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2001
BIBLIOTHEQUE
SAINTE |
GENEVIEVE
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BRUNEHAUT
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BIBLIOTHEQUE
SAINTE |
nF.NF.VIEVE
OUVRAGES DU MÊME AUTEUR :
Les Césars de Palmyre, Paris, Sandoz et Fischba-
cher, 1877. ,
L'Empereur Titus, Paris, Sandoz et Fischbacher, 1877.
L'Empereur Claude, Paris, Sandoz et Fischbacher, 1876.
Les Chroniques des pays de Rémollée et de Thor, avec
planche. Paris, Meyrueis , 1869. Nouvelle édition.
Grand in- 18.
L'Année triste, Paris, Meyrueis. 1870 et 1874, ino2.
Choix de projets de lois à l'usage des hommes d'État,
Paris, Meyrueis, in-18.
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BRUNEHAUT
LUCiEN DOUBLE
En attendant de Dieu vraie indulgence.
(Epitaphe de Bruneliaut à Autun.J
PARIS
SANDOZ Kl KISCHBACHKR, ÉDITEURS
G. FISCHBACHER, SUCCESSEUR
33, RUE DE SEINE, 3 3
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BIBLIOTHEQUE SAINTE-GENEVIEVE
910 806875
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AVANT-PROPOS
Devant l'éternité les siècles ne sont même pas
des secondes, et des milliers d'années ne sont,
pour des êtres mieux organisés et plus dura-
bles que l'homme, que les heures fugitives de
quelque gigantesque journée.
Depuis les âges historiques deux jours à peine
se sont écoulés ; le premier naît avec Homère;
sur les mers vierges de l'Archipel flottent les
navires de Grèce-, par une guerre, la guerre de
Troie, s'ouvre l'histoire de nos races européen-
nes, et le casque brillant d'Achille a comme
un reflet d'aurore.
Le soleil monte à l'horizon : c'est le matin :
tout reluit, tout resplendit, c'est Périclès qui
gouverne, c'est Socrate qui raisonne, Alcibiade
qui déraisonne, Phidias qui sculpte, Apellequi
peint, et Léonidas qui meurt. L'humanité sem-
ble à son printemps.
Puis vient le midi, vient l'été, la chaleur
— 2 —
lourde du jour; on la sent dans cette majesté
romaine qui pèse sur le monde ; de chauds
rayons de grand soleil illuminent les Colisée,
les Panthéon; alourdie, l'humanité semble se
reposer et sur son affaissement veille l'œil fauve
des Césars.
Mais voici qu'à l'horizon, au delà des mon-
tagnes assombries, au delà des grands fleuves
du Rhin et du Danube dont les eaux glau-
ques sous le souffle du crépuscule coulent fris-
sonnantes et froides, apparaissent formidables
les nuages des invasions.
Le soleil décline : c'est le crépuscule et c'est
l'automne; Rome succombe, je ne sais quel
vent de mort et de froidure souffle sur l'Europe
entière; les Césars ont disparu dans les boues
de Ravenne, et les rois barbares régnent sur
les ruines de l'empire.
Plus tard va venir la nuit, l'hiver de cette
triste époque improprement nommée le moyen
âge. C'est le temps des longues nuits, des
grandes neiges et des grands fléaux ; les guer-
res sont des guerres de cent ans, les danses
des danses macabres ; tout est noir ; les seules
lueurs qu'on distingue sont celles des bûchers
de Jeanne d'Arc et de Jean Huss.
— 3 —
Enfin va se lever un nouveau jour; du chaud
pays d'Italie nous vient la Renaissance; aux
bords du fleuve de Loire, dans la brume trans-
parente des matinées de printemps, j'entends
déjà du Bellay chanter sa villaneUe à la cha-
leur du jota-, bien mieux à la clarté de l'es-
prit; celle qu'on avait crue morte sous les
coups du fanatisme, ensevelie à jamais sous
la pierre froide des gothiques cathédrales,
la Pensée va refleurir dans toute l'Europe;
déjà la science se réveille, et l'humanité, se
hâtant, va marcher de progrès en progrès jus-
qu'aux grands siècles des Pascal, des Arnauld,
des Voltaire et des Diderot ; mais l'épanouis-
sement ne sera pas complet ; je ne sais quel fol
amour d'une mensongère liberté va de nouveau
bouleverser le genre humain ; pour des chimères
on se déchirera, et l'imbécile échafaud de Quatre-
vingt-treize voudra remplacer la Pensée, cette
éternelle et calme souveraine ; puis les grandes
guerres reviendrontcomme aux temps barbares ;
des temps présents, je ne veux pas parler, grand
Dieu ! sommes-nous déjà arrivés à la fin de
notre journée, aux affres d'un second hiver ?
Dans toutes ces heures de l'histoire que nous
venons d'effleurer ensemble, une surtout nous
— 4 —
a frappé ; c'est cette heure crépusculaire, cette
époque- douteuse qui n'est plus l'histoire romai-
ne, qui n'est pas encore l'histoire du moyen
âge. De grands esprits avant nous, l'auteur des
Martyrs, comme celui des Récits des temps
mérovingiens, avaient ressenti la même impres-
sion de charme étrange que nous-même avons
éprouvée.
Quand on parcourt les vieux chroniqueurs
des temps des Clotaire et des Chilpéric, on res-
sent en réalité une très -vivante impression de
nuit qui tombe et d'automne qui vient (le sec
Frédégaire avoue lui-même que le soleil décline
et que le monde se fait vieux). Ce n'est plus
certes ce sentiment de chaleur orageuse qu'on
éprouvait en traversant les plaines desséchées où
brillaient au grand soleil d'Italie les statues
d'airain des Césars de Rome.
On se croit sur une route déserte ; le ciel est
bas, le temps est gris, nuageux ; tout près est
la grande forêt dangereuse au voyageur ; au
loin un profil grêle de clochers et de tourelles
se dessine vaguement sur l'horizon embrumé ;
l'on serre son manteau et l'on presse le pas ;
on sent l'obscurité qui va venir, et, cependant,
l'on se surprend, malgré la rudesse du chemin,
— 5 —
Tâpreté du ciel inclément, à savourer en soi-
même la douceur mélancolique, peut-être la
plus grande de toutes, de ces dernières heures
d'automne qui ont pour elles le charme poignant
du regret.
Dans ce premier automne, dans ce premier
crépuscule de l'histoire humaine, un épisode
nous a surtout frappé, c'est la vie de Brune-
haut; tout le monde connaît la lutte achar-
née qu'elle soutint contre sa rivale Frédégonde;
mais c'est à peu près tout ce que sait d'elle la
masse des lecteurs : Frédégonde, au con-
traire, a plus de réputation ; l'auteur des Ré-
cits des temps mérovingiens l'a mise en
pleine lumière, laissant dans l'ombre la figure
de Brunehaut. La pauvre reine, et c'est là son
plus grand crime, n'a, depuis bien longtemps,
pour elle que les inconnus, les ignorés. Il y a des
siècles qu'un moine sans nom, la prenant en
pitié, recommandait l'âme de Omncctycul à la
vraye indulgence de Dieu, comme nous recom-
mandons sa mémoire à l'indulgence de l'his-
toire. Indulgence ! Est-ce là cependant, grande
reine et fière victime, ce que tu aurais demandé ?
Indulgence, grâce, pardon, ces mots qui conso-
lent les faibles, les humbles, les timides, tu les
■ Il
Il III ■■11- ..»,
_ 6 -
aurais, quoique chrétienne, sans doute repoussés
bien loin ; et, dans ta fierté stoïcienne, héritière
inconsciente des Socrate et des Caton d'Utique,
acceptant loyalement, pour le mal comme pour
le bien, la responsabilité de tes actes, tu aurais
demandé, non l'indulgence, faveur qu'on im-
plore, mais la justice, droit qu'on exige.
BRUNEHAUT
CHAPITRE PREMIER
566— 568
Mariage de Brunehaut et de Sigebert. Les fêtes des noces.
Pre'dominance de l'influence romaine à la cour d'Aus-
trasie. Meurtre de Galeswinthe. Commencements de la
haine et de la lutte de Brunehaut et de Fre'dégonde *.
Vers le milieu de l'année 566, le palais des
rois wisigoths à Tolède était en fête à l'occa-
sion d'une ambassade de Francs venus du
lointain royaume d'Austrasie pour demander
au roi Athanagilde la main de sa fille cadette,
nommée simplement Brune, mais que les
Francs appelèrent, pour lui faire honneur,
Brunechild, la brune héroïne. Aux yeux d'un
* Cette histoire est entièrement tirée des auteurs du vi° et du
vil» siècle: le pape saint Grégoire, Grégoire de Tours, Venantius
Fortunatus, Frédégaire, le moine Jonas, Isidore de Séville, Capi-
tulâmes des rois de France, Chartes et Diplômes ; c'est-à-dire des
sources originales.
— 8 —
peuple civilisé comme Pétaient devenus les
Wisigoths, habitués par un long contact avec
les Romains à toutes les délicatesses, à tout
le luxe raffiné de l'empire en décadence, c'é-
taient cependant d'étranges ambassadeurs que
ces guerriers francs, ces antrustions du roi
Sigebert (i) ; dans les salles de marbre du palais
de Tolède, au milieu des courtisans d'Athana-
gilde vêtus de pourpre et de soie, affectant de
porter avec l'élégance d'un patricien du siècle
d'Auguste la toge et la tunique classiques, les
Francs semblaient de vrais barbares avec leurs
justaucorps de peau mal tannée, leur court
manteau vert de drap grossier, garni de four-
rure de loup, et leur large ceinturon de cuir qui
supportait couteau, scamasaxe et jusqu'à un
peigne; leurs jambes étaient nues, entourées
de bandelettes; pour chaussures ils avaient des
peaux fraîchement écorchées, couvertes de
leur poil, encore tachées de sang caillé. Sur
leurs cheveux teints d'un rouge ardent, coupés
ras par derrière et relevés en grosses nattes
sur le haut du front, ils portaient un lourd cas-
que de fer, de forme conique, rouillé par les
pluies du voyage et les neiges des Pyrénées, et
sur lequel ils clouaient en guise de cimier des
— 9 —
ailes d'aigle, de hibou ou encore de gigan-
tesques chauves-souris.
Brune, que, pour nous conformer à la tra-
dition populaire, nous nommerons désormais
Brunehaut, avait été élevée, comme une prin-
cesse de Rome ou de Byzance, dans l'élégance
et dans le luxe ; néanmoins le farouche aspect
des Francs ne l'effraya pas un instant. Volon-
tiers, elle accepta de régner sur ces guerriers
encore barbares; elle comprit que du moins
c'étaient des hommes, qu'ils étaient une force-,
elle espéra la diriger et elle pensa qu'avec
les Francs on pouvait faire de grandes choses.
Le roi son père, Athanagilde, connaissait
depuis longtemps le danger qu'il y avait à
mécontenter les guerriers du Nord; les Wisi-
goths (2) n'avaient pas oublié la perte de leurs
plus belles provinces de Gaule, enlevées à
leurs pères par Clovis (3), aïeul de Sigebert, et
une alliance avec ce Sigebert, roi d'Austrasic,
le plus vaillant des princes francs, paraissait
à toute la nation une garantie de sécurité
pour ce qu'elle possédait encore en Aquitaine
et en Septimanie.
De leur côté, les ambassadeurs austrasiens,
à la tête desquels se trouvait un des plus
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— 10 —
grands seigneurs de la cour de Sigebert, le
maire du palais Gogon, avaient été charmés
par la grâce et la beauté de Brunehaut, cette
vierge de dix-neuf ans, si différente des femmes
grossières et ignorantes auxquelles ils étaient
habitués. « La jeune fille, disaient-ils, a de la
noblesse dans toutes ses actions, elle est belle
à voir, et ses manières respirent la politesse
et la grâce. »
Les riches trésors que la fille d'Athanagilde
emportait en dot, sa générosité pour les guer-
riers de son escorte, ne firent pas non plus tort
à sa bonne renommée. En outre, pour les
Francs, Brunehaut était comme eux d'un sang
barbare; elle descendait des Wisigoths, ces
aînés de la grande invasion; pour les Gallo-
Romains c'était au contraire une princesse civi-
lisée, qui allait adoucir le rude esprit des Francs :
ainsi, chacun comptait sur elle, la regardait
comme sienne, et la fille des rois wisigoths, au-
devant de laquelle avait été son mari, arriva,
après avoir traversé toute la Gaule, dans ses
nouveaux Etats d'Austrasie, au milieu de l'al-
légresse universelle.
Ce fut dans la ville de Metz, ancienne colonie
romaine, où se trouvaient encore, malgré le
1 1 —
passage des Huns d'Attila, beaucoup de débris
d'une ancienne splendeur, entre autres un cir-
que et une naumachie, que furent célébrées les
noces de Sigebert et de Brunehaut. Elles eurent
un caractère particulier de grandeur et surtout
de délicatesse civilisée qui frappa d'étonnement
les frères du roi d'Austrasie, habitués à épouser
par la simple cérémonie germaine du denier,
et quelquefois même sans cérémonie aucune,
leurs reines, généralement au nombre de trois
ou quatre et prises presque toujours dans
les basses classes franques ou gallo-romaines.
Sigebert en effet, épousant une princesse, une
femme dont le rang était égal au sien, désirait
pour lui complaire, la sachant attachée à la
civilisation romaine, que les fêtes de ses noces
fussent autant que possible dignes de celles que
les rois de Tolède donnaient à leur cour élégante
et polie.
Or il y avait justement alors, parcourant le
monde pour y chercher fortune, un étrange
personnage, à la fois héritier des poètes faméli-
ques de l'empire et précurseur des trouvères
errants du moyen âge; c'était le poète Venan-
tius Fortunatus, qui devint plus tard évêque de
Poitiers.
**. —
IIIMIIHIII
mil »
12 —
Voyageant en ce moment en Gaule, allant
d'un monastère à la villa d'un riche Gallo-
Romain, partout enfin où ses vers classiques
pouvaient suffire à payer l'hospitalité, Fortuna-
tus accueillit avec empressement l'invitation qui
lui fut faite de venir à Metz pour rehausser par
l'éclat de son génie poétique les luxueuses
cérémonies que préparait le roi Sigebert.
Bien accueilli par le roi, largement hé-
bergé, et même richement payé, Fortunatus
se mit à composer, pour célébrer l'heureuse
union de son bienfaiteur , un épithalame dans
le goût de Tibulle ou de Properce, qui fut
récité par lui-même au milieu du festin solen-
nel qui termina le jour des noces.
C'eût été pour un vrai poè'te un admirable
spectacle, une vraie bonne fortune que ce ban-
quet du roi Sigebert. Dans une salle immense
♦endue d'un mélange d'étoffes tissées d'or et
soie et de fourrures rares sur lesquelles
étaient attachés de larges boucliers blancs, des
trophées d'armes étranges, d'angons, de fran-
cisques et de scamasaxes, se dressaient de lon-
gues tables chargées de vases et de plats de
toute espèce - ; on y pouvait admirer des mer-
veilles d'orfèvrerie, de grands bassins d'or et
— i3 —
d'argent incrustés à la fois de pierres gravées,
de camées rares et de pierreries brutes, butin
des rois francs, débris des trésors romains ou
burgondes ; et, tout à côté, d'énormes et gros-
siers plats de bois , taillés à coups de hache,
supportaient des sangliers et des cerfs entiers ;
ici, c'étaient de fines coupes en verre de couleur,
la plupart décorées d'émeraudes ou de rubis,
fragiles épaves échappées par miracle aux
rudes étreintes des mains barbares; là, au
contraire, de grandes cornes d'auroch, grossiè-
rement montées en argent, antique héritage des
aïeux de la Germanie. Devant chaque convive,
des rondelles plates de pain sans levain ser-
vaient d'assiettes, assiettes qu'on mangeait au
dessert, alors qu'elles s'étaient imprégnées de
sauces et de jus. Comme mets à l'usage des
nobles francs ou germains, on servait de grosses
pièces de viande rôtie, fortement épicées, qu'ils
déchiraient à l'aide des couteaux qui ne quit-
taient jamais leur ceinture de cuir ; aux évê-
ques, aux nobles gallo-romains, aux sénateurs
d'Auvergne, la province alors la plus civilisée,
on présentait, dans des écuelles d'argent ou
de vermeil, des consommés de volaille, des
ramures de jeune cerf frites et coupées par
— 14 —
minces tranches, des oiseaux délicats accom-
modés au safran, au benjoin, au cumin, et ces
poissons de la Moselle, indignes héritiers des
mulets d'Apicius ou du lurbot de Domitien,
mais qu'avait cependant célébrés le poète
Ausone de Bordeaux. Quant aux boissons,
on versait indistinctement dans toutes les cou-
pes les vins préparés à la mode romaine, l'hy-
pocras, la bière et même le jus sanglant ex-
primé de viandes à moitié cuites.
Les convives étaient la fidèle image de la
confusion de races qui régnait alors dans la
Gaule. Près du roi et de la reine, aux places
d'honneur, se trouvaient les évêques et les
ducs païens des Thuringiens et des Bavarois,
vassaux souvent turbulents du royaume d'Aus-
trasie ; tout le long des tables étaient mêlés les
uns aux autres les antrustions et les clercs, les
guerriers francs , les nobles gallo-romains, les
Wisigoths de l'escorte de la reine, les séna-
teurs des anciennes villes municipales. Il ne
fallait rien moins que la présence du roi pour
empêcher que des querelles ne s'élevassent
entre les hommes de guerre disant hautement
que celui qui savait lire ne pouvait être qu'un
lâche, et les héritiers des grandes familles séna-
— i5 —
toriales regrettant le temps disparu où la bar-
barie des armes germaines le cédait à la majesté
de la toge romaine.
Cependant, le repas ne fut troublé, chose
rare, ni par des rixes, ni par des querelles, et,
lorsque le poëte Fortunatus réclama le silence
pour chanter les louanges des deux époux, tous
Fécoutèrent religieusement. Il est vrai qu'une
grande partie des leudes francs et que la tota-
lité des chefs de Bavière et de Thuringe n'y
comprenaient pas grand'chose, et que les Gallo-
Romains, sevrés depuis longtemps de toute
espèce de poésie, se contentaient, pour admi-
rer, de retrouver au passage la chute classique
de l'hexamètre.
Nous supposons que nos lecteurs n'auraient
pas (et grand Dieu ! qu'ils auraient raison), la
patience des invités du roi Sigebert ; aussi leur
ferons-nous grâce de cet épithalame , bien
inférieur à ce que pourrait composer en quel-
ques heures un médiocre élève de rhétorique.
Disons seulement que Fortunatus trouva le
moyen d'employer cent vingt vers à ne rien
dire -, ce petit poëme n'est qu'un assemblage
de lieux communs, mal rattachés les uns aux
autres; ce qu'on y apprend de plus clair, c'est
«M
■MBS
— ro-
que Brunehaut avait des dents de perles, un
teint de lis et de rose, des yeux brillants
comme le diamant, ce qui peut servir pour
toutes les jeunes mariées, qu'elle était une
Vénus nouvelle et son époux un second
Achille; le malheureux Sigebert aurait aussi
bien pu être assimilé au dieu Mars, afin de ne
pas déroger à la comparaison divine concédée
à sa femme; mais Fortunatus avait besoin
d'une brève et de deux longues, et voilà pour-
tant à quoi tient la réputation d'un homme,
quand c'est un poëte qui écrit l'histoire.
Les débuts du mariage de Sigebert et de
Brunehaut furent véritablement heureux; les
deux époux semblent avoir eu l'un pour l'autre
une sincère affection ; Brunehaut admirait en
son mari le courage indomptable, l'énergie
virile, apanage des races barbares ; il avait de
plus conservé cette honnêteté native, cette can-
deur dont, cinq siècles avant, Tacite faisait hon-
neur aux Germains , mais que tous les autres
Mérovingiens, sans exception, de Clovis jus-
qu'aux frères alors vivants de Sigebert, avaient
complètement perdue par suite du contact cor-
rupteur de la civilisation en décadence dont
— 17 —
les mauvais côtés seuls les avaient séduits.
Quant à Sigebert, il trouvait en revanche
dans Brunehaut une femme douée non-seule-
ment de tous les charmes extérieurs, mais
encore instruite, intelligente, de bon conseil
et de grand secours pour les arguties de la po-
litique, réservées d'ordinaire par les rois francs
à quelque Gallo-Romain, à quelque homme
de la race vaincue dont ils se méfiaient tou-
jours un peu. Grâce à l'influence de la reine,
la cour d'Austrasie, jusqu'alors la plus sau-
vage, la moins civilisée des cours mérovin-
giennes, changea complètement d'aspect -, au
lieu des chefs des tribus germaines de l'autre
côté du Rhin, on y vit affluer les nobles gau-
lois et romains de toutes les parties de l'an-
cienne Gaule.
Bientôt la cour de Sigebert affiche la préten-
tion de ressusciter celle des Théodose et des
Justinien. Parles conseils de la reine, une am-
bassade ira bientôt conclure à Constantinople,
entre l'empereur Maurice et le roi illustre (titre
reconnu aux Mérovingiens par les empereurs
depuis le consulat de Clovis), un traité d'al-
liance, même, chose plus rare à cette époque, un
traité de commerce. L'Austrasie entre vérita-
mm
blement dans le concert des peuples civilisés
réduits alors à l'empire d'Orient et aux États
des rois goths. Brunehaut, qui a renoncé à
l'hérésie d'Arius pour embrasser le catholicisme,
est dès lors bien vue des évêques, cette grande
puissance des temps barbares. Autour de la
nouvelle reine se pressent des hommes de race
romaine, Firminus, comte de Clermont, qu'elle
chargera de ses missions à la cour de Constan-
tinople, Flavianus, qui porte le titre emprunté
à la hiérarchie byzantine de grand domestique,
Florentianus, futur maire du palais, puis un
Wisigoth , le cubiculaire Charigisel , venu
d'Espagne avec la reine et qui sera tué quel-
ques années plus tard, à Tournay, aux côtés de
Sigebert ; enfin, comme pour faire honneur à
la science qui élève les plus humbles au niveau
des plus grands, au milieu de tous ces sei-
gneurs, dans le cercle intime qui entourait la
souveraine, vient prendre place un -simple
esclave, Andarchius, racheté par ordre de Si-
gebert à un sénateur de Marseille. Cet Andar-
chius s'était rendu célèbre dans toute la Gaule
pour sa profonde connaissance de Virgile et
surtout pour sa science du droit romain.
Le droit romain 1 A côté du droit barbare,
m
— ig —
c'était la perfection ; et le rêve de Brunehaut
était de l'acclimater sous le ciel brumeux de
l'Austrasie. Substituer à l'anarchie l'ordre im-
périal, à la guerre intestine la paix civile, faire
fleurir le commerce, les arts pacifiques, bâtir
des palais, mais aussi des hôpitaux et des égli-
ses, construire de nouvelles routes et réparer les
anciennes, en un mot rendre la vie à ce grand
corps meurtri, inanimé, de la Gaule romaine,
faire de ces provinces morcelées, déchirées, un
tout bien homogène, un grand empire , une
France enfin , c'était le rêve de l'épouse de
Sigebert ; peu s'en fallut qu'elle ne réussît et
que l'histoire de la vraie France, au lieu de
dater de Charlemagne ou d'Hugues Capet,
de datât de Brunehaut.
Sigebert eut le mérite de comprendre la
valeur morale de son épouse, il lui abandonna
la direction entière de la politique intérieure
comme de la politique extérieure. Ses États d'ail-
leurs, quelques mois après son mariage, s'étaient
considérablement accrus par suite du décès de
son frère Caribert ; la moitié de Marseille par-
tagée avec Gontran, et plusieurs cités romaines,
entre autres celles de Tours, de Poitiers, d'Alby
et de Bayonne, avaient été réunies à ce que
— 20 —
le roi d'Austrasie possédait déjà outre- Loire,
Quant à lui, laissant Brunehaut organiser ses
États, il ne se réserva que le soin de la guerre
et la direction des armées.
La guerre, du reste, à cette époque, ne res-
tait jamais longtemps sans éclater. Nous allons
bientôt la voir mettre aux prises les trois
royaumes francs qui se partageaient alors la
Gaule.
Tout le monde a lu dans Augustin Thierry
(Récits des temps mérovingiens, chap. i"),
le poétique récit de la mort de Galeswinthe.
On sait que, sœur aînée de Brunehaut , Gale-
swinthe était devenue la femme de Chilpéric, roi
de Neustrie, appelé souvent aussi roi de Sois-
sons, frère de Sigebert et son aîné de quelques
années. Chilpéric, en épousant Galeswinthe,
avait renoncé, pendant quelque temps, à ses
mœurs renouvelées de celles du roi Salomon,
l'auteur de la Sagesse. Mais, bientôt, le royal
couple de Neustrie avait cessé d'être uni; une
des anciennes maîtresses du roi, habile, impé-
rieuse et cruelle, avait repris sur lui tout son
empire ; cette fois, Frédégonde, la fille franque
aux cheveux rouges, avait voulu être reine, et
Galeswinthe , assassinée , avait été dormir
21
l'éternel sommeil à la pâle lueur des lampes
sacrées, sous les voûtes d'une basilique.
A peine la nouvelle de ce meurtre parve-
nait-elle à la cour d'Austrasie-, que l'époux de
Brunehaut appelait aux armes tous ses guer-
riers ; Gontran lui-même, le roi de Bourgogne,
- quoique ami du repos et de la paix, partagea
Tindignation de Sigebert ; il fit, comme lui,
proclamer son ban de guerre dans tous ses
États -, et Chilpéric, mal soutenu par ses leudes,
qu'avait peut-être indignés ce lâche attentat,
mais qu'avait sûrement effrayés l'alliance des
deux rois, Chilpéric se vit bientôt, malgré tous
ses efforts, réduit aux dernières extrémités.
Heureusement pour lui que Gontran, en sa
qualité d'aspirant à la canonisation, s'avisa de
l'impiété qu'il y avait à se faire la guerre entre
frères; il s'interposa comme médiateur entre
Sigebert et Chilpéric. Sigebert lui-même, mal-
gré toutes les obsessions, toutes les prières de
Brunehaut pour qu'il continuât la lutte, con-
servait au fond du cœur un reste d'affection
fraternelle pour le misérable Chilpéric ; il céda
aux instances de Gontran ; au nom de Brune-
haut, il accepta le prix du sang, le mr-gheld, et
l'élite des Francs des trois royaumes, présidée
MW
— 22 —
par le roi de Bourgogne, accorda à la reine
d'Austrasie les cinq villes de Bordeaux, Limo-
ges, Cahors, Béarn (très-probablement Maslac,
près Orthez), et Bigorre (Tarbes), que l'infor-
tunée Galesvvinthe avait reçues comme douaire,
de son meurtrier.
Brunehaut, devant la ferme résolution de
son mari, qui ne voulait pas lutter contre son
frère, se vit forcée d'accepter cette compensa-
tion, suffisante aux yeux des Francs pour payer
le sang de sa sœur. Mais, pour elle, elle voua
à Chilpéric et surtout à Frédégonde une de ces
haines terribles qui éclatent et tonnent dans la
sombre histoire des vieux âges comme un vol-
can dans la nuit.
■ —jw» n»yw
CHAPITRE II
568 — 575
Invasion des Huns, 568. Mauvaise foi de Chilpéric. Ses
incessantes attaques contre Sigebert, bj3. Défaite de
Chilpéric. Sigebert et Brunehaut à Paris, 5y5. Départ de
Sigebert pour Tournay. Saint Germain de Paris.
Il y avait peut-être aussi une autre raison
que l'amour fraternel pour pousser Sigebert à
épargner ce frère dénaturé, qui avait déjà tenté
peu auparavant de lui enlever son trône, en
profitant d'une guerre dangereuse que le roi
d'Austrasie avait eu à soutenir contre les Huns,
et cela dans l'intérêt de toute la Gaule.
Pour la seconde fois, les Huns Avares, in-
vinciblement attirés par les richesses de la
Gaule, s'avançaient contre l'Austrasie. Devant
eux tout fuyait-, la terreur populaire grossissait
encore le danger; les cheveux des Huns, tressés
en longues nattes flottantes , devenaient, dans
les récits du vulgaire , autant de serpents irri-
tés, sifflant comme ceux de la tête de Méduse-,
■■
— 24 —
les cavaliers errants, que l'envahisseur envoyait
battre le pays en éclaireurs , aperçus de loin
aux lueurs douteuses du crépuscule, étaient de-
venus dans l'imagination gallo franque, grâce
à leur accoutrement bizarre, autant de fantômes
et de spectres, muette et effrayante armée qui
servait d'avant-garde à ces hordes qu'on disait
nées des démons et des sorcières.
Cette fois, Sigebert, malgré tout son courage
personnel , ne fut pas victorieux ; ses troupes,
épouvantées, en proie à une superstitieuse ter-
reur , ne voulaient pas combattre , et il en fut
réduit à traiter avec le chef des Huns Avares ;
du. reste, il semble que le roi avait pris auprès
de Brunehaut quelque habitude de la politique
et de la diplomatie; le guerrier franc sut se
montrer aussi négociateur habile; dissimulant
l'effroi des siens , il séduisit par ses manières
civilisées, par des présents habilement distri-
bués, le kan des Avares et son entourage ; bref,
d'un ennemi il sut se faire un allié , qui jura
solennellement de ne jamais plus porter les
armes contre lui.
C'est après cette paix que se place une courte
irruption des troupes de Sigebert dans la Pro-
vence, part du roi Gontran (4). Les historiens
*mm
mm
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— 25 —
accusent le roi cTAustrasie d'avoir fait cette
guerre sans raison; il avait au contraire deux
raisons : la première, c'était qu'il se croyait à
bon droit lésé par Gontran, qui, lors du partage
de la succession de Caribert, avait gardé pour
lui seul tous les trésors de ce prince; la seconde,
c'était un juste mécontentement de ce que Gon-
tran ne fût pas venu à son aide dans sa lutte
contre les Avares, lutte qu'il soutenait pour la
défense commune de tous les royaumes francs.
Puis, Brunehaut le poussait à cette revendication
de toute la Provence; il s'y trouvait en effet une
ville importante, partagée entre les deux frères,
par suite fort mal gouvernée, que la reine d'Aus-
trasie désirait acquérir en totalité; toujours
préoccupée de rendre la vie au commerce, à
l'industrie, ces richesses des peuples civilisés,
elle comprenait tout ce que Marseille, l'antique
métropole du négoce occidental, aurait pu dé-
verser de richesses et, par suite, de bien-être, de
civilisation, dans la Gaule franque, sans les
ineptes exactions des officiers du roi Gontran,
bêtement avides comme tous les fonctionnaires
fiscaux , et toujours en querelle avec les Ro-
mains intelligents et moins rapaces que l'Aus-
trasie leur envoyait comme collègues.
2
— 26 —
Du reste, cette guerre n'eut pas de suite, les
deux frères, n'ayant pas de véritable haine l'un
contre l'autre, entrèrent bientôt en arrangement.
Le calme renaît donc dans les États francs,
.mais ce n'est que pour quelques mois. Voici
maintenant Chilpéric qui, regrettant toujours
les villes cédées à Brunehaut, veut se dédom-
mager en enlevant à Sigebert les deux impor-
tantes cités de Tours et de Poitiers -, il envoie
pour les conquérir son fils Clovis ; mais
Sigebert, et Gontran comme défenseur de
la foi jurée, font marcher leurs troupes contre le
jeune prince neustrien. Clovis, vaincu par le
patrice Mummolus , qui commandait les deux
armées réunies de Bourgogne et d'Austrasie,
s'enfuit avec quelques fidèles jusqu'à Bordeaux
que possède depuis peu de temps Brunehaut,
comme prix du sang de Galeswinthe ; il y entre
par surprise, s'en empare, mais en est bientôt
chassé par le margrave Sigulf (du parti de Si-
gebert), qui appelle à son aide les guerriers des
tribus basques, toujours avides de bataille et
surtout de butin, et les Gallo-Romains des
Landes , qui avaient conservé dans leurs fa-
rouches solitudes l'énergie belliqueuse de leurs
ancêtres.
mmmm
mmmmm
— 2 7 —
Complètement battu, poursuivi une journée
entière par les Basques, qui couraient sur ses
traces en sonnant de leurs trompes de chasse,
Clovis parvint cependant à regagner le royaume
de son père.
En vain Gontran s'interpose : par ses soins
une assemblée d'évêques se réunit à Paris et
veut réconcilier Sigebert et Cbilpéric; au prin-
temps suivant, Chilpéric recommence la guerre
et charge un autre de ses fils , Théodebert, de
conquérir ces deux riches villes de Tours et de
Poitiers, qui lui tenaient tant à cœur; le duc
austrasien, Gondebaud, qui tâche de les défen-
dre, est forcé de battre en retraite. Théodebert
ravage la Touraine, pille même les couvents,
égorge jusqu'aux clercs. Cette fois, c'en est trop;
Brunehaut, Sigebert le reconnaît enfin, avait
bien raison lorsqu'elle le conjurait d'être sans
pitié pour Chilpéric. Il faut en finir, et le roi
d'Austrasie se décide à un grand et redoutable
parti ; il appelle à lui, sous ses catholiques ban-
nières, ornées des images des saints, toute la
Germanie païenne.
Et alors, la Gaule entière tremble d'épou-
vante; en effet, la Germanie n'a que trop bien
répondu à l'appel de Sigebert. Déjà les Soua-
- 28 —
bes, les Bavarois, les Alamans, les Thuringes,
tous les hommes aux longues moustaches
blondes sont entrés en Austrasie; le Rhin est
franchi, les païens sont dans la Gaule. Sigebert
leur a promis les trésors du roi de Soissons,
aussi leur nombre augmente de jour en jour;
c'est une véritable inondation de barbares •, sur
tous les grands chemins qui de la Germanie
mènent à la Gaule, on ne voit plus que des
hordes sauvages, se hâtant de gagner les cam-
pagnes où mûrit la vigne, les villes où l'or se
récolte à coups d'épée, comme dans les grandes
forêts le bois à coups de hache.
Les évêques de Gaule prient Dieu de dé-
tourner les effroyables calamités qui les mena-
cent; Gontran lui-même s'émeut-, il se ligue
avec Chilpéric pour s'opposer à l'entrée des
Germains de Sigebert sur le territoire de Neus-
trie; les évêques lui ont dit que l'invasion bar-
bare est pour les royaumes comme la tache
d'huile pour les étoffes : elle s'étend et gagne
sans cesse. Mais Sigebert ne craint rien; il est
décidé à aller jusqu'au bout, ses bandes sont
réunies, il va envahir la Neustrie. Il arrive au
bord de la Seine, près de l'endroit où elle re-
çoit la Marne, et, pour éviter de la traverser
u mtkx aaBmiaama tA-e imim m .' M at
— 2 9 —
devant les troupes de Chilpéric, massées sur
l'autre rive, il fait un détour de quelques lieues,
gagne le territoire de Gontran dans la plaine
de Melun, et le somme de le laisser passer, en
ces termes brefs et menaçants : « Si, pour ton
malheur , tu ne me laisses pas traverser le
fleuve, je me jetterai sur toi avec toute mon ar-
mée. » Gontran s'épouvante, fait reculer le
corps d'observation qu'il avait sous les murs
de Melun , et laisse Sigebert maître de faire
tout ce qu'il voudra. Le roi d'Austrasie entre
donc en Neustrie; mais Chilpéric fuit devant
lui; des bords de la Seine il recule jusqu'aux
bords du Loir, à Alluye. Vainement Sigebert
le provoque, lui écrit : « Si tu n'es pas un lâche,
arrête-toi enfin et accepte le combat. »
Chilpéric répond par d'humbles prières; il
s'avoue coupable, demande grâce. Gontran,
encore une fois, supplie son frère d'Austrasie
de se montrer clément, lui montre le danger
que font courir à toute la Gaule ces Germains
qui ne respectent même pas toujours les propres
domaines de Sigebert. Et celui-ci, cédant à ses
instances, épargne encore une fois son frère.
Mais Chilpéric était incorrigible ; à peine
quelques mois se sont-ils écoulés qu'il entraîne
— 3o —
le faible Gontran à s'unir avec lui contre Sige-
bert; tandis que son fils Théodebert attaque
les villes austrasiennes de la Loire , Chilpéric
lui-même envahit et met à feu et à sang le ter-
ritoire* de Reims , domaine de Sigebert. C'est
par trop de trahison et d'ingratitude; désormais
rien n'arrêtera plus Sigebert, ni les hommes ni
Dieu même , et il jure à Brunehaut que Gale-
swinthe sera vengée; il rappelle ses Germains,
et ce ne sont plus seulement les trésors du roi
de Soissons qu'il leur promet, c'est la Neustrie
tout entière. Les villes, les terres, les hommes,
tout est à eux, ils n'ont qu'à venir le prendre.
Gontran, épouvanté, rompt son alliance avec
Chilpéric et sollicite une paix qu'il obtient fa-
cilement; Sigebert n'en veut qu'à Chilpéric.
En quelques jours celui-ci est battu, son fils
Théodebert est, dans une rencontre, tué près
d'Angoulême, ses leudes l'abandonnent; vou-
lant sauver leurs terres promises aux Germains,
ils proposent à Sigebert de le reconnaître pour
leur roi ; toute la Neustrie est prête à se sou-
mettre à sa domination ; et, tandis que Chilpé-
ric , qui a vu tous les siens le fuir comme un
maudit, va chercher un refuge dans les murs
de la forte place de Tournay , où accourent
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— 3i —
bientôt le bloquer les Austrasiens et leurs auxi-
liaires germains, Sigebert, après avoir parcouru
et soumis la Neustrie jusqu'à Rouen, entre
triomphalement dans Paris, l'ancienne capitale
de Clovis, qui va devenir la sienne, et où Bru-
nehaut est venue l'attendre pour lui rappeler
que rien n'est fini tant que Chilpéric vit encore.
Après quelques jours de repos passés auprès
de sa femme et de ses trois enfants, Childe-
bert, son fils, et ses deux filles Ingonde et Clo-
dosinde , Sigebert s'apprêta à se rendre à
Tournay pour y terminer cette guerre qui s'é-
tait si souvent renouvelée. Sur sa route, la
grande assemblée des Francs de Neustrie, réu-
nie à Vitry près de Douai, devait le proclamer
roi , après avoir prononcé la déchéance de
Chilpéric. Tournay était étroitement bloqué,
Chilpéric se sentait perdu-, un seul leude lui
était resté fidèle; quelques rares soldats, des
esclaves d'une fidélité douteuse, c'était là tous
ses défenseurs; Frédégonde, sa conseillère ha-
bituelle, malade, en couches, était réduite au
désespoir et ne savait quoi tenter. Les deux
meurtriers de Galeswinthe se voyaient aux abois ;
la curée n'allait pas tarder.
Et voici qu'alors l'Église chrétienne frémit
— 32 —
du fratricide qui va se commettre; chaque jour
on sentait s'approcher davantage de la gorge
haletante de Chilpéric le couteau du roi-Sige-
bert. L'évêque qui occupait le siège de Paris,
Germain (qu'il ne faut pas confondre avec son
prédécesseur, Germain d' Auxerre) , essaya d'ar-
rêter cette terrible justice en laquelle il ne voyait
qu'un crime. Il écrivit d'abord à Brunehaut
pour qu'elle détournât son mari de ce meurtre
que tous prévoyaient; mais c'était mal con-
naître le* cœur humain que de s'adresser à la
sœur de Galeswinthe pour implorer le pardon
du mari de Frédégonde; Brunehaut ne répon-
dit pas favorablement à la missive épiscopale,
et l'évêque de Paris se résolut à faire une se-
conde tentative, cette fois auprès de Sigebert
lui-même.
C'était le jour fixé pour le départ du roi
d'Austrasie; autour du palais de la Cité (5) se
pressait l'escorte royale, les cavaliers d'élite
enfiévrés d'impatience, Gallo-Romains d'outre-
Loire, vêtus de la cuirasse de peau aux orne-
ments de bronze, Wisigoths venus avec la reine,
couverts de légers habits de toile, armés de la
large épée ibérique, puis les antrustions du roi
brandissant leur angon (6), gigantesque harpon
«P»
— 33 -
de fer qui ne sortait plus des blessures une fois
faites et péchait l'ennemi dans le tourbillon des
mêlées. Bientôt le roi parut, il avait l'air grave
et sévère, on voyait qu'il partait avec une ter-
rible et immuable résolution. Sans parler, d'un
bond il sauta sur son étalon de guerre, et le
groupe des cavaliers se mit en marche. Aux
acclamations de la foule la cité et le faubourg
du Nord furent bientôt traversés. Mais, comme
Sigebert allait franchir la porte, voici que, pa-
reil à un de ces prophètes qui sortaient d'une
caverne ou d'un tombeau pour prédire aux rois
d'Israël les calamités que Jéhovah tenait sus-
pendues sur leur tête, un homme pâle, amaigri
par la fièvre , se jeta à la bride du cheval de
Sigebert, et s' adressant au roi : « Si tu pars, dit-
il, dans l'intention de ne pas tuer ton frère, tu
reviendras victorieux ; sinon, c'est toi qui mour-
ras ! » Cet homme était Germain, l'évêque de
Paris, qui, malade, s'était arraché à son lit
pour parler lui-même à Sigebert. Au milieu du
grand silence qui s'était fait aux paroles de l'é-
vêque, le roi, muet, impassible comme la statue
de la Justice, doucement écarta Germain et
continua sa route ; bientôt l'escorte royale dis-
parut au bout du long chemin qui menait vers
-34-
le Nord, ses bannières s'effacèrent à l'horizon,
la foule, inquiète des prédictions de Germain,
silencieusement rentra dans Paris, et l'évêque,
attristé, retourna prier dans sa sombre basi-
lique.
Cependant, dans le palais des empereurs,
entourée de ses fidèles et de ses flatteurs, Bru-
nehaut, heureuse et rayonnante, se voyait enfin
près de toucher à son but ; elle n'avait plus que
quelques jours à attendre pour voir revenir son
mari avec ces deux joyaux si ardemment con-
voités, la couronne de Neustrie brillant sur son
casque royal et , ballottant au collier de son
cheval de guerre , la tête sanglante de Chil-
péric.
mmmeammmmmmmmm
CHAPITRE III
575 - 5 7 6
Annonce de la mort de Sigebert. Brunehaut, captive de
Chilpe'ric. Mérovée. Le roman de Brunehaut.
Autour de Brunehaut affluaient depuis quel-
ques jours les notables de Neustrie, avides de
lui faire leur cour; évêques, magistrats des
villes, et ceux des chefs de guerre qui n'avaient
pas été appelés à l'armée de Sigebert, se pres-
saient au palais de la Cité, pour faire assaut
de fidélité et de dévouement.
Néanmoins, une vague inquiétude obsédait
depuis quelque temps l'esprit de la reine; les
paroles menaçantes de Germain revenaient
sans cesse à sa pensée; elle sentait planer au-
dessus de sa tête la menace d'une catastrophe.
La catastrophe éclata bientôt; un matin, la
reine se réveille dans un palais désert; étonnée,
elle veut sortir : les portes se ferment devant
elle ; elle demande ses fidèles : ils arrivent à sa
— 36 —
voix, et c'est pour lui répondre qu'ils ne sont
plus les gardes de la reine, mais les geôliers de
la veuve.
En effet, la nouvelle de la mort de Sigebert
venait d'arriver à Paris; on avait appris que le
roi d' Austrasie, au moment même où les Francs
relevaient sur le pavois, avait été poignardé
par deux jeunes gens qu'avait su fanatiser Fré-
dégonde; une révolte avait suivi le meurtre;
les leudes austrasiens, mécontents de l'entou-
rage presque entièrement gallo-romain et wisi-
goth de Sigebert, avaient massacré ses princi-
paux officiers -, les Neustriens, qui se trouvaient
en grand nombre dans l'armée, étaient retour-
nés au parti de leur ancien prince, Chilpéric ;
et Chilpéric lui-même, subitement revenu, grâce
à la formidable énergie de Frédégonde, l'ar-
bitre et le maître tout-puissant de la Gaule,
s'avançait à marches forcées sur Paris, dé-
clarant que les Parisiens répondaient sur- leurs
têtes de Brunehaut et de son fils Childebert,
l'héritier du royaume d' Austrasie. De là, la
terreur de l'entourage de la reine et l'abandon
où on l'avait laissée.
On comprendra facilement quelles durent
être les inquiétudes de Brunehaut pour la vie
MOTS
- 3 7 -
de son jeune fils ; Childebert disparu, l'Aus-
trasie appartenait à Chilpéric, et le digne fils
du roi Clotaire I' r , le fils de l'assassin des en-
fants de Clodomir, et qui plus est l'époux de
Frédégonde, n'était pas homme à reculer de-
vant l'assassinat d'une victime de cinq ans, sur-
tout quand le prix du meurtre devait être un
royaume.
Heureusement, Brunehaut avait conservé un
fidèle, le duc Gondebaud; par les soins de ce-
lui-ci, pendant une nuit sombre, l'enfant, en-
fermé dans un panier, fut descendu d'une
fenêtre du palais; recueilli aussitôt par un hom-
me dévoué au duc, il fut immédiatement em-
mené à bride abattue dans la direction du Nord-
Est; sur la route des relais, une escorte, étaient
préparés, et le jeune prince parvint heureuse-
ment à Metz.
Metz, qui se voyait à la veille de perdre
son titre et ses avantages de capitale, acclame
l'orphelin; la plupart des grands chefs et des
leudes austrasiens, heureux de la longue mi-
norité qu'ils prévoient, élèvent Childebert sur
le pavois consacré, et le fils de Brunehaut se
trouve avoir ainsi sauvé son trône et sa vie, en
dépit de Chilpéric.
- 38 —
A ces nouvelles, Chilpéric, furieux, presse
sa marche; si Childebert lui a échappé, il ne
veut pas du moins perdre Brunehaut, sa pré-
cieuse captive. Bientôt, il arrive sous les murs
de Paris; mais, là, il s'arrête, il n'ose entrer
dans la ville. En effet, lors du partage des
biens du dernier roi de Paris, Caribert, il
avait été décidé que la ville resterait indivise
entre les trois frères survivants : Gontran, roi
de Bourgogne ou d'Orléans ; Chilpéric, roi de
Neustrie ou de Soissons, et Sigebert, roi
d'Austrasie ou de Metz, et que nul des trois
rois n'y entrerait sous aucun prétexte, sans la
permission de ses deux autres frères. Saint Hi-
laire, saint Martin et saint Polyeucte avaient été
spécialement chargés de punir celui qui oserait
enfreindre cette convention ; Sigebert, dans le feu
de la conquête et de la vengeance, ne l'avait pas
respectée, et Sigebert était -mort. Etait-ce un
hasard, était-ce un effet de la vengeance des
Saints offensés? cela donnait beaucoup à ré-
fléchir à Chilpéric.
Enfin le monarque embarrassé eut une idée
lumineuse ; il se fit apporter de nombreuses re-
liques, tout ce qu'on en put trouver aux envi-
rons, convoqua tout le clergé d'alentour, et,
wmmÊÊmmmmmmmtrm*
- 3g -
précédé des châsses d'une centaine de Bien-
heureux et de Martyrs, dûment canonisés, il
entra sous leur protection dans Paris, per-
suadé et convaincu que les Saints, dont il avait
d'ailleurs généreusement payé le concours, le
protégeraient contre la colère de leurs collègues
irrités.
En effet, tout se passa fort bien, et l'évêque
Germain, qui sans doute était depuis longtemps
le partisan du pieux Chilpéric, lui fit même,
comme témoignage de sa satisfaction, la gra-
cieuseté d'opérer un miracle le jour de son
entrée, en rendant à un paralytique l'usage de
ses membres. Le roi, ayant donc repris pleine
confiance devant cette manifestation évidente
de la bonne volonté du Ciel à son égard, se
rendit tout d'abord au vieux palais de la Cité.
Là Brunehaut l'attendait, tenant serrées contre
•elle ses deux filles tremblantes.
Ce fut un moment solennel que celui où se
trouvèrent en présence l'assassin et la sœur
de Galeswinthe, le meurtrier et la veuve de Si-
gebert. D'un côté, une jeune femme, veuve avec
deux enfants, et veuve de la veille, trahie
par les siens, abandonnée de tous ceux qui
— 4° —
l'auraient dû défendre et lui donner leur vie;
de l'autre, le roi Chilpéric et les leudes de
Neustrie, les vaincus d'hier devenus les vain-
queurs d'aujourd'hui, et furieux de leurs dé-
faites; avec eux, des leudes d'Austrasie, traîtres
à la mémoire de leur maître, ceux-là mêmes
qui n'avaient pas attendu que le cadavre de
Sigebert fût refroidi pour acclamer son meur-
trier, et qui, plus acharnés encore que les Neus-
triens, en voulaient d'autant plus à Brune-
haut qu'ils se sentaient plus coupables envers
elle.
Mais, dans toute cette tourbe d'hommes
sanguinaires, qui n'attendaient qu'un geste du
roi pour la massacrer, Brunehaut, de son
admirable instinct féminin, encore aiguisé par
le danger, avait deviné un protecteur.
C'était un jeune homme de haute taille,
de mélancolique figure; tandis que tous les
autres guerriers portaient leurs cheveux ou
relevés sur le front, ou coupés courts, lui, au
contraire, privilège exclusif delà famille royale,
laissait flotter sur ses épaules une opulente che-
velure blonde que le fer n'avait jamais touchée.
Ce jeune homme était Mérovée, fils de Chil-
péric et de cette malheureuse reine Audovère
m
— 4i -
que les intrigues de Frédégonde avaient fait
répudier, puis exiler au monastère de Saint-
Calais. La jeunesse de Mérovée s'était passée
dans ramertume.il sentait peser sur ses épaules,
comme une chape de plomb, la lourde haine
de sa marâtre. Impitoyablement surveillé par
Frédégonde, il avait eu bien des fois à encou-
rir les reproches et la colère, souvent injuste,
de Chilpéric. La prison pouvait l'attendre aussi
bien que le trône, déjà même sa belle-mère
avait essayé de le faire périr par le fer et par
le poison.
Le mot de Virgile est éternellement vrai :
« Rien n'enseigne à compatir à l'infortune com-
me de l'avoir soi-même supportée. » A la vue
de cette reine infortunée, de cette veuve désolée,
Mérovée fut ému; sa pensée le reporta vers le
jour fatal où, chassée du toit de Chilpéric,
Audovère était partie pour l'exil, emportant
avec elle le bonheur de ses fils; et puis, Brune-
haut, pâle dans ses longs vêtements couleur de
mauve, était si belle, d'une beauté si noble et
si différente de celle de toutes les reines barba-
res que le jeune homme avait connues, épouses
de Caribert, de Gontran et même de Chilpéric,
pauvres filles sans naissance, sans instruction,
— 42 -
et qui n'avaient souvent pour elles que le caprice
momentané du maître !
Dès cet instant, Mérovée aima Brunehaut,
d'un amour immense et dévoué; sans se dissi-
muler vers quel abîme il penchait, pour elle il
renonça à tout, à son avenir, à sa vie même ;
il n'eut plus qu'un désir, qu'un but, qu'une
passion, secourir et partager l'immense infor-
tune de la reine d'Austrasie. Ce fut sans doute
grâce à ses instances que Chilpéric, qui éprou-
vait parfois, surtout en l'absence de Frédé-
gonde, une véritable affection pour ses fils,
épargna la veuve de son frère et se contenta de
l'exiler au cœur de la Neustrie, dans la cité de
Rouen. Il lui laissa même une petite partie de
ses trésors, mais non ses deux filles, qui furent
envoyées à Meaux.
Pendant les quelques jours que Brunehaut
passa encore à Paris avant de partir pour le
lieu de son exil, Mérovée prit tous les prétextes
possibles pour parvenir jusqu'à elle, cherchant
à la consoler, à adoucir la tristesse de sa
poignante situation. Brunehaut, de son côté,
inconsciemment se sentit émue de voir dans
son abandon et son deuil naître ce grand et
profond amour. Dans la vie de toute femme
-43 -
sonne une heure, heure parfois heureuse, plus
souvent arrière, l'heure du roman ; c'était dans
les larmes et la captivité qu'elle avait sonné
pour Brunehaut, comme plus tard elle sonnera
pour la reine enchanteresse, Marie Stuart, d'un
de ses mélancoliques sourires changeant le
geôlier en amant.
A peine Brunehaut avait-elle quitté Paris
pour Rouen que Mérovée chercha les moyens
d'aller la rejoindre au plus vite. Par une heu-
reuse coïncidence, Chilpéric préparait juste-
ment alors une expédition pour mettre la main
sur les deux villes, depuis si longtemps con-
voitées, de Tours et de Poitiers ; Mérovée sup-
plia son père de lui donner un commande-
ment dans cette campagne-, 'Mérovée part en
toute hâte-, à peine arrivé à Tours, qui avait
ouvert ses portes à l'armée neustrienne, il en
sort sans prendre de repos, sous le prétexte
d'aller voir sa mère à Saint-Calais près du Mans,
mais, au lieu de la route du Mans, il prend
celle de Chartres, de là gagne Evreux, et, tout
bouillant encore d'impatience, bien qu'épuisé par
ce rapide voyage, il arrive aux portes de Rouen.
Depuis quelques jours, Brunehaut se trouvait
dans la ville, habitant probablement une des
— 44 —
nombreuses dépendances du palais épiscopal,
sous la protection et aussi sous la garde de
Tévêque Prétextât, faible et vénérable vieillard,
doux à tous, indulgent pour tout. L'arrivée
subite, inattendue, du fils de Chilpéric frappa
l'évêque de stupeur. Ce fut bien autre chose
encore quand Mérovée lui apprit quel était le
but de son voyage : revoir, aimer et ne plus
quitter Brunehaut, la mortelle ennemie de son
père. Mais le vieil évêque depuis longtemps
connaissait et chérissait Mérovée ; c'était son
filleul, son fils spirituel. A tous les reproches,
à toutes les observations de Prétextât, Mérovée
trouvait réponse : sans Brunehaut, il mourrait.
Emu de ce grand amour, des larmes de son
filleul, l'évêque de Rouen prêta une main trop
complaisante, ou plutôt trop compatissante, à
l'intrigue qui devait lui coûter si cher. Mérovée
et Brunehaut se revirent et s'aimèrent. A cette
époque, les lois ecclésiastiques, encore un peu
vagues, étaient souvent transgressées. Un jour,
cédant aux prières, aux larmes des deux amants,
Prétextât, croyant le péché moins grand,
voulut du moins les unir, et le beau-fils de
Frédégonde épousa devant les autels du Sei-
gneur la veuve du roi Sigebert. Sans apprêts
— 4^ —
le mariage eut lieu, triste dans l'église vide,
sans chants de clercs ni de vierges, triste com-
me un office des Morts. Et c'était en effet à la
Mort, la pâle fiancée, que venait de se vouer
l'imprudent époux de Brunehaut.
Pendant quelques jours les deux nouveaux
mariés ne songèrent pas à l'avenir ; au con-
traire, ils cherchaient à en détourner leur pen-
sée; ils ne demandaient, ils n'espéraient rien
que quelques heures de félicité; le présent était
tout pour eux, ils sentaient bien que leur bonheur
était sans avenir, qu'il serait court, court comme
un de ces mélancoliques soleils qui rompent
parfois l'uniforme tristesse du ciel gris d'hiver.
Quelques semaines se passèrent ainsi; ou-
blieux des autres, du monde, et chacun d'eux
oublieux de lui-même, Mérovée et Brunehaut
vivaient dans l'évêché de Prétextât qui couvrait
de sa protection ces tragiques amours. Mais
dans Rouen on apprend bientôt que, furieux,
exaspéré, se répandant en épouvantables me-
naces, Chilpéric arrive avec ses gens de guerre.
L'effroi est à l'évèché ; Prétextât tremble pour
ses protégés et cherche le moyen de soustraire
au sort qui les menace les deux infortunés que
sa main a unis.
3.
— 46 —
Sur les vieilles murailles de Rouen, datant
des Romains, il y avait, construite en bois,
une petite chapelle, consacrée sous le vocable
de saint Martin, lieu d'asile vénéré comme
tous les sanctuaires placés sous la protection
de l'un des deux grands patrons des Gaules.
Adossé à l'édifice sacré, et participant au pri-
vilège d'asile, se trouvait un modeste logis, re-
fuge ordinaire de quelques coupables ou de-
quelques malheureux. Ce fut là que Prétextât
conduisit Mérovée et Brunehaut, là qu'il les
confia à la tutelle du saint vénéré, qu'ardem-
ment il pria pour eux. Puis, plus calme parce
qu'il n'avait plus à craindre que pour lui, il
attendit, prêt à tenir tête à l'orage, la venue du
terrible roi de Neustrie.
Chilpéric arriva bientôt, mais l'asile était in-
violable; les exemples étaient fréquents alors
de la manière redoutable dont les saints se ven-
geaient de ceux qui méprisaient leurs droits.
L'excommunication, si terrible aux âmes alors
heureusement superstitieuses des rois mérovin-
giens, serait venue foudroyer Chilpéric, s'il
avait tenté d'arracher par la force les réfugiés
de l'enceinte sacrée.
Dans ces circonstances, le roi voulut user de
^
— 47 -
ruse; il feignit de céder aux prières de l'évè-
que de Rouen, auquel il voua au fond du
cœur une haine de Mérovingien. Il rit parvenir
à son fils et à Brunehaut des messages con-
ciliants, des promesses de pardon et d'affection,
enfin il alla jusqu'à leur jurer sur l'Évangile
que, « si c'était la volonté de Dieu, il ne les
séparerait pas. » ^^
Mérovée crut ^àr la parole de son père ; il
quitta avec Brunehaut l'asile inviolable de la
basilique ; et, le soir même, à la table de Pré-
textât, qui les bénissait les larmes aux yeux,
Chilpéric, Mérovée et Brunehaut rompaient le
pain symbolique.
Deux jours après, entouré des gardes de
Chilpéric, des plus dévoués serviteurs de Fré-
dégonde, Mérovée, prisonnier, partait pour
Soissons, commençant cette longue série d'é-
tapes douloureuses dont la dernière sera le
suicide, et peut-être l'assassinat. Brunehaut
resta captive à Rouen; son court roman est
désormais fini; une seule fois, elle reverra pour
quelques heures Mérovée, que chasseront aussi-
tôt d'auprès d'elle les leudes de l'Austrasie et
qui ira périr à Tournay, victime de Frédégonde.
Dès lors la femme sera morte en Brunehaut ;
1
— 48 —
elle ne sera plus que la reine, législatrice,
guerrière et parfois vengeresse.
En vain, ses nombreux détracteurs l'accu-
seront-ils, dans leur coupable légèreté, sur la
foi de quelques légendes absurdes, de débau-
ches, de nombreuses passions, même de séniles
et honteuses amours; ces accusations s'éva-
nouiront devant l'impartialité de l'histoire,
comme s'écarta désormais l'amour de la couche
fatale au-dessus de laquelle planaient les om-
bres sanglantes de Sigebert et de Mérovée.
CHAPITRE IV
5 7 5 - 584
Le règne de Childebert, 5y5. Révolte de la Champagne en
faveur de Brunehaut, 576. Retour et fuite de Mérovée,
576. Le duc Lupus, 58 1. Dévouement de Brunehaut.
Chilpéric, tuteur de Childebert. Révolte et réaction en
faveur de Brunehaut, 583. Childebert commence à régner
par lui-même, avec les conseils de sa mère. Mort de
Chilpéric, 585.
Entre les deux rivières de la Meuse et de la
Marne s'étendaient de vastes plaines habitées
par une population mélangée de colonies fran-
ques et d'anciennes tribus gallo-romaines ,
mais qui, depuis longtemps vivant côte à côte,
s'étaient fondues en un même peuple. La civili-
sation y était plus avancée que dans le reste
du nord de la Gaule, grâce peut-être au grand
nombre de Romains qui habitaient encore cette
province, cette Campania, mise par les géo-
graphes de l'empire au niveau de l'opulente
Campania d'Italie, grâce aussi sans doute à
I
DO —
l'influence du célèbre siège épiscopal de
Reims et des nombreux établissements reli-
gieux qui s'étaient fondés autour de cet impor-
tant évêché.
Dépendante de l'Austrasie, mais formant en
quelque sorte, sous le titre de duché (ducat us),
un État séparé, la Campania ou Champagne
avait toujours été dévouée à Brunehaut. Quand
ses habitants apprirent la catastrophe de
Rouen, ils voulurent essayer de sauver leur
reine dont les jours leur paraissaient à bon droit
en péril. Tout près d'eux, à Soissons, résidait
alors Frédégonde; ils essayèrent de surprendre
la ville, voulant faire de l'épouse de Ghilpéric
un otage qui leur aurait répondu de la sûreté
de Brunehaut. Malheureusement, cette tentative
échoua, et la Champagne, horriblement rava-
gée, paya cher son dévouement.
Cette prise d'armes ne fut cependant pas tout
à fait inutile pour Brunehaut; les chefs princi-
paux, qui gouvernaient alors l'Austrasie au
nom du jeune Childebert, crurent leur honneur
intéressé à ne pas laisser la mère de leur roi
prisonnière de la Neustrie. Ils la réclamèrent à
Ghilpéric, qui consentit à la leur rendre, n'o-
sant la faire tuer par crainte de Gonttan et de
— 5i
l'Austrasie, et heureux de l'éloigner encore da-
vantage de Mérovée.
Mais, revenue au palais de Metz, Brunehaut,
bien qu'elle portât le titre de reine, se vit sans
aucun pouvoir; les vrais maîtres du royaume,
c'étaient le maire du palais, gouverneur de
Childebert, l'évêque de Reims, iEgidius, mal-
gré son origine romaine tout dévoué au parti
de l'aristocratie franque, puis des ducs, des
comtes, des leudes puissants, amis et compli-
ces du maire et de l'évêque. Sous cette prédo-
minance des chefs austrasiens on sent déjà la
féodalité qui s'agite; plus de pouvoir unique et
central, mais une réunion de chefs des différents
cantons, décidant ce que bon leur semble; op-
pression complète des villes qui sont tenues en
mépris par les rudes chasseurs des grandes
forêts des Ardennes et du Rhin, sujétion com-
plète, de fait sinon de droit, non-seulement
des colons et des serfs, mais même des petits
propriétaires libres, des Francs qu'on forcera
à se faire les clients (plus tard les vassaux) des
leudes principaux, tel est le rêve des ducs et
des comtes des contrées de l'Est en face des-
quels va se trouver Brunehaut.
Ces ducs, ces comtes, c'est Rauching, qui
>
— 52 -
fait enterrer vivants ceux de ses serfs qui se ma-
rient sans sa permission, et qui, nouveau Néron,
éteint les. torches qui éclairent ses banquets
contre la chair nue de ses esclaves-, ce sont
Ursion et Bertfried, qui tenteront avec l'évêque
^Egidius d'assassiner leur roi Childebert. Pen-
dant les premières années qui suivent son re-
tour, Brunehaut va avoir à lutter contre eux,
lutte inégale où seront en jeu son autorité et sa
vie.
Elle crut d'abord avoir contre ces ennemis
un secours, Faide d'un bras dévoué. Traqué de
tous côtés, échappé à mille dangers, portant
encore les marques d'une tonsure imposée, un
jour, Mérovée, son mari, parvient à la rejoin-
dre; son père l'a fait moine, Frédégonde a
lancé sur lui sa meute d'assassins, il a manqué
de périr par les intrigues du duc austrasien
Gontran-Boson ; mais rien n'a pu F arrêter;
murs des couvents, poignards des assassins,
trahison des faux amis, il a triomphé de tout,
et le voilà dans Metz, apportant à sa reine ai-
mée la consolation de son amour et le secours
de son épée.
Mais les leudes sont là, iEgidius, l'évêque
soudoyé par Frédégonde, Ursion, Bertfried,
- 53 —
Rauching et les autres; ils s'apprêtent à livrer
à Chilpéric le fils rebelle qu'il réclame. Encore
une fois, Mérovée n'a plus d'asile; à peine en-
tré dans Metz, il lui faut repartir, reprendre
cette route errante qu'il suit depuis des mois ;
par bonheur, probablement sur la prière de
Brunehaut, quelques-uns de ses fidèles de
Champagne offrirent un refuge au prince fugi-
tif; il resta parmi eux quelques semaines, bien
gardé, défiant toutes les embûches; malheu-
reusement , victime , comme on le sait, d'une
perfidie, il quitta ces populations vaillantes et
dévouées pour se rendre dans le pays de Tour-
nay, où une couronnedevaitl'attendre,etoùil ne
trouva qu'une trahison; prêt d'être livré à Fré-
dégonde , il préféra en finir avec sa vie d'an-
goisse, et se fit frapper par la main de son
frère d'armes, Gaïlen, l'inséparable compagnon
de sa triste fortune.
Brunehaut pleura longtemps celui dont elle
avait bien involontairement causé le malheur et
la mort ; cette funeste fin redoubla sa haine con-
tre le couple royal de Neustrie ; elle parvint à
tirer de sa torpeur habituelle le roi Gontran de
Bourgogne, qui ouvertement la prit sous sa
protection. Elle va pouvoir enfin venger, à la
- 5 4 -
fois, Gales winthe, Sigebert et Mérovée; une
nouvelle alliance va encore l'aider dans sa lutte
avec la Neustrie : sa fille Ingonde (7) est devenue
l'épouse du fils du roi des Wisigoths et Gontran
lui-même vient d'adopter Childebert ; les deux
royaumes d'Austrasie et de Bourgogne sont
unis dans une même pensée ; mais, de nouveau,
inquiets du pouvoir que prend Brunehaut, les
chefs austrasiens s'agitent, refusent d'obéir à la
reine; ils vont, poussés par iEgidius, jusqu'à se
liguer avec Chilpéric ; ils rejettent pour leur
jeune roi le protectorat de Gontran, et ils osent
demander à Chilpéric d'adopter le jeune Chil-
debert, dont lui-même a tué le père. En vain,
Brunehaut en larmes se précipite-t-elle au mi-
lieu de leur assemblée, et, devant tout le peu-
ple, à genoux, les supplie-t-elle d'épargner à sou
fils cette suprême infamie, tous la repoussent,
restent sourds à ses prières; un seul duc, le Ro-
main Lupus, duc de Champagne, veut prendre
son parti, mais c'est inutilement. Et quelques
jours plus tard, furieux de ses reproches, les
autres leudes, à la tête de leurs bandes en armes,
viennent assaillir chez lui le duc de Champagne.
Tous abandonnent l'homme dont les révoltés
demandent la tête, il reste seul. Seul? non:
— 55 -
au milieu du tumulte, tenant de sa main de
femme une inutile épée, Brunehaut est accou-
rue; elle se jette entre les rangs austrasiens :
« O nobles francs, dit- elle aux soldats, ne per-
sécutez point l'innocent; » elle va continuer à
parler, déjà les soldats l'écoutent ; mais, au ga-
lop de son cheval de guerre, arrive le comte
Ursion : « Retire-toi, femme, s'écrie-t-il, c'est
bien assez que tu aies été notre maîtresse pen-
dant la vie de ton mari; maintenant que ton
fils règne, c'est nous qui sommes les maîtres -,
retire -toi, ou nous t'écraserons sous les pieds de
nos chevaux. »
Mais, sans peur, Brunehaut resta; les sol-
dats, les simples hommes de guerre , avaient
encore un certain respect pour la veuve de leur
roi; ils semblaient hésitants; Ursion craignit
quelque revirement soudain en faveur de la
reine : il laissa s'échapper Lupus. Par exemple,
toutes les richesses du duc de Champagne fu-
rent scrupuleusement pillées par Ursion et les
leudes ses amis qui, feignant de les rapporter
dans le trésor royal , les cachèrent avec soin
dans leurs demeures particulières.
Dès lors, toute l'Austrasie obéit à Chilpéric,
père adoptif de Childebert ; il en profite pour
56
déclarer la guerre à Gontran; deux ducs neus-
triens, Didier ou Desiderius, de Toulouseet Bla-
dast de Bordeaux, envahissent d'abord les pro-
vinces d'outre-Loire appartenant au roi de Bour-
gogne; malgré quelques échecs de Bladast, qui
avait eu l'imprudence des' attaquer aux Gascons
des Pyrénéesdes troupes de Neustrie restent maî-
tresses d'Agen, de Périgueux et de presque tout
le territoire que possédait Gontran dans le sud-
ouest de la Gaule. Encouragé par ce succès,
Chilpéric prépare pour l'année suivante une
formidable invasion contre la Bourgogne pro-
prement dite : trois de ses ducs , Didier ,
Bladast et celui qui commandait à Tours et à
Poitiers, attaquent la Bourgogne au sud par le
Berry, tandis que Chilpéric en personne, à la
tête d'une imposante armée réunie sous les murs
de Paris, vient mettre le siège devant le château
de Melun, qui couvrait de ce côté les frontières
burgondes ; de plus, l'armée austrasienne, en-
traînée et guidée par les leudes du parti
neustrien, se mettait en marche pour le re-
joindre.
Gontran paraissait perdu-, mais l'histoire de
ces temps est fertile en péripéties -, à peine le siège
de Melun était-il commencé que Gontran, qui
1
- 5 7 -
commandait à des troupes plus disciplinées
que celles de son frère, surprend le camp en
désordre de Chilpéric et détruit la plus grande
partie de son armée; presque au même mo-
ment, le petit peuple d'Austrasie, commençant
à s'apercevoir que le joug de la reine Brunehaut
est moins pesant aux humbles et aux faibles
que celui de ses ducs orgueilleux, subitement se
révolte contre eux; l'armée elle-même, qu'ac-
compagne le jeune roi Childebert, s'est soule-
vée en même temps contre ses chefs, et surtout
contre l'évêque iEgidius, pour le moment deve-
nu général ; déjà des voix les accusent de ven-
dre leur pays, de trahir leur roi, et brusque-
ment , un soir , les simples guerriers , excités
par les partisans de Brunehaut, se précipitent
sur les leudes qui les commandent : de ceux-ci
quelques-uns sont tués, d'autres n'échappent à
la mort que par une fuite précipitée. iEgidius,
l'objet principal de la haine populaire, ne trouve
son salut qu'aux pieds du jeune roi Childebert;
réfugié , caché dans la tente royale , il entend
toute la nuit les vociférations des soldats qui
demandent sa tête, et il ne parvient à s'échap-
per qu'au petit jour sur un cheval sans selle,
perdant dans cette fuite ridicule, tant étaient
— 58 —
grandes sa hâte et sa terreur, jusqu'à une partie
de ses vêtements épiscopaux.
C'en était fait une fois encore de la puissance
des grands chefs austrasiens ; aux applaudisse-
ments de tout le peuple, du clerc et du soldat,
de l'habitant des villes et du colon des campa-
gnes, Brunehaut, écartant comme un mauvais
rêve l'adoption honteuse de Chilpéric , repre-
nait son double pouvoir de reine et de mère, et
ce pouvoir d'une femme et d'un enfant allait
donner à la monarchie austro-franque, sinon
la paix à l'extérieur, du moins un peu de
repos, un peu d'ordre à l'intérieur, et enfin une
prospérité inconnue depuis bien longtemps.
Chilpéric, sans armée, effrayé de ces revers,
de la coalition de Gontran et de Brunehaut, se
réfugia avec Frédégonde dans la citadelle de
Cambray -, le dernier fils qui lui restât de Frédé-
gonde venait de mourir ; ceux d'Audovère
n'étaient plus, il était donc sans héritier, et d'a-
près la loi franque ses États devaient revenir au
jeune Childebert, déjà successeur désigné de
Gontran-, Brunehaut, qui caressait toujours le
rêve de l'unité de la domination franque, n'a-
vait donc plus grand intérêt à continuer une
guerre qui pouvait lui aliéner à jamais l'esprit
des Neustriens, et qui ne devait que donner un
peu plus tôt à son fils un royaume qui lui re-
viendrait plus tard par droit de succession.
D'ailleurs le pacifique Gontran, redevenu l'allié
et le conseiller de la reine d'Austrasie, aspirait
après le repos. En outre, Brunehaut sentait
que la réorganisation de ses États, bouleversés
par le mauvais gouvernement des leudes, l'oc-
cuperait trop pour qu'elle tînt beaucoup à con-
tinuer cette guerre intestine; aussi, grâce à
l'entremise de Gontran, une réconciliation, peu
sincère peut-être, ne tarda-t-elle pas à rendre à
la Gaule une tranquillité momentanée.
Brunehaut comprenait bien qu'il y avait tou-.
jours en Austrasie un élément turbulent qui ne
pouvait manquer d'y produire tôt ou tard de
nouveaux troubles ; les chefs de guerre et nom-
bre de leudes voulaient à tout prix, comme
plus tard les hommes d'armes des grandes com-
pagnies, combattre et gaigner. Brunehaut eut
au VI e siècle, comme l'eut au XIV'' le sage roi
Charles V,l'intelligencede débarrasser son pays
de cette trop active population. Depuis long-
temps elle entretenait de bons rapports avec la
cour impériale de Constantinople, vers laquelle
la portaient tous ses goûts et tous ses instincts
— 60 —
de femme civilisée. Moyennant une somme de
cinquante mille sous d'or, qui devaient remplir
le trésor royal mis à sec par jEgidius et ses
amis, elle s'engagea à combattre, pour le compte
de l'empereur, les Lombards(8), qui menaçaient
alors le peu de provinces que l'empire d'Orient
eût conservées dans la péninsule italienne. Le
jeune Childebert, alors âgé de quinze ans en-
viron, prit, sous latutelle de ducs expérimentés,
le commandement de l'expédition. Du reste,
cette guerre fut de courte durée; les Lombards,
effrayés, se soumirent en offrant de payer tribut,
et Childebert , sans doute rappelé par Brune-
haut, regagna le pays des Francs où se prépa-
raient de grands événements.
Le roi Chilpéric venait de marier sa fille
Ringonthe à un des fils du roi des Goths , et
il avait trouvé d'une haute économie politique
de lui donner en dot, malgré les réclamations
de Brunehaut, plusieurs villes et cantons d'A-
quitaine qui appartenaient au royaume de Chil-
debert. Bien loin d'écouter les justes remon-
trances de la régente d'Austrasie, Chilpéric fit
assassiner un de ses ambassadeurs, et ce fut
sans doute à la suite de cet attentat que Bru-
nehaut ordonna à son fils de regagner en
■^1*.
— 61 —
toute hâte son royaume, que menaçait de nou-
veau l'éternelle mauvaise foi du mari de Fré-
dégonde.
Childebert revint donc en Austrasie, et il alla
s'établir sur sa frontière., à Meaux, pour sur-
veiller de près le roi Chîlpéric, fixé alors à Pa-
ris, et pour pouvoir, si toutes les négociations
devaient échouer, envahir, au premier signal de
guerre, les provinces neustriennes.
Cependant, Chilpéric, comme tous ceux de
sa race, grand amateur de vénerie, était venu
passer quelques jours à sa villa de Chelles, à
trois lieues au nord de Paris. Un matin, avant
de monter à cheval pour se rendre à la chasse,
il entra doucement dans la chambre de la reine,
qui, n'étant déjà plus toute jeune, avait l'habi-
tude de s'occuper minutieusement de sa toilette
et de sa coiffure; Frédégonde tournait le dos à
la porte; le roi, avec une aimable familiarité,
qui lui était sans doute peu ordinaire, frappa
légèrement sa femme d'une badine qu'il tenait
à la main. « Finis donc, Landry, s'exclama la
reine avec un mouvement d'impatience. » (Or,
Landry était un jeune comte du palais , d'a-
gréable figure , habile à tous les exercices du
corps.) A cette réponse inattendue, le roi resta
4
- 62 —
un instant stupéfait ; Frédégonde , qui s'était
enfin retournée , s'aperçut un peu tard de sa
méprise, elle voulut se disculper, tourner l'af-
faire en plaisanterie, mais le roi, sans dire mot,
le sourcil froncé, sortit de la chambre de la
reine. Il se jeta sur son cheval, et, galopant
furieusement, disparut dans la forêt. La jour-
née se passa; la nuit venait que le roi n'était
pas encore de retour-, son approche est enfin
signalée; la tête de Frédégonde n'était pas en
ce moment bien assurée sur ses épaules -, la fi-
gure crispée de Chilpéric ne présageait rien de
bon. Le terrible moment approche; voici le
roi dans la cour, devant la porte de son palais;
il s'apprête à descendre de cheval ; fatigué de
sa longue chasse, il appuie, pour quitter la selle,
ses deux mains sur l'épaule d'un de ses servi-
teurs ; au même moment, un inconnu s'approche,
frappe en un clin d'œil Chilpéric de deux coups
de couteau, l'un sous l'aisselle, l'autre en plein
ventre. Le roi vomit le sang, tombe sans voix,
sans souffle, et expire subitement. Frédégonde
avait sauvé sa tête.
CHAPITRE V
584 - 58 7
Suite du règne de Childehert. Gontran protège Frédégonde
et s'empare du royaume de Paris. Révolte de Gonde-
baud, 584. Tentative d'assassinat de Frédégonde. Le duc
Rauching. Complot contre Childebert et Brunehaut.
Traité d'Andelot, 687.
A peine Chilpéric avait-il rendu le dernier
soupir qu'un profond désordre régna dans la
villa de Chelles. Frédégonde, peu sûre de l'af-
fection générale, était partie précipitamment
pour Paris, où elle s'était mise sous la protec-
tion de l'évêque Ragncmode et à l'abri des
murs consacrés de la basilique de Saint-Vin-
cent (aujourd'hui Saint-Germain des Prés). Au
contraire, les trésoriers du roi défunt, suivant
l'invariable habitude des agents financiers de
cette époque , s'étaient empressés de porter à
Meaux, aux pieds de B-runehaut, les richesses
en or monnayé, en lingots, en objets précieux,
-6 4 -
de la couronne de Neustrie, entre autres, un
grand plat d'or dont parle avec amour, à dif-
férentes reprises, le vénérable Grégoire de
Tours, fort amateur, paraît-il, de vaisselle
plate et d'objets d'or. Childebert, qui se croyait
l'héritier de son oncle décédé sans fils, se hâte
de prendre la route de Paris, avide de mettre
à la fois la main sur la ville et sur Frédégonde,
tombée par sa faute dans la triste position où
s'était vue, quelques années auparavant, la
mère du jeune roi d'Austrasie. Déjà d'ailleurs,
sans trouble, sans révolte, la Neustrie s'apprête
à reconnaître comme rois Childebert et Gon-
tran, car ce sont les derniers Chevelus.
Mais, nouvelle péripétie, Frédégonde pro-
duit tout à coup un enfant de quatre mois ;
c'est un fils qu'on a cru mort en naissant, celui
dont elle est accouchée à Cambray; par crainte
du fer et du poison, on l'a, dit-elle, élevé se-
crètement dans une villa perdue au fond des
bois \ mais c'est bien le fils de Ghilpéric, et elle
réclame, pour lui comme pour elle, la protec-
tion de Gontran. « Que mon seigneur, lui fait-
elle dire, vienne en grande hâte, qu'il prenne
possession du royaume de son frère ; je suis la
mère d'un petit enfant que je désire lui con-
~ 65 —
fier; quant à moi, humble veuve, je m'en re-
mets à sa charité. »
Gontran, ému de cet appel touchant, alléché
par l'espoir de cette importante et profitable
tutelle, et, par-dessus tout, comme on le vit
plus tard, désireux de réunir à ses propres
États la ville de Paris , se rendit immédiate-
ment, avec un corps d'armée, auprès de l'éplo-
rée Frédégonde. A peine était-il entré dans les
murs de l'ancienne capitale de Caribert, que
Childebert arriva de son côté devant Paris, mais
sans pouvoir y pénétrer, la ville étant déjà oc-
cupée par les troupes de son oncle.
Il fallut bien se résoudre à entrer en négo-
ciations; Frédégonde, simple veuve, et Brune-
haut, régente, sont forcées de s'en remettre à
l'arbitrage de Gontran, l'aîné de la famille et,
aux yeux des Francs, le chef de la race méro-
vingienne. Le détail de cette affaire diploma-
tique rappelle vaguement la fable de La Fon-
taine, V Huître et les Plaideurs. Chilpéric'
laisse deux royaumes, celui de Neustrie ou de
Soissons et presque tout celui de Paris, enlevé
en partie à Sigebert (cohéritier de Caribert
comme Chilpéric et Gontran) -, cette partie-là
du moins devrait, comme héritage paternel, re-
4-
66 -
venir à Childebert; mais le bon Gontran rap-
pelle les traités passés jadis entre les trois frères :
il y est dit que celui qui, sans le consentement
de ses frères, entrera dans Paris perdra par cela
même sa part. Or, Sigebert est évidemment
entré dans Paris sans le consentement de Chil-
péric à qui il faisait la guerre et dont il voulait
la tête; il a donc perdu sa part, et cette part,
Gontran se l'adjuge.
Chilpéric, de son côté, est entré dans Paris
sans le consentement de Gontran et sans celui
de Childebert qui représente son père Sigebert :
adjugée à Gontran la part de Chilpéric. Puis,
mis par cette affaire en goût d'agrandissement,
le royal arbitre prétend même qu'adoptant les
deux enfants de ses frères, Childebert et le jeune
fils de Chilpéric, il est réellement leur père et
que, par suite de l'autorité paternelle, tous leurs
États doivent lui appartenir, sa vie durant, en
pleine et entière propriété.
Frédégonde, sans appui, craignant avec rai.
son pour ses jours, accepta tout ce que voulut
Gontran, qui se mit incontinent à administrer
la Neustrie, nommant des comtes et des évê-
ques, percevant surtout des impôts. Mais Bru-
nehaut tint hardiment tête au roi de Bourgogne
- 6 7 -
et défendit les droits de son fils -, elle consentit
seulement à abandonner à Gontran la part
qu'elle pouvait réclamer du royaume de Paris.
« En revanche, lui disait-elle, rends-moi du
moins l'homicide Frédégonde; du moins qu'on
juge celle qui a tué la tante, le père, l'oncle et
les cousins de mon fils le roi Childebert. »
Mais Gontran peu à peu s'était laissé prendre
aux larmes, aux douces manières de Frédé-
gonde, dont la facilité en affaires politiques l'avait
d'ailleurs charmé. « Nous réglerons cela plus
tard, » répondit-il , et pour le moment il n'en
fut plus question.
Le jeune fils de Frédégonde fut reconnu roi
sous le nom de Clotaire II, et Gontran garda
tout le royaume de Paris, essayant de s'y faire
des partisans, surtout dans le clergé, en le com-
blant de présents , et en redonnant force exé-
cutoire aux anciens testaments faits en faveur
des églises (testaments que cassait souvent Chil-
péric, qui en ce cas se substituait volontiers
aux Saints légataires). Au bout de quelque
temps, grâce à l'influence du clergé, le roi Gon-
tran était adoré à Paris ; il avait été solennelle-
ment reconnu comme tuteur de Clotaire par
l'assemblée des leudes, alors peu enthousiastes
— (58 —
de la rapace Frédégonde, et, un jour qu'il
adressa au peuple réuni dans une église les
touchantes paroles suivantes : « Je vous en sup-
plie, vous tous qui êtes ici , tant hommes que
femmes, gardez-moi une fidélité à toute épreuve -,
ne me tuez pas comme vous avez tué mes frè-
res ; laissez-moi au moins trois ans que je puisse
élever mes pauvres neveux Clotaire et Childe-
bert, à qui je sers de père; craignez qu'après
ma mort, Dieu veuille vous l'épargner! vous ne
périssiez avec ces deux malheureux orphelins,
alors qu'il ne resterait de notre race aucun
homme fort pour vous défendre, » tous les as-
sistants se mirent à fondre en larmes et à prier
pour la conservation des jours de leur bon
roi.
Malgré cet enthousiasme populaire, Gontran,
d'après Grégoire de Tours, jugeait cependant
plus prudent de n'aller jamais nulle part sans
être accompagné d'une quantité respectable de
gardes du corps.
Affermi dans l'ancien royaume de Paris, le
roi Gontran, malgré toutes les réclamations de
Brunehaut , avait commencé à s'emparer des
villes d'Aquitaine appartenant à Childebert :
Tours et Poitiers étaient déjà en son pouvoir,
— 6g —
lorsque ses rêves d'ambition furent soudaine-
ment mis à néant.
L'Aquitaine venait de se révolter, et c'était
au génie politique de Brunehaut, craignant pour
Childebert les forces, devenues trop redouta-
bles, de Gontran, maître à la fois de la Bour-
gogne et delà Neustrie, qu'était due cette nou-
velle péripétie.
Depuis trois ou quatre ans vivait,caché dans
les îles d'Hyères, un fils de ce roi Clotaire I er ,
père de Sigebert, de Gontran, de Chilpéric et
de Caribert; né d'une des nombreuses concu-
bines du roi, il avait d'abord été considéré par
Clotaire comme son fils et élevé en conséquence;
puis, la conduite de la mère ayant donné lieu
à quelques soupçons, Clotaire déclara que l'en-
fant n'était pas son fils, mais celui d'un cardeur
de laine; après de nombreuses aventures, traité
tantôt en prince, tantôt en aventurier, ce pseudo •
fils de Clotaire, nommé Gondebaud (ou Gon-
dowald), s'était réfugié auprès du célèbre Nar-
sès, commandant alors en Italie les troupes de
l'empire d'Orient, qui lui avait donné les moyens
de passer à Constantinople, où on l'avait ac-
cueilli comme un véritable membre de la race
royale des Francs. Les empereurs Tibère II et
— 7° ~
Maurice s'étaient intéressés à lui, Pavaient com-
blé de richesses, et, en 58o, Gondebaud avait
cru possible, après s'être entendu avec le tur-
bulent duc austrasien, Gontran-Boson, d'aller
réclamer en Gaule une partie de l'héritage pa-
ternel. A peine était-il arrivé que la ville de
Marseille, habitée de temps immémorial par
une population turbulente comme les Grecs ses
aïeux, et qui supportait assez malaisément l'é-
crasant joug fiscal des Mérovingiens, s'était dé-
clarée pour lui, entraînée d'ailleurs par son
évêque Théodore. Le célèbre patrice Mummo-
lus, l'ancien général de Gontran et le tacticien
le plus renommé de son époque, avait aussi ou-
vert au prétendant les portes de la riche cité
d'Avignon. Mais, là s'étaient bornés les succès
de Gondebaud ; à la nouvelle de l'approche
des armées franques, ses partisans l'avaient
abandonné, notamment le duc Gontran-Boson,
qui trouva moyen de se dédommager du peu
de réussite de l'entreprise, en enlevant au
malheureux prince tout ce qui lui restait d'ar-
gent.
Gondebaud, sans ressources, sans amis, avait
été chercher un refuge dans les îles d'Hyères,
attendant anxieusement une occasion de s'en
- 71 —
retourner à Constantinople, lorsque des émis-
saires de Brunehaut vinrent lui proposer le
trône d'Aquitaine; tout était prêt pour le sou-
lèvement, les deux chefs militaires les plus es-
timés de l'époque, le duc Didier de Toulouse,
que nous avons vu commander une des expédi-
tions de Chilpéric contre Gontran, et l'ex-patrice
de Bourgogne, Mummolus, devaient être à la
tête de l'armée des révoltés ; les soldats ne
manqueraient pas, tous les peuples de l'Aqui-
taine, du noble à l'artisan, abhorrant la domina-
tion des rois francs, qu'ils ne connaissaient que
par leurs exactions fiscales. Gondebaud ne de-
mandait pas mieux que d'accepter les offres
de Brunehaut, et, quelques semaines plus tard,
devant une nombreuse assemblée de chefs et
de sénateurs d'outre-Loire, le fils persécuté de
Clotaire, élevé sur le pavois, était salué du titre
de roi d'Aquitaine, au grand contentement des
populations méridionales, toujours jalouses de
leur autonomie.
Le plan de Brunehaut était habile et bien
conçu; grâce au dernier partage opéré par
Gontran, l'Austrasie ne possédait presque plus
rien en Aquitaine, le roi de Bourgogne s' étant
adjugé, outre son propre lot dans ce pays, tout
- 72 —
ce qu'y possédait l'ancien royaume de Paris,
et de plus, comme tuteur du fils de Frédégonde,
toute la part de la Neustrie, y compris les cinq
données avec de si grands regrets par Chilpéric
cités àBrunehaut,du consentement et sur l'avis
deGontran lui-même, pour payer le sang de Ga-
leswinthe. Quant aux possessions austrasiennes,
on sait qu'elles aussi étaient menacées par cet
avide tuteur de princes mineurs. Gondcbaud
d'ailleurs déclara solennellement qu'il ne faisait
pas la guerre à Brunehaut et à Childebert; il
eut grand soin de respecter les quelques villes
et les quelques cantons qui leur restaient au
sud de la Loire. En peu de jours, Toulouse,
la métropole aquitaine, Bordeaux, Angoulême,
Périgueux,tombèrent au pouvoir du prétendant,
qui lut bientôt maître de presque toute la vaste
étendue de pays s'étendant du Rhône à l'Océan
et des Pyrénées à la Charente.
Toulouse, seule, avait voulu résister, d'après
les conseils de son évêque, qui, dans une pré-
cédente révolte, avait eu fort à souffrir de mau-
vais traitements et d'écrasantes amendes; mais
les habitants, effrayés par la grande quantité de
troupes qui suivaient Gondebaud, trouvèrent
bientôt plus prudent d'ouvrir leurs portes et de
- 73 -
bien recevoir le prétendant. L'évêque lui-même,
Magnulf, consentit par prudence à assister à un
repas de cérémonie donné dans une église au
nouveau roi d'Aquitaine. Partisan de Gontran,
Magnulf, au milieu du repas, entama avec Gon-
debaud lui-même une discussion dangereuse.
« Tu te targues, lui dit-il, d'être fils de Clo-
taire I er , mais nous ne croyons guère que tu dises
vrai, et, quand même tu aurais pour toi le
succès, nous n'en serions pas encore convaincu. »
— « Je suis réellement fils du roi Clotaire I er , re-
partit Gondebaud, je veux reconquérir à présent
une partie de ses États, et je serai bientôt à Paris
où sera le siège de mon royaume. » Choqué de
cette confiance, l'évêque répondit: « Si celaarrive
comme tu le dis, c'est que véritablement il n'y
aura plus de guerriers francs. » Gondebaud,
qui paraît avoir eu à tout le moins la chrétienne
vertu de la patience, feignit de ne pas entendre
la réponse insolente de l'évêque ; mais le pa-
trice Mummolus, placé à côté de Magnulf, s'en
irrita et se mit à souffleter vigoureusement l'é-
vêque; puis, le duc Didier, qui était à l'autre
bout de la table, vint à son tour se mêler à la
querelle; bref, Magnulf fut roué de coups de
lance, de coups de poing et de coups de pied,
5
— 74 —
puis lié avec des cordes et enfin traîné hors de
la ville avec défense d'y rentrer. Le siège épis-
copal n'en fut pas pour cela bien longtemps va-
cant, un partisan de Gondebaud, le clerc Sa-
gittaire, s'étant, dès qu'il avait vu l'issue de
la querelle, offert pour remplacer son évêque.
Il va sans dire que les biens du malheureux
Magnulf furent consciencieusement pillés , et,
chose plus grave, il en fut de même pour les
riches trésors de l'église de Toulouse, au grand
scandale de Sagittaire qui se déclarait volé.
Gondebaud, grâce à ces procédés violents,
faisait tous les jours de nouveaux progrès, et
Gontran commença à trembler pour la Bour-
gogne proprement dite; il voulut se rapprocher
deBrunehaut, soupçonnant qu'elle pouvait bien
être pour quelque chose dans cette guerre ; des
négociations s'engagèrent donc entre lui et la
reine, et une ambassade de leudes austrasiens
vint conférer avec le roi de Bourgogne sur les
moyens de rétablir la paix entre les deux Etats.
Malheureusement Brunehaut, forcée de choisir
ses envoyés parmi les principaux membres de
l'aristocratie, avait dépêché au roi Gontran,
entre autres ambassadeurs, l'évêquede Reims,
iEgidius, à qui elle avait pardonné, et le duc
-75 -
Gontran-Boson. Gontran n'aimait pas^Egidius,
qu'il soupçonnait avec assez de raison de faus-
seté et de traîtrise ; il s'emporta après lui en in-
jures et en menaces; mais, quand il eut vu
Gontran-Boson, celui-là même qui avait été
chercher à Constantinople ce Gondebaud qui
lui ravissait la plus belle partie de ses États, ce
fut bien autre chose, sa fureur ne connut plus
de bornes ; après un échange de violentes paroles
dans le goût homérique, le roi de Bourgogne
refusa formellement de restituer à son neveu les
cités usurpées, les cinq villes du domaine parti-
culier de Brunehaut; il ne voulut pas davantage
consentir à livrer ou même à faire juger Frédé-
gonde, déclarant qu'il ne la croyait pas coupa-
ble. Alors un des ambassadeurs, rude leude
d'Austrasie, peu habitué à la politesse des cours
et exaspéré de ce double refus, apostropha le
roi avec toute la franchise dont se targuaient
les nobles francs : « Nous te disons adieu, roi,
puisque tu refuses de rendre le bien de ton ne-
veu; prends garde, nous connaissons la hache
qui a tranché la tête de tes deux frères, ta tête
aussi sera tranchée. » Et sur ce, les ambassadeurs
sortirent de la salle royale et remontèrent à
cheval pour regagner l'Austrasie; mais, au mo-
-76-
ment où ils passaient sous les fenêtres du roi,
on leur jeta par son ordre tout ce qu'on put
trouver dans les cours et dans les écuries du pa-
lais, de fumier , d'herbe, de paille et de foin
pourris, d'ordures de toute espèce. Et ce fut
dans ce triste appareil que se retira l'ambassade,
littéralement couverte d'immondices, au dire de
Grégoire de Tours.
Cependant, la parole menaçante de l'envoyé,
qui avait rappelé le souvenir funèbre de la mort
tragique des deux rois, avait fait une certaine im-
pression sur Gontran; puis, tout le peuple haïs-
sait Frédégonde, qui déjà du reste regrettait le
pouvoir et recommençait ses intrigues. Bref, le
roi crut plus prudent de l'éloigner de sa rési-
dence, et il l'envoya habiter cette même ville
de Rouen où avait été autrefois exilée Brune-
haut. Et, tandis que la destinée de Frédégonde
s'assombrit visiblement , l'étoile de Brunehaut
brille au contraire d'un éclat plus vif; naguère,
les leudes refusaient de venger sa fille Ingonde,
persécutée par son beau-père, le roi des Wisi-
goths, et maintenant ils tremblent devant elle : elle
a pu faire punir un des plus puissants ducs
d'Austrasie, Magnovald, qui avait froidement
assassiné sa femme pour épouser sa belle-sœur;
— 77 —
et les amis du mort n'ont pas osé murmurer. Le
gouverneur,leleudeWandelin,qu'onavaitimpo-
sé à Childebert, n'a plus aucun pouvoir, tellement
que, lorsqu'il mourra quelque temps après, nul
ne songera à prendre sa place, et que la reine sera
assez puissante pour pouvoir déclarer que ce
sera désormais elle seule qui gouvernera avec
son fils. Or, Childebert est jeune, de plus il re-
connaît volontiers toute la supériorité de sa
mère, et Brunehaut est reine, maîtresse abso-
lue , tandis que Frédégonde n'est plus qu'une
exilée, forcée, pour comble de honte, de sup-
porter la présence et la suprématie de son en-
nemi Prétextât, l'ancien protecteur de Mérovée
et de Brunehaut, rappelé en triomphe de l'exil
où l'avait relégué Chilpéric.
Alors, la fougueuse reine de Neustrie semble
prise d'un délire sanglant; elle envoie un assas-
sin pris parmi une troupe de jeunes clercs
qu'elle maintenait auprès d'elle par tous les
moyens, ivresse, séductions de tout genre, dans
un perpétuel état d'exaltation et de dévouement
sauvage; cet homme part pour l'Austrasie : il
doit frapper Childebert et Brunehaut, mais il
s'y prend maladroitement, il est découvert;
Brunehaut lui fait grâce et, dédaigneusement,
-78-
le renvoie à sa maîtresse. Cette clémence d'ail-
leurs profita peu au pauvre diable, car Frédé-
gonde, exaspérée de son insuccès et furieuse de
sa maladresse, lui fit couper à son retour les
pieds et les mains.
Du reste, il faut rendre à Frédégonde cette
justice qu'elle ne se découragea pas : quelques
semaines après cette première tentative, Gon-
tran intercepta une lettre du roi des Wisigoths,
Leuvigild, avec qui il était en hostilité à cause
des mauvais traitements endurés par Ingonde.
Cette missive, qui intéressa fort le roi de Bour-
gogne , était adressée à Frédégonde et conçue
en ces termes : « Fais périr au plus tôt nos en-
nemis Childebert et sa mère-, fais la paix, pour
le moment , avec le roi Gontran , même au
prix de grandes dépenses. Si l'argent venait à te
manquer, nous t'en enverrions en secret; l'im-
portant est d'exécuter ce que nous te deman-
dons. Quand nous serons débarrassés de nos
ennemis, il faudra récompenser l'évêque de
Tarbes, Amélius, et la noble dame Faileube,
qui donnent à nos émissaires le moyen de par-
venir jusqu'à toi. »
Cette lettre donna fort à réfléchir à Gontran;
il craignit qu'après Brunehaut et Childebert,
— 79 —
l'idée ne vînt à Frédégonde de s'occuper de
lui-même. Il résolut en conséquence de se rap-
procher de Brunehaut et de rompre définiti-
vement avec sa rivale. Comme gage de sa ré-
conciliation , il avertit la reine et le jeune roi
d'Austrasie du complot tramé contre eux.
Frédégonde n'en renonça pas davantage à ses
idées de meurtre; elle fit fabriquer deux scama-
saxes spéciaux avec de profondes entailles des-
tinées à recevoir du poison. Puis, elle remit les
deux instruments de mort à deux jeunes clercs
de son entourage, en leur adressant pour en-
couragement le petit discours suivant : « Prenez
ces armes et allez auprès de Childebert; pré-
sentez-vous à lui comme pour demander l'au-
mône; jetez-vous à genoux pour l'implorer, et,
là, frappez-le au flanc. Que Brunehaut, dont
toute l'arrogance repose sur la vie de son fils,
soit entraînée dans sa ruine , et tombe enfin
entre mes mains. Si Childebert est trop bien
gardé pour qu'on puisse l'approcher, frappez
alors Brunehaut elle-même. Si vous perdez la
vie , je comblerai vos parents de richesses et
j'en ferai les premiers de mon royaume. »
Malgré ces brillantes promesses en faveur
de leur famille, les clercs hésitaient un peu; ils
— 8o -
pensaient, avec un égoïsme bien naturel, qu'ils
paieraient presque sûrement de leur tête la haute
fortune de leurs ascendants. Mais Frédégonde
s'y prit si bien, les grisa de telle manière qu'ils
partirent enfin, emportant avec eux un flacon
donné par la reine et qui contenait une liqueur
secrète, tellement énergique qu'elle devait leur
ôter toute terreur.
Quelques jours plus tard, les deux clercs, ar-
rêtés à la cour de Childebert, étaient mis à mort
comme assassins , avant d'avoir pu frapper le
roi ; l'histoire ne dit pas si Frédégonde tint ses
promesses vis-à-vis de leurs familles ; pour
notre part, nous en doutons fort.
Reconnaissant des avis et des ouvertures bien-
veillantes du roi Gontran, Childebert, accompa-
gné de Brunehaut, alla le trouvera sa résidence
de Chalon-sur-Saône. Le vieux roi l'accueillit
à merveille, et, devant tous ses guerriers assem-
blés, il lui remit sa lance royale, sceptre belli-
queux que portaient les Mérovingiens, déclarant
qu'il le faisait son héritier, qu'il l'adoptait so-
lennellement pour son fils (sans prétendre cette
fois à aucun droit de tutelle). En même temps,
il prenait l'engagement de lui restituer tout ce
qui pouvait lui avoir été enlevé.
Cette réconciliation fut la perte de Gonde-
baud, qui, fier de ses succès, commençait d'ail-
leurs à menacer les possessions de Childebert
et annonçait l'intention de réunir sous sa do-
mination exclusive les trois royaumes méro-
vingiens. Quelques semaines après, écrasé par
les forces réunies de Bourgogne et d'Austrasie,
commandées par le comte de l'écurie, le conné-
table de Bourgogne et le patrice, successeur
de Mummolus , il se voyait refoulé jusqu'aux
Pyrénées ; réfugié dans la cité des Convênes
(Saint-Bertrand de Comminges), le roi d'Aqui-
taine fut livré par ses officiers; Mummolus,
son ancien partisan , espérant obtenir miséri-
corde, le remit par trahison entre les mains du
duc Gontran-Boson (venu avec le contingent
austrasien), qui, désireux tout à la fois de rega-
gner les bonnes grâces du roi Gontran, et d'é-
viter toute réclamation de Gondebaud au sujet
des trésors qu'il lui avait volés, brisa d'un
énorme coup de pierre la tête du malheureux
prétendant.
Cependant le rétablissement de la concorde
entre Brunehaut et Gontran avait exaspéré
Frédégonde ; elle cherche à exciter contre eux
les grands de Bourgogne et d'Austrasie, elle
— 82 —
fait prendre, à force d'or et de promesses, les
armes aux chefs sauvages des Bretons, aux
Wisigoths d'Espagne; ses anciennes haines se
réveillent plus ardentes-, le malheureux Prétex-
tât, remonté sur le siège de Rouen, est sa pre-
mière victime : le jour de Pâques 588, il tombe
assassiné au pied même des autels. Par
l'entremise de son dévoué client, l'évêque de
Reims, ^Egidius, elle prépare de nouveau le
meurtre de Brunehaut et de Childebert ; le chef
de ce nouveau complot était le duc Rauching,
qui se prétendait, comme Gondebaud , fils
de Clotaire I er ; aidé des deux comtes Ursion
et Bertfried, il devait faire périr Brunehaut et
Childebert; Childebert, bien qu'il eût à peine
dix-sept ans, avait déjà deux fils, l'un, Théode-
bert, né d'une concubine, l'autre, Thierry, né de
sa femme, la reine Faileube, qu'il venait d'é-
pouser l'année précédente. Ces deux jeunes
princes ne devaient pas être des maîtres bien
gênants , l'un ayant environ un an , et l'autre
étant âgé seulement de quelques semaines; il
fut donc décidé entre les conjurés que l'Austra-
sie serait divisée en deux royaumes séparés ; le
. premier, attribué à Théodebert et formé de la
Champagne et des comtés environnants, devait
— 83 —
être gouverné par le duc Rauching; l'Austrasie
du Nord formerait le second royaume que,
sous le nom de Thierry, dirigeraient Bertfried
et Ursion. Un autre complot, se rattachant à
celui-ci, devait amener également la mort de
Gontran. Un jour, en effet, le roi de Bourgo-
gne, se rendant en toute sécurité dans son ora-
toire pour y faire ses prières habituelles, fut
fort désagréablement surpris d'y trouver un
assassin l'épée levée, qu'avait envoyé là son
ex-protégée Frédégonde.
Décidément Brunehaut valait mieux.
L'assassin est arrêté, mis à la torture, ques-
tionné, d'après les procédés de l'époque, avec
un soin scrupuleux. Cette forme d'instruction
avait toujours le plus grand succès : l'émissaire
de Frédégonde avoue tout ce qu'on lui demande,
entre dans tous les détails : le roi Childebert et
Brunehaut vont être frappés, comme Gontran
a manqué de l'être; et c'est le duc Rauching lui-
même, lui qui se vante d'avoir une main qui ne
tremble pas, qui s'est chargé de porter le coup
fatal. En toute hâte, encore ému du dan-
ger auquel il vient d'échapper, Gontran écrit à
la cour d'Austrasie, et bientôt un rapide courrier
apprend à Brunehaut le danger qui la menace.
— 84 —
Quelque temps après le courrier, Rauching,
qui ne connaissait pas encore ce qui s'était
passé à la cour de Gontran, arrive au palais de
Childebert; à peine ce roi en est-il informé
qu'il envoie en toute hâte, par la poste des ser-
vices publics, des hommes de confiance chargés
de saisir dans les diverses propriétés du traître
ses tablettes et son or. Puis, calme, tranquille,
mais l'œil sur lui , il le fait entrer dans sa
chambre à coucher. Là les deux interlocuteurs
parlent de choses et d'autres ; Rauching cherche
une occasion favorable pour frapper le roi, mais
l'occasion ne se présente pas; peu importe,
pense le duc, rien ne presse encore.
Mais l'entretien tire à sa fin, Rauching prend
congé du roi -, pour sortir de la chambre, dont
l'accès est rendu plus difficile par quelques de-
grés, il soulève la lourde portière qui en ferme
l'entrée; au même moment, tandis que ses
mains sont occupées à soutenir l'épaisse tapis-
serie, les deux gardiens de la porte le saisissent
brusquement par les jambes; il tombe en tra-
vers sur les marches, une partie du corps dans
la chambre, l'autre en dehors; et, à peine son
corps a-t-il touché le plancher qu'il a la tête
hachée à coups d'épée, « tellement que les débris
— 85 —
de sa tête semblaient être de même nature que
sa cervelle (9). »
Cette mort déconcerta les conjurés ; Ursion
et Bertfried, qui avaient déjà réuni une armée
de révoltés, la laissèrent se disperser. Et là, nous
voyons ce qu'on ne voit presque jamais dans
l'histoire de ces tristes époques , un éclair de
bonté, une lueur de compassion ; et c'est encore
à Brunehaut que le mérite en appartient. Bert-
fried, qui avait juré la mort de la reine et de
son fils, était assurément bien coupable, et ce-
pendant elle lui pardonne, elle veut le sauver ;
elle a tenu son jeune enfant sur les fonts bap-
tismaux et elle n'oublie pas ce lien, cependant
bien frêle, qui les a unis autrefois. « Viens te
réfugier auprès de moi, lui écrit-elle, sépare ta
cause de celle des autres conjurés et je te sau-
verai la vie. » Mais Bertfried refuse, il ne croit
pas la partie entièrement perdue pour lui , et
nous le retrouverons plus tard essayant encore
de lutter et toujours protégé par la reine.
Gontran, Childebert et Brunehaut compre-
naient bien à quel danger ils venaient d'échap-
per; cette communauté de périls les rapprocha
— 86 —
davantage. Gontran voulut irrévocablement
déshériter Clotaire, rompre avec Frédégonde ;
les deux rois de Bourgogne et d'Austrasie con-
vinrent d'une entrevue solennelle où ils de-
vaient se rendre avec leurs familles et leurs
conseillers, afin d'ôter de leurs rapports tout
germe de discorde pour l'avenir.
Ce fut le 28 novembre 587 , dans la villa
d'Andelot près Chaumont, que se rencontrè-
rent les deux rois : la famille royale de Bour-
gogne était presque éteinte : il ne restait au roi
Gontran qu'une fille, Clotilde, qu'il aimait ten-
drement et dont l'avenir le préoccupait à bon
droit ; Childebert, au contraire, amenait avec
lui sa mère Brunehaut , sa femme , la reine
Faileube, sa sœur Clodosinde, ses deux fils
Théodebert et Thierry; on aurait bien cru que
l'avenir était là.
Grégoire de Tours nous a conservé le texte
du traité signé à Andelot par Brunehaut, Chil-
debert et Gontran; nous le donnons ici comme
un type curieux des documents diplomatiques
au sixième siècle de l'ère chrétienne :
« Au nom du Christ, les très j excellents sei-
gneurs rois Gontran et Childebert et la très-
glorieuse dame la reine Brunehaut se sont, dans
- 8 7 -
un même sentiment d'amitié , donné rendez-
vous à Andelot, afin de résoudre, après mûre
délibération, toutes les difficultés qui les sépa-
raient ; par l'entremise des évêques et des
grands, avec l'aide de Dieu, pour l'amour de
la ■charité, il a été arrêté, décidé et convenu
que, tant que le Dieu tout-puissant les laisserait
jouir de la vie du siècle, ils se garderaient une
foi et une amitié pure et sincère. Et en même
temps, comme le seigneur Gontran, conformé-
ment au traité qu'il a fait avec le roi Sigebert,
de vénérable mémoire, prétend être en droit de
retenir en totalité la partie qui était revenue à
son frère du royaume de Caribert, et que les
ayant-cause du seigneur Childebert ont déclaré
en son nom vouloir rentrer en possession de
tout ce qu'avait eu son père, il demeure décidé,
suivant une transaction et une détermination
immuables, que la part du royaume de Cari-
bert, qu'un traité avait concédée à Sigebert,
savoir le tiers de la cité de Paris avec son ter-
ritoire et ses habitants, ainsi que les places
fortes de Châteaudun, de Vendôme et tout ce
que ledit Sigebert avait possédé dans les pays
d'Etampes et de Chartres, territoire et habi-
tants, restera à perpétuité au pouvoir du roi
■■
— 88 —
Gontran, en plus de tout ce que ledit Gontran
a eu du royaume de Caribert, du vivant du roi
Sigebert. Par compensation , le seigneur roi
Childebert garde en son pouvoir, à compter
de ce jour, la ville de Meaux, les deux tiers de
celle de Senlis, et en totalité celles de Tours,
Poitiers, Avranches, Aire,Conserans, Bayonne,
Alby avec leurs territoires; et il est convenu
que celui des deux rois qui survivra à l'autre
héritera du royaume de celui qui perdra la lu-
mière du jour, sans laisser de fils, et qu'il
jouira de cet héritage à perpétuité, et, Dieu ai-
dant, pour les siens comme pour lui-même. Il
est convenu d'une façon toute spéciale, comme
une condition que tous doivent scrupuleuse-
ment observer, que tout ce que le roi Gontran
a donné ou, avec la permission de Dieu, pourra
donner encore à sa fille Clotilde, en biens de
tout genre, choses, hommes, villes, terres ou
rentes, restera en sa possession ; et, si la prin-
cesse Clotilde veut disposer à sa volonté de
quelque bien venant du fisc royal ou de ses ef-
fets et de ses fonds, ou bien qu'elle veuille en
faire don, qu'ils lui soient conservés à perpé-
tuité, avec l'aide de Dieu, ne lui soient dérobés
en aucun temps par qui que ce soit, et qu'elle
- 8c, -
les garde en tout honneur, sécurité et dignité,
sous la protection et sous la défense du roi Chil-
debert, ainsi que tout ce qu'elle pourra possé-
der lors de la mort de son père. Le seigneur
roi Gontran promet également que, si par un
effet de la fragilité des choses humaines, ce que
la miséricorde divine veuille bien empêcher, et
ce qu'il ne souhaite pas, il advenait que le roi
Childebert quittât la lumière de ce monde, lui
Gontran encore vivant, il prendrait, comme un
bon père, sous sa protection et sous sa tutelle,
ses deux fils les rois Théodebert et Thierry,
ainsi que les autres que Dieu pourrait accorder
à Childebert; de telle sorte qu'ils pussent jouir
paisiblement de l'héritage paternel. Il protége-
rait de même la mère du seigneur Childebert, la
dame reine Brunehaut, sa fille Clodosinde,
sœur du roi Childebert, aussi longtemps qu'elles
seraient dans les pays des Francs; il en serait
de même pour la reine Faileube : il serait
attaché à elles, comme à une sœur et à des
filles chéries, et les maintiendrait en hon-
neur et dignité, avec tous leurs biens, villes,
terres , rentes ou autres propriétés , et tant ce
qu'elles possèdent présentement que ce qu'elles
pourront, le Christ aidant, acquérir encore,
— go —
afin qu'elles conservent ces biens en pleine sé-
curité Quant aux cités de Bordeaux, Li-
moges, Cahors, Béarn et Bigorre, que Gale-
swinthe, sœur de la dame Brunehaut,a acquises
en venant en France, comme don du lende-
main (présent fait par l'époux le lendemain
du jour des noces, sorte de douaire) et que, d'a-
près un jugement rendu par le très-glorieux roi
Gontran , assisté de l'assemblée des Francs, du
vivant des rois Sigebert etChilpéric il a été con-
venu que posséderait la reine Brunehaut, il est
arrêté à partir d'aujourd'hui que ladite Brunehaut
acquerra la propriété et la jouissance de la ville de
Cahors et de ses dépendances. Les autres cités,
énumérées ci-dessus, seront laissées au roi Gon-
tran à titre viager, et retourneront après lui à la
dame Brunehaut et à ses héritiers qui les possé-
deront en pleine propriété. Avec l'aide de Dieu,
durant la vieduseigneurGontran, elles ne pour-
ront, à aucune époque ni sous aucun prétexte,
être réclamées ni par la dame Brunehaut, ni
par son fils, le roi Childebert, ni par les héri-
tiers de ce roi. Il est également arrêté que le
seigneur Childebert aura l'entière propriété de
la ville de Senlis, et que le tiers qui doit en re-
venir au roi Gontran sera compensé à son
MM
— gi — .
égard par le tiers appartenant au seigneur Chil-
debert dans le pays de Resson (10) »
Le reste du traité, de peu d'importance, a
pour objet d'empêcher les leudes dépendant de
chaque souverain de transmettre à leur idée
leur personne et leur dévouement d'un roi à un
autre et de garantir les possessions accordées
aux églises. On eut soin ensuite d'appeler la
vengeance céleste sur celles des parties qui ose-
raient enfreindre un pacte aussi solennel. Et
toutes les difficultés parurent aplanies à la sa-
tisfaction générale.
Le traité une fois signé, les deux rois procé-
dèrent à un acte de justice, le châtiment du
duc Gontran-Boson, qui, dans le cours de sa
longue carrière, avait trouvé le moyen de trahir
successivement tous ceux qui s'étaient fiés à lui,
d'abord Chilpéric, puis le malheureux Mérovée,
puis Childebert , puis Gontran , puis Gonde-
baud, et qui malgré cela avait eu l'effronterie
de venir assister à la conférence. Gontran-
Boson, à la nouvelle quel'assemblée des Francs,
présidée par les deux rois alliés, venait de le
déclarer digne de mort, s'était réfugié dans une
des dépendances de la villa d'Andelot, occupée
— 92 —
par Tévêque de Trêves, Magnéric; là, après
avoir soigneusement fermé les portes extérieu-
res : « Je sais, dit-il à Tévêque, très-saint pré-
lat, que tu es en grand honneur auprès de nos
rois, j'ai donc recours à toi pour me sauver la
vie. Ceux qui doivent me frapper sont à ta
porte : sache bien que, si je n'échappe pas grâce
à toi, avant d'être tué, je t'aurai tué. O saint
évêque, obtiens mon pardon, ou nous allons
mourir tous les deux. » Et, pour donner plus
de poids à ses paroles, Gontran-Boson appuyait
la pointe de son épée sur la poitrine de Tévê-
que. Celui-ci, effrayé des manières de cet étrange
suppliant, se débattait en criant : « Laisse-moi
sortir, je t'en prie, afin que j'aille intercéder
pour toi auprès des seigneurs rois. » — « Non,
non, répondait Gontran-Boson, je veux que tu
restes avec moi; envoie plutôt un de tes clercs,
qui rendra compte de ce que j'ai dit et qui par-
lera en ton nom. »
Mais, pendant cette discussion, les deux rois
s'impatientaient : « Si l'évêque ne sort pas,
s'écriait Childebert, croyant que le pauvre
Magnéric y mettait de la mauvaise volonté, si
Tévêque ne sort pas, il périra avec son protégé
Gontran-Boson. » — « Mettez le feu à la mai-
- 9 3-
son, disait le roi Gontran,Févêque brûlera aussi
s'il s'obstine à ne pas sortir. »
Sortir! l'évêque infortuné ne demandait que
cela; malheureusement, Gontran-Boson s'y
opposait énergiquement, A la fin cependant,
Magnéric, grâce à ses clercs, put s'échapper
de la maison qui était déjà en flammes et Gon-
tran-Boson resta seul.
Le condamné supporta les flammes pendant
quelques instants ; bientôt , n'y pouvant plus
tenir, il s'élança au dehors; à peine touchait-
il le seuil qu'il fut percé de coups de lance.
Mérovée était vengé au moins d'un de ses per-
sécuteurs.
Mais, si Brunehaut savait punir ses ennemis
ou plutôt les ennemis des siens, elle n'oubliait
pas ses amis. On se souvient de ce duc Lupus
qui s'était compromis pour elle au point de
perdre ses biens et d'en être réduit à s'exiler à
la cour de Bourgogne; Lupus était là, dans la
suite de Gontran; on lui rendit ses terres, ses
honneurs, et tous les dédommagements possi-
bles lui furent accordés.
Tout étant donc arrangé pour le mieux, le
vice puni et la vertu récompensée, comme dans
les romans, Gontran et Brunehaut se firent de
- 94 —
mutuels présents et se convièrent réciproque-
ment, eux et leur entourage, à de splendides
festins. Après quoi, dit Grégoire de Tours, ces
illustres personnes, s'étant embrassées, s'en re-
tournèrent chacune dans leur pays.
CHAPITRE VI
587—596
Châtiment d'Ursion et de Bertfried. Complot contre Bru-
nehaut découvert par la reine Faileube. Nouvelles tenta-
tives d'assassinat de Frédégonde. Déposition d'Mgi-
dius,5o,o. Expéditions deChildebert contre les Lombards.
Mésaventure de Frédégonde à Tournay, 5g i. Mort de
Gontran. Childebert, roi d'Austrasie et de Bourgogne.
Bataille de Droissy, 5g3. Mort de Childebert, 5g5.
Bataille de Latofao, 5g6. Partage des États de Childebert
entre ses deux fils.
La présence de Brunehaut et de Childebert
était en effet fort nécessaire dans leur pays :
les deux révoltés, Ursion et Bertfried, s'étaient
retirés dans une église du canton de Vabre (aux
environs de Carignan, dans les Ardennes), que
sa situation sur une côte escarpée rendait de
facile défense, et paraissaient décidés à s'y main-
tenir. Une expédition fut envoyée contre eux,
et le commandement en fut donné à un beau-
fils du duc Lupus, le comte Godegésile, sur la
recommandation de Brunehaut qui, voulant
~ 9 6-
toujours sauver Bertfried, tenait à ce que la di-
rection de l'entreprise fût confiée à un homme
dévoué comme Tétaient pour elle tous'les mem-
bres de la famille de Lupus. Le refuge d'Ur-
sion et de Bertfried fut incendié par les troupes
austrasiennes ; après une défense énergique,
Ursion fut massacré. Godegésile", suivant les
intentions de Brunehaut, se mit à crier dès
qu'il le vit tomber : « Le principal ennemi du
roi et de la reine est mort ; cela suffit : laissons
la vie à Bertfried. » Grâce à cette intervention
de Godegésile, Bertfried put monter à cheval
et s'échapper.
Mais Childebert était devenu homme : le vieil
instinct sanguinaire de sa race se réveillait
maintenant en lui -, la clémence, c'est une vertu
de civilisé; pardonner, c'était bon pour Bru-
nehaut, pour la fille des rois goths, mais non
pour le descendant de Clovis et des rois sau-
vages du Nord; furieux d'apprendre la fuite de
Bertfried : « Si Bertfried échappe, s'écrie-t-il,
je tuerai Godegésile. » Godegésile eut peur pour
sa vie, il se remit à la poursuite du fugitif, bien
décidé à tout faire pour sauver sa propre tête.
L'évêque Agéric était dans son palais de
Verdun, priant dans son oratoire , lorsqu'un
■I
- 97 —
homme poudreux, sanglant, monté sur un che-
val épuisé, s'arrête devant la demeure épisco-
pale, pénètre dans l'oratoire, se jette aux ge-
noux du prélat, le conjure de le sauver; ce
suppliant , c'est Bertfried qui vient demander
asile; toute l'armée de Childebert est à sa
poursuite; elle arrive, elle entoure la maison;
Godegésile à grands cris réclame le fugitif et
menace l'évêque de la fureur du roi. Agéric ne
sait plus que devenir; il craint la colère de
Childebert, mais il ne voudrait pas non plus
livrer Bertfried; la maison de l'évêque est lieu
d'asile, il parlemente; impatientés, quelques
soldats montent sur le toit, en arrachent les
tuiles, enlèvent toute la couverture, et de là, à
coups de flèche, tuent Bertfried qui essaie de
s'abriter derrière l'évêque. Il paraît qu' Agéric
fut fort choqué de ce manque de respect et ne
pardonna jamais cette aventure à Childebert,
malgré les nombreux présents que lui lit le roi
pour apaiser sa colère.
En tout cas, Bertfried mort, la rébellion était
bien éteinte; les Austrasiens commençaient à
comprendre qu'ils avaient un maître, et, à la
suite de ces exécutions, plusieurs leudes s'en
allèrent à l'étranger, ne se sentant pas la cons-
6
- 9 8-
cience tranquille; des ducs furent changés, un
Romain, Florentianus, tout dévoué à l'influence
de Brunehaut, fut nommé maire du palais, et
l'aristocratie frémissante se résigna enfin à cour-
ber la tête sous ce joug égalitaire qui rappelait
celui des Césars.
Malgré quelques légers différends dont la vé-
ritable cause était le caractère ombrageux, pour
ne pas dire peureux, du roi Gontran, la paix
semblait bien définitivement établie entre l'Aus-
trasie et la Bourgogne. Grégoire de Tours,
dont Brunehaut avait su reconnaître l'incon-
testable supériorité, et qui avait été mandé par
elle à la cour de Metz, s'entremit utilement à
cette occasion entre l'oncle et le neveu. Vers la
même époque une ambassade du roi wisigoth
Reccared était venue solliciter de Brunehaut
la main de sa fille Clodosinde , main qui fut
accordée malgré le triste sort d'Ingonde.
Il était bien rare que Frédégonde laissât
longtemps ses ennemis en repos : un nouveau
complot vint prouver à Brunehaut que sa ri-
vale ne la perdait pas de vue. L'épouse de Chil-
debert, la reine Faileube, étant malade d'une
fausse couche, entendit, pendant qu'on la
croyait endormie, parler à voix basse autour
- 99 —
d'elle d'une conspiration qui la menaçait; l'ins-
tigatrice était une certaine Septimie, chargée
d'élever les enfants de Chiidebert. Faileube
aimait fort Brunehaut qui l'avait fait épouser
à son fils de préférence à une jeune fille de
noble race franque, Theudelinde, que le parti
des leudes protégeait. Elle s'empressa de ra-
conter à sa belle-mère et à son mari ce qu'elle
avait entendu; Septimie fut arrêtée, mise à la
torture. Elle avoua qu'il s'agissait en effet d'é-
carter du roi sa mère et sa femme, et, si l'on
n'en pouvait venir à bout, de le faire périr par
des maléfices {ait as poison); alors les conjurés
régneraient sous le nom des fils du roi. C'est
toujours la même idée que nous verrons se re-
nouveler : on n'ose encore renverser complète-
ment la royauté; mais la féodalité, qui perce
déjà sous l'écorce de l'aristocratie franque, veut
multiplier ces faciles minorités, pendant les-
quelles les grands gouvernent à leur guise.
Septimie avait de nombreux complices :
Droctulf, son amant, gouverneur des enfants
royaux; Sunnégésile, connétable du roi; Gal-
lomagne, référendaire; Septimie fut marquée
au fer rouge et condamnée à tourner la meule
dans une villa du fisc; Droctulf, les cheveux
IOO —
rasés et les oreilles coupées , alla cultiver les
vignes d'un domaine royal. Remarquons ici en
passant l'application de la pénalité romaine.
Sunnégésile et Gallomagne, qui, réfugiés
dans une église, en étaient sortis avec promesse
d'avoir la vie sauve, ne furent condamnés qu'à
l'exil, après avoir été privés des biens qu'ils
tenaient de la libéralité royale. Encore leur
exil fut-il bientôt commué en une amende, sur
la demande du roi Gontran qu'ils prièrent d'in-
tercéder pour eux. Nous verrons plus tard que
cette clémence fut bien mal récompensée, du
moins en ce qui concerne Sunnégésile.
Quelque temps après, pendant que le roi
Childebert était avec sa mère et sa femme sur
le territoire de Strasbourg, les principaux guer-
riers des pays de Soissons (u) et de Meaux
vinrent lui dire : « Donne-nous un de tes fils
auquel nous obéirons, afin qu'encouragés par
la présence d'un prince de ta race, nous puis-
sions mieux résister à tes ennemis et mieux dé-
fendre tes villes. » Childebert eut le tort de se
rendre à cette sollicitation, présage d'un de ces
partages d'État qui furent si funestes pour la
puissance mérovingienne, et l'on s'étonne de
IOI
ne pas voir Bmnehaut s'y opposer de tout son
pouvoir; mais il faut réfléchir que Soissons
était l'ancienne capitale de Ghilpéric , qu'elle
était depuis peu annexée à l'Austrasie; ses
leudes regrettaient leur autonomie, et peut-être
se seraient-ils rejetés dans les bras de Clo-
taire, le fils de leur ancien roi, si Childebert
s'était refusé à leur demande : démembrement
pour démembrement, mieux valait avoir à
Soissons son fils que son ennemi.
Théodebert , fils aîné de Childebert , alla
donc régner à Soissons , mais toujours sous la
tutelle de son père. Les Soissonnais furent
enchantés de voir une nouvelle cour s'installer
au milieu d'eux, et ils firent tout pour préparer
au jeune prince une brillante réception. Une
seule chose manqua à l'entrée du nouveau roi,
la bénédiction de l'évêque ; au grand désespoir
des habitants , leur évêque n'était pas présen-
table; depuis quatre ans, nous dit son collègue
Grégoire de Tours, il avait perdu le sens à
force de boire.
L'installation du fils de Childebert effraya
un peu Contran, qui craignait pour son
royaume de Paris, fort voisin de Soissons. Il
en témoigna son mécontentement par quelques
6.
à
— 102 —
mesures prises contre les Austrasiens, et en
s'exhalant en vaines récriminations contre
Brunehaut qu'il accusait, entre autres choses,
un peu tard il est vrai, d'avoir voulu épouser
ce Gondebaud , dont la révolte l'avait tant in-
quiété. Il fallut, pour lui rendre le repos, que
Brunehaut lui jurât solennellement qu'elle
n'avait jamais voulu prendre Gondebaud pour
mari, pas plus qu'elle ne songeait à nuire, en
quoi que ce fût, au père adoptif de son fils
Childebert.
Mais il y eut quelqu'un d'exaspéré de voir
Théodebert sur le trône de Soissons, ce fut
l'ex-reine de ce royaume; Frédégonde en fut
malade de rage, et, de nouveau, elle voulut
essayer de ces poignards empoisonnés qui lui
avaient déjà tant de fois réussi.
Brunehaut et Childebert étaient à la villa de
Marlheim en Alsace, où l'on élevait Thierry, le
second fils du roi , qu'il avait eu de la reine
Faileube. Childebert allait entrer dans la cha-
pelle dépendant de la villa, lorsque quelques-uns
des gens de sa suite aperçurent un inconnu
qui semblait chercher à s'y cacher. On entoure
cet inconnu, on l'arrête; interrogé, il avouebien-
tôt qu'il a été chargé par Frédégonde de tuer le
— io3 —
roi: « Nous sommes douze hommes, ajoute-t-il,
envoyés par elle ; six sont ici ; les six autres
sont à Soissons , où ils guettent Théodebert.' »
Quant à lui, ajoutait prudemment le prison-
nier, il avait été , au dernier moment , saisi de
remords , et n'avait pu se résoudre à frapper le
roi. Il dénonça d'ailleurs tous ses complices ,
qui, cette fois, furent sévèrement punis; aux
uns on coupa le nez et les mains ; les autres
périrent dans les supplices , sauf deux ou trois
qui , plus heureux , en furent quittes pour la
prison.
Mais l'interrogatoire de cette bande de si-
caires avait fait découvrir bien des choses que ,
depuis longtemps, soupçonnait Brunehaut-,
plus d'un grand personnage australien avait
été compromis. Ce Sunnégésile entre autres,
à qui l'on avait fait grâce quelque temps aupa-
ravant, était du dernier complot, ainsi qu'iEgi-
dius, l'évêque de Reims; on reconnut même
qu'iEgidius avait trempé dans la conspiration
de Rauching, d'Ursion et de Bertfried , et,
comme eux, avait juré la mort de Childebert
et de Brunehaut.
iEgidius fut arrêté dans sa ville épiscopale,
amené à Metz, où le roi s'était rendu et mis
— 104 —
sous bonne garde. Un synode d'évêques fut
convoqué pour 'le juger ; mais il était con-
traire aux privilèges ecclésiastiques d'arrêterun
évêque et de le retenir en prison sans l'assen-
timent de ses confrères. ^Egidius, sur les récla-
mations du clergé, fut remis en liberté et
reconduit à Reims. Il était probablement bien
surveillé, car, quelque temps après, il compa-
rut devant un nouveau synode réuni à Metz;
et voici en quels termes un témoin oculaire
raconte ce procès qui fut, en raison de l'im-
portance de l'accusé, un des événements de
l'époque. L'évêque est amené devant les juges,
ses collègues. Le roi avait chargé le duc Enno-
dius de l'accusation. Ennodius commença par
demander à iEgidius : « Évêque , comment a
pu te venir la pensée d'être infidèle au roi qui
t'avait accordé dans une de ses villes les hon-
neurs de l'épiscopat, et de te dévouer à ce
Chilpéric, le perpétuel ennemi du roi, notre
maître, l'assassin de son père, le persécuteur
de sa mère et le ravisseur de ses Etats ? Et
c'était dans les villes mêmes volées par Chilpé-
ric à ton roi que tu acceptais des domaines
enlevés au fisc royal. » — iEgidius répondit :
« J'ai été l'ami du roi Chilpéric, je ne puis le
i^HBI
— io5 —
nier; mais cette amitié n'a été pour Childebert
la cause d'aucun dommage; les biens dont tu
parles m'avaient été accordés bien avant que
Chilpéric ne fût maître de ces pays, par des
chartes du roi Childebert lui-même. » A cette
affirmation d'/Egidius , Childebert se récrie ; on
fait venir Othon, référendaire du roi à l'époque
de ces prétendues donations et dont la signa-
ture figurait au bas des chartes ; Othon déclare
que cette signature n'est pas la sienne, qu'elle
est évidemment contrefaite. Et , après examen,
les évêques eux-mêmes sont forcés de recon-
naître que leur collègue est un faussaire.
Mais ce ne fut pas tout : on produisit de
nombreuses lettres écrites par l'évêque à Chil-
péric; elles renfermaient bon nombre d'injures
contre Brunehaut ; il y était dit , entre autres ,
dans le style pieux des paraboles , qu'il fallait .
couper la racine pour faire sécher la tige : la
racine, c'était Brunehaut, la tige, c'était Chil-
debert.
Enfin , chose encore plus grave , on présenta
à l'évêque le projet d'un faux traité , imaginé
par lui , où Childebert convenait avec Chilpéric
de partager le royaume de Gontran ; c'était ce
même traité qui, présenté secrètement par iEgi-
— io6 —
dius au roi de Bourgogne, avait occasionné
la rupture de 583 entre lui et Chilpéric et
amené, par suite, la mort d'une multitude
d'hommes et le ravage de bien des villes. Rien
de tout cela ne put être nié par l'évêque, car
le même traité s'était retrouvé dans une cas-
sette du roi Chilpéric, cassette tombée dans
les mains de Childebert lorsqu'on lui avait
apporté les trésors de son oncle, après l'assas-
sinat de la villa de Chelles. De plus, pendant le
cours du procès, arriva un nouveau témoin à
charge, Épiphane, abbé de Saint-Remy, qui
venait déclarer qu'vEgidius s'était vendu à Chil-
péric et à Frédégonde pour deux mille sous
d'or et beaucoup de joyaux ; il indiquait dans
quelles circonstances l'évêque avait reçu l'ar-
gent ; il dévoilait toutes ses entrevues secrètes
avec le roi et la reine de Neustrie. Épouvanté,
confondu, l'évêque finit partout avouer. « Alors,
les évêques, ayant entendu ces choses et soupi-
rant devoir un prêtre du Seigneur coupable de
si grands crimes, implorèrent pour lui un délai
de trois jours, pendant lequel, se recueillant en
lui-même, il chercherait les moyens de se dis-
culper. »
Mais l'évêque de Reims était atterré, se sentait
— 107 —
perdu, et, au bout de trois jours, il se borna à
s'avouer coupable, reconnaissant lui-même qu'il
avait mérité la mort. Les évêques du synode
en eurent pitié, ils obtinrent qu'on lui laissât
la vie : après avoir été dégradé, iEgidius
fut simplement exilé à Strasbourg, et Bru-
nehaut le fit remplacer sur le siège épisco-
pal de Reims par un fils du duc Lupus, par
Romulf, déjà depuis quelque temps dans les
ordres.
Après ces importants procès, qui avaient
prouvé à tous que les grands et les évêques
eux-mêmes n'étaient pas au-dessus des lois,
l'Austrasie paraissait tranquille, et Brunehaut
crut pouvoir renouveler ses tentatives contre
les Lombards d'Italie. L'empereur d'Orient se
plaignait, avec quelque apparence de raison, il
faut le reconnaître, que Childebert n'eût pas
mérité les cinquante mille sous d'or qu'il lui
avait accordés à condition de soumettre les
Lombards au sceptre impérial. On se rappelle
qu'en effet Childebert, loin de remettre les Lom-
bards sous l'autorité impériale, s'était contenté
de leur faire payer tribut à lui-même. Le tri-
but du reste n'avait été payé qu'une fois. Quel-
ques expéditions peu importantes avaient bien
— io8 —
été envoyées contre ces débiteurs récalcitrants,
mais, mal dirigées par des ducs austrasiens,
elles n'avaient produit que peu de résultats. Il
est à remarquer d'ailleurs que les leudes d'Aus-
trasie se laissent battre volontiers quand leur
roi ne les commande pas.
A ce moment de nouveaux rapports s'éta-
blissaient entre les cours de Metz et de Cons-
tantinople; Athanagilde, fils d'Ingonde, petit-
fils de Brunehaut, était tombé au pouvoir de
l'empereur -d'Orient, et Brunehaut écrivait ou
faisait écrire par Childebert lettres sur lettres
à l'empereur, au patriarche, à tous les «rands
de la cour, pour qu'on lui rendît son petit-fils,
qui jouait, ce semble, à Constantinople le triste
rôle d'otage.
Il y eut probablement quelque traité que
nous avons perdu, subordonnant la remise
d'Athanagilde aux services militaires que ren-
drait Childebert en Italie, car nous le voyons
envoyer une dernière expédition contre le roi
des Lombards, Authar, dont la fille venait d'être
fiancée au duc des Bavarois, vassal souvent
insoumis des rois francs. Cette expédition,
conduite par vingt ducs austrasiens, fut, après
quelques succès, réduite à repasser les Alpes,
— 109 —
décimée par les épidémies, suite des excès faciles
à commettre dans les riches plaines lombardes ■
néanmoins les Lombards offrirent d'eux-mêmes
de reconnaître la suzeraineté du fils de Brunehaut
et d'acquitter un nouveau tribut de 12,000 sous
d'or, car ils étaient fort effrayés des victoires
que remportait en Bavière l'armée commandée
par Childebert en personne. En effet , le duc
des Bavarois, allié des Lombards, avait été
constamment battu et finalement détrôné au
profit d'un autre chef dévoué aux intérêts du
roi franc.
De nouveau, voici donc la paix pour l'Aus-
trasie. Les adversaires étrangers sont soumis ,
Frédégonde elle-même est occupée pour le
moment à une autre besogne que ses tentatives
d'assassinat ; elle cherche à rétablir parmi les
gens de Tournay, ses partisans dévoués, l'or-
dre profondément troublé dans les circonstances
suivantes : « Il survint une grande discorde
entre les Francs de Tournay, parce que le
fils d'un d'entre eux injuriait souvent le fils
d'un autre , qui était devenu son beau-frère ,
en lui reprochant de négliger sa sœur pour des
femmes de mauvaise vie. Rien ne corrigeant
le mauvais mari , les deux jeunes gens en vin-
7
— I 10 —
rent à ce point que le frère de la femme se
jeta sur son beau-frère et le tua avec l'aide de
quelques amis; alors les amis du mort tuèrent
à son tour le meurtrier ; puis , tous s'entre-
tuèrent, si bien que des deux troupes il ne
resta qu'un seul homme , parce qu'il n'y avait
plus d'adversaire pour le frapper. »
Cette petite rencontre n'avait fait qu'exciter
les Francs de Tournay ; tout le pays se divisa
en deux partis , et cette querelle de famille de-
vint une véritable guerre civile. Frédégonde,
impatientée de voir tant de gens se faire tuer
pour une autre cause que pour son service,
voulut calmer cette effervescence \ mais, ne pou-
vant arriver à ses fins par la persuasion , elle
eut recours à un de ces arguments tranchants
qu'elle aimait à employer. Elle invita à un riche
banquet les principaux meneurs qui avaient
succédé aux deux jeunes gens ; le banquet fut
copieux \ le vin , l'hydromel , la bière furent
versés à flots, et, la nuit venue, les conviés,
plongés dans toute la béatitude de l'ivresse,
reçurent chacun, pour terminer la fête, un
formidable coup de hache qui fit voler leurs
têtes au mil'eu de la salle. Mais cette exécution
eut un résultat auquel Frédégonde ne s'atten-
— III —
dait assurément pas : les deux partis se réu-
nirent contre elle, l'assiégèrent dans son palais
et envoyèrent immédiatement des messagers à
Brunehaut pour la supplier de venir prendre sa
rivale. Ce n'était pas chose facile que de venir
à bout de Frédégonde : secourue à temps par
quelques partisans, elle put cette fois encore
échapper au danger.
Brunehaut, du reste, eut bientôt une com-
pensation ; Gontran , très-pieux roi , mais très-
versatile allié , mourut fort religieusement à
Chalon-sur-Saône, et fut enseveli en grande
pompe dans l'église du monastère de Saint-
Marcel, où il ne tarda pas, malgré ses crimes,
à acquérir la réputation et bientôt après le titre
authentique de saint à miracles. D'après le
traité d'Andelot, ses États revinrent à Childe-
bert, qui partit immédiatement avec sa mère
pour en prendre possession.
A peine Brunehaut et son fils se sont-ils
éloignés, que Frédégonde, qui, depuis quel-
ques années, travaillait silencieusement, en
prévision de la mort de Gontran , tuteur du
jeune Clotaire, à reconquérir le pouvoir, se
proclame régente et donne la charge impor-
tante de maire du palais à ce comte Landry ,
— 112 —
son complice et son amant. Landry, qui désor-
mais va gouverner avec Frédégonde le royaume
de Neustrie, se jette sur Soissons, l'ancien
patrimoine de Chilpéric. Théodebert , qu'on y
avait envoyé pour faire son apprentissage de
roi , put du moins apprendre à merveille ce que
c'était qu'une complète déroute. Trahi par
beaucoup de ses guerriers , anciens leudes
neustriens qu'avait su facilement gagner Lan-
dry, il n'échappa qu'à grand'peine.
La guerre était mal engagée pour l'Austra-
sie : immédiatement Childebert fit marcher
contre Frédégonde une armée recrutée à la
hâte et composée principalement d'auxiliaires
d'outre-Rhin. Or, ces auxiliaires étaient de
véritables barbares, ayant conservé toutes les
mauvaises habitudes des Germains , entre au-
tres, celle de se fort mal garder et de se griser
en campagne régulièrement tous les soirs. Par
malheur, le jeune roi d'Austrasie, occupé en
Bourgogne , avait assez à faire pour y affermir
sa récente domination. Gondebaud, duc d'Aus-
trasie, ce duc dévoué qui avait sauvé Childe-
bert enfant des mains de Chilpéric, fut mis à
la tête de l'armée ; mais il dut partager le
commandement avec le patricede Bourgogne,
— n3 —
Wintrion, qui commençait à trouver trop
lourde la puissance d'un roi maître des deux
grands royaumes francs. Au début de la cam-
pagne , tout alla bien ; les forces austrasiennes
entrèrent sans difficulté , pillant et ravageant
à leur aise, sur le territoire neustrien. Les
Neustriens , qui tout d'abord avaient reculé ,
s'étaient concentrés dans les environs de la villa
de Braine, où Frédégonde s'était rendue de
son côté, « y faisant beaucoup de présents aux
hommes de guerre, » et cherchant dans les
ressources de son esprit un moyen de vaincre
sûrement l'armée de sa rivale.
Les Austrasiens s'étaient arrêtés à Droissy ,
entre Soissons et Château-Thierry ; leur cam-
pement était établi dans une grande plaine,
coupée de petits bois. On connaissait la pré-
sence de Frédégonde à Braine, c'est-à dire à
quelques lieues, et toute l'armée s'attendait à
une prochaine bataille; cependant, chefs et
soldats n'avaient pris d'autre précaution extra-
ordinaire que de boire de la bière jusqu'à
complète ivresse ; à peine avait-on posé quelques
sentinelles qui , ayant pris part à l'orgie géné-
rale, n'avaient plus qu'une vague notion des
choses réelles.
— ii4 —
La nuit était venue , sombre et tranquille ;
nul autre bruit que celui des sonnettes de
quelques chevaux paissant, comme d'habitude,
aux alentours du camp. L'heure s'avançait,
les feux s'éteignaient, lorsqu'à la lueur indécise
des étoiles, une des sentinelles crut apercevoir
un étrange phénomène ; silencieusement, les
petits bouquets de bois qui garnissaient la
plaine semblaient se rapprocher et entourer le
camp -, étonnée, la sentinelle éveille quelques
camarades, les interroge : « Ne voient-ils pas
comme elle une forêt qui marche ? » Mais on rit
de son inquiétude : « Tu as trop bu , lui répond-
on, tu déraisonnes; n'entend-on pas, comme
d'habitude , les clochettes de nos chevaux qui
paissent paisiblement dans la plaine ? » La
sentinelle se rend à ces observations, et tout
retombe dans le silence.
Cependant, d'un mouvement insensible la
forêt semblait toujours s'avancer vers le camp
austrasien. Le jour allait paraître : fatigués de
leur nuit de veille, engourdis par la rosée du
matin, les gardes s'assoupissaient, lorsque,
tout à coup, au premier rayon d'aurore, la
forêt s abat , le sol se jonche de rameaux , de
branches vertes, et la cavalerie neustrienne
— n5 —
apparaît aux portes du camp , saluant de ses
cris de triomphe la réussite de son strata-
gème ; à la tête de ses soldats est Frédégonde
elle-même, tenant dans ses bras son jeune fils
Clotaire ; en quelques instants le camp est en-
vahi ; surpris dans leur sommeil , les Austra-
siens ne font que peu de résistance ; la plupart
de leurs chevaux ont disparu : ces clochettes,
dont le bruit les rassurait, étaient au cou des
chevaux des Neustriens; en vain, quelques
guerriers d'élite se rassemblent autour de leurs
deux chefs ; Gondebaud résiste , mais Win-
trion, très-probablement gagné par Frédé-
gonde, se hâte de prendre la fuite et décourage
ceux qui veulent lutter encore. Enfin , Gonde-
baud lui-même, après avoir vu tomber à ses
côtés les plus braves de ses compagnons, se
voit réduit aussi à battre en retraite, et Frédé-
gonde est victorieuse. D'après Paul Diacre,
trente mille morts restèrent sur le terrain.
L'année suivante, Brunehaut et Childebert
s'apprêtaient à venger leur défaite; mais Frédé-
gonde s'en était méfiée ; elle soulève les Bre-
tons, vassaux toujours insoumis du royaume de
Childebert, et, en même temps, un des peuples
les plus sauvages du Nord, celui des Warnes,
— u6 -
envahit les provinces septentrionales d'Aus-
trasie. Childebert est forcé de retarder encore
sa vengeance-, il envoie contre les Bretons les
comtes des villes de la Loire à la tête des mi-
lices gallo-romaines de ces cités-, lui-même
marche contre les Warnes, plus redoutables
que les Bretons-, exaspéré de leur attaque, qui
l'empêche d'en finir avec Frédégonde, il les bat
épouvantablement ; son triomphe est si com-
plet, sa vengeance si absolue, qu'à partir de
ce moment le nom des Warnes disparaît à
jamais de l'histoire.
Il revient plus redoutable que jamais; c'est
l'époque où le pape saint Grégoire, lui écrivant
à lui et à sa mère, disait dans ses lettres que
le fils élevé par Brunehaut était autant au-
dessus des autres rois que les rois eux-mêmes
sont au-dessus de leurs sujets. Une précieuse
relique était jointe aux missives du pape ; c'é-
taient des clefs de saint Pierre, faites avec du
fer des chaînes du prince des apôtres, et qui
devaient préserver sûrement celui à qui saint
Grégoire les envoyait, de maladie, d'assassi-
nat, de poison, bref, de tous les maux pos-
sibles.
Frédégonde en dut trembler; mais, en tout
— H7 —
cas, elle se rassura bientôt; à peine de retour
à Metz, prêt à marcher contre la Neustrie,
Childebert se sent fatigué, languissant; il n'a
pas vingt-six ans et il s'affaisse comme un
vieillard; en quelques jours, par une cause
inconnue, la vie se retire de lui : le poison a
fait son office.
Et voici de nouveau Brunehaut qui se re-
trouve sans appui, aïeule de deux jeunes enfants,
dont les leudes veulent lui enlever la tutelle;
la voilà retombée dans une aussi triste situation
qu'au lendemain de la mort de Sigebert ; la
voilà seule; n'importe, l'heureuse Frédégonde,
la protégée du sort , trouvera encore devant
elle debout toujours , prête au malheur comme
à la lutte , sa vieille ennemie Brunehaut.
Au moment même où mourait Childebert, Fré-
dégonde envahissait par l'ouest les domaines du
roi défunt, tandis qu'au nord, vers la Thuringe,
apparaissait l'avant - garde formidable d'une
nouvelle invasion de ces peuplades de Huns-
Avares, sans cesse errantes, roulant, comme
les vagues, des frontières franques aux limites
de l'empire d'Orient, Brunehaut , prise entre
ces deux attaques , traite avec les Avares, les
renvoie au prix de quelque argent ; le vrai
7-
tjt
■M
- 118 —
danger n'était pas là , mais bien du côté de
Frédégonde , qui, sans déclaration de guerre
(à la manière des barbares, avoue lui-même
Frédégaire), avait envahi l'ancien royaume de
Paris. Les deux jeunes fils de Childebert, pen-
dant que Brunehaut s'occupait des Avares ,
étaient bien accourus au-devant de l'armée
neustrienne que commandait Clotaire en per-
sonne, accompagné du maire du palais, Landry,
peut-être bien son véritable père. Mais Landry ,
habile homme de guerre, n'eut pas grand'peine à
triompher à Latofao de l'armée austro-burgonde,
commandée par deux enfants, et composée en
grande partie de leudes ennemis de Brunehaut.
Cette défaite simplifia fort le partage , que ,
malgré les avis et les prières de la vieille reine,
le grand conseil des leudes voulut faire des
Etats de Childebert ; Frédégonde et Clotaire
restèrent en possession du royaume de Paris,
enlevé par leurs armes; Théodebert, l'aîné des
deux fils de Childebert , eut l'Austrasie et les
provinces germaines; Thierry, le cadet, mais
né de la reine Fiileube, eut les royaumes de
Bourgogne et d'Orléans , l'héritage du roi Gon-
tran , auquel on ajouta l'Alsace et le Brisgaw ;
Brunehaut devait avoir la régence d'un des
— U9 —
deux royaumes, ou plutôt la surveillance de
l'éducation de l'un des deux rois. Si la reine
n'avait écouté que ses préférences personnelles ,
elle aurait accompagné Thierry dans la Bour-
gogne, province civilisée, aux villes restées
presque romaines ; Thierry , d'ailleurs , était
son préféré, le fils légitime, tandis qu'elle
doutait fort que Théodebert, dont la mère était
femme d'un jardinier d'une villa royale, fût bien
réellement le fils de Childebert. Néanmoins,
elle se résout à retourner dans cette fatale
Austrasie, où elle a passé de si dures années,
mais où sa présence est plus nécessaire qu'en
Bourgogne : ce n'est pas dans les vieilles cités
municipales de Châlon, de Langres, d'Autun
ou d'Orléans, qu'est le danger qui menace la
civilisation : c'est sur les bords du Rhin, dans
la forêt des Ardennes, dans les gorges du
Taunus, dans les marais de la Saxe. C'est là
qu'il faudra lutter, combattre sans trêve, agir
à toute heure, c'est là qu'ira Brunehaut.
CHAPITRE VII
Les lois de Brunehaut : son administration. Ses travaux
d'utilité publique. La légende de Bavay.
Vers la fin du règne de Childebert, Brune-
haut était, nous Pavons dit, devenue maîtresse
absolue de l'administration intérieure. Elle en
profita pour appliquer largement toutes ses
idées civilisatrices. Les lois barbares furent
abolies; un véritable code, inspiré par l'esprit
profondément juridique des vieux légistes ro-
mains, remplaça la cohue étrange des décrets
royaux et des coutumes populaires. Ces lois
franques semblaient en vérité plus convenables
pour une plèbe d'usuriers, une tribu de prêteurs
sur gages que pour la race fière chez qui le
même mot servait à désigner l'homme libre et
le guerrier. Tous les délits, tous les crimes
même s'y rachètent cà prix d'argent : Tassas-
— 121 —
sinat est une fantaisie de luxe qui revient à
quelques sous d'or, un peu plus ou un peu
moins, suivant la qualité de la victime. Brune-
haut n'avait pas oublié que le sang de sa sœur
avait été estimé au prix de .cinq villes, et elle
avait en horreur cette mercantile législation.
Il est vraiment curieux de voir à quel point
la reine d'Austrasie avait, dans cette époque
de barbarie, de justes idées sur la législation.
. Nous retrouvons dans ses lois les perfectionne-
ments les plus modernes. D'abord le jury :
« Si, dit-elle, sept hommes de bonne foi et agis-
sant sans haine ont affirmé sous serment la
culpabilité d'un voleur ou d'un brigand , que
le coupable qui a violé la loi meure en répara-
tion de l'outrage 'fait à la loi. » Quant au juge
qui relâche un coupable, ce qui arrivait sou-
vent alors, il est également puni de mort. C'est
la pure loi romaine, la loi Cornélia (Institutes,
titre XVIII) qu'ose appliquer là Brunehaut,
tandis que toutes les coutumes barbares des
Burgondes, des Francs Ripuaires, des Bava-
rois, admettaient le rachat de la vie par l'ar-
gent.
Puis l'égalité devant la loi : « Si quelqu'un,
quel qu'il soit, a tué un autre homme sans rai-
— 122 —
son légitime, qu'il soit tué lui aussi, et qu'à
aucun prix il ne puisse racheter sa vie. »
Le rapt, l'enlèvement de la femme ou de la
jeune fille, commis le plus souvent par les chefs
puissants au préjudice des classes moyennes
ou inférieures, est puni aussi sévèrement que
le meurtre : pour Brunehaut l'honneur vaut la
vie : sa loi est empruntée même pour la rédac-
tion au Digeste (Cod., 1. IX, tit. XIII) : « Que
le ravisseur soit puni de mort... » Mais elle
accentue sa pensée avec plus d'énergie que le
froid jurisconsulte de Rome : « Qu'aucun de
nos grands, coupable d'un rapt, n'espère nous
fléchir; qu'en cas de fuite, il soit poursuivi par-
tout comme un ennemi de Dieu; que le juge
du lieu où il se trouve rassemble des hommes
et le tue. » L'épouse, complice de son propre
enlèvement, est également condamnée à la
peine capitale.
Enfin, nous trouvons dans les lois du sixième
siècle, au milieu de la barbarie franque, solen-
nellement attesté le droit de représentation,
droit dont les titulaires sont ordinairement des
enfants, et qui, par suite, est presque toujours
méprisé par les législateurs barbares, où, mal-
gré quelque vaine apparence de justice, la force
— 123 —
prime toujours le droit. « Que les petits-en-
fants, ordonne Brunehaut, partagent la suc-
cession de F aïeul avec leurs oncles et leurs
tantes. »
Dans ce Code de Brunehaut l'organisation
de ce que nous appelons la police n'est pas non
plus négligé; la reine ne paraît pas avoir eu
grande confiance dans les jugements de Dieu,
tels qu'ils se pratiquaient alors ; elle avait d'ail-
leurs vu tant de fois autour d'elle triompher les
injustes et succomber les innocents qu'elle est
bien excusable de s'en être méfiée quelque peu.
L'épreuve gastronomique, alors en usage, du
pain et du fromage ( i 2) lui paraissait un moyen
moins assuré de découvrir les coupables qu'une
police sagement établie. Cette police, à peine
connue même des Romains de l'empire, qui
n'existait même pas de nom, Brunehaut la crée
de toutes pièces. Son système est très-simple,
mais très-pratique : la nation tout entière est
en quelque sorte enrôlée dans cette organisa-
tion : le territoire de toutes les possessions de
Childebert est partagé en centaines de feux,
chaque centaine est sous la surveillance d'un
magistrat nommé centenier. et, pour intéresser
tout le monde à la surveillance des individus
■■■
— 124 —
suspects, au maintien du bon ordre, chacune
de ces centaines est responsable des vols et des
crimes qui se commettent sur son territoire.
Remplacer la police par les citoyens eux-mê-
mes, c'est aujourd'hui un des rêves des politiques
de l'avenir, on voit que l'idée n'est pas neuve
et que l'honneur de sa première application en
France revient à la reine Brunehaut. Et il faut
dire du reste qu'en ce temps-là on s'en trouva
si bien que Clotaire, peu suspect d'admiration
pour les œuvres de Brunehaut, s'empressa
d'adopter cette institution politique de sa plus
mortelle ennemie.
Mais, dans ses lois, Brunehaut eut, malheu-
reusement pour elle, le grand courage de tou-
cher aux privilèges du clergé; ce fut une des
causes de sa perte, la plus grande partie des
évêques s'étant unis contre elle avec l'aristocra-
tie guerrière ; et, cependant, la suppression du
droit d'asile, qui fut la cause de la colère de
l'épiscopat, était devenue chose nécessaire.
« Que le coupable, décrète la reine, soit rendu
par l'évêque. » Et en effet, dans toute l'ancienne
Gaule, chaque église s'était transformée en lieu
d'asile, plus ou moins respecté suivant le crédit
qu'on attribuait dans la cour céleste au saint
— 125 —
dont elle portait le nom. Les grandes basili-
ques de Saint-Martin de Tours, de Saint-Hi-
laire de Poitiers, de Saint- Vincent de Paris
(actuellement Saint-Germain des Prés), de
Saint-Victor de Marseille, etc., offraient aux
malfaiteurs de toute espèce, non-seulement un
refuge assuré, mais encore une agréable rési-
dence. Tout le clergé veillait scrupuleusement
à faire respecter le droit d'asile, par sentiment
d'humanité d'abord, ensuite parce que ces lieux
de refuge était pour lui une source de puissante
influence et aussi de grands revenus. C'étaient
en effet les clercs qui se chargeaient, moyennant
finances, de fournir aux réfugiés, à ces reclus
pour la plupart très-peu vertueux, toutes les
choses nécessaires à la vie, et parfois même
consentaient à leur procurer les divertissements
les moins canoniques.
Il est juste d'ajouter que, sous l'inepte et bar-
bare domination des rois chevelus, les lieux
d'asile avaient pu rendre souvent de réels ser-
vices en sauvant les faibles, en protégeant les
innocents. Mieux que personne, Brunehaut le
savait; elle avait conservé le souvenir de cette
modeste chapelle de Saint-Martin qui l'avait
sauvée, elle et Mérovée, de la foudroyante co-
-
— I2Ô
1ère du roi Chilpéric; en reconnaissance, elle
faisait même, en ce temps-là, bâtir à Autun,
en l'honneur de ce même saint Martin, une
abbaye dotée par elle de cent mille manses et
d'un revenu qui s'éleva plus tard à quatorze
millions. Mais Brunehaut, ou plutôt la loi, ré-
gnant, la loi romaine, juste, impartiale, im-
muable, on ne poursuivra plus que des coupables
' et les églises-asiles ne seraient que des obsta-
cles à la justice. Et elle promulgue hardiment
son décret : « Que le coupable soit rendu par
l'évêque. » Irritation du clergé, menaces d'ex-
communication, rien ne l'arrête. D'ailleurs le
pape saint Grégoire la soutient : aux reproches
de ses évêques elle répond en leur montrant
une lettre de l'évêque de Rome qui déplore
leurs débauches , flétrit leurs scandales et la
charge de surveiller et de punir au besoin les
mœurs dépravées du clergé des Gaules. Inter-
dits de ce rude coup, les mécontents gardent
désormais le silence, se contentant de travailler
dans l'ombre à la chute de la reine. D'ailleurs
quelques-uns de leurs collègues, de meilleur
sens et de meilleure conduite, Syagrius d 1 Au-
tun, Lupus de Sens, Aridius de Lyon, ont
pris le parti de Brunehaut, et puis la masse du
— 127 —
peuple, les colons gallo-romains, les bourgeois
des villes, même les simples hommes libres de
la nation franque, tous sont pour elle, prêts
au besoin à la défendre par les armes.
Mais les lois, la réforme de la législation ne
sont pas le seul souci de Brunehaut : elle s'oc-
cupe, comme un Sully ou un Colbert, d'éco-
nomie sociale. Le commerce, depuis les inva-
sions barbares, n'existait pour ainsi dire plus
dans les Gaules ; la plupart des routes étaient
impraticables, les ports du Midi, Marseille,
Fréjus, avaient été longtemps aux mains des
Wisigoths, qui, souvent en guerre avec les rois
mérovingiens, arrêtaient alors scrupuleusement
les marchandises destinées aux États francs, et
parfois aussi les marchands eux-mêmes. Le
commerce de ces villes, n'ayant plus le vaste
débouché des Gaules, avait d'abord décliné,
puis s'était presque réduit à néant. Les descen-
dants de Clovis avaient bien ensuite conquis
la Provence, mais leur mauvaise administra-
tion fiscale avait achevé de ruiner les ports
méridionaux. Seule, Marseille, avec sa popu-
lation au sang prod'gieusement actif, faisait
encore quelque trafic; de temps en temps, un
navire y abordait, chargé de toiles de lin et de
— 128 —
papyrus d'Egypte, ou d'épiceries et d'aromates
de Grèce et d'Asie Mineure; quelques mar-
chands de Constantinople y avaient même con-
servé des dépôts d'étoffes précieuses, notam-
ment de soies brochées d'or qu'on ne tissait
guère que dans les ateliers du Bosphore et dont
les reines, les grandes dames franques et même
les riches comtes des cours mérovingiennes
étaient prodigieusement avides, au point de
garder souvent des pièces de ces étoffes pré-
cieusement serrées dans leurs chambres de tré-
sor à coté de leur or et de leur argent. Mais
ce peu de commerce n'enrichissait pas les pays
francs : si l'importation existait à l'état rudi-
mentaire, l'exportation en revanche n'existait
pas du tout. Sous Brunehaut, en quelques an-
nées tout est changé ; les marchands étrangers
trouvent sur toute l'étendue de ses domaines
des protections et des encouragements ; grâce
aux routes nouvelles qu'elle a fait établir, aux
anciennes chaussées romaines qu'elle a répa-
rées, les marchandises circulent facilement; on
commence à s'apercevoir que la Gaule est tou-
jours, comme aux vieux temps des Phéniciens,
riche en métaux de toute espèce; ses mines
sont encore ouvertes, or, argent, plomb, étain,
— r2 9 —
fer, y abondent ; en outre, ses vignes, avec un
peu de culture, produisent plus abondamment
que jamais; et bientôt l'exploitation des mines
est reprise avec ardeur, le colon romain, pro-
tégé, n'étant plus écrasé par d'absurdes impôts
comme ceux de Chilpéric, se remet à cultiver
la vigne. Le vin, le plomb, le cuivre, de l'or
et de l'argent, des peaux de bêtes, de la cire
en quantité, telles sont les matières que peut
exporter le royaume de Childebert ; mais
pour cela, il faut sur la Méditerranée une place
de commerce, un port sûr et connu ; c'est pour-
quoi Brunehaut, pendant tout le règne de Gon-
tran qui a fait de Marseille son domaine exclu-
sif, tandis qu'il ne devait en avoir que la moitié,
cherche à rentrer en possession de sa part de cette
ville. Enfin, Gontran meurt et Marseille revient
en entier à Childebert. Il y a alors comme une
renaissance du commerce; ainsi qu'aux beaux
temps de l'empire romain, Tunis, Alexandrie,
Constantinople, les ports d'Espagne, entrent
en relation suivie avec Marseille; et, de cette
ville jusqu'aux frontières du Nord, la reine
élève sur ses routes, dans toutes les villes, pour
recevoir les voyageurs, des hôtels, des maisons
de secours (xenodochia). C'était alors chose in-
w^m
— i3o —
dispensable, l'auberge du moyen âge n'existait
pas plus que l'hôtel moderne ; et les popula-
tions, rendues méfiantes par tant de guerres,
d'invasions, de rapts, de pillages, avaient com-
plètement perdu la patriarcale habitude de
l'hospitalité, jadis cependant si en honneur chez
les Gaulois.
Marseille n'était pas la seule ville qui vît re-
fleurir le commerce et l'industrie : sur les fron-
tière du Sud-Ouest, Cahors, rendue par Gon-
tran, et restée le domaine particulier de la reine,
avait été par elle embellie, fortifiée ; les solides
murailles de l'antique cité des Cadurques pro-
tégeaient de vastes entrepôts où s'emmagasi-
naient toutes les marchandises échangées entre
les Francs et les Wisigoths d'Espagne et de
Septimanie. Plus tard, après la réunion de la
Bourgogne à l'Austrasie, Lyon, Autun devien-
nent, grâce aux soins de Brunehaut, des centres
commerciaux importants, ainsi que la vieille
colonie romaine d'Agrippine (Cologne) et l'im-
portante cité de Bavay, la capitale des pro-
vinces du, Nord-Ouest, d'où partaient, rayon-
nant dans toutes les directions, sept des célèbres
chaussées de Brunehaut.
Malheureusement, pour créer ou pour refaire
— i3i -
des routes, pour construire des hospices, il faut
de l'argent, et cet argent, Brunehaut, imbue
des idées de justice du Code romain, ne voulait
pas le demander uniquement à ceux précisé-
ment qui en avaient le moins. Tandis que
Frédégonde se fait aimer des leudes en les
comblant d'or arraché au peuple, en les dis-
pensant de l'impôt, et que son système finan-
cier se borne, soit à enlever le plus possible à
ceux qui ne peuvent résister , soit à pressurer
les juifs, cette matière alors éminemment impo-
sable, Brunehaut, au contraire, partage équi-
tablement à toute la nation le poids de ses im-
pôts. Chose inouïe, les ducs, les comtes, les
patrices, impiété suprême, les hommes d'Église,
paieront tout comme le vilain des campagnes,
tout comme le manant des cités. De là les hai-
nes, les révoltes ; à grand'peine, accorde-t-elle
l'exemption d'impôt à quelques clercs, à ceux-
là seulement qui sont voués au service des au-
tels et qui s'appuient sur une promesse de son
époux Sigebert. Les leudes, ducs et comtes aus-
trasiens, patrices exfarons de Bourgogne, les
margraves des pays germains ont beau récla-
mer, ils paieront; quelques-uns se révoltent,
ils sont mis à mort et leur fortune fait retour
— l32 —
au fisc royal, d'après leCodeThéodosien. Delà
ces accusations d'avarice, portées par les moi-
nes historiens du moyen âge, fort mauvais éco-
nomistes et qui étaient d'ailleurs peu habitués à
voir l'argent, une fois entré dans les coffres du
roi, en ressortir aussitôt pour l'utilité générale.
Mais le pauvre peuple, contemporain de Bru-
nehaut, ne s'y trompait pas ; nous la voyons
toujours soutenue par les classes inférieures
dans ses luttes avec les grands du royaume.
C'est que le peuple avait bien compris que la
reine était son alliée et que les intérêts de la
royauté, contraires souvent à ceux de l'aristo-
cratie, étaient les mêmes que ceux du peuple.
Le souvenir de la forte unité romaine, de la
puissante autorité des Césars, de la sécurité
dont on jouissait sous eux, était universellement
regretté par tous ceux qui n'avaient pas la force
de se défendre eux-mêmes contre le désordre et
l'anarchie barbares. Puis l'or que l'impôt rap-
portait à la reine, elle ne le gardait pas dans
ses coffres de fer comme Chilpéric, elle ne le
dépensait pas en constructions inutiles ou égoïs-
tes, en palais, en fêtes; tous ses travaux étaient
d'une utilité générale, d'une absolue nécessité.
Et, si le nom de Brunehaut subsiste encore
— i33 —
aujourd'hui dans la mémoire du peuple de quel-
ques provinces, notamment dans la Belgique,
dans le nord et Test de la France, dans quelques
localités du centre et du midi, c'est surtout à
ces grands ouvrages, dignes des Romains,
qu'elle en est redevable. On a oublié la reine
législatrice et guerrière, on s'est souvenu en re-
vanche de la faiseuse de routes ; les légendes
mêmes s'en sont mêlées et Ton parle encore,
en Flandre, en Lorraine, principalement, du
démon du roi Brunehaut.
Tous ces grands travaux, raconte-t-on , ont
été faits par un puissant enchanteur, le roi Bru-
nehaut, qui avait à ses ordres un démon pour
qui le temps ni la distance n'existaient pas : en
une nuit, par exemple, les sept chaussées de
Bavay, sortant d'une colonne mystérieuse, pla-
cée au centre de la ville, s'étaient déroulées,
comme un tapis qu'on déplie, par-dessus les ma-
rais, les vallons, au travers des bois qui tom-
baient d'eux-mêmes, et cela jusqu'aux extrémi-
tés des États du roi magicien.
Cette légende locale, qui a transformé la
reine en homme et en fantastique nécroman-
cien, est facile à expliquer.
D'abord, si c'est dans le nord surtout, en
8
— 134 —
Flandre, en Lorraine que s'est conservé le sou-
venir de la reine, c'est que ce fut là qu'eurent le
plus à se déployer ses instincts réparateurs, sa
passion civilisatrice. Le midi de la Gaule, moins
foulé par les invasions, avait conservé quel-
ques restes du régime régulier des provinces ro-
maines. La plupart des routes y existaient en-
core, les agglomérations urbaines, puissantes
par le nombre, défendues par leurs évêques, y
résistaient parfois aux pillages légaux des com-
tes barbares. De Marseille et d'Aix à Lyon, de
Lyon à Autun, il y avait un certain mouvement
de voyageurs qui rendait les chemins à peu
près sûrs; mais dans le nord de la Gaule, der-
rière la rive du Rhin, où avait été le champ de
bataille des barbares , il en était tout autre-
ment : Germains, Vandales, Burgondes, Francs
de toutes tribus, Ripuaires,Saliens, Huns d'At-
tila, tous y avaient laissé quelque ruine, quel-
que désastre, comme trace de leur passage-, les
grandes dalles des routes romaines, broyées
par les lourds chariots aux attelages de bœufs,
aux larges roues pleines, n'avaient jamais été
remplacées-, les habitants du voisinage, dans
les rares jours de paix, comme à une carrière
ouverte, y allaient chercher la pierre qu'ils y
— i35 —
trouvaient sans peine pour réparer leurs demeu-
res ruinées ; puis les massacres, les enlèvements
d'hommes, la misère avaient épouvantablement
diminué la population ; sauf autour des villes
ou de quelques habitations de nobles francs, la
culture n'existait plus; au lieu de bestiaux, les
colons n'osaient guère élever que l'humble
abeille, trop chétive proie pour tenter le soldat
qui erre ou le bandit qui vague.
Donc , plus de grands troupeaux dans les
plaines , à peine quelques hommes : les plus
braves sont partis, se sont attachés à quelque
chef de guerre, sont devenus soldats en atten-
dant de devenir brigands ; seuls sont restés les
vieux, les trop jeunes, les chétifs, la plèbe des
misérables. En quelques années, le pays n'est
plus qu'une sorte de désert, qu'une solitude dé-
solée. La vie semble s'en être retirée; il y règne,
comme aujourd'hui dans la campagne de Rome,
ce grand silence où s'endorment les peuples
qui meurent et les civilisations qui s'éteignent.
Et voici qu'un jour, dans ces plaines du nord
au ciel bas, aux lointains grisâtres, désertes et
sans bruit, traversées seulement parfois d'un
vol d'oiseaux de proie, d'un rapide galop de ca-
valiers en guerre, subitement le rare habitant
■■■■■
■H
— i36 —
des champs, le colon isolé dans sa manse voit
se dresser, coupant la ligne uniforme de l'hori-
zon, de gigantesques chaussées de pierre. Un
peuple d'ouvriers y travaille, et presse la be-
sogne; à peine sont-elles terminées qu'elles
sont incessamment parcourues par des troupes
de voyageurs, des évêques, des ducs en grand
cortège allant à la cour de Metz, de Worms ou
de Cologne; de longues files de chameaux (i 3),
escortées par des marchands, s'y profilent fan-
tastiquement dans la poussière; successivement
défilent des pèlerins en route pour les sanctuai-
res vénérés , des bourgeois des villes qui, par
petits groupes, serrés les uns contre les autres,
le large poignard sous le manteau, tentent, chose
hardie, d'aller commercer avec les cités voisi-
nes; par moment, un grand bruit, un fracas
inconnu: tous s'écartent et font place; c'est un
chariot de la poste publique, de Vevectto pu-
bhca, portant à quelque villa royale un comte
ou un domestique du palais.
Stupéfait, le rustique colon tout d'abord ad-
mira ce mouvement et bientôt profita de cette
activité; la Gaule sembla renaître, culture, com-
merce y refleurirent. Malheureusement, après la
mort de la reine, cette animation, cette pros-
- i3 7 -
périté cessèrent brusquement : il n'en resta
bientôt plus qu'un souvenir, qu'aux veillées de
Flandre ou des Ardennes, les vieux redirent aux
jeunes ; insensiblement, le souvenir devint con-
fus; ces grandes choses, pensait-on, que nar-
raient les anciens, ne devaient pas être, en
pays de loi salique, l'œuvre d'une faible femme,
mais bien d'un homme, d'un roi et non d'une
reine ; et l'on ne parla plus bientôt que du roi
Brunehaut. Enfin vint le vrai moyen âge, la
nuit féodale, où les rois étaient peu de chose, où
les robes de pourpre des héritiers de Charle-
magne se déchiraient aux éperons des seigneurs ;
pensif devant les grands chemins déserts, aux
pierres disjointes, plus grands encore dans l'a-
bandon, le paysan, qui menait sa charrue, se
dit en lui-même qu'un roi, ce pauvre jouet de
ses fiers seigneurs, n'avait jamais pu seul venir
à bout de ces gigantesques travaux, agir ainsi
pour le bien du peuple d'alors.
Cette prospérité si brillante et si courte, qu'on
se rappelait encore avec admiration, et qui
avait laissé de si visibles traces, c'était quelque
chose de surhumain, ce devait être une œuvre
de magie. Et, petit à petit, dans les soirées d'hi-
ver, après la journée passée à labourer, le long
8.
— i38 —
des chaussées en ruines, le dur sol féodal, on se
mit à parler du démon qu'avait à ses ordres le
puissant roi Brunehaut, de ce démon qui, en
un clin d'oeil, sur un mot du roi magicien, bâ-
tissait des hospices, construisait des ponts , créait
des routes -, plus d'un bon chrétien dut avouer
en son for intérieur qu'il regrettait le'tempsoù tra-
vaillait pour les pauvres le démon de Brunehaut.
Il y a une trentaine d'années, aux environs
de Bavay (14), quelques vieux paysans, véné-
rables restes d'un siècle écoulé et d'un temps
qui n'est plus, lorsqu'ils virent passer, traçant
son sillon de feu, sifflant, écumant, bouillon-
nant, la première locomotive : « C'est le démon
revenu, s'écrièrent-ils, le démon du roi Brune-
haut. » Oui, c'était bien lui-même, ce démon
qui a agité tous les grands coeurs, qu'ils s'ap-
pelassent Socrate, Brunehaut, Stéphenson ; c'é-
tait le bon démon, le génie du progrès qui,
dans son élan de tempête, dans son vol d'ou-
ragan, parfois heurte les temples grecs, ébranle
les gothiques cathédrales, renverse les palais,
mais du battement de sa grande aile, du moins,
sur la mer houleuse des âges, ange ou démon
qu'importe, gonfle et pousse en avant la voile
de l'humanité.
CHAPITRE VIII
5o6 — 6o5
Brunehaut en Austrasie. Elle est chassée par Théodebert,
5gg. Le mendiant de la plaine d'Arcis-sur-Aube. Brune-
haut à la cour de Thierry. Guerre contre Clotaire. Ba-
taille de Dormclles-sur-1'Orvanne, 600. Défaite de Clo-
taire. Exil de saint Didier. Nouvelle guerre contreClotaire.
Défection de Théodebert et paix de Compiègne, 6o5.
Brunehaut avait agi prudemment en suivant
Théodebert à Metz; le jeune roi, physiquement
précoce, comme tous les Mérovingiens, ne Pé-
tait nullement du côté de l'intelligence. C'était
un esprit faible , facile à dominer , écoutant
aussi bien les perfides avis des leudes, ses en-
nemis, que les conseils de son aïeule. Cepen-
dant, Brunehaut ne se découragea pas; sa si-
tuation d'ailleurs semblait, en un point du
moins, bien améliorée : elle n'avait plus à re-
douter les terribles ambassades de cette reine
de Neustrie, dont le célèbre Vieux de la mon-
— 140 —
tagne ne fut qu'un misérable plagiaire. En 597,
Frédégonde était morte, heureuse, honorée,
emportant dans la tombe l'épithète à'optima
(parfaite) que lui avait décernée, dans un jour
de trop grande licence poétique , l'évêque de
Poitiers, ce saint Fortunat, F ex -flatteur de Sige-
bert et de sa femme. En revanche, le supérieur
hiérarchique de Fortunat, le pape saint Gré-
goire, comblait de louanges la reine Brunehaut
qui Faidait en ce moment à convertir l'Angle-
terre et accueillait à merveille les missionnaires
qui s'arrêtaient à la cour de Metz et y recevaient
des secours de toute sorte avant d'aller affronter
la rude barbarie bretonne ; il entretenait avec
la tutrice de Théodebert une correspondance
qui est venue jusqu'à nous, et qui doit évidem-
ment suffire aux yeux de tous les catholiques
pour faire de la reine d'Austrasie une véritable
sainte.
Craignant pour la pauvre intelligence de
Théodebert la redoutable influence féminine
d'une maîtresse dévouée aux intérêts de l'aris-
tocratie austrasienne, Brunehaut chercha à lui
donner de bonne heure une compagne qui, te-
nant tout d'elle, lui serait entièrement dévouée
et l'aiderait à diriger le roi. Elle crut avoir
— 141 —
trouvé la femme qu'elle désirait dans la per-
sonne d'une simple esclave, Blichilde, dont elle
fit une reine d'Austrasie. Mais la reconnais-
sance est une vertu bien rare ; à peine reine,
Blichilde devint jalouse de Brunehaut, voulut
régner sous le nom de son mari âgé de treize
ans, et, pour ce faire, recourut à l'appui des
éternels ennemis de sa bienfaitrice, les leudes.
Néanmoins, pendant quelque temps, Brunehaut
lutta, continua à diriger d'une main ferme,
malgré les menaces d'une opposition grandis-
sante, les destinées de l'Austrasie.
En 5qq, nous la voyons faire mettre à mort
un des chefs de la coalition aristocratique, le
duc Wintrion, celui-là même qui s'était laissé
battre à Droissy et qui pressurait si horrible-
ment le malheureux pays soumis à son pouvoir
qu'il avait, quelques années auparavant, man-
qué d'être tué par les populations réduites au
dernier désespoir. Mais cet acte de vigueur et
de justice était trop hardi ; si Brunehaut se met-
tait à punir les ducs et les .comtes cruels ou pré-
varicateurs, qui serait en sûreté à la cour de
Théodebert ? et une révolution de palais
éclate ; les leudes demandent, exigent le renvoi
de la reine, Blichilde les appuie, et Théodebert,
— 142 —
le premier vrai roi fainéant, sans remords, dé-
pouille son aïeule de ses richesses, la prive de
ses serviteurs, et la fait jeter hors de sa cour,
comme une mendiante importune.
Chassée du palais de son petit-fils, Brune-
haut errait sur les routes ; devant elle toutes
les portes se fermaient, car chacun craignait, en
lui donnant asile ou secours, d'attirer sur lui la
colère des leudes. Vers ce pays dévoué de la
Champagne, vers ces fidèles qui jadis avaient
protégé Mérovée, qui, dans les mauvais jours,
bravement avaient lutté pour elle, elle dirigeait
sa marche fatiguée. Soutenue par son indomp-
table énergie, longtemps elle avança sur ces
routes créées par elle, usant ses pieds meurtris
aux cailloux noirs de ses chaussées; enfin, un
soir, elle arriva dans sa fidèle Champagne; à
l'horizon elle distinguait les murailles et les
palissades de la ville d'Arcis-sur-Aube ; mais
la route était longue encore, les forces allaient
lui manquer; en ce moment, près d'elle un
homme passait en guenilles, besace à son dos
courbé, misérable comme un mendiant du
moyen âge (i5); Brunehaut, à bout de forces,
l'appelle et se nomme. A ce nom glorieux et
aimé,l'homme s'arrête, court à la reine, la sou-
— 143 —
tient, la mène chez lui, et Brunehaut s'appuie
sur le bras du mendiant, touchante et symbo-
lique alliance de la misère et de la royauté. Si
les palais, si les villas des grands se sont fer-
més devant Brunehaut, du moins le pauvre
de tout cœur lui ouvre sa chétive demeure; à
son tour, le peuple donne son aide à cette royauté
qui a lutté pour lui.
Le lendemain, Brunehaut reprit sa route; grâce
au secours du mendiant, elle put atteindre la cour
du jeune roi Thierry, indigné, à la vue du triste
état de son aïeule , contre son frère Théode-
bert. Brunehaut fut traitée en reine ; et, à peine
arrivée, un de ses premiers actes fut de récom-
penser magnifiquement celui qui Pavait secou-
rue. Sûre de son cœur, de sa charité, elle crut
ne pas pouvoir mieux faire que de lui donner
une de ces places où la vie ne doit être qu'une
charité, qu'un dévouement perpétuels, et le
gueux de la route d'Arcis devint l'évêque Didier
d'Auxerre.
Thierry était, nous l'avons dit, le petit-fils
chéri de Brunehaut, le seul qu'elle regardât
vraiment comme de son sang. Malheureusement,
Thierry, avec d'incontestables qualités, l'hon-
neur, l'énergie, le courage, n'avait pas échappé
— '44 —
à la fatale influence qui minait les fils de Mé-
rovée. Ces hommes blancs du Nord, ces guer-
riers des pays de glace, fondaient en quelque
sorte à l'ardente chaleur des excès, aux chauds
rayons d'une civilisation trop raffinée pour
leurs âmes simples. La vigueur primitive de
leur virilité aux climats doux s'amollissait,
l'honnêteté antique de leur vie pauvre au con-
tact des tentations illimitées du pouvoir et de
l'opulence rapidement s'évanouissait, et de
cette grande neige des invasions barbares qui,
deux siècles avant, recouvrait tout le sol de
l'Europe , il n'allait rester que la boue noire
des dégels.
Thierry, comme tous les Francs, était sur-
tout adonné au vin et aux femmes; du moins,
n'avait-il pas le troisième défaut, qui d'ordi-
naire , chez ses compatriotes dégénérés , mar-
chait avec les deux premiers, une avare rapa-
cité. Tous ces derniers Mérovingiens sont d'une
inquiétante précocité : on dirait qu'ils sentent
que leur vie doit être courte ; l'avenir est pour
eux douteux, les voluptés sont là; pour eux la
coupe est toujours pleine, la femme toujours
parée; et, à peine sortis de l'enfance, affolés
par les premiers aiguillons de la sensualité, ils
11
■*,
- i 4 5 -
plongent à corps perdu dans les flots alanguis-
sants du plaisir sans peine et de l'amour trop
facile. A treize ans, à douze ans même, ils sont
déjà pères ; à vingt-cinq ans ils sont vieux , à
trente ans ils sont morts, si le fer ou le poison
les a laissés vivre jusque-là. La plupart ont
perdu l'énergie primitive qui fit royale leur
race, grand leur peuple, haut leur renom; on
n'en voit plus mourir sur les champs de ba-
taille aux sons fiers du bardit, au grondement
des mêlées furieuses; déjà, dans Tournay, Chil-
péric vaincu ne sait que pleurer et gémir; Gon-
tran , par peur de l'enfer , tremble devant un
clerc, et, en attendant les vrais rois fainéants,
nous allons voir le frère de Thierry, Théode-
bert, accepter la prison, la honte delà tonsure,
sans penser au refuge contre l'infamie que sa-
vaient trouver les vieux héros de sa race, sans
songer à cette noble épée, grâce à laquelle nul
malgré lui n'est esclave.
Childebert, élevé en partie par Brunehaut,
semble avoir échappé à la dégénérescence mo-
rale de sa race; il aimait la guerre plus que le
plaisir, mais Thierry, dont les premières an-
nées s'étaient écoulées loin de la protectrice
surveillance de son aïeule, élevé par des leudes
9
— 146 —
corrompus, par des clercs plus corrompus en-
core, n'avait pas échappé au fléau. Quand
Brunehaut vint le retrouver, il n'avait pas treize
ans, et il était déjà père d'un fils; trois autres
allaient bientôt suivre, dont on ne connaît même
pas les mères. Et un des reproches que les his-
toriens font à Brunehaut, c'est d'avoir corrompu
son petit-fils! hélas, il y avait longtemps que
la triste besogne était faite ; au contraire, Bru-
nehaut lutta, essaya de le marier avec une prin-
cesse espagnole, de sang wisigoth comme elle;
mais Thierry s'en détourna bientôt et reprit le
cours, un instant interrompu, de sa vie de plai-
sirs et d'ivresse.
Du moins eut-il encore assez de bon sens
pour ne donner à ces épouses, que l'usage lui
permettait d'ailleurs (la loi civile admettant le
concubinat), que souvent tolérait l'Eglise, au-
cune influence sur la direction des affaires. En
cela, comme son père Childebert, il se confiait
en son aïeule, et tandis qu'il parcourait les fo-
rêts de Bourgogne et d'Alsace, dépensant sa vi-
gueur naissante en pleine explosion juvénile, à
poursuivre le cerf ou le taureau sauvage, à pas-
ser de villas en villas, toujours en quête d'une
chasse nouvelle ou d'un amour nouveau, Bru-
— 147 —
nehaut ressaisissait d'une main ferme les rênes
trop lâches du pouvoir.
A peine est-elle établie à la cour de Thierry
que c'est elle qui dirige tout ; elle renoue al-
liance avec l'empereur d'Orient, signe avec lui
un traité défensif contre les Avares qui l'in-
quiétaient ; et, tranquille de ce côté, elle songe
au fils de Frédégonde. Tant que régnerait,
tant que vivrait cet héritier de l'astuce et de la
cruauté maternelles, tout était à craindre pour
le sang de Brunehaut ; elle fit donc taire ses
rancunes particulières , le souvenir de ses of-
fenses, et elle offrit aux leudes d'Austrasie d'at-
taquer de concert l'ennemi commun des petits-
fils de Sigebert. L'espoir du pillage , l'amour
des combats firent bien accueillir cette propo-
sition , et l'on se prépara, dans les États de
Théodebert, comme dans ceux de Thierry, à
venger les défaites de Droissy et de Latofao.
Les deux armées austrasienne et burgonde se
réunirent et marchèrent contre l'ennemi. La
rencontre eut lieu près de Dormelles, sur les
bords de la rivière d'Orvanne. Les Neustriens
étaient commandés par leur roi Clotaire et son
maire du palais, Landry. La bataille fut longue,
acharnée ; mais Clotaire, effrayé de ce carnage
— 148 —
qui ne finissait pas, voyant le moment où, après
ses fidèles, ce serait son tour à lui de tomber
sous le fer, prit brusquement la fuite; dès lors
ce ne fut plus qu'une déroute, qu'une bouche-
rie ; les Austro-Burgondes, animés par Thierry
qui chargeait à leur tête, en avant des plus
braves, combattaient avec rage, en dignes fils
de leurs aïeux. Le cours de l'Orvanne fut arrêté
par des amoncellements de cadavres; bientôt
ses eaux s'élevèrent au-dessus du niveau de ses
rives ; l'onde rougie, mêlée de sang, lentement
déborda sur la plaine, qu'un lac écarlate recou-
vrit bientôt, comme si la Mort, la grande ex-
terminatrice, jetait sur les cadavres un pan de
son manteau à la pourpre sanglante.
Clotaire s'enfuit jusqu'au fond de la Neus-
trie, abandonnant sans résistance aux deux rois
alliés, non -seulement tout ce malheureux
royaume de Paris, si souvent disputé depuis la
mort de son roi Caribert, mais encore une
bonne partie de la Neustrie. Thierry, parta-
geant la passion et la haine de Brunehaut,
voulait poursuivre la lutte; marchant toujours
en avant, il aurait bientôt acculé son ennemi à
la mer. Mais, comme toujours, les leudes
d'Austrasie voulurent la paix; il ne fallait pas
— 149 —
que leur propre souverain fût trop puissant;
Théodebert, du reste, aspirait lui-même au
repos de son palais de Metz; et il paraissait
prudent à l'aristocratie des deux royaumes
d'empêcher la destruction de la Neustrie, ce
refuge toujours ouvert aux conspirateurs et aux
mécontents. Du moins la paix, que Brunehaut
fut forcée d'accepter, fut-elle glorieuse et utile :
Clotaire se reconnaissait vaincu, à la merci
des petits-fils de Sigebert; il cédait à Thierry
tout le royaume de Paris, à Théodebert son
royaume patrimonial de Soissons ; bref, tous ses
Etats, sauf le vieux pays salien, les environs
de Tournay et douze cantons entre la Seine,
l'Oise et la Manche.
L'année suivante, les deux frères, encore
unis, marchèrent contre les Gascons qui avaient
favorisé par une invasion en Novempopulanie
la résistance de Clotaire. Soumis après une
courte campagne qui mena Thierry jusque sous
les murs de Pampelune, ils durent payer tribut
aux rois francs et reconnaître pour leur chef
un duc vassal des monarchies mérovingiennes.
La domination de Brunehaut est alors fer-
mement établie en Bourgogne; un des plus
grands seigneurs du pays, le patrice iEgila,
— i5o —
méprise imprudemment ses ordres, se met en
état de révolte : il est arrêté, jugé, exécuté,
sans qu'un seul des leudes ose prendre sa dé-
fense; on peut espérer que l'ordre est définiti-
vement établi. Mais Brunehaut ne devait
jamais connaître le repos-, après les leudes,
voici les saints qui s'en prennent à elle, mal-
gré la générosité du roi Thierry, bienfaiteur
des églises, de l'aveu même de Frédégaire.
Il y avait alors sur le siège épiscopal de
Vienne en Dauphiné un ex-professeur de
belles-lettres, qu'on a canonisé, sans trop savoir
pourquoi. Didier ou Désidérius, c'était le nom
de ce personnage, était en effet d'une ortho-
doxie douteuse; plus souvent à la cour des rois
que dans son diocèse, il avait la réputation
d'un orateur élégant plutôt que celle d'un aus-
tère prélat; son métropolitain, Aridius ou
Yrieix, évêque de Lyon, le tenait en médiocre
estime et le pape saint Grégoire l'accusait lui-
même formellement de pencher vers les doc-
trines du paganisme. De plus, Didier aimait
fort à s'occuper de politique, d'intrigues de
palais; il blâmait volontiers les mesures que
prenait la reine, et ne se faisait pas même
faute de calomnier, sous le rapport des moeurs,
- i5ï —
celle qu'il aurait dû respecter, n'eût-ce été que
par déférence pour le pape avec lequel il se
mettait ainsi ouvertement en contradiction. A
la fin, sur la demande de saint Grégoire, un
synode fut convoqué à Chalon-sur-Saône et
l'assemblée des évêques de Bourgogne, après
avoir dégradé saint Didier, le condamna à
l'exil, en lui assignant comme lieu de résidence
l'île Barbe, aux environs de Lyon.
Brunehaut avait trouvé à la cour.de Thierry
quelques hommes d'élite qui étaient prompte-
ment devenus ses plus dévoués partisans, et
qui travaillaient avec elle à établir dans ces
pays livrés à la violence et à l'arbitraire une
organisation régulière. C'était d'abord Aridius,
l'évêque de Lyon, puis Lupus, évêque de Sens,
et enfin un Gallo-Romain, Protadius, homme de
grande famille et d'une haute intelligence, qui,
malgré son origine, était considéré de tous les
nobles francs. Protadius fut bientôt nommé
patrice et chargé en cette qualité de gouverner
le pays ultra-jurain et la ville de Salins. Bru-
nehaut aurait voulu mieux faire pour lui : c'é-
tait l'homme qui lui paraissait le plus apte à
remplir les délicates et importantes fonctions
de maire du palais. Le maire était pour le mo-
— 102 —
ment un leude franc, Bertoald (16), brave
guerrier, mais médiocre administrateur.
Frédégaire raconte que, pour faire périr ce
Bertoald, afin de disposer de sa place, Brune-
haut l'envoya réclamer les droits du fisc, faire
rentrer les impôts arriérés dans les pays nou-
vellement cédés par Clotaire sur les bords de
la Seine jusqu'à l'Océan.
^ Cette opinion de Frédégaire nous a tout
l'air d'une calomnie; Brunehaut pouvait fort
bien enlever sa charge à Bertoald, s'il était
incapable, le faire juger, s'il était coupable,
sans recourir à ce moyen fort peu sûr de le faire
disparaître. Bertoald, en effet, pouvait emmener
avec lui des troupes en quantité suffisante, se
tenir sur ses gardes : au lieu de cela, Frédé-
gaire nous le montre ne voulant prendre
qu'une escorte de trois cents hommes, se
livrant avec passion au plaisir de la chasse,
s'arrêtant dans les villas royales, si bien que
Clotaire envoya contre lui son fils Mérovée et
ce Landry, l'âme damnée de Frédégonde et de
son successeur; peu s'en fallut que Bertoald ne
fût tué par surprise, mais bien par sa faute,
dans la villa d'Arèle près Caudebec; et la
meilleure preuve que Brunehaut ne devait pas
— i53 —
désirer sa mort, c'est la haine que semble
avoir portée Clotaire à Bertoald, s'exposant
ainsi, pour tuer un seul homme, à une nouvelle
guerre et à une destruction probable. D'ailleurs,
comment expliquer que Brunehaut, dès qu'elle
apprend le danger que court Bertoald, réfugié
dans Orléans et assiégé par Landry, envoie
immédiatement à son secours Thierry, excite
Théodebert à reprendre également les armes,
en lui montrant que Clotaire a violé la paix
récemment conclue après la bataille de Dor-
melles ?
Quoi qu'il en soit, Thierry, tandis que Théo-
debert envahissait par le nord les États de Clo-
taire, s'avançait pour dégager Bertoald; il
parcourait à marches forcées les vallées de
l'Yonne et de la Loire. A son approche, Lan-
dry recula et ne s'arrêta que près d'Etampes,
dans une forte position défensive; son front de
bataille était couvert par de vastes marais,
formés par les deux petites rivières de la Juinne
et de la Louet; une étroite chaussée était
le seul accès qui pût permettre aux Burgondes
d'aborder l'ennemi. Cette difficulté n'arrêta
cependant pas les troupes de Thierry; son
avant-garde, commandée par Bertoald, lui-
9-
— 154 —
même, furieux contre Landry, se jeta tête
baissée sur la chaussée, en un clin d'oeil la
traversa malgré tous les obstacles, et mit en
déroute l'armée neustrienne. Bertoald suc-
comba dans la bataille, ainsi que le fils de
Clotaire, pauvre enfant de moins de dix ans,
emmené par Landry dans la mêlée pour don-
ner du cœur à ses soldats.
Thierry continue sa marche : il va mainte-
nant tomber sur les derrières de Clotaire, que
Théodebert a dû, suivant le plan commun de
la campagne, attaquer dans la vallée de FOise.
Pour le coup, Clotaire est bien perdu, et le
roi presse sa marche, quand un courrier arrive
lui annoncer que Théodebert vient de signer
à Compiègne avec Clotaire un traité de paix et
d'amitié! Thierry s'indigna, entra en fureur;
Brunehaut, plus calme, n'exhala pas sa colère
en vaines menaces; mais, dès ce moment, son
inébranlable volonté condamna Théodebert;
elle avait pu oublier l'outrageante façon dont
il l'avait chassée, mais elle ne pouvait pardon-
ner la paix signée par le fils de Childebert, par
le petit-fils de Sigebert avec le fils de Frédé-
gonde. Désormais nous allons la voir négliger
en apparence la lutte avec le roi de Neustrie,
— i55 -
ne penser qu'à renverser Théodebert, ce faux
fils et ce faux frère, dans les veines duquel
coule, elle en est sûre maintenant, du sang d'es-
clave et non du sang de roi.
CHAPITRE IX
606 — 607
Protadius, maire du palais. Rupture avec Théodebert. Le
camp de Kiersy-sur-Oise. Meurtre de Protadius, 606.
Claudius, maire du palais. Vengeance tirée des assassins
de Protadius. Trêve avec Clotaire. Mariage de Thierry.
Retour de saint Didier. Sa mort.
Bertoald étant mort, il fallut songer à le
remplacer; son successeur était désigné d'a-
vance : ce fut le patrice Protadius. C'était du
reste l'homme le plus digne de ce poste impor-
tant, à en juger d'après ce que dit de lui un de
ses contemporains les plus hostiles : « Prota-
dius était extrêmement fin et habile ; il ne tra-
vaillait qu'à abaisser les grands et qu'à remplir
les coffres du roi (c'est-à-dire, à faire observer
les lois et à faire rentrer les impôts); aussi se
fit-il autant d'ennemis qu'il y avait de leudes
francs en Bourgogne. »
— 1 57 —
Malheureusement pour Brunehaut, Prota-
dius, exposé à tant de haines, ne devait pas la
servir longtemps. Thierry, qui n'avait pas ou-
blié la lâche conduite de Théodebert, et d'ac-
cord en cela avec Brunehaut, se décida à aller
revendiquer par les armes la moitié de l'héri-
tage paternel détenue par ce Théodebert, qui
osait se dire son frère, tandis que la rumeur
publique n'en faisait que le fils d'un serf
royal.
Les Burgondes furent donc de nouveau ap-
pelés aux armes -, Thierry, accompagné de
Protadius, se mit à leur tête et l'on partit
pour envahir l'Austrasie. Théodebert, de son
côté, marcha au-devant de Thierry. Les deux
armées furent bientôt à peu de distance l'une
de l'autre dans les environs de Noyon. Thierry
s'était arrêté à Kiersy-sur-Oise, et, voulant
accorder quelque repos à ses troupes avant
d'engager le combat, il donna l'ordre d'y
camper.
Les camps mérovingiens ne ressemblaient
nullement à ceux des Romains, ces chefs-
d'œuvre de castramétation, si réguliers, si bien
distribués. Les Francs campaient au hasard,
seulement autant que possible près d'un bois ;
— i58 —
ils ne se servaient pas de tentes -, leurs chevaux
lâchés hors du camp paissaient à l'aventure.
Le campement de Thierry occupait un assez
vaste espace de forme irrégulière ; il n'avait
d'autre enceinte que des arbres abattus avec
toutes leurs branches et mêlés aux lourds cha-
riots de bagages qui suivaient l'armée ; derrière
ce primitif rempart s'étendaient une multitude
de petites huttes, faites de branchages et de
roseaux, où les soldats s'abritaient avec leurs
armes et leurs provisions, consistant notam-
ment en grandes jarres de poterie pleines de
vin et de bière qu'ils portaient, en marche,
suspendues à leur angon recourbé ; les chefs
eux-mêmes n'avaient que des cabanes de ra-
mée, un banc, formé d'une planche clouée sur
deux bouts de bois, était le seul meuble qui
décorât le modeste intérieur où ils passaient
cependant quelquefois des semaines entières -,
pas de sentinelles du reste, pas d'appel, pas de
cette musique militaire qui charmait les Ro-
mains et qui égaie les camps modernes ; nul
exercice guerrier; chacun vivait comme il
voulait; il n'y avait un peu de discipline qu'au-
tour de la tente unique réservée au roi, grand
pavillon carré en toile couleur de pourpre, à
— i5g —
rimitation de ceux des Césars et des généraux
Romains; là veillaient les gardes palatins,
habillés à peu près à la romaine, portant la
cuirasse ornée à la ceinture de nombreux lam-
brequins de cuir, et distingués par un casque
bizarre, large cloche de fer à quatre pans, tom-
bant sur les yeux et surmontée d'une longue
aigrette rouge.
Or, tandis que le roi parcourait le camp
qu'on venait d'établir, surveillant, en général
attentif, l'installation peu compliquée de ses
hommes, voici qu'une bande de leudes l'en-
toure et le presse bruyamment de faire la paix;
le roi refuse avec indignation, et, tout en dis-
cutant avec lui, quelques chefs l'entraînent
jusqu'à l'extrémité du camp, lui reprochant sa
confiance en Protadius et accusant le maire du
palais d'avoir été l'instigateur d'une guerre
inutile et dangereuse.
Pendant ce temps, Protadius, qui ne se dou-
tait nullement de ce qui se passait, était paisi-
blement assis dans le pavillon royal, fort
occupé à faire une partie de dés avec Pierre, le
médecin du roi Thierry. En un instant, une
troupe furieuse, dirigée par le patrice Wolf,
entoure la tente en vociférant, en menaçant
— i6o —
de mort le maire Protadius. Malgré l'éloigne-
ment, ces cris parviennent jusqu'à Thierry -, il
tremble pour Protadius, il veut aller à son aide,
les leudes l'en empêchent; alors, il s'adresse à
un de ses comtes, lui commande de courir en
toute hâte à sa tente et de défendre à qui que
ce soit de l'armée d'oser toucher au maire du
palais. Uncilène part aussitôt: il arrive de-
vant le pavillon royal que protègent encore les
gardes de Thierry : «Voici l'ordre du roi, leur
crie-t-il ; qu'on tue à l'instant Protadius ! » Et
les gardes, ne se défiant pas de la parole d'un
de leur chef, d'un comte du palais, livrent à la
fureur des assassins l'infortuné Protadius.
On comprend qu'avec de pareils soldats
Thierry n'ait rien osé entreprendre ; triste, il
revint à Autun sans oser même punir les meur-
triers que la masse de l'armée avait pris sous
sa protection. Mais, à Autun, on retrouva
Brunehaut, et là tout changea. Des milices
gallo-romaines, des troupes tirées des villes
municipales d'Aquitaine, dévouées à la reine,
y sont appelées pour tenir les Francs rebelles
en respect.
Les leudes ont tué Protadius, ne voulant
pas, disent-ils, obéir à un Romain, et c'est un
_ l 6 l _
autre Romain, Claudius, homme juste, instruit,
mais ferme, qui est immédiatement nommé à
la place de Protadius. L'armée ne veut pas
qu'on châtie les lâches meurtriers du maire du
palais : Brunehaut ne prend pas de prétexte
comme Clovis lors de l'affaire célèbre du vase
de Soissons; le patrice Wolf et Uncilène sont
ouvertement arrêtés dans le palais même du
roi, devant leurs amis. Wolf est mis à mort et
Uncilène a les pieds coupés. Et c'est encore
un Romain qui hérite de la charge du patrice.
D'autres complices subalternes sont également
punis.
L'ordre est rétabli ; Clotaire, qui craint la
puissance plus sûrement établie du roi de Bour-
gogne, cherche à se rapprocher de lui, de-
mande à être le parrain d'un de ses fils ; les
leudes, effrayés, paient régulièrement l'impôt,
et Brunehaut s'occupe plus attentivement que
jamais de ses grands travaux d'utilité publique.
Elle restaure sa ville favorite Autun, qui, mal-
gré les ravages d'Attila, conservait encore le
palais impérial habité par Constantin et ces
fameuses écoles Mœoniennes, où se rendait
la jeunesse de toute la Gaule.
Bien loin de favoriser, comme l'ont dit tous
— IÔ2 —
les historiens à la suite les uns des autres, les
mœurs par trop libres de Thierry, elle cherche
à le marier, à lui trouver une épouse de sang
royal ; c'est son principal confident, Aridius,
évêque de Lyon, qu'elle envoie avec le comte
Roccon et le connétable iEporin, pour deman-
der au roi des Wisigoths d'Espagne la main
de la princesse Ermenberge. Malheureusenent,
si Brunehaut avait de l'empire sur Thierry
pour tout ce qui touchait à la politique, elle
n'avait que peu d'influence sur lui pour tout ce
qui concernait la vie privée. L'union du roi et
de la princesse espagnole ne fut pas heureuse :
dédaignée de son époux, la nouvelle reine re-
partit au bout d'un an pour Tolède, et cette
rupture manqua de faire éclater une guerre dé-
sastreuse. En effet, le père d' Ermenberge, le roi
Witterich, ou Betteric, s'allia avec Clotaire,
Théodebert, et le roi des Lombards Agilulf,
pour venger l'injure de sa fille. Heureusement
pour Thierry, Witterich mourut bientôt et la
coalition se dissipa presque aussitôt.
Nous voici maintenant arrivés à un des évé-
nements qui sont le plus reprochés à Brune-
haut, la mort de saint Didier. On se rappelle
que cet impétueux évêque avait été déposé par
— i63 —
un synode et relégué à l'île Barbe. Au bout de
quelques années d'exil, Brunehaut le crut suffi-
samment puni et lui fit grâce complète. Aussi-
tôt l'évêque de Vienne revient à la cour; mais,
bien loin d'avoir calmé sa fougue, l'exil n'avait
fait que l'exaspérer; à peine de retour, il se met
à accabler de reproches Thierry , au sujet du
renvoi de sa femme. Thierry n'aimait pas
qu'on s'occupât de ses affaires d'intérieur ;
mais il n'était pas sanguinaire ; il se contenta
pour toute punition de renvoyer l'évêque de
Vienne dans son diocèse. En route, au pas-
sage d'une petite rivière, la Chalarone, dans le
pays de Dombes, Didier fut assommé et dé-
pouillé par quelques brigands. Ce fut par Tor-
dre du roi, d'après le conseil d'Aridius et de
Brunehaut, disent les historiens hostiles à la
reine, le moine Jonas et Frédégaire. Mais rien
ne prouve cette accusation ; malgré tous les soins
de Brunehaut, les voyageurs étaient souvent
victimes, comme Didier, de la violence des
brigands; et nous avons peine à croire que l'é-
vêque de Lyon, Aridius, qui paraît avoir été
un très-recommandable prélat, ait oublié la
charité chrétienne au point de faire assassiner
un de ses collègues. D'ailleurs, la conduite que
— 164 —
Thierry et Brunehaut tinrent quelque temps
après vis-à-vis de Colomban, prouve bien
qu'ils n'avaient ni l'un ni l'autre aucune envie
d'ajouter de nouveaux noms à la liste suffisam-
ment longue des martyrs chrétiens.
Nous verrons en effet, dans le chapitre sui-
vant, la reine Brunehaut et le roi Thierry, griève-
ment insultés en public par le moine Colomban,
mépriser ses injures, et ne pas se départir du
calme qu'il convient aux esprits sensés de mon-
trer vis-à-vis des extatiques, des fanatisés et des
fous de toute espèce.
CHAPITRE X
610
L'intérieur de Brunehaut : une villa royale sous les Méro
vingiens. Saint Colomban : son exil.
En attendant que Colomban vienne à son
tour troubler l'existence de Brunehaut, peut-
être serait-il à propos de faire connaître au lec-
teur un intérieur royal de cette époque loin-
taine.
Il ne faut pas croire d'abord que toutes les
villas des rois francs fussent, comme l'a dit Au-
gustin Thierry, une sorte de grande ferme en
bois, entourée de cahutes, de chaumières d'es-
claves, et rappelant les villages de la Germa-
nie.
Cette description se trouve, il est vrai, pres-
que textuellement dans l'histoire de Sismondi,
qui Ta copiée lui-même dans les œuvres ou
père Lery. Que les Mérovingiens eussent quel-
— i66 —
ques résidences à peu près semblables dans les
sauvages cantons du Nord, aux bords embru-
més de l'Escaut, ou au fond des grandes forêts
austrasiennes, c'est possible; mais en Neustrie,
en Bourgogne, même dans le sud de l'Austra-
sie, presque partout enfin, la villa des rois
francs était fort différente du petit tableau de
fantaisie, adopté généralement aujourd'hui
comme type des demeures royales dans la
France du sixième siècle.
Voici au contraire une description exacte de
la villa de Bourcheresse, la demeure favorite de
Brunehaut et de Thierry. La villa ou le palais,
comme on disait indifféremment, s'élevait
dans un vallon verdoyant, à peu de distance
de l'antique cité romaine âCAugustodunum
(Autun). Pour y arriver, on traversait d'abord
un vrai parc à la française, où l'on voyait des
allées droites, des arbres taillés, des grottes en
rocailles, des tonnelles de vigne symétrique-
ment disposées. Des statues ornaient les par-
terres qui dessinaient, en traits de fleurs, des
oiseaux ou des figures géométriques; au cen-
tre du jardin se trouvait une vaste terrasse, en-
tourée de balustrades de marbre , couverte de
grands pots en terre cuite peints et dorés, où s'é-
— 167 —
panouissaient des fleurs rares et des orangers.
Sur cette terrasse était bâtie la maison royale,
de marbre ou de pierre de taille bien polie,
basse, sans étages, s'étendant en longueur,
l'une de ses façades au midi, l'autre regardant
le nord ; le toit était plat, en terrasse, surmonté
seulement d'un léger belvédère. On pénétrait
d'abord dans un véritable atrium à la mode
romaine et qui n'en différait que par le nom ;
c'était le proaulium (dont nous avons fait
préau). C'était sur le proaulium que s'ouvraient
les grands appartements royaux : le salutato-
rium, où Ton recevait les visiteurs, puis le
cotisistorium , véritable salle du trône, où,
sous un dais de pourpre, reposait le siège en
bronze doré du roi ; les murs étaient décorés
de quelques fresques; le sol était revêtu de
riches mosaïques et de plaques de verre de
couleur incrustées dans du bitume. Dans cette
salle se tenaient les grandes assemblées des
principaux leudes, les conciles d'évêques; c'é-
tait là aussi qu'on recevait les ambassadeurs
des rois étrangers; de grandes horloges d'eau,
des clepsydres, indiquant les heures, les jours,
les saisons, ornaient cette vaste pièce, un peu
pauvre en mobilier ; les Francs méprisaient
- i68 -
l'usage romain des lits et des sièges moelleux;
quelques bancs de bois assez simples, des es-
cabeaux à trois pieds et sans dossier, tel était
l'ameublement un peu dur des rois mérovin-
giens. On affichait dans le consistorium toutes
les décisions, tous les décrets royaux qui pre-
naient dès lors force de loi.
Le consistorium était donc la pièce impor-
tante, le centre en quelque sorte de la vie poli-
tique chez les rois mérovingiens; à côté, une
autre salle jouait également un grand rôle, et
fort estimé, dans l'existence des commensaux
du palais : c'était le trichorum (salle à man-
ger), soutenu par deux rangs de colonnes, et où
dînaient, à trois tables séparées, le roi et sa fa-
mille, les officiers qualifiés de commensaux ou
de comtes du roi, et enfin tous les hôtes,
moines, guerriers, voyageurs, qu'accueillait
généreusement la fastueuse hospitalité mé-
rovingienne. La villa renfermait en outre une
multitude de chambres, peu grandes il est vrai,
chacune n'ayant environ que trois mètres carrés,
toutes sans cheminées, mais exposées les unes
au midi pour l'hiver, les autres au nord pour
l'été; puis des chauffoirs, des bains, dont tout
le monde faisait grand usage à cause de l'ab-
— 169 —
sence totale de linge et de l'habitude de porter
longtemps, des mois et des années, les mêmes
vêtements sur la peau nue. L'édifice entier était
chauffé, pendant les froids, par de grands
tuyaux passant sous les planchers et venant
d'un immense foyer établi dans les soubasse-
ments ; pendant l'été, ces mêmes tuyaux appor-
taient au contraire i'air frais de vastes souter-
rains.
Autour du corps de logis principal s'éten-
daient des portiques, des oratoires, des salles
de jeux; plus loin des écuries pour les chevaux
et les chameaux, alors d'un usage général.
Du reste, la villa était bien construite : on
avait toujours soin de laisser, entre le plafond
des différentes pièces et le toit en terrasse, un
espace vide qui garantissait tour à tour de l'ex-
cès du froid et de l'excès du chaud. Par exem-
ple, les portes intérieures des appartements
étaient inconnues; elles étaient remplacées par
de lourdes tapisseries, des portières tissées de
laine et de soie, auprès de chacune desquelles
veillait un jeune esclave. On peut voir, par ce
que nous venons de dire, que la villa mérovin-
gienne n'était pas si barbare qu'on se l'ima-
gine, et que, sauf l'inconvénient de cette trop
— 170 —
grande quantité de portiers intérieurs, elle sou-
tiendrait avantageusement la comparaison avec
nos modernes demeures.
Les arts d'agrément y étaient même en
honneur - , les repas avaient lieu au son de la
cithare et du tambour, cet instrument qui pro-
duit une harmonie très-délicieuse, au dire d'I-
sidore de Séville, probablement peu blasé en
fait d'impressions mélodiques. Une distraction
fort recherchée consistait à se faire chanter par
les clercs des évêques (17) présents à la cour,
l'ordinaire de la messe ou les vêpres, qu'on n'é-
coutait en ce cas qu'au point de vue musical.
Un seul détail rappelait la barbarie germaine :
cloués aux portes extérieures de la villa, des
trophées de chasse ensanglantés, têtes de cerf
ou d'uroch, peaux de loup, ailes d'aigle ou
de vautour, restaient là jusqu'à ce qu'ils tom-
bassent en poussière , au grand détriment de
l'odorat des commensaux royaux.
C'était donc dans cette habitation presque
romaine, et par conséquent conforme à ses
goûts, que Brunehaut résidait habituellement.
Un jour d'été de l'année 610, le roi Thierry
étant à la chasse, la vieille reine se tenait dans
le salutatorium , assise sur son fauteuil de
— i 7 i —
bronze doré, devant une table d'argent massif;
elle était vêtue d'une robe mêlée de laine et de
soie, teinte de pourpre, sur laquelle retombait
une chlamyde de même couleur, retenue sur
sa poitrine par une agrafe d'or; un diadème de
pierreries, montées en forme de trèfles et de
fleurs de lis, brillait sur son front encore, mal-
gré l'âge, poli comme l'ivoire; de larges ban-
delettes de soie écarlate s'enroulaient autour de
ses cheveux blancs, nattés en longues tresses; à
ses côtés se pressait tout le personnel de sa
cour; d'abord, assises auprès d'elle et de sa
petite-fille, Theudelane, la sœur du roi Thierry,
les grandes dames de Burgondie, les épouses
des patrices et des ducs, les évûchesses (18),
nombreuses alors, chastement vêtues d'une robe
montante et serrée, couleur de mauve tendre,
en laine parsemée de fils d'or; puis, les jeunes
filles attachées à la personne de la reine, coif-
fées uniformément de gracieux rubans violets
comme l'améthyste, les femmes des comtes du
roi, les bras ornés de bracelets d'or, la robe
moulant leurs formes , et garnie soit de four-
rures de taupe ou de loir , soit de franges en
écorce odoriférante de cèdre, soit encore de dé-
licates broderies en petites plumes d'oiseaux
— 172 —
rares, enchâssées dans des cordons de soie.
Autour de cette cour féminine allaient et ve-
naient par la vaste salle les patrices burgon-
des (19) , parés, comme des consuls romains,
de la tunique à palmettes d'or et à bandes de
pourpre, les ducs francs en habits de guerre,
avec leurs lourds ceinturons décorés de bosset-
tes en métal; mêlés à eux, des nobles d'outre-
Loire, couverts ceux-là, à la mode d'Aquitaine,
d'un petit manteau rond, d'une tunique à lar-
ges manches bouffantes, ayant aux pieds de
fines bottines à haut talon armées d'un long
éperon de fer; enfin des Wisigoths, venus pour
voir la reine, leur compatriote, pour chercher
fortune auprès d'elle, ayant encore leur tenue de
voyage et de combat, des habits de toile, d'é-
normes bottes en cuir de cheval, et, battant à
leur côté, la large épée, déjà célèbre, sortie des
ateliers de Tolède.
Ces convives royaux , comme on les nom-
mait alors, s'occupaient diversement : les uns
causaient entre eux de leurs guerres ou de leurs
voyages, les autres écoutaient des joueurs de
cithare espagnols, les musiciens favoris de la
reine; un assez grand nombre prenaient diffé-
rents rafraîchissements, disposés sur des tables
- i 7 3 -
tout autour de la pièce; dans la vaste salle la
joie semblait régner; on est toujours gai dans
les cours. A chaque instant arrivaient de nou-
veaux hôtes, tous empressés d'aller saluer Bru-
nehaut à la mode franque, mode qui consistait
à s'arracher délicatement un cheveu et à l'offrir
à la personne qu'on voulait honorer; la lourde
portière qui fermait le salut atorium se levait
et retombait sans cesse. Une fois encore la
voici qui se lève : c'est un moine qui entre d'un
pas lent; sa robe de bure est effrangée par l'u-
sage, déteinte par le soleil et la pluie; sa figure
est pâle, sans expression; morne, il s'avance
les yeux extatiquement levés au ciel; on dirait,
au milieu de cette cour joyeuse, la figure de la
Pénitence, détachée par miracle de quelque
fresque des catacombes; il traverse la salle, sans
parler, sans voir; devant lui, comme devant
une apparition divine, les bouches se taisent,
les têtes se courbent et les genoux s'inclinent.
La reine elle-même, la hère Brunehaut, se
lève et courbe le front ; elle fait appeler les en-
fants du roi Thierry; elle les amène au-devant
de Thomme vêtu de bure : « Saint moine Co-
lomban (20), lui dit-elle, voici les fils du roi:
que ta bénédiction leur porte bonheur. »
■
— '74 —
Le moine se tait un instant, et, dans le grand
silence de l'assemblée, lentement, les yeux mi-
fermés : « Je ne les bénirai pas, répond-il, et
sachez que jamais ne régneront ces enfants,
car ce sont les fils_de la débauche. »
A cette insulte si gratuite, si inattendue,
Rrunehaut frémit, les nobles francs s'indi-
gnent; mais, cependant, nul n'ose, comme il
le devrait, punir l'insolent, et le moine sort
paisiblement du palais en murmurant à voix
basse quelque prière mystérieuse.
Lorsque Thierry apprit de sa grand'mère
l'outrageante conduite de saint Colomban, il
voulut en tirer vengeance, mais la religion, ou
plutôt la superstition, l'empêcha de se montrer
trop sévère; il se contenta d'interdire à tous
ses sujets d'avoir aucun rapport avec le moine
irlandais et ses compagnons, défendant en
outre de leur fournir quelque provision que ce
fut.
Bientôt la disette se mit dans les trois mo-
nastères fondés par Colomban, et le mystique
personnage, s'apercevant que la foi qui trans-
porte les montagnes, ne suffit malheureusement
pas pour faire vivre les hommes sans manger,
retourna à la cour de Bourgogne pour deman-
— 175 —
der à Thierry de lever cette sorte d'interdit
alimentaire.
Quand le saint revint, le roi était justement
à dîner, gaiement entouré de ses convives
ordinaires; il ne crut pouvoir mieux faire que
d'envoyer à Colomban, ce qui était tenu à
grand honneur, quelques plats de la table
royale. Mais, à la vue des coupes de cidre et
de vin de Cahors, des mets délicats qu'on lui
présentait respectueusement, le caractère iras-
cible du saint se réveilla subitement. « Qu'est
ceci, » dit-il ? « C'est, lui fut-il répondu, un
envoi du roi Thierry. » — « Le Très-Haut, re-
prit Colomban avec l'urbanité et la modestie
qui semblent l'avoir caractérisé, le Très-Haut
réprouve les présents des impies; il ne faut
point que nous autres enfants de Dieu nous
touchions des lèvres aux mets impurs de ceux
qui nous mettent à l'écart. » A ces mots, dit
Frédégaire, d'eux-mêmes les vases se brisèrent
et tombèrent en morceaux. Peut-être, si nous
ne craignions pas d'être taxé d'incrédulité,
ferions-nous remarquer que quelque mouve-
ment trop brusque du saint homme put fort
bien être la cause de ce miraculeux bris de
vaisselle.
— 176 —
A la suite de cette nouvelle aventure, Co-
lomban ne vint plus voir Thierry ni Brunehaut;
mais, en revanche, il les accabla de lettres
injurieuses, de menaces d'excommunication, si
bien que Thierry, impatienté et qui, à chaque
nouvelle injure, se contentait de dire : « Ce
moine voudrait que je fisse de lui un martyr,
mais je ne suis pas assez fou pour cela, » finit
par le faire embarquer sur la Loire pour le
ramener à Nantes, et de là en Irlande, son
pays natal. Mais, le mauvais temps ne per-
mettant pas de faire sans danger le voyage
d'outre-mer, Brunehaut et Thierry laissèrent
Colomban libre d'aller où il voudrait, pourvu
que ce ne fût pas dans leurs États. Colomban
se réfugia chez le fils de Frédégonde, Clotaire,
par qui il fut d'autant mieux accueilli qu'il
s'empressa de lui prédire la ruine de Brunehaut
et de ses petits-fils, dont lui, Clotaire, devait
être prochainement le vainqueur et l'héritier.
CHAPITRE XI
611 — 612
Le guet-apens de Seltz et la bataille de Tolbiac.
L'aristocratie austrasienne, qui dominait en-
tièrement le faible Théodebert, véritable pré-
curseur des rois fainéants, n'avait pas cessé, on
Ta vu, de lutter plus ou moins ouvertement
contre Brunehaut et Thierry. La guerre avait
déjà été sur le point d'éclater par suite de l'in-
solence de la jeune reine d'Austrasie, Blichilde,
qui, après avoir convenu avec Brunehaut d'une
entrevue de réconciliation, s'était, poussée par
les leudes, refusée à s'y rendre en des termes
rien moins que respectueux pour l'aïeule de
son mari. Dans leur haine mutuelle, Théode-
bert et Thierry essayaient chacun depuis quel-
que temps d'attirer à leur parti le roi de
Neustrie; mais Clotaire était resté neutre,
- i 7 8 -
d'après l'avis de saint Colomban, devenu pour
le moment une sorte de ministre consultant.
Enfin, eri 610, sans déclaration de guerre,
Théodebert envahit l'Alsace, séparée de l'Aus-
trasie lors du partage de l'an 596. Se rendant
aux conseils de Brunehaut, qui sentait que la
force du droit était du côté de la Bourgogne,
Thierry, avant de recourir aux armes, demande
à son frère de réunir une assemblée des prin-
cipaux de la nation franque qui décidera de
leur querelle. Théodebert y consent; le lieu de
la réunion est fixé à Seltz; Thierry s'y rend,
ainsi qu'il avait été convenu, avec une escorte
de dix mille hommes, et se voit subitement
entouré de plus de cent mille guerriers, de
toutes les forces de l'Austrasie. Tombé dans
ce piège, il est contraint de céder à son frère
l'Alsace, le pays de Thurgovie, une partie de
la Champagne (Troyes et ses environs); ce
n'est pas tout; excités par Théodebert, les
Alemans viennent ravager la Suisse burgonde.
Thierry en a du reste facilement raison.
Mais alors, comme un défi à la morale
publique, à ces lois de Brunehaut qui punis-
saient de mort celui, quel qu'il fût, qui tuait
sans raison, le roi Théodebert égorge tranquil-
— J 79 —
lement sa femme pour plaire à une de ses
maîtresses. Ce meurtre indigna tout ce qu'il y
avait encore d'honnêtes gens dans la nation
franque; Brunehaut elle-même, bien que Bli-
childe fût son ennemie, se souvint de la pau-
vre Galeswinthe et voulut venger cette nou-
velle victime. C'était d'ailleurs bien le moment
d'exterminer ce Théodebert, qui, reniant les
souvenirs de son père et de son aïeul, était plus
coupable encore aux yeux de la reine que Clo-
taire lui-même. Par les soins de Brunehaut, de
ses agents gallo-romains, un traité est conclu
entre Thierry et Clotaire; ce dernier restera
neutre, laissera Thierry anéantir ce Théode-
bert, ce fils de l'esclave, cet intrus dans la race
royale des Mérovingiens ; en revanche, Thierry
donnera à Clotaire sa part des dépouilles, il
lui restituera le duché de Dentelin, tout le pays
entre la Seine, l'Oise et l'Océan, enlevé par
l'Austrasie à la Neustrie.
Clotaire accepta avec empressement et devint
l'allié de Thierry; affaibli comme il l'était, ses
armées, que d'ailleurs on ne lui demandait
point, n'auraient pas été d'un grand secours
dans la lutte qui se préparait; il n'en rendit
pas moins service à la cause de Thierry.
— 180 —
Colomban, qui était tout dévoué au fils de
Frédégonde, part pour la cour d'Austrasie où,
déjà, dans un précédent voyage, Théodebert,
en haine de Brunehaut, Pavait admirablement
accueilli. Mais Théodebert est devenu l'ennemi
de Clotaire, et c'est pour amener la chute du
malheureux roi d'Austrasie que Colomban va
se rendre cette fois au palais de Metz; encore,
si c'était l'horreur du meurtre de Blichilde
qui faisait oublier au religieux irlandais les
bienfaits dont Théodebert l'avait accablé : don
d'un canton entier des bords du Rhin pour
nourrir ses moines, cadeaux en or et en argent
destinés aux autels-, mais non, c'est la poli-
tique seule qui fait agir Colomban; d'ailleurs
un meurtre était moins grave en ce temps-là
qu'aujourd'hui aux yeux du clergé -, et tous les
évêques de France avaient parfaitement absous
Chilpéric de l'assassinat de Galeswinthe. Co-
lomban n'exhortera donc pas avec onction le
coupable au repentir; ce qu'il veut, ce n'est pas
son salut, c'est son trône. Et, en effet, à peine
arrivé au palais, introduit devant Théodebert,
brusquement, sans préambule : « Fais-toi prêtre,
lui dit-il, autrement tu risques fort pour ta vie
éternelle et même pour ta vie terrestre. »
— 181 — .
On était un peu habitué aux étrangetés de
Colomban; cette proposition fit rire le roi et
ses courtisans. « On n'a pas encore vu, lui
répondirent-ils, de roi qui se soit ainsi fait
prêtre ou moine de sa propre volonté. » —
« Si Théodebert ne se fait pas prêtre volontai-
rement, répliqua Colomban d'un ton prophé-
tique, dans peu il le sera malgré lui. » Sur
ce, le saint s'en alla, laissant le roi et le peuple
d'Austrasie fort inquiets de cette prédiction de
funeste augure. Clotaire et Colomban connais-
saient bien les hommes : décourager l'adver-
saire, c'est le meilleur moyen de le vaincre ;
prédire au nom de Dieu une catastrophe, en
ces temps superstitieux, c'était l'amener presque
à coup sûr.
Au printemps, Thierry réunit dans les envi-
rons de Langres les contingents tirés de toutes
ses provinces, mais où dominait l'élément
gallo-romain, les Aquitains, dévoués généra-
lement à la cause de Brunehaut, ayant envoyé
toutes les milices de leurs importantes cités.
Thierry, grâce à ces troupes imbues encore de
l'esprit de discipline romain et bien comman-
dées par le duc Chadoinde qui sera plus tard le
généralissime de Dagobert, aura sur Théode-
— 182 —
bert un véritable avantage, celui de la civilisa-
tion sur la barbarie.
Une première rencontre a lieu sous les murs
de Toul; les Aquitains et les Burgondes écra-
sent l'armée de Théodebert qui, épouvanté,
prend la fuite, franchit les Vosges et se réfugie
dans Cologne, espérant s'y refaire une seconde
armée, grâce aux nombreux renforts qu'il
attendait des points les plus reculés de ses do-
maines et des contrées barbares qui touchaient
à ses frontières. •
Cologne, cette ancienne colonie impériale
placée par Claude sous le patronage d'Agrip-
pine, était restée un centre de civilisation ; il
s'y trouvait encore, malgré les fréquents pas-
sages des invasions germaines, un petit foyer
d'esprit romain. Brunehaut y avait séjourné à
diverses reprises, au temps de ses régences en
Austrasie, et les habitants de la ville, paisibles
descendants des vieux colons romains, étaient
restés attachés de cœur à cette reine qui les
avait protégés contre les pillages et les mau-
vais traitements des leudes. On comprend
quelle dut être leur épouvante en voyant défiler
dans leurs rues étroites, garnies de magasins et
d'entrepôts, le sinistre cortège d'hommes de
— i83 —
guerre qu'avait appelés à son aide des plus
sauvages cantons de la Germanie l'entourage
farouche du roi Théodebert.
D'abord, arrivèrent les leudes des frontières
éloignées, les chefs austrasiens, les ancêtres
des féodaux, menant à la bataille, du haut de
leurs grands chevaux belges, leurs troupes de
jîdèles, comme des meutes de chiens à la curée.
Puis, vinrent successivement les Saxons des bou-
ches du Weser, coiffés de hures de sanglier, de
têtes de loup grimaçantes, marchant sous la
bannière d'Irmensul, où brillait leur emblème,
la rose sauvage des forêts ; les tribus des bords
de la Baltique, les guerriers aux cheveux rou-
ges, aux yeux verts ; les Thuringes à la che-
velure relevée en aigrette, aux longues mous-
taches blondes pendantes ; les Souabes des
monts Sudètes, nus à l'antique mode germaine,
armés seulement de boucliers de bois et de
gigantesques massues. Après eux, ce fut le
tour des hommes du Nord de race danoise,
conduits par leurs rois de mer et d'aventures,
entre choquant leur courte hache et chantant
les bardits des ancêtres. Enfin, comme pour
fermer la marche de la barbarie, défilèrent
dans Cologne, s'avançant aux sons rhythmés
— 184 —
de leurs blancs tambours de guerre, accroupis
sur leurs maigres coursiers à l'échiné osseuse,
aux jambes grêles tachées encore delà boue du
Danube les escadrons des Huns- Avares dont la
face étrange, atrocement tailladée par le fer,
épouvantait les Gallo-Romains. Toute cette
armée campa sous les murs de la ville, atten-
dant, en essayant de s'organiser, l'arrivée des
troupes de Brunehaut.
Bientôt les coureurs de Théodebert signalè-
rent l'approche de l'ennemi. Favorablement
accueilli par les populations de l'Austrasie mé-
ridionale, encouragé même par les évêques,
notamment par celui de Mayence, Léonise, qui
lui conseillait peu chrétiennement d'exterminer
sans pitié son frère et toute sa race, Thierry
était parvenu sans obstacle à quelques lieues de
Cologne. Les Austrasiens et leurs sauvages
alliés voulurent marcher au-devant des envahis-
seurs, et ce fut dans les plaines déjà célèbres de
Tolbiac que se heurtèrent les deux armées fran-
ques, dont l'une, celle de Thierry, représentait
véritablement la France future, tandis que-
s'incarnait dans l'autre, dans celle de Théode-
bert, le vieil esprit germanique.
Boucliers contre boucliers, les épées contre
- i 85 -
les poitrines, brusquement, d'un premier élan
les deux troupes s'entre-choquèrent ; en un ins-
tant, les haches entrèrent dans les têtes, les
poignards dans les gorges ; serrés, comme em-
boîtés les uns dans les autres, les boucliers
devinrent inutiles ; d'une fureur sans égale, les
combattants s'entre -tuaient grisés de carnage-,
les cris mêmes de guerre avaient cessé; nulle
tactique, que de frapper le plus possible. La
mêlée était si épaisse que des rangs entiers de
morts, poussés par les vivants qui les suivaient,
s'avançaient rigides et pâles, n'ayant pas laplace
de tomber, s'enferrant chaque pas davantage
sur les lances et sur les épées ; en plus d'un
endroit, il y eut même, de chaque côté, des ren-
contres de bataillons entiers de cadavres (au-
thentique) qui ne pouvaient même pas s'affais-
ser sur le sol, étreints dans les remous de cette
tempête humaine. Par moments, comme un
éclat de foudre, brillait au-dessus des glaives
levés et des haches tournoyantes une forme
d'homme toute rouge, bondissant sur un cheval
ensanglanté, sans s'inquiéter de retomber sur
les piques levées ou sur les pointes d'épée; c'é-
tait quelque noble franc, en qui se réveillaient
les vieux instincts de ses pères, et qui, habillé
- i86 —
d'écarlate suivant la mode des plus braves, pour
que le sang ne parût pas, frappait sans cesse,
sans repos, en proie à l'extatique fureur qu'ins-
piraient jadis à leurs fidèles les pâles fiancées
promises par OJin aux guerriers qui savaient
mourir.
Des deux côtés, du reste, la rage était égale;
lourds Burgondes, rudes Austrasiens, sauva-
ges hommes du Nord, miliciens d'Aquitaine,
agiles fantassins de Gascogne, tous s'achar-
naient à la moisson sanglante ; une journée
entière, du lever au coucher du soleil, les épées
et les francisques, les massues et les lances, les
angons et les scamasaxes tranchèrent les têtes,
broyèrent les crânes, déchiquetèrent les mem-
bres, fracassèrent les os ; enfin, après de lon-
gues heures de lutte, la Gaule de Brunehaut
l'emporta ; les hordes barbares plièrent et recu-
lèrent en désordre. Définitivement vaincus,
Théodebertet ses cavaliers, après avoir vu tom-
ber Gondulf, le maire du palais d'Austrasie,
s'enfuyaient vers Cologne; à leur poursuite s'é-
lançaient haletants les vainqueurs, et la plaine
de Tolbiac restait vide de combattants.
Cependant, le jour allait finir: les cris des
blessés, les plaintes des mourants lentement
I
- i8 7 -
s'éteignaient; la nuit, nuit d'été calme et repo-
sante, doucement descendait du ciel; inutiles,
les plaintes s'étaient tues; sur ce grand champ
moissonné de la fureur humaine régnait le vaste
silence de la mort et des ténèbres; au loin seu-
lement, dans la noire forêt des Ardennes, sen-
tant le sang, mais craignant l'homme, les loups
hurlaient d'impatience.
CHAPITRE XII
6 12 — 6 1 3
Triomphe de Thierry. Prétentions de Clotaire. Mort de
Thierry, 6i3. Brunehaut régente. Les trahisons des
leudes austrasiens. Défense de Sens par l'évêque Lupus.
Le premier tocsin. Captivité et supplice de Brune-
haut, G 1 3.
D'un formidable élan l'armée de Thierry
s'élança à la poursuite des vaincus. Cologne
ouvrit ses portes; Théodebert (21), pourchassé
au delà du Rhin par Berthaire, camérier du
palais, fut arrêté avec toute sa famille; son
fils, Mérovée, fut tué, et le roi détrôné rentra
prisonnier dans Cologne. Thierry lui laissa la
vie, mais il le fit immédiatement dépouiller de
ses vêtements royaux qu'il donna à Berthaire,
ainsi que le cheval richement harnaché qu'a-
vait monté le roi d'Austrasie.
Thierry et Théodebert quittèrent bientôt Co-
logne; celui-ci pour s'en aller dans un monas-
— 189 —
tère de Châlon recevoir, en échange du dia-
dème emperlé des rois , l'humble tonsure
monacale-, celui-là, au contraire, pour rentrer
triomphant dans Metz, où l'attendait pleine de
joie pour le présent, pleine d'espérance pour
l'avenir, son aïeule Brunehaut, qui avait auprès
d'elle ses quatre arrière-petits-fils, Sigebert,
Corbus, Mérovée et Childebert.
Clotaire, dès qu'il avait appris la nouvelle
du triomphe de Thierry, s'était emparé de tout
le duché de Dentelin, auquel il avait joint par
extension quelques autres pays dont la cession
ne lui avait nullement été promise dans le
traité. Brunehaut, qui ne demandait du reste
probablement qu'un prétexte pour lancer contre
le roi de Neustrie les forces victorieuses de
Thierry, engage son petit-fils à saisir l'occa-
sion ; Thierry, cependant, avant de marcher
contre Clotaire, le somme de sortir des terri-
toires envahis. Le roi de Neustrie ne tient pas
compte de ces réclamations ;• ce n'en est que
plus heureux pour Thierry ; il a pour lui le bon
droit, ce qui est quelque chose, la force, ce qui
est beaucoup, et il va réunir aisément à sa
couronne les lambeaux de provinces que pos-
sède encore Clotaire -, Brunehaut va donc enfin
— igo —
voir son petit-fils, l'héritier de Sigebert, régner,
maître absolu du double droit de la naissance
et de l'épée, sur ce beau royaume de France
qu'avait rêvé Clovis, et qui n'existera que bien
rarement dans l'histoire, sous Charlemagne et
sous Napoléon.
Mais la Mort semble la complice, la fidèle
alliée du sang de Frédégonde; Thierry a déjà
rassemblé de nouveau à Metz ses armées triom-
phantes; le seul souffle de ses chevaux suffirait
à renverser le frêle et tremblant édifice de la
royauté neustrienne, et voilà que tout s'arrête :
Thierry est tombé subitement malade; du
camp on l'a rapporté dans son palais, mou-
rant déjà et du même mal que son père Chil-
debert. « C'est Dieu, soupire saint Colomban,
qui est venu venger par la maladie les souf-
frances de Colomban, son serviteur chéri; c'est
Dieu qui a exaucé les vœux ardents de Clo-
taire. >. Le roi de Neustrie n'avait-il pas plu-
tôt invoqué les mânes de sa mère? En quelques
jours, Thierry meurt d'une dyssenterie, dit
Clotaire, du poison, dit Brunehaut.
Et alors, les rôles sont changés; tout main-
tenant favorise Clotaire; un grand nombre des
anciens leudes de Théodebert, par haine de
— rgi —
Brunehaut, passent au parti du roi de Neus-
trie; et Arnoul, Pépin (22), les deux ancêtres
des Carlovingiens, les ducs Alethée, Sigoald,
Roccon, Endelon, c'est-à-dire les chefs de
l'aristocratie austro-burgonde, l'encouragent à
attaquer Brunehaut, et, impatients de trahir, le
préviennent de se hâter. Clotaire entre donc,
facilement victorieux, dans les Etats de Thierry,
appelant autour de lui tous les partisans de
Théodebert, tous les ennemis de Brunehaut; il
avance jusqu'à Andernach près Coblentz; la
reine recule de Metz à Worms, emmenant
avec elle ses arrière-petits- fils; mais, dans
l'immense douleur que lui a causée la mort de
Thierry, elle ne perd pas courage; il lui reste
des amis, des fidèles; elle le croit du moins;
une fois encore la vieille reine saura faire tête
à la tempête; elle envoie un des leudes, sur qui
elle croit pouvoir le plus compter, Herpon,
qu'elle a nommé connétable de Bourgogne,
demander à Clotaire ce qu'il vient faire dans
les États des enfants de Thierry et le sommer
d'en sortir.
Clotaire refuse; il demande différentes choses,
restitutions de provinces, tutelles des orphelins
royaux, puis que Brunehaut se présente devant
— 192 —
les leudes assemblés et se soumette à leur
jugement, c'est-à-dire qu'elle se livre elle-même
à ses mortels ennemis. Brunehaut savait déjà
du reste qu'entre Clotaire et elle, tous deux
seuls en présence, ce devait être une guerre à
mort.
Pour que le pouvoir ait plus d'unité, elle
rompt audacieusement avec la fatale coutume
qui partage les États des rois francs entre tous
leurs héritiers; un seul de ses arrière-petits-fils
régnera; ce sera l'aîné, Sigebert, dont le nom
aimé mais fatal devait rappeler à la vieille
reine son lointain passé, mais ses malheurs
comme ses joies. Sigebert est élevé sur le pavois
au milieu d'une assemblée réunie dans les
plaines de Worms; et, à peine proclamé, le
monarque de douze ans part pour la Thuringe;
il va faire armer les peuples feudataires, afin
de combler les vides qu'ont faits dans les rangs
de ses troupes les nombreuses désertions des
leudes d'Austrasie; Warnachaire, successeur
de Claudius, le maire actuel du palais de Bour-
gogne, un de ceux qui font parade de leur dé-
vouement pour Brunehaut, le duc Alboin et
d'autres grands, doivent guider l'inexpérience
de l'enfant.
— ig3 —
Ils revinrent bientôt, amenant d'assez nom-
breux contingents qui se fondirent dans l'armée
que la reine, pendant la courte absence de son
petit-fils, avait de son côté rassemblée en Bour-
gogne.
La vieille reine crut alors pouvoir résister par
les armes à Clotaire, qui s'avançait avec une
extrême lenteur, comme s'il eût attendu, tous
les jours, l'annonce d'un de ces événements
imprévus qui avaient déjà plus d'une fois
changé à son profit le cours probable des
choses.
Sigebert, accompagné de ses trois jeunes
frères, se mit à la tète de l'armée destinée à
arrêter l'invasion neustrienne, tandis que son
aïeule restait à Autun, occupée à faire pren-
dre les armes aux peuples de l'Helvétie, qui
dépendaient, comme sujets ou comme tribu-
taires, de la couronne de Bourgogne. Mais
Sigebert, nous l'avons vu, n'était encore qu'un
enfant; l'armée obéissait en réalité à un conseil
militaire, présidé par le maire du palais, War-
nachaire, et composé d'Arnoul, de Pépin et des
principaux farons, tant évêques que laïques,
tous gagnés à Clotaire ,et secrets ennemis de
Brunehaut. Warnachaire (2 3), Arnoul, Pépin
— i 9 4 —
avaient d'avance fait leurs conditions; le prix
de leur félonie devait être, pour Warnachaire,
la mairie à vie, pour Arnoul, l'évêché de Metz,
pour Pépin, la pleine propriété des terres qu'il
administrait en qualité de domestique du palais
d'Austrasie. Il ne s'agissait plus que de trouver
l'occasion de trahir : ces occasions-là se ren-
contrent aisément.
D'abord, dès le début de la campagne, une
partie du contingent austrasien déserte et passe
à Clotaire; l'armée de Sigebert commence à se
troubler; ceux qui ne sont pas du complot
s'inquiètent, perdent courage. Malgré sa jeu-
nesse, le fils de Thierry avait la valeur de ses
aïeux ; il veut, en dépit de ces désertions, mar-
cher à l'ennemi ; perfidement Warnachaire l'y
encourage. Bientôt on est en vue de l'armée
de Clotaire, dans les plaines que traverse
l'Aisne (près de Châlons-sur-Marne). Sigebert
donne le signal du combat; à la tête de sa
cavalerie il va s'élancer sur l'ennemi ; mais, au
lieu de le suivre, les leudes qui l'entourent
restent immobiles, les soldats reculent; on lui
impose la retraite; le conseil de guerre force le
jeune roi à revenir sur ses pas, à reculer jusqu'à
la Saône ; et, durant le trajet, on éloigne de
— 195 —
lui le peu d'hommes qui lui sont restés fidèles.
Et, pendant ce temps, tous les gouverneurs
des villes burgondes ouvrent leurs portes à Clo-
taire et à ses lieutenants. Une seule résista, ce
fut la cité de Sens, qui obéissait à l'évêque
Lupus, un des rares prélats dignes de com-
prendre Brunehaut et par suite de lui être
fidèles. Devant l'armée de Clotaire, il fait fer-
mer les portes, appelle aux remparts les habi-
tants de la ville; Clotaire va donner l'assaut :
un bruit étrange l'étonné et l'arrête; c'est, pour
la première fois dans l'histoire, le tocsin qui
sonne aux clochers de Sens. Jusqu'ici les clo-
ches n'avaient servi qu'à annoncer les solen-
nités religieuses, qu'à appeler aux offices :
pour la première fois, c'est aux armes qu'elles
appellent et c'est le péril qu'elles annoncent.
Effrayé, Clotaire battit en retraite, comme si
les cloches sacrées lui parlaient au nom de
Dieu et lui défendaient d'avancer.
Mais cet échec fut le seul ; arrivée au centre
même de la Bourgogne, l'armée de Sigebert, que
suit de près celle de Clotaire, s'est arrêtée; Clo-
taire la rejoint; les troupes des deux côtés fra-
ternisent et proclament avec enthousiasme le
fils de Frédégonde seul roi de tous les pays
— 196 —
francs. Les conjurés se précipitent sur la tente
où reposent, ignorants du péril, les enfants de
Thierry, fatigués d'une longue marche; ils se
jettent sur eux pour les livrer à Clotaire.
Dans le tumulte, un seul échappe, Childe-
bert (24) : il saute sur un cheval qui se trouvait
là par hasard et, droit devant lui, s'enfuit à
l'aventure. Nul ne sut alors ce qu'il était deve-
nu, on le crut mort dans sa fuite, de misère ou
de faim; mais une vieille tradition, consolante
légende à laquelle nous voulons croire pour
notre part, prétend que de ce proscrit descend
unedesplus nobles familles qui aient porté la cou-
ronne impériale, la famille des Habsbourg. Du
moins, le sang de Brunehaut ne serait pas éteint
à jamais et battrait encore de nos jours dans des
coeurs dignes de la reine d'Austrasie.
Les trois autres enfants, Sigebert, Corbus et
Mérovée, furent livrés à Clotaire qui fit froide-
ment égorger les deux premiers ; le troisième
seul fut épargné ; tout jeune , il était peu à
craindre; c'était d'ailleurs le filleul de Clotaire,
qui, superstitieux comme tous les cruels, crai-
gnait d'attirer sur lui la vengeance divine, en
immolant celui que l'Église nommait son fils
spirituel. Cette fois, c'en était fait de la race de
— i P 7 -
Sigebert, du trône de ses fils, et les ossements
de Frédégonde en devaient tressaillir de joie
dans leur caveau funèbre de Saint-Vincent de
Paris.
On comprend quelle dut être, en revanche,
rhorrible, l'épouvantable douleur de Brune-
haut, quand lui parvinrent ces fatales nouvel-
les. Quel asile pouvait-il lui rester? D'ailleurs,
en avait-elle encore besoin , ne valait-il pas
mieux pour elle mourir immédiatement, main-
tenant que du tronc desséché de sa race tous
les rejetons étaient coupés?
Cependant, poussée par un dernier espoir de
vengeance, elle voulut encore essayer de lutter,
et, malgré l'âge, malgré ses quatre-vingts ans,
soutenue par les restes de son énergie d'autre-
fois, elle se jeta dans l'Helvétie où elle espérait
trouver des vengeurs pour les siens. Depuis
quelques années, sa petite-fille, Théodelinde,
vivait retirée dans le château d'Orbe , que
Thierry lui avait donné pour apanage, avec
les pays des environs, le canton de Vaud
et rUchtland-, là Brunehaut espéra, grâce à
l'influence de sa petite-fille, pouvoir refaire une
armée.
Dominant une gorge escarpée du Jura, le châ-
— 198 —
teau d'Orbe était une vieille forteresse romai-
ne, d'aspect morne et sévère, flanquée de tours
épaisses, entourée de hautes murailles en ci-
ment; on eût pu au besoin y soutenir un long
siège. Brunehaut y arriva bientôt; Théodelinde
la reçut et voulait bien l'aider, venger, elle aussi,
les pauvres enfants assassinés. Mais , avant
-qu'aucune mesure ne fût prise, précédé comme
d'un messager de mort , de la terrifiante nou-
velle, arriva le connétable Herpon , un des leu-
des les plus acharnés contre Brunehaut, à qui
cependant il devait, comme nous l'avons dit
plus haut, sa charge et sa fortune; nul n'ose
prendre la défense des deux femmes proscrites
par Clotaire; nul bras d'homme dans la con-
trée n'ose se lever pour les défendre; et le châ-
teau n'avait pour garnison que quelques femmes
et quelques clercs.
Pas de résistance possible; Herpon, ce servi-
teur infidèle, s'empare de Brunehaut, et, triom-
phant, calculant déjà de quels grands béné-
fices on paiera sa capture, il entraîne la reine
vers le camp de Clotaire, établi à Rionne, sur
les bords de la Vigeanne. Il y parvint bientôt;
à la nouvelle de son approche, Clotaire avait
convoqué tous les leudes et tous les évêques de
— i 9 9 —
son parti, Warnachaire à leur tête, qui d'une
voix unanime avaient demandé la mort de Bru-
nehaut, et une mort qu'elle sentît venir.
On amena donc la reine, à peine arrivée, en-
core brisée de la route, souillée de la poussière
du chemin, devant cette assemblée de juges
étranges, où se mêlaient aux armes de fer les
crosses d'or, aux manteaux de guerre en peaux
de bêtes les longs vêtements blancs et les étoles
de soie des évêques. Là, elle put reconnaître
tous ceux en qui elle s'était confiée et qui l'a-
vaient trahie; elle put voir, nouvelle douleur
pour une âme rigide et juste, l'injustice triom-
phante, la trahison récompensée.
Mais Brunehaut ne pouvait plus souffrir : sa
race était éteinte, sœur, épouse, mère, aïeule
et bisaïeule, elle avait vu mourir de mort tra-
gique tous ceux qu'elle avait aimés ; il n'y avait
plus en son -âme place pour de nouvelles dou-
leurs; toutes elle les avait épuisées; elle sem-
blait déjà jouir du grand repos de ceux qui
ne sont plus. L'âme cuirassée du triple airain
du désespoir, comme enveloppée du linceul
inerte, elle resta insensible, indifférente à tout,
morte déjà de la mort des siens. Et, quand on
l'entraîna en présence de ces leudes en furie,
— 200 —
de ces Pépin, de ces Arnoul, de cesWarnachai-
re, qui hurlaient de joie en voyant prise enfin la
reine-lionne qui si longtemps les avait fait trem-
bler, devant ce déchaînement de rage et de sau-
vagerie, devant ces grincements de joie san-
glante, froide elle demeura, sans mot dire , sa
figure de marbre ne changea pas, et l'on eût dit
que cette bande d'assassins en délire n'insultait
qu'un cadavre. Même quand Clotaire, ce disci-
ple bien- aimé de saint Colomban, s'approcha
l'écume et l'injure à la bouche, semblable à sa
mère, et qu'il s'écria comme infamie suprême :
« C'est toi qui as tué Sigebert et Mérovée, Chil-
péric, mon père, Théodebert et son fils, mon
fils à moi, Mérovée, enfin Thierry et ses trois
enfants (ces arrière-petits-fils de la reine dont il
venait d'égorger deux lui-même), >» la vieille
reine ne s'indigna même pas.
Exaspérés, Clotaire, roi très-pieux, Arnoul, le
futur évêque, Pépin, cet ancêtre de Charlema-
gne, ne savent plus que faire; il faut cependant
qu'elle souffre, qu'elle pleure, il faut entendre
ses lamentations, boire ses plaintes, savourer
sa douleur. A la torture Brunehaut ! Et pendant
trois longs jours, autour du camp on la pro-
mène sur la monture infamante, le chameau,
— ' 201
destiné, comme l'âne de nos jours, aux plus vils
usages, à porter les goujats de l'armée -, la bande
des leudes la suit, en la frappant comme une
esclave, des verges et du bâton qui déshonorent.
Et, pendant ces trois jours, pas un mot, pas
une plainte ne sortit des lèvres de la reine.
Clotaire, ses leudes et ses évèques étaient en-
core les vaincus. Enfin, le quatrième jour, fati-
gués eux-mêmes de cette lutte inégale contre une
vieille femme, ils se décident à en finir.
On amène un étalon fougueux, à ses flancs
on suspend des éperons acérés. A la queue du
cheval indompté on attache la reine par un pied,
par une main et par ses cheveux blanchis -, puis
le cheval est lâché-, frémissant, il s'élance droit
devant lui; par les halliers, les vallons, par les
plaines et les collines, il va soufflant, écumant,
cherchant à repousser de ses ruades le poids
inconnu qu'il traîne après lui, et, à chaque
ronce, à chaque épine, à chaque pierre, Brune-
haut laisse de son sang, de sa chair et de sa
vie; derrière galopent les leudes, excitant la
course meurtrière de l'étalon effaré, criant, son-
nant de leurs trompes de chasse, chantant à
tue-tête, d'une formidable joie. Le corps de
Brunehaut n'est déjà plus qu'une masse informe,
— 202 —
mais le cheval va toujours, comme le fantasti-
que coursier des ballades allemandes; il laisse
loin derrière lui les montures épuisées des bour-
reaux; enfin, au déclin du jour, dans un vallon
désert, à quelques lieues du camp de Clotaire,
il s'abat à bout de forces.
Et alors, quelques pauvres gens, quelques
timides clercs qui de bien loin, tout trem-
blants, avaient suivi cette épouvantable tra-
gédie, craintivement s'approchèrent, apportant
à la reine l'humble et touchante aumône
de leurs prières et de leurs regrets. Ils s'ap-
prêtaient à l'ensevelir; mais les leudes francs
voulaient qu'il ne subsistât rien de leur en-
nemie ; ils arrivent à l'endroit où le cheval est
tombé, à coups de fouet ils écartent le menu
peuple; par leurs ordres, un bûcher s'élève,
et il ne reste bientôt du corps de Brunehaut
que quelques cendres mêlées à celles d'un bra-
sier; le vent de nuit les dispersera dans quel-
ques heures comme la poussière du grand che-
min. Mais, la nuit venue, semblables à des
fantômes glissant dans l'obscurité, les pauvres
et les clercs revinrent timidement, sans bruit ;
ne pouvant distinguer dans cet amas de cen-
dres ce qui restait de la reine, ils prirent pèle-
— 2o3 —
mêle les débris du bûcher et de la victime, et,
pieusement, ils les emportèrent vers Autun ,
psalmodiant à voix basse les offices des tré-
passés. Sous le grand autel de la cathédrale
d'Autun qu'avait fondée Brunehaut, ils soule-
vèrent une pierre, creusèrent une fosse, et là dé-
posèrent les cendres, les os à demi brûlés, les
fragments d'étoffes ou de parures ramassés sur
le bûcher ; puis la pierre fut reposée, et l'autel
élevé par la reine aux jours de sa puissance
couvrit de sa protection les restes de la sup-
pliciée (2 5).
Et pendant bien longtemps, pendant les lon-
gues années du règne de Clotaire, tandis que
saint Arnoul, saint Colomban, le second saint
Didier(Didierd'Alby), saint Goéric, saint Faron,
saint Romaric , tous commensaux royaux,
priaient pour leur maître et bienfaiteur, pour
ce roi pieux et doux, généreux envers l'Eglise,
quelques pauvres gallo-romains pillés, frappés
par les leudes, quelques tristes clercs, tour-
mentés par leurs évèques, quelques misérables
voyageurs, quelques mendiants sans gîte et sans
pain, qui tous se ressouvenaient des lois protec-
trices et des asiles tutélaires d'autrefois , ve-
naient s'agenouiller devant l'autel de Saint-Mar-
— 204 —
tin d'Autun, de cœur disant pour Brunehaut
ces prières du pauvre et du malheureux, qui
valent mieux, il faut l'espérer, que celles d'un
saint Arnoul ou d'un saint Colomban!
CHAPITRE XIII
l'opinion de l'histoire
Une brune viendra d'Espagne pour ré-
gner aux pays des Gaules; elle verra pe'rir
bien des rois et mourra sous les pieds des
chevaux.
Prédiction de la Sibylle.)
Après avoir raconté toute la longue vie de
Brunehaut, si pleine de malheurs, de catas-
trophes, de péripéties de toute sorte, il nous a
paru convenable d'exposer en quelques lignes
ce que les principaux historiens, tant anciens que
modernes, ont pensé de cette grande reine
qui a eu l'honneur, comme on peut le voir par
l'épigraphe ci-dessus, de préoccuper jusqu'à la
fabuleuse Sibylle.
Nous avons, et il n'y a pas grand mérite à
cela, la prétention d'avoir donné un récit plus
206 —
exact que ceux de nos devanciers; dans notre
volume, il n'y a pas un fait, pas un détail, qui
ne soit tiré d'un auteur contemporain de Bru-
nehaut, ou du moins d'un écrivain du même
siècle, qui pouvait encore recueillir des souve-
nirs réels et sincères. Nous nous sommes, en
revanche, énormément méfié de ces écrivains
du moyen âge qui ont induit en erreur la plus
grande partie des auteurs d'histoires de France.
Ce sont des guides dangereux ; autant ils sont
précieux pour les faits dont ils ont été témoins,
autant ils sont peu croyables quand ils parlent
de temps un peu éloignés, et surtout des origines
de l'histoire. Ils se laissent entraînera tout croire,
ils admettent tout sans contrôle ; on voit bien
qu'ils sont trop avides de miracles, trop curieux
de prodiges, trop amoureux de légendes ; mais
ils sont, avec cela, d'une si charmante naïveté
qu'un peu plus on y voudrait croire comme eux.
Le plus frappant exemple du peu de confiance
qu'on doit avoir dans ces récits du temps
passé, c'est la célèbre Chronique de Saint-
Denis.
Commencé, on le sait, par les ordres de
Suger, ce curieux recueil, fort bien fait ensuite
au jour le jour par des témoins oculaires, pré-
— 207 —
sente, sous le fallacieux prétexte de nous racon-
ter les origines de la France, une série de fables
et d'inepties, à croire vraiment à une gageure
contre le bon sens du lecteur.
Au moins, les auteurs contemporains de
Brunehaut sont plus sérieux; Grégoire de Tours,
le pape saint Grégoire P r , tels vont être les té-
moins appelés par nous pour déposer en faveur
de la reine.
A tout seigneur tout honneur, écoutons d'a-
bord le pape : « Brunehaut, dit-il, est une reine
pieuse, une régente habile, une femme, une mère
vraiment chrétienne; nulle n'est plus charitable
qu'elle; on ne sait pas le nombre de ses bien-
faits. C'est à elle, après Dieu, qu'on doit la
conversion de l'Angleterre; c'est grâce à elle
que le royaume des Francs est autant au des-
sus des autres nations que les rois sont au des-
sus de leurs sujets. »
Grégoire de Tours va nous dire ensuite que
Brunehaut était un modèle de vertu ; et il louera
à différentes reprises sa sagesse, ses mérites
et sa charité.
Or, il n'y a que trois contemporains qui aient
parlé de Brunehaut : on voit que l'avis des
deux premiers lui est favorable; le troisième
MUMM
— 208 —
contemporain, saint Fortunat, évêque de Poi-
tiers, va renchérir encore: «la reine est plus
qu'une mortelle, c'est une déesse, etc....»
Mais, comme Fortunat louait tout le monde,
même Frédégonde et Chilpéric, pourvu qu'on
lui fît quelque cadeau, nous faisons peu de cas
de son opinion, et nous ne nous appesantirons
pas sur ses éloges, de peu de poids à côté de
ceux des deux saints Grégoire.
Maintenant, brusquement, l'opinion va chan-
ger. Brunehaut vient de mourir; et c'est le fils
de sa rivale, Clotaire, qui établit sa dynastie
sur le trône désormais unique de la nation
franque.
Frédégaire écrit; et, nécessairement, pour
plaire au roi régnant, il attaquera la mémoire
de Brunehaut ; c'est lui qui invente la fable de
l'amour de Brunehaut pour Protadius, l'his-
toire des tablettes trouvées par Warnachaire
(voir note 23). Puis, vient l'hagiographe Jo-
nas, triste moine italien, esprit fanatique et
grossier, disciple précisément de ce Colom-
ban, l'ennemi le plus acharné de la reine; avec
lui, commencent les fables les plus absurdes,
ces récits, honteux pour la vraie piété, où l'on
voit Dieu s'occuper miraculeusement de cas-
— 209 —
ser la vaisselle de Brunehaut et de Thierry
Aimoin, l'auteur anonyme des Gesta Fran-
corum, et l'évêque Adon, qui vivait un siècle et
demi plus tard, vont encore plus loin tous les
trois; c'est à cet Adon, notamment, qu'on doit
l'absurde conte suivant : âgée de plus de
soixante ans, Brunehaut eut un beau jour l'idée
de s'unir légitimement à plusieurs maris; à ce
propos, elle fit venir à sa cour saint Didier,
pour lui demander son avis; saint Didier, pré-
curseur de Molière, déclara que la polyandrie
était un cas pendable ; de là, la haine de Bru-
nehaut, et, finalement, la mort tragique du
saint. Aimoin, par exemple, écrivant trois cents
ans après Brunehaut, est bien forcé d'admirer
les travaux dont elle couvrit la Gaule, ce qui
prouve, par parenthèse, que les hommes du
dixième siècle, presque contemporains et mieux
informés sans doute que les savants du dix-
neuvième, n'attribuaient pas, comme ceux-ci,
à la domination romaine ce qui était réellement
1 œuvre de la reine d'Austrasie.
Les Chroniques de Saint-Denis sont rédigées
d'après les documents ci-dessus : c'est tout
dire.
Parmi les historiens modernes, et par moder-
mm
2IO
nés nous entendons ceux des derniers siècles,
nous n'en trouvons aucun qui prenne franche-
ment la défense de la reine calomniée, sauf le
jésuite espagnol Mariana ; et encore, le bon
père ne parle-t-il qu'incidemment de Brune-
haut dans une Historia Gothorum. Adrien de
Valois attaque furieusement la pauvre reine-,
il serait, dit-il, tenté de traiter de fou et de vi-
sionnaire le malheureux Mariana. Brunehaut
« erat in œncubitus homimim projecta, » d'a-
près cet Adrien de Valois ; mais il n'en peut
donner aucune preuve ; Brunehaut, croyons-
nous, avait trop à faire pour songer à aimer; elle
avait à se venger, et la vengeance est un senti-
ment plus fort encore que l'amour. Notre sé-
vère auteur va jusqu'à louer les leudes d'avoir
conspiré contre elle: «Son arrogance contre les
grands les a deux fois forcés de conspirer. »
Elle était arrogante parce que justement on
conspirait contre elle et ses enfants. Toujours
d'après Valois, Brunehaut ne peut pas plus
être défendue par les louanges du pape Gré-
goire que parce qu'il appelle le silence de Gré-
goire de Tours. Valois est bien forcé d'avouer
là que Grégoire de Tours, contemporain impar-
tial, ne dit rien contre Brunehaut. Quant au
— 211 —
pape, ajoute-t-il, il ne pouvait pas parler contre
la reine, étant forcé de la flatter. Adrien de Va-
lois se montre là bien peu respectueux pour le
Saint-Père : il voudrait donc en faire un hypo-
crite. Velly, Cordemoy, le président Pasquier,
du Tillet, voient dans les actes de la reine un
mélange de bien et de mal ; dom Calmet ex-
prime une opinion que nous verrons tout à
l'heure reproduite par Henri Martin. Montes-
quieu se contente de reconnaître à la reine
d'Austrasie de grands talents et une haute intel-
ligence. Bossuet avait trop de génie pour croire
aveuglément à toutes les calomnies débitées
par les précédents historiens, mais devant une
opinion presque unanime, il hésite : « Sa vertu,
dit-il, tant louée par le pape Grégoire, a peine
encore à se défendre. » Voltaire, avec son intel-
ligence vive et nette, avait une profonde horreur
de toute cette époque embrouillée, obscure et
mal connue de son temps. Pour lui, Brune-
haut, Frédégonde, leurs époux et leurs fils
ne sont que des Welchcs, des barbares comme
les sauvages du Canada -, il ne veut pas s'en
occuper, n'examine rien et s'en tire, dans
son Essai sur les mœurs, par une plaisan-
terie sur le chameau de Brunehaut, criminelle
— 212 —
et malheureuse, ajoute-t-il en un autre en-
droit.
Anquetil, rempli d'erreurs pour cette pé-
riode, et suivant aveuglément, comme il l'a-
voue lui-même, l'opinion de Mézeray, veut
« se hâter de faire disparaître cette mégère (Bru-
nehaut) de la terre. , Et, cependant, quelques
lignes plus haut, il n'est pas aussi affirmatif
contre cette mégère; ■ il doute qu'elle fut
aussi coupable qu'elle a été accusée de l'être. »
Sismondi commence par être fort injuste à
l'égard de Brunehaut: « Elle avait contracté dès
sa jeunesse une habitude de galanterie. » Où
donc, s'il vous plaît? Etait-ce auprès des ca-
davres de Sigebert et de Mérovée, sous la me-
nace perpétuelle des poignards et du poison de
Frédégonde ? Mais, ensuite, vaincu par l'évi-
dence, Sismondi se montre plus impartial:
«On l'accusa de beaucoup de crimes qu'elle
n'avait pas commis, on parla de son libertinage
à une époque où l'âge avait probablement
glacé un sang longtemps brûlant. Elle ne con-
nut ni la pitié ni l'amour. Elle consacra à l'ar-
chitecture les trésors qu'elle amassait par les
concussions qui ont souillé sa mémoire. » Il y
a bien là quelque chose à répondre : Brunehaut
— 2l3 —
connaissait la pitié, témoin la grâce accordée à
un assassin (voir p. 85 et suivantes), son rôle
dans l'affaire de Bertfried. Quant à ses concus-
sions, c'était simplement la ferme volonté de
faire payer l'impôt aux plus riches, pour l'em-
ployer, non à une architecture quelconque,
mais à des travaux d'une utilité générale et in-
contestable.
Voyons maintenant l'opinion d'Henri Mar-
tin : « Avec ses belles années (de Brunehaut)
disparut ce qu'il y avait eu de généreux en
elle; toute notion du juste et de l'injuste s'étei-
gnit dans son âme. » Eh! non, ce qui dispa-
raît, c'est saint Grégoire de Tours, ce qui s'é-
teint, c'est une histoire impartiale, remplacée
subitement par celle de Frédégaire, faussaire
historique au service du fils de Frédégonde.
Grégoire de Tours, en effet, n'a écrit que la
première moitié de la vie de la reine : c'est une
œuvre loyale, bien faite pour l'époque; Frédé-
gaire, au contraire, a raconté les derniers
temps de Brunehaut; et c'est là qu'abondent
les calomnies qui ont fait condamner un peu
légèrement par l'histoire la veuve malheureuse
de Sigebert, la mère et l'aïeule des rois enne-
mis de Clotaire.
— 214 —
Michelet n'est pas favorable à Brunehaut
et nous regrettons vivement de nous trouver'
sur un seul point, en désaccord avec ce maître
veneré. Mais, dans sa belle Histoire de France
l'illustre auteur a un peu sacrifié l'époque mé-
rovingienne; il avait hâte d'arriver à des temps
plus modernes, qui convenaient mieux à son
geme. Il prendrait presque parti pour Frédé-
gonde : « Par sa lutte contre Brunehaut, elle
sauva peut-être l'occident de la Gaule d'une
nouvelle invasion barbare. » Nous croyons le
contraire : si Brunehaut avait triomphé, la
civilisation romaine se serait relevée de ses
ruines et l'Occident n'aurait peut-être pas eu
a subir la longue barbarie du moyen âge.
Le comte de Saint-Priest retrouve dans la
grande reine « l'empreinte effacée du profil de
Semiramis. ,, Cela peut fort bien prêter à deux
sens, car l'histoire, ou plutôt la fable, nous
montre la souveraine d'Assyrie régnant glo-
rieusement, il est vrai, mais ne se faisant au-
cun scrupule d'assassiner ceux qui la gênent
Avant de terminer, rappelons l'opinion de
Boccace, qui, dans son traité Zfe claris mulie-
nbus, se laisse toucher par le récit que Bru-
nehaut est censée lui faire de ses longues in-
— 2l5 —
fortunes. Mais il semble craindre le témoi-
gnage, naturellement intéressé, de la reine
d'Austrasie. Il la croit calomniée; mais, s'il
se trompe, qu'on s'en prenne, dit-il, impor-
tunitati tristissime exorantis, aux trop vives
instances de la lamentable suppliante.
Quant aux cours d'histoire, aux biographies,
aux dictionnaires, ils sont tous plus ou moins
hostiles à Brunehaut.
Notre tâche est achevée; nous n'avons pas
voulu réfuter une à une toutes les calomnies;
nous avons simplement raconté les choses
telles qu'elles furent. Le lecteur a les pièces en
main, c'est à lui de juger. Qu'on nous permette
seulement de dire que nous ne trouvons pas
dans l'histoire une figure plus grande que celle
de notre héroïne. On ne peut en réalité lui re-
procher qu'une chose, la passion de la ven-
geance; mais, devant les crimes de Frédé-
gonde, devant les trahisons des leudes, devant
ce débordement de lâchetés et d'infamies, la
passion de la vengeance n'est que la soif de la
justice. Pour couronner cette carrière, il fallait,
le Destin l'a compris, quelque chose de surhu-
main, l'auréole ou, mieux, le coup de foudre.
Et quel tableau y a-t-il plus saisissant dans les
■
mm
— 2l6 —
annales humaines que les derniers moments de
notre Brunehaut, mourant symbole de la
royauté qu'entraîne farouche, écumant, vers
les plaines de l'avenir, le féodal destrier ?
3
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS
NOTE I, PAGE 8.
État de la famille royale des Mérovingiens en 566.
Clotaire avait laissé quatre fils : Caribert. l'aine, roi
de Paris; Gontran, roi de Bourgogne; Chilpéric,
roi de Neustrie; Sigehert, roi d'Austrasie. Mais Ca-
ribert meurt en 567, et son royaume est partagé entre
ses trois frères. Chilpéric est suffisamment connu par
les Récits des temps mérovingiens d'Augustin Thierry.
Il est assez souvent question de Sigebert dans le pré-
sent volume pour que nous n'en parlions pas davan-
tage. Ajoutons donc seulement quelques détails sur
Gontran.
On sait que Gontran fut canonisé et passait pour
saint à miracles; il opéra, quelque temps après sa
mort, de nombreuses guérisans. Un fiévreux, trans-
porté sur la pierre tombale du roi, retrouvait immé-
diatement la santé.
Cela n'avait pas empêché Gontran d'avoir été, de
son vivant, légèrement cruel. Un jour, il avait fait
i3
— 2l8 —
tuer un leude pour avoir chassé dans une des forêts
royales. Une autre fois, une de ses femmes, se sentant
sur le point de mourir, lui demanda, comme grâce
dernière, de faire enterrer ses médecins avec elle : le
bon roi, regardant comme sacrées les dernières
volontés d'une mourante, exécuta scrupuleusement,
les intentions de sa femme, et les pauvres myres
furent, malgré toutes leurs protestations, enterrés
tout vivants. Saint Contran se fête le 28 mars; mal-
gré ses vertus curatrices, ce n'est pas le patron des
médecins.
Faisons observer, du reste, que, si l'on trouve à
ces époques des saints fort peu recommandables, c'est
que chaque église, chaque couvent avait le droit de
canoniser qui bon lui semblait, de sorte que presque
tous les fondateurs ou bienfaiteurs de monastères et
d'églises recevaient de la reconnaissance de leurs
obligés le titre alors un peu trop prodigué de saint ou
de bienheureux.
Ce fut une bulle du pape Alexandre III, effrayé du
peu de valeur de ces saints locaux, qui mit fin à cet
abus et réserva à la cour pontificale le droit de cano-
nisation. Malheureusement Alexandre III crut devoir
respecter les positions acquises, et c'est ce qui expli-
que la présence dans la milice céleste de saints comme
Gontran, Éloi, Léger, Charlemagne et tant d'autres,
dont la vie n'offre que les plus pernicieux exemples.
Sous le règne de Gontran, en 585, eut lieu ce célèbre
concile de Mâcon, où l'on examina longtemps la
question de savoir si les femmes avaient une âme.
A côté de quelques-unes de ces absurdités on trouve,
— 219 —
dans les conciles de cette époque, des traits charmants
de délicatesse, entre autres celui-ci : on défend aux
évêques d'avoir des chiens de peur d'effrayer et d'é-
carter le mendiant.
NOTE 2, PAGE 9.
Les Wisigoths. LesWisigoths occupaient l'Espagne
depuis l'an 412. Ils avaient entièrement adopté la
civilisation romaine; chrétiens depuis longtemps, ils
avaient embrassé l'arianisme, qui du reste était à ce
moment plus répandu que le catholicisme. Etablis
aussi dans le Midi de la Gaule, Clovis leur avait, on
le sait, enlevé plusieurs provinces; Childebert I er les
avait également vaincus.
NOTE 3, PAGE 9.
Clovis. Il ne nous eût pas été bien difficile de par-
semer, h l'imitation de la plupart des auteurs con-
temporains, nos vieux noms mérovingiens de ch, de
A", de //, de w de fantaisie ; étalage de fausse science
mis généralement au hasard; mais, réellement amou-
reux de la vraie couleur locale, nous avons renoncé a
la parodier ainsi, et nous nommerons simplement
Clovis, Clovis, ce qui est français, au lieu de Hllod-
dowig, ce qui n'est d'aucune langue.
Nous avons donc conservé aux noms propres l'or-
thographe vulgaire, attendu qu'il est impossible avec
nos lettres de rendre exactement les mots et l'accent
germaniques, et que les auteurs qui vivaient du temps
des Mérovingiens, témoin Grégoire de Tours, y
avaient eux-mêmes renoncé.
220 —
NOTE 4, PAGE 24.
La Provence, part du roi Gontran. On sait à quel
point sont enchevêtrées les unes dans les autres les
différentes parts des rois-frères. Cependant, nous
croyons qu'il y a une remarque à faire au sujet de
ces partages, si embrouillés qu'Aug. Thierry croit
que toutes les villes que comprennent les parts ont
été tirées au sort. Il y a dans la partie septentrionale
de la Gaule, pour chaque frère, un royaume central :
la Neustrie, l'Austrasie, la Bourgogne sont bien déli-
mitées ; au contraire, les provinces d'outre-Loire sont
littéralement hachées en parcelles ; il y avait peut-être
une raison à cela. C'étaient les dernières conquêtes
des rois francs; les Wisigoths pouvaient vouloir les
reprendre, attaquer un des rois; avec ce partage mor-
celé, il était impossible d'attaquer un des frères sans
nuire aux autres; de sorte que les différents rois francs
se trouvaient forcément réunis pour la défense de l'A-
quitaine et de la Provence. La Provence n'était pas,
d'après ce que nous venons de dire, la propriété
exclusive du roi Gontran; mais il en possédait la
partie la plus importante. Par un souvenir de la do-
mination romaine, le duc qui la commandait au nom
de Gontran portait le titre aboli et inusité partout
ailleurs de recteur, rector.
note 5, PAGK 32.
Le palais de la Cité. Il ne faut pas confondre ce
palais avec celui des Thermes qui, ravagé à plusieurs
2 2T —
reprises par suite de sa position hors de la partie for-
tifiée de Paris, n'était guère habité, surtout en temps
de. guerre, par les rois mérovingiens. La résidence
royale, dont il est ici question, s'élevait à la pointe
ouest de l'île de la Cité, h peu près sur l'emplacement
du Palais de justice.
NOTE 6, PAGE 32.
Angon et autres armes franques. Les Francs avaient
pour armes offensives la framée (lance), l'angon (jave-
lot-harpon), la francisque (qualifiée toujours, même
par Augustin Thierry, d'arme à deux tranchants, et
qui était une hache à un seul tranchant). Toutes les
francisques, et elles sont nombreuses, retrouvées
dans les sépultures mérovingiennes, sont toujours
à un seul tranchant.
Ce qui a occasionné l'erreur générale et enracinée
sur la francisque, c'est le mot bipennis employé par
les premiers auteurs latins qui en aient parlé ; Pro-
cope, Agathias ont ensuite traduit en grec par hache à
deux tranchants, et tout le monde a suivi le courant.
Maintenant, si les Romains ont employé le mot
bipennis pour signifier une hache a un seul tranchant,
ils ne sont pas aussi absurdes qu'ils le paraissent. Il
n'y a que trois mots en langue latine pour exprimer
l'idée de hache : securis, c'est la hache primitive; ce
mot s'applique à celle du licteur, du bûcheron, du
cultivateur : dolabra } c'est la hache ou tout instru-
ment similaire a l'usage des industries du charpen-
tier, du menuisier, etc.; enfin bipennis qui s'emploie
■Pi
8W
m0tr ^
— 222
pour hache de guerre, la hache de guerre ayant eu
primitivement et ayant chez les Romains deux tran-
chants. Les auteurs latins, ne pouvant employer ni le
mot securis, ni le mot dolabra, qui désignent des
outils, ont été forcés d'employer, pour désigner la
francisque à un tranchant, le mot impropre bipennis,
hache à deux tranchants, qui du moins indiquait une
arme de guerre.
Les armes offensives consistaient en boucliers et
en casques; ceux-ci réservés aux chefs et aux prin-
cipaux guerriers. L'usage des flèches et des traits
était rare, les Francs combattant toujours de près.
NOTE 7, PAGE 54.
Ingonde. Le mariage d'Ingonde ne fut pas heureux;
elle eut le malheur de convertir au catholicisme son
mari Erménigilde, qui se révolta contre Léovigilde,
son père, successeur d'Athanagilde (mais non de sa
famille). Erménigilde fut mis à mort, et Ingonde,
réfugiée dans les domaines de l'empereur d'Orient,
mourut bientôt en Afrique, laissant un fils, nommé
Athanagilde, comme le père de Brunehaut, et qui
fut emmené à Constantinople. Contran fit la guerre
aux Wisigoths pour venger Ingonde, que Brunehaut,
alors sans pouvoir, fut dans l'impossibilité de secou-
rir. Plus tard, Reccarède, frère d'Erménigilde, de-
manda la main de Clodosinde, sœur d'Ingonde.
note 8, tage 60.
Les Lombards. Ce peuple, d'origine germanique,
RM
— 223 —
s'était établi (568) en Italie sous la conduite du roi
Alboin qui avait épousé une fille de Clotaire I er , sœur
par conséquent de Gontran, de Chilpéric et de Sige-
bert.
NOTE 9, PAGE 85.
Mort de Rauching. Il ne faut pas s'étonner de voir
les rois de ces âges reculés prendre une part directe
aux exécutions. Le roi, dans les temps primitifs, seul
maître de la vie de ses sujets, était leur exécuteur.
Autrefois, en France, le bourreau tenait directement
du roi, comme par une délégation de ses droits, le
pouvoir de tuer et de torturer. De nos jours encore,
la noble main d'un chef d'État qui signe le rejet d'un
recours en grâce fait autant pour la chute d'une tête
que la main vile du bourreau qui presse le ressort de
la guillotine.
NOTE 10, PAGE 91.
Le pays de Resson. C'était un territoire situé près
de Compiègne et de Soissons; il existe encore deux
villages, Resson-sur-Matz, et Resson-le-Long, qui
rappellent l'existence de ce pays. Le pays de Resson
tirait son nom des Rossontenses, peuplade celtique
dépendant de l'importante tribu des Bellovaques.
NOTE I I , PAGE 100.
Soissoyis. Il paraîtrait, d'après cette demande des
leudes de Soissons, que Childebert s'était emparé de-
puis quelque temps déjà de la ville de Soissons qui,
— 224 — '
bien que capitale de la Neustrïe, était très-voisine
des frontières d'Austrasie. Mais nous n'avons pu
trouver dans aucun auteur à quelle époque eut lieu
la prise de Soissons. On peut être sûr seulement que
ce fut dans les premières années de la minorité de
Clotaire II, fils de Chilpéric et de Frédégonde.
NOTE 12, PAGE 123.
L'épreuve du pain et du fromage. Cette épreuve
consistait à faire manger dans une église une notable
quantité des aliments susénoncés, préalablement
bénits, à ceux qu'on soupçonnait d'un crime ou d'un
délit. En cas de procès, les deux parties étaient sou-
mises à ce régime judiciaire. Celui qui était dans son
tort était désigné par une violente indigestion. Les
gens d'estomac faible évitaient alors soigneusement
les procès. Cette sorte de combat gastronomique
tomba en désuétude devant l'usage chaque jour plus
fréquent des combats judiciaires, qui n'étaient pas
plus raisonnables que l'épreuve gastronomique, mais
qui du moins ne prêtaient pas à rire.
note i3, PAGE 1 36.
Chameaux. Les chameaux étaient fréquemment
employés en Gaule du temps des Mérovingiens
comme bêtes de somme et de travail. De plus, leur
poil servait à faire une étoffe feutrée, sorte de drap à
bon marché, que ne portaient guère que les pauvres
et qu'on nommait camelotum. C'est l'origine du mot
camelot qui, par extension, s'applique, ainsi que son
— 225 —
dérivé féminin camelote, à toutes sortes de marchan-
dises sans valeur, et même, en termes populaires, aux
vendeurs de ces marchandises.
On prétend que le climat de la Gaule du VI e siècle
n'était pas le même que celui de la France du
XIX e siècle. C'est fort possible, mais l'existence du
chameau ne prouverait rien en cette affaire; aujour-
d'hui, cet animal est employé dans toute la Mongolie
où la température, l'hiver, est beaucoup plus basse
qu'en France. Les chameaux, qui servent aux cara-
vanes du nord de la Chine, sont souvent recouverts
entièrement de neige pendant les nuits de bivouac et,
le lendemain matin, reprennent leur fatigant labeur
sans s'en porter plus mal. Une preuve incontestable
de la grande quantité de chameaux qu'il y avait en
France, du temps de Brunehaut, c'est que leur prix
était fixé à 5 sous, soit 45o f., prix inférieur à celui
d'un cheval de fatigue (Voir Vita sancti Eligii). Le
sou d'or valait comme poids environ neuf francs
d'or; mais la différence de la valeur du numéraire à
cette époque et aujourd'hui est environ comme de un
à dix. Le sou d'or de 9 fr. représente donc yo fr.
note 14, page i38.
La légende de Brunehaut à Bavay. Cette légende
du roi Brunehaut est rapportée par Bovelles dans
l'ouvrage intitulé De hallucinatione gallicorum nomi-
num. Bovelles, né en 1470, mort en 1 5 5 3 , était pro-
fesseur de théologie. C'était à Bavay même qu'il
avait recueilli cette curieuse tradition, aujourd'hui
■wwnwi i
— 226 —
presque effacée du souvenir des habitants de Bavay.
Du temps de Boveiles, on voyait encore à Bavay une
colonne à sept pans d'où partaient les sept chaussées
de Brunehaut.
Bavay, qui depuis longtemps n'est plus qu'une
sorte de gros bourg, a joui incontestablement jadis
d'une très-grande prospérité. Les ruines romaines y
sont encore considérables, et l'étaient encore plus il
y a deux ou trois siècles. En i53i, Galliot du Pré
imprimait un gros in-folio intitulé : « Illustrations de
la Gaule Belgique et de la grande cité de Belges, à
présent Bavay », ce qui prouve bien le grand renom
qu'avait encore la vieille cité aimée de Brunehaut.
NOTE l5, PAGE 142.
Le mendiant d'Arcis. Plusieurs auteurs ont voulu
mettre en doute la réalité de ce curieux épisode. Le
père Daniel, entre autres, se demande avec indigna-
tion comment on peut croire qu'un gueux soit de-
venu évèque ; c'est peu chrétien : saint Pierre, le
premier des évêques, n'était en somme qu'un gueux
pour parler comme le père Daniel.
On oppose également au récit de cette romanesque
entrevue d'une reine et d'un mendiant devenu évêque
quelques lignes d'une vieille histoire, ou plutôt d'une
liste des prélats qui se sont succédé sur le siège
d'Auxerre (citée par le père Labbe, Nouvelle Biblio-
thèque des manuscrits, tome I er ), qui met a cette
époque, comme évèque, un certain Didier (c'est bien
le nom du mendiant), riche prélat et parent de la
22 7
reine Brunehaut. Mais, bien loin de détruire notre
opinion, cela, selon nous, la corrobore au con-
traire : le mot latin, qui signifie parent, peut s'en-
tendre aussi dans le sens de proche, de faisant partie
de la maison; rien d'étonnant à ce qu'avant d'être
évêque, le mendiant. Didier ait été reçu dans la mai-
son de la reine.
Quant a l'épithète de riche, elle s'explique aisé-
ment : ce gueux, évidemment, n'était pas riche avant
d'avoir sauvé la reine, mais il le devint après. Bru-
nehaut n'avait assurément pas manqué de récom-
penser celui qui l'avait obligée.
On pourrait objecter aussi que le siège d'Auxerre
n'est, sur cette liste, accordé qu'en 6o5 à ce Didier;
cette objection est de peu de valeur; on sait comme
les dates sont mises peu exactement dans les manus-
crits de cette époque, et, d'ailleurs, nous ne préten-
dons pas que Brunehaut ait mis Didier en possession
de son évèché précisément le lendemain de son arri-
vée à la cour de Thierry. Elle a pu lui promettre le
premier évèché vacant. On sait du reste qu'à cette
époque, quelqu'un qui n'était pas dans les ordres, un
comte, un riche habitant des villes, arrivait, sans
difficulté, à l'épiscopat.
M. Flobert, qui, dans une thèse de doctorat sur
Brunehaut, ne veut pas admettre l'épisode en ques-
tion, soutient que la reine ne fut pas chassée d'Aus-
trasie, qu'elle retourna au contraire de son plein gré
en Bourgogne, en conservant tout son pouvoir à la
cour de Théodebert. La preuve, d'après lui, c'est
que c'est elle qui maria Théodebert; or, Théodebert,
— 228 —
dit-il, avait treize ou quatorze ans lorsque Brunehaut
quitta l'Austrasie; il était par conséquent beaucoup
trop jeune pour être marié. Donc, il le fut plus tard,
pendant que Brunehaut était en Bourgogne; or les
historiens disent que ce fut elle qui choisit l'épouse
et fit le mariage : elle avait donc conservé autorité sur
Théodebert et par conséquent elle n'avait pas été
chassée par lui.
L'objection de M. Flobert est facile à combattre;
son seul argument repose sur cette idée complète-
ment fausse qu'on n'aurait pas marié Théodebert à
treize ou quatorze ans. Or à quatorze ans Thierry,
frère de Théodebert, avait déjà son fils Sigebert; le
père de Théodebert lui-même, le roi Childebert,
l'avait eu à quinze ans. Le mariage de Théodebert
à treize ou quatorze ans n'avait absolument rien
d'extraordinaire eu égard aux habitudes des Mérovin-
giens.
NOTE l6, PAGE I 52.
Bertoald. Frédégaire accuse avec une criante in-
justice Brunehaut d'avoir voulu faire périr Bertoald,
en l'envoyant faire rentrer les impôts. Mais ce détail
est curieux- pour l'histoire des mœurs de ces temps si
différents des nôtres. Aujourd'hui, quand un chefd'État
veut récompenser quelqu'un, il le charge de faire ren-
trer les impôts, il le nomme percepteur. A l'époque où
écrivait Frédégaire, la nomination à ce poste envié
maintenanr équivalait dans l'opinion populaire à un
véritable arrêt de mort. Ce qui prouve évidemment
mmm
— 229 —
que les contribuables d'autrefois étaient de moins
bonne composition que ceux de nos jours.
«
NOTE 17, PAGE I7O.
Les clercs des évêques. On peut voir dans Gré-
goire de Tours que les évêques entretenaient de véri-
tables corps de chantres qui les accompagnaient dans
leurs voyages, et servaient non-seulementaux offices
religieux, mais contribuaient aussi à relever par
leurs chants sacrés l'éclat des banquets et des fêtes
donnés par les évêques.
NOTE iS, PAGE 171.
Les évêchesses. Le concile de Tours en 567 recon-
naît l'existence des évêchesses et leur droit à porter
ce titre. Il recommande seulement aux évêques de
traiter leurs femmes en sœurs. Saint Grégoire de
Tours était -époux et père. Voir sur les évêchesses,
episcopix ou episcopissce, Brequigny.
NOTE 19, PAGE 172.
Patrices, ducs, comtes. Les ducs, choisis le plus
souvent dans l'entourage immédiat du roi, parmi les
domestici ou commensaux habituels de la maison,
étaient chargés d'attributions diverses. Tantôt, ils
commandaient des armées, soit seuh, soit plusieurs a
la fois, tantôt, ils restaient pour gouverner les pays
nouvellement conquis, les frontières menacées;
d'autres fois enfin, ils étaient mis, dans l'intérieur du
— 23o —
royaume, à la tête de plusieurs comtés ; ce grand
gouvernement prenait alors le nom de ducatus, du-
ché.
Le titre de patrice, usité seulement en Bourgogne,
après avoir appartenu aux gouverneurs romains, puis
aux rois burgondes, était devenu, sous la domination
franque, comme un synonyme de celui de duc; les
patrices paraissent seulement avoir été moins nom-
breux que les ducs ; peut-être, étaient-ils au-dessus de
ces derniers.
Il y avait deux espèces de comtes : les uns étaient
de simples gouverneurs de ville, qualifiés parfois de
jtidex et d'exactor fisci; les autres restaient auprès
du roi, comme conseillers ou titulaires des différentes
charges du palais, empruntées parfois à l'étiquette
des empereurs romains par les descendants de Clo-
vis.
Le mot faron, d'où vient baron, commence, sous
Brunehaut, à s'employer pour désigner tous les
grands du royaume, y compris les évèques.
NOTE 20, PAGE I 73.
Saint Colomban. La vérité historique nous a con-
traint de traiter avec sévérité le moine irlandais
Colomban, le fondateur de la célèbre abbaye de
Luxeuil ; mais , nos coreligionnaires catholiques
nous excuseront, quand nous leur ferons observer
que ce saint fut en hostilité perpétuelle avec les
papes de son temps, notamment avec Boniface III,
qu'il manqua d'être excommunié pour leur avoir
- 23l —
manqué de respect, en les traitant d'hérétiques, et,
finalement, qu'il déclara que l'infaillibilité du pape,
dont on commençait à parler timidement à Rome,
était tout bonnement une hérésie. C'est même en
s'appuyant sur l'autorité de saint Colomban que
Bossuet, l'illustre défenseur des libertés de l'Église
gallicane, combattit le dogme de l'infaillibilité papale.
Saint Colomban pensait qu'un homme assez orgueil-
leux pour se croire infaillible, était par cela même en
état de péché mortel. Nous laissons à ce saint, qui
évidemment aurait été excommunié de nos jours, la
responsabilité de cette opinion.
NOTE 2 1, PAGE l88.
Captivité de Théodebert. Citons à ce propos le pe-
tit roman, venant originairement des historiens fan-
taisistes du moyen âge, et reproduit sérieusement
par la Biographie Michaud : d'après ce fabliau, Théo-
debert était père d'une fille, faite prisonnière en
même temps que lui, et dont Thierry serait subite-
ment devenu amoureux (elle aurait été bien jeune,
treize ans au plus, et les Mérovingiens, quoique pré-
coces eux-mêmes, ne paraissent pas avoir aimé les
femmes trop jeunes); Thierry aurait, malgré son hor-
ieurdu mariage, voulu honnêtement épouser sa nièce,
et Brunchaut, mécontente de ce mariage, aurait tout
simplement empoisonné son petit-fils, dont la mort
devait la laisser sans protecteur, en face d'enne-
mis acharnés comme Clotaire et les leudes austra-
siens.
— 232 —
note; 22, PAGE 191.
Arnoul et Pépin. Arnoul fut d'abord domestique et
comte du palais d'Austrasie, puis évêque de Metz en
614 à la suite de la chute de Brunehaut. Il avait deux
fils, dont l'un, Andégise, épousa Begga, fille de Pé-
pin (le Vieux). De ce mariage naquit Pépin (d'Héristal),
ancêtre des Carlovingiens. Pépin le Vieux, homme
habile et peu scrupuleux, avait amassé d'immenses
richesses qui aidèrent fort ses héritiers à supplanter
les faibles descendants de Clovis.
Rappelons à propos de la charge de domestique du
palais, que possédait Arnoul, qu'une des principales
attributions de cette fonction fort recherchée était
l'administration des biens royaux.
NOTE 13, PAGE IC)3.
Wamachaire. Voici l'incident, évidemment inventé
par Frédégaire, pour pallier l'odieux de la trahison
de Warnachaire : aussitôt que ce maire du palais est
parti pour la Thuringe, avec le jeune Sigebert, Bru-
nehaut envoie un billet ou des tablettes à un de ses
fidèles nommé Alboin, qui faisait partie de l'escorte
royale, pour lui ordonner de tuer Warnachaire :
Alboin lit le billet ou les tablettes, le déchire ou les
brise : un esclave de Warnachaire qui se trouvait
justement là, a l'intelligence de ramasser ces débris
et de les porter incontinent à son maître. Warna-
chaire parvient à les déchiffrer, et prend, dès lors, la
résolution de faire périr Brunehaut et ses arrière-
petits-fils.
— 2 33 -
Brunehaut, si elle avait voulu se défaire de War-
nachaire, n'aurait pas été assez simple pour envoyer
un ordre par écrit, qui pouvait fort bien tomber en-
tre les mains du maire du palais; assurément, elle ne
se défiait pas de lui, elle ne songeait pas à s'en défaire,
car elle aurait alors commencé par ne pas lui con-
fier, par ne pas mettre à sa merci le jeune Sige-
bert, le dernier espoir qui lui restât.
Ce petit récit fait, du reste, honneur à l'imagi-
nation de Frédégaire, qui devait se trouver fort em-
barrassé pour atténuer l'abominable trahison de
Warnachaire.
note 24, PAGE fQli.
» Fuite de Childebert. Beaucoup d'historiens ont,
avec une inconcevable légèreté, confondu le fils de
Théodebert avec les {quatre fils de Thierry. On peut
lire dans les Biographies Michaud et Didot, et dans
nombre de compilations, qu'un des quatre fils de
Théodebert, Sigebert, disent les uns, Childebert, di-
sent les autres, parvint à s'échapper pendant qu'on
poursuivait son père.
Or, le seul auteur du VI e siècle qui parle de cette
partie de l'histoire, ne cite, en fait de fils de Théode-
bert, qu'un nommé Mérovée, tué au moment de la
prise de son père; et il cite, au contraire, à plusieurs
reprises, les quatre fils de Thierry, dont un se nomme
Childebert et l'autre Sigebert. Childebert, dit-il for-
mellement, parvint à fuir, lors de la révolte suprême
en faveur de Clotaire.
« ,
— 234 —
Il est évident qu'il y a eu confusion par suite de
la négligence d'un historien postérieur, que les au-
tres ont copié de confiance. C'est sûrement un fils de
Thierry et non de Théodebert, qui échappa à une
mort imminente, et qui, réfugié dans quelque canton
perdu de l'Helvétie, fut, d'après une tradition jadis
fort répandue, l'auteur de la maison de Habsbourg.
NOTE 2 5, PAGE 203.
Le tombeau de Brunehaut . Par un heureux concours
de circonstances, le tombeau authentique de Brune-
haut subsiste encore aujourd'hui à Autun. Au hui-
tième siècle, les Sarrasins ayant ravagé la ville et
démoli le monastère de Saint-Martin, les restes de la
reine furent pieusement recueillis par la population
et transportés dans une église consacrée à saint
Martin.
En 1462, le cardinal Rolin, évêque d'Autun et an-
cien confesseur de Louis XI, fit surmonter d'un ar-
ceau gothique le simple coffre de marbre qui conte-
nait les cendres de la reine (c'est ici le mot propre);
à la voûte de cet arceau, on lisait jadis l'inscription
suivante :
tfruneljnut fut jobifl royne be £rance
Soniatexesic bu eainct lieu be céans
<£p tnljumée en sir rent quatorjc uns
<£n otttnbam bc Bien oraye inbulgettre
Plus tard, en i632, l'abbé de Castille, faisant faire
des fouilles et des réparations dans l'église, profita de
— 235 —
l'occasion pour ouvrir le sarcophage ; il y trouva, dit
le père Daniel, un coffre de plomb renfermant des
cendres, des charbons, quelques ossements à moitié
consumés et une molette d'éperon. C'était, suivant le
père Daniel, un des éperons attachés aux flancs du
cheval, et qui s'était sans doute accroché aux vête-
ments ou à la chair de la reine. Il est plus vraisem-
blable de croire que cet éperon fut mis là, à une
époque reculée, pour rappeler le souvenir de l'affreux
supplice dont Brunehaut périt victime. Rappelons
aussi, à titre de simple curiosité héraldique, que les
vieux armoriaux donnaient souvent aux rois d'Aus-
trasie un écu d'azur semé de molettes d'or.
Mentionnons, en terminant, une tradition d'une
fausseté évidente, mais rapportée encore par Gilles
Corrozet, dans la Fleur des antiquités de Paris (Vans,
Galliot du Pré, i5j2) et d'après laquelle le supplice
de Brunehaut aurait eu lieu à Paris, à l'endroit
nommé depuis la Croix du Trahoir. L'emplacement
exact du supplice de la reine est le village de Rionne
sur les bords de la Vigeanne, à quelques lieues de
Gray.
Le tombeau de Brunehaut a été, il y a quelques
années, transporté au musée d'Autun.
«w
— 236 -
LISTE DES MONUMENTS OU DES TRAVAUX DE BRUNE-
HAUT, DONT IL RESTE TRACE EN FRANCE, EN BEL-
GIQUE OU EN ALLEMAGNE.
En Flandre, Hainaut et Cambrésis , plusieurs
chaussées ou routes, notamment à Bavay, les restes
des sept chaussées de Brunehaut.
Près de Tournay, les ruines nommées Cailloux de
Brunehaut.
A Francfort, le Sentier de Brunehaut.
A Metz, la voie romaine menant à Scarponne, ré-
parée par Brunehaut et appelée encore maintenant
le Chemin de la Reine.
A Yutz, près Thionville, les restes d'une route pa-
reille, la Route de Brunehaut.
En Bourgogne et en Lorraine, plusieurs chaussées
élevées au-dessus du sol et qui se nomment Levées de
Brunehaut .
La grande route de Beauvais à Montdidier, appelée
la Chaussée de Brunehaut.
La Chaussée Brunehaut, commencée par Agrippa
et réparée par la reine, traversant une partie des dé-
partements de la Marne, de l'Aisne et de l'Oise, et
aboutissant à Senlis.
A Vaudemont, en Lorraine, une tour carrée très-
ancienne, la Tour Brunehaut.
A Étampes, une autre Tour de Brunehaut.
Les monastères et hospices de Saint-Pierre et d'Ai-
nay à Lyon.
Les monastères et hospices de Saint-Martin à Au-
tun.
^^
**f
— 237 —
Les monastères et hospices de Saint-Vincent à
La on,
Cn QuercjTet en Berry, les châteaux de Brune-
haut.
Le Château de^Bruniquel, près Montauban.
Beaucoup de petites localités ont aussi des ruines,
des fragments de routes qui portent le nom de Bru-
nehaut. Ce nom est même quelquefois donné à des
men-hir, à des pierres levées, d'origine druidique,
et à la construction desquels la reine d'Austrasie
fut assurément étrangère. Mais le peuple a rap-
porté jadis à sa grande reine, sans plus réfléchir,
tout ce qui le frappait par la grandeur ou l'étran-
geté.
TABLE DES MATIERES
Pages.
Avant-propos . . !
I. 566 — 568. Mariage de Brunehaut et de Si-
gebert. Les fêtes des noces. Prédominance
de l'influence romaine à la cour d'Aus-
trasie. Meurtre de Galeswinthe. Commen-
cements de la haine et de la lutte de Bru-
nehaut et de Frédégunde y
II. 5C8 — 575. Invasion des Huns. Mauvaise foi
de Chilpéric. Ses incessantes attaques contre
Sigebert. Défaite de Chilpéric. Sigebert et
Brunehaut à Paris. Départ de Sigebert pour
Tournay. Saint Germain de Paris .... 23
III. 575 — 576. Annonce de la mort de Sigebert.
Brunehaut, captive de Chilpéric. Mérovée.
Le roman de Brunehaut 35
IV. 575—584. Le règne de Childebert. Révolte
de la Champagne en faveur de Brunehaut.
Retour et fuite de Mérovée. Le duc Lupus.
Dévouement de Brunehaut. Chilpéric, tuteur
de Childebert. Révolte et réaction en faveur
de Brunehaut. Childebert commence à ré-
gner par lui-même, avec les conseils de sa
mère. Mort de Chilpéric 40
MÉMM "*&>& fc
VII.
VIII,
— 240 —
V. 584—587- Suite du règne de Childebert. Gon-
tran protège Frédégonde et s'empare du
royaume de Paris. Révolte de Gondebaud.
Tentative d'assassinat de Fréde'gonde. Le
duc Rauching. Complot contre Childebert
et Brunehaut. Traité d'Andelot 63
VI. 587—596. Châtiment d'Ursion et de Bertfried.
Complot contre Brunehaut découvert par la
reine Faileube. Nouvelles tentatives d'assassi-
nat de Frédégonde. Déposition d'/Egidius.
Expéditions de Childebert contre les Lom-
bards. Mésaventure de Frédégonde à Tournay.
Mortde Gontran. Childebert, roi d'Austrasie et
de Bourgogne. Bataille de Droissy. Mort de
Childebert. Bataille de Latofao. Partage des
États de Childebert entre ses deux tïls. . . 95
Les lois de Brunehaut : son administration, ses
travaux d'utilité publique. LalégendedeBavay. 120
5g6— 6o5. Brunehaut en Austrasie. Elle est
chassée par Théodebert. Le mendiant de la
plaine d'Arcis-sur Aube. Brunehaut à la cour
de Thierry. Guerre contre Clotaire. Bataille
de Dormelles-sur-rûrvanne. Défaite de Clo-
taire. Exil de saint Didier. Nouvelle guerre
contre Clotaire. Défection de Théodebert et
paix de Compiègne 1 3g
IX. 606—607. Protadius, maire du palais. Rupture
avec Théodebert. Le camp de Kiersy-sur-
Oise. Meurtre de Protadius. Claudius, maire
du palais. Vengeance tirée des assassins de
Protadius. Trêve avec Clotaire. Mariage de
Thierry. Retour de saint Didier. Sa mort.
X. 610. L'intérieur de Brunehaut : une villa royale
sous les Mérovingiens. Saint Colomban : son
exil
XI. 61 1 — 612. Le guet-apens de Seltz et la bataille
de Tolbiac 177
IDD
65
— 241 —
XII. (3i2— 6 1 3. Triomphe de Thierry. Prétentions
de Clotaire. Mort de Thierry. Brunehaut ré-
gente. Les trahisons des Ieudes austrasiens.
Défense de Sens par l'évêque Lupus. Le pre-
mier tocsin. Captivité et supplice de Brune-
haut '88
XIII. L'opinion de l'histoire 20.S
Notes et éclaircissements 217
Paris.— Imp. de Ch. Noblct, i3, rue Cui;is. — CooS.