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Full text of "Galerie française. Volume 17 : Meurthe-et-Moselle"

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MEURTHE-ET-MOSELLE 



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I BIBLIOTHEQUE 
SAINTE | 
GENEVIEVE 






Galerie Française 

Ouvrage honoré d'une souscription du Ministre de l'Instruction publique 
PUBLIÉ AVEC L.V COLLABOH ATION DE : 

Recteurs, Inspecteurs généraux de l'Université, Inspecteurs d'Aca- 
demie, Inspecteurs primaires, Doyens de Faculté des lettres, Pro- 
fesseurs agrégés des lycées et collèges, Publicistes, etc., etc. 

Mettre dans les mains de nos écoliers français un livre de 
lecture qui fasse revivre à leurs yeux et grave dans leur esprit, 
le passé historique de la terre natale, avec son cortège d'illus- 
trations et de célébrités, tel est le but de la « Galerie Fran- 
çaise ». , , . . 
' Divisée en quatre-vingt-six volumes — un par département — 
cette Galerie est, au premier chef, une œuvre de patriotisme et 
constitue un précieux instrument d'éducation civique : elle élargit 
heureusement, dans le sens local, jusqu'à ce jour un peu néglige, 
le champ des connaissances historiques de l'écolier; elle impose 
à l'esprit de ce dernier le souvenir des gloires ou des mentes 
d'hommes qui sont nés du même sol que lui et ont immortalise ce 
berceau commun, et, réchauffant par là son culte pour la terre 
de la Patrie, elle exploite noblement, pour la plus pure édifica- 
tion de la Jeunesse, le grand héritage de nos pères, si riche en 
Glorieux exemples, si prodigue défères leçons. 
" La rédaction des quatre-vingt-six livres qui composent la * Ga- 
lerie Française » a été demandée aux plumes les plus autorisées; 
il suffira de citer quelques noms : MM. Régis Artaud, inspecteur 
d'Académie; Compayré, recteur de l'Académie de Poitiers; Cau- 
seret inspecteur d'Académie, docteur es lettres; Chanal, inspecteur 
d'Académie; Delaage, professeur à la Faculté de Montpellier; 
Adrien Dupuy, professeur agrégé au lycée Lakanal;A. Durand, 
secrétaire de l'Académie de Paris; Duplan, inspecteur général de 
l'Université; E. des Essarts, doyen de la Faculté des lettres de 
Clermont-Ferrand; Flourens, ancien ministre des Affaires étran- 
gères- Guillon, agrégé d'histoire, docteur es lettres; Martel, ins- 
pecteur général' de l'Université; Métivier, inspecteur gênerai 
honoraire; Fleury-Ravarin, conseiller d'Etat; Riquet, professeur 
à l'Ecole alsacienne; A. Theuriet, lauréat de l'Académie fran- 
çaise; Sevin-Desplaces, conservateur à la Bibliothèque \attonale; 
E Delmel, député, ministre plénipotentiaire ; Léo Claretie; H. Soi- 
noury; Brunel, directeur de l'Enseignement primaire du Nord; 
L. Mainard, professeur au collège Chaptal. 

Chacun des livres de la « Galerie Française forme un m-iS 
Jésus, tiré sur beau papier, illustré de portraits gravés sur bois et 
cartonné avec titre spécial- 
Prix du volume : 1 fr. 20. 



, 



GALERIE FRANÇAISE 




PAR 



V. RIQUET 

officier d'académie 
licencié es lettres, professeur a l'école alsacienne 










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PARIS >^b 

CUREL, GOUGIS & C^ 

ÉDITEURS 
3 et 5, Place de Valois 

Tous droits réservés 












MEURTHE-ET-MOSELLE 



(chef-lieu : Hancy) 



Le déparlement a une superficie territoriale de 523,298 hec- 
tares, divisée en 4 arrondissements, 29 cantons, 596 communes. 
Sa population est de 444, loO habitants. Nancy est le siège du 
4 e arrondissement forestier. 

Commerce et Industrie. — Le département est un pays agri- 
cole, d'exploitation et manufacturier. Les principaux articles 
de commerce sont : les grains, le vin, la bière, les eaux-de-vie, 
les salaisons, le sucre de betterave, les confitures et conserves 
de fruits, les batistes et toiles de Nancy, les cristaux renommés 
de Baccarat, les glaces de Saint-Quirin ; il y a des fabriques de 
produits chimiques, de porcelaines, de poteries, de toiles, etc. 

Armée, Justice, Cultes. — Le département fait partie du 6 e corps 
d'armée. Nancy est le siège de la Cour d'appel, d'un évêché 
suffraganl de Besançon, d'un consistoire pour le culte protes- 
tant, et d'un consistoire pour le culte judaïque. 

Instruction publique. — Nancy est le siège de l'Académie. 
Enseignement supérieur: Facultés de Droit, de Médecine, des 
Sciences, des Lettres, et École supérieure de Pharmacie. En- 
seignement secondaire : Lycée à Nancy ; Collèges communaux 
à Lotigwy, Lunéville, Pont-à-Mousson, Toul. Enseignement pri- 
maire : Écoles normales d'instituteurs et d'institutrices il Nancy ; 
École professionnelle de l'Est à Nancy; Écoles primaires supé- 
rieures de garçons à Nancy, de filles à Nancy et à Ponl-à- 
Mousson:il y a 94G écoles primaires publiques (313 de garçons, 
306 de filles, 327 mixtes) et 83 écoles maternelles recevant 
53,761 enfants de G à 13 ans. Il y a 681 bibliothèques scolaires, 
322 caisses d'épargne scolaires, et 307 caisses des écoles. Sous 
le rapporl.de l'instruction des conscrits, le département occupe 
le 13 e rang (98 conscrits sur 100 savent lire). 



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I - LE PAYS ET LES GENS 



^ Le département de Meurthe-et-Moselle, taillé dans 
l'ancienne province de Lorraine et dans une partie des 
Trois-Evêclu's, doit son nom aux deux principales 
rivières qui le traversent. Meurthe avant la guerre, il 
est devenu Meurthe-et-Moselle après nos désastres, 
depuis qu'on y a rattaché, de l'ancien département de 
la Moselle, le tronçon mutilé de l'arrondissement de 
Briey. 

Il est situé dans la région nord-est de la France et 
confine maintenant à l'Allemagne sans qu'aucune dé- 
fense naturelle le protège efficacement contre ses ter- 
ribles voisins. 

Sans l'arrondissement de Briey, il formerait un 
triangle presque régulier. Tout entier situé sur le pla- 
teau de Lorraine, il domine d'un côté la vallée d'Al- 
sace, de l'autre, la plaine de Champagne. 

Comparativement à son peu d'étendue, il est un des 
plus boisés delà France. Le relief du sol est accidenté, 
le climat y est rude et sujet à de brusques variations. 

Adossé à la chaîne des Vosges, ce département s'in- 
cline au couchant et au nord, descendant en pentes 
douces ou en larges ondulations, tour à tour sommets 
couronnés de la sombre verdure des sapins, plateaux 
fertiles ou vallées riantes. 

Entre la Meurthe et la Moselle, s'étend la forêt de 
Haye, une des plus belles de France; c'est la prome- 
nade favorite des Nancéiens. Les bords de la Moselle 
offrent des sites fort pittoresques. Ici, ce sont des rocs 



6 



MEURTUE-ET-MOSELLE 



escarpés, nus, décharnés, là, de vertes prairies, plus 
loin, des bois ou des terres cultivées, et par intervalles, 
suspendus au flanc des coteaux bien exposés, des vi- 
gnobles, dont les vins peuvent rivaliser avec ceux du 
Rhin. 

L'agriculture est en grand honneur dans notre dépar- 
tement. La vigne domine dans l'arrondissement de 
Toul, les houblonnières dans celui de Lunéville, tandis 
que les plus grasses prairies et les terres les plus fé- 
condes se rencontrent principalement dans le bassin de 
la Meurthe. Parmi les fruits dont la région abonde, la 
prune mirabelle est un des plus renommés. 

Le pays est riche en minerais. Il tient le premier rang 
pour la production du sel et pour la fabrication de la 
fonte. 

Les faïences de la Lorraine jouissent d'une réputa- 
tion universelle. Quant à ses verres et à ses cristaux, 
ils font la richesse en même temps que la gloire de la 
contrée. Le nom de Galle est aussi connu dans le nou- 
veau monde, que dans l'ancien, et les œuvres de l'ar- 
tiste lorrain, justement appréciées, ont déjà leur place 
dans nos musées ou dans la vitrine des collectionneurs. 

Ainsi, non seulement l'agriculture et l'industrie, 
mais l'art industriel, sont bien représentés dans notre 
département. 

Que dirons-nous du caractère des habitants? Placés 
de tout temps entre des peuples rivaux, les Lorrains 
semblent avoir participé à la fois de la nature de chacun 
de leurs voisins. Ils ont cependant une physionomie 
distincte et des traits nettement accentués. Froids à 
l'abord, réservés, presque défiants, ils n'en ont pas 
moins des cœurs chauds, capables de généreux dé- 
vouements et qui, une fois qu'ils se sont donnés, ne se 



LE PAYS ET LES GENS ' 

reprennent plus. Le proverbe : « Lorrain, chien, vilain : 
traître à Dieu, à son prochain » est plus qu'une injure; 
c'est une injustice, contre laquelle protestent les qua- 
lités d'esprit et de caractère de la population. 

Une de ces qualités, sur laquelle on ne saurait trop 
insister, c'est le patriotisme. Peu de départements, 
pendant les guerres de la République et de l'Empire, 
ont fourni plus de fameux capitaines. C'est que, placés 
non loin de la frontière, au poste d'honneur, les hommes 
de l'Est ont vu de près les horreurs de la guerre, et 
qu'ils entendent plus distincte, de l'autre côté des 
Vosges la plainte de nos frères, arrachés violemment 
à la Patrie française. 



II. - AGRICULTEURS 



Le département de Meurthe-el-Moselle a produit un 
grand nombre d'hommes remarquables. Nous com- 
mencerons par ceux, moins célèbres, mais non les 
moins méritants, qui ont consacré leur vie et leurs 
efforts aux progrès et à l'amélioration de l'agriculture. 

Parmi eux, nous ne trouvons pas de nom plus en 
vue que celui de Mathieu de Dombasle. C'est à lui que 
l'on doit la première école française d'agriculture. 

Dombasle (1777-1843). 

Christophe- Joseph-Alexandre. l/«/A/>» de Domèaslé, 
naquit à Nancy, le 26 février 1777, d'une famille que le 
duc Léopold avait anoblie au xvm° siècle. 

Il fit ses premières études à la maison paternelle et 



H 



MEURTIIE-ET-MO SELLE 



entra à l'âge de douze ans au collège de Saint-Sym- 
phorien, à Metz. Il se distingua de bonne heure par son 
ardeur au travail et son caractère réfléchi. La Révo- 
lution vint l'interrompre au milieu de ses classes. Il 
s'adonna alors aux beaux-arts. Il partageait son temps 
entre la musique, le dessin, la gravure; la chasse était 
sa distraction favorite. A 20 ans, il s'engagea comme 
volontaire dans les armées de la République et aurait 
'probablement embrassé définitivement la carrière mi- 
litaire, si la maladie n'était venue le forcer au repos. 
Profitant de ces loisirs forcés, il se livra à l'étude 
des sciences, de la chimie surtout; il apprit l'anglais, 
l'allemand, J'italien. Le blocus continental nous privait 
des denrées coloniales. Mathieu de Dombasle s'ap- 
pliqua à la fabrication du sucre de betterave. et de 
proche en proche en vint à étudier et à approfondir 
toutes les parties de l'agronomie. ■ 

La France sortit affaiblie des secousses terribles de 
la Révolution et de l'Empire. L'agriculture, longtemps 
négligée, manquait de bras. Les capitaux devenus rares 
se cachaient, et les classes aisées témoignaient un 
dédain profond pour les professions agricoles. 

C'est alors que parut l'agronome éminent dont notre 
département s'honore. Penseur profond, en môme 
temps qu'économiste judicieux, Mathieu de Dombasle 
comprit le mal et consacra le reste de sa vie à y appor- 
ter le remède. 

S'inspirant dé ce qui se faisait à l'étranger, en Angle- 
terre et surtout en. Allemagne, il rompit avec les 
anciens errements. 
' La pratique de l'assolement, qui consiste à confier au 
sol, tous les trois ans, la même culture 'avec un roule- 
ment méthodique et routinier, ruinait la France et 



AGRICULTEURS 



condamnait les classes rurales à ne se nourrir presque 
Exclusivement que de pain. 

Dombasle combattit cet usage de l'assolement triennal 
qui avait alors la valeur d'un dogme. 

Mais l'agriculture vit de pratique et non de théorie. 
Dombasle le savait : l'occasion se présenta bientôt pour 
lui.de vérifier la justesse de ses idées. 

Antoine Berthier, un de nos compatriotes lui aussi, 
après avoir longtemps voyagé à l'étranger et acquis 
dans le commerce une honorable fortune, était revenu 
en 1789, se fixer dans son pays natal et avait acheté la 
terre de Roville. Il l'exploita d'abord avec succès, [mis, 
un jour, il proposa à Dombasle", son voisin, de la lui 
céder à long bail. Le contrat fut bientôt signé, el. Le 
•4 décembre 1822, s'ouvrit la nouvelle ferme modèle. 

Dombasle en resta vingt ans directeur; grâce à lui, 
l'école de Roville acquit une réputation européenne. 
C'est de là qu'est parti le mouvement qui a abouti à. 
l'introduction des méthodes fondées sur l'expérimen- 
tation raisonnée. C'est cette école qui a été le berceau ■ 
de l'enseignement agricole dans notre pays. 

Il fallait d'abord perfectionner ou même créer l'ou- 
tillage. 

Les charrues dont on se servait étaient insuffisantes. 
Les socs, trop étroits, grattaient le. sol sans l'entamer ; 
ils ouvraient la terre mais ne la retournaient pas. 

Les mauvaises herbes, à peine ébranlées, reprenaient 
vie alors qu'il eût fallu les déraciner de fond en comble. 
De là le mauvais résultat des labours, le peu de rende- 
ment des terrains. 

Dombasle introduisit la charrue du Brabant, à laquelle 
il apporta diverses améliorations. Il voulut même la 
faire fabriquer sous ses yeux. Bientôt l'usage de la 

1. 



10 



MEURTBE-ET-MOSELLE 



nouvelle charrue se répandit de proche en proche; elle 
prit le nom de l'habile agronome qui, s'il ne l'avait pas 
inventée, l'avait tellement perfectionnée qu'elle en était 
presque entièrement transformée. 

A son exemple, chacun se mit en quête des meilleurs 
instruments, la routine fut vaincue; l'impulsion était 
donnée. 

La question des engrais, devenue de nos jours la 
question vitale de l'agriculture, se posait à peine 
à cette époque. Dombasle recommanda la nécessité 
d'augmenter et de soigner les fumures. Pour cela, il 
fallait élever du bétail et propager la culture du four- 
rage pour sa nourriture. Jusqu'à la fin de sa vie, Dom- 
basle ne se lassa pas de montrer que la production du 
fumier était une des sources les plus sûres de la for- 
tune agricole. N'oubliez pas celle leçon de notre célèbre 
agronome et pensez aux richesses que notre négligence 
laisse perdre ! 

Dombasle était doué d'une activité remarquable. 
Quoiqu'il fût d'une santé débile, il avait établi dans 
l'emploi de son temps une telle régularité qu'il parve- 
nait, malgré la faiblesse de sa constitution, à fournir 
une somme de labeur prodigieuse. Les travaux de ca- 
binet, ses écrits, les exigences d'une correspondance 
presque européenne, ne l'empêchaient pas de vaquer 
aux soins de son admiuislralion. Grâce à la possession 
qu'il avait de lui-même, à celte régularité exemplaire 
qu'il s'imposait à lui d'abord avant de l'exiger des autres, 
il arrivait à suffire à tout. 

Chose étrange, cet homme d'une lucidité d'esprit mer- 
veilleuse, conserva toujours une timidité presque mala- 
dive. Dès qu'il se trouvait en présence d'un certain 
nombre d'auditeurs, il avait une difficulté extrême à 



AGRICULTEURS 



11 



s'exprimer. Silencieux, presque taciturne, il conservait 
au l'ond du cœur une bonté sans borne pour tous ceux 
qui avaient suivi ses leçons. 

Ses rapports avec ses élèves étaient empreints de la 
plus grande bienveillance. 11 ne recevait dans sa ferme 
que des jeunes gens déjà d'un certain âge; aussi les 
traitail-il en hommes raisonnables. 

Eux-mêmes, constitués en Société, veillaient parmi 
eux au maintien de l'ordre et de la discipline 

Chaque matin, tousensemble l'aisaientl'inspeetioniles 
travaux ; le soir, ils assistaient au compte rendu des 
chefs de service, et écoutaient les instructions qui 
étaient données pour le lendemain. Le secrétaire était 
chargé d'inscrire, sur un registre, le résumé des obser- 
vations qui avaient été présentées. 

De la sorte se poursuivaient les études ; l'esprit d'as- 
sociation s'affermissait et les liens d'affection et d'es- 
time se resserraient de jour en jour entre le maître et 
les élèves. 

A l'expiration de son bail, Mathieu de Dombasle se 
retira à Nancy, désireux d'employer ses loisirs à la pu- 
blication des nombreux travaux d'agriculture dont sa 
tête était pleine. 

Hélas ! il comptait sans la mort qui vint interrompre 
ses projets. 11 s'éteignit le ^7 décembre 1S43, après une 
courte maladie. 

L'agriculture perdait un de ses bienfaiteurs les plus 
éclairés, la France un de ses meilleurs citoyens, Nancy 
un de ses plus illustres enfants. Ses compatriotes, pour 
perpétuer la mémoire de cet homme de bien, lui ont 
élevé, en 1850, une statue sur la place qui porte son 
nom. 






1-2 



MEURTHE-ET-MOSELLE . 



MI. - SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS 



Le département de Meurthe-et-Moselle a produit un 
grand nombre d'hommes de guerre. La famille de Lor- " 
raine qui a gouverné le pays jusqu'en 1737, compte, à 
elle seule, une foule d'hommes remarquables, dont la 
plupart ont été de grands capitaines. Citons parmi eu*, 
le duc René II, le vainqueur de Charles le Téméraire 
et qui a sa statue équestre sur la place Saint-Epvre, à 
Nancy; le bon duc Antoine qui combattit aux côtés de 
François I er à Agnadel et à Marignan* ce combat de 
géants; il ét.jiltellement aimé que son portrait se 
trouvait dans toutes les familles; il atait coutume de 
dire : « La guerre en Europe es* une guerre civile » ; 
.Charles III le Grand qui bâtit la ville neuve de Nancy 
et fonda la célèbre université de Pont-à-Mousson; 
Charles F, un des plus grands hommes de guerre du 
xvii e siècle et au sujet -duquel Louis XIV s'écria, en " 
apprenant sa mort : « J'ai perdu le plus sage, le plus 
grand et le plus généreux de mes ennemis ! » 

Parlerons-nous des Guises, cette branche si célèbre 
de la famille de Lorraine et qui a joué un si grand rôle 
dans notre histoire nationale? François, le défenseur 
de Metz contre Charles V, "Henri- le Balafré, son fils, 
l'âme de la Ligue, assassiné à Blois. 

On ne nous pardonnerait pas de ne pas ajouter, avant 
de passer aux héros de la. Révolution et de l'Empire, 
quelques mots sur le Balafré et sur un autre homme 
de guerre dont le nom est resté populaire en Lorraine : 
je veux parler du maréchal François de Bassompierre. 



SOLDATS, MARINS, EXPLOK4TEURS 13 

Henri de Lorraine, due de tiuise (1550-1588). 

Henri de Lorraine, duc de Guise, fils f aîné de François 
■de Guise, naquit le 31 décembre 1550 el fut élevé à la 
cour du roi de France, Henri II. 

Il fit ses premières armes au siège d'Orléans, sous 




les ordres de son père. A-seize ans, il alla se former au 
métier de la guerre en combattant en Hongrie contre 
les Turcs. De retour en France, il se distingua à Jarnac 
et à Moncontour contre les Calvinistes et, à peine âgé 
de dix-neuf ans, il s'illustra aux yeux de toute l'armée 
par sa belle défense de Poitiers, dont Coligny fut obligé 
de lever le siège. 






li 



MEURTHE-ET-MOSELLE 



Cette fougue, il l'apporta dans les luttes religieuses, 
et ce fut avec un égal emportement que, en 1572, il 
dirigea, sans pitié ni merci, les massacres de la Saint- 
Barthélémy, et présida à l'assassinat de l'amiral Coligny. 

A la bataille de Dormans, près de Château-Thierry, 
il montra contre les Allemands non moins d'intrépidité 
et de sang-froid. Il se trouvait à la tête de l'armée 
quand il fut atteint d'un coup d'arquebuse à la joue. De 
la cicatrice qui lui en resta, il reçut le surnom de 
Balafré que la postérité lui a conservé. 

Vaillance, grand air, bonne mine, haute taille, regard 
doux et insinuant, belles manières, il avait toutes les 
grâces, toutes les séductions, ce qui faisait dire à la 
maréchale de Retz : « qu'auprès des princes lorrains, 
les autres princes paraissaient peuple ». 

Aussi la France était-elle folle de cet homme, car 
c'est trop peu de dire amoureuse, comme s'exprime un 
historien. 

Ses brillantes qualités, ses vices mômes, tous ses 
dons tant du corps que de l'esprit, rendirent bientôt 
Henri de Guise l'idole du peuple. Il fut nommé chef de 
la Ligue qui, sous prétexte de religion, ne tendait à 
rien moins qu'à usurper l'autorité royale. 

Henri de Guise avait le talent de persuader aux autres 
qu'il était uniquement animé du zèle religieux, quand 
il ne travaillait, en réalité, que pour son intérêt per- 
sonnel ou celui de sa famille. 

Malgré la défense que le roi lui avait faite de venir 
à Paris, Guise s'y rendit à l'appel des Seize. Il reçut les 
hommages les plus enivrants, et, fier de ces succès, il 
osa se présenter au Louvre d'un air arrogant, affectant 
de porter de temps en temps la main sur la garde de 
son épée. 



SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS 



15 



La triste journée des Barricades eut lieu. Ce fut 
comme l'éclipsé de la majesté royale. Henri III, réduit 
àfuir, réussit à s'échapper sain et sauf en abandonnant 
sa capitale à son sujet révolté. 

Avec plus d'audace ou de présence d'esprit, Guise 
pouvait s'emparer de la personne du monarque et 
ceindre la couronne royale. On négocia, mais le roi, 
s'il était capable de dissimuler son mécontentement, 
ne pouvait pardonner l'insolence et la révolte de si m 
sujet. 

Guise fut perdu par son excès de confiance. Les 
avertissements ne lui manquèrent pas. Un jour, il 
trouva sous sa serviette un billet qui l'engageait à se 
tenir sur ses gardes. Il le lut, écrivit au bas: On n'ose- 
rait, et se contenta de le jeter sous la table. 

Le 23 décembre 1588, le roi, impatient de voir que 
Guise ne se rendait pas au Conseil, le fit appeler. La 
garde était renforcée; les Suisses étaient rangés sur les 
degrés. Dès que le prince parut, les portes furent fer- 
mées, et à l'instant où il se disposait à entrer dans le 
cabinet du roi, un des gardes aposlés se jeta sur lui et 
le frappa d'un coup de poignard dans la poitrine. » Je 
suis mort, s'écria Guise. Mon Dieu, ayez pitié de moi » 
et il tomba sous les coups des assassins. 

Par ce meurtre, la royauté triomphait de ses enne- 
mis ; la maison de Valois l'emportait sur celle de 
Guise. L'idole était brisée. 



François de Bassomplerre (1579-1646). 

François de Bassompierre, maréchal de France, né 
au château d'Haroué sur le Madon, en 1579, fut moins 
funeste que Guise à son pays. Comme lui il savait 



m 



16 



MEURTUE-ET-MOSELLE 



plaire et fut un des hommes les plus brillants de son 
temps. 

A la cour de Henri IV, il n'y avait pas de plus galant 
chevalier, ni de plus recherché dans les fêtes et les 
amusements de toutes sortes. Toutefois, ces succès mon- 
dains ne lui suffirent .pas longtemps. Il fit, à 23 ans, ses 
premières armes contre le duc de Savoie, et se distin- 
gua au service de l'Empire dans la guerre contre les 
Turcs. 

Il reparut à la cour de France et aspira un moment 
à la main de la belle Mademoiselle de Montmorency, si 
célèbre par ses charmes et sa beauté. Son esprit, sa 
naissance, son mérite, le rendaient digne d'une telle 
alliance. Néanmoins, cédant aux instances de Henri IV, 
il ne donna pas suite à son projet et Mademoiselle de 
Montmorency devint princesse de Condé. 

MaissiBassompierre avait la souplesse du courtisan, 
il n'en conservait pas moins toute la fierté du grand 
seigneur. 

A la mort de Henri IV, quand Sully, accourant au 
Louvre, dans l'excès de son zèle et de sa douleur, 
demanda aux nobles qu'il rencontra de prêter serment 
de fidélité au nouveau roi, Bassompierre, indigné 
qu'on se permît de lui tracer son devoir, répondit fière- 
ment au ministre : « Monsieur, c'est nous qui faisons 
faire ce serment aux autres ». 

Il fut aussi aimé de Louis XIII qu'il l'aVait été de 
son prédécesseur, au point même de porter ombrage 
au connétable de Luynes, le favori du roi. 

Il assista, comme maréchal de camp, au combat des 
Ponts-de-Cé, .aux sièges de Sannt-Jean-d'Angély, de 
Montpellier. De Luynes, toujours inquiet et jaloux, 
pour éloigner un rival de la Cour, le fit nommer am- 



SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS lî 

bassadeur en Espagne, puis en Suisse, en Angleterre. 
Ue retour en France; le maréchal se signala au siège 
de La Rochelle et plus tard à celui de xMontauban. 

Tant de services ne trouvèrent pourtant pas grâce 
devant le ministre tout-puissant de Louis XIII. Le car- 




dinal de Richelieu n'aimait pas l'indépendance de 
Bassompierre, il redoutait sa hardiesse et sa fierté. 
Aussi profita-t-il d'une intrigue où était entré le ma- 
réchal pour le faire arrêter et enfermer k la Bastille. 

Il y resta douze ans; il ne recouvra sa liberté qu'à la 
mort- de l'implacable ministre. Lorsqu'il sortit de la 
prison, Louis XIII lui demanda son âge. « Cinquante 
ans », répondit-il. Comme il en avait plus de soixante, 







18 



MEURTHE-ET-MOSELLE 



le roi parut surpris. « Sire, reprit Bassompierre, je 
retranche dix années passées à la Bastille, parce que je 
ne les ai pas employées au service de Votre Majesté ». 

L'esprit du courtisan reprenait ses droits et retrou- 
vait son à-propos. 

Il mourut d'une attaque d'apoplexie, le 12 oc- 
tobre 1646, chez le duc de Vitry, dans la Brie, à l'âge 
de 65 ans. Les infirmités, le chagrin, sa longue capti- 
vité avaient abrégé sa vie. 

Le maréchal de Bassompierre était un homme brave 
et instruit. Il avait étudié dans sa jeunesse la philoso- 
phie, le droit, la médecine, l'art militaire, comme en 
témoignent les divers écrits auxquels il consacra le 
temps de sa longue détention. 

C'est aussi pendant son long séjour à la Bastille qu'il 
composa ses Mémoires, ouvrage précieux pour l'his- 
toire de ce temps et qui fait partie de la collection des 
Mémoires relatifs à l'Histoire de France. 



Duroc (1772-1813). 

Duroc (Gérard-Christophe-Michel), naquit à Pont-à- 
Mousson, le 25 octobre 1772. Fils d'un capitaine, il était 
destiné à la carrière des armes. Il entra donc de bonne 
heure à l'École militaire de Pont-à-Mousson et en 
sorlit bientôt pour se rendre à Châlons, avec le titre 
d'élève sous-lieutenant d'artillerie. 

Le 1 er juin 1703, il obtenait le grade de lieutenant et, 
le 23 mai 1797, il était nommé capitaine. 

Son mérite le désigna bientôt au général Bonaparte 
qui l'appela auprès de lui en qualité d'aide de camp. Il 
se distingua dans la campagne d'Italie en diverses ren- 
contres, et fut cUé à l'ordre du jour lors de la prise de 



SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS 



19 



Gradisca. « Le citoyen Duroc, mon aide de camp, ca- 
pitaine, écrivait Bonaparte au Directoire, s'est conduit 
avec la bravoure qui caractérise FÉtat-Major de l'armée 
d'Italie. » 
La campagne d'Egypte s'ouvrit : Duroc s'embarqua 




avec le grade de chef de bataillon. Son humeur aven- 
tureuse lui fit courir les plus grands dangers. Emporté 
par son ardeur guerrière, il combattait au plus fort 
de la mêlée comme le dernier des soldats. Aussi fut-il 
grièvement blessé d'un éclat d'obus à la bataille 
d'Aboukir. Il rentra en France avec Bonaparte. 

Fidèlement attaché à son maître, il prit part, et ceci 
n'est pas à sa louange, au coup d'Ftat du 18 Brumaire. 




"20 



MEURTUE-ET-MOSELLE 



Lorsque Napoléon devint premier consul il sut récom- 
penser le dévouement de son aide de camp : il le créa 
général de brigade et le nomma gouverneur du palais 
des Tuileries: 

Duroc était aux côtés de Napoléon lors de la bataille 
de Marengo. Il eut' à remplir différentes missions à 
Vienne, à Saint-Pétersbourg, à Stockholm, à Copen- 
hague, et s'en acquitta toujours à la satisfaction de l'Em- 
pereur. 

Tant.de services méritaient leur salaire : le 14 no- 
vembre 1808, Duroc fut créé duc de Frioul. Pendant la 
funeste campagne de Russie, il accompagna Napoléon, 
et reçut le titre de sénateur en 1813; cette même année, 
il assistait aux batailles de Lutzen et de Vurtzen, le 
20 et le 21 mai. 
C'est dans" cette dernière rencontre qu'il périt. 
Blessé mortellement au bas-ventre, il fut emporté, 
respirant encore, dans une mauvaise petite ferme. Dès 
que lés postes furent placés et que l'armée eut pris ses 
bivouacs, l'Empereur alla voir le duc de Frioul. Il le 
trouva avec toute sa connaissance et montrant le plus 
grand sang-froid. 'Le duc serra la main de l'Empereur 
qu'il porta sur ses lèvres : 

« Toute ma vie, lui dit-il, a été consacrée à votre ser- 
vice et je ne la regrette que pour l'utilité dont elle pou- 
vait vous être encore! — Duroc, lui dit l'Empereur, il 
est une autre vie !, C'est là que Vous irez m'attendre, et 
que nousnous retrouverons un jour! —Oui, Sire; mais 
ce sera dans trente ans quand vous aurez triomphé de 
vos ennemis et réalisé toutes les espérances de notre 
patrie... j'ai vécu en honnête homme; je ne me reproche 
, rien. Je laisse une fille, Votre Majesté lui servira de 
père. » 



SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS 



51 



L'Empereur, serrant de la main droite celle du grand- 
maréchal, resta un quart d'heure, la tête appuyée sur la 
main gauche, dans le plus profond silence. Le grand- 
maréchal parla le premier. — « Ah! Sire, allez-vous-en : 
ce spectacle vous peine ! » — L'empereur quitta le duc 
de Ffioul sans pouvoir lui dire autre chose que ces 
mû t s : _ « Adieu donc, mon ami! » — Il rentra dans 
sa tente et ne reçut personne pendant toute la nuit. 

Napoléon acheta, pour 20,000 francs, la ferme où 
Duroc était mort, et fit élever un monument funèbre à 
celui qui, seul, avait eu son intimi,té et possédé son 
entière confiance. {Mémorial, t. I, p. 122.) 

Le corps du général fut déposé aux Invalides; son 
nom est gravé sur les tables de bronze du palais de 
Versailles et sur l'Arc de Triomphe de Paris. 

Sa vie comme sa mort fut d'un brave. 

Drouot (1774-1847 . 

Un brave aussi, plus grand homme de guerre que 
Duroc, mais, comme lui, dévoué à Napoléon, fut le gé- 
néral Drouot. Peu de noms sont plus populaires que 
celui-là à Nancy. 

Vous connaissez tous sa statue. Elle est Jà, sur le 
cours Léopold, une des promenades les plus fréquen- 
tées de la ville, et vous avez souvent contemplé celte 
figure sereine et calme, empreinte de bonhomie. 

Antoine Drouot naquit à Nancy, le 11 janvier 1774, 
d'une famille obscure et pauvre. Il était le troisième de 
douze enfants. Son père était boulanger. Il eut de bonne 
heure, dans la maison paternelle, le spectacle fortifiant 
d'une vie toute consacrée à la pratique du bien, de la 
religion, du labeur honnête. 

Il avait à peine trois ans quand, poussé déjà par Tins- 






22 



MEURTHE-ET-MOSELLE 



linct de s'instruire, il alla frapper à la porte des frères, 
et, comme on ne voulait pas le recevoir parce qu'il était 
trop jeune, il se mit à fondre en larmes. Combien 
d'autres ont pleuré au contraire la première fois que 
leur père a parlé de les mener à l'école! 

L'enlant avait un penchant bien décidé pour l'étude. 
Quand le temps fut venu, on l'envoya au collège. Mais 
il ne faut pas croire qu'on le dispensât, pour lui laisser 
apprendre ses leçons, des devoirs et des charges de la 
maison. Rentré chez lui, il portait le pain aux clients, 
et faisait les courses obligatoires. La boutique [était sa 
salle d'études, la chandelle commune ou la clarté du 
four son unique éclairage. 

Le moment vint où le jeune collégien dut passer ses 
examens. Il fut reçu avec le numéro 1. 

Vingt ans après, son examinateur, le célèbre La Place, 
disait à l'Empereur : « Un des plus beaux examens 
que j'aie vu passer dans ma vie est celui de votre aide 
de camp, le général Drouot. » 

Au sortir de l'école, Drouot fut envoyé à l'armée du 
Nord en qualité de second lieutenant d'artillerie et con- 
tribua au succès de la bataille d'Hondschoote. 

Après la bataille, il remarque qu'on ne poursuit pas 
l'ennemi. Il en demande la raison. C'est, lui explique-t- 
on, que les troupes sont fatiguées. « Des troupes vic- 
torieuses n'ont pas besoin de repos », répond-il avec 
toute la fougue de la jeunesse. Il avait alors à peine 
vingt ans. 

De l'armée du Nord il passe à celle de Sambre-et- 
Meuse, prend part à la bataille de Fleurus, sous Jour- 
dan; à la bataille de la Trebia, sous Macdonald; à celle 
de Hohenlinden, sous Moreau. Sans parler de plusieurs 
missions importantes auxquelles il est employé, il fait 



SOLDATS, MARIXS, EXPLORATEURS 



23 



la guerre d'Espagne, assiste à la prise de Madrid, et, 
l'année suivante, contribue puissamment à la victoire 
de Wagram. 11 est nommé officier de la Légion d'hon- 
neur sur le champ de bataille, et, peu après, colonel de 
la garde impériale, baron de l'Empire. 

La campagne de Russie s'ouvre. C'est là. surtout que 
Drouot montre un sang-froid, une sagacité à toute 
épreuve, («race à son artillerie, la redoute de la Mos- 
kuwa est enlevée. Mais à quoi sert le courage contre 
les éléments courroucés? 11 faut céder, il faut faire re- 
traite. 

C'est alors que l'on peut admirer chez Drouot un autre 
genre de courage; non plus cette intrépidité qui fait 
braver la mort sur le champ de bataille, mais cette fer- 
meté, cette constance inébranlable au milieu des souf- 
frances et des privations de tous les jours. Supporter 
est peut-être plus difficile qu'affronter. 

De ces deux sortes d'héroïsme, l'un qui sait agir, 
l'autre souffrir, Drouot nous offre l'exemple. Malgré le 
froid, jamais il ne s'approchait du feu, et tous les ma- 
tins ses soldats le voyaient, quand le thermomètre 
marquait trente degrés au-dessous de zéro, quitter 
tranquillement son uniforme, poser un petit miroir 
sur l'affût d'un canon, et là, la poitrine découverte, se 
faire la barbe en plein air, se laver la figure devant la 
troupe, comme s'il eût été sous le ciel de Nice ou sous 
le climat enchanteur de Naples. 11 n'y manqua pas un 
seul jour, quelle que lut la rigueur de la température. 

Les plus robustes succombèrent; la frêle constitution 
de Drouot résista, et il écrivait après avoir subi jus- 
qu'au bout toutes les fatigues du désastre : « Je me 
suis constamment bien porté et suis prêt à rentrer en 
campagne. » 






24 



MEURTHE-ET-MOSELLE. 



Le 10 janvier 1813, Drouot fut nommé général de 
brigade, et quinze jours après aide de camp de l'Em- 
pereur. Les autres généraux étaient arrivés à la gloire 
avant de savoir comment on perd une bataille. Ce sont 
nos revers qui firent surtout connaître Drouot. 

« La France, dit Lacordaire, fort étonnée d'apprendre, 
au bruit des campagnes de'1813 et de 1814, qu'elle pos- 
sédait depuis longtemps le premier officier d'artillerie 
d'Europe. Elle sut que le coup décisif des batailles de 
Lutzen, de Bautzen, de Wackau, avait été porté par 
ces immenses batteries de cent et cent cinquante bou- 
ches à feu, que le général Drouot rassemblait et con- 
duisait avec une dextérité fabuleuse, et qui suppléaient, 
parleur soudaine action, à l'infériorité numérique de 
nos armées. Elite admira un mérite si lent à se pro- 
duire; elle en aima l'à-propos touchant; elle consi- 
déra Dmuot comme le dernier rejeton de cette gé- 
néreuse lignée qui avait commencé à Jemmapes et 
qui devait finir à Waterloo. L'Empereur en jugea 
comme la France. Il discerna dans son aide de 
camp un génie et une intrépidité militaires qui lui 
faisaient dire, à Sainte-Hélène, « qu'il n'existait pas 
deux officiers dans le monde païeils à Murât pour la 
cavalerie et à Drouot pour l'artillerie ». Mais ce qu il y 
remarqua surtout, c'était la simplicité, le désintéresse- 
ment, la vertu, une trempe d'âme, enfin, qui était 
comme la résurrection des physionomies les plus pures 
de l'antiquité. Il l'appela « \e.Sage de la Grande- 
Armée ». Et à mesure qUe décroissait sa fortune, le 
dévouement de Drouot allait croissant, L'héroïsme 
donnait encore de l'espoir! 
Bientôt même cette consolation manqua. 
On dut, au défilé de Hanau, s'ouvrir, par la mitraille, 



SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS 25 

un passage sanglant à travers les rangs bavarois. L'ar- 
mée française, réduite à quatre-vingt mille hommes 
par le désastre de Leipsick, voyait sa retraite coupée. 
11 fallait gagner le Rhin ou se résigner à périr. Drouot 
dresse ses batteries; à pied, au milieu de ses canon- 
niers, il encourage ses hommes, livre même, à un mo- 
ment, un combat corps à corps, écrase par plusieurs 
décharges successives les escadrons ennemis; les che- 
mins sont enfin ouverts : l'Empereur peut coucher à 
Francfort le lendemain. Mais la fortune se lassait... 

L'Empire de Napoléon s'écroula et l'Empereur prit 
tristement le chemin de l'île d'Elbe. Drouot l'y suivit 
sans regret, sans amertume; ses vœux les plus ardents 
aspiraient au repos. Un jour que Napoléon l'avait inter- 
rogé sur ses projets intimes « Sire, avait-il répondu, 
je ne désire qu'une chose, c'est de me retirer dans ma 
ville natale et d'habiter sur la paroisse où j'ai été 
baptisé. » L'île d'Elbe ne devait être qu'une courte 
trêve, non le repos définitif. Drouot eut bien vite fait 
de régler sa vie conformément à sa nouvelle situation. 
« Dans quelques jours, écrivait-il après son arrivée à 
l'île d'Elbe, lorsque je serai débarrassé de toutes fonc- 
tions, je serai parfaitement heureux. Avec quel plaisir 
je vais me livrer à l'étude! Je commence déjà à lui 
consacrer quelques heures tous les jours. J'y trouve 
un plaisir inexprimable. » 

Un jour, jour de terrible épreuve pour la conscience 
de Drouot, l'Empereur lui fit part de sa résolution 'de 
quitter la terre d'exil. « Les Bourbons nous rappellent 
en France », avait-il dit. Drouot fut consterné. 11 essaya 
de détourner l'Empereur de ce funeste projet, il parla 
d'honneur, de devoir; rien ne put ébranler la décision 
de Napoléon. Son parti était pris. 






26 



MEURTUE-ET-.MOS[£LLE 



On sait comment les aigles impériales, volant de 
clocher en clocher, arrivèrent aux tours de Noire-Dame, 
pour aller définitivement s'abattre à Waterloo sous les 
coups de l'Europe coalisée. 

A peine Louis XVIII fut-il, pour la seconde fois, 
installé aux Tuileries, qu'il n'eut qu'une pensée, qu'un 
souci : sévir contre les fidèles serviteurs de l'Empire. 
Drouot devait être frappé l'un des premiers. Il se trou- 
vait encore à la tête de la Garde qu'il commandait, 
quand il apprit qu'il était englobé, avec bien d'autres, 
dans le décret de proscription, comme coupable de 
haute trahison. Aussitôt il quitte son commandement 
et vient se présenter à la prison de l'Abbaye. Mais on 
n'avait pas d'ordre; on refusa de le recevoir. « Je n'ai 
jamais demandé que deux places dans ma vie, disait-il 
plus tard en faisant allusion à ce fait, l'une dans mon 
extrême enfance, aux écoles chrétiennes; l'autre, à la 
fin de ma carrière active, à l'Abbaye : Elles m'ont été 
réfusées toutes deux. » 

Cependant, il comparut devant le Conseil de guerre, 
le 6 avril 1816. Dans aucune circonstance de sa vie 
Drouot ne montra plus de fermeté, plus de simplicité, 
plus de grandeur. Ses juges eux-mêmes étaient émus 
de tant de dignité et de calme. « Si vous croyez, leur 
dit-il, que mon sang soit nécessaire à la tranquillité de 
là France, mes derniers moments auront été encore 
utiles à mon pays. » 

Il fut absous. Le lendemain, une voiture vint le 
prendre à la prison et le conduisit auprès du roi qui le 
loua vivement de sa reconnaissance pour son ancien 
souverain et ajouta : « Je pense pouvoir compter désor- 
mais sur votre fidélité ». Le proscrit s'inclina. La car- 
rière de Drouot était finie. Il avait quarante-deux ans. 



SOLDATS, MARINS, F.XrLORATEUUS 2i 

A partir de ce moment, malgré les offres les plus 
flatteuses et réitérées qui lui furent faites, soit par la 
Restauration, soit par le Gouvernement de Juillel, il ne 
voulut jamais quitter sa ville natale, ni entendre parler 
de nouvelles dignités. 11 consacra les trente ans de 
cette retraite volontaire à la pratique du bien et de la 
charité. 

Les revenus de sa pension et de sa dotation de la 
Légion d'honneur, réunis, se montaient à 12,000 francs. 
Il n'en gardait que 2,400, 200 francs par mois. Le reste, 
il le distribuait à ses anciens compagnons d'armes ou 
l'employait à des œuvres philanthropiques. 

« Quelques mois avant sa mort, n'ayant plus rien à 
donner, il se souvint d'un grand uniforme qu'il con- 
servait comme une sorte de relique de ses anciens 
jours. Il en fit découper et vendre les galons. Un de ses 
neveux lui en témoigna du regret, disant qu'il aurait 
eu du plaisir à le transmettre à ses enfants. « Mon 
neveu, répondit le général, je vous l'aurais donné 
volontiers; mais j'aurais craint que vos enfants, en 
voyant l'uniforme de leur oncle, ne fussent tentés d'ou- 
blier une chose qu'ils doivent se rappeler toujours : 
c'est qu'ils sont les petits-fils d'un boulanger. » Né 
dans les rangs du peuple, il voulut rester enfant du 
peuple. 

Vos pères se souviennent encore de l'avoir vu, à la 
fin de ses jours, infirme et aveugle, traverser lentement 
les rues, avec une exactitude toute militaire, pour se 
rendre chaque matin à l'église de son quartier. A la 
vue de ce vénérable vieillard en cheveux blancs, tout 
le monde se levait en signe de respect. 

Quel était le secret de cette force d'âme, de cette 
grandeur de caractère? Drouot ne nous l'a pas laissé 






28 



MEURTHE-ET-MOSELLE 



ignorer. « Une chose m'a beaucoup aidé dans la vie, 
disait-il, c'est que je n'ai jamais craint la pauvreté, ni 
la mort ». Quand il fut proscrit, ses amis n'étaient pas 
sans inquiétude sur ses moyens d'existence. « Soyez 
tranquilles, leur dit-il, il ne me faut pour vivre que 
vingt-quatre sous par jour. » 

Sa modestie égalait son désintéressement. « Il est 
capable de commander cent mille hommes, et peut- 
être ne s'en doute-t-il pas », disait de lui Napoléon à 
Sainte-Hélène. 

Ces vertus, de plus en plus rares de nos jours, font 
de Drouot un citoyen des républiques antiques et une 
figure des plus originales de notre temps. 

Sa mort, arrivée le 24 mars 1847, fut un deuil public. 
Tous les cœurs lorrains ressentirent cette perte. 

Gouvion Saint-Cjr (1764-1830). 

Laurent Gouvion Saint-Cyr fut un des premiers tacti- 
ciens de son temps. Il naquit à Toul, le 13 avril 1704, 
d'une famille modeste et sans fortune. L'enfant donna 
de bonne heure des signes d'une intelligence précoce, 
et rien ne fut négligé pour son éducation. 

Toul était alors, comme aujourd'hui, une ville mili- 
taire. Elle possédait une excellente école d'artillerie. 
Plusieurs des parents du jeune homme étaient de- 
venus rapidement officiers. Tout semblait donc porter 
le jeune Gouvion vers la profession des armes. Seu- 
lement, son caractère indépendant ne pouvait se plier 
à la vie du soldat, toute faite d'obéissance et de disci- 
pline. Il préféra l'existence libre de l'artiste. A dix- 
huit ans, il partit pour Rome à. ses frais, travaillant 
selon son caprice et vivant à sa guise. 

Il parcourut l'Italie, la Sicile, et il se trouvait à 



SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS 



29 



Paris en 1784. Ce voyage avait fait de lui un connais- 
seur délicat, un amateur éclairé, non un artiste. Il con- 
tinua, à Paris, cette vie de dilettante, étudiant tou- 
jours, ne produisant jamais, critiquant volontiers les 




autres sans oser entreprendre, pour son compte, une 
œuvre de valeur qui eût pu lui faire un succès. 

Était-il même fixé sur la profession qu'il voulait em- 
brasser? Serait-il peintre, sculpteur, architecte? Il n'en 
savait rien encore. Il hésitait. La Révolution le surprit 
au milieu de ces incertitudes. 

Un de ses parents était sous-aide de camp de La 
Fayette. Lui-même, Je 1" septembre 1792, s'enrôla au 
premier bataillon des chasseurs républicains pour voler 

2. 



30 



MEUIITUE-ET-MOSELLK 



au secours de la patrie menacée, et, pour se distinguer 
des autres Gouvion déjà dans l'armée, il ajouta à son 
nom celui de sa mère. 

Ces volontaires, recrutés à la hâte et un peu au 
hasard, n'étaient pas toujours, cela se comprend, irré- 
prochables au point de vue de la conduite. On les 
dirigea sur Mayence à l'armée de Gustine, un général 
qui ne plaisantait pas sur la discipline. Ayant appris 
que le bataillon avait commis quelques méfaits sur la 
route, il le fait former en carré et lui adresse de sé- 
vères remontrances. « Vous êtes un tas de coquins! » 
leur dit-il. « Pas tous, mon général, » cria une voix 
dans les rangs. « Qui ose lever la voix ainsi? » demande 
Custine d'un ton irrité. « C'est moi, mon général. » Et 
l'on voit s'avancer hors des rangs un grand jeune 
homme sec et maigre, à l'air distingué, à la physio- 
nomie ouverte et intelligente, que ses camarades 
avaient nommé leur capitaine. Le général l'interroge; 
il trouve en Gouvion un homme instruit, cultivé, sa- 
chant fort bien dessiner. Il le nomma officier d'état- 
major. Tels furent les débuts de Gouvion dans la car- 
rière militaire. Avec son caractère, il aurait fait un 
simple soldat détestable; il fut d'emblée un officier 
distingué, à même de rendre à son pays les plus 
signalés services. Il avait trouvé sa véritable vocation. 

Doué d'un coup d'œil surprenant, il reconnaissait. 
en un instant, le fort et le faible d'une position, savait 
choisir avec une précision et une netteté remarquables 
le lieu et le moment d'agir. 

Ces brillantes qualités lui acquirent bien vite une 
brillante réputation dans l'armée. « Saint-Cyr joue 
aux échecs », disait-on en riant, lorsqu'on le voyait 
expliquer ses différentes combinaisons. 



SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS 



:m 



On le créa général de division pour le récompenser 
de ses services. Il avait à peine trente ans. 

Gouvion prit part à toutes les guerres de la Répu- 
blique et fut bien étonné quand, de retour à Paris, 
après la paix de Campo-Forinio, le directeur Rewbell 
lui demanda dans quelle armée il avait servi. La ques- 
tion était blessante : le général se contenta de sourire 
et ne s'en olîensa pas. « Savez- vous l'italien? » ajouta 
Rewbell. Comment ne l'aurait-il pas su après avoir 
séjourné deux ans en Italie'.' Sur sa réponse, il fut 
envoyé pour prendre le commandement du corps d'oc- 
cupation à Rome. 

La situation était critique dans ce corps d'armée. 
Les officiers, privés de solde, indignés des dilapida- 
tions qui se commettaient, avaient iorcé leur général, 
Masséna. à se retirer. Il s'agissait de rétablir l'ordre et 
la discipline. Il fallait, à la fois, du calme et de la fer- 
meté. Saint-Cyr arriva, et, grâce à son influence, à son 
autorité, il réussit à faire rentrer tout le monde dans 
le devoir. « Les armées, dit-il dans sa proclamation, 
doivent savoir obéir pour vaincre. » 

Saint-Cyr servit tour à tour à l'armée du Rhin et à 
l'armée d'Ilalie. Il commandai I l'aile droite à Novi, 
dans celle bataille imprudemment engagée où périt 
Jouberl, et, pendant quatre mois, résista à toutes les 
forces ennemies, protégeant la retraite, défendant les 
passages, livrant des combats continuels pour empê- 
cher ou du moins retarder, autant qu'il se pourrait, 
l'investissement de Gênes. 

A la suite de ces brillants faits d'armes, le premier 
consul, revenu d'Egypte, décerna au général Saint- 
Cyr un sabre d'honneur et le nomma premier lieute- 
nant de l'armée d'Italie. 



32 



MEURTHE-ET-MOSELLE 



Cependant, lorsque, en 1804, le premier consul, 
devenu Empereur, nomma dix-huit maréchaux de 
France, Saint-Cyr ne fut pas du nombre. C'est qu'il 
n'avait jamais été l'adulateur du succès. Il servait son 
pays et non pas un homme, et quand les chefs de corps 
provoquèrent dans l'armée la rédaction d'adresses pour 
demander la création de l'Empire, on remarqua que 
Saint-Cyr n'avait recruté aucune signature dans le 
corps qu'il commandait. 

Il fut même quelque temps en disgrâce. Toutefois, 
lorsque Napoléon prépara son expédition de Russie, il 
dut, pour remplir ses cadres, avoir recours à toutes 
les forces vives de la nation. Saint-Cyr reçut alors le 
'commandement du sixième corps d'armée. Il suivit 
l'Empereur sans enthousiasme, prévoyant déjà l'in- 
succès de cette funeste entreprise. Ses pressentiments 
ne l'empêchèrent pas de faire son devoir en brave. 
Il fut blessé à plusieurs reprises dans divers engage- 
ments. 

Englobé dans la capitulation de Dresde, il resta pri- 
sonnier en Allemagne, et c'est à Carlsbad, où il était 
interné, qu'il apprit la chute de l'Empire et l'abdica- 
tion de Napoléon. ' 

A son retour en France, il ne prit aucune part aux 
affaires pendant la première Restauration et vécut 
presque continuellement à la campagne. Aux Cenl- 
Jours, n'ayant aucune confiance dans la durée d'un 
régime qui ne s'appuyait que sur la guerre, il mani- 
festa assez hautement son intention de ne pas servir 
l'Empire. « Avec la manière de votre frère, disait-il un 
jour à Lucien Bonaparte, qui l'engageait à plus de 
réserve, cette campagne doit durer quinze jours. » 

Sous la seconde Restauration, il fut nommé pair de 



SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS 



33 



France, et, le 12 septembre 1817, il recul le portefeuille 
de la guerre. 

C'est sous son ministère et grâce à lui, que fut pro- 
mulguée, le 10 mars 1818, la fameuse loi du recrute- 
ment, mode de conscription qui a été en vigueur 
jusqu'à la troisième République. Celte loi, très libérale 
pour l'époque, a été remplacée par une mesure plus 
équitable encore, le service militaire obligatoire pour 
tous les Français. 

Mais le libéralisme du ministre de la guerre déplut 
aux ultra-royalistes : Saint-Cyr donna sa démission. A 
partir de ce moment sa carrière politique fut terminée. 
Il se relira à la campagne, consacrant, sans regret, ses 
loisirs à l'agriculture et à la rédaction de ses Mé- 
moires. Depuis longtemps sa sauté était chancelante. 
Les fatigues, les blessures, le travail avaient eu raison 
d'une constitution naturellement robuste. 11 alla pas- 
ser, à Hyères, l'hiver de 1829 à 1830. C'est là qu'il fut 
frappé d'une attaque d'apoplexie. Il mourut le 10 mars 
1880, le jour anniversaire de la loi qui est, après ses 
victoires, son plus beau titre d'honneur. 

Pendant sa maladie, n'ayant plus l'usage de ses 
facultés, on lui présentait un jour à boire. « Ah! dit-il, 
comme dans un rêve, si on pouvait en donner autant 
à chacun de nos pauvres soldats, quel bien cela leur 
ferait! » Ainsi, jusqu'à son dernier soupir, le bien-être 
du soldai fut loujours son principal souci. 

Il avait le don du commandement et possédait l'art 
de se faire obéir, mais sans jamais avoir recours à 
l'enthousiasme. 

Ce fut un capitaine habile, un tacticien profond et 
méthodique, peut-être le plus grand du siècle. 

« Avec Desaix, on gagne des batailles, disait Mo- 






34 



MEUnTHE-ET-JlOSKLLE 



reau ; avec Saint-Cyr on est sûr de n'en point perdre. » 
Son caractère, son talent, ses services, doivent per- 
pétuer parmi nous le souvenir de cet homme de bien. 



Quoique le département de Meurthe-et-Moselle soit 
loin d'être un département maritime, il a pourtant pro- 
duit des marins et, de nos jours, grand est le nombre 
des jeunes Lorrains qu'une louable ambition pousse à 
l'école de Brest. Ils ont dans la carrière d'illustres de- 
vanciers. 

Henry Gauthier de Rigny (1783-1835). 

Fut l'un des marins les plus distingués de notre 
temps. Il naquit à Toul, le 3 février 1783, et n'avait 
encore que dix ans quand ses parents, émigrant pour 
échapper à l'échafaud, l'abandonnèrent avec ses trois 
autres frères, également en bas âge, aux soins d'une 
sœur aînée qui avait à peine seize ans. Cette sœur, une 
enfant, elle aussi, se montra à la hauteur de sa tâche. 
Non seulement elle sut veiller avec amour à l'entretien 
matériel de ses frères, mais elle s'occupa encore de 
leur éducation. Elle se mit à apprendre le latin pour 
pouvoir le leur enseigner. 

Le jeune Henri profita rapidement de ces leçons el 
en 1798 se fit recevoir novice-timonier sur une frégate 
del'État. Un anaprès, il subitavec succès un examen et 
fut nommé aspirant. A partir de ce moment, il se trouva 
mêlé à tous les grands événements de cette époque si 
agitée. Il assista au glorieux combat d'Algésiras, prit 
part à cinq campagnes dans le corps des marins de la 
garde, en Allemagne, en Espagne, où il fut aide de 
camp du maréchal Bessières, enfin, en 1809, sur le 



SOLDATS, MARINS. EXPLORATEURS 



35 



Danube où il concourut activement à la construction 
des ponts de l'île Lobau. 

Il devint capitaine de frégate en 1810. A Anvers, Na- 
poléon vint le visiter avec sa nouvelle épouse, Marie- 
Louise, à bord de YÉrigone qu'il commandait, et lui fit 
l'insigne honneur de lui tirer l'oreille, geste familier 
au grand homme quand il était de bonne humeur. 

En 181 1, il naviguait vers les Antilles, lorsqu'il ap- 
prit la chute de l'Empire et la nomination de son oncle, 
M. de Jaucourt, au Ministère de la Marine. Celte no- 
mination ne nuisit pas à son avancement. 

Capitaine de vaisseau- le 10 juillet 1816, il fut chargé, 
en cette qualité, de protéger dans la Méditerranée, 
notre commerce du Levant et de soutenir la Révolu- 
tion de la Grèce. Il se couvrit d'une gloire immortelle 
a la célèbre bataille de Navarin, où la flotte turque fut 
complètement anéantie. Le commandant français eut 
les honneurs de la journée. La Sirène avait constam- 
ment lutté contre des forces triples des siennes. 

L'amiral de lligny fut dans la suite préfet maritime 
à Toulon; il devint successivement, sous la monar- 
chie de Juillet, Ministre de la Marine puis des Affaires 
Etrangères. 

Il mourut le 7 novembre 1835. Nul n'a plus utile- 
ment servi son pays, comme homme de guerre, comme 
marin, comme administrateur. Son nom est une des 
gloires de notre département. 



■ 



36 



MEURTHE-ET-MOSELLE 



IV. - EXPLORATEURS 



Au lendemain de nos malheurs, toute une génération 
jeune, hardie, généreuse, s'est levée et, au nom de la 
science, s'est répandue dans les régions les plus in- 
connues de l'univers, pour en faire la conquête. 

La Lorraine a fourni déjà plusieurs soldats à cette 
armée de jeunes pionniers; Crevaux et Crampel sont 
de ce nombre. 

Crevaux, Jules-Nicolas (1847 1882). 

Médecin et explorateur français, Crevaux naquit à 
Lorquin, près de Sarrebourg, le 1 er avril 1847. Son père, 
qui était à la fois boucher, aubergiste et marchand de 
chevaux, lui laissa à peine de quoi vivre. Il put cepen- 
dant entrer au lycée de Nancy. Quand il eut fini ses 
études, il commença sa médecine à la Faculté de Stras- 
bourg et se fit recevoir à l'École navale de Brest, 
en 1867. 

A 22 ans, il s'embarqua en qualité d'aide médecin, 
visita le Sénégal, les Antilles. La guerre de 1870 éclata, 
Crevaux fut détaché à l'armée de la Loire. Fait prison- 
nier en soignant les blessés, il réussit à s'échapper et 
remplit alors plusieurs missions importantes et péril- 
leuses. Le 24 janvier 1871 il fut atteint, à Chaffois, 
d'une balle au bras. 

La guerre finie, il s'embarqua de nouveau et partit 
pour l'Amérique méridionale. Ce pays, qui devait être 
plus tard son tombeau, exerçait sur son esprit une es- 
pèce de fascination. 

En 1876, il obtient sa première mission. Il était chargé 



SOLDATS, MA1UNS, EXPLORATEURS 



37 



d'explorer l'intérieur de la Guyane. En mettant le pied 
à Cayenne, il apprend qu'une épidémie de fièvre jaune 
vient d'éclater aux îles du Salut. Il demande à s'y 
rendre et pendant six mois soigne les malades au péril 
de sa vie. Atteint lui-même, il faillit succomber. Dès 
qu'il est hors d'affaire, il se met en route. Il visite des 
pays inconnus, remonte le Maroni. coupé de cascades 
sans nombre, explore le Yari et à peine esl-il de retour, 
épuisé par la fièvre, à bout de forces et de ressources, 
qu'il médite déjà un second voyage. 

Cette fois, il emmène avec lui un Indien, le nègre 
Apatou, qu'il avait déjà connu lors de sa première 
expédition, et qui devint, par la suite, son plus fidèle 
compagnon. 

Il se lance en pirogue sur les eaux inconnues du 
Parou. semé à chaque pas de rapides. Puis il se décide 
à explorer le Yapura, fleuve de 2,000 kilomètres, qu'au- 
cun blanc n'avait encore parcouru dans toute son 
étendue. La navigation était hérissée de difficultés. On 
n'avançait qu'à travers des lianes ou des troncs d'arbres 
renversés, et souvent il fallait s'ouvrir un passade la 
hache à la main. 

Les hommes étaient malades. Lui-même, miné par la 
fièvre, ne prenait aucun repos et cachait son mal pour 
ne pas décourager ses compagnons. Sous les feux 
meurtriers de ce soleil équatorial, il continuait à relever 
des angles, à tracer des croquis, à prendre des notes. 
Sa gaieté, sa bonne humeur redoublaient aux heures 
les plus critiques. Jamais on ne le vit regarder en ar- 
rière ou reculer. Il ne connaissait pas les obstacles ou 
affectait de les mépriser. « Tiens bon» telle était sa de- 
vise, et il y est resté fidèle jusqu'à la tombe. 
Ce second voyage rendit Crevaux célèbre. Il reçut 

3 




:w 



MEURTHE-ET-MOSELLE 



fies félicitations du Ministère; la Société 'de Géographie 
lui décerna sa grande médaille d'or. Son récit, publié 
dans le Tour du Monde, eut des milliers de lecteurs. 

Une partie des colléctio is qu'il rapporta dé ce second 
voyage figurèrentàl'Expofition de géographie de Nancy. 

En 1880, il entreprit sa troisième expédition. Il re- 
monta le Rio Magdalena, traversa la Cordillère à une 
hauteur de 1,900 mètres, par des sentiers qui n'étaient, 
dit-il, qu'une « suite de crevasses et de ravins ». et 
atteignit la source d'un torrent. 

De retour en France, en mars 1881, Crevaux fut re<;u 
dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, et acclamé 
par une foule sympathique et enthousiaste. 

Crevaux semblait avoir bien conquis son droit au 
repos. Qu'à cela ne tienne! A peine remis de ses fa- 
tigues, il se sent repris de sa passion pour les aven- 
tures. Il repart. 

Arrivé à Buénos-Ayres, on lui parla d'un voyage 
d'exploration à faire sur le Pileomayo, affluent du Pa- 
raguay. Il se dirigea donc en Bolivie et sans tenir 
compte des sentiments d'hostilité qu'il rencontra, il 
s'engagea témérairement dans le pays des Tobas. Il 
avait uhe escorte suffisante pour se défendre, en cas 
d'agression. Seulement, les sauvages se gardèrent bien 
de l'attaquer dans une lutte ouverte. Le 27 avril, une 
tribu de ces Tobas, les Tape Chico, accueillit les voya- 
geurs avec des démonstrations pacifiques. La petite 
troupe ne conçut pas la moindre méfiance et au mo- 
ment où les voyageurs s'y attendaient le moins, tandis 
que Crevaux se livrait à ses observations scientifiques, 
les sauvages fondirent sur eux et les massacrèrent, à 
l'exception d'un seul. 

Ainsi périt Crevaux, le 27 avril 1882. Sa mort eut 



SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS 



39 



un douloureux retentissement en Amérique et en 
Europe. 

A la nouvelle de ce massacre, un comité se forma à 
Nancy et on ouvrit une souscription afin d'ériger un 
buste à l'infortuné voyageur. C'est ce buste qui fut 
inauguré au jardin botanique de Nancy, le 13 juin 1885. 

Crevaux était à peine mort, qu'il avait déjà un suc- 
cesseur et un émule parmi ses compatriotes. Je veux 
parler du jeune et infortuné Paul Crampel. 

Paul Crampel (1864-1891). 

11 naquit à Nancy en 1861, et fit au lycée d'assez 
bonnes études. Mais déjà le démon des voyages le tour- 
mentait et son imagination vagabonde aimait à s'en- 
voler vers les pays lointains, sur les ailes de la fan- 
taisie. Les relations des voyageurs célèbres le ravis- 
saient d'admiration. 

L'occasion de suivre son penchant se présenta. 11 
devint, en 1887, secrétaire de M. de Brazza et, peu de 
de temps après, il obtenait l'autorisation d'entre- 
prendre pour son propre compte un voyage d'explo- 
ration. 

Il s'agissait de reconnaître et d'attirer dans la sphère 
de notre influence la région encore inexplorée située 
au nord du Congo. 

Crampel se mit en route le 12 août 1888. 

Blessé dans un combat contre les Pahouins, il 
dut, pour dérouter l'ennemi, s'enfuir à travers des 
marais impraticables. Sans vivres, presque sans armes, 
il aurait succombé vingt fois, s'il n'avait pas été sou- 
tenu par une énergie indomptable. On devait éviter 
de faire du feu et coucher sur la dure. On n'avait à 
manger que quelques racines fraîches de manioc qui, 




40 



MEURTHE-ET-MOSELLE 



mal préparées, donnaient des vertiges, causaient des 
nausées et de violents maux de tête. La petite. troupe, 
obligée de se frayer un chemin à coups de hache, faisait 
à peine cinq ou six kilomètres par jour, à travers les 
bambous, les lianes entrelacées, sur un sol de boue, 
coupé de fondrières ou de vases mouvantes, où pour- 
rissent, depuis des siècles, les couches de végétaux 
entassés. 

Crampel, épuisé par la fatigue, ayant perdu du sang 
en abondance, se sentait en proie aune fièvre ardente. 
Enfin, après des souffrances dont on ne peut se faire 
une idée, la petite caravane arriva à un poste français. 
Elle était sauvée; les fatigues, les dangers, tout était 
oublié, puisque l'expédition avait réussi. 

Indépendamment des observations très importantes 
qu'il rapportait sur les mœurs, sur la géographie des 
pays qu'il avait traversés, Crampel avait signé qua- 
torze traités avec quarante-quatre chefs qui reconnais- 
saient ainsi les droits de la France. 

Il était de retour à Paris en avril 1889. 

Mais dans quel état il nous revint! « Il avait l'air 
minable, dit un de ses amis qui était allé le recevoir 
à la gare; une vaste houppelande, produit bizarre des 
magasins de nouveautés de Libreville, couvrait son 
corps émacié, laissant passer un pantalon trop court. 
Le visage, amaigri par la souffrance, paraissait plus 
hâve sous un chapeau de feutre mou. Quand il des- 
cendit de fiacre, traînant la jambe, tirant par la main 
une petite négresse que lui avait.donnée un chef indi- 
gène, les passants s'arrêtèrent étonnés. Engoncée dans 
une robe gros vert, les cheveux crépus surmontés d'un 
bizarre chapeau de paille, elle avait, piqués de chaque 
côté dans le cartilage du nez, des poils de queue 



SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS 



'.1 



d'éléphant, qui la faisaient ressembler à un matou. » 

A peine guéri de sa blessure, Crampel n'eut qu'une 

idée : Entreprendre un nouveau voyage. Il rêvait de 

. conquérir à la France et à la science la région encore 

absolument inconnue, qui s'étend du Congo au lac 

Tchad. 

Jetez les yeux sur une carte d'Afrique. Remarquez 
les trois vastes territoires où flotte le drapeau français. 
Au nord l'Algérie et la Tunisie, à l'ouest le Sénégal, 
et, un peu plus au Sud, le Congo. De chacune de ces 
régions, menez une ligne idéale vers le centre de l'A- 
frique; vous verrez que c'est non loin du lac Tchad que 
les sommets de ces trois lignes viendront se rencontrer. 
Unir ainsi à travers le Soudan central, nos possessions 
de l'Algérie, du Sénégal et du Congo, fonder au cœur 
du continent africain le plus vaste empire colonial qui 
soit au monde, voilà quel était le plan grandiose, gigan- 
tesque, qu'avait conçu l'infortuné Crampel. 

C'est sur les rives du lac Tchad conquis, que devait 
s'opérer la jonction. 

Plus Crampel méditait son projet, plus le succès lui 
paraissait facile, assuré, et plus aussi il était impatient 
de poursuivre la réalisation de cette généreuse entre- 
prise. 

Crampel venait de se marier. Il épousait une femme 
charmante. C'était pour lui un rêve longtemps caressé, 
que ce mariage. Il aurait pu jouir en paix de la douceur 
de cette union si désirée et sinon oublier, du moins 
remettre à plus tard la réalisation de ses hardis des- 
seins! Il préféra la gloire au bonheur, et ayant réglé 
avec le soin le plus minutieux tous les détails de son 
itinéraire, il se mit en route. Il emmenait trois Euro- 
péens, la petite négresse, un interprète et 




m 



42 



MEURTHE-ET-MOSF.LLE 



Cette fois, c'était non plus le gouvernement, mais la 
générosité privée qui faisait les frais de l'expédition. 

Il quitta Paris le 10 mars 1890. emportant nos vœux 
les plus ardents, nos espérances les plus chères. Il 
perdit six mois à Brazzaville, à se débattre au milieu de 
difficultés presque insurmontables. Il veilla à tout, 
pourvut à tout, triompha de tout, plein de courage et de 
foi dans le succès. Enfin, il se mit en route. 

A divers intervalles, on reçut des nouvelles de la 
mission et on se félicitait déjà de l'heureuse issue d'une 
aussi hasardeuse entreprise. Bientôt les lettres de- 
vinrent plus rares; plusieurs mois on en attendit. Enfin 
la rumeur se répandit que Paul Crampel avait été 
massacré. Longtemps on refusa de croire à la véracité 
de ces bruits. Il fallut pourtant se rendçe à l'évidence 
et l'on apprit, dans le courant de l'année 1891, que la 
nouvelle de ce désastre n'était que trop certaine. 

Quelques mois après, ' Crampel était vengé par un 
autre explorateur, Dybowski; l'idée de Crampel n'était 
pas morte avec lui. Un autre courageux voyageur la 
réalisait l'année suivante. 

Le commandant Monteil, que nous avons applaudi 
l'an dernier, parti du Soudan, a pénétré jusqu'au lac 
Tchad, et de là, traversant dans toute son étendue le 
désert de Sahara, a réussi sans encombre, mais non 
sans avoir bravé bien des fatigues et couru bien des 
dangers, à revenir par Tripoli. 

C'est ainsi que cette noble terre de France est fé- 
conde en généreux dévouements. Le sang des martyrs 
est une semence de héros! Pour un qui meurt, deux 
autres naissent. 



ECRIVAINS tT SAVANTS 



13 



V. - ECRIVAINS ET SAVANTS 



Quoique la Lorraine soit une des régions de la France 
où l'instruction à tous les degrés est le plus développée, 
elle n'a fourni à notre littérature aucun auteur de pre- 
mier ordre. 

Quelques écrivains ont obtenu une certaine célébrité, 
aucun n'a produit de chefs-d'œuvre immortels. 

M mo de GraffU/ny, petite-niècé, par sa mère, de 
Callot, était une femme du monde que la nécessité fit 
auteur. Elle commença à écrire à l'âge de cinquante ans. 
Elle passa quelque temps à Cirey, près de Voltaire, qui 
la recommanda au duc de Richelieu. M' le de Guise qui 
venait d'épouser ce grand seigneur, l'emmena avecelle 
à Paris, où elle se fit connaître par son esprit et son 
goût. Ses Lettres Péruviennes, qu'on ne lit plus au- 
jourd'hui, ont fait autrefois les délices de nos arrière- 
grand'mères. 

Hoffmann a été un auteur dramatique estimable, un 
journaliste de talent, un critique excellent dans la pé-, 
riode de l'Empire et de la Restauration. 

l'i i rricourt a écrit un grand nombre de mélodrames, 
aujourd'hui tombés dans l'oubli. Ces pièces eurent 
cependant leur heure de succès et les qualités comme 
les défautsde l'auteur le firent surnommer le Corneille 
des Boidevards. 

François de Nenfchdteau, fils d'un instituteur de 
Saiïais, rima dès son enfance et publia, à l'âge de qua- 
torze ans, un volume de Poésies diverges, qui lui ouvrit 
les portes des Académies de Dijon, de Lyon, de Mar- 



H! 



u 



MEURTHE-ET-MOSELLE 



I 



ME 



seille et de Nancy. La ville de Neufchâteau, où il avait 
fait ses études, l'adopta et lui donna son nom. Sous la 
Terreur, on représentait une pièce de lui, Paméla, au 
Théâtre-Français, quand le Comité de Salut public in- 
terdit la pièce, fit fermer le théâtre et mit les acteurs 
et l'auteur en état d'arrestation. Le 9 Thermidor les 
délivra. 

Il a laissé un grand nombre d'écrits qui manquent 
généralement de vigueur et d'originalité. Sa place est 
moins parmi les hommes de lettres que parmi les 
hommes d'État. 

Palissot fut exclusivement un homme de lettres. Il 
est plus connu par sa querelle avec les philosophes que 
par ses ouvrages originaux. Il attaqua les encyclopé- 
distes et ceux-ci se vengèrent par des satires et des 
épigrammes. On connaît les bouts rimes qui furent 
laits contre lui : 



Ronsard sur son vieux 


hautbois 


Entonna la 


Franciade. 


Sur sa Li'ompelle de 


bois, 


Un moderne auteur 


maussade, 


Pour lui faire 


paroli 


Fredonna la 


Dunciade. 


Cet homme avait nom 


Pâli; 


On dit d'abord Palis 


fade 


Puis Palis fou, Palis 


plat 


Palis froid, et Palis 


fat; 


Pour couronner la 


tirade, 


En lin de 


turlupinade, 


On rencontra le vrai 


mot, 


On le nomma Palis 


sot. 



ÉCRIVAINS ET SAVANTS 45 

Envoi : 

M'abaissanl jusqu'à toi, je joue avec le mol ; 
Réfléchis, si tu peux ; mais n'écris pas, lis, sot. 

Edmond Aboitt, lui, est un écrivain de race. Né 




à Dieuze, le 14 février 1828, il fit de brillantes études 
et remporta le prix d'honneur de philosophie en 1848. 
Il entra la môme année à l'École normale et fut envoyé 
en 1851 à l'École française d'Athènes. Le coup d'État le 
fit renoncer à la carrière de l'enseignement; il se voua 
exclusivement à la littérature et au journalisme. Son 
activité littéraire s'est étendue à une foule de sujets. Il 

3. 



~& 



4G 



MEURTHE-ET-MOSELLE 






a publié un grand nombre d'ouvrages dont les princi- 
paux sont : La Grèce contemporaine, Le Roi des mon- 
tagnes, Les mariages de Paris, Tolla, Germaine, 
l'Homme -à l'oreille cassée, Le nez d'un notaire, etc. 

Reçu à l'Académie française en 1884, il mourut le 
16 janvier de l'année suivante, avant d'avoir prononcé 
son discours de réception. 

Edmond About a été un des représentants les plus sé- 
duisants de l'esprit français. Il a laissé des pages d'une 
verve étincelante qui rappellent Voltaire. Romancier 
fécond, journaliste intarissable, il eût pu prétendre au 
premier rang s'il n'eût été la proie de la politique mi- 
litante comme il en fut la victime. 

Nous regrettons qu'About soit trop près de nous pour 
que nous puissions lui consacrer tous les détails qu'il 
mériterait. Nous serons plus à l'aise avec Saint-Lam- 
bert qui est, après About, le plus connu des écrivains 
Lorrains. 

Saint-Lambert (1716-1803). 

Né à Nancy, en 1716, selon les uns, à Yézelise, selon 
les autres, on le connaît surtout comme le poète des 
Saisons. Il est 'avec Delille le représentant de la ppésie 
descriptive en France. 

Il descendait d'une famille noble, mais sans illustra- 
tion ni fortune. On l'envoya de bonne heure à l'Uni- 
versité Lorraine de Pont-à-Mousson. 

Voué à la carrière militaire, une fois ses études ter- 
minées, il servit dans les gardes Iprraines et passa sa 
première jeunesse à Lunéville, ce Versailles des ducs 
de Lorraine, au milieu d'une cour assez brillante qui 
réunissait alors à nombre de femmes aimables et spi- 
rituelles, quelques littérateurs de talent. C'est là qu'il 



ÉCRIA-AIN S ET SAVANTS 



■17 



connut M" 10 du.Châtelet et Voltaire. 11 se fit bien vite 
remarquer « dans ce joli et gracieux monde », comme 
dit Sainte-Beuve, par ses vers légers et galants. Dès 
1736, Voltaire lui écrivait : «Je lis vos vers, j'en suis 
jaloux ». 

Encouragé par les éloges de M mo deBoufflers et d'au- 
tres personnages de la cour lorraine, il vint à Paris, fui 
reçu dans la bonne compagnie, eut son logement à 
l'hôtel Beauvau et s'acquit bientôt une grande répu- 
tation par ses poésies fugitives. Aussi longtemps que 
vécut Stanislas il revenait tous les ans en Lorraine pour 
ne pas se laisser oublier. 

Il acheta en France un brevet de colonel et fit les 
campagnes du Hanovre en 173G et' 1757. Une attaque 
de paralysie le força à renoncer à la carrière militaire. 
A partir de ce moment il se, consacra tout entier aux 
lettres. Il revint à Paris, se Ha avec les encyclopédistes, 
reprit ses visites chez M me licofErin, et ses dîners chi-z 
M lle Quinault en compagnie de; Diderot, D'Holbach, 
Duclos, (Jrimm, M uu ' d'Épinay. 

Son poème des Saisons parut au commencement de 
1700 et eut un grand succès. II contribua à ouvrir à son 
auteur, dès l'année suivante, les portes de l'Académie. 

Saint-Lambert ne manque pas de talent, mais il n'a 
pas les qualités qui seules eussent pu rendre son 
œuvre vraiment intéressante et poétique. — Sar" verve 
est courte, l'invention lui fait défaut; il n'est ni simple 
ni naturel comme il faudrait l'être quand on veut di- 
gnement chanter la nature. 

■ La Révolution troubla la vie paisible que Saint» 
Lambert s'était arrangée. Il en prit son parti sans trop 
de peine et ne tint pas rigueur de ses ennuis privés à 
un régime dont il approuvait les principes. On sail en 



■i 



48 



MEURTHE-ET-MOSELLE 






effet qu'il consacra les dernières années de sa vie à 
écrire un Catéchisme Républicain. 

Il mourut à Eaubonne en 18Ô3, sous les yeux de sa 
vieille et fidèle amie, M mo d'Houdetot. 

Le département de Meurthe-et-Moselle a vu naître un 
grand nombre de savants remarquables : Guerrier de 
Dumast, Braconnot, Du Haldat, Lepois, médecin de 
Charles III, Sonnini, voyageur et naturaliste, collabo- 
rateur de Buffon, Charles Meissier, astronome que 
Louis XV avait surnommé le furet des comètes, bien 
d'autres mériteraient une notice détaillée, mais il faut 
nous borner. 



VI. - ARTISTES 



Si la Lorraine est pauvre en grands écrivains, en 
revanche, quelle longue suite d'artistes, tous remar- 
quables. Architectes, peintres, sculpteurs, graveurs, 
dessinateurs, depuis Callot jusqu'à Grandville; depuis 
l'architecte Héré, de Sancy, près Briey, jusqu'au peintre 
Girardet, de Lunéville; depuis César Bagard, le sculp- 
teur, et les deux Adam j usqu a Isabey en passant par Jean 
Lamour, le serrurier artiste (j'omets à dessein Claude 
Gellée, né à Chamagne, dans les Vosges, et non dans 
notre département), quelle lignée d'hommes célèbres 
qui, commençant aux débuts du xvn e siècle, se pro- 
longe jusqu'à nos jours! Et que serait-ce si nous pou- 
vions parler des vivauts ! 

La munificence des ducs de Lorraine, de Stanislas 
surtout, en dotant Nancy de chefs-d'œuvre, a fait plus 



ARTISTES 



49 



que d'embellir une résidence, ou même que d'impri- 
mer à une ville un cachet artistique. Elle a inspiré, 
par là, aux habitants le goût des arts, l'amour du beau, 
qui sont devenus comme un instinct et une tradition 
dans l'ancienne capitale de la Lorraine. 

Le premier en date, comme aussi le plus original de 
ces artistes, est Callot. 



Callol (1593-1035). 

Jacques Callot naquit à Nancy en 1503. Sa famille, 
anoblie dix ans auparavant et très attachée à ses nou- 
veaux titres de noblesse, rêvait pour ce fils les plus bril- 
lantes destinées. Son père, Jean Callot, héraut d'armes 
de Lorraine, était particulièrement versé dans la science 
du blason. Mais l'enfant, dès l'âge le plus tendre, montra 
pour les arts une vocation irrésistible. En vain, ses 
parents essayaient de faire obstacle à ses goûts : tout 
ce qui lui tombait sous les yeux était pour lui matière 
h dessin. Ses livres de classe étaient couverts de figu- 
res ; les marges, les couvertures, les moindres espaces 
blancs étaient remplis de bonshommes. Dès que l'heure 
de la récréation sonnait, au lieu de jouer au cheval 
fondu ou au chat perché, notre jeune élève, blotti dans 
un coin, crayonnait sur le mur ou sur ses cahiers des 
personnages aux attitudes drôles, aux traits grotesques- 
Contrarié dans ses aptitudes à la maison paternelle, 
le jeune Callot résolut de s'enfuir. Voir Rome, la patrie 
des arts, était le plus cher de ses vœux. Mais où trouver 
les moyens de réaliser son rêve longtemps caressé? 
Comment.se procurer les ressources nécessaires pour 
accomplir un si long voyage ? 
Callot n'a que onze ou douze ans et déjà sa réso- 






50 



Mia'RTnË-ET-MOSELLE 



• lution est prise. Une troupe de Bohémiens, de passage 
à Nancy, s'offre à remmener. Il vont en Italie.. Il ira 
avec eux. Et voila notre jeune dessinateur, fuyant loin 
de la maison paternelle, cheminant sur les grandes 
routes, dormant au bord des fossés, mendiant de vil- 
lage en village, sans souci du chagrin qu'il va causer à 
sa famille, insensible aux fatigues de la route, aussi 
bien qu'à la honte de cette existence de vagabond. 

Arrivé à Florence, le jeune Callot abandonna sa 
noble compagnie. 11 errait par les rues quand un 
officier d t u grand-duc le rencontra'. « Que fais-tu là? 
lui deinanda-t-il ; d'où viens- lu? qui es-tu? » L'enfant 
lui conta son histoire et comment, par amour pour son 
art, il avait résolu de quitter sa famille, afin de venir 
se perfectionner en Italie. Le jeune étranger avait une 
physionomie ouverte, l'air avenant, la figure intelli- 
gente. L'officier lui offrit de l'emmener et de le garder 
.auprès de lui. Callot n'avait pas le choix. Étranger 
dans cette ville, sans argent, il fut fort heureux de 
rencontrer une perspnne qui voulût bien s'intéresser à 
lui. Non conteht de le nourrir et de le loger, son hôte, 
homme aimable, l'envoya dessiner chez un peintre 
d'une grande réputation, dont le nom, »Canlagallina 
(Chantepoùle) vous paraîtra assez bizarre. Il s'adonnait 
de préférence à la gravure. Callot ne perdit pas son 
temps avec lui; tourmenté néanmoins par son désir 
irrésistible de voir Rome, il supplia son protecteur 
de vouloir bien le laisser partir. L'officier ne s'y op- 
posa pas; mieux encore, il lui donna quelque argent 
pour faire le voyage. 

Joyeux de se voir enfin dans la Ville éternelle, il se 
livrait tout entier à son admiration, quand un jour il se 
sentit frapper brusquement sur l'épaule par une main 









ARTISTES 



51 



inconnue. Il se retourne : terreur! ces visages, il les 
reconnaît. Ce sont d'honnêles marchands de Nancy qui, 
sachant, sa- lu mie, ayant été témoins des larmes de son 
père et de sa mère inconsolables d'avoir perdu leur en- 
fant, s'emparent de lui, le ramènent et ne le lâchen- 
(ju'après avoir remis aux mains de ses parents, court 
roucés mais rassurés et consolés, ce nouvel enfant pro- 
digue. , , 

Instruits par l'expérience, les parents allaient-ils 
eniin laisser leur enfant suivre librement sa vocation? 
Le père ne l'entendait pas ainsi. Il força son ûbj à re- 
prendre ses éludes. Mais Callot n'avait pas plus qu'avant 
d'inclination pour les lettres; il les abandonna, quitta 
une seconde fois l'école et la maison paternelle et s'en- 
fuit en Italie où l'attirait, semblait-il, un instinct in- 
vincible. Il avait alors quatorze ans. 

Cette fois, il n'alla pas plus loin que Turin. Son frère 
aîné, que son père avait envoyé à sa poursuite'sous 
prélexle de quelque all'aire, le rencontra dans les rues 
et interrompit net s»n voyage. Le voilà encore une 
fois ramené à Nancy. 

Vous croyez peut-être que désormais le jeune Callot, 
las des aventures, dégoûté de sa vie de vagabondage et 
de privations va renoncer à sa passion des voyages, à 
son goût pour les arts, à ce désir inassouvi de revoir 
Rome? Détrompez-vous. Jamais vocation ne fut plus 
impérieuse, plus nettement déclarée, plus irrésistible. 

Les maux qu'il a endurés, les privations qu'il a souf- 
fertes, il a tout oublié. Il ne se souvient que des 
chefs-d'œuvre qu'il a vus à Florence, des beautés qu'il 
n'a fait qu'entrevoir à Rome. Voilà les seuls souvenirs 
qui hantent son cerveau. 11 n'a qu'une pensée, qu'un 
désir, qu'un rêve : revoir l'Italie. 



MEURTHE-ET-MOSELLE 



Désespérant de réussir dans ses projets sans l'aveu 
de son père, il se décida à s'en ouvrir à lui. Il le supplia 
tant que son père finit par céder. Un des gentils- 
hommes du duc de Lorraine partait vers celte époque 
en ambassade auprès du pape; il prit Callot à sa 
suite et veilla sur lui pendant la route avec une ten- 
dresse toute paternelle. 

Arrivé à Rome, il s'appliqua tout spécialement au 
dessin qu'il regardait, avec raison, comme une partie 
essentielle de la peinture, puis il voulut aussi étudier 
la gravure et se mit sous la direction d'un Champenois, 
Philippe Thomassin, marié et fixé à Rome. Un dissen- 
timent éclata quelque temps après entre le maître et 
l'élève et Callot quitta Rome pour revenir à Florence. 
A la porte de la ville on l'arrête, on lui demande au 
nom du grand-duc, comme on le faisait pour tout 
étranger, son nom et sa profession. Aussitôt qu'il est 
reconnu, on l'emmène au palais. Le grand-duc l'in- 
terroge et lui offre de rester à son service. Il lui donne 
une pension, un logement, un atelier dans sa galerie 
où travaillaient un grand nombre d'autres artistes. Ces 
conditions n'étaient pas pour déplaire à Callot. Il se 
décide à rester à Florence et poursuit ses études avec 
un redoublement d'ardeur. 

Il retournait souvent chez son ancien maître Canta- 
gallina; il se lia d'amitié avec les artistes et entra en 
relations avec tout ce qu'il y avait alors d'hommes re- 
marquables à Florence. Encouragé, stimulé par ses 
maîtres et ses camarades, il fit de grands progrès dans 
le maniement du burin et exécuta, pour le grand-duc 
de Toscane, de nombreux travaux. Il s'essayait aussi à 
l'eau-forte. 

Malheureusement son protecteur, Cosme II de Mé- 






ARTISTES 



O.'i 



dicis, vint à mourir; ce lui fut une occasion pour 
penser à retourner dans sa patrie. Vers ce même temps, 
un prince de Lorraine, Charles IV, passait par Flo- 
rence en revenant de Rome; il promit à Callot, s'il 
voulait revenir avec lui, de lui faire donner par son 
beau-père, le duc Henri, de bons appointements. 11 
n'en fallait pas davantage pour que Callot se décidât à 
quitter l'Italie; il se mit à la suite du prince et rentra 
dans son pays. 

Quelle ne fut pas la joie des parents en voyant 
revenir leur fils auprès d'eux. Pour le fixer définitive- 
ment à Nancy, ils songèrent à le marier et lui firent 
épouser une jeune fille d'une excellente famille. C 'était 
en 1625. Callot avait alors trente-deux ans. 

Sa réputation se répandit bientôt dans toute l'Eu- 
rope. L'Infante des Pays-Bas l'appela à Bruxelles pnur 
dessiner le siège de Breda, qu'il grava ensuite. En 1628, 
il se rendit en France pour dessiner, sur l'ordre du roi, 
le siège de La Rochelle et celui de l'île de Ré. 

En 1633, Louis XIII vint assiéger Nancy et s'empara 
de la ville. Pour perpétuer le souvenir de sa victoire 
il voulut en faire graver le dessin. Il fit appeler Callot. 
L'artiste lorrain s'y refusa avec une politesse respec- 
tueuse, alléguant qu'il ne voulait rien faire contre 
l'honneur de si m prince ou la gloire de son pays. Le 
roi accepta ses excuses, en disant que le duc de Lor- 
raine était bien heureux d'avoir des sujets si dévoués 
et si fidèles. Mais dans l'entourage du roi on n'ap- 
prouvait pas ce refus. Quelques courtisans allèrent même 
jusqu'à dire, tout haut, qu'on aurait bien raison des 
résistances de l'artiste et qu'on saurait bien le réduire 
à se plier aux volontés de Sa Majesté. Callot entendit ces 
propos; il protesta avec une énergie pleine de courage : 



■ 



54 



MEURTHE-ET-MOSELLE 



« Je me couperais plutôt le pouce, dit-il, que de faire 
quel ue chose contre mon honneur. » , 

Jamais plus éclatant 'démenti ne fut donné au pro- 
verbe médisant qui voit dans tout Lorrain un traître 
à Dieu et à son prochain. 

Louis XIII, touché par la réponse de Callot, lui fit 
les offres les plus flatteuses pqur l'engager à son ser- 
vice, lui promit une forte pension. Rien ne put séduire 
Callot. Il préféra rester dans sa pa'trie. 

Callot'menait une vie des plus régulières et l'emploi 
de son temps était parfaitement ordonné. 

Il se levait de grand matin, il allait aussitôt, avec 
son frère aîné, se promener hors de la ville, revenait 
entendre la messe, puis travaillait jusqu'au dîner. Il 
employait le, temps de la digestion à faire quelques 
visites; après quoi il, reprenait son ouvrage jusqu'au 
soir, s'entretenant avec les personnes et les nombreux 
amis qui venaient chaque jour, dans son atelier, le 
voir travailler. 

Il ne faut pas s'étonner, qu'avec un genre de vie si 
bien réglé, il ait pu accomplir, quoiqu'il soit mort bien 
jeune, une œuvre si vaste et si variée. On compte 
jusqu'à 1,380 pièces de cet artiste; il y a peu de gra- 
veurs qui en aient produit autant. On prétend que 
l'habitude de travailler courbé nuisit à sa santé qui 
n'avait jamais été bien forte. Il mourut d'une maladie 
d'estomac, le 28 mars 1035. Il avait à peine quarante- 
trois ans. , 

La ville de Nancy lui a élevé une statue non loin de 
la maison qu'il a habitée, à, ce que l'on croit, dans la 
ville vieille. 

Les compositioHS de Callot sont pleines de fantaisie. 
Il se plaît à représenter les gueux, les bateleurs, les 



AKTISTKS 



55 



scènes tumultueuse? des foires, des sièges, des ba- 
tailles. Les misères de sa jeunesse, les malheurs de la 
guerre, tous les maux dont il a été lémoin, voilà «melle 
a été la' source de ses meilleures inspirations. Les Foires, 
1rs Hideux, les Misères, de In guerre, la Passion, les 
Supplices, les Gueux, le Massacre des Innocents, la 
Tentation de Saint Antoine, sont au nombre de ses 
œuvres les plus remarquables. 



Adam, Lambert-Sigisbert (1700-1769). 
1 Un sculpteur remarquable qui eut une jeunesse aussi 
mouvementée que Callot. 

Il naquit à Nancy en l'an 1700. Son père, qui était 
lui-même un sculpteur de mérite, lui donna les pre- 
miers principes de l'art du dessin. Jusqu'à 1 âge de 
dix-huil ans, il mania le maillet et. le ciseau dans l'ate- 
lier paternel. 

II passa l'hiver de 171.S à Metz, occupé à différents 
travaux ; l'année suivante, au mois de mai 1719, son 
père, sentant qu'il avait appris à son fils tout ce qu'il 
pouvait lui enseigner, l'envoya à, Paris pour qu'il y 
complétai son éducation artistique. 

Le jeune Adam, passionné pour son art, se forma ra- 
pidement, sous des maîtres habiles, travaillant sans 
relâche. Au bout de quatre ans, il remporta le prix de 
sculpture à l'Académie royale. Devenu ainsi pension- 
naire du roi, il alla à Rome continuer ses éludes. Il 
partit au mois d'août 1723, et demeura dix ans dans 
celle ville. 

Sigisberl Adam ne larda pas à s'y faire un nom. Il eul 
bientôt des commandes importantes ei ses succès lui 
valurent d'être nommé membre de l'Académie de 
Saint-Luc en 1732. 



■ 



50 



MEURTHE-ET-MOSELLE 



Le pape Clément XII le tenait en très haute estime; 
il le chargea de plusieurs travaux importants. Bref, 
Adam bien accueilli de tous, voyant son talent appré- 
cié, les commandes affluer, était sur le point de se 
fixer à Rome. Quand on apprit à Paris sa résolution, le 
roi s'empressa de lui faire écrire de revenir en lui pro- 
mettant de grands avantages. Il devait avoir, faveur 
enviée de tous les artistes, son atelier et son logement 
au Louvre. Le sculpteur n'eut pas trop de peine à pré- 
férer les offres du roi à celles du pape ; il revint. Mais 
il revint à petites journées, s'arrêtant dans les villes les 
plus remarquables d'Italie, pour étudier les nombreux 
chefs-d'œuvre qu'elles renferment. 

Il arriva à Paris le jour des Rameaux de l'année 1733. 
Il fut aussitôt après agréé à l'Académie et admis comme 
membre quatre ans plus lard en 1737. Bientôt, il eut 
autant de besogne qu'il en put faire. 

Il tailla d'abord sur place un groupe de deux figures 
de six mètres de proportions, au sommet de la cascade 
de Saint-Gloud. Ce groupe symbolisait la jonction de 
la Seine et de la Marne. Mais son œuvre la plus impor- 
tante est son groupe du bassin de Neptune à Versailles. 

Ce travail gigantesque représente le Triomphe de 
Neptune et d'Amphitrite. C'est le plus grand morceau 
de sculpture que possède Versailles. 

L'ouvrage fut terminé le 26 novembre 1740. Adam 
avait mis cinq ans à le faire. Outre le prix convenu il 
reçut une pension de cinq cents livres; cette récom- 
pense était bien méritée. 

A partir de ce moment, il exposa presque tous les 
ans, aux Salons, de nouveaux ouyrages. Ce fut, on le 
voit, un artiste fort laborieux et d'une habileté con- 
sommée. Nul ne sut mieux que lui fouiller le marbre 






ARTISTES 



57 



avec audace sans se laisser arrêter par aucun obstacle 
ou intimider par aucune hardiesse. 

On lui reproche parfois d'avoir manqué de goût. Son 
dessin est sec et maigre, souvent un peu mesquin. Il 
pèche par l'harmonie des lignes, par le manque de 
grâce dans les proportions. 

Il n'eut pas toujours le souci du style et ne se mon- 
tra pas assez scrupuleux pour la pureté des formes ou 
le choix des types. Malgré cela, ce fut un grand et 
noble artiste. 

Il mourut d'une attaque d'apoplexie le 13 mai 1759, 
laissant de nombreux témoignages de son talent. 



«Jean Lamour (1698-1771). 

Le serrurier Jean Lamour fut aussi un artisle dans 

son genre. 

Il n'est pas un habitant de Nancy, pas un voyageur 
ayant traversé notre bonne ville qui n'ait admiré les 
grilles de la place Stanislas. Ces grilles en fer forgé, 
aux lignes souples et élégantes, sont, vous le savez, 
l'œuvre de l'habile serrurier, Jean Lamour. 

Jean Lamour naquit à Nancy, le 25 mars 1698, d'un 
serrurier établi dans cette ville depuis 1081. En 1710, 
quand son père mourut, Jean lui succéda. Mais il avait 
fait déjà plusieurs séjours à Paris où il avait eu l'occa- 
sion de se perfectionner dans l'art du dessin et de^la 
serrurerie. 

Ses premiers travaux n'offrent rien de remarquable. 
On le voit, en 1723, passer un traité pour l'entretien 
des lanternes publiques, et un autre l'année suivante 
pour l'entretien des sonneries des paroisses. 

Ce n'est qu'en 1737, quand Stanislas, en vertu du 






I 



58 



MEURTHE-ET-MOSELLE 



traité fie Vienne, vint s'installer, comme duc de Lor- 
raine, que Jean Lamour, qui avait alors dépassé la 
quarantaine, eut l'occasion de se faire connaître. 

Ou sait que les' arts, encouragés par la protection 
éclairée et généreuse de Stanislas, jetèrent sous son 
rèune un très vif éclat. 

Quand Slanislas fit construire son château de Chan- 
tel'iix, aujourd'hui démoli, Jean Lamour y exécuta 
différents travaux de serrurerie. Au château de Com- 
niercy, il lit le balcon et la grille des jardins. 

L'évoque de Toul, Ms r Drouas,- fit construire place 
d'Alliance 1 un palais épiscopal ; c'est Jean Lamour qui 
fut chargé de fahriquer la rampe de l'escalier. Au Pa- 
lais de l'Intendance, la rampe est aussi l'œuvre- du 
même artiste. 

Pendant ce temps, Jean Lamour exécutait d'autres 
travaux. Ainsi, la grille de la chapelle Sainl-Gharles 
et celle de la chapelle Saint-Jean dans la cathédrale de" 
Na cy remontent à la môme époque. Tout cela n'em- 
pêcha t pas notre ouvrier serrurier de faire entre temps, 
poiirl -s particuliers, des travauxdemoindreimi.ortance. 

Eu 1750, Lamour était en pleine possession de son 
génie. C'est alors qu'il commença son œuvre la plus 
importante, son chef-d'œuvre, je veux parler des 
grilles de la place royale, aujourd'hui place Slanislas. 

« i.e-i grilles, dit un auteur lorrain, sont les véri- 
tables dietix pénates. de Nancy. Les municipalités qui 
se succèdent au gouvernement de la ville sont toujours 
sûres (l'être agréables à la population en les laisant 
peindre et redorer ». 

El du ne manque pas de refaire leur toilette toutes 
les ioi< que la visite d'un personnage marquant exige 
une certaine solennité. 



ARTISTES 



59 



Stanislas mourut le 23 février 1766 ; la Lorraine de- 
vint province française et Nancy, déchue du rang de 
capitale, né fut plus qu'une ville de second ordre. Dès 
lors, les commandes cessèrent; les beaux jours de l'art 
étaient passés. Mais déjà Jean Lamour avait, grâce à ses 
travaux, amassé une modeste fortune. Il pouvait vivre 
du fruit de ses économies. Sa vie n'était pas non plus 
sans gloire, car il jouissait, parmi les artistes de sa 
ville natale, d'une considération bien méritée. Sa vieil- 
lesse s'y écoula heureuse et calme; il mourut dans sa 
maison de la rue Noire-Dame, le 20 juin 1771, à l'âge 
de 73 ans ; on sait qu'il fut enterré aux Minimes à 
quel endroit précis, on l'ignore. 

Une plaque, sur la maison qu'il habitait,' un nom de 
rue, voilà ce qui reste de celui qui fut un ouvrier de 
génie et qui éleva la serrurerie à la hauteur d'un art! 

Isabey (1767-1855). 

Cet autre nom fait aussi grand honneur à notre dé- 
partement et forme, pour ainsi dire, la transition entre 
le xviii 6 et le xix e siècle. 

lsabcy Jean- Baptiste, célèbre miniaturiste, naquit à 
Nancy, le 11 avril 1707. Son père était un brave paysan 
franc-comtois, établi depuis peu en Lorraine. 

Son petit commerce lui permit de faire élever libé- 
ralement ses deux lils. L'un, l'aîné, Louis Isabey, ha- 
bile musicien, fut' premier violon de l'empereur de 
Russie, Alexandre, et mourut en 1813; l'autre, Jean- 
Baptiste, élève de deux artistes lorrains Girardet et 
Claudot, devint un peintre d'un grand talent. 

Il avait 19 ans, quand son père se décida à l'envoyer 
à Paris. En attendant d'entrer dans l'atelier de David, 
dont la gloire était dans tout son éclat, et qui se 






fiO 



MEUHTIIE-ET-MOSELLE 



trouvait alors en Italie, il suivit les leçons de Dumonl, 
un peintre en miniatures. 

La miniature était, à cette époque, en grand hon- 
neur. Isabey exécutait de petits sujets sur des cou- 
vercles de tabatière ou sur des boutons historiés, alors 
fort en vogue. Peu à peu, il arriva à se faire une petite 
clientèle. Un jour, le gouverneur des enfants du comte 
d'Artois parla de lui à la Cour. On le fit appeler à 
Versailles, et on lui commanda un médaillon où de- 
vaient figurer ensemble le duc d'Angoulême et le duc 
deberry. La reine Marie-Antoinette, le comte d'Artois, 
encouragèrent le jeune artiste. Sa réputation était faite. 
On l'appelait le petit Lorrain. Il avait subjugué tout le 
monde, par son air gai, avenant, spirituel. 

Il hésitait cependant à renoncer aux grands sujets. 
C'est Mirabeau, dont il eut l'occasion de faire le por- 
trait, qui lui conseilla d'abandonner la peinture d'his- 
toire. « Il vaut mieux, lui dit-il, avoir la certitude 
d'être le premier dans un genre, que le doute de n'être 
que le second dans un autre. » 

Un changement venait, du reste, de s'opérer dans 
son existence, qui ne lui laissait pas le choix. 

Il avait rencontré, dans une. promenade publique, 
une belle jeune fille conduisant son vieux père aveugle. 
Pris d'une passion subite autant que romanesque pour 
cette nouvelle Antigone, notre peintre la fait demander 
en mariage et le voilà devenu chef de famille, obligé de 
l'aire face aux charges de sa situation nouvelle. Sa ré- 
solution est prise; il s'agit, désormais, de gagner 
sa vie. 

La Révolution lui enleva ses protecteurs, mais non 
son gagne-pain. Il publia, en 1789, les portraits des 
membres de l'Assemblée constituante. 



ARTISTES 



(if 



Les belles gravures anglaises, en manière noire, 
d'après Reynold, lui inspirèrent l'idée de ses composi- 
tions à l'estampe, bientôt reproduites par la gravure. 

M me Campan, ancienne femme de chambre de la reine 
Marie-Antoinette, venait, sous le Directoire, de fonder 
à Saint-Germain son célèbre pensionnat. Elle confia à 




Isabey la direction de l'enseignement du dessin. Or, 
il se trouvait dans cette maison d'éducation, une jeune 
élève. Hortense, fille de M mc de Beauharnais. devenue 
depuis peu la femme du général dont le nom commen- 
çait à remplir le monde, de Bonaparte. C'est de la sorte 
qu'Isabey entra en rapport avec le vainqueur d'Arcole 
et de Rivoli. Admis dans son intimité, il eut tout 1& 

4 






62 



MEURTHE-ET-MOSELLE 



loisir d'étudier les traits de cette figure devenue depuis 
si populaire, et de cette observation attentive sortit 
le magnifique Portrait du général Bonaparte dans les 
jardins de la Malmaison, si vrai, si vivant, si fidèle. 
que les peintres et les graveurs se sont plu à repro- 
duire à l'envi. Désormais, Isabey i-erale peintre attitré 
et officiel de la famille Bonaparte. 

Quand le premier consul, devenu Empereur, voulut 
se faire sacrer par le pape, Isabey fut chargé de régler 
tous les détails de la cérémonie et d'en conserver, par 
le dessin, le souvenir. 

Joséphine fut répudiée; Marie-Louise la remplaça 
sur le trône impérial. Isabey fut nommé maître de 
dessin de la nouvelle impératrice. Il avait le titre de 
peintre et de dessinateur du cabinet de l'Empereur; il 
était décorateur du théâtre de la Cour, ordonnateur des 
fêtes et cérémonies. 

1814 le surprit au sein de sa prospérité. Fidèle au 
malheur, il s'achemina vers Fontainebleau pour rendre 
un dernier hommage au souverain déchu. 

Il partit ensuite pour Vienne, où le prince de Talley- 
rand l'avait chargé de dessiner le portrait des plénipo- 
tentiaires réunis dans cette capitale. Il en rapporta le 
beau dessin si connu : Le Congrès de Vienne. 

Louis XVIII lui tint rigueur; mais quand Charles X 
monta sur le trône, le nouveau roi se souvint que le 
comte d'Artois avait jadis élé l'un des premiers protec- 
teurs du peintre de médaillons et il donna à Isabey le 
même titre et les mêmes appointements qu'il avait du 
temps de l'Empereur. 

La Révolution de 1830 vint encore une fois troubler 
l'existence d'isabey et ne lui rendit plus ce qu'elle lui 
enlevait. Ce n'est qu'en 1837 que Louis-Philippe 



ARTISTES 



63 



nomma l'ancien favori de Napoléon et fie Charles X. 
conservateur adjoint des musées royaux. Mais déjà la 
vieillesse était venue et de nouveaux talents s'étaient 
formés qui, peu à peu, rejetèrent dans l'ombre et le 
silence le maître en l'art de la miniature. Il avait aban- 
donné depuis cinquante ans la peinture à l'huile, 
quand, en 1830, dans un voyage qu'il fit à Nancy, il 
peignit le portrait du général Drouot. 

Ce fut une de ses dernières œuvres. Il assista encore, 
avant de mourir, à une nouvelle révolution qui épou- 
vanta un moment sa vieillesse. Napoléou III lui accorda 
une pension et le nomma commandeur de la Légion 
d'honneur. La mort l'enleva doucement, après une 
courte maladie, le 18 avril 1855, à l'âge de 88 ans. 

Isabey fut un artiste d'un goût' pur et d'une habileté 
consommée. Son caractère gai, enjoué, toujours de 
bonne humeur, lui concilia de nobles protections et ne 
fut pas étranger à ce bonheur constant qui le prit au 
début de sa carrière et ne l'abandonna pas même dans 
son extrême vieillesse. 

C'était du reste un homme de cœur, bon et serviable. 
Il apprend un jour que Gérard, un confrère et un ami 
qui venait de peindre son Bélisaire, était dans le dé- 
nûment le plus complet, Isabey va chez lui, fait un 
grand éloge du tableau et le lui achète trois mille francs. 
Puis il se rend chez l'envoyé de la République de Hol- 
lande, M. Mcyer.dont il faisait alors le portrait, et l'en- 
gage à reprendre le tableau de Gérard, pour une somme 
double. En possession de ces six mille francs il repart, 
et vient tout joyeux rapporter à son ami les trois mille 
francs de bénéfice. C'est pour reconnaître ce service, que 
(lérard fit l'admirable portrait en pied d'Isabey et' de sa 
fille, que vous pourrez admirer au Musée du Louvre. 



i^M 



Ci 



MEURTHE-ET-MOSELLE 



Grandville (1803-1847). 

Vous avez eu certainement entre les mains des des- 
sins de Grandville. Ses Fleurs animées sont dans toutes 
les bibliothèques, et dans votre enfance vous avez, j'en 
suis sûr, feuilleté sur les genoux de vos grands-pères, 
ses illustrations des fables de La Fontaine où les ani- 
maux sont tous transformés en hommes. La cigale 
est une chanteuse de carrefour qui porte dans sa gui- 
tare brisée la grêle et les frimas; la fourmi est une 
riche Normande, goguenarde, étoffée et cossue ; le loup, 
un brigand, un détrousseur; le chien, un domestique de 
bonne maison'; M. du Corbeau, infatué de sa personne, 
se montre paré des insignes de la Légion d'honneur. 
Toutes ces bêtes sont des gens de connaissance. 

Jean-Ignace-Isidore Gérard, dit de Granville, naquit 
à Nancy le 3 septembre 1803. Son père était peintre en 
miniature, son grand-père et sa grand'mère étaient co- 
médiens du roi Stanislas et avaient pris au théâtre ce 
surnom de Grandville que leur petit-fils devait illustrer 
plus tard. 

L'enfant apprit, auprès de son père, les premiers élé- 
ments du dessin. Il était le dernier de sept enfants» 
petit être souffreteux, malingre, qu'un rien offusquait. 
Et déjà, à dix ans, il s'exerçait à manier la plume ou le 
crayon. Mais il peignait ou dessinait tel qu'il voyait, ne 
prenant pas le moindre soin d'embellir ses modèles, qu'ils 
fussent lourds, difformes ou pesants. Si bien que son 
père, habitué à orner la nature et à colorer les roses, 
lui disait avec effroi : « Ne vois-tu pas que tu fais peur 
à tous les visages de Nancy? Tu n'as pas quinze ans et 
déjà tu t'es fait des ennemis mortels de tous les juifs 
et de tous les chiens de la ville ! Les premiers te tirent 



ARTISTES 



65 



la langue et les seconds aboient après toi ». Le père et 
le fils ne pouvaient guère s'entendre, si bien qu'un jour, 
moitié sérieux, moitié fâchés, ils se dirent adieu et 
Grandville partit pour Paris. Il avait vingt ans! Il se fit 
bientôt connaître par une série de dessins lithogra- 
phiques intitulée : Le Dimanche d'un bon bourgeois ou 
les tribulations de la petite propriété. 

Il obtint un franc succès en 1828 avec ses Mêlamor- 
phoses du jour, où les différents types de l'humanité 
sont figurés par des personnages à têtes d'animaux Le 
singe, la chatte, le coq, l'éléphant jouent chacun, sous 
des costumes divers, leur rôle dans cette comédie hu- 
maine. La politique ne contribua pas peu à la vogue 
de ces dessins satiriques. 

La fin de Grandville fut attristée par les deuils. Il 
ne vivait que pour sa famille et sa famille lui manqua. 

Il perdit successivement sa femme et deux enfants. 
Le troisième périt étouffé par une cerise qu'il avait 
avalée à table. Le pauvre petit être se débattait et 
souffrait le martyre. Il restait peut-être une ressource : 
c'était de faire l'opération de la trachéotomie. Le mal- 
heureux père ne voulut jamais y consentir et il vit ce 
petit être mourir dans ses bras au milieu des plus ter- 
ribles convulsions. 

A quelque temps de là Grandville perdait la raison : 
le chagrin l'avait rendu fou. Il mourut peu de temps 
après, le 17 mars 1847. 



4. 



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MEURTHE-ET-MOSKLLE 



VII. 



HOMMES D'ETAT 



Quelques hommes d'Élat appartiennent soit par leur 
naissance même, soit par leur famille, au département 
de Meurthe-et-Moselle. 

Le plus grand est sans contredit le duc de Choiseul 
qui sut faire figure de ministre sous Louis XV, à une 
époque où il n'y avait plus que des courtisans. Pendant 
douze ans qu'il resta au pouvoir, il fit tous ses efforts 
pour remédiera l'épuisement de la France et la relever. 
Rien ne pouvait, dès lors, arrêter la décadence de la 
monarchie, tombée en des mains incapables, et gou- 
vernée par des favorites indignes. 

Il réorganisa l'armée, réforma le génie, l'artillerie, 
créa des écoles militaires, négocia le pacte de famille. 
et réunit la Corse à la France, malgré l'Angleterre, 
en 1768. Renversé par une intrigue de Cour, il se retira 
dans sa terre de Chanteloup, où le suivirent les témoi- 
gnages de l'estime publique. 

Son rôle est d'ailleurs si connu que nous n'insiste- 
rons pas. Il nous suffit de l'avoir salué au passage. 

François de Neufchâteau, que nous avons rangé 
parmi les écrivains, mérite d'avoir aussi sa place parmi 
les hommes d'État. 

Tour à tour lieutenant-général au bailliage de Mire- 
court, subdélégué de l'intendant de Lorraine, procu- 
reur-général au Conseil souverain de Saint-Domingue, 
il fut, pendant la Révolution, élu député à l'Assemblée 
législative et en devint successivement secrétaire puis 
président. Pendant la Convention, il refusa de siéger, 



hommes d'état 



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préférant rester juge de paix dans une petite commune 
des Vosges. 

En 1797, le Directoire le nomma Ministre de l'Inté- 
rieur, et après le 18 fructidor il devint directeur à la 
place de Carnot. Revenu au Ministère de l'Intérieur, il 
se fit remarquer par la protection qu'il accorda aux 
lettres et aux arts. C'est à lui que l'on doit la première 
idée des expositions publiques des produits de l'indus- 
trie. Après le 18 brumaire il fut créé sénateur, puis 
comte de l'Empire, enfin secrétaire et président annuel 
du Sénat. 

Compris, en 1815, parmi les sénat eurs que Louis XVII I 
n'appela pas à la Chambre des Pairs, il se retira de la 
politique et consacra ses loisirs aux lettres et à l'agri- 
culture. 

L'économiste Duquesnoy, de Briey, membre de l'As- 
semblée nationale, maire de Nancy, principal rédacteur 
de l'Ami des Patriotes, le baron Louis, de Toul, mi- 
nistre des Finances, sous la Restauration, de Serre, né 
à l'aqny-sur-Moselle, ministre de la Justice sous le 
même régime, méritent d'être cités. Mais le plus grand 
de tous ces hommes d'État, le plus sympathique, parce 
qu'il fut en même temps un philanthrope, c'est l'Abbé 
trrégoire. 

L'Abbé Grégoire (1750-1831 

Baptiste-Henri Grégoire, naquit à Vého, près de Lu- 
néville, le 4 décembre 1750. Son père, Baslien Gré- 
goire, était tailleur. L'enfant, doué d'une grandi; intelli- 
gence, aimait à se laisser aller à la rêverie. A huit ans, il • 
savait lire et écrire, et le maître, n'ayant plus rien à lui 
apprendre, lui laissait le soin d'enseigner ses petits 
camarades. On se'décida à le confier au curé d'Embermé- 



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MEURTHE-ET-MOSELLE 



nil, l'abbé Cherrier, qui élevait chez lui quelques jeunes 
gens. 

A l'âge de douze ans, le jeune Grégoire expliquait 
Virgile, lisait Racine et se passionnait pour les scènes 
des Évangiles 

Le curé Cherrier le conduisit alors à Nancy chez l'un 
de ses amis dont il gagna bientôt l'affection. Là aussi, 
il se fit remarquer par son zèle et son application. Il 
allait passer à la bibliothèque les moments de liberté 
que lui laissaient ses études. La première fois qu'il y 
mit les pieds, le bibliothécaire lui demanda ce qu'il 
désirait. « Des livres pour m'amuser, dit l'enfant. » 
« Mon ami, lui fut-il répondu, vous vous adressez mal; 
on ne trouve ici des livres que pour s'instruire! » C'est 
ce que désirait [Grégoire; il s'était seulement mal ex- 
primé, ou plutôt s'instruire et s'amuser étaient pour 
lui synonymes. 

De 1763 jusqu'en 1768, l'élève fit avec succès toutes 
ses classes chez les jésuites de Nancy. Devenu plus 
tard janséniste, il conserva néanmoins toute sa vie, à 
ses maîtres, un respectueux attachement, « quoique, 
disait-il, il n'aimât pas l'esprit de la Compagnie. » 

En 1768, le roi supprima la Société en Lorraine et 
Grégoire dut terminer ses études de philosophie à 
l'Université nouvellement créée. 

Il acheva ses études de théologie au séminaire de 
Metz et fut ordonné prêtre en 1775. La théologie ne 
l'absorbait pas uniquement. Il aimait à se récréer dans 
la lecture des poètes. Il remporta, vers cette époque, 
le prix à l'Académie de Stanislas, pour son Éloge de 
la poésie. 

Le 15 avril 1782, l'abbé Grégoire devint curé d'Em- 
berménil. 






HOMMES D ETAT 



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Rien de plus touchant que la vie qu'il mène à cette 
époque. Il est tout entier voué à l'accomplissement de 
ses fonctions. « Un bon curé, avait-il coutume de dire, 
est un ange de paix; sa modique fortune, hypothéquée 
à la misère, est le patrimoine du pauvre. » 

La Révolution de 1780 éclate. Le 20 janvier 1780, en 
présence des délégués des trois ordres, réunis à Nancy, 
l'abbé Grégoire parle au nom de tous ses confrères et 
fait entendre des paroles de paix et de concorde, toutes 
vibrantes de liberté, de justice, de bonté. Il conjure 
ces vénérables prêtres, qui l'écoutent, de s'unir pour 
« travailler à régénérer l'un des plus beaux empires 
de l'univers. » 

Devenu représentant, il fut un des premiers de son 
ordre à s'unir aux membres du tiers-état, et il assis- 
tait, le 20 juin, à la séance du Jeu de Paume. Tous ses 
votes tendirent à l'affranchissement du peuple, à l'amé- 
lioration de son sort, à l'abolition des privilèges. 

La constitution civile du clergé fut mise à l'ordre du 
jour. Grégoire l'accepta, « non, dit-il, qu'il la trouvât 
sans reproche, mais parce qu'il regardait cette mesure 
comme un devoir de patriotisme propre à porter la 
paix dans le royaume et à cimenter l'union entre les 
pasteurs et les ouailles. » Hélas ! nulle mesure ne de- 
vait être plus fertile en discordes. 

Grégoire fut porté à l'épiscopat, en même temps 
par la Sarthe et le Loir-et-Cher. Il opta pour le siège 
de Blois. 

Élu membre de la Convention nationale, son pre- 
mier acte fut de proposer l'abolition de la royauté et 
l'établissement de la République. « L'histoire des rois, 
s'écrie-t-il, dans un véhément discours, est le mar- 
tyrologe des nations. » Par son influence, la déchéance 



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MEURTHE-ET-MOSELLE 



de la monarchie est proclamée, et il avoue qu'il fut 
tellement heureux de ce résultat, que pendant plu- 
sieurs jours l'excès de la joie lui ôta l'appétit et le 
sommeil. 

Lors du procès du roi, il était en mission à Ghambéry. 
Il écrivit pour demander la condamnation, mais non 
la condamnation à mort. Le caractère sacré dont il 
était revêtu ne pouvait l'autoriser à répandre le 
sang. 

Au retour de cette mission, il devait rendre ses 
comples. Il vint au Comité, et tirant de sa poche un 
mouchoir, dont il dénoua un des coins avec précau- 
tion, il versa sur la table la somme qu'il avait écono- 
misée sur ses frais de voyage. Il soupait avec quelques 
noix ou une orange, enchanté que son souper ne coûtât 
que deux sous à la République*. Telle est la conduite 
de ces représentants en mission, que la calomnie a 
essayé, mais en vain, de noircir. 

Grégoire fit ensuite partie de ce Comité de l'Instruc- 
tion publique auquel nous devons tant de belles et 
utiles créations. 

Plus que personne, il contribua à prévenir la des- 
truction des monuments artistiques et, le premier, il 
qualifia de vandalisme ces actes de barbarie contre 
tout ce qui est vénérable par l'âge, la beauté ou les 
souvenirs. C'est à Grégoire qu'on doit le mot : « Je 
créai le mot pour tuer la chose, » nous dit-il dans ses 
mémoires. 11 a créé le mot; il n'a pu réussir à tuer la 
chose. 

Ce qui est certain, c'est qu'il employa, dès lors, tout 
son crédit pour favoriser les savants, les gens de lettres, 
les artistes. 

Depuis longtemps il avait élevé la voix en faveur 



HOMMES D ETAT 



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des Juifs. Il finit par obtenir pour eux l'égalité des 
droits civils et politiques. 11 en fit autant pour les 
nègres de nos colonies et réussit à faire abolir, en lé- 
vrier 1794, la traite des noirs et l'esclavage de la race 
africaine. En i789, il avait demandé que le nom de 
l'Être suprême fût inscrit en tête de la Déclaration 
des droits et que celle-ci fût accompagnée, puisqu'il 
n'y a jamais de droit sans devoir, et réciproquement, 
d'une Déclaration des devoirs. 

On lui a reproché d'avoir méconnu son caractère de 
prêtre. Rien n'est plus faux. Et c'est un des traits les 
plus distinctifs, en même temps qu'un des plus écla- 
tants delà vie de Grégoire, que l'énergie avec laquelle 
il proclama hautement ses convictions religieuses 
même au milieu des injures et des menaces de ses en- 
nemis les plus exsltés. 

L'avènement des Bourbons n'améliora pas la situa- 
tion de Grégoire. Napoléon l'avait délaissé. Louis XVIII 
fit plus : il le persécuta. On le chassa de l'Institut, on 
lui supprima sa pension d'ancien sénateur. 

Réduit à la misère, le pauvre évêque constitutionnel 
fut forcé, pour vivre, de vendre sa bibliothèque. 11 se 
réfugia à Auteuil et se renferma dans une studieuse 
retraite où il se consacra tout entier à ses travaux lit- 
téraires. 

La calomnie ne sut pas respecter cette solitude 
pleine de calme et de dignité. « Je suis comme le 
granit, écrivait-il; on peut me briser, mais on ne me 
plie pas. » 

Le gouvernement de Juillet ne répara pas, envers 
l'illustre vieillard, les injustices de la Restauration. Il 
avait fondé de grandes espérances sur la Révolution 
de 1830. Il fut déçu. Rongé par le chagrin, il alla peu 



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MEUHTHE-ET-MOSELLE 



à peu s'affaiblissant. Quand il sentit le mal s'aggraver, 
il envoya chercher le curé de sa paroisse pour qu'il lui 
administrât les sacrements. L'archevêque de Paris lui 
lit. répondre que les secours de la religion ne lui se- 
raient accordés que s'il rétractait le serment civique 
qu'il avait jadis prêté à l'Assemblée constituante. Le 
moribond refusa de souscrire à cette condition qu'il 
jugeait déshonorante pour sa mémoire,, et la sépulture 
lui fut refusée. Le pouvoir civil dut s'emparer par la 
force de l'église de l'Abbaye-aux-Bois, où la messe fut 
dite par un prêtre proscrit. Au sortir de l'église, quel- 
ques jeunes gens dételèrent les chevaux du corbillard 
et traînèrent le corps de l'illustre défunt jusqu'au ci- 
metière Montparnasse. 

La postérité, plus impartiale que les partis, n'a voulu 
voir, en l'évêque Grégoire, qu'un zélé patriote, une 
âme éprise de l'amour de la justice, du bien et de la 
vérité. 

Bien d'autres noms illustres viendraient encore sous 
notre plume. Mais l'espace nous est mesuré. Ce que nous 
avons dit suffit à montrer que nous avons tout lieu 
d'être heureux et fiers d'avoir vu le jour dans ce dé- 
partement. Tous ces hommes éminents qui nous ont 
précédés dans la carrière, nous stimulent par leur 
exemple. Ils nous montrent le chemin du devoir, de 
l'honneur, du dévouement. Tous semblent nous dire : 
« Voilà ce que nous avons fait pour la patrie. Et vous, 
que comptez- vous faire pour elle? » 



Paris. — E. 




<A 83^W du Bac.