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711
SOUVENIRS
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VOYAGE EN SUEDE
EN 1839,
PAR
FHEDEMCCHARLES DE STROMBKCK.
(IBIOEIT ■>■: I Vll I I >1 « tl>).
STRASBOURG,
IMI'RIMKKIF. DE 0. SILBKItMANN , PLACE SAINT -THOMAS , 3.
1840.
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SOUVENIRS
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VOYAGE EN SUEDE
EN 1839.
BIBLIOTHEQUE
SAINTE |
GENEVIEVE
SOUVENIRS
d'un
VOYAGE EN SUEDE
EN 1839,
PAH
FREDERIC-CHARLES DE STROMRECK.
(TRADUIT DE L'ALLEMAND )
STRASBOURG,
IMPRIMERIE DE G. SILBERMANN , PLACE SAINT-THOMAS, 5.
1840.
AU LECTEUR.
L'atlention de la France, depuis quelque lemps ,
se tourne vers le Nord. Ce n'est pas sculement son
gonvernement qui cnvoie une expedition savante, si
1'on veut, explorer les mers de la Scandinavie, et
fouiller celte terre des anciens Normands : tous les
hommes eclaires s'interessent au developpement qu'y
ont pris les sciences et l'industrie, et par suite, la
prosperite publique. Nous avons done cru faire un
Iravail agreable au public, en reproduisant en fran-
caisle voyage fait en Suede eten Dannemark, pendant
2 AL' LECTKUR.
l'ete do 1839, par Frederic-Charles de Strombech.
Cette relation qui vient d'etre publtfe en Allemagne,
forme le huitieme volume des ouvrages de cet ecrivain
(Braunschweig, 1840). Au moment ou les joumaux
allemands sc pretendant inities aux secrets de I'oppo-
sition de la diete acluelle, ont voulu en expliquer les
causes, on congoit de quel poids, outre le merite de
l'a-propos, est une production ou la question est par-
faitement eclaircie, la situation du pays nettement
dessinee el la source du mal qui travaille actuellement
le peuple suedois , habilement decouverte. Ce n'est
pas uri jeune louriste, c'est un homme d'age et d'ex-
perience, consomme dans les affaires qui a vu la Suede
et qui la juge. La place distinguee qu'il occupe parmi
les legistes d'Allemagne, son talent comme ecrivain
ajoutent a la valeur de ses appreciations. Aussi s'ac-
corde-t-il a dire avec presque tous les voyageurs qui
ont visite la Suede, qu'elle est dans une voie d'ame-
lioralions et de progres materiels dont son histoire
n'avait pas offcrt d'exemple jusqu'ici. Elle a des noms
qui brillent d'un si vif eclat dans les sciences , dans la
lilterature et dans les arts, qu'on pourrait dire que
le regne de Charles XIV (Jean) est pour elle celui
d'Augusle, tandis que les moyens de defense qu'il
a crees pendant la paix et qui ne seront pas bien ap-
A I LECTEDR. 3
precies qu'au jour du danger l'ont mise, en lace
de ses voisins, dans une position qu'elle n'a jamais
occupee.
A cote de la peinture que 1'auleur nous trace de
la nature du Nord et de ses sites, d'une beaute tantot
grave et severe, tantot gracieuse, il place l'enumera-
tion de tous les travaux utiles enlrepris et executes
dans ces derniers temps. Nous ne croyons mieux faire
que de renvoyer a l'ouvrage meme le lecteur desireux
de faire une courte tournee dans un pays, dont les
destinees sont conduites par le nestor des rois, l'une
des premieres illustrations dont puisse s'honorer la
France.
\
Strasbourg, le 12 septembre 1840.
PREFACE DE L'AUTEUU
L'auteur s'cstimerait beureux, si, en
publiant ces feuilles, il inspirait aux Alle-
mands le desir de visiter plus frequcni-
ment qu'ils ne le font la Scandinavie Qui
ne cherche a se procurer, une fois dans
savie, le plaisir d'un voyage aux bords
du Rhiu? En etfet, la nature et Part out
imprime a ce fleuve des beautes si pitto-
resques, que la premiere course qu'entre-
6 PREFACE DE L'ALTEUR.
prennent les jeunes Allemands estcelle de
Bale a Rotterdam , qui se fait aujourd'hui
avec la plus grande facilite et dans la-
quelle tout est profit pour l'esprit. Celui
qui a eu cet avantage voudra porter ses
pas en Scandinavie, par la meme route
qua suivie l'auteur. II ne lui est pas donne
de faire un voyage plus ravissant. On
entre , pour ainsi dire , dans un nouveau
monde. Si vous commencez par Ham-
hourg , vous voyez le commerce universel
dans sa grandeur. Lubeck vous transporte
par la majeste de ses edifices qui rappel-
lent l'epoque florissante de la puissante
association anseatique, alors que les bour-
geois pouvaient armer des flottes qui sou-
tinrent contre les rois du Nord , des luttes
dont souvent elles sortirent victorieuses.
Puis la mer setend devant vous, la mer
que vous voyez peut-etre pour la premiere
ibis , et ce spectacle a lui seul vaudrait les
peines d'un voyage. En trois jours vous
vous trouvez, comme par enchantement,
PREFACE DE L'AUTEVjK. 7
a la Naples du nord , a Stockholm , que
le concours de l'art et de la nature ont
rendue si remarquable. La vous jugez par
vos yeux de ce que peut un roi, doue, a
laverite, des dons naturels les plus pre-
cieux et les plus brillants, qui sacrifie
toutes ses forces et tout son temps an bon-
beur du peuple qui Vs. eleve sur le trone.
Ge qu'il y a de singulier, c'est que la pa-
trie de Henri IV, sa ville natale meme,
Pau , etait destinee a fournir a la Scandi-
navie , un prince qui , non moins grand ,
mais plus heureux que le Bourbon, a plus
fait pour la Suede, que l'autre ue put
faire pour la France. Puis vous irez visi-
ter Upsala et vous descendrez dans les
mines de Dannemora. Vous vous embar-
querez a Stockholm et suivrez le canal
jusqu'a Gothenbourg. Si ce trajet n'offre
pas tout l'agrement dont on jouit sur le
Rhin , on en est dedommage par le gran-
diose des scenes qui passent sous les yeux.
Les cataractes du Rhin a Schaffhouse ne
8 PKEFACE DE L'AUTEUR.
sont meme pas comparables a celles du
fleuve de Gotha, nommees Trollhattan.
Yous suivrez la route, heureusement ac-
cidentee, a. partir de ces cataractes jus-
qu'a Gothenbourg, dont les belles rues,
les canaux et le commerce florissant lixent
l'attention du voyageur. Yous traversez
le Cattegat, dont les flots majestueux an-
noncent un bras jmissant de FOcean.
Yous passez le Sund , porte de la Balti-
que , comme les Dardanelles sont les por-
tes de la mer Noire. Copenhague, sur-
nommee FAthenes du nord, mais qu'on
pourrait appeler la Genes du nord, par
rapport a son commerce et a la magnifi-
cence de ses palais, et la Yenise de ces
contrees, a cause de son arsenal, cou-
ronne avec les jar dins qui Fentourent File
de Seeland, dont les fertiles plaines no
connaissent pas la disette. L'interet s'at-
tache done a cbaque pas de ce voyage.
Mais Fauteur, qui a parcouru la meme
route en allant et en revenant, conseille
1
PREFACE DE L'ALTEIR. 9
de prendre son retour par Kiel, et de
faire , avant de quitter la capitale du Dan-
neniark , une petite excursion a Malmo et
a Lund, la seconde university de Suede,
en Scanie. Les meilleurs guides sont les
Voyages de Ferdinand de Gall el de Christian
De/m; il ne serait pas inutile de lire, pour
se preparer, le Voyage de M. de Schubert
(cure d'Altenkirchen , dans File de Rugen) ,
l'ouvrage de Possart, Les royaumes de Suede
et de Aorwege 1 , et le Voyage de Wollmann a
Saint-Pe'tersbourg , Stockholm el Copenhague 2 .
La carte la plus estimee est celle dc
J. W. Brandenburg, imprimee a Stock-
holm.
Wolfenbuttel, le 1 cr fevrier 1 840.
F. C. De Strombeck.
I
i Slultgart , 1838.
- Hambourg , 1833.
VOYAGE
DE
BRAUNSCHWEIG i STOCKHOLM,
PAB
LUBECK, YSTADT ET CALMAR.
I.
VOYAGE
DE BRAUNSCHWEIG A STOCKHOLM
LUBECK, YSTADT ET CALMAR.
II en est des voyageurs isoles com me des peo-
ples en emigration : tous se diligent vers ledoux,
le riant midi. Moi aussi , je m'elais laisse deux
Ibis enlrainer par ce penchant au dela des A.1-
pes-, et cependant , apres avoir passe dans la ville
delaSirene enchanteresse , des jours qui ne sor-
tiront jamais de mon souvenir, apres avoir join
dans ses bras, pour parlor le langage du poete ,
44 VOYAGE EN SUEDE,
jetais loin d'avoir goute la plenitude de satis-
faction que j'avais revee. Je vis Naples; mais il
me parut qu'il y avait exageration a ne vouloir
plus rien voir et a mourir apres 1'avoir vue. Celte
fois je tournai mes regards vers le nord. Con-
templer de mes yeux la magnifique assiette de
la capitale de la Scandinavie, dominant les ro-
cbers enlre lesquels la mer roule ses formida-
bles Hots; etre lemoin du bonheur de peuples
gouvernes avec la plus profonde sagesse par un
grand homme; decouvrir, par la pensee, com-
ment le brave Danois a pu oublier, sous un
gouvernement doux et paternel , il est vrai , mais
en l'absence des formes constitutionnelles, les
desastres quele sort lui avait fait subir ; loutesces
considerations me parurent des motifs suffi-
sants pour entreprendre un voyage, dont le
poids de l'age ne me fit pas retarder I'execution.
Mon parti pris, je destinai mes vacances d'ete a
raon expedition.
Ces vacances s'ouvraient le 24 juillel. Des le
lendemain je traversais les bruyeres du Lune-
bourg , ou jadis j'avais place, sans tenir compte
des probabilites, quelques sites ossianiques parmi
les chenes seculaires, les tumuli des anciens Ger-
mains el les marecages solitaires. Je traversai et
\
VOYAGE EN SUEDE. +5
me trouvai de nouveau dans la ville hospitaliere
de Hambourg que j'avais visitee tant de f'ois ;
noble republique qui a conserve et nous offrc
encore tout ce qu'il y avait de bon eL de loyal
dans le caraclere de nos ancetres.
Je ne savais si je devais commencer par le
Dannemark ou par la Suede. Des lellres de re-
commandalion , que je recus pour ce dernier
pays de M. de Stahl , consul-general a Ham-
bouro-, fixerent mes irresolutions. Apres avoir
donne quelques jours a I'amilie, je quittai cette
ville et gagnai celle peu populeuse d'Oldeslobe 1 ,
d'ou une chaussee presque achevee me conclui-
sit a Lubeck. On dit quelle sera prolonged jus-
qu a Allona. Elle rend plus faciles el plus promp-
tes qu'elles n etaieut , les communications entre
Hambourg el Lubeck. Ici , je passai aussi d'a-
o-reables instants dans le bel Hotel a la Ville-de-
Hambourg , qui ne laisse rieu a desirer , et que
je comple parmi les premiers elablissements de
ce »enre en Allemagne. Un bonheur inespere
m'y allendail: celui d'y renconlrer trois dames
polonaises, dontjefis la connaissance : unecora-
i II y a a Oldeslohe des bains salins et sulfureux , auxquels
on altribuc de grandes proprietes. II est question de conce-
der cet etablissement royal a un particulier.
■
10 VOYAGE EN SUEDE.
lesse de Plater, qui habile les environs de Wit-
lebsk , sa belle et aimable fille, el M" c Erichson ,
leur amie commune, toules trois joignant a unc
instruction parfaile , a la conversation la plusspi-
rituelle eta des talents distingues, l'agrement
de parler la langue allemande comme leur lan-
gue malernelle. Avec quelle rapidite ne s'ecou-
lerent pas les deux soirees que je passai pres
d'elles, et que la jeune el ravissante comtesse
Louise charmait par des morceaux de chant el
de musique quelle executa avec une rare perfec-
tion. Le commerce de ces dames fail facilement
co ra prendre (influence que les Polonaises exer-
cent sur les homilies el les hauts faits d'armes
ainsi que les devouemenls palriotiques qu'elles
leur ont inspires. Quel feu de l'iraagination ,
quelle vivacile des tableaux et des sentiments,
quel charme entrainant que ceux qui saveut
convaincre sans le secours de la raison, et ren-
verser meme des convictions profondes ! Ces da-
mes avaienl sejourne plusieurs mois a Lubeck
pour voir quelques jeunes filles, leurs parentes,
placees a retablissement orlhopedique du doc-
teur Leithof. Cet habile praticien me le fit visi-
ter dans tousses details, et j'en fus dans l'adtni-
lation. II est parvenu, non -seulement a faire
VOYAGE EN SUEDtv ' T
supporter avec patience aux enfauts la conlrainle
qui les prive de la liberie de leurs mouvements ,
rnais encore a leur y faire trouver une cerlaine
satisfaction. Les raoyens curalifs ne font pas ou-
blier les soins que reclame leur instruction, et
ils renlrent dans leur famille avec des diffor-
mites de moins et une intelligence plus deve-
loppee. 11 est impossible que ces malheureux en-
j'anls soient traites avec plus de soins qu'ils ne
le sonl par le docleur Leitbol el par sa sonir.
C'est comme s'ils etaient an milieu de leurs pa-
rents. Aussi sont-ils attaches de creur et dame
a leur bienfaiteur. Je me sentais emu en vovanl
dresser une petite table pour celebrer l'anniver-
saire de la naissance d'une jeune enfanl, sepa-
ree depuis longtemps de ses parents; plus loin ,
c'etaient les preparatifs d'un bal , destine a feler
le complel relablissement d'une autre petite
fdle. Car Leilhof pense avec raison qu'il est ne-
cessaire, pour reformer ses eleves (cest le nom
que je veux donner a ses malades) , d'attaquer
la cause des deviations des organes exterieurs
par des agents internes, el de n'appliquer qu'en
dernier lieu et pour completer la cure, les
moyens mecaniques, les bains et meine quel-
ques exercices de natation dans un bassin rem-
IS VOYAGK EN SUEDE,
pli tl'eau liede. L'mfluence morale ne lui parait
pas moins indispensable. Aussi obtient-il des re-
sullats etonnants. Desenfants malsains, contre-
faits, negliges dans leur education, sortent de
son institut bien conformed, sains de corps et
d'ame, benissan t, pendant toute leur vie, 1'homme
qui la leur a rendue plus agreable. Le temps
etait superbe lorsque je traversai le jardin , pres-
que tous les malades s'y trouvaient ; ceux meme
qui ne devaient pas quitter leur lit de douleur
y avaient etc portes dans cette position , pour y
respirer l'air. Je ne dirai pas que la vue de tant
d'enfants et des instruments qui semblaient les
tenir a la torture fut agreable : loin de la, j'en
ressentis une impression de Iristesse. Mais ces
enfants etaientgaies; elles travaillaient, lisaient
ou jouaient ensemble, comme s'il ne leur eut
rien manque. Deux ou trois etaient belles; je
me sentis attire vers elles par l'amabilite naive
de leur salut. Un jardin separe l'habitation du
docteur de 1'institut, dont le batiment occupe
un Taste terrain ou s'elevaient aupaiavant plu-
sieurs maisons particulieres qui ont ete achetees
et demolies. Puisse Leithof vivre de longues an-
nees pour le bonheur de rhumanite soufFrante!
Mais qu'il n'oublie pas que la mort choisit sou-
VOYAGE EN SUEDE. •'•»
vent, pour le frapper, 1'homme le plus vigou-
reux el le plus sain , et que l'existence de I'ela-
blissement qu'il a cree est attachee a la sienne.
Je crois done qu'il devrail s'oceuper a former
des eleves qui pussent le remplacer un jour. II
ne s'en passe pas tin sans qu'il visile chacun de
ccs enfants. 11 s'est voue exclusivemenl a celt*
specialile el consacre lout son temps a ces in-
forlunes, en meme temps qu'il n'epargne aucun
sacrifice pecuniaire pour perl'eclionner son ela-
blissement.
Outre Leithof je fus voir, a Lubeck , deux sa-
vants jurisconsulles; le president du tribunal
supreme des trois villes libres , M. Heise et
M. Roy, conseiller au meme tribunal. Depuis
longlemps l'Mlemagne les revere pour leurs pro-
fondes connaissances du droit; Lubeck et tous
ceux qui ont ele a meme d'apprecier leurs qua-
lilds , les estiment et les aiment pour leur grande
humanite. Jadis, M. Roy Cut attache comrae
conseiller a la Cour superieure du duche de
Rraunschweig; il est du nombre assez conside-
rable de Rrunschwigeois , dislingues par leur sa-
voir et leur aclivite, dont le nom a franchi les
limites etroites de leur pays natal et ont etc
partout entoures d'une eslime merilee. Malheu-
-r~.
■
20 VOYAGE EN SUEDE,
reusement le delabrement de sa sanle le force
a renoncer aux douceurs de la societe" el a gar-
der la chambre, d'ou il ne sort que pour assis-
ter aux seances du tribunal. La vie de cet homme
eminent se trouve done partagee exclusivemenl
entre les devoirs de sa charge et ses savantes
etudes. Son pere, professeur de droit a l'univer-
site de Heluastadt et connu , surtout dans son
pays, par plusieurs ouvrages, avait ele, dans sa
jeunesse , assesseur a la Cour superieure de
Wolfenbultel. Nous y avions forme des liens
d'amilie. II renonca aux affaires pendant loute
ia duree du royaume de Westphalie. Ce ne ful
qu'apres le retablissemenl de 1'ancienne consti-
tution qu'il remplit les fonctions d'intendanl su-
perieur de la liste civile ducale a Braunschweig.
Le bonheur que lui faisaient cette belle position
et la gaite de son humeur ne furent 1 roubles que
par la mort, qui le surprit . il y a quelques an-
nees, dans un age avance. Les regrets de tous
ceux qui l'avaient connu le suivirent dans la
lombe.
Lubeck ctait autrefois a la tele de la ligue ger-
manique de Hansa. Encore aujourd'hui elle
tientle premier rangparmi les villes libresd'Alle-
VOYAGE EN SUEDE. &
magae. Toutelbis, elle ne peul elre comparee,
sous le rapport du commerce , a Hambourg et
a'Breme, dont elle n'est eloignee que de quel-
ques milles, et qui etendent le leur sur tous les
points du globe. Loin de la , Lubeck n'a qu'une
part insignifiante aux transactions directes avec
le nouveau continent. II lui est impossible dc
les etendre davantage par suite de circonstances
connues et qui lui sont communes avec les au-
tres villes commercanles de la Baltique. De cent
mille homines qui faisaient sa puissance au
rnoyen age et lui permeltaient de combatlre les
rois du nord , sa population est lombee a 26,000
habitants. L'herbe croit dans plusieurs de see
rues desertes; et ce qu'il y a de plus trisle , c'esl
qu'il ne lui resle meme pas l'espoir de voir son
commerce se relever, quoiqu'il soil encore, vu
les circonstances , assez considerable. On y voit
encore de riches negotiants; car elle n'a pas cesse
d'etre le centre du commerce avec les villes de
la Baltique et une espece d'enlrepot pour les
produits de la Russic. Elle a an avanlage incon-
testable sur Hambourg par ses constructions
ausealiques du moyen age. La magnificence dc
son Hotel-de-Ville est la commc un monument
de son anciennc gtoire. Une chose affligeaple,
22 VOYAGE EN SUEDE
c'est qu'on n'ait pas senti la necessile de conser-
ver dans I'interieur de cet hotel des parties atla-
chees a des souvenirs qu'elles etaient destinees
a perpeluer, et qui ont disparu pour faire place
a de nouvelles constructions. Je cherchai inu-
tilement 1'ancienne salle des deliberations des
deputes de la ligue , et les chaises sculptees en
bois qui leur servaient de sieges , et que, jeune
encore, j'avais considerees avec mon pere dans
un respect silencieux. • Les villes, dont les re-
presentants s'assemblaient ici, me disait mon
pere, et celle de nos ancetres, 1'anlique Braun-
schweig, elait du nombre , lulterent avec succes
conlre de puissants rois. Leurs flotles faisaient
la loi sur la Baltique et bien au dela de cette
iner. Ce ful ici que les deputes de la ville de
Braunschweig, couverts desilices , les pieds bus
et la tele decouverte , vinrent demander grace
pour leurs concitoyens a l'assemblee de Hanm,
alors que des bourgeois sedilieux avaient fail
• lecapiter leurs magistrals 1 sur la vieille place.
Ici, on leur (it promeltre, pour penitence, d'e-
rigerasaint Autor, patron de la ville, unecha-
pelle qu'on voit encore a cole de l'ancien Holel-
de-Ville. » A cc recit des evenements fles temps
' 137/!.
VOYAGE EN SUEDE. 25
passes je demeurai en silence et je ne pouvais,
ainsi que mon frere Henri qui m'accompagnait ,
rassasier mes yeux de la vue de ces lieux qui en
avaient ete le theatre. Cest en vain que je vou-
lais retrouver aujourd'hui ce que j'avais vu dans
mon enfance. Les bureaux de ['administration
occupaient l'emplacement ou siegeaient les de-
legues de la ligne de Hansa. Qui eut pu croire
que les citoyens d'une ville libre detruiraient
un edifice ou leurs ancetres, plus vigoureuse-
uient tailles , presidaient l'assemblee des depu-
tes de cent villes liguees, formant entre elles
une barriere si solide qu'elle aireta les brigan-
dages de la noblesse et le despotisme des princes.
Les eglises de Lubeck , notamment celle de
Sainte-Marie et la calhedrale, restes precieux de
l'ancienne architecture allemande, rappellent
une epoque depuis longlemps disparue. Quoi-
qu'elles ne soient conslruiles qu'eu briques ,
leur majeslueuse grandeur et la purete de leurs
lormes peuvent leur (aire soutenir le parallel
avec les eglises des bords du Rhin et du sud de
r/Ulemagne. Cetle eglise de Marie me reporla
aussi aux jours de mon enfance; je me rappelai
le saisissement dont je fus pris, lorsque, midi
sonnanl a la grande borloge , deux porles s'ou-
24 VOYAGE EN SUEDE,
vrirenl comme par enchantement, donl 1'une
livra passage a un heros qui, l'air grave et roide,
s'avanca suivi de l'empereur et des sept dlec-
leurs de Penipire. D'une marche lente, ils alle-
rentse prosterner humblement devant le Christ
et disparurent par l'autre porte. II y a de cela
un demi-siecle, et moins sensibles au poids du
temps que les hommes ils executent toujours
les memes mouvements et la meme ceremonie.
Le tableau de la danse des morts, dans la cha-
pelle, et un autre de l'ancienne eeole allemande,
du premier merite, reveillerent les memes sou-
venirs. La mort, sans ceremonie, invite a la
danse toutes les conditions et tous les ages: elle
n'eprouve jamais de refus.
Les places sont plus larges, les rues mieux ali-
gnees a Lubeck qu'a Hambourg , si Ton exceple
l'esplanade de cette derniere ville et le Jurig-
fernsticg\ auxquels Lubeck n'a rien a opposer
dans ce genre. Les maisons parliculieres elles-
memes conservent le caraclere de 1'architec-
ture gothique et meme de I'archilecture bv-
zantine. Mais en general les pignons se sonl
eleves sur des pilastres grecs, qui font ainsi la
plus singuliere figure dans un encadremenl
1 Promenade assisp snr I'Alster et garnie de hclles maisoix.
VOYAGE EN SUEDE. 2S
eleve el elroil. Les environs de Lubeck sonl
plats et d'une uniformite qui serail fatigante si
elle n'etait rompue par de belles promenades ,
bien entrelenues, qui se croisent dans tous les
sens, et animes par de jolies maisons de cam-
pagne. La bonne foi des villes anseatiques s'esl
maintenue dans leur ancienne capilale; on peul
avec raison mellre Lubeck au nombre des villes
les plus remarquables et les plus interessanles
de l'Allemagne.
I
:
11 y a quelque chose de dechirant dans l'a-
dieu de deux personnes, certaines de ne se plus
revoir dans la vie. Et combien cette certitude
est profonde quand on est arrive a un age aussi
avance que le mien ! Ce lut dans cette penible
disposition que je pris conge des comlesses
de Plater et de leur amie, M 1,c Erichson, If
l« aout, a neuf heures du matin, pour me
rendre aTravemunde, ou le vaisseau a vapeui
suedois Svitlwd attendait les voyageurs jnsqu'a
cinq heures, instant de son depart. J ctais dans
la voilure; les dames me lirent un dernier,
un alleclueux adieu , et je les perdis de we
pour loujours. S. mi-chemin, ccst-a-dire a deux
lieues on rencontre la Trave ou Ton arrive par
26 VOYAGE EN SUEDE,
des champs bien cultives; on la traverse sur
un bac, apres quoi l'horizon s'etend, car le
fleuve s'elargit a son embouchure, et la Bal-
tique deploie ses plaines liquides. Sur la cote
s'eleve le bourg de Travemunde, qui a 1200 ha-
bitants. II appartient a Lubeck dont lesenat le
gouverne paternellement. La rangee de maisons
qui lougent le golfe offre un tableau anime, et
la rue qu'elles forment est jusqu'au phare une
agreable promenade pour les voyageurs qui y
affluent de loutes parts pour prendre les eaux
de la mer. On voit arriver tantot un vaisseau
a vapeur, tantot un batiment a voiles; la ce sont
des amis qui embrassent les elrangers qu'ils at-
lendaient; ici e'en sont d'aulres qui conduisent
jusqu'a bordceux qui s'embarquent. Partoutdu
mouvement, pai tout 1'activile des commer^anls.
II faut avouer que e'est autre chose que la flanerie
ennuyeusedesallees, dansun paysau milieudu-
quel ou on prend les eaux. Cette vueseule suflirail
pour guerir un hypocondriaque. Je dinai dans
une auberge bien tenue, situee au bord de la
mer, au milieu d'une societe nombreuse et ani-
mee par la gaile , el bientot apres nous moa-
lames sur le svithiod. Ce superbe batiment sue-
<lois, de la forc<> decent chevaux, reunissait
VOYAGE EN SLEUli. ST
loules les eommodites qu'un voyageur peut
desirer sur mer. Sa premiere chambre est vaste
et elegante , elle est garnie de glaces et de so-
phas. Les cajutes avaient une profondeur con-
venable et etaient assez hautes pour qu'on put
s'y tenir sur son seaut. Cel avantage est rare
dans les batiments de cetle espece. Je ne ferai
pas le meme eloge des matelas; ils etaient si
maigres qu'on pouvait sentir les planches au
Havers. Ce qu'il y avail d'agreable , c'est qu'on
pouvait s'enfermer dans son lit; cornme il ne
se trouvait heureusement dans le hauiac au-
dessus de moi aucun compagnon, ,je pouvais
.n'arranger a mon gre el m'isoler, quand il me
plaiSftit, de la societe qui ne complait que vingl
personnes dans le salon. Cetle piece avail douze
pieds de longueur sur six de largeur; mais on
apprend bientot sur mer a s'arranger daus un
petit espace. C'est tou jours a ce soin que soul
consacres mes premiers momenls dans un ba-
ilment a vapeur, et je ne puis trop le recom-
mauder dans le meme cas. On ne peut avoir
aupres de soi sa malle qui est jetee au fond du
vaisseau, ou ne conserve que son sac de null,
sou manleau el t'etui de son chapeau qui seri
de loilclle. On me mil ces objcts en ordre dans
28 VOYAGE EN SUEDE,
ma petite chambre, afin qu'ils ne fussent pas
confondus avec ceux des autres voyageurs. A
cinq heures precises la machine du svitliiod
comment-ait a fonctionner, et les amis qui avaienl
fait la reconduite quiltaient le pont; alors on
put passer en revue la societe avec laquelle on
se trouvait forceraent lie pour le temps du tra-
jet. Elle etait bien differente de celle qu'on ren-
contre sur les bateaux a vapeur du Rhin et du
Danube. Elle n etait pasembellie parces dames
elegantes et ces jeunes touristes qui voyagenl
pour leur plaisir, et ne se composait presque
exclusivement que de negotiants et d'employes,
dont un seul , un monsieur Dubois, de Ham-
bourg, fabricant de soieries, homme pourvu
destruction, avait sa femme avec lui. II y avail
en outre deux dames calholiques bavaroises qui
allaient voir leurs parents en Suede. Un agre-
ment de plus a leur voyage, c'est qu'elles pou-
vaient disposer seules, avec la femme de M. Du-
bois, du salon des dames. Nous ne tardames pas
a ne voir plus que le ciel et la ruer. La soiree
etait, belle; nous nous reunimes dans le salon
pour sou per comme nous faisions aux eaux. Le
repas lermine. ou monta sur le ponl, el la cau-
serie s'engagea comme cntre de vieilles connais-
I I
VOYAGE EN SUEDE. ~ J
sauces. Je me plaisais a donner aux jeunes gens
quelques notions aslronomiques. La nuit , sur
mer, a quelqne chose de solennel ; on est la
commedans un autre monde. Le vaisseau filait
irois milles a I'heure; on ne pensait pas an mal
de mer, et a minuit on fut se coucher coram.
si Ton eiit ete chez soi.
Le matin, de bonne heure, on etait sur le
pont. Nous voulions assisler au lever du soled
dore, qui parut sur I'horizon, quelques minutes
plus tot quhier, quoique les jours allassenl en
decroissant. En approcbant de Stockholm, nous
alhons, en quelque sorte, retrouver un nouvel
ete. Le 4 aout, jour de notre arrivee, le sole.l
resle aussi longtemps visible qua Wolffenbultel
,Ians les premiers jours de juillet A Qu'il ela.l
radieux, cet astre, en sortaut des ondes de la
mer, sur laquelle il alluma une longue trainee
de feu jusqu'a notre vaisseau ! L'air etail dans un
calme parfait; la mer etait dans l'allegresse ,
eomme le matin qu'Aphrodile, effrayce par Us
momtres de la mer, sorlit de I'ecmne de ses (lots.
Nous apercumes a noire droile Tile de Born-
holm , enveloppee d'un leger brouillard, puis,
> I e 4 aout , le soleil se leve , a Stockholm , a trots heures
qritaits-lrol. minutes .IWe0«rti« a hi.il heure. Ill mtimlM.
50 VOYAGE EN SUEDE,
dans un grand loinlain , les coles unies de la
Scanie. Bienlot nous perdimes de vue 1'ile; les
rivages de Suede s'approchaient de plus en plus,
et il etait a peine huit heures, que nous prenions
terre a Ystad.
Nous etions attendus. Le port ressemblait a un
champ de foire; chaque elat, chaque age, cha-
que sexe y etait represents. Je me rendis aveo
mon ami de voyage, M. Dubois, dans une au
berge voisine, pour refaire notre toilette plus
commodement que nous ne l'eussions pu dans
le vaisseau et pour prendre le cafe plus tran-
quillement; mais a peine etions- nous enlres,
qu'un ami de M. Dubois, qui visite habituelle-
ment ces contrees tous les ans, nous forca, a la
maniere des Suedois, a descendre dans sa mai-
son. Nous y recumes l'hospitalile la plus cor-
diale. Get homme bienveillant avait servi en qua-
lite d'officier dans le premier bataillon de ligne
de Braunschweig, lorsque l'Adlemagne secoua le
joug francais; il s'appelait Pluns et etait a la
lete d'uue fabrique. Quoiqu'il fut celibataire.
sa maison etait tenue sur un pied honorable, el
ne manquait pas d'elegance. En un instant le de-
jeuner fut pret. Je ne pus me dispenser de lui
faire connaitre le sort de plusieurs de ses com-
VOYAGE EN SUEDE. •><
pagnonsd'aruies; mon recit Cut laconique, car
presque tous etaient unorts, et des bords du
Lethe , nous ne recevons plus de nouvelles. II
me pria de le rappeler au souvenir de ceux qui
restaient; je lui en fis la promesse que je liens en
tracant ces lignes. II nous accompagna a bord
et nous nous entretinraes de sa patrie. Quand le
batimentful pret a se meltre en mouvement, il
nous fit ses adieux. Tout me faisait supposer que
c'etaient les derniers que je recevrais de lui. Ce-
pendant, quelques semaines apres, je rencon-
trai le veteran hospitalier dans une rue de Go-
thenbourg, ou l'amenaient les affaires de son
commerce : il vint me faire une visite dans ma
chambre. Ainsi, un heureux hasard amenedans
un meme lieu des hommes qui n'avaient plus
l'espoir de se rencontrer.
Le port d'Ystad est peu frequente, quoiqu'il
soit bon. La ville, qui compte un peu plus de
4000 habitants, est batie en bois. Les maisons
sont generalement peinles en rouge, et les rues
sont mal pavees. Cependant, la place est assez
grande est reguliere; on y voit quelques jolies
maisons de pierre. Les habitants lirent leurs res-
sources de Tagriculture, de la peche et du com-
merce. L'industrie n'y a que quelques labriques.
7
32 VOYAGE EN SUEDE.
II en sort des gants de premiere qualite , connus
sous le nom de gants de Scanie. Les environs
d'Ystad sont plals et ont la plus grande ressem-
blance avec la Pomeranie, de l'autre cote de la
Baltique.
Quelques-uns de nos compagnons de voyage
nous quitlerenl; mais ils furent remplaces par
d'autres, desorleque, apres une station de deux
heureset demie, nous poursuivimes notre roule
en meme nombreque nousetionsentres au port.
A deux heures , nous dinames au salon , et nous
nous trouvames a peu pres une vinglaine a pren-
dre !e cafe sur le pont, par un temps delicieux.
Sans le tangage de notre vaisseau , c'eut ete un
bonheur de voler sur les vagues. La nuit n'etait
pas moins belle que la precedente, et nous at-
lendimes la meme heureque la veille pour nous
livrer au repos. Je dormis profondement, sans
penser a l'abime sur lequel jelais porie, ni au
volcan que j'avais a mes cotes. J'etais sur la
terre ferme.
Vint le 3 aout, et nous entrions, sous la con-
duile d'un pilote habile, dans le detroit danse-
reux qui separe File d'Oland de la province de
Smoland. Cette ile etroile a dix-sept milles de
longueur; a huit beuresdu soir. nous etionsdans
VOYAGE EN SUEDE 33
le beau port de Calmar, au milieu de nombreux
vaisseaux.Calmarauntoutautreaspectqu'Ystad.
Son admirable cathedrale, sou chateau, ou fut
signee la fameuse Union qui porte son nom , lui
donnent une signification historique, en meme
temps que sa richesse architecturale fixe l'alten-
tion de tous les voyageurs. Calmar eHait autre-
fois la clef du royaume. Depuis l'union jusqu'au
grand Gustave-Adolphe, elle a toujours figure
dans les guerres des Danois et des Suedois. C'e-
tait le centre autour duquel s'agilaienl les par-
tis en guerre. Sa citadelle, puissante d'apres l'an-
cien systeme des fortifications, a soutenu bien
des sieges ; une foule de braves de ces deux na-
tions ont peri sous ses murs. Aujourd'hui elle
n'a d'autre importance que celle que lui donne
le commerce etendu quelle fait dans la Baltique.
Elle est le chef-lieu d'une prefecture (Loan) et
le siege d'un eveche.
L'arrivee de notre vaisseau semblait etre pour
le peuple une veritable fete : les habitants s'e-
taient portes par centaines sur le port pour nous
recevoir. Laville en compte 6000; c'est, pour la
Suede, une population assez considerable. Elle a
un air d'aisance, quoique construite en bois. On
y trouve de belles maisons, des rues larges et
34 VOYAGE EN SUEDE,
regulieres. Tous les voyageurs quitterent le bati-
ment pour prendre le cafe au restaurant de
l'H6tel-de-Ville. De la on alia voir la cathedrale.
Elle esl dans le style de l'architecture italienne
moderne. Ses colonnes, ses pilaslreset sesvoutes
hardiraent elancees, eussent excite l'admiration
meme a Milan et a Florence. Le sacristain qui
nous accompagnait etait , comme tous ses con-
freres, babillard et faniilier. Nous fimes une col-
lecte a son profit et lui laissames une recompense
honnele. Je comparerais volontiers cette cathe-
drale a celle de Salzbourg, a laquelle elle ne le
cede ni en beaute , ni en grandeur. Non loin de
la se trouve le college , edifice vaste et massif, a
coleduquell'universitedeGoettinguen'estqu'une
bicoque. On ne se doute pas chez nous que les
petites villes de Suede ren ferment des edifices de
ce genre et qu'elles ont des constructions en bois
qui l'emportent, par leur regularite et la per-
fection de leur execution, sur celles en pierre.
A gauche, l'antique chateau, si pittoresquement
place, nous rappelait d'imposants souvenirs.
Mais il etait trop eloigne du port, et nous ne
pouvions nous hasarder a pousser jusque-la, car
le coup de canon venait de nous avertir du de-
part de notre vaisseau. Nous courumes au port,
VOYAGE EN SUEDE. 55
ou nous trouvames notre societe augmented de
messieurs et de dames elegamment parees, entre
autres, le baron Rappe et son epouse, couple
distingue" par son amabilite et 1'exquise elegance
de ses manieres. Ce fut dans ce jour que je fis
connaissance d'un cure catholique , l'abbe Stu-
dach , Bavarois , qui avait pris le vaisseau a Tra-
vemunde et allait rentrer dans ses fonctions
d'aumonier de la reine et de la piincesse royale.
J'ai beaucoup regrette de n'avoir pu retrouver
a Stockholm cethomme pieux et eclaire : nous
nous sommes cherches tous deux sans nous ren-
contrer; sa place l'oblige a rester constammenl
au chateau de Droltningholm , residence d ete
du prince Oscar.
La nuit suivante, nous arrivames entre les
rochers (scheeres) qui garnissent, par milliers,
les cotes de Suede dans ces parages. Cette vue,
particuliere au nord, est on ne peut plus cu-
rieuse. Ce sont des masses de gres ou de gran it
qui representent leurs flancs tantot nus, tantot
couverls de bois de sapins. II y en a qui ont plu-
sieurs milles carrees de surface, comme le Dalaro.
D'autres ont a peine quelques centaines de pieds,
ils sont rarement pourvus de vegetation, si ce
n'est dans leur anfranctuosites. Les proprietaires
\
36 VOYAGE EN SUEDE.
s'y procurent, pendant l'automne, les plaisirs tie
la chasse. Souvent ils y bivouaquent, au dire
d'un capitaine de vaisseau, qui m'assura avoir
pris part bien des fois a cet exercice. Les lievres
et les chiens de mer y sont assez communs ; les
cinaes servent de retraite aux aigles. Si Ton se
represente les environs de la vallee d'Eckert
( Eckertsthal ) , dans nos naontagnes du Harz,
couverts par l'eau jusqu'a la hauteur de quelques
centaines de pieds, je crois qu'on aurait une
idee assez exacte des cotes de ^Suede ou sont si-
tues ces scheeres. Si Ton pouvait dessecher l'eau
dans cet endroit, on mettrait a decouvert un
sol montagneux, granitique, entrecoupe de ra-
vins profonds et etroits. Des neuf heures du ma-
tin , nous etions dans les environs de Waxhol-
men, citadelle tres-forte du cote de la mer, ou
elle defend l'entree de la capitale. Nous mimes
le cap plus a l'ouest entre des rochers qui s'ele-
vaient comme des murs , et bientot nous tou-
chames au but de noire voyage : Stockholm , la
splendide residence des rois de Suede etait de-
vant nous. Quelle scene admirable et imposante!
Diit-on rdtrograder, sans pouvoir entrer dans la
ville, je crois que cette vue seule sumrait pour
dedommager de toutes les fatigues du voyage.
VOYAGE EN SUEDE. •"
Stockholm ne peut etre compare ni a Naples, m
a Genes; mais il rappelle, par la majestueuse
hardiesse des rochers ou sont assises ses plus belles
maisons, par ses eaux et la foret de mats qui les
couvre, le panorama de ces deux villes reunies.
■ — -fc:
SEJOUR
A STOCKHOLM
UN TOUR
A UPSALA.
II.
\
SEJOUR
A STOCKHOLM.
UN TOUR
I
A UPSALA.
Quelle confusion sur le vaisseau , des que It*
piston cessa de jouer ; person ne ne songeait a
dire adieu ou au revoir a ses compagnons de
voyage. Les employes de la douane et de la po~
li<:e etaient arrives a bord, et chacun voulail
passer le premier a la visite pour quitter l'em-
barcation. Pour la premiere fois de ma vie jc
ressentis la difficulle et le desagrement de ne
BlBt
}2 VOYAGE EN SUEDE,
pas compreudrc la laague du pays que je visi-
tais; pas un employe qui connut l'allemand, le
francais ou une autre langue que la sienne. Ce-
pendant un des passagers eut l'obligeance de me
tirer de cet erabarras. Les difficultes furent
bientot levees; ma malle ne fut pas meme ou-
verte , sur l'assurance que je donnai qu'elle ne
renfermait que nos elfets, et je pus mettre
pied a terre. Je trouvai sur le rivage un Droschka
ou fiacre, qui me transporta, en quelques mi-
nutes, a l'hotel du Commerce, espece d'hotel
garni situe Stora-Nygatan (grande nouvelle rue)
dans la cite. J'y choisis deux jolies chambres
proprement meublees , a raison de trois thalers
(six francs) par jour, suivant le tarif etabli. On
voit qu'il est assez eleve dans les premiers
hotels de Stockholm , car je ne crois pas que
j'eusse paye plus cher a Berlin ou a Vienne.
Outre l'hotel ou je suis descendu, il y en a un
autre du meme genre , qui prend le nom d'ho-
tel garni. II est situe dans le faubourg du Nord '
(Norrmalm) , dans la belle rue de la Reine
[Drottning-Gatan). Une particularity de Stock-
1 Je ne puis regardcr Norrmalm ni Scederrnalm comme de^
faubourgs. Quoique Vcau les separe de la cite , ils no le ce-
dent a celle-ci ni en bcaule ni en importance.
VOYAGE EN SUEDE. 45
holm, c'esl qu'on n'y trouve point d'auberges,
comme en Allemagne, c'est-a-dire de maisons
ou non-seulement on loge, mais ou Ion donne
a manger. S'il y en a , elles sont mises a la por-
tee des voyageurs moins exigeants, et dont les
besoins ne sont pas ceux des premieres classes
de la societe. Le voyageur doit done avant tout
se pourvoir dun logement dans une maison
particuliere; les affiches qui les indiquent pul-
lulent ; rien n'est done plus facile que de s'en
procurer a son gre , au second ou au troisieme
etage. Si je n'avais voulu consuller que ma
bourse , le plus simple eut ete de sortir de mon
hotel au bout de quelques jours , et de prendre
un logement particulier, a la semaiae; j'aurais
depense une fois moins. Mais plusieurs raisons
me determinerent a rester dans eet etablisse-
ment jusqu'a mon depart. Le fds du proprie-
taire parlait allemand ; il etait toujours pret a
m'obliger et a me donner toutes les explications
que je pouvais desirer; le portier de la maison
(et e'est une rarete a Stockholm) ne quiltait ja-
mais son poste et s'acquitlait avec exactitude
des commissions qu'on lui confiait. Mon guide
etait attache a la maisou; le service etait fait par
deux belles Suedoises , avec lesquelles je ne pou-
14 VOYAGE EN SUEDE,
vais malheureusement echanger qu'un langage
mimique, comme j'eusse fait avec des sourds-
muets. Enfin , le lit (chose importantepour moi)
valait ceux d'ltalie , avec leurs bons matelas. Je re-
commande done consciencieusement l'hotel du
Commerce a ceux de mes compatriotes qui seronl
a meme d'en profiter. De plus , le cafe que j'y
prenais etait bon et le dejeuner assez conforta-
ble. Le peu de jours ou je n'eus pas a repondre
aux engagements empresses de l'hospitalite sue-
doise , j'allais diner dans un restaurant a la
carte, appele Hotel-Royal , rue de la Reine, au
faubourg du Nord. Outre qu'on y etait bien
traite , j'avais l'agrement d'entendre parler ma
langue au chef de l'etablissement. Je d^couvris
un cafe sous une voute du pont gigantesque,
qui , jete sur les deux bras du Melaren , conduit
de la place de Gustave-Adolphe au chateau du
roi. Pourvu d'un bon guide qui me servail
d'interprele , tous mes arrangements etaienl
faits pour la satisfaction des besoins qu'on
eprouve sur une terre etrangere. Mon guide me
coutait assez cher; je lui payais trois thalers
banco; mais il faut remarquer qu'il n'a, pour
gagner son pain de toute 1'annee, que la belle
saison, pendant laquelle Stockholm est tres-
VOYAGE EN SUEDE. 45
frequente par les voyageurs; car l'hiver il ne
fait rien comme interprete; il s'appelait Ander-
son et etait originaire de File de Bornholm en
Dannemark. On me l'avait presente comme pai -
lant tres-bien le suedois , mais il n'en etait pas de
meme de 1'allemand; il ne connaissait que Par-
ticle feminin, et disait : la mart {die Mann), etc.;
mais c'etait la bonne foi , l'hoanetete et la ponc-
tualite personnifiees; je le recommande a tous
ceux qui frequeulent la capitale de la Suede.
Ces dispositions que j'avais prises des le jour
meme de mon arrived, c'est-a-dire le 4 aoAt ,
me laissaient assez de temps a depenser. Apres
diner mon guide me proposa de faire une pro-
menade au pare, le Prater de Stockholm. J'ac-
ceptai d'autant plus volontiers qu'il faisait un
jour d'ltalie, tant le ciel etait pur et chaud , et
que j'esperais, car c'etait un dimanche, voir un
<*raud concours de tout le monde elegant de la
residence. Comme ma curiosite etait stimulee
par le souvenir de quelques ouvrages que j'avais
recemment lus ! Je commencai done mes ob-
servations par le pare que je parcourus plusieurs
fois depuis a pied et en voilure.
Le pare royal est a Test de Stockholm; e'est
une presqu'ile d'une lieue et demiede circonfe-
40 VOYAGE EN SUEDE,
rence, formee par un petit golfe de la Baltique,
baignee en partie par ses eaux et plantee d'ai -
bres. On arrive au pare de la partie nord-est de la
capitale, qui porle le nom de Ladugards-Landet
par un pont flottant; mais le trajet se fait plus
rapidement de tous les points de la partie est de
Stockholm dans de petites nacelles conduites
par de vieilles femmes (roderskor), dont la gros-
sierete" du langage est devenue proverbiale, et
dont la figure et les manieres n'inspirentd'autre
sentiment que celui de la pitie. Cette penin-
sule, allongee del'ouest a lest, laisse a nu, dans
beaucoup d'endroits, ses flancs granitiques. Elle
est remplie, surtout sur la cote rocailleuse ex-
posed au midi, decampagnes pittoresques, d'ou
la vue embrasse avec devices la mer, la capitale
et surtout les rochers de la cote opposee ou
s'eleve le faubourg du sud (Sodermalm). Au
centre et au nord , le pare est seme de maisons
et d'etablissements de tout genre qui le font
rivaliser, sous ce rapport, avec le Prater des
Viennois. On ne voil que restaurants, cafes, ba-
teleurs, cirques d'equitation, danses, entrecou-
pes d'allees ou circulent facilement les voitures
et les cavaliers, tandis que des senliers pratiques
dans le gout anglais conduisent les promeneurs
VOYAGE EN SUEDE. 47
dans les sites les plus agreables. Des roehers
groupes a souhait pour le plaisir des yeux, des
chenes seculaires des cotes hardiment elevees,
d'ou I'oeil s'elend sur la mer, sur les vaisseaux
qui la couvrent et sur la ville, forment pour le
peuple uu lieu de plaisir qui n'a pas son pareil
en Europe, du moins je n'en ai point rencontre
de semblable dans les parties du continent que
j'ai visitees. Imaginez un endroit de ce genre ou
retentissent une musique animee et des milliers
de voix d'bommes de toutes conditions, et vous
avouerez que le pare vaut la peine d'etre vu un
dimanche. La, on peut juger si les femmes sue-
doises merilent ou non la renommee de beaute
dont elles jouissent; et Ton ne peut se refuser a
admettre que non-seulemenl elles ne le cedent
pas sous ce rapport a celles de l'Allemagne me-
ridionale, mais qu'ellesmettent dans leurs mou-
vements une grace, qu'on ne trouve que par
exception dans ces dernieres. Comparez l'espece
de grimace hautaine si repoussante pour les
hommes delicals par laquelle la plupart de nos
dames allemandes repondent a un compliment,
au salut ravissant dont une Suedoise, a moins
d'etre paysanne ou mendiante, recompense un
mot aimable, et dites si nos belles Allemandes
48 VOYAGE EN SUEDE,
n'auraient pas beaucoup a apprendre en Suede ,
car elles n'ont pour but que de plaire aux hom-
ines. Les extremes se touchent : on retrouve
dans le nord, avec la grace des Parisiennes, la
beaute des charmantes filles de Tivoli et d'Al-
bano, quoiqu'elles se produisent plutot en
Suede sous la forme d'une Venus ou d'une Ce-
res 1 que sous celle d'une Junon. Je me rappelle
que la conversation et les manieres exquises de
la baronne, qui arrivait toujours un pcu tard
au diner sur le Svithiod, la facilite quelle avail
a s'entretenir avec des hommes, m'apprirenl
que je n'etais plus dans notre Basse - Saxe si
prosaique , ou le maintien a l'anglaise roide et
guinde detruit tout le charme qu'un leger lais-
ser-aller donne a une femme. Hya pis, c'esl
que l'observateur attribue cette roideur a un
defaut d'intelligence et d'innocence, quoiqu'elle
soit nalurelle et ne puisse se corriger que rare-
ment par l'instruction.
Non loin du golfe , dans la partie septentrio-
nale du pare , nominee surbrunnswiken , parce
qu'il en sort une source d'eau minerale, se
trouve Rosendal, maison de campagne du roi.
Cet edifice sans gout est d'une grande simpli-
« Flava Ceres, libi sit noslro de rure corona spicea.
VOYAGE EN SUEDE. 49
cite : il a deux etages et sa facade est percee de
neuf fenetres. Cet endroit et ses environs sont
susceptibles de grands embellissements. Dans
lete la famille royale a coutume d'y passer la
journee, car elle n'y couche pas. Le grand roi
parait en faire son sejour de predilection : c'est
la qu'il se repose des soins du gouvernement
qui absorbent tout son temps. La chose la plus
remarquable a Rosendal, dont je n'ai pas eu
occasion de voir l'inlerieur, est un morceau
d'art unique au monde, avant que le roi ac-
tuel, qui l'avait fait executer, en eut fait faire
un semblable pour donner en present a l'era-
pereur Nicolas. Je veux parler d'un vase de por-
phyre rouge d'Elfvedal, de douze pieds de dia-
metre et de neuf pieds de hauteur. Cet ouvrage,
admirable par 1'elegante purete de son dessin,
auquel plusieurs annees ont ete consacrees, et
dont l'antiquite ne nous offre point de modele,
est assis sur un piedestal de granit entoure de
gazon. On m'a dil que pendant la rigueur de
I'hiver il elait convert de planches, de peur qu'il
ne se remplit de neige et de glace qui pourraient
le det^riorer.
Le roi a donnedansce pare, au celebre sculp-
teur suedois Bystrom , une sorle de rocher, ou
50 VOYAGE EN SUEDE,
celui-ci s'est fait batir une villa qu'il veut ha-
biter meme en hiver. C'est la que je le vis en
soci&e de M. Roek, gentilhomme de la chani-
bre et intendant du musee royal du chateau
de Stockholm. J'aurai occasion de parler plus
tard de ces deux messieurs. Le soleil etait sur
le point de se plonger dans la mer , lorsque je
me trouvai avec une compagnie nombreuse sur
le golfe qui forme le port de Stockholm. Je des-
cendis a peu de distance du chateau , la ou s'e-
leve la statue de Gustave III. Quoiqu'ii se fit
tard, une foule de visiteurs s'y rendirent pour
s'amuser : la soiree etait aussi belle quelle eut
pu etre dans le golfe de Naples. La vue dont
on jouit de Skeppsholmen et de Castelholmen,
deux rochers qui sortent des eaux enlre le pare
et le Skeppsbron, est aussi imposante que celle
de Chiaja et de Villa-Reale, a Naples. C'est cet
endroit surtout qui rappelle au voyageur le
Parthenopeembelli.Ainsi s'ecoula ma premiere
journee a Stockholm; je me felicitai d'avoir eu
1'idee de visiter le nord de l'Europe, apres en
avoir parcouru le midi.
La situation de Stockholm ne laisse rien a
VOYAGE i:n SUEDE; ;il
desirer, cl il n'y a pas d'exageraliou a la compa-
rer a Naples , a Genes el a Lisbonne ; non qu'elle
soil ce que sout ces villes, mais parce qu'elle a
avec elles bcaucoup cle similitude. La nature ,
qui s'est nionlree prodigue en faveur des villes
du midi , a mis Stockholm au-dessus de loules
les aulres villes du centre el du nord de ['Eu-
rope. Je pretends qu'il est impossible a celui
qui n'a pas vu Stockholm , de se faire une idee
exacle tie lout ce que celte villc a d'altrayant.
Je vais essayer d'en presenter ie tableau aussi
amine" qu'il soil possible de Ie faire sans dessins
et sans eravures. Stockholm esl place entre le lac
Melareh el un bras de la Baltique qui entre as-
sez avanl dans les terres el qui esl, pour ainsi
dire, defendu par d'innombrables scheeres. Le
Melaren a au moins douzeniillesde longueur de
Test a I'ouest , jusqu'a Vesleros el Keeping, et
huit milles de largeur t\u sud au nord , jusqu'a
Upsala. II a un caraclere particulier el unique.
Mille trois cent iles de differcntes grandeurs
herissenl sa surface et occupeul un espaee plus
grand que ses eaux, dans lesquelles se mirenl
cent trente chateaux. Les cou rants en rendenl
la navigation difficile. Ce lac merveillcux, flout
l'origine est fabuleuse, a son embouchure dans
_., VOYAGE EN SUEDE,
la Baltique, du cote ou est batie Stockholm. La
derniere He, que baigne a 1'ouest le Melaren
el au nord la Baltique, a d'un c6le des eaux
douces, de 1'autre des eaux salees. Elleobstrue-
rait cette embouchure si au nord et au sud les
flots ne se frayaient un chemin , en determmant
un couranl rapide. Sur celle He repose la cue
hladenl noyau primitifde loute la ville , comme
l>a ele a Paris l'Ue de la cite , formee par la Seme.
Un superbe pont de granit joint au nord cet.e
lie au continent; elle communique au sud , par
un pont a ecluse, avec une pcninsule de ro-
chers. Sur la lerre ferme s'elend le Normalm ,
quarlier le mieux bati de Stockholm; et snr la
peninsule, le Sodermalm qui , par sa s.tuation
sur des roches de granit , rappelle le Capo d,
Monte de Naples. Ces trois divisions princ.pales
(la Cite, le Normalm, le Sodermalm) ne com-
petent cependant pas toute la ville. Elle se pro-
longe a l'ouesl sur les ties du Melaren et a 1'esl
sur les lies ou presqu'iles de la Baltique et
forme , avec le pare qui en fait parlie , en quel-
que sorte, lemagnifique ensemble qui nous oc-
cupe. S'il suffit d'un fleuve ou d'un golfe pour
cmbellir une autre ville, quel charme saisissant
„ e doivent pas Jeter sur Stockholm ces eaux qu.
VOYAGE EN SUEDE. 53
I'etreiguent dans tanl de sens, qui se brisenl
sans fin conlre ses rocliers, et ces rochers eux-
memes qui produisent une impression plus pro-
fonde que Venise, donl les laguues trahissent
trop la main de l'homme, et qui n'a pour re-
jouir l'ceil que ses eglises et ses lignes de palais.
II est vrai que la severe nature du nord se re-
vele surtout a Stockholm. Ses eminences ne sont
pas, comme a Naples, embellies par les lauriers
et les myrlhes; ses roches surgissent toutes nues
entre les maisons, ou si elles recoivent quelque
ombre, c'est celle des chenes et des sapins.
Aussi n'y est on pas assourdi par le mouvement
incessant et bruyanl de la population napoli-
taine; mais en revanche, on y rencontre ni
lazzaroni ni troupes de mendiants. Mais une
population bieu vetue, porlanl tous les signes
du bien-etre, se meut avec le calme phlegma-
lique du nord , au milieu d'un silence qui n'est
interrompu que par les chariots des paysans.
II n'entre pas dans mes vues de donner une
description de Stockholm et de tout ce qui!
renferme de remarquable. Je ne me suis jamais
senti de penchant pour les travaux topographs
ques; el quand j'y aurais etc dispose, les qua-
lorze jours que jepouvais employer a cette elude ,
34 VOYAGE EN SUEUE.
pouvaient-ils me suffire pour recueillir les ma-
terial necessaires? Ajoulez que j'ignorais la
langue du pays. J'avais deja assez de difficult
a vaincre pour atteindre mon but, qui etait de
connaitre d'une maniere generate mais precise ,
la capilale de la Suede; car, une chose elon-
nanle,c'estqu'il n'exisle point de description de
cette ville en allemand , en anglais ni en fran-
cais. 11 n'y en a qu'en langue suedoise ; el cct
idiome n'est guere connue hors des fronlieres
des irois royaumes. On a commence a en pu-
blier une en francais; mais elle a ete inlerrom-
pue, el les feuilles qui ont ete mises au jour
ne sont qu'un livret des ceuvres d'art que ren-
ferme le chateau. Aussi , Tetranger qui ignore
le suedois est-il oblige d'avoir recours a des
Voyages dans le nord et de se confier au bon
vouloir d'un homme a gages. Mais le moyen de
trainer apres soi de petites bibliotheques des
voyages ?Etl'on sait ce quon a a atlendre d'un
valet de louage hors de lllalie. II n'existe pas
sur la Suede d'ouvrages comme ceux de Volk-
mann et de Neigebauer sur l'llalie. C'est ce qui
m'a determine a ne donner qu'un tableau sem-
blable a ceux que j'ai traces d'aulres pays dans
les premiers volumes de cct ouvrage; quoiqu'ils
VOYAGE EN SUEDE. 55
ne soient pas aussi acheves que si je fusse reste
plus longlemps sur les lieux , je puis assurer le
lecleur qu'ils soul fideles et copies d'apres na-
ture.
J'ai dit que I'ile ou est la cite communique
avec la partie septeulrionale (Norrmalm) de la
ville par un beau ponl de granit, jete avec une
grande hardiesse sur le bras du Melaren qui se
decharge dans la Ballique. 11 a cela de commun
avec le ponl de Dresde, qu'il reunit deux places.
A.u sud, il conduit a celle du chateau; au nord,
a celle de Gustave-Adolphe. Ici , jetez les yeux
sur la statue equestre de ce grand roi tourne
vers le sud , vous aurez une vue telle qu'on n'en
a point en Europe. Nous nous trouvons sur une
place assez vaste, a droiteel a gauche sontdeux
edifices dont les facades, parfaiteraenl sembla-
bles , sont orneesde colonnes et de pilastres d'or-
drecorinthien : I'un est le Grand-Opera, Pautre
le palais du prince Charles. Sur la meme ligue
selance, sur l'embouchure du Melaren, le ponl
de granit, un liers plus long que celuide Dresde.
Son grand developpemenl ne nuil point a 1'effel
du chateau qui s'eleve en face, et dont le coup
d'tcil, de cecole, est incomparable. Car il n'est
56 VOYAGE EN SUEDE,
pas bati en rase terre, mais sur une vaste ler-
rase ou coaduisent deux rampes que semblenl
garder deux enormes lions en bronze. C'est avec
raison que la Suede montre avec orgueil ce cha-
teau , acheve en 1753. II y en a ailleurs de plus
vastes, mais nul ne reunit autant de majeste a
aulant de grace, surtoutdu c6te qui se pr&en-
tait a rues regards. II a six elages, trois grands,
irois plus petils; trente-neuf fenelres ornent
sa facade qui a trois cents vingt-huit pieds sue-
dois; les deux ailes ont dix-huit fenelres. Elles
sont dans une telle harmonie avec le corps prin-
cipal , qu'on sent, en le contemplant, la justesse
de l'expression musique petrifiee, appliquee ami
morceau archilectonique parfait.
Maisquesont ces beautesde l'art, si la nature
n'y joint les siennes pour en faire un tout com-
plet? L'oeil, en se dirigeant a gauche , plane sur
une mer couverle de vaisseaux de guerre el do
bailments marchands, el est arrele a l'horizon
par un fond de rochers entremeles de vastes
edifices. L'eau , cet element essentiel d'un tableau
vivant, ne fait pas plus defaut a droite. La fleche
,le la cathedrale (Storkyrkan) qui s'elance au-
dessus des maisons environnantes el 1'obelisque
erige par un roi reconnaissant pour cterniser la
VOYAGE Ei\ SUEDE. 57
fidelile des bourgeois de lacapitaledansun temps
diffficile, ajoutenlau piltoresque qui distingue la
physionomie des bords du lac. Si Ton se repre-
sente maintenant les places, le pout et la mer
elle-meme animes par l'aclivite de milliers
d'hommes, on concevra facilemenlqu'il est pres-
que impossible de voir ailleurs une pareille scene.
La Suede belliqueuse, brave et couverte de gloire,
meritaitd'avoirunetelledemeureaomirasesrois.
Les trois autres facades du chateau , quoique
differentes entre elles, n'offrent pas moins d'in-
leret. Je remarquai surtout la partiequi regarde
le port, au nord-est, et qui enveloppe, de ses
deux ailes, un charmanl petit jardin (Logarden)
plante de fleurs. Deux escaliers de granit con-
duisenla la place qu'embellit la statue en bronze
de Gustave III. C'est de cette place que s'embar-
quent les membres de la famille royale; c'est la
aussi ou ils melteut pied alerre, au retourdeleurs
expeditions ou de leurs piomenades sur mer. Du
cole oppose du chateau est une avant-cour demi-
circulaiie, formeepar une galerie en arcades, qui
sert de corps-de-garde. Elle est ornee de dix co-
lonnesdoriques, surmonteesde cariatides, mode-
lees par Cousin, el qui supporlenl des pilaslresco
rinlhiens. Les portraits, encadres de medaillons,
38 VOYAGE EN SEEDE.
par le meme matlre, des rois de Suede, depuis
Gustave l er jusqu'a Charles XI, garnissent le*
ent re-colon nements. La plus belle facade, a mon
avis, est celle du sud-est. Elle presente six fortes
colonnes corinthiennes chargees de trophies,
de 1'artisle que nous venons de nommer, et re-
garde la cathedrale et 1'obelisque. La cour du
chateau est un parallelogramme de deux cent
soixanle pieds suedois de longueur sur deux
cent vingt-qualrede largeur; sa toiture est a
l'italienne. Les architectesqui ont concuce beau
morceau sont Nicodeme Tessin, el son fils, le
comic Charles- Gustave.
J'ai visile aussi I'interieur du chateau ; la reine
habile le premier etage et le roi le second. Les
ornemenls et les decorations des apparlemenls
sont dignes des personnes auxquelles its sont
deslines° lis ne sont pas dans le gout moderne,
et c'est ce qui impose encore davantage. Les eta-
ges se composent d'une filede salons elde cham-
bres. On y admire la foule de statues des Sergei ,
des Goelhe, des Fogelberg et des Byslrom , cele-
bresarlislesnalionaux; preuveevidenteque 1'ari
csl cullive avec succcsdans le fond deces froides
conlrecs.
La bibliolheque royalc et le musee soul pla-
,
VOYAGE KN SUEDE. •'>'.)
pes dans l'aile nord-est. La premiere a une richc
colleclion cle livres qui dalent des premiers sie-
eles de la decouverte de l'imprimerie, des ma-
nuscrits precieux parmi lesquels ou dislingue le
Code du Dinble (Tcufcls-Codcx), une Vulgate ,
un Josepkc, un Isidore, edits sur velin , in-folio.
Ces raretes sont toujours presentees aux voya-
geurs. Ce sont des tropbeesde la guerre de trenle
ans; on lesdoil au fameux Kocnigsmark, qui les
prit a Prague. Je ne puis me resoudre, pour don-
ner une connaissance plus delaillee de cette col-
leclion, atraduire le catalogue qu'on en trouve
daiisrouvragede M. Ekmark. Du reslecelle bi-
bliotheque, quant a son importance, ne saurail
soutenir la comparaison avec les grandes biblio-
iheques d'Allemagne.
Le musee est sous rinspecliou d'un homme
d'un rare merite, M. de Roek, genlilhomme de
la chambre et inlendant. 11 parlait italien avec
la facilile el I'elegance d'un Romain ou d'un
Florenlin. \\ employa celle langue pour me dou-
ber tons les eclaircissemeuts possibles sur le tre-
sor confie a ses soins. L'amabilile, la bonle el
I'urbaniledelicalequ'il mettaitases explications,
rebaussaient le prix que j'y allachais. La galerie
de tableaux est remarquable; celle des antiques
gO VOYAGE EN SUEDE.
Vest encore plus. Apollon et les muses soul des
chefs-d'oeuvre de l'antiquite, el les statues des
empereurs rotnaius de la collection de P.ranes.
pourraient figurer avec avantage dans les plus
errands musees de l'Europe. Ce que j'y ai vu de
plus admirable est un Endymion endormi ,
repos, en marbre grec, un peu plus grand que
nature, achele a Rome en 1784, pour la somme
de deux mille ducats. Ce morceau avail ete trouve,
un an auparavant, dans les mines du palais de
1'empereur \drien, presdeTivoli.il estsiacheve,
si bien conserve, qu'il eut du prendre une place
distinguee dans le musee du Vatican lui-meme.
On y voit un grand nombre d'excellentsouvrages
de Sergei, de Fogelberg et de Bystrom. Le ce-
lebre groupc de l'amour de Psyche du premier
de ces artistes, merite surtout d'etre etudie el
admire, fl y a peu de princes qui donnent aux
arlistes de leur pays des Iravaux aussi impor-
tants et aussi honorables, que le roi Charles-
Jean. Ce fait revele l'elevalion d'ame de ce glo-
neux monarque. Ce sont surtout les grands rois
de l'ancienne dynaslie qu'il a fait executer par
Byslrom sur une echelle colossale, et donl il
veut former un musee historique , bien different
en cela de Napoleon. J'ai vu plusieurs de ces sla-
• %*
VOYAGE EN SUEDE. <H
lues que Bystrom a sculptees a Carara : elles
etaienl arrivees recemment d'llalie et n'etaient
meme pas encore placees. On les avait depo-
sees dans un edifice situe au nord de la place de
Charles XIII , en allendant que le projet du mu-
see put se realiser.
Jean-lNicolas Bystrom , ne a Philipslad , dans
le Wermland, le 18 decembre 1783, est sans
conlredit le premier sculpteur de son epoque,
apres Thorwaldsen. II est l'eleve de Sergei; mais
il s'est forme sur les chefs-d'oeuvre des grands
maitresde l'anliquite, en Ilalie, ou il asejourne
longlemps a differentes reprises. Ses principaux
ouvrages sont enlre les mains du roi de Suede
el du prince royal; cependant, differenls parli-
culiers en possedentde tres-estimables en Angle-
lerre et en Italic. Bystrom est l'homme le plus
aimable et le plus modeste; il a eu la bonte
de me donner, ecrit de sa main , le catalogue de
ses ouvrages. Mon ignorance de la langue sue-
doise ne me permet pas d'en donner la traduc-
tion 1 .
Plusieurs salles du chateau sont destinees a
'On trouve dans le Dictionnaire de la conversation (Leipzig,
chez Brockhaus), un article Ires-inlcressanl sui ecl artisle
o61ebre.
& , VOYAGE EN SUEDE
une collection d'objets raresdu moyeu age, tels
qu'on en trouve assez communement dans nos
vieux chateaux. On y conserve des reliques des
rois de Suede , comme les habits couverls de sang
de Gustave-Adolphe, de Charles XII et de Gus-
tave III , le berceau et les jouets de Charles XII ,
et une pantoufle brodee de Christine : cetle
chaussure prouve que la savante reine n'avait
pasun pied tres-mignon. La, ont aussi leur place
les habillements de fete et de courounement des
derniers roisde Suede. Mais je trouvais fort cn-
nuyeux de voir tout cela comme par devoir, el
je fus tout content , lorsque je pus raettre deux
thalers dans la main de mon cicerone pour le
recompenser de sa peine et sorlir. Je me promis
bien de ne revoir de si tot de pareilles anti-
quailles.
J'eus le plaisir, au musee royal, de renouve-
ler connaissance avec un savant et un homme
d'Etat estimable , que je n'esperais plus revoir de
mes jours. Je veux parler de M. Alexandre Tur-
geneff , de Moscou , conseiller d'etat de Russie.
Sa passion pour les etudes historiques , nolam-
ment en ce qui louche sa palrie, le pousse a
travels TEurope pour fouiller dans les archives
VOYAGK EN SUEDIi. 65
el les bibliolbeques et se procurer les moyen s
de fixer des dales incertaines ou de remplir des
lacunes. II a fait ses premieres eludes a Goellin-
gue , mais c'est sous !e celebre Heeren qu'il a
acquis la consislance d'un historien erudil el
profond. II m'avait visile , quelques semaines
auparavanl, a Wolfenbullel , ou il pareourait
la bibliolbeque avec une extreme avidile. 11 me
reconnut de suile. 11 elail venu eu Suede par
Hambourg, Kiel, Copenhague et Gothenbourg,
et poursuivait ses rechercb.es avec la meme avi-
dile. II meltait une exactitude scrupuleuse dans
les choses meme qui paraissaienl avoir peu de
rapport au but de son voyage, ce qui me fit
sou vent rougir de ma negligence a cet egard;
ear, tandis qu'il notait au crayon tout ce qu'il
jugeait digne de remarque, je men rapporlais
a ma memoire. Aussi esl-il probable qu'il retire
plus d'ulilile que moi des voyages; maisjecrois
quej'y trouve plus de plaisir, et c'est la I'affaire
iniporlanle a mes yeux dans ces sorles d'excur-
sions. Plus d'une fois j'ai declare que je n'avais
en vue , en donnant la relation de mes voyages,
que de procurer a mes lecteurs un passe -temps
agreable. Nous laissons done a de plus serieux
observaleurs que nous de voyager a la ma-
u VOYAGE EN SUEDE.
nie re des Perz , des Palacki , des Turgeneff. Ce
qui me convient le plus, c'est de parcounr le
m onde comme la vie, aussi joyeusement que
possible, sans soucis, avec un peu de science.
Hie potens sui
Lffitusquedeget.cui licet in diem
Dixisse : Vixi I
Ce seul mot resume la philosophic la plus
complete et la plus raisonnable.
Les eglises de Stockholm sont presque sans
ma jeste. Celles qui ont ete construites dans
l'ancien style germanique ont ete depuis telle-
ment defigurees par les reparations qu'on y a
faites , qua peine on en pent deviner la phys.o-
nomie primitive. Cette remarque s'apphque sur-
,out a la cathedrale , siluee pies du chateau , et
ou se fait le couronnement des rois et des remes.
Le monarque actuel et apres lui son dpouse, y
ont ete sacres. Elle ne porte exterieurement au-
cune trace d'architecturegothique, et ressemble,
vue du cote de 1'obelisque, a la plupart des
eglises des couvents italiens.
° L'eglise de Riddarholmen (He des chevaliers) ,
VOYAGE EX SUEDE. O'i
dans la petile ile du meme iiom , qui commu-
nique par uii pout a la cile, cetle eglise, oii
sont les tombeaux du grand Guslave- Adolphe
el de Charles XII, a egalement perdu beaucoup
de son caraclere gothique a lexterieur; a linte-
rieur elle a moins perdu. Pendant que j'y elais,
on y faisait des reconstructions , et Ton reparail
la lour qui avait ete endommagee par la fou-
dre. Elle a le defaut d'etre trop basse.
L eglise allemande {Tyska Kyrkan) , dans la
cile, est un vieil edifice tres-vaste, avec une
tour assez bien conservee. La paroisse , autrefois
t res- considerable , est presque nulle aujour-
il'hui. Plusieurs families suedoises , d'origine
allemande, y sont altachees. Lecole allemande
est dans son voisinage.
L'eglise finnoise, pies du chaleau , nest pour
ainsi dire qu'une chapelle. J'enlendis une par-
lie d'un sermon en finnois, quoique je n'y com-
prisse pas un mot. Le predicaleur declamait
comme on le faisait , il y a cinquanle ans , dans
1'Allemagne protestante. Les bonnes femmes qui
l'ecoulaient furent louchees jusqu'aux larmes;
je crois pourtant qu'elles n'enlendaienl guere
mieux que moi ce qu'il leur debitail.
L'eglise Saint- Jacques , dans le Norrmalm ,
1
OG VOYAGE OS SUEDE.
pi es la place de Charles XIII , n'a rien qui revele
a 1'exterieur son origine gothique que ses fene-
Ires eu ogives.
Leglise d'Adolphe-Frederic , dans la partie la
plus septentrionale du meme faubourg, est la
plus belle de toutes celles de la capitale. Elle fut
erigee dans le gout italien par A-dolphe- Frede-
ric et fut achevee en 1776. Elle a un aspect de
grandeur imposante auquel ajoute sa tour, qui
a presque la forme d'une coupole. On voit dans
cette eglise deux morceaux , dus au ciseau de
Sergei. Le premier, qui orne un autel , repre-
sente la resurrection du Sauveur. 11 est a regrel-
ter que cette ceuvre precieuse ne soit qu'en pla-
tre. Le second est un cenotaphe , erige en l'hon-
neur de Descartes. Cecelebre philosophe, appele
en Suede par la reine Christine , mouruta Stock-
holm en 1653 , peu de temps apres son arrivee.
Ses os reposerent longtemps dans le cimetiere
Saint - Jean, jusqu'a ce qu'ils fussent transpor-
ts a Paris. Le monument est surmonte d'un ge-
nie aile qui , d'une main , souleve un voile qui
couvre le globe de la terre , et de 1'autre l'eclaire
d'un flambeau .L'ideeest plus ingenieuseque juste;
car il faut avouer que Descartes n'a point etendu
la connaissance du mecanisme de l'univers.
VOYAGE EN SUEDE. <>7
Leglise Samle-Calherinc est la plus belle tie
celles du faubourg du sud (Sixlermalm). Elle
a ele conslruite au commencement du siecle
dernier; elle est aussidans le gout italien et or-
nee dune coupole, aulour de laquelle s'elevent
qualre tourelles assez semblables a des minarets.
L'eglise de Tile des vaisseaux (skeppsholmen)
erigee pour la marine, a quelque analogie avee
le Pantheon romaiii a cause de sa coupole. Le
resle de 1 edifice, de forme octogone, en differe
tolalement.
Je neparlerai pas des aulres eglises de Stock-
holm; elles merilent d'etre visitees , mais leur
architecture n'offre rien de remarquable. En
revanche elles possedent des uiuvres d'art distin-
guees, et souvent des monuments historiques
que le desir d'honorer les grands hommes qui
out illustre la Suede, el de rappeler les hauls
fails d'armes que son histoire a consignes , a
rendus communs dans ce pays. Le professeur
Schubert, dans son Voyage en Suede selend
sur tout ce qui se rapporte aux edifices el a
1'histoire du culte. Sa methode, toute instruc-
tive qu'elle est, n'entre pas dans mon plan.
Autanl la capitale de la Suede est riche en
maisons particulieres vasles et commodes , au-
.
6g VOYAGE EN SUEDE,
tant elle est pauvre en palais. Elle a de belles
casernes, admirablement situees; seshopilaux,
surlout 1'hopital militaire pour la garnison ,
bati par le roi acluel dans Kungsholmen (He
du roi), le quartier de medecine de la ville,
ou les hopitaux sont tres-rapproches l'un de
I'autre, sont des edifices magnifiques; le der-
nier surtout meriterait la qualification de palais
s'il n'etait le sejour des malades. Mais ces chefs-
d'oeuvre d'archilecture , comme on en voit a
Venise, a Genes, a Vienne ou a Berlin, il ne
faut pas les chercher a Stockholm. La maison
des nobles {riddarhuset), la bourse, la monnaie
el quelques autres edifices ont un developpe-
ment exterieur considerable; mais ils manquent
du grandiose qui impose l'admiration. A. l'ex-
ception de la place de Gustave-Adolphe, du
pont jete sur le Melaren et surtout du chateau ,
avec lequel peut-etre aucun autre en Europe
ne peut rivaliser, on ne trouve de magnificence
que celle de la nature; mais elle suffit pour
compenser tout ce qui manque d'ailleurs a
cette capitale. Je repete ce que j'ai dit tant de
fois : on ne peut rien voir de plus ravissant que
l'ensemble produit par la mer, les rochers et les
hommes. Cesl du sommet du telegraphe surla
VOYAGE EN SUEDE. 69
montagne de Molse (Moses- backe ) dans le fau-
bourg du sud , ou d'uu cafe qui en est voisin,
qu'on jouit de la vue la plus etendue. On a
sous ses pieds la parlie inferieure du faubourg
du sud, a gauche presque tout le Melaren et
ses lies, entre autres Kungsholraen; plus loin
c'esl la ville, le grand pont du Melaren et le
faubourg du nord, selevant en pente douce
jusqu'a l'Observatoire et au chateau de Haga, a
deux pas de la et a droite le port ou se balance
une foret de mats, puis le Caslelholmen , le
Skeppsholmen, la belle ile de Saint-Blaise (Bla-
sieholmen) , le Ladugardsland; enfin , a l'ho-
rizon le pare avec ses bois, ses rochers et ses
maisons de campagne. J'affirrae qu'il est diffi-
cile de trouver un pared panorama. J'ai vu le
golfe de Naples depuis le chateau Saint-Elme et
le chateau Capo di Monte; des hauteurs des
Apennins j'ai considere les baies et les palais de
Genes qui s'etendent a leurs pieds; je ne dirai
pas que les environs de Stockholm, vus de la
montagne de Moise, les surpassenl en beaute,
mais je les regarde comme comparables a tout
ce que I'ltalie peut offrirde mieux sous ce rap-
port. Sous le point de vue des beautes nalurelles,
Stockholm est la Naples du Nord.
70 VOYAGE EN SUEDE.
Un des principaux ornements de Stockholm,
ce sont ses statues. J'en ai deja dti plusieurs. La
plus considerable est la statue equestre de Gus-
tave-Adolphe, en bronze, sur la magnifique
place qui porte son nom. Cest un morceau
achevede Gerard Meyer qui egale les plus beaux
que l'anliquite nous ait laisses. 11 a ete termine
en 1796. 11 repose sur un haul piedestal de mar-
brede Suede qui ne porte aucune inscription,
m ais ou l'on voit en medaillons les rebels de
Torstenson , de Wrangel , de Baner et de Komgs-
m ark, ciseles par Sergei. Une statue colossale de
Clio, representee au momentou elledicte la vie
do grand roi a Axel Oxenstjerna , chanceber du
royaume etson ami, devait etre placee au pied
de la statue equestre; on a abandonne ce pro-
jet. Cette statue en plalre a ete posee dans un
des vestibules du chateau.
Sur la place des chevaliers , s'eleve la statue en
bronze de Gustave Wasa , du meme Gerard
Meyer. Elle represente ce grand homme, lors-
que, de la condition privee, il fut eleve par ses
concitoyens a la dignite royale, en consideration
de ses eminentes quabtes. II a une longue barbe ;
sa lete est couronnee de laurier. Sa main dro.te
lienl le sceptre , en partiecouvert dun manleau
VOYAGE EN SUEDE. 71
richement drape; de la salle des nobles d'ou il
est sorti , il porte ses regards et ses pas vers le
chateau royal qui l'attend. La noblesse erigea
eette statue au liberateur de la palrie en 1773.
Elle fut achevee par le sculpteur francais, Pierre
l'Archeveque. C'est avec raison qu'on critique
le piedeslal qui se trouve eerase par une statue
de onze pieds de hauteur el couvert , pour ainsi
dire, par la grille en fer dont il est entoure\
La statue colossale erigee par la bourgeoisie
de Stockholm a la gloire de Gustave III, est pa-
reillement en bronze. Elle a ele placee sur le port,
au pied de la monlagne du chateau. Le roi a
une altitude heureuse. Son manleau ne le cou-
vre qu'en partie. Sa main gauche, qui lient une
couronue de Iaurier, s'appuie sur le gouvernail
d'une galere, embleme des victoires qu'il a rem-
portees sur mer; de la droite, il presenle une
branche d'olivier, qui m'a paru un peu petite.
Ce morceau, eleve sur un piedestal deporphyre,
est du au talent de Sergei.
On a fail elever, en 1822, sur la place d'ar-
mes, nominee celle de Charles XIII, a ce prince,
pere adoptif du roi regnant, une statue colos-
sale modelee par le professeur Goethe et fondue
a Paris. Le roi, en costume suedois, couvert
72 VOYAGE EN SUEDE
d'uo manleau bien drape, est appuye sur une
ancre de vaisseau. L'ensemble en est imposant.
Des lions de bronze reposent aux quatre angles
sur des degres de granit, qui portent le piedes-
tal ou s'eleve la statue.
Stockholm possede aussi un monument
comme les rois en offrent quelquefois a leurs
sujets : j'en ai deja fait mention. C'esl un obe-
lisque forme de blocs de granit, de la meme
hauteur que le chateau et a son sud-est, sur la
place Slottsbacken, en face de la grande egl.se.
II rappelle le courage que deploya la bourgeoisie
dans la defense de la capitale, pendant la guerre
de la Russie (1788-1790). inscription suivante,
.rayee sur le monument avec la traduction, en
o
explique le motif :
GCSTAVUS III
CIVIUM STOCKHOLMENSICM
FIDEM
FLAGRANTE BET.LO
PROBATAM
POSTERIS TRAM VOLC1T
RESTITBTA FACE
MDCCXC.
GCSTAVUS IV ADOLPHOS
TRADIDIT
MDCCXCIX.
Ce monument fut decouvert le 3 octobre
1800.
VOYAGE EN SUEDE. 75
On voit dans la cite plusieurs rues etroites et
sinueuses; mais ce n'est qu'une exception, car
dans ce quartier comme dans les faubourgs du
nord el du sud , elles sont generalement alignees ,
quoiqu'ellesaient trop peu de largeur pour leur
longueur. Elles sontdecoreesde maisonsde trois
et meme de cinq elages, solidement construites
en briques. Le pave est mal entrelenu; mais il
parait qu'on s'occupea le relever. II y en a meme
dejauneassez grande etendue fort bien execulee
en pierre de granit. On est prive de trottoirs,
si ce n'est sur le grand ponl du Melaren. II est
vrai qu'il serail assez difficile d'appliquer ce sys-
teme a des rues aussi etroites qu'elles le sont.
Le mouvement dans les rues est comme celui de
la parlie de Berlin, nommee Fredericsladt , et ne
peut elre compare a celui de Copenhague, en-
core moins a celui de Hambourg. Aussi
Stockholm, malgre son elendue, ne compte-
l-elle que 85,000 habitants. Les equipages sont
pares, el on n'en voit pas un brillanl. On ren-
contre, au conlraire, une multitude de chariots
de paysans, traines par un cheval; leur course
est rapide et le bruit qu'ils produisent est sem-
blable a celui qu'on entend dans les rues de Na-
ples. II y a des omnibus tres-com modes el de
74 VOYAGE EN SUEDE,
bons fiacres; ils ne stalionneat pas dans les rues
el doivent etre retenus, comme les voitures de
remise a Paris. Stockholm n'a pas de magasins
elegants et etalant a profusion des marchandises
varices, comme ceux de Vienne, sur le Graben;
mais elle ne manque pas de bouliques, comme
on en voit dans nos villes du second ordre, a
Braunschweig , a Hanovre, etc. Les boutiques des
orfevres sont garnies d'objels parfaitement tra-
vailles; les magasins de nouveautes sont tres-
bien assortis, surtout d'etoffes representant les
membresde la famille royale lithographies. Les
librairies, qui tiennent aussi des fournitures de
bureau (ce qui est deja d'un mauvais augure),
ne presentenl qu'un pauvre aspect, comparees
a cellesdeLeipsig, de Hambourg, de Braun-
schweig et de Goetlingue. On n'y Irouve que des
livres suedois et quelques livres francais. Pour-
tant, dans celtes ou j'ai mis le pied , j'ai vu un
rayon charge des ceuvres de Gcethe, de Schiller
el du diclionnaire de la conversation, dernieres
Editions et elegamment relies. Je dois (aire ob-
server qu'il y a de tres-habiles relieurs a Stock-
holm, a Upsala et a Gothenbourg.
Le dimanche, un repos lethargique regue
dans les rues de Stockholm pendant la celebra-
VOYAGE EN SUEDE "•'»
lion du service divin.Toutes les boutiques soul
lertnees. En revanche, les eglises soul pleines
d'une foule elegamment paree, les yeux reli-
aieusement attaches sur le psaulier ou sur le
livre des Evangiles.
On rencontre rarement des mendianls, si ce
n'esl dans les quartiers isoles. Ce sont surlout
de vicilles femmes, qui, sans proferer une pa-
role, font appel a la charite des passants par
quelque geste plein d'humilile. Elles meltent a
remercier une grace qui fait oublier leur age el
leur accoutrement. Dans les restaurants on esl
servi par des garcons comme en Allemagne, et
une femme, soigneusement vetue , occupe le
comptoir. Mais dans les hotels garnis , il n'y a
que des jeunes filles pour faire le service; le
porlier et le domeslique sont les seuls hommes
qui y soient employes, contrairement a ce qui
se fait en Italic Lelranger n'a qua se louer de
1'exaclitude et du soin du domestique de louage
a neltoyer ses habits , el il est en parfaite sii-
rete dans sa chambre. On ne serre que son por-
tefeuille qui renferme son argent en papier-
monnaie. L'anlique bonne foi germanique est
encore un trait caraclerislique des Suedois.
.I'avais oublie mon manleau sur le vaisseau qui
7r> VOYAGE EN SUEDE,
m'avait amene; je ne m'en apercus que cinq
jours apres. II se trouva pr&isement a la place
ou je 1'avais laisse. Jamais on ne vous demande
de pour-boire , et vous voyez loujours les gens
conlenls de ce que vous voulez bien leur don-
ner. Pas la moindre apparence de la cupidile
italienne on fraucaise. Si vous observez la phy-
sionomie el la mise de ceux que vous reucon-
trez dans les rues ou sur les promenades pu-
bliques, vous vous croyez dans le nord de
1'Allemagne. Cependant, il y a moins de blonds
que cbez nous. La maniere de s'habiller ne dif-
fere pas beaucoup de celle des habitants de
l'Allemagne septentrionale , si ce n'est que les
femmes, dans les classes inferieures, se eoiffent
d'un foulard de plusieurs couleurs , qu'elles
nouent sous le menton. Celte maniere releve la
beaute des traits et donne a la physionom.e
quelque chose de plus gracieux. Generalement ,
les Suedoises meritenL a plus d'un litre qu'on
leur applique ce mot de Tibulle: « Subse f ,ui-
tnrque decor. »
Les communications entre Stockholm el les
environs se font par un nombre considerable
de bailments a vapeur de loute grandeur, et
elles sont rendues plus faciles par la forme
YOYAGE EN SUEDE. "
unique du Melaren , qui elend de tous coles ses
bras comme les rameaux d'ua arbre vigoureux.
J'etais deja arrive au 9 aoiit , sans avoir fait
autre chose que des visiles ou recu des amis
ou des connaissances. Voulant mettre mieux a
profit mon temps, je resolus de faire une ex-
cursion au chateau royal de Droltningholm (ile
de la reine) , l'une des iles les plus piltoresques
du Melaren, a 1 1/2 mille de la capilale. Je ga-
gnai sans plus de retardemenl le port de Rid-
darholmen, ou slationne le petit bateau a va-
peur qui fait le service de Stockholm a cetle
ile. Le pont etail deja couvert de dames ele-
gantes el de fashionables. Les premieres elaienl
occupeesa lire; j'oseraispresque aflii mer qu'elles
ont la persuasion de ne pouvoir exciter I'interet
qu'un livre a la main. Le canon donne le signal
du depart; car, chez les belliqueux enfanls de
la Scandinavie, il parait qu'un plaisir ne peul
etrecomplet, s'il n'est accompagne des sons re-
tentissants des balailles. La belle ville disparut
bientot derriere les iles boisees du Melaren. On
eiit dit elre sur un grand fleuve , dont les bords
offiaient tan tot des champs ou de riants jar-
dins , tantot d'apres rochers ou des coteaux se-
mes d'arbres et embellis de chateaux ou de mai-
7S V0¥MJE Ei\ SUEDE,
sons dc campagne. La scene qui se deroulail a
nos regards, changeait a chaque minute et em-
pruntait un nouveau charme aux effets de lu-
raiere d'une belle soiree. Ce spectacle etait sans
doule trop familier a nos dames pour exciter
leur allention , encore moins leur admiration.
En effel, a peine daignerent-elles quelquefo.s
lever les yeux du livre qu'elles tenaient, pour les
jeler sur le livre ouvert de la nature. Je resta.
sur le pont, ou un officier de marine, qui par-
lait bien francais, me donnail des dela.ls sur
les objets que nous apercevions , et entre les-
q uels je remarquai une maison de force et de
correction qui se trouvait a notre gauche. Ce
fut dans cet entretien que se passa rapidement
le temps de notre traversee , dont le canon nous
annoncait le terme. Nous debarquames en face
du chateau. Cert un edifice en pierre , a tro.s
etages, vasle et bien coordonne , dans le gout
Iransais du dix-septieme siecle. U est (lanque
degrandes ailes el de pavilions. Je ne pu.s m.eux
le comparer qu'au Nymphenbourg , a Munich.
Mais quelle superiorite ne luidonnentpas sur ce
dernier les caps et les rochers qui enveloppent
Tile ou il est assis, et un pare qui reun.t lous
les genres de beaute. 11 ne m'elait malheureu-
VOYAGE m SUEDE. "'•>
sement pas possible de resler aussi long! em ps
que je l'eusse desire. J'etais veuu par le dernier
convoi, et le soleil s'approchait de I'horizon.
J'eoiployai tout le lemps qui me reslait a par-
courir les environs du chateau, et je fus assez
heureux pour renconlrer la princesse royale '
avec ses enfauts dans une de leurs promenades
habituelles. Cetle belle famille merile , par son
humanite et par 1'accomplissement exaete de ses
devoirs, le bonheur qui l'atten<l.
Le coup de canon venait de donner le signal
du depart. Je me hatai d'arriver au bateau ou
je trouvai avec aulant de surprise que de plai-
sir au nombre des passagers mon ami Turge-
neff , qui, sans que je le susse, venait de passer
plusieurs heures a Drollningholm. Cependant
le soleil avait disparu, et la sombre nuit du
nord nous enveloppait de tous cotes. Les ties es-
carpees du Melaren se dressaienl devanl notre
imagination comme des ombres des heros d'Os-
sian. Rentres dans la capitale, nous passames le
resle de la soiree dans le cafe situe sous le ponl
du Melaren.
i La princesse i oyale Josephine est une princesse de LeucU-
tenberg, fille du vice-roi d'llalie et d'une princesse de Ba-
viere.
80
VOYAGE EN SUEDE.
Cetle pelite excursion sur le Melaren m'avait
donne l'envie d'en entreprendre une plus grande.
Ce lac projette vers le nord jusqu'a Upsala , a
vingt-qualre lieues dans les terres, un de ses
bras , semblable a un grand fleuve qui roule ses
flols a Iravers les rocbers et les forets; des ba-
teaux a vapeurs le sillonnent journellement.
C'en fut un qui m'emporta avec mon interprete
Anderson, le 13 aout, a huit heures du malin.
Nous etions au nombre de cinquante, tant
hommes que fetnmes; j'y retrouvai mon ancien
compagnon de voyage, Turgeneff; il etait avec
un jeune pope attache a la legation russe, qui
parlait bien francais, et aveclequel je fus bien-
161 lie. Je rencontrai aussi avec plaisir le fils de
M.Kraft, directeur du Johanneum 1 de Ham-
bourg, jeune homme aimable et rempli d'eru-
dition, qui se destinait a la medecine el em-
ployait ses vacances a faiie un voyage en Suede.
Nous n'avions plus un temps aussi favorable
que dans notre course a Drottningholnv, nous
etions pour ainsi dire en hiver, le tbermometre
marquant au moins 12° Reaumur. Je n'en res-
tai pas moins presque tout le temps sur le pont.
SorlP ie college.
VOYAGE EN SUEDE 81
II n'etait pas possible de lier connaissance avec
les belles Suedoises, quoiqu'elles fussent en as-
sez grand nombre. Elles ne parlaieat que leur
langue et etaient telle ment absorbees par leur
lecture, qu'elles pretaient a peine l'oreille aux
compliments de leurs compatrioles. Vers midi ,
nous passames, en la laissant a notre gauche,
devant 1'ancienne Sigtuna, ville celebre comme
capitate de la Suede, a lepoque fabuleuse de
son histoire. Cetait la residence d'Odin , qui
porlait aussi le nom de Sigge ; la , sc reunis-
saient les braves entants du nord dans les ban-
quets ou resonnaient les chants des Bardes. En
1188, des pirates fiunois et esloniens firent le
sac de Sigtuna, et il reste a peine aujourd'hui
quelques restes de ses ruines. La nouvelle Sig-
tuna, car le nom a survecu a la ville, n'est
qu'un bourg chetif et pauvre , dans une situa-
tion heureuse , sur une langue de terre qui pe-
netre tres-avant dans le lac. En moins d'une
demi-heure, nous avions passe Skokloster,
chateau appanenant au comte de Brahe. Ce
magnifique edifice, flanque de quatre tours,
rappelle les anciens temps de chevalerie , et
evoque bien des souvenirs'. On n'hesiterail pas a
1 M. de Schubert, dans son Voyage en Suede, t. I , p. 355,
82 VOYAGE EN SUEDE,
mettre pied a terre pour s'entourer de ces te-
moins des siecles passes. Mais comment le faire
sans beaucoup d'embarras? Le chateau n'est
point habite par son proprietaire ; lessalles, les
cbambres , les corridors , decores de tapis et de
meubles du dix-septieme siecle, ne sont guere
frequentes que par les curieux-, de sombres por
traits de personnages marquants morts depuis
de longues annees vous regardent de tous cotes.
Qa et la sont pendues des armures ou des prises
faites dans la guerre de trente ans , si glorieuse
pour les armes suedoises, si funeste a l'Mle-
magne, ou elle developpa , par compensation ,
une energique activite. Je fus oblige de me re-
presenter tout cela par la pensee , d'apres les
recits que plusieurs de nos compagnons de
voyage me firent des obscurs corridors et des sal-
les de Skoktoster; mais des galeries de ce genre
et des chateaux comme celui-ci ne sont pasrares
dans le nord. Le chateau de Stockholm n'est
pas moins curieux, et celui de Gripsholm est
encore plus remarquable , sous ce rapport, que
Skokloster, puisqu'il a sur le Melaren la vue la
plus ravissanle : les lies y sont semees aussi loin
fait Enumeration des collections remarquables qui se Irou-
vent a Skokloster.
VOYAGE EN SUEDE. 83
que la vue puisse s'etendre. Des rochers de gra-
nit, couronnes de bois, de riantes prairies,
des champs cultives , des eglises et des maisons
seigaeuriales embellisseut les eaux, qui refle-
cbissent les rayons eclatants du soleil. Le tago
di Garda et le lago di Como peuvent avoir leurs
charmes , revetus qu'ils sont de la parure d'un
ciel du midi ; mais le Melaren ne tire pas moins
d'avantage de sa severite septentrionale. A unc
heure nous dinames a la carte dans une cham-
bre particuliere, et a trois, nous debarquames
a Upsala ou plutot dans ses environs, a l'em-
bouchure de la Fyrisa , petite riviere qui tra-
verse la ville et apporte au lac le tribut de ses
eaux. Anderson nous conduisit, moi et le jeune
Kraft, dans l'auberge de la Couranne ou Ton
nous donna de tres- bonnes chambres; je me
trouvai la comme dans les meilleures auberges
des petites villes de ma patrie. Que d'efforts
pour faire honneur a des hotes allemands!
Tout ce que la maison possedait d'argenlerie
fut mis sur notre table a cafe. Nous ne mimes
aucun retard a commencer nos courses , avec
M. Turgeneff , dont l'instruction et I'obligeance
nous etaient si precieuses. II avait avec lui le
pretre russe, qui portait sur sa poitrine une
84 VOYAGE EN SUEDE,
croix doree. II avait ete souvent a Upsala , et
connaissait parfaitement tout ce qu'elle renfer-
mait de curieux. La rue ou nous nous trouvions
conduisait droit a la cathedrale , superbe mo-
nument du treizieme ou du quatorzieme siecle,
le plus beau dans soo genre qu'on puisse trou-
ver en Suede , ou pour mieux dire dans tout le
nord, et qui peut se comparer a l'eglise d'Hal-
berstadt ou a celle de Verden ■, cependant elle
est construite en briques comme l'eglise de
Sainte-Marie, a Lubeck, et son architecture est
modifiee suivant les materiaux qu'on y a em-
ployes. Elle a 360 pieds de long, 152 de large,
et sa hauteur est de 118 p.eds. La voute est
supporlee par quatre raags de majestueuses
colonnes, qui formentcinq vaisseaux. Les tours,
endommagees par l'incendie de 1702, ont ete
exhaussees avec peu de gout par des grilles de
fer. Un sacristain tres-instruit nous servait de
cicerone; il nous fit voir tout ce qu'il y avait
de remarquable; la description en remplirait
certainement un volume 1 . II y a une quantite
de mausolees dont la plupart sont tres-bien tra-
vailles; de ce nombre est celui de I'archeveque
i Schubert I'a faile avec assez d'exactitude , 1. 1 , p. 364.
lt-1
VOYAGE EN SUEDE. 85
Menander, mort en 1786; il est dii a la piete
de soil fils , qui en confia l'execution a l'ltalien
Angelini. Derriere lautel , dans la grande cha-
pelle, repose Gustave Wasa avec ses trois epou-
ses; Limit: a ele place sous I'orgue, son marbre
porte 1'inscription suivante :
OSSA
CAROLI A LINNE
EQDI. AUR.
MAKITO OPTIMO
FILIO 0NICO
CAROLO A LINNE
PATRIS SUCCESSORI
ET
SIBI
SARA ELISARETUA MORACA.
Uu autre monument a ele consacre a la me-
moire du celebre botanisle; il est dans une des
ehapelles et se compose d'une plaque de por-
phyre d'Elfdal, dans laquelle est incruste son
buste en bronze, modele dans un gout exquis
par Sergei. On y lit cette inscription:
CAROLO A LINNE
BOTANICORUM
PRINCIPI
AMICI ET DISCIPIJLI
MDCCXCVIH.
Les rois de Suede etaient autrefois couronnes
dans cette superbe cathedrale, qui est l'eglise
'
86 VOYAGE EN SUEDE,
archiepiscopale et metropolitaine de toule la
Suede. C'est pour cela qu'on y a conserve les in-
signes de la royaute et qu'on y a depose" les restes
de plusieurs souverains.
Dans le voisinage de la metropole se trouvent
une belle eglise pour la campagne, le batiment
de l'ecole cathedrale et l'habitation de 1'arche-
veque, a laquelle, malgre son etendue, je ne
puis donner le nom de palais , commc l'a fait
Possart. L'eglise evangelique de Lutber est gene-
ralement plus splendide en Suede que dans le
nord de l'Allemagne, ou elle est d'une humble
simplicite a cote de l'eglise calholique romaine.
De la catbedrale, nous portames nos pas a la
bibliotbeque de l'academie, qu'on etait occupe
a transporter dans le nouveau local de l'univer-
site , ce qui nous empecha de l'examiner dans
son ensemble. Le directeur, le professeur Jean-
Henri Schroder, etait en vacances. J'en avais fait
la connaissance a Copenhague. A sa place , le sous-
directeur, le professeur G. Afzelius, eut la bonte
de nous ouvrir les tresors de litterature confies a
sa surveillance, dans l'ancien etdans le nouveau
local. La bibliotheque possede quatre-vingl-dix
mille volumes et d'excellents catalogues, en par-
tie imprimes. Elle est 1 iche en manuscrits et en
JL2-"
VOYAGE EN SUEDE. 87
livres des premiers temps de l'imprimerie. Le
plus precieux des manuscrits , qui date du qua-
trieme siecle, est le Codex argentem, de la tra-
duction meso-gothiquedes Evangiles par l'eveque
Ulfilas : nous en avons, dans la bibliotheque de
Wolffenbuttel , un fragment des epitres aux Ro-
mains. Aussi fut-ce sur cet ouvrage que porta
notre premiere question. On nous le montra
bientot sous verre, dans un chassis destine a le
preserver d'attouchements temeraires. C'est un
grand in-quarto en parchemin, ronge par le
temps, disloque de vetuste, et dont les lettres
en argent, qui lui ont donne son nom , sont
noircies par l'oxydation. On ne nous ouvrit pas
le chassis qui le renferme; nous ne pumes done
admirer sa reliure en argent. Le bruit avait couru,
il y a quelques annees, en Allemagne, qu'un
Anglais, en le parcourant, en avait vole quel-
ques feuilles. M. Afzelius m'affirma que le fait
etait controuve; etM. Schroder, a qui je parlais
de cette affaire a Copenhague, pensait que les
feuilles qui manquaient, avaient ete sans doute
enlevees depuis longtemps. Aussi, les gardiens
d'un tel tresor ont-ils raison de prendre toutes
leurs precautions et de ne le faire voir qu'a tra-
vers le verre, surtout dans un temps comrae le
1
88 VOYAGE EN SUEDE,
noire, ou la passion de posseder des autographes
est poussee jusqu'a la fureur. D'ailleurs, il n'y a
peut-etFe pas plus dun visiteur sur dix mille
qui comprenne le meso-gothique 1 . Un autre ma-
nuscrit non moins remarquable est l'Edda de
Snorre-Sturleson,en islandais.Sa couleur brune
indique suffisamment qu il a ete lu pendant plu-
sieurssiecles.a la lueur deslampes dans l'ile d'ls-
lande. Je n'ai vu aucun manuscrit des sagas du
Nord, qui ne flit ainsi enferme.
Le nouveau local de la bibliolbeque, au pre-
mier etage du batiment de I'universite , est cer-
tainementun palais remarquable, un vrai tem-
ple erige aux muses. 11 faut, toutefois, avouer
qu'il laisse beaucoup a desirer. Sa profondeur
est en disproportion avec son immense longueur.
Ce defaut est sensible surtoutdans lagrandesalle
consacree aux solenniles. L'escalier qui y con-
duit par le fond est un chef-d'ceuvre ; mais il a
le meme inconvenient par rapport au peu de
largeur du batiment. Je ne puis m'expliquer
comment on a pu commeltre une faute aussi
grave dans un edifice de ceile importance. Ce-
pendant en se plaoant en face, d'ou I'ou ne peut
Voyuz Schubert , 1. I , p. 369.
VOYAGE EN SUEDE. 89
apercevoir cette defectuosite, il impose par sa
grandeur, et n'a peut-etre pas son egal parmi les
edifices des universites d'AJIemagne. II est situe
sur la meme montagne que le chateau , quoi-
qu'un peu plus bas, et contribue beaucoup a la
beaute d'Upsala, lorsqu'on aper^oit la ville de
loin.
De la, nous nous rendimes au chateau; c'est
une vaste construction en briques, ou reside le
prefet de la province. La vue est plus etendue
qu'elle n'est belle, parce qu'Upsala est batie au
milieu d'une grande plaine trop uniforme. Ce
chateau antique et ses deux ailes , qui se voient de
tres-loin, donnent a l'aspecl d'Upsala quelque
chose de severe, surtout lorsque l'oeil embrasse
a la fois les batiments de I'universite et la cathe-
drale.
Dans la cour du chateau est une statue en
bronze represenlant Gustave Wasa. Qualre ca-
nons lui servent de piedestal. Les pieces d'arlil-
leiie qu'on voit en cet endroit n'onl qu'une des-
tination pacifique, c'est d'en tret en ir par leurs
decharges, dans les solennites academiques, l'es-
prit belliqueuxdes Suedois. II ne se fait pas une
reception de maitre es arts ou de medecin, sans
qu'elles y jouent un role essentiel. Apres cetle
I !
90 VOYAGE EN SUEDE,
cour, on entre dans ua jardin dessine dans l'an-
cien gout francais , avec des haies taillees et des
pyramides de taxus. Enfin, vieut le jardin bo-
tanique de 1'universite qui , par ses richesses et
I'intelligence de sa distribution, occupe unedes
premieres places dans les etablissements de ce
genre. La botanique y est professee par le cele-
bre George Wahleoberg, qui veille avec unear-
deur infatigable a conserver a Upsala la gloire
que le grand Linne lui a acquise. La salle de
l'amphitheatre (auditorium Linnmanum) est dans
un palaisde style dorien. Un peristyle surmonle
d'un frontispice majestueux conduit a cette salle
qui rappelle de si grands souvenirs. L'inteneur
est en harmonie avec la beaute de I'entree. Les
auditeurs font tous face a la statue en marbre
de Linne, executee par Bystrom. Le grand
homme est assis dans une chaise et couvert en
partie d'un manteau arlistement drape. De la
main gauche, il tient un livre ouvert, pour fi-
gurer sans doute le grand livre de I'univers. Sa
droite exprime ladmiralion que lui inspire ce
qu'il y ddcouvre. L'observation faite il y a quel-
que temps, que les traits du visage etaient trop
jeunes , ne ma point paru exacte. Les rides qui
le sillonnent accusent un age de cinquante ans,
VOYAGE EN SUEDE. 94
et cet age me semble etre pour uti savant obser-
vateur celui de la maturite la plus complete.
Peut-etre cet air dejeunesse, qui netait point
dans la pensee de l'artiste et qu'il n'a point ex-
prime, est-il l'effet de la blancheur eblouissante
du marbre de Carrare, sur des vues dedicates.
Quoi qu'il en soit, l'ensemble est bien rendu et
digne du grand nom et. de la gloire de Bystrom.
Les ailes de l'edifice renfermenl des collec-
tions d'histoire naturelle, qui provieonent, en
grande partie, d'une donation faite par le cele-
bre Charles-Pierre Thunberg. C'est principale-
ment sur sa proposition et sur ses instances au-
pres de Gustave III , que le jardin botanique a
ete mis dans l'elat actuel.
Le jour netait pas encore tombe, et il nous
restait du temps pour parcourir la ville. Elle a
plus de5, 000 habitants et occupe un assez grand
espace. Ses rues sont larges et bien alignees , et
ses places ont un aspect presque champetre.
Upsala ne ressemble en rien aux universites
d'Allemagne; elle a plus de rapport avec cer-
laines villes de montagne, comme Clausthal.
La plupart des maisons particulieres sont en
bois. Cette parlicularite ne nuit en rien a l'effet
du coup d'oeil et aux commodites de l'interieur.
92 VOYAGE EN SUEDE.
J'avoue que je m etais fait une fausse idee de la
physionomie d'Upsala , a laquelle je supposais
une teinte plus severe. Elle est gracieuse et faite
pour etre le sejour des muses. II y a a Upsala
deux librairies, mais elles sont mal fournies.
Dans toutes deux je trouvai des etudiants , avec
lesquels il me fut facile de m'entretenir en latin
et qui me servirent de truchements aupres des
commis. Je fis I'achat de quelques livres acade-
miques et du Catalogus prmlectionum.
L'universite d'Upsala compte 1400 etudiants;
elle a, d'apres les derniers documents, quatre
professeurs de theologie , deux de jurisprudence,
cinq de medecine et quatorze des sciences dites
philosophiques 1 . II faut y joindre trois profes-
seurs adjoints 2 dans la faculte de theologie ,
deux dans celle de jurisprudence, deux dans
celle de medecine et douze dans la faculte de
philosophic II y a , en outre , cinq doyens qui
professent la theologie et vingt-deux les scien-
i La Faculte de philosophie en Suede comprend les chaires
d'histoire, de philosophie. de morale, de latin, de grec,
d'bebreu, d'aTabe, de matberoatiques , d'astronomie, de ohi
tnie , de physique , de botanique , etc.
2 Les professeurs adjoints reiuplissent les memes fonctions
que les professeurs extraordinaires des universiles d'Alle-
magne.
VOYAGE EN SUEDE. 95
ces philosophiques. II ne manque pas de ma-
gistri artium equestrium et cultiorum , parmi
lesquels , quoique les duels soient defendus dans
les universites, on remarque M. Guslave de
Heidenstaui comme ludi gladiatorii magister ,
lequel annonce qu'il enseigne rem athleticam.
Upsala, comme on levoit, est abondamment
pourvue de professeurs. II me parait seulement
que l'enseignement du droit n'est pas assez com-
plet. Le premier professeur de cette faculle au-
nonce qu'apres avoir termine son cours sur le
Code penal , il commentera le Codex Frederici de
matrimoniis et heredltatibm , et qu'il donnera
des lecons particulieres a eeux des Aleves qui le
desireronl. Le second professeur, Bergfalk , doit
traiter du jus politics suecanum, privatim officii
operam in Us quce sua sunt , kaud inter missur us.
Les deux adjoints, dont le premier, M. Dell-
den , est judex territorial , sont aussi dans
l'intention de se conformer aux voeux de leurs
collegues. Aussi , n'y a-t-il en cette annee (1838-
1839), de cours reguliers sur les parties prin-
cipales de la jurisprudence, notamment sur le
Droit romain et l'histoire du Droit. Car, quoi-
que le premier ne fasse pas autorite en Suede ,
comme en France et en Prusse , toujours est-il
94 VOYAGE EN SUEDE,
qu'il a toujoursete regarde , avec raison , comme
le fondeuient de toute etude solide du droit , et
qu'il est dans ces deux derniers Etats lelement
primitif que s'assimilent les jeunes gens qui se
livrent a cette science. J'aime a croire que les
jeunes legistes suedois suppleent par la pratique
ce qui leur manque de leurs etudes universi-
taires; mais je doute fort qu'ils aient un fonds
aussi solide que ceux d'Allemagne.
L'almanach de l'academie d'Upsala, qui pa-
rait chaque annec, donne la statistique des in-
stitutions universilaires , de leurs employes , du
nombre de bourses accordees aux etudiants. On
y voit la classification des etudiants en associa-
tions provinciates (nationer) , violemment per-
secutes en Aliemagne et autorisees par la loi
en Suede. Ainsi , Stockholm , le Smaland , la
Dalecarlie, etc., ont leurs associations, compo-
sees chacune d'un inspecteur ( professeur ) , de
membres honoraires, personnes distinguees fai-
sant la plupart les fonctions de professeurs,
puis de curatores , de seniores , de junior es et
de recentiores. C'est une institution tres-sage, et
qui merite d'etre imitee. Le penchant de la jeu-
nesse pour les associations se trouve satisfait;
non-seulement la siirete publique n'a rien a en
VOYAGE EN SUEDE. 95
craindre , mais il en resulte un effet tres-utile :
La jeunesse est dans un rapport intime avecdes
hommes d'experience dont les connaissances et
la conversation lui sont d'un grand avantage.
Supposons , par exemple , que l'archeveque d'Up-
sala soit membre honoraire de l'association de
Stockholm, combien les jeunes gens ne se trou-
veront-ils pas honores d'une telle societe? Le
prince royal Oscar est chancelier de l'univer-
site; l'archeveque d'Upsala en est le vice -chan-
celier 1 . Les appointements des professeurs leur
sont presque tous payes en ble: une foule de
jeunes gens pauvres sont soutenus dans leurs
etudes par des bourses. II arrive souvent que
des eludiants, surtout en theologie , quittent
l'universite pendant une ou deux annees , et se
font instituteurs particuliers pour se procurer les
moyens de poursuivre leurs etudes. Plusieurs
families nobles des environs d'Upsala viennent
y passer 1'hiver et habitent leurs chateaux pen-
dant l'ete.
1 Pendant que j'etais a Upsala , le siege archiepiscopal de-
vint vacant par la moit du celebrn poele et predicateur "Wal-
lin. C'etait un homme si eminent, que sa moit fut regardee
comme une perle nationale. En 1839, le roi a nomine, pour
le remplacer , l'eveque de Golhenbourg , Wingard. L'arche-
veque est en possession d'etre oraleur du clerge quand les
elats-generaux sont rassembles.
m VOYAGE EN SUEDE.
En partant pour Upsala , raon dessein etait
de pousser jusqu'aux fameuses mines de fer de
Danemora, situees a environs seize lieues de
cette ville. Mais comme le temps etait devenu
mauvais, et que je n'avais aucune voiture cou-
verte a ma disposition , j'abandonnai mon pro-
jet et retournai le lendemain a Stockholm, plu-
tot que de monter sur un chariot incommode.,
attele d'un seul cheval. Aujourd'hui , qu'il ne
me reste plus que le souvenir des petites peines
de ce voyage, je me repens de cette determina-
tion precipitee. Cependant je me console, en
pensant que je crois avoir une idee exacte de ce
que j'aurais vu a Danemora ; j'en ai lu tant de des-
criptions, entendu tant de recits, que je pour-
rais meme m'imaginer y avoir ele. Nous en
avons le pendant reduit dans notre Buchenberg
etsa mine ouverte {Pinge) pres d'Elbingerode,
dans les environs du Harz. Si les galeries de Da-
nemora sout plus vastes, c'est qu'on a mis plu-
sieurs siecles a les creuser. Maintes fois je suis
descendu, une lampe a la main, dans des mines
ou regnaient les plus epaisses tenebres, et quoi-
que ces descentes ne m'inspirent aucune crainte
ni aucune sensation desagreable , je prefere
l'obscurit^ pour les effectuer. Si je me trouve au
VOYAGE Eb SUEDE. 97
bord dun precipice ou penetre la lumiere , je
ne puis m'empecher de mevanouir ; j'eprouve
meme une indefinissable angoisse lorsqu'ua
autre en approche. Je n'aurais done pas ete en
etat de me plonger, assis dans un tonneau,
dans un abime de 700 pieds de profondeur, el
si j'eusse enlrepris ce. voyage, je n'aurais rien
vu que ce que mon imagination m'aurait peint
de gigantesque et de terrible. Ce motif est suf-
fisant pour effacer le sentiment de la penible
certitude que je ne verrai de ma vie les profon-
deurs de Danemora. Je rentrai le 14 aoiit au
soir dans la capitate , apres avoir joui du spec-
iacle du Melaren dans toule sa magnificence.
J'etais encore sous l'impressiou pleine de
charmes de mon voyage d'Upsal a , lorsque j'eus
le chagrin, en rentrant chez moi, de trouver
une lettre de M. Brockhausen , ministre de
Prusse, m'annoncant qu'il avail recu avis du
baron de Stjerneld, ministre des affaires etran-
geres, que Sa Majeste daignait m'accorder une
audience a Drottningholm , le 13 aout, qui etait
precisement le jour fixe pour mon depart. Ce
contre-temps etait d'autant plus facheux que le
ft8 VOYAGE EN SUEDE.
peu de temps que j'avais a consacrer a mon
voyage , ne me laissait pas l'espoir de recevoir
une seconde invilalion. Aller a Stockholm et ne
point voir Charles XIV Jean , c'est revenir de
Rome sans avoir vu le pape, ce monarqu^
dont les rois et les peuples peuvent dire avec
autant de raison qu'Horace disait d'Homere,
au sujet d'Ulysse :
Quid virtus et quid sapientia possit
Utile proposuit nobis exemplar 1 .
L'honorable faveur sur laquelle je ne comp-
tais plus me Cut cependant accordee. Le 16 aoiit,
a trois heures apres-midi, je recus avis du ba-
ron de Brockhausen , que Sa Majeste daignerait
me recevoir dans la soiree du meme jour, entre
six et sept heures, a Drottningholm. Je me dis-
posal sans plus tarder et me mis en route par
terre. Je n'avais jamais pris ce chemin qui n'of-
fre pas moins d'interet que le trajet par eau. De
jolies maisons sont semees ca et la dans la cam-
pagne; tantot on traverse des champs bien cul-
tives, tantot la route s'enfonce sous de sombres
forets ou coupe de larges bras du Melaren sur
des ponts flottants, lantot enfin ce sont des ro-
l Horat. eptst.,1,2, v. 18.
VOYAGE EN SUEDE. 09
chers qui se dressent comme des murs a cote
du voyageur. Cette route est belle, comme pres-
que toutes celles de Suede, et au bout d'une
heme je decouvris Ie magnifique chateau. II
n'etait que six heures et quelques minutes quand
j'y arrivai. Je me fis conduire incontinent dans
Ie salon d'attente , ou je fus recu d'une maniere
distiriguee par un des aides-de-camp du roi et
par le comte Lewenhaupt, chambellan de ser-
vice, lesquels me presentment a plusieurs hauts
personnages de la cour et de l'armee. lis me
proposerent de rester avec eux jusqu'au mo-
ment de mon audience, ou de passer en atten-
dant dans un autre salon ; je me decidai sans he-
siter pour le premier parti. On m'offrait pour ra-
fraichissements du champagne et de 1'eau. Au
bout d'une demi-heure je fus introduit par le
chambellan dans le cabinet du roi , qui touche
au salon d'attente. Mon introducteur m'annonca
en prononcant mon nom, et se retira immedia-
tement : je me trouvais en face d'un des hommes
les plus remarquables des temps modernes.
Le roi a un port noble et majestueux. II a Fair
d'un homme de cinquante ans, dans toute la
force de cet age, quoiqu'il en compte plus de
soixante-dix. Son ceil reflete uue profondeur et
)00 VOYAGE EN SUEDE,
une gravite temples par une expression de bien-
veiUance et de bonte qui attirent la confiance.
11 etait ea uniforme; les iasignes de l'ordre du
Serapbin omaient sa poitrine. kpves m'avo.r
adresse quelques mots flatteurs, il s'ass.t, en
m'indiquant nne place a sa droite sur le canape.
Je ne snis entre dans ces minutieux detads que
parce qu'ils sont caracterisliques et prouvent que
le roi sail apprecier les leltres et les efforts tentes
pour s'y faire un nom. Car je n'etais connu de
lui que comme ecrivain , qualite qui n'est pas
toujours un litre recommandable anpres de per-
sonnages haul places, et reveille cbez plus.eurs
des preventions pen favorables. 11 Taut necessa.re-
mcnt, pour accorder son estime aux hommes de
lettres, y etre verse soi-meme, on tout au moms
etre capable de juger de leur importance dans
la vie des nations. Celle observation trouve ic. sa
justification. En effet, je m'apercus bientot que
j'etais en face non-seulement d'un puissant vno-
narque, couvert d'une gloire immortelle et l'un
des premiers capitaines du monde, ma.s auss,
d'un prince dont Vintelligence elevee et la pe-
netrante sagacite etaient bien au-dessus de hdee
que je m'en etais faite. Mes Essais d'un code penal
„e lui etaient pas inconnus. On travaille prec-
VOYAGE EN SUEDE. 101
sementen Suede, ainsi qu'en Norwege. a modi-
fier cette parlie de la legislation. Cetle circon-
stance fil nalurelleirient tomber la conversation
sur les principes qui doivent presider a la redac-
tion d'un nouveau Code. Sa Majeste netait etran-
gere a aucune tbeorie. II les aoaly-sait l'une apres
l'autre avec une grande clarte. II s'exprimait en
francais : son langage avait une purele d'expres-
sion et une elegance telles que dans tout ce que
j'ai entendu ou lu , je n'ai jamais rien trouve de
semblable. Mais si mon admiration etait acquise
a tantde lumieres, je sentais moncoeur entraine
par la bonte et l'humanite dont ses paroles
etaient empreintes. Le roi est ennemi declare
des punitionsfrop rigoureuses. II n'admet meme
la necessitede l'application de la peine capitale,
que dans quelques rares circonstances, comme
celles de haute trahison , qui compromet ega-
lement la surete de PEtat et les interets du peu-
ple. Je fis observer au roi qu'un jugement pro-
nonce par des hommes, lors memequ'il resulte
des aveux du coupable, ne repose toujoursque
sur des probability (en prenant ce terme dans
son acception la plus etendue et la plus philoso-
phique) ; qu'une bonne legislation doit toujours
pourvoir aux movens de rehabiliter le condamne
> ■ . .
,, 02 VOYAGE EN SUEDE,
reconnu innocent, ce qui ne pouvait se (aire
pour le supplicie qu'il etait impossible de res-
susciter. Le roi avoua que l'erreur etait possible ,
et ni'en cita comme preuve le deplorable juge-
ment de Calas. II ajouta que c'etait cet inconve-
nient memequi lui faisait borner la condamna-
tion a mort au plus petit nombre de cas possible,
et reconnaitre la necessite de ne confirmer un
tel jugement que lorsque la conscience a acquis
sur la culpabilUede l'accuse toute la conviction
dont elle est susceptible. Mais Sa Majeste regar-
dait l'abolitiou absolue de la peine de mort,
comme contraire au bien general. Je pose en
principe, disait-elle , que la necessite de punir
est toujours un mal. 11 faut done chercher a
eclairer le people et a le moraliser par I'.nstruc-
lion , a lui ouvrir les sources du bien-etre et le
rendre, en un mot, aussi heureuxque possible;
car lagrossieretedes mceurs etla misere sont les
premieres conseilleres du crime; il faut les faire
disparaitre. Que si l'on ne pent eviter de sev.r,
il faut encore que la peine elle-meme so.t pro-
fitable a celui qui la subit : il faut qu'il re-
vienne a des sentiments honnetes et que l'ap-
prentissage d'un art on d'un metier le raelle a
meme de gagner sa vie, quand il sera rendu a
VOYAGE KN SUEDE. t03
la sociele. Ce sont ces principes qu'on suit dans
uos maisons de detention.
J'eprouvai la plus grande satisfaction a pou-
voir dire au roi que j'en avais, en effet, admire
('application dans la maisou de correction des
femmes a Stockholm. J'en parlerai plus bas.
Lorsque , dans le cours de la conversation , je
prisla libertede communiquer au roi mon opi-
nion sur l'etat incomplet de la faculte de Droit
d'Upsala , ou du moins que le programme des
cours annonces ne suffisait pas pour l'instruc-
tion de la jeunesse , Sa Majeste me demontra
d'une maniere qui n'admettait pas de replique,
qu'il ne fallait pas s'etonner de la difference que
j'avais observee entre I'enseignement du Droit
en Suede et celui professe en Allemagne. Ici ,
disait-il, nous ne suivons ni le Droit romain ni
Droit canonique, les proces sont moins em-
brouilles, et trainent moins en longueur que
dans d'autres pays. L'absence presque complete
d'institutions feodales en Suede avait simplify
les rapports des citoyens entre eux. Le Droit na-
tural , le Droit des gens et meme le Droit pu-
blic sont enseignes par les professeurs de la fa-
culte de philosophic Le roi reconnut l'utilite
de Petude approfondie du Droit romain, dont
)
404 VOYAGE EIS SUEDE.
il parait qu'il apprecie les avantages. J'ai appris
depuis que mes observation* n'avaient pas ete
perdues.
La nettete avec laquelle tous les objets dont
donl il parlait semblaient se reproduire sous
ses yeux , revelait eu lui une memoire el une
connaissance des cboses etonnantes. La chaleur
de sod expression rendait ses peintures vivaotes,
comme lorsqu'il s'agissait d'evenements passes
depuis de longues annees, elqu'on pouvail fori
bieu supposer qu'ils lui etaient Grangers.
Quelle clarte, quelle exactitude dans la con-
naissance que le roi possede de la situation phy-
sique et des ressources commerciales de notre
chalne de montagnes du Harz, qu'il comparait
aux mines de Suede, et generalement de tout
ce qui concerne le Hanovre , et meme le Bruns-
wic, qui y est lie par tant de rapports! 11 se
rappelait avec bienveillance le souvenir de plu-
sieurs personnes avec lesquelles il avail ete en
relation lorsqu'il admin istrait le Hanovre, el
notamment celui de feu Patje', qu'il honore
d'une estime particuliere. Sa Majeste eul aussi
la bonte de m'entrelenir de la situation de la
Voycz Mensch ijelehrles DeulscHand . t. VI , p. 3l>.
VOYAGE EN SUEDE. 405
Suede, de sa nature physique, des contreesqui
avoisinent le pole , et sur lesquelles on a de si
fausses notions en Allernagne. Ces lerres loin-
taines elles-memes ont ressenti l'influence de la
sollicitude paternelle d'un prince qui regarde
comme perdu pour sa gloire le jour ou il ne
peut faire du bien. Schubert, qui a pousse sou
voyage aussi loin qu'il a pu vers le pole, dit,
des con trees situees entre Torneo et Haparanda,
ou il se trouvait le jour ou le soleil ne se couche
pas 1 : cette terre, de plus de sept milles delen-
due , est une des plus agreables , des plus fer-
tiles et des plus peuplees de la Suede : des
champs cullives alternent avec de riantes prai-
ries , que la plus riche vegetation couvre d'une
herbe qui a souvent deux pieds de haut. Les
villages se touchent... Depuis dix ans la culture
y a fait d'inimenses progres; le gouvernement
suedois ne pouvait s'eriger un monument plus
durable... L'excellent principe de faire des con-
queles dans I'interieur du pays, d'y creer de
nouvelles provinces et de les peupler, a dirige
plusieurs des rois de Suede. C'cst cr principe que
Charles XI V Jean met en. pratique de nos jours
1 Voyez Schuberts Beise , t. II, p. 120.
,, 06 VOYAGE EN SUEDE.
avec tant de perseverance et d'ardeur. II faut
avoir vu de ses yeux , poury croire , le puissant
developpemcnt que prend la Suede dans son inte-
ricur L'ami de l'humanite accueillera avec
bonheur le rapport de temoins oculaires sur
les resultats des efforts d'un monarque a qui la
nature, en lui prodiguant des talents superieurs,
a donne un coeur ouvert a tous les beaux senti-
ments, precieux assemblage qui manque mal-
beureusement trop souvenl aux princes de la
terre.
Le roi paraissait m'ecouter avec interet, lors-
que je lui racontais mes voyages en llalie , et
que je lui parlais de plusieurs membres de la
famille du grand empereur que j'avais visiles,
et sur lesquels je possedais des particularites
peu connues. Deux nobles femmes de cette fa-
mille remarquable avaient , depuis mon sejour
sous ce beau ciel , paye leur tribut a la nature:
Laelitia, cette mere distinguee dans la bonne et la
mauvaise fortune, et Catherine, inflexible dans
son amour fidele, aux coups du sort. Caroline,
sceur de l'empereur, que je n'avais cependant
pas vue en ltalie, avait aussi quitte une terre
qui ne lui presentait plus que de l'amertume.
Le roi eul aussi la bonte de s'informer de ma
VOYAGE EN SUEDE. H07
propre situation, ties places que j'avais occupees,
uotammeul pendant la duree du royaume de
Weslphalie, de la charge que je remplissais au-
jourd'hui , des ouvrages que j'avais publies , des
pays que j'avais parcourus et de la maniere donl
j'avais dessein de continue!' mon voyage. Rien
de ce qui m'elait particulier ne Iui paraissail
au-dessous de son attention , et chaque question
elait empreiiile d'une telle bonte de coeur, d'une
humanite si vraie, que le plus indifferent eul
senti surgir de son cceur l'amour et le respect.
L'obscurite commen(;ait a envelopper la terre.
Le roi me dit : Le jour baisse; nous ne sommes
plus dans la saison ou Ton connait a peine la nuil
dans ces contrees , et vous avez encore une course
a faire. Soyez heureux Si je ne me trompe,
la voix du roi trabissait quelque emotion en pro-
noncjant ces mots; il me prit en meme temps
et me serra affectueusement la main. Je ne sau-
rais dire ce que j eprouvai lorsque je pris conge
d'un si grand bomme , d'un si puissant mo-
narque, le bienfaileur de ses peuples. Je vis
qu'il avail lu jusque dans le fond de mon ame;
qu'il y avail decouvert que moi aussi , dans mon
108 VOYAGE EN SUEDE,
obscure condition , j'avais l'ambition d'etre utile
a l'humanite, taudis quil travaille avec tant de
succes, dans sa sphere elevee , au bonheur de
deux nations. II partage probablemenl le sort de
I'homme prive, quoique dans une plus grande
proportion, c'est-a-dire, qu'il ne recueille que
l'ingralitude, la ou il avail droit d'attendre la
reconnaissance.
En quiltant Sa Majeste, il m'etait impossible
de lier aucun entretien avec les officiers de la
cour qui se trouvaient dans la salle d'atlente;
je les saluai rapidement et me jetai dans la \o\-
lure pour rentrer chez moi, le cceur rempli de
ce que j'avais entendu dans ce jour qui ne s'ef-
f'acera jamais de ma memoire.
Je ne puis que regretter d'avoir neglige de
me presenter aux autres membres de la famille
royale, surtout au prince Oscar. A-vant d'avoir
oblenu audience du roi, on m'avait averti que
je serais invite a la table royale, et que je serais
presenle, a cette occasion , a la reine, au prince
royal el a la princesse son epouse. Mais ayant
appris qu'il etait d'usage de ne se presenter a la
table du roi qu'en uniforme , et n'ayant pu ap-
VOYAGE EN SUEDE. 409
porter ie mien avec moi, je lis part de celte
circonstance a l'officier quelle regardail. Je crois
que mon observation rut trouvee juste, car 1'invi-
tation n'eut pas lieu et fut remplacee par 1'espoir
d'une nouvelleaudience. L epoque de mon depart
approchait. Son Altesse royale, de relour d'une
expedition maritime, venait de debarquer, et je
negligeai de faire les demarches necessaires pour
Ie voir, negligence que je me reprocherai tou-
jours, n'esperant plusretrouver l'occasionde me
trouver avec un prince qui , par ses qualiles , a
conquis l'amour de la nation.
Les services inappreciables que le roi Charles-
Jean XIV a rendus a la nation suedoise depuis
que le vueu unanime des etats (21 aout 1810)
I'appela au trone sur lequel il monta le 5 fe-
vrier 1818, apres la mort de Charles XIII, qui
1'avait adopte, ont ele parfaitement resumes
dans une collection qui a pour litre: Recueil des
lettres, proclamations et discours de Char les- Jean,
prince royal et ensuite roi de Suede etde Norwege*.
'Deuxierae edition; Stockholm, de l'imprimerie de C. Deelen,
1839, 2, vol. Outre celle collection, il en a paru une qui
n'offre pas raoins d'inleret , sous le litre de Recueil des ordres
t
HO VOYAGE EN SUEDE.
Ces documents authentiques sortent , il est vrai ,
de la plume du roi lui-meme , et a ce titre on
pourrait les taxer de partialite. Mais ils reposenl
sur des faits accomplis que loute la Suede, que
toute l'Europe connaissent. Lors de leur publi-
cation , ils furent dislribues partout , et jamais
la moindre refutation n'est venue infirmer la
ve>acite des faits qu'ils contiennent. Loisque
Charles-Jean kbit le pied sur le sol de sa nou-
velle patrie, elle etait dans un etat deplorable.
Une politique aveugle et sans raison avail aliene
une de ses parties les plus importantes, la Fin-
lande ; ses moyens de defense etaient aneantis ,
son papier-monnaie deprecie, ses finances dans
le marasme, son commerce frappe de langueur
et les sources principales de l'industrie nationale
taries. L'avenir apparaissait au palriote sous les
couleurs les plus sombres. Encore quelque temps
d'une situation aussi critique , et la Suede etait
absorbee par un autre empire, comme il est
arrive aux provinces d'au dela de la Baltique.
Trente ans se sont a peine ecoules , et voyez a
de movement , proclamations et bulletins de S. A. R. le prince
royal de Suede . commandant en chef Varmie combinee du
nord de VAllemagne en 1813 et 1814 ; Stockholm , de l'impri-
merie d'Eckslcin. 183K.
VOYAGE EN SUEDE. Ml
quel degre de prosperite , d'independance el
d'aulorite au dehors la Suede nest point parve-
nue. Je ne parlerai point, de laNorwege, que je
n'ai pas vue , et dont je ne connais pas les res-
sources. II y a lieudes'etonnerqu'unseulhomme,
tout favorise qu'il soit de la nature, ait pu de-
terminer de pareils resultals en aussi peu de
temps. II faut observer qu'il n'avait pas, dans
son pays, le pouvoir d'un Frederie-Ie-Grand ;
mais qu'il etait gene par des obstacles conslitu-
tionnels d'une nature compliquee; quece n'etail
pas la Lombardie , ni la Belgique , ni le pays du
Rhin , ni la Saxe qu'il avait a relever, mais la
lerre scandinave, sol sterile , faiblement peuple,
et qui s'etend jusqu'aux environs du pole du
nord. Et ce pays est aujourd'hui dans un elal
florissant qu'on n'eut ose esperer el qu'on eul
meme cru impossible en voyaut les maux dont
il etail surcharge. Ses frontieres sonl bien de-
fendues. Une place d'armes formidable assure
la tranquillile de l'interieur, c'est la citadelle
cenlrale de Carlsborg , sur les bords du lac Wet-
tern; l'armee est sur un pied parfait; elle est
soumise, en grande partie, a une organisation
particuliere au pays 1 . En cas de guerre, elle
1 L'armee intleUa est une institution qui n'exisle dans au-
i I
1
H2 VOYAGE EN SUEDE,
peut s'accroitre comme par enchantement : la
flolte prend chaque annee plus de developpe-
ment; le credit public est revivifie; la dette
publique est liquidee; les impots ont eprouve
une reduction considerable 1 . Le papier-monnaie
est echange contre de l'argent a la banque , et
on le prefere meme au dernier, a cause de la
ouii autre pays. Generaux, offlciers et soldats , a l'exception
de l'artillerie , des regiments de la garde et d'un regiment
de cavalerie sont soldes en revenus territoriaux. Chaque sol-
dat possedeune cabane et une petite portion de terre. II con-
duit done la chai rue en temps de pais et prend le fusil , quan I
la patrie l'appelle. L'origine de cette institution remonle an
regne de Charles XI.
i Des 1830, le roi pouvait dire dans le discours de cloture
de la diete :
«I1 y a vingt ans, la Suede belliqueuse ne complait que
2,400,000 habitants; elle en a aujourd'hui pres de 3,000,000.
Voire comile a pu vous informer que la dette nationale , mon-
tant a 53 millions , nest plus que de 9 millions. Votre subven-
tion (Bewillning) s'eleva en 1812 a 2,650,000 thalers ; elle a
ete constamment reduite a chaque diete; elle est aujourd'hui
dun cinquieme moins forte qua celle epoque. Les anciens
impots directs ont eprouve une diminution proporlionnelle.»
Ces rcsultats etaient deja assez beaux pour etre regardes
comme uniques. Mais voici ce que disent aujourd'hui (no-
vembre 1839) les feuilles publiques :
«Nos finances n'ont jamais ete si florissantes.
Dans les annees 1834, 1835 et 1836, c'esl-a-dire pendant
le cours de la derniere diete, le comptoir d'amortissement
avait encore a payer pour 2,560,000 tbalers de banque de
dettes ; le passif n'est aujourd'hui que de 160,000 thalers. En
outre , les elals generaux ont alloue au meme comptoir un
surplus de 1,000,000.
VOYAGE EN SUEDE. 113
facilite du transport. L'agricullure a pris un lei
essor, que les importations de ble, necessaires
autrefois aux besoins du pays, ont fait place a
des exportations de cetle production. Les fa-
briques se mulliplient et diminuent l'influence
que l'etranger puisail dans des rapports neces-
saires; les forges prosperent par l'ecoulement fa-
cile de leurs produits. Des trailes passes avec d'au-
tres Etats ont rendu la vie au commerce et a la
navigation , qui ne pourraient que prendre plus
d'essor, si des catastrophes paralysaient les af-
faires dans le reste de l'Europe et en Amerique.
Deja le pavilion suedois flotte sur des mers ou
jamais il ne s'etait montre. Une voiede commu-
nication interieure pareau estachevee ets'ame-
liore chaque annee. Ce canal , qui reunit la mer
du Nord a la Baltique, n'a pas son egal dans le
monde entier. Les arts et les sciences ne sont
pas restes etrangers a ce mouvement general 1 ;
les etablissements qui y sont consacres sont en-
tretenus avec une munificence royale. Les sa-
vants trouvent un Mecene dans le roi, qui n'at-
tache pas moins de prix a ce titre qu'a ceux de
1 Les homines les plus dislingues dans les belles-lettres ct
les sciences sont Tegner, Berzelius , Geyer, Agarth ; dans les
arts, Bystrora, Fogelberg, Fahlcrantz, etc.
8
\\\ VOYAGE EN SUEDE,
grand capitaine et de sage administrateur. Des
monuments s'elevent, qui seraient remarques
meme en Italie, ou abondent les chefs-d'oeuvre,
ce qui prouve que rien n'est neglige par ce sage
aouvernement. On a conquis , dans l'interieur,
des provinces, qui, quant a la population, com-
pensent les pertes eprouvees depuis la mort de
Charles XII. Aussi le peuple suedois n'oublie pas
ce que Charles-Jean a fait pour lui depuis trenle
ans. Mainte fois, pendant mon sejour en Suede,
j'ai entendu 1'expression de la gratitude la plus
passionnee. Le roi est done paye genereusement
de ses peines, puisque ce vceu qu'il a exprime a
son couronoement est rempli. Je ne desire, pour
recompense, que t' amour du peuple. Mais en
Suede, la presse a une liberte illimitee, dont
se sert un parti pour jeter parmi la nation des
brandons de discorde et travailler a changer la
constitution actuelle. La liberte de la presse a
degenere en une licence qui menace la siirete de
I'Etat. Les auteurs ont pousse si loin l'oubli de
toute mesure, que les tribunaux ont ete appeles
a sevir conlre eux. Ces poursuites ont donne" lieu
a des troubles qui ont mis le gouvernement
dans la dure necessite d'avoir recours a la force
armee. Le mecontentement s'accrut encore de
Pf
VOYAGE EN SUEDE. H5
1'emploi d'un moyen commande au pouvoir a
qui est confie le soia de maintenir l'ordre. Des
le 20 octobre 1834 , le roi avait accorde une am-
nistie sans restriction a tous ceuxqui, depuis son
arrivee en Suede, avaient ete condamnes pour
debts politiques, de sorte que les exiles meme
pouvaient rentier. Cet acte de clemence aurait
dii prevenir les troubles qui eclaterent plus
tard : eh bien ! il n'en fut pas ainsi ! II y a des
auleurs ' qui attaquent sans relache les institu-
tions constitutionnelles, auxquelles ils donnent
les epithetes de caduques et de pourries. Le roi,
au contraire, fidele a son serment et connais-
sant le danger des reformes trop precipitees, ne
neglige rien pour maintenir intacte la consti-
tution qu'il a juree a son arrivee en Suede.
Voici ce que disait a ce sujet le monarque dans
sareponseauxcinquanteanc/eHsde la bourgeoisie
de Stockholm, le 6 septembre 1837:
« Etranger a tout ce qui s'etait fait en Suede
avant mon arrivee, je fus appele au trone par
1 Ces troubles eurent lieu a 1'occasion de la condamuation
a trois ans de prison, d'un pamphletaire, M. Crusenstolpc;
loin de produire quelque contre-coup dans les provinces , ils
y furent hautement desapprouves. Le voyage du roi , qui se
rendit en Norwege au milieu de 1'hiver, ne fut qu'une marche
triomphale.
.HG VOYAGE EN SUEDE,
une election libre et unanime; et le premier
acte que la nation demanda de moi , fut le ser-
ment de laisser a chaque Etat la puissance en-
tiere de ses prerogatives. On demande aujour-
d'hui a introduire des changements dans nos
institutions. La nature, qui developpel'enfance,
offre a lage mur l'enseignemeut des temps pas-
ses, pour sa conduite presenle. A. chaque epo-
que difficile qui s'est produite depuis notre re-
naissance politique, nous avons reporte tran-
quillement nos regards vers le passe, et notre
resolution , quoi qu'on dise de la faiblesse de nos
ressources, a prouve aux ennemis du repos que
nous nous sommes assure, ce que nous pouvions
et ce que nous avons ose. Ce que nous pouvions,
c'est I'amelioration de nos lois et de nos institu-
tions. La carriere des honneurs est ouverte a tous
ceux qui s'en rendent dignes par lactivite, par
l'economie , par les talents et par le respect pour
les droits d'autrui. Nous sommes tous de meme
origine. Mais les premiers hommes qui fonde-
rent des societes etaient soldats ; car, pour creer,
il faut la force. Nos lois, notre constitution , nos
mceurs nous prescrivent les devoirs que nous
avons a remplir. Au lieu de nous laisser aller
aux circonstances qui , semblables a l'ouragan ,
VOYAGE EN SUEDE. m
ne Iaissent apres elles que de douloureux sou-
venirs, nous tacherons de maitriser les tem-
peles politiques , en imitant ces hommes pru-
denls dont les travaux diligent Peau des fleuves
dans les terres dessechees poui' les fertiliser. J'ai
promis de defendre vos privileges comme ceux
des autres Etats et de tous les citoyens. Ceux-ci
ne peuvent etre abandonnes par un gouverne-
ment qui , en ranimant les forces de I'Elat, n'at-
tend d'autre resultat de ses efforts que d'entre-
tenir, dans une juste proportion, le contente-
ment dans le cceur des citoyens et le courage
des defenseurs de la patrie. J'examinerai vos
voeux, et dans cette circonstance je mettrai ma
gloire a concilier les inlerels diffeYents confies a
mes soins 1 . »
1 Le roi cxprima la mernc opinion a la diole do 1834 et 1835.
Voyez Becueil , I. II, p. 230. «Tout ce qu'elle (la conslitulion)
autorise, tout ce quo la necessite imposcra , sera adopte , en
suivant toulcfois les regies elablies par nos lois fondaraeula-
les, et non en cedanl au raouveinent dun cnlhousiasmo mo-
incntane. »
Si Ton compare entre elles les reponses que le roi Gt, le
27 mail835, aux deputations des qualre Etats do Suede, la
noblesse, le clerge, la bourgeoisie et l'ordre des paysans, il
ne sera pas difficile de reconnailre de qui il etait content.
Voy. Rccueits, etc., t. II, p. 131. On ne neutse dissimulcr
que les Sucdois sont trop disposes a des innovations qut, si
elles claienl accueillies par le gouvernement avec autanl
d'enlbousiasnic qu'elles sont proposees , pousscraient inifailli-
I
US VOYAGE EN SUEDE.
Je n'ai pas juge inutile de reproduire cette
belle reponse a des propositions de reformes
dangereuses. Elle demontre claireraent la sage
politique du roi , la droiture et la force de son
ame; la Suede avait besoin d'un tel roi, pour
reconquerir son ancienne gloire.
Mais si Too veut poser les bases d'un bonheur
et d'une tranquillite inebranlables pour le peu-
ple, il est indispensable de mettre un frein a
la licence de la presse periodique. Ennemie du
peuple elle depasse toutes les bornes. Que tout
le monde souffre, qu'importe a ces ecrivassiers
qui pullulent malheureusement dans la capi-
tale. Les moyens de gagner , ceux de nuire et de
susciter des embarras , c'est tout ce qu'elle veut.
Elle ment au peuple, en lui disant qu'elle parle
dans son interel , qu'elle n'est que 1'expression
de l'opinion publique. Car ce sont ces redacteurs
qui aiguillonnent non -seuleraent les veritables
bleruent I'Etat a sa perte. I! est vrai que la constitution de
Suede est entacbee de grands vices; raais cette osuvre des
siecles et non d'une troiopeuse tbeorie, elle s'cst d£veloppee
avec la vie du peuple , et il seraitdangcreux d'y vouloir tou-
cher imp souvent. Je renvoie celui qui veut lire une critique
severe de cette constitution, a l'ouvrage du celebre profes-
seur E. M. Arndt.
Ce livre a pour epigraphe : la pluparl des choses humaines
meritent qu'on pleure sur dies.
VOYAGE EN SUEDE. U9
proletaires , ceux qui ne possedenl rien , qui
u'ont rien a perdre , mais tout a gagner dans les
troubles, mais qui entrainent aussi par un lan-
gage perfide, repete tous les jours, d'estimables
citoyens, a qui la faiblesse de leur vue fait regar-
der lout mouvement , tout changement comme
une amelioration. Que le gouvernement fasse
tout ce qu'il voudra , il aura toujours tort.
Quelque cbemin qu'il prenne en politique ,
qu'il se tourne a Test ou a l'ouest , il fail tou-
jours mal. 11 n'est pas meme elrauger aux phe-
uomenes nalurels , et si la diselle eclate , il en
est encore cause. Les exageratious , la diffama-
lion ont trop de prise sur les hommes, soit en
affaires publiques, soit en affaires privees. Rap-
pelons - nous ces paroles dun profond observa-
teur 1 : Ambitionem scriptoris facile adverscris :
obtrectatio et livor pronis auribus accipiuntur :
quippe adulationi foedum crimen servitutis , ma-
lignitati falsa species libertatis inest. Ce n'est pas
un Velleius Paterculus, mais un Cornelius Ta-
citus, ce noble Romain qui cherissail autantque
qui ce fut sa patrie.
Ainsi il est urgent que le gouvernement suedois,
*
'Tacile, Hut., 1, i.
420 VOYAGE EN SUEDE,
sans opprimer la presse , emploie des moyens
constitutionnels pour ea arreter la licence. Tous
les bons citoyens esperent qu'une proposition
sera faite dans ce sens a la diete prochaine. Car
il n'est pas possible que l'altention clairvoyanle
du gouvernement n'apercoive pas le danger, qui
resulte pour tous , de la guerre declaree aux in-
stitutions constitutionnelles , acceptees par la
nation. S'il en est ainsi , la Suede aura la certi-
tude que ce bonbeur , qu'un grand et noble roi
a conquis au peuple , s etendra sur la posterite
de ses enfants.
La paix a l'interieur et l'independance de l'e-
tranger etaient les conditions de letat prospere
ou se trouve la Suede , et elle ne pouvait les
oblenir qu'alors que l'Europe serait delivree
du despotisme dun homme dont la graadeur
imperiale n'a pas d'exemple au monde. L'empirc
universel, au moins sur le continent europeen ,
eut dure pendant loute la vie du grand Napo
leon, si, au lieu de pousser son expedition jus-
qu'a Moscou, il se fut arrele aux bords du Nie-
men. Un hiver moissonna l'armee la plus puis-
sante, la plus disciplinee qu'on cut encore vue.
VOYAGE EN SUEDE. 121
Mais apresce dcsastre il s'en fallait encore beau-
coup que la puissance deNapoleon flit aneantie;
elle n'etait qu'ebranlee. Le danger n'etait pas
encore passe pour la liberie du monde : de
nouvelles vicloires rendirent de la vigueura une
domination fondee par les armes et par la sa-
gesse.
Charles - Jean , apres avoir ele eleve a la di-
gnite de prince royal de Suede par le roi et par
les elats assembles a la diele d'OErebro 1 , aurail
voulu conserver la paix et la bonne intelligence
avec le puissant empereur. Impossible, quels
que fussent les sacrifices du peuple suedois; si
le prince royal n'eut pas eu le courage de regis-
ter de toutes ses forces aux exigences outrees de
Napoleon, il lui cut fallu oublicr qu'il avail cesse
d'etre Francais, et que la Suede etait sa nou-
velle palrie dont il devail soulenir les inlerels.
Le conquerant voulait I'aneanlissement du com-
merce maritime de la Suede, dune nation qui ,
vu son climat et la nature de son sol , ne pent
jamais compter sur des recolles suffisanles a ses
besoins, et est obligee dechanger ses produils
1 Chrislian-Charlcs-Auguslc , prince d'AugustCDbourg , oln
prince royal do Suede , raournt subileiuent en Scanie , an
niois de ruai 1810.
122 VOYAGE EN SUEDE,
contre uue quantitede ble de letranger. Ilvou-
laitque cette nation consentit as'appauvrir ; car ,
si I'on s'en rapporte au temoignage de l'histoire ,
le peuple suedois a toujours vecu du commerce
et de la navigation. S. cela il faut ajouter les
attaques directes contre la Suede. La Pomeranie
suedoise fut occupee par les Francais , en pleiue
paix et au milieu de l'hiver (26, 27 Janvier
1812) h Peu de temps apres le gouvernement
suedois promulgua le decret qui ouvrait les ports
de Suede a toutesles nations (29 juillet 1812).
La position n etait plus tenable , et un traite
d'alliance avec la Russie fut secretement signe
a Saint-Petersbourg (24 mars (8 avril) 1812). 11
n'est pas douteux que l'ame elevee du prince
royal saignait d'etre obligee de prendre les ar-
mes contre ses compagnons de gloire et contre
son ancienne patrie, a laquelle il devait son
elevation ; mais le devoir imperieux lui com-
mandait ce sacrifice. Ce qui etait en question
pour la Suede, c'etait son existence comme
royaume independant, qualite qu'elle avait
presque perdue apres avoir ete obligee de se
soumettre au systeme continental. La grande
iVoy. la lettre dc Charles- Jean a Napoleon, 11 fcvrier
1812 , Recueil de Mires . elc. , 1. 11, p. 55.
VOYAGE EN SUEDE. t25
catastrophe de Napoleon en Russie s etail con-
sommee dans les derniers jours de l'automne ,
ou au commencement de 1'hiver de 1812. Ce-
pendant la Suede ne declara la guerre a la
France qu'apres l'entrevue du prince royal de
Suede avec 1'empereur Alexandre et Frederic-
Guillaume (9et 12juillet 1813) a Trachenberg.
La fut trace le plan de campagne qui delivra
1'AIIemagne du joug dont elle etait accablee; il
est reconnu que ce fut Charles-Jean qui le con-
cut, et son execution assura a la Suede la secu-
rity et la liberte. II serait superflu d'entrer ici
dans le detail des travaux du prince royal de
Suede a la tete d'une puissante armee , du mo-
ment ou il debarqua a Rugen (16 mai 1813) ,
ni de demontrer que les vicloires de Gross-
beeren et de Dennewitz sauverent Berlin , ga-
gnerent la Baviere aux interets des allies, el
ouvrirent ainsi la route qui devait conduire au
cceur de l'Allemagne. L'histoire metlra ces faits
en lumiere pour la posterite. Elle lui racontera
ces importants evenements , et lui prouvera que
ces victoires ayant facilile la reunion des forces
des allies, ce fut surtout a Charles- Jean que
l'Allemagne et I'Europe durent le coup terrible
que recut la puissance de Napoleon dans les
t24 VOYAGE EN SUEDE,
plaines de Leipzig. II n'y a pas un Suedois verse
daas I'histoire contemporaiue qui puisse avan-
cer qu'il y eiit un autre moment d'assurer la
liberty future de son pays.
Pendant et depuis celte epoque, Charles-Jean
u'a pas oublie un seul instant les sentiments
qu'il devait a la France et meme a Napoleon;
et si celui-ci eut ecoute ses conseils, sa destinee
eiit eu sans doute une autre fin. Je sentis s'e-
veiller en moi des penseessemblables, quand je
me trouvai en face de ce grand homme; je ne
vis pas seulement en lui le sauveur de la Suede ,
mais aussi celui de ma propre patrie , je dirai
meme de l'Europe. Des hommes de cette trempe
ont toujours ete rares. La presence d'un heros
qui a delivre sa patrie a quelque chose d'elec-
trique ; mais ici , le pays qui fut sauve n'etait
qu'une terre d'adoption, et dans la lutte des
sentiments el des devoirs, il est hors de doute
que le cceur de Charles-Jean a recu un coup
douloureux. La Suede est la terre des heros ; elle
a produit des princes qui peuvent etre mis en
parallele avec ceux que l'antiquile a le plus van-
les, mais nul n'a fait pour ce pays ce que le roi
actuel a entrepris et lermine : il l'a arrache-a la
mort politique , l'a couverl d'une grande gloirc
VOYAGE EN SUEDE. I '25
militaire, et lui a procure l'independance au
dehors et le bonheur au dedans 1 . Le Dannemark
doil a la Suede la perte de la Norwege. Qui ne
sent tout ce qu'il y eut d'amer pour le Danne-
mark dans une perte de cetle importance! Qui
ne serait pas touche de cette consideration !
Mais aussi quel immense avanlage pour la Suede
qui venail de voir lui echapper la Finlande ,
quecelui d'une situation presque insulaire. Aussi
ne peut-on nier que si la domination de la
France se fut maintenue, le Dannemark serait
devenu une province francaise avant que la
Suede eut succombe. En effct, le formidable co-
losse touchait deja a ses frontieres a Hambourg
et a Lubeck. L'Allemagne, 1'Oldenbourg, la
Hollaude, l'llalie et l'Espagne onl eprouve le
danger d'avoir ses frontieres contigues a celles
de France. Le Rhiu devenu francais, la Hollande
devient province francaise, une sorle de delta ,
' Dans une entrcvue entre le general Moreau et le prince
royal en Slralsund , en 1813, celui-ci dil : «Nous sommeslous
deux Francais d'origine ; voire inonde doit elre la France ,
le mien la Suede. Ce n'est qu'a conlre-coeur que je porte les
armes centre raes anciens compalriolcs ; mais 1'honneur de
ma nouvelle patrie a ele trop profondement lese pour que je
puisse me dispenser de prendre l'epee , aGn d'oblcuir repara-
lion. i) Recueil des ordres de mouvemenl , etc., du princeroyal
de Suede en 1813 et 1814. Stockholm , 1838.
12G VOYAGE EN SUEDE,
el la peninsule cimbrique n'est qu'un appen-
dice des departements des villes anseatiques.
Le Dannemark doit son inlegrite a la politique et
aux victoires de Charles -Jean. L'Angleterre el
la France ont porte atteinte au Dannemark , ja-
mais la Suede. Si Ton examine en derniere ana-
lyse la situation actuelle du Nord , on est force
de reconnaitre que ce fut Napoleon qui rendit
la Russie invulnerable du cote du nord - ouest
par la conquete de la Finlande, et qui mit la
Suede dans la necessite de tirer parti de la nou-
velle politique, c'est-a-dire de l'alliance du Dan-
nemark et de la France, et de la position hos-
tile de celle-ci vis-a-vis de la Suede, en s'em pa-
rant de la Norwege pour s'indemniser des perles
qu'elle venait d'eprouver a Test. J'ai ete sensible
a la separation du Dannemark et de la Norwege,
comme mon creur s'est affiig£ de ce que la Saxe
a perdu la moitie de son territoire ; de meme
quecette acquisition a ete necessaire a la Prusse,
celle de la Norwege l'a ete a la Suede pour la
dedommager de la Finlande. Mais cette union de
la Suede et de la Norwege est une union frater-
nelle sous un pere commun.
VOYAGE EN SUEDE. \27
Si mon sejour a Stockholm me fut utile au-
tant qu'agreable , je Ie dois a l'amitie du baron
de Brockhausen , ministre de Prusse pres la colli-
de Suede. Ce fut lui qui me mit en rapport avec
le baron de Stjerneld , ministre des affaires etran-
geres, dont l'accueil amical et bienveillanl ne
sortira jamais de mon souvenir. II me procura
1'audience du roi , episode de mon voyage au-
quel j'attache le plus de prix. Dans sa maison
hospitaliere je fis la connaissauce des homines
les plus distingues du pays, tels que le baron
de Berzelius, dont la gloire remplit l'Europe.
La , je fus a meme d'apprecier le ministre da-
nois , comte Moltke , qui a longtemps ete gouver-
neur d'Islande: il me communiqua les details
les plus curieux sur cette ile interessante. J'y
vis le colonel russe de Bodisco , connu dans le
monde litteraire par sa biographie de l'empe-
reur Alexandre, el qui me recut avec une ai-
mable cordialite. Les traits de cet officier rap-
pellent de la maniere la plus frappante , ceux
du grand Gustave-Adolphe, tel qu'il est repre-
sente dans les portraits qui nous restent de lui
et dont l'un des plus precieux appartient au ba-
ron de Brockhausen.
J'ai pu me convaincre a Stockholm que l'hos-
I
m VOYAGE EN SUEDE,
pitalite etait dans les mceurs suedoises. Je fus
reeu comme un vied ami par le general Gus-
lave-A-braham de Peyron , president du college
de la guerre et directeur - general des posies. Je
„e pnis me rappeler sans emotion les heures deli-
cienses que je passai dans sa maison , en compa-
gnie d'hommes excellents. Je crois voir encore
sa petite fille, angelique creature, bien digne
d'etre immorlalisee par le ciseau de Bystrom.
Sa mere lui fut malheureusement enlevee par
une mort prematuree. Berzelius me fit un gra-
cieux accueil dans son laboraloire , et lorsque
je le quittai, il me donna, comme souvenir,
son portrait lilhographie. Le celebre chimiste
s'exprimaitdansmalanguecommeunAUemand.
Qu'ils s'ecoulerent rapidement ces instants que
j'employa. a parcourir le pare de la maison de
campagne du banquier Benedicks, un des plus
riches citoyens de Stockholm. Notre conversa-
tion ne porta pas sur des affaires de banque qui
nousetaientetrangeres; nous nous entretinmes
des plus haules questions de metaphys.que. Je
„<ai pas memoire d'avoir jamais entendu per-
sons exposer, discuter avec plus de clarte que
lui les principes philosophiques les plus ab-
straits. Sa doctrine a des rapports avec celle de
VOYAGE EN SUEDE 4 2'J
Spinosa; settlement il a plus de precision et de
methode que ce philosophe et exprime plus li-
brement sa pensee. J'ai beaucoup perdu de
n'etre pas enlre en relations directes avec des
hommes comme le poe'le Tegner el l'hislorien
Geyer 1 , dont les noms ont relenti dans toute
I'Europe. Mais le premier etait dans son diocese;
1'autre se trouvait par hasard a Stockholm (il
est professeur a Upsala) , sans que j'en fusse in-
forme , au moment ou j'etais dans cette capi-
lale. Nombre de personnes pour qui j'avais des
lettres de recommandation etaient a la carupa-
gne; et je n'avais pas le temps de me rend re aux
invitations que je recevais, comme celle du mi-
nistre d'Aulriche, le comte d'Ugarle cl celle du
charge d'affaires de Russie , le chevalier de
Glinka. C'esl avec un regret amer qu'on voil
echapper ces occasions qui ne se represenlenl
plus. C'est l'inconvenient des courts voyages ou
Ton n'a pas assez de temps a d^penser. Si le jour
i La France est peu an fait de la lilterature standi nave.
M. Marmier s'est restreint , en parlanl des homines illustros
de la Scandinavie, a nn cercle trop borne, quelque inleret
qu'il y ait repandu d'ailleurs pour \ci rnetlrc en lumiere. Les
oeuvres de Tegner, qui onl ete traduiles dans plusieurs lan-
gues, raeriteraienl 1'aUcntion des litterateurs francais. Au-
cune languc ne possede de composition superienre a son
heros (Napoleon).
9
450 VOYAGE EN SUEDE,
tout entier a ete employ^ a voir tout ce qu'il y
a de remarquable , on n'a plus le soir l'envie
de faire de nouvelles connaissances , auxquelles
on voudiait se presenter l'esprit gai et non
epuise moralement et physiquement.
Rien ne rafraicb.it le coeur de l'homme de
bien comme de voir l'administration superieure
etendre ses soins jusqu'aux membres de la so-
ciete sur lesquels toutes les classes ne jettent que
des regards d'horreur ou de mepris. Un crimi-
nel est toujours un homme malheureux, soit
qu'uoe organisation vicieuse , les mauvais exem
pies ; une education faussee , la misere ou le de-
nuement l'auront fait devier de ses devoirs.
Sous quelque point de vue qu'on envisage la
question, toujours est-il qu'on doit plaindre le
coupable de n'etre pas ne avec un bon coeur,
de n'avoir pas recu une education soignee , de
n'avoir pas vu exaucer sa priere: ne nous indui-
sez point en tentation ; d'avoir ete saisi par les
elreintes de la misere, alors que d'autres , d'une
nature peut-etre meilleure ou n& avec les memes
dispositions , se sont trouves places , par un bon-
heur immerite, dans une position ou ilsnetaient
VOYAGE EN SUEDE. 151
nullement sollicites a commettre des actes que
la loi reprouve, quoiqu'ils en aient commis de
plus condamnables dans le systeme moral. II
est vrai qu'il faut admettre necessairement le li-
bre arbitre dans I'homme, si Ton veut peser
toutes leurs actions a la meme balance ; et ce
piincipe a «5te regarde avec raison comme la base
des societes et la regie d'appreciation de lous les
actes humains; mais quel est I'homme doue du
momdre esprit d'observalion , a moins qu'une
durete de coeur et une parlialite revoltantes ne
l'aveuglent snr ce qui est clair aux yeux de cha-
cun, qui ne reconnaisse I'influence plus ou
moins grande que les circonstances dans les-
quelles rhomme se trouve place, exercent sin
sa liberie morale?
Si le criminel est un malheureux, il est digne
de noire interel etde notremisericorde, quoique
ses actes meritent noire haine et noire mepris.
En le punissant, nous devons chercher , s'il est
possible, a le lendre plus heureux , c'est-a-dire,
a le rendre meilleur. Celui meme qu'on con-
damne a une reclusion perpetuelle, pour obeir
a la loi inflexible, doit encore etre moralise; de
sorte qu'il puise dans sa peine la consolation
d'avoir rachete sa faute et gagne un pardon que
■ II
132 VOYAGE EN SUEDE.
l'assassin recherche souvent par l'aveu spontane
de son attentat.
L'ame eprouve une heureuse emotion a la
vue d'un dtablissement ou des principes comme
ceux-ci recoivent leur application.
J'eus cette satisfaction, un des derniers jours
que je passai a Stockholm, lorsque M. Netzel,
procureur general de 1'arnnSe (general auditeur) ,
qui a la direction des maisons de detention et
de correction de la capitale et des environs, eut
la bontcS de me faire visiter danstous ses details
la grande maison de correction ou sont enfer-
tnees les femmes criminelles ». Le bailment est
dans une position tres-saine : il y a des jardins
et de vastes cours; le local de l'administration
est on ne peut mieux dispose\ Les corridors , les
salles, les dortoirs sont tenus dans un tel etat
de proprete el sont si bien aeres qu'on n'a a y
craindreaucune exhalaison pernicieuse et qu'on
se croirait plulot dans un etablissement de cha-
rite que- dans une maison de detention. Nous
entrames dabord dans la chambre de la dame
qui avait la surveillance de la maison , car les
hommes en sont exclus comme d'un couvent de
i Faubourg du Nord dans les environs de 1'eglise Sainle
Claire.
VOYAGE EN SUEDE. 453
femtues. Celte seule particularite merite deja
d'etre appreciee et imitee par les autres pays.
Cette dame , d'ua age mur , avait ua exterieur
respectable , et la bibliotheque qui ornait sa
chambre pouVait faire supposer qu'elle ne aian-
quait pas destruction. La religioa avait im-
prime a son caractere une gravile lemperee par
une grande douceur. Nous parcourumes les
salles ou la soie est mise en oeuvre. Des femmes
de tout age sont occupees a ce travail. Nous
vimes de la soie jaune brochee d'or fabriquee a
Stockholm. Nous visitames ensuite un atelier de
chapeaux de paille, de formes variees et ele-
gantes. De la nous passames (je ne pretends pas
suivre exactement dans mon recit Tordre de
notre marche) dans une salle ou se font des
tapis, les uns grossiers, d'autres d'une rare
finesse, nuances des plus brillantes couleurs et
dans Ie gout le plus moderne. Ici est travaillee
la laine la plus commune, la sont tisses des
draps de toute espece ; plus loin nous entrons
dans une filature de laine; des bras sont aussi
occupes a la confection de la toile. Ces travaux,
distribues d'apres les talents et les dispositions
desprisonnieres, out pour but de leur procurer
un etat et de les meltre a memo, a leur sortie,
m
VOYAGE EN SUEDE.
de gagner leur vie dune maniere honorable.
Comparez a cet etablissement ceux que nous
avons en Allemagne, ou sont assises en longues
rangees des filles et des femmes au teint bleme,
qui filent, filent, filent.... Et pourrait-on croire
que chez nous, pendant l'hiver, des hommes
robustes n'ont que celte occupation, qui ne
leur apprend rien et ne leur procure aucun be-
nefice? Et l'on s'etonne, apres cela, que des
liberes reparaissent bientot devant la justice
pour de nouveaux mefaits, Mais que leur avait-
on enseigne? Us etaient pour ainsi dire oisils
dans une maison qu'on peut regarder comme
une ecole superieure de corruption et de
crime.
Les fautes commises dans cette prison recoi-
vent leur chatimenf, mais elles ne sont pas
punies parle fouet, qui a une influence lacheuse
sur la sante en meme temps qu'il degrade le
moral ; elles entrapment la mise au cachot. On
nous en ouvrit plusieurs. Ce sont des cellules
etroites, dont tout 1'ameublement consiste en
unecouverture de laine etendue sur le plancher,
sans chaise ni table. Le jour vient d'en haut,
par une petite lucarne. La recluse est privee de
tout travail , c'est ce qui rend sa position plus
VOYAGE EN SUEDE. (35
p&iible. Des que nous entrions , la malheureuse
venait a nous en nous faisanl un salut plein de
grace, accompagne d'une reverence qu'une dan-
seuse n'aurait pas desavouee. On ne peut se faire
une idee de cette elegance que les Suedoises out
recue de la nature. L'une de celle que nous visi-
lions avait une physionomie si expressive que
nous intercedames, M. Turgenef et moi, en sa
laveur ; on souscrivit a notre priere , et elle nous
remercia de la maniere la plus gracieuse de l'es-
pece de liberte qu'elle nous devait.
Ce qui distingue radminislration de cet im-
portant etablissement , ou sont reufermees plu-
sieurs centaines de personues, ce sont l'huma-
nite et les efforts tentes pour son amelioration ,
but dont on approchait de jour en jour suivanl
ce que j'en apprisa Stockholm. Le prince royal
ne neglige aucune occasion de s'assurer par ses
yeux si les intentions paternelles du roi soul
remplies; car le prince regarde comme son pre-
mier devoir l'accomplissement du bien.
Arant de sortir, la directrice nous presenta
un registre pour y ecrire noire nom et nos obser-
vations. Car ici Ton a la conviction si intime
d'avoir rempli ses obligations qu'on prend volon-
tiers letranger pour juge de ce qu'il a vu. Nous
^ 36 VOYAGE EN SUEDE.
n'eumes que des eloges a donner a la maniere
dont est tenu l'etablissement.
L'ancienne Grece , si feconde en ceuvres d'arl ,
eut admire les morceaux executes en porphyre
dElfvedal qu'on trouve dans les magasins de
Stockholm. Rien ne surpasse la purete des
formes imitees de l'antique et le fini du poli.
Cette industrie nourrit a Etfvedal , une des con-
trees les plus pauvres de la Dalecarlie, plus de
cent families. Elle n'eut pu se soutenir sans les
secours que lui accorde le roi , a qui elle appar-
ent aujourd'hui. Les vases el les candelabres
fixerent surtout mon attention. J'aurais bien
voulu en acheter un pour orner ma biblio-
theque, mais le prix m'effraya. En effet , un
vase de moyenne proportion coiitait pres de
2000 francs , et il y en avait encore de plus
chers. Je renoncai done a emporter ce souvenir
de cette bonne Suede et me bornai a acheter a
Eskilstuna des ouvrages d'acier dune rare per-
fection, et qui sont superieurs, an dire des An-
glais eux-memes, a tout ce que leur pays peut
produire dans le meme genre. J'achetai , entre
VOYAGE EN SUEDE. 137
autres choses, un couteau a papier qui est un
vrai chef-d'oeuvre. Sur un fond dore, entoure
d'une bordure delicate, sont dessines en damas-
quinerie le chateau royal de Stockholm et le
pont du Nord. Le manche represente d'un cote
la statue de Gustave III et le port, de l'autre,
la maison decampagne du roi actuel, Rosendal.
C'est un travail tellement fini qu'il frappe les
regards avant meme qu'on I'ait examine de pres.
Aussi ces pieces sont-elles d'un prix eleve , sans
toutefois etre eu rapport avec les soins qu'elles
ont coiites.
PASSAGE
DE STOCKHOLM A GOTHENBOURG
PAR LA MER ET LE CANAL DE C.OTUA.
SEJOUR A GOTHENBOURG.
in.
I
PASSAGE
DE STOCKHOLM A. GOTHENBOURG
PAR LA MER. ET LE CANAL DE GOTHA.
SEJOUR A GOTHENBOURG.
Le temps qu'il m etait donne de passer dans la
belle villeJeStockIiolmetaitecoule:ilfalIailpar-
tir, quoiqu'ilmerestatbeaucoupa voir, surtout
dans les environs. II y avait quatorze jours que
jetais dans la capitale de la Suede. Le 17 aoiit,
apres avoir dine" en socie"te des plus aimables
convives chez le general de Peyron , je me rendis,
a huit hemes du soir, aux bords du Melaren,
14 2 VOYAGE EN SUEDE,
a Riddarholmen, pour prendre une place sur le
bateau a vapeur Daniel Thunberg, qui devait
me transporter a Gothenbourg. J'etais accom-
pagne d'un digne homme dont j'avais gagne
I'aniitie a Stockholm, M. Laurent, proprietaire
et habitant dans les environs de Gothenbourg.
Le lendemain, a quatre heures du matin, le
batiment prit sa course. Je me trouvai bien a
I'&roit dans la petite chambre qu'il me fallul
partager avec un autre passager. Le lit n'avait
pas deux pieds de large sur six de longueur; le
reste de la piece n'avait pas plus d'espace , non
compris la place occupee par mon chambriste.
Cependant je m'y plaisais mieux que sur le bati-
ment qui fait le trajet par mer, et ou Ton est
oblige de faire sa toilette au milieu du salon, en
presence de tout le monde. En payant double,
dans le bateau du canal , on peut avoir une
chambre a part (uotre place nous couta a peu
pies 60 1'rancsj. Cette facility laisserait peu
a souhaiter si les lits etaient plus larges et les
matelas plus epais. Apres avoir visile la case ou
il me fallait passer cinq jours et cinq nuits, et
avoir fait mes dispositions pour etre le plus
commodement possible, je retournai pour la
derniere fois dans mon quarlier , a I'hotel du
VOYAGE EN SUEDE. U3
Commerce; je pris conge de mon hote et de ses
gens et je me rendis avec M. Laurent au cafe
dont j'ai deja parle, situe sous le pont du Nord.
Apres y etre reste une heure , je jetai un dernier
regard d'adieu sur le beau chateau que la lune
eclairait de ses rayons et auquel ce clair-obscur
donnait un caractere plus majestueux que la
lumiere du jour. En avaucant, je ne pouvais
detacher mes yeux de l'H6tel-de-Ville, de celui
des etats de la noblesse et de la statue severe de
Gustave I er . Leglise de Riddarholm, dont la
foudre avait abattu la tour , semblait s'opposer
a notre passage. Mon compagnon de voyage
netant pas encore arrive, nous restamesquelques
instants de plus dans ma petite chambre. Enfin ,
il fallut se quitter. Prenant la main de mon
brave Andersson, je lui demandai pardon des
impatiences auxquelles j'avais pu me laisser em-
porter lorsqu'il faisait des fautes en parlant alle-
mand, tandis que j'eusse ete fort heureux de
pouvoir m'en tirer dans sa langue aussi bien
qu'il faisait dans la mienne. Je restai seul. Voila
done des jours heureux passes comme tant
d'autres et qu'il me fallait releguer dans le do-
mainedessongesde la vie. Je comptais peu revoir
Stockholm et ses braves habitants. Je me jetai
m VOYAGE EN SUEDE,
sur raon lit pour y Irouver ud sommeil que je
ne pus gouter. Mou compagnoa de voyage ar-
riva a I'heure du depart. C'etait un M. Denicker ,
Mecklembourgeois, proprietaire des environs de
Gustrow , qui avait fait la guerre de la delivrance
en qualite d'officier. Mieux avise que moi, il
avail passe la nuit chez lui. H venait de Saint-
Petersbourg et regagnait ses foyers par Gothen-
bourg et Copenhague. Nous eumes bientol fail
connaissance; cette liaison repandit la gaite sur
lout le temps que nous restames ensemble.
On partit a qualre heures. Je montai sur le
pout pour voir Stockholm encore une fois; puis
notre bailment glissa, comme en volant, entre
les rochers du lac merveilleux, Jusqu'a sept
heures. Mors nous entrames dans le canal de
Sodertelje, qui reunit le Melaren a une baie de
la Ballique. Cette baie profonde a un fort cou-
,-ant. Elle est si etroite qu'on croirait etre sur le
Danube ou sur le Rhin. Nous fumes bientot au
milieu des scheeres , converts de chenes , de bou-
leaux et de sapins; quelques heures apres nous
voguions en pleine mer, ne voyant plus que
l'eauet le ciel. Les flots etaient agites, quoiquc
le jour fut beau. Je me sentais indispose et je
me couchai pour eviter le mal de mer. Les vagues
VOYAGE EN SUEDE. 145
ne tarderent pas a s'apaiser. Vers midi , je nae
levai; nous etions dejaa la hauteur de Nykoping
lorsque nous nous mimes ii table dans le petit
salon du restaurant. On etait tres-bieu servi par
de jeunes demoiselles qui avaient egalement soin
des chambres particulieres. La dame qui diri-
geait I'elablissement avait un air grave, el une
montre d'or brillail a son cote, comme signe
dislinctif de preeminence. Aueuue de ces do-
mestiques ne connaissanl d'autre langue que
la suedoise, nous etions obliges, nous autres
Allemands, de nous faire com prendre par si-
gnes. Mais nous etions dedommages de la priva-
tion de leur entrelien par I'amabilite-et la deli-
catesse de leurs manieres, et c'eut ete vraimenl
se montrer trop exigeant que de n'avoir pas paru
salisfails de leur bon vouloir. Nous nous etions
arranges de telle sorte que pour deux francs par
jour nous avions dejeuner, diner et souper, et
pour rafraichissements du porter et d'excellent
lait. Le vin , le cafe et le the etaient payes a part.
Les depenses des passagers etaient inscriles dans
un registre et acquittees en debarquant. Le Sue-
dois a une telle confiance dans la bonne foi du
voyageur , qu'il ne suppose pas pouvoir etre
trompe par lui. O Italie, belle Italic, pensai-je
44G VOYAGE EN SUEDE
ou il faut d'avance faire son prix, pourquoi ne
trouve-ton pas aussi chez toi la bonne foi et IV
bandon de la Suede ! Nous enlrames sur le soir
dans la longue et etroite baie de Slalbaiken ,
nous laissames derriere nous les ruines de Sts-
geborg, et quand lanuit fut venue , nous nous
arrelames au chateau de Mem. Nous sommes a
Temboucbuie du canal de Golha qui joint la
Ballique au grand lac Wenern , comme celui-ci
est mis en communication avec la mer du Nord
par le canal de Trollhatla et le fleuve de Golha ;
ce travail n'a pas son egal au monde 1 .
f
. Voici les livres qui me furcnt utiles pendant raon voyage :
Manuel des passages gui voyagcnt sur le canal dcGothie par
les bateaux a vapeur . faisanl le service entre Stockholm et Go-
tUenbourg. - Notice sur les lieu* remarguables . les egUse set
les chateaux siluis sur lameme route; Stockholm , L. J. Bje la,
1838 - Earta 6fler Segelleden fran Stockholm genom Golha-
Tanal til Gotheborg , of F. Schulz , 1837. - Karla ut„sandc
Kanal-Ledningen genom Sverige fran Xord-Sjon fO^on,
Vr. 1833. - En Angbatsresa pa Golha Canal. Besknfsen t Bref
till en Van; Stockholm , 1838.
Jc possede encore : Karla ofver Scandinavten ulmsand d*
Kanal arbelen . slromrensningar, etc ™?»"** , *™ t *
travaux pMic*. executes en Suede depun 1810 a 1837, P a.
P. A. Witelock.
'cette excellent carte donne un apercu des travaux .m-
me „scs qui ont etc executes. Le canal de Golha a cou e
To 38^0 th. de hanque (21 millions) , et la citadel e . Car,-
borg, place d'armes pour 20,000 hommes , 1,111,20/ th.
VOYAGE EN SUEDE. j 47
Le premier jour de noire voyage s'elait passe
entre les bords enchantes du Melaren , el les ro-
chers boiseux des scheeres, sur une mer que
l'habitant d'un pays plat ne peut voir sans plai-
sir. La scene pendanl la seconde journee fut en-
core plus interessante; nous arrivames au lac
Wellern , situe a 297 pieds suedois au-dessus du
niveau de la mer, par des canaux, des ecluses et
de pelits lacs. La traverseefut longue, car nous
avions a passer trente-cinq ecluses, et chacune
d'elles nousarretait au moinsun quart d'heure.
On employait ce retard a apporter a bord le
bois de sapin qui sert a chauffer la chaudiere.
Ce canal a au moins dix pieds de profondeui ,
sa largeur est de quarante-huil pieds au fond el
de quatre-vingt-huit a sa surface. Cinq ecluses
divisent la parlie comprise entre les lacs Wellern
et Boren. II y en a seize entre Boren et Roxen ,
et cleux entre celui-ci et Asplanga. De ce der-
nier a la mer Baltique on en compte douze;
chaque ecluse a cent vingt pieds de longueursm
vingt-quatre de largeur.
II n'est pas necessaire de dire les endroils ou
nousavons passed le lemps que nous y sommcs
resles, les courses que nous avons faites; il y
avail loujours du nouveau a voir; nous elions
MS VOYAGE EN SUEDE,
toujour* bien tepto cbez les paysans, dans des
cbambres proprement entrelenues et donl le
plancher est convert de brin de sapin. Nous
avions'dejafait lant de progres dans la langue,
que nous pumes demander un verre de lait a
une belle fille, qui ne recut qu'a son corps de-
fendant, les quelques sous que nous lui offrions
en payemcnt; quelle preuve de l'hospitalite du
nord et sa difference aVc les Apennins. II nous
arriva une aventure. Nous etant trop avances
dansle pays, nous tombames dans un laby-
rinlhe de bois de sapins qui servent de clotures
aux cbamps et qui ne les embellissent cerles pas.
Nous desesperions de pouvoir revenir a temps,
et nous elions de mauvaise humeur, nous ac-
cusant I'un l'autre de cet accident, comme des
enfants; raais nous en fumes quittes pour la
peur; le bateau etait encore dans l'ecluse; la
fumee qui s'elancait de sa cbeminee nous lira
d'embarras, en nous indiquant le chemin que
nous devions prendre.
Nous passames rapidement devant Soderko-
ping pour entrer dans le lac d'Asplanga, puis
dans celui de Roxen; nous traversames ensuile
celui de Boren ; enfin , au jour tombant, nous
pai vinmes a Motala pres du lac Weltern ou nous
VOYAGE EN SUEDE. 149
passames la nuit; qu'ou sillonne les canaux ou
les lacs, partout s'offrent a la vue ties chateaux ,
des. mines, des maisons seigneuriales^des egli-
ses, des maisons de campagne, et surtout ce
qui est d'uu effet plus pilloresque, des rochers
severes, des coteaux boises, des prairies tapis-
sees de fleurs ct des champs cullives. Une chose
seulement gate le coup d'ceil de ces derniers;
c'est leur entourage prosaique de tristes sapins.
Quoique ces vues changent a chaque minute,
elles sont toutes comprises dans une uniformite
fatiguante : c'est le cachet du nord; elles ne
pourraieut soutenir la comparaison, quant aux
paysages, avec celles des bords du Danube ou
du Rhin; les autres lacs n'etaient pas non plus
aussi beaux que le Melaren. Nous ne piimes vi-
siter les forges et les fonderies importantes de
Motala, renommees surtout par la superiorite
des machines a vapeur qui en sortenl. II faisait
nuit a notre retour; nous etions fatigues de
nos courses, et nous rentrames dans notre pe-
tite chambre pour nous livrer au repos.
Le sommeil me tenait encore enchaine, lors-
que le lendemain nous traversames le lac Wet-
tern; je le vis derriere nous, lorsque je montai
sur le pout. On apercevait encore sur une pe-
,'.
450 VOYAGE EN SUEDE,
ninsule la citadelle cent rale de Carlsborg, re-
garded comme imprenable; elleesl l'ouvragede
Charles-J^an ; aucune autre ne peut lui etre
comparee au dire des personnes competentes.
Nous entrames bientot dans le lac de Botten , et
en montant une ecluse , dans celui de Wiken.
Nous eiions alors au plus haut niveau de la h-
goeque nous avionsa parcourir, a trois centhuit
pieds au-dessus de celui de la mer. Nousdescen-
dimes ensuite par autant d'ecluses a la mer du
Nord , c'etait le meme inconvenient qu'en mon-
tant. L'heureetait avancee quand nous arrivamcs
a Sjotorp, a l'entree du grand lac Wenern ou
nous passames la nuit. Le jour qui yenait de
finir n'avait pas eu moins d'agrement pour nous
que les precedents; c'etait comme, je l'ai deja
dit, des vues variees, mais toujours empreintes
du caractere stereotype du nord. Nous nous
livrions a de petites excursions pendant les
courtes stations que nous faisionsau'x ecluses.La
conversation entre les passagers dont la plupart
etaient Allemands charma la longueur du jour,
et nous primes plaisir a voir leurs signes d'inlel-
ligence avec Gustava F...m , jeune Suedoise, ac-
compagnee de son fils, joli petit garcon pour
lequel elle paraissait avoir le plus vif. attache-
VOYAGE EN SUEDE. V6\
men!. Je fus meme assez heureux pour re-
Irouver sur le bateau un compalriote dont j'a-
vais fait connaissance dans un restaurant de
Stockholm, M. Frankenheim , bijoutier de
Braunschweig, consomme dans les affaires, et
que je vis plusieurs fois a Golhenbourg et a Co-
penhague. C'&ait la premiere fois que les inle-
rels de son commerce I'appelaienl dans le nord;
il paraissait salisfait de son voyage.
Nous reslames le quatrieme jour presque tout
enlier sur le majestueux lac Wenern , le plus
grand d'Europe apres les lacs Onega el Ladoga.
Sa superficie a plus de cent milles geographi-
ques carres; vingt-qualre fleuves ou rivieres lui
apporleut le tribut de leurs eaux, il n'a qu'une
communication avec la mer par le fleuve de
Golha. Son niveau, qui est a cent quaranle-sepl
pieds au-dessus de celui de la mer, explique les
cataracles de Gotha-Elf. On croirait elre sur
l'Ocean; car il arrive que de plusieurs points il
faut un oeil exerce pour dislinguer la terre: aussi
y trouve-t-on l'uniformile d'un voyage sur mer;
ce desagremeut ne disparait qu a I'approche des
iles, dont plusieurs ont une grande dimension,
II etait cinq heures du soir lorsque nous altei-
gnimes le but de notre traversee. INous debar-
452 VOYAGE EN SUEDE,
quames a Wenersborg, a l'enlree du fleuve de
Gotha. Entierement consumee par les flammes
il y a quelques annees , a l'exception de I'eglise,
cetle ville se releve de ses ceadres plus belle que
jamais. Sa place a quelque chose de grandiose.
Je la parcourus en cherchant un barbier, et
j'appris avec le plus grand etonnement que
quoique Wenersborg soil la capitale de la pro-
vince de Westrogothie et le chef-lieu d'une pre-
fecture, et qu'elle ait mie imprimerie d'ou sort
une feuille politique, on n'y trouve point de
barbier. On me dit qu'il n'y en avait que dans
lesgrandes villes de Suede; il me fallul done
atlendre, a mon grand deplaisir, jusqu'a Go-
tbenbourg. En revanche je remarquais qu'il ne
manquait pas a Wenersborg de jeunes fenunes
elegantes, puisqu'il s'enembarqua plus de douze
sur°notre Daniel T lumber g, pour se rendre a
Trollhatta. L'etroit espace de notre pont parut
lout a coup transforme en un petit etablisse-
ment de bains. J'en etais dans Tadmiration,
car je ne me serais jamais imagine que je ren-
contrerais sur les bords du lac Wenern les cos-
tumes figures dans les gravures de modes de
Paris qu'on voit exposees a toutes les boutiques
de marchandes de nouveautes et des ouvrieres
VOYAGE EN SUEDE. t53
en robes des grandes villes de l'Europe. Nous
autres Allemands dont la toilette etait dans le
plus grand desordre par suite du trajetque nous
venions de faire sur mer et sur le canal , nous
nous tinmes a distances de ces belles Suedoises
qui d'ailleurs ne parlaient que Ieur langue.
De Wenersborg, on n'enlre pas immediate-
ment dans le fleuve de Gotha; on y est conduit
par un bassin appele Wasbolten , a l'est duquel
la ville est assise et par le canal de Carlsgraf. On
evite ainsi la cataracte de Ronnumsfallet. Ce ca-
nal est du a Charles XI; il est a croire cepen-
dant que la nature avait deja trace celte voie
de communication, quoiqu'elle ne Cut pas na-
vigable. A I'extremite du Wasbotten seleve la
petite ville de Brete; ses habitants la deserlerenl
pour aller chercher des demeures plus commo-
des a Wenersborg, qui doit son existence a celte
emigration. C'est a Brinkebergs-Kulle, dans le
Carlsgraf, qu'on passe les ecluses de Guslave qui
sont, pour ainsi dire, les deux premiers degres de
cet imposant escalier d'eau , dans les environs
duquel on voit de vastes constructions apparle-
nanl a la couronne. A un millede la commence le
fameux canal deTrollhatta, taille dans des rochers
de granil, el par lequel on evite les calaractes.
454 VOYAGE EN SUEDE.
Neuf ecluses nous devaient descendre a plus
de cent vingl pieds. C'est un immense esca-
lier pour les vaisseaux. On ne comple pas
moins de cent trente-deux pieds du sommet des
cataracles de Carlsgraf et de Trollhalta a leur
base. Daniel Thunberg, dont noire vaisseau
porte le nom , fut l'homme remarquable qui
pr&enta le projet de ces travaux gigantesques ,
executes dans l'espace de vingl-trois ans, de 1777
a 1800. H nous fallut toute une journee pour
arriver a la derniere ecluse. Le capitaine, marin
d'une grande expedience, resolut de nous y faire
attendre le jour. Nous avions le temps de faire
une excursion jusqu'aux fameuses cataracles;
nous nous hatames done de quitter notre etroit
bateau. Nous ne manquions pas de cicerone ;
ils pullulent la comme a Tivoli et a Frascali,
c'est le meme type: hardis, babillards, ils vous
font la topograpbie de Vendroit avec une volu-
bilite que l'exercice a rendue imperturbable.
C'etait vraiment dommage que nous ne com-
prissions pas leur patois.
Le sol rocailleux sur lequel nous marchions
ressemble a la vallee d'llse dans les montagnes
du Harlz; mais la vegetation y est moins active
que dans ces dernieres. Un senlier facile conduit
VOYAGE EN SUEDE. 455
en serpentant a travers les rochers jusqu'au
bassin du fleuve. Nous entendons d'abord un
sourd mugissement, semblable au bruit d'un
orage lointain; il se change bienlot en fracas
comme celui d'un tonnerre continu. Puis , les
regards plongent dans une vallee encaissee de
rochers eleves, au milieu roule le fleuve de
Gotha divise en deux bras par un rocher. Sa lar-
geur est de cent cinquante pieds ; il forme un
nuage de vapeur en se precipitant dans l'abime ;
c'est la plus considerable de ses chutes; elle a
emprunte son nom de Toppo au rocher qui
l'occasionne. On juge de suite que le plus beau
coup d'oeil doit elre de I'ile formeepar le rocher,
el Ton est enchante de trouver un ponl qui v
conduit. Conslruit avec soin, et, si je ne me
trompe, en barres de fer, il fait contraste avec
le site sauvage qui 1'entoure et le terrible abime
sur lequel il est jele. Saisis d'admiration a la
vue d'un tel spectacle, nous restions tous
hommes el femmes au nombre de vingt sur le
ponl, comme si nous eussions elesur le rocher,
lorsque le gardien charge de recevoir les droits
de peage qui nous avait ouverl la porle, nous
cria avec terreur d'avancer, si nous ne voulions
voir le pont se rompresous nos pieds; car il elait
)
I3C VOYAGE EN SUEDE.
Hop faible pour porter une pareille charge. Une
minute apres il ne restait plus personne sur le
pont, tout le monde s'elait refugie sur 1'ilot.
Quel panorama se deployait autour de nous !
Des rochers de granit de cent et de deux cents
pieds de hauteur, noircis par le temps, quelques
sapins isoles sur leurs flancs; une masse d'eau
enorme emprisonnee dans des murs de fer, se
ruant vers nous avec un bruit epouvantable , se
brisant contre I'enorme bloc qui nous portait
et qui la divise, puis ces deux bras, dont le
droit plus puissant que le gauche est en lulte
continuelle avec lui! La seconde cataracte porte
le nom de Tjuffallet (cataracte des voleurs) ,
parce que la tradition rapporle qu'il y avait
dans le voisinage une grotte depuis longtemps
detruite par les flots qui servait de repaire aux
brigands et aux voleurs. Le fleuve a encore
d'autres chutes: desirant nous procurer de suite
cette vue, nous repassames le pont, mais avec
plus de prudence qu'en venant. Nous descen-
dimes un peu plus bas dans la direction du
fleuve, sur un rocher, d'ou I'oeil pouvait saisir
l'ensemble de toules ces chutes jusqu'a l'ile. De
la on peul coutempler ce travail imposant de
la nature; la on peut se convaincre d'une revo-
VOYAGE EN SUEDE. 157
lulion subie par le globe, sans eprouver le ver-
tige qu'on rcssent sur la petile ile , et sans se
laisser distraire par uue calastropbe isolee. Ce
ne sont plus les eclats de la foudre qu'on en-
lend, c'est le roulement de la lempete. Mais
pourquoi essayerais-je de peindre ce qui ne sc
peut decrire? Les peintres eux-memes avouent
qu'ici leur art est impuissanl 1 . Eu effet, ils ne
peuvent pas rendre le mouvement, et c'est pre-
cisement ce que la nature a fait ici de plus sai-
sissant. A chaque seconde la masse d'ecumeqni
surnage sur l'abime revet une nouvelle forme;
elle rappelail a mon esprit emerveille les figures
que dessinent les vapeurs qui s'echappenl du
cralere du Vesuve, et oe sont ces modifications
rapides que nous ne pouvons rendre.
Non loin de la on \oit une petite grotte I ail-
lee dans la roche ou sont les noras traces de leur
main de personnages maiquants, enlre autres
1 Les calaractes et le canal de Trollhatta en Suede, par
A. F. Skjiildebrand , a Stockholm , 1804 , in-4°. C'est un beau
recueil de gravures. Voici ce que dit l'auteur, peintre dis-
tingue, en parlant de la cataracle de Toppo : «Corabien de
fois, en conlemplant ces efforts sublimes de la nature et en
■voulant les exprimer par le pinccau, n'ai-je pas senli avec
accablcment la faiblesse de mon art, et cependant j'ai ose de
peindre des objels qui auraient du decourager les plus grands
artistes. »
,158 VOYAGE EN SUEDE,
ceux de Guslave IV, de Charles XIII, de Char-
les XIV et du prince Oscar. La memoire des
hommes de genie ou puissants, a un tel empire
sur les hommes, que notre societe presque en-
liere resla plus longtemps a lire ces noms qu a
jouir du spectacle que la nature etalait devant
novis. A.ussi quels souvenirs ces noms ne reveil-
lent-ils pas!
Outre ses cascades naturelles, le praceps Anio
a Tivoli, en doit une a la main des hommes.
Le fleuve de Gotha a une cataracte qui a la
meme origine; mais leTeverone n'est qu'un tor-
rent aupres d'elle. Des 1718 Charles XII, a qui
loule idee gigantesque souriait , confia les pre-
miers travaux du canal a son archimede Pol-
hem. C'est de cette epoqueque datent les ruines
d'une ecluse supprimee comme superflue, dans
laquelle l'eau, s'engouffrant d'une hauteur de
soixante pieds, semble n'etre plus qu'une masse
d'ecume. Le grandiose qui 1'enloure ne detourne
pas l'attenlion de cette cataracte ; mais I'eton-
nement s'accroit devant cette grotte de Pausi-
lippe , que Polhem creusa dans la roche , pour
donner passage a son canal. On foule la terre
des miracles , miracles produits par la nature el
par le travail des hommes; car c'est a ceux-ci
VOYAGE EN SUEDE. t59
surlout qu'apparlieunent les neuf ecluses , dont
la hauteur correspond a celle des cataracles.
Mais comme ces ecluses sout Irop etroites et
ont Irop peu de fond pour les vaisseaux qui peu-
vent naviguer sur le fleuve, on laille dans le roc
une autre ligne d'ecluses de plus grande dimen-
sion; on emploie a ce travail des regiments en-
tiers commandes par leurs officiers. Nous n'eu-
mes garde de ne pas visiter ces travaux , dont
l'achevement demandera des annees. Surpris par
la nuit, et etourdis de lout ce qui avait passe
sous nos yeux depuis trois heures , nous rega-
gnames notre vaisseau qui avait franchi les neul'
marches gigantesques. Nous reslames dans la
derniere jusqu'au lcndemain.
k quatre heures nous nous remimes en mar-
che sur le fleuve de Gotha. Pres du chateau de
Slrom, a quatre lieues de Trollhalla, la navi-
gation est coupee par une nouvelle chute qui
emprunte son nom du village de Lilla Edct. Le
fleuve, dans toute sa majeste, lombe de vingt-
cinq pieds de hauteur. N'elait le voisinage de
Trollhatta, on donnerait plus d'attenlion a la
chute de Lilla Edet, qui n'est pas moins impo-
sanle que la cataracte de Schaffhouse, a laquelle
on pent la comparer, quoiqu'elle presente un
|C0 VOYAGE EN SUEDE,
aulre caraclere. On 1 evite egalement par un ca-
nal et deux ecluses construits pendant la mi-
nority de Christine. Pour empecher les fuiles
d'eau , on n'y a employe que la brique et le c.-
ment, suivant la maniere des Hollandais. INous
parcourumes encore quelques lieues d'un pay-
sage romantique avant d'arriver an delta forme
par le fleuve, dont les deux bras elreignent la
.rande et fertile ile de Hisingen , qui a sa base
Lignee par la mer. Non loin de Vemboncbure
du bras gauche du fleuve, dans une espece
d'anse et sor la rive meridionale, est sHuee Go-
thenbourg, ou nous descendimes a onze hemes
du matin.
On trouve dans cetle ville des auberges lenues
sur le meme pied qu'en Allemagoe, c'est-a-dne
qu'on peut y loger et s y nourrir. Je me renchs
avec MM. Deniker et Frankenbeim a celle con-
nue sous le nom d'Hotel <te Madame Tod, ou
i'avais ete adresse. On me Vavait indiquee comme
la meilleure de la ville, et j'avoue qu'il n'y man-
quait aucune des choses essentielles qu'nn voya-
,eur peut desirer. J'avais une grande et belle
chambre avec un sopha et un lit garni d'excel-
VOYAGE EN SUEDE. 4 64
lents matelats. Je ne fus pas moins salisfait du
service, fait par d'aimables filles , suivant la cou-
tume suedoise. U est vrai qu'on est prive de ce
que les Anglais appellent confortable , de ce qui
rend la vie si agreable dans une grande ville,
ou tout est en abondance. II n'y avait pas meme
de secretaire dans la chambre, et la seule com-
mode qui y fut ne fermait point a clef. Mes com-
pagnons de voyage n'etaient pas mieux traites.
II me fallut altendre longtemps le domestique
de place, qui etait a la campagne et qu'il fallut
faire cbercher. II parut devant moi comme
un veritable gentleman : c'etait un beau jeune
homme, haut de taille, qui parlait assez bien
allemand. II s'appelait Reuss, et il devait le jour
a un fabricant juif , qui avait ete dans l'aisance
et avait fait depuis de mauvaises affaires, a en
juger par la profession de son fils. Celui-ci avait
cependant appris le commerce; mais il I'avait
abandonne, aimant mieux, disail-il , elre com-
missionnaire et interprete des etrangers. II n'en-
trait jamais dans ma chambre que le chapeau a
la main , et en servant il avait des manieres qui
accusaient en lui une education au-dessus de
l'etat qu'il avait choisi par gout et qui ne lui
faisait pas oublier ce qu'il avait a faire. Comme
)B2 VOYAGE EN SUEDE,
il habitait ordinairement avec son pere a la cam-
pagne, je fus oblige de lui louer une petite
cbambre dans mon voisinage, afin de l'avo.r
sous la main. Je ne lui donnais que deux thalers
(quatre francs) par jour; c'etait un de moins
qu'a mon domestique de Stockholm.
II me conduisit par la ville et dans les envi-
rons le jour meme de mon arrived, avant que
j'eusse remis les lettres de recommandation dont
j'etais porteur.
Gothenbourg, situee a deuxlieues de la mer,
est une ville parfaitement batie. Son exterieur
annonce une cite opulente. Sa population est de
30,000 ames. Elle fut souvent la proie de I'in-
cendie; et l'on dirait que ses constructions ne
sont pas eneore complement achevees. Toutes
les maisons sont en briques; elles ont generale-
ment trois etages y compris le rez-de-chaussee.
Beaucoup sont ornees de pilastres , meme de co-
lonnes. Les principales rues sont tres-larges et se
coupent a angle droit; la plus belle est Stora
Hamngatan. Au lieu de chaussees elles ont , ains.
qu'a Rotterdam, des canaux couverts de vais-
seaux. Gothenbourg a exterieuremeul une res-
semblance frappante avec la ville hollandaise.
Une population nombreuse anime les rues et les
VOYAdE EN SUEDE. |(;.>
places. Ou remarque surtout, parmi ces der-
nieres, la grande place (Stora Tor get) , ou est
l'Hotel-de-iille, celle du commandant et du
corps de garde, et celle ou seleve la cathedrale.
Cetle eglise est nouvellement batie ; elle est en
forme de eroix, dans le gout italien moderne.
Son magnifique fronton repose sur quatre co-
lonnes doriennes, et elle a une lour de deux
etages, surmontee d'un loit en coupole. Une
chose etouuante, c'est que ce bel edifice n'ait
pas le plan de sa facade parallele au cole oppose
de la place. Les rues qui l'avoisinent sonl de-
serles, la ligne des maisons y est rompue par
des espaces vides qui se remplissent peu a peu.
Gothenbourg est assis sur la cote escarpe'e de
la Suede, ce qui donne a ses alentours un air
pittoresque. Des masses nues de granit, dont le
pied est baigne par les flots du Golha , et qui
sont presque loutes couronnees de maisons,
offrent un aspect fantastique etsauvage ou pren-
nent une leinte romantique, lorsque des bou-
quets d'arbres dressent Ieurs tetes vertes dans
les vallees. Quoique ce site ne ressemble pas a
celui de Stockholm , et ne l'egale pas en beaute,
le type septentrional dont il est empreint le rend
interessant, et lorsque du haul des rochers ,
164 VOYAGE EN SUEDE.
qu'on peut gravir sans difficulte , on plane sur
la ville , le port et les environs , on jouit d'un
coup d'ceil ravissant.
Gothenbourg a un etablissement de bains tel
que les plus grandes villes d'Allemagne, a l'ex-
ception des endroits ou l'on prend les eaux , ne
peuvent se flatter d'en avoir un semblable. C'est
une rotonde en briques, batie dans un site en-
cbanleur, non loin du port et dans le voisinage
de la residence du prefet. Les cbambres de bains
rayonnent autour d'une piece centrale, qui re-
coil le jour d'en baut. A. l'entree de chacune
d'elles est une baignoire de marbre blanc avec
tous les accessoires, et dans le fond un cabinet
elegant pour se deshabiller et faire sa toilette-,
il est garni d'un sopba et d'un poele en forme
de cheminee , dans lequel le bois tout prepare
peut etre allume aussitot que le baigneur en
manifeste le desir. Celui qui ne veut point de
bains artificiels prend de l'eau de mer dont on
a eleve la temperature. C'est ce que je fis moi-
meme, et je trouvai l'eau aussi claire que le
cristal. Un bateau a vapeur va en prendre tous
VOYAGE EN SUEDE. t65
les jours en pleine mer. Le service de ces bains
se fait comme parlout en Suede , par des fem-
mes. Mais je dois faire reinarquer que celles-ci
^taient d'un age assez mur pour n'avoir point a
craindre d'allumer les passions des bommes.
Je sejournai une semaine tout entiere a Go-
thenbourg , et je ne me repens pas d'avoir sa-
crifie tant de temps pour cette belle ville de
commerce. Si je n'en eusse ele penetre d'avance,
j'y aurais acquis la conviction que nulle nation
au monde n'est plus courloise , plus bospita-
liere envers les etrangers. Je l'aurais puisde,
dis-je, au milieu de l'assemblee des etats de Go-
tbenbourg et de Bobus. Le prefet (Landsbof-
ding) de la province, le general Gillies Eden-
hjelni , eut la bonte de m'inviter a un grand
diner cju'il donnait aux deputes des etals, no-
bles , pretres , bourgeois et paysans , qui s'e-
taient assembles pour regler les impols. Certes,
aucun de ces Suedois n'avail entendu parler de
moi , ni ne connaissait mes travaux litleraires;
raais j'etais etranger, et cela suffit pour que je
166 VOYAGE EN SUEDE,
fusse recu avec autant de bienveillance que si
j'eusse ete leur couopatriote et leur ami. Qui-
conque parlait francais ou allemand m'adres-
sait quelque mot flatteur. Mais aussi j'etais leur
ami ; et quand le prefet proposa la santcS du
roi , de l'auteur du bonheur actuel de la Suede ,
du prince Oscar et de toute la famille royale ,
je vidai mon verre comme un Suedois ; et qui ne
le ferait pas quand il s'agit de princes aussi ve
neres que Charles-Jean et son fils! Mon voisin,
en m'expliquant le sens des paroles du prefet ,
ajouta: • N'avons-nous pas un roi dont nous
pouvons etre fiers? Ce peuple qui lui en est
si reconnaissant , il Va rendu heureux et l'a
replace au rang ou l'avaieut jadis eleve ses
exploits. Et vous autres Mlemands, ne lui de-
vez-vous pas, ainsi que vos princes, une re-
connaissance eternelle? Ce que le grand Gus-
tave-Adolphe fut pour les protectants, notre roi
l'a ete pour toute l'AUemagne et pour une grande
partiede I'Europe. Le premier a affranchi la con-
science , le second nous a delivres de la servitude
politique. L'un a secoue le joug de Rome, l'au-
tre celui de Paris. Tout n'etait pas fini apres la
campagne de Russie; sans les Suedois et notre
prince royal la Prusse succombait et l'AUema-
VOYAGF EN SUEDE- t67
gne avec elle; car la victoire suivait deja les ai-
gles francaises , et sans lui nous aurions proba-
blement subi nous - memes le sort de la Polo-
gne. Croyez-moi, sans les vicloires de notre
roi a Grossbeeren et a Dennewitz, il n'y aurait
plus aujourd'hui de Suede. Charles-Jean , dans
cetle circonstance , s'est montre veritablement
Suedois. Je suis convaiucu que la violence qu'il
a du faire a ses sentiments lui a coiite beau-
coup. Nous lui en savons d'aulant plus de gre. »
Ainsi parla le guerrier qui elait a mes coles.
Quoique je ne pusse m'entretenir avec les de-
putes de I'ordre des paysans, je ne laissai pas
d'etre saisi de respect a leur air venerable et a
la dignite de leurs manieres. Je vis que 1'esprit
suedois est a la hauleur de loules les positions.
Le prefet, de son cote, avait pour eux tous les
egards qu'on doit aux personnes placees sur le
meme degre dans rechelle politique. C'esl la
seule fois que je me trouvai dans une semblable
reunion des etats de Suede; mais hi moil seule
pourra detruire le souvenir de ce que j'ai vu et
entendu, et je dois au general Edenhjelm un
des plus beaux jours de ma vie.
Je puis dire que les appartements et en par-
ticulier la salle ou se tenait l'assemblee etaicnt
i
i
168 VOYAGE EN SUEDE,
magnifiques. La vue du port, du mouvemeat
qui y regue, des rochers et des montagnes est
de I'effet le plus saisissant. La residence du pre-
fet est un vrai palais qui ferait honneur a Berlin
eta Vienne.
J'ai aussi parcouru les environs de Gothen-
bourg, et j'ai etudie les mceurs des habitants
des campagnes en Suede. M. Laurent, qui m'a-
vait recu si cordialement a Stockholm, possede
une belle lerre dans les environs de Gothen-
bourg. Elle porte le nom de Lerke , elle est a
deux lieues de la ville, dans une vallee char-
mante, aux bords du Golha. J'y fus invite avec
M. Troilius , negotiant de Golhenbourg, a qui
j'avais ete recommande. M me Laurent , ferame
d'esprit, est fille de feu le professeur Castellon
de Berlin , sa mere et sa sceur sont venues ha-
biter pres d'elle , et ces dames coulent des jours
heureuxqu'elles savent embellir des charmes de
lalilteratureet de la musique. Apres diner nous
fimes, ces dames, M. Troilius, deux artistes de
l'Allemagne meridionale et moi, une excursion
dans le pare et dans le bois qui tiennent a cette
terre. Je reporterai encore aux montagues du
Harz ceux de mes lecteurs qui les connaissent.
Les lieux que je parcourus me rappelerent les
VOYAGE EN SUEDE. 169
revers boiseux du coteauqui s'dtend entre Harz-
bourg et Ilsenbourg. La difference c'est que j'e-
tais dans un bois de chene, tandis que sur les
montagnes du Harz c'est le hetre qui domine.
Les heures s'ecoulerent rapidement en conver-
sations animees, et nous ne nous separames qu'au
jour tombant.
Parmi les connaissances que je fis a Golhen-
bourg, je dois mentionner celle de M. Dunkel ,
cure de la paroisse alleraande, et de son epouse
Dorothee, nee Alien, femme poe'le; tous deux
m'embrasserent affectueusement. Je passai dans
leur societe des instants delicieux. Les sermons
imprimes de Dunkel revelent en Iui un predi-
cates distingue. La paroisse etant trop peu im-
portante pour occuper tout son temps, il s'est
mis a la lete d'une institution destince a former
les jeunes gens au commerce; il est le fonda-
teur de cet etablissement ou il s'occupe de l'en-
seignement. Un grand avanlage de cette ecole ,
c'est que les cours se font en allemand, et que
les ele^es deviennent si forts dans cette langue,
que sa lillerature leur est aussi familiere que
celle de leur langue maternelle. II m'arriva plus
d'une fois de m'enlretenir avec eux; ils s'expri-
maient aussi purement que des Allemands, et
1
WQ VOYAGE EN SUEDE,
lorsque je leur demandai qui leur avait si bien
enseigne mon idiome, ils me repondaient: cest
notrecure. La femme de ce digne homme, quoi-
qu'elle n'ait faitqu'uncourtsejour en AJlemagne,
non-seulement ecrit et parle allemaad comuie
si elle etait nee dans ce pays, mais elle se livre
encore au culle des muses. Elle m'a fait present
d'une traduction en vers allemands des plus
grands poetes suedois actuellement existants.
Ce travail m'a donne la plus haute idee de son
talent. Elle s'exprime ainsi sur ses compositions
dans une lettre qu'elle m'a ecrite :
«Ma muse ne m'abandonna jamais au milieu
« des jeux de mon enfance , des joies de ma jeu-
«nesse, des devoirs et des peines de I'age mur.
«Elle me ranimait apres les fatigues du travail ;
oelle me consolail dans les jours mauvais, elle
«venait me distraire agreablement dans les ins-
«tantsd'isolement. Je ne n'ai jamais considere
<«la poesie comme le but de ma vie: aussi ne
« ferai-je jamais paraitre les six volumes manus-
« crits que forment les pieces que j'ai composees
«soit en suedois, soil en allemand; je ne les re-
« garde que comme les elans d'un enthousiasme
.momentane, et je ne les communique qu'a
« mes amis. Voici quels sont les poetes allemands
»..
VOYAGE EN SUEDE. 17t
• dont les ouvrages me sont si chers, que je Ira-
« duisais a mes compatrioles, non sans un grand
« sentiment de crainte :
« L' Tmage de Houwald , Zriny de Kcerner, les
« deux premiers chants de la Mcssiade de Klop-
« stock , une livraison des poesies de Schiller,
« les ouvrages originaux que j'ai fait imprimer
« sont : A gatocle, tragedie en cinq actes; les Emi-
* gres, comedie en trois actes, el YHeroisme de I'a-
« mour, comedie aussi en trois actes. La premiere
« et la derniere de ces pieces ont obtenu une men-
« tion honorable de la societe - des belles-lettres
« de cette ville. J'ai aussi livre a la publicile Jean
« Httss j poi ; me en trois chants; un volume de
«poesie; M trie , un roman en leltres; un autre
i roman intitule Guiltaume. Mes derniers ou-
trages, encore inedits, sont: Alv'uie , comedie
« en quatre actes, et les Tarquins, tragedie dont
« le premier acte seul est acheve. »
Telle est lenumeralion que cette dame mo-
deste me fit de ses ouvrages; mais on s'abuserait
etrangement si Ton s'imaginait que la passion
des leltres lui fait oublier ses devoirs d'epouse
et de mere. Elle donne les soins les plus assidus
a l'educalion de sa fille , gracieuse enfant qui me
prit en grandc amitie. Elle ne neglige pas les oc-
j 72 VOYAGE EN SUEDE,
cupatioos du manage, comme il arrive souvenl
dans les villes; loia de la, elle a coutume d'al-
ler elle-merae, accompagnee d'une domestique,
au marche pour y faire ses provisions.
L'orgueil national doit se reveiller chez un
Mlemand , en voyant les progres que fait sa
lan<me clans le nord , el l'immense influence
que notre literature exerce sur ces peuples. 11
est vrai de dire que letude du francais entre
comme element indispensable dans toute edu-
cation complete, et que l'etranger peut 1'em-
ployer dans les hauts cercles; mais il s'en faut
beaucoup qu'elle s'assimile a la vie inlime du
peuple comme la langue allemande. Les ceuvres
deGcethe, de Schiller, de Tieck, et generalement
de toutes les sommiles de notre lilterature; le
Dictionnaire de la conversation deBroclhws\ul-
meme sont aussi familiers a la jeunesse suedoise
qu'a celle d'Allemagne. Ces livres elegamment
relies garnissent des rayons enliers dans des li-
braries de Golhenbourg et de Stockholm. Les
conversations que nous avons eues avec des Sue-
dois nous ont convaincu qu'ils etaient lus, et les
VOYAGE EN SUEDE. t75
tables des jeunes James surtout nous en oat
fourni une nouvelle preuve. La, on parcourt
un romau francais comme exercice litleraire ou
comme distraction, mais on estime, dans un
livre allemand, la solidite du fond et l'aliment
substantiel qu'ilrenferme. En outre, l'Allemand
retrouve dans la Scandinavie sa maniere d'etre
et de penser , comme il reconnait les rapports
physionomiques de ses habitants avec ceux de
son pays. La, jamais on n'entendra porter sur
nous et sur notre litterature les jugements irre-
flechis dont la France est si prodigue. Le Sue-
dois , le Danois et le Norwegien sont Germains
aussi bien que les habitants du Holstein, de la
Frise orientale et de la Hollande. Sans doute,
un observaleur attentif saisira facilementce qui
les distingue, soit en masse, soit en particulier,
des Germains d'Allemague. Mais les dissem-
blances sonl-elles moius tranchees parmi ces
derniers? Quelle distance entre le caractere
saxon et celui d'un Bavarois, entre un West-
pbalienel un habitant de la Souabe! La langue
des Scandinaves a autant emprunte aux difle-
rents dialectes allemands qu'elle tient de ceux
du nord , a en juger par son caractere , ses ra-
dicaux germaniques et les travaux du traduc-
I
174 VOYAGE EN SUEDE,
teur Ulfilas. Aussi sommes-nous la comme en
famille, surlout a la campagne ou le caractere
et les mceurs se sont conserves intacts, ou l'in-
fluence pernicieuse des grandes agglomerations
d'hommes, des troupes, des gens d'affaires de
toute espece, de la conscription qui ehtasse la
jeunesse dans des casernes , n'a pas encore aba-
tardi le paysan. Quand il est en contact avec
les classes plus eclairees, il gagne leurs vices sans
prendre leurs qualites. II absorbe le poison, sans
apprendre a faire usage de l'anlidote. Ajoutons
le srand nombre de nourrices que nos villages
envoient dans les villes, et qui sortent des mai-
sons des ricbes avec l'horreur du travail et le
relachement des mceurs qu'elles y ont contracte.
Cette propagande de demoralisation est plus fa-
tale que celle de la politique qui fait trembler
les princes. La principale institution militaire
de la Suede est l'armee indelta; elle n'enleve
pas le jeune paysan a ses travaux, il est toujours
soldat paysan; ses officiers eux-memes restent
cultivateurs ou le deviennent par 1'effet de leur
service. De la vient que les mceurs publiques
se conservent plus inlacles qu'en Allemagne.
Malheureusement le Dannemark n'est pas dans
le meme cas , parce que la conscription n'y est
VOYAGE EN SUEDE. *75
pas en rapport numerique avec la population.
II y a identite entre le gouvernement du nord
et celui de l'Alleuiague. Charles-Jean XIV el
Frederic VI sont des peres pour leurs peuples,
cela est impossible dans un pays oii les minis-
tres liennent de la constitution un pouvoir ab-
solu, quoique sounds a la responsabilile. Le bon-
heur de leurs sujels est le but de ces deux mo-
narques. Quoique les constitutions de Suede, de
Norwege et de Dannemark different entre elles
autant qu'en Allemagne lesgouvernements libe-
raux different des gouvernements soi-disant
absolus, on voit toutefois le nieme principe ap-
plique en Suede, en Norwege eten Dannemark,
comme en Prusse, en Bade et en Wu item berg;
et cerles entre ces pays et la Fiance, patrie de
la bureaucratie, ce fleau de la liberie du peuple,
la difference dans l'esprit gouvernemental est
plus grande qu'enlre Bade et la Suede. Ces con-
siderations m'engagent a rappeler aux Allemands
qu'ils doivent regarder comme freres les Scan-
dinaves, y compris les Danois, parce qu'ils ont
le meme inleret politique que nous, a repous-
ser energiquement une domination etrangere
qui serait la ruine de la nalionalite.
I
n6 VOYAGE EN SUEDE.
La veille de mon depart de Gotheabourg je
fis avec M. Dunkel uae league promenade dans
les environs de cette ville, cooime pour faire
m es adieux aux contrees du nord. Du sommet
de rochers qui la dominent, noire yue plana.t
sur la ville. De superbes allees y conduisent de
differents cotes. Les faubourgs, quoique batis
presque tous en bois, out un air de bien-etre.
L'etat des etablissements publics y atteste I'ac-
tive surveillance des employes. Je remarquai
surtont un grand cimetiere, situe a 1'extremUe
d'un des faubourgs. Quoiqu'il fut infer.eur au
Campo santo de Bologne , 1'fflil elait flalte de son
elegance et de sa symetrie, qualites qu'on ne
rencontre pas dans nos cimetieres de Basse-Saxe.
11 faut une resignation toute pbilosophique pour
se laisser enterrer dans ces derniers.
Nous ne rentrames qua la brune, et j'avoue
que le froid du soir, au mois d'aout (27) , ne
me parut pas moins incommode qu'au mois
d'octobre. 11 est vrai que je toucbais au 58° de
latitude nord', et le soleil se couchait des sept
heures quatorze minutes, tant les jours de-
croissent rapidement dans ces contrees.
■ Gothenbourg est situe par 57" 42' 4".
VOYAGE EN SUEDE. \l'i
La matinee du jour suivant ful consacree aux
visites d'adieu. L'heure de quiller des hommes
que j'estimais elait venue. A un age comme le
mien , le peu de probability qu'on se rencon-
Irera jamais affaiblit le plaisir des voyages.
A trois heures apres midi un petit bateau a
vapeur me transporta avec une foule de voya-
geurs du port de Gothenbourg au batimcnt a
vapeur norwegien , le Prince Charles , qui <*tait
a Fan ere a deux lieues de la ville, dans la rade ,
a l'embouchure du fleuve. A ciuq heures on
leva l'ancre et nous sillonnames les eaux de l'o-
rageux Calegat , dans la direction de Copenha-
gue. Les passagers, tant hommes que femmes,
etaient au nombre de soixante a soixante-dix.
»« CtgiW —
VOYAGE
DE GOTHENBOURG A COPENHAGUE
PAR LE CATEGAT.
SEJOUR A COPENHAGUE.
RETOUR A WOLFENBUTTEL
IV.
I
VOYAGE
DE GOTHENBOURG A COPENHAGUE
PAK LK CATKGAT.
SEJGUR A COPENHAGUE.
UKTOllt A WOLFENBUTTEL.
J'ai eprouve l'inconstance des eaux du Cale-
gat. Le ciel etait pur ; cependant , quand nous
quiltames 1'embouchure du Gotha un vent froid
et incommode soufflait avec assez de violence du
sud-est. II y avait a peine une heme que nous
etions en pleine mer, quelle etait si haute que
notre superbe vaisseau dansail sur les flolscomme
un bateau de papier sur unetang. C'eiit ele chose
m VOYAGE EN SUEDE,
toute simple et une sorle de recreation pour un
habitant du pays-, mais le tangage du bailment
me fit sentir bientot l'incommodite du mal de
mer: je me jetai immediatement sur mon lit
sans me deshabilter, et quoique ma cajute fut
assez spacieuse , je fus pris assez violemment. La
plupart des voyageurs eprouverent la meme at-
teinle , de sorle que sur le soir le salon ressem-
blait a une infirmerie. Un silence de mort re-
gnait parmi nous , chacun ne s'occupant que de
son elat. Apres minuit le vent augmenta de
violence; leshamacs, dans le salon, s'agilerent
comme les balangoires des enfants , et les chaises
roulaient de cole el d'autre dans la chambre ,
qui n'elait eclaireeque par la faible lueur d'une
pelile lanlerne fixee au plancher. Chaque fois
que le vaisseau Iprouyait une plus forte secousse ,
partait du salon des dames un cri de terreur
d'une jeune femme qui se croyait probablement
a sa derniere heure. En un mot, notre position
^tait des plus desagreables. II etait presde deux
heures lorsque je me levai dans une espece de
delire pour aller prendre lair. Mais ce fut pis
encore; je fus sur le point de m'evanouir , et si
un brave marin ne m'eut prodigue ses soins et
ue m'eut emporle dans ma chambre , il est pro-
VOYAGE EN SUEDE. ^5
bable que les flols, qui passaienl sur le pont,
m'eusscnt emporle dans les sombres abimes du
Categat. J'arrivai heureusement dans ma cajute,
et mon estomac n'ayant plus rien a rejeler, je
tombai dans un elat de somnolence dont je ne
sortis que vers sept heures. La mer avait repris
son calme; nous etions a l'entree du Sund, et
toutes les souffrances de la nuit elaient oubliees.
A droite, nous avions la ciladelle de Kronebore
et la ville d'Elsingeur, a gauche Helsingborg, el
en face le Sund , couvert de vaisseaux de toule
grandeur. Quelle scene unique! car nulle mer
n'est aussi frequenter que la Baltique. Les droits
de peage, percus dans ces parages par la cou-
ronne de Dannemark, lui rapporlent plusqu'une
province. Nous etions loulyeux. Aussi toutes les
langues se delierent-elles quand un bon dejeu-
ner eut fait disparailre l'espece de paralysie dont
elles etaient frappees. On devint communicalif;
on Iia conversation avec des dames qu'on ne
connaissait pas, et l'on arriva , sans s'en douter,
en face de la magnifique residence de Copen-
hague. Un domeslique de Iouage n'attendit pas
que nous fussions descendus pour m'indiquer
une auberge et se charger de mon baca^e.
Je n eprouvai que quelques moments de re-
4 84 VOYAGE EN SUEDE,
tard a la douane ; je montai un fiacre avec mon
nouveau valet de chambre , et un quart d'heure
apres j'etais dans une belle chambre de l'hotel
royal, vis-a-vis du superbe chateau royal de
Christiansbourg et de son eglise. Je ne veux
pas tarder davantage a recommander l'hotel de
M. Henneberg , sur lequel j'etais tombe.
Tout mon apres -midi fut employe a courir
par la ville , a m'orienter, a acheler des livres
et des gravures , a visiter les librairies et les ma-
gasins de nouveaules qui ne sont pas tres-bien
fournis. Je continuai mes courses le jour sui-
vant; voici le resultat de mes observations:
Copenhague est une belle ville , digne du plus
haut interet. Ce qui , dans d'autres pays , est dis-
semine dans plusieurs villes , et ce qu'on rencon-
tre rarement dans la plupart des villes d'Alle-
magne , la capitale du Dannemark le reunit. Cite
maritime et centre d'un commerce actif, Co-
penhague a dans son port une flotte moins im-
porlante par le nombre de ses vaisseaux de haut
bord que bien armee. Ses chantiers, ses maga-
sins , ses arsenaux ne laissent rien a desirer. C'est
VOYAGE EN SUEDE. -185
la ciladelle principale du royaume, la residence
du monarque, le siege de toutes les administra-
tions superieures , d'instiluts nationaux et d'une
celebre universite. Elle renferme de pr^cieuses
richesses d'art el de lilterature ; ses palais , ses
edifices, ses rues, ses places sont admirables;
sa nombreuse population * est generalement
dans l'aisance.
Copenhague, assis dans une plaine, n'offre
pas, ainsi que Stockholm , de point de vue qui
rappelle Naples, comme celui du Pont-Neuf
jusqu'au chateau , pres de la place de Guslave-
Adolphe. Ses environs n'ont point de prome-
nade qui puisse etre comparee au pare de Stock-
holm. Mais il y a plus de mouvement dans la
capitale du Dannemark que dans celle de la
Suede. Les rues de celle-la sont mieux pavees,
ses boutiques et ses magasins mieux appropries
au gout d'une grande cite; a cote de 1'activile
commereante, l'universite anime et entretienl
la vie intellectuelle. Elle reunit done, a elleseule,
les avantages parlages enlre Stockholm et Up-
sala. Toutefois, je l'avoue franchement, Stock-
holm me parait plus poetique que Copenhague,
' D'apres le dernier recensemenl, fait en 1834, Copenha-
gue renferme 119,292 habitants.
*86 VOYAGE EN SUEDE,
ou domiue deja trop le ton prosaique du nord
de I'AUemagne. Un Allemand se trouve [a comme
chez lui.
J'ai fait l'eloge de 1'affabilite el de l'hospitalite
des Suedois. Je ne pourrais, sans une ingrati-
tude impardonnable, dissimuler que j'ai trouve
les meraes qualites chez les Danois. La cour , les
plus hauts fonclionnaires de l'Etat, les ministres
elrangers, les savants, les negotiants m'ont recu
a cceur ouvert. Mais si j'entrai si promptement
en relation avec les premiers employes du
royaume, j'en suis redevable a un des plus ex-
cellents hommes que j'aie connus dans ma vie,
au baron de Langenau , chambellan et charge
d'affaires d'Aulrichepresla cour de Copenhague.
II me fit obtenir audience du roi, du prince
Christian-Frederic, heritier de la couronne, et
des princesses danoises. II me presenla dans les
cercles des diplomates, ce qui me mit a meme
d'etudier les hautes classes. Oui, sous ce rap-
port, j'ai plus observe a Copenhague qua
Stockholm. #
Copenhague, dans son etat acluel, est, pour
ainsi dire, une nouvelle ville. L'ancienne a ete
VOYAGE EN SUEDE. 4 87
presque entierement devoree par les incendies
dans !e siecle precedent, ou ecrasee par les
bombes des Anglais au commencement de celui-
ci. Qu'il reste peu des constructions decrites par
le Vitruve danois de Thuracb « .' Aussi Copen-
hague a-t-il un air de jeunesse qu'on trouve,
quoique plus prononce, a Berlin. On n'y voil
pas ce qu'on appelle un edifice gothique, car ce
caraclere manque au chateau de Rosenbourg
ainsi qua la Bourse 2 , qu'on a coutume de
ranger dans ce genre d'architecture. La pluparl
des rues sont alignecs, assez larges, bien payees
etgarniesdetrol loirs. Les places sont spacieuses.
La nouvelle place du Roi (Kongens Nytorg) est
cilee, par ceux qui ont donne la description de
la ville, comme une des plus belles de l'Eu-
rope. Malgre sa grandeur et les palais dont elle
est enlouree, son irregularite m'empeche de
partager colle opinion. Elle a quelque chose
d'imposant, si Ton veut, mais le defaut que je
viens de signaler la met bien au-dessous de la
place Saint-Pierre a Rome, de celle de Saint-
Marc a Venise, de celle de la Revolution a Paris,
1 Copenhague 1746; 2 vol. in-folio.
2 Les dessins do ces deux edifices »c trouvent dans le Vi-
truve danois.
188 VOYAGE EN SUEDE,
de celle des gendarmes a Berlin , ou meme de
celle de Linz. Au milieu figure la statue equestre
de Christian V, en plomb. C'est un morceau
t res-mediocre , acheve de 1681 a 1688, par
Abraham Cesar 1'Amoureux. La plus belle place,
a mon avis, est celle de Frederic, d'une figure
reguliere, et enfermee dans quatre palais qui
serventde demeure au roi, a la reine, au prince
hereditaire Christian-FreVJeYic , et a la princesse
Wilhelmine, fille du roi. L'eusemble de ces Edi-
fices porte le nom de A ma lien b our g. On trouve
des fiacres sur pi usieurs places ; sousce rapport
Copenhague ne le cede a aucune grande ville.
Un bras assez large du Sund separe l'ile d'A-
mager de celle de Seland. C'est sur les bords de
ce bras , qui forme le port le plus sur et le plus
beau , que s'elend Copenhague. Une partie est
situee du cote de Seland; I'autre, qui s'appelle
Christianshafen , regarde la pointe septentrio-
nale d'Amager. Les deux parties communiquent
ensemble par deux ponts : celui de Langebro et
celui de Knippelbro. Les ponts de Copenhague
ne peuvent etre mis en parallele avec celui du
VOYAGE EN SUEDE. 4 89
Melaren , ;\ Stockholm. Le plus remarquable est
celui du chateau ou le pont de marbre, jete
sur le fosse qui ceint le chateau de Christians-
borg. Christianshafeu est conslruit aussi regu-
lierement que la ville. On y voit de belles
eglises, mais il n'y a ni l'activile ni le com-
merce de I'autre partie. L'aclivite" des rues est la
meme qu'a Hambourg. Quelques-unes , comme
Oster-Gade , offrent a chaque pas de jolies bou-
tiques frequentees, surtout vers midi, par une
foule de dames elegantes : c'est 1 'image exacte
d'une grande foire. On ne peut se faire une idee
du mouvement qui anime les places, le matin.
Si vous vous placez a letage superieur du cha-
feau de Christiansborg et que vous jetiez vos
regards sur le marche , vous etes frappe de la
cohue bariole qui s'agite a vos pieds, et que ie
ne me rappelle avoir vue qua Naples. Mais
quelle difference ! En Italie , ce ne sont que des
hommes; ici ce sont de charmantes fdles, co-
quettemeut mises , qu'on est etonne de voir
aller au marche en toilette.
Le coup d'cjeil de la halle aux poissons et de
l'espace compris entre le quai et la Bourse est
beaucoup moins agreable. J'y rencontrai des
inendianls et des creatures demi-nues el cou-
-190 VOYAGE EN SUEDE,
verles de gale, qui exciterenl au plus haul
degre ma compassion. Je fus surpris , je I'a-
voue, que, dans une ville com me Copenhague,
les bureaux de sante oubliassent que des mal-
heureux de cetle espece etaient en etat de vaga-
bondage et repandaient cetle horrible maladie.
Un jour que je donnais quelques schillings a une
miserable petite fille sans chemise, et dont la
nudite n'etait deguisee que par quelques lam-
beaux dune robe de colon, je m'apercus, en
touchant sa petite main, qu'elle avail la dan-
gereuse affection que je redoutais. Je courus aux
eaux de mer prendre un bain sulfureux pour
prevenir les suites possibles d'un tel attouche-
ment. Je la revis presque tous les jours. J'ap-
pris, par mon interprete , qu'elle avail ete ren-
voytfe comme incurable, ainsi que ses parents,
ses freres et sceurs, d'une maison de mendicite.
Je n'ai pu ajouter foi a celte hisloire, vu l'ha-
bilele renommde des medecins de Copenhague
et la bonne administration de ses elablissements
de charite. IVe^nmoins , je rapporte ces fails
pour fixer 1'attention des employes charges de
veiller a la police et a la sante publiques sur le
danger de laisser vagabonds des gens alteinls
de ce mal dans une ville aussi populeuse.
VOYAGE EN SUEDE. I!) I
Le Danois esl ne marin, el il ae le cede a eel
egard a auciin autre peuple , pas meme aux An-
glais. Son orgueil esl sa flolte, et ee serait une
honle pour la masse de la nation de laisser res-
treindre ses etablissements marilimes qui ont
lanl souffert par un malheur qu'elle ne meri-
lait pas, el par une barbarie inoule. Resle a sa-
voir si ce ne serait pas, dans ce cas , une chose
utile aux pays; car une reduction de la flolte
et de I'armee suffirait pour relablir les finances
du Dannemark, mieux queue I'a pu fairejusqu'a
present la plus sage economic. Daus l'elat ac-
luel de la politique europeenne , le Dannemark
est sous la protection desEtalsdu continent. Sa
position geographique la met a I'abri d'une at-
taque. Une guerre generale vinl-elle a eclater
enlre les principales puissances de l'Europe ,
comme cela pour rait arriver a l'occasion des af-
faires d'Orient, il serait en elat de faire respec-
ter sa neutralile. Seulement en cas d'hostilite de
la France contre I'AJlemagne, il serait oblige
de fournir son contingent qui se joindrait aux
troupes de la confederation germanique. C'esl
le seul cas , suivant toutes probabililes , oii le
Dannemark se verrait force de prendre part a
une guerre; encore faudrait-il qu'elle fut euro-
I
192 VOYAGE EN SUEDE,
peenne. Eq acquittant sa detle, le Dannemark
accroitrait assez ses forces-, 1'avantage qu'il en
resulterait compenserait et au dela la perle de
la Norwege. 11 est done a presumer que le Dan-
nemark reduira de moitie les depenses consa-
crees a sa flotte; ce sera un sacrifice a la gloire
et a la nationality danoises. Quoi qu'il en soit ,
il faudrait etre bien indolent ou bien avare de
ses pas pouraller a Copenhague, sans visiter sa
flotte, seschantiers, ses magasins, ses arsenaux
et les ateliers qui en dependent. L'etranger ne
peut entrer dans l'ilede la marine qui renferme
tout ce qui concerne 1'armement et la construc-
tion de la flotte, sans une autorisation speciale
du roi.
Ceux qui ont lu un livre intitule : Seland et
les Selandais\ dont I'auteur du reste parail
eclaire, ont remarque une assertion singuliere.
Apres avoir dit qu'un etranger eprouvait les
plus grands obstacles pour voir l'ile et la flotte ,
le bon Mecklenbourgeois , qui a ecrit cet ou-
vrage, pretend qu'il faut etre Holsteinois pour
obtenir cette faveur et qu'il la dut lui-meme a
un artifice, en se faisant annoncer comme ori-
i Christian Dehn, Grossherzogl. Meckl. Schwcrin. Pa.jcn-
[nformator; Schwerin , 1839, p. 69.
VOYAGE EN SUEDE. 193
ginaire de ce duche et natif d'ltzehoe. Toutefois
je puis affirmer que j'atteignis mon but sans
proleclion et sans avoir recours a aucun moyen
deloyal. Voici comment j'y parvins : J'envoyai
au chef de la flotte , a l'amiral baron Holslein ,
ma carte de visite, en lui faisant demander a
quelle heure je pourrais elrc admis en sa pre-
sence. Son Excellence fixa une heure, et je de-
mandai pour moi et pour mon compagnon ,
M. Schroeder, professeuret bibliothecaire a Up-
sala , la permission du roi pour voir le holm et
la flolte. L'amiral , vieillard venerable et rempli
depolitesse, me le promit, el le jour suivant
j'avais la permission ou il elail dit qu'un offi-
cier de marine avait recu l'ordre de nous cou-
duire le lendemaiu matin a neuf heures. C'est ce
qui eul lieu; seulement une venle de Iivres re-
tint M. Schroeder, qui ne put elre des nolres el
user de la bonle du roi.
De la douane (tull/jodc) , ou j'avais mis pied a
terre en venanl de Golhenbourg, je me rendis,
avec mon domeslique, a la nouvelle ile (Ny-
liolm). On y arrive par un long pont de bois,
d'ou Ton apergoil a gauche le Sund et les vais-
seaux qui lesillonnent, et a droile une division
de la flotte slalionnee dans le port. Je me lis
13
I
494 VOYAGE EN SUEDE,
annoncer au corps de garde. Un jeune ofticier
vint a ma rencontre, en me disant qu'il avail
recu l'ordre de I'amiral de me faire visiter le
holm. II s'informa ou etait mon ami, dont je
lui presentai les excuses. C'etait le premier lieu-
tenant de la flotte, Schmidt; il avail deja fail
le voyage des Indes orientales et occidentales. 11
gagna mon amitie tant par ses manieres dislin-
guees que par la justesse de son esprit et l'eten-
due de ses connaissances. Nous vimes d'abord
la flotte ; je ne tenais pas a descendre dans les
vaisseaux, j'en avais deja etudie la construction
interieure a Venise, a Genes, et plus recerament
a Amsterdam. J'en avais done un connaissanee
suffisante pour un homme qui n'etait pas du
metier. La flotte danoise compte six vaisseaux
de ligne, dont cinq de qualre-vingl-qualre ca-
nons (il y en a encore un sur le chantier) el un
de soixante-six; sept fregates, dontune de qua-
rante-huit, n'est pas encore achevee; cinq cor-
vettes, cinq bricks, cinq schoners et soixante et
onzechaloupescanonnieres ou a mortier. Comme
on le voit, les forces navales de ce royaume sonl
encore considerables. Tous ces bailments peu-
vent etre armes et mettre a la voile au premier
signal. Les deux vaisseaux en construction me
VOYAGE EN SUEDE. 193
firentjuger tie I'immense grandeur d'un vais-
seau de haut bord et d'une fregate. lis m'ap-
paraissaieut a terre comme de vasles maisons de
bois , el je compris, a la vue de ces masses, com-
ment elles absorbaient tant de milliers de
t balers.
C'est au Nyholm que s'elevent les batiments
de haut bord. Leur construction lerminee, on
trouve dans cetle ile tout ce qui est ne"cessaire a
leur armement. Ce fut pour mon imagination
comme une nouvelle apparition de l'arsenal de
Venise, avec cette difference qua Venise les
edifices sont d'une magnificence plus impo-
sante, et qu'ici les magasins sont plus vasles el
plus completementapprovisionnes. Comme puis-
sance maritime le Dannemark est au-dessus de
l'Autriche. De Nyholrn un pont conduit a Fre-
drichsholm (loujours du cote d'Amager dans le
port) rempli de corderies et de magasins impor-
lants, tenus dans le plus grand ordre. En pous-
sant encore plus au midi , on arrive par des
ponts a l'arsenal de Holm el a celui de la ma-
rine, Christiansholm, ou sont tous les appareils
de la guerre. Du meme cote, vis-a-vis de 1'an-
tique Holm , est situe le dock , une des construc-
tions les plus remarquables et les plus precieuses
I
496 VOYAGE EN SUEDE,
que possedele Dannemark. Le doch n'a pas plu-
tot recu un vaisseau , destine a etre ravitaille ,
qu'on ferme les ecluses et qu'on le vide en vingt
heures, au moyen d'une machine mue par des
chevaux. Je crois qu'on obtiendrait le meme re-
sultat plus facilement et plus promptement par
une machine a vapeur. Nous montames ensuile
sur un bateau, et traversant le port nous ga-
gnames I'ancien Holm (Gammel Holm) a cole
de Seland. Cette separation doit etre un obstacle
a l'administralion , et l'on ne peut y remedier ,
la largeur du port et le nombre des bailments
qui y enlrent s'opposant a la construction d'un
pont. Toutes les professions qui concoureiit aux
apparaux de la flotte, ont des ateliers dans cette
lie : ce sont des forgerons, des fabricants de
toiles a voiles, des sculpteurs, des cordiers, etc.
11 y a un chantier ou Ton construit des fregates
et ou l'on ravitaille des bateaux. C'est le siege
de tous les bureaux de l'administration de la
marine, et la residence du chef de Holm et du
college de l'amiraute. Arrives la, mon conduc-
ted prit conge de moi en me disant qu'il ne
nous restait plus rien a voir. J'avais parcouru
un espace d'une lieue, et je me trouvai dans le
voisinage de Christiansburg, et par consequent
VOYAGE EN SUEDE. 197
pres de mon hotel. Le Holm (c'est le nom ge-
nerique de tous les lieux que j'ayais tenus )
forme un ensemble des plus imposanls, d'a-
bord par la flotle elle-ineme, puis par la quan-
tite de canons, d'armeset de materiaux de toutes
especes destines a l'armement, enfin par 1'ordre
admirable qui preside a l'arrangemenl de toules
ces choses. II est possible que les arsenaux ma-
ritimes de I'Angleterre, de la France el de la
Russie soient etablis sur de plus grandes pro-
portions, mais ils ne sont pas mieux entrelenus,
mieux diriges, ni plus au complet. Apres avoir
vu un etablissement comme Holm, on com-
prend facilement que les Danois , qui sc sont
toujours distingues sur la mer, verraient avec
peine et peut-etre avec colere, reduire leur ma-
rine. Cette probabilile puise une nouvelle force
dans l'espece de terreur qui saisit les officiers de
la marine danoise a ce seul mot de reduction.
Cependant je considere la chose d'un point de
vue plus eleve, celui de I'utilile incontestable
qui en resulterait pour la nation. En effet, si le
Dannemark peut economiser deux millions de
thalers en reduisant son armee et sa marine,
d est hors de doute que le pays gagnera plus
de force qu'en conservant une marine formida-
I
I- ..
498 VOYAGE EN SUEDE,
ble qui ne lui sert qu'a exciter la jalousie des
arandes puissances, sans lui etre d'aucuue uli-
lile daus l'etat actuel de la politique europeenne.
La prosperite des finances est le premier Ele-
ment de la force d'un royaume. Le grand Fre-
deric etait bien penetre de cette verite; autre-
ment il n'eut pu tenir sur pied une armee si
puissante et la renouveler constamment.
Quant a la Suede, c'est autre chose. C'est sa
position qui la defend : elle n'a pas neglige sa
marine; puis elle louche a un empire qui, de-
puis plus d'un siecle, s'est constamment etendu
aux depens de ses voisins, les Chinois exceptes.
II n'est pas probable qu'H abandonne de si tot
ce sysleme d'envahissement. Tout ce qu'on
peut dire, c'est que la Russie, depuis la reunion
de la Finlande, a, du cote du nord-ouest, une
frontiere bien couverte, et que l'amitie de la
Suede lui est necessaire pour la realisation de
ses desseins *W le sud et le sud-est, desseins
tout naturels et favorables a la propagation
de la civilisation chretienne et europeenne. On
peut done supposer que , tant qu'elle s'avan-
cera au sud et au sud-est, la Russie ne rom-
pra pas les liens qui l'attachent aujourd'hui
a la Suede. Mais qui peut repondre de l'ave-
VOYAGE EN SUEDE. ID!)
nir? Le Dannemark, au conlraire, n'a rien a
redouter, et pour proteger soa commerce, les
corvettes valent mieux que les vaisseaux de li-
gne et les negates.
L'interet que je porte au Dannemark m'a
dicte" ces lignes; je reclame l'indulgence pour
ces considerations peut-etre incompletes : moii
intention doit me servir d excuse.
Le 3 septembre, a dix heuresdu matin, j'eus
I'honneur d'etre recu en audience particulierc
par S. M. le roi de Dannemark. Le baron de
Krabbe - Carisius , minislre des affaires etrau-
geres, avait fixe cette heure, qui me fut indi-
tjuee par M. le baron de Langenau. Comme je
l'ai deja remarque, le roi n'habite pas la ma-
gnifique residence de Chrisliansburg, mais l'un
des quatrc palais qui formeul le palais d'Ama-
Jienburg sur la place Frederic. Outre plusieurs
persounes inconnues, je melrouvai dans le salon
d'altente avec le celebre Tborwaldsen , dont
j'avais manque de faire la connaissance a Rome,
et que je fus heureux de rencontrer la. 11 a le
tilrede conseiller de conferences royales ; sur sa
poitrine brillent plusieurs decorations qui te-
-T~
(
200 VOYAGE EN SUEDE.
moi<*nent de la consideration dont jouissent au-
jourd'hui les artistes. Au bout de quelques mo-
ments d'attente, un aide-de-camp du roi me
conduisit jusqu'a la porte du cabinet de S. M. et
me pria d'enlrer. Ainsi je ne fus soumis a au-
cune presentation, car personne n'entra avec
moi et ne proclama mon nom. Le roi , en uni-
formeet decore du grand cordon de l'Elephant,
etait assis a une table ronde couverte d'un tapis
■vert. 11 m'adressa familierement la parole en
allemand. Au bout de quelques minutes, une
discussion en regie etait ouverte sur l'etat pre-
sent de la jurisprudence penale, et letablisse-
ment de la legislation criminelle en Allemagne
et dans d'autres pays d'Europe. Le roi connais-
sait parfaitement le terrain sur lequel nous
marchions. II avait lu ce que j'ai ecrit sur la ma-
ture, et lorsque je lui dis que la plupart des
criminels elaient sans doute moins coupables
aux yeux de Dieu qua ceux des hommes, parce
qu'il lit dans l'intention , tandis que ceux-ci ne
jugent le fait que par sa manifestation exte-
rieure, S. M. sembla partager mon opinion.
C'est pour cela, ajouta le monarque, qu'il est
necessaire de prevenir les crimes autant que
possible, en faisant penetrer dans le peuple une
VOYAGE EN SUEDE. 20!
instruction bien dirigee, et surlout en lui in-
spiranl des sentiments religieux et en l'exercant
a la pratique des vertus. II me demanda ensuite
quel elait le traitement des condamnes dans les
maisons de detention du nord de l'AHemaane,
les causes et les resultats de plusieurs evene-
ments, etc. Tl eut meme 1'attenlion delicate de
s'informer de ma situation parliculiere; il me
questionna sur mes services, sur mes voyages
el sur les observations que j'avais ete a meme
de recueillir. A ce sujet, je ne pus m'empecher
d'avouer an roi qu'un de mes vceux les plus ar-
dents elait de voir Pile d'Islande, qui me parais-
sait digne du plus grand inleret, et que j'en
avais ete empeche, soil par des circonstances
independantes de ma volonte, soit par la place
que j'occupais. Le roi alors eut l'obligeance de
me donner une foule de details curieux sur le
climal de cette ile et les moeurs de ses habitants.
Nous nous entretinmes des derniers moments
du due Chai les-Guillaume-Ferdinand de Braun-
schweig et de sa noble scaur , la princesse Augus-
tine-Dorothee, abbesse de Gandersheim. Je par-
lai de la reconnaissance avec laquelle les Braun-
schweigeois se rappellent la protection hospita-
lise que les viclimes de la campagne de 180G
-r
ii II
202 VOYAGE EN SUEDE,
trouverent dans les Etats danois. J'appris au
roi que j'etais present a la mort du due , a Ot-
tensen; je n'oubliai pas de faire mention de
la cordialite avec laquelle son epouse inconso-
lable fut recue par la sceur du roi , la duchesse
de Holslein-Augustenbourg , et je terminal en
depeignant l'estime et les soins donl elle elait
entouree par le roi et la reine de Westphalie,
lorsqu'elle mourut a Gandersheim, en 1810.
Ces souvenirs produisaient une emotion visible
sur les augustes traits du monarque.
Le roi a un exterieur qui impose le respect.
Si on ne le connaissait pas , on le prendrait ,
avec ses fortes moustaches blanches, pour un
general de cavalerie qui a fait de nombreuses
campagnes. 11 me parut doue d'une vigoureuse
constitution.
Ce bon prince, dont le regne a ete traverse
par lant de malheurs vivra de longs jours, je
l'espere. Les efforts qu'il a fails pour rendreson
peuple heureux lui amasseront un tresor de
reconnaissance qui le dedommagera des vicis-
situdes auxquelles il a ete en butte 1 .
. Ces vcbux n'ont pas ele exauces. Ce roi, si mallraite par
1, fortune, n'avait plus que Irois mois a vivre. Apres avo.r
rempli les devoirs de sa position jusqu'au dern.er moment ,
il expira le 3 decembrcl839 a huitbeures et dcm.e. Lepr.nce
ib.
VOYAGE EN SUEDE. 203
Quelques jours apres celte audience, j'eus
l'honneur d'etre admis aupres de l'heritier de
la couronne, le prince Christian -Frdderic de
Dannemark, dans son palais d'Amalienbourg. II
partage son temps entre les affaires publiques
et les sciences, a letude desquelles il s'est voue
avec ardeur. Protecteur eclaire des arts , il m'en-
tretint surtout de leur etat actuel en Italic II
avaitaussi foule avec son epouse, quelques an-
nees auparavant, cette heureuse terre, el en
avait rapporte plusieurs morceaux de l'art an-
cien et moderne, notamment des vases etrus-
ques. Ses appartementselaient ornes de tableaux
des anciens maitres italiens et danois. S. A. m'en
fit remarquer plusieurs et m'invita avec bonte
a visiter ses autres collections , confiees aux soins
de M. Thomsen. En effet, ce plaisir me fut pro-
cure, le lendemain, par ce connaisseur pas-
sionne des arts. Ce riche tresor de toiles et
d'antiquites , parmi lesquelles je distinguai sur-
Christian-Frederic a herite son trone sous le nam de Chri-
stian VIII.
Au moment oil nous ecrivons ces lignes , le nouveau mo-
narqne est couronne. L'avenir devoilera les difQcultes qu'il
aura a vaincre et prouvera que remplacer un roi tel que
Frederic VI n'cst pas une tache facile, quoique son regno
ait etc un des plus desastreur que le Dannemark puisse citer.
/'
(
, i04 VOYAGE EN SUEDE,
tout les vases etrusques, parfaitement conserves,
ainsi que la galerie mineralogique , ou les echan-
tillons des contrecs boreales occupent le premier
rang, prouveat l'interet puissant que cet objet
inspire au prince et les lumieres que S. A. pos-
sede sur les sciences de l'antiquite, les arts et
certaines parties de I'histoire nalurelle.
Le prince nVinvila, pour le dimanche smvant,
a son chateau de Sorgenfrei , situe a quatre l.eues
nord-ouest de Copenhague, sur le chem.n de
Fredrichsborg. Conformementasesordres , je m y
rendis de bonne beure, et j'eus l'honneur de
Taccompagner a sa promenade dans les belles
allees du pare. L'oeil etait encbante par des vues
variees, toutes plus ravissantes les unes que les
autres. Je ne crois pas qu'il y ait en Angleterre
ni en Allemagne , un pare comme celui-ci , ou le
pittoresque emprunle un nouveau charme a l'eau
qui y abonde.
Avant le diner, auquel assislait une sodete
aussi nombrense que brillante, je fus presente
a Pepouse du prince, de la maison de Holstein-
Sonderburg-Augustenbourg, el par consequent
niece du roi. Elle me rappela ses annees d'enfance
a Augustenbourg 1 . C'etaitalors une pet.te crea-
i Voyez Darstellmgen aus meinem Lehen , t. 1 , p. 262.
I
V
VOYAGE EN SUEDE. 205
ture tie dix ans, belle comme un ange. Trente-
Irois annees se sont ecoulees depuis cette epo-
que; mais Ie temps a tellement epargne la prin-
cesse, quelle parait encore dans la fleur de la
jeunesse. Ce relour sur Ie passe nous reporla aux
cruels evenemenls qui, peu de temps apres la
bataillede Iena , en 1806, forcerent la duchesse
douairiere de Braunschweig et la princesse Au-
gustine a chercher un refuge a Augustenbourg,
dans 1'ile d'Alsen. Je fus aussi presente a la prin-
cesse royale Caroline et a la princesse Julienne-
Sophie, dont je fus accueilli avec l'affabilile qui
caracterise la cour de Dannemark.
Cette journee, qui fait epoque dans ma vie,
se termina par un concert ; mais comme je
trouve plus de volupte a m'abandonner a mes
reflexions, dans la solitude de la nuit, je me
retirai, quand elle fut venue, en remercianl
M. Adler, secretaire du cabinet du prince, qui
avait fait toutes les demarches; et l'imaginalion
remplie de tout ce que j'avais vu, je rentrai de
bonne heure a I'Hotel-Royal.
L'universite de Copenhague est une des plus
anciennes de l'Europe, car elle fut creee en 1479
y
! I
. 20C VOYAGE EN SUEDE,
par Christian l cr . Elle a plus de ressources qu'au-
cune universite d'Alleuiagne. Cest deja une par-
ticular^ assez remarquable qu'elle fournit gra-
luitement le logement a ceat trenle-deux etu-
diants. Suivant le programme des cours pour le
semeslre d'ete de 1839, la Faculte de theolog.e
a cinq professeurs qui enseignent publiquement,
etunen particulier. Cellede droit en a qualre;
dans celle de medecine, cinq professeurs font
des cours publics et deux donnent des repe-
titions particulieres. Vingt et un professeurs
occupent la chaire publique de la Faculte de
philosophic, qui en a un, en outre, pour 1'en-
seignement prive. Chacun d'eux , dans sa specia-
lite possede des connaissances profondes , quot-
qu'ils ne jouissenl pas d'une grande renommee
a I'etranger. II en faut excepler, cependant, Jean-
Christian Oerstedt, qui est aussi estime par
l'Europe savante, comme physicieu, queBerze-
hus comme chimiste. Tons deux brillent comme
deux etoiles de premiere grandeur dans le ciel
scientifique du nord. A mon grand deplais.r,
je n'ai pu faire la connaissance de M. Oerstedt;
nous avons echange des visites sans nous rencon-
trer. II y a certainement aussi dans la Faculte de
droit des hommes eminentsquil'honorent. Mais
f:
V
VOYAGE EN SUEDE. 207
j'ai remarque dans le programme des cours dont
je viens de faire mention , des lacunes qu'il fau-
drait remplir pour completer l'enseignement
de celle science. M. Bornemann devait donner
ses cours e vatvis publicis , ce qui etait d'un
mauvais augure. M. Colderup-Rosenwinge de-
vait professer IeDroit public, la derniere partie
du Droit canon , et donner des repetitions sur
I'Encyclopedie du droit. M. Larsen avait a diri-
ger des exercices pratiques , a faire un cours sur
la procedure extraordinaire en matiere civile,
et enlin a proceder a un examen. M. Scheel etait
charge du Code maritime et du Code penal.
Comparez a ce programme celui d'une des
universites de Goettingue, de Iena, de Heidel-
berg , de Halle, de Leipzig ou de Berlin , et vous
ne pourrez vous empecher d'avouer que les pro-
fesseurs de Copenhague reservent sans doute une
bonne partie de leur besogue pour leurs lecons
particulieres. Pas le moindre mot sur le Droit
rornain, si indispensable au jurisconsulle. Je
voudrais bien savoir par ou un jeune eludianl
a commence ses cours, au mois de mai 1839.
Est-ce par un examen sur YEncyclopedia juris ,
qu'il n'a point encore vue, ou par \ejus f atrium,
quod ad res perlinet, puisqu'il ne eonnail pas le
I
208 VOYAGE K\ si LDK.
Di ;°, il P ^ ? ,( me se -b'e que Cost la un vice
quiIseraitio.portautdefairedisparaUrede
lenseignement.
L'edifiee eonsaere a I'universite est dune
"range original!,,;. On dit a Copenhague qu'il
Wa r ,.„ l ara r chi t ec lur eeg }p , ie „ n , llp l,. l
«vo,r beaueoup de rapport avec le caf , d
eheunn de fer tres-frequente du nerd de I'Alle-
magnee, elevedan, le sly | e b F a„ li „.a,.abe-,„.
'lon.L,me,i euroneslbri „ aille[pai . | .. (cme|]i
appropne a son „bje,. „ m<! xmbk ^
Smm d , ' a0m ' » ^hitee.ure que d'adopter
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VOYAGE EN SEEDE. 209
A propos des morceaux d'archilecture origi-
nale, qu'on me permette de dire quelques mots
de laBourse, magnifique edifice, du pelit nombre
de ceux du seizieme siecle qui existent encore
a Copenhague. II fut construit en 1624, par
Christian IV. II est figure dans les planches LIV
et LV du premier volume du Vilruve danois.
Lorsqu'aux seizieme et dix-septieme siecles , l'AI-
lemagne et le Dannemark eurent connaissance
des edifices qui s'elevaient en Italie, et parmi
lesquels I'eglise Saint-Pierre occupe le premier
rang, on crut devoir abandonner l'ancienne ar-
chitecture allemande et adopter le genre grec.
Mais comment le fit-on ! On conserva la forme
golhique en general , a laquelle on accola des
colonnes antiques, dans des proportions de mi-
niature. Au lieu des ornemenls en fleurons, a
la maniere allemande , on decoupa d'elegantes
rosaces et des aiguilles elancees. C'esl ce style ba-
tard du gothique moderne qui presida a la con-
struction de I'eglise Notre-Dame, a WolfTenbulle],
fondee par les dues Henri-Julius et Frederic-
Ulrichau commencement du dix-septieme siecle.
C'est le plus majestueux et le plus grand monu-
ment que j'aie vu dans ce genre , qu'il est per-
mis de qualifier de mauvais. Au dire des chro-
14
1
I
)1
240 VOYAGE EN SUEDE,
niqueurs, les soldats imperiaux qui occupaient
la ville dans la guerre de trenle ans , furent saisis
d'etonnement a la vue de cette construction qui
n'etait pas encore achevee, et a laquelle la nou-
veaute donnait un caractere de singularity plus
frappant. Vue a certaine distance, tout, dans
cette eglise, la faitparaitre gothique, jusqu'a la
tour pointue , elevee il y a cent ans, en forme
de KXvarrjQiov gigantesque et sans gout. D'im-
mensesfenetresen plein cintre sontsurmontees
d'especes de frontons saillants en triangles equi-
laleraux. Le caractere gothique est encore em-
preint sur les ornements delicats de ces saillies.
Mais qu'on s'approche, et tous ces ornements
se transforment rapidement a l'ceil en colonneltes
doriennes, ioniennes et corinthiennes, qu'on a
substitutes aux dentelures gothiques. C'est le
cachet de la transition a l'architecture italienne
moderne, comme celle-ci a servi de transition
au retablissement du classique grec pur. En re-
montant plus haut, on remarque quelque chose
d'analogue. L'architecture byzanline donna nais-
sance a l'ancienne architecture germanique , qui
distingue surtout les edifices de Cologne. Ce
genre, apres avoir regne plusieurs siecles, fit
place au gothique, qui mil a profit, comme je
VOYAGE EN SUEDE. 2H
viens de le dire, les colonnes, jusqu'a l'appari-
lion cl'iin nouveau mode, qui se forma peu a
pen. et dont le type le plus elonnant est I'eglise
calholique de Dresde. Enfin, Ton en revint au
temps ou l'architecture produisit des chefs-
d'ceuvre, qu'apres trente siecles, nous admi-
rons encore dans le temple de Neptune , a Pes-
tum. Les temps modernes en ont peu produit
de semblables, quoique les moyens ne man-
quassenl pas.
La Bourse de Copenhague est a l'hotel-de-
villede l'ancienneville (Allstadt) a Braunschweig,
le plus important des edifices que l'Allemagne
ait consacres a une destination non religieuse,
ce que I'eglise de Notre-Dame, a Wolffenbullel,
est a la cathedrale de Magdebourg. Suivant l'es-
tampe du Vitruvc qui la represenle, la Bourse
a cent quatre-vingts aunes danoises de longueur;
letage superieur est perce de trente-neuf fenetres,
le rez-de-chaussee a un nombre egal de fenetres
ou de porles cinlrees, et neuf superbes arcs-
boutants. Derriere celui du milieu, qui est le
plus grand, s'eleve la tour, d'une construction
on ne peut plus singuliere; car elle est formee
de quatre queues d'une espece de crocodile cou-
che sur le ventre et terminee par trois couronnes
2j 2 VOYAGE EN SUEDE,
royales qui surmontent le fut. L'ensemble du
monument rappelle l'hdtel-de-ville de Leipzig.
Mais la Bourse l'emporte sur celui-ci, surtout
par ses deux facades , aux portes desquelles con-
duisent deux escaliers grandioses. Cet edifice est
comme l'ornement du chateau de Christiansborg
et du canal dont les bateaux couvrent les eaux.
Les vastes corridors de l'interieur sont remplis
de boutiques, a l'instar des galeries de Braun-
schweig, deCassel et de Francfort-sur-le-Mein. On
est frappe de la variete des etalages de libraries,
des ebenisteries, des magasins de nouveautes et
de modes, etc. Cependant on eprouverait du
desanchantement , si Ton s'attendait a y trouver
l'elegance et la magnificence du Palais- Royal a
Paris. Tout y a le caractere d'une petite ville.
L'exterieur est d'un prosalsme glacial ; le local
du rez-de-chaussee est envahi tout entier par
des magasins de comestibles. Le quai qui lui fait
face, couvert de vieilles marchandes de maree,
eloigne peut-etre de cet endroit les femmes ele-
gantes, qui preferent la rue Ostergade, enrichie
de belles boutiques, au Marchd-aux-Poissons. 11
me semble qu'on aurait pu employer d'une
maniere plus digne cette partie de la Bourse.
VOYAGE EN SUEDE. 2i5
Les premiers fondements de Christiansborg
furent poses par Christian VI en 1731. Des 1740,
les travaux e'taient tellement avances, que ce
chateau etait habitable. Les raretes precieuses
qu'il renfermait en avaient fait une residence
unique dans son genre en Europe. Apres avoir
ele pendant cinquante-quatre ans l'ornement de
la capitale, il futdetruit en quelques heures par
un incendie, dans la nuit du 26 au 27 fevrier
1794. De deux a quatre mille ouvriers y travail-
lerent constammenl pendant dix ans. Le Vitruve
de Tlmrach donne les dessins les plus detailles et
les plus exacts de cet edifice dont plus de mille
personnes occupaient les appartements. L'incen-
die avait epargne une partie des mursexterieurs,
construits dans des proportions colossales. L'in-
lerieur a etc entitlement rebati sur les plans de
M. Hansen , a qui Copenhague doit plusieurs
edifices remarquables. La distribution en est
mieux ordonnee qu'elle ne letait. La grande
cour d'entree, enceinte d'ecuries, et qui sert de
manege pendant l'ete, conduit a une cour prin-
cipale, flauquee de deux autres moins grandes.
Le corps de batiment le plus important a cent
soixante pas de longueur; sa hauteur est de six
elages, y compris le rez-de-chaussee. Les ailes
244 VOYAGE EN SUEDE,
ont deux etages de moins. La droite touche a
plusieurs edifices publics et a la bibliotheque ;
la gauche, a l'eglise du chateau, production de
Hansen, et chef-d'oeuvre d'architeclure grecque.
Des pilastres corinthiens sont appliques aux trois
risalites du chateau. Le principal etage a ete
complement reconstruitetenrichid'ornemenls
dignes de la magnificence royale. Dans une des
salles, la frise represente la marche triomphale
d' Alexandre, commandee par Napoleon, et exe-
cuted par Thorwaldsen. Mais tout cela est desert
et silencieux •, les portes ne s'ouvrent que dans
les grandes solennites. Je visitai toutes ces ma-
gnificences en societe du prince russe Gousou-
boff , un de nos compagnons de voyage de Go-
thenbourg a Copenhague, et de deux Anglais,
loges a mon hotel. L'un d'eux, doue" du plus
beau physique , etait sourd-muet de naissance ,
et mettait dans la langue mimique, qu'il em-
ployait avec son ami , l'expression la plus ener-
gique. Ce qui me toucha le plus, ce fut l'amitie
qui unissait ces deux jeunes hommes, qui pa-
raissaient si bien se comprendre! Quelle triste
solitude viendrait envelopper ce malheureux , si
un accident venail a lui enlever son ami! Au
nombre des nouvelles salles, est celledu tribu-
VOYAGE EN SUEDE. 245
nal supreme , ou le roi preside chaque ann^e a
l'ouverture des sessions de la cour. Le president
de ce tribunal, dont la juridiction s'etend sur
tout le royaume, et meme jusque sur l'ile d'ls-
lande et les colonies, porte le titre modeste de
Justitiarius.
Le dernier elage du chateau n'a que les murs ;
nombre de chambres et de salles ne sont point
encore peintes; il est yrai qu'on s'en apercoit a
peine, les parois etant couvertes de tableaux.
Celte galerie , suivant le catalogue , se compose
de 1071 pieces. On y voit de precieuses toiles
des ecoles flamande et allemande. Mais quelle
difference avec les musees de Dresde, deMunich ,
de Vienne et de Florence. On ne peut s'empe-
cher de rire en regardant Leda et son cygne,
d'apres ce qu'on dit de Michel-Ange. Lorsque la
belle Leda quilte la position inclinee quelle
avait prise pour embrasser le tendre oiseau , on
juge au premier coup d'ceil que la poitrine a
une fois trop de largeur proportionnellement a
la grandeur du corps. II est, en outre, tres-
douleux que Michel-Ange ait laisse" aueune pein-
ture a l'huile. L'avis de ce grand mailre etail
2 ,, 6 VOYAGE EN SUEDE,
qu'il fallait kisser ce genre aux femmes (opera
di donna) , e't tout porte a croire qu'il ne s'appli-
qua qu'a la fresque. Du moins l'ltalie n'a pas uq
seul tableau a l'huile qui puisse lui etre incon-
testablement attribue. On presume meme que
les Parques de la galerie du palais Pitti a Flo-
rence ne sont pas de lui. &u reste, si celle de
Christiansborg a une foule de tableaux me-
diocres ou apocryphes, il n'en manque pas de
tres-estimables et dignes de figurer dans les col-
lections dont nous venons de parler.
II y a certains jours ou la galerie est ouverte
au public, sans aucune formalite genante; le
reste du temps , on peut y entrer avec des billets.
Le musee des antiquites du nord est au rez-
de-chaussee, dans la partie du nord-ouest, en
face du manege : il occupe sept salles. M. Thorn-
sen, qui en est le directeur, a place - les objets
sous le jour le plus favorable. Une immense pe-
riode y est representee, depuis l'epoque la plus
reculee du paganisme dans le nord jusqu'a celle
de la chevalerie chrelienne. On ne saurait ima-
giner l'empressement deM. Thomsen a se mettre
I la discretion de ceux qui visilent ces collec-
tions, son desir de rendre durables les impres-
sions qu'on a recues, son attention a faire re-
VOYAGE EN SUEDE. 217
marquer les progres qu'a faits la culture depuis
Ies temps anciens, les modifications qu'ont su-
bies les armes, faites d'abord de pierre , puis de
bronze, enfin de fer. Cependant je conseille aux
curieux qui visitent ce musee de lire d'abord un
ouvrage sur des antiquites , imprime par les soins
de la societe 1 , afin de preparer la memoire a re-
tenir ce qu'on a vu. Les gravures sur bois de ce
livre, qui representent cequ'il y a de plus remar-
quable,sonlparliculierementpropresaconduire
a ce but. J'insiste sur I'utilite de lire cet important
ouvrage. II donne une idee exacte de la maniere
de vivre de nos ancetres; car c'etaient les moeurs
germaniques qui dominaient dans le nord. La
description du musee des antiquites nalionales ,
etabli dans le chateau de Montbijou et place
sous l'inspection du capitaine Leopold de Lede-
bour, a le meme objet 2 ; il remplit le vide de
celui de Copenhague , comme ce dernier comble
les lacunes de celui de Berlin. Mais ou il y a le
plus a gagner pour celui qui frequente I'es deux
musees ou qui aime a s'enfoncer dans l'etude
des antiquites, c'est dans VAbrege des antiquites
'Copenhague, au secretariat de la societe; Hambourg ,
Perthes , Besser et Mauke , 1837.
- Berlin, de I'imprimerie de I'academie royale des sciences.
I
M
/
m i
Ill
218 VOYAGE EN SUEDE.
germaniques , par M. Gustave Klemm ». Cepen-
dant, ainsi que je L'ai deja fait observer, le
musee de Copeahague embrasse des temps
biea anterieurs a ceux ou les Germains furent
connus.
La bibliotheque royale occupe le second etage
d'un edifice considerable attenant a l'aile gaucbe
du chateau. Le public y est admis tous les jours.
Le local est admirablement bien dispose. Tou-
tefois elle ne produit pas I'impression qu'on
eprouve en entrant dans 1'immense salle de la
bibliotheque imperiale a Vienne. Si elle compte
400,000 volumes, comme on le pretend, elle
est une des plus completes qu'il y ait en Europe.
On doit considerer comme partie tout a fait dis-
tincte la bibliothhque du nord, comprenant toule
la lilterature scandinave. Un des bibliothecaires
mit la plus grande prevenance a nous faire re-
marquer, au prince Gousouboff et a moi, tout
ce qu'il y avait de curieux, notamment des ma-
nuscrits chinois , et d'autres du moyen age, en-
richis de miniatures vivement coloriees , comme
on en voit assez souvent dans les bibliotheques
publiques. Je ne crois pas que celle de Copen-
i Dresde , librairie de Wallher, 1836.
VOYAGE EN SUEDE. 219
hague soit aussi riche, sous ce rapport, que la
notre a Wolffenbullel, laquelle possede une
foule d'anciens classiques manuscrits et d'editions
princeps. Vingl mille francs sont annuellement
affectes a la bibliotheque de Copenhague et em-
ployes avec beaucoup dc discernement.
La bibliolheque de 1'universite est placee au
dernier etage , et pour ainsi dire sous les toils
de l'eslise ronde ou de la trinite. Elle contient
100,000 volumes. Je ne l'ai vue qu'en passant,
ainsi que la bibliotheque de Classen, qui occupe
un veritable palais, dans la rue d'Amelie [Ama-
liegaden). Elle se compose principalement d'ou-
vrages de mathemaliques, d'histoire naturelle ,
et en general de tout ce qui tient aux etudes po-
lylechniques.
Le chateau deRosenbourg 1 , conslruiten 1604,
est situe intra muros, dans un jardin assez vasle.
Son architecture, comme on peut le supposer
par le temps ou il a ete edifie , est la meme que
celle de beaucoup de chateaux qui sont encore
1 Des dessins de ce chateau se trouvent dans le Vitruve da-
nois , t. I , labl. 25 et suiv. — Curiosites du chateau, royal de
Rosenbourg a Copenhague , par Fr. Stourenberg. Copenhague,
1828.
ill
y
220 VOYAGE EN SUEDE,
debout. Uq Anglais, Inigo Jones, doit en avoir
dirige l'execution. Je conseille aux etrangers qui
vont a Copenhague de ne point negliger de voir
Rosenbourg ; il leur en coiltera trois thalers
(6 francs) , que percoit le concierge. Outre les
mille raretes precieuses que renferme ce chateau ,
et comme on en voit a Dresde , l'ameublement
tout enlier est du seizieme siecle ; des ustensiles du
seizieme et du dix-seplieme y ont die conserves;
le visiteur, au milieu de tous ces lemoins du
temps passe, se croit transport a l'epoque
qu'ils represented. J'avoue que je ne puis me
lasser d'admirer ces oeuvres de la patience inoule
des dbenistes, des orfevres, des ciseleurs, dont
l'habilete,legoutetsouventl'imaginationetaient
bien au-dessus de l'elegance et de la sobre ma-
gnificence qui caracteriseut notre epoque et ne
me donnent que de l'ennui. Le genre absurde
du siecle de Louis XV, lui-meme, n'a pas le
fastidieux et le mesquin des ornemenls qui de-
corent aujourd'bui nos palais , avec leurs listels
dores et leurs tapis de damas de Lyon. Comment
s'etonner alors du retour qu'on fait vers l'an-
cienne mode. Le chateau de Rosenbourg a aussi
une collection considerable de monnaies et de
medailles, qui remplissenl trois salles. Ce ca-
l ,'
VOYAGE EN SUEDE. 224
bioet est egalement coafie aux soins eclaires de
M. Thoinsen. La premiere serie comprend les
monnaies et medailles de la monarchie danoise.
Certaines pieces, la pluparl tres-bien frappees,
pesent jusqu'a 100 et 140 ducats. La seconde
serie est composee de monnaies anciennes; c'est •
la collection la plus considerable du nord; elle
est assez complete et compte 20,000 pieces. Un
livre imprime en donne la designation. Enfin ,
les monnaies suedoises y sont en grande quan-
tity
La salle des porcelainestemoigne du haul degre
de perfection atteint par la fabrique de Copen-
hague, dontje conseille aux amateurs de visiter
l'entrepot. On y admire surtout un service pour
cent personnes, sur lequel est peinte toute la
flora danica, d'apres les dessins de 1'ouvrage
qui porte ce tilre.
Le local ou sont conserves les insignes de la
royaute" est aussi a Rosenbourg; mais pour y en-
trer il faut etre muni d'un permis signe du
grand-marechal. La sont la couronne, le sceptre,
l'epee et la sainte ampoule, ornes de pierres pre-
cieuses. Parmi les tableaux de Rosenbourg , il en
est un unique dans son genre , c'est le portrait
d'un cure peint sur bois par le roi Frederic III.
222 VOYAGE EN SUEDE.
Sur le revers on lit « Frederic III a fait ce por-
trait lorsqu'il etait archeveque de Breme; ce pas-
teur a etc" pr<klicaleur a York. » Aujourd'hui
les cures attendraient longlemps qu'un roi s'a-
musat a les peindre. Je ne veux pas dire pour
cela que nous marchions a reculons.
!
Thorwaldsen est ne a Copenhague, le 9 no-
vembre 1770 1 . Son pere etait Islandais. Quelles
revolutions dans les ages! Une ile, separee du
resle de l'Europe el touchant au pole arctique ,
est la patrie d'un artiste que Rome met a la tete
de son academie des beaux-arts! Qui eut pu pre-
dire aux Grecs, il y a deux mille ans, qu'un
temps viendrait ou un fils de Yultima Thute leur
apprendrait a animer le marbre. La considera-
i Si 1'on en croit la preface d'unouvrage intitule : OEuvres
choisies de Thorwaldsen avec dessins au contour, accompa-
gnees d'une courte notice sur la vie de Tauteur, Thorwaldsen
nest pas ne a Copenhague , mais dans le trajet dlslande a
celteyille. Suivant les tables genealogiques, Antiquitates Ame-
ricana , sive scriptores sept'ntrionales rerum antecolombiana-
rum in America ( Hafnise 1837 ) , Thorwaldsen est du nombre
des hommes encore cxistanls , enNorwege, enlslandeet en
Dannemark , qui descendent de ceux qui , les premiers , ont
decouvert l'Amerique. 11 compte meme dans ses ancetres,
Snorri Thorfinnson.
VOYAGE EN SUEDE. 225
tiondonlThorwaldseneslentoureenDannemark,
et surtout a Copenhague, est immense. Aucun
heros, rentrant couvert de lauriers dans sa pa-
trie qu'il a sauvee, n'a ete recu avec plus de
transports ! Je l'ai visite deux fois, et j'ai ete tou-
che de l'accueil honorable qu'il me fit, autant
que de l'amenite et de la franchise de son ca-
raclere. Thorwaldsen eslun homme respectable ;
l'amour et l'admiration que lui vouent ses eleves
en sont une preuve.
II habite le chateau de Charlottenbourg (sur
la nouvelle place) , qu'on a consacre a l'academie
des beaux-arts. Plusieurs de ses chefs-d'oeuvre,
arrives d'ltalie, etaient deja places. J'ai vu entre
autres un Mars colossal avec l'Amour, une ravis-
sante Venus, tenant une pomme a la main, et
une statue du roi de Baviere. On etait occupe a
deballer d'autres morceaux amenes sur une cor-
vette danoise et destines au musee qui doit por-
ter le nom de l'artiste 1 . Je jouissais de la joie
dont il etait transport^ en voyant ses oeuvres
sorlir intactes de leur euveloppe.
' Voyez La Vie et Us OEuvres de Thorwaldsen de Thiele ,
2 vol. Leipsig , 1832-1834, in-folio avec 180 gravures. OEuvres
choisies de Thorwaldsen avec dessins au contour, accompa-
gnees d'une courte notice de la vie de l'autcur. Stuttgart 1839 ;
in-folio.
i'J
I
224 VOYAGE EN SUEDE.
Copenhague a de belles eglises, dont les tours
dlevees donnent a la ville un aspect piltoresque.
II ne faut pas chercher par mi elles des produc-
tions remarquables de l'art gothique, comme a
Braunschweig, a Magdebourg, a Halberstadt,
& Verden ou a Cologne. L'incendie et d'autres
accidents ont trop frequemment desole ces murs
pour qu'il reste beaucoup d'^difices de celte
epoque.
L'eglise Notre-Dame (Frue-Kirke) , metropole
du royaume , est la plus important. Elle fut de-
truile en 1807, dans le bombardement de la
ville par les \nglais. M. Hansen I'a faile cequ'elle
est aujourd'hui; il a lire des murs tout le parti
qu'il etait possible. Le portail est forme de co-
lonnes doriennes, et le fronton, execute par
Thonvaldsen, represent Jean-Baptiste prechant
dans le desert. La forme du cadre a remplir exi-
geaitque les proportionsdes personnagess'amoin-
drissent graduellement du centre aux cotes. Cette
necessite a inspire a l'artiste une disposition
heureuse. Jean est au milieu sur un bloc de
rocber : ceux qui l'ecoulent sont places plus bas,
les uns assis , les autres a genoux ou couches. II
est Tacheux qu'on ait employe de la brique cuite
pour ce travail. Mais les tons sont tellement
VOYAGE EN SUEDE. 225
menages que les groupes ressortent admirable-
mentsur le fond plus fonce. L'interieur, avecses
haules voiiles, a quelque chose de rnajestueux.
Les douze apolres de Thorwaldsen sont ranges
sur deux lignes. Ces slalues colossales et d'un
modele parfait rappellent celles des apotres dans
l'eglise Sainl-Jean de Latran , qui sonl placees
dans le meme ordre. Elles sout de marbre de
Carrare, a l'exception de deux, qui sont en
plalre. Sur I'autel, egalement en marbre, on
voit le Sauveur, les bras etendus, et dont l'at-
titude semble dire : Venez a moi , vous torn qui
etes fatigues et charges, et je vous donnerai de la
force. A.u milieu du chceur , un ange a genoux
soutient les fonts de bapleme. Suivant Thaarup \ ,
-voici les statues et les bas-reliefs qu'on attend
encore : Dans les entrecolonnements du porche
principal on doit placer les quatre prophetes de
l'Ancien Testament , qui annoncent l'arrivee du
Messie. Un bas-relief qui tiendra toule la lon-
gueur du soubassement , representee 1'entr^edu
Sauveur a Jerusalem. Puis, dans la nef et tout
pres de la porte, figureronl les heros de la re-
forme, Luther et Melanchlon. A.u-dessus des
1 Copenhaf/ue el tei environs, par Frederic Tha.irup, p. 24.
is
I
IN
226 VOYAGE EN SUEDE,
deux portes laterales du choeur des bas-reliefs
rappelleront, Tun l'institution de la cene, l'aulre
celle du bapteme. Enfin, un autre bas-relief,
qui doit garnir tout l'hemicycle qui forme le
fond de l'eglise et entoure l'autel , figurera la
marche du Sauveur au Golgotha. Quand elle
aura recu ces embellissements, cette eglise sera
une des plus reraarquables du Nord.
Non loin de Nolre-Dame est l'eglise allemande
ou de Saint-Pierre, c&ebre par les grands pre-
dicateurs allemands qui s'y sont fait entendre.
Qui de nous, en effel, ne connait les noms des
Resevitz, des Marazoll, desMunter? L'eglise al-
lemande est la paroisse de tous les protestanls
residants a Copenhague.
L'eglise de la Trinite a une tour curieuse. Une
rampe exlerieure conduit jusqu'a son sommet;
la penle a &e tellement menagee, qu'on y peut
monler a cheval. Pierre-le-Grand fit plusieurs
fois ce voyage aerien. De la terrasse qui la do-
mine la vue plane sur la ville , sur le Sund et
sur les environs. Cette tour sert d'observatoire.
Je ne puis me rendre complice des eloges
que certains yoyageurs donnent a l'eglise du
Sauveur (For F 'reisers Kirke) a Christianshafen.
Elle fut construite de 1682 a 1694. Cette date
VOYAGE EN SUEDE. 227
seule suflit pour donner urie idee de son archi-
tecture. Toutefois, telle qu'elle est, elle ne man-
que pas de merite , et elle sera toujours regardee
comme un beau morceau dans son genre. L'ai-
guille, drigee ea 1749, est flanquee d'un esca-
lier qui l'enveloppe dans toule sa hauteur. Une
belle balustrade y a ete posee pour prevenir les
accidents. De la base au somrnet la tour a
288 pieds. Le celebre organiste l'abbe Vogler a
declare que l'orgue de cette eglise elait le meil-
leur qu'il eiit rencontre" dans ses voyages.
Copenhague a neuf grandes eglises proles-
tantes et sept pelites. Le peu de calholiques qui
habitent la ville sont allemands, ils ont une
chapelle sous la protection de 1'enipereur d'Au-
triche. En Dannemark, en Norwege eten Suede
les catholiques sont si peu nombreux, et places
dans une position telle que les graves questions
religieuses qui, dans d'autres pays , ont souvent
divise les sujets et les gouvernements , ne peu-
venttrouver dansceux-ci aucun aliment. Comme
le peuple en Italie attache la meme idee au mot
chretien et au mot calholique, il se persuade,
dans le Nord, qu'un chretien et un lutherien
sont une meme chose. C'est la , il faul I'avouer,
une singuliere confusion !
i :
If
I
228 VOYAGE EN SUEDE.
Copenhague a aussi son pare, delicieuse fo-
ret qui s'etend pre? du chateau de Sorgenfrei ,
entre cette habitation royale et la mer. Je I'ai
parcourueavecle baron de Langenau, que j'allai
prendre a sa campagne situee dans les environs
du chateau royal de Charlottenbourg. On y
voit des troupeaux de daims,, de cerfs, de che-
vreuils qui se pressent surtout dans les alen-
tours de 1'ermitage, maison de chasse qui ap-
partienl au roi , sans etre effrayes du bruit des
voitures ni du mouvement des hommes. Les
habitants de la capilale aiment a diriger leur
promenade de ce cole, et principalement vers
une auberge qui meritebien son nom deBelle-
vue. C'est ici le Prater de Copenhague , et je le
prefere a celui de Vienne.
Les agrements des environs de Copenhague
offrent a ses habitants de nombreuses occasions
de parlies de plaisir. Du coteau ou est assis le
chateau de Fredricsberg, quelle vue enchante-
resse sur la ville et le Sund , sillonne de mille
yaisseaux! quel charme le voisinage de la mer
ne repand-il pas sur ces contrdes! Le pare , de-
pendant du chateau, est dessine dans le gout
italien moderne; il est vaste et a des sites ad-
mirables. J'appellerais volonliers cet ensemble le
VOYAGE EN SUEDE. 229
Schoenbrunn de Copenhague, comme le pare
en est le Prater. Quiconque n'a pas vu les capi-
tales du Nord ne peut se figurer leurs beautes
et celles des sites qui les entourent. Le mot
nord a un ton si grave, le mot sud en a un si
doux!
L'hospitalite antique n'est pas moins prati-
tiquee a Copenhague qu'a Stockholm , l'elran-
ger n'y a pas moins a se louer des egards dont
il est l'objet; j'ai eu le plaisir d'en faire moi-
meme l'experience. Les deux minis ties d'Etat,
le comte Otho Moltke et M. Krabbe-Carisius,
l'amiral baron Holsten, lecelebre Thorwaldsen ,
le conseiller Adler 1 , M. Thomsen, et parmi les
ministres etrangers, le baron de Nicolai, repre-
sentant de la Russie en Dannemark, le baron
Schoulz von Ascheraden , minislre de Prusse,
deux noms chers a la litterature allemande 2 , le
1 Secretaire intime du roi de Dannemark actuel.
2 Le libraire Nicolai qui sa rendit celebre sous le regne do
Frederic II elait grand-pere du baron Nicolai et I'auteur des
Laudes Julii Ccesaris, oncle du baron Schullz von Aschera-
den. L'auleur de ces Laudes et de plusieurs autres ouvrages
etait minislre de Suede a la cour de Berlin et appartenait a
la grande ecole de diplouiales de ce pays formee par Gus-
tave III.
230 VOYAGE EN SUEDE,
comte Bismark , secretaire de legation de Prusse
et plusieurs autres, m'ont tous accueilli comme
un vieil ami. J'ai deja parle du baron de Lan-
genau dont Ies prevenances m'ont rendu lc se-
jour de Copenhague si agreable et si utile. J'au-
rais pu le mellre mieux a profit si je me fusse
rendu aux pressantes instances qu'on me faisait
de descendre dans Pile de Seland , mais j'etais
fatigue: e'en etait assez pour une annee, d'ail-
leurs je desirais rentrer dans mes foyers. II me
fallut done abandonner le projet que j'avais
forme de visiter, en quittant Copenhague,
Rothschild et Fredricsborg ', ainsi que Malmo,
Landscrona et Lund 2 en Scanie. Mais j'avais as-
sez vu pour salisfaire ma curiosite , et j'etais
absorbe par une seule pensee, celle de retour-
ner le plus tot possible a Wolffenbullel. Quoi-
que les infirmiles ne soient pas venues avec
Page, je ue veux pas trop compter sur ma sante,
car les fatigues des voyages les plus agreables
pourraient finir par y porter atleinte; je me
decidai done a resler ici, et je me reservai de
parcourir Seland, la Scanie et la Norwege la
1 Chateau ou se fait le couronncmenl des rois de Dannc-
inark.
2 Seconde univeisile de Suede.
VOYAGE EN SUEDE. 234
premiere fois que je reprendrai le baton de pe-
lerin.
Qu'on me permette quelques reflexions avant
de quitter le Nord. On reproche aux Suedois ,
et je crois que ce n'esl pas sans raison , d'avoir,
avec uue foule d'excellentes qualiles qu'on ne
saurail assez louer, trop de vanile. Mais cetle
poiirstUte d'une mime ombre s selon l'expression
dun celebre historien J , a chez eux , malgre son
exageration, quelque chose qui plait. Qu'on me
cite, poursuit Arndt, rien de semblable. La
chambre dcs nobles a accapare et s'est appro-
prie tout ceque lesmetaux, les astres, lesfleurs,
les animaux ont de sonore, de brillant, de no-
ble, lout ce qu'il y a de chevaleresque et de
glorieux dans les choses humaines. Ainsi voila
comme le laurier j est accommode: Couronne
de laurier {Lagercrantz) , poutre de laurier
[Lagerbjelke), montagne de laurier (Lagerberg),
ep<Se de laurier (Lagersward) , elincelle de lau-
rier ( Lagerstrale) , casque de laurier ( Lager-
lijelm) , etc. Ces expressions metaphoriques sont
des traductions de noms nobles suedois. C'esl
1 Le professeur Arndt.
■iij
1
232 VOYAGE EN SUEDE.
une particularity on ne peut plus curieuse;
mais la plupart de ces appellations ont sans
doute pris leur origine dans un certain senti-
ment du beau 1 , qui fait renoncer a un nom
de famille peu agreable, donne" peut-elre par
la malignitea eeux qui l'ont porte les premiers.
Je suis loin pour cela de vouloir disculper les
Suedois de rimputation de vanite, peut-elre
ont-il plus d'ostentalion que les peuples du
midi. J'ai ete souvent invite a diner dans les
environs de Copenhague, hebien, les convives
ne se contentaient pas d'y venir avec un simple
ruban a la boutonniere, ils se cbargeaient d'c$-
normes decorations. Les grandes croix brillaient
en tel nombre sur les poitrines, que, contre
l'habitude, on remarquait plutot ceuxqui n'en
avaient pas. On ne voit jamais rien de pared
dans les feles champelres, quelque brillantes
qu'elles puissent etre, des environs de Paris,
de Florence, de Milan, de Naples, de Dresde,
de Weimar, de Yienne ou de Berlin. Derriere
les vitres d'un magasin de nouveautes, a Co-
i Lorsque Gustave IV Adolphe anoblit le major brann-
.oliweigeoU Fleischer Cboucher) , il lui donna le nom de Nor-
denfelt (rocher du nord). II faudrait certaineraent etre de-
pourvu de delicatesse pour ne pas preferer le nom de Hocher
du nord a celui de Boucher.
I
VOYAGE EN SUEDE. 235
penhague, je vis a cote des portraits des sept
professeurs de Goettingue une lithographic as-
sez mediocre, representant un banquet ou les
places d'honneur etaient occupees par les con-
vives decores, ce qui prouve que dans la capi-
tale meme le ridicule frappe cette maladie des
distinctions. Sans doule on aimea recevoir des
mains du prince la recompense de services ren-
dus; mais faire sans cesse parade de ce signe,
dire a tout propos a ceux qui nous entourenl:
voyez comme j'ai bien merile! Voila un travers
bien ridicule dans des personnages haut pla-
ces , surtout quand la distinction n'est plus
qu'une faveur , et n'est pas justifiee par un me-
rile reel.
I
Quelque fort que soit le sentiment qui nous
reporte au milieu des nolres, nous ne pouvons
nous defendre d'un serrenient de coeur en quit-
tant, pour jamais, les lieux ou nous laissons
des amis. Lorsque les barons de Langenau et
Schoulz von Ascheraden me firent une derniere
visite pour me presser encore une fois la main ,
j eprouvai une telle Amotion, que je regrettai de
quitter une ville ou j'avais re^-u tant de temoi-
234 VOYAGE EN SUEDE,
gaages d'affection. Mais tous mes preparatifs
talent fails. Cetait le 9 septembre, a trots
heures apres Midi, je me jetai dans un fiacre.
Quelques instants suffirent pour m'expedier a la
douane , et me rendre a bord du batiment a
vapeur Frederic VI, qui devait me transporter
a Travemunde. Le pont etait deja convert de
passagers. An milien des emblements et des
adieux, le canon tonna, notre maison flottante
se mit en mou vement •, la ville s'effaca pen a pen
de I'horizon , sur lequel se dressait encore , comme
un mat, la tour de 1'eglLse du Sauveur, qui ne
tarda pas a disparailre elle-meme. Le jour etait
beau et la mer unie comme une glace. Un leger
vent d'ouest favorisait la marcbe du batiment
qui avancait comme par enchantement. La so-
ciele etait nombreuse; en voyant les dames et
les messieurs s'entretenir sur le pont, on eiit
dit le salon d'un des bains les plus renommes.
Nous passames l'apres-diner a faire conna.s-
sauce; la unit tombait, comme nous arriv.ons
a la hauteur de Vile romanlique de Moen' ; nous
fumes done prives du ravissant coup d'o3d de
ses roches calcaires. Le lendemain, de bonne
i
\\
1
I
i Me de laBaltique, appa
i icnanl an Danncmaik.
VOYAGE EN SUEDE. 235
heure, nous etions sur le pont. Que le ciel eiait
beau, a cetle heure ou l'aube annoncail le lever
du soleilf L'astre, en sortant des flots, offre un
spectacle encore plus solennel que Iorsqu'on le
conterapledu sommet du Brocken 1 . Ses rayons
empourprent 1'espace, el il semble faire couler,
jusqu'a noire vaisseau un fleuve d'argent en fu-
sion. Bienlot nous decouvrimes les cotes du Mec-
klenbourg. La etait l'ancienne Germanie avec son
sol plat et modesle, ne montrant pas aux yeux
les tresors qu'elle renferme. Au bout d'une heure,
nous decouvrimes le phare de Travemunde, et
nous debarquames a neuf heures du matin. Une
voiture nous attendait : en deux heures elle nous
transporta a Lubeck, nous descendimes a l'holel
Li ViUe-de-Hambourg; j'occupai la meme cham-
bre ou j'avais joui, pendant de delicieuses soi-
rees , de la societe des comtesses de Plater et de
mademoiselle d'Eiichson. C'etait de ces fenetres
qu'elles m'avaieDt envoye leurs derniers adieux,
j'aime a croire qu'ils out conlribue a l'heureuse
issue de mon voyage. Ce souvenir etait pour moi
plein de charmes.
Le sort favorable ne voulait pas me laisser
La plus liaulo monlagne tic l.i cli.iine du Harzgcbirgc.
I
256 VOYAGE EN SUEDE,
fmir, d'une maniere prosaique, mon voyage
dans' la patrie des anciens Skaldes. Ea partaat
de Travemunde , je m'&ais Irouvd a cote d'une
belle jeune dame , dont les yeux p&Mants d'es-
prit me disaient qu'elle etait poete, et dont la
figure rayonnante annoncait le bonheur. En
effet, elle etait fiancee. Elle m'apprit, car l'ex-
pansion est le caraclere distinctif des ames pod-
liques et aimantes, qu'elle etait de Stralsund ,
et qu'elle habitait Travemunde avec sa mere,
qui venait de tomber malade; qu'elle avait des-
sein de s'embarquer pour la Suede , ou elle de-
vait se marier, et qu'elle allait a Lubeck , qu'elle
ne connaissait pas, pour mettre ses passe-porls
en regie. Les demarches de celte nature sont
tres-desagreables pour une dame qui n'est pas
connue. Lorsque je sus qu'Upsala etait sa desti-
nation, je m'empressai de la conduire dans mon
hotel et de lui donner des lettres de recomman-
dation. J'ordonnai a mon domestique de la con-
duire au consulat de Suede , et , quelques heures
apres, tout etait arrange. J'ai recu, il y a peu
de temps, une lettre flatteuse et plusieurs mor-
ceaux de poesie tant d'elle que de son mari.
Nul ne fait des voeux plus ardents que les miens
pour leur bonheur. Je puis dire ici que ma com-
VOYAGE EN SUEDE. 237
pagne de voyage etail mademoiselle Clarisse-
Louise Nerest , qui a epouse M. D. Miiller, direc-
teur du jardin bolanique de l'universite d'Up-
sala.
A quatre heures , je pris des chevaux de poste ,
el a huit j etais a Ratzebourg, charmante petite
ville, baliesurdes!agunes,commeVeniseetMexi-
que. Elle n'a rien de remarquable quesa position.
Le duche danois deLauenbourg, si pittoresques
qu'en soient parfois les environs , ne presente ce-
pendant que fort peu d'agrements. Le sol est sa-
blonneux, ce qui ne l'empeche pas d'etre aussi fer-
tile en blequeleMecklenbourg. Les montagnes
sont boisees, mais les chemins sont abominables.
Le jour suivant, je passai l'EIbe, et sur le soir,
j'arrivai a l'antique ville de Lunebourg, ou je pris
une modesle chambre a l'auberge YEsperance.
On y remarquait une activite inaccoutumee, car
dans quelques jours on devait y faire le second
essai d'une foire qui y avait ete elablie. Nean-
moins,lemouvementqui precede ordinairement
ces sortes de reunions, n'etait pas tres-anime.
Point de clameurs des marchands, point d'em-
barras de voitures dans les rues, point de fan-
I I
258 VOYAGE EN SUEDE.
fa, eS des trompettes des poste, Tout se passait
aussi paisiblement qu'a uue petite fere de
WoKfenbutlel. La je fis la conusance du ce-
lebregeographeVolgeretdesonaimablefamdle.
J'entendis par hasard un commentate sur le
decretdeladietegermaniquedanslafameuse
affaire de Haaovre. Lunebourg ne manque pas
de choses remarquables , dignes de fixer 1 atten-
tion de ceux , surtout , qui aiment le moyen age.
Hie est, sans contredit , apres Braunsdnve.g ,1a
premiere villedu pays des Welfe, J employa,
encore un jour a traverser lesbruyeresde Lu-
nebourg , et j Wai le soir a Braunscbwe.g , ma
Ti ,lenatale,oujevisitailestombeauxdemes
parents, dans 1'eglise Saint-Martin; .pre. quo,
le chemin de fer me conduisit, en qumzc mi-
nute* a Wolffenbuttel. Je fiu heureux dy re-
trouver en bonne sante tons ceux qui m'appar-
tiennent. J'avais fait plus de huit cents heues
eu cinquante-deux jours six beures grace aux
bateauxavapeur.Ilyasixans^lmauraafallu
quatre mois pour faire le meme chemin.
Ij
APPENDICE
- -*_iL<t*
I]
VOYAGE EN SUEDE.
241
Notice sur Charles -Jean, roi de Suede et de
Norwege, pendant les annees 1813 eti 814.
(AVANT pkopos.)
Les quelques Iignes que nous allons donner
sur la conduite politique et militaire du prince
royal, actuellement roi de Suede el de Norwege,
servent d'introduction a un ouvrage intitule :
Recueil des ordres de mouvement , proclamations
et bulletins de son allesse le prince royal de Suede ,
commandant en chef I'armee combinee du nord
de I'Allemagne en 1813 el 1814. Stockholm,
de l'imprimerie d'Eckslein, 1838; I vol., avec
4 plans lithographies.
Ce livre, que sache l'auteur, est peu repandu
dans la Iibrairie : en Allemagne merae, il est
fort rare. Cette circonstance et son caractere
semi-ofilciel m'ont determine a en enrichir mon
ouvrage. Ce simple et beau resume servira, s'il
en est besoin, a rappeler aux cceurs allemands
pour quelle part le prince royal a contribue a
delivrer leur patrie du joug de I'empereur Na-
poleon.
lb
242 VOYAGE EN SUEDE.
L'opinion du traducleur est que eel ouvrage
esl egalement tres-peu connu en France. Ne
l'ayant pas sous la main, il a mieux aime tra-
duire ce resume, fait en allemand par M. de
Slrombeck , que de l'omeltre, persuade qu'il
est, que les Francais trouveront autant d'uli-
lile que d'agrement dans sa lecture.
I
Ce fut en vertudu droit sacre d'eleclion , base
indispensable de loule legitimit^, que les voeux
librement expritnes du peuple suedois,-appe-
lerent le prince de Ponte-Corvo au trone qu'il
occupe aujourd'hui. A parlir de cetle epoque
la regie de sa conduite comme le but de ses ef-
forts devaient etre I'interet de la Suede et non
celui de la France, dont il avait cesse d'etre ci-
toyen. Son epee et ses talents etaient acquis de-
sormais a la Suede; les liens memes qui nous
unissent si fortement a la patrie, alors surtout
qu'elle aete le berceau de notre gloire, tout de-
vait etre saciifie au pays qui lui avait confie
ses destinees. Cette obligation lui etait imposee
par deux motifs egalement sacres: I'election et
l'adoption; et il l'a remplie. La reconnaissance
VOYAGE EN SUEDE. 243
du peuple a devance l'arret que prononcera
un jour I'histoire, juge severe des aclions des
hommes.
I
A. 1'arrivee du priuce royal dans sa nouvelle
patrie, l'horizon politique de I'Europe etait gros
d'orages. Napoleon se preparait a sa campagne
de Russie ; apres avoir commis la faute impar-
donnable d'avoir invile cet empire a s'emparer
de la Finlande , une de ses plus imporlantes con-
quetes, il eut le tort, plus irreparable encore,
d'oter a la Suede jusqu'a l'esperance de 1'aider
a oblenir le seul dedommagement qui se presen-
tait pour sa perte qu'elle venait d'essuyer, je
veux dire la Norwege. Une erreur polilique a pu
seule diviser la presqu'ile scandinave, dont les
populations ont la meme origine, les memes
mceurs , la meme religion et un langage presque
idenlique. Quoique la position geographique de
la Suede la deTendit contre une attaque directe
de Napoleon, elle n'en avait pas moins tout a
craindre, si le succes couronnait les plans du
conqueranl; car n'ayant pas la ferlilite des pays
meridionaux , son commerce lui est d'autant
plus necessaire que, sans lui, elle est exposee a
24 . 4 VOIAGB BN SUEDE.
6tre privee de toules les necessites de la vie.
Aussi la Suede refusa-t-elle de se soumellre au
systeme continental et n'ecoutanl que les int<5-
rels pressants de son commerce, ouvrit ses
ports aux vaisseaux de toutes les uations. Cet
acte d'independance de^lut a l'empereur, habi-
tud a voir lous les peuples de 1'Europe plier la
tele sous le joug de sa volonte , el qui croyait la
Suede egalement disposed a recevoir des fers. II
trouva celle terre presque inaccessible a l'atla-
que et le gouvernement trop fort pour se lais-
ser imposer. Napoleon fut reduit a faire inquie-
ter le commerce maritime de la Suede par des
corsaires qui parcoururent la Baltique , depuis le
Sundjusqu'alVxtremitedesfrontieresdePrusse,
el qui , soutenus par les bateaux d'une puissance
voisine, violerent le pavilion de Suede et s'em-
parerent de ses vaisseaux , qui ne furent jamais
rest i lues.
A lous ces actes bostiles, Napoleon ajouta
l'occupation de la Pomeranie sue\loise , sans pou-
voir donner aucun pretexte qui justifiat sa con-
duite. Cecoup porteal'honneur de la Suede de-
termina le prince royal a se declarer contre l'em-
pereur et ne fut pas la moindre cause , dans le
cours des evenements, de la chute du colosse.
VOYAGE EN SUEDE. 245
Le premier resultatdu parti pris par la Suede,
fut la paix conclue , par sa mediation enlre PAn-
gleterre el la Russie, et le traite signe par cette
derniere et la Turquie, et qui fut si prejudi-
ciable a l'empereur, dans les operations de sa
campagne de 1812.
Le second resultal fut Pentrevue du prince
royal et de l'empereur Alexandre. Le premier
prit envers celui-ci des engagements qui contri-
buerent puissamment a faire echouer le projet
de Napoleon de dicier les conditions de la paix
sur les debris du Kreml. Ce fut ainsi que la
Suede s'engagea dans le grand conflit qui allait
decider du sort de l'Europe.
Dans le meme temps, l'Aulriche et la Prusse
adoptaient un systeme oppose. El les s'efforcerent
en vain de decider la Suede a reunir ses troupes
aux leurs, qui combaltaient alorssous lesaigles
franchises et affermissaient ainsi le joug qui pe-
sait sur l'Europe. La Suede avait done rendu
deja de grands services a Pindependance natio-
nale, tant par l'influence politique quelle exer-
cait, que par les mouvements militaires qu'elle
execulait aux bords de la Ballique, et qui affai-
blissaient la force de Pennemi sur le champ de
balaille, en le forcant d'avoir toujours un corps
de reserve sur ses derrieres.
246 VOYAGE EN SEEDE.
Ce ne fut pas tout. D'apres le conseil du prince
royal, un corps de vingt-cinq mille Russes, que
l'empereur Alexandre avait place sous ses ordres
immSdiats, pour agir contre le Dannemark,
fut transports de Finlande en Livonie, ou il
secourut Riga et concourut efficacement a Tissue
des, evenements de 1813 1 .
L'assistance de la Suede devint plus serieuse
et plus eclatante des que son armee parut en
Allemagne (1813) pour defendre, de concert
avec les Allemands , leur liberte politique , sur
ce sol ou jadis les drapeaux du grand Gustave
avaient flotte pour la liberte religieuse. L'ennemi
qu'on avait a combattre etait encore tres-puis-
sant, malgre sespertes. Napoleon , maitre absolu
de l'empire francais et de ses immenses res-
sources, appuye sur de puissanles alliances, en-
toure de l'eclat de cent victoires, dont ses der-
niers revers n'avaient point delruit le prestige,
Napoleon paraissait encore si redoutable aux
«
1 Quoi qu'il en soil, c'elait avec le plus grand regret que le
prince se vovait contraint de combattre Napoleon. II esperait
le decider a accepter des conditions de pais bonorables. II
sen etait positivement explique dans les lettres qu'il lui ecri-
vait , et ne meltait pour condition a sa neutralite, que la res-
titution de la Pomeranie et la promesse de ne pas altaquer la
Russie. Ses efforts ecbouerent; le mauvais genie de Napoleon
1'entratnait dans I'abime.
VOYAGE EN SUEDE. 247
puissances du premier ordre, qu'elles n'avaient
ose se declarer contre lui avant que la Suede
leur eut donne 1'exemple. Ce ne fut qu'apres les
negocialions de Trachenberg , que I'Autriche ,
sachant positivement a quoi s'en tenir au sujet
de la politique de la Suede , rompit avec la
France, lourna ses armes contre elle et concenlra
son armee dans les montagnes de la Boheme.
Ce fut egalement a Trachenberg, qu'on arreta
le plan de campagne auquel l'Allemagne dut sa
delivrance, et qui avait ele conou par le prince
royal de Suede. C'etait un litre deplusa la recon-
naissance que lui devait deja la Suede, a qui le
succes de celle memorable guerre assurait sa
reunion avec la Norwege.
Le seul-nioyen d'atteindre ce but important,
etait de faire la guerre a Napoleon et a son allie ,
leDannemark, qui, malgre les offres d'iudem-
nites , ne youlut jamais consenlir a ceder la
Norwege el a sortir de la ligne qu'il s etait tra-
cee. On ne pouvait done se laisser en trainer
dans la conflagration generale, par de plus puis-
sants motifs que ceux de la necessite de repous-
ser une agression, tie relablir 1'unite de la pres-
qu'ile scandinave el de rendre a l'Europe son
independance.
(I
248 VOYAGE EN SUEDE.
La Suede, par le traite qu'elle avait conclu
avec l'Angleterre et la Russie, s'etait obligee a
mettre en canapagae une armee de trente mille
hommes; en retour les puissances signalaires lui
garantissaient la possession de la Norwege.
Le prince royal prit le cominandement de
celte armee, qui, portee a cent mille hommes
par l'adjonction de corps russes et prussiens,
elait deslinee a operer contre les armees de Na-
poleon dans le nord de 1'Allemagne et a repousser
l'ennemi au dela du Rhin.
On n'avail pas alors le dessein de porter plus
loin la guerre. En outre, la Suede avait inleret
a ce que la France gardal ses anciennes limites
et qu'elle restat intacte et puissante; mais a con-
dition de netre plus le fleau de l'Eucope, pour
satisfaire a l'insatiable ambition de son chef.
Telles furent les bases de la politique suivie
par la Suede a cetle epoque. Fidele a ses enga-
gements, elle fil debarquer son armee en Pome-
ranie , el le prince royal en prit le commande-
ment. limit pied a terre a Rugen, le 16 mai 1813.
Sa position elait critique. Je vais essayer de la
peindre. L'armee suedoise n 'avait qu'une place
pour point d'appui, c'elait Stralsund, qui avait
ete completemenl demantelee par l'ennemi et
VOYAGE EN SUEDE. 249
se trouvait , par consequent, incapable de resis-
tance. Ainsi , en cas de desaslre , 1'armee suedoise
etait exposee a el re refoulee dans la mer. Elle
avait sur sa droite deux forleresses ennemies de
premier ordre (Hambourg et Magdebourg) d'ou
l'ennemi pouvait vomir sur elle des masses de
troupes , et couper sa ligne d'operations si elle
avancait. Custrin et Stettin, sur l'Oder, presen-
taient les memes obstacles a gauche. Plus loin ,
l'ennemi occupait egalement les places de la Vis-
tule, de sorle que les operations, de ce cote,
etaient difficiles, pour ne pas dire eomplete-
ment paralysers. Le front de 1'armee suedoise ,
au centre de l'Allemagne , etait en face de forces
ennemies redoulables, qui avaient debute par
deux victoires , a Lutzen et a Bautzen , et avaient
repousse leurs adversaires jusqu'en Silesie. Na-
poleon, appuye sur les places du Haut-Elbe,
Koenigslein, Dresde, Torgau et Wittenberg, se
deployait en conservant une ligne d'operations
qui protegeait ses ressources, tandis que les al-
lies ne pouvaient recevoir d'approvisionnements
que de l'inlerieur de la Russie , les pays qui de-
vaienl nalurellement leur en fournir, ayant. ele
devastes par la guerre.
Ainsi, le prince royal etait, pour ainsi dire,
II
250 VOYAGE EN SUEDE,
enferme entre les forteresses de l'Elbe et de l'O-
der, lamer et l'armee de Napoleon. Les difficul-
tes de sa position s'accrurent par les menaces du
Dannemark , qui faisaitdes preparatifs pour tom-
ber sur lui , apres avoir combine ses forces avec
celles de Davoust. En meme temps l'armee nor-
wegienne menacait les provinces suedoiseslimi-
trophes. Ce fut sous ces auspices defavorables que
le prince royal ouvritsa campagnede 1813. L'ar-
rivee des corps russe et prussien fut retardeejus-
qu'a la fin de juillet, lorsque 1'armistice, conclu
a Graebersdorf , leur permit de se reunir a l'ar-
mee suedoise. Ce renfort rendit formidable Par-
nate du prince royal. L'ennemi , de son cote, avait
accumule le plus de troupes possibles. Les forces
elaient presque egales de part et d'autre; mais
les dangers qui environnaient le prince royal
etaient toujours les memes.
Un capitaine celebre, Moreau , le senlait si
bien qu'il crut devoir employer toute son elo-
quence pour faire abandonner au prince l'exe-
cution du plan concu a Trachenberg ; il regar-
dait l'armee du nord comme trop avancee et
croyait qu'il etait impossible au prince de sau-
ver Berlin, qui se trouvait dans les rayons de
l'ennemi. Les generaux prussiens chercherent a
VOYAGE EN SUEDE. 251
faire prevaloir cette opinion. lis comparaient
Berlin a une prostituee qui ne meYitait pas les
sacrifices qu'on voulait faire pour la sauver une
seconde fois et voulaient qu'on l'abandonnat.
Cependant cette ville, dont on avait l'air de
faire si peu de cas, n'etait ni plus ni moins que
l'entrepot principal des ressources materielles de
la Prusse, le point ou etaient rives tous les res-
sorts de l'enthousiasme prussien , le cratere dont
1'eruption devait repandre 1'esprit electrique ne-
cessaire a la defense du royaume. Le prince royal
avait le coup d'ceil trop percent pour ne pas
apercevoir la necessity urgente de secourir cette
capitale. Aussi ne balanca-t-il pas, malgre les
perils qui le nienacaient deja , a gagner du terrain
et a enlever a rennemi l'initiative de l'atlaque
et les avantages qui eu sont toujours le resultat.
Le succes justifia son audace. Les victoires de
Gross-Beeren et de Dennewilz sauverent Berlin
et determinerent la Baviere, que la defaite de
l'arraee de Boheme sous les murs de Dresde
avait toujours lenue dans l'indecision , a faire
cause commune avec les allies, ce qui permit
au prince royal de penetrer jusqu'au cocur de
l'Allemagne. Les armees des allies purent operer
leur jonction; le joug des peuples d'Allemagne
x i
252 VOYAGE EN SUEDE,
fut brise dans les champs de Leipsig, el Napo-
leon futcontraintdequilter uneterrequi n'avait
que trop longtemps gemi sous son oppression.
II-
Conversation entre S. A. le prince royal de
Suede, Charles- Jean et le ainfral Moreau,
a Stralsund, en 1813.
Dans sa derniere entrevue avec le general
Moreau, a Stralsund, le prince royal de Suede
lui confia ses plans pour la campagne qui allait
s'ouvrir, sans lui deguiser les considerations po-
litiques qui I'engageaient a suivre une ligne d'o-
perations si perilleuse.
Moreau, qui en entrevit de suite les diffi-
cultes, se donna la plus grande peine pour de-
tourner le prince de cetle resolution. 11 lui de-
montra 1'imprudence qu'il y aurait a pousser
jusqu'a la hauteur de Berlin, entre la Baltique,
l'Elbe et l'Oder , sur lesquels 1'ennemi occupait
les places de Hambourg , de Magdebourg , de
Wittenberg, deTorgau, deCustrin etde Stettin.
« Vous vous jetez dans un veritable coupe-
gorge, lui disait-il, pour secourir une viile trop
VOYAGE EN SUEDE. 255
voisine des forces principales de l'ennemi. Vous
exposez volontairement voire armee , sur laquelle
il serait facile a Napoleon de tomber comme la
foudre, ainsi que sur toute autre qui pourrait
s'avancer pour entamer le cercle dont il occupe
•le centre et les rayons. »
Le prince royal repondit : « Oui , j'ai un mau-
vais pas a franchir, je le sais. Mais qui s'y hasar-
dera si je ne le fais pas. Cette position , je me la
suis faite a Trachenberg. Je veux etre franc avec
vous, mon cher general ; l'amitie que vous me
portez m'est un sur garant que vous n'abuse-
rez pas de ma confiance. Ce plan , dont le peril
est si evident, et qui deplait tant a voire genie
strategique, est pour moi et pour la Suede une
lactique aussi politique que militaire.
« Je dois agir sur les esprits du nord de 1'AlIe-
magne, dont je suis en ce moment le seul ar-
bitre. J'electrise le Mecklenbourg, la Prusse et
la population des villes anseatiques ; mais je me
mets en mesure contre le resultat ordinaire des
coalitions. Supposons que de grands revers nous
atlendent, vous entendrez bientot retenlir le
sauve qui peut ; les traites de paix parliculiers se
signent a la hale, les alliances tombent en dis-
solution , et les allies sont sacrifife. Reste alors la
•254 VOYAGE EN SUEDE,
la ressource des armes. Avec moins de dix-huit
mille hommes , le comte Walmoden tieat en ha-
leine I'armee du marechal Davoust et celle du
Danaemark , qui s'appuie sur Hambourg et Lu-
beck et menace loujours ma gauche. Je suis en
etat d'ecraser les masses qui sortent de Magde- *
bourg, de Wittenberg et de Torgau pour se por-
ter sur Berlin. Mes flancs et mon front sont Clai-
res par une nombreuse cavalerie legere. J'aurai
toujours a ma disposition soixante mille hommes
pour fondre sur les premieres letes de colonnes
qui sortiront des places fortes de l'Elbe. Mais si
Napoleon concentrait ses operations sur la rive
gauche de ce fleuve et se dirigeait sur la Boheme
par le Palalinat , je comprends alors qu'il fau-
drait se borner a bloquer Magdebourg, Witten-
berg, Torgau, Stettin et Cuslrin, parce qu'il y
aurait toujours sur ma droite une forte armee
a laquelle je ne pourrais opposer que ces dix-
huit mille hommes dont j'ai parle, et qui, a
1'exception de trois mille Suedois, ne sont que
des conscrits. Les victoires remport&s a Lutzen
et a Bautzen par Napoleon lui porleront mal-
heur. H compte sur la defection de mon armee ,
sur une insurrection en Pologne et sur la tiedeur
des Autrichiens. Cert une indication pouv mon
VOYAGE EN SUEDE. 255
plan de campagne; puis Napoleon va fatiguer
ses soldals par des marches inutiles. Je compte
autant sur cela et meme plus que sur 1'ensemble
de mes operations.
— II ne m'appartient pas de disculer ces mo-
tifs; votre position peut etre commandee par les
raisons de la politique; mais trouvera-t-elleega-
lemenl a se justifier aux yeux de la science stra-
tegique? C'est une autre question.
— C'est possible, general. Comme prince de
Suede, je tiens a garder la ligne de Stralsund ;
car, vainqueur ou vaincu , elle me menage la
marche sur le Dannemark; c'est de ce cote qu'il
faut saisir la Norwege; ou , en desespoir de cause ,
je me jette dans les bras de moo dernier allie ,
l'Angleterre. Je n'ai pas envie de terminer ma
carriere dans les marais de la Pologne ou a
Bender, comme Charles XII ; car, je ne vous le
cache pas, si je perdais mon armee et que je ne
pusse operer ma retraite sur la Suede , e'en serait
fait de l'avenir de ce pays.
— Je suis trop peu au fait des ressorts secrets
qui font agir les cabinets pour juger ces ques-
tions dedicates.
— Mais j'ai a cet egard une triste experience.
C'est elle qui me donne le courage de vous de-
256 VOYAGE EiN SUEDE,
velopper mes plans et de vous devoiler mes pen-
sees. Voyez la situation des affaires, et vous re-
connailrez I'influence qu'elle doit avoir sur ma
conduite. Napoleon , qui a tanl de fois risque le
tout pour le tout au jeu des batailles, pouvait
tenter un coup desespere a Iena , parce qu'il
connaissait la tactique prussienne de celte epo-
que , que ses derrieres etaient proteges par des
forces imposantes, que ses marechaux etaient
aguerris, et qu'il commandait a un puissant em-
pire. Dans les circonstances ou je me trouve, il
ne m'est pas permis de hasarder mon armee
contre un si grand capitaine, aide degeneraux
experimentes. Si je n'etais que general des ar-
mees alliees je n'hesiterais pas a me ranger a
votre avis , mais je suis prince de Suede , et
cette qualite m'impose des devoirs a remplir
envers le peuple suedois. Mes yeux sont fixes
sur le rude climat du Nord , sur les lacs et les
montagnes de la Suede, tandis que les votres
se tournent du cote des rives de la Seine.
Ces paroles , prononcees d'un ton affectueux ,
mirent fin a la discussion. Moreau garda le si-
lence, mais un geste qu'il laissa echapper trahit
le doute qu'il conservait toujours sur le succes.
Le coup d'oeil profond du prince qui semblait
VOYAGE EN SUEDE. 257
scruter sa pensee, lui arracha, pour ainsi dire,
cette reponse : « Je vous dois la verile , j'ai la
conviction que vous aurez le dessous.
— J'aime a croire qu'il n'en sera pas ainsi ,
si je prends mes dispositions de maniere a evi-
ter une lutte inegale.
— Est-ce que vous en serez loujours le maitre?
Quel prix attachez-vous done a Berlin? Com-
ment voulez-vous defendre un% ville ouverte,
qui n'est fortifiee ni par l'art ni par la nature.
— Berlin est le coeur de la monarchie prus-
sienne; cette ville procurera toujours a celui qui
l'occupera une preponderance morale et poli-
tique, enfin elle est le centre des ressources de
PAllemagne. Ces considerations meritent d'etre
pesees.
— Mais cette capitale est , encore une fois ,
aux avant-postes de l'ennemi. II vous sera diffi-
cile de la conserver , si Bonaparte tombe sur
votre gauche, qui a des points d'appui si faibles.
— Oui , il peut m'enlever Berlin , mais le
succes lui coutera cher; je vais faire en sorte
d'avoir constammentun jour de marche sur lui,
et de ne pas me laisser atteindre , dusse-je me
rejeter sur File de Dars, sur Stralsund , sur Bu-
gen ou sur mes vaisseaux. Vous pouvez etre
i
258 VOYAGE EN SUEDE,
tranquille sur ce point, jene m'exposerai pas
aux coups de marteau que Napoleon a distri-
bues jusqu'alors avec tant de bonheur. Je l'e-
puiserai en manoeuvres, je conduirai la guerre
methodiquement et avec les plus grandes pre-
cautions; j'organiserai une insurrection armee
sur le point qu'il occupe, elle se retirera lors-
qu'il avancera pour Fattaquer, et reviendra sur
sespaslorsqu'iWeloignera; elle se soutiendra
par ses propres ressources, tandis qu'eloigne
des siens, il consumera ses forces dans des com-
bats partiels. Notre force numerique est la
merne; il faut chercher a conserver ce qu'on a.
Au surplus, voyez comme tout change: cet
homme extraordinaire qui, au debut de sa car-
rier etait I'idole des peoples, est devenu l'ob-
jet de leur haine. On reste le plus fort lorsqu'on
epargne ses soldats. Nous allons continuer la
lutte , et Napoleon , quels que soient ses talents,
8a puissance et sa gloire,doit finir par succom-
ber. »
Moreau, sans combattre ces raisons, ne les
trouvait pas assez solides pour les approuver.
II eut voulu que le prince royal se bornat a
bloquer les forteresses de l'Elbe , en mettant des
corps d'observation devant Magdebourg etTor-
VOYAGE EN SUEDE. 259
gau; il n'etait pas d'avis d'entreprendre rien de
serieux de ce cole. Destind, comme il le parais-
sait, a diriger toutes les operations de la grande
armee deBoheme, il tenait a avoir dans sa main
le fil de lous les evenements importaats.
Le prince royal eiit desire pouvoir engager
Moreau a demeurer aupres de lui : nous sommes
tous deux Francais, lui dit-il , la France vous
reclame et j'appartiens a la Suede. C'est a regret
que je combats mes anciens freres d'armes et
mes compatriotes. Mais l'honneur de ma nou-
velle patrie a rec^u une trop rude atteinte, pour
que je n'essaie pas d'en tirer par les armes une
reparation eclatante.
Moreau resta inebranlable dans son dessein
de joindre la grande armee. On sait ce qui ar-
riva.
260
VOYAGE EN SUEDE.
Coup d'oeil sur les services nouvellement e'tablis
et les ameliorations introduites dans Vadmi-
nistration des posies en Suede, par la direc-
tion ginirale, depuis 1818.
(D'apres uu manuscril communique.)
De nouvaux bureaux de posies aux Ieltres out
ete ouverls :
Au sud de Stockholm : a Motala , a Doder-
hultswik, a Ljungby, a Aby, a Barstad, a Trel-
leborg et a Odeshog.
A l'ouest : a Wasbacken, a Carlsborg, a Sol-
lebrunn, a Sventjunga, a Gagnef, a Mora, a
Nya, a Kopparbergel et a Atorp.
Au nord : a Nordraaling, aSkelleftea, a Ana-
ret et a Neder-Calix, eu tout vingt bureaux.
Les distances parcourues etaient evaluees, en
1817, a 174,748 milles suedois (le mille est
de deux lieues) ; elles monlent aujourd'hui a
267,598 milles; les lignes ajouteesont done aug-
mente la longueur tolale de 82,65o milles.
Pour se faire une idee des resultats avanla-
geux oblenus par la direction generate des posies,
il suffit de lire ce qui suit.
VOYAGE EN SUEDE. 261
Avant 1828, on ne pouvait pas recevoir a
moins de dix-neuf, vingt et souvent vingt et un
jours la reponse d'une lettre expedite de Stock-
holm a Tornea (la distance est de 244 lieues) ;
elle arrive maintenant en quinze jours 1 .
L'envoi des letlres de Malmo a Tornea
(364 lieues) et retour, demandait trente-cinq
ou trente-six jours , vingt-cinq suffisent aujour-
d'hui; encore en gagne-t-on trois ou quatre si
les lettres adressees dans les localites interme-
diaires, permettent d'employer la malle-poste
appelee Sodra-snellposten , faisant le service en-
Ire Stockholm et Malmo.
La reponse a une lettre ecrite de Sundswal a
Hambourg (320 lieues) n'arrivait jadis qu'au
boutd'un mois, elle est rendue aujourd'huidans
trois semaines.
1 En Frauce, on regarderait ces moycns du transport des
lettres comme extremement lents et ne rcpondant nullement
aui besoins du pays. Mais la Suede faiblement peuplee, de-
pourvue d'une induslrie et d'un commerce actifs, n'eprouve
pas des besoins d'echange, qui necessitent une acceleration
extraordinaire dans les transports, si ce n'est sur les grandes
voies de communication entre les principals villes et Ham-
bourg et Berlin. Ces deux villes out de nombreuses relations
avec la Suede. Ailleurs , les produils ne couvriraient pas les
frais. En outre, le service des mallcs ne se fait pas par des
maitres de poste qui, comme en Alleraagne, entretiennent des
cbevaux a cbaque relai, a la charge de l'administration des
postes. En Suede , ce sont des paysans qui y pourvoient moycn-
nant quelqucs franchises dont jouissent leurs terres.
262 VOYAGE EN SUEDE.
La correspondance de Linkoping (aller et
retour) se faisait tantot en dix, tantot en qua-
lorze jours; il n'en faut aujourd'hui que huit,
terme moyen.
De Fahlun a Linkoping etvice versa , on ern-
ployait qualorze jours, aujourd'hui sept.
Les malles-postes ( Bref-snellposten ) etablies
entre Stockholm et Carlscrona rapportent les
reponses aux correspondants de ces deux villes
en cinq jours et demi pendant sept mois de
l'annee, et le reste du temps en six jours et
demi.
Les memes voitures font le trajet (aller et re-
tour) entre Stockholm et Helsingborg et entre
Malmoet Stockholm en six jours et demi, tandis
qu'il en faut neuf jours et demi a la poste ordi-
naire.
En ecrivant de Stockholm a Gothenbourg ou
a Christiania, on peut recevoir la reponseen six
jours et demi.
De Stockholm a Christianshaven ou a Carl-
stad, la malle-poste de Norwege (Norrska-snell-
posten), emporte les Iettres et rapporte les re-
ponses en trois jours el demi.
Les letlres de Hambourg expediees par Giips-
wald et Ystad parviennent a Stockholm en cinq
mm
■■
VOYAGE EN SUEDE. 265
jours el demi ; celles de Paris y sont rendues en
ouze jours et demi. D'apres un nouveaux projel
elles ne seront que neuf jours quinzeheures en
roule de Paris a Stockholm et de Hambourg,
cinq jours.
Pendant I'hiver les leltres meltent sept jours
a arriver de Hambourg a Stockholm , par le
Dannemark.
Celles de Berlin a Stockholm, par Ystad, ne
sont generalement que quatre jours dix-neuf
heures pour arriver a leur destination, tandis
qu'elles mettenl neuf jours par la voie de Ham-
bourg et par les Etats danois.
Le nord de la Suede elait autrefois complete-
ment prive de postes aux lettres. Des services
ont ete etablis entre Ostersund et la Norwege,
entre Lulea et le district de Jockmok en Lapo-
nie, entre Neder-Calix et Gellivare, entre Ha-
paranda, Pajala et Maa, sur les front ieres de
la Norwege.
u ■
I
A
\
TABLEAU
DES
TRAVAUX PUBLICS
EN SUEDE DEPUIS 1810-1837.
CANAUX.
, Th. dc Suede.
Canal de Goetha , qui reunit la nicr Baltique
acelle du Nord, a cout6 10,385,800
— de Hjelmaren, reconstruit 942,674
de Soedertelje 556,500
— de Weddo? 419,545
— d ' Aker 62,737
— de Stroem et Stallbacka 130,000
— du pare (Djurgarden) 50,978
— de Wermdoe 5,700
— de Carlberg 9 400
de Sasflfe 121,000
— de Carlstad 89 900
— de Grada 32,185
— de Forshaga et Degofors 5,000
PORTS ET MOLES.
Port de Helsingbourg (Scanie) 165,120
— de Joenkceping (Smaland) 66,960
— de Halmstad (Halland) 12,000
II
266 TABLEAU DES TRAVAUX PUBLICS.
Th. de Suede.
FORTIFICATIONS.
Carlsborg (place forte centrale pour 20,000 -
hommes) 4,Wi«OT
LIGNES DE DEFENSE DE LA CAPITALE.
Entre Waxholm et Fredriksbourg 64,000
Entre Brunswiken et Melaren 58,000
La forteresse de Kungsholmen ( Carlscrona ) . 760,027
_ d'Elfsbourg ^ 00 °
— de Carlsten (Marstrand) . . . • 41,295
ROUTES.
Toiscs.
Entre Woxna et Korboele .... 52,400\
Entre Ostersund ct Levanger . . 468,000 1
Entre Amal et Blakjer par Orjebro ....
Entre Wenersborg et Fredricbshall . .
Entre Hogdal et Berg
DEBLAYAGES.
Riviere d'Upsala 40 > 528
Erikssund 9 '' 158
Almare Sta&et 8 > 600
Kungsoer, Aspheellan, Quicksund 55,880
Riviere d'Enkceping - • noo °
_ de Lida 2 ' 000
Fleuve de Goetha 30 > 000
— de Klara * 3 - 225
_ deHoby 5 >™
Les fleuves de Kalis, de Pitea , Umea et
Windel , Angermanland , Ljungan • • ■ • 226,560
Total 15,774,574
I
H Wfi
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