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MEURTHE-ET-MOSELLE
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I BIBLIOTHEQUE
SAINTE |
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Galerie Française
Ouvrage honoré d'une souscription du Ministre de l'Instruction publique
PUBLIÉ AVEC L.V COLLABOH ATION DE :
Recteurs, Inspecteurs généraux de l'Université, Inspecteurs d'Aca-
demie, Inspecteurs primaires, Doyens de Faculté des lettres, Pro-
fesseurs agrégés des lycées et collèges, Publicistes, etc., etc.
Mettre dans les mains de nos écoliers français un livre de
lecture qui fasse revivre à leurs yeux et grave dans leur esprit,
le passé historique de la terre natale, avec son cortège d'illus-
trations et de célébrités, tel est le but de la « Galerie Fran-
çaise ». , , . .
' Divisée en quatre-vingt-six volumes — un par département —
cette Galerie est, au premier chef, une œuvre de patriotisme et
constitue un précieux instrument d'éducation civique : elle élargit
heureusement, dans le sens local, jusqu'à ce jour un peu néglige,
le champ des connaissances historiques de l'écolier; elle impose
à l'esprit de ce dernier le souvenir des gloires ou des mentes
d'hommes qui sont nés du même sol que lui et ont immortalise ce
berceau commun, et, réchauffant par là son culte pour la terre
de la Patrie, elle exploite noblement, pour la plus pure édifica-
tion de la Jeunesse, le grand héritage de nos pères, si riche en
Glorieux exemples, si prodigue défères leçons.
" La rédaction des quatre-vingt-six livres qui composent la * Ga-
lerie Française » a été demandée aux plumes les plus autorisées;
il suffira de citer quelques noms : MM. Régis Artaud, inspecteur
d'Académie; Compayré, recteur de l'Académie de Poitiers; Cau-
seret inspecteur d'Académie, docteur es lettres; Chanal, inspecteur
d'Académie; Delaage, professeur à la Faculté de Montpellier;
Adrien Dupuy, professeur agrégé au lycée Lakanal;A. Durand,
secrétaire de l'Académie de Paris; Duplan, inspecteur général de
l'Université; E. des Essarts, doyen de la Faculté des lettres de
Clermont-Ferrand; Flourens, ancien ministre des Affaires étran-
gères- Guillon, agrégé d'histoire, docteur es lettres; Martel, ins-
pecteur général' de l'Université; Métivier, inspecteur gênerai
honoraire; Fleury-Ravarin, conseiller d'Etat; Riquet, professeur
à l'Ecole alsacienne; A. Theuriet, lauréat de l'Académie fran-
çaise; Sevin-Desplaces, conservateur à la Bibliothèque \attonale;
E Delmel, député, ministre plénipotentiaire ; Léo Claretie; H. Soi-
noury; Brunel, directeur de l'Enseignement primaire du Nord;
L. Mainard, professeur au collège Chaptal.
Chacun des livres de la « Galerie Française forme un m-iS
Jésus, tiré sur beau papier, illustré de portraits gravés sur bois et
cartonné avec titre spécial-
Prix du volume : 1 fr. 20.
,
GALERIE FRANÇAISE
PAR
V. RIQUET
officier d'académie
licencié es lettres, professeur a l'école alsacienne
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PARIS >^b
CUREL, GOUGIS & C^
ÉDITEURS
3 et 5, Place de Valois
Tous droits réservés
MEURTHE-ET-MOSELLE
(chef-lieu : Hancy)
Le déparlement a une superficie territoriale de 523,298 hec-
tares, divisée en 4 arrondissements, 29 cantons, 596 communes.
Sa population est de 444, loO habitants. Nancy est le siège du
4 e arrondissement forestier.
Commerce et Industrie. — Le département est un pays agri-
cole, d'exploitation et manufacturier. Les principaux articles
de commerce sont : les grains, le vin, la bière, les eaux-de-vie,
les salaisons, le sucre de betterave, les confitures et conserves
de fruits, les batistes et toiles de Nancy, les cristaux renommés
de Baccarat, les glaces de Saint-Quirin ; il y a des fabriques de
produits chimiques, de porcelaines, de poteries, de toiles, etc.
Armée, Justice, Cultes. — Le département fait partie du 6 e corps
d'armée. Nancy est le siège de la Cour d'appel, d'un évêché
suffraganl de Besançon, d'un consistoire pour le culte protes-
tant, et d'un consistoire pour le culte judaïque.
Instruction publique. — Nancy est le siège de l'Académie.
Enseignement supérieur: Facultés de Droit, de Médecine, des
Sciences, des Lettres, et École supérieure de Pharmacie. En-
seignement secondaire : Lycée à Nancy ; Collèges communaux
à Lotigwy, Lunéville, Pont-à-Mousson, Toul. Enseignement pri-
maire : Écoles normales d'instituteurs et d'institutrices il Nancy ;
École professionnelle de l'Est à Nancy; Écoles primaires supé-
rieures de garçons à Nancy, de filles à Nancy et à Ponl-à-
Mousson:il y a 94G écoles primaires publiques (313 de garçons,
306 de filles, 327 mixtes) et 83 écoles maternelles recevant
53,761 enfants de G à 13 ans. Il y a 681 bibliothèques scolaires,
322 caisses d'épargne scolaires, et 307 caisses des écoles. Sous
le rapporl.de l'instruction des conscrits, le département occupe
le 13 e rang (98 conscrits sur 100 savent lire).
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I - LE PAYS ET LES GENS
^ Le département de Meurthe-et-Moselle, taillé dans
l'ancienne province de Lorraine et dans une partie des
Trois-Evêclu's, doit son nom aux deux principales
rivières qui le traversent. Meurthe avant la guerre, il
est devenu Meurthe-et-Moselle après nos désastres,
depuis qu'on y a rattaché, de l'ancien département de
la Moselle, le tronçon mutilé de l'arrondissement de
Briey.
Il est situé dans la région nord-est de la France et
confine maintenant à l'Allemagne sans qu'aucune dé-
fense naturelle le protège efficacement contre ses ter-
ribles voisins.
Sans l'arrondissement de Briey, il formerait un
triangle presque régulier. Tout entier situé sur le pla-
teau de Lorraine, il domine d'un côté la vallée d'Al-
sace, de l'autre, la plaine de Champagne.
Comparativement à son peu d'étendue, il est un des
plus boisés delà France. Le relief du sol est accidenté,
le climat y est rude et sujet à de brusques variations.
Adossé à la chaîne des Vosges, ce département s'in-
cline au couchant et au nord, descendant en pentes
douces ou en larges ondulations, tour à tour sommets
couronnés de la sombre verdure des sapins, plateaux
fertiles ou vallées riantes.
Entre la Meurthe et la Moselle, s'étend la forêt de
Haye, une des plus belles de France; c'est la prome-
nade favorite des Nancéiens. Les bords de la Moselle
offrent des sites fort pittoresques. Ici, ce sont des rocs
6
MEURTUE-ET-MOSELLE
escarpés, nus, décharnés, là, de vertes prairies, plus
loin, des bois ou des terres cultivées, et par intervalles,
suspendus au flanc des coteaux bien exposés, des vi-
gnobles, dont les vins peuvent rivaliser avec ceux du
Rhin.
L'agriculture est en grand honneur dans notre dépar-
tement. La vigne domine dans l'arrondissement de
Toul, les houblonnières dans celui de Lunéville, tandis
que les plus grasses prairies et les terres les plus fé-
condes se rencontrent principalement dans le bassin de
la Meurthe. Parmi les fruits dont la région abonde, la
prune mirabelle est un des plus renommés.
Le pays est riche en minerais. Il tient le premier rang
pour la production du sel et pour la fabrication de la
fonte.
Les faïences de la Lorraine jouissent d'une réputa-
tion universelle. Quant à ses verres et à ses cristaux,
ils font la richesse en même temps que la gloire de la
contrée. Le nom de Galle est aussi connu dans le nou-
veau monde, que dans l'ancien, et les œuvres de l'ar-
tiste lorrain, justement appréciées, ont déjà leur place
dans nos musées ou dans la vitrine des collectionneurs.
Ainsi, non seulement l'agriculture et l'industrie,
mais l'art industriel, sont bien représentés dans notre
département.
Que dirons-nous du caractère des habitants? Placés
de tout temps entre des peuples rivaux, les Lorrains
semblent avoir participé à la fois de la nature de chacun
de leurs voisins. Ils ont cependant une physionomie
distincte et des traits nettement accentués. Froids à
l'abord, réservés, presque défiants, ils n'en ont pas
moins des cœurs chauds, capables de généreux dé-
vouements et qui, une fois qu'ils se sont donnés, ne se
LE PAYS ET LES GENS '
reprennent plus. Le proverbe : « Lorrain, chien, vilain :
traître à Dieu, à son prochain » est plus qu'une injure;
c'est une injustice, contre laquelle protestent les qua-
lités d'esprit et de caractère de la population.
Une de ces qualités, sur laquelle on ne saurait trop
insister, c'est le patriotisme. Peu de départements,
pendant les guerres de la République et de l'Empire,
ont fourni plus de fameux capitaines. C'est que, placés
non loin de la frontière, au poste d'honneur, les hommes
de l'Est ont vu de près les horreurs de la guerre, et
qu'ils entendent plus distincte, de l'autre côté des
Vosges la plainte de nos frères, arrachés violemment
à la Patrie française.
II. - AGRICULTEURS
Le département de Meurthe-el-Moselle a produit un
grand nombre d'hommes remarquables. Nous com-
mencerons par ceux, moins célèbres, mais non les
moins méritants, qui ont consacré leur vie et leurs
efforts aux progrès et à l'amélioration de l'agriculture.
Parmi eux, nous ne trouvons pas de nom plus en
vue que celui de Mathieu de Dombasle. C'est à lui que
l'on doit la première école française d'agriculture.
Dombasle (1777-1843).
Christophe- Joseph-Alexandre. l/«/A/>» de Domèaslé,
naquit à Nancy, le 26 février 1777, d'une famille que le
duc Léopold avait anoblie au xvm° siècle.
Il fit ses premières études à la maison paternelle et
H
MEURTIIE-ET-MO SELLE
entra à l'âge de douze ans au collège de Saint-Sym-
phorien, à Metz. Il se distingua de bonne heure par son
ardeur au travail et son caractère réfléchi. La Révo-
lution vint l'interrompre au milieu de ses classes. Il
s'adonna alors aux beaux-arts. Il partageait son temps
entre la musique, le dessin, la gravure; la chasse était
sa distraction favorite. A 20 ans, il s'engagea comme
volontaire dans les armées de la République et aurait
'probablement embrassé définitivement la carrière mi-
litaire, si la maladie n'était venue le forcer au repos.
Profitant de ces loisirs forcés, il se livra à l'étude
des sciences, de la chimie surtout; il apprit l'anglais,
l'allemand, J'italien. Le blocus continental nous privait
des denrées coloniales. Mathieu de Dombasle s'ap-
pliqua à la fabrication du sucre de betterave. et de
proche en proche en vint à étudier et à approfondir
toutes les parties de l'agronomie. ■
La France sortit affaiblie des secousses terribles de
la Révolution et de l'Empire. L'agriculture, longtemps
négligée, manquait de bras. Les capitaux devenus rares
se cachaient, et les classes aisées témoignaient un
dédain profond pour les professions agricoles.
C'est alors que parut l'agronome éminent dont notre
département s'honore. Penseur profond, en môme
temps qu'économiste judicieux, Mathieu de Dombasle
comprit le mal et consacra le reste de sa vie à y appor-
ter le remède.
S'inspirant dé ce qui se faisait à l'étranger, en Angle-
terre et surtout en. Allemagne, il rompit avec les
anciens errements.
' La pratique de l'assolement, qui consiste à confier au
sol, tous les trois ans, la même culture 'avec un roule-
ment méthodique et routinier, ruinait la France et
AGRICULTEURS
condamnait les classes rurales à ne se nourrir presque
Exclusivement que de pain.
Dombasle combattit cet usage de l'assolement triennal
qui avait alors la valeur d'un dogme.
Mais l'agriculture vit de pratique et non de théorie.
Dombasle le savait : l'occasion se présenta bientôt pour
lui.de vérifier la justesse de ses idées.
Antoine Berthier, un de nos compatriotes lui aussi,
après avoir longtemps voyagé à l'étranger et acquis
dans le commerce une honorable fortune, était revenu
en 1789, se fixer dans son pays natal et avait acheté la
terre de Roville. Il l'exploita d'abord avec succès, [mis,
un jour, il proposa à Dombasle", son voisin, de la lui
céder à long bail. Le contrat fut bientôt signé, el. Le
•4 décembre 1822, s'ouvrit la nouvelle ferme modèle.
Dombasle en resta vingt ans directeur; grâce à lui,
l'école de Roville acquit une réputation européenne.
C'est de là qu'est parti le mouvement qui a abouti à.
l'introduction des méthodes fondées sur l'expérimen-
tation raisonnée. C'est cette école qui a été le berceau ■
de l'enseignement agricole dans notre pays.
Il fallait d'abord perfectionner ou même créer l'ou-
tillage.
Les charrues dont on se servait étaient insuffisantes.
Les socs, trop étroits, grattaient le. sol sans l'entamer ;
ils ouvraient la terre mais ne la retournaient pas.
Les mauvaises herbes, à peine ébranlées, reprenaient
vie alors qu'il eût fallu les déraciner de fond en comble.
De là le mauvais résultat des labours, le peu de rende-
ment des terrains.
Dombasle introduisit la charrue du Brabant, à laquelle
il apporta diverses améliorations. Il voulut même la
faire fabriquer sous ses yeux. Bientôt l'usage de la
1.
10
MEURTBE-ET-MOSELLE
nouvelle charrue se répandit de proche en proche; elle
prit le nom de l'habile agronome qui, s'il ne l'avait pas
inventée, l'avait tellement perfectionnée qu'elle en était
presque entièrement transformée.
A son exemple, chacun se mit en quête des meilleurs
instruments, la routine fut vaincue; l'impulsion était
donnée.
La question des engrais, devenue de nos jours la
question vitale de l'agriculture, se posait à peine
à cette époque. Dombasle recommanda la nécessité
d'augmenter et de soigner les fumures. Pour cela, il
fallait élever du bétail et propager la culture du four-
rage pour sa nourriture. Jusqu'à la fin de sa vie, Dom-
basle ne se lassa pas de montrer que la production du
fumier était une des sources les plus sûres de la for-
tune agricole. N'oubliez pas celle leçon de notre célèbre
agronome et pensez aux richesses que notre négligence
laisse perdre !
Dombasle était doué d'une activité remarquable.
Quoiqu'il fût d'une santé débile, il avait établi dans
l'emploi de son temps une telle régularité qu'il parve-
nait, malgré la faiblesse de sa constitution, à fournir
une somme de labeur prodigieuse. Les travaux de ca-
binet, ses écrits, les exigences d'une correspondance
presque européenne, ne l'empêchaient pas de vaquer
aux soins de son admiuislralion. Grâce à la possession
qu'il avait de lui-même, à celte régularité exemplaire
qu'il s'imposait à lui d'abord avant de l'exiger des autres,
il arrivait à suffire à tout.
Chose étrange, cet homme d'une lucidité d'esprit mer-
veilleuse, conserva toujours une timidité presque mala-
dive. Dès qu'il se trouvait en présence d'un certain
nombre d'auditeurs, il avait une difficulté extrême à
AGRICULTEURS
11
s'exprimer. Silencieux, presque taciturne, il conservait
au l'ond du cœur une bonté sans borne pour tous ceux
qui avaient suivi ses leçons.
Ses rapports avec ses élèves étaient empreints de la
plus grande bienveillance. 11 ne recevait dans sa ferme
que des jeunes gens déjà d'un certain âge; aussi les
traitail-il en hommes raisonnables.
Eux-mêmes, constitués en Société, veillaient parmi
eux au maintien de l'ordre et de la discipline
Chaque matin, tousensemble l'aisaientl'inspeetioniles
travaux ; le soir, ils assistaient au compte rendu des
chefs de service, et écoutaient les instructions qui
étaient données pour le lendemain. Le secrétaire était
chargé d'inscrire, sur un registre, le résumé des obser-
vations qui avaient été présentées.
De la sorte se poursuivaient les études ; l'esprit d'as-
sociation s'affermissait et les liens d'affection et d'es-
time se resserraient de jour en jour entre le maître et
les élèves.
A l'expiration de son bail, Mathieu de Dombasle se
retira à Nancy, désireux d'employer ses loisirs à la pu-
blication des nombreux travaux d'agriculture dont sa
tête était pleine.
Hélas ! il comptait sans la mort qui vint interrompre
ses projets. 11 s'éteignit le ^7 décembre 1S43, après une
courte maladie.
L'agriculture perdait un de ses bienfaiteurs les plus
éclairés, la France un de ses meilleurs citoyens, Nancy
un de ses plus illustres enfants. Ses compatriotes, pour
perpétuer la mémoire de cet homme de bien, lui ont
élevé, en 1850, une statue sur la place qui porte son
nom.
1-2
MEURTHE-ET-MOSELLE .
MI. - SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS
Le département de Meurthe-et-Moselle a produit un
grand nombre d'hommes de guerre. La famille de Lor- "
raine qui a gouverné le pays jusqu'en 1737, compte, à
elle seule, une foule d'hommes remarquables, dont la
plupart ont été de grands capitaines. Citons parmi eu*,
le duc René II, le vainqueur de Charles le Téméraire
et qui a sa statue équestre sur la place Saint-Epvre, à
Nancy; le bon duc Antoine qui combattit aux côtés de
François I er à Agnadel et à Marignan* ce combat de
géants; il ét.jiltellement aimé que son portrait se
trouvait dans toutes les familles; il atait coutume de
dire : « La guerre en Europe es* une guerre civile » ;
.Charles III le Grand qui bâtit la ville neuve de Nancy
et fonda la célèbre université de Pont-à-Mousson;
Charles F, un des plus grands hommes de guerre du
xvii e siècle et au sujet -duquel Louis XIV s'écria, en "
apprenant sa mort : « J'ai perdu le plus sage, le plus
grand et le plus généreux de mes ennemis ! »
Parlerons-nous des Guises, cette branche si célèbre
de la famille de Lorraine et qui a joué un si grand rôle
dans notre histoire nationale? François, le défenseur
de Metz contre Charles V, "Henri- le Balafré, son fils,
l'âme de la Ligue, assassiné à Blois.
On ne nous pardonnerait pas de ne pas ajouter, avant
de passer aux héros de la. Révolution et de l'Empire,
quelques mots sur le Balafré et sur un autre homme
de guerre dont le nom est resté populaire en Lorraine :
je veux parler du maréchal François de Bassompierre.
SOLDATS, MARINS, EXPLOK4TEURS 13
Henri de Lorraine, due de tiuise (1550-1588).
Henri de Lorraine, duc de Guise, fils f aîné de François
■de Guise, naquit le 31 décembre 1550 el fut élevé à la
cour du roi de France, Henri II.
Il fit ses premières armes au siège d'Orléans, sous
les ordres de son père. A-seize ans, il alla se former au
métier de la guerre en combattant en Hongrie contre
les Turcs. De retour en France, il se distingua à Jarnac
et à Moncontour contre les Calvinistes et, à peine âgé
de dix-neuf ans, il s'illustra aux yeux de toute l'armée
par sa belle défense de Poitiers, dont Coligny fut obligé
de lever le siège.
li
MEURTHE-ET-MOSELLE
Cette fougue, il l'apporta dans les luttes religieuses,
et ce fut avec un égal emportement que, en 1572, il
dirigea, sans pitié ni merci, les massacres de la Saint-
Barthélémy, et présida à l'assassinat de l'amiral Coligny.
A la bataille de Dormans, près de Château-Thierry,
il montra contre les Allemands non moins d'intrépidité
et de sang-froid. Il se trouvait à la tête de l'armée
quand il fut atteint d'un coup d'arquebuse à la joue. De
la cicatrice qui lui en resta, il reçut le surnom de
Balafré que la postérité lui a conservé.
Vaillance, grand air, bonne mine, haute taille, regard
doux et insinuant, belles manières, il avait toutes les
grâces, toutes les séductions, ce qui faisait dire à la
maréchale de Retz : « qu'auprès des princes lorrains,
les autres princes paraissaient peuple ».
Aussi la France était-elle folle de cet homme, car
c'est trop peu de dire amoureuse, comme s'exprime un
historien.
Ses brillantes qualités, ses vices mômes, tous ses
dons tant du corps que de l'esprit, rendirent bientôt
Henri de Guise l'idole du peuple. Il fut nommé chef de
la Ligue qui, sous prétexte de religion, ne tendait à
rien moins qu'à usurper l'autorité royale.
Henri de Guise avait le talent de persuader aux autres
qu'il était uniquement animé du zèle religieux, quand
il ne travaillait, en réalité, que pour son intérêt per-
sonnel ou celui de sa famille.
Malgré la défense que le roi lui avait faite de venir
à Paris, Guise s'y rendit à l'appel des Seize. Il reçut les
hommages les plus enivrants, et, fier de ces succès, il
osa se présenter au Louvre d'un air arrogant, affectant
de porter de temps en temps la main sur la garde de
son épée.
SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS
15
La triste journée des Barricades eut lieu. Ce fut
comme l'éclipsé de la majesté royale. Henri III, réduit
àfuir, réussit à s'échapper sain et sauf en abandonnant
sa capitale à son sujet révolté.
Avec plus d'audace ou de présence d'esprit, Guise
pouvait s'emparer de la personne du monarque et
ceindre la couronne royale. On négocia, mais le roi,
s'il était capable de dissimuler son mécontentement,
ne pouvait pardonner l'insolence et la révolte de si m
sujet.
Guise fut perdu par son excès de confiance. Les
avertissements ne lui manquèrent pas. Un jour, il
trouva sous sa serviette un billet qui l'engageait à se
tenir sur ses gardes. Il le lut, écrivit au bas: On n'ose-
rait, et se contenta de le jeter sous la table.
Le 23 décembre 1588, le roi, impatient de voir que
Guise ne se rendait pas au Conseil, le fit appeler. La
garde était renforcée; les Suisses étaient rangés sur les
degrés. Dès que le prince parut, les portes furent fer-
mées, et à l'instant où il se disposait à entrer dans le
cabinet du roi, un des gardes aposlés se jeta sur lui et
le frappa d'un coup de poignard dans la poitrine. » Je
suis mort, s'écria Guise. Mon Dieu, ayez pitié de moi »
et il tomba sous les coups des assassins.
Par ce meurtre, la royauté triomphait de ses enne-
mis ; la maison de Valois l'emportait sur celle de
Guise. L'idole était brisée.
François de Bassomplerre (1579-1646).
François de Bassompierre, maréchal de France, né
au château d'Haroué sur le Madon, en 1579, fut moins
funeste que Guise à son pays. Comme lui il savait
m
16
MEURTUE-ET-MOSELLE
plaire et fut un des hommes les plus brillants de son
temps.
A la cour de Henri IV, il n'y avait pas de plus galant
chevalier, ni de plus recherché dans les fêtes et les
amusements de toutes sortes. Toutefois, ces succès mon-
dains ne lui suffirent .pas longtemps. Il fit, à 23 ans, ses
premières armes contre le duc de Savoie, et se distin-
gua au service de l'Empire dans la guerre contre les
Turcs.
Il reparut à la cour de France et aspira un moment
à la main de la belle Mademoiselle de Montmorency, si
célèbre par ses charmes et sa beauté. Son esprit, sa
naissance, son mérite, le rendaient digne d'une telle
alliance. Néanmoins, cédant aux instances de Henri IV,
il ne donna pas suite à son projet et Mademoiselle de
Montmorency devint princesse de Condé.
MaissiBassompierre avait la souplesse du courtisan,
il n'en conservait pas moins toute la fierté du grand
seigneur.
A la mort de Henri IV, quand Sully, accourant au
Louvre, dans l'excès de son zèle et de sa douleur,
demanda aux nobles qu'il rencontra de prêter serment
de fidélité au nouveau roi, Bassompierre, indigné
qu'on se permît de lui tracer son devoir, répondit fière-
ment au ministre : « Monsieur, c'est nous qui faisons
faire ce serment aux autres ».
Il fut aussi aimé de Louis XIII qu'il l'aVait été de
son prédécesseur, au point même de porter ombrage
au connétable de Luynes, le favori du roi.
Il assista, comme maréchal de camp, au combat des
Ponts-de-Cé, .aux sièges de Sannt-Jean-d'Angély, de
Montpellier. De Luynes, toujours inquiet et jaloux,
pour éloigner un rival de la Cour, le fit nommer am-
SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS lî
bassadeur en Espagne, puis en Suisse, en Angleterre.
Ue retour en France; le maréchal se signala au siège
de La Rochelle et plus tard à celui de xMontauban.
Tant de services ne trouvèrent pourtant pas grâce
devant le ministre tout-puissant de Louis XIII. Le car-
dinal de Richelieu n'aimait pas l'indépendance de
Bassompierre, il redoutait sa hardiesse et sa fierté.
Aussi profita-t-il d'une intrigue où était entré le ma-
réchal pour le faire arrêter et enfermer k la Bastille.
Il y resta douze ans; il ne recouvra sa liberté qu'à la
mort- de l'implacable ministre. Lorsqu'il sortit de la
prison, Louis XIII lui demanda son âge. « Cinquante
ans », répondit-il. Comme il en avait plus de soixante,
18
MEURTHE-ET-MOSELLE
le roi parut surpris. « Sire, reprit Bassompierre, je
retranche dix années passées à la Bastille, parce que je
ne les ai pas employées au service de Votre Majesté ».
L'esprit du courtisan reprenait ses droits et retrou-
vait son à-propos.
Il mourut d'une attaque d'apoplexie, le 12 oc-
tobre 1646, chez le duc de Vitry, dans la Brie, à l'âge
de 65 ans. Les infirmités, le chagrin, sa longue capti-
vité avaient abrégé sa vie.
Le maréchal de Bassompierre était un homme brave
et instruit. Il avait étudié dans sa jeunesse la philoso-
phie, le droit, la médecine, l'art militaire, comme en
témoignent les divers écrits auxquels il consacra le
temps de sa longue détention.
C'est aussi pendant son long séjour à la Bastille qu'il
composa ses Mémoires, ouvrage précieux pour l'his-
toire de ce temps et qui fait partie de la collection des
Mémoires relatifs à l'Histoire de France.
Duroc (1772-1813).
Duroc (Gérard-Christophe-Michel), naquit à Pont-à-
Mousson, le 25 octobre 1772. Fils d'un capitaine, il était
destiné à la carrière des armes. Il entra donc de bonne
heure à l'École militaire de Pont-à-Mousson et en
sorlit bientôt pour se rendre à Châlons, avec le titre
d'élève sous-lieutenant d'artillerie.
Le 1 er juin 1703, il obtenait le grade de lieutenant et,
le 23 mai 1797, il était nommé capitaine.
Son mérite le désigna bientôt au général Bonaparte
qui l'appela auprès de lui en qualité d'aide de camp. Il
se distingua dans la campagne d'Italie en diverses ren-
contres, et fut cUé à l'ordre du jour lors de la prise de
SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS
19
Gradisca. « Le citoyen Duroc, mon aide de camp, ca-
pitaine, écrivait Bonaparte au Directoire, s'est conduit
avec la bravoure qui caractérise FÉtat-Major de l'armée
d'Italie. »
La campagne d'Egypte s'ouvrit : Duroc s'embarqua
avec le grade de chef de bataillon. Son humeur aven-
tureuse lui fit courir les plus grands dangers. Emporté
par son ardeur guerrière, il combattait au plus fort
de la mêlée comme le dernier des soldats. Aussi fut-il
grièvement blessé d'un éclat d'obus à la bataille
d'Aboukir. Il rentra en France avec Bonaparte.
Fidèlement attaché à son maître, il prit part, et ceci
n'est pas à sa louange, au coup d'Ftat du 18 Brumaire.
"20
MEURTUE-ET-MOSELLE
Lorsque Napoléon devint premier consul il sut récom-
penser le dévouement de son aide de camp : il le créa
général de brigade et le nomma gouverneur du palais
des Tuileries:
Duroc était aux côtés de Napoléon lors de la bataille
de Marengo. Il eut' à remplir différentes missions à
Vienne, à Saint-Pétersbourg, à Stockholm, à Copen-
hague, et s'en acquitta toujours à la satisfaction de l'Em-
pereur.
Tant.de services méritaient leur salaire : le 14 no-
vembre 1808, Duroc fut créé duc de Frioul. Pendant la
funeste campagne de Russie, il accompagna Napoléon,
et reçut le titre de sénateur en 1813; cette même année,
il assistait aux batailles de Lutzen et de Vurtzen, le
20 et le 21 mai.
C'est dans" cette dernière rencontre qu'il périt.
Blessé mortellement au bas-ventre, il fut emporté,
respirant encore, dans une mauvaise petite ferme. Dès
que lés postes furent placés et que l'armée eut pris ses
bivouacs, l'Empereur alla voir le duc de Frioul. Il le
trouva avec toute sa connaissance et montrant le plus
grand sang-froid. 'Le duc serra la main de l'Empereur
qu'il porta sur ses lèvres :
« Toute ma vie, lui dit-il, a été consacrée à votre ser-
vice et je ne la regrette que pour l'utilité dont elle pou-
vait vous être encore! — Duroc, lui dit l'Empereur, il
est une autre vie !, C'est là que Vous irez m'attendre, et
que nousnous retrouverons un jour! —Oui, Sire; mais
ce sera dans trente ans quand vous aurez triomphé de
vos ennemis et réalisé toutes les espérances de notre
patrie... j'ai vécu en honnête homme; je ne me reproche
, rien. Je laisse une fille, Votre Majesté lui servira de
père. »
SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS
51
L'Empereur, serrant de la main droite celle du grand-
maréchal, resta un quart d'heure, la tête appuyée sur la
main gauche, dans le plus profond silence. Le grand-
maréchal parla le premier. — « Ah! Sire, allez-vous-en :
ce spectacle vous peine ! » — L'empereur quitta le duc
de Ffioul sans pouvoir lui dire autre chose que ces
mû t s : _ « Adieu donc, mon ami! » — Il rentra dans
sa tente et ne reçut personne pendant toute la nuit.
Napoléon acheta, pour 20,000 francs, la ferme où
Duroc était mort, et fit élever un monument funèbre à
celui qui, seul, avait eu son intimi,té et possédé son
entière confiance. {Mémorial, t. I, p. 122.)
Le corps du général fut déposé aux Invalides; son
nom est gravé sur les tables de bronze du palais de
Versailles et sur l'Arc de Triomphe de Paris.
Sa vie comme sa mort fut d'un brave.
Drouot (1774-1847 .
Un brave aussi, plus grand homme de guerre que
Duroc, mais, comme lui, dévoué à Napoléon, fut le gé-
néral Drouot. Peu de noms sont plus populaires que
celui-là à Nancy.
Vous connaissez tous sa statue. Elle est Jà, sur le
cours Léopold, une des promenades les plus fréquen-
tées de la ville, et vous avez souvent contemplé celte
figure sereine et calme, empreinte de bonhomie.
Antoine Drouot naquit à Nancy, le 11 janvier 1774,
d'une famille obscure et pauvre. Il était le troisième de
douze enfants. Son père était boulanger. Il eut de bonne
heure, dans la maison paternelle, le spectacle fortifiant
d'une vie toute consacrée à la pratique du bien, de la
religion, du labeur honnête.
Il avait à peine trois ans quand, poussé déjà par Tins-
22
MEURTHE-ET-MOSELLE
linct de s'instruire, il alla frapper à la porte des frères,
et, comme on ne voulait pas le recevoir parce qu'il était
trop jeune, il se mit à fondre en larmes. Combien
d'autres ont pleuré au contraire la première fois que
leur père a parlé de les mener à l'école!
L'enlant avait un penchant bien décidé pour l'étude.
Quand le temps fut venu, on l'envoya au collège. Mais
il ne faut pas croire qu'on le dispensât, pour lui laisser
apprendre ses leçons, des devoirs et des charges de la
maison. Rentré chez lui, il portait le pain aux clients,
et faisait les courses obligatoires. La boutique [était sa
salle d'études, la chandelle commune ou la clarté du
four son unique éclairage.
Le moment vint où le jeune collégien dut passer ses
examens. Il fut reçu avec le numéro 1.
Vingt ans après, son examinateur, le célèbre La Place,
disait à l'Empereur : « Un des plus beaux examens
que j'aie vu passer dans ma vie est celui de votre aide
de camp, le général Drouot. »
Au sortir de l'école, Drouot fut envoyé à l'armée du
Nord en qualité de second lieutenant d'artillerie et con-
tribua au succès de la bataille d'Hondschoote.
Après la bataille, il remarque qu'on ne poursuit pas
l'ennemi. Il en demande la raison. C'est, lui explique-t-
on, que les troupes sont fatiguées. « Des troupes vic-
torieuses n'ont pas besoin de repos », répond-il avec
toute la fougue de la jeunesse. Il avait alors à peine
vingt ans.
De l'armée du Nord il passe à celle de Sambre-et-
Meuse, prend part à la bataille de Fleurus, sous Jour-
dan; à la bataille de la Trebia, sous Macdonald; à celle
de Hohenlinden, sous Moreau. Sans parler de plusieurs
missions importantes auxquelles il est employé, il fait
SOLDATS, MARIXS, EXPLORATEURS
23
la guerre d'Espagne, assiste à la prise de Madrid, et,
l'année suivante, contribue puissamment à la victoire
de Wagram. 11 est nommé officier de la Légion d'hon-
neur sur le champ de bataille, et, peu après, colonel de
la garde impériale, baron de l'Empire.
La campagne de Russie s'ouvre. C'est là. surtout que
Drouot montre un sang-froid, une sagacité à toute
épreuve, («race à son artillerie, la redoute de la Mos-
kuwa est enlevée. Mais à quoi sert le courage contre
les éléments courroucés? 11 faut céder, il faut faire re-
traite.
C'est alors que l'on peut admirer chez Drouot un autre
genre de courage; non plus cette intrépidité qui fait
braver la mort sur le champ de bataille, mais cette fer-
meté, cette constance inébranlable au milieu des souf-
frances et des privations de tous les jours. Supporter
est peut-être plus difficile qu'affronter.
De ces deux sortes d'héroïsme, l'un qui sait agir,
l'autre souffrir, Drouot nous offre l'exemple. Malgré le
froid, jamais il ne s'approchait du feu, et tous les ma-
tins ses soldats le voyaient, quand le thermomètre
marquait trente degrés au-dessous de zéro, quitter
tranquillement son uniforme, poser un petit miroir
sur l'affût d'un canon, et là, la poitrine découverte, se
faire la barbe en plein air, se laver la figure devant la
troupe, comme s'il eût été sous le ciel de Nice ou sous
le climat enchanteur de Naples. 11 n'y manqua pas un
seul jour, quelle que lut la rigueur de la température.
Les plus robustes succombèrent; la frêle constitution
de Drouot résista, et il écrivait après avoir subi jus-
qu'au bout toutes les fatigues du désastre : « Je me
suis constamment bien porté et suis prêt à rentrer en
campagne. »
24
MEURTHE-ET-MOSELLE.
Le 10 janvier 1813, Drouot fut nommé général de
brigade, et quinze jours après aide de camp de l'Em-
pereur. Les autres généraux étaient arrivés à la gloire
avant de savoir comment on perd une bataille. Ce sont
nos revers qui firent surtout connaître Drouot.
« La France, dit Lacordaire, fort étonnée d'apprendre,
au bruit des campagnes de'1813 et de 1814, qu'elle pos-
sédait depuis longtemps le premier officier d'artillerie
d'Europe. Elle sut que le coup décisif des batailles de
Lutzen, de Bautzen, de Wackau, avait été porté par
ces immenses batteries de cent et cent cinquante bou-
ches à feu, que le général Drouot rassemblait et con-
duisait avec une dextérité fabuleuse, et qui suppléaient,
parleur soudaine action, à l'infériorité numérique de
nos armées. Elite admira un mérite si lent à se pro-
duire; elle en aima l'à-propos touchant; elle consi-
déra Dmuot comme le dernier rejeton de cette gé-
néreuse lignée qui avait commencé à Jemmapes et
qui devait finir à Waterloo. L'Empereur en jugea
comme la France. Il discerna dans son aide de
camp un génie et une intrépidité militaires qui lui
faisaient dire, à Sainte-Hélène, « qu'il n'existait pas
deux officiers dans le monde païeils à Murât pour la
cavalerie et à Drouot pour l'artillerie ». Mais ce qu il y
remarqua surtout, c'était la simplicité, le désintéresse-
ment, la vertu, une trempe d'âme, enfin, qui était
comme la résurrection des physionomies les plus pures
de l'antiquité. Il l'appela « \e.Sage de la Grande-
Armée ». Et à mesure qUe décroissait sa fortune, le
dévouement de Drouot allait croissant, L'héroïsme
donnait encore de l'espoir!
Bientôt même cette consolation manqua.
On dut, au défilé de Hanau, s'ouvrir, par la mitraille,
SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS 25
un passage sanglant à travers les rangs bavarois. L'ar-
mée française, réduite à quatre-vingt mille hommes
par le désastre de Leipsick, voyait sa retraite coupée.
11 fallait gagner le Rhin ou se résigner à périr. Drouot
dresse ses batteries; à pied, au milieu de ses canon-
niers, il encourage ses hommes, livre même, à un mo-
ment, un combat corps à corps, écrase par plusieurs
décharges successives les escadrons ennemis; les che-
mins sont enfin ouverts : l'Empereur peut coucher à
Francfort le lendemain. Mais la fortune se lassait...
L'Empire de Napoléon s'écroula et l'Empereur prit
tristement le chemin de l'île d'Elbe. Drouot l'y suivit
sans regret, sans amertume; ses vœux les plus ardents
aspiraient au repos. Un jour que Napoléon l'avait inter-
rogé sur ses projets intimes « Sire, avait-il répondu,
je ne désire qu'une chose, c'est de me retirer dans ma
ville natale et d'habiter sur la paroisse où j'ai été
baptisé. » L'île d'Elbe ne devait être qu'une courte
trêve, non le repos définitif. Drouot eut bien vite fait
de régler sa vie conformément à sa nouvelle situation.
« Dans quelques jours, écrivait-il après son arrivée à
l'île d'Elbe, lorsque je serai débarrassé de toutes fonc-
tions, je serai parfaitement heureux. Avec quel plaisir
je vais me livrer à l'étude! Je commence déjà à lui
consacrer quelques heures tous les jours. J'y trouve
un plaisir inexprimable. »
Un jour, jour de terrible épreuve pour la conscience
de Drouot, l'Empereur lui fit part de sa résolution 'de
quitter la terre d'exil. « Les Bourbons nous rappellent
en France », avait-il dit. Drouot fut consterné. 11 essaya
de détourner l'Empereur de ce funeste projet, il parla
d'honneur, de devoir; rien ne put ébranler la décision
de Napoléon. Son parti était pris.
26
MEURTUE-ET-.MOS[£LLE
On sait comment les aigles impériales, volant de
clocher en clocher, arrivèrent aux tours de Noire-Dame,
pour aller définitivement s'abattre à Waterloo sous les
coups de l'Europe coalisée.
A peine Louis XVIII fut-il, pour la seconde fois,
installé aux Tuileries, qu'il n'eut qu'une pensée, qu'un
souci : sévir contre les fidèles serviteurs de l'Empire.
Drouot devait être frappé l'un des premiers. Il se trou-
vait encore à la tête de la Garde qu'il commandait,
quand il apprit qu'il était englobé, avec bien d'autres,
dans le décret de proscription, comme coupable de
haute trahison. Aussitôt il quitte son commandement
et vient se présenter à la prison de l'Abbaye. Mais on
n'avait pas d'ordre; on refusa de le recevoir. « Je n'ai
jamais demandé que deux places dans ma vie, disait-il
plus tard en faisant allusion à ce fait, l'une dans mon
extrême enfance, aux écoles chrétiennes; l'autre, à la
fin de ma carrière active, à l'Abbaye : Elles m'ont été
réfusées toutes deux. »
Cependant, il comparut devant le Conseil de guerre,
le 6 avril 1816. Dans aucune circonstance de sa vie
Drouot ne montra plus de fermeté, plus de simplicité,
plus de grandeur. Ses juges eux-mêmes étaient émus
de tant de dignité et de calme. « Si vous croyez, leur
dit-il, que mon sang soit nécessaire à la tranquillité de
là France, mes derniers moments auront été encore
utiles à mon pays. »
Il fut absous. Le lendemain, une voiture vint le
prendre à la prison et le conduisit auprès du roi qui le
loua vivement de sa reconnaissance pour son ancien
souverain et ajouta : « Je pense pouvoir compter désor-
mais sur votre fidélité ». Le proscrit s'inclina. La car-
rière de Drouot était finie. Il avait quarante-deux ans.
SOLDATS, MARINS, F.XrLORATEUUS 2i
A partir de ce moment, malgré les offres les plus
flatteuses et réitérées qui lui furent faites, soit par la
Restauration, soit par le Gouvernement de Juillel, il ne
voulut jamais quitter sa ville natale, ni entendre parler
de nouvelles dignités. 11 consacra les trente ans de
cette retraite volontaire à la pratique du bien et de la
charité.
Les revenus de sa pension et de sa dotation de la
Légion d'honneur, réunis, se montaient à 12,000 francs.
Il n'en gardait que 2,400, 200 francs par mois. Le reste,
il le distribuait à ses anciens compagnons d'armes ou
l'employait à des œuvres philanthropiques.
« Quelques mois avant sa mort, n'ayant plus rien à
donner, il se souvint d'un grand uniforme qu'il con-
servait comme une sorte de relique de ses anciens
jours. Il en fit découper et vendre les galons. Un de ses
neveux lui en témoigna du regret, disant qu'il aurait
eu du plaisir à le transmettre à ses enfants. « Mon
neveu, répondit le général, je vous l'aurais donné
volontiers; mais j'aurais craint que vos enfants, en
voyant l'uniforme de leur oncle, ne fussent tentés d'ou-
blier une chose qu'ils doivent se rappeler toujours :
c'est qu'ils sont les petits-fils d'un boulanger. » Né
dans les rangs du peuple, il voulut rester enfant du
peuple.
Vos pères se souviennent encore de l'avoir vu, à la
fin de ses jours, infirme et aveugle, traverser lentement
les rues, avec une exactitude toute militaire, pour se
rendre chaque matin à l'église de son quartier. A la
vue de ce vénérable vieillard en cheveux blancs, tout
le monde se levait en signe de respect.
Quel était le secret de cette force d'âme, de cette
grandeur de caractère? Drouot ne nous l'a pas laissé
28
MEURTHE-ET-MOSELLE
ignorer. « Une chose m'a beaucoup aidé dans la vie,
disait-il, c'est que je n'ai jamais craint la pauvreté, ni
la mort ». Quand il fut proscrit, ses amis n'étaient pas
sans inquiétude sur ses moyens d'existence. « Soyez
tranquilles, leur dit-il, il ne me faut pour vivre que
vingt-quatre sous par jour. »
Sa modestie égalait son désintéressement. « Il est
capable de commander cent mille hommes, et peut-
être ne s'en doute-t-il pas », disait de lui Napoléon à
Sainte-Hélène.
Ces vertus, de plus en plus rares de nos jours, font
de Drouot un citoyen des républiques antiques et une
figure des plus originales de notre temps.
Sa mort, arrivée le 24 mars 1847, fut un deuil public.
Tous les cœurs lorrains ressentirent cette perte.
Gouvion Saint-Cjr (1764-1830).
Laurent Gouvion Saint-Cyr fut un des premiers tacti-
ciens de son temps. Il naquit à Toul, le 13 avril 1704,
d'une famille modeste et sans fortune. L'enfant donna
de bonne heure des signes d'une intelligence précoce,
et rien ne fut négligé pour son éducation.
Toul était alors, comme aujourd'hui, une ville mili-
taire. Elle possédait une excellente école d'artillerie.
Plusieurs des parents du jeune homme étaient de-
venus rapidement officiers. Tout semblait donc porter
le jeune Gouvion vers la profession des armes. Seu-
lement, son caractère indépendant ne pouvait se plier
à la vie du soldat, toute faite d'obéissance et de disci-
pline. Il préféra l'existence libre de l'artiste. A dix-
huit ans, il partit pour Rome à. ses frais, travaillant
selon son caprice et vivant à sa guise.
Il parcourut l'Italie, la Sicile, et il se trouvait à
SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS
29
Paris en 1784. Ce voyage avait fait de lui un connais-
seur délicat, un amateur éclairé, non un artiste. Il con-
tinua, à Paris, cette vie de dilettante, étudiant tou-
jours, ne produisant jamais, critiquant volontiers les
autres sans oser entreprendre, pour son compte, une
œuvre de valeur qui eût pu lui faire un succès.
Était-il même fixé sur la profession qu'il voulait em-
brasser? Serait-il peintre, sculpteur, architecte? Il n'en
savait rien encore. Il hésitait. La Révolution le surprit
au milieu de ces incertitudes.
Un de ses parents était sous-aide de camp de La
Fayette. Lui-même, Je 1" septembre 1792, s'enrôla au
premier bataillon des chasseurs républicains pour voler
2.
30
MEUIITUE-ET-MOSELLK
au secours de la patrie menacée, et, pour se distinguer
des autres Gouvion déjà dans l'armée, il ajouta à son
nom celui de sa mère.
Ces volontaires, recrutés à la hâte et un peu au
hasard, n'étaient pas toujours, cela se comprend, irré-
prochables au point de vue de la conduite. On les
dirigea sur Mayence à l'armée de Gustine, un général
qui ne plaisantait pas sur la discipline. Ayant appris
que le bataillon avait commis quelques méfaits sur la
route, il le fait former en carré et lui adresse de sé-
vères remontrances. « Vous êtes un tas de coquins! »
leur dit-il. « Pas tous, mon général, » cria une voix
dans les rangs. « Qui ose lever la voix ainsi? » demande
Custine d'un ton irrité. « C'est moi, mon général. » Et
l'on voit s'avancer hors des rangs un grand jeune
homme sec et maigre, à l'air distingué, à la physio-
nomie ouverte et intelligente, que ses camarades
avaient nommé leur capitaine. Le général l'interroge;
il trouve en Gouvion un homme instruit, cultivé, sa-
chant fort bien dessiner. Il le nomma officier d'état-
major. Tels furent les débuts de Gouvion dans la car-
rière militaire. Avec son caractère, il aurait fait un
simple soldat détestable; il fut d'emblée un officier
distingué, à même de rendre à son pays les plus
signalés services. Il avait trouvé sa véritable vocation.
Doué d'un coup d'œil surprenant, il reconnaissait.
en un instant, le fort et le faible d'une position, savait
choisir avec une précision et une netteté remarquables
le lieu et le moment d'agir.
Ces brillantes qualités lui acquirent bien vite une
brillante réputation dans l'armée. « Saint-Cyr joue
aux échecs », disait-on en riant, lorsqu'on le voyait
expliquer ses différentes combinaisons.
SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS
:m
On le créa général de division pour le récompenser
de ses services. Il avait à peine trente ans.
Gouvion prit part à toutes les guerres de la Répu-
blique et fut bien étonné quand, de retour à Paris,
après la paix de Campo-Forinio, le directeur Rewbell
lui demanda dans quelle armée il avait servi. La ques-
tion était blessante : le général se contenta de sourire
et ne s'en olîensa pas. « Savez- vous l'italien? » ajouta
Rewbell. Comment ne l'aurait-il pas su après avoir
séjourné deux ans en Italie'.' Sur sa réponse, il fut
envoyé pour prendre le commandement du corps d'oc-
cupation à Rome.
La situation était critique dans ce corps d'armée.
Les officiers, privés de solde, indignés des dilapida-
tions qui se commettaient, avaient iorcé leur général,
Masséna. à se retirer. Il s'agissait de rétablir l'ordre et
la discipline. Il fallait, à la fois, du calme et de la fer-
meté. Saint-Cyr arriva, et, grâce à son influence, à son
autorité, il réussit à faire rentrer tout le monde dans
le devoir. « Les armées, dit-il dans sa proclamation,
doivent savoir obéir pour vaincre. »
Saint-Cyr servit tour à tour à l'armée du Rhin et à
l'armée d'Ilalie. Il commandai I l'aile droite à Novi,
dans celle bataille imprudemment engagée où périt
Jouberl, et, pendant quatre mois, résista à toutes les
forces ennemies, protégeant la retraite, défendant les
passages, livrant des combats continuels pour empê-
cher ou du moins retarder, autant qu'il se pourrait,
l'investissement de Gênes.
A la suite de ces brillants faits d'armes, le premier
consul, revenu d'Egypte, décerna au général Saint-
Cyr un sabre d'honneur et le nomma premier lieute-
nant de l'armée d'Italie.
32
MEURTHE-ET-MOSELLE
Cependant, lorsque, en 1804, le premier consul,
devenu Empereur, nomma dix-huit maréchaux de
France, Saint-Cyr ne fut pas du nombre. C'est qu'il
n'avait jamais été l'adulateur du succès. Il servait son
pays et non pas un homme, et quand les chefs de corps
provoquèrent dans l'armée la rédaction d'adresses pour
demander la création de l'Empire, on remarqua que
Saint-Cyr n'avait recruté aucune signature dans le
corps qu'il commandait.
Il fut même quelque temps en disgrâce. Toutefois,
lorsque Napoléon prépara son expédition de Russie, il
dut, pour remplir ses cadres, avoir recours à toutes
les forces vives de la nation. Saint-Cyr reçut alors le
'commandement du sixième corps d'armée. Il suivit
l'Empereur sans enthousiasme, prévoyant déjà l'in-
succès de cette funeste entreprise. Ses pressentiments
ne l'empêchèrent pas de faire son devoir en brave.
Il fut blessé à plusieurs reprises dans divers engage-
ments.
Englobé dans la capitulation de Dresde, il resta pri-
sonnier en Allemagne, et c'est à Carlsbad, où il était
interné, qu'il apprit la chute de l'Empire et l'abdica-
tion de Napoléon. '
A son retour en France, il ne prit aucune part aux
affaires pendant la première Restauration et vécut
presque continuellement à la campagne. Aux Cenl-
Jours, n'ayant aucune confiance dans la durée d'un
régime qui ne s'appuyait que sur la guerre, il mani-
festa assez hautement son intention de ne pas servir
l'Empire. « Avec la manière de votre frère, disait-il un
jour à Lucien Bonaparte, qui l'engageait à plus de
réserve, cette campagne doit durer quinze jours. »
Sous la seconde Restauration, il fut nommé pair de
SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS
33
France, et, le 12 septembre 1817, il recul le portefeuille
de la guerre.
C'est sous son ministère et grâce à lui, que fut pro-
mulguée, le 10 mars 1818, la fameuse loi du recrute-
ment, mode de conscription qui a été en vigueur
jusqu'à la troisième République. Celte loi, très libérale
pour l'époque, a été remplacée par une mesure plus
équitable encore, le service militaire obligatoire pour
tous les Français.
Mais le libéralisme du ministre de la guerre déplut
aux ultra-royalistes : Saint-Cyr donna sa démission. A
partir de ce moment sa carrière politique fut terminée.
Il se relira à la campagne, consacrant, sans regret, ses
loisirs à l'agriculture et à la rédaction de ses Mé-
moires. Depuis longtemps sa sauté était chancelante.
Les fatigues, les blessures, le travail avaient eu raison
d'une constitution naturellement robuste. 11 alla pas-
ser, à Hyères, l'hiver de 1829 à 1830. C'est là qu'il fut
frappé d'une attaque d'apoplexie. Il mourut le 10 mars
1880, le jour anniversaire de la loi qui est, après ses
victoires, son plus beau titre d'honneur.
Pendant sa maladie, n'ayant plus l'usage de ses
facultés, on lui présentait un jour à boire. « Ah! dit-il,
comme dans un rêve, si on pouvait en donner autant
à chacun de nos pauvres soldats, quel bien cela leur
ferait! » Ainsi, jusqu'à son dernier soupir, le bien-être
du soldai fut loujours son principal souci.
Il avait le don du commandement et possédait l'art
de se faire obéir, mais sans jamais avoir recours à
l'enthousiasme.
Ce fut un capitaine habile, un tacticien profond et
méthodique, peut-être le plus grand du siècle.
« Avec Desaix, on gagne des batailles, disait Mo-
34
MEUnTHE-ET-JlOSKLLE
reau ; avec Saint-Cyr on est sûr de n'en point perdre. »
Son caractère, son talent, ses services, doivent per-
pétuer parmi nous le souvenir de cet homme de bien.
Quoique le département de Meurthe-et-Moselle soit
loin d'être un département maritime, il a pourtant pro-
duit des marins et, de nos jours, grand est le nombre
des jeunes Lorrains qu'une louable ambition pousse à
l'école de Brest. Ils ont dans la carrière d'illustres de-
vanciers.
Henry Gauthier de Rigny (1783-1835).
Fut l'un des marins les plus distingués de notre
temps. Il naquit à Toul, le 3 février 1783, et n'avait
encore que dix ans quand ses parents, émigrant pour
échapper à l'échafaud, l'abandonnèrent avec ses trois
autres frères, également en bas âge, aux soins d'une
sœur aînée qui avait à peine seize ans. Cette sœur, une
enfant, elle aussi, se montra à la hauteur de sa tâche.
Non seulement elle sut veiller avec amour à l'entretien
matériel de ses frères, mais elle s'occupa encore de
leur éducation. Elle se mit à apprendre le latin pour
pouvoir le leur enseigner.
Le jeune Henri profita rapidement de ces leçons el
en 1798 se fit recevoir novice-timonier sur une frégate
del'État. Un anaprès, il subitavec succès un examen et
fut nommé aspirant. A partir de ce moment, il se trouva
mêlé à tous les grands événements de cette époque si
agitée. Il assista au glorieux combat d'Algésiras, prit
part à cinq campagnes dans le corps des marins de la
garde, en Allemagne, en Espagne, où il fut aide de
camp du maréchal Bessières, enfin, en 1809, sur le
SOLDATS, MARINS. EXPLORATEURS
35
Danube où il concourut activement à la construction
des ponts de l'île Lobau.
Il devint capitaine de frégate en 1810. A Anvers, Na-
poléon vint le visiter avec sa nouvelle épouse, Marie-
Louise, à bord de YÉrigone qu'il commandait, et lui fit
l'insigne honneur de lui tirer l'oreille, geste familier
au grand homme quand il était de bonne humeur.
En 181 1, il naviguait vers les Antilles, lorsqu'il ap-
prit la chute de l'Empire et la nomination de son oncle,
M. de Jaucourt, au Ministère de la Marine. Celte no-
mination ne nuisit pas à son avancement.
Capitaine de vaisseau- le 10 juillet 1816, il fut chargé,
en cette qualité, de protéger dans la Méditerranée,
notre commerce du Levant et de soutenir la Révolu-
tion de la Grèce. Il se couvrit d'une gloire immortelle
a la célèbre bataille de Navarin, où la flotte turque fut
complètement anéantie. Le commandant français eut
les honneurs de la journée. La Sirène avait constam-
ment lutté contre des forces triples des siennes.
L'amiral de lligny fut dans la suite préfet maritime
à Toulon; il devint successivement, sous la monar-
chie de Juillet, Ministre de la Marine puis des Affaires
Etrangères.
Il mourut le 7 novembre 1835. Nul n'a plus utile-
ment servi son pays, comme homme de guerre, comme
marin, comme administrateur. Son nom est une des
gloires de notre département.
■
36
MEURTHE-ET-MOSELLE
IV. - EXPLORATEURS
Au lendemain de nos malheurs, toute une génération
jeune, hardie, généreuse, s'est levée et, au nom de la
science, s'est répandue dans les régions les plus in-
connues de l'univers, pour en faire la conquête.
La Lorraine a fourni déjà plusieurs soldats à cette
armée de jeunes pionniers; Crevaux et Crampel sont
de ce nombre.
Crevaux, Jules-Nicolas (1847 1882).
Médecin et explorateur français, Crevaux naquit à
Lorquin, près de Sarrebourg, le 1 er avril 1847. Son père,
qui était à la fois boucher, aubergiste et marchand de
chevaux, lui laissa à peine de quoi vivre. Il put cepen-
dant entrer au lycée de Nancy. Quand il eut fini ses
études, il commença sa médecine à la Faculté de Stras-
bourg et se fit recevoir à l'École navale de Brest,
en 1867.
A 22 ans, il s'embarqua en qualité d'aide médecin,
visita le Sénégal, les Antilles. La guerre de 1870 éclata,
Crevaux fut détaché à l'armée de la Loire. Fait prison-
nier en soignant les blessés, il réussit à s'échapper et
remplit alors plusieurs missions importantes et péril-
leuses. Le 24 janvier 1871 il fut atteint, à Chaffois,
d'une balle au bras.
La guerre finie, il s'embarqua de nouveau et partit
pour l'Amérique méridionale. Ce pays, qui devait être
plus tard son tombeau, exerçait sur son esprit une es-
pèce de fascination.
En 1876, il obtient sa première mission. Il était chargé
SOLDATS, MA1UNS, EXPLORATEURS
37
d'explorer l'intérieur de la Guyane. En mettant le pied
à Cayenne, il apprend qu'une épidémie de fièvre jaune
vient d'éclater aux îles du Salut. Il demande à s'y
rendre et pendant six mois soigne les malades au péril
de sa vie. Atteint lui-même, il faillit succomber. Dès
qu'il est hors d'affaire, il se met en route. Il visite des
pays inconnus, remonte le Maroni. coupé de cascades
sans nombre, explore le Yari et à peine esl-il de retour,
épuisé par la fièvre, à bout de forces et de ressources,
qu'il médite déjà un second voyage.
Cette fois, il emmène avec lui un Indien, le nègre
Apatou, qu'il avait déjà connu lors de sa première
expédition, et qui devint, par la suite, son plus fidèle
compagnon.
Il se lance en pirogue sur les eaux inconnues du
Parou. semé à chaque pas de rapides. Puis il se décide
à explorer le Yapura, fleuve de 2,000 kilomètres, qu'au-
cun blanc n'avait encore parcouru dans toute son
étendue. La navigation était hérissée de difficultés. On
n'avançait qu'à travers des lianes ou des troncs d'arbres
renversés, et souvent il fallait s'ouvrir un passade la
hache à la main.
Les hommes étaient malades. Lui-même, miné par la
fièvre, ne prenait aucun repos et cachait son mal pour
ne pas décourager ses compagnons. Sous les feux
meurtriers de ce soleil équatorial, il continuait à relever
des angles, à tracer des croquis, à prendre des notes.
Sa gaieté, sa bonne humeur redoublaient aux heures
les plus critiques. Jamais on ne le vit regarder en ar-
rière ou reculer. Il ne connaissait pas les obstacles ou
affectait de les mépriser. « Tiens bon» telle était sa de-
vise, et il y est resté fidèle jusqu'à la tombe.
Ce second voyage rendit Crevaux célèbre. Il reçut
3
:w
MEURTHE-ET-MOSELLE
fies félicitations du Ministère; la Société 'de Géographie
lui décerna sa grande médaille d'or. Son récit, publié
dans le Tour du Monde, eut des milliers de lecteurs.
Une partie des colléctio is qu'il rapporta dé ce second
voyage figurèrentàl'Expofition de géographie de Nancy.
En 1880, il entreprit sa troisième expédition. Il re-
monta le Rio Magdalena, traversa la Cordillère à une
hauteur de 1,900 mètres, par des sentiers qui n'étaient,
dit-il, qu'une « suite de crevasses et de ravins ». et
atteignit la source d'un torrent.
De retour en France, en mars 1881, Crevaux fut re<;u
dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, et acclamé
par une foule sympathique et enthousiaste.
Crevaux semblait avoir bien conquis son droit au
repos. Qu'à cela ne tienne! A peine remis de ses fa-
tigues, il se sent repris de sa passion pour les aven-
tures. Il repart.
Arrivé à Buénos-Ayres, on lui parla d'un voyage
d'exploration à faire sur le Pileomayo, affluent du Pa-
raguay. Il se dirigea donc en Bolivie et sans tenir
compte des sentiments d'hostilité qu'il rencontra, il
s'engagea témérairement dans le pays des Tobas. Il
avait uhe escorte suffisante pour se défendre, en cas
d'agression. Seulement, les sauvages se gardèrent bien
de l'attaquer dans une lutte ouverte. Le 27 avril, une
tribu de ces Tobas, les Tape Chico, accueillit les voya-
geurs avec des démonstrations pacifiques. La petite
troupe ne conçut pas la moindre méfiance et au mo-
ment où les voyageurs s'y attendaient le moins, tandis
que Crevaux se livrait à ses observations scientifiques,
les sauvages fondirent sur eux et les massacrèrent, à
l'exception d'un seul.
Ainsi périt Crevaux, le 27 avril 1882. Sa mort eut
SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS
39
un douloureux retentissement en Amérique et en
Europe.
A la nouvelle de ce massacre, un comité se forma à
Nancy et on ouvrit une souscription afin d'ériger un
buste à l'infortuné voyageur. C'est ce buste qui fut
inauguré au jardin botanique de Nancy, le 13 juin 1885.
Crevaux était à peine mort, qu'il avait déjà un suc-
cesseur et un émule parmi ses compatriotes. Je veux
parler du jeune et infortuné Paul Crampel.
Paul Crampel (1864-1891).
11 naquit à Nancy en 1861, et fit au lycée d'assez
bonnes études. Mais déjà le démon des voyages le tour-
mentait et son imagination vagabonde aimait à s'en-
voler vers les pays lointains, sur les ailes de la fan-
taisie. Les relations des voyageurs célèbres le ravis-
saient d'admiration.
L'occasion de suivre son penchant se présenta. 11
devint, en 1887, secrétaire de M. de Brazza et, peu de
de temps après, il obtenait l'autorisation d'entre-
prendre pour son propre compte un voyage d'explo-
ration.
Il s'agissait de reconnaître et d'attirer dans la sphère
de notre influence la région encore inexplorée située
au nord du Congo.
Crampel se mit en route le 12 août 1888.
Blessé dans un combat contre les Pahouins, il
dut, pour dérouter l'ennemi, s'enfuir à travers des
marais impraticables. Sans vivres, presque sans armes,
il aurait succombé vingt fois, s'il n'avait pas été sou-
tenu par une énergie indomptable. On devait éviter
de faire du feu et coucher sur la dure. On n'avait à
manger que quelques racines fraîches de manioc qui,
40
MEURTHE-ET-MOSELLE
mal préparées, donnaient des vertiges, causaient des
nausées et de violents maux de tête. La petite. troupe,
obligée de se frayer un chemin à coups de hache, faisait
à peine cinq ou six kilomètres par jour, à travers les
bambous, les lianes entrelacées, sur un sol de boue,
coupé de fondrières ou de vases mouvantes, où pour-
rissent, depuis des siècles, les couches de végétaux
entassés.
Crampel, épuisé par la fatigue, ayant perdu du sang
en abondance, se sentait en proie aune fièvre ardente.
Enfin, après des souffrances dont on ne peut se faire
une idée, la petite caravane arriva à un poste français.
Elle était sauvée; les fatigues, les dangers, tout était
oublié, puisque l'expédition avait réussi.
Indépendamment des observations très importantes
qu'il rapportait sur les mœurs, sur la géographie des
pays qu'il avait traversés, Crampel avait signé qua-
torze traités avec quarante-quatre chefs qui reconnais-
saient ainsi les droits de la France.
Il était de retour à Paris en avril 1889.
Mais dans quel état il nous revint! « Il avait l'air
minable, dit un de ses amis qui était allé le recevoir
à la gare; une vaste houppelande, produit bizarre des
magasins de nouveautés de Libreville, couvrait son
corps émacié, laissant passer un pantalon trop court.
Le visage, amaigri par la souffrance, paraissait plus
hâve sous un chapeau de feutre mou. Quand il des-
cendit de fiacre, traînant la jambe, tirant par la main
une petite négresse que lui avait.donnée un chef indi-
gène, les passants s'arrêtèrent étonnés. Engoncée dans
une robe gros vert, les cheveux crépus surmontés d'un
bizarre chapeau de paille, elle avait, piqués de chaque
côté dans le cartilage du nez, des poils de queue
SOLDATS, MARINS, EXPLORATEURS
'.1
d'éléphant, qui la faisaient ressembler à un matou. »
A peine guéri de sa blessure, Crampel n'eut qu'une
idée : Entreprendre un nouveau voyage. Il rêvait de
. conquérir à la France et à la science la région encore
absolument inconnue, qui s'étend du Congo au lac
Tchad.
Jetez les yeux sur une carte d'Afrique. Remarquez
les trois vastes territoires où flotte le drapeau français.
Au nord l'Algérie et la Tunisie, à l'ouest le Sénégal,
et, un peu plus au Sud, le Congo. De chacune de ces
régions, menez une ligne idéale vers le centre de l'A-
frique; vous verrez que c'est non loin du lac Tchad que
les sommets de ces trois lignes viendront se rencontrer.
Unir ainsi à travers le Soudan central, nos possessions
de l'Algérie, du Sénégal et du Congo, fonder au cœur
du continent africain le plus vaste empire colonial qui
soit au monde, voilà quel était le plan grandiose, gigan-
tesque, qu'avait conçu l'infortuné Crampel.
C'est sur les rives du lac Tchad conquis, que devait
s'opérer la jonction.
Plus Crampel méditait son projet, plus le succès lui
paraissait facile, assuré, et plus aussi il était impatient
de poursuivre la réalisation de cette généreuse entre-
prise.
Crampel venait de se marier. Il épousait une femme
charmante. C'était pour lui un rêve longtemps caressé,
que ce mariage. Il aurait pu jouir en paix de la douceur
de cette union si désirée et sinon oublier, du moins
remettre à plus tard la réalisation de ses hardis des-
seins! Il préféra la gloire au bonheur, et ayant réglé
avec le soin le plus minutieux tous les détails de son
itinéraire, il se mit en route. Il emmenait trois Euro-
péens, la petite négresse, un interprète et
m
42
MEURTHE-ET-MOSF.LLE
Cette fois, c'était non plus le gouvernement, mais la
générosité privée qui faisait les frais de l'expédition.
Il quitta Paris le 10 mars 1890. emportant nos vœux
les plus ardents, nos espérances les plus chères. Il
perdit six mois à Brazzaville, à se débattre au milieu de
difficultés presque insurmontables. Il veilla à tout,
pourvut à tout, triompha de tout, plein de courage et de
foi dans le succès. Enfin, il se mit en route.
A divers intervalles, on reçut des nouvelles de la
mission et on se félicitait déjà de l'heureuse issue d'une
aussi hasardeuse entreprise. Bientôt les lettres de-
vinrent plus rares; plusieurs mois on en attendit. Enfin
la rumeur se répandit que Paul Crampel avait été
massacré. Longtemps on refusa de croire à la véracité
de ces bruits. Il fallut pourtant se rendçe à l'évidence
et l'on apprit, dans le courant de l'année 1891, que la
nouvelle de ce désastre n'était que trop certaine.
Quelques mois après, ' Crampel était vengé par un
autre explorateur, Dybowski; l'idée de Crampel n'était
pas morte avec lui. Un autre courageux voyageur la
réalisait l'année suivante.
Le commandant Monteil, que nous avons applaudi
l'an dernier, parti du Soudan, a pénétré jusqu'au lac
Tchad, et de là, traversant dans toute son étendue le
désert de Sahara, a réussi sans encombre, mais non
sans avoir bravé bien des fatigues et couru bien des
dangers, à revenir par Tripoli.
C'est ainsi que cette noble terre de France est fé-
conde en généreux dévouements. Le sang des martyrs
est une semence de héros! Pour un qui meurt, deux
autres naissent.
ECRIVAINS tT SAVANTS
13
V. - ECRIVAINS ET SAVANTS
Quoique la Lorraine soit une des régions de la France
où l'instruction à tous les degrés est le plus développée,
elle n'a fourni à notre littérature aucun auteur de pre-
mier ordre.
Quelques écrivains ont obtenu une certaine célébrité,
aucun n'a produit de chefs-d'œuvre immortels.
M mo de GraffU/ny, petite-niècé, par sa mère, de
Callot, était une femme du monde que la nécessité fit
auteur. Elle commença à écrire à l'âge de cinquante ans.
Elle passa quelque temps à Cirey, près de Voltaire, qui
la recommanda au duc de Richelieu. M' le de Guise qui
venait d'épouser ce grand seigneur, l'emmena avecelle
à Paris, où elle se fit connaître par son esprit et son
goût. Ses Lettres Péruviennes, qu'on ne lit plus au-
jourd'hui, ont fait autrefois les délices de nos arrière-
grand'mères.
Hoffmann a été un auteur dramatique estimable, un
journaliste de talent, un critique excellent dans la pé-,
riode de l'Empire et de la Restauration.
l'i i rricourt a écrit un grand nombre de mélodrames,
aujourd'hui tombés dans l'oubli. Ces pièces eurent
cependant leur heure de succès et les qualités comme
les défautsde l'auteur le firent surnommer le Corneille
des Boidevards.
François de Nenfchdteau, fils d'un instituteur de
Saiïais, rima dès son enfance et publia, à l'âge de qua-
torze ans, un volume de Poésies diverges, qui lui ouvrit
les portes des Académies de Dijon, de Lyon, de Mar-
H!
u
MEURTHE-ET-MOSELLE
I
ME
seille et de Nancy. La ville de Neufchâteau, où il avait
fait ses études, l'adopta et lui donna son nom. Sous la
Terreur, on représentait une pièce de lui, Paméla, au
Théâtre-Français, quand le Comité de Salut public in-
terdit la pièce, fit fermer le théâtre et mit les acteurs
et l'auteur en état d'arrestation. Le 9 Thermidor les
délivra.
Il a laissé un grand nombre d'écrits qui manquent
généralement de vigueur et d'originalité. Sa place est
moins parmi les hommes de lettres que parmi les
hommes d'État.
Palissot fut exclusivement un homme de lettres. Il
est plus connu par sa querelle avec les philosophes que
par ses ouvrages originaux. Il attaqua les encyclopé-
distes et ceux-ci se vengèrent par des satires et des
épigrammes. On connaît les bouts rimes qui furent
laits contre lui :
Ronsard sur son vieux
hautbois
Entonna la
Franciade.
Sur sa Li'ompelle de
bois,
Un moderne auteur
maussade,
Pour lui faire
paroli
Fredonna la
Dunciade.
Cet homme avait nom
Pâli;
On dit d'abord Palis
fade
Puis Palis fou, Palis
plat
Palis froid, et Palis
fat;
Pour couronner la
tirade,
En lin de
turlupinade,
On rencontra le vrai
mot,
On le nomma Palis
sot.
ÉCRIVAINS ET SAVANTS 45
Envoi :
M'abaissanl jusqu'à toi, je joue avec le mol ;
Réfléchis, si tu peux ; mais n'écris pas, lis, sot.
Edmond Aboitt, lui, est un écrivain de race. Né
à Dieuze, le 14 février 1828, il fit de brillantes études
et remporta le prix d'honneur de philosophie en 1848.
Il entra la môme année à l'École normale et fut envoyé
en 1851 à l'École française d'Athènes. Le coup d'État le
fit renoncer à la carrière de l'enseignement; il se voua
exclusivement à la littérature et au journalisme. Son
activité littéraire s'est étendue à une foule de sujets. Il
3.
~&
4G
MEURTHE-ET-MOSELLE
a publié un grand nombre d'ouvrages dont les princi-
paux sont : La Grèce contemporaine, Le Roi des mon-
tagnes, Les mariages de Paris, Tolla, Germaine,
l'Homme -à l'oreille cassée, Le nez d'un notaire, etc.
Reçu à l'Académie française en 1884, il mourut le
16 janvier de l'année suivante, avant d'avoir prononcé
son discours de réception.
Edmond About a été un des représentants les plus sé-
duisants de l'esprit français. Il a laissé des pages d'une
verve étincelante qui rappellent Voltaire. Romancier
fécond, journaliste intarissable, il eût pu prétendre au
premier rang s'il n'eût été la proie de la politique mi-
litante comme il en fut la victime.
Nous regrettons qu'About soit trop près de nous pour
que nous puissions lui consacrer tous les détails qu'il
mériterait. Nous serons plus à l'aise avec Saint-Lam-
bert qui est, après About, le plus connu des écrivains
Lorrains.
Saint-Lambert (1716-1803).
Né à Nancy, en 1716, selon les uns, à Yézelise, selon
les autres, on le connaît surtout comme le poète des
Saisons. Il est 'avec Delille le représentant de la ppésie
descriptive en France.
Il descendait d'une famille noble, mais sans illustra-
tion ni fortune. On l'envoya de bonne heure à l'Uni-
versité Lorraine de Pont-à-Mousson.
Voué à la carrière militaire, une fois ses études ter-
minées, il servit dans les gardes Iprraines et passa sa
première jeunesse à Lunéville, ce Versailles des ducs
de Lorraine, au milieu d'une cour assez brillante qui
réunissait alors à nombre de femmes aimables et spi-
rituelles, quelques littérateurs de talent. C'est là qu'il
ÉCRIA-AIN S ET SAVANTS
■17
connut M" 10 du.Châtelet et Voltaire. 11 se fit bien vite
remarquer « dans ce joli et gracieux monde », comme
dit Sainte-Beuve, par ses vers légers et galants. Dès
1736, Voltaire lui écrivait : «Je lis vos vers, j'en suis
jaloux ».
Encouragé par les éloges de M mo deBoufflers et d'au-
tres personnages de la cour lorraine, il vint à Paris, fui
reçu dans la bonne compagnie, eut son logement à
l'hôtel Beauvau et s'acquit bientôt une grande répu-
tation par ses poésies fugitives. Aussi longtemps que
vécut Stanislas il revenait tous les ans en Lorraine pour
ne pas se laisser oublier.
Il acheta en France un brevet de colonel et fit les
campagnes du Hanovre en 173G et' 1757. Une attaque
de paralysie le força à renoncer à la carrière militaire.
A partir de ce moment il se, consacra tout entier aux
lettres. Il revint à Paris, se Ha avec les encyclopédistes,
reprit ses visites chez M me licofErin, et ses dîners chi-z
M lle Quinault en compagnie de; Diderot, D'Holbach,
Duclos, (Jrimm, M uu ' d'Épinay.
Son poème des Saisons parut au commencement de
1700 et eut un grand succès. II contribua à ouvrir à son
auteur, dès l'année suivante, les portes de l'Académie.
Saint-Lambert ne manque pas de talent, mais il n'a
pas les qualités qui seules eussent pu rendre son
œuvre vraiment intéressante et poétique. — Sar" verve
est courte, l'invention lui fait défaut; il n'est ni simple
ni naturel comme il faudrait l'être quand on veut di-
gnement chanter la nature.
■ La Révolution troubla la vie paisible que Saint»
Lambert s'était arrangée. Il en prit son parti sans trop
de peine et ne tint pas rigueur de ses ennuis privés à
un régime dont il approuvait les principes. On sail en
■i
48
MEURTHE-ET-MOSELLE
effet qu'il consacra les dernières années de sa vie à
écrire un Catéchisme Républicain.
Il mourut à Eaubonne en 18Ô3, sous les yeux de sa
vieille et fidèle amie, M mo d'Houdetot.
Le département de Meurthe-et-Moselle a vu naître un
grand nombre de savants remarquables : Guerrier de
Dumast, Braconnot, Du Haldat, Lepois, médecin de
Charles III, Sonnini, voyageur et naturaliste, collabo-
rateur de Buffon, Charles Meissier, astronome que
Louis XV avait surnommé le furet des comètes, bien
d'autres mériteraient une notice détaillée, mais il faut
nous borner.
VI. - ARTISTES
Si la Lorraine est pauvre en grands écrivains, en
revanche, quelle longue suite d'artistes, tous remar-
quables. Architectes, peintres, sculpteurs, graveurs,
dessinateurs, depuis Callot jusqu'à Grandville; depuis
l'architecte Héré, de Sancy, près Briey, jusqu'au peintre
Girardet, de Lunéville; depuis César Bagard, le sculp-
teur, et les deux Adam j usqu a Isabey en passant par Jean
Lamour, le serrurier artiste (j'omets à dessein Claude
Gellée, né à Chamagne, dans les Vosges, et non dans
notre département), quelle lignée d'hommes célèbres
qui, commençant aux débuts du xvn e siècle, se pro-
longe jusqu'à nos jours! Et que serait-ce si nous pou-
vions parler des vivauts !
La munificence des ducs de Lorraine, de Stanislas
surtout, en dotant Nancy de chefs-d'œuvre, a fait plus
ARTISTES
49
que d'embellir une résidence, ou même que d'impri-
mer à une ville un cachet artistique. Elle a inspiré,
par là, aux habitants le goût des arts, l'amour du beau,
qui sont devenus comme un instinct et une tradition
dans l'ancienne capitale de la Lorraine.
Le premier en date, comme aussi le plus original de
ces artistes, est Callot.
Callol (1593-1035).
Jacques Callot naquit à Nancy en 1503. Sa famille,
anoblie dix ans auparavant et très attachée à ses nou-
veaux titres de noblesse, rêvait pour ce fils les plus bril-
lantes destinées. Son père, Jean Callot, héraut d'armes
de Lorraine, était particulièrement versé dans la science
du blason. Mais l'enfant, dès l'âge le plus tendre, montra
pour les arts une vocation irrésistible. En vain, ses
parents essayaient de faire obstacle à ses goûts : tout
ce qui lui tombait sous les yeux était pour lui matière
h dessin. Ses livres de classe étaient couverts de figu-
res ; les marges, les couvertures, les moindres espaces
blancs étaient remplis de bonshommes. Dès que l'heure
de la récréation sonnait, au lieu de jouer au cheval
fondu ou au chat perché, notre jeune élève, blotti dans
un coin, crayonnait sur le mur ou sur ses cahiers des
personnages aux attitudes drôles, aux traits grotesques-
Contrarié dans ses aptitudes à la maison paternelle,
le jeune Callot résolut de s'enfuir. Voir Rome, la patrie
des arts, était le plus cher de ses vœux. Mais où trouver
les moyens de réaliser son rêve longtemps caressé?
Comment.se procurer les ressources nécessaires pour
accomplir un si long voyage ?
Callot n'a que onze ou douze ans et déjà sa réso-
50
Mia'RTnË-ET-MOSELLE
• lution est prise. Une troupe de Bohémiens, de passage
à Nancy, s'offre à remmener. Il vont en Italie.. Il ira
avec eux. Et voila notre jeune dessinateur, fuyant loin
de la maison paternelle, cheminant sur les grandes
routes, dormant au bord des fossés, mendiant de vil-
lage en village, sans souci du chagrin qu'il va causer à
sa famille, insensible aux fatigues de la route, aussi
bien qu'à la honte de cette existence de vagabond.
Arrivé à Florence, le jeune Callot abandonna sa
noble compagnie. 11 errait par les rues quand un
officier d t u grand-duc le rencontra'. « Que fais-tu là?
lui deinanda-t-il ; d'où viens- lu? qui es-tu? » L'enfant
lui conta son histoire et comment, par amour pour son
art, il avait résolu de quitter sa famille, afin de venir
se perfectionner en Italie. Le jeune étranger avait une
physionomie ouverte, l'air avenant, la figure intelli-
gente. L'officier lui offrit de l'emmener et de le garder
.auprès de lui. Callot n'avait pas le choix. Étranger
dans cette ville, sans argent, il fut fort heureux de
rencontrer une perspnne qui voulût bien s'intéresser à
lui. Non conteht de le nourrir et de le loger, son hôte,
homme aimable, l'envoya dessiner chez un peintre
d'une grande réputation, dont le nom, »Canlagallina
(Chantepoùle) vous paraîtra assez bizarre. Il s'adonnait
de préférence à la gravure. Callot ne perdit pas son
temps avec lui; tourmenté néanmoins par son désir
irrésistible de voir Rome, il supplia son protecteur
de vouloir bien le laisser partir. L'officier ne s'y op-
posa pas; mieux encore, il lui donna quelque argent
pour faire le voyage.
Joyeux de se voir enfin dans la Ville éternelle, il se
livrait tout entier à son admiration, quand un jour il se
sentit frapper brusquement sur l'épaule par une main
ARTISTES
51
inconnue. Il se retourne : terreur! ces visages, il les
reconnaît. Ce sont d'honnêles marchands de Nancy qui,
sachant, sa- lu mie, ayant été témoins des larmes de son
père et de sa mère inconsolables d'avoir perdu leur en-
fant, s'emparent de lui, le ramènent et ne le lâchen-
(ju'après avoir remis aux mains de ses parents, court
roucés mais rassurés et consolés, ce nouvel enfant pro-
digue. , ,
Instruits par l'expérience, les parents allaient-ils
eniin laisser leur enfant suivre librement sa vocation?
Le père ne l'entendait pas ainsi. Il força son ûbj à re-
prendre ses éludes. Mais Callot n'avait pas plus qu'avant
d'inclination pour les lettres; il les abandonna, quitta
une seconde fois l'école et la maison paternelle et s'en-
fuit en Italie où l'attirait, semblait-il, un instinct in-
vincible. Il avait alors quatorze ans.
Cette fois, il n'alla pas plus loin que Turin. Son frère
aîné, que son père avait envoyé à sa poursuite'sous
prélexle de quelque all'aire, le rencontra dans les rues
et interrompit net s»n voyage. Le voilà encore une
fois ramené à Nancy.
Vous croyez peut-être que désormais le jeune Callot,
las des aventures, dégoûté de sa vie de vagabondage et
de privations va renoncer à sa passion des voyages, à
son goût pour les arts, à ce désir inassouvi de revoir
Rome? Détrompez-vous. Jamais vocation ne fut plus
impérieuse, plus nettement déclarée, plus irrésistible.
Les maux qu'il a endurés, les privations qu'il a souf-
fertes, il a tout oublié. Il ne se souvient que des
chefs-d'œuvre qu'il a vus à Florence, des beautés qu'il
n'a fait qu'entrevoir à Rome. Voilà les seuls souvenirs
qui hantent son cerveau. 11 n'a qu'une pensée, qu'un
désir, qu'un rêve : revoir l'Italie.
MEURTHE-ET-MOSELLE
Désespérant de réussir dans ses projets sans l'aveu
de son père, il se décida à s'en ouvrir à lui. Il le supplia
tant que son père finit par céder. Un des gentils-
hommes du duc de Lorraine partait vers celte époque
en ambassade auprès du pape; il prit Callot à sa
suite et veilla sur lui pendant la route avec une ten-
dresse toute paternelle.
Arrivé à Rome, il s'appliqua tout spécialement au
dessin qu'il regardait, avec raison, comme une partie
essentielle de la peinture, puis il voulut aussi étudier
la gravure et se mit sous la direction d'un Champenois,
Philippe Thomassin, marié et fixé à Rome. Un dissen-
timent éclata quelque temps après entre le maître et
l'élève et Callot quitta Rome pour revenir à Florence.
A la porte de la ville on l'arrête, on lui demande au
nom du grand-duc, comme on le faisait pour tout
étranger, son nom et sa profession. Aussitôt qu'il est
reconnu, on l'emmène au palais. Le grand-duc l'in-
terroge et lui offre de rester à son service. Il lui donne
une pension, un logement, un atelier dans sa galerie
où travaillaient un grand nombre d'autres artistes. Ces
conditions n'étaient pas pour déplaire à Callot. Il se
décide à rester à Florence et poursuit ses études avec
un redoublement d'ardeur.
Il retournait souvent chez son ancien maître Canta-
gallina; il se lia d'amitié avec les artistes et entra en
relations avec tout ce qu'il y avait alors d'hommes re-
marquables à Florence. Encouragé, stimulé par ses
maîtres et ses camarades, il fit de grands progrès dans
le maniement du burin et exécuta, pour le grand-duc
de Toscane, de nombreux travaux. Il s'essayait aussi à
l'eau-forte.
Malheureusement son protecteur, Cosme II de Mé-
ARTISTES
O.'i
dicis, vint à mourir; ce lui fut une occasion pour
penser à retourner dans sa patrie. Vers ce même temps,
un prince de Lorraine, Charles IV, passait par Flo-
rence en revenant de Rome; il promit à Callot, s'il
voulait revenir avec lui, de lui faire donner par son
beau-père, le duc Henri, de bons appointements. 11
n'en fallait pas davantage pour que Callot se décidât à
quitter l'Italie; il se mit à la suite du prince et rentra
dans son pays.
Quelle ne fut pas la joie des parents en voyant
revenir leur fils auprès d'eux. Pour le fixer définitive-
ment à Nancy, ils songèrent à le marier et lui firent
épouser une jeune fille d'une excellente famille. C 'était
en 1625. Callot avait alors trente-deux ans.
Sa réputation se répandit bientôt dans toute l'Eu-
rope. L'Infante des Pays-Bas l'appela à Bruxelles pnur
dessiner le siège de Breda, qu'il grava ensuite. En 1628,
il se rendit en France pour dessiner, sur l'ordre du roi,
le siège de La Rochelle et celui de l'île de Ré.
En 1633, Louis XIII vint assiéger Nancy et s'empara
de la ville. Pour perpétuer le souvenir de sa victoire
il voulut en faire graver le dessin. Il fit appeler Callot.
L'artiste lorrain s'y refusa avec une politesse respec-
tueuse, alléguant qu'il ne voulait rien faire contre
l'honneur de si m prince ou la gloire de son pays. Le
roi accepta ses excuses, en disant que le duc de Lor-
raine était bien heureux d'avoir des sujets si dévoués
et si fidèles. Mais dans l'entourage du roi on n'ap-
prouvait pas ce refus. Quelques courtisans allèrent même
jusqu'à dire, tout haut, qu'on aurait bien raison des
résistances de l'artiste et qu'on saurait bien le réduire
à se plier aux volontés de Sa Majesté. Callot entendit ces
propos; il protesta avec une énergie pleine de courage :
■
54
MEURTHE-ET-MOSELLE
« Je me couperais plutôt le pouce, dit-il, que de faire
quel ue chose contre mon honneur. » ,
Jamais plus éclatant 'démenti ne fut donné au pro-
verbe médisant qui voit dans tout Lorrain un traître
à Dieu et à son prochain.
Louis XIII, touché par la réponse de Callot, lui fit
les offres les plus flatteuses pqur l'engager à son ser-
vice, lui promit une forte pension. Rien ne put séduire
Callot. Il préféra rester dans sa pa'trie.
Callot'menait une vie des plus régulières et l'emploi
de son temps était parfaitement ordonné.
Il se levait de grand matin, il allait aussitôt, avec
son frère aîné, se promener hors de la ville, revenait
entendre la messe, puis travaillait jusqu'au dîner. Il
employait le, temps de la digestion à faire quelques
visites; après quoi il, reprenait son ouvrage jusqu'au
soir, s'entretenant avec les personnes et les nombreux
amis qui venaient chaque jour, dans son atelier, le
voir travailler.
Il ne faut pas s'étonner, qu'avec un genre de vie si
bien réglé, il ait pu accomplir, quoiqu'il soit mort bien
jeune, une œuvre si vaste et si variée. On compte
jusqu'à 1,380 pièces de cet artiste; il y a peu de gra-
veurs qui en aient produit autant. On prétend que
l'habitude de travailler courbé nuisit à sa santé qui
n'avait jamais été bien forte. Il mourut d'une maladie
d'estomac, le 28 mars 1035. Il avait à peine quarante-
trois ans. ,
La ville de Nancy lui a élevé une statue non loin de
la maison qu'il a habitée, à, ce que l'on croit, dans la
ville vieille.
Les compositioHS de Callot sont pleines de fantaisie.
Il se plaît à représenter les gueux, les bateleurs, les
AKTISTKS
55
scènes tumultueuse? des foires, des sièges, des ba-
tailles. Les misères de sa jeunesse, les malheurs de la
guerre, tous les maux dont il a été lémoin, voilà «melle
a été la' source de ses meilleures inspirations. Les Foires,
1rs Hideux, les Misères, de In guerre, la Passion, les
Supplices, les Gueux, le Massacre des Innocents, la
Tentation de Saint Antoine, sont au nombre de ses
œuvres les plus remarquables.
Adam, Lambert-Sigisbert (1700-1769).
1 Un sculpteur remarquable qui eut une jeunesse aussi
mouvementée que Callot.
Il naquit à Nancy en l'an 1700. Son père, qui était
lui-même un sculpteur de mérite, lui donna les pre-
miers principes de l'art du dessin. Jusqu'à 1 âge de
dix-huil ans, il mania le maillet et. le ciseau dans l'ate-
lier paternel.
II passa l'hiver de 171.S à Metz, occupé à différents
travaux ; l'année suivante, au mois de mai 1719, son
père, sentant qu'il avait appris à son fils tout ce qu'il
pouvait lui enseigner, l'envoya à, Paris pour qu'il y
complétai son éducation artistique.
Le jeune Adam, passionné pour son art, se forma ra-
pidement, sous des maîtres habiles, travaillant sans
relâche. Au bout de quatre ans, il remporta le prix de
sculpture à l'Académie royale. Devenu ainsi pension-
naire du roi, il alla à Rome continuer ses éludes. Il
partit au mois d'août 1723, et demeura dix ans dans
celle ville.
Sigisberl Adam ne larda pas à s'y faire un nom. Il eul
bientôt des commandes importantes ei ses succès lui
valurent d'être nommé membre de l'Académie de
Saint-Luc en 1732.
■
50
MEURTHE-ET-MOSELLE
Le pape Clément XII le tenait en très haute estime;
il le chargea de plusieurs travaux importants. Bref,
Adam bien accueilli de tous, voyant son talent appré-
cié, les commandes affluer, était sur le point de se
fixer à Rome. Quand on apprit à Paris sa résolution, le
roi s'empressa de lui faire écrire de revenir en lui pro-
mettant de grands avantages. Il devait avoir, faveur
enviée de tous les artistes, son atelier et son logement
au Louvre. Le sculpteur n'eut pas trop de peine à pré-
férer les offres du roi à celles du pape ; il revint. Mais
il revint à petites journées, s'arrêtant dans les villes les
plus remarquables d'Italie, pour étudier les nombreux
chefs-d'œuvre qu'elles renferment.
Il arriva à Paris le jour des Rameaux de l'année 1733.
Il fut aussitôt après agréé à l'Académie et admis comme
membre quatre ans plus lard en 1737. Bientôt, il eut
autant de besogne qu'il en put faire.
Il tailla d'abord sur place un groupe de deux figures
de six mètres de proportions, au sommet de la cascade
de Saint-Gloud. Ce groupe symbolisait la jonction de
la Seine et de la Marne. Mais son œuvre la plus impor-
tante est son groupe du bassin de Neptune à Versailles.
Ce travail gigantesque représente le Triomphe de
Neptune et d'Amphitrite. C'est le plus grand morceau
de sculpture que possède Versailles.
L'ouvrage fut terminé le 26 novembre 1740. Adam
avait mis cinq ans à le faire. Outre le prix convenu il
reçut une pension de cinq cents livres; cette récom-
pense était bien méritée.
A partir de ce moment, il exposa presque tous les
ans, aux Salons, de nouveaux ouyrages. Ce fut, on le
voit, un artiste fort laborieux et d'une habileté con-
sommée. Nul ne sut mieux que lui fouiller le marbre
ARTISTES
57
avec audace sans se laisser arrêter par aucun obstacle
ou intimider par aucune hardiesse.
On lui reproche parfois d'avoir manqué de goût. Son
dessin est sec et maigre, souvent un peu mesquin. Il
pèche par l'harmonie des lignes, par le manque de
grâce dans les proportions.
Il n'eut pas toujours le souci du style et ne se mon-
tra pas assez scrupuleux pour la pureté des formes ou
le choix des types. Malgré cela, ce fut un grand et
noble artiste.
Il mourut d'une attaque d'apoplexie le 13 mai 1759,
laissant de nombreux témoignages de son talent.
«Jean Lamour (1698-1771).
Le serrurier Jean Lamour fut aussi un artisle dans
son genre.
Il n'est pas un habitant de Nancy, pas un voyageur
ayant traversé notre bonne ville qui n'ait admiré les
grilles de la place Stanislas. Ces grilles en fer forgé,
aux lignes souples et élégantes, sont, vous le savez,
l'œuvre de l'habile serrurier, Jean Lamour.
Jean Lamour naquit à Nancy, le 25 mars 1698, d'un
serrurier établi dans cette ville depuis 1081. En 1710,
quand son père mourut, Jean lui succéda. Mais il avait
fait déjà plusieurs séjours à Paris où il avait eu l'occa-
sion de se perfectionner dans l'art du dessin et de^la
serrurerie.
Ses premiers travaux n'offrent rien de remarquable.
On le voit, en 1723, passer un traité pour l'entretien
des lanternes publiques, et un autre l'année suivante
pour l'entretien des sonneries des paroisses.
Ce n'est qu'en 1737, quand Stanislas, en vertu du
I
58
MEURTHE-ET-MOSELLE
traité fie Vienne, vint s'installer, comme duc de Lor-
raine, que Jean Lamour, qui avait alors dépassé la
quarantaine, eut l'occasion de se faire connaître.
Ou sait que les' arts, encouragés par la protection
éclairée et généreuse de Stanislas, jetèrent sous son
rèune un très vif éclat.
Quand Slanislas fit construire son château de Chan-
tel'iix, aujourd'hui démoli, Jean Lamour y exécuta
différents travaux de serrurerie. Au château de Com-
niercy, il lit le balcon et la grille des jardins.
L'évoque de Toul, Ms r Drouas,- fit construire place
d'Alliance 1 un palais épiscopal ; c'est Jean Lamour qui
fut chargé de fahriquer la rampe de l'escalier. Au Pa-
lais de l'Intendance, la rampe est aussi l'œuvre- du
même artiste.
Pendant ce temps, Jean Lamour exécutait d'autres
travaux. Ainsi, la grille de la chapelle Sainl-Gharles
et celle de la chapelle Saint-Jean dans la cathédrale de"
Na cy remontent à la môme époque. Tout cela n'em-
pêcha t pas notre ouvrier serrurier de faire entre temps,
poiirl -s particuliers, des travauxdemoindreimi.ortance.
Eu 1750, Lamour était en pleine possession de son
génie. C'est alors qu'il commença son œuvre la plus
importante, son chef-d'œuvre, je veux parler des
grilles de la place royale, aujourd'hui place Slanislas.
« i.e-i grilles, dit un auteur lorrain, sont les véri-
tables dietix pénates. de Nancy. Les municipalités qui
se succèdent au gouvernement de la ville sont toujours
sûres (l'être agréables à la population en les laisant
peindre et redorer ».
El du ne manque pas de refaire leur toilette toutes
les ioi< que la visite d'un personnage marquant exige
une certaine solennité.
ARTISTES
59
Stanislas mourut le 23 février 1766 ; la Lorraine de-
vint province française et Nancy, déchue du rang de
capitale, né fut plus qu'une ville de second ordre. Dès
lors, les commandes cessèrent; les beaux jours de l'art
étaient passés. Mais déjà Jean Lamour avait, grâce à ses
travaux, amassé une modeste fortune. Il pouvait vivre
du fruit de ses économies. Sa vie n'était pas non plus
sans gloire, car il jouissait, parmi les artistes de sa
ville natale, d'une considération bien méritée. Sa vieil-
lesse s'y écoula heureuse et calme; il mourut dans sa
maison de la rue Noire-Dame, le 20 juin 1771, à l'âge
de 73 ans ; on sait qu'il fut enterré aux Minimes à
quel endroit précis, on l'ignore.
Une plaque, sur la maison qu'il habitait,' un nom de
rue, voilà ce qui reste de celui qui fut un ouvrier de
génie et qui éleva la serrurerie à la hauteur d'un art!
Isabey (1767-1855).
Cet autre nom fait aussi grand honneur à notre dé-
partement et forme, pour ainsi dire, la transition entre
le xviii 6 et le xix e siècle.
lsabcy Jean- Baptiste, célèbre miniaturiste, naquit à
Nancy, le 11 avril 1707. Son père était un brave paysan
franc-comtois, établi depuis peu en Lorraine.
Son petit commerce lui permit de faire élever libé-
ralement ses deux lils. L'un, l'aîné, Louis Isabey, ha-
bile musicien, fut' premier violon de l'empereur de
Russie, Alexandre, et mourut en 1813; l'autre, Jean-
Baptiste, élève de deux artistes lorrains Girardet et
Claudot, devint un peintre d'un grand talent.
Il avait 19 ans, quand son père se décida à l'envoyer
à Paris. En attendant d'entrer dans l'atelier de David,
dont la gloire était dans tout son éclat, et qui se
fiO
MEUHTIIE-ET-MOSELLE
trouvait alors en Italie, il suivit les leçons de Dumonl,
un peintre en miniatures.
La miniature était, à cette époque, en grand hon-
neur. Isabey exécutait de petits sujets sur des cou-
vercles de tabatière ou sur des boutons historiés, alors
fort en vogue. Peu à peu, il arriva à se faire une petite
clientèle. Un jour, le gouverneur des enfants du comte
d'Artois parla de lui à la Cour. On le fit appeler à
Versailles, et on lui commanda un médaillon où de-
vaient figurer ensemble le duc d'Angoulême et le duc
deberry. La reine Marie-Antoinette, le comte d'Artois,
encouragèrent le jeune artiste. Sa réputation était faite.
On l'appelait le petit Lorrain. Il avait subjugué tout le
monde, par son air gai, avenant, spirituel.
Il hésitait cependant à renoncer aux grands sujets.
C'est Mirabeau, dont il eut l'occasion de faire le por-
trait, qui lui conseilla d'abandonner la peinture d'his-
toire. « Il vaut mieux, lui dit-il, avoir la certitude
d'être le premier dans un genre, que le doute de n'être
que le second dans un autre. »
Un changement venait, du reste, de s'opérer dans
son existence, qui ne lui laissait pas le choix.
Il avait rencontré, dans une. promenade publique,
une belle jeune fille conduisant son vieux père aveugle.
Pris d'une passion subite autant que romanesque pour
cette nouvelle Antigone, notre peintre la fait demander
en mariage et le voilà devenu chef de famille, obligé de
l'aire face aux charges de sa situation nouvelle. Sa ré-
solution est prise; il s'agit, désormais, de gagner
sa vie.
La Révolution lui enleva ses protecteurs, mais non
son gagne-pain. Il publia, en 1789, les portraits des
membres de l'Assemblée constituante.
ARTISTES
(if
Les belles gravures anglaises, en manière noire,
d'après Reynold, lui inspirèrent l'idée de ses composi-
tions à l'estampe, bientôt reproduites par la gravure.
M me Campan, ancienne femme de chambre de la reine
Marie-Antoinette, venait, sous le Directoire, de fonder
à Saint-Germain son célèbre pensionnat. Elle confia à
Isabey la direction de l'enseignement du dessin. Or,
il se trouvait dans cette maison d'éducation, une jeune
élève. Hortense, fille de M mc de Beauharnais. devenue
depuis peu la femme du général dont le nom commen-
çait à remplir le monde, de Bonaparte. C'est de la sorte
qu'Isabey entra en rapport avec le vainqueur d'Arcole
et de Rivoli. Admis dans son intimité, il eut tout 1&
4
62
MEURTHE-ET-MOSELLE
loisir d'étudier les traits de cette figure devenue depuis
si populaire, et de cette observation attentive sortit
le magnifique Portrait du général Bonaparte dans les
jardins de la Malmaison, si vrai, si vivant, si fidèle.
que les peintres et les graveurs se sont plu à repro-
duire à l'envi. Désormais, Isabey i-erale peintre attitré
et officiel de la famille Bonaparte.
Quand le premier consul, devenu Empereur, voulut
se faire sacrer par le pape, Isabey fut chargé de régler
tous les détails de la cérémonie et d'en conserver, par
le dessin, le souvenir.
Joséphine fut répudiée; Marie-Louise la remplaça
sur le trône impérial. Isabey fut nommé maître de
dessin de la nouvelle impératrice. Il avait le titre de
peintre et de dessinateur du cabinet de l'Empereur; il
était décorateur du théâtre de la Cour, ordonnateur des
fêtes et cérémonies.
1814 le surprit au sein de sa prospérité. Fidèle au
malheur, il s'achemina vers Fontainebleau pour rendre
un dernier hommage au souverain déchu.
Il partit ensuite pour Vienne, où le prince de Talley-
rand l'avait chargé de dessiner le portrait des plénipo-
tentiaires réunis dans cette capitale. Il en rapporta le
beau dessin si connu : Le Congrès de Vienne.
Louis XVIII lui tint rigueur; mais quand Charles X
monta sur le trône, le nouveau roi se souvint que le
comte d'Artois avait jadis élé l'un des premiers protec-
teurs du peintre de médaillons et il donna à Isabey le
même titre et les mêmes appointements qu'il avait du
temps de l'Empereur.
La Révolution de 1830 vint encore une fois troubler
l'existence d'isabey et ne lui rendit plus ce qu'elle lui
enlevait. Ce n'est qu'en 1837 que Louis-Philippe
ARTISTES
63
nomma l'ancien favori de Napoléon et fie Charles X.
conservateur adjoint des musées royaux. Mais déjà la
vieillesse était venue et de nouveaux talents s'étaient
formés qui, peu à peu, rejetèrent dans l'ombre et le
silence le maître en l'art de la miniature. Il avait aban-
donné depuis cinquante ans la peinture à l'huile,
quand, en 1830, dans un voyage qu'il fit à Nancy, il
peignit le portrait du général Drouot.
Ce fut une de ses dernières œuvres. Il assista encore,
avant de mourir, à une nouvelle révolution qui épou-
vanta un moment sa vieillesse. Napoléou III lui accorda
une pension et le nomma commandeur de la Légion
d'honneur. La mort l'enleva doucement, après une
courte maladie, le 18 avril 1855, à l'âge de 88 ans.
Isabey fut un artiste d'un goût' pur et d'une habileté
consommée. Son caractère gai, enjoué, toujours de
bonne humeur, lui concilia de nobles protections et ne
fut pas étranger à ce bonheur constant qui le prit au
début de sa carrière et ne l'abandonna pas même dans
son extrême vieillesse.
C'était du reste un homme de cœur, bon et serviable.
Il apprend un jour que Gérard, un confrère et un ami
qui venait de peindre son Bélisaire, était dans le dé-
nûment le plus complet, Isabey va chez lui, fait un
grand éloge du tableau et le lui achète trois mille francs.
Puis il se rend chez l'envoyé de la République de Hol-
lande, M. Mcyer.dont il faisait alors le portrait, et l'en-
gage à reprendre le tableau de Gérard, pour une somme
double. En possession de ces six mille francs il repart,
et vient tout joyeux rapporter à son ami les trois mille
francs de bénéfice. C'est pour reconnaître ce service, que
(lérard fit l'admirable portrait en pied d'Isabey et' de sa
fille, que vous pourrez admirer au Musée du Louvre.
i^M
Ci
MEURTHE-ET-MOSELLE
Grandville (1803-1847).
Vous avez eu certainement entre les mains des des-
sins de Grandville. Ses Fleurs animées sont dans toutes
les bibliothèques, et dans votre enfance vous avez, j'en
suis sûr, feuilleté sur les genoux de vos grands-pères,
ses illustrations des fables de La Fontaine où les ani-
maux sont tous transformés en hommes. La cigale
est une chanteuse de carrefour qui porte dans sa gui-
tare brisée la grêle et les frimas; la fourmi est une
riche Normande, goguenarde, étoffée et cossue ; le loup,
un brigand, un détrousseur; le chien, un domestique de
bonne maison'; M. du Corbeau, infatué de sa personne,
se montre paré des insignes de la Légion d'honneur.
Toutes ces bêtes sont des gens de connaissance.
Jean-Ignace-Isidore Gérard, dit de Granville, naquit
à Nancy le 3 septembre 1803. Son père était peintre en
miniature, son grand-père et sa grand'mère étaient co-
médiens du roi Stanislas et avaient pris au théâtre ce
surnom de Grandville que leur petit-fils devait illustrer
plus tard.
L'enfant apprit, auprès de son père, les premiers élé-
ments du dessin. Il était le dernier de sept enfants»
petit être souffreteux, malingre, qu'un rien offusquait.
Et déjà, à dix ans, il s'exerçait à manier la plume ou le
crayon. Mais il peignait ou dessinait tel qu'il voyait, ne
prenant pas le moindre soin d'embellir ses modèles, qu'ils
fussent lourds, difformes ou pesants. Si bien que son
père, habitué à orner la nature et à colorer les roses,
lui disait avec effroi : « Ne vois-tu pas que tu fais peur
à tous les visages de Nancy? Tu n'as pas quinze ans et
déjà tu t'es fait des ennemis mortels de tous les juifs
et de tous les chiens de la ville ! Les premiers te tirent
ARTISTES
65
la langue et les seconds aboient après toi ». Le père et
le fils ne pouvaient guère s'entendre, si bien qu'un jour,
moitié sérieux, moitié fâchés, ils se dirent adieu et
Grandville partit pour Paris. Il avait vingt ans! Il se fit
bientôt connaître par une série de dessins lithogra-
phiques intitulée : Le Dimanche d'un bon bourgeois ou
les tribulations de la petite propriété.
Il obtint un franc succès en 1828 avec ses Mêlamor-
phoses du jour, où les différents types de l'humanité
sont figurés par des personnages à têtes d'animaux Le
singe, la chatte, le coq, l'éléphant jouent chacun, sous
des costumes divers, leur rôle dans cette comédie hu-
maine. La politique ne contribua pas peu à la vogue
de ces dessins satiriques.
La fin de Grandville fut attristée par les deuils. Il
ne vivait que pour sa famille et sa famille lui manqua.
Il perdit successivement sa femme et deux enfants.
Le troisième périt étouffé par une cerise qu'il avait
avalée à table. Le pauvre petit être se débattait et
souffrait le martyre. Il restait peut-être une ressource :
c'était de faire l'opération de la trachéotomie. Le mal-
heureux père ne voulut jamais y consentir et il vit ce
petit être mourir dans ses bras au milieu des plus ter-
ribles convulsions.
A quelque temps de là Grandville perdait la raison :
le chagrin l'avait rendu fou. Il mourut peu de temps
après, le 17 mars 1847.
4.
■^■M
M
tu;
MEURTHE-ET-MOSKLLE
VII.
HOMMES D'ETAT
Quelques hommes d'Élat appartiennent soit par leur
naissance même, soit par leur famille, au département
de Meurthe-et-Moselle.
Le plus grand est sans contredit le duc de Choiseul
qui sut faire figure de ministre sous Louis XV, à une
époque où il n'y avait plus que des courtisans. Pendant
douze ans qu'il resta au pouvoir, il fit tous ses efforts
pour remédiera l'épuisement de la France et la relever.
Rien ne pouvait, dès lors, arrêter la décadence de la
monarchie, tombée en des mains incapables, et gou-
vernée par des favorites indignes.
Il réorganisa l'armée, réforma le génie, l'artillerie,
créa des écoles militaires, négocia le pacte de famille.
et réunit la Corse à la France, malgré l'Angleterre,
en 1768. Renversé par une intrigue de Cour, il se retira
dans sa terre de Chanteloup, où le suivirent les témoi-
gnages de l'estime publique.
Son rôle est d'ailleurs si connu que nous n'insiste-
rons pas. Il nous suffit de l'avoir salué au passage.
François de Neufchâteau, que nous avons rangé
parmi les écrivains, mérite d'avoir aussi sa place parmi
les hommes d'État.
Tour à tour lieutenant-général au bailliage de Mire-
court, subdélégué de l'intendant de Lorraine, procu-
reur-général au Conseil souverain de Saint-Domingue,
il fut, pendant la Révolution, élu député à l'Assemblée
législative et en devint successivement secrétaire puis
président. Pendant la Convention, il refusa de siéger,
hommes d'état
67
préférant rester juge de paix dans une petite commune
des Vosges.
En 1797, le Directoire le nomma Ministre de l'Inté-
rieur, et après le 18 fructidor il devint directeur à la
place de Carnot. Revenu au Ministère de l'Intérieur, il
se fit remarquer par la protection qu'il accorda aux
lettres et aux arts. C'est à lui que l'on doit la première
idée des expositions publiques des produits de l'indus-
trie. Après le 18 brumaire il fut créé sénateur, puis
comte de l'Empire, enfin secrétaire et président annuel
du Sénat.
Compris, en 1815, parmi les sénat eurs que Louis XVII I
n'appela pas à la Chambre des Pairs, il se retira de la
politique et consacra ses loisirs aux lettres et à l'agri-
culture.
L'économiste Duquesnoy, de Briey, membre de l'As-
semblée nationale, maire de Nancy, principal rédacteur
de l'Ami des Patriotes, le baron Louis, de Toul, mi-
nistre des Finances, sous la Restauration, de Serre, né
à l'aqny-sur-Moselle, ministre de la Justice sous le
même régime, méritent d'être cités. Mais le plus grand
de tous ces hommes d'État, le plus sympathique, parce
qu'il fut en même temps un philanthrope, c'est l'Abbé
trrégoire.
L'Abbé Grégoire (1750-1831
Baptiste-Henri Grégoire, naquit à Vého, près de Lu-
néville, le 4 décembre 1750. Son père, Baslien Gré-
goire, était tailleur. L'enfant, doué d'une grandi; intelli-
gence, aimait à se laisser aller à la rêverie. A huit ans, il •
savait lire et écrire, et le maître, n'ayant plus rien à lui
apprendre, lui laissait le soin d'enseigner ses petits
camarades. On se'décida à le confier au curé d'Embermé-
68
MEURTHE-ET-MOSELLE
nil, l'abbé Cherrier, qui élevait chez lui quelques jeunes
gens.
A l'âge de douze ans, le jeune Grégoire expliquait
Virgile, lisait Racine et se passionnait pour les scènes
des Évangiles
Le curé Cherrier le conduisit alors à Nancy chez l'un
de ses amis dont il gagna bientôt l'affection. Là aussi,
il se fit remarquer par son zèle et son application. Il
allait passer à la bibliothèque les moments de liberté
que lui laissaient ses études. La première fois qu'il y
mit les pieds, le bibliothécaire lui demanda ce qu'il
désirait. « Des livres pour m'amuser, dit l'enfant. »
« Mon ami, lui fut-il répondu, vous vous adressez mal;
on ne trouve ici des livres que pour s'instruire! » C'est
ce que désirait [Grégoire; il s'était seulement mal ex-
primé, ou plutôt s'instruire et s'amuser étaient pour
lui synonymes.
De 1763 jusqu'en 1768, l'élève fit avec succès toutes
ses classes chez les jésuites de Nancy. Devenu plus
tard janséniste, il conserva néanmoins toute sa vie, à
ses maîtres, un respectueux attachement, « quoique,
disait-il, il n'aimât pas l'esprit de la Compagnie. »
En 1768, le roi supprima la Société en Lorraine et
Grégoire dut terminer ses études de philosophie à
l'Université nouvellement créée.
Il acheva ses études de théologie au séminaire de
Metz et fut ordonné prêtre en 1775. La théologie ne
l'absorbait pas uniquement. Il aimait à se récréer dans
la lecture des poètes. Il remporta, vers cette époque,
le prix à l'Académie de Stanislas, pour son Éloge de
la poésie.
Le 15 avril 1782, l'abbé Grégoire devint curé d'Em-
berménil.
HOMMES D ETAT
69
Rien de plus touchant que la vie qu'il mène à cette
époque. Il est tout entier voué à l'accomplissement de
ses fonctions. « Un bon curé, avait-il coutume de dire,
est un ange de paix; sa modique fortune, hypothéquée
à la misère, est le patrimoine du pauvre. »
La Révolution de 1780 éclate. Le 20 janvier 1780, en
présence des délégués des trois ordres, réunis à Nancy,
l'abbé Grégoire parle au nom de tous ses confrères et
fait entendre des paroles de paix et de concorde, toutes
vibrantes de liberté, de justice, de bonté. Il conjure
ces vénérables prêtres, qui l'écoutent, de s'unir pour
« travailler à régénérer l'un des plus beaux empires
de l'univers. »
Devenu représentant, il fut un des premiers de son
ordre à s'unir aux membres du tiers-état, et il assis-
tait, le 20 juin, à la séance du Jeu de Paume. Tous ses
votes tendirent à l'affranchissement du peuple, à l'amé-
lioration de son sort, à l'abolition des privilèges.
La constitution civile du clergé fut mise à l'ordre du
jour. Grégoire l'accepta, « non, dit-il, qu'il la trouvât
sans reproche, mais parce qu'il regardait cette mesure
comme un devoir de patriotisme propre à porter la
paix dans le royaume et à cimenter l'union entre les
pasteurs et les ouailles. » Hélas ! nulle mesure ne de-
vait être plus fertile en discordes.
Grégoire fut porté à l'épiscopat, en même temps
par la Sarthe et le Loir-et-Cher. Il opta pour le siège
de Blois.
Élu membre de la Convention nationale, son pre-
mier acte fut de proposer l'abolition de la royauté et
l'établissement de la République. « L'histoire des rois,
s'écrie-t-il, dans un véhément discours, est le mar-
tyrologe des nations. » Par son influence, la déchéance
MMBMHM
70
MEURTHE-ET-MOSELLE
de la monarchie est proclamée, et il avoue qu'il fut
tellement heureux de ce résultat, que pendant plu-
sieurs jours l'excès de la joie lui ôta l'appétit et le
sommeil.
Lors du procès du roi, il était en mission à Ghambéry.
Il écrivit pour demander la condamnation, mais non
la condamnation à mort. Le caractère sacré dont il
était revêtu ne pouvait l'autoriser à répandre le
sang.
Au retour de cette mission, il devait rendre ses
comples. Il vint au Comité, et tirant de sa poche un
mouchoir, dont il dénoua un des coins avec précau-
tion, il versa sur la table la somme qu'il avait écono-
misée sur ses frais de voyage. Il soupait avec quelques
noix ou une orange, enchanté que son souper ne coûtât
que deux sous à la République*. Telle est la conduite
de ces représentants en mission, que la calomnie a
essayé, mais en vain, de noircir.
Grégoire fit ensuite partie de ce Comité de l'Instruc-
tion publique auquel nous devons tant de belles et
utiles créations.
Plus que personne, il contribua à prévenir la des-
truction des monuments artistiques et, le premier, il
qualifia de vandalisme ces actes de barbarie contre
tout ce qui est vénérable par l'âge, la beauté ou les
souvenirs. C'est à Grégoire qu'on doit le mot : « Je
créai le mot pour tuer la chose, » nous dit-il dans ses
mémoires. 11 a créé le mot; il n'a pu réussir à tuer la
chose.
Ce qui est certain, c'est qu'il employa, dès lors, tout
son crédit pour favoriser les savants, les gens de lettres,
les artistes.
Depuis longtemps il avait élevé la voix en faveur
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des Juifs. Il finit par obtenir pour eux l'égalité des
droits civils et politiques. 11 en fit autant pour les
nègres de nos colonies et réussit à faire abolir, en lé-
vrier 1794, la traite des noirs et l'esclavage de la race
africaine. En i789, il avait demandé que le nom de
l'Être suprême fût inscrit en tête de la Déclaration
des droits et que celle-ci fût accompagnée, puisqu'il
n'y a jamais de droit sans devoir, et réciproquement,
d'une Déclaration des devoirs.
On lui a reproché d'avoir méconnu son caractère de
prêtre. Rien n'est plus faux. Et c'est un des traits les
plus distinctifs, en même temps qu'un des plus écla-
tants delà vie de Grégoire, que l'énergie avec laquelle
il proclama hautement ses convictions religieuses
même au milieu des injures et des menaces de ses en-
nemis les plus exsltés.
L'avènement des Bourbons n'améliora pas la situa-
tion de Grégoire. Napoléon l'avait délaissé. Louis XVIII
fit plus : il le persécuta. On le chassa de l'Institut, on
lui supprima sa pension d'ancien sénateur.
Réduit à la misère, le pauvre évêque constitutionnel
fut forcé, pour vivre, de vendre sa bibliothèque. 11 se
réfugia à Auteuil et se renferma dans une studieuse
retraite où il se consacra tout entier à ses travaux lit-
téraires.
La calomnie ne sut pas respecter cette solitude
pleine de calme et de dignité. « Je suis comme le
granit, écrivait-il; on peut me briser, mais on ne me
plie pas. »
Le gouvernement de Juillet ne répara pas, envers
l'illustre vieillard, les injustices de la Restauration. Il
avait fondé de grandes espérances sur la Révolution
de 1830. Il fut déçu. Rongé par le chagrin, il alla peu
WKÊÊÊ^mm
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MEUHTHE-ET-MOSELLE
à peu s'affaiblissant. Quand il sentit le mal s'aggraver,
il envoya chercher le curé de sa paroisse pour qu'il lui
administrât les sacrements. L'archevêque de Paris lui
lit. répondre que les secours de la religion ne lui se-
raient accordés que s'il rétractait le serment civique
qu'il avait jadis prêté à l'Assemblée constituante. Le
moribond refusa de souscrire à cette condition qu'il
jugeait déshonorante pour sa mémoire,, et la sépulture
lui fut refusée. Le pouvoir civil dut s'emparer par la
force de l'église de l'Abbaye-aux-Bois, où la messe fut
dite par un prêtre proscrit. Au sortir de l'église, quel-
ques jeunes gens dételèrent les chevaux du corbillard
et traînèrent le corps de l'illustre défunt jusqu'au ci-
metière Montparnasse.
La postérité, plus impartiale que les partis, n'a voulu
voir, en l'évêque Grégoire, qu'un zélé patriote, une
âme éprise de l'amour de la justice, du bien et de la
vérité.
Bien d'autres noms illustres viendraient encore sous
notre plume. Mais l'espace nous est mesuré. Ce que nous
avons dit suffit à montrer que nous avons tout lieu
d'être heureux et fiers d'avoir vu le jour dans ce dé-
partement. Tous ces hommes éminents qui nous ont
précédés dans la carrière, nous stimulent par leur
exemple. Ils nous montrent le chemin du devoir, de
l'honneur, du dévouement. Tous semblent nous dire :
« Voilà ce que nous avons fait pour la patrie. Et vous,
que comptez- vous faire pour elle? »
Paris. — E.
<A 83^W du Bac.