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Full text of "Souvenirs d'un Voyage en Suède en 1839"

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SOUVENIRS 



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VOYAGE EN SUEDE 



EN 1839, 



PAR 



FHEDEMCCHARLES DE STROMBKCK. 



(IBIOEIT ■>■: I Vll I I >1 « tl>). 



STRASBOURG, 

IMI'RIMKKIF. DE 0. SILBKItMANN , PLACE SAINT -THOMAS , 3. 

1840. 



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SOUVENIRS 



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VOYAGE EN SUEDE 



EN 1839. 





BIBLIOTHEQUE 
SAINTE | 
GENEVIEVE 




SOUVENIRS 



d'un 



VOYAGE EN SUEDE 

EN 1839, 

PAH 

FREDERIC-CHARLES DE STROMRECK. 



(TRADUIT DE L'ALLEMAND ) 




STRASBOURG, 

IMPRIMERIE DE G. SILBERMANN , PLACE SAINT-THOMAS, 5. 

1840. 



AU LECTEUR. 



L'atlention de la France, depuis quelque lemps , 
se tourne vers le Nord. Ce n'est pas sculement son 
gonvernement qui cnvoie une expedition savante, si 
1'on veut, explorer les mers de la Scandinavie, et 
fouiller celte terre des anciens Normands : tous les 
hommes eclaires s'interessent au developpement qu'y 
ont pris les sciences et l'industrie, et par suite, la 
prosperite publique. Nous avons done cru faire un 
Iravail agreable au public, en reproduisant en fran- 
caisle voyage fait en Suede eten Dannemark, pendant 






2 AL' LECTKUR. 

l'ete do 1839, par Frederic-Charles de Strombech. 
Cette relation qui vient d'etre publtfe en Allemagne, 
forme le huitieme volume des ouvrages de cet ecrivain 
(Braunschweig, 1840). Au moment ou les joumaux 
allemands sc pretendant inities aux secrets de I'oppo- 
sition de la diete acluelle, ont voulu en expliquer les 
causes, on congoit de quel poids, outre le merite de 
l'a-propos, est une production ou la question est par- 
faitement eclaircie, la situation du pays nettement 
dessinee el la source du mal qui travaille actuellement 
le peuple suedois , habilement decouverte. Ce n'est 
pas uri jeune louriste, c'est un homme d'age et d'ex- 
perience, consomme dans les affaires qui a vu la Suede 
et qui la juge. La place distinguee qu'il occupe parmi 
les legistes d'Allemagne, son talent comme ecrivain 
ajoutent a la valeur de ses appreciations. Aussi s'ac- 
corde-t-il a dire avec presque tous les voyageurs qui 
ont visite la Suede, qu'elle est dans une voie d'ame- 
lioralions et de progres materiels dont son histoire 
n'avait pas offcrt d'exemple jusqu'ici. Elle a des noms 
qui brillent d'un si vif eclat dans les sciences , dans la 
lilterature et dans les arts, qu'on pourrait dire que 
le regne de Charles XIV (Jean) est pour elle celui 
d'Augusle, tandis que les moyens de defense qu'il 
a crees pendant la paix et qui ne seront pas bien ap- 



A I LECTEDR. 3 

precies qu'au jour du danger l'ont mise, en lace 
de ses voisins, dans une position qu'elle n'a jamais 
occupee. 

A cote de la peinture que 1'auleur nous trace de 
la nature du Nord et de ses sites, d'une beaute tantot 
grave et severe, tantot gracieuse, il place l'enumera- 
tion de tous les travaux utiles enlrepris et executes 
dans ces derniers temps. Nous ne croyons mieux faire 
que de renvoyer a l'ouvrage meme le lecteur desireux 
de faire une courte tournee dans un pays, dont les 
destinees sont conduites par le nestor des rois, l'une 
des premieres illustrations dont puisse s'honorer la 
France. 



\ 



Strasbourg, le 12 septembre 1840. 



PREFACE DE L'AUTEUU 



L'auteur s'cstimerait beureux, si, en 
publiant ces feuilles, il inspirait aux Alle- 
mands le desir de visiter plus frequcni- 
ment qu'ils ne le font la Scandinavie Qui 
ne cherche a se procurer, une fois dans 
savie, le plaisir d'un voyage aux bords 
du Rhiu? En etfet, la nature et Part out 
imprime a ce fleuve des beautes si pitto- 
resques, que la premiere course qu'entre- 



6 PREFACE DE L'ALTEUR. 

prennent les jeunes Allemands estcelle de 
Bale a Rotterdam , qui se fait aujourd'hui 
avec la plus grande facilite et dans la- 
quelle tout est profit pour l'esprit. Celui 
qui a eu cet avantage voudra porter ses 
pas en Scandinavie, par la meme route 
qua suivie l'auteur. II ne lui est pas donne 
de faire un voyage plus ravissant. On 
entre , pour ainsi dire , dans un nouveau 
monde. Si vous commencez par Ham- 
hourg , vous voyez le commerce universel 
dans sa grandeur. Lubeck vous transporte 
par la majeste de ses edifices qui rappel- 
lent l'epoque florissante de la puissante 
association anseatique, alors que les bour- 
geois pouvaient armer des flottes qui sou- 
tinrent contre les rois du Nord , des luttes 
dont souvent elles sortirent victorieuses. 
Puis la mer setend devant vous, la mer 
que vous voyez peut-etre pour la premiere 
ibis , et ce spectacle a lui seul vaudrait les 
peines d'un voyage. En trois jours vous 
vous trouvez, comme par enchantement, 



PREFACE DE L'AUTEVjK. 7 

a la Naples du nord , a Stockholm , que 
le concours de l'art et de la nature ont 
rendue si remarquable. La vous jugez par 
vos yeux de ce que peut un roi, doue, a 
laverite, des dons naturels les plus pre- 
cieux et les plus brillants, qui sacrifie 
toutes ses forces et tout son temps an bon- 
beur du peuple qui Vs. eleve sur le trone. 
Ge qu'il y a de singulier, c'est que la pa- 
trie de Henri IV, sa ville natale meme, 
Pau , etait destinee a fournir a la Scandi- 
navie , un prince qui , non moins grand , 
mais plus heureux que le Bourbon, a plus 
fait pour la Suede, que l'autre ue put 
faire pour la France. Puis vous irez visi- 
ter Upsala et vous descendrez dans les 
mines de Dannemora. Vous vous embar- 
querez a Stockholm et suivrez le canal 
jusqu'a Gothenbourg. Si ce trajet n'offre 
pas tout l'agrement dont on jouit sur le 
Rhin , on en est dedommage par le gran- 
diose des scenes qui passent sous les yeux. 
Les cataractes du Rhin a Schaffhouse ne 









8 PKEFACE DE L'AUTEUR. 

sont meme pas comparables a celles du 
fleuve de Gotha, nommees Trollhattan. 
Yous suivrez la route, heureusement ac- 
cidentee, a. partir de ces cataractes jus- 
qu'a Gothenbourg, dont les belles rues, 
les canaux et le commerce florissant lixent 
l'attention du voyageur. Yous traversez 
le Cattegat, dont les flots majestueux an- 
noncent un bras jmissant de FOcean. 
Yous passez le Sund , porte de la Balti- 
que , comme les Dardanelles sont les por- 
tes de la mer Noire. Copenhague, sur- 
nommee FAthenes du nord, mais qu'on 
pourrait appeler la Genes du nord, par 
rapport a son commerce et a la magnifi- 
cence de ses palais, et la Yenise de ces 
contrees, a cause de son arsenal, cou- 
ronne avec les jar dins qui Fentourent File 
de Seeland, dont les fertiles plaines no 
connaissent pas la disette. L'interet s'at- 
tache done a cbaque pas de ce voyage. 
Mais Fauteur, qui a parcouru la meme 
route en allant et en revenant, conseille 



1 



PREFACE DE L'ALTEIR. 9 

de prendre son retour par Kiel, et de 
faire , avant de quitter la capitale du Dan- 
neniark , une petite excursion a Malmo et 
a Lund, la seconde university de Suede, 
en Scanie. Les meilleurs guides sont les 
Voyages de Ferdinand de Gall el de Christian 
De/m; il ne serait pas inutile de lire, pour 
se preparer, le Voyage de M. de Schubert 
(cure d'Altenkirchen , dans File de Rugen) , 
l'ouvrage de Possart, Les royaumes de Suede 
et de Aorwege 1 , et le Voyage de Wollmann a 
Saint-Pe'tersbourg , Stockholm el Copenhague 2 . 
La carte la plus estimee est celle dc 
J. W. Brandenburg, imprimee a Stock- 
holm. 

Wolfenbuttel, le 1 cr fevrier 1 840. 

F. C. De Strombeck. 



I 



i Slultgart , 1838. 
- Hambourg , 1833. 






VOYAGE 

DE 

BRAUNSCHWEIG i STOCKHOLM, 

PAB 

LUBECK, YSTADT ET CALMAR. 
I. 



VOYAGE 



DE BRAUNSCHWEIG A STOCKHOLM 



LUBECK, YSTADT ET CALMAR. 



II en est des voyageurs isoles com me des peo- 
ples en emigration : tous se diligent vers ledoux, 
le riant midi. Moi aussi , je m'elais laisse deux 
Ibis enlrainer par ce penchant au dela des A.1- 
pes-, et cependant , apres avoir passe dans la ville 
delaSirene enchanteresse , des jours qui ne sor- 
tiront jamais de mon souvenir, apres avoir join 
dans ses bras, pour parlor le langage du poete , 



44 VOYAGE EN SUEDE, 

jetais loin d'avoir goute la plenitude de satis- 
faction que j'avais revee. Je vis Naples; mais il 
me parut qu'il y avait exageration a ne vouloir 
plus rien voir et a mourir apres 1'avoir vue. Celte 
fois je tournai mes regards vers le nord. Con- 
templer de mes yeux la magnifique assiette de 
la capitale de la Scandinavie, dominant les ro- 
cbers enlre lesquels la mer roule ses formida- 
bles Hots; etre lemoin du bonheur de peuples 
gouvernes avec la plus profonde sagesse par un 
grand homme; decouvrir, par la pensee, com- 
ment le brave Danois a pu oublier, sous un 
gouvernement doux et paternel , il est vrai , mais 
en l'absence des formes constitutionnelles, les 
desastres quele sort lui avait fait subir ; loutesces 
considerations me parurent des motifs suffi- 
sants pour entreprendre un voyage, dont le 
poids de l'age ne me fit pas retarder I'execution. 
Mon parti pris, je destinai mes vacances d'ete a 
raon expedition. 

Ces vacances s'ouvraient le 24 juillel. Des le 
lendemain je traversais les bruyeres du Lune- 
bourg , ou jadis j'avais place, sans tenir compte 
des probabilites, quelques sites ossianiques parmi 
les chenes seculaires, les tumuli des anciens Ger- 
mains el les marecages solitaires. Je traversai et 



\ 



VOYAGE EN SUEDE. +5 

me trouvai de nouveau dans la ville hospitaliere 
de Hambourg que j'avais visitee tant de f'ois ; 
noble republique qui a conserve et nous offrc 
encore tout ce qu'il y avait de bon eL de loyal 
dans le caraclere de nos ancetres. 

Je ne savais si je devais commencer par le 
Dannemark ou par la Suede. Des lellres de re- 
commandalion , que je recus pour ce dernier 
pays de M. de Stahl , consul-general a Ham- 
bouro-, fixerent mes irresolutions. Apres avoir 
donne quelques jours a I'amilie, je quittai cette 
ville et gagnai celle peu populeuse d'Oldeslobe 1 , 
d'ou une chaussee presque achevee me conclui- 
sit a Lubeck. On dit quelle sera prolonged jus- 
qu a Allona. Elle rend plus faciles el plus promp- 
tes qu'elles n etaieut , les communications entre 
Hambourg el Lubeck. Ici , je passai aussi d'a- 
o-reables instants dans le bel Hotel a la Ville-de- 
Hambourg , qui ne laisse rieu a desirer , et que 
je comple parmi les premiers elablissements de 
ce »enre en Allemagne. Un bonheur inespere 
m'y allendail: celui d'y renconlrer trois dames 
polonaises, dontjefis la connaissance : unecora- 

i II y a a Oldeslohe des bains salins et sulfureux , auxquels 
on altribuc de grandes proprietes. II est question de conce- 
der cet etablissement royal a un particulier. 



■ 



10 VOYAGE EN SUEDE. 

lesse de Plater, qui habile les environs de Wit- 
lebsk , sa belle et aimable fille, el M" c Erichson , 
leur amie commune, toules trois joignant a unc 
instruction parfaile , a la conversation la plusspi- 
rituelle eta des talents distingues, l'agrement 
de parler la langue allemande comme leur lan- 
gue malernelle. Avec quelle rapidite ne s'ecou- 
lerent pas les deux soirees que je passai pres 
d'elles, et que la jeune el ravissante comtesse 
Louise charmait par des morceaux de chant el 
de musique quelle executa avec une rare perfec- 
tion. Le commerce de ces dames fail facilement 
co ra prendre (influence que les Polonaises exer- 
cent sur les homilies el les hauts faits d'armes 
ainsi que les devouemenls palriotiques qu'elles 
leur ont inspires. Quel feu de l'iraagination , 
quelle vivacile des tableaux et des sentiments, 
quel charme entrainant que ceux qui saveut 
convaincre sans le secours de la raison, et ren- 
verser meme des convictions profondes ! Ces da- 
mes avaienl sejourne plusieurs mois a Lubeck 
pour voir quelques jeunes filles, leurs parentes, 
placees a retablissement orlhopedique du doc- 
teur Leithof. Cet habile praticien me le fit visi- 
ter dans tousses details, et j'en fus dans l'adtni- 
lation. II est parvenu, non -seulement a faire 






VOYAGE EN SUEDtv ' T 

supporter avec patience aux enfauts la conlrainle 
qui les prive de la liberie de leurs mouvements , 
rnais encore a leur y faire trouver une cerlaine 
satisfaction. Les raoyens curalifs ne font pas ou- 
blier les soins que reclame leur instruction, et 
ils renlrent dans leur famille avec des diffor- 
mites de moins et une intelligence plus deve- 
loppee. 11 est impossible que ces malheureux en- 
j'anls soient traites avec plus de soins qu'ils ne 
le sonl par le docleur Leitbol el par sa sonir. 
C'est comme s'ils etaient an milieu de leurs pa- 
rents. Aussi sont-ils attaches de creur et dame 
a leur bienfaiteur. Je me sentais emu en vovanl 
dresser une petite table pour celebrer l'anniver- 
saire de la naissance d'une jeune enfanl, sepa- 
ree depuis longtemps de ses parents; plus loin , 
c'etaient les preparatifs d'un bal , destine a feler 
le complel relablissement d'une autre petite 
fdle. Car Leilhof pense avec raison qu'il est ne- 
cessaire, pour reformer ses eleves (cest le nom 
que je veux donner a ses malades) , d'attaquer 
la cause des deviations des organes exterieurs 
par des agents internes, el de n'appliquer qu'en 
dernier lieu et pour completer la cure, les 
moyens mecaniques, les bains et meine quel- 
ques exercices de natation dans un bassin rem- 



IS VOYAGK EN SUEDE, 

pli tl'eau liede. L'mfluence morale ne lui parait 
pas moins indispensable. Aussi obtient-il des re- 
sullats etonnants. Desenfants malsains, contre- 
faits, negliges dans leur education, sortent de 
son institut bien conformed, sains de corps et 
d'ame, benissan t, pendant toute leur vie, 1'homme 
qui la leur a rendue plus agreable. Le temps 
etait superbe lorsque je traversai le jardin , pres- 
que tous les malades s'y trouvaient ; ceux meme 
qui ne devaient pas quitter leur lit de douleur 
y avaient etc portes dans cette position , pour y 
respirer l'air. Je ne dirai pas que la vue de tant 
d'enfants et des instruments qui semblaient les 
tenir a la torture fut agreable : loin de la, j'en 
ressentis une impression de Iristesse. Mais ces 
enfants etaientgaies; elles travaillaient, lisaient 
ou jouaient ensemble, comme s'il ne leur eut 
rien manque. Deux ou trois etaient belles; je 
me sentis attire vers elles par l'amabilite naive 
de leur salut. Un jardin separe l'habitation du 
docteur de 1'institut, dont le batiment occupe 
un Taste terrain ou s'elevaient aupaiavant plu- 
sieurs maisons particulieres qui ont ete achetees 
et demolies. Puisse Leithof vivre de longues an- 
nees pour le bonheur de rhumanite soufFrante! 
Mais qu'il n'oublie pas que la mort choisit sou- 






VOYAGE EN SUEDE. •'•» 

vent, pour le frapper, 1'homme le plus vigou- 
reux el le plus sain , et que l'existence de I'ela- 
blissement qu'il a cree est attachee a la sienne. 
Je crois done qu'il devrail s'oceuper a former 
des eleves qui pussent le remplacer un jour. II 
ne s'en passe pas tin sans qu'il visile chacun de 
ccs enfants. 11 s'est voue exclusivemenl a celt* 
specialile el consacre lout son temps a ces in- 
forlunes, en meme temps qu'il n'epargne aucun 
sacrifice pecuniaire pour perl'eclionner son ela- 
blissement. 

Outre Leithof je fus voir, a Lubeck , deux sa- 
vants jurisconsulles; le president du tribunal 
supreme des trois villes libres , M. Heise et 
M. Roy, conseiller au meme tribunal. Depuis 
longlemps l'Mlemagne les revere pour leurs pro- 
fondes connaissances du droit; Lubeck et tous 
ceux qui ont ele a meme d'apprecier leurs qua- 
lilds , les estiment et les aiment pour leur grande 
humanite. Jadis, M. Roy Cut attache comrae 
conseiller a la Cour superieure du duche de 
Rraunschweig; il est du nombre assez conside- 
rable de Rrunschwigeois , dislingues par leur sa- 
voir et leur aclivite, dont le nom a franchi les 
limites etroites de leur pays natal et ont etc 
partout entoures d'une eslime merilee. Malheu- 



-r~. 



■ 



20 VOYAGE EN SUEDE, 

reusement le delabrement de sa sanle le force 
a renoncer aux douceurs de la societe" el a gar- 
der la chambre, d'ou il ne sort que pour assis- 
ter aux seances du tribunal. La vie de cet homme 
eminent se trouve done partagee exclusivemenl 
entre les devoirs de sa charge et ses savantes 
etudes. Son pere, professeur de droit a l'univer- 
site de Heluastadt et connu , surtout dans son 
pays, par plusieurs ouvrages, avait ele, dans sa 
jeunesse , assesseur a la Cour superieure de 
Wolfenbultel. Nous y avions forme des liens 
d'amilie. II renonca aux affaires pendant loute 
ia duree du royaume de Westphalie. Ce ne ful 
qu'apres le retablissemenl de 1'ancienne consti- 
tution qu'il remplit les fonctions d'intendanl su- 
perieur de la liste civile ducale a Braunschweig. 
Le bonheur que lui faisaient cette belle position 
et la gaite de son humeur ne furent 1 roubles que 
par la mort, qui le surprit . il y a quelques an- 
nees, dans un age avance. Les regrets de tous 
ceux qui l'avaient connu le suivirent dans la 
lombe. 



Lubeck ctait autrefois a la tele de la ligue ger- 
manique de Hansa. Encore aujourd'hui elle 
tientle premier rangparmi les villes libresd'Alle- 



VOYAGE EN SUEDE. & 

magae. Toutelbis, elle ne peul elre comparee, 
sous le rapport du commerce , a Hambourg et 
a'Breme, dont elle n'est eloignee que de quel- 
ques milles, et qui etendent le leur sur tous les 
points du globe. Loin de la , Lubeck n'a qu'une 
part insignifiante aux transactions directes avec 
le nouveau continent. II lui est impossible dc 
les etendre davantage par suite de circonstances 
connues et qui lui sont communes avec les au- 
tres villes commercanles de la Baltique. De cent 
mille homines qui faisaient sa puissance au 
rnoyen age et lui permeltaient de combatlre les 
rois du nord , sa population est lombee a 26,000 
habitants. L'herbe croit dans plusieurs de see 
rues desertes; et ce qu'il y a de plus trisle , c'esl 
qu'il ne lui resle meme pas l'espoir de voir son 
commerce se relever, quoiqu'il soil encore, vu 
les circonstances , assez considerable. On y voit 
encore de riches negotiants; car elle n'a pas cesse 
d'etre le centre du commerce avec les villes de 
la Baltique et une espece d'enlrepot pour les 
produits de la Russic. Elle a an avanlage incon- 
testable sur Hambourg par ses constructions 
ausealiques du moyen age. La magnificence dc 
son Hotel-de-Ville est la commc un monument 
de son anciennc gtoire. Une chose affligeaple, 






22 VOYAGE EN SUEDE 

c'est qu'on n'ait pas senti la necessile de conser- 
ver dans I'interieur de cet hotel des parties atla- 
chees a des souvenirs qu'elles etaient destinees 
a perpeluer, et qui ont disparu pour faire place 
a de nouvelles constructions. Je cherchai inu- 
tilement 1'ancienne salle des deliberations des 
deputes de la ligue , et les chaises sculptees en 
bois qui leur servaient de sieges , et que, jeune 
encore, j'avais considerees avec mon pere dans 
un respect silencieux. • Les villes, dont les re- 
presentants s'assemblaient ici, me disait mon 
pere, et celle de nos ancetres, 1'anlique Braun- 
schweig, elait du nombre , lulterent avec succes 
conlre de puissants rois. Leurs flotles faisaient 
la loi sur la Baltique et bien au dela de cette 
iner. Ce ful ici que les deputes de la ville de 
Braunschweig, couverts desilices , les pieds bus 
et la tele decouverte , vinrent demander grace 
pour leurs concitoyens a l'assemblee de Hanm, 
alors que des bourgeois sedilieux avaient fail 
• lecapiter leurs magistrals 1 sur la vieille place. 
Ici, on leur (it promeltre, pour penitence, d'e- 
rigerasaint Autor, patron de la ville, unecha- 
pelle qu'on voit encore a cole de l'ancien Holel- 
de-Ville. » A cc recit des evenements fles temps 
' 137/!. 



VOYAGE EN SUEDE. 25 

passes je demeurai en silence et je ne pouvais, 
ainsi que mon frere Henri qui m'accompagnait , 
rassasier mes yeux de la vue de ces lieux qui en 
avaient ete le theatre. Cest en vain que je vou- 
lais retrouver aujourd'hui ce que j'avais vu dans 
mon enfance. Les bureaux de ['administration 
occupaient l'emplacement ou siegeaient les de- 
legues de la ligne de Hansa. Qui eut pu croire 
que les citoyens d'une ville libre detruiraient 
un edifice ou leurs ancetres, plus vigoureuse- 
uient tailles , presidaient l'assemblee des depu- 
tes de cent villes liguees, formant entre elles 
une barriere si solide qu'elle aireta les brigan- 
dages de la noblesse et le despotisme des princes. 
Les eglises de Lubeck , notamment celle de 
Sainte-Marie et la calhedrale, restes precieux de 
l'ancienne architecture allemande, rappellent 
une epoque depuis longlemps disparue. Quoi- 
qu'elles ne soient conslruiles qu'eu briques , 
leur majeslueuse grandeur et la purete de leurs 
lormes peuvent leur (aire soutenir le parallel 
avec les eglises des bords du Rhin et du sud de 
r/Ulemagne. Cetle eglise de Marie me reporla 
aussi aux jours de mon enfance; je me rappelai 
le saisissement dont je fus pris, lorsque, midi 
sonnanl a la grande borloge , deux porles s'ou- 






24 VOYAGE EN SUEDE, 

vrirenl comme par enchantement, donl 1'une 
livra passage a un heros qui, l'air grave et roide, 
s'avanca suivi de l'empereur et des sept dlec- 
leurs de Penipire. D'une marche lente, ils alle- 
rentse prosterner humblement devant le Christ 
et disparurent par l'autre porte. II y a de cela 
un demi-siecle, et moins sensibles au poids du 
temps que les hommes ils executent toujours 
les memes mouvements et la meme ceremonie. 
Le tableau de la danse des morts, dans la cha- 
pelle, et un autre de l'ancienne eeole allemande, 
du premier merite, reveillerent les memes sou- 
venirs. La mort, sans ceremonie, invite a la 
danse toutes les conditions et tous les ages: elle 
n'eprouve jamais de refus. 

Les places sont plus larges, les rues mieux ali- 
gnees a Lubeck qu'a Hambourg , si Ton exceple 
l'esplanade de cette derniere ville et le Jurig- 
fernsticg\ auxquels Lubeck n'a rien a opposer 
dans ce genre. Les maisons parliculieres elles- 
memes conservent le caraclere de 1'architec- 
ture gothique et meme de I'archilecture bv- 
zantine. Mais en general les pignons se sonl 
eleves sur des pilastres grecs, qui font ainsi la 
plus singuliere figure dans un encadremenl 

1 Promenade assisp snr I'Alster et garnie de hclles maisoix. 



VOYAGE EN SUEDE. 2S 

eleve el elroil. Les environs de Lubeck sonl 
plats et d'une uniformite qui serail fatigante si 
elle n'etait rompue par de belles promenades , 
bien entrelenues, qui se croisent dans tous les 
sens, et animes par de jolies maisons de cam- 
pagne. La bonne foi des villes anseatiques s'esl 
maintenue dans leur ancienne capilale; on peul 
avec raison mellre Lubeck au nombre des villes 
les plus remarquables et les plus interessanles 
de l'Allemagne. 



I 



: 



11 y a quelque chose de dechirant dans l'a- 
dieu de deux personnes, certaines de ne se plus 
revoir dans la vie. Et combien cette certitude 
est profonde quand on est arrive a un age aussi 
avance que le mien ! Ce lut dans cette penible 
disposition que je pris conge des comlesses 
de Plater et de leur amie, M 1,c Erichson, If 
l« aout, a neuf heures du matin, pour me 
rendre aTravemunde, ou le vaisseau a vapeui 
suedois Svitlwd attendait les voyageurs jnsqu'a 
cinq heures, instant de son depart. J ctais dans 
la voilure; les dames me lirent un dernier, 
un alleclueux adieu , et je les perdis de we 
pour loujours. S. mi-chemin, ccst-a-dire a deux 

lieues on rencontre la Trave ou Ton arrive par 



26 VOYAGE EN SUEDE, 

des champs bien cultives; on la traverse sur 
un bac, apres quoi l'horizon s'etend, car le 
fleuve s'elargit a son embouchure, et la Bal- 
tique deploie ses plaines liquides. Sur la cote 
s'eleve le bourg de Travemunde, qui a 1200 ha- 
bitants. II appartient a Lubeck dont lesenat le 
gouverne paternellement. La rangee de maisons 
qui lougent le golfe offre un tableau anime, et 
la rue qu'elles forment est jusqu'au phare une 
agreable promenade pour les voyageurs qui y 
affluent de loutes parts pour prendre les eaux 
de la mer. On voit arriver tantot un vaisseau 
a vapeur, tantot un batiment a voiles; la ce sont 
des amis qui embrassent les elrangers qu'ils at- 
lendaient; ici e'en sont d'aulres qui conduisent 
jusqu'a bordceux qui s'embarquent. Partoutdu 
mouvement, pai tout 1'activile des commer^anls. 
II faut avouer que e'est autre chose que la flanerie 
ennuyeusedesallees, dansun paysau milieudu- 
quel ou on prend les eaux. Cette vueseule suflirail 
pour guerir un hypocondriaque. Je dinai dans 
une auberge bien tenue, situee au bord de la 
mer, au milieu d'une societe nombreuse et ani- 
mee par la gaile , el bientot apres nous moa- 
lames sur le svithiod. Ce superbe batiment sue- 
<lois, de la forc<> decent chevaux, reunissait 






VOYAGE EN SLEUli. ST 

loules les eommodites qu'un voyageur peut 
desirer sur mer. Sa premiere chambre est vaste 
et elegante , elle est garnie de glaces et de so- 
phas. Les cajutes avaient une profondeur con- 
venable et etaient assez hautes pour qu'on put 
s'y tenir sur son seaut. Cel avantage est rare 
dans les batiments de cetle espece. Je ne ferai 
pas le meme eloge des matelas; ils etaient si 
maigres qu'on pouvait sentir les planches au 
Havers. Ce qu'il y avail d'agreable , c'est qu'on 
pouvait s'enfermer dans son lit; cornme il ne 
se trouvait heureusement dans le hauiac au- 
dessus de moi aucun compagnon, ,je pouvais 
.n'arranger a mon gre el m'isoler, quand il me 
plaiSftit, de la societe qui ne complait que vingl 
personnes dans le salon. Cetle piece avail douze 
pieds de longueur sur six de largeur; mais on 
apprend bientot sur mer a s'arranger daus un 
petit espace. C'est tou jours a ce soin que soul 
consacres mes premiers momenls dans un ba- 
ilment a vapeur, et je ne puis trop le recom- 
mauder dans le meme cas. On ne peut avoir 
aupres de soi sa malle qui est jetee au fond du 
vaisseau, ou ne conserve que son sac de null, 
sou manleau el t'etui de son chapeau qui seri 
de loilclle. On me mil ces objcts en ordre dans 



28 VOYAGE EN SUEDE, 

ma petite chambre, afin qu'ils ne fussent pas 
confondus avec ceux des autres voyageurs. A 
cinq heures precises la machine du svitliiod 
comment-ait a fonctionner, et les amis qui avaienl 
fait la reconduite quiltaient le pont; alors on 
put passer en revue la societe avec laquelle on 
se trouvait forceraent lie pour le temps du tra- 
jet. Elle etait bien differente de celle qu'on ren- 
contre sur les bateaux a vapeur du Rhin et du 
Danube. Elle n etait pasembellie parces dames 
elegantes et ces jeunes touristes qui voyagenl 
pour leur plaisir, et ne se composait presque 
exclusivement que de negotiants et d'employes, 
dont un seul , un monsieur Dubois, de Ham- 
bourg, fabricant de soieries, homme pourvu 
destruction, avait sa femme avec lui. II y avail 
en outre deux dames calholiques bavaroises qui 
allaient voir leurs parents en Suede. Un agre- 
ment de plus a leur voyage, c'est qu'elles pou- 
vaient disposer seules, avec la femme de M. Du- 
bois, du salon des dames. Nous ne tardames pas 
a ne voir plus que le ciel et la ruer. La soiree 
etait, belle; nous nous reunimes dans le salon 
pour sou per comme nous faisions aux eaux. Le 
repas lermine. ou monta sur le ponl, el la cau- 
serie s'engagea comme cntre de vieilles connais- 



I I 



VOYAGE EN SUEDE. ~ J 

sauces. Je me plaisais a donner aux jeunes gens 
quelques notions aslronomiques. La nuit , sur 
mer, a quelqne chose de solennel ; on est la 
commedans un autre monde. Le vaisseau filait 
irois milles a I'heure; on ne pensait pas an mal 
de mer, et a minuit on fut se coucher coram. 
si Ton eiit ete chez soi. 

Le matin, de bonne heure, on etait sur le 
pont. Nous voulions assisler au lever du soled 
dore, qui parut sur I'horizon, quelques minutes 
plus tot quhier, quoique les jours allassenl en 
decroissant. En approcbant de Stockholm, nous 
alhons, en quelque sorte, retrouver un nouvel 
ete. Le 4 aout, jour de notre arrivee, le sole.l 
resle aussi longtemps visible qua Wolffenbultel 
,Ians les premiers jours de juillet A Qu'il ela.l 
radieux, cet astre, en sortaut des ondes de la 
mer, sur laquelle il alluma une longue trainee 
de feu jusqu'a notre vaisseau ! L'air etail dans un 
calme parfait; la mer etait dans l'allegresse , 
eomme le matin qu'Aphrodile, effrayce par Us 
momtres de la mer, sorlit de I'ecmne de ses (lots. 
Nous apercumes a noire droile Tile de Born- 
holm , enveloppee d'un leger brouillard, puis, 

> I e 4 aout , le soleil se leve , a Stockholm , a trots heures 
qritaits-lrol. minutes .IWe0«rti« a hi.il heure. Ill mtimlM. 






50 VOYAGE EN SUEDE, 

dans un grand loinlain , les coles unies de la 
Scanie. Bienlot nous perdimes de vue 1'ile; les 
rivages de Suede s'approchaient de plus en plus, 
et il etait a peine huit heures, que nous prenions 
terre a Ystad. 

Nous etions attendus. Le port ressemblait a un 
champ de foire; chaque elat, chaque age, cha- 
que sexe y etait represents. Je me rendis aveo 
mon ami de voyage, M. Dubois, dans une au 
berge voisine, pour refaire notre toilette plus 
commodement que nous ne l'eussions pu dans 
le vaisseau et pour prendre le cafe plus tran- 
quillement; mais a peine etions- nous enlres, 
qu'un ami de M. Dubois, qui visite habituelle- 
ment ces contrees tous les ans, nous forca, a la 
maniere des Suedois, a descendre dans sa mai- 
son. Nous y recumes l'hospitalile la plus cor- 
diale. Get homme bienveillant avait servi en qua- 
lite d'officier dans le premier bataillon de ligne 
de Braunschweig, lorsque l'Adlemagne secoua le 
joug francais; il s'appelait Pluns et etait a la 
lete d'uue fabrique. Quoiqu'il fut celibataire. 
sa maison etait tenue sur un pied honorable, el 
ne manquait pas d'elegance. En un instant le de- 
jeuner fut pret. Je ne pus me dispenser de lui 
faire connaitre le sort de plusieurs de ses com- 



VOYAGE EN SUEDE. •>< 

pagnonsd'aruies; mon recit Cut laconique, car 
presque tous etaient unorts, et des bords du 
Lethe , nous ne recevons plus de nouvelles. II 
me pria de le rappeler au souvenir de ceux qui 
restaient; je lui en fis la promesse que je liens en 
tracant ces lignes. II nous accompagna a bord 
et nous nous entretinraes de sa patrie. Quand le 
batimentful pret a se meltre en mouvement, il 
nous fit ses adieux. Tout me faisait supposer que 
c'etaient les derniers que je recevrais de lui. Ce- 
pendant, quelques semaines apres, je rencon- 
trai le veteran hospitalier dans une rue de Go- 
thenbourg, ou l'amenaient les affaires de son 
commerce : il vint me faire une visite dans ma 
chambre. Ainsi, un heureux hasard amenedans 
un meme lieu des hommes qui n'avaient plus 
l'espoir de se rencontrer. 

Le port d'Ystad est peu frequente, quoiqu'il 
soit bon. La ville, qui compte un peu plus de 
4000 habitants, est batie en bois. Les maisons 
sont generalement peinles en rouge, et les rues 
sont mal pavees. Cependant, la place est assez 
grande est reguliere; on y voit quelques jolies 
maisons de pierre. Les habitants lirent leurs res- 
sources de Tagriculture, de la peche et du com- 
merce. L'industrie n'y a que quelques labriques. 






7 



32 VOYAGE EN SUEDE. 

II en sort des gants de premiere qualite , connus 

sous le nom de gants de Scanie. Les environs 

d'Ystad sont plals et ont la plus grande ressem- 

blance avec la Pomeranie, de l'autre cote de la 

Baltique. 

Quelques-uns de nos compagnons de voyage 
nous quitlerenl; mais ils furent remplaces par 
d'autres, desorleque, apres une station de deux 
heureset demie, nous poursuivimes notre roule 
en meme nombreque nousetionsentres au port. 
A deux heures , nous dinames au salon , et nous 
nous trouvames a peu pres une vinglaine a pren- 
dre !e cafe sur le pont, par un temps delicieux. 
Sans le tangage de notre vaisseau , c'eut ete un 
bonheur de voler sur les vagues. La nuit n'etait 
pas moins belle que la precedente, et nous at- 
lendimes la meme heureque la veille pour nous 
livrer au repos. Je dormis profondement, sans 
penser a l'abime sur lequel jelais porie, ni au 
volcan que j'avais a mes cotes. J'etais sur la 
terre ferme. 

Vint le 3 aout, et nous entrions, sous la con- 
duile d'un pilote habile, dans le detroit danse- 
reux qui separe File d'Oland de la province de 
Smoland. Cette ile etroile a dix-sept milles de 
longueur; a huit beuresdu soir. nous etionsdans 



VOYAGE EN SUEDE 33 

le beau port de Calmar, au milieu de nombreux 
vaisseaux.Calmarauntoutautreaspectqu'Ystad. 
Son admirable cathedrale, sou chateau, ou fut 
signee la fameuse Union qui porte son nom , lui 
donnent une signification historique, en meme 
temps que sa richesse architecturale fixe l'alten- 
tion de tous les voyageurs. Calmar eHait autre- 
fois la clef du royaume. Depuis l'union jusqu'au 
grand Gustave-Adolphe, elle a toujours figure 
dans les guerres des Danois et des Suedois. C'e- 
tait le centre autour duquel s'agilaienl les par- 
tis en guerre. Sa citadelle, puissante d'apres l'an- 
cien systeme des fortifications, a soutenu bien 
des sieges ; une foule de braves de ces deux na- 
tions ont peri sous ses murs. Aujourd'hui elle 
n'a d'autre importance que celle que lui donne 
le commerce etendu quelle fait dans la Baltique. 
Elle est le chef-lieu d'une prefecture (Loan) et 
le siege d'un eveche. 

L'arrivee de notre vaisseau semblait etre pour 
le peuple une veritable fete : les habitants s'e- 
taient portes par centaines sur le port pour nous 
recevoir. Laville en compte 6000; c'est, pour la 
Suede, une population assez considerable. Elle a 
un air d'aisance, quoique construite en bois. On 
y trouve de belles maisons, des rues larges et 






34 VOYAGE EN SUEDE, 

regulieres. Tous les voyageurs quitterent le bati- 
ment pour prendre le cafe au restaurant de 
l'H6tel-de-Ville. De la on alia voir la cathedrale. 
Elle esl dans le style de l'architecture italienne 
moderne. Ses colonnes, ses pilaslreset sesvoutes 
hardiraent elancees, eussent excite l'admiration 
meme a Milan et a Florence. Le sacristain qui 
nous accompagnait etait , comme tous ses con- 
freres, babillard et faniilier. Nous fimes une col- 
lecte a son profit et lui laissames une recompense 
honnele. Je comparerais volontiers cette cathe- 
drale a celle de Salzbourg, a laquelle elle ne le 
cede ni en beaute , ni en grandeur. Non loin de 
la se trouve le college , edifice vaste et massif, a 
coleduquell'universitedeGoettinguen'estqu'une 
bicoque. On ne se doute pas chez nous que les 
petites villes de Suede ren ferment des edifices de 
ce genre et qu'elles ont des constructions en bois 
qui l'emportent, par leur regularite et la per- 
fection de leur execution, sur celles en pierre. 
A gauche, l'antique chateau, si pittoresquement 
place, nous rappelait d'imposants souvenirs. 
Mais il etait trop eloigne du port, et nous ne 
pouvions nous hasarder a pousser jusque-la, car 
le coup de canon venait de nous avertir du de- 
part de notre vaisseau. Nous courumes au port, 



VOYAGE EN SUEDE. 55 

ou nous trouvames notre societe augmented de 
messieurs et de dames elegamment parees, entre 
autres, le baron Rappe et son epouse, couple 
distingue" par son amabilite et 1'exquise elegance 
de ses manieres. Ce fut dans ce jour que je fis 
connaissance d'un cure catholique , l'abbe Stu- 
dach , Bavarois , qui avait pris le vaisseau a Tra- 
vemunde et allait rentrer dans ses fonctions 
d'aumonier de la reine et de la piincesse royale. 
J'ai beaucoup regrette de n'avoir pu retrouver 
a Stockholm cethomme pieux et eclaire : nous 
nous sommes cherches tous deux sans nous ren- 
contrer; sa place l'oblige a rester constammenl 
au chateau de Droltningholm , residence d ete 
du prince Oscar. 

La nuit suivante, nous arrivames entre les 
rochers (scheeres) qui garnissent, par milliers, 
les cotes de Suede dans ces parages. Cette vue, 
particuliere au nord, est on ne peut plus cu- 
rieuse. Ce sont des masses de gres ou de gran it 
qui representent leurs flancs tantot nus, tantot 
couverls de bois de sapins. II y en a qui ont plu- 
sieurs milles carrees de surface, comme le Dalaro. 
D'autres ont a peine quelques centaines de pieds, 
ils sont rarement pourvus de vegetation, si ce 
n'est dans leur anfranctuosites. Les proprietaires 



\ 









36 VOYAGE EN SUEDE. 

s'y procurent, pendant l'automne, les plaisirs tie 
la chasse. Souvent ils y bivouaquent, au dire 
d'un capitaine de vaisseau, qui m'assura avoir 
pris part bien des fois a cet exercice. Les lievres 
et les chiens de mer y sont assez communs ; les 
cinaes servent de retraite aux aigles. Si Ton se 
represente les environs de la vallee d'Eckert 
( Eckertsthal ) , dans nos naontagnes du Harz, 
couverts par l'eau jusqu'a la hauteur de quelques 
centaines de pieds, je crois qu'on aurait une 
idee assez exacte des cotes de ^Suede ou sont si- 
tues ces scheeres. Si Ton pouvait dessecher l'eau 
dans cet endroit, on mettrait a decouvert un 
sol montagneux, granitique, entrecoupe de ra- 
vins profonds et etroits. Des neuf heures du ma- 
tin , nous etions dans les environs de Waxhol- 
men, citadelle tres-forte du cote de la mer, ou 
elle defend l'entree de la capitale. Nous mimes 
le cap plus a l'ouest entre des rochers qui s'ele- 
vaient comme des murs , et bientot nous tou- 
chames au but de noire voyage : Stockholm , la 
splendide residence des rois de Suede etait de- 
vant nous. Quelle scene admirable et imposante! 
Diit-on rdtrograder, sans pouvoir entrer dans la 
ville, je crois que cette vue seule sumrait pour 
dedommager de toutes les fatigues du voyage. 



VOYAGE EN SUEDE. •" 

Stockholm ne peut etre compare ni a Naples, m 
a Genes; mais il rappelle, par la majestueuse 
hardiesse des rochers ou sont assises ses plus belles 
maisons, par ses eaux et la foret de mats qui les 
couvre, le panorama de ces deux villes reunies. 






■ — -fc: 



SEJOUR 



A STOCKHOLM 



UN TOUR 



A UPSALA. 



II. 



\ 



SEJOUR 



A STOCKHOLM. 



UN TOUR 



I 



A UPSALA. 




Quelle confusion sur le vaisseau , des que It* 
piston cessa de jouer ; person ne ne songeait a 
dire adieu ou au revoir a ses compagnons de 
voyage. Les employes de la douane et de la po~ 
li<:e etaient arrives a bord, et chacun voulail 
passer le premier a la visite pour quitter l'em- 
barcation. Pour la premiere fois de ma vie jc 
ressentis la difficulle et le desagrement de ne 



BlBt 






}2 VOYAGE EN SUEDE, 

pas compreudrc la laague du pays que je visi- 
tais; pas un employe qui connut l'allemand, le 
francais ou une autre langue que la sienne. Ce- 
pendant un des passagers eut l'obligeance de me 
tirer de cet erabarras. Les difficultes furent 
bientot levees; ma malle ne fut pas meme ou- 
verte , sur l'assurance que je donnai qu'elle ne 
renfermait que nos elfets, et je pus mettre 
pied a terre. Je trouvai sur le rivage un Droschka 
ou fiacre, qui me transporta, en quelques mi- 
nutes, a l'hotel du Commerce, espece d'hotel 
garni situe Stora-Nygatan (grande nouvelle rue) 
dans la cite. J'y choisis deux jolies chambres 
proprement meublees , a raison de trois thalers 
(six francs) par jour, suivant le tarif etabli. On 
voit qu'il est assez eleve dans les premiers 
hotels de Stockholm , car je ne crois pas que 
j'eusse paye plus cher a Berlin ou a Vienne. 
Outre l'hotel ou je suis descendu, il y en a un 
autre du meme genre , qui prend le nom d'ho- 
tel garni. II est situe dans le faubourg du Nord ' 
(Norrmalm) , dans la belle rue de la Reine 
[Drottning-Gatan). Une particularity de Stock- 



1 Je ne puis regardcr Norrmalm ni Scederrnalm comme de^ 
faubourgs. Quoique Vcau les separe de la cite , ils no le ce- 
dent a celle-ci ni en bcaule ni en importance. 



VOYAGE EN SUEDE. 45 

holm, c'esl qu'on n'y trouve point d'auberges, 
comme en Allemagne, c'est-a-dire de maisons 
ou non-seulement on loge, mais ou Ion donne 
a manger. S'il y en a , elles sont mises a la por- 
tee des voyageurs moins exigeants, et dont les 
besoins ne sont pas ceux des premieres classes 
de la societe. Le voyageur doit done avant tout 
se pourvoir dun logement dans une maison 
particuliere; les affiches qui les indiquent pul- 
lulent ; rien n'est done plus facile que de s'en 
procurer a son gre , au second ou au troisieme 
etage. Si je n'avais voulu consuller que ma 
bourse , le plus simple eut ete de sortir de mon 
hotel au bout de quelques jours , et de prendre 
un logement particulier, a la semaiae; j'aurais 
depense une fois moins. Mais plusieurs raisons 
me determinerent a rester dans eet etablisse- 
ment jusqu'a mon depart. Le fds du proprie- 
taire parlait allemand ; il etait toujours pret a 
m'obliger et a me donner toutes les explications 
que je pouvais desirer; le portier de la maison 
(et e'est une rarete a Stockholm) ne quiltait ja- 
mais son poste et s'acquitlait avec exactitude 
des commissions qu'on lui confiait. Mon guide 
etait attache a la maisou; le service etait fait par 
deux belles Suedoises , avec lesquelles je ne pou- 






14 VOYAGE EN SUEDE, 

vais malheureusement echanger qu'un langage 
mimique, comme j'eusse fait avec des sourds- 
muets. Enfin , le lit (chose importantepour moi) 
valait ceux d'ltalie , avec leurs bons matelas. Je re- 
commande done consciencieusement l'hotel du 
Commerce a ceux de mes compatriotes qui seronl 
a meme d'en profiter. De plus , le cafe que j'y 
prenais etait bon et le dejeuner assez conforta- 
ble. Le peu de jours ou je n'eus pas a repondre 
aux engagements empresses de l'hospitalite sue- 
doise , j'allais diner dans un restaurant a la 
carte, appele Hotel-Royal , rue de la Reine, au 
faubourg du Nord. Outre qu'on y etait bien 
traite , j'avais l'agrement d'entendre parler ma 
langue au chef de l'etablissement. Je d^couvris 
un cafe sous une voute du pont gigantesque, 
qui , jete sur les deux bras du Melaren , conduit 
de la place de Gustave-Adolphe au chateau du 
roi. Pourvu d'un bon guide qui me servail 
d'interprele , tous mes arrangements etaienl 
faits pour la satisfaction des besoins qu'on 
eprouve sur une terre etrangere. Mon guide me 
coutait assez cher; je lui payais trois thalers 
banco; mais il faut remarquer qu'il n'a, pour 
gagner son pain de toute 1'annee, que la belle 
saison, pendant laquelle Stockholm est tres- 



VOYAGE EN SUEDE. 45 

frequente par les voyageurs; car l'hiver il ne 
fait rien comme interprete; il s'appelait Ander- 
son et etait originaire de File de Bornholm en 
Dannemark. On me l'avait presente comme pai - 
lant tres-bien le suedois , mais il n'en etait pas de 
meme de 1'allemand; il ne connaissait que Par- 
ticle feminin, et disait : la mart {die Mann), etc.; 
mais c'etait la bonne foi , l'hoanetete et la ponc- 
tualite personnifiees; je le recommande a tous 
ceux qui frequeulent la capitale de la Suede. 
Ces dispositions que j'avais prises des le jour 
meme de mon arrived, c'est-a-dire le 4 aoAt , 
me laissaient assez de temps a depenser. Apres 
diner mon guide me proposa de faire une pro- 
menade au pare, le Prater de Stockholm. J'ac- 
ceptai d'autant plus volontiers qu'il faisait un 
jour d'ltalie, tant le ciel etait pur et chaud , et 
que j'esperais, car c'etait un dimanche, voir un 
<*raud concours de tout le monde elegant de la 
residence. Comme ma curiosite etait stimulee 
par le souvenir de quelques ouvrages que j'avais 
recemment lus ! Je commencai done mes ob- 
servations par le pare que je parcourus plusieurs 
fois depuis a pied et en voilure. 

Le pare royal est a Test de Stockholm; e'est 
une presqu'ile d'une lieue et demiede circonfe- 









40 VOYAGE EN SUEDE, 

rence, formee par un petit golfe de la Baltique, 
baignee en partie par ses eaux et plantee d'ai - 
bres. On arrive au pare de la partie nord-est de la 
capitale, qui porle le nom de Ladugards-Landet 
par un pont flottant; mais le trajet se fait plus 
rapidement de tous les points de la partie est de 
Stockholm dans de petites nacelles conduites 
par de vieilles femmes (roderskor), dont la gros- 
sierete" du langage est devenue proverbiale, et 
dont la figure et les manieres n'inspirentd'autre 
sentiment que celui de la pitie. Cette penin- 
sule, allongee del'ouest a lest, laisse a nu, dans 
beaucoup d'endroits, ses flancs granitiques. Elle 
est remplie, surtout sur la cote rocailleuse ex- 
posed au midi, decampagnes pittoresques, d'ou 
la vue embrasse avec devices la mer, la capitale 
et surtout les rochers de la cote opposee ou 
s'eleve le faubourg du sud (Sodermalm). Au 
centre et au nord , le pare est seme de maisons 
et d'etablissements de tout genre qui le font 
rivaliser, sous ce rapport, avec le Prater des 
Viennois. On ne voil que restaurants, cafes, ba- 
teleurs, cirques d'equitation, danses, entrecou- 
pes d'allees ou circulent facilement les voitures 
et les cavaliers, tandis que des senliers pratiques 
dans le gout anglais conduisent les promeneurs 



VOYAGE EN SUEDE. 47 

dans les sites les plus agreables. Des roehers 
groupes a souhait pour le plaisir des yeux, des 
chenes seculaires des cotes hardiment elevees, 
d'ou I'oeil s'elend sur la mer, sur les vaisseaux 
qui la couvrent et sur la ville, forment pour le 
peuple uu lieu de plaisir qui n'a pas son pareil 
en Europe, du moins je n'en ai point rencontre 
de semblable dans les parties du continent que 
j'ai visitees. Imaginez un endroit de ce genre ou 
retentissent une musique animee et des milliers 
de voix d'bommes de toutes conditions, et vous 
avouerez que le pare vaut la peine d'etre vu un 
dimanche. La, on peut juger si les femmes sue- 
doises merilent ou non la renommee de beaute 
dont elles jouissent; et Ton ne peut se refuser a 
admettre que non-seulemenl elles ne le cedent 
pas sous ce rapport a celles de l'Allemagne me- 
ridionale, mais qu'ellesmettent dans leurs mou- 
vements une grace, qu'on ne trouve que par 
exception dans ces dernieres. Comparez l'espece 
de grimace hautaine si repoussante pour les 
hommes delicals par laquelle la plupart de nos 
dames allemandes repondent a un compliment, 
au salut ravissant dont une Suedoise, a moins 
d'etre paysanne ou mendiante, recompense un 
mot aimable, et dites si nos belles Allemandes 









48 VOYAGE EN SUEDE, 

n'auraient pas beaucoup a apprendre en Suede , 
car elles n'ont pour but que de plaire aux hom- 
ines. Les extremes se touchent : on retrouve 
dans le nord, avec la grace des Parisiennes, la 
beaute des charmantes filles de Tivoli et d'Al- 
bano, quoiqu'elles se produisent plutot en 
Suede sous la forme d'une Venus ou d'une Ce- 
res 1 que sous celle d'une Junon. Je me rappelle 
que la conversation et les manieres exquises de 
la baronne, qui arrivait toujours un pcu tard 
au diner sur le Svithiod, la facilite quelle avail 
a s'entretenir avec des hommes, m'apprirenl 
que je n'etais plus dans notre Basse - Saxe si 
prosaique , ou le maintien a l'anglaise roide et 
guinde detruit tout le charme qu'un leger lais- 
ser-aller donne a une femme. Hya pis, c'esl 
que l'observateur attribue cette roideur a un 
defaut d'intelligence et d'innocence, quoiqu'elle 
soit nalurelle et ne puisse se corriger que rare- 
ment par l'instruction. 

Non loin du golfe , dans la partie septentrio- 
nale du pare , nominee surbrunnswiken , parce 
qu'il en sort une source d'eau minerale, se 
trouve Rosendal, maison de campagne du roi. 
Cet edifice sans gout est d'une grande simpli- 

« Flava Ceres, libi sit noslro de rure corona spicea. 



VOYAGE EN SUEDE. 49 

cite : il a deux etages et sa facade est percee de 
neuf fenetres. Cet endroit et ses environs sont 
susceptibles de grands embellissements. Dans 
lete la famille royale a coutume d'y passer la 
journee, car elle n'y couche pas. Le grand roi 
parait en faire son sejour de predilection : c'est 
la qu'il se repose des soins du gouvernement 
qui absorbent tout son temps. La chose la plus 
remarquable a Rosendal, dont je n'ai pas eu 
occasion de voir l'inlerieur, est un morceau 
d'art unique au monde, avant que le roi ac- 
tuel, qui l'avait fait executer, en eut fait faire 
un semblable pour donner en present a l'era- 
pereur Nicolas. Je veux parler d'un vase de por- 
phyre rouge d'Elfvedal, de douze pieds de dia- 
metre et de neuf pieds de hauteur. Cet ouvrage, 
admirable par 1'elegante purete de son dessin, 
auquel plusieurs annees ont ete consacrees, et 
dont l'antiquite ne nous offre point de modele, 
est assis sur un piedestal de granit entoure de 
gazon. On m'a dil que pendant la rigueur de 
I'hiver il elait convert de planches, de peur qu'il 
ne se remplit de neige et de glace qui pourraient 
le det^riorer. 

Le roi a donnedansce pare, au celebre sculp- 
teur suedois Bystrom , une sorle de rocher, ou 



50 VOYAGE EN SUEDE, 

celui-ci s'est fait batir une villa qu'il veut ha- 
biter meme en hiver. C'est la que je le vis en 
soci&e de M. Roek, gentilhomme de la chani- 
bre et intendant du musee royal du chateau 
de Stockholm. J'aurai occasion de parler plus 
tard de ces deux messieurs. Le soleil etait sur 
le point de se plonger dans la mer , lorsque je 
me trouvai avec une compagnie nombreuse sur 
le golfe qui forme le port de Stockholm. Je des- 
cendis a peu de distance du chateau , la ou s'e- 
leve la statue de Gustave III. Quoiqu'ii se fit 
tard, une foule de visiteurs s'y rendirent pour 
s'amuser : la soiree etait aussi belle quelle eut 
pu etre dans le golfe de Naples. La vue dont 
on jouit de Skeppsholmen et de Castelholmen, 
deux rochers qui sortent des eaux enlre le pare 
et le Skeppsbron, est aussi imposante que celle 
de Chiaja et de Villa-Reale, a Naples. C'est cet 
endroit surtout qui rappelle au voyageur le 
Parthenopeembelli.Ainsi s'ecoula ma premiere 
journee a Stockholm; je me felicitai d'avoir eu 
1'idee de visiter le nord de l'Europe, apres en 
avoir parcouru le midi. 



La situation de Stockholm ne laisse rien a 



VOYAGE i:n SUEDE; ;il 

desirer, cl il n'y a pas d'exageraliou a la compa- 
rer a Naples , a Genes el a Lisbonne ; non qu'elle 
soil ce que sout ces villes, mais parce qu'elle a 
avec elles bcaucoup cle similitude. La nature , 
qui s'est nionlree prodigue en faveur des villes 
du midi , a mis Stockholm au-dessus de loules 
les aulres villes du centre el du nord de ['Eu- 
rope. Je pretends qu'il est impossible a celui 
qui n'a pas vu Stockholm , de se faire une idee 
exacle tie lout ce que celte villc a d'altrayant. 

Je vais essayer d'en presenter ie tableau aussi 
amine" qu'il soil possible de Ie faire sans dessins 
et sans eravures. Stockholm esl place entre le lac 
Melareh el un bras de la Baltique qui entre as- 
sez avanl dans les terres el qui esl, pour ainsi 
dire, defendu par d'innombrables scheeres. Le 
Melaren a au moins douzeniillesde longueur de 
Test a I'ouest , jusqu'a Vesleros el Keeping, et 
huit milles de largeur t\u sud au nord , jusqu'a 
Upsala. II a un caraclere particulier el unique. 
Mille trois cent iles de differcntes grandeurs 
herissenl sa surface et occupeul un espaee plus 
grand que ses eaux, dans lesquelles se mirenl 
cent trente chateaux. Les cou rants en rendenl 
la navigation difficile. Ce lac merveillcux, flout 
l'origine est fabuleuse, a son embouchure dans 



_., VOYAGE EN SUEDE, 

la Baltique, du cote ou est batie Stockholm. La 
derniere He, que baigne a 1'ouest le Melaren 
el au nord la Baltique, a d'un c6le des eaux 
douces, de 1'autre des eaux salees. Elleobstrue- 
rait cette embouchure si au nord et au sud les 
flots ne se frayaient un chemin , en determmant 
un couranl rapide. Sur celle He repose la cue 
hladenl noyau primitifde loute la ville , comme 
l>a ele a Paris l'Ue de la cite , formee par la Seme. 
Un superbe pont de granit joint au nord cet.e 
lie au continent; elle communique au sud , par 
un pont a ecluse, avec une pcninsule de ro- 
chers. Sur la lerre ferme s'elend le Normalm , 
quarlier le mieux bati de Stockholm; et snr la 
peninsule, le Sodermalm qui , par sa s.tuation 
sur des roches de granit , rappelle le Capo d, 
Monte de Naples. Ces trois divisions princ.pales 
(la Cite, le Normalm, le Sodermalm) ne com- 
petent cependant pas toute la ville. Elle se pro- 
longe a l'ouesl sur les ties du Melaren et a 1'esl 
sur les lies ou presqu'iles de la Baltique et 
forme , avec le pare qui en fait parlie , en quel- 
que sorte, lemagnifique ensemble qui nous oc- 
cupe. S'il suffit d'un fleuve ou d'un golfe pour 
cmbellir une autre ville, quel charme saisissant 
„ e doivent pas Jeter sur Stockholm ces eaux qu. 



VOYAGE EN SUEDE. 53 

I'etreiguent dans tanl de sens, qui se brisenl 
sans fin conlre ses rocliers, et ces rochers eux- 
memes qui produisent une impression plus pro- 
fonde que Venise, donl les laguues trahissent 
trop la main de l'homme, et qui n'a pour re- 
jouir l'ceil que ses eglises et ses lignes de palais. 
II est vrai que la severe nature du nord se re- 
vele surtout a Stockholm. Ses eminences ne sont 
pas, comme a Naples, embellies par les lauriers 
et les myrlhes; ses roches surgissent toutes nues 
entre les maisons, ou si elles recoivent quelque 
ombre, c'est celle des chenes et des sapins. 
Aussi n'y est on pas assourdi par le mouvement 
incessant et bruyanl de la population napoli- 
taine; mais en revanche, on y rencontre ni 
lazzaroni ni troupes de mendiants. Mais une 
population bieu vetue, porlanl tous les signes 
du bien-etre, se meut avec le calme phlegma- 
lique du nord , au milieu d'un silence qui n'est 
interrompu que par les chariots des paysans. 

II n'entre pas dans mes vues de donner une 
description de Stockholm et de tout ce qui! 
renferme de remarquable. Je ne me suis jamais 
senti de penchant pour les travaux topographs 
ques; el quand j'y aurais etc dispose, les qua- 
lorze jours que jepouvais employer a cette elude , 






34 VOYAGE EN SUEUE. 

pouvaient-ils me suffire pour recueillir les ma- 
terial necessaires? Ajoulez que j'ignorais la 
langue du pays. J'avais deja assez de difficult 
a vaincre pour atteindre mon but, qui etait de 
connaitre d'une maniere generate mais precise , 
la capilale de la Suede; car, une chose elon- 
nanle,c'estqu'il n'exisle point de description de 
cette ville en allemand , en anglais ni en fran- 
cais. 11 n'y en a qu'en langue suedoise ; el cct 
idiome n'est guere connue hors des fronlieres 
des irois royaumes. On a commence a en pu- 
blier une en francais; mais elle a ete inlerrom- 
pue, el les feuilles qui ont ete mises au jour 
ne sont qu'un livret des ceuvres d'art que ren- 
ferme le chateau. Aussi , Tetranger qui ignore 
le suedois est-il oblige d'avoir recours a des 
Voyages dans le nord et de se confier au bon 
vouloir d'un homme a gages. Mais le moyen de 
trainer apres soi de petites bibliotheques des 
voyages ?Etl'on sait ce quon a a atlendre d'un 
valet de louage hors de lllalie. II n'existe pas 
sur la Suede d'ouvrages comme ceux de Volk- 
mann et de Neigebauer sur l'llalie. C'est ce qui 
m'a determine a ne donner qu'un tableau sem- 
blable a ceux que j'ai traces d'aulres pays dans 
les premiers volumes de cct ouvrage; quoiqu'ils 



VOYAGE EN SUEDE. 55 
ne soient pas aussi acheves que si je fusse reste 
plus longlemps sur les lieux , je puis assurer le 
lecleur qu'ils soul fideles et copies d'apres na- 
ture. 

J'ai dit que I'ile ou est la cite communique 
avec la partie septeulrionale (Norrmalm) de la 
ville par un beau ponl de granit, jete avec une 
grande hardiesse sur le bras du Melaren qui se 
decharge dans la Ballique. 11 a cela de commun 
avec le ponl de Dresde, qu'il reunit deux places. 
A.u sud, il conduit a celle du chateau; au nord, 
a celle de Gustave-Adolphe. Ici , jetez les yeux 
sur la statue equestre de ce grand roi tourne 
vers le sud , vous aurez une vue telle qu'on n'en 
a point en Europe. Nous nous trouvons sur une 
place assez vaste, a droiteel a gauche sontdeux 
edifices dont les facades, parfaiteraenl sembla- 
bles , sont orneesde colonnes et de pilastres d'or- 
drecorinthien : I'un est le Grand-Opera, Pautre 
le palais du prince Charles. Sur la meme ligue 
selance, sur l'embouchure du Melaren, le ponl 
de granit, un liers plus long que celuide Dresde. 
Son grand developpemenl ne nuil point a 1'effel 
du chateau qui s'eleve en face, et dont le coup 
d'tcil, de cecole, est incomparable. Car il n'est 



56 VOYAGE EN SUEDE, 

pas bati en rase terre, mais sur une vaste ler- 
rase ou coaduisent deux rampes que semblenl 
garder deux enormes lions en bronze. C'est avec 
raison que la Suede montre avec orgueil ce cha- 
teau , acheve en 1753. II y en a ailleurs de plus 
vastes, mais nul ne reunit autant de majeste a 
aulant de grace, surtoutdu c6te qui se pr&en- 
tait a rues regards. II a six elages, trois grands, 
irois plus petils; trente-neuf fenelres ornent 
sa facade qui a trois cents vingt-huit pieds sue- 
dois; les deux ailes ont dix-huit fenelres. Elles 
sont dans une telle harmonie avec le corps prin- 
cipal , qu'on sent, en le contemplant, la justesse 
de l'expression musique petrifiee, appliquee ami 
morceau archilectonique parfait. 

Maisquesont ces beautesde l'art, si la nature 
n'y joint les siennes pour en faire un tout com- 
plet? L'oeil, en se dirigeant a gauche , plane sur 
une mer couverle de vaisseaux de guerre el do 
bailments marchands, el est arrele a l'horizon 
par un fond de rochers entremeles de vastes 
edifices. L'eau , cet element essentiel d'un tableau 
vivant, ne fait pas plus defaut a droite. La fleche 
,le la cathedrale (Storkyrkan) qui s'elance au- 
dessus des maisons environnantes el 1'obelisque 
erige par un roi reconnaissant pour cterniser la 



VOYAGE Ei\ SUEDE. 57 

fidelile des bourgeois de lacapitaledansun temps 
diffficile, ajoutenlau piltoresque qui distingue la 
physionomie des bords du lac. Si Ton se repre- 
sente maintenant les places, le pout et la mer 
elle-meme animes par l'aclivite de milliers 
d'hommes, on concevra facilemenlqu'il est pres- 
que impossible de voir ailleurs une pareille scene. 
La Suede belliqueuse, brave et couverte de gloire, 
meritaitd'avoirunetelledemeureaomirasesrois. 
Les trois autres facades du chateau , quoique 
differentes entre elles, n'offrent pas moins d'in- 
leret. Je remarquai surtout la partiequi regarde 
le port, au nord-est, et qui enveloppe, de ses 
deux ailes, un charmanl petit jardin (Logarden) 
plante de fleurs. Deux escaliers de granit con- 
duisenla la place qu'embellit la statue en bronze 
de Gustave III. C'est de cette place que s'embar- 
quent les membres de la famille royale; c'est la 
aussi ou ils melteut pied alerre, au retourdeleurs 
expeditions ou de leurs piomenades sur mer. Du 
cole oppose du chateau est une avant-cour demi- 
circulaiie, formeepar une galerie en arcades, qui 
sert de corps-de-garde. Elle est ornee de dix co- 
lonnesdoriques, surmonteesde cariatides, mode- 
lees par Cousin, el qui supporlenl des pilaslresco 
rinlhiens. Les portraits, encadres de medaillons, 



38 VOYAGE EN SEEDE. 

par le meme matlre, des rois de Suede, depuis 
Gustave l er jusqu'a Charles XI, garnissent le* 
ent re-colon nements. La plus belle facade, a mon 
avis, est celle du sud-est. Elle presente six fortes 
colonnes corinthiennes chargees de trophies, 
de 1'artisle que nous venons de nommer, et re- 
garde la cathedrale et 1'obelisque. La cour du 
chateau est un parallelogramme de deux cent 
soixanle pieds suedois de longueur sur deux 
cent vingt-qualrede largeur; sa toiture est a 
l'italienne. Les architectesqui ont concuce beau 
morceau sont Nicodeme Tessin, el son fils, le 
comic Charles- Gustave. 

J'ai visile aussi I'interieur du chateau ; la reine 
habile le premier etage et le roi le second. Les 
ornemenls et les decorations des apparlemenls 
sont dignes des personnes auxquelles its sont 
deslines° lis ne sont pas dans le gout moderne, 
et c'est ce qui impose encore davantage. Les eta- 
ges se composent d'une filede salons elde cham- 
bres. On y admire la foule de statues des Sergei , 
des Goelhe, des Fogelberg et des Byslrom , cele- 
bresarlislesnalionaux; preuveevidenteque 1'ari 
csl cullive avec succcsdans le fond deces froides 

conlrecs. 

La bibliolheque royalc et le musee soul pla- 



, 



VOYAGE KN SUEDE. •'>'.) 

pes dans l'aile nord-est. La premiere a une richc 
colleclion cle livres qui dalent des premiers sie- 
eles de la decouverte de l'imprimerie, des ma- 
nuscrits precieux parmi lesquels ou dislingue le 
Code du Dinble (Tcufcls-Codcx), une Vulgate , 
un Josepkc, un Isidore, edits sur velin , in-folio. 
Ces raretes sont toujours presentees aux voya- 
geurs. Ce sont des tropbeesde la guerre de trenle 
ans; on lesdoil au fameux Kocnigsmark, qui les 
prit a Prague. Je ne puis me resoudre, pour don- 
ner une connaissance plus delaillee de cette col- 
leclion, atraduire le catalogue qu'on en trouve 
daiisrouvragede M. Ekmark. Du reslecelle bi- 
bliotheque, quant a son importance, ne saurail 
soutenir la comparaison avec les grandes biblio- 
iheques d'Allemagne. 

Le musee est sous rinspecliou d'un homme 
d'un rare merite, M. de Roek, genlilhomme de 
la chambre et inlendant. 11 parlait italien avec 
la facilile el I'elegance d'un Romain ou d'un 
Florenlin. \\ employa celle langue pour me dou- 
ber tons les eclaircissemeuts possibles sur le tre- 
sor confie a ses soins. L'amabilile, la bonle el 
I'urbaniledelicalequ'il mettaitases explications, 
rebaussaient le prix que j'y allachais. La galerie 
de tableaux est remarquable; celle des antiques 






gO VOYAGE EN SUEDE. 

Vest encore plus. Apollon et les muses soul des 
chefs-d'oeuvre de l'antiquite, el les statues des 
empereurs rotnaius de la collection de P.ranes. 
pourraient figurer avec avantage dans les plus 
errands musees de l'Europe. Ce que j'y ai vu de 
plus admirable est un Endymion endormi , 
repos, en marbre grec, un peu plus grand que 
nature, achele a Rome en 1784, pour la somme 
de deux mille ducats. Ce morceau avail ete trouve, 
un an auparavant, dans les mines du palais de 
1'empereur \drien, presdeTivoli.il estsiacheve, 
si bien conserve, qu'il eut du prendre une place 
distinguee dans le musee du Vatican lui-meme. 
On y voit un grand nombre d'excellentsouvrages 
de Sergei, de Fogelberg et de Bystrom. Le ce- 
lebre groupc de l'amour de Psyche du premier 
de ces artistes, merite surtout d'etre etudie el 
admire, fl y a peu de princes qui donnent aux 
arlistes de leur pays des Iravaux aussi impor- 
tants et aussi honorables, que le roi Charles- 
Jean. Ce fait revele l'elevalion d'ame de ce glo- 
neux monarque. Ce sont surtout les grands rois 
de l'ancienne dynaslie qu'il a fait executer par 
Byslrom sur une echelle colossale, et donl il 
veut former un musee historique , bien different 
en cela de Napoleon. J'ai vu plusieurs de ces sla- 



• %* 



VOYAGE EN SUEDE. <H 

lues que Bystrom a sculptees a Carara : elles 
etaienl arrivees recemment d'llalie et n'etaient 
meme pas encore placees. On les avait depo- 
sees dans un edifice situe au nord de la place de 
Charles XIII , en allendant que le projet du mu- 
see put se realiser. 

Jean-lNicolas Bystrom , ne a Philipslad , dans 
le Wermland, le 18 decembre 1783, est sans 
conlredit le premier sculpteur de son epoque, 
apres Thorwaldsen. II est l'eleve de Sergei; mais 
il s'est forme sur les chefs-d'oeuvre des grands 
maitresde l'anliquite, en Ilalie, ou il asejourne 
longlemps a differentes reprises. Ses principaux 
ouvrages sont enlre les mains du roi de Suede 
el du prince royal; cependant, differenls parli- 
culiers en possedentde tres-estimables en Angle- 
lerre et en Italic. Bystrom est l'homme le plus 
aimable et le plus modeste; il a eu la bonte 
de me donner, ecrit de sa main , le catalogue de 
ses ouvrages. Mon ignorance de la langue sue- 
doise ne me permet pas d'en donner la traduc- 
tion 1 . 

Plusieurs salles du chateau sont destinees a 



'On trouve dans le Dictionnaire de la conversation (Leipzig, 
chez Brockhaus), un article Ires-inlcressanl sui ecl artisle 
o61ebre. 



& , VOYAGE EN SUEDE 
une collection d'objets raresdu moyeu age, tels 
qu'on en trouve assez communement dans nos 
vieux chateaux. On y conserve des reliques des 
rois de Suede , comme les habits couverls de sang 
de Gustave-Adolphe, de Charles XII et de Gus- 
tave III , le berceau et les jouets de Charles XII , 
et une pantoufle brodee de Christine : cetle 
chaussure prouve que la savante reine n'avait 
pasun pied tres-mignon. La, ont aussi leur place 
les habillements de fete et de courounement des 
derniers roisde Suede. Mais je trouvais fort cn- 
nuyeux de voir tout cela comme par devoir, el 
je fus tout content , lorsque je pus raettre deux 
thalers dans la main de mon cicerone pour le 
recompenser de sa peine et sorlir. Je me promis 
bien de ne revoir de si tot de pareilles anti- 
quailles. 

J'eus le plaisir, au musee royal, de renouve- 
ler connaissance avec un savant et un homme 
d'Etat estimable , que je n'esperais plus revoir de 
mes jours. Je veux parler de M. Alexandre Tur- 
geneff , de Moscou , conseiller d'etat de Russie. 
Sa passion pour les etudes historiques , nolam- 
ment en ce qui louche sa palrie, le pousse a 
travels TEurope pour fouiller dans les archives 



VOYAGK EN SUEDIi. 65 

el les bibliolbeques et se procurer les moyen s 
de fixer des dales incertaines ou de remplir des 
lacunes. II a fait ses premieres eludes a Goellin- 
gue , mais c'est sous !e celebre Heeren qu'il a 
acquis la consislance d'un historien erudil el 
profond. II m'avait visile , quelques semaines 
auparavanl, a Wolfenbullel , ou il pareourait 
la bibliolbeque avec une extreme avidile. 11 me 
reconnut de suile. 11 elail venu eu Suede par 
Hambourg, Kiel, Copenhague et Gothenbourg, 
et poursuivait ses rechercb.es avec la meme avi- 
dile. II meltait une exactitude scrupuleuse dans 
les choses meme qui paraissaienl avoir peu de 
rapport au but de son voyage, ce qui me fit 
sou vent rougir de ma negligence a cet egard; 
ear, tandis qu'il notait au crayon tout ce qu'il 
jugeait digne de remarque, je men rapporlais 
a ma memoire. Aussi esl-il probable qu'il retire 
plus d'ulilile que moi des voyages; maisjecrois 
quej'y trouve plus de plaisir, et c'est la I'affaire 
iniporlanle a mes yeux dans ces sorles d'excur- 
sions. Plus d'une fois j'ai declare que je n'avais 
en vue , en donnant la relation de mes voyages, 
que de procurer a mes lecteurs un passe -temps 
agreable. Nous laissons done a de plus serieux 
observaleurs que nous de voyager a la ma- 



u VOYAGE EN SUEDE. 

nie re des Perz , des Palacki , des Turgeneff. Ce 
qui me convient le plus, c'est de parcounr le 
m onde comme la vie, aussi joyeusement que 
possible, sans soucis, avec un peu de science. 

Hie potens sui 

Lffitusquedeget.cui licet in diem 

Dixisse : Vixi I 
Ce seul mot resume la philosophic la plus 
complete et la plus raisonnable. 



Les eglises de Stockholm sont presque sans 
ma jeste. Celles qui ont ete construites dans 
l'ancien style germanique ont ete depuis telle- 
ment defigurees par les reparations qu'on y a 
faites , qua peine on en pent deviner la phys.o- 
nomie primitive. Cette remarque s'apphque sur- 
,out a la cathedrale , siluee pies du chateau , et 
ou se fait le couronnement des rois et des remes. 
Le monarque actuel et apres lui son dpouse, y 
ont ete sacres. Elle ne porte exterieurement au- 
cune trace d'architecturegothique, et ressemble, 
vue du cote de 1'obelisque, a la plupart des 
eglises des couvents italiens. 
° L'eglise de Riddarholmen (He des chevaliers) , 



VOYAGE EX SUEDE. O'i 

dans la petile ile du meme iiom , qui commu- 
nique par uii pout a la cile, cetle eglise, oii 
sont les tombeaux du grand Guslave- Adolphe 
el de Charles XII, a egalement perdu beaucoup 
de son caraclere gothique a lexterieur; a linte- 
rieur elle a moins perdu. Pendant que j'y elais, 
on y faisait des reconstructions , et Ton reparail 
la lour qui avait ete endommagee par la fou- 
dre. Elle a le defaut d'etre trop basse. 

L eglise allemande {Tyska Kyrkan) , dans la 
cile, est un vieil edifice tres-vaste, avec une 
tour assez bien conservee. La paroisse , autrefois 
t res- considerable , est presque nulle aujour- 
il'hui. Plusieurs families suedoises , d'origine 
allemande, y sont altachees. Lecole allemande 
est dans son voisinage. 

L'eglise finnoise, pies du chaleau , nest pour 
ainsi dire qu'une chapelle. J'enlendis une par- 
lie d'un sermon en finnois, quoique je n'y com- 
prisse pas un mot. Le predicaleur declamait 
comme on le faisait , il y a cinquanle ans , dans 
1'Allemagne protestante. Les bonnes femmes qui 
l'ecoulaient furent louchees jusqu'aux larmes; 
je crois pourtant qu'elles n'enlendaienl guere 
mieux que moi ce qu'il leur debitail. 

L'eglise Saint- Jacques , dans le Norrmalm , 



1 






OG VOYAGE OS SUEDE. 

pi es la place de Charles XIII , n'a rien qui revele 

a 1'exterieur son origine gothique que ses fene- 

Ires eu ogives. 

Leglise d'Adolphe-Frederic , dans la partie la 
plus septentrionale du meme faubourg, est la 
plus belle de toutes celles de la capitale. Elle fut 
erigee dans le gout italien par A-dolphe- Frede- 
ric et fut achevee en 1776. Elle a un aspect de 
grandeur imposante auquel ajoute sa tour, qui 
a presque la forme d'une coupole. On voit dans 
cette eglise deux morceaux , dus au ciseau de 
Sergei. Le premier, qui orne un autel , repre- 
sente la resurrection du Sauveur. 11 est a regrel- 
ter que cette ceuvre precieuse ne soit qu'en pla- 
tre. Le second est un cenotaphe , erige en l'hon- 
neur de Descartes. Cecelebre philosophe, appele 
en Suede par la reine Christine , mouruta Stock- 
holm en 1653 , peu de temps apres son arrivee. 
Ses os reposerent longtemps dans le cimetiere 
Saint - Jean, jusqu'a ce qu'ils fussent transpor- 
ts a Paris. Le monument est surmonte d'un ge- 
nie aile qui , d'une main , souleve un voile qui 
couvre le globe de la terre , et de 1'autre l'eclaire 
d'un flambeau .L'ideeest plus ingenieuseque juste; 

car il faut avouer que Descartes n'a point etendu 
la connaissance du mecanisme de l'univers. 



VOYAGE EN SUEDE. <>7 

Leglise Samle-Calherinc est la plus belle tie 
celles du faubourg du sud (Sixlermalm). Elle 
a ele conslruite au commencement du siecle 
dernier; elle est aussidans le gout italien et or- 
nee dune coupole, aulour de laquelle s'elevent 
qualre tourelles assez semblables a des minarets. 

L'eglise de Tile des vaisseaux (skeppsholmen) 
erigee pour la marine, a quelque analogie avee 
le Pantheon romaiii a cause de sa coupole. Le 
resle de 1 edifice, de forme octogone, en differe 
tolalement. 

Je neparlerai pas des aulres eglises de Stock- 
holm; elles merilent d'etre visitees , mais leur 
architecture n'offre rien de remarquable. En 
revanche elles possedent des uiuvres d'art distin- 
guees, et souvent des monuments historiques 
que le desir d'honorer les grands hommes qui 
out illustre la Suede, el de rappeler les hauls 
fails d'armes que son histoire a consignes , a 
rendus communs dans ce pays. Le professeur 
Schubert, dans son Voyage en Suede selend 
sur tout ce qui se rapporte aux edifices el a 
1'histoire du culte. Sa methode, toute instruc- 
tive qu'elle est, n'entre pas dans mon plan. 

Autanl la capitale de la Suede est riche en 
maisons particulieres vasles et commodes , au- 



. 



6g VOYAGE EN SUEDE, 

tant elle est pauvre en palais. Elle a de belles 
casernes, admirablement situees; seshopilaux, 
surlout 1'hopital militaire pour la garnison , 
bati par le roi acluel dans Kungsholmen (He 
du roi), le quartier de medecine de la ville, 
ou les hopitaux sont tres-rapproches l'un de 
I'autre, sont des edifices magnifiques; le der- 
nier surtout meriterait la qualification de palais 
s'il n'etait le sejour des malades. Mais ces chefs- 
d'oeuvre d'archilecture , comme on en voit a 
Venise, a Genes, a Vienne ou a Berlin, il ne 
faut pas les chercher a Stockholm. La maison 
des nobles {riddarhuset), la bourse, la monnaie 
el quelques autres edifices ont un developpe- 
ment exterieur considerable; mais ils manquent 
du grandiose qui impose l'admiration. A. l'ex- 
ception de la place de Gustave-Adolphe, du 
pont jete sur le Melaren et surtout du chateau , 
avec lequel peut-etre aucun autre en Europe 
ne peut rivaliser, on ne trouve de magnificence 
que celle de la nature; mais elle suffit pour 
compenser tout ce qui manque d'ailleurs a 
cette capitale. Je repete ce que j'ai dit tant de 
fois : on ne peut rien voir de plus ravissant que 
l'ensemble produit par la mer, les rochers et les 
hommes. Cesl du sommet du telegraphe surla 



VOYAGE EN SUEDE. 69 

montagne de Molse (Moses- backe ) dans le fau- 
bourg du sud , ou d'uu cafe qui en est voisin, 
qu'on jouit de la vue la plus etendue. On a 
sous ses pieds la parlie inferieure du faubourg 
du sud, a gauche presque tout le Melaren et 
ses lies, entre autres Kungsholraen; plus loin 
c'esl la ville, le grand pont du Melaren et le 
faubourg du nord, selevant en pente douce 
jusqu'a l'Observatoire et au chateau de Haga, a 
deux pas de la et a droite le port ou se balance 
une foret de mats, puis le Caslelholmen , le 
Skeppsholmen, la belle ile de Saint-Blaise (Bla- 
sieholmen) , le Ladugardsland; enfin , a l'ho- 
rizon le pare avec ses bois, ses rochers et ses 
maisons de campagne. J'affirrae qu'il est diffi- 
cile de trouver un pared panorama. J'ai vu le 
golfe de Naples depuis le chateau Saint-Elme et 
le chateau Capo di Monte; des hauteurs des 
Apennins j'ai considere les baies et les palais de 
Genes qui s'etendent a leurs pieds; je ne dirai 
pas que les environs de Stockholm, vus de la 
montagne de Moise, les surpassenl en beaute, 
mais je les regarde comme comparables a tout 
ce que I'ltalie peut offrirde mieux sous ce rap- 
port. Sous le point de vue des beautes nalurelles, 
Stockholm est la Naples du Nord. 



70 VOYAGE EN SUEDE. 

Un des principaux ornements de Stockholm, 
ce sont ses statues. J'en ai deja dti plusieurs. La 
plus considerable est la statue equestre de Gus- 
tave-Adolphe, en bronze, sur la magnifique 
place qui porte son nom. Cest un morceau 
achevede Gerard Meyer qui egale les plus beaux 
que l'anliquite nous ait laisses. 11 a ete termine 
en 1796. 11 repose sur un haul piedestal de mar- 
brede Suede qui ne porte aucune inscription, 
m ais ou l'on voit en medaillons les rebels de 
Torstenson , de Wrangel , de Baner et de Komgs- 
m ark, ciseles par Sergei. Une statue colossale de 
Clio, representee au momentou elledicte la vie 
do grand roi a Axel Oxenstjerna , chanceber du 
royaume etson ami, devait etre placee au pied 
de la statue equestre; on a abandonne ce pro- 
jet. Cette statue en plalre a ete posee dans un 
des vestibules du chateau. 

Sur la place des chevaliers , s'eleve la statue en 
bronze de Gustave Wasa , du meme Gerard 
Meyer. Elle represente ce grand homme, lors- 
que, de la condition privee, il fut eleve par ses 
concitoyens a la dignite royale, en consideration 
de ses eminentes quabtes. II a une longue barbe ; 
sa lete est couronnee de laurier. Sa main dro.te 
lienl le sceptre , en partiecouvert dun manleau 



VOYAGE EN SUEDE. 71 

richement drape; de la salle des nobles d'ou il 
est sorti , il porte ses regards et ses pas vers le 
chateau royal qui l'attend. La noblesse erigea 
eette statue au liberateur de la palrie en 1773. 
Elle fut achevee par le sculpteur francais, Pierre 
l'Archeveque. C'est avec raison qu'on critique 
le piedeslal qui se trouve eerase par une statue 
de onze pieds de hauteur el couvert , pour ainsi 
dire, par la grille en fer dont il est entoure\ 

La statue colossale erigee par la bourgeoisie 
de Stockholm a la gloire de Gustave III, est pa- 
reillement en bronze. Elle a ele placee sur le port, 
au pied de la monlagne du chateau. Le roi a 
une altitude heureuse. Son manleau ne le cou- 
vre qu'en partie. Sa main gauche, qui lient une 
couronue de Iaurier, s'appuie sur le gouvernail 
d'une galere, embleme des victoires qu'il a rem- 
portees sur mer; de la droite, il presenle une 
branche d'olivier, qui m'a paru un peu petite. 
Ce morceau, eleve sur un piedestal deporphyre, 
est du au talent de Sergei. 

On a fail elever, en 1822, sur la place d'ar- 
mes, nominee celle de Charles XIII, a ce prince, 
pere adoptif du roi regnant, une statue colos- 
sale modelee par le professeur Goethe et fondue 
a Paris. Le roi, en costume suedois, couvert 






72 VOYAGE EN SUEDE 

d'uo manleau bien drape, est appuye sur une 
ancre de vaisseau. L'ensemble en est imposant. 
Des lions de bronze reposent aux quatre angles 
sur des degres de granit, qui portent le piedes- 
tal ou s'eleve la statue. 

Stockholm possede aussi un monument 
comme les rois en offrent quelquefois a leurs 
sujets : j'en ai deja fait mention. C'esl un obe- 
lisque forme de blocs de granit, de la meme 
hauteur que le chateau et a son sud-est, sur la 
place Slottsbacken, en face de la grande egl.se. 
II rappelle le courage que deploya la bourgeoisie 
dans la defense de la capitale, pendant la guerre 
de la Russie (1788-1790). inscription suivante, 

.rayee sur le monument avec la traduction, en 

o 

explique le motif : 

GCSTAVUS III 

CIVIUM STOCKHOLMENSICM 

FIDEM 

FLAGRANTE BET.LO 

PROBATAM 

POSTERIS TRAM VOLC1T 

RESTITBTA FACE 

MDCCXC. 

GCSTAVUS IV ADOLPHOS 
TRADIDIT 

MDCCXCIX. 
Ce monument fut decouvert le 3 octobre 
1800. 



VOYAGE EN SUEDE. 75 

On voit dans la cite plusieurs rues etroites et 
sinueuses; mais ce n'est qu'une exception, car 
dans ce quartier comme dans les faubourgs du 
nord el du sud , elles sont generalement alignees , 
quoiqu'ellesaient trop peu de largeur pour leur 
longueur. Elles sontdecoreesde maisonsde trois 
et meme de cinq elages, solidement construites 
en briques. Le pave est mal entrelenu; mais il 
parait qu'on s'occupea le relever. II y en a meme 
dejauneassez grande etendue fort bien execulee 
en pierre de granit. On est prive de trottoirs, 
si ce n'est sur le grand ponl du Melaren. II est 
vrai qu'il serail assez difficile d'appliquer ce sys- 
teme a des rues aussi etroites qu'elles le sont. 
Le mouvement dans les rues est comme celui de 
la parlie de Berlin, nommee Fredericsladt , et ne 
peut elre compare a celui de Copenhague, en- 
core moins a celui de Hambourg. Aussi 
Stockholm, malgre son elendue, ne compte- 
l-elle que 85,000 habitants. Les equipages sont 
pares, el on n'en voit pas un brillanl. On ren- 
contre, au conlraire, une multitude de chariots 
de paysans, traines par un cheval; leur course 
est rapide et le bruit qu'ils produisent est sem- 
blable a celui qu'on entend dans les rues de Na- 
ples. II y a des omnibus tres-com modes el de 






74 VOYAGE EN SUEDE, 

bons fiacres; ils ne stalionneat pas dans les rues 
el doivent etre retenus, comme les voitures de 
remise a Paris. Stockholm n'a pas de magasins 
elegants et etalant a profusion des marchandises 
varices, comme ceux de Vienne, sur le Graben; 
mais elle ne manque pas de bouliques, comme 
on en voit dans nos villes du second ordre, a 
Braunschweig , a Hanovre, etc. Les boutiques des 
orfevres sont garnies d'objels parfaitement tra- 
vailles; les magasins de nouveautes sont tres- 
bien assortis, surtout d'etoffes representant les 
membresde la famille royale lithographies. Les 
librairies, qui tiennent aussi des fournitures de 
bureau (ce qui est deja d'un mauvais augure), 
ne presentenl qu'un pauvre aspect, comparees 
a cellesdeLeipsig, de Hambourg, de Braun- 
schweig et de Goetlingue. On n'y Irouve que des 
livres suedois et quelques livres francais. Pour- 
tant, dans celtes ou j'ai mis le pied , j'ai vu un 
rayon charge des ceuvres de Gcethe, de Schiller 
el du diclionnaire de la conversation, dernieres 
Editions et elegamment relies. Je dois (aire ob- 
server qu'il y a de tres-habiles relieurs a Stock- 
holm, a Upsala et a Gothenbourg. 

Le dimanche, un repos lethargique regue 
dans les rues de Stockholm pendant la celebra- 






VOYAGE EN SUEDE "•'» 

lion du service divin.Toutes les boutiques soul 
lertnees. En revanche, les eglises soul pleines 
d'une foule elegamment paree, les yeux reli- 
aieusement attaches sur le psaulier ou sur le 
livre des Evangiles. 

On rencontre rarement des mendianls, si ce 
n'esl dans les quartiers isoles. Ce sont surlout 
de vicilles femmes, qui, sans proferer une pa- 
role, font appel a la charite des passants par 
quelque geste plein d'humilile. Elles meltent a 
remercier une grace qui fait oublier leur age el 
leur accoutrement. Dans les restaurants on esl 
servi par des garcons comme en Allemagne, et 
une femme, soigneusement vetue , occupe le 
comptoir. Mais dans les hotels garnis , il n'y a 
que des jeunes filles pour faire le service; le 
porlier et le domeslique sont les seuls hommes 
qui y soient employes, contrairement a ce qui 
se fait en Italic Lelranger n'a qua se louer de 
1'exaclitude et du soin du domestique de louage 
a neltoyer ses habits , el il est en parfaite sii- 
rete dans sa chambre. On ne serre que son por- 
tefeuille qui renferme son argent en papier- 
monnaie. L'anlique bonne foi germanique est 
encore un trait caraclerislique des Suedois. 
.I'avais oublie mon manleau sur le vaisseau qui 



7r> VOYAGE EN SUEDE, 

m'avait amene; je ne m'en apercus que cinq 
jours apres. II se trouva pr&isement a la place 
ou je 1'avais laisse. Jamais on ne vous demande 
de pour-boire , et vous voyez loujours les gens 
conlenls de ce que vous voulez bien leur don- 
ner. Pas la moindre apparence de la cupidile 
italienne on fraucaise. Si vous observez la phy- 
sionomie el la mise de ceux que vous reucon- 
trez dans les rues ou sur les promenades pu- 
bliques, vous vous croyez dans le nord de 
1'Allemagne. Cependant, il y a moins de blonds 
que cbez nous. La maniere de s'habiller ne dif- 
fere pas beaucoup de celle des habitants de 
l'Allemagne septentrionale , si ce n'est que les 
femmes, dans les classes inferieures, se eoiffent 
d'un foulard de plusieurs couleurs , qu'elles 
nouent sous le menton. Celte maniere releve la 
beaute des traits et donne a la physionom.e 
quelque chose de plus gracieux. Generalement , 
les Suedoises meritenL a plus d'un litre qu'on 
leur applique ce mot de Tibulle: « Subse f ,ui- 

tnrque decor. » 

Les communications entre Stockholm el les 
environs se font par un nombre considerable 
de bailments a vapeur de loute grandeur, et 
elles sont rendues plus faciles par la forme 



YOYAGE EN SUEDE. " 

unique du Melaren , qui elend de tous coles ses 
bras comme les rameaux d'ua arbre vigoureux. 
J'etais deja arrive au 9 aoiit , sans avoir fait 
autre chose que des visiles ou recu des amis 
ou des connaissances. Voulant mettre mieux a 
profit mon temps, je resolus de faire une ex- 
cursion au chateau royal de Droltningholm (ile 
de la reine) , l'une des iles les plus piltoresques 
du Melaren, a 1 1/2 mille de la capilale. Je ga- 
gnai sans plus de retardemenl le port de Rid- 
darholmen, ou slationne le petit bateau a va- 
peur qui fait le service de Stockholm a cetle 
ile. Le pont etail deja couvert de dames ele- 
gantes el de fashionables. Les premieres elaienl 
occupeesa lire; j'oseraispresque aflii mer qu'elles 
ont la persuasion de ne pouvoir exciter I'interet 
qu'un livre a la main. Le canon donne le signal 
du depart; car, chez les belliqueux enfanls de 
la Scandinavie, il parait qu'un plaisir ne peul 
etrecomplet, s'il n'est accompagne des sons re- 
tentissants des balailles. La belle ville disparut 
bientot derriere les iles boisees du Melaren. On 
eiit dit elre sur un grand fleuve , dont les bords 
offiaient tan tot des champs ou de riants jar- 
dins , tantot d'apres rochers ou des coteaux se- 
mes d'arbres et embellis de chateaux ou de mai- 



7S V0¥MJE Ei\ SUEDE, 

sons dc campagne. La scene qui se deroulail a 
nos regards, changeait a chaque minute et em- 
pruntait un nouveau charme aux effets de lu- 
raiere d'une belle soiree. Ce spectacle etait sans 
doule trop familier a nos dames pour exciter 
leur allention , encore moins leur admiration. 
En effel, a peine daignerent-elles quelquefo.s 
lever les yeux du livre qu'elles tenaient, pour les 
jeler sur le livre ouvert de la nature. Je resta. 
sur le pont, ou un officier de marine, qui par- 
lait bien francais, me donnail des dela.ls sur 
les objets que nous apercevions , et entre les- 
q uels je remarquai une maison de force et de 
correction qui se trouvait a notre gauche. Ce 
fut dans cet entretien que se passa rapidement 
le temps de notre traversee , dont le canon nous 
annoncait le terme. Nous debarquames en face 
du chateau. Cert un edifice en pierre , a tro.s 
etages, vasle et bien coordonne , dans le gout 
Iransais du dix-septieme siecle. U est (lanque 
degrandes ailes el de pavilions. Je ne pu.s m.eux 
le comparer qu'au Nymphenbourg , a Munich. 
Mais quelle superiorite ne luidonnentpas sur ce 
dernier les caps et les rochers qui enveloppent 
Tile ou il est assis, et un pare qui reun.t lous 
les genres de beaute. 11 ne m'elait malheureu- 






VOYAGE m SUEDE. "'•> 

sement pas possible de resler aussi long! em ps 
que je l'eusse desire. J'etais veuu par le dernier 
convoi, et le soleil s'approchait de I'horizon. 
J'eoiployai tout le lemps qui me reslait a par- 
courir les environs du chateau, et je fus assez 
heureux pour renconlrer la princesse royale ' 
avec ses enfauts dans une de leurs promenades 
habituelles. Cetle belle famille merile , par son 
humanite et par 1'accomplissement exaete de ses 
devoirs, le bonheur qui l'atten<l. 

Le coup de canon venait de donner le signal 
du depart. Je me hatai d'arriver au bateau ou 
je trouvai avec aulant de surprise que de plai- 
sir au nombre des passagers mon ami Turge- 
neff , qui, sans que je le susse, venait de passer 
plusieurs heures a Drollningholm. Cependant 
le soleil avait disparu, et la sombre nuit du 
nord nous enveloppait de tous cotes. Les ties es- 
carpees du Melaren se dressaienl devanl notre 
imagination comme des ombres des heros d'Os- 
sian. Rentres dans la capitale, nous passames le 
resle de la soiree dans le cafe situe sous le ponl 
du Melaren. 

i La princesse i oyale Josephine est une princesse de LeucU- 
tenberg, fille du vice-roi d'llalie et d'une princesse de Ba- 
viere. 



80 



VOYAGE EN SUEDE. 
Cetle pelite excursion sur le Melaren m'avait 
donne l'envie d'en entreprendre une plus grande. 
Ce lac projette vers le nord jusqu'a Upsala , a 
vingt-qualre lieues dans les terres, un de ses 
bras , semblable a un grand fleuve qui roule ses 
flols a Iravers les rocbers et les forets; des ba- 
teaux a vapeurs le sillonnent journellement. 
C'en fut un qui m'emporta avec mon interprete 
Anderson, le 13 aout, a huit heures du malin. 
Nous etions au nombre de cinquante, tant 
hommes que fetnmes; j'y retrouvai mon ancien 
compagnon de voyage, Turgeneff; il etait avec 
un jeune pope attache a la legation russe, qui 
parlait bien francais, et aveclequel je fus bien- 
161 lie. Je rencontrai aussi avec plaisir le fils de 
M.Kraft, directeur du Johanneum 1 de Ham- 
bourg, jeune homme aimable et rempli d'eru- 
dition, qui se destinait a la medecine el em- 
ployait ses vacances a faiie un voyage en Suede. 
Nous n'avions plus un temps aussi favorable 
que dans notre course a Drottningholnv, nous 
etions pour ainsi dire en hiver, le tbermometre 
marquant au moins 12° Reaumur. Je n'en res- 
tai pas moins presque tout le temps sur le pont. 



SorlP ie college. 



VOYAGE EN SUEDE 81 

II n'etait pas possible de lier connaissance avec 
les belles Suedoises, quoiqu'elles fussent en as- 
sez grand nombre. Elles ne parlaieat que leur 
langue et etaient telle ment absorbees par leur 
lecture, qu'elles pretaient a peine l'oreille aux 
compliments de leurs compatrioles. Vers midi , 
nous passames, en la laissant a notre gauche, 
devant 1'ancienne Sigtuna, ville celebre comme 
capitate de la Suede, a lepoque fabuleuse de 
son histoire. Cetait la residence d'Odin , qui 
porlait aussi le nom de Sigge ; la , sc reunis- 
saient les braves entants du nord dans les ban- 
quets ou resonnaient les chants des Bardes. En 
1188, des pirates fiunois et esloniens firent le 
sac de Sigtuna, et il reste a peine aujourd'hui 
quelques restes de ses ruines. La nouvelle Sig- 
tuna, car le nom a survecu a la ville, n'est 
qu'un bourg chetif et pauvre , dans une situa- 
tion heureuse , sur une langue de terre qui pe- 
netre tres-avant dans le lac. En moins d'une 
demi-heure, nous avions passe Skokloster, 
chateau appanenant au comte de Brahe. Ce 
magnifique edifice, flanque de quatre tours, 
rappelle les anciens temps de chevalerie , et 
evoque bien des souvenirs'. On n'hesiterail pas a 

1 M. de Schubert, dans son Voyage en Suede, t. I , p. 355, 



82 VOYAGE EN SUEDE, 

mettre pied a terre pour s'entourer de ces te- 
moins des siecles passes. Mais comment le faire 
sans beaucoup d'embarras? Le chateau n'est 
point habite par son proprietaire ; lessalles, les 
cbambres , les corridors , decores de tapis et de 
meubles du dix-septieme siecle, ne sont guere 
frequentes que par les curieux-, de sombres por 
traits de personnages marquants morts depuis 
de longues annees vous regardent de tous cotes. 
Qa et la sont pendues des armures ou des prises 
faites dans la guerre de trente ans , si glorieuse 
pour les armes suedoises, si funeste a l'Mle- 
magne, ou elle developpa , par compensation , 
une energique activite. Je fus oblige de me re- 
presenter tout cela par la pensee , d'apres les 
recits que plusieurs de nos compagnons de 
voyage me firent des obscurs corridors et des sal- 
les de Skoktoster; mais des galeries de ce genre 
et des chateaux comme celui-ci ne sont pasrares 
dans le nord. Le chateau de Stockholm n'est 
pas moins curieux, et celui de Gripsholm est 
encore plus remarquable , sous ce rapport, que 
Skokloster, puisqu'il a sur le Melaren la vue la 
plus ravissanle : les lies y sont semees aussi loin 

fait Enumeration des collections remarquables qui se Irou- 
vent a Skokloster. 



VOYAGE EN SUEDE. 83 

que la vue puisse s'etendre. Des rochers de gra- 
nit, couronnes de bois, de riantes prairies, 
des champs cultives , des eglises et des maisons 
seigaeuriales embellisseut les eaux, qui refle- 
cbissent les rayons eclatants du soleil. Le tago 
di Garda et le lago di Como peuvent avoir leurs 
charmes , revetus qu'ils sont de la parure d'un 
ciel du midi ; mais le Melaren ne tire pas moins 
d'avantage de sa severite septentrionale. A unc 
heure nous dinames a la carte dans une cham- 
bre particuliere, et a trois, nous debarquames 
a Upsala ou plutot dans ses environs, a l'em- 
bouchure de la Fyrisa , petite riviere qui tra- 
verse la ville et apporte au lac le tribut de ses 
eaux. Anderson nous conduisit, moi et le jeune 
Kraft, dans l'auberge de la Couranne ou Ton 
nous donna de tres- bonnes chambres; je me 
trouvai la comme dans les meilleures auberges 
des petites villes de ma patrie. Que d'efforts 
pour faire honneur a des hotes allemands! 

Tout ce que la maison possedait d'argenlerie 
fut mis sur notre table a cafe. Nous ne mimes 
aucun retard a commencer nos courses , avec 
M. Turgeneff , dont l'instruction et I'obligeance 
nous etaient si precieuses. II avait avec lui le 
pretre russe, qui portait sur sa poitrine une 



84 VOYAGE EN SUEDE, 

croix doree. II avait ete souvent a Upsala , et 
connaissait parfaitement tout ce qu'elle renfer- 
mait de curieux. La rue ou nous nous trouvions 
conduisait droit a la cathedrale , superbe mo- 
nument du treizieme ou du quatorzieme siecle, 
le plus beau dans soo genre qu'on puisse trou- 
ver en Suede , ou pour mieux dire dans tout le 
nord, et qui peut se comparer a l'eglise d'Hal- 
berstadt ou a celle de Verden ■, cependant elle 
est construite en briques comme l'eglise de 
Sainte-Marie, a Lubeck, et son architecture est 
modifiee suivant les materiaux qu'on y a em- 
ployes. Elle a 360 pieds de long, 152 de large, 
et sa hauteur est de 118 p.eds. La voute est 
supporlee par quatre raags de majestueuses 
colonnes, qui formentcinq vaisseaux. Les tours, 
endommagees par l'incendie de 1702, ont ete 
exhaussees avec peu de gout par des grilles de 
fer. Un sacristain tres-instruit nous servait de 
cicerone; il nous fit voir tout ce qu'il y avait 
de remarquable; la description en remplirait 
certainement un volume 1 . II y a une quantite 
de mausolees dont la plupart sont tres-bien tra- 
vailles; de ce nombre est celui de I'archeveque 

i Schubert I'a faile avec assez d'exactitude , 1. 1 , p. 364. 



lt-1 



VOYAGE EN SUEDE. 85 

Menander, mort en 1786; il est dii a la piete 
de soil fils , qui en confia l'execution a l'ltalien 
Angelini. Derriere lautel , dans la grande cha- 
pelle, repose Gustave Wasa avec ses trois epou- 
ses; Limit: a ele place sous I'orgue, son marbre 
porte 1'inscription suivante : 

OSSA 

CAROLI A LINNE 

EQDI. AUR. 

MAKITO OPTIMO 

FILIO 0NICO 

CAROLO A LINNE 

PATRIS SUCCESSORI 

ET 

SIBI 

SARA ELISARETUA MORACA. 

Uu autre monument a ele consacre a la me- 
moire du celebre botanisle; il est dans une des 
ehapelles et se compose d'une plaque de por- 
phyre d'Elfdal, dans laquelle est incruste son 
buste en bronze, modele dans un gout exquis 
par Sergei. On y lit cette inscription: 

CAROLO A LINNE 

BOTANICORUM 

PRINCIPI 

AMICI ET DISCIPIJLI 

MDCCXCVIH. 
Les rois de Suede etaient autrefois couronnes 
dans cette superbe cathedrale, qui est l'eglise 



' 



86 VOYAGE EN SUEDE, 

archiepiscopale et metropolitaine de toule la 
Suede. C'est pour cela qu'on y a conserve les in- 
signes de la royaute et qu'on y a depose" les restes 
de plusieurs souverains. 

Dans le voisinage de la metropole se trouvent 
une belle eglise pour la campagne, le batiment 
de l'ecole cathedrale et l'habitation de 1'arche- 
veque, a laquelle, malgre son etendue, je ne 
puis donner le nom de palais , commc l'a fait 
Possart. L'eglise evangelique de Lutber est gene- 
ralement plus splendide en Suede que dans le 
nord de l'Allemagne, ou elle est d'une humble 
simplicite a cote de l'eglise calholique romaine. 
De la catbedrale, nous portames nos pas a la 
bibliotbeque de l'academie, qu'on etait occupe 
a transporter dans le nouveau local de l'univer- 
site , ce qui nous empecha de l'examiner dans 
son ensemble. Le directeur, le professeur Jean- 
Henri Schroder, etait en vacances. J'en avais fait 
la connaissance a Copenhague. A sa place , le sous- 
directeur, le professeur G. Afzelius, eut la bonte 
de nous ouvrir les tresors de litterature confies a 
sa surveillance, dans l'ancien etdans le nouveau 
local. La bibliotheque possede quatre-vingl-dix 
mille volumes et d'excellents catalogues, en par- 
tie imprimes. Elle est 1 iche en manuscrits et en 



JL2-" 



VOYAGE EN SUEDE. 87 

livres des premiers temps de l'imprimerie. Le 
plus precieux des manuscrits , qui date du qua- 
trieme siecle, est le Codex argentem, de la tra- 
duction meso-gothiquedes Evangiles par l'eveque 
Ulfilas : nous en avons, dans la bibliotheque de 
Wolffenbuttel , un fragment des epitres aux Ro- 
mains. Aussi fut-ce sur cet ouvrage que porta 
notre premiere question. On nous le montra 
bientot sous verre, dans un chassis destine a le 
preserver d'attouchements temeraires. C'est un 
grand in-quarto en parchemin, ronge par le 
temps, disloque de vetuste, et dont les lettres 
en argent, qui lui ont donne son nom , sont 
noircies par l'oxydation. On ne nous ouvrit pas 
le chassis qui le renferme; nous ne pumes done 
admirer sa reliure en argent. Le bruit avait couru, 
il y a quelques annees, en Allemagne, qu'un 
Anglais, en le parcourant, en avait vole quel- 
ques feuilles. M. Afzelius m'affirma que le fait 
etait controuve; etM. Schroder, a qui je parlais 
de cette affaire a Copenhague, pensait que les 
feuilles qui manquaient, avaient ete sans doute 
enlevees depuis longtemps. Aussi, les gardiens 
d'un tel tresor ont-ils raison de prendre toutes 
leurs precautions et de ne le faire voir qu'a tra- 
vers le verre, surtout dans un temps comrae le 



1 



88 VOYAGE EN SUEDE, 

noire, ou la passion de posseder des autographes 
est poussee jusqu'a la fureur. D'ailleurs, il n'y a 
peut-etFe pas plus dun visiteur sur dix mille 
qui comprenne le meso-gothique 1 . Un autre ma- 
nuscrit non moins remarquable est l'Edda de 
Snorre-Sturleson,en islandais.Sa couleur brune 
indique suffisamment qu il a ete lu pendant plu- 
sieurssiecles.a la lueur deslampes dans l'ile d'ls- 
lande. Je n'ai vu aucun manuscrit des sagas du 
Nord, qui ne flit ainsi enferme. 

Le nouveau local de la bibliolbeque, au pre- 
mier etage du batiment de I'universite , est cer- 
tainementun palais remarquable, un vrai tem- 
ple erige aux muses. 11 faut, toutefois, avouer 
qu'il laisse beaucoup a desirer. Sa profondeur 
est en disproportion avec son immense longueur. 

Ce defaut est sensible surtoutdans lagrandesalle 
consacree aux solenniles. L'escalier qui y con- 
duit par le fond est un chef-d'ceuvre ; mais il a 
le meme inconvenient par rapport au peu de 
largeur du batiment. Je ne puis m'expliquer 
comment on a pu commeltre une faute aussi 
grave dans un edifice de ceile importance. Ce- 
pendant en se plaoant en face, d'ou I'ou ne peut 



Voyuz Schubert , 1. I , p. 369. 






VOYAGE EN SUEDE. 89 

apercevoir cette defectuosite, il impose par sa 
grandeur, et n'a peut-etre pas son egal parmi les 
edifices des universites d'AJIemagne. II est situe 
sur la meme montagne que le chateau , quoi- 
qu'un peu plus bas, et contribue beaucoup a la 
beaute d'Upsala, lorsqu'on aper^oit la ville de 
loin. 

De la, nous nous rendimes au chateau; c'est 
une vaste construction en briques, ou reside le 
prefet de la province. La vue est plus etendue 
qu'elle n'est belle, parce qu'Upsala est batie au 
milieu d'une grande plaine trop uniforme. Ce 
chateau antique et ses deux ailes , qui se voient de 
tres-loin, donnent a l'aspecl d'Upsala quelque 
chose de severe, surtout lorsque l'oeil embrasse 
a la fois les batiments de I'universite et la cathe- 
drale. 

Dans la cour du chateau est une statue en 
bronze represenlant Gustave Wasa. Qualre ca- 
nons lui servent de piedestal. Les pieces d'arlil- 
leiie qu'on voit en cet endroit n'onl qu'une des- 
tination pacifique, c'est d'en tret en ir par leurs 
decharges, dans les solennites academiques, l'es- 
prit belliqueuxdes Suedois. II ne se fait pas une 
reception de maitre es arts ou de medecin, sans 
qu'elles y jouent un role essentiel. Apres cetle 






I ! 



90 VOYAGE EN SUEDE, 

cour, on entre dans ua jardin dessine dans l'an- 
cien gout francais , avec des haies taillees et des 
pyramides de taxus. Enfin, vieut le jardin bo- 
tanique de 1'universite qui , par ses richesses et 
I'intelligence de sa distribution, occupe unedes 
premieres places dans les etablissements de ce 
genre. La botanique y est professee par le cele- 
bre George Wahleoberg, qui veille avec unear- 
deur infatigable a conserver a Upsala la gloire 
que le grand Linne lui a acquise. La salle de 
l'amphitheatre (auditorium Linnmanum) est dans 
un palaisde style dorien. Un peristyle surmonle 
d'un frontispice majestueux conduit a cette salle 
qui rappelle de si grands souvenirs. L'inteneur 
est en harmonie avec la beaute de I'entree. Les 
auditeurs font tous face a la statue en marbre 
de Linne, executee par Bystrom. Le grand 
homme est assis dans une chaise et couvert en 
partie d'un manteau arlistement drape. De la 
main gauche, il tient un livre ouvert, pour fi- 
gurer sans doute le grand livre de I'univers. Sa 
droite exprime ladmiralion que lui inspire ce 
qu'il y ddcouvre. L'observation faite il y a quel- 
que temps, que les traits du visage etaient trop 
jeunes , ne ma point paru exacte. Les rides qui 
le sillonnent accusent un age de cinquante ans, 



VOYAGE EN SUEDE. 94 

et cet age me semble etre pour uti savant obser- 
vateur celui de la maturite la plus complete. 
Peut-etre cet air dejeunesse, qui netait point 
dans la pensee de l'artiste et qu'il n'a point ex- 
prime, est-il l'effet de la blancheur eblouissante 
du marbre de Carrare, sur des vues dedicates. 
Quoi qu'il en soit, l'ensemble est bien rendu et 
digne du grand nom et. de la gloire de Bystrom. 

Les ailes de l'edifice renfermenl des collec- 
tions d'histoire naturelle, qui provieonent, en 
grande partie, d'une donation faite par le cele- 
bre Charles-Pierre Thunberg. C'est principale- 
ment sur sa proposition et sur ses instances au- 
pres de Gustave III , que le jardin botanique a 
ete mis dans l'elat actuel. 

Le jour netait pas encore tombe, et il nous 
restait du temps pour parcourir la ville. Elle a 
plus de5, 000 habitants et occupe un assez grand 
espace. Ses rues sont larges et bien alignees , et 
ses places ont un aspect presque champetre. 
Upsala ne ressemble en rien aux universites 
d'Allemagne; elle a plus de rapport avec cer- 
laines villes de montagne, comme Clausthal. 
La plupart des maisons particulieres sont en 
bois. Cette parlicularite ne nuit en rien a l'effet 
du coup d'oeil et aux commodites de l'interieur. 



92 VOYAGE EN SUEDE. 

J'avoue que je m etais fait une fausse idee de la 
physionomie d'Upsala , a laquelle je supposais 
une teinte plus severe. Elle est gracieuse et faite 
pour etre le sejour des muses. II y a a Upsala 
deux librairies, mais elles sont mal fournies. 
Dans toutes deux je trouvai des etudiants , avec 
lesquels il me fut facile de m'entretenir en latin 
et qui me servirent de truchements aupres des 
commis. Je fis I'achat de quelques livres acade- 
miques et du Catalogus prmlectionum. 

L'universite d'Upsala compte 1400 etudiants; 
elle a, d'apres les derniers documents, quatre 
professeurs de theologie , deux de jurisprudence, 
cinq de medecine et quatorze des sciences dites 
philosophiques 1 . II faut y joindre trois profes- 
seurs adjoints 2 dans la faculte de theologie , 
deux dans celle de jurisprudence, deux dans 
celle de medecine et douze dans la faculte de 
philosophic II y a , en outre , cinq doyens qui 
professent la theologie et vingt-deux les scien- 



i La Faculte de philosophie en Suede comprend les chaires 
d'histoire, de philosophie. de morale, de latin, de grec, 
d'bebreu, d'aTabe, de matberoatiques , d'astronomie, de ohi 
tnie , de physique , de botanique , etc. 

2 Les professeurs adjoints reiuplissent les memes fonctions 
que les professeurs extraordinaires des universiles d'Alle- 
magne. 



VOYAGE EN SUEDE. 95 

ces philosophiques. II ne manque pas de ma- 
gistri artium equestrium et cultiorum , parmi 
lesquels , quoique les duels soient defendus dans 
les universites, on remarque M. Guslave de 
Heidenstaui comme ludi gladiatorii magister , 
lequel annonce qu'il enseigne rem athleticam. 
Upsala, comme on levoit, est abondamment 
pourvue de professeurs. II me parait seulement 
que l'enseignement du droit n'est pas assez com- 
plet. Le premier professeur de cette faculle au- 
nonce qu'apres avoir termine son cours sur le 
Code penal , il commentera le Codex Frederici de 
matrimoniis et heredltatibm , et qu'il donnera 
des lecons particulieres a eeux des Aleves qui le 
desireronl. Le second professeur, Bergfalk , doit 
traiter du jus politics suecanum, privatim officii 
operam in Us quce sua sunt , kaud inter missur us. 
Les deux adjoints, dont le premier, M. Dell- 
den , est judex territorial , sont aussi dans 
l'intention de se conformer aux voeux de leurs 
collegues. Aussi , n'y a-t-il en cette annee (1838- 
1839), de cours reguliers sur les parties prin- 
cipales de la jurisprudence, notamment sur le 
Droit romain et l'histoire du Droit. Car, quoi- 
que le premier ne fasse pas autorite en Suede , 
comme en France et en Prusse , toujours est-il 



94 VOYAGE EN SUEDE, 

qu'il a toujoursete regarde , avec raison , comme 
le fondeuient de toute etude solide du droit , et 
qu'il est dans ces deux derniers Etats lelement 
primitif que s'assimilent les jeunes gens qui se 
livrent a cette science. J'aime a croire que les 
jeunes legistes suedois suppleent par la pratique 
ce qui leur manque de leurs etudes universi- 
taires; mais je doute fort qu'ils aient un fonds 
aussi solide que ceux d'Allemagne. 

L'almanach de l'academie d'Upsala, qui pa- 
rait chaque annec, donne la statistique des in- 
stitutions universilaires , de leurs employes , du 
nombre de bourses accordees aux etudiants. On 
y voit la classification des etudiants en associa- 
tions provinciates (nationer) , violemment per- 
secutes en Aliemagne et autorisees par la loi 
en Suede. Ainsi , Stockholm , le Smaland , la 
Dalecarlie, etc., ont leurs associations, compo- 
sees chacune d'un inspecteur ( professeur ) , de 
membres honoraires, personnes distinguees fai- 
sant la plupart les fonctions de professeurs, 
puis de curatores , de seniores , de junior es et 
de recentiores. C'est une institution tres-sage, et 
qui merite d'etre imitee. Le penchant de la jeu- 
nesse pour les associations se trouve satisfait; 
non-seulement la siirete publique n'a rien a en 



VOYAGE EN SUEDE. 95 

craindre , mais il en resulte un effet tres-utile : 
La jeunesse est dans un rapport intime avecdes 
hommes d'experience dont les connaissances et 
la conversation lui sont d'un grand avantage. 
Supposons , par exemple , que l'archeveque d'Up- 
sala soit membre honoraire de l'association de 
Stockholm, combien les jeunes gens ne se trou- 
veront-ils pas honores d'une telle societe? Le 
prince royal Oscar est chancelier de l'univer- 
site; l'archeveque d'Upsala en est le vice -chan- 
celier 1 . Les appointements des professeurs leur 
sont presque tous payes en ble: une foule de 
jeunes gens pauvres sont soutenus dans leurs 
etudes par des bourses. II arrive souvent que 
des eludiants, surtout en theologie , quittent 
l'universite pendant une ou deux annees , et se 
font instituteurs particuliers pour se procurer les 
moyens de poursuivre leurs etudes. Plusieurs 
families nobles des environs d'Upsala viennent 
y passer 1'hiver et habitent leurs chateaux pen- 
dant l'ete. 

1 Pendant que j'etais a Upsala , le siege archiepiscopal de- 
vint vacant par la moit du celebrn poele et predicateur "Wal- 
lin. C'etait un homme si eminent, que sa moit fut regardee 
comme une perle nationale. En 1839, le roi a nomine, pour 
le remplacer , l'eveque de Golhenbourg , Wingard. L'arche- 
veque est en possession d'etre oraleur du clerge quand les 
elats-generaux sont rassembles. 



m VOYAGE EN SUEDE. 

En partant pour Upsala , raon dessein etait 
de pousser jusqu'aux fameuses mines de fer de 
Danemora, situees a environs seize lieues de 
cette ville. Mais comme le temps etait devenu 
mauvais, et que je n'avais aucune voiture cou- 
verte a ma disposition , j'abandonnai mon pro- 
jet et retournai le lendemain a Stockholm, plu- 
tot que de monter sur un chariot incommode., 
attele d'un seul cheval. Aujourd'hui , qu'il ne 
me reste plus que le souvenir des petites peines 
de ce voyage, je me repens de cette determina- 
tion precipitee. Cependant je me console, en 
pensant que je crois avoir une idee exacte de ce 
que j'aurais vu a Danemora ; j'en ai lu tant de des- 
criptions, entendu tant de recits, que je pour- 
rais meme m'imaginer y avoir ele. Nous en 
avons le pendant reduit dans notre Buchenberg 
etsa mine ouverte {Pinge) pres d'Elbingerode, 
dans les environs du Harz. Si les galeries de Da- 
nemora sout plus vastes, c'est qu'on a mis plu- 
sieurs siecles a les creuser. Maintes fois je suis 
descendu, une lampe a la main, dans des mines 
ou regnaient les plus epaisses tenebres, et quoi- 
que ces descentes ne m'inspirent aucune crainte 
ni aucune sensation desagreable , je prefere 
l'obscurit^ pour les effectuer. Si je me trouve au 



VOYAGE Eb SUEDE. 97 

bord dun precipice ou penetre la lumiere , je 
ne puis m'empecher de mevanouir ; j'eprouve 
meme une indefinissable angoisse lorsqu'ua 
autre en approche. Je n'aurais done pas ete en 
etat de me plonger, assis dans un tonneau, 
dans un abime de 700 pieds de profondeur, el 
si j'eusse enlrepris ce. voyage, je n'aurais rien 
vu que ce que mon imagination m'aurait peint 
de gigantesque et de terrible. Ce motif est suf- 
fisant pour effacer le sentiment de la penible 
certitude que je ne verrai de ma vie les profon- 
deurs de Danemora. Je rentrai le 14 aoiit au 
soir dans la capitate , apres avoir joui du spec- 
iacle du Melaren dans toule sa magnificence. 



J'etais encore sous l'impressiou pleine de 
charmes de mon voyage d'Upsal a , lorsque j'eus 
le chagrin, en rentrant chez moi, de trouver 
une lettre de M. Brockhausen , ministre de 
Prusse, m'annoncant qu'il avail recu avis du 
baron de Stjerneld, ministre des affaires etran- 
geres, que Sa Majeste daignait m'accorder une 
audience a Drottningholm , le 13 aout, qui etait 
precisement le jour fixe pour mon depart. Ce 
contre-temps etait d'autant plus facheux que le 






ft8 VOYAGE EN SUEDE. 

peu de temps que j'avais a consacrer a mon 

voyage , ne me laissait pas l'espoir de recevoir 

une seconde invilalion. Aller a Stockholm et ne 

point voir Charles XIV Jean , c'est revenir de 

Rome sans avoir vu le pape, ce monarqu^ 

dont les rois et les peuples peuvent dire avec 

autant de raison qu'Horace disait d'Homere, 

au sujet d'Ulysse : 

Quid virtus et quid sapientia possit 

Utile proposuit nobis exemplar 1 . 

L'honorable faveur sur laquelle je ne comp- 
tais plus me Cut cependant accordee. Le 16 aoiit, 
a trois heures apres-midi, je recus avis du ba- 
ron de Brockhausen , que Sa Majeste daignerait 
me recevoir dans la soiree du meme jour, entre 
six et sept heures, a Drottningholm. Je me dis- 
posal sans plus tarder et me mis en route par 
terre. Je n'avais jamais pris ce chemin qui n'of- 
fre pas moins d'interet que le trajet par eau. De 
jolies maisons sont semees ca et la dans la cam- 
pagne; tantot on traverse des champs bien cul- 
tives, tantot la route s'enfonce sous de sombres 
forets ou coupe de larges bras du Melaren sur 
des ponts flottants, lantot enfin ce sont des ro- 



l Horat. eptst.,1,2, v. 18. 



VOYAGE EN SUEDE. 09 

chers qui se dressent comme des murs a cote 
du voyageur. Cette route est belle, comme pres- 
que toutes celles de Suede, et au bout d'une 
heme je decouvris Ie magnifique chateau. II 
n'etait que six heures et quelques minutes quand 
j'y arrivai. Je me fis conduire incontinent dans 
Ie salon d'attente , ou je fus recu d'une maniere 
distiriguee par un des aides-de-camp du roi et 
par le comte Lewenhaupt, chambellan de ser- 
vice, lesquels me presentment a plusieurs hauts 
personnages de la cour et de l'armee. lis me 
proposerent de rester avec eux jusqu'au mo- 
ment de mon audience, ou de passer en atten- 
dant dans un autre salon ; je me decidai sans he- 
siter pour le premier parti. On m'offrait pour ra- 
fraichissements du champagne et de 1'eau. Au 
bout d'une demi-heure je fus introduit par le 
chambellan dans le cabinet du roi , qui touche 
au salon d'attente. Mon introducteur m'annonca 
en prononcant mon nom, et se retira immedia- 
tement : je me trouvais en face d'un des hommes 
les plus remarquables des temps modernes. 

Le roi a un port noble et majestueux. II a Fair 
d'un homme de cinquante ans, dans toute la 
force de cet age, quoiqu'il en compte plus de 
soixante-dix. Son ceil reflete uue profondeur et 












)00 VOYAGE EN SUEDE, 

une gravite temples par une expression de bien- 
veiUance et de bonte qui attirent la confiance. 
11 etait ea uniforme; les iasignes de l'ordre du 
Serapbin omaient sa poitrine. kpves m'avo.r 
adresse quelques mots flatteurs, il s'ass.t, en 
m'indiquant nne place a sa droite sur le canape. 
Je ne snis entre dans ces minutieux detads que 
parce qu'ils sont caracterisliques et prouvent que 
le roi sail apprecier les leltres et les efforts tentes 
pour s'y faire un nom. Car je n'etais connu de 
lui que comme ecrivain , qualite qui n'est pas 
toujours un litre recommandable anpres de per- 
sonnages haul places, et reveille cbez plus.eurs 
des preventions pen favorables. 11 Taut necessa.re- 
mcnt, pour accorder son estime aux hommes de 
lettres, y etre verse soi-meme, on tout au moms 
etre capable de juger de leur importance dans 
la vie des nations. Celle observation trouve ic. sa 
justification. En effet, je m'apercus bientot que 
j'etais en face non-seulement d'un puissant vno- 
narque, couvert d'une gloire immortelle et l'un 
des premiers capitaines du monde, ma.s auss, 
d'un prince dont Vintelligence elevee et la pe- 
netrante sagacite etaient bien au-dessus de hdee 
que je m'en etais faite. Mes Essais d'un code penal 
„e lui etaient pas inconnus. On travaille prec- 



VOYAGE EN SUEDE. 101 

sementen Suede, ainsi qu'en Norwege. a modi- 
fier cette parlie de la legislation. Cetle circon- 
stance fil nalurelleirient tomber la conversation 
sur les principes qui doivent presider a la redac- 
tion d'un nouveau Code. Sa Majeste netait etran- 
gere a aucune tbeorie. II les aoaly-sait l'une apres 
l'autre avec une grande clarte. II s'exprimait en 
francais : son langage avait une purele d'expres- 
sion et une elegance telles que dans tout ce que 
j'ai entendu ou lu , je n'ai jamais rien trouve de 
semblable. Mais si mon admiration etait acquise 
a tantde lumieres, je sentais moncoeur entraine 
par la bonte et l'humanite dont ses paroles 
etaient empreintes. Le roi est ennemi declare 
des punitionsfrop rigoureuses. II n'admet meme 
la necessitede l'application de la peine capitale, 
que dans quelques rares circonstances, comme 
celles de haute trahison , qui compromet ega- 
lement la surete de PEtat et les interets du peu- 
ple. Je fis observer au roi qu'un jugement pro- 
nonce par des hommes, lors memequ'il resulte 
des aveux du coupable, ne repose toujoursque 
sur des probability (en prenant ce terme dans 
son acception la plus etendue et la plus philoso- 
phique) ; qu'une bonne legislation doit toujours 
pourvoir aux movens de rehabiliter le condamne 



> ■ . . 



,, 02 VOYAGE EN SUEDE, 

reconnu innocent, ce qui ne pouvait se (aire 
pour le supplicie qu'il etait impossible de res- 
susciter. Le roi avoua que l'erreur etait possible , 
et ni'en cita comme preuve le deplorable juge- 
ment de Calas. II ajouta que c'etait cet inconve- 
nient memequi lui faisait borner la condamna- 
tion a mort au plus petit nombre de cas possible, 
et reconnaitre la necessite de ne confirmer un 
tel jugement que lorsque la conscience a acquis 
sur la culpabilUede l'accuse toute la conviction 
dont elle est susceptible. Mais Sa Majeste regar- 
dait l'abolitiou absolue de la peine de mort, 
comme contraire au bien general. Je pose en 
principe, disait-elle , que la necessite de punir 
est toujours un mal. 11 faut done chercher a 
eclairer le people et a le moraliser par I'.nstruc- 
lion , a lui ouvrir les sources du bien-etre et le 
rendre, en un mot, aussi heureuxque possible; 
car lagrossieretedes mceurs etla misere sont les 
premieres conseilleres du crime; il faut les faire 
disparaitre. Que si l'on ne pent eviter de sev.r, 
il faut encore que la peine elle-meme so.t pro- 
fitable a celui qui la subit : il faut qu'il re- 
vienne a des sentiments honnetes et que l'ap- 
prentissage d'un art on d'un metier le raelle a 
meme de gagner sa vie, quand il sera rendu a 



VOYAGE KN SUEDE. t03 

la sociele. Ce sont ces principes qu'on suit dans 
uos maisons de detention. 

J'eprouvai la plus grande satisfaction a pou- 
voir dire au roi que j'en avais, en effet, admire 
('application dans la maisou de correction des 
femmes a Stockholm. J'en parlerai plus bas. 

Lorsque , dans le cours de la conversation , je 
prisla libertede communiquer au roi mon opi- 
nion sur l'etat incomplet de la faculte de Droit 
d'Upsala , ou du moins que le programme des 
cours annonces ne suffisait pas pour l'instruc- 
tion de la jeunesse , Sa Majeste me demontra 
d'une maniere qui n'admettait pas de replique, 
qu'il ne fallait pas s'etonner de la difference que 
j'avais observee entre I'enseignement du Droit 
en Suede et celui professe en Allemagne. Ici , 
disait-il, nous ne suivons ni le Droit romain ni 
Droit canonique, les proces sont moins em- 
brouilles, et trainent moins en longueur que 
dans d'autres pays. L'absence presque complete 
d'institutions feodales en Suede avait simplify 
les rapports des citoyens entre eux. Le Droit na- 
tural , le Droit des gens et meme le Droit pu- 
blic sont enseignes par les professeurs de la fa- 
culte de philosophic Le roi reconnut l'utilite 
de Petude approfondie du Droit romain, dont 



) 



404 VOYAGE EIS SUEDE. 

il parait qu'il apprecie les avantages. J'ai appris 

depuis que mes observation* n'avaient pas ete 

perdues. 

La nettete avec laquelle tous les objets dont 
donl il parlait semblaient se reproduire sous 
ses yeux , revelait eu lui une memoire el une 
connaissance des cboses etonnantes. La chaleur 
de sod expression rendait ses peintures vivaotes, 
comme lorsqu'il s'agissait d'evenements passes 
depuis de longues annees, elqu'on pouvail fori 
bieu supposer qu'ils lui etaient Grangers. 

Quelle clarte, quelle exactitude dans la con- 
naissance que le roi possede de la situation phy- 
sique et des ressources commerciales de notre 
chalne de montagnes du Harz, qu'il comparait 
aux mines de Suede, et generalement de tout 
ce qui concerne le Hanovre , et meme le Bruns- 
wic, qui y est lie par tant de rapports! 11 se 
rappelait avec bienveillance le souvenir de plu- 
sieurs personnes avec lesquelles il avail ete en 
relation lorsqu'il admin istrait le Hanovre, el 
notamment celui de feu Patje', qu'il honore 
d'une estime particuliere. Sa Majeste eul aussi 
la bonte de m'entrelenir de la situation de la 



Voycz Mensch ijelehrles DeulscHand . t. VI , p. 3l>. 



VOYAGE EN SUEDE. 405 

Suede, de sa nature physique, des contreesqui 
avoisinent le pole , et sur lesquelles on a de si 
fausses notions en Allernagne. Ces lerres loin- 
taines elles-memes ont ressenti l'influence de la 
sollicitude paternelle d'un prince qui regarde 
comme perdu pour sa gloire le jour ou il ne 
peut faire du bien. Schubert, qui a pousse sou 
voyage aussi loin qu'il a pu vers le pole, dit, 
des con trees situees entre Torneo et Haparanda, 
ou il se trouvait le jour ou le soleil ne se couche 
pas 1 : cette terre, de plus de sept milles delen- 
due , est une des plus agreables , des plus fer- 
tiles et des plus peuplees de la Suede : des 
champs cullives alternent avec de riantes prai- 
ries , que la plus riche vegetation couvre d'une 
herbe qui a souvent deux pieds de haut. Les 
villages se touchent... Depuis dix ans la culture 
y a fait d'inimenses progres; le gouvernement 
suedois ne pouvait s'eriger un monument plus 
durable... L'excellent principe de faire des con- 
queles dans I'interieur du pays, d'y creer de 
nouvelles provinces et de les peupler, a dirige 
plusieurs des rois de Suede. C'cst cr principe que 
Charles XI V Jean met en. pratique de nos jours 



1 Voyez Schuberts Beise , t. II, p. 120. 






,, 06 VOYAGE EN SUEDE. 

avec tant de perseverance et d'ardeur. II faut 
avoir vu de ses yeux , poury croire , le puissant 
developpemcnt que prend la Suede dans son inte- 

ricur L'ami de l'humanite accueillera avec 

bonheur le rapport de temoins oculaires sur 
les resultats des efforts d'un monarque a qui la 
nature, en lui prodiguant des talents superieurs, 
a donne un coeur ouvert a tous les beaux senti- 
ments, precieux assemblage qui manque mal- 
beureusement trop souvenl aux princes de la 

terre. 

Le roi paraissait m'ecouter avec interet, lors- 
que je lui racontais mes voyages en llalie , et 
que je lui parlais de plusieurs membres de la 
famille du grand empereur que j'avais visiles, 
et sur lesquels je possedais des particularites 
peu connues. Deux nobles femmes de cette fa- 
mille remarquable avaient , depuis mon sejour 
sous ce beau ciel , paye leur tribut a la nature: 
Laelitia, cette mere distinguee dans la bonne et la 
mauvaise fortune, et Catherine, inflexible dans 
son amour fidele, aux coups du sort. Caroline, 
sceur de l'empereur, que je n'avais cependant 
pas vue en ltalie, avait aussi quitte une terre 
qui ne lui presentait plus que de l'amertume. 
Le roi eul aussi la bonte de s'informer de ma 









VOYAGE EN SUEDE. H07 

propre situation, ties places que j'avais occupees, 
uotammeul pendant la duree du royaume de 
Weslphalie, de la charge que je remplissais au- 
jourd'hui , des ouvrages que j'avais publies , des 
pays que j'avais parcourus et de la maniere donl 
j'avais dessein de continue!' mon voyage. Rien 
de ce qui m'elait particulier ne Iui paraissail 
au-dessous de son attention , et chaque question 
elait empreiiile d'une telle bonte de coeur, d'une 
humanite si vraie, que le plus indifferent eul 
senti surgir de son cceur l'amour et le respect. 



L'obscurite commen(;ait a envelopper la terre. 
Le roi me dit : Le jour baisse; nous ne sommes 
plus dans la saison ou Ton connait a peine la nuil 
dans ces contrees , et vous avez encore une course 

a faire. Soyez heureux Si je ne me trompe, 

la voix du roi trabissait quelque emotion en pro- 
noncjant ces mots; il me prit en meme temps 
et me serra affectueusement la main. Je ne sau- 
rais dire ce que j eprouvai lorsque je pris conge 
d'un si grand bomme , d'un si puissant mo- 
narque, le bienfaileur de ses peuples. Je vis 
qu'il avail lu jusque dans le fond de mon ame; 
qu'il y avail decouvert que moi aussi , dans mon 






108 VOYAGE EN SUEDE, 

obscure condition , j'avais l'ambition d'etre utile 
a l'humanite, taudis quil travaille avec tant de 
succes, dans sa sphere elevee , au bonheur de 
deux nations. II partage probablemenl le sort de 
I'homme prive, quoique dans une plus grande 
proportion, c'est-a-dire, qu'il ne recueille que 
l'ingralitude, la ou il avail droit d'attendre la 
reconnaissance. 

En quiltant Sa Majeste, il m'etait impossible 
de lier aucun entretien avec les officiers de la 
cour qui se trouvaient dans la salle d'atlente; 
je les saluai rapidement et me jetai dans la \o\- 
lure pour rentrer chez moi, le cceur rempli de 
ce que j'avais entendu dans ce jour qui ne s'ef- 
f'acera jamais de ma memoire. 






Je ne puis que regretter d'avoir neglige de 
me presenter aux autres membres de la famille 
royale, surtout au prince Oscar. A-vant d'avoir 
oblenu audience du roi, on m'avait averti que 
je serais invite a la table royale, et que je serais 
presenle, a cette occasion , a la reine, au prince 
royal el a la princesse son epouse. Mais ayant 
appris qu'il etait d'usage de ne se presenter a la 
table du roi qu'en uniforme , et n'ayant pu ap- 



VOYAGE EN SUEDE. 409 

porter ie mien avec moi, je lis part de celte 
circonstance a l'officier quelle regardail. Je crois 
que mon observation rut trouvee juste, car 1'invi- 
tation n'eut pas lieu et fut remplacee par 1'espoir 
d'une nouvelleaudience. L epoque de mon depart 
approchait. Son Altesse royale, de relour d'une 
expedition maritime, venait de debarquer, et je 
negligeai de faire les demarches necessaires pour 
Ie voir, negligence que je me reprocherai tou- 
jours, n'esperant plusretrouver l'occasionde me 
trouver avec un prince qui , par ses qualiles , a 
conquis l'amour de la nation. 



Les services inappreciables que le roi Charles- 
Jean XIV a rendus a la nation suedoise depuis 
que le vueu unanime des etats (21 aout 1810) 
I'appela au trone sur lequel il monta le 5 fe- 
vrier 1818, apres la mort de Charles XIII, qui 
1'avait adopte, ont ele parfaitement resumes 
dans une collection qui a pour litre: Recueil des 
lettres, proclamations et discours de Char les- Jean, 
prince royal et ensuite roi de Suede etde Norwege*. 



'Deuxierae edition; Stockholm, de l'imprimerie de C. Deelen, 
1839, 2, vol. Outre celle collection, il en a paru une qui 
n'offre pas raoins d'inleret , sous le litre de Recueil des ordres 



t 






HO VOYAGE EN SUEDE. 

Ces documents authentiques sortent , il est vrai , 
de la plume du roi lui-meme , et a ce titre on 
pourrait les taxer de partialite. Mais ils reposenl 
sur des faits accomplis que loute la Suede, que 
toute l'Europe connaissent. Lors de leur publi- 
cation , ils furent dislribues partout , et jamais 
la moindre refutation n'est venue infirmer la 
ve>acite des faits qu'ils contiennent. Loisque 
Charles-Jean kbit le pied sur le sol de sa nou- 
velle patrie, elle etait dans un etat deplorable. 
Une politique aveugle et sans raison avail aliene 
une de ses parties les plus importantes, la Fin- 
lande ; ses moyens de defense etaient aneantis , 
son papier-monnaie deprecie, ses finances dans 
le marasme, son commerce frappe de langueur 
et les sources principales de l'industrie nationale 
taries. L'avenir apparaissait au palriote sous les 
couleurs les plus sombres. Encore quelque temps 
d'une situation aussi critique , et la Suede etait 
absorbee par un autre empire, comme il est 
arrive aux provinces d'au dela de la Baltique. 
Trente ans se sont a peine ecoules , et voyez a 



de movement , proclamations et bulletins de S. A. R. le prince 
royal de Suede . commandant en chef Varmie combinee du 
nord de VAllemagne en 1813 et 1814 ; Stockholm , de l'impri- 
merie d'Eckslcin. 183K. 



VOYAGE EN SUEDE. Ml 

quel degre de prosperite , d'independance el 
d'aulorite au dehors la Suede nest point parve- 
nue. Je ne parlerai point, de laNorwege, que je 
n'ai pas vue , et dont je ne connais pas les res- 
sources. II y a lieudes'etonnerqu'unseulhomme, 
tout favorise qu'il soit de la nature, ait pu de- 
terminer de pareils resultals en aussi peu de 
temps. II faut observer qu'il n'avait pas, dans 
son pays, le pouvoir d'un Frederie-Ie-Grand ; 
mais qu'il etait gene par des obstacles conslitu- 
tionnels d'une nature compliquee; quece n'etail 
pas la Lombardie , ni la Belgique , ni le pays du 
Rhin , ni la Saxe qu'il avait a relever, mais la 
lerre scandinave, sol sterile , faiblement peuple, 
et qui s'etend jusqu'aux environs du pole du 
nord. Et ce pays est aujourd'hui dans un elal 
florissant qu'on n'eut ose esperer el qu'on eul 
meme cru impossible en voyaut les maux dont 
il etail surcharge. Ses frontieres sonl bien de- 
fendues. Une place d'armes formidable assure 
la tranquillile de l'interieur, c'est la citadelle 
cenlrale de Carlsborg , sur les bords du lac Wet- 
tern; l'armee est sur un pied parfait; elle est 
soumise, en grande partie, a une organisation 
particuliere au pays 1 . En cas de guerre, elle 

1 L'armee intleUa est une institution qui n'exisle dans au- 



i I 



1 



H2 VOYAGE EN SUEDE, 

peut s'accroitre comme par enchantement : la 
flolte prend chaque annee plus de developpe- 
ment; le credit public est revivifie; la dette 
publique est liquidee; les impots ont eprouve 
une reduction considerable 1 . Le papier-monnaie 
est echange contre de l'argent a la banque , et 
on le prefere meme au dernier, a cause de la 

ouii autre pays. Generaux, offlciers et soldats , a l'exception 
de l'artillerie , des regiments de la garde et d'un regiment 
de cavalerie sont soldes en revenus territoriaux. Chaque sol- 
dat possedeune cabane et une petite portion de terre. II con- 
duit done la chai rue en temps de pais et prend le fusil , quan I 
la patrie l'appelle. L'origine de cette institution remonle an 
regne de Charles XI. 

i Des 1830, le roi pouvait dire dans le discours de cloture 
de la diete : 

«I1 y a vingt ans, la Suede belliqueuse ne complait que 
2,400,000 habitants; elle en a aujourd'hui pres de 3,000,000. 
Voire comile a pu vous informer que la dette nationale , mon- 
tant a 53 millions , nest plus que de 9 millions. Votre subven- 
tion (Bewillning) s'eleva en 1812 a 2,650,000 thalers ; elle a 
ete constamment reduite a chaque diete; elle est aujourd'hui 
dun cinquieme moins forte qua celle epoque. Les anciens 
impots directs ont eprouve une diminution proporlionnelle.» 
Ces rcsultats etaient deja assez beaux pour etre regardes 
comme uniques. Mais voici ce que disent aujourd'hui (no- 
vembre 1839) les feuilles publiques : 
«Nos finances n'ont jamais ete si florissantes. 
Dans les annees 1834, 1835 et 1836, c'esl-a-dire pendant 
le cours de la derniere diete, le comptoir d'amortissement 
avait encore a payer pour 2,560,000 tbalers de banque de 
dettes ; le passif n'est aujourd'hui que de 160,000 thalers. En 
outre , les elals generaux ont alloue au meme comptoir un 
surplus de 1,000,000. 



VOYAGE EN SUEDE. 113 

facilite du transport. L'agricullure a pris un lei 
essor, que les importations de ble, necessaires 
autrefois aux besoins du pays, ont fait place a 
des exportations de cetle production. Les fa- 
briques se mulliplient et diminuent l'influence 
que l'etranger puisail dans des rapports neces- 
saires; les forges prosperent par l'ecoulement fa- 
cile de leurs produits. Des trailes passes avec d'au- 
tres Etats ont rendu la vie au commerce et a la 
navigation , qui ne pourraient que prendre plus 
d'essor, si des catastrophes paralysaient les af- 
faires dans le reste de l'Europe et en Amerique. 
Deja le pavilion suedois flotte sur des mers ou 
jamais il ne s'etait montre. Une voiede commu- 
nication interieure pareau estachevee ets'ame- 
liore chaque annee. Ce canal , qui reunit la mer 
du Nord a la Baltique, n'a pas son egal dans le 
monde entier. Les arts et les sciences ne sont 
pas restes etrangers a ce mouvement general 1 ; 
les etablissements qui y sont consacres sont en- 
tretenus avec une munificence royale. Les sa- 
vants trouvent un Mecene dans le roi, qui n'at- 
tache pas moins de prix a ce titre qu'a ceux de 



1 Les homines les plus dislingues dans les belles-lettres ct 
les sciences sont Tegner, Berzelius , Geyer, Agarth ; dans les 
arts, Bystrora, Fogelberg, Fahlcrantz, etc. 

8 






\\\ VOYAGE EN SUEDE, 

grand capitaine et de sage administrateur. Des 
monuments s'elevent, qui seraient remarques 
meme en Italie, ou abondent les chefs-d'oeuvre, 
ce qui prouve que rien n'est neglige par ce sage 
aouvernement. On a conquis , dans l'interieur, 
des provinces, qui, quant a la population, com- 
pensent les pertes eprouvees depuis la mort de 
Charles XII. Aussi le peuple suedois n'oublie pas 
ce que Charles-Jean a fait pour lui depuis trenle 
ans. Mainte fois, pendant mon sejour en Suede, 
j'ai entendu 1'expression de la gratitude la plus 
passionnee. Le roi est done paye genereusement 
de ses peines, puisque ce vceu qu'il a exprime a 
son couronoement est rempli. Je ne desire, pour 
recompense, que t' amour du peuple. Mais en 
Suede, la presse a une liberte illimitee, dont 
se sert un parti pour jeter parmi la nation des 
brandons de discorde et travailler a changer la 
constitution actuelle. La liberte de la presse a 
degenere en une licence qui menace la siirete de 
I'Etat. Les auteurs ont pousse si loin l'oubli de 
toute mesure, que les tribunaux ont ete appeles 
a sevir conlre eux. Ces poursuites ont donne" lieu 
a des troubles qui ont mis le gouvernement 
dans la dure necessite d'avoir recours a la force 
armee. Le mecontentement s'accrut encore de 



Pf 









VOYAGE EN SUEDE. H5 

1'emploi d'un moyen commande au pouvoir a 
qui est confie le soia de maintenir l'ordre. Des 
le 20 octobre 1834 , le roi avait accorde une am- 
nistie sans restriction a tous ceuxqui, depuis son 
arrivee en Suede, avaient ete condamnes pour 
debts politiques, de sorte que les exiles meme 
pouvaient rentier. Cet acte de clemence aurait 
dii prevenir les troubles qui eclaterent plus 
tard : eh bien ! il n'en fut pas ainsi ! II y a des 
auleurs ' qui attaquent sans relache les institu- 
tions constitutionnelles, auxquelles ils donnent 
les epithetes de caduques et de pourries. Le roi, 
au contraire, fidele a son serment et connais- 
sant le danger des reformes trop precipitees, ne 
neglige rien pour maintenir intacte la consti- 
tution qu'il a juree a son arrivee en Suede. 
Voici ce que disait a ce sujet le monarque dans 
sareponseauxcinquanteanc/eHsde la bourgeoisie 
de Stockholm, le 6 septembre 1837: 

« Etranger a tout ce qui s'etait fait en Suede 
avant mon arrivee, je fus appele au trone par 

1 Ces troubles eurent lieu a 1'occasion de la condamuation 
a trois ans de prison, d'un pamphletaire, M. Crusenstolpc; 
loin de produire quelque contre-coup dans les provinces , ils 
y furent hautement desapprouves. Le voyage du roi , qui se 
rendit en Norwege au milieu de 1'hiver, ne fut qu'une marche 
triomphale. 






.HG VOYAGE EN SUEDE, 

une election libre et unanime; et le premier 
acte que la nation demanda de moi , fut le ser- 
ment de laisser a chaque Etat la puissance en- 
tiere de ses prerogatives. On demande aujour- 
d'hui a introduire des changements dans nos 
institutions. La nature, qui developpel'enfance, 
offre a lage mur l'enseignemeut des temps pas- 
ses, pour sa conduite presenle. A. chaque epo- 
que difficile qui s'est produite depuis notre re- 
naissance politique, nous avons reporte tran- 
quillement nos regards vers le passe, et notre 
resolution , quoi qu'on dise de la faiblesse de nos 
ressources, a prouve aux ennemis du repos que 
nous nous sommes assure, ce que nous pouvions 
et ce que nous avons ose. Ce que nous pouvions, 
c'est I'amelioration de nos lois et de nos institu- 
tions. La carriere des honneurs est ouverte a tous 
ceux qui s'en rendent dignes par lactivite, par 
l'economie , par les talents et par le respect pour 
les droits d'autrui. Nous sommes tous de meme 
origine. Mais les premiers hommes qui fonde- 
rent des societes etaient soldats ; car, pour creer, 
il faut la force. Nos lois, notre constitution , nos 
mceurs nous prescrivent les devoirs que nous 
avons a remplir. Au lieu de nous laisser aller 
aux circonstances qui , semblables a l'ouragan , 



VOYAGE EN SUEDE. m 

ne Iaissent apres elles que de douloureux sou- 
venirs, nous tacherons de maitriser les tem- 
peles politiques , en imitant ces hommes pru- 
denls dont les travaux diligent Peau des fleuves 
dans les terres dessechees poui' les fertiliser. J'ai 
promis de defendre vos privileges comme ceux 
des autres Etats et de tous les citoyens. Ceux-ci 
ne peuvent etre abandonnes par un gouverne- 
ment qui , en ranimant les forces de I'Elat, n'at- 
tend d'autre resultat de ses efforts que d'entre- 
tenir, dans une juste proportion, le contente- 
ment dans le cceur des citoyens et le courage 
des defenseurs de la patrie. J'examinerai vos 
voeux, et dans cette circonstance je mettrai ma 
gloire a concilier les inlerels diffeYents confies a 
mes soins 1 . » 

1 Le roi cxprima la mernc opinion a la diole do 1834 et 1835. 
Voyez Becueil , I. II, p. 230. «Tout ce qu'elle (la conslitulion) 
autorise, tout ce quo la necessite imposcra , sera adopte , en 
suivant toulcfois les regies elablies par nos lois fondaraeula- 
les, et non en cedanl au raouveinent dun cnlhousiasmo mo- 
incntane. » 

Si Ton compare entre elles les reponses que le roi Gt, le 
27 mail835, aux deputations des qualre Etats do Suede, la 
noblesse, le clerge, la bourgeoisie et l'ordre des paysans, il 
ne sera pas difficile de reconnailre de qui il etait content. 
Voy. Rccueits, etc., t. II, p. 131. On ne neutse dissimulcr 
que les Sucdois sont trop disposes a des innovations qut, si 
elles claienl accueillies par le gouvernement avec autanl 
d'enlbousiasnic qu'elles sont proposees , pousscraient inifailli- 



I 



US VOYAGE EN SUEDE. 

Je n'ai pas juge inutile de reproduire cette 
belle reponse a des propositions de reformes 
dangereuses. Elle demontre claireraent la sage 
politique du roi , la droiture et la force de son 
ame; la Suede avait besoin d'un tel roi, pour 
reconquerir son ancienne gloire. 

Mais si Too veut poser les bases d'un bonheur 
et d'une tranquillite inebranlables pour le peu- 
ple, il est indispensable de mettre un frein a 
la licence de la presse periodique. Ennemie du 
peuple elle depasse toutes les bornes. Que tout 
le monde souffre, qu'importe a ces ecrivassiers 
qui pullulent malheureusement dans la capi- 
tale. Les moyens de gagner , ceux de nuire et de 
susciter des embarras , c'est tout ce qu'elle veut. 
Elle ment au peuple, en lui disant qu'elle parle 
dans son interel , qu'elle n'est que 1'expression 
de l'opinion publique. Car ce sont ces redacteurs 
qui aiguillonnent non -seuleraent les veritables 



bleruent I'Etat a sa perte. I! est vrai que la constitution de 
Suede est entacbee de grands vices; raais cette osuvre des 
siecles et non d'une troiopeuse tbeorie, elle s'cst d£veloppee 
avec la vie du peuple , et il seraitdangcreux d'y vouloir tou- 
cher imp souvent. Je renvoie celui qui veut lire une critique 
severe de cette constitution, a l'ouvrage du celebre profes- 
seur E. M. Arndt. 

Ce livre a pour epigraphe : la pluparl des choses humaines 
meritent qu'on pleure sur dies. 



VOYAGE EN SUEDE. U9 

proletaires , ceux qui ne possedenl rien , qui 
u'ont rien a perdre , mais tout a gagner dans les 
troubles, mais qui entrainent aussi par un lan- 
gage perfide, repete tous les jours, d'estimables 
citoyens, a qui la faiblesse de leur vue fait regar- 
der lout mouvement , tout changement comme 
une amelioration. Que le gouvernement fasse 
tout ce qu'il voudra , il aura toujours tort. 
Quelque cbemin qu'il prenne en politique , 
qu'il se tourne a Test ou a l'ouest , il fail tou- 
jours mal. 11 n'est pas meme elrauger aux phe- 
uomenes nalurels , et si la diselle eclate , il en 
est encore cause. Les exageratious , la diffama- 
lion ont trop de prise sur les hommes, soit en 
affaires publiques, soit en affaires privees. Rap- 
pelons - nous ces paroles dun profond observa- 
teur 1 : Ambitionem scriptoris facile adverscris : 
obtrectatio et livor pronis auribus accipiuntur : 
quippe adulationi foedum crimen servitutis , ma- 
lignitati falsa species libertatis inest. Ce n'est pas 
un Velleius Paterculus, mais un Cornelius Ta- 
citus, ce noble Romain qui cherissail autantque 
qui ce fut sa patrie. 

Ainsi il est urgent que le gouvernement suedois, 



* 



'Tacile, Hut., 1, i. 



420 VOYAGE EN SUEDE, 

sans opprimer la presse , emploie des moyens 
constitutionnels pour ea arreter la licence. Tous 
les bons citoyens esperent qu'une proposition 
sera faite dans ce sens a la diete prochaine. Car 
il n'est pas possible que l'altention clairvoyanle 
du gouvernement n'apercoive pas le danger, qui 
resulte pour tous , de la guerre declaree aux in- 
stitutions constitutionnelles , acceptees par la 
nation. S'il en est ainsi , la Suede aura la certi- 
tude que ce bonbeur , qu'un grand et noble roi 
a conquis au peuple , s etendra sur la posterite 
de ses enfants. 



La paix a l'interieur et l'independance de l'e- 
tranger etaient les conditions de letat prospere 
ou se trouve la Suede , et elle ne pouvait les 
oblenir qu'alors que l'Europe serait delivree 
du despotisme dun homme dont la graadeur 
imperiale n'a pas d'exemple au monde. L'empirc 
universel, au moins sur le continent europeen , 
eut dure pendant loute la vie du grand Napo 
leon, si, au lieu de pousser son expedition jus- 
qu'a Moscou, il se fut arrele aux bords du Nie- 
men. Un hiver moissonna l'armee la plus puis- 
sante, la plus disciplinee qu'on cut encore vue. 



VOYAGE EN SUEDE. 121 

Mais apresce dcsastre il s'en fallait encore beau- 
coup que la puissance deNapoleon flit aneantie; 
elle n'etait qu'ebranlee. Le danger n'etait pas 
encore passe pour la liberie du monde : de 
nouvelles vicloires rendirent de la vigueura une 
domination fondee par les armes et par la sa- 
gesse. 

Charles - Jean , apres avoir ele eleve a la di- 
gnite de prince royal de Suede par le roi et par 
les elats assembles a la diele d'OErebro 1 , aurail 
voulu conserver la paix et la bonne intelligence 
avec le puissant empereur. Impossible, quels 
que fussent les sacrifices du peuple suedois; si 
le prince royal n'eut pas eu le courage de regis- 
ter de toutes ses forces aux exigences outrees de 
Napoleon, il lui cut fallu oublicr qu'il avail cesse 
d'etre Francais, et que la Suede etait sa nou- 
velle palrie dont il devail soulenir les inlerels. 
Le conquerant voulait I'aneanlissement du com- 
merce maritime de la Suede, dune nation qui , 
vu son climat et la nature de son sol , ne pent 
jamais compter sur des recolles suffisanles a ses 
besoins, et est obligee dechanger ses produils 



1 Chrislian-Charlcs-Auguslc , prince d'AugustCDbourg , oln 
prince royal do Suede , raournt subileiuent en Scanie , an 
niois de ruai 1810. 









122 VOYAGE EN SUEDE, 

contre uue quantitede ble de letranger. Ilvou- 
laitque cette nation consentit as'appauvrir ; car , 
si I'on s'en rapporte au temoignage de l'histoire , 
le peuple suedois a toujours vecu du commerce 
et de la navigation. S. cela il faut ajouter les 
attaques directes contre la Suede. La Pomeranie 
suedoise fut occupee par les Francais , en pleiue 
paix et au milieu de l'hiver (26, 27 Janvier 
1812) h Peu de temps apres le gouvernement 
suedois promulgua le decret qui ouvrait les ports 
de Suede a toutesles nations (29 juillet 1812). 
La position n etait plus tenable , et un traite 
d'alliance avec la Russie fut secretement signe 
a Saint-Petersbourg (24 mars (8 avril) 1812). 11 
n'est pas douteux que l'ame elevee du prince 
royal saignait d'etre obligee de prendre les ar- 
mes contre ses compagnons de gloire et contre 
son ancienne patrie, a laquelle il devait son 
elevation ; mais le devoir imperieux lui com- 
mandait ce sacrifice. Ce qui etait en question 
pour la Suede, c'etait son existence comme 
royaume independant, qualite qu'elle avait 
presque perdue apres avoir ete obligee de se 
soumettre au systeme continental. La grande 

iVoy. la lettre dc Charles- Jean a Napoleon, 11 fcvrier 
1812 , Recueil de Mires . elc. , 1. 11, p. 55. 



VOYAGE EN SUEDE. t25 

catastrophe de Napoleon en Russie s etail con- 
sommee dans les derniers jours de l'automne , 
ou au commencement de 1'hiver de 1812. Ce- 
pendant la Suede ne declara la guerre a la 
France qu'apres l'entrevue du prince royal de 
Suede avec 1'empereur Alexandre et Frederic- 
Guillaume (9et 12juillet 1813) a Trachenberg. 
La fut trace le plan de campagne qui delivra 
1'AIIemagne du joug dont elle etait accablee; il 
est reconnu que ce fut Charles-Jean qui le con- 
cut, et son execution assura a la Suede la secu- 
rity et la liberte. II serait superflu d'entrer ici 
dans le detail des travaux du prince royal de 
Suede a la tete d'une puissante armee , du mo- 
ment ou il debarqua a Rugen (16 mai 1813) , 
ni de demontrer que les vicloires de Gross- 
beeren et de Dennewitz sauverent Berlin , ga- 
gnerent la Baviere aux interets des allies, el 
ouvrirent ainsi la route qui devait conduire au 
cceur de l'Allemagne. L'histoire metlra ces faits 
en lumiere pour la posterite. Elle lui racontera 
ces importants evenements , et lui prouvera que 
ces victoires ayant facilile la reunion des forces 
des allies, ce fut surtout a Charles- Jean que 
l'Allemagne et I'Europe durent le coup terrible 
que recut la puissance de Napoleon dans les 



t24 VOYAGE EN SUEDE, 

plaines de Leipzig. II n'y a pas un Suedois verse 
daas I'histoire contemporaiue qui puisse avan- 
cer qu'il y eiit un autre moment d'assurer la 
liberty future de son pays. 

Pendant et depuis celte epoque, Charles-Jean 
u'a pas oublie un seul instant les sentiments 
qu'il devait a la France et meme a Napoleon; 
et si celui-ci eut ecoute ses conseils, sa destinee 
eiit eu sans doute une autre fin. Je sentis s'e- 
veiller en moi des penseessemblables, quand je 
me trouvai en face de ce grand homme; je ne 
vis pas seulement en lui le sauveur de la Suede , 
mais aussi celui de ma propre patrie , je dirai 
meme de l'Europe. Des hommes de cette trempe 
ont toujours ete rares. La presence d'un heros 
qui a delivre sa patrie a quelque chose d'elec- 
trique ; mais ici , le pays qui fut sauve n'etait 
qu'une terre d'adoption, et dans la lutte des 
sentiments el des devoirs, il est hors de doute 
que le cceur de Charles-Jean a recu un coup 
douloureux. La Suede est la terre des heros ; elle 
a produit des princes qui peuvent etre mis en 
parallele avec ceux que l'antiquile a le plus van- 
les, mais nul n'a fait pour ce pays ce que le roi 
actuel a entrepris et lermine : il l'a arrache-a la 
mort politique , l'a couverl d'une grande gloirc 



VOYAGE EN SUEDE. I '25 

militaire, et lui a procure l'independance au 
dehors et le bonheur au dedans 1 . Le Dannemark 
doil a la Suede la perte de la Norwege. Qui ne 
sent tout ce qu'il y eut d'amer pour le Danne- 
mark dans une perte de cetle importance! Qui 
ne serait pas touche de cette consideration ! 
Mais aussi quel immense avanlage pour la Suede 
qui venail de voir lui echapper la Finlande , 
quecelui d'une situation presque insulaire. Aussi 
ne peut-on nier que si la domination de la 
France se fut maintenue, le Dannemark serait 
devenu une province francaise avant que la 
Suede eut succombe. En effct, le formidable co- 
losse touchait deja a ses frontieres a Hambourg 
et a Lubeck. L'Allemagne, 1'Oldenbourg, la 
Hollaude, l'llalie et l'Espagne onl eprouve le 
danger d'avoir ses frontieres contigues a celles 
de France. Le Rhiu devenu francais, la Hollande 
devient province francaise, une sorle de delta , 



' Dans une entrcvue entre le general Moreau et le prince 
royal en Slralsund , en 1813, celui-ci dil : «Nous sommeslous 
deux Francais d'origine ; voire inonde doit elre la France , 
le mien la Suede. Ce n'est qu'a conlre-coeur que je porte les 
armes centre raes anciens compalriolcs ; mais 1'honneur de 
ma nouvelle patrie a ele trop profondement lese pour que je 
puisse me dispenser de prendre l'epee , aGn d'oblcuir repara- 
lion. i) Recueil des ordres de mouvemenl , etc., du princeroyal 
de Suede en 1813 et 1814. Stockholm , 1838. 



12G VOYAGE EN SUEDE, 

el la peninsule cimbrique n'est qu'un appen- 
dice des departements des villes anseatiques. 
Le Dannemark doit son inlegrite a la politique et 
aux victoires de Charles -Jean. L'Angleterre el 
la France ont porte atteinte au Dannemark , ja- 
mais la Suede. Si Ton examine en derniere ana- 
lyse la situation actuelle du Nord , on est force 
de reconnaitre que ce fut Napoleon qui rendit 
la Russie invulnerable du cote du nord - ouest 
par la conquete de la Finlande, et qui mit la 
Suede dans la necessite de tirer parti de la nou- 
velle politique, c'est-a-dire de l'alliance du Dan- 
nemark et de la France, et de la position hos- 
tile de celle-ci vis-a-vis de la Suede, en s'em pa- 
rant de la Norwege pour s'indemniser des perles 
qu'elle venait d'eprouver a Test. J'ai ete sensible 
a la separation du Dannemark et de la Norwege, 
comme mon creur s'est affiig£ de ce que la Saxe 
a perdu la moitie de son territoire ; de meme 
quecette acquisition a ete necessaire a la Prusse, 
celle de la Norwege l'a ete a la Suede pour la 
dedommager de la Finlande. Mais cette union de 
la Suede et de la Norwege est une union frater- 
nelle sous un pere commun. 



VOYAGE EN SUEDE. \27 

Si mon sejour a Stockholm me fut utile au- 
tant qu'agreable , je Ie dois a l'amitie du baron 
de Brockhausen , ministre de Prusse pres la colli- 
de Suede. Ce fut lui qui me mit en rapport avec 
le baron de Stjerneld , ministre des affaires etran- 
geres, dont l'accueil amical et bienveillanl ne 
sortira jamais de mon souvenir. II me procura 
1'audience du roi , episode de mon voyage au- 
quel j'attache le plus de prix. Dans sa maison 
hospitaliere je fis la connaissauce des homines 
les plus distingues du pays, tels que le baron 
de Berzelius, dont la gloire remplit l'Europe. 
La , je fus a meme d'apprecier le ministre da- 
nois , comte Moltke , qui a longtemps ete gouver- 
neur d'Islande: il me communiqua les details 
les plus curieux sur cette ile interessante. J'y 
vis le colonel russe de Bodisco , connu dans le 
monde litteraire par sa biographie de l'empe- 
reur Alexandre, el qui me recut avec une ai- 
mable cordialite. Les traits de cet officier rap- 
pellent de la maniere la plus frappante , ceux 
du grand Gustave-Adolphe, tel qu'il est repre- 
sente dans les portraits qui nous restent de lui 
et dont l'un des plus precieux appartient au ba- 
ron de Brockhausen. 

J'ai pu me convaincre a Stockholm que l'hos- 



I 






m VOYAGE EN SUEDE, 

pitalite etait dans les mceurs suedoises. Je fus 
reeu comme un vied ami par le general Gus- 
lave-A-braham de Peyron , president du college 
de la guerre et directeur - general des posies. Je 
„e pnis me rappeler sans emotion les heures deli- 
cienses que je passai dans sa maison , en compa- 
gnie d'hommes excellents. Je crois voir encore 
sa petite fille, angelique creature, bien digne 
d'etre immorlalisee par le ciseau de Bystrom. 
Sa mere lui fut malheureusement enlevee par 
une mort prematuree. Berzelius me fit un gra- 
cieux accueil dans son laboraloire , et lorsque 
je le quittai, il me donna, comme souvenir, 
son portrait lilhographie. Le celebre chimiste 
s'exprimaitdansmalanguecommeunAUemand. 

Qu'ils s'ecoulerent rapidement ces instants que 
j'employa. a parcourir le pare de la maison de 
campagne du banquier Benedicks, un des plus 
riches citoyens de Stockholm. Notre conversa- 
tion ne porta pas sur des affaires de banque qui 
nousetaientetrangeres; nous nous entretinmes 
des plus haules questions de metaphys.que. Je 
„<ai pas memoire d'avoir jamais entendu per- 
sons exposer, discuter avec plus de clarte que 
lui les principes philosophiques les plus ab- 
straits. Sa doctrine a des rapports avec celle de 



VOYAGE EN SUEDE 4 2'J 

Spinosa; settlement il a plus de precision et de 
methode que ce philosophe et exprime plus li- 
brement sa pensee. J'ai beaucoup perdu de 
n'etre pas enlre en relations directes avec des 
hommes comme le poe'le Tegner el l'hislorien 
Geyer 1 , dont les noms ont relenti dans toute 
I'Europe. Mais le premier etait dans son diocese; 
1'autre se trouvait par hasard a Stockholm (il 
est professeur a Upsala) , sans que j'en fusse in- 
forme , au moment ou j'etais dans cette capi- 
lale. Nombre de personnes pour qui j'avais des 
lettres de recommandation etaient a la carupa- 
gne; et je n'avais pas le temps de me rend re aux 
invitations que je recevais, comme celle du mi- 
nistre d'Aulriche, le comte d'Ugarle cl celle du 
charge d'affaires de Russie , le chevalier de 
Glinka. C'esl avec un regret amer qu'on voil 
echapper ces occasions qui ne se represenlenl 
plus. C'est l'inconvenient des courts voyages ou 
Ton n'a pas assez de temps a d^penser. Si le jour 



i La France est peu an fait de la lilterature standi nave. 
M. Marmier s'est restreint , en parlanl des homines illustros 
de la Scandinavie, a nn cercle trop borne, quelque inleret 
qu'il y ait repandu d'ailleurs pour \ci rnetlrc en lumiere. Les 
oeuvres de Tegner, qui onl ete traduiles dans plusieurs lan- 
gues, raeriteraienl 1'aUcntion des litterateurs francais. Au- 
cune languc ne possede de composition superienre a son 
heros (Napoleon). 

9 



450 VOYAGE EN SUEDE, 

tout entier a ete employ^ a voir tout ce qu'il y 
a de remarquable , on n'a plus le soir l'envie 
de faire de nouvelles connaissances , auxquelles 
on voudiait se presenter l'esprit gai et non 
epuise moralement et physiquement. 



Rien ne rafraicb.it le coeur de l'homme de 
bien comme de voir l'administration superieure 
etendre ses soins jusqu'aux membres de la so- 
ciete sur lesquels toutes les classes ne jettent que 
des regards d'horreur ou de mepris. Un crimi- 
nel est toujours un homme malheureux, soit 
qu'uoe organisation vicieuse , les mauvais exem 
pies ; une education faussee , la misere ou le de- 
nuement l'auront fait devier de ses devoirs. 

Sous quelque point de vue qu'on envisage la 
question, toujours est-il qu'on doit plaindre le 
coupable de n'etre pas ne avec un bon coeur, 
de n'avoir pas recu une education soignee , de 
n'avoir pas vu exaucer sa priere: ne nous indui- 
sez point en tentation ; d'avoir ete saisi par les 
elreintes de la misere, alors que d'autres , d'une 
nature peut-etre meilleure ou n& avec les memes 
dispositions , se sont trouves places , par un bon- 
heur immerite, dans une position ou ilsnetaient 









VOYAGE EN SUEDE. 151 

nullement sollicites a commettre des actes que 

la loi reprouve, quoiqu'ils en aient commis de 

plus condamnables dans le systeme moral. II 

est vrai qu'il faut admettre necessairement le li- 

bre arbitre dans I'homme, si Ton veut peser 

toutes leurs actions a la meme balance ; et ce 

piincipe a «5te regarde avec raison comme la base 

des societes et la regie d'appreciation de lous les 

actes humains; mais quel est I'homme doue du 

momdre esprit d'observalion , a moins qu'une 

durete de coeur et une parlialite revoltantes ne 

l'aveuglent snr ce qui est clair aux yeux de cha- 

cun, qui ne reconnaisse I'influence plus ou 

moins grande que les circonstances dans les- 

quelles rhomme se trouve place, exercent sin 

sa liberie morale? 

Si le criminel est un malheureux, il est digne 
de noire interel etde notremisericorde, quoique 
ses actes meritent noire haine et noire mepris. 
En le punissant, nous devons chercher , s'il est 
possible, a le lendre plus heureux , c'est-a-dire, 
a le rendre meilleur. Celui meme qu'on con- 
damne a une reclusion perpetuelle, pour obeir 
a la loi inflexible, doit encore etre moralise; de 
sorte qu'il puise dans sa peine la consolation 
d'avoir rachete sa faute et gagne un pardon que 



■ II 



132 VOYAGE EN SUEDE. 

l'assassin recherche souvent par l'aveu spontane 

de son attentat. 

L'ame eprouve une heureuse emotion a la 
vue d'un dtablissement ou des principes comme 
ceux-ci recoivent leur application. 

J'eus cette satisfaction, un des derniers jours 
que je passai a Stockholm, lorsque M. Netzel, 
procureur general de 1'arnnSe (general auditeur) , 
qui a la direction des maisons de detention et 
de correction de la capitale et des environs, eut 
la bontcS de me faire visiter danstous ses details 
la grande maison de correction ou sont enfer- 
tnees les femmes criminelles ». Le bailment est 
dans une position tres-saine : il y a des jardins 
et de vastes cours; le local de l'administration 
est on ne peut mieux dispose\ Les corridors , les 
salles, les dortoirs sont tenus dans un tel etat 
de proprete el sont si bien aeres qu'on n'a a y 
craindreaucune exhalaison pernicieuse et qu'on 
se croirait plulot dans un etablissement de cha- 
rite que- dans une maison de detention. Nous 
entrames dabord dans la chambre de la dame 
qui avait la surveillance de la maison , car les 
hommes en sont exclus comme d'un couvent de 

i Faubourg du Nord dans les environs de 1'eglise Sainle 
Claire. 









VOYAGE EN SUEDE. 453 

femtues. Celte seule particularite merite deja 
d'etre appreciee et imitee par les autres pays. 
Cette dame , d'ua age mur , avait ua exterieur 
respectable , et la bibliotheque qui ornait sa 
chambre pouVait faire supposer qu'elle ne aian- 
quait pas destruction. La religioa avait im- 
prime a son caractere une gravile lemperee par 
une grande douceur. Nous parcourumes les 
salles ou la soie est mise en oeuvre. Des femmes 
de tout age sont occupees a ce travail. Nous 
vimes de la soie jaune brochee d'or fabriquee a 
Stockholm. Nous visitames ensuite un atelier de 
chapeaux de paille, de formes variees et ele- 
gantes. De la nous passames (je ne pretends pas 
suivre exactement dans mon recit Tordre de 
notre marche) dans une salle ou se font des 
tapis, les uns grossiers, d'autres d'une rare 
finesse, nuances des plus brillantes couleurs et 
dans Ie gout le plus moderne. Ici est travaillee 
la laine la plus commune, la sont tisses des 
draps de toute espece ; plus loin nous entrons 
dans une filature de laine; des bras sont aussi 
occupes a la confection de la toile. Ces travaux, 
distribues d'apres les talents et les dispositions 
desprisonnieres, out pour but de leur procurer 
un etat et de les meltre a memo, a leur sortie, 






m 



VOYAGE EN SUEDE. 



de gagner leur vie dune maniere honorable. 
Comparez a cet etablissement ceux que nous 
avons en Allemagne, ou sont assises en longues 
rangees des filles et des femmes au teint bleme, 
qui filent, filent, filent.... Et pourrait-on croire 
que chez nous, pendant l'hiver, des hommes 
robustes n'ont que celte occupation, qui ne 
leur apprend rien et ne leur procure aucun be- 
nefice? Et l'on s'etonne, apres cela, que des 
liberes reparaissent bientot devant la justice 
pour de nouveaux mefaits, Mais que leur avait- 
on enseigne? Us etaient pour ainsi dire oisils 
dans une maison qu'on peut regarder comme 
une ecole superieure de corruption et de 

crime. 

Les fautes commises dans cette prison recoi- 
vent leur chatimenf, mais elles ne sont pas 
punies parle fouet, qui a une influence lacheuse 
sur la sante en meme temps qu'il degrade le 
moral ; elles entrapment la mise au cachot. On 
nous en ouvrit plusieurs. Ce sont des cellules 
etroites, dont tout 1'ameublement consiste en 
unecouverture de laine etendue sur le plancher, 
sans chaise ni table. Le jour vient d'en haut, 
par une petite lucarne. La recluse est privee de 
tout travail , c'est ce qui rend sa position plus 



VOYAGE EN SUEDE. (35 

p&iible. Des que nous entrions , la malheureuse 
venait a nous en nous faisanl un salut plein de 
grace, accompagne d'une reverence qu'une dan- 
seuse n'aurait pas desavouee. On ne peut se faire 
une idee de cette elegance que les Suedoises out 
recue de la nature. L'une de celle que nous visi- 
lions avait une physionomie si expressive que 
nous intercedames, M. Turgenef et moi, en sa 
laveur ; on souscrivit a notre priere , et elle nous 
remercia de la maniere la plus gracieuse de l'es- 
pece de liberte qu'elle nous devait. 

Ce qui distingue radminislration de cet im- 
portant etablissement , ou sont reufermees plu- 
sieurs centaines de personues, ce sont l'huma- 
nite et les efforts tentes pour son amelioration , 
but dont on approchait de jour en jour suivanl 
ce que j'en apprisa Stockholm. Le prince royal 
ne neglige aucune occasion de s'assurer par ses 
yeux si les intentions paternelles du roi soul 
remplies; car le prince regarde comme son pre- 
mier devoir l'accomplissement du bien. 

Arant de sortir, la directrice nous presenta 
un registre pour y ecrire noire nom et nos obser- 
vations. Car ici Ton a la conviction si intime 
d'avoir rempli ses obligations qu'on prend volon- 
tiers letranger pour juge de ce qu'il a vu. Nous 



^ 36 VOYAGE EN SUEDE. 

n'eumes que des eloges a donner a la maniere 

dont est tenu l'etablissement. 



L'ancienne Grece , si feconde en ceuvres d'arl , 
eut admire les morceaux executes en porphyre 
dElfvedal qu'on trouve dans les magasins de 
Stockholm. Rien ne surpasse la purete des 
formes imitees de l'antique et le fini du poli. 
Cette industrie nourrit a Etfvedal , une des con- 
trees les plus pauvres de la Dalecarlie, plus de 
cent families. Elle n'eut pu se soutenir sans les 
secours que lui accorde le roi , a qui elle appar- 
ent aujourd'hui. Les vases el les candelabres 
fixerent surtout mon attention. J'aurais bien 
voulu en acheter un pour orner ma biblio- 
theque, mais le prix m'effraya. En effet , un 
vase de moyenne proportion coiitait pres de 
2000 francs , et il y en avait encore de plus 
chers. Je renoncai done a emporter ce souvenir 
de cette bonne Suede et me bornai a acheter a 
Eskilstuna des ouvrages d'acier dune rare per- 
fection, et qui sont superieurs, an dire des An- 
glais eux-memes, a tout ce que leur pays peut 
produire dans le meme genre. J'achetai , entre 



VOYAGE EN SUEDE. 137 

autres choses, un couteau a papier qui est un 
vrai chef-d'oeuvre. Sur un fond dore, entoure 
d'une bordure delicate, sont dessines en damas- 
quinerie le chateau royal de Stockholm et le 
pont du Nord. Le manche represente d'un cote 
la statue de Gustave III et le port, de l'autre, 
la maison decampagne du roi actuel, Rosendal. 
C'est un travail tellement fini qu'il frappe les 
regards avant meme qu'on I'ait examine de pres. 
Aussi ces pieces sont-elles d'un prix eleve , sans 
toutefois etre eu rapport avec les soins qu'elles 
ont coiites. 



PASSAGE 



DE STOCKHOLM A GOTHENBOURG 



PAR LA MER ET LE CANAL DE C.OTUA. 



SEJOUR A GOTHENBOURG. 



in. 



I 



PASSAGE 



DE STOCKHOLM A. GOTHENBOURG 



PAR LA MER. ET LE CANAL DE GOTHA. 



SEJOUR A GOTHENBOURG. 



Le temps qu'il m etait donne de passer dans la 
belle villeJeStockIiolmetaitecoule:ilfalIailpar- 
tir, quoiqu'ilmerestatbeaucoupa voir, surtout 
dans les environs. II y avait quatorze jours que 
jetais dans la capitale de la Suede. Le 17 aoiit, 
apres avoir dine" en socie"te des plus aimables 
convives chez le general de Peyron , je me rendis, 
a huit hemes du soir, aux bords du Melaren, 






14 2 VOYAGE EN SUEDE, 

a Riddarholmen, pour prendre une place sur le 
bateau a vapeur Daniel Thunberg, qui devait 
me transporter a Gothenbourg. J'etais accom- 
pagne d'un digne homme dont j'avais gagne 
I'aniitie a Stockholm, M. Laurent, proprietaire 
et habitant dans les environs de Gothenbourg. 
Le lendemain, a quatre heures du matin, le 
batiment prit sa course. Je me trouvai bien a 
I'&roit dans la petite chambre qu'il me fallul 
partager avec un autre passager. Le lit n'avait 
pas deux pieds de large sur six de longueur; le 
reste de la piece n'avait pas plus d'espace , non 
compris la place occupee par mon chambriste. 
Cependant je m'y plaisais mieux que sur le bati- 
ment qui fait le trajet par mer, et ou Ton est 
oblige de faire sa toilette au milieu du salon, en 
presence de tout le monde. En payant double, 
dans le bateau du canal , on peut avoir une 
chambre a part (uotre place nous couta a peu 
pies 60 1'rancsj. Cette facility laisserait peu 
a souhaiter si les lits etaient plus larges et les 
matelas plus epais. Apres avoir visile la case ou 
il me fallait passer cinq jours et cinq nuits, et 
avoir fait mes dispositions pour etre le plus 
commodement possible, je retournai pour la 
derniere fois dans mon quarlier , a I'hotel du 



VOYAGE EN SUEDE. U3 

Commerce; je pris conge de mon hote et de ses 
gens et je me rendis avec M. Laurent au cafe 
dont j'ai deja parle, situe sous le pont du Nord. 
Apres y etre reste une heure , je jetai un dernier 
regard d'adieu sur le beau chateau que la lune 
eclairait de ses rayons et auquel ce clair-obscur 
donnait un caractere plus majestueux que la 
lumiere du jour. En avaucant, je ne pouvais 
detacher mes yeux de l'H6tel-de-Ville, de celui 
des etats de la noblesse et de la statue severe de 
Gustave I er . Leglise de Riddarholm, dont la 
foudre avait abattu la tour , semblait s'opposer 
a notre passage. Mon compagnon de voyage 
netant pas encore arrive, nous restamesquelques 
instants de plus dans ma petite chambre. Enfin , 
il fallut se quitter. Prenant la main de mon 
brave Andersson, je lui demandai pardon des 
impatiences auxquelles j'avais pu me laisser em- 
porter lorsqu'il faisait des fautes en parlant alle- 
mand, tandis que j'eusse ete fort heureux de 
pouvoir m'en tirer dans sa langue aussi bien 
qu'il faisait dans la mienne. Je restai seul. Voila 
done des jours heureux passes comme tant 
d'autres et qu'il me fallait releguer dans le do- 
mainedessongesde la vie. Je comptais peu revoir 
Stockholm et ses braves habitants. Je me jetai 






m VOYAGE EN SUEDE, 

sur raon lit pour y Irouver ud sommeil que je 
ne pus gouter. Mou compagnoa de voyage ar- 
riva a I'heure du depart. C'etait un M. Denicker , 
Mecklembourgeois, proprietaire des environs de 
Gustrow , qui avait fait la guerre de la delivrance 
en qualite d'officier. Mieux avise que moi, il 
avail passe la nuit chez lui. H venait de Saint- 
Petersbourg et regagnait ses foyers par Gothen- 
bourg et Copenhague. Nous eumes bientol fail 
connaissance; cette liaison repandit la gaite sur 
lout le temps que nous restames ensemble. 

On partit a qualre heures. Je montai sur le 
pout pour voir Stockholm encore une fois; puis 
notre bailment glissa, comme en volant, entre 
les rochers du lac merveilleux, Jusqu'a sept 
heures. Mors nous entrames dans le canal de 
Sodertelje, qui reunit le Melaren a une baie de 
la Ballique. Cette baie profonde a un fort cou- 
,-ant. Elle est si etroite qu'on croirait etre sur le 
Danube ou sur le Rhin. Nous fumes bientot au 
milieu des scheeres , converts de chenes , de bou- 
leaux et de sapins; quelques heures apres nous 
voguions en pleine mer, ne voyant plus que 
l'eauet le ciel. Les flots etaient agites, quoiquc 
le jour fut beau. Je me sentais indispose et je 
me couchai pour eviter le mal de mer. Les vagues 



VOYAGE EN SUEDE. 145 

ne tarderent pas a s'apaiser. Vers midi , je nae 
levai; nous etions dejaa la hauteur de Nykoping 
lorsque nous nous mimes ii table dans le petit 
salon du restaurant. On etait tres-bieu servi par 
de jeunes demoiselles qui avaient egalement soin 
des chambres particulieres. La dame qui diri- 
geait I'elablissement avait un air grave, el une 
montre d'or brillail a son cote, comme signe 
dislinctif de preeminence. Aueuue de ces do- 
mestiques ne connaissanl d'autre langue que 
la suedoise, nous etions obliges, nous autres 
Allemands, de nous faire com prendre par si- 
gnes. Mais nous etions dedommages de la priva- 
tion de leur entrelien par I'amabilite-et la deli- 
catesse de leurs manieres, et c'eut ete vraimenl 
se montrer trop exigeant que de n'avoir pas paru 
salisfails de leur bon vouloir. Nous nous etions 
arranges de telle sorte que pour deux francs par 
jour nous avions dejeuner, diner et souper, et 
pour rafraichissements du porter et d'excellent 
lait. Le vin , le cafe et le the etaient payes a part. 
Les depenses des passagers etaient inscriles dans 
un registre et acquittees en debarquant. Le Sue- 
dois a une telle confiance dans la bonne foi du 
voyageur , qu'il ne suppose pas pouvoir etre 
trompe par lui. O Italie, belle Italic, pensai-je 



44G VOYAGE EN SUEDE 

ou il faut d'avance faire son prix, pourquoi ne 
trouve-ton pas aussi chez toi la bonne foi et IV 
bandon de la Suede ! Nous enlrames sur le soir 
dans la longue et etroite baie de Slalbaiken , 
nous laissames derriere nous les ruines de Sts- 
geborg, et quand lanuit fut venue , nous nous 
arrelames au chateau de Mem. Nous sommes a 
Temboucbuie du canal de Golha qui joint la 
Ballique au grand lac Wenern , comme celui-ci 
est mis en communication avec la mer du Nord 
par le canal de Trollhatla et le fleuve de Golha ; 
ce travail n'a pas son egal au monde 1 . 



f 



. Voici les livres qui me furcnt utiles pendant raon voyage : 
Manuel des passages gui voyagcnt sur le canal dcGothie par 
les bateaux a vapeur . faisanl le service entre Stockholm et Go- 
tUenbourg. - Notice sur les lieu* remarguables . les egUse set 
les chateaux siluis sur lameme route; Stockholm , L. J. Bje la, 
1838 - Earta 6fler Segelleden fran Stockholm genom Golha- 
Tanal til Gotheborg , of F. Schulz , 1837. - Karla ut„sandc 
Kanal-Ledningen genom Sverige fran Xord-Sjon fO^on, 
Vr. 1833. - En Angbatsresa pa Golha Canal. Besknfsen t Bref 
till en Van; Stockholm , 1838. 

Jc possede encore : Karla ofver Scandinavten ulmsand d* 
Kanal arbelen . slromrensningar, etc ™?»"** , *™ t * 
travaux pMic*. executes en Suede depun 1810 a 1837, P a. 

P. A. Witelock. 

'cette excellent carte donne un apercu des travaux .m- 
me „scs qui ont etc executes. Le canal de Golha a cou e 
To 38^0 th. de hanque (21 millions) , et la citadel e . Car,- 
borg, place d'armes pour 20,000 hommes , 1,111,20/ th. 



VOYAGE EN SUEDE. j 47 

Le premier jour de noire voyage s'elait passe 
entre les bords enchantes du Melaren , el les ro- 
chers boiseux des scheeres, sur une mer que 
l'habitant d'un pays plat ne peut voir sans plai- 
sir. La scene pendanl la seconde journee fut en- 
core plus interessante; nous arrivames au lac 
Wellern , situe a 297 pieds suedois au-dessus du 
niveau de la mer, par des canaux, des ecluses et 
de pelits lacs. La traverseefut longue, car nous 
avions a passer trente-cinq ecluses, et chacune 
d'elles nousarretait au moinsun quart d'heure. 
On employait ce retard a apporter a bord le 
bois de sapin qui sert a chauffer la chaudiere. 
Ce canal a au moins dix pieds de profondeui , 
sa largeur est de quarante-huil pieds au fond el 
de quatre-vingt-huit a sa surface. Cinq ecluses 
divisent la parlie comprise entre les lacs Wellern 
et Boren. II y en a seize entre Boren et Roxen , 
et cleux entre celui-ci et Asplanga. De ce der- 
nier a la mer Baltique on en compte douze; 
chaque ecluse a cent vingt pieds de longueursm 
vingt-quatre de largeur. 

II n'est pas necessaire de dire les endroils ou 
nousavons passed le lemps que nous y sommcs 
resles, les courses que nous avons faites; il y 
avail loujours du nouveau a voir; nous elions 



MS VOYAGE EN SUEDE, 

toujour* bien tepto cbez les paysans, dans des 
cbambres proprement entrelenues et donl le 
plancher est convert de brin de sapin. Nous 
avions'dejafait lant de progres dans la langue, 
que nous pumes demander un verre de lait a 
une belle fille, qui ne recut qu'a son corps de- 
fendant, les quelques sous que nous lui offrions 
en payemcnt; quelle preuve de l'hospitalite du 
nord et sa difference aVc les Apennins. II nous 
arriva une aventure. Nous etant trop avances 
dansle pays, nous tombames dans un laby- 
rinlhe de bois de sapins qui servent de clotures 
aux cbamps et qui ne les embellissent cerles pas. 
Nous desesperions de pouvoir revenir a temps, 
et nous elions de mauvaise humeur, nous ac- 
cusant I'un l'autre de cet accident, comme des 
enfants; raais nous en fumes quittes pour la 
peur; le bateau etait encore dans l'ecluse; la 
fumee qui s'elancait de sa cbeminee nous lira 
d'embarras, en nous indiquant le chemin que 
nous devions prendre. 

Nous passames rapidement devant Soderko- 
ping pour entrer dans le lac d'Asplanga, puis 
dans celui de Roxen; nous traversames ensuile 
celui de Boren ; enfin , au jour tombant, nous 
pai vinmes a Motala pres du lac Weltern ou nous 



VOYAGE EN SUEDE. 149 

passames la nuit; qu'ou sillonne les canaux ou 
les lacs, partout s'offrent a la vue ties chateaux , 
des. mines, des maisons seigneuriales^des egli- 
ses, des maisons de campagne, et surtout ce 
qui est d'uu effet plus pilloresque, des rochers 
severes, des coteaux boises, des prairies tapis- 
sees de fleurs ct des champs cullives. Une chose 
seulement gate le coup d'ceil de ces derniers; 
c'est leur entourage prosaique de tristes sapins. 
Quoique ces vues changent a chaque minute, 
elles sont toutes comprises dans une uniformite 
fatiguante : c'est le cachet du nord; elles ne 
pourraieut soutenir la comparaison, quant aux 
paysages, avec celles des bords du Danube ou 
du Rhin; les autres lacs n'etaient pas non plus 
aussi beaux que le Melaren. Nous ne piimes vi- 
siter les forges et les fonderies importantes de 
Motala, renommees surtout par la superiorite 
des machines a vapeur qui en sortenl. II faisait 
nuit a notre retour; nous etions fatigues de 
nos courses, et nous rentrames dans notre pe- 
tite chambre pour nous livrer au repos. 

Le sommeil me tenait encore enchaine, lors- 
que le lendemain nous traversames le lac Wet- 
tern; je le vis derriere nous, lorsque je montai 
sur le pout. On apercevait encore sur une pe- 



,'. 






450 VOYAGE EN SUEDE, 

ninsule la citadelle cent rale de Carlsborg, re- 
garded comme imprenable; elleesl l'ouvragede 
Charles-J^an ; aucune autre ne peut lui etre 
comparee au dire des personnes competentes. 
Nous entrames bientot dans le lac de Botten , et 
en montant une ecluse , dans celui de Wiken. 
Nous eiions alors au plus haut niveau de la h- 
goeque nous avionsa parcourir, a trois centhuit 
pieds au-dessus de celui de la mer. Nousdescen- 
dimes ensuite par autant d'ecluses a la mer du 
Nord , c'etait le meme inconvenient qu'en mon- 
tant. L'heureetait avancee quand nous arrivamcs 
a Sjotorp, a l'entree du grand lac Wenern ou 
nous passames la nuit. Le jour qui yenait de 
finir n'avait pas eu moins d'agrement pour nous 
que les precedents; c'etait comme, je l'ai deja 
dit, des vues variees, mais toujours empreintes 
du caractere stereotype du nord. Nous nous 
livrions a de petites excursions pendant les 
courtes stations que nous faisionsau'x ecluses.La 
conversation entre les passagers dont la plupart 
etaient Allemands charma la longueur du jour, 
et nous primes plaisir a voir leurs signes d'inlel- 
ligence avec Gustava F...m , jeune Suedoise, ac- 
compagnee de son fils, joli petit garcon pour 
lequel elle paraissait avoir le plus vif. attache- 



VOYAGE EN SUEDE. V6\ 

men!. Je fus meme assez heureux pour re- 
Irouver sur le bateau un compalriote dont j'a- 
vais fait connaissance dans un restaurant de 
Stockholm, M. Frankenheim , bijoutier de 
Braunschweig, consomme dans les affaires, et 
que je vis plusieurs fois a Golhenbourg et a Co- 
penhague. C'&ait la premiere fois que les inle- 
rels de son commerce I'appelaienl dans le nord; 
il paraissait salisfait de son voyage. 

Nous reslames le quatrieme jour presque tout 
enlier sur le majestueux lac Wenern , le plus 
grand d'Europe apres les lacs Onega el Ladoga. 
Sa superficie a plus de cent milles geographi- 
ques carres; vingt-qualre fleuves ou rivieres lui 
apporleut le tribut de leurs eaux, il n'a qu'une 
communication avec la mer par le fleuve de 
Golha. Son niveau, qui est a cent quaranle-sepl 
pieds au-dessus de celui de la mer, explique les 
cataracles de Gotha-Elf. On croirait elre sur 
l'Ocean; car il arrive que de plusieurs points il 
faut un oeil exerce pour dislinguer la terre: aussi 
y trouve-t-on l'uniformile d'un voyage sur mer; 
ce desagremeut ne disparait qu a I'approche des 
iles, dont plusieurs ont une grande dimension, 
II etait cinq heures du soir lorsque nous altei- 
gnimes le but de notre traversee. INous debar- 



452 VOYAGE EN SUEDE, 

quames a Wenersborg, a l'enlree du fleuve de 
Gotha. Entierement consumee par les flammes 
il y a quelques annees , a l'exception de I'eglise, 
cetle ville se releve de ses ceadres plus belle que 
jamais. Sa place a quelque chose de grandiose. 
Je la parcourus en cherchant un barbier, et 
j'appris avec le plus grand etonnement que 
quoique Wenersborg soil la capitale de la pro- 
vince de Westrogothie et le chef-lieu d'une pre- 
fecture, et qu'elle ait mie imprimerie d'ou sort 
une feuille politique, on n'y trouve point de 
barbier. On me dit qu'il n'y en avait que dans 
lesgrandes villes de Suede; il me fallul done 
atlendre, a mon grand deplaisir, jusqu'a Go- 
tbenbourg. En revanche je remarquais qu'il ne 
manquait pas a Wenersborg de jeunes fenunes 
elegantes, puisqu'il s'enembarqua plus de douze 
sur°notre Daniel T lumber g, pour se rendre a 
Trollhatta. L'etroit espace de notre pont parut 
lout a coup transforme en un petit etablisse- 
ment de bains. J'en etais dans Tadmiration, 
car je ne me serais jamais imagine que je ren- 
contrerais sur les bords du lac Wenern les cos- 
tumes figures dans les gravures de modes de 
Paris qu'on voit exposees a toutes les boutiques 
de marchandes de nouveautes et des ouvrieres 



VOYAGE EN SUEDE. t53 

en robes des grandes villes de l'Europe. Nous 
autres Allemands dont la toilette etait dans le 
plus grand desordre par suite du trajetque nous 
venions de faire sur mer et sur le canal , nous 
nous tinmes a distances de ces belles Suedoises 
qui d'ailleurs ne parlaient que Ieur langue. 

De Wenersborg, on n'enlre pas immediate- 
ment dans le fleuve de Gotha; on y est conduit 
par un bassin appele Wasbolten , a l'est duquel 
la ville est assise et par le canal de Carlsgraf. On 
evite ainsi la cataracte de Ronnumsfallet. Ce ca- 
nal est du a Charles XI; il est a croire cepen- 
dant que la nature avait deja trace celte voie 
de communication, quoiqu'elle ne Cut pas na- 
vigable. A I'extremite du Wasbotten seleve la 
petite ville de Brete; ses habitants la deserlerenl 
pour aller chercher des demeures plus commo- 
des a Wenersborg, qui doit son existence a celte 
emigration. C'est a Brinkebergs-Kulle, dans le 
Carlsgraf, qu'on passe les ecluses de Guslave qui 
sont, pour ainsi dire, les deux premiers degres de 
cet imposant escalier d'eau , dans les environs 
duquel on voit de vastes constructions apparle- 
nanl a la couronne. A un millede la commence le 
fameux canal deTrollhatta, taille dans des rochers 
de granil, el par lequel on evite les calaractes. 







454 VOYAGE EN SUEDE. 

Neuf ecluses nous devaient descendre a plus 
de cent vingl pieds. C'est un immense esca- 
lier pour les vaisseaux. On ne comple pas 
moins de cent trente-deux pieds du sommet des 
cataracles de Carlsgraf et de Trollhalta a leur 
base. Daniel Thunberg, dont noire vaisseau 
porte le nom , fut l'homme remarquable qui 
pr&enta le projet de ces travaux gigantesques , 
executes dans l'espace de vingl-trois ans, de 1777 
a 1800. H nous fallut toute une journee pour 
arriver a la derniere ecluse. Le capitaine, marin 
d'une grande expedience, resolut de nous y faire 
attendre le jour. Nous avions le temps de faire 
une excursion jusqu'aux fameuses cataracles; 
nous nous hatames done de quitter notre etroit 
bateau. Nous ne manquions pas de cicerone ; 
ils pullulent la comme a Tivoli et a Frascali, 
c'est le meme type: hardis, babillards, ils vous 
font la topograpbie de Vendroit avec une volu- 
bilite que l'exercice a rendue imperturbable. 
C'etait vraiment dommage que nous ne com- 
prissions pas leur patois. 

Le sol rocailleux sur lequel nous marchions 
ressemble a la vallee d'llse dans les montagnes 
du Harlz; mais la vegetation y est moins active 
que dans ces dernieres. Un senlier facile conduit 



VOYAGE EN SUEDE. 455 

en serpentant a travers les rochers jusqu'au 
bassin du fleuve. Nous entendons d'abord un 
sourd mugissement, semblable au bruit d'un 
orage lointain; il se change bienlot en fracas 
comme celui d'un tonnerre continu. Puis , les 
regards plongent dans une vallee encaissee de 
rochers eleves, au milieu roule le fleuve de 
Gotha divise en deux bras par un rocher. Sa lar- 
geur est de cent cinquante pieds ; il forme un 
nuage de vapeur en se precipitant dans l'abime ; 
c'est la plus considerable de ses chutes; elle a 
emprunte son nom de Toppo au rocher qui 
l'occasionne. On juge de suite que le plus beau 
coup d'oeil doit elre de I'ile formeepar le rocher, 
el Ton est enchante de trouver un ponl qui v 
conduit. Conslruit avec soin, et, si je ne me 
trompe, en barres de fer, il fait contraste avec 
le site sauvage qui 1'entoure et le terrible abime 
sur lequel il est jele. Saisis d'admiration a la 
vue d'un tel spectacle, nous restions tous 
hommes el femmes au nombre de vingt sur le 
ponl, comme si nous eussions elesur le rocher, 
lorsque le gardien charge de recevoir les droits 
de peage qui nous avait ouverl la porle, nous 
cria avec terreur d'avancer, si nous ne voulions 
voir le pont se rompresous nos pieds; car il elait 






) 



I3C VOYAGE EN SUEDE. 

Hop faible pour porter une pareille charge. Une 
minute apres il ne restait plus personne sur le 
pont, tout le monde s'elait refugie sur 1'ilot. 
Quel panorama se deployait autour de nous ! 
Des rochers de granit de cent et de deux cents 
pieds de hauteur, noircis par le temps, quelques 
sapins isoles sur leurs flancs; une masse d'eau 
enorme emprisonnee dans des murs de fer, se 
ruant vers nous avec un bruit epouvantable , se 
brisant contre I'enorme bloc qui nous portait 
et qui la divise, puis ces deux bras, dont le 
droit plus puissant que le gauche est en lulte 
continuelle avec lui! La seconde cataracte porte 
le nom de Tjuffallet (cataracte des voleurs) , 
parce que la tradition rapporle qu'il y avait 
dans le voisinage une grotte depuis longtemps 
detruite par les flots qui servait de repaire aux 
brigands et aux voleurs. Le fleuve a encore 
d'autres chutes: desirant nous procurer de suite 
cette vue, nous repassames le pont, mais avec 
plus de prudence qu'en venant. Nous descen- 
dimes un peu plus bas dans la direction du 
fleuve, sur un rocher, d'ou I'oeil pouvait saisir 
l'ensemble de toules ces chutes jusqu'a l'ile. De 
la on peul coutempler ce travail imposant de 
la nature; la on peut se convaincre d'une revo- 



VOYAGE EN SUEDE. 157 

lulion subie par le globe, sans eprouver le ver- 
tige qu'on rcssent sur la petile ile , et sans se 
laisser distraire par uue calastropbe isolee. Ce 
ne sont plus les eclats de la foudre qu'on en- 
lend, c'est le roulement de la lempete. Mais 
pourquoi essayerais-je de peindre ce qui ne sc 
peut decrire? Les peintres eux-memes avouent 
qu'ici leur art est impuissanl 1 . Eu effet, ils ne 
peuvent pas rendre le mouvement, et c'est pre- 
cisement ce que la nature a fait ici de plus sai- 
sissant. A chaque seconde la masse d'ecumeqni 
surnage sur l'abime revet une nouvelle forme; 
elle rappelail a mon esprit emerveille les figures 
que dessinent les vapeurs qui s'echappenl du 
cralere du Vesuve, et oe sont ces modifications 
rapides que nous ne pouvons rendre. 

Non loin de la on \oit une petite grotte I ail- 
lee dans la roche ou sont les noras traces de leur 
main de personnages maiquants, enlre autres 



1 Les calaractes et le canal de Trollhatta en Suede, par 
A. F. Skjiildebrand , a Stockholm , 1804 , in-4°. C'est un beau 
recueil de gravures. Voici ce que dit l'auteur, peintre dis- 
tingue, en parlant de la cataracle de Toppo : «Corabien de 
fois, en conlemplant ces efforts sublimes de la nature et en 
■voulant les exprimer par le pinccau, n'ai-je pas senli avec 
accablcment la faiblesse de mon art, et cependant j'ai ose de 
peindre des objels qui auraient du decourager les plus grands 
artistes. » 



,158 VOYAGE EN SUEDE, 

ceux de Guslave IV, de Charles XIII, de Char- 
les XIV et du prince Oscar. La memoire des 
hommes de genie ou puissants, a un tel empire 
sur les hommes, que notre societe presque en- 
liere resla plus longtemps a lire ces noms qu a 
jouir du spectacle que la nature etalait devant 
novis. A.ussi quels souvenirs ces noms ne reveil- 
lent-ils pas! 

Outre ses cascades naturelles, le praceps Anio 
a Tivoli, en doit une a la main des hommes. 
Le fleuve de Gotha a une cataracte qui a la 
meme origine; mais leTeverone n'est qu'un tor- 
rent aupres d'elle. Des 1718 Charles XII, a qui 
loule idee gigantesque souriait , confia les pre- 
miers travaux du canal a son archimede Pol- 
hem. C'est de cette epoqueque datent les ruines 
d'une ecluse supprimee comme superflue, dans 
laquelle l'eau, s'engouffrant d'une hauteur de 
soixante pieds, semble n'etre plus qu'une masse 
d'ecume. Le grandiose qui 1'enloure ne detourne 
pas l'attenlion de cette cataracte ; mais I'eton- 
nement s'accroit devant cette grotte de Pausi- 
lippe , que Polhem creusa dans la roche , pour 
donner passage a son canal. On foule la terre 
des miracles , miracles produits par la nature el 
par le travail des hommes; car c'est a ceux-ci 



VOYAGE EN SUEDE. t59 

surlout qu'apparlieunent les neuf ecluses , dont 
la hauteur correspond a celle des cataracles. 
Mais comme ces ecluses sout Irop etroites et 
ont Irop peu de fond pour les vaisseaux qui peu- 
vent naviguer sur le fleuve, on laille dans le roc 
une autre ligne d'ecluses de plus grande dimen- 
sion; on emploie a ce travail des regiments en- 
tiers commandes par leurs officiers. Nous n'eu- 
mes garde de ne pas visiter ces travaux , dont 
l'achevement demandera des annees. Surpris par 
la nuit, et etourdis de lout ce qui avait passe 
sous nos yeux depuis trois heures , nous rega- 
gnames notre vaisseau qui avait franchi les neul' 
marches gigantesques. Nous reslames dans la 
derniere jusqu'au lcndemain. 

k quatre heures nous nous remimes en mar- 
che sur le fleuve de Gotha. Pres du chateau de 
Slrom, a quatre lieues de Trollhalla, la navi- 
gation est coupee par une nouvelle chute qui 
emprunte son nom du village de Lilla Edct. Le 
fleuve, dans toute sa majeste, lombe de vingt- 
cinq pieds de hauteur. N'elait le voisinage de 
Trollhatta, on donnerait plus d'attenlion a la 
chute de Lilla Edet, qui n'est pas moins impo- 
sanle que la cataracte de Schaffhouse, a laquelle 
on pent la comparer, quoiqu'elle presente un 



|C0 VOYAGE EN SUEDE, 

aulre caraclere. On 1 evite egalement par un ca- 
nal et deux ecluses construits pendant la mi- 
nority de Christine. Pour empecher les fuiles 
d'eau , on n'y a employe que la brique et le c.- 
ment, suivant la maniere des Hollandais. INous 
parcourumes encore quelques lieues d'un pay- 
sage romantique avant d'arriver an delta forme 
par le fleuve, dont les deux bras elreignent la 
.rande et fertile ile de Hisingen , qui a sa base 
Lignee par la mer. Non loin de Vemboncbure 
du bras gauche du fleuve, dans une espece 
d'anse et sor la rive meridionale, est sHuee Go- 
thenbourg, ou nous descendimes a onze hemes 
du matin. 



On trouve dans cetle ville des auberges lenues 
sur le meme pied qu'en Allemagoe, c'est-a-dne 
qu'on peut y loger et s y nourrir. Je me renchs 
avec MM. Deniker et Frankenbeim a celle con- 
nue sous le nom d'Hotel <te Madame Tod, ou 
i'avais ete adresse. On me Vavait indiquee comme 
la meilleure de la ville, et j'avoue qu'il n'y man- 
quait aucune des choses essentielles qu'nn voya- 
,eur peut desirer. J'avais une grande et belle 
chambre avec un sopha et un lit garni d'excel- 



VOYAGE EN SUEDE. 4 64 

lents matelats. Je ne fus pas moins salisfait du 
service, fait par d'aimables filles , suivant la cou- 
tume suedoise. U est vrai qu'on est prive de ce 
que les Anglais appellent confortable , de ce qui 
rend la vie si agreable dans une grande ville, 
ou tout est en abondance. II n'y avait pas meme 
de secretaire dans la chambre, et la seule com- 
mode qui y fut ne fermait point a clef. Mes com- 
pagnons de voyage n'etaient pas mieux traites. 
II me fallut altendre longtemps le domestique 
de place, qui etait a la campagne et qu'il fallut 
faire cbercher. II parut devant moi comme 
un veritable gentleman : c'etait un beau jeune 
homme, haut de taille, qui parlait assez bien 
allemand. II s'appelait Reuss, et il devait le jour 
a un fabricant juif , qui avait ete dans l'aisance 
et avait fait depuis de mauvaises affaires, a en 
juger par la profession de son fils. Celui-ci avait 
cependant appris le commerce; mais il I'avait 
abandonne, aimant mieux, disail-il , elre com- 
missionnaire et interprete des etrangers. II n'en- 
trait jamais dans ma chambre que le chapeau a 
la main , et en servant il avait des manieres qui 
accusaient en lui une education au-dessus de 
l'etat qu'il avait choisi par gout et qui ne lui 
faisait pas oublier ce qu'il avait a faire. Comme 



)B2 VOYAGE EN SUEDE, 

il habitait ordinairement avec son pere a la cam- 
pagne, je fus oblige de lui louer une petite 
cbambre dans mon voisinage, afin de l'avo.r 
sous la main. Je ne lui donnais que deux thalers 
(quatre francs) par jour; c'etait un de moins 
qu'a mon domestique de Stockholm. 

II me conduisit par la ville et dans les envi- 
rons le jour meme de mon arrived, avant que 
j'eusse remis les lettres de recommandation dont 
j'etais porteur. 

Gothenbourg, situee a deuxlieues de la mer, 
est une ville parfaitement batie. Son exterieur 
annonce une cite opulente. Sa population est de 
30,000 ames. Elle fut souvent la proie de I'in- 
cendie; et l'on dirait que ses constructions ne 
sont pas eneore complement achevees. Toutes 
les maisons sont en briques; elles ont generale- 
ment trois etages y compris le rez-de-chaussee. 
Beaucoup sont ornees de pilastres , meme de co- 
lonnes. Les principales rues sont tres-larges et se 
coupent a angle droit; la plus belle est Stora 
Hamngatan. Au lieu de chaussees elles ont , ains. 
qu'a Rotterdam, des canaux couverts de vais- 
seaux. Gothenbourg a exterieuremeul une res- 
semblance frappante avec la ville hollandaise. 
Une population nombreuse anime les rues et les 



VOYAdE EN SUEDE. |(;.> 

places. Ou remarque surtout, parmi ces der- 
nieres, la grande place (Stora Tor get) , ou est 
l'Hotel-de-iille, celle du commandant et du 
corps de garde, et celle ou seleve la cathedrale. 
Cetle eglise est nouvellement batie ; elle est en 
forme de eroix, dans le gout italien moderne. 
Son magnifique fronton repose sur quatre co- 
lonnes doriennes, et elle a une lour de deux 
etages, surmontee d'un loit en coupole. Une 
chose etouuante, c'est que ce bel edifice n'ait 
pas le plan de sa facade parallele au cole oppose 
de la place. Les rues qui l'avoisinent sonl de- 
serles, la ligne des maisons y est rompue par 
des espaces vides qui se remplissent peu a peu. 
Gothenbourg est assis sur la cote escarpe'e de 
la Suede, ce qui donne a ses alentours un air 
pittoresque. Des masses nues de granit, dont le 
pied est baigne par les flots du Golha , et qui 
sont presque loutes couronnees de maisons, 
offrent un aspect fantastique etsauvage ou pren- 
nent une leinte romantique, lorsque des bou- 
quets d'arbres dressent Ieurs tetes vertes dans 
les vallees. Quoique ce site ne ressemble pas a 
celui de Stockholm , et ne l'egale pas en beaute, 
le type septentrional dont il est empreint le rend 
interessant, et lorsque du haul des rochers , 



164 VOYAGE EN SUEDE. 

qu'on peut gravir sans difficulte , on plane sur 
la ville , le port et les environs , on jouit d'un 
coup d'ceil ravissant. 



Gothenbourg a un etablissement de bains tel 
que les plus grandes villes d'Allemagne, a l'ex- 
ception des endroits ou l'on prend les eaux , ne 
peuvent se flatter d'en avoir un semblable. C'est 
une rotonde en briques, batie dans un site en- 
cbanleur, non loin du port et dans le voisinage 
de la residence du prefet. Les cbambres de bains 
rayonnent autour d'une piece centrale, qui re- 
coil le jour d'en baut. A. l'entree de chacune 
d'elles est une baignoire de marbre blanc avec 
tous les accessoires, et dans le fond un cabinet 
elegant pour se deshabiller et faire sa toilette-, 
il est garni d'un sopba et d'un poele en forme 
de cheminee , dans lequel le bois tout prepare 
peut etre allume aussitot que le baigneur en 
manifeste le desir. Celui qui ne veut point de 
bains artificiels prend de l'eau de mer dont on 
a eleve la temperature. C'est ce que je fis moi- 
meme, et je trouvai l'eau aussi claire que le 
cristal. Un bateau a vapeur va en prendre tous 



VOYAGE EN SUEDE. t65 

les jours en pleine mer. Le service de ces bains 
se fait comme parlout en Suede , par des fem- 
mes. Mais je dois faire reinarquer que celles-ci 
^taient d'un age assez mur pour n'avoir point a 
craindre d'allumer les passions des bommes. 



Je sejournai une semaine tout entiere a Go- 
thenbourg , et je ne me repens pas d'avoir sa- 
crifie tant de temps pour cette belle ville de 
commerce. Si je n'en eusse ele penetre d'avance, 
j'y aurais acquis la conviction que nulle nation 
au monde n'est plus courloise , plus bospita- 
liere envers les etrangers. Je l'aurais puisde, 
dis-je, au milieu de l'assemblee des etats de Go- 
tbenbourg et de Bobus. Le prefet (Landsbof- 
ding) de la province, le general Gillies Eden- 
hjelni , eut la bonte de m'inviter a un grand 
diner cju'il donnait aux deputes des etals, no- 
bles , pretres , bourgeois et paysans , qui s'e- 
taient assembles pour regler les impols. Certes, 
aucun de ces Suedois n'avail entendu parler de 
moi , ni ne connaissait mes travaux litleraires; 
raais j'etais etranger, et cela suffit pour que je 



166 VOYAGE EN SUEDE, 

fusse recu avec autant de bienveillance que si 
j'eusse ete leur couopatriote et leur ami. Qui- 
conque parlait francais ou allemand m'adres- 
sait quelque mot flatteur. Mais aussi j'etais leur 
ami ; et quand le prefet proposa la santcS du 
roi , de l'auteur du bonheur actuel de la Suede , 
du prince Oscar et de toute la famille royale , 
je vidai mon verre comme un Suedois ; et qui ne 
le ferait pas quand il s'agit de princes aussi ve 
neres que Charles-Jean et son fils! Mon voisin, 
en m'expliquant le sens des paroles du prefet , 
ajouta: • N'avons-nous pas un roi dont nous 
pouvons etre fiers? Ce peuple qui lui en est 
si reconnaissant , il Va rendu heureux et l'a 
replace au rang ou l'avaieut jadis eleve ses 
exploits. Et vous autres Mlemands, ne lui de- 
vez-vous pas, ainsi que vos princes, une re- 
connaissance eternelle? Ce que le grand Gus- 
tave-Adolphe fut pour les protectants, notre roi 
l'a ete pour toute l'AUemagne et pour une grande 
partiede I'Europe. Le premier a affranchi la con- 
science , le second nous a delivres de la servitude 
politique. L'un a secoue le joug de Rome, l'au- 
tre celui de Paris. Tout n'etait pas fini apres la 
campagne de Russie; sans les Suedois et notre 
prince royal la Prusse succombait et l'AUema- 



VOYAGF EN SUEDE- t67 

gne avec elle; car la victoire suivait deja les ai- 
gles francaises , et sans lui nous aurions proba- 
blement subi nous - memes le sort de la Polo- 
gne. Croyez-moi, sans les vicloires de notre 
roi a Grossbeeren et a Dennewitz, il n'y aurait 
plus aujourd'hui de Suede. Charles-Jean , dans 
cetle circonstance , s'est montre veritablement 
Suedois. Je suis convaiucu que la violence qu'il 
a du faire a ses sentiments lui a coiite beau- 
coup. Nous lui en savons d'aulant plus de gre. » 
Ainsi parla le guerrier qui elait a mes coles. 

Quoique je ne pusse m'entretenir avec les de- 
putes de I'ordre des paysans, je ne laissai pas 
d'etre saisi de respect a leur air venerable et a 
la dignite de leurs manieres. Je vis que 1'esprit 
suedois est a la hauleur de loules les positions. 
Le prefet, de son cote, avait pour eux tous les 
egards qu'on doit aux personnes placees sur le 
meme degre dans rechelle politique. C'esl la 
seule fois que je me trouvai dans une semblable 
reunion des etats de Suede; mais hi moil seule 
pourra detruire le souvenir de ce que j'ai vu et 
entendu, et je dois au general Edenhjelm un 
des plus beaux jours de ma vie. 

Je puis dire que les appartements et en par- 
ticulier la salle ou se tenait l'assemblee etaicnt 









i 



i 



168 VOYAGE EN SUEDE, 

magnifiques. La vue du port, du mouvemeat 
qui y regue, des rochers et des montagnes est 
de I'effet le plus saisissant. La residence du pre- 
fet est un vrai palais qui ferait honneur a Berlin 

eta Vienne. 

J'ai aussi parcouru les environs de Gothen- 
bourg, et j'ai etudie les mceurs des habitants 
des campagnes en Suede. M. Laurent, qui m'a- 
vait recu si cordialement a Stockholm, possede 
une belle lerre dans les environs de Gothen- 
bourg. Elle porte le nom de Lerke , elle est a 
deux lieues de la ville, dans une vallee char- 
mante, aux bords du Golha. J'y fus invite avec 
M. Troilius , negotiant de Golhenbourg, a qui 
j'avais ete recommande. M me Laurent , ferame 
d'esprit, est fille de feu le professeur Castellon 
de Berlin , sa mere et sa sceur sont venues ha- 
biter pres d'elle , et ces dames coulent des jours 
heureuxqu'elles savent embellir des charmes de 
lalilteratureet de la musique. Apres diner nous 
fimes, ces dames, M. Troilius, deux artistes de 
l'Allemagne meridionale et moi, une excursion 
dans le pare et dans le bois qui tiennent a cette 
terre. Je reporterai encore aux montagues du 
Harz ceux de mes lecteurs qui les connaissent. 
Les lieux que je parcourus me rappelerent les 



VOYAGE EN SUEDE. 169 

revers boiseux du coteauqui s'dtend entre Harz- 
bourg et Ilsenbourg. La difference c'est que j'e- 
tais dans un bois de chene, tandis que sur les 
montagnes du Harz c'est le hetre qui domine. 
Les heures s'ecoulerent rapidement en conver- 
sations animees, et nous ne nous separames qu'au 
jour tombant. 

Parmi les connaissances que je fis a Golhen- 
bourg, je dois mentionner celle de M. Dunkel , 
cure de la paroisse alleraande, et de son epouse 
Dorothee, nee Alien, femme poe'le; tous deux 
m'embrasserent affectueusement. Je passai dans 
leur societe des instants delicieux. Les sermons 
imprimes de Dunkel revelent en Iui un predi- 
cates distingue. La paroisse etant trop peu im- 
portante pour occuper tout son temps, il s'est 
mis a la lete d'une institution destince a former 
les jeunes gens au commerce; il est le fonda- 
teur de cet etablissement ou il s'occupe de l'en- 
seignement. Un grand avanlage de cette ecole , 
c'est que les cours se font en allemand, et que 
les ele^es deviennent si forts dans cette langue, 
que sa lillerature leur est aussi familiere que 
celle de leur langue maternelle. II m'arriva plus 
d'une fois de m'enlretenir avec eux; ils s'expri- 
maient aussi purement que des Allemands, et 



1 



WQ VOYAGE EN SUEDE, 

lorsque je leur demandai qui leur avait si bien 
enseigne mon idiome, ils me repondaient: cest 
notrecure. La femme de ce digne homme, quoi- 
qu'elle n'ait faitqu'uncourtsejour en AJlemagne, 
non-seulement ecrit et parle allemaad comuie 
si elle etait nee dans ce pays, mais elle se livre 
encore au culle des muses. Elle m'a fait present 
d'une traduction en vers allemands des plus 
grands poetes suedois actuellement existants. 
Ce travail m'a donne la plus haute idee de son 
talent. Elle s'exprime ainsi sur ses compositions 
dans une lettre qu'elle m'a ecrite : 

«Ma muse ne m'abandonna jamais au milieu 
« des jeux de mon enfance , des joies de ma jeu- 
«nesse, des devoirs et des peines de I'age mur. 
«Elle me ranimait apres les fatigues du travail ; 
oelle me consolail dans les jours mauvais, elle 
«venait me distraire agreablement dans les ins- 
«tantsd'isolement. Je ne n'ai jamais considere 
<«la poesie comme le but de ma vie: aussi ne 
« ferai-je jamais paraitre les six volumes manus- 
« crits que forment les pieces que j'ai composees 
«soit en suedois, soil en allemand; je ne les re- 
« garde que comme les elans d'un enthousiasme 
.momentane, et je ne les communique qu'a 
« mes amis. Voici quels sont les poetes allemands 



».. 



VOYAGE EN SUEDE. 17t 

• dont les ouvrages me sont si chers, que je Ira- 
« duisais a mes compatrioles, non sans un grand 
« sentiment de crainte : 

« L' Tmage de Houwald , Zriny de Kcerner, les 
« deux premiers chants de la Mcssiade de Klop- 
« stock , une livraison des poesies de Schiller, 
« les ouvrages originaux que j'ai fait imprimer 
« sont : A gatocle, tragedie en cinq actes; les Emi- 

* gres, comedie en trois actes, el YHeroisme de I'a- 
« mour, comedie aussi en trois actes. La premiere 
« et la derniere de ces pieces ont obtenu une men- 
« tion honorable de la societe - des belles-lettres 
« de cette ville. J'ai aussi livre a la publicile Jean 
« Httss j poi ; me en trois chants; un volume de 
«poesie; M trie , un roman en leltres; un autre 
i roman intitule Guiltaume. Mes derniers ou- 
trages, encore inedits, sont: Alv'uie , comedie 
« en quatre actes, et les Tarquins, tragedie dont 
« le premier acte seul est acheve. » 

Telle est lenumeralion que cette dame mo- 
deste me fit de ses ouvrages; mais on s'abuserait 
etrangement si Ton s'imaginait que la passion 
des leltres lui fait oublier ses devoirs d'epouse 
et de mere. Elle donne les soins les plus assidus 
a l'educalion de sa fille , gracieuse enfant qui me 
prit en grandc amitie. Elle ne neglige pas les oc- 



j 72 VOYAGE EN SUEDE, 

cupatioos du manage, comme il arrive souvenl 
dans les villes; loia de la, elle a coutume d'al- 
ler elle-merae, accompagnee d'une domestique, 
au marche pour y faire ses provisions. 



L'orgueil national doit se reveiller chez un 
Mlemand , en voyant les progres que fait sa 
lan<me clans le nord , el l'immense influence 
que notre literature exerce sur ces peuples. 11 
est vrai de dire que letude du francais entre 
comme element indispensable dans toute edu- 
cation complete, et que l'etranger peut 1'em- 
ployer dans les hauts cercles; mais il s'en faut 
beaucoup qu'elle s'assimile a la vie inlime du 
peuple comme la langue allemande. Les ceuvres 
deGcethe, de Schiller, de Tieck, et generalement 
de toutes les sommiles de notre lilterature; le 
Dictionnaire de la conversation deBroclhws\ul- 
meme sont aussi familiers a la jeunesse suedoise 
qu'a celle d'Allemagne. Ces livres elegamment 
relies garnissent des rayons enliers dans des li- 
braries de Golhenbourg et de Stockholm. Les 
conversations que nous avons eues avec des Sue- 
dois nous ont convaincu qu'ils etaient lus, et les 



VOYAGE EN SUEDE. t75 

tables des jeunes James surtout nous en oat 
fourni une nouvelle preuve. La, on parcourt 
un romau francais comme exercice litleraire ou 
comme distraction, mais on estime, dans un 
livre allemand, la solidite du fond et l'aliment 
substantiel qu'ilrenferme. En outre, l'Allemand 
retrouve dans la Scandinavie sa maniere d'etre 
et de penser , comme il reconnait les rapports 
physionomiques de ses habitants avec ceux de 
son pays. La, jamais on n'entendra porter sur 
nous et sur notre litterature les jugements irre- 
flechis dont la France est si prodigue. Le Sue- 
dois , le Danois et le Norwegien sont Germains 
aussi bien que les habitants du Holstein, de la 
Frise orientale et de la Hollande. Sans doute, 
un observaleur attentif saisira facilementce qui 
les distingue, soit en masse, soit en particulier, 
des Germains d'Allemague. Mais les dissem- 
blances sonl-elles moius tranchees parmi ces 
derniers? Quelle distance entre le caractere 
saxon et celui d'un Bavarois, entre un West- 
pbalienel un habitant de la Souabe! La langue 
des Scandinaves a autant emprunte aux difle- 
rents dialectes allemands qu'elle tient de ceux 
du nord , a en juger par son caractere , ses ra- 
dicaux germaniques et les travaux du traduc- 






I 



174 VOYAGE EN SUEDE, 

teur Ulfilas. Aussi sommes-nous la comme en 
famille, surlout a la campagne ou le caractere 
et les mceurs se sont conserves intacts, ou l'in- 
fluence pernicieuse des grandes agglomerations 
d'hommes, des troupes, des gens d'affaires de 
toute espece, de la conscription qui ehtasse la 
jeunesse dans des casernes , n'a pas encore aba- 
tardi le paysan. Quand il est en contact avec 
les classes plus eclairees, il gagne leurs vices sans 
prendre leurs qualites. II absorbe le poison, sans 
apprendre a faire usage de l'anlidote. Ajoutons 
le srand nombre de nourrices que nos villages 
envoient dans les villes, et qui sortent des mai- 
sons des ricbes avec l'horreur du travail et le 
relachement des mceurs qu'elles y ont contracte. 
Cette propagande de demoralisation est plus fa- 
tale que celle de la politique qui fait trembler 
les princes. La principale institution militaire 
de la Suede est l'armee indelta; elle n'enleve 
pas le jeune paysan a ses travaux, il est toujours 
soldat paysan; ses officiers eux-memes restent 
cultivateurs ou le deviennent par 1'effet de leur 
service. De la vient que les mceurs publiques 
se conservent plus inlacles qu'en Allemagne. 
Malheureusement le Dannemark n'est pas dans 
le meme cas , parce que la conscription n'y est 



VOYAGE EN SUEDE. *75 

pas en rapport numerique avec la population. 
II y a identite entre le gouvernement du nord 
et celui de l'Alleuiague. Charles-Jean XIV el 
Frederic VI sont des peres pour leurs peuples, 
cela est impossible dans un pays oii les minis- 
tres liennent de la constitution un pouvoir ab- 
solu, quoique sounds a la responsabilile. Le bon- 
heur de leurs sujels est le but de ces deux mo- 
narques. Quoique les constitutions de Suede, de 
Norwege et de Dannemark different entre elles 
autant qu'en Allemagne lesgouvernements libe- 
raux different des gouvernements soi-disant 
absolus, on voit toutefois le nieme principe ap- 
plique en Suede, en Norwege eten Dannemark, 
comme en Prusse, en Bade et en Wu item berg; 
et cerles entre ces pays et la Fiance, patrie de 
la bureaucratie, ce fleau de la liberie du peuple, 
la difference dans l'esprit gouvernemental est 
plus grande qu'enlre Bade et la Suede. Ces con- 
siderations m'engagent a rappeler aux Allemands 
qu'ils doivent regarder comme freres les Scan- 
dinaves, y compris les Danois, parce qu'ils ont 
le meme inleret politique que nous, a repous- 
ser energiquement une domination etrangere 
qui serait la ruine de la nalionalite. 



I 



n6 VOYAGE EN SUEDE. 

La veille de mon depart de Gotheabourg je 
fis avec M. Dunkel uae league promenade dans 
les environs de cette ville, cooime pour faire 
m es adieux aux contrees du nord. Du sommet 
de rochers qui la dominent, noire yue plana.t 
sur la ville. De superbes allees y conduisent de 
differents cotes. Les faubourgs, quoique batis 
presque tous en bois, out un air de bien-etre. 
L'etat des etablissements publics y atteste I'ac- 
tive surveillance des employes. Je remarquai 
surtont un grand cimetiere, situe a 1'extremUe 
d'un des faubourgs. Quoiqu'il fut infer.eur au 
Campo santo de Bologne , 1'fflil elait flalte de son 
elegance et de sa symetrie, qualites qu'on ne 
rencontre pas dans nos cimetieres de Basse-Saxe. 
11 faut une resignation toute pbilosophique pour 
se laisser enterrer dans ces derniers. 

Nous ne rentrames qua la brune, et j'avoue 
que le froid du soir, au mois d'aout (27) , ne 
me parut pas moins incommode qu'au mois 
d'octobre. 11 est vrai que je toucbais au 58° de 
latitude nord', et le soleil se couchait des sept 
heures quatorze minutes, tant les jours de- 
croissent rapidement dans ces contrees. 

■ Gothenbourg est situe par 57" 42' 4". 






VOYAGE EN SUEDE. \l'i 

La matinee du jour suivant ful consacree aux 
visites d'adieu. L'heure de quiller des hommes 
que j'estimais elait venue. A un age comme le 
mien , le peu de probability qu'on se rencon- 
Irera jamais affaiblit le plaisir des voyages. 

A trois heures apres midi un petit bateau a 
vapeur me transporta avec une foule de voya- 
geurs du port de Gothenbourg au batimcnt a 
vapeur norwegien , le Prince Charles , qui <*tait 
a Fan ere a deux lieues de la ville, dans la rade , 
a l'embouchure du fleuve. A ciuq heures on 
leva l'ancre et nous sillonnames les eaux de l'o- 
rageux Calegat , dans la direction de Copenha- 
gue. Les passagers, tant hommes que femmes, 
etaient au nombre de soixante a soixante-dix. 



»« CtgiW — 









VOYAGE 

DE GOTHENBOURG A COPENHAGUE 



PAR LE CATEGAT. 



SEJOUR A COPENHAGUE. 



RETOUR A WOLFENBUTTEL 



IV. 






I 






VOYAGE 



DE GOTHENBOURG A COPENHAGUE 



PAK LK CATKGAT. 



SEJGUR A COPENHAGUE. 



UKTOllt A WOLFENBUTTEL. 



J'ai eprouve l'inconstance des eaux du Cale- 
gat. Le ciel etait pur ; cependant , quand nous 
quiltames 1'embouchure du Gotha un vent froid 
et incommode soufflait avec assez de violence du 
sud-est. II y avait a peine une heme que nous 
etions en pleine mer, quelle etait si haute que 
notre superbe vaisseau dansail sur les flolscomme 
un bateau de papier sur unetang. C'eiit ele chose 



m VOYAGE EN SUEDE, 

toute simple et une sorle de recreation pour un 
habitant du pays-, mais le tangage du bailment 
me fit sentir bientot l'incommodite du mal de 
mer: je me jetai immediatement sur mon lit 
sans me deshabilter, et quoique ma cajute fut 
assez spacieuse , je fus pris assez violemment. La 
plupart des voyageurs eprouverent la meme at- 
teinle , de sorle que sur le soir le salon ressem- 
blait a une infirmerie. Un silence de mort re- 
gnait parmi nous , chacun ne s'occupant que de 
son elat. Apres minuit le vent augmenta de 
violence; leshamacs, dans le salon, s'agilerent 
comme les balangoires des enfants , et les chaises 
roulaient de cole el d'autre dans la chambre , 
qui n'elait eclaireeque par la faible lueur d'une 
pelile lanlerne fixee au plancher. Chaque fois 
que le vaisseau Iprouyait une plus forte secousse , 
partait du salon des dames un cri de terreur 
d'une jeune femme qui se croyait probablement 
a sa derniere heure. En un mot, notre position 
^tait des plus desagreables. II etait presde deux 
heures lorsque je me levai dans une espece de 
delire pour aller prendre lair. Mais ce fut pis 
encore; je fus sur le point de m'evanouir , et si 
un brave marin ne m'eut prodigue ses soins et 
ue m'eut emporle dans ma chambre , il est pro- 



VOYAGE EN SUEDE. ^5 

bable que les flols, qui passaienl sur le pont, 
m'eusscnt emporle dans les sombres abimes du 
Categat. J'arrivai heureusement dans ma cajute, 
et mon estomac n'ayant plus rien a rejeler, je 
tombai dans un elat de somnolence dont je ne 
sortis que vers sept heures. La mer avait repris 
son calme; nous etions a l'entree du Sund, et 
toutes les souffrances de la nuit elaient oubliees. 
A droite, nous avions la ciladelle de Kronebore 
et la ville d'Elsingeur, a gauche Helsingborg, el 
en face le Sund , couvert de vaisseaux de toule 
grandeur. Quelle scene unique! car nulle mer 
n'est aussi frequenter que la Baltique. Les droits 
de peage, percus dans ces parages par la cou- 
ronne de Dannemark, lui rapporlent plusqu'une 
province. Nous etions loulyeux. Aussi toutes les 
langues se delierent-elles quand un bon dejeu- 
ner eut fait disparailre l'espece de paralysie dont 
elles etaient frappees. On devint communicalif; 
on Iia conversation avec des dames qu'on ne 
connaissait pas, et l'on arriva , sans s'en douter, 
en face de la magnifique residence de Copen- 
hague. Un domeslique de Iouage n'attendit pas 
que nous fussions descendus pour m'indiquer 
une auberge et se charger de mon baca^e. 
Je n eprouvai que quelques moments de re- 



4 84 VOYAGE EN SUEDE, 

tard a la douane ; je montai un fiacre avec mon 
nouveau valet de chambre , et un quart d'heure 
apres j'etais dans une belle chambre de l'hotel 
royal, vis-a-vis du superbe chateau royal de 
Christiansbourg et de son eglise. Je ne veux 
pas tarder davantage a recommander l'hotel de 
M. Henneberg , sur lequel j'etais tombe. 

Tout mon apres -midi fut employe a courir 
par la ville , a m'orienter, a acheler des livres 
et des gravures , a visiter les librairies et les ma- 
gasins de nouveaules qui ne sont pas tres-bien 
fournis. Je continuai mes courses le jour sui- 
vant; voici le resultat de mes observations: 



Copenhague est une belle ville , digne du plus 
haut interet. Ce qui , dans d'autres pays , est dis- 
semine dans plusieurs villes , et ce qu'on rencon- 
tre rarement dans la plupart des villes d'Alle- 
magne , la capitale du Dannemark le reunit. Cite 
maritime et centre d'un commerce actif, Co- 
penhague a dans son port une flotte moins im- 
porlante par le nombre de ses vaisseaux de haut 
bord que bien armee. Ses chantiers, ses maga- 
sins , ses arsenaux ne laissent rien a desirer. C'est 









VOYAGE EN SUEDE. -185 

la ciladelle principale du royaume, la residence 
du monarque, le siege de toutes les administra- 
tions superieures , d'instiluts nationaux et d'une 
celebre universite. Elle renferme de pr^cieuses 
richesses d'art el de lilterature ; ses palais , ses 
edifices, ses rues, ses places sont admirables; 
sa nombreuse population * est generalement 
dans l'aisance. 

Copenhague, assis dans une plaine, n'offre 
pas, ainsi que Stockholm , de point de vue qui 
rappelle Naples, comme celui du Pont-Neuf 
jusqu'au chateau , pres de la place de Guslave- 
Adolphe. Ses environs n'ont point de prome- 
nade qui puisse etre comparee au pare de Stock- 
holm. Mais il y a plus de mouvement dans la 
capitale du Dannemark que dans celle de la 
Suede. Les rues de celle-la sont mieux pavees, 
ses boutiques et ses magasins mieux appropries 
au gout d'une grande cite; a cote de 1'activile 
commereante, l'universite anime et entretienl 
la vie intellectuelle. Elle reunit done, a elleseule, 
les avantages parlages enlre Stockholm et Up- 
sala. Toutefois, je l'avoue franchement, Stock- 
holm me parait plus poetique que Copenhague, 

' D'apres le dernier recensemenl, fait en 1834, Copenha- 
gue renferme 119,292 habitants. 



*86 VOYAGE EN SUEDE, 

ou domiue deja trop le ton prosaique du nord 
de I'AUemagne. Un Allemand se trouve [a comme 
chez lui. 

J'ai fait l'eloge de 1'affabilite el de l'hospitalite 
des Suedois. Je ne pourrais, sans une ingrati- 
tude impardonnable, dissimuler que j'ai trouve 
les meraes qualites chez les Danois. La cour , les 
plus hauts fonclionnaires de l'Etat, les ministres 
elrangers, les savants, les negotiants m'ont recu 
a cceur ouvert. Mais si j'entrai si promptement 
en relation avec les premiers employes du 
royaume, j'en suis redevable a un des plus ex- 
cellents hommes que j'aie connus dans ma vie, 
au baron de Langenau , chambellan et charge 
d'affaires d'Aulrichepresla cour de Copenhague. 
II me fit obtenir audience du roi, du prince 
Christian-Frederic, heritier de la couronne, et 
des princesses danoises. II me presenla dans les 
cercles des diplomates, ce qui me mit a meme 
d'etudier les hautes classes. Oui, sous ce rap- 
port, j'ai plus observe a Copenhague qua 
Stockholm. # 



Copenhague, dans son etat acluel, est, pour 
ainsi dire, une nouvelle ville. L'ancienne a ete 



VOYAGE EN SUEDE. 4 87 

presque entierement devoree par les incendies 
dans !e siecle precedent, ou ecrasee par les 
bombes des Anglais au commencement de celui- 
ci. Qu'il reste peu des constructions decrites par 
le Vitruve danois de Thuracb « .' Aussi Copen- 
hague a-t-il un air de jeunesse qu'on trouve, 
quoique plus prononce, a Berlin. On n'y voil 
pas ce qu'on appelle un edifice gothique, car ce 
caraclere manque au chateau de Rosenbourg 
ainsi qua la Bourse 2 , qu'on a coutume de 
ranger dans ce genre d'architecture. La pluparl 
des rues sont alignecs, assez larges, bien payees 
etgarniesdetrol loirs. Les places sont spacieuses. 
La nouvelle place du Roi (Kongens Nytorg) est 
cilee, par ceux qui ont donne la description de 
la ville, comme une des plus belles de l'Eu- 
rope. Malgre sa grandeur et les palais dont elle 
est enlouree, son irregularite m'empeche de 
partager colle opinion. Elle a quelque chose 
d'imposant, si Ton veut, mais le defaut que je 
viens de signaler la met bien au-dessous de la 
place Saint-Pierre a Rome, de celle de Saint- 
Marc a Venise, de celle de la Revolution a Paris, 



1 Copenhague 1746; 2 vol. in-folio. 

2 Les dessins do ces deux edifices »c trouvent dans le Vi- 
truve danois. 



188 VOYAGE EN SUEDE, 

de celle des gendarmes a Berlin , ou meme de 
celle de Linz. Au milieu figure la statue equestre 
de Christian V, en plomb. C'est un morceau 
t res-mediocre , acheve de 1681 a 1688, par 
Abraham Cesar 1'Amoureux. La plus belle place, 
a mon avis, est celle de Frederic, d'une figure 
reguliere, et enfermee dans quatre palais qui 
serventde demeure au roi, a la reine, au prince 
hereditaire Christian-FreVJeYic , et a la princesse 
Wilhelmine, fille du roi. L'eusemble de ces Edi- 
fices porte le nom de A ma lien b our g. On trouve 
des fiacres sur pi usieurs places ; sousce rapport 
Copenhague ne le cede a aucune grande ville. 



Un bras assez large du Sund separe l'ile d'A- 
mager de celle de Seland. C'est sur les bords de 
ce bras , qui forme le port le plus sur et le plus 
beau , que s'elend Copenhague. Une partie est 
situee du cote de Seland; I'autre, qui s'appelle 
Christianshafen , regarde la pointe septentrio- 
nale d'Amager. Les deux parties communiquent 
ensemble par deux ponts : celui de Langebro et 
celui de Knippelbro. Les ponts de Copenhague 
ne peuvent etre mis en parallele avec celui du 



VOYAGE EN SUEDE. 4 89 

Melaren , ;\ Stockholm. Le plus remarquable est 
celui du chateau ou le pont de marbre, jete 
sur le fosse qui ceint le chateau de Christians- 
borg. Christianshafeu est conslruit aussi regu- 
lierement que la ville. On y voit de belles 
eglises, mais il n'y a ni l'activile ni le com- 
merce de I'autre partie. L'aclivite" des rues est la 
meme qu'a Hambourg. Quelques-unes , comme 
Oster-Gade , offrent a chaque pas de jolies bou- 
tiques frequentees, surtout vers midi, par une 
foule de dames elegantes : c'est 1 'image exacte 
d'une grande foire. On ne peut se faire une idee 
du mouvement qui anime les places, le matin. 
Si vous vous placez a letage superieur du cha- 
feau de Christiansborg et que vous jetiez vos 
regards sur le marche , vous etes frappe de la 
cohue bariole qui s'agite a vos pieds, et que ie 
ne me rappelle avoir vue qua Naples. Mais 
quelle difference ! En Italie , ce ne sont que des 
hommes; ici ce sont de charmantes fdles, co- 
quettemeut mises , qu'on est etonne de voir 
aller au marche en toilette. 

Le coup d'cjeil de la halle aux poissons et de 
l'espace compris entre le quai et la Bourse est 
beaucoup moins agreable. J'y rencontrai des 
inendianls et des creatures demi-nues el cou- 



-190 VOYAGE EN SUEDE, 

verles de gale, qui exciterenl au plus haul 
degre ma compassion. Je fus surpris , je I'a- 
voue, que, dans une ville com me Copenhague, 
les bureaux de sante oubliassent que des mal- 
heureux de cetle espece etaient en etat de vaga- 
bondage et repandaient cetle horrible maladie. 
Un jour que je donnais quelques schillings a une 
miserable petite fille sans chemise, et dont la 
nudite n'etait deguisee que par quelques lam- 
beaux dune robe de colon, je m'apercus, en 
touchant sa petite main, qu'elle avail la dan- 
gereuse affection que je redoutais. Je courus aux 
eaux de mer prendre un bain sulfureux pour 
prevenir les suites possibles d'un tel attouche- 
ment. Je la revis presque tous les jours. J'ap- 
pris, par mon interprete , qu'elle avail ete ren- 
voytfe comme incurable, ainsi que ses parents, 
ses freres et sceurs, d'une maison de mendicite. 
Je n'ai pu ajouter foi a celte hisloire, vu l'ha- 
bilele renommde des medecins de Copenhague 
et la bonne administration de ses elablissements 
de charite. IVe^nmoins , je rapporte ces fails 
pour fixer 1'attention des employes charges de 
veiller a la police et a la sante publiques sur le 
danger de laisser vagabonds des gens alteinls 
de ce mal dans une ville aussi populeuse. 



VOYAGE EN SUEDE. I!) I 

Le Danois esl ne marin, el il ae le cede a eel 
egard a auciin autre peuple , pas meme aux An- 
glais. Son orgueil esl sa flolte, et ee serait une 
honle pour la masse de la nation de laisser res- 
treindre ses etablissements marilimes qui ont 
lanl souffert par un malheur qu'elle ne meri- 
lait pas, el par une barbarie inoule. Resle a sa- 
voir si ce ne serait pas, dans ce cas , une chose 
utile aux pays; car une reduction de la flolte 
et de I'armee suffirait pour relablir les finances 
du Dannemark, mieux queue I'a pu fairejusqu'a 
present la plus sage economic. Daus l'elat ac- 
luel de la politique europeenne , le Dannemark 
est sous la protection desEtalsdu continent. Sa 
position geographique la met a I'abri d'une at- 
taque. Une guerre generale vinl-elle a eclater 
enlre les principales puissances de l'Europe , 
comme cela pour rait arriver a l'occasion des af- 
faires d'Orient, il serait en elat de faire respec- 
ter sa neutralile. Seulement en cas d'hostilite de 
la France contre I'AJlemagne, il serait oblige 
de fournir son contingent qui se joindrait aux 
troupes de la confederation germanique. C'esl 
le seul cas , suivant toutes probabililes , oii le 
Dannemark se verrait force de prendre part a 
une guerre; encore faudrait-il qu'elle fut euro- 



I 



192 VOYAGE EN SUEDE, 

peenne. Eq acquittant sa detle, le Dannemark 
accroitrait assez ses forces-, 1'avantage qu'il en 
resulterait compenserait et au dela la perle de 
la Norwege. 11 est done a presumer que le Dan- 
nemark reduira de moitie les depenses consa- 
crees a sa flotte; ce sera un sacrifice a la gloire 
et a la nationality danoises. Quoi qu'il en soit , 
il faudrait etre bien indolent ou bien avare de 
ses pas pouraller a Copenhague, sans visiter sa 
flotte, seschantiers, ses magasins, ses arsenaux 
et les ateliers qui en dependent. L'etranger ne 
peut entrer dans l'ilede la marine qui renferme 
tout ce qui concerne 1'armement et la construc- 
tion de la flotte, sans une autorisation speciale 

du roi. 

Ceux qui ont lu un livre intitule : Seland et 
les Selandais\ dont I'auteur du reste parail 
eclaire, ont remarque une assertion singuliere. 
Apres avoir dit qu'un etranger eprouvait les 
plus grands obstacles pour voir l'ile et la flotte , 
le bon Mecklenbourgeois , qui a ecrit cet ou- 
vrage, pretend qu'il faut etre Holsteinois pour 
obtenir cette faveur et qu'il la dut lui-meme a 
un artifice, en se faisant annoncer comme ori- 

i Christian Dehn, Grossherzogl. Meckl. Schwcrin. Pa.jcn- 
[nformator; Schwerin , 1839, p. 69. 



VOYAGE EN SUEDE. 193 

ginaire de ce duche et natif d'ltzehoe. Toutefois 
je puis affirmer que j'atteignis mon but sans 
proleclion et sans avoir recours a aucun moyen 
deloyal. Voici comment j'y parvins : J'envoyai 
au chef de la flotte , a l'amiral baron Holslein , 
ma carte de visite, en lui faisant demander a 
quelle heure je pourrais elrc admis en sa pre- 
sence. Son Excellence fixa une heure, et je de- 
mandai pour moi et pour mon compagnon , 
M. Schroeder, professeuret bibliothecaire a Up- 
sala , la permission du roi pour voir le holm et 
la flolte. L'amiral , vieillard venerable et rempli 
depolitesse, me le promit, el le jour suivant 
j'avais la permission ou il elail dit qu'un offi- 
cier de marine avait recu l'ordre de nous cou- 
duire le lendemaiu matin a neuf heures. C'est ce 
qui eul lieu; seulement une venle de Iivres re- 
tint M. Schroeder, qui ne put elre des nolres el 
user de la bonle du roi. 

De la douane (tull/jodc) , ou j'avais mis pied a 
terre en venanl de Golhenbourg, je me rendis, 
avec mon domeslique, a la nouvelle ile (Ny- 
liolm). On y arrive par un long pont de bois, 
d'ou Ton apergoil a gauche le Sund et les vais- 
seaux qui lesillonnent, et a droile une division 
de la flotte slalionnee dans le port. Je me lis 

13 



I 



494 VOYAGE EN SUEDE, 

annoncer au corps de garde. Un jeune ofticier 
vint a ma rencontre, en me disant qu'il avail 
recu l'ordre de I'amiral de me faire visiter le 
holm. II s'informa ou etait mon ami, dont je 
lui presentai les excuses. C'etait le premier lieu- 
tenant de la flotte, Schmidt; il avail deja fail 
le voyage des Indes orientales et occidentales. 11 
gagna mon amitie tant par ses manieres dislin- 
guees que par la justesse de son esprit et l'eten- 
due de ses connaissances. Nous vimes d'abord 
la flotte ; je ne tenais pas a descendre dans les 
vaisseaux, j'en avais deja etudie la construction 
interieure a Venise, a Genes, et plus recerament 
a Amsterdam. J'en avais done un connaissanee 
suffisante pour un homme qui n'etait pas du 
metier. La flotte danoise compte six vaisseaux 
de ligne, dont cinq de qualre-vingl-qualre ca- 
nons (il y en a encore un sur le chantier) el un 
de soixante-six; sept fregates, dontune de qua- 
rante-huit, n'est pas encore achevee; cinq cor- 
vettes, cinq bricks, cinq schoners et soixante et 
onzechaloupescanonnieres ou a mortier. Comme 
on le voit, les forces navales de ce royaume sonl 
encore considerables. Tous ces bailments peu- 
vent etre armes et mettre a la voile au premier 
signal. Les deux vaisseaux en construction me 






VOYAGE EN SUEDE. 193 

firentjuger tie I'immense grandeur d'un vais- 
seau de haut bord et d'une fregate. lis m'ap- 
paraissaieut a terre comme de vasles maisons de 
bois , el je compris, a la vue de ces masses, com- 
ment elles absorbaient tant de milliers de 
t balers. 

C'est au Nyholm que s'elevent les batiments 
de haut bord. Leur construction lerminee, on 
trouve dans cetle ile tout ce qui est ne"cessaire a 
leur armement. Ce fut pour mon imagination 
comme une nouvelle apparition de l'arsenal de 
Venise, avec cette difference qua Venise les 
edifices sont d'une magnificence plus impo- 
sante, et qu'ici les magasins sont plus vasles el 
plus completementapprovisionnes. Comme puis- 
sance maritime le Dannemark est au-dessus de 
l'Autriche. De Nyholrn un pont conduit a Fre- 
drichsholm (loujours du cote d'Amager dans le 
port) rempli de corderies et de magasins impor- 
lants, tenus dans le plus grand ordre. En pous- 
sant encore plus au midi , on arrive par des 
ponts a l'arsenal de Holm el a celui de la ma- 
rine, Christiansholm, ou sont tous les appareils 
de la guerre. Du meme cote, vis-a-vis de 1'an- 
tique Holm , est situe le dock , une des construc- 
tions les plus remarquables et les plus precieuses 



I 



496 VOYAGE EN SUEDE, 

que possedele Dannemark. Le doch n'a pas plu- 
tot recu un vaisseau , destine a etre ravitaille , 
qu'on ferme les ecluses et qu'on le vide en vingt 
heures, au moyen d'une machine mue par des 
chevaux. Je crois qu'on obtiendrait le meme re- 
sultat plus facilement et plus promptement par 
une machine a vapeur. Nous montames ensuile 
sur un bateau, et traversant le port nous ga- 
gnames I'ancien Holm (Gammel Holm) a cole 
de Seland. Cette separation doit etre un obstacle 
a l'administralion , et l'on ne peut y remedier , 
la largeur du port et le nombre des bailments 
qui y enlrent s'opposant a la construction d'un 
pont. Toutes les professions qui concoureiit aux 
apparaux de la flotte, ont des ateliers dans cette 
lie : ce sont des forgerons, des fabricants de 
toiles a voiles, des sculpteurs, des cordiers, etc. 
11 y a un chantier ou Ton construit des fregates 
et ou l'on ravitaille des bateaux. C'est le siege 
de tous les bureaux de l'administration de la 
marine, et la residence du chef de Holm et du 
college de l'amiraute. Arrives la, mon conduc- 
ted prit conge de moi en me disant qu'il ne 
nous restait plus rien a voir. J'avais parcouru 
un espace d'une lieue, et je me trouvai dans le 
voisinage de Christiansburg, et par consequent 



VOYAGE EN SUEDE. 197 

pres de mon hotel. Le Holm (c'est le nom ge- 
nerique de tous les lieux que j'ayais tenus ) 
forme un ensemble des plus imposanls, d'a- 
bord par la flotle elle-ineme, puis par la quan- 
tite de canons, d'armeset de materiaux de toutes 
especes destines a l'armement, enfin par 1'ordre 
admirable qui preside a l'arrangemenl de toules 
ces choses. II est possible que les arsenaux ma- 
ritimes de I'Angleterre, de la France el de la 
Russie soient etablis sur de plus grandes pro- 
portions, mais ils ne sont pas mieux entrelenus, 
mieux diriges, ni plus au complet. Apres avoir 
vu un etablissement comme Holm, on com- 
prend facilement que les Danois , qui sc sont 
toujours distingues sur la mer, verraient avec 
peine et peut-etre avec colere, reduire leur ma- 
rine. Cette probabilile puise une nouvelle force 
dans l'espece de terreur qui saisit les officiers de 
la marine danoise a ce seul mot de reduction. 
Cependant je considere la chose d'un point de 
vue plus eleve, celui de I'utilile incontestable 
qui en resulterait pour la nation. En effet, si le 
Dannemark peut economiser deux millions de 
thalers en reduisant son armee et sa marine, 
d est hors de doute que le pays gagnera plus 
de force qu'en conservant une marine formida- 



I 



I- .. 



498 VOYAGE EN SUEDE, 

ble qui ne lui sert qu'a exciter la jalousie des 
arandes puissances, sans lui etre d'aucuue uli- 
lile daus l'etat actuel de la politique europeenne. 
La prosperite des finances est le premier Ele- 
ment de la force d'un royaume. Le grand Fre- 
deric etait bien penetre de cette verite; autre- 
ment il n'eut pu tenir sur pied une armee si 
puissante et la renouveler constamment. 

Quant a la Suede, c'est autre chose. C'est sa 
position qui la defend : elle n'a pas neglige sa 
marine; puis elle louche a un empire qui, de- 
puis plus d'un siecle, s'est constamment etendu 
aux depens de ses voisins, les Chinois exceptes. 
II n'est pas probable qu'H abandonne de si tot 
ce sysleme d'envahissement. Tout ce qu'on 
peut dire, c'est que la Russie, depuis la reunion 
de la Finlande, a, du cote du nord-ouest, une 
frontiere bien couverte, et que l'amitie de la 
Suede lui est necessaire pour la realisation de 
ses desseins *W le sud et le sud-est, desseins 
tout naturels et favorables a la propagation 
de la civilisation chretienne et europeenne. On 
peut done supposer que , tant qu'elle s'avan- 
cera au sud et au sud-est, la Russie ne rom- 
pra pas les liens qui l'attachent aujourd'hui 
a la Suede. Mais qui peut repondre de l'ave- 



VOYAGE EN SUEDE. ID!) 

nir? Le Dannemark, au conlraire, n'a rien a 
redouter, et pour proteger soa commerce, les 
corvettes valent mieux que les vaisseaux de li- 
gne et les negates. 

L'interet que je porte au Dannemark m'a 
dicte" ces lignes; je reclame l'indulgence pour 
ces considerations peut-etre incompletes : moii 
intention doit me servir d excuse. 



Le 3 septembre, a dix heuresdu matin, j'eus 
I'honneur d'etre recu en audience particulierc 
par S. M. le roi de Dannemark. Le baron de 
Krabbe - Carisius , minislre des affaires etrau- 
geres, avait fixe cette heure, qui me fut indi- 
tjuee par M. le baron de Langenau. Comme je 
l'ai deja remarque, le roi n'habite pas la ma- 
gnifique residence de Chrisliansburg, mais l'un 
des quatrc palais qui formeul le palais d'Ama- 
Jienburg sur la place Frederic. Outre plusieurs 
persounes inconnues, je melrouvai dans le salon 
d'altente avec le celebre Tborwaldsen , dont 
j'avais manque de faire la connaissance a Rome, 
et que je fus heureux de rencontrer la. 11 a le 
tilrede conseiller de conferences royales ; sur sa 
poitrine brillent plusieurs decorations qui te- 






-T~ 



( 



200 VOYAGE EN SUEDE. 

moi<*nent de la consideration dont jouissent au- 
jourd'hui les artistes. Au bout de quelques mo- 
ments d'attente, un aide-de-camp du roi me 
conduisit jusqu'a la porte du cabinet de S. M. et 
me pria d'enlrer. Ainsi je ne fus soumis a au- 
cune presentation, car personne n'entra avec 
moi et ne proclama mon nom. Le roi , en uni- 
formeet decore du grand cordon de l'Elephant, 
etait assis a une table ronde couverte d'un tapis 
■vert. 11 m'adressa familierement la parole en 
allemand. Au bout de quelques minutes, une 
discussion en regie etait ouverte sur l'etat pre- 
sent de la jurisprudence penale, et letablisse- 
ment de la legislation criminelle en Allemagne 
et dans d'autres pays d'Europe. Le roi connais- 
sait parfaitement le terrain sur lequel nous 
marchions. II avait lu ce que j'ai ecrit sur la ma- 
ture, et lorsque je lui dis que la plupart des 
criminels elaient sans doute moins coupables 
aux yeux de Dieu qua ceux des hommes, parce 
qu'il lit dans l'intention , tandis que ceux-ci ne 
jugent le fait que par sa manifestation exte- 
rieure, S. M. sembla partager mon opinion. 
C'est pour cela, ajouta le monarque, qu'il est 
necessaire de prevenir les crimes autant que 
possible, en faisant penetrer dans le peuple une 






VOYAGE EN SUEDE. 20! 

instruction bien dirigee, et surlout en lui in- 
spiranl des sentiments religieux et en l'exercant 
a la pratique des vertus. II me demanda ensuite 
quel elait le traitement des condamnes dans les 
maisons de detention du nord de l'AHemaane, 
les causes et les resultats de plusieurs evene- 
ments, etc. Tl eut meme 1'attenlion delicate de 
s'informer de ma situation parliculiere; il me 
questionna sur mes services, sur mes voyages 
el sur les observations que j'avais ete a meme 
de recueillir. A ce sujet, je ne pus m'empecher 
d'avouer an roi qu'un de mes vceux les plus ar- 
dents elait de voir Pile d'Islande, qui me parais- 
sait digne du plus grand inleret, et que j'en 
avais ete empeche, soil par des circonstances 
independantes de ma volonte, soit par la place 
que j'occupais. Le roi alors eut l'obligeance de 
me donner une foule de details curieux sur le 
climal de cette ile et les moeurs de ses habitants. 
Nous nous entretinmes des derniers moments 
du due Chai les-Guillaume-Ferdinand de Braun- 
schweig et de sa noble scaur , la princesse Augus- 
tine-Dorothee, abbesse de Gandersheim. Je par- 
lai de la reconnaissance avec laquelle les Braun- 
schweigeois se rappellent la protection hospita- 
lise que les viclimes de la campagne de 180G 



-r 



ii II 



202 VOYAGE EN SUEDE, 

trouverent dans les Etats danois. J'appris au 
roi que j'etais present a la mort du due , a Ot- 
tensen; je n'oubliai pas de faire mention de 
la cordialite avec laquelle son epouse inconso- 
lable fut recue par la sceur du roi , la duchesse 
de Holslein-Augustenbourg , et je terminal en 
depeignant l'estime et les soins donl elle elait 
entouree par le roi et la reine de Westphalie, 
lorsqu'elle mourut a Gandersheim, en 1810. 
Ces souvenirs produisaient une emotion visible 
sur les augustes traits du monarque. 

Le roi a un exterieur qui impose le respect. 
Si on ne le connaissait pas , on le prendrait , 
avec ses fortes moustaches blanches, pour un 
general de cavalerie qui a fait de nombreuses 
campagnes. 11 me parut doue d'une vigoureuse 
constitution. 

Ce bon prince, dont le regne a ete traverse 
par lant de malheurs vivra de longs jours, je 
l'espere. Les efforts qu'il a fails pour rendreson 
peuple heureux lui amasseront un tresor de 
reconnaissance qui le dedommagera des vicis- 
situdes auxquelles il a ete en butte 1 . 

. Ces vcbux n'ont pas ele exauces. Ce roi, si mallraite par 
1, fortune, n'avait plus que Irois mois a vivre. Apres avo.r 
rempli les devoirs de sa position jusqu'au dern.er moment , 
il expira le 3 decembrcl839 a huitbeures et dcm.e. Lepr.nce 



ib. 



VOYAGE EN SUEDE. 203 

Quelques jours apres celte audience, j'eus 
l'honneur d'etre admis aupres de l'heritier de 
la couronne, le prince Christian -Frdderic de 
Dannemark, dans son palais d'Amalienbourg. II 
partage son temps entre les affaires publiques 
et les sciences, a letude desquelles il s'est voue 
avec ardeur. Protecteur eclaire des arts , il m'en- 
tretint surtout de leur etat actuel en Italic II 
avaitaussi foule avec son epouse, quelques an- 
nees auparavant, cette heureuse terre, el en 
avait rapporte plusieurs morceaux de l'art an- 
cien et moderne, notamment des vases etrus- 
ques. Ses appartementselaient ornes de tableaux 
des anciens maitres italiens et danois. S. A. m'en 
fit remarquer plusieurs et m'invita avec bonte 
a visiter ses autres collections , confiees aux soins 
de M. Thomsen. En effet, ce plaisir me fut pro- 
cure, le lendemain, par ce connaisseur pas- 
sionne des arts. Ce riche tresor de toiles et 
d'antiquites , parmi lesquelles je distinguai sur- 



Christian-Frederic a herite son trone sous le nam de Chri- 
stian VIII. 

Au moment oil nous ecrivons ces lignes , le nouveau mo- 
narqne est couronne. L'avenir devoilera les difQcultes qu'il 
aura a vaincre et prouvera que remplacer un roi tel que 
Frederic VI n'cst pas une tache facile, quoique son regno 
ait etc un des plus desastreur que le Dannemark puisse citer. 



/' 






( 



, i04 VOYAGE EN SUEDE, 

tout les vases etrusques, parfaitement conserves, 
ainsi que la galerie mineralogique , ou les echan- 
tillons des contrecs boreales occupent le premier 
rang, prouveat l'interet puissant que cet objet 
inspire au prince et les lumieres que S. A. pos- 
sede sur les sciences de l'antiquite, les arts et 
certaines parties de I'histoire nalurelle. 

Le prince nVinvila, pour le dimanche smvant, 
a son chateau de Sorgenfrei , situe a quatre l.eues 
nord-ouest de Copenhague, sur le chem.n de 
Fredrichsborg. Conformementasesordres , je m y 
rendis de bonne beure, et j'eus l'honneur de 
Taccompagner a sa promenade dans les belles 
allees du pare. L'oeil etait encbante par des vues 
variees, toutes plus ravissantes les unes que les 
autres. Je ne crois pas qu'il y ait en Angleterre 
ni en Allemagne , un pare comme celui-ci , ou le 
pittoresque emprunle un nouveau charme a l'eau 

qui y abonde. 

Avant le diner, auquel assislait une sodete 
aussi nombrense que brillante, je fus presente 
a Pepouse du prince, de la maison de Holstein- 
Sonderburg-Augustenbourg, el par consequent 
niece du roi. Elle me rappela ses annees d'enfance 
a Augustenbourg 1 . C'etaitalors une pet.te crea- 

i Voyez Darstellmgen aus meinem Lehen , t. 1 , p. 262. 



I 

V 



VOYAGE EN SUEDE. 205 

ture tie dix ans, belle comme un ange. Trente- 
Irois annees se sont ecoulees depuis cette epo- 
que; mais Ie temps a tellement epargne la prin- 
cesse, quelle parait encore dans la fleur de la 
jeunesse. Ce relour sur Ie passe nous reporla aux 
cruels evenemenls qui, peu de temps apres la 
bataillede Iena , en 1806, forcerent la duchesse 
douairiere de Braunschweig et la princesse Au- 
gustine a chercher un refuge a Augustenbourg, 
dans 1'ile d'Alsen. Je fus aussi presente a la prin- 
cesse royale Caroline et a la princesse Julienne- 
Sophie, dont je fus accueilli avec l'affabilile qui 
caracterise la cour de Dannemark. 

Cette journee, qui fait epoque dans ma vie, 
se termina par un concert ; mais comme je 
trouve plus de volupte a m'abandonner a mes 
reflexions, dans la solitude de la nuit, je me 
retirai, quand elle fut venue, en remercianl 
M. Adler, secretaire du cabinet du prince, qui 
avait fait toutes les demarches; et l'imaginalion 
remplie de tout ce que j'avais vu, je rentrai de 
bonne heure a I'Hotel-Royal. 



L'universite de Copenhague est une des plus 
anciennes de l'Europe, car elle fut creee en 1479 



y 



! I 



. 20C VOYAGE EN SUEDE, 

par Christian l cr . Elle a plus de ressources qu'au- 
cune universite d'Alleuiagne. Cest deja une par- 
ticular^ assez remarquable qu'elle fournit gra- 
luitement le logement a ceat trenle-deux etu- 
diants. Suivant le programme des cours pour le 
semeslre d'ete de 1839, la Faculte de theolog.e 
a cinq professeurs qui enseignent publiquement, 
etunen particulier. Cellede droit en a qualre; 
dans celle de medecine, cinq professeurs font 
des cours publics et deux donnent des repe- 
titions particulieres. Vingt et un professeurs 
occupent la chaire publique de la Faculte de 
philosophic, qui en a un, en outre, pour 1'en- 
seignement prive. Chacun d'eux , dans sa specia- 
lite possede des connaissances profondes , quot- 
qu'ils ne jouissenl pas d'une grande renommee 
a I'etranger. II en faut excepler, cependant, Jean- 
Christian Oerstedt, qui est aussi estime par 
l'Europe savante, comme physicieu, queBerze- 
hus comme chimiste. Tons deux brillent comme 
deux etoiles de premiere grandeur dans le ciel 
scientifique du nord. A mon grand deplais.r, 
je n'ai pu faire la connaissance de M. Oerstedt; 
nous avons echange des visites sans nous rencon- 
trer. II y a certainement aussi dans la Faculte de 
droit des hommes eminentsquil'honorent. Mais 






f: 



V 



VOYAGE EN SUEDE. 207 

j'ai remarque dans le programme des cours dont 
je viens de faire mention , des lacunes qu'il fau- 
drait remplir pour completer l'enseignement 
de celle science. M. Bornemann devait donner 
ses cours e vatvis publicis , ce qui etait d'un 
mauvais augure. M. Colderup-Rosenwinge de- 
vait professer IeDroit public, la derniere partie 
du Droit canon , et donner des repetitions sur 
I'Encyclopedie du droit. M. Larsen avait a diri- 
ger des exercices pratiques , a faire un cours sur 
la procedure extraordinaire en matiere civile, 
et enlin a proceder a un examen. M. Scheel etait 
charge du Code maritime et du Code penal. 

Comparez a ce programme celui d'une des 
universites de Goettingue, de Iena, de Heidel- 
berg , de Halle, de Leipzig ou de Berlin , et vous 
ne pourrez vous empecher d'avouer que les pro- 
fesseurs de Copenhague reservent sans doute une 
bonne partie de leur besogue pour leurs lecons 
particulieres. Pas le moindre mot sur le Droit 
rornain, si indispensable au jurisconsulle. Je 
voudrais bien savoir par ou un jeune eludianl 
a commence ses cours, au mois de mai 1839. 
Est-ce par un examen sur YEncyclopedia juris , 
qu'il n'a point encore vue, ou par \ejus f atrium, 
quod ad res perlinet, puisqu'il ne eonnail pas le 



I 



208 VOYAGE K\ si LDK. 

Di ;°, il P ^ ? ,( me se -b'e que Cost la un vice 

quiIseraitio.portautdefairedisparaUrede 
lenseignement. 

L'edifiee eonsaere a I'universite est dune 
"range original!,,;. On dit a Copenhague qu'il 
Wa r ,.„ l ara r chi t ec lur eeg }p , ie „ n , llp l,. l 
«vo,r beaueoup de rapport avec le caf , d 
eheunn de fer tres-frequente du nerd de I'Alle- 
magnee, elevedan, le sly | e b F a„ li „.a,.abe-,„. 
'lon.L,me,i euroneslbri „ aille[pai . | .. (cme|]i 
appropne a son „bje,. „ m<! xmbk ^ 

Smm d , ' a0m ' » ^hitee.ure que d'adopter 
"O nonvel ordre de endues. CeUe nouveau 
e l en„edabeedra, 1 ,q l , ila , rollvebieDMti 
onle ,« 6 „,t „. ne plu8 ' 

On ne p eu , Mrtir de |. archi W « . 

bea„e„np 4 ,e lr e l ,san s d„„,e;e,eepe„da nl a 

Q».nt a nn luosque de eafe, ,„„ t , ui csl *' 
Voulo.rfaireunseeondAU.anrb, ,, 4 ~J£ 

et::::: T de ° osjours ' <iu ' iunG ^ 

nous aonner de nouvelles JV/At. , 

u nes Mllle ct "ne nuits. 



,a u » vice 



VOYAGE EN SEEDE. 209 

A propos des morceaux d'archilecture origi- 
nale, qu'on me permette de dire quelques mots 
de laBourse, magnifique edifice, du pelit nombre 
de ceux du seizieme siecle qui existent encore 
a Copenhague. II fut construit en 1624, par 
Christian IV. II est figure dans les planches LIV 
et LV du premier volume du Vilruve danois. 
Lorsqu'aux seizieme et dix-septieme siecles , l'AI- 
lemagne et le Dannemark eurent connaissance 
des edifices qui s'elevaient en Italie, et parmi 
lesquels I'eglise Saint-Pierre occupe le premier 
rang, on crut devoir abandonner l'ancienne ar- 
chitecture allemande et adopter le genre grec. 
Mais comment le fit-on ! On conserva la forme 
golhique en general , a laquelle on accola des 
colonnes antiques, dans des proportions de mi- 
niature. Au lieu des ornemenls en fleurons, a 
la maniere allemande , on decoupa d'elegantes 
rosaces et des aiguilles elancees. C'esl ce style ba- 
tard du gothique moderne qui presida a la con- 
struction de I'eglise Notre-Dame, a WolfTenbulle], 
fondee par les dues Henri-Julius et Frederic- 
Ulrichau commencement du dix-septieme siecle. 
C'est le plus majestueux et le plus grand monu- 
ment que j'aie vu dans ce genre , qu'il est per- 
mis de qualifier de mauvais. Au dire des chro- 

14 






1 



I 






)1 



240 VOYAGE EN SUEDE, 

niqueurs, les soldats imperiaux qui occupaient 
la ville dans la guerre de trenle ans , furent saisis 
d'etonnement a la vue de cette construction qui 
n'etait pas encore achevee, et a laquelle la nou- 
veaute donnait un caractere de singularity plus 
frappant. Vue a certaine distance, tout, dans 
cette eglise, la faitparaitre gothique, jusqu'a la 
tour pointue , elevee il y a cent ans, en forme 
de KXvarrjQiov gigantesque et sans gout. D'im- 
mensesfenetresen plein cintre sontsurmontees 
d'especes de frontons saillants en triangles equi- 
laleraux. Le caractere gothique est encore em- 
preint sur les ornements delicats de ces saillies. 
Mais qu'on s'approche, et tous ces ornements 
se transforment rapidement a l'ceil en colonneltes 
doriennes, ioniennes et corinthiennes, qu'on a 
substitutes aux dentelures gothiques. C'est le 
cachet de la transition a l'architecture italienne 
moderne, comme celle-ci a servi de transition 
au retablissement du classique grec pur. En re- 
montant plus haut, on remarque quelque chose 
d'analogue. L'architecture byzanline donna nais- 
sance a l'ancienne architecture germanique , qui 
distingue surtout les edifices de Cologne. Ce 
genre, apres avoir regne plusieurs siecles, fit 
place au gothique, qui mil a profit, comme je 



VOYAGE EN SUEDE. 2H 

viens de le dire, les colonnes, jusqu'a l'appari- 
lion cl'iin nouveau mode, qui se forma peu a 
pen. et dont le type le plus elonnant est I'eglise 
calholique de Dresde. Enfin, Ton en revint au 
temps ou l'architecture produisit des chefs- 
d'ceuvre, qu'apres trente siecles, nous admi- 
rons encore dans le temple de Neptune , a Pes- 
tum. Les temps modernes en ont peu produit 
de semblables, quoique les moyens ne man- 
quassenl pas. 

La Bourse de Copenhague est a l'hotel-de- 
villede l'ancienneville (Allstadt) a Braunschweig, 
le plus important des edifices que l'Allemagne 
ait consacres a une destination non religieuse, 
ce que I'eglise de Notre-Dame, a Wolffenbullel, 
est a la cathedrale de Magdebourg. Suivant l'es- 
tampe du Vitruvc qui la represenle, la Bourse 
a cent quatre-vingts aunes danoises de longueur; 
letage superieur est perce de trente-neuf fenetres, 
le rez-de-chaussee a un nombre egal de fenetres 
ou de porles cinlrees, et neuf superbes arcs- 
boutants. Derriere celui du milieu, qui est le 
plus grand, s'eleve la tour, d'une construction 
on ne peut plus singuliere; car elle est formee 
de quatre queues d'une espece de crocodile cou- 
che sur le ventre et terminee par trois couronnes 






2j 2 VOYAGE EN SUEDE, 

royales qui surmontent le fut. L'ensemble du 
monument rappelle l'hdtel-de-ville de Leipzig. 
Mais la Bourse l'emporte sur celui-ci, surtout 
par ses deux facades , aux portes desquelles con- 
duisent deux escaliers grandioses. Cet edifice est 
comme l'ornement du chateau de Christiansborg 
et du canal dont les bateaux couvrent les eaux. 
Les vastes corridors de l'interieur sont remplis 
de boutiques, a l'instar des galeries de Braun- 
schweig, deCassel et de Francfort-sur-le-Mein. On 

est frappe de la variete des etalages de libraries, 
des ebenisteries, des magasins de nouveautes et 
de modes, etc. Cependant on eprouverait du 
desanchantement , si Ton s'attendait a y trouver 
l'elegance et la magnificence du Palais- Royal a 
Paris. Tout y a le caractere d'une petite ville. 
L'exterieur est d'un prosalsme glacial ; le local 
du rez-de-chaussee est envahi tout entier par 
des magasins de comestibles. Le quai qui lui fait 
face, couvert de vieilles marchandes de maree, 
eloigne peut-etre de cet endroit les femmes ele- 
gantes, qui preferent la rue Ostergade, enrichie 
de belles boutiques, au Marchd-aux-Poissons. 11 
me semble qu'on aurait pu employer d'une 
maniere plus digne cette partie de la Bourse. 



VOYAGE EN SUEDE. 2i5 

Les premiers fondements de Christiansborg 
furent poses par Christian VI en 1731. Des 1740, 
les travaux e'taient tellement avances, que ce 
chateau etait habitable. Les raretes precieuses 
qu'il renfermait en avaient fait une residence 
unique dans son genre en Europe. Apres avoir 
ele pendant cinquante-quatre ans l'ornement de 
la capitale, il futdetruit en quelques heures par 
un incendie, dans la nuit du 26 au 27 fevrier 
1794. De deux a quatre mille ouvriers y travail- 
lerent constammenl pendant dix ans. Le Vitruve 
de Tlmrach donne les dessins les plus detailles et 
les plus exacts de cet edifice dont plus de mille 
personnes occupaient les appartements. L'incen- 
die avait epargne une partie des mursexterieurs, 
construits dans des proportions colossales. L'in- 
lerieur a etc entitlement rebati sur les plans de 
M. Hansen , a qui Copenhague doit plusieurs 
edifices remarquables. La distribution en est 
mieux ordonnee qu'elle ne letait. La grande 
cour d'entree, enceinte d'ecuries, et qui sert de 
manege pendant l'ete, conduit a une cour prin- 
cipale, flauquee de deux autres moins grandes. 
Le corps de batiment le plus important a cent 
soixante pas de longueur; sa hauteur est de six 
elages, y compris le rez-de-chaussee. Les ailes 



244 VOYAGE EN SUEDE, 

ont deux etages de moins. La droite touche a 
plusieurs edifices publics et a la bibliotheque ; 
la gauche, a l'eglise du chateau, production de 
Hansen, et chef-d'oeuvre d'architeclure grecque. 
Des pilastres corinthiens sont appliques aux trois 
risalites du chateau. Le principal etage a ete 
complement reconstruitetenrichid'ornemenls 

dignes de la magnificence royale. Dans une des 
salles, la frise represente la marche triomphale 
d' Alexandre, commandee par Napoleon, et exe- 
cuted par Thorwaldsen. Mais tout cela est desert 
et silencieux •, les portes ne s'ouvrent que dans 
les grandes solennites. Je visitai toutes ces ma- 
gnificences en societe du prince russe Gousou- 
boff , un de nos compagnons de voyage de Go- 
thenbourg a Copenhague, et de deux Anglais, 
loges a mon hotel. L'un d'eux, doue" du plus 
beau physique , etait sourd-muet de naissance , 
et mettait dans la langue mimique, qu'il em- 
ployait avec son ami , l'expression la plus ener- 
gique. Ce qui me toucha le plus, ce fut l'amitie 
qui unissait ces deux jeunes hommes, qui pa- 
raissaient si bien se comprendre! Quelle triste 
solitude viendrait envelopper ce malheureux , si 
un accident venail a lui enlever son ami! Au 
nombre des nouvelles salles, est celledu tribu- 



VOYAGE EN SUEDE. 245 

nal supreme , ou le roi preside chaque ann^e a 
l'ouverture des sessions de la cour. Le president 
de ce tribunal, dont la juridiction s'etend sur 
tout le royaume, et meme jusque sur l'ile d'ls- 
lande et les colonies, porte le titre modeste de 
Justitiarius. 



Le dernier elage du chateau n'a que les murs ; 
nombre de chambres et de salles ne sont point 
encore peintes; il est yrai qu'on s'en apercoit a 
peine, les parois etant couvertes de tableaux. 
Celte galerie , suivant le catalogue , se compose 
de 1071 pieces. On y voit de precieuses toiles 
des ecoles flamande et allemande. Mais quelle 
difference avec les musees de Dresde, deMunich , 
de Vienne et de Florence. On ne peut s'empe- 
cher de rire en regardant Leda et son cygne, 
d'apres ce qu'on dit de Michel-Ange. Lorsque la 
belle Leda quilte la position inclinee quelle 
avait prise pour embrasser le tendre oiseau , on 
juge au premier coup d'ceil que la poitrine a 
une fois trop de largeur proportionnellement a 
la grandeur du corps. II est, en outre, tres- 
douleux que Michel-Ange ait laisse" aueune pein- 
ture a l'huile. L'avis de ce grand mailre etail 



2 ,, 6 VOYAGE EN SUEDE, 

qu'il fallait kisser ce genre aux femmes (opera 
di donna) , e't tout porte a croire qu'il ne s'appli- 
qua qu'a la fresque. Du moins l'ltalie n'a pas uq 
seul tableau a l'huile qui puisse lui etre incon- 
testablement attribue. On presume meme que 
les Parques de la galerie du palais Pitti a Flo- 
rence ne sont pas de lui. &u reste, si celle de 
Christiansborg a une foule de tableaux me- 
diocres ou apocryphes, il n'en manque pas de 
tres-estimables et dignes de figurer dans les col- 
lections dont nous venons de parler. 

II y a certains jours ou la galerie est ouverte 
au public, sans aucune formalite genante; le 
reste du temps , on peut y entrer avec des billets. 
Le musee des antiquites du nord est au rez- 
de-chaussee, dans la partie du nord-ouest, en 
face du manege : il occupe sept salles. M. Thorn- 
sen, qui en est le directeur, a place - les objets 
sous le jour le plus favorable. Une immense pe- 
riode y est representee, depuis l'epoque la plus 
reculee du paganisme dans le nord jusqu'a celle 
de la chevalerie chrelienne. On ne saurait ima- 
giner l'empressement deM. Thomsen a se mettre 
I la discretion de ceux qui visilent ces collec- 
tions, son desir de rendre durables les impres- 
sions qu'on a recues, son attention a faire re- 



VOYAGE EN SUEDE. 217 

marquer les progres qu'a faits la culture depuis 
Ies temps anciens, les modifications qu'ont su- 
bies les armes, faites d'abord de pierre , puis de 
bronze, enfin de fer. Cependant je conseille aux 
curieux qui visitent ce musee de lire d'abord un 
ouvrage sur des antiquites , imprime par les soins 
de la societe 1 , afin de preparer la memoire a re- 
tenir ce qu'on a vu. Les gravures sur bois de ce 
livre, qui representent cequ'il y a de plus remar- 
quable,sonlparliculierementpropresaconduire 
a ce but. J'insiste sur I'utilite de lire cet important 
ouvrage. II donne une idee exacte de la maniere 
de vivre de nos ancetres; car c'etaient les moeurs 
germaniques qui dominaient dans le nord. La 
description du musee des antiquites nalionales , 
etabli dans le chateau de Montbijou et place 
sous l'inspection du capitaine Leopold de Lede- 
bour, a le meme objet 2 ; il remplit le vide de 
celui de Copenhague , comme ce dernier comble 
les lacunes de celui de Berlin. Mais ou il y a le 
plus a gagner pour celui qui frequente I'es deux 
musees ou qui aime a s'enfoncer dans l'etude 
des antiquites, c'est dans VAbrege des antiquites 



'Copenhague, au secretariat de la societe; Hambourg , 
Perthes , Besser et Mauke , 1837. 

- Berlin, de I'imprimerie de I'academie royale des sciences. 






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218 VOYAGE EN SUEDE. 

germaniques , par M. Gustave Klemm ». Cepen- 
dant, ainsi que je L'ai deja fait observer, le 
musee de Copeahague embrasse des temps 
biea anterieurs a ceux ou les Germains furent 

connus. 

La bibliotheque royale occupe le second etage 
d'un edifice considerable attenant a l'aile gaucbe 
du chateau. Le public y est admis tous les jours. 
Le local est admirablement bien dispose. Tou- 
tefois elle ne produit pas I'impression qu'on 
eprouve en entrant dans 1'immense salle de la 
bibliotheque imperiale a Vienne. Si elle compte 
400,000 volumes, comme on le pretend, elle 
est une des plus completes qu'il y ait en Europe. 
On doit considerer comme partie tout a fait dis- 
tincte la bibliothhque du nord, comprenant toule 
la lilterature scandinave. Un des bibliothecaires 
mit la plus grande prevenance a nous faire re- 
marquer, au prince Gousouboff et a moi, tout 
ce qu'il y avait de curieux, notamment des ma- 
nuscrits chinois , et d'autres du moyen age, en- 
richis de miniatures vivement coloriees , comme 
on en voit assez souvent dans les bibliotheques 
publiques. Je ne crois pas que celle de Copen- 

i Dresde , librairie de Wallher, 1836. 






VOYAGE EN SUEDE. 219 

hague soit aussi riche, sous ce rapport, que la 
notre a Wolffenbullel, laquelle possede une 
foule d'anciens classiques manuscrits et d'editions 
princeps. Vingl mille francs sont annuellement 
affectes a la bibliotheque de Copenhague et em- 
ployes avec beaucoup dc discernement. 

La bibliolheque de 1'universite est placee au 
dernier etage , et pour ainsi dire sous les toils 
de l'eslise ronde ou de la trinite. Elle contient 
100,000 volumes. Je ne l'ai vue qu'en passant, 
ainsi que la bibliotheque de Classen, qui occupe 
un veritable palais, dans la rue d'Amelie [Ama- 
liegaden). Elle se compose principalement d'ou- 
vrages de mathemaliques, d'histoire naturelle , 
et en general de tout ce qui tient aux etudes po- 
lylechniques. 



Le chateau deRosenbourg 1 , conslruiten 1604, 
est situe intra muros, dans un jardin assez vasle. 
Son architecture, comme on peut le supposer 
par le temps ou il a ete edifie , est la meme que 
celle de beaucoup de chateaux qui sont encore 

1 Des dessins de ce chateau se trouvent dans le Vitruve da- 
nois , t. I , labl. 25 et suiv. — Curiosites du chateau, royal de 
Rosenbourg a Copenhague , par Fr. Stourenberg. Copenhague, 
1828. 



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y 



220 VOYAGE EN SUEDE, 

debout. Uq Anglais, Inigo Jones, doit en avoir 
dirige l'execution. Je conseille aux etrangers qui 
vont a Copenhague de ne point negliger de voir 
Rosenbourg ; il leur en coiltera trois thalers 
(6 francs) , que percoit le concierge. Outre les 
mille raretes precieuses que renferme ce chateau , 
et comme on en voit a Dresde , l'ameublement 
tout enlier est du seizieme siecle ; des ustensiles du 
seizieme et du dix-seplieme y ont die conserves; 
le visiteur, au milieu de tous ces lemoins du 
temps passe, se croit transport a l'epoque 
qu'ils represented. J'avoue que je ne puis me 
lasser d'admirer ces oeuvres de la patience inoule 
des dbenistes, des orfevres, des ciseleurs, dont 
l'habilete,legoutetsouventl'imaginationetaient 

bien au-dessus de l'elegance et de la sobre ma- 
gnificence qui caracteriseut notre epoque et ne 
me donnent que de l'ennui. Le genre absurde 
du siecle de Louis XV, lui-meme, n'a pas le 
fastidieux et le mesquin des ornemenls qui de- 
corent aujourd'bui nos palais , avec leurs listels 
dores et leurs tapis de damas de Lyon. Comment 
s'etonner alors du retour qu'on fait vers l'an- 
cienne mode. Le chateau de Rosenbourg a aussi 
une collection considerable de monnaies et de 
medailles, qui remplissenl trois salles. Ce ca- 



l ,' 



VOYAGE EN SUEDE. 224 

bioet est egalement coafie aux soins eclaires de 
M. Thoinsen. La premiere serie comprend les 
monnaies et medailles de la monarchie danoise. 
Certaines pieces, la pluparl tres-bien frappees, 
pesent jusqu'a 100 et 140 ducats. La seconde 
serie est composee de monnaies anciennes; c'est • 
la collection la plus considerable du nord; elle 
est assez complete et compte 20,000 pieces. Un 
livre imprime en donne la designation. Enfin , 
les monnaies suedoises y sont en grande quan- 
tity 

La salle des porcelainestemoigne du haul degre 
de perfection atteint par la fabrique de Copen- 
hague, dontje conseille aux amateurs de visiter 
l'entrepot. On y admire surtout un service pour 
cent personnes, sur lequel est peinte toute la 
flora danica, d'apres les dessins de 1'ouvrage 
qui porte ce tilre. 

Le local ou sont conserves les insignes de la 
royaute" est aussi a Rosenbourg; mais pour y en- 
trer il faut etre muni d'un permis signe du 
grand-marechal. La sont la couronne, le sceptre, 
l'epee et la sainte ampoule, ornes de pierres pre- 
cieuses. Parmi les tableaux de Rosenbourg , il en 
est un unique dans son genre , c'est le portrait 
d'un cure peint sur bois par le roi Frederic III. 






222 VOYAGE EN SUEDE. 

Sur le revers on lit « Frederic III a fait ce por- 
trait lorsqu'il etait archeveque de Breme; ce pas- 
teur a etc" pr<klicaleur a York. » Aujourd'hui 
les cures attendraient longlemps qu'un roi s'a- 
musat a les peindre. Je ne veux pas dire pour 
cela que nous marchions a reculons. 



! 



Thorwaldsen est ne a Copenhague, le 9 no- 
vembre 1770 1 . Son pere etait Islandais. Quelles 
revolutions dans les ages! Une ile, separee du 
resle de l'Europe el touchant au pole arctique , 
est la patrie d'un artiste que Rome met a la tete 
de son academie des beaux-arts! Qui eut pu pre- 
dire aux Grecs, il y a deux mille ans, qu'un 
temps viendrait ou un fils de Yultima Thute leur 
apprendrait a animer le marbre. La considera- 

i Si 1'on en croit la preface d'unouvrage intitule : OEuvres 
choisies de Thorwaldsen avec dessins au contour, accompa- 
gnees d'une courte notice sur la vie de Tauteur, Thorwaldsen 
nest pas ne a Copenhague , mais dans le trajet dlslande a 
celteyille. Suivant les tables genealogiques, Antiquitates Ame- 
ricana , sive scriptores sept'ntrionales rerum antecolombiana- 
rum in America ( Hafnise 1837 ) , Thorwaldsen est du nombre 
des hommes encore cxistanls , enNorwege, enlslandeet en 
Dannemark , qui descendent de ceux qui , les premiers , ont 
decouvert l'Amerique. 11 compte meme dans ses ancetres, 
Snorri Thorfinnson. 



VOYAGE EN SUEDE. 225 

tiondonlThorwaldseneslentoureenDannemark, 
et surtout a Copenhague, est immense. Aucun 
heros, rentrant couvert de lauriers dans sa pa- 
trie qu'il a sauvee, n'a ete recu avec plus de 
transports ! Je l'ai visite deux fois, et j'ai ete tou- 
che de l'accueil honorable qu'il me fit, autant 
que de l'amenite et de la franchise de son ca- 
raclere. Thorwaldsen eslun homme respectable ; 
l'amour et l'admiration que lui vouent ses eleves 
en sont une preuve. 

II habite le chateau de Charlottenbourg (sur 
la nouvelle place) , qu'on a consacre a l'academie 
des beaux-arts. Plusieurs de ses chefs-d'oeuvre, 
arrives d'ltalie, etaient deja places. J'ai vu entre 
autres un Mars colossal avec l'Amour, une ravis- 
sante Venus, tenant une pomme a la main, et 
une statue du roi de Baviere. On etait occupe a 
deballer d'autres morceaux amenes sur une cor- 
vette danoise et destines au musee qui doit por- 
ter le nom de l'artiste 1 . Je jouissais de la joie 
dont il etait transport^ en voyant ses oeuvres 
sorlir intactes de leur euveloppe. 



' Voyez La Vie et Us OEuvres de Thorwaldsen de Thiele , 
2 vol. Leipsig , 1832-1834, in-folio avec 180 gravures. OEuvres 
choisies de Thorwaldsen avec dessins au contour, accompa- 
gnees d'une courte notice de la vie de l'autcur. Stuttgart 1839 ; 
in-folio. 



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I 



224 VOYAGE EN SUEDE. 

Copenhague a de belles eglises, dont les tours 
dlevees donnent a la ville un aspect piltoresque. 
II ne faut pas chercher par mi elles des produc- 
tions remarquables de l'art gothique, comme a 
Braunschweig, a Magdebourg, a Halberstadt, 
& Verden ou a Cologne. L'incendie et d'autres 
accidents ont trop frequemment desole ces murs 
pour qu'il reste beaucoup d'^difices de celte 

epoque. 

L'eglise Notre-Dame (Frue-Kirke) , metropole 
du royaume , est la plus important. Elle fut de- 
truile en 1807, dans le bombardement de la 
ville par les \nglais. M. Hansen I'a faile cequ'elle 
est aujourd'hui; il a lire des murs tout le parti 
qu'il etait possible. Le portail est forme de co- 
lonnes doriennes, et le fronton, execute par 
Thonvaldsen, represent Jean-Baptiste prechant 
dans le desert. La forme du cadre a remplir exi- 
geaitque les proportionsdes personnagess'amoin- 
drissent graduellement du centre aux cotes. Cette 
necessite a inspire a l'artiste une disposition 
heureuse. Jean est au milieu sur un bloc de 
rocber : ceux qui l'ecoulent sont places plus bas, 
les uns assis , les autres a genoux ou couches. II 
est Tacheux qu'on ait employe de la brique cuite 
pour ce travail. Mais les tons sont tellement 



VOYAGE EN SUEDE. 225 

menages que les groupes ressortent admirable- 
mentsur le fond plus fonce. L'interieur, avecses 
haules voiiles, a quelque chose de rnajestueux. 
Les douze apolres de Thorwaldsen sont ranges 
sur deux lignes. Ces slalues colossales et d'un 
modele parfait rappellent celles des apotres dans 
l'eglise Sainl-Jean de Latran , qui sonl placees 
dans le meme ordre. Elles sout de marbre de 
Carrare, a l'exception de deux, qui sont en 
plalre. Sur I'autel, egalement en marbre, on 
voit le Sauveur, les bras etendus, et dont l'at- 
titude semble dire : Venez a moi , vous torn qui 
etes fatigues et charges, et je vous donnerai de la 
force. A.u milieu du chceur , un ange a genoux 
soutient les fonts de bapleme. Suivant Thaarup \ , 
-voici les statues et les bas-reliefs qu'on attend 
encore : Dans les entrecolonnements du porche 
principal on doit placer les quatre prophetes de 
l'Ancien Testament , qui annoncent l'arrivee du 
Messie. Un bas-relief qui tiendra toule la lon- 
gueur du soubassement , representee 1'entr^edu 
Sauveur a Jerusalem. Puis, dans la nef et tout 
pres de la porte, figureronl les heros de la re- 
forme, Luther et Melanchlon. A.u-dessus des 



1 Copenhaf/ue el tei environs, par Frederic Tha.irup, p. 24. 

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226 VOYAGE EN SUEDE, 

deux portes laterales du choeur des bas-reliefs 
rappelleront, Tun l'institution de la cene, l'aulre 
celle du bapteme. Enfin, un autre bas-relief, 
qui doit garnir tout l'hemicycle qui forme le 
fond de l'eglise et entoure l'autel , figurera la 
marche du Sauveur au Golgotha. Quand elle 
aura recu ces embellissements, cette eglise sera 
une des plus reraarquables du Nord. 

Non loin de Nolre-Dame est l'eglise allemande 
ou de Saint-Pierre, c&ebre par les grands pre- 
dicateurs allemands qui s'y sont fait entendre. 
Qui de nous, en effel, ne connait les noms des 
Resevitz, des Marazoll, desMunter? L'eglise al- 
lemande est la paroisse de tous les protestanls 
residants a Copenhague. 

L'eglise de la Trinite a une tour curieuse. Une 
rampe exlerieure conduit jusqu'a son sommet; 
la penle a &e tellement menagee, qu'on y peut 
monler a cheval. Pierre-le-Grand fit plusieurs 
fois ce voyage aerien. De la terrasse qui la do- 
mine la vue plane sur la ville , sur le Sund et 
sur les environs. Cette tour sert d'observatoire. 
Je ne puis me rendre complice des eloges 
que certains yoyageurs donnent a l'eglise du 
Sauveur (For F 'reisers Kirke) a Christianshafen. 
Elle fut construite de 1682 a 1694. Cette date 



VOYAGE EN SUEDE. 227 

seule suflit pour donner urie idee de son archi- 
tecture. Toutefois, telle qu'elle est, elle ne man- 
que pas de merite , et elle sera toujours regardee 
comme un beau morceau dans son genre. L'ai- 
guille, drigee ea 1749, est flanquee d'un esca- 
lier qui l'enveloppe dans toule sa hauteur. Une 
belle balustrade y a ete posee pour prevenir les 
accidents. De la base au somrnet la tour a 
288 pieds. Le celebre organiste l'abbe Vogler a 
declare que l'orgue de cette eglise elait le meil- 
leur qu'il eiit rencontre" dans ses voyages. 

Copenhague a neuf grandes eglises proles- 
tantes et sept pelites. Le peu de calholiques qui 
habitent la ville sont allemands, ils ont une 
chapelle sous la protection de 1'enipereur d'Au- 
triche. En Dannemark, en Norwege eten Suede 
les catholiques sont si peu nombreux, et places 
dans une position telle que les graves questions 
religieuses qui, dans d'autres pays , ont souvent 
divise les sujets et les gouvernements , ne peu- 
venttrouver dansceux-ci aucun aliment. Comme 
le peuple en Italie attache la meme idee au mot 
chretien et au mot calholique, il se persuade, 
dans le Nord, qu'un chretien et un lutherien 
sont une meme chose. C'est la , il faul I'avouer, 
une singuliere confusion ! 



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228 VOYAGE EN SUEDE. 

Copenhague a aussi son pare, delicieuse fo- 
ret qui s'etend pre? du chateau de Sorgenfrei , 
entre cette habitation royale et la mer. Je I'ai 
parcourueavecle baron de Langenau, que j'allai 
prendre a sa campagne situee dans les environs 
du chateau royal de Charlottenbourg. On y 
voit des troupeaux de daims,, de cerfs, de che- 
vreuils qui se pressent surtout dans les alen- 
tours de 1'ermitage, maison de chasse qui ap- 
partienl au roi , sans etre effrayes du bruit des 
voitures ni du mouvement des hommes. Les 
habitants de la capilale aiment a diriger leur 
promenade de ce cole, et principalement vers 
une auberge qui meritebien son nom deBelle- 
vue. C'est ici le Prater de Copenhague , et je le 
prefere a celui de Vienne. 

Les agrements des environs de Copenhague 
offrent a ses habitants de nombreuses occasions 
de parlies de plaisir. Du coteau ou est assis le 
chateau de Fredricsberg, quelle vue enchante- 
resse sur la ville et le Sund , sillonne de mille 
yaisseaux! quel charme le voisinage de la mer 
ne repand-il pas sur ces contrdes! Le pare , de- 
pendant du chateau, est dessine dans le gout 
italien moderne; il est vaste et a des sites ad- 
mirables. J'appellerais volonliers cet ensemble le 



VOYAGE EN SUEDE. 229 

Schoenbrunn de Copenhague, comme le pare 
en est le Prater. Quiconque n'a pas vu les capi- 
tales du Nord ne peut se figurer leurs beautes 
et celles des sites qui les entourent. Le mot 
nord a un ton si grave, le mot sud en a un si 
doux! 



L'hospitalite antique n'est pas moins prati- 
tiquee a Copenhague qu'a Stockholm , l'elran- 
ger n'y a pas moins a se louer des egards dont 
il est l'objet; j'ai eu le plaisir d'en faire moi- 
meme l'experience. Les deux minis ties d'Etat, 
le comte Otho Moltke et M. Krabbe-Carisius, 
l'amiral baron Holsten, lecelebre Thorwaldsen , 
le conseiller Adler 1 , M. Thomsen, et parmi les 
ministres etrangers, le baron de Nicolai, repre- 
sentant de la Russie en Dannemark, le baron 
Schoulz von Ascheraden , minislre de Prusse, 
deux noms chers a la litterature allemande 2 , le 



1 Secretaire intime du roi de Dannemark actuel. 

2 Le libraire Nicolai qui sa rendit celebre sous le regne do 
Frederic II elait grand-pere du baron Nicolai et I'auteur des 
Laudes Julii Ccesaris, oncle du baron Schullz von Aschera- 
den. L'auleur de ces Laudes et de plusieurs autres ouvrages 
etait minislre de Suede a la cour de Berlin et appartenait a 
la grande ecole de diplouiales de ce pays formee par Gus- 
tave III. 





230 VOYAGE EN SUEDE, 

comte Bismark , secretaire de legation de Prusse 
et plusieurs autres, m'ont tous accueilli comme 
un vieil ami. J'ai deja parle du baron de Lan- 
genau dont Ies prevenances m'ont rendu lc se- 
jour de Copenhague si agreable et si utile. J'au- 
rais pu le mellre mieux a profit si je me fusse 
rendu aux pressantes instances qu'on me faisait 
de descendre dans Pile de Seland , mais j'etais 
fatigue: e'en etait assez pour une annee, d'ail- 
leurs je desirais rentrer dans mes foyers. II me 
fallut done abandonner le projet que j'avais 
forme de visiter, en quittant Copenhague, 
Rothschild et Fredricsborg ', ainsi que Malmo, 
Landscrona et Lund 2 en Scanie. Mais j'avais as- 
sez vu pour salisfaire ma curiosite , et j'etais 
absorbe par une seule pensee, celle de retour- 
ner le plus tot possible a Wolffenbullel. Quoi- 
que les infirmiles ne soient pas venues avec 
Page, je ue veux pas trop compter sur ma sante, 
car les fatigues des voyages les plus agreables 
pourraient finir par y porter atleinte; je me 
decidai done a resler ici, et je me reservai de 
parcourir Seland, la Scanie et la Norwege la 

1 Chateau ou se fait le couronncmenl des rois de Dannc- 
inark. 

2 Seconde univeisile de Suede. 



VOYAGE EN SUEDE. 234 

premiere fois que je reprendrai le baton de pe- 
lerin. 



Qu'on me permette quelques reflexions avant 
de quitter le Nord. On reproche aux Suedois , 
et je crois que ce n'esl pas sans raison , d'avoir, 
avec uue foule d'excellentes qualiles qu'on ne 
saurail assez louer, trop de vanile. Mais cetle 
poiirstUte d'une mime ombre s selon l'expression 
dun celebre historien J , a chez eux , malgre son 
exageration, quelque chose qui plait. Qu'on me 
cite, poursuit Arndt, rien de semblable. La 
chambre dcs nobles a accapare et s'est appro- 
prie tout ceque lesmetaux, les astres, lesfleurs, 
les animaux ont de sonore, de brillant, de no- 
ble, lout ce qu'il y a de chevaleresque et de 
glorieux dans les choses humaines. Ainsi voila 
comme le laurier j est accommode: Couronne 
de laurier {Lagercrantz) , poutre de laurier 
[Lagerbjelke), montagne de laurier (Lagerberg), 
ep<Se de laurier (Lagersward) , elincelle de lau- 
rier ( Lagerstrale) , casque de laurier ( Lager- 
lijelm) , etc. Ces expressions metaphoriques sont 
des traductions de noms nobles suedois. C'esl 



1 Le professeur Arndt. 



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1 






232 VOYAGE EN SUEDE. 

une particularity on ne peut plus curieuse; 
mais la plupart de ces appellations ont sans 
doute pris leur origine dans un certain senti- 
ment du beau 1 , qui fait renoncer a un nom 
de famille peu agreable, donne" peut-elre par 
la malignitea eeux qui l'ont porte les premiers. 
Je suis loin pour cela de vouloir disculper les 
Suedois de rimputation de vanite, peut-elre 
ont-il plus d'ostentalion que les peuples du 
midi. J'ai ete souvent invite a diner dans les 
environs de Copenhague, hebien, les convives 
ne se contentaient pas d'y venir avec un simple 
ruban a la boutonniere, ils se cbargeaient d'c$- 
normes decorations. Les grandes croix brillaient 
en tel nombre sur les poitrines, que, contre 
l'habitude, on remarquait plutot ceuxqui n'en 
avaient pas. On ne voit jamais rien de pared 
dans les feles champelres, quelque brillantes 
qu'elles puissent etre, des environs de Paris, 
de Florence, de Milan, de Naples, de Dresde, 
de Weimar, de Yienne ou de Berlin. Derriere 
les vitres d'un magasin de nouveautes, a Co- 

i Lorsque Gustave IV Adolphe anoblit le major brann- 
.oliweigeoU Fleischer Cboucher) , il lui donna le nom de Nor- 
denfelt (rocher du nord). II faudrait certaineraent etre de- 
pourvu de delicatesse pour ne pas preferer le nom de Hocher 
du nord a celui de Boucher. 



I 



VOYAGE EN SUEDE. 235 

penhague, je vis a cote des portraits des sept 
professeurs de Goettingue une lithographic as- 
sez mediocre, representant un banquet ou les 
places d'honneur etaient occupees par les con- 
vives decores, ce qui prouve que dans la capi- 
tale meme le ridicule frappe cette maladie des 
distinctions. Sans doule on aimea recevoir des 
mains du prince la recompense de services ren- 
dus; mais faire sans cesse parade de ce signe, 
dire a tout propos a ceux qui nous entourenl: 
voyez comme j'ai bien merile! Voila un travers 
bien ridicule dans des personnages haut pla- 
ces , surtout quand la distinction n'est plus 
qu'une faveur , et n'est pas justifiee par un me- 
rile reel. 



I 



Quelque fort que soit le sentiment qui nous 
reporte au milieu des nolres, nous ne pouvons 
nous defendre d'un serrenient de coeur en quit- 
tant, pour jamais, les lieux ou nous laissons 
des amis. Lorsque les barons de Langenau et 
Schoulz von Ascheraden me firent une derniere 
visite pour me presser encore une fois la main , 
j eprouvai une telle Amotion, que je regrettai de 
quitter une ville ou j'avais re^-u tant de temoi- 




234 VOYAGE EN SUEDE, 

gaages d'affection. Mais tous mes preparatifs 
talent fails. Cetait le 9 septembre, a trots 
heures apres Midi, je me jetai dans un fiacre. 
Quelques instants suffirent pour m'expedier a la 
douane , et me rendre a bord du batiment a 
vapeur Frederic VI, qui devait me transporter 
a Travemunde. Le pont etait deja convert de 
passagers. An milien des emblements et des 
adieux, le canon tonna, notre maison flottante 
se mit en mou vement •, la ville s'effaca pen a pen 
de I'horizon , sur lequel se dressait encore , comme 
un mat, la tour de 1'eglLse du Sauveur, qui ne 
tarda pas a disparailre elle-meme. Le jour etait 
beau et la mer unie comme une glace. Un leger 
vent d'ouest favorisait la marcbe du batiment 
qui avancait comme par enchantement. La so- 
ciele etait nombreuse; en voyant les dames et 
les messieurs s'entretenir sur le pont, on eiit 
dit le salon d'un des bains les plus renommes. 
Nous passames l'apres-diner a faire conna.s- 
sauce; la unit tombait, comme nous arriv.ons 
a la hauteur de Vile romanlique de Moen' ; nous 
fumes done prives du ravissant coup d'o3d de 
ses roches calcaires. Le lendemain, de bonne 



i 



\\ 



1 



I 



i Me de laBaltique, appa 



i icnanl an Danncmaik. 



VOYAGE EN SUEDE. 235 

heure, nous etions sur le pont. Que le ciel eiait 
beau, a cetle heure ou l'aube annoncail le lever 
du soleilf L'astre, en sortant des flots, offre un 
spectacle encore plus solennel que Iorsqu'on le 
conterapledu sommet du Brocken 1 . Ses rayons 
empourprent 1'espace, el il semble faire couler, 
jusqu'a noire vaisseau un fleuve d'argent en fu- 
sion. Bienlot nous decouvrimes les cotes du Mec- 
klenbourg. La etait l'ancienne Germanie avec son 
sol plat et modesle, ne montrant pas aux yeux 
les tresors qu'elle renferme. Au bout d'une heure, 
nous decouvrimes le phare de Travemunde, et 
nous debarquames a neuf heures du matin. Une 
voiture nous attendait : en deux heures elle nous 
transporta a Lubeck, nous descendimes a l'holel 
Li ViUe-de-Hambourg; j'occupai la meme cham- 
bre ou j'avais joui, pendant de delicieuses soi- 
rees , de la societe des comtesses de Plater et de 
mademoiselle d'Eiichson. C'etait de ces fenetres 
qu'elles m'avaieDt envoye leurs derniers adieux, 
j'aime a croire qu'ils out conlribue a l'heureuse 
issue de mon voyage. Ce souvenir etait pour moi 
plein de charmes. 

Le sort favorable ne voulait pas me laisser 



La plus liaulo monlagne tic l.i cli.iine du Harzgcbirgc. 







I 



256 VOYAGE EN SUEDE, 

fmir, d'une maniere prosaique, mon voyage 
dans' la patrie des anciens Skaldes. Ea partaat 
de Travemunde , je m'&ais Irouvd a cote d'une 
belle jeune dame , dont les yeux p&Mants d'es- 
prit me disaient qu'elle etait poete, et dont la 
figure rayonnante annoncait le bonheur. En 
effet, elle etait fiancee. Elle m'apprit, car l'ex- 
pansion est le caraclere distinctif des ames pod- 
liques et aimantes, qu'elle etait de Stralsund , 
et qu'elle habitait Travemunde avec sa mere, 
qui venait de tomber malade; qu'elle avait des- 
sein de s'embarquer pour la Suede , ou elle de- 
vait se marier, et qu'elle allait a Lubeck , qu'elle 
ne connaissait pas, pour mettre ses passe-porls 
en regie. Les demarches de celte nature sont 
tres-desagreables pour une dame qui n'est pas 
connue. Lorsque je sus qu'Upsala etait sa desti- 
nation, je m'empressai de la conduire dans mon 
hotel et de lui donner des lettres de recomman- 
dation. J'ordonnai a mon domestique de la con- 
duire au consulat de Suede , et , quelques heures 
apres, tout etait arrange. J'ai recu, il y a peu 
de temps, une lettre flatteuse et plusieurs mor- 
ceaux de poesie tant d'elle que de son mari. 
Nul ne fait des voeux plus ardents que les miens 
pour leur bonheur. Je puis dire ici que ma com- 



VOYAGE EN SUEDE. 237 

pagne de voyage etail mademoiselle Clarisse- 
Louise Nerest , qui a epouse M. D. Miiller, direc- 
teur du jardin bolanique de l'universite d'Up- 
sala. 



A quatre heures , je pris des chevaux de poste , 
el a huit j etais a Ratzebourg, charmante petite 
ville, baliesurdes!agunes,commeVeniseetMexi- 
que. Elle n'a rien de remarquable quesa position. 
Le duche danois deLauenbourg, si pittoresques 
qu'en soient parfois les environs , ne presente ce- 
pendant que fort peu d'agrements. Le sol est sa- 
blonneux, ce qui ne l'empeche pas d'etre aussi fer- 
tile en blequeleMecklenbourg. Les montagnes 
sont boisees, mais les chemins sont abominables. 
Le jour suivant, je passai l'EIbe, et sur le soir, 
j'arrivai a l'antique ville de Lunebourg, ou je pris 
une modesle chambre a l'auberge YEsperance. 
On y remarquait une activite inaccoutumee, car 
dans quelques jours on devait y faire le second 
essai d'une foire qui y avait ete elablie. Nean- 
moins,lemouvementqui precede ordinairement 
ces sortes de reunions, n'etait pas tres-anime. 
Point de clameurs des marchands, point d'em- 
barras de voitures dans les rues, point de fan- 



I I 



258 VOYAGE EN SUEDE. 

fa, eS des trompettes des poste, Tout se passait 

aussi paisiblement qu'a uue petite fere de 

WoKfenbutlel. La je fis la conusance du ce- 

lebregeographeVolgeretdesonaimablefamdle. 

J'entendis par hasard un commentate sur le 
decretdeladietegermaniquedanslafameuse 

affaire de Haaovre. Lunebourg ne manque pas 
de choses remarquables , dignes de fixer 1 atten- 
tion de ceux , surtout , qui aiment le moyen age. 
Hie est, sans contredit , apres Braunsdnve.g ,1a 
premiere villedu pays des Welfe, J employa, 
encore un jour a traverser lesbruyeresde Lu- 
nebourg , et j Wai le soir a Braunscbwe.g , ma 
Ti ,lenatale,oujevisitailestombeauxdemes 

parents, dans 1'eglise Saint-Martin; .pre. quo, 
le chemin de fer me conduisit, en qumzc mi- 
nute* a Wolffenbuttel. Je fiu heureux dy re- 
trouver en bonne sante tons ceux qui m'appar- 
tiennent. J'avais fait plus de huit cents heues 
eu cinquante-deux jours six beures grace aux 

bateauxavapeur.Ilyasixans^lmauraafallu 
quatre mois pour faire le meme chemin. 






Ij 






APPENDICE 



- -*_iL<t* 



I] 



VOYAGE EN SUEDE. 



241 



Notice sur Charles -Jean, roi de Suede et de 
Norwege, pendant les annees 1813 eti 814. 

(AVANT pkopos.) 

Les quelques Iignes que nous allons donner 
sur la conduite politique et militaire du prince 
royal, actuellement roi de Suede el de Norwege, 
servent d'introduction a un ouvrage intitule : 
Recueil des ordres de mouvement , proclamations 
et bulletins de son allesse le prince royal de Suede , 
commandant en chef I'armee combinee du nord 
de I'Allemagne en 1813 el 1814. Stockholm, 
de l'imprimerie d'Eckslein, 1838; I vol., avec 
4 plans lithographies. 

Ce livre, que sache l'auteur, est peu repandu 
dans la Iibrairie : en Allemagne merae, il est 
fort rare. Cette circonstance et son caractere 
semi-ofilciel m'ont determine a en enrichir mon 
ouvrage. Ce simple et beau resume servira, s'il 
en est besoin, a rappeler aux cceurs allemands 
pour quelle part le prince royal a contribue a 
delivrer leur patrie du joug de I'empereur Na- 
poleon. 

lb 






242 VOYAGE EN SUEDE. 

L'opinion du traducleur est que eel ouvrage 
esl egalement tres-peu connu en France. Ne 
l'ayant pas sous la main, il a mieux aime tra- 
duire ce resume, fait en allemand par M. de 
Slrombeck , que de l'omeltre, persuade qu'il 
est, que les Francais trouveront autant d'uli- 
lile que d'agrement dans sa lecture. 






I 



Ce fut en vertudu droit sacre d'eleclion , base 
indispensable de loule legitimit^, que les voeux 
librement expritnes du peuple suedois,-appe- 
lerent le prince de Ponte-Corvo au trone qu'il 
occupe aujourd'hui. A parlir de cetle epoque 
la regie de sa conduite comme le but de ses ef- 
forts devaient etre I'interet de la Suede et non 
celui de la France, dont il avait cesse d'etre ci- 
toyen. Son epee et ses talents etaient acquis de- 
sormais a la Suede; les liens memes qui nous 
unissent si fortement a la patrie, alors surtout 
qu'elle aete le berceau de notre gloire, tout de- 
vait etre saciifie au pays qui lui avait confie 
ses destinees. Cette obligation lui etait imposee 
par deux motifs egalement sacres: I'election et 
l'adoption; et il l'a remplie. La reconnaissance 



VOYAGE EN SUEDE. 243 

du peuple a devance l'arret que prononcera 
un jour I'histoire, juge severe des aclions des 
hommes. 



I 



A. 1'arrivee du priuce royal dans sa nouvelle 
patrie, l'horizon politique de I'Europe etait gros 
d'orages. Napoleon se preparait a sa campagne 
de Russie ; apres avoir commis la faute impar- 
donnable d'avoir invile cet empire a s'emparer 
de la Finlande , une de ses plus imporlantes con- 
quetes, il eut le tort, plus irreparable encore, 
d'oter a la Suede jusqu'a l'esperance de 1'aider 
a oblenir le seul dedommagement qui se presen- 
tait pour sa perte qu'elle venait d'essuyer, je 
veux dire la Norwege. Une erreur polilique a pu 
seule diviser la presqu'ile scandinave, dont les 
populations ont la meme origine, les memes 
mceurs , la meme religion et un langage presque 
idenlique. Quoique la position geographique de 
la Suede la deTendit contre une attaque directe 
de Napoleon, elle n'en avait pas moins tout a 
craindre, si le succes couronnait les plans du 
conqueranl; car n'ayant pas la ferlilite des pays 
meridionaux , son commerce lui est d'autant 
plus necessaire que, sans lui, elle est exposee a 









24 . 4 VOIAGB BN SUEDE. 

6tre privee de toules les necessites de la vie. 
Aussi la Suede refusa-t-elle de se soumellre au 
systeme continental et n'ecoutanl que les int<5- 
rels pressants de son commerce, ouvrit ses 
ports aux vaisseaux de toutes les uations. Cet 
acte d'independance de^lut a l'empereur, habi- 
tud a voir lous les peuples de 1'Europe plier la 
tele sous le joug de sa volonte , el qui croyait la 
Suede egalement disposed a recevoir des fers. II 
trouva celle terre presque inaccessible a l'atla- 
que et le gouvernement trop fort pour se lais- 
ser imposer. Napoleon fut reduit a faire inquie- 
ter le commerce maritime de la Suede par des 
corsaires qui parcoururent la Baltique , depuis le 
Sundjusqu'alVxtremitedesfrontieresdePrusse, 
el qui , soutenus par les bateaux d'une puissance 
voisine, violerent le pavilion de Suede et s'em- 
parerent de ses vaisseaux , qui ne furent jamais 

rest i lues. 

A lous ces actes bostiles, Napoleon ajouta 
l'occupation de la Pomeranie sue\loise , sans pou- 
voir donner aucun pretexte qui justifiat sa con- 
duite. Cecoup porteal'honneur de la Suede de- 
termina le prince royal a se declarer contre l'em- 
pereur et ne fut pas la moindre cause , dans le 
cours des evenements, de la chute du colosse. 






VOYAGE EN SUEDE. 245 

Le premier resultatdu parti pris par la Suede, 
fut la paix conclue , par sa mediation enlre PAn- 
gleterre el la Russie, et le traite signe par cette 
derniere et la Turquie, et qui fut si prejudi- 
ciable a l'empereur, dans les operations de sa 
campagne de 1812. 

Le second resultal fut Pentrevue du prince 
royal et de l'empereur Alexandre. Le premier 
prit envers celui-ci des engagements qui contri- 
buerent puissamment a faire echouer le projet 
de Napoleon de dicier les conditions de la paix 
sur les debris du Kreml. Ce fut ainsi que la 
Suede s'engagea dans le grand conflit qui allait 
decider du sort de l'Europe. 

Dans le meme temps, l'Aulriche et la Prusse 
adoptaient un systeme oppose. El les s'efforcerent 
en vain de decider la Suede a reunir ses troupes 
aux leurs, qui combaltaient alorssous lesaigles 
franchises et affermissaient ainsi le joug qui pe- 
sait sur l'Europe. La Suede avait done rendu 
deja de grands services a Pindependance natio- 
nale, tant par l'influence politique quelle exer- 
cait, que par les mouvements militaires qu'elle 
execulait aux bords de la Ballique, et qui affai- 
blissaient la force de Pennemi sur le champ de 
balaille, en le forcant d'avoir toujours un corps 
de reserve sur ses derrieres. 



246 VOYAGE EN SEEDE. 

Ce ne fut pas tout. D'apres le conseil du prince 
royal, un corps de vingt-cinq mille Russes, que 
l'empereur Alexandre avait place sous ses ordres 
immSdiats, pour agir contre le Dannemark, 
fut transports de Finlande en Livonie, ou il 
secourut Riga et concourut efficacement a Tissue 
des, evenements de 1813 1 . 

L'assistance de la Suede devint plus serieuse 
et plus eclatante des que son armee parut en 
Allemagne (1813) pour defendre, de concert 
avec les Allemands , leur liberte politique , sur 
ce sol ou jadis les drapeaux du grand Gustave 
avaient flotte pour la liberte religieuse. L'ennemi 
qu'on avait a combattre etait encore tres-puis- 
sant, malgre sespertes. Napoleon , maitre absolu 
de l'empire francais et de ses immenses res- 
sources, appuye sur de puissanles alliances, en- 
toure de l'eclat de cent victoires, dont ses der- 
niers revers n'avaient point delruit le prestige, 
Napoleon paraissait encore si redoutable aux 



« 




1 Quoi qu'il en soil, c'elait avec le plus grand regret que le 
prince se vovait contraint de combattre Napoleon. II esperait 
le decider a accepter des conditions de pais bonorables. II 
sen etait positivement explique dans les lettres qu'il lui ecri- 
vait , et ne meltait pour condition a sa neutralite, que la res- 
titution de la Pomeranie et la promesse de ne pas altaquer la 
Russie. Ses efforts ecbouerent; le mauvais genie de Napoleon 
1'entratnait dans I'abime. 



VOYAGE EN SUEDE. 247 

puissances du premier ordre, qu'elles n'avaient 
ose se declarer contre lui avant que la Suede 
leur eut donne 1'exemple. Ce ne fut qu'apres les 
negocialions de Trachenberg , que I'Autriche , 
sachant positivement a quoi s'en tenir au sujet 
de la politique de la Suede , rompit avec la 
France, lourna ses armes contre elle et concenlra 
son armee dans les montagnes de la Boheme. 

Ce fut egalement a Trachenberg, qu'on arreta 
le plan de campagne auquel l'Allemagne dut sa 
delivrance, et qui avait ele conou par le prince 
royal de Suede. C'etait un litre deplusa la recon- 
naissance que lui devait deja la Suede, a qui le 
succes de celle memorable guerre assurait sa 
reunion avec la Norwege. 

Le seul-nioyen d'atteindre ce but important, 
etait de faire la guerre a Napoleon et a son allie , 
leDannemark, qui, malgre les offres d'iudem- 
nites , ne youlut jamais consenlir a ceder la 
Norwege el a sortir de la ligne qu'il s etait tra- 
cee. On ne pouvait done se laisser en trainer 
dans la conflagration generale, par de plus puis- 
sants motifs que ceux de la necessite de repous- 
ser une agression, tie relablir 1'unite de la pres- 
qu'ile scandinave el de rendre a l'Europe son 
independance. 



(I 



248 VOYAGE EN SUEDE. 

La Suede, par le traite qu'elle avait conclu 
avec l'Angleterre et la Russie, s'etait obligee a 
mettre en canapagae une armee de trente mille 
hommes; en retour les puissances signalaires lui 
garantissaient la possession de la Norwege. 

Le prince royal prit le cominandement de 
celte armee, qui, portee a cent mille hommes 
par l'adjonction de corps russes et prussiens, 
elait deslinee a operer contre les armees de Na- 
poleon dans le nord de 1'Allemagne et a repousser 
l'ennemi au dela du Rhin. 

On n'avail pas alors le dessein de porter plus 
loin la guerre. En outre, la Suede avait inleret 
a ce que la France gardal ses anciennes limites 
et qu'elle restat intacte et puissante; mais a con- 
dition de netre plus le fleau de l'Eucope, pour 
satisfaire a l'insatiable ambition de son chef. 

Telles furent les bases de la politique suivie 
par la Suede a cetle epoque. Fidele a ses enga- 
gements, elle fil debarquer son armee en Pome- 
ranie , el le prince royal en prit le commande- 
ment. limit pied a terre a Rugen, le 16 mai 1813. 
Sa position elait critique. Je vais essayer de la 
peindre. L'armee suedoise n 'avait qu'une place 
pour point d'appui, c'elait Stralsund, qui avait 
ete completemenl demantelee par l'ennemi et 



VOYAGE EN SUEDE. 249 

se trouvait , par consequent, incapable de resis- 
tance. Ainsi , en cas de desaslre , 1'armee suedoise 
etait exposee a el re refoulee dans la mer. Elle 
avait sur sa droite deux forleresses ennemies de 
premier ordre (Hambourg et Magdebourg) d'ou 
l'ennemi pouvait vomir sur elle des masses de 
troupes , et couper sa ligne d'operations si elle 
avancait. Custrin et Stettin, sur l'Oder, presen- 
taient les memes obstacles a gauche. Plus loin , 
l'ennemi occupait egalement les places de la Vis- 
tule, de sorle que les operations, de ce cote, 
etaient difficiles, pour ne pas dire eomplete- 
ment paralysers. Le front de 1'armee suedoise , 
au centre de l'Allemagne , etait en face de forces 
ennemies redoulables, qui avaient debute par 
deux victoires , a Lutzen et a Bautzen , et avaient 
repousse leurs adversaires jusqu'en Silesie. Na- 
poleon, appuye sur les places du Haut-Elbe, 
Koenigslein, Dresde, Torgau et Wittenberg, se 
deployait en conservant une ligne d'operations 
qui protegeait ses ressources, tandis que les al- 
lies ne pouvaient recevoir d'approvisionnements 
que de l'inlerieur de la Russie , les pays qui de- 
vaienl nalurellement leur en fournir, ayant. ele 
devastes par la guerre. 

Ainsi, le prince royal etait, pour ainsi dire, 



II 



250 VOYAGE EN SUEDE, 

enferme entre les forteresses de l'Elbe et de l'O- 
der, lamer et l'armee de Napoleon. Les difficul- 
tes de sa position s'accrurent par les menaces du 
Dannemark , qui faisaitdes preparatifs pour tom- 
ber sur lui , apres avoir combine ses forces avec 
celles de Davoust. En meme temps l'armee nor- 
wegienne menacait les provinces suedoiseslimi- 
trophes. Ce fut sous ces auspices defavorables que 
le prince royal ouvritsa campagnede 1813. L'ar- 
rivee des corps russe et prussien fut retardeejus- 
qu'a la fin de juillet, lorsque 1'armistice, conclu 
a Graebersdorf , leur permit de se reunir a l'ar- 
mee suedoise. Ce renfort rendit formidable Par- 
nate du prince royal. L'ennemi , de son cote, avait 
accumule le plus de troupes possibles. Les forces 
elaient presque egales de part et d'autre; mais 
les dangers qui environnaient le prince royal 
etaient toujours les memes. 

Un capitaine celebre, Moreau , le senlait si 
bien qu'il crut devoir employer toute son elo- 
quence pour faire abandonner au prince l'exe- 
cution du plan concu a Trachenberg ; il regar- 
dait l'armee du nord comme trop avancee et 
croyait qu'il etait impossible au prince de sau- 
ver Berlin, qui se trouvait dans les rayons de 
l'ennemi. Les generaux prussiens chercherent a 



VOYAGE EN SUEDE. 251 

faire prevaloir cette opinion. lis comparaient 
Berlin a une prostituee qui ne meYitait pas les 
sacrifices qu'on voulait faire pour la sauver une 
seconde fois et voulaient qu'on l'abandonnat. 

Cependant cette ville, dont on avait l'air de 
faire si peu de cas, n'etait ni plus ni moins que 
l'entrepot principal des ressources materielles de 
la Prusse, le point ou etaient rives tous les res- 
sorts de l'enthousiasme prussien , le cratere dont 
1'eruption devait repandre 1'esprit electrique ne- 
cessaire a la defense du royaume. Le prince royal 
avait le coup d'ceil trop percent pour ne pas 
apercevoir la necessity urgente de secourir cette 
capitale. Aussi ne balanca-t-il pas, malgre les 
perils qui le nienacaient deja , a gagner du terrain 
et a enlever a rennemi l'initiative de l'atlaque 
et les avantages qui eu sont toujours le resultat. 
Le succes justifia son audace. Les victoires de 
Gross-Beeren et de Dennewilz sauverent Berlin 
et determinerent la Baviere, que la defaite de 
l'arraee de Boheme sous les murs de Dresde 
avait toujours lenue dans l'indecision , a faire 
cause commune avec les allies, ce qui permit 
au prince royal de penetrer jusqu'au cocur de 
l'Allemagne. Les armees des allies purent operer 
leur jonction; le joug des peuples d'Allemagne 



x i 



252 VOYAGE EN SUEDE, 

fut brise dans les champs de Leipsig, el Napo- 
leon futcontraintdequilter uneterrequi n'avait 
que trop longtemps gemi sous son oppression. 



II- 



Conversation entre S. A. le prince royal de 
Suede, Charles- Jean et le ainfral Moreau, 
a Stralsund, en 1813. 

Dans sa derniere entrevue avec le general 
Moreau, a Stralsund, le prince royal de Suede 
lui confia ses plans pour la campagne qui allait 
s'ouvrir, sans lui deguiser les considerations po- 
litiques qui I'engageaient a suivre une ligne d'o- 
perations si perilleuse. 

Moreau, qui en entrevit de suite les diffi- 
cultes, se donna la plus grande peine pour de- 
tourner le prince de cetle resolution. 11 lui de- 
montra 1'imprudence qu'il y aurait a pousser 
jusqu'a la hauteur de Berlin, entre la Baltique, 
l'Elbe et l'Oder , sur lesquels 1'ennemi occupait 
les places de Hambourg , de Magdebourg , de 
Wittenberg, deTorgau, deCustrin etde Stettin. 

« Vous vous jetez dans un veritable coupe- 
gorge, lui disait-il, pour secourir une viile trop 



VOYAGE EN SUEDE. 255 

voisine des forces principales de l'ennemi. Vous 
exposez volontairement voire armee , sur laquelle 
il serait facile a Napoleon de tomber comme la 
foudre, ainsi que sur toute autre qui pourrait 
s'avancer pour entamer le cercle dont il occupe 
•le centre et les rayons. » 

Le prince royal repondit : « Oui , j'ai un mau- 
vais pas a franchir, je le sais. Mais qui s'y hasar- 
dera si je ne le fais pas. Cette position , je me la 
suis faite a Trachenberg. Je veux etre franc avec 
vous, mon cher general ; l'amitie que vous me 
portez m'est un sur garant que vous n'abuse- 
rez pas de ma confiance. Ce plan , dont le peril 
est si evident, et qui deplait tant a voire genie 
strategique, est pour moi et pour la Suede une 
lactique aussi politique que militaire. 

« Je dois agir sur les esprits du nord de 1'AlIe- 
magne, dont je suis en ce moment le seul ar- 
bitre. J'electrise le Mecklenbourg, la Prusse et 
la population des villes anseatiques ; mais je me 
mets en mesure contre le resultat ordinaire des 
coalitions. Supposons que de grands revers nous 
atlendent, vous entendrez bientot retenlir le 
sauve qui peut ; les traites de paix parliculiers se 
signent a la hale, les alliances tombent en dis- 
solution , et les allies sont sacrifife. Reste alors la 



•254 VOYAGE EN SUEDE, 

la ressource des armes. Avec moins de dix-huit 
mille hommes , le comte Walmoden tieat en ha- 
leine I'armee du marechal Davoust et celle du 
Danaemark , qui s'appuie sur Hambourg et Lu- 
beck et menace loujours ma gauche. Je suis en 
etat d'ecraser les masses qui sortent de Magde- * 
bourg, de Wittenberg et de Torgau pour se por- 
ter sur Berlin. Mes flancs et mon front sont Clai- 
res par une nombreuse cavalerie legere. J'aurai 
toujours a ma disposition soixante mille hommes 
pour fondre sur les premieres letes de colonnes 
qui sortiront des places fortes de l'Elbe. Mais si 
Napoleon concentrait ses operations sur la rive 
gauche de ce fleuve et se dirigeait sur la Boheme 
par le Palalinat , je comprends alors qu'il fau- 
drait se borner a bloquer Magdebourg, Witten- 
berg, Torgau, Stettin et Cuslrin, parce qu'il y 
aurait toujours sur ma droite une forte armee 
a laquelle je ne pourrais opposer que ces dix- 
huit mille hommes dont j'ai parle, et qui, a 
1'exception de trois mille Suedois, ne sont que 
des conscrits. Les victoires remport&s a Lutzen 
et a Bautzen par Napoleon lui porleront mal- 
heur. H compte sur la defection de mon armee , 
sur une insurrection en Pologne et sur la tiedeur 
des Autrichiens. Cert une indication pouv mon 



VOYAGE EN SUEDE. 255 

plan de campagne; puis Napoleon va fatiguer 
ses soldals par des marches inutiles. Je compte 
autant sur cela et meme plus que sur 1'ensemble 
de mes operations. 

— II ne m'appartient pas de disculer ces mo- 
tifs; votre position peut etre commandee par les 
raisons de la politique; mais trouvera-t-elleega- 
lemenl a se justifier aux yeux de la science stra- 
tegique? C'est une autre question. 

— C'est possible, general. Comme prince de 
Suede, je tiens a garder la ligne de Stralsund ; 
car, vainqueur ou vaincu , elle me menage la 
marche sur le Dannemark; c'est de ce cote qu'il 
faut saisir la Norwege; ou , en desespoir de cause , 
je me jette dans les bras de moo dernier allie , 
l'Angleterre. Je n'ai pas envie de terminer ma 
carriere dans les marais de la Pologne ou a 
Bender, comme Charles XII ; car, je ne vous le 
cache pas, si je perdais mon armee et que je ne 
pusse operer ma retraite sur la Suede , e'en serait 
fait de l'avenir de ce pays. 

— Je suis trop peu au fait des ressorts secrets 
qui font agir les cabinets pour juger ces ques- 
tions dedicates. 

— Mais j'ai a cet egard une triste experience. 
C'est elle qui me donne le courage de vous de- 



256 VOYAGE EiN SUEDE, 

velopper mes plans et de vous devoiler mes pen- 
sees. Voyez la situation des affaires, et vous re- 
connailrez I'influence qu'elle doit avoir sur ma 
conduite. Napoleon , qui a tanl de fois risque le 
tout pour le tout au jeu des batailles, pouvait 
tenter un coup desespere a Iena , parce qu'il 
connaissait la tactique prussienne de celte epo- 
que , que ses derrieres etaient proteges par des 
forces imposantes, que ses marechaux etaient 
aguerris, et qu'il commandait a un puissant em- 
pire. Dans les circonstances ou je me trouve, il 
ne m'est pas permis de hasarder mon armee 
contre un si grand capitaine, aide degeneraux 
experimentes. Si je n'etais que general des ar- 
mees alliees je n'hesiterais pas a me ranger a 
votre avis , mais je suis prince de Suede , et 
cette qualite m'impose des devoirs a remplir 
envers le peuple suedois. Mes yeux sont fixes 
sur le rude climat du Nord , sur les lacs et les 
montagnes de la Suede, tandis que les votres 
se tournent du cote des rives de la Seine. 

Ces paroles , prononcees d'un ton affectueux , 
mirent fin a la discussion. Moreau garda le si- 
lence, mais un geste qu'il laissa echapper trahit 
le doute qu'il conservait toujours sur le succes. 
Le coup d'oeil profond du prince qui semblait 



VOYAGE EN SUEDE. 257 

scruter sa pensee, lui arracha, pour ainsi dire, 
cette reponse : « Je vous dois la verile , j'ai la 
conviction que vous aurez le dessous. 

— J'aime a croire qu'il n'en sera pas ainsi , 
si je prends mes dispositions de maniere a evi- 
ter une lutte inegale. 

— Est-ce que vous en serez loujours le maitre? 
Quel prix attachez-vous done a Berlin? Com- 
ment voulez-vous defendre un% ville ouverte, 
qui n'est fortifiee ni par l'art ni par la nature. 

— Berlin est le coeur de la monarchie prus- 
sienne; cette ville procurera toujours a celui qui 
l'occupera une preponderance morale et poli- 
tique, enfin elle est le centre des ressources de 
PAllemagne. Ces considerations meritent d'etre 
pesees. 

— Mais cette capitale est , encore une fois , 
aux avant-postes de l'ennemi. II vous sera diffi- 
cile de la conserver , si Bonaparte tombe sur 
votre gauche, qui a des points d'appui si faibles. 

— Oui , il peut m'enlever Berlin , mais le 
succes lui coutera cher; je vais faire en sorte 
d'avoir constammentun jour de marche sur lui, 
et de ne pas me laisser atteindre , dusse-je me 
rejeter sur File de Dars, sur Stralsund , sur Bu- 
gen ou sur mes vaisseaux. Vous pouvez etre 



i 






258 VOYAGE EN SUEDE, 

tranquille sur ce point, jene m'exposerai pas 
aux coups de marteau que Napoleon a distri- 
bues jusqu'alors avec tant de bonheur. Je l'e- 
puiserai en manoeuvres, je conduirai la guerre 
methodiquement et avec les plus grandes pre- 
cautions; j'organiserai une insurrection armee 
sur le point qu'il occupe, elle se retirera lors- 
qu'il avancera pour Fattaquer, et reviendra sur 
sespaslorsqu'iWeloignera; elle se soutiendra 
par ses propres ressources, tandis qu'eloigne 
des siens, il consumera ses forces dans des com- 
bats partiels. Notre force numerique est la 
merne; il faut chercher a conserver ce qu'on a. 
Au surplus, voyez comme tout change: cet 
homme extraordinaire qui, au debut de sa car- 
rier etait I'idole des peoples, est devenu l'ob- 
jet de leur haine. On reste le plus fort lorsqu'on 
epargne ses soldats. Nous allons continuer la 
lutte , et Napoleon , quels que soient ses talents, 
8a puissance et sa gloire,doit finir par succom- 

ber. » 

Moreau, sans combattre ces raisons, ne les 
trouvait pas assez solides pour les approuver. 
II eut voulu que le prince royal se bornat a 
bloquer les forteresses de l'Elbe , en mettant des 
corps d'observation devant Magdebourg etTor- 



VOYAGE EN SUEDE. 259 

gau; il n'etait pas d'avis d'entreprendre rien de 
serieux de ce cole. Destind, comme il le parais- 
sait, a diriger toutes les operations de la grande 
armee deBoheme, il tenait a avoir dans sa main 
le fil de lous les evenements importaats. 

Le prince royal eiit desire pouvoir engager 
Moreau a demeurer aupres de lui : nous sommes 
tous deux Francais, lui dit-il , la France vous 
reclame et j'appartiens a la Suede. C'est a regret 
que je combats mes anciens freres d'armes et 
mes compatriotes. Mais l'honneur de ma nou- 
velle patrie a rec^u une trop rude atteinte, pour 
que je n'essaie pas d'en tirer par les armes une 
reparation eclatante. 

Moreau resta inebranlable dans son dessein 
de joindre la grande armee. On sait ce qui ar- 
riva. 



260 



VOYAGE EN SUEDE. 



Coup d'oeil sur les services nouvellement e'tablis 
et les ameliorations introduites dans Vadmi- 
nistration des posies en Suede, par la direc- 
tion ginirale, depuis 1818. 

(D'apres uu manuscril communique.) 



De nouvaux bureaux de posies aux Ieltres out 
ete ouverls : 

Au sud de Stockholm : a Motala , a Doder- 
hultswik, a Ljungby, a Aby, a Barstad, a Trel- 
leborg et a Odeshog. 

A l'ouest : a Wasbacken, a Carlsborg, a Sol- 
lebrunn, a Sventjunga, a Gagnef, a Mora, a 
Nya, a Kopparbergel et a Atorp. 

Au nord : a Nordraaling, aSkelleftea, a Ana- 
ret et a Neder-Calix, eu tout vingt bureaux. 

Les distances parcourues etaient evaluees, en 
1817, a 174,748 milles suedois (le mille est 
de deux lieues) ; elles monlent aujourd'hui a 
267,598 milles; les lignes ajouteesont done aug- 
mente la longueur tolale de 82,65o milles. 

Pour se faire une idee des resultats avanla- 
geux oblenus par la direction generate des posies, 
il suffit de lire ce qui suit. 



VOYAGE EN SUEDE. 261 

Avant 1828, on ne pouvait pas recevoir a 
moins de dix-neuf, vingt et souvent vingt et un 
jours la reponse d'une lettre expedite de Stock- 
holm a Tornea (la distance est de 244 lieues) ; 
elle arrive maintenant en quinze jours 1 . 

L'envoi des letlres de Malmo a Tornea 
(364 lieues) et retour, demandait trente-cinq 
ou trente-six jours , vingt-cinq suffisent aujour- 
d'hui; encore en gagne-t-on trois ou quatre si 
les lettres adressees dans les localites interme- 
diaires, permettent d'employer la malle-poste 
appelee Sodra-snellposten , faisant le service en- 
Ire Stockholm et Malmo. 

La reponse a une lettre ecrite de Sundswal a 
Hambourg (320 lieues) n'arrivait jadis qu'au 
boutd'un mois, elle est rendue aujourd'huidans 
trois semaines. 



1 En Frauce, on regarderait ces moycns du transport des 
lettres comme extremement lents et ne rcpondant nullement 
aui besoins du pays. Mais la Suede faiblement peuplee, de- 
pourvue d'une induslrie et d'un commerce actifs, n'eprouve 
pas des besoins d'echange, qui necessitent une acceleration 
extraordinaire dans les transports, si ce n'est sur les grandes 
voies de communication entre les principals villes et Ham- 
bourg et Berlin. Ces deux villes out de nombreuses relations 
avec la Suede. Ailleurs , les produils ne couvriraient pas les 
frais. En outre, le service des mallcs ne se fait pas par des 
maitres de poste qui, comme en Alleraagne, entretiennent des 
cbevaux a cbaque relai, a la charge de l'administration des 
postes. En Suede , ce sont des paysans qui y pourvoient moycn- 
nant quelqucs franchises dont jouissent leurs terres. 



262 VOYAGE EN SUEDE. 

La correspondance de Linkoping (aller et 
retour) se faisait tantot en dix, tantot en qua- 
lorze jours; il n'en faut aujourd'hui que huit, 
terme moyen. 

De Fahlun a Linkoping etvice versa , on ern- 
ployait qualorze jours, aujourd'hui sept. 

Les malles-postes ( Bref-snellposten ) etablies 
entre Stockholm et Carlscrona rapportent les 
reponses aux correspondants de ces deux villes 
en cinq jours et demi pendant sept mois de 
l'annee, et le reste du temps en six jours et 
demi. 

Les memes voitures font le trajet (aller et re- 
tour) entre Stockholm et Helsingborg et entre 
Malmoet Stockholm en six jours et demi, tandis 
qu'il en faut neuf jours et demi a la poste ordi- 
naire. 

En ecrivant de Stockholm a Gothenbourg ou 
a Christiania, on peut recevoir la reponseen six 
jours et demi. 

De Stockholm a Christianshaven ou a Carl- 
stad, la malle-poste de Norwege (Norrska-snell- 
posten), emporte les Iettres et rapporte les re- 
ponses en trois jours el demi. 

Les letlres de Hambourg expediees par Giips- 
wald et Ystad parviennent a Stockholm en cinq 






mm 



■■ 



VOYAGE EN SUEDE. 265 

jours el demi ; celles de Paris y sont rendues en 
ouze jours et demi. D'apres un nouveaux projel 
elles ne seront que neuf jours quinzeheures en 
roule de Paris a Stockholm et de Hambourg, 
cinq jours. 

Pendant I'hiver les leltres meltent sept jours 
a arriver de Hambourg a Stockholm , par le 
Dannemark. 

Celles de Berlin a Stockholm, par Ystad, ne 
sont generalement que quatre jours dix-neuf 
heures pour arriver a leur destination, tandis 
qu'elles mettenl neuf jours par la voie de Ham- 
bourg et par les Etats danois. 

Le nord de la Suede elait autrefois complete- 
ment prive de postes aux lettres. Des services 
ont ete etablis entre Ostersund et la Norwege, 
entre Lulea et le district de Jockmok en Lapo- 
nie, entre Neder-Calix et Gellivare, entre Ha- 
paranda, Pajala et Maa, sur les front ieres de 
la Norwege. 



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TABLEAU 



DES 



TRAVAUX PUBLICS 



EN SUEDE DEPUIS 1810-1837. 



CANAUX. 

, Th. dc Suede. 

Canal de Goetha , qui reunit la nicr Baltique 

acelle du Nord, a cout6 10,385,800 

— de Hjelmaren, reconstruit 942,674 

de Soedertelje 556,500 

— de Weddo? 419,545 

— d ' Aker 62,737 

— de Stroem et Stallbacka 130,000 

— du pare (Djurgarden) 50,978 

— de Wermdoe 5,700 

— de Carlberg 9 400 

de Sasflfe 121,000 

— de Carlstad 89 900 

— de Grada 32,185 

— de Forshaga et Degofors 5,000 

PORTS ET MOLES. 

Port de Helsingbourg (Scanie) 165,120 

— de Joenkceping (Smaland) 66,960 

— de Halmstad (Halland) 12,000 



II 






266 TABLEAU DES TRAVAUX PUBLICS. 

Th. de Suede. 

FORTIFICATIONS. 

Carlsborg (place forte centrale pour 20,000 - 

hommes) 4,Wi«OT 

LIGNES DE DEFENSE DE LA CAPITALE. 

Entre Waxholm et Fredriksbourg 64,000 

Entre Brunswiken et Melaren 58,000 

La forteresse de Kungsholmen ( Carlscrona ) . 760,027 

_ d'Elfsbourg ^ 00 ° 

— de Carlsten (Marstrand) . . . • 41,295 

ROUTES. 

Toiscs. 

Entre Woxna et Korboele .... 52,400\ 
Entre Ostersund ct Levanger . . 468,000 1 
Entre Amal et Blakjer par Orjebro .... 
Entre Wenersborg et Fredricbshall . . 

Entre Hogdal et Berg 

DEBLAYAGES. 

Riviere d'Upsala 40 > 528 

Erikssund 9 '' 158 

Almare Sta&et 8 > 600 

Kungsoer, Aspheellan, Quicksund 55,880 

Riviere d'Enkceping - • noo ° 

_ de Lida 2 ' 000 

Fleuve de Goetha 30 > 000 

— de Klara * 3 - 225 

_ deHoby 5 >™ 

Les fleuves de Kalis, de Pitea , Umea et 

Windel , Angermanland , Ljungan • • ■ • 226,560 

Total 15,774,574 



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