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Full text of "La Révérende mère Marie de l'Immaculée-Conception [Marie-Jeanne-Françoise Veillet-Lavallée], fondatrice de la Congrégation de l'Immaculée-Conception (1820-1889) et ses premières compagnes"

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LA RÉVÉRENDE MÈRE 



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Fondatrice de la Congrégation de l'Immaculée. Conception 

(-IS20--IS89) 

et ses Premières Compagnes 



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Se trouve chez TÉQUI, Editeur, 82, Rue Bonaparte, Paris 
et chez H. LIBAROS, Place du Change, Nantes 

TOUS DROITS RÉSERVES 




BIBLIOTHEQUE SAINTE - GENEVIEVE 

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BIBLIOTHEQUE 
SAINTE | 
GENEVIEVE 




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La. Révérende Mère 



MARIE de l'IMMACDLÉE-CONCEPTION 



et ses Premières Compagnes 



BIBLIOTHEQUE 
SAINTE | 



GENEVIEVE 





NlHIL Ob.stat: 

Nannelis, die ig° Decembris 1919 

L. HUBINKAU. 



Imprimatur : 
Nannetis, die 20 a Decembris 1919 
L. LEMOINE 







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LA REVERENDE MÈRE 

piarie de Ilmacoiée-Coiicepfion 

Fondatrice de la Congrégation de l'Immaculée-Conception 

(•1820-1889) 

et ses Premières Compagnes 



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Se trouve chez TÉQUI, Editeur, 82, Rue Bonaparte, Pak.s 
,kt chez H. LIBAROS, Place du Change. Nantes 



TOUS DROITS RÉSERVES 



DÉCLARATION 



Humblement soumis de cœur et d'esprit aux 
décrets du Siège Apostolique, nous déclarons que 
si, dans ce livre, il nous arrive de donner à la Mère 
Fondatrice ou à d'autres personnes le titre de SAINT 
ou de VÉNÉRABLE, nous n'avons, en cela, nulle- 
ment dessein de prévenir les décisions de notre 
sainte Mère l'Eglise, à l'autorité de laquelle nous 
sommes heureux d'obéir avec le respect le pjus 
sincère et le plus filial amour. 



Que la Vierge Immaculée 

notre douce et puissante Patronne 

daigne agréer l'hommage 

d'une vie qui lui fut consacrée tout entière 

pour procurer à son exemple 

la plus grande gloire de Dieu 

et le bien des âmes. 



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LETTRE 

DE 

8a Grandeur Monseigneur LE FER DE LA MOTTE 

Ëvêque de Nantes 

a LA 

Révérende Mère Supérieure Générale 

de la Congrégation dé l'Im maculée-Conception 



É VÊC H Ë 

DE 

NANTES 



Nantes, le 17 Janvier 1Q21. 



MA RÉVÉRENDE MÈRE. 

C'est une pensée très filiale qui vous a engagée à 
publier ce volume, vrai Livre d'Or de vos origines. 
N'êtes-voiis pas, en effet, vous et toutes vos religieuses, 
les filles de la Révérende Mère Marie de V Immaculée- 
Conception ? Le souvenir de la mère doit toujours 
vivre au cœur des enfants. 

Sans doute, la tradition orale perpétuait ce souve- 
nir ; sans doute, encore, vous possédiez la notice com- 
posée par M. le Chanoine de la Guibourgère : témoi- 
gnage précieux de ce qu'il avait vu lui-même et de ce 
qu'il avait appris sur cette âme d'élite. 

Mais il était bon de fixer ces souvenirs et ces témoi- 
gnages, dans un ouvrage plus ample et plus documenté. 

Votre livre n'a pas seulement pour but de faire con- 



naître votre Fondatrice et son œuvre. Il veut exercer 
œuvre d'apostolat. 

Chez vous, d'abord. Comment ne seriez-vous pas 
meilleures religieuses, après avoir étudié, dans votre 
propre histoire, celle grande âme à la foi vive, à l'espé- 
rance forte, à la charité ardente ; cette âme qui; maî- 
tresse d'un corps débilité et infirme, pria beaucoup, 
travailla sans relâche, souffrit rudement et servit si bien 
Dieu, ses sœurs et les pauvres ! 

Ailleurs, aussi,. Comment les chrétiens désireux de se 
sanctifier et d'être utiles aux antres ne s' instruiraient-ils 
pas avantageusement par la lecture de votre livre, c'est- 
à-dire à l'école de votre fondatrice? 



La Révérende Mère Marie de V Immaculée- Concep- 
tion est, en effet, une de ces âmes héroïques qui vivent 
de dévouement, qu'altère la soif du sacrifice, qui brûlent 
d'étendre partout le règne de Jésus-Christ, et qui, plei- 
nement apôtres, sont avides de passer, comme le Maître, 
en faisant le bien. 

Un attrait toujours croissant pour l'oraison, une vie 
d'union intime avec Jésus crucifié et Jésus-Hostie, une 
dévotion toute filiale envers la Vierge Marie, une cha- 
rité ardente en présence de toutes les misères, surtout les 
misères morales : telles sont les caractéristiques de ce 
cœur apostolique. 



El voici que cette jeune fille, éclairée des lumières 






III 



divines, fortifiée par les encouragements de son évêquc, 
aidée de quelques compagnes dévouées, triomphe des 
difficultés accumulées devant elle et organise un orphe- 
linat à Chûteaubriunt. 

Combien votre récit est attachant lorsqu'il nous peint 
les débuts de l'œuvre ! 

Débuts pénibles : l'entreprise aurait-elle eu aussi visi- 
blement l'empreinte divine, si les souffrances et les con- 
tradictions n'étaient venues l'assaillir? Débuts heu- 
reux, pourtant : dans les ruines où ces vaillantes pauvres 
avaient.trouvé un refuge pour leurs protégées, envers et 
contre tout, régnait une joie profonde, surtout depuis 
que Jésus demeurait dans l'humble oratoire qu'on apail 
réussi à établir. 

Ah ! si elle l'avait pu, la Bonne Mère fût restée nuit 
et jour devant le tabernacle : « Si je pouvais, disait-elle, 
faire passer dans le cœur de mes frères le feu qui brûle 
dans le mien, alors, mon Jésus, vous ne seriez jamais 
seul ! » 

Dieu sait quels sacrifices étaient pour cette âme de 
prière ces absences réitérées auxquelles les besoins maté- 
riels de la Communauté l'obligeaient rigoureusement, 
ces quêtes qu'elle devait multiplier partout, ces voyages' 
que nécessitait l'acquisition de ta Haye-Mahéas. Vic- 
time volontaire, elle offre tout cela, avec ses jeûnes et ses 
pénitences, pour que l'œuvre soit vraiment une œuvre 
sainte. 

Avec quelle édification nous lisons son oblation 
ultime ! Epuisée par les soucis et les fatigues, clouée à 
la^eroix, la Fondatrice, au milieu de toutes ses préoccu- 



pillions, songe de plus en plus que le jour approche où 
elle devra quitter la terre : » Ma: en/unis, redisait-elle 
souvent, dans la profondeur de son humilité, je suis 
trop misérable ; et, et cause de mes péchés, la Commu- 
nauté ne prospérera que quand je ne serai plus... > Et 
quand lest souffrances qu'elle endure deviennent conti- 
nuelles, elle voit alors pleinement exaucées ses aspira- 
tions d'autrefois. N'avait-elle pas dit : « Je désire 
ardemment souffrir pour ' mon Bien- Aimé... Oh! si 
j'allais mourir sans souffrir !... » 

Mais elle voit, aussi, en quittant la terre, su chère 
Congrégation solidement fondée et toute prêle à prendre 
un nouvel essor. 



Voilct l'œuvre qu'il s'agissait d'établir, et voilà quelle 
en est la première ouvrière. 

Cependant, votre livre ne se borne pas à cette histoire 
de la fondation. Il nous montre le grain de sénevé qui 
devient un arbre couvrant la terre de ses rameaux bien- 
faisants. Car ce livre est justement intitulé : La Révé- 
rende Mère Marie de l' Immaculée-Conception et ses 
"premières Compagnes. 

C'est la survie de la Fondatrice et l'épanouissement 
de son œuvre. 

La Révérende Mère Marie-Thérèse de la Croix et vous- 
même, Révérende Mère Marie- Ambroise, avez, depuis 
1889, continué l'esprit et l'action de votre Mère vénérée. 
// était juste que vos deux supériorats fussent commé- 
morés avec leur puissant apostolat. 









Et comme il est louchant de voir vos pieuses filles 
correspondre à votre direction, en tout esprit religieux ! 
C'est ainsi que sœur Marie- Anne de l'Enfant- Jésus a 
sa place au Livre d'Or. Assistante et maîtresse des 
novices, que de bien elle réalise ! Elle enseigne avec un 
art parfait, joignant l'exemple au précepte, la science 
de religieusement vivre et celle 4e saintement mourir. 

Le lecteur sera ému par tant de traits édifiants rappe- 
lés dans cette partie de l'ouvrage, comme il sera touché 
par la stabilité de votre souvenir pour tous ceux qui ont 
bien voulu vous diriger ou vans seconder : évêques, supé- 
rieurs ecclésiastiques, prêtres, fidèles. C'est ainsi que 
le dévouement, pour vous, de M. le Chanoine de la Gui- 
bourgère n'a pas été mis en oubli. 



* 
* * 



J'ai parlé du grain de sénevé devenant un arbre, 
dont les rameaux abritent les oiseaux du ciel. 

Lors du centenaire de la naissance de notre fonda- 
trice, vous m'avez donné, à la Haye- Maliens, la vision 
de cet épanouissement. 

Après les cérémonies religieuses, il y avait pour vos 
enfants — et pour nous tous — une séance commémo- 
rative. 

Tout rappelait l'histoire des cent années écoulées. 

Deux petits ramoneurs, qui n'avaient rien à envier 
aux africains les plus noirs, évoquaient Châteaubrianl 
et les humbles débuts de l'œuvre. 

Puis, sous le regard de deux anges ailés, descendus 



VI 



du Ciel, vos orphelines entraient en scène, travaillant 
activement et célébrant l'heureuse fortune de la Congré- 
gation si bienfaisante. Chacune avait une parole pour 
rappeler une entreprise ou une fondation nouvelle. 
Chaque évocation était marquée par une fleur que les 
enfants allaient fixer sur deux coeurs présentés par les 
anges : Châteaubrianf, La Haye-Mahéas, Nantes, 
Sainte-Marie-de-Pornic, Saint- Jean-de- Béré, Redon, 
Bellou -en- Houlme, Le Pouliguen, Champtoceaux, 
Sainte- Reine, Sèvres, Le Gâvre, Nort, Nozay, Pé-au- 
Midy..., sans parler des cliniques de Nantes et de 
Saint-Nazaire, et des préparations actuelles. 
Que de fleurs !... 



Cela, c'est le passé ; cela, c'est, aussi* le présent. 

Que sera l'avenir ? 

Après avoir lu votre livre, on n'en peut douter. 

Votre Congrégation a été providentiellement protégée 
dès sa fondation. Elle le sera encore. Elle vivra, dilatée 
et prospère, pour la gloire de Dieu et le salut des âmeç. 

Et puisque la bénédiction de V Evêque porte bonheur, 
je vous bénis, vous, ma Révérende Mère, et toutes vos 
filles, en vous assurant de mon plus' respectueux et plus 
sincère dévouement. 

t EUGÈNE-LOUIS-MARIE 

Évêque de Nantes 



PREMIÈRE PARTIE 



LA FONDATRICE 



Les Toutes Premières Compagnes 






*- 



 



CHAPITRE PREMIER 



Enfaneé et Jeunesse 

L'éveil d'une âme. — Goût précoce pour la prière. — L'at- 
trait du monde. — ■ Victoire de la grâce et premiers 
sacrifices. — La grande sœur. — La vocation : l'amour 
des pauvres. — Les petits ramoneurs. 



Le 11 novembre 1820, en la fête de saint Martin, 
l'héroïque apôtre de la charité, naissait à Saint- 
Brieuc une entant destinée à devenir l'instrument des 
divines miséricordes, à l'exemple du grand évêque de 
Tours. 

Elle reçut au baptême les prénoms de Marie- 
Jeanne-Françoise. Ainsi, la très sainte Vierge prenait 
sous sa protection spéciale, dès les premières heures, 
celle qui devait la glorifier un jour en son privilège 
le plus cher : l'Immaculée Conception. 

Dieu avait placé le berceau de l'enfant dans une 
famille aussi honorable que chrétienne. Son père, 
M. Amateur-René Veillet-Lavallée, officier de marine 
en retraite, type de la bonté et de la loyauté, avait, 
jeune encore, épousé M Uo Jeanne-Marie Aubrée, de 
Lamballe. 



10 



D'une grande vertu, d'une piété solide, d'une cha- 
rité inépuisable envers les pauvres, M me Veillet se 
dévoua sans compter à l'éducation de sa chère petite 
Marie. Trois garçons suivirent, puis une fille. L'excel- 
lente mère chercha surtout à imprimer dans ces 
jeunes âmes une. foi robuste et des principes chré- 
tiens qui pussent être leur sauvegarde dans la vie 
agitée de ce monde. 

La tâche était facile à remplir près de l'aînée, qui 
avait reçu de Dieu les dons de l'esprit et du cœur. 
« Tout enfant, nous raconte sa jeune sœur (dont nous 
ne pouvons citer que quelques extraits), elle se mon- 
tra obéissante et douce, quoique d'un caractère très 
vif. Elle était attirée vers les enfants pauvres ; par- 
fois elle obtenait de sa mère la permission d'en réunir 
quelques-uns autour d'elle; montant sur une grande 
chaise, elle leur apprenait ce que M me Veillet ensei- 
gnait si bien à sa chère fille : le catéchisme, le travail 
et la prière. — Je n'ai point souvenir que mon père 
et ma mère lui aient jamais fait le plus léger 
reproche. Elle avait pour eux la plus tendre affec- 
tion ; elle aimait aussi beaucoup ses frères et sa sœur, 
aidant avec bonheur sa mère à les élever. Elle savait 
nous rendre sages, afin de donner un peu de repos à 
nos parents, que les cris et les jeux de trois enfants 
bruyants fatiguaient beaucoup. Elle chantait si bien 
que nous l'écoutions en silence, demandant toujours, 
sans nous lasser, un chant nouveau. Elle supportait 
nos défauts, nos tracasseries, avec une patience admi- 
rable. Dès son plus jeune âge; elle eut la pensée de se 



11 



consacrer au serv'ce du bon Dieu, dans la vie reli- 
gieuse : à dix ans, elle demandait au Ciel de lui don- 
ner une petite sœur pour la remplacer près de ses 
parents,- objets de toute la sollicitude de son cœur. » 

« Très jeune, je crois même avant ma première 
communion, nous dit la Bonne Mère dans des notes 
intimes, rédigées pour obéir à son directeur, la 
sainte Passion faisait couler mes larmes ; j'avais un 
grand désir de faire mon chemin de croix, et ne pou- 
vant aller satisfaire ce désir à l'église, je le faisais 
avec deux de mes amies dans ma chambre, et mon 
cœur était souvent très profondément touché. 

« J'ai toujours eu grand attrait à me réunir avec 
d'autres âmes pour prier, faire le bien, me corriger, 
vaincre mon caractère. Vers dix ou onze ans, j'eus 
pour amies deux jeunes personnes un peu plus 
âgées que moi ; nous nous retirions en cachette 
pour prier, pour faire des lectures, et j'accomplissais 
avec ferveur tous ces petits exercices... J'ai toujours 
eu grande confiance dans la prière ; lorsque j'étais 
enfant, j'aimais à réciter un Ave Maria sur toutes 
les marches de l'escalier et je ne m'endormais jamais 
sans avoir égrené dans mon lit un très grand nombre - 
de Pater et d'Ave. 

« J'ai fait ma première communion à onze ans et 
demi. En recevant pour la première fois la rémission 
des péchés de mon enfance et la sainte Eucharistie, 
mon cœur fnt sensiblement touché.et je répandis de 
douces larmes. » ' 

Plus tard, M me Veillet confia sa fille aînée « pour 






I 



— 12 — 



son bonheur » à des religieuses qui achevèrent cette 
éducation si bien commencée, où Dieu avait tenu la 
première, la meilleure place. Marie fit de sérieuses 
études, cultiva les arts d'agrément, surtout la mu- 
sique : elle était douée, d'ailleurs, d'une belle voix. 

Mais, en même temps que son intelligence, son âme 
allait recevoir, dans cette maison bénie, une culture 
bien propre à la faire croître rapidement dans l'amour 
divin qui l'attirait et la captivait. 

« La maîtresse des novices s'était aperçue des dis- 
positions que j'avais à la piété, continue-t-elle. Elle 
s'occupa de diriger mon cœur vers Dieu. Elle me rece- 
vait souvent dans le cabinet particulier des novices 
pour me parler de Jésus et de Marie, m' apprendre à 
vaincre mon caractère ; j'étais alors si heureuse que 
j'aurais voulu y être admise tous les jours. Dieu se fit 
sentir à mon cœur ; je trouvais un grand bonheur â 
penser à Jésus. Lorsque j'étais seule dans les salles, 
j'embrassais avec transport l'image du divin Enfant. 
Bien souvent dans la journée, je pensais à Dieu. 
Toutes les lois que je passais devant la porte de la 
chapelle pour me rendre au jardin, mon cœur s'en 
allait vers mon Jésus. Je m'unissais à toutes les 
messes que j'entendais sonner à la cathédrale ; j'au- 
rais voulu passer mes récréations au pied du saint 
Tabernacle. Oh ! que j'ai été malheureuse de ne pas 
ouvrir mon cœur à mon confesseur ; il aurait sans 
doute favorisé mon attrait pour la sainte Eucha- 
ristie. Je communiais rarement, parce que j'allais à 
M. le Grand Vicaire et qu'il fallait attendre très long- 



13 



temps son tour ; j'étais d'une grande timidité à 
son égard. Je désirais bien vivement m'adresser à 
M. l'Aumônier ; ma mère s'y opposa ; j'en ai reçu un 
grand préjudice, parce que j'aurais pu me confesser 
plus souvent. Les jours de communion étaient des 
jours de bonheur. Dieu, pour m'attirer à son amour, 
me donnait une dévotion très sensible : la veille, je 
ne me possédais pas de joie. » Et comme l'amour 
divin ne peut embraser une âme sans la transformer 
en apôtre : « En pension, nous dit la jeune Marie, 
je formais, avec plusieurs élèves, « une communauté 
de Trappistines » dont -j'étais la Supérieure ; nous 
récitions ensemble des prières, nous faisions des lec- 
tures, gardions le silence et nous nous exercions à 
bien des petites mortifications. » La gaîté n'y per- 
dait rien : les récréations, sans entrain avant son 
arrivée, devenaient, nous dit-on, animées et joyeuses 
dès qu'elle y prenait part. 

« Un peu plus tard (j'avais peut-être quinze ans), 
j'entrepris de faire oraison et d'en donner le goût à 
une de mes amies. J'ignorais absolument ce que 
c'était que l'oraison, mais j'y étais entraînée par un 
attrait particulier : je trouvais beaucoup de douceur 
à réciter le Pater en m'arrêtant à chaque demande. » 
« Marie, nous dit encore sa sœur, vit le monde en 
passant, sans y attacher son cœur ; elle assista à 
quelques-unes de ses fêtes sous l'œil de notre mère, 
unissant une grande réserve à l'amabilité charmante 
qui faisait le fond de son caractère. Elle était vive et 
enjouée, douce et ferme, d'une bonté parfaite. Elle 






— 14 — 



fut toujours pieuse ; elle aimait à donner à la prière 
tout le temps que ses devoirs de famille ne réclamaient 
pas. Elle aidait notre père (percepteur) dans sa comp- 
tabilité, avec le soin, la perfection qu'elle mettait en 
toutes choses pour plaire à Dieu et à nos parents. 
Elle était remplie de respect et d'affection pour sa 
grand'mère maternelle, qui habitait sous le même 
toit ; elle la soigna et la veilla jusqu'à son dernier 
soupir (décembre 1843). » 

Jugeant elle-même avec sévérité cette période de " 
sa vie, la vénérable Mère dira plus tard : « Hélas ! 
avant d'appartenir toute à mon cher Epoux Jésus, 
que d'infidélités, que de légèretés, que d'amour du 
inonde et de la vanité, que de désirs de plaire ! 

« Sortie de la sainte maison où j'avais appris à con- 
naître Dieu, le monde m'invita à ses fêtes. J'aurais 
voulu résister ; hélas ! je fus trop faible. Avec dou- 
leur, avec reconnaissance, avec joie pour le présent 
comparé au passé, je me rappelle ces jours où je chan- 
tais dans ces soirées, dans ces concerts où Jésus n'est, 
hélas ! que trop oublié, après m'être fatiguée pour 
apprendre un morceau d'opéra. Je me rappelle ces 
jours où je me disais : Je me ferai un nom, je veux 
briller, je veux écrire ; et l'ambition, la gloire du 
monde remplissait mon pauvre esprit... O Jésus ! 
et cependant toute jeune', enfant même, vous aviez 
fait sentir à mon cœur votre divine présence dans la 
sainte Eucharistie. — Oh ! comme je veux aimer, 
brûier, pour réparer ces jours d'erreur où je mendiais 
des applaudissements, où j'aimais le monde. Et le 



15 



Seigneur me fit comprendre cette vérité : la pensée, 
noble faculté de mon être, créée par Dieu, je la donne 
à la vanité, je la livre aux folies d'une imagination 
ardente, j'invente des tragédies, des comédies, et 
cependant cette pensée doit servir son Créateur. Eh 
bien, Seigneur, je penserai à Vous toute la journée et 
je disposerai d'une demi-heure pour la satisfaction 
de mes désirs. Mais Jésus, jaloux du cœur de son 
enfant, voulait en être le seul possesseur, et de ses 
lèvres tombèrent dans mon âme ces paroles qui, pour 
toujours, l'attachèrent à son Bien-Aimé : « Ma fille, 
si tu savais combien je t'aime 1 » O mon Dieu, vos 
tendres regards subjuguèrent encore mon cœur et le 
monde me devint un pesant fardeau... Je souhaitais 
de me consacrer à votre divin service ; j'éprouvais 
d'ineffables délices à Vous promettre de Vous aimer 
et de n'appartenir qu'à Vous seul. Je témoignai à 
mon confesseur le désir d'entrer chez les filles de 
saint Vincent de Paul ; leur vocation parlait à mon 
cœur. Mon confesseur s'y opposa pour le moment, 
en disant que j'étais utile à ma famille. Du reste, 
je ne lui découvrais point ce qui se passait dans mon 
cœur ; je ne faisais pas cela par dissimulation, mais 
par timidité, ignorance. » 

La Vierge Immaculée, qui défendait son enfant 
contre les séductions du monde et lui inspirait l'at- 
trait de la vie religieuse, voulut encore lui manifester 
sa sollicitude d'une manière sensible. M Uo Veillet, 
prenait des bains de mer sur une plage solitaire, sous 
la surveillance d'une servante demeurée, par discré- 



— 16 — 

tion, sur la grève rocheuse dont les aspérités lui dissi- 
mulaient en partie sa jeune maîtresse. Celle-ci, qui 
s'était peut-être un peu trop avancée dans la mer ce 
jour-là, se sent emportée tout à coup par une de ces 
lames de fond si perfides qui font trop de victimes. 
Elle se recommande aussitôt à sa bonne Mère du 
Ciel et à saint Michel et se retrouve saine et sauve 
sur la terre ferme. Toute la suite de sa vie nous 
redira quelle fut sa reconnaissance. 

D'ailleurs allaient suivre de nouveaux bienfaits. 
Ce fut d'abord, en 1841, la nomination de M. Veillet 
à la perception de Châteaubriant. Non, cet événement 
ne fut pas l'effet du hasard, mais bien la réponse de 
la divine Providence à la prière confiante et persévé- 
rante de la jeune Marie à sa céleste Mère. Le fait 
est ainsi relaté dans ses notes : « Trouvant dans la 
ville que j'habitais bien des obstacles à la vie que je 
désirais embrasser, je conjurai la Vierge Immaculée 
de donner son changement à mon père. Après plu- 
sieurs mois de prières, ma demande fut exaucée : je 
vins habiter Châteaubriant. Mais, hélas ! je fus en- 
core infidèle à mes promesses ; le monde m'entraîna 
de nouveau dans ses fêtes. » 

Les tentations auxquelles la jeune fille se reproche 
de céder nous sont expliquées par une religieuse Ursu- 
line de Chavagnes qui l'a intimement connue pen- 
dant dix ans, en sa nouvelle résidence. 

« M lle Marie Veillet, nous dit la vénérée Mère Béa- 
trix, avait, à cette époque, une vingtaine d'années. 
Elle était, comme sa mère, très bonne chrétienne, 






17 — 



approchait fréquemment des sacrements, mais n'était 
pas exempte de certains goûts mondains. Elle assis- 
tait aux réunions permises des jeunes filles de son 
âge, faisait beaucoup de musique ; douée d'une belle 
voix, elle chantait, comme tant d'autres, de ces 
romances un peu légères qu'on se permet facilement 
dans notre siècle. J'en gémissais et j'aurais voulu lui 
dire la peine que j'en éprouvais, mais je ne savais 
comment m'y prendre, craignant de la froisser et par 
là de briser nos relations, qui pouvaient lui être utiles. 

» Reconnaissant dans cette âme de grandes ten- 
dances pour le bien, j'attendais donc, quand un jour 
elle vint nous faire l'offre de sa voix pour les chants 
de notre chapelle, ce que nous acceptâmes avec plai- 
sir ; et j'en profitai pour lui dire qu'elle gagnerait 
davantage devant Dieu en chantant ses louanges 
qu'en se livrant à des chants quelquefois peu compa- 
tibles avec la communion fréquente. C'est là que je 
vis sa docilité parfaite à la grâce et la bonté de son 
âme ; car personne n'aime les réprimandes. Elle 
m'écouta et me dit : « Merci, ma Mère, de vos bons 
avis. » Elle n'en parut nullement affectée et, dès ce 
jour, elle m'apporta toute sa musique et la soumit à 
mon examen ; tout en regrettant que les plus belles 
romances fussent celles qui devaient être mises de 
côté, elle en fit immédiatement le sacrifice. Elle 
renonça peu à peu, avec la même générosité, à tout 
ce qui sentait la mondanité et la vanité. » 

A cette époque, le bon Dieu la fortifia et la bénit 
à proportion de ses sacrifices, car, à partir de ce 



— 18 — 

moment, ses progrès dans la piété furent rapides : 
rien ne lui coûtait quand il s'agissait de plaire à Dieu 
ou de ne pas l'offenser. 

« Elle suivait avec la plus grande exactitude et la 
ferveur la plus édifiante tous les exercices des enfants 
de Marie, soit à notre chapelle, soit à la paroisse. Dans 
la maison de son père, sa chambre possédait une 
grande statue de sa douce et puissante Patronne, 
qu'elle saluait avant de sortir. S'il lui arrivait 
d'omettre cette pieuse pratique et de s'en apercevoir 
au bas de l'escalier, elle le remontait aussitôt pour 
réparer son oubli (1). Son grand désir de plaire à notre 
divine Mère et de l'imiter la décida à quitter toutes 
ses toilettes et à ne plus se vêtir que des couleurs de 
la Sainte Vierge. Déjà elle conservait sous sa robe 
le cordon de laine bleue qu'à cette époque nous fai- 
sions porter à nos enfants en l'honneur de Marie, 
pour que cette bonne Mère prît en garde leur inno- 
cence. Elle n'usa désormais que de vêtements bleus, 
ce qui bientôt excita de nouvelles et plus mordantes 
critiques : on la nommait l'Oiseau bleu ! Elle souf- 
frit avec joie toutes ces moqueries et les offrit à sa 
bonne Mère du Ciel pour en obtenir de nouvelles 
faveurs. 

« Mais ce qui distingua surtout M llc Veillet, ce fut 
son ardent amour pour la sainte Eucharistie. Elle 
ne pouvait passer devant une église, une chapelle, 
sans y entrer pour adorer le bon Dieu. Elle demeu- 



(1) Lettre de M. Recoquillier citant le témoignage de M Ile Verger. 



— 19 



rait chaque jour en sa présence de longues heures, à 
genoux, sans appui ; quelquefois j'en avais compas- 
sion ; je ne comprenais pas comment elle pouvait 
tenir aussi longtemps, parfois neuf heures de suite, 
dans une position aussi fatigante. C'était le plus sou- 
vent à notre chapelle qu'elle se retirait pour prier, 
afin de ne pas être vue ; elle était parfois si absorbée 
en Dieu qu'elle ne voyait ni n'entendait ce qui se 
passait autour d'elle. Pour m'en assurer, je lui deman- 
dai un jour qni est-ce qui était venu faire son chemin 
de croix ; elle me répondit qu'elle n'avait rien vu, ni 
rien entendu; et cependant notre chapelle, était assez 
petite. Son confesseur dut lui accorder la communion 
quotidienne : elle ne pouvait plus vivre, disait-elle, 
sans son Jésus. Elle ne manquait jamais de l'accom- 
pagner quand on le portait aux malades ; quelles que 
fussent les distances, rien ne pouvait l'arrêter. 

« Je n'ai jamais connu d'âme qui ail combattu 
aussi constamment et aussi généreusement la nature ; 
aussi la grâce abondait en elle... Pas une de ses actions 
qui ne voulut être pour Dieu ; aussi ses progrès dans 
la perfection étaient-ils rapides... Sa grande piété pour 
la Sainte Vierge l'avait conduite au Cœur de Jésus 
pour lequel, dès sa plus tendre enfance, elle brûla 
d'amour, et dans ce divin Cœur elle puisa une grande 
dévotion à la Sainte Trinité, qui veut bien résider 
dans ses créatures ! Quelle bonté !... 

« Elle aimait aussi à entretenir de belles fleurs 
devant le tabernacle et à aller seule à la messe, afin 
de pouvoir se rapprocher le plus possible de la sainte 



— 20 — 

Table, surtout aux jours où la communion devait 
être longue, atin d'adorer, de contempler son Jésus 
de plus près quand il passait devant elle. Un jour 
qu'elle avait sans doute qu'elque trouble de cons- 
cience, elle hésitait à prendre part au divin Banquet, 
lorsque, lui sembla-t-il, elle s'entendit appeler deux 
fois par Notre-Seigneur : « Marie ! Marie ! » Elle se 
rendit à son appel et sortit d'une longue action de 
grâces, inondée des plus douces consolations. Confi- 
dentes intimes de ses ardents désirs et de ses géné- 
reuses résolutions, des pages écrites en 1845-1846 
nous ont gardé le souvenir de ces beaux jours de pre- 
mière ferveur. En voici quelques extraits : 

« Tout pour la gloire et l'amour de mon doux 
Maître dans le Sacrement de son amour ! 

« Bonheur inexprimable, jour mille fois heureux, 
où l'on ne vit plus seule, mais où l'on se donne ; un 
autre partage vos penséas, vos désirs, ou plutôt vous 
ne voulez plus que ses pensées, ses désirs. Vous êtes 
tellement unis, qu'il semble que vous n'êtes qu'un 
seul. Si vous n'êtes pas près de Lui, votre pensée Le 
suit partout, vons vivez par Lui, vous respirez par 
Lui ; Il vous rend amour pour amour, bonheur pour 
bonhaur et c'est moi qui partage le sort heureux de 
cet Époux céleste qui a su mettre dans mon cœur 
un petit rayon de feu dont II est embrasé pour moi, 
et cet Amour, c'est mon Dieu, ma vie, mon tout. » 

Et ailleurs, ces accents enflammés que lui arrache 
la pensée du Divin délaissé du Tabernacle : « L'oubli 
de Jésus, dans le sacrement de nos autels, est pour 






— 21 



moi un mystère, et si je ne croyais pas aussi forte- 
ment que je crois à la présence de mon Dieu dans 
la sainte Eucharistie, je dirais : non, non, le Créateur 
de l'univers n'habite point parmi nous, son temple 
est désert, abandonné. Les hommes s'occupent de 
leurs affaires, de leur commerce, et le Coeur de Jésus, 
dévoré de l'idée de prodiguer son amour et ses dons, 
reste sans adorateurs. Les hommes ne trouvent pas 
un moment pour rendre hommage au Jésus caché, et 
mille riens, mille futilités les absorbent des journées 
entières. Ils passent près de la sainte demeure ; Jésus 
leur demande une pensée, un regard, et tout est 
refusé à son amour. O Jésus ! en sera-t-il toujours 
ainsi '? » 

En présence de ce cœ'Ur adorable, abîme inson- 
dable d'amour, elle se sent impuissante et implore 
le secours de la Sainte Vierge' qui jamais ne sut rien 
lui refuser : « Je ne vous aimerai plus avec mon pauvre 
cœur, il est trop petit pour vous aimer ; ma Mère me 
prêtera son cœur. Oui mon Jésus comme vous m'en 
avez donné la pensée, je m'attacherai aux pas de ma 
Mère, je la suivrai partout, je la tourmenterai jusqu'à 
ce qu'enfin, cédant à mes prières, elle me donne son 
cœur pour vous aimer. Mon Jésus, mon Epoux, 
mon Père, quel beau jour que celui où ma Mère me 
dira : « Tiens, ma fille, je te donne mon cœur pour 
aimer mon Fils. » 

Elle ajoute avec sa délicatesse accoutumée : « Je 
crains d'rvoir une secrète jalousie, qui me donne la 
peur de trouver des âmes qui aiment plus Notre-Sei- 



— 22 — 

gneur que moi... Pardon, mon doux Jésus !... Oui, je 
ne puis vous le cacher, j'ai le désir extrême de vous 
aimer plus que vos autres enfants... Je ne vous 
demande pas les consolations extraordinaires, j'en 
suis trop indigne ; mais je vous conjure que mon cœur 
soit embrasé de votre divin amour, que je sois 
oubliée du monde entier pour être à Vous seul, 
Jésus ! » 

Le véritable amour aspire à se sacrifier : 
« Je vous vois anéanti, oublié, délaissé ; et moi, je 
pourrais jouir de votre adorable présence ! — Oh ! 
jamais ! Mon doux Jésus, acceptez, je vous en con- 
jure, le sacrifice que je fais de voir votre divine Face ; 
et, qu'à la mprt, mon âme se renferme dans vos 
saints tabernacles jusqu'à la consommation des 
siècles. » Et encore : « Par le désir extrême que 
j'éprouve de vous aimer et de voir tous vos enfants 
s'asseoir souvent au sacré Banquet, je vous supplie 
de me priver de toute consolation dans ma com- 
munion de demain. Consolez plutôt les personnes 
qui ne vous reçoivent que rarement, afin, qu'attirées 
par Ce Pain délicieux, elles ne trouvent plus de 
bonheur que dans la sainte communion. » 
j~ Cette réception quo idienne du Pain des forts porte 
ses fruits ; les réflexions et les résolutions suivantes 
en témoignent. 

« L'amour est délicat : plutôt mourir que de ne 
pas accomplir en toutes choses le bon plaisir de Dieu. 
Il est généreux : tout donner à Dieu. Il est fort : 
chasser de mon cœur tout ce qui n'est pas Dieu. Il 






23 — 



est unitif ; s'unir de plus en plus au Cœur de Dieu. 
Il est obéissant : par amour pour Jésus, obéir même 
à toutes les personnes qui n'aurout pas autorité sur 
moi. Il soupire : me détacher de la terre. Il est ardent: 
désirer que tous les cœurs aiment Jésus. » 

Depuis lougtemps déjà, l'âme dévouée de Marie 
ne s'en tenait pas au seul désir de faire aimer Dieu. 
Nous l'avons vue, dès ses jeunes années, seconder sa 
mère dans l'éducation de sa sœur et de ses frères : 
Alexandre dont l'âge se rapprochait le plus du sien 
et qui avait eu le bonheur de faire sa première com- 
munion en même temps qu'elle ; Eugène, son filleul, 
qui mourut devant Sébastopol, à bord du Sainl- 
Louis ; Julie, la petite sœur demandée au Ciel pour 
la remplacer auprès de ses parents, et dont la piété 
fraternelle nous a conservé, dans des pages écrites 
avec un cœur plehi de respect et de reconnaissence, 
les traits de sa marraine tant aimée ; Adolphe, enfin 
venu au monde lorsque l'aînée avait seize ans , « Dès 
la première nuit, il lui fut confié, nous dit encore 
Julie, et dès lors elle ne cessa de l'entourer de ses soins 
et de sa sollicitude. Les principes chrétieus qu'elle 
sut inculquer à ce frère chéri ne s'effacèrent jamais 
de son âme et furent sa force et sa consolation aux 
jours de l'épreuve, à l'heure de la mort. Elle conserva 
jusqu'à la fin de sa vie, pour son benjamin, les sen- 
timents les plus dévoués. Dans le poste périlleux 
de capitaine au long-cours, celui-ci comptait sur les 
prières de sa vénérable sœur. Un jour qu'il se trouvait 
en une grande détresse sur mer, il relevait le courage 



— 24 — 



de son équipage, en disant : « J'ai confiance et 
j'espère! J'ai une sainte sœur qui prie et fait célébrer 
la messe pour nous. » C'était vrai. A cette heure, le 
sachant en danger, elle priait comme elle savait si 
bien le faire, et faisait prier avec une grande ardeur : 
ses supplications furent exaucées. 

Plus tard, des occupations graves et multipliées, 
des épreuves de toutes sortes, ne diminuèrent en rien 
l'affectueuse sollicitude de la bonne Mère Marie de 
l' Immaculée-Conception pour ses parents : préoccu- 
pée avant tout du salut éternel de tous ceux qu'elle 
aimait si tendrement, elle ne cessait de le demander à 
Dieu ; elle faisait souvent célébrer à cette intention 
le saint Sacrifice de la Messe; et Dieu, dans son infinie 
bonté, n'a point permis qu'aucun des siens quittât 
ce monde sans avoir reçu avec foi, en toute connais- 
sance, les derniers sacrements. 

Attentive au bonheur de chacun, dans ce foyer si 
chrétien que sa présence illuminait comme un chaud 
rayon de soleil, elle se prodiguait sans mesure pour 
faire connaître et aimer son divin Sauveur. 

« M me Veillet, nous raconte enconre la vénérée 
Mère Béatrix, avait gagé une domestique aussi 
dépourvue d'intelligence que de savoir-faire et qui 
était, de plus, fort maussade. Elle voulait la renvoyer, 
mais M lle Marie, voyant que la pauvre fille ignorait 
complètement sa religion, désirait sauver cette âme, 
Elle vint me trouver et me fit part de son projet. 
Elle obtint de sa mère de garder sa bonne et entreprit 



— 25 



de lui montrer à mieux faire. Pour cela, elle se levait 
dès cinq heures du matin, faisant tout l'ouvrage de 
la domestique dans le bas de la maison, lavait la 
va'sselle laissée du soir, mettait tout en ordre et 
préparait le déjeuner, afin que sa mère, à son lever, 
trouvât prêtes toutes choses et fût satisfaite ; puis 
elle allait à la messe. Elle consacrait ses soirées à 
apprendre le catéchisme à cette triste tête qui ne 
retenait presque rien et répondait on ne peut plus 
mal aux efforts de sa jeune maîtresse. » 

Lorsque le feu de la charité brûle dans une âme, 
le zèle, qui en est la flamme, tend à se répandre au 
dehors. Il en était ainsi pour Marie : elle visitait assi- 
dûment les pauvres : si grande était sa compassion 
pour les êtres souffrants et délaissés, qu'elle souhai- 
tait mettre sur toutes les plaies le baume qui guérit 
et fortifie. (1) 

Jetant, sans le savoir, les bases d'un grand Patro- 
nage, si florissant aujourd'hui à Châteaubriant, elle 
réunissait le dimanche, après les offices (comme rous 
l'apprend sa chère sœur Julie), des jeunes filles, 
ouvrières pour la plupart. « Elle savait les distraire, 
les occuper par des lectures, par des chants avec 
accompagnement de piano. J'ai souvent vu dans sa 
chambre M lle8 Aimée Durand et Sophie Derval, 






(1) « Quand elle rencontrait son amie, M"" Verger, à la sortie de 
l'église et désirait lui communiquer quelques réflexions importantes 
et pressées, afin de ne pas perdre son temps pendant la conversation, 
elle tirait aussitôt de sa poche un tricot destiné à l'un de s.'s chers 
assistés. » (Lettre de M. V. Recoquillier.) 



— 26 — 



choisies par Dieu pour être plus tard ses aides et ses- 
eoopératrices, Elles se souvinrent toujours du bon 
accueil que leur faisait mon vénérable père, toutes 
les fois cpie sa chère fille les amenait à sa table. 

« D'atres détresses, aussi, l'attiraient : Les petits 
ramoneurs l'intéressaient beaucoup. Nos parents 
étant très bons et très charitables, je me souviens que, 
pendant plusieurs hivers, deux petits savoyards 
trouvèrent abri sous le manteau de la cheminée si 
vaste de notre cuisine, lorsque leurs maîtres ne les 
employaient pas. Aidée de notre grand'mère, Marie 
leur apprenait leurs prières et leur catéchisme. Il 
me semble encore les voir assis près de la grande mar- 
mite, où bouillait le pot-au-feu dont ils avaient 
toujours leur part. C'était surtout le dimanche. On 
les voyait dès le matin, paraître d'un air bien timide. 
Ma sœur les recevait gracieusement, se mettait en 
devoir de les débarbouiller, sans réussir à les blanchir 
complètement. La messe sonnait ; ma sœur les y 
conduisait, et je dois avouer que je ne me souciais 
pas toujours de marcher en leur compagnie ; j'en ai 
bien regret, car aujourd'hui je juge différemment les 
choses ; j'apprécie mieux la vertu de ma sœur et la 
charité de nos bons parents, lesquels, ayant une nom- 
breuse famille, recevaient et nourrissaient souvent 
les humbles protégés de leur fille aînée. » 

Un jour, elle rencontra dans la rue l'un de ces 
pauvres petits ; le temps était froid, il marchait avec 
peine et pleurait ; l'un de ses sabots était tout impré- 
gné de sang: son maître, très dur, le forçait à travail- 



— 27 — 

1er malgré une profonde crevasse qu'il avait au lalon. 
Emue de compassion, M lle Veillel parle au maître- 
ramoneur et obtient d'emmener avec elle ce pauvre 
enfant pour le soigner : elle le nettoie, le réchauffe, 
le réconforte, panse sa plaie et le garde près d'elle 
plusieurs semaines jusqu'à ce qu'il soit entièrement 
guéri. 

Le zèle de la gloire de Dieu et du salut des âmes, 
qui croissait de plus en plus, lui inspira l'ardent désir 
de remédier d'une manière efficace et permanente à 
la détresse de ces pauvres petits abandonnés, exposés 
à tous les dangers de la vie. Comme le dit si bien le 
cardinal Wiseman : « Qui mérite plus notre affection 
et nos soins que ceux qui furent aimés par le cœur de 
Jésus d'un amour particulier ? Ne l'cntendcz-vous 
pas dire que les petits enfants souffrent de la faim, 
qu'ils languissent dans la détresse de l'âme plus encore 
que dans celle du corps? Il vous prie, par tout 
l'amour de son cœur, de venir à leur secours. L'hono- 
rer ainsi, ce sera l'honorer dignement, car l'imitation 
est la marque de la vraie dévotion. « Sous l'empire 
de ses pensées, nous raconte un témoin (1) des débuts 
de son apostolat, « bien souvent, en entrant chez son 
amie (2), elle se jetait à genoux devant le Christ de 
l'appartement ; elle pleurait à chaudes larmes, en 
proie à une douleur profonde : elle sentait que le 
bon Dieu lui demandait quelque chose, qu'il le 



(1) Lettre de M. V. Recoquillier. 

(2) M"« Verger. 



28 



voulait ; mais, ne pouvant savoir ce que c'était, elle 
souffrait beaucoup de son incertitude. Elle com- 
prenait que son œuvre de petits garçons n'était guère 
pratique pour elle ; que, du reste, une autre œuvre, 
qu'elle ne pouvait encore définir, absorberait désor- 
mais sa vie. Ce n'a été qu'avec le temps, avec la grâce 
divine et après bien des souffrances qu'elle y est par- 
venue. » Elle s'était ouverte de ses intentions à son 
confesseur, M. l'abbé Guimard, vicaire de Saint- 
Nicolas de-Châteaubriant (1). Celui-ci, reconnaissant 
dans l'âme qu'il dirigeait avec tant d'intelligence et 
de dévouement une nature d'élite appelée à faire 
beaucoup de bien, demanda à Monseigneur Jaquemet 
de bien vouloir la conduire lui-même dans les voies 
de la perfection où elle se sentait attirée. 

« La sagesse, le discernement et la haute piété du 
nouvel évoque de Nantes lui donnaient aussi une pé- 
nétration merveilleuse pour la conduite des âmes, » 
nous dit M. le chanoine de la Guibourgère (2). Le 
pieux prélat étudia donc avec grand soin l'âme qui 
lui était adressée. Comprenant que Dieu avait sur 
elle des desseins particuliers, il s'appliqua d'abord à la 
bien détacher d'elle-même, à lui apprendre à ne pas 
faire fond sur les grâces sensibles qu'elle pouvait 
recevoir, mais à s'abandonner de plus en plus au 



(1) M. l'abbé Guimard devait mourir curé de Nort. Cotait un 
homme de Dieu, dont la mémoire est restée en vénération dans toutes 
les paroisses où il ex/rca le saint ministère. Dans celle où il mourut, 
son portrait se retrouve en la plupart des maisons. 

(2) Voir â l'appendice. 



— 29 — • 

bon plaisir du souverain Maître. Ce fut comme un 
véritable noviciat qu'elle fit sous la conduite de son 
évêque qui, pendant les vingt années de son épiscopat, 
ne la perdit jamais de vue, l'admettant encore bien 
souvent auprès de lui pour s'enquérir de l'état de son 
âme et encourager son œuvre naissante. 

La semence en fut confiée à la terre le 13 septembre 
1851. 

Un petit garçon de six ans, nommé Auguste Bau- 
tier, et sa sœur Julie, âgée de huit ans, venaient de 
perdre leurs parents, morts très pauvres. Le cœur si 
compatissant de M 1Ie Veillet en fut attendri et son 
désir de se dévouer pour Dieu, dans la personne du 
prochain, se réveilla plus vivement. Non seulement 
l'abandon de ces deux orphelins excita sa compassion, 
il lui indiqua sa voie, sa vocation, il fixa le choix de 
l'œuvre qui devait l'absorber tout entière. Elle-même, 
découvrant l'action de la divine Providence dans 
le concours d'événements qui réunissaient, à son insu, 
les éléments d'une fondation, dira plus tard, emprun- 
tant le mot de saint Vincent de Paul : « Dieu a tout 
fait ; tout s'est commencé sans que j'y pensasse, sans 
même que je susse ce que Dieu prétendait faire. 

« En effet, aux premiers orphelins recueillis par 
Marie et amenés au foyer si hospitalier de mon père 
venaient bientôt se joindre deux autres enfants très 
intéressants : Pierre et Marie Joncherais, que leur 
mère mourante avait recommandés à ma sœur (1). » 



(1) Note de M"' Julie Veillet. 



30 



« Au sujet de ce dernier petit garçon, rapporte M. Reco- 
quillier déjà cité, elle vint me trouver pour me deman- 
der à le coucher, n'étant pas en mesure de pouvoir le 
faire. Je fus heureux de lui rendre ce petit service pen- 
dant plusieurs années. Il fit ses communions comme 
Auguste Bauticr et ne la quitta que pour aller ap- 
prendre un état. » Dieu ménageait ensuite à Marie un 
précieux concours : celui de M" r Aimée Durand. 
Très touchée des exemples de zèle que donnait 
M" 1 ' Veillet, très impressionnée aussi par son attitude 
dans la prière, où l'on devinait que son esprit et son 
cœur n'étaient plus de ce monde, elle obtint de 
s'associer à son genre de vie. Son père, tisserand, 
avait à sa disposition une vaste maison dont il pou- 
vait céder une partie aux orphelins de M lle Veillet. 
Celle-ci, obligée de prodiguer ses soins à sa mère, 
al teinte d'une maladie de langueur, prit à sa charge 
les Irais d'installation et d'entretien des quatre en- 
fants et fut heureuse de pouvoir se reposer avec 
assurance sur le zèle de M" e Aimée qui se montrait 
déjà ce qu'elle fut plus tard sous le nom de Sœur 
Marie Dominique : son plus ferme appui. Chaque 
matin, la vaillante collaboratrice conduisait à l'église 
les deux jeunes orphelines et l'un des petits garçons, 
tandis que l'autre restait à préparer la soupe pour le 
déjeuner de la troupe enfantine. « Plus d'une lois, 
ràconte-t-elle, l'apprenti cuisinier me causa de désa- 
gréables surprises. Un matin, en particulier, j'étais 
tranquillement à la messe de la paroisse avec nos 
enfants. Vers le milieu de la messe, j'entendis un 



31 •-. 



bruit de sabots fêlés qui montaient à l'église : Trie, 
trac, trie, trac. Oh ! me dts-je, voilà mon gamin ; 
que faire? J'étais rouge de honte, llm'arrive, avec ses 
sabots cassés, ses vêtements mal mis et en désordre 
et vient s'agenouiller près de moi. Auguste, ennuyé 
de faire la soupe, avait voulu, lui aussi, aller jusqu'à 
l'église. J'avais hâte de sortir, car mon amour- 
propre souffrait de la présence de ce petit bon- 
homme !... » 




CHATEAUBRIANT — DÉPENDANCES DU VIEUX CHATEAU 
La maison occupée par la Communauté naissante est au centre 



CHAPITRE SECOND 



ha Naissance d'une Œuvre 

Une fondation inattendue. — Les premières compagnes. — 
La première fleur cueillie pour le Ciel. — Dévotion à la 
Croix et à Marie Immaculée. -- Dans un coin du vieux 
château. — Dénuement et sainte joie. — Une règle 
vivante. — « Dieu avec nous. » — La montre et les 
gâteaux bénits. — Heures critiques. — A la recherche d'un 
toit. — Rêves d'avenir. — Le saint habit. — Les pre- 
miers vœux. 

Le but de l'œuvre, dès son aurore, apparaît dans 
les intentions très pures de sa fondatrice, ainsi 
formulées : 

« Pour la plus grande gloire de Dieu, pour recon- 
naître l'amour et la tendresse du Seigneur Jésus au 
Très Saint Sacrement, pour établir son divin règne 
dans les cœurs et obtenir la conversion des pauvres 
pécheurs (1), l'association de l' Immaculée-Conception 



(1) Ce désir ardent du salut des âmes la poussait, dans ses petites 
promenades du soir avec son amie M"" Verger, à s'arrêter un Instant 
avec elle devant certaines maisons et à prier pour la conversion des 
pécheurs qui y habitaient. (Cité par M RecoquilUer.) 



34 



a été établie à Châteaubriant, dans la paroisse de 
Saint-Nicolas, le 8 décembre 1852. Cette association 
reçoit les jeunes filles pauvres ou abandonnées, pour 
les arracher à la misère, au vice, et les conduire clans 
le sentier de la vertu. Elle leur donne le logement, 
l'entretien, la nourriture, l'éducation, l'apprentis- 
sage. » 

Le nouvel institut se plaçait ainsi sous le vocable 
de l' Immaculée-Conception deux années avant que 
Rome eût proclamé l'insigne privilège de la Très 
Sainte Vierge. La pieuse enfant avait écrit dès 1849 : 
« Amour à Marie, amour à son immaculée concep- 
tion ; qu'elle soit hautement proclamée ; jamais 
l'enfer n'eut droit sur son cœur. Toujours toute 
belle, toute pure, sa blancheur fut sans tache ; le 
Fils de l'Eternel devait être son propre fils ; sa chair, 
la sienne ; son sang, le sien. Gloire, gloire, amour à 
l'immaculée conception de la Vierge Marie, ma 
Mère, ma bonne, ma tendre Mère I » 



Le 17 juin 1853, eut lieu dans l'oratoire de l'Im- 
maculée-Conception l'érection du chemin de la croix. 
La cérémonie fut présidée par M. le Curé de Châ- 
teaubriant assisté de M. l'abbé Guimard, devenu 
curé de Couëron. Quelle consolation pour M lle Veillet 
qui aimait à faire longuement et le plus souvent 
possible ce saint exercice, et en l'accompagnant de 
tant de mortifications ! Cet attrait pour le chemin 
de croix remontait, d'ailleurs, à sa petite enfance. 
Bien des fois jadis, avec deux jeunes amies, elle 



35 ■— 



avait parcouru en cachette les quatorze stations 
de la Voie douloureuse. Elle devait plus tard en 
être récompensée, car elle sut inspirer cette dévotion 
si fructueuse et si touchante et en donner l'attrait 
à ses premières Filles, pu's, par celles-ci, à toute la 
Congrégation. 

Cette même année, l'orphelinat s'accroissait dé 
dix enfants et voyait entrer définitivement M lle So- 
phie Derval qui, gagnée elle aussi par les exemples 
^de vertu et de sainteté de M lle Veillet, lui avait déjà 
offert sa collaboration pour la confection et la répa- 
ration des vêtements de la petite communauté. Nous 
la verrons constamment associée aux travaux de la 
bonne Mère, sous le nom de sœur Thérèse de Jésus, 
et se dévouer avec une générosité sans égale à l'œuvre 
naissante. 

Celle-ci, visiblement bénie de la divine Providence 
réclamait la présence de sa fondatrice. M" c Veillet ob- 
tint de pouvoir séjourner à l'orphelinat et céda à 
sa chère Julie le poste de dévoûment qu'elle avait 
si bien rempli jusque-là. 

Ce que fut sa nouvelle existence, les annales de 
cette époque vont nous le redire : 

.le suis arrivée à la communauté de Châteaubriant 
en 1853, tout à fait au commencement de l'œuvre, 
raconte une enfant confiée par ses parents aux bons 
soins de la fondatrice. Nous n'avions pas alors de 
chapelle, mais un petit oratoire où l'on nous réunis- 
sait pour faire les prières. C'était une chambre où il 
y avait une alcôve; dans cette alcôve, notre Bonne 



— 36 — 

Mère avait fait élever, avec des bûches recouvertes 
de mousse, un petit rocher sur lequel était placée la 
Vierge de la Salette avec les deux enfants, témoins 
de l'apparition, Maximin et Mélanie (1). De distance 
en distance étaient posés des petits moutons blancs. 
Devant le rocher il y avait quelques bancs pour nous 
et des chaises pour notre Bonne Mère, M lle Aimée et 
M" e Sophie qui se tenaient près d'elle. Il y avait 
aussi sur la cheminée un tableau représentant Jésus 
au milieu des docteurs et en dessous, un petit cadre 
du Sacré-Cœur ; autour de la chambre étaient dispo- 
sés les tableaux du chemin de la croix. « 

Peu de temps après son entrée, la pauvre petite 
était atteinte d'une grave maladie qui dura trois mois. 
M" e Veillet la prit dans sa chambre, la coucha dans 
son propre lit et, jour et nuit, lui prodigua les soins 
que réclamait son état, se contentant pour elle-même 
du petit lit de sangle de l'enfant qui n'avait pour 
toute garniture qu'une mauvaise baline. Cependant 
la pauvre enfant, à toute extrémité, avait été admi- 
nistrée. Alors commença une fervente neuvaine : 
chaque jour on se rendait à l'oratoire où d'ardentes 
prières étaient adressées au Ciel. Elles obtinrent de 
Celle que l'on n'invoqua jamais en vain sous le nom 
de Salut des infirmes la guérison désirée. La petite 
protégée de Notre-Dame de la Salette, aujourd'hui 
religieuse, put reprendre la vie commune et venir 



(1) Groupe donné par Mgr Jaquemet. 



— 37 — 



remercier elle-même sa divine Bienfaitrice en cet 
oratoire qui lui demeurera toujours très cher. « C'est 
dans ce sanctuaire bien pauvre, continue-t-elle, que 
notre Mère bien-aimée, réunissait son humble trou- 
peau, chaque matin ; elle faisait elle-même la prière 
et ensuite une instruction religieuse. Quoique je 
fusse bien jeune alors, je me souviens des belles 
paroles qu'elle nous adressait. Un jour, nous parlant 
de la foi, elle achevait sur ces mots : « Mes chers 
enfants, dites souvent à Notre-Seigneur : « Mon Dieu, 
augmentez ma foi. » Elle nous parlait aussi de l'amour 
de Notre-Seigneur dans le sacrement de l'Eucharistie : 
« Dites souvent, mes enfants : Mon Dieu, je crois à 
l'amour que vous avez pour moi. » Mais c'était sur- 
tout aux approches de la première communion, que 
notre Bonne Mère redoublait de zèle pour préparer 
nos âmes à la visite de Jésus. Que de belles paroles 
sortaient alors de ce cœur embrasé d'amour pour la 
sainte Eucharistie I » 

Le jeudi-saint de l'année 1854, elle réunit ses 
petites orphelines dans sa chambre, les plaça en ordre, 
pril un bassin et une serviette, leur lava et, essuya 
gravement les pieds, et enfin leur fit une candide ex- 
hortation pour les porter à aimer Xotre-Seigncur. 
Elle voulait par là imiter le divin Maître lavant les 
pieds de ses Apôtres. 

■ Mais la pieuse éducatrice avait eu aussi à unir sa 
croix à celle de Jésus souffrant. Le 4 mai précédent, 
Dieu rappelait à Lui son excellente mère. Marie eut 
la consolation de pouvoir venir lui prodiguer ses 



38 



soins, de concert avec sa sœur Julie. Celle-ci nous 
laisse deviner la douleur de son aînée, dont le cœur 
aimant ressentait, plus vivement que tout autre, 
la perte d'une mère dévouée à qui elle devait tant : 

« Marie la pleura beaucoup, pria toujours pour le 
repos de son âme et ne songea, dès lors, qu'à se réunir 
à ses premières filles d'une manière définitive. Mon 
père eut beaucoup de peine à lui en accorder l'auto- 
risation. Il voulait bien laisser à cette chère enfant 
toute liberté dans la journée, mais il ne pouvait se 
résigner à la voir quitter le toit paternel. » 

Dieu pourtant voulait le sacrifice entier de part 
et d'autre. Un pénible accident, arrivé à la plus petite 
des orphelines, Marie Joncherais, âgée de trois ans, 
vint encore rattacher plus intimement à ses enfants 
d'adoption celle que l'on commençait déjà à nommer 
« la Bonne Mère ». D'une beauté remarquable, avec 
l'amabilité de l'enfance qui attire, Marie Joncherais 
avait quelque chose de si candide et de si doux dans 
la physionomie qu'on la chérissait comme un petit 
ange. Mais le bon Dieu, lui aussi, l'aimait encore bien 
plus et la voulait tout entière. Un jour qu'elle s'amu- 
sait avec ses petites compagnes près d'un mur, dans 
le jardin bas de la maison des Terrasses, une charrette 
de bois mal conduite vint frapper ce mur et en déta- 
cher quelques pierres dont l'une atteignit l'enfant à 
la tête. M Ue Veillet était à l'église. Vite on l'envoie 
chercher. Quelle ne fut pas sa douleur ! Pendant tout 
le temps que le pharmacien nettoyait les deux énor- 
mes blessures de la pauvre petite (des quatre méde- 



.}y — 



cins que possédait Châteaubriant, aucun ne s'était 
trouvé chez lui), elle la tenait sur ses genoux. L'en- 
fant au martyre ne cessait de crierde toutes ses forces : 
« Ma petite mère Marie, je t'en prie !... Je t'en prie, 
ma petite mère Marie !... » Il est facile de concevoir 
combien les cœurs si bons de notre Bonne Mère et 
de ses deux chères filles durent souffrir et se rattacher 
à leur enfant adoptive pendant les quelques semaines 
qui suivirent ce triste accident. 

Malgré les soins dévoués de M»" Veillet, qui pan- 
sait régulièrement ses plaies, de M lle Sophie qui la 
veillait jour et nuit, Marie Joncherais succomba le 
26 juillet 1854, première fleur cueillie par la- main 
divine dans le parterre de l' Immaculée-Conception. 
Cependant, ignoré du plus grand nombre, ce jardin 
fermé delà Très Sainte Vierge ne se laissait deviner 
que par sa suave odeur, comme l'humble violette ca- 
chée sous le feuillage ou les épines. La petite commu- 
nauté n'avait point pour encouragement, à son ber- 
ceau, la douce consolation que donne aux jeunes 
aspirantes la touchante cérémonie de la vêture ; elle 
ne jouissait pas du bonheur de porter un habit qui 
rappelle à la religieuse la donation totale faite à Dieu 
et la réconforte dans ses renoncements journaliers. 
La Fondatrice et ses premières filles gardaient en 
partie leur costume ordinaire, dont elles bannissaient 
seulement ce qui pouvait sentir la vanité et l'amour 
du monde. Mais en échange, le bon Dieu, par sa grâce, 
les inondait intérieurement d'une joie plus profonde, 
plus pleine que celle qu'elles auraient pu attendre 






40 — 



des futiles jouissances sacrifiées. La plus cordiale, la 
plus franche gaieté régnait parmi elles. Quand on s'ait 
se contenter de peu, rarement on manque du néces- 
saire. Si elles étaient privées des cérémonies exté- 
rieures de la vie religieuse, elles ne l'étaient pas des 
dons qui les accompagnent et, dans leur profonde 
solitude, sous le regard de Dieu seul, on leur permet- 
tait de se lier cœur à cœur avec le divin Epoux des 
âmes par les vœux de pauvreté, de chasteté et d'obéis- 
sance auxquels s'ajoutait la promesse formelle de 
travailler à l'œuvre de l'Immaculée-Conception. 

On trouve, dans une instruction de la Bonne 
Mère à ses filles, l'expression des sentiments qui ani- 
maient alors ces âmes généreuses, en même temps 
que le programme qui les guiderait désormais dans 
la voie de leur sainte vocation : 

« Vive Jésus ! Vive son Cœur ! Vive sa Croix ! 
Vive son amour ! Vive Marie \ Vive son Immaculée- 
Conception, ses vertus, son humilité ! 

« Mes chères filles en Jésus-Christ, que ces cris 
d'amour retentissent dans nos cœurs, que la sainte 
bannière de l' Immaculée-Conception soit notre force, 
notre défense et notre victoire à l'heure du combat ! 
Appelée par" la Miséricorde divine à porter le déli- 
cieux et profitable titre de Filles de l' Immaculée- 
Conception, travaillons généreusement à nous rendre 
dignes de cette précieuse faveur. 

« Pénétrons dans le cœur de la Mère conçue sans 
péché ; oui, dans le mystérieux silence de la contem- 
plation, écoutons les battements du cœur de Marie : 



<tl 



Jésus, Jésus, répète ce cœur embrasé du feu brûlant 
de l'amour de son Dieu ! Admirons la beauté de ce 
jardin mystique et, ravies d'admiration, cueillons-en 
les fleurs et les fruits pour les présenter à notre divin 
Sauveur. 

« Jésus, sur le Calvaire, nous a donné pour Mère la 
Vierge Immaculée, la Reine des Anges. Filles de 
l'Immaculée, nous héritons de ses richesses ; ses tré- 
sors deviennent notre propriété ; il nous, est permis 
de les offrir à l'Epoux de notre cœur pour suppléer 
à notre misère et à notre pauvreté. 

« Mes chères Filles, vous que je porte dans mon 
cœur, quelle fortune d'être filles^ de l'Immaculée 
Marie, le lys blanc de la Sainte Trinité, la rose mys- 
tique, auguste et vermeille ! Méditons chaque jour 
ses admirables vertus et travaillons à les graver dans 
nos âmes. Le Cœur de Marie brûle d'amour pour le 
Cœur de Jésus ; nous mettrons dans nos cœurs le 
bois qui les enflammera pour ce Cœur divin. De cet 
amour naît An désir insatiable de faire connaître et 
aimer le Sacré-Cœur, de le voir régner dans tous les 
cœurs, dans tous les pays, dans tout l'univers... Et 
nous, Filles de Marie, la Vierge des vierges, l'Etoile 
du matin, l'Aurore du Soleil de justice, nous prendrons 
les sentiments du cœur de notre Mère pour le Sacré- 
Cœur de Jésus ; nous chercherons ayant tout à faire 
naître dans les âmes de nos enfants l'amour du 
divin Cœur, l'amour de ses souffrances, de>sa sainte 
Passion, amour qui les^**i%ra contre le monde, le 
démon et leurs nyfïçyais 'p<jnôliants. Nous nous 






S-fiJ 






— 42 



efforcerons dé leur inspirer en même temps une 
confiance sans bornes en la Très Sainte Vierge Marie 
et une tendre dévotion à son Cœur immaculé... 

« Mères spirituelles de ces pauvres petites qui 
furent rachetées au Calvaire, nous leur donnerons 
le toit, la nourriture, le vêtement, l'instruction, 
l'apprentissage, et nous ne craindrons jamais de 
demander l'aumône par amour pour Dieu, afin de 
subvenir à l'existence de ces pauvres enfants. En 
correspondant à notre sainte vocation, nous prati- 
querons avec vigilance la charité à l'égard des pau- 
vres petites orphelines qui nous seront confiées : 
charité pour le salut et la perfection de ces jeunes 
âmes, charité pour leurs besoins temporels. Nous 
aurons aussi une grande charité pour les parents de 
nos enfants, quels qu'ils soient ; leur conversion sera 
l'objet de nos instantes prières et de notre sollicitude, 

« Nous nous appliquerons à acquérir parfaitement 
l'esprit d'humilité. Nous serons petites et pauvres 
avec nos petites pauvres, cherchant toujours et en 
tout ce qui est le plus simple, le moins éclatant, ne 
parlant de nous, de nos œuvres, qu'en termes con- 
formes aux bas sentiments que nous devons avoir de 
nous-mêmes. 

« L'esprit d'obéissance sera l'âme de notre petite 
congrégation : nous obéirons à Monseigneur notre 
Evêque, à nos supérieurs et aussi à nos inférieurs 
en tout ce qui peut se concilier avec les devoirs de 
notre vocation, pour l'amour de Jésus qui s'est fait 
obéissant jusqu'à la mort de la croix. 



— 43 — 

« Les Filles de l' Immaculée-Conception devront 
prendre les sentiments du Cœur de la. Très Sainte 
Vierge Marie pour le Sacré-Cœur de Jésus, s'associer 
à toutes ses saintes dispositions et chercher à imiter 
les vertus, dont il est l'admirable modèle. » 

A mesure que le cœur des mères adoptives se dila- 
tait pour donner à chacune de leurs chères enfants 
le pain matériel et surtout la chaude affection dont 
elles étaient avides, étant privées de mère, la divine 
Providence les faisait affluer vers cet asile béni. La 
maison des Terrasses n'était plus assez spacieuse. 
Mais où trouver à bon marché un local assez vaste ? 
Les ressources de l'œuvre (est-il besoin de le rappe- 
ler ?) n'étant autres que celles de la charité. 

La Bonne Mère avait heureusement ses entrées 
libres près des autorités du pays. Elle plaida, avec 
beaucoup d'ardeur et de succès, la cause de ses orphe- 
lines, et, en 1855, M. le Sous-Préfet de Châteaubriant 
obtint du département, moyennant une local ion 
minime, uncpartiedélabrée du vieux château de la ville 
qui fut abandonnée à M lle Veillet pour son œuvre (1). 
Tout en poursuivant l'organisation de sa pre- 
mière maison, la généreuse Fondatrice rêvait d'élar- 
gir le champ d'apostolat de l'Immaculée. Dans une 
lettre datée de 1856, elle soumettait à Mgr Jaqucmet 
des projets qui restèrent inexécutés, mais qui 
montrent le zèle et la grandeur d'âme de cette vail- 
lante : 



(1) D'après M. le chanoine de la Guibourgère. 



44 — 



<■■ Monseigneur, 



« Je viens exprimer à votre Grandeur un désir 
qu'elle connaît, et dont j'ai. eu l'honneur de l'entre- 
tenir plusieurs fois. 

« Heureuse et mille, fois heureuse je suis, Monsei- 
gneur, d'être soumise à votre obéissance, mais il est 
bien pénible à mon cœur, si vivement attaché aux 
pauvres pécheurs du troupeau que vous êtes appelé 
à convertir, de savoir que Votre Grandeur m'attribue 
la pensée d'abandonner une œuvre commencée avec 
tant de bonheur sous les auspices d'un saint Pontife 
par lequel Jésus, mon Trésor, a répandu sur mon 
âme une nouvelle vie de grâces, de faveurs, d'inesti- 
mables bienfaits. Je conjure Monseigneur et mon 
Père d'être intimement persuadé que jamais je ne 
voudrais arrêter un projet dans mon esprit sans 
l'avoir confié à la sage décision de Votre Grandeur, 
et quelle que soit l'ardeur des désirs qui brûlent 
mon âme, je saurai me soumettre à cette voix que 
j'ai toujours considérée comme la volonté de mon 
souverain Seigneur ; j'attendrai donc l'heure où 
cette parole respectée me confiera la mission que je 
désire depuis tant d'années. 

« La maison de l' Immaculée-Conception, Monsei- 
gneur, que je me sens vivement pressée d'aller fonder 
en Afrique, sera une sœur pour celle de Château- 
briant, et, loin d'abandonner cette chère fille de 
mon cœur, je vois pour elle un avenir dans cette 



— 45 — 



I 



seconde mission ; nos deux maisons se fortifieront, 
se porteront secours. 

- « Monseigneur, mes deux premières filles, par leurs 
vertus, leur docilité qui ne s'est jamais démentie, 
me donnent toute sécurité pour les établir, sous 
votre approbation, à la tête du troupeau et des 
secondes maîtresses qui reconnaissent leur piété, 
leur sagesse et leur obéissent facilement lorsque 
je quitte la maison. Elles sont connues et esti- 
mées à Châteaubriant, et pendant mes longues 
absences que nécessitent les intérêts de l'œuvre, 
l'établissement a été très bien tenu sous tous les 
rapports. 

« Secondement, Monseigneur, la grande difficulté 
d'un logement est surmontée. Avec les réparations 
que je viens de iaîre, nous sommes très bien selon 
notre attrait pour la sainte pauvreté ; nous jouissons 
de tout ce qui peut contribuer, dans une habitation, 
à la santé des maîtresses et des enfants ; nous pou- 
vons abandonner, pour l'hiver, les appartements les 
plus froids. 

« En Algérie, Monseigneur, le Très Révérend Père 
Supérieur me fait entrevoir des ressources ; une maison 
me sera donnée ; j'espère avoir un externat pour 
l'instruction dont le produit sera destiné à ma chère 
maison qui aura des besoins plus pressants. 

« Ce serait pour mon âme une immense douleur 
de voir transporter dans un autre diocèse le berceau 
de l'Immaculée-Conception ; aussi mon désir d'une 









46 — 






fondation en Afrique ne m'arrache pas au cher 
troupeau de Votre Grandeur, dont je suis si heureuse 
de faire partie ; éloignée, je serai toujours la mère 
de mes chères filles, de mes chères enfants ; un an 
nous séparera, mais pendant cette année la petite 
barque de l' Immaculée-Conception voguera paisi- 
blement, éclairée par la foi qui me soutient. La con- 
fiance me donne la force, j'ai toute espérance ; je 
reviendrai après les premières difficultés pour voir 
où en sont nos œuvres de Châteaubriant, mes 
sœurs, mes enfants. 

« Je suis encore persuadée, Monseigneur, que cette 
œuvre me donnera des novices : les missions étran- 
gères excitent le zèle et c'est une raison pour moi de 
ne pas désirer pour le moment, à Châteaubriant 
comme en Afrique, un grand nombre d'enfants qui 
nécessiteraient beaucoup de sœurs ; il nous faut 
surtout un noviciat pour former les jeunes maîtresses, 
et je prierai Votre Grandeur de me permettre de 
l'établir à Nantes pour qu'il soit entièrement sous sa 
direction et son obéissance. 

« Tels sont, Monseigneur, les désirs de mon âme. 
Je brûle de faire connaître le Cœur immaculé de ma 
Mère. Lorsque je pense à ces pauvres petites créa- 
tures d'Alger qui grandissent dans l'ignorance des 
chers objets de ma tendresse, de ma joie ; et que 
je vois mes chères enfants entourées de bonnes mères 
remplies de sollicitude pour leurs corps et leurs 
âmes ; que je les vois formées, avec la grâce et 
le. secours de Dieu, à cette vie de foi et de con- 



47 



fiance, qui rend l'âme capable de grands sacri- 
fices, je suis transportée du désir d'aller donner 
à ces pauvres petites créatures de Jésus cette 
vie que je suis heureuse de consumer au service de 
mon Bien-Aimé, et de former de nouvelles mères à 
mes nouveaux enfants. Si Votre Grandeur me permet 
d'accomplir ce dessein, je ne quitterai pas l'Imma- 
culée sans l'établir dans Une situation convenable 
qui faciliterait encore mon départ : telle aussi a 
toujours été mon intention. » 

S'il ne fut pas donné à M»< Veillet d'exécuter 
d'aussi vastes projets, elle trouva, du moins, dans 
ses occupations quotidiennes ample matière à son 

dévoûment. 

Ecrivant à une de ses amies d'enfance, la zélée fon- 
datrice lui fait part de ses préoccupations et de ses 
travaux : « Très chère Sœur en Jésus-Christ, aimez, 
aimez Jésus pour moi, pour mes chères petites que je 
voudrais voir toutes consumées de l'amour du divin 
Maître !... Ma lettre sera courte, ma pauvre Sœur : 
je suis à la fois supérieure, infirmière, maîtresse de 
classe, sœur converse. Je cours les grands chemins ; 
je demande aux portes, et, tout en vous écrivant, 
j'ai été obligée de remplir l'office d'infirmière, puis de 
cuisinière ; maintenant, mon petit malade s'amuse, 
mais hélas ! je crois déjà entendre une voix : « Le 
dîner est servi » ; et je serai forcée de quitter ma bonne 
Florentia... Adieu, faites-moi connaître votre emploi. 
J'aimerai vos petites filles comme je veux que vous 
• aimiez mes petits enfants, ou je prierai pour vos chers 



— 48 — 






malades ; je travaillerai avec vous, travaillez avec 
moi, toutes les deux renfermées dans les Cœurs de 
Jésus et de Marie... 

« Jésus sera votre force, Marie voire soutien... » 
Mais c'est dire beaucoup de choses en trop peu de 
mots. Les chroniques du temps et les récits de té- 
moins oculaires nous feront mieux entrer dans le 
détail dune vie si bien remplie el si féconde. 

M. le Chanoine Nouël, alors professeur au collège 
Sainte Marie (1), nous la montre dans ses fonctions 
de quêteuse et d'apôtre. . M* Veillet, dit-il, exerçait 
Je dévoûment sans jamais compter la peine. Elle 
allait trouver M. le Curé, M. Ie Sous-Préfet ; elle 
montait au collège demander ses légumes ; elle em- 
portait du, jardin sa charge de choux, de pommes 
de terre, de fruits, etc.. (à laquelle s'ajoutaient de 
pétris fagols de bois recueillis dans le commun des . 
pauvres). Elle était devenue un sujet d'admiration 
pour les âmes surnaturelles, mais aussi de railleries 
pour les gens qui ne comprennent pas la sainte folie 
de la Croix... Elle allait encore voir les malades et 
I un d'eux, en mourant, lui dut son retour à Dieu 
l n jour d'hiver, la terre était recouverte d'une couche 
de neige d'une épaisseur extraordinaire. L'état du 

et enlin de SataWacmuÏds S£? ^'"^"-de-Béré, de Guémené 



49 



malade donnait des inquiétudes sérieuses. Craignant 
pour le salut de cette âme, inspirée de Dieu, et tou- 
jours confiante en la Très Sainte Vierge, M'* Veillet 
courut au pensionnat de Nazareth, qui était à un 
quart de lieue de la maison, demander aux Sœurs de 
l'eau de la Salette ; elle avait de la neige jusqu'aux 
genoux et, par instants, étant de petite taille, y 
enfonçait jusqu'à la ceinture. Elle arrive cependant, 
triomphante, offre l'eau miraculeuse au malade qui 
en accepte volontiers. Aussitôt, il revint à de meil- 
leurs sentiments vis-à-vis de la religion et consentit à 
se confesser ; il s'y prépara avec soin et le fit dans des 
dispositions remarquables. A partir de ce moment, 
il fut entièrement changé et mourut pieusement. » 

C'est ainsi que M'"= Veillet payait de reconnaissance 
les bienfaiteurs de ses petites ophelines ; en effet, ce 
converti de la dernière heure avait été bon et chari- 
table pour l'ophelinat. Il n'était pas le seul. D'au- 
tres âmes généreuses, répondant à l'inspiration divine, 
devenaient les intendants du Père de famille à 
l'égard de ces toutes petites qui, ne pouvant que 
gazouiller les louanges du bon Dieu comme les oi- 
seaux du ciel, épanouir leur innocence dans ses par- 
terres comme les lys des champs, attendaient de sa 
bonté iniinie la nourriture et le vêtement. 

En 1854, le pain étant très cher et la petite colonie 
souffrant de la faim, le père de M» Sophie, touché de 
pitié, résolut de la secourir et implora en sa faveur 
deux des plus riches habitants de l'endroit appelés 
« les barons du pays ». Ceux-ci fournirent gracieu- 



— 50 — . 






sèment autant de farine qu'il en fallut pendant toute 
la durée de la hausse du pain. M", e Aimée pétrissait 
elle-même et portait à cuire chez un boulanger voisin. 
Bien plus, les enfants et leurs bienfaitrices étant 
sans draps pour se coucher, sans argent pour en 
acheter, on eut recours au moyen ordinaire: la prière. 
On commença une neuvaine et aussitôt un négociant 
envoya des draps, aumône qu'il devait renouveler 
plusieurs années de suite. 

A la demande qui leur en fut faite, quelques dames 
de la ville se prêtèrent avec plaisir à fournir et à con- 
fectionner des vêtements pour les enfants : d'autres 
appréciant le soin et la perfection qu'apportait à son 
travail M" 1 ' Sophie, directrice de l'ouvroir, lui con- 
fièrent les ouvrages les plus délicats de couture et de 
repassage. 

Cependant les salles de travail étaient loin- 
d'être confortables. Ecoulons la Mère Béatrix nous 
décrire le nouvel asile de la charité: « Nous allâmes 
un jour, avec nos. élèves, faire une promenade au 
château et, pendant que les enfants visitaient les 
ruines et les parties curieuses de cet édifice féodal, je 
me retirai avec celle qui m'avait déjà donné tant 
de sujets d'édification. Je lui dis soudain : « Allons 
dans votre chambre et montrez-moi votre .lit. » Je 
trouvai bien ce dont je m'étais doutée : un pauvre 
petit grabat, garni d'une méchante baline toute en 
poussière, des couvertures répondant au reste du lit... 
La cellule, comme du reste la plupart des autres pièces, 
infestée de rats, souris et autres habitants... Des 






— 51 — 

mauvais plafonds tombaient, de temps à autre, de 
gros flocons de poussière remplis de vermine qui 
venaient salir l'ouvrage des enfants. Il fallait nettoyer 
non seulement les chambres occupées, mais celles 
des alentours, pour n'être pas envahi par cette détes- 
table compagnie... Il n'y avait, pour les repas, 
qu'une seule petite table que, pendant bon nombre 
d'années, on agrandissait ingénieusement au moyen 
de vieux contrevents empruntés aux vieilles fenêtres 
du donjon ; quelques chaises, les grabats des sœurs et 
des enfants, une vieille maie percée complétaient 
le pauvre mobilier. » 

On devine la pensée intime des nouvelles venues a 
ce lamentable speelael,. «J'arrivai de Paimbeuf au 
mois de septembre 1857, nous dit l'une d'elles, qui 
devint Sœur Marie-Ursule, conduite par M. 1 abbe 
Colin, secrétaire de Mgr Jaquemet et supérieur de 
la Communauté (1). H était midi. Lui-même me pré- 
senta à la Bonne Mère qui me fit le plus graaeux 
accueil ; mais en voyant les ruines de la maison, je 
fus vivement impressionnée, et attristée, ne m' atten- 
dant pas à pareil délabrement. Notre Bonne Mère 
s'en aperçut et me dit d'un air de compassion et de 
bonté: «Vous êtes jeune, mon enfant, allez vous dis- 
traire dans le jardin ; vous ramasserez les noix que 
vous trouverez pour le souper des enfants ; même je 
vous permets d'en manger. » Ce jardin n'était qu'un 



m M l'abbé Colin quitta le diocèse quelques années plus tard pour 
trer dans roX des Carmes. Mgr Jaquemet. l'appela,! pla.sam- 



entrer 
ment le 



cardinal protecteur ». 



— 52 — 

amas de ronces qui souvent servait de refuge aux pas- 
sants ; il faisait partis des ruines que nous habitions, et 
nous jouissions des fruits des quelques arbres qui s'y 
trouvaient. Le soir venu, notre Bonne Mère vint me 
montrer le lit que je devais occuper ; il était bien selon 
la sainte pauvreté : « Ma chère fille, voilà votre lit, 
me dit-elle : je vous mets avec les enfants, vous leur 
servirez de mère, vous veillerez à ce qu'elles soient 
bien sages et n'offensent pas le bon Dieu ; si vous 
trouvez votre couche trop dure, vous penserez à 
Jésus dans l'étable ». « En voyant un pareil dénû- 
ment, j'avoue que j'étais bien ébranlée... La nuit me 
parut longue. Je souffrais à la pensée que désormais 
je devrais vivre de privation... Néanmoins, je deman- 
dai à Dieu le courage dont j'avais besoin pour suivre 
l'exemple de celles qui me paraissaient faire leur 
bonheur de cette existence d'abnégation et de sacri- 
fice. » 

La jeune postulante de ce temps-là n'avait pas 
encore expérimenté la vérité de la parole évangélique 
qui devait la fortifier pendant toute une vie de sublime 
dévoûment et la consoler à l'heure des suprêmes 
récompenses : « Pour vous qui avez tout quitté et 
qui m'avez suivi, vous recevrez le centuple et vous 
posséderez la vie éternelle (1). » Elle devait bientôt 
comprendre d'où venaient et cette paix du cœur et 
cette joie vrairhent surnaturelle qui épanouissaient 
les visages de la sainte Mère et de ses filles, dans une 



(1) Evangile selon S. Mathieu, xix, 29. 



— 53 — 

si misérable demeure, au milieu d'une détresse tou- 
jours croissante, avee uft genre de vie si austère 

A cette époque, note à son tour une de ses fidèles 
compagnes, notre Bonne Mère . était toujours la 
première levée, à quatre heures. A quatre heures et 
demie, elle sonnait le réveil des sœurs. Elle nous 
donnait l'exemple de la plus grande régulante. 
Lorsque nous descendions à l'oratoire, nous la trou- 
vions prosternée au pied du crucifix. Avant de com- 
mencer l'oraison, elle s'assurait que personne ne 
manquait à l'appel. Sa mortification était bien 
grande, ses prières presque continuelles : au petit 
office de l'Immaculée-Conception, au rosaire, au 
chemin de la croix, à l'oraison du soir, que toutes 
se faisaient un devoir d'offrir quotidiennement à leur 
céleste Patronne, la Bonne Mère, de concert avec 
MM. Aimée, se plaisait à louer Notrc-Seigneur et sa 
Très Sainte Mère, par les salutations empruntées 
à sainte Gertrude... Deux fois par semaine, elle nous 
faisait une instruction pour nous former à la vie reli- 
gieuse et nous apprendre nos devoirs à l'égard des 
enfants. Elle nous parlait de Dieu avec tant de foi, 
ses paroles étaient animées de tant d'amour de Notre- 
Seigneur, ses invitations à Le servir si pressantes, 
que nous sortions de ses entretiens, touchées, péné- 
trées, prêtes à tout souffrir pour Dieu et pour notre 
vocation, qu'il fallait pourtant bien solide pour y 

persévérer. 

Un certain jour, l'instruction sonna à l'heure ordi- 
naire. « Je fus seule à m'y présenter, raconte une 









vénérable Sœur, contemporaine de la Fondatrice et 
qui. pendant plus de soixante ans, devait faire l'édifi- 
cation de la communauté, W" Aimée et Sophie et les 
deux autres postulantes, retenues parleurs pressantes 
occupations, ne vinrent pas. Notre Bonne Mère, 
toujours si régulière à tous les exercices de piété, 
commença néanmoins son instruction et la continua 
pour moi pendant une demi-heure, comme si nous 
avions été toutes réunies. Après son exhortation, 
je lui dis : « O ma Bonne Mère, je suis fâchée de la 
peine que vous vous êtes donnée pour moi seule. » 
Elle me répondit: « Ma fille, votre âme m'est si chère 1 
Elle vaut bien la peine que je m'en occupe ; je serais 
toute prête à recommencer s'il le fallait. » — C'était, 
en d'autres termes, la belle pensée du Père Lacor- 
dairc : lue seule âme est un grand auditoire. » 

Cette chère Sœur, venue de Nantes, avait été reçue 
avec une exquise délicatesse par la Bonne Mère, qui 
poussa l'oubli d'elle-même jusqu'à lui donner sa 
chambre, sans que la nouvelle arrivante s'en doutât. 
Elle se plaît à raconter les sujets d'édification 
qu'elle eut constamment sous les yeux rien qu'à 
regarder vivre la vénérée Fondatrice : sa piété si 
ardente ; son amour du prochain si sincère qu'elle ne 
se souvient pas avoir entendu sortir de sa bouche une 
parole qui blessât la charité ; sa compassion pour ses 
chères filles et les enfants confiées à sa maternelle 
tendresse ; sa gaieté si franche, si comnumicative, qui 
ne nuisait point au recueillement ni au silence que la 
petite Communauté s'était prescrite hors du temps 



— 00 



des récréations; mais surtout sa prédilection marquée 
pour la Sainte Eucharistie, tout en elle portait à 
Dieu. 



Quel autre que Jésus aurait pu la soutenir dans 
le rude labeur affronté chaque jour pour l'amour de 
son divin Maître ? Aussi avait-elle instamment solli- 
cité l'insigne faveur de posséder le Saint-Sacrement 
dans le modeste oratoire du vieux château. Mgr Ja- 
quemet accorda une double satisfaction à la piété de 
sa chère fille en Jésus-Cluist, qu'il recommandait à 
ses diocésains par la lettre suivante, datée 'du 4 août 
1857 : « M llc Veillet recueille avec un grand zèle, à 
Châteaubriant, les enfants les plus abandonnées, de 
quelque part que la Prov'dence les lui envoie. Je serais 
singulièrement reconnaissant envers les personnes 
charitables qui voudraient bien lui venir en aide pour 
cette excellente œuvre, commencée avec tant de 
courage et d'esprit de foi. Leurs aumônes ne peuvent 
être confiées à des mains plus sûres et à un cœur 
plus dévoué. » Il autorisa d'abord l'érection du che- 
min de la croix, puis la célébration des saints Mys- 
tères dans la pauvre chapelle. 

La première de ces cérémonies eut lieu le 11 dé- 
cembre, 18Ô6. Elle fut présidée par M. le Curé de 
Châteaubriant, assisté de M. l'abbé Goudé, supérieur- 
du collège Sainte-Marie. Les raisons dont le Prélat 
faisait précéder son ordonnance étaient un encoura- 
gement pour le zèle de la Bonne Mère et de ses 
compagnes, en même temps qu'un témoignage public 



06 



de sa paternelle bienveillance à leur égard. Ne lui 
étaient-elles pas doublement chères depuis qu'il les 
avait, comme l'Apôtre, fiancées à cet unique Epoux 
qui est Jésus-Christ? En effet, l'année précédente, il 
leur avait permis d'émettre en particulier des vœux 
annuels, renouvelables à chaque fête de l' Immaculée- 
Conception. L'éminent évêque s'exprimait en ces 
ternies : 

« Considérant que les pieuses associées de l' Imma- 
culée-Conception, qui ont quitté leur famille et 
renoncé à tout ce qu'elles possédaient pour embras- 
ser la pauvreté de Notre-Seigneur Jésus-Christ et Le 
soulager dans ses membres souffrants les plus délais- 
sés, ont besoin de secours et méritent récompense ; 

« Considérant que le secours le plus puissant et la 
récompense la plus douce qu'elles puissent recevoir 
se trouvent dans le souvenir de la Passion et de la 
Croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; 

«Voulant les dédommager, autant qu'il est en nous, 
de l'impnissance où elles' se trouvent d'assister sou- 
vent au Saint-Sacrifice, en leur donnant un moyen 
très efficace de graver de plus en plus dans leur cœur 
tous les détails de la Passion du Sauveur et d'en 
recueillir les fruits... 

« Le Saint Nom de Dieu invoqué... ordonnons ce 
qui suit... » 

Quelques jours plus tard, en la fête de Noël, à la 
messe de minuit, le Saint Enfant Jésus prenait nais- 
sance dans la pauvre petite chapelle, parmi les vieilles 
masures habitées par la Communauté. Ce fut M. l'abbé 



57 — 



Goudé, confesseur de la maison, qui officia. Le Saint- 
Sacrement continua d'y demeurer et la messe y fut 
célébrée une ou deux fois par semaine. Quel précieux 
trésor ! Comme notre Bonne Mère surtout dut l'ap- 
précier ! Qu'elle sentit vivement ce grand bienfait ! 
Elle passa cette première journée en adoration devant 
le tabernacle. « Dans la suite, c'était là aussi, disent 
les contemporaines, que nous étions sûres de la trou- 
ver lorsque nous avions besoin d'elle... » Combien " 
devait être grande sa consolation de pouvoir réaliser 
les ardents désirs confiés jadis à son journal intime : 
« Si je pouvais faire passer dans le cœur de mes frères 
le feu qui brûle dans le mien, alors, mon Jésus, vous 
ne seriez jamais" seul, oh ! non, non, mon Jésus, 
jamais seul ; toujours un ou plusieurs de vos enfants 
à vous adorer, à vous aimer, à vous louer, à vous 
remercier. Comment pourraient-ils s-'arracher des 
saints Tabernacles, devenus le centre de leur bon- 
heur et le seul et unique ?... » Aussi, ne voulant quit- 
ter son divin Sauveur ni le jour ni la nuit, transforma- 
t-elle en chambre à coucher un petit cachot qui se 
trouvait sous un escalier et n'avait de jour et d'ouver- 
ture que par une porte vitrée donnant dans une 
ancienne cuisine. Ce réduit n'était ni sain, ni agréable, 
mais voisin de la chapelle, et cette circonstance le lui 
faisait préférer à tout autre plus commode et mieux 

situé. 

Le 24 juin 1857, s'ouvrit la première retraite don- 
née aux Sœurs et aux enfants. Elle fut prêchée par 
M. l'abbé Colin, alors missionnaire de l'Immaculée- 

4 



— 58 — 

Conception de Nantes et premier supérieur de la 
Congrégation de Châteaubriant (1). A la clôture de 
cette- retraite, Xotre-Seigneur donna sa première 
bénédiction par les mains de M. l'abbé Goudé, faveur 
renouvelée plus tard tous les dimanches ou un jour 
sur la semaine, à la demande de la Bonne Mère qui 
écrivait, le 28 décembre 1857 : « Votre Grandeur a 
daigné dire : « Que donnerai-jc à vos enfants pour 
leurs étrennes ? » La pauvre servante a répondu : 
« Votre bénédiction, Monseigneur. » La bénédiction 
du Seigneur et celle de son ministre sont inséparables. 
C'est pourquoi j'ose envoyer au « Cardinal Protec- 
teur i l'ordonnance des bénédictions pour prier Votre 
Grandeur d'y effacer le mot « premier », afin que tous 
les dimanches, après nos vêpres chantées à l'Imma- 
culée, le Seigneur bénisse ses enfants et que je vois, 
que je chante le Souverain de mon âme, Jésus Hostie, 
Jésus amour, Jésus la vie de mon cœur. » 

Exaucée, elle s'écrie dans un transport de recon- 
naissance : « L'immense faveur que votre bienveil- 
lance vient d'accorder à la Mère et aux enfants me 
remplit de la joie du Ciel. J'aime à le répéter, Mon- 
seigneur, nous sommes les dernières de l'Eglise catho- 
lique et nous ressemblons à ces enfants si délicats 



(1) Plus tard, M. l'abbé Colin devint Canne déchaussé de la rési- 
dence de Londres, sous le nom de l'ère Sébastien de la Compassion. 
Son souvenir est demeuré en vénération dons la communauté, que 
sa bonté el sa charité ont soutenue aux heures difficiles par de pré- 
cieux conseils el de larges aumônes. C'est à lui que les Sœurs doivent 
leur bibliothèque, provenant de la sienne, léjfuée à Bonne-Mère. 



— 59 — 

dont la vie semble tenir du prodige... Pour Votre 
Grandeur, les plus souffrants sont les plus aimés. » 

Pourrait-on souffrir désormais de se voir privé du 
nécessaire, maintenant qu'on possédait un tel trésor, 
qu'on jouissait de la présence d'un tel bienfaiteur et 
surtout qu'on savait trouver le chemin de son Cœur 
en s'adressant au Chef de la Sainte Famille : « Saint 
Joseph est notre grand Protecteur, ajoute sa fidèle 
cliente ; depuis cinq ans, je l'ai chargé de nourrir la 
mère et les enfants. Malgré notre pauvreté, nous 
devons à ce gloireux Saint un tribut de reconnaissance 
et d'affection : la bénédiction de la fête de Saint 
Joseph ne se trouve pas sur l'ordonnance des béné- 
dictions et Sainte Thérèse se fâcherait avec sa pauvre 
servante si nous solennisions sa fête, à elle, plus que 
celle du grand saint qu'elle a tant aimé sur la terre. 
Nous avons eu la bénédiction le jour de Sainte Thé- 
rèse. Voudriez-vous avoir la bonté de nous l'accor- 
der pour le jour de Saint Joseph ? » Aussi, plus que 
jamais, nfères et enfants se confièrent-elles en la 
divine Providence, et les événements leur donnèrent 
raison. 



Un dimanche du mois de janvier, l'orphelinat se 
composant alors de trente à quarante enfants, la 
disette était grande, le froid rigoureux ; le pain, le 
bois, l'argent manquaient. Cependant les estomacs 
réclamaient, tout le monde grelottait. « Après la 
messe, notre bonne Mère dit à M» 8 Aimée et à moi, 
nous raconte la jeune sœur qui, le jour même de son 



60 



arrivée, avait été cueillir des noix pour le souper des 
orphelines : « Mes enfants, voilà ma montre. Allez à 
la ville et échangez-la pour du pain. » Nous partîmes, 
un peu gênées d'avoir à faire ce trafic un dimanche, 
dans la ville natale de M lle Aimée. Nous offrîmes 
donc la montre à plusieurs personnes de qui nous 
espérions recevoir un prix plus élevé, mais aucune 
ne parut faire cas de notre marchandise. Décidées, 
coûte que coûte, à rapporter du pain, nous entrâmes 
chez une boulangère qui, loin d'accepter notre 
montre, se prit à" pleurer de compassion et nous 
donna aussitôt, de grand cœur, deux pains que nous 
emportâmes, tout heureuses de notre bonne ren- 
contre. A notre arrivée au château, le pain fut distri- 
bué et l'on déjeuna. 

« Le même jour, à midi, M. le Sous-Préfet, homme 
charitable et bon qui demeurait dans notre voisinage, 
envoya sa domestique demander si les enfants avaient 
le nécessaire. Notre Bonne Mère la conduisit au 
réfectoire où, voyant la maigre part de chacune, elle 
fut touchée jusqu'aux larmes. Elle le dit à son maître 
et revint aussitôt, apportant du vin et tout ce qu'il 
fallait pour compléter le repas, afin que personne ne 
se retirât avec la faim. 

« Le soir de ce même dimanche, M. le Curé Ribot, 
qui aimait bien nos petites pauvres,' nous envoya le 
pain bénit qui était resté de la messe en assez grande 
quantité. Ce vénérable et saint prêtre se faisait d'ail- 
leurs un plaisir de régaler de temps en temps nos 



61 



enfants par quelques petites friandises; les restes 
des gâteaux bénits de la messe leur étaient souvent 
réservés : véritable surcroît promis par le divin Maître 
à ceux qui cherchent avant tout le royaume de Dieu 

et sa justice. 

« Les heures désespérées sont les heures de Dieu », 
a dit la vénérable Mère Barat. On le vit bien dans 
une autre circonstance, fort critique, celle-là, pour la 
petite communauté. Un jour, des hommes de loi 
arrivent au château et intiment à la Bonne Mère 
l'ordre d'enlever le Saint-Sacrement et de chercher 
au plus tôt un autre asile, attendu, disaient-ils, que les 
appartements occupés par elle allaient être pris pour 
loger la troupe de passage à Châteaubriant. « Où 
mettrai-je mes enfants et que ferai-je de mon mobi- 
lier ? » demanda la pauvre Mère aux porteurs d'un 
ordre si pénible ; mais ceux-ci ne tinrent aucun compte 
de ses plaintes ; ils exigèrent que le château fût laissé 
libre. Devant une intimation si formelle, comme on 
n'était logé là que par charité, il fallait bien céder 
et préparer la maison comme la ville le désirait. Dès 
le lendemain, les enfants furent envoyées à la prome- 
nade et l'on se mit à l'œuvre. A la fin de la journée, 
notre Bonne Mère nous réunit à la chapelle pour 
déposer dans le Sacré-Cœur ses anxiétés et ses tris- 
tesses. Pendant ce temps-là, grâce à Dieu, des ordres 
contraires arrivèrent : la partie du château que nous 
habitions nous était laissée. De nouveau nous retour- 
nâmes à la chapelle pour remercier Notre-Seigneur 
de cette faveur inattendue. Notre Bonne Mère priait 



62 



si bien que nous en étions tout attendries I (1) » 

Cependant la Providence, qui n'avait pas permis 
aux hommes de loi d'obliger la petite famille de l'Im- 
maculée à chercher un nouvel abri, n'empêchait pas 
la maladie de leur imposer cette épreuve : « Une épi- 
démie se déclara parmi les enfants ; le docteur 
ordonna la séparation des malades et des bien por- 
tantes. On ne put trouver, pour loger ces dernières, 
qu'une grange à foin, mise volontiers, par le proprié- 
taire, à la disposition de notre Bonne Mère. Plusieurs 
de nos Sœurs n'en ont point perdu le souvenir, pas 
plus que de la joie avec laquelle furent acceptées les 
privations et les incommodités de cette demeure. 
Nous fûmes obligées de boucher avec du- foin les 
ouvertures qui nous gênaient ; nous y restâmes pen- 
dant deux semaines ; trois fois par jour, chacune à 
■son tour transportait les vivres qui se préparaient au 
château... Enfin l'épidémie cessa et nous fûmes bien 
heureuses de reprendre notre place sous le toit com- 
mun. » (2) 

Et pourtant cette habitation laissait bien à dési- 
rer, comme le témoigne la lettre suivante écrite par 
la Bonne Mère au Sous-Préfet : 

« Monsieur le Sous-Préfet, 

« Je viens implorer votre compassion et recourir à 
votre bienveillance pour voue prier de faire examiner 



( i ) D'après les Chroniques. 
(2) D'après les Chroniques. 



— 63 — 

le triste état du local que nous habitons et de vouloir 
bien apporter quelques améliorations à notre situa- 
tion en y faisant faire les réparations les plus urgentes. 
La toiture des bâtiments de la partie du vieux châ- 
teau que j'habite avec mes pauvres orphelines est 
tellement mauvaise que l'eau envahit les greniers, 
tombe dans les dortoirs et d'étage en étage, entraî- 
nant les plafonds ; les lattes manquent et il se forme 
des trous à passer le corps des enfants. Les accidents 
les plus graves peuvent en résulter. 

, Le Conseil d'arrondissement ayant émis le vœu 
que ces toitures fussent refaites, je vous sollicite, 
Monsieur le Sous-Préfet, et j'attends de votre bonté 
une aide favorable en cette pénible circonstance. 
Vous aimerez encore à couvrir de votre protection 
l'œuvre des orphelines du Département, déjà recueil- 
lies par votre bienveillance dans les vieilles masures 
du Château. Ayant été obligée de faire faire dans nos 
appartements quelques petites réparations indispen- 
sables qui me restent à payer, permettez-moi, Mon- 
sieur le Sous-Préfet, de vous adresser une prière : 
celle de prendre à votre charge la dépense de ces 
petites réparations faites au local que nous habitons, 
et ma reconnaissance vous en sera bien vive et bien 
sincère, car les ressources les plus urgentes manquent 
à l'orphelinat du vieux Château. » 

Rendant compte de la situation à M. de la Gui- 
bourgère, elle ajoute : « Chaque jour notre position 
devient plus triste ; la semaine dernière, la pluie, qui 









64 — 



fait d'affreux dégâts, a commencé de tomber à l'in- 
firmerie et plusieurs de nos malades ont été obligées 
de quitter leurs pauvres lits au milieu même de la 
nuit, pour éviter d'être trempées, triste moyen, 
hélas ! pour hâter une guérison... L'hiver est difficile 
à passer. Nous sommes au temps de l'épreuve. Une 
partie du château s'écroule, nous allons rester avec 
les murs. Pour eux, leur solidité est incontestable*; 
mais nous, nous serons réduites à avoir une maison 
aérienne, sans plafond, sans planchers, sans couver- 
ture. Je vous assure qu'il faut se reposer entièrement 
sur la céleste Gardienne pour habiter ces vieilles 
masures. Je suis bien éloignée de désirer sortir de la 
pauvreté, mais l'Immaculée a un immense besoin de 
secours pour subvenir à d'impérieuses nécessités. Je 
vous en. supplie, priez cette Mère toute bonne de 
montrer, pour sa gloire, toute la tendresse qu'elle 
nous porte, en nous faisant sortir de l'état pénible 
dans lequel nous nous trouvons et en multipliant le 
pain du désert, à l'exemple de son divin Fils. » 

La Bonne Mère, dans sa sollicitude incessante pour 
son cher troupeau, se désolait d'une telle situation et 
cherchait à l'améliorer. Au cours de ses fréquents 
voyages à Nantes, entrepris pour implorer les sous- 
criptions des âmes charitables, sympathiques à 
l'œuvre, elle ne manquait jamais d'aller consulter 
Mgr Jaquemet. Et de fait, le pieux évêque, qui avait 
bien voulu se constituer le protecteur de la congré- 
gation naissante, après en avoir encouragé les débuts, 
s'enquérait toujours, avec un intérêt paternel, des 



65 



besoins spirituels et temporels de sa chère fille en 
Jésus-Christ. 

Du reste, le vigilant pasteur put lui-même se 
rendre compte de l'état des lieux en venant donner 
le sacrement de Confirmation dans la petite chapelle 
de l'orphelinat. Il avait cédé volontiers à la prière de 
la bonne Mère, qui écrivait à M. de la Guibourgère : 
« Connaissant votre désir de former dans mes chères 
enfants de véritables chrétiennes, je vous prie d'obte- 
nir de Monseigneur la permission de venir les prépa- 
rer deux ou trois jours avant la confirmation. Je 
désire ardemment que ces pauvres petites reçoivent 
la plénitude de l'Esprit-Saint, dont elles auront un 
immense besoin pour se conduire dans le monde. Je 
voudrais les voir fortes au milieu des écueils ; je les 
élève en leur persuadant qu'elles ont une mission à 
remplir, et je le crois. Placées, elles partageront avec 
la mère le soin de la première éducation des enfants, 
elles seront souvent les seules gardiennes de ces petits 
temples du Saint-Esprit : à elles de développer les 
qualités naissantes, de couper les racines frêles encore 
de la mauvaise nature, de jeter le bon grain de nos 
divines croyances. Placées encore dans des maisons 
où la terre semble être la patrie, où la religion est 
sans honneur, je voudrais que leur piété bien enten- 
due, leur douceur, leur abnégation fassent aimer et 
respecter notre foi et procurent un jour à ces pauvres 
riches le bonheur de la réconciliation avec Dieu... Je 
serais trop longue si je voulais vous détailler la ma- 
nière dont je désire, avec le secours de Jésus, façon- 



— 66 



ner les petites âmes confiées à ma sollicitude. Toutes, 
hélas ! ne seront pas sensibles à la grâce du Seigneur. 
J'aurai souvent le cœur cloué au Calvaire, mais j'au- 
rai accompli la volonté de Dieu. 

« Voulez-vous exprimer à Monseigneur. le désir bien 
ardent de la mère et des petites brebis de voir Sa 
Grandeur opérer, par son auguste ministère, les mer- 
veilles de la confirmation dans la petite chapelle de 
l'Immaculée? On pourrait conduire nos chères 
enfants au pensionnat de Nazareth ou à l'église de 
Béré, mais je trouve à cela quelques inconvénients : 
ne serait-ce pas troubler ces petites âmes et leur ôter 
la paix et le calme indispensables pour recevoir 
l'Esprit-Saint? Nous nous élevons au milieu des 
humiliations ; nos enfants les partagent et leurs jeunes 
vertus ne sont pas encore assez fortes pour ne pas y 
être sensibles. Ainsi, presque toutes les fois qu'elles 
sortent pour aller à l'église et en promenades, elles 
sont accablées d'injures : elles ont l'air si pauvres, si 
dénuées de tout 1 L'autorité même se demande pour- 
quoi on nous traite ainsi, mais ne prend aucune 
mesure pour nous préserver de toutes ces attaques. 
Parfois, à cause de nos chères petites, j'ai envie d'al- 
ler porter plainte au Procureur impérial et de faire 
mettre pour quelques heures ces méchants en pri- 
son. Il en résulte que je crains beaucoup, en nous 
rendant à la confirmation, de les voir en butte à 
quelques injures dont le diable sera heureux de pro- 
fiter pour leur ôter l'esprit de paix. Il est vrai qu'au 
fond de l'âme j'en remercie Notre-Seigneur, car je 



— 67 — 

ne voudrais pas être exclue de cette bonne croix. 
L'église et k?s chapelles étant petites, mes entants 
ont souvent entendu murmurer contre elles, quand . 
elles arrivent pour prendre place dans le temple du 
Seigneur. Leur amour-propre a souffert de ce manque 
de délicatesse et de charité. Par l'éducation que nous 
leur donnons, elles commencent en effet à se respec- 
ter, et je crois devoir encourager ces sentiments. 
Jugez combien elles sont attachées à leur chapelle 
de l'Immaculée; elles ne sont heureuses qu'aux 
pieds de leur Bonne Mère et de leur divin Jésus, qui 
habite le tabernacle de l'Immaculée uniquement 

pour elles ! 

« Nous sommes bien indignes, certes, de la grande 
faveur que nous sollicitons, mais Monseigneur est 
notre Père ; nous sommes les plus petits, les plus 
pauvres de ses enfants. J'ai vu ce soir M. Mahé, qui 
est bien d'avis que nos enfants soient confirmés à la 
chapelle de l'Immaculée. » 

Quelle solennité que celle de ce vendredi 8 mai ! 
Malgré les fatigues de la visite pastorale en la paroisse 
de Saint- Jea.-de-Béré, l'Evêque arrive au vieux 
château, accompagné du clergé de la ville et de son 
Secrétaire particulier, supérieur ecclésiastique de la 
Communauté. C'était M. l'abbé de la Guibourgère 
qui, au mois de janvier précédent, avait succédé 
dans cette charge à M. l'abbé Colin, parti pour le 
noviciat des Carmes. Tout avait un air de fête dans 
le pauvre asile : les murailles délabrées avaient été 
décorées, avec grâce, de feuillages, de fleurs et de 






- 68 — 

guirlandes. L'enthousiasme, la reconnaissance débor- 
daient de tous ces jeunes cœurs. Les chants les plus 
pieux, les mieux nourris ne cessaient de retentir. La 
Bonne Mère avait alors en son ampleur sa belle voix, 
si sympathique et si chaude ; ses enfants s'unissaient 
à elle avec ensemble ; toutes étaient pénétrées des 
paroles affectueuses et pleines d'onction que leur 
adressait le Prélat. L'Esprit de Dieu planait vrai- 
ment sur cette humble réunion et laissa à tous ceux 
qui y participèrent une impression de piété très 
douce et très durable (1). Nous en trouvons l'écho 
dans les remerciements adressés à Sa Grandeur : 
« Votre passage, Monseigneur, a été le sujet d'une 
grande joie pour vos enfants de l'Immaculée. Mes 
petites filles partagent bien vivement l'affection 
respectueuse que je porte à Votre Grandeur. Vos 
paroles de père ont pénétré les jeunes âmes. Dans leur 
enthousiasme elles disaient : « Nous eussions voulu 
toujours garder Monseigneur ; nous avions peur de 
le voir s'en aller. » 

Mgr Jaquemet avait tout examiné dans sa rapide 
visite. Il fut ému du misérable état do» cette maison 
de pauvreté ; aussi, dès lors, envoya-t-il de temps à 
autre quelques secours d'argent pour nourrir les 
petites orphelines ou pour réparer les brèches de la 
toiture. Il permit d'étendre les quêtes à Nantes, à 
Rennes, et voulant encore dédommager ses chères 
filles par l'octroi de précieuses faveurs , il accorda 



(1) D'après M. le chanoine de la Guibourgère. 



— 69 



l'exposition du Saint-Sacrement pour le 8 et le 25 dé- 
cembre suivants. Son cœur de père s'était encore 
laissé attendrir à la lecture d'une supplique remise 
à M. de la Guibourgère pour lui être présentée: 
« La persévérance m'ayant été enseignée par mon 
Souverain Seigneur, y disait la Bonne Mère, j'adresse 
à Monseigneur une nouvelle prière pour obtenir la 
grâce de voir l'Enfant-Dieu, le Tout-Aimé de mon 
âme, sortir de son humble tabernacle et rester tout 
le jour exposé sur l'autel. Jugez, mon Père, de ma 
tristesse: ici je suis privée de contempler cette 
Hostie que je sais ,être si sûrement Jésus, le royal 
Enfant de Bethléem, Jésus qui par un incompréhen- 
sible amour fait sentir sa divine présence à la plus 
pauvre de ses créatures. O Jésus ! ne vous cachez 
pas le jour de votre naissance ; touchez le cœur de 
Monseigneur. — Mon Père, soyez un bon et éloquent 
avocat ; plaidez la cause de pauvres affamées que 
seules peuvent rassasier les choses éternelles. »» 

Le. bienfait une fois accordé, sa reconnaissance 
s'exhale en un saint transport : « O Saint Pontife 
de mon petit Jésus, veuillez accepter ma parfaite 
reconnaissance pour l'immense faveur de l'exposition 
du Saint-Sacrement au jour de Noël : l'Enfant Jésus 
s'est montré divinement aimable. Lorsque le prêtre 
le tenait entre ses mains pour le poser sur le taber- 
nacle, il me semblait entendre ces paroles : « Vois, je 
viens au gré de .t'es désirs. Aussi comme tu dois 
m'aimer 1 » Et mon cœur se fondait de tendresse. 
Il brûlait de souffrir pour un Dieu si aimant ; il de- 



70 



mandait avec ardeur que les âmes attirées par les 
célestes parfums de la divine naissance aient le cou- 
rage de suivre Jésus de la Crèche au Calvaire. » 

Ah ! oui, le cœur de la Bonne Mère avait besoin 
d'un tel réconfort pour gravir la voie crucifiante où 
sur ses pas Jésus la conduisait. Douloureusement 
émue à la vue des souffrances de ses enfants adop- 
tives, elle exprimait ainsi sa peine : « Le 10 de ce mois 
(février 1858) une de nos enfants, Claire Houssais, 
a quitté la terre pour être le second anneau de la 
chaîne qui unit l'asile terrestre de Marie Immaculée 
à la patrie céleste dont elle est la reine toute belle. 
J'éprouve, Monseigneur, le désir d'épancher mes larmes 
dans votre cœur si paternel. Dieu m'a donné un 
cœur de mère, et j'éprouve les douleurs des mères. 
Mère, selon la grâce, je pleure la perte des enfants 
que la grâce m'a données. Les liens spirituels sont 
aussi forts que ceux forgés par la nature ! J'ai reçu 
le dernier soupir de ma pauvre petite Claire. Peu de 
temps avant de mourir, elle m'a demandé de lui faire 
embrasser la vraie Croix. Avec quelle ardeur, quelle 
affection elle a collé ses lèvres expirantes au bois 
sacré de notre Rédemption. Elle se voyait mourir 
et m'en parlait avec un grand calme. Je remercie 
Notre-Seigneur de lui avoir conservé le sens de 
l'ouïe, car je pouvais la réconforter avec les paroles 
mêmes de Jésus. Je Le priais, ce divin Sauveur, de 
couvrir mon enfant chérie de sa passion, de ses mains 
percées, de sa tête couronnée d'épines, de toutes les 
amabilités, de tous les trésors de son cœur Sacré, et 



— 71 — 

j'ai eu le bonheur d'entendre ma petite mourante 
redire, pour gagner les indulgences, les dents déjà 
serrées, le nom, le doux nom de Jésus. Quelques 
moments avant de mourir, elle s'est écriée : « Adieu, 
ma bonne Mère », et j'ai posé pour la dernière fois 
mes lèvres sur son Iront déjà glacé. » 

Elle soulfrait une véritable agonie morale au chevet 
de la petite Pauline, entant de onze ans, en proie à 
des douleurs incessantes. « Tous ces jours-ci, dit-elle 
à M. de la Guibourgère, je désirais vous écrire, à vous 
qui aimez en père nos pauvres enfants, les heureuses 
dispositions de ma petite martyre. Elle avait encore 
voulu se lever pour recevoir la bénédiction de Mon- 
seigneur, mais depuis, son affreuse maladie a fait de 
tels ravages que nous attendons l'instant de sa mort. 
La chère enfant est sur la croix ; elle éprouve de si 
grandes douleurs que ses nerfs se contractent ; elle 
souffre avec une patience d'ange ; les noms de Jésus 
et de Marie sont toujours sur ses lèvres ; elle s'anime 
elle-même à souffrir, elle prend dans ses petites 
mains, le crucifix, l'embrasse, parle au divin Sauveur 
de sa cruelle Passion, me demande si bientôt elle 
n'ira pas avec le Bon-Dieu. — Je n'ai pas manqué de 
; lui recommander de prier pour Monseigneur, pour 
M. de la Guibourgère, pour M. Colin. 

« Ma petite malade n'a pas encore onze ans. A sa 
première crise, j'ai cru qu'elle allait mourir; elle- 
même le croyait, elle demandait en grâce à se con- 
fesser et avec sa petite voix presque éteinte elle 
offrait à Dieu son désir, demandant pardon à Jésus 



- J 



72 



de tous ses péchés. Quelle heure d'anxiété I Dieu 
seul sait ce que j'ai souffert. Je ne pouvais me pro- 
curer un prêtre et ma pauvre enfant se mourait. Le 
lendemain, à 6 heures, ma petite Pauline faisait sa 
seconde communion et, animée par la présence de 
Celui qu'elle aime, je crois, véritablement, elle adres- 
sait à sa mère une exhortation pleine de foi : « Tu 
vois combe je souffre, lui disait-elle ; eh ! bien, je 
demande à souffrir davantage pour obtenir ta conver- 
sion et celle de ma grand'mère » — Je serais trop 
longue si je voulais vous raconter tout ce que disait 
ma bien chère petite fille. Elle me faisait verser des 
larmes bien douces. Je l'ai entendue plusieurs fois 
s'écrier dans ses crises : « Mon Dieu 1 mon Dieu 1 je 
crois à l'amour que vous avez pour moi ! » — • dans 
une de mes instructions, j'avais parlé à mes enfants 
sur ces belles paroles : Mon Dieu, je crois à l'amour 
que vous avez pour moi ! et je les avais conjurées de 
les répéter souvent. La pauvre malade se les rappelle 
maintenant au milieu de ses douleurs. Veuillez prier 
Sa Grandeur de bénir sa petite brebis mourante. » 

Quand elle la perdit, au mois de septembre suivant, 
sa peine profonde, cependant toute transformée par 
la foi, s'exhale dans ses lettres : « Je suis heureuse 
d'avoir envoyé à Jésus et à Marie notre chère enfant. 
Elle est arrachée, il est vrai, à une triste mère ; mais 
la mort me brise toujours... Si vous la voyiez 1 ... 
elle a le sourire sur les lèvres ; elle semble en- posses- 
sion du bonheur céleste. M. le Vicaire, qui est allé 
la contempler sur son lit de mort , en est revenu 



— 73 



émerveillé... Cet ange a pris son vol pour le Ciel, 
heureuse de mourir pour aller voir son petit Jésus. 
Pauline l'a tant appelé durant ses longues souf- 
frances... Une de ses principales paroles, pendant 
cette douloureuse semaine, a été pour Monseigneur. 
Elle gardait presque toujours le silence ; et tout à 
coup elle s'est écriée, comme en sortant d'un rêve : 
« Ma Bonne Mère, j'ai prié tous les jours pour Mon- 
seigneur. » 

Ames d'élite qui s'en allaient continuer là-haut 
leur sublime fonction d'anges, médiateurs, impuis- 
santes, ici-bas, à exprimer leur immense reconnais- 
sance à l'Immaculée, comme cette jeune fille dont 
parle encore la Bonne Mère : « Ma petite malade a 
quitté la terre, je suis arrivée à temps pour consoler, 
pendant quelques jours, cette chère enfant dont la 
mort a été celle d'une prédestinée ; sa patience dans 
ses cruelles souffrances sera, je l'espère, une fleur pour 
sa couronne. Je regrette ma pauvre enfant. Elle était 
le modèle de ses compagnes par sa piété, sa douceur, 
son obéissance, son amour du travail. Agée de 18 ans, 
devenue orpheline très jeune, ayant connu la misère 
et la souffrance,' elle s'était attachée à l'Immaculée. 
A l'heure de sa mort, un poids de reconnaissance 
chargeait son pauvre cœur ; une excessive timidité 
l'avait empêchée de s'épancher jusque-là. Déjà enve- 
loppée des ombres de la mort, elle réunit ses dernières 
forces, et d'une voix tellement accentuée et sonore 
que, d'ans le silence de la nuit, elle aurait été entendue 
de très loin, avec une vivacité de paroles qui semblait 

5 



74 — 



craindre de n'avoir pas le temps de faire connaître, 
pour la première et dernière fois, les sentiments de 
son âme, la délicate enfant s'est écriée : « Adieu, 
jna bonne Mère, je vous aime, jamais je n'ai osé vous 
le dire ; je vous aimais. C'est vous qui me conduisez 
au Ciel ; vous m'avez arrachée aux dangers du 
monde... Adieu, ma bonne Mère de la terre. Je suis 
l'enfant de la Reine du Ciel, ma bonne Mère du Ciel 
vient me chercher. — Eh bien ! ma chère petite 
fille, vous prierez pour votre Bonne Mère, vous prierez 
pour Monseigneur ; si vous êtes heureuse de mourir 
à l'Immaculée, vous le devez à Monseigneur. — Oui, 
ma Bonne Mère, adieu Monseigneur. Ma Bonne Mère 
de la terre, adieu à mes compagnes ; elles ne sont 
pas là, vous le leur direz ; adieu à ma sœur ; vous lui 
direz d'aimer beaucoup le Bon Dieu et la Très 
Sainte Vierge ; adieu à mes bonnes maîtresses. » 
Quelques minutes après ce chant du soir, ma chère 
enfant s'est endormie dans le Seigneur. 

« Cette scène, Monseigneur, a brisé mon âme. La , 
conviction de ma vocation me donne seule la force 
de supporter des spectacles si déchirants. Je sens 
un -attrait tout particulier pour assister les âmes au 
départ de l'exil, pour les couvrir, par les cris d'une 
ardente prière, du sang et de la Passion du Sauveur, 
et leur communiquer des pensées de foi, d'espérance, 
de charité, de confiance. Quel moment solennel et 
sublime et qu'il est terrible pour les pécheurs 1 A la 
mort de ma pauvre enfant, mon âme s'est sentie 
pénétrée de la divine présence de mon Sauveur bien- 



— 75 — 

aimé ; j'ai juré à mon Dieu et à mon juge de travailler 
à lui gagner des âmes. Je crois que Jésus a entendu 
un vœu si cher. Dès le lendemain j'ai eu le bonheur 
de voir de pauvres pécheurs écouter ma faible voix 
et s'approcher à l'Immaculée, du tribunal de la récon- 
ciliation. Il leur avait suffi, semble-t-il, de contempler 
l'enfant dont l'âme avait pris son vol pour la Patrie. 

Le 8 décembre 1858 apporta de douces consolations 
à la famille de l'Immaculée qui célébra pour la pre- 
mière fois, avec le plus de solennité possibe, la fête 
de sa céleste Patronne. Ainsi que l'avait permis Sa 
Grandeur, le Saint-Sacrement demeura exposé à 
l'adoration de ses enfants qui purent ainsi satisfaire 
librement leur dévotion. Le miséricordieux Sauveur 
multiplia, depuis, ces occasions de répandre ses grâces 
sur ses fidèles adoratrices et d'exaucer leurs ferventes 
prières. Ces jours-là, en effet, la Bonne Mère et ses 
Filles se succédaient sans relâche devant le Saint- 
Sacrement, demandant surtout la conversion des 
pécheurs et des âmes, trop nombreuses hélas ! qui 
avaient oublié le Dieu de leur première Communion. 
Plusieurs parents des petites orphelines, témoins de 
leur piété lorsqu'ils venaient les voir, ne pouvaient 
résister aux attraits de la grâce, ainsi qu'aux exhor- 
tations personnelles de la Bonne Mère. 

« Un homme de soixante-quatre ans, écrit-elle, 
le 6 février 1859, à M. de laGuibourgère vient me trou- 
ver pour l'une de ses filles âgée de quinze ans et qui 
se perd. En me faisant comprendre ses chagrins que 



76 



je connais trop bien, et sa triste position, cet homme 
se met à pleurer. J'en ai compassion. — Une seule de 
ses enfants fait sa consolation et se conserve vertueuse 
au milieu des plus grands dangers ; elle a passé quatre 
ans à l'Immaculée — Cet homme sans avoir appris 
d'état, est obligé, sur ses vieux jours, de se livrer à 
des travaux pénibles ; le voici abandonné des amis 
qu'il avait dans la prospérité. Ce pauvre malheureux 
succombe sous le poids de sa douleur. En partageant 
ses peines, je lui parle d'un retour vers l'unique 
Consolateur : quel malheur de perdre loin de Dieu le 
fruit de tant de souffrances ! J'ajoute un mot sur la 
confession. C'était pour sa conversion le point épineux. 
Enfin, il me promet d'y penser... Eh bien ! le jour de la 
fête du Saint Cœur de Marie, ce pauvre affligé 
m'envoie dire par sa fille, qui est aussi la mienne, 
qu'il a réfléchi à mes paroles, qu'il est résolu à se 
confesser. Il n'y avait plus qu'à lui procurer un prêtre. 
C'est chose faite. Que le Cœur de Marie soit béni ! 

« Encore un nouveau gage de la tendresse de Marie 
pour les pécheurs ! Je me rendais aujourd'hui (2 avril 
1859), avec M. le Curé, à la chapelle de l'Immaculée, 
où son ministère devait réconcilier le pauvre pécheur 
dont je vous ai parlé. Dans la cour, un autre pécheur 
causait avec sa fille. Vite, je demande à M. le Curé 
s'il voulait gagner aussi cet homme. Avec son zèle 
d'apôtre, M. Mahé accepte. Quelques moments après, 
je conduisais le père dans la salle avec sa fille. Là, 
je lui exprime l'intérêt et l'affection que je porte aux 
parents de mes chères enfants, et pour preuve je 



— 77 — 



l'exhorte à se confesser, à « vider son sac », pour 
attirer sur lui et sur ses enfants les bénédictions du 
Ciel. Je me fais aussi persuasive, aussi pressante que 
possible : » Allons ! il faut le faire de suite, M. le Curé 
vous attend » — Ce pauvre homme, d'une quaran- 
taine d'années environ, semblait foudroyé. - Il se 
met à pleurer comme un enfant. Sa-fille se jette dans 
ses bras ; c'est une scène émouvante... Il était gagné. 
Il me demanda, pour se remettre de son émotion, 
cinq minutes qu'il passe dans le jardin. Nous mon- 
tions toutes les deux la garde à la porte : si quelque 
tentation allait le faire s'échapper ! M. le Curé paraît 
au seuil de la chapelle. J'envoie la petite fille chercher 
son père ; je remets ce brave homme aux mains du 
prêtre en disant : « Courage, mon bon ami, le bon Dieu 
va vous bénir. » Après sa confession, ce pauvre pé- 
cheur m'a fait dire qu'il était bien content, qu'il me 
remerciait et que dimanche il reviendrait parler à 
son confesseur. Oh ! que Marie Immaculée est bonne 
et miséricordieuse 1 

« Je suis heureuse, mon Père, de voir nos chères 
petites filles désirer avec ardeur la conversion de 
leurs parents ; bien plus, prier, se mortifier pour l'ob- 
tenir, me demander des neuvaines... Aujourd'hui, 
jour de la Sainte Passion, cette petite Thérèse, que 
connaît bien le Père Sébastien, a éprouvé une grande 
joie. Toujours pressée de sauver les pauvres âmes, 
j'ai envoyé, après le dîner, cette enfant de seize ans 
me chercher son père. Elle est partie avec une ardeur 
et une joie que je ne partageais qu'à demi. Je connais- 



78 — . 



sais l'homme, esprit raisonneur, absolu, entêté dans 
ses idées et peut-être bien difficile à convaincre et à 
ramener. En effet, arrivée sous le toit paternel, ma 
pauvre enfant a éprouvé un peu de peine pour décider 
son père à venir me trouver. Mais avec son charmant 
caractère, elle s'est mise à le chausser, elle a posé 
sur ses cheveux blancs son chapeau du dimanche et, 
par sa persévérance, est arrivée à triompher de la pre- 
mière difficulté. Mais l'autre désirait en savoir davan- 
tage. Pour quel motif réclamais-je sa visite ? Il n'ira 
pas plus loin s'il l'ignore. Sur la rue, la jeune fille 
doit avouer à son père que je veux le faire se'confesser. 
— Oh ! Oh I C'est autre chose 1 le brave homme 
reprend le chemin du logis ! Sans se décourager, la 
pauvre enfant rattrape son pauvre père ; elle lui 
prend le bras, lui exprime la joie des hommes qui 
viennent se confesser à l'Immaculée, les bontés de 
M. le Curé, tant et si bien, qu'elle le décide à conti- 
nuer sa route. Le voilà dans ma chambre ; l'enfant 
se retire précipitamment, ferme la porte : au tour de 
Bonne Mère 1 — Notre-Dame de la Salette avait écouté 
les prières de Thérèse. ■ — ■ Dieu a mis sur mes lèvres les 
quelques paroles que je devais dire à cet homme pour 
l'engager à faire ses Pâques. Dimanche, il viendra à 
l'Immaculée se joindre aux autres hommes qui se 
trouvent heureux de se réconcilier dans la chapelle de 
Marie. Il est reparti en me remerciant beaucoup 
d'avoir pensé à lui : « L'esprit est faible, m'expliquait- 
il, je m'étais dit : cette année je ne ferai pas mes 
Pâques. L'année dernière, je ne me suis pas confessé ; 



— 79 — 

eh bien ! cette année, j'agirai de même. Mais me 
voilà satisfait à présent et je viendrai, soyez en 
sûre » L'excellent M. Mahé est dans la jubilation. 

L'exemple de Thérèse a été suivi. Dimanche dernier, 
An«èle introduisait son père dans la salle que j'ai 
envie de nommer du beau nom de Sainte Thérèse. 
Comme les autres, il en est sorti tout changé pour 
aller se confesser dans la chapelle de l'Immaculée. 
Je ne saurais vous exprimer le bonheur que j'éprouve 
de voir ces pauvres hommes prier de tout leur cœur 
dans le sanctuaire de Marie où ils ont retrouve la 
paix. Ce matin, un de ces pauvres pécheurs est venu 
me dire : « il ne faut pas vous achaler, expression du 
pays qui signifie ennuyer ; mais une confession ne 
me suffit pas, il m'en faut plusieurs. » En effet, depuis 
dix ans, cet homme ne s'était pas confessé. Aussi 
je n'ai pas manqué de lui donner toute latitude pour 
le faire autant de fois qu'il en aurait besoin. 

« Le désir de travailler au salut de mes frères me 
brûle. Ce désir véhément tombe dans mon âme comme 
la foudre et fait défaillir mon cœur. J'embrasse de 
toutes mes forces les œuvres que j'aperçois dans 
l'avenir. Je ne sais si j'ai à cela quelque mérite, car 
il me semble que je ne pourrais pas ne pas suivre 1 im- 
pulsion qui se fait si subitement et si rapidement 
sentir à mon âme. C'est un torrent qui entraîne ma 
volonté, mes affections, mes facultés. » 

La Bonne Mère, de fait, parlait aux pécheurs, aux 
indifférents avec une sainte audace et parfois, bon 
gré mal gré, elle les mettait en rapport, au moment 



— 80 



voulu, avec le zélé curé de Châteaubriant. Celui-ci, 
de son côté, dès qu'il était prévenu de la possibilité 
d'un retour, accourait tout heureux d'achever par son 
ministère les conquêtes de la charitable Mère. 

Cependant, celle-ci voyait s'accroître chaque jour 
le nombre de ses enfants : « Je ne sais à quoi pense 
notre bon Père Saint Joseph de ne pas m'envoyer 
de secours et de multiplier les demandes d'admis- 
sion : que de pauvres enfants et en quelles tristes posi- 
tions ! écrivait-elle à M. de la Guibourgère, comment 
refuser nos soins à ces infortunées petites placées 
sur le bord d'un précipice ? N'ont-elles pas-été rache- 
tées par le sang de Jésus ? Elles lui appartiennent... 
Si je pouvais vous raconter l'état où se trouvent les 
enfants que la Providence nous envoie et les conso- 
lations que nous éprouvons après quelques mois 
passés à l'Immaculée !... La charité de mes chères 
enfants me fait goûter un véritable bonheur et attire 
sur leurs jeunes âmes les bénédictions du Ciel ; Je 
voudrais, mon Père, que vous soyez témoin de leur 
compassion quand elles voient un pauvre ; leur petite 
fortune de quelques centimes, destinée dans leur ima- 
gination candide à tant de choses, passe bien vite dans 
la main du pauvre. Si elles n'ont rien et que je ne 
puisse pas donner, elles partagent leur dîner, et leur 
joie est si grande, lorsque le malheureux est admis 
auprès de leur feu, qu'elles viennent m'en avertir 
avec des sentiments de jubilation qui attendrissent 
mon cœur et me font espérer que Dieu les bénira dans 
le monde... J'ai reçu, samedi, une lettre de l'une de 



— 81 — 



mes chères filles âgée de dix-huit ans, placée à 
Nantes dans une maison peu chrétienne où elle vit 
entourée de dangers. Cette enfant me remplit de 
consolations ; de l'aveu d'un prêtre, elle a été la 
cause de la conversion de son frère, mort après avoir 
reçu les Sacrements de l'Eglise. Et à présent, ma bien 
chère fille travaille à la conversion de sa sœur. » 

La situation pourtant demeurait critique. Ne pou- 
vant plus que difficilement loger toute sa famille 
adoptive au vieux château, la Bonne Mère faisait 
appel à la générosité de personnes bienfaisantes et 
cherchait même, en plusieurs points de la ville et des 
faubourgs, l'endroit propice à l'établissement d'un 
nouvel orphelinat : « Je demande de tout mon cœur 
au Saint-Esprit, écrit-elle, de me donner la lumière 
et la possibilité de planter l'étendard de l' Immaculée- 
Conception dans l'endroit le plus propre à procurer 
la gloire de Dieu et l'avantage de notre institut. » Elle 
était encouragée dans cette voie par Mgr Jaquemet 
qui lui écrivait le 7 mai 1859 : 

« Ma Chère Fille, 
« Vous savez avec quel intérêt j'ai applaudi aux 
commencements de l'orphelinat que vous avez fondé 
à Châteaubriant, pour y recueillir les jeunes filles 
les plus abandonnées : cet intérêt n'a fait que s'ac- 
croître, depuis que je suis le témoin des bénédictions 
que Dieu a répandues sur cette œuvre. Je regarde 
toujours comme très important que vous ayez une 
maison séparée, que vous soyez chez vous ; il me 



— 82 — 



semble que le moment est venu, et ne peut plus être 
retardé, d'abandonner le vieux château qui vous offre 
un si misérable abri. Vos ressources, je le sais, sont 
plus que minimes ; mais j'espère que l'on viendra à 
votre secours, et que la Providence intéressera à votre 
œuvre ^quelques généreux bienfaiteurs. J'approuve 
tout à fait que vous sollicitiez l'aide du respectable 
M. Lorette, dont la charité m'est bien connue et qui 
a déjà donné son concours à plusieurs œuvres de mon 
diocèse. Je lui serai singulièrement reconnaissant 
de tout ce qu'il voudra bien faire en faveur des en- 
fants que je vous ai confiées. — Je ne puis, que vous 
encourager à vous adresser à M. le Marquis de 
.Praulx : votre situation présente ne peut manquer 
d'exciter sa compassion, et j'aime à croire qu'il vou- 
dra bien, avec sa libéralité accoutumée, vous aider à 
en sortir. 

« Je vous bénis, ma chère Fille, et prie Dieu de 
donner succès à toutes vos pieuses démarches. » 

Or, au moment où l'on croyait avoir trouvé, des 
difficultés survenaient et faisaient échouer tous les 
plans. Alors, dans sa détresse, elle prend une résolu- 
tion héroïque : « L'heure est venue, Monseigneur, de 
jeter un grand cri vers le Ciel et de chercher des 
secours devenus indispensables sans lesquels nous ne 
pourrions plus exister. Les quêtes du diocèse sont loin 
de suffire pour la nourriture, l'entretien, l'installation 
d'une maison dénuée des objets les plus essentiels ; 
le travail des enfants, d'ici plusieurs années, sera aussi 
insuffisant, la majorité des orphelines étant très 



- 83 — 



jeunes, et puis il me semble que vouloir soutenir une 
maison- par leur industrie, c'est ôter la vie à ces pau- 
vres enfants qui deviennent des espèces de méca- 
niques et qui, sentant le besoin de l'air, du mouve- 
ment, sortent souvent des établissements de persévé- 
rance pour se perdre, hélas I car la transition est trop 
brusque de leur vie cloîtrée, assidue, avec le bruit, 
le tapage du monde. Pour former le caractère, les 
forces morales et -physiques des enfants, j'ai toujours 
considéré que nous devions unir le travail du dehors 
qui réclame plus d'effort, avec le travail paisible de 
l'atelier. Avec cette méthode, nous tirons moins de 
ressources des doigts de nos jeunes ouvrières, mais 
nous les préparons mieux, je crois à l'existence agitée 
du monde où elles devront vivre. Il me semble encore 
que leurs forces physiques étant bien développées, 
elles auront plus d'énergie, Dieu aidant, pour repous- 
ser le mal, que si leurs- santés s'étiolaient par une trop 
grande assiduité dans un âge où, comme le jeune 
arbre, on a besoin d'air et de culture pour se déve- 
lopper. 

« Mais je reviens, Monseigneur, au moyen de nous 
procurer des secours pour bâtir un local. Je ne vois 
d'autres moyens que d'aller trouver l'Empereur, 
d'exciter sa compassion, d'obtenir sur mon livret 
quelques paroles de bienveillance et ensuite de 
quêter dans toute la France jusqu'au moment où 
le Ciel sera touché de mon sacrifice. Je vous soumets 
ce désir, Monseigneur, en toute simplicité et confiance. 
Il est bien réel que pour l'instant, je suis utile à 



— 84 — 

l'Immaculée. Mes deux premières filles, par leur 
vertu d'obéissance qui ne s'est jamais démentie, me 
donnent néanmoins toute sécurité pour la bonne tenue 
de l'établissement pendant mes absences. — Sans 
doute, elles souffriront de mon éloignement, mais en 
restant, nous sommes sans pain, sans toit, exposées 
aux injures des orages, à. la chute des pierres et 
des ardoises. — Je m'abandonne entièrement, Mon- 
seigneur, à la sagesse de votre décision. » 

Elle obtint seulement l'autorisation de quêter 
dans le diocèse de Nantes, puis plus tard dans les 
diocèses limitrophes de la Bretagne et de la Vendée. 
Ces voyages de charité atteignirent encore une autre 
fin. La Providence s'en servit pour faire connaître 
au loin l'œuvre naissante et y amener, en même temps 
que de nouvelles orphelines, celles qui devaient deve- 
nir leurs Mères adoptives et qui ne se souviennent pas 
sans émotion de ces premières entrevues avec les 
filles de l'Immaculée (1). 

Comme toujours la zélée Fondatrice revendiquait 
pour elle les missions les plus pénibles et les plus 
fatigantes. Alors qu'elle aimait le vie de recueille- 
ment et de prières, la vie toute cachée en Dieu, elle 
se condamna, pour assurer l'existence de ses chères 
enfants, à des absences fréquentes et prolongées où 
s'usèrent prématurément ses forces et sa santé ; 



(1) D'après M. le chanoine de la Guibourgère. 



— 85 — 



mais elle était soutenue par son esprit de pénitence 
et de foi dans cet exercice de sublime dévoûment. 

Eloignée de Châteaubriant, sa pensée et son cœur 
y reviennent sans cesse. Elle écrit : « Combien je suis 
heureuse de travailler pour vous, pour votre bonheur ; 
de vous consacrer ma vie, pour un jour, au Ciel, 
former avec vous la grande famille de Marie Imma- 
culée !... mille choses affectueuses à mes chères no- 
vices. Dites-leur combien je les porte dans mon cœur 
et souffre d'être séparée de tout le bercail... Je donne 
un souvenir spécial aux enfants de Marie, aux aspi- 
rantes et à mes petits anges. » A la jeune miraculée 
de Notre-Dame de la Salette qui, plus que toutes ses 
compagnes, déplore l'absence de la Bonne Mère : 
« Marie Immaculée vous demande un grand sacrifice ; 
offrez-le lui généreusement en la priant de vider dans 
ma bourse les trésors des Mages ». — Désirant péné- 
trer ces petites âmes d'un respect de plus en plus 
grand pour leurs maîtresses, consacrées à Dieu, elle 
ajoute : « Désormais, chères enfants, vous appellerez 
mes chères Filles, mes bien-aimées Sœurs en Jésus- 
Christ, d'un nom plus respectueux encore : vous 
changerez celui de Mademoiselle pour celui de 
Madame ; je désire que pour mon retour vous y soyez 
déjà toutes habituées... Soyez toutes, je vous en 
conjure, des filles de l'éternité, la terre est le passage, 
l'éternité est le terme, le port, le bienheureux séjour ». 
C'est bien aussi pour assurer le ciel au plus grand 
nombre d'âmes possible que la Bonne Mère rêvait de 
développer l'œuvre de l'Immaculée. « Elle souhaitait 






— 86 — 

adjoindre à l'orphelinat recueillant les enfants les 
plus abandonnées (orphelines de père ou de mère), un 
abri pour les jeunes filles exposées à glisser sur la 
pente du mal, un refuge pour les égarées ramenées 
par le bon Pasteur, et même un externat pour les 
jeunes ouvrières restées bien chrétiennes ; de plus, 
le projet d'un asile pour les malades préoccupait.sans 
cesse son cœur compatissant. Mais tous ces desseins 
avaient besoin d'être longuement mûris ; tant d'ex- ' 
cellentes choses ne pouvaient être entreprises du 
même coup ; ou bien elles étaient déjà l'œuvre 
d'autres Communautés. 

« Il fallait modérer tous ces bons et pieux désirs, 
rappeler à cette âme, avide de se dépenser, que la 
première règle dans les œuvres de zèle et de charité 
est, ainsi qu'aimait à le dire Saint-Vincent de Paul, 
d'aller pas à pas, de suivre les indications de la Pro- 
vidence, et que le chemin le plus sûr est de se sou- 
mettre à la direction de ceux que l'Eglise a préposés 
à la conduite des âmes. » (1) 

En fille soumise de la Sainte Eglise, qu'elle vénérait 
profondément (ainsi que nous le voyons dans ses 
lettres signées pour la plupart du nom de " Marie, 
fille de l'Église Catholique "), la Bonne Mère regardait 
comme l'un de ses devoirs les plus sacrés, l'obéissance 
à son prudent directeur, surtout depuis que l'émis- 
sion de ses Saints Vœux lui en faisait une double 
obligation. Aussi la voyons-nous également, malgré 



(1) D'après M. de la Guibourgère. 



— 87 — 



son attrait irrésistible pour la prière et la pénitence, 
se conformer aux. désirs du pieux. Prélat, son Père 
spirituel, attendant l'heure de Dieu pour réitérer des 
instances, qui cette fois,, étaient écoutées. A présent 
qu'elle n'est plus, relisons avec un pieux respect les 
pages intimes que son humilité eût souhaité ensevelir 
avec elle et où son âme généreuse se révèle tout 
entière : 

« Je conjure Sa Grandeur de me laisser souffrir 
pour l'Eglise, pour l'Œuvre de l'Immaculée, pour 
les pécheurs en me permettant de continuer les péni- 
tences commencées... je suis persuadée, que, pour 
moi, sur la terre, je ne dois plus rechercher que les 
souffrances, les privations, le dépouillement universel 
et attendre mon repos dans l'Eternité... Notre- 
Seigneur demande que je ne reste pas toujours au 
même point mais que je monte par degré dans cette 
voie... Quand je considère les saints, comme je 
trouve que je fais peu de choses pour mon souverain 
Seigneur. Que sont mes pénitences auprès des leurs ? 
Que de motifs d'humiliations, d'anéantissement... 
Cette semaine, j'avais demandé à mon bon Jésus de 
me faire souffrir pour remplacer les pénitences que 
j'aurais voulu pratiquer; son Divin Cœur a écouté 
ma prière, qu'il soit à jamais béni !... J'ai été prise 
de cette grande sensibilité qui m'a affreusement fait 
souffrir dans tout mon être... J'ai quitté mon père et 
ma sœur sans verser une larme et aujourd'hui, pour 
mettre le comble à mes douleurs, Dieu permet que je 
pleure mon père, ma sœur, mes frères ; je songe à la 



■■M 



88 — 



bonté du premier : ce cher père, il a laissé élever des 
enfants pauvres sous son toit paternel ; il les a suppor- 
tés jour et nuit à la maison, m'autorisant encore à 
m'entourer de ramoneurs quipassaient toutleurtemps 
libre près de moi ; et ma sœur qui me regarde comme 
sa mère, et mon jeune frère que j'ai élevé et veillé dès le 
berceau !... Ah ! mon Dieu, tous ces tableaux passent 
et répassent dans mon esprit et excitent mes larmes, 
des lames dont jusqu'ici j'avais ignoré l'amère 
douceur. Je pleure très difficilement. Je demande 
chaque jour à Dieu de me faire connaître sa gran- 
deur et ma petitesse, et en ce moment le Bon Maître 
me découvre une partie de mes faiblesses. Oui, je 
crois, mon Père, que le céleste Apprenti de Joseph 
travaille présentement mon âme, aussi je la lui 
.abandonne entièrement. Qu'il la façonne à son gré ! 

« Je viens d'écrire à Monseigneur pour supplier 
Sa Grandeur de me priver de la consolation que 
j'éprouverais à lui ouvrir mon âme et de me laisser 
continuer mes pénitences qui me conduisent merveil- 
leusement à l'esprit d'humilité et d'anéantissement ; 
je les ai toujours regardées pour moi comme l'esca- 
lier de la perfection et des vertus les plus essentielles. 
Ma mauvaise nature, la violence de mon tempéra- 
ment, une volonté qui semble indomptable cèdent 
sous le poids de la mortification ; Jésus crucifié 
m'appelle, m'invite à triompher de la nature pour 
l'Eglise, pour les pécheurs, et si je sais que je dois obéir 
pour être agréable à mon céleste Epoux, je sais 
aussi qu'il attend de sa pauvre servante une grande 



89 



persévérance à immoler son corps comme une vic- 
time. 

« Le Père Sébastien, découvrant clans mon âme 
l'attrait de la pénitence, m'engagea fortement à 
prier le Seigneur de me donner la santé pour corres- 
pondre à cette grâce de Jésus ; je l'avoue, je ne l'ai pas 
fait. Mais la prière de M. Colin a pénétré les Cieux. 
Depuis le 19 juillet, fête de Saint Vincent de Paul, 
je suis guérie : je n'ai plus ces douleurs d'estomac, 
ces défaillances, ces faiblesses, cpii, malgré moi, me 
faisaient répandre des larmes et m'obligeaient à 
me jeter sur mon lit ; je croyais ne pouvoir jamais 
suivre la Règle. Or, toutes ces misères ont disparu 
depuis le 19 juillet, date où j'ai embrassé la pénitence 
et à partir de laquelle je jeûne tous les jours. Je dîne 
après mes filles ; je suis la mère, il m'est bien doux 
de servir les chères filles de mon cœur dans leurs 
corps et leurs âmes, de nourrir leurs esprits par la 
sainte lecture. Je trouve dans ces chères âmes, que 
le Bon Dieu me confie, une grande réciprocité de sen- 
timents et j'en bénis le Seigneur ; par ce moyen je les 
conduis plus facilement à la vie religieuse, à la perfec- 
tion que nous devons toutes embrasser, selon le degré 
où la divine Sagesse nous appelle chacune. En dînant . 
après mes chères filles, je trouve encore l'avantage 
de manger leurs restes de pain ; ces petites pratiques 
entretiennent l'humilité et la charité. 

« O mon Dieu, je vous en prie, permettez que je 
me crucifie avec Jésus pour l'Eglise, pour les pécheurs, 
pour mes filles, pour mes enfants, pour l'acconiplis- 

6 



— 90 



sèment des trois premières demandes du Pater. La 
pénitence est un rafraîchissement dans toutes les 
peines que j'éprouve : O mon Amour crucifié, vous 
avez ravi mon cœur, et pour marcher sur les traces 
du Fiancé de mon âme, il n'y a pas de sacrifices 
que je ne sois disposée à m'imposer. Avec le Bien- 
Aimé de mon âme, je me relève, je secoue ma fai- 
blesse et je marche... J'entends souvent au fond 
de mon âme ces paroles : « A beaucoup de générosité 
Dieu accorde beaucoup de grâces » et cette prière que 
Jésus inspire à mon cœur et que je me suis sentie 
pressée de répéter souvent : « Seigneur, je ne veux pas 
refuser ce joyau de votre couronne, mais soyez ma 
force et mon courage. » Quand Dieu éclaire et dirige 
une âme, il n'y a pas de choses qu'elle ne puisse 
entreprendre. C'est au flambeau de la foi que j'ai com- 
mencé ma vie pénitente, mais hélas ! je mets des 
bornes aux grâces de Jésus en mettant des bornes à 
ma pénitence I Croyez, Monseigneur, que Jésus me 
soutiendra dans la vie que j'ai embrassée I sept mois 
de jeûne doivent vous en donner la conviction. 

« De tous côtés, je reçois des compliments sur 
la bonne santé que révèle ma bonne mine. Je vous 
demande pardon, Monseigneur, d'entrer dans tous 
ces détails, je crois devoir vous les citer pour plaider 
ma cause qui est celle de Jésus, de l'Eglise, des pé- 
cheurs. Permettez également que je continue mes 
veilles. Levée à 3 heures, à 3 heures et demie, je 
passe un quart d'heure tout près du Tabernacle : il 
faut bien alimenter le foyer de mon âme ; ensuite, je 



91 — 



récite sept fois le Ve.ni Creator, je supplie avec délices 
l'Esprit Saint de m'introduire dans le cœur adorable 
de Jésus, dans le Cœur béni de sa Mère et je prie 
sept fois Marie de me nourrir. Ainsi, Monseigneur, ne 
soyez pas étonné de la grande facilité que je reçois 
pour jeûner : Marie me réconforte maternellement. 
A 4 heures, je fais mon Chemin de la Croix, heure 
bienheureuse où la Passion de mon divin Maître me 
transporte et m'enflamme. A 4 heures et demie, je 
sonne le réveil, puis je récite mon rosaire en me pro- 
menant dans la cour; l'astre de la nuit qui éclaire nos 
vieilles ruines, les étoiles, symbole de la couronne de 
Marie, me donnent de la dévotion et de la joie ; 
j'entre alors plus parfaitement dans la méditation 
et dans la joie ; ou plutôt la représentation des mys- 
tères du rosaire. — O mon Père, je vous en prie, ne 
me retirez pas des heures si heureuses, des heures si 
précieuses pour mon âme ! Mon esprit a besoin du 
repos de la nuit pour contempler les merveilles de 
Dieu et de Marie... — J'adresse à Dieu de fefventes 
prières pour qu'il me rende en souffrances toutes les 
pénitences que j'ai le désir de faire pour mon Jésus 
crucifié. Je suis persuadée que l'œuvre de l'Immacu- 
lée ne peut s'élever que sur les fondements de la prière 
et de la pénitence. Je soumettrai toutes mes pensées 
et tous mes désirs à l'obéissance, me réservant le 
droit que Dieu m'a donné de supplier son Ministre, 
d'écouter mon humble prière et de me permettre 
la continuation de cette vie pénitente dans laquelle 
je trouve la santé de l'âme »t du corps. » 



— 92 — 

Ne voulant pas s'opposer aux desseins du Ciel, 
l'éminent directeur se laissait toucher par ses suppli- 
cations et lui permettait de se lever la nuit pour 
consacrer quelques bonnes heures à la prière, jointe 
à de rudes disciplines ; une telle autorisation, donnée 
d'abord pour trois mois, fut renouvelée bien des fois, 
jusqu'au moment où les forces physiques de la coura- 
geuse pénitente devinrent impuissantes à soutenir 
les aspirations de son âme ardente et généreuse. (1) 

Soucieux de ne point entraver l'œuvre divine dans 
l'âme qu'il dirigeait avec tant de sollicitude, Mgr Ja- 
quemet ne se préoccupait pas moins d'assurer le déve- 
loppement et de faciliter l'accroissement du petit 
grain de sénevé semé par ses soins. Il revint le visiter 
en 1859, comme nous l'apprennent les chroniques. 

Un jour, notre Révérend Père Supérieur, M. l'abbé 
de la Guibourgère, fit prévenir notre Bonne Mère 
que Mgr Jaquemet allait venir à Châteaubriant et 
qu'il s'arrêterait au château, le lendemain 22 juillet. 
Nous passâmes la nuit et le temps qui nous restait à 
faire quelques préparatifs, le moins mal possible, 
puisque nous ne possédions que des ruines et la pau- 
vreté 1... Nous étions, assurément, les plus petites 
de son troupeau ; néanmoins Sa Grandeur choisit la 
pauvre chapelle de l'orphelinat pour y dire la Sainte 
Messe. Monseigneur visita la maison, les ruines, 
et parut tout ému à la vue du dénûment dans lequel 
nous nous trouvions. Il paraissait heureux (heureux) 



(1) D'après M. de la Guibourgère. 



— 93 



au milieu des pauvres du Bon Dieu qui lui exprimè- 
rent, avec une simplicité enfantine, la joie qu'appor- 
tait sa présence, par un compliment et un chant, com- 
position impromptue de notre Bonne Mère. 

« Lorsque vous daignâtes nous visiter, disait le 
compliment, nous n'offrions, aux regards de votre 
Grandeur, que quelques brebis bien faciles à compter, 
mais vous nous avez bénies, et votre bénédiction, 
ratifiée par le Ciel, a fait croître le petit troupeau 
si heureux de se presser aujourd'hui à vos pieds... 
Votre cœur renferme pour nous, Monseigneur, une 
tendresse plus grande que celle de nos pères et de nos 
mères, car les besoins de nos corps ne vous inquiètent 
pas moins que les besoins de nos âmes ; vous êtes 
notre Providence visible ; et quand le pain de chaque 
jour menace de nous manquer, c'est vers vous que 
se tournent les regards de celle que nous nommons 
« Notre Mère »... Nos cœurs portent chaque jour 
le souvenir de vos bienfaits devant le Seigneur e.t 
Lui demandent de conserver longtemps à l'amour de 
son troupeau le Pasteur qui l'a vu naître, qui le nour- 
rit, le fait croître et à qui il doit la vie et le bonheur. » 
Après cela, sa Grandeur nous parla avec beaucoup 
de bonté, nous encouragea à persévérer dans notre 
vocation; « ce fut pour nous une véritable fête de fa- 
mille que nous n'avons jamais oubliée», note encore 
celle qui avait mission de veiller à ce que les enfants 
fussent bien sages et n'offensassent point le Bon 
Dieu. 

D'autres encouragements étaient ménagés à la 



— 94 — 

Communauté naissante. Un prêtre d'une haute intel- 
ligence et d'un grand cœur, M. l'abbé Baudry, alors 
professeur de dogme au Séminaire de Saint-Sulpice, 
plus tard, évêque de Périgueux, voulut la visiter 
avec le Supérieur ecclésiastique auquel l'attachaient 
les liens d'une longue affection. Il goûta beaucoup 
cette œuvre humble et pénétrée des principes de 
l'Evangile, et il n'eut rien de plus à cœur que de diri- 
ger vers elle deux de ses jeunes parentes, ainsi que 
sa propre nièce qui, dans le bon pays de l'Anjou, 
aux confins de la Vendée et de la Bretagne, lui 
avaient confié leur désir de se donner à Dieu dans 
la vie religieuse. » (1) 

Elles devaient devenir de dévouées et précieuses 
auxiliaires de la Bonne Mère. Ce furent M Ues Marie 
Thérèse Birot (Sœur Marie Thérèse de la Croix) et 
Anne Esther Braud (Sœur Marie Anna de l'Enfant 
Jésus), el plus tard, Jeanne Brin (Sœur Marie Ange). 

Le personnel devenait de plus en plus nombreux, 
les appartements trop restreints ; M. Durand voulut 
bien offrir de nouveau l'hospitalité de sa maison à 
un groupe d'enfants qui, accompagné de quelques 
sœurs, se détachait chaque soir du corps de la Commu- 
nauté et rentrait le matin pour la prière et le travail. 

La divine Providence bénissait visiblement l'œuvre 
de la charité. Aussi la pieuse Fondatrice, jugeant 
que l'heure était venue d'asseoir son institut sur des 
bases plus solides, crut-elle bon de soumettre ses 



(1) D'après M. de la Guibourgèrc. 



95 



aspirations au « Cardinal Protecteur » de l'œuvre : 
« J'éprouve un immense désir, lui écrit-elle, que notre 
maison prenne une forme religieuse en rapport avec 
l'inspiration divine ; si j'ai parfaitement compris 
qu'une vie cloîtrée était impossible pour nos chères 
enfants , car ce leur serait une transition trop 
subite de la solitude au remue-ménage du monde, 
j'ai aussi parfaitement compris que pour mes novices, 
pour celles qui doivent gravir la montagne, élevant 
leurs mains vers le Ciel, en faveur de l'Eglise, des 
pécheurs, de leurs sœurs qui combattent dans la 
plaine, une vie de clôture, de séparation du monde 
est d'une absolue nécessité. Mais pour avoir cette 
vie il nous faut un aumônier... Je vais recevoir ma 
onzième novice. — Je crois que le temps de prendre 
l'habit religieux est arrivé. Dieu et les âmes, mon 
Père, voilà le grand cri de mon cœur ; mais pour 
travailler aux œuvres de Jésus, de Marie conçue sans 
péché, refuge des pécheurs et mon refuge, il me faut 
des âmes courageuses, des âmes de bonne volonté, 
et sans habit religieux, point de novices. — Voulez- 
vous, mon Père, le demander à Monseigneur par d'ar- 
dentes prières, afin que s'accroisse le nombre des 
filles de Marie Immaculée. » 

Mgr Jaquemet écouta avec bienveillance les pres- 
santes sollicitations de ses chères filles. Mais laissons 
parler un témoin autorisé entre tous, le vénéré 
chanoine de la Guibourgère : « A l'époque où j'ai 
été nommé Supérieur, dit-il, les premières sœurs for- 
maient simplement une pieuse Association. Mgr 



î)6 — 



Jaquemet l'érigea en Communauté religieuse sous 
le vocable de l'Immaculée Conception. Les sœurs 
n'avaient pas encore le costume religieux. Elles en 
adoptèrent un sur le modèle de celui des Dames du 
Sacré-Cœur et le soumirent à l'examen de leur 
Pasteur. » « Nous habillons à l'Immaculée une char- 
mante personne, écrivait à ce sujet la Bonne Mère, 
parlant d'une poupée qui serait présentée à Sa Gran- 
deur. Je me fais une fête de la conduire à Sa Grandeur, 
elle passera inaperçue dans la cour de l'évêché ; je 
pense que sa place de diligence ne coûtera pas très 
cher ». Le costume proposé fut approuvé en l'an- 
née 1859. Si j'en crois mes souvenirs, ce fut Sœur 
Marie Dominique qui d'abord l'essaya. Le voile n'y 
fut ajouté que quelques années plus tard, en 1863. » 
La décision de Monseigneur combla de joie la Com- 
munauté tout entière. 

« Dès 1854 et 1855, continue M. de la Guibourgère, 
Mgr l'Evêque de Nantes avait autorisé les Sœurs 
à émettre des vœux simples annuels. Les premières 
Sœurs demandèrent avec instance l'autorisation de 
les émettre publiquement et renouvelèrent cette 
requête par mon entremise. » M. de la Guibourgère 
écrivait en effet à Sa Grandeur : « C'est en qualité 
d'aspirantes à la vie religieuse que ces pieuses jeunes 
filles ont été envoyées par leurs Directeurs et accep- 
tées dans la maison où elles espèrent se lier à Dieu par 
les vœux de religion. Monseigneur a, si je ne me 
trompe, approuvé ou encouragé ces pensées, en per- 
mettant des vœux simples (des vœux annuels, et 



— 07 — 



même, il y a cinq ans, du temps de M. Colin, des 
vœux de deux et cinq ans), et en autorisant un cos- 
tume presque entièrement religieux. Je sais que l'ave- 
nir appartient à Dieu seul, et précisément à cause de 
l'intérêt que je ressens pour cette œuvre à laquelle 
Monseigneur a bien voulu m'attacher, je craindrais 
de rien faire pour devancer l'heure de la Providence. 
Mais faut-il décourager ces bonnes âmes, et ne plus 
les laisser à la pensée qu'elles militent dans la Sainte 
Eglise en qualité d'Epouses de Jésus-Christ, leur 
enlever l'espérance qu'un jour, dont leur Evêque 
reste le juge, elles seront admises authentiquement 
à la vie religieuse ? C'est là toute leur espérance et ce 
qui les aide à supporter généreusement une vie en 
bien des points rude et contraire à tous les instincts 
de la nature... Faut-il enlever à la Bonne Supérieure 
la pensée que le noyau réuni par Dieu autour d'elle 
est peut-être le commencement et le fondement 
d'une Communauté religieuse ? Quel espoir et quelles 
vues la soutiendraient alors dans ses travaux et ses 
inquiétudes souvent si accablantes ? Depuis que je 
suis en rapport avec elle, il m'a semblé que sans doute 
le mobile de son dévouement a été la pure recherche 
de la gloire de Dieu et le désir de coopérer à ses desseins 
d'amour pour les âmes, mais qu'il se, spécialisait dans 
la formation d'une Communauté consacrée, en l'hon- 
neur de Marie Immaculée, aux pauvres enfants les 
plus abandonnées et qui ne trouveraient pas ailleurs 
de refuge en raison de leur bas âge ou de leurs infir- 
mités.... Une chose m'inquiéterait davantage, et 



I 



— 98 — 

je puis bien le dire en toute simplicité à Monseigneur, 
c'est de me voir mêlé de si près à -une œuvre qui 
demanderait, je le sens, de la sainteté avant tout. Ce 
que je voudrais au moins et demande à Notre-Sei- 
gneur, c'est de n'être pas un obstacle à ses desseins, 
et en ce moment de n'être pas un obstacle à la lumière 
que je Le prie de communiquer à son Pontife. » 

Voyant chaque année quelques nouvelles jeunes 
filles pieuses et recommandables venir offrir leur 
dévouement à cette œuvre de zèle et demander à 
s'y consacrer sous la direction de la Supérieure de 
l'Orphelinat, Mgr Jaquemet estima qu'il y avait 
là un mouvement providentiel auquel il ne devait pas 
s'opposer. Il permit aux Sœurs de faire publiquement 
leurs Vœux ; en même temps il régla d'une manière 
expresse que, jusqu'à nouvel ordre, les Vœux ne 
seraient que d'un an et qu'on les renouvellerait, 
chaque année, à la fête patronale de l'Immaculée. 
Développant sa pensée, Mgr Jaquemet écrivait au 
« Cardinal Protecteur » de l'œuvre, M. de la Guibour- 
gère : « Je veux sans doute que la petite maison soit 
une maison religieuse, puisque je parle de vœux, de 
renouvellement de vœux, de l'observation des règles 
canoniques pour la vêture et la profession. Mais je 
veux qu'elle soit une maison religieuse en commence- 
ment, et assez longtemps en enfance. 

« Je veux aussi qu'elle ne se manifeste pas au 
dehors... Qu'elle s'appelle donc habituellement l'Or- 
phelinat de la Haye-Mahéas et M n <= Veillet la Direc- 



— 99 



trice de l'Orphelinat. Mais qu'au dedans on ait les 
habitudes et les allures de la vie religieuse. 

« Maintenant, réglons vos pouvoirs. Je demeure 
Supérieur Majeur. Mais je vous nomme Vice-Supé- 
rieur, avec les pouvoirs ordinaires des Supérieurs 
de Communautés, chargé de diriger le spirituel et 
le temporel, à la charge de me rendre compte de 
temps en temps, et de prendre mon avis sur les choses 
les plus importantes. J'ajoute à ces pouvoirs, mais 
provisoirement, celui de faire l'examen pour les 
vêtures et les professions, quand vous n'aurez pas la 
facilité d'avoir l'Evêque ou un de ses Vicaires généraux. 
Vous avez, comme Supérieur, le pouvoir de recevoir 
les vœux par vous-même ou par délégation, ce 
pouvoir étant indépendant du pouvoir précédent. » 
Je les reçus, en effet, comme délégué de Monsei- 
gneur, dans la chapelle de l'Orphelinat, le 8 décembre 
1859, ajoute M. de la Guibourgère. Sa Grandeur, 
en me chargeant de cette mission, me dit : « Recevez 
les Vœux des Sœurs, mais je me réserve ceux de la 
Fondatrice ». Le pieux Evêque désirait présenter lui- 
même au Seigneur l'offrande que fit irrévocablement 
d'elle-même sa fille en Jésus-Christ, dans la chapelle 
de l'évêché. Ce don précieux devait être renouvelé 
solennellement lorsque les Règles de l' Institut, 
encore à l'étude, ayant subi l'épreuve du temps, 
auraient reçu l'approbation de l'Eglise. 



CHAPITRE TROISIÈME 



lia Maison de l'Immaculée-Conception 

Le \ieux château de la Haye-Mahéas. — Détachement et 
confiance en Dieu. — Mortifications de la Bonne Mère. 
— La Fondatrice. — Le premier essaim. — L'appel de 
Monseigneur. — Installation définitive. — Accroisse- 
ment du noviciat. — Les souhaits de fête à la Sainte 
Vierge. 

L'œuvre de l'Immaculée-Conception plongeait plus 
avant ses racines, étendait plus loin ses rameaux. 
Cependant, restait à résoudre le grave problème du 
logement. C'était le constant souci de la Mère Fon- 
datrice. De son côté, le vigilant pasteur du diocèse 
s'occupait aussi de cette question. Il avait pensé un 
instant céder à l'orphelinat la terre de Reaulieu, près 
Couëron, léguée jadis aux évêques de Nantes par la 
marquise de Trévelec. Mais il aurait fallu tout rebâ- 
tir et l'on recula devant des frais aussi considérables. 

Plusieurs autres projets n'avaient pu aboutir, 
lorsque le Supérieur de la Communauté fut averti 
qu'une importante habitation était en vente dans la 
commune de Saint-Etienne-de-Mont-Luc. C'était le 



I 



— 102 — 

château de la Haye-Mahéas, sis à une lieue du bourg 
de Saint-Etienne, sur le chemin qui conduit à Corde- 
mais. La propriété fut aussitôt visitée ; un archi- 
tecte fit son rapport ; l'avis de l'Evêque fut favo- 
rable et l'acquisition conclue sans plus tarder. 
« L'Immaculée vient d'acheter, espérant que la 
Sainte Vierge paiera, la propriété de la Haye- 
Mahéas », s'écrie, pleine de confiance en Dieu, la 
vénérée fondatrice. Il était nécessaire de se presser. 
Le propriétaire, qui était alors M. Emerand de la 
Rochette, avait passé marché avec un entrepreneur 
et déjà celui-ci commençait à découvrir la toiture de 
la chapelle (1). L'année 1860 tout entière et une 
partie de 1861 furent consacrées à la réparation et à 
l'aménagement de l'immeuble. Il fallait un grand 
travail pour l'affecter à sa nouvelle destination (2). 

La Bonne Mère annonça la grande nouvelle en ces 
termes : 

« Je viens, mes chères filles, vous apprendre que le 
Dieu de toute miséricorde a jeté ses divins regards 
sur ses plus petites servantes en nous appelant à for- 
mer, dans la paroisse de Saint-Etienne-de-Mont-Luç, 
une seconde colonie d'enfants {le la Vierge Immaculée. 
Ainsi la terre, avec le château de la Haye-Mahéas, 
va devenir une terre bénie du Seigneur, sanctifiée 
par l'obéissance, le recueillement, le dévoûment et le 
zèle. Je vous demande, mes bien chères filles, le 



(1) La chapelle du château de la Haye-Mahéas était dédiée à 
sainte Philomène. 

(2) M. de la Guibonrgère. 



103 — 



secours de vos ferventes prières. L'acquisition et les 
réparations de cette propriété réclament des frais 
considérables ; j'implore à Nantes la charité des 
âmes compatissantes ; mais je crains d'être long- 
temps éloignée de vous, mes chères filles, pour réunir 
la somme dont nous avons besoin ; que vos saintes 
prières abrègent notre pénible séparation ; toutefois, 
résignons-nous et adorons la sainte volonté de Dieu. » 
Au milieu des plus graves préoccupations, en 
proie aux soucis matériels les plus absorbants,, son 
âme demeure intimement unie à Dieu, dont elle 
désire, en tout et par dessus tout, procurer la plus 
grande gloire : « Que Dieu soit glorifié dans ses Saints. 
L'Eglise de Nantes célèbre aujourd'hui une grande 
fête en l'honneur de saint Emilien, évêque nantais, 
dont Monseigneur vient d'obtenir les reliques pour la 
cathédrale ; que la translation de ces précieuses • 
reliques soit pour tout le peuple du diocèse une 
source de bénédictions et que ce grand Saint prenne 
sous sa protection notre Congrégation naissante. 
Vous l'en prierez. Nous avons besoin de sa puissante 
protection ; or, je suis persuadée que son entrée dans 
cette ville qu'il a habitée et évangélisée y attirera 
une abondante rosée de bénédictions. Pour vous, 
mes chères filles, établissez vos âmes dans l'humilité, 
que cette sainte vertu soit votre compagne fidèle ; 
portez-la dans votre cœur et cherchez-en avec assi- 
duité les saintes pratiques. Vous l'apprendrez aussi 
à nos chères petites filles ; nous devons travailler à 
chasser de leur cœur l'orgueil, source de tous leurs 



I 



I 



— 104 — 



défauts. Qu'une sainte affection nous unisse toujours 
pour travailler, dans une admirable union, au service 
de Dieu, à sa gloire, au salut des chères âmes qui 
nous sont confiées. » 

Quels sublimes conseils dans cette même lettre, 
que nous regrettons de ne pouvoir citer tout entière : 
« Les plus agréables au Seigneur seront les reli- 
gieuses les plus détachées d'elles-mêmes, celles qui 
désirent uniquement le bon plaisir de leur céleste 
Epoux ; ce bon plaisir, elles le trouveront dans la 
voix de leurs Supérieurs et dans leur obéissance. 
Ainsi ne cherchez pas à connaître votre avenir, ne 
faites aucun projet, vivez chaque jour comme si le 
soir devait être l'heure du départ pour l'éternité. 
Quelle sainte journée, mes chères filles, pour la reli- 
gieuse pénétrée de la salutaire et sainte pensée de la 
. mort ! Je la vois tout occupée de son Dieu, tout 
embrasée du désir de Lui plaire dans ses actions, ses 
pensées, ses désirs ; encore quelques heures et la 
cloche du départ me donnera le signal de la réunion ; 
vaines et inutiles pensées, je vous chasse de mon 
esprit, mon Jésus seul doit régner en souverain 
Maître ; encore quelques moments et je touche aux 
portes de l'éternité ; pour vous, ô mon Dieu, je vais 
uniquement m'occuper du présent, sans penser à 
l'avenir, au lendemain que je ne verrai peut-être 
jamais... Que Dieu, mes chères filles, soif votre force 
et votre vie ; préparez-vous à célébrer les grandeurs 
de l'adorable Trinité dans la fête de l' Immaculée- 
Conception, mystère que nous comprendrons un 



— 105 



jour. Vous aurez, mes filles, des fleurs bien précieuses 
à offrir à Marie Immaculée ; elles se nommeront : 
obéissance, régularité, patience, zèle pour le salut des 
petites âmes confiées à notre sollicitude. » . 

Quel sacrifice pour la Bonne Mère de ne pouvoir 
assister à la pieuse et touchante cérémonie qui se 
préparait à Châteaiibriant, cérémonie où ses chères 
filles auraient le bonheur de resserrer publiquement 
les doux liens qui les unissaient à leur céleste Epoux ! 
Du moins eut-elle aussi la consolation de s'offrir, de 
son côté, en holocauste. Devenue pour jamais 
l'épouse de son Jésus, elle portera désormais le, nom 
béni, choisi depuis longtemps, de Sœur Marie de 
l' Immaculée-Conception. 

En victime offerte au Seigneur pour sa Commu- 
nauté, elle obtint la permission de faire maigre et de 
jeûner tous les jours pendant une année entière, afin 
de trouver une demeure confortable pour ses chères 
orphelines. Dès lors, elle ne mangea le plus souvent 
que des carottes au sel et à l'eau, ne prit le soir qu'une 
tasse de tilleul sans sucre et sans pain... Cette mai- 
son obtenue par la prière et la pénitence fut la Haye- 
Mahéas. Nul ne saura jamais à quel prix la vénérable 
fondatrice acheta le paisible asile de sa chère famille 
religieuse. Dans les nombreux voyages entrepris pour 
en négocier l'acquisition, deux fois elle fut victime 
d'un grave accident de diligence, sur la route de 
Nort à Châteaubriant. La divine Providence, qui la 
réservait pour travailler longtemps encore au salut 

7 



— 106 — 

des âmes, lui conserva l'existence, mais sa vie, 
désormais, ne fut plus qu'un long martyre. 

La séparation momentanée que déplore la Bonne 
Mère procura du moins à sa famille, installée à 
Nantes, l'occasion de donner l'hospitalité à l'intré- 
pide quêteuse qui, en ville, ne pouvait encore avoir 
d'autre refuge : « A Nantes, où nous vînmes habiter 
en 1858, nous dit M 110 Julie, le Bon Dieu rendit pour 
quelque temps cette chère fille à son père. Ma sœur 
s'occupait alors d'établir à la Haye-Mahéas sa famille 
religieuse, devenue trop nombreuse pour l'apparte- 
ment du vieux château de Châteaubriant, qui d'ail- 
leurs, dans cette partie, tombait en ruines. 

« Je ne puis vraiment passer sous silence les fatigues 
et les mortifications dont j'ai été témoin chaque 
jour. Ma sœur quittait la maison avant six heures du 
matin et souvent n'y rentrait que le soir, n'ayant 
mangé qu'un petit pain d'un sou. Elle n'acceptait 
que des aliments maigres. Je l'ai vue revenir de ses 
courses, de ses quêtes, accablée de lassitude, trempée 
par une pluie torrentielle, obligée, à son grand regret, 
de se laisser déchausser par moi. Mon pauvre père 
était navré de la voir en cet état, mais elle, toujours 
aimable et d'ailleurs contente d'avoir à souffrir pour 
Dieu, cherchait à le distraire et à le consoler. A mes 
affectueux reproches de ruiner sa santé par tant de 
fatigues, de jeûnes et de veilles, elle répondait : 
« Quand on demande à Dieu un abri pour sa famille, 
« il faut joindre la mortification à la prière. » Jamais 
les chères filles de l'Immaculée ne sauront ce que 






107 — 



leur Communauté de la Haye a coûté à la vénérée 
Mère Fondatrice. » 

Tout en recueillant des fonds pour son nouvel 
asile, la Bonne Mère en surveillait activement les 
travaux d'aménagement. Elle parcourait à pied les 
quatre kilomètres qui le séparent de la station de 
Saint-Etienne, souvent par les plus mauvais temps 
et toujours à jeun. La voyant arriver tout exténuée, 
l'excellente famille Renaud, demeurée gardienne du 
vieux manoir, s'empressait de lui offrir une hospitalité 
aussi délicate que généreuse ; on ne consentait à la 
laisser vaquer à ses occupations que séchée, réchauf- 
fée, restaurée. La Bonne Mère ne savait comment 
témoigner sa reconnaissance. Nul doute que les 
prières dont elle payait de si bons soins n'aient attiré 
les bénédictions divines sur cette charitable famille. 
Celle-ci eut l'honneur de donner à Dieu ses trois filles, 
dont deux embrassèrent la vie de zèle et de dévoue- 
ment de la pieuse Fondatrice, qui sut d'ailleurs leur 
inspirer à toutes un profond attachement : après sa 
mort, son seul souvenir adoucissait encore l'agonie 
de celles qui avaient eu le bonheur de la connaître. 
Ainsi un éclair de joie illuminait les traits de notre 
chère Sœur Marie de l'Assomption lorsque sa sœur, 
qui l'assistait à ses derniers moments, évoquait la 
mémoire de la Mère vénérée en lui disant : « Vous 
allez bientôt revoir Bonne Mère Fondatrice. » 

Cependant la santé de la Bonne Mère se trouvait 
compromise'par tant de privations et de fatigues. 
Elle tomba gravement malade, pendant que se pour- 



— 108 — 



suivaient les réparations. Ce dut être une grande 
mortification pour son zèle de ne pouvoir surveiller 
les travaux de cette maison qu'elle avait tant dési- 
rée et pour laquelle elle sacrifiait tout, jusqu'à sa 
vie ; d'autant plus que, l'architecte qui en assurait 
l'exécution étant mort subitement, une surveillance 
assidue devenait nécessaire. Elle savait qu'elle man- 
quait : double souffrance !... 

Mgr Jaquemet, toujours plein de sollicitude pour 
sa chère fille spirituelle, l'envoya passer quelques 
semaines à Préfailles, dans le but de hâter sa conva- 
lescence. Le charitable prélat l'avait munie de trois 
cents francs, pour lui permettre de se procurer tout 
ce qui pourrait contribuer à la rétablir promptement. 
Mais lorsque la Bonne Mère se vit en possession d'une 
telle somme, elle n'eut qu'une pensée : l'épargner de 
son mieux pour ses chères petites orphelines. Se 
nourrissant de coquillages et de menus poissons 
péchés au cours de ses promenades sur la plage, 
elle parvint à conserver son trésor presque intact. 
Si la bourse se trouva bien de ce maigre régime, il 
n'en fut pas de même de la santé de la Bonne Mère, 
qui revint à la Hayc-Mahéas plus fatiguée qu'elle 
n'en était partie. 

Cette année 1861 s'ouvrait sous de sombres aus- 
pices : une centaine d'enfants à pourvoir, sans aucune 
ressource assurée. Quelle lourde charge pesait sur la 
tête de celle qui prit la responsabilité d'un pareil 
dévouaient 1 Néanmoins, comme la diligente abeille, 
une fois ses forces un peu revenues, elle se remit tran- 



109 — 



quillement au labeur pour produire le miel de la 
divine charité. Elle travaillait avec joie et confiance, 
sans désespoir ni accablement, avec autant de per- 
sévérance que si le succès lui eût été assuré. Elle 
espérait contre toute espérance, en s'appuyant sur la 
Providence maternelle : secret des Saints qui était 
aussi son secret 1 

Lé 16 avril, une partie des orphelines étaient trans- 
férées de Châteaubriant à la Haye-Mahéas. Toute- 
fois la bonne Mère, dans le désir de conserver son 
premier orphelinat, laissait au vieux manoir de 
Briend une colonie des plus petites, sous la surveil- 
lance de Sœur Dominique et de quelques autres 
Sœurs. « Le père de Sœur Thérèse de Jésus, M. Der- 
val, s'était chargé de nous conduire de Châteaubriant 
à la gare d'Ancenis, où nous prîmes la voie ferrée jus- 
qu'à Nantes, nous disent les contemporaines. Nous 
étions six religieuses et une trentaine d'orphelines, 
choisies parmi les plus grandes. En partant de Nantes, 
notre Bonne Mère avait imposé le silence pour le 
temps du voyage. Arrivées à Saint-Etienne, nous la 
décidâmes à louer une voiture pour se faire conduire 
à la Haye-Mahéas, car nous craignions la fatigue de 
ce trajet à pied pour notre chère convalescente, à 
peine remise de sa grave maladie. Elle avait changé 
au point de devenir méconnaissable ; elle devait s'en 
ressentir le reste de sa vie... A la Haye, notre véné- 
rée Mère nous conduisit à la chapelle, placée sous le 
vocable de sainte Philomène, patronne de la jeu- 
nesse, et où se 'trouvait, au-dessus du maître-autel, 



11(1 



un tableau représentant l'Assomption de la Très 
Sainte Vierge, fête qui nous était doublement chère ; 
là, nous chantâmes de tout notre cœur un bon Magni- 
ficat, tandis qu'à toute volée sonnait la cloche. En- 
suite nous visitâmes les appartements et nous pûmes 
constater que notre bonne Mère n'avait rien épargné 
pour rendre, autant que possible, la Communauté 
commode et agréable. » 

En même temps, pour faire connaître l'œuvre 
naissante et encourager les âmes charitables à lui 
venir en aide, Mgr Jaquemet fit répandre la notice 
suivante : 

« L'orphelinat de l' Immaculée-Conception, destiné 
à recevoir les jeunes filles orphelines ou abandonnées, 
a été fondé, dans notre diocèse, avec un dévoûment 
admirable que nous avons connu et encouragé dès 
l'origine. Etabli d'abond dans les ruines du vieux 
château de Châteaubriant, il a dû, récemment, par 
suite de diverses • circonstances impérieuses, aban- 
donner cet asile et a été transporté à la campagne, 
dans les bâtiments de la Haye-Mahéas, commune de 
Saint-Etienne-de-Mont-Luc, près du chemin de fer 
de Nantes à Saint-Nazaire. 

« Cette installation, qui permettra de joindre au 
travail manuel sédentaire les avantages des travaux 
des champs, a nécessité des frais assez considérables, 
dont une partie importante reste encore à solder. 

« Nous recommandons vivement cette œuvre excel- 
lente à nos diocésains et à toutes autres personnes 



~- 111 — * 

qui se sentiraient inspirées d'y contribuer pour la 
gloire de Dieu. Nous avons déjà constaté, les années 
précédentes, les heureux résultats qu'elle a produits, 
et en même temps la grande aptitude des directrices 
pour former les jeunes filles qui leur sont confiées, 
aux vertus et aux travaux de leur condition. 

« Nous apprécions beaucoup, sans doute, les orphe- 
linats établis dans les villes ; cependant, nous regret- 
tions que notre diocèse n'en possédât point à la cam- 
pagne ; nous attendons, en effet, de cette situation, 
de précieux avantages, non moins sous le rapport du 
développement physique que sous celui du dévelop- 
pement moral des pauvres enfants que recueillera 
cet asile. Les ressources de l'établissement sont jus- 
qu'ici très précaires : des 70 ou 80 enfants qu'il réu- 
nit déjà, la plupart sont dans un âge peu avancé, et 
leur travail ne peut être que d'un faible rapport. Il 
y aurait deux moyens de venir en aide à cette mai- 
son intéressante : soit par des secours en argent, pour 
achever le paiement de la nouvelle installation de 
l'orphelinat, soit par des dons en grain, blé noir et 
autres denrées. En ce moment, ce dernier secours 
serait très précieux, puisque le plus souvent le pain 
du lendemain et de la semaine suivante n'est pas 
assuré. Nos généreux diocésains voudront bien, nous 
en avons la confiance, entendre notre appel. Une 
simple 'indication enyoyée soit à M m ° la Supérieure 
de l'orphelinat, près Saint-Etienne-de-Mont-Luc, soit 
à M. l'abbé de la Guibourgère, secrétaire de l'évêché 
de Nantes, soit à l'Evêque lui-même, suffira pour 



I 



112 -, 

qu'on fasse prendre le blé ou autres objets aux lieux 
désignés. Ce serait compléter la bonne œuvre que de 
les envoyer à M. le Curé de Saint-Etienne-de-Mont- 
Luc, dans la paroisse duquel se trouve cet établisse- 
ment, ou a l'Orphelinat même... 

« f Alexandre, évêque de Nantes. 

« Nous prions les personnes qui recevront cette 
notice de vouloir bien la communiquer et se faire, 
avec nous, non seulement par leurs dons, mais encore 
par leurs sollicitations, les protectrices de l'œuvre 
naissante. » 

A l'appel de Tévêque répondait une circulaire du 
maire de Saint-Etienne-de-Mont-Luc, M. Dubois de 
la Patellière, qui témoignait sa sympathie au nouvel 
établissement en recommandant à ses collègues l'or- 
phelinat de l' Immaculée-Conception. « Cette excel- 
lente maison, disait-il, dirigée par les Sœurs de ce 
nom, recueille un grand nombre de petites filles 
abandonnées qui y sont dressées aux travaux de la 
campagne ou de l'atelier. » 

La Bonne Mère — dont le premier soin avait été 
de s'assurer le précieux concours d'un pieux aumô- 
nier, qui fut d'abord M. l'abbé Delpuech — procu- 
rait surtout à ses chères enfants le bienfait inappré- 
ciable d'une éducation chrétienne : « .Nos 'petites 
orphelines, déshéritées des biens de ce monde, écrit- 
elle, reçoivent la grâce d'être élevées sous le toit du 
Bon Dieu pour y être instruites dans la science du 



113 — 



salut et y acquérir les moyens de gagner honnête- 
ment leur existence... Nées dans une profonde misère, 
elles ont souffert dans leur pauvre famille des dou- 
leurs que vous ne connaissez pas. » 

La divine Providence voulait que le petit troupeau 
tout entier profitât des avantages de la vie cham- 
pêtre. La Bonne Mère fut informée que la partie du 
vieux château de Châteaubriant occupée par le reste 
des petites orphelines était réclamée par un service 
départemental. Le même esprit de foi profonde et 
d'ardente piété préside aux recommandations en- 
voyées à ce sujet : « Voyez M. le Sous-Préfet pour 
savoir le jour où vont commencer les travaux, afin 
d'avoir la messe pour consommer les saintes Hosties. 
Commencez de suite à faire chaque jour une amende 
honorable pour réparer les outrages que Jésus a 
reçus dans cette chapelle. Vous ne resterez pas à 
Châteaubriant si nous ne pouvons trouver un loge- 
ment convenable pour y avoir le Saint-Sacrement. 
Prions ardemment Notre-Seigneur de nous faire 
connaître sa très sainte volonté... Soyons heureuses 
de souffrir pour notre divin Crucifié : « La vie du 
« prêtre, dit M. Olier, doit être une représentation 
« du Christ ; il doit toujours souffrir. » Et nous, 
filles de la Mère des douleurs, nous devons porter 
une ressemblance de notre Mère, pour être reconnues 
par Elle au grand jour de l'Eternité. » 

De concert avec M. le curé Mahé, elle chercha de 
nouveau un autre asile ; mais, dans l'impossibilité 
d'en trouver, elle rappela ses benjamines auprès 



I 



I 



114 -, 



d'elle et réunit ainsi toutes les brebis dans le même 
bercail. 

D'ailleurs, à Saint-Etienne, le travail ne manquait 
pas. La Haye-Mahéas, qui faisait anciennement par- 
tie de la seigneurie de Cordemais et avait vu maintes 
nobles familles se succéder dans l'enceinte de ses 
murs, était demeurée fort négligée. « Aussi, nous dit 
Sœur Dominique, Bonne Mère, qui déplore cela, 
tient à ce que nous entretenions en bon état la terre 
que le Bon Dieu nous a donnée, en la bêchant et en 
la sarclant pour en ôter les mauvaises herbes ; elle 
nous fait couper toutes les ronces autour des murs de 
l'enclos, afin de détruire les reptiles, et nous envoie 
ramasser les pierres des champs pour « foncer » les 
chemins. » 

Les petites mains n'étaient encore guère aptes à un 
autre travail et cette vie au grand air fortifiait leur 
existence chétive. Elles pouvaient dire en toute 
vérité : Dieu, sensible à notre misère, nous donne 
des champs, des bois, des prairies, un toit où nous 
dormons à l'abri des vents, des frimas, de l'orage... 
Bien ne repose aux cités, tout s'agite et travaille 
pour un peu d'or. Dans notre paisible retraite, les 
charmes de la nature, les chants des petits oiseaux, 
notre cloche du soir aux sons argentins nous invitent 
au repos, nous font dormir d'un sommeil paisible 
sous la garde des anges. 

Le zèle de la Bonne Mère s'étend bientôt aux 
familles du voisinage. « Nous avons à l'orphelinat, 
dit-elle à un bienfaiteur, une classe externe pour les 



— 115 



enfants des villages qui nous environnent et qui sont 
éloignés du bourg de 6, 7 et 8 kilomètres. Cette trop 
longue distance est une forte raison pour empêcher 
les parents d'envoyer leurs petites filles à l'école de 
Saint-Etienne ou pour les faire gémir sur les consé- 
quences d'une telle route. Plusieurs pauvres vieil- 
lards abandonnés, comme il s'en trouve encore assez 
souvent, ayant pour asile une misérable hutte de 
terre, ont été recueillis à la Communauté et y seront 
soignés jusqu'à leur mort. A l'époque des travaux 
agricoles, les cultivateurs, qui se font avec leur serpe, 
leur faucille et leur faux, de profondes blessures, 
reçoivent chaque jour des soins empressés et dévoués, 
et il en est ainsi pour les autres maux qui assiègent 
les habitants de nos hameaux et de nos marais. » 

En élargissant le champ de son apostolat, le divin 
Maître lui ménageait le concours de vaillantes com- 
pagnes. Il en vint de l'Anjou, de la Normandie, des 
rives de la Loire, des bords de l'Erdre, des diverses 
parties de la Bretagne : toutes apportaient à la 
Bonne Mère l'ardeur de leur cœur généreux ; sans 
doute elles avaient pressenti les épreuves réservées 
aux œuvres du Bon Dieu, toujours marquées au sceau 
de la Croix, mais n'ambitionnaient-elles pas de don- 
ner celte preuve de parfait amour à leur divin 
Epoux ? 

Plusieurs, se hâtant d'amasser leurs gerbes dans 
les greniers du Père Céleste, y devancèrent leur véné- 
rée Fondatrice. La première appelée à recueillir le 
fruil de ses labeurs fut Sœur Marie-Lazare, une 



116 — 



ouvrière de la toute première heure, qui commença 
dans l'Eglise triomphante la petite Fondation de 
cette Congrégation qui existait déjà depuis onze ans 
dans l'Eglise militante. Des âmes prédestinées comme 
celle-là ont vu arriver en paix et avec joie l'heure de 
la mort : c'était l'heure tant désirée de leur éternelle 
réunion avec l'unique objet de leur amour 1 Elles 
protègent, de là-haut, leurs Sœurs demeurées sur la 
terre d'exil comme les témoins vivants des jours 
héroïques, et ces dernières, à leur tour, conservant 
les traditions du passé, montreront la route aux plus 
jeunes, désireuses de suivre les mêmes traces. 

Parmi ces traditions, il en est une bien chère au 
cœur de la petite famille de l'Immaculée. Elle date 
de la fondation même. La veille de l'Assomption, au 
sortir de la récréation du soir, toute la Communauté 
se réunit à la chapelle pour « souhaiter sa fête à la 
Sainte Vierge ». Là, aux pieds de sa Mère du Ciel, une 
enfant de Marie, ayant à la main un bouquet qu'elle 
vient lui offrir, lit un compliment ou plutôt une 
prière suppliante. La prière fut composée, ainsi que 
les chants pieux qui suivent, par la Bonne Mère elle- 
même, qui voulait que, ce soir-là, Marie, sa glorieuse 
Patronne, eût la primauté de tous les vœux, de tous 
les chants d'allégresse, avec le parfum du premier 
bouquet. 

Voici, dans sa touchante simplicité, l'expression de 
ces souhaits : « O Marie, je viens déposer à vos pieds 
l'hommage de notre reconnaissance et de notre 
amour. Vous êtes, ô Marie, la lumière des cieux, la 



117 



joie et le bonheur des Saints ; mais vous êtes notre 
Mère et pour des enfants ce titre les surpasse tous et 
fait la félicité de leurs cœurs. Aussi votre fête, ô 
Marie, est-elle un jour où elles aiment à vous témoi- 
gner leur tendresse et leur piété filiale. Agréez, bonne 
Mère, ces fleurs que je vous présente au nom de vos 
filles et de vos enfants de l'Immaculée-Conception. 
Faibles emblèmes de leurs sentiments, elles vous 
diront, ô Marie, leur désir sincère de vous servir, de 
vous aimer, de louer et glorifier votre doux nom, 
votre amabilité, votre douceur, votre humilité. O 
Vierge Sainte, soyez bénie le jour de votre fête et 
versez sur vos enfants vos plus riches, vos plus abon- 
dantes bénédictions ; faites prospérer une œuvre 
qui est la vôtre. O Vierge Sainte, le cœur d'une mère 
ne peut rien refuser au jour de sa fête : vous voyez à 
vos pieds toute la petite famille de l'Immaculée, vous 
connaissez son désir le plus cher, exaucez notre 
prière, ô Marie, et comme gage d'espérance, bénis- 
sez-nous ! » 

Les prémices ayant été réservées la veille à la Mère 
du Ciel, toute la maison se réunissait, le 15 août, 
pour offrir à sa mère de la terre de petits présents, 
fruits du travail particulier qu'il était permis aux 
Sœurs et aux enfants d'accepter pour le temps des 
récréations : décorations pour la chapelle, objets 
utiles pour la Bonne Mère qui, vu la petitesse de son 
budget, n'eût pas consenti à en faire la dépense. 
C'est ainsi qu'en cette année 1861, Sœur Dominique, 
gardienne du petit pécule des Sœurs, vit les enfants 



118 — 



unir leur bourse à la sienne pour offrir à leur Bonne 
Mère un fauteuil rendu nécessaire par ses infirmités-: 
elle n'était pas remise encore entièrement de la dan- 
gereuse maladie qui venait de l'éprouver. C'est dans 
ce fauteuil — qu'elle aimait comme un gage de la 
tendre affection de sa famille spirituelle, dont il était 
le don — que la Bonne Mère passa souvent une grande 
partie des nuits, durant plusieurs autres graves mala- 
dies. Depuis ce moment, d'ailleurs, sa vie ne sera 
faite que de souffrances. 

Quelles que fussent ses peines physiques ou morales, 
elle montrait à tous un visage épanoui et paraissait 
très heureuse et tout à fait reconnaissante des pré- 
sents que chacune était si contente de lui. offrir. Les 
remercîments se traduisaient par l'octroi d'une bonne 
promenade à ses petites orphelines et d'un pèlerinage 
aux novices, qu'elle aimait à conduire prier dans la 
chapelle de Notre-Dame de la Salette, au village de 
l'Angle, proche de la Communauté. Pendant ces 
heures de récréation, elle se montrait d'un enjoue- 
ment modeste, mais rayonnant. Elle apprenait ainsi 
aux plus jeunes de sa Communauté comment tout 
peut être sanctifié, surnaturalisé, dans la peine comme 
dans la joie, et être offert à Jésus. Elle savait tou- 
jours, d'ailleurs, leur enseigner par ses exemples et- 
ses paroles que « toute heure, toute minute, toute 
seconde doit être un encens parfumé de Jésus et être 
déposé, dès l'aurore, entre les mains de Celle qui ne 
garde rien pour elle, mais le présente au royal Epoux, 
en la céleste Jérusalem. » 



119 — 



Puis c'était le tour des benjamines, qu'elle consa- 
crait en ces termes, au jour de la Présentation de la 
Très Sainte Vierge : 

« Salut, Vierge Marie, petite fille de trois ans, voici 
à vos pieds les plus petites filles de l'Immaculée. 
Prenez leurs cœurs, bonne Mère, elles vous les don- 
nent ; daignez les offrir à Jésus ; prenez leurs petites 
mains, conduisez-les avec vous dans la maison du 
Seigneur, en les couvrant de votre douce protection. 
Sainte Vierge Marie, bénissez vos petites filles tou- 
jours, toujours, toujours 1 » 

Au temps de Noël, le divin petit Roi recevait à son 
tour les hommages de la famille de l'Immaculée ; la 
Bonne Mère, animée d'une particulière dévotion à 
l'Enfant Jésus dans la Crèche, consacrait ainsi les 
plus jeunes de son troupeau : 

« O Jésus, Roi des petits enfants, je viens vous 
consacrer les chères petites que vous avez confiées à 
ma tendresse et à ma sollicitude. Je vous en supplie, 
bon petit Jésus, daignez les admettre dans votre 
sainte compagnie ; daignez accepter l'offrande de 
leurs cœurs innocents. Faites-les croître comme vous 
en âge et en sagesse, soutenez leurs pas faibles et 
chancelants, conduisez-les dans votre beau royaume, 
donnez-leur pour mère votre Mère, pour protecteur 
saint Joseph, vos anges pour recevoir leurs prières et 
les porter aux cicux. 

« Cette petite fille que je vous présente vous offre, 
avec les Mages, les cœurs des mères et des enfants. 



— 120 — 

Daignez aussi les renfermer dans le vôtre et les embel- 
lir des aimables vertus de la crèche. 

« Bon petit Jésus, douce affection de votre Mère, 
acceptez encore les faibles présents que cette petile 
innocente dépose à vos pieds, en bénissant, de vos 
petites mains, le petit ange, la Bonne Mère et ses 
enfants. » 



Les cœurs s'élevaient vers Dieu, les petits doigts 
s'appliquaient au travail : commandes de Nantes et 
des environs, dentelles aux fuseaux, dont l'art venait 
d'être importé de Caen par Sœur Donatienne. 



CHAPITRE QUATRIÈME 



lia jVIère 



Premier voyage à Paris. — Une âme de sacrifice et d'orai- 
son. — Sœur Marie-Ambroise. - La tête du retour. — A 
Bordeaux : une âme toute ;\ Dieu. — Mort de Mgr Jaque- 
met. — L'année terrible (1870). — Mgr Fournier, é\ 
de Nantes. — Les déchirements d'un cœur maternel. 

— Le calme renaît. — « La sublime vocation île la Croix. » 

— Une Mère Fondatrice redevenue écolière. — L T nc maî- 
tresse improvisée. 



Certes, on ne chômait pas dans le vieux manoir de 
la Haye-Mahéas, devenu providentiellement un asile 
de religieuses. Pourtant, malgré le labeur et la bonne 
volonté de toutes, les ressources demeuraient insuffi- 
santes. « Ce fut alors que notre Bonne .Mère, poussée 
par le zèle et l'esprit du Bon Dieu, qui est tout charité, 
entreprit pour la première fois le voyage de Paris, 
afin d'implorer les secours nécessaires à l'existence de 
sa famille, qui comptait alors 'plus d'une centaine 
de personnes. » 

Pour la première fois, elle y a le honheur de porter 
le saint habit, comme en témoigne la lettre suivante : 



■ 
I 



122 



« Je parcours Paris en religieuse, j'ai un voile... qui 
m'est bien précieux, puisqu'il me déclare fille de 
Marie Immaculée, un gros chapelet au côté... Ceci a 
été décidé à Nantes par Monseigneur, d'après mon 
humble demande. Je n'avais pas eu le temps de vous 
l'écrire. » 

Un nombre prodigieux de lettres de cette époque 
révèlent ce que fut alors son maternel dévoûment. 
De la demeure des Religieuses Bénédictines du Saint- 
Sacrement, où, avec sa fidèle compagne, Sœur Thé- 
rèse de Jésus, elle reçoit l'accueil le plus sympa- 
thique — dans ce pieux monastère se trouvait la 
propre sœur de Sœur Anna de l'Enfant Jésus — elle 
écrit à Sœur Dominique : « Que la paix du Seigneur 
soit avec vous ! Priez pour moi, j'en ai grand besoin ; 
surtout, priez le Saint-Esprit de me bien faire par- 
ler, de frapper à la porte des cœurs compatissants. » 

La fatigue de ces quêtes ne lui fait oublier aucun 
des besoins spirituels et temporels de sa chère Com- 
munauté, toujours présente à sa mémoire : 

« Nous n'avons pas l'exposition du Saint-Sacre- 
ment pour la Pentecôte : demandez-la ; -je ne sais si 
elle vous sera accordée ; je la désire de tout mon 
cœur I... 

« Pour la petite Andrée, conduisez-la samedi à 
Nantes. Il faut que cette petite soit sous les yeux du 
médecin. Dites-lui de ne pas se faire de peine, que 
j'irai la voir à mon retour de Paris, et si elle est bien 
guérie, je la ramènerai... Pour les balais, demandez 
à un propriétaire qui aurait des champs de genêts de 



123 — 



vous en vendre, ils reviendraient à moins cher que 
ceux de millet ; néanmoins, si vous en manquez, 
procurez-vous quelques balais de paille au bourg. » 

De loin, la Bonne Mère s'unit à tous les événements 
de la Haye : « Je m'associe de tout mon cœur à la 
joie des enfants qui vont être confirmées... Faites 
prier pour nous, que nous ayons part aux grâces et 
aux dons qui vont se répandre dans notre petite cha- 
pelle. » 

Pleine de sollicitude pour chacune de ses filles, elle 
sait leur adresser le mot qui encourage: « Que la 
grâce du Saint-Esprit repose sur vous ! Ne vous lour- 
menlez pas : Dieu vous aime ; il vous a arrachée au 
monde et à ses plaisirs pour faire de vous une fidèle 
servante de sa divine Mère ; pour servir une aussi 
grande Reine, il vous a purifiée de vos taches par la 
douleur. Chaque soir, renouvelez votre protestation 
de plutôt mourir que de l'offenser. Que la doulou- 
reuse Passion de Jésus-Christ crucifié soit gravée 
dans votre cœur ! » 

Elle n'oublie pas ses enfants de Marie, dont les 
moindres peines lui sont connues, et écrit à leur 
Présidente : « Marie ouvre son cœur, les plis de son 
manteau, pour servir de refuge aux âmes coupables 
qui ont déchiré, percé le sacré côté de son divin Fils ; 
et vous, mon enfant, vous serez désormais bonne, 
charitable, indulgente pour la pauvre enfant cause 
de votre chagrin. » 

La mort inopinée de Mgr Baudry vient affecter 
douloureusement les chères Filles, que la Bonne Mère 






— 124 — 



doit aux conseils et aux directions de Sa Grandeur, 
en particulier sa nièce, Sœur Marie-Ange ; elle écrit : 

« Si vous êtes ressuscitéc avec Jésus-Christ, cher- 
chez et goûtez les choses du Ciel et non celles de la 
terre. Votre lettre m'a comblée de consolations ; 
Jésus répand sur vous sa divine lumière, Il vous fait 
comprendre le mérite du sacrifice ; Il vous en donne 
le goût : que son Saint Nom soil béni ! Conservez 
dans le plus intime de votre âme ces bonnes semences ; 
je demande instamment à Noire-Seigneur de les 
faire croître, grandir et de leur faire porter de bons 
fruits pour l'éternité... 

Vous acceptez la douloureuse perle de Sa Gran- 
deur en vraie religieuse ; toutes ces bonnes inspira- 
tions vous sont données par la miséricorde, la ten- 
dresse de Jésus ; correspondez à son amour et méri- 
tez de nouvelles grâces par votre humilité, votre 
petitesse, votre abnégation. Aimez Dieu, ma fille, de 
toutes les puissances de votre âme ; aimez c dans 
l'épreuve. Ne cessez d'allumer le feu de l'amour divin 
dans votre âme, par les actes d'une vie vraiment reli- 
gieuse et par le bois des saintes affections. 

i La mort est un'des plus puissants moyens dont 
Dieu se serve pour arracher les âmes au péché, les 
détacher d'elles-mêmes et les conduire dans les sen- 
tiers de la perfection. Faites toutes choses par amour, 
pour contenter l'amour de votre cœur : Jésus. Pour 
arriver â celle fin, l'humilité et le désir d'être humi- 
liée, méprisée, doit être une des conséquences de 
l'amour. Mettez Marie dans vos intérêts ; sans Elle, 



125 



que pouvez-vous faire ? Aimez beaucoup la Très 
Sainte Vierge ; Elle est la Mère de notre Dieu ; Elle 
est donc toute puissante dans le royaume de son Fils. 
Vous direz cinq fois par jour, avec votre pauvre Mère : 
Et Verbum caro factum est. Que par ces paroles, qui 
nous rappellent l'amour et les humiliations du Sei- 
gneur, vous soyez bénie et deveniez une véritable 
amante des mépris, des humiliations, des souffrances. » 

C'est bien là, en effet, le pain quotidien de la géné- 
reuse Mère, qui parle d'expérience. Arrêtée par la 
maladie, elle écrit de Nantes : « J'ai été fatiguée au 
point de ne pouvoir marcher ; ceci n'est pas éton- 
nant après les grandes fatigues que je viens d'éprou- 
ver à Paris. Je n'ai pas quitté la chambre. Priez Jésus 
pour moi. Dieu, sans doute, aime mieux nous voir au 
Calvaire qu'au Thabor. Bénissons son adorable 
volonté. » 

A l'exemple de sainte Thérèse, elle puise sa force 
d'âme dans l'oraison, dont elle sait si bien inculquer 
l'esprit à ses filles : « Ayez faim d'oraison ; le soir, 
en quittant la sainte demeure de Jésus, préparez vos 
âmes au doux entretien du lendemain ; la nuit, si 
le sommeil fuit vos paupières, songez encore à la 
cloche du réveil ; ce son argentin est la voix de Jésus 
qui semble vous dire : « Ames chrétiennes, âmes chéries 
de l'Epoux, sortez de votre pauvre couche ; le Seigneur 
vous attend ; Il demande votre première pensée, la pre- 
mière affection de votre cœur, votre première conversa- 
tion, les premiers épanchements de votre âme ; Il veut 
vous dire : Ma fille, je t'aime, et je t'ai toujours aimée I 



— 126 -. 

Et toi, me rendras-tu amour pour amour ? Sur la Croix, 
le Ciel est devenu ton héritage ; travailleras-tu aujour- 
d'hui à le conquérir ? Je t'ai choisie entre tes sœurs pour 
te donner le lis de la virginité, la rose de l'amour, la vio- 
lette de l'humilité ; seras-tu sensible au choix de ton 
Seigneur ? Cueilleras-tu enfin ces fleurs, dont le parfum 
embaume le cœur de ton Dieu ?... » 

S'il avait été donné à la Révérende Mère de F Imma- 
culée-Conception de pénétrer l'avenir, elle aurait pu 
voir combien ses souffrances attiraient les bénédictions 
de Dieu sur sa famille religieuse. La divine Providence 
lui envoyait, le 2 septembre 1863, une jeune postulante 
de Petit-Mars, M Ue J. A. (1), qui, le 8 décembre suivant, 
à l'âge de dix-sept ans, reçut, avec le saint habit, le nom 
de Sœur Marie Ambroise et fit ses premiers vœux le 
15 décembre de l'année suivante. Elle devait partager 
la vie de privations et de dur labeur de la vénérée fon- 
datrice et, formée à son école, travailler ensuite à péné- 
trer de son esprit la chère Communauté où Dieu l'avait 
conduite pour y faire tant de bien'. Au milieu des occu- 
pations les plus absorbantes, disputant au sommeil 
quelques rares instants, elle recueillit de ses mains 
pieuses, comme le plus précieux héritage de la Congré- 
gation, les documents que, dans sa profonde humilité, 
la Bonne Mère aurait voulu ensevelir avec elle dans la 
tombe. Qu'elle nous pardonne de découvrir la lumière 



(1) « M. le curé de Nort insiste auprès de la Supérieure, écrivait 
le 13 janvier 1S63 M. de la Guibourgère a Mgr Jaquemet, pour la 
réception d'une jeune tille de sa paroisse dont il fait l'éloge sous tous 
les rapports. » 



— 127 



cachée sous le boisseau. Nous n'avons souhaité, par là, 
que procurer la plus grande gloire de Dieu et de la Très 
Sainte Vierge, en faisant mieux connaître une vie toute 
fécondée par la grâce divine et la protection de notre 
Mère Immaculée. 

La petite Communauté de la Haye-Mahéas n'était 
donc pas oubliée du Bon Dieu, qui lui accordait peu à 
peu, et comme goutte à goutte, les secours nécessaires 
à ses besoins. Le principal dispensateur de ses bienfaits 
avait été le vénéré Supérieur, si dévoué pour la famille 
de l'Immaculée. Aussi, la Bonne Mère ayant pu le déci- 
der à venir recevoir lui-même les vœux de fête qu'on 
avait coutume de lui envoyer chaque année, ce fut le 
sujet d'une grande réjouissance. Une joyeuse pièce, des 
chants pleins d'entrain, un compliment où se tradui- 
saient les sentiments sincères de tous les cœurs, firent 
à ce saint prêtre une agréable surprise et procurèrent 
un jour de délicieuse fête à toute la maison, qui 
n'était pas habituée à ces démonstrations extraordi- 
naires. 

Cependant, l'orphelinat, déjà trop nombreux pour 
ses ressources, consistant dans le travail peu lucratif 
des Sœurs et des enfants, avec les secours providen- 
tiels, mais non assurés, des âmes charitables, voyait 
arriver constamment de nouvelles demandes d'ad- 
mission. La Bonne Mère, ne pouvant se résoudre à 
refuser, se multipliait, malgré sa santé bien altérée, 
pour être en mesure de faire lace aux exigences de la 
situation. Puis à ses soucis habituels viennent s'ajou- 
ter les craintes occasionnées par la santé de sa chère 



■B 






'i-v 






128 — 



compagne de quêtes : « Je suis encore bien inquiète 
de Sœur Thérèse, écrit-elle ; je crains beaucoup 
qu'elle ne soit atteinte d'une fièvre de mauvaise 
nature. Faites prier le bon père saint Joseph pendant 
sept jours ; adressez-vous à ses sept douleurs et à 
ses sept allégresses ; ce bon Père y est très sensible. 
Je suis, aussi moi, souffrante : l'inquiétude et le 
chagrin peuvent bien y contribuer. » 

En effet, Sœur Thérèse remise, sa dévouée garde- 
malade tombe à son tour et demeure gravement 
indisposée durant trois mois dans le petit pied-à- 
terre de Nantes, impasse Saint-Laurent. Mgr Jaque- 
met, quoique souffrant lui-même, allait la visiter et 
lui porter la sainte Communion. L'âme délicate de la 
Mère Fondatrice en conservera jusqu'à la fin de sa 
vie un souvenir d'action de grâces : chaque année, 
désormais, elle communiera à la date du 27 décembre, 
fête de saint Jean l'Evangéliste. Son retour, ardem- 
ment désire à la Haye-Mahéas, fut un jour de 
triomphe et de joie pour tous les cœurs. Toute la 
Communauté, accompagnée des enfants, se rendit 
au-devant d'elle jusqu'à la porte d'entrée du haut 
du parc. Là, elle descendit de voiture, selon un désir 
exprimé d'avance, pour se trouver plus tôt sur le 
sol de l'Immaculée. « Nous n'avions pas assez d'yeux 
pour la contempler, ajoute la narratrice ; mille « Bon- 
jour, ma Bonne Mère » sortaient de toutes les bouches à 
la fois ; on se pressait autour d'elle, à qui pourrait l'ap- 
procher de plus près et en recueillir une parole... On 
sonne toutes les cloches, jusqu'à celles des portes d'en- 



— 129 



trée, au. point que M. l'abbé Bachelier, aumônier de ce 
temps-là, en l'ut fort étonné ! Cette manifestation toute 
spontanée de notre joie était uniquement provoquée par 
l'affection filiale que nous portions toutes à notre Bonne 
Mère. » 

En plus de la confiance inébranlable qu'el'e avait en 
la divine Providence, cette sympathie aimante soute- 
nait le courage de la vaillante Mère des orphelines. De 
concert avec ses chères filles, qui ne faisaient qu'un cœur 
et qu'une âme avec leur vénérée Supérieure, elle travail- 
lait, priait et espérait. Elle priait de cette prière qui unit 
à Dieu et l'âme et la volonté : pain nourricier dont elle 
dit avoir faim et dont elle léguera le goût à sa Commu- 
nauté, comme l'esprit qui devra l'animer dans la suite. 
Elle travaillait sans repos. D'ailleurs, à peine remise de 
secousses qui en auraient terrassé tant d'autres, elle 
reprit ses courses à travers la France. 

« En 1868, écrit sa sœur Julie, nous quittâmes Nantes 
pour Bordeaux. La Mère Marie de l'Inunacuiée-Concep- 
tion, qui avait déjà inauguré la quête de Paris, obtint de 
ses supérieurs l'autorisation de venir quêter dans notre 
nouvelle résidence. C'est la maison paternelle qui eut le 
bonheur de la recevoir. Elle était accompagnée de Sœur 
Thérèse de Jésus, et ces deux ferventes religieuses sui- 
virent leur règle le plus possible. Ma sœur, malgré ton les 
les instances qui lui furent laites, ne voulut pas accepter 
de repas dans la famille de son frère aîné, et même elle 
ne consentit à visiter que les parents qui promirent de 
lui remettre une offrande pour l'orphelinat. La belle- 
sœur de notre frère Alexandre était alors postulante au 



— 130 — 



couvent du Bon-Pasteur de Bordeaux ; elle avait la 
Mère Marie de l' Immaculée-Conception en grande véné- 
ration et désirait beaucoup la voir ; mais ma sœur ne 
voulut point consentir à celte visite, dont elle ne voyait 
point l'utilité pour l'œuvre de l'Immaculéc-Conception. 
La pauvre Sœur Saint-Paul n'obtint pas davantage de 
sa Supérieure l'autorisation de sortir de sa Commu- 
nauté. Elles firent de part et d'autre leur sacrifice !... 

Effectivement, la Bonne Mère avait un grand cœur 
pour sa famille ; mais avant tout, elle était tout entière 
à Dieu. C'était en Lui et pour Lui qu'elle aimait ses 
parents, ne cherchant qu'à les fortifier dans l'amour du 
divin Maître ou à les y ramener, s'ils s'en étaient mal- 
heureusement éloignés. Pour elle, sa pensée demeurait 
constamment unie à Dieu, comme le prouvent des con- 
seils vécus, envoyés de cette ville : « Bappelez-vous les 
paroles du livre de l'Imitation, dont nous devrions faire 
une étude toute spéciale : Elevez-vous au-dessus des 
différents états de votre âme et soyez inébranlable dans 
vos résolutions; combattez avec calme et fermeté les 
misères de votre nature ; soyez vigilante, mais toute 
pleine de coniianec dans Celui qui combat auprès de 
vous, qui vous entoure et qui habite votre propre cœur. » 

Ce Jésus qu'elle aimait tant, comme elle savait le faire 
aimer ! Au milieu des déchirements que lui causait la 
mort de ses chères orphelines, savoir qu'elle avait aidé 
à leur ouvrir le Paradis était la grande consolation de 
son zèle. Elle confiait alors à ses plus intimes sa joie 
voilée, malgré tout, d'une profonde tristesse. La pauvre 
mère écrivait à l'occasion du décès d'Anna Garnier, 



131 -, 



jeune fille de vingt ans, faible et délicate, que^son inno- 
cence, sa piété, sa douceur rendaient chère à toute la 
Communauté : « Anna est très mal : elle a reçu le saint 
Viatique et l'Extrême-Onction. Cette chère enfant est 
toujours heureuse de mourir. C'est une petite privilé- 
giée du Ciel !... » Et dans une autre circonstance : « Notre 
bonne petite Marie vient de nous quitter pour une patrie 
meilleure. Nous pleurons toutes cette chère enfant, qui 
nous a témoigné, par ses paroles et ses caresses, jusqu'à 
son dernier soupir, l'attachement qu'elle nous portait. 
Le Bon 1 )ieu a exaucé les prières de Marie : elle désirait 
mourir à l'Immaculée, toute jeune. Ses derniers instants 
ont été très édifiants ; pendant son agonie, lorsque je lui 
parlais de la Sainte Vierge, sur ses traits se peignait un 
sourire de bonheur qu'elle a conservé jusqu'à son der- 
nier soupir. » 

Pour ces jeunes existences chétives et souffreteuses, il 
était bien doux, en effet, de quitter la terre d'exil pour 
la Patrie, de passer des bras de leur Mère adoptive dans 
ceux de leur Mère du Ciel. Mais que de souffrances pour 
l'âme de celle qui demeurait, ici-bas, témoin de toutes 
les misères de la pauvre humanité ! Et ce n'était là que 
le commencement des nouvelles tribulations quo'atten- 
daient. 

La mort de Mgr Jaquemet, arrivée le *.) décembre 18G9, 
fut une véritable perle pour la Communauté et le point 
de départ d'une série de pénibles épreuves pour la Mère 
Fondatrice. Jusque là, la petite famille de l' Immaculée- 
Conception avait eu pour protecteur et pour appui le 
saint évêque qui venait de lui être ravi ; l'orphelinat 



— 132 — 



avait pris naissance sous ses auspices, et ce n'était que 
d'après ses avis et suivant ses conseils que la Congréga- 
tion adoptait sa forme de vie religieuse ; c'était lui- 
même qui avait choisi et fixé son costume, le donnant 
pour la première fois à la Fondatrice en 1862. 

Confiée par Sa Grandeur à l'un de ses prêtres les plus 
chers, M. l'abbé de la Guibourgère, l'œuvre était en 
bonne voie ; mais il y avait encore beaucoup à faire. 
La Règle n'était pas écrite, quoiqu'elle se pratiquât régu- 
lièrement dans la maison. Avec de si lourdes charges, il 
fallait le courage et la confiance en Dieu de la Bonne 
Mère pour persévérer dans son dessein et mener à bien 
ses travaux. 

A l'heure même où la maison de l'Immaculée semblait 
avoir plus besoin que jamais d'un protecteur, celui-ci 
même allait lui manquer. La guerre venait d'être décla- 
rée. L'âme patriotique du zélé prêtre sollicitait aussitôt 
et obtenait un poste d'aumônier dans l'armée. « Mon 
bon Père, lui écrit sa fille spirituelle, douloureusement 
surprise à cette nouvelle imprévue, n'abandonnez pas 
vos enfants. Achevez votre œuvre pour la gloire de Dieu. 
Vivez près de nous pour attirer, dans les doux liens du 
Christ, des vierges, des enfants, des brebis égarées. For- 
mons les œuvres qui vous semblent devoir sauver les 
âmes sans appui. 

« Notre Communauté vous appartient ; sans vous, 
nous serions encore dans nos vieilles masures de Châ- 
teaubriant. Tout ici a été fait par vous : le spirituel aussi 
bien que le temporel. Nous vous appartenons comme les 
Petites Sœurs des Pauvres appartiennent à M. l'abbé 



133 



Le Pailleur. Quelle était notre situation avant que cette 
maison nous soit ouverte par vous ? 

« Si Dieu vous destine à une plus haute mission que 
celle de vivre près de nous, que nous soyons également 
à vous et que toutes choses ici ne se fassent que par vous. 

•< Je me suis fait remplacer par Sœur Thérèse et Sœur 
Dominique pour apprendre aux Sœurs et aux enfants la 
triste nouvelle de votre départ : toutes ont été bien affli- 
gées et partagent ma peine. 

« Adieu, mon bon Père ; que Dieu vous donne des 
âmes sans que vous soyez exposé aux dangers de la 
guerre. Je m'identifie à vos pensées, à votre dévoû- 
ment. » 

Bientôt, hélas ! ce ne sont plus seulement ses propres 
douleurs qui étreindront son âme. Sous l'impression des 
maux terribles qui ont fondu sur la France, elle, la 
petite-fille d'un colonel de l'Empire tué à Waterloo, elle 
écrit : « Ma chère Julie, je m'empresse de répondre à ta 
lettre ; dans ces jours d'agonie, nous avons besoin de 
nous écrire souvent. Les événements sont bien graves, 
bien douloureux, niais prions beaucoup ; la prière est 
assurément une arme puissante et victorieuse. Les per- 
sonnes qui peuvent nous renseigner le mieux sur l'état 
actuel des choses paraissent inquiètes. Nous avons pour 
préfet M. Guépin. Nantes est calme ; le changement de 
gouvernement s'est accompli sans bruit, sans émeute. 
M. le Supérieur a écrit une lettre dont je te copie quel- 
ques lignes : « Depuis le 14, jour de la bataille de Borny, 
« près Metz, je vais d'ambulance en ambulance, cher- 
« chant à ouvrir les portes du Ciel au plus grand nombre 



134 -r 



« possible de mes braves, horriblement mutilés clans 
« cette guerre ou plutôt ce carnage affreux. Ceux qui 
« meurent dès le soir de la bataille, après avoir mis leur 
« conscience en règle, sont vraiment heureux ; mais 
« ceux qui se tordent dans les douleurs de l'agonie pen- 
« dant des 5, 8 et 10 jours, sans pouvoir mourir, on peut 
« dire qu'ils achètent le Ciel à un haut prix et par un 
« des plus cruels martyres. Séparés ici du reste du monde 
« civilisé, sans aucune communication avec Metz, qui 
« est investi par l'armée prussienne, nous ne savons où 
« en est la France. Nous nous bornons à élever nos 
« prières vers Dieu et à adorer ses insondables desseins. » 
Dis à papa de prier pour M. le Supérieur, car si nous le 
perdions, nous serions à plaindre... Si Bordeaux est 
investi, venez vous réfugier à l'Immaculée; nous vous 
recevrons à bras ouverts. » 

Tandis que tant de graves soucis planaient sur sa tête, 
la Bonne Mère, toujours calme au milieu de la tempête, 
veillait au bien de toutes et de chacune avec le même 
dévoûment, la même délicatesse attentive. 

« Je me souviens qu'en 1870, raconte la pieuse gar- 
dienne des chroniques de la Communauté, je fus envoyée 
en commission dans un village Voisin ; le chien de la 
ferme m'ayant mordue à la jambe, il me vint, malgré les 
précautions que l'on put prendre, une plaie gangreneuse 
qui donna à notre Bonne Mère de sérieuses inquiétudes 
sur mon compte. Elle-même voulut se charger de me 
donner les soins nécessaires, quoique la Sœur infirmière 
en fût bien capable : deux fois par jour, elle venait à 
l'infirmerie panser ma plaie, me faisant toutes sortes de 



— 135 



défenses : de me lever, de me fatiguer pour quoi que ce 
fût. Elle me montrait encore la manière de préparer les 
linges et la charpie qui devaient servir aux pansements. 
Elle ne se contentait pas de cela : elle venait dans la 
journée, près de mon lit, essayer de m'inspirer une 
grande confiance en la Sainte Vierge, en me lisant le 
récit des apparitions et des miracles de Lourdes (on fai- 
sait une neuvaine de prières à Marie Immaculée, pour 
ma guérison). Si quelque empêchement ne lui permet- 
tait pas de venir à l'heure ordinaire, elle m'en faisait 
exprimer ses regrets. Cette manière d'agir de notre Mère 
pour moi, pauvre petite Sœur, me confondait et m'hu- 
miliait beaucoup ; je me réjouissais lorsque j'apprenais 
qu'elle n'allait pas venir, car je lui donnais vraiment trop 
de peine I Je lui disais bien des fois : « O ma Bonne Mère, 
je vous en prie, laissez Sœur Marie de Présentation faire 
cela ; ne vous dérangez pas ainsi pour moi. » Elle me 
répondait : « Je suis trop heureuse ; je n'ai pas besoin 
d'aller sur les champs de bataille pour trouver des bles- 
sures à panser, j'en -ai à ma porte. » 

Toujours sous. le coup des tristes événements qui se 
déroulent, le 16 janvier 1871, elle adresse encore ces lignes 
à sa sœur Julie : « Je te remercie de tes souhaits ; ils me 
sont toujours bien précieux, car je sais qu'ils partent de 
ton cœur. Les miens pour toi sont aussi bien sincères et 
plus ardents que jamais, à l'aspect des malheurs qui 
couvrent notre chère Patrie. Je suis inquiète de vous 
tous ; notre séparation est vraiment plus pénible encore 
pendant la douloureuse époque que nous traversons. 
Les Prussiens sont au Mans. Que Dieu nous préserve de 



I 



— 136 — 

leur présence ! Nous sommes dans une grande disette de 
combustible : jour et nuit, les chemins de fer sont em- 
ployés au service du gouvernement. Nous attendons en 
vain notre envoi de charbon Cardiff. Juge de l'embarras 
de notre pauvre cuisinière. J'ai enfin reçu une lettre de 
M. le Supérieur ; il est à Erfiïrt, aumônier des prison- 
niers français. 



Pendant cette période alarmante, la Communauté 
demeurait abandonnée à elle-même. En effet, Mgr Four- 
nier, successeur de Mgr Jaqueinet, l'avait entièrement 
remise à son supérieur ecclésiastique, et celui-ci, éloigné 
d'elle, redoutait la responsabilité de cette lourde charge 
devant Dieu. D'ailleurs, là-bas, au milieu de ses pauvres 
prisonniers, que pouvait-il faire pour les Sœurs et leur 
lointain orphelinat? 

Humainement parlant, l'existence déjà précaire de la 
Congrégation allait, semblait-il, devenir tout à fait 
Impossible. Plusieurs eu jugeaient ainsi et, se basant sur 
des rapports erronés, parfois même injustes, songeaient 
à une transformation. Effrayés de sa position critique, 
tous les ecclésiastiques qui lui portaient intérêt trem- 
blaient pour son existence. De ce nombre fut M. l'abbé 
Bachelier, le prudent aumônier de la Communauté. Pre- 
nant pour une certitude les craintes et les bruits de sa 
dissolution, ce bon vieillard aux cheveux blancs, à l'âme 
tendre et paternelle, ne se sentit pas le courage d'être 
témoin des tristes scènes d'une prochaine et pénible 
séparation entre les mères et les enfants. Malgré les sup- 
plications de la Bonne Mère, il prit donc le parti de quit- 



137 



ter la Communauté, qui resta seule dans sa détresse, 
privée du Saint-Sacrifice et, par là, de la Sainte Commu- 
nion. Quelle angoisse, quel crève-cœur pour la pieuse 
Fondatrice et ses Sœurs les plus anciennes, qui avaient 
eu jusque-là le bonheur de communier chaque matin ! 
Le divin Consolateur du Tabernacle les visita cependant. 
Un jour sur la semaine et le dimanche, un prêtre dévoué 
venait célébrer les Saints Mystères à la Communauté et 
y distribuer la Sainte Eucharistie. Ce dur temps de pri- 
vations dura environ deux mois, du 2 décembre 1871 
au commencement de février 1872, date à laquelle Mon- 
seigneur envoya à la Haye, en qualité d'aumônier, 
M. l'abbé Hupin. 

Ce fut alors qu'apparut, grandi encore et purifié par 
la douleur, le courage héroïque et les vertus d'une âme 
si confiante en Dieu et si dévouée à sa famille spirituelle ! 

« Le Bon Dieu éprouve ses pauvres servantes, confiait- 
elle à l'une de ses filles. Disons avec la Sainte Vierge 
Fiai et restons calmes au sein de la tribulation. » 

Au Père Sébastien, confident de ses pensées les plus 
intimes, la Bonne Mère écrivait : « Dans les combats 
que je soutiens pour conserver le petit champ que le 
divin Maître m'a donné à défricher, que j'ai besoin de 
toute votre charité ! Le Bon Dieu me guide toujours 
vers vous quand il voit sur la terre sa pauvre petite 
créature toute perdue dans les soucis et dans les larmes. 
Si j'étais seule, je ne ferais nulle opposition, je me reti- 
rerais en Irlande, auprès du bon Père Sébastien, qui 
m'offre de me procurer une généreuse hospitalité ; mais 
j'ai des devoirs à remplir à l'égard des Sœurs qui ont 



— 138 



travaillé à l'œuvre de l' Immaculée-Conception, des per- 
sonnes charitables qui ont bien voulu m'aider de leur 
concours. Puis-je, sans effort, permettre cette dissolu- 
tion, sachant surtout que l'état involontaire dans lequel 
a été mise notre Communauté, par suite de fâcheuses 
circonstances, n'est point dû au noyau de l'œuvre, bien 
que des jugements erronés pèsent sur nous ? 

« Après avoir travaillé pendant vingt ans, usé notre 
vie, reçu du Bon Dieu un cœur si maternel pour nos 
pauvres enfants, je me sens défaillir à la pensée de les 
quitter... Après avoir pansé leurs plaies, leurs scrofules, 
guéri, avec l'aide de Dieu, de pénibles infirmités, je 
n'aurais donc pas le bonheur d'aller reposer dans notre 
petit cimetière, près de celles que j'ai remises entre les 
bras du Bon Dieu ! Oh ! mon Père, que je souffre ! Non, 
je ne puis pas admettre la pensée de me séparer de mes 
chères enfants... Je me sens portée à la confiance envers 
celui que Dieu nous a donné pour Pasteur et à recevoir 
avec humilité et contrition de cœur l'épreuve crue Sa 
Grandeur croit devoir nous infliger ; je veux tout espé- 
rer de son âme si sensible, si bonne et si compatissante... 
C'est à vous que Jésus a voulu que je fasse entendre ce 
cri : « Maître, sauvez-nous, nous périssons 1 » C'est à vous 
de prendre dans vos mains bénies le gouvernail de notre 
barque, pour la faire surnager au-dessus des flots agi- 
tés. « Un grand vent s'éleva et jetait des flots dans la 
« barque, de telle sorte qu'elle était toute submergée. 
« Cependant Jésus dormait à la poupe. Oh ! Seigneur, 
« levez-vous ! afin que tous ceux qui verront un grand 
« calme succéder à une furieuse tempête s'écrient pleins 



— 139 — 



« d'admiration : Quel est Celui à qui les vents et la mer 
« obéissent?... » 

Grâce à Dieu, Mgr Fournier, mieux informé, la ras- 
sura dans une audience accordée à deux de ses Sœurs : 
« Mes chères filles, leur dit le Prélat, je n'ai jamais 
demandé la dissolution de votre maison, et je ne la 
demanderai jamais ! Allez dire de ma part à votre 
Bonne Mère que je lui donnerai un aumônier vers Noël ; 
à cette époque, nous aurons une nombreuse ordination. » 
Sa Grandeur ajouta : « Je désire que vous viviez, et je 
ne demande absolument que cela ; je vous permettrai 
de faire vos vœux. 

« — Mais, Monseigneur, vous voulez nous ôter notre 
Bonne Mère, dirent les Sœurs. 

a — Mes chères filles, jamais je n'ai pensé à vous ôter 
votre Bonne Mère. 

« — Mais, Monseigneur, nous savons qu'on veut nous 
l'enlever. 

« — C'est vrai, il en est question, répondit Sa Gran- 
deur ; mais pour moi, jamais je n'y ai pensé. » 

Mgr de Couëtus, prélat de Sa Sainteté, que les Sœurs 
rencontrèrent à l'Evêché, confirma ces paroles et ajouta : 
« Mes pauvres Sœurs, vous êtes bien éprouvées, oui, Vous 
l'êtes bien ; mais consolez-vous : le Bon Dieu, quelque- 
fois, permet ces épreuves pour rendre les œuvres triom- 
phantes et glorieuses. Monseigneur n'a pas demandé la 
dissolution de votre Maison, et il ne la demandera 
jamais. » 

La Bonne Mère, réconfortée par l'encouragement épis- 
copal, adresse les lignes suivantes au Supérieur ecclé- 



— 140 — 



siastique de sa Congrégation : « Puisque Monseigneur 
nous permet de continuer l'œuvre, nous avons le désir 
de nous y dévouer plus que jamais... Permettez-moi de 
vous rappelez que si la fondation de M ra » de Chantai a 
changé de forme, M™ de Chantai est restée avec ses 
filles ; elle n'a point vu non plus se disperser les sujets 
confiés à sa sollicitude et à sa tendresse. Son œuvre a 
changé de but,' de forme, de plan; mais elle ne s'est 
point fondue dans une autre œuvre ; elle a approprié 
ses ressources, ses moyens, son association aux besoins 
•de son temps. Les Evêques n'ont point exigé d'elle une 
fusion complète qui aurait privé l'Eglise de l'Ordre de 
la Visitation : les saints Prélats ont simplement con- 
seillé à saint François de Sales et à la Bienheureuse de 
préférer la vie contemplative, la clôture, aux œuvres 
de charité extérieures, sans exiger que "M™ de Chantai 
et ses bien-aimées filles se dispersent en différents monas- 
tères : Carmélites, Clarisses et autres. Nous aurons, par 
conséquent, une plus grande conformité avec M me de 
Chantai en ne dissipant pas notre premier talent, 
mais en le mettant à profit, afin qu'il germe et pro- 
duise pour l'éternité... Faisons, pour notre Mère du 
Ciel, un sublime effort... Mgr Jaquemet me l'avait 
prédit en disant : « Marchez !... Pour vous, vous êtes 
« appelée à la sublime vocation de la Croix. » 

Fidèle à ce mot d'ordre, elle écrit encore au Père 
Sébastien : « Je sens que Dieu veut nous faire sortir 
d'une position chancelante, mais II veut aussi que je 
travaille à surmonter les difficultés présentes, avec le 
secours de sa grâce... Nous avons été obligées de quêter 



141 



parce que, pendant la guerre, nous avons manqué de 
travail lucratif; mais depuis quelque temps, le travail 
abonde ; nous en avons pour plus de six mois. Soyez 
persuadé que nos trente Sœurs ne sont pas toutes 
employées pour l'orphelinat, c'est-à-dire n'y sont pas 
toutes destinées... J'ai formé plusieurs maîtresses d'ou- 
vroir parce que plusieurs dames du grand monde, dont 
j'ai fait la connaissance à Paris, m'ont demandé des 
Sœurs pour tenir les orphelinats qu'elles ont à fonder. 
Dernièrement encore, un Monsieur est venu de Vendée 
voir l'orphelinat, et il en a paru très satisfait. Il doit 
nous demander des Sœurs à l'époque où il fondera un 
petit établissement d'orphelines. — Ce placement des 
Sœurs deviendra encore une ressource pour notre mai- 
son, puisqu'il est convenu que les fondatrices doivent 
nous donner le surplus de leurs dépenses. — Ensuite, 
nous sommes demandées pour les malades... 

« Puisque Monseigneur veut bien nous laisser conti- 
nuer l'œuvre, je me sens portée à tenter de nouveaux 
efforts. Puis-je ne pas avoir l'espérance que le saint 
Pontife de Nantes se laissera toucher par notre persé- 
• vérance et notre bonne volonté?... » 

En effet, Mgr Fournier, après avoir laissé la Congré- 
gation à elle-même pendant un certain temps, pour 
expérimenter sans doute, par cet abandon, si elle méri- 
tait de vivre, fut touché de sa détresse. Il ne put s'em- 
pêcher d'admirer cette fermeté et ce courage que les 
épreuves n'avaient point abattus. Il la prit désormais 
sous sa protection, lui témoigna directement son intérêt 
par ses conseils et ses encouragements, et plus encore 



— 142 — 

en lui donnant pour supérieur ecclésiastique, après 
M. l'abbé Fournier, successeur de M. l'abbé de la Gui- 
bourgère, nommé curé de Saint-Georges à Paris, M. l'abbé 
Rousteau, si bon, si délicat dans tous ses procédés 
envers la Bonne Mère Fondatrice et la Congré- 
gation. Mère Marie de l'Immaculée put alors chanter 
l'hymne de la reconnaissance à sa céleste Protectrice, 
en lui disant : « Marie ! Vous n'avez pas permis au vau- 
tour de tuer le petit oiseau qui, dans sa détresse, chan- 
tait Ave Maria ! De même vous ne laisserez pas périr 
vos enfants qui répètent avec amour Ave Maria !... 
Puisse cette conviction de notre faiblesse attirer sur nous 
les bénédictions de notre bon Jésus I » 

Et comme les prédilections du divin Sauveur ont tou- 
jours été pour les faibles et les humbles, la petite famille 
de l' Immaculée, semblable au frêle roseau qui ploie sous 
le vent de l'orage, put, confiante, relever la tête vers le 
Ciel après la tempête ; tandis que la puissante Congré- 
gation destinée à devenir, selon des vues toutes humaines, 
sa protectrice et sa directrice, robuste chêne, semblait- 
il, à considérer la noblesse de ses origines et l'étendue 
de ses ressources, ne pouvait cependant résister à 
l'épreuve !... 

« Quand l'ennemi a enlevé aux abeilles leurs harmo- 
nieux et symétriques rayons, elles se vengent en se 
remettant à l'œuvre avec une ardeur incomparable. » 

Les tristes jours de ce temps ne permettant plus de 
compter sur les ressources de la quête, faite jusque là 
avec tant de dévouement par la Bonne Mère et plusieurs 
de ses compagnes, il fallut songer à autre chose. La 



- - 143 



détresse est grande, le pain du jour manque avec l'ar- 
gent ; que faire ? La zélée Fondatrice prie, consulte et 
se met à l'œuvre. Son grand cœur l'aidera à surmonter 
tous les obstacles. A l'âge de 52 ans, déjà malade et 
affligée d'infirmités, elle s'entoure de livres et étudie 
comme l'enfant de l'école. Une de ses premières filles, 
moins instruite qu'elle, lui donne la dictée et lui fait 
réciter les leçons, qu'il faut apprendre par cœur. Une 
fois par semaine, elle prend des répétitions qu'une âme 
charitable veut bien lui donner gratuitement. Les jours 
ne suffisent pas a son zèle ; une partie des nuits est 
employée à l'étude. Elle veut arriver le plus tôt pos- 
sible à se présenter devant l'Académie. En moins d'une 
année, la préparation est achevée et l'examen subi avec 
honneur. Dieu seul sait ce qu'il lui en coûta d'être obli- 
gée de paraître devant la commission pour être inter- 
rogée en présence d'un nombreux auditoire 1 

La Bonne Mère, elle-même, va nous expliquer les motifs 
qui, dans la circonstance, l'ont guidée et soutenue : 
« J'ai passé cette rude épreuve, écrit-elle, à un âge où le 
seul désir de faire le bien l'emporte sur la peine d'une 
semblable présentation. Aujourd'hui, nous avons une 
classe régulière et un petit pensionnat... A une époque 
où les charités sont excessivement divisées par la multi- 
plicité des œuvres qui se fondent selon les besoins et les 
plaies de notre siècle, les orphelinats placés comme le 
nôtre en pleine campagne, peu visités par conséquent, 
peu secourus, doivent nécessairement se créer quelques 
ressources qui joignent leur faible rémunération aux 
charités publiques... Ensuite, notre désir est d'ajouter 



144 — 



à l'éducation primaire une classe d'enseignement pro- 
fessionnel, -afin que nos pensionnaires, en nous quit- 
tant, puissent, en cas d'infortune, suffire, par leur tra- 
vail manuel ou autres industries, à leurs besoins journa- 
liers. Il faut, en effet, que la jeune fille née dans une 
certaine classe s'adonne aux travaux qui pourront la 
préserver non seulement de l'infortune, mais de la futi- 
lité. Il faut qu'elle ait le dégoût des distractions exagé- 
rées, des dépenses sans but et qu'elle soit capable de 
conduire une maison et d'y apporter l'ordre et l'écono- 
mie... De plus, notre petit pensionnat donne aux parents 
la possibilité de garder auprès d'eux leurs petites filles, 
afin qu'au retour de la pension elles ne soient pas détour- 
nées de l'humble vie des champs, où -elles sont appelées 
par Dieu à vivre dans une grande simplicité. » 

Telles étaient les vues aussi larges que pratiques qui 
avaient amené la Bonne Mère à se faire institutrice. La 
divine Providence lui ménageait ainsi le moyen de faire 
face aux exigences d'une situation aggravée par le 
nombre croissant des orphelines. Celles-ci, multipliées, 
hélas ! par la guerre, durent être en partie placées 
momentanément ici et là, du mieux possible, en atten- 
dant la fin de la tourmente. 

En même temps, pour assurer l'avenir du pensionnat 
(du reste bien modeste et qui ne compta jamais plus 
d'une vingtaine d'ècolières), la Bonne Mère prépara à 
son tour une de ses filles, Sœur Marie-Thérèse de la 
Croix, à l'obtention du diplôme nécessaire. 

A ce propos, la pieuse Mère voulut un jour enseigner 
à ses Filles le nom de la meilleure et de la plus parfaite 



145 — 



des institutrices, dont elle ne désirait être que la plus 
humble des interprètes. L'instruction qu'elle devail 
faire ayant sonné, toutes les Sœurs, au nombre d'une 
trentaine environ, se rendent à la salle de Communauté, 
attendent et, ne voyant venir personne, députent vers 
leur Supérieure vénérée la jeune Novice de qui nous 
tenons ce récit. La Bonne Mère lui répondit : « Mais 
c'est vous, ma petite fille, qui devez faire aujourd'hui 
l'instruction. Allez vite, et ne laissez pas les Sœurs 
perdre leur temps à vous attendre. » La pauvre petite 
Novice, interdite, ne put s'empêcher de s'écrier : « Oh I 
ma Bonne Mère, mais y pensez-vous ? au moins, ce n'est 
pas sérieux. — Mais si, ma fille, c'est sérieux ; si vous 
étiez bien obéissante, vous partiriez de suite. La petite 
Novice n'eut ni le courage d'obéir, ni la témérité d'en- 
treprendre d'exhorter sa Maîtresse du Noviciat et toutes 
les anciennes religieuses qui se trouvaient assemblées 
pour cet exercice. Elle restait là, déconcertée, prêle à 
pleurer, ne voulant pas manquer à sa Bonne Mère et, 
néanmoins, ne pouvant se décider à accepter la tâche. 
Voyant son embarras, la Supérieure lui dit : a Eh bien 1 
prenez la statue de la Sainte Vierge dans ma chambre 
et mettez-la à ma place dans la salle ; elle prêchera pour 
vous. Vous direz aux Sœurs de méditer sur l'humilité 
de Marie pendant le temps de l'instruction. » La Novice 
obéit et la statue de la Sainte Vierge fut placée au beau 
milieu du fauteuil destiné à la Bonne Mère. Sœur Domi- 
nique termina par les prières accoutumées et l'on se 
relira en silence comme à l'ordinaire. 



CHAPITRE CINQUIEME 



lies pormatriees d'âmes 

Les exhortations (l'une Mère. — L'apostolat de la souf- 
france. — Une consolatrice. — Au secours des âmes 
appelées. — Un saint aumônier. — La musicienne. — 
Maladie et chagrins. — Rédaction de la Règle. — Dévo- 
tion aux âmes du Purgatoire. — . Un grand deuil : la 
mort de Sœur Dominique (M" e Aimée Durand, de Ghâ- 
leaulirianl). — Une auxiliaire admirable. — Dans le 
rayonnement d'une sainte âme : Sœur Marie-Louise, 
Sœur Marie-Etienne. Sœur Marie-Pauline, Sœur Marie- 
Victor, Sœur Marie-Françoise, Sœur Marie-Catherine, 
Sœur Marie de la Purification, Sieur Marie de la -Miséri- 
corde, Sœur Marie-Ignace, — La formation des gardes- 
malades. — Soucis matériels. 



L'heure approchait où un grand nombre de filles 
de la vaillante Fondatrice, venant comme gardes- 
malades en aide à leurs dévouées sœurs quêteuses, 
pénétreraient dans tous les foyers, pauvres ou riches, 
savants ou ignorants, incrédules ou croyants, pour 
y introduire la miraculeuse image de leur céleste 
Patronne : le silence éloquent de cette Mère, de cette 
Reine est plus persuasif en effet, que les discours les 
mieux étudiés. Toutefois, pour que ses chères filles 



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— 148 — 



fussent de moins indignes instruments de Marie- 
Immaculée, la Mère Fondatrice apportait tous ses 
soins à leur formation religieuse, ne trouvant jamais 
en avoir assez fait pour la sanctification d'âmes si 
précieuses. Elle les voulait, ces âmes, pures, fortes, 
obéissantes, bien détachées, d'une piété simple et 
confiante. Elle ne s'en séparait qu'avec peine pour 
les voir affronter les dangers du monde : c'est qu'elle 
se rappelait que « la vie en ce monde est une grande 
tentation, un Combat perpétuel, une épreuve décisive 
offerte à notre liberté. Vaincre le mal ou être vaincu 
par lui ; essuyer une défaite irrémédiable ou rempor- 
ter une victoire éclatante : voilà notre destinée. » 

Recueillons ici les vœux formulés par son cœur 
maternel au lendemain des années terribles que l'on 
venait de traverser : « Que cette année soit pour vous 
une année de Paix, pour vos âmes une année de fidé- 
lité à la grâce... Que votre amour pour Dieu soit 
encore plus ardent et plus généreux... Multipliez 
tous les jours vos mérites par vos bonnes œuvres. 
Soyez plus que jamais dévotes à la Très Sainte Vierge ! 
Qu'elle vous couvre de plus en plus de sa protection 
maternelle ! Qu'elle vous cache dans son saint et 
immaculé Cœur I Qu'elle vous y garde contre les 
écueils de la vie... Pensez au Ciel et rappelez-vous que 
le temps ne nous est donné que pour le mériter... 
Pour notre Congrégation, ah ! je souhaite qu'elle 
s'étende, qu'elle se propage, qu'elle aille sous tous 
les climats porter le nom de notre Mère Immaculée I » 

Cependant, les paroles prophétiques que, dans sa 



— 149 — 

profonde humilité, la Bonne Mère aimait à répéter 
souvent : « Mes enfants, je suis trop misérable, et à 
cause de mes péchés, la Communauté ne prospérera 
que quand je ne serai plus, » devaient se réaliser. 

Et comme « les œuvres de Dieu sont toutes mar- 
quées au sceau de la Croix », la généreuse Fondatrice 
devra vivre crucifiée avec son divin Sauveur, afin 
de mériter, pour sa chère famille religieuse, les grâces 
qui féconderont son apostolat. 

Dès 1861, le docteur Latenncur, renommé pour sa 
science, disait d'elle : « La Sœur Marie est épuisée 
comme les pauvres gens qui ont souffert de la faim, 
du froid et d'autres privations. » Depuis cette époque, 
l'état de sa santé, loin de s'améliorer, alla en empirant. 
Néanmoins, son activité croissait avec les besoins 
du moment et ne laissait deviner à personne des souf- 
frances continuelles. Elle disait quelquefois, depuis 
qu'elle avait dû renoncer aux grandes courses et 
quêtes à travers Paris : « Je ne puis pas travailler 
comme vous, mes enfants. Le Bon Dieu ne le veut pas, 
puisqu'il m'en ôtc la possibilité. Mon poste, à moi, 
est d'implorer la charité avec ma plume et de prier 
avec mes doigts ! » 



La volumineuse correspondance de la zélée Fonda- 
trice nous montre bien comment elle sut s'acquitter 
de sa tâche. Ses lettres s'adressent tantôt aux per- 
sonnes pieuses, afin d'en obtenir quelques secours, 
tantôt à Nosseigneurs les Evêques, à MM. les ecclé- 
siastiques, au Préfet, aux notaires pour les affaires 



— 150 



de la Communauté, dont toute la responsabilité 
retombait sur elle ; en ce dernier cas, la Providence 
se cachait sous les traits du bon et pieux avoué, M. de 
la Peccaudière, lequel s'était fait une loi de soutenir 
et d'aider de ses conseils les maisons religieuses qui 
recouraient à lui. De plus, lorsque la Bonne Mère 
se trouvait dans l'impossibilité de recevoir les en- 
fants qu'on lui proposait, elle se chargeait encore 
souvent de les placer en d'autres orphelinats. Sa com- 
passion pour les souffrances morales n'était pas 
moins vive. Elle savait trouver dans sa foi profonde 
et son ardente charité ces accents émus qui mettent 
du baume sur les plaies et relèvent les courages 
abattus par l'épreuve ; tels ceux-ci : 

« Ce ne sont pas des consolations que je viens vous 
offrir ; je ne saurais les proportionner à vos épreuves. 
A Dieu qui vous a frappée et qui seul peut mesurer 
la profondeur des blessures faites à votre cœur, de 
vous inspirer la résignation et l'espérance... Je con- 
naissais la belle âme que vous avez perdue pour la 
retrouver au Ciel, car elle était selon le Cœur de Dieu. 
Bienheureux les morts qui meurent dans le Seigneur, 
ils habitent la vraie Patrie, où tous les biens sont 
réunis et d'où sont bannis tous les maux. Qu'ils sont 
heureux I Voudrait-on les voir ailleurs sans cruauté?.» 

S'adressant à une mère désolée, elle écrit : « Vous 
aimerez désormais à contempler, dans les Cieux, la 
nouvelle petite élue qui vous doit la vie ; qui vous 
doit à vous, après Dieu, sa béatitude, et qui, toute 
parée de l'éclat de sa belle innocence, d'un vol 



— 151 



rapide a pénétré dans cet heureux séjour. Le baume 
qui panse votre blessure prend sa source dans le 
Cœur de Dieu : ce Dieu si bon a aimé vos chers en- 
fants jusqu'à vouloir les réunir dans son sein. » 

Et à une autre, digne par sa foi d'entendre un tel 
langage : « J'ai pensé souvent à votre douleur, que 
je comprends et que je voudrais consoler. Le Bon 
Dieu vous avait choisie pour élever une belle petite 
âme. Le Créateur a voulu reprendre l'ouvrage de 
ses mains, parce qu'il a trouvé ce petit agneau tout 
blanc et bien beau ; vous êtes donc redevable au bon 
Dieu de vous avoir élue pour prodiguer vos soins et 
votre affection à une petite sainte dont je garderai 
toujours un si précieux souvenir... Mais Jésus vous 
demande un second sacrifice ; vous avez été vraiment 
bénie de Dieu dans vos chères enfants : l'une est 
appelée au banquet de la céleste Jérusalem, l'autre 
à devenir l'épouse de son Dieu, et c'est vous qui avez 
formé leur cœur et guidé leurs premiers pas 1 Au 
milieu de vos justes larmes, bénissez donc la divine 
Providence, car vous êtes sûrement, vous aussi, la 
bénie du Ciel. L'aimable Providence ne vous fera pas 
défaut. Vivez de confiance et d'abandon. Je parle 
à une âme pleine de foi qui comprendra les pensées 
d'une autre Mère !... » 

Tout différent était le cas d'un pauvre père, qui, 
ne voyant pas l'honneur que Dieu lui faisait en lui 
demandant sa fille pour la vie religieuse, se refusait 
au sacrifice. La Bonne Mère, qui sait bien que « la 
grâce qui nous fait vivre selon l'esprit de Dieu ne 



152 — 



nous ôte pas les sentiments raisonnables du sang et 
de la nature », plaide, avec un tact parfait, la cau'se 
d'une âme chère au divin Sauveur et destinée à deve- 
nir un des soutiens de la Communauté : « La lettre 
que vous m'avez écrite m'a surprise et affligée, dit- 
elle. Cependant, l'opinion que je me suis formée de 
votre caractère me porte à croire qu'elle n'est pas, 
en réalité, l'expression de votre âme, que je sais être 
plus élevée et plus chrétienne, mais bien plutôt le 
résultat de la peine que vous éprouvez en apprenant 
la décision de votre chère fille. Je commence tout 
d'abord par vous dire que M lle votre fille a choisi 
librement sa vocation, que cette vocation n'est point 
la suite de pressions répréhensibles et funestes. Votre 
chère enfant, depuis plusieurs années, médite et 
réfléchit sur le genre de vie qui lui semble bon 
d'adopter ; elle en connaît bien les sacrifices, mais 
elle sait aussi que Dieu aide à porter les épreuves 
dont la plus grande est de se séparer des personnes 
que l'on aime ici-bas, et que l'on ne cesse point d'ai- 
mer. 

« Vous avez fourni à M Ue votre fille l'occasion de 
voir le monde, de goûter ses plaisirs ; or, elle est tou- 
jours revenue à ses idées de vocation religieuse et 
maintenant vous vous y opposez ! Lui rendre la 
séparation plus douloureuse, plus pénible et peut- 
être impossible, ne serait-ce pas prendre sur vous 
une responsabilité dont vous auriez un jour à rendre 
compte au Bon Dieu ? Cette chère enfant a été géné- 
reuse... Soyez-le aussi pour elle et ne la détournez 



— 153 — 



pas d'une vocation qui assure son avenir et son bon- 
heur. Ensuite ici, comme dans toutes les autres Com- 
munautés, la vie religieuse commence par le postulat, 
qui est suivi du noviciat, trois années d'étude, de 
réflexion, fle prière, à la fin desquelles on est libre 
de se retirer, si l'on a reconnu qu'on manque des apti- 
tudes requises pour la vie religieuse. 

s J'ai l'espoir que vous lirez ma lettre avec l'in- 
time conviction de l'intérêt que je porte à votre 
chère fille... Vous ne chercherez pas à gaspiller et à 
perdre les bénédictions que des êtres chéris rappelés 
à Dieu ont obtenues à votre chère enfant ; vous aurez 
part aussi vous à ces bénédictions autant que votre 
sacrifice aura été généreux et parfait... » ■ 

La pieuse avocate eut gain de cause et trouva de 
nouveau dans son cœur si compatissant les paroles 
d'espérance- et de réconfort qui vont suivre : 

« Monsieur, 

« Votre lettre est venue m'apprendre que vous êtes 
encore accablé sous le poids du sacrifice que Dieu vous 
a demandé. Ensuite vous craignez que votre seconde 
fille ne suive l'exemple de sa sœur, et vous vous voyez 
déjà sans les consolations que vous avez droit d'at- 
tendre pour un âge où il est bon d'être entouré des 
siens. Gardez plutôt, je vous en prie, l'espoir que Dieu 
ne vous privera pas de vos deux filles. Vous avez 
connu à Châteaubriant mon bon et vénéré père. 
Comme vous, il a été appelé à faire à Dieu le sacrifice 
de sa fille ainée et vous ne l'ignorez pas ; mais je vais 

10 



— 154 — 



vous apprendre, pour vous donner un espoir dont vous 
avez besoin, que ma sœur est restée près de mon père, 
pour être son soutien et sa consolation. Votre seconde 
fille l'imitera et remplacera, par ses soins et sa ten- 
dresse, les enfants dont vous êtes séparé... *Je ne vous 
oublie pas dans mes prières. Désormais, une sorte 
de parenté existe entre vous et la Bonne Mère. » 

A la jeune postulante enfin arrivée au terme de ses 
désirs, elle écrivait ces quelques mots : 

« Ma bien chère fille, je vous remercie de la petite 
lettre que vous m'avez écrite. Que Jésus et Marie 
bénissent vos premiers pas dans la carrière religieuse ; 
je leur demande pour vous cette faveur qui vous for- 
tifiera dans le bien et le renoncement aux choses 
d'ici-bas. » 

Tel était l'accueil réservé aux âmes privilégiées 
dont la vénérée Fondatrice formait et offrait à la 
Vierge Immaculée une couronne de Vierges toutes 
consacrées à son service', vie pleine de douceur et de 
joie céleste quand elle est bien comprise. 

Dans ces sortes de questions, particulièrement 
délicates, où l'avenir des âmes était en jeu, sa pru- 
dence n'avait point d'égale, comme nous le montrent 
quelques lignes adressées à une jeune aspirante : 
« Vous me demandez un conseil bien sérieux, que 
votre confesseur est plus à même de vous donner que 
moi, parce que je ne connais pas votre caractère, vos 
aptitudes, votre santé, et surtout ces marques visibles 
de l'appel du Seigneur sur l'âme qu'il se choisit pour 
en faire son Epouse, pour l'initier aux secrets de sa 



155 



vie (.athée, aux douceurs du Thabor, aux sacrifices de 
la Croix, par une vie d'obéissance, de détachement 
des créatures, de renoncement à sa volonté propre. Si 
vous êtes assez heureuse pour entrevoir avec joie 
votre séparation du monde, assez forte pour quitter, 
par amour pour Dieu, votre chère famille, enfin si 
vous sentez de l'attrait pour la vocation religieuse, 
pour notre chère Communauté, je vous recevrai avec- 
plaisir au nombre de nos chères filles. » 

C'était par un redoublement de souffrances, que 
la Bonne Mère obtenait sans doute à ces âmes, 
choisies de Dieu pour accroître la petite famille de 
F Immaculée-Vierge, les grâces nécessaires au succès 
de leur vocation. 



En cette année 1875, nous disent encore les annales 
de maison, la santé de la pauvre Mère Fondatrice 
fut fortement ébranlée. Cette fois, la maladie la con- 
duisit à deux doigts de la mort. Le docteur Viaud- 
Grand-Marais, qui la soignait depuis 1860, déclara 
que, déjà elle ne vivait que par miracle. Il rassura les 
sœurs, leur disant de ne point s'inquiéter ; que le 
bon Dieu leur laisserait la Bonne Mère aussi long- 
temps que la Communauté aurait besoin d'elle et 
qu'elle ne mourrait pas avant d'avoir achevé sa tâche. 
Ce grand chrétien fut vraiment prophète : la chère 
malade redevint mieux. Elle ne devait mourir que 
quatorze ans plus tard, après avoir achevé et fait 
approuver la rédaction de la Règle, et mis la Congré- 
gation en état de se suffire à elle-même. 



— 156 



La divine Providence, qui jamais n'éprouve l'âme 
fidèle sans lui ménager quelques consolations, réser- 
vait à la Bonne Mère celle d'obtenir M. l'abbé Duteil. 
Ce digne prêtre consentit à quitter, non sans regret 
il est vrai, sa chère solitude de Saint- Jean-de-Béré, 
où il s'était retiré en sortant de la cure de Saint- Vin- 
cent-des-Landes, pour répondre aux désirs de son 
Evêque. La Fondatrice en témoigne sa reconnaissance 
à son vénéré Supérieur. « Je ne puis vous exprimer 
combien nous sommes heureuses d'avoir pour aumô- 
nier le bon et pieux M. Duteil. Que Dieu en soit béni ! 
Nos petites prient pour que leur nouvel aumônier 
vive cent ans !... C'est un véritable saint, un second 
curé d'Ars par sa piété et ses austérités. Quoique âgé 
de 72 ans, il ne prend qu'un seul repas par jour. Voici 
comment, dans son humilité, ce saint homme raconte 
plaisamment l'incident qui lui a fait adopter ce genre 
de vie d'où, selon lui, la pensée de la mortification 
doit être exclue : « J'étais tracassé par d'intolérables 
douleurs de dents. Chaque fois que je me mettais à 
table pour déjeuner, une rage me prenait et cessait 
ensuite jusqu'au repas suivant. Cela dura plusieurs 
jours, ce qui fit que je me décidai uiî matin à ne pas 
manger et je n'eus pas de mal ; à midi, j'avais grand 
faim, mais le mal revint comme de coutume en me 
mettant à table. Je mangeai malgré la douleur ; le 
soir, nouvelle crise. Alors, je pris la résolution de ne 
plus faire qu'un seul repas par jour, à midi, ce que 
j'ai continué à faire depuis. Au bout de quelque 
temps, mes dents guérirent et la faim réclamait 



— 157 



Mais j'ai bien su forcer mon citoyen (c'est ainsi qu'il 
appelait son corps) à obéir. Le fait est qu'il jouit d'une 
excellente santé, fait facilement plusieurs lieues à 
pied et chante, dans notre petite chapelle, d'une voix 
forte et sonore, la grand'messe et les vêpres tous les 
dimanches... C'est vraiment une bénédiction du Bon 
Dieu sur notre Communauté. » 

La Mère Marie de l'Immaculée, qui était une fer- 
vente musicienne, se préoccupait toujours beaucoup 
de la préparation des chants ; elle tenait extrêmement 
à ce qu'ils fussent dignement et religieusement exé- 
cutés — tradition fidèlement conservée depuis. Dès 
1867, elle s'était procuré un excellent instrument et, 
jusqu'à la fin de sa vie, elle se fit un devoir de tenir 
l'orgue elle-même pendant les offices. Elle se trouvait, 
du reste, bien récompensée de sa peine par l'affluence 
des fidèles du voisinage qui venaient unir leurs prières 
à celles de ses filles, et se sentaient portés au Bon Dieu 
au l ant par la beauté des cérémonies que par le recueil- 
lement des enfants de l'Immaculée aux pieds de leur 
douce Patronne. Bonne Mère aimait que ses enfants 
fussent vêtues de blanc pour l'adoration du Saint- 
Sacrement qui était, dès ce temps, exposé toute la 
journée aux Quarante-Heures et aux grandes fêtes 
de l'année, elle faisait habiller ainsi un certain nombre 
de grandes orphelines, toutes celles qui le méritaient 
par leur bonne conduite, et les enfants de la Commu- 
nion, pour aller tour à tour adorer le Saint-Sacrement. 
La modeste chapelle se trouvait bien souvent trop 
petite. 



— 158 



Vint cependant le jour où le bon M. Duteil, que 
tout le monde aurait souhaité voir vivre centenaire, 
fut obligé de se démettre de sa charge. En 1885, il se 
retira à Nantes, où une Religieuse de l'Immaculée 
lui prodiguait ses soins. Pendant plusieurs années, 
il y fut un sujet d'édification pour la petite Commu- 
nauté de la rue Mathelin-Rodier, où il allait, chaque 
matin, célébrer la Sainte-Messe, qu'il faisait suivre 
d'une très longue action de grâces. La vénérable Supé- 
rieure, la Chère Sœur Marie-Marthe, le regardait 
comme un saint et se plaisait à lui faire bénir les 
jeunes religieuses, considérant cette bénédiction 
comme un gage des grâces les plus précieuses pour 
leur vocation. Vers 1892, accablé par l'âge et les 
infirmités, il voulut revenir à la Maison-Mère, ce qui 
lui fut aussitôt accordé. La Bonne Mère Marie-Thérèse 
et toutes ses Sœurs l'entourèrent des soins les plus 
empressés et les plus délicats, appréciant avec raison 
la faveur de posséder une si belle âme sous leur toit. 
Privé de célébrer le Saint-Sacrifice, il s'en dédomma- 
geait par de longs et fervents colloques avec le Bon 
Dieu de l'Eucharistie, durant les heures passées à la 
tribune, voisine de son appartement. Il mourut en 
1893, laissant son mobilier, sa bibliothèque et un don 
généreux à la Communauté, témoin de sa sainte vie. 
Ses restes mortels y attendent, dans le champ du 
repos, ['heure de la glorieuse résurrection. 

C'était le dernier legs fait à la Congrégation par 
Mgr Fournier qui, deux mois plus tard, mourait à Rome, 
de fièvres contractées en cette • ville. Grande épreuve, 



— 159 — 

dont la lettre suivante de la Bonne Mère au Supérieur 
ecclésiastique fait connaître toute l'étendue : « Mon bon 
Révérend Père, écrit-elle, votre douleur est la nôtre. 
Que puis-je vous dire en présence d'une si grande croix?... 
Toute notre petite Communauté partage ma profonde 
affliction. La Mère et les enfants, vous le savez, ne fai- 
saient qu'une âme pour l'aimer et le vénérer. Pouvait-il 
en être" autrement, après avoir reçu des témoignages si 
sensibles de sa toute paternelle bonté pour nous?... 
Avec vous, nous prononçons le Fiat des enfants du Bon 
Dieu... 

« J'ai fait célébrer, aujourd'hui dimanche, la messe 
pour notre vénéré Prélat. C'est le moyen le plus propre 
de lui témoigner notre profonde gratitude. » 



Les épreuves se succédaient pour la pauvre Mère. 
L'hydropisie dont elle était atteinte depuis douze ans 
faisait des progrès rapides. Une congestion pulmonaire 
chronique, compliquée d'une profonde anémie, vint 
encore, aggraver la situation et donner des craintes 
sérieuses pour sa vie. Afin d'obtenir une amélioration 
dans l'état de la chère malade, on lui procura de l'eau 
de la source miraculeuse de Lourdes, et même en assez 
grande quantité pour qu'elle pût prendre un bain. Elle 
se servit également de linges trempés dans l'eau de la 
piscine et fut capable de reprendre, encore une fois, sa 
lourde charge de Fondatrice et de Supérieure. La Vierge 
Immaculée lui rendit assez de forces pour lui permettre 
d'obéir aux Supérieurs ecclésiastiques en fixant la Règle 
de sa Communauté. Cette rédaction lui valut un véri- 



— 1G0 — 

table martyre : durant tout ce travail, une fièvre brû- 
lante la mina continuellement. 

Il fallait, pour mener à bien semblable tâche, des 
grâces de lumière et d'énergie toutes spéciales. Ces 
grâces, le divin Sauveur les fit mériter à sa servante pri- 
vilégiée par des croix de plus en plus douloureuses. Au 
mois d'octobre 1879, son vénérahie père, qui depuis de 
longues années vivait comme un religieux modèle, mou- 
rait ainsi que meurent les Saints. Il quittait la terre 
d'exil à l'âge de 88 ans. Son âme allait implorer les béné- 
dictions du Ciel pour sa chère fille, aux prières de 
laquelle elle avait dû sans doute son retour dans le che- 
min du salut. La Bonne Mère aimait tendrement sa 
famille ; son affection, prenant sa source en Dieu, était 
plus forte parce qu'elle était plus pure. 



« Les vœux et les souhaits que je forme pour toi, écri- 
vait-elle à sa sœur Julie, partent assurément du meil- 
leur de mon âme et vont atteindre tes besoins spirituels 
et temporels ; tous, quoique nous soyons séparées, me 
sont bien chers et se trouvent placés dans ma prière de 
chaque jour. » 

Le salut de l'âme des siens était l'une de ses constantes 
préoccupations : « Combien je partage la douleur que 
vous fait éprouver la séparation du petit ange que nous 
avons perdu ! Au Ciel, ce cher petit sera notre intercesr 
seur auprès du Bon Dieu. Pour son père, c'est un gage 
de salut, et pour sa mère un guide qui la conduira dans 
le chemin de la piété... 

« J'ai été très heureuse de la lettre de mon cher petit 



— 161 — 

neveu. Embrasse-le pour moi ; je ne l'oublierai pas. Je 
suis toujours inquiète de son cher papa. Puisse-t-il 
comprendre cette pensée de saint Augustin : « Dieu nous 
« accable d'afflictions pour retirer notre cœur de toutes 
« les choses temporelles, pour l'élever, par de saints 
« désirs, à la recherche du souverain repos, qui ne se 
« trouve qu'en Dieu. » Mais c'est au Saint-Esprit à faire 
son œuvre dans le cœur de notre cher frère ; nous autres, 
nous gâterions son ouvrage... » 



Aussi quelle joie pour son amour filial, en atten- 
dant cette conversion tant désirée, de voir revenir à 
Dieu une âme aussi chère et de pouvoir s'écrier : 
« Combien j'ai élé heureuse d'apprendre que notre 
bon et excellent père avait fait ses Pâques ! » 

A ce bon père elle écrivait : « Le. retour de la fête 
de ton saint Patron procure à tes enfants le bonheur 
de se réunir près de toi pour t'offrir leurs vœux. Pour 
moi, c'est toujours vers Dieu que je dirige mes meil- 
leurs souhaits, car c'est en Lui que nous trouvons la 
plénitude des bienfaits qui nous sont nécessaires 
pour être heureux ici-bas et pour arriver au port du 
salut. Je redouble de prières à l'époque bénie de ta 
fête, pour appeler sur tes jours les bénédictions de la 
Jérusalem céleste. Toutes les Sœurs qui te connais- 
sent t'offrent, avec leurs respects, les souhaits d'une 
bonne et heureuse fête. Dimanche, toute la Commu- 
nauté priera pour toi de tout cœur. Ici, on parle 
souvent du « bon père » de la Bonne Mère... 

« Combien je suis touchée de ta tendresse et de 



162 



toutes tes bontés pour moi ; privée de te donner mes 
soins, je me fais un devoir bien doux de les rempla- 
cer par la prière, afin de t'obtenir du Bon Dieu les 
grâces dont tu peux avoir besoin... 

« Je partage bien vivement la souffrance que tu 
éprouves de la maladie de ta petite fille. Nous prions 
beaucoup à l'Immaculée pour obtenir sa guérison. 
En attendant ce rétablissement si désirable, nous 
nous soumettons avec toi, mon père chéri, à la volonté 
du Bon Dieu : la résignation adoucit les épreuves de 
la vie et attire sur les âmes éprouvées les grâces du 
Très-Haut. » 

Tout en se soumettant elle-même à la volonté 
divine avec la plus parfaite générosité, la Bonne 
Mère fut péniblement affectée par la mort de ce père 
chéri. Aux alarmantes nouvelles venues, quelques 
jours avant, lui apporter de Bordeaux de tristes pres- 
sentiments, elle répondait : 

« Ma crj,ère Julie, 

« La lettre de Marie, que j'ai reçue ce matin, ne 
me laisse plus de doute sur l'échange que notre bon 
père a fait de cette vie d'exil et de larmes avec celle 
qui nous réunira dans le sein de Dieu. Je m'attendais, 
hélas ! à cette nouvelle, qui n'en a pas moins été dou- 
loureuse pour mon cœur. La messe de notre petite 
chapelle a été offerte pour notre bien-aimé père ; elle 
le sera aussi demain, vendredi et dimanche : la prière, 
c'est notre consolation à nous deux, notre devoir le 
plus doux à remplir à l'égard de ceux que nous eus- 



163 



sions voulu retenir ici-bas. Mais Dieu a réclamé à la 
terre nos chers parents, ses créatures, sa propriété, 
pour les associer à son bonheur. Et au milieu de nos 
larmes, ma bonne sœur chérie, nous avons laissé 
couler de notre cœur un acte de résignation que nos 
anges gardiens ont recueilli pour le présenter à Dieu. 
Acceptons, ma bonne sœur, ce douloureux événe- 
ment, en union avec la Passion de notre divin Ré- 
dempteur. Souffrons avec Marie ; immolons-nous 
avec Elle à la justice et à l'amour de notre divin 
Sauveur. 

« Depuis hier, je me suis renfermée dans mes appar- 
tements, dont une porte ouvre sur la chapelle, pour 
être seule avec notre Père céleste, avec son Fils Jésus, 
notre divin Consolateur, qui seul vraiment peut 
adoucir le calice que nous buvons tous. Ma pensée 
est auprès de toi, ma bonne petite sœur ; elle ne 
quitte pas également nos deux frères dans leur 
pénible mission ; elle est avec Mathilde, Marie, René, 
qui nous montrent tant d'affection. Embrasse pour 
moi notre chère famille. 

« Je viens de recevoir le télégramme... Ma pauvre 
sœur, je t'embrasse de nouveau avec nos deux frères, 
en pleurant avec vous. Continuons à être unis comme 
nous le sommes, à nous aimer comme nous nous 
aimons, et du Ciel nous serons bénis par ceux que 
nous pleurons. <> 



Les âmes qui la devançaient dans l'éternité 
devaient, en effet, procurer à la Bonne Mère et à sa 



— 164 — 



Communauté d'abondantes bénédictions. Elle se fai- 
sait un pieux devoir de faire célébrer le Saint Sacri- 
fice non seulement pour les membres vivants et 
défunts de sa propre famille, mais aussi pour ceux de 
sa grande famille religieuse, les Sœurs et leurs parents, 
consacrant à ce saint usage le profit qu'elle retirait 
des ouvrages confectionnés pendant le temps de ses 
récréations. 

Non contente de prier à toutes ces intentions, elle 
procure à ses saintes amies du Purgatoire le suffrage 
des Sœurs, Elle prévient les absentes : « Nous avons 
été, cette- semaine, dans les larmes. Les frères de 
Sœur Marie de la Miséricorde ont fait naufrage ; on 
les croit noyés. Sœur Elisabeth a perdu sa belle- 
sœur ; Sœur Pauline, sa mère. Priez pour les morts 
et les affligés. Soyons toujours unies à notre divin 
Rédempteur. » 

Avec les pécheurs de la. terre, les plus délaissées 
parmi les âmes du Purgatoire étaient l'objet de toute 
sa sollicitude: La Mère Fondatrice donnait à ses filles 
un exemple héroïquement suivi : elle offrait tous ses 
mérites pour ces pauvres exilées. 

Celles-ci' se firent, à leur tour, ses avocates, et 
s'unissant à saint Michel, leur protecteur, lui obtin- 
rent en maintes circonstances des faveurs inespérées. 
Pour ne citer qu'un fait, l'année 1881 vit les prières 
de la Bonne Mère miraculeusement exaucées dans 
une affaire touchant les intérêts de la Communauté. 
Selon la promesse faite, la statue du vaillant chef de 
la milice céleste fut placée dans la chapelle et, chaque 



— 165- — 

soir, un tribut d'actions de grâce lui fut offert. Ce 
culte de la vénérée Fondatrice à saint Michel datait 
de sa première communion, faite en la cathédrale de 
Saint-Brieuc, sanctuaire placé sous le vocable du 
glorieux Archange. 

« La reconnaissance était le propre du grand cœur 
de notre vénérée Mère, notent les témoins de ses 
actions de grâces. Nous ne pouvions lui rendre le 
moindre service sans en recevoir un gracieux remer- 
cîmenl : « Merci, ma petite fille, ma bonne petite 
fille. )> C'était la même chose pour les enfants. 

Son amabilité, quoique majestueuse et imposante, 
n'avait rien de fier ni de rude"; sa conversation, sa 
vue seule inspiraient la confiance ; il y avait dans 
sa physionomie quelque chose qui attirait à Dieu, 
vers lequel elle faisait remonter tout bien. Elle était 
humble parce qu'elle était dans la vérité. Douée d'une 
intelligence remarquable, d'un esprit subtil pour 
comprendre et éclaircir les affaires épineuses qu'elle 
eut en si grand nombre à débrouiller durant sa vie, 
elle ne fit jamais parade d'esprit, garda sa solitude 
et ne parut que par nécessité ou utilité, évitant le 
parloir : « Mon grand supplice, disait-elle, c'est le 
parloir. » Aussi ne s'y rendait-elle que dans les cas 
indispensables, montrant à ses Sœurs l'exemple de 
la conduite qu'elle leur recommandait souvent : 
« L'une des marques d'une bonne religieuse est de 
fuir le parloir et de n'y aller que par charité et néces- 
sité. » 



166 



Forcée par les cicronstances, la Bonne Mère avait 
dû, malgré ses infirmités, entreprendre le voyage de 
Saint-Nazaire, « occasion pour moi d'un sacrifice bien 
pénible, écrivait-elle ; mais je le fais pour ces pauvres 
petites orphelines, auxquelles j'ai consacré ma vie ». 
La divine Providence lui réservait là une surprise 
bien douce à son cœur d'apôtre : une âme à conduire 
au Pasteur du diocèse pour lui procurer, par le sacre- 
ment des forts, la plénitude de la vie chrétienne. 

S'adressant à Mgr Lecoq, successeur de Mgr Four- 
nier, qui avait annoncé sa visite à la Haye-Mahéas, elle 
écrit : « Nous avons trente petites confirmantes, nos 
deux petits bergers et un jeune père de famille de 
Saint-Nazaire que j'ai décidé, le jour de mon voyage, 
à venir, dans notre petite chapelle, se faire confirmer, 
il se dispose en bon chrétien à la réception du sacre- 
ment ; mais je viens d'apprendre qu'il faut l'autori- 
sation de Votre Grandeur pour le laisser se présenter 
ici à la Confirmation. Voulez-vous avoir l'obligeance 
de me le permettre ? » 

Monseigneur souscrivit gracieusement à la demande 
de la Bonne Mère, qui procura ainsi à cette âme l'oc- 
casion d'accomplir un devoir que, sans cela, elle n'eût 
peut-être jamais rempli. 

Peu de jours après la belle fête de la Confirmation, 
la Communauté avait la douleur de perdre son saint 
et vénéré supérieur, M. l'abbé Bousteau, si bon tou- 
jours et si dévoué pour elle. Homme de prudence et 
de sagesse, d'une délicatesse exquise dans les pro- 
cédés, il s'entendait parfaitement avec la dévouée 



— 167 — 

Fondatrice, qui possédait, elle aussi, oes belles qua- 
lités et aimait à les retrouver dans son entourage. 
Elle écrit à une bienfaitrice : « Permettez-moi de 
recommander à vos prières notre bon Père Supérieur, 
M. l'abbé Rousteau, vicaire général, que nous venons 
d'avoir la douleur de perdre. Il accompagnait encore 
à l'orphelinat Monseigneur notre Evêque, venu con- 
firmer nos chères petites filles le 22 du mois, dernier, 
et aujourd'hui il ne nous reste que de pieux souvenirs 
et de profonds regrets ! C'est une bien grande perte 
pour notre Communauté : il était essentiellement 
bon et nous portait un véritable intérêt (1). » Epreuve 
bien sensible et bien douloureuse qui en précédait 
une autre non moins déchirante. 



Le 20 décembre 1881, à l'heure de la messe, on 
vint à la chapelle avertir Bonne Mère que Sœur Domi- 
nique, souffrante déjà depuis longtemps, se trouvait 
plus mal. Elle se hâta de se rendre auprès du lit de la 
chère malade et arriva juste assez tôt pour lui voir 
exhaler le dernier soupir, en pleine connaissance, sans 
agonie. Notre Bonne Mère, toujours si pleine de foi, 
semblait vouloir s'emparer de l'âme de sa chère fille 
pour la présenter à Dieu comme une offrande très 
agréable et unir encore une fois les accents de sa 
prière à la sienne, ainsi qu'elles avaient coutume de 
le faire en commun, empruntant à sainte Gcrtrude 
ses salutations à Xotre-Seigneur et à sa très sainte 



(1) 16 juillet 1881. 



— 168 — 



Mère : <■ Je vous salue, ô perle vivifiante de Dieu. Je 
vous salue, ô Cœur de mon très adoré Jésus. Je vous 
salue, ô Fruit incorruptible de la nature humaine. 
Vous êtes mon Sauveur et mon unique amour. Je 
vous salue, lis blanc de la très sainte Trinité, toujours 
pacifique et éclatant de gloire. Je vous salue, Rose 
mystique, auguste et vermeille, les délices du Ciel, 
dans le sein de laquelle le Roi des Cieux a pris nais- 
sance. Servez de nourriture et d'aliment à nos âmes 
par les épanchements de vos divines influences. » 

Ainsi s'éteignait, à l'âge^ de 52 ans, au poste du 
devoir exercé jusqu'au bout, celle qui avait été la 
première compagne de la Révérende Mère Marie de 
l' Immaculée-Conception, sous le nom de M Uc Aimée 
Durand. Elle appartenait à une famille de Château- 
briant très estimée dans le pays. Son père exerçait le 
métier de tisserand, lucratif en ce temps-là où le rouet 
et la quenouille étaient en honneur parmi les ména- 
gères de nos campagnes. Sa mère, née Prod'homme, 
enlevée de bonne heure à l'affection de son mari et 
de ses cinq enfants, avait été la femme forte louée par 
nos saints Livres : « Ne mangeant pas son pain dans 
l'oisrveté », elle avait assuré l'aisance aux siens et 
procuré une éducation solidement chrétienne à sa 
petite famille. 

La jeune Aimée fut confiée comme externe aux 
religieuses Ursulines, directrices du Pensionnat de 
Nazareth. Elle profita si bien des leçons de ses pieuses 
maîtresses qu'une fois ses classes terminées nous la 
retrouvons enfant de Marie de la paroisse Saint-Nico- 



— 169 — 



las. La congrégation était établie dans la chapelle du 
pensionnat ; la jeune fille continua donc à fréquen- 
ter le couvent de Nazareth, où elle avait reçu le bien- 
fait inestimable du divin appel. Des circonstances 
providentielles ne lui permirent pas tout d'abord de 
suivre son attrait. Elle ne voyait pas encore claire- 
ment sa voie. La lumière se fit du jour où elle connut 
M lle Veillet, dont l'angélique piété et l'héroïque cha- 
rité excitaient déjà l'admiration des gens de bien. 
Remplie elle-même de dévouement et de zèle, un 
secret instinct l'attirait vers cette âme d'élite. Elle 
fut la première qui se sentit portée à partager sa 
sainte vie; la première qui fût assez forte pour vaincre 
les mille difficultés qui lui furent suscitées dans le 
dessein de l'empêcher de prendre part à cette œuvre 
nouvelle, que chacun critiquait à sa guise. 

Les petits orphelins recueillis par M 1Ie Veillet curent 
d'abord pour asile la demeure de M. Durand, où 
M llf Aimée put les surveiller, tout en s'occupant 
de la maison de son père. Elle accepta toutes les 
privations et les incertitudes, tous les soucis et 
les dédains des premiers débuts, dans une œuvre 
qui n'offrait aucune garantie d'avenir. Sa force 
d'âme et son grand courage s'alimentaient dans 
une vive piété et aussi dans les conseils et les 
exemples entraînants de sa sainte directrice. Elle se 
distingua surtout par une soumission et une obéis- 
sance parfaites, non seulement aux ordres, mais 
encore aux plus simples désirs de sa Bonne Mère 
Supérieure, en lesquels sa foi lui montrait la voix de 



— 170 — 

Dieu même. Dès que la Congrégation prit un peu 
forme, elle fut considérée comme l'assistante de sa 
vénérée Fondatrice et, dès lors, en remplit constam- 
ment la charge. Quand donc, en 1861, commencèrent 
les absences prolongées de la Bonne Mère, nécessitées 
par les besoins impérieux de l'orphelinat, celle-ci 
confia son cher troupeau à la sagesse de M n * Aimée, 
ou mieux de Sœur Marie-Dominique, car M lle Durand 
avait pris ce nom en prononçant ses saints vœux, le 
8 décembre 1859. 

D'une exactitude admirable, elle s'acquittait de sa 
tâche avec une fidélité absolue, rendant compte de 
l'état de la maison, tant au spirituel qu'au temporel, 
selon les ordres reçus. Elle arrangeait toutes choses 
avec bonté, sans jamais dépasser les bornes qui lui 
étaient tracées ; lorsqu'il y avait doute, sa réponse 
habituelle était celle-ci : « Je ne connais pas les inten- 
tions de Bonne Mère là-dessus ; je lui en parlerai. 
C'est l'intention, c'est le désir de Bonne Mère que les 
choses soient ainsi. » Et tous, sœurs ou enfants, bien- 
faiteurs ou étrangers, devaient se soumettre. Bien 
pour elle ne semblait petit, du moment que c'était le 
devoir. 

Une preuve de son obéissance ponctuelle est la 
rédaction de nombreux petits cahiers, dans lesquels 
elle inscrivait, pour ne pas les oublier, les recomman- 
dations et avis de sa vénérée supérieure sur la tenue 
de sa maison, la manière d'agir en toutes circons- 
tances. Puis elle se faisait une loi de les mettre à exé- 



171 — 



cution avec une fidélité qui, en tout, fut toujours 
exemplaire. 

Aussi la Bonne Mère pouvait-elle lui écrire : « Pour 
vous, la bien chère fille de mon âme, vivez de paix 
et d'amour... Je suis heureuse de voir que Jésus nous 
donne le même esprit. Que son saint nom soit béni ! 
L'union de nos âmes fera notre force et contribuera 
puissamment à l'établissement de l'Immaculée, s 

D'un dévoûment admirable pour tout ce qui con- 
cernait l'accomplissement de la Règle et le bien spi- 
rituel de la Communauté, elle était néanmoins d'un 
caractère très timide. Paraître en public, c'était là ce 
qu'elle appelait sa croix. Lorsque sa Bonne Mère. 
malade, fut obligée d'interrompre le cours de ses 
quêtes, qu'elle dut souffrir de se voir chargée de cet 
emploi, pendant plusieurs années ! Ces allées et 
venues, ces visites étaient si contraires à son attrait 
pour la solitude et la retraite I 

Mais aussi avec quelle générosité ne remplit-elle 
pas cette mission, comme naguère celle d'aller vendre 
une montre aux habitants de Châteaubriant, ses 
compatriotes, ou de porter à cuire, chez les boulan- 
gers qui la connaissaient fort bien, le pain qu'elle- 
même avait pétri. 

Un jour vint où, le nombre des novices augmen- 
tant, elle fut chargée de leur direction spéciale. Assu- 
rée désormais de ne plus courir le monde cl de pou- 
voir vivre dans le recueillement de sa chère Commu- 
nauté, la pieuse maîtresse, qui comprenait si bien les 
précieux avantages de la vie religieuse, se réjouit 



172 — 



grandement d'être appelée à communiquer aux jeunes 
âmes de ses filles spirituelles cet amour de Notre- 
Seigneur qui brûlait dans la sienne. Ardemment dési- 
reuse de les voir répondre aux grâces du divin Maître, 
elle s'appliqua de toutes ses forces à les guider dans 
la conquête des solides vertus qu'elle-même prati- 
quait si bien depuis longtemps : recueillement .pro- 
fond, dévoûment sans calcul, fidélité au devoir, exacte 
observation de la Règle. 

Elle portait le respect du silence à un si haut degré 
qu'elle accordait plutôt par signes que par paroles 
une permission demandée, formant ainsi ses chères 
filles à la vie intérieure, pour entretenir l'union à 
Dieu dans leur âme. Au premier son de la cloche, elle 
suspendait toute occupation et voulait qu'à son 
exemple on abandonnât le travail commencé. Pour 
elle, le son de la cloche, c'était la voix de Dieu : elle 
laissait une lettre, un point d'aiguille inachevés pour 
se rendre aux exercices religieux. Exemplaire sous le 
rapport de la pauvreté, elle raccommodait ses vête- 
ments jusqu'à ce qu'ils fussent hors d'usage et recom- 
mandait à ses novices de ne jeter aucun bout de fil 
qui pût servir encore. Austère pour elle-même, la 
charitable Mère était remplie de sollicitude à l'égard 
de ses filles, qui trouvaient, en leur bonne maîtresse 
la meilleure et la plus discrète des amies dans leurs 
peines et leurs difficultés, la plus attentive des infir- . 
mières dans leur maladie. Les moins favorisées étaient 
ses préférées. D'un caractère très enjoué, elle savait 
inspirer cette franche gaîté, assaisonnée d'agréables 



173 — 



fet fines plaisanteries, qui font le charme des récréa- 
tions. Foncièrement pieuse, aimant la Sainte Vierge 
de toute son âme, c'était pour elle un besoin de faire 
connaître et aimer cette céleste Mère. Elle veillait à 
la récitation fervente et recueillie du rosaire, médité 
en trois différentes heures ; elle se plaisait même, 
dans le cours de la journée, à venir souffler à l'oreille 
de l'une ou de l'autre de ses novices quelques vertus 
de la Vierge Immaculée, puis se retirait, heureuse et 
souriante à la pensée du bien ainsi procuré. La grâce 
divine, fécondant les terres confiées à son zèle, plu- 
sieurs, formées à une semblable école, portèrent des 
fruits de ferveur exemplaire et de particulière édifi- 
cation que nous ne pouvons passer sous silence. 
Telles : 

Sœur Marie-Louise, qui, en pleine jeunesse, ./offre 
de grand cœur à Dieu pour payer de sa propre vie le 
retour à la santé de sa malade : celle-ci, songe-t-elle, 
n'est-elle pas plus utile que moi à la Communauté et 
n'est-elle pas trop heureuse de prendre le chemin du 
Paradis, objet de mes constants et si chers désirs ?,.. 
Sa prière est exaucée : elle meurt de la fièvre dont 
Sœur Joséphine était atteinte, et celle-ci demeure 
jusqu'à l'âge de 76 ans comme un modèle de la par- 
faite religieuse dans sa Congrégation. 

Sœur Marie-Etienne, à l'exemple de sainte Made- 
leine de Pazzi, avait pour devise : « Souffrir plutôt 
que mourir ». Atteinte d'un mal chronique, souvent 
obligée d'avoir un vésicatoire sur le dos, elle occupe 



174 



sans relâche son poste de cuisinière, où elle pense se 
dévoue* pour sa Communauté jusqu'à la mort ; 
seule, la volonté formelle de ses Supérieurs peut l'en 
retirer. Alors, toujours gaie et patiente, elle accepte 
son sacrifice et, consolée par la pensée d'un Dieu si 
miséricordeux qu'elle a entrevu dans la vision de sa 
foi, elle meurt en paix après avoir annoncé le jour et 
l'heure de sa mort et de sa sépulture. 

Sœur Marie-Pauline, aimable, simple, pieuse et 
dévouée, est mûre pour le Ciel à 40 ans. Elle a con- 
sumé sa vie dans l'emploi si fatigant de la quête, et 
d'elle son confesseur a pu dire : « Je Me doute pas 
qu'elle n'entre au Ciel sans passer par le Purgatoire. » 

Sœur Marie- Victor quitte avec joie la terre d'exil, 
le jour de l'Assomption, pour aller terminer au Ciel 
le chant du Credo, que la Communauté exécute à la 
chapelle à cette même heure. La Bonne Mère, écri- 
vant à ce sujet, disait : « Pendant le sermon, j'ai été 
voir Sœur Marie-Victor. Elle avait toute sa connais- 
sance ; elle était heureuse de mou r ir dans ce beau 
jour. J'ai quitté notre chère Sœur en lui disant que 
j'allais accompagner le Credo ; elle m'a fait signe, en 
souriant, qu'elle comprenait ce que j'allais faire... 
Quelques minutes après, cette chère fille prenait la 
route de la Patrie... Elle a été bien édifiante tout le 
temps de sa maladie, nous avons toutes la conviction 
qu'elle ne tardera pas à entrer au Ciel. » 

La vie de Sœur Marie-Catherine ne fut qu'un conti- 



175 



nuel exercice du pur amour de Dieu, par une fidélité 
entière et constante aux saintes Règles. Elle les obser- 
vait scrupuleusement, malgré sa faible santé. Sa phy- 
sionomie, toujours si calme et si paisible, reflétait sa 
piété angélique, sa patience et sa douceur sans égales, 
le recueillement profond de son âme, constamment 
unie à Notre-Seigneur. Du regard de sa foi ardente, 
elle le voyait s'immolant sans cesse au saint sacrifice 
de la Messe, sur les autels du monde entier. Edifiante 
à l'heure de la mort comme elle l'avait été durant sa 
vie, Sœur Marie-Catherine remettait pieusement son 
esprit entre les mains de son Créateur, le 26 octo- 
bre 1903, assistée par sa sœur jumelle, qu'elle avait 
suivie de près en Communauté. 



Sœur Marie-Françoise, arrivée de la Chapelle-sur- 
Erdre au mois d'août 1868, avait été, dès lors, occu- 
pée aux gros travaux, que son esprit de dévoûment 
lui rendait doux et légers. Tour à tour et souvent 
ensemble la boulangerie, la cuisine, le soin des ani- 
maux de la basse-cour, le service des domestiques 
occupèrent tous ses instants, durant les trente-deux 
ans de sa vie religieuse. 

Ces humbles emplois furent les gardiens de son 
humilité ; la fidélité à ses exercices religieux alimen- 
tait sa piété, qui ne pouvait se passer de la sainte 
Communion ; elle la faisait chaque jour, à moins 
d'impossibilité absolue. A diverses reprises, dans 
l'année, elle était obligée de passer au moins deux 
nuits de suite sans se coucher, pour surveiller cer- 



176 — • 



tains habitants de la basse-cour, « petits messieurs 
habillés de soie ». Une Soeur lui disait : « Ma pauvre 
Sœur Françoise, comment, vous restez comme cela 
.sans rien prendre après avoir veillé ? — Ah ! disait- 
elle avec son bon accent ingénu, c'est que je veux 
communier ; je n'ai que cela pour me soutenir ; je 
ne veux point me passer de communion : c'est tout 
mon soutien. » Elle le montrait effectivement par 
son empressement à s'approcher de la sainte Table. 
Dans les dix-huit à quinze derniers mois de sa vie, ' 
elle fut atteinte d'une maladie de langueur qui ne 
l'obligeait pas à garder le lit ; aussi, tout en souf- 
frant, remplit-elle son poste jusqu'à la fin. Huit à 
dix jours seulement avant sa mort, elle entrait à 
l'infirmerie, où elle continua d'édifier par sa patience 
et sa résignation. Elle mourut à l'âge de 61 ans, en 
pleine connaissance, sans agonie. Munie des derniers 
Sacrements, elle montra une très grande tranquillité 
d'âme et manifesta jusqu'à son dernier soupir le désir 
de prier. 

Sœur Marie de la Purification, qui, en vaillante 
athlète, souhaitait mourir les armes à la main, auprès 
de son fourneau. De fait, elle était presque octogé- 
naire lorsqu'une pénible infirmité l'obligea à la 
retraite, quelques mois avant sa mort. 

Toute sa vie fut un modèle d'obéissance que Dieu 
se plut, un jour, à récompenser d'une façon merveil- 
veilleuse. Au moment des pénibles débuts de la Com- 
munauté à la Haye-Mahéas, un certain soir, la pauvre 



177 



cuisinière ne put découvrir qu'un seul chou-pomme, 
de grosseur moyenne, pour le souper de toute la mai- 
son. Elle exposa son embarras à la vénérée Fonda- 
trice, qui lui dit : « Apprêtez ce que vous avez, ma 
tille, puisqu'il n'y a pas autre chose. » Le chou, une 
fois cuit, procura potage et plat de légumes à plus de 
150 personnes, qui furent toutes copieusement ser- 
vies. Il en resta encore... 

Pratiquant la s&inte vertu de pauvreté dans toute 
sa perfection, elle ne dépensait pas un sou qui n'eût 
son utilité, lorsque plus tard, attachée à la maison de 
Nantes, il lui fallait faire les provisions. Et elle reiu- 
sait encore à ses pauvres jambes fatiguées et vieillies 
lé soulagement du tramway, véritable superflu aux 
yeux de cette sainte religieuse. 

La première levée pour sonner la cloche du réveil, 
elle était aussi la première à l'oraison, puis à la sainte 
messe, qu'elle entendait à la cathédrale. Alors, nour- 
rie du Pain des forts, elle reprenait, silencieuse et 
recueillie, la tâche quotidienne, scrupuleusement 
fidèle à tous ses exercices de piété, malgré des occu- 
pations parfois bien absorbantes... Après de longs 
mois de souffrances, elle s'endormit paisiblement dans 
le Seigneur, le 21 décembre 1909, vingt-huit ans, 
presque jour pour jour, après celle qui, par ses 
exemples autant que par ses paroles, lui avait mon- 
tré la voie du Ciel. 



Sœur Marie de la Miséricorde, si dévouée aux 
œuvres de la Communauté, quêteuse infatigable pen- 






— 178 — 

dant de longues années, n'oublie pas, tout en travail- 
lant pour les vivantes, ses chères âmes du Purgatoire. 
Par les cotisations recueillies et envoyées à la pieuse 
Ligue de Lérins, son zèle leur procure le soulagement 
efficace du Saint Sacrifice de la Messe, célébré per- 
pétuellement pour elles par les fervents religieux 
Cisterciens. 

Sœur Marie- Ignace, intirmière parfaite de dévoû- 
ment et.de zèle, malgré sa complexion délicate, et 
qu'on ne pouvait rencontrer sans le chapelet à la 
main et le sourire sur les lèvres. 

Sœur Marie-Dominique avait partagé toutes les 
privations et tous les travaux de ses tilles ; elle avait 
connu même les heures les plus pénibles de la fonda- 
tion. Son excessive mortification aidant, sa robuste 
santé s'en trouva vite épuisée. En dépit de ses fati- 
gues, elle ne voulut consentir à se soustraire à la vie 
commune que contrainte par une maladie de poi- 
trine. A ce moment, il lui fallut aussi abandonner la 
part active qu'elle prenait aux travaux de ses novices. 

Prédicateur éloquent, toute sa vie, par ses exem- 
ples, elle le sera surtout pendant sa longue maladie : 
ses' vives souffrances rendront plus édifiantes encore 
sa bonté et sa piété toujours si grandes. Quand la 
faiblesse ne lui permettra plus de se lever, elle fera 
porter son lit dans un coin de la salle du noviciat ; 
de là, elle exercera sa surveillance et présidera tous 
lés exercices 1... Remplissant sa charge jusqu'à la fin, 
le matin même de sa mort elle faisait sonner la cloche 



— 179 — 

du réveil, alors que trois heures à peine la séparaient 
de cet instant si heureux pour elle, mais si doulou- 
reux pour celles qui demeuraient plongées dans la 
plus vive affliction. 

Pendant trois ans, la vénérée Fondatrice voulut 
porter le deuil de cette compagne qu'elle avait regar-' 
dée, à juste titre, comme son bras droit, comme l'une 
de ses meilleures et plus dévouées auxiliaires. Voyant 
disparaître un des premiers soutiens de la Commu- 
nauté, la pauvre Mère, qui sent elle-même ses forces 
décliner, écrit à ses filles : « Je vieillis, ^c'est-à-dire 
que je marche vers la Patrie » ; et elle n'en souhaite 
que plus ardemment établir sa chère Congrégation 
sur des bases solides et la voir, de son vivant, dans 
une situation assurée. 

M. l'abbé Guihal, ancien aumônier de l'Hôtel- 
Dieu, qui avait succédé à M. le vicaire général Rous- 
teau .dans la charge de Supérieur ecclésiastique, 
seconda efficacement les efforts de la zélée Fonda- 
trice dans l'établissement de l'œuvre des garde- 
malades (1). Il rédigea même à leur intention un 



(1) A la suite d'un entretien avec le l'ère Sébastien de la Compas- 
sion, M" 1 ' Julie Veillet écrivait, le Ij septembre 18'.I5 : « J'ai vu 
aujourd'hui le l'ère Sébastien. C.'esl avec bonheur que je l'ai entendu 
parler avec vénération de ma très chère et très regrettée sœur et 
louer sa fermeté dans les luttes qu'elle a eu à soutenir. Il a trouvé 
que la Congrégation s'était chargée d'œuvres qui n'étaient pas pri- 
mitivement dans les projets de la Bonne Mère, et il m'a demandé si 
C'était pendant sa vie que les Sœurs garde-malades avaient com- 
mencé à exercer leurs fonctions. — Je lui ai répondu que oui, mais 
que ce n'était pas sans peine de sa part : elle n'aimait point se sépa- 
rer de ses filles ; elle craignait toujours de leur voir perdre l'esprit 
religieux en retournant au milieu du monde. « (.'est cela, me 

répondit le Père, elle eût voulu unir la retraite des Carmélites à la 
vie active des Sœurs de Saint Vincent de Paul. » 



— 180 



règlement spécial. En effet, elles croissent en nombre 
à cette époque, si l'on en juge par les nombreuses 
lettres de la Bonne Mère. 

Dans sa sollicitude et son grand esprit de foi, elle 
recommande à ses chères filles de se mettre, au 
moment du départ, sous la protection de la Sainte 
Vierge, de leurs bons Anges et de leurs saints Patrons ; 
de saluer le Très Saint Sacrement toutes les fois 
qu'elles apercevront un clocher ; de se recommander 
aux Anges gardiens des personnes qu'elles ont à soi- 
gner ou à Tisiter, ainsi qu'à ceux des lieux qu'elles 
parcourent. A l'arrivée, leur première visite sera 
pour Notre-Seigneur darïs son Sacrement d'amour ; 
par la récitation du Veni Creator, elles supplieront le 
divin Esprit de les éclairer et d'être leur force dans 
les difficultés à surmonter ; puis, par le Souvenez- 
vous, elles se confieront, avec leurs œuvres, à leur 
Mère Immaculée. « Adoptez en esprit pour cellule la 
chambre que vous occupez dans les hôtelleries ; pour 
chapelle, l'église paroissiale ; pour cloître, les rues 
ou chemins que vous traversez ; pour clôture, l'obéis- 
sance ; pour grille, la crainte de Dieu », aimait- 
elle à leur redire, empruntant les exhortations de 
saint Vincent de Paul aux Filles de la Charité. 

A ces recommandations générales sa vigilance 
maternelle, toujours en éveil, ajoute celles qui con- 
viennent à chacune pour ses besoins temporels ou 
spirituels. 

« J'ai reçu votre lettre, dont je désirais beaucoup 



— 181 — 

l'arrivée, écrit-elle à l'une de ses Filles. Vous ne me 
parlez pas de votre santé ; ne manquez pas, dans 
votre prochaine missive, de me dire comment vous 
êtes. » 

A une autre : « Votre santé m'inquiète beaucoup. 
Comme vous n'avez pas l'habitude des veilles, je me 
propose de vous faire remplacer, si la maladie doit 
se prolonger. » 

Et encore : « Donnez-moi des nouvelles de votre 
rhume. Prenez des précautions pour revenir en bonne 
santé, et si ce rhume était une bronchite, venez vous 
reposer à votre chère Immaculée... » 

D'avance, elle invite leur pensée à venir se retrem- 
per dans la ferveur de la vie commune : « Plusieurs 
de nos garde-malades sont de retour. Elles jouissent 
avec bonheur de la régularité, car pour la paix de 
l'âme, rien n'est au-dessus de la vie religieuse... 

« Le mois de Marie occupe sans doute votre cœur. 
Au chevet de votre malade, pensez à la Vierge Imma- 
culée qui, du Ciel, veille sui*ses enfants ; réjouissez- 
vous d'être du nombre de celles qui porteront son 
nom, ses couleurs et sa bannière, parce que, dans la 
sainte Patrie, elle vous reconnaîtra ainsi pour sa fille 
très chère. » 

A ces exilées, qui ne le sont pas du cœur de leur 
Mère, vont encore ces paroles d'encouragement : 

« Que la Mère de Jésus occupe votre mémoire : elle 
a eu part aux douleurs de la Croix ; elle participe 



— 182 — 



maintenant aux joies de la glorieuse Résurrection... 
Avant d'agir, consultez toujours cette bonne Mère et 
vous vous en trouverez bien. Pie IX, de sainte 
mémoire, priait souvent Notre-Dame du Bon Con- 
seil. » 

Elle les suit près du lit des mourants : 
« Je vous plains sincèrement ; puissiez-vous voir 
ce pauvre moribond revenir au Bon Dieu I » 

Et lorsque le malade assisté par quelqu'une de ses 
filles a remis son âme entre les mains de son Créateur, 
le deuil de la famille devient le sien ; sa sympathie, 
ses prières et celles de la Communauté leur sont assu- 
rées. 

Ses chères quêteuses, dont le dévoûment inlassable 
assure à la petite famille de l'Immaculée les princi- 
pales ressources qui la font vivre, sont également 
l'objet de ses préoccupations et de ses attentions : 

« Vous voilà dans ce grand bruit de la capitale, 
écrit-elle à l'une de ses bien chères filles ; vous voilà 
parmi cette foule remuante qui doit vous faire appré- 
cier plus que jamais la solitude de votre Communauté. 
Au milieu de ce tapage, que le doux souvenir de 
notre Mère du Ciel soit pour vous une nourriture. 
Pour cela, méditez affectueusement chaque jour 
quelques traits de sa vie et vous respirerez le parfum 
de ses vertus. J'ai hâte de vous voir de retour. Quand 
l'heure aura sonné votre rappel, je remercierai le 
Bon Dieu. Mes chères filles me seront rendues. Quelle 
joie 1... » 



— 183 — 

C'était en effet un vrai bonheur pour elle d'écouter 
en détail tout ce qui s'était passé pendant les voyages 
et les absences des Sœurs. Celles-ci, après avoir visité 
l'Hôte divin du Tabernacle, selon la pieuse prescrip- 
tion de la sainte Règle, étaient heureuses, de leur 
côté, de lui raconter ce qui les avait intéressées. 

D'ailleurs, l'espoir de la réunion soutenait la Mère 
pendant la séparation. 

« J'accepte pour la Reine du Ciel vos bras et vos 
jambes, mes chères filles, et je les fais servir aux 
emplois de sa maison, à la condition qu'elle vous 
accompagne, vous guide, vous préserve de tout dan- 
ger et vous ramène au milieu de nous. » 

Ce n'est pas sans douleur que la Bonne Mère les 
avait vues partir ; sa pensée anxieuse les suit au 
milieu des dangers et des fatigues : 

« La marée nous donne de bien mauvais temps... 
Je songe à mes pauvres filles qui reçoivent la pluie 
sur leurs épaules et sont toutes bouleversées par le 
vent... Mais ces épreuves sont un gain pour le Ciel... 

« Offrez toutes vos sueurs à Jésus, divin Agonisant" 
du Jardin des Olives, et vous les retrouverez au jour 
de l'Eternité... Revenez me rapporter le prix de vos 
courses, de vos démarches, que Jésus a bénies et que 
vous retrouverez au Ciel. » 

Mais si elle souffre de leurs peines, elle se réjouit 
avec elles, bénissant Dieu de l'accueil qu'il leur 
ménage, disant toujours : Sursum corda ! 



— 184 



« Combien suis-je reconnaissante des bons soins 
que vous recevez des saintes religieuses bénédictines 
de Paris I » 

Remerciant la Supérieure du Refuge, elle écrit : 
« Nous sommes toutes bien touchées, des soins si 
charitables que vous avez fait donner à notre pauvre 
Sœur quêteuse. Nous, en garderons devant Dieu un 
précieux souvenir, qui ne s'effacera pas de nos cœurs. 
Nous restons pdur toujours attachées à votre fervent 
monastère, où règne une si parfaite charité... » 

Et à une de ses filles : « J'ai reçu votre lettre, que 
j'attendais avec anxiété, pour savoir comment vous 
aviez fait vos premiers pas de petite sœur quêteuse. 
J'ai lu avec bonheur que vous aviez été, au Pouli- 
guen, la protégée de saint Joseph. Prenez pour modèle 
la Vierge Immaculée et consultez-la souvent. Elle 
sera pour vous une bonne institutrice... 

« La divine Providence vous gâte en vous ména- 
geant de charitables réceptions, mais si elle trouvait 
bon de vous éprouver, bénissez encore la main qui 
exerce votre patience pour vous rendre au centuple, 
dans l'éternité, les actes de résignation que vous aurez 
produits ici-bas... 

« Proposez-vous chaque jour une bonne pensée à 
- méditer, pour qu'elle vous revienne souvent à la 
mémoire... Conservez au milieu du monde la piété, 
le recueillement de la vie religieuse, ^our Dieu, pour 
vos propres intérêts, pour l'édification des paroisses 
que vous explorez. 



— 185 — 



« Je vous confie, ma chère fille, au Sacré-Cœur. 
Vivez clans cette délicieuse retraite, et le monde sera 
un désert pour vous. » 

C'était bien aussi dans le Cœur adorable du divin 
Maître que, de tout temps, la vénérée Fondatrice 
cherchait un refuge dans ses peines et ses tribulations. 
Elle souhaitait aux autres ce qu'elle désirait pour 
elle-même quand elle écrivait : « Que toutes vos 
pieuses intentions touchent le Cœur de Jésus !... » Les 
■siennes étaient multiples. En relations d'affaires avec 
les plus nobles familles de France, elle avait en même 
temps à veiller journellement au* bon ordre de sa 
maison. Sa sollicitude s'étendait à tous les détails ; 
son zèle devait pourvoir aux besoins de chacune. 

L'ouragan de 1869-1871, en secouant violemment 
les branches du jeune arbre, n'avait fait qu'affermir 
en terre ses faibles racines. L'effort tenté par la 
Bonne Mère, alors si éprouvée, portait enfin ses fruits. 
Pour toutes le travail abondait. Combien il était 
nécessaire, ce travail, afin de parer aux nécessités 
d'une situation toujours précaire, par suite des 
emprunts contractés au moment de l'installation ! 

Aussi la dévouée Fondatrice était-elle très recon- 
naissante envers lés personnes qui voulaient bien lui 
envoyer soit une vache, pour remplacer celle que 
l'on avait perdue, soit une ânesse et son ânon. « La 
mère va servir à la Sœur chargée de faire les com- 
missions au bourg, et l'ânon, l'été prochain,, sera au 
service de la Bonne Mère pour la conduire voir les 

12 



— 186 



pauvres malades, que nos Sœurs vont soigner à la 
campagne, » écrit-elle en remerciant le généreux fon- 
dateur. Pour remédier aux accidents imprévus, tel 
celui du 15 février 1883, la vaillante solliciteuse se 
verra obligée de s'adresser, une fois encore, à l'iné- 
puisable charité du duc et de la duchesse de la Roche- 
foucault-Doudeauville : 

« Un triste accident vient de nous arriver. Malgré 
nos précautions, le grenier, chargé d'une partie du 
grain nécessaire à la subsistance de nos chères orphe- 
lines, vient de s'écrouler de fond en comble sur l'étable 
et les quelques vaches que nous possédons. Enseve- 
lies sous les poutres, les pierres, le plancher et envi- 
ron quinze mille kilos de froment, les pauvres bêtes 
devaient périr. Or, ce que Dieu garde est bien gardé ; 
nous avons l'espoir de les sauver, mais il faut relever 
l'étable, aménager un endroit pour* ramasser le fro- 
ment que nous avons pu en retirer, payer la dette de 
ce grain, que nous devons solder le 3 avril. » 

La Sœur qui s'empressait de porter cette pénible 
nouvelle à saBonneMère, en reçut cette réponse admi- 
rable de résignation à la volonté divine : « Eh bien ! 
ma fille, que Dieu soit béni ! Il faut toujours com- 
mencer par là en tout ce qui nous arrive. » Puis elle 
demanda de plus amples explications et donna ses 
avis sur la conduite à tenir, ramenant ainsi le calme 
au milieu de la Communauté éplorée. 

« Ce n'était pas la première fois, raconte une de ses 
filles, que notre vénérée Supérieure nous donnait des 



— 187 



preuves de l'esprit de mansuétude qui l'animait. Un 
soir, ayant terminé la copie fort longue d'un morceau 
de musique, notre Bonne Mère se sentit fatiguée et 
me demanda une tasse de tisane. En la lui présentant, 
j'eus la maladresse d'en renverser le contenu sur le 
laborieux travail. Je ne puis exprimer combien 
grande était ma confusion, ma désolation. Mais au 
lieu de me gronder, elle me dit avec une grande dou- 
ceur : « Consolez-vous, ma chère fille, c'est le Bon 
Dieu qui l'a voulu ; que son saint nom soit béni I » 
Et elle recommença la copie avec autant de calme et 
de tranquillité qu'auparavant. 



CHAPITRE SIXIÈME 



Vie intérieure 



Marthe et Marie. — La journée d'une Fondatrice". — Silence 
et humilité. — Les croix de Providence. — Une àme 
d'élite : Sœur Thérèse de Jésus (M 118 Sophie Derval, de 
Chàleaubriant). — L'union à Dieu au milieu du monde : 
un voyage à Paris. — Le deuil d'une amie d'enfance. — 
Approbation de la Règle (1885). — Une cérémonie tou- 
chante : les Vœux perpétuels. 



Dans cette âme fervente, les occupations de Marthe 
ne nuisaient jamais au recueillement de Marie. Vie 
intérieure où se nourrissaient, avec la paix, les divines 
flammes qui produisent le zèle. La Mère Marie de 
l' Immaculée-Conception aimait aussi à rappeler les 
paroles de la Bienheureuse Françoise d'Amboise, 
dont le nom lui avait été donné au baptême : « Le 
monde n'est point un lieu de félicité, mais de travaux 
et de calamités, auquel notre Sauveur Jésus-Christ 
a tant souffert d'opprobres, de traverses et de tour- 
ments, étant mort honteusement pour notre salut, et 
ceux qui sont ses amis participent de ses peines et 
passion. » 



— 190 — 

La Bonne Mère était certainement comptée par 
le divin Maître au nombre de ses amis. Aussi sa vie 
était-elle crucifiée avec celle de Jésus ; mais loin de 
s'en plaindre, elle s'écriait : « O Croix de mon Sauveur, 
je vous adore comme mon unique espérance, le ber- 
ceau de ma foi, l'origine de mon salut, la source de la 
vie éternelle ». Et elle ajoutait avec la Bienheureuse 
ces mots qui révélaient le secret de son courage : «O 
Jésus, que celles qui n'aiment point Dieu sont misé- 
rables, puisque sa force surmonte tout, quoique sa 
pratique paraisse difficile. » (1) 

Pour entretenir le feu du divin amour au foyer de 
son cœur, elle était ingénieuse à y jeter le bois de 
ses moindres occupations, persuadée qu' a une chose 
quelque petite qu'elle soit, peut devenir très grande 
si elle est faite pour Dieu ; et que les choses les plus 
relevées deviennent viles et méprisables si elles ne 
sont ornées de la sainte vertu d'humilité et de la droite 
et pure intention de plaire à Dieu. » 

Selon les chroniques, tel était, à cette époque, l'em- 
ploi de quelques-unes de ses journées : « Aujourd'hui, 
dimanche 5 octobre, Bonne Mère a accompagné la 
grand'messe et les vêpres à l'harmonium ; a expédié 
sa correspondance ; a reçu dans son parloir un des 
domestiques qui fait ses 28 jours et, après l'avoir fait 
dîner, lui a donné de bons conseils, l'exhortant à ne 
point omettre ses prières de chaque jour. 



(1) Bienheureuse Françoise d'Araboise, duchesse de Bretagne, 
puis prieure du Carmcl des Collets. 



— 191 — 



« Le lendemain, M. l'abbé Guihal, notre Révérend 
Père Supérieur, est arrivé par le train de 7 heures du 
matin ; ils ont parlé longuement ensemble des inté- 
rêts de la Communauté. 

« Le 8, après son petit déjeuner, elle est allée, 
comme toujours à l'aide d'un bras, voir les ouvriers 
de la basse-cour qui désiraient lui parler, a visité les 
différents animaux qui s'ytrouvent et, rentrée pour 
sa correspondance, a reçu jusqu'à 11 heures, les 
sœurs ayant besoin de ses conseils ; ce qu'elle a con- 
tinué après son déjeuner jusqu'à l'Office de une heure 
/et demie. 

« Dans l'après-midi, le médecin est venu visiter 
les malades ; elle a assisté aux consultations, a pris 
note des remèdes prescrits pour chacune... Deux et 
trois fois par jour, Bonne Mère se rend à l'infirmerie, 
va d'un lit à l'autre, s'assied près des plus souffrantes, 
et passe à leur chevet de longs moments. A ses côtés, 
on a le cœur content, on respire à l'aise, on se sent 
plus près du Bon Dieu, plus disposé à faire tous les 
sacrifices que demandent les circonstances. » 

Si la parole persuade, l'exemple entraîne.^Les avis 
de la zélée Supérieure n'étaient si éloquents, que 
parce qu'ils avaient tous été vécus avant d'être 
donnés. 

Avec la Bienheureuse Françoise d'Amboise, qu'elle 
citait tant de fois, elle aimait à répéter : « L'âme que 
Dieu a retirée du monde et appelée à la religion est 
heureuse si elle consent à sa vocation ; elle doit beau- 
coup estimer l'alliance qu'elle contracte avec Jésus- 



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— 192 — 

Christ, étant son Epouse, et souvent chanter en son 
cœur : J'ai méprisé le règne du monde et toute la 
pompe du siècle pour l'amour de mon Seigneur 
Jésus-Christ que j'ai vu, que j'ai aimé, dans lequel 
j'ai mis ma foi et que j'ai choisi. » (1) 

« Heureuses, ajoutait-elle, celles qui pourront dire 
avec une grande Reine : Vous savez, Seigneur, que 
depuis que j'ai été amenée ici, jusqu'à présent, votre 
servante ne s'est jamais réjouie qu'en Vous, Seigneur, 
qui êtes le Dieu d'Abraham. 

« L'esprit de perfection consiste à tourner sans 
cesse son cœur vers Dieu... Pour lui, une grande fidé- 
lité aux petites choses, un grand désir, une jprofonde 
estime de la perfection, perle précieuse de l'Evangile 
pour laquelle on vendra tout. Quand l'orgueil voudra 
vous enlever ce que vous destinez à Dieu seul, ren- 
voyez ce voleur par les noms puissants de Jésus et 
de Marie ; répétez avec notre Mère du Ciel ces paroles 
à jamais terribles pour l'enfer : Je suis l'humble ser- 
vante du Seigneur !... Aimez, avec la Vierge Marie, la 
solitude, le silence ; rappelez-vous qu'elle chercha 
toujours les lieux écartés du monde pour donner à 
la terre la preuve de son amour, les gages de sa ten- 
dresse... 

« Le silence bien compris, joint à la crainte de 
Dieu, est un chariot de feu qui emporte l'âme au 
Ciel, comme Elie. 



(1) Bienheureuse Françoise d'Amboise. La lin de cette citation 
est un emprunt à l'Office du Commun d'une Martyre. 



— 193 — 

« Marthe appela Marie en silence, dit Saint-Jean, 
c'est-à-dire sans, bruit, d'un simple geste I Isaïe, en 
parlant de Notre-Seigneur, dit : Il ne criera point 
et sa voix ne sera pas entendue au dehors. 

« L'esprit de la vie religieuse doit être un esprit 
de recueillement. C'est au milieu du calme de la nuit, 
c'est dans le silence des ténèbres, que la voix du Sei- 
gneur se fit entendre au jeune Samuel. » 



Celle qui avait tant goûté la solitude et aurait 
tant souhaité pouvoir s'y recueillir constamment ne 
s'appartenait plus. Au reste', sous la ferme direction 
de Mgr Jaquemet, il y avait longtemps qu'elle avait 
appris à sacrifier ses goûts les plus chers, à vaincre 
en tout lanature. 

Un jour, montrant à deux de ses sœurs une jolie 
boîte et une branche de rameau bénit, offerts par 
le saint Prélat, au cours d'une visite qu'elle en reçut 
à Nantes, lors de sa grave maladie de 1860, la Bonne 
Mère leur disait : 

« Mes enfants, Mgr Jaquemet m'a fait faire mon 
noviciat et je vous assure qu'il s'y connaissait... Que 
de fois, il m'a humiliée I II voulait sans doute, par là, 
s'assurer de ma constance, se disant : Si elle persévère 
malgré les difficultés, c'est une preuve que son œuvre 
est de Dieu. 

« Un jour, je fus chargée d'une commission assez 
délicate par une personne qui promettait de s'inté- 
resser généreusement à mes orphelines. Elle désirait 
vivement, à cause de sa sœur tout à fait infirme, avoir 



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— 194 — 

le Saint-Sacrifice célébré dans la chapelle de sa maison 
par M. l'abbé de la Guibourgère, alors notre Supé- 
rieur. Elle m'avait donc priée d'être son interprète 
près de notre Evêque. Après la messe de Monsei- 
gneur, je présente à Sa Grandeur la requête, objet 
de ma mission. Devant toutes les grandes dames qui 
se trouvaient là, je reçus cette réponse formulée à 
haute voix : « Est-ce que vous allez, maintenant, 
vous occuper des affaires de mon diocèse ? » Je ne dis 
rien, mais, assurément, je. fus très humiliée ; j'igno- 
rai le motif qui fit agir Monseigneur de la sorte, car 
la pensée qu'il me prêtait était bien éloignée de moi : 
je n'avais songé qu'à procurer, par ma complaisance, 
un peu d'argent à notre maison si pauvre alors .» 



La bonne volonté de ia pénitente avait sans doute 
aussi fort bien secondé la sévère direction du prudent 
évêque car le tempérament, en elle, était bien dompté. 
Parfois, cependant, le pauvre serviteur, à bout de 
forces, laissait échapper quelques plaintes comme 
celles-ci, d'ailleurs bien vite réprimées : 

« Le Bon Dieu veut sans doute me mettre au repos : 
je me sens si fatiguée ! Il semble que la vie m'échappe, 
mais il faut auparavant souffrir de n'être plus ce 
qu'on était au commencement de notre chère œuvre. 
Je ne* me sens plus capable de rien. » 

Et néanmoins, sans que cette extrême lassitude 
parût au dehors, la vaillante Mère, toujours à son 
poste, expédiait sa nombreuse correspondance, rece- 
vait les sœurs et les enfants qui désiraient lui parler : 



— 195 — 



« Si elle sort un instant pour prendre l'air sur le perron 
de la cour et réciter son chapelet, racontent les con- 
temporaines, chacune, épiant ce moment, y vient 
en toute hâte, de sorte qu'elle dit quelquefois : « Je 
ne sais pas où aller pour être tranquille et jouir d'un 
peu de repos ; cependant je sens que j'en ai besoin. » 
Mais vite elle reprend : « Oh ! non, mon Dieu, je ne 
veux pas de repos en cette vie ; je'suis trop heureuse 
que vous vouliez me choisir pour votre servante. » 
Elle est persuadée, en effet, que sa position l'établit 
la servante de toutes, d'après l'exemple du Sauveur 
qui vint pour servir et non pour être servi. Elle a 
besoin, en même temps, d'une grande liberté inté- 
rieure pour agir et de cette sainte joie qui dilate le 
coeur et le fortifie au milieu des pénibles devoirs qui 
lui sont imposés... La Supérieure doit être la Règle 
vivante. 

C'est pourquoi, sous l'impression de sa responsa- 
bilité écrasante, elle s'écrie : « Qu'il est difficile, pour 
une Bonne Mère, avec une charge comme la mienne, 
d'entrer au Ciel ! Priez pour moi afin que je ne sois 
pas tout à fait rejetée du Bon Dieu. » Le devoir qui 
lui incombe vis-à-vis "de ses chères filles se présente 
ainsi à ses yeux : ne rien épargner pour les conduire 
à la perfection que le Seigneur demande d'elles, en 
.les soutenant dans leurs tentations, en les éclairant 
dans leurs doutes, en les consolant dans leurs peines. 
Elle les aidera à triompher de leurs difiicultés, elle se 
multipliera pour répondre à leu's divers besoins ; 
elle aura pour elles les sentiments d'une mère et 



— 196 



s'efforcera de gagner leur confiance par une bonté qui 
s'étendra à toutes leurs nécessités. 

Tel est le programme tracé et si consciencieuse- 
ment rempli, que toutes, sous sa direction aussi ferme 
que bienveillante, vivent heureuses, sans se douter 
peut-être de l'effort que leur bonheur demande sans 
cesse à la pauvre Mère. Un jour, au sortir d'une ins- 
truction, elle ne peut retenir cette plainte, recueillie 
seulement par une de ses iidèles compagnes : « Oh I 
que je suis fatiguée ! Mais je vous défends bien d'en 
dire quelque chose aux Sœurs : c'est mon devoir, 
c'est le poste que le Bon Dieu m'a donné sur la terre. 
Trop comblée serai-je si je puis le faire glorifier et 
aimer. Mon Dieu, je vous en prie, faites-vous con- 
naître et aimer de mcs~chères filles I » 

Toujours « une âme guerrière demeure maîtresse 
du corps qu'elle anime » (1) Un jour de fête, après 
une nuit d'insomnie et à la suite d'un inquiétant 
diagnostic du médecin, ses Sœurs désolées la sup- 
plient de ne pas aggraver son étal en tenant l'har- 
monium pendant la grand'messe. Mais immédia- 
tement, elle se lève de son faxiteuil, prend le chemin 
de la chapelle, en disant d'un ton animé : >> Notre, bon 
Sauveur et Maître a répandu pou<- moi jusqu'à la 
dernière goutte de son sang ; je veux Lui donner 
jusqu'à la dernière goutte de ma vie ! » Et, ce jour-là, 
comme à l'ordinaire, elle accompagna la grand'messe 
et les vêpres. 



(1) Bossuet. Oraison funèbre du prince de Condé. 



— 197 



Sachant que « nul ne peut donner une plus grande 
marque d'amour que de mourir pour Celui qu'on 
aime (1) », elle s'écriait : « Que la Croix du Sauveur 
Jésus soit notre partage, et nous pourrons nous appe- 
ler bienheureuses ! » Elle était exaucée. Les croix les 
plus précieuses lui étaient réservées, car si toutes sont 
bonnes, celles du cœur sont d'or, comme dit Saint 
François de Sales. 

La divine Providence lui avait donné, dans Sœur 
Thérèse de Jésus, une auxiliaire incomparable comme 
assistante, secrétaire et économe ; une âme animée, 
comme la sienne, de la même foi, du même zèle pour 
la gloire de Dieu et le salut du prochain ; un cœur 
uni au sien par les liens d'une pieuse et tendre affec- 
tion. D'avance, en sa pensée, la Mère Marie de V Imma- 
culée la désignait pour lui succéder dans la charge 
de Supérieure. De fait, la vénérée Fondatrice l'avait 
Initiée à l'art de gouverner, lui avait confié les projets 
les plus secrets concernant l'avenir de la Congréga- 
tion. Sa grande droiture de jugement, sa parfaite 
discrétion en faisaient une conseillère sage et pru- 
dente ; elle était vraiment une consolation, un appui 
pour la Bonne Mère qui la considérait comme l'âme 
de son âme, la lumière de ses yeux et aimait à l'appe- 
ler son bras droit. La voyant remplie de l'esprit de 
son Institut, elle pouvait bien, en effet, se reposer 
sur sa sagesse pour la continuation de l'œuvre, objet 



I 



(1) Evangile selon S. Jean, xv, 13. 



198 



de leur commun dévouaient... La mort vint la ravir 
aux plus chères espérances ! 

Le 16 mai 1884, Sœur Thérèse de Jésus était saisie 
d'un malaise insurmontable. Je la vois encore, nous 
dit une de ses compagnes, avec sa physionomie 
extraordinairement changée, ses traits pâles et tirés, 
un teint blême à effrayer, venir, avant l'heure du 
souper, demander à notre Bonne Mère, près de 
laquelle je me trouvais, la permission de se mettre 
au lit, ne pouvant plus tenir debout, et lui souhaiter, 
comme à l'ordinaire, un affectueux bonsoir qui lui 
fut gracieusement rendu. 

On dut l'aider à se coucher. Elle était atteinte, pour 
la troisième fois, d'une fluxion de poitrine qui devait 
l'emporter en sept jours. Un second médecin fut 
appelé pour conjurer, mais en vain, les progrès 
effrayants du mal. Comme les regards scrutateurs 
de la malade interrogeaient le docteur, celui-ci, levant 
les yeux au Ciel, lui dit : « Sursum corda, ma Sœur ! » 
Elle répondit : « Oh 1 oui, les cœurs en haut ! » A 
partir de ce moment, Sœur Thérèse de Jésus se pré- 
para avec calme au redoutable passage, Dans ses 
dernières luttes, lorsqu'elle paraissait ne plus pou- 
voir articuler une parole, ses lèvres remuaient encore 
et disaient presque sans cesse « Priez, oh ! priez ». Ainsi 
la prière, qui avait été le soutien et la consolation 
de sa vie, fut encore, à cette heure suprême, son espé- 
rance et son appui. C'est dans ces saintes dispositions 
qu'elle rendit sa belle âme à Dieu, le 27 mai 1884, 
dans la cinquante-et-unième année de son âge. 



— 199 — 



La Jïiort de cette religieuse, pieuse comme un ange, 
était bien l'image de sa vie. 

M» e Sophie Derval, née le 4 octobre 1833, apparte- 
nait à une excellente famille de Châteaubriant, 
jouissant de l'estime de ses concitoyens. Son père, 
Victorien Derval, exerçait la profession de maréchal- 
ferrant ; c'était un homme industrieux et d'une 
intelligence remarquable ; sa probité et sa loyauté 
lui attiraient une nombreuse clientèle parmi les habi- 
tants de la ville et des alentours. Son admirable cha-" 
rite rendit, dans la suite, de grands services à la Com- 
munauté naissante. 

Le Bon Dieu se plût à combler de bénédictions ce 
vertueux chrétien. A ce père laborieux et à son épouse 
Anne Letort, qui voyaient leur travail fructifier et 
leur procurer l'aisance, furent donnés douze enfants 
dont huit allèrent, dès le bas âge, grossir les célestes 
phalanges. Trois autres devaient conserver dans le 
monde les saines traditions de la famille. 

La quatrième de cette génération bénie fut la 
jeune Sophie. 

D'une complexion des plus délicates, elle se distin- 
gua de bonne heure à l'école de sa pieuse mère et des 
religieuses Ursulines de Chavagnes qui firent son 
éducation, par une ardente piété, la pratique des 
vertus, un attrait particulier pour la solitude. A la 
sortie de l'école, elle évitait de prendre part aux ébats 
des petites filles de son âge et se rendait bien vite 
chez ses parents. Elle passait dans sa chambrette, 
transformée en oratoire, les heures de loisirs que lui 






— 200 — 



laissaient la classe et ses devoirs ; là, devant une sta- 
tue de la Sainte Vierge, qu'elle aimait à orner de 
fleurs, elle égrenait pieusement son chapelet. Elle 
avait, pour sa Bonne Mère d.u Ciel, une dévotion toute 
particulière qui ne fit que grandir et lui mérita, plus 
tard, de devenir une pieuse enfant de Marie dans 
la Congrégation de la paroisse Saint-Nicolas, établie 
au pensionnat de Nazareth. 

Dès l'âge le plus tendre, la nature sérieuse de la 
petite Sophie se dessina pleinement : elle aimait la 
vie cachée, parlait peu, et cette modestie, si rare dans 
une enfant, lui donnait un air de dignité grave et 
simple qui la caractérisa toute sa vie. 

Bien jeune encore, cette âme pure entendit l'appel 
du Seigneur. Dans les notes recueillies pieusement 
sur ses années d'enfance, sa nièce raconte que, le 
jour de la première Communion, elle confia à sa mère 
le secret de son âme innocente : « Maman, lui dit-elle 
dans l'cpaiKheincnt de sa tendresse filiale, vous 
aurez une petite fille religieuse. » — Un ecclésiastique 
des environs, ami de la famille, admirait, dans leur 
aînée, une candeur et une piété peu communes : il 
signala à M™ Derval les germes de la future vocation 
de sa fille : « Elle sera religieuse. », dit aussi le prêtre, 
inspiré de Dieu. Il ne se trompait pas, mais avant que 
l'heure eût sonné, Sophie devait être la joie et la 
consolation de ses bons parents, l'ange tutélaire de 
son frère et de ses deux sœurs qu'elle guidait, par 
ses exemples, dans le sentier de la vertu. Après plus 
de soixante années, une de celles-ci qui lui survit se 



201 



rappelle encore la tendre piété que tous trois admi- 
raient dans leur sœur : « Nous l'en plaisantions, dit 
elle, mais toujours douce et bonne elle ne s'impatien- 
tait jamais de nos espiègleries enfantines. » 

Ses classes terminées, la jeune fille fut placée en 
apprentissage chez une lingère qui était la sœur de 
M lle Aimée Durand, la future Sœur Marie-Dominique. 
Elle devint une habile ouvrière, mais le Bon Dieu la 
formait en même temps à un autre apprentissage, 
celui de l'apostolat, pour la préparer à la mission 
qu'il lui destinait. 

Elle nourrissait dans son cœur le secret désir de 
se consacrer au Divin Maître dans la vie religieuse. 
Or elle éprouvait un attrait irrésistible pour l'œuvre 
de M Ue Veillet dont les exemples de vertu et de sain- 
teté la ravissaient ; celle-ci, de son côté, la demandait 
à Dieu par de fréquentes prières. 

La Providence, toujours attentive à nous venir en 
aide dans tout ce qui est bon, leur fournit bientôt à 
toutes deux l'occasion de faire une mutuelle con- 
naissance. M lle Marie Veillet ayant laissé par mégarde 
ou à dessein, son livre de prières à l'église, M. le Curé, 
qui était instruit du désir de M lle Sophie Derval, 
seconda son projet en la chargeant de reporter le 
livre égaré à la propriétaire. Cette innocente aventure 
remplit de joie le cœur de la jeune fille ; les relations 
furent nouées bien vite et, dès lors, M lle Sophie 
s'offrit à aider M lle Aimée Durand dans la confection 
et la réparation des vêtements de la petite Commu- 
nauté. Néanmoins, elle ne se joignît pas, dès cet 

i3 



202 



instant, à ses nouvelles compagnes. Elle rendait 
des services à l'orphelinat, tout en demeurant chez 
son père, mais visitait souvent les protégées de l'œu- 
vre, et son cœur s'y attachait de plus en plus. Le 
pénible accident arrivé à la petite Marie Joncherais, 
qu'elle affectionnait particulièrement, y fixa défini- 
tivement son séjour le 21 août 1853 ; et le 8 décembre 
de l'année suivante, à l'âge de 22 ans, elle prononçait 
ses saints vœux dans le petit oratoire de la maison 
des Terrasses. Triomphant de tous les obstacles, 
dont le principal était sa frêle santé, elle sacrifiait 
généreusement les douceurs de la maison paternelle, 
où on l'entourait de soins continuels,' pour se vouer 
à une vie de souffrances et de dures privations : ne 
comptait-elle pas sur le secours d'En-Haut ? L'aide 
divine, d'ailleurs, ne lui fit jamais défaut et soutint 
constamment sa faiblesse. 

M. Derval était trop bon chrétien pour s'opposer 
à la vocation de sa fille ; puis il appréciait beaucoup 
l'œuvre de si parfaite charité qui sollicitait son 
dévo'ùment. Cependant, la pénurie dans laquelle se 
trouvait la petite Communauté l'alarmait grande- 
ment. Un soir, M"e Sophie revient chez son père et 
lui expose la détresse extrême de la demeure des 
Terrasses : le pain manquait et l'on se trouvait sans 
ressources. M. Derval alarmé, redoutant les suites 
de cette disette pour la santé de sa fille, lui défendit 
de retourner à l'orphelinat. Sans se déconcerter, 
M" c Sophie sut trouver dans son cœur, avide de sacri- 
fices, des accents assez persuasifs pour décider son 



— 203 — 



bon père à la laisser suivre la voie sublime qu'elle 
avait choisie. Très ému, celui-ci, alla immédiatement 
prévenir une bienfaisante famille de Châteaubriant 
qui, le soir même, envoya des secours et promit que 
désormais le grain ne manquerait plus à la petite 
Communauté. M. Lepays tint parole et devint, par là, 
un insigne, bienfaiteur de l'œuvre à l'heure de ses 
pénibles débuts. 

Celle qui ne se laissait point décourager par 
l'épreuve puisait son énergie toute surnaturelle, dans 
la réception quotidienne de la Sainte Eucharistie, 
faveur que l'innocence de sa vie et sa ferveur lui 
avaient fait accorder dès avant son entrée à l'Imma- 
culée. 

Que de choses seraient à dire de la vie édifiante 
qu'elle y mena ! D'une constitution très déliaate, 
elle fut continuellement maladive des suites d'une 
coqueluche de sa petite enfance, mais elle savait 
suppléer à ses forces par un courage constant et 
énergique dans le travail, sans relâche, qu'exigeait 
la situation précaire des premiers commencements. 
Durant, plusieurs années, de quinze jours en quinze 
jours, on devait lui appliquer un vésicatoire, incom- 
modité qu'elle supportait sans rien diminuer de sa 
tâche accoutumée. Placée à la tête de douze enfants, 
lors de son arrivée, elle en vit le nombre s'accroître 
tous les ans ; il y en eut jusqu'à quatre-vingts ; elle 
les maintenait dans le devoir avec sa boulé naturelle 
qui n'excluait.pas une grande fermeté. A ces petites, 
elle apprenait à coudre, à repasser dans la perfection, 



— 204 — 



si bien que les ouvrages les plus délicats de la ville 
et des environs lui étaient confiés. A l'approche des 
dimanches et des fêtes, les jours ne suffisant plus, 
pour arriver à satisfaire toutes les personnes qui sou- 
tenaient l'orphelinat en lui procurant du travail, 
il lui fallait prendre sur la nuit pour achever sa 
tâche. Or, jamais la souffrance ne fit reculer la vail- 
lante maîtresse de l'ouvroir. L'esprit de dévoûment, 
déployé durant ces dix premières années, l'anima 
toute sa vie. Son cœur, comme celui de M Ue Veillet 
s'embrasait à un même foyer : l'amour divin qui en 
faisait des victimes dont l'holocauste attirait des 
grâces de conversion sur les pécheurs et de préser- 
vation sur les petites déshéritées de ce monde. 

« Madame Thérèse », comme l'appelaient d'abord 
les enfants, avant que la petite association n'eut été 
érigée en Congrégation, n'avait pas reçu en vain 
le nom de l'illustre sainte d'Avila. Apôtre par ses 
exemples de piété et de mortification que l'œil obser- 
vateur des petites filles savait bien reconnaître, elle 
les stimulait encore à la pratique de ces vertus. 

Une enfant de ce temps, demeurée à la Communau- 
té qui hospitalise sa vieillesse, rappelle ainsi ses sou- 
venirs : .. Notre chère maîtresse, dit-elle, nous recom- 
mandait la bonne tenue dans les classes et dans les 
couloirs ; et pour cela elle nous excitait à certains 
petits actes de mortification, comme de nous priver 
de jeter les yeux de côté et d'autre, et ceci dans 
le but d'obtenir la conversion des pécheurs, la déli- 
vrance des âmes du Purgatoire... Elle exigeait surtout 



205 



un maintien religieux à la chapelle, par respect pour 
Notre-Seigneur présent dans le saint Tabernacle... 
Un jour, ajoute la narratrice, Sœur Thérèse me de- 
manda de me priver de récréation pour un travail 
pressé. Ce sacrifice me -eoûtait ; j'entrepris néan- 
moins l'ouvrage demandé. Notre pieuse maîtresse, 
voyant ma bonne volonté, voulut alors m'apprendre 
à surnaturaliser mon intention et ajouta : « Mon 
enfant, dites : Mon Dieu, ornez l'âme de la personne 
pour laquelle je travaille d'autant d'actes de vertus 
que je vais faire de points d'aiguille dans son ouvrage. » 
Ainsi dirigeait-elle l'âme des enfants vers Dieu. 

Non moins soucieuse de leur procurer quelques 
plaisirs, elle savait, en se privant des rares desserts 
de ce temps-là, ménager à ses chères petites d'agré- 
ables surprises : les friandises, reçues chaque fois avec 
une franche gaieté, étaient croquées à belles dents, 
les jours de grande fête. 

Sœur Thérèse de Jésus fut particulièrement un 
modèle d'ordre, de propreté, de perfection dans tout 
son ensemble : c'était son cachet. Très fidèle à la 
sainte pauvreté, elle avait toujours les vêtements les 
plus rapiécés quoique toujours parfaitement en ordre.. 
Souvent, on ne reconnaissait plus le premier morceau 
de ses voiles, robes ou camails, dont les enfants se 
plaisaient à compter les pièces. L'une d'elles, ayant 
mis au rebut, comme vraiment hors d'usage, une de 
ses paires de bas qui lui avaient été confiées pour les 
raccommoder, se vit semoncer et dut s'exécuter en y 
faisant d'innombrables reprises ! 



— 206 — 



Ce qu'elle pratiquait si bien, elle tâchait de l'incul- 
quer aussi aux enfants, afin d'en faire de bonnes mé- 
nagères. 

Dans le même esprit, elle ne se permettait pas, en 

-dehors des récréations laissées à la liberté de chacune, 

de distraire une minute du temps consacré au bien 

général et n'acceptait jamais qu'à ces moments-là 

de service ou d'aide dans son travail personnel. 

Sa pureté d'intention était habituelle. Elle se dis- 
tinguait en toutes ses actions par un admirable esprit 
de foi qui ne la quittait pas et qui la portait à recom- 
mander la bonne coutume de saluer en passant, au 
moins intérieurement, les crucifix et les images de la 
Sainte Vierge disséminés dans la maison. 

Dès son enfance, elle offrait à sa Mère du Ciel 
chacun des objets ou des vêtements neufs mis à son 
usage et fut fidèle, jusqu'à la mort, à cette pieuse et 
délicate attention. 

Son respect pour le Saint Sacrement était encore 
plus remarquable. Quelle vénération, quelle vive" 
confiance, quelle plénitude de foi ! A la chapelle, 
tout, révélait son culte pour la divine Eucharistie : 
et ses génuflexions si pieuses, et le son pénétré de sa 
voix pendant la récitation des prières vocales ou 
des versets du saint Office !...' (du saint Office !...) 
D'une exactitude exemplaire à tous les exercices 
prescrits par la règle, très fidèle à son rosaire, le plus 
souvent dans ses mains lorsqu'on la rencontrait, elle 
ajoutait encore d'autres formules qui lui étaient par- 
ticulières et se trouvaient appropriées à ses attraits. 



— 207 — 



Son extérieur toujours recueilli, la gravité de son 
maintien, sa marche posée mais sans affectation, cet 
air de grandeur et de noblesse, empreint néanmoins 
d'une certaine timidité, inspiraient le respect et don- 
naient l'exemple du recueillement et du silence. 
Quoique d'une gaité très modérée, sa conversation 
était vraiment agréable, ses expressions faciles ; 
modeste à l'excès dans sa tenue, on n'y découvrit 
jamais trace de légèreté. 

Cinq ans environ après son entrée dans la petite 
Communauté, le Révérend Père Sébastien ayant 
connu Sœur Thérèse alors qu'il était encore lui-même 
Secrétaire de Mgr Jaquemet et Supérieur de la Con- 
grégation naissante, écrivait à la Fondatrice : « Dès 
que je l'ai vue pour la première fois, sa physionomie 
m'a donné des espérances que cette enfant serait 
quelque chose; mais il faut, je crois, user de beaucoup 
de prudence, ne pas la mettre trop vite en lumière et 
la former préalablement à l'humilité, en lui faisant 
subir des humiliations, légères d'abord, puis plus 
grandes, jusqu'à ce qu'elle en soit venue à regarder, 
comme une bonne fortune d'être mise au rebut et à 
l'écart comme une personne inutile, comme un pot 
fêlé, et cela parce qu'elle ne se croira bonne à rien. » 

Les conseils du prudent et zélé directeur furent 
suivis à la lettre par la Bonne Mère qui se plut à cul- 
tiver et à faire fructifier les vertus précoces de cette 
âme d'élite. Son dévoûment sans bornes, sa soumis- 
sion parfaite, ses intentions droites et délicates ne 
rencontraient, semblait-il, qu'indifférence et que froi- 






— 208 — 

deur, au lieu de l'encouragement qui l'eût rendue 
mille fois heureuse. 

C'est ainsi que la sage Fondatrice, faisant taire soli 
propre cœur, apprenait à sa chère fille à se détacher 
des satisfactions humaines pour ne chercher qu'en 
Dieu seul appui et consolation. Les épreuves par les- 
quelles sa vertu fut exercée ne servirent qu'à la gran- 
dir aux yeux du Ciel et de ses Supérieurs, et à la pré- 
parer à devenir un jour, elle-même, directrice d'âmes. 
Au printemps de l'année 1862, les besoins de l'or- 
phelinat, plus impérieux que jamais, obligèrent la 
Mère Marie de l' Immaculée-Conception à tenter le 
voyage de Paris pour y implorer la charité des 
riches bienfaisants de cette grande ville. Elle choisit 
pour compagne, Sœur~ Thérèse de Jésus, comptant 
trouver dans le dévoûment et la distinction de sa 
compagne un précieux élément de succès. 

Son attente ne fut pas déçue : au bout de quelques 
années d'apprentissage à l'école de la Bonne Mère, ■ 
Sœur Thérèse pouvait la remplacer dans cette tâche! 
désormais au-dessus de ses forces... Toujours avec 
serrement de cœur, elle voyait arriver l'heure du 
départ. Il lui était si pénible d'échanger la solitude 
et le silence de sa chère Communauté pour la dissi- 
pation et le bruit de la grande cité ; la compagnie 
, douce et tranquille de sa famille religieuse et de ses 
chères enfants (dont elle demeura la première maî- 
tresse jusqu'à sa mort) pour celle de la haute société 
que sa timidité naturelle lui faisait doublement 
redouter 1 



209 



La peine était bien partagée par la pauvre Mère qui 
ne voyait jamais sans déchirement ses chères quê- 
teuses ou ses gardes-malades s'éloigner d'elle. 
Quelques fragments de lettres nous font connaître 
la tendre sollicitude et l'affection dont leurs desti- 
nataires étaient l'objet : 

« Vous ne me parlez pas de votre gros rhume, soi- 
gnez-vous, je vous en prie, et donnez-moi de vos nou- 
velles... Profitez de votre séjour à Nantes pour con- 
sulter M. Viaud-Grand-Marais, pour votre gorge et 
votre poitrine... 

. « Ne vous laissez manquer d'aucune chose dont 
vous avez besoin pour vous soutenir... Que je suis 
inquiète de vous 1 Revenez bien vite si cette toux ne 
vous quitte pas... Revenez avant que d'être alitée, je 
vous recommande à la Sainte Vierge ; puisse-t-elle 
vous ramener guérie près de moi... » 

« Je vous remercie de votre amitié ; vous pouvez 
compter sur la mienne jusqu'à l'Eternité. 

« L'annonce de votre arrivée me réjouit beaucoup, 
je compte les jours et les vois diminuer avec bonheur. 
Nos enfants ont aussi hâte de vous revoir, elles vous 
ménagent une petite surprise, je vous la laisse devi- 
ner... Toutes vos sœurs vous présentent respect et 
amitié... Je vous permets bien volontiers d'offrir à 
notre bon père saint Joseph les cierges que vous 
lui avez promis. » 

Au moment de la mort du beau-frère de Sœur 
Thérèse, M. Niglais, l'âme compatissante de la Bonne 
Mère lui dictait ces lignes. 



M 



.'f 



— 210 — 



« J'ai écrit dans la semain(yqui vient de s'écouler, 
à votre bonne famille de Châteaubriant. J'ai crû 
leur faire plaisir, et à vous aussi, en montrant tout 
l'intérêt que je prends aux diverses circonstances qui, 
dans le cours de nos vies, nous font diriger nos pensées 
et nos cœurs vers le Ciel, notre heureuse Patrie. La 
maladie de M. Niglais s'est aggravée, le mieux qu'il 
avait éprouvé a fait place à un état très alarmant et, 
malgré tous les soins que votre sœur et son fils lui 
ont prodigués avec une bien vive affection et un bien 
grand dévoûment, il est monté vers son Dieu et le . 
nôtre. Notre Seigneur sans doute a trouvé sa petite 
créature bien disposée et a voulu donner à son âme 
une vie meilleure que celle d'ici-bas, vie que nous 
devons toujours craindre de perdre et pour nous et 
pour les nôtres car, quelle que soit notre position, 
notre vertu, les dangers nous environnent sur la terre 
avec d'effrayantes variétés. s 

» J'ai donc écrit à votre chère sœur pour la conso- 
ler un peu et lui faire connaître que vous étiez à Paris. 
J'avais pensé ne vous apprendre cette nouvelle qu'à 
votre retour ; vous savez combien j'aime, ma bonne 
chère fille, à partager vos peines et vos joies ; mais, 
en réfléchissant sur la vivacité de votre foi, sur votre 
soumission à l'adorable volonté de notre bon Sauveur, 
qui a toute votre âme, j'ai renoncé à cette idée, afin 
que votre beau-frère jouisse plus tôt du bénéfice de 
vos prières cl des indulgences que vous pouvez gagner ^ 
et que votre sœur ne soit pas privée de vos consola- 
tions. 



— 211 



■ « Lundi, par reconnaissance pour votre cher dé- 
funt, qui, comme vous le savez, me retira d'un pénible 
accident, la messe sera célébrée à la Communauté 
pour le repos de son âme. 

« A bientôt, ma bonne chère fille. Si vous êtes fati- 
guée, revenez près de moi et croyez à ma bien sincère 
affection. Mille choses affectueuses à Sœur Ursule. 

« Je vous embrasse bien maternellement, ma chère 
fille et vous prie de conserver votre énergie et votre 
faible santé pour l'Immaculée et pour moi. » 

Soutenue par la grâce divine, Sœur Thérèse triom- 
phait de sa faiblesse et parvenait à remplir avec succès 
les missions les plus délicates comme celle de se 
présenter à l'évéché pour les audiences indispensables 
avec Mgr. Fournier et ses vicaires généraux, au temps 
des douloureuses épreuves de 1869-1871. Partageant 
les angoisses de sa vénérée Supérieure, son dévoû- 
ment se dépensait sans mesure pour l'œuvre que le 
Ciel leur avait confiée. 

Lorsqu'en 1881, après la mort de Sœur Dominique, 
elle fut chargée de la direction des Sœurs professes, 
chacune, put apprécier les éminentes qualités de cette 
âme si bien formée. Elle savait communiquer à ses 
sœurs l'esprit de détachement qui ne cherche qu'en 
Dieu la part de bonheur dont notre cœur ne saurait 
se passer ; la pureté et la droiture d'intention dans 
toutes les actions, vues et sentiments qui fortifie 
et rapproche de Dieu. 

Telle était celle dont l'innocente jeunesse et la 
sainte vie permettaient de présumer qu'elle emportait 



— 212 — 

dans la tombe, la pureté de sa robe baptismale et 
devenait au Ciel une protectrice de la famille de l'Im- 
maculée. 



La Communauté était plongée dans un deuil pro- 
fond, mais personne ne fut plus affecté que la véné- 
rable Fondatrice, toujours si admirablement sou- 
mise aux décrets de la Providence. Au lendemain du 
29, elle disait : « La résignation à la volonté du Bon 
Dieu est l'arme puissante qui relève mon courage 
et me porte à bénir la main qui nous a séparées pour 
.quelques heures. » 

Faisant part de la douloureuse nouvelle à des 
Sœurs absentes de la Communauté, elle écrit encore : 
« Quelques lignes seulement pour vous apprendre 
que Dieu a trouvé bon de nous soumettre à une ter- 
rible épreuve. Notre chère Sœur Thérèse de Jésus, 
après une maladie de huit jours, a pris son vol vers 
le Ciel. C'est une grande perte pour notre petite Com- 
munauté, mais une garantie pour l'avenir, car nous 
avons, dans la sainte Patrie, un ange tutélaire qui 
veillera sur nous, qui portera à Dieu nos difficultés 
et nos peines. Je ne vous écrirai pas une longue lettre, 
vous devez comprendre combien mon cœur souffre ; 
ensuite je suis très occupée, le départ de Sœur Thé- 
rèse redouble mes sollicitudes. Malgré cela, j'ai préféré 
vous apprendre moi-même cette douloureuse nou- 
velle... Rappelez-vous les avis que notre chère pré- 
destinée vous a donnés et vous travaillerez à votre 
perfection... » 



213 — 



Le 21 juin, pour une autre sœur, elle ajoute : 
« Le beau jour de la première Communion a été -etar- 
dé cette année, et remis à la fête du Sacré-Cœur. 
Notre chère Sœur Thérèse m'y fait défaut, vous le 
comprendrez facilement. Je vous remercie, ma bien 
chère +ille, des affectueuses lettres que vous m'avez 
écrites. L'épreuve que Dieu m'a envoyée est bien sen- 
sible à mon pauvre cœur : J'ai versé bien des larmes. 
Ce coup a été si prompt ; huit jours de maladie, 
presque toujours le délire. Notre divine religion est 
seule capable de panser nos plaies, en nous inspirant la 
sainte résignation et l'espoir d'une nouvelle réunion ; 
c'est bien ce que nous devons faire en cette commune 
épreuve, car le coup qui a frappé la mère a frappé 
aussi les enfants. » 

Enfin, venant offrir au Pasteur du diocèse les vœux 
déposés pour lui aux pieds du saint , Enfant de la . 
Crèche, elle écrivait à la fin de cette a'nnée de larmes : 
« J'aimerais, Monseigneur, à vous souhaiter une lon- 
gue carrière exempte de toute perplexité, des jours 
sereins et heureux ; à vos pieds, tout un peuple de 
fidèles partageant les vues et les pensées de son 
Evêquc dont la vie entière est consacrée à faire son 
bonheur en procurant la gloire de Dieu. » 

« Mais, hélas ! tant de douces jouissances ne seront 
sans doute pas le partage de cette vie passagère. Tout 
au contraire, une lourde croix, des épreuves, des 
chagrins, des peines de cœur à la vue des maux de 
la sainte Eglise affligée. Mais si la croix pèse sur vos 
épaules, la prière des âmes que vous chérissez en Dieu 



214 — 



et qui vous sont toutes dévouées appellera sur voire 
épiscopat les plus précieuses bénédictions du Sei- 
gneur. 

« Notre Communauté a aussi sa part de croix. Au 
mois de mai dernier, j'ai eu la douleur de perdre mon 
Assistante, personne intelligente et capable. Nossei- 
gneurs les Evêques vos prédécesseurs l'avaient appré- 
ciée et m'en avaient fait l'éloge. Elle était en effet 
mon bras droit et je me reposais sur elle avec assu- 
rance. 

« En moins de trois ans, j'ai vu disparaître mes 
deux premières filles, exemples vivants de piété 
et de régularité. Ces appuis vivants venant à me 
manquer dans le temps où j'en ai le plus besoin, leur 
perte n'en est que plus sentie. Quel surcroît de travail 
. avec ma santé ébranlée ! Je viens de faire une grave 
maladie, dont je suis convalescente. Mais Dieu l'a 
voulu, que sa sainte volonté soit faite et son saint 
nom béni 1 » " 

La maladie à laquelle la vénérable Mère faisait 
allusion était une péritonite dont elle' aurait dû mou- 
rir si Dieu ne l'avait réservée pour une autre heure. 

Dans cette nouvelle croix, disent ses gardes-ma- 
lades, elle montra une patience si amoureuse envers 
le Bon Dieu que nous en étions édifiées. Au milieu 
de ses plus vives souffrances, elle répétait sans cesse 
de ferventes aspirations, telles que celles-ci : « O Marie 
ma bonne Mère, ayez pitié de moi, priez pour moi. O 
jour heureux que celui où je verrai mon Dieu 1 » 



— 215 



De plus en plus infirme, incapable de se coucher 
ou de se lever, de se mouvoir, de s'habiller sans l'aide, 
d'une et souvent de deux sœurs, continuellement 
minée par la fièvre, elle devait, dans les desseins éter- 
nels, achever son œuvre : faire approuver la Règle, ob- 
jet de ses constantes préoccupations. 

Dès le commencement de la Fondation, Mgr. Ja- 
quemet, reconnaissant les lumières toutes spéciales 
que l'Esprit-Saint communiquait à l'âme humble 
et docile qu'il dirigeait, l'obligea à formuler elle-même 
le genre de vie que la petite Communauté devait 
suivre. Ainsi, par sa fidélité à la grâce, la Révérende 
Mère Marie de l' Immaculée-Conception devenait 
l'instrument choisi par la miséricorde d'En-Haut 
pour donner à sa famille religieuse une Règle ; et 
vraiment celte Règle, où la fermeté s'unit à la charité, 
l'élévation des sentisients à la beauté des expressions, 
porte l'empreinte du divin Consolateur qui l'a inspi- 
rée. Est-il étonnant, dès lors, que plusieurs l'aient 
enviée ? 

Sur l'instante prière de ses Supérieurs, dès 1872, 
la zélée Fondatrice s'était mise en devoir de fixer par 
écrit les divers points de la Règle observés tradition- 
nellement depuis les débuts. Elle s'entendait dire : 
« Achevez votre œuvre, asseyez votre Congrégation 
sur des bases solides. Le temps presse ; mettez-vous 
au travail. Votre santé est chancelante ; si vous n'y 
pourvoyez, qui le fera? » (1) Effectivement, si la 



(1) M. le Supérieur me presse de travailler aux observations de la 
Règle el j'ai bien peu de temps pour le faire. » (Lettre à M 11 " Julie.; 






216 — 



Bonne Mère ne se fût mise en peine de prier, de médi- 
ter, d'examiner, de peser toutes choses pour le pré- 
sent et pour l'avenir, qui l'eût fait à sa place? La 
tâche était bien trop difficile, trop absorbante. Il 
fallait l'abnégation d'une mère ; seul un cœur de mère, 
un cceûr de Fondatrice pouvait commencer et mener 
à bon terme pareil ouvrage. Souffrante toujours, sur- 
tout dans les derniers temps, abandonnée à ses pro- 
pres ressources, elle priait sans cesse, travaillait, et 
la lumière lui venait ; sous l'inspiration de la grâce, 
elle notait au fur et à mesure ses idées et ses combi- 
naisons qu'elle soumettait à l'autorité ecclésiastique. 
Chaque jour, elle reprenait ainsi sa tâche, complétant 
et adaptant aux exigences nouvelles l'expression de la 
volonté de Dieu, formulée d'après Saint Augustin : 
Je n'ai pas eu la prétention de faire une nouvelle 
Règle, écrivait la Bonne Mère au Père Sébastien, le 
7 septembre 1867. J'ai glané dans -celle de Saint- 
Augustin tout ce qui m'a semblé pouvoir s'adapter 
à notre œuvre. Si j'ai laissé de côté le petit Office 
latin de la Sainte Vierge pour celui de l'Immaculée- 
Conception, c'est en croyant suivre les indications 
de la divine Providence. Peu nombreuses pendant de 
longues années, tout notre temps était consacré à nos 
petites pauvres. Les Sœurs de la Charité, de la Sagesse 
et d'autres ne récitant pas l'Office divin, j'ai cru pou- 
voir encore pour cette raison en dispenser la Commu- 
nauté. 

« Il me semble que le spirituel et le temporel d'une 
Congrégation naissante doivent être organisés sui- 



217 



vant le genre des sujets que Dieu, dans ses desseins 
adorables, convie, appelle pour former la Congréga- 
tion. C'est bien cette expression de la volonté divine 
que j'ai envisagée pour régler nos exercices spirituels 
et pour établir nos Constitutions. 

« J'ai été aussi inclinée à faire beaucoup prier, 
sentant combien nous avons besoin de ce pain nourri- 
cier — Mais je suis toujours disposée à soumettre 
toute notre organisation aux vues de Monseigneur. » 

Pour l'encourager dans cette vie, un saint prêtre, 
M. l'abbé Branchereau, supérieur du Séminaire de 
Nantes, lui avait dit plus d'une fois que c'était à elle 
que Dieu avait particulièrement confié la Congréga- 
tion, que c'était surtout à elle qu'il appartenait de 
l'organiser suivant les lumières que Dieu lui donne- 
rait. 

L'œuvre était terminée aussi parfaitement que 
toute chose humaine sujette à perfectionnement. M. 
le chanoine Guihal, se croyant à la veille de l'approba- 
tion attendue, écrivait en janvier 1883 : « Cette année 
devant être, je l'espère du moins, celle qui doit voir la 
fondation définitive de la Congrégation de l' Immacu- 
lée-Conception, il faut que chacune redouble de fer- 
veur afin d'attirer sur notre œuvre les bénédictions 
du Ciel. » 

Or, trois ans devaienl encore s'écouler avant le jour 
si ardemment désiré où Mgr. Lecoq, accompagné de 
M. le chanoine Guihal, vint en personne apporter 
aux rcligi£uses leur Règle approuvée. 

M 



r 






Bi 



— 218 — 

Ce fut au lendemain de la fête patronale de l'Ins- 
titut, le 9 décembre 1885, qu'eut lieu l'imposante céré- 
monie. Sa Grandeur donna le saint habit aux postu- 
lantes, reçut les premiers vœux des novices et en ad- 
mit plusieurs à la profession. Enfin les Sœurs mûries 
dans l'exercice de leur sainte vocation purent réaliser 
le plus cher de leurs désirs : s'unir d'une manière défi- 
nitive et perpétuelle à l'unique Epoux de leur cœur. 
Elles reçurent donc la symbolique couronne d'épines. 
C'était le gage des noces éternelles avec leur Sauveur 
crucifié, comme devait si bien le chanter une âme 
sacerdotale dont le talent poétique s'inspirait aux 
sources les plus pures de notre sainte religion. 

A te servir j'ai consacré ma vie ; 

Seigneur Jésus, je te la voue encor : 

L'obéissance est ma reine bénie, 

La pauvreté, mon cher trésor. 
La pureté du cœur, voilà ma sauvegarde ; 
Mais j'ai surtout Jésus, mon Jésus qui me' garde, 
Ici, de son ciboire d'or I 

La vénérée Fondatrice, retenue à l'harmonium 
pour l'accompagnement des chants, s'unit à ses 
chères filles en Jésus-Christ pour prononcer publi- 
quement cette fois, ses vœux perpétuels. Les' voyant 
agenouillées à la Sainte Table, en cet instant solennel, 
elle jouissait du bonheur (depuis longtemps le sien) 
qu'elle leur avait procuré au prix de tant de labeurs, 
dé tant de souffrances ! Elle aussi méritait bien de 
recevoir le symbole de cette vie crucifiée si parfai- 
tement vécue par elle : la couronne d'épines que le 
Révérend Père Supérieur, accompagné du Père 



219 -- 



Victor, Prédicateur de la retraite, dut lui porter après 
la longue cérémonie qui avait épuisé ses forces. Il 
en avait été de même d'une Sœur qu'on avait dû 
transporter dans le bas de la chapelle, pour lui per- 
mettre d'émettre ses vœux de sa place même, où la 
retenait le plâtrage d'une jambe malade. A l'infir- 
merie, le Révérend Père couronna cette pauvre 
affligée en lui disant : « Ma fille, vous avez deux cou- 
ronnes : une d'épines que je vous apporte, une autre 
que vous avez- reçue déjà de la-main divine : la souf- 
france, qui éprouve et purifie votre amour. » 

Mgr. Lecoq, se rendit ensuite à la salle de Com- 
munauté. Toutes les Sœurs s'y trouvaient réunies 
pour recevoir, des mains de leur Pasteur, les saintes 
Règles et Constitutions qu'il venait d'approuver. 
Sa Grandeur prononça le discours suivant : 

« La voie de la perfection, le chemin le plus sûr 
pour arriver au Ciel, c'est d'accomplir sur la terre, à 
l'exemple de Jésus-Christ, la volonté de Dieu, votre 
Père céleste. Chacun des désirs de notre cœur, chacun 
des élans de notre âme, chacun de nos actes doit 
tendre à l'accomplissement de cette volonté adorable 
de Dieu. Mais notre volonté propre, si elle est aban- 
donnée à elle-même, facilement trompée par les ins- 
pirations perverses de la nature aveugle et corrom- 
pue, nous entraînerait le plus souvent en de déplo- 
rables égarements si nous ne connaissions pas de façon 
assez précise la volonté de Dieu. 

« Qui donc sera pour nous l'interprète constant et 
fidèle de cette volonté sainte que nous devons cher- 



220 



cher en toutes choses? Cet interprète sera votre Règle. 
Tracée par la main de vos Supérieurs, éprouvée par 
une longue et heureuse expérience, confirmée par 
votre Evêque qui, malgré son indignité, est pour 
vous sur la terre le représentant du souverain Maître 
et le déposilaire de l'autorité de l'Eglise, cette Règle 
vous dira clairement ce que Dieu attend-de vous, ce 
qu'il veut chaque jour, ce qu'il veut à chaque ins- 
tant du jour. Pour vous plus d'incertitudes, plus 
d'anxiétés I A la lumière de vos règlements, vous 
marcherez avec sécurité dans la voie qui vous est 
marquée, sûres de marcher toujours selon le bon plai- 
sir de Dieu. 

« Que nous sommes heureux, ô Israël ! s'écriait 
le prophète Baruch, puisque nous connaissons ce qui 
peut plaire à notre Dieu 1 Ce bonheur est le vôtre, 
mes Sœurs, plus encore que celui du peuple d'Israël, 
car vous trouverez dans votre Règle, le secret de faire 
à chaque instant ce que veut notre Dieu. Et voilà 
pourquoi un grand saint n'a pas craint de dire que 
« celui ou celle qui vit par la Règle vit pour Dieu ». Et 
c'est aussi ce qui nous explique ces paroles si étranges 
au premier abord que sainte Madeleine de Pazzi 
entendit un jour de la bouche même du Sauveur : 
« Ma fille, ne fais pas moins d'état de la Règle que de 
moi-même. » 

« C'est donc au nom de Jésus-Christ que nous vous 
exhortons, au nom du divin Maître, descendu visi- 
blement sur la terre, pour vous faire connaître ses 
volontés et ses désirs. Avec quel tendre empressement 



— 221 — 



vous vous ferez un devoir d'accomplir tout ce qu'il 
demandera de vous. Or, croyez-le bien, c'est Lui- 
même qui vous parle par la voix de la Règle, c'est 
Lui-même qui commande, c'est Lui-même qui con- 
seille, c'est Lui-même qui défend, c'est Lui-même 
qui partage vos journées ; qui assigne à chacune de 
vos fonctions ses labeurs ou ses sacrifices, qui marque 
les temps de la prière ou fixe les heures du repas. 
Partout il est avec vous quand vous êtes vous-mêmes 
clans l'observance de la Règle. Oh ! qu'il est consolant 
pour vous de penser que vous ne pouvez manquer 
de rencontrer Jésus là où vous conduit l'obéissance 1 
Etre sans Jésus, nous dit l'auteur de l'Imitation, c'est 
l'enfer et ses tourments, et avec Jésus, c'est le Ciel et 
ses félicités. A ce prix n'est-il pas bien doux d'obéir ? 
" Qu'importe dès lors ce que prescrira la Règle ? 
Parmi les fonctions qu'elle vous assigne par la voix 
de vos Supérieurs, il en est qui vous appliqueront à 
une vie plus active, plus laborieuse, plus occupée 
au service du prochain ; il en est d'autres qui vous 
laisseront des loisirs plus nombreux pour vous occuper 
de vous-mêmes et de votre âme. Il en est qui seront 
réputées honorables, qui vous donneront un rang plus 
élevé parmi vos sœurs ; il en est d'autres ou l'humilité 
et l'abnégation trouveront un plus fréquent et plus 
nécessaire exercice. Mais encore une fois que vous im- 
porte ? La sainteté et la perfection ne sont pas le 
privilège ni d'une douce et paisible contemplation, 
ni des œuvres de la charité, mais du zèle ; elles 
n'appartiennent pas à tel ou tel emploi de la Règle, 



222 



à l'exclusion de tous les autres, mais chacun d'eux, 
en des formes diverses, renferme une grâce puissante 
de sanctification pour épurer, développer et accroître, 
avec une efficacité toute divine, la vertu de celle qui 
l'exerce dans l'esprit même de la Règle qui l'a créé. 
Votre cœur s'attachera donc aux uns et aux autres 
avec un égal amour. Quel serait le motif de vos préfé- 
rences ? Là où est votre trésor, là doit être votre 
cœur I Et votre unique trésor, c'est Jésus ; et Jésus, 
nous aimons à le répéter, vous le trouverez toujours 
là où la Règle vous appellera. 

« D'ailleurs vous ne devez pas oublier que dans les 
emplois les plus humbles comme dans les plus élevés, 
les mérites que vous aurez acquis ne seront pas res- 
treints dans le cercle borné de vos œuvres person- 
nelles. La Règle vous partage les travaux et le sacri- 
fice, mais elle vous partage aussi les trésors spirituels 
qui en sont le prix, et c'est justice ; car toutes, dans 
la mesure de vos forces, vous contribuez à procurer 
la fin qu'elle s'est proposée et le but qu'elle a en vue. 

« Les dernières parmi vous se rendent utiles comme 
les premières ; les unes commandent, mais les autres 
obéissent ; les unes dirigent, mais les autres exécutent; 
les unes prient sur la montagne, d'autres combattent 
dans la plaine. Toutes s'entraînent, s'aident, se for- 
tifient mutuellement, toutes concourent au même 
but, toutes méritent la même couronne. 

« Une association religieuse, sous l'empire d'une 
même Règle, c'est un arbre dont toutes les branches 
aspirent la même sève ; c'est un corps dont tous les 



— 223 



membres se nourrissent 'du même sang et participent 
à la même vie ; si vous l'aimez mieux, c'est une fa- 
mille où les richesses acquises par chacun de ses en- 
fants viennent accroître le commun héritage. Ainsi, 
au jour suprême où Dieu couronnant vos mérites 
couronnera en même temps les dons de sa grâce et 
de son amour, au jour des révélations et des justices, 
bien des illusions seront dissipées, plus d'une âme qui 
sur la terre aura marqué les années de sa vie reli- 
gieuse par un grand nombre d'oeuvres utiles et saintes 
aux yeux des hommes se trouvera, sous les yeux de 
Dieu, pauvre et dénuée de tout, parce que, se recher- 
chant elle-même dans la satisfaction d'une vanité 
secrète, elle n'aura pas su se rendre digne de puiser 
au trésor des mérites communs acquis par les efforts 
de celles qui auront cherché en tout l'accomplisse- 
ment de leur Règle et des fins de leur Institut ; on 
verra, au contraire, plus d'une âme simple dont l'exis- 
tence aura passé inaperçue parmi ses Sœurs, paraître 
alors riche de biens spirituels, parce que, dans le 
modeste rang assigné à son obéissance, détachée d'elle 
même et toujours fortement unie de cœur et d'affec- 
tion à l'œuvre commune, elle aura reçu en récom- 
pense une large part dans tous les mérites. 

« Ah ! nous ne sommes plus étonné maintenant 
que l'auteur de l'Imitation, à la pensée de tous les 
biens renfermés dans la vie de règle et d'obéissance, 
s'écrie dans son pieux enthousiasme : Que vous ren- 
drai-je Seigneur, pour une pareille grâce ? Car vous 
n'avez pas donné à tous, comme à moi, de se dépouil- 



224 



1er de tout, de renoncer au siècle et d'embrasser la 
vie religieuse. O aimable et délicieuse servitude qui 
rend l'homme vraiment libre et saint ! O chaînes à 
jamais désirables, par lesquelles nous méritons de 
posséder le souverain Bien et nous acquérons des 
droits à une félicité éternelle 1 

« Puissent ces sentiments se graver de plus en plus 
dans vos.cœurs et devenir le mobile constant de votre 
conduite. Puissent-ils vous encourager à répandre 
partout autour de vous la bonne odeur de Jésus- 
Christ et le parfum des vertus religieuses ; et attirer 
sur vous-mêmes et sur les autres que vous entreprenez 
à la gloire du Seigneur, l'effusion de ses bénédictions 
et de ses grâces. C'est ce que nous aimons à espérer 
de la puissante protection de Marie, votre Mère, votre 
patronne et votre modèle, du secours des Anges gar- 
diens de votre Congrégation, et de l'intercession de 
tous les saints du Ciel que nous invoquons en ce mo- 
ment et que nous invoquerons toujours sur vous. 
Amen. » 



CHAPITRE SEPTIÈME 



lies Dernières Années 






Le travail clans la souffrance. — Les Sœurs gardes-malades: 
à Nantes, à Sainte-Marie-de-Pornic. — Un corps usé, 
une âme qui ne vieillit pas. — Une conversion par la 
Sainte Face. — Un accident évité. — La nouvelle cha- 
pelle. — Les signes précurseurs. — Un vrai martyre. — 
Les derniers sacrements. — La mort dans la paix. — 
Suprêmes hommages. 

Ainsi le travail ébauché depuis si longtemps rece- 
vait enîin son couronnement. La tâche de la vénérée 
Fondatrice n'était cependant pas encore terminée 
ici-bas. Mais, de même que si le grain de froment ne 
meurt en terre et ne germe, il ne peut porter de fruit, 
de même il fallait que, selon sa propr.e prédiction, 
elle eût donné sa vie pour son cher troupeau avant que 
celui-ci fût eh état de recueillir le fruit de ses labeurs. 
Dans les larmes et les tribulations, elle devait travail- 
ler encore à élever l'édifice établi, selon son désir, 
sur les fondements solides de l'obéissance, du silence 
et de l'humilité. 



— 226 — 

Elfe écrivait à M. l'abbé Duteil, qui venait, non 
sans de bien vifs regrets de part et d'autre, de céder 
à M. l'abbé Paboul ancien curé de Vigneux, sa charge 
. d'aumônier, devenue trop lourde pour son grand âge : 
« Les difficultés sont nombreuses sur cette pauvre 
terre, quand on veut faire un peu de bien. Nous 
sommes sur le champ de bataille : combattre le mal, 
faire triompher le bien, tel est notre devoir. » Et déve- 
loppant sa pensée à M. le chanoine Guihal, qui 
l'engageait à augmenter le nombre des gardes- 
malades de la maison de Nantes, elle ajoute : La 
communauté demande un assez grand nombre de 
Sœurs pour qu'elle ait une marche régulière et que 
les emplois soient convenablement remplis, sans pré- 
judice de la santé de nos Sœurs et de leur vie reli- 
gieuse. J'ai toujours pensé que nos succursales 
devaient s'élever comme la Maison-Mère, c'est-à-dire 
dans la pauvreté, en attendant avec patience les 
moments où la divine Providence manifesterait ses 
desseins en procurant des secours et des sujets. Dans 
les premières années de notre fondation, nous avons 
eu bien des privations : c'est ainsi que les œuvres 
grandissent et sont agréables à Dieu... » 

Elle disait en une autre occasion, sur le même 
sujet : « Dans une fondation, il faut se contenter de 
peu de chose, du nécessaire. Rappelez-vous Château- 
briant, le berceau de la Communeauté-Mère : nous 
avons souffert de la faim, du froid, de tout... Il ne 
faut pas que les maisons qui s'élèvent maintenant 
prétendent être mieux ; c'est un bien de commencer 



227 



par une très grande pauvreté et mortification... Le 
bon Dieu ne bénira pas une maison qui commence et 
qui déjà voudrait être aussi bien nourrie et organisée 
qu'une autre existant depuis quinze à vingt ans... 
Prions beaucoup, mes enfants, et attendons. » , 

Sa foi robuste comptait avec raison sur le divin 
Maître des cœurs pour diriger vers elle ceux qu'il 
avait prédestinés à la famille de l'Immaculée, car 
« chaque ordre religieux correspond à une famille 
d'âmes qu'il attirera toujours à lui par un invisible 
attrait ». 

Et de fait, le Révérend Père Supérieur pouvait 
écrire un peu plus tard : « Notre œuvre des gardes- 
malades prospère et se développe..; Nous avons des 
Sœurs à Savenay, à Paimbœuf, à Saint-Mar -du- 
Désert, à Thouaré, jusqu'à Tours, sans parler de 
Sainte- Marie et de la Forêt-Nédeau... A Nantes, nous 
avons peine à répondre à toutes les demandes... 
J'espère bien que le dévoûment des'Filles de l'Imma- 
culée-Conception auprès des membres souffrants de 
Xotre-Seigneur attirera les bénédictions du Ciel sur 
notre chère Communauté. » Ainsi le bon Père avait 
secondé puissamment les vues de la vénérée Fonda- 
trice, dont le but principal était la conversion des 
pécheurs, pour la plus grande gloire de Dieu. En 
élargissant le champ d'apostolat de ses Filles, il leur 
permettait d'aller à la recherche des âmes, souvent 
aussi malades que les corps appelés à recevoir leurs 
soins. 

Pour soutenir les forces morales dont la religieuse 



— 228 — 



a si grand besoin dans un poste aussi délicat, la vigi- 
lante Supérieure obtint l'insigne faveur de la sainte 
Réserve et la célébration du saint Sacrifice à l'ora- 
toire de la rue Haute-du-Château. Quelle consola- 
tion, pour son âme si dévouée au divin Maître, de le 
voir dignement logé, grâce à la munificence d'un 
pieux donateur, M. Rousselot. 

« Combien je vous remercie de votre générosité, lui 
écrit-elle, car avec les meilleurs désirs, la meilleure 
volonté, nous n'eussions pas été à même de donner à 
Notre-Seigneur le magnifique autel que votre piété 
va offrir à ce souverain Roi que l'on voudrait, de nos 
jours, détrôner et arracher de nos cœurs... Le Ciel 
vous a choisi pour agencer, suivant l'expression du 
saint évêque de Genève, une chapelle où viendra se 
cacher le saint Enfant de la crèche... Que de béné- 
dictions pour vous, au milieu des épreuves que vous 
portez si chrétiennement !... Je me disposais à vous 
écrire, quand votre lettre est venue me surprendre 
agréablement. Hélas 1 notre vieille chapelle de la 
Haye-Mahéas, par sa petitesse, devient de plus en 
plus insalubre et peu digne de l'Hôte divin qui réside 
sous ce pauvre toit. 

« Permettez-moi, Monsieur et vénéré Bienfaiteur, 
de vous prier instamment, au nom de la Sainte Vierge 
Marie, dont vous êtes le banquier, de vouloir bien 
m'accorder votre appui dans cette œuvre... Que notre 
divin Sauveur vous inspire une réponse favorable et 
que cette affaire, entreprise pour sa plus grande 
gloire et le salut des pauvres pécheurs, obtienne à 



— 229 — 



votre chère famille toutes les grâces qu'elle sollicite. » 

Nous voyons ici se faire jour l'une des préoccupa- 
tions qui tenaient le plus au cœur de la Bonne Mère 
et lui faisait écrire en une autre circonstance : 

« Les urgentes réparations que nous sommes obli- 
gées de faire à nos étables et aux autres vieux loge- 
ments m'empêchent de commencer lès travaux 
d'agrandissement de notre chapelle, dont l'exiguïté 
nous gêne beaucoup, et c'est un de mes vœux les 
plus chers de voir, avant de mourir, cette demeure 
de notre Dieu agrandie et réparée. » 

Son zèle infatigable lui inspirera, à ce sujet, maintes 
requêtes comme celle-ci : 

« Je vous en conjure, que votre grande charité nous 
aide de son généreux concours et le Dieu de l'Eucha- 
ristie, qui a des tendresses que saint Paul appelle 
excessives, deviendra votre partage, car, dans cette 
chapelle que vous aurez agrandie, la prière des mères 
et des orphelins appellera chaque jour sur votre âme 
les immenses faveurs de l'auguste Victime de nos 
saints autels. » 

Avant de voir ses desseins réalisés d'une autre 
sorte, il devait lui être donné de fonder une deuxième 
obédience. Elle écrivait le 13 octobre 1886 : « J'ai 
passé quelques jours à Sainte-Marie de Pornic, au 
chalet de Notre-Dame de la Garde, que nous avons 
acquis avec le concours d'une excellente famille. Nous 
y avons une bonne vieille demoiselle de 89 ans à soi- 
gner jusqu'à sa mort... 



— 230 — 



« La première messe de l'oratoire de Nantes a été 
célébrée le jour de la Nativité, le 8 septembre... » 

Soutenue par une grâce toute spéciale, en ces tra- 
vaux qui semblaient dépasser de beaucoup sa fai- 
blesse toujours croissante, la Révérende Mère Marie 
de l' Immaculée-Conception pouvait dire en vérité : 

« Si nos forces physiques s'affaiblissent à mesure 
que nous avançons dans la vie, il n'en est pas de 
même de nos forces morales ; grâce à Dieu, elles ne 
subissent pas l'action du temps ; notre âme con- 
serve ses sentiments et les voit s'accroître à mesure 
que l'espérance sainte lui montre de plus près l'éter- 
nelle vie. » 

L'épreuve aussi la rapprochait du terme entrevu 
et désiré. Afin qu'elle pût dire : « Nous ne sommes 
jamais plus près de la divine Miséricorde que lorsque 
nous ne pouvons abaisser nos regards vers la terre- 
sans verser des larmes », la mort d'un de ses proches 
allait rouvrir les blessures à peine cicatrisées de son 
cœur. 

" « Depuis quinze jours ou trois semaines, nous 
disent les Sœurs qui l'ont connue, le frère de notre 
Bonne Mère, M. Alexandre Veillet, était très malade, 
d'une fièvre maligne. Elle en recevait les nouvelles 
les plus attristantes, d'autant plus inquiétantes que 
cet homme accompli, d'une charité et d'un dévou- 
aient bien connus à Bordeaux, avait abandonné 
depuis de nombreuses années les pratiques de notre 
sainte religion. A son passage à la Haye-Mahéas, en 



231 



1878, tout le monde avait pu admirer sa bonne sim- 
plicité, son affabilité, et déplorer qu'il lui manquât 
la plus essentielle des qualités : la foi. Cette pensée 
que son frère pouvait mourir, d'un moment à l'autre, 
dans la disgrâce de Dieu, déchirait le cœur de notre 
Bonne Mère, qui, à chaque nouvelle plus alarmante, 
versait des larmes, redoublait de prières avec les 
Sœurs et les enfants. Plusieurs neuvaines avaient été 
faites à la fois pour obtenir son retour à Dieu. Enfin, 
trois ou quatre jours avant la mort de ce cher frère, 
la pensée lui vint de le recommander à la Sainte-Face 
de Notre-Seigneur. Elle écrivit aussitôt à sa famille, 
qui s'unit à ses intentions, et obtint la célébration du 
saint Sacrifice à l'oratoire de M. Dupont, le saint 
homme de Tours. Le jour même où la messe était 
offerte pour le pauvre moribond, notre Bonne Mère 
recevait par la poste, sans les avoir demandées, deux 
images de la Sainte-Face. Accueillies comme un don 
de la divine Providence, et envoyées immédiatement 
à Sf»" Julie pour son frère, les deux gravures furent 
acceptées par le malade, qui, de lui-même, demanda 
un christ pour le tenir dans ses mains en attendant 
l'arrivée de M. le Curé, qu'il réclamait en même temps. 
Il se confessa et reçut l'Extrême-Onction en pleine 
connaissance. « Priez, ma chère fille, et faites prier 
« pour mon frère, qui est bien dangereusement 
« malade, écrivait Bonne Mère à Soeur Marie-Ursule ; 
« hier, il a reçu l'Extrême-Onction; priez Notre- 
« Dame du Sacré-Cœur, sous la protection de laquelle 
« il a été placé. » Le malade souffrit avec une patience 



— 232 — 

admirable pendant le peu de jours qu'il vécut encore, 
manifestant des sentiments tout autres qu'aupara- 
vant. Le vénérable prêtre qui l'avait préparé à 
paraître devant Dieu disait qu'il n'avait pas prêché 
pendant sa vie, mais bien après sa mort, au grand 
nombre d'hommes sans religion venus à ses obsèques 
religieuses. Grâce, sans doute, aux ferventes prières 
de sa sainte et vénérée sœur, qu'il avait toujours 
beaucoup aimée, sa fin fut des plus consolantes pour 
sa famille si chrétienne... Le 30 novembre au matin, 
notre Mère, en recevant ces nouvelles, a remercié et 
béni encore une fois le bon Dieu de la conversion 
accordée à ce frère ; ses larmes ont coulé à la cha- 
pelle, où elle s'est rendue quelques instants, puis elle 
s'est remise à ses occupations ordinaires. Depuis ce 
temps, aux invocations adressées chaque soir à saint 
Michel elle ajouta les prières à la Sainte-Face de 
Notre-Seigneur et les continua jusqu'à la fin de sa 
vie, avec trois Requiem pour le repos de l'âme du 
défunt. » 



Cependant, le calice n'était pas épuisé. Quelques 
lignes écrites à une Sœur nous font connaître le sujet 
de ses nouvelles épreuves : « Ma chère fille, j'atten- 
dais votre lettre pour vous apprendre les dou- 
leurs de notre chère Communauté cl les miennes. 
Vous ne trouverez plus, à votre retour, notre saint 
et vénéré Père Aumônier : une fluxion de poitrine l'a 
conduit au tombeau... Sa mort nous a bien affligées, 
car il était tout dévoué à notre Communauté... Bien 



233 — 



plus, pendant qu'il était à l'agonie, M. noire Supé- 
rieur, venu pour le voir, faisait une chute de voi- 
ture. La divine Providence et la Vierge Immaculée 
ne sont jamais invoquées en vain. Notre Révérend 
Père n'avait aucune lésion. Aujourd'hui, il m'écrit 
qu'il est- beaucoup mieux. » 

Se voyant, en effet, exposé aux plus graves acci- 
dents, traîné par un cheval emballé, M. le chanoine 
Guihal s'était, dans sa chute, recommandé à la Vierge 
Immaculée, lui promettant, s'il était préservé, de 
s'employer de tout son pouvoir, jusqu'à sa mort, à 
faire prospérer la Congrégation placée sous son patro- 
nage. Pour accomplir un autre vœu formulé en même 
temps, il fit ériger une statue de Marie à l'endroit 
même de l'accident, c'est-à-dire à l'entrée de l'ave- 
nue conduisant à la communauté, où l'on peut encore 
la voir aujourd'hui. 

Quelques jours après, le 24 octobre 1888, M. Pabou 
s'endormait doucement dans le Seigneur. Pleuré de 
tous, vénéré comme un saint, dont on cherchait avec 
empressement à recevoir une dernière bénédiction, 
il emporta dans la tombe l'instrument de ses péni- 
tences, une ceinture garnie de pointes, qu'il fut impos- 
sible de lui arracher. 

Une attaque de paralysie avait obligé ce saint 
prêtre à quitter la cure de Vigneux. Valide encore, 
maglré tout, il recevait de Monseigneur la elrarge 
d'aumônier à la Haye-Mahéas, où, de concert avec 
M. le chanoine Guihal, son ami et son compatriote, 
il projeta et réalisa maintes améliorations ; en moins 

i3 



— 234 — 

de trois ans, des douves furent creusées autour de 
deux marais, une pièce d'eau créée à l'entrée de 
l'allée Saint-Martin, des lavoirs construits et cimen- 
tés. 

Fréquentant constamment les ouvriers et les 
domestiques, il gagnait facilement leur affection et 
leur confiance et leur faisait beaucoup de bien. Les 
regrets de sa disparition furent unanimes. 

« Nos enfants et nos Sœurs, continuait la Bonne 
Mère, précédées du clergé de Saint-Etienne, ont 
conduit à Vigneux notre Révérend Père Aumônier, 
le 27 octobre... Que de tristesses, ma chère fille I... 
M. l'abbé Mabit, notre confesseur, nous dit la sainte 
Messe et confesse les enfants. Le dimanche, M. l'abbé 
Nouël chante la grand'messe. Au revoir ! Je suis 
encore sous le coup des épreuves qu'il a plu au Bon 
Dieu de nous envoyer. Dites avec moi Fiai et priez 
pour notre cher défunt. » 

Quelques lignes tracées au mois de décembre sui- 
vant nous donnent le nom du prêtre appelé à recueil- 
lir la succession du regretté M. Pabou : 

« Sa Grandeur me fait connaître que M. l'abbé. 
Piquet, aumônier des Sœurs Oblates, - a été officielle- 
ment nommé aumônier de notre Communauté. Je ne 
connais pas ce bon prêtre, mais la volonté du divin 
Sauveur est la mienne. » 



Tandis que les épreuves se multipliaient, le zèle de 
la Bonne Mère, loin d'être ralenti par son état de plus 
en plus alarmant, semblait prendre une nouvelle 



235 — 



vigueur à mesure que le terme approchait. Elle eût 
voulu doubler ses mérites par l'emploi strict du 
temps, qu'elle sentait lui échapper. 

Grâce à ses efforts persévérants, ses prières et ses 
vœux ardents allaient être enfin exaucés : la cha- 
pelle si désirée, appelée à remplacer l'oratoire insuf- 
fisant, serait élevée. Elle s'en préoccupait beaucoup. 
Malgré sa mauvaise santé, c'est elle-même qui écri- 
vait aux fournisseurs de chaux, de sable et d'autres 
matériaux. De son côté, M. le Supérieur disait, le 
3 mars : « Je viens d'écrire à Bonne Mère pour lui dire 
que j'irai, jeudi prochain, lui porter le plan de la cha- 
pelle. Il est aussi simple que possible. Malgré cela, je 
suis effrayé de la dépense ; je quête partout... A la 
Communauté, tout le monde travaille. Nous devons 
bien avoir cinq à six cents mètres cubes de pierre ; 
il nous en faut bien onze à douze cents. Vous voyez 
que nous avons encore bien à faire de ce côté, sans 
parler du reste. J'espère que Marie Immaculée du Ciel 
nous aidera. » 

Cependant le docteur qui soignait avec tant de 
dévouement la Révérende Mère Marie de l' Immacu- 
lée-Conception et voyait son état s'aggraver depuis 
le début de l'année, redoutait l'ouverture des tra- 
vaux ; il craignait, non sans raison, un surcroît de 
fatigue pour sa malade. Il n'était pas le seul, d'ail- 
leurs, à s'alarmer. Chacune des Sœurs, au retour 
d'une absence prolongée, était frappée du change- 
ment survenu en leur vénérée Supérieure. Effecti- 
vement, ses idées, autrefois si nettes, si précises, se 



236 — 



brouillaient : sa mémoire baissait ; tout cet ensemble 
d'anéantissement, de sommeil dans lequel nous la 
surprenions continuellement, était un indice inquié- 
tant. 

Assise dans le fauteuil qui lui servait souvent de lit, 
elle relevait, à notre approche, sa pauvre tête qui 
semblait lourde comme du plomb, puis, répondant 
à notre question, retombait dans cette même atti- 
tude d'abattement. Elle voulait encore parfois s'ac- 
quitter de sa correspondance, mais il lui était impos- 
sible d'exécuter cette finesse de déliés qui rendait 
son écriture si renfarquablement belle et soignée ; 
ses pauvres doigts flétris et tremblants lui refusaient 
leurs services. Mes enfants, nous disait-elle, je 
griffonne. Ecrivez pour moi ceci et cela. Sa vue 
affaiblie l'obligeait aussi, depuis quelque temps, à 
recourir à l'aide d'une secrétaire. C'était toujours 
avec la plus vive reconnaissance qu'elle recevait les 
soins assidus de ses chères filles, qui l'entouraient 
des prévenances et des attentions les plus délicates. 
Le soir, lorsque nous l'aidions à se mettre au lit, 
elle nous répétait de temps en temps, d'une façon si 
gracieuse et si bonne : « Merci, mon Dieu, de m' avoir 
« donné un bon lit pour me reposer, de bonnes petites 
« filles pour me soigner ! Que vous êtes bon I Com- 
« bien je vous en remercie, moi si misérable, comblée 
« de tant de bienfaits de votre part !... Que de 
« pauvres, gens, plus malades que moi, qui sont bien 
« loin d'avoir la plus petite partie de ce que j'ai. Mon 
« Dieu, donnez-leur ce dont ils ont besoin, je vous en. 



— 237 



« prie. » Jamais nous ne pouvions lui rendre le plus 
petit service sans lui entendre dire : « Oh ! merci ! 
« que de peine je vous donne ! que vous aurez de 
« fatigues avec moi ! Comment pourrez-vous faire si 
« je viens- à ne pouvoir m'aider ? Et il faut bien vous 
« y attendre, mes pauvres enfants ! » 

Un jour que la Sœur chargée de la soigner lui 
offrait de petites friandises, la Bonne Mère lui dit en 
la grondant affectueusement : « Vous voilà encore à 
me gâter I Mes pauvres enfants, vous faites tout ce 
que vous pouvez pour me faire vivre ; le Bon Dieu 
vous en saura gré. J'ai fait votre confession au Père 
Sébastien, parce que vous me donniez des inquié- 
tudes de conscience, et par bonté pour ma faiblesse, 
il m'a rassurée et même ordonné de prendre de mes 
chères filles les petites douceurs qu'elles m'offri- 
raient, me disant qu'elles agissaient ainsi par affec- 
tion pour leur pauvre Mère malade et que je devais 
accepter en vue de plaire à Dieu et de seconder leur 
bon cœur. » 

Navrée du surcroît de fatigue imposé à ses dévouées 
infirmières, tout en étant pleinement résignée à la 
volonté divine, elle ne demandait à recouvrer la 
liberté de ses mouvements que pour alléger leurs 
peines et pouvoir vaquer encore à ses charitables 
occupations. 

« Oh ! ma bonne Mère du Ciel, disait-elle souvent, 
si vous vouliez me guérir !... Ah ! je vous en prie, 
guérissez-moi pour que je marche comme mes petites 
filles. Vous le pouvez bien, vous en guérissez bien 



23S — 



d'autres plus malades que moi !... Priez bien, mes 
enfants, pour que je guérisse et que je reste encore 
un peu avec vous, pour faire un peu de bien ! » Elle 
faisait aussi des neuvaines à la Sainte-Face, au Saint 
Père Pie IX, et terminait toujours en disant : « Si 
c'est votre volonté que je vive en souffrant, mon 
Dieu, que votre volonté soit faite !... Je ne refuse 
pas de souffrir ; oh ! non ; je veux, mon Dieu, tout 
ce que vous voudrez, mais je voudrais bien guérir, 
si c'est votre bon plaisir. » Et, confiante en la Très 
Sainte Vierge, elle exprimait le désir de prendre de 
l'eau miraculeuse de Lourdes dans tous ses remèdes. 
C'était pour travailler à la gloire de Dieu que la 
vénérée Fondatrice souhaitait vivre. Le bon Maître, 
cependant, jugeait que l'heure du repos avait sonné 
pour sa fidèle servante. 

Jadis, elle s'était offerte en qualité de victime pour 
attirer les bénédictions du Ciel sur le ministère des 
prêtres de Jésus-Christ ; elle s'associait à leur apos- 
tolat, se dépouillant elle-même afin que, libre des 
liens de la terre, elle s'occupât, elle aussi, des âmes 
vues en Dieu... En ces jours où l'Eglise rappelle à ses 
enfants le souvenir de la douloureuse Passion du 
Sauveur, elle allait être appelée à consommer son 
propre holocauste. Heureuse de mourir pour faire 
vivre les âmes en Jésus-Christ, elle pourrait s'écrier 
dans un acte de sublime charité : « Mourons pour 
nos frères et nous mourrons pour Dieu ! » 

Le 6 avril, veille des Raineaux, elle était atteinte 
d'une congestion pulmonaire qui vint aggraver ia 






.- 239 



bronchite dont elle souffrait depuis longtemps. Le 
docteur, très inquiet, se berçait néanmoins de l'espé- 
rance de voir une vie si précieuse se prolonger encore 
par un nouveau miracle. Tandis qu'il faisait appel 
à toutes les ressources de son art pour soulager la 
malade, la Communauté se mettait en prières : « Nous 
ne songions qu'à la perte qui nous menaçait, racon- 
tent les témoins de ces heures d'angoisse ; nous 
essayions, à toute heure du jour et de la nuit, de 
fléchir le bras divin déjà levé pour nous ravir l'ob- 
jet de nos plus tendres et légitimes affections. Tour 
à tour les Sœurs se remplaçaient à la chapelle, pour 
que jour et nuit, sans interruption, nos supplications 
incessantes en vinssent à importuner le Ciel. Nous 
voulions comme forcer Dieu à exaucer notre ardente 
prière, en guérissant notre Mère bien-aimée... Celle- 
ci, toute émue, remerciait ses enfants de lui témoi- 
gner ainsi leur sincère affection. « Pourquoi vouloir 
« compter sur une misérable telle que moi ? disait- 
« elle. Le Bon Dieu n'a pas besoin de moi. Il peut, 
« s'il le veut, se servir de la plus petite et de la plus 
« faible d'entre vous pour continuer son œuvre: » Nos 
cœurs se brisaient à sa vue ; chacune avait besoin de 
toute son énergie pour retenir des larmes qui eussent 
attristé notre chère malade, car elle soupçonnait à 
peine la gravité de son mal. 

o Elle fut vraiment mieux durant trois ou quatre 
jours ; nous reprenions espoir ; le docteur lui-même 
pensait encore la retirer de ce mauvais pas. Il décla- 
rait, toutefois, qu'il fallait s'attendre à tout. Déjà 






— 240 — 



noire Bonne Mère parlait de reprendre le cours de 
ses occupations et d'accompagner à l'harmonium la 
messe de la Quasimodo, ne se croyant pas assez forte, 
disait-elle, pour le faire le jour de Pâques. Pauvre 
Mère ! comme son invincible courage l'abusait !... 

« Conservant sa physionomie toujours sereine et 
empreinte de bonté au milieu de ses douleurs, elle 
s'oubliait pour s'intéresser à toutes les malades de la 
Communauté, en particulier à une jeune fille élevée 
par ses soins et objet de son affectueuse sollicitude. 
Apprenant son état de fatigue, elle ne put s'empê- 
cher de dire : « Chère enfant, sa triste santé a grand 
« besoin de soins : je voudrais vivre encore quelque 
« temps pour les lui donner. » 

« Il y avait auprès de la Communauté un pauvre 
malade qui souffrait beaucoup. Notre Bonne Mère 
en avait grande compassion et partageait avec lui 
toutes les douceurs capables de le soulager. 

« Elle défendait expressément de faire connaître 
sa maladie à M"« Julie, quelle savait souffrante, 
craignant d'aggraver son état : « Si vous dites â ma 
« sœur que je suis malade,. elle va s'inquiéter outre 
« mesure. Elle voudra venir et tombera tout à fait 
« ici ; la saison ne lui convient pas. Je lui écrirai moi- 
« même quand je serai mieux. 

« En effet, elle lui fit écrire quelques jours plus 
tard, lui promettant sa première lettre après son 
rétablissement. 

« Un jour, continue sa fidèle compagne, je contai 









— 241 — 

à notre Bonne Mère qu'il était venu quatorze pauvres 
clans une heure. Elle me répondit aussitôt : « Oh ! ma 
« fille, ne nous plaignons pas, c'est une bénédiction 
« pour nous. Notre-Seigneur a dit : Donnez et on 
« vous donnera. » 



Cependant sa vie était devenue un véritable mar- 
tyre, les crises de suffocation ne lui permettant plus 
de trouver de position dans son lit ou dans son fau- 
teuil. Toujours, pourtant, sa résignation, sa douceur 
demeuraient parfaites. Ne voyait-elle pas exaucés les 
ardents désirs de son cœur, exprimés jadis en ces 
termes : « Je désire ardemment souffrir pour mon 
Bien-Aimé !... Oh ! si j'allais mourir sans souffrir... 
Je ne dis pas : je désire, mais : je veux souffrir pour 
Vous ! O mon Jésus, pardonnez-moi, car c'est l'amour 
qui arrache ce cri de mon cœur ! 

En sa maternelle bonté, elle ne songeait qu'à faire 
du bien autour d'elle. Recevant la visite d'une de 
ses plus anciennes filles, dont la vertu, parce qu'elle 
était de forte trempe, avait été sévèrement éprouvée 
à son école, la vénérée Supérieure lui adressa ces 
paroles, véritable baume de suprême consolation : 
« Ma fille, je vous ai toujours aimée, je vous aime 
encore... Je vous bénis, vous et vos petites filles ! » 

Habituée à souffrir, elle espérait encore se relever 
de cette maladie, comme de tant d'autres survenues 
au cours de sa vie crucifiée. Elle avait eu de longs 
entretiens avec M. le Curé de Saint-Etienne, confes- 
seur extraordinaire de la Communauté, qui possé- 



— 242 



dait toute sa confiance. M. k Supérieur étant aussi 
venu la voir, elle disait à l'une de ses Sœurs, inca- 
pable de dissimuler ses inquiétudes : « Consolez-vous, 
ma chère petite fille, M. le Supérieur m'a défendu de 
mourir ; il ne veut pas que je le laisse dans l'embar- 
ras de la chapelle. » Et elle faisait écrire à l'architecte 
de profiter sans retard des beaux jours pour commen- 
cer les travaux. 

Elle désirait si ardemment, depuis quelques années 
surtout, faire construire une demeure un peu plus 
digne de l'Hôte divin de nos autels, qu'elle ne parais- 
sait vivre que pour cela : c'était l'objet continuel de 
ses pensées, le but de la plupart de ses actions, 
le sujet le plus habituel de ses entretiens. Elle dési- 
gnait d'avance l'emplacement de l'édifice, cherchant 
à se procurer, aux moindres frais, les matériaux 
nécessaires, trouvant ingénieusement de nouvelles 
ressources, ajournant toute dépense non indispen- 
sable. 

« Quand la chapelle sera bâtie, mes enfants, disait- 
elle, je vous achèterai tout ce dont vous avez besoin ; 
mais, d'ici là, il faut nous priver de tout ce que nous 
pourrons. » Elle écrivait à M. de la Guibourgère : « Je 
vais à présent vous entretenir d'un sujet qui me 
préoccupe beaucoup et pour lequel je réclame vos plus 
ferventes prières. Avant de mourir, j'ai le désir de 
donner à notre divin Sauveur une preuve visible de 
l'amour que je porte à son adorable Eucharistie. Je 
voudrais agrandir notre pauvre petite chapelle. Avant 
de commencer à demander la première obole aux 






— 243 — 

riches de ce monde, je tiens à vous faire connaître 
l'œuvre que je rêve d'entreprendre, en vous priant 
de vous y associer. Je ne doute pas de votre acquies- 
cement : l'orphelinat de la Haye-Mahéas n'est-il pas 
votre œuvre? Je voudrais tant, avant de mourir, 
élever un temple à mon Seigneur et Roi ! Je serais 
si heureuse de procurer à mes pauvres enfants ce 
moyen de salut : pour entretenir la piété dans leur 
cœur, cela est nécessaire ; elles seront plus recueillies, 
plus respectueuses dans le lieu saint ; elles prieront 
mieux et le Bon Dieu en sera plus aimé, mieux servi. 
Que n'ai-je l'avantage d'en jouir avec mes enfants ! » 
Je l'ai vue pleurer d'attendrissement envers la Pro- 
vidence divine, qui lui donnait les moyens d'ériger 
un sanctuaire appelé de tous ses vœux. 

Toujours frappée de l'idée de sa fin prochaine, elle 
disait quelques semaines avant sa mort : « Je crains 
bien que le bon Dieu ne me punisse comme Moïse. 
II me laisse faire les préparatifs pour élever une cha- 
pelle, mais peut-être n'y entrerai-je pas. Je l'entre- 
vois de loin, mais je crains de ne pas avoir la conso- 
lation d'en fouler le sol. » Ses pressentiments, hélas ! 
ne la trompaient pas. Combien ce sacrifice dut lui 
valoir de mérites pour le Ciel ! 



Voilà enfin l'édifice après lequel elle a tant soupiré, 
pour lequel elle a tant travaillé, tant économisé, qui 
commence à prendre forme. Déjà les fouilles sont 
faites, les fondations jetées en terre, les murs prêts 
à s'élever vers le ciel. Elle le sait, elle en a vu les pre- 



— 244 — 



mières ébauches. :Et voilà qu'au moment où elle 
conserve l'espoir d'y travailler encore, le prêtre vient 
lui annoncer que l'heure des préparatifs du voyage 
a sonné ! Sa foi, ferme et magnanime, ne s'est pas 
démentie : « Oh ! oui, je le veux bien », répond-elle 
en s'entendant proposer le sacrement des mourants. 
Loin de l'étonner, cette certitude du départ pour 
l'autre vie la fixe dans un calme profond qui s'im- 
prime sur tous ses traits. Les choses d'ici-bas ne 
l'occupent plus. Elle n'a plus qu'une pensée : se bien 
préparer à profiter des derniers secours que la sainte 
Eglise vient lui offrir. 

Maintenant, dans le recueillement de son âme, lui 
reviennent des idées exprimées volontiers naguère : 
« La crainte de la mort, dans une âme qui aime, est 
un manque de confiance en Dieu. Quoi de plus doux 
que de voir arriver le moment heureux où l'on doit 
être réuni à l'objet que l'on aime !... O mort, je te 
salue ! O moment où mon âme quittera sa prison 
pour voler dans le sein de son Créateur, je te désire ! 
Ah ! sainte mort, si je pouvais t'apercevoir, je te 
saluerais de loin ; je t'appellerais ma compagne, mon 
amie ! Pourquoi mon âme goûte-t-elle la joie, la paix 
en songeant à la mort ? Quelle douce consolation le 
Dieu d'amour ne t'envoie-t-il pas, ô mon âme ! Quel 
bonheur de franchir l'espace qui te sépare de la 
Patrie ! » 

Désormais toutes ses pensées sont au Ciel. 

M. l'Aumônier, qui la voyait souvent, vint encore 
ce soir-là, après l'Angelus, et l'entretint pendant un 






— 245 — 



quart d'heure. Il l'exhorta à avoir confiance en la 
divine Miséricorde ; il lui rappela le bien qu'elle 
avait fait pendant sa vie, lui disant que la Sainte 
Vierge, qu'elle avait tant fait aimer, viendrait à son 
secours et ne l'abandonnerait pas. Il lui parla aussi 
du bon père de Montfort, auquel on faisait une neu- 
vaine pour demander sa guérison, si tel était le bon 
plaisir de Dieu. 

Elle désira que sa chambre fût parée et ornée du 
mieux possible pour recevoir Notre-Seigneur, qui 
venait visiter sa servante et lui apporter de nouvelles 
grâces en vue de l'heure décisive. Du reste, dans les 
nombreuses maladies qui l'avaient éprouvée durant 
sa vie, elle avait toujours demandé comme une grâce 
que l'on fît de sa chambre un oratoire pour ce moment 
solennel. 

Sachant que M. le Curé de Saint-Etienne devait 
venir lui administrer le sacrement de l'Extrême- 
Onction, elle demanda qu'on lui lavât les pieds. L'une 
de ses dévouées infirmières s'empressa de lui rendre 
ce service, sans pouvoir, toutefois, retenir de grosses 
larmes. Quoique bien mal, elle la récompensa de sa 
peine par un gracieux remercîment, comme elle le 
faisait toujours pour le moindre service. Cela fait, la 
Sœur lui dit, en lui présentant le Christ attaché près 
de son lit : « Voulez-vous avoir votre Christ, ma 
Bonne Mère ? » Notre chère mourante le prit dans ses 
mains et l'embrassa avec effusion, en disant avec 
l'accent si pieux et si pénétrant qui lui était propre : 
,« Ah ! Celui-là, c'est le Bien-Aimé de mon âme ! Mon 



— 246 



Jésus, je veux aller à vous ! Ma chère fille, faites 
prier les enfants pour moi, je ne puis plus prier. » 
Puis, se tournant dans son lit, elle dit aux Sœurs qui 
la veillaient : « Mes petites filles, je vous aime bien 
toutes les deux, vous qui m'avez soignée ; mes pau- 
vres enfants, que je vous donne de mal ! » 

Notre chère malade devenant de plus en plus souf- 
frante, M. l'Aumônier se chargea d'en prévenir Mon- 
seigneur. Sa Grandeur s'empressa de lui envoyer sa 
paternelle bénédiction, qu'elle reçut avec bonheur, 
par l'intermédiaire du bon M. Piquet. Celui-ci en pro- 
fita pour l'inviter, à son tour, à bénir la Communauté 
tout entière, lui faisant remarquer que cet acte de sa 
part serait agréable _à Dieu, précieux et utile à sa 
famille spirituelle. La vénérée Mère se rendit à son 
désir, en le priant de transmettre lui-même sa béné- 
diction à ses filles et à ses chères orphelines-, ce qui 
fut fait très solennellement à la chapelle, où toutes 
reçurent cette précieuse bénédiction avec un cœur 
ému et des larmes d'attendrissement. 

Mère Marie de F Immaculée-Conception nous bénit 
encore les unes après les autres, rappellent les Sœurs 
témoins de ces instants suprêmes. Jusqu'aux der- 
niers moments de sa vie, ses exemples de foi si 
grande, de résignation si parfaite au bon plaisir de 
Dieu, furent une prédication pour tous : pour nous, 
qui l'entourions de soins et de tendre affection, 
pour les domestiques de la maison qui, eux aussi, 
ne l'aimaient pas moins, qu'ils n'eussent aimé leur 
propre mère. C'était touchant de les voir venir tour 



L*KM 



— 2 17 — 



à tour demander de ses nouvelles et implorer comme 
une grâce la faveur d'entrer dans sa chambre e1 de 
s'approcher du fauteuil où elle était clouée, pour 
recueillir une dernière parole de.scs lèvres mourantes... 
Elle paraissait contente de les voir, de leur dire 
quelques mots du Bon Ditm et de la Sainte Vierge 
— ces mots suprêmes sont restés gravés dans leurs 
cœurs. — Elle les bénissait enfin et ils s'en retour- 
naient silencieux et touchés. 

Cependant, le docteur Viaud n'ayant pu visiter 
notre chère malade, comme il l'avait projeté, ce fut 
M. Poisson qui vint la voir. Il la trouva très mal et 
ne lui donna plus "que 24 heures d'existence. 

M. le Curé attendait au parloir pour connaître 
l'opinion du docteur. Il se rendit immédiatement 
auprès de la mourante, lui parla seul un instant, puis 
lui apporta la sainte Communion. Pour la première 
et dernière fois, elle la reçut donc en viatique, avec 
une grande ferveur. Aussitôt après M. le Curé lui 
administra l'Extrême-Onction et lui appliqua l'indul- 
gence de la Bonne Mort. Pendant tout le temps de la 
cérémonie, elle priait avec le prêtre, lui disant dans 
cet instant solennel : « Mon Père, aidez-moi à faire 
un acte d'amour qui me mette en possession de mon 
Créateur ! » 

Il était quatre heures de l'après-midi, ce jeudi 
25 avril 1889. 

La cérémonie terminée, la vénérée Mère rassembla 
son peu de forces et remercia affectueusement M. le 
Curé des grâces qu'il venait de lui apporter. Elle le 



— 248 — 



pria même. de revenir la voir le lendemain, ce qu'il 
promit de faire. 

Sœur Marie-Anna, qui était allée à Nantes consul- 
ter pour son bras malade, était de retour vers les 
six heures du soir. En l'apercevant, notre chère 
malade lui dit : « Et vohs, ma chère fille, comment 
allez-vous ? 

Sœur Marie- Anna se contenta de la regarder sans 
lui répondre, la trouvant trop mal. 

« Qu'est-ce que le médecin vous a dit ? répéta-t- 
elle une seconde fois. 

« Pour moi, ce n'est rien, répondit Sœur Anna ; 
mais c'est vous, ma Bonne Mère, -qui êtes bien fati- 
guée. » 

Elle la regarda fixement en lui disant : « Sœur 
Anna, Sœur Anna, il faut nous séparer !... J'ai été 
administrée ce soir. » Ces quelques mots furent pro- 
noncés avec beaucoup de difficulté, d'une voix étouf- 
fée. La parole et la respiration lui échappaient. 

Elle restait calme. Un sentiment de tristesse l'en- 
vahissait pourtant à la perspective de quitter ses 
enfants tant aimés, qui demeureraient après elle dans 
les combats de la vie ; mais bientôt son âme, géné- 
reuse jusqu'à la fin, se ranimait au souvenir des 
saintes filles qui l'avaient précédée dans la Patrie. 

Le lendemain 26, elle avait perdu l'usage de la 
parole, lorsque M lle Julie Veillct arriva de Bordeaux. 
L'agonisante la reconnut très bien, lui sourit et parut 
heureuse de sa présence ; elle balbutiait et essayait 
de parler, mais- il était impossible de comprendre ce 



- 249 — 



qu'elle voulait dire. On devinait assez qu'elle essayait 
encore de témoigner son amitié à une sœur très aimée 
qui restait près d'elle le plus possible. 

La divine Providence exauçait ainsi certains désirs 
intimes de son cœur qu'elle avait manifestés au cours 
d'une de ses graves maladies : « Afin de me mieux 
préparer à mourir, je veux être seule avec mon Dieu 
et ma conscience », disait-elle à sa fidèle secrétaire, 
Sœur Marie-Ambroise, qui admirait des dispositions 
intérieures si religieuses, si conformes à l'esprit de 
détachement, si propres à servir de modèle à toutes 
ses filles. 

Notre doux Sauveur répondait aux soupirs 
enflammés exhalés jadis des lèvres de son épouse : 
« Quand donc, ô mon Amour, serai-je étendue sur un 
lit de souffrance, abandonnée, oubliée de mes parents, 
de mes amis ?... Vous seul près de moi ! Ah ! que j'ai 
hâte de souffrir pour mon Bien-Aimé... Les créatures 
ne me sont plus rien, Jésus est tout. Je languis, la 
vie m'est devenue insupportable... .L'Eternel nous 
tend les bras. Encore quelques heures et nous ver- 
rons Celui pour lequel nous avons tout quitté ! » 

Le silence s'était fait pour elle ; son âme seule, 
désormais étrangère aux choses d'ici-bas, s'épan- 
chait librement dans le sein de son Créateur. Souvent 
ses lèvres remuaient : elle priait ou parlait. Le sou- 
venir de Dieu lui était, en effet, devenu si intime et 
si familier qu'elle vivait dans une atmosphère divine, 
dans une prière intérieure et continue (ainsi qu'il le 
sera révélé après sa mort par l'un des témoins les plus 

16 



— 250 — 

autorisés de sa vie) ; c'est qu'elle aimait de plus en 
plus Notre-Seigneur, son bon Maître, et souhaitait 
mourir de son brûlant amour. 

C'était bien l'agonie. Le dernier combat dura jus- 
qu'au samedi 27 avril, entre dix et onze heures du 
soir. Au jour qui lui est spécialement consacré par la 
sainte Eglise, l'Immaculée venait chercher sa fille 
chérie pour lui permettre de s'unir aux chœurs har- 
monieux des esprits célestes qui célèbrent le dimanche 
sans fin de l'éternelle béatitude. Elle expirait à 
soixanterhuit ans et demi. 



Calme dans la mort comme elle l'avait été durant 
sa vie, c'est à peine si nous pûmes remarquer son 
dernier soupir, disent les fidèles compagnes de ses 
derniers jours. Ni sa physionomie habituelle, ni ses 
traits ne changèrent. Aucune maigreur ne parut à 
son visage, qui prit un air de calme et de parfait 
repos. Elle semblait dormir. Nos yeux avaient peine 
à se détacher d'un spectacle qui nous rappelait et ses 
vertus et son excessive bonté. Nos cœurs sentaient 
vivement la perte que nous faisions ; la douleur 
était universelle. Chacune des Sœurs, en pleurant, 
s'empressait de lui faire toucher des objets de piété ; 
un grand nombre coupèrent des morceaux de ses 
vêtements pour les conserver. 

La nouvelle de sa mort remplit de tristesse et d'un 
deuil profond toute la Congrégation. Beaucoup de 
Sœurs de Nantes, de Sainte-Marie, plusieurs des 
gardes-malades étaient déjà rentrées pour l'heure de 



— 251 



la douloureuse séparation ; plusieurs autres arri- 
vèrent. 

Les anciennes orphelines placées dans le monde 
vinrent aussi en grand nombre partager notre afflic- 
tion et assister aux obsèques. Toutes la pleuraient 
comme une mère; de belles et riches couronnes, 
offrandes de leur bon cœur, ornèrent le catafalque. 

La cérémonie funèbre eut lieu le mardi 30 avril, 
en présence d'une grande assistance composée de 
pieux ecclésiastiques et de fidèles amis, empressés de 
témoigner leur sympathie à la famille religieuse de 
la vénérée défunte. En l'absence du Révérend Père 
Supérieur, retenu au lit par une forte fièvre, M. le 
Curé de Saint-Etienne officia. M. le chanoine de la 
Guibourgère, dans l'impossibilité de s'absenter de 
Paris, s'unissait aux ardentes prières qui montaient 
ce jour-là vers le Ciel, et Mgr Richard, aux suffrages 
duquel la vénérable mourante avait été recomman- 
dée, écrivait au reçu de la douloureuse nouvelle : 
< J'ai célébré la sainte Messe pour le repos de l'âme 
de la bonne Supérieure des religieuses de l' Immacu- 
lée-Conception, et je les bénis toutes ensemble en me 
recommandant à leurs prières. » 

Les congrégations de Sainte-Anne de Saumur et de 
Saint-Gildas-des-Bois avaient répondu à l'invitation 
qui leur avait été adressée en députant deux de leurs 
membres de Saint-Etienne et de Cordemais pour 
tenir les cordons du cercueil de la Révérende Mère 
Marie de l' Immaculée-Conception. 

Ses restes mortels furent déposés clans le petit 



— 252 — 

cimetière de la Communauté, au pied de l'humble 
calvaire qu'elle avait fait élever selon la pauvreté. 
Elle dormait là au milieu de ses filles et de ses chères 
enfants, comme elle l'avait souhaité. 

Mais l'année suivante, le 27 mars 1890, la précieuse 
dépouille de la vénérée Mère fut transportée dans 
cette chapelle objet de ses vœux les plus chers. Désor- 
mais ses enfants pourraient satisfaire leur piété en 
venant prier sur son tombeau, dans ce sanctuaire 
dont nul n'eût osé jeter les premiers fondements si ' 
la Mère Fondatrice, admirable de confiance en Dieu, 
ne l'avait fait pour la plus grande gloire de son Maître 
et Seigneur. 



A la nouvelle, de la douloureuse épreuve qui affli- 
geait la famille de l'Immaculée, le Père Sébastien, 
confident des plus intimes pensées de la Bonne Mère, 
écrivait à ses chères filles : 

« Vous avez fait une très grande perte, mais votre 
douleur ne peut manquer d'être adoucie par la 
confiance que nous avons que sa mort a été précieuse 
devant Dieu. Cette confiance vous est facile, et les 
~ mêmes motifs qui vous rendent sa perte plus sensible 
rendent votre confiance pour elle plus légitime. Mais 
il y a une autre confiance plus difficile et plus méri- 
toire devant Dieu, je veux dire la confiance dans 
l'avenir de l' Immaculée-Conception. N'importe qui, 
même un infidèle, s'il l'avait connue, dirait : S'il est 
vrai, comme les chrétiens le croient, qu'il y ait un 






253 



ciel où Dieu récompense la charité cl la piété, elle 
doit y avoir sa place. 

« Mais il ne suffit pas de l'avoir connue ; il faut 
aussi connaître Dieu pour avoir confiance que voire 
petite Congrégation lui survivra, que son esprit s'y 
conservera et s'y développera. Je suis frappé d'une 
chose : c'est que votre Bonne Mère ait vécu si long- 
temps. Humainement parlant, elle devrait être morte 
depuis de longues années. Et il me semble que si 
Dieu a prolongé sa vie au-delà des limites que ses 
infirmités semblaient lui imposer, cette prolongation 
a dû être suffisante pour lui donner le temps d'ac- 
complir sa mission et de conduire l' Immaculée- 
Conception au degré de consistance et de développe- 
ment nécessaire pour qu'elle puisse marcher toute 
seule. Dieu ne fait pas les choses à moitié. » 



De son côté, M. le chanoine de la Guibourgère, 
prévenu immédiatement de la perte immense faite 
par la Congrégation, à laquelle il portait tant d'inté- 
rêt, écrivait : 

« Mes chères filles, 

« Je viens de recevoir votre douloureuse dépêche, 
et bien que vos lettres ne nous laissassent plus d'es- 
poir, je voulais encore espérer. C'est un coup bien 
rude pour toute la Communauté, pour tous ceux qui 
ont pu apprécier son cœur et son mérite, pour moi 
en particulier qui, depuis de si longues années, lui 
étais intimement uni. Il faut nous courber sous la 



— 254 — 

main puissante et. miséricordieuse de notre Dieu, il 
n'abandonnera pas ceux qui mettent en Lui leur 
confiance. 

« En ce moment si grave pour la Communauté, 
vous avez au moins, mes .chères filles, le souvenir de 
ses conseils et la confiance qu'elle vous soutiendra 
de Là-Haut. Nous prierons beaucoup pour elle afin 
de hâter, s'il en est besoin, le moment où cette âme 
pieuse et forte jouira de la vue de Dieu dans la vraie 
Patrie..'. Je disais la sainte Messe à son intention au 
moment où vous lui rendiez les derniers devoirs... 

« Soyez, comme elle vous le recommandait sou- 
vent, de dignes filles de l'Eglise; consolez cette 
autre Mère par votre union et votre soumission. » 



M»* Julie recevait aussi les témoignages de sym- 
pathie des âmes qui avaient connu et apprécié sa 
pieuse sœur. Mère Béatrix lui adressait la lettre sui- 
vante : 

« Ma chère Julie, 
« C'est avec une véritable douleur que j'ai appris 
la mort de votre sainte sœur ; j'eusse été si heureuse 
de la revoir encore en ce monde, mais Dieu ne l'a 
pas voulu ; ce n'est qu'au Ciel, dans le cœur de Dieu 
et auprès de notre commune Mère, qu'elle a tant 
aimée et fait aimer, que nous pourrons désormais 
nous réunir. 

« Je prie pour elle et pour vous, car je sens la perte 
immense que vous faites en la personne d'une âme si 



— 255 — ' 

pure et si favorisée de Dieu. Si vous allez sur sa 
tombe, priez-la de ne pas m'oublier, moi et le grand 
troupeau dont le Seigneur m'a confié la garde. Priez 
aussi pour moi, ma bonne Julie ; présentez à Dieu 
toutes mes intentions, surtout mes petites filles qui 
se préparent à leur première Communion et à leur 
Confirmation. « 

« De mon côté, soyez assurée que je ne vous oublie- 
rai pas dans mes prières et qu'à l'avenir, comme par 
le passé, je ne cesserai de demander pour vous à 
Notre-Seigneur ses grâces de choix. 

« Croyez, ma bonne Julie, aux sentiments les plus 
affectueux en Notre-Seigneur 

« De votre bien dévouée, 
« Sœur Béatrix. » 



Quelques mois plus tard, le 14 juillet, il était pos- 
sible au dévoué curé de Saint-Georges de Paris de 
s'absenter de sa paroisse et de répondre aux pieux 
désirs des fidèles compagnes de la vénérée Fonda- 
trice. Celles-ci demeuraient plongées dans un deuil 
profond depuis la perte douloureuse de leur bonne 
,et sainte Mère. Le vénérable prêtre, pour les conso- 
ler, évoqua les doux et précieux souvenirs d'une vie 
si pleine de mérites. Ses paroles furent un baume 
délicieux versé sur la plaie de leur cœur : 

« MEMÈNTOTE PRMP.OSITORVM VES- 
TRORUM : QUORUM INTUENTES EXITUM 
IMITAMINI FIDEM. 



— 256 — 



« Souvenez-vous de ceux que Dieu a préposés à la 
garde de vos âmes et imitez-les, obéissez-leur et 
soyez-leur soumis ; telle est la recommandation de 
Saint Paul. , 

« Effectivement, n'est-ce pas l'obéissance et la sou- 
mission aux ordres supérieurs qui font la force et la 
gloire de la sainte Eglise ? 

« Et pour vous aussi, mes chcres filles, je viens 
vous dire comme saint Paul : souvenez-vous de ceux 
qui ont été préposés à votre garde et que Dieu a rap- 
pelés à Lui ; je veux vous rappeler le souvenir de la 
Bonne Mère qui nous a quittés. Oh ! ne l'oubliez 
pas, je n'ai que faire de vous le dire, à vous toutes 
qui l'avez connue, qui avez vécu avec elle, son sou- 
venir vous est facile, vous le trouverez du reste à 
chaque instant du jour, dans cette maison qu'elle a 
fo-mée, qu'elle a dirigée par son esprit de piété, de 
foi, oui, de foi profonde : cet esprit de foi de la Bonne 
Mère a été remarqué par tous ceux qui ont eu l'avan- 
tage de la connaître. Je puis vous en dire quelque 
chose d'après la connaissance intime que j'ai eue de 
son âme. Cette grande et belle âme était douée d'une 
foi ferme, vive, inébranlable, qui se trahissait par ses 
oeuvres. Foi à l'épreuve des privations, des contra- • 
dictions et des peines. Foi aussi qu'elle a su incul- 
quer dans le cœur de ses filles et de ses enfants ; je 
suis étonné et j'admire encore cette foi quand, de 
temps en temps, je fais la rencontre des enfants éle- 
vées à cette Maison, trop souvent jetées dans le tour- 
billon du monde, s'y soutenant néanmoins, quelque- 



257 — 



fois défaillantes, mais toujours gardant cette foi pui- 
sée dans le cœur de la Bonne Mère et de ses filles, qui 
ont hérité de son esprit qu'elle leur a légué, et dans 
leur Règle, et dans leurs Constitutions. 

« Oh ! oui, mes chères filles, gardez le souvenir de 
votre Bonne Mère Fondatrice, attachez-vous à ses 
œuvres, gardez l'esprit qu'elle vous a transmis, mar- 
chez sur ses traces, elle prie pour vous au Ciel, elle 
vous soutiendra ; invoquez-la dans vos peines, vos 
embarras, les luttes de la vie, et vous serez ce qu'elle 
a été, de dignes filles de la sainte Eglise. 

« Quelle gloire, mes chères filles, et à l'exemple 
de votre Bonne Mère vous pourrez vous glorifier de 
ce beau titre de filles de la sainte Eglise qu'elle 
aimait tant à répéter et dont elle s'honorait, car, 
dans ses rapports comme dans ses écrits, ce titre 
était pour elle une gloire, une consolation. J'ai encore 
entre les mains bon nombre de ses lettres signées de 
cette sorte : Marie, fille de la sainte Eglise. 

« Et de son amour pour la sainte Eucharistie, 
qu'en dirons-nous ? Dès le début de sa vie religieuse, 
son amour pour la sainte Eucharistie a été l'une des 
causes de sa consécration à Dieu. Ah 1 c'est là, près 
de l'autel, au pied du saint Tabernacle, que son âme 
est à l'aise, que son cœur déborde des feux de son 
divin amour, qu'elle y passe des heures et des heures... 
Ses élans vers la divine Eucharistie sont si fréquents, 
lui sont si familiers, qu'ils forment en sa belle âme 
une prière continuelle; et si, dai»s les dernières 



258 



années de sa vie, ses colloques et pieuses aspirations 
paraissent plus restreints ou plus intérieurs, c'est 
que son âme et son cœur étaient tellement à Dieu, 
le souvenir de Dieu lui était devenu si intime et si 
familier, qu'elle vivait dans une atmosphère divine, 
dans une prière intérieure et continue. 

« Son respect, sa dévotion pour tout, ce qui tou- 
chait au saint Sacrifice de la Messe était pour elle 
sacré ; et plus tard, sur la fin de sa vie, la' même 
cause la domine encore, la fait agir sans cesse ; 
naguère elle m'écrivait cette lettre, que j'ai encore 
revue ce matin : « Je viens, disait-elle, vous faire 
« part d'un projet qui m'occupe depuis longtemps 
« et que je recommande à vos prières. Il me serait 
« si doux d'élever une chapelle à Notre-Seigneur 
« Jésus-Christ, où il fût mieux servi, mieux aimé ! 
« J'en ai le plus grand désir, je voudrais du moins 
« la commencer avant de mourir. » 

« Votre Bonne Mère vous protégera du haut du 
Ciel, mes chères filles ; et quels protecteurs- vous y 
avez déjà : Mgr Jaquemet qui, le premier, s'est 
occupé avec la Bonne Mère de fonder cette maison ; 
comme il vous aimait ! Et Mgr Baudry, mort évêque 
de Périgueux et de Sarlat, qui vous a conduit lui- 
même la Bonne Mère de maintenant et d'autres de 
vos Sœurs. Ah ! comme ce saint évêque avait su, lui 
aussi, apprécier la Bonne Mère et -comme il l'esti- 
mait, et combien il aimait votre Congrégation ; j'ai 
eu l'avantage de vivre en grande intimité avec ces 
deux saints évèques et je savais jusqu'à quel point 



. — 259 — 



ils portaient leur religieuse estime pour les vertus et 
la grandeur d'âme de votre Bonne Mère défunte. 

« Ils ont intercédé pour vous au moment de la 
grande épreuve et ont obtenu du Ciel des grâces par- 
ticulières dont la Communauté entière avait besoin 
dans ce passage important de l'autorité de la Mère 
Fondatrice à lune d'entre ses filles ; mais combien 
j'ai été heureux d'apprendre le bon esprit par lequel 
s'est distinguée la Communauté vis-à-vis les ordres 
de la divine Providence, qui s'est montré dans le 
choix qui a été fait de la Supérieure qui doit gou- 
verner. 

« Louons et bénissons Dieu, auteur de tout bien, 
et rendez-vous, mes chères filles, de plus en plus 
dignes des célestes bénédictions. » 



DEUXIÈME PARTIE 



DEUX AMES D'ÉLITE 



Les Continuatrices de l'Œuvre 



PHHHHHH 



■ v 






CHAPITRE PREMIER 



Bonne Mère Marie-Thérèse de la Croix 

Une enfant charitable et pieuse. — Le choix d'une Com- 
munauté. — Dans le vieux manoir de Châteaubriant. — 
La sainte folie de la Croix. — A la Haye-Mahéas. — Les 
conseils d'une Carmélite. — Voeux perpétuels. — La 
Supérieure. — Labeur et dévouement. — La chapelle 
neuve. — La fin d'un incendie. — Une guérison à Lourdes. 
— La procession de la Fête-Dieu. — ' L'obédience de 
Redon. — Nouvelles fondations à Nantes, à Bellou-en- 
Houlme. — Réélection de la Bonne Mère. — Les maisons 
du l'ouliguen et de Champtoceaux. - Agrandissements 
a la Maison-Mère. - Supérieure encore. - Les tristesses 
d'un cœur maternel. — Introibo ad altare Dti. — Grandes 
souffrances et sainte mort. — Eloges et regrets. 

Celle que l'Esprit-Saint venait de désigner aux 
suffrages de ses Sœurs pour remplacer Bonne Mère 
Marie de l' Immaculée-Conception avait porté dans 
le monde le nom de Marie-Thérèse Birot. Née à 
La Romagne, diocèse d'Angers, le 27 mars 1839, 
elle était la troisième enfant de Pierre Birot et 
d'Agathe Brin. Son père, excellent chrétien, avait 
la réputation d'être un homme d'une loyauté par- 
faite. « Sa parole vaut un contrat », disait-on autour 
de lui. Sa mère, très pieuse, adonnée tout entière à 






264 



l'éducation de ses enfants, leur inculqua de bonne 
heure sa foi profonde, son dévoûment et sa charité 
envers les pauvres. 

A pareille école, Marie-Thérèse puisa cet amour 
compatissant des malheureux qu'elle devait mani- 
fester à un si haut degré durant sa vie. Un jour, 
Thérèse, toute jeune encore, rencontra une de ses 
compagnes de catéchisme qui mendiait le pain néces- 
saire à ses petits frères et sœurs. Emue de pitié, elle 
voulut prendre la besace de la pauvrette et aller 
quêter pour elle chez un de ses oncles habitant près 
de là ; elle espérait ainsi obtenir une aumône plus 
abondante. La petite fille refusa le service offert, 
mais elle ne l'oublia jamais ; plus tard, ifiariée, mère 
de famille, elle aimait à raconter ce trait de délicate 
charité. 

La vie de Marie-Thérèse ne fut qu'une suite de 
souffrances et de sacrifices ; maladive dès le bas âge, 
isolée des autres enfants, elle ne pouvait partager 
leurs courses ou leurs jeux fatigants ; pourtant elle 
n'était point triste et s'amusait de voir jouer les 
autres ; souvent, d'ailleurs, François, son- frère "pré- 
féré, plus jeune qu'elle de deux années, lui tenait 
compagnie et la distrayait paisiblement. 

A cette époque, les écoles de filles étaient rares et 
leur enseignement réduit au strict nécessaire. M. le 
Curé de La Romagne avait chargé l'une de ses pieuses 
paroissiennes, M lle Vinet, d'instruire les petites filles 
du bourg des éléments de la lecture, de l'écriture et 
du calcul. De modestes pensionnats existant dans 




MAISON-MÈRE DES SŒURS DE L'IMMACULÉE-CONCEPTION 

La Haye-Mahéas (Vue générale) 



-205 — 



presque tous ,le.6 cantons pouvaient, au gré de.; 
parents, compléter cette instruction rudimentaire. . 

Pour Marie-Thérèse, le grand jour de la Commu- 
nion approchait. M ma Birot aurait voulu ne point 
laisser à des étrangers le soin de préparer ses enfants 
à un acte si important de la vie chrétienne. Mais 
l'école de M lle Vinet était là. En toute confiance, la 
mère put s'en remettre à cette pieuse institutrice 
pour la formation de ses petites communiantes ; 
Marie-Thérèse resta donc à La Romagne jusqu'à 
l'âge de dix ans. Sa sœur avait été mise comme elle, 
avant sa communion, dans le modeste pensionnat de 
M llr Vinet. Il était impossible de trouver une auxi 
liaire plus dévouée que cette sainte fille pour former 
à la vie solidement chrétienne la jeunesse de la 
paroisse. C'est à cette école de vertu que la future 
Supérieure apprit à se renoncer elle-même et affaire 
passer la volonté de Dieu avant tout. Jusqu'à sa 
mort, elle en conserva le plus reconnaissant souve- 
nir à sa première institutrice. 

Après sa première communion, qu'elle fit le 
dimanche de la Trinité 1849, Thérèse alla rejoindre 
sa sœur à Beaupréau, chez les Ursulines de Cha- 
vagnes. Elle y resta en pension quatre ou cinq ans ; 
puis elle revint à la maison paternelle, en attendant 
que Dieu lui manifestât sa volonté. Dès lors, elle 
partagea son temps entre les exercices de piété et le 
travail ; car elle aidait sa mère, autant que le lui 
permettait sa santé toujours .délicate. Vers le soir, 
elle prenait le chemin du beurg, pour aller visiter Le 



— 266 — 

Saint Sacrement. Au sortir de ce divin cœur à cœur, 
qui lui faisait toujours tant de bien, la jeune Thé- 
rèse se rendait chez une sœur de' son père, où elle 
recevait l'hospitalité de la nuit. La demeure de ses 
parents étail distante de deux kilomètres. En res- 
tant ainsi au bourg, le soir, elle pouvait aisément, 
chaque matin, assister à la sainte Messe, célébrée à 
une heure très matinale. Ce fut justement dans ces 
soirées passées en compagnie de sa tante que se révé- 
lèrent les premiers attraits de la jeune fille pour la 
vie religieuse. 

Sa pieuse parente, elle, n'avait pu réaliser autre- 
fois le'dessein de se consacrer à. Dieu ; elle se dédom- 
mageait, pour ainsi dire, en lui préparant une épouse 
dans sa nièce, dont elle encourageait.les saints désirs. 

Celle-ci, cependant, n'osait dévoiler ses aspira- 
tions à sa famille ; elle tremblait de mécontenter un 
père ; il était bon chrétien, sans doute ; mais, guidé 
encore par des vues trop humaines, il aimait mieux 
marier ses filles que de les voir religieuses. D'ailleurs, 
quoique bien décidée à se donner à Nôtre-Seigneur, 
Thérèse hésitait dans le choix d'une Communauté. 
Deux congrégations l'attiraient également : les Ursu- 
lines de Chavagnes, qui avaient terminé son éduca- 
tion à Beaupréau, et les Sœurs de Sainte-Anne de 
Saumur, chez lesquelles elle avait une cousine. La 
divine Providence ne la voulait ni dans l'une, ni dans 
l'autre. 



Depuis quelques années déjà, il existait, presque 






— 267 



aux confins de l'Anjou, dans le diocèse de Nantes, 
une Communauté nouvelle dont le but était de 
recueillir les orphelins et les enfants abandonnés. 
Cette œuvre, inconnue encore de la jeune aspirante, 
avait été fondée a Châteaubriant. Elle ne semblait 
pas, tout d'abord, attirer beaucoup Marie-Thérèse 
Birot, quand un cousin-germain de sa mère, M. l'abbé 
Baudry, alors prêtre de Saint-Sulpice, qui devait 
devenir évêque de Périgueux, essaya de dissiper ses 
hésitations en lui désignant lui-même la Congréga- 
tion naissante, dont il connaissait le Supérieur, 
M. l'abbé de la Guibourgèrc. De plus, M. Baudry 
avait apprécié les humbles débuts de l'œuvre, si con- 
formes aux conseils éVangéliques. 

Malgré toute la confiance que lui inspirait son véné- 
rable parent, Thérèse hésitait. Mais le prêtre insista, 
déclara nettement que là était la volonté de Dieu et 
que, pour y répondre, il fallait au moins tenter un 
essai. M. l'abbé Baudry ajoutait, pour encourager sa 
jeune cousine, que deux jeunes filles de Montigné se 
joindraient à elle et partiraient en même temps... 
Toutes les trois, d'un commun accord, demandèrent, 
avant d'entrer définitivement, à faire une visite à la 
nouvelle maison religieuse. « Non, leur répondit le 
prudent directeur, inspiré d'en-haut, quand vous 
irez, ce sera pour y rester, mais vous ne ferez pas de 
visite, i 

Il fallut obéir et faire les préparatifs de départ. Les 
parents, après quelques difficultés, consentirent à 
cette séparation. 



— 268 



Marie-Thérèse partit un matin de novembre, en 
compagnie de sa sœur aînée, déjà mariée et mère de 
famille, pour Montigné, où habitaient les deux autres 
futures postulantes, M lles Braud et Grégoire. Là, les 
deux sœurs se séparèrent. Agathe, le cœur bien gros, 
rentra chez elle, et Thérèse se dirigea vers Clisson avec 
ses nouvelles compagnes. Une des sœurs de M lle Braud 
devait conduire les jeunes filles à Châteaubriant et 
rapporter des nouvelles aux trois familles. 

Le voyage se fit en diligence de Clisson à Nantes. 
Guidée par M lle Braud, la pieuse caravane alla se 
présenter à M. de la Guibourgère, alors secrétaire de 
Mgr Jaquemet et supérieur de la nouvelle Commu- 
nauté, puis à M 1 ^ Veillet, la Fondatrice, qui résidait 
pour quelques jours chez" son père. Enfin, le lende- 
main, toutes les quatre prenaient place dans le bateau 
à vapeur qui, par l'Erdre, les conduisit à Nort. De là, 
elles parvinrent par la diligence à Châteaubriant. 
C'était le 11 novembre 1859, en la fête de saint 
Martin. Elles furent reçues par M lle Sophie Derval, 
assistante, qui dirigeait la maison en l'absence de 
M lle Veillet. 

Rien n'était moins fait pour attirer et pour rete- 
nir que le spectacle offert, dès l'arrivée, à Thérèse 
et à ses compagnes : quelques Sœurs et des enfants 
réfugiées dans le donjon branlant d'un vieux châ- 
teau, une pauvreté ou plutôt une misère qu'elles 
n'avaient encore rencontrée nulle part... M lle Nathalie 
Braud, qui les avait accompagnées, fut tellement 
impressionnée par ce dénûment qu'elle voulait 



— 269 



repartir sur l'heure et ramener les trois jeunes filles. 
Insistant davantage auprès de sa sœur : « Tu ne vas 
pas rester là, j'espère, lui disait-elle ; si cela était, 
je dirais à maman de venir te chercher. » 

Malgré cela, réconfortées par Celui qui les avait 
appelées, les postulantes firent bon visage et persé- 
vérèrent dans leur désir d'essayer le nouveau genre 
de vie que leur offrait la divine Providence. M lle Na- 
thalie Braud repartit seule, triste et inquiète ; elle 
songeait sans doute, en s'éloignant, qu'à moins d'être 
folles ni sa sœur, ni ses amies ne demeureraient long- 
temps dans une pareille masure ! 

Ah I sainte et sublime folie de la Croix, révélée 
seulement au petit nombre. 

M lle Veillet, absente, comme nous l'avons vu, lors 
de l'arrivée des postulantes, rentra vers le soir et les 
accueillit avec sa bonté ordinaire : elle était si heu- 
reuse de voir augmenter en nombre la Congrégation 
qu'elle fondait ! Elle tint d'ailleurs à rassurer elle- 
même les nouvelles venues. : « L'installation au vieux 
château n'est que provisoire, leur dit-ellé, et l'on 
s'occupe activement de chercher une demeure plus 
convenable. «Ces paroles fortifièrent encore le cœur 
des généreuses aspirantes. 

Néanmoins, il fallut encore rester deux ans dans le 
vieux donjon, couronné de ronces, tapissé de lierre, 
et qui croulait de toutes parts. Pendant ce temps, en 
prenant part aux exercices, aux travaux des Sœurs, 
à leurs quêtes à travers la ville, Thérèse s'initia aux 
pratiques de la vie religieuse. 



— 270 



Lorsque, en 1861, une partie de l'orphelinat fut 
transférée de Châteaubriant à la Hay e-Mahéas, Thérèse 
profitant avec joie de la faveur accordée aux premières 
religieuses de l'Immaculée, revêtit le saint habit qui 
venait d'être approuvé par Sa Grandeur. Elle reçut 
alors le nom de Sœur Marie-Thérèse de la Croix, tan- 
dis que sa cousine, Jeanne Brin, devenait Sœur Marie- 
Ange, et son autre compagne, Anne-Esther Braud, 
Sœur Marie-Anna de l'Enfant- Jésus, dont la vie 
toute de dévoûment mérite une mention spéciale. 

Pendant quelque temps encore, les nouvelles 
novices s'occupèrent des orphelins, puis Sœur Marie- 
Thérèse fut chargée de la dépense de la cuisine, tout 
en remplissant, sans en avoir le titre, les fonctions 
d'économe. Elle put occuper ce poste sans la moindre 
difficulté ; sa santé, toujours délicate, sembla même 
se fortifier et, pendant plus d'un an que dura cet 
emploi, ne subit aucune altération. 

Nous pouvons juger du zèle et du dévoûment avec 
lesquels la jeune religieuse s'acquittait de son devoir 
d'état par la lettre que lui écrivait du Carmel de 
Nantes, le 7 septembre 1862, sa cousine, la Révé- 
rende Mère Marie-Agathe de Jésus, plusieurs fois . 
prieure de ce monastère. 

« Je vois que vous vous faites une juste idée de la 
vie religieuse, puisque, au milieu des sacrifices qu'elle 
vous fait ressentir, vous vous trouvez heureuse de 
souffrir quelque chose pour l'amour de Notre-Sei- 
gneur. C'est bien là l'unique bonheur qu'il faut cher- 
cher à la suite de ce bon Maître... Oh 1 chère petite 



— 271 



Sœur, comme nous serons heureuses, le jour où il 
nous appellera à entrer dans son repos, de lui dire : 
Seigneur, vous savez que je n'ai cherché et aimé que 
vous sur la terre ! Nous aurons bien vite oublié ce 
qu'il aura pu nous en coûter pour entrer en posses- 
sion du royaume céleste. 

« Je comprends, chère petite Sœur, que votre 
emploi vous donne bien des sollicitudes, mais sou- 
venez-vous toujours, au milieu des distractions qui 
en sont inséparables, que rien de ce qui peut parta- 
ger notre temps ici-bas ne peut nuire à notre perfec- 
tion, pourvu que nous conservions notre cœur et 
notre volonté unis à Dieu, en aimant et en faisant 
toutes choses parce qu'il le veut et pour lui plaire... 
Faites état de contenter tout le monde autant qu'il 
vous est possible. Soyez la meilleure amie de toutes 
vos Sœurs, sans distinction ; soyez prête même à 
vous gêner pour les accommoder et rendez-leur les 
rapports avec vous doux et faciles. C'est là l'esprit 
dans lequel nous devons vivre en religion, esprit de 
tendre charité ; car nous imitons ainsi notre divin 
Maître, si bon que ceux cjui s'adressaient à Lui l'appe- 
laient : Bon Maître. Il n'est aucune qualité qui ait 
paru en lui avec autant d'éclat que la bonté, et je 
me figure que ceux en qui je la remarque davantage 
ici-bas sont ceux qui lui ressemblent le plus. Effor- 
çons-nous donc d'en grossir le nombre... » 

La pieuse Carmélite savait bien à quelle âme 
d'élite elle adressait de si sublimes conseils de per- 
fection. Le programme tracé, en tous points conforme 



272 



à celui de la vénérée Fondatrice de 1* Immaculée, 
sera si bien suivi par la fervente novice que, devenue 
plus tard Supérieure, elle saura rendre doux et faciles 
ses rapports avec ses chères filles, de telle sorte que 
chacune se sentira, près de sa Bonne Mère, heureuse, 
réconfortée et prête à voler au sacrifice. 

Préparée à l'immolation d'elle-même par le renon- 
cement quotidien que réclamaient ses multiples 
devoirs, Sœur Marie-Thérèse de la Croix fut admise 
à prononcer ses premiers vœux. Ces vœux, qui 
n'étaient que d'un an encore, selon la Règle, furent 
reçus, au nom de Mgr l'Evêque, par M. de la Gui- 
bourgère, supérieur ecclésiastique: 

A cette époque fut confiée à notre jeune Sœur la 
classe dite de la Salette. Cette classe était composée 
d'enfants aux caractères difficiles, parfois même 
vicieux, qui exercèrent fortement la patience de leur 
dévouée maîtresse. Chargée de l'entretien du linge de 
la Communauté, Sœur Marie-Thérèse de la Croix 
remplit courageusement sa tâche et, par la bonté 
unie à la fermeté, elle parvint à ramener dans la 
bonne voie plusieurs de ces pauvres égarés. 

Enfin, on lui donna l'emploi d'infirmière, poste de 
dévoûment qu'elle occupa pendant vingt années : 
celle fonction, toute de charité, convenait si bien à 
une ame si foncièrement bonne et compatissante. 

La vertueuse Mère Marie- Agathe ne pouvait que 
l'encourager à bien remplir ses nouveaux devoirs : 
« Vous faites bien d'aimer votre emploi, lui écrivait- 



— 273 — 



elle le 8 février 1864. Oui, c'est une grâce de soigner 
ceux qui souffrent. Soyez une bonne infirmière, bien 
compatissante; montrez-vous sensible aux plus 
petits maux. Pour moi, je considère cette occupation 
en religion comme une de celles qui sont le plus 
agréables à Notre-Seigneur et qui doivent être le 
plus enviées. Quand j'ai pu soulager une Sœur qui 
souffrait, en décharger quelques-unes d'un travail 
fatigant, il m'a toujours semblé que Notre-Seigneur 
étendait sa main sur ma tête et me disait : > Je te 
bénis. » 

« Il faut que je vous quitte, chère petite Sœur, 
pour arriver auprès de vous avant le carênle, car je 
crois que vous ne lisez point de lettres pendant ce 
saint temps. •> 

Ce dernier passage nous laisse entendre combien 
fidèle à sa Règle était la jeune religieuse. L'amour de 
Notre-Seigneur lui avait, de bonne heure, enseigné 
le prix du sacrifice. Aussi la vénérée Mère Fonda- 
trice pouvait-elle lui écrire à l'occasion de la mort 
de Mgr Baudry, épreuve qui affectait douloureuse- 
ment le cqenr de sa fille spirituelle : a Votre lettre m'a 
comblée de consolations. Jésus répand sur vous ses 
divines lumières ; Il vous fait comprendre le mérite 
des sacrifices ; Il vous en donne le goût. Que son 
saint nom soit béni ! Conservez dans le plus intime 
de votre âme ces bonnes semences. Je demande ins- 
tamment à Notre-Seigneur de les faire croître, gran- 
dir, porter de bons fruits pour l'éternité. 

« Vous acceptez la perte de Sa Grandeur en véri. 



274 — 



table religieuse. Toutes ces bonnes dispositions vous 
sont données par la miséricorde et la tendresse de 
Jésus. Correspondez à son amour et méritez de nou- 
velles grâces par votre humilité, votre petitesse, 
votre abnégation... Aimez Dieu, ma fille, de toutes 
les puissances de votre âme ; aimez-Le dans l'épreuve. 
Ne cessez pas d'allumer le feu de l'amour divin dans 
votre âme, par les actes d'une vie vraiment religieuse 
et par le bois des saintes affections : pensez toujours 
à Jésus, et dites-lui que vous l'aimez, que vous 
l'adorez, que vous êtes éprise de ses amabilités, de 
ses charmes, de sa bonté, de ses douceurs. Dites-le- 
Lui pour vous, dites-le-Lui pour moi : sainte con- 
vention qu'il faut passer entre nous deux : ce que 
dira l'une à Jésus, l'autre le Lui dira. 

« Du courage, ma fille ! Gravissons la montagne 
de la perfection, du sacrifice, de l'immolation, pour 
plaire à Jésus, par amour pour Jésus. Il me tarde de 
vous revoir. Adorons la volonté de Jésus. » 

A l'école de la Révérende Mère Marie de l' Imma- 
culée-Conception, Sœur Marie-Thérèse de la Croix 
avait appris, non sans luttes et sans avoir à crucifier 
la nature, à devenir, selon l'exemple de sa vénérée 
Supérieure, une véritable épouse de Jésus, comme 
celle dont elle portait le beau nom. 

Cette conformité de vues et de sentiments, jointe 
à la culture intellectuelle reçue jadis, la désignèrent 
au choix de sa Bonne Mère pour subir l'examen du 
brevet élémentaire. Elle le prépara tout en vaquant 
à ses occupations d'infirmière, en l'année 1875. 






— 275 — 

Après avoir passé cet examen, elle fut chargée 
d'une classe au pensionnat ; elle continua quand 
même à remplir le poste d'infirmière, en dehors des 
heures de cours. Entre temps, une Sœur la secondait 
et la remplaçait auprès des malades. Elle conserva ce 
double emploi jusqu'en 1884, époque à laquelle Sœur 
Marie-Marthe, nommée Supérieure à Nantes, quitta 
le pensionnat. Dès lors, Sœur Marie-Thérèse s'y con- 
sacra complètement, jusqu'en 1889. 

En 1885, la Règle ayant été approuvée par l'Ordi- 
naire, il fut permis aux religieuses de l' Immaculée- 
Conception de prononcer, au lendemain de leur fête 
patronale, le 9 décembre, leurs vœux perpétuels. 
Toutes les professes, qui avaient au moins dix ans de 
vœux annuels, eurent le bonheur de s'engager pour 
toujours sous la bannière de Marie- Immaculée. Sœur 
Marie-Thérèse de la Croix fut de ce nombre. Elle 
était prédestinée, du reste, de par la divine Provi- 
dence, -à prendre bientôt en main le gouvernail de 
cette petite barque, lancée jadis sur des flots inconnus, 
mais qu'avait protégée et conduite l'Etoile de la mer ! 



Le 27 avril 1889, la vénérée Fondatrice allait rece- 
voir la récompense de ses travaux et de ses longues 
souffrances. Elle n'avait point, pour cela, abandonné 
sa chère famille en pleurs ; elle continuait de prier 
tout près de Dieu, afin d'obtenir à ses Sœurs les lu- 
mières et les grâces de l'Esprit consolateur. Réunies, 
le 24 mai, sous la présidence de leur supérieur ecclé- 
siastique, M. le chanoine Guihal, les religieuses 



— 276 — 



doyennes de la Communauté élurent Supérieure géné- 
rale, pour une période de cinq ans, Sœur Marie-Thé- 
rèse de la Croix, et assistante, Sœur Marie-Anna de 
l'Enfant Jésus. 

En dépit du rude labeur que s'était imposé la 
Révérende Mère-Marie de l' Immaculée-Conception 
pour éteindre les dettes qui grevaient le petit budget 
de la Maison-Mère et aussi pour ménager les ressources 
nécessaires à la construction de la chapelle, bien 
lourde restait la tâche de la nouvelle Supérieure. 

Résolument, dès le premier jour, celle-ci se mit à 
l'œuvre. Son esprit de foi et son inébranlable con- 
fiance en Dieu la soutinrent et elle réussit à faire face 
aux dépenses considérables qu'imposaient les travaux 
en cours. Jusque-là, les quêtes avaient été la princi- 
pale ressource de la Communauté. Une dizaine de 
Sœurs s'y employaient tout l'été et même l'hiver, à 
Paris et à Nantes. L'année qui suivit la mort de la 
Bonne Mère Fondatrice, Monseigneur l'Evêque de 
Nantes les interdit hors du diocèse, à la seule excep- 
tion de Paris. 

Les Sœurs gardes-malades étaient peu nombreuses, 
le travail des enfants mal rétribué ; on pouvait crain- 
dre sérieusement de manquer même du nécessaire. 
Mais le propre des âmes de foi est de se laisser guider 
par les lumières d'en-haut, plutôt que par des vues 
humaines. Bonne Mère Marie-Thérèse était de celles- 
là. L'avenir montra qu'elle avait eu raison. 

D'ailleurs, elle pouvait être remplie d'espoir : 
le sceau divin, la croix, était apposé sur son œuvre. 



277 



Puis aux difficultés matérielles de l'heure présente 
était venu s'ajouter une bien douloureuse épreuve 
pour son cœur aimant : la mort de son excellente 
mère. 

Du Carmel de Nantes, la Révérende Mère Marie- 
Agathe de Jésus lui écrivait : « Ma famille ne m'avait 
point laissé ignorer la mort de votre chère mère, et 
je me suis empressée de demander les prières de notre 
Communauté pour le repos de son âme que je recom- 
mande aussi à Dieu tous les jours. Je m'étais bien 
proposé, chère cousine, de vous écrire à ce sujet pour 
vous dire que je prends une grande part au sacrifice 
qui vous a été demandé. J'aimais et j'estimais sincè- 
rement cette bonne cousine Agathe. Oh ! nous pou- 
vons nous dire qu'elle est au Ciel : elle était si vérita- 
blement une femme chrétienne 1 II faut cependant 
continuer à prier pour elle, afin de lui prouver encore 
notre affection. » 

Portant elle-même le redoutable fardeau du -Supé- 
riorat, la Prieure expérimentée pouvait conclure. 

« Je ne puis vous féliciter, chère cousine, de la 
lourde charge qui vous a été imposée : les responsa- 
bilités en sont trop graves. Mais je vous crie de toutes 
mes forces : Courage, courage ! le Seigneur sera avec 
vous, si vous ne cherchez que sa gloire et le bien des 
âmes. 

« Je me permets de vous dire : soyez bonne pour 
tout le monde ; laites reconnaître que votre cœur est 
assuré à tous les intérêts qui vous sont confiés. Effor- 
cez-vous d'être gaie, de dilater les cœurs et les esprits 



278 



pour leur faciliter toutes choses. Soyez ferme aussi 
pour maintenir les observances et surtout pour faire 
régner la charité dans la maison ; reprenez toujours 
énergiquement les fautes qui se commettent contre la 
charité ; faites comprendre que cette grande vertu 
doit vous unir toutes, si vous voulez être unies à 
Notre-Seigneur et qu'il vous bénisse. » 

Au commencement de la nouvelle année 1890, 
adressant ses vœux à la Bonne Mère, elle ajoute : 

« C'est du fond de mon cœur que j'ai appelé sur 
vous, chère cousine, les grâces qui font les saints, parce 
que je crois sincèrement qu'une Supérieure de Com- 
munauté ne peut faire le bien autour d'elle si elle 
, n'est véritablement une Sainte. Quand elle l'est, elle 
entraîne bientôt tout le monde après elle : la sainteté 
semble répandre les parfums du Ciel et attirer les 
âmes à Dieu. Mais il faut un grand courage pour 
atteindre ce but, chère cousine. Ne vous effrayez pas 
cependant ; regardez Jésus-Christ ; efforcez-vous de 
mettre vos pas dans ses pas, de le copier en toutes 
vos actions. Soyez humble et douce comme lui, bonne, 
toujours souriante, mais cependant grave, édifiante. 
Que l'on comprenne, en vous voyant agir, que vous 
prenez votre tâche au sérieux, et tout le monde s'ef- 
forcera d'agir à votre exemple... 

« Si vous ne cherchez véritablement que le seul 
regard de Dieu et sa gloire, il sera avec voirs. Croissez 
tous les jours dans la confiance envers ce divin 
Maître et dans le mépris de vous-même. 

« J'ai lu avec intérêt vos règlements. Je les ai trou- 






279 — 



vés plein de sagesse. Veillez à ce qu'ils soient observés 
et montrez-vous vous même exacte à les accomplir : 
là est la force des maisons religieuses... » 

Comment ne pas rapprocher les conseils de la 
pieuse carmélite des avis donnés et pratiqués par la 
Révérende Mère Fondatrice en ce qui concerne la 
charge de Supérieure : 

« Un des principaux devoirs de la Supérieure, c'est 
la vigilance, et une vigilance qui doit être continuelle, 
universelle. Elle l'exercera tout d'abord sur le main- 
tien des Règles, car c'est pour cela que l'autorité lui 
a été confiée... Elle doit veiller à conserver toujours 
le précieux esprit de simplicité de la Congrégation et 
surtout résister à tout ce qui s'écarterait de la sévère 
pauvreté. 

« Sa viligance devra aussi s'étendre sur les besoins 
corporels des Sœurs malades ou infirmes qui sont, 
d'après Saint- Vincent-de-Paul, une bénédiction pour 
les maisons : elles seront l'objet de ses plus tendres 
sollicitudes... 

.« Si la charge de la Supérieure l'élève au-dessus 
des autres Sœurs, elle devra surtout les surpasser en 
vertu et en perfection, spécialement en humilité, s'es- 
timant devant Dieu la moindre de toutes. 

« La position qu'elle occupe donne à ses exemples 
une grande portée. C'est un devoir rigoureux de sa 
charge de se dévouer et de se sacrifier pour le bien 
de ses Sœurs... Elle aura une égale attention aux 
besoins de toutes, les accueillant avec bonté, sans 
paraître préoccupée d'affaires ou ennuyée d'un mi- 



■■■M 



■■ 






280 



çistère qui pourra parfois lui sembler fatigant. Elle se 
persuadera que la douceur et l'aménité des manières 
sont les vrais moyens de gagner la confiance. 

« La Supérieure doit être douce, principalement 
pour les faibles et les débiles, bien qu'elle ne doive 
pas abandonner les parfaites. 

« Pour ranimer son zèle dans l'accomplissement 
de sa charge, la Supérieure se rappellera qu'un jour 
devant Dieu elle sera jugée, non seulement sur sa vie, 
mais encore sur celle de ses filles dont elle aura à 
rendre compte. 

« Toutefois, que ce souvenir et celui de ses graves 
obligations ne la jettent pas dans une crainte exagérée 
et le défaut de confiance. Elle a besoin d'une grande 
liberté intérieure pour agir et de cette sainte joie qui 
dilate le cœur et le fortifie au milieu des devoirs pé- 
nibles qui lui sont imposés. 

« Pour arriver à cette disposition, la Supérieure se 
rappellera que Dieu, qui agit avec tant de douceur, 
d'amour, de tendresse pour toutes les religieuses, ses 
épouses, ne veut pas faire d'exception pour celle qui 
les dirige. Du moment que ses intentions sont droites 
et pures, elle peut se dire avec vérité que plus elle 
ressent son incapacité et ses misères, plus le Seigneur 
lui doit de secours. S'il l'a élevée en charge, ce n'est 
pas pour l'abandonner à ses seules forces et la perdre, 
mais pour la sauver avec ses filles. Dieu lui doit plus 
de grâces qu'aux simples sœurs et un jour, au Ciel, 
sa couronne sera plus belle. » 

C'était bien dans cet esprit que l'élue du Seigneur 



— 281 — 

entrait en charge en s'appuyant sur le secours et 
l'intercession de sa glorieuse patronne. 

Les exemples laissés par la vénérée Fondatrice 
lui donnaient confiance, les conseils de cette âme 
vaillante et généreuse unis à ceux de sa fervente 
cousine du Carmel étaient sa lumière. Aussi, Bonne 
Mère Marie-Thérèse arriva-t-elle à faire face à toutes 
les nécessités de l'heure présente et à préparer l'ave- 
nir de sa chère Communauté. Elle aimait à dire : « Le 
Bon Dieu ne nous demande pas de réussir, mais de 
faire notre devoir selon les lumières qu'il nous donne, 
avec l'intention de le bien servir. » « Sainte-Thérèse, 
disait-elle encore, m'obtiendra toutes les grâces dont 
j'ai besoin pour remplir, selon Dieu, les devoirs si 
importants du gouvernement, et toutes, animées du 
même désir, nous nous entraînerons, par les bons 
exempres, dans le chemin de la perfection religieuse. 
C'est une obligation pour chacune de nous d'y tendre 
de toutes ses forces, si nous voulons un jour avoir 
part au bonheur des saints. » 



Au mois de juin 1889, M. le chanoine Michel, 
vicaire général, venait poser la première pierre de la 
chapelle. Les travaux, poursuivis activement, per- 
mettaient à la Bonne Mère d'écrire à une sœur au 
commencement de septembre : « La chapelle est bien 
avancée : on doit commencer à couvrir le chœur ces 
jours-ci. Elle sera à peu près îuve quand vous revien- 
drez ; vous en serez bien heureuse. » 

A peine l'édifice était-il couvert que, le 27 mars 

tS 






282 



1890, les précieux restes de la Bonne Mère Fonda- 
trice furent transportés processionnellement du cime- 
tière à la chapelle. Une place d'honneur leur avait été 
réservée sous l'autel de la Sainte-Vierge (devenu 
l'autel de Saint- Joseph). C'est là, tout près de l'Hôte 
divin vers lequel Mère Marie de l'Immaculée soupirait 
sans cesse, que son corps, instrument de tant de tra- 
vaux entrepris pour la gloire de Dieu, attend l'heure 
de la résurrection, l'heure infiniment suave où il lui 
sera donné de précéder le cortège des vierges fidèles 
formées, par ses leçons et ses exemples, à la vie hum- 
ble et dévouée des filles de l'Immaculée-Conception ! 
C'est le jour de la Pentecôte de cette même année 
\ que M. l'abbé Piquet, aumônier, célébra pour 1s pre- 
mière fois la messe dans la chapelle neuve, sur l'autel 
de l'ancien oratoire. Quelques jours plus tard, les 
stations du chemin de la Croix étaient également 
transportées dans le nouveau sanctuaire qui fut con- 
sacré solennellement par Mgr, Lecoq, le 25 juin 
suivant. (1) 

Pour répondre à de nouveaux besoins, on construi- 
sit sur l'emplacement de l'ancienne chapelle un par- 
loir, une salle de réception au rez-de-chaussée, des 
chambres au premier étage et, au second, les dortoirs 
de Sainte- Thérèse et de Sainte-Anne. 

La divine Providence se plut à bénir les entreprises 



(Il Le 14 janvier 1894, en la fêté du Saint Nom do Jésus, devait 
être érigé le nouveau chemin de Croix, existant actuellement et le 
8 juin suivant, le R. P. Timothée, gardien des Récollets de Nantes, 
attachait a la chapelle l'indulgence de la Portioncùle. 



— 283 



de la zélée Supérieure qui comptait avec une si grande 
foi sur sa bonté infinie : « Ne vous faites pas de peine 
de notre détresse, écrivait Bonne-Mère Marie-Thérèse, 
c'est une ressemblance de plus avec Notre-Seigneur. 
Si nous sommes fidèles à son service, il ne peut nous 
abandonner, puisque dans sa grande miséricorde, sa 
Providence prend soin même du petit oiseau. » 

Les âmes généreuses remplissaient, en effet, la 
bourse des dévouées Sœurs quêteuses, qui allaient, 
réconfortées dans leur pénible mission par des paroles 
comme celles-ci : « Allons, bien chère fille, encouragez- 
vous par la pensée que votre emploi de quêteuse vous 
donne un grand trait de ressemblance avec Jésus, 
notre divin Sauveur. Il a parcouru la Judée pour 
sauver les âmes ; n'est-ce pas aussi pour gagner des 
âmes à son amour, pour le faire connaître et aimer 
des petites âmes que nous abritons, que vous faites 
généreusement le sacrifice de votre vie de Communau- 
té et que vous' allez, au prix de vos sueurs, réclamer 
le secours dont nous avons si grand besoin ? Comme 
Jésus aussi, vous serez tantôt bien reçue, d'autres 
fois rebutée... Que tout cela ne soit pas perdu : offrez 
vos fatigues, vos ennuis à ce divin Epoux de votre 
âme, et avec cela vous ferez une riche moisson pour 
l'éternité... Que le Bon Dieu accompagne vos pas ; que 
votre bon Ange les compte pour le Ciel !... » 

Et rappelant le secret de la force toute surnaturelle 
qui devait les animer, elle ajoutait : « Continuez à pra- 
tiquer cette vie d'union à Notre-Seigneur qui s'entre- 
tient par la communion spirituelle que vous aimez à 



— 284 — 

faire... Oui, aimons notre doux Jésus : tant d'autres 
l'offensent et l'oublient ! Qu'au moins, ses religieuses, 
ses âmes privilégiées le dédommagent et consolent 
son Cœur !... Que Notre-Seigneur vous embrase 
de plus en plus de son saint amour. Aimons Dieu par- 
dessus tout et que cet amour nous tienne lieu de 
tout ! » 

A cette grande âme. qui cherchait avant tout le 
royaume de Dieu et sa justice, était accordé le reste 
promis par surcroît. Au bout de deux ans, l'état de la 
Communauté s'améliorait sensiblement. Heureuse 
des résultats obtenus, la pieuse Carmélite en félicitait 
sa cousine : « Je suis bien aise, lui écrivait-elle, que 
votre Communauté continue à prospérer et même 
qu'elle augmente. » 



En cette même année 1890 fut fondée, vers la fin 
de l'été, la maison de Châleaubriant. Bonne-Mère 
Marie-Thérèse y conduisit d'abord trois Sœurs, 
dont Sœur Marie-Madeleine du Calvaire, qui s'ins- 
tallèrent tant bien que mal dans le vieux couvent de 
Saint-Sauveur de Béré. Une souscription, consentie 
par les habitants de la ville, devait assurer l'existence 
des Sœurs : deux d'entre elles s'occuperaient des 
malades pauvres, la troisième serait à la disposition 
des personnes désirant une garde-malade. Un peu 
plus tard, près du château de la Trinité, on acheta u-h- 
terrain et l'on bâtit la maison occupée actuellement 
par les Sœurs en Saint-Jean-de-Béré. 

L'installation des Sœurs, en leur maison toute 



— 285 — 

neuve fut l'occasion d'une fête intime, paisiblement 
joyeuse, lin poète, M. l'abbé Eugène Lehuic, célébra, 
en termes charmanls, cette fondation due à la protec- 
tion du chef de la sainte Famille. Fort justement, la 
nouvelle obédience était baptisée de ce beau nom : 
Saint-Joseph de la Trinité. Aussi l'auteur, en son 
poème, faisait-il dire au Seigneur entouré de ses 
Anges : 

Châteaubriant I... Les Sœurs, fidèles 
Au nid des premières amours, 
Y reviendront : les hirondelles 
Aiment leurs anciens nids toujours. 

L'a petite troupe zélée 

Va porter, sur un cœur vaillant, 

L'image de l'Immaculée 

Par la cité des vieux Briend. 

Ces Sœurs iront près de l'infirme 
S'asseoir, pleines de dévoûment ; 
Et chacune aura, je l'affirme, 
Comme le Christ, un cœur aimant. 

Les murs de l'ancien monastère 
Les abriteront quelque temps ; 
Mais, tout proche, est un coin de terre 
Oui les voudrait depuis longtemps... 

Auparavant, combien d'obstacles 1 
Il faut le payer, ce terrain !... 
Saint Joseph fera des miracles, 
Car son pouvoir est souverain. 



Son image sera cachée 

Par une sœur dans un buisson ; 

Le Saint aura l'âme touchée 

Et les Sœurs auront leur maison. 



286 — 

Pour partager leur allégresse. 
Mère Thérèse de la Croix 
Accourra, pleine de tendresse, 
Vers cet asile de son choix... 

Puis les Sœurs elles-mêmes, par la lyre du poète, 
disaient leur gratitude à l'un de leurs bienfaiteurs 
de la terre. Comment, en effet, à pareil jour, auraient- 
elles pu oublier le vénéré Pasteur de Saint Jean de 
Béré, M. l'abbé Dautais, ce prêtre de haute taille 
et surtout de grand cœur qui devait passer tant d'an- 
nées encore en sa paroisse aimée ? 

Bon Pasteur 1 Si mon âme est pleine 
Aujourd'hui du plus pur bonheur, 
Il fut si longtemps à la peine ! 
Il a le droit d'être à l'honneur... 

Infatigable, 

Son zèle aimable 
Nous a bâti ce nid charmant. 

S'il se dépense, 

Sa récompense 
Egalera son dévoûment. 

La Bonne Mère avait voulu que Saint Joseph devint 
le gardien et le protecteur de la fondation castelbrian- 
taise. D'ailleurs, en digne filleule de sainte Thérèse, 
elle avait voué à ce saint Patriarche, une dévotion 
toute spéciale. « Redoublez d'instance auprès du bon 
Père Saint Joseph, disait-elle à ses religieuses. Que 
ce grand saint nous obtienne avant tout d'aimer Jésus 
à son exemple... Et qu'avec cela il nous procure tous 
les secours temporels nécessaires à notre petite Com- 
munauté. » 



— 287 — 



L'établissant son grand pourvoyeur, elle attachait 
encore au cou de sa statue une petite bourse avec 
cette inscription : « Bon saint Joseph, donnez-nous 
de l'argent. ». Cette requête perpétuelle, placée sur 
un rayon de la bibliothèque de la Bonne Mère, tou- 
chait les visiteurs, et la bourse de Saint Joseph se 
remplissait vite. 

Elle disait encore : « Demandons à Saint Joseph 
d'aimer comme lui le divin Jésus, de l'aimer sans 
alliage, de toute l'ardeur de nos cœurs. Avec cela, 
nous serons assez riches. » 

Après sa mort, la prière suivante fut retrouvée, 
écrite de sa main, dans ses notes intimes : 

« Bon Père Saint Joseph, je ne suis qu'une pauvre 
misérable, et pourtant je voudrais tant faire aimer et 
glorifier votre divin Fils adoptif par toutes les âmes 
de cette maison I Ecoutez donc mes demandes en 
ce jour. Obtenez-moi, bon Père, la grâce d'aimer de 
plus en plus votre Jésus ; de tout faire pour son amour 
sans recherche aucune de moi-même ; la victoire sur 
l'ennemi de mon âme et que jamais je ne contriste 
volontairement le Bon Dieu. 

« Obtenez, pour toute la Communauté, l'union des 
cœurs dans une sainte charité, l'esprit intérieur, 
l'amour du silence, afin que tous ses membres tra- 
vaillent à la perfection que vous demandez de cha- 
cune, et qu'animées d'un grand esprit de foi, nous 
puissions glorifier Dieu dans nos œuvres et lui gagner 
des cœurs par le bon exemple de toutes les vertus 
religieuses. 



— 288 -- 

« Bon Père, j'abandonne à votre paternelle direc- 
tion mon âme et toutes celles qui me sont confiées, 
celles de toute ma famille. Veillez sur nous, dirigez- 
nous : soyez en un mot notre Père et, après cet exil, 
conduisez-nous au divin séjour ; qu'avec vous, nous 
puissions louer, aimer Jésus pendant toute l'éter- 
nité ! » 

Le saint Patron de la bonne mort devait en obtenir 
la grâce à de nombreuses filles de l'Immaculée. Beau- 
coup devancèrent en effet leur Bonne Mère dans la 
céleste Patrie, et si tant d'oeuvres entreprises de son 
temps pour la gloire de Dieu et le salut des âmes réus- 
sirent au-delà de toute espérance, c'est que sans 
doute ces âmes, trop tôt moissonnées, leur attiraient 
de là-haut par leurs prières les divines bénédictions. 



De ces âmes fut assurément Sœur Marie-Ursule de 
la Nativité, cinquième compagne de la vénérée Fon- 
datrice. Elle était entrée au vieux Château, le 10 sep- 
tembre 1857, sous les auspices du Père Sébastien 
(M. l'abbé Colin), alors Supérieur. 

Religieuse exemplaire, sa vie se dépensa tout 
entière au service de sa chère Communauté, soit près 
des orphelines, soit dans le soin des malades, soit 
enfin dans ses quêtes à travers Paris où elle accompa- 
gnait Sœur Marie- Thérèse de Jésus. 

Ame profondément intérieure et recueillie, Sœur 
Ursule trouvait bien pénible, comme sa pieuse com- 
pagne, cette vie voyageuse, si différente de la vie 
calme. et cachée de la Haye. Aussi Bonne Mère, qui 



— 289 — 

connaissait bien les pensées de sa chère fille, poûvait- 
elle lui écrire : « Vous voilà donc dans ce grand bruit 
de la Capitale qui doit vous faire apprécier votre soli- 
tude de la Communauté. — Au revoir, ma chère fille, 
que mon bon ange vous porte mon affection. — Don- 
nez-moi de vos chères nouvelles. » 

Une mutuelle sympathie unissait ces âmes géné- 
reuses si bien faites pour se comprendre. 

« Faites donc une petite apparition dans ma 
chambre, écrivait encore la Révérende Mère. Que de 
choses je vous demanderais I Que de choses aussi 
j'aurais à vous dire 1 Mais nous n'avons point la 
vertu de saint Antoine de Padoue, qui se fit voir en 
deux villes à la fois. Du moins, de demain en huit, 
la fête du Saint Rosaire nous réunira aux pieds de 
notre Bonne Mère du Ciel et, d'un même cœur, nous 
lui redirons avec anïour : Ave Maria !... 

« Votre affection, ma bonne chère fille, m'est tou- 
jours bien précieuse... Que Jésus vous bénisse I » 

En retour de ces témoignages de maternelle solli- 
citude et de profonde affection, Sœur Ursule avait 
pour sa Mère bien-aimée la vénération la plus pro- 
fonde. Quel sacrifice de la quitter très malade pour 
obéir à ses derniers ordres ; mais il fallait quêter 
encore pour la chapelle, objet de ses vœux suprêmes 1 

Si grand était le respectueux attachement inspiré 
par la vénérée Fondatrice à sa première fille, que la 
dépêche rappelant Sœur Thérèse de la Croix et Sœur 
Ursule près de leur mère agonisante causa à celle-ci 
un tel saisissement qu'elle fut frappée d'une attaque 






— 290 — 

de pâYalysie. Une deuxième attaque survint le 10 sep- 
tembre 1890. C'était le signe avant-coureur d'une fin 
que personne cependant ne regardait comme si pro- 
chaine. Vaillante jusqu'au bout, la pieuse organiste 
continua d'accompagner les offices. 

Un dimanche matin, comme elle se rendait péni- 
blement à la tribune de l'orgue, elle ne put retenir 
ce cri qui fut entendu par une de ses compagnes : « Oh! 
mon cœur ! » Quelques instants plus tard, au com- 
mencement de la grand'messe, elle s'affaissait, 
frappée d'une troisième attaque. Elle vécut encore 
quelques semaines, édifiant toutes ses sœurs par sa 
patience et sa résignation, et, le 27 mai, elle s'éteignit 
pieusement dans sa cinquante-cinquième année, en 
ce mois dédié à la Très Sainte Vierge qui avait reçu 
les prémices d'une vie entièrement consacrée à son 
service pour la gloire de Dieu. 



Le Ciel manifesta de nouveau sa protection en 
maintes circonstances, particulièrement au mois de 
juillet 1891, où éclata un incendie dont les consé- 
quences auraient pu être désastreuses : 

« Ma bien chère fille, écrit la Bonne Mère Marie- 
Thérèse à l'une de ses sœurs en garde auprès d'un 
malade, je ne puis vous écrire que quelques mots. Je 
suis sous l'impulsion d'un grand malheur. Nous avons 
eu le feu chez le père Mathurin ; le pauvre bonhomme 
a péri au milieu des flammes ; tout a disparu de ses 
trois chambres. Et encore la Sainte Vierge nous a 



— 201 — 

bien protégées : nous avons jeté dans l'incendie des 
scapulaires, qui ont été retrouvés intacts le lende- 
main, et la flamme s'est arrêtée aussitôt. Sans cela, 
nous étions menacées de voir disparaître notre remise, 
le foin qui touche à ce corps de bâtiment ; d'autant 
plus que le vent nous était contraire et faisait 
craindre de plus grands malheurs. Remercions donc 
Marie, notre bonne Mère, de nous avoir gardées, 
et priez pour le pauvre bonhomme. 

« Allons, ma chère fille, courage ; oui, faisons de 
notre mieux, nous abandonnant entre les mains de 
notre bon Maître, faisons tout par amour et pour sa 
plus grande gloire... Que Jésus et Marie vous bénissent 
et vous conservent, vous et votre compagne, dans 
leur saint amour. Priez pour moi, j'en ai grand besoin 
dans cette triste circonstance. » 

L'incendie, ayant éclaté à l'entrée de la nuit, pro- 
jetait une lueur sinistre qui fut aperçue des habitants 
de Saint-Etienne. Ceux-ci, M. le Curé à leur tête, 
s'empressèrent de venir offrir leurs bons offices. 

La Vierge Immaculée qui avait éteint les flammes 
de l'incendie menaçant, manifestait encore par un 
grand prodige la bienveillante protection dont elle 
entourait ses chères filles. L'une d'entre elles, Sœur 
Marie-Emilienne, transportée mourante à Lourdes, 
fut guérie aux piscines miraculeuses pendant le 
pèlerinage d'août 1891. 



En 1892, tout en offrant ses vœux de nouvel an 
à Sa Grandeur Mgr Lecoq, Bonne Mère Marie-Thé- 



— 292 — 

rèse lui avait demandé de bien vouloir accorder à la 
Communauté, en guise d'étrennes, la précieuse 
faveur de la procession du Saint-Sacrement au jour 
de la Fête-Dieu. Le pieux évêque agréa la requête 
ainsi présentée. Le 16 juin de cette même année, la 
famille de l'Immaculée-Conception avait le bonheur 
de pouvoir rendre ses hommages solennels à Jésus- 
Eucharistie, porté par M. le curé de Saint-Etienne, 
sous un dais confectionné par les religieuses elles- 
mêmes. 



Quelques jours avant, le 13 juin, Sœur Marie- 
Alphonse et Sœur Marie-Rogatienne partaient pour 
la Digue, en Saint-Nicolas de Redon, et s'installaient 
dans un local béni par M. le Curé, le 2 juillet, en pré- 
sence de la Bonne Mère. Cette fondation, dont il 
avait été question dès le 26 mai 1888 et dont la véné- 
rée Mère Marie de l'Immaculée-Conception disait : 
« Prions, mes enfants, et attendons », débutait, 
comme elle l'avait souhaité, dans la plus grande' 
pauvreté. Les Sœurs mancpièrent parfois du néces- 
saire, mais toujours elles s'abandonnèrent aux soins 
de la divine Providence, qui suscita de généreux 
dévoûments parmi leurs charitables voisins. 

Le 15 juin 1894, la maison était transférée à Redon 
même, rue du Châtelet, où elle existe actuellement. 
Dès le début, grâce au concours du pieux et zélé 
curé de Saint-Sauveur de Redon, M. le chanoine 
Renaud, plus tard vicaire général de Rennes, elle 
put avoir la faveur inestimable de posséder un ora- 



293 



loirc où, bientôt, le saint Sacrifice était célébré et 
le chemin de croix érigé. Cette maison, aujourd'hui 
si florissante, reçoit des dames pensionnaires et 
compte un bon nombre de Sœurs gardes-malades 
qui sont appelées à donner leurs soins dans le dépar- 
tement et les régions voisines. 

En cette même année 1892 furent réalisées deux 
autres fondations. Deux chirurgiens de Nantes ayant 
loué, rue Bonne-Louise, une maison pour recevoir les 
malades dont l'état nécessitait une opération, deman- 
dèrent, pour les veiller et les soigner, des religieuses 
tic l'Immaculée-Conception. Trois Sœurs furent 
d'abord envoyées là, sous la direction de Sœur Marie- 
Philomène. Ce nombre augmenta peu à peu — elles 
sont aujourd'hui une douzaine — quand la nouvelle 
clinique fut transférée rue de la Bastille. 



Le zèle de la Bonne Mère pour le soulagement des 
pauvres malades ne lui faisait point oublier les âmes. 
('.elles de ses chères orphelines et des enfants confiés 
à ses soins demeuraient l'objet de ses principales 
sollicitudes. 

Recueillis quelque temps à la Communauté, diri- 
gés avec un admirable dévoûment par le pieux 
Aumônier, dont ils étaient les choristes, ces pauvres 
petits conservaient un souvenir inoubliable des 
jeunes années écoulées dans la maison de la Vierge 
Immaculée. Leur reconnaissance et leur fidélité aux 
bons principes reçus se révèlent en des lettres comme 
.celle-ci : 



— 294 — 

« Du matin au soir, on n'entend que blasphèmes, 
chansons immorales. Ah f où est-elle la Haye-Mahéas, 
où la vie est si paisible I... 

« Cette belle devise du fantassin breton nous 
entraîne malgré nous, car il est écrit que le fantassin 
breton ne doit jamais rester en route. 

« Ma bonne Mère, je vous remercie de l'accueil 
que vous m'avez fait et de "l'hospitalité que vous 
m'avez donnée pendant les quelques jours que j'ai 
passés chez vous. J'ai été heureux de vous rcvoiT et 
su/tout de vous trouver en bonne santé ! Je vous 
quitte, ma bonne Mère, car il est bientôt l'heure de 
la Messe. » 

Précieux encouragement auquel venaient parfois 
s'en ajouter d'autres. 

« Jeudi dernier, 8 septembre, écrivait Mère Marie- 
Thérèse, avait lieu à la Communauté le baptême 
d'une petite protestante de huit ans que nous avions 
depuis quelque temps. Je suis sa marraine ! » 

Un charme de plus s'ajoutait ainsi pour elle à la 
belle fête de la Nativité de Marie. 

Au mois d'octobre suivant, des Sœurs, sous la 
conduite de Sœur Saint-Charles, allaient également 
s'établir à Bellou-en-Houlme, diocèse de Séez, pour 
soigner les malades à la campagne et tenir un dispen- 
saire. Elles n'y restèrent que dix ans. 



Les préoccupations de la terre ne détournaient pas 
les regards de la pieuse Supérieure de la céleste 



__ 295 — 



Patrie, où sa pensée suivait celles que le Bon Dieu 
y appelait. Elle écrivait en novembre 1892 : « Je ne 
sais si vous avez appris la mort de notre petite 
Monicpie. C'est un ange pour le Ciel. Ce matin, Sœur 
Marie-Agathe est très fatiguée ; je crois, bien qu'elle 
ne tardera guère non plus à prendre son vol vers la 
Patrie. Qu'elles sont heureuses ! Allons ! nous mar- 
chons, nous aussi, vers le terme. Chaque jour nous 
en rapproche ; pensons-y sans chagrin, mais avec le 
désir de nous perfectionner de plus en plus, afin 
d'être trouvées dignes, nous aussi, d'entrer en ce 
séjour où régnent l'amour et l'éternelle paix. « 

Bientôt allait partir pour cette patrie d'en-haut le 
zélé directeur de l'œuvre des gardes-malades, le bon 
et vénéré Supérieur, M. le chanoine Gainai. Il s'en- 
dormit dans le Seigneur le 3 septembre 1893, assisté 
de son neveu M. l'abbé Clavier, actuellement cha- 
noine et curé de Saint-Nicolas de Châteaubriant. La 
Communauté perdait en lui un père dévoué et la 
Bonne Mère un conseiller prudent, un ferme appui. 

Dès sa première visite, après sa nomination de 
Supérieur, il manifestait son bonheur de se dévouer 
à l'œuvre de l' Immaculée-Conception, disant à la 
Bonne Mère Fondatrice et à ses filles, réunies pour 
le recevoir : « Vous venez de faire un bien triste héri- 
tage dans le pauvre vieux que je suis. Cependant, je 
ne veux pas dissimuler la joie que j'ai ressentie lorsque 
Monseigneur m'annonça cju'il me nommait Supérieur 
d'une Congrégation placée sous le vocable de l' Im- 
maculée-Conception. Ce. titre de Marie m'est très 









— 296 — 



cher. Cette céleste Mère ne peut manquer de bénir 
tout spécialement des âmes qui s'obligent à l'hono- 
rer et servir sous le beau titre d'Immaculée, le plus 
cher à son cœur. » 

D'un dévoûment et d'une bonté à toute épreuve, 
d'un abord facile, il recevait ses chères filles de l'Im- 
maculée avec toute l'affection d'un père, les accueil- 
lant avec sa constante bonne humeur et son sourire 
paternel, leur ménageant toujours un plaisir, une 
agréable surprise, véritable réconfort au milieu des 
multiples épreuves de Ta vie d'une garde-malade. Sa 
parole claire et précise traçait la voie à suivre sans 
qu'il fût possible de douter encore après l'avoir 
entendue. Non seulement ses conseils et son affection, 
mais de plus son influence et même sa bourse furent 
mis au service de la Communauté, souvent d'une 
façon toute providentielle. 

Les sentiments de son cœur se traduisaient dans ses 
discours et ses lettres. En janvier 1883, répondant 
aux vœux qui lui étaient adressés, il s'exprimait 
ainsi : « Je vous remercie bien sincèrement de vos 
bons souhaits pour l'année qui commence, si pleine 
de sombres nuages ; après tout, il n'arrivera que ce 
que le Bon Dieu voudra. Adorons sa sainte Volonté 
et soumettons-nous-y. Quoi qu'il arrive, religieuse- 
ment parlant, l'année peut être bonne si nous le 
voulons. Que chacun de nous fasse ce que Dieu nous 
demande ; acceptons avec simplicité les joies et les 
peines en disant toujours : Que la volonté de Dieu 
soit faite... 



297 — 



> Travaillons à former en nous le véritable esprit 
religieux, c'est-à-dire l'esprit d'abnégation, de renon- 
cement à sa propre volonté ; il faut arriver à l'état 
des premiers chrétiens pour qu'on puisse dire de 
vous : elles n'ont plus qu'un cœur et qu'une âme ! 
Oh ! alors, comme Dieu abaissera avec complaisance 
son regard sur cette petite Communauté naissante 
et comme votre Mère Immaculée'vous aimera. » 

La visite de Mgr Lecoq, apportant à ses chères 
filles leur Règle approuvée, combla de joie l'âme du 
vénérable prêtre. N'était-ce pas la récompense des 
encouragements prodigués à la pieuse Fondatrice de 
l'Immaculée dans son labeur pénible, mais plein de 
•féconde espérance pour l'avenir de sa Congrégation ? 
De plus en plus, le bon Père s'intéressait à sa chère 
famille spirituelle : « Je n'oublie point notre chère 
Congrégation, écrivait-il un peu plus tard ; j'ai 
déposé dans la Crèche, aux pieds de Jésus et de sa 
Mère, tous les vœux de mon cœur de père pour le 
bonheur et la prospérité de la Communauté. 

« Rappelez-vous souvent, mes chères filles, la 
parole que Jésus a dite à tous en venant sur la terre, 
mais qui s'adressait surtout aux religieuses : « Je ne 
« suis pas venu pour faire ma volonté, mais celle de 
« Celui qui m'a envoyé. » N'oubliez pas l'esprit de 
l'Eglise dans l'institution des Congrégations reli- 
gieuses : continuer l'œuvre d'expiation, de satisfac- 
tion envers la justice divine, pour tous les péchés qui 
se. commettent, aujourd'hui surtout où le monde, en 
révolte contre Dieu, pousse le cri des Juifs : « Nous 

"J 



— 298 — 

« ne voulons pas qu'il règne sur nous ! » Il faut vous 
écrier avec saint Michel : « Qui est semblable à 
« Dieu ? » et combattre avec lui de toutes vos forces, 
afin de faire rentrer dans l'enfer les démons qui par- 
courent le monde pour perdre les âmes.- En recon- 
naissance du bienfait de votre vocation religieuse, 
soyez avec Jésus les victimes de la justice divine. 

« Enfin, mes chères filles, prenez votre Imitation 
de Jésus- Christ, lisez le 47« chapitre du 3<= livre; 
prénétrez-vous de tout ce que vous y trouverez et • 
vous ne vous découragerez jamais. » 

M. le chanoine théologal Brelet, réputé dans le 
diocèse pour sa science, fut nommé par Mgr -Laroche, 
promu depuis peu à l'évêché de Nantes, pour occu- 
per la charge du prêtre regretté qui, pendant douze 
ans, s'était dépensé sans trêve pour la gloire de la 
Vierge Immaculée et le bien de sa chère Commu- 
nauté. 

Nulle plus que Bonne Mère Marie-Thérèse ne fut 
affectée par l'épreuve, mais son âme vaillante, forti- 
fiée par la grâce, -savait porter généreusement toutes 
les croix. Ne prenait-elle pas pour elle-même, tout 
d'abord, les conseils qu'elle adressait à ses sœurs : 
« Ne voyez en tout que le bon plaisir du Bon Dieu ; 
vous savez que rien n'arrive sans son ordre ou sans 
sa permission. Veuillez donc tout ce qu'il veut : c'est 
le plus sûr moyen de lui prouver votre amour. » 

Ce fut dans ces généreuses dispositions qu'elle 
accepta l'expression de la volonté divine dans sa réé- 






299 



lection, pour cinq nouvelles années, le 24 mai 1894. 
Elle était soutenue, d'ailleurs, dans la voie austère 
du devoir d'état, par l'exemple de sa céleste Mère, 
la Vierge du Perpétuel Secours : « Marie est parve- 
nue au Ciel à travers les peines, les humiliations, 
disait-elle ; marchons à sa suite. S'il nous faut lutter, 
aussi nous, et oombattre, soyons vaillantes : à la fin 
de cette vie, nous aurons part à son triomphe. Conti- 
nuez à fixer vos regards intérieurs sur ce saint modèle 
et demandez pour nous et pour toutes nos sœurs que 
nous marchions sans faiblir à la suite de cette grande 
Reine, pour qu'un jour nous soyons admises à la 
contempler dans la gloire. » Et, laissant deviner lu 
secret de sa force d'âme, elle s'écriait : « La croix est 
douce aux cœurs qui aiment, parce que plus on 
souffre avec Jésus, plus on se sent près de son cœur. » 
« Tout pour Dieu, sous le regard de Dieu, par 
amour pour Dieu, s'écriait-elle encore, et nos jour- 
nées seront bien remplies. » 



Ces journées bien remplies étaient fécondes pour 
la gloire de Dieu et le salut des âmes : de nouvelles 
fondations vinrent bientôt, en effet, solliciter le zèle 
de la Bonne Mère. 

Dans ce même mois de mai fut fondée la maison 
du Pouliguen, destinée à recevoir des pensionnaires 
convalescentes ou bien portantes désireuses de faire 
un séjour au bord de la mer. Un grand nombre déjà 
s'adressaient à la si dévouée Sœur Marie de la Misé- 
ricorde. 







— 300 — 

« Ces jours-ci, écrivait la Bonne Mère, j'étais au 
Pouliguen, où nous avons- loué un chalet pour la sai- 
son ; c'est le chalet Ker-Marie-Louise, qui se trouve 
dans les pins, face à la mer. Xos sœurs recevront des 
pensionnaires... Nous aurons Monseigneur en juillet, 
le 18... J'espère que les Sœurs partiront pour Champ- 
toceaux dans le courant de mai. » 

En effet, le 8 mai 1895, elle-même allait conduire 
plusieurs de ses filles à Champtoceaux, ce gracieux 
bourg de l'Anjou dont le coteau surplombe la Loire. 
Elle les installa dans une maison préparée pour rece- 
voir des pensionnaires âgées, convalescentes ou 
infirmes. De plus, une des Sœurs devait visiter les 
malades à domicile, comme l'avait demandé M. l'abbé 
Louis Chetou, curé de Masscrac. En reconnaissance, 
la maison fut nommée « la Retraite Saint-Louis ». 

Cette fondation, commencée dans la plus grande 
pauvreté, prospéra bientôt, grâce au zèle et à l'ini- 
tiative de Sœur Marie-Anselme, nommée Supérieure, 
et à la bienveillante protection de M. l'abbé Fron- 
leau, curé-doyen de Champtoceaux, heureux de pos- 
séder sur sa paroisse une colonie des Sœurs de l'Im- 
maculée. 

Aucune fatigue ne coûtait à la Bonne Mère lors- 
qu'il s'agissait des intérêts de Dieu. « Nous sommes 
bien heureuses, écrivait-elle, de pouvoir nous dépen- 
ser pour notre divin Maître et de verser nos sueurs 
pour Celui qui a bien voulu répandre tout son sang 
pour notre amour. Demandons au Bon Dieu de bénir 



301 



nos œuvres. Que tout ce que nous entreprenons soit 
pour sa plus grande gloire. 

« J'aime à parler de ce bon Maître avec mes chères 
filles, afin qu'ensemble nous travaillions à l'aimer et 
à le l'aire connaître : c'est notre lot. Que nous sommes 
heureuses d'avoir été choisies pour cela I Soyons de 
plus en plus fidèles à sa grâce et correspondons de 
notre mieux à ses paternelles avances ! » 



La fidélité de la pieuse Supérieure attirait les béné- 
dictions divines sur la Congrégation, qui voyait 
croître lu nombre des aspirantes désireuses de parta- 
ger sa vie de zèle et de dévouement. 

Malgré la construction d'un nouvoau corps de bâti- 
ment, en 1890, la maison demeurait encore trop petite 
pour contenir toutes les Sœurs. Le réfectoire, amé- 
nagé dans la chambre d'un ancien fermier du château 
de la Haye-Mahéas, était de dimensions trop exi- 
guës ; de plus, il était humide, par suite du voisinage 
de la basse-cour. Les cuisines elles r mêmes se trou- 
vaient insuffisantes. 

La Règle voulait aussi que les Novices fussent 
entièrement séparées de la Communauté, sous la 
direction de leur Maîtresse, ce qui n'avait pu exister 
jusque là, faute d'un local convenable. Il était donc 
urgent d'édifier une aile nouvelle. La Bonne Mère 
Marie-Thérèse put en venir à bout. Pour le nieubler, 
les ressources étaient à peu près nulles. M. le cha- 
noine Brelet, supérieur, conseilla de s'adresser à 
saint Antoine de Padoue et de promettre une messe 




302 — 



pour chaque somme de mille francs qu'il enverrait. 
Le grand saint fut si bon banquier que les cuisines 
du sous-sol, le réfectoire du rez-de-chaussée, le novi- 
ciat du premier étage, les dortoirs du second, purent 
être aménagés dès le mois d'août 1897. Les travaux 
de construction n'avaient duré qu'une année. 

Ainsi se réalisait la promesse faite par la Prieure 
du Carmel, vraiment inspirée du Ciel, lorsqu'elle 
écrivait à sa cousine : « Cherchant la gloire de Dieu 
et non la vôtre, ce divin Maître sera avec vous et il 
fera même ce qui semble aujourd'hui impossible. » 

L'année suivante, les directeurs des Forges de 
Fourchambault, dans la Nièvre, s'adressèrent à la 
Communauté pour obtenir des Sœurs qui donneraient 
leurs soins aux ouvriers malades et tiendraient une 
petite pharmacie à leur service. Deux Sœurs s'y ren- 
dirent d'abord, puis une troisième et, enfin, une qua- 
trième, jusqu'en 1901. 

Tandis que le Père de famille appelait ainsi de 
nouvelles ouvrières à sa vigne, à l'une d'entre elles, 
dont le dévoûment s'était exercé dès la première 
heure, il accordait le denier promis dans l'Evangile. 

En 1899, s'éteignait Sœur Marie-Madeleine de la 
Sainte-Baume (Madeleine Hégron, de Vertou), pre- 
mière Supérieure de là maison d'obédience de Nantes. 
Elle s'était consacrée longtemps aux quêtes faites en 
cette ville. Comme elle était heureuse de rapporter à 
sa Bonne Mère Fondatrice, qu'elle vénérait, le fruit 
de courses fatigantes accomplies parfois au péril de 



303 



sa vie ! Ce fut, en effet, un accident de voiture, sur- 
venu au cours de ses pérégrinations, qui lui fit con- 
tracter la pénible maladie dont furent affligées ses 
dernières années. 

Par une grâce- de la miséricorde divine, les terreurs 
que lui causait,' pendant sa vie, la pensée de la mort, 
s'évanouirent à ses derniers instants et elle s'endor- 
mit paisiblement dans le Seigneur, le 13 juillet, dans 
sa soixante-quinzième année. 



Le 24 mai 1899, s'achevait pour la Mère Marie- 
Thérèse la deuxième période de son supériorat. Une 
fois encore, les suffrages de ses Sœurs, interprètes 
des désirs d'en haut, la réélurent pour cinq ans. 
Quelle autre pouvait mieux tenir le gouvernail que 
cette âme généreuse qui s'écriait : « Soyons les vic- 
times du Cœur de Dieu ; sacrifions-nous entière- 
ment à son bon plaisir ! » A elle aussi ne pouvait-on 
pas appliquer les paroles qu'elle-même avait adres- 
sées naguère à l'une de ses filles : « C'est l'obéissance 
qui vous a placée là. Le Bon Dieu ne peut donc 
manquer de vous assister de sa grâce et de ses 
lumières. Faites toutes vos actions en vue de Dieu, 
pour sa gloire, et tout servira à votre bien. Aimons, 
aimons le Bon Dieu par dessus tout, et, quoi qu'il 
arrive, soyons à Lui uniquement. 

A la même époque, Mgr Rouard, qui avait succédé 
à Mgr Laroche sur te siège épiscopal de Nantes, agréait 
la démission de M. le chanoine Brelet, absorbé par ses 
fonctions de théologal, et demeurait lui-même, pen- 




— 304 — 



dant un an, Supérieur de la Congrégation. La Bonne 
Mère remerciait Sa Grandeur en ces termes : 

« Je viens humblement vous témoigner ma recon- 
naissance et celle de nos Sœurs : Votre Grandeur a 
bien voulu, malgré ses occupations, se charger du 
soin de notre Communauté. Nous en bénissons le 
Bon Dieu et Le prions d'accorder à notre saint 
Evêque, qui se fait notre Père, les grâces les plus 
abondantes. Nous implorons aussi pour Votre Gran- 
deur la faveur d'une bonne santé, heureuses de 
témoigner ainsi notre gratitude à ce bon Pasteur qui 
se dépense pour sas plus petites brebis. » 

Cependant, le dévoué Prélat se trouvait parfois 
dans l'impossibilité de s'acquitter de ses fonctions. 
C'est pourquoi, le 27 septembre 1900, il conférait 
à M. l'abbé Blatier, curé de Saint-Etienne-de-Mont- 
Luc, le titre de Supérieur ecclésiastique de la Com- 
munauté. Sa Grandeur écrivait à la Bonne Mère : 

« Ma très chère Fille, 

« Dans l'impossibilité où je me trouve d'aller à 
Saint-Etienne, je prie M. le Curé d'entrer sans retard 
en fonctions et de vous offrir son concours à titre 
de Supérieur. 

« Veuillez informer vos Sœurs de sa nomination, 
en les assurant de mon dévoûme'nL Si j'avais pu 
vous donner librement, et autant que besoin, mes 
soins personnels, j'aurais été heureux de le faire, je 
vous le redis. » 

Loin de se désintéresser de ses chères filles de 



— 305 — 

l'Immaculée, le bon Pasteur continuait à leur donner 
les marques de sa paternelle bienveillance, ainsi qu'il 
advint au moment d'une épreuve qui fut bien dou- 
loureuse pour le cœur de la Bonne Mère : la mort de 
sa cbère Assistante, de celle qui avait été si longtemps 
son bras droit et comme une autre elle-même, Sœur 
Anna de l'Enfant Jésus, maîtresse des Novices. 
Entrée en religion le même jour que sa vénérée Supé- 
rieure, cette fervente religieuse en avait partagé tous 
les soucis, toutes les épreuves. Quel vide immense 
laissait sa disparition ! 

Monseigneur s'empressa de témoigner sa sympa- 
thie à la Mère et aux Filles de la regrettée défunte, 
toutes si profondément affligées : « Avec vous, écri- 
vait Sa Grandeur, le 21 juillet 1901, je prie Dieu pour 
le repos de son âme. Vous avez été toutes consolées 
par sa fin édifiante et les grâces dont elle a été com- 
blée à sa dernière heure. Que la divine Bonté en soit 
louée ! » 

Pour remplacer Sœur Anna de l'Enfant Jésus en 
ses "deux emplois si importants, les suffrages des reli- 
gieuses, qui reçurent l'approbation de Monseigneur, 
désignèrent Sœur Marie-Agnès comme assistante, et 
Sœur Marie-Anselme, précédemment Supérieure de 
Champtoceaux, comme maîtresse des novices. 



Avant de se séparer, le Chapitre apporta quelques 
modifications aux Constitutions. La plus importante 
fut la fusion des Sœurs de l'instruction et des Sœurs 
coadjutrices. Jusqu'alors, elles avaient formé, même 




306 — 



extérieurement, deux catégories distinctes. Le cos- 
tume religieux devint le même pour toutes. De plus, 
l'office de l'Immaculée-Conception, obligatoire pour 
les seules Sœurs de l'instruction, le fut désormais pour 
les coadjutrices elles-mêmes. Dès lors, on ne fit plus 
de distinction qu'entre les Sœurs de chœur et les 
Sœurs converses, celles-ci en petit nombre. 

Cette décision prise, Bonne Mère pouvait dire : 
« Que nous n'ayons toutes qu'un cœur et qu'une âme 
pour louer et glorifier notre bon Jésus et sa sainte 
Mère ! Que ce soit là notre unique désir ! Deman- 
dons-en la réalisation à Notre-Dame du Saint- 
Rosaire, si riche en miséricordes, pour nous, pour les 
autres, pour l'Eglise entière. Marchons dans la voie 
qui conduit au Ciel, la vie ne nous a été prêtée que 
pour cela. » (1) 



De douloureux événements, hélas ! assombris- 
saient alors l'horizon de l'Eglise de France. Les mai- 
sons religieuses étaient menacées, semblait-il, plus 
que jamais. Malgré tout, la Bonne Mère invitait ses 



(1) Cette maxime familière aux saints avait été mise en pratique 
par une religieuse rappelée à Dieu le 24 jui* 1902, Sœur Marie-Made- 
leine nu Calvaire (Jeanne-Marie- Virginie Durand, de Héric). Sim- 

nin't/'t iî mi ' f ité ' ° b f lssance > amour de sa Règle et de sa Commu- 
nauté telles furent les vertus de cette Sœur qui embauma tout en 
restant petite et cachée, comme l'humble violette. Sa douce aménité 
son esprit de charité inspiraient la confiance. Son dévouement inlas- 
de In , S „fn' Ça d 'f b ° rd k Saint - Sa »veur de Béré, puis à la clinique 
de la me Bonne-Louise, et enfin à l'aumonerie de la Maison-Mère. 
adm^T.l 6 d ^. doul 1 oureuses i«"rmités, elle souffrait avec une patience 
»feTe™„; h f T 1 ' S ° n COUlage ' sa ''^gnation. Elle s'endormait 
Pieusement dans le Seigneur, emportant l'estime universelle, laissant 
à toutes, comme un précieux héritage, le souvenir d'une vie religieuse 






307 



Filles au courage et à la confiance : « Quelle que soit 
l'épreuve, s'écriait-elle, soyons fermes et marchons 
à la suite de Jésus. Il a versé son sang pour nous ; lui 
refuserions-nous le nôtre ? Soyons à Lui, quoi qu'il 
arrive ! Ayons confiance en Lui ; prions-Le de nous 
faire miséricorde et de rendre la paix à notre pauvre 
France, le triomphe à l'Eglise. » 

En ces années d'angoisse, les cérémonies si tou- 
chantes et si belles de la vêture et de la profession se 
firent sans éclat, comme voilées de deuil, de recueil- 
lement et de silence. Mais, plus suppliantes que 
jamais, les prières s'élevaient vers le Ciel pour obte- 
nir la fin de la tourmente anti-religieuse. 

Le pieux aumônier de la Communauté, M. l'abbé 
Piquet, qui depuis quinze années s'y dévouait avec 
un zèle infatigable, était profondément affecté de 
toutes ces tristes choses : sa santé même subissait le 
contre-coup de ses préoccupations, au point qu'il 
avait fallu demander un prêtre auxiliaire à l'admi- 
nistration diocésaine. M. l'abbé Averty, originaire de 
Saint- Jean-de-Boiseau, avait été envoyé pour le sou- 
lager. Or, au moment où s'achevait la retraite de 
première Communion, le matin même de la cérémo- 
nie, le 2 mai 1903, on avait la douleur de constater 
que le vénérable aumônier avait succombé, dans la 
nuit, à une angine de poitrine. Le deuil fut universel. 
Ce bon prêtre fut pleuré comme un père, vénéré 
comme un saint ; chacun s'empressait de venir près 
de son lit de mort contempler une dernière fois et 
même faire toucher des objets de piété à sa dépouille 






— 308 — 



mortelle. Selon un désir exprimé depuis longtemps 
déjà, M. l'abbé Piquet repose aujourd'hui dans le 
cimetière de la Communauté, en attendant la résur- 
rection glorieuse. 

Au mois de juin suivant, la Providence faisait 
choix de M. l'abbé Joseph Michaud, vicaire à La 
Limouzinière, pour recueillir la succession du regretté 
défunt. 

Au milieu des tribulations et des angoisses qui se 
succédaient, Bonne Mère Marie-Thérèse aimait à 
redire : « Que les peines de chaque jour nous rap- 
prochent de Dieu, en nous faisant marcher dans la 
voie qui conduit au Ciel ! Prions les unes pour les 
autres et embrassons la croix avec amour. » 

En face de l'avenir réservé, craignait-on, aux ordres 
religieux, voyant déjà l'établissement si sympathique 
de Saint-Gildas obligé de chercher un refuge à l'étran- 
ger, Mgr Rouard, par une lettre, dispensait les Com- 
munautés religieuses des élections, dont la date 
approchait, et maintenait les Supérieures en charge. 
Mère Marie-Thérèse qui, dans l'intime de son cœur, 
gémissait de porter un si lourd fardeau, se résigna 
à le porter encore, tant qu'il plairait à Dieu de le lui 
laisser. 

Aussi la vénérée Mère, toujours prête à cultiver 
ce petit coin du champ du Seigneur, malgré une 
santé des plus précaires, pouvait-elle dire à ses Filles : 
« Demandez au Bon Dieu de me faire porter mes 
croix avec force et courage. Vous savez que chaque 
jour en apporte de nouvelles. Mais je ne veux pas 



309 



m'en plaindre, parce que j'espère qu'elles me feront 
arriver au Ciel. » 



Une dernière fondation était réservée au zèle de 
la vaillante Supérieure. Quelques-unes de ses filles 
étaient demandées par un médecin spécialiste de 
Nantes, qui avait apprécié leur dévoûment, entre 
autres celui de Sœur Rosalie, à la clinique de la rue 
de la Bastille. Ce docteur désirait voir des religieuses 
de l' Immaculée-Conception donner leurs soins aux 
malades de son établissement. Quel réconfort pour 
le cœur compatissant de celle qui avait tant appré- 
cié, si parfaitement rempli le poste d'infirmière et 
qui ne cessait de répéter à ses Sœurs : « Soyez tou- 
jours toutes bonnes pfcur vos malades ; voyez en 
eux d'autres Jésus-Christ et soignez-les en consé- 
quence... Que Jésus vous bénisse et vous donne force 
et courage pour accomplir votre mission près de ses 
membres souffrants I 

« Vous devez, il me semble, éprouver une bien 
grande consolation en visitant les pauvres malades, 
puisque Noire-Seigneur a dit : « Tout ce que vous 
ferez au moindre des miens, vous le ferez à moi- 
même. » Ces paroles, si consolantes pour l'âme vouée à 
quelque œuvre de charité, doivent nourrir votre 
âme, l'unir à Dieu. Donc sa'nte uir'on avec lui, recueil- 
lement intérieur, deux choses indispensables, si nous 
voulons rendre méritoires nos actions de chaque 
jour. »... 

« Un malade cloué sur un lit de douleur, disait- 




— 310 — 

clle-encore, n'est-ce pas, aux yeux de la foi, un autre 
Jésus-Christ attaché à la Croix? Rendez-lui donc, 
dans cette vie, tous les services que réclame son état 
et vous donnerez un prix tout particulier à vos fati- 
gues. Rien de mieux pour attirer sur vous les béné- 
dictions du Bon Dieu. » 

Elle-même devait achever de gagner par la souf- 
france la récompense éternelle que ses laborieux tra- 
vaux lui méritaient déjà. L'hiver la condamnait sou- 
vent à la réclusion, à la privation si sensible à son 
amc altérée de Dieu, de la sainte messe et de la sainte 
Communion. Mais sa foi vive lui faisait entrevoir la 
consolante vision de la Patrie céleste, et alors elle 
s'écriait : « Tout tourne à bien pour les véritables en- 
fants de Dieu. Soyons de ce nombre et un jour nous 
dirons : Heureuses souffrances qui m'ont valu une 
si grande récompense 1 » 



Pensées consolantes qui, au cours du terrestre 
pèlerinage, réconfortent les âmes éprouvées; sou- 
venirs qui les combleront de joie dans la céleste 
Patrie I 

Le premier mai 1906, il était donné à un jetme 
prêtre de goûter la vérité de telles paroles. - 

-Malgré la faiblesse de sa santé, un jeune abbé, 
M. Paul Yvon, était redevable à l'aumônier de la 
Haye, le bon M. Piquet —qui avait le premier distin- 
gué les marques de sa vocation, puis au dévouement 
de M. le Curé de Saint-Etienne qui avait intéressé 



— 311 — 



Mgr. Rouard en sa faveur — de la grâce insigne 
d'arriver au sacerdoce. 

De multiples épreuves avaient donné, en effet, à 
cette jeune âme, la vertu qui la caractérisa toujours : 
une entière conformité à la volonté de Dieu. Comme 
sa santé chancelante lui faisait craindre de ne pouvoir 
goûter le bonheur auquel il aspirait tant : « Je ne 
demande, soupirait-il, que la grâce de monter, ne 
serait-ce qu'une seule fois, au saint autel ! Introïbo 
ad allare Dei ! » 

Les prières et les vœux du pieux lévite durent tou- 
cher le cœur de Jésus. Il était allé sur la côte d'Azur 
chercher un peu de forces nouvelles. Le 31 mars 
1906, Mgr Chapon, évêque de Nice, voulait bien lui 
conférer les Saints Ordres. Dès que possible, le jeune 
prêtre revint au doux nid de son enfance. Et là, il 
célébra sa première messe avec une émotion et une 
joie que tous partagèrent en ce matin béni. 

Huit fois encore, M. l'abbé Yvon eut la consolation 
de célébrer les saints mystères ; puis, simple dans la 
mort comme il l'avait été dans la vie, savourant dans 
le recueillement de son cœur cette pensée qu'il était 
prêtre pour l'éternité, il unissait son sacrifice suprême 
à celui de la divine Victime. C'était le 1" mai 1906. 
Il n'avait que vingt-cinq ans. 

La Très Sainte Vierge, qu'il avait tant aimée et 
priée sur la terre, venait chercher son enfant à l'au- 
rore du beau mois qui lui est consacré. 

Le fils spirituel du vénérable abbé Piquet repose 



I 
I 



— 312 — 

près de lui, dans l'humble cimetière de la Commu- 
nauté (1) 

Ces deuils, des méditations prolongées sur les fins 
dernières, l'affaiblissement graduel de ses forces 
plongeaient de plus en plus Bonne Mère Marie-Thé- 
rèse dans la pensée de l'Eternité. Elle y revenait 
sans cesse. Le 11 novembre 1907, comme elle se pro- 
-menait avec la Communauté, pendant la récréation, 
une Sœur lui dit : « Savez-vous, ma Bonne Mère, que 
dans deux ans, à pareil jour, nous aurons une bien 
belle fête: votre cinquantenaire? — Non, répondit la 
sainte religieuse, vous ne fêterez pas mon cinquante- 
naire. Je serai morte avant. Je mourrai en 1909.» 
Et comme la Sœur se récriait, elle reprit : « Le chiffre 
qui a marqué l'année de ma naissance celle de ma 
première communion/celle de mon entrée en religion, 
celle de ma nomination au Supériorat, marquera 
aussi l'année de ma mort. » Sur l'heure, personne 



(1) A la fin de cette même année 1906, le 10 décembre, la Haye- 
Mahéas perdait encore, non plus à la fleur de l'âge, cette fois, mais 
après une longue vie pleine de mérites, Sœur Jeanne-Marie (Marie 
Moulet, de la Chapelle-sur-Erdre). C'était le type de la religieuse 
exemplaire. Elle se montrait bonne envers tous, remplie de respect 
pour ses supérieurs, très attachée à la Règle, très fidèle à tous ses 
devoirs. Avec cela un caractère égal, une bonne humeur constante. 
Sœur Jeanne-Marie était du nombre des âmes qui passent sur la 
terre sans attirer l'attention du monde, et à qui suffisent le regard 
de Dieu et son adorable Volonté. Une de ses cousines. Sœur Marie 
de la Présentation, qui marchait en tout sur ses traces et devait, elle 
aussi, laisser à sa Communauté un souvenir tout embaumé des ver- 
tus de la vie religieuse, s'endormait dans le Seigneur quelques années 
plus tard (1" mai 1908). Elle demeura toujours pleine d'entrain, 
aimablement joyeuse malgré une pénible surdité, contractée à son 
champ d'honneur à elle, c'est-à-dire au service de ses malades. 



_V 






— 313 — 



n'attacha d'importance à de tels pressentiments. Et 
pourtant, ils devaient se réaliser à la lettre. 

Pendant l'armée 1908, la Bonne Mère subit plu- 
sieurs crises de bronchite, dont une très grave au 
mois d'avril ; heureusement, cette crise fut surmon- 
tée grâce à une application de sangsues. Malgré sa 
grande fatigue, la Bonne Mère vaquait encore à ses 
occupations, sans être même retenue à la chambre 
aussi longtemps que les hivers précédents. Mieux 
tjonipeur ou plutôt providentiel qui lui permettait 
de se préparer à » entrer dans la joie de son divin 
Maître », en compatissant une dernière fois ici-bas 
aux douloureuses souffrances de sa Passion. Elle ai- 
mait tant à méditer les divines douleurs ! Au moment 
des Quarante-Heures, elle redisait à ses Filles : 
« En ces jours où les péchés, hélas ! vont se multiplier 
sur la terre, puissiez-Vous redoubler de ferveur pour 
dédommager notre Bon Sauveur Jésus I C'est bien 
du cœur de ses religieuses qu'il a droit d'attendre et 
de recevoir un petit dédommagement à tant d'amer- 
tumes ! Retrouvons-nous donc en esprit au pied de 
ses autels. Demandons-lui pardon pour ceux qui 
méconnaissent ses bienfaits ; prions-le d'embraser 
nos cœurs de son amour, de nous remplir de l'esprit 
de sacrifice et d'abandon entre ses divines mains 
transpercées. » 

« Soyons toutes au Bon Dieu pendant ce saint 
temps de Carême et prions pour les pauvres pécheurs. 
Le meilleur remède à toutes les misères que nous 
voyons, c'est de prier beaucoup. Que ces grandes 



I 






314 — 



semaines, consacrées aux souffrances d'un Dieu mort 
pour noire amour, ne se passent pas sans déposer 
dans nos coeurs un plus grand amour pour Notre-Sei- 
gneur... Pendant cette quinzaine, vendredi surtout, 
compatissons aux douleurs de notre Mère et deman- 
dons-lui de nous faire éviter tout ce qui a contribué à 
enfoncer les glaives dans son cœur maternel. Que nous 
du moins nous puissions la consoler par notre fidé- 
lité à Jésus et lui faire oublier ainsi tout ce qui peut 
contrister son coeur 1 » 

En récompense de sa grande dévotion à la Passion 
de N'otre-Seigncur et aux douleurs de sa sainte Mère, 
l'âme généreuse qui avait si bien porté sa croix en 
accomplissant le devoir quotidien, si crucifiant qu'il 
pût être, allait se voir admise à gravir la dernière 
station de son calvaire. 

C'était en l'une de ces semaines consacrées par la 
sainte Eglise à la méditation dès souffrances de son 
divin Fondateur. Le samedi 27 mars, veille de la 
Passion, le jour même où s'accomplissait sa soixante- 
dixième année. Bonne Mère Marie-Thérèse se sentit 
plus souffrante. Elle put cependant recevoir encore 
la sainte Communion le lendemain matin et se lever 
pour entendre la sainte messe de sa chambre. Mais, 
de bonne heure, elle regagnait son lit pour ne plus 
se relever. Une oppression des plus pénibles la fati- 
guait extrêmement. 

Deux docteurs, appelés en consultation, mirent en 
œuvre toutes les ressources de leur art. Malheureu- 
sement, le mal taisait de rapides progrès. 



— 315 — 



La vénérée nialade demanda d'elle-même à rece- 
voir les derniers sacrements, mais comme M. l'Aumô- 
nier, de concert avec le docteur, ne la voyait pas en- 
core en danger, toujours obéissante, elle se résigna. 

Parce qu'elle avait lutté durant sa vie, elle goûtait, 
à l'heure suprême, « la paix qui ne se trouve que dans 
la guerre contre nous-mêmes ». Pour elle se réalisaient 
les consolantes paroles qu'elle adressait naguère à 
ses Filles : « Comme nous serons heureuses d'avoir 
tout quitté pour Dieu ! Comme la mort sera douce 
pour nous, si nous vivons en parfaites religieuses ! 
Faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour qu'il 
en soit ainsi. Aidées de la maternelle protection de la 
Très Sainte Vierge, nous atteindrons, je l'espère, le 
but que nous nous sommes proposé en nous revêtant 
de ses livrées ; et après avoir combattu ici-bas contre 
nous-mêmes et contre tout ce qui peut s'opposer à 
l'amour de Jésus dans nos cœurs, nous aurons le 
bonheur de jouir au Ciel -de la récompense promise 
à la bonne volonté. » 



Cependant l'inquiétude croissait et tandis que l'on 
prévenait la famille, M. l'Aumônier, averti, apportait 
à la Bonne Mère les secours et les consolations de 
notre sainte Religion. Le 31 mars, à 8 heures 1/2 du 
soir, elle reçut l'extrême-onction et l'indulgence 
plénière, en présence de son Conseil et de quelques. 
Sœurs âgées. Plusieurs de celles qui se présentèrent 
ensuite s'inclinèrent sous sa main bénissante. A 
toutes — aux présentes comme aux absentes — elle 







— 316 — 

faisait cette recommandation suprême : « Soyez tou- 
jours unies ! » 

Veillée avec la plus pieuse sollicitude par ses Filles 
désolées, avec la plus tendre affection par ses nièces 
venues de la Romagne et dé Nantes, elle reconnaissait 
tout le monde, mais, trop oppressée, elle ne pouvait 
plus parler qu'avec peine. Pourtant elle souffrait sans 
se plaindre ; son visage demeurait calme. Elle mettait 
jusqu'au bout sa devise en pratique : « Tout souffrir 
et ne rien faire souffrir à personne. » Elle s'oubliait 
constamment pour bénir toutes celles qui le lui deman- 
daient et pour leur adresser, malgré son état, des 
paroles de consolation : « Je vous bénis toutes, mur- 
murait-elle d'une voix éteinte, et je demande à la 
Sainte Vierge de vous bénir et de vous aider dans 
l'épreuve. » 

Conservant sa connaissance jusqu'au bout, la 
Bonne Mère put encore, le 3 avril, à six heures du 
soir, s'entretenir un instant avec M. l'Aumônier. 
Fortifiée par la visite du ministre de Dieu, calme et 
paisible devant la mort qui la réunirait pour toujours 
à son Bien-Aimé, vers dix heures et demie du soir, 
doucement, paisiblement, elle remit entre les mains 
divines son âme vaillante. C'était en la veille des 
> Rameaux, un samedi, jour consacré spécialement à la 
Vierge Immaculée. Ses Filles en larmes n'avaient cessé 
.de l'assister de leurs ferventes prières. 

La courageuse servante de Dieu entrait dans l'éter- 
nel repos, où l'attendait cette vénérée Fondatrice 
dont elle avait si pieusement recueilli l'héritage, si 






317 



vaillamment continué l'œuvre, si fidèlement transmis 
à sa chère Congrégation l'esprit de sainte pauvreté, 
d'héroïque charité, d'obéissance surnaturelle. Toute 
sa vie religieuse, à elle aussi, avait été inspirée par 
une foi profonde et une admirable confiance en Dieu. 

Tandis que la dépouille mortelle de la Mère défunte 
était exposée dans la grande salle, chacune de ses 
filles venait contempler une dernière fois ses traits 
bien-aimés. Toutes pleuraient. On se rappelait avec 
émotion les marques de sa tendre sollicitude. On se 
redisait les soins attentifs et délicats donnés aux ma- 
lades, les conseils entraînants et réconfortants sortis 
de son cœur tout embrasé de l'amour divin. 

Elle avait appris de la sainte Fondatrice et fait 
sienne la devise de la bienheureuse Françoise d'Am- 
boise : « Faites sur toutes choses que Jésus soit le 
mieux aimé. » 

Vers le bon Maître, en effet, se dirigeaient toutes 
les aspirations de son cœur ; à lui elle recourait dans 
toutes ses difficultés : que de fois elle vint se pros- 
terner aux pieds de son adorable Jésus, présent au 
tabernacle, pour le consulter sur une décision à 
prendre ! Elle lui rendait maintes visites, en dehors 
même des exercices communs. 

Dans les dernières années de sa vie, elle organisa 
parmi les Sœurs une garde d'honneur perpétuelle 
auprès du Saint-Sacrement. 

Consoler Jésus-Eucharistie avait été sa pensée 
continuelle, comme celle de la Révérende Mère Marie 



I 
I 



/> . 



— 318 — , 



de l' Immaculée-Conception. C'était pour le glori- 
fier, le faire connaître et aimer davantage qu'elle 
entreprenait toutes ces fondations, laneées souvent 
avec les ressources les plus minimes ; ces œuvres de 
charité corporelle destinées au soulagement des mem- 
bres souffrants du Christ. Dans ce but, elle recom- 
mandait instamment de toujours bien recevoir les 
pauvres qui se présentaient journellement à la porte- 
rie et de ne jamais leur refuser la nourriture qu'ils 
venaient chercher: en leur personne, sa foi lui faisait 
voir et vénérer Jésus-Christ. 

Profondément humble, jamais elle ne se prévalut 
de sonlntelligence ni de son instruotion pour imposer 
sa manière de voir ; au contraire, elle se rendait 
volontiers à l'avis d'autrui quand il était raisonnable 
et lui semblait préférable au sien. 

Le fréquent renversement de ses projets par des 
circonstances imprévues n'altérait pas son calme. 
Elle disait en de semblables occasions : « Il est bon 
que nous ayons de temps en temps des preuves de 
notre faiblesse pour nous tenir dans l'humilité. Pro- 
fitons de tout, même de nos misères pour nous 
avancer dans la vertu. Vous savez que le Bon Dieu 
aime par-dessus tout l'humilité. Humilions-nous donc 
sous sa main paternelle ; voyons nos misères sans 
trouble, avec calme, et plus nous nous sentirons 
petites et faibles, plus aussi, je crois, s'augmentera 
notre amour pour le Bon Dieu ou du moins notre 
désir de l'aimer ; le besoin que nous avons de son 
secours noustiendra plus près de son Cœur 1 » 



— 319 — 

C'était par ce complet détachement d'elle-même 
qu'elle attirait l'Esprit de Dieu en son âme et pouvait 
faire tant de bien à ses Sœurs. Et d'abord les conseils 
que leur dictait son expérience, elle les pratiquait 
la première : « Profitons du temps que le Bon Dieu 
nous accorde pour travailler à notre perfection. C'est 
pour cela qu'il nous donne les jours en- sa grande 
miséricorde. Chaque minute de ce temps vaut l'éter- 
nité, ne l'oublions pas. Que chaque jour nous trouve 
meilleures que la veille. Montons, montons toujours, 
et gravissons avec courage la montagne de la perfec- 
tion ! Dieu couronnera nos efforts et, avec sa grâce, 
nous arriverons heureusement à ce divin sommet. » 

Telles étaient les pensées qui revenaient à la mé- 
moire de chacune. 



Cependant l'heure de la sépulture avait sonné. 
On était au mardi-saint, à deux heures de l'après- 
midi. Plusieurs membres du clergé de Nantes et des 
environs assistaient aux obsèques, qui furent célé- 
brées par MM. les vicaires de la paroisse. La place 
de M. le Curé de Saint-Etienne demeurait vide. En 
proie lui-même à une dangereuse maladie, il n'avait 
pu visiter la Bonne Mère à ses instants suprêmes, ni 
lui rendre les derniers devoirs. 

Après l'office des Morts, chanté à la chapelle, il 
fallut se résigner à la séparation définitive. 

Précédée par les religieuses, la vénérée dépouille 
fut conduite au cimetière et déposée dans le caveau 
qui avait gardé les restes de la Bonne Mère Fondatrice 



— 320 — 

jusqu'au moment de leur translation près de l'autel. 
Par un sentiment de piété filiale, sa chère fille en 
Jésus-Christ avait désiré y voir reposer son corps, 
en attendant le jour de la réunion éternelle. 

Mgr Rouard, prévenu de la perte qui affectait si 
douloureusement la famille de la Vierge Immaculée, 
lui témoignait sa haute sympathie en une lettre adres- 
sée à la chère Sœur Marie-Agnès, as«istante : 

« Ma très chère Fille, 

« Veuillez agréer pour vous et offrir à toutes vos 
Sœurs mes paternelles condoléances dans le deuil qui 
vous afflige. 

« Je prie avec vous pour votre Mère avec une douce 
confiance. Elle a aimé sa vie religieuse et sa Commu- 
nauté ; vous en témoignez toutes. Le bon Maître, 
qu'elle a servi de tout son cœur, la couronnera dans ' 
le Ciel, où elle deviendra votre protectrice. Dans cette 
espérance, j'unis mes prières aux vôtres pour celle 
que vous pleurez, et je conjure Notre-Seigneur de 
vous consoler et de vous assister dans votre épreuve. » 

M. le chanoine de la Guibourgère écrivait de son 
côté : 

« Ma Révérende Mère Assistante, 
« Je reçois la douloureuse nouvelle de la mort de 
votre Donne Mère Supérieure Marie-Thérèse. Je 
ressens vivement cette affliction et je m'associe au 
deuil de la Communauté. C'est une grande perte pour 
toutes ses filles ; elle était si bonne, si dévouée, en 



— 321 — 



même temps que d'un jugement si sûr. Je l'ai suivie 
dans toute sa vie religieuse ; Dieu lui a fait de grandes 
grâces, et elle y a été fidèle. Elle laisse à celles qu'elle 
a si longtemps dirigées l'exemple d'une rare vertu 
qui ne s'est jamais démentie. 

« Je serai avec vous, uni dans la prière, demain 
très particulièrement, jour de ses obsèques. J'offrirai 
le saint Sacrifice pour sa chère âme. Je demanderai 
en même temps à Dieu que, de concert avec la Bonne 
Mère Fondatrice, elle protège de là-haut toute la 
pieuse Communauté et la conserve dans la paix et 
la ferveur. » 



CHAPITRE SECOND 



Sœur fJarie-flnna de l'Enîant-Jésus 

Assistante et jviaîtresse des fjoviees (l) 

Une bonne petite couturière. — Rêves d'avenir et incer- 
titudes. — Un conseil d'ami. — La rentrée au couvent 
(récit d'une Sœur). — Les petites orphelines. — La Maî- 
tresse des Novices. — Direction aux absentes. — Quel- 
ques belles âmes envolées. — Edifiants souvenirs d'une 
nièce. — Les dernières années, la maladie, la mort. 



Esther Braud, qui devait s'appeler un jour en reli- 
gion Sœur Marie-Anna de l'Enfant-Jésus, naquit le 
18 avril 1836, à Montigné-sur-Moine, humble village 
de la « Vendée angevine » (2). Ce petit coin de Une, 
situé à l'extrémité sud-ouest du Maine-et-Loire, con- 
fine également aux limites de deux autres départe- 
ments, la Loire- Inférieure et la Vendée. C'est là que, 
sur les hauteurs d'un site charmant et pittoresque, 
habitait une famille d'honnêtes travailleurs, compo- 



(1) Ce second chapitre a été compose- principalement d'après une 
notice <|u,- M. l'abbé Elle Allai-»!, curé de Murs, au diocèse d'Angers, 
a consacrée à ia mémoire de sa vénérée tante. Sœur Marie-Anna de 
PEnfant-Jésus. 

(2) Canton de Montfaucon, arrondissement de Cholet. 






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sée du père, de la mère et de huit enfants — trois 
garçons et cinq filles. Par rang de naissance, la petite 
Esther était la cinquième. La dernière, Philomène, 
venue longtemps après ses sœurs, fut la première à 
retourner à Dieu, vers l'âge de trois ans. Ce fut le 
premier chagrin d'Esther, qui était la marraine du 
petit ange envolé. 

L'enfant grandissait donc, respectueuse envers ses 
parents, affectueuse pour ses sœurs et frères et les 
autres membres de sa famille. A peine âgée de cinq à 
six ans, elle fréquenta l'école communale de jeunes 
filles, tenue par une maîtresse laïque. Cette per- 
sonne, vraiment distinguée et de grande piété, se 
nommait M lle Pasquier. 

Déjà Esther apparaissait à tous, en ses manières 
enfantines affables et simples, comme un modèle à 
l'attrait duquel on ne résistait pas. Cette enfance si 
sage et si pieuse devait avoir pour couronnement 
une fervente première Communion. A ce moment, 
ses bons parents, désirant compléter son instruction 
suivant leurs moyens, l'envoyèrent comme externe, 
environ deux ans, à l'école communale de Montfau- 
con. Cette école, distante de deux kilomètres, était 
tenue par les religieuses d'une maison-mère agrégée 
aujourd'hui à la Communauté de Saint-Charles 
d'Angers. 

Quand la jeune fille eut atteint sa douzième année, 
on la retira pour la mettre en apprentissage. Deve- 
nir couturière était tout son désir ; couturière elle 
sera. 



■■ 



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A partir de ce jour, jusqu'à son entrée en religion, 
ce fut merveille de voir avec quelle activité intelli- 
gente cette enfant suffisait non seulement à sa nou- 
velle tâche, mais encore aux occupations qui lui 
incombaient chaque jour à ba maison paternelle. 
Bien souvent survenaient des travaux imprévus ; 
quand, par exemple — chose assez fréquente chez 
un homme qui était à la fois marchand tic bois et 
maître d'hôtel — lechef de famille recevait à la der- 
nière heure des convives inattendus. Les deux sœurs 
aînées luttaient alors de savo>r-faire dans l'adminis- 
tration des choses domestiques. 

Mais Marie, plus âgée (et qu'on surnommait d'ordi- 
naire Mariette), l'emportait • pourtant sur Esthcr. 
Aussi, de bonne heure, M me Braud, femme à l'intelli- 
gence ouverte, au caractère vit et ami de l'ordre, lui 
avait-elle confié, dans une large mesure, la direction 
du ménage. Quant à la plus jeune, plus elle grandis- 
sait, plus aussi elle se sentait- d'heureuses disposi- 
tions pour les travaux dlaiguille et de couture. Elle 
a'mait les ouvrages délicats, les broderies destinées 
à l'ornementation des autels et des reposoirs. 

Elle se perfectionnait dans son métier et, en même 
temps, elle gardait la pureté et la sérénité de son 
âme. Douée d'une sensibilité et d'une délicatesse 
extrêmes, bonne et compatissante envers les mal- 
heureux, visiblement affectée des misères d'autrui, 
telle elle était déjà, telle elle deva.it se montrer tou- 
jours. Qui jamais aima davantage sa famille? Qui 
jamais sentit plus vivement les épreuves et les deuils 






■ 



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domestiques, l'éloignement des siens et les infortunes 
de ses amies ? 

Seules, les fêtes et les distractions du monde, 
fussent-elles les plus convenables, les plus légitimes, 
lui inspiraient une indicible répugnance. D'ailleurs, 
la mort venait de lui ravir, à peu près coup sur coup, 
deux de ses frères, Jean et Alexandre, emportés l'un 
et l'antre à la fleur de l'âge. C'étaient les aînés de 
tous. 

Elle était déjà entrée en Communauté, quand elle 
eut de nouveau à déplorer la perte du troisième, 
Théodore, qu'elle aimait d'un amour singulier. Il 
était bien permis à un frère et à une sœur de se lier 
d'une affection plus confiante, plus profonde... 
Encore aujourd'hui, à la maison, on se rappelle, non 
sans une douce émotion, l'amitié fraternelle qui 
unissait Esther et Théodore. En effet, il arrivait sou- 
vent qu'en plein hiver, qu'il fît beau ou mauvais 
temps, on surprenait Esther, au milieu de la nuit, 
revêtant à la hâte ses habits pour aller à la recherche 
de « ce bon frère » qui parfois, hélas ! s'oubliait dans 
les soirées ou réunions' de jeunes gens de son âge. 
« Je ne pouvais dormir, ajoutait-elle, quand le soir 
je ne, le voyais pas rentré à la maison. » La pauvre 
enfant craignait toujours quelque malheur I 

Ainsi s'écoula sa jeunesse pieuse, laborieuse et 
dévouée. 



On était à l'année 1859. La jeune fille avait atteint 



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son vingt-troisième printemps. Pour elle, l'époque 
était venue de choisir définitivement un genre de 
vie. Mais déjà la pure enfant avait préféré les dou- 
ceurs de la vie religieuse aux joies d'une heureuse 
union, tant rêvée cependant par son père et sa mère. 
Déjà elle avait immolé depuis longtemps ses espé- 
rances et ses désirs terrestres pour se consacrer, par 
amour, au service même de Dieu, en lui sacrifiant 
sa jeunesse, sa liberté, ses espoirs terrestres. Déjà 
elle était prête dans le secret de son cœur. 

Mariette, son aînée, venait de partir, le 8 décem- 
bre 1857, au couvent des Bénédictines de l'Adoration 
Perpétuelle, à Paris. Esther eut un instant l'idée de 
la suivre. 

C'était pendant les beaux jours de l'été 1859. 
M. l'abbé Baudry, de Montigné-sur-Moine (plus Lard 
évêque.de Périgueux), qui professait alors le grand 
cours de théologie à Saint-Sulpice, prenait' ses 
vacances dans sa paroisse, à l'ombre d'une chapelle 
qu'il n'eut pas le bonheur de voir achevée. 

Parent et ami de la famille, autrefois il avait été 
le directeur de Mère~ Saint-Charles. La jeune fille 
conçût aussitôt le projet d'aller consulter l'homme 
de Dieu et de le prendre à son tour comme directeur 
de sa conscience. Ce qu'elle fit sans tarder, en se ren- 
dant à la Turmelière (maison de campagne de 
l'évêque). Elle raconta plus tard à l'une de ses sœurs 
restée au foyer paternel, les suites de cette absence 
mystérieuse. On était à l'époque où Mgr Jaquemet, 
de Nantes, faisait appel à tous les dévoûments pour 



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recruter de nombreux sujets à la Communauté reli- 
gieuse qui venait de se fonder à Châteaubriant. 

La vertueuse jeune fille fit donc part à M. l'abbé 
Baudry de son grand désir de se faire religieuse béné- 
dictine, afin de se trouver réunie à sa sœur. 

C'était, à première vue, un rêve aussi naturel que 
légitime. Mais Dieu, voulant montrer que, si l'homme 
propose, Lui seul dispose, allait arranger les choses 
autrement. Après les premières ouvertures de cœur 
faites par Esther au savant et saint prêtre qu'était 
M. l'abbé Baudry, celui-ci lui dit d'un ton tout pater- 
nel : « Ma chère enfant, puisque tu es décidée d'aller 
à la profession de Mariette, il te faudra voir d'abord 
la Mère Prieure, puis lui demander si elle veut bien 
te recevoir au nombre de ses postulantes. Si oui, 
entre immédiatement ; si non, reviens au plus vite 
•et n'insiste pas, caf c'est le signe évident que le bon 
Maître t'appelle ailleurs. » 

Que se passa-t-il pour Ësther lors de ce fameux 
voyage à Paris ? Nul ne l'a su, pas même son frère 
Théodore qui l'accompagnait. Mais à son retour, dès 
le premier entretien qu'elle eut avec l'homme de 
Dieu, il lui fut dit avec assurance de rester tranquille, 
de ne plus regarder en'arrière; que Dieu la voulait 
parmi les membres d'une Communauté naissante, 
dévouée au soulagement et à la consolation des 
malades et des orphelines. 

La jeune fille se soumit promptement et en tout à 



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cette voix qui parlait au nom du divin Maître. L'heu- 
reux moment du départ approchait . 

On était à la Saint-Martin, 11 novembre 1859. 

Ici, nous laissons la plume à l'une de ses sœurs, 
Nathalie, qui devait la conduire à sa première comme 
à sa dernière demeure: 

« Ce fut dans les larmes et les sanglots, dit-elle, 
que nous laissâmes ma sœur Lina et ma famille 
entière. Les quelques années d'intervalle qui nous 
séparaient du départ de notre sœur aînée n'avaient 
pu encore en effacer le doux souvenir. L'heure de 
perdre l'autre était venue et il fallait partir, partir 
de grand matin, s'arracher avec violence aux étreintes 
d'un père et d'une mère... 

« Nous étions six dans la voiture : le conducteur, 
ma sœur et moi, puis une nouvelle postulante de la 
paroisse, également accompagnée de sa sœur, et qui 
ne devait passer à la Communauté que pour se réfu- 
gier dans une autre, en plein exercice, moins pauvre 
et vouée à l'enseignement. La sixième personne de 
la compagnie était encore une postulante, M Uo Marie- 
Thérèse Birot, de la Romagne, non loin de Montigné, 
celle qu'on appelle aujourd'hui « ma Bonne Mère » (1). 

« C'est ainsi que, dans la matinée, la pieuse cara- 
vane arriva à la petite ville de Clisson, dans le Nan- 
tais. La ligne de chemin de fer n'existait pas encore 
pour Nantes ; notre conducteur nous confia donc aux 
bons soins de la diligence en partance pour la grande 



(1) La future Mère générale Marie-Thérèse de la Croix. 






330 



ville. Nous débarquâmes à Nantes dans la soirée. 
Notre première visite fut pour la chapelle des Pères 
de l' Immaculée-Conception, où l'un d'eux donna le 
scapulaire bleu à ma sœur et à moi. Puis, prestement, 
nous allâmes à l'évêché, parler à M. .de la Guibour- 
gère (aujourd'hui curé de Saint-Germain-des-Prés, à 
Paris). Il était, dans ce temps-là, secrétaire de Sa 
Grandeur et déjà Supérieur de la petite Commu- 
nauté. Enfin, nous nous adressâmes en dernier lieu 
à M lle Veillet, la Fondatrice, en résidence pour 
quelques jours chez son père, ancien percepteur en 
retraite. Finalement, nous allions prendre un repos 
bien mérité chez M mc Banchereau, à l'hôtel du Coq- 
Hardi, où nous étions descendues le matin. 

« Le lendemain, vers neuf heures, nous prîmes le 
bateau à vapeur de l'Erdre, qui nous conduisit jus- 
qu'à Nort. De là, nouvelle diligence qui nous voitura 
jusqu'à Châteaubriant. 

« Mon Dieu ! je n'Oublierai jamais notre entrée 
au vieux château : une vraie ruine ! En l'apercevant, 
mon cœur s'était serré, tout mon sang s'était figé 
dans mes veines. Et pendant ce temps-là, ma chère 
petite sœur de sourire et même de rire en me voyant 
si émue ! Bientôt nous montâmes à la tour crénelée 
du vieux donjon, pour mieux jouir du superbe pano- 
rama qui se déroulait sous nos yeux.. La rivière de la 
Chère coulait au bas du jardin. Mais quand, à un 
moment donné, il fallut, pour aller à une croisée d'en 
face, traverser les ais mal joints et qui laissaient 
entrevoir le vide par de nombreuses ouvertures, mes 



— 331 



yeux ne quittaient pas mes pieds, tant j'avais peine 
à garder mon équilibre et à ne pas me laisser choir 
au travers des mille crevasses du pauvre bâtiment ! 
La sueur me perlait à grosses gouttes. Mes jambes 
fléchissaient, tout mon corps tremblait. 

« Alors, instinctivement, je prends le pan de la 
robe de ma sœur en lui criant : « Mais voyons !.'.. 
« Viens-t'en donc bien vite chez nous I... Que veux- 
« tu faire ici ?... » 

« Et voilà tout le monde de rire... Mes soudaines 
réflexions étaient à peine lancées qu'une des Sœurs 
du château (je crois que c'était Sœur Thérèse de 
Jésus) me dit doucement et à brûle-pourpoint : < Eh 
bien, ma petite, il faut que vous nous restiez aussi. 

« ■ — ■ Oh î non, répondis-je, pas ici, bien sûr. Bon 
encore si vous étiez ailleurs I... 

« — Eh oui, c'est cela, répliqua-t-elle immédia- 
tement. On va bientôt s'en aller d'ici. En attendant, 
on cherche une autre maison. » 

« Et là-dessus, sans plus tarder, on nous fit visiter 
l'ouvroir, où travaillaient une soixantaine d'orphe- 
lines. Bon nombre d'entre elles s'occupaient au tis- 
sage de la dentelle. Comme elle était fort belle, j'en 
achetai plusieurs mètres. Puis un coup d'œil jeté fur- 
tivement autour de moi me donna vite une idée du 
menu de la cuisine. La viande ne manquait pas ce 
jour-là, semble-t-il, tant il est vrai que les jours se 
suivent, mais ne se ressemblent pas. Il m'a paru qu'il 
y avait (qu'on me pardonne l'expression la plus natu- 
relle) un porc entier à bouillir dans un immense 










— 332 — 

chaudron !... Le soir venu, Sœur Thérèse de Jésus 
me conduisit dans sa chambre, chez son père, où je 
passai, du reste, une bonne nuit. 

« Mais le lendemain !... Le lendemain, c'étaient les 
derniers adieux. Qu'ils furent tristes ! Je m'éloignai 
le cœur gros, consolée toutefois par la pensée que je 
laissais ma sœur Esthcr en bonne compagnie. Elle 
avait été, de fait, fort bien accueillie par les Sœurs, 
qui la regardaient déjà comme l'une des leurs. Quelle 
belle famille, tout de même, que celle d'une Commu- 
nauté religieuse !... Un dernier regard encore, un 
dernier adieu, et nous voilà de nouveau dans le 
véhicule qui reprit le chemin de la veille. Nous ren- 
trâmes à Montigné le soir de ce même jour, vers 
minuit, à moitié gelées... 

« Malgré le souvenir si vivant et comme brûlant 
de ma chère petite sœur, jamais de ma vie je n'ai eu 
si froid I Je me disais pourtant qu'elle devait être 
bien heureuse d'avoir accompli la sainte volonté de 
Dieu. » 



Généreuse devant ce premier sacrifice, Estlwr 
Braud le sera devant un autre non moins sensible 
à sa nature très aimante, si tendrement attachée à sa 
chère famille. La vénérée Fondatrice lui écrivait de 
Nantes, le 16 juillet 1860 : « Je vous permets, ma 
fille, d'écrire à votre sœur la religieuse et à Mgr Bau- 
dry. Pour Philomène, vous en offrirez le sacrifice au 
Bon Dieu. Les religieuses de l'Immaculée doivent 
écrire rarement, et la Bèglc ne le permet que pour les 



— 333 — 



mères, frères et sœurs ; je ne puis vous en exempter 
(de la Règle) pour Philomène. Si la Règle permet 
des exceptions, elles doivent être motivées pour des 
choses utiles, importantes, nécessaires. 

« Du -courage, ma chère fille, l'épreuve est longue 
pour vous et pour votre bonne mère ; la joie de la 
réunion n'en sera que plus grande, et nous aurons 
offert au Seigneur un sacrifice cpii nous sera compté 
au jour de l'éternité.- 

« Le Dieu de l'Eucharistie, l'Epoux céleste des 
âmes religieuses, est jaloux de votre cœur et il vous 
demande, avec des sacrifices, la perfection des Thé- 
rèse, des Marguerite-Marie, dont les vies admirables 
nous' racontent qu'elles choisirent des monastères où 
elles ne devaient trouver que Dieu seul, craignant 
que l'amitié de leurs parents ne fût un obstacle à 
leur amour pour le Souverain Seigneur. 

« Vous vous attacherez, enfant chérie de Dieu et 
de Marie Immaculée, à votre sainte vocation. Vous 
oublierez les créatures pour diriger votre pensée vers 
Celui qui règne dans les cieux et dont les divins 
regards plongent sur la terre et attire à son service 
les âmes bénies de son cœur. Et vous, petite créature 
du Seigneur, vous avez été choisie, appelée pour 
suivre dans l'éternité l'Agneau sans tache, avec une 
troupe de vierges que vous aurez sauvées de l'abîme 
du péché et attachées au divin char de l'Agneau... 

« Rappelez-vous souvent, chère enfant, la parole 
de M. l'abbé Baudry : « La Providence a sur vous 
« des vues toutes particulières. Entrez donc dans les 



— 334 — 

« vues de cette divine Providence, adorez ses desseins, 
« conformez votre volonté à sa très adorable volonté 
« et marchez avec courage. 

« Le prix est au bout de la carrière. » 

Paroles vraiment prophétiques, qui devaient se 
réaliser à la lettre pour la jeune postulante appelée 
à devenir un jour maîtresse des novices. 



Si elle avait quitté une excellente mère, la divine 
Providence lui en avait ménagé une seconde dans 
celle qui écrivait avec tant de bonté : 

« Vos peines, votre bonheur trouveront dans mon 
âme tout ensemble des larmes et de la •joie... 

« Je suis heureuse de vous voir aimer et désirer la 
perfectiori. Cette pensée Vient de Dieu, conservez-la 
donc précieusement dans votre cœur et mettez-vous 
tout de suite à la grande œuvre de votre sanctifica- 
tion. Je vous y aiderai de tout mon pouvoir. Je vous 
envoie une lettre de votre sœur ; votre mère est un 
peu souffrante. Soyez résignée à la sainte volonté de 
Dieu. Voilà la première pierre de votre édifice spiri- 
tuel. Dieu, en vous envoyant ces bonnes pensées, 
semble vouloir vous mettre de suite à l'épreuve et à 
l'ouvrage... 

« Soyez remplie de courage ; entretenez en votre 
âme un désir ardent d'atteindre le but que vous vous 
proposez et de l'atteindre pour Dieu seul, pour Jésus 
crucifié, pour l'Immaculée Vierge Marie... 
, « Vous êtes la bien chère fille de votre Bonne Mère 
et je vois avec un immense bonheur que Notre-Sci- 



335 



gneur veut faire de vous une bonne, une sainte reli- 
gieuse ; aussi, veillez à conserver dans votre âme les 
grâces de Jésus, à correspondre à ses miséricordes et 
à ses desseins de sanctification. 

« Je suis heureuse de vous voir choisir les emplois 
les plus humbles ; entrez sérieusement clans cette 
voie... Répétez souvent : mon travail quotidien appar- 
tient au Seigneur, je le lui conserverai intact pour 
jouir un jour de la récompense promise en l'Evan- 
gile. » 

Ainsi encouragée par les sublimes conseils de sa 
fervente Supérieure, la jeune religieuse, qui avait eu 
le bonheur de recevoir, avec le saint habit, le nom de 
Sœur Marie-Anna de l'Enfant- Jésus, le même jour 
que sa chère compagne, Sœur Marie-Thérèse de la 
Croix, se donnait tout entière à sa nouvelle tâche, 
c'est-à-dire au soin du petit troupeau dont elle était 
chargée. 

« Je suis heureuse, chère fille, écrit encore la Bonne 
Mère en 1862, de vos bonnes dispositions pour la 
surveillance des enfants que je vous ai données à 
former et je suis bien persuadée que vous répondrez 
à ma confance... Moins il y aura de personnes à 
entrer et à sortir de l'ouvroir, mieux il sera tenu, plus 
aussi vous aurez de silence et de travail... 

« Que la paix soit avec vous, ma bien chère fille. 
Vos petites vous aiment beaucoup ; vous êtes donc 
appelée à leur faire du bien. Soyez une mère pré- 
voyante pour éloigner le péché de leur cœur ; douce, 



— 336 — 

patiente, aimez le sacrifice et vous deviendrez une 
sainte religieuse. » 

Exécutant à la lettre ces judicieuses recomman- 
dations, la jeune Maîtresse exerçait une maternelle 
vigilance sur ses chères enfants, cultivant en leurs 
âmes innocentes, comme dans la sienne, l'aimable 
vertu, objet de sa constante prédilection. 

Ce qui a fait avancer à quelqu'un des siens, 
M. l'abbé Allard, curé de Murs, qui la connaissait, 
pour ainsi dire, comme un autre lui-même, « qu'elle 
ignorait encore, en ses dernières années, jusqu'à 
l'ombre même du vice ». 

Pendant vingt ans, elle fut chargée de la direction 
de l'orphelinat. Et assurément le plus bel éloge qu'on 
puisse faire d'elle, c'est que, lorsqu'elle fut nommée 
maîtresse des novices, le 18 janvier 1882, succédant 
à la regrettée Sœur Marie-Dominique, elle eut à se 
faire violence pour ne pas marcher sur les petits 
corps des orphelines qui encombraient, à dessein, les 
escaliers et la porte d'entrée du noviciat, comme 
autant de barrières infranchissables. 

L'affection des enfants pour leur chère Sœur Anna 
était toujours aussi grande qu!au temps de son entrée 
en fonctions. 



/ 



Et maintenant, dans cette nouvelle charge qu'elle 
occupera vingt autres années, qui dira' son amour 
maternel pour les novices, sa confiance en Marie et 
en sainte Anne, sa patronne, sa foi au Sacré-Cœur '? 
Avec des qualités et des vertus si heureuses, elle 






337 — 



maintenait dans la Règle et faisait avancer dans la 
piété ses chères enfants, à qui elle s'intéressait du 
plus profond de son âme. Elle aimait tant et elle 
était tant aimée ! Elle savait aussi pardonner avec 
tant d'indulgente bonté, reprendre avec une dou- 
ceur si maternelle ; elle unissait en ses avis la simpli- 
cité, la prudence et la discrétion. Elle était, pour les 
âmes qu'elle dirigeait, une véritable mère selon la 
grâce. 

De toutes elle désirait faire des religieuses fer- 
ventes et édifiantes ; elle souhaitait que leur vue 
seule fût une prédication muette, donnant la pre- 
mière l'exemple d'une exquise délicatesse en tous ses 
procédés. Elle avait elle-même une attitude majes- 
tueuse et digne, mais toujours modeste, rayonne- 
ment de sa belle âme suave et forte, dont le sourire 
et le commerce facile attiraient toujours. 

Sa vraie physionomie se reflète surtout dans sa 
correspondance intime, en ces lettres au style si 
doux, si maternel, qui séchèrent plus d'une lois les 
larmes d'une de ses sœurs, à l'occasion de la perte 
de son mari eT de ses enfants. 

Si nous ne pouvons livrer ici des écrits qui sont le 
patrimoine de sa famille, qu'il nous soit permis du 
moins de citer quelques lignes des lettres adressées à 
ses filles spirituelles, disséminées dans les différentes 
obédiences ou adonnées à leur charitable emploi dans 
le monde, après leur première profession religieuse : 
car Sœur Marie-Anna fut à la fois maîtresse des 









338 — 



novices et des petites professes jusqu'en 1897. Aussi 
peut-elle écrire : 

« Je suis bien occupée avec mon bataillon, qui 
devient de jour en jour plus nombreux. » 

Mais que ses filles éloignées ne craignent pas d'être 
négligées pour cela : « Comment oublier des petites 
âmes qui m'ont été confiées et pour qui je désire tout 
le bonheur possible, surtout celui de l'éternité... 
Demandez aussi pour celles du noviciat l'esprit de 
ferveur; en un mot qu'elles soient de saintes novices' 
pour qu'elles soient plus tard de saintes religieuses. 

« Je demande à Jésus-Enfant de vous bénir et de 
faire de vous une religieuse selon son Cœur, c'est- 
à-dire une religieuse, accomplie en tout. Il faut, cette 
année, que nous avancions dans la perfection de l'état 
que nous avons embrassé. Demandez-le aussi pour 
moi, avec toutes les grâces dont j'ai besoin pour rem- 
plir dignement l'emploi qui m'a été confié. 

« Aimons notre saint état et attachons-nous-y de 
jour en jour avec plus de ferveur et de générosité. 
Marchons sur la trace des saints qui nous ont devan- 
cées dans la bienheureuse éternité... 

« Qu'importe où nous nous trouvions ? Ne sommes- 
nous pas sous le regard de Dieu?... 

« La vie la plus longue n'est rien en comparaison 
de l'éternité. Comme nous serons dédommagées des 
sacrifices faits pour Dieu I 

« Partout se trouve la Croix. Heureuses serons- 
nous si nous la portons avec amour !... 



— 339. 



« Dites-vous : Je suis ici par obéissance et j'y res- 
terai tant que mes Supérieurs voudront m'y laisser ; 
avec cela, vous serez une bonne et fervente reli- 
gieuse... Que nous importe de faire ceci ou cela, si 
nous travaillons, comme nous le devons, toujours 
pour la plus grande gloire de Dieu !... 

« Je désire que Jésus soit favorable à toutes nos 
demandes et vous deviendrez de bonnes et ferventes 
religieuses, remplies de l'amour du Bon Dieu, aimant 
à pratiquer leurs devoirs, s'oubliant elles-mêmes pour 
ne faire que des heureuses autour d'elles. C'est ainsi 
que l'on doit être au service de Dieu : être gaie. Vous 
savez que la vie est un combat continuel ; ne l'ou- 
bliez pas et surtout ne vous découragez pas. Jetez 
toutes vos misères dans le Cœur de Jésus... Soyez 
généreuses en travaillant pour le divin Maître ; 
aimez-le de tout votre cœur et prouvez-le-lui par 
vos œuvres. S'il vous envoie la souffrance, acceptez- 
la comme la part qui vous est échue pour mériter le 
Ciel. Quel que soit le chemin où nous marchons, nous 
arrivons à notre but. Le Bon Dieu sait mieux que 
nous ce qu'il nous faut ; soumettons-nous donc à sa 
sainte volonté... 

« Remettons tout entre les divines mains, car rien 
n'arrive sans la permission de notre Père des Cieux. 
Il veut nous éprouver, nous faire part de sa Croix. 
Est-ce que l'exemple de notre divin Maître et Epoux 
Jésus ne nous encouragera pas à marcher à sa suite ? 
Nous le lui avons promis en prononçant nos saints 
vœux. Il n'y a que les âmes éprouvées et tentées qui 



— 340 — 

soient capables de grandes choses pour Dieu et pour 
l'éternité. 

« Le Bon Dieu a tant fait pour nous ! Plus nous en 
ferons pour Lui, plus la récompense sera belle. 

« Ne nous lassons pas de combattre. Jetons-nous 
dans les saints Cœurs de Jésus et de Marie et prions- 
les de nous bénir. » 



La pieuse maîtresse désirait surtout pour ses filles 
spirituelles le bonheur de l'éternité. Il lui fut donné 
d'y préparer elle-même plusieurs d'entre elles, appe- 
lées à en jouir prématurément : 

Sœur Saint-André (Marie Le May, de Guégon 
(Morbihan), promptement enlevée à l'affection de sa 
Communauté après quelques mois de vie religieuse. 
Pendant son agonie, elle eut à soutenir de rudes 
combats contre l'ennemi du salut, mais fut bien 
récompensée de son courage dans la lutte, car on la 
vit tout à coup, avant de rendre le dernier soupir, 
lever les yeux au Ciel et les y fixer avec un ineffable 
sourire (3 avril 1893). 

Sœur Marie-Thaddée (Anne Rochet, des Touches 
(Loire- Inférieure), dont la vie exemplaire se dépensa 
aux travaux des champs, sans que jamais ce rude 
labeur ait pu lui arracher une plainte, sans que l'alté- 
ration de sa santé ait ralenti son zèle. Son humilité 
trouvait toujours tout trop bon ; elle recevait avec 
reconnaissance les services que lui rendait la dévouée 
travailleuse Sœur Isidore. La vaillante Sœur, enfin 



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h*#*> I 



341 



terrassée par le mal, fut en même temps assaillie de 
peines intérieures intenses. Sa foi vive et son immense 
confiance en la très sainte Vierge lui inspirèrent alors 
cette ardente supplication, qui fut recueillie à son 
insu par un témoin discret : « Vous êtes et vous serez 
toujours ma Mère. Ne m'abandonnez pas jusqu'à ce 
que vous m'ayez introduite au Ciel. Tant de pécheurs 
vous doivent leur salut ! Mon âme est assaillie de 
combats. Je n'en puis plus... » 

Pleine de compassion pour son enfant, la miséri- 
cordieuse Mère lui obtenait, le lendemain même, la 
grâce sollicitée. 

Subitement son état s'aggrave. On l'entend répé- 
ter : « Seigneur Jésus, j'unis mes souffrances à vos 
souffrances, mon agonie à votre agonie, ma mort à 
votre mort. » Et elle entremêle d'ave Maria ses 
pieuses aspirations. 

Après avoir, sur ses demandes réitérées, reçu les 
derniers sacrements, elle s'écrie tout à coup : « Le 
Ciel, que c'est donc beau ! » Et tandis que ses yeux 
ravis semblent contempler les merveilles de l'au- 
delà, son âme prend son essor vers la céleste Pairie, 
huit jours après Sœur Saint-André, comme elle le 
lui avait annoncé. 



Sœur Marie- Victor (Marie-Rose Orain, de Camp- 
bon), religieuse exemplaire, profondément pieuse et 
dévouée jusqu'au sacrifice, pleine de bonté préve- 
nante pour ses jeunes sœurs du noviciat, dont l'une 
ne peut se rappeler sans émotion l'accueil qui lui fut 



— 342 — 

ménagé, lors de son entrée à la Communauté, par 
cette vertueuse compagne. 

Au moment de la fondation de Saint-Sauveur de 
Châteaubriant, après sa petite profession, elle se 
prodigua sans compter avec ses forces, visitant et 
soignant les malades pauvres de Béré, où son souve- 
nir est demeuré en vénération. Non contente d'exer- 
cer son propre zèle, elle encourageait encore celui de 
ses sœurs : « Imaginons-nous, leur disait-elle, voir 
la Sainte Vierge donnant ses soins à notre malade 
et suivons son exemple. » 

Cette belle âme, demeurée toujours si pure, retour- 
nait à son Dieu le dix-huitième jour du beau mois 
consacré à la Vierge Immaculée. 

Vingt-deux ans plus tard, sa cousine-germaine 
devait succomber à son tour, victime d'un dévoû- 
ment prodigué lui aussi avec un zèle admirable 
auprès des malades et des blessés de la terrible guerre 
de 1914. 

Par un sentiment de pieuse vénération, Sœur Vic- 
torien demanda que son corps fût déposé dans la 
tombe qui contenait déjà les restes mortels de sa 
sainte parente. Lorsque le cercueil de celle-ci fut 
découvert, on retrouva ses vêtements en parfait état 
de conservation. 



Plusieurs autres, hélas ! ne devaient pas donner 
toute la mesure de leur dévoûment : elles furent 
cueillies dans leur fleur, re-prises par le divin Maître 



■ 



Hi 



343 



avant d*avoir réalisé les espérances que l'on pouvait 
mettre en elles. 

Sœur Hélène (Rose Moyon, de Saint- Joachim). 
Elle savait unir au caractère sérieux de la religion la 
franche gaîté qui dilate tous les cœurs. Ame droite 
et délicate, elle se reprochait, à l'heure suprême où 
l'on voit toute sa vie à la lumière de l'au-delà déjà 
entr'ouvert, quelques légères infidélités à la sainte 
vertu de pauvreté et elle n'eut de repos qu'après s'en 
être accusée à sa Supér'eure (travaillant sous la direc- 
tion de la Sœur économe, elle avait offert quelques 
bonbons sans sa permission). Puis, goûtant la paix, 
une paix profonde, récompense de son humble aveu, 
elle s'endormait paisiblement dans le Seigneur, le 
9 juin 1895. 

Sœur Marie du Roncier (Rosalie Marin, de Saint- 
Servan (Morbihan). Elle avait répondu à l'appel 
divin dès sa prime jeunesse et faisait concevoir les 
plus grandes espérances. Cueillie à la fleur de l'âge, 
le 12 mars 1897, elle avait heureusement tracé la 
voie à ses deux, sœurs, qui depuis de nombreuses 
années se dépensent avec tant de zèle pour leur 
chère Communauté. 

Sœur Marie-Antoinette (Henriette Lequippe, des 
Touches). Trop tôt ravie à sa famille spirituelle, elle 
avait donné pleine satisfaction pendant son noviciat. 
On attendait beaucoup d'elle, mais Dieu lui ména- 
geait bientôt la meilleure part. Parfaitement rési- 




"SmI: I ., | *• 



— 344 — 

gnée à la volonté du Bon Dieu, elle fut édifiante à son 
moment suprême comme en tous les instants de sa 
trop courte vie religieuse (3 mars 1899). 

Sœur Marie-Edmond (Rose-Marie Bossis, de Guen- 
rouët), emportée à l'aurore de sa vie relig'euse, après 
avoir manifesté d'heureuses dispositions. Elle suc- 
combait durant une épidémie de fièvre typhoïde, 
le 28 janvier 1901. 

Sœur Marie-Rose (Marie Naud, de la Limouzi- 
nière). Simple, pieuse, dévouée, d'une obéissance 
admirable, elle s'acquittait de ses emplois avec la 
perfection qu'elle apportait à toutes choses. Travail- 
lant à la cuisine, sous la direction de là Sœur éco- 
nome, elle a le chagrin de la voir tomber dangereu- 
sement malade. « Sœur Ambroise est bien plus utile 
que moi à la Communauté, » se dit-elle, et, n'écou- 
tant que la voix de son cœur généreux, elle offre sa 
vie en échange de celle qu'elle prie Dieu de conser- 
ver. Sa prière est exaucée. Sœur Marie-Ambroise se 
rétablit, tandis que Sœur Rose succombe au bout 
de huit jours, en pleine jeunesse (9 juin 1898). 

Sœur Jeanne de Chantai (Joséphine-Marie Gascorr, 
du Pouliguen), profondément humble et bonne, fut 
un continuel sujet de consolation pour ses supérieurs, 
d'édification pour ses sœurs. Envoyée dans l'obé- 
dience du Pouliguen pour y respirer l'air natal, que 
l'on pensait devoir enrayer le mal qui la menaçait, 
elle se vit bientôt obligée de regagner la Maison-Mère. 



— 315 — 

L'esprit de pauvreté de la petite Sœur était si 
grand qu'elle demandait à sa Supérieure de la faire 
conduire à la gare dans une petite charrette à bras, 
trouvant la voiture de louage trop coûteuse pour une 
religieuse. 

Pieusement résignée à la volonté du Bon Dieu, elle 
remettait entre ses mains son âme innocente, le 
14 mai 1900. On pouvait lui appliquer les paroles 
consacrées par l'Eglise à l'office de saint Louis de 
Gonzague : « En peu de jours elle a beaucoup vécu. » 

Sœur Marie-Epbrem (Eugénie Lebastard, d'Héric). 
D'une grande délicatesse de conscience, très fidèle 
aux saintes Règles, elle remplit pendant de longues 
années, à la Maison-Mère, l'emploi de sacristine, où 
elle fit paraître toutes ses qualités de dignité religi- 
euse, de grand tact et de parfaite modestie. 

Après avoir été administrée, elle disait à ceux qui 
l'approchaient tout son bonheur de mourir en religion. 
Elle eut à soutenir un terrible combat contre l'ennemi 
du salut, puis, ayant lutté courageusement, elle 
retrouva son calme et expira en des sentiments de 
soumission, d'amour de Dieu et de désir ardent de 
le voir (9 juin 1903). 



Sœur Marie-Dosithée (Jeanne-Marie-Rose Guiho, 
de Fégréac). Elle s'en alla en prédestinée, d'une mort 
douce comme sa vie, après avoir souffert avec une 
patience angélique. Dieu, qu'elle aimait tant, l'appé- 



346 



lait à Lui en son printemps, au début de sa vie reli- 
gieuse (en la troisième année de son second noviciat). 

Elle eut la consolation d'être administrée par le 
Révérend Père Supérieur et de faire sa grande pro- 
fession entre ses mains. Recommandant de dire à sa 
Mère et à ses Sœurs qu'elle était heureuse de mourir 
et de ne pas pleurer son bonheur, Sœur Dosithée 
demanda pardon à toutes et expira sans agonie,' le 
19 juin 1903. 

Sœur Marie- Victoire (Marie Viaud, de Saint- 
Etienne-de-Mont-Luc). Guérie à la suite d'une neu- 
vaine faite à la lionne Mère Fondatrice, elle employa 
la santé qui lui avait été rendue à se dévouer sans 
compter aux œuvres de' la Communauté. 

La veille de sa mort, elle était encore debout, s'oc- 
cupant des travaux de couture. 

Une congestion l'emportait brusquement en pleine 
jeunesse — elle n'avait que vingt-cinq ans —- le 
11 août 1907. Vie courte, mais bien remplie, car 
Sœur Victoire ne perdait aucune minute de ce temps 
que Dieu nous prête et qui vaut l'éternité, comme 
disait la Révérende Mère Marie-Thérèse de la Croix. 



Sœur Marie-Eugène (Joséphine Crespin, de Saint- 
Mars-la-Jaille). Ronne petite âme pieuse, simple, elle 
remplissait les devoirs de son emploi avec toute la 
perfection possible. Elle était chargée de faire les 
commissions au bourg de Saint-Etienne, lorsqu'elle 



— 347 — 

fut atteinte d'une terrible maladie, la myélite (1), 
dont elle supporta les douleurs avec une patience 
admirable, un courage constant. Sa mort, douce 
comme sa vie, vint terminer, le 15 avril 1904, les 
souffrances de la chère patiente, qui était dans sa 
vingt-huitième année et ne comptait encore que 
quatre ans de vie religieuse. 



Préparant ainsi ses filles à vivre saintement, à 
mourir pieusement à une heure plus ou moins éloi- 
gnée, selon le bon plaisir du divin Maître, la vénérable 
Maîtresse ressentait déjà elle-même les premières 
atteintes du terrible mal qui la minait sourdement et 
lui faisait pressentir sa propre fin. 

t T ne tumeur cancéreuse lui rongeait les intestins. 
Elle avait, d'ailleurs, toujours été éprouvée de ce 
côté-là. On se souvient encore de ses cruelles souf- 
frances d'avant la guerre de 1870 ; en 1895, elle avait 
été atteinte d'un zona, signe avant-coureur de la der- 
nière et pénible maladie qui devait l'enlever à l'affec- 
tion de sa famille religieuse. Cependant, une dernière 
consolation lui était réservée. Le 4 août 1898, Mgr. 
Rouard faisait sa première visite à la Communauté 
de la Haye-Mahéas et donnait le saint habit à plu- 
sieurs postulantes. Or, parmi ces jeunes filles se trou- 
vait la propre nièce de Sœur Marie-Anna. Admise à 
partager désormais la vie de cette pieuse tante qui 
depuis longtemps avait le bonheur d'appartenir à 



(1) Maladie de la moelle épinière. 



— 348 



Dieu seul, la jeune novice alla't pouvoir, à son tour, 
ajouter quelques nouveaux traits au portrait si vivant 
tracé déjà par la plume autorisée d'un frère. 

« Ma tante, nous dit-elle, était édifiante en tous 
les points de sa vie et l'on peut certainement dire, 
pour mieux la caractériser, qu'elle était une reli- 
gieuse accomplie, aimant la Règle et l'observant 
à la lettre. Je n'ai vécu que trois années dans le 
rayonnement de sa maternelle affection ; "mais dans 
ce peu de temps, j'ai pu apprécier combien elle devait 
être agréable à Dieu, car tous ses actes, depuis le 
matin jusqu'au soir, étaient inspirés par le désir de 
remplir aussi parfaitement que possible les saints de- 
voirs de sa vocation. Elle ne craignait qu'une chose : 
peiner Celui à qui elle s'était donnée tout entière et 
sans réserve. 

« Dès le matin, on la voyait se lever à quatre 
heures, malgré les douleurs parfois si intenses qu'elle 
ressentait alors : « Ma Mère, lui disaient ses novices, 
« malade comme vous l'êtes, vous ne devriez pas 
« vous lever à une heure aussi matinale. — C'est vrai, 
« mes entants, répondait la Maîtresse, mais mainte- 
« nant je puis le faire ; il arrivera peut-être un moment 
« où j'en serai empêchée ; en attendant, puisque 
« je m'en trouve encore capable, je continuerai, ne 
« serait-ce que pour donner le bon exemple. » 

« Lorsque venait le moment du Saint Sacrifice, sa 
régularité était telle qu'elle ne pouvait cacher son 
mécontentement lorsqu'elle voyait (chose rare cepen- 
dant) ses novices se faire attendre pour ceci ou cela 



349 - 



et arriver avec quelque retard à la chapelle. Sa tenue 
habituelle pendant la Messe était toute digne d'une 
âme Consacrée à Dieu : quand elle se trouvait en 
présence de son divin Epoux, rien ne la distrayait 
de son profond recueillement. 

« Que d'encouragements affectueux et surtout reli- 
gieux ne m'a-t-elle pas prodigués !... Je me rappelle 
que, mon postulat fini, nous étions douze qui de- 
vions prendre le saint habit, le 4 août 1898. Pour nous 
préparer à ce beau jour, ma tante nous fit faire elle- 
même un triduum de silence et de prières. Pendant ces 
trois jours, elle nous prodigua plus que de coutume 
les exhortations propres à disposer nos âmes au 
recueillement, afin de bien recevoir les grâces du 
divin Maître. 

« Lorsqu'il s'agissait d'accomplir un petit sacrifice, 
chose pénible pour une âme qui ne fait que débuter 
dans la vie religieuse, parce qu'elle n'en connaît pas 
encore l'importance, Sœur Marie- Anna était toujours 
là, stimulant une générosité naissante par ses bonnes 
paroles : « Il faut, disait-elle, savoir souffrir pour ne 
« pas faire souffrir. » Si l'on consultait ses novices, 
qui sont maintenant grandes professes, elles pour- 
raient attester ce fait. 

« Sa grande bonté, son indulgence maternelle 
savaient toucher le point sensible pour faire rentrer 
l'âme dans le chemin du devoir, lorsqu'elle était 
tentée de s'en écarter. Quand, sous l'impression d'un 
ennui, on traduisait au dehors quelques sentiments 
de contrariété, le cœur de notre chère Maîtresse pre- 



— 350 



nait, pour ainsi dire, les devants pour nous ramener ; 
il n'y avait plus alors qu'à admirer tant de vertu et 
reconnaître sa culpabilité. 

« Sa bonté, toutefois, n'excluait pas sa fermeté. Les 
observations données à propos ne souffraient pas de 
réplique. Les jours de lavage, si, par malheur, une 
novice revenait le soir les vêtements et les pieds 
mouillés, elle s'en apercevait aussitôt. Elle tâtait le 
tablier, la robe, visitait la chaussure. 

« Allez immédiatement vous coucher. 

« — Mais, ma Mère, ce n'est rien '. 

« — Pas de réplique, allez vite vous mettre au lit. » 

« A celles qui toussaient ou étaient souffrantes : 
« Allez de ma part trouver notre chère Sœur infir- 
mière et dites-lui de vous donner une tasse de tisane. 

« — Mais, ma Mère, je ne suis pas malade. 

« — N'importe, je le veux, soyez soumise et faites 
ce que je vous dis. » 

« Son appréciation des choses était toujours très 
judicieuse. A cet esprit de discernement, à ce juge- 
ment droit se joignaient la loyauté et la franchise, 
qualités maîtresses de cette digne et vénérée religieuse 
qui ne pouvait souffrir, dans ses novices, le moindre 
détour, le plus léger penchant à la duplicité. En sem- 
blable occasion, elle devenait inflexible, et même sa 
physionomie exprimait la sainte colère qui l'animait 
contre la délinquante. 

« Elle possédait à un haut degré la délicatesse dans 
les procédés, soit avec ses Supérieurs et sa famille 
religieuse, soit avec ses parents. Son bonheur était de 



— 351 



faire plaisir et de couvrir, par une répartie joyeuse et 
spirituelle, quelques souvenirs pénibles. Belle âme, 
âme modelée vraiment sur les Cœurs de Jésus et de 
sa sainte Mère. C'est bien à elle que je dois le bonheur 
insigne d'être fille de l' Immaculée-Conception. Elle 
m'a vanté ce beau titre avec tant de pieux enthou- 
siasme et d'amour qu'il m'a été impossible, malgré 
les vues différentes que j'avais eues d'abord, de ne pas 
venir partager son bonheur en vivant de sa vie et en 
m'abritant, moi aussi, tout entière sous la protection 
spéciale de l'Immaculée Marie, notre si bonne Mère. 
Ma reconnaissance envers elle, sur ce point, durera 
autant que ma vie. 

« Mon noviciat allait se terminer. Si, durant ces 
plus belles années, le Bon Dieu m'avait gâtée en me 
plaçant sous une égide presque maternelle, sous la 
direction d'une âme si sainte, il me réservait une an- 
goissante douleur ; j'ai souffert d'avance de la sépa- 
rat'on prochaine. 

« Pourtant, je m'illusionnais encore. Ma tante était 
atteinte d'une longue et pénible maladie, dont l'issue 
fatale n'était pas douteuse ; les crises se multipliaient : 
mais qui n'aurait cru la fin éloignée? Elle était si 
bonne, si désintéressée, cette chère Sœur Marie- Anna, 
que c'était vraiment chose difficile de juger, par son 
extérieur, de la gravité de son état. Souvent, quand 
la souffrance devenait plus aiguë, elle se dérobait 
aux regards et se retirait dans sa cellule ; puis, lorsque 
la douleur était calmée, elle reparaissait au noviciat 
avec un visage épanoui. 



— 352 — 

« Oui, malgré tout, elle se montrait toujours con- 
tente et souriante ; rien ne semblait présager une ca- 
tastrophe imminente. 

« Elle était en sa soixante-cinquième année, en la 
maturité de toute son intelligence, lorsque, soudain, la 
mort brusquement changea en regrets toutes les 
espérances que sa vaillante carrière permettait à la 
Communauté de concevoir encore. 

« C'était le samedi 6 juillet 1901 au matin. Elle 
présidait le Noviciat, quand 'tout à coup, sans rien 
dire, elle dépose ses lunettes sur le livre d'oraison et 
se retire dans son humble cellule. De prime abord, 
habituées à ces sorties fréquentes de leur maîtresse, 
les novices n'y prirenl pas sarde. Cependant, l'Aumô- 
nier de la maison est prévenu, la chère malade se 
confesse, reçoit le saint Viatique, le sacrement des 
mourants, exprime ses désirs suprêmes, fait ses der- 
niers adieux souriant à celles de ses Sœurs qui l'ap- 
prochent. 

« Et cette chère mourante veut encore que son 
sourire illumine, au moins un peu, les tristesses qui 
envahiront là-bas l'âme et les yeux des siens. Elle 
songe surtout à son neveu tant aimé, lui aussi con- 
sacré à Dieu, et qui l'atfectionne, elle le sait, à l'égal 
d'une mère. 

« Prévenu par une dépêche, mais retenu par les 
occupations du saint ministère, le prêtre dut attendre 
plusieurs jours avant' de revoir sa vénérée tante 
qui l'avait demandé. 

« L'aménité de son visage, le radieux sourire qui 






■■ 



— 353 — 

I'éclalrait toujours m'attiraient plus que jamais vers 
elle (raconte encore sa nièce). J'aurais voulu ne pas la 
quitter, tant je ressentais de bien-être â ses côtés. 
Tout en elle était entièrement soumis au bon plaisir 
de son divin Epoux : elle voulait bien vivre pour con- 
descendre aux désirs de ses chères novices et continuer 
de leur faire du bien, si toutefois c'était la volonté de 
Dieu ; elle acceptait de même le vouloir du divin 
Maître, s'il jugeait nécessaire de la retirer de ce 
monde. C'était le fiai le plus parfait. 

« Le lundi qui précéda sa mort, elle me fit signe 
d'approcher de son lit et me dit : « Sœur du Saint- 
« Sacrement, après ma mort, vous prendrez mon reli- 
« quaire de la vraie Croix, que votre tante, Mère 
« Safnt-Charles (Bénédictine du Saint-Sacrement à 
« Paris), m'a donné ; il sera pour vous. Je vous lègue 

également, de la manière que peuvent le permettre 
« nos saintes Règles, le livre des plus belles prières 
« de saint Alphonse de Liguori, avec V Année Eucha- 
« rislique... Mais prenez donc ce livre et cherchez-moi 
■ le chapitre qui prépare à la mort. Il est à la fin... Je 
» veux le lire. » Je le fis aussitôt et, après avoir cherché 
le chapitre, je le lui remis. Ma tante, avec une grande 
possession d'elle-même, prit alors ses lunettes et, 
tenant le livre entre ses mains, fit tranquillement sa 
lecture. Ensuite, elle le ferma, me le remit avec un 
calme absolu que nulle émotion ne trahissait. « Tenez, 
« me dit-elle, prenez-le maintenant. Il sera à votre 
« usage. » 

« Cet abandon à la miséricordieuse Providence 




354 - 



m'édifia tout particulièrement. C'est bien d'elle que 
l'on pouvait dire : Voici une religieuse qui ne craint 
pas la mort : elle la regarde en face et lui sourit. 

« A ses novices désolées, réunies autour de son lit 
de soulfrances, elle adressait ses suprêmes conseils : 
« Je ne vais pas vous en dire bien long, car cela me 

Fatigue : mais je tenais à vous voir. 

« Aimez bien voire Règle, votre vocation. N'ayez 
« jamais d'amitié particulière. Que toutes vos affec- 
« lions s'inspirent de Dieu. 

« Que la paix, l'union des cœurs, la concorde, la 
« bienveillance, la charité régnent parmi vous. 

Ne vous attachez qu'au Bon Dieu ; c'est là le vrai 
« bonheur. Voyez comme la vie est courte 1 Quand on 
« repasse lout ce qu'on a fait, ah 1 c'est bien peu de 
« chose... Supportez donc avec patience les petits 
« ennuis et les petites épreuves de chaque jour... 
« Je vous le répète, n'ayez pas de ces petites amitiés 
« qui vous conduiraient à la tiédeur. 

Aimez bien la Sainte Vierge ; c'est elle qui vous 
« gardera et vous conduira à Jésus. 

« Je pense que les paroles d'une pauvre mourante 
« resteront gravées dans vos cœurs. Maintenant, si 
.« j'ai eu des faiblesses pour ne pas vous avoir reprises 

de vos manquements, ou si je vous ai mal édifiées, 
< je vous en demande pardon... Vous me demandez 
• toutes pardon. Je vous pardonne bien aussi. » 

A ce moment, sa nièce, fondant en larmes et l'inter- 
rompant soudain, lui dit : « Tante, je vous demande 
« bien pardon publiquement de la peine que je vous 



— 355 



« ai faite. — Allons, allons, dit la mourante, en lui 
« serrant fortement la main, soyez calme, soyez rai- 
« sonnable ; ne vous laissez pas aller à la tristesse. » 
Et appuyant sur cette parole qui lui a constamment 
servi de devise pendant sa vie, elle ajouta : « Tout 
« souffrir... et ne rien faire souffrir. »... 

Puis s'adressant de nouveau à ses novices : « Ah ! 
je ne vous oublierai pas au Ciel ; mais vous, souvenez- 
vous aussi de moi dans vos prières ! 

« Aimez celle qui me remplacera. Ne lui faites 
« jamais de peine et respectez-la. 

« Et si je me relève de cette crise, je serai encore 
« avec vous... Mais que la volonté de Dieu soit faite I 
« Sainte Anne veut m'emmener dans son mois... 

« Nous sommes en des jours bien mauvais, en un 
« temps de persécution ; prions donc bien et aimons 
« bien le Bon Dieu. Aimez toujours votre saint état. 
« Soyez de bonnes religieuses. 

« Je vous bénis toutes, au nom du Père, et du Fils 
« et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il. 

« Dites avec moi une dernière prière : Jésus, Marie, 
« Joseph, je vous donne mon cœur, mon esprit et 
« ma vie. 

« Jésus, Marie, Joseph, assistez-moi dans ma der- 
« nière agonie. 

« Jésus, Marie, Joseph, faites que je meure paisi- 
« blement en votre sainte compagnie. 

« Sainte Anne, priez pour nous. 

« Saint Michel Archange, protégez-nous. » 



— 356 



« Cependant, malgré notre plus vif désir de la con- 
server, nous la voyions baisser d'heure en heure, au 
milieu d'horribles souffrances endurées avec le même 
héroïque courage. « C'est au moment de la mort, 
i disait-elle, qu'on est heureux d'avoir souffert. » 

S 'oubliant elle-même pour calmer l'anxiété de sa 
famille religieuse et des siens, la chère malade leur 
disait encore en celte soirée du 10 juillet : « Retirez- 
» vous et allez vous reposer. » La sœur qui la secon- 
dait avec tant de zèle dans la conduite du noviciat 
et lui prodiguait les soins les plus dévoués, voyant 
les douleurs qui fa torturaient, fut obligée de dissi- 
muler sa présence à cette chère maîtresse, si soucieuse 
d'éviter la moindre fatigue à son entourage. 

« Elle dut promettre également aux parents de la 
vénérée religieuse de les prévenir aussitôt, si le Bon 
Dieu la rappelait dans la nuit. 

Naturellement, ajoute sa nièce, cette nuit-là se 
passa pour nous sans sommeil. Nos pensées et notre 
cœur étaient constamment près de Sœur Marie-Anna. 
Il en étail ainsi lorsque, vers deux heures du matin, 
une des dévouées religieuses vint frapper discrètement 
à la fenêtre de la chambre occupée par ma bonne et 
digne mère. Aussitôt maman se lève en s'écriant sur 
un ton déchirant : « Oh ! mon Dieu, ma pauvre sœur ! 
Le voilà donc arrivé le moment. » Mon frère, ayant 
entendu le bruit, s'habillait en hâte et nous accom- 
pagnait près de la chère mourante. 

Quelle expression angélique avait son visage ! 
On ne l'eût plus dit de la terre. Sur sa poitrine était 



— 357 — 

posée l'image de ce Christ pour qui elle mourait ; et 
près de la croix rayonnait, suspendue au ruban bleu, 
la médaille de la Vierge Immaculée ; elle mourrait 
comme elle avait vécu : sous la protection maternelle 
de Marie. La blancheur de ses vêtements symbo- 
sait, à cette heure dernière, la vertu qu'elle avait le 
plus a 5 niée ; tout cet extérieur donnait quelque chose 
de céleste à cette vierge de la terre, qui bientôt n'en 
serait plus. 

« Après quelques courts instants de silence, mon 
frère lui prend la main et lui dit : « Tante, me recon- 
naissez-vous ? » La malade ne répond rien. Il insiste : 
« Tante c'est moi, votre neveu, qui vous bénis. » A 
cette parole, elle essaie d'articuler un mot. Mais ce 
« oui » qu'elle voudrait prononcer ne peut arriver 
jusqu'à ses lèvres. Alors elle promena ses regards, 
demeurés vifs et clairs, sur ceux qui entouraient son 
lit d'agonie... 

« La respiration devenait plus difficile, la fin appro- 
chait. Voyant cela, mon frère étendit sa main sur la 
mourante et lui donna une dernière bénédiction. A cet 
instant même, poussant deux petits cris, Sœur Marie- 
Anna de l'Enfant Jésus laissa tout doucement retom- 
ber sa tête et rendit le dernier soupir... Elle nous avait 
quittés pour une vie meilleure, le jeudi 11 juillet 1901, 
vers trois heures du matin. « Bienheureux ceux qui 
meurent dans le Seigneur 1 » 



« O vous, ses compagnes et ses sœurs, vous qui 
l'avez connue et aimée, souvenez-vous de son âme 



MMHHI 



— 358 — 

si pieuse, si pure, si aimante, si généreuse : rappelez- 
vous toujours, pour l'imiter quand viendra l'heure, 
l'énergie qu'elle montra quand elle vous dit adieu ! 

« O vous, ses chères novices et ses enfants en Notre- 
Seigneur, souvenez-vous de sa foi vendéenne, de son 
zèle pour Jésus et Marie, de son dévouement à vos 
âmes, de sa patiehce et de son courage invincibles 
au milieu de si grandes douleurs. Gravez en vos mé- 
moires ses adieux touchants. Elle vous a montré 
comment une mère sait souffrir et mourir. Soyez 
fidèles à son rendez-vous dans la Patrie !... » 

Telle était celle dont la disparition avait affligé 
si douloureusement la Bonne Mère Marie-Thérèse 
de la Croix. Toutes deux, elle et sa chère assistante, 
n'avaient en vérité qu'un cœur et qu'une âme ! 

Huit années avaient passé et le Seigneur avait 
enfin réuni en son éternel royaume ces deux sœurs 
selon la grâce, ces deux saintes religieuses si bien 
faites pour se comprendre. 



ÉPILOGUE 



ÉPILOGUE 



Bonne Mère Marie-Ambroise. — Nouvelles fondations : 
Sainte-Reine, Sèvres, Le Gâvre, Nort. — Une fête et un 
discours de noces d'or. 



La Mère qui avait présidé tant d'années à la vie 
de la Congrégation n'était plus. Tout en la pleurant, 
il fallait bien donner à tant d'orphelines une autre 
Mère. Là-haut, demandant pour leur chère Maison 
en deuil les lumières et les grâces nécessaires, la 
vénérée Fondatrice et celles de ses filles que Dieu 
avait déjà rappelées à Lui priaient. Et sur terre, 
pendant les jours précédant l'élection, on jeûnait, on 
implorait le secours-du divin Esprit. Enfin, le 24 mai 
1904, les suffrages désignèrent pour être Supérieure 
Générale la chère Sœur Marie-Ambroise. 

Très jeune, elle avait répondu à l'appel divin et 
consacré les prémices de sa vie au service du bon 
Maître, dans la maison de la Vierge Immaculée. 
Entrée à la Communauté au moment où celle-ci 
venait à peine de s'établir à la Haye-Mahéas, elle 
avait connu les heures les plus pénibles et pris sa 
part des plus rudes sacrifices. Il lui avait été donné. 
par son poste de secrétaire, de pénétrer plus avant 
que toute autre dans l'intimité de la Bonne Mère 

2j 



— 3C2 



Marie du l' Immaculée-Conception, d'entrer dans ses 
pensées, de s'imprégner de son esprit. 

A la mort de sa bien-aimée Supérieure, les fonc- 
tions de secrétaire lui avaient été conservées, mais 
en même temps lui était confiée la charge d'économe. 
Elle remplit ce double poste jusqu'au jour où elle 
partit diriger l'obédience de Sainte-Marie de Pornic. 
C'est là que vint la surprendre une nouvelle aussi 
pénible qu'imprévue : une lettre de la Haye lui 
annonçait que la maladie faisait son œuvre dans la 
chère Communauté et que les jours de Bonne Mère 
Marie-Thérèse de la Croix étaient désormais comptés. 

Recevant.de la main divine la charge tant redoutée 
du supériorat, Bonne Mère Marie-Ambroise eut la 
consolation de voir la bénédiction d'en-haut des- 
cendre sur ses œuvres. N'e pouvait-elle dire avec 
l'Apôtre : « Je puis tout en Celui qui me fortifie » ? 
Aussi ne prit-elle jamais aucune décision sans l'avoir 
mûrement pesée au pied de son crucifix. 

De la céleste Patrie, la vénérée Fondatrice bénis- 
sait sans doute sa chère fille et l'aidait, par son inter- 
cession, à poursuivre les fondations si heureusement 
entreprises. Notons, sans vouloir nous y étendre ici, 
celles de Sainte-Reine, de Sèvres, du Gâvre, de Nort, 
puis les constructions faites à la Maison-Mère : éta- 
blissement d'hydrothérapie adjoint au pavillon des 
pensionnaires malades, agrandissement des communs 
de la basse-cour... 

Au mois de mai 1914, la Communauté renouvelait 
le mandat de sa Supérieure. Quelques mois aupara- 



— 363 — 



vaut, la Communauté avait célébré les noces d'or de 
Mère Marie-Ambroise, en même temps que celles des 
chères Sœurs Marie-Joseph, Marie-Stanislas, Marie- 
Marthe et Marie-Antoine. 

Ce fut un bien beau jour que ce 4 décembre 1913. 
La solennité revêtit un caractère de pic lé fervente 
et de douce intimité. Il n'y avait là, en dehors de la 
famille religieuse de l'Immaculée, que les ecclésias- 
tiques attachés par leurs fonctions à la maison de la 
Très Sainte Vierge. 

Depuis de longues semaines, on préparait cette 
belle fête à l'insu des chères Jubilaires, qui, si elles 
avaient deviné quelque chose, se fussent, bien sûr, 
soustraites aux honneurs de cette reconnaissante 
manifestation. Dans un poème de belle inspiration, 
une religieuse retraça les différents épisodes de la 
vie de Bonne Mère Marie-Ambroise : heureusement 
interprétée par de jeunes novices et des enfants, 
cette pièce fut fort applaudie. 

L'inoubliable journée, que devait clôturer la béné- 
diction du Saint-Sacrement, avait commencé comme 
elle finissait, c'est-à-dire aux pieds de Nfotre-Seigneur. 

Avant la sainte Messe, célébrée à huit heures, le 
clergé était allé chercher les vénérées Jubilaires, qui 
furent conduites processionncllement à la chapelle, 
revêtue de sa parure des grands jours. 

A leur entrée, toutes les cinq furent accueillies par 
les paroles si bien appropriées du cantique : « Mar- 
chons au combat, à la gloire ». Puis on entonna le 
Veni Creqior et le saint Sacrifice fut offert par le 



— 364 — 

Révérend Père Supérieur; Traduisant les sentiments 
de foi, d'amour envers Dieu et de gratitude envers 
Marie, qui débordaient du cœur des heureuses élues, 
le chœur de chant faisait entendre successivement : 
Je crois en Dieu, le créateur des mondes ~ Qu'ils sont 
aimés, grand Dieu, les tabernacles! — A tes pieds, 
ô Mère., voici tes enfants. 

Au moment de recevoir leur divin Epoux dans la 
sainte Communion, les pieuses Jubilaires renouve- 
lèrent leurs vœux, affirmant à nouveau ce que cin- 
quante années de vie religieuse disaient déjà élo- 
queminent : ii savoir que le joug du Seigneur est 
suave et léger pour les* cœurs qui l'aiment. 

En vérité, le Révèrent! Père Cassieri, de Tordre des 
Franciscains, avait bien interprété leur bonheur dans 
l'éloquente allocution qu'A prononça à l'Evangile : 

« Exilas malulini et vespere deleclabis. 
» Vous me réjouirez, Seigneur, le ma- 
tin cl le soir. 

(Psaume 64, v. 9.) 

Mes chères Sœurs, 

« C'est une touchante cérémonie que celle qui se 
célèbre pour vous. Votre Jubilé 1... Ce mot ne sonne- 
t-il pas comme une noie d'allégresse ? En effet, c'est 
un jour de bonheur que celui qui s'est levé ce matin. 
Comment ne pas célébrer dans les sentiments d'une 
sainte et douce jubilation le cinquantième anniver- 
saire de voire naissance religieuse? Oui, réjouissez- 
vous doublement, car si c'est un jour heureux pour 



365 — 



vous, c'en est un aussi pour votre chère Congréga- 
tion de l'Immaculée-Conception, cpie vous deviez si 
longtemps et sî saintement servir. Elle se réjouit avec 
vous ici et dam toutes ses maisons ; d'autant plus 
que, parmi vous, se trouve celle-là même qu'avec 
tant de raison toutes les filles de l'Immaculée 
appellent leur Bonne Mère. Epouses du Christ, ré- 
jouissez-vous de célébrer aujourd'hui vos Noces d'or. 
« Des Noces d'or !... Encore un nom qui convient 
admirablement à cette solennité. Quand des époux 
chrétiens ont partagé pendant cinquante ans la même 
fortune, se sont, prêté un mutuel appui, se sont aimés 
d'un fidèle amour, rien ne leur est plus doux que de 
renouveler au pied des saints autels leur premier 
engagement, de réclamer une nouvelle bénédiction 
pour les années que Dieu voudra bien leur accorder 
de passer encore ensemble. Or, mes chères Sœurs, 
Jésus est l'Epoux de la sainte Eglise ; il lui a plu de 
se faire donner ce titre par l'apôtre saint Paul : 
Despondi vos uni viro virginem castam exliibcre 
Christo... (1) Il est aussi l'Epoux de l'âme choisie 
qui, dans un hymen virginal, s'est unie à Lui au jour 
de la Profession religieuse. Ce jour-là, le Seigneur lui 
a dit : Sponsabo te mihi in sempiternum. El sponsabo 
te mihi in justifia. Je célébrerai avec toi une éternelle 
alliance. Je célébrerai avec toi de saintes fian- 
çailles. (2) 



(1) S. Paul, il, Cor. xi, 2. Je vous ai iiancecs à un Kpoux unique, 
vous présentant au Christ comme une vierge pure. 

(2) Osée, il, 19. 



— 366 






« Au souvenir du beau jour de votre première Pro- 
fession, à la pensée de ces chers vœux que vous allez 
renouveler aujourd'hui, c'est-à-dire au matin et au 
soir de votre vie religieuse, réjouissez-vous. 

« En rappelant les miséricordes du Seigneur des- 
cendues sur vous depuis cinquante ans, en regardant 
ces promesses réalisées déjà et celles qui se réalise- 
ront bientôt, redites ces paroles du Prophète : Exitus 
matutini el vespere ddectabis. Vous me réjouirez, 
Seigneur, le matin et le soir. 

« Dieu vous a réjouies dès le matin. Que vous 
dirai-je, mes chères Sœurs ? Jetez les yeux sur votre 
vie déjà longue, dites-moi ce qu'elle a été et quel en 
iut le plus beau jour. Sans doute, vous n'hésiterez 
pas un instant ; vous ne direz pas comme Jacob à 
Pharaon : « Dies peregrinationis meœ parvi et mali. Les 
« jours de mon pèlerinage ont été courts et pleins de 
« misère. (1) » Car votre vie a été longue et remplie 
de la joie du Seigneur. Dans le service de Dieu, la vie 
est-elle jamais triste?... 

■ « Mais dans cette vie, le plus beau jour, me direz- 
vous, fut celui où je me consacrai au Seigneur, dans 
la naissante Congrégation de l'Immaculée-Concep- 
tion. Que de grâces de choix, que de faveurs spiri- 
tuelles, quelle abondance de célestes bénédictions 
supposent dans une âme l'appel de l'Epoux divin 
et la correspondance à cet appel ! Ce sont justement 



(1) Genèse, xlvii, 9. 



— 367 — 

ces grâces que je nommais avec un prophète « la pluie 
du soir et la rosée du matin (1). » 

« Certes, mes chères Sœurs, le souvenir de cette 
munificence du Créateur pour vous doit remplir 
votre cœur d'une sainte allégresse. Avec une voix 
douce comme l'amour, Il Venait vous demander votre 
cœur, votre voloriîé, vous-mêmes, enfin tout ce que 
vous aviez, tout ce que vous pouviez avoir. Mais il 
ne faisait pas que demander, car II possède de si 
riches trésors ! Il venait avec des promesses bien 
consolantes, avec des dons bien magnifiques... Oh ! 
comme le Seigneur se plaît à embellir et à réjouir le 
matin de la vie religieuse ! Quel est encore le lévite, 
l'appelé du Seigneur, qui n'a connu ces douces joies 
à l'aurore de son sacerdoce ? Quelle est la novice qui, 
même à l'heure de la séparation la plus cruelle à la 
nature, n'en a fait l'aimable expérience ? 

s II venait avec des promesses : « Parce que tu 
m'as aimé, disait- II, je viendrai en toi. Mon Père 
viendra, mon Esprit viendra, et ensemble nous 
ferons de ton âme notre temple et notre sanctuaire. 
O vierge, je t'ai choisie pour être mon épouser La 
vertu du Très-Haut t'ombragera. Elle abritera ton 
cœur contre toutes les ardeurs malsaines ; ton âme 
sera un sol fertile ; toutes les vertus dont j'ai été le' 
modèle, tu les pratiqueras à ma suite. Je suis la fleur 
des champs, tu seras le lys de la vallée : un lys que 
je saurai faire croître au milieu des épines. Ne crains 



(1) Joël, II, 23. 






— 368 — 



rien, je serai avec toi et aucun mal ne t'atteindra. 
Tes larmes, je - les essuierai ; tes troubles, je les apai- 
serai ; je te reposerai de toutes tes fatigues. » 

« Il venait, le divin Sauveur, non seulement avec 
des promesses, mais aussi avec des dons. Quelle riche 
et magnifique corbeille que celle du céleste Fiancé ! 
Sans doute, il y a les trois clous des vœux ; il y a la 
sainte Règle, les sacrifices que son accomplissement 
exige. Mais, songez encore à toutes les grâces qu'ap- 
porte avec elle l'invitation à Le suivre : grâces qui 
font des trois vœux, dans une vie consacrée à Lui 
seul, bien plus un soulagement qu'une surcharge... 
La Règle n'est pas une chaîne d'esclave, mais un 
joug suave et un fardeau léger. 

« Du reste, Il l'a dit lui-même : « Celui qui me sui- 
vra aura le centuple dès ce monde. » Comme elle est 
vraie, cette parole ! Centuple, en effet, de pure et 
sainte affection au milieu des Epouses du Christ, 
vos sœurs. Ecce quam bonum et quam jucundum 
habitare fratres in unum ! (1) Centuple de dévoû- 
nient, d'un dévoûment éclairé et surnaturalisé, de la 
part de celle à qui vous avez donné le doux nom de 
Mère. C'est bien dans la vie religieuse que les Supé- 
rieures sont des mères tendres et dévouées, selon le 
précepte du Maître. 

« Et maintenant, du jour de votre Profession au 
jour de votre Jubilé, je franchis bien vile un long 
espace : cinquante années et plus d'obéissance, de. 



(1) Psaume 132. 



3G9 



travail, d'application aux œuvres, cinquante années 
vécues par vous dans la vie religieuse ! 

« Pour vous, ma chère Sœur Marie-Arabroise, ce 
demi-siècle a été consacré à un travail incessant. 
Tous les emplois de la maison, vous les avez eus. Et 
si, pour commander, il faut avoir obéi, ah 1 comme 
vous étiez bien préparée à la première charge de la 
Congrégation, que vous remplissez, comme toutes les 
autres, avec tant d'humilité et d'esprit de foi I 

« Ma chère Sœur Marie- Joseph, votre nom de pro- 
fession était déjà tout un programme. Ce programme, 
vous l'avez magnifiquement réalisé. Votre dévoû- 
ment à l'enfance et votre charge d'économe, où vous 
avez si bien allié la pauvreté à la charité, ont fait 
revivre dans la Congrégation, pour l'édification de 
tous, les vertus de la Sainte Famille. 

Il semble bien, ma chère Sœur Marie-Stanislas, 
que votre rôle, à vous, était de représenter l'apôtre 
du Sacré-Cœur. Par votre plume de secrétaire, vous 
êtes « l'Evangéliste » de la Congrégation ; de plus, 
vous n'avez cessé de l'édifier par une charité qui, 
après s'être répandue sur les enfants du village, à 
l'école, se donne, le jour, aux soins spirituels des 
grandes professes et, la nuit, à la garde vigilante des 
pauvres malades. 

« Quant à vous, ma Sœur Marie-Antoine, vous 
avez été la quêteuse intrépide. Elle était bien pauvre, 
en ses débuts, la petite Congrégation de l'Immacu- 
lée, et pour l'amour de Marie, vous alliez tendre la 
main et implorer la charité des fidèles I Quel est le 



— 370 — 



chemin du diocèse que vous n'ayez courageusement 
parcouru ? Quel est l'étage de la ville de Nantes que 
vous n'ayez rapidement gravi ? 

« Pourquoi faut-il que la maladie retienne loin de 
nous, dans cette belle journée, la Sœur Marie-Marthe, 
la véritable doyenne de la Congrégation, elle qui en 
a vu la naissance, elle dont cette maison fondée et 
dirigée par elle à Nantes depuis tant d'années dit, 
mieux que des paroles, le labeur et le dévoûment ! 

« Mais par-dessus tout, pendant ces cinquante 
années, que de prières ferventes adressées par vous 
toutes à Dieu ! Que de communions, que d'actes 
surnaturalisés, que de mérites accumulés ! Ne puis- 
je pas, devant cette magnifique moisson, redire 
encore : Réjouissez-vous ! 

« Nos saints Livres, qui tout à l'heure nous par- 
laient de la rosée du matin, mentionnent aussi et la 
pluie et la moisson du soir. Chacune de vous arrosera 
donc de ses sueurs et de ses larmes les fleurs de la 
vertu et des sacrifices. Et ainsi, mes chères Soeurs, 
vous récolterez au vrai soir, au couchant de votre 
existence. 

a Comme il est paisible, joyeux même, ce couchant 
qui projette encore de si douces lueurs I Plus ils en 
approchaient, plus aussi les Saints sentaient les 
douces joies du sacrifice. Broyé par la douleur, res- 
sentant toutes les souffrances de ses stigmates sacrés, 
saint François d'Assise invitait toute créature à 
s'unir à lui pour chanter le Seigneur. Biejitôt, pour 
le ravir, au-dessus de sa couche de douleurs, qui sera 



— 371 — 

sa couche funèbre, les Anges feront entendre de 
célestes mélodies. N'est-ce pas là aussi la grande joie 
du soir de la vie religieuse ? O bonheur de pouvoir 
nous dire que notre mort nous ouvre la bienheureuse 
éternité 1 La s^ule considération de cette joie 
suprême ne suffirait-elle pas déjà pour décider une 
âme à se donner à Dieu dans la vie religieuse? Le 
crime ou la folie du monde, en effet, c'est de dissiper 
tellement l'esprit et le cœur, par ses distractions, ses 
intérêts, ses plaisirs, que la vie se passe sans que l'on 
ait le temps, pour ainsi dire, de songer à Dieu. Oui, 
mais quand « la figure du, monde s'évanouit » (1), 
quand les vanités séduisantes fuient comme l'ombre, 
quand on se retrouve seul à seul en face du Juge 
suprême, on pousse ce cri d'angoisse : « Ah I il est 
vraiment terrible de tomber entre les mains du Dieu 
vivant ! » (2) 

' « Pour vous, mes chères Sœurs, dans .des années 
que nous désirons éloignées, afin de pouvoir, en 
1923, faire vos noces de diamant, viendra cependant 
la dernière prière du soir, qui rafraîchira vos âmes 
fatiguées et prêtes à s'envoler. Ce sera encore la joie, 
car ce sera la suprême moisson. Quelle moisson sera 
celle de vos prières et de vos œuvres ! Vous l'empor- 
terez comme des grappes mûres et comme des gerbes 
pleines dans les greniers et les celliers du Père de 
famille. Ah ! vous rappelant alors les beaux jours de 



(1) S. Paul, i, Cor. vil, 31. 

(2) Héhr., x, 31. 









'372 



votre profession, de votre vie toute consacrée à Dieu, 
revivant la fête de vos Noces d'or, vous sentirez 
votre âme tressaillir à l'approche du céleste Epoux 
et vous aurez vraiment raison de répéter avec le 
Prophète royal : « Seigneur, vous m'avez réjouie le 
« matin et le soir. » Douce espérance I Vous vous 
réjouirez pendant les siècles des siècles. Et ce seront 
là les noces éternelles. «.Amen. » 



Au moment de clore ces pages, il nous reste à 
adresser au Ciel de nouvelles actions de grâces. Le 
11 août 1919, Sa Grandeur Mgr Le Fer de la Motte, 
évêque de Nantes et Supérieur de la Communauté 
depuis le départ du bon et regretté chanoine Blatier, 
venait présider les élections. 

Les suffrages unanimes se réunirent de nouveau 
sur la tête de la vénérée Mère Marie- Ambroise, tandis 
que la chère Sœur Marie-Agnès était réélue Assis- 
tante. 

Investie pour la troisième fois de l'autorité suprême 
dont elle connaissait toutes les responsabilités, l'âme" 
généreuse de notre Bonne Mère ne sut que. répéter, 
au milieu de ses larmes : « Priez • pour moi, mes 
enfants ! » C'est un devoir bien doux de reconnais-'' 
sance et de piété filiale que toutes sont heureuses de 
rendre à leur Mère très aimée, pour alléger le poids 
de sa lourde charge et lui permettre de se dévouer 
longtemps encore à la gloire de Dieu et au salut des 
âmes. 






APPENDICE 



Hôte sur M. le Ghatioine de la Guibourgère 



M. de la Guibourgère avait été ordonné prêtre dans 
sa vingt-troisième année. Dès sa sortie de Saint- 
Sulpice, Mgr Jaquemet se l'attacha comme secré- 
taire, en remplacement de M. l'abbé Colin, entré 
chez les Missionnaires de l'Immaculée-Conception, 
puis chez les Carmes déchaussés. Il occupa ces fonc- 
tions pendant de longues années et y ajouta, en 1858, 
à la demande du Père Sébastien, celles de Supérieur 
ecclésiastique de la petite Communauté naissante, 
dont il demeura toujours le plus dévoué des protec- 
teurs. 

Chanoine de Nantes en 1863, M. de la Guibourgère 
sollicita et obtint, durant la terrible guerre de 1870- 
1871, le poste d'aumônier militaire. En cette qualité, 
il put prod'guer ses consolations et ses soins dévoués 
aux prisonniers français internés à Erfûrt. 

Après la guerre, sa nomination de chapelain de 
Notre-Dame des Victoires, à Paris, vint mettre un 



. — 374 — 

terme aux douloureuses perplexités dont il souffrait 
depuis deux ans. La mort de Mgr Jaquemet, arrivée 
le 9 décembre 1869, avait fait retomber sur lui 
toute la responsabilité du Supériorat de la Commu- 
nauté naissante. Le vénéré prêtre, dans son humilité, 
redoutait d'être un obstacle aux desseins de la Provi- 
dence et demandait à Mgr Foumier de le démettre 
de sa charge. C'était le départ, la séparation ; 
épreuve doublement sensible : il souffrait de faire 
souffrir celle à qui était adressée la lettre suivante : 



« Ma chère Fille en X.-S. J.-C, 

« Vous apprenez sans doute aujourd'hui ce que le 
Bon Dieu a décidé pour son pauvre serviteur. Comme 
je l'avais prévu depuis quelque temps, il fallait 
attendre un brusque dénouement à la situation 
embarrassée et embarrassante où je me trouvais. 
Ce dénouement est arrivé. Il m'a été dit que je ferais 
mieux d'accepter quelque occupation plus au loin ; 
j'ai dû, en conséquence, répondre aux propositions 
qui m'étaient faites par Mgr l'Archevêque de Paris, 
qui m'appelle aux pieds de notre bonne Mère du 
Ciel, à Notre-Dame des Victoires. Xe pensez-vous 
pas, comme moi, que notre douce Reine veut bien 
conduire tout cela ? 

Ma vie était environnée d'obscurité et de tris- 
tesse. Puis tout à coup la lumière se fait ; le sacri- 
fice est bien là sans doute encore avec ses épines qui 
se font vivement sentir ; mais enfin, sachons que 



375 



cela est bon, et du moins l'onction divine donne les 
forces nécessaires pour le supporter. 

« Je peux m'éloigner ; croyez que mon cœur reste 
avec la chère œuvre à laquelle nous avons travaillé 
ensemble si longtemps. Rien ne l'en fera jamais sor- 
tir. » 

En effet, aussi bien de la cure de Saint-Georges 
qui lui fut confiée, en 1875, après le vicariat d'Au- 
teuil, que, plus tard, en 1890, de celle de Saint- 
Germain-des-Prés, M. le chanoine de la Guibourgère 
ne cessa, malgré son éloignement, de s''ntéresser à 
l'œuvre de l'Immaculée. A chacun de ses voyages en 
Bretagne, '1 aimait à visiter sa chère Communauté de 
la Haye-Mahéas, assistant aux exercices religieux, 
afin de s'assurer par lui-même si l'esprit de ferveur 
y était bien conservé. Pendant le mois du Rosaire, 
on pouvait voir le vénérable vieillard, presque octo- 
génaire, se tenir debout au pied de l'autel pendant 
toute la récitation du chapelet, dont il accentuait 
les prières avec un accent de foi inexprimable. 

Jusqu'à la veille de sa mort, le pieux chanoine 
remplit à Notre-Dame les fonctions de maître des 
cérémonies, dont il s'acquittait avec une dignité 
incomparable. 

Une attaque de paralysie le terrassa, mais respecta 
sa belle intelligence dont il usa, jusqu'à ses derniers 
instants, pour prier avec une ferveur angélique, 
accueillir avec sa bonté ordinaire ses amis et ses 
proches, recevoir avec une respectueuse vénération 






1 



— 376 — 



les visites de Son Eminence le Cardinal Amctte, qui 
avait une particulière estime pour le pieux malade. 
Au cours de sa pénible agonie, celui-ci baisait le cru- 
cifix et remerciait des prières faites à son intention. 
11 s'endormit dans le Seigneur le U7 juin 1919. 

Heureuses de pouvoir témoigner leur gratitude à 
leur bon Père, les religieuses de l'Immaculée avaient 
près de lui l'une d'entre elles qui conserve pieuse- 
ment, en son cœur ému, le souvenir des dernières 
semaines si édifiantes de cette belle vie. 

Les Filles de' la vénérée Fondatrice lui devaient, 
en effet, la plus vive reconnaissance pour une notice 
documentée de leur Bonne -Mère, parue en 1908, et 
qu'il écrivit en de trop rares heures de loisir, au milieu 
des soucis d'un ministère absorbant. .Mgr Rouard 
interprétait bien leurs sentiments de gratitude dans 
l'approbation donnée à l'ouvrage le 31 Mars 1908 : 

Vénéré Monsieur le Chanoine, 

- Je partage la très vive reconnaissance de mes 
1res chères tilles, les Sœurs de l' Immaculée-Concep- 
tion, et de leur Supérieur tout dévoué, M. le cha- 
noine Blatier. 

Témoin de la naissance de leur pieuse Commu- 
nauté, nul - mieux que vous ne pouvait leur retracer 
la vie si édifiante de leur Fondatrice, et l'action de 
Dieu sur leur œuvre d'apostolat et t\c charité. 

' Fn méditant les pages que vous leur offrez, les 
filles de la lionne Mère Marie » se sentiront remplies 



— 377 — 

d'un zèle nouveau pour la pratique de toutes les 
vertus qui, en la sanctifiant, en ont fait une si admi- 
rable servante des malades et des pauvres... 

« Ainsi encouragées et édifiées par votre livre si 
véridique et si pieux, les Sœurs de l'Immaculée- 
Conception garderont fidèlement, dans la prière, la 
mémoire de Mgr Jaquemet et la vôtre, vénéré Mon- 
sieur le Chanoine, qui, sous l'inspiration de ce saint 
Evêque, avez été, pendant de si longues années, 
leur guide éclairé et dévoué. » 




24 



HH WÊt 



TABLE DES MATIÈRES 



PREMIÈRE PARTIE 



Chapitre Premier 

Enjance et Jeunesse 

L'éveil d'une âme. — Goût précoce pour la prière. 
— L'attrait du monde. — Victoire de la grâce et 
premiers sacrifices. — La grande sœur. — La 
vocation : l'amour des pauvres. — Les petits ramo- 
neurs 

Chapitre Second 
La naissance d'une œuvre 



Une fondation inattendue. — Les premières com- 
pagnes. — La première fleur cueillie pour le Ciel. 

Dévotion à la Croix et à Marie Immaculée. — 

Dans un coin du vieux château. — Dénuement et 
sainte joie. — Une règle vivante. — « Dieu avec 
nous. » — La montre et les gâteaux bénits. — 
Heures critiques. — A- la recherche d'un toit. — 
Rêves d'avenir. — Le saint habit. — Les premiers 
vœux 



33 






■ 



— 380 — 
Ch wniiE Troisième 
La Maison de V Immaculée-Conception 
Le vieux château de la Haye-Mahéas. — Détache- 
ment et confiance en Dieu. — Mortifications de 
la Bonne Mire. — La Fondatrice. — Le premier 
essaim. — L'appel de Monseigneur. — Installa- 
tion définitive. — Accroissement du noviciat. — 
Les souhaits de fète à ] a Sainte Vierge mi 



Chapitre Quatbième 

La Mère 

Premier voyage à Paris. — Une âme de sacrifice et 
d'oraison. — Sœur Marie-Amhroise. — La fète 
du retour. — A Bordeaux ; une âme toute à Dieu. 
— Mort de Mgr laquemet. — L'année terrible 

(1870). — Mgr l'ournier, évèque de Nantes. 

Une tempête. — Les déchirements d'un cœur 
maternel. — Le calme renaît. — « L a sublime 
vocation de la Croix. » ~ Une Mère fondatrice 
redevenue écolière. — Une Maîtresse improvisée. 



121 



Chapitre Cinquième 
Les Formatrices d'âmes 

Les exhortations dune Mère. — L'apostolat de la 
„ souffrance.'— Une consolatrice. — Au secours 
des âmes appelées. — Un saint aumônier. — La 
musicienne. — Maladie et chagrins. — Rédaction 
de la Règle. — Dévotion aux âmes du Purga- 
toire. — Un grand deuil : la mort de Sœur Domi- 
nique (M"* Aimée Durand, de Châteaubriant). — 
Une auxiliaire admirable. — Dans le rayonnement 
d'une sainte âme : Sœur Marie-Louise, Sœur Ma- 
rie-Etienne, Sœur Marie-Pauline, Sœur Marie- 






— 381 — 

Victor, Sœur Marie-Françoise, Sœur Marie-Cathe- 
rine, Sœur Marie de la Purification, Sœur MaTie 
de la Miséricorde, Sœur Marie-Ignace. — La for- 
mation des gardes-malades. — Soucis matériels. 147 

Chapitre Sixième 

Vie intérieure 

Marthe et Marie. — La journée d'une Fondatrice. 
— Silence et humilité. — Les croix de Provi- 
dence. — Une âme d'élite : Sœur Thérèse de Jésus 
(M" e Sophie Derval, de Chaleaubriant). — ■ 
L'union à Dieu au milieu du monde : un voyage à 
Paris. — Le deuil d'une amie d'enfance. — Appro- 
bation de la Règle (1885). — Une cérémonie tou- 
chante : les Vœux perpétuels 189 



Chapitre Septième 

Les dernières années 

Le travail dans la souffrance. — Les Sœurs gardes- 
malades à Nantes, à Sainle-Marie-de-Pornic. — Un 
corps usé, une âme qui ne vieillit pas. — Une 
conversion par la Sainte Face. — Un accident 
évité. — La nouvelle chapelle. — Les signes pré- 
curseurs. — Un vrai martyre. — Les derniers 
Sacrements. — La mort dans la paix. — Suprêmes 
hommages 



225 



DEUXIÈME PARTIE 



Chapitre Premier 

Bonne Mère Marie-Thérèse de la Croix 

Une enfant charitable et pieuse. — Le choix d'une 
Communauté. — Dans le vieux manoir de Clià- 







382 — 



teaubrian-t. — La sainte folie de la Croix. — A la 
Haye-Mahéas. — Les conseils d'une Carmélite. — 
Vœux perpétuels. — La Supérieure. — Labeur et 
dévoûment. — La chapelle neuve. ■ — La fin d'un 
incendie. — Une guérison à Lourdes. — La pro- 
cession de la Fête-Dieu. — L'obédience de Redon. 
— Nouvelles fondations à Nantes, à Bellou-eh- 
Houlme. — Réélection de la Bonne Mère. — Les 
maisons du Pouliguen et de Champtoceaux. — 
Agrandissements à la Maison-Mère. — Supérieure 
encore. — Les tristesses d'un cœur maternel. — 
Inlroïbo ad altare Dci. — Grandes souffrances et 
sainte mort. — Eloges et regrets 






263 



Chapitre Second 



Sœur Marie- Anna de V En/anl Jrsus 

Une bonne petite couturière. — Rêves d'avenir et 
incertitudes. — Un conseil d'ami. — La rentrée au 
couvent (récit d'une sœur). — Les petites orphe- 
lines. — La Maîtresse des Novices. — Direction 
aux absentes. — ■ Quelques belles âmes envolées. 
— Edifiants souvenirs d'une nièce. — Les der- 
nières années, la maladie la mort 



323 



EPILOGUE 



Bonne Mère Marie-Ambroise. — Nouvelles fonda- 
tions : Sainte-Reine, Sèvres, Le Gâvre, Nort. — 
Une fête et un discouis de Noces d'or . 



461 



APPENDICE 



Note sur M. le Chanoine de la GuitKiurgère 



- — 



fil 




373 



Imprimerie Nantaise, E. GUITTARD, 1, Qi'ai Duquesne, Nantes 






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