-
mière de la foi, et qu'il y a renoncé, tandis que le païen ne
l'a pas possédée. Ces malheureux sont plus punis pour cha-
que faute que tous les autres chrétiens, à cause du ministère
que je leur avais confié, en leur donnant à distribuer le So-
leil eucharistique : ils avaient la lumière de la science alin
«le pouvoir discerner la vérité, pour eux et pour les autres,
s'ils l'avaient voulu; il est bien juste qu'ils reçoivent un
plus terrible châtiment.
17. — Ces infortunés n'y pensent pas: s'ils réfléchissaienl
sur leur état, ils ne tomberaient pas dans de telles iniquités ;
ils seraient ce qu'ils devraient être, et non ce qu'ils sont. Le
inonde est corrompu, parce qu'ils font pire que 1rs séculiers
eux-mêmes. Ils souillent par leur impureté la face de leurs
Ames, et corrompent ceux qui leur sont confiés ; ils suçenl
le sang de mon Épouse la sainte Église, tellement, que par
leurs fautes elle devient pâle et défaillante. L'amour et le
zèle qu'ils devraient avoir pour elle, ils les ont gardés pour
eux-mêmes. Ils ne s'occupent qu'à la dépouiller et à en re-
tirer des honneurs et des revenus considérables, tandis qu'ils
ne devraient chercher que les âmes. Aussi, leur mauvaise
vie rend les hommes du monde sans respect et sans soumis-
sion pour l'Église. Ils ne devraient pas le faire, car leurs
fautes ne sont jamais excusées par celles des ministres.
CXXXIII. — Dieu défend aux séculiers de toucher à ses mi-
nistres. — Il invite l'âme à pleurer sur ces prévaricateurs.
1. — J'aurais bien d'autres vices à te faire connaître, mais
je ne veux pas souiller davantage tes oreilles. Je t'ai dit ces
choses pour satisfaire ton désir, et pour que tu sois plus ar-
dente à m'offrir pour ces coupables tes doux, tes tendres et
bien-aimés désirs. Je t'ai fait connaître la dignité à laquelle je
les avais élevés, et le trésor que j'avais confié à leurs mains
le Sacrement du Dieu-Homme que j'ai comparé au soleil
pour que tu comprennes que leurs fautes n'en altèrent pas
la vertu. Je ne veux pas qu'elles altèrent le respect envers
eux. Je t'ai montré l'excellence de mes saints ministres en
■
TRAITÉ DE LA PRIÈRE. — Cil. CXXXIII
250
qui brille la pierre précieuse de la vertu et de la justice.
2. _ Je t'ai fait voir combien me déplaisent les persécu-
tions contre l'Église, et' le mépris qu'on a pour le sang dé
mon Fils. Ce qu'on fait contre ses ministres, je le considère
fait contre ce sang, et non contre eux, parce que j'ai défendu
de toucher à mes Christs. Je t'ai entretenu de leur vie cou-
pable, des désordres qu'ils commettent, des peines et de la
confusion où ils sont plongés à leur dernière heure, et des
tourments qui doivent les punir plus cruellement que les
autres après la mort ; en te racontant quelque chose de
leur vie, j'ai satisfait à la demande que tu m'avais faite eu
me rappelant ma promesse.
3. _ Je te dis de, nouveau que, malgré tous leurs vices, et
lors môme qu'ils seraient plus grands encore, je ne veux
pas que les séculiers se chargent de les punir. S'ils le font,
leur faute ne restera pas sans châtiment, à moins qu'ils ne
se purifient par la contrition du cœur, et qu'ils ne changent
de conduite. Les mauvais ministres et leurs persécuteurs
sont des démons incarnés ; la justice divine permet qu'ils
se châtient les uns par les autres. Tous sont coupables ; les
séculiers ne sont pas excusés par les péchés des pasteurs,
ni les pasteurs par ceux des séculiers.
4. _ Maintenant, ma fille aimée, je vous invite tous, toi
et mes autres serviteurs, à pleurer sur ces morts, et â rester
comme des brebis fidèles dans le jardin de la sainte Église,
vous nourrissant sans cesse de saints désirs, et m'offrant
pour eux l'encens de vos continuelles prières ; car je veux
laire miséricorde au monde. Ne vous laissez distraire par
rien, ni par l'injure, ni par la prospérité. Ne levez pas la
tète ni par l'impatience, ni par une joie déréglée ; mais ap-
pliquez-vous humblement â procurer mon honneur, le
salut des âmes et la réforme de la sainte Église. Vous me
prouverez ainsi que vous m'aimez en vérité. Tu sais bien
que je t'ai montré que je voulais que vous soyez les
brebis fidèles, et que vous vous nourrissiez toujours dans
le jardin de la sainte Église, en supportant la fatigue et
la peine, jusqu'à l'heure de la mort. Si tu le fais, j'accom-
plirai tes désirs.
■
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260
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
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CXXXIV. — L'âme remercie Dieu et prie pour la sainte Église.
•i.— Alors cette âme, enivrée, haletante et embrasée d'a-
mour, sentait son cœur inondé d'amertume; elle se tournait
vers la souveraine et éternelle Bonté,et lui disait: Dieu
éternel, ô Lumière au dessus de toutes les lumières; source
de toute lumière; Feu au dessus de tout feu, Feu qui seul
brûle et ne se consume pas, Feu qui consume tout péché
et tout amour-propre dans l'àme, Feu qui ne détruit pas
l'âme, mais qui la nourrit d'un amour insatiable ; en la
rassasiant tu ne la rassasies pas, car toujours elle te désire ;
plus elle a, plus elle te demande ; plus elle te désire, plus
elle te trouve et te goûte, o Feu éternel et souverain,
abime de charité !
2.— O Bien suprême, Dieu infini, qui vous a porté à m'éclai-
rer de la lumière de votre vérité, moi votre créature bor-
née? Vous-même, ô Feu d'amour, vous-même en êtes la
cause, car c'est toujours l'amour qui vous force à nous
créer à votre image et à votre ressemblance, à nous faire
miséricorde, à donner à vos créatures raisonnables des
grâces infinies et sans mesure ; l'amour, car vous nous
avez aimés avant que nous fussions. O bonne et éternelle
Grandeur, vous vous êtes fait bas et petit pour faire
l'homme grand. De quelque côté que je me tourne, je ne
trouve qu'abîme et flamme de votre charité.
3.— Comment moi, misérable, pourrai-je reconnaître ces
grâces et cette ardente charité que vous m'avez montrées
avec tant d'amour, à moi en particulier, en dehors de
tout ce que vous faites pour toutes vos créatures? Non;
jamais ; mais vous seul, doux et tendre Père, vous seul
serez reconnaissant pour moi ; c'est l'ardeur de votre
charité qui vous rendra grâces, car moi je suis celle qui
ne suis pas. Si je disais que je suis quelque chose par
moi-même, je mentirais et je serais la fille du démon,
qui est le père du mensonge. Mais vous, vous- êtes Celui
qui êtes l'être ; et toutes ces grâces que vous y avez ajou-
tées, je les tiens de vous, qui me les avez données et me
les donnez par amour et non par devoir. O mon très
doux Père, l'humanité était malade du péché d'Adam, et
L.
TRAITÉ DE LA PRIÈRE. — CH. CXXXIV
261
vous lui avez envoyé le bon et tendre médecin, le Verbe,
votre cher Fils.
4 - Et moi je languissais dans la négligence et dans une
profonde ignorance. Vous, très aimable Médecin, Dieu
éternel, vous m'avez donné une suave, une douce et amere
médecine qui m'a guérie et sauvée de mon infirmité. Elle
était suave, parce qu'avec votre ineffable chante vous
vous êtes manifesté à moi ; elle était douce plus que toutes
les douceurs, parce que vous avez éclairé l'œil de mon
intelligence avec la lumière de la très sainte foi; et dans
cette 'lumière où il vous a plu de vous manifester, j ai
connu la grâce ineffable que vous avez faite à 1 homme
en lui donnant, dans le corps mystique de la sainte Eglise,
la divinité et l'humanité parfaite de votre Fils. J'ai connu
aussi la dignité des ministres que vous avez choisis pour
nous distribuer ce trésor.
5 -Je désirais vous voir remplir la promesse que vous
m'aviez faite, et vous me donnez beaucoup plus en me
donnant ce que je ne savais pas vous demander. Oui, je
comprends parfaitement que le cœur de l'homme ne peut
demander ni désirer autant que vous lui donnez. Je vois
que vous êtes le Bien infini, éternel, et que nous sommes
ceux qui ne sommes pas. Vous êtes infini, et nous sommes
finis ; vous donnez ce que votre créature raisonnable ne
peut, ne sait pas désirer. Vous seul savez, pouvez et voulez
satisfaire l'âme et la rassasier de toutes les choses qu'elle
ne vous a pas demandées ; et vous le faites de cette manière
si douce et si aimable que vous avez de donner.
6.— J'ai donc reçu la lumière clans la grandeur de vo-
tre charité, par l'amour que vous avez manifesté à tout
le genre humain, et surtout à vos ministres, qui doivent
être les anges de la terre en cette vie. Vous m'avez mon-
tré la vertu et la béatitude de vos ministres qui ont vécu
dans votre Église comme des lampes ardentes et des per-
les de justice. Par là, j'ai mieux compris la faute de ceux
qui vivent misérablement. J'ai ressenti une immense dou-
leur de l'offense qui vous est ainsi faite et du malheur
qui en résulte pour le monde; car ils nuisent au monde
en, étant le miroir du vice, tandis qu'ils devraient être
le miroir de la vertu. Vous m'avez montré leurs iniqui-
tés, a moi, misérable, qui suis la cause et l'instrument
;
■
262
DIALOGUE HK SAINTE CATHERINE
do tant, de fautes ; et en vous entendant vous plaindre de
leurs iniquités, j'ai ressenti une douleur intolérable.
7. — amour ineffable, en me montrant ces choses,
vous m'avez, donné une médecine douce et amère qui me
guérit de mon ignorance et de ma tiédeur, pour que, dans
l'ardeur de mon désir, j'aie recours à vous, et que, coni
naissant votre bonté et tous les outrages qui vous sont
faits par les hommes et spécialement par vos ministres,
je répande sur moi, pauvre misérable, et sur ces morta
qui vivent si mal, un torrent de larmes que me donnera
la connaissance de votre bonté infinie. Non, je ne veux
pas, ô Père, foyer d'amour, abîme de charité, je ne veux
pas cesser un instant de désirer votre honneur et le salut
des âmes. Mes yeux ne se lasseront pas de pleurer; je
vous demande en grâce qu'ils deviennent deux fontaines
de cette eau qui sort de vous, l'océan de la paix! Grâces.
grâces vous soient rendues, ô Père, de ce que vous m'avez
accordé ce que je vous demandais et ce que je ne con-
naissais pas, ce que je ne demandais pas, puisque vous
m'avez invitée si doucement à pleurer, puisque vous m'avez
si puissamment provoquée à offrir devant vous me;, ardents
désirs avec mes humbles et continuelles prières.
8.— Maintenant je vous demande de faire miséricorde
au monde et à votre sainte Église. Je vous supplie d'ac-
complir ce que vous me faites demander. Oh ! combien
ma pauvre âme souffre d'être cause de tant de mal ! Ne
tardez plus à faire miséricorde au monde; laissez -vous
fléchir, et accomplissez le désir de vos serviteurs. Oui,
c'est vous qui les faites crier ; entendez donc leur voix.
Votre Vérité a dit d'appeler, et il nous serait répondu ;
de frapper, et il nous serait ouvert; de demander, et il
nous serait donné. O Père éternel, vos serviteurs appellent
votre miséricorde, qu'elle leur réponde donc. Je sais bien
que la miséricorde vous est propre, et que vous ne pou-
vez vous défendre de la donner à qui vous la demande.
Ils frappent à la porte de votre Vérité, parce que dans
votre Fils ils connaissent l'amour ineffable que vous avez
eu pour l'homme. Ils frappent à la porte; l'ardeur de
votre charité ne doit pas, ne peut pas refuser d'ouvrir
à qui frappe avec persévérance.
9.— Ouvrez donc, brisez, élargissez les cœurs endurcis
^^B
TRAITÉ- DE LA PRIERE.
CH. CXXXIV
203
de vos créatures. Que ce ne soit pas à cause d'elles,
qui ne frappent pas, mais faites-le à cause de votre
infinie bonté et à cause de l'amour de vos serviteurs,
qui frappent pour elles ; faites-le, ô Père, car vous voyez
qu'ils sont à la porte de votre Vérité et qu'ils deman-
dent. Que demandent-ils? Ils demandent le sang de votre
Fils, qui est la porte de la Vérité; parce que dans ce
.sang vous avez lavé l'iniquité et effacé la tache du péché
d'Adam. Ce Sang est à nous, car vous nous en avez fait
un bain, et vous ne pouvez, vous ne devez pas le refuser
à qui vous le demande. Donnez donc le fruit de ce Sang
à vos créatures ; mettez dans la balance le prix du Sang
de votre Fils, afin que les démons de l'enfer ne puissent
emporter vos brebis.
40.— A'ous êtes le bon Pasteur, car vous nous avez
donné pour nous conduire votre Fils bien-aimé, qui, par •
obéissance, est mort pour vos brebis et nous a fait un
bain de son Sang. C'est ce Sang que vous demandent vos
serviteurs qui frappent à la porte avec un si grand désir.
Ils vous demandent par ce Sang de faire miséricorde au
monde, et de remplir de nouveau votre sainte Église des
ileurs odoriférantes de vos bons et saints pasteurs, pour que
leur parfum corrige l'infection des fleurs corrompues. Vous
avez dit, ô Père éternel, que vous écouteriez votre amour
pour les créatures raisonnables; que vous vous laisseriez
lléchir par les prières de vos serviteurs et par les peines
qu'ils souffrent sans les mériter, que vous feriez miséri-
corde au monde, et que vous réformeriez l'Église. Donnez-
nous cette consolation ; ne tardez pas à jeter sur nous
un regard de miséricorde ; mais répondez, car vous vou-
lez nous répondre avant même que nous vous appellions
avec la voix de votre miséricorde.
11.— Ouvrez la porte de votre ineffable charité que
vous nous avez donnée clans la personne de votre Fils.
Je sais déjà que vous ouvrez avant que nous frappions;
car c'est avec l'amour que vous avez donné à vos ser-
viteurs qu'ils frappent, qu'ils vous appellent, en cher-
chant votre honneur et le salut des âmes. Donnez-leur
donc le Pain de vie, c'est-à-dire le fruit du sang de
votre Fds bien-aiiné, qu'ils vous demandent pour la gloire
et la louange de votre nom et pour le salut des âmes ;
H
■
204
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
car il me semble qu'il vous revient plus de gloire et dfl
louange à sauver tant de créatures qu'à les laisser périr
dans leur endurcissement.
12.— Tout vous est possible, ô Père. Je sais que vous
nous avez créés sans nous, mais que vous ne pouvez,
nous sauver sans nous. Je ne vous le demande pas,
mais je vous conjure de forcer leur volonté, de les disposer
à vouloir ce qu'elles ne veulent pas ; et je vous le de-
mande au nom de votre miséricorde. Vous nous avez créés
de rien ; mais maintenant que nous existons, faites-nous mi-
séricorde ; réparez les vases que vous avez façonnés à
votre image et à votre ressemblance ; rétablissez-les dans
la grâce par la miséricorde et le sang de votre Fils, le
Christ, le doux Jésus.
TRAITÉ DE LÀ PROVIDENCE
V
I
■
CXXXV. — De la providence de Dieu en général.
i. — Alors l'Éternel, dans son ineffable clémence, jeta
sur cette âme un regard plein de tendresse, et voulut
bien lui expliquer comment sa divine providence ne man-
que jamais à personne, pourvu qu'on l'accepte humblement.
Il s'exprima ainsi, en se plaignant doucement de ses créa-
tures raisonnables : ma fille bien-aimée ! combien de fois
te l'ai-je répété! oui, je veux faire miséricorde au monde et
assister chacun selon ses besoins ; mais l'homme ignorant
trouve Ja mort où j'ai placé la vie. Moi je veille toujours, et
je veux que tu comprennes que ce que je donne à cha-
cun est réglé par mon infinie providence.
2. — C'est ma providence qui a créé l'homme ; et, lors-
que je l'ai regardé en moi-même, je me suis passionné
pour la beauté de ma créature, parce que ma providence
souveraine l'avait créé à mon image et ressemblance. Je
lui ai donné la mémoire pour qu'il se rappelât mes bien-
faits et qu'il participât à la puissance du Père; je lui
ai donné l'intelligence pour que, dans la sagesse du Fils
il connût et comprit ma volonté, car je suis la source
de toutes les grâces, que je répands avec un ardent et
paternel amour. Je lui ai donné la volonté pour aimer,
afin qu'en participant à la bonté du Saint Esprit il pût
aimer ce qu'avait vu et connu son
providence a fait cela pour que
me comprendre et de me goûter
d'une éternelle vision.
3. — Comme je te l'ai déjà dit,
la désobéissance de v
intelligence. Ma douce
'homme fût capable de
dans la joie suprême
était
pr
perc
qui mécon-
nut la dignité de son origine et ne vit pas avec quelle
265
V
->w
DIAI.iici'K DE SAINTE CATHERINE
ineffable tendresse je l'avais créé. Il tomba dans la déso-
béissance, et ensuite dans la corruption par orgueil et
par faiblesse pour sa femme, aimant mieux lui céder
<'t lui plaire qu'obéir à mon commandement. 11 voyait
l'injustice de ce qu'elle lui proposait, mais il y consentit
pour ne pas l'affliger. C'est de cette désobéissance que
naquirent les maux de la terre. Tous, vous avez ressenti
les effets de ce poison, dont je t'expliquerai ailleurs les
dangers, pour te faire mieux comprendre les avantages
«le l'obéissance.
-'t. — Pour éloigner de l'homme cette mort de la déso-
béissance et vous sauver de celte extrémité, je vous ai
donné mon Fils unique par un acte de mon infinie pro-
vidence; car, en unissant ma divinité à votre humanité,
j'ai vaincu le démon, qui ne voulut pas connaître ma
Vërïté, En s'incarnant elle consuma "et détruisit le men-
songe par lequel il avait trompé l'homme ; et ce fut un
grand acte de ma providence.
5. — Considère, ma fille bien-aimée, que je ne pou-
vais faire plus que de vous donner mon Fils unique]
je l'ai soumis, à une grande obéissance afin qu'il délivrât
le genre humain du venin que la désobéissance de votre-,
premier père avait répandu dans le monde. Transporté
d'amour et d'obéissance, il s'est élancé vers la mort igno-
minieuse de la sainte Croix, et par cette mort il vous a
donné la vie, non pas en vertu de l'humanité, mais en
vertu de la divinité que j'avais miséricordieusement unie
à votre nature pour satisfaire à la faute commise contre
moi, le Bien infini, qui demandais une réparation infinie.
G.— La nature humaine finie devait s'unir à un être
infini afin de pouvoir me satisfaire d'une manière infinie
pour tous les hommes passés, présents et futurs. Afin que
toutes les fois qu'un homme m'offenserait, il put me satis-
faire et revenir à moi pendant sa vie, j'ai uni la nature divi-
ne à votre nature humaine, et dans cette union vous avez le
moyen d'une satisfaction parfaite. C'est là un grand bienfait
de ma providence, puisqu'un acte fini et limité par le sup-
plice de la Croix vous a donné dans mon Fils un fruit infini
par la vertu de sa divinité.
7. — Ma paternelle et infinie providence permet ainsi à
l'homme de revêtir un vêtement de grâce, lorsqu'il a perdu
H
TRAITE DE LA PROVIDENCE.
CH. CXXXV
267
la robe d'innocence, et que, dépouillé de toute vertu, il
meurt de faim et de froid pendant son pèlerinage, où il est
soumis à toutes les misères. La porte du ciel lui était fer-
mée, et il n'avait aucune espérance qui pût consoler son
malheur d'ici-bas ■„ c'était là pour lui une immense affliction.
8. — Moi, l'Éternel et l'Amour infini, j'ai miséricordieuse-
ment secouru l'homme dans son indigence. Ce ne sont pas
vos mérites et vos vertus, mais seulement mon ineffable
bonté qui m'a porté à vous donner le vêtement désirable de
mon Fils, qui s'est dépouillé lui-même de la vie par la mort,
pour vous revêtir de grâce et d'innocence. Cette grâce
et cette innocence, vous l'avez reçue dans le saint bap-
tême par l'efficacité de son précieux sang, qui a lavé
en vous la tache originelle que vous avaient transmise
vos parents. Ma providence ' a usé de toute la tendresse
possible, puisqu'elle ne s'est pas servie, comme dans l'An-
cien Testament, de la peine corporelle de la circoncision,
mais de la douce efficacité du saint baptême.
9. — Non seulement j'ai revêtu l'homme, mais je l'ai
réchauffé, lorsque j'ai donné au genre humain mon Fils,
dont les blessures qui déchirèrent son corps laissèrent
échapper le feu de mon infinie charité, caché sous la
cendre de votre humanité. N'était-ce pas assez pour em-
braser le cœur glacé de l'homme, et ne faut-il pas qu'il
soit bien rebelle et bien aveuglé par l'amour-propre, pour
ne pas voir l'affection tendre et dévouée que je lui porte '.'
10. — Ma providence lui a encore donné la nourriture
de vie qui doit le soutenir pendant le cours de son pè-
lerinage ; elle le rend plus fort que ses ennemis, et nul
ne peut lui nuire, s'il n'y consent dans sa volonté. Une
voie droite et facile a été tracée par le sang de ma Vérité
incarnée, pour que l'homme puisse atteindre la fin que
ma grâce lui a destinée. Quelle est cette nourriture ? je
te l'ai déjà dit: c'est le sacrement du corps et du sang
<le Jésus-Christ crucifié, qui contient un Dieu et l'hom-
me tout ensemble ; c'est le Pain de vie, le Pain des
anges, qui donne faim à celui qui le savoure, et laisse
insensible celui qui n'en a pas le désir. Car cette nour-
riture doit être prise avec un saint désir et goûtée avec
un ardent amour. Tu vois que ma providence a donné
à l'homme tous les secours qui lui sont nécessaires.
■
V
DIALOGCE DK SAINTE CATHERINE
CXXXVI. — Dieu a donné l'espérance à l'homme. — Plus
on espère, plus on goûte parfaitement sa providence.
i. —J'ai donné encore à l'homme le secours de l'espé-
rance. Dès qu'à la lumière sainte de la foi il contemple
le prix du Sang précieux qui a été payé pour lui, cette
vue doit mettre dans son cœur une espérance ferme et
la certitude de son salut. L'honneur lui est rendu par
les opprobres de Jésus crucifié ; car, s'il m'a souvent of-
fensé par tous les membres de son corps, par tous les
membres de son corps aussi, Jésus mon Fils bien-aimé,
a souffert d'affreux tourments. Son humble obéissance
a corrigé, purifié la désobéissance d'Adam et sa postérité.
Par cette obéissance vous avez tous acquis la grâce, com-
me par la désobéissance de votre premier père vous
aviez tous contracté la faute. C'est là le plan de ma
providence, qui n'a jamais manqué à l'homme depuis le
commencement du monde jusqu'à cette heure. Elle pour-
voira jusqu'au dernier jour à toutes vos nécessités.
2. — Je suis le bon et parfait Médecin, qui connaît ce
qui est nécessaire à votre faiblesse et ce qui est utile à
votre salut ; je vous rendrai une santé parfaite et je vous
la conserverai. Ma providence ne fera jamais défaut i
celui qui voudra la recevoir et qui placera toute son es-
pérance en moi. Celui qui espère en moi, qui frappe et
qui appelle véritablement, non seulement avec la parole
mais avec l'élan et la lumière d'une sainte foi, celui-là
me goûte clans ma providence, mais non celui qui frappe
et m'appelle en disant seulement : Seigneur, Seigneur.
3. — Celui qui me cherche ainsi et me demande sans au-
tre mérite, je ne le connaîtrai pas dans ma miséricorde,
mais dans ma justice. Tu sais que l'homme ne peut es-
pérer en deux choses opposées ; la Vérité incarnée a dit
dans l'Évangile : « Nul ne peut servir deux maîtres, c ir.
s'il en sert un, il méprisera l'autre » (S. Luc. xvi, 13).
On ne peut servir sans espérance: le serviteur qui seil
son maître le fait dans l'espoir de lui plaire ou dans
l'attente de quelque récompense, de quelque avantage.
Il ne servira jamais l'ennemi de son maître, parce
TRAITÉ DE LA PROVIDENCE. — Ctt. CXXXVI
269
qu'il ne peut en retirer quelque profit, et parce qu'il
perdrait môme ce qu'il a droit d'attendre de celui dont
il est le serviteur. Apprends, ma fille bien-aimée, qu'il en
arrive ainsi pour l'âme.
4. — Il faut qu'elle espère en moi et qu'elle me serve.
ou qu'elle espère en elle-même et dans le monde, et qu'elle
le serve. Elle sert le monde hors de moi autant qu'elle
aime la sensualité et qu'elle lui obéit ; si elle le sert,
c'est qu'elle trouve dans ce service et cet amour un avan-
tage, une jouissance qui lui plait. Son espérance, placée
dans une chose finie, est vaine et passagère. L'âme se trom-
pe et n'atteint pas le but qu'elle désirait ; tant qu'elle es-
père en elle et dans le monde, elle n'espère pas en moi-
puisque je hais le monde, c'est-à-dire les vains désirs
de l'homme. Je les ai tellement en horreur, que c'est à
cause d'eux que j'ai fait subir à mon Fils unique la mort
ignominieuse de la Croix. Le monde n'a aucune ressem-
blance avec moi, ni moi, avec lui.
5. — L'âme au contraire qui espère en moi, et qui me
sert de tout son cœur, refuse nécessairement sa confiance
au monde et ne saurait la placer dans sa propre faiblesse.
Son espérance est plus ou moins parfaite selon le de-
gré de son amour pour moi, et c'est dans la même me-
sure qu'elle goûte ma providence. Ceux qui espèrent en moi
et me servent dans le seul but de me plaire, la goûtent
mieux que ceux qui le font à cause du profit qu'ils en re-
tirent, ou du bonheur qu'ils trouvent en moi. Les premiers
sont ceux dont je t'ai fait connaître la perfection en t'ex-
pliquant les états de l'âme ; les autres, dont je te parle
maintenant, sont ceux dont je t'ai montré l'imperfection,
parce qu'ils marchent et servent avec l'espoir d'une ré-
compence ou du bonheur qu'ils trouvent en moi.
6. — Ces parfaits et ces imparfaits sont l'objet de ma plus
tendre sollicitude, pourvu qu'ils n'espèrent pas en eux-
mêmes ; car la présomption, cette espérance de l'amour-
propre, obscurcit l'intelligence et la prive de la sainte
lumière de la foi. L'homme ne marche plus à la lumière
de la raison et ne connaît pas ma providence. Il l'éprouve
cependant; nul n'en est exclu, les justes et les pécheurs ;
car tout est créé par ma bonté. Je suis Celui qui suis, et
sans moi rien ne se fait, excepté le péché, qui n'est pas.
r
f-niù
270
DIALOGUE DE SAINTE CATIIKIIINK
7 _ 'fous reçoivent de ma providence; mais il en
qui ne la comprennent pas, parce qu'ils ne la reconnair-
sent pas ; et, ne la reconnaissant pas, ils sont pour elle
sans amour. Ils voient tout en désordre, comme des aveu-
gles, quoique tout soit dans l'ordre. Ils prennent la lumière
pour les ténèbres, et les ténèbres pour la lumière, et, par-
ce qu'ils ont mis leur espérance et leur soin dans les té-
nèbres, ils murmurent et tombent dans l'impatience.
8. — Vois, ma fille bien-aimée, quelle est la folie de leur
pensée. Comment peuvent-ils croire que moi, qui suis l'é-
ternelle et souveraine Bonté, je puisse vouloir autre chose
que leur bien dans les petites choses que je permets tous
les jours pour leur salut, lorsqu'ils savent par expérience
que dans les grandes je n'ai d'autre but que leur sanc-
tification'? Malgré tout leur aveuglement ils devraient, avec
la simple lumière naturelle, reconnaître ma bonté et les
bienfaits de ma providence, qui ne peut leur échapper daœj
la création, et dans la régénération de l'homme par le San!
qui l'ait renaître à la grâce.
9. _n ya là une évidence que rien ne peut contredire.
et cependant ils s'effrayent de leur ombre même, parce
qu'ils n'ont pas développé la lumière naturelle dans la ver-
tu. L'homme insensé n'aperçoit pas, ne remarque pas que
toujours j'ai pourvu au monde en général, et à chacun en
particulier, selon son état; et comme dans cette vie pré-
sente rien n'est stable, que tout change sans cesse, jus-
qu'à ce que son but soit atteint, je règle ce qui convient
à chaque chose et à chaque instant.
CXXXVII. — De la providence de Dieu dans l'AncieD et
le Nouveau Testament.
1 . — Dans l'ancien Testament, ma providence a don-
né les tables de la loi à Moïse ; et à mon peuple, pour le
conduire, des prophètes éclairés par l'Esprit Saint. Avant
l'incarnation de mon Fils, la nation juive a presque tou-
jours eu des prophètes, afin que leur parole, inspirée lui
donnât l'espérance de voir ma Vérité revêtir un corps.
et le Prophète des prophètes venir la délivrer de la scr-
■
T11A1TE DE LA PBOVIDÈJSCJÎ.
Cil. CXXXVII
27 f
vitude, et lui ouvrir, par son sang précieux, le ciel, qui
avait été si longtemps fermé.
2. — Dès que mon Verbe bien-aimé se fut incarné, au-
cun prophète'ne parut, afin que les Juifs fussent certains
que celui qu'ils attendaient était venu. Les prophètes n'a-
vaient plus besoin de l'annoncer ; leur aveuglement seul
les empêchait de le reconnaître. Ma providence envoya
donc mon Verbe, qui fut votre médiateur auprès de moi 7
l'Éternel. Après lui vinrent les apôtres, les martyrs, les
docteurs et les confesseurs.
3. — Ma providence pourvoit à toute chose, et elle agira
ainsi jusqu'à la fin. Cette providence générale regarde toute
créature raisonnable, dès qu'elle veut en accepter les
dons. Ma providence règle aussi tout en particulier, In
vie, la mort, de quelque manière qu'elles viennent; la
faim, la soif, les pertes de fortune, la nudité, le froid, la
chaleur, les injures, les abaissements et les affronts. Je per-
mets que toutes ces choses arrivent aux hommes, sans
que je sois pour cela la cause de la volonté perverse
qui fait le mal ou l'injure. Je donne à l'homme l'être et
le temps, non pas pour qu'il m'offense et qu'il offense
son semblable, mais pour qu'il me serve fidèlement, el
qu'il serve le prochain par la charité. Je permets le mal
pour exercer la patience de l'âme qui en souffre, ou pour
qu'elle se connaisse humblement.
4. — Quelquefois je permettrai que le juste soif com-
battu par le monde entier. Sa mort même causera un
grand étonneinent ; il semblera injuste que cet homme
périsse violemment par l'eau, par le feu, par la dent d'une
bête féroce, ou par la ruine de quelque édifice. Et en
effet, cela doit être inexplicable pour l'œil qui n'a pas
la lumière sainte de la foi. Mais il n'en est pas de môme
pour celui qui m'est fidèle.
5. — Celui-là trouve et goûte par l'amour ma provi-
dence dans les grandes choses ; il voit et reconnaît que
ma providence dispose tout avec tendresse pour le salut
de l'homme; il reçoit tout avec un humble respect; rien
ne le scandalise, en lui, dans mes œuvres et dans le pro-
chain; il^ supporte tout avec une patience si sincère,
parce qu'il sait que ma providence ne manque jamais à
aucune créature, car c'est elle qui préside à tout. Lorsque
■
t4i:1U
■
'272
DIALOGUE DB SAINTE CATHERINE
je luise quelqu'un par la foudre et la tempête, on m'ac-
cuse de cruauté, on pense que j'ai négligé le salut de cette
personne; et j'ai permis ce malheur, je l'ai frappée pour
la sauver de la mort éternelle. Ainsi les hommes du monde
insultent toutes mes œuvres, en les jugeant mal et en les
expliquant avec leur faible raison.
CXXXVIII.— Tout ce que Dieu permet est pour notre salut.
Combien sont aveugles ceux qui pensent le contraire.
1 _ je veux, ma fille bien-aimée, que tu voies et que tu
romprennes quelle patience il me faut pour supporter
l'homme, que j'ai créé avec tant d'amour à mon image
et ressemblance. Ouvre l'œil de ton intelligence, et regarde
en moi. Considère l'effet particulier d'une prière que tu
as faite à ma providence, et tu verras avec quel bon-
heur cette grâce a été obtenue sans danger de mort. Ce
qui est arrivé dans ce cas particulier arrive auss. cm
toutes choses.
2 - Alors cette âme, ouvrant l'œil de son intelligence
â la sainte lumière de la foi, avec l'ardent désir que la
parole de Dieu lui avait inspiré, connut davantage la vr-
illé; et contemplant, selon l'ordre qu'elle avait reçu, les
bienfaits de la Providence, elle considérait la bonté de la
Majesté divine et de son ineffable charité ; elle y voyait
clairement cette Bonté éternelle et souveraine qui, non
seulement nous a créés avec tendresse, mais nous a en-
core rachetés avec le sang précieux de son Fils. Celait
du même amour que sortaient toutes choses et que sé-
panchaient sur chacun les épreuves et les consolations.
Sa paternelle sollicitude apparaissait dans toutes les mâ-
tures, et son unique but était le salut éternel des hom-
mes ;' la preuve évidente était dans ce Sang versé avec
une si ardente charité.
3. — Alors Dieu le Père lui dit : Combien sont aveugM
par l'amour-propre ceux qui se scandalisent et s'impa-
tientent ! Je te parle de ma providence générale et pai
ticulière, dont je vais continuer à l'entretenir. Ces hommes
jugent injustement et condamnent, pour leur malheur
leur ruine, ce que je fais par amour pour eux et pour
*5?:. . i
TRAITE DE LA PROVIDENCE.
CU. CXXXVIII
273
leur bien, afin de les sauver des flammes de l'enfer et
de les conduire heureusement à des joies éternelles. Et
pourquoi se plaignent-ils de moi ? C'est qu'au lieu d'espé-
rer en moi, ils espèrent en eux-mêmes, et ils tombent
ainsi dans les ténèbres.
4. — Ils méconnaissent et détestent ce qu'ils devraient
recevoir avec le plus grand respect. Dans leur orgueil ils
veulent scruter mes jugements secrets, qui sont tous droits
et justes. Ils font comme un aveugle qui, avec l'imperfec-
tion des sens qui lui restent, voudrait distinguer la beauté
et les' défauts des choses extérieures. Ils ne veulent pas se
confier en moi, qui suis la vraie Lumière, la souveraine
Sagesse et la source de leur vie spirituelle et corporelle,
puisque sans moi ils ne peuvent rien avoir et rien faire.
S'ils reçoivent quelques services d'une créature, c'est moi
qui ai dirigé cette créature, et tout disposé pour qu'elle
voulut et qu'elle put leur être utile.
5. — Ces insensés ne veulent voir les choses qu'en les
touchant; mais la main se trompe souvent, parce qu'elle
manque de lumière et qu'elle ne peut discerner les cou-
leurs. Le goût s'égare aussi, parce qu'il ne distingue pas
l'animal immonde qui sert d'aliment. L'oreille est séduite
par la douceur des sons ; mais elle ne voit pas celui qui
chante et qui cache, si l'on n'y prend garde, des coups
mortels sous cette mélodie. Ainsi font, les aveugles qui
ont perdu la lumière de la raison. Ils touchent avec la
main des sens extérieurs de la vie charnelle du monde,
des plaisirs qu'ils croient bons ; ils ne s'aperçoivent pas
que ces plaisirs sont des choses mêlées et entourées de
beaucoup d'épines, de misères, d'angoisses, et que le cœur
qui veut les posséder sans moi y trouve un poids insup-
portable.
6. — Ces plaisirs semblent doux et agréables à la bou-
che qui les désire. Lorsqu'on les aime désordonnément,
on ne s'aperçoit pas qu'en eux est la chair immonde du
péché mortel, qui souille l'âme, l'éloigné de ma ressem-
blance et détruit la vie de la grâce. Ceux qui ne s'appli-
quent pas, avec la lumière de la foi, à purifier leur âme dans
le Sang, contractent dans ces plaisirs une mort éternelle.
7. — L'amour-propre rend des sons harmonieux ; l'âme
en est séduite parce qu'elle obéit à la sensualité. Elle se
Dialogue de S. Cath. de S. — 18.
; ■
'.V,**
Î74
DIALOGI E DE SAINTE CATHERINE
laisse aller sur une pente mauvaise, et tombe dans le pré-
cipice chargée des chaînes du péché, et livrée aux mains
de ses ennemis. L'amour-propre et l'espérance qu'elle :.
placés en elle-même l'ont aveuglée ; elle ne se confie plus
à moi, qui suis la voie et le guide fidèle. Cette voie i.
été tracée au genre Immain par le Verbe incarné, mon
Fils unique, qui vous a dit formellement : Je suis la Voie.
la Vérité, la Vie. 11 est aussi la Lumière; celui qui va pat
lui ne peut être trompé et ne marche pas dans les ténè-
bres. Personne ne peut venir à moi sans lui, parce qu'il
est un avec moi. Je te l'ai déjà dit, j'en ai l'ait un pont
pour que vous puissiez venir sûrement jusqu'à moi, qui
suis votre dernière fin.
8. — Les hommes ignorants et ingrats ne se confient
point à moi, qui ne désire et ne cherche autre chose
que leur sanctification. C'est pour cette fin que mon amom-
permet et dispose toutes choses. Les hommes se scanda-
lisent sans cesse de moi, et je les supporte toujours avec
patience malgré leurs vices. Je les ai aimés même avant
leur naissance, et je n'en suis pas aimé. Ils me persécu-
tent tous les jours par leur impatience, leur haine, leurs-
murmures. Ils veulent, dans leur ignorance, pénétrer mes
jugements secrets, qui sont toujours justes et pleins d'amour.
Ils s'ignorent eux-mêmes et ne peuvent rien juger ; car
celui qui ne se connaît pas ne peut pas me connaître,
et comprendre par conséquent ma justice.
CXXXIX. — De l'action de la Providence pour sauver
une âme.
1. si tu veux savoir maintenant, ma chère fille, com-
bien le monde se trompe sur les mystères de ma Pro-
vidence, ouvre les yeux de ton intelligence ; regarde en moi.
et tu verras le cas particulier que je t'ai promis de ti?
montrer (1). Je pourrais te faire connaître bien d'autres
exemples semblables. Alors cette àme fidèle, obéissant à
l'ordre de Dieu le Père, regarda en lui avec un ardent
(1) C'était à ce cas particulier que se rapportait sans doute la quatrième
demande de sainte Catherine, ch.I, 1.
TRAITE DE LA PROVIDENCE.
CH. CXL
275
désir, et Dieu lui montra clairement la perte de celui
auquel l'événement était arrivé. Je veux que tu voies, lui
dit-il, que pour éviter l'éternelle damnation que méritait
cet homme, j'ai permis cette catastrophe inattendue. 11
fallait que, par ce moyen terrible, son sang, par la mé-
diation du sang de mon Fils bien-aimé, lui achetât la vie
éternelle.
2. — Je n'avais pas oublié son amour et son respect
pour Marie, la glorieuse Mère de mon Fils, et j'ai décré-
té dans ma bonté, pour honorer le Verbe incarné, que
quiconque, juste ou pécheur, recourrait à Marie avec amour
et respect, ne pourrait jamais être la victime et la proie
du monstre infernal. Marie est comme une douce amorce
offerte par ma bonté pour attirer les hommes et surtout
les pécheurs.
3. — C'est donc par un acte de mon infinie miséricorde
que j'ai permis cet accident. Ce n'est pas moi qui ai fait
la volonté coupable des méchants ; j'en ai voulu seule-
ment le résultat, que les hommes ont trouvé si cruel,
parce que leur amour-propre les prive de la lumière et
leur cache ma Vérité. S'ils dissipaient le nuage, ils la ver-
raient et l'aimeraient ; ils accepteraient tout avec respect,
et, quand viendrait le temps favorable, ils recueilleraient
avec joie le fruit de leurs travaux.
4. — Ma fille bien-aimée, sois certaine que pour ce que
tu me demandes, je remplirai ton désir et celui de mes
autres amis. Je suis votre Dieu ; je récompense avec jus-
tice la peine, et je satisfais les saints désirs, pourvu qu'on
frappe véritablement à la porte de ma Vérité, afin de ne
pas errer et d'espérer toujours en ma Providence.
CXL. — Dieu explique sa providence envers ses créatures,
et se plaint de leur infidélité.
4. — Après t'avoir montré ma providence dans cette
occasion, je veux te l'expliquer dans son action géné-
rale. Tu ne pourras jamais comprendre à quel degré l'igno-
rance de l'homme est grande. Il perd l'intelligence lors-
qu'il espère en lui et qu'il se confie dans son propre sens
pauvre insensé, ne vois-tu pas que tu ne sais rien de
B
276 DIALOGUE DE SAINTE C/.THEfUNE
toi-même, et que c'est ma bonté qui t'accorde tout selon te;
besoins? Qui te le fera donc comprendre? Ton expérien*
même. , ,
o -Combien souvent veux-tu faire une chose sans le pou-
voir et sans le savoir faire ! Quand tu le sais, tu ne le peux
Das le temps te manque; si tu as le temps, c'est la vo-
lonté qui te fait défaut. Tout fa été donné par ma grâce
„our ton salut, pour que tu reconnaisses et tu com-
prennes que tu n'as pas l'être par toi-même, et pour qn.-
in aies plus raison de t'humilier que de fenorgue.lhr.
lin toute chose tu trouves des privations et des chan-
gements, parce que rien n'est en ta puissance; il n'y a
mie ma grâce que tu trouveras ferme et inébranlable ;
aucune force ne pourra t'en séparer, à moins que tu t'en
.éloignes toi-même en retournant au mal.
3' -Comment donc peux-tu résister à ma bonté? Le
ferais-tu si tu consultais ta raison, et placera.s-tu tes es-
pérances dans tes pensées, et ta confiance en ce qu. vient
de toi'» Mais tu es devenu comme l'animal sans raison:
lu ne vois pas et tu ne reconnais pas que tout change,
excepté ma grâce. Pourquoi ne pas te fier à moi, qui suis
ton Créateur? pourquoi compter sur toi? Ne te su.s-je pas
toujours fidèle? Comment pouvoir en douter, puisque tu
réprouves tous les jours?
4—0 ma fille bien-aimée ! vois combien 1 homme m est
infidèle. Il manque à l'obéissance que je lui avais imposée,
et il tombe dans la mort. Moi, au contraire, je lui ai tou-
iours été fidèle, en lui procurant le bien pour lequel |
Vava's créé. Afin qu'il puisse l'atteindre et le posséder,
l'ai uni ma divinité à l'infirmité de sa nature. L'homme,
ainsi racheté et renouvelé dans la grâce par le sang de mon
fc-ils bien-aimé, devrait me connaître par expérience. Et
cependant ce pauvre infidèle semble douter que je sois
assez puissant pour le secourir, assez fort pour le défendre
contre ses ennemis, assez sage pour éclairer son intel-
ligence, assez bon pour lui donner ce qui est nécessaire
à SOn Salut. „ a „Ara
5 _ Il pense que je n'ai pas des trésors pour le rendre
riche une beauté pour l'embellir, une nourriture pour 1<
rassasier, un vêtement pour le couvrir. Ses act.ons prou-
vent qu'il en juge ainsi. S'il en était autrement, ne ferait-U
r
■ 1
TRAITÉ DE LA PROVIDENCE.
CH. CXL
277
pas des œuvres bonnes et saintes? L'expérience devrait
pourtant lui montrer que je suis fort ; car tous les jours
je conserve son être, et ma main le défend contre ses
ennemis. Personne ne peut résister à l'action de ma puis-
sance ; si l'homme ne le voit pas, c'est qu'il ne veut pas
voir.
6. — Ma sagesse a tout ordonné dans le monde, et le
gouverne avec tant de sollicitude, que rien n'y manque,
et qu'il est impossible d'y ajouter quelque chose pour
l'âme et pour le corps. J'ai pourvu à tout, sans que votre
volonté m'y ait forcé, puisque vous n'étiez pas encore,
et c'est ma seule bonté qui m'a fait agir. J'ai créé le ciel,
la terre et la mer : j'ai étendu le firmament au dessus de
vos têtes ; j'ai fait l'air pour que vous respiriez, le feu et
l'eau pour les modérer par leur opposition ; le soleil, pour
que vous ne fussiez pas dans les ténèbres : tout a été fait
et ordonné pour satisfaire aux. besoins de l'homme. Le ciel
est peuplé d'oiseaux, la mer est riche de poissons, la terre,
d'animaux et de fruits, afin que l'homme puisse en vivre.
Ma providence a tout réglé avec ordre et sagesse.
7. — Après avoir créé toutes ces choses bonnes et parfai-
tes, j'ai enfin créé l'homme à mon image et ressemblance,
et je l'ai placé dans un jardin qui, par la faute d'Adam,
a produit des épines, tandis qu'il n'avait donné d'abord
que des fleurs embaumées d'innocence et de sainteté. Tout
obéissait à l'homme ; mais, dès qu'il eut commis sa faute,
il trouva la révolte en lui et dans les autres créatures.
Le monde devint sauvage, et l'homme, qui le résume, par-
tagea son sort.
8. — Mais ma tendresse paternelle vint à son secours en
envoyant au monde mon Verbe, qui en ôta la stérilité de
la chute et en arracha les épines. Je refis du monde un
beau jardin que j'arrosai avec le Sang précieux de mon
Fils unique, et, après en avoir été les épines du péché mor-
tel, j'y plantai les fleurs des sept dons du Saint Esprit.
9. — Cela fut accompli seulement après la mort de mon
Fils, ainsi que l'explique une figure de l'Ancien Testament.
Elisée fut prié de ressusciter un enfant (iv Reg. iv, 22) ;
il n'y alla pas, mais il envoya Giézi avec son bâton, lui
ordonnant de placer le bâton sur celui qui était mort.
Giézi exécuta ce qui lui avait été commandé, mais l'en-
■
278
DIALOGUE liF. SAINTE CATHERINE
fant no ressuscita pas. Alors Elisée vint en personne; il
appliqua ses membres aux membres de l'enfant, lui soui-
lla sept fois au visage, et l'enfant fut rappelé à la vie. Cette
figure représente Moïse, que j'ai envoyé avec le bâton de
la loi, pour qu'il l'appliquât sur le genre humain, qui
était mort ; mais le bâton de la loi ne lui rendit pas la vie.
J'envoyai donc mon Fils unique, qui est figuré par Elisée,
et qui prit les proportions du mort par l'union de la nature
divine avec la nature humaine. Cette nature divine lui fut,
unie par tous ses membres, par la puissance du Père, par
la sagesse du Fils et par la clémence du Saint Esprit. Ainsi,
moi, Dieu éternel, dans mon unité et ma trinité, je fus uni
et assimilé à votre nature humaine.
10. — Après cette union, le Verbe adorable en fit une au-
tre. Dans l'ardeur de son amour, il s'élança vers la mort
ignominieuse de la Croix pour s'y livrer tout entier. Et
après cette seconde union, il donna les sept dons du Saint
Esprit à celui qui était mort, en respirant sept fois sur son
visage, et en soufflant dans la bouche de son cœur. Il ôte
ainsi dans le baptême la mort du péché, et rend la vie de
la grâce. Le mort respire aussitôt, et en signe de vie, il
rejette ses péchés par une humble confession.
11. — Alors le jardin est orné de fruits suaves et délicieux.
Il est vrai que le jardinier, qui est le libre arbitre, peut le
rendre fertile ou sauvage, selon qu'il le cultive ou le né-
glige. Car, s'il y sème le poison de l'amour-propre, qui
fait naître les sept vices capitaux et tous ceux qui vien-
nent d'eux, il chasse les sept dons du Saint Esprit et se
prive de toute vertu. Il n'y a plus de force, parce qu'il
s'est affaibli ; il n'y a plus de tempérance et de prudence
parce qu'il a perdu la lumière dont se servait sa raison ; il
n'y a plus de foi, d'espérance, de. justice, parce qu'il est
devenu injuste. Il espère en lui, et parce que sa foi est
morte, il se confie plutôt dans les créatures qu'en moi, son
Créateur. Il n'y a plus de charité, parce qu'il l'a détruite
dans son cœur par l'amour de sa propre faiblesse. Et
parce qu'il a été cruel envers lui-même, il ne peut être bon
envers son prochain. Ainsi privé de tout bien, il tombe dans
le mal et dans les horreurs de la mort.
12. — Comment pourra-t-il retrouver la vie ? Par Elisée,
par le Verbe, mon Fils unique. Et de quelle manière ? Le
TRAITÉ DE LA PROVIDENCE. — Clï. CXLI
279
jardinier arrachera les épines de sa faute par une sainte
haine de lui-même ; car, s'il ne se hait pas, il ne pourra
jamais les arracher. Qu'il s'empresse de se conformer, par
un amour sincère, à la doctrine de ma Vérité incarnée ;
qu'il arrose son jardin avec le sang précieux de mon Fils,
avec ce Sang que le prêtre répand sur la tète du pécheur,
lorsqu'il reçoit l'absolution, avec la contrition, la confes-
sion, la satisfaction et la ferme résolution de ne plus m' of-
fenser. De cette manière, l'homme peut renouveler et em-
bellir le jardin de son âme pendant cette vie ; mais après
si mort, il ne pourra plus le faire, comme je te l'ai ex-
pliqué ailleurs.
CXLI. — La Providence nous envoie la tribulation pour notre
salut. — Malheur de ceux qui espèrent en eux-mêmes
au lieu d'espérer en Dieu.
\_ __ Vois comment ma providence a réparé la ruine de
l'homme. J'ai laissé dans le monde les épines nombreu-
ses de la tribulation, et l'homme y a rencontré la révolte
en toutes choses. Je l'ai voulu ainsi pour votre bien, car
il était très utile que l'homme ne mit pas son espé-
rance dans la vie présente, pour qu'il courût avec ardeur
vers moi, son bonheur véritable et sa lin dernière. Les
peines et les contrariétés doivent détacher son cœur du
monde et l'élever vers moi. Et cependant l'homme, dans
son ignorance, ne voit pas cette vérité. Il est si faible
et si porté aux choses du monde, que, malgré les peines
■et les tribulations qu'il y rencontre, il ne voudrait jamais
s'en séparer pour retourner dans la patrie qui lui est
préparée.
2. — Tu peux comprendre par cela, ma fille bien-aiméc,
ce que ferait l'homme malheureux s'il trouvait dans le
monde la jouissance, la satisfact'on de ses désirs, et un
repos sans orage. Aussi, par un acte miséricordieux de
ma douce providence, je permets que le monde produise
des peines et des épreuves en abondance ; c'est le moyen
d'éprouver sa vertu, et je trouve dans la violence qu'il
se fait le motif de lui donner une récompense. Ma provi-
dence règle ainsi tout avec une souveraine sagesse.
280
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
3.— J'ai donné beaucoup à l'homme, parce que je suis
riche, et je puis lui donner bien davantage, parce que
mes richesses sont infinies. Tout a été fait par moi, et
sans moi rien ne pourrait être. Si quelqu'un veut voir et
posséder la beauté, je suis la beauté suprême; si quel-
qu'un désire la bonté, je suis l'éternelle Bonté. Je suis
la vraie Sagesse, la Douceur, la Tendresse, la Justice, la
Miséricorde par excellence. Je suis un Dieu prodigue et
non pas avare, j'accorde avec abondance à ceux qui
me demandent, j'ouvre avec empressement à ceux qui
frappent véritablement, et je réponds à tous ceux qui
m'appellent. Je ne suis pas ingrat, mais reconnaissant, et
je récompense avec largesse ceux qui souffrent pom-
ma gloire. Je suis aimable surtout, et je conserve dans
une grande joie l'âme qui s'est revêtue de ma volonté.
Je suis cette providence certaine qui ne manque jamais
à mes serviteurs qui espèrent en moi ; je leur accords
tout ce qui est utile pour l'âme et pour le corps.
4.— L'homme infidèle me voit nourrir le ver dans un
bois aride, faire vivre les animaux sauvages, les poissons
de la mer, les oiseaux du ciel, régler le soleil, la rosée.
les saisons, pour engraisser la terre qui doit porter des
plantes et des fruits. Comment peut-il croire que je ne
veille pas sur lui, que j'ai créé à mon image et ressem-
blance, lorsque j'ai tout fait pour ses besoins et son
service? De quelque côté qu'il se tourne, spirituellemeaj
ou temporellement, il ne pourra trouver autre chose que
l'abîme et le feu de mon éternelle charité, qui agit avec
une vraie et parfaite sagesse.
5.— Mais il ne voit pas, parce qu'il s'est privé de la lu-
mière, et qu'il ne veut pas voir. 11 se trouble et limite
sa charité envers le prochain, parce qu'il s'inquiète avec
avarice du lendemain. Ma Vérité le lui a défendu lors-
qu'elle a dit : « Ne pensez pas au lendemain, à chaque.
jour suffit sa peine» (S. Matth. vi, 34). Cette parole
condamne votre infidélité, en vous montrant ma provi-
dence et la rapidité du temps ; elle vous dit de ne pas
penser au lendemain : car pourquoi se tourmenter de ce
qu'on n'est pas sur d'avoir ?
6. — Il faut, avant tout, chercher le royaume de Dieu et
sa justice, c'est-à-dire une vie bonne et sainte. Votre l'ère,
TRAITÉ DE LA PROVIDENCE. — CH. CXLl
281
qui est dans l'éternité, ne connaît-il pas les petites choses
dont vous pouvez manquer? ne les ai-je pas faites pour
vous, et n'ai-je pas dit à la terre de vous donner ses
fruits? Le malheureux qui par sa défiance rétrécit le cœur
et la main qu'il devait ouvrir à son prochain, n'a pas
lu cette loi de ma Vérité, puisqu'il n'en suit pas les
traces; et c'est pour cela qu'il se rend insupportable ù
lui-même. Tout son mal vient de ce qu'il espère en lui,
au lieu d'espérer en moi.
7. — Il se fait juge de la volonté des hommes, sans son-
ger que ce droit m'appartient. Il ne tient aucun compte
de ma volonté, et ne trouve bien que ce qui est heu-
reux et agréable selon le monde. Si ce bonheur lui man-
que, il lui semble ne rien éprouver, ne rien recevoir de
ma providence et de ma bonté. Il croit être privé de
tout bien, parce qu'il a placé toute son affection dans
les joies du monde et dans son propre plaisir. L'amour
de lui-même l'aveugle au point qu'il ignore ce que sont
les richesses intérieures et les fruits d'une véritable pé-
nitence. Il aspire ainsi la mort, et goûte dès cette vie
les arrhes de l'enfer.
8. — Malgré cela, ma bonté ne cesse de veiller sur lui,
car j'ai commandé à la terre de donner ses fruits au
juste et au pécheur. Je leur accorde également la pluie et
le soleil ( S. Matth., v. 45). Souvent même le pécheur en
jouira plus que le juste. Ma bonté agit ainsi pour donner
en plus grande abondance les richesses invisibles àl'àmedu
juste, qui par amour pour moi s'est dépouillé de tous les
biens temporels, en renonçant au monde, aux plaisirs
et à sa propre volonté. Ceux-là enrichissent leur âme et
dilatent leur cœur dans l'abime de ma charité. Ils perdent
tout soin d'eux-mêmes ; ils ne se tourmentent plus des
choses du monde ; et renoncent à tout ce qui les regarde ;
alors je me charge de leur âme et de leur corps, et j'ai
pour eux une providence particulière. L'Esprit Saint de-
vient pour ainsi dire leur- serviteur.
9. — N'as-tu pas .lu dans la vie des saints Pères l'his-
toire de ce grand solitaire qui avait renoncé à tout pour
l'amour de moi ? Lorsqu'il tomba malade, je lui envoyai
un ange pour le servir et l'assister dans ses besoins :
rien ne manquait à son corps, et son âme trouvait une
^f
282
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
■
joie ineffable dans la conversation de l'envoyé céleste.
10. — L'Esprit Saint, comme une more tondre, nourri!
hommes sur le sein de sa divine charité ; il les rend lihres
et souverains en les délivrant des chaines de l'amour-propre.
Car, là où se trouve le feu de mon infinie charité, on ne
trouve jamais l'eau de l'amour-propre, qui éteint sa douce
flamme dans les âmes. Oui, l'Esprit Saint est un bon servi-
teur, que ma bonté leur a donné ; il revêt l'âme, il l'eni-
vre, l'inonde de douceur et la comble de richesses.
•U. _ Celui qui a tout abandonné pour moi retrouve
tout en moi. Je revêts avec magnificence sa nudité volon-
taire, et l'humilité qui le fait servir est la cause de sa
puissance. Sa vertu l'élève au dessus du monde et des
sens, parce qu'il a renoncé à voir par lui-même. Il jouit
d'une lumière parfaite, parce qu'il n'espère pas en lui :
une ferme espérance, une foi vive l'attachent à moi, et il
goûte ainsi la vie éternelle, sans ressentir dans son esprit
aucune, amertume, aucune douleur. Il juge tout en bien,
parce qu'il trouve en tout ma volonté, et qu'il comprend
à la lumière de la foi que je cherche en tout sa sanctifi-
cation. Aussi rien n'altère sa patience.
12. — Oh ! que cette âme est heureuse, puisque dans
un corps mortel elle goûte un bien éternel ! Elle reçoit et
voit tout avec respect. La main gauche ne lui pèse pas
plus que la main droite ; elle aime autant la tribulation
que la consolation, la faim et la soif que la nourriture et
le rafraîchissement, le froid que la chaleur, la nudité
qu'un vêtement, la vie que la mort, la gloire que les affronts.
En toutes choses elle est calme et inébranlable, parce qu'elle
est affermie sur la pierre vivante, et qu'elle voit à la sainte
lumière de la foi et avec une forte espérance que je fais
tout par amour, dans l'unique but de votre salut.
13. — C'est dans les grandes épreuves que je montre
la grandeur de ma puissance. Je ne donne, les fardeaux
pesants qu'à ceux qui peuvent les porter, en les accep-
tant par amour pour moi. Le sang de mon Fils vous a
prouvé que je ne veux pas la mort du pécheur, mais plutôt
qu'il se convertisse et qu'il vive ; c'est pour cela que y
lui donne tout ce qu'il reçoit. Ceci est évident pour l'àme
qui se dépouille d'elle-même, qui se réjouit de tout
qu'elle voit en elle ou clans les autres. Comment craindrait-
TRAITE DE LA PROVIDENCE. — C[I. CXLIL
283
elle cjue ces petites choses lui manquent, lorsque dans les
grandes et les difficiles, la foi lui montre toujours ma pro-
vidence ? Oh ! qu'elle est belle la lumière de la très sainte
foi, avec laquelle on voit et on comprend ma vérité, la
lumière qui vient par les bons soins du Saint Esprit, la
lumière surnaturelle que l'âme acquiert par ma grâce, en
usant bien de la lumière naturelle que je lui ai d'abord
donnée !
CXLIL — Providence de Dieu dans le sacrement de l'Eu-
charistie.
i. — Ne sais-tu pas, ma fille bien-aimée, comment ma
providence agit envers mes serviteurs et les âmes qui
espèrent en moi '? Elle agit de deux manières, pour l'âme
et pour le corps ; et ce que je fais pour le corps est
utile à l'âme, afin que la lumière de la foi croisse et
augmente eu elle, afin qu'elle espère en moi et qu'elle
connaisse clairement que je suis le seul qui ai l'être,
le pouvoir, la volonté et l'intelligence, pour subvenir à
ses besoins ot à son salut.
2. — C'est pour la vie de l'âme que j'ai institué les
sacrements ({<■ la sainte Eglise, qui sont sa nourriture :
car le pain est un aliment grossier qui convient au corps :
mais l'âme incorporelle vit de ma parole. Ma Vérité a
dit dans l'Évangile: « L'homme ne vif pas seulement de
pain, mais de toute parole qui sort do la bouche do
Dieu » (S. Matth., IV, 4). C'est-à-dire, en suivant île cœur
la doctrine do mon Verbe incarné pour vous. C'est par
le Verbe et par la vertu du précieux Sang que les sa-
crements vous donnent la vie. Ces moyens spirituels sont
pour l'âme, quoiqu'ils lui arrivent par l'intermédiaire du
corps. Mais l'acte extérieur et corporel ne donne la vie
de la grâce qu'autant que l'âme l'accepte par une dis-
position intérieure, par un saint et ardent désir, dont
'■lie est seule capable. C'est pour cela que je t'ai dit
que les sacrements étaient les biens spirituels de l'â-
me, parce qu'il faut son désir pour les recevoir, quoi-
qu'ils lui soient administrés par l'intermédiaire du corps.
3. — Quelquefois, pour augmenter cette faim, ce désir
B
■
284
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
de l'âme, je fais en sorte qu'elle souhaite ces bien-
pouvoir les obtenir. Cette privation augmente son ardeur,
et, dans son indigence, elle se connaît mieux elle-mi
Elle se trouve indigne de ces biens et alors je l'en rend*
digne en lui prodiguant les trésors de ma bonté dans
mon Sacrement. Tu le sais bien toi-même par expériei
car par mon ordre la grâce du Saint Esprit, qui
tout, porte le ministre de l'Autel à préparer cette nour-
riture, et le force intérieurement à en rassasier l'âme.
Quelquefois je diffère jusqu'au dernier instant l'aci i-
plissement de son désir, et je le satisfais à l'instant cm
elle doit perdre toute espérance.
4. — Remarque que je pourrais accorder sur-le-champ
ce que je fais tant attendre ; mais j'agis de cette manière
pour augmenter la lumière de la foi dans l'âme et l'ha-
bituer à ne jamais se lasser d'espérer en moi. Etli
vient ainsi fidèle et prudente; elle ne regarde pu
arrière avec méfiance, et ne laisse pas éteindre l'ardeoi
de son désir. Souviens-toi que j'ai ainsi éprouvé une
âme qui m'aime (1).
5. — Cette âme était venue à l'église avec un grand
désir de la sainte Communion. Elle demanda humbleraenl
au ministre de l'Autel le corps de l'Homme-Dieu parlait
(■lie fut refusée : mais son cœur grandit au milieu de i
pieux gémissements, et le prêtre ressentit dans sa corn
cience un tel remords, que quand il voulut offrir le c
lice, il fut forcé par le Saint Esprit de lui Taire dire que
si elle voulait recevoir le corps de Jésus-Christ, il le !
donnerait avec empressement. Ma bonté voulut ainsi i
sasier le désir de cette âme; l'étincelle d'amour et
foi quelle ressentit d'abord devint un tel incendie, qu'i
lui semblait que la vie allait abandonner son corps.
n'avais permis ce refus que pour affermir son espérai
et détruire en elle tout amour-propre. Je me suis
de la créature dans cette occasion; mais dans beaucoup
d'autres le Saint Esprit veut bien agir sans intermédiaire
Je t'en donnerai deux exemples qui doivent fortifier I
foi et te faire admirer ma providence.
(1) Les exemples que Dieu cite sont des faits arrivés à sainte Catherine
même.
TRAITÉ DI-: LA PROVIDENCE.
CH. CXLI1
•28.-,
0.— Tu sais que le jour de la conversion de mon apôtre
Paul, il y avait dans une église une âme qui était dé-
vorée du désir de recevoir la sainte Communion. Presque
tous les prêtres qui devaient célébrer la messe lui dirent
qu'elle ne pourrait pas communier. Je permis ces refus
pour lui montrer que si les hommes lui faisaient défaut,
elle ne serait pas abandonnée par le Créateur. J'attendis
la dernière messe, et j'employai ce doux stratagème pour
la mieux enivrer de ma providence. Voici comment je
la trompai: elle avait dit à celui qui allait seivir la
messe qu'elle voulait communier ; mais celui-ci n'avertit
pas le prêtre. N'ayant pas reçu de réponse contraire, elle
attendait avec ardeur la sainte Communion; quand la
messe fut terminée et qu'elle se vit frustrée de son espé-
rance, elle sentit s'augmenter son désir et sa faim (te la
nourriture des anges ; mais son humilité profonde lui
persuadait qu'elle en était indigne, et elle se reprochait
d'avoir osé demander un si grand Sacrement.
7.— Alors moi qui me plais à élever les humbles, je
l'attirai vers moi, en lui faisant connaître l'abîme de
l'éternelle Trinité. Je montrai à l'œil de son intelligence
la puissance du Père, la sagesse du Fils, la douceur du
Saint Esprit, qui ne font qu'un par essence. Et cette âme
fut ravie à un tel degré d'union, que son corps était
élevé de terre ; car, comme je te l'ai dit, dans cette union,
l'âme est plus unie à moi par l'amour qu'elle ne l'est
naturellement au corps. Alors, pour satisfaire enfin son
désir, je lui donnai moi-même la sainte Communion ; et
comme preuve de cette grâce, pendant plusieurs jours elle
ressentit d'une manière ineffable le goût et l'odeur du corps
et du sang de mon Fils unique, Jésus crucifié. Elle fut
toute renouvelée et fortifiée par la lumière de ma pro-
vidence, qu'elle avait, dans cette occasion, si délicieu-
sement éprouvée. Le monde ignora cette grâce ; mais elle
la comprit d'une manière claire et sensible.
8.— Le second fait que je veux te citer eut pour témoin
le prêtre qui célébrait à l'Autel. Cette âme avait ardem-
ment désiré entendre la messe et y communier ; mais la
maladie la retarda, et elle ne put arriver qu'au moment
de la Consécration. La messe se disait près du grand
autel, au chevet de l'église ; elle se mit en prière à l'autre
.
286
DIALOGUE ru: SAINTE CATHERINE
extrémité, parce qu'on le lui avait ordonné; et elle disait
au milieu de ses larmes et de ses pieux gémissements :
Ame infortunée, ne vois-tu pas la grâce que Dieu a bien
voulu te faire, en te permettant d'entrer dans son .
sainte, et d'apercevoir le ministre qui consacre à l'Autel'.'
No mériterais-tu pas plutôt par tes fautes d'être en enfer?
Mais en Rabaissant ainsi dans les profondeurs de son
humilité, son désir, au lieu de diminuer, augmentait km
jours, parce qu'elle croyait fermement à ma bonté, et
qu'elle espérait de l'Esprit Saint la consolation qu'elle
attendait.
9.— Je la lui accordai d'une manière qu'elle ne pouvait
prévoir et demander ; car, au moment où, selon les rites
de l'Église, le prêtre divise l'Hostie, une fraction de cette
Hostie s'éloigna de l'autel par un acte de ma puissance,
et alla à l'autre extrémité de l'Église vers la personne
qui priait et qui put ainsi communier. Elle pensa d'abord
que j'avais satisfait l'ardeur de son désir d'une manière
invisible, comme je l'avais déjà fait plusieurs fois; mais
le prêtre savait le contraire, car il fut profondément affligé
de ne pas trouver cette fraction de l'Hostie, jusqu'à ce
que le Saint Esprit lui eût révélé ce qu'elle était devenue;
son inquiétude ne fut calmée que par l'assurance de la
personne qui l'avait reçue.
10.— Ne pouvais-je pas facilement détruire l'obstacle de
la maladie et permettre à cette personne d'arriver à temps
pour entendre la messe et communier comme à l'ordinaire 1
Je le pouvais certainement; mais je voulus prouver par
expérience à cette âme qu'avec ou sans l'intermédiaire
des créatures, en quelque lieu et de quelque manière
qu'il me plaise, je puis, je veux et je sais satisfaire admira-
blement, et plus qu'elle ne saurait l'imaginer, les sainte-
ardeurs de son désir. Que ce que je viens de dire sur ce
sujet, ma fille bien- aimée, te suffise pour te faire connaître
ma providence. Je vais maintenant t'expliquer les moyens
que j'emploie au dedans de l'âme sans l'intermédiaire du
corps ou des agents extérieurs. Je t'en ai déjà dit quel-
que chose en t'entretenant des états de l'âme.
TRAITE DE LA PROVIDENCE. — GH. CXLI1I
287
CXLI1I. — Providence de Dieu à l'égard de ceux qui sont en
péché mortel.
i.— L'âme est en état de péché mortel ou en état de
grâce ; et en état de grâce, elle est parfaite ou impar-
faite. Dans tous ces états, ma providence agit avec sagesse
et diversement, selon ce que je vois être le plus utile.
Quant aux hommes du monde qui dorment clans l'obscu-
rité du péché mortel, je réveille leur conscience par la
douleur de l'aiguillon qu'ils ressentent au fond de leur
cœur, et par des moyens si variés que la parole humaine
ne saurait les dire; les remords et les peines intérieures
qu'ils éprouvent les éloignent bien souvent du mal.
2. — Quelquefois aussi je cueille les roses sur les épines.
Lorsque je vois l'homme qui penche vers le péché mortel
et vers l'amour désordonné de la créature, ma bonté lui
ôte l'occasion et le temps de céder à sa volonté mau-
vaise ; et alors la tristesse qu'il en éprouve trouble son
âme, réveille le cri de sa conscience et le guérit de la
folie où il était tombé ; car ne peut-on pas appeler une
folie cette affection pour une chose dont on reconnaît en-
suite le néant? La créature qu'il aimait d'un amour cor-
rompu est bien quelque chose ; mais l'usage qu'il voulait
en faire n'était rien, parce que le péché n'est que la pri-
vation de la grâce, comme l'aveuglement est la privation
de la vue.
3. — Ainsi, de la faute même qu'on peut bien appeler
une épine, puisqu'elle déchire cruellement, je tire une
rose en y trouvant un moyen de salut. Qui me fait agir
de la sorte? Ce n'est pas le pécheur, qui ne me cherche
pas et qui ne demande le secours de ma providence que
pour pécher, ou jouir des richesses, des plaisirs et des
honneurs du monde ; c'est mon amour, ma tendresse pater-
nelle qui me poussent ; car je vous ai aimés avant votre
naissance, et je désire être aimé de vous.
4. — Je suis aussi excité et forcé par les prières de mes
serviteurs et de mes amis, qui, par la grâce du Saint
Esprit, pour ma gloire et pour le salut du prochain, deman-
^m
m
■
288
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
dent avec ardeur leur conversion, s'elTorçant d'apaiser ma
colère et de lier les mains de ma justice sous les coups
de laquelle le pécheur devrait tomber. Leurs larmes et
leurs humbles supplications me retiennent et me font pour
ainsi dire violence Qui les pousse à crier ainsi vers moi Y
C'est ma providence, qui veille aux besoins de ceux que
lue le péché ; car il est écrit : « Je ne veux pas la mort do
pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive » (Ézéchiel,
xxxin, M ).
5. — O ma fille bien-aimée, passionne-toi pour ma pro-
vidence ; ouvre les yeux de ton esprit et de ton corps, tu
verras les hommes coupables auxquels la lèpre du péché
communique la corruption de la mort. Ils sont p\<
dans les ténèbres, parce qu'ils sont privés de la lumière de
la grâce ; ils marchent en chantant et en riant ; ils perdent
le temps que ma bonté leur accorde, dans la vanité, les
plaisirs et les honteuses jouissances ; ils se gorgent de vin
et d'aliments avec une telle avidité, qu'ils semblent avoir
l'ait un dieu de leur ventre. Ils vivent dans ces haines, ces
vengeances, cet orgueil et ces vices que je t'ai déjà fait con-
naître ; ils ignorent leur état et courent vers la mort éter-
nelle qui les attend s'ils ne se convertissent ; les infortunés
se réjouissent au milieu d'un si grand péril !
6. — Ne devrait-on pas croire bien insensés des con-
damnés à mort qui iraient au supplice en chantant, en dan-
sant et en donnant les signes d'une folle joie? Ne sont-
ils pas aussi insensés, ces malheureux, et ne le sont-ils
même pas davantage, puisque la mort de l'âme est bien
plus à craindre que la mort du corps? Ils perdent la vie
rie la grâce et courent à une peine infinie, s'ils meurent
dans cet état ; tandis que les r.utres ne perdent que la vie
du corps et n'endurent qu'une peine finie et passage. v. Kt
cependant ils chantent, dans leur délire, comme des insen-
sés et des fous.
7. — Mes serviteurs, au contraire, sont dans les gémis»
sements et la douleur ; ils persévèrent dans les veilles, dans
la prière, dans les larmes et les jeûnes, afin d'obtenir leur
salut. Les hommes les tournent en dérision, mais leurs in-
sultes retombent sur leur tête ; la punition suit nécessai-
rement la faute, tandis que toutes les peines que les justes
souffrent pour mon amour auront leurs joies et leur récora-
TRAITE DE LA PROVIDENCE. — CH. CXL1V
289
penses. Ne suis-je pas un Dieu juste, qui rendra à chacun
selon ses œuvres.
8. — Mes vrais serviteurs, malgré ces injures, cette in-
gratitude et ces persécutions, ne cessent pas de prier ; ils
crient, au contraire, vers moi, avec plus de force, et redou-
blent de charité. Qui les pousse à frapper avec tant d'ardeur
à la porte de la miséricorde ? C'est mon ineffable provi-
dence, parce qu'ainsi je procure le salut de ces malheureux,
et j'augmente en même temps la vertu et les fruits de la
charité dans le cœur de mes amis. Je multiplie ainsi et je
varie sans cesse les moyens que ma providence emploie
pour retirer les âmes des ténèbres du péché mortel. Main-
tenant je te dirai ce que fait ma providence pour ceux qui
se sont retirés du mal, mais qui sont encore imparfaits ;
sans cependant répéter ce que j'ai dit des états de l'âme,
je t'expliquerai ce sujet rapidement.
CXLIV. — Providence de Dieu envers les imparfaits pour les
conduire à la perfection.
1. — Sais-tu, ma fille bien-aimée, quelle conduite je tiens
à l'égard des imparfaits pour les mener à la perfection et
les faire avancer dans la vertu ? Quelquefois je les éprouve
par la confusion de leurs pensées ou par la stérilité de
leur esprit. Il semble à l'âme que je l'ai abandonnée et
qu'il n'y a plus en elle aucune affection ; elle ne peut se
reposer dans le monde, parce qu'elle ne lui appartient
pas, et il lui parait qu'elie m'est étrangère, parce qu'elle
n'éprouve aucun bon sentiment ; sa volonté seulement l'em-
pêche de m ! offenser. Et comme clans l'homme la volonté
est la porte principale qui garde l'âme, je lui ai fait pré-
sent d'une liberté forte et indépendante. Je ne laisse jamais
les démons et les autres ennemis de l'homme ouvrir et for-
cer cette porte, à moins que le libre arbitre n'y consente ;
mais je leur permets souvent d'attaquer et de briser les au-
tres portes de l'âme.
2. — La cité de l'âme a plusieurs portes ; elle en a trois
principales : la première est la volonté, qui est inexpugna-
ble et garde toutes les autres ; la force, que je lui ai don-
née, est le libre arbitre, qui peut ouvrir et fermer à qui lui
Dialogue do Ste Cath. de S. — 19.
fl
290
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
plaît et quanti il veut. Les autres portes sont la mémoire
ot l'entendement ; si la volonté cède et ouvre, aussitôl
entre l'ennemi, qui est l'amour-propre, avec les autres en-
nemis qui l'accompagnent. L'entendement reçoit les ténè-
bres qui combattent la véritable lumière ; la mémoire re-
tient la haine, qui nait du souvenir de l'injure et qui détruit
la charité du prochain. Elle se rappelle les plaisirs et les
jouissances de la vie du monde, aussi variés que les péchés
opposés aux vertus.
3. — Dès que ces trois portes ont cédé, toutes les petites
portes des sens sont ouvertes ; les sens extérieurs sont dos
instruments, des organes qui correspondent à l'âme. Cefii
portes prises correspondent à ces organes ; et alors l'harmo-
nie est détruite, le mal souille tous les rapports et tous les
actes qui en viennent. L'œil donne et propage la mort,
parce qu'il considère une chose morte avec un regard cou-
pable et dissolu ; et ce regard entraine la légèreté, la va-
nité du cœur et un extérieur déshonnéte, qui lui cause la
mort et la donne aux autres. Malheureux, tu profanes ce
que je t'ai donné dans ma bonté ; tu devais regarder le ciel
et tout ce qui est beau dans mes créatures, pour me glori-
fier et admirer les mystères de ma providence ; et, en n'y
voyant que matière et corruption, tu n'arrives qu'à la
mort.
4. — L'oreille aussi se délecte de choses déshonnétes et
de propos sur le prochain, qu'elle juge sans examen comme
sans justice, et je l'ai donnée à l'homme pour qu'il écoute
ma parole et serve son semblable. Je lui ai donné la langue
pour confesser ses fautes, annoncer ma vérité et travailler
au salut des âmes ; il en abuse pour blasphémer son Créa-
teur et perdre son prochain, qu'il déchire par ses menson-
ges. Il blâme le bien et loue le mal qu'il voit faire; il rend
de faux témoignages, il corrompt son âme et celle des au--
très par des paroles lascives. Ses lèvres profèrent des in-
jures, qui blessent le cœur comme un glaive aigu, et qui
provoquent la haine et la colère. Oh ! combien la langue
produit d'homicides, d'impuretés, de colères, de querelles,
de haines, de maux de toute espèce !
5. — L'odorat commet l'offense en abusant du plaisir
qu'il trouve dans ses sensations; le goût, avec son avi-
dité insatiable et ses appétits désordonnés, demande
TRAITE DE LA PROVIDENCE. — CH. CXLIV
291
sans cesse des mets , et ne semble occupé qu'à rem-
plir le corps ; et cette âme malheureuse ne s'aperçoit
pas que ces excès allument dans sa chair fragile une
chaleur pernicieuse qui engendre presque toujours la
corruption.
6. — Les mains se perdent aussi en ravissant le bien
d'autrui et en faisant des actes honteux et déshonnétes,
tandis qu'elles sont données à l'homme pour servir son
semblable, surtout quand il est malade, et pour lui dis-
tribuer l'aumône dont il a besoin. Les pieds lui sont
accordés seulement pour aller où l'appelle son utilité,
celle du prochain et la gloire de mon nom ; il s'en sert
souvent pour aller à des rendez-vous coupables, pour
courir aux conversations légères et défendues, qui cor-
rompent son âme et celles des autres au gré de ses
mauvais désirs.
7. — Je te dis tout cela, ma fille bien-aimée, pour que
tu redoubles tes pieux gémissements à la vue de cette
noble cité de l'âme si cruellement désolée. Tu vois bien
que toutes ces iniquités entrent par la porte principale.
de la volonté, que nul ennemi de l'homme ne peut ou-
vrir par la violence. Mais je permets que les portes soient
attaquées et forcées par l'ennemi ; quelquefois je permets
que d'épais nuages tourmentent et obscurcissent l'enten-
dement; quelquefois c'est la mémoire, qui ne peut plus
se souvenir de moi. D'autres fois il semble qu'il y a des
révoltes dans les sens de votre corps, même en voyant,
en touchant, en entendant et en sentant les choses
saintes ; quand vous vous en approchez, on dirait que
tout apporte à vos sens un trouble honteux et corrup-
teur. Mais ces choses ne donnent pas la mort à l'homme ;
je l'en préserve, à moins qu'il n'ouvre follement la porte
de sa volonté.
8. — Je permets que les ennemis frappent au dehors,
mais non pas qu'ils entrent malgré, lui ; ils ne le peuvent
que si le libre arbitre devient leur complice. Pourquoi
permettre que cette âme soit tourmentée par tant d'en-
nemis qui l'assiègent? Ce n'est pas pour qu'elle suc-
combe et qu'elle perde les richesses de la grâce ; c'est
pour qu'elle comprenne ma providence, qu'elle espère en
moi, et non pas en elle-même ; c'est pour qu'elle se ré-
■a
-21 12
DIALOGUE DE SAINTE CATHEBINE
veille de sa négligence, et que, pleine d'une sainte inquié-
tude elle se réfugie vers moi qui suis son protecteur, son
tendre père; vers moi qui veux la sauver en lui fai-
sant reconnaître humblement qu'elle n'est rien par elle-
même, et qu'elle reçoit son être et ses grâces de moi
qui suis sa vie.
., _ Dès que L'âme reconnaît cette vente et se fie en
ma' providence, elle éprouve mon secours dans tous ses
combats ; car chaque jour je permets qu'elle soit tour-
mentée de la manière qui convient le plus à son salut.
11 lui semble quelquefois qu'elle est en enfer, et bientôt,
sans aucun effort de sa part, elle se trouve délivrée de
toute angoisse, et elle savoure dans une paix profonde
comme un avant-goût du ciel. Tout en elle est calme et
bien ordonné; tout la porte à Dieu, et son cœur s'en-
flamme d'amour en contemplant les mystères de ma provi-
dence. Elle se sent délivrée des tempêtes de cette mer pro-
fonde non par elle-même, puisqu'elle a vu tout-à-coup la lu-
mière mais par mon ineffable bonté, qui a pourvu à ses
besoins au moment même où elle paraissait succomber.
10 -- Pourquoi, lorsqu'elle m'adressait des prières hum-
bles et ferventes, ne l'ai-jc pas exaucée, en dissipant ses
ténèbres et en lui rendant la lumière? C'est parce qu'elle
était encore imparfaite, et qu'il ne fallait pas qu'elle s'at-
tribuât ce qui ne venait certainement pas d'elle. Ainsi,
tu vois comment l'imparfait, en s'exerçant aux combats,
marche vers la perfection, parce que ces combats lui
font éprouver ma providence, et voir par l'expérience ce
qu'il croyait auparavant par la foi. Cette certitude qu il
acquiert 'lui inspire une charité plus parfaite, parce qu il
connaît davantage ma bonté dans ma providence, et (pi il
abandonne l'imperfection de son amour.
M — J'use aussi d'une sainte fraude pour retirer l'hom-
me de son imperfection : je lui donne quelquefois une
affection spirituelle et particulière pour une créature, afin
que par ce moyen il s'exerce dans la vertu et se corrigB
de ses défauts. Son cœur se dépouille de l'amour sen-
sible qu'il portait aux autres créatures, à ses parents, à
ses frères, à ses sœurs, et il ne les aime que dans le
Seigneur, sans aucun mouvement charnel. Cette ail
pure que je lui ai donnée, détruit l'affection déréglée
TIUITÉ DE LA PROVIDENCE.
CH. CXLIV
293
qu'il avait pour les autres créatures, et le fait sortir de
son imperfection.
12. — Mais, remarque-le bien, cet amour spirituel ne
doit avoir d'autre résultat que d'éprouver si l'amour de
l'âme pour moi et pour cette créature est parfait. C'est
un moyen que je lui ai donné de le reconnaître. L'âme
reconnaîtra que son amour est imparfait, si elle voit
qu'elle s'aime elle-même et qu'elle n'aime pas unique-
ment ce qui lui vient de moi.
13. — L'ùme qui est encore imparfaite m'aime d'un amour
imparfait, et, par conséquent, elle aime aussi d'un amour
imparfait son prochain, parce que la charité parfaite en-
vers le prochain ne peut avoir d'autre source que la cha-
rité parfaite envers moi; c'est avec la même mesure qu'on
m'aime et qu'on aime le prochain.
-14. — Comment cette âme sera-t-elle éclairée par le
moyen de la créature? De beaucoup de manières, com-
me je te l'ai déjà .montré. Voici une autre manière que
je vais t'expliquer. Quelquefois cette créature qui est l'ob-
jet de son affection particulière, la prive de sa présence,
et lui retire la douceur de ses entretiens, où elle goûtait
tant de consolations ; ou bien il semble que cette personne
aimée lui en préfère une autre : et alors la peine qu'elle
en ressent la porte à se connaître elle-même. Si elle veut
marcher avec prudence et dans la lumière, elle devra ai-
mer cette créature d'un amour plus parfait, parce que la
connaissance de soi-même et la haine de son sens propre
combattent l'imperfection et font tendre à la vertu. Celui
qui est plus parfait aime plus parfaitement toutes les créa-
tures, en général et en particulier . Ma bonté a voulu
que l'homme fût ainsi fortifié par la haine de lui-même et
par l'amour des vertus pendant la vie de son pèlerinage.
45. — L'âme, au milieu de cette épreuve, ne doit pas
abandonner ses pieux exercices, et se laisser aller par
ignorance à la tristesse du cœur et à un ennni qui bou-
leverse l'esprit ; ce serait s'exposer à un grand dan-
ger et trouver la mort où j'ai placé la vie. Pour éviter ce
malheur, l'âme se reconnaîtra humblement indigne de la
consolation qu'elle désirait. Elle verra à la lumière de la
foi que la vertu qui lui faisait surtout aimer cette créa-
ture n'est pas diminuée, et elle s'efforcera d'augmenter
■
■
294
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
dans son cœur une sainte faim et un grand désir de souf-
frir toutes sortes de peines pour l'honneur et la gloire
de mon nom.
16. — Elle accomplira ainsi ma volonté, en acquérant le
Fruit de perfection que ma grâce a fait mûrir par ces com-
bats et par l'intermédiaire de la créature. Tout ce qui lui
arrive est disposé pour la conduire à ma lumière. Tels
sont les moyens que ma providence emploie â l'égard des
imparfaits. Elle en a bien d'autres, car ses ressources sont
infinies.
CXLV. — Providence de Dieu envers ceux qui ont la
charité parfaite.
1. — Tu sauras que ma providence veille aussi sur les
parfaits, afin d'éprouver et d'augmenter en eux leur per-
fection ; car, dans cette vie présente, personne n'est si par-
fait qu'il ne puisse l'être davantage. Voici un des moyens
que j'emploie envers eux. Ma Vérité a dit dans l'Évangile:
« Je suis la Vigne véritable, et mon Père est le vigneron »
( S. Jean, xv, 1 ). Vous, vous êtes les rameaux. Celui qui reste
en celui qui est la Vigne véritable, parce que c'est moi le
Père qui l'ai engendré, celui-là porte beaucoup de fruit
en suivant ses traces et sa doctrine ; et afin que le fruit
augmente tous les jours, je vous émondo par les tribu-
lations, les injures, les moqueries, les humiliations, les
contradictions de faits et de paroles, par la faim et la soif,
selon qu'il plait à ma bonté, et dans la mesure qui convient
à chacun.
2. — La tribulation est le signe qui prouve que la charité
est parfaite dans une àme qui sait souffrir avec une douce
patience. Les tribulations et les injures que je permets
exercent la patience de mes serviteurs. Le feu d'une tendre
charité augmente dans leur âme par la compassion qu'ils
ressentent pour ceux qui les insultent; car ils souffrent
plus du tort que les autres se font et de l'offense qu'ils
commettent envers moi, que de l'injure qu'ils reçoivent. C'est
ainsi qu'agissent ceux qui sont arrivés à une grande per-
fection. Leur vertu se nourrit de tout ce que je permets
comme de tout ce que je leur accorde ; je leur donne une
faim du salut des âjnes qui les fait frapper jour et nuit à
TRAITÉ DE LA PROVIDENCE.
CH. CXLV.
295
îa porte de ma miséricorde, tellement qu'ils s'oublient eux-
mêmes, comme je te l'ai dit en te parlant de l'état des
parfaits.
3. _ plus ils s'abandonnent ainsi, plus ils se retrouvent
avec avantage en moi. Où me cherchent-ils? Dans la vé-
rité, en suivant avec perfection la voie que leur a tracée
mon Verbe incarné. Ils ont lu son Livre doux et glorieux ;
ils y ont vu qu'en voulant m'obéir, pour montrer combien
il aimait mon honneur et combien il désirait le salut du
genre humain, mon Fils a couru, au milieu des peines
et des opprobres, à la table de la très sainte Croix, où
il a pris la nourriture amère du genre humain. Il m'a mon-
tré, par les douleurs de son humanité, à quel point il chéris-
sait ma gloire.
4. — Ainsi font mes enfants bien-aimés qui sont parvenus
à la perfection; ils montrent la vérité de leur amour en
persévérant humblement dans les veilles et la prière ; ils
s'appliquent à imiter les salutaires exemples de mon Verbe
incarné, en souffrant avec joie pour le salut du prochain.
Ils n'ont pu trouver un meilleur moyen de me prouver qu'ils
m'aiment, et, s'ils en avaient trouvé un autre, il eut tou-
jours eu pour instrument la créature raisonnable ; car je te
l'ai dit, toute bonne œuvre s'accomplit par l'intermédiaire
du prochain.
5. — Nul bien ne peut se faire sans la charité de Dieu
et du prochain ; sans elle les bonnes actions mêmes ne sont
pas méritoires, et on ne commet le mal qu'en manquant
de cette charité. C'est par les créatures que l'âme montre,
sa perfection et l'amour qu'elle a pour moi, en travaillant
chaque jour, avec ardeur et patience, au salut du pro-
chain. J'éprouve mes serviteurs par la tribulation pendant
cette vie, afin qu'ils portent des fruits plus abondants et
plus délicieux devant moi, et je me réjouis des parfums
de leur patience et de leur vertu.
0. — Oh ! combien ces fruits sont agréables et doux !
quelle consolation et quel avantage en retire l'âme qui
souffre sans m'offenser ! Si on le savait, si on le com-
prenait, avec quelle joie et quelle ardeur on demanderait
•les épreuves à souffrir ! C'est pour lui procurer ce tré-
sor si peu connu que ma providence paternelle afflige l'âme
par tant de tribulations qui empêchent sa patience de se
I
20G
DIALOGUE I>K SAINTE CATHERINE
rouiller et de rester oisive. Quand vient le temps di
preuve, elle est toujours prête, tandis que, si elle se repose,
sa patience contracte souvent une rouille qui la rongé.
7. — J'use aussi quelquefois avec les parfaits d'un utile
et doux stratagème, afin de les conserver dans la vertu •
di l'humilité : j'endors tellement leur sensibilité, qu'ils ne
sentent aucun combat dans leur volonté et dans leurs
sens, comme des personnes endormies; je ne dis pas comme
des personnes mortes, parce que dans une âme parfaite la
sensualité sommeille, mais n'est pas'morte. Dès que la piété
se ralentit et que le feu des saints désirs s'éteint, la sensua-
lité s'y réveille avec violence et y soulève de plus grandes
tempêtes. Que personne ne se rassure, quelque parlait
qu'il soit: il faut toujours se maintenir dans une sainte
crainte : car ceux qui se confient en eux-mêmes tombent
misérablement.
8. — Je dis que leurs sens paraissent dormir, parce
qu'ayant à supporter beaucoup de peines et de travaux,
ils ne semblent pas en souffrir ; mais tout à coup, s'il leur
arrive une chose légère qui n'est rien et dont ils riront eu-
suite, ils en ressentent une douleur profonde ; l'âme en sera
surprise et consternée. Ma divine providence le permet
ainsi pour faire avancer lame dans la vertu par la voie de
l'humilité. Car l'âme avertie se met en garde contre elle-
même; elle se reproche avec une sainte haine cette sensi-
bilité ; elle la châtie avec une rigueur salutaire, et cette
rigueur l'endort bientôt plus parfaitement.
9. _ Quelquefois je protège mes amis et mes plus fidèles
serviteurs en leur laissant cet aiguillon que ressentait le
glorieux apôtre Paul. Après avoir donné à ce vase d'élec-
tion la doctrine de ma Vérité dans l'abîme de l'éternelle
Trinité, je lui laissai l'aiguillon de la chair. Certainement-
je puis pour mes amis, comme je le pouvais pour Paul
éteindre ces mouvements que je leur laisse; mais ma provi-
dence les leur conserve pour augmenter leur vertu, pour
enrichir leur couronne et les conserver dans une véri-
table connaissance d'eux-mêmes. Ils y trouvent une humi-
lité précieuse, et y puisent une tendresse plus grande poul-
ie prochain. Ils deviennent plus doux, et compatissent
avec plus de zèle aux tentations et aux souffranc
autres, parce qu'ils les éprouvent eux-mêmes. Leur charité
TRAITÉ DE LA PROVIDENCE. — GIT. CXLV
297
s'augmente, et ils courent vers moi tout parfumés d'hu-
milité, tout embrasés de mon amour. C'est par ces moyens
et par bien d'autres que je les conduis à l'union parfaite.
10. — Ils arrivent à une telle union et à une telle
connaissance de ma bonté, que dès ici-bas ils goûtent
les biens du ciel, et ne sentent plus les chaînes de leur
corps. A mesure qu'ils me connaissent, ils m'aiment davan-
tage, et celui qui aime beaucoup souffre nécessairement
beaucoup , là où croît l'amour, augmente aussi la douleur.
Mais quelle douleur peut tourmenter l'âme des parfaits'.'
Ce ne sont pas les injures qu'on leur adresse, les souf-
frances de leur corps, les persécutions de leurs ennemis
et les tribulations qu'ils peuvent rencontrer; ils ne souf-
frent et ne s'affligent que des offenses qui me sont faites
parce qu'ils savent et voient clairement combien je suis
digne d'être aimé et d'être servi.
11. — Us pleurent la perte de ces âmes qui marchent
dans les ténèbres de la vie présente et qui sont plongées
dans un si grand aveuglement. L'amour qui les unit à
moi leur fait comprendre combien j'aime ma créature ; et
comme ils voient en elle mon image, ils se passionnent
pour elle par amour pour moi. De là vient l'immense
douleur qu'ils ressentent en la voyant s'éloigner de ma
bonté; cette peine est si grande, que toutes les autres
peines qu'ils éprouvent ne semblent plus rien. Us n'en
tiennent aucun compte et ne paraissent pas les sentir.
12. — Ma bonté assiste encore mes serviteurs par la
connaissance que je leur donne de moi-même. Ils voient
en moi, avec une grande amertume, les chagrins < et les
misères de la vie présente, la damnation des âmes en
général et en particulier. J'augmente ainsi leur amour et
leur peine, afin que, pressés par le feu des saints désirs,
ils crient vers moi avec la ferme espérance et la sainte
lumière de la foi pour obtenir le secours nécessaire ;'i
tant d'infortunés. Ma divine providence secourt le monde,
parce que je me laisse faire violence par les doux et la-
borieux désirs de mes amis, et ils en profitent eux-mêmes,
parce qu'ils arrivent ainsi à une connaissance plus pro-
fonde et à une union plus parfaite avec moi.
13. — Tu vois donc que j'assiste les parfaits par un
grand nombre de moyens, et qu'ils peuvent pendant cette
■
■
■
298
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
i"f
vie augmenter le degré de leur perfection et de leur mé-
rite. C'est pour cela que je les purifie de toute affection
propre et déréglée, dans l'ordre spirituel ou temporel.
Je les «'prouve chaque jour par un grand nombre de
tribulations, afin qu'ils portent, en ma présence, des fruits
plus abondants et plus parfaits. En voyant les offenses
que je reçois, et combien d'âmes sont, privées de ma
grâce, ils ressentent une peine profonde, qui détruit en
eux tout amour nuisible et leur fait supporter et méprisa
tous les maux qu'ils rencontrent. Ils estiment autant les
épreuves que les consolations, parce qu'ils ne recherchent
jamais leur propre satisfaction et qu'ils ne m'aiment pas
d'un amour mercenaire pour le bonheur qu'ils y goûtent, mais
seulement pour l'honneur et la gloire de mon nom.
14. — Ainsi, ma fille bien-aimée, tu peux voir claire-
mont que les hommes, dans toutes les positions, de toute
manière et en tout lieu, ressentent les bienfaits de ma
tendre et paternelle sollicitude. Les hommes qui sont
dans les ténèbres les méconnaissent, parce que la lumière
n'est pas comprise par les ténèbres ; mais ceux qui ont
la lumière les comprennent plus ou moins, selon le de-
gré de leur perfection. La lumière s'acquiert par la con-
naissance véritable que l'âme a d'elle-même, et de cette
connaissance vient la sainte haine des ténèbres.
CXLV1. — Résumé de ce qui précède. — Explication des pa-
roles de Jésus-Christ à saint Pierre : « Jetez vos filets
à droite ». Saint Jean, XXI, 6.
l._ Ma fille bien-aimée, ce que je t'ai dit de ma pro-
vidence générale et particulière envers mes créatures,
est à la réalité ce qu'est la vapeur d'une goutte d'eau
comparée à l'immensité de l'Océan. Je t'ai aussi montre,
en te parlant du sacrement Eucharistique, tous les moyens
que je prends pour augmenter la sainte faim de l'ame.
J'agis d'abord â l'intérieur en lui donnant la grâce par
l'intermédiaire de l'Esprit Saint, qui assiste udèlemeiri
l'homme coupable pour le ramener au bien, l'homme im-
parlait pour le conduire à la perfection, et l'homa
parfait pour le rendre plus parfait encore ; car pendant
TRAITE DE LA PROVIDENCE
1:11. CXLVI
cette vie, vous pouvez vous perfectionner chaque jour.
Les parfaits doivent devenir des médiateurs entre moi el
les hommes tombés dans l'abîme du péché; car, je te
l'ai déjà dit, c'est à la médiation de mes amis que j'ac-
corderai miséricorde au monde, et c'est à cause de leurs
souffrances que je réformerai l'Église.
2. — On peut bien les appeler d'autres Jésus-Christs cru-
cifiés, puisqu'ils en accomplissent l'œuvre. Mon Fils unique
est venu comme médiateur pour guérir l'homme de .-:i
misère et le réconcilier avec moi, en souffrant avec pa-
tience jusqu'à la mort ignomnieuse de la Croix. Ainsi font
ceux qui sont crucifiés par leurs saints désirs: ils devien-
nent des médiateurs par leurs humbles prières, leurs
exhortations pressantes et leur vie sainte qui les rend des
modèles pour tous. Ils brillent comme des pierres pré-
cieuses de vertu, en supportant avec une patience véritable
les défauts des autres.
3. — Ils ont des moyens de prendre les âmes et ils
jettent le filet à droite et non à gauche, comme le dit
la Vérité, dans l'Évangile, à Pierre et aux autres disciples
après la Résurrection. La gauche est l'amour-proprc qui
est vaincu et mort en eux; la droite est l'amour divin
pur et véritable avec lequel ils jettent le filet d'un saint
désir, en moi, qui suis une mer tranquille. Si tu réunis
la poche qui précéda la Résurrection et celle qui la suivi!,
tu verras qu'en tirant à eux les (ilôts, c'est-à-dire se
l'enfermant dans une humble connaissance d'eux-mé s
et de leur nullité, ils trouvent et prennent une telle abon-
dance de poissons, c'est-à-dire d'àmes, qu'ils sont obligés
d'appeler des compagnons pour tirer les filets, parce qu'ils
ne peuvent y suffire. Pour saisir et jeter leurs filets,
ils doivent s'entretenir dans une humilité sincère en ap-
pelant le prochain à cette pèche des âmes par le mou-
vement d'une charité véritable.
*• — Tu dois le voir et l'éprouver en toi-même et dans
mes autres amis : la charge des âmes qu'ils prennent
dans les filets d'un saint désir leur parait si considérable,
qu'ils appellent avec ardeur, afin de n'être pas seuls. Ils
voudraient que tout le monde vint les aider, parce que
leur humilité les persuade de leur insuffisance. Ils ré-
clament donc l'humilité et la charité du prochain pour les
■
300 D1ALOGOE DE SAINTE CATHERINE
aider à tirer ces poissons, et ils en trouvent clans leurs
fllets une grande abondance, quoique beaucoup leur échap-
pent par leurs fautes, et ne veulent pas rester dans
salutaire captivité. m „„ -,„,„>
5 — Les filets du saint désir pourraient assurément
«rendre tous les poissons, parce que l'âme affamé,
mon honneur ne se contente pas d'une petite part ma*
voudrait tout avoir. Elle désire les bons, parce qu . s lu
aideraient à la pêche, en conservant et augmentant l.-ui
perfection; elle désire avec amour les imparfaits, pow
qu'ils deviennent parfaits, et les mauvais pour qu il d*
viennent bons. Elle désire les infidèles qui sont dans te
ténèbres de l'erreur, pour qu'ils parviennent a la sainte
lumière du baptême ; elle désire tous les hommes quel,
nue soient leur âge et leur condition, parce quelle les v,,i
en moi, créés par ma bonté et rachetés par le .eu de
laniour et le sang précieux de Jésus-Christ mon Fds.
6 - Elle les comprend tous dans son saint désir ; n
beaucoup échappent à ses filets, en s'éloignant de la gràc
ou en persévérant dans le péché mortel. Ils sont I
pendant toujours poursuivis par le désir et la prière ^,
" iuuelle de l'âme ; car l'homme a beau par le péché s
ô gner de moi et de l'amour, du respect qu'il do. avj
pour mes serviteurs, l'ardeur de la chante et de tajj
du salut des âmes ne se ralentit pas en eux, et .1 jetUsJ
toujours leurs filets à droite.
7 _ ma Hlle bien-aimée ! tu vois dans 1 Evang.le
que fit Pierre, mon apôtre, lorsque ma Vérité lui ordoMl
de jeter les filets à la mer ; il répondit : « Maître, «W
avons travaillé toute la nuit et nous navonsr.cn pm
mais sur votre parole je jetterai le filet. I le fi te Un
une si grande quantité de poissons, qu .1 ne le pouvatt
tirer tout seul, et qu'il appela ses compagnons pour I
T- sf 'tu méditée passage, tu verras une figure sous
la réalité, et cette figure te conviendra ; car tous les actes
et les «itères accomplis par ma Vérité dans ce monde
avec ou sans les disciples, étaient des figures pou, m -
tru ire et sauver les âmes. Vous pouvez W»« »£
une règle et une doctrine en les étudiant a la lum m
la raison : les personnes ignorantes et grossières comm.
TRAITÉ l)K LA PR0V1DKNCE.
ou. CXLVU
:îol
les intelligences supérieures pourront y puiser des exem-
ples, et tous, pourvu qu'ils le veuillent, y trouveront leur
salut et leur consolation.
9. —Je t'ai dit. que Pierre, sur l'ordre de Jésus-Christ,
jeta les filets dans la mer : il fut donc obéissant. Il crut
fermement qu'il prendrait du poisson, et il en prit en effet
une grande quantité ; mais ce ne l'ut pas pendant la nuit.
Quelle est cette nuit ? C'est la nuit obscure du péché
mortel, où l'âme est privée de la lumière de la grâce.
Pendant cette nuit on ne prend rien de bon, parce (pic
le désir jette le Blet, non pas dans une mer vive, mais
dans, une mer morte, où il trouve 1 le péché qui n'est que
néant et les plus grandes fatigues ne sont d'aucune utilité.
■10. — Ceux qui travaillent ainsi sont les martyrs du
démon, au lieu d'être ceux de Jésus crucifié. .Mais lors-
que brille le jour où l'âme s'éloigne du mal et revient
à la grâce, alors apparaissent à l'esprit les préceptes salu-
taires que je lui ai donnés; et l'homme jette ses filets
selon la parole de ma Vérité incarnée en m'aimant par
dessus tontes eboses et eu aimant le prochain comme
lui-même. Il obéit avec la lumière de la loi et avec une
lerm ■ espérance, en suivant la doctrine et [es traces
île mou doux Verbe el de ses disciples, .le t'ai dit ceux
qu'il prend et ceux qu'il appelle.
;
CXLVII. — De ceux qui jettent plus parfaitement que les
autres les filets dans la mer.
■1. — Ainsi tu voisà la lumière de ton intelligence avec
quelle providence ma Vérité incarnée, pendant tout le temps
qu'elle a conversé avec les hommes, accomplissait ses actes
et ses mystères. Tu dois comprendre ce qu'il faut faire
et ce que fait une âme qui est arrivée à la perfection.
Mais remarque que les uns agissent plus parfaitement que
les autres, selon qu'ils obéissent à mon Verbe avec un
cœur plus ardent, avec une lumière plus parfaite, et avec
une espérance qu'ils ne placent pas en eux, mais unique-
ment en leur Créateur.
2. — Celui qui obéit aux préceptes et aux conseils
mentalement et réellement, jette plus parfaitement ses
filets que celui qui observe les préceptes réellement, et les
302
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
V
cdiiM'iis mentalement ; car celui <jui n'observe pas les
conseils mentalement ne peut observer les préceptes réel-
lement, parce qu'il sont lies ensemble, comme je l'ai ex-
pliqué. Celui qui jette les filets parfaitement prend aussi
parfaitement les âmes: les parfaits dont je t'ai parlé en
prennent abondamment et avec une grande perfection.
:!. — Leurs moyens deviennent excellents, par cette
lionne garde et cette vigilance que le libre arbitre éta-
blit à la porte de la volonté. Tous leurs sens rendent
un accord doux et harmonieux, qui s'échappe de la cité
de l'âme, dont toutes les porte? sont à la fois ouvertes et
fermées. La porte de la volonté est fermée à l'ami im-
propre, mais ouverte au désir de ma gloire et à l'amour
du prochain. L'intelligence est fermée aux vanités, aux
délices et aux misères du monde qui sont comme une
nuit profonde pour celui qui les aime et en use contre
l'ordre ; mais elle est ouverte à la lumière qui brille
dans ma Vérité incarnée. La mémoire est fermée à tout
souvenir du monde ou d'elle-même, pour tout ce qui re-
garde la vie matérielle ; mais elle se rappelle avec amour
et reconnaissance les bienfaits dont je la comble tous
les jours.
4. — Alors cette âme chante un cantique délicieux, en
s'accompagnant sur un instrument dont la prudence a
si bien disposé les cordes, qu'elles rendent toutes uns
sainte harmonie pour la gloire et l'honneur de mon nom.
Cette harmonie est produite par les grandes cordes, qui
sont les puissances de l'àme, et par les petites, qui sont
les sens extérieurs du corps. Elles sont toutes d'accord
entre elles, ainsi que je te l'ai dit en te parlant des hom-
mes méchants, dont tous les sens rendent un son de mort,
parce qu'ils sont au pouvoir de l'ennemi, tandis que les
parfaits rendent un son de vie, parce qu'ils ont pour alliées
les vertus véritables, qui leur font faire des œuvres saintes.
5. — Tout membre accomplit parfaitement la charge qui lui
est confiée: l'œil sert à voir, l'oreille à entendre, l'odorat ;ï
sentir, le. palais à goûter, la langue à s'exprimer, les mains
à toucher, les pieds à marcher; et il en résulte comme un
son mélodieux qui sert au prochain, à ma gloire et aux
Ames pour lesquelles se font les bonnes œuvres. Tous les
sens obéissent au moindre mouvement de l'âme, comme un
THA1ÏE DI2 LA PROVIDENCE. — Cil. CXLVIII
303
instrument délicieux qui m'est agréable, et qui plaît aussi
aux anges, et à tous ceux qui l'entendent dans la joie de
leur cœur, parce que chacun profite du bien des autres.
6. — Les parfaits plaisent au monde lui-même, qu'il le
veuille ou ne le veuille pas, car les méchants ne peuvent
s'empêcher d'entendre aussi la douceur de cette harmonie:
beaucoup même en sont tellement captivés, qu'ils aban-
donnent la mort pour retourner à la vie. Tous mes saints
ont pris des âmes par cette harmonie. Le premier qui l'ait
fait entendre est mon Verbe bien-aimé, lorsqu'il a rovèUi
votre humanité, et que l'unissant â la divinité il a joué sur
la Croix cette musique ineffable qui ravit le genre humain.
Il a vaincu ainsi le démon, son adversaire, en lui étant le
pouvoir qu'il avait eu si longtemps sur l'homme par sa
faute.
7. — Vous êtes tous les disciples de ce bon Maître, vous
qui rendez des sons harmonieux. C'est avec sa douée mé-
thode que les glorieux Apôtres ont conquis tant d'âmes en
semant par tout le monde cette parole qu'ils avaient ap-
prise de mon Fils bien-aimé. C'est à la môme harmonie que
les martyrs, les confesseurs, les docteurs et les vierges doi-
vent les mêmes conquêtes. La vierge Ursule fit entendre
des accords si délicieux, qu'elle séduisit à elle seule onze
mille vierges et une multitude d'autres âmes.
8. — Ainsi font tous les saints d'une manière ou d'une
autre. Qui agit en eux? Ma providence. C'est elle qui leur
donne l'instrument, la science et les moyens de s'en servir.
Tout ce que je fais, tout ce que je permets pendant leur vie
est pour qu'ils perfectionnent leurs instruments, afin que
les hommes en profitent et ne se privent pas de cette lu-
mière qui leur est nécessaire, en l'obscurcissant par les té-
nèbres de l'amour-propre et du plaisir des sens.
CXLV1II. — Providence de Dieu envers ses créatures dans
cette vie et dans l'autre.
1. — Maintenant, ma fille bien-aimée, dilate ton cœur,
et que ton intelligence contemple à la lumière de la foi
avec quel amour ma providence a créé l'homme, et tout pré-
paré pour qu'il puisse jouir de mon suprême et éternel bon-
heur. J'ai tout disposé pour l'âme et le corps, pour les im-
304
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
parfaits et pour les parfaits, pour les bons et pour les mau-
vais, temporel lement et spirituellement, au ciel et sur la
terre, dans la vie qui passe et dans celle qui ne finit ja-
mais.
2. — Dans cette vie, où vous êtes étrangers et voyageurs,
je vous ai liés par les liens de la charité ; car l'homme esi
forcément uni à son semblable. S'il veut s'en séparer en
manquant de charité, il lui est uni cependant par la né
site. Afin de vous unir par les œuvres en même temps que
par l'amour, je n'ai pas donné à chacun ce qui est néces-
saire à son existence, de sorte que celui qui par le péché
perd l'amour du prochain ne peut s'en séparer à cause de
ses besoins. Vous êtes ainsi tous liés ensemble par des
actes de charité. L'ouvrier a nécessairement recoins au la-
boureur, et le laboureur à l'ouvrier; l'un se sert de l'autre
parce qu'il ne sait pas faire ce qu'il fait. De même le reli-
gieux a besoin du séculier, et le séculier du religieux; l'un
ne peut agir sans l'autre : il en est ainsi du reste des hommes.
3 _ Ne pouvais-je pas donner à chacun tout ce qui lui
est nécessaire? Si, assurément; mais j'ai voulu que chacun
fût soumis à son semblable, afin que tous soient contraints
de s'unir par un échange de bons services. J'ai montré la
grandeur et la bonté de ma providence en eux, et ils pré-
fèrent marcher dans les ténèbres de leur propre faiblesse.
4. — Les membres de votre corps doivent vous faire rou-
gir, car ils ont en eux l'union qui vous manque. Quand la
[été a besoin de la main, la main ne lui aide-t-elle pas sur-
le-champ? Si le doigt, qui est si peu considérable dans le
corps, vient à souffrir quelque chose, la tête lui refuse-t-elle
son secours parce qu'elle est plus noble et plus considé-
rable? Elle ne néglige au contraire aucun moyen de lui être
utile par la vue, par l'ouïe ou par la parole. Tous les mem-
bres agissent ainsi entre eux.
;,. — Pourquoi l'homme orgueilleux ne fait-il pas de m
lorsqu'il voit le pauvre, malade et manquant de tout? N'est-
ce pas un de ses membres? Et cependant, loin de l'assister
de ses biens, il ne lui fait même pas l'aumône d'une bonne
parole; il n'a pour lui que des reproches, et il s'en détourne
comme d'une chose qui lui donne des nausées. Il ri
de richesses, et il laisse son semblable mourir de faim. 1
ne songe pas que sa cruauté déplorable est d'une odeur m-
ta
iS*
TRAITE DE LA PROVIDENCE.
CH. CXLVIII
305
fecte en ma présence, et que le fond des enfers est destiné
à sa corruption.
6. — Ma providence secourt le pauvre d'une autre ma-
nière, et c'est au poids de sa pauvreté que lui seront comp-
tées d'abondantes richesses. Le riche au contraire sera du-
rement repris par ma Vérité, ainsi qu'il est annoncé dans
l'Évangile; et s'il ne se corrige, il entendra cette parole: J'ai
•eu faim, et vous ne m'avez pas donné à manger; j'ai eu soif,
et vous ne m'avez pas donné à boire; j'étais nu, et vous ne
m'avez pas vêtu; j'étais infirme et en prison, et vous ne m'a-
vez pas visité. (S. Matth. xxv, 42).
7. — Dans ce moment terrible, il lui sera inutile de dire:
Je ne vous ai jamais vu, et si je vous avais vu, j'aurais tout
fait pour vous bien volontiers. Ce misérable ne savait-il pas
que mon Fils a déclaré dans l'Évangile que ce qui serait
fait par amour pour Dieu au plus petit des hommes, il le
tiendrait fait à lui-même? Ce sera donc justement qu'il parta-
gera avec les démons un supplice éternel; car j'ai tout dis-
posé sur la terre pour qu'il évite ce malheur.
8. — Si tu contemples le ciel, tu verras avec quel ordre et
quel amour ma providence a tout réglé parmi les anges et
les bienheureux qui ont mérité la vie éternelle par le sang de
l'Agneau. Aucun ne jouit seul du bonheur que je lui ai
donné, mais tous participent au bonheur de chacun, afin
qu'unis par une charité parfaite, le plus grand jouisse
du bonheur du plus petit, et le plus petit du bonheur du
plus grand. Je dis le plus petit quant à la mesure de la béa-
titude, car le plus petit est aussi rassasié que le plus grand ;
tous à des degrés différents jouissent de la plénitude du
bonheur.
9. — Oh! combien la charité est forte au ciel, combien
elle unit tous les êtres en moi! Tous reconnaissent en moi
la source de cette charité qu'ils ont reçue avec cette sainte
crainte et ce respect que je leur ai inspirés; ils brûlent d'ar-
deur en moi, et comprennent toute la grandeur que je leur
ai donnée.
10. — C'est dans une joie ineffable que les anges commu-
niquent avec les bienheureux, et les bienheureux avec les
anges. Tous jouissent en commun de leur bonheur dans
l'union de la charité la plus parfaite, et ils en ressentent
une ivresse, une béatitude que l'esprit ne pourra jamais com-
Dialocue de S. Cath. de S. — 20.
I
^m
306
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
prendre, car en moi il n'y a aucune cause de tristesse; au ciel
tout est doux, l'amertume en est bannie, parce que pen-
dant la vie et dans la mort mémo, ils m'ont goûte par l a-
mour dans la charité véritable du prochain. Qui a ordonné
ces choses? C'est ma sagesse et les soins admirables de m*
providence.
11 — Si maintenant tu regardes le purgatoire, tu y trou-
veras aussi mon ineffable providence assistant les pauvre-
âmes qui, dans leur ignorance, ont méconnu le prix du
temps ; car depuis qu'elles sont séparées du corps, elles ne
peuvent plus acquérir de mérite. Ma providence permet
que vous, qui êtes encore sur terre, vous puissiez les se-
courir par les aumônes, les jeûnes, les prières, par toutes
les bonnes œuvres faites en état de grâce, et surtout par le
Sacrifice que mes ministres offrent à l'Autel. Ma misen-
corde veut bien que vous abrégiez ainsi le temps de leur
•pénitence. N'est-ce pas là une grande grâce de ma boule'
12 - Je t'ai dit tout ce j'ai fait dans rame pour son salut,
afin que tu aimes avec passion ma providence, et que tu te
revêtes en elle des lumières de la foi et de la fermeté de
l'espérance, que tu te dépouilles de toi-même, et que,,
toute occasion tu te confies en moi sans aucune crainte
servile.
CXLIX. - Providence de Dieu envers ses serviteurs pauvres,
même dans les choses temporelles.
1 -Maintenant, ma fille bien-aiméc,jeveux te dire quelque
chose des moyens queje prends à l'égard des serviteurs qui
espèrent en moi, pour les assister dans leurs besoins exté-
rieurs Je veille sur eux avec plus ou moins de sollici-
tude selon qu'ils se sont plus ou moins parfaitement
dépouillés d'eux-mêmes. Ma providence cependant ne man-
que à aucun, mais elle protège surtout mes eherspauv.es.
C'est-à-dire ceux qui sont véritablement, par la volonté,
pauvres d'esprit et d'intention. Car beaucoup sont pauvres
.•outre leur volonté : ceux-là sont riches quant à la volonté,
mais ils sont mendiants dans la. réalité, parce qu'ils n espè-
rent pas en moi et qu'ils portent contre leur gré celte pau-
vreté que je leur donne comme une médecine pour leui
TRA1TJÉ DE LA PROVIDENCE. — CH. CXLIX 307
âme : la fortune eût été pour eux un mal et une cause de
damnation.
2. — Si mes serviteurs sont pauvres, ils ne sont pas men-
diants. Le mendiant n'a pas souvent ce qui lui est néces-
saire, et il souffre de grandes privations : le pauvre n'est pas
clans l'abondance, mais il a le nécessaire. Je ne manque ja-
mais à ceux qui espèrent en moi. Quelquefois, cependant, je
les réduis à une certaine extrémité, afin qu'ils voient et
qu'ils comprennent plus clairement que je puis et que je
veux fournir à tous leurs besoins. C'est ce qui fait qu'ils se
confient davantage à ma providence, et qu'ils s'attachent
avec plus d'amour à la vraie pauvreté, leur épouse.
3. — Alors, par des effets merveilleux de ma bonté, le
Saint Esprit, qui désire toujours les assister, pourvoit à
leurs besoins extérieurs même, en inspirant aux riches la
pensée de les secourir : et ainsi la vie de mes chers pauvres
est alimentée par cette compassion que je donne pour eux
aux serviteurs du monde.
4. — Quelquefois, il est vrai, afin de fortifier leur vertu et
d'éprouver leur foi et leur patience, je souffre qu'ils reçoi-
vent des injures et des affronts. Mais celui-là même qui les
insulte est forcé par ma clémence à leur donner l'aumône
et à les secourh\G'est là ce que ma providence fait en gé-
néral pour mes chers pauvres. D'autres fois, pour mes
grands amis et mes plus fidèles serviteurs, ma providence
agit sans l'intermédiaire des créatures, directement, comme
tu en as fait l'expérience.
5. — Ne l'as-tu pas entendu raconter de ton Père, le bien-
heureux Dominique, mon glorieux serviteur ? Dans les pre-
miers temps de son Ordre, à l'heure du repas, les Frères
n'avaient rien à manger ; mais comme il espérait en moi,
et qu'il était certain de ma providence, il dit aux Frères de
s'asseoir, et quand ils eurent obéi à leur Père, je n'aban-
donnai pas ceux qui espéraient en moi : j'envoyai deux an-
ges avec des pains très blancs qui fournirent abondam-
ment plusieurs repas. Ma providence agit ainsi sans l'inter-
médiaire de l'homme, et par le seul acte de ma bonté.
6. — Quelquefois aussi ma providence multiplie pour eux
des quantités qui étaient insuffisantes. C'est ce qui arriva
pour ta compagne, la bienheureuse Agnès, qui me servit
depuis son enfance jusqu'au dernier instant de sa vie avec
.
308
DIALOGUE DE SAINTE CATHERIN!
r 4 » I
une humilité Bi sincère et une si ferme espérance, qu'elle
n'eut jamais la moindre inquiétude pour elle et pour sa fa-
mille Cette chère petite pauvre n'avait pour toute fortune
qu'une foi vive, lorsque la glorieuse Vierge Marie lui donna
l'ordre de bâtir un beau monastère, dans un lieu souille par
tes femmes de mauvaise vie. Elle n'eut aucune inquiétude
et ne dit pas : Comment pourrais-jo accomplir une œuvre
si difficile •> Elle mit en moi toute sa confiance, et bâtit
avec ma providence le monastère de religieuses, où elle plaça
dix huit jeunes vierges qui n'avaient d'autres choses que ce
que je leur envoyais.
7 - Une fois cependant je les laissai trois jours sans
pain et elles ne mangèrent que des herbes. Tu pourrais
t'en étonner et me dire : Comment avez-vous permis une
telle extrémité, puisque vous m'avez assuré que vous ne
manquiez jamais à ceux qui espèrent en vous? Il semble
nue votre providence a fait défaut en cette circonstance,
puisque en général l'homme ne peut vivre d'herbes seu-
lement, surtout lorsqu'il n'est pas arrivé à une grande per-
fection La bienheureuse Agnès était assez parfaite, mais
nous pouvons croire que toutes ses filles ne l'étaient pas
autant. .
8 - Je te répondrai que j'ai agi de la sorte pour leur
faire aimer avec plus d'ardeur et de perfection ma provi-
dence Les imparfaits trouvèrent dans le miracle qui sui-
vit un puissant moyen d'acquérir la sainte lumière delà foi.
Je puis d'ailleurs, en pareille circonstance, faire en sorte
que le corps profite plus d'un peu d'herbes, ou de n im-
porte quelle autre substance, que du pain qu'il recevait au-
paravant, et de tout autre aliment que l'homme prépare
pour se nourrir. N'en as-tu pas lait toi-même l'expene
le puis aussi faire alors une multiplication miraculeuse,
9 _ Après ces trois jours de disette, ma fidèle Agnes
éleva vers moi son cœur et m'adressa cette prière : Mon
bien-aimé Seigneur, mon tendre Père, mon éternel Epoux,
ne m'avez-vous pas ordonné de retirer de leur famille c<*
vierges, et les avez-vous réunies dans votre maison pour
les laisser mourir de faim? Bon Maître, pourvoyez donc a
leurs besoins. .
10 - C'était moi qui lui faisais faire cette prière, je
me plaisais à éprouver sa foi et à exaucer son humbl
H
'•ê~,i,
TRAITE DE LA PROVIDENCE.
Cil. CL
309
demande. Pour satisfaire son cœur qui s'élevait vers moi,
j'inspirai à quelqu'un la pensée de lui porter cinq petits
pains et je le lui révélai. Quand celui qui venait appro-
cha de la porte, Agnès dit à une de ses filles : Ma fille,
allez au tour et apportez le pain que le Seigneur nous
envoie dans sa bonté. Dès que les pains furent apportés
on se mit à table, et pendant qu'elle faisait le partage,
je mis dans ses mains une telle puissance, que les pains
se multiplièrent si abondamment, que toutes furent ras-
sasiées, et qu'il en resta assez sur la table pour fournir
largement aux repas suivants.
-M.— C'est par des moyens semblables que ma provi-
dence assiste mes serviteurs et mes amis qui sont devenus
non seulement pauvres volontaires, mais encore pauvres
d'esprit et d'intention ; car il leur servirait peu do faire
comme les anciens ph'losophes, qui, par le désir qu'ils
avaient d'acquérir une science profane, méprisaient les
richesses et se faisaient volontairement pauvres, com-
prenant, par leur expérience ou par la lumière naturelle,
que cet embarras extérieur des richesses du monde devait
les empêcher d'atteindre la perfection de la science, à
laquelle tendait leur intelligence comme à leur fin der-
nière. Mais parce que cette pauvreté volontaire n'avait
pas pour motif la gloire et l'honneur de mon nom, ces
philosophes ne purent avoir la vie de la grâce et la per-
fection ; ils n'eurent en partage que la mort éternelle.
CL.— Des maux que causent la possession et le désir déréglé
des richesses.
1
i.— Vois, ma fille bien-aimée, quelle honte et quel sujet
de confusion pour les hommes. Des chrétiens se passion-
nent misérablement pour les richesses, tandis que la rai-
son leur est donnée pour acquérir les biens éternels. Ils ne
font pas même ce que faisaient les philosophes pour ac-
quérir une science inutile. Parce qu'ils comprenaient que
les richesses étaient un obstacle pour eux, ils les mépri-
saient et les repoussaient. Ces chrétiens au contraire sem-
blent vouloir s'en faire un dieu, et il est évident qu'ils
sont plus affligés de perdre ces richesses temporelles que
de me perdre, moi qui suis le souverain Bien.
310 DIALOGUE DK SAINTE CA.THERIHK
2 _Si tu y réfléchis, tu verras que tous les maux viennent
,lu désir déréglé d'amasser des richesses. Ce désir enfante
l'orgueil, qui lait que l'homme veut dominer ; l'injustice,
qui le rend coupable envers lui et les autres ; l'avance, qui
le pousse par la soif de l'or à dépouiller son frère, et a ravir
à l'Église même les biens qui sont payés du sang précien*
de mon Fils. De là procèdent aussi le trafic de la chair du
prochain, et le trafic du temps que font les usuriers qui
vendent comme des voleurs ce qui ne leur appartient pas.
De là viennent la gourmandise et cette avidité d'aliments
inutiles qui produisent l'impureté ; car, sans ces excès,
tomberait-on souvent dans de si grandes misères?
3 - Combien le désir de ces richesses n'engendre-t-il
pas d'homicides, do haines, de trahisons, de cruautés
envers le prochain, et aussi d'infidélités envers moi ! Car
les hommes s'imaginent que c'est par leur propre vertu
qu'ils acquièrent et possèdent leurs biens, tandis que c est
uniquement .le ma providence qu'ils les reçoivent. Ils
poussent l'ingratitude jusqu'à ne pas espérer en moi, mais
seulement dans le néant de leurs richesses. Leur ayeugle-
ment est tel, qu'ils ne voient pas combien ils s abusent,
puisque dès cette vie, je les prive souvent, pour leur bien,
de ces richesses, que la mort, du veste, finit toujours par
enlever ; ils reconnaissent alors que leur espérance était
vaine et sans fondement.
4 - Le désir déréglé des richesses rend l'homme pauvre
et tue en lui la vie de la grâce. Il devient cruel pour
lui-môme, et perd ce qu'il y avait d'infini dans son cœur;
car au lieu d'être en moi, qui suis le Bien suprême et infini,
son désir se borne et s'unit à une chose finie et méprisable
Il ne peut plus jouir du goût délicieux de la vertu et du suave
parfum de la pauvreté ; il a perdu l'empire sur luzerne
en se faisant l'esclave des richesses ; .1 est insatiable
parce qu'il aime des choses inférieures à lui-même, car les
créatures sont faites pour servir l'homme et non pour en
être servies. L'homme ne doit servir que moi, qui suis s.
""s - A combien de travaux, de peines et de dangers
.'homme se soumet, sur terre et sur mer, afin damasse,
des richesses, non seulement pour suffire a ses besoin*,
mais pour satisfaire son luxe, sa concupiscence et son nva
TRAITE DE LA PROVIDENCE.
CH. CL
311
fice, pour revenir vivre dans sa patrie au milieu de la
splendeur et de la gloire ; et il ne se donne pas la moindre
peine pour acquérir les vertus, qui sont les véritables ri-
chesses de l'àme. Il a étoufïé sous ces vains trésors le
cœur avec lequel il devait me servir, et sa conscience est
écrasée par tous ses, injustes profits.
6. — Vois donc à quel esclavage et à quelle misère il
est réduit. Encore si sa fortune était stable ; mais rien
n'est plus mobile et plus trompeur. Celui qui est riche
aujourd'hui sera pauvre demain. 11 est maintenant au
faîte des honneurs, il sera tout à l'heure dans la fange.
Le monde le respecte et l'honore à cause de ses fausses
richesses ; mais dès qu'il les a perdues, il ne trouve que
des mépris et des traitements sans pitié ; car on l'aimait
pour ses richesses et non pour ses vertus ; s'il avait été
aimé pour quelques vertus, il n'eût pas perdu l'estime et
l'amour de ses semblables, parce qu'en perdant ses ri-
chesses il eût conservé ses vertus.
7. — Oh ! combien cette âme est chargée de pesants
fardeaux ! Ils sont si lourds, qu'elle ne peut courir dans la
route de son pèlerinage, ni passer par la porte étroite. Ma
Vérité incarnée vous a dit dans l'Évangile qu'il est plus
facile à un chameau d'entrer par le trou d'une aiguille,
qu'à un riche d'entrer dans le royaume des cieux (S. Marc.
x, 25 ). Ceci regarde tous ceux qui désirent et qui possèdent
les richesses avec un amour déréglé ; car il est beaucoup
de pauvres qui désirent et qui possèdent aussi par la vo-
lonté tout l'univers qu'ils ne peuvent avoir. Ceux-là n'en-
treront point assurément, parce que la porte est humble
et petite. Il faut auparavant déposer son fardeau, retrancher
l'amour déréglé du monde, et courber humblement la
tête. Il est impossible d'entrer autrement; car il n'y a
pas d'autre chemin pour arriver à la vie.
8. — Il y a bien un autre chemin plus large qui con-
duit à la damnation éternelle, et ceux qui le suivent sont
des aveugles qui ne voient pas leur ruine irréparable. Ils
ont, dès cette vie, un avant-goût de l'enfer; ils souffrent
de toute manière, car ils désirent plus qu'il ne peuvent
avoir ; ils sont tourmentés de ce qu'ils n'ont pas, et tor-
turés de ce qu'ils perdent. La douleur de leur perte a
pour mesure l'ardeur coupable avec laquelle ils possè-
■9
♦.■*
f
I
312
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
dent. Ils perdent aussi la charité, l'amour de leurs h
et ne prennent aucun soin d'acquérir des vertus. cor-
ruption du monde, non pas des choses qui s'y trouvent,
car je les ai créées bonnes et parfaites, mais corruption de
l'amour charnel et déréglé qui les possède. Ta langue,
ma fille bien-aimée, ne saura jamais dire tous les maux
qui viennent des richesses; ces malheureux aveugles les
voient et les éprouvent, et ils ne veulent pas reconnaît!»
leur sort épouvantable.
•
eu. — Excellence de la pauvreté spirituelle, et comment
Jésus-Christ en a donné l'exemple.
1. — Je veux, ma fille, te faire comprendre davantage
le trésor de la pauvreté volontaire spirituelle. Qui en con-
naît la valeur? Les pauvres, mes serviteurs bien-aimés,
qui, pour marcher plus facilement et pour entrer par la
porte étroite, rejettent le fardeau de .la richesse. Les uns
le font réellement et mentalement, ils observent les pré-
ceptes et les conseils de fait et d'esprit ; les autres gar-
dent les préceptes réellement et les conseils mentale ment
ils se dépouillent seulement de l'amour des richesses ; ils
ne les possèdent pas avec un amour déréglé, mais avec
une sainte crainte, tellement qu'ils n'en sont pas les pos-
sesseurs avares, mais qu'ils en sont les distributeurs
pour secourir les pauvres.
2. — Les premiers sont plus parfaits que les seconds,
parce qu'ils sont plus libres et portent des fruits meil-
leurs ; ils font briller davantage ma providence, comme
je te l'expliquerai en te parlant de la vraie pauvreté. Les
uns et les autres baissent humblement la tête et se font
saintement petits. Je t'ai déjà parlé des seconds ; je vais
l'entretenir seulement des premiers.
3. — Je t'ai montré que tout le mal, toutes les peines
dans cette vie et dans l'autre viennent de l'amour déré-
glé des richesses : tu sauras qu'au contraire tout bien, toute
paix, tout repos naît de la vraie pauvreté. Contemple mes
chers pauvres, et admire dans quelle joie sainte ils passent
leurs jours ; jamais ils ne sont tristes que des offenses
qui me sont faites, et cette tristesse, au lieu de les ami-
TRAITÉ DE LA PROVIDENCE. — CH. CLI
313
ger, nourrit leur âme. Ils ont, par la pauvreté, trouvé la
richesse suprême ; ils ont quitté d'épaisses ténèbres pour
jouir de la lumière parfaite. Parce qu'ils ont abandonné
la misère du monde, ils jouissent d'une joie sans borne,
et ils échangent contre des biens méprisables des trésors
immortels. Aussi goûtent-ils une grande consolation à souf-
frir pour la justice.
4. _ Leurs rapports avec les créatures raisonnables sont
pleins d'amour, et ils ne font acception de personne. Où
brillent la vertu et l'espérance, si ce n'est où brûle le feu
d'une vraie charité? Aussi, à la lumière delà foi qu'ils
ont puisée en moi, qui suis l'éternelle et souveraine Félicité,
ils ont renoncé aux espérances et aux consolations du
monde, et ils ont embrassé comme une tendre épouse la vraie
pauvreté avec toutes ses servantes. Les servantes de la
pauvreté sont l'abaissement, le mépris de soi-même et
l'humilité sincère qui servent et nourrissent dans l'âme
l'amour de la pauvreté.
5. _ c'est cette fldè'e espérance et cette ardente charité
qui poussent mes vrais serviteurs à fuir les vanités du mon-
de, les richesses et leur propre satisfaction : c'est en les mé-
prisant que mon glorieux apôtre saint Matthieu quitta brus-
quement sa banque et laissa les grandes richesses qu'il avait
dans le monde pour suivre sans délai ma Vérité incarnée.
Mon Fils vous a enseigné à aimer et à suivre la pauvreté, et
il vous l'a prêchée non seulement par ses paroles, mais par
ses exemples; car, depuis» le premier jour de sa naissance
jusqu'au dernier instant de sa vie, toutes ses actions vous
ont enseigné cette grande doctrine.
6. — C'est pour vous qu'il a épousé la pauvreté, lui qui
est la Félicité suprême par l'union de la nature divine, lui
qui est un avec moi, la Richesse infinie. En le contemplant
pauvre et humilié, songe que c'est un Dieu fait homme et
revêtu de la bassesse de voire humanité. Vois cet aimable
Verbe naissant dans une étable pendant que sa Mère, la
bienheureuse Vierge Marie, était en voyage, pour vous mon-
trer, à vous qui êtes voyageurs, que vous devez vous arrê-
ter dans l'étable de la connaissance de vous-même, afin d'y
renaître lorsque la grâce m'aura fait naître dans vos âmes.
7. — Tu le vois au milieu de deux animaux et dans une
telle misère, que Marie n'avait pas même de quoi le couvrir;
■M
1
314
DIALOOCE I)K SAINTE CATHERINE
elle le défendait contre la rigueur du froid avec l'haleine de
ces animaux, et le réchauffait avec du foin. Lui, qui est. le
feu de la charité parfaite, il voulut avoir froid dans son hu-
manité, et souffrir pendant toute sa vie avec et sans ses
disciples. Quelquefois la faim forçait ses disciples à égrener
des épis pour prendre quelque nourriture.
8. _ Au dernier jour de son existence, il fut dépouillé de
ses vêtements et flagellé à la colonne; il supporta sur la
Croix la soif et toutes les douleurs avec une ineffable pa-
tience. Il fut réduit à une telle extrémité, que la terre et le
bois lui manquèrent pour reposer sa tète, et qu'il fut obligé
de l'incliner sur son épaule. Dans l'ivresse de son amour, il
lit avec son Sang précieux un bain au genre humain. De
son corps sacré entr'ouvert il versa ce Sang à grands flots,
et tira de son extrême pauvreté les trésors les plus abon-
dants.
9. _ pendant qu'il était ainsi cloué au bois misérable de
la Croix, il répandait avec une générosité infinie ses ri-
chesses sur toutes les créatures raisonnables; en goûtant
l'amertume du fiel, il vous procurait une douceur incom-
parable; la tristesse qui l'accablait devenait votre consola-
tion, et les clous qui l'attachaient à la Croix vous délivré
rent des liens du péché mortel. En se faisant esclave par
amour, il vous affranchit de l'esclavage du démon ; lorsqu'il
fut vendu, il vous racheta de son sang; et lorsqu'il accep-
ta la mort, il vous donna la vie.
10. — Il vous a bien enseigné l'amour; car il ne pouvait
mieux vous prouver la grandeur de son amour qu'en don-
nant sa vie pour vous, qui étiez ses ennemis et les ennemis
de son Père. L'homme pécheur semble l'ignorer, puisqu'il
m'offense et tient si peu compte d'un si grand prix. Il vous
a aussi enseigné la véritable humilité, car il s'est humilia
jusqu'à la mort ignominieuse de la Croix; il vous a donné
l'exemple de l'abaissement, car il a supporté des injustices
et des affronts sans nombre; il vous a donné l'exemple de
la vraie pauvreté, car il a dit lui-même dans l'Évangile :
« Les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel des
nids; mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête ».
•H, _ Qui connaît ces choses ? celui qui a la sainte lu-
mière de la foi ; et où se trouve cette foi ? dans les pau-
vres qui sont pauvres d'intention ; dans ceux qui ont
TRAITÉ DE LA PROVIDENCE. — CH. CLI
315
choisi la pauvreté comme une royale épouse, en jetant les
vaines richesses qui causent les ténèbres de l'infidélité.
Cette reine a un royaume que rien ne peut troubler. La
paix y réside et la justice y abonde, parce que tout ce qui
cause l'injustice en est éloigné ; les murailles de sa cité
sont puissantes, parce qu'elles ne sont pas faites d'une
terre molle, ni bâties sur le sable, de manière qu'elles
puissent être renversées par le moindre vent : elles sont
appuyées sur la pierre inébranlable, qui est Jésus-Christ
mon Fils. La lumière y est sans ténèbres et la chaleur sans
hiver, parce que la mère de cette grande reine est la cha-
rité infinie de Dieu.
12. — Les ornements de la cité sont les liens de l'af-
fection et les douceurs de la miséricorde, parce que le
tyran des richesses, qui est si cruel, en a été chassé. L'a-
mour du prochain établit entre tous les habitants les
plus bienveillants rapports. On y trouve aussi une pru-
dence longue et persévérante : la cité est gardée par des
sentinelles vigilantes, parce que l'âme qui épouse cette
reine, possède toutes les richesses éternelles ; elle ne peut
les posséder en possédant les richesses de la terre ; car si
la mort, c'est-à-dire l'amour des richesses, entrait dans
cette âme, elle perdrait sur-le-champ sa fortune, et serait
par le fait même exilé de la cité et plongée dans la plus
grande misère. Mais si elle reste fidèle à son épouse, elle
partage toujours avec elle ses trésors.
-13. _ Qui voit ces merveilles ? l'âme qui a la lumière
de la foi: la pauvreté revêt celui qui l'épouse d'une admi-
rable pureté. Elle lui enlève les vaines richesses qui la
souillaient ; elle l'éloigné des sociétés mauvaises et lui en
procure de bonnes ; elle le guérit des engourdissements
de la négligence, et chasse loin de lui les embarras du
monde. Elle lui Ole l'amertume des richesses de la vie pré-
sente et lui en laisse la douceur : les épines tombent, et
la rose reste dans toute sa beauté. Elle purge l'âme de
toutes les humeurs corrompues de l'amour déréglé, et la
dispose à se nourrir des vertus, qui ont une douceur ex-
trême. Elle lui donne deux serviteurs qui font tout dans
sa maison ; la haine et l'amour. La haine des vices et de
la sensualité la purifie de toute souillure, et l'amour des
vertus se charge de l'embellir, en effaçant toute inquié-
■
31 G
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
,
tudo servile, et en y mettant la paix d'une sainte crainte,
14. — Dès qu'elle s'est attachée à la pauvreté, lame
trouve toutes les vertus, les grâces, les douceurs et les
consolations qu'elle peut désirer. Elle ne craint pas d'en-
nemis, car personne ne peut lui faire la guerre ; elle ne
craint pas la faim et les privations, parce que la foi l'é-
claire, et que son espérance est en moi, son Créateur, qui
donne toutes les richesses, et qui nourrit tontes les créa-
tures par les soins de ma providence. A-t-on jamais vu
ou entendu dire qu'un de mes vrais serviteurs, un époux
l'idole de la pauvreté soit mort de faim ? Non, certaine-
ment ; mais beaucoup sont morts au milieu de leurs riches-
ses, parce qu'ils ne se confiaient pas en moi.
15. — Je ne manque jamais à mes pauvres bien-aimés qui
ne cessent jamais d'espérer en moi. Je veille toujours sur
eux comme un bon et tendre père. Avec quelle joie et quelle
liberté d'âme ils viennent à moi ! parce qu'ils savent, à la
lumière de la foi, que, depuis le premier jusqu'au der-
nier jour de la vie, ma providence ne cesse d'agir dans
toutes les choses spirituelles ou temporelles.
1G. — Quelquefois, il est vrai, je permets qu'ils souffrent
parce que je veux qu'ils grandissent dans la foi et dans l'es-
pérance d'être largement récompensés de toutes leurs
peines. Mais je ne les abandonne dans aucune nécessité ;
ils éprouvent toujours ma providence infinie, et goûtent te
lait d'une douceur divine. Loin de craindre l'amertume de
la mort corporelle, ils la demandent avec un ardent désir
parce qu'ils sont déjà morts aux sens comme aux richesses,
et qu'ils aiment éperdùment la vraie pauvreté, qu'ils ont
prise pour épouse. Ils vivent tous les jours dans ma vo-
lonté, ils sont prêts à tout souffrir, la chaleur, le froid, la
nudité, la faim, la soif, les mépris, les affronts ; ils SOupi-
pirent même après la mort, parce qu'ils voudraient donner
leur vie, par amour pour moi, qui suis leur vie, et verser
leur sang par amour du sang répandu pour eux.
17. — Contemple mes pauvres apôtres et mes glorieux
martyrs : Pierre, Paul, Etienne, et Laurent qui semblait être,
non pas sur du feu, mais sur des fleurs douces et odorifé-
rantes. Il disait en riant à son bourreau :« Ce côté est cuit,
tourne l'autre et mange ». La flamme ardente de la charité
divine étouffait le feu méprisable qui attaquait son corps.
TRAITÉ DE LA PROVIDENCE.
CIL CLI
317
Les pierres d'Etienne ne lui semblaient-elles pas des roses?
Quelle était la cause de ces prodiges ? L'amour qui leur avait
fait épouser la royale pauvreté. Ils avaient abandonné tout
l'univers par amour pour moi ; ils l'avaient choisie à la
sainte lumière de la foi, avec une espérance ferme et une
prompte obéissance. Ils obéissaient aux conseils et aux pré-
ceptes de mon Fils bien-aimé spirituellement et réellement.
48. — Ils désiraient la mort et ils supporta : ent la vie avec
peine, non pas pour fuir le travail, mais pour s'unir à moi,
qui suis leur fin. Pourquoi ne craignaient-ils pas la mort,
que l'homme craint naturellement? Parce que leur épouse,
la vraie pauvreté, les rassurait, en leur étant tout amour de
leur corps et des richesses de la terre; ils avaient saintement
foulé aux pieds et vaincu l'amour naturel par la lumière de
l'amour divin surnaturel. Comment dans cet état un homme
pourrait-il se plaindre de la mort du corps, lui qui désire
perdre la vie, qu'il trouve amère et longue? Comment au-
rait-il quelque regret de perdre ces frivoles richesses qu'il
méprise depuis si longtemps avec tant d'ardeur? Qu'y a-t-il
d'étonnant ? Celui qui n'aime pas une chose ne la regrette
pas; il se réjouit plutôt quand il perd ce qu'il déteste. De
quelque côté que tu regardes, tu trouveras mes chers pau-
vres goûtant la paix et le repos parfaits.
19. —Dans les malheureux, au contraire, qui possèdent les
richesses du monde avec un amour si déréglé, tu trouveras
le désordre et des peines insupportables, quoiqu'il n'en pa-
raisse souvent rien à l'extérieur. Qui n'eût pas cru que La-
zare était clans la plus grande détresse, et que le riche mau-
dit était dans la paix et la joie? II n'en était rien cependant:
le riche souffrait plus au milieu de son abondance tem-
porelle que le pauvre Lazare, dévoré par la lèpre. Dans
Lazare, la volonté propre était morte ; il vivait en moi, qui
le soulageais et le consolais de ses peines. Dans le riche, au
contraire, sa volonté était vivante et devenait son tourment.
Lorsque Lazare était repoussé par les hommes et surtout par
le mauvais riche, lorsqu'il n'avait personne pour laver ses
blessures et lui porter le moindre, secours ma providence
envoyait quelque animal sans raison, qui léchait ses ulcères.
A la fin de leur vie, la lumière de la foi montre Lazare
dans la gloire, et le riche au milieu des supplices de l'enfer.
20- — Oui, les riches sont dévorés par la tristesse, et mes
¥
■M»
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
chêrs pauvres sont plongés dans une sainte joie. Je 1rs liens
près de mon cœur, je les nourris du lait de mes consola-
tions. Parce qu'ils ont tout quitte par amour pour moi, je me
donne à eux tout entier. L'Esprit Saint est pour eux comme
une mère tendre qui prend soin de leur anieet de leur corps
partout où ils se trouvent. J'envoie même des animaux sau-
vages pour les servir, quand ils en ont besoin. Lorsqu'un
solitaire est malade, je fais en sorte qu'un autre solitaire aille
le visiter et l'assister. Tu sais bien que plusieurs fois je t'ai
forcée de sortir de ta cellule contre ton habitude, pour se-
courir quelques pauvres malades. Toi-même, n'as-tu pas
(■prouvé ainsi ma providence? Et quand tu n'avais aucune
créature pour t'assister, t'ai-je fait défaut, moi qui suis ton
créateur?
21. — Non, jamais je ne manque à ceux qui espèrent en
moi : ma douce providence leur est assurée. Un homme est
dans les délices et la magnificence. 11 donne à son corps les
soins et les mets recherchés; il est cependant toujours
malade. Mais si, par amour pour moi, il se méprise lui-
même, s'il embrasse la pauvreté volontaire et ne garde
qu'un vêtement pour couvrir son corps, pourquoi retrouve!
l-il la force et la santé? Rien ne semble lui nuire, et il de-
vient insensible au froid, au chaud et à la nourriture la plus
grossière. C'est que ma providence se charge de lui, dès
qu'il se confie entièrement à mes soins, en mourant à lui-
même. Tu vois, ma chère fille, dans quel repos vivent mes;
pauvres bien-aimés.
CLII. — Résumé de ce qui a été dit sur la providence.
L — Je t'ai dit, ma chère fille, quelque chose sur ma pro-
vidence, qui assiste de toute manière les créatures. Je t'ai
montré que dès l'instant où j'ai créé le premier monde, et
que j'ai fait le second, qui est l'homme, à mon image et
ressemblance, j'ai toujours manifesté ma providence : et
tout ce que j'ai fait, que je fais et que je ferai, doit servir
à votre salut, parce que je yeux votre sanctification et que
je dispose tout pour cette lin.
2. — Les méchants ne le voient pas, parce qu'ils se sont
privés de la lumière ; ils ne comprennent rien et se scanda-
TRAITE DE LA PROVIDENCE. — CH. CL11I
319
lisent de moi. Je les supporte avec patience, je les attends
jusqu'au dernier instant, fournissant aux besoins des pé-
cheurs comme à ceux des justes, dans toutes les choses spi-
rituelles et temporelles.
3. — Je t'ai dit quelques mots de l'imperfection des ri-
chesses, et de la misère où elles conduisent ceux qui les pos-
sèdent avec un amour déréglé. Je t'ai parlé de l'excellence
de la pauvreté, et de l'abondance des richesses que cette
pauvreté procure à l'homme qui l'a choisie pour épouse.
Elle a pour compagne et pour sœur l'abaissement, dont je
t'entrelfiendrai en te parlant de l'obéissance. Je t'ai montré
combien cette vertu me plaît, et combien elle est l'objet des
tendres soins de ma providence.
4. — Tout ce que je t'ai dit à la louange de cette grande
vertu, et de la sainte foi qui fait parvenir l'âme à cet état
supérieur, doit augmenter ton espérance et te porter à frap-
per sans cesse à la porte de ma miséricorde. Sois fermement
persuadée que je remplirai ton désir et celui de mes servi-
teurs et de mes amis qui souffrent tant de peines jusqu'à
la mort. Prends courage et réjouis-toi en moi, parce que je
suis ton défenseur et ton consolateur en toute chose. Tu
vois que j'ai répondu à ce que tu m'avais demandé sur ma
providence, en te montrant que je pourvois avec bonté à
tous ïes besoins de mes créatures; et tu sais que je ne mé-
prise jamais vos saints désirs.
CLI1I. — L'âme remercie Dieu et le prie humblement de lui
dire quelque chose sur la vertu d'obéissance.
1. — Alors celte âme fut tout enivrée de la sainte pau-
vreté, toute dilatée par l'éternelle et souveraine grandeur,
toute transformée dans l'abîme de l'ineffable et infinie pro-
vidence. 11 lui semblait être délivrée de son corps, tant elle
était ravie et embrasée par le feu de la charité. Son intelli-
gence contemplait la Majesté divine, et elle disait à Dieu le
Père:
2. — Père éternel, ô Feu, abime de Charité, étemelle
Beauté, étemelle Sagesse, éternelle Bonté, éternelle Clé-
mence! Espérance et Refuge des pécheurs, Largesse inesti-
mable, Bien éternel, infini ! O feu d'amour ! avez-vous donc-
besoin de votre créature? Il me semble qu'elle vous manque ;
■
'.«**•'• I
320
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
car vous agissez comme si vous ne pouviez vivre sans elle,
vous qui êtes la vie dont vit toute chose, et sans laquelle
rien ne peut vivre. Pourquoi donc vous passionner ainsi
pour votre créature? Pourquoi l'aimer éperdùment, vous
qui êtes heureux en vous-même'? Pourquoi vous plaire en
elle, en être avide et aiïamé, désirer tant son salut, la cher;
cher d'une manière si admirable, lorsqu'elle vous fuit? Vous
vous approchez, elle s'éloigne. Pouviez-vous venir plus près,
puisque vous avez revêtu votre Verbe de notre humanité?
3. — Que dirais-je encore? je balbutie, je pousse des cris
vers vous. Ah! oui, je ne puis plus parler, parce que la
langue est trop faible pour exprimer ce que l'âme éprouve
et comprend lorsqu'elle vous désire, vous, le Bien suprén
infini. N'est-il pas juste que je répète cette parole de l'apôtre
saint Paul : o Non, l'œil n'a pas vu, l'oreille n'a pas entendu,
le cœur n'a pas senti ce que j'ai vu, ce que Dieu prépare à
ceux qui l'aiment ». Mais qu'as-tu vu? J'ai vu les secrets de
Dieu, dont l'homme ne peut parler, que dis-je! non, je ne
puis y parvenir avec des sens si lourds et si charnels. Je di-
rai seulement, ô mon âme, que tu as vu et goûté les profon-
deurs inénarrables de la souveraine et éternelle Providence.
4. — Et maintenant je vous rends grâces, ô Père, de l'im-
mense bonté que vous avez montrée envers moi, qui en suis
si indigne. Mais, parce que je sais que vous voulez bien sa-
tisfaire tous les saints désirs, et que votre Vérité ne peut
tromper, je souhaite que vous m'expliquiez un peu la vertu
d'obéissance et son excellence, ainsi que vous me l'ave/,
promis, afin que je me passionne pour elle et que je ne
éloigne jamais. Qu'il plaise à votre Majesté de me parler $|
sa perfection, du lieu où je pourrai la trouver, de ec qui
peut me la faire perdre et de ce qui peut nie la procurera
par quel signe saurai-je que je la possède ou que j'en suis
privée?
TRAITÉ DE L'OBÉISSANCE
CLIV. — Où se trouve l'obéissance, ce qu'elle est, ce qui la
fait perdre, et ce qui prouve qu'on la possède.
1. — Alors Dieu le Père jeta, dans sa bonté, un regard
miséricordieux sur cette âme, et il lui dit: Ma douce el
bien-aimée fille, les saints désirs et les demandes justes
méritent d'être exaucés. Je suis la Vérité soin
je remplirai les promesses que je t'ai faites, en exau-
çant ta prière. Tu me demandes où tu peux trouver l'o-
béissance, la cause qui peut te la faire perdre, et à quel
signe tu reconnaîtras que tu la possèdes, ou qu'elle te
manque.
2. — -le te répondrai d'abord que tu trouveras ['obéis
sance d'une manière parfaite dans mon aimable Verbe,
mon Fils unique. Cette vertu a été si ardente en lui,
que pour l'accomplir il s'est (''lancé vers la mort
minieuse de la Croix. Si tu veux savoir ce qui l'a fait
perdre, regarde le premier homme, et tu verras oommen)
il a transgressé le commandement que je lui avais im
posé. C'est l'orgueil qui lui a fait perdre l'obéissance,
par amour pour lui-môme et par complaisance pour sa
compagne. Telle fut la cause qui lui ravit l'obéissance,
et qui le fit tomber dans la révolte, perdre la vie de
la grâce et l'innocence, trouver la mort, la corruption
et la misère, non seulement pour lui, mais pour le genre
humain tout entier.
3. — Le signe qui prouve qu'on possède la vertu de l'obéis-
sance, c'est la patience. L'impatience, au contraire, montre
qu'on en est privé, ainsi que je te l'ai déjà fait clairement
comprendre. Mais remarque qu'il y a deux obéissances, une
bonne et une autre parfaite. Elle ne sont pas séparées
dialoci'e de Ste Cath. de S. — 21. 321
322
DIAI.of.li: DE SAINTE CATHERINE
mais elles sont unies ensemble, ainsi que je te l'ai expli-
qué en te parlant des préceptes et des conseils, dont les
uns sont bons et les autres parfaits.
•4. — Nul ne peut entrer dans la vie éternelle que par l'o-
béissance. C'est la clef de l'obéissance qui a ouvert la portl
du paradis, fermée par la désobéissance d'Adam. Quand ja
vis que l'homme, que j'aimais tant, était privé de la lin
glorieuse pour laquelle je l'avais créé, et qu'il ne pouvait
jamais revenir à moi par lui-rncmc, je me sentis forcé pur
inon ineffable bonté de prendre les clers de la sainte obéis-
sance et de les remettre aux mains de mon Fils hien-
aimé, qui, fidèle à mes ordres, ouvrit la porte du ciel ; et
nul, depuis, ne peut entrer par cette porte, si ce divin
Portier ne lui ouvre avec la clef de l'obéissance ; car il a
dit dans l'Évangile que personne ne peut venir à moi qui
par lui.
5. _ Mon Fils vous a laissé la douce clef de l'obéissance.
lorsque, retournant vers moi avec la palme de la victoire,
il est monté au ciel en s'éloignant des hommes. Il a cmitié
cette clef à son Vicaire, au Pape, qu'on peut bien appel-
le Christ sur terre auquel vous êtes tous obligés d'obéir
jusqu'à la mort. Si quelqu'un se sépare de son obéissance.
il est sans aucun doute en état de damnation, à moins qu'il
ne change avant de mourir, ainsi que je te l'ai explique
ailleurs.
G. — Je veux maintenant (pie tu voies cette belle vertu
de l'obéissance dans l'Agneau sans tache, et que tu com-
prennes d'où elle vient en lui. Si tu me demandes d'où
procède l'obéissance si prompte de mon Fils, tu saura
qu'elle vient de son amour pour mon honneur et pour vota
salut. F.t cet amour, d'où vient-il? De la claire vision que
son âme avait de l'essence divine et de l'éternelle Trinité.
11 me contemplait toujours, et cette vision produisait en lui
d'une manière parfaite cette fidélité que la lumière de ht
foi ne produit qu'imparfaitement en vous. Aussi m'a-t-il été
très fidèle, à moi qui suis son Prie: et il a couru à cette
lumière glorieuse dans la voie de l'obéissance, avec toute
l'ardeur de l'amour.
7. — L'amour n'est jamais seul ; il était accompagné tic
toutes les vertus royales, qui puisent la vie au foyer de I;
vraie charité. Mais les vertus étaient bien différentes en W
TRAITE UE L OBÉISSANCE.
Cil. CLIV
323
qu'en vous. Entre toutes, l'amour possède la vertu d'une
invincible patience, qui est comme sa moelle, et qui montre
clairement si une âme est en état de grâce, et si elle aime
véritablement ou non. La mère des vertus, qui est la cha-
rité, a donné la patience pour sœur à l'obéissance, et les a
tellement unies, qu'elles ne peuvent jamais vivre l'une sans
l'autre.
8. — L'obéissance a l'humilité pour nourrice ; c'est elle
qui l'alimente chaque jour. On est aussi obéissant qu'on est
humble, et aussi humble qu'on est obéissant. L'humilité est
la nourrice qui aide la charité, et qui nourrit de son lait
la vertu de l'obéissance ; elle la couvre d'opprobres, elle la
revêt du mépris de soi-même, afin de me plaire davantage.
Quel en est le plus parfait modèle? C'est mon Fils, le doux
Jésus. Qui s'est plus abaissé et méprisé? N'est-ce pas lui,
puisqu'il a été abreuvé d'opprobres, de moqueries et d'af-
fronts, puisqu'il a sacrifié sa vie corporelle pour me plaire?
Qui a été plus patient? Jamais on n'entendit sortir de sa
bouche la plainte ou le murmure ; il a reçu avec patience les
injures, et il suivit avec amour l'obéissance qui lui avait été
imposée par moi son Père.
9. — C'est donc en lui que vous trouverez la parfaite
obéissance ; il vous en a donné la règle en l'accomplissant le
premier lui-mémo. Sa doctrine vous enseigne la voie, puis-
qu'elle est la voie directe qui conduit a Celui qui est la vie,
et qui vous a dit dans l'Évangile qu'il était la voie, la vé-
rité et la vie (S. Jean, xiv, 6). Celui qui marche dans cette
voie est dans la lumière, et celui qui marche dans la lumière
ne se heurte pas, et n'est heurté par personne sans s'en
apercevoir, parce qu'il s'est retiré des ténèbres de l'amour-
propre, qui fait tomber dans la désobéissance. Car, comme
je te l'ai déjà dit, la compagne de l'obéissance est l'humilité.
10.— Je te le répète aussi, c'est de l'orgueil que procède la
désobéissance, qui vient de l'amour- propre. La sœur que
l'amour-propre donne à la désobéissance est certainement
l'impatience. L'orgueil la nourrit, et, au milieu des ténèbres
de l'infidélité , il fait courir l'âme dans la voie mauvaise,
jusqu'à ce qu'elle trouve la mort éternelle. Il vous faut tous
nécessairement lire dans le Livre glorieux où vous trouverez
l'obéissance enseignée avec toutes les autres vertus.
m.
324
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
CLV. — L'obéissance est la clef qui ouvre le ciel.
\. — Après t' avoir montré où se trouve l'obéissance, d'où
elle vient, quelle est sa compagne et qui la nourrit, je vais
te parler des obéissants et des désobéissants, de l'obéissance
générale et de l'obéissance particulière, c'est-à-dire de l'o-
béissance des préceptes et de celle des conseils.
2. — Toute votre foi est fondée sur l'obéissance, et c'est
par l'obéissance que vous vous montrez fidèles. Ma Vérité a
établi dans la loi les préceptes que vous devez observer ; le
plus grand est celui de m'aimer par dessus toute chose, et
d'aimer le prochain comme vous-mêmes. Et ces préceptes
sont tellement unis ensemble, que vous ne pouvez pas en
observer un sans observer tous les autres, ou en violer
un sans violer tous les autres.
3. — Si quelqu'un observe ces deux commandements, il
garde les autres, et il est fidèle envers moi et envers son
prochain ; il m'aime et il persévère dans ma charité, il est
obéissant par conséquent et se soumet à tous les préceptes
de la loi, et au prochain à cause de moi. Il souffre tout avec
patience et humilité, même la peine et l'injure qui lui vient
du prochain. Cette obéissance est d'une telle efficacité,
qu'elle vous donne la grâce, comme la désobéissance vous
a donné la mort.
4. — . Il ne suffirait pas que l'obéissance se fût troi
dans mon Verbe incarné pour votre salut, si elle ne se trou-
vait pas en vous. Car je te l'ai dit, c'est la clef qui ouvre le
ciel et mon Fils l'a remise et confiée aux mains d<
Vicaire. Son Vicaire la remet entre les mains de tous cea
qui, ayant reçu le baptême, promettent volontairement de
renoncer au démon, au monde et à ses pompes. C'est cette
promesse qui donne la clef de l'obéissance, et cette clef de
chacun est la même clef que celle du Verbe.
5.— Si quelqu'un ne marche pas à la lumière de la foi.
et ne cherche pas à ouvrir avec la main de l'amour cette
porte de la vie éternelle, il ne pourra jamais entrer avec
cette clef, quoique mon Verbe l'ait déjà ouverte. Je vous
ai créés sans vous, vous ne me l'avez pas demandé, et j<
vous ai aimés avant votre naissance; mais je ne peux pas
M
TRAITE DE L'OBÉISSANCE.
CH. CLV
325
^H
vous sauver sans vous. Il faut donc prendre à la main
cette clef de l'obéissance et ne pas vous arrêter, mais
marcher dans la voie de la Vérité incarnée, en suivant
fidèlement sa doctrine.
6.— Oui, vous ne devez pas vous arrêter à des choses
finies, en plaçant vos affections comme le font les insen-
sés qui suivent le vieil homme, Adam, qui jeta la clef
de l'obéissance dans la fange du péché, la brisa avec
le marteau de l'orgueil, et la laissa ronger par la rouille
de l'amour-propre. C'est pour cela que mon Fils bien-
aimé est venu avec cette clef de l'obéissance ; il l'a pu-
rifiée dans le feu de la charité divine ; il l'a retirée de
la fange et l'a parfaitement lavée dans son sang ; il l'a
redressée avec l'instrument de la justice, en travaillant
vos iniquités sur l'enclume de son Corps sacré ; il l'a si
bien réparée, que toutes les fois qu'un homme l'a faussée
par son libre arbitre, il peut la redresser par son libre
arbitre, avec ma grâce et les mêmes instruments.
7.— homme aveugle et malheureux, comment, lorsque
tu as brisé cette clef de l'obéissance, négliges-tu de la
réparer? Penses-tu que la désobéissance, qui a fermé le
ciel au premier homme, te l'ouvrira, et que l'orgueil
qui en a été précipité t'y fera monter ? Crois-tu entrer
aux noces avec un vêtement sale et déchiré ? Crois-tu
qu'en t'arrêtant et en t'enchaînant toi-même avec les liens
du péché, tu pourras marcher et ouvrir cette porte sans
clef? Ne te laisse donc pas ainsi abuser par l'imagination.
Il faut que tu sois délivré ; il faut sortir du péché mortel
par la contrition du cœur, par l'humble confession de la
bouche et la satisfaction des oeuvres, avec le ferme propos
de te corriger et de ne plus m'offenser.
8.— De cette manière tu mépriseras, tu dépouilleras, tu
jetteras par terre le vêtement qui te souille ; tu prendras
la robe nuptiale pour courir à la lumière de la foi, en
portant dans ta main cette clef de l'obéissance qui ouvre
la porte. Attache, attache cette clef avec le cordon de
l'abjection, du mépris de toi-même et du monde ; fixe-la
au saint désir de me plaire à moi, ton Créateur. Que ce
désir te soit comme une forte ceinture qui t'empêche tou-
jours de la perdre.
9.— Apprends, ma fille bien-aimée, que beaucoup pren-
I
H
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
neat la clef «le l'obéissance, parce qu'ils ont vu à la lumière
de la foi qu'ils ne pouvaient sans elle échapper à la
damnation ; mais ils la tiennent à la main, sans l'attacher
a ce cordon et à cette ceinture dont je te parle. Ils ne
.se ceignent pas du désir de me plaire, parce qu'ils s'ai-
ment eux-mêmes, et ils n'y pendent pas le cordon de
l'abaissement, parce qu'au lieu de souhaiter l'humiliation,
ils recherchent plutôt la louange des hommes.
10.— Ceux-là sont exposés à perdre la clef de l'obéis-
sance lorsqu'il leur arrive quelque peine, quelque épreuve
.spirituelle ou corporelle; et s'ils n'y font attention, il>
peuvent la perdre pour toujours, en négligeant de retrou-
ver à temps le saint désir; car, pendant qu'ils vivent,
ils peuvent s'ils veulent, ressaisir la clef de l'obéissance;
mais s'ils ne savent pas vouloir, ils ne la retrouveront
jamais. Et qui est-ce qui montrera qu'ils l'ont perdue.'
L'impatience, parce que la patience est la compagne insépa
rable de l'obéissance. Dés que quelqu'un n'est pas patient,
il est évident que l'obéissance n'habite pas son Ame.
11. _ oh! combien est douce et glorieuse cette vertu
de l'obéissance, par laquelle existent toutes les autres
vertus, parce qu'elle est née de la charité! Sur elle est
fondée la pierre de la sainte foi ; c'est une reine magni-
fique ; celui qui l'épouse est riche de tous les biens et nci
ressent jamais aucun mal." Tous ses jours sont pleins de
paix et de repos ; les flots d'une mer irritée ne peuvent lui
nuire par leurs orages. Le centre de son âme est inacces-
sible à la haine, même au temps de l'injure, parce qu'il
veut obéir et qu'il connaît le précepte du pardon.
12.— Il ne sent aucune amertume lorsque ses désirs ne
sont pas satisfaits, parce que l'obéissance fait qu'il ne désire
réellement que moi, qui peut, qui sait, qui veut satisfaire
tous ses désirs. Il s'est dépouillé de toutes joies mondaines,
et il trouve en toutes choses une heureuse paix, car il a
épousé cette grande reine, l'obéissance, que j'ai comparée;!
une clef.
13. _ o douce obéissance, qui navigues sans peine et qui
arrives sans péril au port du salut ! tu ressembles au Verbe,
mon Fils bien-aimé ; tu montes la barque de la sainte Croix,
tu es prête à tout souffrir plutôt que de manquer à l'obéis-
sance de mon Verbe et de t'éloigner de sa doctrine. Elle e
TRAITÉ DE L'OBÉISSANCE.
CH. C.LVI
3'27
pour toi comme une table sur laquelle tu prends la nour-
riture des âmes, en te passionnant d'amour pour le pro-
chain. Tu es toute parfumée d'une humilité sincère, et tu
ne désires rien de ton prochain en dehors de ma volonté.
Tu es droite sans détour, parce que tu rends le cœur sim-
ple et charitable sans réserve et sans dissimulation. Tu es
comme l'aurore qui annonce la lumière de la grâce divine;
tu es comme le soleil qui réchauffe celui qui te possède,
parce que l'ardeur de la charité ne t'abandonne jamais.
Chaque jour tu fécondes la terre, parce que tu fais produire
au corps et à l'âme un fruit qui donne la vie à l'homme et à
son prochain.
14.— Tu plais à tout le monde, parce que ton visage n'est
troublé par aucun orage, mais qu'il est toujours éclairé par
la douce lumière de la patience. Ton calme vient de ta force ;
tu es si grande et si puissante par ta persévérance, que tu
vas de la terre jusqu'au ciel, et que tu l'ouvres par son
moyen. Tu es une perle précieuse, mais cachée, que beau-
coup méconnaissent et que le monde foule aux pieds; mais
en te méprisant toi-môme et en te faisant petite en toute
occasion, tu élèves les créatures qui te possèdent. Ton
pouvoir est si grand, que personne ne peut te commander,
parce que tu es affranchie de la servitude mortelle de la
sensualité, qui détruisait la grandeur. En tuant cet ennemi
avec la haine et le mépris de toi-môme, tu as reconquis
toute ta liberté.
CLV1. — De la misère des désobéissants et de l'excellence
des obéissants.
1.— Ma fille bien-aiinée, tout ce que ma bonté a fait, a
été fait pour que le Verbe, mon Fils unique, réparât cette
clef de l'obéissance. Les hommes du monde, qui n'ont au-
cune vertu, ne veulent pas s'en servir ; ils sont au contraire
comme des animaux sans frein, car ils n'ont pas le frein
de l'obéissance, et ils vont de mal en pis, de péché en
péché, de misère en misère, de ténèbres en ténèbres, de
mort en mort, jusqu'à ce qu'ils tombent dans l'abîme de
la dernière mort, où le ver de la conscience les ronge éter-
nellement.
328
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
^
5J.— Us pourraient bien revenir à l'Obéissance et se sou-
mettre aux préceptes de la loi ; ils ont encore le temps de
pleurer dans leur cœur, mais parce qu'ils ont vieilli dans
la désobéissance, il leur est difficile de rompre cette longue
babitude du péché. Personne ne doit compter sur des délais,
et il est bien dangereux d'attendre le moment de la mort
pour ressaisir la clef de l'obéissance. On peut, on doit même
espérer en moi pendant toute la vie présente; mais c'est
s'exposer beaucoup que de différer sa conversion, et de
compter sur un temps qu'on n'a pas, tandis qu'on perd
celui que ma grâce accorde.
3.— Quelle est la cause de ce malheur et de cet aveugle-
ment, si ce n'est les hommes qui méconnaissent ce trésor?
Les nuages de l'amour-propre et de l'orgueil les ont séparés
de l'obéissance et fait tomber dans la révolte. Parce qu'ils
ne sont plus obéissants, ils ne sont plus patients, et leur
impatience leur cause des maux insupportables. Ils sont
détournés de la voie de la vérité pour se perdre dans celle
de l'erreur et du mensonge ; ils deviennent les esclaves et
les amis des démons, et s'ils ne se corrigent pas, ils se
précipitent par leur désobéissance dans les flammes éter-
nelles, avec les démons dont ils ont reconnu le pouvoir.
4.— Ceux, au contraire, qui observent la loi de mon Fils
bien-aimé se réjouissent dans leur obéissance, et goûtent
d'une manière ineffable mon éternelle vision, avec l'agneau
sans tache qui a fait, gardé et donné la loi. En l'accom-
plissant pendant la vie présente, ils ont trouvé la paix, et
dans la vie bienheureuse ils reçoivent et goûtent une paix
plus parfaite encore, parce que là se trouvent une paix sans
orage, un bien sans mélange, une confiance sans crainte,
des richesses infinies sans défaut, une satiété sans dégoût,
une faim sans peine, une lumière sans ténèbres, un bon-
heur suprême, infini, sans borneset sans limites, un bon-
heur que partagent tous les bienheureux.
5. — Qui a pu donner à l'homme tant de joie ? Le sang
de l'Agneau, dont la vertu a dépouillé de la rouille la ciel"
de l'obéissance, avec laquelle vous pouvez ouvrir la por»
du ciel. Oui, c'est l'obéissance qui l'a ouverte par la vertu
de ce Sang.
G.— O malheureux insensés ! ne différez donc plus de
sortir de la boue de la corruption et du péché. Il semble
TRAITE DE L OBEISSANCE.
Cil. CLVII
329
que vous vous plaisez à vous vautrer dans les ordures de
la chair comme le pourceau dans les immondices et la
fange. Laissez donc les injustices, la haine, l'homicide, la
vengeance, les injures, les murmures, les jugements témé-
raires, la cruauté envers le prochain, le vol, le mensonge, la
trahison et les jouissances déréglées de la fortune ; abat-
tez les cornes de l'orgueil. Si vous le faites, vous éteindrez
la haine que nourrit votre cœur contre celui qui vous a fai t
injure.
7. — Comparez donc les injures que vous me faites et
que vous faites au prochain avec celles qui vous sont
faites, et vous verrez que vous n'avez aucun droit de vous
plaindre. Quand vous êtes l'ennemi de votre prochain, vous
me faites injure, parce que vous méprisez et transgressez
mon commandement. Vous offensez aussi votre prochain en
vous dépouillant des sentiments de charité à son égard.
8. — Il vous est ordonné de m'aimer par dessus toutes
choses et d'aimer le prochain comme vous-mêmes ; il n'y a
pas de commentaire qui ajoute : A moins qu'il ne vous
fasse injure. Il a été dit au contraire par ma Vérité, que ce
qu'elle a observé parfaitement, vous devez l'observer parfai-
tement vous-mêmes. Si vous ne l'observez pas, vous faites
tort à votre âme en la privant de la grâce.
9. — Prenez donc, oui, prenez la clef de l'obéissance à la
lumière de la foi. Ne marchez pas dans l'aveuglement et la
tiédeur, mais maintenez l'obéissance dans votre cœur avec
l'ardeur de la charité, afin qu'un jour, avec les observateurs
de la loi, vous goûtiez l'éternelle félicité.
CLVII. — De ceux qui aiment tant l'obéissance, qu'ils ajou-
tent à l'observation générale des préceptes une obéissance
plus particulière.
1.— Ma fille bien-aimée, il en est en qui augmente tel-
lement l'amour de l'obéissance, qu'ils ne veulent plus se
contenter de l'obéissance générale aux préceptes de la loi,
que vous êtes toujours obligés d'observer, si vous voulez
avoir la vie et ne pas tomber dans la mort éternelle ; ils
tendent à la perfection en recherchant une obéissance plus
:s:m
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
particulière et plus parfaite, qui consiste à observer les pré-
ceptes et les conseils mentalement et réellement.
2. — En effet, il n'y a pas d'ardent amour sans haine de
la sensualité, et avec cet amour croit nécessairement cette
haine Ceux-là donc, à cause de cette haine et pour tuer
entièrement leur volonté propre, veulent se lier sous le joug
d'une règle religieuse, ou, en dehors d'un Ordre, sous l'o-
béissance plus étroite de quelqu'un qu'ils prennent pour
supérieur, afin de marcher plus rapidement et d'ouvrir plus
sûrement avec la clef de l'obéissance la porte de la vie
éternelle. Ce sont ceux qui choisissent l'obéissance parfaite.
a. — Je t'ai parlé de l'obéissance générale; mais puisque
tu veux que je te parle spécialement de cette obéissance
parfaite, je vais t'en entretenir. Elle n'est pas séparée de
la première, elle est seulement plus parfaite ; mais elles
sont si unies, qu'elles ne peuvent exister l'une sans l'autre.
Je t'ai dit d'où vient l'obéissance générale, où elle se
trouve et ce qui vous la fait perdre ; je t'expliquerai de la
même façon l'obéissance particulière.
CLVIIL— De quelle manière on parvient de l'obéissance
générale à l'obéissance particulière.
1. — L'âme qui, avec un amour sincère, a pris le joug de
l'obéissance aux préceptes, en suivant la doctrine de ma
Vérité, et en s'cxerçant par des actes de vertu à cette obéis-
sance générale, arrive à la seconde obéissance par la lu-
mière qui l'a conduite à la première. La sainte lumière de la
foi lui fait connaître par le sang de l'humble Agneau la vé-
rité de l'amour ineffable que je lui porte, et la faiblesse qui
la rend incapable d'y répondre avec la perfection que je
mérite. Et alors, à l'aide de cette lumière, elle cherche le
lieu et le moyen de s'acquitter envers moi, de surmonter sa
faiblesse et de tuer sa volonté.
± — La foi lui montre le lieu qu'elle cherche; c'est la vie
religieuse établie par l'Esprit Saint comme une barque pour
recevoir les âmes qui veulent atteindre la perfection et par-
venir au port du salut. Le patron de cette barque est l'Es-
prit Saint, que personne ne peut mettre en défaut ; car le
religieux qui désobéit à ses ordres ne nuit pointa la barque
TRAITE DE L OBEISSANCE. — Cil. CLVIII
331
et ne nuit qu'à lui-même. Il est vrai que, par la faute de ce-
lui qui tient le gouvernail, la barque peut être battue par
la tempête. Les mauvais pilotes sont les supérieurs qui
remplissent d'une manière si déplorable les fonctions que
leur a confiées le patron de cette barque. Cette barque est
plus désirable que ta langue ne saura jamais le dire.
3. — Lorsque cette âme augmente ainsi le feu de son
amour par la sainte haine d'elle-même, et qu'elle trouve,
par la lumière de la foi, la barque de la vie religieuse,
elle y entre morte à elle-même, si elle est véritablement
obéissante, c'est-à-dire si elle a déjà parfaitement observé
l'obéissance générale. L'imperfection qu'elle y apporte ne
l'empêchera pas de parvenir ensuite à la perfection. Elle y
parviendra à mesure qu'elle s'exercera davantage à l'obéis-
sance.
4. — La plupart de ceux qui entrent en religion sont
encore imparfaits. Les uns le font par légèreté d'âge, les
autres par crainte, d'autres pour y trouver des consola-
tions ou des jouissances. L'important est qu'ils fassent bien
ce qu'ils ont entrepris et qu'ils y persévèrent jusqu'à la
mort. Ce n'est pas sur le commencement, mais sur la fin
que porte le jugement. Beaucoup qui paraissent parfaits
d'abord regardent ensuite en arrière ou restent dans leur
Ordre avec une grande imperfection. Les motifs et les cir-
constances avec lesquels on entre en religion ne sont rien ;
c'est moi qui les fais naître en appelant chacun de diffé-
rentes manières. Ce qu'il faut seulement considérer, c'est
l'amour avec lequel on persévère dans la véritable obéis-
sance.
5. — Cette barque de l'obéissance est pleine de richesses,
et celui qui s'y trouve n'a pas à se préoccuper de ses be-
soins spirituels ou temporels; car celui qui obéit vérita-
blement et qui observe la règle a pour patron le Saint Es-
prit lui-même. Je te l'ai dit en te parlant de ma provi-
dence, mes serviteurs peuvent être pauvres, mais jamais
misérables, parce que je fournis chaque jour à leurs be-
soins. Ceux qui se soumettent à une règle le savent par
expérience.
6. — En effet, tu vois qu'au moment où les Ordres reli-
gieux florissaient davantage par l'esprit de pauvreté et de
charité fraternelle, jamais leurs moyens de vivre n'ont di-
I
1
i
332
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
minué ; ils se trouvaient plutôt du superflu. Mais dès que
le poison de l'amour-propre eut introduit le désir de vivre
séparément, et que l'obéissance eut disparu, leurs res-
sources temporelles se sont amoindries et plus ils po
daient, plus ils avaient de nécessités. Même dans les plus
petites choses, ils devaient éprouver le fruit que porte la
désobéissance ; car, s'ils avaient été obéissants et fidèles au
vœu de pauvreté, ils n'auraient pas possédé quelque
chose et vécu séparément.
7. — Tu trouveras dans cette barque le trésor de ces
saintes règles, composées avec tant de sagesse et de lu-
mière par ceux qui étaient les temples du Saint Esprit.
Regarde avec quelle science Benoit sut disposer sa barque ;
considère les parfums de pauvreté et les diamants de ver-
tus dont François enrichit la barque de son Ordre, qu'il con-
duisit à une si haute perfection : il la monta lui-même le
premier, et donna l'exemple de ce mariage avec la sainte-
pauvreté à laquelle il s'était attaché par l'amour de l'abais-
sement et par le mépris de lui-même. Il ne désirait plaire
à aucune créature en dehors de ma volonté ; il recherchait
les humiliations du monde ; il macérait son corps et détrui-
sait sa volonté; il se couvrait d'opprobres et d'ignominies par
amour pour l'humble Agneau que l'amour a cloué et percé
sur la Croix, tellement que, par une grâce extraordinaire,
les plaies sacrées de mon Verbe apparurent sur son corps
pour manifester, dans sa chair, l'ardeur qui dévorait son
âme : c'est ainsi que François fraya la route aux autres.
8. — Tu me diras: Est-ce que les autres Ordres ne sont pas
fondés sur la pauvreté ? Si, assurément. Mais pour tous elle
n'est pas la chose principale : tous peuvent s'affermir sur la
pauvreté; mais, comme dans les vertus qui tirent leur vie de
la charité il y en a de spéciales aux uns et aux autres, quoi-
qu'elles aient toutes la même origine, mon cher pauvre Fran-
çois eut pour sa part la vraie pauvreté ; c'est par amour
pour elle qu'il construisit sa barque, et qu'il y plaça des
hommes d'une rare perfection; ils n'étaient pas nombreux,
mais excellents. Il y en a peu maintenant qui choisissent,
cette perfection. Hélas ! ils ont augmenté en nombre et di-
minué en vertu ; et ce n'est pas la faute de la barque, mais
c'est la faute de ceux qui n'obéissent pas et qui commandent
mal.
■1
TRAITE DE L OBEISSANCE. — CH. CLVIII
333
9. — Si tu regardes la barque de ton père Dominique, mon
fils bien-aimé, tu verras qu'il y a parfaitement tout disposé
pour m'honorer et sauver les âmes par la lumière de la
science : en prenant cette lumière pour principe de son œu-
vre, il n'a pas renoncé à la pauvreté volontaire ; il l'a em-
brassée aussi, et, afin de le prouver, il a laissé pour toujours
dans son testament à ses fils, sa malédiction et la mienne,
sur tous ceux qui posséderaient ou retiendraient quelque
chose, d'une manière générale ou particulière : c'était mon-
trer qu'il avait pris pour épouse la royale pauvreté. Mais,
comme bien spécial, il choisit la lumière de la science, afin
de détruire les erreurs qui s'étaient élevées de son temps. Il
prit la charge du Verbe, mon Fils unique, et il parut comme
un apôtre dans le monde, tant il sema ma parole avec ar-
deur, dissipant les ténèbres et répandant partout la lumière.
10. — Ce fut un flambeau que je donnai aux hommes par
l'intermédiaire de Marie, pour détruire les hérésies. Oui, ce
fut par l'intermédiaire de Marie; car c'est elle qui lui donna
l'Habit : ma bonté lui en avait confié le soin. Sur quelle ta-
ille prenait-il avec ses enfants la lumière de la science ? sur
la table de la Croix, qui est la table des saints désirs, où on
se rassasie des âmes en mon honneur. Dominique voulait
que ses enfants fussent sans cesse occupés à cette table
pour chercher, à la lumière de la science, la gloire de mon
nom et le salut des âmes. Afin de les empêcher de songer à
autre chose, il leur ôta le soin des biens temporels; il voulut
qu'ils fussent pauvres ; il montrait qu'il ne craignait pas de les
voir manquer de rien ; car il était revêtu d'une foi puissante,
et il espérait d'une espérance ferme en ma providence.
41. — Il prescrivit l'obéissance, et voulut que chacun fût
fidèle à la tâche qui lui était imposée ; et comme une
vie sensuelle obscurcit la lumière de l'intelligence, et que
les excès de la débauche éteignent même les yeux du
corps, il prit un moyen pour conserver la vue et acquérir
plus parfaitement la lumière de la science. Il établit le
vœu de continence, et voulut qu'il fût observé par tous
avec une vraie et parfaite obéissance. Mais aujourd'hui
combien sont infidèles ! Ceux-là cachent la lumière de la
science par les ténèbres de l'orgueil ; ces ténèbres n'obs-
curcissent pas la science elle-même, mais seulement leur
âme. Où est l'orgueil, là ne peut être l'obéissance.
•' *-•
:cii
DIALOGCE DE SAINTE CATHERINE
12. — .le te l'ai ilit, l'humilité est la mesure de l'obéis-
sance, et l'obéissance la mesure de l'humilité : celui qui
viole le vœu d'obéissimce respecte rarement celui de con-
tinence dans ses actes ou ses désirs. Ton père Dominique
a mis à s:i barque trois cordages, qui sont la chasteté,
l'Obéissance et la vraie pauvreté: il a mis dans sa règlo
une grande modération, puisqu'il n'y a pas obligé les aines
sous peine de péché mortel. En cela je l'ai éclairé de nia lu-
mière, dans l'intérêt de ceux qui seraient moins parfaits,
car, quoique tous ceux qui se soumettent à la règle soient
dans un état de perfection, les uns vivent d'une manière
plus parfaite que les autres ; mais les parfaits et les im-
parfaits sont tous dans la barque. Dominique est ainsi
d'accord avec ma Vérité, puisqu'il ne veut pas la mort
du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive.
•13. — Aussi sa religion est toute large, toute joyeuse,
toute parlumée ; c'est un jardin de délices, mais les mal-
heureux qui n'en observent pas la règle le rendent in-
culte et sauvage ; la vertu y répand à peine quelque odeur,
et la lumière de la science s'affaiblit en ceux qui s'y nour-
rissent. Ce jardin si désirable n'était point ainsi dans son
principe ; les fleurs y abondaient, et les religieux y étaienl
d'une grande perfection ; ils ressemblaient à saint Paul
par la lumière, et les ténèbres de l'erreur se dissipaient
en leur présence.
ii. — Regarde le glorieux Thomas, dont l'admirable in-
telligence contemplait ma Vérité, qu'il acquérait par une
lumière surnaturelle et par une science infuse ; il dut cette
grâce beaucoup plus à ses prières qu'à ses études. Aussi
fut-il un flambeau resplendissant qui éclaira son Ordre et
le corps mystique de la sainte Église, dont il éloigna toutes
les hérésies.
15. — Regarde Pierre, vierge et martyr, qui combattit
l'erreur avec son sang. Il l'avait eu si grande horreur,
qu'il résolut d'y sacrifier sa vie. Tant qu'il respira, il ne
lit autre chose que prier, prêcher, disputer avec les héré-
tiques, confesser, annoncer la vérité et répandre la foi sans
rien craindre. Il la confessa pendant toute sa vie et jus-
qu'à son dernier soupir. Au moment d'expirer, la voix et
l'encre lui manquaient: il trempa le doigt dans le sang
qui sortait de sa blessure, et comme il n'avait pas de pa-
T1IAITE DE L OBEISSANCE. — Cil. CLTX
335
pier, ce glorieux martyr s'inclina vers la terre pour y écrire
cette profession de foi : Credo in Deum. Son cœur était tel-
lement embrasé de ma charité, qu'il ne ralentit pas sa
course, et qu'il ne tourna pas la tète en arriére, lorsqu'il
apprit qu'il devait mourir. Te le lui avais annoncé; mais,
en vrai chevalier, il ne connut pas la peur, et s'élança sur
le champ de bataille.
16. — Je pourrais t'en citer bien d'autres qui, sans éprou-
ver le martyre dans leur corps, le reçurent dans l'âme com-
me le bienheureux Dominique. C'étaient là les ouvriers que
le Père de famille envoyait travailler à sa vigne, pour en
arracher les épines du vice et y planter des vertus. Oui,
Dominique et François étaient véritablement les deux co-
lonnes de l'Église : François par la pauvreté qui a été son
partage, et Dominique par ia science.
CL1X. — Des obéissants et des désobéissants qui vivent en
religion.
1. — Ainsi le lieu de l'obéissance est trouvé : ce sont ces
barques admirables que le Saint Esprit a fait préparer par
les fondateurs d'Ordres à la sainte lumière de la foi ; c'est
lui-même qui en est le patron. Maintenant je te parlerai
de l'obéissance et de la désobéissance de ceux qui sont
dans ces barques, d'une manière générale et sans te dési-
gner aucun Ordre en particulier ; je te signalerai la faute
de ceux qui désobéissent et la vertu de ceux qui obéissent,
pour que tu les apprécies par leur opposition et que tu
saches comment doit faire celui qui veut entrer dans la vie
religieuse.
2. — Quelle route doit suivre celui qui veut arriver à l'o-
béissance parfaite ? Il doit suivre la lumière sainte de la
foi, qui lui apprendra qu'il faut tuer sa volonté avec le glaive
de la haine de toute sensualité, et qu'il faut prendre l'épouse
et la sœur que lui donnera la charité. Cette épouse, c'est
l'obéissance sincère et prompte ; sa sœur est la patience.
Il faut aussi sa nourrice, l'humilité ; Car, si elle ne l'avait
pas pour la nourrir, l'obéissance mourrait de faim.
3. — Oui, l'obéissance ne peut vivre dans l'âme où ne se
trouve pas cette bonne vertu de l'humilité. L'humilité n'est
.«rjl
336
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
jamais seule, elle est servie par l'abaissement et par le mé-
pris du monde et de soi-même. L'âme qui se trouve mépri-
sable ne désire pas les bonneurs, mais les affronts ; elle
doit mourir en entrant dans la barque de la vie religieuse,
quand le moment est venu. L'âge et les circonstances va-
rient selon les appels de ma providence ; mais dès qu'on
est entré, il faut acquérir cette perfection et prendre fran-
chement, joyeusement, la clef de l'obéissance â la règle.
4. — Cette clef ouvre la petite porte qui est à l'entrée du
ciel, de même que les grandes portes en ont une particu-
lière qui n'est pas ouverte à tout le monde. Ceux qui vont
au delà de l'obéissance commune prennent une clef plus
petite qui leur permet d'entrer parla porte étroite et basse.
Cette porte n'est pas séparée de la grande ; quand ils en
ont la clef, ils doivent la garder et ne pas la jeter loin
d'eux.
5. — Les vrais obéissants voient, à la lumière de la foi,
«pie le fardeau des richesses et le poids de leur propre vo-
lonté leur causeraient une grande fatigue pour entrer par
cette petite porte, et qu'ils risqueraient de se tuer en levant
la tête là où il faut bon gré mal gré la baisser ; il se débar-
rassent alors de leurs richesses et de leur volonté, en ob-
servant le vœu de pauvreté volontaire. Ils ne veulent rien
posséder, parce qu'ils voient à la lumière de la foi à quelle
ruine ils s'exposeraient sans cela, puisqu'ils transgresse-
raient l'obéissance, en n'étant pas fidèles à leur voeu de
pauvreté.
G. — Ils se rendraient également coupables d'orgueil en
levant la tête de leur volonté. Toutes les fois qu'il faut o-
béir, si ce n'était pas l'humilité, mais la force qui leur faisait
baisser la tête, elle serait brisée par la violence, et cette
obéissance ne pourrait plaire à leur supérieurs et à leur
Ordre. Ils arriveraient alors graduellement à une autre ré-
volte et tomberaient dans l'incontinence.
7.— Ceux qui ne règlent pas leurs désirs et ne se dé-
pouillent pas des biens temporels, multiplient leurs rela-
tions et trouvent beaucoup d'amis qui les aiment par inté-
rêt; ces rapports entraînent des affections secrètes. Lent
corps vivent dans les délices. Ils n'ont pas pour se soutenir
l'humilité et le mépris d'eux-mêmes ; ils recherchent le
bien-être, le plaisir, les délicatesses, comme des grands sei-
TRAITE DK L OBEISSANCE.
CIT. CLIX
337
gneurs, et non comme des religieux; ils abandonnent ses
veilles et la prière.
8. — Ils font d'autres chutes parce qu'ils ont de quoi
dépenser ; cela n'arriverait pas s'ils n'avaient rien. Ils
tombent dans des souillures spirituelles et corporelles. Si,
par honte ou par impuissance, ils ne font pas matérielle-
ment le mal, ils le commettent au moins dans leurs cœurs.
Celui qui recherche les conversations, les délicatesses du
corps, les plaisirs de la table, sans veiller et sans prier, ne
pourra jamais conserver la pureté de son âme.
9.— Celui qui obéit parfaitement au contraire aperçoit
sur-le-champ, à la sainte lumière de la foi, le mal et les
ruines que causent la possession des biens temporels et le
fardeau de la volonté propre. Il comprend qu'il faut
passer par la porte étroite, et qu'il y perdrait la vie, s'il ne
l'ouvrait avec la clef de l'obéissance; car je t'ai dit que
c'était là le moyen. Tant qu'il est clans la barque de la vie
religieuse, il suit bon gré mal gré la route étroite de l'obéis-
sance à son supérieur.
-10.— L'obéissant parfait s'élève au dessus de lui-même
et domine ses sens ; 1 ien triomphe par la foi vive. Il place
dans son âme la haine du moi, pour la servir et pour en
chasser son ennemi, l'amour-propre; car il veut préserver de
toute offense l'obéissance, cette épouse bien-aimée que lui
a donnée la charité, sa mère, à la lumière de la foi. Il
chasse avec une sainte rigueur celui qui s'élève contre elle,
i!t il lui donne ses compagnes et sa nourrice. Dès que la
haine a chassé l'ennemi, l'amour de l'obéissance introduit
dans l'âme les amies de son épouse : ce sont les vertus sin-
cères, l'habitude, l'observance Adèle de la règle. Cette
aimable épouse entre dans l'âme avec sa sœur, la patience
et sa nourrice, l'humilité, qu'accompagnent l'abaissement et
le mépris de soi-même.
11.— Dès que l'obéissance est entrée, l'âme possède la
paix et le repos, parce que ses ennemis sont dehors. Elle
est dans le jardin de la véritable continence avec le soleil
qui éclaire l'intelligence, et fait contempler à l'œil de la
foi ma Vérité incarnée, son unique objet. Elle ressent aussi
le feu d'une tendre charité qui embrase tous ses amis et
ses compagnons, parce qu'elle observe la règle avec un ar-
dent amour.
Dialogue do S. Cath. do S.
338
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
12 - Quels sont ses ennemis qui sont dehors? Le princi-
pal est l'amour-propre, qui produit l'orgueil; c'est l'ennemi
de la charité et de l'humilité. L'impatience est opposée à la
patience, la révolte à l'obéissance, l'infidélité a la foi. La
présomption et la fausse confiance combattent la ventante
espérance que l'âme doit mettre en moi. L'injustice ne peut
exister avec la justice, l'imprudence avec la prucenee,
l'intempérance avec la tempérance, la violation de la rè-
ole avec son observance. Les mauvaises conversations des
méchants ne peuvent s'allier avec les saintes relat.ons : ce
Tont des ennemis qui ruinent les habitudes et les «sages
salutaires de la vie religieuse. Il faut craindre eurs cruelles
attaques. La colère combat contre la douceur, la haine de la
vertu contre son amour, la volupté contre la pureté la ne-
<,li<,ence contre le zèle, l'ignorance contre la science, le som-
meil contre les veilles et la prière persévérante.
13 _ Dès que la lumière de la foi lui a fa.t apercevoir
ces ennemis qui voulaient souiller la sainte obéissance,
l'âme envoie, la haine pour les chasser, et l'amour pour in-
troduire ceux qui lui sont chers. Mors la haine tue avec
son glaive la volonté mauvaise, qui, nourrie par 1 amour-
propre, donnait la vie à tous les ennemis de la véritable
obéissance. Une fois qu'est détruit le principe qu. i es en re-
tenait l'âme est libre et possède la paix. Qui lui ferait la
guerre, puisqu'elle est délivrée de tout ce qui cause le trou-
ble et la tristesse ? poi'in-
14 _ Qui pourrait nuire à l'âme obéissante? Est-ce 1 in
jure ? Non, car elle est patiente ; la patience est sœur de
'obéissance. Est-ce le fardeau de la vie rehg.euse ? Non
puisqu'elle le porte volontairement. Les «^res ngoureux de
ses supérieurs lui causeront-ils quelque peine ? Non, ca.
elle a Lié aux pieds sa volonté, et jamais elle n'examine
et ne juge les obligations qu'on lui impose, parce que la lu-
mière de la foi lui fait voir ma volonté dans ces obligation*
E le ait que ma bonté les lui envoie ^s l'intérêt de soi,
salut. Aura-t-elle du dégoût et de l'ennui dans les plus
viles occupations ?soun:rira-t-elle des reproches des injure*
desalïronts qu'elle re,oit, et des mépris dont eheest U> ■
Non, puisqu'elle aime l'abnégation et quelle se dttest
sincèrement. . . .„
15. - Elle se réjouit au contraire dans la patience, et treà
TRAITÉ DE L'OBÉISSANCE. — GH. CLIX 339
saille d'allégresse à cause de l'obéissance, sa chère épouse.
Elle s'attriste seulement quand elle voit offenser son Créa-
teur. Sa conversation est avec ceux qui me craignent vérita-
blement ; et si elle parle avec ceux qui sont séparés de ma
volonté, ce n'est pas pour contracter leurs défauts, c'est
pour les retirer de leur misère. La charité du prochain lui
fait désirer de communiquer à d'autres le bien qu'elle
possède, parce qu'elle voit que mon nom serait plus glo-
rifié, si elle donnait à beaucoup son obéissance à la règle.
Aussi elle s'applique à y attirer les religieux et les sécu-
liers par ses paroles et ses exemples. Tous ses efforts
tendent à les retirer des ténèbres du péché mortel. Toutes
les conversations de l'obéissant véritable sont bonnes et
parfaites ; qu'il parle avec les justes ou avec les pécheurs
il suit toujours les règles d'une charité droite et expansive'
16. — Sa cellule est un ciel où il se plait à s'entretenir
avec moi, l'éternel et souverain Bien ; l'amour l'empêche
d'y être oisif, et le porte à m'adresser d'humbles et conti-
nuelles prières. Quand le démon lui envoie des pensées
dangereuses, il ne s'endort pas dans la négligence ■ il ne
s'arrête pas à discuter les mouvements de son cœur et à
prendre des résolutions stériles ; mais il s'arme aussitôt
d une sainte haine contre lui-même et contre ses sens II
supporte avec patience et humilité les tentations qu'il
éprouve, et il leur résiste par les veilles et la prière en
fixant vers moi le regard de son intelligence, et en voyant
a la lumière de la foi que je suis son protecteur, qui peux
qui sais et qui veux le secourir. Alors je lui ouvre les bras
de ma bonté, pour qu'en se fuyant lui-même il se réfugie
en moi.
17. - S'il lui semble ne pouvoir plus faire l'oraison
mentale, à cause de la fatigue et des ténèbres de son
ame, il a recours à la prière vocale et à quelque exer-
cice corporel pour ne pas rester en repos; il se tourna
vers moi, qui lui accorde tout avec une paternelle ten-
dresse. Son humilité sincère lui persuade qu'il est indi-
gne de la paix et du repos dont jouissent mes autres
serviteurs, et qu'il ne mérite que des tourments ; il a
pour lui tant de mépris et de sainte haine, qu'il lui sem-
ble qu'il ne pourra jamais souffrir assez. Cependant il
espère toujours en ma providence, et, avec le secours de
■
i
^
m DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
;i inverse tous les orages dans
la foi el ^IfTStf "il recueille labori^e-
la barque de la e re ^ abondants .
ment dans sa cellule ces & cntrer au
18. - Celui <ï-;^ X Îq U -dilvoit un religieux
chœur, et le derme, à ^»™ T ^ u concoit une sainte en-
plM obéissant et plus zél J*jel«M sans " VO uloir cependant
;^mtsr^^V' s,illevoulaMlsese "
parerait delà charité qu'il l *»***£ au rêfectoire; il y est
19 . __ V^n^.^X pauvres, pour prouver
Adèle et se plaît à man^c ^ meme de sa
qu'il n'aime pas te . ex ^P ,° n son vœu de pauvreté,
part, et il observe «£*£££ aux nécessités de son
qu'il se reproche ce qud accora^ ^ ^
corps. Au lieu de beaux ^merrt^ ^ yo _
parfums de la pauvre te » a ^ rongent ses vête-
leU ^^tth C u^è Wi U ne songe pas a U
20. - Il ne s'niquiete pas au ngée ^ le foy .
ce qui suffit à ch^ue lom. Son u q ; _^ _
au me du ciel et a vraie o bu&anc q ^^
ver le mieux qu'il 1™ est. po » lb ^ P M petit c011im e au
est la voie la plus rt», *■• sou p ^
grand, au riche comme au pauvre ^ fe ^^
cun, ne refusant ^cuuo jal«ue e & ^ ^.^ e ,
avec amour. L'obérssan ne _veut P o _ ^ ^ ^ . gon
choisir le moment et le heu
supérieur, et cela san, pe ne et sa ^ faitpasser par
21. - Son obéissance «j£^« dlfflcu lté, sans vio-
la porte étroite de la vie 'el'8« té> d'obéd-
ience, parce qu'il observes^ ^ vœux I w^ J&
sance, de chasteté. : J «ta je «y ^ ^ ^ , m .
avec soumission et humiUte, persévérance,
patience, mais il est £ruen avec ^ &
ainsi que l'aune ^' Ll ^ cel . ant sa chair, en la privant
dém on en mortifiant et en maceran ^
de toute délicatesse de tout ^ ^ nfl méprisao t
I» fatigues de ^ règle, en acce p* rcssentil ,,e,u
ri*. Semblable à l'enfant qm ne, ar ^ sQnt faites
des corrections de son père et des inju
TRAITÉ DE L'OBÉISSANCE. — Cil. CLX
341
il oublie les injures, les peines et les rigueurs qu'il peut
éprouver de la part de ses supérieurs, et quand il est ap-
pelé, il retourne humblement vers eux, sans passion, sans
haine, sans colère, mais avec douceur et bienveillance.
22. — Ce sont là ces enfants dont mon Fils parlait à ses
disciples lorsqu'ils se disputaient pour savoir qui d'entre
eux serait le plus grand , il leur disait : « Laissez venir à
moi les petits enfants, c'est à eux qu'est le royaume du
ciel » ( S. Marc, x, 14 ). Celui qui ne s'humiliera pas comme
le petit enfant, c'est-à-dire qui n'aura pas ses qualités, sa
simplicité, celui-là n'entrera pas dans le royaume du ciel.
23. — Celui qui s'humiliera, ma fille bien-aimée, sera éle-
vé, et celui qui s'élèvera sera humilié ( S. Matth. xxm, 42 );
ainsi l'a dit ma Vérité. Oui, les petits, les humbles, qui se
seront abaissés, qui se seront soumis à la véritable et sainte
obéissance, ceux qui n'ont pas résisté à la règle et à leur
supérieur, je les exalterai, moi l'Éternel, le Tout-Puissant.
Je les placerai parmi les habitants de la cité bienheureuse,
où toutes leurs fatigues auront leur récompense. Et dès cette-
vie même, je leur donnerai un avant-goùt de la vie éter-
nelle.
CLX. — Ceux qui obéissent reçoivent le centuple et la
vie éternelle. — Ce que veut dire le centuple.
1. — Ma fille bien-aimée, c'est en ceux qui obéissent que
s'accomplit la parole de mon aimable et doux Verbe. Pierre-
lui avait dit : « Maître, voici que nous avons tout laissé par
amour pour vous, et que nous vous avons suivi , que nous
donnerez-vous? » Mon Fils lui répondit: « Vous recevrez
le centuple, et vous posséderez la vie éternelle » ( S. Marc,
x, 28, 30 ) ; c'est-à-dire : Pierre, vous avez bien fait, car vous
ne pouviez me suivre autrement, et moi, dans cette vie, je
vous donnerai le centuple.
2. — Quel est, ma fille bien-aimée, le centuple que suivra
la vie éternelle? que voulait dire ma Vérité 1 ? Parlait-elle des
biens temporels? Non, certainement, quoique je les multi-
plie quelquefois pour récompenser l'aumône. De qui parle-
t-elle ? De celui qui donne sa volonté propre, qui est son
unique chose ; et pour cette unique chose je lui en donne
342
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
cent, car je lui donne la charité. Pourquoi le nombre cent?
parce que ce nombre est parfait, et qu'on ne peut y ajouter
sans recommencer le premier nombre. De même la chante
est la plus parfaite de toutes les vertus, et on ne peut y ajou-
ter qu'en recommençant la connaissance de soi-même, et en
l'augmentant de mérite jusqu'à ce qu'on soit arrivé à une
nouvelle centaine. Tel est le centuple que je donne à ceux
qui m'ont donné leur seule volonté par l'obéissance géné-
rale, et mieux encore par l'obéissance particulière.
3. — Avec le centuple vous avez la vie éternelle-; car il
n'y a que la charité qui entre en maîtresse dans le ciel avec
le fruit des autres vertus qui restent en dehors. Elle vient a
moi, la Vie éternelle, que possèdent à jamais les bienheu-
reux. La foi ne l'accompagne pas; puisque les bienheureux
connaissent par expérience et en vérité ce qu'ils ont cru par
la foi • ils n'ont pas non plus l'espérance, puisqu'ils possè-
dent ce qu'ils espéraient. Il en est ainsi déboutes les autres
vertus. La seule charité entre en reine, et elle me possède
comme je la possède. '
4 - Tu vois donc que ces petits enfants de 1 obéissance
reçoivent le centuple et la vie éternelle, puisqu'ils reçoivent
le feu de la charité, qui est représenté par le nombre cent.
Et parce qu'ils ont reçu le centuple, ils vivent dans une ad-
mirable allégresse de cœur ; car jamais dans la vraie chante
ne se trouve la tristesse ; il y règne au contraire une joie
qui dilate le cœur, qui le rend généreux, sans petitesse et
sans fausseté. L'âme qui est frappée de cette douce bles-
sure ne met jamais sur le visage et sur la langue autre chose
que ce qui est dans le cœur. Elle ne sert pas son prochain
par hypocrisie ou par intérêt; caria charité se dévoue a
toute créature, et l'âme qui la possède ne tombe jamais dans
l'abattement et la tristesse ; elle ne se sépare jamais de 1 o-
béissance, et lui reste fidèle jusqu'à la mort.
CLXI — Des misères de ceux qui n'obéissent pas.
1 - Celui au contraire qui n'obéit pas dans la barque de
la vie religieuse est si à charge à lui et aux autres, qu il a
dèl ici-bas un avant-goût de l'enfer. Il vit toujours ; au
mi lieu de la tristesse, de la honte et des remords ^ de sa
conscience; il déplaît à ses supérieurs et à son Ordre,
TRAITÉ DE L'OBÉISSANCE.
Cil. CLXI
343
devient insupportable à lui-même. Vois, ma fille bien-aimée,
Celui qui s'est lié par un vœu à une règle et qui se fait
cependant l'esclave de la désobéissance. La désobéissance
devient sa maîtresse, avec sa compagne l'impatience qui
est nourrie par l'orgueil ; et l'orgueil, comme je l'ai dit,
naît de l'amour de soi-même.
2.— Il arrive alors à l'âme le contraire de ce que produit
en elle la véritable obéissance. Comment celui qui désobéit
pourrait-il éviter ce malheur, puisqu'il n'a pas la charité?
11 faut qu'il baisse de force la tête que l'orgueil vient relej-
ver ; toutes ses volontés sont en désaccord avec la volonté
de la règle. Elle lui commande l'obéissance, et. il aime déso-
béir ; elle lui impose la pauvreté volontaire, et il la fuit ; il
possède ou convoite la richesse ; elle veut la continence, la
pureté, il désire les plaisirs déshonnétes.
3.— En violant ses trois vœux, ma chère fille, le religieux
tombe si bas, et dans des faiblesses si honteuses, qu'il ne
ressemble plus à un religieux, mais à un démon revêtu d'un
corps, ainsi que je te l'ai expliqué déjà plus au long. J'ajou-
terai cependant quelque chose pour te faire mieux com-
pendre les fruits déplorables de la désobéissance, et pour te
l'aire admirer davantage le mérite de l'obéissance.
4.— Ce malheureux qui n'obéit pas est trompé parl'amour-
propre. Le regard de son intelligence, qui n'est plus éclai-
ré par la foi, se complaît dans sa volonté propre et dans
les choses du monde. Il est éloigné du monde par son corps,
mais il y habite par le désir. L'obéissance lui semble un far-
deau ; il veut désobéir pour l'éviter, et ce fardeau devient
bien plus pesant, parce qu'il faut obéir ou par force, ou
par amour, et il est bien plus facile d'obéir par amour que
sans amour.
5.— Oh ! comme il est dans l'erreur ! Personne ne le
trompe, mais il se trompe lui-même. Il recherche le bien-
être, et il ne trouve que la peine, même dans ce qu'il fait,
à cause de l'obéissance qui lui est imposée. Il veut jouir et
se faire une vie éternelle de cette vie passagère ; la règle
veut qu'il n'y soit qu'un voyageur, et qu'il ne s'arrête pas
au plaisir qu'il y trouve et aux endroits qui lui sont agréa-
bles. Il doit changer, et ce changement lui est un supplice
parce que sa volonté n'est pas morte et voudrait résister ;
mais s'il n'obéissait pas , il encourrait les châtiments
•
I
DIALOGUE DE SAINTE CATHEIUNE
344
de la règle, et c'est ce qui le fait souffrir continuellement
6 - Tu vois donc qu'il se trompe; en voulant fuir la
h «, trouve une plus grande, parce que son aveugle-
Z V Ipè 1 de eolaîtrela voie véritable de l'obéissance.
cïte voS véritable est tracée par l'obéissant Agneau, mon
KUs au délivre de toute peine ceux qui obéissent Lu, au
contre suit la voie du mensonge; il espère y trouver sa
isolation et il n'y rencontre que des peines ameres. Qn.
lu? e t de guide? c'est l'amour qu'il a pour l'indépendance
nveu\ dans sa folie, surmonter les tempêtes et les fl >
iec ses seules forces et sa science misérable ; il refuse les
comnr , Ae son Ordre et de ses supérieurs.
secours de son U ^ ^ ^ ^.^
, i et non d'esprit ; il l'abandonne par ses désirs.
86 levant dTs les P ês^riptions de la règle, et les trois
^ufqi ïpromild'a P ccom P lir dans sa profession. Aussi
Un sur a mer le jouet des orages et des vents qui atta-
1 bamue- 1 n'y est attaché que par les vêtements
*£ "portent «s, e't non son cœur: ce n'est pas un re-
Tî S^Se^aquel'apparence et^t^
ït^^^se^^^^^™
Tu vois combien son erreur est déplorable
o Onels fruits porte ce mauvais arbre? Des traits ae
ÏÏ^SrÏÏ=îSï& non P o,„. M,e ,-
TRAITE DE L'OBEISSANCE.
Cil. CLXT
345
dans les âmes cette semence de mon Yerbc, mais pour faire
admirer son talent.
10. — Si tu examines les fleurs de cet arbre, tu sentiras
leur mauvaise odeur : ce sont les pensées frivoles et cou-
pables qu'il entretient avec plaisir, sans fuir les occasions et
les lieux qui les font naître; il cherche plutôt à consommer
le mal, et c'est le fruit qui tue la vie de la grâce et lui donne
la mort éternelle. Et quelle infection cause ce fruit que porto.
la fleur de cet arbre ! C'est cette puanteur de la désobéis-
.sance qui juge et condamne intérieurement la volonté des
supérieurs ; c'est cette corruption des conversations dan-
gereuses qu'on recherche avec des dévotes prétendues.
malheureux, ne vois-tu pas combien cette fausse dévotion
fait naître d'enfants illégitimes ! Voilà ce que te produit la
désobéissance. Tu n'as pas pris pour tes enfants les saintes
vertus, comme le font ceux qui obéissent parfaitement.
11. — Le mauvais religieux cherche à tromper son supé-
rieur. Quand il voit qu'on lui refuse ce que sa volonté mauvai-
se désire, il a recours à des paroles flatteuses ou dures, à des
reproches ou à des menaces. 11 ne se gêne pas avec ses frè-
res, et ne peut supporter la moindre critique de leur part.
Il porte aussitôt les fruits empoisonnés de l'impatience, de
la colère, de la haine du prochain; il trouve mal ce qui a
été fait pour son bien, et cette irritation bouleverse son esprit
et son corps. Pourquoi n'aime-t-il pas son frère? Parce qu'il
s'aime lui-même d'uner manière sensuelle.
12. — Il fuit sa cellule comme la peste, parce qu'il est
sorti de la cellule de la connaissance de lui-même; et c'est
ce qui le porte à la désobéissance et l'empêche de rester
dans sa cellule véritable. Il ne veut pas paraître au réfec-
toire, qui lui semble un ennemi tant qu'il a de l'argent
à dépenser, et il ne s'y rend que quand la nécessité l'y
force.
13. — Ceux qui obéissent font bien d'être fidèles à leur
vœu de pauvreté, et de n'avoir pas le moyen de quitter cette
douce table commune, où l'obéissance nourrit dans le calme
et le repos l'âme et le corps. Ils ne cherchent point à se
procurer des mets délicats comme le malheureux qui fuit le
réfectoire parce qu'il y trouve tout détestable.
14. — Le désobéissant tâche toujours de venir à l'Office
le dernier et d'en sortir le premier; il approche de moi des
I
■
346 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
lèvres niais son cœur est bien loin. Il évite tant qu'il peut
eSSpTe par crainte des pénitences qu'on y donne ; et
LuSTesTil lui semble être dans une odieuse pnson,
eHy prouve une honte qu'il n'a pas eue en corn-
ue ant de's péchés mortels. Quelle en est la «sonl la de-
sobéissance. Il ne connaît pas les samtes .veilles de tapnere
non seulement il néglige l'oraison me /^™* e ™°™ n t
omet souvent l'Office qu'il est obligé de réciter. Gomment
aura t-dla charité fraternelle, puisqu'il n'aime que lui? Il
Sue pas comme les êtres raisonnables, mais comme les
IZSX, les fruits qu'il porte sont si malheureux, que
ta langue ne pourra jamais le raconter.
15 - malheureuse désobéissance qui prives Vame de
la lumière de l'obéissance, et lui êtes la paix et la vie pour
lui donner la guerre et la mort ! Tu l'enlèves de * parque s
saintes observances pour la jeter aux flots de la me, conUe
lesquels elle doit lutter seule, sans le secours de , sonOrd e
tu ïaccables de misères, tu la fais mourir en 1 V£™'£
nourriture et le mérite de l'obéissance; tu 1 abreuves ^
rnertume, tu la dépouilles de toute V^anœ ^ tout bien
et tu la livres à toutes sortes de maux. D«œUe e J u
donnes l'avant-goût des plus cruels »P^\^e <S
se corrige avant que la mort ne déchire les vêtements qui
S retiennent encore à cette barque de l'obéissance tu ta
conduis à la damnation éternelle avec les J-J-J»*^
bèrent du ciel jusque dans l'abîme, parce qu ils jetaient ^r
voltés contre moi. Toi qui désobéis tu auru 1* » n * me f^
,^ar tu as été rebelle à l'obéissance ; tu as jeté la clef qui ae
;ït "ouvrir la porte du ciel; tu as ouvert avec la clef de la
désobéissance la porte de l'enfer.
CLX1I - Imperfection de ceux qui vivent en religion avec
Uédeur, Tout en évitant le péché mortel. - Remèdes
pour sortir de la tiédeur.
1 _ ma fille bien-aimée, combien sont nombreux ceux
qui' vivent ainsi dans la barque de l'obéissance, et combien
sont rares au contraire ceux qui obéissent parfaitement
Entre ces Parfaits et ces malheureux, il y er i a _qui vive
dans leur Ordre avec négligence, sans les vertus quns de
TRAITE DE L OBEISSANCE.
CH. CLXH
347
vraient avoir, mais aussi sans de grands défauts : leur cons-
cience les empêche de pécher mortellement, mais leur cœur
est plongé dans la tiédeur et l'engourdissement. S'ils ne
(ont pas des efforts pour mieux observer leur règle, ils cou-
rent de grands dangers. Ils ont besoin de se réveiller et de
travailler avec courage à secouer leur langueur ; car s'ils y
persévèrent, ils sont exposés à bien des chutes. S'ils évitent
ces chutes, ils se contenteront des apparences de la vie re-
ligieuse, dont ils s'appliqueront plus à suivre les cérémonies
que l'esprit.
2. — Souvent, par défaut de lumière, ils seront portés à
juger témérairement ceux qui observent plus parfaitement la
règle, parce qu'ils les voient accomplir avec moins d'exacti-
tude les actes extérieurs dont ils sont si fiers. Il leur est
dur de toute manière de vivre sous une règle commune; car
la tiédeur leur rend pénible l'obéissance. Ces cœurs noncha-
. lants trouvent pesants les plus légers fardeaux, et ils se fa-
tiguent beaucoup pour recueillir bien peu; ils pèchent con-
tre la perfection qu'ils ont embrassée et qu'ils sont tenus
d'observer. S'ils font moins mal que ceux dont je te parlais,
ils font cependant mal ; car ils n'ont pas quitté le monde
pour rester dans l'obéissance générale, mais pour ouvrir le
ciel avec la clef de l'obéissance particulière, et cette clef,
ils devraient l'attacher par le mépris d'eux-mêmes à la cein-
ture de l'humilité, et la tenir fermement avec un ardent
amour.
3. — Apprends, ma fille bien-aimée, que ceux-là pourraient
arriver à la perfection, s'ils voulaient y travailler; car ils en
sont plus près que les autres pécheurs. Mais, d'un autre côté,
ils ont plus de difficultés à quitter leur imperfection que n'en
ont les pécheurs à se retirer de leur état misérable. Et sais-
tu pourquoi ? Parce que le pécheur voit très bien qu'il fait
mal; sa conscience le lui montre, mais il est affaibli par
l'amour-propre, et il ne s'efforce pas de sortir des fautes
dont la lumière naturelle lui fait voir le mal. Si on lui deman-
de : N'est-ce pas mal d'agir ainsi? le pécheur répond: Oui,
mais ma faiblesse est si grande, qu'il me semble que je ne
puis sortir du péché. Il ne dit pas vrai ; car avec mon se-
cours il pourrait en sortir. Mais, enfin, il sait qu'il fait mal,
et cette connaissance peut l'aider à se convertir, s'il veut.
4. — Les tièdes, au contraire, qui ne font pour ainsi dire
318 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
v rtr P IP bois de la connaissance d'eux-mêmes
STl'ïr.ï-" £u» et de . * -, — po«
'"f *' Ceux nui testent Sans l'Inertie s'exposent à tomber
et^m "tombent eaeonren. me £*-£ a =
SeSbliS^^^^Ue
„„ ,„ compère a, ten de l'ob ^»«J» '^ ee n'es.
„i, que j'aimerais nneax T'™»?-™ ^„ péché
Ziïr i " pecbe et an g^**—»- £
corps par l'obéissance. ;.,,„„. t se 1Lvren t à de saints
7 One les tièdes donc se réveillent et se îtviciib
7.-Quelesueae t cont i nU elle prière ,
exercices, aux veilles, a une nniuu patrons
q u'ils s'appliquent a leur *£££' ^ tôles P comme
S e ; est maintenant le même qu'il était *^.™J™ r
V n i^rs^;"::r-^a^s;e
votre salut, et ma sagesse vuu De uvent donc
TRAITE DE L OBEISSANCE. — Cil. CLXITI
349
ligence des nuages de l'aniour-propre, et qu'ils courent à la
lumière de la foi, dans les sentiers de l'obéissance parfaite.
Ils n'ont que ce moyen pour y parvenir.
CLXIII. — De l'excellence de l'obéissance et des biens qu'elle
procure.
1. — Je t'ai fait connaître le bon et salutaire moyen que
le religieux prend chaque jour pour augmenter en lui la ver-
tu de l'obéissance par la lumière de la foi. Il désire le mé-
pris, les affronts et les fardeaux que lui imposent ses supé- "
rieurs. Afin que l'obéissance et la patience sa sœur ne s'af-
faiblissent pas et ne lui manquent jamais, quand il a besoin
de les exercer, il fait entendre continuellement les cris de ce
désir, et il utilise toujours le temps parce qu'il est affamé.
L'obéissance est une épouse pleine de zèle, qui ne veut ja-
mais rester oisive.
2. — Aimable Obéissance, chère Obéissance, douce Obéis-
sance, Obéissance resplendissante qui dissipes les ténèbres
de l'amour-propre ; Obéissance qui vivifies l'âme en lui don-
nant la vie de la grâce, lorsqu'elle te prend pour épouse et
te délivre de la volonté propre qui cause la guerre et la
mort, tu es prodigue de toi-même, puisque tu te soumets à
toute créature raisonnable. Tu es bonne et compatissante ;
tu portes avec douceur les plus grands fardeaux, parce que
tu as pour compagnes la force et la patience véritable. Tu
recevras la couronne de la persévérance. Tu ne te laisses
pas abattre par les importunités des supérieurs et par les
épreuves qu'ils t'imposent sans discrétion. Tu supportes
tout avec la lumière de la foi. Tu es tellement liée avec l'hu-
milité, qu'aucune créature ne peut l'arracher de l'âme qui
te possède.
3. — Que te dire, ma chère et bien-aimôe fille, de l'ex-
cellence de cette vertu'? Oui, l'obéissance est un bien sans
mélange; la barque qui la possède n'a pas à redouter les
vents contraires; l'âme qu'elle dirige est portée par sa
règle et les supérieurs, sans avoir à s'occuper d'elle-même ;
celui qui obéit parfaitement n'a pas de compte à me rendre :
il n'en doit qu'à celui auquel il est soumis.
4.. — Passionne-toi, ma fille bien-aimôe, pour cette glo-
r
■f : '
■
350
D1ALOGUIÙ DE SAINTE CATHERINE
rieuse vertu. Veux-tu connaître les bienfaits que tu as reçus
de moi ton Père? Sois obéissante. L'obéissance te montrera
si tu e's reconnaissante, parce qu'elle procède de la chanté.
L'obéissance prouvera si tu n'es pas ignorante, parce qu elle
vient de la connaissance de ma Vérité. C'est un trésor qua
fait connaître mon Verbe, en vous enseignant la voie de
l'obéissance et de la règle, en se faisant obéissant lui-même
jusqu'à la mort ignominieuse de la Croix; et c'est son obéis-
sance qui a ouvert le ciel et servi de fondement à l'obéis-
sance générale et particulière, ainsi que je te l'a! dit au
commencement.
5 — L'obéissance est une lumière pour l'âme ; elle mon-
tre ' qu'elle m'est fidèle et qu'elle est fidèle à l'Ordre et à ses
supérieurs. Dans cette lumière que lui donne la foi, elle
s'oublie et ne se cherche pas pour elle-même; car, dans
l'obéissance acquise par la lumière de la foi, elle a prouve
que sa volonté est morte à ce sens particulier qui s occupe
des affaires d'autrui plutôt que des siennes. Ainsi fait le
désobéissant qui examine la volonté des supérieurs, et qu.
la juge avec ses bas sentiments et ses vues obscures, ne se
mettant pas en peine de sa volonté corrompue qui lui donne
la mort. ., , , .
6 - Celui qui obéit véritablement à la lumière de la loi
inoe toujours bien la volonté de ses supérieurs ; il n'écoute
pas la sienne et incline seulement la tète, en nourrissant
son âme des parfums d'une véritable et sainte obéissance.
Cette vertu y grandit à mesure que s'y répand la sainte _ u-
1 mière de la foi ; car c'est à cette lumière de la foi que 1 âme
se connaît et me connaît, qu'elle m'aime et qu'elle s humi-
lie • et plus elle aime et s'humilie, plus elle est obéissante.
L'obéissance, et sa sœur la patience, montrent que lame
est véritablement revêtue du vêtement nuptial de la chante,
avec lequel on entre dans la vie éternelle.
7 - Ainsi l'obéissance ouvre le ciel et reste dehors : la
charité qui lui a donné la clef entre avec les fruits de 1 o-
béissance; car, comme je te l'ai dit, les vertus restent en
dehors, la charité seule entre au ciel. Mais l'obéissance a
l'honneur d'ouvrir le ciel, que la désobéissance du premier
homme a fermé. C'est l'obéissance de l'humble et fidèle
Agneau sans tache, mon Fils unique, qui a ouvert la vie
éternelle depuis si longtemps fermée.
]
TRAITE DE L OBEISSANCE.
CH. CLXIV
351
CLXIV. — Distinction de deux obéissances : celle des reli-
gieux et celle qu'on rend à une personne en dehors de la
vie religieuse.
i. — Ainsi que je te l'ai dit, ma chère fille, mon Fils vous
a laissé la douce obéissance, comme une clef pour ouvrir
le ciel et parvenir à votre fin ; il vous l'a laissée par pré-
cepte et par conseil: par précepte pour tous, et par conseil,
si vous vouliez tendre à la perfection et passer par la porte
étroite de la vie religieuse. Il y en a opui ne sont pas atta-
chés à un Ordre, et qui sont cependant dans la barque de
la perfection. Ce sont ceux qui observent les conseils sans
être religieux, et qui rejettent réellement et spirituellement
les richesses et les pompes du monde. Ils gardent la chas-
teté, soit dans l'état de virginité, soit dans le parfum de la
continence, s'ils n'ont pas la virginité ; ils observent l'obéis-
sance en se soumettant, comme je te l'ai dit ailleurs, à une
personne à laquelle ils s'efforcent d'obéir parfaitement jus-
qu'à la mort.
2. —Si tu me demandes qui a plus de mérite, de ceux
qui obéissent ainsi, ou de ceux qui sont dans un Ordre, je
te répondrai que le mérite de l'obéissance ne se mesure
ieu ou à la personne, qui peut être
séculière ou religieuse. Le mérite de
l'amour de celui qui obéit, et cet a-
mour est la mesure de sa récompense. L'imperfection d'un
supérieur ne nuit aucunement à celui qui obéit ; elle lui
est même utile quelquefois, car les persécutions et les ri-
gueurs indiscrètes d'ordres trop sévères font acquérir la
vertu de l'obéissance, et la patience sa sœur. Un lien im-
parfait ne nuit pas non plus : je dis imparfait, parce que
la vie religieuse est l'état le plus parfait, le plus asuré.
J'appelle imparfait l'état de ceux qui observent les conseils
de l'obéissance en dehors d'un Ordre ; mais je ne dis pas
pour cela que leur obéissance est imparfaite et moins mé-
ritoire, car l'obéissance, comme les autres vertus, a pour
mesure l'amour.
3. — Il est vrai qu'en beaucoup de choses il est préfé-
rable d'obéir dans un Ordre, à cause du vœu qu'on fait
pas aux actes, au
bonne ou mauvaise,
l'obéissance est dans
1
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352
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
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entre les mains d'un supérieur, et des épreuves plus gran-
des qu'on y rencontre. Toutes les actions du corps sont
liées à ce joug, et on ne peut s'y soustraire, quand on e
voudrait, sans commettre un péché mortel, parce que la
règle est approuvée par l'Église, et qu'on a fait un vœu II
n'en est pas de même pour les autres : ils sont lies volon-
tairement par l'amour de l'obéissance, et non par un vœu
solennel. Ils peuvent sans péché mortel renoncer a cette
obéissance à une créature, s'ils ont pour le fair e des ^rai-
sons légitimes, et s'ils n'agissent pas par f ai blesse. Si
c'est par faiblesse, ils commettent une faute très grave ;
mais cependant il ne sont pas engagés sous peine de pèche
'T-' Sais-tu la différence qu'il y a entre les uns et les
autres ? la différence qu'il y a entre celui qui prend le
bien d'autrui, et celui qui retire à quelqu'un ce qu il lui
avait donné par amour, avec l'intention de ne pas le re-
prendre : l'ut u'a pas fait d'acte authentique, tandis que
l'autre s'est engagé publiquement par sa profession. Il
a renoncé à lui-même entre les mains du supérieur, et il a
promis d'observer l'obéissance, la chasteté, la pauvreté
volontaire. Le supérieur, de son coté, a promis s.l était
fidèle jusqu'à sa mort, de lui donner la vie éternel e.
5 - Ainsi, pour ce qui est des obligations, du heu et de
la manière, l'obéissance dans un Ordre est plus parfaite que
•obéissance dans le monde. L'obéissance dans un Ordre est
au si plus sure ; quand on tombe, on a plus de secours
pour se relever L'obéissance dans le monde est moins
certaine; elle expose davantage, quand on tombe, à tour-
nerîatêe eu arrière, parce qu'on ne se sent pas lie par
un vœu consommé. On est comme le religieux avant sa
profession : tant qu'il ne l'a pas faite, il peut partir ; ce qui
ne lui est plus permis lorsqu'elle est prononcée.
6 _ Quant au mérite, je te le répète, sa mesure est 1 a-
mour de celui qui obéit. Dans quelque état qu on soit, on
eut avoir immérité parfait, parce que le mente est um-
uement dans l'amour. Les vocations sont différentes ; j ap-
Srices deux états selon la capacité de chacun.; mais
a Compense est mesurée sur l'amour : si le sécuher amie
plus que le religieux, il reçoit davantage; il en est de
même du religieux et de tous les autres.
1
TRAITE DE L'OBÉISSANCE. — Cil. CLLV
353
CLXV. — Dieu ne récompense pas selon la difficulté et la
durée de l'obéissance, mais selon le zèle et la grandeur
de la charité. — Miracles que Dieu fait par l'obéissance.
i
1 . — Je vous ai tous envoyés dans la vigne de l'obéissance
pour y travailler de dilTérentes manières, et à chacun je don-
nerai le prix de son amour, et non de son ouvrage et de son
temps; car sans cela celui qui vient de bonne heure rece-
vrait plus que celui qui vient plus tard. Ma Vérité vous a
donné dans l'Évangile l'exemple de ceux qui étaient oisifs,
et que le maître envoya travailler à sa vigne. 11 donna au-
tant à ceux qui étaient venus au point du jour qu'à ceux
qui étaient venus à la première heure; et ceux qui vinrent
à la troisième, à la sixième, à la neuvième et à la dernière
reçurent autant que les premiers.
2. — Ma vérité vous a enseigné par là que vous serez ré-
compensés, non pas selon le temps et selon l'ouvrage, mais
selon le degré d'amour. Beaucoup sont appelés, dès l'en-
fance, pour travailler à cette vigne ; d'autres y viennent plus
tard, et n'arrivent même que dans la vieillesse. Ceux-là sou-
vent, parce qu'ils voient le peu de temps qui reste, agis-
sent avec tant d'amour, qu'ils atteignent ceux qui sont ve-
nus dès l'enfance, mais qui ont marché lentement. C'est
donc par l'amour de l'obéissance que Fàme acquiert des
mérites ; elle remplit son vase en moi, qui suis l'Océan pa-
cifique.
3. — Beaucoup ont une obéissance si prompte et si in-
carnée dans leur âme, que non seulement ils ne cherchent
point à comprendre les motifs de leur supérieur, mais qu'ils
attendent à peine que les ordres soient sortis de sa bouche,
parce que la lumière de la foi leur fait deviner ses inten-
tions. L'obéissant parfait obéit plus à l'intention qu'à la
parole, pensant que la volonté du supérieur est ma volonté,
que je le charge de lui transmettre. Et c'est pour cela que
je te dis qu'il obéissait plus à l'intention qu'à la parole. Il
obéit à la parole du supérieur, parce qu'il obéit avec amour
à sa volonté, que la lumière de la foi lui fait croire unie à la
mienne.
4. — On lit dans la vie des Pères l'exemple d'un reli-
gieux qui obéissait ainsi par amour. Son Abbé lui ayant
dialogue de Ste Catherine. — 23.
'
I j.,**»
'».(
3 . 4 DIALOGUE DE S.UNTE CATHERINE
bien petite chose, u ne b e l'obéissance. Je voulus lui
C'est qu'elle proceae ue i . ■ raime . La terre
que les hommes savent— g 1
obéit à cette *£££ — urÏ tu verras qu'elle est
l'obéissant. Si tu ie -" uc
soumise à celui qui obéit _ d
6 ._ N'as-tu pas lu 1 hutone ae f ordonna de le
Abbé r^ZS^SlX ledLiple, éclairé par
p.anter et £}*£% *V J fl de dire que pétait là chose
la lumière de la foi, se garni u , verUl
mutile. Il «~î^i1Sry& et porta
saints Pères le fruit de ^é«e. ^ obéis _
7 . _ Si tu regardes les an m aux ti j^ par gon
sent aussi à l'obéissance^nreh-ux q_
obéissance et sa pureté fut charge i ^
serpent; il le conduis* ■*«*£» ^ et rexei , er à la
dent, pour le preser er de ^J^ * et lui dit avec repro-
patience, le chassa de sa prenne _
che : « H faut être vraiment bete poui
bète enchaînée ». : > mi racles. N'as-tu pas lu
8 - -; ^ ÏÏiïSZ que h—, pour ne pas trans-
dans la sainte Ecntuie qu lgg flammeSj
gresser mes ordres, se sont laissé jeté ^^
et que les flammes ne eur ont ^ fait aucun n
tas trois enfants dans la »^f les pieds de saint
pourrais te *.^ ^J un . religieux
va le disciple.
TRAITÉ DE L'OBÉISSANCE. — Cil. CLXV
355
9. — Partout, si tu ouvres l'œil de ton intelligence, tu
verras que je t'enseigne l'excellence de l'obéissance. On doit
tout abandonner pour l'obéissance, tellement que si tu étais
élevée à une si haute et si parfaite union en moi, que ton
corps fût séparé de la terre, tu devrais, si l'obéissance te
rappelait, faire tous tes eflbrts pour lui obéir. Je te parle en
général et non pour certains cas particuliers, qui font excep-
tion. Tu ne dois jamais quitter l'oraison que par nécessité,
par charité ou par obéissance. Je te dis cela pour que tu
comprennes combien je veux que l'obéissance soit prompte
dans mes serviteurs et combien elle m'est agréable.
-10. — Tout ce que fait l'obéissant est méritoire : s'il
mange, il mange par obéissance ; s'il dort, il dort par obéis-
sance ; s'il va, s'il vient, s'il jeûne, s'il veille, il fait tout par
obéissance. S'il sert le prochain, c'est par obéissance. S'il
est au chœur, au réfectoire, dans sa cellule, qui le guide ou
le retient? c'est l'obéissance, qui, par la sainte lumière de
la foi, le jette, mort à sa volonté et plein de mépris pour lui-
même, entre les bras de ceux qui lui commandent. Placé
clans cette barque de l'obéissance, il se laisse conduire par
son supérieur et traverse heureusement la mer orageuse de
cette vie dans la paix de l'âme et la tranquillité du cœur :
l'obéissance et la foi en dissipent toutes les ténèbres. Il est
fort parce qu'il n'a plus aucune faiblesse ni aucune crainte,
car il a détruit la volonté propre, d'où viennent les faibles-
ses et les craintes déréglées.
11. — Et de quoi se nourrit et s'abreuve celui qui épouse
l'obéissance? il se nourrit de la connaissance de lui- môme
et de moi. Il voit son imperfection et son néant ; il voit que
je suis Celui qui suis, et il goûte en moi ma Vérité, que lui
a révélée le Verbe incarné. Et de quoi s'abreuve-t-il ? du
Sang ; de ce Sang par lequel mon Fils lui montre ma Vérité,
et l'amour ineffable que j'ai pour lui. Il lui fait comprendre
par ce Sang la perfection de cette obéissance que moi, son
Père, je lui ai imposée à cause de vous. Il y puise avide-
ment, et lorsqu'il est ivre de ce Sang et de cette obéissance
du Verbe, il perd toute pensée, tout sentiment de lui-mê-
me ; il me possède par la grâce et me goûte par l'amour, à
la lumière de la foi dans la sainte obéissance.
12. — Toute sa vie rayonne la paix, et à la mort il re-
çoit ce que lui a promis son supérieur au moment de sa
•:■.*■
•
I
:fô G DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
«rofession, la vie éternelle, la vision de la paix, le repos
l'une t anquillité souveraine et parfaite, un bien mettable
SSe ne peut apprécier et compare la v£eur
re bien est infini et ne peut être compris par une creatiuc
Snie comme un vase plongé dans la mer ne peut en com-
pSndre immensité, mais seulement la quantité qui. ren-
ferme ■ la mer seule se comprend.
te 43 - Je suis la Mer pacifique, et je .P ul * seU ^J^'
«rendre, m'estimer et jouir de cette estime de cette inteUx
"ence n moi-même. Cette jouissance intérieure, } e la com-
munTaue et je la donne à chacun selon sa mesure et cette
ne me je la remplis complètement d'une félicité parfaite.
ïïmTconnait et comprend ma bonté autant qu'elle aîné ,
tô rie la connaître. Aussi l'obéissant, éclairé pai a loi et la
tus roDéissant reçoit de moi, son créateur, la récompense
qui lui est destinée.
CLXVI. - Résumé de presque tout le Dialogue.
1. _ Maintenant, ma chère et bien-aimée fille y ai satis-
sainte Église, me suppliant de la déhvre de s ^ebre
des persécutions, voulant que je V™ sse .^"™im
iniquités des autres. Alors je t'a, explique 1^»"^^
temporelle et passagère ne peut satisfaire ^ par elle seule a
l'offense commise contre moi, le Bien éternel, cette v
TRATTÉ DE L'OBÉISSANCE. — CH. GLXVI 357
satisfait seulement, si elle est unie au désir de l'âme et à la
contrition du cœur ; je t'ai expliqué comment.
3. — Je t'ai dit aussi que je voulais faire miséricorde au
monde, et je t'ai montré que la miséricorde m'est propre.
Car, à cause d'elle et de l'amour incompréhensible que j'ai
eu pour l'homme, j'ai envoyé le Verbe mon Fils unique, et,
pour te le faire bien comprendre, je l'ai comparé à un pont
qui va du ciel à la terre, c'est-à-dire qui unit la nature di-
vine à la nature humaine.
4. — Pour t'éclairer de plus en plus de ma Vérité, je t'ai
montré qu'on montait à ce pont par trois degrés, qui sont
les trois puissances de l'âme. Après t' avoir présenté le Verbe
sous l'image d'un pont, je me suis servi d'une autre figure,
et je t'ai montré trois degrés sur son corps : ses pieds, la
plaie de son côté et sa bouche, qui indiquent trois états de
l'âme : l'état imparfait, l'état parfait et l'état supérieur, où
l'âme parvient à l'excellence et à l'union de l'amour. Je t'ai
montré ce qui détruit l'imperfection et ce qui conduit à la
la perfection, la voie qu'il faut suivre, les embûches secrè-
tes du démon et de l'amour-propre spirituel.
5. — Je t'ai dit les trois moyens de punir qu'emploie ma
clémence dans ces états. Le premier est ce que j'inflige à
l'homme pendant sa vie, le second est le châtiment qui
frappe ceux qui meurent sans espérance dans le péché mor-
tel. Ils vont sous le pont par les sentiers du démon, et je
t'ai fait connaître les supplices qu'ils endurent. Le troisiè-
me moyen est le Jugement général, et je t'ai dit quelque
chose de la peine des damnés et de la gloire des bienheu-
reux, quand chacun aura retrouvé les propriétés de soir
corps.
6. — Je t'ai promis et je te promets de réformer mon
épouse par les souffrances de mes serviteurs, que j'invite à
expier avec toi, par la douleur et par les larmes, l'iniquité
de ses ministres. Je t'ai montré la dignité que j'ai mise en
eux et le respect que j'exige des séculiers à leur égard. Je
t'ai montré que leurs défauts ne doivent en rien diminuer
ce respect, et combien on me déplaît quand on y manque.
Je t'ai parlé de la vertu de ceux qui vivent comme des an-
ges, et je t'ai entretenue à ce sujet de l'excellence du Sacre-
ment de l'Autel.
7. — En te parlant de ces trois états de l'âme, j'ai voulu
M
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^■■^■^■^M
•■'
358 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
te faire connaître les différentes sortes de larmes d^où elles
viennent, et comment elles se rapportent aux diffeients
états de i'ame. Je t'ai dit que toutes les larmes avaient leur
source dans le cœur, et je t'ai expliqué pourquoi Je ta
parlé de quatre espèces de larmes et d'une cinquième qu,
cause la mort. mvais
8 - J'ai répondu à ta quatrième demande, que j avais
pourvu au cas particulier dont il s'agissait, et tu sais
comme je l'ai fait. Je t'ai expliqué à ce sujet ma providence
générale et particulière, depuis le commencement de la
création jusqu'à la fin du monde. J'ai fait et je fais tout par
ma providence souveraine et divine, donnant et permettant
ce qui vous arrive, les tribulations ou les ^K**^t«^
porelles et spirituelles. Tout.est pour votre bien, pour que
voTs soyez sanctifiés en moi, et que ma Vérité s'accompl^sc
en vous ; car il est vrai que je vous ai créés pour * _^*£
nelle, et cette vérité vous a été révélée par le sang du Verbe,
T-EnïnTai -tisfait a ton désir et a la promesse que
je t'avais faite, en te montrant la perfection ^ Ijobeissanœ
et l'imperfection de la désobéissance, d'où vient 1 obéis
sance, et ce qui la perd. Je te l'ai donnée <»™£J^
ouvre tout, et c'est la vérité. Je t'ai parle de lobé ^ anc f
particulière, des parfaits et des imparfaits de ceux ^vi-
vent dans un Ordre et de ceux qui vivent dans le monde.
L'obéissance donne la paix, et la guerre ™ n \ ?° ** f^ t
béissance; celui qui n'obéit pas se trompe **£**£
c'est par la désobéissance d'Adam que la mort est venue
dans le monde. . ^tcmpilp
10 - Maintenant, moi, Dieu le Père, suprême et éternelle
Vérité je termine en te disant que c'est par l'obéissance du
Ve"b mon Fils que vous avez la vie. De même que tous
vous avez contracté la mort dans le premier homme tous
aussi en prenant la clef de l'obéissance, vous trouverez la
-vie d'ans £ nouvel homme, le doux Seigneur Jésus J'en _ ai
fait un pont pour vous, parce que c'est la voie sure du ciel
14 -Je vous invite à pleurer tous, toi et mes serviteurs
vos larmes, vos humbles et continuelles prières me pei-
mettro.it de faire miséricorde au monde Cou .donc en
mourant à toi-même, dans cette roue de 1 Je rite que je
ne puisse pas te reprocher d'aller lentement, cai je te
TRAITE DE L OBEISSANCE. — CH. CLXVII
359
manderai plus qu'auparavant, parce que je me suis mani-
festé à toi dans ma Vérité. Prend garde de sortir de la cel-
lule de la connaissance de toi-même, mais augmente et con-
serves-y le trésor que je t'ai donné. C'est une doctrine de
vérité fondée sur la Pierre vive, le Christ, le doux Jésus;
elle est revêtue d'une lumière qui fait distinguer les ténèbres ;
qu'elle soit aussi ton vêtement, ma fille très douce et très
aimée.
CLXVII. — L'àme reconnaissante loue Dieu et prie pour le
monde et la sainte Église. — Elle recommande la vertu de
la foi et termine cet ouvrage.
"1. — Après que cette âme eut vu avec l'œil de son in-
telligence, et connu, à la sainte lumière de la foi, la vérité et
la perfection de l'obéissance, après qu'elle l'eut entendue avec
sa raison, et goûtée avec son cœur par l'ardeur du désir, elle
se contempla dans la Majesté divine, et lui rendit grâces
on disant :
'2. — O Père, je vous remercie de ce que vous n'avez pas
méprisé votre créature. Yous n'avez pas détourné de moi
votre visage, et vous n'avez pas repoussé mes désirs. Vous,
la Lumière, vous n'avez pas considéré mes ténèbres ; vous,
la Vie, vous ne vous êtes pas éloigné de moi, qui suis la
mort ; vous, le Médecin suprême, vous avez regardé ma
grande infirmité ; vous, l'éternelle Pureté, vous ne vous êtes
pas détourné de mes souillures et de mes misères ; vous,
l'Infini ; moi, le néant ; vous, la Sagesse ; moi, la folie. Mal-
gré les fautes et les vices innombrables qui sont en moi,
vous ne m'avez pas méprisée : oui, vous, la Sagesse, la
Honte, la Clémence ; vous, le Bien suprême et infini. Dans
votre lumière j'ai trouvé la lumière ; dans votre sagesse, la
vérité ; dans votre clémence, la charité et l'amour du pro-
chain. Qui vous a déterminé? Ce ne sont pas mes vertus,
c'est votre seule charité. L'amour vous a porté à éclairer
l'œil de mon intelligence par la lumière de la foi, pour me
faire connaître et comprendre votre Vérité qui se manifes-
tait à moi.
3. — Faites, Seigneur, que ma mémoire puisse retenir
vos bienfaits ; que ma volonté s'embrase du feu de votre
■
360 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
charité- que ce feu me fasse répandre tout mon sang, et
C q uïvec'c q e sang donné pour l'amour du San, ; et ^avec j a c,e
de l'obéissance, je puisse ouvrir la ^ d " "f^™
demande du fond de mon cœur cette grâce poui toutes les
« raisonnâmes, en général et en particulier etpo»
le corps mystique de l'Église. Je confesse et je ne me pa*
que vous m'ai aimée avant ma naissance, et que vous
m'iimez jusqu'à la folie de l'amour.
4 1 OTrihité éternelle! ô Déité, qui, par l'union de
de votre nature divine, avez donné un si grand prix au sang
de votre Fils unique! ô Trinité éternelle ! vous ete une
mer profonde où plus je me plonge, plus je vous trouve,
T- Comme le cerf soupire après l'eau vive des fontaines
Ion corps car la connaissance que vous m'avez donnée de
à votre puissance. O Père eternei t Fils
TRAITA DE L'OBEISSANCE.
CH. CLXVII
301
consumez par votre ardeur tout amour de l'âme pour elle-
même. Vous êtes un feu qui détruisez toute froideur. Vous
éclairez, et votre lumière me fait connaître votre vérité. Vous
êtes la lumière qui surpasse toute lumière. C'est cette lu-
mière qui donne à l'œil de l'intelligence une lumière surna-
turelle, si abondante et si parfaite, que la lumière de la foi
en est éclairée.
8. — Par cette foi, je vois que mon âme a la vie et vous
reçoit dans cette lumière, vous qui êtes la Lumière. Car,
par la lumière de la foi, j'acquiers la sagesse qui est dans
la sagesse du Verbe votre Fils ; par la lumière de la foi,
j'obtiens la force, le courage, la persévérance ; par la lu-
mière de la foi, j'ai l'espérance, qui m'empêche de défaillir
en chemin. Cette lumière m'enseigne la route, et sans cette
lumière je marcherais dans les ténèbres.
9. — Aussi je vous demande, ô Père ! que vous m'illumi-
niez de la sainte lumière de la foi. Cette lumière est un
océan qui nourrit l'âme qui est en vous. O Trinité éter-
nelle, Océan de paix ! votre eau n'est pas trouble, et, loin
de causer l'épouvante, elle fait connaître la vérité ; elle
est transparente et montre les choses cachées. Là où a-
bonde la lumière resplendissante de la foi, l'âme est pour
ainsi dire glorifiée par ce qu'elle croit.
10. —Oui, Trinité éternelle, vous me l'avez fait connaître,
cette lumière est un miroir que la main de votre amour tient
devant les yeux de mon âme. Et moi, votre créature, je me
vois en vous et je vous vois en moi par l'union de la Divini-
té avec notre humanité; et dans cette lumière je vous con-
nais et je vous contemple, vous, le Bien suprême et infini,
le Bien au dessus de tout bien, le Bien qui est la félicité, le
Bien inestimable, incompréhensible, la Beauté au dessus de
toute beauté, la Sagesse qui est au dessus de toute sagesse,
car vous êtes la Sagesse môme. Vous, la nourriture des an-
ges par le feu de la charité, vous vous êtes donné aux hom-
mes, vous êtes un vêtement qui couvre toute nudité; vous
rassasiez les affamés de votre douceur, et vous êtes doux
sans aucune amertume.
-1-1, _ o Trinité éternelle! dans votre lumière, que vous
m'avez donnée et que j'ai reçue par la sainte lumière de la
foi, j'ai connu par de nombreuses et d'admirables leçons la
voie de la véritable perfection, afin que je vous serve clans la
"
km.'
2G2
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
lumière et non dans les ténèbres. Il faut que je devienne un
miroir de bonne et sainte vie, et que je sorte de cette vie
misérable où jusqu'à présent, et par ma faute, je vous m
servi dans les ténèbres. Je ne connaissais pas votre vente et
je ne l'ai pas aimée. Mais pourquoi ne vous ai-je pas connue?
parce que je ne vous ai pas vue avec la lumière glorieuse de
fa sainte foi. Les nuages de l'amour-propre obscurcissaient
l'œil de mon intelligence; et vous, Trinité éternelle, vous
avez dissipé mes ténèbres par votre lumière.
12 _ Q U i pourra s'élever jusqu'à vous, et vous remercier
dignement du trésor ineffable et des grâces surabondantes
que vous m'avez accordés, et de la doctrine de la vente que
vous m'avez révélée? Cette doctrine est une grâce spéciale
ajoutée à la grâce générale que vous donnez aux autres créa
tares-: Vous avez voulu condescendre à mes besoins, à ceux
des autres créatures, qui pourront se servir de cette doctir ne
comme d'un miroir. Parlez vous-même, Seigneur; c est vous
qui avez donné, c'est vous qui pouvez reconnaître le bien-
lait et vous remercier, en répandant en moi la lumière de
votre grâce, afin qu'avec cette lumière je vous témoigne ma
reconnaissance. Revêtez-moi, revêtez-moi de vous-même
éternelle Vérité, afin que je parcoure cette vie mortelle avec
la véritable obéissance et la lumière de la sainte foi, dont
vous enivrez de plus en plus mon âme.
Grâces à Dieu ! Amen.
Dominique, en l'année du Seigneur 1378, au mois d octobre. Amen,
PRIEZ DIEU POUR VOTRE FRERE INUTILE.
TRAITE DE LÀ PERFECTION (D
■'*■■'
1. — Une âme éclairée par l'Auteur de la lumière consi-
dérait sa misère et sa fragilité, son ignorance et sa pente
naturelle au mal. Elle contemplait aussi la grandeur de
Dieu, sa sagesse, sa puissance, sa bonté, tous ses attributs
divins, et elle comprenait combien il est juste et nécessaire
que ce Dieu soit saintement et parfaitement honoré.
2. — Dieu est père et seigneur de toutes choses ; il les a
faites pour qu'elles louent son très saint nom et qu'elles
contribuent à sa gloire. N'est-il pas juste et convenable que
le serviteur respecte son maître, le serve et lui obéisse avec
toute la fidélité possible?
3.— C'est aussi une chose nécessaire, parce que Dieu a
créé l'homme, composé d'un esprit et d'un corps, à la con-
dition que s'il lui rend volontairement un service fidèle jus-
qu'à la mort, il parviendra à la vie éternelle. L'homme ne
peut autrement acquérir cette félicité, renfermant l'abon-
dance de tous les biens ; mais il y en a peu qui l'obtiennent,
parce que presque tous cherchent leurs intérêts et non ceux
de Dieu.
(1) Nous joignons au Dialogue le traité de la perfection qui est attribué à sainte
Catherine de Sienne. Cet opuscule n'est connu que par le texte latin dont le ma-
nuscrit se trouve dans la bibliothèque du Vatican. Il a été imprimé à Sienne en
1545 et en 1609, et à Lyon en 1552, avec ce titre : Dialogus Irevis sanctse Ca-
fharime Senensis, consummatam continens perfeetionem. Gigli en a donné
une traduction italienne.
Ce traité de la perfection est-il Véritablement de sainte Catherine de Sienne '!
Nous le pensons, quoique nous n'en trouvions aucune preuve dans les écrits de
ses disciples et dans les dépositions du procès de Venise. La forme est moins
riche, moin s lumineuse que celle du Dialogue ; mais le fond présente les mêmes
pensées et les mêmes enseignements. Ce traité est sans doute le résumé d'un de
ces discours admirables que sainte Catherine de Sienne adressait à ceux qui
venaient lui demander des conseils ; beaucoup de ses paroles ont été peut-être
ainsi recueillies. Le bienheureux Thomas Caffarini, son confesseur, parle d'un trai-
té sur les Évangiles qui aurait été fait d'après ses explications; ce traité n'a pas
été retrouvé.
363
!:?
3G4 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
4 - Cette âme voyait que les jours de l'homme sont
courts, et qu'il ignore l'instant où doit finir le temps fugi-
tif qui lui est donné pour mériter. En enfer, il n'y a plus de
rédemption possible; car chacun dans la vie future reçoit
justement, par une immuable et inévitable sentence la ré-
compense ou le châtiment que sa manière de vivre lui auia
T-Elle voyait combien les prédicateurs faisaient de dis-
cours et parlaient diversement des vertus par lesquelles on
honore et sert Dieu. Elle voyait aussi le peu de capacité de
la créature raisonnable, son intelligence bornée, sa faible
mémoire, qui ne peut saisir beaucoup de choses m retenu
fidèlememcelles qu'elle a apprises. Beaucoup s' appliquent
à toujours apprendre ; mais bien peu s'efforcent d arriver a
une vraie perfection, en servant Dieu comme il serai jus e
et nécessaire de le faire. Presque tous vivent contmuel-
lement dans l'agitation de l'esprit et s'exposent a un penl
eX 6 r - A la vue de toutes ces choses, cette âme s'adressait
au Seigneur, dans l'ardeur du désir et de l'amour. Elle con-
"raÏfa divi'ne Majesté de vouloir bien lui donner quelques
courts préceptes pour régler saintement notre v* ^
rendre aussi parfaite que possible, en nous faisant suivre
" véritablement l'enseignement de l'Eglise et des **»*"
tures, l'obéissance à ses préceptes devant nous **"»*»
â Dieu les honneurs qui lui sont dus, et nous mériter , après
cette vie courte et misérable, la félicité pour laquelle U nous
fivfiit crpés •
7 - Alors Dieu, qui inspire les saints désirs et ne per-
met pas que leur ardeur soit inutile, se manifesta tout a
coup à ceïte âme dans l'extase, et il lui dit : Ma b.en-aime
tes désirs me ravissent; ils me plaisent tant, que je
beaucoup plus avide de les satisfaire, que tu ne les toi-
Sme de les voir satisfaits. Je souhaite ardemment vous
donner, quand vous y consentez, les grâces qui sont utile,
et nécessaires à votre salut ; aussi je m'empresse de con-
tenter ton désir et d'agréer tes demandes.
8 - Ecoute donc attentivement ce que l'ineffable et in-
faillible Vérité va te dire. Je t'exposerai en peu«ce
au'est ce que renferme la vraie perfection et toutes les
venus qu'éteignent l'Église et les saintes Ecritures. Situ
TRAITE DE LA PERFECTION.
365
te contemples dans cette doctrine, si tu y conformes ta vie,
si tu t'efforces de l'observer, tu accompliras tout ce qui est
contenu et caché dans ces paroles divines, et tu jouiras
d'une joie sans bornes et d'une paix inaltérable.
9. — Apprends que le salut de mes serviteurs et leur per-
fection consistent uniquement à faire ma seule volonté et à
toujours l'accomplir, à ne servir que moi, à n'honorer que
moi, à ne voir que moi dans tous les moments de leur vie.
Plus ils s'y appliqueront avec ardeur, et plus ils appro-
cheront de la perfection ; car plus ils s'uniront et s'attache-
ront par des liens intimes et forts à moi, qui suis la sou-
veraine perfection.
10. — Ce que je te dis en ces quelques mots, tu le com-
prendras plus clairement si tu regardes mon Christ, en
qui j'ai mis mes complaisances. Il s'est anéanti sous la
forme d'un esclave, et il s'est revêtu des apparences du
péché. Vous étiez plongés dans d'épaisses ténèbres, vous
étiez éloignés du sentier de la vérité ; il vous a éclairés
des splendeurs de sa lumière, et vous a ramenés dans la
voie droite par sa parole et son exemple. Il a été obéis-
sant jusqu'à la mort, et cette obéissance persévérante vous
enseigne que votre salut dépend du ferme propos de faire
ma seule volonté.
11. — Quiconque voudra méditer avec soin la vie et la
doctrine de mon Fils, verra clairement que la justice et
la perfection de l'homme consistent uniquement dans une
continuelle et fidèle obéissance à ma volonté. C'est ce que
votre Chef vous a répété tant de fois. N'a-t-il pas dit :
« Ce n'est pas celui qui crie : Seigneur ! Seigneur ! qui en-
trera dans le royaume des cieux, mais celui qui fera la
volonté de mon Père» (Matth. vu, 21 )?
12. — Ce n'est pas sans raison que mon Fils a répété
deux fois : Seigneur ! Seigneur ! Toutes les existences pas-
sagères de ce monde se partagent entre l'état religieux
et l'état séculier, et il a voulu exprimer que personne,
quelle que soit sa position, ne peut acquérir la gloire éter-
nelle, quoiqu'il ait tout fait pour m'honorer extérieurement,
s'il n'a pas accompli ma volonté.
13. — Mon Fils a dit dans un autre endroit: «Je no
suis pas venu faire ma volonté, mais celle du Père qui
m'a envoyé. Ma nourriture est de faire la volonté de Ce-
366
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
lui qui m'a envoyé ». Et autre part : « Que ce ne soit pas
ma volonté, mais la vôtre qui se fasse. C'est selon l'ordre
que m'a donné le Père que j'agis de la sorte » ( Jean,
vi, 38; vi, 34; xiv, 31).
14. — Si tu veux donc imiter l'exemple de ton Sauveur,
et faire ma volonté, qui renferme tout bien, il est néces-
saire qu'en toute chose, tu renonces à ta volonté, que tu la
méprises et la renies. Plus tu mourras à toi-même, plus tu
rejetteras avec soin ce qui est toi, et plus je te donnerai
avec abondance ce qui est moi.
15. — Lorsque l'âme eut reçu ces salutaires enseigne-
ments de la vérité, elle disait dans sa joie : Mon Père, mon
Dieu, je ne pourrais jamais exprimer combien je suis ravie
des choses que vous avez daigné faire entendre à votre
pauvre servante ; j'en remercie de toutes mes forces votre
souveraine Bonté. Rien ne pourra mieux et plus claire-
ment faire comprendre ces enseignements à ma grossière
intelligence, que l'exemple du Sauveur.
16. — Puisque vous êtes le Bien suprême, et que vous ne
voulez pas l'iniquité, mais la justice et la vertu, je fais^ ce
que je dois faire si j'accomplis votre volonté, et je l'ac-
complis en renonçant à la mienne, que vous ne voulez jamais
violenter ; car vous l'avez faite libre, pour que je vous la
soumette de mon plein gré. En m'appliquant sans cesse
à faire la vôtre, je vous deviendrai plus agréable, et j'ac-
querrai des mérites devant vous.
17. _ Je veux donc et je désire ardemment faire tout ce
que vous .commandez ; mais je ne sais pas bien ce que
renferme votre volonté, et comment je puis me soumettre
à vous avec zèle et fidélité. Si je ne suis pas trop témé-
raire, si je n'abuse pas de votre bonté, je vous conjure
humblement d'agréer ma demande, et de me donner
encore quelques courts enseignements.
18. — Alors le Seigneur répondit : Si tu désires connaître
en peu de mots ma volonté, afin de pouvoir la suivre par-
faitement, ma volonté est que tu m'aimes souverainement
et toujours. Je vous ai fait le commandement de m'aimer
de tout votre cœur, de toute votre âme, de toutes vos
forces, et c'est à observer ce commandement que consiste
la perfection ; car la fin du commandement est la charité,
et l'accomplissement de la loi est l'amour.
ï*
TRAITE DE L\ PERFECTION.
307
19. — L'àme reprit : Je comprends que votre volonté et
ma perfection se trouvent dans votre amour, et je voudrais
vous aimer, comme je le dois, d'un amour ardent et souve-
rain ; mais je ne sais pas assez comment je puis et je dois
le faire. Je vous supplie donc de vouloir bien m'instruire à
ce sujet.
20. — Dieu lui dit : Écoute et médite de toute l'applica-
tion de ton esprit ce que je vais te dire. Pour m'aimer par-
faitement, trois choses sont nécessaires. Il faut d'abord éloi-
gner, séparer, retrancher ta volonté de tout amour et de
tout attachement terrestre et charnel, de sorte qu'aucune
chose passagère et périssable ne puisse te plaire en cette vie,
si ce n'est pour moi.
21. — La chose la plus importante, c'est qu'il ne faut pas
que tu m'aimes pour toi , que tu t'aimes pour toi et que
tu aimes le prochain pour toi ; il faut que tu m'aimes pour
moi, que tu t'aimes pour moi, et que tu aimes le prochain
pour moi.
22. — L'amour divin ne peut souffrir la société d'un autre
amour. Selon que tu seras souillée de la contagion des cho-
ses de la ferre, tu seras privée de mon amour et tu perdras
la perfection ; car, pour être pure et sainte, il est néces-
saire que l'àme méprise toutes les choses sensibles. Fais
donc en sorte qu'aucune des choses que ma bonté vous
a données pour votre usage ne t'empêche de m'aimer. Que
toutes, au contraire, t'aident, t'excitent et t'enflamment pour
moi ; car si je les ai créées, et je vous les ai données, c'est
afin que, connaissant davantage la grandeur de ma bonté,
vous m'aimiez d'un plus grand amour.
23. — Applique-toi donc à soumettre au frein de la con-
tinence tes sens et tes désirs : garde- toi avec vigilance, et
résiste avec courage aux concupiscences de la terre, que
font naître de toute part les conditions de cette vie mal-
heureuse et la corruption de la nature. Fais en sorte de pou-
voir dire avec mon prophète : « C'est lui qui a formé mes
pieds (c'est-à-dire mes affections, qui sont les pieds de l'àme)
comme ceux du cerf, pour fuir les chiens ( c'est-à-dire les
liens de la concupiscence), et il m'a placée sur les hauteurs »
(Ps. xvn, 34 ), c'est-à-dire dans la contemplation.
24. — Aussitôt que tu auras observé ce premier ensei-
gnement, tu pourras accomplir le second, qui est d'une
■
ji 1
3G8 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
plus grande perfection -.c'est que toutes tes pensées tes
actes et tes opérations aient pour unique but mon bon Heur
et ma gloire. Il faut l'appliquer sans cesse à me louer
par tes prières, tes paroles, tes exemples. Il faut non seu-
lement le faire, mais encore y porter autant que tu le poui-
tr les autres afin que tous me connaissent, m'aiment et
"honorent uniquement. Ce moyen me plaît plus que le
premier, parce qu'il accomplit plus ma volonté.
P g" _ Quant au troisième enseignement qui reste, si tu
le suis, sois persuadée que rien ne te manquera et que tu
arriveras à la justice parfaite. Voici en quoi il consiste .
H faut chercher avec un ardent désir, et l'efforcer d'attein-
dre une disposition d'esprit telle, que tu me sois si unie,
et que ta volonté soit si conforme à la mienne, que tu ne
veuUles jamais non seulement le mal, mais encore le
bien que je ne veux pas.
26 -Ouoi qu'il arrive au milieu des misères de cette
vie dans les choses temporelles ou spirituelles, rien ne
SSt détruire la paix ou troubler le *ede^
Il faut au contraire croire avec une foi inebianlable que
LTleDieu tout puissant, je t'aime plus que tu ne aime
toi-même et que j'ai pour toi plus de soin et de sollicitude
Ce tu ne peux en avoir toi-même. Plus tu t'abandonneras
plus tu te confieras en moi, et plus je t'aidera., pus je te
serar présent, plus tu connaîtras et sentiras parfaitement
H douceur de ma charité envers toi.
27 - Tu ne peux arriver à cette perfection que par un
entier et perpétuel renoncement à ta propre volonté. Qui-
cona ue nLportc pas ce renoncement dans toutes ses œu-
vres manqife par cela même à la vraie perfection ; mais
ce i qulTpWeavec joie accomplit parfaitement ma
volonté. Celui-là m'est très agréable; carnern ^m|
plus doux que d'agir avec vous par la grâce et d habiter
^T-M^liees SO nt d'être avec les enfants des homme,
le ne veux pas violer les droits de leur libre arbitre mais
dès qu'ils m'acceptent par la grâce, ils sont transforme
eTmoi, tellement qu'ils sont une même chose ,aveo _ m.
par la participation de ma perfection, de ma paix pa.ticu
lière et de mon repos. „„ n P ardeur
29. - Afin que tu comprennes mieux avec quelle aideui
TRAITÉ DK LA PERFECTION.
3C0
je désire être avec vous, et que tu te presses de soumettre
et d'unir ta volonté à la mienne, vois et considère attenti-
vement que j'ai voulu que mon Fils unique s'incarnât, et
que ma divinité, dépouillée de l'éclat de sa majesté, s'unît
à votre humanité. C'est par cette preuve d'amour que je
vous ai invités, excités à unir votre volonté à la mienne,
■et à vous attacher toujours à moi seul.
30. — J'ai voulu que mon Fils bien-aimé s'assujettit à
la mort cruelle et ignominieuse de la Croix, afin que par
ses tourments il effaçât votre péché. Car le péché avait
établi entre moi et vous une rupture qui m'avait obligé de
détourner de vous mes regards.
31. — Je vous ai aussi apprêté ce festin si grand et si
peu connu, le Sacrement du corps et du sang de mon Fils.
En le prenant pour nourriture, vous êtes transformés et
changés en moi. De môme que le pain et le vin dont
vous vous nourrissez passe dans la substance de votre corps,
de môme, en vous nourrissant de lui, mon Fils, qui est une
même chose avec moi, pénètre votre substance spirituelle
sous les apparences du pain et du vin, et vous vous conver-
tissez en moi. C'est ce que j'exprimais à mon serviteur
Augustin lorsque je lui disais : « Je suis la nourriture des
grands. Crois et mange, tu ne me changeras pas en toi,
mais tu seras changé en moi » (-1).
32. — Cette âme comprit alors ce qu'était la volonté de
Dieu ; elle vit que, pour l'accomplir, la charité parfaite
est nécessaire, et que la charité parfaite consiste dans le
renoncement de la volonté propre. Seigneur mon Dieu, dit-
elle, vous m'avez fait connaître votre volonté, vous m'a-
vez expliqué que si je vous aime parfaitement, je n'aime-
rai aucune chose terrestre et périssable pour moi-même,
mais que j'aimerai tout à cause de vous et pour vous. Vous
m'avez dit que je devais chercher en toute occasion votre
honneur et votre gloire, et porter mon prochain à le faire
également. Vous m'avez dit que dans toutes les adversités
que je rencontrerais pendant cette malheureuse vie, je
devais m'appliquer à souffrir avec un esprit indifférent, tran-
quille et joyeux.
il !■
I
I
I.
(l)Cibus sum grandium: credete manducabis ; nec tu me mutabis ia te,
sedtu mutabens in me. '
dialogue de Ste Catherine. —24.
■
370
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
■1":
Xi ?■
i .•;
* -Puisque toutes ces choses doivent se faire pai
33. - f" 18 ^ j té propre, enseignez-moi, je
renoncement de <**£™ * cc "renoncement etd'ac-
vous prie, le moyen daim ^ J. . . j vois
quérir, de conserver une» 8 > * - ^ s ' autant que
à la lumière de votre doctrine, je
je mourrai en moi. trnmne iamais les saints désirs,
aouta: 11 est certain q te remplirai de ma
vertu et en dignité. perfection, tu dois,
35. _ si tu veux donc armei cette p ^ .^
avec une ^^^Ïsère et de "pauvreté, travailler
connaissance de ta m seree^ . ^ ^ .
à une seule chose et ta volonté Pour y parvenir,
seul et emplir en^mavpjne. P Y^
u est nécessaire quau ™ ^ ^ e une cell , e
ton jugement, tu te com, volonté, pour t'y
e t e "^^« Ue ^ qUe ""dé
n ïn he sor e sia y mais Quelque chose que tu regardes, nende-
semblera être ma volo n ^ ^f C ^ n mailre .
ce que tu feras, le Saint &V}Aje™™ voie a u renon-
3 1 _ On peut arriver aussi pa ^ folles quelqu'un
cernent de la ^^^Ze^Zon bon plaisir,
qui puisset'instruire et te gouverne^ ^ enUè _
tu lui ^^£^0?^» «*«*• et SUÎVre
rement à lui pour lui obéir en g ^ ^
continuellement ses ^ S J^J. mém e.
viteurs prudents et fidèles m ecoi e gt
38. ^ Ce que je veux aussi c est qu avec i
une ardeur -^igable tu médites sui mm, t ^
t . a i créée pour jouir de la béaUtude^ Je «u
souverain, tout P — ^f^Z^é, et rien ne peut
plaît. Rien ne peut résister a
TRAITE DE LA PERFECTION.
371
vous arriver sans elle ; car rien ne se fait sans ma permis-
sion. Le prophète Amos l'a dit : « Aucun mal n'arrive à la
cité sans moi ou sans ma permission » (Amos. m, 6 ).
39. — Songe que moi ton Dieu, je suis la plénitude de
la sagesse, de la science et de l'intelligence, que je vois
toutes les choses avec certitude, et que je les pénètre inti-
mement. En te gouvernant, en gouvernant le ciel et la terre,
et le monde entier, je ne puis jamais être trompé ni égaré
par quelque erreur. S'il en était autrement, je ne serais pas
Dieu et la Sagesse suprême. Pour que tu comprennes l'effi-
cacité de ma sagesse, apprends que, de la faute et du châ-
timent, je tire un bien plus grand que le mal môme.
40. — Considère enfin que je suis un Dieu souverainement
bon, et que mon amour me fait nécessairement vouloir tout
ce qui vous est utile et salutaire. 11 ne peut venir de moi
aucun mal, aucune haine. C'est par bonté que j'ai créé
l'homme, et je l'aime toujours d'une ineffable tendresse.
41.— Lorsqu'une foi ferme et inébranlable, une médita-
tion profonde t'auront convaincue de ces vérités, tu connaî-
tras que les tribulations, les tentations, les difficultés, les
maladies et toutes les choses contraires de la vie vous sont
toujours envoyées par ma providence pour votre salut. Ce
qui vous parait fâcheux doit vous corriger de votre malice
et vous conduire à la vertu, par laquelle on acquiert le vrai,
le souverain bien que vous ne connaissez pas.
42. — La lumière de la foi doit aussi rapprendre que je
sais, je veux et je puis accomplir ton bonheur mieux que
toi-même. Tu ne peux rien faire, savoir et vouloir, sans ma
grâce. Tu dois donc apporter tous tes soins à soumettre en-
tièrement ta volonté à la volonté divine. En le faisant, ton
âme se reposera dans la paix, et ta m'auras toujours avec
toi, car j'habite dans la paix.
43. — Tu ne souffriras d'aucun scandale, et rien ne pourra
te faire tomber. Une paix profonde est le partage de ceux
qui aiment mon nom ; aucune cause ne les ébranle, parce
qu'ils aiment uniquement ma loi, c'est-à-dire ma volonté ;
et ma loi est ce qui gouverne toutes choses. Ils me sont si
intimement unis par elle, ils aiment tant l'observer, que rien
au monde ne peut les attrister, excepté le péché, parce qu'il
me fait injure.
44. — Ils voient avec le regard pur et tranquille de l'âme
-
372 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
nue moi, le Maître souverain de l'univers, je gouverne tout
avec une sagesse, un ordre et une charité infinis. Us savent,
par co séqùent, que ce qui leur arrive est bon. Je cho.su, le
Silleur pour eux, et je pourvois plus utilement a leur, ; b :
soins qu'ils ne pourraient eux-mêmes le savoir, le voulon
et le pouvoir faire. .».—■»
45 -II en est de même des épreuves qu'ils supportent.
Gomme ils m'attribuent les événements, au lieu de les attri-
buer au prochain, ils sont tellement affermis dans une in-
vincible patience qu'ils souffrent tout, non seulement avec
cXe mais encore avec joie et bonheur. Dans tout ce qui
leur arrive à l'intérieur et à l'extérieur, ils goûtent la dou-
ceur de mon ineffable charité. _
46 _ C'est savoir apprécier ma bonté que de croire et de
penser avec reconnaissance, au milieu des difficultés et des
Etions, que je dispose de tout avec ^ douceur e que
tout découle de la source élevée de mon amoui. Une seule
chose peut corrompre et détruire le bien de cette salutaire
pensée et de cette sainte disposition, c'est la volonté pro-
pre l'amour de vous-mêmes. Si vous vous séparez de cette
volonté de cet amour, vous vous séparez de l'enfer des
Cme's éternelles préparées à l'âme et au corps des mau-
oT vous vous séparez aussi de l'enfer des agitations de
^esprit et des tempêtes de l'adversité, queleshommes aveu-
o-ipc; souffrent sur cette terre.
S 47 - Ansi, ma fille, si tu désires vivre dans ce siècle pé-
rissable et trompeur par la grâce, et dans l'éternité bienheu-
reuse par la gloire, il faut mourir en te renonçant oi-meme
et en Sposant ta volonté propre. Car bienheureux les morts
quimeuSit dansle Seigneur, et bienheureux les pauvre
dïsprit parce qu'ils me voient pendant leur pèlerinage par
Îuffon de l'amour, pour me voir ensuite par la gloire, dans
les splendeurs de la patrie.
PRIERES
g i.
DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE
I
I. — Prière faite à Avignon pour le rétablissement de la paix
dans l'Église. — Elle fut recueillie pendant l'extase de la
Sainte, par Thomas Pétra, sténographe de Grégoire XI, et
depuis secrétaire du Pape Urbain VI.
1- — Déité, Déité, ineffable Déité ! Bonté suprême qui
par amour seulement nous avez faits à votre image et res-
semblance, vous ne vous êtes pas contenté de dire, lorsque
vous avez créé l'homme, le fiât qui tira les autres créatures
du néant ; mais vous avez dit : Faisons l'homme à notre
image et ressemblance ( Genèse, i, 26 ), afin que la Trinité
tout entière concourût à notre existence et imprimât sa
forme dans les puissances de notre âme. Et en effet, ô Père
éternel ! qui conservez tout en vous, notre mémoire vous
ressemble, puisqu'elle retient et conserve tout ce que l'in-
telligence voit et comprend de vous-même. Cette connais-
sance la fait participer à la sagesse de votre Fils unique.
Vous nous avez Sassi donné la volonté du Saint Esprit, qui
surabonde de votre amour et saisit tout ce que l'intelligence
connaît de votre ineffable bonté, pour remplir de vous notre
mémoire et notre cœur.
2. — Oh ! oui, je vous rends grâces de cet amour infini
que vous avez manifesté au monde, en nous donnant l'in-
telligence pour vous connaître, la mémoire pour vous rete-
nir, la volonté pour vous aimer par dessus toutes choses,
comme vous le méritez ; et cette puissance, cet amour, ni
le démon, ni aucune créature ne peuvent nous les ravir
sans notre consentement. Que l'homme rougisse de se voir
tant aimé, et de ne pas aimer son Créateur, sa vie véritable.
373
ï iàj
374
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
3-0 éternelle Bonté ! vous me faites comprendre l'im-
mensité de votre amour. Lorsque, après la désobéissance ce
notre Père, notre faiblesse nous eut entraînés dans la cor-
ruption du péché, l'amour vous a forcé de jeter sur nous des
regards de miséricorde, et vous nous avez envoyé dans no . t
détresse votre Fils, le Verbe incarné, caché sous les vo.les
de notre chair misérable et revêtu de notre mortalité.
4 _ Et vous, Jésus, notre réconciliateur, notre réforma-
teur notre rédempteur, Verbe et Amour du Père, vous êtes
intervenu entre l'homme et son Créateur, et vous avez chan-
gé la guerre qui les séparait en une pa.x profonde. Vous
avez puni la désobéissance d'Adam et nos iniquités sur
votre corps sacré, en vous faisant obéissant jusqu a la mort
ignominieuse de la Croix. Sur la Croix, ô doux Jésus ! vous
avez satisfait d'un seul coup à l'offense de votre Père et à
notre faute ; vous les avez expiées sur vous-même.
5 - J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi ! de quelque
côté que je me tourne, je rencontre votre ineffable amour
Comment excuser celui qui ne vous aime pas? Car , ô Dieu
fait homme pour que je vous aime, vous m'avez aime avant
ma naissance, et vous m'avez fait capable de connaître et
de sentir votre infinie puissance et votre bonté. Tout ce que
je puis aimer et tout ce qui a l'être, je le trouve en vous
le péché seul ne s'y trouve pas, et puisqu'il n est pas en
vous, il n'est pas digne d'être aime.
6 - Si nous voulons aimer Dieu comme nous le devons,
nous trouvons en vous ses infinies perfections ; si nous vou-
lons aimer l'humanité, vous l'avez en vous dans son indi-
cible pureté. Si nous voulons aimer un maître, cest vous
qui nous avez rachetés de votre sang et qui, par ce p
Lstable, nous avez tirés de la servitude du pèche. Oui
nous vous appartenons, car vous avez été notre père, notre
frère, notre maître, notre ami, notre compagnon, avec une
incompréhensible charité. ... „i„„»ô
7 - Dieu éternel! votre Fils, fidèle à votre volonté,
a répandu son Sang précieux pour nous, misérables, sm
l'arbre de la sainte Croix. Comment vous remercier de tant
de benti s moi misérable créature, et vous la Sagesse, la
Puissant, l'a Bonté même. Vous êtes la Beauté par essenc £
et moi je ne sais que la bassesse, l'abjection. Vous êtes la
Vie étemelle, moi la mort; vous la Lumière, mo, lobscu-
I
PRIÈRES IDE SAINTE CATHERINE.
375
vite-, vous la Sagesse, moi la folie; vous l'Infini, moi la fra-
gilité même. A chaque instant je puis mourir, ô Médecin !
vous voyez le mal qui m'accable. J'ai perdu mon ame et ma
vie en ne vous aimant pas, vous qui nous avez faits pour
vous et qui nous attirez sans cesse par votre grâce ; vous
qui nous uniriez à vous si nous y consentions, si notre volon-
té ne se révoltait pas contre votre Majesté sainte (1).
8. — Ah ! Seigneur, j'ai péché, ayez pitié de moi ! Que votre
éternelle Bonté ne s'arrête pas à ces souillures que nous
avons contractées en nous séparant de vous, et en éloignant
nos âmes de leur objet véritable. J'implore votre miséri-
corde, qui est sans bornes, et je vous supplie de jeter un
regard de clémence et de tendresse sur l'Église, votre uni-
que Épouse. Éclairez votre Vicaire en ce monde, afin qu'il ne
vous aime pas et ne s'aime pas pour lui-même, mais qu'il s'ai-
me et qu'il vous aime pour vous. S'il vous aime et s'il s'ai-
me pour lui, nous périrons ; car il est notre perte ou notre
salut, puisque nous sommes ses brebis et qu'il doit nous
sauver de nos égarements. Mais s'il vous aime et s'il s'aime
pour vous, nous vivrons, puisque nous recevrons du Bon
Pasteur la vie de l'exemple.
9. — O Dieu suprême et ineffable ! j'ai péché et je ne
suis pas digne de vous prier, mais vous pouvez m'en ren-
dre moins indigne. Punissez, Seigneur, mes péchés, et ne
regardez pas ma misère. J'ai reçu de vous un corps que je
vous rends et que je vous offre. Voici ma chair et mon
sang ; frappez, détruisez, réduisez mes os en poussière, mais
accordez ce que je vous demande pour le souverain Pontife,
l'unique époux de votre unique Épouse. Qu'il connaisse tou-
jours votre volonté, qu'il l'aime et qu'il la suive, afin que
nous ne périssions pas. Donnez-lui, mon Dieu, un cœur
nouveau ; que votre grâce augmente toujours en lui ; qu'il
soit infatigable à porter l'étendard de votre sainte Croix,
et qu'il dispense aux infidèles les trésors de votre misé-
ricorde comme à nous-mêmes, qui jouissons delà Passion
et du Sang de l'Agneau sans tache, votre Fils bien-aimé;.
— J'ai péché, Seigneur ; Dieu éternel, ayez pitié de moi !
(I) Il y a dans cette prière quelques variantes entre le texte italien et le texte
latin. Nous avons souvent suivi le latin, comme offrant un sens plus clair.
r
376
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
II. - Prière faite pour les ministres de l'Église pendant la
même extase.
\ - Je le reconnais, ô Dieu éternel, vous êtes un océan
tranquille, où vivent et se nourrissent les âmes ; elles y
trouvent leur repos dans l'union de l'amour, parce quelles
suivent en tout votre volonté souveraine, qui ne veut d autre
chose que notre sanctification. Dès qu'elles se comprennent,
elles se renoncent pour se revêtir de vous-même. O doux
amour, le signe véritable de ceux qui demeurent en vous
est de se détacher de leur volonté propre et des créatures
qui trompent; c'est de faire ce que vous voulez, en sui-
vant votre bon plaisir et non leur inclination ; c est de se
réjouir moins clans les choses heureuses de ce monde que
dans les contraires ; car l'adversité est un moyen entre les
âmes et vous ; elle les éprouve comme l'or dans la four-
naise, et montre si c'est par amour qu'elles accomplissent
votre volonté. Il faut aimer l'adversité comme les autres
choses que vous avez créées ; tout est bon et digne d'être
aimé, excepté le péché, que seul vous n'avez pas fait.
2 - Hélas ! malheureuse, en aimant le pèche, ] ai peidu
le temps qui vous appartenait ; j'ai péché, Seigneur, ayez
pitié de moi. Punissez mes péchés, effacez mes iniquités, •
purifiez-moi, ô Dieu éternel et ineffable ; exaucez votre pau-
vre servante, qui vous demande de diriger vers vous les
cœurs et les volontés des ministres de notre sainte me e
l'Église, votre Épouse, afin qu'ils suivent 1 Agneau, votre
fS dans le chemin de la Croix, et qu'ils **£*££
vreté, sa douceur, son humilité, non pas ^parfaitement,
mais d'une manière surhumaine et divine. ,.'.„,*
3. - Qu'ils soient des anges sur la terre, puisqu'ils doivent
consacrer et distribuer le corps et le sang de votre Fils
unique, la Victime sans tache. Qu'ils ne s'en renden tp^
indignes, comme des animaux sans raison ; mais unissez-
les dans votre amour, ô vous qui donnez la paix; punfiez-
les dans l'océan tranquille de votre miséricordieuse bonté,
afin qu'ils ne perdent pas un temps précieux, en nu™
Bas le présent pour l'avenir. J'ai péché, Seigneur, ayez pitte
de moi ; entendez ma prière, et exaucez votre pauvre servante
PRIÈRES DE SAINTE CATHERINE. — III
377
qui vous implore, ô tendre Père, pour tous ceux que vous
m'avez donnés, et que je voudrais tous aimer dans la per-
fection de votre infinie charité, ô grand, éternel, ineffable,
véritable Dieu !
III. — Prière faite à Gênes au moment où le Pape Grégoire XI
voulait retourner à Avignon.
I
1. — O Père tout puissant, Dieu éternel, douce et inef-
fable Charité, je vois en vous et je comprends par mon
cœur que vous êtes la voie, la vérité, la vie. C'est par vous
que tout homme qui vous désire doit arriver ; et c'est votre
tendresse qui l'éclairé et le dirige par la connaissance de
votre Fils bien-aimé Notre Seigneur Jésus-Christ. Vous êtes
le Dieu éternel et incompréhensible, qui, poussé par votre
seul amour et votre miséricordieuse bonté, nous avez en-
voyé, après la perte du genre humain, Notre Seigneur
Jésus-Christ, votre Fils unique, revêtu de notre chair mor-
telle. Vous avez voulu qu'il vienne, non pas dans les jouis-
sances et les grandeurs de ce siècle périssable, mais dans
l'abaissement, la pauvreté et la douleur ; il a connu et ac-
compli votre volonté pour notre salut ; il a méprisé les dan-
gers du monde et les efforts du démon, et il a vaincu la
mort par la mort, en se faisant obéissant jusqu'à la mort
cruelle de la Croix.
2. — Maintenant, Amour incompréhensible, qui êtes tou-
jours le même, vous envoyez votre Vicaire pour sauver vos
enfants qui périssent par leur rébellion contre la sainte Égli-
se, votre unique Épouse. Vous l'envoyez au milieu des périls
et des angoisses, comme vous avez envoyé votre Fils bien-
aimé, notre Rédempteur, pour sauver vos enfants morts par
la désobéissance d'Adam et par le péché. Hélas ! ces pauvres
hommes que vous avez créés se laissent égarer par l'orgueil
et la sensualité. L'ennemi les trompe, et ils s'opposent à
votre sainte volonté, qui doit les sauver ; il détournent le
souverain pontife de ses desseins si utiles et si nécessaires
à l'Église. O amour éternel, ces infortunés craignent la
mort du corps, et non celle de l'âme ; ils écoutent leurs sens
et leur amour-propre, et non la vérité de vos jugements et
la profondeur de votre sagesse infinie. Vous. êtes cepen-
1 1
■i •*;
378
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
dant notre règle unique, le chemin que nous devons suivre.
3. _ Vous nous l'avez dit : il faut nous réjouir au milieu
des' difficultés et des peines, car c'est là notre vocation.
Votre admirable Providence a voulu que le monde et la
chair ne produisent que des fruits d'amertume, afin que
nous n'y placions pas nos joies et nos espérances, mais que
nous n'ambitionnions que les fruits de salut et les grâces
d'en haut. Que votre Vicaire se réjouisse de suivre votre
volonté et les traces de Jésus-Christ, qui a livré et sacrifie
pour nous son très saint Corps, et qui, dans son amour, a
versé tout son sang pour laver nos péchés et nous sauver.
C'est lui qui a donné à votre Vicaire les clefs qui lient et
qui délient nos âmes, afin que nous suivions en tout votre
volonté et vos exemples.
4 — J'implore pour lui votre souveraine clémence ; pu-
rifiez son âme, et que son cœur brûle du désir de ramener
ceux qui sont égarés, et de les sauver par votre puissance.
Si ses lenteurs vous déplaisent, ô amour éternel, punissez-
les sur mon corps qui vous appartient, et que je vous offre,
afin que vous l'affligiez et le détruisiez selon votre bon
plaisir. Seigneur, j'ai péché, ayez pitié de moi.
5. — Dieu éternel, vous vous êtes passionné pour votre
créature avec une miséricorde sans bornes ; vous avez en-
voyé votre Vicaire pour retrouver ce qui était perdu, et je
vous en rends grâces, malgré mon indignité et ma bassesse.
O Dieu véritable ! Bonté infinie, Charité qui ne peut se com-
prendre, comment l'homme, que votre amour a racheté au
prix du sang de votre Fils unique, n'a-t-il pas honte de ré-
sister à votre volonté, qui n'a d'autre but que notre sanc-
tification !
6—0 Dieu ! vous vous êtes fait homme pour nous ; vous
vous unissez à nous, et vous avez établi votre Vicaire le dis-
pensateur des grâces nécessaires à notre sanctification et au
salut de vos enfants égarés; faites, je vous en conjure, quil
suive en tout votre volonté, qu'il n'écoute pas les conseils
de la chair et de l'amour-propre, et qu'il ne soit arrête par
aucune crainte, aucun obstacle. Hors de vous, Seigneur,
tout est imparfait : aussi ne regardez pas mes pèches que je
vous confesse, mais exaucez votre pauvre servante qui es-
père en votre miséricorde infinie.
7. - Lorsque vous nous avez quittés, vous n'avez pas vou-
lu nous laisser orphelins, et vous nous avez donné votre Vi-
caire, qui nous purifie dans le Saint Esprit, non seulement
par le baptême, qui nous rend une première l'ois l'innocence,
mais encore par la pénitence, qui lave et elTace sans cesse
la multitude de nos péchés. Vous êtes venu à nous, et vous
n'avez reçu que des outrages ; nous nous sommes éloignés
de vous, parce que nous avons jugé selon la chair et l'a-
mour-propre. Jésus! votre face s'est obscurcie, parce que
vos créatures abusent de vos grâces, et qu'elles dépouillent
l'Église, votre unique Épouse.
8. — Faites, ô éternelle Bonté, que votre Vicaire ait soif de
nos âmes, et qu'il brûle du désir de votre gloire ; qu'il s'at-
tache à vous, qui êtes la souveraine et infinie Miséricorde.
Guérissez par lui nos infirmités, rétablissez votre Epouse
par la sagesse de ses conseils et l'efficacité de ses œuvres.
O mon Dieu ! réformez aussi la vie de ceux qui l'entourent,
afin qu'ils s'attachent à vous seul dans la simplicité de leur
cœur et la perfection de leur volonté ; ne vous arrêtez pas à
l'indignité de votre pauvre servante, qui vous prie pour eux;
mais placez-les dans les jardins de votre volonté. O Père ! je
vous bénis, afin que vous bénissiez vos serviteurs ; qu'ils se
méprisent eux-mêmes pour l'amour de vous, et qu'ils sui-
vent la lumière de votre volonté, qui seule est sainte et éter-
nelle. O Dieu ! recevez, pour tous, mes humbles actions de
grâces.
IV. — Prière écrite en cinabre de la main même de sainte
Catherine (1).
Esprit Saint, venez en mon cœur ; attirez-le à vous par
votre puissance, mon Dieu, et donnez-moi la crainte et la
charité. O Christ ! gardez-moi de toute mauvaise pensée ;
réchauffez-moi, enflammez-moi de votre très doux amour,
et toute peine me semblera légère ! Mon Père, mon doux
Seigneur, assistez-moi dans toutes mes actions ! Jésus a-
mour, Jésus amour.
(1) Cette prière ne se trouve pas dans la version latine,
serve à Sienne.
L'original est con-
380
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
l
i
V - Prière faite à Rome pendant une extase qui suivit la
Communion, le Vendredi 18 février 1379 (1).
1 - souveraine et éternelle Trinité, Amour ineffable,
vous m'appelez votre fille, et moi je puis vous dire: Mon
Père ' Vous vous êtes donné à moi en me donnant le corps
et le sang de votre Fils bien-aimé, qui est Dieu et homme
tout ensemble ! Unissez-moi aussi, je vous en conjure, au
corps mystique de la sainte Église, ma mère, à la société
universelle de la religion chrétienne ; car le feu de votre
charité m'a fait connaître le désir que vous avez de voir mon
àme se réjouir dans cette union sacrée. Amour inexpri-
mable, vous m'avez vue et connue en vous, et ce sont les
rayons de votre lumière, dont j'étais revêtue, qui vous ont
passionné pour votre créature !
2 -Vous l'avez tirée de vous-même, vous lavez créée a
votre image et à votre ressemblance ; et moi, cependant,
pauvre créature, je ne pouvais vous connaître qu'en voyant
en moi votre image et votre ressemblance. Mais, afin que je
puisse vous voir et vous connaître en moi, vous vous êtes
uni à nous ; vous êtes descendu dès hauteurs de votre divi-
nité jusqu'aux dernières infirmités de notre nature. Comme
la faiblesse de mon intelligence ne pouvait comprendre et
contempler votre grandeur, vous vous êtes fait petit et vous
avez caché vos splendeurs admirables sous les voiles infi-
mes de notre humanité. Vous vous êtes manifeste par la
parole de votre Fils unique, et je vous ai connu en moi-
même. .... , .,
3-0 abîme de charité ! oui, c'est ainsi, Trinité adorable.
que vous vous êtes manifestée, que vous nous avez montre
votre Vérité ; c'est surtout par l'effusion de votre sang que
nous avons vu votre puissance, puisque vous avez pu nous
laver de nos fautes. Nous avons vu votre sagesse, puisque,
sous la chair de notre humanité, vous avez caché la force de
(1, Nous donnons les dates ^f^^gg^^ S £
X£^E«£S£ S= Sr&à Sienne o U
à Florence ; ces prières n'ont pu être faites a Rome qu en 1379.
PRIÈRES DE SAINTE CATHERINE. — V
381
votre divinité, qui a vaincu le démon et l'a dépouillé de sa
puissance. C'est votre sang qui nous a montré votre chari-
té, puisque par la seule ardeur de votre amour vous nous
avez rachetés, lorsque vous n'aviez pas besoin de nous.
4. — Ainsi s'est manifestée votre Vérité, qui nous a créés
pour nous donner la vie éternelle. Oui, votre créature a con-
nu la vérité par le Verbe, votre Fils unique. Sans lui, elle
était inaccessible à nos regards obscurcis par le péché.
Rougis donc, ô créature ; rougis d'être ainsi aimée et hono-
rée par ton Dieu, et de ne pas le connaître r lui que sa cha-
rité infinie a fait descendre des hauteurs de sa gloire jus-
qu'à la bassesse de ta nature, pour que tu le connaisses en
toi. J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.
5. — O mystère admirable ! vous connaissiez votre créa-
ture en vous avant qu'elle fût créée; vous voyiez qu'elle de-
vait commettre l'iniquité, qu'elle devait s'écarter de votre
vérité, et cependant vous l'avez créée. O amour incompré-
hensible ! vous me dites: Mon âme, et moi je vous dis: Mon
Père ! O Père si plein de miséricorde, je vous en conjure,
unissez tous vos serviteurs dans le feu de votre charité ; dis-
posez-les à recevoir les inspirations et les enseignements
que répand et veut répandre la lumière de votre charité.
6. _ Votre vérité a dit: Cherchez, et vous trouverez; de-
mandez, et vous recevrez; frappez, et il vous sera ouvert.
(Matth. vu, 7). Eh bien! moi, pauvre et misérable, je frappe
à la porte de votre Vérité, je m'adresse à votre Majesté, j'im-
plore votre clémence, et je lui demande miséricorde pour
le monde, et surtout pour la sainte Église; car je sais par
votre Fils qu'il faut me nourrir sans cesse de cette nourri-
ture; puisque vous le voulez, ne me laissez pas périr de faim.
7. '— O mon âme ! que fais-tu ? Ne sais-tu pas que le Sei-
gneur ton Dieu te voit sans cesse ? Ne sais-tu pas que rien
ne peut fuir son regard, et que ce qui échappe à l'œil de la
créature ne peut jamais éviter le sien ? Ne commets donc
plus l'iniquité, et relève-toi de tes fautes. J'ai péché, Seigneur,
ayez pitié de moi; il est temps de secouer le sommeil. O
éternelle Trinité ! vous voulez que nous avancions, et si nous
ne nous réveillons pas dans la prospérité, vous nous envoyez
l'adversité. Comme un habile médecin, vous brûlez avec le
feu de la tribulation les plaies que n'a pu guérir le baume
des consolations.
y
382
ÎJIALOGI'E DE SAINTE CATHERINE
8. — OPère! ô Charité incréée! je n'admirerai jamais assez
ce que m'a révélé votre lumière ! Vous m'avez vue et connue,
vous avez vu et connu toutes les créatures raisonnables, en
général et en particulier, avant que nous ayons l'être. Vous
avez vu Adam, le premier homme ; vous avez connu sa faute
et celles qui devaient en être la suite, en lui et dans sa pos-
térité. Vous avez su que le péché s'opposerait à votre Vérité,
et qu'il empêcherait les créatures raisonnables d'atteindre la
fin à laquelle vous les aviez destinées. Vous avez vu les
tourments que votre Fils devrait subir pour sauver le
genre humain et réparer la vérité en nous. Oui, vous me
l'avez dit, votre prescience vous avait tout annoncé. Com-
ment se fait-il, Père éternel, que vous ayez créé votre créa-
ture ?
9, _ o mystère adorable, incompréhensible ! Oui, vous
n'aviez pas d'autres raisons que l'amour dans notre création ;
vous nous avez vus en vous-même, et votre charité vous a
forcé à nous créer malgré toutes les iniquités que nous de-
vions commettre contre vous. Vous n'avez pu résister, ô
Amour éternel ; vous aperceviez dans votre lumière toutes
les offenses de votre créature contre votre infinie bonté, mais
vous avez paru ne pas les voir, vous ne vous êtes arrêté qu'à
la beauté de votreœuvre; vous l'avez aimée, vous vous êtes
passionné pour elle, et vous l'avez tirée de votre sein pour
la créer à votre image et à votre ressemblance. O Vérité
éternelle ! vous vous êtes révélée à votre indigne servante.
10. — Vous lui avez appris que c'est l'amour qui vous a
forcé à lui donner l'être. Vous voyiez qu'elle devait vous
offenser, mais votre charité a détourné vos regards de ses
offenses pour les fixer uniquement sur la beauté de votre
créature ; car la vue de l'offense pouvait empêcher l'amour
de répandre la vie. Vous le saviez, et vous n'avez écouté
que l'amour, parce que vous n'êtes qu'un foyer d'amour.
11. —Et moi, mes fautes m'ont empêchée de vous con-
naître ; mais accordez-moi la grâce, ô très doux Amour, de
répandre en votre honneur tout le sang de mon corps;
faites que je me dépouille entièrement de moi-même. Bé-
nissez aussi, ô mon Dieu, celui qui m'a donné la sainte Com-
munion; détachez-le de lui-même, revêtez-le de votre volon-
té, fixez-le en vous par des liens indissolubles, afin qu'il soit
une plante répandant son parfum dans le jardin delà sainte
■■■MM
PRIERES DE SAINTE CATHERINE.
VI
383
Église. Accordez-nous, je. vous en conjure, ô Père très clé-
ment, votre douce bénédiction; lavez nos âmes dans le
sang de votre Fils. Amour, Amour, je vous demande la
mort !
VI. — Prière faite par sainte Catherine le jour de saint
Thomas apôtre.
1. — O Déité, Déité, éternelle Déité, véritable Amour, qui
par l'union de l'humanité de votre Verbe, Notre Seigneur
Jésus-Christ, avec votre divinité, nous avez donné, quand
nous étions perdus, la lumière de la foi, qui éclaire l'œil de
notre intelligence pour nous faire apercevoir et connaître le
véritable objet de notre âme, votre adorable Divinité. Vous
avez fait de votre Fils unique, Notre Seigneur, la victime
sans tache qui devait nous réconcilier avec vous, et vous
l'avez placé comme la pierre angulaire, la colonne inébran-
lable de notre sainte mère l'Église, votre unique Épouse.
C'est lui qui doit renouveler sans cesse l'Église par des
plantes nouvelles et fécondes. Nul maintenant ne peut s'op-
poser à votre volonté, qui est éternelle et immuable.
2. — Ne regardez pas les péchés qui me rendent in-
digne de vous prier, mais daignez les effacer par les mé-
rites de saint Thomas, votre apôtre. Oui, purifiez mon âme,
Dieu puissant, mon amour; exaucez votre servante qui vous
invoque. Vous êtes un feu qui brûlez toujours, mais vous
conservez ce qui vous est agréable, et vous ne détruisez
clans l'âme que ce qui peut vous déplaire. Brûlez par le
feu de votre Esprit, consumez et anéantissez jusqu'à la
racine tout amour et tout désir de la chair dans le cœur
des plantes nouvelles dont vous avez bien voulu parer
le corps mystique de notre sainte mère l'Église. Changez
leurs attachements profanes en élans d'amour pour vous;
donnez-leur un cœur nouveau avec la connaissance de
votre sainte volonté, afin qu'ils méprisent le monde et se
renoncent eux-mêmes. Qu'ils soient remplis de ferveur ;
qu'ils deviennent les apôtres de la foi et les modèles de
toutes les vertus ; qu'ils abandonnent bien réellement les
désirs trompeurs et les richesses de ce monde périssable,
■ ,
3BI
■
384 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
pour vous suivre seul dans la pureté de l'intention et
l'ardeur de la charité.
3 - Faites que notre Chef et notre Père, 1 époux de
votre Église, soit toujours fidèle à vos inspirations; qa'il
n'élève ne reçoive et n'écoute que ceux qui en sont dignes;
et que' ces auxiliaires nouveaux, semblables aux anges
oui vous servent dans le ciel, travaillent avec votre Vi-
caire à rendre notre sainte mère l'Église conforme à votre
cœur, par la simplicité de leur cœur et la perfection de
leur vie.
4 _ Qu'ils comprennent qu'ils sont réellement des mem-
bres nouveaux du corps de Notre Seigneur Jésus-Christ,
et que votre Providence sait en retrancher, sans le se.
cours de l'homme, les rameaux inutiles qui ne portent
pas de fruits. Qu'ils naissent avec Jésus, et croissent comme
lui en vertu ; qu'ils soient utiles à l'Eglise par leurs exem-
ples et par leurs mœurs; qu'ils soient comme des greffes
nouvelles dont la nature fait porter des fleurs plus par-
fumées et des fruits plus agréables. Que votre grâce ce-
leste retranche toute affection charnelle; que la rosée de
votre Esprit Saint, qui se répandit sur vos Apôtres, fasse
qermer en eux de nouvelles vertus. Qu'ils élèvent vers
vous la suavité de leur odeur, et qu'ils donnent à l'Eglise
la richesse de leurs vertus et l'efficacité de leurs œuvres,
afin que votre Épouse soit réformée en eux.
5-0 Amour éternel ! purifiez, sanctifiez votre Vicaire,
afin qu'il soit pour les autres un modèle de pureté et
d'innocence; qu'il reste toujours fidèle à votre grâce et
qu'il la communique au peuple qui lui a été confié. Qu il
convertisse aussi les infidèles par de célestes ense.gne-
ments, et qu'il offre des fruits de salut à votre incom-
préhensible Majesté. Oui, daignez m'exaucer, mon Dieu, et
recevez les actions de grâces de votre pauvre servante, o
Dieu véritable, souveraine Bonté.
VII. — Prière faite à Rome, le dimanche 20 février 1379.
1 - Je le confesse, Dieu éternel, je le confesse, adorable
Trinité, vous me voyez et vous me connaissez, votre lu-
imère me l'a fait comprendre. Je sais que vous n'ignorez
■MHHBai
M
PRIERES DE SAINTE CATHERINE.
VII
385
pas les besoins de votre Épouse bien-aimée, la bonne vo-
lonté de votre Vicaire, et les obstacles qu'il rencontre dans
le bien qu'il veut faire. J'ai vu à vos clartés que tout
vous est présent, parce que rien ne peut échapper à votre
regard ; j'ai vu aussi le remède que vous avez préparé en
vous-même pour guérir la mort des hommes, vos enfants.
2. — Ce remède est le Verbe, votre Fils unique, et vous
avez trouvé moyen de nous l'appliquer toujours. Vous avez
conservé les cicatrices de ce Fils bien-aimé, afin qu'elles
puissent sans cesse solliciter pour nous votre miséricorde.
Oui, j'ai vu dans votre lumière que l'ardeur de votre cha-
rité vous a fait conserver les cicatrices du corps de Jé-
sus-Christ : ni sa résurrection, ni sa gloire ne peuvent en
effacer la couleur sanglante. Vous avez vu en vous, qu'a-
près le mal dont vous l'aviez délivré, l'homme devait tom-
ber encore dans le péché par sa faute, et vous lui avez
donné pour remède le sacrement de Pénitence, où le prêtre
verse sur l'âme le sang de l'humble Agneau ; et, comme
tous avez vu en votre Verbe le principal moyen de nous
réconcilier avec vous, vous avez vu aussi tous les autres
moyens nécessaires à notre salut. J'ai compris dans votre
lumière que vous avez vu toutes ces choses ; c'est par
cette lumière que je vois, et sans elle je marcherais dans
les ténèbres.
3. — doux Amour, vous avez vu en vous les nécessités
de notre mère la sainte Église ; vous savez ce qui lui man-
que, et vous lui accordez le secours dont elle a besoin par
les prières de vos serviteurs ; vous voulez qu'ils soient des
murs sur lesquels s'appuient les murs de la sainte Église :
car la clémence du Saint Esprit les embrase du zèle de sa
réforme. Vous connaissez la loi de notre nature corrom-
pue, qui se révolte sans cesse contre votre volonté. Vous
saviez que nous devions la suivre ; car vous n'ignorez pas
combien nous sommes faibles, impuissants, misérables :
aussi votre admirable Providence a tout disposé pour que
nous ayons tous les secours nécessaires. Vous nous avez
donné le rocher inexpugnable de la volonté, afin de défen-
dre la faiblesse de notre chair ; car la volonté est si forte,
que ni le démon, ni les créatures ne peuvent la vaincre sans
le consentement du libre arbitre qui en dispose.
4. — D'où vient, ô Bonté éternelle, cette force de la vo-
dialocue de Ste Catherine — 25.
■I
I
■«0
386 DIALOGUK DE SAINTE CATHERINE
lonté dans votre créature, si ce n'est de vous qui êtes la
iorce souveraine et infinie? Oui, nous partions à votre
Xnte quand a nôtre en découle. La volonté de I homme
es hvindble quand elle obéit à la vôtre ; elle est mas-
sante quand elfe s'en éloigne; il est dit que vous l'avez faite
"re ressemblance, et tant qu'elle la conserve, eHe tnom-
ne Père éternel, vous montrez dans notre volonté la
forte de la vôtre : car, s'il y a tant de puissance dans une
clStive créature, combien ne doit-il pas y en avoir en vous,
rréateur et Maître de toutes choses !
5 - Cette volonté que vous avez confiée à notre hbre a -
bitte est encore fortifiée par la lumière de la foi; par cette
mmîere l'homme connaît votre éternelle volonté, et il voit
nfu'a d'autre but que notre sanctification. Cette vue
II! nt e^it iSe » volonté, qui par la foi devient active
rt nuïïLnte ■ car une volonté bonne et une foi vive ne peu-
vent exister' sans les œuvres. Votre lumière produit et
Sa 6 1S - r Providence admirable, vous ne voulez pas que
l-lune ma" he dans les ténèbres, etquTl res* , dan £
peine ; vous lui avez donné lumière de a f,qu claire
sa route, et lui procure a paix ■ Ave c die 1 J^
mourir de faim, ni angun to » ^^
Vous la nourrissez de votre grâce, \uu S
Tfîw, v„„, «vie,, préyn .a tarte ,» levai, commet!»
I,
WKÊ WM Bl
PKIÊRKS DE SAINTE CATHERINE. — VII
387
l'homme, et vous avez préparé un remède à cette faute
dans le Verbe, notre Rédempteur. Vous avez prévu notre
faiblesse, et vous avez préparé un secours à cette faiblesse
dans la force de la volonté, qui a son origine en vous ; et
ce (jui la guide et la soutient, c'est la lumière sacrée de la
toi ; c'est cette lumière qui est le commencement,, le milieu
et la fin de toute perfection ; c'est elle qui la conserve et
l'augmente dans les âmes ; c'est elle qui féconde la charité
et lui fait produire des œuvres (1).
8. — Dieu, Amour, Charité infinie ! vous pénétrez votre
créature ; elle est en vous, et vous en elle, par la création,
par la force de la volonté, par ce feu dont vous l'avez ani-
mée, par la lumière naturelle que vous lui avez donnée pour
vous voir, ô véritable Lumière, pour s'exercer avec zèle à
toutes les vertus, pour louer et glorifier votre saint nom. O
Lumière au dessus de toute lumière ! ô Bonté au dessus de-
toute bonté ! ô Sagesse au dessus de toute sagesse, Feu au
dessus de tout feu ! vous êtes tout ; car seul, vous êtes Ce-
lui qui est, et rien ne peut être s'il n'a reçu l'être de vous.
9. — O mon âme, aveugle et misérable, n'es-tu pas in-
digne de former avec les serviteurs de Dieu un appui à la
sainte Église? Ne mériterais-tu pas plutôt d'être dévorée par
les bêtes dont tu accomplis toujours les actes? Je vous rends
grâces, ôDieu éternel, je. vous rends grâces de vouloir bien
m'utiliser ainsi malgré mes iniquités.
10. — Je vous en conjure, inspirez aux cœurs de vos fidè-
les des désirs ardents qui les excitent à la réforme de votre
Épouse ; faites qu'ils prient sans cesse pour elle, afin que
vous puissiez les exaucer. Conservez aussi et augmentez le
bon vouloir de votre Yicaire, et accordez-lui de rendre sa
vie parfaite.
11. — Je vous prie aussi, et je vous implore pour toutes
les créatures raisonnables, mais surtout pour ceux que vous
m'avez confiés, et que je vous rends, à cause de mon insuf-
fisance et de ma faiblesse. Je ne veux pas que mes péchés
leur nuisent, car j'ai toujours suivi la pente mauvaise de la
chair ; je désire et je demande que vous les conduisiez à la
perfection, afin qu'ils méritent d'être exaucés dans les
prières qu'ils vous adressent et qu'ils doivent vous adres-
!
(1) Ce paragraphe ne se trouve que dans la version latine.
388 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
,„ _.„ le S alut du monde et la réforme de votre Église.
bre J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.
VIII. - Prière faite à Rome, le mardi 22 février de l'an 1379.
! _ o Dieu éternel ! Dieu éternel, je vous en conjure,
7Z nni iPle reconnais, c'est votre compassion qui nous
l'esprit et incline l'àme au mal.
i csjJiix ^ rvs.__ înrcmip VOUS lui êtes SI DOll,
o _ Pourauoi, mon Dieu, lorsque vuuo
rbomme e^tTsi cruel pour lui-même , J^Çg
cruauté peut-il exercer contre lui que de .se tuer par le pe
cné'' Il est bon envers ses sens ; mais cette bonté es un
barbarie contre son âme et même conte .son ^ ££-¥£
lui servira de rien, s'il n'en a pas aussi pour lui-même , car
Ils avèzcxïé l'homme sans l'homme, mais vous ne pouvez
mencer par nous-mème. Que lame regarae vol
PRIÈRES DE SAINTE CATHERINE. — VIII
389
ardent de charité, votre regard veille. sur nous; et pour
que votre créature sache que votre miséricorde et votre jus-
tice observent les œuvres de chacun, vous lui avez donné
l'œil de l'intelligence, qui voit que tout bien procède de la
lumière, et que tout mal est causé par sa privation : car
comment aimer ce qu'on ne voit pas, et comment voir
sans la lumière'?
4. — Dieu éternel, Père tendre et miséricordieux, ayez
compassion de nous ; nous sommes des aveugles car nous
nous sommes privés de la lumière ; moi, surtout, pauvre
misérable, qui me nuis toujours à moi-même. Jetez ce regard
de bonté qui a tout créé, sur les besoins du monde, et dai-
gnez le secourir. Vous nous avez donné l'être que nous n'a-
vions pas, sauvez donc ce qui vous appartient. Vous avez
répandu, quand il le fallait, la lumière de vos Apôtres sur le
monde ; nous en avons maintenant besoin plus que jamais ;
suscitez un autre Paul, dont les clartés illuminent toute la
terre. Étendez votre miséricorde comme un voile qui nous
cache aux regards de votre justice; ne jetez sur nous que
ceux de votre bonté ; enchaînez-nous avec les liens de votre
charité, et qu'elle détruise tous les motifs de votre colère.
5. _ o douce et suave Lumière, ô Principe et Fondement
de notre salut, puisque vous voyez nos besoins, faites-nous
voir aussi votre éternelle bonté, pour la connaître et pour
l'aimer. O union et rapport du Créateur avec la créature, et
de la créature avec le Créateur, c'est votre charité qui nous
' attache à vous, c'est votre lumière qui est notre lumière.
Oui, celui qui ouvre les yeux de son intelligence avec le
désir de vous connaître, vous connaît. La lumière entre
dans l'âme, dès que la volonté lui donne entrée ; elle est
toujours à la porte de l'âme, et dès qu'on lui ouvre, elle en-
tre comme les rayons du soleil qui frappent à une fenêtre
fermée pour pénétrer dans une maison et l'éclairer. Il faut
que votre créature ait la volonté de vous connaître, afin
qu'elle ouvre son intelligence, et que vous y répandiez vos
splendeurs.
6. _ Quel miracle ne produisez-vous pas dans l'âme, ô
bonne Lumière ! Non seulement vous en chassez les ténèbres
et vous y versez la clarté, mais vous détruisez par votre
chaleur l'humidité de l'amour-propre, et vous entretenez l'ar-
deur vivifiante de la charité ; vous rendez le cœur libre,
'
■
wo
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
parce que vous lui faites connaître la liberté que vous nous
avez donnée, en nous arrachant à la servitude du démon, à
laquelle nous étions si malheureusement livrés.
7. _ L'homme alors hait sa faiblesse à l'égard des sens;
il devient dur pour eux et bon pour sa raison, en se rendant
maître des puissances de son âme. Il ferme sa mémoire aux
misères et aux vains plaisirs du monde ; il se détache d'eux
par l'oubli, et vos bienfaits deviennent l'unique objet de
ses pensées. Il oblige sa volonté à vous aimer par dessus
toutes choses, et à aimer tout en vous.
8. — Il ne veut plus suivre que vous, et alors il est bon
pour lui-même, et comme il est bon pour lui, il est bon
pour son prochain ; il est prêt à donner sa vie pour le salut
des âmes. Tout ce qu'il fait par charité, il le fait avec pru-
dence, parce que vous lui montrez avec quelle prudence
vous accomplissez tout en nous. Vous êtes la lumière qui
rendez le cœur droit sans fausseté, large sans petitesse,
tellement que toute créature raisonnable devient suscep-
tible d'amour, et cherche le salut des autres selon les lois
de la charité. Comme la lumière est inséparable de la pru-
dence et de la sagesse, celui qu'elle éclaire expose bien
son corps pour le salut du prochain, mais il n'y sacrifie
jamais son âme ; il n'est jamais permis à l'homme de com-
mettre la faute la plus légère, cette faute devrait-elle sauver
le monde; car pour l'utilité d'une créature finie, qui n'est
rien par elle-même, on ne doit pas offenser le Créateur in-
fini de toutes choses, qui est le souverain Bien.
9. — Celui qui voit la lumière abandonnera s'il le faut sa
fortune, pour sauver la vie de son prochain. Son cœur sera
si ouvert, que tout le monde pourra y lire et le compren-
dre. Jamais son visage et sa langue ne déguiseront sa pen-
sée ; il se montrera dépouillé du vieil homme, et revêtu de
votre volonté. Père tout puissant, notre méchanceté vient
de ce que nous ne voyons pas la bonté avec laquelle vous
avez racheté nos âmes dans le sang précieux de votre Fils.
10. — Père miséricordieux, jetez un regard de bonté
sur votre Église et sur votre Vicaire ; abritez-le sous les ailes
de votre miséricorde, afin que l'iniquité des superbes ne
puisse lui nuire, et accordez-moi d'arroser de mon sang et
d'engraisser de la moelle de mes os le jardin de votre sainte
Épouse. Si je regarde en vous, je vois que rien ne vous est
^■^^■■■H
PRIÈRES DE SAINTE CATHERINE.
391
caché. Les hommes du monde l'ignorent parce qu'ils sont,
ensevelis dans les ténèbres de l'amour-propre. S'ils le sa-
vaient, ils ne seraient pas si cruels pour leurs âmes, mais ils
deviendraient bons à cause de votre bonté. Oh ! je vous le
demande de tout mon cœur, accordez la lumière nécessaire
à toute créature raisonnable.
■M. _ Qui, par le Verbe votre Fils, vous avez été à la
fois bon et juste; son corps sacré a satisfait votre justice
pendant que nos misères étaient l'objet de votre bonté.
Bonté suprême ! comment n'attendrissez-vous pas notre du-
reté ? comment mon cœur n'échappe-t-il pas de mes lèvres '?
Il faut qu'un nuage obscurcisse mon esprit, et que mon
àme n'aperçoive pas votre ineffable tendresse. Quel père
livrera pour un serviteur révolté son propre fils à la mort '?
Il n'y a que vous, ô mon Dieu I Vous avez revêtu votre Verbe
de notre chair afin qu'il souffrit, et que nous puissions en
recueillir le fruit si nous le voulons. Il faut maintenant que
notre sensualité souffre, pour que notre àme reçoive le fruit
de vie ; c'est la loi et la vérité ; car vous avez dit : « Je suis
la Voie, la Vérité, et la Vie » (Jean, xiv, 6). Si nous voulons
acquérir votre bonté, il faut marcher dans le chemin que
vous avez volontairement suivi.
-12. — O Dieu éternel! je me plains moi-même à vous;
punissez-moi d'être si cruelle pour mon àme et si faible
pour mes sens. J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. O
bienfaisante cruauté ! qui brise et qui surmonte la sensua-
lité pendant cette vie passagère, pour glorifier l'àme pendant
l'éternité! D'où vient la patience, d'où viennent la foi, l'es-
pérance et la charité, si ce n'est de cette bonté, qui enfante
la miséricorde ? Qui détache l'âme d'elle-même pour l'atta-
cher à vous ? c'est cette bonté qu'on obtient par votre'
lumière.
13. _ o Bonté ineffable ! Bonté qui détruisez comme un
baume délicieux la colère et la cruauté dans les âmes ! je
vous le demande encore, communiquez-vous à toutes les
créatures raisonnables, et surtout à ceux que vous m'avez
dit d'aimer d'un amour particulier. Rendez-les bons, afin
qu'ils exercent cette cruauté parfaite qui détruit les vices de
la volonté. Vous avez enseigné cette cruauté lorsque vous
avez dit : « Celui qui vient à moi, et qui ne hait pas son
père, sa mère, son épouse, ses enfants, ses frères et son
V;
392
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
;
âme, ne peut être mon disciple » ( Luc, xiv, 20 ). Haïr
son âme est difficile. Les serviteurs du monde haïssent sou-
vent le reste sans agir par vertu ; cela n'est pas difficile,
mais il est plus pénible à l'homme de quitter sa nature que de
la suivre. Notre nature est raisonnable ; nous devons par
conséquent obéir à la raison.
14. — Vérité suprême ! vous êtes un parfum au dessus de
de tous les parfums, une magnificence au dessus de toutes
les magnificences, une bonté audessusde toutes les bontés ,
vous êtes une justice qui surpasse toutes les justices ; vous
êtes la source même de la justice, qui rend à chacun se-
lon ses œuvres. C'est par justice que vous permettez que
le méchant se nuise à lui-même, en désirant des choses
aussi viles que les richesses et les plaisirs du monde ;' car
tout ce que vous avez créé est au dessous de l'homme.
Vous l'avez fait pour qu'il en soit le maître, et non l'es-
clave. Vous seul êtes plus grand que nous, et c'est vous
seul que nous devons toujours chercher, toujours servir.
Aussi votre justice veut que l'homme de bien trouve en
cette vie même la paix et le repos de son âme, parce qu'il
met son affection en vous, qui êtes la paix véritable et le
repos suprême. Ceux qui fournissent ainsi courageusement
la carrière recevront de votre miséricorde la vie éternelle.
15. _ Vous êtes la Bonté infinie ; personne ne vous con-
temple et ne vous comprend plus que vous ne le permettez ;
et vous le permettez autant que nous dilatons nos âmes
pour vous recevoir. très doux Amour ! jamais je ne vous
ai bien connu, et par conséquent jamais je ne vous ai bien
aimé . Je vous recommande avec instance ceux dont vous
m'avez chargée : vous me les avez confiés pour que je les
réveille, et je dors toujours. Réveillez-les vous-même, ô
Père tendre et secourable, afin que le regard de leur intel-
ligence soit toujours fixé sur vous. J'ai péché, Seigneur,
ayez pitié de moi ! Mon Dieu, venez à mon aide ! Seigneur,
hâtez-vous de me secourir ! Ainsi soit-il.
IX. — Prière faite à Rome, le 1 er mars 1379.
l._ puissante et éternelle Trinité, Trinité éternelle.
Trinité éternelle, c'est vous quinous avez donné le doux,
PRIERES DE SAINTE CATHERINE.
IX
393
l'aimable Verbe ! doux, ô aimable Verbe ! autant notre
nature est faible et portée au mal, autant la vôtre est forte
et propre au bien ! L'homme est faible parce qu'il a reçu
une nature faible de son père ; car le père ne peut donner
à son fils une autre nature que celle qu'il a en lui-même.
Nous sommes enclins au mal, parce que nous recevons
avec la vie une chair révoltée. Notre nature est fragile
et vicieuse, parce que nous sortons tous d'Adam comme
d'une même souche. Notre premier père est devenu faible,
parce qu'il s'est séparé de votre force infinie, ô Père éter-
nel ; il s'est révolté contre vous, et il a trouvé la révolte en
lui ; il a quitté le principe de la puissance et de la bonté,
il est tombé dans la défaillance et les mauvais penchants.
2. — O Verbe, Fils de Dieu, votre nature est forte et pro-
pre au bien ; car vous l'avez reçue de votre Père tout puis-
sant. Il vous a donné sa nature divine, où rien n'est impar-
fait, où le mal n'a jamais été et ne peut jamais être. Aussi,
aimable Verbe, vous avez soutenu notre faiblesse en vous
unissant à nous. Par cette union, vous avez fortifié notre
nature ; par la vertu de votre Sang, vous en avez guéri
l'infirmité dans le saint baptême. Et lorsque nous sommes
arrivés à l'âge de raison, nous avons été affermis par votre
doctrine ; car l'homme qui la suit dans la vérité en s'en
revêtant parfaitement, devient si fort et si porté au bien,
qu'il sent à peine la révolte de la chair contre l'esprit.
3. — Son âme est intimement unie à votre doctrine et
son corps, soumis à son âme, en veut suivre tous les mou-
vements. Ce qui le charmait autrefois clans les joies cou-
pables du monde» lui fait maintenant horreur, et les ver-
tus qui lui semblaient si pénibles à pratiquer deviennent
ses plus chères délices. 11 est donc bien vrai, ô Verbe éter-
nel, que vous corrigez la faiblesse de notre nature par la
force de la nature divine que vous avez reçue de votre
Père, et cette force vous nous l'avez donnée par le Sang
et par la doctrine.
4.— O Sang, que j'appelle éternel parce qu'il est uni à la
nature divine (1), l'homme qui connaît votre force par la
(I) Quelques théologiens ont critiqué cette expression eterno sangue, sang éter-
nel. Mais sainte Catherine l'explique elle-même, par l'union avec la nature di-
vine, avant les siècles, dans la pensée de Dieu. C'est dans le même sens qu'il est
dit dans l'Apocalypse : Acjniis qui occisus est ab origine mttndi (xm, 8). Saint
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
394
lumière, se sépare de sa faiblesse ; car la lumière véritable
ne s'acquiert jamais sans la haine de la sensualité, qui dé-
truit la lumière naturelle. Sang délicieux, vous fortifiez
l'âme, vous l'illuminez, vous la rendez angélique, vous
l'enveloppez de votre charité, au point qu'elle s'oublie elle-
même et qu'elle ne peut plus voir que vous ; la faible chair
qui lui est unie sent elle-même le parfum des vertus ; le
corps et l'âme n'ont qu'une voix pour crier vers vous, et
cela tant que leur saint désir augmente et se développe.
Sitôt que le désir se refroidit, la révolte de la chair se ré-
veille plus violente que jamais. doctrine de vérité, vous
donnez à l'âme qui vous possède une telle force, qu'au-
cune adversité ne peut l'abattre. Dans tout combat, elle
trouve la victoire ; elle est invincible tant qu'elle vous suit,
parce que vous venez de la Force suprême ; mais si elle ne
vous suivait pas, votre force lui serait inutile. Hélas ! pau-
vre malheureuse, je n'ai jamais suivi la vraie doctrine, et
je suis si faible, que la moindre épreuve m'abat. J'ai pèche,
Seigneur, ayez pitié de moi.
X.— Prière faite à Rome, le mercredi 3 mars 1379.
1 _ o Trinité éternelle, Dieu tout puissant, nous sommes
des arbres de mort, et vous êtes l'arbre dévie. Dieu infini,
quel spectacle de voir dans votre lumière l'arbre de votre
créature ! Vous aviez tiré de vous, Pureté suprême, son ame
pure et innocente, et vous l'avez unie à un corps forme du
limon de la terre. Vous aviez donné à cette arbre pour ra-
meaux les puissances de l'âme, qui sont l'intelligence, la mé-
moire et la volonté. Et quels fruits devaient porter ces
rameaux? La mémoire devait retenir, l'intelligence devai
comprendre, la volonté devait aimer. O arbre, dans quel
heureux état le jardinier divin t'avait plante !
2 - Hélas ! cet arbre, ô mon Dieu, s'est sépare de 1 inno-
cence par sa faute ; il est tombé, il est devenu d'un arbre
de vie un arbre mort; et il ne pouvait plus porter que des
Paul dit : Per propriwn sanguinem introivit semcl m sancta *£""**£
Zne inventa^., «, 12). et saint Thomas *?$^%*£Z£%Z
dicat :Peristum sanguinem redempU sumas, et hoc m perptmnm, i
oirtus ejus est infinita.
PRIERES DE SAINTE CATHERINE.
39à
fruits empoisonnés. Mais, éternelle Trinité, vous vous êtes
passionnée jusqu'à la folie pour votre créature ; et lorsque
vous avez vu que cet arbre ne devait plus produire que
des fruits de mort, parce qu'il s'était séparé de vous, qui
êtes la Vie, vous l'avez sauvé par ce môme amour qui vous
avait poussé à le créer ; vous avez greffé votre divinité sur
l'arbre perdu de notre humanité. Bonne et bienfaisante
greffe, vous avez mêlé votre douceur à notre amertume, la
splendeur aux ténèbres, la sagesse à la folie, la vie à la
mort, l'infini au fini.
3. — Après l'injure que votre créature vous avait faite, qui
donc vous a pu forcer à cette union qui nous rend la vie?
C'est l'amour, le seul amour ; et cette greffe merveilleuse a
vaincu la mort. Mais cela ne suffisait pas aux ardeurs de
votre charité, ô Verbe éternel : vous avez voulu arroser cet
arbre de votre propre Sang, et ce Sang par sa chaleur
fait fructifier l'arbre, dès que l'homme consent à s'unir et
à vivre en vous. Son cœur et ses affections doivent être
liés à la greffe céleste par les liens de la charité et l'imita-
tion de votre doctrine. Nous ne pouvons et ne devons pas
suivre le Père, en qui ne peut être la peine ; nous devons
par la peine et le tourment de nos désirs nous rendre con-
formes à vous ; car vous êtes la vie, et nous produirons des
fruits de vie en recevant votre sève vivifiante. Dès que nous
vous sommes unis, les rameaux donnent leurs fruits; la
mémoire se remplit du souvenir continuel de vos bienfaits ;
l'intelligence vous contemple pour connaître votre éternelle
volonté et vos perfections ; la volonté veut aimer ce que l'in-
telligence lui a fait connaître. Chaque rameau donne ses
fruits aux autres rameaux ; et parce que l'âme, par la con-
naissance qu'elle a de vous, se connaît mieux elle-même,
elle se hait dans sa sensualité.
4. — O Amour infini, quelles merveilles vous avez opérées
dans les créatures raisonnables ! O Dieu éternel, si, lorsque
l'homme était un arbre de mort, vous avez daigné en faire
un arbre de vie, en vous y greffant vous-même, ne pourriez-
vous pas, malgré la multitude de ceux qui, par leur faute,
portent des fruits de mort, en ne s'unissant point à vous qui
êtes la vie, ne pourriez-vous pas sauver le monde que je
vois se séparer de vous et persévérer dans la mort ! Oui, les
hommes ne viennent pas à la fontaine où est le Sang qui
396 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
doit arroser leur arbre; la vie éternelle coule pour nous,
pauvre créatures, qui l'ignorons et n'en profitons pas.
5-0 mon âme aveugle et misérable, où sont les cris
et les prières que tu dois répandre en la présence de ton
Dieu qui t'y invite sans cesse? Où est ta douleur profonde
nom' ces arbres qui restent dans la mort? Où sont ces de-
sirs supputants qui fléchissent l'éternelle Bonté? Hélas ! 3e
ne les ai'pas, parce que je n'ai pas encore perdv .amour
de moi-même. Si je l'avais perdu, si je cherchais Dieu, si je
voulais uniquement la gloire de son nom, mon cœur s e-
chapperait démon corps et mes os distilleraient leur moelle
Se n'ai jamais produit que des fruits de mort, parce
que je ne suis pas greffé sur vous, mon Dieu.
6 - Quelle lumière, quel éclat reçoit l'âme qui est gref-
fée' véritablement sur vous ! O générosité sans borne la
mémoire nous dit sans cesse que nous sommes obliges - i ai-
mer et de suivre la doctrine et les exemples du \erbe,
votre Fils unique. Sans la lumière de la foi, nous ne pour-
rions suivre cette doctrine et ces exemples ; aussi 1 intel li-
cence fixe cette lumière pour en avoir la connaissance, la
voTnté aime aussitôt ce que l'intelligence lui montre ; tous
les rameaux se communiquent leur fécondité.
1-0 arbre, où prends-tu donc tes fruits de vie, puisque
tu es mort et stérile ? C'est l'Arbre de vie qui te les donne , ;
s'il n'était pas greffé sur toi, tu n'aurais aucune vertu,
oÙisaue tu n^es rien. O Vérité éternelle, vous nous produi-
se Tes fruit d'amour et de lumière, des fruits de cette
Prompte obéissance qui vous a fait courir avec ardeur a a
mort ignominieuse de la Croix. Vous avez porte des fruij
2 greffant votre divinité sur notre humanité, en attachant
"tri corps sacré sur le gibet du Calvaire. L'âme qui voj
est unie ne pense qu'à votre honneur et au salut des âmes.
Elle devient sage, fidèle, patiente et prudente
8. - Rougis de honte, toi qui par tes fautes te prives de s.
grands bien*s et t'exposes â de si grands mal heurs^e bor,
nés œuvres ne peuvent servir a Dieu, et tes offenses n
Tuvïnt lui nuire ; mais son infinie bonté se réjouit lorsque
sa créature veut bien recevoir ses dons ineffables et accepte
e bonneur qui lui est destiné. J'ai péché, Seigneur, aye*
pitié de moi. Unissez-vous, greffez sur vous ceux que vos
n'àtez donnés à aimer d'une manière spéciale, afin qu .k
i iÉtei IH1
PRIÈRES DE SAINTE CATHERINE. — XI
397
portent des fruits de vie. O bonté infinie ! la rosée de votre
lumière céleste donne à l'âme qui vous est unie la paix de
la conscience ; et la rosée de vos serviteurs dissipe les nua-
ges et rend la lumière et la paix à l'Eglise votre Epouse ;
faites tomber ces rosées, je vous en conjure humblement.
J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. Ainsi soit-il.
XI. - Prière faite à Rome, le jour de l'Annonciation de la
Sainte Vierge, 1379.
1—0 Marie ! Marie, temple de la Trinité, Marie, foyer
du feu divin, Marie, Mère de la miséricorde, vous avez por-
té le fruit de vie ; vous avez sauvé le genre humain, puisque
c'est avec votre chair que le Christ nous a rachetés. Oui, le
Christ nous a rachetés par sa Passion, et vous, par les dou-
leurs de votre âme et de votre corps (1). Marie, océan
tranquille, Marie, source de la paix ! Marie, vous êtes l'ar-
bre nouveau qui nous a donné cette fleur odorante, ce
Verbe, ce Fils unique de Dieu, qui vous a choisie comme
une terre fertile. Vous êtes la terre et vous êtes l'arbre.
2.-0 Marie, char de feu, vous avez conservé et cache
le feu dans la cendre de notre humanité. Marie, vase d'hu-
milité, où brillait la lumière de la vraie science qui vous a
élevée' au dessus de vous-même, vous avez charmé le Père
céleste, et il vous a ravie ; il vous a captivée dans les liens
d'un amour ineffable, et par cette lumière, cette ardeur de
votre charité, cette flamme de votre humilité, vous l'avez
vaincu vous-même, et vous avez forcé sa divinité à descen-
dre en vous. Sa bonté infinie pour les hommes était d'ail-
leurs votre complice.
3. _ Marie, grâce à la lumière que vous aviez, vous
n'avez pas été une vierge folle, mais une vierge prudente ;
car vous avez demandé à l'ange comment ce qu'il vous an-
nonçait pourrait se faire. Vous n'ignoriez pas que tout était
possible à la toute-puissance de Dieu, et vous n'aviez au-
cun doute à cet égard. Pourquoi disiez-vous : Je ne connais
ai La Sainte Vierge contribua réellement à notre rédemption par sa maternité
divine et par ses souffrances au Calvaire. Elle pouvait bien dire comme saint
Paul- Gaudeo in passionibus pro vobis, etadimpleo aa qiœ desmit passio-
numChristiin iarnemeapro corpore ejus, quod est Eccks M (Coloss. I,
24).
398
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
pas d'homme»? ( Luc, i, 34 ). Ce n'était pas le manque
de foi, mais votre humilité profonde qui vous le faisait dire;
vous croyiez à la puissance de Dieu, mais vous ne pensiez
qu'à votre indignité.
. 4. — Marie, vous avez été troublée par les paroles de
l'ange ; il me semble, dans la lumière de Dieu, que ce n'é-
tait pas de crainte, mais d'admiration. Et qu'admiriez-vous?
Vous admiriez l'immensité de la bonté de Dieu, et vous
étiez troublée en voyant combien vous étiez indigne de la
grâce qu'il voulait vous faire. Cette comparaison de votre
indignité et de votre faiblesse avec le miracle ineffable de
la grâce divine, vous remplissait de confusion. Votre de-
mande prouvait votre humilité profonde ; vous étiez, non
pas effrayée, mais étonnée de l'immensité de la bonté de
Dieu, que vous compariez à votre petitesse et au néant de
votre vertu.
5. —Aujourd'hui, ô Marie, vous êtes le livre où notre rè-
gle est écrite. Car en vous brille la sagesse du Père céleste;
en vous paraît la dignité, la force, la liberté de l'homme.
Oui, j'y vois la dignité de' l'homme; car, lorsque je vous
contemple, ô Marie, je vois que le Saint Esprit a représen-
té en vous la sainte Trinité en y formant le Verbe incarné,
le Fils unique de Dieu. Il y a montré la Sagesse éternelle,
qui est le Verbe ; la puissance du Père, qui a pu faire une si
grande chose ; et la clémence du Saint Esprit, par la grâce
et la charité duquel s'est accompli cet ineffable mystère.
6. — Si je médite sur cet acte de vos conseils, ô éternelle
Trinité, je découvre que vous avez pris en considération la
noblesse et la dignité du genre humain. L'amour vous
avait forcé à le créer, l'amour vous a forcé à le racheter et
à le sauver. Vous aviez bien prouvé que vous aimiez l'hom-
me avant qu'il fût, puisque vous avez voulu le tirer de vous
par amour ; mais vous avez prouvé bien davantage cet
amour, lorsque vous vous êtes donné à lui, en vous revo-
tant des haillons de son humanité. Pouviez-vous donner
plus que vous-même, et n'avez-vous pas le droit de lui
dire : Que te devais-je ? et ce que je pouvais, ne l'ai-je pas
fait? Oui, tout ce que, dans vos conseils, la Sagesse éter-
nelle avait jugé nécessaire pour sauver le genre humain,
votre clémence ineffable l'a voulu, et votre puissance l'a ac-
compli, au jour de l'Annonciation.
H
PRIÈRES DE SAINTE CATHERINE. — XI
399
7. —Votre infinie miséricorde voulait le salut de votre
créature, ô éternelle Trinité ! et vous désiriez lui donner le
bonheur parfait qui lui était destiné, puisque vous l'aviez
créée pour qu'elle fût unie à vous, et qu'elle en jouit pleine-
ment ; mais votre justice s'y opposait, en vous disant que,
si vous étiez miséricordieux, vous étiez juste aussi, et que
votre justice ne devait pas changer. La justice ne laisse ja-
mais le mal sans châtiment et le bien sans récompense.
L'homme ne pouvait être sauvé s'il ne satisfaisait pas à la
justice pour sa faute.
8. — Alors, qu'avez-vous fait'? Qu'avez-vous décidé? Com-
ment votre sagesse étemelle et incompréhensible est-elle
restée dans la \érité, en faisant à la fois miséricorde et jus-
tice'? Quel moyen avez-vous pris pour nous sauver'? Ce
moyen a été de nous donner le Verbe, votre Fils unique. 11
a revêtu notre humanité qui vous avait offensé, afin qu'en
souffrant dans notre chair il put satisfaire à votre justice,
non pas par la vertu de l'humanité mais par celle de la Di-
vinité unie à l'humanité. L'homme qui avait péché, s'acquit-
ta envers la justice, parce que la miséricorde lui prêta.
pour payer sa dette, la divinité du Verbe.
9. _ o Marie, le Verbe qui s'est incarné en vous, est res-
té cependant uni à son Père, comme la parole intérieure de
l'homme, lorsqu'elle s'exprime et qu'elle se communique,
ne se sépare pas du cœur. N'est-ce point une preuve de la
dignité de l'homme, pour qui Dieu a fait de si grandes et de
si nombreuses merveilles'?
-10. —Nous voyons encore aujourd'hui en nous, ô Marie,
la force et la liberté de l'homme ; car c'est après la délibé-
ration de l'auguste Trinité qu'un ange vous est envoyé pour
vous annoncer le mystère des conseils divins, et pour vous
demander votre consentement. Avant de descendre en votre,
sein, le Fils de Dieu s'adresse à votre liberté ; il attend à
la porte do votre volonté, il vous soumet le désir qu'il a
d'habiter en vous, et il n'y serait jamais entré, si vous ne
lui aviez dit : « Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit
fait selon votre parole » (Luc, i, 38). N'est-ce pas là une
grande preuve de la force et de la liberté de la volonté'?
Rien de bien ou de mal ne peut se faire sans elle. Le démon
ni aucune créature ne la forcent au mal, si elle ne devient
pas leur complice ; et personne ne peut la contraindre au
w
400
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
bien, si elle veut résister. La volonté de l'homme est donc
libre.
11. — Marie, le Dieu tout puissant frappait à votre por-
te, et si vous ne lui aviez pas ouvert votre volonté, il n'eût
pas pris la nature humaine. mon âme, sois remplie de
confusion, en voyant que Dieu fait avec toi un pacte et une
alliance en Marie. Tu dois maintenant comprendre que ce-
lui qui t'a faite sans toi, ne peut pas sans toi te sauver,
puisqu'il s'adresse à la volonté de Marie et qu'il attend son
consentement. O Marie, amour délicieux de mon âme ! en
vous est écrit le Verbe qui nous donne la doctrine de vie ;
vous êtes le tableau qui nous le représente et qui nous
l'explique.
12. —Dès que la Sagesse, le Fils unique de Dieu, a été
dans votre sein, il y a trouvé la croix du désir.; et toute
son ambition a été de mourir pour le genre humain, qu'il
voulait sauver en prenant notre nature. C'était une grande
croix que cette ambition qu'il voulait satisfaire.
13. _ o Marie, j'ai recours à vous et je vous offre mes
prières pour l'Épouse de notre doux Sauveur, votre Fils
bien-aimé ; je vous implore pour son Vicaire, afin qu'il re-
çoive la lumière qui lui est utile pour discerner les meil-
leurs moyens de réformer l'Église. Unissez-lui les fidèles ;
rendez leur cœur semblable au sien, et qu'ils ne se révol-
tent jamais contre leur chef. Il est, mon Dieu, comme une
enclume ; ses nombreux ennemis l'attaquent par leurs pa-
roles et lui nuisent tant qu'ils peuvent.
14. — Je vous prie aussi pour ceux que vous m'avez don-
nés; enflammez-les, qu'ils soient des charbons ardents que
consument votre amour et celui du prochain. Qu'ils aient,
aux jours de l'épreuve, leurs barques bien fournies et bien
disposées, pour eux et pour les autres. Je vous prie pour
ceux que vous m'avez donnés : au lieu de les édifier, je les
ai toujours scandalisés, au lieu d'être pour eux un modèle
de vertus, je ne leur ai donné que des exemples d'igno-
rance et de négligence. Mais je m'adresse hardiment à vous
en ce jour de grâce, parce que je sais, ô Marie, que rien ne
peut vous y être refusé. Aujourd'hui, ô Marie, votre terre
a produit notre Sauveur. Hélas ! je vous ai offensé toute
ma vie, ô mon amour ; oui, j'ai péché, Seigneur, ayez pitié
de moi.
PRIÈRES DE SAINTE CATHERINE.
XII
401
15. _ o Marie, soyez bénie entre toutes les femmes, pen-
dant tous les siècles, car vous nous avez donné aujourd'hui
votre substance. La Divinité s'est tellement unie et incor-
porée par vous à notre humanité, que rien maintenant ne
peut l'en séparer, pas même la mort et notre ingratitude.
Car, comme là Divinité est restée unie au corps dans le
sépulcre, et à l'âme de Jésus-Christ dans les limbes, puis à
son âme et à son corps après la Résurrection, notre al-
liance avec elle n'a jamais été rompue, et elle ne le sera
jamais pendant toute l'éternité.
XII. — Prière faite à Rome.
•1. _ o Vérité ! qui suis-je pour que vous me donniez la
vérité ? Je suis celle qui ne suis pas, et votre Vérité est celle
qui agit, parle, et fait toute chose. Votre Vérité est celle
qui donne la vérité, et c'est par votre Vérité que je dis la
vérité. Votre Vérité éternelle se communique de différentes
manières à toutes les créatures ; mais elle ne s'épuise pas
et ne change jamais. Vous, Dieu éternel, Fils de Dieu, vous
êtes venu de Dieu pour accomplir la volonté de votre Père,
et personne ne peut avoir la vérité sans vous. Si quelqu'un
veut avoir votre vérité, il ne doit l'affaiblir par aucune er-
reur ; il faut la posséder sans mélange, et c'est ainsi que les
bienheureux en jouissent dans votre éternelle contempla-
tion ; car ils participent à la vision que vous avez de vous-
même.
2. _ vous êtes la lumière avec laquelle votre créature
vous voit, et, pour elle comme pour vous, il n'y a que ce
moyen de vous contempler. Dès que les saints vous voient,
ils jouissent de la lumière qui vous fait connaître, et parce
que vous êtes toujours la même lumière, le même moyen,
le même objet, ils ont la vision que vous avez de vous-
même (1)- Us l'ont seulement à des degrés différents, les
uns plus, les autres moins, selon la différence de leur mé-
rite.
(1) Sainte Catherine ne confond pas la vision béatifique avec la vision divine ;
elle les unit seulement comme saint Paul, lorsqu'il dit : Qui autem adlueret
Domino, unus spiHtui est (I Cor. VI, 17). Saint Jean d,t aussi : Scmus quu-
niam cum apparuerit, similes ci erimus, qui vldebimus eum mcuti est
(I Ep. m, 2).
dialogue de Stc Catherine. — 26.
i
402 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
3 — Les âmes, pendant cette vie, lorsqu'elles sont en
état de grâce, reçoivent votre vérité par la lumière de la
foi qui nous fait croire l'enseignement de l'Eglise ; mais
ces âmes, selon leur disposition, reçoivent plus ou moins
parfaitement la vérité, qui ne varie pas et qui est la
même pour tous. Ainsi les bienheureux jouissent de la
même vision, mais plus ou moins parfaitement, selon leur
élévation dans la gloire.
XIII. — Prière faite à Rome.
4 _ Dieu d'amour, que puis-je dire de votre Vérité ?
Parlez de la vérité, vous qui êtes la Vérité. Mo. je vous
io-nore, et je ne puis parler que des ténèbres. Je n ai pas
suivi le Fruit de votre croix, et j'ai marché dans les ténèbres
sans les connaître ; car celui qui connaît les ténèbres con-
naît la lumière. Mais moi j'ai suivi les ténèbres, et je ne es
ai pas approfondies. Dites-moi, Seigneur, la vérité sur votre
croix et j'écouterai. Vous me dites qu'il y en a qui persé-
cutent le Fruit de votre croix, et c'est vous qui êtes le
Fruit de votre croix. Verbe ! Fils unique de Dieu, qui,
par l'excès de votre amour pour nous, vous êtes place
comme un fruit sur deux arbres: sur ^ e / e «^
humaine d'abord, pour nous révéler la vente de yotePte
invisible, que vous représentez; sur l'arbre de la G.oix en-
suite où ce ne sont pas les clous qui vous ont attache,
mais'les seules forces de votre amour, et cela pour nous
montrer la vérité de la volonté de votre Père qu. voulait
notrejalut^ ^ ^ ^ ^ ^^ fe ^^ précieux ^
par l'union de la nature divine, nous a donné la vie, et qui,
par sa vertu, nous purifie encore du péché dans les sacre-
ments Vous avez déposé ce Sang dans les cellier, de 1 E-
S^e militante, et vous en avez donné les clefs et la garde
t votre Vicaire sur terre. Les hommes ne le savent et
le comprennent que par la lumière dont vous ■****£*
intelligence, la partie la plus noble de notre ame Et cette
umiere est la lumière de la foi, que vous accordez a ou
chrétien dans le baptême, où votre grâce coule poui effacei
fi
PRIERES DE SAINTE CATHERINE. — XIV
403
la tache originelle et nous donner la lumière suffisante
pour nous conduire à la béatitude.
3. — Nous pouvons, par la corruption de l'amour-pro-
pre, obscurcir nos yeux, que votre grâce a illuminés
dans le baptême. Nous pouvons nous aveugler par les
nuages de la tiédeur et les vapeurs de l'amour-propre ; et
alors nous vous méconnaissons, vous et le véritable bien.
Nous appelons mal ce qui est bien, et bien ce qui est mal,
et nous devenons, par cet abus de la vérité, plus ingrats
et plus mauvais que si nous n'avions pas reçu la lumière ;
car un chrétien qui s'égare est pire qu'un infidèle ; il peut
seulement recourir plus facilement au remède qui doit
le guérir, à cause des lueurs de là foi qui reste encore
en lui.
4. — Oui, Seigneur, ceux-là sont les ennemis de votre
Croix et de votre Sang ; car ils ne vous suivent pas dans votre
Passion; ils vous persécutent, ils attaquent votre Vicaire, qui
a les clefs du cellier où se conservent votre Sang et le sang
des martyrs, qui n'a de vertu que par le vôtre. Leur rébel-
lion et leurs péchés viennent de ce qu'il ont perdu la lumière
de la Vérité, qu'on acquiert par la foi (1). Aussi les philo-
sophes qui connaissaient les créatures, mais qui n'avaient
pas la foi, n'ont-ils pu se sauver.
I
XIV.
Prière faite à Rome.
1. — Dieu éternel, délivrez-moi des chaînes de mon
corps, afin que je puisse voir votre Vérité; car maintenant
la mémoire ne peut vous saisir, l'intelligence vous com-
prendre, et la volonté vous aimer comme vous le méritez.
() Nature divine, qui ressuscitez les morts, et qui seule don-
nez la vie, comment vous ètes-vous unie à notre nature
mortelle, pour lui rendre la vie? Verbe éternel! cette
union était si parfaite, que rien n'a pu la rompre. Sur la
Croix, la nature mortelle souffrait, mais la nature divine
vivifiait, et vous étiez à la fois dans la béatitude et la dou-
leur : le tombeau même n'a pu séparer nos deux natures.
2. — Père éternel ! vous avez revêtu votre Verbe de notre
(1) Sainte Catherine parle ici delà rectitude de jugement que donne la foi.
■ I %,
m
404 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
nature, afin qu'en elle il satisfit pour nous -vous avez
voulu punir le Fils véritable pour la faute du fils adoptif.
Père éternel ! que vos jugements sont profonds et inef-
fables ' L'homme insensé peut-il les comprendre? Il juge
d'après les apparences vos oeuvres et celles de vos servi-
teurs, au lieu de les juger d'après la charité que vous ré-
pandez dans les âmes.
3 - Homme ignorant et grossier, puisque Dieu ta tait
homme pourquoi te faire animal et abaisser ton jugement
au dessous de celui de la brute ? Tu sais que ceux qui sont
ainsi tombent dans les peines éternelles de l'enfer ; et la
l'homme est anéanti, non pas quant à la nature, mais quant
à la grâce qui perfectionne la nature, et sans laquelle
tout n'est rien.
XV. - Prière faite à Rome, le 12 août, jour de l'octave de
saint Dominique.
4 _ ingratitude de l'homme ! ô amour incompréhen-
sible et infini de Dieu ! Vous dites, Père éternel, que l'hom-
me qui se regarde vous trouve en lui-même, parce qu il a
été fait à votre image; il a la mémoire pour vous retenir,
vous et vos bienfaits, et il participe à votre puissance ; il a
l'intelligence pour vous connaître, et il participe à votre
Sa-esse, qui est votre Fils unique, notre Sauveur Jesus-
Christ ; il a la volonté pour vous aimer, et il participe a
la clémence du Saint Esprit. Ainsi, non "seulement vous
l'avez créé à votre ressemblance, mais vous avez pour
ainsi dire en vous sa ressemblance, puisque vous êtes en
lui et qu'il est en. vous. .
2 — Je ne me suis pas connue en vous, mon Dieu ; je ne
vous ai pas connu en moi, et c'est là le malheur des pau-
vres ignorants qui vous offensent. Sans leur ignorance,
pourraient-ils ne pas vous aimer? Cette ignorance est cau-
sée parla privation de la lumière de la grâce, et cette priva-
tion vient elle-même des nuages que produit l'amour sensi-
tif La conformité entre les hommes est si grande, que quai. I
ils ne s'aiment pas ils s'éloignent de leur propre nature (1).
H \ A la fin de cette prière, on lit dans la version latine : « Sainte Catherine pria
onsu^e pourlesslen^ afin qu'il» participassent à la nature dmne, ea sai-
PRIÈRES DE SAINTE CATHERINE. — XVI
405
XVI. — Prière faite à Rome, le 13 février.
1 _o Amour ineffable, doux Amoui% Flamme éternelle,
Feu qui ne s'éteint jamais ! Dieu, Trinité adorable, vous
la Droiture sans défaut, la Simplicité sans ombre, la Sincé-
rité sans mensonge, jetez les regards de votre miséricorde
sur vos créatures. La miséricorde vous est naturelle ; de
quelque côté que je me tourne, je ne rencontre que votre
miséricorde. Je m'adresse donc à votre miséricorde, et je
la demande pour le monde. Vous voulez que nous vous ser-
vions selon votre bon plaisir, et vous dirigez vos serviteurs
de mille manières. Aussi ne devons-nous pas juger l'inté-
rieur de la créature par ses actes extérieurs ; mais nous de-
vons juger la volonté de chacun dans votre volonté, sur-
tout pour vos serviteurs qui lui sont entièrement unis.
2. — L'âme est he.ureuse lorsqu'elle voit la lumière clans
votre Lumière. Les moyens que prennent vos serviteurs sont
différents ; mais, quelle que soit leur route, ils sont tou-
jours dans le chemin de votre ardente charité ; sans cela
ils ne suivraient pas véritablement votre vérité. Nous en
voyons courir dans la voie de la pénitence et s'adonner à
la mortification du corps ; d'autres marchent dans l'humilité
et la destruction de leur volonté ; d'autres dans le zèle de
la foi ; ceux-ci avancent par la miséricorde, ceux-là par l'a-
mour du prochain, auquel ils se sacrifient ; et dans tous,
l'âme se développe, parce qu'en se servant bien de la lu-
mière naturelle, elle obtient la lumière surnaturelle, qui lui
fait voir l'immensité de votre bonté.
3. — Oh ! comme ils avancent royalement, ceux qui voient
en toute chose votre volonté, et qui ne jugent jamais celle
de votre créature ! ineffable Charité ! ils connaissent et
pratiquent parfaitement votre doctrine, puisque vous avez
dit: « Ne jugez pas d'après le visage » ( Jean, vu, 24 ).
Vérité éternelle ! quelle est votre doctrine, et quelle
voie devons-nous suivre pour arriver à votre Père? Je n'en
connais pas d'autre que celle que vous avez tracée avec
mantles uns les autres, car c'est la vraie ressemblance. Et elle ajouta : Mon
Dieu, je ne puis avoir une plus grande grâce que de passer ma vie dans les=
peines, et de la terminer pour vous parle martyre».
406
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
votre Sang précieux, et que vous avez affermie par les ad-
mirables vertus de votre ardente charité. C'est là notre che-
min ; car notre seule erreur est d'aimer ce que vous détes-
tez, et de haïr ce que vous aimez.
4. — Aujourd'hui, ô abime de charité ! j'implore votre
miséricorde ; faites-moi la grâce de suivre votre vérité avec
un cœur simple ; accordez-moi une faim continuelle de souf-
frir pour vous les peines et les tourments. Donnez à mes
yeux, ô mon Père, des fontaines de larmes, afin que j'ob-
tienne votre miséricorde pour le monde entier, et surtout
pour l'Église votre Épouse.
5. _ Ô douce et ineffable Charité, l'Église est le jardin
que vous avez fécondé de votre sang et arrosé de celui des
martyrs, qui ont généreusement couru après le parfum de
votre sacrifice; protégez-la donc. Qui pourrait prévaloir
contre la cité que vous défendez ? O Père très clément !
plongez nos cœurs dans votre Sang, afin qu'ils brûlent d'ar-
deur pour votre gloire et pour le salut des âmes. J'ai péché,
Seigneur, ayez pitié de moi.
• 6. — O Dieu éternel ! comment parler dignement de
vous? Tout ce que nous pouvons dire, c'est que vous êtes
notre Dieu, et que vous ne voulez que notre sanctification.
Ne Favez-vous pas montré en nous donnant le sang de
votre Fils, qui s'est passionné pour notre salut jusqu'à la
mort ignominieuse de la Croix? L'homme ne doit-il pas avoir
honte de lever orgueilleusement la tête, lorsque vous, le
Dieu très haut, vous vous êtes humilié dans la boue de
notre humanité !
7. — O Dieu ! combien la miséricorde vous est naturelle !
L'homme, votre serviteur, l'invoque contre les rigueurs de
votre justice, que le monde a méritées par ses péchés.
Votre miséricorde nous a créés, votre miséricorde nous a
rachetés de la mort éternelle, votre miséricorde nous couvre
et nous protège contre votre justice; elle vous empêche
d'ordonner à la terre de s'ouvrir pour nous engloutir, et
aux bêtes féroces de nous dévorer : tout est à notre service,
au contraire, et la terre nous prodigue l'abondance de ses
fruits. C'est votre miséricorde qui règle, qui gouverne
tout ; c'est elle qui retarde notre mort afin que nous ayons
le temps de revenir et de nous réconcilier avec vous.
8. _0 Père tendre et miséricordieux! qui est-ce qui cm-
^mmMiàJk
PRIÈRES DE SAINTE CATHERINE. — XVI
407
pèche les anges de punir l'homme, votre ennemi ? Votre mi-
séricorde Elle nous donne aussi les douceurs qui nous obli-
gent à vous aimer, qui séduisent le cœur de votre créa-
ture • elle nous envoie les peines et les afflictions qui nous
forcent à vous reconnaître, et qui nous font souffrir, afin
que vous puissiez, couronner ceux qui auront combattu
avec courage.
<) — C'est elle qui a conservé les cicatrices glorieuses
de l'Agneau, votre Fils unique, afin qu'elles intercèdent
sans cesse pour nous votre souveraine Majesté. C'est cette
miséricorde qui m'a montré si clairement aujourd'hui, a
moi si indigne et si misérable, que je ne puis et ne dois
jamais juger les intentions des créatures raisonnables que
vous conduisez par des voies si différentes. Vous me l'a-
vez prouvé par moi-même, et je vous en rends grâces.
10 — Votre miséricorde n'a pas voulu que l'Agneau
sans tache rachetât le genre humain par une seule goutte
de son sang, comme il le pouvait ; elle a voulu qu'il le
donnât tout entier, qu'il souffrit dans tout son corps, afin
qu'il satisfit surabondamment pour le genre humain qui
vous avait offensé. Et cela pour deux raisons : d'abord
parce que, parmi vos créatures raisonnables, les unes vous
outragent avec la tète, lès autres avec les mains ou avec
les autres parties de leur corps ; le genre humain avait
donc péché par tous ses membres. Puis tout péché vient
de la volonté, et sans elle il n'en existerait pas ; c'est elle
qui dirige tout le corps. Par conséquent, tout le corps
de la créature vous avait offensé.
11. — Aussi, vous avez voulu que tout le corps et tout
le sang de votre Fils unique satisfissent à votre justice,
afin que la satisfaction fût complète, et cela par la ver-
tu de la Divinité unie à notre nature humaine, qui seule
pouvait souffrir. La Divinité a accepté le sacrifice. Verbe
éternel, Fils de Dieu ! comment avez-vous eu la contrition
parfaite de la faute, puisque vous n'en avez jamais eu la
.souillure ? Je vois que vous avez voulu satisfaire par les
peines de votre esprit et de votre corps, parce que c'é-
tait par son esprit et par son corps que l'homme avait
péché. J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi, et ne re-
gardez pas nos péchés, Dieu tout puissant, Dieu bon et
miséricordieux !
■
I
408
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
, '
'■,' ;••
XVII. — Prière faite à Rome, le 14 février.
1. _ Trinité, éternelle Trinité! ô feu, ô abime de cha-
rité ! ô folie d'amour pour votre créature, Vérité, Sagesse
éternelle ! Dieu qui vous êtes donné pour notre rédemp-
tion, ce n'est pas votre Sagesse seulement qui est venue
au monde ; car la Sagesse n'a pas été séparée de la Puis-
sance, la Puissance de la Sagesse et de la Clémence ; toute
la Trinité était présente. O Trinité éternelle, qu'avez-vous
reçu de l'homme, si ce n'est l'outrage? Et quel profit de-
viez-vous retirer de notre rédemption ? Aucun ; vous n'avez
pas besoin de nous, et vous n'avez été utile qu'à nous.
(J ineffable Charité, vous avez donné toute votre divinité
et toute votre humanité dans votre Incarnation, et vous
les donnez encore à l'âme raisonnable, afin que pendant
notre pèlerinage nous ne succombions pas à la fatigue,
et que nous soyons fortifiés par cette nourriture céleste.
2. — Homme mercenaire, à quel prix Dieu veut-il t'a-
cheter? Au prix de sa divinité et de son humanité, qu'il
te donne tout entières, sous les blanches apparences du
pain. O flamme d'amour, ne suffisait-il pas de nous créer
à votre image et ressemblance, de nous faire renaître à
la grâce dans le sang de votre Fils? Fallait-il encore nous
donner toute la Trinité en nourriture ! C'est votre chari-
té qui l'a voulu. O Trinité éternelle, non seulement vous
avez donné votre Verbe dans la Rédemption et dans l'Eu-
charistie, mais vous vous êtes donnée tout entière par
amour pour votre créature. Oui, l'âme vous possède, lors-
qu'elle se renonce pour vous, lorsqu'elle ne cherche et ne
désire en elle et dans le prochain que la gloire et l'hon-
neur de votre nom, parce que vous êtes la Bonté suprême,
que doivent aimer et servir toutes les créatures.
3._ Non seulement vous vous révélez aux âmes qui vous
aiment ainsi, mais vous les fortifiez contre les assauts du
démon, contre les persécutions des hommes et contre les
malheurs qui leur arrivent. Vous éclairez leur intelligence
par la sagesse de votre Fils, afin qu'ils se connaissent et vous
connaissent dans votre lumière. Vous embrasez leur cœur
par la clémence du Saint Esprit, et vous accomplissez toutes
m
PMEnES DE SAINTE CATHERINE. — XVII
409
ces merveilles en eux selon la mesure de leur amour et
selon l'usage qu'ils font de leurs facultés.
4. — Je vous rends grâces, ô Père éternel, de ce que vous
nous montrez aujourd'hui comment peut être réformée
l'Église. Vous avez éclairé de votre Verbe l'intelligence de
vos créatures ; fortifiez maintenant leur volonté, surtout
celle de votre Vicaire, afin qu'il suive les lumières que vous
lui avez données et que vous devez lui donner. Trinité
éternelle, j'ai péché toute ma vie. Ame misérable, tu as
sans cesse oublié ton Dieu ; car, si tu ne l'avais pas oublié,
tu serais consumée du feu de son amour. O Père éternel,
rendez la santé aux malades, la vie aux morts ; donnez-
leur une voix, afin qu'ils crient vers vous, et qu'ils obtien-
nent miséricorde pour le monde et pour votre Épouse. C'est
avec votre voix même que nous vous implorons, exaucez -
nous.
5. — Moi, je vous en prie pour tous, pour votre Vicaire
surtout et pour ceux qui l'entourent, pour ceux que vous
m'avez donnés à aimer d'un amour spécial. Je suis malade et
je voudrais les voir en santé ; je suis pleine de défauts, et
je voudrais les voir parfaits ; je suis morte, et je voudrais
les voir vivre de la vie de votre grâce. D'où vient tant d'hu-
milité et de miséricorde'? Un Dieu s'associer si intimement
à sa créature ! non seulement unir la nature divine à la na-
ture humaine, mais encore se communiquer aux âmes qui
nous aiment et qui vous servent dans la simplicité du cœur !
L'homme ne devrait-il pas avoir honte de ne pas se fixer en
vous, lorsque vous voulez bien rester en lui de tant de
manières? Ame malheureuse, tu ne te souviens pas de ton
Dieu, tu ne peux par conséquent t'affermir dans la vertu,
j'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.
6. — Dieu tout puissant, vous êtes la Vie et moi la mort,
la Sagesse et moi la folie, la Lumière et moi les ténèbres,
l'Infini et moi le néant, la Droiture et moi la fausseté, le
Médecin et moi le malade. Qui pourra vous atteindre, ô
Dieu suprême, pour vous remercier des bienfaits si grands
et si nombreux dont vous nous avez comblés ? Mais vous
nous atteignez par cette lumière que vous versez dans le
cœur de ceux qui veulent vous recevoir : vous enchaînez de
vos liens ceux qui se laissent enchaîner, ceux qui ne s'op-
posent point à votre volonté. Ne tardez pas, ô Père très
410 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
clément, jetez les regards de votre miséricorde sur le
monde: il vous glorifiera plus en recevant votre lumière
qu'en restant dans les ténèbres du pèche.
7 _ Tout glorifie votre nom, mais ce sont les pécheurs
qui font briller davantage votre miséricorde, lorsqu'elle ar-
rête le glaive de votre justice, et qu'elle donne au coupable
le temps de se convertir. Votre gloire parait dans 1 enfer,
où votre justice punit les damnés, mais votre miséricorde
sy montre aussi, parce qu'ils n'y souffrent pas tous les
tourments qu'ils ont mérités.-Là même votre nom e ho-
noré. Mais que ne puis-je surtout le voir glorifie dans vos
créatures, qui vous louent en accomplissant votre volonté., e
qut Parviennent à la fin pour laquelle vous les avez créées
ïaitesde votre Vicaire un autre vous-même^ et donnez-*
la lumière dont il a si grand besoin pu.squ d doit la repan
dre sur les autres. Père très bon et très clément ,e vous
en supplie, accordez-nous votre douce et éternelle bene-
diction.
XVIII.— Prière faite à Rome, le 15 février.
1 _ o Dieu éternel, Dieu éternel, Amour ineffable, en
votre lumière j'ai vu la lumière, j'ai «"^.^^
compris la cause de la lumière, et la cause des ténèbres.
Vous êtes la cause de la lumière, et nous, vos créatures,
lous sommes la cause des ténèbres. Je sais ce que laUinne-
refait dans l'âme, et ce qu'y font les ténèbres Tnmto
étonelle vos œuv es sont admirables; la lumière les fait
— , "arce qu'elles viennent de fumier. Aujour-
d'hui votre Vérité me montre clairement que la cause des
"nebres est l'enveloppe immonde de notre «£%%*£
et que le moyen de connaître la lumière est de se revêtir de
tou-è douce volonté. Chose admirable! nous sommes dans
2 ténèbres, et nous voyons la lumière; nous punies £g
le fini, et nous connaissons l'infini ; nous vivons dans la
mort et nous connaissons la vie.
3 - De même que l'homme se dépouille d'un vêtement et
le ette loin de lui, l'âme doit se dépouiller ,sa.™«
viciée si elle veut revêtir complètement La votre. Pou y
parvenir, il faut développer par le Libre arbitre cette lu-
MMaà ■
PRIERES DE SAINTE CATHERINE. — XVIIT
411
mière que nous avons reçue dans le saint baptême, et qui
nous fait voir la lumière dans la lumière. Cette lumière,
vous nous l'avez montrée sous les voiles de notre humanité.
Que reçoit l'âme qui est revêtue de cette lumière? Elle est
délivrée des ténèbres, de la soif, de la faim et de la mort.
La faim de la vertu chasse la faim insatiable de la volonté :
la soif de votre honneur chasse la soif de 'l'amour-propre,
et la vie de votre volonté triomphe de la mort de nos con-
voitises.
3. — vêtement infect de notre volonté, tu ne couvres pas
l'âme, tu causes sa nudité. volonté détruite, gage de la
vie éternelle, tu es fidèle jusqu'à la mort, non pas au
monde, mais à ton doux créateur. Tu lies l'âme à lui, par-
ce que tu la détaches d'elle-même. O Amour ineffable,
comment l'âme sait-elle qu'elle est parfaitement détachée
d'elle-même? Elle le sait lorsqu'elle ne choisit plus le lieu,
la manière, le temps qui lui plaisent davantage, mais qu'elle
s'en rapporte pour tout à votre bon plaisir.
4. — Votre volonté, Seigneur, est un vêtement éblouissant,
c'est un soleil ; car, comme le soleil éclaire , échauffe et fécon-
de la terre, votre lumière éclaire et échauffe l'âme qui la pos-
sède dans le feu de votre charité ; elle l'éclairé, parce qu'a-
vec la lumière elle lui fait connaître la vérité dans la lumière
de votre sagesse : elle lui fait produire, pendant qu'elle est sur
cette terre, le fruit des véritables et saintes vertus. L'âme de-
vient forte par la puissance dn Père, prudente par la sagesse
du Fils, et capable d'aimer par la clémence du Saint Esprit (1).
5.— Qu'est-ce qui empêche l'àme de se dépouiller d'elle-
même? C'est la privation de la lumière. Elle a méconnu la
première lumière que vous donnez à toute créature raison-
nable, et ne l'a pas développée. Elle a obscurci la vue de
l'intelligence par des fautes qui ont enchaîné la volonté, et
lui ont fait commettre le mal. O âme ignorante ! si tu ne
distingues pas la puanteur du péché et les parfums de la
vertu et de la grâce, c'est que tu es privée de la lumière.
J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.
6.— Dieu éternel, je sais combien vous avez fait la créa-
ture à votre ressemblance ; de quelque côté que mon intel-
ligence regarde, elle voit que vous l'avez mise comme dans
(1) Cette dernière phrase ne se trouve que dans la version latine.
4-12
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
I I
un cercle dont elle ne peut sortir. Si je considère l'être que
vous nous avez donné, j'y trouve votre image et votre res-
semblance, dans nos rapports avec la sainte Trinité, par les
trois puissances de notre âme. Si je considère le Verbe qui
nous a fait naître à la grâce, je vois que vous nous ressem-
blez et que nous vous ressemblons par cette union met-
table delà divinité et de l'humanité. Si je me tourne vers
l'âme que vous éclairez des rayons de votre pure lumière,
je vois qu'elle demeure en vous, parce qu'elle suit la doc-
trine de votre Vérité, et qu'elle pratique les vertus inspirées _
et prouvées par l'amour qu'elle a pour vous ; et c'est vous-
même qui êtes cet amour.
7 — Dès que l'âme suit votre doctrine par amour, elle
devient un autre vous-même. Elle s'est dépouillée de sa
volonté pour se revêtir de la vôtre ; elle ne demande, elle
ne désire que ce que vous demandez et ce que vous desirez
en elle. Vous aimez cette âme, et cette âme vous aime ;mais
vous l'aimez gratuitement, vous l'avez aimée avant quelle
fût, tandis qu'elle vous aime à cause de vos bienfaits. Il lui
est impossible de vous aimer gratuitement comme vous
l'aimez, puisqu'elle vous doit tout, et que vous ne lui devez
rien. Mais cet amour désintéressé qu'elle ne peut vous
rendre, elle doit le rendre au prochain, enlam.antjj
tuitement et par devoir. Gratuitement, parce ^JUetol
l'aimer sans intérêt et sans réprocite; par devoir paice
que vous le lui ordonnez, et qu'elle est obligée de vous
0b f'_ Quelle conformité entre vous et l'âme, lorqu'ellc
s'élève à vous par la lumière intellectuelle qu'elle reçoit
le vous, et par Liour divin qu'elle acquiert en se contem
plant a ix clartés de votre Vérité ! Elle vous ressemble
ô Dieu immortel, parce que vous lui faites comprendre et
goûter dans l'ardeur de votre charité vos biens immortels.
Vous êtes la Lumière, et vous la faites participer a la lu-
mière • vous êtes un feu, et vous vous communiquez . vous
confondez sa volonté avec la vôtre, et la ^«^Jg
ne. Vous êtes la Sagesse suprême, et vous lu. donnez la
sa-esse; vous lui faites discerner et comprendre la venté.
ous êtes la Force éternelle, et vous lui donnez la force.
Vous la lui donnez si grande, qu'aucune créa** mj sa*
,-ait l'ébranler, si elle ne le veut pas, et elle ne le voudra ja
■■■
PRIÈRES DE SAINTE CATHERINE.
XVIII
mais tant qu'elle sera revêtue de votre volonté : sa seule vo-
lonté peut l'affaiblir.
9. —Vous êtes infini, et vous la rendez infinie par la con-
formité que la grâce lui donne avec vous, pendant la vie
de son pèlerinage, et pendant la vie de l'éternelle vision.
Elle vous est tellement conforme, son libre arbitre vous est
tellement uni, qu'elle ne peut plus perdre votre ressem-
blance. Oui, votre Vérité a dit vrai : toute créature raison-
nable devient conforme à vous et vous à elle, par la grâce.
Vous ne lui donnez pas une partie de votre grâce, vous
la lui donnez tout entière. Pourquoi ? Parce que rien ne lui
manque pour son salut. Vous la lui donnez plus ou moins
parfaite, selon qu'elle veut développer dans votre lumière
la lumière naturelle que vous lui avez d'abord donnée. Que
dire encore, sinon que l'homme devient Dieu, et que vous,
mon Dieu, vous vous êtes fait homme ?
•10. — Quelle a été la cause de cette conformité? La lu-
mière a fait connaître à l'âme votre volonté ; et parce qu'elle
la connaît, elle se dépouille de sa volonté propre, qui cau-
sait ses ténèbres, sa mort, sa nudité. Elle se revêt de votre
volonté, de vous-même par la grâce, par la lumière, par le
feu, par l'union de votre Divinité à notre humanité. Vous
êtes la cause de tout bien, tandis que la volonté corrompue
de l'amour-propre est la cause de tout mal ; et cela parce
qu'elle aveugle l'âme, et qu'elle la fait sortir de la sphère
lumineuse de la sainte foi où elle vous trouvait toujours.
Quelle est alors son union et sa ressemblance? Dès qu'elle
abandonne la lumière de la foi, elle ressemble à la brute
dépourvue de raison : elle suit la loi corrompue des êtres
mauvais, visibles et invisibles, et c'est elle seule qui en est
la cause.
14. — Oui, je le confesse, Dieu éternel et tout puissant,
je suis la cause misérable de tous ces maux, parce que je
n'ai pas exercé ma lumière dans votre lumière, pour con-
naître combien vous déplaît et combien m'est nuisible et
mortel ce vêtement de ma propre volonté, ce vêtement dont
vous voulez que je me dépouille complètement. Hélas ! mal-
heureuse, j'ai méconnu la douceur de votre volonté, que je
devais revêtir. J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.
12. — Vous êtes, ô Dieu éternel, la lumière qui nous fait voir
la lumière. Je vous supplie de répandre cette lumière sur
iU
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
toutes vos créatures raisonnables, surtout sur le souverain
pontife, votre Vicaire, afin qu'il devienne un autre vous-
même. Éclairez ceux qui sont dans les ténèbres, et qu'ils
connaissent votre vérité. Je vous implore aussi pour ceux
que vous avez confiés à mon affection et à ma sollicitude
particulière. Qu'ils soient illuminés de vos rayons, qu'ils
soient purifiés de leurs fautes, afin, qu'ils puissent active-
ment travailler dans le champ que vous leur avez confié.
Punissez et vengez sur moi leurs erreurs et leurs faibles-
ses dont je suis cause. J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de
moi.
/)3 _ je vous remercie, sainte et adorable Trinité, des con-
solation s que vous avez données à mon âme en me faisant
connaître la conformité que nous avons avec vous, et en
m'expliquant l'excellence de votre volonté. Je suis celle
qui ne suis pas, et vous êtes seul Celui qui êtes. Rendez-
1 vous grâces vous-même en me donnant les moyens de pou-
voir vous louer. Que votre volonté vous force à faire misé-
ricorde au monde, et à secourir votre Vicaire et votre
Église. J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. Dieu éter-
nel accordez-nous votre douce Bénédiction. Ainsi soit-il.
XIX. — Prière faite à Rome, le jour de la Chaire de saint
Pierre, apôtre.
•1. — J'ai recours à vous, Médecin suprême, Amour inex-
primable de mon âme ; je soupire avec ardeur vers vous,
Trinité éternelle, infinie, moi si peu de chose! Je m'a-
dresse à vous dans le corps mystique de votre sainte Église
pour que vous purifiiez par votre grâce toutes les taches
de mon âme. Ne tardez pas davantage, je vous le demande
par les mérites de saint Pierre, que vous avez chargé de
conduire votre Barque. Secourez votre Épouse, qui espère
dans le feu de votre charité et l'abîme de votre admirable
sagesse.
2. —Ne méprisez pas les désirs de vos serviteurs, mais
dirigez vous-même la Barque sainte. Vous qui faites la
.paix, attirez à vous tous les fidèles; dissipez les ténèbres
de l'orage, afin que l'aurore de votre lumière brille sur les
PRIERES DE SAINTE CATHERINE.
XX
415
champs de votre Église et y ramène le zèle pour le salut
des âmes. Père tendre et miséricordieux, vous nous
avez donné des liens pour enchaîner le liras de votre jus-
tice.; ce sont les humbles prières et les ardents désirs de
vos ardents serviteurs, que. vous avez promis d'exaucer,
lorsqu'ils vous demanderaient d'avoir pitié du monde.
3. — Je vous rends grâces, ô Dieu puissant et éternel, du
repos que vous voulez bien promettre à votre Epouse. Oui,
j'entrerai dans ses jardins et je n'en sortirai pas avant d'a-
voir vu l'accomplissement de vos promesses qui ne trom-
pent jamais. Effacez aujourd'hui nos péchés, Seigneur, et
purifiez nos âmes avec le Sang que votre Fils unique a versé
pour nous, afin que, la joie sur le visage et la pureté
dans l'âme, nous lui rendions amour pour amour, en mou-
rant à nous-mêmes et en vivant pour lui.
i. — Exaucez aussi les prières que nous vous adressons
pour le Pontife qni garde la Chaire sacrée dont nous cé-
lébrons la fête ; rendrez-le l'imitateur et le cligne succes-
seur de votre petit vieillard Pierre (1), et donnez-lui tout ce
qui lui est nécessaire pour gouverner l'Église. Vous le
savez, vous avez promis de satisfaire bientôt mes désirs :
ainsi je m'adresse à vous avec confiance, mon Dieu ; ne
tardez pas davantage à accomplir vos promesses.
5. — Et vous, mes frères bien-aimés, travaillons, tandis
que nous le pouvons, pour l'Église du Christ, qui est notre
mère dans la foi. Vous avez été placés dans l'Eglise comme
ses colonnes ; aidez-la de vos ferventes prières et de vos œu-
vres; détruisez en vous tout amour-propre et toute paresse.
Cultivons avec ardeur le champ sacré de la Foi, afin que
nous accomplissions la volonté de Dieu, qui nous a donné
cette tâche pour notre salut, pour celui des autres, et pour
l'unité de l'Église, qui doit être le salut de nos âmes.
XX. —Prière faite à Rome, le 26 mars 1379.
1. — ODieu éternel, souveraine Grandeur, vous êtes grand,
moi je suis petite. Ma bassesse ne peut atteindre votre Gran-
deur qu'autant que la volonté, l'intelligence, la mémoire, sur-
(1) Il succesore di questo tuo vecchiacciuolo di Petro.
I •
416
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
montent la faiblesse de mon humanité pour vous contem-
pler dans la lumière que vous m'avez donnée. Si je regarde
votre Grandeur, toute grandeur que mon âme peut atteindre
en vous est comme la nuit obscure comparée aux clartés du
jour ou comme les reflets de la lune comparés au disque
éclatant du soleil. Je puis bien vous posséder par l'amour,
mais je ne puis vous voir dans votre essence : vous avez dit
que l'homme vivant ne peut vous voir.
2 - Oui, l'homme vivant dans sa sensualité et sa volonté
ne peut vous voir dans l'union de votre charité ; celui
qui vit dans la rectitude de la raison peut vous voir
dans l'union de votre charité, mais il ne peut vous con-
templer dans votre essence tant qu'il habite son corps
mortel II est donc bien certain que je ne puis vous attein-
dre mais seulement jouir de vous comme dans un miroir,
c'est-à-dire dans les effets de votre charité, et non dans
votre essence.
3 - Et quand ai-je pu prétendre à ce bonheur de vos
adorateurs véritables, à ce bonheur incompatible avec ma
vie mortelle? Lorsque arriva le moment sacré, le temps
vraiment acceptable, où mon âme put voir dans la lumière
l'accomplissement des promesses ; lorsque vint au monde
le grand Médecin, votre Fils unique ; lorsque l'Epoux fut
uni à l'Épouse, et le Verbe-Dieu à notre humanité. Cettf
union s'est faite par Marie, car c'est elle qui vous a revê-
tu de sa chair, vous qui êtes l'éternel Epoux !
4 - Cette union ineffable était cachée d'abord ; peu la
connaissaient, et l'âme ne pouvait comprendre toute votre
-randeur ; mais l'âme eut la connaissance parfaite de votre
charité dans la Passion du Verbe (1). Alors le feu caché sous
notre cendre se manifesta et produisit ces grandes flammes
qui atteignirent le corps sacré du Sauveur sur l'arbre de la
Croix Pour que l'affection de l'âme fut attirée aux choses
d'en haut, pour que l'œil de l'intelligence pût vous contem-
pler dans ces flammes, ô Verbe éternel, vous avez voulu
être élevé sur le Calvaire, et le sang que vous y avez verse
nous a prouvé votre amour, votre miséricorde et votre ge-
(1) Il ne s'agit pas d'une connaissance parfaite absolue ; mais de la .con-
naissance dont parle saint Jean dans sa première Ep. tre *£>•£?%&
gnovimus charitatem Dei, quontam Me anxmam suam p>o
posait.
PRIERES DE SAINTE CATHERINE
417
nérosité infinie. Vous nous avez aussi montré, par ce Sang,
combien vous est odieuse et pesante la faute de l'homme.
Vous avez purifié dans ce Sang l'âme, l'épouse que vous
avait donnée l'union de votre divinité à noire humanité. Ce
Sang a été un vêtement pour sa misère, et votre mort lui
a rendu la vie.
5. — Passion désirable, mais qui ne peut être désirée
ni aimée par ceux qui se désirent, s'aiment encore eux-
mêmes ! Passion que désire celui qui s'est dépouillé de lui-
même pour se revêtir de vous, et qui a connu par votre lu-
mière la grandeur de votre charité ! Passion douce et pro-
fitable, qui donnez à l'âme la paix nécessaire pour traverser
les flots d'une mer orageuse ! Passion, la suavité, la dou-
ceur même, richesse de l'âme, repos des affligés, nourri-
ture de ceux qui ont faim ! vous êtes le port et le paradis
de nos âmes ! notre joie véritable, notre gloire, notre béati-
tude ! Celui qui se glorifie en vous possède tout ce qu'il
doit posséder. Et qui est-ce qui se glorifie en vous? Ce n'est
pas celui qui abaisse la lumière de sa raison aux caprices
de ses sens : celui-là ne peut voir que la terre.
6. — Passion qui guérissez toute maladie, pourvu que
le malade consente à saguérisor, car vos bienfaits ne nous
ôtent pas la liberté, vous rendez la vie aux morts et vous
délivrez l'âme qui est tombée dans les pièges du démon.
Si le monde nous poursuit, si notre fragilité nous accable,
vous êtes notre refuge. L'âme, en voyant les douleurs du
Calvaire, connaît l'immensité de la charité divine que cette
Passion lui révèle, et elle en est enivrée. La faiblesse que le
Verbe emprunte à notre humanité pour souffrir est un mi-
racle de grandeur et de puissance, puisqu'elle vient de
Dieu, qu'elle nous élève à Dieu et qu'elle fait ce que rien
ne pourrait faire.
7. — divine Passion ! l'âme qui se repose en vous
meurt à la sensualité, en goûtant le charme de votre amour.
Qu'elle est grande, qu'elle est suave la douceur qu'elle
trouve lorsqu'elle pénètre cette dure enveloppe sous la-
quelle se cachent la lumière et le feu de la charité, lors-
qu'elle voit l'admirable union delà Divinité avec l'humanité
qui seule souffre en notre Sauveur! Regarde, mon âme, con-
temple le Verbe dans notre humanité comme dans un nuage
qui l'environne ; là Divinité n'est pas plus blessée par ce
dialogue de Ste Catherine. — 27 .
i i\
418
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
nuage de notre humanité que le soleil ne l'est parles nuages
qui voilent ses splendeurs et nous cachent la pureté du ciel.
Oui la divinité du Verbe assista aux souffrances de son
corps, mais après sa Résurrection, elle changea en lumière
les ténèbres de son humanité et la rendit immortelle.
8—0 Passion, vous êtes la doctrine que doit suivre la
créature raisonnable; vous montrez combien s'égarent
ceux qui préfèrent les plaisirs aux peines; puisqu'on ne
parvient au Père que par le Verbe, et quon ne s'associe au
Fils qu'en aimant ses souffrances. Si l'homme veut éviter la
souffrance, il l'endurera malgré lui ; s'il consent à la porter
avec le Soleil de justice, il n'en souffrira pas plus que la
Divinité n'a souffert dans le Verbe les douleurs de la Pas-
sion acceptée volontairement. Depuis votre Passion, ô Verbe
de Dieu l'âme ne peut avec la lumière de la grâce connaître
l'étendue de votre charité ; et c'est par cette lumière, qui
nous est donnée dans le temps, que nous parviendrons à con-
naître votre essence dans l'éternité.
9-0 Dieu aimable, Dieu éternel. Sublimité infinie, nous
ne pouvions élever à votre hauteur, ni les aflections de
notre âme à cause de leur bassesse, ni les regards de notre
intelligence à cause des ténèbres du péché; mais vous qui
êtes le Médecin suprême, vous nous avez donne le Verbe
avec son humanité; vous avez gagné l'homme, vous ave/,
vaincu le démon, non par l'humanité mais parlaDiv.n.te. En
vous faisant petit, vous avez grandi l'homme : vous vous êtes
abreuvé d'outrages pour le remplir de béatitude ; vous ave/,
souffert la faim pour le rassasier de charité ; vous vous êtes
dépouillé de la vie pour le revêtir de la grâce; vous vous
êtes couvert de honte pour lui rendre l'honneur ; vous vous
êtes caché dans votre humanité pour lui donner la lumière ;
vous vous êtes étendu sur la Croix pour l'embrasser; vous
lui avez ouvert votre côté pour lui offrir un asile contre ses
ennemis, et lui faire connaître votre amour, dont 1 étendue
n'a pas de bornes. C'est là qu'il a trouvé la piscine salutaire
qui a guéri son âme de la lèpre du pèche.
1 i0 - Amour ineffable, ô Flamme, ô Abîme de chante.
Grandeur qu'on ne peut mesurer, plus je vous contemple
dans votre Passion, plus je rougis de la misère de mon âme
qui ne vous a jamais connu, et cela parce qu'elle vivait poul-
ies sens et qu'elle était morte à la raison. Mais que votre
PRIEHES DE SAINTE CATHERINE
4-19
admirable charité illumine aujourd'hui mon intelligence, l'in-
telligence de ceux que vous m'avez confiés, et celle do
toutes les créatures raisonnables. O Dieu, mon Amour, lors-
que le monde se mourait dans la faiblesse, vous lui avez en-
voyé pour le guérir votre Fils unique, et je sais que vous le
lui avez envoyé à cause de votre amour, et non à cause de
nos mérites.
11. — Maintenant le monde s'affaisse dans la mort, et mon
âme n'en peut supporter le douloureux spectacle. Quel
moyen prendrez-vous pour le ranimer, puisque vous ne pou-
vez plus souffrir et que vous ne descendrez plus des cieux
pour nous racheter, mais pour nous juger? Comment nous
rendrez-vous la vie ? Je crois, ô Bonté infinie, que les remèdes
ne vous manquent pas ; je sais que votre amour pour nous
est toujours le môme, et que votre puissance n'est pas plus
affaiblie que votre sagesse. Vous voulez, vous pouvez, vous
connaissez ce qui peut nous sauver. Je vous en supplie, mon-
trez-moi ce remède, afin que mon âme ranimée reprenne
courage.
12. —Il est vrai que votre Fils ne doit plus venir que
dans la majesté du jugement : mais vous avez des servi-
teurs que vous appelez vos Christs ; et avec eux vous pou-
vez sauver le monde et lui rendre la vie, parce qu'ils mar-
chent avec courage sur les traces de votre Fils, parce qu'ils
brûlent du désir de vous glorifier, de sauver les âmes, et
qu'ils supportent avec patience les peines, les tourments,
les opprobres et les injures. Ces peines finies, accompagnées
d'un désir infini, vous feront exaucer leurs prières, ac-
complir leurs désirs. S'ils souffraient corporellement sans
ce désir infini, leurs souffrances ne pourraient suffire ni à
eux ni aux autres, comme la Passion du Verbe sans sa
Divinité n'aurait pas suffi au salut du genre humain.
13. — Sauveur par excellence, donnez-nous donc des
Christs pour qu'ils répandent leur vie pour le salut du monde
dans les jeunes, les veilles et les larmes. Vous les appelez vos
Christs parce qu'ils deviennent semblables à votre Fils uni-
que. O Père éternel, sauvez-nous de notre ignorance, de
notre aveuglement, de notre froideur. Que nous ne restions
pas dans cette obscurité où nous ne voyons que nous-mêmes ;
mais faites-nous connaître votre volonté. J'ai péché, Sei-
gneur, ayez pitié de moi ! Je vous remercie de ce que vous
420
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
"
avez donné le repos à mon âme, en lui faisant connaître, dès
ici-bas, la grandeur de votre charité et le moyen que vous
avez pour délivrer le monde de la mort.
- 14. — Réveille-toi donc, ô mon âme, secoue ce sommeil qui
a duré toute ta vie ! Amour ineffable ! ce que souffrent vos
serviteurs devient méritoire par le désir de leur âme, et le
désir de leur âme devient méritoire par le désir de votre
charité infinie ! O âme malheureuse qui ne suis pas la lu-
mière, mais les ténèbres, sors, sors donc de ces ténèbres ;
éveille-toi,- ouvre les yeux de ton intelligence et regarde l'a-
bîme de la charité divine. Sans voir, tu ne peux pas aimer ;
et plus tu verras, plus tu aimeras; plus tu aimeras, plus
tu suivras et tu revêtiras sa volonté. J'ai péché, Seigneur,
ayez pitié de moi.
XXL— Prière faite à Rome, le Jeudi 5 Avril 1379.
l._ o notre Résurrection ! notre Résurrection ! puissante
et éternelle Trinité, faites donc éclater mon âme ! O Ré-
dempteur ! notre Résurrection ! Trinité éternelle ! Feu qui
brûlez toujours, qui ne vous éteignez jamais, qui ne pouvez
diminuer quand même vous vous communiqueriez à toute
la terre! O Lumière qui donnez la lumière, je vois dans votre
lumière, et je ne puis rien voir sans vous, parce que vous
êtes Celui qui êtes, et moi je suis celle qui ne suis pas ! Je
connais par vous mes besoins, ceux de l'Église et du monde!
C'est parce que je les connais que je vous conjure d'ébranler,
d'enflammer mon âme pour le salut du monde ; non pas
que je puisse porter quelque fruit par moi-même, mais je le
puis par la vertu de votre charité, qui est la source de tout
bien.
2.— Oui, dans l'abîme de votre charité, l'âme agit pour
son salut et pour celui du prochain, comme votre Divinité,
ô éternelle Trinité, nous a sauvés au moyen de notre huma-
nité bornée, qui nous a procuré un bien infini. C'est par
cette vertu toute puissante de votre Divinité qu'a été créé
tout ce qui participe ji l'être, et qu'a été donné à l'homme
lé bien spirituel et temporel qui se trouve en lui. Ce bien,
vous avez voulu que l'homme le cultivât par son libre
arbitre. ■ . - -
PRIÈRES DE SAINTE CATHERINE
42-1
3,_ o Trinité, Trinité éternelle! votre lumière nous fait con-
naître que vous êtes le Jardin parfait qui renfermez les fleurs
et les fruits. Vous êtes une Fleur de gloire qui vous glorifiez
et qui fructifiez vous-même ! Vous ne pouvez rien recevoir
d'un autre : sans cela vous ne seriez pas le Tout-Puissant,
l'Éternel ! Celui qui vous donnerait ne paraîtrait pas venir
de vous. Mais vous êtes votre gloire et votre fruit;. ce que
vous offre votre créature vient de vous ; si elle ne recevait
rien, elle ne pourrait rien vous rendre.
4. _ o Père éternel ! l'homme était renfermé dans votre
sein ; vous l'avez tiré de votre sainte pensée, comme une
fleur où se distinguent les trois puissances de Pâme. Dans
chacune de ces puissances, vous avez mis un germe afin
qu'elles puissent fructifier dans votre jardin et vous rendre
le fruit que vous lui avez donné. Vous entrez dans l'âme
pour la remplir de votre béatitude, et l'âme y est comme le
poisson dans la mer et la mer dans le poisson.
5._ Vous lui avez donné la mémoire afin qu'elle puisse
retenir vos bienfaits pour fleurir â la gloire de votre nom et
porter de bons fruits. Vous lui avez donné l'intelligence afin
qu'elle connaisse votre vérité et votre volonté qui veut tou-
jours notre sanctification, et que, la connaissant, elle vous
honore et produise des vertus ! Vous lui avez donné la vo-
lonté afin qu'elle puisse aimer ce que l'intelligence a vu et
ce que la mémoire a retenu.
6.— Si je regarde en vous, qui êtes la Lumière, ô Tri-
nité éternelle, je vois que l'homme a perdu la fleur de la
grâce par la faute qu'il a commise. Il ne pouvait dès lors
vous rendre gloire et atteindre le but pour lequel vous
l'aviez créé. Votre plan était détruit ; votre jardin était
fermé, et nous ne pouvions recevoir vos fruits. Alors vous
avez envoyé le Verbe, votre Fils unique, à notre secours.
7. _ Vous lui avez donné la clef de la Divinité et de
l'humanité réunies pour nous ouvrir la porte de la grâce ;
la Divinité ne pouvait l'ouvrir sans l'humanité, parce que
l'humanité l'avait fermée par la faute du premier homme;
et l'humanité seule ne pouvait ouvrir sans la Divinité, parce
que son action est finie et que la faute avait été commise con-
tre la perfection infinie. La satisfaction devait égaler la fau-
te ; tout autre moyen ne pouvait suffire. Et vous, doux et
humble Agneau, vous nous avez ouvert les portes du jardin
I
422
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
céleste ; vous nous livrez l'entrée du paradis et vous nous
offrez les fleurs et les fruits de l'éternité.
8. — Je comprends maintenant la vérité de ce que vous
disiez, lorsque vous êtes apparu sous la forme d'un pèlerin
à vos deux disciples, sur la route d'Emmaûs. Vous leur
disiez qu'il fallait que le Christ souffrit et qu'il entrât dans
la gloire par la voie de la Crois ( Luc, xxiv, 26 ) ; vous
leur citiez les prophéties de Moïse, d'Élie, d'Isaïe, de David,
et vous leur expliquiez les Écritures ; mais ils ne vous com-
prenaient pas, parce que les yeux de leur intelligence étaient
obscurcis. Mais vous vous compreniez bien, doux et aima-
ble Verbe, et vous saviez où était votre gloire ; il vous fal-
lait souffrir pour entrer en vous-même. Ainsi soit-il.
XXII. — Prière faite à Rome, le jour de la Circoncision, à
la recommandation d'un Cardinal dominicain, pour obtenir
la circoncision des pécheurs endurcis.
1. — O Dieu souverain, ineffable Amour, Feu éternel qui
éclairez les âmes, qui les embrasez du souffle de votre cha-
rité et qui détruisez en elles, autant que vous le pouvez»
tout ce qui vous est contraire, l'amour vous a forcé de nous
donner la vie, et de vous révéler à nous pour l'honneur et
la gloire de votre nom ; ce même amour vous a forcé de
revêtir notre mortalité pour nous retirer de nos égarements,
et c'est aujourd'hui surtout que paraît cet amour.
2. _ Pour enseigner l'humilité à ceux que vous aimez,
vous vous êtes rendu accessible à la douleur : vous qui avez
fait la loi, vous vous y êtes soumis. Que l'homme rougisse
donc de la dureté de son cœur, et de la violation de la loi que
vous lui avez donnée, puisque vous, notre Dieu, vous avez
voulu l'observer. Vous nous avez montré aujourd'hui en
vous le néant de notre humanité, pour que nous appre-
nions à nous anéantir en vous. Vous avez souffert, pour
nous racheter et nous renouveler dans l'amour de votre
Passion, afin que nous puissions à votre exemple souffrir
avec courage.
3. — Que toute âme se fonde et se perde dans votre amour,
ô Créateur, ôDieu véritable, qui avez tiré l'homme de vous-
même pour qu'il vous connût, vous aimât et vous suivit
PRIÈRES DE SAINTE CATHERINE
423
comme son unique fin. Et nous avons résisté à tant de bien-
faits ; ô Majesté éternelle ! nous avons osé nous éloigner de
vous. Encore aujourd'hui, votre bonté présente à nos âmes
l'anneau de votre charité pour en faire ses -épouses, si elles
veulent accepter les conditions qui les font participer à
votre éternité. , .
4. — Aujourd'hui, vous avez donné à mon aine la rémis-
sion de ses péchés, par l'intermédiaire de votre ministre,
dont la puissance est la vôtre. Vous m'avez créée sans moi,
mais vous ne pouvez me sauver sans moi ; et c'est par la
prière et la confession que j'ai obtenu de votre Vicaire la
rémission de mes péchés. Votre ir.digne servante vous en
remercie, Seigneur ; et puisque votre grâce m'a purifiée,
ô mon Amour et mon Dieu, je vous conjure de faire mi-
séricorde au monde, et de l'éclairer, pour qu'il reconnaisse
votre Vicaire dans la pureté de la foi, et qu'il le suive à la
clarté de votre lumière.
5. _ Donnez aussi à votre Vicaire un cœur courageux et
tout revêtu de votre sainte humilité. Je vous le demande avec
instance, et je ne cesserai de le demander à votre bonté,
ô mon Amour, jusqu'à ce que vous m'ayez exaucée. Mani-
festez en lui votre vertu ; que son âme virile brûle sans
cesse de vos saints désirs, qu'elle soit pénétrée de votre hu-
milité, et qu'elle agisse avec votre douceur, votre charité,
votre pureté, votre sagesse; qu'elle attire à lui l'univers
tout entier. Oui, donnez à votre Vicaire l'abondance do
votre vérité, afin qu'il connaisse ce qu'il était par lui-môme
et ce que vous êtes en lui par votre grâce.
6. — Éclairez aussi ceux qui le combattent et qui ré-
sistent au Saint Esprit et à votre toute-puissance par l'in-
circoncision de leur cœur. Frappez à la porte de leurs
âmes, car ils ne peuvent se sauver sans vous. Pour les con-
vertir, ô mon Dieu, réveillez la vie en eux, et que votre
amour ineffable vous force, dans ce jour de grâce, à amollir
. leur dureté, afin qu'ils reviennent à vous et qu'ils ne péris-
sent pas. Puisqu'ils vous ont offensé, ô Dieu de souveraine
clémence, punissez sur moi leurs offenses. Voici mon
corps, je vous l'offre, je vous le livre comme une enclu-
me où leurs fautes doivent être détruites.
7. _ Seigneur, vous avez donné à votre Vicaire un cœur
naturellement fort; je vous demande humblement que vous
;■*•/*'
m-
424
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
donniez aussi à son intelligence une lumière surnaturelle
qui le porte à la vertu et l'empêche de tomber dans l'or-
gueil. Détruisez tout amour-propre en lui, en nous et dans
tous vos ennemis, afin que nous puissions nous réconci-
lier avec eux lorsque vous aurez adouci leur dureté, et
qu'ils se seront soumis à votre obéissance.
8. — Je vous offre ma vie, maintenant et quand il vous
plaira ; utilisez-la pour votre gloire. Je vous supplie,
par les mérites de votre Passion, de purifier votre Épouse
de ses anciennes souillures, et de retrancher de son sein
les rameaux stériles. Ne tardez pas davantage, je vous en
conjure, ô mon Dieu. Je sais que vous pouvez par la force
redresser à la longue les branches difformes de vos ennemis ;
mais hâtez-vous, éternelle Trinité : puisque vous avez fait
quelque chose de rien, il ne vous sera - pas difficile de vous
servir de ce qui existe, et d'en retrancher le mal. Je vous
recommande mes enfants, et je présente à votre Majesté
sainte celui par le ministère duquel vous vous êtes aujour-
d'hui donné à moi. Donnez-vous aussi à lui; renouvelez-le
à l'intérieur et à l'extérieur, afin que tous ses actes soient
conformes à votre bon plaisir. Daignez m'exaucer et re-
cevez mes actions de grâces, ô Vous, le Béni dans tous les
siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
XX111 — Prière faite par sainte Catherine pendant l'extase
qui suivit sa Communion, le jour de la Conversion de saint
Paul, en 1377. Elle fut recueillie par le bienheureux Ray-
mond, son confesseur (1).
1. — O Trinité étertielle, Dieu unique, Dieu un en essence
et trine en personnes, permettez-moi de vous comparer à
une vigne qui a trois rameaux. Vous avez fait l'homme à
votre image et ressemblance. Par les trois puissances qu'il
a en son âme, il ressemble à votre Trinité et à votre unité.
Et pour ajouter à cette ressemblance, par la mémoire, il
ressemble et s'unit au Père, auquel on attribue la puis-
sance ; par l'intelligence, il ressemble et s'unit au Fils, au-
quel on attribue la sagesse ; par la volonté, il ressemble et
(1) Cette prière ne se trouve pas dans la version latine.
PRIÈRES DE SAINTE CATHERINE
425
s'unit au Saint Esprit, auquel on attribue la clémence, et
qui est l'amour du Père et du Fils.
2. — Paul, saint Apôtre, vous avez bien connu cette vé-
rité. Vous saviez parfaitement d'où vous veniez, où vous
alliez ; non seulement où vous alliez, mais par quel che-
min vous alliez: car vous avez connu votre principe ol
votre fin, et par quelle voie vous alliez à votre fin. Aussi',
vous avez uni les puissances de votre âme aux personnes
divines. Vous avez uni votre mémoire au Père, en vous rap-
pelant parfaitement qu'il est le principe d'où procède toutes
choses, non seulement les choses créées, mais encore, en
leur manière, les personnes divines. Et par conséquent,
vous n'avez pas douté qu'il ne fût votre principe.
3. _ Vous avez uni la puissance de votre intelligence au
Fils, le Verbe, en comprenant parfaitement l'ordre qui ra-
mène les choses créées à leur fin, qui est le , même prin-
cipe réglé par la sagesse du Verbe. Et pour que cela fût
plus clairement manifesté, le Verbe s'est fait chair, et il a
habité parmi nous, afin qu'étant la Vérité, il traçât par ses
œuvres la voie qui conduit à la vie pour laquelle nous
étions créés, et dont nous étions privés.
4. _ Vous avez uni votre volonté au Saint Esprit, en ai-
mant parfaitement cet amour, cette clémence que vous
voyiez être la cause de votre création et de tous les dons
gratuits que vous aviez reçu ; et vous saviez que cette divi-
ne clémence agissait toujours uniquement pour votre bon-
heur et votre sanctification.
5. — En ce jour le Verbe vous convertit de l'erreur à la
vérité ; vous avez reçu la grâce d'un ravissement où vous
avez vu la divine Essence en trois personnes. Lorsque cette
vision finit, et que vous êtes revenu à votre corps ou à
vos sens, vous êtes resté revêtu seulement de la vision du
Verbe incarné, et en la méditant vous avez compris que ce
Verbe incarné, par ses souffrances continuelles, avait été
la gloire de son Père et notre salut.
6. — Alors vous êtes devenu avide et affamé de souffran-
ces ; vous oubliiez tout le reste, et. vous confessiez que vous
ne saviez autre chose que Jésus, et Jésus crucifié. Comme
dans le Père et dans l'Esprit Saint ne peut se trouver la
souffrance, vous paraissiez oublier ces deux Personnes
divines, et vous disiez que vous ne connaissiez que le Fils»
126
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
I
Jésus, qui souffrit de si grands tourments ; vous ajoutiez :
Jésus crucifié.
XXIV. — Prière faite à Rome.
1,-0 Dieu éternel, Père tout puissant ! Feu qui brûlez
toujours, Flamme ardente de charité, mon Dieu, mon Dieu !
ce qui montre votre bonté et votre grandeur, c'est le pré-
sent que vous avez fait à l'homme. Ce présent, c'est vous
tout entier, vous l'infinie, l'éternelle Trinité ; et le lieu où
vous avez daigné descendre pour vous donner, c'est l'étable
de notre humanité, qui était devenue le repaire des ani-
maux, c'est-à-dire des péchés mortels. Vous avez voulu y
naître pour faire comprendre à quel degré de misère
l'homme était parvenu par sa faute. Vous vous êtes donné
tout entier en Vous faisant semblable à notre humanité,
et en vous unissant à elle.
2. — O Dieu éternel ! Dieu éternel, vous me dites de
regarder votre Divinité, afin de me voir en vous, et de
mieux connaître, par votre grandeur, ma misère et ma
bassesse. Mais si je ne me dépouille pas d'abord de ma
volonté propre, je ne puis vous voir. Vous m'avez ensei-
gné qu'il fallait me dépouiller de ma volonté, en me con-
naissant moi-même, parce qu'en me connaissant je vous
connais, et en vous connaissant mon âme se dépouille de
sa volonté pour revêtir la vôtre.
3. — Nous devons aussi arriver par la lumière à nous
connaître en vous. feu qui brûlez toujours, l'âme qui
se connaît en vous, de quelque côté qu'elle se tourne, ren-
contre votre grandeur jusque dans les plus petites choses,
dans les créatures raisonnables et dans tout ce que vous
avez créé. Partout elle voit votre puissance, votre sagesse,
votre bonté ; car si vous n'en aviez pas eu le pouvoir,
l'intelligence et la volonté, vous n'auriez pas tout créé ;
vous êtes tout puissant, et vous avez manifesté votre
puissance.
4. — O âme misérable! tu ne t'es jamais connue en
Dieu, parce que tu n'as pas dépouillé ta volonté corrompue,
et que tu n'as pas revêtu la sienne. Comment voulez-vous,
ô mon doux Amour, que je me regarde en vous ? J'y vois
que vous nous avez créés à votre image et ressemblance ;
PRIÈRES DE SAINTE CATHERINE
427
j'y vois que vous, la Pureté même, vous vous êtes uni à la
fange de notre humanité. C'est le feu de votre ineffable cha-
rité qui vous contraint et qui vous force à vous donner à
nous en nourriture, vous, la Nourriture des anges, la souve-
raine, l'éternelle Pureté, qui demande tant de pureté, que,
s'il était possible à la nature angélique de se purifier davan-
tage, elle devrait le faire pour vous recevoir ! Et comment
rame se purifiera-t-elle? Par le feu de votre charité, en se
lavant dans le sang de votre Fils unique.
5.— âme pleine de misère ! comment t'approches-tu d'un
si grand Sacrement sans mieux te purifier? N'as-tu pas
honte, et n'es-tu pas digne d'habiter avec les bêtes et les
démons, puisque tu accomplis les actes des bêtes, et que tu
suis les inspirations du démon ?0 Bonté infinie! vous me
montrez en vous que vous m'aimez, et que vous m'aimez
gratuitement, afin que j'aime aussi d'un amour désintéressé
mon prochain, et que je le serve spirituellement et corpo-
rellement autant que je le pourrai, sans espoir dp récom-
pense. Vous voulez que, malgré ses persécutions et son in-
gratitude, je ne l'abandonne jamais, et que je le secoure
dans tous ses besoins.
6. _ Que ferai-je pour vous obéir? Je dépouillerai la cor-
ruption de ma volonté, je me regarderai en vous à la lumière
de la foi, je me revêtirai de votre éternelle volonté, et je
verrai que vous êtes, ô adorable Trinité, notre table, notre
nourriture, notre serviteur. Oui, ô Père, vous êles la table
où nous est servi l'Agneau sans tache, votre Fils unique. Cet
Agneau est notre suave et délicieuse nourriture ; car il nous
nourrit de sa doctrine, et il se donne dans la sainte Com-
munion pour nous soutenir et nous fortifier pendant le pèle-
rinage de cette vie. Le Saint Esprit est notre serviteur ; car
il nous sert cette doctrine qui éclaire notre intelligence et
qui attire nos cœurs ; il nous donne aussi cet amour du
prochain, cette faim des âmes et du salut du monde pour
l'honneur du Père. Aussi voyons-nous les âmes, éclairées en
vous de la véritable lumière, ne laisser jamais s'écouler un
instant sans se nourrir de cet amour et de ce désir du salut
dés âmes.
7. _ O infinie Bonté, vous nous montrez en vous les né-
cessités du monde, et surtout celles de la sainte Église, votre
Épouse. Vous nous montrez l'amour que vous lui portez,
428
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
puisque vous l'avez fondée dans le sang de votre Fils, et que
vous l'y. conservez. Vous montrez aussi votre amour pour
votre "Vicaire, puisque vous le rendez le dispensateur de ce
précieux Sang. Je me regarderai en vous afin de devenir
pure ; et, lorsque vous m'aurez purifiée, je demanderai à
votre miséricorde de jeter des regards de compassion sur les
besoins de votre Église, et d'éclairer, de fortifier votre Vi-
caire. Éclairez aussi, ô Père très clément, vos serviteurs,
pour qu'ils vous consultent en toute chose, et qu'ils soient
fidèles aux lumières que vous leur donnez.
8. — O souveraine Sagesse, non seulement vous avez créé
l'âme, mais vous l'avez enrichie de trois puissances, de la
mémoire, de l'intelligence et delà volonté ; et ces puissances
sont tellement unies, qu'il suffit d'une seule pour entraîner
les autres. Si la mémoire s'occupe à voir votre bonté, aus-
sitôt l'intelliuence veut la comprendre, et la volonté veut
l'aimer et suivre votre volonté. Pourquoi ne l'avez-vous pas
créée seule? Parce que vous n'avez pas voulu qu'elle fût
sans votre amour et sans celui du prochain ; et quand elle
est ainsi accompagnée, elle devient une même chose avec
vous et avec le prochain. Alors s'accomplit cette parole de
saint Paul : « Il y en a beaucoup qui courent dans la carrière,
mais le prix n'appartient qu'à un seul » ( I Cor. ix, 24 ),
c'est-à-dire à la charité.
9. — Quand l'Ame s'associe au péché, elle reste seule,
parce qu'elle s'éloigne de vous, qui êtes le seul bien ; et en
s'éloignant de vous, elle se sépare de la charité du prochain
et s'associe au néant du péché. J'ai péché, Seigneur, ayez
pitié de moi. Jamais je n'ai su me connaître en vous ; c'est
votre lumière qui fait voir tout le bien qu'on connaît. Dans
votre nature, Dieu éternel, je connaîtrai ma nature. Et
quelle est votre nature, ô Amour ineffable ? C'est un feu,
et vous avez donné de cette nature à l'homme en le créant
par le feu de l'amour, ainsi que toutes les autres créatures.
Homme ingrat, ton Dieu t'a donné sa nature, et tu n'as pas
honte de détruire en toi cette noblesse, en commettant le
péché.
10. — O Dieu, mon doux Amour, comment ce qui n'a pas
l'apparence du feu est-il un feu? Oui, tout est feu, parce que
vous avez tout créé par le feu de la charité. La plante que
porte la terre n'est pas la terre, elle tire cependant de la
PRIÈRES DE SAINTE CATHERINE
429
terre sa substance. Il est donc vrai que vous n'êtes autre
chose qu'un feu (1).
H. —Trinité éternelle, mon doux Amour, vous la Lumière
véritable, donnez-nous la lumière : vous la Sagesse, donnez-
nous la sagesse ; vous la Force infinie, donnez-nous la force.
Dissipez, je vous en conjure, nos ténèbres, afin que nous
puissions vous connaître parfaitement, et suivre votre Véri-
té dans la sincérité et la simplicité du cœur. Dieu, venez
à notre aide, hâtez-vous de nous secourir. Ainsi soit-il.
XXV. — Prière faite à Rocca di Tentennano, chez la com-
tesse de Salimbeni, le 26 octobre 1378 (2).
\. — Puissance du Père, aidez-moi; Sagesse du Fils,
éclairez mon intelligence ; douce Clémence du Saint Esprit,
embrasez-moi et unissez-vous mon cœur. Je confesse, ô
Dieu éternel, que votre puissance est toute puissante pour
délivrer l'Église, pour sauver votre peuple et le retirer des
mains du démon, pour faire cesser la persécution contre la
sainte Église, et me donner la victoire et la force contre tous
mes ennemis. Je confesse que la sagesse de votre Fils, qui
est une même chose -avec vous, peut éclairer mon intelli-
gence et celle de votre peuple, et dissiper les ténèbres de
votre douce Épouse. Je confesse, ineffable Bonté de Dieu, que
la Clémence du Saint Esprit, que votre ardente charité veut
unir et enflammer en vous mon cœur et les cœurs de toutes
les créatures raisonnables.
2. — Puisque vous le savez, le voulez et le pouvez, je vous
adjure, par votre puissance, ô Père éternel, par la sagesse
de votre Fils unique et par son précieux Sang, par la clé-
mence du Saint Esprit, le feu, l'abîme de la charité qui a
cloué et percé votre Fils sur la Croix, je vous adjure de faire
miséricorde au monde et de renouveler dans votre sainte
Éo-lise l'union, la paix et l'ardeur de la charité. Oui, je ne
veux pas que vous tardiez davantage. Je vous demande que
votre infinie Bonté vous force à ne pas fermer l'œil de votre
miséricorde sur votre sainte Épouse, doux Jésus, Jésus
Amour.
I
I
I
(1) Ce paragraphe se trouve dans'le latin seulement.
(2) Les deux dernières prières ne se trouvent pas dans la version lalme.
•i?.0
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
XXVI. — Prière faite par sainte Catherine, après le terrible
accident qa'elle éprouva dans la nuit du lu.idi de la Sep-
tuagésime, lorsque sa famille la pleura comme morte.
.,, .'.:"
1. — Dieu éternel, mon bon Maître, qui avez formé le
vaisseau du corps de votre créature avec le limon de la terre ;
ô très doux Amour, vous l'avez formé d'une chose si vile,
et vous y avez mis un si grand trésor, l'âme faite à votre
image et ressemblance, ô Dieu éternel ! Oui, mon bon Maître,
mon doux Amour, vous êtes le maître de faire et de refaire,
de briser et de refondre ce vase fragile comme le voudra
votre Bonté.
2. — O Père, moi votre misérable servante, je vous offre
de nouveau ma vie pour votre douce Épouse. Vous pouvez,
toutes les fois que le voudra votre Bonté, me séparer de mes
sens et m'y ramener toujours d'une manière de plus en plus
douloureuse, pourvu que je voie la réformation de votre
douce Épouse, la sainte Église.
S. — Je vous recommande cette Épouse, Dieu éternel ; je
vons recommande aussi mes fds bien-aimés, et je vous prie,
ô Père suprême, s'il plaît à votre miséricordieuse bonté de
me retirer enfin de mon corps, je vous prie de ne pas les
laisser orphelins, mais de les visiter par votre grâce et de
les faire vivre morts dans la vraie et parfaite lumière. Unis-
sez-les ensemble par les liens de votre douce charité, afin
qu'ils meurent anéantis dans cette douce Épouse.
4. — Je vous prie, ô Dieu éternel, qu'aucun ne me soit
ravi : pardonnez-nous toutes nos fautes ; pardonnez-moi
mon extrême ignorance et la grande négligence que j'ai à
me reprocher envers votre Église, puisque je n'ai pas fait
tout ce que j'aurais dû et pu faire pour elle. J'ai péché, Sei-
gneur, ayez pitié de moi ; je vous offre et vous recommande
mes fils bien-aimés,, car ils sont mon âme ; et, s'il plaît à
votre Bonté de me faire rester dans mon corps, Médecin su-
prême, guérissez-le, réparez-le ; car il est tout déchiré. Don-
nez, Père éternel, donnez-nous votre douce bénédiction.
Ainsi soit-il.
TABLE DES MATIERES
\v\nt-propos. - Éloge donné par l'Église à la doctrine de sainte
Catherine de Sienne. — Des enseignements mystiques. - Objec-
tions contre le mysticisme. — Réalité de la vie mystique. — Son
but et ses phénomènes. - Dialogue de sainte Catherine de Sienne;
manière dont cet ouvrage a été composé; sa date. — Texte suivi
dans celte traduction
I - Une âme avide de la gloire de Dieu et du salut du prochain
s'applique humblement à la prière; elle adresse quatre demandes
à Dieu, lorsqu'elle lui est unie par la charité
II. - Dieu augmente le désir de l'àme en lui montrant la misère
du monde '.",'.'
III. - Les œuvres de l'homme sont insuffisantes pour expier et mé-
riter dès qu'elles sont séparées de la charité . • • • • ■ •
IV — Le désir et la contrition du cœur satisfont a la faute et a la
peine pour soi et pour les autres, quelquefois à la faute seulement ^
et non à la peine ■ ,.
V — Combien plaît à Dieu le désir de souffrir pour lui. ... •
VI. - Toute vertu et tout défaut se développent par le moyen du
prochain ■ ■ " ' . '
VII — Les vertus s'accomplissent par le moyen du prochain.—
Pourquoi elles sont si différentes dans les créatures . - •■ • -
VIII. - Les vertus s'éprouvent et se fortifient par leurs contraires . u
431
■
432 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
■
TRAITÉ DE LA DISCRÉTION
IX. — On doit s'attacher plus aux vertus qu'à la pénitence. — La
discrétion tire sa vie de l'humilité ; elle rend â chacun ce qui lui
est du • ■ Mi
X. — La charité, l'humilité et la discrétion sont inséparables, et
l'âme doit les posséder 18
XI. — La pénitence doit être le moyen d'acquérir la vertu et non le
but principal de l'âme. — Des lumières de la discrétion en diver-
ses circonstances lit
XII. — Dieu promet aux souffrances de ses serviteurs le repos et
la réforme de l'Église 22
XIII. — L'âme consolée dans sa peine, et fortifiée dans ses espéran-
ces par lçs paroles de Dieu, prie pour la sainte Église et pour tous
les nommes 24
XIV. — Dieu se plaint des péchés des chrétiens, et particulièrement
de ceux de ses ministres. — Du sacrement de l'Eucharistie et des
bienfaits de l'Incarnation 26
XV. — Le péché est plus gravement puni depuis la Passion de Jésus-
Christ. — Dieu promet de faire miséricorde, en considération des
prières et des souffrances de ses serviteurs 29
XVI. — L'âme, à la vue de la bonté divine, prie pour l'Église et poul-
ie monde • • • • 30
XVII. — Dieu se plaint de ses créatures raisonnables ei surtout de
leur amour-propre •»'
XVIII. — Personne ne peut échapper aux mains de Dieu : tous éprou-
vent sa miséricorde ou sa justice 3i
XIX. — L'Ame, de plus en plus embrasée d'amour, désire répandre
son sang. — Elle s'aocuse elle-même, et prie particulièrement
pour son père spirituel. 3.
XX. — On ne peut plaire à Dieu qu'en supportant les tribulations
avec patience ""*
XXI. — Le chemin du ciel ayant été interrompu par la désobéissance
d'Adam, Dieu a fait de son Fils un pont par lequel on peut passer. 34
XXII. — Dieu invite l'âme à regarder la grandeur de ce pont, et com-
ment il va de la terre au ciel • 3;>
XXIII. — Tous sont des travailleurs que Dieu envoie travailler à la
vigne de la sainte Église •*
XXIV. — Dieu taille les rameaux unis à la vigne véritable. — La vi-
gne de chacun est tellement unie à celle du prochain, que per-
sonne ne peut cultiver ou endommager la sienne sans cultiver ou
endommager celle du prochain . . . • ■•• • • °^
XXV. — L'âme rend grâces à Dieu, et le prie de lui montrer ceux
qui passent sur le pont et ceux qui n'y passent pas 39
XXVI. — Le pont a trois degrés, qui sont trois élats de l'âme. — Ex-
plication rie cette parole : « Si je suis élevé de terre j'attirerai
tout à moi » ■
XXVII — Ce pont est bâti de pierres qui signifient les véritables ver-
■ -7—
_ _
TABLE DES MATIERES
433
1 US . _ Ceux qui passent sur le pont vont à la vie ; ceux qui pas-
sent dessous vont à la mort *-
XXVIII. — Du bonheur de l'âme qui passe sur le pont. . . . M
XXIX. — Ce pont s'est élevé jusqu'au ciel le jour de l'Ascension,
sans quitter cependant la terre • *9
XXX. — L'âme, pleine d'admiration pour la miséricorde de Dieu, cé-
lèbre les dons et les grâces qu'en a reçus le genre humain. ^ . 48
XXXI. — De l'indignité de ceux qui passent par le neuve. — L'âme
qui suit cette route est un arbre do mort, dont les racines tien-
nent à quatre vices principaux
XXXII. — Les fruits de cet arbre sont aussi variés que les péchés ;
et d'abord du péché de la chair: .:..... "
XXXIII. — De l'avarice et des maux qui en procèdent ..... 51
\XXIV. — Do ceux qui ont la puissance, et des injustices qu'ils
commettent _
XXXV. — Les vices conduisent aux faux jugements • 53
XXXVI. —Explication.de eette parole de Jésus-Christ: « J'enverrai
le Consolateur, qui convaincra le monde d'injustice et de faux
jugement » ( S. Jean, vi, 8 ) . . - ■ • r, 4
XXXVII. — De la seconde condamnation, où l'homme est convaincu
d'injustice et de faux jugement 56
XXXVIII. — Des quatre principaux supplices des damnés auxquels
se rapportent tous les autres • • ■ •"
XXXIX. — De la troisième condamnation, qui aura lieu au jour du
" " r ,ti
jugement • • • •
XL. — Les damnés ne peuvent vouloir ni désirer aucun bien. . . bO
XLI. — De la gloire des Bienheureux ■ • 60
XLII. — Le jugement général augmentera la peine des damnés. . 63
XLII1. — L'utilité des tentations. — L'âme, au moment de la mort,
voit la peine ou la gloire qui lui est destinée, même avant d'être
séparée de son corps ""
XLIV. — Le démon trompe toujours l'âme sous l'apparence de quel-
que bien . . . •
XLV. — Quels sont ceux que ne blessent pas les épines du monde,
quoique personne, en cette vie, ne puisse éviter la souffrance . . 70
XLVI. — Des maux qui procèdent de l'aveuglement de l'intelligence.
— Le bien qui n'est pas fait en état de grâce ne sert pas â la vie
éternelle , ' ' '
XLVII, — On ne peut observer les commandements, si on n'observe
pas aussi les conseils • • ■ ■ '''
XLVIII. — Les serviteurs du monde ne sont pas rassasiés de leurs
biens. — Du supplice que leur cause leur volonté perverse . . . 1 1
XL1X. — La crainte servile ne suffit pas pour acquérir la vie éter-
nelle, mais elle peut conduire à l'amour de la vertu "$>
[,, — L'âme déplore l'aveuglement de ceuxqui se noient dans le fleuve. 81
1.1. — Les trois degrés figurés sur le pont signifient les trois puissan-
ces de l'âme
I.II. — Si les trois puissances de l'âme ne sont pas unies ensemble,
il lui est impossible d'avoir la persévérance nécessaire pour arri-
ver â sa fin ; 8j
LUI. — Explication de ces paroles de Jésus-Christ : o Qui a soir
dialogue de Ste Catherine. — '28.
.
i3i DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
vienne à moi et boive »
LIV. — Quel moven doit prendre toute créature raisonnable pour
pouvoir sortir des (lots du monde et passer par le pont divin . . 86
LV. — Résumé de plusieurs choses qui ont été déjà dites . . . . 89
LVI. _ L'es trois degrés du pont correspondent à trois états de l'âme. 9Q
LVli. — L'âme, en regardant dans le divin miroir, voit les créatures
marcher de différentes manières '• Il
LVIII. — La crainte servile ne suffit pas sans l'amour de la vertu. -
La loi de crainte et la loi d'amour sont unies ensemble .... '■> I
LIX. — Comment de la crainte servile, qui est l'état d'imperfection,
on parvient à l'état de perfection '-
LX. — De l'imperfection de ceux qui aiment et servent Dieu pour
leur utilité, leur plaisir et leur consolation '■>■>
LXI. — Comment Dieu se manifeste â l'âme qui l'aime
LXII. — Pourquoi Jésus-Christ ne dit pas : « Je manifesterai mon
père», mais :« Je me manifesterai » '^>
LXHI. — Comment l'âme monte le second degré du pont • ■ ■ Jii
I,XIV. — En aimant Dieu imparfaitement, on aime imparfaitement
le prochain. — Signes de cet amour imparfait ....... 101
TRAITÉ DE LA PRIÈRE
LXV. - Du moyen que prend l'âme pour arriver à l'amour pur et
généreux "•',''..' , ', Anl
LXVI. — L'âme doit passer de la prière vocale a la prière mentale . 11M
LXVII. — De l'erreur des gens du monde qui aiment et servent Dieu
pour leur consolation
LXVIII. — Combien se trompent ceux qui aiment Dieu avec cet
amour imparfait ■ ■ • :
LXIX. — De ceux qui, pour ne pas perdre la paix et la consolation,
négligent d'assister le prochain • • _ ■ • • ' '-
LXX. — De l'erreur de ceux qui mettent toute leur affection dans
les consolations et les visions "•'
LXXI. — Ceux qui s'attachent aux consolations spirituelles peu-
vent être trompés par le démon, qui se transforme en ange de lu-
mière. _ Des signes auxquels on peut reconnaître qu'une vision
vient de Dieu ou du démon
LXXII. — L'âme qui se connaît évite les tromperies du démon . . I H>
LXXIII. — Comment l'âme quitte l'amour imparfait et arrive à l'a-
mour parfait '. .'
LXX1V. — Des signes auxquels on connaît que l'âme est arrivée a
l'amour parfait : • • • '
LXXV. — Les imparfaits veulent suivre seulement le Père, tandis
que les parfaits suivent le Fils ■
LXXVI. — L'âme au troisième degré parvient à la bouche de Jesus-
Christ. — La mort de la volonté propre est le signe qu'elle y e«l
TABLE DES 1IÀTIÈRES i3.\
arrivée »»
LXXV1I. — Des œuvres de l'âme parvenue au troisième degré . . 124
LXXYIII. — Du quatrième état, qui n'est pas séparé du troisième. —
Des œuvres de l'âme arrivée à cet état, et comment Dieu ne se
sépare jamais d'elle d'une manière sensible 126
LXXIX. — Dieu ne se sépare jamais des parfaits par grâce et par
sentiment, mais par union '30
LXXX. — Les mondains rendent gloire à Dion, qu'ils le veuillent ou
ne le vcuilltnt pas '«•"
LXXXI. — Comment les dénions même rendent gloire à Dieu. . . 133
LXXXH. — L'âme, délivrée de cette vie, voit parfaitement la gloire
de Dieu dans toute créature ; elle n'a plus la peine du désir, mais
seulement le désir , ■ • ■ '"*
LXXXIII. — Comment saint Paul, après avoir vu la gluirc des bien-
heureux, désirait être délivré de son corps 135
LXXXIV. — Des causes qui font désirera l'âme d'être séparée de son
corps . . . •
LXXXV. — Ceux qui sont arrivés à cet état unitif sont éclairés dans
leur intelligence par une lumière surnaturelle cl infuse de la grâce.
— Il vaut mieux consulter, pour le salut de son âme, un humble
qui a une conscience pure, qu'un savant qui a de l'orgueil . . 1311
I.XXXVI. — Résumé de ce qui précède. — Dieu invile l'âme à prier
pour toute créature et pour la sainte Église if)
LXXXV1I. — L'âme demande à Dieu de vouloir bien lui faire connaî-
tre les différentes sortes de larmes 1-13
LXXXVIII. — Des larmes qui se rapportent aux différents états de
l'âme lf !
LXXXIX. — Des différentes sortes de larmes I i >
XC. — Résumé du chapitre précédent. — Le démon fuit ceux qui
sont arrivés aux cinquièmes larmes. — Les attaques du démon
sont la voie véritable pour parvenir à cet état I4H
XCI. — Ceux qui désirent pleurer et ne le peuvent pas, ont des lar-
mes de feu. —Pour quelle raison Dieu retire les larmes corporelles. 15-2
XCII. — Dieu veut être servi comme l'Être infini, cl non comme une
chose finie *58
XCIII. — Du fruit des larmes que répandent les hommes du inonde . l. r >. r >
XCIV. — Les mondains qui pleurent sont battus par quatre verils
différents "•"
XCV. — Du fruit des secondes et des troisièmes larmes .... I0O
XCV1. — Du fruit des quatrièmes larmes unitives 183
XCVII. — L'âme remercie Dieu de lui avoir expliqué les larmes, et
elle lui fait trois demandes '66
XCV111. — La lumière de la raison est nécessaire à celui qui veut
servir Dieu. — De la lumière générale '67
XC1X. — De la seconde lumière, plus parfaite qnclalumière générale 170
C. — De la troisième et parfaite lumière. — Des œuvres de l'âme
parvenue à cette lumière ' ' '
CI. — Ceux qui sont dans la perfection de la troisième lumière reçoi-
vent dès ce monde un avant-goût de la vie éternelle 176
Cil. — Comment on doit reprendre le prochain sans tomber dans de
faux jugements '^ N
436 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
CHI. — Celui qui voit une âme pleine de ténèbres ne doit pas en
conclure qu'elle est en péché mortel • ■ • M»
Ciy. — On ne doit pas prendre pour fondement de l'âme la pénitence,
mais l'amour de la vertu
CV. — Résumé des choses précédentes. — Explication sur la cor-
rection du prochain ."
C yi. _ D es signes qui font connaître si les visites et les visions spiri-
tuelles viennent de Dieu ou du démon ' r '.
CVÏI. — Dieu satisfait aux désirs de ses serviteurs. — Combien lui
sont agréables ceux qui frappent avec persévérance â la porte de
la Vérité ; ■ • • • 18fi
CVIII. — L'âme rend grâces à Dieu et prie pour le monde, et en par-
ticulier pour le corps mystique de la sainte Église 18<
Cix. — Dieu sollicite l'âme à la prière et répond à quelques-unes
de ses demandes
CX. — De la dignité des prêtres. — De la sainte Eucharistie, et de
ceux qui la reçoivent dignement ou indignement ...... lw
CXI. — Les sens du corps sont trompés dans ce sacrement mais non
pas ceux de l'âme, qui le voit, le goûte et le touche. — Belle vi-
sion de sainte Catherine IJ4
CX1I. — De l'excellence que l'âme acquiert en recevant ce sacre-
ment en état de grâce ■ • • ■ ; |IJfi
CX11I. — La grandeur du sacrement doit faire comprendre la dignité
de ceux qui en sont les ministres. — Dieu leur demande une plus
grande pureté qu'aux autres créatures ^ .... 19 i
CX1V.— Les sacrements ne doivent pas se vendre ni s'acheter. —
Ceux qui reçoivent les sacrements doivent fournir aux prêtres les
choses temporelles, dont les prêtres doivent faire trois parts. . . 199
CXV. - De la dignité du sacerdoce. — La vertu des sacrements ne .
diminue pas par les fautes de ceux qui les administrent, ou qui les
reçoivent ' - ;
CXVI. — Dieu regarde comme dirigées contre lui les persécutions
faites contre l'Eglise et ses ministres . 201
CXVII. — De ceux qui persécutent de différentes manières la sainte
Église et ses ministres ■ "
CXVIII. — Résumé de ce qui a été dit sur la sainte Église et ses mi-
nistrts ..'",, ôrn
CXIX. — De la perfection et des œuvres des saints prêtres. . _. . zui
CXX. — Résumé de ce qui précède. — Respect qu'on doit aux prè-
très, qu'ils soient bons ou mauvais. • • ■ jj"J
CXX1. — De la vie coupable des ministres infidèles -1'
CXXII. — De ceux qni commettent l'injustice en ne reprenant pas
leur prochain • ^'t,
CXXI11. — Des autres vices des mauvais ministres . . ■ • ---
CXX1V. — Combien sont coupahles ces ministres prévaricateur* . . g»
CXXV. - Des maux que ces vices causent dans le monde . . • - V -J
CXXVI. — De ceux qui s'abandonnent aux plaisirs des sens. . . . -dU
CXXVII. — De l'avarice et des maux qu'elle cause à l'Église , . • ^dJ
CXXVIII. — De l'orgueil, qui détruit la connaissance de la vente. ^ . i.de
CXX1X. — Des autres péchés qui viennent de l'orgueil et de l'a-
mour-propre
TABLE DES MATIÈRES 437
CXXX. — De beaucoup d'autres fautes que commettent les mauvais
•247
pasteurs
CXXXI. — Différence de la mort des justes et des pécheurs. — Mort
des iustes • ■ - • ■
CXXXII. — De la mort des pécheurs et de leurs peines au dernier
moment
CXXXIII. — Dieu défend aux séculiers de toucher à ses ministres. —
Il invite l'âme à pleurer sur ces prévaricateurs . . ■.- ■ ■ "5?
CXXXIV. — L'âme remercie Dieu et prie pour la sainte Eglise. . • tw
TRAITÉ DE LA PROVIDENCE
Plus on espère,
CXXXV. — De la providence de Dieu en général
OXXXVI. — Dieu a donné- l'espérance à l'homme.
plus on goûte parfaitement sa providence. ... • •
CXXXVII. — De la providence de Dieu dans l'Ancien et le Nouveau
Testament ' '. .' P " _'
CXXXVHI. — Tout ce que Dieu permet est pour notre salut. — com-
bien sont aveugles ceux qui pensent le contraire. .'......
CXXXIX. — De l'action de la Providence pour sauver une âme. . .
CXL. — Dieu explique sa providence envers ses créatures, et se
plaint de leur infidélité ' ' '
CXLI. - La providence nous envoie la tribulation pour notre salut.
— Malheur de ceux qui espèrent en eux-mêmes au lieu cl esperec
en Dieu ..'.*''
CXLII. — Providence de Dieu dans le sacrement de l'Eucharistie . .
CXLIII. — Providence de Dieu à l'égard de ceux qui sont en péché
mortel
CXLIV. — Providence de Dieu envers les imparfaits pour les con-
duire à la perfection • ■ • •
CXLV. — Providence de Dieu envers ceux qui ont la charité parfaite.
CXLVI. — Résumé de ce qui précède. — Explication des paroles de
Jésus-Christ à saint Pierre: « Jetez vos filets à droite »
CXLVII. — De ceux qui jettent plus parfaitement que les aulres les
filets dans la mer
CXLV1II. — Providence de Dieu envers ses créatures dans cette vie
et dans l'autre
CXLIX. — De la providence de Dieu envers ses serviteurs pauvres,
môme dans les choses temporelles . .
CL. — Des maux que causent la possession et le désir déréglé des
richesses
CLI. — De l'excellence de la pauvreté spirituelle, et comment Jésus-
Christ en a donné l'exemple
CLII. — Résumé de ce qui a été dit sur la providence
■ CLIII. — L'âme remercie Dieu et le prie humblement de lui dire
quelque chose de la vertu d'obéissance
265
268
270
272
274.
275
278*
283
287
289-
294
298
301
303",.
300
309
312
I
ai».
3iy
3J38 DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
TRAITÉ DE L'OBÉISSANCE
C.LIV. — Où se trouve l'obéissance, ce qu'elle est, ce oui la fait per-
dre et ce qui prouve qu'on la possède 321
CLV. — L'obéissance est la clef qui ouvre le ciel 324
CLVI. — De la misère des désobéissants et de l'excellence des obéis-
sants •'-"
GLVII. — De ceux qui aiment tant l'obéissance, qu'ils ajoutent à l'ob-
servation générale des préceptes une obéissance plus particulière. 329
CLVHI. — De quelle manière on parvient de l'obéissance générale
à l'obéissance particulière 330
CLIX. — Des obéissants et des désobéissants qui vivent en religion . 335
CLX. — Ceux qui obéissent reçoivent le centuple et la vie éternelle.
.— Ce que veut dire le centuple 341
CLXI. — Des misères de ceux qui n'obéissent pas .342
CLXII. — De l'imperfection de ceux qui vivent en religion avec tié-
deur, tout en évitant le péché mortel. — Remèdes pour sortir de
la tiédeur 346
CLXIII. — De l'excellence de l'obéissance et des biens qu'elle procure. 349
CLXIV. — Distinction de deux obéissances : de celle des religieux et
de celle qu'on rend à une personne en dehors de la vie religieuse . 351
CLXV. — Dieu ne récompense pas selon la difficulté et la durée de
l'obéissance, mais selon le zèle et la grandeur de la charité. — Mi-
racles que Dieu fait par l'obéissance 353
CLXVI. — Résumé de presque tout le Dialogue 356
CLXV1I. — L'âme reconnaissante loue Dieu et prie pour le monde et
la sainte Église. — Elle recommande la vertu de la foi et termine
qeq
cet ouvrage """
Traité de j.a perfection ■ • 363
PRIÈRES DE SAINTE CATHERINE DE SIENNE.
I. — Prière faite à Avignon pour le rétablissement de la paix dans
l'Église. - Elle fut recueillie pendant l'extase de la Sainte, par
Thomas Petra, sténographe de Grégoire XI, et depuis secrétaire du
pape Urbain VI sli
II. — Prière faite pour les ministres rie l'Église pendant la même
extase 371'.
III. — Prière faite à Gênes au moment où le Pape Grégoire XI vou-
lait retourner à Avignon •':'"]
IV. — Prière écrite en cinabre de la main même ue sain'.e Catherine. <na
TABLE DES MATIÈRES ^39
V. — Prière faite à Home pendant une extase qui suivit la Commu-
nion, le vendredi 18 février 1379 ' ■ - U
VI. - Prière faite par sainte Catherine le jour de saint Thomas,
,, .lOO
VII. -Prière faite à Rome, le dimanche 20 février 1379 .... 381
VIII. - Prière faite à Rome, le mardi 22 février de l'an 1379 ... 388
IX. - Prière faite à Rome, le 1 er mars 1379 -™-
X — Prière faite à Rome, le mercredi 3 mars 1379 • -«4
XI — Prière faite à Rome, le jour de l'Annonciation de la Sainte
Vierge, 1379 Jg
XII. — Prière faite à Rome ""
XIII. — Prière faite à Rome ™
XIV. — Prière faite à Rome wà
XV. _ Prière faite à Rome, le 12 août, jour de l'octave de saint
r. • • .... "MJ4
Dominique ,., r
XVI. — Prière faite à Rome, le 13 février ™>
XVII. — Prière faite à Rome, le 14- février fJ8
XVIII. — Prière faite à Rome, le 15 février * lu
XIX. — Prière faite à Rome, le jour de la Chaire de saint Pierre,
s . ... 4M'
apôtre ,, r
XX. — Prière faite à Rome, le 26 mars 1379 *£••
XXI. — Prière faite à Rome, le jeudi 5 avril 1379 *A>
XXII — Prière faite à Rome le jour de la Circoncision, à la recom-
mandation d'un Cardinal dominicain, pour obtenir la circoncision
des pécheurs endurcis ; \ .;
XXIII. — Prière faite par sainte Catherine pendant l'extase qui suivit
sa Communion, le jour de la Conversion de saint Paul, en 13/7.
Elle fut recueillie par le bienheureux Raymond, son confesseur . 414
XXIV. — Prière faite à Rome ■ 42t '
XXV. — Prière faite à Rocca di Tentennano, chez la comtesse de
Salimbeni, le 20 octobre 1378 • • ^
XXVI. - Prière faite par sainte Catherine après le terrible accident
qu'elle éprouva dans la nuit du lundi de la Septuagésime, lorsque
sa famille la pleura comme morte ^
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
D. désigne le Dialogue ;
X. — le Traité de la perfect'on ;
P. — les Prières de sainte Catherine.
ADAM. Sa désobéissance a fermé le ciel. D. clv. — Il pécha par complai-
sance pour sa femme, cxxxv, 3.
ADVERSITÉ. L'adversité rebute les faibles. D. xux, 4. — Du mauvais em-
ploi de l'adversité, xciv, 4.
AFFECTION. Elle porte l'âme comme les pieds portent le corps. D. xxvl.
— Moyens de rendre l'âme plus parfaite, cxuv, 11.
AGNÈS. Sainte Agnes de Montepulciano et ses religieuses secourues par
la Providence. D. cxlix, 6.
AME. Image de la Trinité par ses trois puissances. D. u, 2. — Epouse de
Dieu par l'union des deux natures. P. xx, 4. — Les puissances de l'urne
sont la mémoire, l'intelligence et la volonté. D. xxvi, 6. - Elles sont si
unies, qu'elles ne peuvent servir ou offenser Dieu l'une sans l'autre. U,
7. — Dieu se trouve au milieu des puissances de l'âme réunies en son
nom. Liv, 5. — Harmonie des puissances de l'âme ; ses effets, cxlvh, 4-
— L'âme connaît Dieu en elle, et se connaît en Dieu. SU. — Ne peut
jester stationnaire. Recule dans la vertu, xux, 7. — Cherche naturelle-
ment le bien ; mais l'amour-propre l'aveugle, et le démon la trompe par
de fausses apparences, xliv, 2. - Idolâtre d'elle-même et adultère par
l'amour des créatures, xxxm, 4. — Les vices, ennemis de l'amc. eux,
12. — L'âme libre, ne peut être opprimée que si elle y consent, li, 8.
— L'âme comparée à une barque, xcv, 5. — A un arbre. D. xcni. — P.
x. — A une cité; elle a trois portes. D. cxuv, 2. — Celle de la volonté
ne peut être forcée sans le consentement, cxuv. —Comparée à un flam-
beau mouillé, quand elle communie indignement, ex, 9. — L âme sert
Dieu de trois manières, comme un mercenaire, un serviteur hdele, et
un fils. L\i, 2. — Doit être vide des choses du monde pour que Dieu la
441
142
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
■ emplisse, liv, 10. - Unie au corps, ne peut voir Dieu dans so „ essen-
ce P xx 2 — L'âme vit en Dieu autant qu'elle meurt a elle-même. 1.
;a - L'âme peut toujours, pendant la vie, avancer dans la perfection
D imxix. 17 - Est un ciel quand Dieu y hab.te. xxxin, 4. - Voit cl
touche Notre Seigneur dans la sainte Euehar.st.e exi, S. - Plus urne
,Tec Dieu-qu'avec le corps, lxxix. - Dieu se retire de l'Ame, non par
^ lC e, mais par sentiment, pour la rendre humble, et pour augmente
"a vertu lxiii, 8. - Dieu ne se sépare jamais d'une manière sensible
de l'âme arrivée au dernier degré de l'amour parfait lxxviii, i.~
Pourquoi Dieu se sépare, par union, des âmes P^aHes. lxx.X- - P««
quoi l'âme désire être séparée de son corps. D. LXXix, MŒ"-.
l'âme au ciel fixée pour toujours dans l'amour. XL,, 1. - Me peut plus
mériter ni démériter, x..,, 10. _ Jouit «te la vision de Die, et de son
bonheur même. XL,, 2. - L'âme bienheureuse voit la gloir de Dieu
dans toute créature, lxxxii.- Désire mais sans peine. ™; * p "
Moyens de contribuer au salut des âmes, cxlvi, 3. - Ames du purga
toire secourues par la Providence et par la prière, «LViii 11
AMOUR DE DIEU. Preuves de son immensité. P. 1,3. - Cause de la crta
ion et de la Passion, v, 9. - Il demande une chose facile et doucOa
récinrocité D LV, 4. - L'amour de Dieu incompatible avec un autre
leur T 22 - L'àme ne peut vivre sans amour; elle est Otite d'amour
Tpar amour. D. u, 3. - Le cœur de l'homme attiré par l'amour xxvi,
5. - L'amour unit l'âme à Dieu, et la rend un autre lui-même. 1,4,-
Dieu répond à tous les degrés de l'amour de 1 âme. D lx, 11 .- Corn
ment il faut aimer Dieu pardessus toute chose. T. 20 .- -Lam.ro :to
Dieu produit toutes les vertus et l'amour-propre tous les vices D.xvii,
2 - Plus l'âme aime Dieu, moins il lui semble 1 aimer, xcn, ô_-
. Amour mercenaire, lx, 10. - Amour imparfait de ceux qui aiment B*g
Jour leur consolation. Lxvn. - L'amour filial^ est l'amour £ arfait lx UT,
l. - L'amour parfait figuré par la bouche de Jesus-Ch st. lxxm. -
Comment on v arrive. D. lxv, lxxiii. — Ses signes. lXxiv. — hes œu
2^2*.'-" donne la patience, la force et la persévérance, lxxv,,
_ Bonheur qu'il procure, lxxviii.
AMOUR DU PROCHAIN (1), inséparable de 1 amour de Dieu. D. v. i VI.
r , lxxxix 14 - Donne le zèle des âmes, vu, 7. - Inspire toutes es
vertus ™ 9 -Ses motifs. P. xvui, 7. - L'ingratitude ne doit pas le-
e n e D l.xxvn, 5. - L'amour de Dieu prouvé par l'amour desinte-
ré du prochain, lxxxix, 14. - Il faut aimer le P-ham en Dieu.
lxiv, 1. - Comparaison d'un vase et d'une fontaine. lxi\, 2. - împei
fecti'on de l'amour du prochain, lxiv 5
AMOtR-PROPRE. Est le principe de tout mal. D. xu, 1 ,-^ ua Ç ^
nhsr-nrcit la lumière de la raison et de la foi. Li, 2. — L homme s isou
• ans son «ropre, L,v, 2. - *^**£f£ff^
tuel. lxx, 2. - L'amour-propre, fléau du i ™ndeet <le , 1 W^OTO, *
- Principe des vices des ministres infidèles, cxxi, 3. - Pécha, qu il
produit, cxxix. . _ „. 1Y r i es
ANGES. Ils servent saint Dominique et ses religieux. D. cxi.ix, o. Le.
prêtres, anges de la terre, cxw. '!'
APPARENCES. Le démon trompe l'âme par les apparences du bien. D.
' xliv. - Ne pas juger le prochain sur les apparences, cm.
TABLE ANALYTIQUE DES MATIKKKS
44:î
WARICE. Elle vient de l'orgueil. D. JCXXÏn, 2. - Maux quelle, cause dans
le monde, xxxm, 3. — Et dans l'Église, cxxvii.
AUGUSTIN. Saint Augustin éclaire par une lumière surnaturelle, u.
r.xxxv, 1.
li
BAPTÊME. 11 efface le péché et donne la grâce. D. xiv, 8. — Affaiblit le
penchant au mal. xiv, 9. - Donne la liberté à l'homme, xiv, 10. - Son
efficacité vient du sang de Jésus-Christ, lxxv. - Baptême de sang et de
feu. lxxv, 5. — Le baptême perpétué dans le sacrement de pénitence,
lxxv, 7.
BEAUTÉ. Dieu en est le principe. D. cxli, 3.
BENOIT. S. Benoît, fondateur d'Ordre. D. CLVUI, 7.
BIEN. 11 ne faut pas vouloir le bien que Dieu ne veut pas. T. -j. Le
bien fait en état de péché ne sert pas à la vie éternelle, mais Dieu le ré-
compense toujours par des grâces spirituelles ou temporelles. D. xlvi, b.
BIENS DU MONDE. Ne peuvent rendre l'homme heureux. D. xi.mii, 1.
Source de peine quand on s'y attache, xlvui, 2.
BIENFAITS DE DIEU. Bienfaits de la création, de la rédemption, et des
dons du Saii.t Esprit. D. xevi, i.
BIENHEUREUX. Leur bonheur est dans la vision et la connaissance de
Dieu D xlv, i. - Ils jouissent de la félicité de tous ceux qui sont dans
le ciel xli, 2. — Ils sont parmi les anges dont ils ont eu les vertus, xli,
2. - Ils participent au bonheur de ceux qu'ils ont aimés sur terre, xli.
3 — Jouissent de leurs mérites, mais sans pouvoir en acquérir de nou-
veaux 12. - Ils sont fixés dans la grâce. XLI, G. - Ils ont faim et sont
rassasiés, sans peine et sans dégoût. D. lxxix, 9, lxxxii, 2, xcn, 4. -
Leur joie quand une âme parvient au ciel, xli, i, - Désirent toujours le
salut des hommes, xli, 5. - Ne souffrent pas de la damnation de leur
parents, xli. 0. — La résurrection des corps n'ajoutera pas a la béatitu-
de de l'âme, c'est l'âme qui donnera la béatitude au corps. XLI, 8.
BOUCHE. Voyez Jésus-Christ.
1
CATHERINE. Sainte Catherine prie pour l'Église et pour le monde. D. Mil,
3, cxxxiv. - Sa vision sur la saink. Eucharistie, exi, 3. - Ses commu-
nions miraculeuses, cxlu, 5, 8.
OHB1TÉ Loi fondamentale de la terre et du ciel. D. cxlvih. - Elle atta-
chait Jésus-Christ sur la Croix, xiv, 7. - Nourrie par l'humilité. LXm,.J.
_ Mère de toutes les vertus. D. cliv, 7. - Centuple que Dieu donne
pour récompense, clx, 2. - Rend seule les œuvres méritoires. CXLV 5.
- Secourt les âmes du purgatoire. CXLVl.I, H. - Lien qui unit les
saints et les anges dans le ciel, cxlvih, 8.
CICATRICES. Voyez Jésus-Christ. '
CIEL. Les saints et les anges se communiquent leur bonheur dans le ciel.
D. cxlvih, 8.
COEUR. -- Voyez Jésus-Christ.
m — ^
444
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
COMMANDEMENTS. Se réduisent à l'amour de Dieu et du prochain. D. liv
3 -Inséparables des conseils. Ceux qui veulent les observer do.ven.
observer les conseils, au moins spirituellement, xlvh, 2.
COMMUNION. De la communion spirituelle par la prière, lxvi, lb. - voyez.
CONNAISSANCE DE DIEU. Principe de l'amour. D. I. - Obtenue par la
-CONNAISSANCE' DESOI-MÊME. Elle doit être unie à la connaissance de
Dieu D. lxv., 10. - Moyen de connaître la venté, .v, 4. - Donne 1 hu-
Sé. iv, 5. - Conduit à l'amour de Dieu, .v, 6. - A l'amour parfe.l.
CONSCIENCE. Ses remords sont des moyens de la miséricorde divine. D
xciv 7 - Ses accusations au moment de la mort, xxxvi, 1. - Cri ai
1» conscience un des principaux supplices de l'enfer, xxxvm, l.
CONSOLATIONS Les consolations spirituelles ou temporelles ne doivent
pas être es motifs de l'amour de Dieu. D. ixni, 3. -Il ne fau pas le»
reche cher D. ..xx. - Du danger de les aimer, cv. 8. - Malheur de
ceux qui les recherchent. LXViu. - On doit les sacnf.er au serv.ee du
CONS EÏLs"'lnseparableS t) des préceptes; il faut les observer au moins spiri-
CONTINENCE. D Les'p V hao 2 S ophcs la gardaient pour pouvoir mieux étudier.
D. xxxu, 2. „
CONVERSION. Il ne faut pas la dinerer. U. lxxv, b. . ., .
cS La clef de l'obéissance qui ouvre le ciel, perdue par Adam et ren-
CLEFS** ïlef « de^rist, cpnf.écs a saint Pierre et à ses suc-
cesseurs. D. cxv. -
CONFESSION. Obligatoire quand elle est possible^ D. Lxxv, 7.
CONFIANCE EN DIEU. Combien elle est douce. D. CXM, 1Z.
COUPS Élevé de terre par l'union de l'âme avec Dieu. D. lxx.x, 3. - Le
corps,Ïtrument dc'.'âme, partagera sa punition ou sa recompense.
CRAINTE. La crainte, fondement de la loi de Moïse D. ^"J, 2. ^ Jésus-
Christ est venu la perfectionner par l'amour. LVlli, 3. - La crainte ^sei
viirneutconlireaiavertu.XLix, 1 .- Détache l'âme du pèche mor-
te! ; mais doit s'unir à l'amour pour mériter la vie éternelle. Lvm, 1 . -
Ses effets dans l'homme, xciv, 3.
CRÉATION. Les créatures doivent servir a aimer Dieu. T. 22. ont
créé pour le service de l'homme, et l'homme pour Dieu, xxv., 7. -
Providence de Dieu dans la création, cxxxv, 1.
D
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
445
dire leur répugne, xxxii. — Le démon trompe l'âme par l'apparence de
quelque bien, xuv, 2. — Se transforme en ange de lumière; moyen de
le reconnaître. Lxxr. — Ne peut procurer aux hommes que les tourments
de l'enfer, cxxix, 14. — Impuissant contre les justes à l'heure de la
mort, cxxxi, 7. — Sa vue est un des principaux supplices de l'enfer,
xxxvm, 3.
DÉSESPOIR. II est le plus grand de tous les péchés. D. xxxvii, 2 ; cxxxn.
6. — Moyens que la miséricorde de Dieu prend pour le combattre
cxxxn, 7.
DÉSIR. Désir infini de l'Ame en Dieu. D. xcir, 1. — Il satisfait à la faute
et à la peine m, 2. — N'a de valeur qu'en Jésus-Christ, iv, 1. — Désir
de souffrir très agréable à Dieu, v, 1. — La peine du désir finit à la
mort, mais non le désir, xcn, 4.
DÉSOBÉISSANCE. Celle d'Adam a fermé le ciel. D. clv. — Malheurs el
tourments qu'elle cause. D. ctvr, clxi.
DIEU. Dieu peut seul se comprendre. D. axv, 13. — Il est la charité mê-
me, xii, 1. — Renferme tout ce que l'homme peut désirer, cxl, 4. —
Invisible à lame unie au corps, lxii, 4. — Se manifeste à l'âme de trois
manières, lxi. - Par Jésus-Christ, lxi, 1. — Par le sentiment de l'a-
mour, lxi, 2. — Par la pré ence de la vérité. LXI, 3. — Dieu se commu-
nique autant qu'on se renonce. T. 14. — Demande peu de paroles, beau-
coup d'actions. D. xi. — Veut être servi comme l'Être infini, xcn. —
Dieu comparé â un arbre entouré d'épines, xliv. — La peine ne peut
être en Dieu le Père, lui, 4. — L'homme ne peut aller â lui que par
Jésus-Christ. Lin, A-. — Dieu se laisse vaincre par les désirs et les lar-
mes de ses créatures, xiv. — 11 désire faire miséricorde aux hommes
xvi.
DISCRÉTION. Elle a pour fondement la connaissance de Dieu et de soi-
même. D. ix, 3. — Principe de la justice, ix, 7. — Inséparables de la
charité et de l'humilité, x. — Lumière qui règle les vertus, xi, 7. —
Comment elle agit envers Dieu et envers le prochain, xi, 7. — Elle com-
prend la prudence, la force et la persévérance, xr, 11.
DOMINIQUE. Saint Dominique, fondateur d'Ordre, maudit les religieux
qui veulent posséder. D. clviii, 9. — Prend la science divine pour but
D. clviii, 'J. — Reçoit de la Sainte Vierge l'habit de son Ordre. Clviii,
10. — Ses religieux, nourris par les anges, cxlix, 5.
DOULEUR. Douleur que les péchés du prochain causent aux parfaits D.
cxlv, 10.
-
■
ÉLÉMENTS. Ils obéissents aux obéissants. D. clxv, 5.
ELISÉE. Figure de Jésus-Christ. D. cxl, 9.
EGLISE. Les fidèles appartiennent au corps universel de l'Église, et les
prêtres à son corps mystique. D. xxm, 2. — Libre et indépendante, cxv,
6. — Sanctifiée par la persécution, xu, 5. -r- Ses persécuteurs obéis-
sent au démon et en sont les membres. D. cxvn, 2.
ENFER. Les damnés y souffrent quatre principaux supplices : la privation
de la vue de Dieu; D. xxxvm, 1. — Le reproche de la conscience;
xxxvm, 2. — La vue du démon; xxxvm, 3. — Et le feu. xxxvm, 5. —
Le chrétien plus tourmenté que le païen en enfer, cxxxu, 10.
fli
i
iiC
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
ESPERANCE. Motifs d'espérer en Dieu, cxxxvi, 8. - L espérance fait goû-
ter la providence de Dieu, cxxxv., 2. - Fausse espérance de celu. qu.
sert le monde, cxxxvi, 1. - Présomption, espérance de 1 amour-propre.
ESPRIT SAINT L'Esprit Saint n'est pas venu seul au jour de la Pentecôte.
I, est inséparable du Père et du Fils. D xxix 8. - Semteur de ce^
qui aimeni Dieu parfaitement, i.xxvm, 7. - Comment il gémit avec I»
ÉTffiNNÉ X< sàint Etienne, exemple de pauvreté. D. cli, 17. - Ses prières
obtiennent la conversion de saint Paul, xcill, 4. , '
EUCHARISTIE. Elle contient toute la divinité et toute l'humanité de Notre
Seigneur D ex, 8. - Ne diminue ni par la division de l'Hostie, m par
la pari c ipation de tons les fidèles, ex, 9. - Merveille de la providence
de D u S cxxxv, 10. - Soleil des âmes, ex, 4. - Elle est la lumière
la communique, ex, 7. - Pureté qu'elle demande, cxxiv k -Dieu
pénètre ainsi notre substance spirituelle et nous change en Un. k 31 .
-Eucharistie expliquée par une vis.on de sainte Catherine D . en,*
_ Comment ceux qui la reçoivent y participent plus ou moins, ex, 1U.
_ C™ par l'amour que l'âme la reçoit, ex, 11. - De ceux qu. reco -
vent indignement l'Eucharistie. ex, 15. - Des effets de l'Eehanst.e dans
l'âme, exil. ... n „ IV « <l
EXTASE. L'âme doit s'efforcer de la quitter par obéissance. D. CLXV, ».
FACE. La face de Jésus-Christ différente au jugement dernier, pour les
justes et les réprouvés. D. XLI, 12. ,--.r,m I
FEU Le feu du Saint Esprit consomme le sacrifice du désir. D. m, 1.
FEU DE L'ENFER. Ses effets. D. xxxvm 5.
FOI Sa lumière reçue dans le baptême. D. xx.x, 8. - La fo est .la m
nelle de l'âme, xlv, 5. - Elle fortifie la volonté et nourrit lame. P. m
— La foi sans les œuvres est une foi morte, xlvi, d.
FORCE. La force inséparable de l'amour parfait. D. LXXYll.
FRANÇOIS. Saint François, fondateur d'Ordre, épouse la pauvreté et iccu.l
les stigmates. D. clvhi, 7.
<ltf7I Serviteur d'Elisée, figure de Moïse. D. cxl, 9.
SlRE DE D EU dans oute créature. D. lxxxh. - L'homme rend gloire
S volontairement ou involontairement, lxxx. - Les démons ren-
i Gloire à Dieu lxxxi - Toutes nos actions doivent avoir pour 1 ut
t <ri Î el D?cu T T- L'homme doit la chercher dans le sa ut des
L X>X 3 - La gloire des bienheureux a pour mesure 'amour
Ss' ont eu pour Dieu sur la terre, ai, k - Les corps g ondes a.
SfS. seront impassibles, xu, 9. - L'humanité glorifiée de Jésus-Chnst
fera leur bonheur, xu, 11. ,„
GOURMANDISE. Elle est contraire a la chasteté. D. cxxv, iu.
GOUT. Instrument de péché. D. cxliv, h. „„„„„ m „ n Is selon
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES ','|7
^acM^Z^r nmB , C ° mmC rem P«>i«.to *™ cachet lorsque
accwcnts eucharistiques sont consommés, cxu 2.
Il
HOMME. Créé à l'image Je la sainte Trinité. P. ,. _ Pl acé au dps<ÎI1<! ,,,. .
choses créées II vmr in i i_i , dessus des
,,cié d ^5 D ^p2- t ^s u to x Z-TSL n Z t mèm o^
r^uSrv^ft ct la jusL - -"■'- -« K
"™m U 3 É - E FM "'m de . la , c0 "»^ncéct t , e j a haine de soi-même D
"démon", ™ , St ' a !° le ' a P ' US S r- CL,X - 2(l - - *- -o.ven de vainc l
'le JS i~ L r"T d = ''obfissance. cuv, 8. _ La mesure
^ celie d'un^a S o^.ïi.eTwTx "" h ° mme 1 " ,mbl °' *«*»»
Signe qu'on n'est |>as
I
tMPATIENCK. Moelle de l'orgueil D. cxxvm
obéissant, clv, 10 '
'-Ss:?' 1 ^-- -«—-,,
INCARNATION. Ses motifs^ v 2
ï^riipn'.T. qU rCÇOlt dc I ' nnî0n "ec Dieu. D. xcv 6 1
^euglee pari amour- propre. XL vi '
\ I STirr D r PartlU " dcs inj ' ures - D CLV '. 7 -
E™cxxtT SD ' eU Ct,e P—-D- xxxiv. - Vient de. 'amour-
ST™ "* Jea » ^ «- '-r sur ,e sein de Notre
Ss M rHR S ISTt' Ôlne é f iré P ar "»e lumière surnaturelle. D. lxxxv 1
,o, et t de xxy « ;- -, ;: d ^ r ^--s c^ spondent
m -t ZTelZr pont ; et ceux qili " assent iîS
pa. Liisce. cxL, 9. - Livre dans lequel nous devons lire, cuv, 10 -
... V'.
us
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
Titres qu'il a à notre amour. P. 1, 6. — Jésus-Christ, moyen d'aimer Dieu
et les hommes, i, 6. — Modèle de la perfection. D. C, 3, T. 10. — Mo-
dèle de l'obéissance. D. cliv, 2. — D'où venait l'obéissance de Jésus-
Christ à son Père, cliv, 6. — Jésus-Christ, exemple de la pauvreté spiri-
tuelle. D. cli. — Il épouse la pauvreté, dans la crèche et sur la croix.
CL i ? 7. _ Ce qu'il a dit pendant sa vie est dit pour tous les hommes,
i.xilt, 6. — J.-C. sur la croix était dans la joie et la douleur, lxxvui,
10. — Élevé en croix, il attire tout à lui. xxvl, 6. — Il nous a rendu la
clef qui ouvre le ciel. clv. — Il unit la crainte à la loi d'amour, lviii,
2. — Vu intellectuellement par l'âme avant la résurrection des corps.
lxii, -i. — Pieds de J.-C, premier degré de l'amour de Dieu. lix. —
coeur de J.-C, second degré, lxxv. r- Pourquoi il a été ouvert après sa
mort, lxxv, 3. — Ce que signifie l'eau et le sang sortis du côté de
Jésus-Christ, lxxv, 5. — Bouche de J.-C, est le troisième degré de l'a-
mour de Dieu. D. lxxvi, — Sang de J.-C, a été répandu pour tous. D.
cxxvn, 1. — Il donne l'efficacité au baptême et aux autres sacrements^
D. lxxv, 6, cxv, 4. — Il donne l'amour de la vertu et la haine du péTL
ché. xxin, i. — Le sang de J.-C, est éternel. P. îx, 4. — Le sang defî
J.-C, source de tout bien. D. xiv, 3. — Les fautes de celui qui l'admi
nistre n'en altèrent pas la vertu. D. xiv, 3. — Le sang de J.-C, admi-j
nistré par le pape. D. lxvi, 2. — Cicatrices de J.-C, sollicitent lou-
jours pour nous dans le ciel. P. vu, 2. — Les saints sur terre, continuai
teurs de J.-C, P. xx, 12. —J.-C. apparaîtra au jugement dernier dan.j
toute sa puissance. D. xxxix, 2. — Les bienheureux le verront dans lij
joie, et les réprouvés dans l'épouvante, xxxix, 3. — Son humanité fei'.l
les délices des corps glorifiés. D. xli, 11.
JUGEMENT. Des faux jugements et de leurs causes, xcm, 5. — Il ne fauS
pas juger les fautes évidentes du prochain, c, 13. — L'âme se juge au
moment de la mort. Elle va d'elle-même en enfer, au ciel ou en pur-
gatoire. D. xliii, 5. — Le Jugement dernier augmentera la peine des
damnés. La vue du bonheur des justes ajoutera à leur supplice.
xlii, 1. — Il augmentera le supplice de l'âme par la réunion du corps.
XXXIX, 1.
JUSTICE. Do la justice dans les prêtres et les fidèles. D. exix, 10.
LARMES. Différentes sortes de larmes. D. lxxxviii. — Les larmes vien-
nent du cœur, lxxxix. — Larmes de mort, lxxxix, 1. — De crainte.
I.xxxix, 2. — Imparfaites, lxxxix, 3. — Parfaites, lxxxix, 6. — Com-
bien ces larmes sont douces, lxxxix, 9. — Larmes de feu. xci. — Infi-
nies par le désir de l'âme, xcn, 1. — Des hommes du monde ; leur*
effets, xcm. — Du fruit des larmes, xcv.
LAURENT. Saint Laurent, exemple de pauvreté. D. cli, 17.
LAZARE. Lazare plus heureux que le mauvais riche. D. cli, 19.
LIBRE ARBITRE. Fortifié par le sang de Jésus-Christ. D. xiv, 10. — Ne
peut jamais être forcé sans le consentement de l'homme, xlih, 2 — Il
choisit entre la sensualité et la raison. D. Ll, 8. — Le libre arbitre des
damnés enchaîné par la haine. XL, 1.
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
440
LUMIERE. Elle vient de Dieu D XGvm _ti„,". ■ , .7 !
- Lumière générale xcv A u,~- J * rols '"'"'ères, xcvnr, 3.
lumière de l'a foi xcvn , ' - L,Se de fa "i™ éd ^ <** *
£*. se développe avec' la .umiSefa al n'xcv'T ^ ' C "T
*.nne. clxv,,, 8. - Elle fortifie la volonté. 1- v„ 5 7 ° e "." c " 1 '
.mère D. xcrx. - Troisième lumière, c. - L 1 2ite~JT '""
dans l'âme qui y consent P vm _ l „ h„„ , , ° Dleu cntrc '
..Ile méritera Lière surnat! ^. Xv ^-S J * ' U '"^ ""•»-
'âme. D. xcv,,, 7, P. „„, 6. - tumfe JS&HSL T^ dans
le Nouveau Testament. D iaxxy (i ' ra , ' A " clen el
«xxv, 8. - Lumière de la KViertfeT P /"' am °"'-P™prc.
.le sa couleur, cxix, 5. - EiE "P""* de Sa cllaleilr e '
lurelle. lxxxv, 3. -Ses elfe s dans lé ( sm,ene » re * la lumière na-
ii i ■ eueis uans les saints, lxxxv h i„ i
de la.go.re est Dieu même uni se communique Pxw ~ ^ '"'"^
LUXE. Luxe mterd.t aux ministres de l'Église. D. cxx,,' 7.
M
MAL Jamais on ne doit faire le ma, pour obtenir un bien. D. xi, 7, P.
MARIE. Le consentement de Marie nécessaire „„„, v
-Marie fait comprendre la ài^t^ZZ iî^:. P ' »■
recours a Mar.e ne peut être damné. D cxxto 2 F ~ '"" a
ne. P. xi. lxxmx, z. —Louanges de Ma-
MATTHIEU. Saint Matthieu, exemple
monde. D. cli, 5
MAUVAIS RICHE. Pourquoi i. craint la damnation Ce
MÉMOIRE. Créée à l'image du 'ère P , \ VUr ■
D. xevi, i. — Vase de l'Ame m ; ' . , 1 ~ e s enriehi t en Dieu.
MISÉRICORDE. Infinie misérirnrrfp ri„ n- ■ •
■le la rédemption. D xxx * Don™ 7 P"" '" 6 "* la C '* ati ™ *
•Adoucit la justice xxx i iT V '° Êt ' a lumière - «*.■'*■
-Ses bienfaits "'xK 1 ;:::/™ 1 '« ««.pro.,**
D nnran 7 V ' U? § lailde c l u e fous les péchés
l'homme, xvi. — L'espérance ri a „V i= .~ Ses eflorts P°»r sauver
penser Dieu. I). xlix 7 - L, v », ? ,, f n «"*> " e doit pas faire
mort celui de la jusUec D Lvh, 5 lcn 'P 3 ^ la miséricorde, la
s!S W P , 3r G, ' 6zi ' se "Heur'd'Élisée. D. cxl 9
"- 1, SSr.S.ïlTL''; - '77": t » ™-
monde, extm, 5. — Ils sont bat ,s L , '" ' CS des Ilomilles d "
prospérité, del'adver é de la co^cTencl e ^ T* '■ '" ^ de Ja
WM.- L'homme la erain't naturS LTd ex VT" ST ,
vameue sur la croix par Jésus-Christ. ^T^jJ^^
dialogue de Ste Catherine. — 29 -
du renoncement aux richesses du
ses frères. D.
xxxr, 1.
du monde.
i:\xix, 16. -
■■
'.50
DIALOGUE DE SAINTE CATHKHINE
de la mort dos justes et des pécheurs. D. cxxxi. - Mort des justes,
rxxx, 3 — Mort des pécheurs, cxxxii.
MORTIFICATIONS. Les mortifications corporelles doivent être propm-
tionnées aux natures particulières. D. civ, 4.
OBÉISSANCE. Traité de l'obéissance. D. cuv -Son modèle est Jé^us-
Christ cuv 2. - D'où venait l'obéissance de Jesus-Christ cliv, b.
Kssance est la clef du ciel. D. CUV, 4, CLV. -Nécessaire pour ob-
. tenir la vie éternelle, cuv, 4. - Route tracée par Jesus-Christ c,xi, t..
_ Êlo-e de l'obéissance, clv, 13. - Mesure de l'humilité, clv. ,, 12. -
Elle est inséparable de l'humilité, eux, 3. - Sœur de la patience. D.
S, 7 - Elle comprend toutes les vertus, cuv, 11,- Bonheur que le
procure. D. clv, 11, clv,, 4. - Force qu'elle donne, ctix, ,14.- BUe
rend semblable aux enfants, eux, 22.-M.rac.es qu'elte obbent ^
L'orgueil la fait perdre, cliv,
' — Obéissance générale aux préceptes
L orgueil la lau pe.u.c. uni», - — -. = Pomment
et aux conseils. CLVffi - Oc l'obéissance particulière, clvh ~ Commenl
on y parvient, clvih. - Obéissance au Pape nécessaire au salut, cuv, p.
ODORAT. Instrument de péché. D. cxliv, 5. ,...„:„ -
OML L'œil de l'âme est l'intelligence, sa prunelle est la foi. D. xlv, o.
^ Obscurci par l'amour-propre, xlv, 5. - Péchés que l'œil commet,
rxuv 3 - Ses rapports avec le cœur, lxxxix.
OEUVRES. Insuffisantes sans la charité. D. m, 7. - Les œuvres envers le
prochain montrent la vertu, vi, 14.
OREILLE. Péchés qu'elle commet. D. cxlix, 4
ORDRES RELIGIEUX, établis pour ceux qui désirent arriéra la perlée
tion D clvih, 2. - Différences qui existent entre eux. clvih, 7. - Cau-
ses de leur prospérité et de leur décadence, clviii, 6.
ORDRE DE SAINT-DOMINIQUE, comparé à une barque qu. a trois corda-
ges D. CLvni, 12. - La règle est très douce, clvih. - Caractère pai-
ticulier de l'Ordre, clvih, 13. i»„ mftll „ nrnmv
ORGUEIL. Premier et dernier des vices; son pnneme es 1 amou.-p op.
D. cxxvm, 1. - Ennemi de l'obéissance, cuv, 2, clvih, 11. — H obs
curcit la vérité, cxxvm.
PAIX. De la paix spirituelle. D. xevi, 2. - Donnée par l'union avec
PAÏr'chrisfde Dieu sur terre. D. cxv, 1. - Dépositaire du sang de J -C
D lxvi 2 cxv, 3. - Son autorité dans l'Église, cxv, 5. - Nécessite de
lui obéir, cliv, 5. - H doit punir la simonie, cxxv.i, 8. - Prière pou,
PAROLES COUPABLES. Feuilles du péché. D. xcin, 7. - Maux que eau-
«■nt les mauvaises paroles, xcui, 7.
PASSION Bienfaits de la Passion de J.-C. P. xx. 5. - Son mente est
infini. D. lxxv, 10. - Les hommes en abusent, cxxvi, b.
TABLE ANALYTIQUE DES MATIEHLS
451
PASSIONS. Dieu les permet pour augmenter la vertu dans les âmes. D.
XXXVI, 4.
PATIENCE Éloge de la patience. D. xcv, 5. — Pierre de touche — de
toutes les vertus, 7. — Inséparable delà charité. D. v. 2, lxxxvii. —
Moelle de la charité. D. x, 3, cxxvm, 4. — Moyen d'être agréable à Dieu
et utile à l'Église, xx. — Signe de l'obéissance, cliv, 3. — Sœur de
l'obéissance, cliv, 7.
PAL'L. Comment saint Paul désirait être délivré de son corps. D. lxxxiii.
— Converti par les prières de saint Etienne, xcm, 4. — Prière faite le
jour de la fête de sa conversion. P. xxm.
PAUVRETÉ SPIRITUELLE selon les préceptes et les conseils. D. eu, 1 .
— Son excellence. — J.-C. en a donné l'exemple, eu, 7. — Épouse de
J.-C. dans la crèche et sur la croix, eu, 6. — Combien Dieu l'aime et
l'assiste, eu, 15. — Elle fait mépriser les souffrances et la mort, eu, 18.
— Comparée à une cité; ses fondements et ses ornements, cli, 11. —
Paix qu'elle procure, eu, 3. — Pureté qu'elle donne à l'âme, eu, 13.
— Des véritables pauvres d'esprit, cxlix, 1. — Pauvreté, vertu spé-
ciale de l'Ordre de Saint-François, clviii, 8.
PÉCHÉ ORIGINEL. Motifs de l'Incarnation, xiv, 6. — Suites du péché ori-
ginel xiv, 7. — Il a fermé le ciel et mis la révolte dans toute la nature.
xxi. — En quoi consiste ce péché. D. xcvin, 12, P. xvi.
PÉCHÉ. Actuel et mental. D. vi, 6. — Il ne doit se commettre pour aucun
bien, xi, 7. — Le péché est un néant, parce qu'il ne vient pas de Dieu.
D. xviii, 1, xxxi, 4. — Ses effets dans l'Ame, xxxi, 3. — Plus gravement
puni depuis la Passion, xv, I. — Péchés causés par l'orgueil etl'amour-
propre. cxxix. — Commis par les sens, cxliv, 3. — Le péché contre na-
ture répugne au démon même, cxxiv, 2. — 11 est puni par la peste
noire au xiv e siècle, cxxiv, 5. — Péché qui ne se pardonne pas. xxxvn,
3. — La considération de nos péchés doit être générale et unie à la con-
sidération de la bonté divine. I.xvi. G. — Quand et comment il faut re-
prendre le péché; cv, 4. — Seule cause de douleur pour les justes. T. 43.
PÉCHEURS. Fous qui vont à la mort en chantant. D. exuu, 11. — Ils fonl
l'office des démons, vi, 7. — Ils portent la croix du démon et en sont
les martyrs. D. xlvii, 9, xi.vii, 10. — Convertis par la prière des jus-
tes, iv, 7.
PÊCHE. Pèche miraculeuse expliquée. D. cxlvi.
PERFECTION. Traité de la perfection publié à la suite du Dialogue. T. —
On recherche plus la science que la perfection, T. 5. — En quoi elle
consiste. T. 9. — Ne consiste pas dans les mortifications corporelles,
mais dans la perte de la volonté, D. civ, 4. — Perfection de l'âme éclai-
rée par la lumière divine, ci. — Bonheur des parfaits en cette vie. D.
C, 5, c, 8. — Ils sont médiateurs entre Dieu et les hommes du monde.
cxlvi, 1. — Ils plaisent même aux hommes du monde. cxlviI, 0.
PEINE. Nécessaire à la vertu. D. xevi, 3. — Elle satisfait à la faute par la
contrition du coeur, iv, 2. — Devient un plaisir par l'amour parfait.
i.xxviii, 3. — Les peines viennent du péché d'Adam, xliv, 7. — L'homme
n'en souffre pas quand sa volonté est unie à la volonté de Dieu, xi.v, 2.
— Les peines des justes seront leur ornement dans le ciel, xlii, 5. —
Les peines du monde n'atteignent les serviteurs de Dieu qu'extérieure-
ment, xi.viii, 6.
F
DIALOGUE DE SAINTE CATHEIll NE
PEINES DE L'ENFER. Il y en a quatre principales. 1). xxxvm. — Elle
augmenteront après le jugement dernier, xxxrx.
PÉNITENCE. Doit être prise comme moyen et non., comme but. P. ix, 1.
Elle conduit à la vertu, ix, 2. — Il ne faut pas mesurer la perfection
sur la pénitence, ix, 6. Elle n'est pas le fondement de la vie spirituelle.
Civ. — La discrétion doit la régler, xcix, 3.
PERSÉVÉRANCE. Elle conduit à la vie ou à la mort. D. I.n. — Pas de vertu
sans elle, xlix, 4. — La persévérance vient de l'amour parfait, lxxxvii.
PIEDS. Voyez Jésus-Christ. ai»
PIERRE. Saint Pierre renia Jésus-Christ parce qu'il aimait par intérêt. I).
I.x, 9. — L'amour de saint Pierre et des disciples fut imparfait jusqu'à
la Pentecôte. D. i.xm, 4.
PIERRE MARTYR (Saint) confesse la foi avec son sang. D. clvih. 15.
PLAISIRS du monde comparés à la paille (les épis battus. D. xliv, 3.
PRÉDICATEURS. Ils doivent plaire à Dieu plutôt qu'aux hommes. D. cxiv,
4. — De ceux qui prêchent pour briller plutôt que pour toucher les
cimes ri xi
PRÊTRE. Dignité du prêtre. D. ex, 3. —Comment il administre la lumière
cx> 7. — Dieu exige plus des prêtres que des autres fidèles, cxm. —
Quels sont ceux quï doivent être élevés au sacerdote. cxxvii, 10. — Les
prêtres remplissent sur terre les fonctions des anges, exix, 18. — Quels
plaisirs doit avoir un prêtre, cxxvii, 4. — H doit faire de ses biens trois
parts, exiv, 3. — De la perfection des bons prêtres, exix. — Ils ont les
qualités du soleil. G. — Les prêtres doivent être nourris par les fidèles,
exiv, 2. — Prêtres infidèles, cxxi. — Leurs fautes ne diminuent pas la
vertu des sacrements, cxv, 3. — Ils seront plus punis que les autres,
cxxi, 10. — Respect qu'on doit aux prêtres bons ou mauvais, cxx. —
On doit les honorer à cause de Dieu, dont ils sont les ministres, cxx, .,,
4. ._ Dieu regarde comme fait à lui-même ce qu'on leur fait. cxvi. —
PRIÈRE. Traité de la prière. D. Lxv. — Puissance de la prière, lxv. 2. —
Fondée sur la connaissance de Dieu et de soi-même, i, 2. — La prière
parfaile consiste dans l'ardeur du désir, lxvi, 17. —Prière mentale et.
prière vocale, lxvf, 17. — La prière mentale doit accompagner la priè-
re vocale, lxvi 4. — La prière vocale prépare à la prière mentatc. lxm,
15. — Il faut quitter la prière vocale pour la prière mentale, quand
Dieu y appelle. I.xvi, 14. — La prière mentale fait participer virtuelle
ment'au corps et au sang de Jésus-Christ, l.xvi, 16. — Pourquoi on est
plus tenté pendant la prière, lxv, 2. - Ce qu'on fait pour le prochain
est une prière méritoire, lxvi. 19.— La prière est la force del ame. lxv,
2. _ puis efficace que la guerre et la violence, lxv, 5. — Sa puissance
pour obtenir la conversion des pécheurs, cpïii, 4. — Dieu sollicite nos
prières pour pouvoir faire miséricorde aux pécheurs, xxx, 1. — Pour-
quoi Dieu n'exauce pas sur-le-champ la prière, cxliv, 10. — Prieras ue
sainte Catherine recueillies par ses disciples. P.
PROCHAIN. Occasion du vice et delà vertu. D. vi, 1.- Son amour es(
inséparable de l'amour de Dieu. VI, 2. — Cruauté spirituelle et corpo-
relle envers le prochain. VI, 6. - Amour désintéresse envers le pro-
chain P. xvm, 7. — Moyen de rendre à Dieu celui qu il nous porte. D,
lxiv, 4. — Tous doivent travailler au salut du prochain, lxvi, U. :. ;
PROSPÉRITÉ. Elle n'est pas mauvaise, mais l'homme en abuse, xerv, -.
T.VBI.K ANALYTIQl'K DES MATIKtlKS
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1
!
— Ses dangers, cxi.i, 2. — Kl l<^ attacha les faillies aux jouissances du
moiule. xlix, 4.
PROVIDENCE. Traité de la Providence. I). r.xxxv. — De la Providence on
général. 1. — Dans l'Ancien cl le Nouveau Testament, cxxxvii. — Ac-
tion, de la Providence dans le monde, cxl, 0. — Dans l'Eucharistie, cxmi.
— En celte vie et dans l'autre, c.xi.vn. — Plaintes injustes contre la
Providence. D. cxxxvii, 1-, exxxvm, 3. — Aveuglement de ceux qui
n'espèrent pas en elle. D. c.xi.x, 2, eu, 7. — Motifs do se confier eil
la Providence, exu, i. — Bonheur de ceux qui le l'ont, cxxi, 12. — E!i
torts de la Providence pour sauver une âme. cxxxn. — Providence de
Dieu envers les pécheurs, cxi.in. — Envers les imparfaits. 1). exuv. —
Envers les parfaits, excv. — Envers les pauvres volontaires, cxi.ix. —
PURETÉ. En quoi elle consiste. D. C, II. — Moyen d'acquérir la pureté
parfaite» c, 15.
PURGATOIRE. Démons, ministres de la justice dans le purgatoire. I).
i.xxxi, 2. — Des secours que, la charité donne aux finies du purgatoire,
c.xi.viu, 11.
RÉDEMPTION. Accomplie pur l'union de la nature divine à la nature hu-
maine en Jésus-Christ. D. xiv, li. — Rédemption, cliol'-d'omvre de la
Providence, cxxxv, 2.
RELIGIEUX. Ils cherchent la perfection dans l'obéissance. !>■ clviii. -
Leurs vocations différentes. I). ci.vm, i. — De ceux qui obéissent et qui
n'obéissent pas. Leur vie différente, eux. — Des mauvais religieux.
CXXV, i. Leurs malheurs et leurs tourments, ci.xi, 11. — Des tiède-; ;
dangers qu'ils courent, ci.xii, :î. — Remèdes qu'ils doivent employer.
clxii, 5.
RENONCEMENT A LA VOLONTE PROPRE. Elle délivre des maux de celle
vie et de l'autre. T. lli. — Moyens pour y parvenir. T. :!■">.
RÉPRIMANDE. Nécessité de la réprimande. D. exix, 13. — Comment elle
doit se faire. CH, 3.
RICHESSES. Elles ne sont pas mauvaises par elles-mêmes; mais il ne faul
pas s'y attacher d'une manière déréglée. D. xlvii, T>. — Leur instabilité.
CL, (i. — Elles furent rejetées par les philosophes par amour de la scien-
ce. D. exux, 11, cl, 1. — Devoirs qu'elles imposent, cxi.vm, 5. — De.
l'amour déréglé des richesses. CL. — Tourments de ceux qui les aiment
CLI, 19. — Maux qu'elles causent dans le monde, ci., :!. — Richesses ipe
donne la vie religieuse, ci.vni, 5.
SACERDOCE. Sa dignité. D. ex.
SACREMENTS. Leur vertu vient du sang de Jésus-Christ. 1). cxv, i. — Elle
ne diminue pas par les fautes des prêtres, cxv, 3. — Les sacrements ne
doivent pas se vendre ni s'acheter, c.xiv, 1.
DIALOGUE DE SAINTE CATHERINE
SANG. Voyez Jésus-Chrisl.
SATISFACTION. Elle n'est pas dans la peine, mais dans le désir el la con-
trilion du cœur. D. îv, 1. v, 16.
SCIENCE. Elle s'obtient plus par la prière que par l'étude. D. xevi, 7. —
Bonne en elle-môme, elle peut être empoisonnée par l'orgueil et les
sens, cxxvn, 10.
SENS. Ils sont les portes pour arriver à l'âme. 1). cxliv, 3.
SENSUALITÉ. Donnée à l'homme comme moyen de vertu et motif d'humi-
-lité. D. xcvm, 8, cxlv, 9. — Elle doit obéir à la raison, li, 7. — Elle
' empoisonne l'âme, xlvh, 8. — On s'en guérit par la confession, xlvii, 8.
SOUFFRANCE. Moyen de prouver et d'acquérir l'amour. D. v, 1.— La souf-
france volontaire obtient de Dieu le salut des âmes, xn, 2. —Seul moyeu
d'aller à Dieu par Jésus-Christ. P. xx, 8. — Raison de l'amour des souf-
frances dans les Saints, lxxxiv, 5.
SYLVESTRE. Courage de saint Sylvestre devant Constantin. D. exix, 23.
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TENTATIONS. L'âme peut y résister par la force du sang de Jésus-Chrisl.
D. XLin. — Moyens d'augmenter la vert», xliii, 3. —Utiles â la perfec-
tion, xc, 6.
THOMAS D'AQUIN. Saint Thomas d'Aquin plus éclairé par la prière que
par l'étude. D. xcvi, 7. — Il reçoit une science infuse et devient le flam-
beau de l'Église. D. iaxxv, clviii, 14.
TIÉDEUR des religieux. D. clxii, 2. — Dangers qu'elle cause, clxii, 3.
— Remèdes qui la guérissent, clxii, 5.
TOUCHER. Instrument de péché. D. cxliv, 6.
TRIBULATION. Bienfaits de la Providence. D. cxlv, 2. — Moyen de salut.
CXLI.
UNION DE L'AME. Union imparfaite et parfaite de l'âme avec Dieu. D. xevi,
10. — Combien l'union parfaite donne la paix. T. 43.
VERTU. Elle a pour fondement l'amour de Dieu et du prochain. D. i, 4.
vu, 9. — Elle s'exerce par le prochain, vi, 1. — Les vertus sont diffé-
rentes dans les âmes, vu, 3. — Elles se tiennent toutes par la charité.
D. vu, 10, lxiii, 3. — Elles se fortifient par leurs contraires, vin, t. —
On doit s'attacher plus aux vertus qu'à la pénitence. IX. — Elles sont uti-
les aux hommes, et non pas à Dieu, xlvi, 4.
VICES. Combat des vices et des vertus. D. clix, 12. — Ils faussent le juge-
ment, xxxv, 1. — Ils viennent de l'amour des richesses, cl, 2. —Chaque
vice a un supplice particulier en enfer, xlit, 7.
TAHf.l-J A.\AJATK>tK DI-.S MAtjfiHES
VIE active et contemplative unies ensemble. D. LXVi, 17.
VIE INTÉRIEURE. Il faut se construire une cellule en soi-même. T. 35.
VIE RELIGIEUSE. Comparée à une barque. D. clviii, 2.
VIGNE. Explication de la parabole de la Vigne du l'ère de famille. I). xxm,
2. — Charpie âme est une vigne dont le libre arbitre est le vigneron.
xxm, 3. — Cette vigne doit être greffée sur la Vigne véritable, qui esl
Jésus-Christ, xxm, 7. — Elle doit porter le fruit des bonnes rouvres.
xxm, 8. — Dieu taille la vigne par la tribulation pour qu'elle porte des
fruits, xxiv, 1. — Si elle n'en porte pas, elle sera coupée etjetée au feu.
xxiv, 1. — Vigne universelle des fidèles. — Vigne mystique de l'Église.
xxiv, 3. — Vigne particulière de l'âme, xxiv, 4. — En cultivant sa vi-
gne, chacun cultive celle du prochain, xxiv, 1.
VISION DE DIEU dans cette vie et dans l'autre ; ses différences. D. lxxix,
7. — L'âme ne peut voir Dieu dans son essence tant qu'elle est unie à
soncorps. lxu, 3. — Elle verra J.-C, intellectuellement, jusqu'au mo-
ment de la résurrection, lxu, 3.
VISIONS. La joie que causent les visions peut venir de l'amour de la con-
solation. D. cvi, 6. — Moyens de reconnaître si les visions viennent de
Dieu ou du démon. D. lxxi, cvi. — Visions qui commencent dans la joie
et Unissent dans le trouble, lxxi, 2. — ■ Visions qui commencent dans la
crainte et finissent dans la paix, lxxi, 3.
VOLONTÉ DE DIEU. Son accomplissement est la perfection. T. 9.— Il faut
la voir en tout. D. c, 12. — Et ne pas s'arrêtera celle des hommes, cm, '.
VOLONTÉ. Créée à l'image du Saint Esprit. P. i, 1. — Sa force eu Jésus-
Christ, vu, 4. — Perte de la volonté en Dieu. D. xcvi, 9, T. 14. — Il
faut se dépouiller de sa volonté. P. xvm, 2. — Dépouillement de la vo-
lonté, signe de l'amour parfait. D. lxxvi.
VOLUPTÉ. Combien elle abaisse l'âme. D. xxxn, 2. — Elle obscurcit les
yeux du corps et de l'intelligence. CLYIU, 11.
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