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BIBLIOTHEQUI
SAINTE |
GENEVIEVE
BIBLIOTHEQ.UE ORIENTALE ELZEVIRIENNE
XXXIX
LES
LANGUES DE L'AFRIQUE
GF.NFVIEVF.
LES LANGUES
DE L'AFRIQUE
ROBERT CUST
Traduit de Vanglais
Par L. DE MILLOUE
V
PARISSt*^.,
ERNEST LEROUX, ET5tT^TUR
L1BRAIRE DE LA SOCIETE ASIATIQUE
DE l'lCOLE DES LANGUES ORIENTALES VIV ANTES, ETC.
28, RUE BONAPARTE, 28
1885
LES
LANGUES DE L'AFRIQUE
HH a lumiere a lui sur tous les
|P points du Continent noir, et
nous pouvons aujourd'hui, en
1883, donner un apercu general des
langues parlees par les millions d'hommes
qui l'habitent, ce qui eut ete impossible
aux plus grands savants de la derniere
generation. Ce que nous ecrivons main-
tenant paraitra peut 6tre inexact ou in-
complet aux hommes de la generation
prochaine qui, s'elevant sur nos epaules,
se serviront, sans nous en avoir de recon-
naissance, des resultats de nos travaux,
et riront sans pitie de nos erreurs. Soit!
1
2 —
Nous serons peut-etre utiles a ces savants
et ces critiques, qui sont encore au berceau
ou sur les bancs de l'ecole, enjetant le
filet linguistique sur ce vaste continent et
en recueillant ce que Ton sait des varietes
de langues vivantes parlees actuellement
par les enfants noirs, jaunes ou bruns de
son sol.
Homere dit que les generations des
hommes sont semblables aux feuilles des
forets. Cette comparaison s'applique bien
mieux encore aux langages des hommes.
En un sens rien n'est si fugitif que la vie
d'une langue; a un autre point de vue
rien n'est si imperissable que les mots
d'une langue. Des langages sont nes et
ont disparu ainsi que fond la neige amon-
celee. En Asie et en Egypte, grace a l'art
du scribe, quelques debris de ces idiomes
eteints ont pu se conserver jusqu'a nos
jours peints ou graves sur l'argile,, la pierre
et le papyrus ; la prononciation, et peut-
etre aussi la phraseologie accoutumee de
ces peuples sont a jamais perdues. D'un
autre cote les trois consonnes K, T, B
— 3 —
symbolisaient l'idee d' « ecriture » ou de
« livre » pour Moi'se et pour ses auditeurs,
et maintenant encore ellesexpriment cette
meme idee pour des millions d'Arabes, de
Turcs, de Persans, d'Indous et de Malais.
Nous savons quels Ian gages parlaient les
hommes de 1'Asie, de l'Europe et de
l'£gyP te pendant les six siecles qui ont
precede l'ere chretienne, et pendant ceux
qui l'ont suivie; par la nous connaissons
quelle sorte d'hommes ils etaient; mais
de la langue qu'employerent les peuples
de l'Afrique pendant ces longs siecles
muets nous ne savons rien de plus que du
bourdonnement de leurs insectes et des
hurlements de leurs betes fauves. II est
bien grave de penser que des generations
d'etres humains ont vecu inutilement, si
on estime la vie a Finvention d'un art ou
a la propagation d'une idee. Par l'imagi-
nation nous pouvons nous les representer
errants dans leurs immenses forets, entas-
ses pele-mele dans leurs huttes de paille,
combattant leurs cruels combats, dansant
leurs danses sauvages, se livrant a leurs
4 —
|
m
odieuses coutumes de cannibalisme, de
sacrifices humains, et de sanglantes orda-
lies ; mais nous ignorons la forme des mots
qu'ils prononcaient, la phraseologie qu'ils
employaient en s'adressant a leurs divi-
nites, a leurs compagnons et a leurs
families.
Avant l'ere chretienne les langages
qu'Herodote avait entendu parler en
figypte etaient passes a l'etat de langues
mortes, et avec le copte a peri, il y a quel-
ques siecles seulement, le dernier echo de
l'instrument transmetteur des idees du
peuple qui le premier sculpta sur les
rochers des caracteres ideographiques et
fut l'inventeurdes symboles alphabetiques.
Au nord de l'Afrique, l'invasion maho-
metane a balaye toutes traces du langage
et de la civilisation de la grande colonie
phenicienne et relegue a l'arriere-plan
l'idiome desNumidesetdes Mauritaniens.
Ces peuples s'etaient soumis a Rome et a
Carthage, mais du moins les restes de leurs
dialectes hamitiques ont survecu aux
orgueilleuses langues de leurs conque-
rants, car du latin et du phenicien il n'est
rien reste en Afrique que quelques inscrip-
tions et des mots de rencontre; il ne s'est
forme aucun dialecte neo-latin ou neo-
phenicien qui perpetuat la memoire du
conquerant ou du colon etranger. L'immi-
gration semitique, venue de l'Arabie par
la mer Rouge, a eu une plus longue exis-
tence, et les dialectes de l'Abyssinie temoi-
gnent encore d'une certaine culture. Mais
a part cette exception il n'y a pas sur tout
le reste du continent africain un vestige
de l'antiquite, pas un monument, pas une
inscription, pas un manuscrit, pas un sou-
venir du passe autre que les legendes orales
des tribus et leurs coutumes, pas un spe-
cimen d'art sauf les peintures des ca-
vernes du Bushman, pas un indice de
religion si ce n'est, dans le Sahara, la
lueur reflexe de la predication du maho-
metisme envahissant, ou les crdix, les
cloches et les ornements d'eglise laisses
par les missionnaires catholiques au
temps de la suprematie du Portugal au
Congo et au Mozambique , et utilises au-
i SB BH
f^
■,
— 6 —
jourd'hui corarae fetiches par un peuple
qui est retombe dans le paganisme et la
barbarie.
Dans notre enumeration des langues de
l'Afrique nous avons done a tenir compte
du present, et du present seulement.
Comment les quatre grands groupes du
sud du Sahara sont-ils arrives a leur etat
actuel? nous ne saurions le dire. Nous ne
pouvons que les prendre tels qu'ils sont,
signaler les phenomenes indiscutables qui
ont ete decouverts, et, au moyen d'une
induction prudente et soutenable, faire
une trouee retrospective a une certaine
distance dans un passe inconnu, ou bien
obscur. Dans des prefaces de grammaires
ecrites par des mains inexperimentees, ou
dans des notices linguistiques accompa-
gnant des livres de voyages, certains
auteurs expriment de l'etonnement, exa-
gerent la difficult^ de leur tache parce
que la langue n'a pas d'ecriture et n'a pas
ete soumise aux regies des grammairiens.
En realite la grande majorite des langues
n'ont pas d'ecriture, et la difficulte qu'on
T
eprouve au commencement est bientot
vaincue ; les auteurs qui traitentdelangues
ecrites avec des caracteres speciaux ren-
cherissent deraisonnablement sur la diffi-
cult^ de s'accoutumer aux caracteres, qui
en bonne verite ne se fait sentir que
quelques mois. Dans la plupart des pays,
la langue vulg'aire du peuple n'a pas d'ecri-
turej pour la correspondance et la litera-
ture on se sert d'une langue litteraire
particuliere, telle, par exemple, que le
persan qui fut employe autrefois dans
l'lnde, ou d'un dialecte litteraire special
tel que celui qui est encore usite aujour-
d'hui dans le Bengale.
Quant a pretendre que les grammai-
riens font une langue, c'est absurdite pure.
Sont-ce les grammairiens ou les anciens
poetes de FHellade qui ont fait le grec?
Les traits grammaticaux des langues se
developpent suivant le genie des peuples
sans qu'il soit possible de dire comment
etpourquoi. Les regies des grammairiens
sont impuissantes a arreter ou a accelerer
ce mouvement; cela peut etre etrange,
— 8 —
mais c'est ainsi. Renan a ecrit qu'apres
plus de dix ans d'etude il s'en tenait tou-
jours a. son opinion premiere que la langue
d'une tribu surgit comme par le coup de
baguette d'un enchanteur et nait spontane-
ment du genie de chaque race. L'inven-
tion d'un langage n'est pas le resultat
d'une longue et patiente succession d' ex-
periences, mais, au contraire, elle est le
produit d'une intuition primitive qui
revele a chaque race le caractere general
de la forme qui lui convient comme instru-
ment de la parole, et le grand compromis
intellectuel qu'elle doit adopter une fois
pour toutes comme le moyen de commu-
niquer ses pensees aux autres.
Nous n'avons pas davantage a tenir
compte de cette theorie qui veut que les
nations passent par une sorte de progres-
sion au point de vue du developpement
organique de leur langue. Les Chinois
n'ont jamais eu et n'ont pas de grammaire.
Des leur naissance les idiomes semitiques
ont possede un organisme imparfait et ils
en sont restes la. Les langues naissent
— 9 —
completement armies de 1'esprit humain.
L'histoire ne nous offre pas un seul
exemple d'une nation qui, trouvant un
defaut dans sa langue, en ait pris une
autre de propos delibere. II est vrai que
par Taction du temps, sous 1'inffuence de
la civilisation et du contact des peuples
entre eux, une langue acquiert plus de
grace et de douceur et se developpe pro-
gressivement suivant son caractere ori-
ginal; mais son principe vital, son ame, si
Ton peut s'exprimer ainsi, est fixe pour
toujours. Si Ton admet ce fait, il faut ega-
lement accepter cet autre que les langues
modernes, loin d'etre le resultat du deve-
loppement d'un original plus simple, sont
au contraire, une simplification d'un pre-
mier langage plus complique; dans la
periode la plus ancienne de son histoire,
tout le monde le reconnait, chaque peuple
emploie un idiome synthetique, si obscur
et si complique que les efforts des gene-
rations suivantes ont pour unique objectif
de s'en debarrasser en adoptant un dialecte
vulgaire qui n'est pas a proprement parler
i.
I
— 10 —
un nouvel idiome, mais une transforma-
tion de l'ancien.
Parce que la langue zouloue est tres
developpee, juste et parfaite, et que le
peuple qui la parle est dans l'etat de sauva-
gerie, beaucoup d'auteurs croient pouvoir
en inferer que cette race a du posseder
jadis une civilisation plus avancee, au-
jourd'hui perdue, et que c'est la le seul
moyen d'expliquer la perfection de sa
langue. Ce serait une grave et dangereuse
erreur que d'accepter une pareille conclu-
sion. La race zouloue a encore sa vie na-
tionale a vivre ; elle n'est pas la survivante
d'une civilisation eteinte. Loin d'etre sur-
prisdela merveilleuse luxuriance originate,
semblable a celle des fleurs sauvages, des
langues incultes parlees par !es peuples non
civilises, nous devons y reconnaitre un
phenomene bien connu. A peu d' excep-
tions pres, plus onremontea l'origined'une
langue, plus on la trouve riche de formes
dont elle se debarrasse en vieillissant.
Les affaires, la necessite d'economiser le
temps, obligent ceux qui la parlent a agir
■
— II —
ainsi; si die meurt et s'efface de la vie des
hommes, comme le Sanskrit et le latin, les
nouveaux idiomes qui naissent d'elle, de
meme que le phenix renait de ses cendres,
se passent des formes synthetiques qu'ils
remplacent par d'autres. Doutons si nous
pouvons, discutons tant que nous vou-
drons, mais il doit y avoir dans 1' intelli-
gence d'une race un principe vivant doue
du pouvoir d'habiller les idees sous les
formes des mots, et une perfection logique
de penser agissant inconsciemment, ope-
rant dans tout le diapason des sons, dans
tout l'orbite de la raison, sans que ceux-la
meme qui agissent aient conscience de
l'ceuvre que la raison leur fait accomplir.
Ainsi peut-il se faire que des nations abso-
lument etrangeres l'une a Tautre, separees
par des centaines d'annees ou des milliers
de kilometres, arrivent inconsciemment a
Tusage des memes formes. Au premier
abord celui qui recueille, dans l'Afrique
centrale, les vocables employes par les po-
pulations qui l'entourent, constate avec
etonnement que la langue de ces sauvages
K:
— 12 —
possede une grammaire. Comme la gram-
maire n'est que l'ordonnancement des
mots, qui eux-memes ne sont que les re-
presentants des idees, il n'est pas plus
extraordinaire quele sauvage ait une gram-
maire de sa langue qu'une gymnastique de
ses membres, puisque toutes deux sont une
representation diverse et particuliere des
pensees de son ame ; et si Ton est bien
penetre de cette pensee que certains pro-
cedes naturels d'habiller les idees de mots
et de phrases sont inherents a l'esprit
humain abandonne a lui-meme, on peut
facilement faire table rase de toutes les
vaines tentatives de trouver des afnnites
entre des races qui n'ont peut-etre jamais
eu de relations, par la simple raison que
le genie creatif de chaque peuple a puise
dans un fond intellectuel qui etait la pro-
priete commune de la race humaine.
II ne faut pas croire que l'etude des
idiomes de races sauvages, tandis qu'ils
sont encore, pour ainsi dire, a l'etat de
solution et que la servitude d'une litte-
rature contemporaine, ou de documents
— 13 —
conserves par des inscriptions monu-
mentales ou des papyrus ne les a pas
encore enchaines, soit inutile ou ne fasse
pas faire un pas a la connaissance appro -
iondie de l'histoire de l'humanite, ce qui
est apres tout l'objet et la fin de toute
science. Elle est au contraire inappreciable.
C'est la voix criant du desert : « Nous
sommes hommes ! nous avons les memes
faiblesses, la meme force, les memes pas-
sions que vous ! Nous sommes hommes !
tels que l'etaient vos ancetres avant l'au-
rore de votre civilisation. Nous sommes
hommes ! et nous pouvons devenir ce que
vous etes si seulement la chance nous fa-
vorise. Nous nous sommes defendus contre
les fauves de la foret et de la riviere. Nous
avons fonde des communautes, etabli des
coutumes ayant force de lois. Nous avons
inconsciemment developpe des langues et
des dialectes differencies par des regies
delicates; quelques-uns, comme le bantu,
reglementes par des lois euphoniques, peu-
vent rivaliser avec ceux de la grande fa-
mille aryenne; quelques autres, comme
I
— i 4 —
le langage du Hottentot et du Bushman,
deshonores par des sons inarticules (clicks)
etrangers a la voix humaine, appartiennent
a la brute plutot qu'a l'homme. » De telles
considerations font naitre la sympathie la
plus profonde dans le cceur du philan-
thrope et du philosophe; en forant ces
fontaines scellees il se rapproche davantage
des sources de l'intelligence humaine; il
saisit, pour ainsi dire, la nature vivante et
jette la sonde dans des eaux profondes dont
on ne connait pas encore le fond.
La simple lecture des noms des langues
connues, partiellement connues, ou tota-
lement inconnues, jointe a la certitude
qu'il en existe des quantites d'autres dont
on ne connait pas meme les noms, devrait
suffire a empecher les speculateurs de dis-
cuter legerement le probleme de l'origine
du langage, et les determiner a laisser la
solution de cette question capitale a la ge-
neration prochaine qui aura du moins des
materiaux abondants sur lesquels fonder
son jugement. On ne peut argumenter
que du connu k l'inconnu, et le pass6 ne se
— is —
dechiffrera que par l'etude attentive des
phenomenes 'existants. Comment avons-
nous la presomption de speculer sur les
lois qui ont preside, il y a deux mille ans,
au temps du crepuscule obscur de l'his-
toire, au developpement et a la decadence
de certaines langues, tandis que nous ne-
gligeons l'etude de ce qui se passe sous
nos yeux, quand nous les ouvrons ? Quelle
lecon profonde ne pouvons-nous pas tirer
de l'examen des raisons qui ont fait qu'une
partie seulement, la plus forte et la plus
independante, de la grande famille bantu
ait adopte les claquements de langue du
vil Bushman? Comment s'est-il fait que
les membres des tribus apparentees d'aussi
pres que les Zoulous et les Sotos ne puis-
sent, par Intervention d'une loi eupho-
nique, se comprendre mutuellement, tan-
dis que des voyageurs allant d'un Ocean a
l'autre, de Zanzibar au Congo, a travers
des regions qu'on n'avait jamais traversees
auparavant, ont pu se faire entendre? Ce
sujet ofrre a chaque pas des questions du
caractere le plus interessant; mais les
— i6 —
hommes de notre generation ne peuvent
que jeter un regard de l'autre cote de ce
precipice, de ce gouffre beant, en se de-
mandant avec stupefaction comment il
s'est produit.
Toutes les donnees que nous possedions
il y a cinquante ans, sur les langues qui
s'etaient parlees en Afrique, a une epoque
quelconque depuis la creation, auraient pu
facilement se reunir en un bien petit ballot.
L'ancien egyptien n'etait pas dechiffre;
les inscriptions puniques et tifinagues n'e-
taient pas decouvertes. On tenait genera-
lement 1'arabe pour la langue du nord de
1' Afrique, mais avant la conquete de l'Al-
gerie par les Francais on ne savait rien sur
les tribus indigenes. A Test on ne con-
naissait absolument rien de la longue ligne
de cotes, qui s'etend de la mer Rouge au
cap de Bonne-Esperance, et, a l'ouest, du
cap Vert au cap de Bonne-Esperance, on
n'avait que peu de renseignements pra-
tiques sur la partie au sud de l'equateur;
mais l'existence de grammaires el de vo-
cabulaires des langues bunda et congo,
— 17 - )
prepares deux siecles plus tot par les mis-
sionnaires portugais, etait un fait biblio-
graphique avere et ils excitaient la curiosite
dans les grandes bibliotheques a cote d'un
petit nombre de livres ethiopiens de meme
epoque et de meme impression. Quant
aux langages paries par la race negre au
nord de l'equateur, on n'en avait pas la
moindre idee.
Si considerables qu'aient ete depuis les
derniers temps les decouvertes geogra-
phiques (sans compter que geologues, bo-
tanistes, ethnologues et linguistes suivent
le grand explorateur en ramassant ses
miettes) nous ne pouvons cependant pas
encore dire que nous possedions une vue
generale sur l'ensemble de l'aire linguis-
tique, ni que nous soyons maitres des de-
tails. Les langues de TAfrique n'ont pas
encore trouve la place qui leur convient
parmicelles du monde. Aucune description
satisfaisante, aucune classification basee
sur des faits scientifiques, n'a encore ete
offerte au public, quoiqu'il y ait eu quel-
ques etudes scientifiques faites sur cer-
S^^--1€^
— IS —
I
m
taines parties de ce vaste champ. La po-
pulation de l'Afrique appartient a un grand
nombre de races totalement differentes, il
n'y a done rien d'etonnant que les diffe-
rences reciproques de leurs idiomes soient
plus distinctement marquees que partout
ailleurs. La confusion de langues si nom-
breuses et si differentes dans la moitie
septentrionale du continent est si grande
qu'il semble qu'on doive desesperer de
jamais porter la lumiere dans ce chaos et
de classer les idiomes distincts. En Asie et
en Europe nous avons les traditions lin-
guistiques de plusieurs siecles et comme
appoint une chaine ininterrompue de
preuves monumentales et litteraires : en
Afrique il n'y a rien. C'est l'opinion d'un
des plus illustres maitres de la philologie
comparee.
II est de toute evidence que l'Afrique
doit avoir ere colonisee du nord au sud.
Les tribus furent poussees toujours plus
avant vers 1'interieur et en meme temps
les formes de leur langage se modifierent.
Pendant une longue suite de siecles le
— 19 —
mouvement a duvenir du nord; les races
les plus anciennes furent acculees i l'ex-
treme sud, rompues en fragments qui sur-
vivent encore, reduits aux conditions les
plus infimes de Texistence humaine, ou
bien totalement detruites. Tandis que,
d'un cote, les hgyptiens occupent le pre-
mier rang comme la plus ancienne des
nations dont l'histoire nous ait garde la
memoire, de l'autre cote, meme au temps
du geographe Ptolemee, les connaissances
des anciens ne s'etendaient pas tres loin
sur les cotes occidentale et orientale. Ho-
mere n'avait recueilli que ce seul fait
qu'il existait des Ethiopiens sur les deux
cotes du continent, au soleil levant et au
soleil couchant. Les monuments de l'fi-
gypte ne laissent aucun doute sur 1* exis-
tence des negres, et cen'est qu'en Afrique
que le negre se trouve.
Maisceseraitune erreurdesupposer que
le negre type representat toute la popu-
lation de l'Afrique, ou occupat la plus
grande partie de ce continent. L'ethnologue
qui etudie les caracteres physiques des
! — 20 —
races nous apprend qu'il y a en Afrique
deux varietes de peuples a chevelure lai-
neuse, ceux qui ont les che veux floconneux ,
ceux qui les ont houppes, et qu'il s'y
trouve aussi des races a cheveux plats
boucles. Au point de vue linguistique nous
avons une sextuple division, et en la rap-
prochant des caracteristiques ethnolo-
giques dont nous venons de parler, nous
trouvons que la population de 1'Afrique se
partage ainsi :
1. Races a cheveux plats boucles : fa-
mille des langues semitiques, groupe des
langues hamitiques, groupe des langues
nouba-foulah.
2. Races a cheveux floconneux : groupe
des langues negres, famille des langues
bantu.
3. Races a cheveux houppes: groupe
des langues hottentot-bushman.
C'est a dessein que nous employons les
expressions famille ou groupe, selon qu'il
existe ou n'existe pas d'affinite prouvee
entre les langages de chaque categorie et
une filiation presumee d'une souche com-
— 21 —
mune, ce qu'on ne peut affirmer que des
families semitique et bantu. Les groupes
sont formes d'elements qui ne sont pas
necessairement homogenes; mais il n'y a
pas d'autre methode pour discuter un sujet
de proportions aussi vastes que celui-ci.
Par suite de Taction simultanee de plu-
sieurs grandes causes, l'isolement dans
lequel l'Afrique etait restee pendant tant
desiecles commenca a cesser ily a environ
un demi-siecle. L'ouverture de la route
des Indes par terre fit connaitre la cote de
lamer Rouge et l'Egypte en general; il
devint de mode de faire des excursions sur
le Nil. La France etablit sa domination
permanente en Algerie. La determination
bien arretee, sans fruit, maisdu moinstriom-
phante, prise par FAngleterre de mettre fin
au commerce des esclaves, attira l'attention
sur la cote occidentale, du fleuve Senegal
au Kunene, qui avaient ete les deux grands
centres de ce trafie. L'occupation de
l'etablissement hollandaisdu cap de Bonne-
Esperance transforme en une colonie an-
glaise, toujours en guerre, mais accroissant
.tr
— 22 —
toujours son territoire, revela au monde
etonne l'existence de ces nobles sauvages
connus sous le nom generique de Kafirs.
Les colonies portugaises d' Angola al'ouest,
et de Mozambique a Test demeuraient
dans une decadence sans espoir; mais sur
la cote orientale, au nord du cap Delgado,
par la force des choses et par suite de la
suprematie qu'il exercait dans le golfe
Persique, lc gouvernement de l'lnde an-
glaise se trouva en contact avec l'fitat
arabe mahometan de Zanzibar, gouverne
par une branche cadette et tributaire de
la famille regnante de Mascatte. Peu a
peu il nous fut prouve que le commerce
des esclaves etait aussi effrene sur la cote
orientale que sur la cote occidentale, ce
qui etait du en grande partie a l'industrie
et aux capitaux des sujets indous de la
reine d'Angleterre, et ce fait rendit nee.es-
saire notre intervention pour mettre fin a
ce scandale. On voit done qu'un cordon
se serraittout autour du continent africain.
L' exploration scientifique de regions in-
connues et Fexpansion d'un commerce,
. — 1 * ,
qui n'etait pas toujours de nature bien
legitime, furent deux des grands facteurs
qui mirent des individualites en mouve-
ment, dans le sens de l'impulsion donnee
par Taction du gouvernement anglais, a
l'ouest, au sud et au nord du continent.
Lorsqu'en 1815k paix fut rendue a l J Eu-
rope, on sentit que le temps etait venu de
mettre fin a la plaie intolerable du com-
merce des esclaves. Le peuple anglais et le
peuple francais, FAllemagne et quelques-
uns des petits Etats protestants du nord de
l'Europe comprirent que ce n'etait pas
assezpour expier et reparer le mal que nos
ancetres avaient fait en Afrique; c'etait un
second mal et plus dangereux de repandre
dans chaque port africain des cargaisons de
rhum et d'armes a feu. L'esprit de propa-
gandequi avaitsilongtemps sommeilledans
TEglise chretienne eclata en une flamme
brillante, et chaque confession envoya des
missions en Afrique; les citoyens des Etats-
Unis de l'Amerique du nord se joignirent
i cette grande croisade. On ne demanda
aucune autorisation aux gouvernements
— 24 —
auxquels appartenaient les missionnaires,
et il n'en etait pas besoin; on n'attendit
pas la permission des gouverneurs de co-
lonies ou des roitelets independants ; le
missionnaire, homme oufemme, apportant
avec lui l'instruction, l'industrie, la civi-
lisation, vint aborder dans chaque port,
dans chaque estuaire de riviere, en des
lieux ou le marchand n'avait pas encore
envoye ses agents, au milieu de tribus
quelquefois si feroces qu'il n'etait pas de trap
de toute la douce fermete du chretien pour
mettre un frein a leurs passions, et quel-
quefois si degradees que l'amour chretien
seul pouvait decider des Europeens civi-
lises a vivre au milieu d'elles. L'histoire
des missions d' Afrique est encore a faire ;
combien de vaillants soldats du Christ re-
posent dans une tombe egaree, victimes de
leur zele et du climat ! C'est au pacifique
et saint travail de ces hommes de bien
que nous devons le peu que nous savons
sur les langues de F Afrique.
Derriere eux, au second rang, viennent
les grands voyageurs Horneman, Caillie,
*
Jackson, Minutoli, Salt et tant d'autres de
ces derniers jours, trop nombreux pour
que nous puissions les citer tous. Quelques-
uns d'entre eux marcherent droit devant
eux dans l'immense espace et on n'en en-
tendit plus parler; ils furent peut-etre de-
vores par des sauvages. ou bien, seuls dans
quelque miserable hutte, ronde comme
une ruche, au milieu d'une jungle inextri-
cable, exhalerent leur demiere plainte en
songeant tristement a leurs amis et a leur
foyer. Ensuite ma pensee se reporte sur
les patients philanthropes Seetzen, Koelle,
Kilham, Clarke, Tutshek, d'Avezac, 01-
dendorpet autresquidemeurerent assis des
heures entieres au milieu de negres nus et
puants, s'efforcant d'arracher des idees,
des mots et des renseignements geogra-
phiques a des cervelles a peine capablesde
concevoir quelque chose de plus que les
besoins presents de chaquejour. Je n'oublie
pas non plus le patient et enthousiaste
savant, souvent eprouve par la fievre et la
dysenterie; il sait qu'il doit fuir et ce-
pendantil s'attarde jusqu'a ce que la mort
2
— 26 —
arrete ses travaux, et supporte des fatigues
et des privations dont nous ne pouvons
nous faire aucune idee.
La carte de l'Afrique m'est devenue si
familiere, et l'histoire des travaux de l'ex-
plorateur et du missionnaire est si bien
presente a mon esprit qu'il me semble,
tandis que ces lignes coulent de ma plume,
voir se derouler devant mes yeux comme
une vision le grand drame de l'Afrique
redecouverte et reconquise. Je vois le long
cortege des heros modernes qui n'hesi-
terent pas a risquer leur vie pour la grande
cause, depuisles premiers pionniers jusqu'a
Livingstone et Stanley. II s'est trouve des
gens pour blamer Livingstone d'avoir
abandonne les devoirs aussi utiles qu'etroits
du missionnaire, ses ecoles et ses cha-
pelles, ses catechistes et ses catechismes
pour aller en avant dans Test et Touest
et le nord, chercher la preuve de 1' existence
de nouveaux systemes de lacs et de rivieres,
et decouvrir les secrets caches depuis le
commencement de l'histoire. II devint le
grand pionnier et le pere des mission-
'
Hakes qui naquirent pour ainsi dire des
gouttes de sueur tombees de son corps
pendant ses penibles voyages. II s'en est
trouve aussi pour blamer le grand voyageur
Stanley de s'etre meld de choses de mis-
sions qui n'etaient pas de sa competence,
et cependant les accents retentissants
comme des sons de trompettes des lettres
qu'il ecrivait de la capitale du roi Mtesa
eveillerent un echo en Angleterre, et ces
deux grands heros Livingstone et Stanley
ontindirectement fait avancer notre science
linguistique de l'Afrique plus qu'aucun
autre de nos contemporains . lis ont entre
eux une autre similitude de caractere, la
profonde sympathie pour le peuple qui
illumine tous les recits du grand mission-
naire et une grande partie du rapport du
grand voyageur. J'eprouve une profonde
admiration pour ce dernier et hardi voyageur
qui, tout en combattant pour defendre
sa vie et celle de ses compagnons, igno-
rant s'il sortirait jamais de son continent
noir, trouvait le temps de recueillir des
noms et des mots, et fut assez heureux
- 28 —
pour revenir sain et sauf avec tout son
precieux bagage au bas des cataractes.
Je vois les grandes plaines africaines,
les larges rivieres, les montagnes au triste
aspect, les villages formes de ruches de
paille, le palmier, le baobab, le poirier
epineux et 1'euphorbe, les hommes et les
femmes vetus de leur simple nudite, avec
leurs coiffures fantaisistes, leurs epieux et
leurs arcs. Je vois les longues files de por-
teurs charges de fardeaux et l'Europeen
les suivant avec peine, a pied, avec son
domestique portant sa carabine, ou quel-
quefois passant les marais sur le dos d'un
homme, ou bien porte dans une litiere
grossiere. D'autres fois je me represente
la longue chaine d'esdaves descendant
vers la cote, ou les malheureux epuises
lies ensemble et abandonnes a mourir de
besoin ou a etre manges par les betes
feroces avant d'avoir rendu leur dernier
soupir. Et cependant, en depit de cette
cruelle oppression, lors meme que ce mal-
heureux pays semble avoir ete oublie pen-
dant des socles de Dieu et des hommes.
HmHB
■ sSBm
— 29 —
rien n'est plus frappant que les indices
de borne, de gaiete et de douceur de
caractere qu'on peut recueillir a chaque
page de chaque recit, et quoique cette si-
tuation paraisse reellement irremediable,
on ne peut se defendre d'esperer qu'il lui
restera un meilleur avenir. II faut faire
quelque chose pour susciter un interet sou-
tenu envers l'Afrique ; chacun de nous doit
comprendre que nous avons une dette a ac-
quitter, etqu'il est de notre interet de nous
efforcer de faire progresser notre connais-
sance de ce pays.
Le langage a une connexion intime avec
le developpement des arts, de Pindustrie et
du commerce; les decouvertes que Ton
fait en etudiant une langue rendent plus
clairs les traits caracteristiques sociaux et
intellectuels du peuple qui s'en sen. L'exis-
tence de certains mots, plus ou moins
transformes dans l'idiome d'une tribu qui
a eu le malheur d'etre privee de toute
communication avec le monde exterieur,
nous parle de quelques relations que l'his-
toire n'a pas enregistrees, et la presence
JEiK*
ou mt-nie l'absence de certains mots, a une
valeur historique. De ce que les langues
Pongoui et Congo de la cote occidentale
ont de telles affinites avec le Souahili de
la cote orientale, on peut tirer la preuve
d'une unite d'origine contre laquelle il n'y
a pas a s'elever, malgre les regions non
frayees qui les separent et l'ignorance ab-
solue de ces peuples en fait de navigation.
Apres tout, le commerce de la pensee est
la plus grande et la plus antique forme de
commerce que le monde puisse avoir
connue, et nulleindustrie n'est si ancienne,
si repandue, si ingenieuse, ou represente
aussi nettement la ligne qui separe l'homme
de la bete que la fabrique des mots, qui a
toujours marche sans jamais se ralentir
depuis que le monde est monde.
Je n'ai pas la presomption de pretendre
connaitre aucune des langues qui se comp-
tent par centaines en Afrique et que nous
allons passer en revue, sauf cependant
l'arabe qui est une importation etrangere.
Peut-etre cela n'en vaut-il que mieux. On
dit que si un bibliothecaire lit un seul Hvre
— ji —
il est perdu ; car alors il risque de perdre
sur cette unite la sympathie et le devoue-
ment qu'il doit ait- tout. Je m'en suis
apercu lorsque, il y a quelques annees,
j'ecrivais sur les langues des Indes-Orien-
tales ; la connaissance des idiomes de la
famille aryenne n'etait pas une excuse
pour savoir trop imparfaitement les dia-
lectes non aryens et servait plutot a rendre
cette lacune plus sensible. Et puis le lin-
guiste aborde un sujet comme celui-ci en
botaniste plutot qu'en maraicher. II ne
sait ni planter ni faire pousser les pommes
de terre, mais il connait les caracteres des
tubercules et la place qu'ils tiennent dans
le monde botanique, et cette connaissance
il la prend dans les pages des auteurs les
plus estimes. Mes conclusions linguistiques
ne reposent pas sur la theorie speculative
individuelle de l'ecrivain, mais sur des
faits pratiquement recueillis sur les lieux
par les missionnaires, puis classifies et mis
en ordre par un des mattres de la philolo-
gie comparee, Frederic Mailer de Vienne.
Pans ses livres : Ethnologic Allgemeine
— 32 —
et Grundriss der Sprachwisscnschaften, il
embrasse l'Afrique tout entire et lui
donne la place qui lui convient en face du
reste du monde. D'autres savants se sont
adonnes a l'etude de certaines parties de
l'Afrique, Bleek pour les langues du sud,
Lepsius et Reinisch pour celles du nord-
est; mais on remarque une grande di-
versity d'opinions entre ces savants, et
il y aura a resoudre bien des questions
difficiles avant d'arriver a un resultat satis-
faisant. Tout ce qu'on pourra faire de
notre temps ne sera que provisoire. II n'y
a pas une seule subdivision de notre sujet
a l'egard de laquelle on puisse dire que
nous ayons a notre disposition les mate-
riaux necessaires pour nous former une
opinion raisonnee. Chaque voyageur rap-
porte des noms de tribus parlant un idiome
inintelligible pour les hommes de sa suite,
ou meme pour les peuplades avoisinantes
a une distance de quelques jours de marche
soit en avant, soiten arriere. Dans certains
cas, un maigre vocabulaire represente tout
ce que nous savons des mots, une ins-
— 33 —
cription douteuse sur une carte tout ce
que nous savons de l'habitat. Or les deux
choses elementaires requises pour une
connaissance linguistique de dernier ordre
sont : une carte linguistique indiquant la
situation approximative du peuple qui parle
une langue donnee; un vocabulaire de
quelque etendue donnant les mots usites
recueillis sur place, oude la bouche d'indi-
vidus dont cet idiome constitue le langage
propre, habituel et usuel. Au point de
vue de ces simples donnees indispensables,
notre science des langues de 1'Afrique est
lamentablement en defaut : nous savons
qu'il existe des tribus a Test, a l'ouest, au
nord ou au sud de certaines autres tribus,
que leur langage differe de tous les idiomes
connus, qu'on ne peut se faire comprendre
d'elles sans interpretes, et la s'arrete notre
science. Nous ne pouvons negliger de
mentionner l'existence d'un langage de ce
genre; nous presumons qu'il appartient au
meme groupe ou a la meme famille que
ses voisins parce que nous n'avons pas de
preuve du contraire, mais tout cela est
— 34 —
incertain. En somme, notre science des
langues de l'Afrique ressemble beaucoup
a la connaissance qu'a le geologue de la
surface du globe, c'est-a-dire, nous pos-
sedons une idee passablement exacte des
idiomes paries le long des cotes tout autour
du continent, nous avons pu parfois jeter
ca et la un regard furtif dans l'interieur,
et nous en sommes reduits a des hypo-
theses visionnelles pour tout ce qui regarde
le centre.
Les anciennes nations de l'Europe et de
l'Asie ont laisse des archives de leurs
langues, telles qu'elles se parlaient dans
l'antiquite, dans leur litterature ou dans
les inscriptions des monuments. A l'ex-
ception des documents egyptiens, ethio-
piens, puniques ou tamacheques, l'Afrique
ne possede pas d'archives du passe. Dans
les hieroglyphes de l'Egypte se trouve la
pepiniere de tous les autres alphabets qui
existent dans le monde, mais aucun autre
peuple de l'Afrique n'a invente, adopte
ou modifie une forme d'ecriture employee
ailleurs. La famille semitique a apporte sa
— 35 -
forme de caracteres si connue, qui avec
le mahometisme se propagea dans les
groupes hamitique, foulah et negre, ainsi
que dans le souahili de la famille bantu.
Le syllabaire ethiopien degenere est de-
venu l'amharique moderne et le tigre.
L'antique forme de l'ecriture libyque ne
nous est connue que par des inscriptions
monumentales, et sa forme moderne n'a
qu'un emploi tres restreint. Sur la cote
occidentale une forme particuliere d'ecri-
ture syllabique fut inventee il y a peu
d'annees dans la tribu de Vei, et excita
plus d'interet qu'elle ne le meritait, car ce
n'etait qu'une adaptation d'une methode
europeenne et non une conception ori-
ginale; quand une fois 1'idee a et6 inventee
de representer les sons par des symboles,
qumiporte ce que sont ces symboles,
pourvu qu'on les comprenne bien.
L'alphabet latin, avec certaines modi-
fications speciales, a ete generalement
adopte par les missionnaires ; ce sera le
type dominant sur le continent. Des obser-
vations qui precedent on peut conclure
- 3 6-
que nous n'avons, en ce qui concerne les
langues de l'Afrique, aucun moyen de
comparer le passe et le present; notre
tache se reduit done a reconnaitre et a
enregistrer les idiomes que nous trouvons
en usage dans la population, et a rattacher
ces notes k l'ordre de classification qui
s harmonise le fnieux avec nos conceptions
anterieures des necessites scientifiques.
La classification de Frederic Muller,
la seule qui embrasse tout le continent,
s'impose a mon opinion. Elle n'est pas
universellementacceptee; pour les uns elle
est trop simple; il leur faudrait une classi-
fication basee sur les difficultes inextricables
de la construction, ou de grands traits
card'inaux tels que l'absence ou la presence
de distinction de genres. Pour d'autres
elle n'est pas assez simple, car ils ne re-
connaissent que deux elements dans les
langues de l'Afrique, l'element etranger
du nord et l'element indigene du sud. II
y a peut-etre bien quelque verite au fond
de cette theorie, et on est en droit de
supposer qu'il a existe, a quelque epoquc
'
— 37 —
eloignee, une population noire totalement
distincte par la race et le langagedu peuple
au teint clair qui envahit le continent,
venant de l'Asie par dots successifs a de
longs intervalles et se melange avec la race
indigene. Nous ne pouvons cependant
tenir compte que des fairs seulement, et
Frederic Midler presente ces faits avec une
precision suffisante dans Ies six families on
groupes dont nous avons parle tout a
l'heure, et que nous allons decrire en de-
tail apres nous etre detoumes un instant
pour indiquer les langages etrangers de
1'Europe et de l'Asie, qui ont penetre dans
les temps modcrnes sur les cotes et se sont
etablis d'une facon permanente, refoulant,
dans certains cas, les idiomes indigenes,
ou se melangeant avec eux pour dormer
naissance a de nouveaux jargons.
Tandis que certaines langues qui jadis
ont fait la loi dans le nord de l'Afrique,
telles que l'egyptien, le phenicien, l'e-
thiopien, l'ancien persan, le grec, le latin
et le vandale, ne se font plus entendre,
d'autresse sont imposees avec autorite tout
m
- 3 8 -
autoiir du continent. En Egypte toutes les
grandes langues de 1 Europe ont droit de
cite ; a Tripoli et a Tunis on parle le
francais etl'italien. Le francais et l'espagnol
ont elu domicile en Algerie et au Maroc.
Le long de la cote occidentale nous trou-
vons le portugais dans les groupes d'iles
des Acores, de Madere et du Cap Vert. Sur
la terre ferme, a une grande distance dans
rinterieur, cette langue est souvent l'ins-
trument des communications ecrites; des
voyageurs disent ['avoir entendu parler a
la cour de Muata Yanvo, le Cazembe, et
de Sepopo sur le haut Zambese, et des
milliers de negres en font usage dans la
colonic d'Angolaet celle de Mozambique,
sur la co:c orientale : cette langue a laisse
une empreinte persistante en Airique,
comme dans l'lnde, et il est probable qu'elle
est beaucoup plus repandue en Asie, en
Afrique et en Amerique qu'au Portugal
meme. L'espagnol est devenu la langue
des iles Canaries et de Fernando Po. L'ac-
tion du francais se fait sentir dans la
colonic de Saint-Louissurlc fleuve Senegal
'
— 39 —
ainsi que dans les etablissements du Gabon,
ct des juges competents ont constate que
les idiomes neo -latins sont paries par
l'Africain avec une prononciation assez
correcte et ne se denaturent pas en jargons
ainsi qu'il arrive de l'anglais et du hol-
landais. Ce dernier a joue un role remar-
quable dans l'histoire de l'Afrique meri-
dionale. Quelques tribus hottentotes ont
adopte le hollandais en superposition avec
leur idiome propre; c'estun dialecte tres
different de celui qui se parle en Hollande •
avec des formes de mots corrompues, des
modes barbares d'expression, et un au-
dacieux mepris de la grammaire. II apris
une telle importance qu'on a publie au
Cap une grammaire du hollandais du Cap.
Ce dialecte s'etendra davantage et de-
viendra probablement un des prineipaux
idiomes de l'avenir dans rAfrique meri-
dionale.
La langue anglaise accroit chaque jour
son expansion et son influence, en tant
qu'instrument d'instruction etintermediaire
de commerce non seulement entre Africains
Hi
II
— 4 —
et etrangers, mais aussi entre tribus afri-
caines parlant des dialectes distincts. Tous
les esclaves affranchis de l'Amerique du
nord parlent un anglais plus ou moins pur :
les Km, qui ont une si large part dans la
navigation, parlent un anglais corrompu.
Sur la cote orientale, l'anglais aura une
action plus considerable encore, puisque
aucun autre idiome europeen n'a penetre
dans l'interieur. Un fait remarquable a
constater est la preponderance des langues
indiennes. De Zanzibar a Madagascar, a
Mozambique et jusqu'au cap Gardafui il
n'y a peut-etre pas une demi-douzaine
d'exceptions a la regie que tous les bouti-
quiers sont indous. Les voyageurs venant
de l'lnde peuvent partout parler en indous-
tani et en gujarati avec toute la corpora-
tion des commercants au detail et des
marchands locaux; ceux-ci font tous leurs
comptes en gujarati et en kachi. En rea-
lite tout le commerce est entre les mains
des classes industrieuses et opulentes qui
passent dans l'Afrique orientale, malgre
les prejuges bien connus des Indous contre
— 4i —
lamer. Ces influences etrangeres peuvent
affecter profondement les dialectes indi-
genes qui lutteront pour 1' existence sur
lescotesseptentrionale, meridionale, orien-
tale et occidentale de l'Afrique. N'ayant
pas l'appui d'une litterature indigene,
nombre de dialectes insignifiants vont dis-
paraitre dans l'assimilation generale qui
aura lieu. A mesure que nous avancerons
dans notre exploration, nous constaterons
que certaines langues puissantes doivent
et peuvent se maintenir, et qu'elles devien-
nent deja, sous la main du missionnaire
qui les faconne, de puissants elements de
civilisation qui absorberont ou evinceront
leurs voisines plus faibles et moins bien
douees. Ce sera un interessant spectacle
linguistique a observer, car sans doute la
meme evolution a du se produire il y a
plusieurs siecles en Europe et en Asie, et
nous constatons les resultats de cette lutte;
mais les details de son progres sont perdus
pour nous.
I. — La famille semitique (cnij-'e'esr
— 4 2 —
bien une famille dans le sens le plus strict
du mot) nous est bien connue. Elle a cette
ressemblance avec la famille indo-euro-
peenne de posseder des inflexions; mais
son mode d'ioflexion est tout special. Elle
est tres belle ettres symetrique, seulement
on n'a jamais pu decouvrir son origine.
Nous la trouvons en plein developpe-
ment dans ses monuments les plusanciens.
Le livre de la Genese donne le recit de la
creation du monde, et les mots usites dans
ce recit revelent une langue parvenue a
un etat remarquable de perfection; ce
caractere devient saisissant par la compa-
raison du mecanisme raffine de la langue
employee par Moi'se avec les documents
egyptiens de la meme epoque. L'influence
de la famille semitique sur le groupe ha-
mitique, ou vice versa comme le pretendent
certains auteurs, est tres faible; de tout
temps la nation semitique fut une etran-
gere en Afrique ; mais elle recutdel'Egypte
ledon precieux de l'ecriture alphabetique
qu'elle transmit au reste du monde comme
sa propre invention. La famille semitique
— 43 —
se divisa en deux branches : la branche
du nord et la branche ethiopienne.
Les Semites ont possede depuis l'anti-
quite la plus reculee le bord oriental de
la vallee du Nil. La conquete historique
de l'Egypte par les Hyksos etla descente
des Hebreux dans ce pays n'ont pas laisse
de traces linguistiques en Afrique; mais
la colonisation de Carthage par les Pheni-
ciens a grave son souvenir indelebile dans
ses inscriptions monumentales endepitdes
efforts des Romains pour effacer tous les
vestiges de la civilisation etrangere de leurs
rivaux vaincus. Quelques siecles plus tard
les Arabes s'emparaient de toute la cote
septentrionale de l'Afrique, jusques et
mane au deli des Colonnes d'Hercule,
et la langue arabe supplantant 1'egyptien
dans la vallee du Nil, refoulant quand elle
ne les detruisait pas les dialectes hami-
tiques de la Numidie et de la Mauritanie,
devint, avec une variante dialectique de
la langue pure du desert arabique et du
Koran, le langage dominant a Tripoli, a
Tunis, en Aleerie et auMaroc. Du sud de
— 44 —
l'Arabie, traversant la mer Rouge, une
troisieme invasion semitique penetra en
Afrique; elle nous est connue sous le nom
d'ethiopienne ou de Giz, qui est le lan-
gage de l'Abyssinie. Avee le temps cette
antique forme de langage donna naissance
au tigre moderne et a son parent l'am-
haric. Ces dialectes sont paries par une
population chretienne reduite aun etat de
civilisation retrograde. Les voyageurs si-
gnalent d'autres idiomes semitiques dis-
tincts repandus sur les frontieres de l'A-
byssinie, mais ils sont sans importance.
I/arabe etend son influence bien au
dela des limites des populations stables
des divers royaumes. C'est le vehicule de
la pensee a travers la plus grande partie
de 1' Afrique, qu'il soit parle par les Be-
douins nomades qui surprennent les voya-
geurs par leur apparition inattendue, ou
par les conquerants envahisseurs comme le
sultan de Zanzibar, par des traficants entre-
prenants comme les marchands d'esclaves
qui sont generalement des Arabes avilis, ou
bien par les races dominatrices du centre
— 45 —
de l'Afrique; enfin c'est l'instrument de la
propagation du mahometisme et de toute
civilisation quelconque en dehors de celle
quiresulte du contact des Europeens. Jus-
qu'a present il a eu le champ libre comme
puissance religieuse et seculiere, mais on
peut presumer que maintenant ses progres
seront enrayes par la puissante intrusion
des langues anglaise, francaise et hollan-
daise et par la resurrection et le develop-
pement des nombreux et puissants idiomes
indigenes utilises par l'Europeen civilisa-
teur et instructeur. Les Arabes laisseront
des noms issus de leur langue, Kabyle,
Kafir, Souahili, qui ne s'oublieront jamais.
Pour etudier ces langues nous sommes
abondamment pourvus de grammaires et
de traductions des Livres sacres en arabe,
en amharique et en tigre.
II. — Viennent ensuite les langues ha-
mitiques. On les croit etrangeres et de
provenance asiatique, mais a une epoque
si reculee que la tradition en est perdue.
Dans l'etat actuel de la science il est peut-
-46 -
etre hardi de dormer a cette subdivision le
nom de famille; il serait plus prudent de
dire que c'est un « groupe » possedant
des similitudes frappantes. II peut se par-
tager en trois sous-groupes : i° egyptien,
2° lybien, 3 ethiopien. Ces sous-groupes
ont probablement entre eux une parente
linguistique, mais on ne les a pas encore
assez etudies pour qu'un accord unanime
ait pu se faire sur ce point, de meme que
Ton a admis comme fait scientifique Tac-
tion reciproque des idiomes semitiques.
II n ? existe plus actuellement aucunelangue
du premier sous-groupe. Le copte s'est
eteint il 3' a quelques siecles et n'a plus
qu'une existence factice comme organe
d'un rituel religieux; l'egyptien avait dis-
paru avant l'ere chretienne, la tradition
de son interpretation s'etait egalement
perdue, etil resta linguistiquement a l'etat
de langue morte jusqu'au jour oil il fut
ressuscite par les savants de notre siecle.
Cette langue parfaitementdeveloppee quant
a sa grammaire et a sa triple ecriture, pos-
sede des documents graves sur la pierre
— 47 —
qui reinontent a plus de quatre mille ans
avantl'ere chretienne; aucune autre nation
pi aucune famille linguistique au monde
ne peut done 1 utter avec l'Egypte et l'e-
gyptien au point de vue de l'antiquite. De
plus, le mecanisme des mots et le grou-
pement des phrases nous donnent la
preuve que nous avons affaire a un ins-
trument de penser infiniment plus ancien
que les plus anciens documents semitiques
ou aryens. L'egvptien a fait son temps et
sous Tinnuence greco-latine s'est trans-
forme dans le copte, qui lui-meme dis-
parut devant 1'invasion de Farabe, nous
fournissant ainsi l'exemple le plus remar-
quable d'une nation changeant de langage,
car presque tous les auteurs s'accordent a
reconnaitre dans le fellah d'Egypte le
descendant en ligne directe de l'Egyptien
figure sur les monuments.
A l'ouest de l'Egypte, le long des cotes
de la Mediterranee, s'etend une vaste
contree que les anciens designaient sous
le nom de Libye. Herodote, le pere de
l'histoire, connaissait les tr-ibus libyennes
- 4 8 -
parce que des colonies grecques et pheni-
ciennes etaient etablies sur la cote. Les
Romains donnaient a cette region les noms
de Numidie, de Mauritanie et de Getulie.
Ces premiers occupants du sol survecurent
aux Pheniciens, aux Grecs, aux Romains,
aux Vandales, et luttent encore contre les
Arabes, les Turcs et les Francais. La vieille
langue libyenne n'avait pas de litterature;
ellea disparu et c'esta peine si on ladevine
par quelques inscriptions. Cette region
porte maintenant les noms de Tripoli,
Tunis, Algerie, Maroc, et Grand Sahara.
Jusqu'a un certain point le nom de Ber-
bere peut s'appliquer a toutes les formes
hamitiques des idiomesde ce sous-groupe,
maison rencontre d'autres expressions qui
designent des langages distincts : le kabyle
en Algerie, le shilha au Maroc, le ta-
masheque dans le Sahara, le zenaga sur la
frontiere du Senegal. Le guanche, l'i-
diome eteint des Canaries, appartenait a ce
groupe. Les Francais ontbeaucoup contri-
bue a la connaissance de ce sous-groupe
oil Ton remarque une absence complete
— 49 —
de culture et dont la population est en
grande partie nomade.
Hornemann fut le premier a appeler
l'attention sur 1' existence des Touaregs et
Marsden a les identifier aux Berberes. On
ignorait avanteux qu'il y eut dans l'Afrique
septentrionale d'autres tribus nomades que
les Arabes. Volneyle premier avanca qu'ils
representaient les anciens Getules. Vivien
de Saint-Martin etablit qu'au moment de la
secoiide invasion des Arabes orientaux, au
xi e siecle, ces tribus abandonnerent les
districts de la cote de Tripoli pour echapper
au joug etranger, et se retirerent dans les
oasis oil elles conserverent leur liberte
sauvage et leur ancienne langue dans une
purete relative. Comme nous l'avons deja
explique, on suppose que le sens de ce mot
(Touareg) est synonyme dans 1'idiome
berbere de Kahyk en arabe. Quelle que
soit son origine, ce nom a ete applique
par les Arabes et non par les tribus elles-
memes; c'est a peine si elles le recon-
naissent et se donnent celui d'Imosbagh
ou d'Amazirg. II est pratiquement impos-
.»!■■■*— ^
— 50 -
sible de determiner les limites du territoire
occupe par ces nomades, car lis sont re-
pand"us depuis les confins de l'Algerie jus-
qu'aux frontieres des royaumes negres de
Bornou et de Tiraboucktou. Sous le re°ne
de l'empereur Auguste Cornelius Balbus,
un gouverneur des provinces romaines
d'Afrique marcha a la tete de son armee
contre ces tribus insoumises alors comme
aujourd'hui; il prit d'assaut Cydamis, ac-
tuellement Ghadames, capitale de Phasania
ou Fezzan , pays des Garamantes ; mais il
n'avait pas comme Jules Cesar le don de
manier la plume aussi bien que l'epee.
II y a chez les Touaregs quatre confe-
derations de tribus : les Azjer au nord-est ;
les Ahaggar au nord-ouest; les Kel-ooui
au sud-est; les Aouelimmiden au sud-
ouest; chacune de ces confederations pos-
sede son dialecte particulier. Hanoteau, qui
avaitdeja compose une grammaire kabyle,
publia en i860 sa grammaire tamasheque
en adoptant le premier de ces dialectes,
que nous prendrons par consequent comme
etalon, puisque nous le connaissons mieux.
— 5i —
II a etabli qu'il est pur de tout melange
d'arabe et qu'on est en droit de s'attendre
a trouver dans ce district isole une plus
grande quantite de formes grammaticales
de rancienne langue. C'est le seul dialecte
quipossedeun caractere d'ecriture special,
le tifinag, qu'Hanoteau considere sans
aucune hesitation comme apparente avec
l'ancienne forme numide. II tira ses ren-
seignements d'un negre natif du pays on
le tamasheque etait parle par ceux qui
le tenaient en esclavage ; cet homme sa-
vait un peu d'arabe; avec lui Hanoteau
apprit le tamasheque, compila sa gram-
maire et redigea des fables et des contes.
Plus tard il fut assez heureux pour ren-
contrer a Laghouat quelques Touaregs ; il
put causer avec eux et ils l'aiderent a tra-
duire en tifinag les textes qu'il avait trans-
crits en caracteres latins modifies. Son
livre a par consequent une tres grande
valeur et fait grand honneur a sa science.
Pour completer cet excellent ouvrage il a
]oint a ce volume une carte linguistique
desidiomesberberes de l'Algerie francaise
— 52 —
accompagnee d'unc notice explicative. II
y a ajoute des textes, des lois de villages
et des chansons transcrits en arabe et tra-
duits en francais.
Les habitants de l'oasis de Jupiter Am-
nion sur les confinsde FEgypte (Alexandre
le Grand l'a visitee) comprennent et em-
ploient l'arabe pour leurs communications
avec les etrangers; cependant entre eux
ils se servent d'un idiome tout different.
duel est ce langage ? Augila est une oasis
situee a l'ouestde Siwah, habitee continuel-
lement. Hornemann, le voyageur au temps
de l'occupation de l'£gypte par le general
Bonaparte, visita la premiere de ces oasis
en 1797-98 et colligea un voeabulaire
d'apres lequcl Marsden decouvrit l'afhnite
de cet idiome avec le berbere ; dans la se-
conde oasis Hornemann trouva un langage
similaire; d'autres voyageurs, Minutoli,
Cailliaud, etc., ont recueilli des materiaux
plus complets. Hanoteaua analyse ces mots
dans sa grammaire kabyle, et leur identite
ne fait plus de doute. Makrisi rapporte
egalement ce fait dans son ouvrage sur
— 53 —
l'Egypte. Cet idiome est absolument insi-
gnifiant et sera sans doute supplante par
l'arabe, mais il donne une idee parfaite de
l'exteusion du berbere qui a du s'etendre
des confins de l'Egypte aux iles Canaries,
ct montre que le siwah a du resister a la
pression deslangues superposees pendant
plus de trois mille ans.
Le sous-groupe ethiopien du groupe
hamitique s'etendsur lamer Rouge, entre-
mele au point de vue geographique avec
la branche ethiopienne de la famille semi-
tique : ses langues sont le somali, le
galla, le bishari, le dankali, l'agau, et
quelquesautres.
Nous possedons des notes grammati-
cales sur plusieurs, et des traductions des
Saintes Ecritures en copte, en berbere
et en galla. Des societes de Missions se
sont obstinees avec assez peu de succes
dans la tache ingrate de modifier les races
hamitiques de l'Ethiopie. Danscette partie
de l'Afrique les esperances d'ameliorations
futures par rinfluence des Europeens
paraissent tout ce-qu'il y a de moins en-
K
- 54 —
eourageantes. En depit des nombreuses
tentatives d' exploration, on a bien pcu
gagrie sous le rapport de la connaissance
geographique de cette triste. contree qui
s'etend de l'Abyssinie a l'equateur. A
l'oppose de la famille semitique, le groupe
hamitique n'a d'affinites reconnaissables
avec aucune famille ou aucun groupe lin-
guistique de l'Asie. Son existence sur le
sol africain remonte au moins a six mille
ans et l'aire qu'il occupe est immense.
Lepsius et Bleek pretendaient faire entrer
dans ce groupe les Hottentots de l'extreme
Sud, soulevant ainsi une question pour
la solution de laquelle nous n'avons pas
encore reuni des materiaux suffisants.
Ce point doit etre reserve au jugement
de la generation a venir dont la science
plus exacte saura peut-etre trouver un lien
entre les races pre-semitiques de TAfrique
et de la Mesopotamia
III. — Nous arrivons au troisieme
groupe, le nouba-foulah ; c'est le moins
bien connu et celui dont la classification
~ )) -
est la plus doutcuse. Jusqu'ici nous avons
eu affaire a des langues inflexives; toutes
celles que nous trouverons maintenant en
Afrique sont agglutinatives. Ethnologi-
quement parlant, les populations semi-
tiques, hamitiques et nouba-foulah appar-
tiennent aux races a « cheveux plats
boucles ». Tout le reste de 1' Afrique se
compose de races a « cheveux laineux
floconneux » ou a « cheveux laineux houp-
pes ». II ne s'ensuit pas que les caracteres
linguistiques doivent etre les m ernes que
les caracteres ethniques; nous savons que
c'est souvent le contraire qui a lieu. Fre-
deric Miiller etablit que ce groupe, dont
l'habitat est situe en parde au milieu du
groupe negre, et en partie sur sa frontiere
septentrionale, est nettement distinct du
negre, tant par Faspect physique que par
certains autres details ethniques. II occupe
une situation intermediaire entre le groupe
hamitique et le groupe negre. Ici nous
devons rappeler que suivant les affirmations
de certains auteurs, la famille bantu
occupe de meme une situation interme-
- 5 6 -
diaire ; mais les Bantus par leurs caracteres
physiques et physiologiques prennent
rang apres leurs ancetres negres, tandis
que les Nouba-Foulah se rapprochent
davantage des races hamitiques. La pa-
rente des Nouba et des Foulah ne nous
parait rien moins que certaine. Nous
allons les etudier separement :
Le sous-groupe nouba s'etend depuis
le territoire de la famille foulah a Test,
jusqu'au doraaine du sous-groupe ethio-
pien du groupe hamitique. Les Nubiens
purs occupent actuellement la vallee du
Nil entre la premiere et la seconde cata-
racte. lis sont mahometans et se donnent
a eux-memes le nom de Barabra. La
relation de Schweinlurth nous montre
qu'ils constituent une race dominatrice,
superieure comme puissance et civilisation
aux autres populations idolatres sur le
territoire desquelles ils font des incur-
sions comme marchands et chasseurs d'es-
claves. II est a remarquer que les Nubiens
ont du venir s'etablir dans leur habitat
actuel depuis les temps historiques, car
il»SS
— 57 —
Herodote nc les mentionne pas et il ne
les aurait pas oublies s'ils avaient ete dans
les lieux qu'ils occupent maintenant. Le
nom de NsjS*. parait pour la premiere
ibis dans Eratosthenes qui en park, dans
la derniere moitie du troisieme siecle
avantJ.-C, comme d'un grand peuple
independantdesEthiopiens de Meroe ; c'est
dans cet intervalle qu'ils ont du immigrer
del'Occident. L'histoire constate des immi-
grations de cette meme race au temps de
Diocletien trois cents ans apres J.-C.
Nous savons les noms d'autres idiomes
ou dialectes etroitement apparentes avec
la langue nubienne ; ces populations, qui
n'ont absolument aucune civilisation ni
litterature, habitentlavallee duNil et sont
imparfaitement connus. On comprend,
avec bien moins de certitude, dans le sous-
groupe nouba les Berta etablis sur les
. rivieres Takazi et Atbara, les Kouafi et les
Masai. L'attribution a ce sous-groupe de
nombreuscs tribus dont Schweinfurth et
Junker nous ont revele l'existence sur la
ligne de partage des eaux des bassins du
."»#>•-»
- 5« -
Nil et du Welle est encore plus douteuse
et subordonnee aux materiaux qu'on reu-
nira dans l'avenir. Par malheur an incen-
die a detruit la plus grande partie des col-
lections linguistiques de Schweinfurth.
Ces tribus sont les Monbouttou, les Nyam-
Nyam, les Krej et les Golo. II faut laisser a
la generation prochaine le soin de deter-
miner avec certitude lalangue de ces peu-
plades.
On trouve la famille foulah sur la cote
occidental. Ce nom signifie « jaune ».
Le Foulah se pretend beaucoup superieur
au negre et reclame une place parmi les
« hommes blancs;>. On le rencontre vivant
melange au negre depuis le bas Senegal a
l'ouest jusqu'au Darfour a Test, et depuis
Timboucktou et le pays d'Hausa a l'ouest,
jusqu'au pays d'Yariba au sud. Ce peuple
se revela en envahisseur pillard; il est
mahometan. Une dynastie foulah regne
dans les royaumes de Sokoto et de Gandou.
Son nom se presente sous les variantes de
Poul, Poulo, Foulah, Foulbe,Fellata, Fou-
ladou. La race foulah s'est melangee avec
— 59 —
la race negre, ce qui a produit d'autres
varietes. Nous en avons heureusement
une gramraaire par Reichardt et une tra-
duction de quelques chapitres de la Bible
par le consul Baikie. On a signalesept dia-
lectes, mais le foulah-jallon, sur les bords
du fleuve Senegal, est admis comme eta-
Ion.
C'est ici le lieu de citer I'ceuvre monu-
mentale de Lepsius, Nubischc Grcwimatik,
( v i88o), dans laquelle le savant vieillard a
condense son experience de quarante an-
nees, car je l'ai rencontre moi-meme a la
Grande Pyramide en 1 843 pendant sa ce-
lebre exploration scientifique, et son at-
tention a toujours ete tendue vers ce sujet
prefere pendant sa longue et honorable
carriere de professeur et de conservateur
du Musee de Berlin. Outre une grammaire
nubienne,unvocabulaireallemand-nubien,
une traduction d'un evangile et un appen-
dice sur les dialectes de l'idiome nubien,
il passe en revue dans une longue intro-
duction toute la question de la classification
des langues de l'Afrique. Nous avons le
— 6o —
plus profond rejpect pour les opinions de
cet illustre veteran de la science, mais il
faut pourtant dire que la sont avances
trop de points contestables d'ethnologie
et de philologie comparee pour qu'il soit
permis de les accepter autrement que
comme une indication provisoire, ou
comme base pour de futures investi-
gations.
IV. — Faute d'un meilleur nom le
groupe suivant est appele Negre, designa-
tion incontestablement inexacte. En realite
c'est une conglomeration de parties com-
posantes absolument heterogenes, quel-
que chose d'analogue a l'ancien touranien
en Asie il y a un quart de siecle; une sorte
de sac oil Ton jetait provisoirement tous
les langages qu'on ne pouvait pas caser
ailleurs. De meme que le mot touranien
a peu a peu disparu des classifications
asiatiques ou s'est resserre graduellement
dans les limites relativement restreintes
d'une seule famille, de meme aussi le
terme >< negre » , qui est totalement insuf-
— 6i —
fisant, disparakra pour faire place a une
nomenclature scientifique, ou du moins
intelligible.
Nous ne devons pas oublier que le type
negreesttres caracterise et represente tres
distinctement sur les monuments de l'an-
cienne Egypte d'il y a cinq mille ans; si
dans l'interieur il a pu subir de nombreux
melanges, il est pur sur la cote. De la pu-
rete de la langue nous ne pouvons rien
dire avec certitude. La presence dugroupe
nouba-foulah au nord et de la religion
mahometane au coeur de son territoire,
rinfluence des nations europeennes et des
negres americanises sur les cotes ont pu
la modifier. Le hausa est le grand idiome
commercial de 1'Afrique ccntrale et s'e-
tend bien au deli de la region qu'occupe
le peuple hausa. C'est tin langage a part,
qui, par certains caracteres, se rapproche
deslangueshamitiques et semitiques. Cer-
tains savants le rattachent au groupe ha-
mitique, d'autres au groupe nouba-fou-
lah, d'autres enfin au groupe negre. On
pourrait croire que d'un accord general il
4
— 62 —
est admis que ces langues negres sont in-
dependantes de tout autre groupe; mais
Bleekaavance que certains idiomes negres
appartiennent a la meme famille que le
bantu et que d'autres leursont apparentes.
Ceci prouve combien, jusqu'a present,
nous sommes loin d'avoir une certitude
quelconque sur n'importe quel point de
cette question, par suite du manque de
donnees suffisantes.
Autant que nous pouvons le savoir,
toutes ces langues sont agglutinatives; a
la verite ce n'est qu'un lien de parente
bien faible. Le groupe negre est loin de
s'etendre sur toute TAfrique, mais il cons-
ume le noyau principal de sa population.
Limitee au sud et a Test par la famille
bantu, pressee au nord par le groupe
nouba-foulah, deportee par millions par
les Europeens, cette race se fut eteinte
sous les epreuves qu'elle a eu a subir si
elle n'avait pas ete douee d'une vitalite
aussi energique. Onpeutdire que le Negre
partage avec le Bushman Thonneur d'avoir
ete 1' habitant aborigene de l'Afrique. La
taS.'.'
- 63 -
contree qui s'etend du fleuve Senegal au
Niger est la patrie de la pure race negre ;
mais les negres de races tres melees re-
venus liberes dAmerique^ ou echappes
des vaisseaux negriers captures, ont altere
cettepurete, ct quelques-unes de ces races
melees, qui renferment des elements ha-
mitiques, semitiques et nouba-foulah, sont
les plus belles.
On ne doit admettre que comme pro-
visoire tout ce qui touche aux langues de
ce groupe. Nous ne savons rien ni du
nombre des varietes de ces langues, ni de
leurs rapports mutuels, ni de leurs variantes
dialectiques, et nous manquons meme de
renseignements complets sur ceux de ces
idiomes dont nous.possedons des vocabu-
laires ou des notices grammaticales.Nous
ne pouvons determiner les limites de leur
aire linguistique, et elles n'ont absolument
aucune litterature. Une seule chose est
evidente, c'est qu'elles ne peuvent pas
sortir d'une meme source. II doit avoir
cxiste plusieurs points de formation dis-
tincts, car non seulement la construction
- 64 -
grammaticale s 'oppose a l'hypothese d'une
unite originale, mais il n'existe pas meme
l'uniformite de vocabulaire qui pourrait
dormer quelque poids a cette opinion.
La region negre coupe l'Afrique en
droite ligne, dans sa plus grande largeur,
de la cote occidentale a la vallee du Nil.
II ne reste pas, comme en Amerique
ou en Asie, un seul monument edifie par
la main du negre pour temoigner de la
grandeur materielle des tribus, ou parler
de quelque civilisation eteinte. II n'y a
pas de caractere d'ecriture, car le vei n'est
qu'une adaptation moderne d'une idee
apportee d'Europe. Des proverbes et des
traditions orales d'une antiquite incertaine
vivent dans la bouche des hommes, mais
le peuple n'a le souvenir d'aucun savant
ou legislateur negre. En realite il n'y a
point d'histoire, point de fait digne d'etre
conserve, point de passe, et il est difficile
de croire que l'avenir puisseetre meilleur.
Ce ne sont pas, cependant, des races aba-
tardies se cachant dans les profondeurs des
forets, peu nombreuses et miserables; au
- 6 5 -
contraire, ces negres sont aussi nombreux
queles sables de la mer; ce n'est pas non
plus que le climat leur soit insalubre ou
improductif, car ils possedent une grossiere
richesse agricole, et la richesse minerale
ne leur manque pas. II n'est pas possible
d'etablir en fait, ou me.me d'avancer
comme une probability qu'avant l'irruption
du proselytisme musulman ils aient ete
opprimes par des etrangers, car ils etaient
inabordables, et ni les figyptiens, ni les
Perses, ni les Grecs, ni les Romains, ni les
Arabes pre-mahometans n'ont pu arriver
jusqu'a eux.
Ils nemanquentpas d'intelligence quand
ils sont eleves dans des ecoles europeennes,
et quelques individus choisis sont suscep-
tibles du developpement intellectuel le
plus complet. Ils portent la peine de leurs
eternelles guerres intestines, du manque
absolu d'opinion publique ou d'indepen-
dance personnelle, de l'esclavage domes-
tique et de leur penurie de produits expor-
tables d'aucun genre; hommes etfemmes
n'ont pas su acquerir la dignite de se vetir
4-
— 66 —
decemment. Nul messager n'est jamais
venu a eux avec un livre religieux, les re-
prenant, les conseillant, elevant leurs
idees, leur apportant de bons exemples et
des exhortations ; car, ilne fautpasl'oublier,
c'est a ses livres religieux, lors meme
qu'ils etaient theologiquement errones,
que TAsie est redevable de sa civilisation .
Le negre n'a pas eu le privilege d'inventer
l'art d'ecrire qui aurait fait de sa langue la
cheville ouvriere du progres et de la mora-
lisation; il est reste jusqu'a nos jours la
proie de l'esclavage, du cannibalism e,
d'unesorcellerie ducaractere leplus odieux
et de sacrifices humains d'une abomina-
tion monstrueuse.
II ne faudrait pas croire cependant que
nous n'avons fait aucun progres; nous
possedons des grammaires de quelques
idiomes du groupe negre, des traductions
des Saintes Ecritures et nombre de livres
de religion ou d'education; d'autres, nous
avons des notes grammaticales de la plus
grande valeur et des vocabulaires; mais les
auteurs les plus competents decrivent beau-
coup de langues que nous connaissons
- 6 7
d'une facon a peu pres suffisante comrae
des idiomes isoles,, et n'admettent aucune
affinite avec n'importe quelle autre variete
connue. Ce fait en lui-meme induit a
supposer que les phenomenes linguistiques
de la region negre n'ont pas encore ete
completementmis en evidence. Nulle part
ailleurs nous ne rencontrons de langages
isoles, sauf de tres rares exceptions, et ce
sont generalement des survivances de
quelques families eteintes. Les vastes
espaces restes vides sur la carte, qui out
jusqu'ici mis en defaut la plume du geo-
graphe ou du cartographe et les recits de
tous les explorateurs, nous revelent 1 'exis-
tence d'une grande terra incognita et de
millions d'etres inconnus. C'est comme
si debout, sur le rivage de la mer, nous
ecoutions le bruit confus des vagues, ou si
du haut d'une tour elevee nous pretions
l'oreille au murmure produit par le son
des voix montant d'en bas, car nous ne
savons rien de certain de ce qui concerne
les langues du pays negre. Les collections
linguistiques de Koelle, Polyglotln Afri-
— 68 —
carta, elles-memes, qui lui valurent le prix
Volney, ressemblent a une poignee de
coquillages jetes par le flot sur le rivage, et
ramasses a tort et a. travers apres avoir ete
disperses au loin dans l'interieur; car il a
compose sa science des souvenirs peu surs
d'esclaves liberes, et sesmemoires ne peu-
vent etre d'aucun usage avant d'avoir
passe par les mains d'un classifieateur
habile; et meme alors ils ne serviront pas
a grand'ehose.
Les tribus sauvages de l'interieur ont
exerce une poussee constante le long des
bassins fluviaux vers le rivage de la mer,
separant violemment et desagregeant les
tribus qui avaient deja atteint la cote et
goute les douceurs du commerce et d'une
civilisation rudimentaire. Dans l'interieur
se trouvent les produits brats demandes
pour l'exportation et les races sauvages
veulent s'affranchir des intermediaires de
la cote ; par la de nouveaux langages s'im-
posent a notre attention. En ce qui con-
cerne les langues, des savants illustres ne
peuvent meme pas se mettre d'accord
-6 9 -
sur leur classification; il y a la une abon-
dante moisson de querelles linguistiques.
N'oublions pas que l'homme qui a beau-
coup aide a la composition des gram-
maires, et a la traduction des Saintes Ecri-
tures, tut lui-meme esclave; delivre par
les croiseurs anglais et eleve dans les
ecoles anglaises, il s'eleva jusqu'a l'epis-
copat. J'ai nomme Samuel Crowther.
Pour l'intelligence du sujet, je divise ce
groupe en quatre sous-groupes, en me
basant sur des considerations purement
geographiques :
I. Atlantique. Depuis le fleuve Senegal
jusqu'au fleuve Benin.
II. Niger. Le bassin du fleuve Niger et
la region meridionale jusqu'aux confins
des territoires negre et bantu.
III. Central. La region situee autour du
lac Tchad.
IV. Nil. Le bassin superieur du Nil.
Le sous-groupe atlantique se subdivise
en deux sections :
;o —
Efe
r. Septenlrionale. Du fleuve Senegal
au cap Mount.
2. Meridionale. Du Cap Mount au fleuve
Benin.
La premiere section comprend les colo-
nies francaise et anglaise de Senegam-
bie et de Sierra-Leone, l'etat indepen-
dant de Liberia ; on y parle les langues
mande, serekhule, bambara, vei, sou-
sou, mende, ouolof, feloup, boullom et
temne. Quelques-uns de ces langages
sont les idiomes de grandes nations inde-
pendantes musulmanes ou idolatres, dont
on rencontre desm:mbres sur les marches
europeens , tandis que des millions d'au-
tres nous sont inaccessibles, et malgre les
efforts continuels des Francais et des An-
glais pour ouvrir une route depuis la cote
jusqu'au haut Niger, cette entreprise n'a
pas encore pu s'accomplir.
Dans la seconde section se trouvent les
fameuses cotes de Grain, d'lvoire, d'Or et
des Esclaves, avec la colonie anglaise de
Cape-Coast et de Lagos, les royaumes
des Achantis et de Dahomey, et les repu-
,
ri-
bliques independantes du pays d'Yariba.
La se parlent les langues krou, grebo,
basa, eoue, ashanti, akra et yariba.
II y a aussi deux sections dans le se-
cond sous-groupe :
i . Le bassin du Niger.
2. La region meridionale jusqu'a la
frontiere du groupe.
Dans le sous-groupe atlantique notre
science etait restreinte aux districts cotiers;
dans celui-ci nous penetrans dans l'inte-
rieur, mais nos renseignements sont fort
incomplets. Commercants et mission-
naires ont etendu leurs operations au dela
du delta du Niger uni, mais il n'y existe
pas d'etablissements europeens. On y
parlel'idzo, l'ibo, Tigara, l'igbira, lenupc,
1'efik. Au-dessus du point de jonction
des cours d'eau il existerait, a ce qu'on
nous assure, d'autres langages.
Dans le sous-groupe central nous ren-
controns de puissants royaumes et une
certaine civilisation ; mais c'est en vain
que le commerce cherche a penetrer
j usque-la par Tripoli au nord en traver-
— 72 —
sant le Sahara, ou par lc Niger au sud.
Nul pied europeen, sauf celui du hardi
cxplorateur qui a fait le sacrifice de sa
vie, n'a encore iouleces regions. Et pour-
tantnous n'avons pas enregistre moins de
cinquante-neuf langues appartenant a cette
vaste contree ; leurs vocabulaires out ete
recueillis de la bouche d'esclaves amenes
sur la cote occidentale ou en Egypte. Les
idiomes les plus connus sont le sourhai,
le hausa, le tibbou et le kanouri.
Le quatrietne sous-groupe s'etend sur
un terrain qui nous est plus familier, car,
nominalement du moins, il est tout en-
tier sous la domination du vice-roi d'E-
gypte et comprend les tribus qui habitent
le bassin du Nil Blanc. Ce sont de francs
sauvages, et ils paraissent devoir rester
dans cet etat, car les tentatives faites pour
annexer ces contrees a l'Egypte et mettre
un terme au trafic des esclaves semblent
avoir produit dans ce malheureux pays
des maux plus grands que ceux qu'il en-
durait auparavant. Pour le moment le
voile est tire sur ces regions et la science
'
— -73 —
linguistique n'a pas de progres a y faire.
V. — Nous arrivons a la famille bantu.
C'est une famille dans le sens le plus
strict du mot, et elle fait, par consequent,
un contraste frappant avec le groupe
sans liens et sans cohesion que nous ve-
nons d'etudier. Elle embrasse toute l'A-
frique au sud de l'equateur, a l'excep-
tion de F enclave du groupe hottentot-
bushman.
C'est reellement une srrande decouverte
que celle d'une famille linguistique unique
regnant dans toute l'Afrique sud-equato-
riale, sauf certaines bandes de terrains
occupees par le groupe hottentot-bush-
man. Le nom de Bantu est maintenant
admis. Quelque prodigieuse que soit l'ex-
tension de cette famille d'une cote a
l'autre, on trouve dans le genie, les pho-
netiques, et le vocabulaire de tous les
dialectes qui la composent, la preuve in-
discutable de leur filiation commune ; on
peut les traiter de la meme maniere que
les families arienne, dravidienne et se-
5
— 74 -
mitique. Dans chaque branche on retrouve
quelques traits caracteristiques de la mere
commune. On peut donner le premier
rang au langage des Xosa, communement
appele kafir. II ne faut cependant pas
oublier que les stratifications linguistiques
et ethniques ne sont pas toujours identi-
ques. Certaines tribus de la basse Guinee
parlent un dialecte bantu bien qu'elles
appartiennent ethnologiquement a un type
negre pur.
L'aire linguistique de cette famille est
plus considerable que celle de n'importe
quelle autre, mais il serait imprudent
d etablir, meme approximativement, un
chitfre de population. Chaque annee de
nouvelles tribus nous sont revelees. Par
les caraeteres remarquables qui lui sont
propres, cette famille se separe entierement
de tous les autres types linguistiques. Elle
a ete parfaitementetudiee, en detail, dans
ses dialectes principaux, par des savants
competents,et, en tant que famille, par de
grands maitres en linguistique comparee,
tels que Bleek et Frederic Muller. Elle
m
— 75 —
precede par agglutination, mais elle eon-
nait aussi 1'alliteration et se soumet a des
lois euphoniques. Sue ses frontieres elle a
subi l'influence des etrangers ses voisins-
car nous trouvons dans quelques dialectes
des claquements inarticules empruntes aux
Bushmans. Nous avons cependant peu de
donnees absolument certaines, et il faut
laisser a la generation prochaine la tache
de determiner cette famille remarquable.
Frederic Miiller signale hardiment chez
elle des influences semitiques et hamiti-
ques qui doivent remonter a l'enfance du
langage.
Bleek qui, en plus de sa science pro-
fonde du langage en general, possedait des
connaissances speciales sur cette famille,
a formule son opinion sur ses traits carac-
teristiques. Les mots sont polysyllabiques
et les syllabes ouvertes, les diphtongues
sont rares ; il y a eu primitivement seize
prefixes derivatifs, mais deux seulement
ont un rapport evident avec les distinc-
tions observees dans la nature; ils sont
restreints a des substantifs se rapportant
'■«4&
9
m
K
- 7 6 -
a des etres raisonnables, l'un au singu-
lier et l'autre au pluriel. La forme de ce
dernier est ba. II y a peu d'adjectifs et la
plupart du temps on les remplace par une
construction particuliere. Le genitif est
indiquepar une particule prefixe genitive.
Les cassontindiques par des prepositions.
On forme differentes sortes de verbes par
la variation de la terminaison et des modes ;
le temps parfait est caracterise de la meme
maniere. La forme la plus simple du
verbe est le singulier de l'imperatif.
Bleek a egalement accorde une grande
attention aux lois euphoniques qui diffe-
rencient un dialecte, ou une branche lin-
guistique de cette famille des autres. II
a demontre que ces langages sont plus
eloignes les uns des autres que ceux des
families teutonique et neo-latine. La plus
grande partie des mots de chaque dialecte,
quoique identiques a l'origine, sont de-
venus absolument dissemblables grace a
Taction des lois euphoniques qui chan-
gentleur forme. Ces formes grammaticales
aussi sont tres differentes, au point meme
11 —
que les Ama-Xosa et les Be-Chouana,
bien qu'appartenant a la meme branche
de cette famille, ne peuvent plus se com-
prendre. Bleek a pris la peine d'expliquer
cette nouvelle forme de ce qu'il appelle la
grande loi « Grimm » de la transmutation
du son dans le bantu. II y a trois claque-
ments dans le langage de la sous-branche
du pays kafir.
II est bon, jecrois, de dire un mot de
plus sur cette concordance euphonique ou
alliterale qui constitue un caractere si
frappant. L'element initial du substantif,
une lettre, ou des lettres, ou une syllabe
se presente comme element initial de l'ad-
jectif; le pronom prend une forme corres-
pondante a l'initiale du substantif qu'il
remplace ; au genitif, la partie importante
de l'initiale du substantif-sujet se detache
pour aider a former le lien de connexion
avec le nom ou le pronom ; exemple :
li zimmi zami zi ya li zua lizai lami
brebis (de) moi elles entendent voix (de) moi.
II faut aussi rapporter l'opinion de Li-
vingstone, lc grand voyageur, le grand
missionnaire, le grand linguiste, dans le
sens le plus eleve du mot, qui foula du
pied comme un colosse ce monde etroit,
et qui avait un coeur plus grand que le
continent qu'il a revele a. ses contempo-
rains etonnes. II ecrivait a propos de la
langue chouana qu'il connaissait a fond,
et qui n'est qu'une sceur de tous les idio-
mes de cettc famille, quelle est si riche,
que chaque semaine de vieux savants de-
couvrent de nouveaux mots; qu'elle est si
expressive que le Pentateuque a pu etre
traduit avee moins de mots que dans la
version des Septante,si concise ccpendant;
que sa simplicite de construction est telle
que sa richesse d' expression ne peut pas
faire conclure qu'elle appartient a une
tribu dechue en civilisation comme quel-
ques-uns des aborigines du sud de l'Eu-
rope. Un interprete disait au gouverneur
du Cap que la langue souto ne pouvait
pas rendre la substance de la lettre d'un
certain chef, tandis que tous ceux qui con-
naissaient ce chef, Mohesh, savaient par-
— 79 _
fakement que, sans effort, il await pu
ecrire sa lettre dans son idiome de trois ou
quatremanieres differentes, ce qui etait plus
quel'interprete n'aurait pu faire en anglais.
L'Americain J. L. Wilson dit que les
savants de la prochaine generation ver-
ront se reveler les beautes de langues
aussi savantes de construction et aussi
musicales de tonalite que n'importe lequel
des vieux langages morts qui font les
delices des savants. La structure generale
est caracterisee par tant de regularite,
d'exactitude et de precision, tant d'ordre
et d'arrangement philosophique qu'il fau-
drait un long temps et des changements
importants dans la conduite exterieure du
peuple pour effectuer quelque modifica-
tion materielle dans les traits caracteris-
tiques dominants de ce langage. Le voca-
bulaire peut s'etendre presque a l'infini.
Non seulement il est expansible, mais il
a aussi une merveilleuse facilite pour ex-
primer de nouvelles idees. Les mission-
naires ont ete surpris de voir combien il
leur etait aise d'exprimer les idees reli-
■
— 8o —
gieuses ; ils n'ont pas eu besoin d'em-
prunter des mots Strangers pour traduire
le Nouveau Testament etune partie de
l'Ancien.
De vastes parties du territoire qui com-
pose l'aire linguistique de la famille bantu
n'ont ete qu'imparfaitement explorees,
ou meme sont completement inexplorees,
aussiai-je adopte provisoirement une clas-
sification en trois branches : meridionale,
orientale et occidentale. Chacune de ces
branches se subdivise en sous-branches,
suffisantes pour le besoin du moment,
mais qui devront, au moins pour les
branches orientale et occidentale, s'eten-
dre indefiniment par la suite du temps
pour permettre une classification conve-
nable des multitudes de dialectes qu'on
aura a etudier. Cette classification est
basee uniqucment sur des donnees geo-
graphiques.
Chaque voyageur qui traverse le con-
tinent africain de la cote orientale a la
cote occidentale, ct vice versa, qui par-
court le royaume de Muata Yanvo a Kabebe
— 81 —
ou de Kazembe a Lunda, ou bien qui
visite Kassongo, se trouve au milieu de
populations fourmillantes qui se chiffrent
par milliers. Chaque annee nous decou-
vrons de nouvelles tribus, de nouvelles
langues ou de nouveaux dialectes. En ce
qui concerne cette famille nous avons la
bonne fortune de posseder des ouvrages
grammaticaux en deux des idiomes de la cote
occidentale, le bounda et le kongo, com-
poses au seizieme siecle par des mission-
naires catholiques romains, qui nous four-
nissent un etalon sur, grace auquel nous
pouvons apprecier l'influence du temps
sur ces vocalismes purement oraux, et par
consequent, essentiellement fugaces. Les
voyageurs qui ont traverse l'Afrique de
Zanzibar a la cote occidentale, au sud de
l'Equateur, rapportent que les individus
qui parlent le souahili peuvent se faire
comprendre de tous les naturels de TAfri-
que occidentale.
La branche meridionale se divise en
trois sous-branches : i , pays kafir ; 2, pays
chouana; 3, pays damara. Les mahometans
5-
Hjl,
qui ont envahi la cote orientale donne-
rent le nom de Kafir a toutes les tribus
idolatres de l'interieur, et cette deno-
mination s'emploie souvent inconside-
rement dans les livres de linguistique ;
maintenant on ne peut l'appliquer stric-
tement qu'a une seule tribu de cette sous-
branche, celle des Ama-Xosa, devenue
celebre par ses guerres incessantes avec les
Anglais et les Hollandais. Us sont proches
parents des Ama-Zoulou, et des tribus
moins bien connues des Ama-Pouda,
Ama-Fingau, Ama-Souazi, Ma-Tabele,
des Ma-Kalak, la tribu dominatrice dans
le royaume d'Umzilas et des bandec
eparses des Ma-Viti, ou Wa-Tuta, connus
sous beaucoup d'autres noms au nord du
Zambese. Les deux grands idiomes de
cette sous-branche sont parfaitement
connus et sont devenus, sous l'influence
des societes de missionnaires, l'instrument
d'une litterature considerable traitant de
grammaire, de religion et d'education.
La sous-branche du pays chouana com-
prend les dialectes de la plus grande par-
- 8 3 -
tie de la population qui occupe I'interieur
de l'Afrique au sud du tropique du Capri-
corne, population melangee de Bushman et
detribusde sangmele. Elles sont separees
de la sous-branche kafir par la chaine du
Drakenbourg ; au sud elles s'etendent jus-
qu'au fleuve Orange ; a 1'ouest jusqu'au
desert de Kalahari et au nord jusqu'au
lac Ngami. Leurs principaux langages
sont le chouana et le souto. Les mots
de cette sous-branche ont un son dur et
leur prononciation presente un contraste
frappant avec la melodie du zoulou ; elle
a pourtant plus d'analogie avec cet
idiome qu'avec le xosa. Nous avons
dans ces dialectes un grand nombre de
livres de linguistique et d'education que
nous devons aux missionnaires.
La troisieme sous-branche est celle du
pays damara, dont le territoire s'etend
entre le desert de Kalahari et l'Atlantique,
limite au sud par la grande contree de
Nama-Qua et au nord par le Kunene.
Ce groupe possede trois langues : le
herero, le ndonga, qui se parle dans le
- 8 4 -
pays d'Ova-Mpo, et le yeiye, parle sur les
bords du lac Ngami.
Ce sont les explorations des Anglais et
des Americains, pendant ces dernieres
vingt annees, qui ont revele 1' existence
de la branche orientale de la famille
bantu. Jusqu'a present on n'a ecritaucun
livre qui rende compte des phenomenes
decouverts ; dans le cours du prochain
quart de siecle il y aura a faire une riche
moisson de materiaux accumules. On peut
determiner avec certitude les rrontieres
de son territoire, mais son sol est encore
vierge. J'ai pris sur moi de la diviser en
trois sous-branches basees sur les carac-
teres geographiques :
I. — Bassin du Zambese ;
II. — La region qui s'£tend entre la cote
de l'ocean Indien et le plateau central,
depuis les confins septentrionaux de la
branche jusqu'aux frontieres de la prece-
dente sous-branche.
III. — La region du plateau s'etendant a
l'ouest jusqu'au 25° degre de longitude
orientale au sud de l'equateur.
'
La premiere sous-branche renferme un
nombre to uj ours croissant de langues
parlees par les tribus qui entrent en rela-
tion avec les missionnaires depuis peu eta-
blis sur les bords de la riviere et du lac
Nyassa ; cette sous-branche s'etend dans
l'Afrique centrale jusqu'aux chutes de
Victoria. Etant donnee 1' extreme insuffi-
sance des materiaux on peut considerer
ce groupement comme absolument pro-
visoire et comme n' etant qu'unemethode
commode pour reunir les noms de lan-
gues que Ton sait exister sur un certain
territoire. Ce n'est que par l'etude cons-
tante des recits des voyageurs et des
missionnaires qu'on peut obtenir des ren-
seignements ; mais la situation scienti-
fique des correspondants donne a leurs
ecrits une valeur bien superieure a celle
des notes superrlcielles du voyageur ordi-
naire.
L'occupation depuis plus de deuxsiecles,
du bassin du Zambese par les Portugais,
n'a fait avancer en rien la science linguisti-
que : mais en ce moment les missionnaires
— 86 —
composent de petits ouvragcs precieux sur
les langues yao, koua et ng'anga.
La seconde sous-branche s'ctend le
long du littoral de l'ocean Indien depuis
l'ile d'Ibo, a la frontiere du territoire de
Mozambique, jusqu'aux confins des Galla
ct des Kouafi, points oil la famille bantu
entre en contact avec les tribus des grou-
pes hamitiques et nouba-foulah que nous
avons deja decrits. Elle comprend toute
la cote basse et la chaine de montagnes
qui court parallelement a la cote, depuis
les confins de la sous-branche zambesi
jusqu'au pays des Masai du groupe nouba-
foulah. L'idiome principal de cette sous-
branche est le souahili ; ce langage coder,
comme son nom l'indique, est profonde-
ment modifie par 1'arabe usite par les Ma-
hometans et par l'influence de la civili-
sation arabe ; mais il est inintelligible pour
les habitants de l'interieur. Ces langues
barbares se devcloppent peu a peu par les
efforts des missionnaires. On a deja beau-
coup fait pour le souahili ; quant aux
- 8 7 -
autres idiomes nous n'en possedons guere
plus que des vocabulaires succinets, ou
de courtes notes ; mais tout ce que nous
avons deja nous fait esperer pour l'ave-
nir. On peut se faire une idee de la rapi-
dite avec laquelle progresse la science par
ce fait que Frederic Miiller ne donne que
trois langues a cette sous-branche qui
s'etend maintenant si rapidement grace a
l'activite et a l'energie des explorateurs.
C'est plaisir de lire dans les comptes ren-
dus que tel ou tel s'occupe des langages,
a en main des grammaires, ou des voca-
bulaires, ou une traduction de l'evangile ;
et il en est ainsi sur toute la ligne. Les
fonds sont entierement fournis par des
societes religieuses qui contribuent de
cette facon indirectement aux progres de
la science.
Plusieurs iles, telles que l'archipel des
Comores, sont comprises dans cette sous-
branche ; mais Madagascar en est exclue
comme appartenant a un groupe linguis-
tique different. Si on rencontre dans cette
ile des esclaves ou des colons africains
on doit les considerer comme etrangers.
II est a remarquer que nos grands explo-
rateurs ont generalement accompli leur
tache avec l'aide du souahili, et il semble
qu'on puisse toujours utiliser les inter-
pretes qui parlent cette langue franque.
Nous lui predisons un role considerable
dans la civilisation de r'Afrique orientate ;
mais il y a encorevingt-trois autres langues
dans cette sous-branche dont les noms
sont connus, tels que le shambala, le
boundei, le zaramo et le gindo.
La connaissance de la troisieme sous-
branche est un des resultats du fameux
voyage de Stanley a travers le continent
noir et des deux grandes missions reli-
gieuses fondees pour repondre a son appel.
Si en dix annees on a deja tant fait, quel
resultat n'aura-t-on pas obtenu dans un
quart de siecle ? On a signale et verifie
l'existence de beaucoup de langues dans
les environs du Victoria Nyanza. Une
partie des Ecritures saintes ont ete tra-
duites dans la langue qui se parle a la
- 8 9 -
co ur du roi d'U-Ganda ; et nous posse-
dons une notice grammaticale de l'idiome
Nya-Ouezi. Cette sous-branche est bornee
au nord par la ligne de contact des groupes
negre, hamitique et nouba-foulah. A Test
elle touche la sous-branche zanzibarienne
et au sud celle du Zambese. A 1' ex-
treme Occident il faut tirer une ligne
imaginaire partant du sud de Nyangoui
sur le Lualaba (que Stanley a prouve etre
le Congo) et allant atteindre le Zambese.
Au dela de ce point les langues signalees
doivent rentrer dans la branche occiden-
tale de la famille bantu, jusqu'au moment
ou nous aurons mini assez de materiaux
pour etablir un nouveau groupe ou une
nouvelle famille, ce qui arrivera peut-etre
pour la partie de l'Afrique centrale situee
au sud de l'Equateur et au nord du Zam-
bese, partie qui pour l'instant est entie-
rement inconnue. Nous avons quelques
renseignements sur la region du lac Tan-
ganyika que nous devons aux mission-
naires anglais et a la mission catholique
francaise etablis sur deux points diile-
- 90 —
rents du lac Tanganyika. Jusqu'a present
nous ne possedons aucune donnee d'un
caractere linguistique serieux, mais nous
sommes en etat de citer les noms et la
situation des tribus qui parlent des langues
distinctes, ou peut etre des dialectes de
langues, et nous nous en remettons au
temps pour achever de les determiner.
II est impossible de fixer une limite a
cette sous-branche qui renferme toutes
les tribus inconnues qui habitent le bassin
des hautes eaux du Congo et des lacs
mysterieuxde iMoero etde Bangouelo. Le
commerce aura bientot fait de se d£ve-
lopper sur la route tracee par les mission-
naires et les explorateurs. Les noms que
nous apprenons par pratique nous appa-
raissent comme ceux de quelque conte
de fees; ils viendront se placer dans les
localites qui leur sont attribues; l'immense
cadre de l'Afrique orientale au-dessous du
tropique meridional se remplira peu a
peu et, dans peu d'annees, les explorateurs
partis de l'ouest pourront serrer la main a
Nyangoui a ceux qui seront partis de Test.
— 9 r —
Nous avons des raisons pour croire qu'une
meme famille de langues se parle dans
tout le bassin du Congo, mais au nord de
Nyangoui une terre inconnue s'etend de-
puis le bord occidental de l'Albert-Nyanza
jusqu'au bassin du Ouelle. Le temps
nous revelera les secrets geographiques
et linguistiques de cette region, nous pour-
rons determiner le point ou les races
negre et bantu se trouvent en contact, se
heurtent, et peut-etre agissent mutuelle-
ment sur leurs langues respectives.
La branche occidentale de la famille
bantu comprend la moitie occidentale
de l'Afrique sud-tropicale depuis le Kunene
au sud jusqu'aux montagnes Kameroun
au nord. Une frontiere incertaine de ter-
ritoires inconnus la separe du domaine
de la race negre. A Test se trouve l'im-
mense etendue inexploree de l'Afrique
centrale et, sur les deux rives du Congo,
on rencontre des tribus sauvages canni-
bales et belliqueuses.
II y a deux sous-branches :
I ~.-dc£J
— 92 —
I. — La colonie portugaise d'Angol-i
et ses dependances.
II. — Le bassin du bas Congo, del'O-
gooue-Gabon et la contree qui s'etend au
nord de l'Equateur jusqu'aux monts Ka-
meroun. Toute cette branche nous offre
un champ de recherches qui promet d'etre
fertile, car il y a beaucoup de vie le long
de la cote, grace aux Anglais, aux Fran-
cais, aux Allemands, aux Portugais, aux
Espagnols et aux Americains qui l'explo-
rent dans divers buts.
Dans la colonie portugaise d' Angola on
parle la langue bounda. Ici nous avons
la bonne fortune de posseder une gram-
maire imprimee a Lisbonne, en 1804, et
unegrammaire-manuel ainsi qu'un diction-
nairedu commencement dece siecle. Cette
langue s'etend sans doute sur une vaste
superficie territoriale; cependant, les der-
niers voyageurs signalent l'existence d'un
autre idiome qui se parle a Bihe; au dela
dela frontiere portugaise, on cite d'autres
noms de langues; enfin les voyageurs alle-
mands Pogge et Buchner, qui ont pe-
— 93 -
netre jusqu'a Kabebe, capitale de Muata-
Yanvo ont rapporte de nouveaux noms
de dialectes et de nouveaux vocabulaires.
Le bassin du Congo promet denouvelles
decouvertes, car les missionnaires et les
explorateurs remontent le fleuve bien au
dela de Stanley-Pool. Lalangue du Congo
ou fiote, est connue par la grammaire de
Brusciottus,publieeaRomeen 1659. Peut-
etre, dans quelques mois, aurons-nous
une ligne de vapeurs entre Stanley-Pool
et Nyangoui et toute une serie de nou-
veaux idiomes nous seront-ils reveles. En
tout cas, nous pouvons compter recevoir
sous peu des renseignements sur les Un-
gues qui se parlent jusqu'a l'Equateur et
des traductions des saintes Ecritures.
Au nord de cette region, si riche de
promesses vagues, mais ou la civilisation
moderne n'a encore produit aucun fruit,
nous entrons dans le bassin de l'Ogooue-
Gabon et nous y trouvons plusieurs lan-
gages bien definis, eclaircis par des ou-
vrages de grand merite qui nous revelent
de la facon la plus complete la nature
■
- 94 —
des idiomes paries par les Pongoui, les
Doualla, les Kele, les Bimbia, et les Ediya
de l'ile de Fernando-P6. Nous possedons
de ces idiomes des grammaires, des tra-
ductions des saintes Ecritures et nombre
de livres de moindre importance, resultats
des travaux des missionnaires pendant
une longue succession d'annees.
Nous avons constate l'existence dedeux-
cent-vingt-trois langues et dialectes de
cette famille, et ce n'est probablement que
le tiers a peine de ceux qui nous sont in-
connus, mais qui, peu a peu, surgiront a
la lumiere. Quelques-uns de ces noms
designent seulement des dialectes d'une
langue plus importante, qnelques autres
ne sont que des synonymes de langues
deja enregistrees, car ce piege est toujours
tendu sous les pas du linguiste. Un voya-
geurrapporte un vocabulairepare d'unnom
nouveau, mais apres une etude serieuse
on reconnait une vieille connaissance avec
de legeres variantes. Nous quittons cette
belle famille avec la conviction que c'est
la seule qui puisse rivaliser avec la grande-
- 95 —
famille aryenne par sa beaute, par sa
faculte de composer des mots, et par son
immense expansion territoriale.
VI. — Le sixieme et dernier groupe
linguistique est accule a l'extremite sud
du continent africain; il ne doit d'avoir
echappe a une destruction complete qu'a
l'arrivee des Anglais et aux efforts des
missionnaires Chretiens. Si ce netait l'exi-
gui'te de sa population il devrait former
deux groupes, car les elements qui le com-
posent n'ont aucun rapport Fun avec
l'autre. Nous parlons du groupe hottentot-
bushman. L'existence de ces deux races
a une reelle importance, car elle permet
de determiner le type des plus anciens
habitants du continent, si meme ce ne
sont pas des aborigines; il est, en effet,
incontestable que nous nous trouvons ici
en presence de tribus dispersees et deci-
mees par la puissante invasion de la grande
famille bantu descendant du nord. De
quelque facon qu'on epclle le mot Hot-
tentot,ouquelqueorigine qu'onlui assigne,
ce n'est pas le veritable nom de cette tribu
- 9 6 -
qui se donne celui de Khoikhoi « hommes
des hommes » et que ses voisins desi-
gnent sous le nom de Laoui. lis sont au
nombre de 350,000 et passent pour avoir
quatre dialectes : i° le nama, parle dans
le pays de Nama-qua au nord; 2°lekora,
sur les bords du fleuve Orange; 3 un
autre dialecte que parle la fraction orien-
tale de la tribu; 4 un dialecte tres cor-
rompu qui se rencontre dans lesenvironsde
la villeduCap. II faut encore y ajouter les
Griqua, ou batards, issus de Hollandaiset
de Hottentots et qui parlent un langage
mixte. Les missionnaires ont ecrit de
nombreux ouvf ages sur et dans cette langue
et on peut la considerer comme suffisam-
ment bien connue ; il est probable que ses
jours sont comptes. Frederic Miiller afflrme
qu'elle est absolument isolee et n'a aucun
rapport avcc aucune autre forme linguis-
tique africaine ou etrangere. Ses racines
sont monosyllabiques bien qu'elle soitmor-
phologiquementagglutinative; elle possede
des genres et des nombres formes par des
suffixes; le pronom est 1' element vivifica-
— 97 —
teur, et, joint a des substantifs ou a des
verbes il en modifie le sens. La litterature
orale se compose de chants et de contes
relatifs aux animaux qui ont ete recueillis
par les savants qui se sont interesses a cette
etude. Le caractere capital de cette langue
est l'existence de quatre sons inarticules
ou « claquements » produits par une posi-
tion particuliere donnee a la langue. Le
claquement dental est presque identique
au son d'indignation que proferent assez
frequemment les Europeens ; le claque-
ment lateral est exactement celui par le-
quel on stimule les chevaux; le claquement
guttural ressemble assez a. la detonation
d'un bouchon de champagne, et le claque-
ment palatal peut se comparer au bruit
d'un fouet.
Les opinions sont tres variees en ce
qui concerne l'origine ethnique du Hot-
tentot. Hovelacque affirme que c'est une
race croisee et que, lors meme que son
langage n'a pas de similaire, il ne peut
pretendre a une originalite de race. Dans
Fetat actuel de la science, de semblables
6
_ 98 -
assertions demandent a etre appuyees de
preuves positives. Nous ne pouvons dis-
cuter que sur des faits acquis et en leur
absence il est oiseux de se lancer dans
la theorie d'une race archai'que qui aurait
occupe tout le continent africain. Sans
doute les Hottentots et les Bushmans,
comme les Basques d'Europe, sont les
survivants d'une couche ethnique et lin-
guistique qui a disparu sur d'autres points,
sans laisser de traces par suite de l'absence
de monuments ecrits. Bleek et Lepsius
font rentrer le Hottentot dans le groupe
hamitique.
Un missionnaire, que le gouvernement
avait invite a lui procurer des livres a
imprimer dans le dialecte kora, disait
avoir reconnu par experience qu'il etait
facile d'apprendre a lire le hollandais aux
jeunes gens, mais que les vieux ne pou-
vaient rien apprendre du tout. Ilyaquel-
que temps on dut interrompre la publi-
cation des saintes Ecritures en langue
nama, parce que toute la tribu s'etait
mise a parler le hollandais.
— 99 —
Le bushman est un langage a part, tres
inferieur en tant que developpement lin-
guistique. Ce nom a etedonne a ces peu-
plades par les Hollandais, parce qu'elles
vivent dans les fourres; elles se donnent
celui de Saan et sont entierement distinc-
tes des Hottentots et des Bantu qui les
repoussent avec horreur. Autant qu'on
peut en juger, leur langue appartient au
systeme monosyllabique ; elle n'a pas de
genres; la formation du pluriel est des
plus defectueuses, et des soixante manieres
de le former le redoublement du substan-
tif est la plus frequente, comme etant la
la plus naturelle; l'emploi du pluriel parait
etre aussi anormal que sa formation. Sur
quelques points il y a des analogies entre
le bushman et le hottentot. Bleek a em-
die ce sujet pendant des annees; il
avait des inclividus de cette tribu a son
service et put reunir, avant sa mort
prematuree, les materiaux d'une gram-
maire, d'un dictionnaire et d'un recueil
de Folk-lore.
II ne faut pas oublier que les Bushmans
H I ^H
■P
— 100 —
constituent une race abatardie et meprise,
dans un etat infime de civilisation; ils ne
sont ni pasteurs, ni agriculteurs, mais
nomades et vivent exclusivement de leur
chasse; ils semblentne reconnaitre ni unite
de tribu, ni aucun chef. Avant la domi-
nation anglaise ils n'etaient guere mieux
traites que des betes fauves. On croit que
les claquements de langue leur appartien-
nent en propre et qu'ils les ont commu-
niques, en proportion toujours decrois-
sante, aux Hottentots et a la sous-branche
du pays kafir de la famille bantu; car,
outre les quatre claquements deja. signales
comme un trait du langage hottentot, le
Bushman en possede un cinquieme, un
sixieme, et quelquefois meme un septieme
et un huitieme; il les emploie non seule-
ment devant les voyelles et les gutturales,
mais meme devant les labiales. II est
presque impossible aux Europeens de
rendre ces sons, qui semblent etre une
transition entre les sons articules et inar-
ticules.
II nous reste encore a signaler un fait
101 —
remarquable. On n'a trouve aucune trace
de l'invention de l'ecriture dans l'Afrique
sud-equatoriale, mais les Bushman ont
acquis une merveilleuse habilete a peindre
des scenes sur les rochers et dans les ca-
vern es. Des animaux, des figures humai-
nes, des danses, des chasses, des combats
sont fidelement represents, et on a la
preuve que cet art s'est conserve jusqu'a
nos jours par la presence des Boers dans
quelques combats. II semble aussi que
l'art de la sculpture leur etait connu, et
l'esquisse de certaines figures est parfaite.
On doit faire entrer dans le groupe
hottentot-bushman deux sous-groupes
interessants dont nous ne savons rien, ou
presque rien, sinon qu'ils existent; i° les
races Helot ; 2° les Pygmees. Tous les
voyageurs signalent l'existence du pre-
mier sous-groupe, une race d'Helots pos-
sedant une civilisation des plus rudimen-
taires, chasseurs experimentes, n'ayantni
habitations ni vetements, vivant dans les
jungles et les forets, se servant de l'arc
et de la fleche et absolument distincts, si-
6.
102
non toujours linguistiquement, du moins
ethnologiquement, des races dominantes
et superieures. Quand l'Afrique sera bien
connue, que les noms, les traits caracte-
ristiques et le langage de toutes ses races
eparses seront rapproches et soumis a la
comparaison, alors seulement il sera pos-
sible de les classer. lis sont souvent de
coloration jaune, et compares au noir du
nfegre ou au brun du bantu, onles a souvent
qualifies blancs. Le second sous-groupe
est un exemple merveilleux de la persis-
tance d'un phenomeme ethnique , car
Homere mentionne l'existence des Pyg-
mies et, dans ces derniers siecles, on les
a reconnus sans doute possible dans les
Akka, les Doko et les Obongo. Des Euro-
peens ont possede des Akka; un d'eux
est meme venu en Europe, et leur langue
a ete determinee. II est encore trop tot
pour etablir aucune theorie: nous ne
pouvons que recueillir les faits et attendre
que les parties inexplorees du centre de
l'Afrique nous soient revelees. Si, d'un
cote, nous avons la certitude qu'on n'a de-
— 10} —
couvert aucune montruosite, m aucune va-
riante anormaledela forme humaine, d'un
autre cote nousdevons admettre 1' existence
detoutes sortes de varietes de stature, de
couleur etde proportions, etcomme preuve
irrefutable de la grande difference qui
existe entre l'homme et la brute, nous
trouvons des variations infinies de sons,
de mots et de phrases pour exprimer la
pensee, les desirs et les craintes, d'innom-
brables et fantastiques modes de coiffures
et d'ornements de corps, et des mceurs
differant dans leurs details, mais toutes
identiques par leur abominable et impi-
toyable cruaute.
Au-dessus et au-dessous des noms re-
cueillis par les voyageurs ou par les col-
lectionneurs de mots, il y a une grande
multitude (que nul ne peut chiffrer jusqu'i
present) de peuples et de langues qu'il
faut laisser a decouvrir et a enregistrer aux
generations futures. Jusqu'a ce moment
personne ne peut avoir la presomption de
pretendre que son releve des langues est
complet. II y a encore cette autre compli-
— 104 —
cation que les auteurs constatent conti-
nuellement, que telle ou telle langue s'e-
teint, et comme ce fait se produit depuis
des siecles sans laisser aucune trace sur le
sable des temps, on peut se rendre compte
combien nous sommes loin de la solution
du probleme de 1'origine du langage hu-
main. Moffat emet l'opinion que de nou-
velles langues sont en voie de formation.
Lepsius, lui aussi, a remarque les modifi-
cations incessantes du vocabulaire, lors
meme que la structure du langage ou de
la famille demeure la meme. Dans le
monde entier nous sommes temoins des
modifications que subissent chaque jour
les phonetiques d'une langue.
Les missionnaires chretiens ont ete les
grands propagateurs de la science linguis-
tique a travers 1' Asie, i'Afrique, l'Amerique
et l'Australie. Leurs travaux linguistiques
avaient un but plus eleve que l'avancement
de la science, mais ils ont cree un repertoire
de langues et de dialectes, sous forme de
traductions des saintes Ecritures, tel que le
monde n'en avait jamais vu encore et qui
— io 5 —
fait l' admiration des nations. Ceci s'applique
sp6cialement a l'Afrique. Quel autre motif
que la propagande religieuse pourrait pous-
ser des hommes de science et de talent a
affronter la maladie et la mort pour don-
ner une forme scripturale au langage de
purs sauvages ? Pour beaucoup de langues
les Saintes Ecritures sont le seul livre exis-
tant, et le linguiste serait depourvu de tout
sentiment de reconnaissance s'il ne remer-
ciait pas cordialement le missionnaire de
lui avoir ouvert des sources d'information
qu'il n'avait aucun espoir de decouvrir, et
de les avoir repandues partout bien au-
dessous duprix de la seule impression.
A la race anglo-saxonne d'Angleterre et
des Etats-Unis revient l'honneur d'avoir
tenu la tete de cette nouvelle decouverte
de l'Afrique. Le fait est indiscutable. Les
Portugais avaient laisse tomber l'eche-
veau, les Anglo-Saxons l'ont ramasse. lis
n'ont pas la douceur et la legerete du
grand peuple francais, ni la solidite et la
profondeur de science de Tallemand, mais
ils sont pratiques, forts et resolus. Pour
— 106 —
eux un chameau est une bete de somme
destinee a porter des ballots de cotonnades
et de Bibles: une tribu est une agglome-
J DO
ration d'hommes et de femmes a habiller
avec ces cotonnades et a convertir avec ces
Bibles; ils apprennent les langues et ecri-
vent des livres dans un but pratique, sans
songer a faire duroman ou de la science.
11 est heureux qu'un savant allemand se
trouve toujours pret pour des travaux tels
quecomposer des grammaires, traduire des
Bibles, et diriger des missions subsistant
par leurs propres forces, car 1' Anglo-Saxon
n'a pas le temps de s'occuper de ces choses-
la. L'Afrique doit beaucoup aux grands
savants europeens qui ont etudie les ceu-
vres veridiques, quoique incompletes, des
ouvriers dans les missions d' Afrique et fonde
la comparaison des langues aux langues
et des groupes aux groupes. C'est ainsi
que graduellement un peu d'ordre s'est
introduit dans ces travaux, et les savants
de Favenir travailleront avec quelque cer-
titude, ajoutant brique sur brique a la
grande fabrique dont le plan a ete trace
— io7 —
par les grands architectes en linguistique.
Si l'Afrique n'a pas d'oeuvres d'art ou de
science a montrer comme produits des
longs siecles de silence qui se sont ecoules
depuis le temps d'Herodote, 1' existence du
groupe negre avec ses langages a part et
absolument distincts, cote a cote avec la
grande famille bantu avec ses multitudes
d'idiomes apparentes, ses vocabulaires dil-
ferents, ses variations phonetiques grou-
pes autour de la colonne meme et du sque-
lette de 1'organisation bantu, est un mer-
veilleux monument de l'esprit humain
agissant spontanement et inconsciemment.
II y a vingt ans on se revolta contre la
tyrannie des sanscritistes et des semiti-
santsqui voulaient tailler toutes les langues
a la longueur et a la largeur de leur me-
thodc, sans tenir compte de la variete in-
finie des families et des groupes, alors
vaguement entrevus, des langages agglu-
tinatifs de l'Asie. Cependant le grand pro-
bleme de l'origine du langage ne peut se
resoudre, et la solution n'est pas proche,
tant que les secrets des langues de l'A-
— 108 —
frique, de lAustralie et de l'Amerique ne
nous seront pas reveles et disposes dans
un ordre tel que ce que nous aurons ap-
pris par l'etude de chacune d'elles puisse
etre compare aux phenomenes linguis-
tiques du monde entier. Cette ceuvre ne
se completera pas dans le cours de la ge-
neration presente. Je ne vivrai pas assez
longtemps pour voir reveler ces secrets.
L'Afrique est devenue la joie et l'amuse-
ment de ma vieillesse, comme l'Asie et
l'lnde avaient ete le plaisir et l'interet de
ma maturite. En septembre 1881, au
cinquiemeCongres international des orien-
talistes a Berlin, j'ai lu un memoire en
allemand sur : «Notre connaissanceactuelle
des langages de l'Afrique. » Le meme
mois, a Venise, au troisieme Congres in-
ternational de geographie, j'ai presente,
comme compendium de toute la science
moderne, une carte linguistique et ethno-
logiquede l'Afrique, preparee specialemenr
pour moi par le cartographe Ravenstein.
J'ai ainsi appele l'attention sur le sujet
auquel je me suis consacre, et il m'a ete
Wi
m
— 109 —
plus facile de mener a bien la tache de
publier, en 1883, sur les langues de l'A-
frique un volume etablissant, au moyen
de cartes linguistiques et de catalogues
bibliographiques expliques par une notice
historique, ou en est notre science, notre
demi-science et notre ignorance sur ce
grand sujet.
no
TABLEAU RESUME
DES LANGAGES ET DES DIALECTES
N"
I.
II.
III.
IV.
V.
VI.
FAMILLES
OU GROUPES
BRANCHE
OU SOUS-GROUPE
w IP
& a
m 3
s
* S3
P
y,
<
H
O
H
Semitique . . .
Hamitique. . .
Nouba-Foulah .
Hottentot-
Bushman . .
i. Septentrionale .
2. Ethiopique. . .
Total. . .
1. Egyptienne . .
2. Lybienne . . .
3. Ethiopique . .
Total. . .
1. Nouba
2. Foulah . . . .
Total. . .
1. Atlaotique. . .
2. Niger
3 . Centrale ....
4. Nil
Total. . .
1. Meridionale . .
3 . Occidentale . .
Total. . .
1. Khoikhoi . . .
2. Helot
3. Pygmee ....
Total. .
Total g£n£ral
2
8
8
1
10
9
10
2
9
. 18
9
2
10
19
4
24
28
■ 29
. 16
1
27
3
4
56
J 9
5
• 17
• 6 7
• 38
• 59
■ 3i
7
24
13
11
1
24
9i
5i
70
32
■ i95
10
'. 78
80
. 168
1
12
6
49
14
16
25
244
24
94
105
53
4
1
1
223
5
13
7
■ !9
6
25
• 438
i53
59i
Je ne savais rien quand j'ai commence
mon livre, et quoique les materiaux se
soient accumules au deli de toute attente,
quoique des amis obligeants se soient
reunis amour de moi, il me semble, en
deposant la plume, que maintenant je sais
moins que rien. Je sens par intuition,
parce que je connais mon sujet, que sou-
vent j'aiete inexact et plus souvent encore
incomplet. Les lecteurs qui sont particulie-
rement familiers avec quelque partie spe-
ciale de cet immense sujet, n'auront point
de peine a decouvrir des erreurs flagrantes
et ridicules, il leur sera facile de signaler
les sources d'information que j'ai negli-
gees et les arguments auxquels je n'ai pas
pris garde. Mais une connaissance com-
plete de quelque portion limitee d'un
— 112 —
aussi vaste champ n est-elle pas incom-
patible avec la necessite d'entreprendre
a un moment donne une aussi prodi-
gieuse tache ?
Je devais traiter l'ensemble de la
question. J'aurais pu remettre cette publi-
cation a quelques cinq annees et me
donner le plaisir d J employer encore un
lustre aux delices de recueillir des miettes
et d'eclaircir des doutes, mais le temps
est contre moi. Je voudrais pouvoir recom-
mencer et reprendre toutes mes lectures •
mais l'age auquel je suis parvenu me
donne un avertissement. Lane et Golds -
ticker ont laisse leurs ceuvres imparfaites
ou a peine commencees pour avoir voulu
etre trop parfaits.
Personne ne jugera plus severement
que moi mes lacunes et, a peine avais-je
corrige ma derniere feuille d'epreuves, que
j'ai entrepris de corriger et de completer
mon exemplaire interfolie. Je sens com-
bien je prete le flanc a la critique de ceux
qui savent beaucoup et aussi de ceux qui ne
savent rien. En tout cas il y a ici quelque
II'
chose a la place de rien. Mon livre peut
tee jete dans le gouffre, il feraune assise
sur laquelle on pourra elever un edifice
meilleur, et comme je n'ai pour but que
l'avancement de la science, je serai content
de jouer le role de la femme africaine
qu'on etend vivante, face contre terre.dans
la tombe fraichement creusee pour servir
de lieu de repos an cadavre de sonepoux.
Je n'ai point de theories favorites qui me
soient propres, et il me manque de savoir
assez pour m'en faire; mais j'ai des yeux
pour reconnaitre intuitivement l'oeuvre
d'un grand maitre quand je lis, pour de-
couvrir les fantaisies d'un charlatan et les
insanites de 1'homme qui joue, pour ainsi
dire, aux des avec des mots et des syllabes
dans le but d'en tirer des affinites obscures
ou impossibles. Je m'assieds aux pieds de
Lepsius,deF.Muller, deBleeck, de Krapft
et des autres grands hommes, et je m'ef-
force de suivre longo intervallo les traces
d'Adelung, Vater, Balbi, Prichard, Latham
et Julg, qui se sont donne la tache de
determiner l'etat actuel de notre science.
— 1 1 4 —
Si mon livre est mauvais et inutile, j'en
serai desole, car il m'a coute beaucoup
d'argent, ce qui m'importe peu , et une
grande partie des heures de travail qui me
restent, ce qui m'importe beaucoup. En
tout cas j'ai fait ce que j'ai pu et j'ai fait
naitre i'interet sur bien des questions qui
sommeillaient. Au milieu de rebuts de
toutes sortes, il doit toujours y avoir un
atome de quelque chose d'utile; que ce
livre soit cet atome et je serai content
car la balle est lancee. Peut-etre mes er-
reurs et mes omissions sont-elles par-
.donnables en consideration de l'ampleur
du sujet. II faudrait etre presomptueux
pour attaquer, sans avoir longtemps etudie,
tout l'ensemble d'un ouvrage, alors meme
qu'il soit si expose que de tout cote puisse
arriver une fleche pour l'ceil droit de Phi-
lippe.
Mes materiaux se composent de volu-
mineux extraits arranges methodiquement
suivant ma classification. Je ne puis m'em-
pecher de penser qu'un livre incontesta-
blement imparfait, mais compose d'apres
— us —
les lignes methodiques que j'ai suivies
puisse etre de quelque utilite dans notre
penurie actuelle d' informations, et aider
un compilateur plus habile a tirer quelque
chose de mieux des materiaux qu'on a
reunis.
J'ai retire un autre resultat encore de
mes longues lectures de la litterature
africaine.
La forme ordinaire des descriptions de
l'Africain en fait un etre cruel, mal-
propre, superstitieux, ego'iste, anthropo-
phage, voue au fetichisme, aux sacrifices
humains, au trafic des esclaves, et de
plus, ivrogne, polygame, contempteur
des liens domestiques , menteur et fn-
pon. Comme cette impression change
quand on etudie a fond ce sujet! Dernie-
rement un Japonais rentrant dans sa patrie
fit une description fort defavorable de
l'Angleterre et de son peuple ; mais il pa-
rait que dans sa courte visite dans ce
pays il n'etait jamais sorti du voisinage
immediat des docks de Londres, et qu'il
avait fait sa peinture d'apres ce quartier
— n6 —
nauseabond. L'opinionde l'homme Wane,
a quelque peuple qu'il appartienne, est de
peu de valeur, parce qu'il forme forcement
cette opinion sur ce qu'il a pu observer
pendant une courte visite, et qu'il s'est
trouve en contact avec les classes lesmoins
mteressantes de la population qui, sansau-
cun doute, 1'ont dupe, tandis qu'il essayait
de les prevenir.
Ewald fait la remarque que nous ne
saunons trop nous rappeler que la Philoso-
phic, dite du langage, reste dansl'imper-
fection la plus absolue tant qu'on n'a pas
une idee exacte de l'importance et de la
nature de toutes les langues. Au moment
ou je pose la plume apres tant d'annees
passees a etudier minutieusement la carte
a feuilleter des listes de noms et a prendre
des notes dans les livres, je suis frappe de
cette pensee : quelle immense etendue a
cette aire inconnue! quel nombre pro-
digieux de noms encore inconnus ! J'en-
tends une voix qui me crie du fond du
desert, une faible voix, semblable au son
aigu enteudu par un telephone : « Nous
— H7 —
sommes ici quoique nos voix ne soient
pas venues jusqu'a vous, et que nous
n'ayons pasentendula votre. Parmi beau-
coup d'autres merveilles, le xx e siecle reve-
lera le secret de notre existence, quoique
pour vous ce soit impossible. » C'est pour
moi la cause d'une etrange fascination. Je
ne pensais pas, lorsque je quittais l'lnde
apres un sejour d'un quart de siecle, que
je vivrais assez pour etendre le domaine
de ma curiosite,
— Ultra Garamantas et Indos,
mais le sujet grandissait et m'enlacait a
mesure qu'un nouveau kngage se devoi-
lait, quede nouveaux phenomenes sepre-
sentaient : la carte que j'etudiais constam-
ment avec un verre grossissant finit par
me devenir familiere et alors je com-
mence a comprendre la procession so-
lennelle des nations et des tribus. U y
avait encore un coin sombre dans le ta-
bleau. J'ai peine a dire a quel point je
fus harasse de ce grand travail qui pesait
7-
— 118 —
surmes epaules comme le vieillard de l'his-
toire de Sinbad le marin, et me tenait
eloigne d 'etudes plus faciles et plus elevees
qu'il me fallut repousser loin de moi jus-
qu'a ce que le Train de marchandises afri-
cain eut passe. II est bon d'avoir toujours
quelque ouvrage en train, mais trop d'A-
frique peut mener a 1'insomnie et a la
dyspepsie.
Un mot a l'adresso de ceux qui pensent
que c'est perdre son temps que de recueil-
lir les traits caracteristiques de langues des-
tinees a disparaitre devant le balai de la ci-
vilisation moderne. Nous ne pensons pas
qu'il soit indigne de notre civilisation de
reunir les debris de l'art grec ou egyptien,
parce qu'ils nous parlent de la puissance
intellectuelle des races qui nous ont pre-
cede. Mais combien est plus merveilleux
le mecanisme d'une langue que l'execu-
tion d'une statue ou d'un obelisque ? II a
etepoli par Taction silencieuse de gene-
rations inconscientes qui, chacune a son
tour, faconnerent le vocable primitif, et le
differenciant par des tons si le genie du
— ii9 —
peuple s'accommodait mieux d'un instru-
ment monosyllabique de la pensee, ou le
cimentant avec d'autres, chacune a sa fa-
con, le livrerent au frottement des siecles
futurs pour qu'il se perpetuat comme un
heritage indestructible dans la bouche de
millions d'etres qui n'etaient pas encore
nes. Lorsque je commencai a etudier le
Sanscrit, il y a de cela quarante-trois ans,
mon professeur m'apprit que les savants
allemands se partageaient en deux ecoles :
les disciples de Lassen qui se consacraient
k l'etude de la litterature dont le langage
estl'instrument, et les disciples de Bopp
qui ne s'occupaient que des mots qui sont
les elements des langues, et ce n'etait pas
sans quelques mepris qu'il parlait de ces
derniers. A cette epoque je les comparais
a un individu qui, au lieu d' admirer le des-
sin d'une mosai'que, aurait donne toute
son attention aux cailloux memes dont la
mosai'que elait composee. Et cependant,
ma raison devenue plus mure, j'ai compris
que Bopp etait dans le vrai. La litterature
estl'image de la civilisation et du g^nie
LL=
— 120 —
d'une generation; les mots temoignentdu
genie de la nation ou de la tribu pendant
une longue succession de generations. La
phrase que nous lisons dans le troisieme
verset du premier chapitre de la Genese :
« Que la lumiere soit », peut etre une ma-
gnifique conception intellectuelle de son
auteur; mais si nous songeons a la longue
progression par laquelle les deux mots he-
breux, et surtout le verbe, ont passe pour
pouvoir nous faire concevoir le sens de
cette phrase, notre pensee est entrainee
dans une ahtiquite insondable. Un jour
que je disais avoir enfin retrouve les traces
des vocabulaires de Barth si malheureuse-
ment perdus (tout ce que nous savons de
certaines langues de l'Afrique centrale),
un ami peu courtois s'ecria : a A quoi
cela servira-t-il ? Qui songera seulement a y
jeter les yeux? » Cet argument pouvait
etre decourageant, mais il n'etait pas phi-
losophique. A quoi servent les veilles
du conchiologiste et du botaniste ? J'ou-
vris un jour un enorme in-quarto recem-
ment publie ; c'etait un savant catalogue
,-
Hi
— 121 —
-de coquillages. Bien que j'aie aune haute
dose le don d'assimilation, je ne pus en
comprendre un seul mot, et il me passa
un frisson en pensant au sort reserve a mon
livre dans les mains indifferentes de celui
qui n'a soin ni de TAfrique ni de la phi-
lologie.
Pour quelques savants rompusa. l'etude,
le premier pas vers la generalisation con-
siste a prendre tous les vocabulaires, les
ramener a un meme systeme de transcrip-
tion, examiner chaque mot, le reduire a sa
forme la plus simple, ecarter tous les mots
d'emprunt, et publier sous un format re-
duit des Polyglotla soigneusement digeres.
Pour leur etre utile plus tard, j'ai saisi
toutes les occasions qui se sont presentees
de distribuer a toutes les compagnies de
missionnaires en Afrique un questionnaire
de mots et de phrases choisis, en les priant
de le remplir dans toutes les langues et
les dialectes usites dans leurs differents
domaines et en employant un seul sys-
teme de transcription.
Quand tous les hommes seront reunis
—4$
— 122 —
devant le trone divin, proclamant avec des
mots incomprehensibles aux uns et aux
autres les louanges du Sauveur, un seul
les comprendra tous. II n'y aura plus alors
qu'une seule langue, celle des anges. II ne
sera plus besoin de mots frappes a un mon-
nayage plus ou moins imparfait, ni de
phrases bien alignees. Le langage aura
vecu ! Lo, a great multitude which no man
could number, of all nations and kindreds,
and people, and tongues, and they cried with
a loud voice.
En voila assez sur les langues ; qu'il me
soit permis en terminant de dire un mot
d'adieu aux missionnaires, a ces hommes
pieux et desinteresses qui ont sacrifie
dans un but sublime des carrieres qui les
auraient faits grands et honores dans
leur patrie , pour aller vivre et quelque-
fois mourir dans des huttes; qui tout en
frappant dur, si Ton peut s'exprimer ainsi,
surl'enclume de l'evangelisation, leur ins-
trument a eux, ont fait jaillir de brillantes
etincelles de lumiere linguistique qui ont
eclaire une region precedemment plongee
— 123 —
dans les tenebres, etincelles qui ont al-
lume un sentiment de chaleur sympa-
thique dans le coeur de grands savants,
qu'ils ne connaissaient pas, travaillant
dans leurs cabinets de Vienne, de Berlin,
ou de quelque university allemande; de
savants qui, helas ! se souciaient peu
des progres des missionnaires, mais qui
applaudissaient avec enthousiasme aux
resultats merveilleux, inattendus, inou-
bliables de leurs paisibles labeurs. Ce fut,
pour ainsi dire, la profondeur appelant a
la profondeur lorsque Ewald, Pott, Stein-
thal, vonder Gabelentz, F. Miiller, Prato-
rius et tant d'autres se detournerent un
moment du chemin trop battu dela philo-
logie aryenne et semitique pour jeter un
regard d'abord et s'etendre ensuite sur les
merveiiles nouvelles revelees par Schlen-
ker, Koelle, Christaller, Krapf, Moffat,
pour admirer les fleurs d'un ! developpe-
ment luxuriant, desormais familieres, qui
s'epanouissent dans le jardin de l'Afrique.
J'ai lu ce mot d'un missionnaire du de-
sert de Kalahari, que la vue de la Grande-
IBHBfl
— I2 4 —
Ourse au-dessus de I'horizon le faisait
se scntir en quelque sorte plus pres de sa
patrie; tel a du etre la sensation du savant
africain quand il a lu dans les joumaux
de Leipzig les critiques des docteurs alle-
mands et qu'ii a compris que ses travaux
■etaient apprecies.
Apprecies! e'est a peine si le moment
est venu d'une juste appreciation de cette
question. Le mission nai re est le produit
special, le developpement le plus mer-
veilleux, et la grande gloire du dix-neu-
vieme siecle. Je ne me preoccupc guere
de qui lira ou ne lira pas ces dernieres
lignes dictees par one longue experience
personnels en Asie, par une etude se-
rieuse, quoiquc fake a distance, de l'A-
irique, et par la conviction qu'il est utile
pour l'humanite, tandis que retentissent
les bourdonnementsdu tambour guerrier,
les cris egoi'stes du marchand, et le fouet
du conducteur d'esclaves, au beau milieu
des colonies, du commerce et de la
guerre, qu'il y ait dans chaque partie du
monde et surtout dans la plus noire, un
■■■
— I2 5 —
homme honnete et desinteresse qui re-
presents la plus haute et la plus cheva-
leresque expression de la moralite dans
les regions ou elle est le moins pratiquee
et le plus necessaire; un homme qui ne
craigne pas de se faire le champion de
1'opprime, le denonciateur des coutumes.
perverses, le protecteur contre les lois
mauvaises. Et s'il est donne a quelques-
uns de ces ambassadeurs du Christ d'etre
de grands savants en meme temps que
des homines de bien, tant mieux aussi !
Je n'oublie pas que de tous les idiomes
dont s'est servi Xerxes, le roi de Perse,
pour eerire ses lettres a chaque province
dans sa propre langue, ceux-la seuls ont
vecu et vivent encore dans la bouche des
hommes qui ont recu la tradition des
oracles de Dieu, l'hebreu et le grec. Je
ne crois pas qu'aucune langue ait sombre
dans le grand reservoir de la science
humaine de celles qui ont eu l'honneur
d'etre l'instrument de la science divine,
et j'appelle 1' attention de mes chers et
bien-aimes amis , les savants negres du
*aa
^m
— 126 —
I
Niger, sur ces deux faits, afin que si, en
vrais patriotes, ils souhaitent une longue
existence aux merveilleux langages de
leur patrie, ils ne perdent pas de temps
pour leur confier quelques fragments de
la parole de Dieu ! Car par cela meme
qu'une langue a ete l'instrument choisi
pour porter la verite divine aux pauvres
humains, elle est assuree de rimmorta-
lite.
Nulla dies uwutim memofi vbseximet avo.
ANGERS, IMP. A, BTRDIN ET C'% RUE GARNIER, 4.
'
WM
H
'
'M