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l^JL^JL..
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ANNDA1RE
CLUB ALPIN FRANCAIS
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PARIS
TYPOGRAPHIE GEORGES CHAMEROT
19, rue des Saints-Peres, 19
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ANNUAIRE
DU
CLUB ALPIN
»
FRANCAIS
DIXIEME ANNEE
1883
PARIS
AU SIEGE SOCIAL DU CLUB ALPIN FRANCAIS
31, RUE BONAPARTE, 31
KT A LA LIBRAIRIE HACHETTE ET C ie
79, BOULEVARD SAINT-GBRMAIN, 79
1884
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^-JGeog— ?97l
DECRAND FUND
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TABLE METHODIQUE
Pages.
T.VBLK METHODIQUE V
COURSES KT ASCENSIONS
I. Promenade dans les Basses-Alpes (Ascension du Bret-
et de V Aiguille de Chambeyron), par M. James Nerot. 3
II. Ascension du Mont-Blanc par TAiguille du Gouter.
par M. Joseph Lemercier 41
III. Ascension du Mont-Pourri (Tarentaise) par Villaroger
(arSte Nord), par M. G. Tochon 53
IV. Voyage circulaire en Dauphine (Le Villard-de-Lnns ;
ascension dupic Saint-Michel ; le Royannais; le Ver-
cors; col de Pas-la- Ville; col du Seiyaton; le Tri&ves;
la Salette; leValgodemar; col de la Muande; bivouac
au pied des icrins; le pic Coolidge; col de VAilefroide;
col tmile Pic; col d'Arsines; le Monestier; col du Ga-
libier; Valloire; valle'e de VArc; Thermignon; col de la
Vanoise; Pralognan;retour), par M. Edouard de Se-
velingcs 04
V. Note sur Tarrondissement d'Embrun (Hautes-Alpcs),
au point de vue des excursions et asceusions a y
faire, par M. E. Gouget 90
VI. Ascensions de l'Ober-Gabelhorn et du Taeschhorn, par .
M. Paul Vignon. 106
VII. Ascensions (le Taillon; les deux sommets du Gabidtou;
le- Vignemale; sept nuits, dont quatre conse'cutives.
dans mon abri pris du sommet ; pics de Tapon; le
ANNUAIRK DK 1883. rt
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VI TABLE llfcTIlODIQUE.
Pages.
Montferrat; pic central d Est atats), J)Slt JNL. le comte
H. Russell J28
VIII. Les montagnes de Petrageme (le vallon d'Aniabe; le
pic des Trois-Rois; le port et les crUes de Larraille; de
Lescun a Arudy), par M. E. Wallon \?Z
IX. Nouvelles courses en Sobrarbe et Ribagorie, par .
M. le comte de Saint-Saud 172
X. Promenade dans les Pyrenees en juin 1883 (GQtoarnie,
Ariige, Andorre et Cerdagne), par-M. Edou*rd Ro-
chat 191
XI. Ormont : legendes, histoire, paysages vosgiens, par
M. Gaston de Golbery 209
XII. Les Vosges : cols et passages, par M. Ed. Lorin . . . 237
XIII. Le canon du Tarn, par M. E.-A. Martel 242
XIV. Une excursion aux lies Canaries (depart; arrive' e &TC- .
neriffe; Santa-Cruz; de Santa-Cruz a la Laguna et a
la Qrotava; la valUe de la Orotava; la Orotava, le
Puerto, Agua-Mansa; de la Orotava au Realejo;
ascension du pic de TtnMffe ; Vile de la Palma; Santa-
Cruz-de-la-Palma; la Galdera; retour par la cdte Sud-
Ouest de Tentriffe) 262
XV. Une ascension au Popocatepetl, par M. Marcel Monnier. 322
SCIENCES ET ARTS
I. Un voyage astronomique dans le Paciflque, par M. J.
Janssen, de l'lnstitut 339
II. La theorie des volcans et le Plateau Central (histo-
rique, theories actuelles, vues nouvelles), par M. A.
J u lien, professeur a la Faculty des sciences de Cler-
mont 358
III. Le chemin de fer du Saint-Gothard, par M. Charles
Grad 390
IV. Quelques traces glaciaires en Espagne, par M. A.
Bayssellance -• 410
V. Les plateaux du Colorado : paysage et structure g6o-
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TABLE MfcTHODIQUE. VII
Pages,
logrque, d'apres les travaux des geologues ameri-
cains, par M. Emm. de Margerie 417
VI. Releveshypsometriques resultant d'observations faites
au barometre par les membres du Club Alpin Fran-
cais, et calculecs par le commandant du genie Pru-
dent; suivi de l'expose d'une nouvelle methode pour
la mesure des hauteurs par le barometre, d'apres
M. G.-K. Gilbert, extrait, traduit et analyst de
r American Journal of Science, par M. Emm. de Mar-
gerie 450
MISCELLANIES
Excursion de trois montagnards pyreneens dans les Alpes
franchises, par M. Henri Brulle 4t>7
Pierres & bassins de la vallee de Chamonix, par M. A. Per-
rin 475
Erreurs geographiques : les Monts Faucilles, par M. Lucien
Roussel : 479
Du Piree au Caire, par M. Georges Malbet 484
CHRONIQUE DU CLUB ALPIN FRANQAIS
Direction Centrale : Rapport annuel 497
ILLUSTRATIONS ET FIGURES
4 . Hameau de Maljasset, dessin de Slom, d'apres une
photographie de M. Rava 5
2. Le Brec de Charnbeyron, dessin de Slom, d'apres une
photographie de M. Rava 19
.3. Vallon et glaciers de Mary, dessin de Slom, d'apres
une photographie de M. Rava 29
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VIII TABLE MfcTIIODIQUE.
Pages.
i. Cascade de la Sallenche, dessin de Slom, d'apres une
photographie- de M. Joseph Lemercier 43
5. L'Aiguille du Gouter, dessin de Prudent, d'apres une
photograpliie . . . 49
6. Glacier de la Pilatte, dessin de Slom, d'apres une
pbotographie 77
7. Ville-Vallouise, dessin de Slom, d'apres une pbotogra-
phie 83
8. Col Emile Pic, dessin de Slom, d'apres une photogra-
phic 87
9. Chalets d'Arsines, dessin de Slom, d'apres une pboto-
graphie 93
10. Petit sentier de la Magnane, Morgon, dessin de E.
Guigues, d'apres nature 100
11. La Charence, dessin de E. Guigues, d'apres nature. . 101
12. Le Colombier, montagne des Crottes, dessin de E.
Guigues, d'apres nature 102
13. Vallee de Chateauroux, dessin de E. Guigues, d'apres
nature * 103
14. Pic de l'Aiguille, au mont Guillaume, dessin de E.
Guigues, d'apres nature 104
15. L'Ober-Gabelhom et le Cervin, dessin de Vuillier,
d'apres une photographie de M. Vittorio Sella. . . 113
16. Le Tseschhorn et la chaine du Mont-Rose, dessin de
Vuillier, d'apres une photographie de M. Vittorio
Sella 123
1 7 . Les aiguilles de P£trageme, dessin de Prudent, d'apres
une photographie de M. Wallon 157
18. Vue prise du pic des Trois-Rois, vers le Sud, dessin
de Prudent, d'apres une photographie de M. Wallon. 103
19. Guides des Pyrenees, dessin de Prudent, d'apres des
photographies de M. Wallon 171
20. L'alcade de Torla, dessin de Prudent, d'apres une
photographie de M. de Saint-Saud , ., 175
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TABLE METUODIQUE. IX
Pages.
21 . La casa Viu, a Torla, dessin de Prudent, d'apres une
photographie de M. de Saint-Saud . . . 1 89
22. Le massif d'Ormont, vue prise du versant iorrain da
col de Saales, dessin de Prudent, d'apres M. de
Golbery 225
23. Sortie des Etroits a la Croze, dessin de Vuillier,
d'apres une photographie de M. Chabanon .... 249
24.. Grotte de la Momie, a I'entree des Etroits, dessin
d'Aubin Vernier, d'apres une photographie de M. de
Malafosse 251
25. Vallee de la Jonte, dessin d'Aubin Vernier, d'apres une
photographie de M. de Malafosse 255
26. Le Pas de Soucy, dessin de Vuillier, d'apres une pho-
tographie de M. Chabanon 257
27. Vue de Teneriffe a la pbinte Anaga, dessin de A. Co-
quet, d'apres nature 264
28. La cflte de Santa-Cruz et le pic de TenSritfe, dessin de
A. Coquet, d'apres nature 266
29. Femme de 1'ile de Lanzarote, dessin de A. Coquet,
d'apres nature 267
30. Le port de Santa-Cruz et le Castillo de San-Cristobal,
dessin de A. Coquet, d'apres nature 269
31. Femme du peuple a Santa-Cruz de Teneriffe, dessin
de A. Coquet, d'apres nature 270
32. Vue de Santa-Cruz de Teneriffe, dessin de A. Coquet,
d'apres nature 271
33. La Orotava : vue de la vallee et des trois Montafietas,
dessin de A. Coquet, d'apres nature 284
34. Chataignier plante lors de la conquSte, dans le jar-
din du marquis de la Candia, dessin de A. Coquet,
d'apres nature 285
35. Casa de Fonseca, rue San-Francisco, a la Orotava,
dessin de A. Coquet, d'apres nature 287
36. Vue de la Orotava, de la place San-Agustino, dessin
de A. Coquet, d'apres nature 291
37 . Paysan de la haute vallee de la Orotava, dessin de A.
Coquet, d'apres nature 293
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X TABLE MfeTHODIQUK.
Popes.
38. La Rambla de Castro, vue de San-Vicente, dessin de
A. Coquet, d'apres nature 29,'>
39. La cote Nord de T6n6riffe, vue de San-Vicente, dessin
de A. Coquet, d'apres nature 297
40. Vue d'une partie du village de Realejo, dessin de A.
Coquet, d'apres nature 299
41 . Vue de la valine de la Orotava et de la partie Nord
de TenGriffe, prise de la Corone, au-dessus du Rea-
lejo, dessin de A. Coquet, d'apres nature 300
42. Le Pic de T6ne>iffe, vu de Tun des contreforts des
Canadas, dessin de A. Coquet, d'apres nature ... 301
43. Les Canadas, dessin de A. Coquet, d'apres nature. . 303
44. Le Teyde, vu des Canadas, dessin de A. Coquet,
d'apres nature 305
45. Cdtes de Palma : vue des rocbers a I'enlree du port
de Santa-Cruz de la Palma, dessin de A. Coquet,
d'apres nature 309
46. Femme de Santa-Cruz de la Palma, coitfec de la mon-
tera, dessin de A. Coquet, d'apres nature 310
47. Femme de Santa-Cruz de la Palma, dessin de A. Co-
quet, d'apres nature '. 3M
48. Habitant de Garafia, Palma, dessin de A. Coquet,
d'apres nature 311
49. Femme de Garafia, Palma, dessiu de A. Coquet,
d'apres nature 312
50. Vue de la ville de Santa-Cruz de la Palma, prise de
la route de Buenavista, dessin de A. Coquet, d'apres
nature ; 313
51 . Vue de la partie Sud-Sud-Ouest de TenSrifle, prise
devant le cap Teno, dessin de A. Coquet, d'apres
nature. 316
52. Le dragonnier et l'6glise d'Icod, dessin de A. Coquet,
d'apres nature 319
53. Le Popocatepetl, dessin de Vuillier, d'apres unc pho-
tograpbie de M. Monnier 329
itizefl by
TABLE MKTHODIQUE. XI
Pages.
54. Coupes transversales du Grand Canon du Colorado,
d'apres M. Holmes 433
55. Panorama du Grand-Canon du Colorado, pris de
Pointe-Sublime, d'apres M. Holmes 448
CARTES
i . Carte de Tile de Teneriffe 263
2. Tunnels en spirale sur la ligne du Saint-Gothard . . 395
La 2° et 3* feuilles de la carte des Pyrenees centrales francaises
et espagnoles, par M. Fr. Schrader, paraissent avec le present volume.
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COURSES ET ASCENSIONS
AJtNUAlRK DK 1883.
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PROMENADES
DANS LES BASSES-ALPES
ASCENSION DU BREC (3,388 met.) ET DE L AIGUI LLE
DE CHAMBEYRON (3,400 met.)
I
C'est en 1882 que, pour la premiere fois, je resolus de
visiter lesBasses-Alpes. En 1879 avait paru, dans le numSro
de novembre de Y Alpine Journal, sous la rubrique Expe-
ditions nouvelles, le r6cit par M. Coolidge de la campagne
qu'il venait de faire dans cette region de nos montagnes.
Ge recit tres clair, tr&s precis, bien qu'un peu laconique,
m'avait vivement int6resse, et je m'6tais promis d'aller un
jour ou l'autre sur les bris6es de notre eminent collogue,
tout en me tenant &une distance respectueuse ; car l'6galer
me semblait impossible. Jamais, en effet, campagne n'avait
6t6 plus rapide, plus brillante, plus decisive. C'6tait le veni,
vidiy vici du conqu6rant des Gaules. Pas un 6chec, pas
mfcme une erreur, ou peu s'en faut. Dans l'espace de six
jours, il avait r6ussi &escalader la Font-Sancte (3,370 mfct),
& cheval entre les deux dgpartements des Hautes et Basses-
Alpes ; la Pointe de Mary (3,129 m&t.) ; la Pointe-Haute de
Mary (3,212 m&t); le Grand-Rubren (3,341 m£t., ou avec
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i COURSES ET ASCENSIONS.
le Pic Signale 3,396 met.) ; l'Aiguille de Chambeyron
(3,100 met.) et le Brec de Chambeyron (3,388 met.); les
deux pointes de Mary et de l'Aiguille gravies pour la pre-
miere fois. Et encore avait-il 6t6 arr&te, dans Tascension
du Brec, par une mSsaventure assez plaisante que je
regrette de ne pouvoir raconter ici J .
A lire le r6cit de M. Coolidge, si simple, si sobre de
details, on ne s'imaginerait pas qu'il y eftt la moindre dif-
ficult6 k faire les ascensions dScrites par lui. Aussi avais-je
pens6, bien k tort, qu'il me suffirait d'amener avec moi un
porteur, d'autant plus que j'etais certain de trouver dans
le pays deux hommes, Paul Agniel et Joseph Risoul, con-
naissanl le Brec pour en avoir fait ensemble la premiere
ascension, un an avant M. Coolidge, le 20 juillet 1878,
gagnant ainsi la prime de deux cents francs offerte par la
Sous-Section deBarcelonnette,et qui pourraient meservir,
au besoin, pour l'ascension de l'Aiguille. Je fis done choix
du nomm6 Jouve (Antoine), de Saint-V6ran, meunier, for-
geron, lieutenant de pompiers, conseiller municipal et
secretaire g6ne>al d'une soci6t6 fruitiere. Jouve m'avait
accompagn6 l'annee pr6cedente. J'avais trouv6 en lui un
garQon alerte, vigoureux, passablement instruit, sachant
causer, d'un caractere tres gai, grand chasseur et monta-
gnard adroit. II connaissait aussi, pour y avoir trafique, la
valine de Maurin et le hameau de Maljasset, qui devait 6tre
ma premiere station.
Le lundi 11 septembre 1882, k 9 h. 15 min. du matin, *
nous partimes de Saint- Veran pour Maurin, par les cols
des Estronques et Tronchet. Nous devions 6tre k Geillac &
midi environ. Mais le baudet qui portait nos sacs jusqu'au
haut du premier col, s'6tant avis6 de faire une dSgrin-
golade d'une vingtaine de metres, nous fit perdre un cer-
1. M- Coolidge la racont^e lui-rneme en detail dans un article sur le
massif de Chambeyron, publie dans Y Alpine Journal (numero de fe*-
Vrier, volume X, page 123).
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a
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PROMENADES DANS LES BASSES-ALPES. 7
tain temps k le rep6cher; de sorte que nous n'arriv&mes k
Geillac que vers 1 h.
Apr&s dejeuner, Hh, 30min., nous nous mimes en
route pour le col Tronchet, laissant & droite la cime du
Melezet et le col de Girardin (2,699 m&t.), d'oii Ton doit
avoir une belle vue sur la Font-Sancte (3,370 m&t.) et la
pointe de Henvieres (3,273 met.). Tout en marchant dou-
cement, nous atteignimes, un peu avant 6h., le sommet
du col (2,666 mfct.), qui se trouve entre le signal de
Ceillac n° 1 (2,872 mfct.), h droite, et le pic marqu6
2,988 mfct. sur la carte au 80,000° de la fronti&re des
Alpes.
La nuit etant survenue, la descente fut longue. II
etait 6 h. 40 min. lorsque nous entr&mes dans l'unique
auberge de Maljasset 1 , tenue par Andr6 Reynaud, dit Mar-
tr6i. L&, nous trouv&mes le juge de paix de Saint-Paul,
qui etait venu avec son greffier pour une question de bor-
nage, et le directeur de la carrifcre de marbre des Blavettes,
situ£e k l'entree de la valine de Maurin. La table 6tait d6ji
mise ; on servit presque aussit6t, et, la course nous ayant
donn6 de l'appetit, nous fimes honneur k un excellent
souper. Je profitai des intervalles du service pour obtenir
de mes compagnons de table quelques renseignements sur
les courses que je me proposals de faire.
Le lendemain 12 septembre, je me l&ve au petit jour.
Helas! il pleuvait dej&, et Taspect du ciel, charge de
nuages, ne me faisait rien augurer de bon pour la journ6e.
Ma premiere visite devait 6tre pour la Pointe de Mary
(3,129 mfct.), signage par M. Coolidge comme un excellent
poste d'observation, ayant vue k la fois sur le Mont-Rose,
le Gervin, le Weisshorn, la Dent-Blanche, la Grande-Casse,
les principaux pics du Dauphin6 et le mont Viso. Aucune
difficult^ k redouter, selon lui. On n'avait qu'& traverser
1. Le hameau de Maljasset forme, avec ceux de Combe-Bremond et
La Barge, le village de Maurin, dans la vallee du m£me nom.
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8 COURSES ET ASCENSIONS.
TUbaye, en remontant la valine de Maurin; gagner un
epaulement bois<§ au-dessus de la carrifcre de marbre
appartenant k MM. Gassier frfcres; gravir quelques debris,
quelques pentes de neige jusqu'd l'arfcte Ouest; puis, de
l'ar&te, grimper jusqu'au sommet. Et tout cela en moins
de trois heures ! Une simple promenade de digestion. Pour
retourner, une heure seulement, gr&ce & quelques glis-
sades faciles. Comme c'6tait tentant! Mais, avant tout, il
fallait voir assez clair pour reconnaitre la pointe en ques-
tion, et c'est ce que la pluie, malheureusement, rendait
impossible. Nous fumes done r^duits, ce jour-l&, Jouve et
moi, k nous promener sur la grande route, dans le vain
espoir qu'une 6claircie nous permettrait de voir, ne fut-ce
qu'un instant, le sommet tant convoite.
A notre retour k l'auberge, vers Theure du souper, nous
trouv£mes le juge de paix entour6 d'un grand nombre de
paysans et se livrant avec eux k une discussion vive et ani-
m6e, tant6t en frangais, tant6t en patois, cherchant evi-
demment & les concilier, mais sans y parvenir le moins du
monde. A 8 h. du soir, ils discutaient encore. De notre
c6te, nous attendions le juge de paix pour nous mettre &
table. A la fin, perdant patience, je fais irruption dans le
cercle, j'enleve le juge de paix et je le fais asseoir&c6te de
moi- MartrSi, notre h6te, comprenant la manoeuvre, sert
aussitot le souper, et je commence k croire que nous
sommes d&ivres de nos ennemis. Erreur profondel Sur-
pris, mais non deconcertes, ils ont bient6t pris leurs rae-
sures. Ils demandent, eux aussi, a souper, et ils disposent
eux-m£mes les tables de fagon a former un blocus autour
de l'infortung magistrat. En m£me temp£, ils l'assaillent
de questions auxquelles il ne peut faire autrement que de
repondre. Le souper fini, la discussion recommence de
plus belle. Les t6tes s'dchauffent. On en vient aux gros
mots. L'un des justiciables, un ancien zouave, qui parait
&tre le brandon de discorde, apostrophe de la fagon la plus
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PROMENADES DANS LES BASSES-ALPES. 9
violente son oncle, un vieillard, lui mettant le poing sous
le nez et l'appelant : « viou coquine. » Malgr6 le tapage, je
commence h tomber de sommeil. Je me retire et suis
bient6t endormi. J'ai ouidire qu'on finit,sur les 11 h., par
se mettre k peu prfcs d'accord. Le procfcs-verbal fut-il
sign6 par tout le monde? C'est ce que je n'ai jamais eu le
courage de demander.
Le lendemain matin, mercredi 13 septembre, & 7 h.,
nous partons pour Saint-Paul-sur-Ubaye, avec le juge de
paix, son greffier et le garde champfctre. Pendant la nuit,
le temps s'est refroidi. II fait grand vent. Aussi, h peine
sommes-nous & La Barge, a vingt minutes de Maljasset,
que nous nous voyons forces de chercher un abri contre
une temp&te de neige qui menace de nous aveugler. Ge
n'est qu'apr&s trois quarts d'heure d'attente que nous pou-
vons enfin reprendre notre route.
La promenade jusqu'& Saint-Paul est fort interessante.
Nous remarquons plus d'un site gracieux, tels que Tile de
la Blachifcre, le pont du Castellat, l'amphith6&tre de Champ-
Rond, etc., etc. Le pont du Castellat, surtout, est on ne
peut plus pittoresque. Gonstruit par les soins du g6nie T
entre deux rochers & pic au fond desquels se pr£cipite
FUbaye, ce pont permet d'atteindre le hameau de Fouillouze
et les divers cols servant de passage en Italie sans des-
cendre jusqu'k Grande-Serenne. A 11 h., nous arrivons a
Saint-Paul (12 kil.), chef-lieu de canton b&ti au pied d'un
mamelon verdoyant, d'ou le regard embrasse les formes
majestueuses du Brec. M. Faure, le juge de paix, a l'obli-
geance de nous conduire lui-m6me h l'hdtel Helion et de nous
presenter ensuite au maire, M. Honors Reynaud, membre
de la Sous-Section de Barcelonnette, qui me fait un accueil
on ne peut plus cordial. Apr&s dejeuner, je monte, avec
Jouve, & Fouillouze (2 h.), pour voir Risoul, un des deux
hommes qui avaient fait la premiere ascension du Brec.
Les rScentes pluies ayant rendu cette montagne inaccessible
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10 COURSES ET ASCENSIONS.
pour le moment, il est convenu que dans deux ou trois
jours, s'il fait beau, nous reviendrons en tenter avec lui
Tascension. Je dis tenter, car d6j2t le succes me paraissait
incertain. En effet, Jouve savait un peu, mais tr6s peu,
manoeuvrer la corde. II avait aussi un piolet dont il n'avait
pas encore appris k se servir. Quant & Risoul, corde et
piolet lui 6taient completement etrangers.
Le soir, a 7 h., nous sommes de retour a Maljasset.
Pendant le souper, je fais part de mes projets & Martr6i,
lequel m'engage vivement k me presenter, de sa part,
chez son beau-frfcre, M. Devars, qui possfcde a Fouillouze
une assez vaste maison, et qui sera, dit-il, tres heureux
de me donner l'hospitalite. Je suis d'autant plus enclin
h suivre ce conseil qu'il n'y a pas d'auberge a Fouillouze
et que la course depuis Saint-Paul me semble un peu
trop longue.
Le lendemain 14, bien que le ciel soit un peu couvert, je
me decide & tenter l'ascension du Grand-Rubren, situe au
Nord-Est de la vallde de Maurin t et qui la domine tout
entifcre. Outre que j'ai grand besoin d'entrainement, cette
ascension n'offre aucune espfcce de difficult^. Nous partons
done a 7 h. du matin avec un 16ger sac de provisions. A
peine sommes-nous en route que nous entendons derri&re
nous un faible jappement. Nous nous retournons. (Test
Lisette, la petite chienne de MartrSi, & peine &gee de quatre
mois, qui fait mine de vouloir nous accompagner. Qu'elle
est jolie, la petite, avec ses yeux bleus et son poil noir,
long, soyeux et fris6 1 Elle ferait les delices de plus d'une
de nos belles mondaines. Nous avions d6jk fait connais-
sance depuis deux jours, et je m'Stais apergu qu'elle ne
d6daignait nullement les friandises. Le matin, elle avait
assiste aux apprMs du sac ; elle y avait vu consigner du
chocolat et du sucre, et elle s'etait promis d'en reclamer
sa part au moment opportun. Que faire? La chasser? Je
n'en avais gufcre le cceur. D'un autre c6t6, il etait pue pro-
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PROMENADES DANS LES BASSES-ALPES. H
bable qu'elle put nous suivre jusqu'au bout. J'hesitais,
lorsque Jouve me tira d'embarras : « Laissez-la done venir,
Monsieur, me dit-il; si elle se trouve fatiguSe, elle restera
a la carri&re avec son ami le directeur. » Le conseil me
paraissant bon, je Ta laisse venir. Mais voila que nous pas-
sons d'abord le lac du Paroird, puis la carri&re de marbre,
puis encore la cabane des bergers, et Lisette suit toujours.
Son ami le directeur est oublie pour le moment. Elle a
devant elle un objectif bien plus attrayant.
Au moment de notre depart, le temps etait beau, quoi-
que un peu froid; Aprfcs une heure et demie de marche,
arrives au lac du Paroird, en remontant la vallee, nous
avions trouv6 en face de nous le soleil. Mais k peine avons-
nous franchi l'Ubaye, & un point qu'on appelle le G&, qu'il a
dej& disparu. Le ciel est devenu d'un gris terne, sans &tre
pour cela menagant. Nous continuons done & monter &
travers les pentes de gazon, sur la rive droite du torrent
qui se jette dans l'Ubaye, en suivant exactement la route
indiquSe par M. Goolidge, e'est-i-dire en inclinant vers la
gauche. En route, nous rencontrons les bergers qui, & la vue
de nos piolets, nous demandent tr&s serieusement si nous
allons \k haut piocher pour y trouver de Tor. Nous traver-
sons ensuite des pentes de neige et des d6bris jusqu'au bord
d'un grand bassin, au Sud du Grand-Rubren. Nous descen-
dons dans ce bassin, puis, traversant des n6v6s et des de-
bris jusqu'a la cr£te de l'ar&te Nord-Ouest, nous gravissons
le c6ne final (3,341 mfct.).
II est midi. Nous avions march6 doucement jusqu'aux
derniers rochers. Mais, une fois 1&, nous pressons le pas,
car les brouillards viennent vite du c6t6 de Tltalie, et nous
avons peur de ne rien voir du tout, ce qui serait d'autant
plus f&cheux que e'est du haut du Grand-Rubren que Ton
apprScie peut-Mre le mieux les nobles proportions du
mont Viso. Nos craintes, malheureusement, ne se r&tlisent
que trop tdt. Parvenus au sommet, tout ce qu'il nous est
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12 COURSES ET ASCENSIONS.
permis de voir ce sont les vestiges du camp italien, h une
centaine de metres plus bas. Jouve m'apprend que les
troupes y sont restees jusqu'St fin aoftt. La vue de ce camp
me fait songer h notre regrett6 coll&gue M. Talbert, et au
dernier article donne par lui k YAnnuaire. II est certain
que les officiers italiens ont dft gravir plus d'une fois le
sommet de la montagne pour, du haut de ce belvedere,
etudier a loisir la vallee de Maurin, qui semble, de son
c6te, absolument sans defense.
Je suis %rrache k mes reflexions par un petit cri plaintif
qui part de dessous mes pieds. C'est encore Lisette. La
pauvrette est k moitte engourdie par le froid. Jouve, de
son cot6, bat la semelle. Nous avons prfcs de huit degr6s
au-dessous de z6ro. Le vent souffle avec violence. Tout k
coup nous sommes assaillis par une veritable tempfete.
Le gresil nous cingle le visage et le met tout en sang.
Impossible d'aller plus loin. Le Pic Signale, que nous
avions devant nous tout k l'heure, est completement
cach6. Pour l'atteindre, il faudrait descendre du Grand-
Rubren par l'ar&te Sud, jusqu'& la depression entre les
deux montagnes, pour de 15. en gagner le sommet. Mais
cela prendrait bien du temps, et l'orage augmente d'in-
tensite ; aucune vue k espSrer ; il ne nous reste qu'& battre
en retraite.
Je laisse ma carte avec l'inscription d'usage, et nous
commengons la descente. Lisette se traine p6niblement.
Arrives aux premiers rochers du bassin, nous faisons halte
pour d6boucler le sac aux provisions. Helas ! la pauvre petite
b£te, qui a tant trimS pour gagner sa part du festin, ne
peut rien manger. Nous-m£mes, nous avalons k peine quel-
ques bouchSes et nous nous dirigeons ensuite rapidement
vers lacarriere de marbre. L&, nous trouvonsle directeur,
M. Guyot, qui nous fait bon accueil 4 . Nous nous chauf-
i. Malheureusement, la carriere n'est exploitee que de deux anne*es
Tune. M. Guyot absent, cet abri n'offre plus les memes avantages.
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PROMENADES DANS LES BASSES-ALPES. 13
fons en attendant que la neige cesse de tomber. Lisette se
remet peu &peu. Enfin, la neige continuant toujours, nous
partons pour Maljasset armes {horresco referens) de para-
pluies que M. Guyot a l'obligeance de nous prater. La
neige tombe si dm que nous voyons h peine h dix pas
devant nous. A chaque instant, nous sommes forces de
nous arrMer pour secouer nos armes d'emprunt. U est cinq
heures passees lorsque nous rentrons & Maljasset, lespieds
et le dos mouillSs. Par bonheur, Martini, prevoyant notre
retour, a fait faire un bon feu dans la cuisine et dans le
po&le de la salle k manger. Nous sommes bien vite seches
et nous oublions rapidement nos tribulations, Lisette la
premiere. Elle s'est fourrGe sous le poele et dort d'un pro-
fond sommeil.
Le lendemain, 15, je suis debout de bonne heure. Mar-
trei m'apprend que les cols du haut sont bloquGs et que, Si
cela continue, on perdra bientftt la trace de la route. II
m'engage done & partir sans retard. Gomme j'ai irfon quar-
tier-g6n6ral chez Izoard, au MonGtier de Brian^on, je n'ai
d'autre ressource que de gagner Guillestre par Saint-Paul-
sur-Ubaye et le col de Vars. Quelle perspective! Quarante
et un kilometres & pied, dans la neige, et charg6 encore,
car Jouve ne peut pas tout porter. Nous quittons Maljasset
peu satisfaits de notre campagne. Aprds une halte de deux
heures h Saint-Paul, nous nous remettons en route. H61ion,
Taubergiste, nous pr&te son cheval pour porter nos
bagages jusqu'au refuge du col. De 1&, le gardien se charge
de mon sac jusqu'i mi-chemin de Guillestre, ou nous arri-
vons un peu avant sept heures du soir. Le lendemain, je
congedie Jouve et je me dirige sur Abri&s. Mais, apr&s
deux jours d'attente et une expedition malheureuse au
refuge du col Agnel, je renonce a continuer la campagne.
Deux jours apres, je suis rentr£ au MonGtier.
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14 COURSES ET ASCENSIONS.
II
Bien que je n'eusse pas a me feliciter du r^sultat de
cette campagne, elle n'avait pourtant pas et6 absolument
inutile. Si je n'avais pu faire une 6tude bien sSrieuse du
massif explore par M. Coolidge, j'avais du moins appris h
connaitre un peu le pays et ses ressources au point de vue
des guides, des auberges et des moyens de transport. Je
m'6tais surtout convaincu de Tabsolue necessite d'amener
avec moi un guide experiments, ne fut-ce que pour tenter,
avec quelque espoir de succes, l'ascension de l'Aiguille et
du Brec de Chambeyron.
C'est pourquoi cette annee (1883), aprfcs avoir arr£t6
mon plan de campagne, je resolus de m'attacher Giroux-
Lezin, du Pied-du-Col auprfcs du Villard-d'Arfcne.
Je connaissais d6j& L6zin r et j'avais eu occasion d'appr6-
cier ses rares qualitSs en 1880, lorsque nous flmes ensem-
ble la premiere ascension du pic Est de TAilefroide. II
m'avait 6te, en outre, chaudement recommandS, non seu-
lement par M. Guillemin, avec qui il avait reussi la pre-
miere ascension du Viso par la muraille Nord, mais encore
par M. Duhamel de Gteres, dont il fut pendant un certain
temps le guide favori. Ensemble, ils avaient accompli cette
course 6tonnante qui, depuis, a trouvg si peu d'amateurs,
je veux dire la traversSe de la brfcche Giroux-L6zin. II faut
lire l'eloge que fait de lui M. Duhamel dans YAnnuaire de
1878 (p. Ill), 61oge qui se termine ainsi : « En un mot,
plus fid&le qu'un chien, plus sobre qu'un chameau, plus
souple qu'un chamois, Giroux-L6zin est pour moi, avec son
intelligence, un des meilleurs montagnards que je con-
naisse. » Cette fois-ci encore, je n'eus qu'a me louer de
l'avoir engage. Je lui adjoignis comme porteur Jouve, h
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PROMENADES DANS LES BASSES-ALPES. 15
qui je donnai rendez-vous a Saint- Veran pour le mercredi
22 aout.
L6zin m'ayant rejoint au MonMier le 20, nous partons
a pied pour Saint-V6ran, en passant par Cervieres, le col
Isouard, CMteau-Queyras, Ville-Vieille et Molines. Je
m'arrfcte vingt-quatre heures au refuge du col pour faire
de nouveau, avec le gardien Faure (Antoine-Vincent) , l'as-
cension de Rochebrune et visiter en m&me temps les tra-
vaux du refuge que la Sous-Section de BrianQon fait con-
struire, afin de permettre aux touristes de jouir, au lever
et au coucher du soleil, du panorama unique qui se dSploie
du haut de cette cime. Arrives a Saint- V6ran le mercredi
soir, nous trouvons Jouve qui me demande encore un jour
pour finir ses foins. Je lui accorde d'autant plus volontiers
ce cong6, que moi-m6me je soufFre d'une insolation attra-
pee au col Isouard.
Vendredi done, h 6 h. du matin, nous quittons tous trois
Tauberge Fine pour le col La Noire. Tout semble dispose
pour le mieux. Le temps est superbe ; le ciel d'un bleu
fonce; pas un nuage & l'horizon. Ghemin faisant, Jouve se
charge d'initier Lgzin aux mysteres de la chasse au cha-
mois. II ne se doute pas, le malheureux, qu'il a affaire au
plus redoutable chasseur du Dauphine. De meme pour la
manifcre d'attaquer une montagne. Sur ce point encore, il
se met & d^velopper des theories abracadabrantes. Lgzin
l'ecoute jusqu'au bout, avec la gravity d'un juge ; puis, tran-
quillement, en quelques mots, lui fait sentir qu'il parle de
choses qui ne sont pas prScisement de sa competence.
Comme e'est aprfcs tout un gar^on d'esprit, il prend en
bonne part la mercuriale, et se soumettant desormais &
toutes les indications que Lezin croit devoir lui donner, il
parvient k remplir d'une maniere assez satisfaisante son
r61e de porteur.
All h., nous avons pass6 le col La Noire, et nous des-
cendons la vallee de Maurin, en suivant le cours de
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16 COURSES ET ASCENSIONS.
rUbaye. Jusqu'au haut du col, leciel, du cdt6 du Queyras,
etait reste pur et sans tache. Mais bient6t les brouillards
se Invent du c6t6 de l'ltalie. Les nuages grossissent ;
l'eclair brille ; le tonnerre gronde. L'orage eclate avant
que nous ayons le temps de gagner un abri quelconque.
Force est done de continuer notre chemin jusqu'& Mal-
jasset, oil nous arrivons a 3 h. Martr6i nous fait un accueil
chaleureux, ainsi que la petite Lisette, qui n'a evidemment
pas oubli£ les friandises de l'annee pass6e.
Dans la soiree, j 'observe attentivement avec Lezin
la direction des nuages. Le vent les pousse ferme du Nord
au Sud; done, espoir de beau temps pour le lendemain.
Martrei, consults, nous confirme dans cette impression.
II nous apprend qu'k partir du mois d'aoftt il est rare, dans
ces parages, qu'il fasse beau l'apr&s-midi , les contreforts
qui se trouvent & la t6te de la vallee n'6tant pas assez Ale-
ves pour arr&ter les brouillards qui viennent d'ltalie.
Le lendemain, samedi 25, nous partons, a 7 h. 30 min.,
pour Saint-Paul. J'envoie Jouve en avant jusqu'aFouillouze
pour sonder Risoul et savoir s'il est dispose & nous accom-
pagner pour nous montrer le chemin du Brec. Pendant ce
temps, nous arrivons, L6zin et moi, & Saint-Paul. H61ion est
mort; mais sa veuve, aid6e de ses deux filles, tient encore
l'h6tel. Je renouvelle connaissance avec le juge de paix et
avec le maire. Bient6t Jouve nous rejoint et nous annonce
que Risoul se tiendra demain h notre disposition.
Renseignements pris, je decide de monter le soir &Fouil-
louze et de demander l'hospitalit6 pour la nuit & M. De-
vars, le beau-fr&re de Martrei; mais voil& que survient le
mauvais temps. L'orage eclate plus terrible encore que la
veille. On nous apprend que la route de Maurin est ravi-
nee en plusieurs endroits, et qu'il nous sera peut-6tre im-
possible d'aller jusqu'& Fouillouze. NSanmoins nousn'h&si-
tons pas & tenter l'aventure et, & 7 h. du soir, aussit6t aprfcs
avoir soup6, nous nous mettons en route. On ne nous avait
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PROMENADES DANS LES BASSES-ALPES. 17
pas exager6 les difficultes du chemin. Par endroits, c'est
une veritable fondri&re. II fait noir, de sorte que nous
avons toutes les peines du monde & nous orienter. Nous
finissons cependant par arriver & Fouillouze, oil nous trou-
vons tout le monde couche chez M. Devars. Neanmoins,
sur l'appel de Bisoul, on nous ouvre. On me donne une
excellente chambre avec un tr&s bon lit, ou j'aurais par-
faitement dormi si, par malheur, Jouve n'avait emporte
mon sac, m'empSchant de changer de linge et me for-
<^ant ainsi h passer une trfcs mauvaise nuit.
Ill
Le lendemain, 26 aoto, Lezin vient me reveiller a 5 h.
Je reclame mon sac ; il faut aller le chercher chez Risoul.
Cela nous met en retard. Je suis d'ailleurs mal dispose.
Neanmoins je persiste.
Nous remontons d'abord la combe de Fouillouze ; puis,
parvenus a une hauteur d'environ 1,990 met., nous faisons
demi-tour a gauche et nous gagnons le lac Premier par des
pentes assez raides, composees de roches parsemees de
gazon, ayant ^t notre droite le Brec. A partir du lac Pre-
mier, nous inclinons vers la droite afin de gagner le col de
la Gippiera et de contourner la base du Brec faisant face a
Tltalie. Nous laissons ainsi h notre gauche les quatre lacs
appel6s lac Long, lac Bond, lac Noir et lac des Neuf-Cou-
leurs, ayant devant nous, egalement a gauche, la Berche :
du-Sauvage (3,020 met.) et l'Aiguille de Ghambeyron
(3,400 met.), et derrtere nous le rocher de Saint-Ours
(3,085 met.). Parvenus au col, nous nous arrMons pour
faire une 16g£re collation, et nous laissons les sacs, n'em-
portant que le strict necessaire.
AKNUAIRK DE 1883. 2
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18 COURSES ET ASCENSIONS.
Ici, L6zin fait mettre la corde. Risoul, qui pretere n'&tre
pas attache ira en avant pour montrer le chemin. Quand
vient le tour de Jouve, il se recuse : « Pas besoin, dit-il,
j'ai le pied solide. » Puis, montrant ses doigts crochus :
« Voyez ces griffes; avec ga, je ne ldche jamais. » L6zin
parvient difficilement h lui faire eomprendre que c'est
dans l'inter$tdu voyageur et non dans le sien qu'il doit se
conformed la regie. Nous traversons alors quelques 6bou-
lis suivis de pentes de neige assez raides. Risoul, qui s'est
retourne pour nous regarder, exprime naivement son
admiration en nous voyant manoeuvrer nos piolets. Ce qui
le frappe surtout, c'est la rapidity avec laquelle Lezin
taille les pas. Instinctivement, il met la main dans sa
poche, en retire un crochet a arracher les marmottes, le
visse au bout de son b&ton et se met h imiter nos mou-
vements.
Nous void dans les couloirs. Comme la roche est bonne,
nous les escaladons sans difficulte, et nous atteignons
ainsi une ar£te neigeuse, bien en evidence, pas loin de
1'arMe Sud. A mesure que nous nous Slevons, elle devient
d'une raideur extreme. Gette ar&te franchie, nous nous trou-
vons a la base d'une petite cheminee fort etroite. C'est ici le
mauvais pas. II nous faut marcher avec de grandes precau-
tions. Risoul monte le premier ; il s'apergoit bient6t qu'il
ne peut plus continuer. II y a de la glace vive. II lui est
egalement impossible de retourner sur ses pas. L6zin est
force d'aller k son secours. C'est dans de pareilles conjec-
tures qu'on remarque toute la distance qui s6pare le
simple montagnarddu veritable guide. Apr&s avoir etudie
la position, L6zin se decide pour la face du rocher lais-
sant la cheminee un peu h droite. Le chemin est dange-
reux : un seul faux pas, et tout le monde pourra 6tre en-
traine ; mais il n'y a pas h choisir.
Lezin dispose alors la corde de fagon h s'en reserver
quinze metres environ. II fait grimper Risoul plus haut
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X
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PROMENADES DANS LES BASSES-ALPES. 21
que lui et lui prescrit de rouler la corde autour du rocher
en la tenant bien tendue. Ceci fait, il embrasse lui-m6nie le
rocher d'une main et de l'autre me dirige de gauche h.
droite le long des parois lisses du rocher. De cette fagon, il
ne faut qu'un peu de courage et d'agilit& pour franchir le
mauvais pas. Enfin, nous prenons la chemin6e a l'endroit
ou elle devient praticable et, apr&s une courte mais vigou-
reuse grimpade, nous nous trouvons sur l'ar&te finale,
entre les deux sommets. « Cette arfcte, dit M. Coolidge 1 , se
compose d'un vaste plateau inclinant leg&rement vers
TOuest. Au centre se trouve une grande pyramide. II y
en a deux autres a l'Est, sur la ligne de falte. » Nous
nous dirigGons vers le sommet Sud qui est le plus 61ev6 f
et \h nous trouvons, entente dans la pyramide, une bou-
teille a champagne contenant la carte de M. Coolidge
avec les noms des deux Aimer, et la date du 31 jiiil-
let 1879. Quant au drapeau rouge que notre eminent
collegue y avait plante, nous n'en retrouvons pas le
moindre vestige.
11 est midi pass6. Bien que le ciel soit un peu sombre, je
puis encore verifier le panorama dont M. Coolidge a donn6
la description sommaire. Par un temps clair, en effet, on
doit apercevoir distinctementle Mont-Rose, les principales
cimes du Dauphine, les villages de Fouillouze, Grande-
Serenne et Saint-Paul-sur-Ubaye, et, au Sud-Est, les vil-
lages de la Maira, Acceglio (Aceil), Ussolo, Prazzo, Saint-
Michel et Stroppo.
Apr&s une demi-heure de repos, nous commenQons la
descente par le chemin suivi pour la mont^e. Au bas de
la cheminSe, nous sommes forces de nous arrGter pour
laisser passer une tempGte de gr61e. 11 est prfcs de cinq
heures lorsque nous rentrons k Fouillouze.
Voici maintenant le tableau comparatif du temps
i. Alpine Journal, vol. IX, page 352.
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22 COURSES ET ASCENSIONS.
mis a la montee et & la descente par M. Coolidge et par
moi :
COOLIDGE. NEROT.
De Fouillouze au lac Premier. . . 1 h. 40 min. 2 h. 00 min.
Du lac Premier a l'arete Nord au-
dessus du col de la Gippiera . . 1 h. 15 min. 1 h. 35 min.
De l'arete Nord au sommet .... 1 h. 45 min. 2 h. 10 min.
4 h. 40 min. 5 h. 45 min.
Descente 4 h. 20 min. 4 h. 50 min.
Total 9 h. 00 min. 10 h. 35 min.
Cette difference assez sensible est facile h expliquer.
D'abord, il est probable que l'etat de la montagne 6tait
plus favorable, en 1879, au mois de juillet, lorsque
M. Coolidge accomplit son ascension. Ensuite, M. Coolidge
et les Aimer marchent avec une rapidity presque sans
6gale. Ainsi, en 1881, partantdu refuge du col lsouard, ils
firent Tascension de Rochebrune (3,324 m&t.), aller et
retour, en six heures et cinq minutes! Et pour cela, il leur
fallut passer le col Perdu et franchir prfcs de 4 kilom.
de casse avant d'atteindre seulement la base de la mon-
tagne. Que ceux qui connaissent la locality disent ce qu'ils
pensent d'une course aussi 6chevelee et combien ils con-
naissent de touristes en 6tat de Tentreprendre !
Ne voulant pas me fatiguer outre mesure, en remontant
le soir m&me a Maljasset, je demande de nouveau l'hospi-
talitS h M. Devars, qui me l'accorde avec le plus grand
empressement. J'envoie Jouve en avant, afin que Martrei,
qui nous attend, n'ait pas d'inquiStude, et je garde L6zin
avec moi. Quant k Risoul, dont je suis content, je l'engage
h nous accompagner le surlendemain a TAiguille de Gham-
beyron ; non pas que j'aie besoin de ses services, mais
uniquement pour lui donner une idee encore plus exacte
des ressources qu'offrent la corde et le piolet. II est con-
venu qu'il nous rejoindra le lendemain soir & Maljasset.
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PROMENADES DANS LES BASSES-ALPES. 23
Le lendemain matin, 27, comme je me ressens encore
des fatigues de la veille et que je veux manager mes forces
pour 1' Aiguille, laissant L6zin partir avec le sac pour Mal-
jasset, je descends & Saint-Paul. Apres diner, je remonte
tranquillement k Maljasset, k dos de mulet. Je rencontre
en route Risoul qui s'y rendait 6galement. Nous soupons
tous tranquillement a sept heures, et nous nous retirons
bientftt aprds, afin d'etre sur pied le lendemain au point
dujour.
IV
Le lendemain mardi, 26 aotit, k 5 h. du matin, nous
partons pour l'Aiguille. Je profite du mulet pour me faire
porter jusqu'au fond de la combe de Mary. Puis nous
prenons k droite, en traversant le torrent et en nous 61e-
vant sur un chemin taille dans le rocher qui conduit au
plateau supSrieur ou se trouvent le lac et les glaciers de
Marinet.
Au dernier lac, nous nous arr&tons pour etudierla mon-
tagne et verifier les indications donnees par M. Goolidge,
precaution d'autant plus necessaire que notre Eminent
collogue reconnait n 'avoir pas choisi le meilleur chemin
pour monter. Voici TitinGraire qu'il avait suivi. 11 avait
d'abord gagn6 l'ar&te k la t&te du vallon de Chiliol ; puis,
apres avoir contourne la t6te du vallon par des pentes de
neige assez raides sur le flanc N.-O. de l'Aiguille, il avait
escalade les rochers, afin d'atteindre une deuxi&me arfcte
donnant sur le vallon et le glacier de Ghauvet. Alors, gra-
vissant une pente de neige tout de suite k TEst de la
deuxifcme ar&te, il avait pris de nouveau le rocher, assez
difficile en cet endroit et coupe par plusieurs couloirs, afin
d'arriver au sommet Ouest, le moins 61ev6 des deux som-
mets, pensant pouvoir traverser sans peine jusqu'au vrai
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24 COURSES ET ASCENSIONS.
sommet Majs, parvenu au sommet Ouest, il avait trouv6
un obstacle auquel il ne s'attendait pas, sous la forme (Tune
tour, plant6e juste entre les deux sommets, qui barrait
completement le passage, ce qui Tavait oblig6 k descendre
par une pente d'eboulis jusqu'au glacier de Chauvet et de
remonter directement au sommet le plus £lev6. Pour cela,
il lui avait fallu gravir une nouvelle pente de neige ressem-
blant, dit-il, au glacier carre de la Meije, puis escalader les
derniers rochers, de couleur rouge^tre, qui offrent de
s6rieuses difficultes, atteignant ainsi le vrai sommet par
l'arfcte et la face Ouest. II r6sulte done, de ses propres
explications 1 , qu'il avait perdu du temps k escalader le
sommet Ouest, et qu'il aurait dft se diriger tout d'abord
vers le glacier de Chauvet. Mais ce dernier chemin est-il
mfcme le bon, et dans ce cas est-il praticable pouc nous?
Voilk la double question que nous nous posons. Verification
faite, il parait impossible de le suivre sans nous exposer
aux plus grands dangers. II y a evidemment de la glace
vive dans les couloirs. II faut en chercher un autre. Jouve,
toujours plein de ressources, l'indique sans hesiter. II n'y
a, selon lui, qu'& prendre les pentes de neige droit devant
soi et grimper ensuite dans les chemin6es. fcezin se con-
tente d'abord dehausser les epaules ; mais, Jouve insistant,
il se f4che tout rouge. « Vous ne voyez done pas, lui dit-il,
ces neiges rampantes (sic) et cette glace vive dans les cou-
loirs. Si vous 6tes las de la vie, allez-y. Mais quand on me
donnerait mille francs, moi, je ne voudrais pas y aller, a
plus forte raison y conduire mon voyageur. » Pour clore le
d6bat, je signale & Lezin la pente de neige dont nous
voyons la base h Textremite Est de la montagne, et je le
prie d'aller la reconnaitre. II part, traverse le glacier, et,
aprfcs quelques instants, il nous crie : « En avant ! »
Nous le rejoignons, nous prenons la corde et nous com-
1. Alpine Journal, volume IX, pages 249 et 350.
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PROMENADES DANS LES BASSES-ALPES. 25
menQons k remonter la pente(50°), L6zin en avant, taillant
des marches. A mi-hauteur, nous obliquons & droite pour
gagner des rochers conduisant & un premier sommet *.
Arrives sur un plateau etroit, a 200 met. au-dessous de ce
sommet, nous faisons halte et nous continuons notre re-
connaissance. Jouve, toujours confiant, propose d'aller
jusqu'au bout, puis, le premier sommet une fois atteint,
de continuer en droite ligne jusqu'& la cime. A cette pro-
position, plus que hardie, L6zin, se tournant vers moi,
sourit d'une fagon significative. Cependant il laisse faire.
Jouve part. II grimpe, il faut le dire, avec I'agilite d'un
chat, ce qui lui permet de s'elever pendant quelque
temps. Mais parvenu k 50 mfct. environ du sommet en
question, il s'apergoit qu'il ne peut plus avancer. II cherche
en vain un passage. II ne reussit qu'a d6tach6r une quan-
tity de pierres qui vont rouler en bas avec un fracas
epouvantable.
Pendant ce temps, L6zin, Risoul et moi, nous passons,
par une petite brfcche, sur l'autre face de la montagne,
celle qui regarde le Brec, et que nous avions vue l'avant-
veille. II nous avait m&me semble, en l'£tudiant, qu'a partir
d'une certaine hauteur, elle ne presentait pas de trop
grandes difficultes. Une fois la brfcche passee, toute hesi-
tation cesse. Le chemin & suivre est nettement trac6.
L'impossibilite de passer d'un sommet & l'autre devient
manifeste. II nous faudra descendre environ 100 mfct., tra-
verser deux grandes pentes de neige et quelques couloirs
assez incommodes, la roche etant partout feuilletee et
souvent a pic. Nous passerons ainsi d'un c6te k l'autre de
la montagne, puis, en la gravissant diagonalement, nous
arriverons jusqu'aux fameux rochers rouges, mais en
supprimant une grande partie de la difficulty qu'ils doivent
1. II ne faut pas confondre ce sommet avec le sommet Ouest dont
parle M.' Coolidge, qui se trouve dans une direction tout opposed et
qu'on reconnaitra facilement en jetant les yeux sur la gravure.
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26 COURSES KT ASCENSIONS.
presenter sur la face opposed. Pour ne pas perdre de
temps, L6zin descend tailler des pas au risque de recevoir
sur la t&te les pierres que Jouve, en essayant de sortir
d'embarras, ne cesse de faire degringoler. Bient6til revient,
et crie & celui-ci de descendre. Aussit6t que Jouve nous a
rejoints, nous reprenons la corde, nous suivons la route
que nous avait indiquee notre reconnaissance, et, en moins
d'une heure, nous nous trouvons k la base du sommet le
plus elev6, oil commence la veritable escalade.
La certitude d'atteindre le but redouble nos forces.
Nous montons rapidement jusqu'5. ce que nous ayons at-
teint les rochers rouges. Ici, me rappelant l'avertisse-
ment de M. Goolidge, je commande une halte et je charge
Lezin d'aller etudier de pr&s ces rochers. Au bout d'un
quart d'heurG il revient avec une mine allong6e et hochant
la tdte. « Qu'y a-t-il, L£zin, est-ce que nous sefions blo-
ques? — Non, monsieur, mais il nous faut passer sur
l'autre face et, pour arriver au sommet, il n'y a qu'une
corniche ou Ton ne peut pas placer les deux pieds a la
fdis. Nous avons la corde, c'est vrai ; mais je ne pourrai
pas vous voir et vous devrez vous tier k vous-m£me. Au
moins, vous n'aurez pas peur, n'est-ce pas ? » Je me hMe
de le rassurer. Aussit6t il prend ses mesures. Sur son
conseil, nous quittons nos piolets. II fait passer d'abord
Jouve, en tenant la corde bien tendue. Puis il passe lui-
m6me en m'engageant a attendre qu'il m'ait donn6 le
signal d'avancer. II repete alors, avec Jouve, la m£me
manoeuvre qu'il avait accomplie avec Risoul au mauvais
pas sur le Brec. Au bout de quelques instants, il me crie :
« 6tes-vous pr6t, monsieur? — Oui. — Alors, prenez le ro-
cher des deux mains, ne le quittez pas et marchez de cdte. »
J'avance avec precaution. Quelques secondes me suffisent
pour franchir le mauvais pas, et je me trouve alors h quel-
ques mfetres au-dessous de Lezin, qui me dit pour m'encou-
rager : « Un bon coup de collier, monsieur, et nous y som-
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PROMENADES DANS LES BASSES-ALPES. 27
mes. » En effet, le dernier bloc de rocher est enti&rement
lisse. II est plus qu'i hauteur d'homme. Force est done de
faire ce qu'on appelle en gymnastique un retablissement.
Pour moi, heureusement, e'est chose assez facile. Puis la
corde donhe confiance. Enfin, je tourne le dos au danger.
Je ne m'aperQois pas que je suis, pour ainsi dire, suspendu
dans Tespace. Un effort, et je suis & mi-hauteur. Je n'ai
plus qu'& enjamber. La corde se tend. Un instant de plus,
et je foule du pied le sommet. Risoul arrive 5. son tour et
nous voiih tous quatre r6unis, ayant peine h nous tenir
sur un espace d'environ deux metres carr6s. II est pr&s
de 1 heure. Nous avons perdu beaucoup de temps h la
montee; mais, heureusement, nous connaissons le meilleur
chemin pour descendre. Nous commengons par chercher
la carte de M. Coolidge, que nous trouvons, dans la pyra-
mide elevee par lui,renfermee dans une boite & conserves
de la maison Crosse et Blackwell, de Londres. Nous jetons.
ensuite un regard sur le panorama qui nous entoure.
D'aprfcs la description de M. Coolidge, il doit 6tre magni-
fique, car il comprendrait les principaux sommets des
Alpes pennines et graies, ceux du Dauphin6 et de la Taren-
taise et surtout le mont Viso et les Alpes Maritimes.
Malheureusement les nuages nous le d6robent en grande
partie, de sorte que nous n'en pouvons saisir que quelques
aspects. Ce que nous d6couvrons le mieux k Thorizon,
e'est le Cervin. Plus pr&s, au Nord, e'est Rochebrune,
Here dans son isolement. Quant au Viso, il est comple-
ment cach<5.
Apr&s vingt minutes de repos, nous commenQons la
descente, qui s'effectue rapidement et sans accident par le
m£me chemin que nousavions suivi pour monter, sauf sur
un point ou nous essayons une variante afin de couper
court. Au bas de la pente de neige par ou nous avions
commence Tascension, nous quittons la corde et nous
descendons en glissant & travers les champs de neige qui
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28 COURSES ET ASCENSIONS.
nous separejit du lac de Marinet, le plus proche de
Maurin, oil nous arrivons sur le coup de 4 h. Ici, nous
faisons halte. L6zin et ses camarades en profitent pour
vider le sac aux provisions. Moi, qui n'ai pas faim, je
m'occupe a fouiller la cime conquise, h Taide de ma ju-
melle. Plus je regarde, plus je suis convaincu que nous
aurions 6chou6, si nous avions suivi la route parcourue
par M: Coolidge.
Le soleil est sur son declin; on commence a sentir les
premieres fraictieurs; je donne done le signal du depart.
Les sacs bouclSs, nous reprenons le chemin de Maljasset,
en suivant la combe de Mary. Bient6t nous rencontrons
des troupeaux de moutons. Ah! les belles b£tes! Mais
comme elles nous regardent avec effroi! Ce sont nos pio-
lets surtout qui leur font peur. Jamais elles n'ont vu sur
la montagne des hommes portant de pareils engins. A
mesure que nous approchons, elles battent en retraite et
se parquent comme pour se defendre. Nous traversons a
deux reprises le torrent. L& s'offre k nos yeux un spectacle
des plus saisissants. Je m'arr&te pour le contempler, lais-
sant mes guides continuer leur chemin. Derri&re moi sont
les glaciers de Marinet et TAiguille; a gauche, la T6te-de-
Mi^jour (2,689 met.) et le Signal de Maurin (2,859 mbt); a
droite, la Pointe (3,129 m6t.) et laPointe-Haute (3,212 m6t.)
de Mary; en face, limitrophes entre les Hautes et les Basses-
Alpes, la Font-Sancte (3,370 m&t.) et le Panestrel (3,253 mfct.),
qui semblent, comme deux geants, defendre Tentree de la
jolie vallee d'Escreins ; h mes pieds, les pentes de verdure,
les bois de mSIfcze et, plus bas, les bouleaux, dont les
ramures inclihSes me derobent l'Ubaye, que j'entends t
gronder sourdement ; enfin, le petit sentier qui conduit k
TSglise de Maurin et d'e'Il au hameau de Maljasset; le
tout dore par les rayons du soleil couchant. A ce moment,
YAngelus commence h sonner. En ecoutant, au milieu de
cette solitude, le tintement de la cloche datis le lointain,
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PROMENADES DANS LES BASSES-ALPES. 31
on songeant au jour qui va bientdt s'eteindre, j'Sprouve
Tattendrissement, la douce m^lancolie si merveilleuse-
ment depeints par Dante :
Era gia 1' ora che volge il disio
Ai naviganti e intenerisce il core,
Lo di' c'han detto a' dolci amici addio;
E che lo novo peregrin d' amore
Punge, se ode squilla di lontano,
• Che paia il giorno pi anger che si muore...
A 6 h. 30 min., je suis rentr6 a l'auberge. v
II est impossible de dqnner pour 1' Aiguille, corame pour
le Brec, un tableau comparatif. M. Goolidge a compte
6 h. 10 min. & la montSe, et 3 h. 15 min. k la descente.
Total : 9 h. 25 min., ce qui veut dire 11 b. au moins pour
des marcheurs ordinaires. Nous avons mis, pour la montee
et la descente par la face Sud, 10 b. environ.
Des le lendemain mes guides sont partis, et je descends,
avec Martr6i, k Saint-Paul, ou je rencontre encore
M. Faure, le juge de paix, qui veut bien, & ma demande,
completer, autant qu'il est en son pouvoir, les renseigne-
ments qu'il m'avait d6]k donnas sur le pays. Je passe une
partie de l'apr&s-midi k Studier le Brec des bauteurs der-
riere Saint-Paul, d'ou, je le r6pete, on a une vue admirable
de cette montagne, qui, avec ses parois superpos6es, lisses
et surplombantes, ressemble beaucoup k la Dent-de-Crolle,
vue de Gi&res. Mieux que cela, c'est le Gervin decoiff£. Le
surlendemain, gr&ce au cheval de M. Faure, la seule mon-
ture disponible, je me rends & Guillestre par le col de Vars,
et de \k k Abries, ou je prends quelques jours de repos
avant de regagner mon quartier g£n6ral au Mon&tier.
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32 COURSES ET ASCENSIONS.
Depuis lors, je suis retourn6 dans les Basses-Alpes, afin
d'obtenir de nos collogues de la Sous-Section de Barcelon-
nette quelques details que M. Faure n'avait pu me donner
sur les auberges, les guides et les moyens de transport en
montagne. A cette occasion, j'eus le plaisir de voir M. Aime
Gassier, d6put6, d61egu6 de la Sous-Section auprfcs de la
Direction Gentrale, et M. Francis Arnaud, notaire, secre-
taire de la Sous-Section et auteur d'un interessant article
sur le Grand-Rubren publie dans le deuxi&me volume de
notre Annuaire (1875, p. 230). Je constatai, k mon grand
regret, que les efforts de la Sous-Section pour attirer chez
elle les touristes (Haient loin d'avoir rencontre le succfcs
qu'ils meritaient. Et pourtant elle avait debute par un
coup d'6clat. Fondle en 1875, sous les auspices de M. Xa-
vier Blanc, son premier soin fut de publier un album
photographique contenant les sites les plus interessants de
l'arrondissement. Cet album, qui est un petit chef-d'oeuvre,
a fourni les illustrations qui accompagnent le present
article \ Ensuite, non contente de ce premier effort, elle
voulut stimuler le zh\e des gens du pays connaissant le
mieux le massif de Ghambeyron et les engager k se consa-
crer k la profession de guide. Elle offrit une prime de deux
cents francs k celui ou k ceux qui, les premiers, trouve-
raient le chemin du Brec. G'est en 1878 qu'eut lieu la pre-
miere ascension de cette montagne, et pourtant il n'en a
jamais 6t6 question, que je sache, dans les publications
duGlub. Le fait m^me de Tascension, les noms de ceux
qui I'accomplirent pour la premiere fois, seraient aujour-
d'hui encore compl&tement ignores, si M. Coolidge n'avait
pris soin de nous les reveler.
1 . Nous sommes redevable des photographies ayant servi a faire ces
illustrations a M. C. Rava, photographe a Briancon, auteur de l'album
en question, ainsi que d'un magnifique album du Brianconnais. En
s'adressant directementalui, on peut avoir des vues separees de chacun
de ces deux albums.
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PROMENADES DANS LES BASSES-ALPES. 33
Ceci dit, il ne me reste, pour terminer cet article, qu'&
completer le r6cit qui pr6c&de par quelques details que je
ne crois pas inutiles.
Des deux sommets que je viens de decrire, V Aiguille est,
selon M. Coolidge, de beaucoup le plus difficile. Je ne suis
pas de son avis, ni Lezin non plus. Mais cela tient, encore
une fois, h ce qu'il n'a pas escalad6 I'Aiguille par le c6t6 le
plus facile. A ce point de vue, je crois pouvoir revendiquer
Thonneur d'une premiere ascension par une route tout &
fait nouvelle. Les difficultes que presente le Brec ont beau-
coup d'analogie avec celles qu'on rencontre au Pic sans
nom du Pelvoux, le pic Pendlebury, aujourd'hui pic Sal-
vador-Guillemin.Tel est, du moins, le sentiment de L6zin,
qui a gravi ce pic en \ 880, et c'est en m£me temps le mien ;
car, moi aussi, j'ai ete, la m6me ann6e, h 200 m<H. du
"sommet et n'ai rebrousse chemin que gr&ce k la pusillani-
mity d'un de mes guides. Mais, soyez tranquille, ami lec-
teur, bien que ce soit aujourd'hui la mode, je ne vous
infligerai pas le r6cit do cette tentative malheureuse.
Voici maintenant le tableau des ascensions qui ont et6
faites de ces deux sommets :
Aiguille de Chambeyron
1879, 28 juillet. M. W.-A.-B. Coolidge. — Guides : Christian Aimer
pere et fils.
1883, 28 aout. M. J. Nerot. — Guide : Giroux-Lezin. Porteurs : An-
toine Jouve, Joseph Risoul.
Brec de Chambeyron
1878, 20 juillet. MM. Paul Agniel et Joseph Risoul.
1879, 31 juillet. M. W.-A.-B.Coolidge.— Guides : Aimer pere et fils.
1883, 26 aout. M. J. Nerot. — Guide : Giroux-Lezin. Porteurs : An-
toine Jouve, Joseph Risoul.
J'ajoute la nomenclature des autres cimes de la region
Nord-Est des Basses-Alpes depassant 3,000 met., avec la
ANNLAIRE DE 1833. 3
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34 COURSES ET ASCENSIONS.
station servant tie point de depart. Celles marquees d'un
asterisque ont dej*\ £t6 gravies par des membres du Club
Alpin Fran^ais :
I. — Maljauet (valine de Maurin)
met.
* Aiguille de Chambeyron 3,400
*n a r> v ) P ic signal 3,396*
*Grand-Rubren { . ° . ... ',.
/ cime proprement dite 3,341
Pic sans nom (a cdte* de 1' Aiguille) 3,313
Rocher de Rioburent 3,225
Pointe du Fond-de-Chambeyron 3,220
*Pic du Pelvat 3,218
* Pointe haute de Mary 3,212
| 3,202
Pics sans nom J 3,201
» 3,188
Dent de Maniglia 3,167
Pointe du Fond-de-Roure 3,162
Pic sans nom 3,160
Tete de Malacosta 3,150
Pointe de Cornascle 3,140
♦Pointe de Mary 3,129
Pelvo di Ciabrera 3,126
Brec de l'Homme 3,087
Tete de Lautaret 3,015
Tete de Cialancion 3,006*
Les cols par lesquels on pen&tre le plus facilement du
Queyras dans la valine de Maurin sont :
Le col La Noire (2,999 m&t.), en t6te de la vallee. On y
accede par Saint-V6ran ;
Le col Tronchet (2,666 m&t.) et le col de Girardin
(2,699 m£t.).Ges deux cols sont les plus rapproches de Mal-
jasset. On y accede par Guillestre, la Maison-du-Roi et
Ceillac ;
1. II n'est pas du tout certain que ce pic signale ne soit pas plus
eleve* m6me que 1' Aiguille de Chambeyron (V. Joanne, Gingraphie des
Basses- Alpes, page 4).
2. Je n'ai pas compris dans cette liste les pics qui se trouvent sur la
chaine separant les Basses-Alpes des Hautes-Alpes, ces pics me pa-
raissant plus abordables de ce dernier c6te.
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PROMENADES DANS LES BASSES-ALPES. 35
Le col de Serenne (2,772 m&t.), un peu plus difficile. On
y accede par Guillestre, la valine d'Escreins et le vallon
Laugier.
II faut signaler aussi un col plus difficile, portant sur la
carte au 80,000 e de la fronti&re des Alpes le nom de col
Longet, avec un signal cote 2,984 m&t. II y a ici quelque
confusion. Les gens de Maurin ne connaissent qu'un seul
col Longet (ou de Longet) ; c'est celui qui mene en Italie
et qui se trouve k la t&te de la vallee, prhs du lac de ce
nom, etpresque en face du col La Noire. Quant au pseudo-
col Longet, les gens de Maurin, cornme ceux de Saint-
Veran, ne le placent pas \k oh il est marque, mais k c6t6
de la T£te-de-Longet (3,059 m&t.). Ceux de Maurin l'ap-
pellent La Cula. Un coup d'oeil jete sur la carte fait voir
que ce soi-disant col Longet, ainsi que le col Albert, tout
proche, doivent $tre abordes du c6t6 de Geillac.
II. — Saint-Paul-sur-Ubaye (ou plutdt Fouillouze)
m6t.
*Brec de Chambeyron 3,388
Pics sans nom, faisant suite ( ' £rt
auBr ^ c ) 3,212
Roche-Blanche 3,193
Tete de la Frema 3,143
Tete de Sautron 3,088
Rochers de Saint-Ours 3,085
Sommet de la Meyna 3,063
Berche du Sauvage 3,020
On arrive k Saint-Paul par Barcelonnette ou par Guil-
lestre. Dans le premier cas, on quitte le cbemin de fer k t
la station de Saint-Michel-de-Pruni&res, entre Gap et Brian-
Qon; le reste du trajet (75 kilom.) se fait en voiture. Dans (
le second cas, on s'arr6te plus loin, a la station de Mont-
Dauphin-Guillestre, et Ton continue son chemiri k partir
de Guillestre (3 kilom.) par le col de Vars, & pied ou & dps
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36 COURSES ET ASCENSIONS.
de mulet (27 kilom.). II est difficile d'accorder la preference
h Tune ou k Tautre de ces deux routes.
III. — Larche
Dans cette region, une seule cime depasse 3,000 mfct. :
c'est la T6te-de-Moyse (3,113 mM.).
II y a un service de voitures de Barcelonnette h Larche.
On peut y aller 6galement de Saint-Paul, chef-lieu du can-
ton, mais & pied ou k cheval seulement.
IV. — Barcelonnette
II n'y a, dans cette partie de la region, que quatre cimes
qui aient plus de 3,000 mfct. Ce sont, au Nord, le Grand-
B6rard (3,047 m&t.), dominant les vallees de la Durance et
de FUbaye, et la T&te de Cuguret (3,039 m&L), au levant de
Jausiers; au Midi, le Mont-Pelat (3,053 m&t.) et le Gimet
(3,022 mfct.); mais ces deux derni&res doivent Gtre abor-
d6es du c616 d'Allos. De toutes ces cimes, la vue est, dit-on,
fort belle.
Maintenant, ceux qui pref&rent des cimes un peu moins
Glevees en trouveront un grand nombre, de 2,500 h
3,000 met., entre l'Ubaye et son tributaire le Bachelard.
Les plus fr6quent(5es sont la S6olane (2,910 m&t.), qui
domine toute la region du couchant de la grande chaine,
et, & c6t6, la montagne de La Blanche (2,713 m&t.) ; le Cha-
peau-du- Gendarme (2,687 mfct.) et le Pain-de-Sucre
(2,563 m6t.). Plus au Nord, on a les deux sommets du Par-
paillon ou Grand-Lombard (2,996 met.) et de la Sonaille
ou Grande-Epervifcre (2,889 m&t.). « Toutes ces hautes
cimes, dit Joanne \ pressees autour de Barcelonnetfe, font
de cette ville un centre d'excursions des plusremarquables,
quoique jusqu'ici des moins connus. » Plus loin, en des-
1. Geographie de Basses-Alpes, page 5.
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PROMENADES DANS LES BASSES-ALPES. 37
cendant le cours de 1'Ubaye, prfcs du Lauzet, s'elfcve l'Ad-
jouc (perchoir)-de-l'Aigle (2,489 m^t.), et non Joug-de-
l'Aigle, comme il est improprement appel6 sur la carte de
TEtat-major. Ge pic offre un point de vue remarquable
s T 6tendant, dit-on, jusqu'au Pelvoux.
Hdtels. Auberges. — A Maurin, il n'y a qu'une seale au-
berge, c'est celle d'AndrS Reynaud, dit Martrei. Ses prix
soht : diner, 2 fr. 50; souper, 2 fr.; coucher, 1 fr. Total :
5 fr. 50 par jour. A Saint-Paul, c'est & Tb6tel H61ion qu'il
faut descendre : diner, 3 fr.; souper, 2 fr. 50 ; coucher, 1 fr.
Total : 6 fr. 50 par jour. A Barcelonnette, le meilleur
h6tel est celui du Nord, tenu par Gastel, avec une annexe
distribute en chambres k coucher assez gentiment meu-
blees : diner, 3 fr.; souper, 2 fr. 50 ; coucher, 2 fr. Total :
7 fr. 50 par jour. Partout de la propret6, de bons lits, une
bonne nourriture, une grande complaisance. On m'a dit
quk Larche il y avait aussi une bonne auberge. Les prix
que j'indique coincident k peu pr&s avec celui qui m'a 6te
donne par M. Arnaud : 6 fr. par jour en moyenne.
Guides. Porleurs. — II n'en existe, pour ainsi parler, que
la mature premiere. D'aprfcs M. Arnaud, on trouverait faci-
lement de hardis montagnards, des chasseurs de chamois
surtout, qui, avec un peu d'expgrience, pourraient faire
de bons guides et de bons porteurs. Mais voici une pierre
d'achoppement qu'il faudra 6viter avant tout. Dans le Nord
du d6partement, le sol ne produit, en dehors des p4tu-
rages, que du seigle, de Torge, de l'avoine et des pommes
de terre. A Saint-Paul, on s6me en octobre pour recolter
en juillet. A Maurin, on s&me en juillet pour ne r6colter
qu'au mois d'octobre de TannSe suivante. Pendant les
mois d'aoftt et de septembre, on fait les foins. II s'ensuit
que du l er juillet au 15 septembre, saison des courses, il
serait bien difficile de se procurer les services des gens du
pays, k moins de les occuper assez longtemps pour les
indemniser de ce qu'ils perdraient en abandonnant les tra-
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38 COURSES ET ASCENSIONS.
vaux des champs. Puis, il leur manquerait a tous l'dqui-
pement indispensable : sac, corde et piolet. Qui les leur
fournirait? car ils ne seraient pas en 6tat de faire cette
d6pense eux-mfcmes. La Sous-Section de Barcelonnette
pourrait, h la rigueur, s'en charger, comme Ta fait la
Sous-Section de BrianQon. Mais il faudrait au moins
qu'elle y fut encourag^e par la presence, tous les ans,
d'un certain nombre de touristes. II serait n^cessaire
aussi d'6tablir un tarif des salaires h la course et k la
journ6e. En attendant, il ne sfcrait peuMHre pas difficile
de trouver dans chaque hameau, pour les ascensions or-
dinaires (c'est-^-dire ou il n'y a pas de glaciers), un por-
teur h 6 fr. par jour avec la nourriture et le logement.
En effet, M. Faure, le juge de paix de Saint-Paul, qui a
bien voulu, h ma demande, s'occuper de cette question,
m'ecrit ce qui suit :
« On trouvera des guides 1 qui consentiront k quitter les
travaux des champs en toute saison avec un engagement
de 8, 10 jours, un mois, moyennant 6 fr. par jour, log£s
et nourris (sauf chez eux pour la nourriture). On trouvera
6galement, moyennant 5 fr. par jour, loges et nourris, des
conducteurs ou hommes de peine.
« Vous &tes, par ma lettre, autorise a faire figurer dans
votre article les noms de : 1° Risoul, Joseph, et Agniel,
Paul, de Fouillouze, comme guides & 6fr. par jour ; 2°Pel-
lissier, Paul; Risoul, Emile, et Reynaud, Siffroid, comme
conducteurs ou hommes de peine, h 5 fr. par jour. Les
prSvenir 24 heures & l'avance. »
M. Arnaud pense qu'avec un supplement de 3 fr. par
jour, le guide ou le porteur se chargerait volontiers lui-
m6me de sa nourriture et de son logement. II est certain
que ce dernier arrangement serait plus avantageux pourle
voyageur, car la nourriture et le logement des guides lui
1. C'est-i-dire des gens connaissant les localite's et aptes a faire des
ascensions ordinaires.
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PROMENADES DANS LES BASSKS-ALPES. 39
cotiteraient k Saint-Paul A fr. 50, et k Maurin 4 fr. par
jour.
Moyens de transport. — Ici, m&me difficulty que pour
les guides. Le cheval, l'&ne, le mulet 6tant en grande
requisition pour les travaux des champs au moment m6me
ou le touriste en aurait le, plus besoin, celui-ci devra les
payer beaucoup plus cber qu'en temps ordinaire. Voici le
tarif, valable k Saint-Paul jusqu'au l er juillet, et k Maurin
et a Fouillouze jusqu'au l er aotit (lettre de M. Faure) :
iGuillestre (conducteur et cheval) . 10 fr.
Larche (conducteur et venture). . 10 fr.
Maurin (conducteur et cheval). . 5 fr.
Fouillouze (conducteur et cheval) 3 fr.
De Maurin au col de Mary (conducteur et cheval) . . 3 fr.
De Maurin au col de Lautaret (conduct, et cheval). 3 fr.
Maintenant, du moment qu'il y aurait une affluence de
touristes, il serait, ce semble, de l'int6r§t des aubergistes
de tenir toujours des montures disponibles k des prix
raisonnables.
Refuges. — Enfin, pour faciliter les ascensions dans le
massif de Chambeyron, il faudrait cr6er deux refuges ;
Tun au fond de la Combe de Mary, 1'autre pr&s du col de
la Gippiera, dans le voisinage des petitslacs. A defaut de la
Sous-Section de Barcelonnette,M. Arnaud, son secretaire,
qui est l'obligeance m&me, se chargerait volontiers, le
cas 6cb6ant, de les faire construire en donnant le travail
par adjudication, sur devis et s6rie de prix acceptes par la
Direction Gentrale.
Je m'arr£te. Quelques-uns de mes lecteurs trouveront
peut-Mre que je suis entrg dans des details un peu fasti-
dieux. Mais qu'ils veuillent bien ne pas oublier qu'il suffit
d'un contretemps, si leger qu'il soit, pour faire manquer
l'exp^dition en apparence la mieux organise, et que,
lorsqu'on visite un pays pour la premiere fois, il y a grand
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40 COURSES ET ASCENSIONS.
avantage h en connaitre d'avance les habitudes et les res-
sources. En tout cas, je m'estimerais heureux de leur avoir
inspire le d£sir d'explorer une region qui, par la beaute
et la variety de ses sites, offre au touriste les plus serieux
attraits, sans qu'il lui faille affronter les difficultes et les
dangers qui accompagnent trojj souvent des expeditions
plus ambitieuses.
James N£rot,
Membre du Club Alpin Francais
(Delegue de la Sous-Section d'Uriage).
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ASCENSION DU MONT-BLANC
PAR I/AIGUILLE DU GOUTER
Le lundi 6 aoAt, a 3 h., j'arrivais a Vernayaz; Francois
Fournier, guide de Salvan, m'y attendait. II avait le matin
m6me quitte notre collfcgue Beaumont, de la Section
de Paris, qu'il avait conduit dans le massif des Dents
du Midi, k la Tour Salli6res et au Belvedere, point
culminant et oriental de la chalne des Aiguilles Rouges,
entre l'Eau de Berard, la vallee de la Diosaz et la valine
de Chamonix.
Nous allions coucher k Salvan. Le trajct fut rapide; mon
sac, auquel m'avait habitue mon ann£c de volontariat,
contenait, ind6pendamment du fourniment n6cessaire,
mon appareil de photographie et quatre douzaines de
plaques Munckhoven ou Garcin. Je fis k Fournier le detail
de mes projets.
Je desirais, avant de prendre part aux ffctes de Samofins,
Sixt et Chamonix, m'y preparer par Tascension de la Dent
du Midi, retrouver a Ghampery plusieurs amis, et des-
cendre k Sixt par le col de Sageroux.
Je voulais surtout, pendant ou apres la f&te, monter au
Mont-Blanc par TAiguille du Gotiter.
Nous Stions U h, ^ Salvan , h6tel des Gorges-du
Triage.
La matinee du mardi s'annongait belle. Partis k 7 h.
30 min., nous atteignlmes bientdt la cascade de la Sal-
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42 COUHSES ET ASCENSIONS.
lenche, c'est-&-dire la partie sup6rieure de la cascade de
Pissevache. J'obtins, avec des difficult^ s^rieuses, une
photographie , nouvelle, je crois, de cette beauts al-
pestre.
A 10 h., le temps se gAtait. Nous tenUmes inutilement,
par la neige, la gr61e et la pluie, 1'ascension de la cime de
l'Est ; et, le soir, trempes, grelottants et fatigues, nous re-
posions nos tStes sur un sac de farine, dans un chalet de
Salanfe, muni, sur la recommandation de M. Beaumont,
de couvertures et de chocolat.
Mercredi 8 aout, temps superbe. Nous reussissons Tas-
cension de la Dent du Midi. A la descente, au col de
Susanfe, un nuage complaisant, le seul de la journee, nous
montre le reflet de nos deux personnalitSs ; trois ans aupa-
ravant, mon ombre et celles de tous mes compagnons de
tourisme nous etaient apparues de la m£me manifcre sur
la cime du Schafberg, au-dessus du Wolfgangsee. Nous
couchons au chalet de Bonavaux.
Jeudi, vers 6 h. du matin, descente & Ghampery. Les
collogues attendus n'arrivent que le soir. Quelle bonne
nuit !
Vendredi matin, depart de deux de nos amis, par les
cols de Goux et de Goleze. Le soir, depart des autres,
auxquels je me joins, pour coucher au chalet de Bo-
navaux, et franchir, le lendemain samedi, le col de Sa-
geroux, neigeux et glace; c'£tait le premier passage de
l'ann6e.
Voici notre itin£raire de Ghampery a Sixt.
II faut marcher deux bonnes heures avant d'atteindre
les pr6s de Bonavaux. On suit d'abord le torrent ; puis
on le traverse ; le chemin est rocailleux et raide, mais sous
bois et a 1'abri du soleil. Lorsque nous eftmes franchi la
barrtere qui limite les pres, nous admir&mes le panorama
deploye devant nous. Un violent orage avait pr6c£de le
beau temps ; de tous cdtes sortaient des rochers les cas-
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Cascade de la Sallenche
(dessin de Sloin, d'apres une photographic de M. Joseph Lemercier).
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LE MONT-BLANC PAR l'aIGUILLE DU GOUTER. 45
cades crddes par les pluies; nous avions, k droite, la
pointe de Bonavaux ; & gauche, les p&turages de Susanfe
encore couverts de neige ; devant nous, les gorges resser-
r6es de la Vifcge ; enfm, au dernier plan, le col du Mont-
Ruan et son glacier tourmentS.
Apres un souper champ^tre, nous nous endormons dans
le chalet, au bruit des torrents.
Le samedi h% h., nous nous levons; temps d6sagreable,
douteux et froid. Le dejeuner est rapide et succinct ; Gaillet
allume la lanterne.
Apr&s avoir depass6 les pres, nous arrivons au pas
d'Ancel ; nous longeons le precipice ; et, pendant prfcs
de deux heures, nous marchons a pas comptes jusqu'au
chalet des p&tres de Susanfe. Lh, second dejeuner et
temps d'arr&t. A notre droite sont les Dents-Blanches ;
derrifcre nous, la Dent de Bonavaux et la Dent du Midi ; h
gauche, les cols de Susanfe et du Mont-Ruan; devant
nous, le Sageroux. Gaillet nous dit qu'il a d6j& deux fois
essaye la traVersee du Sageroux, et qu'il a ete arr£t6 par
la corniche du sommet.
Ayant repris nos forces, nous commenQons la montee
sur la neige ; pente longue et tres inclinee, que nous gra-
vissons en zigzags. Au bout de quarante-cinq minutes, nous
nous arr^tons un instant devant un eboulis de queiques
metres; nous reprenons le neve, puis nous le quittons; il
est, en effet, laboure par le d6versoir d'un couloir d'ava-
lanche que nous laissons & notre droite, cheminant Tun
apres Tautre, attaches h la corde, contre une paroi de
rochers. Apres queiques minutes d'attente, Tavalanche
ayant cesse, nous franchissons le couloir, et, longeant le
precipice, tant6t sur la boue, tant6t sur la neige, nous
atteignons, une heure apr&s, la corniche terminale de
neige. Fournier se hisse, nous tire tous successivement,
et, au bout d'une pente raide d'une dizaine de metres de
schiste houeux, nous chantons, au point culminant du
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46 COURSES ET ASCENSIONS.
col (2,410 mfct., (Taprfcs la carte Dufour, ou 2,413 met.
d'aprfes celle de l'Etat-major fran^ais), le Chant des Allo-
broges.
Notre descenle se fait sans difficulty. Nous ne nous
arrMons qu'au bout d'une heure et demie, & la pointe de
Bor6 ; nous y prenons une heure de repos. Aprfcs quqlques
minutes de marche sur des gazons glissants, nous aperce-
vons h notre droite le lac de Vogealle qui, reflgtant les
glaciers, paralt charrier des banquises (i,994 mfct.). Nous
nous arr&tons h peine, pour y boire un peu de lait, au
hameau de Bor6, dont les habitants se proposent de des-
cendre h la fete oil ils verront, disent-ils, de dr61es de
gens. Enfin, le pas de Bor6, taill6 dans un rocher& pic,
nous amfcne dans la vallee de la Combe, et bient6t nous
arrivons h Sixt.
Samecff soir, dimanche et lundi nous assistions aux
fetes de Samofins et de Sixt. Des temoins plus autoris6s
que moi les raconteront et en remercieront les organi-
sateurs. Je suis heureux d'avoir pu, gr&ce h leurs ing6-
nieuses combinaisons , voir le lac de Gers, Pointe-Pe?
louze, le desert de Platey, faire en nombreuse et joyeuse
compagnie Tascension du Buet et, par la Pierre h B6rard
et Argentiere, arriver h Chamonix.
Pendant la fete, je songeais toujours h mon projet d'as-
cension par l'Aiguille du Gotiter; j'y songeais au glacier
de TOgnan, pendant les banquets, les toasts, les discours
et les poesies. Je n'eus qu'un moment d'h6sitation : il fut
court. J'avais k grand'peine arrMe un guide, Joseph
Balmat, pour le joindre & Frangois Fournier. J'entendis,
derriere moi, notre vice-president, M. Durier, demander k
M. Charlet-Straton s'il croyait que je reussirais. — «Non,
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LE MONT-BLANC PAR L AIGUILLE DU GOUTER. 47
repondit-on; c'est une folie; mais il n'est pas possible de
Ten detourner. »
En effet, j'etais d6cid6. Void pourquoi :
J'avais lu et relu le savant et tres interessant article
de M. Ferdinand Reymond (Annuaire de 1881, page 59),
qu'un violent orage et deux jours de detresse k l'Aiguille
du Gouter avaient arr&te dans une tentative semblable.
Mais j'avais entendu plusieurs fois mon pere nous raconter
comment, apr6s avoir, en 1868, atteint, h quelques minutes
prfcs, la cabane de l'Aiguille, et s'<Hre vu force de redes-
cendre, pour 6viter un orage menagant, il avait recom-
mence et rdussi, par un beau temps, en juillet 1869.
' Dans sa conviction, il vaut mieux, si le temps est beau,
monter au Mont-Blanc par l'Aiguille du Gouter plut6t que
par les Grands-Mulets.
Pour aller coucher aux Grands-Mulets (3,050 met.), il
faut huit ou neuf heures de marche, apres avoir £vite,
entre le chalet de la Pierre-Pointue et les s6racs des Bos-
sons, les pierres qui tombent de l'Aiguille du Midi, et tra-
verse les s6racs. On repart vers 1 h. du matin pour attein-
dre la Calotte vers 8 h. ou 9 h. et redescendre, par la m£me
route, & Chamonix.
Si Ton part du col de Voza, pavilion de Bellevue
(1,675 mfct.), on atteint le bas de l'Aiguille en trois ou
quatre heures, soit par une ascension droite, soit par des
lacets, en se dirigeant, trois ou quatre fois, & droite vers le
glacier de Bionnassay, puis k gauche vers le glacier de la
Griaz. II faut quitter alors, d&s le d6but, l^boulis de gau-
che, traverser rapidement les quelques metres qui le s£pa-
rent de celui qui se trouve directement au-dessous de la
cabane invisible de l'Aiguille, afm d'eviter, dans l'apres-
midi surtout, les pierres que Ton voit s'6chapper de l'Ai-
guille ; on gravit sans danger ce second £boulis ; on sta-
tionne plus ou moins & la cabane (3,719 ou 3,815 m&t.) ;
et trois ou quatre heures suffisent pour franchir les mille
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i8 COURSES ET ASCENSIONS.
ou otize cents moires d'altitude qui s^parent de la Calotte
{ 4,8 10 mfct.). Pas de s6racs dans cette seconde ascension,
pas d'incertitude sur la route k suivre. Avec de bons gui-
des, en quittant vers 1 h. du matin le col de Voza, on
peut atteindre le sommet vers midi, et redescencjre le
m&me jour, par les Grands-Mulets, k Chamonix.
Enfin, il y a grand avantage, comme point de vue, a
monter par l'Aiguille du Gouter et k redescendre par les
Grands-Mulets k Chamonix.
Mon ascension ne s'est pas faite dans ces conditions.
. Le vendredi 17 aout, je pris la diligence de Chamonix a
9 h. 30 min., avec mes deux guides. Arrives aux Houches
& 10 h. Vo min. et a midi au pavilion de Bellevue, nous
dejeun&mes ; nos provisions de bouche et de bois furent
bient6t faites. Un Anglais voulut encore me dissuader;
plusieurs de ses compatriotes, retournSs k Saint-Gervais,
avaient, comme lui, renoncS k tenter l'ascension.
. .Je ne puis mieux faire que d'emprunter a M. Ferdi-
nand Reymond lui-m&me la description de notre itin6-
raire :
« Les pentes herbeuses du Mont-Lachat aboutissent k
la base des Rognes. Un sentier de chevres curieusement
perche sur ces assises de gneiss serpente en contournant la
montagne. Au fond de la gorge, la base du glacier de
Bionnassay, dont les nombreuses moraines paralleles mar-
quent- autant d'arr&ts successifs dans sa decroissance ,
et de Tautre c6te le col de Tricot conduisant a Miage. Le
sommet du col (2,133 mfct.) est occupy par l'habitation
alpestre du comte russe Nicolai* qui, chaque annee, avec
sa famille, y passe quelques mois a chasser les chamois
et les coqs de bruy^re, assez nombreux sur les versants de
Miage. Apr^s avoir gravi les Rochers-Rouges, qui separentle
petit glacier de la Griaz de celui de Bionnassay, on se trouve
tout a fait k la base de l'Aiguille du Gouter; l'altitude est
Ik de 3,139 met.: 700 metres d'eboulis a gravir, sans parler
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ANNUAIRE DB 1883.
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f£tes de samoens, sixt et chamonix. 51
du grand couloir de glace, voil& notre perspective pour
arriver & la cabane. »
Je lis plus loin dans la mtaie relation :
« C'est bon pour le matin, dit Michel Folliguet; mais
jamais je n'y ferai passer quelqu'un dans Tapres-midi. »
Nous n'avons pas suivi ce conseil.
Partis a 1 h. 30 min. du pavilion deBellevue, nous n'at-
teignlmes la cabane qu'a 8 h. 25 min. La nuit 6tait tombSe ;
mais, aprfcs avoir traverse des nu6es passagfcres, pendant
que nous gravissions l'6boulis, nous avions enfin la clart6
d'une belle lune ; une mer de nuages couvrait la vallee.
La nuit fut tres froide, le thermom&tre descendit trfcs bas,
et je m'apergus plus tard, k Chamonix, que j'avais le bout
de l'orteil droit gel6. Le caf6 chaud et le bois que nous
avions apportes parvinrent & peu pres k nous r^chauffer.
Nous quitt&mes la cabane & 4 h. Nous 6vit&mes une large
crevasse qui nous separait du D6me, en la tournant du
c6t6 occidental jusqu'au bas des Bosses. Sur la cr£te des
Bosses, le vent etait si violent que Pournier se tenait sur le
versant italien et Balmat sur le versant fran^ais, me for-
mant balancier et contrepoids. A 7 h. 30 min., nous bu-
vions le champagne k demi gel6 au sommet du Mont-Blanc,
et nous dSjeunions du c6t6 italien, k l'abri du vent du Nord,
au bord d'une crevasse recouverte par la neige.
A notre retour, nous crois&mes, aux Bosses, la premiere
caravane partie des Grands-Mulets, vers 1 h. du matin, et
dirigee par M. Angel Blanc qui me serra la main. Notre
descente fut une glissade continue. Nous Stions k 10 h. aux
Grands-Mulets, oil s'6taient arr£t6s M me Blazy, M. Freundler
et d'autres sympathiques collogues.
Malgr6 deux arrets k Pierre-Pointue et au chalet infe-
rieur, nous arriv&mes a 1 h. 30 min. h Chamonix. Je ne me
rappelle pas sans Amotion l'accueil qui me fut fait. Je me
demande encore comment je pusr^sisterauxverresde bi&re
que je dus accepter pendant le jour, au champagne et au
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52 COURSES ET ASCENSIONS.
punch d'honneur de la soiree. Ma nuit n'en fut pas moins
bonne, ni la fin de mon voyage moins heureuse.
Le lundi 20, a 5 h. 30 min. du matin, mes compagnons
de voyage et moi nous quitt&mes Ghamonix. Quelques
jours aprfcs, Tascension de la Jungfrau par l'Eggischhorn
a terming notre campagne alpestre.
En terminant, j'exprime un doute : montera-t-on sou-
vent par l'Aiguille du Goftter? Sur ce point comme sur
toutes choses, en Savoie comme ailleurs, on n'est pas
oblige de suivre h perpetuity l'orni&re ou la route battue.
Defions-nous de la routine et des routiniers ; la routine est
une obliteration de la raison.
Joseph Lemercier,
Membre du Club Alpin Francais
(Section de Paris).
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Ill
ASCENSION DU MONT-POURRI
(TARENTAISE)
PAR VILLAROGER (ARfiTE NORD)
L'ascension du Mont-Pourri, ou Mont-Thurria, est une
des plus belles que Ton piiisse faire en Tarentaise.
La situation isol6e de cette montagne et son altitude
(3,788 mfct.) en font un belvedere de premier ordre.
M. Mathews, qui en a le premier foul6 la cime, et tous
les alpinistes qui Tont suivi, ont decrit avec enthousiasme
le splendide panorama qu'il leur a et6 donn6 d'y con-
templer.
II est regrettable qu'un tel concert d'61oges ne leur ait
pas suscite plus d'imitateurs et qu'aucune relation de
cette ascension par Tar6te Nord n'ait encore 6t6 publide.
Le hasard, ou plut6t la volonte de nos guides, qui seuls
ont choisi la route, me permet de combler cette lacune et
de joindre aux relations ant6rieures quelques notes sur
l'ascension que j'ai faite par Villaroger, avec M. Louis
Deschamps, de Mofttiers, le 18 aotit 1883.
Le 16 aotit, h5 h. du matin, je quittais Ghamonix, der-
ni6re 6tape des f&tes et des excursions organises par les
membres de la Section du Mont-Blanc, auxquels j'apporte
ici, au nom de la Section de ChambSry, le legitime tribut
de nos felicitations et de nos remerciements.
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54 COURSES ET ASCENSIONS.
Je gagnai le Bourg Saint-Maurice par les cols de Voza
et du Bonhomme, et, & 7 h. du soir, j'arrivais a Th6tel
Mayet, ou les fiddles du Mont-Pourri s'etaient donn£ ren-
dezvous.
Je ne dirai rien de rimpression que me fit cette course
et de la vue admirable dont j'aurais du jouir, le mauvais
temps, sous toutes ses formes, ayant couvert de voiles
6pais les aspects les plus pittoresques de ce passage.
Le 17, le temps change et paralt nous promettre une
serie de beaux jpurs.
MM. Deschamps et Marjollet, de la Section de Moutiers, ar-
rivent par le courrier. Notre petite caravane est au complet.
Pour manager nos jambes, nous nous faisons conduire
k Sainte-Foy. G'est dans cette localite que j'ai donn6 ren-
dezvous aux cousins Jean et Victor Mangard, de Laval-de-
Tignes, les guides en titre du Mont-Pourri, dont ils ont
fait les principales ascensions.
Ils nous rejoignent h 3 h. ; aussit6t, nous nous mettons
en marche pour gagner, par Villaroger, le chalet ou nous
devons passer la nuit.
II ne contient pas de bestiaux et n'est habite que pen-
dant la coupe des foins. Nous y trouvons draps, couver-
tures, bois et instruments de cuisine. Le propri6taire nous
donne, moyennant une faible retribution, la jouissance de
toutes ces choses pour la nuit.
Notre installation est presque luxueuse ; apres un leger
repas, nous dormons dans notre paille aussi bien que dans
le plus moelleux lit de plumes.
Les Mangard noire reveillent & 2 h. du matin ; nous par-
tons h 2 h. 25 min., les guides charges des provisions et
d'une corde, et nous arm6s de nos piolets.
Le temps a tenu toutes ses promesses. La nuit est par-
faitement claire, le ciel parait sans un nuage. Au-dessus de
nos t<Hes> le Mont-Pourri dGtache sur les profondeurs infi-
nies sa pyramide d'argent massif.
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ASCENSION DU MONT-POURRI. 55
Nous depassons rapidement, obliquant sur la gauche, les
chalets habites.
Le sentier franchit les escarpements qui dominent les
derniers p&turages et, reprenant notre marche oblique k
travers des 6boulis gypseux et des ravins, nous arrivons au
pied de TAiguille-Rouge.
Nous traversons les premiers champs de neige, auxquels
succede un immense nev6.
Enfin, un petit glacier nous am&ne, par une pente trfcs
raide, au col du Mont-Pourri, que nous atteignons h 6 h.
La marche et un froid assez vif nous ont donne de Tap-
petit; le couvert est bientot dress6, et nous ddjeunons en
devisant gaiement de notre ascension.
Le col est resserr6 entre les grandes moraines du Mont-
Pourri, au Sud-Est, et les contreforts de TAigaiHe-Rouge,
au Nord-Ouest. La carte de l'Etat-major francais le designe
sous le nom de Grand-Col, et le cote & l'altitude de
2,937 met. II peut faire communiquer les vallees paral-
lels de Peisey et de Sainte-Foy.
La direction de la chatne du Pourri n'est pas perpendi-
culaire & cette depression.
Si Ton se place sur le col, ayant h sa droite la vallee de
Peisey et a gauche la vallee qui descend de Tignes au
Bourg, Tar6te principale du Mont-Pourri suit, un peu a
gauche, une direction oblique du Nord-Ouest au Sud-Est,
jusqu'st la Pointe de Gerber, cotee 3,615 met. sur la carte
de l'Etat-major, puis elle s'inflechit leg&rement h l'Ouest
jusqu'a l'ar^te de glace terminale qui forme un arc dont
la concavite est tourn6e a TEst.
Un peu sur la droite, dans une direction Ouest, se de-
tache, en face de la Pointe de Gerber, un sommet cot6
3,393 met., qui est l'Aiguille du Saint-Esprit.
Enfin, en face du spectateur, se trouve le glacier du
Col. . -
L'Aiguille du Saint-Esprit est s6par£e de la Pointe de
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56 COURSES ET ASCENSIONS.
Gerber par une profonde depression pouvantfaire coramu-
niquer le glacier du Col avec le glacier de la Gliere, qui
longe la cr&te du Pourri k l'Ouest.
Je note cette configuration, parce que nous avons eu un
instant Tintention de traverser en ligne droite le glacier du
Col, dont le fond pr6sente des pentes assez rapides et de
larges crevasses, de franchir la depression que je viens de
signaler, et, traversant le glacier de laGlifcre,d'allersuivre,
sur l'arete Guest, le chemin suivi par M. B^rard en 1876.
Cette route nous aurait evit<§ les fatigues et les longueurs
de l'ar&te rocheuse; mais je ne sais si nous Taurions trou-
v6e praticable sur tout son parcours.
Avant de quitter le col, je consulte mon barometre,
qui me donne Taltitude de 2,922 mfct. ; mon thermomfctre
est a — 1°.
Nous repartons k 7 h. ; les moraines du glacier du col
sont franchies en vingt-cinq minutes.
Sur le glacier, nous prenons la precaution de nous atta-
cher k la corde, pour le traverser obliquement et gagner,
k gauche, l'ar&te form6e en ce point d'£normes rochers
6boul£s.
Un glacier sans nom, a grande inclinaison, mais sans
crevasse, confine k l'ar£te orientale.
Les rochers devenant impraticables, nous ne tardons pas
& les abandonner pour le glacier. Quelques pas taill£s par
nos guides, quand la neige est trop dure, nous permettent
de monter en ligne droite.
Mais la montagne ne nous est plus favorable ; elle nous
accueille par un vent glacial et violent.
Le froid est intense, en d£pit du soleil, et nous avons
quelque peine k conserver notre equilibre.
M. Marjollet est tellement 6prouve par cette tempera-
ture sib£rienne, qu'il renonce k poursuivre sa route.
Nous cherchons pour lui un refuge dans les rochers de
l'arfcte, k l'abri du vent.
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ASCENSION DU MONT-POURBI. 57
C'est \h que nous nous s6parons de notre compagnon,
qui attendra notre retour.
Get incident prouve une fois de plus la n6cessit6 de se
v&tir chaudement quand on aborde les glaciers et les
hauts sommets. C'est pour avoir neglige cette precaution
qu6 notre ami n'a pu nous suivre au sommet du Mont-
Pourri, apres avoir r6ussi, en 1880, l'ascension de la
Grande-Gasse.
II est 9 h., et nous sommes k 3,400 m&t. d'altitude. Nous
crayons naivement que quatre heures de marche nous
permettront d'achever notre ascension et de rejoindre
M. Marjollet; aussi laissons-nous 5. sa garde les provisions
et autres objets encombrants.
Nous poursuivons notre route, un peu rechauffes, et
nous gagnons rapidement une depression formant col, sur
l'ar6te m6me, et au pied de la Pointe de Gerber.
Cette aiguille inaccessible nous ferme Facets de l'ar&te
que nous avons a suivre et ne peut £tre tourn^e que sur
la face Sud-Ouest de la montagne.
Cette face, d'une assez grande inclinaison, prGsente, en
effet, de bons rochers et de mauvais couloirs de glace
recouverte de neige. C'est en traversant avec precaution
les uns et en escaiadant les autres que nous nous trou-
vons de l'autre cote de la Pointe de Gerber.
L'ar£te que nous atteignons par ce detour, compos£e
de rochers sur ses deux premiers tiers et de glace sur une
longueur de 250 mfct., est notre seule route pour gagner
la cime. Elle forme la cr£te du Mont-Pourri, de la pointe
que nous venons de tourner au sommet le plus 61ev6,
sur une longueur approximative de 900 mfct. en ligne
droite.
Sur tout son parcours, elle domine h pic le glacier de la
Gurraz, dont nous apercevons sur notre gauche, a une pro-
fondeur que je crois pouvoir evaluer de 900 h 1,000 raM.,
les larges crevasses et les sSracs gigantesques.
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58 COURSES ET ASCENSIONS.
A droite, une pente de glace de 50 h 70 degres la relie
au glacier de la Gliere, qui s'6tend h 500 mfct. au-dessous
de nous, entre l'Aiguille du Saint-Esprit et 1'arGte Sud-
Ouest.
D'aprfcs les Mangard, ce glacier serait normalement trfcs
crevasse ; pour nous, nous le voyons couvert d'une couche
uniforme de neige.
La portion rocheuse de l'ar&te, d'une largeur moyenne
de 1 met., est form£e de strates de gneiss relevees et incli-
nees sur la face Sud-Ouest.
L'action alternative du soleil et de la gel6e lui a donne
cette apparence dechiquetee propre k toutes les crates ro-
cheuses h cette altitude.
Les blocs ont 6te disjoints ou brises par la r£p6tition
puissante de ces petites causes de destruction.
Les uns ont et6 prScipites sur les glaciers ; les autres, se
superposant dans un nouvel ordre, ont forme ces dentelles
de pierre, ces aiguilles et ces clochetons, dont on admire
l'effet pittoresque de la route de Tignes.
Bien que cette arMene pr£sente pas de difficult^
considerables , le vertige cependant y serait un com-
pagnon dangereux, et un faux pas ne nous laisserait
souvent que le choix entre le glacier de droite et celui
de gauche.
Ajoutons que l'architecte du Mont-Pourri a peut-£tre un
peu abus6 des aiguilles, etque chacune nous demande une
nouvelle et assez pSnible ascension.
L'une d'elles nous arr&te plus longtemps que les autres.
Le peu de solidity de ses assises disloqu6es la rend infran-
chissable. Nous devons tourner ce mauvais pas par la face
Nord-Est, sur quelques saillies des rochers qui dominent le
glacier de la Gurraz.
Mais c'est \h la serie des difficultes classiques que Ton
doit toujours s'attendre a rencontrer a cette altitude.
Le grand avantage de ces roches est qu'elles sont rare-
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ASCENSION DU MONT-POURRI. 59
ment recouvertes de verglas, et que les clous mordent
admirablement sur leur surface rugueuse.
Nous ne passons pas moins de trois heures sur l'ar&te
rocheuse.
Notre derniere etape se fait sur la neige.
Cette portion de la cr6te est form6e d'une corniche de
glace d'une largeur moyenne de 2 m&t., surplombant le
glacier de la Gurraz.
Le poids de la glace, ainsi suspendue dans le vide, a
trac6, d'une extr6mit6 a l'autre de l'ar&te, une crevasse a
peine marquee sur quelques points , assez profonde ailleurs
pour separer enti&rement le bourrelet surplombant du
glacier qui l'a forme.
Notre route est indiquSe le long de cette crevasse, dans
la partie superieure de la pente du glacier terminal.
Nous nous attachons, et les Mangard taillent tour a tour
des pas dans la glace.
Pendant cette traversee qui nous prend une heure, le
sommet est reste each 6 par suite de la configuration de
l'ar&te formant un arc dont nous montons la partie con-
vexe.
II nous apparait enfin, et, quelques minutes apres, nous
foulons aux pieds la cime conquise.
II est 2 h. 30 min.
Un soleil radieux et une atmosphere compl&tement
calme nous permettent de jouir, jusque dans ses details,
de Tadmirable panorama que nous avons sous les yeux.
Le versant Sud du Mont-Blanc nous prgsente, avec un
saisissant contraste, des glaciers d'une blancheur ecla-
tante, soutenus par de sombres et puissantes murailles.
Nous reconnaissons, au milieu de cette ceinture de
cimes g^antes, la pyramide du Cervin, le Mont-Rose, le
Grand-Paradis, et, plus pres, la Grande-Motte, la Grande-
Gasse, les glaciers de la Vanoise, les glaciers et les mon-
tagnes de TOisans.
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60 COURSES ET ASCENSIONS.
Mais le temps nous presse et nos guides ne nous accor-
dent que quelques minutes de repos.
Je consulte mon thermomfctre ; nous jouissons d'une
temperature de 8°.
Une rapide observation barom^trique me donne 3,762
met. d'altitude.
Cela nous suffit pour constater, une fois de plus, avec
nos pr£d6cesseurs, que Top6ration trigonometrique qui
6\kve l'altitude du Mont-Pourri & 4,040 mfct. est evidem-
ment erronee.
La carte de TEtat-major franqais lui donne 3,788 mfct,
sous le nom de Mont-Thurria.
Nous quittons la cime & 3 heures.
Le glacier terminal est rapidement franchi ; mais 1'arMe
de rochers nous prend, comme pr6c6demment, trois
heures d'un temps precieux.
Le ciment de glace qui liait entre elles les assises ro-
cheuses a fondu depuis notre premier passage. Les blocs
tremblent sous nos pas ; nous devons & chaque instant
6prouver leur solidity avant de les charger du poids de
nos corps.
Pendant que nous nous livrons & cet exercice, l'Aiguille
du Saint-Esprit envoie, par tous ses couloirs, de formi-
dables canonnades de pierres sur le glacier de la Gliere.
Ces detonations, d'un grand effet dans le silence de ces
solitudes, nous font comprendre qu'il est temps de quitter
les domaines du Mont-Pourri.
Nous abandonnons enfin Tar6te et, reprenant le chemin
du matin, nous nous rapprochons, dans l'intention de faire
un bon repas, du refuge auquel nous avons confi6 nos pro-
visions.
Helas! nous n'y trouvons ni M. Marjollet, ce qui ne nous
surprend pas, ni les provisions sur lesquelles nous comp-
tions pour nous restaurer.
Notre collogue nous a cru descendus sur Peisey ; il a
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ASCENSION DU MONT-POURRl. 61
regagng le chalet, nous laissant seulement sa boite de
botaniste.
II est nuit quand nous atteignons le glacier du col ;
mais la lime s'est levee, et nous n'gprouvons aucune diffi-
cult6 a continuer notre route.
A 9 heures nous sommes au col, et k 11 heures nous
rentrons au chalet que nous avions quitte & 2 h. 25 min.
du matin, n'ayant rien mang6 ni bu depuis notre d&jeuner
de 6 heures.
M. Berard, alors president de la Section du Club Alpin
de MoMiers, a ecrit, dans Y Annualize de 1876, la relation
de son ascension au Mont-Pourri, par Peisey. II a fait dans
cet article, avec la competence d'un alpiniste de premier
ordre double d'un artiste, la description du massif du
Pourri et l'histoire de ses ascensions.
Depuis, M. Edouard Rochat, de la Section de Paris, a
ins6r£, dans YAnnuaire de 1880, la relation de l'excursion
qu'il fit de Tignes h Sainte-Foy, par le Ddme de la Sache
et les ar&tes du Mont-Pourri.
Nos pr^decesseurs connus dans Tascension de cette
montagne, par Villaroger, sont M. Tuckett, d'abord, puis
miss Breworth et M. Coolidge, en 1874.
Quant a M. Mathews, qui en fit le premier l'ascension, il
ne suivit la route que nous avons parcourue que le long
de l'ar&te de rochers ; il aur&it, nous dit M. B6rard, quitt6
cette arMe h son extremity, pour traverser du Nord
au Sud le glacier terminal et atteindre, vers VFpaule, la
route prise plus tard par M. B6rard,
Sans doute, la configuration de l'arfcte de glace que nous
avons gravie a 6t6 considSrablement modifiee depuis l'as-
cension de M. Mathews ; car il me paraitrait aujourd'hui
plus difficile de suivre son iCin^raire que.de longer cette
arfcte, comme nous Favons fait. : ..; , :
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62 COURSES ET ASCENSIONS.
Quelles conclusions peut-on tirer de ces diverses ascen-
sions et quel itineraire doit-on conseiller a ceux qui nous
suivront ?
Je ne connais la route que M. Berard a suivie en 1876
que par la relation de son ascension et par le recit qu'il
m'en a fait lui-m6me.
Elle comprend un seul passage un peu difficile, mais
dont il est toujours possible de se tirer avec de bons
guides.
Victor Mangard m'a parie de Titineraire adopts par
M. Rochat, qu'il a aceompagn6 comme deuxifcme guide ;
il n'a pas hesite a classer cette ascension parmi les plus
difficiles.
Enfin, la route que nous avons suivie a un avantage
considerable : c'est qu'on jouit d'une fort belle vue sur
tout son parcours.
On ne pourrait lui reprocher qu'un peu de longueur ;
mais Mtons-nous de dire que cet inconvenient disparaitra
prochainement, si messieurs nos collogues de la Section
de Moutiers mettent & execution le projet qu'ils avaient
form6 de cr£erunnouveau refuge au-dessus de Villaroger.
Pour etre vraiment utile,, ce refuge devrait etre place
le plus haut possible, et m6me au col du Mont-Pourri.
II serait, dans ce cas, facile de faire l'ascension par
rar&te Nord et de descendre sur Peisey, comme nous en
avons eu un instant l'intention, ou de revenir se reposer
dans un bon lit & Sainte-Foy.
On ne peut juger, du reste, par la relation qui precede,
ni de la longueur ni des difficultes que presente cette
ascension.
Par suite de la grande quantite de neige tombee cette
annee, nous Tavons accomplie dans les plus mauvaises
conditions.
Ainsi, dans les annees ordinaires, on pourrait eviter les
plus mauvais passages de l'arete rocheuse en montant
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ASCENSION DU MONT-POURRI. 63
par les points correspondants de la face Ouest que nous
avons trouv^e recouverte de glace.
Du reste, si cette course etait fr6quemment entreprise,
il serait possible aux guides de la region de modifier un
peu les passages les plus difficiles.
J'ajoute, en terminant, que nous avons 6t6 parfaitement
satisfaits des Mangard, qui sont, h tous les points de vue,
d'excellents guides.
Index (sans haltes)
De Sainte-Foy au chalet des Granges, 2 h.
Du chalet au col du Mont-Pourri, 3 h. 30 min.
Du col au sommet, 7 h.
G. Tochon,
Membre du Club Alpin Francais
(Section de Chambery).
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IV
VOYAGE CIRCULAIRE EN DAUPHIN^
LE VILLARD-DE-LANS. — LE ROYANNAIS.
LE VERCORS. — LA GRESSE. — LE TRIEVES, LA SALETTE. — LE VALGODEMAR.
L'OISANS. — LE GALIBIER. — LA MAURIENNE. — LA VANOISE.
PRALOGNAN.
J'avais plusieurs fois traverse le Dauphin^, et je m^tais
timidement aventur6 dans ces montagnes grandioses et
ees vallees myst^rieuses. Aussi, aguerri par quelques
ascensions comme Belledonne (2,981 met.), les Petites-
Rousses (2,813 mfct.), le Pic de Jandri (3,300 met.), et une
reconnaissance jusqu'St la Berarde, centre de cette incom-
parable ceinture de glaciers d'ou Emergent les Ecrins et
la Meije, je me sentis assez familiarise avec la montagne
pour tenter de plus hauts exploits et franchir ces valines
par leurs cols & l'aspect inaccessible.
En m6me temps, afin de mieux saisir les grandes
lignes du Dauphin^, j'avais r6solu d'en faire en quelque
sorte le tour k pied, en debutant par le Vercors, passant
par le Tri&ves et revenant par l'Oisans, la Maurienne et la
Tarentaise.
Parti de Paris le 10 juillet 1883, j'arrivais h Grenoble le
samedi 14, aprfcs une rapide tournee dans les belles mon-
tagnes du Forez et du Beaujolais, qui m^ritent bien une
visite.
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VOYAGE CIRCULAIRK EN DAUPIIiNE. ti5
LE VILLARDDELANS (i,040 met.)
ASCENSION DU PIC SAINT-MICHEL (1,038 met.)
Le dimanche .15, encore souffrant d'une ampoule an
pied, — les cordonniers de Paris ne savent decidement
pas faire les chaussures *, — je prends, k 6 h. du matin,
la diligence pour le Villard-de-Lans (27 kilom. 1/2).
Cette route si admirable de Sassenage et des gorges
d'Engins a 6te trop decrite pour y revenir. J'cngage seule-
ment les touristes k la faire a pied pour pouvoir visiter les
cuves de Sassenage et mieux admirer le cours tourmente
et impfitueux du Furon.
Arrive & 11 h. au Villard, au bon hdtellmbert, je partais,
sans guide, aussitdt apr&s le repas necessaire, pour le col
de l'Arc (1,743 met.) et le pic Saint-Michel, excursion
classique. Du sommet du pic (1,938 m&t.), on jouit d'une
des plus belles vues du Dauphine, comme etendue et va-
riety. L'oeil embrasse d'un cdte le massif de la Grande-
Chartreuse, le Graisivaudan, les Beauges, le Mont-Blanc, les
Sept-Laux, Belledonne, Taillefer, le Pelvoux, l'Obiou, etc.;
de l'autre, le Vercors, le Hoyannais, les monts du Lyonnais
et du Beaujolais, k perte de vue !
II faut environ trois heures pour lamont^e, deux heures
pour la descents Quoique seul, j'ai facilement atteint le
sommet. Je n'ai d'ailleurs, dans toutes mes ascensions,
pris de guide que sur les glaciers, 6tant tr£s partisan des
voyages sans guides; la carte du pays les remplace avanta-
geusementet on jouit ainsi d'une bienplus grande liberte.
On s'habitue aussi& plus de prudence, et on acquiert mieux
I. II faut s'adresser au Bourg-d'Oisans, chez Pelou; pour cjuiuz
dix-huit francs ou a d'excellentes chaussures de montagne.
ANXUAIRE DE 1883. 5
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66 COURSES ET ASCENSIONS.
1' experience necessaire aux excursions de monlagne. A
7 h., j'etais de retour au Villard.
LE ROYANNAIS. — LE VERCORS
Le lendemain 16 juillet, malgre la pluie, je bouclais mon
sac, et je partais pour Pont-en-Royans, dans la Dr6me
(2-4 kilom.), par le chemin le plus etonnant, le plus mer-
veilleux qu'on puisse r&ver : la valine, ou plut6t les
gorges de la Bourne ! (11 est preferable d'aller du Villard-
de-Lans h Pont-en-Royans, car la route descend sans
interruption. En sens inverse, le chemin serait plus pe-
nible.)
A 2 h., j'arrivais a Pont-en-Royans (300 met. d altitude),
si emerveille que je ne pensais plus aux dix kilogrammes
que je portais sur mon dos. Chez Dubouchet, a rextr6mit6
de la ville, je trouve un repasreconfortant. Dans YAnnuaire
de 1874, notre sympathique collegue, M. Paul Joanne,
avait quelque peu m6dit de l'illustre h6tel Dubouchet; je
dois cependant a la verite de declarer qu'on y mange de
bonnes truites.
A 4 h., afin d'arriver avant la nuit, je prenais le courrier
pour la Chapelle-en-Vercors (20 kilom.), quittant k re-
gret la pittoresque capitale de l'ancien Royannais. Quatre
heures de route (qu'il vaut mieux faire h pied, les voitures
montant au pas pendant 14 kilom., et les pistons pouvant
prendre des raccourcis importants), a travers les belles
gorges des Grands et Petits-Goulets, une autre merveille
du Dauphine.
A 8 h., je descendais &l'h6tel, ou, pour mieux dire, a
lauberge de la Ghapelle (900 met. d'altitude), ou un bon
feu me faisait oublier la temperature siberiennc des
Grands-Goulets.
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VOYAGE CIRCULA1RE EN DAUP11INE. 67
COL DE PAS-LAVIUE (2,000 met.)
(de la chapelle-en-vercors a gresse)
Le mechant lit de l'auberge me repose mediocrement,
et, le 17 au matin, avec l'intention de p6n6trer cette ann6e
dans TOisans par le Valgodemar, je m'informe auprfcs du
garde general des for&ts de la circonscription de la possi-
bility de passer du Vercors dans la vallee du Drac. Je
boucle mon sac & 6 h., et je pars pour la valine de la
Gresse, par les forfcts du Vercors et le col de Pas-la-Ville,
au pied du Grand-Veymont (2,346 mfct.), course qui de-
mande une certaine habitude de la montagne si on veut la
faire sans guide.
II est indispensable d'emporter des provisions, le pays
6tant absolument desert, h part la maison forestiere de
la Coche et celle de Pr6-Grandu, toutes deux voisines, et
ou Ton ne peut trouver qu'un peu d'eau-de-vie. Je n'avais
pas eu cette precaution; mal m'en a pris : j'ai du rester
sans manger, ou a peu prfcs, jusqu'& 7 h. du soir (je n'avais
dans mon sac que du the, du caf6 et un peu de pain, mais
pas une goutie d'eau).
Ge n'est pas une chose aisee que de passer de la Dr6me
dans Tls&re par le Vercors. II me fallait traverser de hautes
montagnes, de vastes for6ts et un col de 2,000 metres.
En quittant la Chapelle, il faut prendre la route qui
cdtoie la Vernaison; peu apr&s avoir depassS Saint-Agnan-
en-Vercors, on prend un chemin a gauche pour atteindre
le village de la Briqueti&re, d'oii Ton gagne la for&t en gra-
vissant une piste forestiere. La montee est dure, mais le
chemin est bon et facile et offre un certain aspect de beaute
sauvage. A mesure que Ton s'61fcve, le regard s'Stend sur
les monts arides et d6nud£s du Vercors. Un pays aussi ste-
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<v8 C0UR9ES ET ASCENSIONS.
rile ne peut suftire k nourrir ses habitants. Aussi les voit-
on sans cesse emigrer.
En trois ou quatre heures, on atteint la maiSon fo-
resti&re, oul'on peut se reposer etse rafraichir. Au dela, on
est en pleine for6t. C'est \k que la difficulty commence et
qu'il ne faut pas perdre de vue sa carte et sa boussole; le
chemin est une route forestiere circulaire que Ton doit
quitter a 300 met. de la maison pour prendre un proble-
matique sentier. Faute d'une attention suffisante, je de-
passe le bon endroit. Reconnaissant trop tard mon erreur,
je m'oriente sur le Grand-Yeymont, dans les flancs duquel
s'ouvre le col de Pas-la-Ville, et, pendant plus de trois
heures, j'erre dans cette for6t impraticable coupee de fon-
drieres et parsemSe de rochers inaccessibles, en franchis-
sant d'immenses espaces rocheux semblables k des glaciers
petrifies, tout crevasses et difficiles k traverser. C'est une
pitoyable aventure que de perdre son chemin dans ce pays
peu hospitalier, veritable chaos, frequents seulement par
les ours.
Bnfin, apres bien des decouragements, je parviens k me
diriger vers le col que je devais escalader et j'apergois alors
le bienheureux sentier que j'avais perdu. J^tais au pied du
col. Le manque d'eau, plus que la marche, m'avait exte-
nue et, a la demi&re montee du col, le sac me parut plus
lourd que de coutume. Gependant, au sommet (2,000 met.),
je trouve fort k point un n6v6 qui me permet de preparer
du the bouillant ; puis un chemin tres rapide m'amene k
Gresse. Du haut du col, un panorama des plus grandioses
s'offre aux regards. On aper^oit d'un c6t6, & plus de 32 ki-
lom., les faubourgs de Grenoble; en face,rOisans; k droite,
le D6voluy, et derri&re soi, le Vercors.
A Gresse (i,200 mfct.), auberge mediocre et primitive.
Tres bizarres, les naturels de tous ces pays-ci ; ils me font
bien rire en me prenantpour un inggnieur qui relfcve des
plans! Personne ne veut admettre que je voyage pour
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VOYAGE C1RCULAIRE EN DAUPHINE. 09
mon plaisir ; on ne doit pas voir souvent ici passer do? tou-
ristes.
COL DU SERPATON (1,600 met.). — LE TRlEVES
Le lendemain, mercredi 18, je pars pour le Monestier-
de-Clermont, en franchissant un col de 1,600 m<H., sans
designation sur la carte d'Etat-major, que Ton pourrait
appeler le col du Serpaton, du nom d'une fontaine voisine.
On y jouit d'une admirable vue. Du sommet, couronne
de deux croix, dont une en granit, on peut admirer les
innombrables circuits du chemin de fer de Grenoble & Gap,
que le regard embrasse sur unevaste etendue et qui, sem-
blable a une galerie de fourmiliere, tant6t se cache dans
de profonds tunnels, tant6t se d^roule en un mince
cordon dans les replis tortueux des montagnes environ-
nantes.
All h., j'etais au Monestier (803 m&t.), dans une vallee
ravissante, et, aprfcs avoir fait un excellent d&jeuner a
l'h6tel du Lion-d'Or, ou Ton trouve une bonne eau gazeuse
naturelle du pays, je repartais & midi 30 min. pour Mens
(19kilom.), par le col du Fau (892 m&t.), l'admirable pont
de Brion, suspendu au-dessus de l'Ebron, et le col de Cor-
nillon-en-Trifcves (850 mfct. environ).
Je ne saurais trop attirer Tattention des touristes sur
l'admirable panorama qui s'offre aux regards du voyageur
se rendant du Monestier & Mens. A peine a-t-on depassG le
col du Fau qu'on dGcouvre devant soi un immense cirque
de 12 & 15 kilom. de rayon, ferm6 par de hautes mon-
tagnes telles que le Mont-Aiguille, le Grand- Veymont &
droite; les monts de la Croix-Haute, en face; l'Obiou et
TAurouse, k gauche.
Ges montagnes semblent une barrifcre infranchissable
(que le chemin de fer de Gap traverse cependant) et forment
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70 COUBSES ET ASCENSIONS.
l'extremite des belles valines du Drac et de la Gresse, qui
s'etendent au Sud de Grenoble.
Lorsqu'on arrive h Mens (800 met.), ancienne capitale
du Trifcves, jadis refuge des protestants, l'oeil est agr^able-
ment surpris par la pittoresque situation de la ville, con-
struite pour ainsi dire dans un vaste entonnoir. On ne
peut d'ailleurs arriver & Mens que par trois cols : le col du
Fau (892 m&t.), le col de la Croix-Haute (1,200 mfct.) et le
col de Saint-S6bastien (926 mfct.). La ville se trouve au pied
du mont Obiou (2,793 mfct.), qui presente de ce c6t6 une
masse imposante, mais pourtant moins curieuse que la face
Nord-Est, qui regard e Corps et Pellafol.
La route est longue de Gresse & Mens, et la fatigue
m'emp6che de pousser jusqu'i Corps. Je ne le regrette pas.
Je trouve & Tentree de la ville un excellent hdtel avec de
bons lits, une cuisine soignee et un aubergiste fort aimable
et empresse. Je regrette de ne pouvoir me rappeler son
nom.
LA SALETTE (1,804 met.)
Le jeudi 19, je repars a 6 h. du matin pour Corps :
26 kilom. de grande route. Apres avoir franchi le col de
Saint-Sebastien (926 met.), le cbemin contourne la base
Nord du Chatel (1,943 met.), contrefort de l'Obiou. De
tous les points de cette route le spectacle est grandiose. En
face de l'Obiou, r.ceil apergoit, au deli de l'Olan, la Barre
des Ecrins et tout le massif du Pelvoux et, au premier
plan, la curieuse vallee du Drac Stroitement encaiss6 dans
des terrains schisteux et tendres dans lesquels ce torrent
creuse chaque jour son lit plus profond^ment.
Avant d'arriver h Corps, la route descend par de rapides
et innombrables lacets vers le Drac, qu'elle traverse k une
hauteur vertigineuse, sur le pont suspendu du Sautel,
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VOYAGE liftCfHUfliE EN DAUPlHNlL 71
puis renioate jn*qii*& Corps (962 m&t.), oil j'arrive si 1 h.
Je degetme k Thdtel de la Poste, oil je suis 6corchS de
la belle fa^on, sans compensation aucune sous le rapport
du confortable.
A 3 h., bien repose, je me decide, pour gagner du temps,
k monter le mSme jour k la Salette. Je laisse mon sac k
l'hdtel et, heureux de pouvoir marcher les epaules libres,
j'arrive rapidement, c'est-&-dire en deux heures et demie,
a la Salette (1,804 m&t.). En sortant de Corps, on traverse
un pont de pierre pour prendre la rive droite du torrent
(un nouveau chemin carrossable, mais beaucoup plus long,
suit la rive gauche), et on gravit un assez bon sentier de
mulet. La vue est belle, mais, lorsqu'on approche du but,
les montagnes se denudent; ce n'est plus partout que du
gazon ; toutes les pentes sont d'un vert uniforme ; le
paysage devient triste et lugubre. Tout k coup Toeil d6-
couvre au loin, a une grande hauteur, la Basilique et ses
dgpendances, nid d'aigle absolument perdu au milieu de
cette solitude desolee, et dont l'apparition inopinee pro-
duit une impression de melancolie indefinissable. Ce
groupe de constructions, qui r6vele la foi et Factivit6 hu-
maine au milieu de ce desert sans vegetation, a quelque
chose d'imposant, de solennel, de mystique.
Je visite la Basilique, semblable k toutes les chapelles de
pelerinage, c'est-&-dire surchargee d'ex-voto. Mais il est
tard; je me hlte et, malgrS la fatigue, je veux monter plus
haut; je ne suis pas satisfait de la vue : on ne voit rien de la
Salette, du moins rien d'int^ressant. Avisant done un ma-
melon 61eve surmonte d'une croix, j'en fais l'ascension
en vingt minutes. Je ne m'en repens pas. La vue de ce
sommet (1,880 met. environ) s^tend fort loin sur tout le
massif et sur TObiou. A mes pieds, d'un c6te j'ai la Salette;
de Fautre, Voeil decouvre Entraigues k la jonction des ra-
vissantes vallees du Valbonais et du Valjouffrey, vallees
verdoyantes et gaies qui contrastent heureusemerit avec la
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72 COURSES ET ASCENSIONS.
tristesse des solitudes dont est environnee la Salette. Au
Sud, la vue est borate par le mont Gargas (2,218 met.),
sommet un peu plus Sieve que celui ou je me trouve et
aussi surmonte d'une croix. La vue doit y 6tre splendide,
mais il est trop tard pour Tescalader. Une bizarrerie de ces
pays-ci : toutes les croix sont couvertes des divers instru-
ments de la Passion, si bien qu'elles ne ressemblent plus h
des croix.
A la descente, je trouve le p&lerinage d6sert : tout le
monde dine. Mon estomac vide me presse de prendre un
parti. La nuit vient; je n'ai qu'& redescendre au plus vite,
et en deux heures je reviens & Corps, ou j'arrive k la nuit
close, a 8 h., fourbu et affam£, mais content.
De Corps a la Salette, on compte 10 kilom., soit 20 kilom.
aller et retour. Avec les 26 kilom. de Mens a Corps, j'avais
fait au minimum 46 kilometres I Je pouvais, sans honte,
en avoir assez.
LE VALGODEMAR
Le lendemain, vendredi 20, la pluie se met de la partie,
et je ne peux boucler mon sac qu'& 10 h., & la premiere
Sclaircie.
En route pour le Valgodemar, 27 kilom. jusqu'a la Cha-
pelle. Mais j'ai compt6 sans le deluge. En arrivant & Aspres-
les-Gorps, la pluie me rattrape et, tout ruisselant d'eau,
j'arrive a midi & Saint-Pirmin-en-Valgodemar (11 kilom. de
Corps) par le col de Saint-Firmin, col anodin. Je trouve
\k bonne auberge, quoique rudimentaire, et bon dejeu-
ner. Mais Torage augmente et ne devra cesser que le len-
demain matin. Force m'est de coucher sur place pour mes
p6ch6s, et je me souviendrai longtemps du lit fantastique
de l'auberge de Saint-Firmin et de ses hdtes incommodes...
Toutefois, cette petite ville est bien situee : & Tentree du
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VOYAGE CIRCULAIRG EN DAUPHIN&. 73
Valgodemar, au bord de la Severaisse, prfcs du Drac et de
la route de la Mure & Gap.
Le samedi 21, h 5 h. du matin, je me mets en route.
Apr&s le terrible orage de la veille, le temps parait remis;
mais tous les torrents dSbordent. La route n'en sera que
plus belle. Mes 16 kilom. sont rapidement franchis, car le
chemin monte peu, et j'arrive i 9 h. chez Gueydan, k la
Chapelle, ou je trouve des nouvelles de Paris.
Apr&s un succulent d&jeuner, — on est fort bien traite
chez Gueydan, — je pars pour le Clot, & 8 kilom.
M me Gueydan me montre avec orgueil la photographie de
MM. Gardiner et Pilkington, qui ont sSjourne plusieurs
jours chez elle, h l'Spoque de leur ascension du pic d'Olan,
en 1877. Elle regrette de ne pas me voir les imiter, car,
assure-t-elle, je suis le premier voyageur de l'ann£e et les
affaires ne marchent pas. Les touristes se d6cident rare-
ment (et bien & tort) & pousser jusqu'au Valgodemar; car
on ne peut en sortir que par des cols assez difficiles, tels
que ceux de la Muande, des Houies, du Sellar. Aussi, malgr£
sa beautg, cette valine est-elle encore peu frGquentee.
En deux heures et demie j'arrive au Clot (1,403 met.)
par un chemin de mulet penible et trfcs pierreux, facile a
perdre.
Le paysage devient grandiose et severe. La magnifique
cascade du Gasset, une des plus belles que je connaisse,
vient Sgayer la solennitS de la gorge, qui se resserre peu a
peu et dont le Clot occupe Textr^mit6.
Le Clot, miserable hameau de quelques habitants, est
situ6 au fin fond du Valgodemar, au pied de Timmense
Sirac et des pics Opillous et Bonvoisin encadrant le col du
Sellar. Ici plus d'issue. La vallee est absolument ferm£o
de tous cdtes par de magnifiques murailles de glace d'une
hauteur vertigineuse. G'est le bout du monde !
Les trois guides Armand travaillent dans la montagne.
Je ne les verrai que le soir. J'en profite pour reconnaitre le
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74 COURSES ET ASCENSIONS.
pays et monter k une demi-heure du Clot, en face du
Sirac, dans un beau cirque de p&turagcs doming par le col
de Says et les Rouies. JPadmire \k un horrible gouffre ou
se pr6cipite le torrent de la Severaisse, et, apr&s un bon
somme au soleil, je reviens au Clot attendre mes hdtes qui
ne rentrent qu'St la nuit.
COL DE LrilUANDE (3,009 m£t.)
Je conviens avec Jean Armand, le second des trois
fr&res, de partir le lendemain pour me rendre k Saint-
Christophe par le col de la Muande et la Lavey.
Gr&ce au Club Alpin, les Armand ont deux bons lits k
offrir aux touristes. J'apprecie hautement ce bienfait
et, a 2 h. du matin, Armand vient sonner le r6veil dans
ma soupente. Le temps est douteux : le brouillard s'eldve.
Ne me souciant pas de passer mon dimanche dans les
plaisirs trfcs relatifs de l'auberge du Clot, je donne le signal
du depart.
A3L done, le 22 juillet, bien appareilles, munis de la
corde, nous commengons l'ascension en prenant la mon-
t£e au-dessus du Rif-du-Sap, a travers des Sboulements oil
le pied recule autant qu'il avance. En deux heures, nous
arrivons k la cabane des Bergers, dernier vestige d'habi-
tation. Mais le brouillard nous gagne completement et
je dois suivre mon guide sans pouvoir examiner notre
chemin. Je constate seulement qu'il est tres rapide.
Gependant, quand nous arrivons au glacier de la Muande
(qui n'est indiquS qu'imparfaitement sur la carte de TEtat-
major), le voile se dechire et nous apercevons le col au-
dessus de nos tGtes. Nous paraissons le toucher; mais deux
heures nous en s6parent encore. Le glacier est long ; mais la
neige est bonne, et bientdt nous atteignons le pied m&me
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VOYAGE CIRCULAIRE EN DAUPlllN'E. 75
du col. II ne reste plus qu'il gravir unc cheminee de glace
assez roide, heureusement en partie recouverte de neige.
De nombreuses traces d'avalanches nous font h&ter le pas ;
Armand taille quelques marches et, ii 7 h. 30 min., ce dan-
gereux passage est franchi sans encombre ei aous posons
le pied sur le col m6me (3,069 met.). Nous sommes *u-
dessus du brouillard. La vue est assez borage, & droite et
a gauche, par les deux eperons qui encadrent le col. Mais,
au Nord-Ouest, le regard s'etend sur tout le massif de
TOisans, les Rousses et Belledonne, autant que la brume
m'a permis d'en juger, et, au Sud-Est, la vue domine le
Petit-Chaillol au premier plan, et au loin les monts qui
dominent Gap. Nous quittons le col pour descendre sur le
glacier du Fond, entrecoup6 de crevasses peu engageantes.
Nous devons contourner a droite et suivre toujours le mur
de rochers, aussi prfcs que possible. Une large crevasse
est facilement franchie et, une heure aprfcs, nous sommes
au pied du glacier.
Lh, n'ayant plus que de faciles pentes de neige et des
eboulis de rochers & franchir, et connaissant bien la si-
tuation de Saint-Christophe, je n'ai plus besoin de mon
guide. Je reprends done mon sac et, aprfcs un repas som-
maire, nous nous separons. Armand repasse le col pour
6tre le soir au Clot ; moi, je continue la descente. Le
temps etait passable alors, mais j'avais compt6 sans le
brouillard et, en atteignant les premiers rochers, je me
trouve subitement envahi de tous cdtes par la nuee qui
s'616ve du fond de la vallee. Arrive au bord d'un precipice
profond, je suis contraint de m'arr^ter sous peine d'aller
rouler dans le torrent que j'entends mugir a 100 met. au-
dessous. On n'y voit pas & deux pas.
Je profite de cet arrGt force pour completer mon dejeu-
ner, et je m'assieds philosophiquement au bord d'un filet
d'eau. Au bout d'une heure, je comments k regretter
mon guide, lorsque, comme j'achevais une tasse de cafe
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76 COURSES ET ASCENSIONS.
chaud, la nuee se dechire tout h. coup et me dSlivre en me
laissant voir la direction probable h suivre. Je plie bagage
et j'arrive bientdt au fond de la valine, au pied du glacier
des Sellettes, en suivant toujoursla droite des 6boulements
et des avalanches de neige, et la rive droite du torrent de
la Lavey.
Une heure et demie aprfcs, je passais aux misgrables
chalets de la Lavey (1,750 m&t.),ou je pus constaterle bon
6tat du refuge, et & 3 h. j'arrivais, par une pluie battante,
h Saint-Christophe (1,465 mfct.), chez Antoine Turc. Le
brave aubergiste se met en quatre pour me r6conforter.
" Cette course de la Muande peut Gtre superbe par le beau
temps; mais, par le brouillard, TefFet en estpiteux, et la
valine de la Lavey est bien le plus detestable chaos de
pierres et de torrents que j'aie jamais parcouru.
BIVOUAC AU PIED DES tCRINS
A Saint-Christophe, j'apprends que Gaspard tils est libre,
-un Anglais l'ayant d6commande la veille. A minuit, mon
homme,'que j'ai envoye qu6rir aux Etages, oil il habite,
arrive h Tauberge, et le 23 juillet, & 5 h. du matin, nous
deliberons sur la campagne k entreprendre h travers les
grands glaciers.
Notre plan arr£t6, nous nous adjoignons comme porteur
Ghristophe Clot, un grand gargon aux larges dpaules, trfcs
complaisant, et nous partons h 8 h. pour aller coucher le
soir au refuge du Garrelet, avec Yid6e arr&t6e de tenter, le
lendemain, la Barre des Ecrins, la reine du massif.
Nous passons aux Etages, sur les bords du Ven6on, oh
nous completons hos provisions d'une poule prise au pou-
lailler de Gaspard, et vers 11 h. nous atteignons la B£rarde.
Nous pensions y rencontrer Gaspard pere avec trois tou-
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VOYAGE CIRCULAIRE EN DAUPHINE. 79
ristes, mais la caravane 6tait partie pour coucher au
refuge du Ch&telleret, dans l'intention d'escalader laMeije
le lendemain.
Chez Rodier, nousemplissons de vin toutes nos gourdes;
mauvaise idee : le vin de la Berarde est cher et trfcs mau-
vais. II est preferable de s'approvisionner au depart, chez
Turc. Je visite le beau refuge dont la garde est confiee a
Rodier, et nous continuons vers le Carrelet que nous attei-
gnons & 3 heures.
Le Carrelet, h 2,000 m&t. d'alt., est un refuge modele
qui devrait servir de type pour tous les autres. II est situe
dans la valine de la Pilatte, k 2 h. 30 min. de marche dela
Berarde et h 1 h. en dessous du glacier de la Temple. II est
bien biti, bien clos. On y trouve huit bonnes couvertures,
un excellent fourneau de fonte et les accessoires n6ces-
saires. Un seul defaut est a signaler : le lit de camp est
trop incline.
Le volatile de M mc Gaspard est plumd et mis dans la
marmite, et, h 7 h., apr&s un repas declare succulent a
l'unanimite, nous nous enfouissons dans les chaudes cou-
vertures, pleins d'espoir pour l'attaque du colosse h
affronter le lendemain.
PIC C00LIDGE (3,740 met.)
DEUX1EME ASCENSION FRANC AISE
Le 24, h 2h. du matin, reveil. Mais helas! lavallee est
enveloppSe de brouillards epais, le froid est vif. Gaspard
declare impossible Tascension convoitee. D&sappointe-
ment g6n6ral ; mais la pluie torrentielle qui nous attendait
k la fin du jour devait nous faire voir combien la prudence
de Gaspard avait sa raison d'&tre.
Mon plan de campagne ainsi d6jou6, je reste fort per-
plexe. — « Montons au pic Coolidge, fait Gaspard, il n'a 6te
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80 COURSES ET ASCENSIONS.
gravi que trois fois. C'est line belle ascension; de U3t, nous
pourrons examiner h notre aise les Ecrins qui demain
seront peut-etre accessibles. » La proposition adoptee, nous
bouclons les sacs h 3 heures.
Au depart, nous prenons la direction de la mont6e des
Ecrins, face Sud; puis, obliquant h droite, nous gravissons
les pentes roides du col de la Temple ; au milieu du gla-
cier de ce nom, nous deposons les sacs et objets inutiles,
et, laissant h droite le col de la Temple, nous continuons
1'ascension en droite ligne sur la barre des rochers qui
ferment et enserrent le glacier au Nord, et qui ne sont que
les assises Sud de notre pic. Les premiers rochers ne
sont pas engageants et ne se laissent pas escalader facile-
ment, cuirasses qu'ils sont de verglas ; car le froid est vif
etle brouillard a ete intense. Nous atteignons bientdt des
pentes de neige qui dominent le glacier de la Temple et,
par un froid de 6 degres que revele le thermometre, nous
avons la f&cheuse idee de nous arr&ter et de festoyer pour
reprendre des forces, sous un trompeur et p&le rayon de
soleil levant. Un quart d'heure apr&s, reduits & l'etat de
glacons , nous devons repartir en Mte. J'ai une main
presque gelee, et le brave Clot a si froid qu'il n'a rien pu
manger. Gants et jambieres de laine m'ont rendu 1& un
fier service. Sans leur protection, je n'aurais jamais pu
atteindre le sommet.
Nous arrivons enfin au glacier superieur, belle nappe
neigeuse terminee par une immense et perfide corniche de
neige qui surplombe le glacier Noir. Mais le brouillard
nous a devances, et ne doit plus nous quitter jusqu'au
retour. Nous atteignons une etroite ar6te, qu'il faut fran-
chir a cheval, une jambe au-dessus du glacier du Vallon,
l'autre au-dessus du glacier Noir, effrayants ^i-pic de plus
de mille metres ! G'est avec un serrement de coeur qu'on
entend les blocs detaches par les souliers se briser au fond
do ces'abimes horribles, mais sublimes!
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VOYAGE CIRCULAIRE EN DAUPHIN^. 81
Une deuxifcme et derniere ar&te nous amfcne enfin h 9 h.
30 min.au sommet (3,740 mfct.; barom. 482; therm. — 5),
etroit belvedere ou Ton tient & peine trois en se serrant.
Devant nous apparait la masse imposante des Ecrins. Le
gearil semble& portee de fusil, mais unabime insondable
et h pic le separe de l'observateur. De tous c6tes, des pre-
cipices, excepts au point ou Tar&te Sud-Est relie ce som-
met hardi au massif qui lui sert d'assises.
Cet observatoire, apres les Ecrins, doit&tre, par sa situa-
tion, un des plus beaux de l'Oisans. MalgrS une demi-
heure d'attente, le brouillard ne devait me permettre de
le constater qu'imparfaitement. Je trouve dans une boite a
sardines, transpercee par la foudre, les cartes intactes de
MM. Perrin, Gardiner et Pilkington. Gelle de M. Coolidge
manque. Elle doit se trouver au fond de la pyramide qu<>
notre intrSpide collegue a 61ev6e lors de sa prise de posses-
sion du pic. Je joins ma carte k celle de mes devanciers,
puis le froid et le brouillard nous obligent a d6guerpir
sans avoir pu jouir enticement de l'incomparable pano-
rama que l'ceil embrasse de ce sommet.
La descente s'effectue sans encombre par le m6me che-
min, si ce n'est que le brouillard se change en pluie et que
nous rentrons au Garrelet & 2 h. 30 min. en piteux etat.
Chistophe Clot part pour la B6rarde afin de nous ravitailler,
et les douceurs du lit de camp me font vite oublier les fati-
gues de l'ascension.
Faite par un beau temps, cette course doit Gtre plus
facile et peu dangereuse. Mais quoi qu'il en soit, et n'en
d6plaise & notre courageux coll&gue M. Perrin, ce pic ne
sera jamais un jeu de debutant, surtout quand le verglas
semet de la partie. En somme, ascension tr&s interessante.
Revue alpine
l f e ascension : 14 juillet 1877. — M. W.-A.-B. Coolidge. — Guides :
Chr. Aimer pere et fils.
ANNUAIRK DK 1883. 6
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#2 COURSES ET ASCENSIONS.
2e ascension : 2i juillet 1878. — MM. F. Gardiner, Ch. et L. Pil-
kington (sans guides).
3 C ascension (l ro ascension francaise) : 15 juillet 1882. — M. Felix
Perrin. — Guides : Gaspard pere ct fils.
4 e ascension (2° ascension francaise) : 24 juillet 1883. — M. Edouard
de Sevelinges. — Guides : Gaspard fils et Christophe Clot.
COL DE LAUEFROIDE (3,300 met.)
TROISIEME ASCENSION
\
Cependant la pluie tombe & torrents. Les montagnes se
couvrent de neige et Clot rentre trempe h 6 heures.
Je maugree, — inutilement, helas! — contre les Ele-
ments qui se liguent pour me persecutor, et je desespere
de mon ascension du lendernain.
Le mercredi 25, ^ 2 h. du matin, Gaspard met le nez
dehors et annonce un temps admirable. II gele ; mais,
h61as I tous les sommets environnants sont couverts d'un
6pais manteau de neige. Impossible de monter aux Ecrins
par la neige fraiche. G'est alors que je regrette de ne pas
<Hre parti l'ann£e precedente avec M. Naegely, au depart
duquel j'avais assist^ k la Berarde. Mon heureux devan-
cier, muni d'un simple parapluie, d'un filet h provisions et
du plaid alpin,avait escalade les Ecrins par la face Sud, et
etait redescendu avec un temps splendide par la face Nord,
sur Vallouise, franchissant le geant comme un simple col.
A cette epoque, le temps m'avait manqu£, comme aussi
une experience suffisante des hautes montagnes, et je ne
pus me joindre h sa caravane.
Aujourd'hui, je nVen mords les doigts, mais je ne m'a-
voue pas vaincu; et duss6-je, une autre annee, bivouaquer
huit jours au Carrelet, je rdussirai.
La neige triomphant de notre perseverance, nous d6ci-
dons de nous rendre en Vallouise par le col de l'Ailefroide,
qui n'a ete franchi que deux fois : la premiere, par M. Duha-
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S
o
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VOYAGE CIRCULA1RE EN DAUPHINE. 85
mel ; la seconde, par M. Felix Perrin, tous deux l'annde
precedente. Deux autres touristes sont arrives, sans guides,
par la Vallouise, jusqu'au sommet du col,mais l'aspect peu
engageant des rochers perpendiculaires de la face Sud les
a obliges h rebrousser chemin.
Nous quittons le Carrelet a 5 h. 45 min. (therm. 0). A
7 h., nous atteignons le magnifique glacier de la Pilatte, le
plus grandiose de TOisans, et, & midi, nous arrivions au
col (barom. 510; alt. 3,300 environ ; therm., 4- 3), par un
temps magnifique. Les derniers rochers sont assez rudes k
escalader et la corde fait son office ; mais la bonne humeur
de Gaspard est communicative, et, apres une demi-heure de
gymnastique des pieds, des genoux et des mains, accom-
pagn£e de nombreux 6clats de rire, nous arrivons au
faite de ce terrible &-pic et nous jouissons d'une vue su-
perbe: en face, sur le mont Viso etl'Italie; derriere nous,
sur tout TOisans.
La bolte & sardines de M. Duhamel 6tant encore enfouie
sous les immenses amas de neige de cette ann£e, je place
ma carte avec le proces-verbal de 1'ascension dans une
nouvelle bolte, & Tabri d'un rocher.
Apres avoir longuement contemple ce magnifique pano-
rama, nous descendons sur le glacier du Sele ; une large
bergschrund est facilement franchie : Gaspard fait un vrai
saut perilleux et nous am&ne ensuite & lui au moyen de la
corde, et, & 6 h. seulement, nous arrivons h Ville-Val-
louise, aprfcs avoir parcouru la longue mais d£licieuse
vallee d'Ailefroide, saccagee, helas ! par l'ignorance et la
sottise de ses habitants, qui abattent peu & peu les m£l£zes
et les sapins, la richesse de cette valine, sans se douter du
tort qu'ils font & leur pays. Presque tous ces malheureux
sont d'ailleurs cretins ou goltreux, et leur vue impressionne
p6niblement le touriste.
Si Ton peut enrayer ces actes de veritable devastation,
cette valine sera certainement un jour le rendez-vous de
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86 COURSES ET ASCENSIONS.
tous les artistes, de tous les alpinistes, lorsqu'elle sera
plus connue.
Le village d'Ailefroide est situe & la rencontre des vallees
du Banc et de Celse-Nifcre. II est arrose par deux torrents
imp6tueux qui bondissent a travers les roches que le
hasard des avalanches a pittoresquement diss6minees qh.
et \h. Ge chaos est ombrage par de nombreux melezes
pousses au gre des caprices de la nature, dans les inter-
stices de tous ces blocs epars. Voillfc un centre admirable
pour l'etablissement d'un refuge ou d'une auberge, qui
rendrait de grands services, et deviendrait, en beau, la
Berarde de la Vallouise ! Ville-Vallouise est, en effet, trop
loin des glaciers, et le refuge G6zanne est insuffisant. D'ail-
leurs, ce dernier tombe en ruines.
Un bon diner chez Gauthier me fait oublier la fatigue de
cette longue course, et je m'etends avec bonheur dans un
vrai lit. Le col de l'Ailefroide est bien reellement le chemin
le plus court et le plus interessant de la Berarde k la Val-
louise. En sens inverse, la descente des rochers Sud du col
doit &tretr&s perilleuse.
COL (MILE PIC (3,502 met.)
Lejeudi 26, & lh. 30min.,Gaspard bat la dianeet organise
dejale depart, car l'etape sera longue. Afin de mieux saisir
la structure de tout ce massif, je veux alter, le soir mGme,
bivouaquer au refuge de l'Alp du Villard-d'Arfcne en fran-
chissant le col Emile Pic, un des cols les plus elev6s de
TOisans. A 2 h. 30 min. , par un beau clair de lune et un temps
froid, nous remontons doucement la vallee parcourue la
veille. Que de po6sie dans cette course matinale ! Chacun
marche silencieux, encore engourdi par un sommeil trop
t6t interrompu. La nature est endormie ; seul le torrent
mugissant se fait entendre et communique h Ykme une
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Col Emile Pic (dessin de Slom, d'apres une photographic).
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VOYAGE C1RCULAIRE EN DAUP1IINE. 89
vague emotion. Comme l'homme se sent petit en face de
ces immensity qui l'environnent, de ces cimes gigantes-
ques qui le dominent, et que la p6nombre fait encore
paraitre plus fantastiques !
A 7 h., nous touchions le glacier Blanc, sur lequel je
rencontre un collogue qui a pass6 la nuit au refuge
Tuckett, oil il attend que les elements veuillent bien lui per-
mettre de monter aux Ecrins par le glacier de l'Encula.
Les abords du glacier Blanc sont abrupts. Le glacier
retrogradant chaque ann6e et sa base se terminant actuel-
lement par un immense k-pic perpendiculaire et inacces-
sible, il faut, en quittant le Pr6 de Madame Carle, grimper
sur les rochers de la rive gauche et escalader une barre
presque verticale, d'une hauteur vertigineuse. Apres plus
d'une heure de gymnastique, on atteint le plateau oil
se trouve le refuge Tuckett, au bord d'un joli petit lac.
Une courte escalade de rochers est encore necessaire, puis
on met le pied sur le glacier apr&s l'avoir ainsi c6toye pen-
dant plus de deux heures. Du glacier Blanc, la vue est
incomparable. On aperQoit dans toute sa majesty le superbe
eventail des Ecrins, face Nord, qui s'^lfcve d'une hauteur
absolue de 1,200 m&t. au-dessus du glacier. L'effet est pro-
digieux et saisissant. On se rend alors un compte plus
exact de la configuration de ce sommet tant convoit6 !
Apr&s une longue et p^nible ascension dans une neige
trop molle et fortement inclinee, nous atteignons, ^ 2h.,
sous un soleil de plomb, le col mSme (barom. 503 ; therm.
-h 17), aprfcs avoir franchi k plat ventre deux larges
bergschrunds recouvertes de neige. L'extr6mit6 sup^rieure
du glacier se rel&ve en un large mais rapide couloir qui
exige du jarret, mais n'est pas dangereux. Du col, la vue
defie toute description. A gauche, les Ecrins, la plus haute
cime ; k droite, la Meije, la plus inaccessible du massif, et,
de chaque c6te, a perte de vue, les nappes blanches de
glaciers plongeant leurs larges assises dans de profondes
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90 COURSES^ ET ASCENSIONS.
valines dont le regard ne peut sonder le fond. Au loin
toutes les cimes connues et inconnues *.
A 3 h., reconforte par une tasse de th6 que je fais chauf-
fer k l'abri du vent, en plagant ma lampe & esprit-de-vin
dans un grand trou creus6 dans la neige, je donne le
signal du depart, et nous descendons rapidement les
pentes dangereuses du glacier de la Plate des Agneaux,
entrecoupees de nombreuses etperfides crevasses; k 6 h.,
apr&s plus de quinze heures de marche, nous atteignons au
fond de la valine le refuge de l'Alp, bien approvisionn6,
mais trop petit (lit pourtrois personnes seulement) et peu
en rapport avec les services qu'il est appele k rendre.
Refuge sale ; fait peu d'honneur aux touristes qui Font
occupe avantmoi.
COL D'ARSINE. — LE MONESTIER
G'est la que, le lendemain matin 27, je devais quitter
mes braves guides. Eux revenaient a Saint-Ghristophe par
le col du Clot des Cavales, Gaspard 6tant retenu pour le
lendemain, et moi je me rendais au Monestier par le'col
d'Arsine, charmante promenade dont j'appr£cie la facility
relative, apr&s les rudes courses que je viens d'accomplir.
A 4 h. de l'apr&s-midi, j'arrive chez Izoard, ou je re-
trouve une valise de ravitaillement que j'avais envoyee k
Tavance. Je reste trois jours k l'h6tel de l'Europe pour
proflter des bains de piscine d'eau chaude naturelle du
Monestier, bains reconfortants et justement cel&bres, qui
valent k eux seuls le voyage. D'ailleurs les coups de soleil
l. M. Paul Guillemin avait assigne au col Emile Pic une altitude de
3,502 met. dans VAnnuaire de 1878. M. Duhamel lui donnc celle de
3,475 met. Mon barometre ne m'a donne que 3,440 met. Cette difference
de 62 metres en moins doit etre attribuec au temps exceptionnellement
beau par lequel j'ai fait Tascension.
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VOYAGE CIRCULAIRE EN DAUPHINE. 91
si frequents et si vigoureux que j'ai re^us sur les glaciers,
malgr6 voile et lunettes noires, ont absolument cuit mon
£piderme, et je suis bien aise de me donner le temps do
faire peau neuve pour ne pas effrayer les populations que
je vais traverser.
Le dimanohe 29, je fais l'ascension de la Croix deCibouit
(2,750 m&t.) par le col des Grangettes, en face le refuge
Chancel que Ton apergoit au pied du glacier du Monestier.
Sur les pentes tres rapides du col des Grangettes, une vio-
lente canonnade faillit me faire renoncer h l'ascension. Ce-
pendant, me garant tant bien que mal des nombreux pro-
jectiles, j'arrive sain et sauf au sommet du col. De la une
demi-heure suffit pour atteindre la cime dela Croix, d'ou
Ton domine le col de l'Eychauda. Belle vue sur le Mo-
nestier et les glaciers de Segiiret-Foran et d'Arsine.
COL DU GALIBIER (2, 658 mi>t.). - VALLOIRE
Le lundi 30 juillet, tout a fait repose, je me dirige, par
le Galibier, vers Saint-Michel-en-Maurienne, station du
chemin de fer d'ltalie. Mais letape est forte et je n'espere
pas au depart l'accomplir entierement.
A 6 h. du matin, je quitte l'ami Izoard, et deux heures
de grande route m'amenent au Lautaret, k la naissance de
la route strategique de Savoie. A 44 h., j'atteins le som-
met du col (2,658 m6t.), apres avoir rencontre tout un
regiment en grandes manoeuvres, qui descend du col du
Galibier pour aller camper au Monestier et faire, cinq
jours plus tard, le siege en regie de la place de Briangon.
Nos braves troupiers, le fusil en bandouli&re et armes de
bMons comme de vrais touristes, circulent dans ces che
mins p^nibles avec un entrain parfait.
Du col, la vue est belle sur les glaciers de la Meije et du
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92 COURSES ET ASCENSIONS.
Pelvoux, d'un c6t6 ; de I'autre, sur le Mont-Blanc et Tltalie.
Je n'atteins le joli vallon de Valloire que vers 2 h., car la
descente est ralentie par les 2 mfct. de neige sous lesquels
la route est encore enfouie. Je suis, tant bien que mal, la
trace laiss6e par les raulets, portant l'artillerie de mon-
tagne, qui ont passe \k avant moi.
Ge pays de Valloire est de toute beauts. On se croirait
en Suisse, k voir ces jolis chalets et ces nombreux villages
pittoresquement 6parpill6s sur des coteaux abrupts et ver-
doyants! En sortant de Valloire, la route remonte sensible-
ment en dominant la rive droite du torrent k une grande
hauteur ; puis, tournant brusquement & droite, penfctre
dans la montagne, qu'elle traverse par un tunnel d'une
centaine de metres, et debouche dans la vallee de TArc.
Al'extremite de ce tunnel, lavue est saisissante. Le paysage
change subitement d'aspect. L'oeil aper^oit, a une pro-
fondeur de 1,000 mfct., la ville de Saint-Michel, sur les
bords de l'Arc. On croit y toucher, mais une vaste forGt
s'gtend depuis le tunnel jusqu'& la riviere. A 200 m&t. de
ce tunnel, la route est inachev6e, et la descente, extrfi-
mement rapide, exige encore une heure et demie pour
franchir les 10 kilom. qui sdparent le tunnel de la ville, La
nuit me surprend dans la forGt, et ma lanterne m'est d'un
utile secours. Enfin, k 8 h. 30 min., aprfcs quatorze heures
et demie de marche, charge de 10 kilogrammes, j'arrive
au but de ma journee : k Saint-Michel-en-Maurienne
(800 m&t. d'altitude).
Mais h61as, funeste destinee! la ville est envahie par la
troupe ! II doit y avoir ici petite guerre le lendemain, et
tous les h6tels sont pleins. Je dois me contenter d'un
canap6, qu'on m'octroie genereusement k Th6tel de la
Poste, et sur lequel il faut reposer mes membres un
peu endoloris par les 50 kilom. que marquait mon p&-
dom&tre. Trop heureux encore de pouvoir dormir k
Tabri !
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VOYAGE CIRCULAIRE EN DAUPHINS. 95
VALLCE DE LARC. — THERMIGNON
Le lendemain 31, je me reveille au bruit du canon. II
pleut; j'en profite pour reparer le desordre de ma garde-
robe et, a 1 h. de Tapr^s-midi, je prends le train pour
Modane, gare fronti&re k 12 kilom. de Saint-Michel, k Ten-
tree frangaise du grand tunnel des Alpes, appel6 k tort
tunnel du Mont-Genis (le Mont-Cenis est a 28 kilom. de
distance). A Modane, je reprends ma route k pied, en sui-
vant le trac£ de l'ancien chemin qui gravit le col du Mont-
Cenis, au-dessus de Lanslebourg, et j'arrive k 7 h. du soir k
Thermignon, a 18 kilom. de Modane. Je compte de \k ga-
gner Pralognan par le col de la Vanoise et revenir par Moii-
tiers et Albertville. C'estescorte d'une pluie torrentielle que
j'echoue k l'h6tel du Lion-d'Or, h6tel florissant autrefois ;
mais, depuis le percement du tunnel, Thermignon est une
ville absolument morte. En effet, peu de voyageurs gra-
vissent maintenant, k pied ou en voiture, le Mont-Cenis.
COL DE LA VANOISE (2,500 m£t.)
Un bon diner et un excellent lit me procurent un repos
nScessaire et bien gagne, et, le lendemain l er aotit, au
matin, je pars pour Pralognan par le col de la Vanoise. La
route doit 6tre longue ; mon aubergiste m'annonce
49 kilom. ! Mon p6domfctre n'en a enregistr6 que 35, mais
qui en valent bien 49; car le col de la Vanoise est bien le
plus mechant chemin comme le plus perfide que Ton
puisse prendre, lorsque la neige n'est pas fondue, comme
c'etait alors le cas, et que Ton n'a pas de guide.
La vue est magnifique, mais il monte, ce diable de che-
min, d'une fagon dScourageante. Du plateau, au-dessus
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96 COURSES ET ASCENSIONS.
de Thermignon, on decouvre admirablement la Dent-Par-
rachee, TArpont, le D6me de Chasseforfct et les Grands-
Couloirs. A midi, j'arrivais k Entre-deux-Eaux, miserable
hameau sur le Doron, k 2,162 m&t, oil toutefois on trouve
k dejeuner confortablement pour un alpiniste. (Test 1& que
je me regalai d'un plat etrange mais succulent, sortes de
chaussons composes d'une feuille de vigne enroul6e autour
d'un bachis d'oeufs, de pain et de fromage, le tout cuit & la
po£le comrae des beignets. Tr&s gourmets, les habitants
d'Entre-deux-Eaux !
A partir de ce hameau, les difficultes commencent. Jus-
qu'ici, il suffisait de conserver la bonne direction et d'arri-
ver k dScouvrir Entre-deux-Eaux, en prenant toujours a
gauche. Mais une fois ces quelques chalets depasses, il
faut, aprfcs avoir traverse le Doron sur le pont de pierre de
la Croix- Vie, se mettre k gravir la montagne presque verti-
cale en cet endroit et sur les flancs de laquelle serpente un
soupQon de sentier. Les poteaux indicateurs places par le
g6nie sont en partie brisks par les avalanches, ce qui me
rend souvent fort perplexe. Aux rochers succ&dent les
pentes de neige et, n'etant pas muni du piolet, je faillis
etre victime d'une glissade, que, par bonheur, je pus enrayer
k temps. Mon dernier jour n'etant pas sonne, je m'en tire
tant bien que mal, en rendant grdce k la solidite de mon
modeste alpenstock, achet6 l'annee precedente chez un
horloger de Briangon, et force m'est alors de tailler quel-
ques marches avec la pointe dudit alpenstock pour me
sortir de ce mauvais pas et franchir ces couloirs parfois
fort inclines.
Jatteins enfin, a 2,500 m&t. environ, le col de la Vanoise,
long plateau entrecoup<$ de lacs, de champs de neige et
d'avalanches. J'admire le magnifique glacier de la Grande-
Casse. Mais j'entends tout k coup un bruit formidable :
c'est une avalanche qui se dStache des Grands-Couloirs et
vient rouler au fond d'un petit lac. Cet incident, tout cu-
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VOYAGE CIRCULAIRE EN DAUPHIN^. 97
rieux qu'il est, me fait Mter le pas; puis le brouillard
arrive. Je comprends qu'il faut sojourner le moins possible
dans ces parages peu hospitaliers ; les naturels des environs
les redoutent tant qu'ils prSferent souvent s'imposer un
long d6tour plut6t que de passer par le col de la Vanoise.
Si un touriste y etait assailli par une avalanche, il lui serait
impossible de chercher un refuge.
PRALOGNAN. — RETOUR
Enfin, & 7 h. du soir, j'arrive chez Favier, k Pi;alognan
(1,400 ni&t.), au fond d'une profonde et belie vallee, ou un
bon hdtel attend le touriste. Seulement, si M. Favier veuty
retenir les alpinistes, il fera bien de manager un peu leur
bourse et de ne pas les prendre tous pour des Cr<3sus !
Le lendemain, jeudi 2, je quitte Pralognan pour me
rendre k Moutiers-en-Tarentaise, par Bozel, ou je dejeune
chez M. Machet, membre du Club Alpin, qui vient d'installer
un hdtel module. M. Machet est'le type du maitre d'h6tel
accueillant et aimable; je lui souhaite bonne chance.
Je passe ensuite k Brides-les-Bains, k Salins, puis j'arrive
k Moutiers et j'y prends la diligence qui doit m'amener a
Albertville, ou je couche. Le 3 aout, je prends le train a
6 h. du matin pour Aix et Annecy, et, le soir, le rapide me
ram&ne k Paris, ou je debarque le 4 aout.
Ainsi, en trois semaines, j'ai pu, en faisant le plus beau
voyage qu'on puisse imaginer, parcourir le Dauphine
presque en entier, et une partie de la Savoie, presque tou-
jours k pied, le sac au dos, ne reciamant Taide d'un guide
que sur les glaciers de l'Oisans.
J'ajouterai, en flnissant, et pour engager les touristes a
entreprendre ces belles courses, que le cout d'un voyage
semblable est trfcs minime, relativement au temps qu'on y
emploie, si on a soin de prendre au depart un billet cir-
ANNUAIRB DE 1883. 7
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98 COURSES ET ASCENSIONS.
culaire d'un mois permeitant d'aller au moins jusqu'&
Grenoble.
Les stapes de 9, 10 et 11 lieues 6tant frSquentes, il est
indispensable d'avoir le jarret solide, ce qui s'acquiert
rapidement par quelques marches preparatories.
Edouard de Sevelinges,
Membre du Club Alpin Francais
(Section do Paris).
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NOTE
SUR
L'ARRONDISSEMENT D'EMBRUN
(HAUTES-ALPES)
AU POINT DE VDE
DES EXCURSIONS ET ASCENSIONS A Y FA1RE
L'annee 1883, qui se termine, a vu s'accoraplir plus
(Tun fait important pour Talpinisme, et il convient cer-
tainement de citer k ce point de vue l'ouverture de la voie
ferree de Gap & Mont-Dauphin. En outre, le prolongement
de cette ligne jusqu'i BrianQon a 6te pouss6 avec une
activity telle que tout fait esp6rer de voir ce nouveau
tronQon livre aussi k la circulation Tet6 prochain.
Les Hautes-Alpes sont done enfin desormais ais&nent
abordables; et je crois utile, d&s lors, d'appeler l'attention
de nos collfcgues de tous pays sur cette region, si peu
connue encore, et de ieur signaler queiques-unes des nom-
breuses et int^ressantes ascensions ou excursions que
Ton peut y faire..
Je ne parlerai ici, bien entendu, que de Tarrondisse-
ment d'Embrun, laissant aux BrianQonnais et GapenQais
le soin et le plaisir de faire connaltre et appr6cier les
beautes et curiosit6s naturelles de leurs domaines res-
pectifs.
Commengons par Embrun (k 1 h. 37 min. de chemin
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100 COURSES ET ASCENSIONS.
de fer de Gap), qui, chef-lieu de l'arrondissement, est, do
plus, un point remarquablement central de courses aussi
belles que nombreuses et varices.
Fi&rement campee sur son rocher (870 met. au-dessus de
la mer), enorme
poudingue forme
d'alluvions an-
ciennes, Embrun
domineunepartie
de la jolie vallee
de la Durance et,
de sa promenade
au bord du Roc,
Toeil gmerveille
peut dej& voir et
choisir plus d'un
but a atteindre.
C'est, en effet,
d'abord, k droi-
te, le Dtorgon, ce
beau chainon des
Alpes, formanten
quel que sorte un
promontoire im-
posant dans la
Petit sentierde la Magnane, Morgou
(dessin de E. Guigues, d'apres nature). Vailee, en grande
partie couvert de
vertes forGts de m61fczes, pins et sapins, et du sommet du-
quel (2,326 met.) on peut apercevoir, dit-og, Marseille : pure
exag6ration, mais qui t6moigne de l'immensitS de la vue
dont on jouit de ce point, cependant facile k gagner.
Presque sous Morgon est la for&t domaniale de Bosco-
do?i, daris laquelle se trouve, k mi-c6te, la fontaine de
['Ours, si chere aux habitants d'Embrun, qui y font, par
consequent, de frequentes visites. De chaque c6te de la
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NOTE SUR L'ARRONDISSEMENT d'eMBRUN. 101
Fontaine de l'Ours sont les sites pittoresques de la Cha-
rence et du Colombier. La promenade, car ce n'est pas
autre chose, est peu fatigante et m6me fort agr6able, h
travers cette belle forfct de sapins, et Ton d6couvre de cet
endroit, qui n'est pas
tr&s <§lev6 (1,600 m.),
un superbe panora-
ma, au milieu duquel
onvoitEmbrun, pour
ainsi dire,&sespieds.
En portant ses re-
gards devant ' soi,
toujours de la pro-
menade du roc d'Em-
brun, voil& le Pic du
Pouzenc, un des plus
eleves de l'arrondis-
sement, car ii n'a pas
moins de 2,901 m&t.
supra mare. On y par-
vient encore sans trop
de peine par le fond
de la valine des Or-
res, etcette ascension
peut s'effectuer pres-
que en un jour. La
La Charence
route est pittoresque (deS8in de E> Guigues , d'apres nature).
et pleine d'imprevus.
Voici ensuite, comme fond de tableau, la chaine des
Owes (2,822 m&t. au pic de Boussolenc), couverte de neige
une trfcs grande partie de l'annSe, et se d6tachant, par
suite, admirablement sur un ciel d'un bleu foncS particulier .
Puis la montagne de Meale (2,427 m&t.), sur le flanc
oriental de laquelle est un canal d'arrosage, pratique a
travers une forGt de melfczes et de jolis « pr6sbois », et
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102 COURSES ET ASCENSIONS.
charmant a suivre, en 6t6, jusqu'aufond du sauvage vallon
de Crevoux.
Puis encore le mont Orel (2,865 m&t.), avec sa belle for&t
de Saluces; le Pic Cloche)' (2,456 mfct.), et tutti quanti, le
tout rempli de tor-
rents, de cascades,
aiguilles de rochers
curieuses, etc.
En arriere, ce sont
ies montagnes abrup-
tes de Chdteauroux
(2,782 mM.); l'enor-
me mont Guillaume
(2,628 ma.), au delk
duquel se trouve la
vallee d'Orci&res ou
du Haut-Drac, sur-
nommee le Gresivau-
dandesHautes-Alpes;
le Pic de Chabrieres
(2,405ma.);Reallon,
etc., etc.
Pour un premier
point d'arrGt, on con-
viendra que \o\\k
Le Colombier, montagne dea Crottes
(dessin de E. Guigues, d'apres nature). Certamement de qUOl
contenter tous les
gotits, satisfaire les appetits, je me trompe, les jambes les
plus insatiables; et, je le r6p£te encore k dessein, toutes
ces courses intSressantes n'exigent pas de grands efforts,
ne presentent pas le moindre danger r6el : Tascension du
Pouzenc, seuie, demande, pour la dernifcre partie, un
guide et queique prudence. La plupart, et mtaie toutes,
peuvent Gtre entreprises avec succfcs par ies dames qui ne
craignent pas la marche.
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NOTE SUR L'ARRONDISSEMENT d'eMBRUN. 103
Le mot d'appetit s'est trouve, tout k l'heure, par inad-
vertance, sous ma plume, et je ne le regrette pas, car ce
lapsus me fourriit l'occasion de protester contre le sot bruit
que Ton ne trouve pas toujours du pain dans les Hautes-
Alpes. Je ne promets pas, k ceux de nos collfcgues que
ces lignes decideront k venir ici, et ils seront nombreux,
je fespfere, qu'ils auront k Embrun le Grand-H6tel, ni
Vallee de Chateauroux (dessin de E. Guigues, d'apres nature).
m&me celui du Louvre, le restaurant des Frfcres Provengaux
ou de Vefour, mais ils peuvent &tre certains d'avoir table et
gtte convenables k l'hdtel Tbouard et k celui de la Poste.
Une fois les localit6s que je viehs d'indiquer sommaire-
ment explorees ou k peu prfcs (car il faudrait bien du
temps pour y voir un peu completement tout ce qui existe
d'interessant), ce serait une grave erreur de s'imaginer
qu'il n'y a plus qu'k rentrer chez soi ou aller ailleurs.
L'Embrunais offre encore & Talpiniste de bien autres res-
sources en ce genre.
En moins de deux beures, le chemin de fer et l'omnibus
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104 COURSES ET ASCENSIONS.
de l'excellent h6tel Ferrary-Vedel, k Guillestre, transpor-
tent d'ici le touriste, en passant sous le beau fort de Mont-
Dauphin, k un nouveau quartier g6n6ral d'excursions,
sinon plus belles que celles des environs d'Embrun, du
moins diff6rentes et
parfois grandioses.
(Test d'abord la
montagne de Com-
be -Chauve (2,521
mfct.), au-dessus de
Guillestre et en face
de laquelle se d6-
couvre, k quelques
kilometres (35 envi-
ron , en ligne droi te) ,
le massif du Pel-
voux, ce rival, uni-
que en France, du
Mont-Blanc et, com-
me lui, couvert de
glaciers et de neiges
6ternelles. On arrive
& la cime de Combe-
Chauve en moins de
quatre heures, en
Pic da FAigalUe, au mont Guillaume tant de Gu j Ueg _
(dessm de E. Guigues, dapres nature). r _
tre et suivant pres-
que constamment un chemin muletier, pas tres rapide,
trace dans la forfct de pins et de sapins qui couvre h peu
prfcs enti&rement cette montagne, et, est-il necessaire de le
dire ? la vue est 6tendue et fort belle de ce sommet.
Puis la splendide (qualificatif qui n'a rien d'exag6r6)
vallee du Queyras ou du Guil, avec son remarquable d6til6
ou etranglernent de la Chapelue, son ch&teau-fort sur un
mamelon, etc. ; celle si coquette d'abord, si strange en-
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NOTE SUR l'aRRONDISSEMENT D'EMBRUN. 105
suite, de Freissinieres-Dormillouse, k l'entrSe de laquelle
est le goufTre de Pallons ou du Confourent, dont on pourra
bient6t visiter le fond, gr&ce aux travaux de MM. E. de
Cazenove et B. Tournier, membres du G. A. F., section de
Lyon, qui ont achete cet abime avec le d6sir d'attirer les
touristes dans cette partie des Alpes.
Mais notre collogue M. E. Guigues, Tartiste embrunais
si connu et le sympathique auteur des illustrations tie
cette sfcche enum6ration de courses, M. Guigues, dis-je,
me fait remarquer que je n'arriverai jamais, non pas k
d6crire, ce que je n'ai nullement ose tenter, mais k signaler
simplement tout ce que l'arrondissement d'Embrun ren-
ferme d'attrayant k parcourir, et que je risquerai, en outre,
si je m'attarde, de ne pouvoir 6tre ins6r6 dans le present
Annuaire, c'est-&-dire que je manquerai ainsi le but que je
me suis propose.
Je m'empresse de suivre ce conseil, dont je reconnais
toute la justesse, et termine en consequence bien vite ici
cette note, en ajoutant toutefois ce dernier avis : le bota-
niste et le g^ologue rencontreront dans ces montagnes
une flore, un champ d'Studes, une collection de roches
vraiment remarquables par leur raretS et leur vari6t£, ce
qui sera pour eux un motif de plus de venir explorer ce
beau pays.
E. GOUGET,
Merabre du Club Alpin Francais
(Sous-Section d'Embrun).
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VI
ASCENSIONS DE I/OBER-GABELHORN
(4,073 METRES)
ET DU T^SCHHORN
(4,498 METRES)
Au commencement du mois d'aout 1883, le lundi 6, je
traversais la rue 6troite et fralche de Stalden, pour me
rendre k Zermatt. Le clocher de Stalden, qui domine le
confluent des deux Vi&ges, entour£ de chalets au bois cou-
leur de rouille, est la perle de la valine de Saint-Nicolas ;
Sblouissant au soleil, il se dresse pareil au phare d'un port
de salut ; le voyageur qui suit p6niblement le sentier pou-
dreux, accable sous le poids d'un air lourd et brulant, re-
prend courage en le voyant et le salue avec joie.
C'est dans cette oasis que me rejoignit mon guide, Basile
Andenmatten, avec lequel je devais faire les ascensions du
Gabelhorn et du Taeschhorn.
De Stalden h Zermatt, le chemin est encore trfcs long, et
peut-6tre la valine de la Vi&ge ne r6pond-elle pas h Yid&e
qu'on s'en fait g6n6ralement. Sa voisine, la vallee d'Anni-
viers, plus harmonieuse de tons, plus boisee, plus retiree, est
aussi plus vari6e d'aspects ; mais elle se termine par un site
sans grandeur : Zinal m6me ne peut soutenir la compari-
son avec Zermatt. II y aurait un moyen de tout concilier,
qui serait de laisser de c6t6 la valine de la Vifcge pour ga-
gner Zermatt par le fond du val d'Anniviers. Ge moyen
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ASCENSIONS DK i/OBER-GABELHORN ET DU TJESCHHORN. 107
n'est pas k la portSe des gens presses, aussi ne l'avais-je
pas choisi, mais j'avais pris une voiture & Saint-Nicolas
pour subir plus facilement les longueurs de la valine. Pen-
dant le trajet, mon compagnon me contait ses prouesses
dans les Alpes bernoises, dont il a vaincu les grants les
plus redoutables, y compris le Moench et l'Eiger; je ne lui
contaispas les miennes... et pour cause; mais n'y a-t-il
pas toujours et plaisir et profit k faire causer un monta-
gnard? Entre deux anecdotes, nous jetions un regard
anxieux sur les p41es nu6es blanches qui sillonnaient un
ciel laitqux, nous ecoutions le bruit si gai des cascades,
nous guettions de trop fugitives 6chapp6es sur les Mischa-
belhoerner et le Weisshorn, nous admirions la masse 6cras6e
mais puissante du Breithorn, jusqu'a ce qu'enfin le fameux
coup de th6&tre du Gervin se montrant brusquement aux
regards nous annonga le terme de notre course.
I
Le lendemain, les nuages accouraient du Sud-Ouest ;
pendant la matinee, ils se groupfcrent et s'assombrirent ; a
2 h., un fin brouillard commenQait k tomber, et nous par-
tions pour l'Ober-Gabelhorn, accompagn6s des souhaits
quelque peu ironiques des indigenes. Notre petite caravane
avait pourtant assez bon air, car k Basile j'avais adjoint
comme second guide un mojntagnard remarquablement
vigoureux, Alois Anthamatten, de Saas ; mais aucune
grande ascension autre que celle du Mont-Rose n'avait
encore 6t6 faite, et le Gervin, poudr£ a frimas, semblait
pr^dire un 6chec certain k toute tentative d'escalade dans
les rochers.
En deux heures, toujours sous la pluie, nous atteignions
notre gite, pittoresquement situ6 au pied de la moraine du
Trift, k 2,400 mfct, sous un toit de roches. Si le plancher,
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108 COURSES ET ASCENSIONS.
de terrc battue, garde des traces de la visite des moutons,
il est, du moins, k l'abri de la pluie; k deux pas de \k, une
source se fraie un passage etroit dans le rocher : avec
trois murs et une porte, on ferait de ce logement imparfait
une cabane moins couteuse d'entretien et aussi utile qu'au-
cune de celles qu'a 6difiees le Club Alpin Suisse. Elle ren-
drait les m&mes services que la cabane du Mountet, sur le
versant opposd.Vers 7 h., sous un heureux coup de vent du
Nord-Ouest, les nuages effarouch^s se dissipent, et bient6t,
pleinement rassur£s, nous contemplons dans toute leur
gloire le Mont-Rose et le Lyskamm. Par contre, comrae
toutes les bonnes chances ne voyagent pas de compagnie,
la nuit s'annonce froide, la couchette est plus courte et
plus dure encore que les matelas de la Grande-Chartreuse,
et MorphSe, mal content du gite, s'envole k tire-d'ailes
vers l'h6tel du Mont-Cervin, suivant l'impulsion de la brise;
je pus suivre des yeux Involution complete des astres, en
enviant le souffle 6gal de mes guides pesamment endormis.
A 3 h., tandis que, regrettant ma lanterne, laiss6e comme
inutile k Th6tel, nous attendions impatiemment le jour,
nous fumes rejoints par une troupe de six personnes, deux
touristes et quatre guides ou porteurs. Les guides 6taient
charges de tout le bagage photographique de M. Vittorio
Sella qui, avec des plaques d'une grandeur d6mesur6e
(27 c x 40 c ), allait prendre le panorama du Rothhorn. Nous
profit&mes, pour nous mettre en route, de la lanterne de
ces messieurs, et, fort aimablement, M. Sella me promit la
portion du panorama qui m'int6ressait particuli&rement.
Comme, suivant toutes les previsions, notre ascension de-
vait durer deux heures de plus que celle de M. Sella, nous
ne pouvions espSrer figurer, m$me k T6tat de points noirs,
sur le sommet du Gabelhorn. Souvent, comme l'exprime
un proverbe bien connu, tenir et promettre sont choses
difKrentes. M. Sella eut et6 fort excusable d'oublier TofFre
faite k un jeune Fran^ais sans consequence, dans une ren-
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ASCENSIONS DE l'OBER-GABELHORN ET DU TESCHHORN. 109
conlre fortuite; mais il ne Toublia pas. Bien plus, je fus
agreablement surpris en recevant, outre la photographic
du Gabelhorn, celle du Tseschhorn; une lettre charmanto
doublait encore le prix de ce souvenir artistique *.
Au bout de vingt minutes, le chemin du Gabelhorn laisse
k droite celui du Rothhorn, et nous nous separons de mes
collegues italiens. Ce chemin, non fray6, n'est autre chose
que la moraine, facile dans cette demi-obscurit6, pour peu
que le touriste s'astreigne k suivre son guide pas h pas au
milieu des pierres roulantes. D'ailleurs des flaques de neige
viennent fort & propos permettre une marche plus rapide
jusqu'au glacier, que nous attaquons & A h. 30 min. Tout est
pour le mieux,car l'Ober-Gabelhorner-Gletscher est encore
recouvert de neige, et des pentes rapides conduisant h un
premier plateau sont ainsi tres aisement gravies. I/accident
de M. de La Baume, au piz Bernina, n'etait pas encore venu
demontrer la necessite de la prudence, m6me le matin, sur
les glaciers neigeux; cependant nous nous atlachdmes
aussitdt, en tenant la corde bien tendue. II parait que Tou-
bli de cette derniere precaution fut la principale cause du
malheur : la neige, solide pour Locher, ne so rompit que
sous la double charge de M . de La Baume et d'Arpagaus,
qui causaient negligemment ensemble. Cette version n'est
pas celle des journaux, mais elle s'appuie sur Tautorit6
d'un grimpeur de mes amis, qui se trouvait & Saint-Moritz
lorsque eut lieu l'accident.
A 6 h., nous evitons, en la contournant par des rochers,
1. La collection de M. Sella, enrichie chaque ete au prix de tant de
fatigues, se compose actuellement de plus de cent soixante photogra-
phies : cinquante d'entre elles ont 30 centimetres sur 40. La chaiue
du Mont-Blanc a e*te* surtout exploree par notre collegue italien, et
cette serie de vues fort complete doit etre specialement recommande*e
al'attention des alpinistes francais. Les deux gravures qui accompagnent
cet article sont des reproductions de photographies du plus grand
format, mais elles ne peuvent malheureusement donner de Toriginal
qu'une idee bien imparfaite.
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tlO COURSES ET ASCENSIONS.
la premiere ligne de s6racs, a peu pres impraticable ; mais
une pente de glace crevass£e de 45° nous ramfcne bient6t
sur le glacier, que nous suivons pendant deux heures
encore, jusqu'St la bergschrund. Les crevasses du n6v6
superieur, peu nombreuses, ne s'Gtaient defendues que
pour la forme : aucune grave preoccupation n'avait done
emp6ch6 mes regards enthousiasm£s de se fixer sur le
piton du Gabelhorn, fier et dSdaigneux dans l'aurSole que
lui faisait le soleil levant.
500 m6t. restaient k gravir, et, pour atteindre le som-
met, deux directions se pr&entaient k nous. La route sui-
vie le plus souvent franchit la bergschrund, et par des
n6v6s fort apparents, du moins cette ann6e, sur le fllanc
de la montagne, rejoint le plus t6t possible l'arMe orien-
tale. Malheureusement, avec ma lorgnette, nous distin-
guions sur VarGte une Spaisse corniche, qu'il serait bien
temps d'afTronter quand nous ne pourrions plus faire au-
trement. Les guides se prononefcrent sagement pour l'esca-
lade directe de la paroi rocheuse, quelque fatigante gym-
nastique qu'elle dtit nous r6server. Le Gabelhorn est encore
accessible de plusieurs autres mani&res, mais toutes se
rapportent k trois points de depart : le glacier du Trift, le
glacier d'Arben et la cabane du Mountet. On n'exigera pas
que je dScrive ces diflterents chemins, et encore moins que
je me prononce entre eux; tous sont interessants et diffi-
ciles. Quant k nous, une direction le plus possible m^ridio-
nale nous 6tait impos6e par le retard exceptionnel de la
saison algjne, et Tencorbellement naturel de la roche du
Trift constituait contre la pluie une ressource trop pr6-
cieuse pour que nous ne la missions pas k profit.
Nous avions presque atteint la rimaye, et, bien qu'elle
coup4t une pente rapide, nous la jugions assez peu redou-
table. Depuis une heure, en effet, nous nous dirigions sur un
engageant couloir, au pied duquel la neige, en s'Sboulant,
avait jet6 un pont tr&s court sur la crevasse. En provision
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ASCENSIONS DE i/OBER-GABELHORN ET DU T-ESCHHORN. Ill
des difficultes futures, suivant une methode peu orthodoxe,
mais avantageuse dans les rochers, j'6tais attach^ le der-
nier k la corde : les avantages dont je parle ne se mani-
festerent pas tout d'abord, car le pont, d'une inclinaison
de plus de 70° & la boussole, fatigue par un double pas-
sage, fut impuissant & supporter mon poids. Les marches
profondes creusees dans une neige molle, trop directement
superposes sur cette pente excessive, c6daient k la pres-
sion des mains comme k celle des pieds, et bient6t la partie
inftrieure de mon corps s'agHa sterilement dans le vide
de la crevasse. Mon piolet « d^rapait » sans me tirer d'af-
faire, et il fallut me hisser hors du trou comme un simple
ballot. Le couloir, oh Ton tailla des pas, nous fit rapide-
ment gagner une cinquantaine de metres, jusqu'Si un ro-
cher qui, formant un banc relativement confortable, 6tait
l'emplacement design^ pour faire halte et dejeuner. Gette
operation capitale avait trop tard£ au gr6 de mes dSsirs, et
je m'y livrai avec une ardeur d'affam^. II etait 8 h. 30min.,
nous marchions sans haltes depuis plus de cinq heures ; le
baromfctre marquait 3,800 mfct. environ.
Au bout de dix minutes nous repartions, en gens qui
savent le prix du temps et qui sont p6netr6s de la gravity
de leur tkche. Dans le couloir, fa boussole m'avait donn6
un peu plus de 70°; sans doute on doit attribuer k la mu-
raille tout entifcre la m6me inclinaison generate. Nous
grimpions done trfcs lentement, et chacun k notre tour, au
cri bien connu et incessamment rep£t6 de Sind Sie fest ?
Le rocher, bien que parfois coupS de flaques de neige, 6tait
k peu pres sec, et solide toujours ; cependant, les dalles
unies se rencontraient souvent, ne nous laissant d'autre
ressource que de nous cramponner k la cassure de la dalle
sup^rieure et surplombante ; c'6tait Ik un exercice hasar-
deux et surtout malsain pour la peau de TextrSmitS des
doigts. Vers 9h., mes guides aper^urent Texp^dition de
M. Sella arrGtee sur les champs de neige du Rothhorn. Elle
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112 COURSES ET ASCENSIONS.
redescendit sans avoir m6me atteint les rochers, soit que
d'en bas ils parussent trop verglass6s, soit que l'attirail
photographique, qu'on ne pouvait assez diviser entre les
guides, paralyse leurs mouvements. En tout cas, les
exploits de M. Sella comme alpiniste sont trop connus pour
qu'on puisse croire qu'il a recule devant des obstacles
vulgaires. Nous continu&mes notre escalade, en nous diri-
geant insensiblement vers l'arfcte Sud-Est, qui relie les
deux Gabelhoerner ; elle fut atteinte presque k son point de
jonction avec laparoi principale, dontnous foulions la crGte
k 10 h. 30 min.
Debout sur un gigantesque mur, que soutient de chaquQ
c6te* un contrefort & peine moins vertical, nous avons de-
vant nous, k 50 met., le sommet du Gabelhorn; derriere
nous s'inflgchit une sorte de selle, puis l'arGte se releve
jusqu'a 3,910 met. pour former la Wellenkumme, une des
colonnes du Triftjoch. Sous nos pieds, la corniche que
nous avions aper^ue d'en bas, tournant sa concavity vers
le Nord, accompagne plus mollement l'arete dans ses har-
diesses imprevues ; elle-m^me modifie sa hauteur et l'ele-
gance de son profil, suivant qu'en ont ordonn6 pendant
1'hiver les caprices du vent. Tous trois nous la contem-
plions, mais k des points de vue bien differents; et tandis
que je donnais un libre essor & mon exaltation de grim-
peur, les visages de mes guides s'assombrissaient. Longer
le precipice au-dessous de la corniche etait pour le moment
impossible ; s'avouer vaincus, lorsqu'ii nous restait encore
du temps, etait indigne de nous; il fallait done saisir le
taureau par les cornes, au risque de payer cher la moindre
maladresse.
Mes guides creuserent d'abord, sur une longueur de 7 a
8 met., un veritable sentier dans la convexity de la cor-
niche, ainsi que des crans pour les mains, tandis que, laisse
au bord d'une cheminSe k pic, j'avaistoutle loisir d'adres-
ser des actions de graces a dame Nature, qui m'a tail!6
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50
s
ANNUAIRB DK 1883.
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ASCENSIONS DE L'OBER-GABELHORN ET DU T-ESCUUORN. 115
mince el long. Ces haltes emouvantes, et peu sures quel-
quefois, devaient se renouveler tous les quatre ou cinq pas
jusqu'au sommet. On abattit ensuite la t6te trop amincie
de la corniche, etles gros blocs de neige qui rebondissaient
contre les rocs et s'6miettaient & leurs asperit^s prenaient
en file serrSe leur course vers 1'abime. Peu desireux de les
suivre, je me tralnai sans vergogne k genoux sur le replat
ainsi pratique, sollicit6 comme a forces egales paries glaciers
de Zinal et d'Arben, que Ton voyait h 1,200 mfct. plus bas.
Encore une courte niarche le long du precipice Sud, et,
nous laissant glisser sous les stalactites, nous nous collons
au precipice Nord : c'cst maintenant & Torigine d'un cou-
loir & pic que nous rampons, courb6s en deux sous la cor-
niche. Qk et \k des dalles percent la neige, mais la moindre
pression les ebranle, et nous les <§vitons soigneusement. Au
bout de quelques metres, l'ardte se redresse, la base de la
corniche devient d'une exigui'te inqutetante et ne peut plus
nous soutenir : entre les deux faces du mur, il s'agit de
faire un choix. Au Nord, le couloir a pris fin, et les pierres
branlantes constituent la muraille; Tablme Sud reunit
done tous les suffrages, bien qu'oser seulement y chercher
un acc&s me semble une entrcprise d6sesper6e. G'etait la
roche, mais la roche lisse et en quelque sorte ondul£e, du
moins autant que nous pouvions en juger, car d'abord la
glace dure, puis la neige effagant tous les creux, ne lais-
saient & d6couvert que les bosses. Ce passage, qui formait
le fond d'une large cheminSe balay6e par les avalanches,
cui pu, avec une faible inclinaison, servir de theatre k de
seduisantes parties de schlitte ; mais avec sa pente qui fri-
sait la verticale, qui certainement atteignait 80°, c'6tait la
plus abominable glissoire qu'on put imaginer. Basile, avec
un parfait a propos, saisit cette circonstance solennelle
pour m'adresser le premier avertissement de la journSe,
simple et court comme il devait l'Gtre : Jetzt, mein Herr,
umssen Sie ganz gut gehen; et un & un nous quitt&mes la
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116 COURSES ET ASCENSIONS.
rive, c'cst-i-dire Tai^te, vraiment hospitali&re par compa-
raison. Nous avions 3 met. h franchir presque horizontalc-
ment, puis 10 m&t. h pic : ce fut l'affaire dun grand quart
d'heure... qui est maintenant grav6 pour toujours dans ma
memoire. Soulages provisoirement, nous traversons une
troisifcme fois la corniche, maintenant inclin^e vers le Sud,
nous la longeons au Nord, et 20 met. plus loin nous tou-
chons au but tant desir6. Le Gabelhorn etait vaincu pour
la premiere fois de Fannie. II etait midi et demi : 50 mfct.
d'artHe nousavaientcoute deuxheures; nul doute done que
nous n'eussions echou£, faute de temps, par la route ordi-
naire.
Sur la pointe, assez confortablement assis dans un siege
taille & grands coups de piolet, j'aurais bien voulu m'arr6-
ter un peu : ce repos d'un instant, apres ma nuit blanche,
m'invitait au sommeil, et j'y aurais ced6 bien volontiers,
pour peu que Ton m'en eut laissg le temps. Mais, au bout
de cinq minutes, les guides manifest&rent toute la repu-
gnance qu'ils auraient a passer la nuit sur le glacier, et il
fallut repartir, aprfcs un trop rapide coup d'oeil sur le
monde de colosses qui nous entourait. J'ouvraislamarche
pour traverser les premiers pas si glissants, mais je n'6tais
rien moins que rassure. Bient6t, convaincu que deux
guides au-dessus de moi etaient pr&ts h me retenir, et que,
au-dessous, aucun ne serait 1& pour remplir le rdle du
malheureux Groz au Gervin, j'envisageai plus gaiement la
situation, et nous descendlmes assez vite.
Notre adieu k la corniche fut plein de charmes, et sur
les rochers nous reprimes l'ordre habituel. Lh, comme
nous avions achev£ au sommet notre dernifcre bouteille de
vin, et que nous avions n£glig6 les pruneaux traditionnels,
nous nous vimes reduits, pour endormir notre soif, & sucer
les morceaux de glace qui pendaient & la plupart des
saillies : triste extremity, perflde et affaiblissante fraicheur
qui me dessecha la bouche un peu plus qu'auparavant. 11
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ASCENSIONS DE l'OBER-GABELHORN KT DU TiESCllllORN. 117
en resulta que, de retour h la salle h manger du matin, je
ne pus avaler ni pain ni viande, et que, pour descendre
la fin de cette longue muraille h pic, je commenQais k y
voir double. Ge vertige d'estomac, tres naturel en pareille
circonstance, pouvait devenir dangereux; mais un violent
effort de volonte le surmonta, et nous atteignimes sans
accident le couloir. C'6tait la, pour mes guides et pour
moi, une leQon dont nous profit&mes dans la course sui-
vante, et dont je tiendrai bon compte a Tavenir.
La bergschrund dut Mre franchie d'un bond, puisque le
pont n'existait plus; puis nous reprimes la marche mono-
tone sur laneigeamollie du glacier. Seule, lapente de glace
ou nous avions taille des pas en montant avait r^siste a
Taction du soleil de midi. Un saut de 3 met. en hauteur
nous d61ivra de la crevasse qui entourait la partie inf&rieure
des rochers; nous quitt&mes le glacier h 5 b. 30 min. Une
beure apres, nous passions au rocber du Trift pour y
prendre les couvertures; h 7 h. 30 min. nous traversions
Zermatt, et j'apportais h la derniere table d'h6te un appetit
formidable, bien justifie par mon abstinence forced et par
quinze heures de marche effective sur une journ6e de seize
heures.
II
Apres une bonne nuit, il ne me restait plus, sauf des
courbatures dans les £paules, aucune fatigue de mon
ascension au Gabelborn; aussi songeais-je a passer le col
S6sia, qui traverse la cbaine du Mont-Rose, h 4,400 met.,
entre le Signal-Kuppe et la Parrot-Spitze. Basile ne mani-
festait aucune repugnance a tenter cette course difficile,
mais en s'adjoignant un guide qui Teut d6ja faite : & Zer-
matt il fut impossible d'en trouver un. Nous nous tour-
n&mes alors vers les Mischabelhoerner, et en particulier
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118 COURSES ET ASCENSIONS.
vers le Trcschhorn, beaucoup moins banal que le roi m&me
du massif. Je desirais tenter Tascension par le Mischabel-
joch ; mais Basile me d6montra que T6tat des neiges rendait
l*ar£te Sud-Est aussi impraticable que la route ordinaire
du Gabelhorn ; tandis que, en remontant le glacier du Kien,
nous etions sftrs de reussir. Alois Anthamatten se trouvait
malheureusement engage ; Basile m'amena Peter Truffer,
de Saint-Nicolas. Ges deux guides avaient dej& fait ensemble
plusieurs courses, notamment celle de la Dent-Blanche, et
leur bon accord 6tait un serieux 616ment de succes.
Le dimanche 12, k 2 h., avec un temps superbe cette
fois, nous (Hions en route pour Randa. Bient6t nous tra-
versions des gazons rapides au-dessus du Wildibach, puis
des rochers ou il serait imprudent de s'engager de nuit, et,
charges d'une quantite suffisante de bois mort, nous attei-
gnions l'abri du glacier de Kien. Nous avions marche un
peu moins de trois heures depuis Randa, et lentement.
L'espfcce de grotte qui devait nous abriter, form6e de deux
6normes blocs inclines Tun sur l'autre, est tr&s voisine du
point 2,613 de Dufour, si m6me elle ne se confond pas
avec lui. Le baromMre ne marquait que 2,500 mfct., et cet
ecart important, resultat d'une franche brise du Nord-Est,
nous avertissait de ne pas nous fier sans reserve h ses indi-
cations. L'abri, plus spacieux que celui du Trift, est
expos6 au midi ; mes guides eurent la bonne idee de nous
composer un matelas d'herbes seches arrachees tout
autour, de manifcre & nous faire jouir d'un confort tres
suffisant.
A 2 h., apres une nuit excellente, nous partions, munis
d'une lanterne cette fois. La vieille moraine, 6minemment
agr^able, nous conduisit en une demi-heure a une moraine
tres actuelle et m6me tr&s tourmentee par les avalanches
du printemps. Basile dut tailler des pas dans la boue gla-
ciaire, car nous ne nous souciions en aucune fa^on de
rejoindre trop brusquement sur le glacier, a 30 mfct. plus
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ASCENSIONS DE l'OBER-GABELHORN ET DU TESCHHORN. 119
bas, les pierres qui avaient deja gliss6 le long de cette
pente abrupte.
A 3 h. 30 min. , nous touchions au glacier qui, depourvu do
neige, devait demander pas mal de temps et de travail. Les
marches, en effet, furent bient6t indispensables pour fran-
chir, sur des ponts et par des pentes assez fortes, un pre-
mier labyrinthe de grandes crevasses. Mes guides s'en
tirerent a leur honneur et sans hesitation, bien qu'aucune
caravane ne nous eftt pr6c6des cette annee sur le glacier
do Kien. Aussitdt aprfcs, je reclamai le dejeuner, et nous
limes, au pied des rochers du Nord, a 4 h. 30 min., une
premiere halte de dix minutes.
Le fleuve de glace s'ecoule bient6t aprfcs par un second
rapide et change de caractfcre, car maintenant une mince
couche de neige dissimule perfidement plus d'une crevasse.
Obliges ainsi a de nombreux detours, nous arrivons a un
second plateau au dela duquel nous tournons au Sud,vers
1'arGtc qui partage en deux bras le glacier de Kien. Nous
en atteignons la cr&te a l'Est d'une pointe mal indiquee
par Dufour : les guides Tappollent le Kienhorn, et nous lui
attribuons, un peu au hasard, une altitude de 3,500 mfct.
A gauche se dressc le D6me, accessible par cette face sans
grandes difficulty, mais en taillant beaucoup de pas dans
un trfcs long couloir qui conduit a peu pres au sommet.
Cette route a, je crois, ete suivie plusieurs fois. Peter
Truffer a fait aussi Tascension du D6me par l'arfcte Sud,
depuis le ftomjoch, qui est d6ja a 4,280 mfct. Pour le
Taeschhorn, le plus simple etait de remonter l'arfcte Stroite
de pierres plates, oil la marche, a cause d'une assez forte
inclinaison, 6tait plus rapide encore que sur la neige dure
qui la bordait a gauche. Basile, faisant un jour cette ascen-
sion comme second guide, fut oblige, bien qu'il desap-
prouvat une pareille resolution, de descendre sur la pente
Sud de l'arfcte ; puis, suivant toujours les rochers a mi-hau-
teur, de longer la base Quest du Taeschhorn, pour se diri-
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120 COL'ttSES ET ASCENSIONS.
ger ensuite jusqu'au sommet directement h l'Est. Le guide-
chef, dont je n'ai pas retenu le nom, fit \h certainement
une faute grave ; car si Tetat des murs de glace sur la
pente Nord-Ouest l'inquietait, il ne les evitait nullement
par ce long et p6nible detour.
A6h.l5min.,nousconstatonsavecplaisir la finde Tar&te
de pierres quelque peu fastidieuse ; nous sommes au point
oil elle tourne brusquement au Sud. Mon barometre, persis-
tant dans ses indications invraisemblables, ne marque que
3,500 met. ; mais nous apercevons a notre niveau le Strahl-
bett (3,755 met.), point de l'arfcte Sud-Ouest trfcs apparent
depuis Zermatt. Rassures h cette vue sur la hauteur dej&
franchie, nous attaquons les pentes tres inclines et cou-
vertes de neige de la face Nord-Ouest. Elles se prSsente-
raicnt au grimpeur pour son plus grand agreement, si elles
n'etaient pas aussi profondement disloqu6es. D'enormes
crevasses de plusieurs metres do largeur s'entre-croisent
au-dessus de nous et constituent pour le Taeschhorn de
redoutables retranchements. La paroi superieure, parfois
surplombante, dresse sa collerette flnement decouple h
des hauteurs qui varient suivant la pente de la montagne
et la largeur de la crevasse. Quelques-uns de ces murs
infranchissables depassaient le bord inferieur de plus
de 10 met., nous m6nageant ainsi un spectacle gran-
diose et feerique. Parfois la crevasse, combine, disparais-
sait tout & fait, et nous longions silencieusement le pied
de ces cassures d'une teinte opaline, ou le piolet n'avait
plus aucune prise; puis le mur lui-m&me s'interrompait,
et des pentes abruptes, sans doule la queue de l'avalanche
qui combla la crevasse, permettaient d'atteindre Tetage
superieur. A mesure que nous p6n<§trions dans ce d6dale
imposant, l'inclinaison s'accentuait et les passes devenaient
plus rares, jusqu'& un plateau en demi-cercle, au del& du-
quel mon ceil peu exerce n'entrevoyait aucune issue pra-
ticable. Les guides, ne se souciant pas de porter plus haut
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ASCENSIONS DE l'OBKR-GABELIIORN ET DU TJESCHIIORN. 121
les provisions, donnerent ici le signal de la secondc halte,
un peu avant 8 h.
Bientdt en route, nous traversons avec mille precautions
un pont trfcs mince, qui nous amene tout contre la paroi
superieure d'une de ces grandes crevasses. Puis la neige,
6videe en dessous, forme un bourrelet qui, appuye contre
le pont par une de ses extr6mites, et finissant de Tautre
au terme visible de la crevasse, semble, sur une longueur
de 12 met., se soutenir contre le mur par la seule force de
Thabitude. II faut croire que mes guides avaient une cer-
(aine confiance en cette neige ferme, car ils n'hesiterent
pas a nous engager tous les trois a la fois. Sans doute le
danger devait (Hre plus grand a la descente, mais dfcs a
present nous ne nous attardions pas plus qu'il ne fallait :
Basile, sit6t qu'il eut franchi la corniche, enfongant a la
hate le manche de son piolet, maintint la corde solide-
ment enrouiee, jusqu'a ce que nous l'eussions rejoint. Un
etage du rempart venait d'etre heureusement franchi;
mais un dernier mur de glace, d'une vingtaine de metres
de hauteur, coupait obliquement le premier. Par bonheur,
en un point il pr£sentait un leger enfoncement ou la neige,
avec une inclinaison que j'eusso crue impossible, parve-
nait a se maintenir. Basile, tout en se felicitant de sa con-
sistance, y tailla non pas des marches, mais une serie de
profondes cavites, obliquement situ6es Tune par rapport
a I'autre; nous pouvions y grimper en toute sArete, avec
le mouvement alternatif des mains et des pieds qu'on
recommande dans les gymnases pour Techelle de bois
verticale.
En moins de vingt minutes, le demi-cercle avait 6te
iranchi, et nous laissions derriere nous ce terrain dan-
gereusement mine. II est probable que la neige ne l'aban-
donne jamais completement ; mais, si on la trouvait
triable, ce serait folie de vouloir sy hasarder. Nous avions
rapidement gravi une grande distance verticale, et la meil-
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122 COURSES ET ASCENSIONS.
leure preuve de la forte inclinaison de ces pentes, c'est
que, du haut de notre echelle, un peu rentrante comme je
1'ai dit, au del^t du precipice nous n'apercevions plus ni
crevasses ni murs de glace, mais seulement le sommet de
l'ar&te de pierre h 500 mfct. plus bas.
Par des pentes d'abord faciles, puis de nouveau assez
inclinees, en vingt minutes encore nous parvenons k
l'arete, ou nous attend un vent violent. A ce point, nous
quittons la neigc pour le rocber. Peu verglassG, mais plus
poudrS qu'au Gabelhorn, il est form6 de couches epaisses
de 10 centimet. en moyenne, et tres redressees; elles
nous offrent ainsi, tant6t des degres naturels, tantdt au
contraire de longues dalles unies, jusqu'a la cr6te de
Tarete. Par un phenomene bizarre, au Sud, les couches
intermediates ont cte rongtfes sur une assez grande pro-
fondeur, de sorte que la dalle extreme surplombe de
plusieurs metres. On dirait une vague enorme petrifiee
subitement, lorsqu'clle commengait a deferler sur la
plaine liquide que figure, & plus de 500 met. au-dessous,
le glacier de Weingarten. Les dentelures capricieuses de
rarete seraient Tecume naissante de la vague. Le neve,
qui, dans les parties inierieures, au Strahlbett par exemple,
atteint Textremite de la face Nord, laisse libres pres du
sommet une centaine de metres de rochers, et se termine
presque horizontalement, comme impuissant k s'elever
plus haut : quelques couloirs £troits semblent donner la
mesure de ses derniers efforts. Dans 1'eHat de la pente
rocheuse, le plus prudent pour des grimpeurs & Tabri du
vertige etait de se cramponner (\ la coucbe extreme tres
solide, bien que les pieds, ne trouvant pas de sailliele plus
souvent, ne dussent pas y avoir leur compte. La cassure
de la dalle fournissait aux mains de bons appuis, et lorsque
plus bas les saillies manquaient, nous en 6tions quittes
pour nous agenouiller contre le rocher et multiplier ainsi
les points de contact. Si quelquefois nous etions obliges
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ASCENSIONS DE L'OBER-GABELllORN ET DU TJESC1IHOBN. 125
d'abandonner Tar^te , nous y revenions directement
ensuite et le plus t6t possible. Bref, nous executions a
4,450 met. une gymnastique de retablissements et d<*
grands hearts, fort excitante toujours, et qui rarement
presentait des dangers particuliers. 11 y avait toutefois h so
defter des blocs de neige, qk et la retenus entre deux
pointes, qui s'ecroulaient silencieusement dans le vide
des qu'on les pressait seulement de la main. Apres un pen
moins de huit heures d'ascension, dont une heure sur
l'ar&te, nous foulions la neige du sommet, h 9 h. 45 min.
Un vent glace nous eut trop vite chasses de notre magni-
lique observatoire, ou d'ailleurs une seule personne trou-
vait place a la fois, sans une id6e ing6nieuse de mes
guides : nous nous laiss&mes prudemment glisser sur le
precipice Sud-Est pendant 5 ou 6 m&t., jusqu'ft un ro-
cher en saillie sous la neige, puis nous nous install&mes
commodement les uns au-dessus des autres dans Tordre
oil nous avions atteint le sommet. Ainsi disposes en espa-
lier, frappSs de face par le soleil, nous jouissions de notre
triomphe dans toute sa plenitude.
Nos premieres remarques furent pour le Mischabeljoch,
et, comme toujours, je ne pus qu'applaudir & la sagacit6
de Basile. L'accumulation des neiges sur la pente rocheuse
extr&mement inclin^e dont nous occupions le sommet et
sur l'ar&te Sud-Est rendait le passage probl£matique k la
montee, fort dangereux a la descente, et k coup sur inter-
minable. Voyant que nos esp6rances d'y descendre 6taient
vaines, je pus admirer k mon aise, — non pas les formes
elegantes du Rympfischhorn, de TAllalin et de l'AIphubel,
qui ressemblaient vaguement k des taupini&res surbais-
s6es, — non pas tant la chalne du Mont-Rose, plus & son
point au Gornergrat, — mais surtout les gigantesques gla-
ciers puissamment d6rou!6s & nos pieds, sur lesquels nos
regards plongeaient comme de la nacelle d'un ballon. Au
tensers des crevasses b£antes, mes guides pouvaient me
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12*5 COURSES ET ASCENSION'S.
faire discerner les chemins des trois cols qui le plus ordi-
nairement r6unissent la vallee de Saas a celle de Zermatt,
tandis que ladifftcult£ plus considerable et l'eievation plus
grande des cols du D6me et des Mischabel, ainsi que du
Nadeljoch, 6clataient au premier coup d'oeil. Dans le loin-
tain, un manteau de nuages s'etendait au-dessus de la
Lombardie, laissant a decouvert, a gauche, la Bernina et
les pics du Tyrol; a droite, le cone sombre du Mont Viso.
Bien que tout rapproche, le D6me, en bon prince, ne
nous accablait pas trop de sa superiorite de 50 mfct.
M&me il rompait heureusement la monotonie des grandes
vues panoramiques et aplaties dont on jouit a pareille
altitude. Gomme consolation, nous rivalisions presque
avec le Weisshorn, et nous dominions de quelques metres
la t&te chauve du Cervin toujours morose. L'ar6te du Nord-
Est du vieux colosse 6tait degarnie deneige, et laissait prc-
voir que la premiere humiliation annuelle allait facilement
lui 6tre imposee le jour m6me par une caravane partie la
veille pour coucher a la cabane.
Toutce spectacle grisait l'imagination; mais la vue de
Zermatt nous faisait songer au retour : il se degageait des
brumes bleuatres de la valine un suave parfum de confort
irresistible. La lutte qui s'engagea entre Tame et la b6te,
comme dit Xavier de Maistre , ne fut pas longue : la
seconde l'emportant, nous commengames la descente a
10 h. 30 min. Les p£nibles retablissements de tout a l'heure
etaient bien facilit6s : l'ar£te fut rapidement franchie ; il en
fut de m6me de la pente de neige et m&me du mur ver-
tical, que nous descendimes a reculons; le pont de la
grande crevasse fut traverse en rampant. L'arfcte de
pierres, dont nous suivlmes la bordure neigeuse, fut vite
desceijdue au moyen de glissades; mais de longs retards
sur le glacier compensfcrent cette avance : tous les ponts
durent 6tre franchis comme le premier, c'est-a-dire 1 plat
ventre. Les marches du matin, presque detruites et ren-
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ASCENSIONS DE i/OBER-GABELIlORN ET DU TJilSCUUORN. 127
dues glissantes par la fusion de la glace, nous arr&terent
encore; Peter Truffer,qui tenaitla t6te,s'obstinait&nepas
les retailler assez completement. Comme de juste, il ne
tarda pas k eprouver les inconvenients de son systeme, et
nous le vimes subitement couche" tout de son long sur la
pente de glace. Heureusement je pus register h la secousse,
et ce n'6tait encore que justice ; car, laissant Truffer agir
a sa guise, je perfectionnais pour mon compte les degres
trop douteux.
A 2 h., apres une courte descente, nous etions a la
grotte, ou nous nous accord&mes une halte d'une demi-
heure.
A 4 h. 15 min., nous arrivions h Randa, ou jc me separai
de mes braves guides, auxquels, dans mon certifa'cat, je ne
menageai pas les compliments. J'espere avoir fait com-
prendre ici que ce sont des guides de premier ordre, Basile
et Alois surtout : c'est done sans restriction que je les
recommanderai & ceux de mes collegues qui parlent l'al-
lemand.
Paul Yignon,
Membre du Club Alpin Francais
(Section de Lyon).
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VII
4SCENS10NS
LE TAILLON (3,i4« met.). — LES DEUX SONNETS DU GABlCTOU
(3,033 met.). - VIGNEMALE (3,298 met.) : SEPT NUITS, DOHT
QUATRE CONStCUTIYES, DANS MON ABRI PRtS DU SOMMET. —
PICS DE TAPOU (3,147 met. et 3,121 met.). — LE HONTFERRAT
(3,223 met.). — PIC CENTRAL DESTATATS (3,000 et quelques
metres), etc.
Le hasard seul m'a fait faire cette annee ma troisieme
ascension du Taillon (3,146 met.). Ce n'etait pas du tout
mon but, n'etant monte alaBr&che do Roland (2,804 mfct.)
que pour en bien examiner les environs, afin d'y faire
creuser, au nom du Club Alpin (qui vota 2,000 fr. pour
cela), un bon abri oil Ton pourrait coucher dans Tascen-
sion du Mont-Perdu, juste a moitie chemin entre Gavarnie
et le sommet. Je ne vais pas infliger aux lecteurs de Y An-
nualize l'histoire complete de cet abri, acheve en trois
semaines : je me bomerai a dire ici que le Club Alpin
s'Stant formellement opposd (pour des raisons d'ailleurs
assez logiques) a toute invasion du territoire espagnol, la
mission qu'il m'avait fait Thonneur de me confier, en me
laissant « carte blanche » pour tout le reste, se compliqua
d'une assez grande difficult^. Je dus d'abord, a mon tres
vif regret, partagg par Schrader, renoncer a mon site
favori, au Nord du lac glace du Mont-Perdu, tout ce bassin
se trouvant en Espagne (quelle vue nous perdions la!) : et
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ASCENSIONS. 129
du c6t6 frangais de ces montagnes, aucun travail n'etait
possible, les murailles trop rugueuses et trop dures d'Es-
taub6 n'etant pas vuln6rables. Si m£me on avait pu trou-
ver, dans ces glaciales et tristes parois, une surface assez
lisse pour pouvoir y creuser un abri, comment y p6netrer
ou en sortir pendant la nuit, sans se casser le cou? D6j& je
me flgurais des femmes et peut-6tre des enfants, des 6tres
confiants, inoffensifs et romanesques, sortant pour voir le
clair de lune, et tombant la t£te la premiere, gr&ce h moi,
par-dessus des ablmes. lis ne me Tauraient jamais par-
donn6 1... J'avaispensg au col de 1'AstazoU (Schrader aussi) :
mais les rochers sont d6testables : ils sont poreux, friables,
mous et feuilletes; on ne pourrait rien creuser \h d'im-
perm^able et de solide : puis le travail aurait 6t6 exces-
sivement couteux, a cause de la difficulty d'accfcs; enfin,
pour une raison ou Tautre,onne passe plus par l'Astazou ;
c'est un itin^raire abandonn£; on le redoute. Personne
n'y est mont6 l'6t6 dernier !
Je me d<5cidai done pour le versant frangais de la Br&-
che de Roland, que la nature a mise sur le chemin de tous
les pics du cirque de Gavarnie. D&s lors tout alia vite. Ge
fut le 15 juillet que j'y montai, accompagn£ de G61estin
Passet et d'Etienne Theil, Tentrepreneur de mon abri sur
le Vignemale. Quelques minutes sufQrent pour nous
mettre tous d'accord sur le meilleur emplacement & choi-
sir, ce qui fut d'autant moins difficile qu'il n'y avait gufcre
de choix... L'abri devant se faire en France, et pas loin de
la Br&che, il ne pouvait y avoir d'h6sitation qu'entre les
murailles de TOuest et celles de l'Est. La roche £tant iden-
tiquement la m$me des deux cdtes, e'est le soleil qui
trancba la question. Gomme il resta au moins une heure
de plus & droite qu'& gauche, je fis creuser l'abri au bas de
la muraille occidentale, exposSe au Nord-Est, et & pic :
elle a prfcs de 100 met. de hauteur verticale.
G'est d'ailleurs un beau site : au premier plan ondule
ANNUAIRB DB 1883. 9
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130 COURSES ET ASCENSIONS.
une eblouissante et vaste colline de neige et de n6v6s; h
l'horizon se dresse une chaine de pics pleine de grandeur;
enfin, pendant toute la saison des courses, on aura quel-
ques heures de soleil le matin, et pour Tavoir toute la
journ^e il suffirade traverser la Br^che (hauteur, 2,804 met.).
On brule de Tautre c6t6.
Cette question-^ vid6e, nous fimes k l'Ouest Tascension
du Taillon (3,146 mfct.), dont la coupole neigeuse, aussi
blanche qu'en hiver, 6tait absolument irresistible ! Quelle
fiertS dans sa pose! Quelle gr&ce et quelle noblesse dans
ses contours ! (Test un charmeur que le Taillon !
Le lendemain matin, je signai avec Theil le « traite de
la Brfcche de Roland » ; le surlendemain, les ouvriers s'y
installment, travaill&rent vaillamment nuit et jour, et trois
semaines apr&s, la grotte etait finie. Elle a 18 mfct. cubes.
Elle est munie d'une porte en t61e, peinte au minium, et
bien meilleure (hSlas!) et plus solide que la mienne du
Vignemale, dont je renonce h raconter les infortunes : je
me contente de pleurer sur son sort. Jamais une porte n'a
eu tant de malheurs. Je l'ai trouvee deux fois moi-m6me
ensevelie sous la neige, et, une autre nuit, un Monsieur et
son guide durent s'elancer h sa poursuite sur le glacier, oil
ils ne purent la rattraper qu'avec beaucoup de peine. Elle
avait le vertige. Tout cela est bien triste. Qu'allons-nous
devenir, si d'autres portes bien ^levees suivent Texemple
de celle-ci (exemple malheureusement venu d'en haut),
si elles se laissent enlever comme celle du Mont-Perdu,
ou si elles sortent des gonds h tout propos? VoiR d6j&
deux portes qui se conduisent bien mal...
Laissant tonner la poudre sur les glaciers de Gavarnie,
je repris le chemin du Vignemale. C'etait un peu risque,
car apr&s un hiver si neigeux et si long, il y avait lieu
de craindre que mon abri pres du sommet ne fut encore
bloqu6 & la fin de juillet, inabordable, et plein de neige.
J'6tais bien sur de le trouver au moins masque par le
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ASCENSIONS. 131
glacier. Mais comment resister au beau temps au milieu
des montagnes? On perd un peu la t&te. Elles sont si
pures et si brillantes, les matinees de Gavarnie! Le ciel,
la glace et les sapins, les precipices et les torrents, tout
etincelle, tout a Tair enivre de jeunesse, de lumi&re et de
joie; on est 61ectris6 soi-m6me, et on voudrait bondir.
Au haut des nues, sous un soleil de feu, les neiges lact^es
du Marbore, projetees sur un ciel aussi bleu que celui de
la mer, rappelleht en plein et6 les matinees resplendis-
santes et bor^ales du Canada, et la nature enti&re a Tair
de dire : « Regardez-moi, ne suis-je pas belle, et plus
heureuse que vous? »
Je n'y resistai pas, et, le 24 juillet, nous partlmes sept
pour le Vignemale. II y avait Swan (mon camarade de 1882)
et sa jeune soeur, & peine kg6e de dix-sept ans, mais que
la perspective de coucher en plein air, k 3,200 mfct. (si ma
caverne etait bloquee), n'effrayait pas le moins du monde.
J'ai rarement vu tant de courage et de self-confidence chez
une si jeune personne. Swan prit pour guide Henri Passet,
et moi les trois porteurs, Haurine, Frangois Bernard et
Louis Junt6. Je n'en avais pas un de trop, car j'emportais
des vivres pour trois jours et trois hommes. Aussi le mal-
heureux cheval qui fut charge de tout cela jusqu'aux
Oulettes, avait Taspect pyramidal d'un dromadaire : il
oscillaK vers le torrent d'une mani^re alarmante, et on ne
voyait plus que ses jambes et ses yeux.
Au fond de la valine d'Ossoue, repos pour dejeuner. Le
cheval, tout fringant, revient k Gavarnie. Henri Passet et
mes porteurs se distribuent sa charge de 80 kil., et nous
voil& vraiment en route pour le Vignemale par un soleil
splendide.
Quelle magnifique et s<§duisante montagne ! m&me dans
les Alpes, elle se serait distinguee ce jour-la par la blan-
cheur superbe et Tetendue des neiges qui recouvraient
encore tout son glacier k la fin de juillet : pas une ere-
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132 COURSES KT ASCENSIONS.
vasse n£tait mdme entr'ouverte. Un vrai deluge de neige
avait tout submerge pendant l'hiver, la glace etait cachee
partout, et les seracs ne reparurent qu'i la fin de Tete,
comme les debris informes et solennels d'une ville antique
engloutie sous les sables du desert, et deterrle soudain
par le simoun.
Comme coup d'oeil, il manquait quelque chose. Je re-
grettais ces grandes vagues de saphir, ces obelisques do
glace, ces chaos verts et azures, qui sont une des mer-
veilles des Pyrenees. Mais au point de vue purement pra-
tique, la neige facilita beaucoup notre ascension ; la corde
fut inutile, et je n'avais qu'une crainte en arrivant au golfe
de neige au fond duquel s'ouvre ma caverne, c'etait de la
trouver inhabitable. Si elle 6tait bloquee, que deviendrait
miss Swan, malgre le sac en peaux d'agneaux que lui avait
porte son frfcre? J'6tais dans une agitation febrile en
approchant de Torifice de mon abri, qui s'obstinait a se
cacher. L'annee derniere, presque k pareille Spoque, on
le voyait & la distance d'un kilometre ; il dominait alors
la neige de plusieurs metres. Mais cette annee, nous
voici a dix pas, h trois pas, et il n'y en a pas trace. La
situation devient tr&s grave. Nous ne voyons partout que
de la neige plaqu6e contre les murailles lugubres et
noires qui plongent verticalement dessous. L'ensemble a
un aspect brutal. Malheur & nous, si la glace touche vrai-
ment au rocher! Car dans une heure il va faire nuit,
geler, peut-6tre neiger; ou nous blottir? D<§ja je-pense a
redescendre...
Mais non, nous sommes sauves! Miss Swan, pench^e
vers le rocher, jette un cri de victoire : nous decouvrons
un intervalle d'un demi-metre entre le glacier et la terre
erme; la grotte est libre, et il n'y a plus qu'a y descendre
en faisant un petit escalier dans la glace. Seulement la
porte n'y est plus, et c'est un mur de neige qui va nous
prot6ger pendant nuit contre le froid et le vent. 11 est
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ASCENSIONS. 133
assez 6pais pour cela! Quelle digue! Et quelle barri&re
entre nous et Fair ambiant!
Laissant \k nos bagages, nous terminons trfcs lestement,
miss Swan en tGte, l'ascension du Vignemale (3,298 m&t.),
ou le soleil, juste au moment de se coucher au fond de la
Navarre, projette nos ombres sur un joli nuage rose en-
dormi au Nord-Est du sommet. Charmant tableau. Nous
agitons nos bras et nous sautons : les ombres rSpondent;
mais comme elles sont entourSes d'un halo, elles nous rap-
pellent les saints des cath6drales,et nospens6es deviennent
s6rieuses, puis sombres, a mesure que la nuit envahit les
vallees, les glaciers et les pics ; quelques colosses neigeux
conservent encore une rougeur infernale, comme si un
effrayant deluge de sang avait passe dessus ; mais, un & un,
ils s'eteignent tous, et une immense tristesse s'empare de
la nature; la neige prend une p&leur marmor6enne ; nous
grelottons, et un quart d'heure apres, nous sommes blottis
dans ma caverne, & la lueur des bougies. Apr&s diner, nous
allumons le punch, puis les cigares : miss Swan a Tobli-
geance de le permettre. Enfin tout rentre dans le silence v
et perches k 3,200 m&t. au-dessus du niveau de la mer, plus
haut que le Balaitous, les Grands-Mulets et la Munia, nous
cherchons les douceurs du sommeil.
H£las ! ce fut en vain. Je dois Tavouer, cette nuit-l& fut
mauvaise, bien que nous n'ayons pas eu froid. La surexci-
tation d'une premiere nuit pass6e k une si grande hauteur
empfcche g6n£ralement de fermer lToeil. II faut de Tentrai-
nement pour cela, comme pour tout le reste.
Le lendemain (25), miss Swan, son fr&re, Henri Passet et
Louis Junt6 redescendirent & Gavarnie, et je restai sur le
Vignemale avec Haurine et le porteur Francois Bernard.
Nous commen^4mes par retrouver sous le glacier ma
porte infortunee. Puis Francois descendit de plusieurs
kilometres sur la neige, et remonta charg6 d'au moins
20 kilogrammes d'herbe tendre ct seche, avec laquelle
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134 COURSES ET ASCENSIONS.
nous tapiss&mes le sol de la caverne : il est maintenant
aussi moelleux qu'un lit! On y dort & merveille. Nous
deblay£mes ensuite la neige, qui nous cachait la vue et le
soleil, en sorte qu'avant la fin du second jour, on penetrait
de plain-pied dans la grotte par line galerie horizontale de
neige : elle devint seche comme un salon.
Avant diner, par un temps admirable et brtilant, nous
flmes d'abord un kilometre et demi sur la neige au Sud-
Est, puis nous escalad&mes les deux sommets jumeaux
du Montferrat (3,223 met.) ; vilain petit passage entre deux
abimes, au Nord-Ouest de la cime. La fin futures facile.
Quel luxe de neige! Soiree fastueuse.
La caverne <§tant seche, et la portc remontee, notre
seconde nuit fut bien meilleure que la premiere.
Je ne decrirai pas la majesty de nos aurores. Sauf dans
THimalaya, jamais tant de lumiere, de gloire et de gran-
deur n'avaient ebloui mes yeux. Debout devant ma porte
au lever du soleil, en face d'un horizon de neige, et enfoui
dans des peaux de mouton, j'avais I'air, i\ la fin de juillet,
et en France, d'un Lapon qui d6gele. Mais la lumiere etait
si tropicale, la neige si blanche, le ciel si bleu et si lim-
pide, qu'il n'y avait rien des tristesses de l'hiver. Puis nous
nations pas seuls... Nous avions un charmant compagnoi*
qui venait dejeuner et dtner avec nous. Un cher petit
oiseau, evidemment toujours le meme, perdu ou exile
dans les neiges du Vignemale, venait regulierement, a
l'heure connue de nos* repas , secouer sa tete espiegle de-
vant ma porte, la pencher d'un cdte, nous regarder avec
tendresse, comme pour dire : « Puis-je manger avec vous?
Suis-je un intrus? » et becqueter ce que nous lui jetions,
Comme c'etait du poulet, il engraissait dune maniere
inquietante. M'avait-il vu l'annee derniere? Se souvenait-il
de moi ? Me reconnaitra-t-il l'annee prochaine ? Oh ! comme
je le voudrais ! On s'attache tant k ces pauvres b£tes qui
n'ont aucune id6e de la malice de rhommc et vont h lui
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ASCENSIONS. 135-
sans crainte! Ce petit Mre, qui se fiait tant ft moi sans me
connaitre, finit par m'attendrir. II me rappelait les inno-
cents oiseaux de la Nouvelle-ZSlande, qui me couvraient
la UHe, les 6paules et les jambes, lorsqu'assis sur des
troncs renverses, je prenais mes repas solitaires et rus-
tiques sous les for£ts sublimes et sSculaires des antipodes.
Jamais je n'ai pos6 une main profane sur ces chores et
confiantes creatures ; c'etaient pour moi des &tres sacr6s,
et j'aime k croire que l'oiseau du Vignemale a conserve de
moi un bon souvenir ; la preuve, c'est que deux mois apr&s,
un jour que j'6tais seul dans ma caverne, il entra tout a
fait ! II se croyait chez lui !
Je m'amusai k remonter sur le pic de Gerbillonas
(3,246 m&t.), sur le sommet duquel nous construisimes
plus tard une tr&s solide tourelle. Une autre fois, je passai
prds d'une heure k regarder le lac de Gaube du haut d'une
pointe cotee 3,205 mfct. sur la carte de l'Etat-major, ftl'Est
du Grand-Vignemale, et qui me parut &tre, a 4 ou 5 met.
pr6s, au m&me niveau que mon abri. L'ennui est impos-
sible dans un tel site. On est toujours surexcit6.
Notre troisieme nuit fut la meilleure de toutes, quoiqu'il
gel&t tellement « dehors » que nous trouv&mes 1 centim.
de glace surl'eau de nos bouteilles, laissees ouvertes par
precaution ; la viande elle-m&me etait gelee ! Mais dans
la grotte il faisait chaud, et nous dormimes cinq ou
six heures. Nous refimes, le 27, k 7 h. du matin, Tas-
cension du Vignemale (20 min.); vent trfcs violent et 3°
k Tombre. Redescendus pour dejeuner, nous allumions
notre punch, lorsque, 6 bonheur! trois creatures humaines
parurent k l'Est, en d6bouchant sur l'horizon de neige
comme trois navires sur TOcean.
C'6taient deux bons Anglais, MM. Midford et Maa Arthur
Moir, et Louis Junte, porteur deGavarnie. Nous bAmes et
nous fum&mes ensemble comme trois sultans, allonges
sur l'herbe chaude de ma grotte, ou le soleil jetait des
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136 COURSES ET ASCENSIONS.
torrents dor ; et quand ils eurent fini Tascension du Vi-
gnemale, nous revinmes tous trfcs vite k Gavarnie, oil nous
rentr&mes avant la nuit (arrets compris, quatre heures un
quart).
Quel temps il faut pour explorer, pour bien connaitre
une grande montagne! Les cartographes le savent, mais
le public ne s'en doute pas (demandez k Schrader...).
Revenu de ma neuvifcme ascension au Vignemale, je m'a-
per^us que je pourrais encore y trouver du nouveau.
Un pic neigeux de premier ordre,auquel la carte d'Etat-
major donne 3,147 mfet., mais pas de nom, se dresse au
Sud-Sud-Est du Montferrat : et un peu plus au Sud, on voit
un autre petit c6nebrun de 3,121 mfcl.: cesontdeuxpointes
du m£me sommet. Ges acolytes du Montferrat font done
intSgralement partie du massif du Vignemale; et cepen-
dant, jamais on ne s'£tait occupy d'eux. II fallut m6me
les baptiser comme des enfants trou\ r 6s; et comme leurs
neiges sont la vraie source de la cascade bien connue de
Tapou, nous sommes convenus, mes guides et moi, de les
appeler Pics de Tapou. Voici comment j'y suis mont6 avec
Haurine et Pierre Pujo. Je copie mon journal :
Depart (l er aotit) par la valine d'Ossoue, que nous quit-
tons a la cabane de Saousse, pour nous Clever k gauche
(k l'Ouest) sur les savanes qui m&nent au grand plateau
de Lourdes (1,900 mfct.). Gabanes. D'ici nous continuons k
monter au Nord-Ouest, sur des pelouses interminables. (On
pourrait arriver jusqu'ici kcheval : deux heures et demie de
Gavarnie). Les pentes deviennent plus roides, puis rocail-
leuses, puis nues, enfin neigeuses. Laissant k gauche le val-
lon de Gardal, ainsi qu'une pointe aigu8et noire (2,347 m.),
nous arrivons trfcs subitement au bord d'un petit lac (quatre
heures de Gavarnie), enferm6 de toutes parts (2,380 m<H.).
Son d6versoir est au Nord-Est, ou ses eaux &cumantes
s'engloutissent sous la terre. Le nombre de lacs et de
torrents pyr6neens qui ont cette singuli^re manie est
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ASCENSIONS. 137
lout k fait incalculable. Sur la Maladelta, ils sont incor-
rigibles. N'est-il pas bien probable que ce lac alimente 1&
cascade de Tapou, qui sort plus bas, toute faite, du flanc
d'un precipice, avec un volume d'eau dej& considerable?
Beaucoup de gentiana verna : les rives du lac en sont
toutes bleues. Ce sont, helas! les dernifcres fleurs : tout
disparalt ici sous un veritable fleuve de neige, ou nous
allons passer deux heures (l er aotitl...) Notre pic est au
Nord-Ouest, et se donne de grands airs ; mais sa conqufcte
est assuree : il est aussi facile que le Pic du Midi de
Bigorre !
Dulac, nous remontons unlongvallon de neige, &pentes
fort douces, et orients du Nord-Est au Sud-Ouest; mais
trois quarts d'heure aprfcs, nous reprenons notre direction
normale (Nord-Ouest), d'ou nous ne sortons plus, la ligne
raoyenne 6tant S.-E. N.-O. Nous sommes ravis : la vue
est prodigieuse, et sous un ciel tout bleu nous arrivons,
heureux et lestes, sur la cime principale du Tapou,
3,147 mfct. (six heures un quart de Gavarnie, sans cofnpter
les arrets). C'est done une course fort longue, et notre
retour fut un vrai steeple-chase, pour arriver avant la
nuit : car du plateau de Lourdes k Gavarnie, nous ne
mimes qu'une heure et demie. II faut compter en tout
onze heures (treize avec les arrets). C'est une des plus belles
courses que Ton puisse faire de Gavarnie, et une des plus
faciles.
Nous fimes aussi une courte visite k I'autre sommet,
celui du Sud, moins haut de quelques metres; et \k je fus
surpris de constater que la descente k l'Ouest de ces deux
pics, qui sont sur la frontifcre, n'offrirait pas la moindre
difficult^. Les precipices m^ridionaux du Montferrat ne
vont pas jusque-lk. On finirait par arriver & Boucharo
(cinq heures).
Ce qui ne m'etonna nullement, ce fut de constater aussi
qu'il y aurait des dangers aussi grands qu'inutiles k braver,
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138 COURSES ET ASCENSIONS.
si Ton voulait passer directement d'ici au MontFerrat, et
faire ainsi, par le Sud-Est, Tascension du Vignemale. Ce
n'est pas impossible, car deux de mes mineurs ont accom-
pli ce tour de force en 1881. Je les ai vus d'en bas sortir
victorieusement de ce lieu diabolique. La crfcte elle-rn&me
etant absolument impraticable, surtout en approchant du
Montferrat, ils durent rester toujours un peu k 1'Est, sur
le versant frangais, ou descend un glacier anonyme tene-
ment roide, qu'il a Fair d'un amas de decombres. II est
tout en morceaux. Ils pass£rent \k pour eviter les grandes
crevasses du glacier du Vignemale; mais ils n'ont pas
recommence. II y a des choses qu'on ne fait pas deux
fois...
Leur vie avait 6t6 bien dure sur le Vignemale, terrible
m&me quelquefois ! Quel contraste avec celle qu'ils menfc-
rent cette annee k la Breche de Roland, ou ils firent un
s6jour de trois semaines, sans essuyer une seule temp^te !
J'allai les voir, avec Haurine, dans la premiere semaine du
mois d'aoiH. Je fus frappe de leur bonne mine. Ils vivaient
bien lft-haut, k 2,800 mfct. ! Ils s'6taient fait une admi-
rable installation, une sorte de chambre trfcs bien chauf-
f6e, du cdt6 espagnol de la Breche, dans Tabri si connu
des touristes, qui etait \k depuis plus de trente ans, et ou
j'avais moi-m&me couch6 k difterentes Spoques, au moins
neuf ou dix fois. Je l'aimais tant, ce vieil abri, je lui devais
tant de reconnaissance, lui qui m'avait une fois sauve la
vie, en septembre 1858, dans un cyclone Spouvantable de
neige qui dura toute la nuit. Et comme je le regrette ! Gar
il a brutalement disparu! Des inconnus Tont dgmoli, rase,
an6anti, d&s que les ouvriers eurent achev6, sur le versant
franQais, l'abri du Club Alpin. G'est triste k dire ; mais il
est clair que, chez certaines natures, la destruction est un
besoin et une passion, m&me quand elle ne leur sert de
rien ; de m&me qu'il y a des fauves qui tuent un homme
et le dSchirent sans le manger, pour la seule joie de le
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ASCENSIONS. 139
mettre en morceaux. L'amour de la demolition etait jadis
special aux b£tes : il ne Test plus.
Profitant du beau temps, nous continu&mes notre course
k TOuest, ou nous fimes, en Espagne, plus de 3 kilo-
metres sans sortir de la neige. Traversant, au midi du
Taillon, un col ouvert entre lui et le Pic Rouge, nous nous
trouv&mes de Fautre c6te sur les n6v6s sans fin de Sala-
rous, d'ou, montant au Nord-Ouest, j'arrivai par l'Es-
pagne, et pour la seconde fois, sur la pointe Nord du
Gabietou (3,033 met.). On ne peut gu6re l'appeler un pic;
c'est une ar&te orientee du Nord-Est au Sud-Ouest; mais
a ses deux extremites elle se rel&ve assez pour former
deux sommets, dont un seul se laisse voir des environs de
Gavarnie; celui du Nord masque l'autre. Le Gabietou a
done deux cimes, dont la hauteur semble k peu pr£s 6gale.
Dans le doute cependant, et bien qu'il fut dejiSi 5 h., je
les gravis cette fois-ci toutes les deux, suivant ainsi la
cr6te entire du Gabietou, d'un bout k Tautre (aucun dan-
ger). Sur le piton Sud-Ouest, nous trouv&mes une bou-
teille, avec la carte de MM. Brulle et Bazillac, et celle de
C61estin Passet.
Poursuivis par la nuit, nous revinmes en une heure a la
Breche de Roland; et cinquante-cinq minutes apres (la
neige aidant), nous 6tions dans le Cirque!
Vers la pleine lune d'aout, je fis une ascension nocturne
des plus brillantes au Pic du Midi de Bigorre, avec un de
mes fr&res et ses enfants. G'etait une nuit d'Orient, bien
qu'il y eut de la neige.
La fin du mois me trouva & Luchon. Prenant alors
Firmin Barrau, dont les Spaules n'ont rien perdu de leur
vigueur, je passai en Espagne par le Port de Venasque, oil
nous coucMmes chez le brave et honnMe Francisco Cabel-
lud, k pr&s de 2,400 mfct. Quel air pur, et quel site merveil-
leux! Chaque fois que j'y vois naitre le jour sur les
aiguilles dories ou Scarlates de la Maladetta, la passion du
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liO COURSES ET ASCENSIONS.
desert, I'amour de la stSrilite, la ftevre de l'infini m'en-
flamment le coeur, le sang et le cerveau comme il y a
vingt-cinq ans. Fanatis6 par la nature, je voudrais m'en-
voler sur la brise, embrasser les sapins, la neige et les
rochers qui m'ont rendu tant de services, benir et remer-
cier le bleu du ciel et des torrents, les fleurs sauvages et
les montagnes qui m'ont donn6 tant de bonheur, et con-
sole de tant de choses! La vie civilis6e, avec ses artifices
et ses devoirs, Smousse un peu ces Amotions ou les endort :
mais elles renaissent toujours en face de la nature. J'entre
dans un monde moral nouveau, toutes les fois qu'en
passant la frontifcre k quatre heures de Luchon, je me
retrouve soudain devant les masses neigeuses et th64trales
des Monts Maudits ensanglant6es par le soleil couchant :
je change en un instant de caractfcre, et je comprends la
vie sauvage.
Peut-£tre Tai-je trop prouvS! Combien de fois ne Tai-je
pas men6e, la vie sauvage, sous les forGts des Monts
Maudits (pour ne parler que de TEurope), avec mon ami
Packe ! Serait-ce le culte des vieux souvenirs qui m'a fait
revenir cette annee sur mes traces d'autrefois? Parti le
31 aotit, sans but bien defini, de la maison hospitalifcre de
Cabellud (Port de V6nasque), un peu avant 7 h. , avec
Firmin et un aimable jeune Venasquais, nommg Marcial
Trucco, je fis une ascension nouvelle dans un pays perdu,
celle de la pointe centrale de TEstatats, sombre et fi&re
pyramide qui se dresse au milieu de la cr&te d61abr6e de
ce nom , et juste au Sud du deversoir du lac de Gregonio.
Je spScifie sa position exacte en italiques, pour 6viter
qu'on la confonde avec un autre sommet cote 2,976 met.
sur la carte admirable de Schrader, et situ6 plus & l'Ouest.
Le pic central, celui que nous avons gravi, est plus 6\ev6 :
cela saute aux yeux, pour peu qu'on en approche : il
domine I'autre de 25 a 30 m&t., et il doit dSpasser 16gfcre-
ment 3,000 mdt. Si je Tappelle Pic Central d'Estatats,
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ASCENSIONS. 1-41
c'est parce qu'il y en a quatre autres sur la m&me create,
deux au Sud-Est, du c6t6 de l'Eroueil, et deux k l'Ouest :
et si je ne compte pas l'Eroueil dans cette famille de pics,
dont il est cependant le vrai p£re, c'est parce que sa posi-
tion tout au bout de la cr&te, Ik oil elle perd son nom et
change de direction, le rattache aux regions du Nethou.
II appartient Svidemment au cirque d'Eroueil.
Gela dit, voici comment nous fimes cette course assez
sSrieuse. Aprfcs 6tre descendus jusqu'au Plan des Etangs,
nous remont£mes pendant prfcs de deux heures au Sud-
Ouest, laissant k gauche le pic Paderne, ainsi que le pic
d'Albe, et, k droite, mais tr£s has, les deux lacs de ce nom.
II y avait dix-neuf ans (!) que j'avais passe par Ik, ren-
contrant en chemin un bouquetin. Nous arriv&mes ainsi
k la fissure etroite, sorte de petite Br&che de Roland, que
j'ai nomm6e k cette epoque BrSche d'Albe (2,465 met.), et
au Sud de laquelle on descend dans la valine de Gregonio,
couverte d'une mer de blocs enormes, oil il faut quelque-
fois pr6s d'une heure pour faire un kilometre. G'est une
armee de pierres, un empire de*granit, une des plus
grandes curiosites des Pyrenees. Au clair de la lune, c'est
un spectacle unique; on dirait un ossuaire de Titans.
Passant & l'Ouest et kc6te du lacde Gregonio (2,656 m&t),
nous mont&mes droit au Sud, et toujours sur des blocs.
Mais k la base du pic, qui s'avance plus au Nord vers le lac
que le feste de la cr&te d'Estatats, la neige vint nous tirer
d'affaire.
La fin de l'ascension aurait 6te relativement facile, si
pour franchir la cr6te et attaquer ensuite le sommet par le
Sud, nous avi us eu le bon esprit de prendre un couloir
de debris, roide, il est vrai, mais trfes convenable, qui, au
Sud-Ouest du pic, monte tout droit k la cr6te, oil s'ouvro
une petite breche. Malheureusement nous e&mes une dis-
traction : nous all&mes trop k l'Ouest, et forces, une fois
\h, de grimper corame des chats sur des rochers absolu*
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i42 COURSES KT ASCENSIONS.
ment & pic, qui tremblaient tous, nous ne franchlmes
l'arfcte qu'apres avoir pass£ quelques minutes coll6s k un
abtme, et presque en perdition. II 6tait humiliant de pen-
ser qu'ily avait k c6te, plus k gauche, un chemin « raison-
nable ».
Une fois sur le versant meridional (celui de Malibierne),
tout alia mieux. Tournant k gauche (k l'Est), puis au Nord-
Est, nous etimes encore assez de peine k nous hisser avec
les mains, et sans les pieds, dans une gouttifcre a pic, et
disloqu^e, oil, & nous trois, nous formions une colonne
verticale. Gette montagne est malade... mais sa t£te est
solide; le sommet fut facile, et k 5 h., nous 6tions sur
le point culminant (3,000 et quelques metres), d'ou j'a-
perqus au Sud-Sud-Est, sur le versant de Malibierne, un
petit lac inconnu et tout triste d'etre si seul et si haut ; il
se trouve k peu pres il 2,800 mfct. Sa vie, pendant Thiver,
doit &tre bien dure.
Notre voisin immediat au Sud-Est (pyramidal aussi)
semble aussi haut que nous; mais & l'Ouest, tout s'abaisse;
aucun rival par \k. L'Eroueil paralt k TEst-Sud-Est, et le
Nethou k l'Est. La cime de la Maladetta est au Nord-Est, et
la pointe Ouest du lac de Gregonio au Nord. La vue est
vaste, glaciale et desolee, surtout autour du pic lui-m6me.
5 h. !... c'etait bien tard, vu la saison ; aussi nous primes
la fuite, apr&s avoir construit une humble tourelle, ou je
laissai nos noms dans une bouteille.
A 6 h., il se mit & pleuvoir. Nous avions beau courir
en descendant sur les blocs ruisselants de la desesp6-
rante vallee de Gregonio, il etait clair qu'il nous fau-
drait passer la nuit sous un rocher ou sous un arbre, sans
couverture et en costume d'et6. Pius nous allions, plus il
pleuvait. Enfin la nuit nous prit k 2,000 mfct. ; heureuse-
ment que c^tait k Tentree des for&ts. Nous nous blot-
times dansun bosquet pres du torrent; mais il faisait si
noir qu'on n'en voyait m6me pas l'gcume, et il ^tait trSs
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ASCENSIONS. 143
difficile d'y aller boire. Satures d'eau, notre premier soin
fut d'allumer deux beaux sapins, qui petillerent bient6t
jusqu'k leur falte, avec des bruits sinistres. Leurs bran-
ches, qui se tordaient comme des viperes mourantes,
avaient Tair de souffrir. C'etait superbe. Des flammes
pyramidales et rouges, dont les reflets arrivaient jusqu'aux
nuages, montaient en rugissant dans les ten&bres, et on
voyait au loin palpiter des Eclairs £carlates sur les 4)locs
monstrueux de granit, qui semblaient tressaillir.
C'est pr&s de cette fournaise que nous pass&mes la nuit,
mais sans dormir, ne pouvant nous chauffer d'un c6te
sans fctre gel6s de Tautre : calcination devant, congelation
derri&re... Ce n'est ni sain ni agr6able. Toutefois la pluie
avait cess6 : on voyait les etoiles : il faisait calme, et je
refis bien vite mes forces le lendemain matin, en dormant
quelques heures au soleil.
Une tifcde et ravissante promenade d'une heure sous les
sapins me fit descendre aux Bains, oil je menai pendant
cinq ou six jours la vie la plus tranquille et la plus saine,
loin du tapage et du luxe enervant des villes d'eaux, per-
ch6 k 1,700 m^t., apprenant l'espagnol, et causant de
toutes choses avec de bienveillants habitants de V^nasque.
II y avait \k aussi trois respectables cur6s des environs,
dont Failure grave et les soutanes donnaient plus que
jamais aux corridors cr6pusculaires et v6n6rables des
Bains Taspect d'un monastere, moins son silence; car on
chantait partout : c'etait une allegresse universelle. On dit
souvent du mal des Espagnols : mais on oublie l'am&iiti
de leurs manieres : ils sont presque toujours affables, de
bonne humeur et obligeants; et il est sAr qu'ils r&ississent
h embellir et k charmer la vie : n'est-ce pas beaucoup?
Un jour pourtant, je les quittai pour m'£lancer sur un
pic anonyme qui me tentait depuis plusieurs ann6es.
Situ6 au confluent des trois vallees de TEsera, de Litay-
rolles et de Ramougne, ce pic aigu est au Nord-Ouest des
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144 COURSES ET ASCENSIONS.
Bains (sur la rive droite de l'Esera), et k TOuest de I'Hos-
pice. II a 2,800 et quelques metres. Nous y mont&mes
par Litayrolles, c'est-&-dire par le Sud. Ce fut facile,
mais assez long (1,300 met. d'ascension depuis les bords
de l'Esera). II soufflait une tempfcte, et le lendemain (le
4 septemfcre) une Spaisse couche de neige descendait
jusqu'k 2,000 met. Quelle vue nous etimes de \k sur le
Posets! De nulle part il n'a l'air si puissant, si neigeux et
si vaste. Quelle majestueuse immensity de glace, de gor-
ges, de lacs et de sapins! Quelles formes! quelle noble
prestance ! Sa cr&te bronzee , arrondie et massive avait
l'air d'une baleine gigantesque endormie sur la neige.
Mais il faisait tr&s froid. L'enthousiasme ne rechauffe que
le cceur, et pour nous rallumer le sang nous construi-
slmes au sommet de notre pic une tour qui devrait &tre
imp6rissable, car elle a prfcs de 2 m&t. de hauteur, et la
largeur d'un tres gros homme.
Le i3 septembre me retrouva & Gavarnie, et le 15 & la
Br6che de Roland, ou je montai une troisi&me fois pour
m'assurer que le refuge du Club Alpin r6unissait les con-
ditions voulues et convenues. Prenant un mfctre et du
minium, je mesurai l'abri dans tous les sens, pendant que,
transforms en coloriste, Haurine peignait gravement et
soigneusement la porte en rouge, des deux c6t6s. Elle ne
risque plus de s'oxyder! Gette grotte, que je propose d'ap-
peler Abri-Roland, a 4* met. de longueur, 2 mfct. 30 (en
moyenne) de. largeur, et 2 m&t. de hauteur. Elle pourra
done loger une dizaine de personnes.
Deux jours aprfcs (17 septembre), en proie encore a
Tincurable folie des neiges et du Vignemale, j'y remontai
avec Haurine et Pierre Pujo, et j'y restai quatre jours !
C'etait la dixieme fois.
Gomme le glacier avait change d'aspect en quelques
semaines! Ardent comme le desert, le vent fievreux d'Es-
pagne avait passS par la. Trop belle sans doute pour n'6tre
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ASCENSIONS. 145
pas 6phem&re, la couche immaculee des neiges avait ter-
riblement fondu, et des crevasses la ridaient en tout sens.
II fallut s'attacher.
Voici le resume de ce voyage 6minemment alpestre.
Jamais campagne pyrSneenne ne m'a laiss6 de plus ineffa-
Qables souvenirs.
Partis trop tard (11 h.) nous n'arrivons qu'h 7 h.
k ma grotte : le temps menace, des nuages bizarres et
de toutes les couleurs roulent sur eux-mfcmes en masses
fumantes et courroucees. II fait nuit, et la porte a encore
disparu! Oil peut-elle 6tre? II g&le, quoique les nuages
aient Fair en feu : nous devenons bleus. Ge qui n'est gu&re
moins grave, c'est que depuis sept semaines la glace a tant
baiss6 que c'est un tour de force d'entrer dans ma caverne.
G'est tout & fait un mauvais pas, une escalade a pic de
plusieurs metres. Pujo grimpe le premier, avec beaucoup
de peine : puis il me hisse avec la corde. Singuliere sensa-
tion... II fait ti&de dans la grotte! Haurine, toujours
plein d*6nergie, retrouve la porte sous pres d'un metre
de neige nouvelle.
Mais oil est done la colline de grosses pierres amonce-
lees l'annSe derni&re au-dessous de ma porte, et qui repre-
sentaient les 16 m&t. cubes sortis de ma caverne? Que sont
devenus tous ces debris? Geci m'intrigue beaucoup : car
ils avaient une epaisseur d'au moins 2 m&t. et leur dispa-
rition est tr&s extraordinaire. S'ils n'6taient que caches
sous la neige, s'ils n'avaient pas chang6 de place, nous
pourrions les sentir en sondant : la pointe de nos batons
ferres trahirait la presence d'un corps dur, quand nous
les enfongons de 1 m&t. 1/2 sous la neige molle de la
surface. Gela est d'autant plus certain, que le glacier est
aussi bas, et m6me plus bas maintenant que lorsqu'on per-
forait ma grotte, devant laquelle s'accumula un monceau
trfcs 6pais de cailloux. Ils devraient done paraitre, car il n'y
a plus assez de neige pour les couvrir, m6me en y ajoutant
ANNUA IRE DB 1883. 10
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146 COURSES KT ASCENSIONS.
la nouvelle couche de 1 m&t. tomb6e Tautre jour. Mais
non : il n'y a plus rien : tout est parti : toute la petite col-
line de pierres s'en est all6e. Le glacier marche, voila
l'explication, et il est clair qu'il a tout emporte.
Comme il serait int6ressant de mesurer le trajet accompli
annuellement par ces pierres, de suivre leurs traces, et
d'assister, le stecle prochain, k leur sortie de leur prison
de glace, k plusieurs kilometres de leur point de depart!
Avis aux g^ologues, aux glacteristes du xx° sifccle!
Quelque int£rdt qu'ait cette question pour ceux qui
l^tudient chezeux, pr&s d'un bon feu, j'avoue pourtant que
je m'occupais moins du sort de ces ruines en voyage que
du ndtre, dans cette soiree glaciale et sombre d'automne,
k 3,200 m&t. de hauteur! La porte, criblSe de trous, 6tait
dans un 6tat si pitoyable, que j'hSsitai k m'en servir. Nous
parvinmes cependant k la remettre debout, en l'appuyant,
k l'intSrieur, sur nos batons ferr6s, et nous la recousimes
si solidement au mur avec de la ficelle, qu'elle r£sista pen-
dant notre troisi&me nuit k une temp&te terrible.
II est vrai que ma grotte s'ouvre k TEst, et qu'aucun vent
violent ne peut jamais frapper directement dessus ; car le
vent d'Est est rare et faible sur le Vignemale, et ma
caverne est k l'abri de tous les autres. Elle est merveilleu-
sement placSe pour cela. Si, par malheur, je J'avais fait
creuser & TOuest, on n'aurait jamais pu s'en servir.
Apr&s avoir bouche les trous de ma pauvre porte avec
toutes sortes de choses, du papier, de la paille, des bou-
chons et des os de canard (!), j'en laissai un ouvert, pour
me permettre de contempler, avant de m'endormir, les
merveilles de la nuit. Gar le temps s'arrangea vers 9 h.
Les nuages calmSs descendirent comme des plumes dans
les gorges, k pr&s de 2,000 m&t. de profondeur, et la lune
les fit fondre, en m6me temps qu'elle dorait les glaciers
et la neige, ofi elle jetait tant de clart6, qu'on aurait pu y
lire l'Scriture la plus fine. D'oii vient qu'il fait toujours
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ASCENSIONS. 147
plus clair sur les montagnes pendant la nuit, que dans la
plaine? Serait-ce & cause de la rarefaction de Tair? (Test
bien possible. Puisque la lune donne un peu de chaleur
appreciable k 3,500 mfct., peut-6tre que sa lumi&re suit les
mtoies lois, et qu'elle augmente aussi d 'intensity h mesure
qu'on s'61&ve. Ge qui est plus extraordinaire, e'est que
m&me dans les nuits sans lune, plus on est haut, moins il
fait sombre. L'obscurit6 complete est inconnue sur le som-
met des hautes montagnes, oil les Stoiles brillent comme
desphares.
Voici bient6t 11 h. Mais qui fermerait volontairement
les yeux, s'il lui etait donn6 de voir ce que je vois par le
trou de ma porte? Au premier plan, sous les rayons de
la pleine lune, les n6v£s brillent comme h midi. On pour-
rait dire qu'il y fait jour; et des milliers de petites vagues
veraeilles leur donnent l'aspect mousseux d'un lac de
cr&me, d'une plaine d'Scume oil il n'y a rien, pas m6me
une pierre, qui puisse faire tache ou projeter une ombre.
La seule qui s'y dessine, e'est la trace que nos pas ont
creus^e dans la neige. Elle est assez profonde pour emp6-
cher la lumi&re d'y entrer : il en risulte une ligne sinueuse
et sombre qui tranche comme une couleuvre sur la blan-
cheur environnante, et coupe nettement tout le glacier en
deux.
Au loin, trfcs bas, dans des abimes aussi profonds et
aussi muets que ceux de TOc6an, je vois d'immenses
vagues noires, des silhouettes fauves , des chaos n6buleux
de montagnes... (Test la chalne humili^e des sommets
secondaires, ceux de 2,000 k 2,800 mdt. : le Pim6n6, l'Al-
lanz, les Aiguillous, etc. On dirait des collines de charbon
etd'airain. Us sont encore dans l'ombre : mais au-dessus
de 3,000 mfct. la lune couvre de lumi&re Thorizon p&le et
p6trifi6 des frimas kernels, oil des grants bleu&tres et
chauves, debout sur les t^nfcbres, menacent le ciel comme
des demons de glace.
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148 COURSES ET ASCENSIONS.
Et partout le silence!... Nous sommes si haut! Si loin
des hommes ! II semble que tous les bruits de la nature
soient morts h tout jamais... Je me demande si Tunivers
entier n'est pas gel6... quand soudain, h minuit, il se pro-
duit une explosion violente etsolennelle, suivie de plusieurs
coups sonores et sees, partis d'on ne sait ob, comme si c'^tait
Te space qui frSmissait. G'est le glacier qui se reveille,
respire et se disloque Sa voix puissante a quelque
chose de terrifiant, dans le silence austere et s£pulcral qui
nous entoure. (Test comme la voix surnaturelle d'un mort
qui ressuscite... Mais, non; rassurons-nous : cette voix ter-
rible prouve, au contraire, que la Nature palpite encore,
qu'une puissance invisible la fait vivre, et on sent planer
Dieu sur le monde, qui n'etait qu'endormi.
18 septembre, 6 h. La nuit a 6t6 bonne. Voici le
jour dans tout l'6clat de sa jeunesse : Thorizon est somp-
tueux; les rayons du soleil, penetrant par les trous de ma
porte, dessinent desfilons d'or, des arabesques de feu, sur
la votite et les murs encore sombres de ma grotte, et les
n£v6s rutilent h perte de vue comme une plaine de dia-
mants. Suis-je en Norv&ge, ou dans les Pyr6n£es?
Je m&ne la vie d'un Esquimau ; elle est bizarre, mais si
heureuse, si attachantel Comment ferai-je pour reparaltre
dans les salons sous les couleurs d'un « homme du monde »,
aprfcs avoir pass6 quatre jours & me promener, avec la
liberty d'Adam, sur des neiges virginales comme l'Eden?
Quelle difficile metamorphose 1 Me \oi\k « Thomme de la
nature »
Mais les vivres manquent J'envoie done mes deux
guide&^n chercher aux Oulettes (oil j'ai fait remonter le
cheval), et je reste seul sur le Vignemale pendant huit
heures, avec des sensations Granges... Je fais un escalier
de neige devant ma grotte, pour en faciliter Tentr^e.
Je m'aper^ois alors que je respire moins bien que dans
la plaine : essoufflement chronique trfcs prononcS, m&ne
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ASCENSIONS. 149
au repos. Je Mne en mSditant sur le col de Cerbillonas,
oil rien n'arrGte ma vue jusqu'& Biarritz! Je domine cent
quarante kilometres de montagnes, m6me le Balaltous!
Quelle vue, et quel soleil ! La majesty de la nature m'etonne
et me fascine encore plus que ses lois.
Mais j' utilise aussi mon temps, en mettant de la neige
en bouteille, oil je la fais ensuite fondre au soleil. Sans
cela pas d'eau h boire : et il en faut beaucoup. Gar avec
une cafetiere que m'a obligeamment pr6t6e un des bons
missionnaires de H6as, et force esprit-de-vin, je fais bouillir
une foule de choses : soupe, punch, et m6me cafe au lait
et chocolat! J'installe un restaurant sur le Vignemale : je
vis comme un pacha !
Au retour de mes guides, nous grimpons au sommet.
II est 4 h. Le Nord est clair, mais l'Ouest se charge,
et le Sud est en feu. Du fond des plaines poudreuses et
bleues de TAragon, je vois monter pieusement les nuages
pourpr6s du soir. Comme ils sont calmes et colored ! Jamais
les nuages du Nord n'ont ces teintes-l&! On sent TAfrique
dans ces ardeurs et ces reflets du Sahara.
19 septembre, 5 h. Le vent se leve, la neige s'agite :
c'est l'6quinoxe et ses coleres. Les nuages sont rouges et
affoles : heureusement qu'ils sont sees. Voici Thiver et ses
horreurs. La nuit approche et la nature prend un aspect
feroce : il y a du sang dans le soleil couchant. D6j& les
nuages fendent 1'air qui siffle partout, m6me dans Tespace :
car Tair devient sonore quand il est en mouvement, h part
le bruit qu il fait en heurtant un obstacle. II a une voix & lui,
comine Teau quand on l'agite. Dans les typhons des mers
de Chine, toute Tatmosphere gronde et rugit comme une
bUe fauve, et on entend passer des voix d6sesp6r6es dans
TStendue, bien au-dessus des flots et du navire.
Nous Scoutons, car ce bruit est sublime, surtout quand
on est bien blotti au fond d'une grotte, dans la s6curit6 la
plus complete, stir de la paille, avec la porte barricaded,
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150 COURSES ET ASCENSIONS.
des bougies allumges, des cigares et du punch! Le Vigne-
male tremble, mais il ne tombera pas!
A TOuest du col,le vent s^crase contre les abimes avec
la force et la fureur des vagues de TAtlantique : on croit
sentir une vraie trepidation... A 8 h., c'est d6]h une teni-
pfcte, h 10 h. une tourniente, et h minuit un ouragan. Mais
il fait sec : il ne neige pas, et vers 2 h. le vent saute
au Nord-Ouest : il agonise, il meurt, et le matin tout est
fini.
20 septembre : soir. Apr&s beaucoup d'h£sitations, je suis
rest6, tant il m'en cotlte de m'en alier ! Gette vie sauvage
me va si bien! Je me sens fort comme un rocher, je ne
me prive de rien, j'ai presque du luxe, h 3,200 m&t. au-
dessus du niveau de la mer, et je ne m'ennuie pas : j'ai
m&me des livres! Malheureusement le temps menace
encore; il fait brumeux et froid, avec « grande brise ». La
glace g6mit. Soiree lugubre.
Quelle tour nous avons faite sur le Col de Gerbillonas, h
quelques metres au Sud de celle d'Henri Passet! Elle a
plus de 2 mfct., avec une base proportionnelle. J'apprends
Tarchitecture. Le col a maintenant une tournure tout h fait
imposante, avec ses deux tourelles symetriquement pian-
t6es au bord d'une mer de neige, et sur une gr&ve dgserte
balaySe par le vent. On croirait voir deux phares dresses
sur un rivage de la mer Blanche.
7 h. Diner de premiere classe, et illumination : j'allume
mes quatre bougies! II gfcle terriblement dehors, mais
il fait ti&de h l'int6rieur de mon abri : aussi , jamais je
n'y ai fait de feu. La nuit est assez calme. Nous veillons,
nous fumons, nous buvons du vin chaud, nous causons de
montagnes, et ce n'est qu'k 11 h. que j^teins leis bougies :
aussi, je ne m'iveille qu'a. 7 h. du matin! Gette nuit fut
la meilleure des quatre.
21 septembre. Descente & Gavarnie : les vivres sont
6puis6s. Voici la « grande crevasse » qui s'ouvre comme
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ASCENSIONS. 151
un T6nare de glace. Mes yeux s'etonnent en revoyant de
la verdure, et mes oreilles aussi, en gcoutant la mSlodie
des torrents £cumeux qui bondissent au soleil. J'ai perdu
l'habitude de tout cela... Je m'attendris en descendant, je
deviens moins sauvage, et j'ai Tingratitude d'oublier un
instant le Vignerhale Mais c'est lui qui me chasse. Si
j'y remonte encore, puisse-je y retrouver des nuits pures,
silencieuses et dories, la poesie et la blancheur des
aurores sib£riennes, et le petit oiseau qui m'a fait battre
le coeur!
C te Henry Russell,
Membre du Club Alpin Frangais
(Sections de Paris et du Sud-Ouest).
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VIII
LES
MONTAGNES DE PfiTRAGfiME
Parmi mes excursions de cette annde (1883), il en est
une qui m'a paru nouvelle pour les lecteurs de YAnnuaire
et a laquelle j'ai cru devoir consacrer quelques pages :
c'est celle que j'ai faite dans les montagnes de P6tra-
g&me.
On designe par ce nom g£n6ral les crates qui limitent le
vallon de Lescun, & l'Ouest. Mais, en r£alit£, ces crates
peuvent se diviser en trois parties distinctes : Ansab&re
ou Ansabe au Nord, PStragfcme au centre, et Larraille
au Sud.
Les crates d'Ansabfcre se lient, au Nord, par les pics des
Trois-Rois, de Pfcne-Blanque et de l'lnsole, au massif du pic
d'Anie; et, du c6t6 du Sud, celies de Pdtragfcme se sou-
dent, en inclinant ISt l'Est, aux pointes de Lacherite ou Che-
rito, du Bouchet et de Larraille.
De P&ne-Blanque au pic de Larraille, la ligne fronti&re,
jalonnde par une sdrie de pointes aux formes 61anc6es,
decrit dans son ensemble un tiers de circonttrence d'un
ddveloppement de 7 kilom. environ. Cette ligne circonscrit
un admirable cirque, couvert & la base de verdoyants p&tu-
rages et d'6paisses for&ts, et terming par des murailles ma-
jestueuses couples par des br&ches profondes garnies de
neige.
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LES MONTAGNES DE PETRAGKME. 153:
La fine silhouette de ces crates aux aiguilles 61anc6es et
aux chaudes couleurs jaune orange avait plus d'une fois
attirS mes regards pendant que je parcourais le versant
espagnol, et m'avait inspire le d6sir de ies voir de pr&s.
Cette ann6e, j'ai voulu satisfaire ce d6sir et dissiper en
mftme temps les doutes qui r6gnaient dans mon esprit au
sujet de la classification de cette serie de pointes.
C'est dans ce but que je suis all£ uninstaller avec mon
guide, Laurent Sarr&tes, au village de Lescun. Ce village
(902 m£t.), situ6 au pied des montagnes que je voulais
explorer, m'offrait un point de depart bien choisi. Je sup-
posais d'ailleurs que, iU'aide des relations que je m'y 6tais
d6j&. cr66es, j'y trouverais un homme connaissant assez
bien la region pour me guider sftrement au milieu de ce
d6dale d'aiguilles et de br&ches. Cet homme, j'ai eu, en
effet, la bonne fortune de le trouver en la personne de
Loustallot-Lapassat, le garde des montagnes, qui fut gra-
cieusement mis k ma disposition par le maire de Lescun,
M. Pierre Gampagne.
La soiree du 18 aoAt, jour de mon arrivSe & Lescun, se
passa & causer avec les personnes que je viens de nommer
et quelques autres habitants de la locality, parmi lesquels
je cite M. Pierre Plou, instituteur, M. le cur6 Jacob Lacaze
et M. Gazou-Carafanz, qui m'avait offert une chambre trfcs
confortable dans sa maison.
Je saisis Toccasion de renouveler & toutes ces personnes
Texpression de ma gratitude pour Taccueil sympathique
que j'ai regu de leur part et pour tous les renseignements
qu'ils se sont empresses de me fournir.
Ge m6me soir, j'eus aussi le plaisir de serrer la main &
mon intr6pide collfcgue, M. Paul Labrouche, qui, en com-
pagnie de Tun de ses amis, venait faire une promenade du
c6t6 du pic d'Anie.
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154 COURSES ET ASCENSIONS.
LE VALLON D'ANSABE
Le lendemain 19 aoftt, je quittai Lescun avec mes guides,
& 7 h. du matin, par un temps admirable.
En sortant du village, nous descendons pendant vingt
minutes au Sud-Ouest, sur le chemin qui conduit au mou-
lin, ou nous franchissons le gave de Lescun ou d'Ansabe
sur un pont de pierre (835 mfct), k 400 m&t. environ en
aval du confluent du gave de Lescun et du ruisseau de la
Hourque-de-Lauga. Le premier cours d'eau vient de l'Ouest-
Sud-Ouest, des montagnes de P6trag£me ; le second des-
cend du Nord-Ouest, de la region du pic d'Anie.
Sur la rive droite du gave, le sentier se bifurque. Celui
qui monte au Sud se dirige vers le port de Hecho ou del
Palo ; nous le laissons k gauche et nous continuons sur un
bon chemin muletier qui s'61&ve rapidement en lacets. A
la cime des lacets, nous sommes k l'origine du plateau
d'Ansabe, sur une terrasse qui domine le confluent des
gaves de Lescun et de la Hourque-de-Lauga. De ce point
on jouit d'une trfcs belie vue d'ensemble sur le vallon de
Lescun.
Le village, distant de 1 kilom. 200 mfct. environ, montre
toutes ses maisons 6tag6es sur les pentes meridionales du
pic d'Ourtasse, dontles croupes bois6es descendent, h l'Est,
jusqu'au gave d'Aspe. De ce c6t6, le vallon de Lescun se ter-
mine en une gorge profonde et resserrGe au fond de laquelle
le torrent mugit et se prgcipite en cascades. En face, au
Nord, les crates dentel£es qui se d&achent de l'Ourtasse
s'elfcvent par degr£s jusqu'au pas d'Azuns. On apergoit tr&s
distinctement, sur le flanc occidental de ces crates, le Mti-
ment des bains de Laberou, qui jouissent d'une assez
grande reputation dans la contrSe. Du c6t£ du Nord-Ouest,
le regard suit tr&s haut le cours de la Hourque-de-Lauga et
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LES MONTAGUES DE PETRAGKME. 155
son vallon admirablement encadrS par des montagnes tr&s
belles de couleurs et de formes. Le sentier du pas d'Azuns
et du pic d\Anie,se bifurquant aussi vers le col de l'lnsole,
monte dans ce vallon. A l'Ouest se montre, de la base au
sommet, k une distance de 4 kilom. environ, T6tonnante
cime de Billare (2,309 m&t.), immense rocher calcaire qui
surgit tout d'une pifcce au-dessus du bois de Larrangus.
— Les diverses ramifications orientales de Billare separent
le vallon de Lauga de celui d'Ansabe. — Au del& de Billare,
mais un peu plus au Nord-Ouest, domine la cime aigue du
pic d'Anie. Du c6t6 de TOuest-Sud-Ouest commencent
k se dessiner quelques-unes des aiguilles de Petrag&me
vers lesqueiles nous nous dirigeons.
Le plateau d'Ansabe, peu incline, est couvert de belies
cultures 6maill6es d'babitations et de granges. Le chemin
s'eloigne peu de la rive droite du gave. En certains endroits
il le longe mfcme tout & fait. Alors nous pouvons voir, au
milieu de ces eaux si limpides, de belles truites qui filent
comme des traits. Loustailot, remarquant notre admira-
tion, ne manque pas de nous raconter les p&ches presque
miraculeuses qui ont 6t6 frequemment faites dans ce
beau gave. Selon lui, il n'y a pas de meiileures truites dans
toutes les Pyr6n6es.
A mesure que nous avanQons, le vallon se resserre et le
paysage revfct un caract&re plus imposant.
A 8 h. 15 min., nous d£passons la derni&re grange. Le
plateau cultivS cesse 1&. Bient6t le chemin monte plus
raide pour atteindre un ressaut au del* duquel il s'intro-
duit dans un bois de h&tres impenetrable aux rayons du so-
leil.
De Tautre c6t6 du gave, droit au Nord, dSbouche une
gorge profonde creusee par les eaux qui viennent du lac
de THurs, au pied des muraiiles m6ridionales de Billare,
entre le bois de Larrangus et celui de Landrosque.
Au sortir du bois de h&tres, la promenade devient ravis-
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156 COURSES ET ASCENSIONS.
sante, sur le tapis veloute des premiers p&turages d'An-
sabe.
A 9 h. ,nous sommes sur un mamelon gazonn6 (1,185 mM.),
k la bifurcation du sentier qui monte au Sud, au port de
Larraille. Nous le laissons h gauche et nous poursuivons
notre marche, toujours dans la m&me direction, mais en
inclinant peu k peu a 1'Ouest. Bient6t nous passons sur la
rive gauche, ou le chemin devient moins facile au pied du
bois de Landrosque. Voici les premieres cabanes, au delk
desquelles nous commengons k trouver des 6boulis. Le
sentier est encore assez bien trac6, mais la pente augmente
sensiblement.
A 9 h. 40 min., nous arrivons au confluent de deux ruis-
seaux qui se r6unissent presque h angle droit. Gelui qui
vient du Sud-Ouest commence au port de Anso ou de P6-
trag&me. L'autre descend du Nord-Ouest, du port d'Ansa-
b&re et du pic des Trois-Rois. Nous suivons les bords de ce
dernier ruisseau, et, JtlOh. 20 min., nous dgpassons les
plus hautes cabanes d'Ansabe (1,420 m&t.). Nous montons
alors assez raide, pendant une demi-heure, pour atteindre
une source trfcs fralche (1,720 mfct.) auprfes de laquelle
nous nous arr&tons pendant quelques instants pour nous
reconforter.
Tant que dure notre halte, mes regards sont constam-
ment fix6s sur les crfctes de TOuest, oil les etonnantes ai-
guilles d'Ansabe et de P6trag&me s'glancent avec une har-
diesse inoule. Elles sont, en ce moment, merveilleusement
eclairees par un soleil ardent, et leur chaude couleur jaune
orang6, jointe au scintiliement des neiges qui garnissent
tous les couloirs, leur donne un charme ind6finissable.
Nous en sommes tres rapprochSs, et pas un detail ne nous
6chappe. Aussi notre guide Loustallot se met-il k nous
d^crire avec soin toutes ces pointes et les br&ches qui les
sGparent.
La cime qui domine au Nord-Nord-Ouest, en forme de
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158 COURSES ET ASCENSIONS.
tour arrondie, est le pic des Trois-Rois, que les Espagnols
nomment Punta de los Reyn. De cette cime se d6tache,
versl'Est, une ar6te, terminle par une plate-forme, qui est
la vraie Table des Trois-Rois. L'echancrure qui s'ouvre au
Nord-Ouest, au pied du pic des Trois-Rois, et plus pr&s de
nous, est le port d'Ansab&re ou d'Esquesto. A partir de
cette 6chancrure la crfcte, courant droit au Sud, s*61&ve
par une s6rie de pointes jusqu'& la grande aiguille de P6-
trag&me ou des Demoiselles, inscrite sous le nom de pic
d'Ansab&re (2,376 mfct.), sur la carte du D6p6tde la guerre.
Cette pointe est s6par6e par la brfcche profonde des Demoi-
selles d'une autre aiguille, au Sud de laquelie s'ouvre le
port de Petragdme ou de Ans6 (2,070 m&t.), le passage le
plus praticable de ces crates. C'est par ce port, qui d^bouche
dans le vallon de Zoriza, que se fait tout le commerce entre
Lescun et Ans6. Au Sud-Est de ce passage se dresse une
derni&re pointe, moins 6\ev6e que les autres, au del& de
laquelie se creuse la coupure nomm6e le Pourtet-Barrat,
signage comme un poste excellent pour la chasse aux
isards. La crfcte incline ensuite au Sud-Est pour rejoindre
les pointes de Lacherite et de Larraiile.
Telle est la nomenclature que j'ai deduite des explica-
tions fournies sur les lieux par le garde Loustallot qui, dans
cette circonstance, m'a paru faire preuve d'une parfaite
connaissance de toutes ces montagnes.
Le pic des Trois-Rois et la br&che des Demoiselles
ont leurs 16gendes, que je passe sous silence afin de ne
pas me laisser entrainer hors du cadre que je me suis
trace.
Pendant que nous cheminions dans le vallon d'Ansabe,
le but de mon excursion de cette journ6e 6tait encore ind£-
cis, mais & la vue du pic des Trois-Rois mon indecision
cesse complement, et c'est \h que nous allons essayer de
grimper.
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LES MONTAGNKS DE PGTRAGtiME. 159
LE PIC DES TROIS-ROIS (2,434 met.)
(premiere ascension)
Aprfcs notre courte collation , nous reprenons notre
marche, et nous montons alors au Nord-Ouest, vers le port
d'Ansab&re.
A 11 h. 30 min., nous nous trouvons au pied mfcme du
port, dans un petit vallon & Taspect d6sol6 et tout encom-
bre de blocs calcaires et de neige (1,860 mfct.). Au del&, on
apergoit bien encore quelques traces de l'ancien sentier,
mais les eboulis et les neiges Font tellement d£grad£ que,
renongant h suivre ses lacets, nous montons droit au port.
A midi. 30 min., nous sommes sur la ligne fronti&re
(2,120 m&t.), oil je ne m'arrdte qu'un instant pour suivre
du regard les bonds d'une bande d'isards que nous venons
de surprendre. Six de ces agiles animaux fuient sur ie ver-
sant frangais et trois sur le versant espagnol.
A partir du port d'Ansabdre, nous montons auNord-Est,
droit au pic des Trois-Rois qui se dresse majestueusement
devant nous.
La premiere partie de l'ascension est assez facile et n'est
qu'une s6rie de petites escalades sur des strates alternant
avec des bandesde gazon. Mais nous ne tardons pas k trou-
ver des corniches qui, sans fttre tr&s difficiles, sollicitent
cependant toute notre attention. Nous avons aussi h tra-
verser des Eboulis et des nappes de neige trfcs inclines.
Alors, jugeant prudent de laisser toute liberty de mouve-
ments & mes guides, je fais d6poser tous les bagages, k
Texception des instruments, & l'abri d'un gros bloc marqu6
par une feuille de papier fix^e sur une pyramide de pierres.
Cette precaution me paralt utile au milieu de ce dgdale de
blocs et de corniches ou tout se ressemble.
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160 COURSES ET ASCENSIONS.
Enfin, a 2 h., nousposons lepied sur la vraie pointe des
Trois-Rois (2,434 m&t.). Gette cime est termin£e par une
plate-forme arrondie jonch^e de blocs de calcaire gris
tr&s clair.
Nous sommes bien sur le point culminant de ces crates,
etla vue est immense. Le regard se perd dans l'infini loin-
tain des montagnes et des plaines : rien ne FarrGte. Le pic
d'Anie seul, au Nord, s'61&ve un peu plus haut (2,504 met.),
au del& du profond vallon d'Anaye ou de Tlnsole. Ge pic et
celui de P&ne-Blanque (2,342 mfct.) ? dont la pointe cylin-
drique surgit tr&s pres, au Nord-Est, forment un trfcs beau
groupe. L'atmosph&re est si pure que tout se d6tache avec
une rare netted. Je ne sais quelle cime on ne voit pas,
depuis le massif des Monts-Maudits, & FEst, jusqu'aux der-
ni&res montagnes de la Navarre, k FOuest.
A nos pieds, & FEst, le petit lac de FHurs brille comme
une 6meraude encMss6e entre les murailles occidentales
de Billare et celles de Landrosque.
Du c6t6 des plaines de B6arn, au milieu du damier des
verdoyantes prairies et des champs cultivSs, paraissent une
foule de villes et de villages, et je peux montrer k mes
guides les edifices de Pau. Mais ce qui intSresse le plus mes
compagnons, c'est la ligne bleue de POcean qui se detache
distinctement au dernier horizon des plaines de FOuest-
Nord-Ouest.
Du cdt6 du Sud, les sierras de FAragon etagent leurs
silhouettes azurees jusqu'k perte de vue.
En un mot, il est bien difficile de trouver un plus inte-
ressant panorama.
La cime des Trois-Rois s'el&ve au point oil s'unit h la
frontidre le long chalnon de Mazelarra ou Sierralonga qui
s6pare, de ce c6t6, les deux provinces espagnoles d'Aragon
et de Navarre. Je ne pouvais done trouver une meilleure
station pour contr6ier ce que j'avais dej& vu en parcou-
rant cette partie du versant espagnol. Aussi les myst&res
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l£s montagnes de p£trag£me. 161
dont certains points de cette region 6taient encore entou-
r6s pour moi disparaissent-ils Tun aprfcs l'autre. Ainsi,
par exemple, je n'avais pas bien pu saisir le point d'attache
de la Table k la pointe des Trois-Rois : j'avais ou bien con-
fondu ces deux points ou trop Eloign d Fun de l'autre. Main-
tenant il n'y a plus d'erreur possible, car nous dominons
completement l'artte d£tach6e de la cime au Sud-Est et la
terrasse qui la termine sous le nom de Table (2,416 met.),
& une distance de 300 mht. environ.. Cette ar&te est peu
tourmentee et est m£me gazonn6e en certains points, mais
ses murailles orientales sont absolument h pic.
Si Ton suit le trace de la carte du D6p6t de la guerre,
c'est la Table qui se trouve sur la ligne fronti&re, et par
suite le pic des Trois Rois est espagnol. Gependant la ligne
de partage des eaux passe bien par la cime m£me, puisquo
tous les ruisselets du versant par lequel nous avons fait
Tascension, h partir du port d'Ansabere, se reunissent au
fond du vallon d'Ansabe. Le garde Loustallot, de son c6t6,
ne doute pas que la pointe des Trois-Rois ne doive s'elever
& la frontifcre puisque, & Lescun, la Table est consider^
comme faisant partie du territoire de la commune. Gepen-
dant je n'ai pas apergu, h la cime des Trois-Rois, les
marques s£paratives tracfees en certains autres endroits de
la frontifcre. N'y aurait-il pas, sur ce point, matifcre h rec-
tification ?
Du c6te du Sud, toutes les pointes d'Ansabe et de P6tra-
g&me sont sous nos yeux. Nous les dominons complete-
ment, et pas un detail de leurs vraies formes ne m'6chappe.
Leur transformation est tr&s singulifcre. C'est k ne pas en
croire les yeux. Si j'Stais mont6 k la cime des Trois-Rois
par un autre versant, j'aurais eu beaucoup de peine k croire
que j'avais sous les yeux les pointes de ces aiguilles dont
les formes 61anc6es et a&riennes attirent tant le regard, au
fond du vallon d'Ansabe. Mais le doute n'est pas possible
pour moi, car je ne les ai jamais perdues de vue en mon-
AMNUAIRK DB 1883. 11
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162 COURSES ET ASCENSIONS. '
tant. Or, ces pointes si aigu6s ne sont en r£alit6 que les
extr6mit£s d'etroits bastions dont les murs, coupes par des
brfcches profondes, sont inabordables sur le versant fran-
Qais, mais dont le faite se poursuit, en s'abaissant gra-
duellement, sur le versant espagnol par oil Facets en parait
facile.
Ces bastions de Petragfcme sont Tun des plus beaux types
des fortifications naturelles que Ton rencontre en maints
endroits du soulfcvement calcaire pyr6n6en.
De ce m&me c6t6 du Sud, au deli de Petragfcme, un
point m'interesse beaucoup : e'est la cime de las Tajeras,
dont la position m'avait laissS quelque indecision. Main-
tenant toute incertitude disparalt, car je vois tr&s distinc-
tement sa croupe arrondie (2,356 met.), un peu h droite de
la grande pointe de P6trag&me (2,376 met.), et je distingue
nettement l'ar&te qui la relie h la ligne fronti&re dans les
environs du port de Ans6 ou de P6trag£me,
Je n'en finirais pas si je voulais relater toutes les obser
vations int^ressantes que j'ai recueillies du haut du pic
des Trois-Rois.
A 4 h., m'arrachant avec regret k un si beau panorama,
je donne Tordre du depart.
En descendant nous suivons k peu prfcs notre ligne d'as-
cension, maisnon sans t&tonner au milieu de ces corniches
qui se ressemblent toutes. Les traces que nous avons lais-
s£es sur la neige et sur les eboulis nous remettent, il est
vrai, sur la voie ; cependant nous hGsitons toujours jusqu'a
ce qu'enfin nous apercevons la petite pyramide surmontee
de sa feuille de papier. Alors nous courons droit k nos
bagages. Le sac aux vivres nous int6resse tout particulie-
rement, car, pendant notre station k la cime, la vivacite de
Tair nous a passablement aiguis6 l'appgtit*.
Nous descendons de quelqu^s metres, pour nous installer
sur le bord d'un amas de neige d'ou suinte un filet d'eau,
et nous faisons bravementhonneur h tout ce qui nousreste
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bo
2
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164 COURSES ET ASCENSIONS.
de vivres, mais sans perdre trop de temps. Le soleil, en
effet, baisse rapidement, et Tombre portSe des aiguilles de
P6tragfcme prend des dimensions formidables.
Une fois les bagages pH6s, s'agite la question de la voie
k suivre pour descendre. S'il faut que nous reprenions pas
k pas le chemin suivi pour l'ascension, la nuit nous sur-
prendra tr&s probablement dans les mauvais sentiers du
haut vallon d'Ansabe. II faudrait done, pour gagner beau-
coup de temps, pouvoir descendre directement jusqu'au
fond du vallon. Mais ne sera-ce pas nous lancer dans l'in-
connu ? Naturellement Topinion de notre guide Loustallot
doit 6tre pr6pond6rante, et nous nous en rapportons k lui.
Alors, comprenant toute saresponsabilitd, il nousquitte un
instant et nous le voyons bientdt sur le bord extreme d'une
corniche surplombante d'oii il peut examiner ce qui se passe
en bas.Cet examen est sans doute satisfaisant, puisqu'il ne
tarde pas & nous faire signe de le rejoindre. II a, en effet,
remarquS une s6rie de trainees de neige et d^boulis qu'il
nous montre de la main, et qui descendent trds bas. II les
croit praticables, malgrS leur effrayante inclinaison.
Le sort en est jet£, et nous \oi\k partis! Nous ne restons
pas constamment sur nos jambes et le fond de nos panta-
lons attrape quelques accrocs pendant cette d^gringolade
vertigineuse ; toutefois, gr&ce & notre habitude des mon-
tagnes, nous arrivons, sans accident, presque au fond du
vallon.
Cette descente directe nous avait fait gagner beaucoup
de temps. N6anmoins ce ne fut qu'& la nuit tombante que
nous arriv&mes k Lescun, fatigues par la chaleur, mais en-
chants de notre excursion.
Du reste, nos fatigues furent bien vite oubliSes chezi'au-
bergiste Simon, oh un bon souper nous attendait. Entre
autres plats, j'apprSciai fort une abondante friture de belles
truites dont le gotM exquis confirmait pleinement les dires
de Loustallot au sujet de la superiority du poisson du
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LES MONTAGNES DE P&TRAGEME. 165
gave. Je fus si sensible k l'argument que j'en demandai
une nouvelle Edition pour le lendemain; car je me propo-
sals bien de proftter de ce beau temps exceptionnel pour
continuer l'exploration de ces montagnes qui m'avaient si
vivement int6ress6.
LE PORT ET LES CReTES DE LARRAILLE
Du haut du pic des Trois-Rois j'avais remarqug, au delist
des pointes de Petrag&me, du cdt6 du Sud-Sud-Est, une
s6rie de crates dont les fines d6coupures avaient beaucoup
attir£ mes regards. C'6taient les dentelures de Larraille que
je n'avais fait qu'entrevoir pr6c6demment en descendant
du port del Palo & Hecho.
Pendant notre souper, nous parl&mes encore de ces
cr&tes, et Loustallot m'engagea vivement k consacrer notre
excursion du lendemain k la region de Larraille, oil, dit-il,
nous verrions du nouveau. La chose ainsi convenue, notre
aubergiste fut pri£ de preparer de bonne heure les vivres
nScessaires.
Le 20 aoftt, nous reprenions done le chemin de la veille,
par un temps tout aussi irrSprochable.
A 9 h. 30 min., nous 6tions &la bifurcation des sentiers
(1,185 m&t.), dont j'ai d6j& parte.
A partir de \k y iaissant derrifcre nous le c&emin d'Ansabe,
nous montons droit au Sud, en suivant un sentier qui reste
assez haut, sur la rive droite du ruisseau de Larraille. Ge
sentier traverse d'abord quelques p&turages, ensuite il
s'introduit dans un bois de tr&s beaux hfctres et de pins
qui tapisse les flancs occidentaux d'un chafnon qui monte
jusqu'au pic de Laristes & la frontifcre.
A 10 h. 15 min., au sortir du bois, nous trouvons une
source aupr&s de laquelle nous nous arrfctons pour dejeu-
ner, & Tabri d'un ombrage d&icieux.
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166 COURSES ET ASCENSIONS.
A 11 h M nous nous remettons en route. Nous traversons
encore quelques p&turages au delk desquels nous entrons
subitement dans un site assez curieux. Nous traversons, en
effet, une serie de petits cirques dont le fond verdoyant a
dd jadis servir de cuvette & des lacs. Si Ton 6tait dans une
region volcanique, on pourrait se croire au milieu d'an-
ciens cratfcres. Ges cirques, circonscrits par de belles strates
caicaires, sont domines au Sud-Est par les majestueux
escarpements du pic Laristes. Ouverts du c6t6 du Nord,
ils constituent autant de petits vallons & la reunion des-
quels commence le valion plus large de Larraille. On voit
bien qk et \k quelques traces de sentier ; nganmoins, en
temps de brouillard, si Ton n'est pas tr&s familier avec les
lieux, on doit tMonner beaucoup pour s'en tirer.
Le site est assurement des plus pittoresques, mais la
chaleur y est suffocante ; aussi nous h&tons-nous d'en
sortir.
Au del& des cirques, nous entrons dans le ravin princi-
pal de Larraille. Les pierrailles et les gros blocs com-
mencent. Le sentier passe bient6t sur la rive gauche, et
nous suivons pendant quelque temps encore ses traces,
reconnaissables au milieu des 6boulis caicaires. Mais ces
traces ne tardent pas & disparaitre : le sentier a 6t6 balaye
pendant l'hiver. La montee devient alor's de plus en plus
raide, et nous sommes dans une vraie fournaise, quoique
dansle fond du ravin la neige soit encore assez abondante.
A 150 met. environ du col, nous nous arr£tons pour
prendre haleine, & c6t6 d'un amas de neige. Au-dessus, les
pentes sont couvertes de touffes d'arnicas en pleine fleur.
Loustallot est ravi de cette trouvaille et se promet bien
d'en faire au retour une abondante cueillette k Tintention
du m6decin de Lescun.
Encore un coup de collier et, k 1 h. 30 min., nous attei-
gnons T6troite ouverture du col de Larraille (2,015 met.),
nomm6 port de Pau sur la carte du D6p6t de la guerre.
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LES MONTAGNES DE P&TRAGEME. 167
L'altitude & laquelle nous nous trouvons n'est pas consi-
derable ; neanmoins la vue est tr&s 6tendue, surtout sur le
versant espagnol. De ce c6te, toutes les montagnes dc
Hecho, de Aragues, etc., s^chelonnent de la fagon la plus
pittoresque. Du c6t6 oppose, c*est-&-dire au Nord, le pic et
la Table des Trois-Rois, P&ne-Blanque et le pic d'Anie
forment un groupe splendide, au dela de Billare, qui se
montre dans toute sa majesty, de la base au sommet. La
vue n'est borate que du c6td de TOuest, ou le pic de Lar-
raille s'el&ve k 200 m&t. environ plus haut que le col. J'eus
un moment l'envie d'y monter. Gependant je renongai k ce
projet d'aprds les conseils de Loustallot, qui m'affirma que
la peine que j'allais prendre et le temps que je perdrais ne
seraient pas compens^s par le peu que je verrais de plus.
Tout ce qui se montrerait de ce c6te. me dit-il, nous l'avions
vu la veille, beaucoup mieux, de la cime des Trois-Rois. Et
quant au point qui paraissait m'interesser particulierement,
c'est-k-dire le petit lac de Gherito, ii pouvait m'en indiquer
assez exactement la place sans monter sur le pic.
Ces raisons, et la vue de quelques nuages qui commen-
Qaient k paraltre du c6t6 du pic du Midi d'Ossau, m'enga-
g&rent a me mettre sans tarder au travail sur le col mdme.
Les nuages restent tr&s 61ev6s et ne me cachent rien ;
aussi, pendant deux heures environ, je peux fouiller de
tous les c6t6s pour contr61er mon travail d6jk fait et obte-
nir de nouveaux details.
Gomme ensemble, la vue est moins belle que celle de la
veille, mais elle est tout aussi interessante pour moi, comme
details des premiers plans.
A nos pieds, au Sud, se d6veloppe dans son ensemble le
grand cirque de p&turages de las Foyas, Tune des branches
de la valine espagnole de Hecho. Plus bas, ce sont lesforGts
de la Mina et de Oza dont la sombre profondeur forme un
contraste saisissant avec la teinte chaude et la fine silhouette
du Castillo de Achert (2,375 m&t.), qui les couronne.
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168 COURSES ET ASCENSIONS.
Le verdoyant amphitheatre de las Foyas est limits du
c6t£ du Sud-Ouest par la crfcte du Bouchet (2,164 mfct),
qui se dStache du pic de Larraille tout k fait au premier
plan. Les details de ce versant chaotique, que je n'avais fait
qu'entrevoir pr6c6demment, en descendant du port de
Hecho, se montrent maintenant compl&tement k moi.
Dans le massif de Achert, les cimes coniques de las Ana-
teras produisent un bei effet,en avant du d6me majestueux
de Bizaurin, et leur silhouette se dessine si bien que je peux
encore \k faire une belle moisson de details.
Au de\k du Bizaurin, un peu plus au Sud-Est, le regard
peut suivre, dans tout leur developpement, les crates si
festonnSes de la Portaza de Bernera se liant & celles de
Tortiellas ou del Boso et de Lizerin. Plus loin encore, la
Peiia Gollarada montre son c6ne terminal entour6 de son
collier de pierre.
Du c6t6 de l'Est, le grand et le petit pic du Midi d'Ossau
sont tout & fait majestueux au de\k des montagnes d'Aspe.
Tels sont les traits g£n6raux de ce charmant panorama.
A 3 h. 15, nous disons adieu au col de Larraille.
Nous aurions pu rentrer & Lescun par le vallon de las
Foyas et le port de Hecho et varier ainsi notre excursion,
sans allonger beaucoup. Mais Loustallot pensait toujours h
ses arnicas, et, aftn d'etre agr£able k ce guide dont j'6tais
trds satisfait, nous reprlmes a la descente la voie que nous
avions suivie pour monter.
Apr&s la cueillette des arnicas nous nous arr&t&mes, &
1 ombre d'un gros bloc, sur le bord de la neige, pour faire
honneur k ce qui nous restait de vivres.
Nous etions moins presses par le temps que la veilie : aussi
notre retour k Lescun fut une d61icieuse promenade, par
une soiree fraiche et d'un charme inexpnmable, au milieu
d'un paysage ravissant.
A 7 h. 30 min., nous arrivions & Lescun.
Apr&s notre diner, pourvu, comme la veilie, d'un beau
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LES MONTAGNES DE PETRAG&ME. 169
plat de truites, la soiree se prolongea fort avantlSt causer et
& boire avec les principaux du bourg. 11 6tait minuit quand
je pus m'arracher k l'amabilit6 de ces messieurs, non sans
leur avoir fait la promesse formelie de leur serrer la main
le lendemain matin et de faire leur photographie avant mon
depart.
Le 21, je dormais encore & 8 h., lorsque mon guide Sar-
rettes vint me pr6venir que j'6tais attendu devant la mairie.
Je fus bient6t pr6t et je trouvai, en effet, un groupe assez
considerable pr6sid6 par M. le maire de Lescun en 6charpe.
L'instituteur 6tait \k avec ses 61&ves; les notables s'6taient
ranges k c6te du garde; enfin M. le cur6 de Lescun, qui
faisait sa promenade matinale avec un de ses collogues fran-
Qais et le cur6 espagnol de Hecho, fut prie de se joindre au
groupe. Gomme le temps 6tait d'une purete parfaite, une
fois que le groupe fut bien arrange, le clich6 fut fait in-
stantan6ment.
Aprfcs cette operation et l'6change d'une multitude de
poign^es de mains, je quittai Lescun & 8 h. 30 min.
DE LESCUN A ARUDY
En descendant de Lescun vers la vallee d'Aspe, on acon-
stamment sous les yeux, k l'Est, le beau chalnon qui separe
cette vallee des ramifications de la vallee d'Ossau.
Je m'arrfctai plus d'une fois en chemin, pour admirer les
details de ces crates aux formes sevfcres oil, par cette belle
matinee, tout se dStachait avec une remarquable netted.
Le Scarput, le point culminant (2,605 mfct.), encore tout
zebrd de neige, y produisait un effet tout k fait grandiose.
A 9 h. 40 min., nous franchissions le gave d'Aspe aupont
de Lescun (510 m&t.).
La vall6e d'Aspe est une de celles qui offrent le plus de
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170 COURSES ET ASCENSIONS.
surprises dans les Pyrenees. Pour mon compte, je l'ai deja
plusieurs fois visit6e et chaque fois je lui ai trouve un
charme nouveau. Je lui consacrerais volontiers quelques
lignes si je ne me rappelais qu'elle a <H6 dej& parfaitement
d6crite (Annuaire de 1878) par mon excellent coll&gue et
ami M. L6once Lourde-Rocheblave.
Mais si je supprime les details d'une description, je crois
cependant devoir r6sumer mon itin6raire, ne filt-ce que
pour relater les altitudes observees.
10 h. 30 min. Pont d'Esquit, 485 met.
11 h. 40 min. Bedous, h6tel de la Paix sur la place de
l'eglise, 418 mfct.
Pendant notre dejeuner, je traitai avec le sieur Lacoume
Adolphe, pour nous porter en carriole jusqu'& Arudy.
1 h. 30 min. Depart de Bedous, 435 met.
3h. Pont Suzon, 390 met.
3 h. 10 min. Sarrance (bas), 363 met.
3 h. 10 min. Sarrance (centre), 370 m&t.
3 h. 15 min. Pont de Sarrance, 370 mfct.
3 h. 20 min. Bains d'Escot, sur la route, 363 met.
3 h. 30 min. Arrives au pont d'Escot (340 mfct.), au lieu de
franchir le gave et de prendre sur la rive gauche la grande
route d'Oloron, nous suivons une nouvelle route thermale,
tracee sur la rive droite & une assez grande distance du
gave.
3 h. 40 min. Nous traversons le ruisseau de Barescou qui
descend du col de Marie-Blanque, et, aussit6t apres, nous
montonsau village d'Escot, b&ti sur une terrasse (354 met.).
Au del& d'Escot, la route continue sur un plateau d'oii la
vue est trfcs belle sur tout le bassin du gave d'Aspe jusqu'i
Oloron.
4 h. 20 min. Lurbe, 330 mfct.
4 h. 40 min. fitablissement des bains de Saint-Christau, a
TentrSe du pare, sur la route, 320 mfct.
Au de\k de Saint-Christau, la route, tournant droit a
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LES MONTAGNES DE PETRAGEME. 171
I'Est, traverse le ruisseau de Lourtau, et entre dans la belle
for6t du Bager oh elle d£crit plusieurs contours.
5 h. 40 min. Point le plus 61ev6 de la route, 445 mfct.
7 h. 30 min. Arudy, place de l'eglise, 425 mfct.
Le 22, je fis, avec mon guide Sarrettes, une promenade
matinale autour d'Arudy et &Tentr6e de la vallee d'Ossau,
dans l'axe de laquelle le pic du Midi d'Ossau paralt tout a
fait imposant. Le train nous emporta ensuite vers Pau.
La ligne d'Arudy & Pau est interessante, non seulement
par les remarquables ouvrages d'art, mais aussi par les
observations ggologiques que le voyageur peut y faire, en
march ant & toute vapeur. A la traversSe de quelques tran-
chees profondes, le regard est, en effet, attire parle dessin
regulier qu'ont produit les piissements et contournements
des couches diverses du terrain coupes dans leur plan
vertical. L'endroit serait bien choisi pour une demonstra-
tion scolaire surle terrain.
E. Wallon,
Membre. du Club Alpin Francais
(Sections de Paris et du Sud-Ouest).
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IX
NOUVELLES COURSES
EN SOBRARBE ET RIBAGORZE
(PYRENEES ESPAGNOLES)
12 septembre 1883. — Je quitte Gavarnie dfcs l'aube; mal
m'en prend, car je passe le port de Boucharo (2,255 m&t.)
& 7 h. 30 min., avec un brouillard glace' des plus d6sagr6a-
bles: il y a bien 3 ou 4 degr^s au-dessous de z6ro et, sous
Tinfluence de cette temperature maussade, mes vfctements
mouill6s se changent en gla^ons.
II est ecrit que, traversant le col pour-la quatorzi&me
fcus, j'y essuierai pour la dixi&me le mauvais temps.
« Malo tiempo/» me orient les Aragonais, emmitouflSs
dans leur ch&le laineux, que je rencontre se rendant k
la foire de Gfcdre. — « Bueno a Espana! » je leur rGponds.
Je suis si certain que peu k peu le temps se decouvrira
en Espagne ! En descendant, en effet, sur le versant meri-
dional, je constate une fois de plus que le brouillard de
France n'aime gu&re & depasser la cr6te fronti&re ; aussi
fais-je mon entree & Thospice de Boucharo (1,326 mfct.)
escorts d'un franc rayon de soleil.
La mesonera est la seule figure de connaissance que j'y
trouve ; les carabiniers de Tan passe viennent d'etre en-
voy6s en Cerdagne pour remplacer des camarades plus ou
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NOUVELLES COURSES EN SOBRARBE ET RIBAGORZE. 173
moins r£volt6s quelque temps auparavant. Mais j'y vois
des mulets charges de tentes, batterie de cuisine, provi-
sions de bouche, armes & feu, munitions guerri&res; ce
serait & croire au depart d'une colonne expSditionnaire, si
la figure ahurie d'un cuisinier anglais, n'entendant pas
plus Tespagnol que le frangais, ne me faisait deviner que
les dites provisions vont descendre k Torla, sous Tescorte
d'un douanier, passer sous Toeil vigilant de l'administra-
teur des douanes, pour remonter ensuite dans la vallee
d'Ordesa, oh M. Buxton, de Y Alpine Club, et d'autres
gentlemen de ses amis, installs depuis la veille, comp-
tent occire force fauves dans ce paradis des chasseurs,
d'ou toutefois la gratuite semble bannie. La valine de
Broto ne prel&ve-t-elle pas en efFet sur ces messieurs,
comme droit de chasse , la somme vraiment exorbitante
de 300 francs? Elle ne r6fl£chit pas assez que vin, oeufs,
poulets et journees de rabatteurs, grassement payes,
sont loin d'appauvrir la contree. Mais ce sont Ik cosas de
Espana.
Apr&s le diner, pris k Torla (1,031 m6t.), chez les excel-
lents Viii, en compagnie de D. Jos6 Gomez de Otero y Lo-
pez, le nouvel administrador, et du cur6 de Linas, venu pour
remplacer le cur6 de Torla, absent, je descends & Broto
avec ce dernier. Je tiens k saiuer MM. Orus et Santa-Maria,
dont j'avais fait la connaissance Tan pass£. On me pr6-
sente D. Gonstancio Gil, le notaire, ami de mes collogues
Wallon et Schrader, et j'y retrouve avec plaisir D. Carlos
Allu6, ingeniero de montes, de Huesca, que j'avais eu la
bonne fortune de rencontrer l'ann^e derntere k Bentue-de-
Rasal. Get ing£nieur, aussi intelligent qu'aimable, avait
bien voulu, l'hiver pr6c6dent, corriger les Spreuves de l'es-
quisse qui a paru dans le dernier Annuaire, et me donner
quelques renseignements ; je suis done heureux de pouvoir
le remercier de vive voix. Heureux aussi de rendre visite,
& Oto, & D. Pedro Laguna y Gil, s6nateur, que j'avais
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174 COURSES ET ASCENSIONS.
trouv6, en 1882, avec M. Alicot, le depute des Hautes-Py-
renees, & la fete de Torla. II veut me retenir & souper, mais
je ne puis accepter sa gracieuse invitation et celle de son
neveu D. Jos6 ; il me faut rentrer a Torla, et MM. Orus et
Allue veulent bien m'escorter une partie du chemin.
13 septembre. — Gregorio Pascual, aicade de Torla,
qui m'a accompagne Tan pass6 dans ma tournSe d'au-
tomne,vient egalement cette ann£e avec moi, ainsique le
m6me mulet, sur lequel je charge mes appareils et monte
parfois pour me reposer. Le macho a le pied d'une solidite
extreme, et son maitre est un gargon intelligent, gai,
attentionn6 et sobre, dont je n'ai eu qu'k me louer. A
Broto, D. Miguel Orus nous offre le chocolat et me donne
deux recommandations pour le Sarrablo, qui me seront
des plus utiles. Elle me plait, cette valine de Broto, je la
suis toujours avec plaisir ; ses montagnes bois£es, ses
prairies, ses villages coquettement places, sa cascade del
Sorrosal, qui tombe d'un trou artificiel perce dans le ro-
cher, tout m'y sourit, jusqu'au large lit pierreux du rio
Ara. Je me laisse aller k contempler ce spectacle, car, des
ce soir, adieu la fralcheur, adieu les verdures.
11 h. Bergua! (1,025 m6t.). Arr&t pour dejeuner chez
une ancienne connaissance, un jeune paysan, D. Ra-
mon Borruel, qui m'attend depuis trois ans chaque et6.
Les jours sont courts et je ne puis m'attarder; Urus doit
&tre mon etape du soir. En passant, pour m'y rendre, sur
la cr6te qui joint les monts de Fenez k ceux de Isun, j'avise
un renflement qui me parait propice k une premiere station
topographique ; j'y grimpe, la vue dgpasse mes espSrances,
et sur cette hauteur, le Cuezo occidental (1,608 m&t.), une
heure est vite employee.
Le soir, dans la casa Clemente Aliu6, & Urus (980 mfct.),
j'expSrimente, a mes d6pens, qu'il faut compter avec un
estomac vide et les aliments & l'huile, queique douce,
quoique espagnole, que cette huile puisse paraltre. Al'ave-
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NOUVELLES COURSES EN SOBRARBE ET RIBAGOZRE. 175
nir, mes aliments seront prepares k la graisse, qu'on decore
du nom pompeux de beurre de pore (manteca depuerco).
14 et 15 septembre. — Rien n'est desagr6able comme la
pluie en montagne, surtout quand on grimpe k une cime
plut6t pour faire des visSes de triangulation que pour son
L'alcade de Tori a
(Dessfn de Prudent, d'apres une photographie de M. de Saint-Saud).
plaisir, car les sommites du Sarrablo (pays qui s'6tend du
Sobrarbe proprement dit au Gallego, borne au Sud par les
sierras de Guara, Monrrepos et Presin, au Nord par celles
de Gancias et Fenez) n'offrent aucun inter&t. Sur une hau-
teur de la sierra de Urus, k YAlto deBallaran (1,505 met.),
je dresse le trepied, mes hommes tiennent leur parapluie
sur ma t6te, e'est insupportable; allons plus loin! Mais la
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176 COURSES ET ASCENSIONS.
pluie nous poursuit, et, au tozal de Picarbiello (l,522mfct.),
nous dSjeunons, plus ou moins mal abritSs sous le coton
bleu des p£pins arogonais.
La pluie redouble, nul espoir que le temps s'6claircisse ;
il faut partir. Et aussitdt de descendre, sans nous arrfcter k
Bescos (1,050 m&t.), Viliacampa (1,040 mfct.), jusqu'& Gil-
lu6 (980 mfct.), oh nous arrivons si mouilles qu'une bonne
flambde ne fait que nous faire furrier sans nous s6cher.
Enfin, k Secorun (1,075 met.), dans l'excellente maison
Lopez, chez M. Aquilue, beau-pfcre de M. Orus, nous som-
mes k l'abri des intemperies du temps.
Le lendemain, le ciel estd'une grande purete, ainsi qu'il
arrive souvent aprfcs une grande pluie ; cela me fait plaisir
pour mon ascension & Gabardon (1,802 mfct.), cime impor-
tante sur la crfcte qui va de Cancias & San-Juan-Castillo.
Notre mont^es'effectue par Canard o (1,050 met.), notre des-
cente par Laguarta(l,175 met.). \A, dans ce dernier village,
jesuis toutsurpris de trouver unevaste et belle maison, un
vrai palais pour ces contrees reculees, avec grande cage
d'escalier, salles spacieuses, fresques, voire m6me une
chapelle. G'est la demeure de D. Jose Viliacampa y Vilia-
campa, dorit Taccueil cordial est digne de Fhabitation, et
je suis heureux de causer en francjais avec un de ses fils. A
Secorun, lesohyk minuit encore, les guitares resonnent et,
malgr6 mon amour de la danse, je trouve que les musi-
ciens jouent de bien longues jotas et d'interminables pol_
kas, qu'& la coutume du pays je dois danser sans m'arr^ter.
16 septembre. — Hier, c'etait le secretaire de l'ayunta-
miento qui m'accompagnait comme guide local ; aujour-
d'hui, c'est son fils ; ils sont aussi aimables et intelli-
gents Tun que l'autre. Comme variante, de la pluie; c'est
pour la derni&re fois, heureusement, que rincl6mence des
cieux diverse sur moi ses torrents humides. Je suis, h
8 h. 30 min., sur le Cuello-Samablo (1 ,432 met.), au partage
des eaux du Guarga et de l'Alcanadre, autrement dit
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NOUVELLES COURSES EN SOBRARBE ET RIBAGORZE. 177
entre le Cinca et le Gallego. LTorage arrive k grands pas et
me permet k peine d'examiner et de lever la region, assez
compliqu6e et encore incbnnue, ou naissent les rios Vero,
Isuela, Alcanadre, Guatizalema et Guarga.
11 h.U peut tonner maintenant, tomber des hallebardes ;
j'ai fait ma derniere vis6e, et, abrit6 sous un parapluie
dont l'in&egance ne le cfcde qu'h la largeur, je savoure des
oeufs durs et du jambon cru. Je ne parlerai plus du menu
de nos diners (la comida) en montagne : c'est toujours le
m&me, sauf que parfois le jambon est cuit; mais le pain
est noir, et levin, fait huit jours auparavant au lieu d'etre
de la recolte passee.
A Biban (1,165 m§t.), nous nous sechons, et en route
pour Alastru6 (1,230 mfct.), San-Poliz (1,047 mbt.) et autres
villages aussi miserables d'aspect et de realite que la con-
tree. A Bagiieste (1,247 m&t.), deception! M. le cure, qui
m'avait heberge Tan passe, est absent, la cure quasi fer-
mee ; je suis oblige de frapper a la porte d'une des mai-
sons du pueblo qui, quoique la meilleure du village, n'en
est pas moins d'une pauvrete relative et d'une salete a
laquelle je ne m'habitue que difficilement. La mis&re
diurne, passe encore ; du pain, du vin, des oeufs, et on ne
meurt pas de faim. Mais la mis&re nocturne! Qa, par exem-
ple, j'en souffre autant qu'k ma premiere exploration en
Espagne. Des paillasses! k croire qu'elles sont rembour-
rees avec des bdches ; desdraps ! il ne faut les regarder qu'a
la lueur du quinquet fumeux; si encore on dormait seul !
mais, par surcroit, on cohabite avec des varices innombra-
bles du genre insecte, qui viennent gotiter la chair francaise ;
quinze jours aprfcs mon retour, on pouvait lire encore sur
cinquante-sept points rouges, graves sur ma main et mon
poignet droit, Tinsomnie de mes nuits. fitre harasse par
de longues courses, par un travail de tous les instants et
une tension d'esprit de plusieurs heures sur les stations
topographiques, et ne pouvoir dormir! avouez que c'est
ANNUAIRE DE 1883. 12
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178 COURSES ET ASCENSIONS.
trop. Et ces mis&res ne m'ont pas 6t6 6pargn6es cette
ann^e-ci !
17 et 18 septembre. — Le massif de la sierra Sevil a dfl
entr'ouvrir il y a quelques mille ans, se fendre en deux,
et le torrent de Tlsuela s'est empress^ de suivre le passage
creusd par le cataclysme. J'ai parte de ce d6fil6 dans mon
r£cit d'excursions de 1882, je n'y reviens pas, je dirai seu-
lement qu'il m'6tait necessaire de suivre cette ann6e la
cr&te de la sierra de Balcez, comme je l'avais fait pour la
sierra Sevil : c'etait le seul moyen de determiner des points
que de loin on Stait condamne & confondre, k cause du
rapprochement oil sont les ldvres de cette longue fis-
sure. Une station k Fermita de Santa-Marina (1,491 met.),
en octobre 1882, n'avait pas suffi; il en fallait d'autres,
espacees si c'est possible ; tel est le motif de mes arrets
aujourd'hui au tozal de las Forcas (1,551 mfct.) et k Talto
d'Alconata (1,478 mfct.). Une longue descente assez douce
nous conduit ensuite aux derniers escarpements de Balcez,
par les hauteurs de Juncos (885 m£t.), k Alberuela-de-la-
Liena (633 m&t.) et k Adahuesca (645 m&t.). Dans ce gros
bourg, je trouve bon gite et bonne mine d'h6te & r la casa
Leandre Pano, oil m'adresse Talcade.
Nous sommes dans le Surmontano ou Somontano de Bar-
bastro ; ce fertile plateau moutonne n'a pas d'int6r6t pour
le touriste ; nSanmoins, si quelque arch6ologueaffronte ces
contrdes recuses, qu'il ne manque pas de visiter Alquezar;
il trouvera dans ce village, qui a conserve son nom arabe
(A I Qecar, le Ch&teau-fort), de belles ruines maures en
pierres rouges, que je vis de loin seulement.
Avant de descendre au Ginca, je m'arr&te sur une large
pierre, qui ferait supposer un dolmen, plac^e surun point
31eve de la sierra de Salas (755 m&t.), en dessus et aupr&s
de Termita de N.-S. de Gandelaria (675 met), pour unir
mes vis6es prises de Sevil et de Balcez k celles de la Gar-
rodilla. A Salas-Altas (545 m&t.), nous faisons halte pour
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NOUVELLES COURSES EN SOBRARBE ET RIBAGORZE. 179
absorber un diner aussi succulent que rapidement pr6t,
chez une cousine de M. Pano, qui a tenu & nous accompa-
gner ; gr&ce & nous r il fait un voyage de famille, car k
Estada (370 m&t.), nous descendons chez un autre de ses
parents. Nous arrivons dans ce dernier village par Salas-
Bajas (495 m&t.), Burceat (450 m£t.), Gregenzan (470 mfct.)
et le bac de Estadilla sur le Ginca (320 mfct.), quittant ainsi
le Sobrarbe pour entrer dans la Ribagorze.
19 septembre. — D6j&, l'annee derniere, j'avais visite le
versant Nord de la sierra de la Carrodilla % et cette visite
m'avait sugg6r6 la pens6e d'y revenir. II me paraissait, en
effet, interessant d'etudier ce gros massif montagneux, peu
elevd, c'est vrai, mais projete plus au Sud que la cordil-
lfcre sous-pyr6n£enne des sierras, dont, pour la forme
comme pour Tagencement, il paralt ind^pendant. C'est une
suite de sommets ronds sur un haut plateau qui est domine
par le tozal de Campo-Labasa (1,105 m&t.) et celui voisin
de Monero (1,108 m&t.), appel6 Bunero par l'lnstitut g£o-
graphique d'Espagne, et dont on a fait un signal de pre-
mier ordre ; il est flanqu6 & l'Ouest, au-dessus du Ginca,
par les tozales delBezueet de Artigali-de-Lucas(l,052m&t.),
et k TEst par ceux de Berguelli (1,048 mfct.) et des Mases-
de-Ponzano (1,090 met.); au Nord, on descend sur le rio
Serron; au Sud, le plateau s'abaisse graduellement apr&s
Calasanz jusqu'a Tamarite, avec de petites sierras peu 61e-
v6es mais de forme houleuse. Bref, cette sierra de la Car-
rodilla, qui tire son nom d'une petite chapelle (785 met.),
est triste, inculte; les vents doivent y regner en maltres.
J'en sais quelque chose, pendant que je prends des visees
& Monero et au Campo-Labasa : c'est k en &tre renvers6.
Je dors, non! je passe la nuit k Galasanz (755 met., casa
Coll).
20 septembre. — Je suis forc6 de reconnaitre que si les
Arabes ne se nourrissent que de couscoussou ou de marc
de caf6, ce sont de serieux architectes : comme elles sont
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f80 COURSES ET ASCRNSIONS.
nombreuses et bien conservees les ruines qui constatent
leur passage ! En Ribagorze, les vestiges maures abondent
plus encore qu'en Sobrarbe, ou les murailles de la Ainsa,
les forteresses de Loarre, Bolea et Alquezar dSfient cepen-
dant les attaques des si&cles. Ici, c'est d'abord la tour de
Galasanz, puis, sur une pointe, le cMteau de la Mora
(appele aussi Monmegastre), aux imposantes proportions ;
c'est Pilzan, b&ti, comme Purroy, sur une hauteur qui
dominait le plateau de San-Quilez et la vallee de Benabarre ;
c'est Monesma ; c'est le donjon de Benabarre et une foule
de tours se commandant les unes les autres, comme cette
derniere qui, par celles de Viacamp, Chiriveta, Alsamora
(encore un nom bien arabisant), Castellnou-de-Monsech
et Montelloba, pr&s de Figols, communiquait jusqu'& cet
autre pays, non moins fertile que le comte de Ribagorze,
la Gonca-de-Tremp.
Les Maures arrivant des plaines arides de TEbre, de ces
contr6es desertes si bien nominees los despoblados de Ara-
qon, ou il ne pleut que tous les quatre ou cinq ans, se trou-
verent transports dans une region qui, comme la llanura
de Jaca, le Sobrarbe, la Ribagorze, la conca de Tremp,
offrait des terres facilement cultivables, gr&ce aux eaux
apportSes par les torrents ; Tolivier, la vigne y croissaient
a une altitude 61ev£e * ; tout les encourageait k s'y etablir.
Mais ils avaient compt6 sans Thabitant. Le montagnard
chr6tien attaqua le mahometan si resolument que, malgr6
ses chMeaux-forts superbes, le Maure dut abandonner ses
conquStes, et les reconquistadores trouv&rent des forte-
resses qu'ils n'eurent garde de delaisser. Mais ^ c6te d'une
tour musulmane s'61eva souvent un oratoire chr6tien, et,
sur des pointes rocheuses, comme h Monesma et & San
Quilez, & c6t6 de ruines dont il ne reste souvent que les
fondations, brilie une blanche chapelle oil se rendent en
i. On les rencontre. parfois a 1,000 met. d'altitude.
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NOUVELLES COURSES EN SOBRARBE ET RIBAGORZE. 181
foule les paysans d'alentour une fois par an et ou, par-
fois, ils simulent un combat entre Maures et Chretiens.
Ges souvenirs me prSoccupent tout le temps que je reste
a l'ermitage de San-Quilez (1,088 mfct.),situ6 sur une hau-
teur isolSe, k c6t6 d'une des voies suivies certainement par
les Arabes pour venir en Ribagorze, car entrer en ces con-
trees par les gorges de l'Esera ou de la Noguera eut ete
impossible ; des d6files ou m&me un homme seul ne peut
passer fonjaient les envahisseurs k suivre les plateaux. Je
revois en esprit les conqu&tes des Sarrasins, les rSvoltes
intestines qui les divisent et permettent & un aventurier,
Hafsun, & la t6te des juifs de Roda et des Chretiens, de
battre en brfcche leur pouvoir jusqu'& ce que Almondhir
reprenne le comte. Ramire I or , roi d'Aragon, s'empare du
pays k son tour, mais Benabarre reste encore quelque
temps aux mains des Maures. Puis c'est, au xvi e stecle, une
rSvolte sanglante qui delate contre le pouvoir seigneurial
des dues de Villahermosa, comtes de Ribagorze, et se pro-
page si loin dans la montagne que le roi doit r6unir le
comt6 k la couronne d'Espagne pour faire cesser ce triste
6tat de choses.
Malgr6 le voisinage de la Gatalogne, les Ribagorzans
n'aiment gu&re leurs voisins et leur ont, dans la dernifcre
guerre carliste, maintes fois prouve leur antipathie pour
Tinsurrection et leur fid61it6 au gouvernement de Madrid ;
il leur en coutait cependant, car ils payaient les contribu-
tions aux deux partis.
Au pied oriental de San-Quilez s'etend un plateau que
je traverse pour me rendre & Estopinan (790 mfct.). Lk,
changement de l'itin6raire projetS : le manque de rensei-
gnements sur ]es montagnes catalanes dela rive gauche de
la Noguera m'oblige a rester un jour de plus en Aragon.
Alors, travers6e d'une region trfcs accidentee et coucher &
Pet (790 mfct.), pauvre pueblo au pied .meridional du
Monsech d'Aragon, sur une hauteur abrupte dominant la
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182 COURSES ET ASCENSIONS.
rivifcre de Ribagorzana, contr6e sauvage, mais tr&s pitto-
resque.
21 et 22 septembre. — Le Monsech, vu des hauts pics,
parait oflrir quelque analogie avec Guara; il n'en est rien.
Plus que Guara, c'est une longue cordillfcre 6troite, qui
mesure, en effet, prfcs de 50 kilom. de long. Deux profondes
entailles, les portails, par oil coulent les deux Nogueras,
le divisent en trois parties : le Monsech d'Aragon, le Mon-
sech central et le Monsech de Rubins. Ces gorges font le
principal inter&t de cette region; celle par oil passe la
Ribagorzana est tellement etroite et escarpSe, que jamais
aucun sentier n'y a pu 6tre tracg. « La porteill de Monsech
est molt dolent », me disait-on & Ghiriveta. Les mulets
doivent monter jusque sur la cr&te de la montagne pour
la franchir soit au Goll-de-Ares (1,510 mfct.), rive gauche,
soitaucol des Mases-de-Burg (1,084 mfct.), rive droite. C'est
vers ce dernier passage que nous nous 61evons depuis Fet,
et de \h nous n'avons qu'5, suivre la cr&te pour atteindre le
point culminant (1,319 mfct.) du Monsech de Aragon. Vue
peu interessante, sauf vers les grandes Pyrenees, ou se
ddcoupent, dans l'azur du ciel, une foule de pics, depuis le
Mont-Perdu jusqu'& la sierra de Cadi. A cdte du sommet,
on remarque, non sans surprise, des passages tailles dans
la roche vive, conduisant & des cavites souterraines et don-
nant des deux c6tes de la montagne ; en temps de guerre,
on pouvait done surveiller d'ici les signaux lumineux allu-
m£s la nuit sur les tours au Nord du Monsech et sur celles
qui devaient surmonter les sommit6s des petites sierras, \k
oil s^lfcvent maintenant les ermitas de los martires de Cam-
porells, de San-Abdon, de San-Salvador, etc.
Notre descente s'effectue par Monday .sur Ghiriveta
(705 m&t.), et nous traversons a gu6 la Noguera en bas de
ce village, en face de la maison de Monrreveig (485 mfct.),
maison riche, paralt-il, bien approvisionnSe ; mais nous
prSKrons aller jusqu'a. Alsamora (892 m&t.). Malgre l'ac-
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NOUVELLES COURSES EN SOBRARBE ET RIBAGORZE. 183
cueil bienveillant qui nous est fait & la casa Alfarre, nous
voyons bien vite que nous sommes en Gatalogne; le carac-
tfere des habitants a totalement change ; ils n'ont plus cet
air ouvert et aimable des Aragonais.
Suivant les nombreux lacets du col de Gollares, nous
montons le lendemain au Monsech central (1,677 mfct., .
trois heures depuis Alsamora). Je travaille trois heures et
demie aupr^s de la tour massive et des petites murailles
en pierres sfcches 61ev6es par les soldats du'g6nie, quand ils
y passerent il y a quelques annees. La vue est moins int6-
ressante que je ne supposais; toute la province de Lerida
est a mes pieds, cependant. Je vois les Pyr6n6es s'abaisser
graduellement au Sud jusqu'aux llanos de Urgel, pour se
relever subitement dans la sierra de Montsant, independante
des Pyr6n6es. Je mentionne pour memoire, comme vue, les
montagnes du haut Pallas, quelques pointes en Andorre,
Cadi, Port-del-Gompte, Boii-Mort et la Ginebrosa, le Mont-
serrat lui-m6me et le Montseny; puis Guara,le Gotiella en
Aragon.
23 septembre. — La journGe d'aujourd'hui sera encore
consacrSe k la Gatalogne; ma tourn6e de 4879 dans ces
contrees me permet de me reconnaitre, et il faut jeter les
bases de voyages futurs, que ce soient d'autres ou moi qui
devions y revenir. La t&che sera beaucoup plus facile qu'en
Aragon, car les donn^es qu'on possfcde sur les montagnes
catalanes sont plus exactes. Passant par la Clua (755 m&t.)
et Castisent-de-Dalt (805 m6t.), je gravis une sommitS qui
domine a l'Est l'ermita de N.-S. de Moncervos, appelee le
Tossal gross de Castisent (1,094 m&t.). L&, absorb^ par les
visSes, je ne remarque pas quatre hommes arm6s de fusils
qui m'entourent subitement; j'oublie que je suis en Cata-
logne, aussi n'ai-je pas peur, car je me crois toujours
en Aragon ; puis Gregorio et Angel Baro , mon guide
d'Alsamora, se sont reveill6s et montent me rejoindre. Je
demande h ces Catalans s'ils ont quelque chose & me
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184 COURSES ET ASCENSIONS.
vendre ; Tun d'eux sort de dessous sa blouse une perdrix ;
je l'achfcte, et ils disparaissent, Fair assez satisfait mais
m6fiant.
Nous partons k notre tour et descendons rapidement
vers la Noguera, que nous traversons k Puente-Montaiiana
(515 met.). II est de bonne heure, nous pouvons aller dor-
mir k Monesma ; mais le chemin est long, la nuit avance, et
j'ai k peine le temps de jeter un coup d'oeil sur les ruines
de la chapelle gothique de Montanana, k demi dStruite par
le torrent rongeur, sur ses ruines antiques et celles de
la Mora. II regnait Tobscurit6 la plus complete lorsque nous
frapp&mes a la casa San-Roca, au Puyol-de-Monesma
(1,160 mfct.), oil nous demandons Thospitalite apres la
sacramentelle parole d'introduction : Deo gratim! L'obli-
geance fait place & une absence totale de confort et de pro-
pret6; c'est quelqtie chose.
24 septembre. — Monesma est plut6t le nom d'un petit
pays que celui d'un village ; une foule de maisons isolees
ou reunies composent cet ayuntamiento peu fertile, balay6
par les vents froids qui regnent sur cette sorte de plateau.
Presque au centre, au-dessus du Puyol,sedresse une petite
hauteur que couronnent les ruines d'un chMeau arabe et
une chapelle (1,231 mfct.). G'est pour moi un excellent
observatoire, qui m'aura facilite le debrouillement de la
g6ographie de cette contr^e. Je redescends dejeuner k la
casa San-Roca, et nous partons pour Roda. Le sentier fait
passer aux Abadias-de-Monesma (1,055 m&t.), k Gajicar
(1,040 mfct.), k San-Est6ban-del-Mall (1,050 m&t.), ou je
prends quelques relevSs, et a la Pobla-de-Roda (725 met.),
au bord de l'lsabena. En nous 61evant vers Roda, nous
jouissons d'une belle vue sur la partie de la sierra de Siz qui
a nom Monte-Serraduy, sur les roches isolees, en forme
de mallos, qui sont aupres, et sur la sierra de Merli.
Gr&ce i!t l'alcade de Roda, je re^ois l'hospitalitS dans une
bonne maison (casa Vicen Bonet, 900 m&t.), oil je trouve
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NOUVELLES COURSES EN SOBRARBE ET RIBAGORZE. 185
une table et une bougie pour mettre mes notes et releves
au courant. Je trouve aussi avec qui causer : le cur6 me
donne d'intSressants details sur ce bourg, jadis 6v£ch6
dans les premiers temps de la monarchic aragonaise, une
fois les juifs chasses de ce lieu qu'on appelait Rutha-el-
Iehud. De vieilles murailles denotent seules la demi-splen-
deur passee de cette ville.
25 septembre. — Vues de TOrient, les montagnes oil je
me rends se presentent sous un aspect imposant. Elles se
dressent au-dessus de Tlsabena 4 une hauteur de 700 met.,
et les saillies qu'elles offrent, le grfcs rouge dont elles sont
composes, la verdure qui croit k leur base, tout contribue
h leur donner un cachet assez beau. On les nomme Mor-
rones-de-Giiel, mais chacune des petites pointes a son nom
particulier . Ce sont, en commenQant par le Sud, le cerro
de Guel, la rocadela Virgen, une sommit6 dont le nom
me fuit, le tozal de Santa-Quiteria, celui de Santa-Maria, le
Pinaret-del-Rey, puis celui de San-Jorge, qui se soude, par
deux cols Sieves, avec la sierra de Merli et celie de Bacca-
morta au Nord-Ouest.
II nous faut descendre assez bas avant de remonter pour
longer la base des morrones, car Roda est plac6 sur une
hkuteur, h pic de trois c6tes, qui rendait sa position presque
imprenable. Neanmoins, cette petite ville eut a subir bien
des vicissitudes. Peu apr&s sa premiere conqufcte par les
Maures, elle secoua leur joug sous la conduite de Hafsun,
chef berbfere, qui, comme je Tai dit dej&, se mit h la t6te
des juifs et des Chretiens; mais elle retomba au pouvoir
des musulmans lors de la defaite de cet aventurier, pour
peu de temps cependant ; car le premier des almogdbares
(nom donn6 par les Arabes aux guerilleros de cette epoque),
Portunez de Vizcarra, r£unit assez de Chretiens pour les
expulser de Roda ; et la position de cette bourgade parut
offrir assez de securite h Raymond I cr , comte de Pallas,
pour y transporter le sifcge 6piscopal ISridanais. Une troi-
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186 COURSES ET ASCENSIONS.
si&me fois, les Sarrasins, sous la conduite d'Almanzor,
s'emparfcrent de Roda, jusqu'i ce que Ramire I er vint les
en chasser k tout jamais; les evSques y revinrent et n'en
sortirent dSfinitivement que pour rentrer k Lerida, en
1149, lors de la prise de cette ville. Pendant la guerre de
la Succession, les troupes de Tarchiduc Charles etcelles de
Philippe V s'emparfcrent k tour de r61e de Roda, et, en
1812, une bataille eut lieu sous ses murs. Qu'on me par-
donne cette courte digression historique, mais l'histoire
iclaire d'un jour nouveau cette contrSe desh6rit6e et peut
lui donner quelque inter&t.
Entre deux avancements rocheux des morrones nous
ascendons k la Roca-de-la-Virgen (1,401 mfct.). Li, l'ob-
jectif de l'eclimfctre se braque sur le cours de l'lsabena,
le pays de Monesma, la cordillfcre du Castillo de Laguarres
et le versant Sud du Turbon, pour ne parler que des sier-
ras les plus proches, sans oublier la tour maure de Fan-
to va. Aprfcs un 16ger repas, je suis la crfcte, non sans un
court arrfct au tozal de Santa-Quiteria (1,455 m&t.), et je
mentionne pour la forme notre descente sur Santa-Liestra,
par Abenozas (1,075 m&t.).
26 septembre. — A Santa-Liestra (536 mfct.), l'Esera coule
encaissg entre des falaises peu elevees, mais rapproch6eS ;
nous acceptons au moulin du village la bonne hospitality
qu'on nous offre. Plus de table soutenue par une corde,
qu'on fait descendre comine un pont-levis aupr&s du feu, —
je ne dis pas foyer, car on ne peut donner ce nom au brasier
fumeux plac6 au milieu de la chambre, — plus de bois
rGsineux ou de lampe k forme antique qu'on suspend n'im-
porte oil, plus de fourchettes et cuillfcres en buis, plus de
porron, le vase omnibus, avec lequel vous vous engouez
faute d'habitude de s'en servir, plus de salle enfin avec
trois ou quatre alc6ves qui vous obligent k dormir dans
un rapprochement ggnant avec toute la famille ; mais 1&,
dans ce molino, un demi-confort propre qui vous remet en
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NOUVELLfiS COURSES EN SOBRARBE ET R1BAGORZK. 187
gaitc. On y avait h6berg6, peu de temps auparavant, les
ingenieurs charges des 6tudes de la route et des projets
de chemin de fer. Je recommande cette maison en toute
confiance aux touristes qui descendront de Benasque &
Graus.
Je ne fais pas de trfcs bonne besogne aujourd'hui ; une
chaleur accablante, le manque de renseignements sur la
region k traverser, les distances plus longues que je ne sup-
posais, m'obligent h 6tablir ma station au bas de Troncedo
(k 936 mfct.), oil je suis arriv6 par Gaballera (865 mfct.). La
vue assez complete sur la Fueba (pays qui s'6tend au Sud
de la Pena-Montanesa) me console de ne pouvoir gravir
le tozal de San-Marcos-de-Trillo (1,099 mfct.), ou celui de
San-Pedro-de-Palo (1,176 met.), qui se dressent au Sud-
Ouest et rapproch6s Tun de 1' autre. J'esp&re me d6dom-
mager en passant sur la crfcte de la sierra de Muro ; mais,
arriv6 1&, je n'y ai pas de vue. Je dois me contenter de
faire le lev6 d'itinGraire de Troncedo k Boltana, en pas-
sant par la Virgen-de-Bruis (685 mfct.), jolie petite 6glise
d'un couvent ruin6 et pfclerinage fr6quent6, k el Umo-
de-Palo (630 m5t.), au col de Ministerio (905 rn&t.), au
pied de la cure et de Tiglise de Muro, placees sur un roc
61ev6, — un vrai nid d'aigle, — 4 la Corona (750 m6L), k
Gerbe (575 mfct.), k Bonaston (615 mfct.) et k la Ainsa
(585 mfct.). Je longe, au Nord de cette premiere capitale
du premier royaume chr6tien d'Espagne, des murailles
qui defieront les attaques des sifccles. Que ce soient les
Maures ou les rois de la Sobrarbe qui les aient 61ev6es,
peu importe, ce sont de solides constructions, dignes
d'une visite.
27 et 28 septembre. — Impossible de quitter Boltana de
bonne heure, comme je le d6sire; car jene puis faire lover
les bonnes de grand matin ; on voit bien que M. M6nac,
avou6, et sa femme, le patron et la patronne de la maison
oil je loge, sont absents. Pepita et Dolores, les criadas.
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188 COURSES ET ASCENSIONS.
savent qu'elles peuvent impunfement dormir, puis elles
ont quitte la fen^tre si tard la veille !
Je constate dans le d6ftl6 de Latre que les travaux de la
route n'avancent gu&re ; moi non plus je n'avance pas, je
fais de la photographie le long du chemin. A Santa-Olaria-
de-Javierre (760 m&t.), pendant qu'on prepare le d&jeuner,
je fais poser de jeunes paysans et de jolies Aragonaises.
H61as! mes plaques eurenttoutesun coup de jour. Quelque
indiscretion, malgr6 mes precautions, ou ma lanterne
k verres trop clairs, il n'en a pas fallu davantage pour
qu'un voile s'etendtt. Avant Fiscal, une bonne averse
d'orage me rappelle que je me rapproche de la Prance. A
Broto, je m'arr&te pour remercier don Miguel Orus ; car,
gr&ce k lui, on m'a bien accueilli chez ses parents k Urus
et k Secorun; & la nuit, j'entre a Torla, a la casa Viu; il
y a quinze jours que j'en suis parti.
Nous allions nous mettre & table pour souper, lorsqu'on
annonce un Frangais : c'est M. Bachy, ingSnieur des ponts
et chauss6es de Tarbes, charge des 6tudes de la route de
Gavarnie k Boucharo. Nous nous connaissions mutuelle-
ment de nom, et rapide connaissance est faite. Je lui sers
avec joie d'interpr&te. Tout est nouveau pour lui dans le
manoirViu; tout l'etonne et Tint6resse. Voyant qu'il est
amateur de couleur locale, je suppose que la vue de quel-
ques danses ne lui deplaira pas. M. Tadministrateur des
douanes, D. Jose G. de Otero, avec une grande complai-
sance et un talent remarquable, et le fils de M. San-Pietro,
prennent, le premier, un superbe accord6on dont il tire
des sons comme d'un harmonium, l'autre uneguitare :
voilk pour Torchestre; comme danseurs, Gregorio, son
beau-fr&re et moi. Cela pfcche par le c6t6 f6minin, il n'y a
que dona Ramona et les deux servantes, peu importe!
Jotas et fandangos aragonais, valses m&me, sont dansds a
la grande joie de M. Bachy. Ges danses, dans cette grande
salle au plafond i!t caissons, frappenttoujours les touristes.
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NOUVELLES COURSES EN SOBRARBE ET RIBAGORZE. 189
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190 COURSES ET ASCENSIONS.
Le lendemain, d&s l'aurore, le jeune ing^nieur et moi
partons pour Bujaruelo; mais il me laisse k Thospice, car
il lui faut terminer ses 6tudes sur le versant meridional.
Gomme k Taller, j'y rencontre les bagages des chasseurs
anglais ; le lendemain, ils reviendront en France. Gela me
procure le plaisir de faire la connaissance de Tun d'eux,
M.Buxton; ce gentleman, apprenant la mis&re qui in'a
escorts pendant mon voyage, tient absolument k ce qu'une
bouteille de Bordeaux et un pot de confiture augmentent
mon dejeuner a Fauberge. Je le f61icite sur leur chasse :
trois ou quatre bouquetins, dix-huit isards ont et6 vises et
couches par eux sur la terre, pendant que je visais... des
pics et les couchais sur... le papier.
Pour varier (!), traversee du port avec deux degrSs au-
dessous de z6ro, et une pluie m61ee de neige glacee; mais,
k Gavarnie, je me console vite : ne suis-je pas en France?
Comte de Saint-Saud,
Membre du Club Alpin Francais
(Section du Sud-Ouest),
et de'le'gue' de rAssociation catalane d'Excursions.
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/
r r
PROMENADE DANS LES PYRENEES
EN JUIN 1883;
GAVARNIE, ARlEGE, ANDORRE ET CERDAGNE
DSsireux de voir les Pyrenees avec beaucoup de neige,
je partais le 28 mai pour Bagn&res-de-Luchon dans l'in-
tention de faire, s'il £tait possible, une grande course k
Gavarnie, l'ascension de la Maladetta et celle de deux ou
trois des pics les plus 61ev£s du dSpartement de l'Arifcge.
Arrive k Luchon, le 29, pour diner, j'allai le lendemain
voir M. Maurice Gourdon. II me donna, de la mani&re la
plus gracieuse, des renseignements tr6s pr6cieux sur les
guides et le pays. D'aprfcs ses conseils, j'arr&tai ainsi le
commencement de mon itin^raire : aller k Gavarnie par
Tarbes et Pierrefitte, pour y faire l'ascension du Ga-
bietou, et revenir k Luchon par Heas et les cols deg
Aiguillous et de Peyresourde.
Le 30 mai, le temps 6tait froid et d6sagr6able. A Tarbes,
je me decide k faire un detour pour aller voir la cath6-
drale d'Auch, si remarquable par ses vitraux et surtout
par ses boiseries, les plus belles, je crois, de France. Le
lendemain, le temps 6tait d&icieux; je m'arrfcte quelques
heures & Lourdes ou arrivent beaucoup de p&lerins
beiges dont je rencontrerai, le lendemain, un bon nom-
bre k Gavarnie. Le soir, je couche k Luz, et le l er juin je
pars, le matin, pour Gavarnie. Je rencontre en route
V V
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192 COURSES ET ASCENSIONS.
Mathieu Haurine; me voyant avec un piolet, il me fait ses
offres de service, et je Farr6te pour quelques jours. A
Gavarnie, je me promene dans le cirque merveilleusement
beau k ce moment. II est plein de neige, les gradins de la
montagne sont resplendissants de glace ; par endroits, elle
forme d'immenses stalactites sur les parois & pic. La cas-
cade a peu d'eau.
Le samedi 2 juin, k 2 h. 55 min. du matin, je me mettais
en route pour l'ascension du Gabietou, malgr6 les conseils
prudents du maitre de l'hdtel de Gavarnie. A cette Spoque
de l'annee, m'avait-il dit, les grandes avalanches sont a
craindre, et la course peut 6tre dangereuse. Je pars avec
mon guide ; nous sommes decides tous les deux k faire lc
possible sans &tre imprudents.
D&s que nous avons atteint Ja rieige, et on la rencontre
tres bas cette ann6e, nous montons presque toujours sans
la quitter par une succession de pentes tr&s raides ; nous
les escaladons endroite ligne, puis nous passons de Tune k
l'autre, pour nous rapprocher du Gabietou, en les traver-
sal horizontalement. En route, quand nous sommes dej&
haut, Haurine me raconte que, la veille au soir, tous les
guides de Gavarnie, les Passet entre autres, lui ont dit :
« Vous ne pourrez pas faire l'ascension du Gabietou » , et il
ajoute : « J'aimerais mieux r6ussir la course et n'en 6tre
pas paye, qu'&tre paye double et la manquer. » L'etat de
la neige, je dois le reconnaltre, nous favorise ; elle est
oxcellente pour la montee, presque un peu trop molle;
m'ais, 6tant donn6e l'inclinaison des pentes, il ne fallait pas
s'en plaindre. Je n'ai guere eu k me servir de la pique ou
de la pioche de mon piolet, et pourtant si je ne Tavais pas
ou j'aurais h6site k faire la course.
En montant, nous laissons il droite, k quelque distance,
les deux pyramides de glace. Leurs parois du haut en bas
etaient recouvertes d'une couche de neige. Nous prenons
une fois le rocher sur une longueur de 100 & 150 met.;
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PROMENADE DANS LES PYR^ES. 19?
nous retrouvons ensuite la neige et nous gagnons la partie
$up6rieure de l'ar&te, libre de glace et de neige. Elle est
tres Stroite, mais en pente douce ; nous la gravissons tan-
tdt par le versant espagnol, tantdt par le tranchant, tr&s
peu par le versant frangais, et nous atteignons le sommet
(3,033 mM.) sans avoir rencontr6 une seule difficulty s6-
rieuse ; il etait 8 h. 45. Quelques nuages m'empGchent de
jouir du panorama dans toute son 6tendue, mais l'ascen-
sion par elle-m&me avait et6 si belle que je devais me de-
clarer satisfait. J'admire du c6te de l'Espagne, au-dessous
de moi, un superbe cirque de neige. Tout me rappelle mes
grandes courses dans le Dauphine et la Savoie, entre 3,000
et 4,000 mfct. d'altitude.
En raison de la possibility des avalanches, il ne fallait
pas songer a suivre, h la descente, notre route du matin.
En montant, Haurine m'avait dit : « On aurait bien fait
aujourd'hui la Br&che de Roland. » II me propose de la
traverser pour redescendre h, Gavarnie (on aurait pu pren-
dre encore une autre route). J'accepte avec plaisir la pro-
position et, apr&s que j'ai depose ma carte, nous quittons
le sommet du Gabtetou & 9 h. Le versant Sud est splendide
avec toutes ses neiges, la pente est moins rapide que sur le
versant Nord; la neige est trfcs molle, et une fois j'enfonce
jusqu'& la hanche, mais il n'y a pas de crevasse & redouter.
Pour gagner la Br&che de Roland, nous descendons
d'abord en inclinant h l'Est, puis nous marchons & flanc
de coteau. La fausse Breche est dej& bien jolie et, h, 11 h.
25 min., je vois s'ouvrir la vraie Br&che : c'est superbe.
Avant de l'atteindre, nous nous arr&tons pour dejeuner
sur une petite place libre de neige, sous le rocher, k deux
ou trois metres de sa base, et k 12 h. 45 min. nous repar-
tons.Bient6t nous traversons la Br&che; je jette un dernier
regard sur Timmense cuvette de neige, qui me rappelle
plusieurs sites du Dauphin^ et de la Savoie, puis nous
descendons resolument.
ANNUAIRE DE 1883. 13
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194 COURSES ET ASCENSIONS.
Au-dessous de la Brfcche de Roland, glacier et rocher,
tout a disparu sous la neige. Elle est tr&s molle, et nous
descendons pendant plus d'une heure avant d'atteindre le
gazon, ne rencontrant sur notre route que deux rochers,
un qui d£passe la neige de 50 centimetres environ, et un
autre un peu plus bas ; celui-ci emerge de 1 k 2 metres, sa
superflcie est de 3 ou 4 metres carres. Nous nous y arr&-
tons tous les deux, et Haurine me dit : « Ici, nous pouvons
nous reposer & notre aise, nous sommes k l'abri de tout
danger.)) Au mfcme instant, & 40 metres environ de nous et
paralieiement k notre route, descend une petite ava-
lanche. La neige qui roulait n'avait pas plus de 15 centi-
metres d'epaisseur. Si nous avions descendu 1&, notre
passage eftt pu determiner une avalanche un peu plus
forte ; mais, comme la pente etait tr&s douce, il n'y aurait
pas eu,je crois, de veritable danger. Toutefois, Haurine
me dit : « II vaut mieux nous en aller et gagner la plaine.»
C'est ainsi qu'il appelle les pentes gazonn£es. Nous repar-
tons, et & 3 h. 15 min. nous etions k Th6tel des Voyageurs,
k Gavarnie, satisfaits, je crois, Tun de Tautre. Quant ^moi,
j'etais enchants de ma journee : j'avais marche dix heures
au moins, dont six dans la neige. Dans les conditions ou je
l'ai faite, je compte cette course au nombre de mes belles
excursions.
Le lendemain, k 9 h. 20 min. du matin, nous partons
pour la chapelle de Notre-Dame-de-H6as ; on n'a pas encore
retabli tous les ponts et, sans un kne, qui se trouve \k &
propos, il nous aurait fallu entrer dans l'eau jusqu'& mi-
jambe pour passer le torrent d'Estaube.
Nous arrivons ensuite au cirque de Troumouse : il est
tr&s beau, mais je lui prefere le cirque de Gavarnie. A
H6as, j'admire la cascade situ£e derriere la chapelle ; elle
a en ce moment £norm£ment d'eau, elle est magnifique.
Le lundi, k 4 h. du matin, depart de l'auberge ou de
Th6tel, comme on voudra. Nous sommes trois; le col des
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PROMENADE DANS LES PYRENEES. 195
Aiguillous est encore encombrS de neige ; Haurine a juge
h propos de s'adjoindre Frangois Lavignole. II y a quel-
ques annees, cet homme a eu le malheur de perdre la
main gauche, par suite d'un accident de chasse : son fusil a
6clat6. II est d'une force et d'une agilite remarquables, et
chasse encore Tisard.
Nous grimpons par le ravin des Aiguillous. Lk ou nous
trouvons la neige, elle est excellente. Par endroits, sur le
rocher, il faut s'aider des mains ; mais partout il est tres
solide. A 7 h. 20 min., en me retournant, je vois la Breche
de Roland. J'ai d6ja pu admirer le Pim6ne et surtout le
Vignemale. A7h. 40 min., nous sommes au point culmi-
nant du passage; le panorama est splendide. Je ne puis
me lasser d'admirer le Vignemale ; sa belle pente couverte
de neige me rappelle un peu la Barre des Ecrins. A gauche
du Vignemale, on distingue parfaitement le Pimene et la
Br&che de Roland. Au-dessous de nous, & droite, dans un
fond, un tout petit lac bleu-verd&tre entoure de neige.
Pour passer sur le versantNord, nous laissons sur la droite
le col des Aiguillous et nous marchons sur la neige en
longeant une muraille de rocher. Pendant quelque temps
nous descendons par une pente tr6s rapide, mais c'est un
vrai plaisir tant la neige est bonne. A 8 h. 15 min., nous
sommes en bas de la grande pente de neige ; & 8 h. 45 min.,
PranQois Lavignole nous quitte et j'ai bient6t le plaisir de
voir deux isards. A 9 h., nous atteignons les bords du tor-
rent ; & 9 h. 20 min., nous rencontrons la dernifcre plaque
de neige. II faut traverser le torrent, et pas de pont; le
courant est tr&s fort; plus nous descendons, plus il y a
d'eau ; le temps est chaud, le torrent peut grossir rapi-
dement. Nous revenons un peu sur nos pas et nous nous
d^cidons k passer sur un arbre sans ecorce et nullement
6quarri. Mon guide, avec son piolet, fait une entaille sur
le bois, y pose un pied et passe de lautre c6t6. Je pose
mon pied h la m&me place que lui, il me tend la main et
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196 COURSES ET ASCENSIONS.
je passe a mon tour. A 3 h., nous 6tions h, Saint-Lary, chez
Gompassous ; c'^st une excellente auberge.
Le mardi 5 juin, malgrS une pluie continuelle y je fais &
pied presque toute la route jusqu'& Luchon. Au col de Pey-
resourde, il neige, et pendant trois quarts d'heure je souffre
du froid. Les torrents sont effroyablement beaux ; l'eau est
presque rouge comme de la brique, et les rochers roulent
et s'entrechoquent bruyamment. Aprfcs une pareille jour-
n6e, il ne faut plus songer h gravir pour le moment la
Maladetta; je me s6pare de Haurine et, le lendemain y je
prends le chemin de fer pour Saint-Girons. La pluie de la
veille a fait d6border la Garonne, et, dans sa partie supe-
rieure, l'eau n'a gu&re monte moins haut qu'en 1875. II est
tombe beaucoup de neige dans la montagne. Pour le mo-
ment, les grandes ascensions ne sont plus possibles.
Le 7 juin, je vais h Saint-Lizier* Eglise et cloltre d'archi-
tecture romane ijitSressants. La maison d'aliSnes est dans
une situation superbe. M. le docteur Favre veut bien me
la faire visiter en detail. Des salles oil couchent les ali6n6s
j 'admire la vue ; elle me rappelle celle de la terrasse de
Pau; mais, cette ann6e, l'abondance des neiges la rend
exceptionnellement belle. L'asile estd'une salubrite remar-
quable : pas de malades k l'infirmerie.
Dans l'aprfcs-midi, je gagne Gastillon par une jolie route
et, d'apres les conseils de M. Gourdon, je vais voir le soir
mSme M. l'abbe Cau-Durban , cur6 de Bordes-sur-Lez,
arch<§ologue tres distingue. II me report de la manure la
plus aimable et veut bien me renseigner sur les courses k
faire dans le Gastillonnais, charmant pays tres facile h
visiter. La valine de Ballongue est riante et fertile, la val-
ine de Bethmale, plus pittoresque, est remarquable par la
beaute de ses femmes, dont le costume est des plus gra-
cieux.
Le 9 juin, je pars le matin pour la valine de Riverot. Ghe-
min faisant, je photographic un dolmen bien conserve,
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PROMENADE DANS LES PYW&NtiES. 197
decouvert par M. le cure Cau-Durban. La vallee dc Ri-
verot est peut-6trc la plus belle du Gastillonnais. On y
rencontre une magnifique cascade. Je termine la journ6e
en gagnant Sentein par la valine de Biros. Au confluent du
Lez et de l'OrlS, le paysage est superbe. On pourrait en
une journie, partie par route de voitures, partie par che-
min de mulets, aller de Luchon k Sentein ; on gagnerait
ainsi la partie montagneuse de l'Ari&ge, sans se servir du
chemin de fer.
A Sentein, il y a une source ferrugineuse et, je crois,
legfcrement arsenicale; j'y remarque une jolie tour du
xm e si&cle. Dans une enceinte, peut-6treromaine,se reliant
h Teglise , sont encastrSes des tours carries. L'ensemble
est curieux et original. Pour revenir, je monte dans le
courrier, prends en passant mon bagage k Castillon, k
Fh6tel Gros ou j'ai ete tr&s convenablement, et vais cou-
cher k Th6tel de France, k Saint-Girons. La table y est
excellente ; k Saint-Girons, m'a-t-on dit, la nourriture est
g&idralement bonne partout.
Le dimanche, avant dejeuner, je vais visiter, k 4 kilo-
metres de la ville, l'etablissement d'Aubignac : il y a Ik
une source sulfureuse et une source ferrugineuse; et,
le soir, je couche k Aulus. La route suit le Salat; tou-
jours jolie, elle est souvent magnifique, surtout en appro-
chant d'Aulus oil la verdure est d'une incomparable
beautS.
J'aipassgquatre jours & Aulus, et j'ai eu de la pluie pour
trois de mes excursions. Je suis all6 aux 6tangs de Guzet,
d'AubS et de Garbet, & la cascade d'Ars et & Saint-Lizier-
d'Ustou. J'ai fait seul cette dernifcre course, charmante et
tr&s facile : il y a un chemin de mulets. Pour les autres
courses, c'est un peu moins commode : il faut faire k pied
la plus grande partie du chemin. A l'etang de Guzet
(1,463 m&t.), il y avait encore des plaques de neige sur les
bords. Les Stangs de Garbet et d'Aube, plus elev6s, Staient,
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198 COURSES ET ASCENSIONS.
Tun en partie, l'autre en totality, reconverts de glace. A
T6tang d'Aub6, j'ai eu la bonne chance d'avoir un instant
d'6claircie complet, c^tait admirable. La cascade d'Ars,
avec ses chutes successives d'aspects tr&s varies, est fort
belle ; elle avait naturellement beaucoup d'eau. Malgre le
mauvais temps, j'ai garde bon souvenir d'Aulus ou, en
quatre jours, j'ai fait quatre belles courses. Jusqu'k une
certaine hauteur, on y rencontre une v6g6tation splen-
dide; puis, au-dessus de la region des arbres, ce sont
des rochers de formes pittoresques, des cirques ou des
hemicycles plus ou moins sauvages, mais souvent d'un
grand caract&re. J'y ai trouv£, cette annee encore, beau-
coup de neige ; mon piolet m'a en r6alit6 peu servi, mais
j'6tais heureux de l'avoir, il me donnait confiance.
Le vendredi 15 juin, je quittais, k 6 h. 10 min M l'hdtel
Galvet ou Grand H6tel h Aulus; on y est trfcs bien. J'avais
pris pour m'accompagner jusqu'& Vicdessos Jean Ruffet,
mon guide des jours precedents. Le paysage, tr&s beau
jusqu'au port de Saleix, devient un peu triste & la descente
pendant prfcs d'une demi-heure. La gorge trfcs etroite est
monotone, puis le paysage s'&argitet Ton voit des villages
et, comme fond de tableau, de grandes et belles monta-
gnes avec de la neige.
Je fais un petit d6tour pour aller au village d'Auzat voir
Jean-Jacques, le guide habituel du pic de Montcalm. « En
raison de la grande quantity de neige, il faut, me dit-il,
remettre l'ascension kla fin de juin, ou mieuxau commen-
cement de juillet. » Ge sera trop tard pour moi.
A Vicdessos, je prends le courrier pour Tarascon. En
passant, je laisse sur ma droite les ruines du chateau de
Miglos, ou je regrette vivement de n'etre pas monte.
Tarascon-sur-Ari&ge est sans contredit, de toutes les villes
du dSpartement, la plus pittoresquement situ6e. Des mon-
tagnes bien decouples, variees de formes, d'aspects et de
couleurs, l'enveloppent sans l'etreindre. Encore quelques
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PROMENADE DANS LES PYR&N&ES. 199
vieilles maisons ; belle verdure a c6te de roches d£nud6es ;
quelques restes de fortifications; line trfcs jolie rivi&re:
c'est un site k voir.
Le 16 juin, je vais, le matin, k Ussat, visiter la grotte de
Lombrive; elle passe g£n6ralement pour la plus belle de
1'Ariege. J'y reste deux heures et demie : « II faudrait dix
heures, me dit le guide, pour la visiter compl&tement. »
Elle est tr&s remarquable, et les amateurs de grottes ne
devront pas Toublier.
N'osant pas compter sur le beau temps, je me decide a
visiter les villes et les monuments. De retour k Tarascon,
je prends le chemin de fer pour ^Foix, dont le ch&teau
est justement vanti, et, reprenant la voie ferree, je couche
k Pamiers. Le pays est encore tr&s accidents en quittant
Foix ; k Pamiers, c'est presque la plaine. Cette ville, la plus
importante du dSpartement, a une Sglise tr6s curieuse :
c'est une veritable forteresse et on la nomme Notre-Dame-
du-Camps. La tour de la cathSdrale est trfcs jolie. De la
promenade, appelSe le Castella, la vue est Slendue et tres
agitable.
Le 47 juin, je suis all6 k Mirepoix; il n'y a rien k dire
de la route, mais je recommande la ville et ses environs
pour leurs monuments. Pr&s de^Mirepoix, ce sont d'abord
les ruines du chateau de Terride ; k Mirepoix, c'est son
eglise, la plus belle du dSpartement. La fleche est trfcs ele-
gante et la nef est imposante. Sur lagrande place de T6glise
et dans les rues envirbnnantes, beaucoup de vieilles mai-
sons k arcades bien conserves ; une entre autres presente
des sculptures en bois remarquables. Quelques restes de
remparts y existent encore.
De Mirepoix, je vais visiter les ruines encore considera-
bles du chateau de Lagarde, et j'arrive le soir a L6ran,
apr&s deux heures de pluie battante. J'ai toutes les peines
du monde k y trouver un lit.
Le 18 juin, je vais le matin au magnifique ch&teau de
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200 COURSES ET ASCENSIONS.
L6ran. II appartient au due de L£vis-Mirepoix. On le visite
tres facilement ; e'est un ancien chateau-fort parfaitement
restaur^. L'interieur et TextSrieur sont trfcs remarquables.
Je dirai quelques mots de la route entre L6ran et la sta-
tion de Saint-Paul, & travers les montagnes de Plantaurel.
La premiere partie est la moins interessante. A 10 h.
45 miri. du matin, j'etais k Laroque. L'eglise ancienne fait
un assez bel effet. Devant l'eglise, il y a une petite place
d'oii la vue est tr6s jolie. De Laroque a Lavelanet, oil j'ai
parfaitement d6jeun6 k l'h6tel de Jean-Louis, lepaysage est
de plus en plus accidents. De Lavelanet k Saint-Paul, e'est
une succession de sites tr&s varies et tr&s remarquables. A
Nelzon, je prends la vieille route, et le paysage devient de
plus en plus beau. Sur la droite, j'admire le chateau de
Roquefixade, perch6 comme un nid d'aigle sur une cr&te
de montagne dentel6e. On voit le jour & travers ses ouver-
tures. Je regrette, comme pour le chMeau de Miglos, de
n'avoir pas le. temps d'y monter. II couronne une muraille
de roche calcaire et, par endroits, il se confond avec elle.
Enchants des aspects varies de la route, je m'Stais attard6
un peu. Je h&te le pas & la fin de ma course, j'arrive k
temps et je prends le chemin de fer pour Pamiers, d'ou je
me dirigeais le lendemain sur le Mas-d'Azil.
Mont6 sur la voiture, je vois bienla route, generalement
agr6able. Au Mas-d'Azil, il y a un super be tunnel creus6
par 1' Arize dans une roche calcaire. II atteint jusqu'k
80 met. de haut sur 50 m&t. de large. La route passe k c6t6
du torrent; elle est constamment 6clair6e dans sa partie la
plus sombre; pour moi, rien, dans la grotte de Lombrive,
ne m'a impressionn6 comme le tunnel du Mas-d'Azil. Une
demi-heure suffit pour le visiter.
Voulant coucher k Saint-Girons, je suis heureux de
trouver, comme voiture & volont£, une charrette suspen-
due. La route est assez jolie.
Le 20 juin, je vais k pied de Saint-Girons k Massat
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PROMENADE DANS LES PYRITES. 201
(27 kilom.). Jusqu'au confluent de TArac et du Salat
(12 kilom.), on suit la route d'Aulus, puis on la quitte
pour remonter TArac. La valine est tr&s belle sur la plus
grande partie de son parcours. Des roches d'une belle cou-
leur, bien d^coupees, des pentes gazonnges et boisees
offrent tour k tour les aspects les plus pittoresques et les
plus riants.
II y a, autour de Massat, de ravissantes promenades h
faire. La verdure est aussi belle qu'k Aulus. L'6glise a un
assez beau clocher. Apr&s dejeuner, je quitte Th6tel La-
p&ne, ou Ton est bien, pour aller apied &Saurat (23 kilom.).
Jusqui Col-de-Port (1,249 mfct.), on est sur le versant
Oue'st des montagnes de TAriege, et la verdure est splen-
dide; le paysage est encbanteur et souvent grandiose.
Arrive & la descente, je trouve la verdure moins belle, la
difference est assez frappante.
Le versant Ouest de TAri&ge me parait le plus arrose
des Pyr6n6es franchises, et c'est tout naturel. Les mon-
tagnes ont, dans l'Ariege, plus d'6paisseur que dans les
departements voisins, et les nuages venus de TOc6an
doivent naturellement y &tre arr&tes et s'y d£charger.
A Col-de-Port, la vue est superbe. Le temps, malheu-
reusement, laisse beaucoup & d£sirer. A la descente, la
route, pendant quelques minutes, ne me seduit plus, puis
les montagnes prennent des formes tres accidentees ; des
roches bien decouples et un peu denudes se m&lent & la
verdure, et deux ch&teaux-forts en ruines, perches Tun en
face de l'autre, competent un ensemble singuli&rement
nit6ressant. A tout prendre, je suis aussi satisfait de la des-
cente que de la montee.
A Saurat, je prends le courrier pour aller h Tarascon,
laissant, a peu de distance, Bedeilhac, dont la grotte, trbs
facile a visiter, est mise par quelques personnes, peut-£tre
a cause de cette facilite, au-dessus de celle de Lombrive.
Comme je n'ai pas la passion des grottes, je ne m'y arrGte
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202 COURSES ET ASCENSIONS.
pas. De Tarascon, je vais h pied coucher & Ussat (4 kilom.).
et visite en passant la chapelle de Notre-Dame-de-Sabart,
trfcs ancienne et assez curieuse.
Le 22 juin, j'ai fait, par un temps superbe, la belle route
d'Ussat a Ax (23 kilom.) , en montant h l'Ermitage, d'abord,
puis, plus loin, aux ruines du ch&teau de Lordat; elles sont
assez importantes, mais, h l'Ermitage, la vue sur la valine
de l'Ari&ge est plus belle. Deux petites ascensions ajoutees
h 23 kilom. de route constituaient une forte journ6e, et je
fus tr&s heureux de trouver un bon diner & l'hdtel Boye.
Je le recommande h mes collfcgues.
Ax est dans une position exceptionnelle. Trois belles val-
ines, dont Tune mfcne en Espagne, y aboutissent. Tout au-
tour rayonnent de bonnes routes de voitures et de mulets.
Ses eaux minGrales sulfureuses sont trfes abondantes, trfcs
chaudes. Les di verses sources sont de force diflferente.
Dans deux ou trois ans, le chemin de fer y arrivera. Cette
ville peut devenir une des stations balneaires les plus im-
portantes des Pyr6n6es.
Ma course la plus interessante dans les environs a ete
mon excursion au lac Lanoux, situe dans le departement
des Pyr6n6es-Orientales. On y va par la pittoresque valine
d'Orlu, et Ton suit longtemps le cours de l'Orifege, [affluent
de droite de TAri&ge. A la mont6e, pour 6viter la neige,
mon guide, Alexandre Naudy, du village d'Orlu, prit, sur
la droite, des rochers tr&s glissants, sur lesquelsla descente
aurait pu 6tre scabreuse. Aussi, au retour, il se d6cida a
incliner h l'Est, oil la neige encore epaisse ne nous prSsenta
aucune difficulty. Gette course tr&s belle a le d6faut d'etre
un peu longue : elle m'a demande douze heures de forte
marche. Une partie notable de la course pourrait se faire
en voiture, puis h, mulet.
L'dtang de Lanoux, en raison de ses dimensions, pour-
rait &tre qualify de lac. Je Tai vu entour6 de belles neiges
et en partie couvert de glace; il 6tait trfcs beau, mais je
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PROMENADE DANS LES PYRENEES. 203
conseillerais, pour le visiter, de partir de MSrens, ou plut6t
encore de Ports. On pourrait alors. faire Tascension du pic
Garlitte dans la niSme journSe. A PortS, on trouve comme
guide Gilles Ramonatxo. C'est un chasseur. II a depassS
la soixantaine, mais on le dit encore trfcs solide.
A Ax, je me trouvais pr&s du Val d'Andorre, rarement
visits. Me mefiant un peu du temps, et ne disposant plus
que de quelques jours, je renonQai, pour cette annSe, aux
grandes ascensions ; je me dScidai k faire un tour dans l'An-
dorre et la Gerdagne, et, le 26 juin, je partais d'Ax pour
L'Hospitalet. Jusqu'kMerens (8 kilom.), la vallee de TAri&ge
est admirable ; par endroits, c'est une veritable gorge.
Elle est tantdt riante, tant6t sauvage. On passe et repasse
la riviere plusieurs fois. Rien de sSduisant comme ces val-
lees ou serpente une rivi&re torrentueuse et ou la route
doit, en raison des accidents du terrain, c6toyer successi-
vement les deux rives. A partir de Merens, c'est moins
beau. En additionnant les Stapes de Saint-Girons a Me-
rens, on trouve 92 kilom. Le paysage presente les aspects
les plus varies : il est successivement joli, pittoresque ou
grandiose. Une route de voitures constamment belle, sur
une pareille longueur, est chose rare.
Avant d'arriver k L'Hospitalet, on rencontre une belle
cascade. A L'Hospitalet, je vais & l'auberge tenue par Astrie
Francois, en patois AstriS Gouzie; c'est la seconde que
Ton rencontre; on y est trSs bien, et le lendemain matin
je partais pour TAndorre, avec Palmadre Rey. Je le recom-
mande : il connait du monde un peu partout dans l'An-
dorre et la Gerdagne, oil il a Ste souvent. Dans ces
pays, on ne parle que le Catalan, et il est presque indis-
pensable d'avoir avec soi une personne parlant la langue
du pays. Homme et cheval m'ont cofite dix francs par jour,
plus la nourriture du guide ; je l'ai toujours fait manger
avec moi.
Le 27 juin, k 5 h. du matin, nous etions en route. A
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204 COURSES ET ASCENSIONS.
6 h. 20 min., nous traversons un magnifique troupeau de
750 b6tes k cornes. Nous sommes sur le territoire andor-
ran, mais les bStes appartiennent k des Frangais de L'Hos-
pitalet et autres villages. Le paysage commence k devenir
interessant quand nous sommes en vue des montagnes du
dSpartement des Pyren6es-Orientales, au bas desquelles
l'Ari&ge prend sa source. A sa naissance, cette rivifcre coule
entre le territoire franQais et le territoire andorran. Les
montagnes ont encore beaucoup de neige et la source de
l'Arifcge est dans un site trfcs pittoresque,
A 8 h. 35 min., nous sommes au port d'Embalire, o.u il y
a encore un peu de neige. Nous allons descendre sur le
versant Sud des Pyrenees. La vue est assez belle, surtout
du c6t6 de TAndorre et de l'Espagne. Au-dessous de nous
coule l'Embalire, dont nous allons suivre le cours. A 40 h*
i5 min., nous sommes au village de Sald£o. Tout autour,
je remarque beaucoup de roses des Alpes,
II n'y a qu'une auberge & Saldeo. En arrivant, le guide
mfcne le cheval k une porte qui donne sur une pi&ce tr&s
sale ; je crois que c'est Tecurie, c'est la salle k manger. JTy
entre ; la soupe etait pr^te ; nous avons heureusement du
pain blanc pour la tremper ; il n'y a que du pain de seigle
k Saldeo. Le vin sent le moisi. Je demande s'il y a du Ran-
cio, on m'en apporte; il est exquis; nulle part, je n'en ai
eu d'aussi bon. Avec cela, des ceufs frais, une excellente
grillade de mouton et du bon miel; le linge est propre. Je
ne m'attendais pas a dejeuner aussi bien et k un prix tres
modere.
II n'y a pas de route carrossable dans TAndorre, mais la
route de mulets est presque toujours bonne; les pentes sont
generalement peu rapides, il suffirait d'adoucir quelques
rampes et d'elargir le cbemin pour avoir une route de
voitures ; mais qu'attendre de gens qui n'ont pas voulu
du tel6graphe ? A T6poque ou il 6tait question d'etablir
des jeux & Andorre, on avait pos6 des poteaux et
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PROMENADE DANS LES PYRENEES. 205
un fil. On a coupe le fil e( renvers6 quelques poteaux.
A partir de Saldeo, le paysage devient de plus en plus
interessant. A 1 h. 20 min., je laisse, k ma droite, une
assez jolie cascade formSe par un torrent de la rive droite
de FEmbalire. A 1 h. 45 min., je suis k Canillo, village do-
ming par des rochers tr&s pittoresques. Le paysage prend
un caractfcre imposant, et I'Embalire coule dans une gorge
profonde, c'est superbe. A 3 h., un peu avant d'arriver
au village d'Encamp, je m'dcarte un peu de la route pour
admirer & mon aise, dun point dominant, la gorge au
fond de laquelle roule le torrent. Apres Encamp, on ren-
contre le village de Las Caldes. La, I'Embalire est trfcs
beau ; au-dessus du village il regoit, sur sa rive gauche,
a la sortie d'une gorge bien boisee, un joli torrent, le
Romadrieu. Les maisons du village sont pittoresquement
situGes. II y a Ik quelques moulins ou petites fabriques, et
I'Embalire est utilise comme force motrice. Constructions,
rochers et verdure, tout s'harmonise ; je suis de plus en
plus satisfait de ma journ6e.
En approchant d'Andorre la vieille, comme on dit dans
le pays, je remarque des ch&nes verts. La ville par elle-
m^rae n'a rien de s£duisant, mais la partie de la valine ou
elle est situ6e est belle, assez large, et me. parait g6nera-
lement trfcs fertile ; elle pr6sente des aspects riants et
sauvages. Avant d'atteindre Andorre, on traverse sur un
pont un- torrent affluent de la rive droite de I'Embalire.
Je regrette de n'avoir pas le temps de remonter un peu
la gorge oil il coule ; elle me parait fort belle.
A Andorre, il y a au moins deux auberges. Je vais chez
Galounes, le lit est propre ; la chambre, blanchie a la
chaux, est k peu pr&s convenable, et la nourriture pas-
sable. Si Ton 6tait attendu, on pourrait, je crois, &tre bien
nourri.
Le 28 juin, depart d'Andorre k 5 h. 25 min. du matin.
A 6 h. 20 min., nous traversons un vieux pont et passons
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206 COURSES ET ASCENSIONS.
sur la rive gauche de l'Embalire. Nous avangons dans une
tres belle gorge. Au-dessus de Santa-Julia et avant d'y
arriver, je me retourne pour admirer k mon aise un des
sites lesplus imposants de l'Andorre. L'Embalire sort d'une
gorge superbe, la roche est bien coloree. Ge site, d'un
caractere grandiose, serait certainement remarque dans
les plus belles parties des Alpes.
Apr&s Santa-Julia, petite ville assez anim^e, la plus com-
mer^ante de TAndorre, la route est encore fort agr^able,
a condition de se retourner souvent.
A 8 h., nous entrons en Espagne ; on ne visite pas mon
sac et Ton ne me demande pas de papiers. La route est
moins belle que dansl'Andorre. Gomme k partir de Santa-
Julia, il est bon de regarder derrifcre soi. Gette partie de la
route gagnerait beaucoup h 6tre faite en sens inverse.
En approchant de la Seo d'Urgel, on a un beau point de
vue. La ville est dominee & distance par des forts d'un bel
effet.
La Seo d'Urgel est une ville curieuse avec ses arcades,
ses rues souvent tres etroites, arros^es en partie par des
ruisseauxd'eauvive. La cathSdrale est interessante : pierre
noire, fagade assez originale, & l'interieur beaucoup de
dorures, assez belles boiseries. II y a une grande distance
entre la table de communion et les stalles complfctement
separees duchoeur. A c6te de Teglise, un cloitre en assez
mauvais etat, oil se rencontrent le plein-cintre et Togive,
si mes souvenirs sont fiddles.
A3 h. 45 min., je quitte la ville ; j'y avaisconvenablement
dejeun^^ un hdtel situe rue San-Agustino, h6tel Levretto,
je crois. II y a des chambres tr^s convenables, je Fai
visite, tout y est propre.
En quittant la Seo d'Urgel, on remonte la rive droite de
la S&gre. II ne faut pas manquer de jeter un coup d'oeil
sur la ville : vue sur son versant Est, elle est k*ia'fois pitto-
resque et imposante.
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PROMENADE DANS LES PYRENEES. 207
La vallee, d'abord large, se r&recit peu k peu. A 5 h.
20 min., sur la gauche, j'admire ses rochers rouges aux
formes fantastiques. A 5 h. 40 min., je vois, sur la droite,
une muraille de roches d'un gris singuli&rement clair ;
elles ont encore de la neige, mon guide les appelle les
roches blanches ; je n'en ai pas encore rencontre, dans
mes voyages, de pareille teinte. Aujourd'hui et demain, je
les verrai, h plusieurs reprises, sous diffSrents aspects et
toujours avec un nouveau plaisir. Le temps est superbe,
les montagnes sont merveilleusement eclairees. Je suis
enchants de la fin de ma journSe.
A 7 h. du soir, j'arrive aux bains de Saint- Vincent. Des
bains, la vue est belle, la S&gre coule au fond de la vallee
et Ton a, comme fond de tableau, une chatne de mon-
tagnes agreablement d6coup6es. A Saint- Vincent, les eaux
sulfureuses sont chaudes et abondantes ; on les emploie pour
les douleurs et les maladies de peau. Les cabinets de bains
et les chambres sont tres propres, et tout est k bon march6.
Le 29 juin, a 4 h. 20 min., nous partons des bains de
Saint-Vincent. La route est agrSable. Dans la direction de
l'Est, je remarque plusieurs chaines de montagnes bien
decouples, Les villages de la Gerdagne, g6n6ralement
perches sur les sommets des collines et des montagnes,
me rappellent, par leur position, les villages de la Corse.
A 6 h. 40 min., je prends, au Martinet, unetasse de choco-
lat. II serait excellent, s'il sentait un peu moins la cannelle.
A partir du Martinet, au chemin de mulets succfcde une
route de voitures, et j'ai le plaisir de revoir quelque temps
les belles montagnes gris clair dont j'ai d6j& parlS. A 6 h.
50 min., nous entrons dans la partie la plus large de la
vallee ; sur un vaste espace, elle est parfaitement plane ;
li, on pourrait cultiver la terre avec des machines.
Laissant Puycerda sur la gauche, je vais dejeuner h
Bourg-Madame, en Prance ; c'est plus cher qu'en Espagne,
mais on y est tr&s bien. Pour gagner Porte, ou j'ai l'intcn-
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208 COURSES ET AiCENSIONS.
tion de coucher, je passe par Puycerda. Cette ville n'a de
remarquable que sa position. Du haut de la tour de Feglise,
on a une belle vue. La ville est alimentee d'eau par un
canal derive du rio Carol, affluent de la S&gre, dans la
partie ou il coule encore en France. Au Sud du departe-
ment de la Haute-Garonne, l'Espagne enjambe sur le ver-
sant Nord des Pyr6n6es ; ici, la France possfcde un peu de
territoire sur le versant Sud.
Remontant le rio Carol, je vais coucher & Porte, dans
le departement des Pyr6nees-Orientales. Le lendemain, je
traverse de bonne heure le col de Puymorens (la cabane
de la douane est h 1,931 met.), je rentre dans l'Ari&ge et je
repasse par L'Hospitalet. A 6 h. du soir, je prenais le che-
min de fer &Tarascon, et le lendemain je dinais chez moi,
remettant k Famine prochaine, si faire se peut, l'ascension
du Montcalm et du pic d'Estax.
L'Arifcge offre un grand nombre d'excursions charmantes,
varices et faciles. Les grandes courses ne font pas defaut.
Sur la frontiere d'Espagne, il y a de hautes montagnes. Le
Mont-Rouch a 2,865 mfct., le pic d'Estax, 3,145 met., et
le Montcalm, 3,080 m6t. Les cimes au-dessus de 2,500 m5t.
soiit nombreuses. Pour les amateurs de grottes, il y en a
de superbes. Les eaux minerales, depropri6tes differentes,
abondent. Le chemin de fer va d'un c6t6 k Saint-Girons,
de Tautre h Tarascon. Dans deux ou trois ans, ilira jusqu'a
Ax. Le departement est sillonnS d'excellentes routes de
voitures. Dans les h6tels et les auberges, si la tenue des
chambres laisse parfois h d^sirer, les lits sont toujours
propres^ La nourriture est g6n6ralement bonne, les prix
sont mod6r6s. 11 devrait y avoir, et il y aura un jour, je
l'espere, beaucoup de touristes dans l'Ari&ge.
Edouard Rochat;
Membre du Club Alpin Francais
(Section de Paris).
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XI
ORMONT 1
LEGENDES, histoire, paysages vosgiens
Un des buts de promenade les plus int6ressants et pour-
tant les moins fr6quent6s des environs imm6diats de
Saint-Die est le massif d'Ormont. Sa haute et large croupe,
limitant au nord le val de Galil6e 2 , depasse toutes les hau-
teurs voisines et commande un vaste horizon embrassant
la grande chaine du Hohneck au Champ-du-Feu et l'en^
semble des valines qui en descendent sur la Lorraine.
Cependant les vues h la fois variees et Vendues de ses
divers sommets n'attirent que de rares promeneurs : on
pr6f£re & ses belles forGts, k ses roches curieuses et peu-
pl6es de 16gendes, aux gigantesques eboulis qui recouvrent
plusieurs de ses pentes, les sentiers battus de Kamberg 3
qui s'el&ve en face d'Ormont sur la rive gauche de la
Meurthe. Quant aux touristes partant de Saint-Di6 pour
visiter nos montagnes, & peine accordent-ils, au passage,
un coup d'oeil k sa longue cr&te, et je ne crois pas qu'un
seul ait jamais eu l'envie d'y monter. La reputation de nos
plus hauls sommets, consacr6e par les Guides, les attire.
Par habitude, les uns ne s^cartent pas des chemins fre-
quents ; d'autres pr6f£rent revenir aux lieux dijk visits
1. Carte du dep6t de la Guerre au i/80,000.Feuilles n<>i 70 (Luneville)
et 85 (Epinal).
2. Voir sur Torigine et le sens de cette denomination, dans VAn-
nuaire de 1880, le Brizouars, texte et note, page 354.
3. Ou Kemberg, qu'on ecrit aussi quelquefois Cambert.
ANNCAIRE DU 1883. 14
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210 COURSES ET ASCENSIONS.
raviver d'anciens souvenirs, y chercher de nouvelles im-
pressions. Du restc, pour qui n6gliger ces vieilles connais-
sances, le Donon, le Champ-du-Feu, le Br6zouars, les
Hautes-Chaumes ? pour une modeste montagne privee de
rimmense panorama de ses voisines, et dont la hauteur
n'atteint pas 900 mfct. ? Quel clubiste, ayant le respect de
ses souliers et de son baton ferr6s, voudrait les coinpro-
mettre en si petite compagnie ?
On rencontre d'exclusifs admirateurs des brunes, et
d'autres n'ont d'yeux que pour les blondes ; il en est ainsi
de certains amateurs d'altitudes: au-dessous de 1,000 mfct.,
toute montagne est pour eux une colline, et il faut & leurs
yeux — plus etonnes que charmes — un horizon de
cinquante lieues et vingt villages au moins a contempler.
Je ne partage pas enticement ce gout. L'altitude me pa-
rait surtout une question de jarrets, partant secondaire.
Les Alpes et les Pyr£n6es ne sauraient me faire negliger
les Vosges, et, comme M. Lequeutre 1 , je trouve que Tim-
pression produite sur T4me par un beau paysage ou le
spectacle si mouvemente d'une chaine de montagnes ne
depend pas uniquement d'une indication barom&rique.
LfiGENDES
Les F^es.
II faut bien reconnaitre que rindifterence de mes conci-
toyens n'est pas 6trang6re k Tabandon ou est tornbS leur
vieil Ormont. lis m'ont vraiment tout 1'air d'avoir oubli6 le
r61e qu'il a jou6 dans leur existence. Et parmi eux,
combien ont fait cette promenade traditionnelle & la Pierre-
des-F£es que devrait leur imposer la plus 16gere recon-
i. Dans les Cevennes (page 337), Annuaire de 1882.
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ORM0NT. 211
naissance? ... Cette roche, qui domine lacit6 d6odatienne\
recfele dans ses cavitSs un merveilleux palais, demeure des
Pees protectrices de la vallee. Elle fut longtemps, elle
devrait rester pour ses habitants un but de pfclerinage. Car
ce n'est pas dans un prosai'que carr6 de choux que leurs
yeux s'ouvrirent k la lumifcre..., le d6me de la forfct fut
leur premier abri, le creux d'un rocher leur berceau 2 .
L&-haut, k 757 m6t. d'altitude, dans la myst6rieuse de-
meure et sous Toeil vigilant des fees, toute une population
de b6bes attend le jour fix6 k chacun d'eux par le destin
pour faire en detail son entr6e dans la vie et dans
La ville aux trois clochers
Assise au pied d'Ormont, ge*ant aux noirs rochers 3 ,
dotee de toutes les quality dont une f6e g6nereuse peut
combler ses favoris.
Quelle race d'alpinistes pourraient former de tels nour-
rissons ! Du moins devraient-ils (et ils n'y songent gufcre !)
quelques visites k leur premier asile et quelque gratitude
k leurs charmantes gardiennes. Car nos fees ne sont ni
vieilles ni laides, partant ni grondeuses ni mechantes ; et
ces g^nies de nos montagnes apparaissent dans la mytho-
logie vosgienne comme les bienfaitrices des populations
auprfcs desquelles elles avaient fixd leur sSjour. Belles et
jeunes, d'une beauts et d'une jeunesse immortelles, leur
vue seule rendait heureux. Douses d'une bont6 compa-
tissante, elles semblent n'avoir jamais Stendu leur ba-
guette magique que pour gu6rir et sauver, non pour
1. Saint Die, Deodatus, e*v^que de Nevers, s'etant retire dans les
Vosges, dans la seconde moitie du vn e siecle, y fonda (661) un nionastere
autour duquel s'est elevee la ville qui porte son nom et dont les habi-
tants ont pris e'galement de son fondateur celui de Diodatiens.
2. Legende locale. Les fees ont toujours et partout ete con3ide*re*es >
comme pre*sidant aux naissances.
3. Flburettes. Un Matin dans les Vosges. Recueil de poesies par
Edmond Febvrel, de Saint-Die\ Strasbourg, 1864.
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212 COURSES ET ASCENSIONS.
flagellar ou detruire : la tradition ne nous apprend que
leurs bienfaits. Et non contentes d 'avoir, pendant des
si&cles, peupl6 une ville, lidfcles au r61e tutelaire qu'on les
voit partout remplir, les fees d'Ormont la preservent
depuis les temps les plus recul&s d'un danger terrible ! Car
Ormontn'est pas, comrae une autre montagne, une masse
compacte de terre et de rocher. Dans ses flancs, 6vid6s en
immense caverne, s^tend un lac souterrain de sept lieues
bien compt^es de tour. Une fois, dit-on & la veill^e, il y a
bien long temps, la montagne, min£e par les vagues, a fait
entendre desinistres craquements ; et les eaux, fuyantpar
mille crevasses, ont envahi la valine, r£pandant sur leur
passage la terreur et la devastation. bonnes fees, laisse-
rez-vous p6rir vos enfants dans ce nouveau deluge? Votre
tendresse s'emeut, et sans tarder vous mettant & Touvrage,
ainsi qu'un tonnelicr fait d'une cuve dont le contenu s'£-
panche entre les douves disloquees, vous enserrezla mon-
tagne 6branlee dans un gigantesque cercle de fer. Aussit6t
les terres se consolident, les crevasses se referment, et les
eaux, de nouveau prisonnifcres, cessent de d6soler la con-
trSe 1 .
Quel travail que celui de ces f6es ! Les sifecles ont suc-
c6d6 aux sifccles, et leur oeuvre subsiste encore, solide
comme au jour ou il est sorti de leurs mains. Subissant la
loi commune, nialgr6 leur fctre surnaturel, les f6es ont
v6cu. L'ouvrage, il est vrai, a dur6 plus que l'artisan; mais
tout s'use ici-bas. Et quand, 6branl6par les vagues, 6cras6
par lepoids de la montagne et rong6 parle temps, l'antique
cercle d'Ormont se rompra, quelle puissance nouvelle con-
1 . Cette croyance au cercle iVOrmont est encore vivace a Saint-Die" ,
et Ton entend af firmer dans le peuple qu'une messe solennelle est
ce'lebree tous les ans, le 4 novembre, jour de la Saint-Charles, en la
chapelle de l'hdpital, d^diee a ce saint, pour conjurer la chute de la mon-
tagae. J'ignore si une messe annuelle a jadis ete chantee a cette in-
tention. Inutile d'ajouter qa'elle ne Test plus.
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ORMONT. 213
tiendra les flots souterrains ? Entrainant dans leur course
terre, arbres et rochers, ils engloutiront sous les ruines
da vieux mont la malheureuse cite qui ira grossir, & la
suite d'Elm et de Goldau, le n£crologe des villes ententes !
Di omen avertant !
CTetait un beau travail d'avoir cercle Ormont ! Mais il
ne suffit pas k l'activite des fees, et ces infatigables ou-
vri&res jettent sur la vallee un pont gigantesque, long
de prfcs de 1,000 mfct., haut de 3 h 400, destine & relier
Kamberg h la Pierre-des-F6es. Voild. nos modernes in-
g6nieurs fifcrement distances ! II ne reste rien de cet autre
travail d'Hercule qui laissait loin derrifere lui les Ponts-des-
F6es de la Vologne et du Saint-Mont 1 . Les fees possedaient
de nombreux troupeaux parques dans les broussailles de
Kamberg et conftes k la garde des jeunes p&tres du val.
Ce pont 6tait sans doute destine k faciliter la surveillance
qu'elles exerqaient sur leurs bergers et & s'assurer, sans
avoir k descendre dans la valine, que les demons et les lu-
tins, leurs ennemis, ne leur enlevaient point de b6tail.
On raconte qu'un de ces pAtres regut pour salaire, en
quittant le service des fees, un sac qu'il ne devait pas
ouvrir avant d'avoir regagn6 le logis paternel. Mais notre
Vosgien, n6 curieux, brftle de compter son tr6sor qui lui
semble du reste un peu 16ger eu £gard k son volume ; puis
il est encore si loin de sa chaumi&re I Sa patience est plus
courte que le chemin ; oubliant la recommandation for-
melle de ses bienfaitrices, il plonge la main dans le sac et
en retire... des charbons ardents qui lui choquent 2 cruel-
lement les mains. Maudissant don et donatrices, il reprend
le chemin de la maison ; mais, en gargon econome, il a
!. Le premier est jete* sur la Vologne en un lieu appele la Basse de
I'Ours, pres de Gerardmer. Le second est une digue ruinee faisant
communiquer le Saint-Mont avec la montagne voisine du Grimouton.
Son origine et sa destination sont egalement inconnues.
2. Patois lorrain : choquer, bruler.
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214 COURSES ET ASCENSIONS.
gard6 le sac qu'il montre piteusement a ses parents en
leur contant sa mystification. Le pfcre, m6fiant comrae
tout paysan, le prend, le retourne et voit tomber a ses
pieds un lingot d'or!... D&sespoir et remords de l'enfant
qui,
Honteux et confus,
Jure, mais un peu tard, qu'on ne Ty prendra plus.
Les f6es n'aiment ni les d6sob£issants ni les indiscrets 1 .
Les Sorciers.
Depuis longtemps, les f6es avaient fait d'Ormont leur
paisible demeure, quand Satan, jaloux des bienfaits dont
elles comblaient lacontree, vint leur disputer le. domaine
de la fatidique montagne. Elle est vaste, il est yrai; et ce
d6sagr6able voisinage eM et6 pourtant tolerable, si Tintrus
avait fix6 son sSjour sur un sommet eloign^ de la Pierre-
des-F6es. Mais n'est-ce pas une loi de notre humanity que
le mal cherche partout h supplanter le bien ? Aussi le
Prince des T6n£bres, le rus6 Hennequin 1 , sans doute s'af-
fublant d'un nom chr6tien pour tromper plus sftrement
les pauvres Vosgiens, a-t-il choisi le point le plus 61ev6 de
la montagne, T6troit plateau du Sapin-Sec, voisin de la
Pierre-des-F6es, poury tenir ses infernales assises.
Dans la nuit sombre et muette s'Slfcve soudain du Nord
une clameur semblable au bruit de la temp&te. G'est la
menee d'Hennequin, la ronde des sorcifcres qui, portees par
les quatre vents du ciel, s'assemblent sur le vaste plateau
du Ban-de-Sapt. Hideuses et sordides, elles ont enfourch6
le manche h balai, tandis que Jeannon, de Robache, la
maitresse pr6f6r6e d'Hennequin, se rend au sabbat, k
cheval sur le cou de son abominable amant 3 . Puis, quand
1. L^gende locale.
2. Hennequin, nom donne* au diable dans les recits de la veiilee et
dans les proces de sorcellerie du val de Saint-Die ou de Galilee.
3. Les Sorciers a Saint-Die' et dans le val de Galilee, par F. de Cfran-
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ORMOflT. 215
personne ne manque plus k l'appel, b noir tourbillon,
enleve par un souffle puissant, plane et vient s abattre sur
le sommet cTOrmont. Au milieu des larges dalles de grfcs
qui le pavent, se dresse un sapin seculaire au tronc de-
pouill6, aux bras tordus et decharnes* Le souffle brilliant et
le contact impur de ces demons a dessdch6 sa s&ve et fait
tomber sa verdoyante couronne : c'est le Sapin-Sec. La
nuit, quand la froide clart6 de la lune glisse sur son 6corce
blanchie, il semble un spectre immense sorti de sa tombe
pour effrayer les vivants. Aussi, m&me de jour, le monta-
gnard fuit, en se signant, cet objet maudit. II y a trente
ans & peine, de maigres bruyeres poussaient seules dans
cet endroit d&sole, oil se sont ourdis tant de complots
contre la s6curit6, la fortune, le bonheur des honn&tes
habitants de la vall6e.
II est minuit..., le sabbat commence..., ils sont 1&,
sorciers et sorci&res, ordinairement une cinquantaine,
quelquefois plus de cent, couverts de masques, & travers
lesquels les vivants reconnaissent avec horreur les mise-
rables d6j& executes pour crime de sortileges et veneficesK
Assis sur un roc 61ev6 en forme de stege au milieu du
plateau, habill6 de rouge et haut encorne, des gants aux
mains, Hennequin domine l'assemblee et dirige l'orchestre
compos6 d'une flilte et d'un tambourin en frappant la me-
sure sur la pierre, de son pied fait comme un pied de boeuf 2 .
On mange aussi dans ces tristes assemblies une chair fade
et un brouet nauseabond : la gourmandise n'est pas le
p6ch£ mignon des sorciers ! Puis on fabrique les philtres
et les poisons ; on recueille de la bouche du maitre les
paroles puissantes et maudites qui, jetant un sort aux
malheureux habitants, r6pandront parmi eux la terreur ;
teau. Proems de Jehennon, veuve de Hidoulf le Regnard, sorciere, de
Robache (1602). Robache est un village situe a la base Ouest d'Ormont.
1. Ibidem, passim.
2. Ibidem, passim.
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216 COURSES. ET ASCENSIONS.
on re^oit de ses mains une poudre grise qui fera languir,
on une poudre noire qui tuera les hommes et, supreme
malheur, les bestiaux 1 ; car la plus cruelle perte pour nos
paysans est celle de ces utiles animaux qui, apr£s Dieu,
&ssurerit leur existence !
Puis, son (Buvre sans nom terminee, le lugubre essaim,
reprenant son vol, va se perdre dans la vieille for&t de la
Garde qui couvre la banlieue de Combrimont*. Malheur
au*tem6raire attardg sur son passage ! la mende Fenve-
loppe, l'enlfcve et le transpbrte dans un lieu d6sert oil le
froid, la faim, la terreur en auront bient6t fait un cadavre,
k moins qu'une f£e, attir6e par ses g^missements, ne
rompe le charme qui le retient en cet endroit maudit.
Malheur aussi h Timprudent qui s'endort sans fermersa
porte et se livre ainsi aux sorciers ! Celui-ci depeuple
ratable avec ses drogues diaboliques ; celui-l£, p6n6trant
par le poGle, perce les membres du trop confiant dor-
meur de clous ac6r6s dont une f6e seule peut gu6rir les
blessures. Un autre entre dans la peau d'un chat noir et
saute sur la poitrine du pauvre diable qu'il Stouffe pen-
dant son sommeil. Ou bien, collant contre sa bouche son
hideux museau, il aspire son souffle et savie. Siunejeune
fille repose dans la maison, c'est elle que la mort sur-
prend. Mais les r&les du mourant ont 6veill6 quelqu'un dans
la chambre voisine ; qu'il se h&te de faire de la lutai&re
pour mettre en fuite ces supp6ts des t6n£bres.
Un malheureux p&re, dont la fille allait ainsi p6rir, pui-
sant dans l'amour paternel un courage plus grand que sa
terreur, saisit dans l'obscuritg la b6te malfaisante, et de sa
faux la cloua contre la porte. Quandle jour vint, il recon-
nut dang Tanimal expirant les traits du sorcier qui en avait
pris la forme 8 .
1. Legende locale.
2. Legende locale.
3. Legende locale.
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ORMONT. 217
Le Sapin-Sec n'est point le seul lieu hanfe. Au bas d'Or-
mont, sur une des collines qui l'entourent d'un large pie-
destal, Hennequin m&ne aussi ses familiers au sabbat. Si
vous portez vos pas vers le romantique vallon de Robache,
qui s'ouvre au nord de Saint-Di6, vous apercevez h droite,
au-dessus du hameau, un tertre rouge&tre couronn6 d'une
lande deserte* Le pied des sorciers, en foulant le sol, Ta
frapp6 de sterilite *.
D'autres fois, c'est une gorge profonde et marScageuse,
perdue sous bois, comme il s'en cache tant dans les replis
d'Ormont. M£me de jour, quand on s'y 6gare, un froid
mortel pen^tre dans les veines. « C'est un lieu sinistre
et de sinistre renommee, dit M. de Ghanteau dans son
histoire des Sorciers du Val de Galilee ; les fees ne l'habitent
point : c'est un coin de terre qui n'appartient pas m&me &
Dieu, et oil Satan rdgne sans partage. » La se fabrique la
grille ; les sources jaillissant k chaque pas en donnent le
moyen. Les assistants, arm6s de baguettes blanches, frap-
pent l'eau h eoups redoubles : les nuages se forment et ob-
scurcissent le ciel, l'6clair luit, la foudre gronde, la grdle
tombe dru sur les champs et les vergers marques par
Satan. Alors, si la cloche 6l£ve sa voix benie au milieu de
Forage, le diable en est grandement courrouc£, car elle
paralyse sa puissance : elle dissipe les nuages, et le joyeux
6clat du soleil renait. Et malheur au sorcier vindicatif qui,
pour diriger le fleau, est mont6 sur la nu6e devastatrice :
il tombe du haut des airs, heureux si dans sa chute il ne
perd point la vie a .
Habiles en toute esp&ce de malefices, les sorciers
savent s'enrichir aux d6pens d'autrui. Pour se procurer du
beurre en abondance, ils n'entretiennent pas de trou-
peaux. Mais « dans les tendettes ou ils mestent leur cresme,
dit un t6moin entendu dans le proc&s de sorcellerie
1. L^gende locale.
2. Les Sorciers a Saint-Die et dans le Val de Gaiil&e y passim.
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218 COURSES ET ASCENSIONS.
intente k Claudatte Mengin de la Bolle, en 1611, ilsjectent
une graine de celles quils avaient, et alorselle attire lacresme
des autres gens » .
Voici un moyen encore plus simple : « lis prennent un
cuveau plein d'eau oiiAls frappenl avec de blancs bastons, et
alors la cresme des autres y arrive *. »
* Malgre ces avantages et d'autres aussi dont la recette
n'est point venue jusqu'd nous, c'est une triste vie que
celle des sorciers et couronn^e d'une triste fin. La haine
des hommes, le m6pris et les violences d'Hennequin, le
plus dur des maitres, dont les mains rondes et courtes comme
pied de beste meurtrissent souvent les membres de ces
mis6rables et leur distribuent ecailles de um*e, feuilles de
chene ou fiente de cheval au lieu de Tor convoil6 et pro-
mis *; et, au terme de ce penible esclavage, les tortures et
souvent le bftcher, c'est payer bien cher le plaisir de nuire
et d'assouvir sa vengeance ou seulement sa jalousie.
Que tout cela est loin de nous !... Depuis longtemps les
f6es n'errent plus le soir aux rayons argentes de la lune
sur le tapis moussu des hautes sapini&res d'Ormont... Elles
ne glissent plus, k l'aube, sur les humides prairies qui
veloutent ses vallons, pareilles
A ces brouillards legers que l'aurore souleve,
Et qu'avec la rosee on voit s'evanouir.
Et si, a nuit fermant, comme on disait jadis, vous montez
au Sapin-Sec, le cri plaintif d'une chouette ou le vol lourd
et saccad6 d'une chauve-souris, le bruit du vent dans les
rameaux, ou quelque aboiement montant de la valine en
1. Les Sorciers a Saint-Die' et dans le Val de Galilte, passim. .
2. Ibidem, passim. :
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ORMONT. 219
troubleront seuls le solennel repos... Voiis avez fui pour
toujours, f6es et sorciers, g6nies familiers et demons mal-
faisants, dont Timagination naive ou bizarre, mais toujours
po6tique, des paysans vosgiens, peuplait nos solitudes boi-
s6es. A peine leurs arrifcre-neveux en ont-ils conserve le
souvenir, qu'ils gardent jalousement au fond de leur m6-
moire sans en trahir le secret. Graignent-ils qu'il s'eva-
nouisseau souffle d'un esprit moqueur ou seulement incrS-
dule?
« De iios jours, dit M. le pasteur Cer6sole dans ses
Legendes des Alpes vaudoises, il n'est pas aussi ais6 qu'on le
pense peut-Gtre de prendre sur le vif ces r£cits et ces
legendes pour les recueillir. Ces traditions, avec une
pudeur qui craint le bruit et l'6clat de nos lumieres scien-
tifiques, religieuses, 61ectriques et autres, se cachent aux
indiscrets. Semblables aux oiseaux nocturnes, elles redou-
tent l'6clat du soleil et se d^robent aux curieux... Ceux
qui les connaissent ne les racontent pas sans quelque g6ne
et quelque effort 1 . » Reflexions qui peuvent s'appliquer aux
Vosges, oil les ddpositaires de ces legendes ne les confient
pas volontiers et souvent m6me se refusent k les commu-
niquer.
Ces r^cits recueillis, il y a quelques ann£es, de la bouche
d'une paysanne n6e avec le sifccle qui, tout en b^chant son
meix, devisait du pass6, des Sotres et des Fdes *, cessment
d&s que j'interrogeai ma vieille conteuse. Mes questions
parurent des pi&ges k son ignorance, & sa simplicity. D'au-
tres vieillards, sollicites k leur tour, gardSrent le silence.
1. Jahrbuch des Schweizer Alpenclub (ann^e xvn e , page 10).
2. Un meix est un terrain nature de jardin ; un sotr4 t un sorcier; une
fde, une fe*e. Je dois aj outer que, dans le reste des Vosges et toute la
Lorraine, tel n'est point le sens du mot soM. On de*signe par la une
sorte de lutin ou de farfadet aimant a tourmenter les hommes,et don-
nant en particulier le cauchemar. Est-ce une erreur de la vieille con-
teuse ou une tradition serieuse qui a prpduit cette confusion entre des
genies ou demons familiers etdes creatures humaines vouees a Satan?
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220 COURSES ET ASCENSIONS.
Mais les sorciers ont devoile eux-m£mes, dans les an-
goisses de la torture, les secrets de leur art diabolique ; leurs
contemporains ont raconte, avec la gravity et l'exactitude
detSmoinsconvaincus, lesterreurset les crimes dontl'igno-
rance et la cr6dulit6 accusaient des malheureux designSs
pour la plupart & Tanimosite gen6rale par leurs instincts
d6prav6s. Documents pr6cieux pour servir h l'histoire
d'une de ces maladies morales que chaque sifccle apporte
h Fhumanit6; car les traditions se perdent, et bientdt leurs
derniers 6chos dormiront dans la tombe avec les anciens,
ces t6moins h6r6ditaires d'un passe que notre g6n6ration
dSdaigne et dont elle semble r^pudier jusqu'au souvenir 1
Et pourtant,
Les vieux re cits ont une voix qui charme ;
la voix de l'humanitG rep6tant k travers les temps les
croyances populaires qui ont berc6 l'enfance de notre race
et qui, & mille ans d'intervalle, sous une forme moins grave,
font encore la joie ou la frayeur de nos tendres ann6es; la
voix de TEternelle V6rit6 toujours cach6e sous ces naives
fictions. La seduction des mythes grecs leur fait certaine-
ment defaut, et souvent elles sembleront pu£riles. Mais
elles ent sur eux cette incontestable sup6riorite de ne pas
outrager la morale, de ne point Clever d'autels au vice, et
de n'avoir fait apparaitre ici-bas les Gtres surnaturels 6clos
dans Timagination de nos anc&tres, que pour recompense r
les bons et ch&tier les mauvais.
Nous voici loin d'Ormont ! Revenons-y sans nous laisser
entrainer encored la suite des f6es dans le monde merveil-
leux ou ces magiciennes se sont plu a egarer une derntere
fois un Vosgien. La fable n'est-elle pas en quelque manure
le peristyle de l'histoire ? Et n'etait-il pas naturel de s'y
arr&ter un instant pour rendre hommage aux g6nies de la
montagne, avant de vous convier k en parcourir les sites
et les modestes annales ?
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ORMONT. 221
II
HISTOIRE ET PAYSAGES VOSGIENS
« La science, dit M. Lorin, divise les Vosges en diverses
regions d'apr^s leur constitution g6ologique... La topogra-
phie les partage en Hautes, Moyennes et Basses- Vosges,
d'apres leur altitude ; je serais presque tent6 d'y ajouter
une autre division pour les excursionnistes : la Region des
Ballons, la Region des Lacs et la Region des Rockers l . »
Que la science m'excuse de ne pas m'arrdter en sa docte
compagnie; qu'elle ne m'accuse pas surtout d'irrev£-
rencel Mais j'ai conscience de mon indignity... Simple
touriste, cherchant plut6t dans la montagne des distrac-
tions qu'un sujet d'6tudes, oserais-je, sans t6m6rit6, me
hasarder dans le domaine des savants? Mieux vaut nTen
tenir h la troisieme division (la division des petits, dirait
un collegien), et placer de suite Ormont dans la Region des
Rockers.
Aux ddmes chauves des ballons, aux croupes arrondies
et fuyantes de la region des lacs, succSdent, en s'abais-
sant vers le Nord, des crates etroites et allongSes, g6nera-
lement plates, ondulees quelquefois ; leurs pentes rapides
couronn6es de roches a profil anguleux donnent aux sil-
houettes de cette partie du massif vosgien la symetrie des
figures g£ometriques et une certaine raideur de formes
qui pourtant n'exclut pas la gr&ce. Ainsi, le Grand-Donon,
le Climont 616vent sur la chaine un trapeze plus ou moins
rggulier. Le Petit-Donon, le Voiemont, pres de Saales, et,
!. Excursions dans les\Vosges (de Cirey a Lutzelbourg), par M. Lorin,
archiviste-tresorier de la Section Vosgienne. Bulletin de la Section e
i882, page 31.
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22t COURSES BT ASCENSIONS.
en aval de Saint-Die, la Bure et les Jumeaux profilent leurs
c6nes bois^s au-dessus des lignes un peu monotones du
paysage environnant. Les pierres l qui h6rissent ou domi-
nent les penchants de ces montagnes, ou se dressent sur
leurs plateaux, atteignent souvent des proportions gran-
dioses. M. Lorin les a choisies pour marraines de cette
region, et c'est justice ; car elles sont pour Texcursionniste
un de ses principaux atlraits. Leurs puissantes assises de
gr&s, « de ce beau gr&s auquel on a donn6 le nom de
la chalne 2 », ne constituent-elles pas, d'ailleurs, la tota-
lity des Basses-Vosges et la plus grande partie des Vosges-
Moyennes oil se trouve l'Ormont ? Leur coloration rose,
due k l'oxyde de fer, s'alt&re et grisonne avec le temps.
Mais les faces protegees contre les intemperies ont pris
en vieillissant des tons chauds dont la froide verdure des
sapins rehausse encore la valeur. Le Vosgien les appelle
pierres de sable, denomination aussi exacte qu'expressive,
justifi^e par leur composition de petits grains quartzeux,
par leur aspect, et par la facility avec laquelle elles se d£li-
tent sous Tinfluence des divers agents atmdsphSriques, au
point que le sol ou elles s'&fcvent paralt compost de leurs
debris. Des formes les plus varices et les plus bizarres, tan-
t6t elles figurent un champignon 61ev6 sur sa tige, tan-
t6t des miches 6chafaud6es comme des pains b£nits h. la
grand'messe du dimanche. On croit ici reconnaltre une
chaire, une table, une corbeille au galbe 616gant ; plus loin,
un animal, voire un profil humain. Et ces ressemblances
trouv6es par l'imagination du peuple, accept6es par sa cre-
dulity, ont valu a ces roches les noms des Gtres et des objets
dont elles rappellent de pr£s ou de loin la physionomie.
Ainsi, le seul Ormont possfcde des pierres du Chapeau, du
Chariot, du Charle (cMlit). Une Chaire-du-Diable et une
i. Le Vosgien ne dit pas la Roche des Fees, mais la Pierre des Fees,
la Roche de l'Aitre, mais la Pierre de l'Aitre, etc.
2. Eliseb Reclus, GCographie universelle, tome II, page 810.
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ORMONT. 223
Pierre-des-Ftes rappellent le temps oil les genies hantaient
la montagne.
Entre les parties pleines de ces roches, et pour ainsi dire
comprim6es par leur poids, s'6tendent des strates horizon-
tales d'une tenuit6 extreme (quelques-unes n'ont pas un
centimetre d'epaisseur), appliqu£es exactement les unes
sur les autres, comme les feuillets d'un livre, et ou nos
enfants voient des marques du deluge. Ces lamelles, d'un
grain tr&s friable, sont presque toujours en retrait des
blocs avec lesquels elles alternent, et contribuent & don-
ner aux rochers les formes curieuses indiqutfes plus haut.
Si Ormont ne presente pas les specimens bizarres ou ma-r
gnifiques diss6min6s h profusion autour de Saverne, dans
le comte de Dabo, ou sur le versant rhgnan du Palatinat,
et dont le massif voisin de Kamberg offre dans la Pierre-
de-1'Aitre un remarquable 6chantillon, du moins reunit-il
a un degr6 suffisant les caract&res propres au paysage de
la Region des Rochers.
L'aspect d'une -montagne varie avec la distance et le
point d'oti on l'observe, et & voir de la Pierre-d'Appel
ou du col de Sainte-Marie les crates allongees d'Ormont,
ou m£me de Saint-Die et du sommet voisin de Kamberg
ses croupes gracieusement ondulees, vous m'accuseriez
sans doute, jetant les yeux sur le croquis joint h ces lignes,
d'avoir flatte mon modele ? Mais suivez la route de Saint-
Die k Saales, et k 2 kilometres en deqh de cette derniere
localite, au sortir de la for6t de la Baul6e, gravissez h droite
la colline du Houssot : vous constaterez la ressemblance
entre l'original et une copie dont la sinc6rit6 est le seul
merite. L'oeil s'arr&te avec plaisir sur cet ensemble de
lignes harmonieuses et fibres donnant l'illusion d'une
grandeur que la legende explicative r6duit a ses vSrita-
bles et modestes proportions.
Ce mamelon a gauche de la montagne, surmonte d'une
tour feodale, est le Spitzemberg, dont le nom teuton siffle
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221 COURSES ET ASCENSIONS.
comme un fifre au milieu de toutes ces desinences fran-
chises. Marque-t-il un ilot de population allemande ? Con-
sacre-t-il le souvenir d'une occupation Strang&re ? ou bien
le caprice d'un due de Lorraine germanophile a-t-il bap-
tist ce piton d'une denomination tudesque en rappelant
l'aspect ? Les descendants de la race celtique ayant seuls
et toujours occupy les deux versants du col de Saales, les
deux premieres explications ne sont gufcre admissibles. La
troisteme n'est pas plus vraisemblable au dire des philolo-
gues vosgiens ; car les vieux titres appellent le mont aigu
d'Ormont Spicunberc, mot dont Torigine celtique parait
facile & 6tablir f . Un copiste du moyen &ge, un Allemand
peut-£tre, ne comprenant pas ou lisant mal ce nom singu-
lier, lui aura substitu6 un terme emprunt6 k sa langue et
ayant quelque rapport de pbonStique et m6me d'origine
avec celui qu'il ne pouvait dechiffrer. On affirme que le cas
ne serait pas unique. Pour moi, je pref&re h toute autre
cette explication qui concilie mon amour propre national
1. Dans une charte d'Albert de Haute-Pierre, dat^e de Janvier 1224,
Spitzemberg est denomme* Castro Despicunbevc; ce mot doit se de-
composer en de Spicunberc, et ce dernier en Spi cunberc, e'est-a-dire
un cunberc aigu, pointu; cun-berc, cum-berg, cam-ber, cam-berg signi-
fiant montagne tortueuse a cause des nombreuz vallons qui en dechi-
quetent les pentes; le qualificatif spi, pointu, aigu, e'tant donne a ce
sommet pour le distinguer du grand Kamberg,ou plus justementCam-
bert (C umber t en est m£me la vieille orthographe), s'elevant en face
d'Ormont, sur l'autre rive de la Meurthe. Ainsi on lit, dans une vieille
hymne du breviaire de saint Die, la strophe suivante, qui rappelle le
passage de ce saint en Lorraine et son sejour au pied de Kamberg :
Prxsul, movente spiritu,
Saltus Vosagos trans meat.
CUMBERTE felix, qiix tuum
Manet corona verticem!
J'ai adopte* l'orthographe admise aujourd'hui generalement.
Robache, que Ton pretend faire deriver de Rothembach, serait, ainsi
entendu, une alteration relativement recente introduite par quelque
germaniste maladroit. Son orthographe ancienne est Raurobacium.
(Voyez Historia Mediani-Monastwii, par dom Belhomme, abbe* de
Moyenmoutiers, pages 312 et 313.)
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ORMONT.
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ANNUA IRE DK 1883.
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226 COURSES ET ASCENSIONS.
avec la plus grande probability. Aujourd'hui, la tour a dis-
paru ; ses ruines, exploitees comme carrieres, jonchent le
sol a Tentour, et ce vieux monument de l'ind6pendance
lorraine, qui commandait le col de Saales, et fermait la
valine de la Fave aux incursions des pillards allemands,
ne se voit plus que sur mon croquis. O'a 6t6 la seule
licence permise k mon crayon. Un puits et quelques pans
de murs marquant une vaste enceinte temoignent encore
de Timportance du chMeau oil r6sidfcrent plusieurs de
nos dues. La duchesse Christine, de Danemark, niece de
Charles-Quint et veuve du due Francois I cr , Thabita pen-
dant la minorite de son fils Charles III, vers le milieu du
xvi e si&cle ; et le souvenir de cette princesse est encore
vivant dans notre vallee. Le chemin de la Reine Christine,
une de ses promenades favorites sans doute, mene de
Spitzemberg au village voisin de Lusse ; et le bois des Woi-
tines (des vilaines), au pied du chateau, servait de lieu de
divertissement aux femmes de la souveraine.
Au stecle suivant, un membre de la famille des Hugo-
Lhuillier, & qui le chateau avait 6t6 infeodS, s'illustra en
defendant avec succ&s Saint-Die contre les bandes suSdoises
de Bernard de Saxe-Weimar.
A propos d'etymologie, quelle est donccelle d'Ormont?
On a fait bien des rGponses k cette question ; jugez vous-
m&mes de leur mgrite respectif.
Je ne rapporte que pour m6moire l'explication enfan-
tine, tiree des trGsors enfouis par les fees dans les cavites
de la montagne! Accorderez-vous plus de cr6ance h un
grave historien allant chercher en Syrie le parrain d'Or-
mont et nous le prdsentant en la personne de l'Her-
mon, massif de l'Anti-Liban, qui m'a l'air absolument four-
voye dans les Vosges? Non content de semitiser TOrmont,
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ORMONT. 227
M. Gravier l etend k Naymont ses explications bibliques.
Ge gracieux village s'allongeant au pied de la montagne
devient une nouvelle Nairn; et, sans doute pour donner
plus de poids k son opinion, il la met dans la bouche de
saint Di6 lui-m6me, mort depuis onze sifccles ! Pourquoi
done aller demander al'Stranger, et« emprunter auxautres
comme de rares merveilles les choses toutes communes
qui jonchent notre sol, et que nous foulons aux pieds depuis
le deluge 2 ? » D'autres philologues, mieux inspires ce me
semble, ont cherche dans la langue nationale et Torogra-
pbie locale l'Stymologie d'Ormont. Ge nom, frequent dans
les Vosges, s'applique au point culminant de certains
groupes de montagnes : sans plus citer, l'Ormont de Ten-
don, sur la rive gauche de la Vologne. « Le radical Or,
commun h une foule de langues, dit M. Hingre, signifie
partout lieu 61ev6, hauteur. . . ; il est surtout celtique ou gau-
lois, soit avec Inspiration hor, soit sans elle, or...; il a servi
h composer un grand nombre de noms de montagnes en
France : Ormont, Orimont, Lormont, Mont-d'Or, etc... En
composition avec mont, il prend le r61e de qualificatif, et
veut dire plus haut, dominant. » N'est-ce pas le cas de notre
Ormont, dominant dans un rayon d'au moins 13 kilo-
metres tous les sommets d'alentour, particularity qui en
fait Tobservatoire par excellence des environs de Saint-Di6?
On propose une derniere Stymologie tir6e d'Our, ouri,
uri (latin urus), aurochs ou boeuf sauvage. Ges grands
herbivores ont fait partie de la faune vosgienne jusqu'i
l'6poque carlovingienne, et Charlemagne lui-mSme, d'aprfcs
la tradition locale, serait venu chasser Taurochs dans les
forMs d'Ormont ; il faillit mSme, dans une de ces chasses,
\. Histoire de la ville et de I arrondissement de Saint-Die", par
N. Gravier, receveur de l'enregistrement (1831). — La vieille ortho-
graphe Aymont d^truit cette supposition.
2. Voyez, dans le Bulletin de la Socie'te' philomathique vosgienne de
1878-1879, Farticle intitule" : Galilee (origine de ce nom ancien du mo-
nastere et du val de Saint-Die), par M. le chanoine Hingre.
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228 COURSES ET ASCENSIONS.
se noyer en traversant la Meurthe, prfcs de Sainte-Margue-
rite, ou il 61eva un oratoire en souvenir du danger auquel
il avait dchappd 1 . La forme ancienne Huremont, Hurimont
et le nom d'Hure donn6 au plus considerable des cours
d'eau descendus d'Ormont (vallee de Saint-Jean), prfctent
quelque vraisemblance & cette explication. On peut toute-
fois se demander pourquoi l'Ormont aurait nourri plus
d'aurochs que les autres montagnes du val de Galilee. En
tout cas, ces deux derni&res etymologies me paraissent les
seules entre lesquelles on puisse h6siter. Si depuis dix
\ . Pendant la periode revolutionnaire, Ormont donna son nom a la
ville de Saint-Die. Voici la deliberation assez curieuse et a peu pres
inedite du Conseil general de la commune de Saint-Die, en suite de
laquelle ce changement eut lieu :
« Du 23 frimaire, Vaii second dc la Republique frangaise
une et indivisible (13 decembre 1793).
u Le Conseil general de la commune de Saint-Die, district du meme
lieu (departement des Vosges), presents : Jean-Nicolas Bareth, maire,
et X..., X.. , ofiiciers municipaux et notables.
« Un membre a dit qu'ayant ete charge de communiquer a la Societe
populaire de Saint-Die le desir que le Conseil general avait manifesto
de changer le nom de la commune comme rappelant le souvenir de la
superstition, il s'en etait acquitte, et qu'apres discussion elle avait
emis son vceu pour Ormont, nom de la montagne au pied de laquelle
la commune est situee.
« Le meme membre ayant continue : « Du sein des montagnes par-
« tirent les premiers accents de la liberte; de la Montagne (de la
« Convention) par excellence, sortirent les decrets qui ont foudroye
« les tyrans et qui ont proclame les bases d'un gouvernement republi-
u cain. Habitant aussi les montagnes, et places au pied dune des plus
« hautes des Vosges, nous ne devons pas hesiter d'en prendre le nom.
<( Celui actuel nous rappelle a la verite le fondateur de notre commune,
« mais Ormont nous retrace l'image d'un lieu eleve et celebre, et, par
« analogie, la Saintc Montagne qui a fonde la republique. Pour des
« hommes libres, il ne peuUy avoir de choix entre les deux fonda-
« teurs. L'un, pieux solitaire, retrace la superstition, fauteur de la
« tyrannic; Tautre, hai^di legislateur, retrace la raison, la liberte,
u l'egalite. Quelle difference dans les sensations de ces deux souvenirs?"
Le Conseil general, en adoptant ces principes, declare au nom de la
commune qu'elle change son nom de Saint-Die; qu'elle prend celui
d'Ormont, etc., etc. »
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ORMONT. 229
siecles les aurochs ont disparu d'Ormont, les loups, qu'on
ne trouve plus aujourd'hui dans nos contrees, y vivaient
encore au commencement de ce siecle. De tous ces ani-
maux nuisibles, les sangliers et les renards seuls ont sur-
v6cu. Sans doute, ils finiront par disparaitre h lcur tour.
Au point de vue topographique, Ormont fait partie des
Vosges-Moyennes, qu'il me paralt plus naturel de faire
commencer a Saales ou k Lubine, que sur la rive gauche
de la Liepvrette, avec Baedeker 4 : il en formerait alors
Textremite meridionale ; et il se trouve &tre en m£me temps
la t&te de'la seconde chalne vosgienne (region des Rochers),
s'etendant de Saint-Di6 et de Saales k Kayserslautern et a
Pirmasens , parallfclement k la premiere (region des Bal-
lons, region des Lacs), sans autre contact que le bourrelet
separant les valines de la Fave et de la Bruche. (Test une
haute presqu'tle montagneuse bordee k l'Est et au Midi
par la Fave et la Meurthe, & l'Ouest par le vallon de Ro-
bache, et relie vers le Nord & la seconde chaine par le col
de Planat 2 (619 m&t.), entre les vallons de l'Hure et de la
Grande-Basse, fosses profonds isolant Ormont du reste du
massif. De ce c6te, sa croupe s'allonge perpendiculaire-
ment a la direction generate du soulevement vosgien, et
mesure une altitude moyenne de 830 m&t. sur un kilom.
de longueur entre la Cr6te-du-Founil (875 mfct.) & l'Est et la
T&te-du-Chariot k l'Ouest. Celle-ci ne d6passe guere le
niveau de l'arSte, au milieu de laquelle la T£te-du-Dixi£me
(870 mfct.) dresse ses escarpements recouverts d'eboulis. Du
Founil etdu Chariot, deux promontoires se dirigent vers le
Sud-Ouest, formant avec la partie centrale deux angles & peu
1. B/kdeker, Bords du Rhin, annee 4877, page- 139.
2. Ce col s'appelle egalement col de Hermanpaire ou de la Pierre-
Borne.
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230 COURSES ET ASCENSIONS.
prfcs droits. Le premier s'abaisse insensiblement, l'espace
de 2 kilom. et demi, vers la Roche-d'Ormont (804 mfct.),
et s'y termine brusquement par un &-pic de 334 mfct.Celui
de TOuest, aprfcs avoir atteint 890 mbt. (altitude maxima
d'Ormont) au Sapin-Sec et h la T6te-du-Hofe, descend en
pente douce jusqu'au vallon de Robache, apr&s un dSvelop-
pement total de 4 h 5 kilom. G'est aux deux tiers de cette
pente que se dresse la Pierre-des-Fees. De la T&te-du-Hofe
se d6tache, vers TOuest, un chainon lateral dont l'extre-
mit6 (760 m&t. environ) porte la Roche-du-Chapeau ; il
dessine dans les flancs d'Ormont deux basses (cirques) dont
la plus considerable et la plus septentrional e, TAbime \
donne naissance & la Goutte de Robache, veritable torrent
dont les eaux rouges ont souvent embourbe les rues de
Saint-Di6. Ces inondations, plus effrayantes que dange-
reuses, n'auraient-elles pas donn£ naissance h la 16gende
du cercle d'Ormont 2 ?
Dans le fer & cheval dessin6 par l'ar&te principale s'ar-
rondit un autre cirque, la Basse-des-Sept-Fontaines, au
fond duquel tombent les eaux du versant meridional. Leur
reunion forme le Grandrupt, modeste ruisseau, grand sett-
lement par comparaison avec les autres gouttes ormon-
taises, tributaires de la Fave. Avant de s'y jeter, ces eaux
sillonnent de nombreux valions un plateau de grfcs rouge
plus ancien que la montagne & laquelle il forme un large
soubassement de 28 kilom. de pourtour sur une epaisseur
de 50 h 60 met. au-dessus du plafond de la vallee : les
eaux de la riviere, en rongeant ses bords, les ont trans-
i. On l'appelle aussi, depuis 1815, la Basse des Hussar ds, en m^moire
de deux cosaques tues en cet endroit par la population de Robache
qu'ils avaient ranconn^e et pillee.
2. Les derniers debordements de la Goutte de Robache remontent
aux premieres annees du siecle (Goutte est, dans les Vosges, synonyme
de ruisseau). En 1813 et en 1831, ainsi que l'indiquent deux inscriptions
de la me Cachee, les eaux de ce torrent atteignirent 1 met. dans les
rues de Saint-Die*. Ce furent de vrais d^sastres.
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ORMONT. 231
formes en une falaise escarp6e. Ce gr&s rouge, compost
d'une forte partie d'argile, se dglite k l'air. Impropre & la
construction, il est connu dans le pays sous le nom assez
dSdaigneux de crasse. D6compos6 et mSle aux diliviums
granitiques et de gr&s vosgien, il devient fertile. Le froment,
le seigle,le tr&fle et Tavoine y rSussissent ; les graminees,
y poussant k F6tat presque spontanS, donnent d'excellent
fourrage ; et ces belles cultures, ces grasses prairies
entourant les hameaux eparpilles sur le penchant des
collines, & Tombre des grands bois de pins qui en couron-
nent les sommets, donnent l'idee d'une richesse agricole
que ne justifie point le reste de la contree.
Malgre sa pauvrete quasi proverbiale en minSraux, le
gr&s rouge d'Ormont renferme quelques filons m6tal-
liques. On voit encore k la Basse-des-Epines, prfcs de
Naymont, une galerie s'enfoncer horizontalement sous la
montagne et, non loin, des deblais de cristaux quartzeux
et des fragments de carbonate de cuivre. Les noms de la
plupart des villages b&tis au pied d'Ormont en fournissent
une autre preuve : les Hautes-Fosses, les Basses-Fosses, la
Grande-Fosse, la Petite-Fosse, le mot fosse 6tant dans nos
contr^es synonyme de mine, et designant g6n6ralement
les localit6s oil Ton avait ouvert des exploitations mi-
nieres *.
Tout autre est, au Nord, l'aspect d'Ormont. Ses pentes
tombent k pic dans les valines de l'Hure et de la Grande-
Basse. Toutes deux offrent des sites remarquables ; mais
la premiere joint au cbarme du paysage l'attrait d'etudes
geologiques fort intSressantes. Des rocbes de nature tr&s
diverse affleurent dans les gorges profondes qui ravi-
nent les flancs de la montagne. Au col des Raids, entre
les vallons de Robache et de Saint-Jean-d'Ormont, au point
oil Ormont se soude au massif moins Sieve de la Bure
i . Notes manuscrites communiquees par M. le docteur Ren^ Ferry,
de Saint-Die.
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23£ COURSES ET ASCENSIONS.
(675 m&t. h la Roche-des-Gorbeaux), s'£tend un banc con-
siderable de calcaire dolomitique assez 6pais pour 6tre
utilement exploit^ et fournissant une excellente chaux
bydraulique. Ailleurs, un peu tout autour d'Ormont, on re-
cueille des agates, des rognons calcaires £vid£s au centre.
Que de fois, enfant, j'ai bris6 ces geodes qui decouvraient
a mes yeux £merveilles des pyramides transparentes de
cristal de roche ; des pierres aux nombreuses facettes pa-
rees des couleurs de l'am6thyste, de l'emeraude, de la
topaze; des paillettes chatoyantes comme les ailes dorees
d'un papillon! Sais-je ce qu'elles contenaient? Je les avais
rangees par couleur et par taille sur un rayon ou je les
admirais au detriment d'Homfcre et de Virgile, qu'un beau
matin mon pere vengea en envoyant mes cailloux eteindre
leurs feux dans la boue d'un foss6. Ge vandalisme g6olo-
gique entraina dans un commun desastre ma collection de
g£odes et un amour naissant pour la mineralogie. Aussi,
n'ai-je jamais pu comprendre que Ton s'extasi&t devant
certain calcaire non dolomitique dont on a decouvert un
lambeau dans le gr&s rouge de Saint-Jean-d'Ormont. Nos
g6ologues y voient un fait unique dans Thistoire du globe.
Mettons qu'il est tres rare, ce sera encore suffisant pour la
gioire de ma montagne.
Une riche vegetation foresttere, presque exclusivement
r6sineuse, rev£t Ormont de la base au sommet et couvre
une superficie d'environ 1,500 hectares d'un seul tenant.
Le grfcs vosgien, contient, parait-il, une forte proportion
d'acide phosphorique, qui le rend eminemment propre h la
silviculture. Etant donn£, d'apr&s les calculs de M. Finge-
nieur Braconnier, qu'une epaisseur d'un m&tre de ce
terrain peut nourrir une for6t pendant dix mille ans, on
se fera sans peine idee de la beauts de nos sapinidres
avant que l'Etat en fit une source de revenus fixes pour le
Tresor. II y a encore de beaux sapins k Ormont ; mais
aucun n'atteint la taille de ceux abattus dans la for£t de
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ORMONT. 233
Spitzemberg au commencement de ce sifccle, et dont line
rondelle, depos6e h la bibliotheque publique de Saint-Die,
mesure l m 90 de diam&tre et 6 m 20 de circonterence. Et
cette croissance extraordinaire avait et6 atteinte en moins
de cent cinquante ans !
Ce rev£tement de for^ts, en colorant nos montagnes de
teintes sombres, enlfcve h leurs lointains les tons clairs et
presque transparents des sommets denudes du haut massif
vosgien. Mais quand le printemps Gmaille les prairies
cachees dans leurs vallons et 6gaie de pousses nouvellcs
les aiguilles noires des sapins ; que l'automne adoucit et
azure de ses brumes diaphanes leur verdure fonc6e ou
accrocbe k leurs flancs ses blancbes vapeurs leg&res comme
iabrise qui les porte, les perspectives grandissent, l'horizon
s'6largit, et les masses, gagnant en ampleur ce qu'elles
perdent en netted, se parent de nuances delicates dont
Taquarelle pourrait seule rendre la finesse et la frai-
cbeur.
Voulez-vous m'accompagner & Ormont, une belle mati-
nee de printemps? Nous passerons par la Pierre-des-Fees,
qu'un bouquet de sapins touffus derobe presque h la vue.
Leurs branches nous emp^cheront d'etudier certaine
inscription, ou plut6t un fragment d'inscription dont la
lecture divise, depuis bient6t cinquante ans, les philo-
mathes vosgiens : Exorcavit hunc lapidem, lisent les uns...
Quoi! les roches 6taientposs6d6es?... Exomamt, affirmant
les autres, accusant quelque gourmand d'immortalite
d'avoir grav6 son nom sur la pierre. Et ces trois mots (ie
reste est & peu pr6s iliisible) captivent depuis un demi-siecle
l'attention des historiens locaux. N'allez pas croire au
moins que Tun ou l'autre ait jamais cherche a dScbiffrer
le texte litigieuxl Voici plus haut la Pierre-des-Cailloux,
immense rocher quun caprice de la nature a forme d'un
nombre tnfini depetits cailloux eclatants de blancheur! Ce gros
bloc de poudingue n'est ni immense ni 6clatant de blan-
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234 . COURSES ET ASCENSIONS.
cheur; h cela prfcs, la description de M. Charton 1 est
exacte.
Apr&s deux heures de grimpade sous bois, au milieu des
blocs de gr&s d6tacb6s du sommet, la forfct s'entr'ouvre,
et, des rochers de la T£te-du-Hofe, le regard embrasse
soudain toute l'6tendue du Val de Galil6e 2 , « pays de mon-
tagnes, disait dom Calmet, ou il y a quantity de vallons
agreables etfertiles, et arros6 d'une infinite de sources...
qui donnent la f6condit6 aux terres et aux prairies 8 . » On
ne pouvait d6crire plus exactement que le consciencieux
b6n6dictin le verdoyant bassin oh la Fave et la Meurthe
viennent confondre leurs eaux, entourant de nombreux
mGandres les gais villages diss6min6s sur leurs rives. Nous
plongeons dans les rues de Naymont, dont les maisons se
serrent contre la for&t. A gaucbe, entre nous et la Roche-
d'Ormont, se creuse la Basse-des-Sept-Fontaines ; & Fentr6e
de la for£t, voici le clocher de la chapelie Sainte-Claire,
edifiee au xiv e sifccle par un prince de Lorraine, seigneur
de Spitzemberg, oil plusieurs milliers de pterins accourus
du pays avoisinant, et m&me d'Alsace, viennent le 12 aoftt
prier la sainte et recueillir l'eau d'une source voisine, h la-
quelle on attribue une vertu miraculeuse contre les raaux
d'yeux; plus bas encore, la valine noy6e dans la brume du
matin, au-dessus de laquelle, h 400 mfct. plus baut que
notre observatoire, la grande chalne aligne ses sommets
p&lis par l'aube. D'abord le Br^zouars, notre Mont-Blanc,
comme dit un 6mule deodatien de M. Perrichon (en hiver,
soit, et encore!), puis la T&te-des-Faus, curieuse de voir,
1. Les Vosges pittoresgues et historiques, par Ch. Charton (chapitre
xvn : SaintrDie, Ormont, etc.).
2. Voyez sur la signification de ce mot, dans YAnnuaire de 1880, le
Brezouars, page 354, texte et note.
3. Notice de la Lomaine, verbo Val de Galilee ou de Saint-Die.
Tome I, page 500, col. 1. Dom Calmet, abbe du monastere, benedictin
de Senones (Vosges), au siecle dernier, est par sa science le premier
des historiens de la Lorraine.
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OHMONT. 235
par-dessus la cr£te, les choses de France; les Hautes-
Chaumes d'Orbey et les rochers du Lac-Blanc; enfin, la
calotte terminate du Hohneck, avec ses escarpements stries
de couloirs neigeux, et les plateaux ondules qui en des-
cendent vers G6rardmer.
Malgre sa vogue, le Sapin-Sec ne nous offrira rien d'aussi
beau. La vue, plus etendue il est vrai, va se perdre sur
les collines de Sion, de Ludres et de Malzeville; mais
quel charme ajouteront au paysage les tours de Saint-
Nicolas et les fum6es des hauts-fourneaux de Nancy, vues
& travers la lorgnette, ou quelques sommets de la For£t-
Noire, 6mergeant h l'Est, au-dessus des Vosges? Les sapins
qui entourent la Chaire-du-Diable interceptent d'ailleurs
presque tout l'horizon. Abandonnons aussi la T6te-du-
Dixifcme et ses gigantesques eboulis aux amateurs d'en-
torses. Nous l'avons vue de la route de Saales, et, sous son
capuchon de verdure, elle ne nous reserve rien de mieux.
Par pitig, Messieurs les forestiers, un brin de toilette pour
Ormont ! Elle sied aux montagnes comme aux jolies femmes,
et vingt generations de promeneurs vous b6niront.
En frayant son cbemin k travers les hautes foug&res
(aquilegia vulgaris), plus pressees et plus touffues qu'une
3eune sapini&re, on gagne la Cr6te-du-Founil, site peu
connu, on pourrait presque dire inconnu, bien superieur
pourtant & la T6te-du-Hofe. Gr&ce h une clairi&re dont les
grands h&tres encadrent le panorama, on y jouit d'une
vue d^gagee sur la large croupe du Champ-du-Feu
(1,084 mfct.), le Climont(974 met.), le Voiemont (809 met.),
et sur le col de Saales. Les pentes d£valant vers la Petite-
Fosse donnent la sensation du vide : h vos pieds, le vallon
de la Grande-Basse semble dormir sous l'ombre bleue de
la montagne, tandis que le bassin sup6rieur de la Fave,
ouvert au soleii, s'enl&ve en tons lumineux sur les versants
bois6s des montagnes de Lusse et de Lubine. En face de
nous, entre TUngersberg (904 mfct.) et le Haut-de-Schna-
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236 COURSES ET ASCENSIONS.
rupt(801 met.), le col d'Urbeis (605 met.). T&chez d'avoir
un temps plus clair que ma prose, et, par de)k cette
large depression, vous verrez bleuir et onduler la For£t-
Noire, k 90 kilom. de distance ; non plus quelques rares
sominets presque confondus avec les Vosges, mais le mas-
sif entier du Gross-Hundskopf (947 met.), ou la Wolfach et
la Rench ont leurs sources. Tableau d'un charme etrange,
<t que je crois unique dans les Vosges lorraines : je laisse
& votre imagination, a vos souvenirs de la montagne le
soin d'en tracer les lignes et d'en peindre les couleurs;
ils y r6ussiront mieux encore que Taride bee de ma plume.
Peut-6tre devais-je garder pour le bouquet cette vue
remarquable du Founil? Mais vous ne regretterez rien en
arrivant h la Roche-d'Ormont vers le declin du jour, sur-
tout par une de ces tiedes et rouges soirees d'hiver ou,
sans la neige que vous pi6tinez, vous oublieriez presque
notre froid climat ! Faute d'un bon cbemin pour l'atteindre,
que de fois, m'egarant dans le bois, j'ai manque ce spec-
tacle magique de
Lastre brillaut du jour se couchant dans sa gloire
derriere la crMe sombre et dentelSe de Kamberg, empour-
prant le ciel et n'6clairantplus de la terre que les sommets
des grands monts. Un sentier, rGcemment trace* par Tad-
minis tration forestiere, permet d'y acceder facilement
depuis Naymont. Puissent de plus heureux que moi aller
y admirer souvent encore, dans l'embrasement de l'occi-
dent, les montagnes natales au pied desquelles ont passe
trente-six annees de ma vie!
Gaston de*Golb£ry,
Membre du Club Alpin Francais
(Section vosgienne).
Paris, decembre 1883.
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XII
LES VOSGES
COLS ET PASSAGES
Le versant alsacien et le versant lorrain des Vosges sont
reli6s par d'assez nombreux passages qu'il n'est pas sans
inter&t de signaler aux touristes. Beaucoup de ceux-ci,
nous avons pu le constater, ne connaissent que les pas-
sages desservis par les routes principales ; ils ne soupcjon-
nentpas le parti qu'ils pourraient tirer, dans leurs courses,
des chemins vicinaux qui mettent en communication les
diverses parties du massif vosgien et permettent au prome-
neur, d&s lors,de sortir, pour ses excursions, des itindraires
rebattus, et de passer facilement de valines en vallees.
Nous avons pu, gr&ce & la connaissance que nous avons de
ces divers chemins ou routes, combiner des voyages fort
attrayants k travers les Vosges pour des families qui, desi-
reuses de voir sans fatigue, preferaient les coussins d'une
voiture au jeu des jambes et k l'emploi du b&ton ferre.
Les Bautes-Vosges finissent vers le Sud, & peu pr£s k la
hauteur de Giromagny, & 12 kil. au Nord de Belfort. De fait,
le chemin de fer de Belfort & Paris traverse, entre Evette
et Champagney, les derni&res ramifications des Vosges,
dont l'altitude la plus forte, dans cette region, est de
488 met. ; lepointleplus eleve, entre Giromagny etPlancher-
Bas, est k 502 m&t. Mais les altitudes grandissent rapide-
ment : le mont Saint-Jean, & 3,200 met. au Nord de Plan-
cher-Bas, est a 815 met. d'altitude; laPlanche des Belles-
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238 COURSES ET ASCENSIONS.
i
Filles,& 2 kil. h l'Est do Plancher-les-Mineseta 5 kil. et demi
au Nord-Est do Plancher-Bas, est h 1,150 mfct. L'arGte se
maintient a cette 6l6vation moyenne jusqu'au Ballon d'Al-
sace, ou elle atteint 1,250 m£t.; au Gresson, on trouveles
altitudes de 1 ,249 mfet. et de 1 ,224 mfct. (et non 1 ,124 comme
le porte la carte du Depdt de la guerre au 80,000 c ). Le Dru-
mont est h 1,226 met. ; le Ventron & 1,209; le Rothenbach
h 1,319 ; le Hohneck k 1,366 ; les Hautes-Chaumes environ
i\ 1 ,300. En resume, de la Planche des Belies-Filles jusqu'au
col du Bonhomme, les altitudes les plus fortes se tiennent
entre 1,150 et 1,366 m^t. ; elles sont un peu moindres entre
le col du Bonhomme et celui de Sainte-Marie, ou le point
le plus elev6 est k 1,130 mfct. Mais il y a biendes passages
parfaitement praticables h chevai et en voiture, tout comme
h pied, h. travers cette ar£te, dont la longueur & vol d'oiseau
de la Planche des Belies-Filles au col de Sainte-Marie est
de 60 kil. environ.
Au Ballon d'Alsace passe une route large et h pentes
douces, gr&ce h ses nombreux lacets; son point le plus
6\ev6 est environ a 1,175 mfct. au-dessus du niveau de la
mer. Cette route, qui passe pr&s du Vallon de Servance,
met en communication Belfort et Remire'mont, c'est-k-dire
la valine de la Savoureuse et celle de la Moselle, en d'autres
termes le bassin de la Mediterran6e et celui de la mer du
Nord.
Au col des Charbonniers, entre la haute valine de Mase-
vaux et Saint-Maurice, et au col du Rouge-Gazon, entre
Saint-Maurice et Storckensohn, il n'y a que des sentiers de
pistons ; mais au col de Bussang (750 m&t. environ), une
belle route joint la vallee de Saint-Amarin h celle de la
Haute-Moselle, & Bussang, d'ou de bons chemins permettent
de rejoindre la Moselotte, vers Cornimont, par Ventron;
quant & la grande route, elle va rejoindre & Saint-Maurice,
au pied du Ballon de Servance (3 kil. et demi de Bussang),
la route de Belfort & Remiremont.
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LES YOSGES. 239
Au col d'Oderen, & 4 kil. plusau Nord, une belle et bonne
route rattache la valiee de la Thur k celle de la Moselotte
par Ventron, d'oii le tourisle peut gagner facilement
Gornimont et, de Cornimont, Remiremont par le chemin
de fer ou bien, par de jolies valines que desservent de
belles yoies de communication, la Bresse, G6rardmer, etc.
Un peu plus au Nord, la route qui va de Wildenstein k
la Bresse, par le col de Bramont, fait aussi communiquer la
haute vall6e de la Thur ou de Saint-Amarin avec la haute
valine de la Moselotte ; c'est encore une route agrSable pour
gagner Gerardmer en passant par la Bresse, et, delk, Fraize
ou Saint-Die dans la vallde de la Meurthe.
II y a 7,500 m&t. au plus, k vol d'oiseau, entre le col de
Bramont et le col de la Schlucht (1,150 mfct.), ou passe
l'admirable route de Munster k G6rardmer sur laquelle
s'embranche, au Collet, la route qui descend vers Retour-
nemer et permet aussi de gagner la valine de la Moselotte
et la Bresse par la vall6e dite colline de Vologne. De la
Schlucht m&me, un chemin forestier, en bon etat d'entre-
tien, descend vers le Valtin, valiee de la Meurthe, en passant
par la ferme ou chaume du Tanet.
Auprfcs du lac Blanc, au col entre le lac et le Louchpach,
passe le chemin qui va d'Orbey au Valtin ; ce chemin est
en assez bon 6tat a partir du Louchpach ; il est parfait k
partir du Rudiin et dessert la valine de la Meurthe, soit du
Rudlin au Valtin, soit du Rudiin vers Plainfaing (oil il
rejoint la route passant au col du Bonhomme), et de Ik vers
Fraize ou Saint-Di6.
Au col du Bonhomme, 950 mfct., passe la route de Colmar
k Saint-Di6. Un beau chemin k peu prfcs parallfcle a TarGte
de la chalne, k pentes douces, grkce k de multiples lacets,
trace dans de charmantes valines et passant au col des
Bagenelles, relie la route de Golmar-Saint-Di6 k celle de
Schelestadt-Saint-Di6, qu'elle rejoint k Sainte-Marie-aux-
Mines. Cette route de Schelestadt k Saint-Die passe au
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240 COURSES ET ASCENSIONS.
col de Sainte-Marie, entre Sainte-Marie et Wissembach, a
780 met. d'altitude.
L'ar<He vosgienne que nous venons de suivre depuis
Belfort s'affaisse h peu pres compl&tement h 8 ou 9 kil. au
Nord de Sainte-Marie. (Test \k que passe, par Fouchy,
Urbeis et Lubine, & une altitude de 500 met., la route qui
va de Villd, altitude 271 met., h Sainte-Marguerite et
Saint-Die (340 mM.); mais entre cette route et Sainte-
Marie, l'ar&te a ete travers6e par un chemin, assez mauvais
toutefois, au col de Lusse, ou on se trouve encore entre
Saint-Die et la valine de la Meurtbe, d'unepart, et, d'autre
part, les vallons lateraux de la vallee de la Liepvrette ou
de Sainte-Marie, qui descend sur Schelestadt.
Une autre ar&te vosgienne part du massif de l'Ormont,
pr&s de Saint-Di£, et va former les contreforts de la rive
gauche de la valine de la Bruche. Entre ces contreforts et
la route dont nous avons parle plus haut, passant par
Fouchy, Urbeis et Lubine, se trouve celle qui remonte du
val de Ville vers Saales, Provenchfcres et Saint-Di6, par le
col de Steige. Saales est au point de jonction des valines de
la Fave (affluent de la Meurthe) et de la Bruche (affluent de
l'lll) : altitude, 558 met.
Plusieurs routes traversent aussi l'arfcte que nous venons
de signaler. Deux, notamment, partent de Saales; l'une
va vers Etival et Raon-1'Etape, dans la valine de la Meurthe,
par la Grande-Fosse, le Ban de Sapt et le col des Broques ;
l'autre va h Senones, dans la vallee du Rabodeau, affluent
de la Meurthe.
Un peu plus au Nord, deux autres routes, partant toutes
les deux de la valine de la Bruche, l'une de Saint-Blaise,
l'autre d'un point sis entre Fouday et Hothau, viennent
converger au col du Hantz (ou du Kantz) et aboutissent
aussi h Senones par la Petite-Raon.
Au col de Prayez passe la route qui va du fond de la valine
de Senones vers Schirmeck, par Framont et Grandfontaine.
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LES VOSGES. 241
Le col du Donon est travers6 par la belle route qui va do
Raon-1'Etape, sur la Meurthe, & Schirmeck, Mutzig, et
Strasbourg.
Du Donon un trfcs beau chemin se dirige, en outre, par
la valine de la Sarre-Rouge vers Abreschwiller.
Plus au Nord, a Dabo, passe la route qui vientde Wassc-
lonne et qui, au-dessous de Dabo, se divise en deux branches,
Tune descendant la vallee de la Zorn, ou passe le chemin
de fer de Paris & Strasbourg, Tautre se dirigeant vers Sar-
rebourg par le Rehthal.
Un peu plus loin enfin, la route de Paris h Strasbourg,
au col de Saverne, pres de Phalsbourg.
Nous touchons alors aux Basses- Vosges, dans Icsquclles
les voies de communication sont au moins aussi nom-
breuses, mais qui sont moins parcourues par les touristes,
a tort, a laverite, car cette partie de la chalne, et les envi-
rons de Niederbronn notamment, merite certainement
d'etre visitee.
Quant aux Hautes-Vosges et aux Moyennes-Vosges,
comme on peuten juger par les pages qui precedent, elles
pr6sentent> du versant Est au versant Guest, de nombreux
passages : dix-sept cols, sans compter ceux desservis seule-
ment par des sentiers, distants Tun de l'autre de 6 a 7 kil.
en moyenne, sont traverses ou joints par une vingtaine de
routes qui facilitent singuli&rement aux touristes l'acces
et Fexploration des deux versants, et dont le plus grand
nombre sont plus particulierement en communication
directe ou facile avec la vallee de la Meurthe, que des-
servent le chemin de fer de Lun6ville a Saint-Die et colui
de Saint-Die & Fraize et aGerardmer.
Ed. Lorin,
Membre du Club Alpin Francais
(Section Vosgienne).
ANNUAIRE DK 1883.
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XIII
LE CANON DU TARN 1
De Villeforl & Pont-de-Montvert, la course est connue 2 .
Le vallon de Palheres est vraiment curieux: le redresse-
ment des gneiss et des micaschistes contre les granits
porphyroi'des & gros cristaux de feldspath n'est pas moins
interessant que les traces glaciaires du Bois-des-Armes \
Mais les sommets de la Lozere sont tous des d6mes her-
beux fort monotones. G'est la montagne des naturalistes
et des savants, et non pas des simples touristes. A 4 kilom.
en amont de Pont-de-Montvert, autour et en face des
hameaux de la Veissiere et de Villeneuve, sur les deux
rives du Tarn, sont eparses les preuves indiscutables d'un
grand phenomfcne glaciaire. A TEst de la Veissiere, entre
les deux points cot£s 1146 et 1276 sur la feuille d'Alais
(n° 209), le Tarn a scie dans toute sa hauteur une magni-
fique moraine vraisembiablement tcrminale ; c'est l&, dans
un defild rocheux oil la riviere saute gracieusement, que
devait finir la langue du glacier. Immediatement en aval,
le Tarn a commence Toeuvre inouie de sapeur qui nous a
valu les belles gorges schisteuses de Pont-de-Montvert a
J. Nous extrayons cet interessant fragment d'une notice plus
etendue dont le reste trouvera, nous resp^rons, sa place dans le pro-
chain Annuaire. — La Redaction.
2. V. M. Lequeutre, Annuaire du Club Alpin Frangais, 1879, pp.
324-360.
3. V. M. Charles Martins, Comptes rendus de VAcademie des
sciences, t. LXVII (1868, 2 C semestre), p. 933. — M. Tardy, Bulletin de
la SociHe giologique, 2° serie, t. XXVII (1869-1870), p. 490.
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LE CANON DU TARN. 243
Bedoufcs et la surnaturelle crevasse calcaire de Florae au
Rozier. Aux environs et en amont de la moraine, d'6normes
masses de granit sont de vrais blocs de transport ; leurs
formes h peine emouss6es ne sont pas dues au travail des
met6ores, comme le croyait Junius Castelnau * : par leur
texture, ils different visiblement du sol qui les porte au-
jourd'hui, et la douceur des pentes contredit l'hypothfcse
d'un eboulement; dans tout Tespace triangulaire, dit cir-
que de Bellecoste, ou naissent le Tarn et ses premiers
affluents, des amas sablonneux de quartz et de mica
(Yarene de Dufr6noy et Elie de Beaumont), dus a la desa-
gregation du granit, n'ont pu &tre deposes par les eaux,
trop torrentueuses : leur situation et leur largeur prouvent
qu'une autre cause les a 6tendus : ces nappes de d6bris
pulv£ris6s ne sont-elles pas les coucbes d'6meri k l'aide
desquelles tout courant glac6 burine le fond de son lit? Ne
trouverait-on pas, sur les granits sous-jacents, le polissage
et les stries caract6ristiques, que la decomposition atmo-
spberique et la vegetation" herbeuse ont sans doute effaces
sur les roches exterieures ? L'examen le plus superficiel
suffit pour convaincre de l'existence d'un ancien glacier de
Bellecoste. Etait-il primaire ou de second ordre, queiles en
itaient les dimensions, les limites et la surface? Voite ce
que je n'ai pu recbercher, faute de temps : une etude atten
tive serait n^cessaire pour r6soudre ces questions. On
notera que ce cbamp de glace semble s'Gtre arr6t6 vers
l'altitude de 1,100 mM., superieure k ceile de 950 mfct. ou
M. Martins limite le glacier de Palhfcres. Gette difference
s'explique par l'exposition de Bellecoste en plein midi, sur
le versantSud, oil la fusion soiaire 6tait plus rapide. Peut-
£tre a-t-on d£j& signal^ les ruines de glaciers vers lesquelles
j'attire ici r attention ; dans tous les cas, le dernier mot
n'est certainement pas dit sur ces restes de Tepoque frigo-
\ . Junius Castelnau, Notes et souvenirs de voyage. Voyage au Mont-
Lozere, t. I, pp. 121-157.
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244 COURSES ET ASCENSIONS.
rifique : il y \h un champ d'6tudes a peine explor6 et qui
promet d'&tre fertile en decouvertes. Les blocs isol6s, les
dep6ts de sables, les formes doucement ondulees des
croupes, le moutonnement general des crates font pr6su-
mer k premiere vue qu'un couvercle ge!6 a du rev&tir et
arrondir jadis la presque totality du massif. Le frottement
de cette carapace a commence par dmousser, raboter la
montagne ; puis la fusion a laiss6 derriere elle, k l'6tat de
sciure de roches, des argiles feldspathiques ou l'herbe des
p&turages a pu puiser une alimentation suffisante et former
quelques couches d'humus ; sans ces deux couvertures
successivement protectrices, de glace d'abord, de sol ve-
getal ensuite, les agents atmospheriques eussent vite dechi-
quet6, dans toute la Loz&re *, les granits k gros grains si
ais6ment d£composables. C'est ce qu'ils ont fait d'ailleurs
au cirque de Palh&res, dont les parois £taient trop escar-
pees pour retenir accroch6 un manteau de n6v6s ou d'argiles
-feldspathiques fertiles. A ce propos, remarquons que cette
m6me roideur des pentes a produit \k un r£sultat d'ordre
tout different : elle a emp&che les neiges des'accumuler sur
une assez forte 6paisseur pour former un glacier de pre-
mier ordre ; ceci explique pourquoi M. Martins a eu raison
de reconnaltre comme secondaire Tancien courant glace
de Palh&res. Devant ces t6moinsirrecusables, je crois sans
reserve k la grande extension des ph6nom£nes glaciaires
sur le Mont-Loz6re; observant toutefois qu'il faudrait de
serieux travaux d'ensemble pour 6tablir d'une fagon pre-
cise dans quelles circonstances et dans quelles conditions
ces phenom&nes se sont manifestos et d6veloppes.
A la base meridionale du massif, le pittoresque prend sa
revanche contre la science : de Pont-de-Montvert (896 m&t.)
au chateau de Miral (603 met.), la route neuve de Florae,
dejk praticable aux voitures leg&res, sera termin^e au
1. V. M. Maisonneuve, Notice sur la montagne de la Lozere. Me-
moires de la SociCtd d' agriculture de Mcnde, t. Ill (1829), p. 106.
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. LE CANON DU TARN. 445
printemps de 1885. Elle suit la rive droite et tous les
d6tours du Tarn, au lieu de s'6lever sur le plateau de
Fraissinet-de-Lozfcre (1,059 mfct.) pour 6viter l'6troit d£fil£
excav6 par les eaux; l'ancienne route laissait admirer la
cascade de Runes, mais la nouvelle offre un spectacle bien
plus varie et plus attrayant : la suite d'encaissements pro-
fonds et de ravins sinueux, ou le Tarn serpente jusqu'a
Bedou&s (575 met.), est vraiment le digne vestibule de la
fderique galerie sculptee plus bas entre les causses.
Et c'est ici qu'il faul poser, sinon r^soudre, une ques-
tion vraiment nationale : la question du canon du Tarn. On ne
saurait trop vanter les gorges qui nous ont ete revelSes sur-
tout par MM. Lagr&ze-Fossat et Lequeutre * ; on ne saurait
trop bl&mer Tindifference avec laquelle nos compatriotes
ont delaissg cet incomparable coin de leur France; on ne
saurait faire trop de reclame autour du causse M6jean. II
est vraiment scandaleux de voir des troupeaux de touristes
frangais envahir, chaque annee aux vacances, les pays mis
a la mode par les Anglais, alors que le Haut-Tarn reste
ignore et neglige. II faut que notre Annuaire en parle tous
les ans, jusqu^ ce que la ceiebrite de la Malene soit uni-
verselie! II faut organiser & Florae une de nos pro-
chaines reunions annuelles 1 Apr&s le Mont-Dore et Sixt.
c'est bien le tour de la Lozere ! Je comprends que Ton soit
plus press£ de visiter les glaciers de Suisse et les lacs
d'ltalie que les viviers d'Auvergne et les moraines des
1 . A. Lacreze-Fossat, les Gorges du Tarn, du Rozier a la Malene
[Recueil de la Society des sciences, etc., de Tarn-et-Garonne, 1870-1871,
pp. 357-370, Montauban, 1872, in-8). — M. Lequeutre, Annuaire du
Club Alpin Frangais, 1879, pp. 324-360.— Cependant, des 1 832, V Annuaire
de la Lozere signalait comme de grandes curiosites Castelbouc, Sainte-
Euimie et le F&s-du-Souci (sic), entre Roc-Sourde et Roc-Aiguille. En
1834, le baron Taylor, Ch. Nodier et A. de Caiileux consacraient k ces
gorges sept belles planches de leur magnitique ouvrage : Voyages pitlo-
resqueset romantiques dans l'ancienne France (Languedoc, l er volume,
2o partie : planches 103, 104, 104 bis, 105, 105 bis, 106, 107). Paris, Firmin-
Didot, in-folio.
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246 COURSES FT ASCENSIONS.
C^vennes I Mais quand vous connaitrez ces deux pays
strangers, les seuls & peu prfes dont nos Parisiens mouton-
niers se permettent l'accfcs, n'y retournez pas sept ou huit
fois de suite par routine ou imitation : venez chez vous
d'abord, et passez ensuite en Autriche. Certes, il n'y a pas
dans la Loz6re d'hdtel des Bergues ni de Schweizerhof,
mais & Florae, du moins, M. Melquion est un hdte raison-
nable et complaisant, comme tous ses collogues de Cler-
mont-Ferrand & Alais. Partout, dans la France centrale, les
auberges mfcmes ont de bon vin, un ordinaire sain et bour-
geois (truites, oeufs et laitage au minimum), des tarifs mo-
d6r6s et une affabilite qui remplace agreabiement le luxe
(je ne parle pas des villes d'eaux!) Les fameux tiroirs a
plusieurs Stages, ou les dormeurs s^chelonnaient comme
dans les cabines de paquebots \ ne sont plus les seules
couchettes de l'Auvergne : le plus humble aubergiste du
village le plus recul6 (N6bouzat, Mandailles, les Vignes,
par exemple) possede toujours au moins un vrai lit...
Mais je m'£carte, revenons au Tarn !
Je ne veux pas faire de comparaisons : en voyage, e'est
un syst&me d6testable qui emp^che de jouir du present en
detournant l'attention vers le pass6 ; cependant, je dois
dire que les gorges d'Ispagnac aux Vignes m'ont 6bahi
comme les Alpes dolomitiques. D n'y a ancun parallfcle &
Stablir entre ces deux ordres de sites, si ce n'est au point
de vue de la geologie et de la coloration en rouge par
l'oxyde de fer. Les murs roses et blancs du Sorapiss et de
l'Antelao ont quatre fois la hauteur des falaises du causse 2 ;
les valines d'Auronzo et de Cortina sont aussi larges,
riantes et fertiles que le puits de Sainte-Enimie est res-
serr6, severe et nu ; neanmoins, la m6me stupefaction indi-
cible envahit l'&me dans ces deux fantastiques regions. J'ai
1. V. D* Bailly, Quinze jours de promenade en Auvergne, p. 46.
2: Annuaire du Club Alpin Frangais, 1877, etc., article de >M. Ch.
Rabot.
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LE CANON DU TARN. 247
vu la Mal&ne apres le Monte-Cristallo, etj'ai 6t6 6merveill6
quand mGme. Malgr6 la lecture des plus enthousiastes
r6cits, la r6alit6 a dSpasse ce que mon imagination avait
r&ve. Je voudrais maintenant connaitre les barrancos des
Pyrenees espagnoles et le Marble Canon du Colorado, pour
eprouver encore deux fois la m6me emotion admirative
qu'h Schluderbach et Pougnadoires : je dis la m£me et
non plus grande, car la nature n'a edifie nullc part de plus
extraordinaires monuments !
Je ne tenterai pas de refaire les belles descriptions dej&
pubises dans YAnnuaire, ni surtout la monographie de
M. de Malafosse *, le module du genre; ii faut cependant
les completer un peu. D'abord les renseignements a la
Baedeker. Depuis 1882, la route carrossable est terminee
jusqu'ci Sainte-Enimie ; dans trois ans, elle atteindra enfin
le Rozier, et tout le monde pourra aiors faire le tour du
causse en deux ou trois jours 2 . Les barques dont on se
sert pour descendre le Tarn peuvent contenir six per-
sonnes, sans bagages, jusqu'au Pas-de-Soucy, et cinq seu-
lement des Vignes (Saint-Prejet) au Rozier, & cause de la
rapidity plus considerable et plus dangereuse du courant.
1 . Les Gorges du Tarn. Supplement au 6° Bulletin de la SocUte' de
Geographic de Toulouse, 1883.
2. Actuellement, M. Melquion prend pour une voiture a un cheval
12 francs, a deux chevaux 15 francs, de Florae a Sainte-Enimie; la les
bateliers demandent 25 francs pour la Malene, 40 pour le Pas-de-
Soucy et 60 pour le Rozier. De Pougnadoires a la Malene, la barque
couterait 10 francs seulement. A la Malene, Justin Monginoux a des
tarifs tout pareils : pour 7 francs il mene a la Croze, pour \ 5 au Pas-de-
Soucy, pour 35 au Rozier ; moyennant 25 fr., il monte chercher les voya-
geurs a Sainte-Enimie et les descend a la Malene. Des Vignes au Ro-
zier, e'est 20 francs. (M. de Malafosse dit 35 francs pour cette section :
ce n'est pas ce que Ton ni'a propose ; pour tous les autres chiffres, je
m'accorde avec lui.) On voit done que le parcours total sur la riviere
coute partout 60 francs par barque de Sainte-Enimie au Rozier : per-
sonne n'a voulu me consentir le prix beaucoup plus modere* (35 francs)
fait a M. Edouard Rochat (Annuaire du Club Alpin Francais, 1881, p.
218-229) par Just Bernard, que je n'ai pas pu voir.
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218 COURSES ET ASCENSIONS.
Un touriste seiil paie done autant que six ensemble, et
il est plus economique de faire la promenade en famille.
Si Ton a des malles, aucune ne doit d£passer 40 kilog.; on
sait, en effet, que les barrages naturels ou artificiels
forcent plusieurs fois a changer d'embarcation ; au Pas-
de-Soucy, il est absolument nScessaire de parcourir en-
viron 2 kilom.a pied;leTarn coule sous des eboulements
qui ont combl6 son lit, tout flottage m£me est impossible :
on n'a pas la ressource de confier ses colis au ill de Teau ;
les bateliers doivent en op^rer le portage en regie jusqu'aux
Vignes, et chacun ne peut se charger de plus de 80 iivres.
Avis aceux qui conduisent en voyage toute leur garde-robe
et leurs draps de lit! Mais quand on a des jambes, qu'il est
inutile de s'imposer la depense et les lenteurs du bateau!
On n'a r6ellement besoin de recourir a la navigation que
pour le passage du Detroit ou des Etroits ', entre la Malene
et la Croze (environ 5 kiiom.) : e'est i'un des trois plus beaux
points de toute la gorge, et aucun chemin n'a pu y £tre
pratique. En outre du rocher Montesquieu, on pourra re-
marquer deux chateaux opposes, jadis ennemis jusqu'a la
destruction reciproque, comme le Ghat et la Souris de Saint-
Goar, aux bords du Rhin ; de po6tiques et tristes legendes
planent sur leurs ruines : la Loz&re aurait-elle eu aussi ses
Montaigus et ses Gapulets?... Plus bas, la rivi&re seule
trouve place entre deux falaises de 200 metres, percees de
grottes ou se refugiaient les pr£tres et les nobles pourchass6s
en 1793. Pendant la crue de 1876, on a vu Teau monter de
20 met. en quelques heures dans cette 6troite fissure. La
nouvelle route, encore plus que les sentiers actuels, devra
s'elever bien au-dessus de ce defile qu'elle nepermettra pas
d'admirer; cette circonstance fait l'espoir des bateliers de la
Malene, qui voient avec raison dans les Etroits une source
de fortunes futures. Tout le reste du canon peut 6tre par-
4. V. M. William Martin, Annuaire du Club Alpin Frangais, 1879,
pp. 361-369. *
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LE CANON DU TARN. 251
couru a pied : un chemin bien entretenu, mais que cer-
taines portions 6tablies en escaliers rendentpeu praticable
aux b6tes de somme, suit constamment la rive droite du
Tarn,m£me de Sainte-Enimie a Saint-Chely (on n'est done
pas force de deranger le meunier de ce moulin pour fran-
Grotte de la Mornie, a l'entree des Etroits
(dessin d'Aubin Vernier, d'apres une photographie de M. de Malafosse).
chir la riviere). Ge mode de locomotion est le plus rapide
et le plus agr6able : on peut voir au moins a son aise, s'ar-
rfcter oil Ton veut, visiter les speluncas ou grottes fossili-
f^res 6vid6es dans le calcaire magnesien, jouer du marteau
sur les belles dolomies roses et brunes infra-liasiques, re-
cueillir les empreintes d'ammonites et de belemnites parmi
les marnes schisteuses noires, et se mirer dans les bassins
bleus des puissantes sources bouillonnantes ; on n'est pas
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252 , COURSES ET ASCENSIONS.
distrait des beautes de la route par les difficult&s de la
navigation : difficult^ tres emouvantes, j'en conviens,
mais que Ton appreciera suffisamment au passage des
Etroits, sans leur consacrer toute la journee. Je ne com-
prends pas la descente totale en bateau ; les amateurs de.
geologie doivent, me semble-t-il, se l'interdire rigoureu-
sement. Quant aux voyageurs, j'ose leur donner ie mteie
conseil.
Sans recommencer Enumeration , d6j& connue, des
formes etranges que pr6sente l'oolithe inferieure (cal-
caires jaunes magn6siens et dolomies saccharo'ides deTas-
sise bajocienne) l et des cr6nelages decoupes dans Toxfor-
dien (jurassique moyen), je mentionnerai quelques points
saillants. Pres de Blajoux, au bord de la route, un d6p6t de
gypse cristallise brille au soleil des plus jolis reflets dia-
mantins. — On nepeut plus, aujourd'hui, visiter ie chateau de
la Caze, comme a l'epoque du passage de M. de Malafosse :
un misanthrope desespere s'y est enferme pour vivre en
anachorete, absolument seul; d'un village voisin, on lui
apporte chaque semaine quelques provisions alimentaires;
sa porte reste impitoyablement fermee & tout 6tre humain
autre que son pourvoyeur. Ge lieu sauvage est d'ailleurs
bien fait pourse retirer du monde, fuir les hommes et ou-
blier la vie. — Entrele barrage d'Hauterive et la Malene, on
remarquera la corniche horizontale empruntee par le sen-
tier, et une aiguille vertieale, mince, qui parait se soutenir
1. V. pour la disposition des couches jurassiques et liasiques dans
les causses : Dufrenoy et Elie de Beaumont, Explication de la carle
geologique,t. II, pp. 684-740.— Dufrenoy etftuE de Beaumont, Memoire
pour une description gtologique de la France, t. II, pp. 685 et suivantes.
— M. Emilien Dumas, Statistigue ge'ologique, etc., du departement du
Gard. Paris, Nimes, Alais, 1876, in-8. — H. Lecoq, Epoques geologiques
de VAuvergne, t. I, pp. 464 et suivantes, t. II, pp. 243 et suivantes. —
M. A. Jeanjean, Association frangaise pour I'avancement des sciences,
8© session, 1879, pp. 610-626. — M. Dieulafait, Bulletin de la Societe
de Geologie, t. XXVI, 2° serie (1868-1869), pp. 398-447. — M. Leymerie,
Elements de geologie, p. 337, etc.
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LE CANON DU TARN. 253
par miracle. — Apr&s la Croze, une arcade calcaire rappelle
par sa figure, sinon parses dimensions, le fameuxPrebisch-
thor de la Suisse saxonne taill6 dansles grfcs : ce n'est pas
d ailleurs la seule ressemblance de formes entre les bords
de l'Elbe et ceux du Tarn. Mais combien les gorges de
celui-ci sont plus grandioses! — Je ne puis passer sous si-
lence l'endroit oh la riviere tourne au Sud, entre les Baumes
Hautes et Basses, un des sites certainement les plus
extraordinaires du canon entier : si nos collegues, premiers
explorateurs de la gorge, n'en ont pas parle, c'est proba-
blement parce que leur bateau descendait trop vite ou
trop difficilement pour leur laisser le loisir de l'admirer.
M. de Malafosse seul a appreci6 et magnifiquement decrit
cet amphitheatre : les murs des deux rives, hauts de
500 metres, absolument perpendiculaires, se recourbent
en sens contraire autour du coude de la rivi&re ; il en
resulte un abime circulaire, un vrai puits cylindrique,
etroit et sombre. La sev6rite du lieu est presque effrayantc ;
j'arrivai la a la nuit tombante, les derniers rayons du
soleil couchant accentuant jusqu'au rouge-sang la teinte
ecarlate des crates ruiniformes ; un vol de vautours planait
sur le gouffre, les porneilles croassaient avec rage, les
hiboux hurlaient dans leurs trous et le Tarn grondait
sourdement dans las cabas ou tourbillons de son lit : l'echo
renforgait de paroi en paroi toutes ces voix sinistres de la
nature, rauques comme un orchestre de sabbat! Aucun
decor d'op6ra n'a rien represents de semblable, et je crois
que, m&me en plein jour, abstraction faite de toute fan-
tasia imaginative, les Baumes du Tarn surprendront tou-
jours les voyageurs les plus biases. Le ra6me soir, aux
Vignes, un clair de lune magnifique vint mettre le comble
& mon enthousiasme.
Immediatement au-dessus du Cambon (5 kilom. des Vi-
gnes, 6 kilom.du Rozier),ou la valine commence il s'6largir,
la murailledelarive gauche est plus decbiquetee que par-
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254 COURSKS ET ASCENSIONS.
tout ailleurs. Attir6 par cet entassement chaotique et sp6-
cialement par un rocher perfore, ou je soupqonnais quelques
nouvelles etrangetes, je me decidai a quitter la gorge pour
me hisser sur le causse. Gette montee,& peu pres kpic, est
essoufflante au possible : soleil en pleine figure et sac au
dos, j'ai mis plus de deux heures a escalader 500 metres.
Mais aussi quel spectacle inoui : le roc troue aper^u d'en bas
est en realite un grandiose portail ogival, haut de 1 metres,
large de 6; derriere cette entree de forteresse, appel6e le
Pas-de-VArc, on dSbouche soudain dans une enceinte bas-
tionnee, veritablement cyclopeenne : des tours rondes,
hautes de plus de 100 metres et regulieres comme des con-
structions architecturales, dressent dans Fair leurs masses
colossales; autour de ces donjons isoles, des courtines de-
labrSes, des redans lezardes et l'escarpe du Tarn profonde
de 1 ,200 pieds, completent Tillusion guerriere ; on dirait les
ruines foudroyees d'un repaire de Titans ! Quelque fatigante
que soit Tapprocne de ces retranchements, on ne saurait
passer au pied sans visiter cette troisieme magnificence. 11
est d'ailleurs plus facile d'y acc6der par le haut : un bon
sentier descend jusque-l& depuis la Bourgarie, hameau
perch6 k quinze minutes au-dessus, sur le bord m&me du
plateau. Tout le promontoire Sud-Ouest du causse Mejean
constitue une excursion superbe : outre le Pas-de-1'Arc,
les deux ravines desBastides et duTruel, tributaires de la
Jonte, ne sont pas moins bizarrement tailladees que celles
duTarn. Le signal de Mont-Buisson (1,069 met.), entre Saint-
Pierre-des-Tripieds (949 met.) et la Bourgarie (866 met.), est
un belvedere remarquable : de cette couronne, on domine &
la fois toute l'etendue des trois tables calcaires * qui con-
1. Causses Noir, Mejean, de Sauveterre. — V. Elisee Reclus, la
France, y. 408.— Ad. Joanne, GCographie du dipartement de la Lozere.
A Textremite du causse Noir, entre les trois hameaux de Longuiers,
Maubert et Puech-Margue, existe une autre cite de rocs-ruines, « Mont-
pellier-le-Vieux », plus enorme encore que le Bois de Paiolive merae,
et plus curieuse, paralt-il, que les escarpements du grand canon.
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LE CANON DU TARN. 255
vergent vers le confluent de Peyreleau (340 met.) ; au bas
de l'Aigoual et de la Lozfcre s'incline doucement le desert
pierreux; il n'y a d'arbres qu'& l'extremit£ occidentale du
causse ; encore les fr^nes et ormes solitaires, les maigres
bouquets de pins sylvestres, grilles tour a tour par la gelee
Vallee de la Jonte
(dessin d'Aubia Vernier, d'apres une photograpbie de M. de Malafosse).
ou la canicule, sont-ils presque gris corame le sol ; les
moissons jaunes elles-m6mes perdent leur couleur gaie
dans ce tableau chauve; a 2 ou 3 kilom. vers l'Est, les
deux levres du canon b&illent entre leurs dents ebrechees ;
on sent Tabime que Ton ne peut voir; Tensemble est
triste, mais cette tristesse impressionne et charme !
(V. M. de Malafosse, Bulletin de laSocieUde geographie de Toulouse,
1883, n<> 8, p. 330, in-8; Privat, editeur, a Toulouse.)
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25tf COURSES KT ASCKNSIONS.
La promenade de la Jonte au Pas-de-TArc,par le ravin du
Truel, le bout du Causse et la Bourgarie, avec retour par
le Mont-Buisson, Saint-Pierre-des-Tripieds, le vallon des
Bastides et les Douzes, demande environ quatre h cinq
heures de marche. Elle permet de ne pas sacrifier la visite
au Rozier, evite la grimpade du Gambon et donne une
excellente idee du plateau : e'est un detour int^ressant
pour ceux qui montent a Meyrueis en voiture. Mais il est
indispensable de se munir de provisions : on ne peut rien
se procurer la-haut, pas m£me le pain et l'eau; non pas
que les caussenards soient miserables, comme on Ta trop
souvent repote! La culture des cereales, fort prospere sur
ce terrain de chaux, a, tout au contraire, repandu une
aisance generate dans ces cantons ; mais ces aborigines
arrieres considerent la defiance comme une vertu cardi-
nale. Pour eux, les rares etrangers qui viennent les visiter
sont des agents du fisc charges dmiposer les debitants de
denrees; aussi se gardent-ils bien d'exhiber le moindre
aliment, m6me a prix d'argent; ils se retranchent passive-
ment derriere un idiotisme d'emprunt et un patois incom-
prehensible, dont je parle ici par experience. Pendant
toute la journee ou j'ai erre de ferme en hameau autour
des entonnoirs et des avens, je n'ai pu obtenir un ceuf et
du pain ; dix heures de marche et un litre de vin pour
toute nourriture se font mal equilibre ! J'avoue que le soir,
deyant les perdreaux de Meyrueis, la civilisation ne me
parut reellement pas a d6daigner *.
i. Itineraire du tour du Causse : De P'lorac a Sainte-Enimie (hotel
Saint-Jean), en voiture, 27 kilom., 3 h. De Saiiit-Enimie a Pougtta-
doires, a pied, 6 kilom., 1 h. 30 min. De Pougnadoires a la Malene, ^l
pied, 8 kilom., 1 h. io min. De la Malene (hotels Casimiret Justin Mon-
ginoux) a la Crozej en bateau, 5 kilom., 1 h. 15 min. De la Croze aux
Vignes, a pied, 8 kilom., 1 h. 45 min. Des Vignes (auberge Bergeron)
au Cambon et au Rozier, a pied, 11 kilom., 2 h. 15 min. Du Rozier a
Florae par Meyrueis et le Perjuret (1,031 met.), route de voitures et ser-
vice de diligences, C3 kilom.— Quand la route du Tarn sera finie : l«jour,
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ANNUAIWE DE 1883.
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LE CANON DU TARN. 259
Les vallees de la Jonte et du Tarnon, pour offrir moins
de details singuliers que la gorge principale, n'en sont pas
moins des plus curieuses : autour de Meyrueis abondent
les belles grottes & stalactites, en partie depouill6es de
leurs richesses prebistoriques par MM. Joly, Trutat, Car-
tailhac, Prunifcres, Poujol et Jeanjean * ; toutefois, de nou-
velles recherches pourraient bien 6tre fructueuses sous les
couches stalagmitiques prealablement bris^es; mais il
serait inutile de rien tenter sans s'assurer a l'avance le
concours d'Hippolyte Gausse, dit Poulard; ce brave homme,
simple cantonnier & Meyrueis, connait & fond toutes les
cavernes ; ses recits de trouvailles m'ont fait passer une
dSlicieuse soiree : il parait avoir acquis un flair de fouil-
leur sans egal.
De Meyrueis & Florae, les g6ologues ont remarque sur-
tout les accidents naturels produits au contact de l'oolithe
avec les micaschistes ; ils ont plac6 la les rivages de l'an-
cienne mer jurassique. L'isthme de Perjuret est particu-
li&rement etonnant. Au Sud du col, pr&s du point cote
1,206 met., la cr£te de partage des eaux n'a pas 10 met.
de largeur, entre la Jonte au Sud, et le Malabaisse au
Nord, encaisses tous deux a 300 m&t. de profondeur.
Quant & l'Aigoual (1,567 m&t.), on dit que le c6t6 Sud
est plus pittoresque que le versant Nord ; je le crois sans
peine ; les valines du But6zon et de la Br&ze sont ordi-
naires sous ce rapport ; mais l'application des schistes
micaces, chioriteux et ardoisiers sur les granits k grains
enormes est un bon sujet d^tudes comme au Mont-Loz^re.
En 1884 doivent commencer les travaux pour Installation
de Florae au Rozier; 2 e jour, du Rozier a Meyrueis, avec le detour
du Pas-de-1'Arc; 3 e jour, l'Aigoual et retrouver au Perjuret voiture ou
diligence pour rentrer a Florae. (V. les feuilles de l'Etat-major au
80,000o : Severac, 208, et Alais, 209.)
1. V. M. A. Jeanjean, Mtmoires de V Academic du Gard, 1869-1870,
p. 139; 1871, p. 213; 1873, p. 341; 1875, p. 287. Nimes, in-8.
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260 COURSES ET ASCENSIONS.
d'un observatoire au sommet ! . Le panorama ne m'a pas
plus enchants que la promenade, malgre un temps excep-
tionnellement pur et le vent du Nord tant recommande ;
aucune pointe hardie ne forme de sujet principal qui cap-
tive la vue ; le Larzac et les causses sont trop abaisses ; la
Lozere a l'air d'un toit; les defiles de l'HSrault etdes Gar-
dons ne sont pas visibles ; tous les details de la plaine du
Languedocse perdent dans l'£loignement ; au grand soleil,
enfin, la M6diterran6e m6me se confond avec les vapeurs
lointaines. En un mot, le cercle de l'horizon n'est pas
assez accidents ; mais, pour cette raison precisement, un
observatoire mStSorologique sera tres utile sur l'Aigoual.
Je pref&re de beaucoup la vue du Can de l'Hospitalet:
au bord et sur les cr&tes de ce plateau, aussi elevS que
le causse MSjean (1,020, 1,041, 1,112, 1,054 m&t.), on
plonge d'un c6t6 sur le Tarnon et les bastions de sa rive
gauche, de l'autre sur les gorges dSchiquetees de Barre-
des-GSvennes et de Valborgne; au Sud, l'Aigoual dresse
assez fi&rement sa tSte h. 500 metres au-dessus de la ligne
europeenne de partage des eaux. Lh encore, de Saint-Lau-
rent-de-Trfcves au Pompidou, les metSores atmospheriques
ont taille de bizarres edifices 2 : de larges cbapeaux cal-
caires coiffent et d6bordent de grSles supports schisteux ;
c'est la forme des tables de glaciers ; plusieurs de ces gi-
gantesques champignons ont bascule sur leurs tiges dSsa-
gregees, et sont inclines aujourd'hui comme des dolmens
ecroulSs : le plateau de l'Hospitalet n'est pas moins pitto-
resque que scientifique.
1. V. M. Scipion Bricka fils, Association francaise pour Vavancement
des sciences, compte-rendu de la 8 e session a Montpellier, en 1879,
p. 514. — M. Viguier, Ibid., p. 516. — M. le colonel Perrier, Acade'mie
des sciences, mai 1883. (Journal Officiel du 4 juin 1883.)
2. V. M. H. Lecoq, tpoques gfologiques de VAuvergne, t. I, pp.
464-476; t. II, pp. 243-257.— M. Junius Castelnau, Notes et Souvenirs
de voyage, t. I, pp. 72 et suivantes et 159-192.
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LE CANON DU TARN. 261
La route de Florae a Alais, avec ses beaux defiles de
micaschiste et la fissure oolithique d'Anduze, par ou s'est
vide un ancien lac du Gardon, est actuellement la voio
postale, mais non le chemin le plus court de Paris au
causse Mejean * ; d'ailleurs, la voiture publique d'Anduzo
voyage la nuit, et tant que les locomotives ne siffleront
pas aux sources du Tarn et qu'il faudra traverser les Ce-
vennes a pied ou en diligence, je crains bien que les gorges
des grands causses ne restent peu frequentees! Au moins,
ne nous lassons pas, nous, et les rares visiteurs qui les
ont admir6es, d'en vanter i'indicible splendeur !
E.-A. Martel,
Membre du Club Alpin Francais
(Section de Paris).
1. Chemin de fer de Paris a Anduze, 698 kilom., a Genolhac, 641 ki-
lom., a Villefort, 628 kilom. A. D'Anduze aSaint-Jean-du-Gard (13 kilom.),
de SaintrJean-du-Gard a Florae (60 kilom.), en voiture. B. De Ge-
nolhac a Pont-de-Montvert par Vialas et Saint-Maurice-de-Ventalon
(33 kilom.), de Pont-de-Montvert a Florae (route neuve, 20 kilom.),
en voiture. C. De Villefort a Pont-de-Montvert par la Lozere (23 ki-
lom., 7 a 8 h.), a pied, puis a Florae en voiture.
De Paris a Florae par l'itineraire A, 771 kilom.; par l'itineraire /i,
694 kilom. ; par l'itineraire C, 673 kilom.
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XIV
UNE
EXCURSION AUX ILES CANARIES
DEPART. — ARRIVEE A TEMERIFFE.
SANTA-CRUZ.
Le 2 avril 1882, h sept heures du matin, je quittais Ca-
dixsurle vapeur V America, qui fait bi-mensuellement le
service du courrier entre l'Espagne et les Canaries. Nous
sortons lentement de cette admirable baie qui s'ouvre
entre Puerto-Santa-Maria et Gadix, et que le chemin de
fer contourne pendant 25 kilometres; nous void devant
le rocher qui se trouve & son extremity et sur lequel la
ville, l'antique Gades, est construite.
Nous passons. Au loin, la c6te s'etend et se developpe,
puis Thorizon des flots s'agrandit k son tour; les voiles
blanches, qui nous accompagnaient nombreuses, dispa-
raissent une k une ; la grande immensity de la mer nous a
pris et nous environne.
Je vogue done vers cette antique terre des Atlantes, vers
ces lies Fortunes, pays mysterieux environne pendant
longtemps de la plus po6tique 16gende, et que les loin-
taines traditions nous montrent comme un veritable para-
dis terrestre.
J'&voque ces souvenirs pendant que V America conti-
nue sa course monotone que rien ne vient troubler. Les
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UNE EXCURSION AUX 1LES CANARIES. 263
oiseaux, qui pendant longtemps nous ont suivis, ont dis-
paru vers la c6te d'Afrique, dont nous nous eloignons de
plus en plus. Peu de distractions a bord ; le navire ne
compte, outre moi, que deux passagers a l'arriere : une
dame malade, et un negotiant espagnol, qui va s'installer
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"2M
COURSES ET ASCENSIONS.
pour six mois dans un Hot desert de l'archipel oil est eta-
blie sa p&cherie ; la prise du poisson est en effet une des
industries importantes des Canaries.
Enfin, le troisieme jour, au r6veil, la terre est en vue !
J'entrevois d'abord, au loin dans la brume, une grande
masse noire a peine perceptible, qui bient6t s'aceentue,
mais dont la forme n'est pas bien definie.
Vue de Teneriffe a la pointe Anaga.
La vie est revenue autour de notre petit vapeur; des
bandes de marsouins nous entourent, les oiseaux de mer
ont reparu et nous enveloppent lentement dans leurs longs
circuits ; la mer s'irise de m6duses qui, sous le soleil le-
vant, se revGtent de couleurs varices.
Je commence a m'expliquer la forme tronquee de la
terre qui se dresse devant nosyeux. Nous sommes a l'extre-
mite Nord-Est de Tile de Teneriffe, a la pointe Anaga, for-
m6e par les eboulis de sombres roches volcaniques qui
se superposent et s'entassent, laissant entre elles de pro-
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UNE EXCURSION AUX iLES CANARIES. 265
fonds ravins, des parois k pic et presentant le plus epou-
vantable chaos que Ton puisse imaginer.
Une epaisse nuee enveloppe toutes les cimes ; la terre,
resserr6e entre le ciel et la mer, parait ecrasee ; tout est
sauvage, aride, bouleverse. Un point blanc sur les rochers
abruptes — & l'altitude de 247 metres — nous indique le
phare qui, de ces cimes sauvages, envoie au loin sa lueur
protectrice. II semble, au nom de la civilisation, avoir pris
possession de cette terre desol6e.
Voilk done le premier aspect que m'offrent les lies For-
tunes! II n'est guere en rapport avec ce que promettait
la 16gende. Mais pourtant, attendons : la tradition paienne
ne nous apprend-t-elle pas que les Champs-Elysees
continent au s6jour de Pluton? Et puis, cette nature
est belle dans son borreur m&me : elle me surprend et je
l'admire !
V America file maintenant trop vite h mon gr6; dfes
qu'un promontoire est double, un autre lui succede, limi-
tant la vue, presentant toujours cette nature tourmentee,
variee, impr6vue, qui saisit et int6resse. Partout le sol
volcanique semble souleve par un cataclysme recent.
Ici, des amas de cendres noires, rouges, parmi lesquelles
des filons de basalte ; k c6t£, la lave, immense courant
subitement fige dans sa course, muraille grandiose sur-
plombant le flot qui se brise en 6cume k son inebranlable
base.
Mais d^j^t Taspect se transforme. Dans les anfractuosites
de la roche, des bruy&res en fleur etendent leurs nappes
blanches ; dans les ravins profonds, oil Thumidite se con-
centre, une v6g6tation luxuriante apparalt; les pentes
s'abaissent et la plage commence & s'6taler timidement sur
le rivage.
Voici les premiers indigenes; ils sont deux dans une
barque rasant la cdte ; dans le cadre de la nature sauvage
oil ils m'apparaissent, leur aspect mis6rable me saisit.
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U6
COURSES ET ASCENSIONS.
Plus loin se presente un village, Ygueste, reunion de
quelques pauvres cabanes resserrees dans une des nom-
breuses crevasses de la montagne. Les palmiers, precur-
seurs de cette v6g6tation tropicale dont Tile est si riche et
si par6e, se montrent h leur tour.
L'air est chaud et humide; la brise 16gfcre vient tem-
pter les premiers rayons de ce soleil des Iropiques qui
La cote de Santa-Cruz et le pic de Teneriffe.
nous environne de vapeurs et fait amonceler les brumes
au-dessus de nos t£tes. (Test bien \k ce climat doux,
uniforme, dont je jouirai pendant tout mon sejour dans,
cette belle vallee de la Orotava qui est le but de mon
voyage.
Dans une petite anse, au d6boucb6 de ces 6troits ravins
ou barrancos, que nous allons rencontrer partout, e'est le
village de San-Andres que nous apercevons, avec ses pe-
tites maisons basses, crepies a la chaux, aux volets verts,
entourees d'arbustes et 6tag^es sur les pentes. Bient6t, de-
vant nos yeux, la campagne se dSroule en un vaste amphi^
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UNE EXCURSION AUX ILES CANARIES. 267
theatre descendant rapidement des crates a la mer. A nos
pieds s'etale la large baie de Santa-Cruz, avec ses tours
sombres, ses maisons blanches, son petit phare, qui se
dresse au bout de la jet6e. Au sud, d'immenses montagnes
d6veloppent leurs puissants contreforts, qui se superpo-
sent et s'entassent; au-dessus planent les brumes qui se
deplacent et se reforraent sans cesse, et, dans une Gclair-
cie, surgissant tout a coup et do-
minant la setae, apparait enfin,
tout resplendissant sous son man-
teau de neige, ie fameux Pic, le
volcan de Teyde, qui porte sa
cime majestueuse a plus de 3,700
metres au-dessus de l'Ocean I
Avant de p6netrer dans la ville
de Santa-Cruz, ou je viens de de-
barquer, il est necessaire, pour
l'intelligence de mon r6cit, que
je dise quelques mots de la geo-
graphic des iles.
Le groupe canarien contient
sept iles principalis, situees entre ^--^^n^^
le 29 e et le 27 e degr6 de latitude Femme de Hie de Lanzarote.
Nord, et entre le 16 c et le 20 e de-
gre de longitude Ouest. La plus rapprochee de la cote
d'Afrique est File de Fuerteventura, qui n'en est distante
que de 19 licues ; puis viennent : a l'Est, Lanzarote;
au Centre, Gran-Canaria, Tenerife, Gomere ; enfin, a
TOuest, Palma et Hierro. Ces iles sont en grande partie
volcaniques; les plus rapprochees de la c6te presentent
des montagnes relativement basses, et l'aspect est celui du
sol africain, sec et aride. A mesure que les iles s'61oignent
du continent, elles ont des montagnes plus 61ev6es, des
pics plus escarpSs. Palma et surtout Hierro n'offrent aux
navires que quelques points d'abordage.
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268 COURSES ET ASCENSIONS.
La population totale est d'environ 240,000 habitants,
d'origine espagnole, parmi lesquels on retro uve les noms
de quelques Frangais, descendants de BSthencourt et des
aventuriers normands et basques quil'aid&rent k conqu&rir
Lanzarote au xv e siecle. Le nom de B6thencourt est com-
mun dans les iles; je l'ai retrouv6 plusieurs fois h T6n6-
riffe. Les Guanches, — le peuple primitif, — traqu£s,
massacres impitoyablement par les derniers conquSrants,
ont disparu ou du moins se sont tellement fondus dans la
race des envahisseurs, qu'ils ont perdu tous leurs carac-
teres distinctifs.
La vaporisation constante des eaux de la mer sous un
soleil presque tropical, la condensation de ces vapeurs par
suite de Taltitude elev6e des montagnes, entretiennent
dans les iles une humidity bienfaisante, surtoutdans celles
qui renferment les cimes elev6es et neigeuses, les 6paisses
for&ts, reservoirs naturels deversant ensuite regulifcrement
leurs eaux. Le sol fertile des valines produit alors cette ve-
getation, cette flore si variee et si brillante qui forme le
plus remarquable ornement des principales iles de Tar-
chipel.
Gran-Ganaria est Tune des plus productives et des mieux
cultiv6es; sa capitale, Las Palmas, est, avec Santa-Gruz, la
ville la plusimportante du groupe; c'estcertainement celle
qui pr6sente les constructions et les monuments les plus
dignes de fixer l'attention.
Mais que les oeuvres des hommes sont peu de chose a
cdte des manifestations grandioses de la nature qui nous
environne ! Ici surtout, plus qu'en Suisse, plus que partout
ailleurs, cette comparaison nous Scrase; elle Sieve nos
&mes devant le plus sublime des spectacles qu'il nous soit
donne de contempler.
Dans Tile de TSneriffe, c'est le pic du Teyde, cdne res-
plendissant au centre d'un vaste cirque de 13 lieues de
tour, les Canadas, immense cuvette d'un gigantesque vol-
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UNE EXCURSION AUX iLES CANARIES.
269
can d'ou un dernier
cataclysme a fait sur-
gir le Pic actuel ! Dans
Tile de Palma, c'est
la Caldera, formida-
ble crat&re de 24 ki-
lometres de circon-
ference, taille ci pic,
profond de 1,000 me-
tres, et dont les pa-
rois sauvages sont
tapissees de la plus
extraordinaire et de
la plus abondante des
vegetations.
Quels sentiments
divers m'assiegent
lorsque, apr&s avoir
admir6 le vaste pa-
norama de la baie de
Santa-Cruz de Tene-
riffe, je mets le pied
sur la jet£e et que je
me dirige vers la
ville!
Celle-ci allonge en
pente douce, de la
mer aux champs qui
la dominent, ses mai-r
sons blanches en ter-
rasses. Elle compte
12,000 habitants.
A Fentr6e, le cha-
teau de San-Cristobal, vieux debris de Tepoque de la
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270 COURSES ET ASCENSIONS.
conquete, qui soutint glorieusement l'nssaul de la flotte
anglaise de Nelson. C'est la que le c61ebre amiral eut le
bras emporie par un boulet. II dut fuir pr6cipitamment,
et j'ai pu admirer, dans la cath£drale, les trophees do la
victoire desCanariens, dont ils sont nalurellementtres fiers.
Apres le Castillo, on d£bouche sur une vaste. place ;
c'est rin6vi table plaza de la Constitu-
que Ton rencontre dans toute
ne ville espagnole. Gelle-ci est
ie de lave; elle forme, au-dessus
i chauss6e, une plate-forme acces-
3 aux promeneurs, mais Ton ne
iromene guere , du moins pendant
iurnee, a cause de la chaleur qui,
>rb6e et r6fl6chie par le sol, y
ent souvent intolerable.
est sur cette place, la principale
i ville, que s e trouvent la maison
du gouverneur et sa cour fer-
mee, ou patio; et l'hdtel qui
=• m'a h6berge\ avec ses grandes
chambres badigeonn6es, don-
nant sur une galerie int^rieure,
Femrae du peuple "
k santa-cruz de Teneriffe. toujours a cause de la chaleur
qui, pendant l'6l6, est parfois
torride, la cdte n'6tant point protegee par les hautes
cimes des montagnes.
C'est probablement a cette chaude temperature que
Santa-Cruz doit en partie son aspect triste et d6sert. Pen
de monde dans les rues, m&me dans la calk del Comercio,
oil se trouvent les principaux negotiants. Le soir, la vie se
concentre al'inte>ieur; les rues sont noires, les magasins
ferm£s. Un caf£ ou deux, tout au plus, si Ton peut leur
donner ce nom ; pas de theatre, actuellement du moins,
mais un excellent cercle ou T6tranger est accueilli avec
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UNE EXCURSION AUX iLES CANARIES. 271
celte bienveillante hospitality qui caract6rise la nation
espagnole, et que j'ai toujours rencontr6e, ici comme
dans toutes les parties de TEspagne que j'ai parcourues.
Peu de monuments ; une colonne commemorative sur
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272 COURSES ET ASCENSIONS.
la grande place, repr6sentant Notre-Dame-de-la-Chanr
deleur, dont le culte est en grand honneur parmi les po-
pulations de Tile. Au bas de la colonne, quatre statues
figurant des rois Guanches rendant hommage k la Vierge.
Deux 6glises, d'une pauvre architecture ; deux grandes
tours, en lave noire, dominant la ville et tranchant sur la
blancheur des maisons ; qk et \k, dans les constructions,
des bandes, des encadrements sombres de pierres dc
taille ; des peintures vives de- fen&tres ou d'entourages ;
quelques miradores, quelques tqurelles au-dessus des ter-
rasses, comme k Cadix. Des rues mal pav6es en lave ; des
maisons peu elev6es, souvent petites ; une population
inactive, des paysans d'aspect miserable, nu-pieds,
homme's et femmes : ceux-ci dans leur cape, celles-lkla
t&te entour6e d'uh foulard et coiftees du sombrero indi-
gene, qui varie suivant les localites.
Mais, en poursuivant ma course par les rues tristes et
d6sertes, s'oflre tout a coup k ma vue une d61icieuse pro-
' mcnade, suspendue enterrasse et dominant une partie de
la ville. Quel contraste saisissant ! Je me trouve & present,
sans transition, en pleine vegetation tropicale ; des arbres
magnifiques et qui me sont inconnus ; des fleurs partout,
ct des plus brillantes ; dans les arbres, les oiseaux font
entendre leurs plus ravissants concerts ! (Test bienl&cette
nature que j'avais r£v6e; je la trouve tout enti&re dans ce
coin perdu de la ville d&serte et triste, que je me pr6pare
k quitter pour commencer au plus t6t mes peregrinations
k travers T6n6rifFe.
DE SANTACRUZ A LA LAGUNA ET A LA OROTAVA
En route. II s'agit d'abord de franchir la cr&te des mon-
tagnes qui divisent T6neriffe en deux versants principaux
dans toute sa longueur, et d'atteindre, k 10 kilom. de
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UNE EXCURSION AUX 1LES CANARIES. 273
Santa-Cruz, la Lagonn, ancienne capitale de Tile, situ6e
sur un plateau, h l'altitude de 1,000 mfct. J'ai pour com-
pagnon de route un aimable guide, presque un compatriote,
negociant h Santa-Cruz, qui se met amon entiere disposi-
tion, et avec lequel les heures vont s'ecouler vite. Qu'il
reQoive ici l'expression de ma vive reconnaissance ; il est
Tun de ceux qui ontle plus contribue Prendre mon s6jour
agr6able.
Nous laissons & gauche, au bout de la rue du Commerce,
un grand et dernier b^timent, de respectables dimensions:
c'est la capitainerie g6n6rale, toute neuve, avec ses cor-
niches surmont6es de terrasses, son vaste fronton, ses
soubassements en lave du plus beau noir sur lesquels se
d6tache un mur d'un blanc irr6prochable qui, le soleil
aidant, nous procure des 6blouissements inquidtants aux-
quels nous nous empressons de nous ddrober.
Nous montons rapidement ; la route s'61fcve en lacets
au-dessus de nos t&tes. Tout autour de nous sont des
champs de nopals ou Ton recolte la cochenille. Le sol
s'6tage en gradins coup6s de distance en distance par
les 6boulis de roches volcaniques ; §h et \h, de grands
reservoirs recueillent les eaux trop rareset les distribuent
sur les terres calcin6es qui nous entourent. A gauche, un
large barranco descend jusqu'i!t Santa-Cruz, qu'il limite au
Sud. A nos pieds, la ville s'efface de plus en plus: des
points noirs nous indiquent les navires ancr6s dans la
baie.
Quelques rares maisonnettes bordent la route, humbles
demeures, miserables casitas que la nature rev&t d'une
brillante parure de geraniums aux couleurs varides. Lh
sont des croix, des calvaires ou le voyageur se prosterne,
une venta ou se reposentnos montures pendant que nous
degustons la liqueur nationale, Y aguardiente, largement
delayee.
Des paysans, pieds nus, s'acheminent h la ville portant
ANNUAIRE DE 1883. 18
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274 COURSES ET ASCENSIONS.
sur leur t6te les produits de leurs champs ; des enfants
nous tendent la main, demandant un quartiio ; la mendi-
city est commune et poursuit partout le voyageur.
La route s'el&ve de plus en plus, l'air est moins lourd,
la vegetation n'est plus la m6me. A droite, sur les pentes
d'une profonde entaille, une prairie, des broussailles.
Encore un detour et nous arrivons sur la ligne de faite.
Nous dominons toute la cdte que nous venons degravir.
Le point de vue est magnifique. Nous plongeons litterale-
ment sur la campagne et la baie de Santa-Cruz ; la ville
nous apparait comme une petite tache blanche ; au loin,
la mer et la silhouette estompee de la Gran-Ganaria. Mais
reservons notre enthousiasme ; c'est tout a l'heure que la
partie vraiment pittoresque de notre excursion va com-
mencer.
Saluons en passant ce t6moin de la conquete, la vieille
chapelle de Santa-Maria-de-Gracia, elev6e par Alonso de
Lugo, le Conquistador, YAdelantado comme on l'appelle ici,
et qui l'6rigea en actions de graces apres la victoire.
Ges petites maisons basses qui se succ^dent, c'est la
Laguna qui commence. Nous void sur une grande place
deserte, orn6e d'une petite fontaine moderne, bord£e de
maisons hermetiquement fermees, et pav£e de laves hu-
mides, ou l'herbe crolt en abondance ; c'est la place de
l'Adelantado.
Si Santa-Gruz est triste, que dirai-je de la Laguna? Ici,
point de commerce, pas de boutiques ; de rares ouvertures
sur les rues desertes ; le pav£, les murs, tout est noir.
L'herbe croit partout, dans les rues, contre les murailles,
sur les corniches ; il y a 1& une flore variee de plantes ram-
pantes, grimpantes, parasites. J'admire surtoutune espece
de joubarbe, qui etale en rosace ses larges feuilles et qui
envahit tout. C'est Ik un des effets ^tonnants de cette vege-
tation debordante qu'engendre la chaude humidity de l'air
et qui finit par tout recouvrir.
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UNE EXCURSION ADX iLES CANARIES. 275 '
La Laguna est le siege (Tun 6v6che. Un nombreux clerg£
y reside, remplagant les moines dont les couvents sont
maintenant fermes et en mines, comme du reste ceux de
la metropole. De sa splendeur passee, l'Eglise a conserve
quelques brillantes 6paves. Nous sommes h Tepoque ou
commence la semaine sainte ; les eglises sont ouvertes et
exposent leurs richesses ; ce n'est pas sans etonnement
que je rencontre dans la cathedrale, — un edifice lourd, aux
sombres colonnes massives, — un autel en argent, riehe-
ment cisele et du travail le plus delicat ; elegante expres-
sion d'un art disparu dans cette ville morte, autrefois si
prospfcre.
Les h6tels deserts du marquis de Villanueva et du comte
de Salazar prSsentent seuls des specimens d'une noble
architecture ; mais, derriere ces portes armori6es, il n'y a
plus que des salles vides et des patios abandonn6s.
J'ai revu la Laguna au retour. De longues courses dans
Tinterieur de Tile, un sejour prolonge dans une autre
petite ville silencieuse, avaient-ils change la nature de mes
impressions ? La ville me parut moins triste. G^tait un
dimanche ; les villageois s'^taient rassembles. Comme au-
trefois, dans les villes de la Grece, les jeunes gens se pr6-
paraient pour la lutte. L'enceinte etait primitive et les
gradins remplis de spectateurs ; un orchestre bruyant,
sinon harmonieux, versait sur les combattants des flots de
melodie ; les athletes etaient jeunes, vigoureux ; ils s'atta-
quaientvivement, s'enlaQaient, se d^robaientpardes feintes
habiles, puis se remettaient aux prises, employant tour k
tour la force et l'adresse jusqu'A ce qu'un des champions
*tomb&t terrasse aux acclamations de lagalerie. Gette foule,
ce spectacle imprevu et bruyant dans cette ville morte et
deserte, c'6tait encore un de ces contrastes singuliers,
comme j'en ai si souvent rencontre sur ma route.
Sur le plateau de la Laguna, la vegetation reparait puis-
sante. A cette altitude il n'y a plus a redouter les chaleurs
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27ti COURSES ET ASCKNSIONS.
torrides de la c6te ; les vapeurs qui montent de la mer
viennent s'y condenser et fertiliser le sol ; partout se de-
couvrent la plaine verte et les montagnes couvertes de
bois. G'est un rideau de collines, toutes remplies d'om-
brages, qui limite l'horizon au Nord et au Nord-Est, dans
la direction du cap Anaga. Devant nous s'ouvre la petite
et pittoresque valine de Tegueste ; sur notre route les
champs se succedent ; nous sommes dans les Rodeos, la
partie la mieux cultivee et la plus productive de Tile. A
cette altitude de 1,000 met. le sol est d'une fecondite ex-
traordinaire ; les plantes, les cereales de TEurope y pros-
parent a c6te de la vegetation indigene. G'est la terre de
notre Limagne d'Auvergne: m&me origine d'alluvions vol-
caniques, m6me aspect, avec cette difference que la couche
veg6tale est ici beaucoup plus considerable et plus riche.
Le ble, Forge, lapomme de terre, et surtout lesoignons,
dont on fait un grand commerce d'exportation pour les An-
tilles, s'y trouvent en abondance, concurremment avec la
patatc, le piment, condiment oblige^ de toute preparation
culinaire, et un arbuste particulier h. l'lle, \etagaste, espece
de fougere qui croit & 1'etat sauvage h la Palma et dont les
branches feuillees servent de fourrage au b£tail qui en est
tres friand.
II est certain que cette belle plaine remplirait d'admira-
tiori nos savants agriculteurs, mais je doute qu'ils viennent
jamais jusque-la poursuivre leurs etudes comparatives. Je
les renvoie a la notice publi6e par M. le docteur Perez,
un homme de progres, double d'un galant homme, et qui
fait prosperer de plus en plus, dans les Rodeos, le vaste
domaine qu'ii y possfcde.
Au bout de cette plaine, nous commenc,ons a descendre,
tandis que la cr&te de la cordillere centrale que nous
avons maintenant & notre gauche s'61fcve insensiblement.
Elle va continuer ainsi jusqu'au delk de la valine de la
Orotava, ou elle viendra se souder, a l'altitude de
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UNE EXCURSION AUX iLES CANARIES. 277
•2,000 met., au grand cirque des Ganadas, qui la termine.
De temps en temps, la route est barr6e par un de ces
grands barrancos si particuliers d'aspect. Alors le chemin
serpente en lacets sur les flancs du ravin pour venir re-
trouver l'autre bord. La roche basaltique surplombe sur
nos t&tes ; dans les anfractuosit^s, de grandes euphorbes
caracteristiques surgissent. Une humidity bienfaisante fait
developper partout une abondante vegetation, et des
plantes, des fleurs inconnues, viennent frapper mes regards
etonnes.
Nous voici parmi les palmiers, les figuiers et toute cette
nouvelle nature qui se manifeste avec exuberance autour
de nous; les insectes bourdonnent, et une petite mouche
lU'air inoffensif vient nous piquer jusqu'au sang; c'est le
revers de la medaille.
Nous faisons une entr6e triomphale a Tacoronte, un vil-
lage perdu dans les arbres et qui d6gringole sur la pente
raide qui mene aux falaises de TOcean. Tout en bas, nous
apercevons la mer inabordable ; cette c6te est taillee k pic
et domine partout les flots.
Rien de particulier chez les naturels, plus ou moins en-
velopp^s dans leur cape, espece de grande limousine en
grossier tissu de poils de cbevre. Les femmes ont sur leur
t&te le classique foulard qui rappelle de fort loin la gra-
cieuse mantille gaditane. Les habitations sont aussi ele-
mentaires que les costumes.
Tacoronte possede pourtant un monument : un musee
anthropologique particulier, fort interessant, plus que
celui de Santa-Cruz, qui est h. l'etat rudimentaire ; on y
trouve au complet les amies, les v&tements, tous les in-
struments de la race disparue, dont on rechercberait
vainement des repr6sentants aujourd'hui.
Les Guanches embaumaient leurs morts, comme les Pe-
ruviens. On trouve au mus6e de Tacoronte des momies
parfaitement conservees ; elles sont enveloppees dans des
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278 COURSES ET ASCENSIONS.
bandelettes d'etoffe tissue plus ou moins grossifcrement en
poils de chfcvre; un liquide special, dont nous retrouvons
les traces dans des vases de T£poque, servait aux embau-
mements. Ges momies sont rares ; les Guanches ensevelis-
saient leurs morts dans les fentes des rochers et les ca-
chaient le plus possible. lis vivaient en partie dans des
grottes creusees dans les barrancos.Pour armes, ils avaienl
des b&tons qu'ils langaient et dont ils se servaient avec
dexterite; leurs ustensiles sont grossiers; leur nourriture
etait composee de gofio, bl6 moulu et cuit, qui sert encore
aujourd'hui & Talimentation des habitants.
Au delk de Tacoronte, nous laissons, sur un promontoire
de lave qui s'avance au-dessus des flots, le petit village de
Sauzal, ou Ton exploite des carrieres de pierres analogues
h celles de Volvic, au pied du Puy-de-Ddme. Puis nous
arrivons & la Matanza, autre village plus important, dont
le nom rappelle le massacre de l'arm6e espagnole surprise
par les Guanches. Nous faisons halte et, pendant que nous
laissons reposer nos chevaux, nous sommes assaillis par
des mendiants divers, hommes, femmes, enfants,qui nous
reclament le traditionnel quartito.
G'est lh que j'ai rencontre un de ces malheureux atteinl
d'une terrible maladie, la lepre, presque entifcrement dis-
parue de l'Europe depuis le moyen &ge, et qui marque en-
core de son terrible stigmate la population pauvre et par-
fois aussi « l'autre », dans ce beau pays des Canaries, oil
Ton ne s'attendait pas h la rencontrer. II est certain que le
manque d'hygiene, la mauvaise alimentation, celle qui
consiste surtout en poissons sales, dont on fait souvent un
abus, doivent contribuer au d6veloppement de cet horrible
fleau, qui ronge et tue, apr6s avoir fait subir k ses malheu-
reuses victimes d'atroces souffrances.
Nous continuons h franchir un nombre respectable de
barrancos, de contreforts qui divisent les vallees. Gelles-ci
se deroulent & nos pieds, toujours enveloppees d'une ve-
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UNE EXCURSION AUX 1LES CANARIES. 279
gelation luxuriante, lachetSes de points blancs indiquant
les petites habitations disseminees. Au-dessus de nous,
dans le soleil brillant, la crMe de la cordillSre, qui s'Sleve
toujours et fait Stinceler ses premieres neiges: au-dessous
d'elle, les retamas en fleur, puis la sombre ceinture des fo-
r&ts s'abaissant jusqu'aux coteaux moins rapides oh com-
mencent les cultures.
Voici la Vitoria, nouveau village, ou les Espagnols
massacrerent a leur tour les Guanches. Gette victoire fixa
leur conqufcte. Au loin, l'horizon s'elargit; les pentes sem-
blent s'allonger plus sensiblement vers la mer; tes collines
s'abaissent; le vaste panorama s'agrandit.
Nous nous rapprochons maintenant de la c6te pour 6vi-
ter les ramifications de la cordillere, qui descendent de
la cr&te centrale en puissants chalnons et viennent nous
barrer la route. Aprfcs le village de Santa-Ursula, nouvelle
descente pittoresque suivie d'une ascension laborieuse
pour franchir le plus profond des barrancos, le plus Sieve
des contreforts que nous devons rencontrer. C'est notre
derniere etape. A nos pieds se dSveloppe maintenant, dans
toute son imposante majesty, cette magnifique vallee de la
Orotava, que Humboldt n'hesite pas k proclamer la plus
belle du monde.
Le spectacle est saisissant et grandiose!
La plaine se deroule en une immense nappe verte qui
semble monter insensiblement du rivage k la montagne.
Tout autour, un vaste amphitheatre de cimes escarpSes,
neigeuses, ou s'etagent les zones les plus varices de la
flore. D'epaisses ibrSts, de riches cultures, de nombreux
villages, et, devant nous, au-dessus des sombres escarpe-
ments du Itealejo, l'immense cirque des Ganadas, et le
cone etincelant du Teyde qui, sous la transparence de
l'air, nous apparait dans toute sa nettetS et sa splendeur !
Gette petite ville, qui Stage ses maisons blanches, ses
belvederes, ses ddmes au milieu de riants jardins, c'est la
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280 COURSES ET ASCENSIONS.
Orotava ; celle qui s'etale le long du rivage , c'est le
Puerto. Voici le celfcbre jardin botanique ; \o\\k les mon-
lanetas, petits c6nes volcaniques qui, k diflerentes epo-
ques, ont surgi dans la vallee. Au loin, dans la brume
de l'Ocean, s'esquisse la silhouette effac6e de Tile de
Palma.
Nous descendons maintenant rapidement. Dans cette
vallee qui, tout h l'Jieure, nous paraissait s'etendre en
pente r^guliere, notre route decrit de nombreux lacets,
contourne les mamelons, gravit les coteaux, franchit les
ravines, fait mille circuits pour s'elever jusqu'a la Orotava,
que nous croyons toucher et qui se derobe sans cesse h
notre approche. Le chemin est riant, bien bord£ d'arbres,
de buissons en fleur. II serpente au milieu des champs
de nopals, que nous avions laiss6s aux portes de Santa-
Cruz et que nous retrouvons ici en pleine culture, tout re-
couverts de chiffons blancs prot6geant la cochenille et
qui produisent un aspect singulier. Mais voici l'arbre bi-
zarre que je cherche depuis si longtemps, — guid6 par les
descriptions des voyageurs, — et que je croyais toujours
rencontrer. Cette fois, le doute n'est plus possible : c'est
bien \k le dragonnier au tronc rabougri, raboteux, d'ou
partent, en guise de branches, des fuseaux tronqu6s gar-
nis de feuilles pointues. II n'y en a que deux ou trois sur
la route ; l'espece est rare, la croissance trfcs lente, et il
faut k ce singulier vegetal une situation parfaitement abri-
t6e et une temperature constante que Ton ne rencontre
qu'en certains points des Canaries.
Enfin, nous gravissons une dernifcre cdte fortraide, toute
pavee de glissants blocs de basalte, et nous atteignons la
place San-Agostino, oil, dans Tune des plus antiques de-
meures de la Orotava, nVattend cette large hospitality ce
• bienveillant accueil, qui caract£risent si bien la noble na-
tion espagnole et que je devais rencontrer partout dans les
lies.
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UNE EXCURSION AUX 1LES CANARIES. 281
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282 COURSES ET ASCENSIONS.
LA VALINE DE LA OROTAVA. — LA OROTAVA,
LE PUERTO, AGUA-MANSA
La Orotava, qui est le but principal de mon voyage et
oh je dois faire un long sejour, est la ville la plus impor-
tante de la vallee. Celle-ci s'6tend des collines de Santa-
Ursula k la chaine escarp6e du Realejo sur une longueur
d'environ 12 kilom. Elle s'eleve k 1,200 met., avec un de-
veloppement de 10 a 11 kilom. du Puerto k Agua-Mansa,
jusqu'aux bois de pins ou prennent leur source les eaux qui
alimentent la Orotava et fertilisent la campagne. La ville
elle-m^me est k 600 met. d'altitude et k 5 lieues du rivage;
la pente est done considerable et la route penible si Ton
veut remonter directement de la mer k la montagne.
Gette grande d6clivit6 dusol, qui fait que l'altitude a des
variations considerables dans un deplacement relativement
restreint, transforme rapidement la nature de la vegeta-
tion. De tropicale k la c6te, elle passe, a mesure que Ton
s'en 61oigne, par toutes les transformations de la flore des
contrees temperees et froides. Ainsi Ton rencontre d'abord,
vers le rivage, la region des orangers, des palmiers, puis
celle de la vigne. Au-dessus de la Orotava se montrent les
ch&taigniers ; k la base des montagnes, les pins; au-des-
sus, les foug&res ; puis, k 2,000 m&t., le roc sec et aride.
Les nuages se condensent, k 1,200 met., dans la region
des for£ts,quiretiennentrhumidit6etladeversent en ruis-
seaux fertilisants dans toute la valine. Les neiges, qui cou-
vrent le pic de T6neriffe et les hautes cr&tes pendant une
partie de l'annge, contribuent a l'alimentation regulifcre
des sources qui amenent partout la vie et l'abondance.
(Test ainsi que, gr&ce k son climat constant, k sa situa-
tion exceptionnelle, kson sol si riche, la vallee, — que Ton
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UNE EXCURSION AUX 1LES CANARIES. 28J5
appelle ici la Cumbre de la Orotava, — presente cette v6g6ta-
tion remarquable et luxuriante qui en rend le sejour en-
chanteur et 1'impression ineffaQable. Les anciens, lorsqu'ils
abord&rent dans cette region de Tile, durent certainement
Gtre vivement frappes par son aspect. A cette epoque, les
for&ts etaient beaucoup plus importantes, les pentes boi-
sees, les eaux abondantes, la fertility plus prodigieuse en-
core, lis reconnurent que c'Stait la, aux confins du monde,
une terre privil6gi£e ; ils y plac&rent les Champs-Elysees,
le jardin des Hesperides, sejour mysterieux qu'ils environ-
nerent de la plus poetique legende.
La Orotava est* une petite ville de 8,000 ames, construite
au centre de la vallee. Les rues sont tr&s escarp6es et les
maisons s'etagent les unes au-dessus des autres, regardant
la mer et son vaste horizon. De nombreux jardins super-
posent leurs terrasses toutes couvertes d'un epais tapis de
verdure, Ils pr6sentent une vegetation extraordinaire et des
espfcces ph6nom6nales. G'est la que se trouvait le fameux
dragonaier contemporain des epoques les plus reculees de
Thistoire. Humboldt lui assignait un age de 6,000 ans. Sa
circonference, mesur6e a Tepoque de la conqu^te, etait de
J 8 met. ; trois siecles plus tard, le naturaliste Ledru con-
statait que le perimfctre de Tarbre n'avait pas augmente
d'un pied; on entrevoyait, par la lenteur de son accrois-
sement, l'eporme nombre d'annees qu'il avait du mettre
a se developper. Ce g6ant a disparu, abattu par la tempete.
Sur le sol oil il s'est eleve, un autre petit dragonnier a 6te
plante. Qui sait si dans quelques milliers d'annees les
peuples futurs ne retrouveront pas, a cette mftme place
l'arbre plante par nos contemporains et devenu un g6ant a
son tour?
J'ai admirS, tout pr6s de la, chez M. le marquis de la
Candia, un autre phenomene v6g6tal. C'est un enorme
chataignier, dont les lourdes branches se brisent et se de-
tachent du tronc vermoulu qui ne peut plus les supporter-
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28 i COURSES ET ASCENSIONS.
C'est cet arbre que je reproduis ici, d'apres le croquis que
j'en ai pu faire k la Orotava.
Dans ces jardins se dresse encore le palmier haut de
30 met. que les premiers conqu£rants nous ont signaled
L'araucaria importe dans Tile y etend ses majestueux
rameaux. Mille arbustes d'essences diverses s'y rencontrent
et s'y d^veloppent k l'envi. Les gazons s'6maillent de
fleurs et s'etagent en larges gradins oil les ruisseaux de la
montagne viennent multiplier leurs cascades.
C'est encore cette vigoureuse nature qui forme k la Oro-
tava le contraste le plus saisissant avec les rues d6sertes et
silencieuses et les habitations fermees. Cet aspect morne,
au milieu du plus imposant des spectacles de la nature,
parait une antithese inexplicable. Ici, point de commerce :
le sol suffit & nourrir les habitants. Le paysan habite des
cabanes, cultive la terre, vit de peu, reste miserable. Le
solne lui appartient pas ; il est partage entre les anciennes
families, dont la plupart font remonter leur origine &
l'epoque de la conqu&te.
La Orotava est le sejour prefere de la noblesse. Beau-
coup de vieilles maisons portent au-dessus de Tentree
un ecusson de marbre ou sont gravees les armes de la fa-
mille. Sur la fagade, des balcons en bois, decoup6s et cou-
verts; des volets ferm6s, & compartiments, qui se soulevent
sur le passage des promeneurs et laissent apercevoir des
visages gracieux, aux regards inquisiteurs. Une toiture en
tuiles creuses, des murs crepis k la chaux, une decoration
peinte, noire ou rouge, parfois gravee a la maniere des
graffiti italiens. A l'interieur, un patio tout rempli de fleurs
qui grimpent le long des murailles. Un bel escalier en
bois aux peintures vives, aux rampes & balustres elegants,
qui fait communiquer la cour & de vastes galeries vitrees
entourant le premier etage. De grandes portes, k deux
vantaux, s'ouvrant sur ce large promenoir et laissant pe-
n6trer la fraicheur dans les differentes pieces de Thabita-
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UNE EXCURSION AUX 1LES CANAK1ES. 285
3
o
C
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286 COURSES ET ASCENSIONS.
lion. Comme dans tous les pays chauds, les salles sont spa-
cieuses et 61ev6es, blanchies k la chaux, sans tentures. A
la Orotava, le plafond suit la pente de la toiture et parait,
au-dessus de la t£te, comme une nef renversee. C'est le
syst&me des Arabes, c'est leur architecture que Ton re-
trouve jusque dans l'ajustement ingenieux des portes, des
menuiseries aux compartiments habilement combines.
Les cafes sont inconnus, mais il y a deux « casinos » ou
Ton peut jouer, fumer, parcourir la Revista de las C anurias
et quelques rares journaux de la peninsule apportes bi-
mensuellement par le courrier. Sur les murs de la petite
bibliotheque s'tftale le plan perspectif de l'Exposition uni-
verselle, prime de la Ilustracion espagnole, qui vienfc rap-
peler jusqu'ici le souvenir toujours vivant de la grande
cite parisienne.
Le soir, apres le coucher du soleil, la noble society de
la Orotava fait ses visites et se rassemble. Les senoritas
quittent alors les guichets indiscrets de leurs fenMres,
coiffent la s6duisante mantille et, sans oublier l'inevitable
eventail, qu'elles manoeuvrent de la maniere la plus gra-
cieuse, viennent prendre leur part de ces reunions in-
times qui sont, avec les ceremonies de l'eglise, leur prin-
cipale distraction.
C'est dans les gglises qu'il faut voir la population de la
ville. Caballeros, senoras, peons, tous sont agenouill^s sur
les dalles, plong6s dans le plus profond recueillement,
pendant que le pr&tre officie entoure de toutes les splen-
deurs du culte. La cath^drale est le plus beau monument
de Tile, avec ses faisceaux de colonnes sculptees, ses
voiites — une chose rare il T6n6riffe — , ses retables or-
nes, ses clochers en forme de ddme ; une foule empress6e
la remplit. J'arrive precisement au milieu des f§tes de la
Semaine Sainte, dont j'avais d6jk k Seville, dix jours au-
paravant, remarqu6 les preparatifs imposants.
Chez ce peuple, qui a conserve toutes ses traditions re-
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UNE EXCURSION AUX 1LES CANARIES.
287
Casa de Fonseca, rue San-Francisco, a la Orotava
(dessin de A. Coquet, d'apres nature).
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288 COURSES ET ASCENSIONS.
ligieuses, les c£r6monies do l'Eglise s'accomplissent en
grande pompe et prennent un caract&re joyeux ou triste
particulier k la nation espagnole, mais toujours imposant.
Les homines ont des vetements sombres en signe de
deuil, les femmes sont enveloppees de grands voiles noirs.
D'interminables processions parcourent la ville. Au son
d'une musique tralnante dont le rythme monotone m'a
poursuivi longtemps, la foule prom&ne des statues repre-
sentant les personnages de la Passion : des saintes re-
v6tues de somptueux costumes; le Christ flagelle, tout
ruisselant do sang et d'un r^alisme que les artistes espa-
gnols ont su pousser & ses dernieres limites.
Le soir, aux flambeaux, la procession recommence, ser-
pentant a travers les rues escarpees, d'ou les torches bril-
lent au-dessus de ma t£te comme des etoiles mouvantes.
L'orchestre reprend,avecle m£me rythme lamentable qu'il
me semble entendre encore ; les chants des fiddles l'accom-
pagnent. Les membres des confreries, en longues robes
de soie rouge, le maire, les principaux personnages, toute
la population, portant des cierges, escorte religieuse-
ment les saints personnages que Ton continue h promener
avec solennit6.
Je recommande aux trop rares touristes ce spectacle
6trange.Au milieu du silence de la ville endormie,c'est une
apparition inattendue qui vient surprendre le voyageur
dans le calme profond de cette grande nature canarienne.
J'aime ce silence et cette ombre qui, apres la brillante
et chaude journ6e, vient envelopper la vallee! Parfois, a
la p&le clarte des etoiles, Thorizon semble s'agrandir. Au
loin, les montagnes decoupent nettement leur silhouette,
la mer 6tale ses reflets. Tout semble dormir; seul, quelque
guitariste attard6 vient en passant jeter ses accords qui se
perdent bient6t dans la nuit.
Cost de la Orotava que je vais rayonner dans toute la
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UNE EXCURSION AUX iLES CANARIES. 289
campagne, avant d'entreprendre l'ascension du Pic. Je vais
l'admirer chaque jour a mon reveil; il se presente a moi
sous le plus agreable aspect et semble m'inviter a lui ren-
dre une visite amicale. J'esp&re que nous ferons bient6t
plus ample connaissance.
Pour le moment, je dirige mes pas vers le Puerto, la se-
conde ville de la valine. Gelle-ci contient 18,000 habitants,
'dissemines dans de nombreux villages. Le Puerto en pos-
sede 4,000. La route qui y conduit, de la Orotava, est
large, bien entretenue; elle fait de nombreux detours qui
doublent la distance, mais 6vitent la pente rapide que sui-
vait le chemin primitif, tout pav6 de gros blocs de basalte.
Nouspassonsprfcs d'unde ces c6nes volcaniques que j'ai
deja signales. Celui-ci s'appelle la Montagne-Noire ; c'est
le dernier de tous ceux qui ont surgi, et, bien que son exis-
tence remonte a plusieurs sifccles, la vegetation ne Pa pas
encore compl&tement envahi.
Nous arrivons devant le Jardin botanique, fonde au
sifcele dernier par le marquis de Villanueva, actuellement
sous l'habile direction du sympathique senor Wildpredt.
On le reconnait de loin a ses sombres taillis qui tran-
chent sur les champs d'alentour. Bien expos6, pourvu
d'eau en abondance, il presente la reunion la plus com-
plete de la flore tropicale et temper6e. On eprouve un
charme infini a se promener sous les voutes fleuries de ses
epais ombrages ; Ton y admire les arbres les plus rares ;
toutes les merveilles de la v£g6tation semblent s'y 6tre
donn6 rendez-vous.
Un peu plus loin, la route multiplie ses lacets a travers
les falaises qui dominent a plus de 100 m&t. la ville du
Puerto. Dans toutes les anfractuosites se montre une plante
singuli^re : c'est la grande euphorbe des Canaries, formee
d'un faisceau de longs prismes charnus, remplis d'une
liqueur blanche, caustique, s'echappant en abondance a
la moindre lesion. Cette euphorbe envahit toute la c6te;
ANNUAIRE DB 1883. 19
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290 COURSES ET ASCENSIONS.
elle croit vigoureusement parmi les eboulis, sous les
chauds rayons du soleil qui nous ramene, au Puerto, a la
temperature tropicale.
La ville est resserree le long du rivage; la falaise lasur-
plombe litteralement au Nord. Au Midi, c'est le d6bouch6
d'un large barranco qui la termine, et, dans ces limites,
les rues suivent les ondulations du sol et prennent par-
fois, quoique pres de la plage, des pentes exag6rees.
Un petit port donne quelque animation tout & l'entour ;
de grands bateaux, venant de Lanzarote, y debarquent
leurs cargaisons de poissons sal6s ; des caboteurs y font un
service r^gulier avec les autres lies de l'Archipel. C'est au
Puerto que se concentrait le commerce des vins de Mal-
voisie ; mais, depuis que 1'oi'dium a ravage les vignobles,
les principales maisons se sont ferm^es.
Une autre source importante de richesses tend aussi h
disparaltre. La cochenille, dont la culture, par ses bene-
fices fabuleux, a fait la fortune de la contree, vient d'etre
d6tr6nee par les nouvelles d6couvertes de la chimie. Les
champs de nopals sont abandonn6s de jour en jour, et il
faudra que la population laborieuse demande bient6t &
son sol g6nereux de nouveaux produits pour remplacer
ceux qui faisaient saprincipale renommSe.
La campagne environnante est pittoresque et bien cul-
tiv6e ; les orangers et les palmiers succ&dent aux nopals.
Diss6min6es sur les Eminences, dans des positions bien
choisies, de grandes villas 6talent leurs portiques de ver-
dure et leurs terrasses. Tout est dispose pour en faire des
sejours agreables et surtout a l'abri des trop grandes cha-
leurs de la c6te : sous les portiques se place une seconde
galerie, et c'est sur celle-ci que viennent d6boucher les
por tes largemen t ou vertes des diverses pieces de l'habitation .
Le complement n£cessaire a cette premiere excursion
dans la vallee, c'6tait d'efFectuer la course opposee, qui
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UNE EXCURSION AUX 1LES CANARIES. 291
bo
<
me permettrait d'embrasser Tensemble des differentes
zones. J'6tais venu au rivage, jedevais maintenant retour-
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292 COURSES ET ASCENSIONS.
ner & la montagne, et je me preparai k l'ascension d'Agua-
Mansa. Ascension est bien le mot que je dois employer ;
c'est une veritable escalade qu'il faut accomplir sur la
route grimpante. Ici, point de detours, de gracieux lacets,
comme ceux qui m'avaient fait descendre insensiblement
au Puerto ; c'est la pente brutale qu'il s'agit d'attaquer, et
par quels cbemins ! mieux vaudrait escalader une moraine
ou gravir un glacier. Le sentier qui me sert de route est
litteralement pav6 de blocs de rochers, souvent 6normes;
il est encaiss6 entre deux talus de pierres croulantes qui
soutiennent les terres et parfois divalent en avalanches
sur le temeraire touriste. Puis voici une muraille qui se
dresse devant moi, tandis qu'a mes pieds git un trou
b£ant : c'est le dernier orage qui, transformant le chemin
en torrent, a emportS les grands blocs et elev6 une bar-
riere qu'on se gardera bien d'abattre et de faire dispa-
raitre. Aussi cette course de 5 kilom&t. est-elle une
laborieuse entreprise qui me sera comptGe plus tard, je
l'esp&re, parmi les grands travaux que j'aurai accomplis.
Je commence done, accompagn6 d'un guide, & m'elever
k travers les rues de plus en plus grimpantes de la Oro-
tava. Si le Puerto s'etend en largeur, c'est tout l'oppose
ici, et, quand j'arrive au point culminant de la ville, je
l'embrasse tout enti&re d'un seul regard. Puis, je m'engage
dans le fameux sentier qui, tout d'abord, ne me paraitpas
trop rebarbatif.
Qk et la nous apercevons dans les champs des cabanes
couvertes de chaume ; ce sont k peu pres les seules ha-
bitations que nous allons rencontrer. Les pauvres gens
qui les habitent vivent exclusivement du sol ; ils n'ont
point pourtant l'aspect trop miserable. Ils nous accompa-
gnent d'un bienveillant Va con Dios, et nous remettent snr
le vrai chemin quand les perturbations du sol nous ont
fait perdre notre direction premiere. Je distribue bien par-
cipar-l& quelques quartitos; c'est affaire d'habitude. Une
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UNE EXCURSION AUX iLES CANARIES. 293
vieille femme, k qui je demande ce qu'elle en veut faire,
me repond que c'est pour aeheter du tabac : pouvais-je les
lui refuser?
A 900 metres commencent les premiers ch&tatfgniers ; ce
sont de beaux arbres, dignes rejetons de celui de la Oro-
tava. lis sont maintenant plus nombreux, presque une
for£t; ils nous accompagnent jus-
quk une espfcce de plaine oil nous
trouvons des p&turages arroses
par les eaux de TAgua-Mansa. De
temps en temps, un bruit assour-
dissant vient frapper nos oreilles :
ce sont des milliers de petites gre-
nouilles rassemblees dans les re-
servoirs d'irrigation, et qui nous
accueillent par ce concert tout &
fait hors de proportion avec la
taille des executants.
Brusquement, nous d^bouchons
sur un vrai plateau ; devant nous
se dresse la cordill&re, et nous
sommes & la base d'une epaisse
for£t de pins et de bruy&res, k l'al-
... , , . ~ AA ,. TT ... Paysan de la haute vallee
titude de 1,200 metres. Une petite de Ja orotava.
fille qui garde ses chevres, non
loin d'une grande ferme que je suis bien etonn6 de
trouver \k, va nous guider vers les sources. Je lui octroie
g6n£reusement dix sols, et immediatement elle abandonne
son troupeau;je crois qu'& ce prix elle nous conduirait
jusqu'au Pic.
Les sources — TAgua-Mansa, c'est-&-dire Teau tran-
quille, — sortent de trois galeries superposees qu'on a
creus6es dans la pente escarp6e de la montagne. Les ga-
leries sont toutes tapissees de mousses, de plantes para-
sites ; tout autour'sont de gigantesques bruy&res, des pins
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29i COURSES ET ASCENSIONS.
et enfin le dernier ch&taignier de la region, qui est venu
s'egarer jusque-li.
Aprfcs un repos bien gagn6, agr6mente de quelques
tasses d'un lait de ch&vre qui me paralt delicieux, nous
commengons la descente. Moins habile que mon guide et
que les indigenes, qui degringolent naturellement dans
ces sentiers & cascades, j'appelle k mon aide toute ma
strategic pour contourner adroitement les obstacles, et j'y
reussis en avangantprudemment et avec une sage lenteur.
Enfin, je termine heureusement la course et, tout fier du
resultat que je viens d'obtenir, je me dis que desormais
il m'est permis d'entreprendre I'ascension du Pic.
DE LA OROTAVA AU REALEJO.
ASCENSION DU PIC DE T£N£RIFFE
Le Pic, sous le soleil de mai, s'est depouill^ de sa pa-
rure de neige : c'est le moment d'en tenter l'escalade ;
mais, avant de Tentreprendre, il me reste k parcourir et a
decrire la plus belle partie de la valine. C'est precis^ment
celle que je dois traverser pour aller au Realejo, petit
village ou je vais preparer la premiere etape de mon
ascension.
La route se d6roule, parallfclement k la mer, un peu au-
dessous de la Orotava. Quand je me retrouve au milieu de
la luxuriante vegetation del'lle, cesont toujourslesmtoes
descriptions que je dois reproduire, avec cette difference
que si mon r6cit en devient monotone, l'impression que
je ressens me paratt toujours nouvelle et le spectacle
grandiose comme au premier jour ou il m'est apparu.
Cette large et belle voie sur laquelle je m'engage est
toute bordee de gigantesques eucalyptus, de tamaris, de
lauriers-roses qui r£pandent au loin leurs Acres senteurs.
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UNE EXCURSION AUX 1LES CANARIES. 295
<
.J
Dans les branches des arbres, sur les buissons,partout dcs
fleurs aux nuances les plus varices et les plus vives, de
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296 COURSES ET ASCENSIONS.
v£ritables bosquets de roses, des geraniums aux plus bril-
lantes couleurs.
Les barrancos m3me semblent avoir revfctu une parure
de f&te; on ne les franchit plus en lacets, on les traverse
sur des ponts; quelques-uns ont n6cessite de v6ritables
travaux d'art, mais le pittoresque n'y a rien perdu et la
commodite des communications y a largement gagne.
Nous laissons a gaucbe, h mi-coteau, un chemin qui
dessert les petits villages que nous apercevons sous les
bois de ch&taigniers, la Perdona, la Cruz-Santa, tout en-
velopp6s de verdure. Du c6t6 de la mer, ce sont les c6tes
qui s'avancent en promontoires et se d6coupent d'une
maniere bizarre. Dans un repli du sol, qui s'abaisse vers
le rivage. nous decouvrons un delicieux s£jour, la Rambla
de Castro. (Test une jolie villa tout entour6e de palmiers
et dont les jardins, arrosSs par des sources qui sortent des
roches voisines, suivent les mille detours des anfractuo-
sites dans lesquelles ils sont en quelque sorte suspendus.
Les terrasses, relives par d'6troits d6fil6s qui bordent les
contours de la falaise, surplombent l'abime ; les sources
s^chappent de tous c6tes, m^lant leur doux murmure au
bruit du flot qui vient mourir k nos pieds.
Au-dessus de la Rambla, la route doit quitter la ligne
droite que nous avons suivie pendant 7 kilom&t., pour
gravir par de nombreux lacets les pentes qui conduisent
aux deux villages du Realejo, situ6s a mi-c6te sur le
premier contrefort de la chalne que nous devons escala-
der. Realejo de Arriba se distingue par son clocber, que
Ton aperQoit au loin, et par un beau dragonnier qui de-
tache sa silhouette bien connue sur le fond des montagnes.
C'est encore une petite ville ou la pente des rues defie les
lois de Tgquilibre; mais Ton s'habitue & tout et, pourpeu
que cela continue, je finirai par croire que la ligne hori-
zontale n'existe pas aux Canaries.
Au Realejo nous organisons notre caravane. Nous arrS-
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UNE EXCURSION AUX iLES CANARIES. 297
tons &nes et chevaux, qui ne paient pas de mine, mais
n'en sont pas moins d'excellentes b£tes habituees a la
montagne, trouvant le moyen de passer dans les sentiers
les plus invraisemblables et ne connaissant pas d'obsta-
cles. Nos guides sont en m&me temps nos porteurs ; comme
nos b£tes, ils sont infatigables et surs. Quant k nos provi-
sions, nous les avons apportees avec nous, et elles ont 6t6
choisies avec toute la sollicitude que comporte la circon-
La cdte Nord de Teneriffe, vue de San-Vicente.
stance; le malvoisie n'a pas 6te oublie. Ge sont mesures de
prudence, car le Realejo ne presente h nos estomacs que
des ressources tout & fait limitees.
Nous commenQons a grimper la c6te ardue qui domine
le village et termine ici la vallee de la Orotava. Au depart,
nous trouvons une canteria, petite carri&re ou Ton exploite
une roche compacte, volcaniqu?, d'un vert sombre; puis
nous montons rapidement. Le chemin est mauvais, glis-
sant; il me rappelle celui d'Agua-Mansa. De larges blocs
d'obsidienne, polie comme de Tacier, sont m61es aux ba-
saltes et aux laves qui ont la pretention de paver la route.
Nous serpentons sur le flanc de la montagne, qui nous
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298 COURSES ET ASCENSIONS.
surplombe parfois. Qk et 1&, quelques petits champs, un
peu de ble dans les gradins plus ou moins etroits qui, en
certains points, bordentle chemin. Des figuiers sortentdes
fissures de la roche ; de petits filets d'eau sourdent fre-
quemment.
A 1,200 met., nous atteignons une ferme qui couronne
Textremite de la chalne du c6te de la mer. Nous l'avions
apergue de loin sous la forme d'un point blanc, comme un
phare dominant la c6te, lorsque nous cheminions vers le
Realejo. De \h, le panorama est superbe, bien superieur a
celui qui nous a fait embrasser, de la cdte de Santa-Ursula,
tout l'ensemble de la valine.
A partir de la ferme, nous quittons le sentier caillou-
teux encastre dans le flanc de la montagne, et c'est sur
l'ar&te que nous allons d6sormais continuer la montee;
mais l'ascension n'est pas pour cela plus facile. Des fon-
driferes a chaque pas, des coudes brusques au dell!t des-
quels il faut escalader les rochers, des sentiers ravines par
les pluies, de profonds precipices que Ton cdtoie, tout
enfin nous force de mettre plusieurs fois pied & terre pour
eviterles accidents; car nos montures se derobent, quel-
que habituees qu'ellessoient a la locomotion surces monts
escarp6s.
A nos pieds, dans le fond de la valine, on distingue net-
tement les champs du Realejo ; de grands reservoirs bril-
lent comme des miroirs sous les reflets du soleil; des
canaux,semblables& de minces filets d'argent, distribuenl
leurs eaux dans la campagne, toute sillonnee de grandes
digues ou murs de pierres volcaniques arrachees au sol et
disposees en amas plus ou moins epais, afin de laisser
l'espace facilement cultivable.
A mesure que nous nous 61evons sur Tarfcte de la mon-
tagne, qui forme un des premiers contreforts du grand
cirque des Ganadas, nousvoyons aussi sederoulerle pano-
rama de l'lle en arriere de la chalne. Toute la partie Ouest-
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UNE EXCURSION AUX iLES CANARIES.
299
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300
COURSES ET ASCENSIONS.
Nord-Ouest, jusqu'& la pointe Teno, ou la c6te prend la
direction du Sud, commence k nous apparaitre.
D'autres contreforts, paralleles h celui que nous gravis-
sons, nous d6robent la vue de la jolie vallee d'/cod; mais,
au del&, voici les montagnes de Guarachico qui s'avancent
jusqu'& la mer et Mot qui se trouve & l'entree du port.
Puis la petite plaine de Buenavista, que surplombent
d'enormes rochers ; le cdne volcanique de sa montaheta et,
Vue de la vallee de la Orotava et de la partie Nord de Teneriffe,
prise de la Corone, au-dessus du Realejo.
enfin, en arriere, la pointe Teno qui s'allonge vers l'Ocean.
Nous avons laisse successivement derri^re nous les
figuiers, les petits champs cultives, les broussailles et
quelques arbres ; nous venons de traverser la zone des
brumes et nous commengons a rencontrer les bruyeres
qui vont nous accompagner jusqu'k Tentree des Canadas.
Les pentes sont partout ravin^es, une troupe de paysans
arrache tranquillement les racines des bruyeres qui
forment la seule vegetation de ces parages. II parait que
ces racines servent de nourriture aux pores. Quoi qu'il en
soit, la degradation s'accentue, et quand rien ne viendra
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UNE EXCURSION AUX iLES CANARIES. 301
plus retenir les eaux, quand le dcboisement sera con-
somme, la montagne deviendra aride, desol6e, el les sources
taries ne pourront plus fertiliser les vallees dont elles
c onstituent toute la richesse.
D<§ja l'lle ne peut plus m6riter les 61oges de Humboldt,
encore moins ceux des anciens. Le deboisement marche
avec rapidity, 1'administration est impuissante ou inca-
pable pour FarrSter, et les conditions hydrographiques et
climatologiques continuent a se transformer. Autrefois,
Le Pic de Teneriffe, vu de l'un des contrefoits des C an ad as.
Tile de T6n6riffe 6tait partout couverte de forSts; un arbre
magnifique, le pin des Canaries, pinus canariensis, carac-
t6rise par ses feuilles bi-foliacees , a en grande partie
disparu, ainsi qu'un autre conifere, le lea, arbre eminem-
ment resineux et incorruptible dont on se servait beau-
coup pour tous les travaux de charpente et de menuiserie.
Le Pic est Ik, devant nos yeux, mais sa base nous est
toujours cach6e. Pour atteindre le grand cirque qui l'en-
toure, il nous faut encore traverser plusieurs ravins et
continuer la mont6e en suivant la cr&te des montagnes
qui se succedent. Le soleil tombe d'aplomb sur nos t£tes ;
un calme profond nous environne. Les bruyfcres devien-
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S02 COURSES ET ASCENSIONS.
nent plus rares, le sol plus aride ; et, quand nous arrivons
a Tentree des Canadas, il n'y a plus que quelques retamas
de plus en plus rabougris qui nous accompagnent.
Enfm ! voici le grand cirque, l'immense cuvette, primi-
tif cratfcre d'oii le Pic stance majestueux dans le ciel
d'azur. Nous avons d6pass£ raltitude de 2,000 met.et nous
sommes maintenant dans une vaste plaine de pierre ponce,
toute parsem6e d'6normes blocs de lave. Tout autour de
nous se dressent les crates dechiquetees de l'ancien volcan,
sur un p6rim£tre de 54 kilom&t., et ne s'abaissant que du
cdte de Buenavista, unique point de cette region ou Ton
rencontre encore les forMs et le pin des Canaries.
Tout nous offre l'aspect de la desolation ; les touffes de
retamas sont les seules manifestations de la vie dans cette
solitude grandiose qu'aucun bruit ne vient troubler.
II faut franchir cette grande plaine pour atteindre la
base du c6ne. G'est une etape longue et p6nible ou le
soleil, malgr6 l'altitude, nous fait sentir toute la chaleur
de ses rayons. Dans cette region, la s6cheresse est extreme
et la marche n'en est que plus fatigante. Mes guides n'ont
pas Fair de s'en apercevoir ; ils continuent leur route d'un
pas stir, comme des gens habitues a vivre et a se mouvoir
au milieu de cette nature tourmentee.
La lumifcre r^fl^chie par la couleur blanche des ponces,
les gros blocs d'obsidienne qui miroitent au soleil, aug-
mentent la fatigue, et, quand nous traversons le mal pais,
passage tout couvert de gros blocs, la chaleur absorbee
par la lave vient s'ajouter encore a toutes ces miseres.
Enfin, nous faisons halte ; nous sommes arrives au Sitio
de descanso, a YEstancia de los Ingleses, amas de roches
reunies en forme d'enceinte, ou nous allons, avec la voute
du ciel pour abri, prendre un repos bien gagne et atten-
dre l'aurore qui doit nous permettre de continuer notre
ascension.
Sous le soleil couchant, les cr&tes du grand cirque s'il-
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UNE EXCURSION AUX 1LES CANARIES. 303
luminent et decoupent nettement leurs formes dechique-
t6es; les grandes ombres s'allongent, et bient6t la nuit
etoilee vient nous envelopper. Pas d'agitation dans l'air;
un silence, un calme imposant regnent sur les Canadas ;
et rien ne vient troubler notre solitude, si ce n'est le p6til-
lement des branches s&ches de retamas au foyer bienfai-
sant qui eloigne de nous le froid de la nuit.
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304 COURSES ET ASCENSIONS.
Ce n'est pas souvent que Ton a l'occasion de venir dor-
mir & 2,800 m&t. daltitude avec le pic de T6neriffe pour
oreiller ; malgr£ l'orgueil que j'en ressentais, le manque
d'habitude ne m'a pas fait apprecier, autant que je l'aurais
du, cette hospitality de la montagne, et j'avoue que je me
suis arrach6 tr&s facilement aux douceurs du sommeil
pour reprendre & Taube mon escalade.
Le Pic est maintenant au-dessus de nos tfctes ; Ton n'en
voit pas le sommet, car il y a encore une depression, une
espece de petite cuvette, rambleta, qu'il faut atteindre
avant d'arriver au but, et qui nous le dissimule. Nous lais-
sons \k nos chevaux; c'est prudent, car la pente prend des
proportions inquietantes et le sol devient friable, tout en
restant parseme de gros quartiers de lave. Nous arrivons
h une derniere station, Altavista, espece de refuge creus6
dans les eboulis et pres duquel est une grotte curieuse,
profonde de 8 met., remplie de glace et d'une eau trans-
parente ou les guides viennent renouveler leur provision.
A partird' Altavista, la pente se redresse encore, le sol
devient de plus en plus friable, plein de morceaux de laves
rouges, calcinees et desagreg£es; Ton glisse en croyant
avancer, et ce n'est qu'au prix d'efforts prolong6s et d'ar-
r£ts frequents que je parviens & me hisser sur le bord de
la Rambleta.
A cette altitude, la respiration devient pGnible et les
forces s'epuisent rapidement ; tout mouvement est une
fatigue ; Fair est de plus en plus sec et rare.
II nous reste encore la derniere partie du c6ne & gravir;
c'est la moins longue, mais la plus ardue. La roche est
totalement decomposee, des vapeurs desoufre s'en 6chap-
pent ; la paroi devient verticale ; enfin, un dernier effort
et j'atteins la crfcte qui borde le cratfcre. Nous sommes a
3,711 met. d'altitude.
Le Pic est termine par une cuvette, la caldera, depres-
sion en forme d'ellipse, dont la plus grande dimension est
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UNE EXCURSION AUX tLGS CANARIES. 305
(Tune centaine de m&tres, et qui est remplie de laves
decomposees, d'efflorescences de soufre se formant sans
cesse et d^gageant des vapeurs que l.'on apergoit du
Puerto de la Orotava, ainsi que j'ai pu le constater. Le sol
est brulant, les pieds s'y enfoncent et la chaleur est tene-
ment intense que Y6n ne peut rester sur place.
ANNUAIRB DK 1883. 20
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306 COURSES ET ASCENSIONS.
Mais le spectacle n'est pas 1&, il est tout h 1'exterieur et
se deroule h mes pieds. Nous sommes comme suspendus
au-dessus de Tile, dont la base parait trop 6troite pour
supporter la montagne ; malheureusement, les brumes
nous entourent et forment comme une ceinture blanche
autour des Canadas, qui se developpent dans toute leur
majeste.
Toute la c6te nous apparait etroitc, resserree ; Ton dis-
tingue k peine Santa-Cruz; la valine de la Orotava ne tient
plus qu'une faible place; les cimes se sont abaissees ; nous
planons litteralement sur Tile.
Les sommets des iles voisines Emergent au-dessus des
nuages ; tout pr&s de nous, la Gomera, puis Palma, Gran-
Ganaria et TOcean immense ! L'ombre gigantesque du
Teyde s'etend sur les nuees; elle descend jusqu'& la mer,
s'allonge et disparait dans la profondeur de l'horizon.
II est rare de trouver le Pic d6pouill6 de cette atmo-
sphere de vapeurs qui nous derobe la vue du plus majes-
tueux des panoramas. Pendant le long sejour que j'ai fait
dans Tile, j'ai vu bien rarement la montagne sans sa cein-
ture de brumes. Toujours la silhouette de Palma s'effaQait
h Thorizon, Hierro etait invisible, et pourtant, aux m&mes
distances, j'aper^ois bien souvent, de ma fen&tre, les mon-
tagnes de la Savoie et les cimes plus eloignees encore des
grandes Alpes dont je decouvre facilement la chaine.
Glavijo, un savant Ganarien qui, au si&cle dernier, a
ecrit Thistoire la plus complete des lies, nous a donne la
description d'une ascension accomplie dans Tun de ces
jours si rares ou Tatmosph^re est compl&tement pure. Du
magnifique observatoire oh il 6tait plac6, au sommet du
Pic, la base de TSneriffe lui paraissait trop Stroite pour
soutenir la puissante montagne; il decouvrait toutes les
iles : la Gomera et Gran-Canaria, les plus rapprochees* se
distinguaient nettement; puis venaient Palma et Hierra
et, pr&s de la c6te d'Afrique^ Lanzarote et Fuerteventura,
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UNE EXCURSION AUX iLES CANARIES. 307
plus basses et se perdant a l'horizon ; il aurait pu decou-
vrir le continent africain, si la chalne des montagnes de
Lanzarote s'6tait prolongee jusque-la.
La temperature n'est pas trop basse et se supporte faci-
lement ; la neige a disparu depuis peu, il en reste encore
de nombreuses traces dans les gorges, et ce ne doit pas
&tre l'aspect le moins remarquable de Texcursion que
celui du cdne glac6 entourant la cuve brulante toute rem-
plie de vapeurs.
Le cratfcre du Teyde n'est pas le seul que nous devons
contempler ; a nos pieds, a mi-cdte, nous retrouvons une
grande caldera ;c'est le Pico viejo, dont la puissance paralt
bien superieure a celle du sommet. (Test celui dont Irrup-
tion est la plus recenle, et les 6pais courants de lave,
dont on suit encore la trace, font comprendre l'intensite
des forces souterraines qui les ont lances dans la vallee,
detruisant le port de Guarachicq, et faisant ,un d6sert de
cette petite riUe, jadis si florissante, aujourd'hui morte
pour toujours.
Ce n'est pas sans regret que je jette 'un dernier regard
aux crates de la calderae\q\xe j'abandonne ce vaste horizon
developpe touUautour de moi; mais il faut songer a re-
trouver la terre apres avoir plan6 dans ces regions du ciel
ou je l'avais presque oubliee.
*La descente est rapide, trop peut-dtre. Ces amas glis-
sants de roches decomposes, qui se dSrobaient sous nos
pas et nous emp&chaient d'avancer, nous entrainent main-
tenant coirime dans une avalanche. Nous arrivons cepen-
dant sans encombre a Alta vista, ou notre allure se
modere avec la pente. Bient6t nous sommes a notre gtte
de l'Estancia ; nos chevaux nous attendent et nous repre-
nons notre route a travers les Ganadas, dans ces vastes et
monies plaines, toutes pav6es d'immenses blocs, image
du chaos.
Quelques heures plus tard, fourbu, mais satisfait, je reh-
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308 COURSES ET ASCENSIONS.
trais dans la cit6 du Realejo ; je revoyais le beau dra-
gonnier; les rues me semblaient horizon tales, les mai-
sons presque gaies. J'etais heureux de me retrouver dans
la zone civilis£e.
LILE DE LA PALMA.
SANTA-CRUZ DE LA PALMA. — LA CALDERA. — RETOUR
PAR LA COTE SUD-OUEST DE TENERIFFE
Je me dispose h m'embarquer pour la Palma, ayant pour
guide M. le docteur Perez, qui va y retrouver de nombreux
amis. Ce n'est pas une petite affaire que cette excursion,
quoique File nous apparaisse k 12 lieues de la c6te et
que la mer soit calme. Mieux vaudrait aller de Paris & Mos-
cou, de Londres & Alexandrie, que de franchir ces qua-
rante-huit kilometres dans la patache nautique qui doit
nous transporter.
G'est un petit voilier tout encombre de marchandises,
avec une soute ouverte, seul abri ou doivent s'entasser
colis et voyageurs. Nous y faisons porter des matelas, car
ce luxe n'est pas compris dans le tarif du voyage, et nous
devrions, sans cette precaution, coucher sur les planches ;
bien heureux encore si nous pouvions nous y £tendre tout
& notre aise.
Nous voil& installs ; le courrier, — car c'est le courrier,
— a complete son chargement ; les poulies grincent uije
derniere fois, Fancre est d6rap6e, les voiles se deploient!
et nous quittons le Puerto, accompagn6s par les saluts de
la foule rassembtee sur la jet6e.
Nous avons attendu le coucher du soleil pour profiter
de la brise qui nous Sloigne rapidement des c6tes. La terre
ne tarde pas h se perdre dans Fombre du soir. Notre bar-
quillo craque dans ses membrures, sous Feffort de la voile
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UNE EXCURSION AUX iLES CANARIES.
309
e
a-
S
o
tendue; je me suis
installe sur le pont,
cald entre deux bal-
lots, les pieds em-
barrasses dans les
cordages. J'aurai tou-
jours le temps d'aller
retrouver au fond de
la soute mes compa-
gnons entasses p&le-
m&le et plus oumoins
endormis.
Le lendemain, &
I'aube, nous sommes
devant Tile. Ge qui
mesurprendd'abord,
c'est la hauteur des
montagnes, relative-
ment h leur base;
elles forment deux
grandes masses sem-
blables aux bosses
d'un dromadaire, ver-
tes, bien bois^es et
descendant brusque-
ment vers la mer. En
face de nous, Sanla-
Cruz de la Palma,
jolie petite ville s'e-
tageant sur une cou-
lee de lave qui s'a-
baisse vers le rivage.
La plage est petite,
tr&s resserree, et c'est
encore Tune des plus grandes de cette c6te volcanique. A
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310 COURSES ET ASCENSIONS.
chaque extremite de la viHe les rochers se redressent
brusquenient et s'escarpent en falaises ; les routes s'61e-
vent en nombreux detours et regagnent la montagne.
Une petite jet6e, ornee de deux lantemes, constitue le
quai de d6barquement. Le port §st devant la ville; c'est la
mer, ou les vaisseaux dansent & l'ancre, confiants dans la
mansu6tude des flots.
L'atterrissement vers ce rudiment
i quai, oti il nous faut aborder, est
tose primitive, ne manquant pas
originality et d'imprevu. La vague,
nant se briser contre la jet6e, se-
►ue fortement notre barque, qui doit
>eir k tous ses mouvements d'oscil-
tion desordonn6e ; tant6t nous som-
es precipites au fond de Fabtme,
nt6t le flot nous remonte presque
i niveau de la digue. C'est le moment
opice : de vigoureux gaillards nous
saisissent, et nous sommes hisses
k force de bras sur la terre ferme.
C'est ainsi que nous prenons pied
dans Tile des Palmes.
Femme Dans ce coin perdu de TAtlan-
de Santa-Cruz de la Palma, . . * i» ,
coiffee de la montera. tique, je suis agr£ablement surpns
de retrouver une petite ville d'un
aspect riant, commerQante et animee. Une grande rue prin-
cipale, pas trop dSclive, parce qu'elle est paralitica la mer,
— elle fait exception & la rfcgle; — au milieu, une place avec
Th6tel de la poste et ses portiques, l'eglise avec son vaste
perron, puis Tinevitable barranco, tres large, tout rempli
de cultures et plants de nombreux palmiers. Imm6diate-
ment au-dessus de nos t&tes, la montagne qui s'el&ve ra-
pide, toute couverte de belles for&ts d'un vert sombre.
De nombreux paysans descendent des hauteurs et ap-
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UNE EXCURSION AUX 1LES CANARIES. 311
portent leurs provisions a Santa-Cruz; ils portent tous,
hommes et femmes, la montera, coiffure nationale particu-
li&re k Tile et de forme singuliere : Vest une esp&ce de
cylindre en drap bleu fonce, bord6 de rouge, ouvert aux
deux extremity et termini par une visi&re de m&me itoffe.
Je la reproduis icl ; son aspect en fef a comprendre la forme.
D'autres paysannes, endimanch^es sans doute, ont rem-
Femme de Santa-Cruz de la Palma. Habitant de Garafia, Palma.
place la montera par un coquet petit chapeau de paille
qu'elles portent sur le front. Un 16ger voile de mousselinfc
entoure leur face intelligente et vient s'enrouler sur les
epaules ; leurs manches de chemise couvrent seules leurs
bras ; un 6troit tablier blanc & bavette, se dStachant sur la
robe sombre et sa bordure voyante, complete l'ensemble
de ce charmant costume qui rend si gracieuses les jolies
habitantes de la Palma.
Les indigenes des diverses regions de Tile ont, comme
en Bretagne, conserve des formes particulifcres de v&te-
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312
COURSES ;ET ASCENSIONS*
ments, qiii les font facilemeni reconnaltre. Void, par
exemple, ceux de Garafia, qui habitent & la pointe Nord,
dans un pays escarpe ou le vent souffle parfois avec vio-
lence ; ils portent une sorte de casque en grossifcre toile
grise qui enveloppe la t<He et vient s'attacher sous ie men-
ton ; c'est une coiffure presque aussi bizarre que la mon-
tera et qui est certainement trfcs pratique.
Avec le docteur Perez, qui est
natif de Palma, j'ai vite fait la
connaissance des principaux per-
sonnages de la ville. L'excellent
docteur, don Bito, comme on l'ap-
pelle ici, a cause de son prenom
Victor, est accueilli partout avec
les plus vifs transports. « Don Bito
est ici », etaussit6taccourt la foule
des pauvres malades dont don
Bito est la providence.
Palma est la plus industrieuse
de toutes les iles de Tarchipel.
J'y ai visite des tissages de soie,
donnant, gr&ce & la cochenille,
des Stoffes du plus beau rouge.
Les belles forSts qu'on y exploite
sont l'objet d'un commerce important avec les Antilles :
on y travaille le tea, cet arbre rdsineux, pr£cieux pour la
construction, qui a disparu des autres lies. Les ouvrages
en bois, les meubles, y sont habilement fabriqu&s.
Ge genie industriel proviendrait-il d'une race particulifcre
d'hommes que Ton retrouve & Palma? Au xvi e si&cle, les
Flamands, terrorises par le due d'Albe, furent transports
en grand nombre dans cette lie ; leurs descendants y ont
prospdrG et, peut-£tre, est-ce k eux que revient cet esprit
d'entreprise qui distingue cette population de celle des
autres iles de l'archipel.
Femme de Garafia, Palina.
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UNE EXCURSION AUX iLES CANARIES. 813
u
i
Les moeurs, les habitudes sont generalement celles de
la nation espagnole; les indigenes sont sobres, honnMes,
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314 COURSES ET ASCENSIONS.
(Tune grande probity. lis ont la passion du jeu, celle des
exercices et des spectacles violents. J'ai d&j& parte des
luttes de la Laguna ; je ne dois pas passer sous silence les
combats de coqs, — peut-6tre un souvenir des Flandres,
ou ils sont encore en grand honneur, — qui rempla-
cent dans les iles les fameux combats de taureaux de la
metropole.
En Espagne, chaque ville a sa plaza de toros, ou s'eleve
un vaste cirque pouvant contenir de nombreux spectateurs ;
ici, toutes proportions gard6es,c'est encore un cirque que
Ton rencontre pour les rinos de gallos. Celui de Santa-Cruz
de la Palma est le plus beau monument de Tile ; il se d6-
tacbe brillamment au milieu de la ville, ainsi que l'indique
la vue generale que j'ai prise de celle-ci et que mon dessin
reproduit.
(Test par des pentes rapides que Ton s'elfcve au-
dessus de Saota-Cruz pour aller rejoindre la chaine cen-
trale, a Textremite de laquelle se trouve la cel&bre
Caldera, qui est, avec le pic du Teyde, la merveille de
l'archipel.
Nous suivons des sentiers k mulets et nous traversons
les differentes zones : lauriers, bruy&res, forMs de pins,
qui se modifient avec l'altitude. Nos mules resjstent bien
dans des cbemins presque impraticables, au milieu d'une
region ou les habitants sont raresetlesterresdifficilement
cultivables. Le soir, apr&s une course de dix heures, nous
recevons une hospitality rustique et, le lendemain, nous
retrouvons devant nous la cime de la cordillere qu'il nous
faut atteindre. Sur la cr6te, un veritable changement a
vue nous attend ; nous sommes au bord d'une muraille k
pic, formant au-dessous de nous un cirque Snorme, cratfcre
b6ant-de 1,000 met. de profondeur, sur les parois duquel
se presse une vegetation 6paisse de bois et de plantes de
toutes sortes. Ce crat&re a six lieues de tour; sa profon-
deur donnc le vertige; il est rempli de vapeurs qui s'el&-
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UNE EXCURSION AUX iLES CANARIES. 315
vent rapidement avec le soleil, laissant voir le fond de
Tablme, oticoule un petit ruisseau. Des chfcvres, des pa-
tres a demi sauvages, des ramiers qui traversent l'air, tels
sont les seuls habitants de ce site 6trange, produit du plus
puissant des bouleversements volcaniques, merveille ou-
bliee dans ce coin perdu de la terre qui est le dernier de-
bris de TAtlantide engloutie.
Gette immense chaudiere, oil les manifestations de la
vie vegStale sont si puissantes, mais d'ou les hommes se
sont 61oign6s, etait autrefois la demeure pr6f6r6e des
Guanches; ils vivaient la des produits de lour chasse et de
leurs cultures ; un royaume prospere s'y etait cr6e. Ici,
comme partout ailleurs, leur race a disparu ; il n'en reste
que le souvenir, conserve jusqu'a nous par les premiers
historiens de la conqu^te.
La Caldera visitee, la petite lie de Palma m^tait connue.
J'allais voguer de nouveau vers Teneriffe; le petit voilier
qui nous avait amenes et que nous ne pouvions remplacer
se pr6parait a regagner le Puerto ; il nous attendait.
La scene de Tembarquement fut a peu pr&s la reproduc-
tion de celle de l'arrivee ; c'est a dos d'homme que nous
fftmes transports de la plage a la barque qui devait aller
accoster le courrier. Helas ! la soute etait remplie de toute
une population d'emigrants : hommes, femnies, enfants
de tous sexes, de tous ages. Par surcrolt, la mer etait mau-
vaise, nous avions vent debout. Notre reduit fut bient6t
transform^ en une veritable infirmerie, toute remplie de
gemissements varies. Et notre petit navire louvoyait, lais-
sant a respectueuse distance la c6te de Teneriffe qui se d6-
robait, le grand Pic immobile qui semblait nous narguer.
Le lendemain, nous avions devi6 vers la partie Sud
de Tile de Teneriffe, nous etions en travers de la pointe
Teno. Les lamentations continuaient a l'intSrieur, j'avais
prudemment regagne le pont. C'est de la que j'ai fait le
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316 COURSES ET ASCENSIONS.
croquis de la partie Sud de Tile que je reproduis : son
seul merite est d'avoir 6te dessing au milieu de circon-
stances aussi deplorables.
Toute cette c6te Sud que je venais d'entrevoir est aride,
tourmentee, formee de crates alternant avec de profonds
ravins, qui tous descendent directement a la mer sans lais-
ser de plage. Elle est complement debois6e, exposee a
^" ~ ^\7Mm\mK- £
Vue de la partie Sud-Sud-Ouest de Teneriffe, prise devant le cap Teno.
tous les rayons du soleil et au terrible vent qui parfois
souffle du desert africain; elle est inhabitee et inhabitable.
Nous passons maintenant devant le cap Buenavista; les
montagnes sont encore a pic; nous louvoyons toujours.
Un dernier lacet nous dirige vers Guarachico, oil nous al-
lons essayer d'aborder. Le petit canot du courrier se d6ta-
che, il saute d'une maniere effrayante sur la mer d6montee;
nous y descendons non sans p6ril. 11 nage maintenant sur
les grandes vagues, plonge au fond de Tabime, reparait.
Les paquets de mer nous couvrent, j'eprouve un moment
d'angoisse partagS par mes compagnons. Enfin, nous dou-
blons heureusement le petit Hot en avant du port, nous
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UNE EXCURSION AUX iLES CANARIES. 317
sommes maintenant en surete ; il ne nous reste plus qu'i
d6barquer, c'est-&-dire h sauter vivement sur le roc lors-
que la mer soul&vera notre barque ; c'est notre dernifcre
6preuve. Nous nous retrouvons, Gtourdis mais rassures,
sur le « plancher des vaches ».
Guarachico etait, il y a deux cents ans, la ville la plus
riche et la plus prosp&re de l'archipel, gr&ce k son port tr&s
sur, creus6 naturellement dans la montagne. Un ilot, la
Rogue , le protegeait. Le commerce, principalement celui
des vins, y 6tait concentr6; toutes les grandes families de
Tile y avaient leur residence. Une Eruption du Teyde vint
changer tout cela. Un jour, en 1706, la lave descendit en
torrents de feu des crates des Ganadas ; trois coulees s'abat-
tirent sur la ville, comblant le port, ensevelissant les
habitants. La moiti6 de Guarachico fut dGtruite, son com-'
merce aneanti, les ruines s'accumuldrent partout.
Prfcs de deux sifccles se sont 6coul6s depuis cette cata-
strophe, et Ton suit encore aujourd'hui sur la montagne,
comme au lendemain du d6sastre, la trace de la coulee fu-
neste.
Nous sommes en presence d'une ville morte, d'un autre
Pompei. Partout des maisons abandonnees, de grands
couvents deserts, des toits effondr6s, des pans de mu-
railles croulants; nous nous Mtons de quitter cette soli-
tude.
Nous longeons maintenant le bord de la mer, sur ce
m&me chemin pierreux, raving, avec lequel nous ayons
fait d6ja maintes fois connaissance. Le soleil frappe
d'aplomb sur la paroi de-la roche qui s'el&ve h notre droite ;
une chaleur s6n6galienne nous accable. Parfois, sans souci
de la pente, le sentier escalade la montagne, retombe sur
la grfcve, se relfcve, suit tous les contours de la c6te capri-
cieuse. Des plantes inconnues surgissent entre les roches
calcinees; d'Snormes lezards, qui ont emprunte h la lave
sa couleur violette, s'empressent de fuir h notre approche.
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318 COURSES ET ASCENSIONS.
Nous franchissons les coulees petrifiees de l'ancienne
Eruption ; nous traversons d'enormes filons d'obsidienne,
dont la brillante teinte noire resplendit dans la chaude lu-
miere ; partout notre route offre l'image du plus terrible
boule verse men t.
Apres deux heures d'une marcbe penible et un dernier
cap double^ nous arrivons enGn &l'entr6e de la petite
valine d'Icod, cbarmante oasis oil nos yeux fatigues
viennent se reposer de toute cette nature convuls6e qui
s'est d6roulee devant nous depuis notre depart de Gua-
racbico.
Icodde los vinos 6tait, comme son nom l'indique, renom-
m6 par ses vignes, qui produisaient le celebre malvoisie.
C'est un pueblo important, a mi-c6te, entre deux grands
contreforts montant jusqu'au Pic, qui s'eleve majestueux
et menagant a l'extremite de la Cumbre.
Comme au Realejo, un beau dragonnier attire imme-
diatement l'attention. G'est le g6ant de Tile; son tronc
mesure 15 met. de circonference ; ses racines rayonnent
h 30 met. ; il ecrase par sa taille tout ce qui se trouve
aupres de lui.
Une reception cordiale nous 6tait reserved dans une
ferme, propriete du docteur Perez. Entouree de jardins
bien arroses, c'est un site enchanteur. Les pauvres gens
qui sont Ik nous servent avec un empressement oil Ton
devine toute leur affection pour le bon docteur ; une brave
femme, la mfcre de famille, nous a vite dresse une table
rustique : des oeufs, un bienfaisant laitage, les fruits les
plus delicieux, nous sont prodiguds ; c'est une scene cham-
p6tre digne du crayon de Fenelon ou de Bernardin de
Saint-Pierre.
Les produits de la terre sont vraiment merveilleux dans
ce coin de la vallee. D'innombrables regimes de bananes
font courber leurs tiges jusqu'au sol, les orangers y mon-
trent d'enormes pommes d'or, les goyaves ettqus les fruits
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UNE EXCURSION AUX 1LES CANARIES. 319
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320 COURSES ET ASCENSIONS.
des tropiques y sont rassembl6s ; un nSflier d'une espfcce
particulifcre y prodigue de savoureuses n&fles que Ghevet
lui-m£me ne connaitra jamais.
Pour gagner le Realejo il faut cinq heures de marche
dans le chemin montant, raboteux, et plus que malaise
-que nous commemjons h bien connattre. Cela me rappelle
la route de la Gornicbe, en ce sens que c'est nous qui nous
trouvons parfois en saillie sur la falaise creus^e par l'Ocean,
gigantesque muraille que nous devons escalader malgr6
tous les obstacles. II faut l'application la plus soutenue
pour garder ses etriers afin de ne pas pr^ceder son cour-
sier dans les descentes ou pour ne pas Gtre pr6c6de par
lui dans les mont6es.
Toutefois, la nature sauvage du site, son aspect desole,
grandiose, faisaient de cette course pSnible Tune de celles
dont le souvenir s'est le plus profond6ment grave dans ma
memoire.
Dans cette region retiree de Tile, inconnue des touristes,
le sol convulse portait partout 1'ineffaQable empreinte des
terribles coleres du Teyde ; Ih, d'enormes amas de sco-
ries nous barraient la route, nous poursuivant jusqu'&la
mer, ou la vague, & son tour, venait nous disputer l'Stroit
sentier que nous devions suivre ; plus loin c'6tait la mon-
tagne qui se dressait menagante devant nous ; le chemin
alors s'elevait vers les cimes, couronnait la c6te pour re-
plonger ensuite vers le rivage.
C'est ainsi que je devais clore la serie de ces grandes
courses de la montagne et de la mer qui m'avaient fait
connaltre, dans toute leur majestueuse poesie, T6neriffe et
Palma. De la cdte de Santa-Ursula, j'envoyai un dernier
adieu & la reine des vallees, emportant dans mon coeur le
souvenir reconnaissant de l'hospitalit^ que j'y avais re^ue
et des amis que j'y laissais...
Quelques jours plus tard, quittant l'hospitali&re maison
de notre consul, je m'embarquais h Santa-Cruz, et je sa-
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UNE EXCURSION AUX 1LES CANARIES. 321
luais une derni&re fois ces cdtes qui s'eloignaient si vite,
ces montagnes que j'avais parcourues, et le Pic qui allait
disparaltre derri&re le promontoire d'Anaga.
Adolphe Coquet,
Membre du Club Alpin Francais
(Section de Lyon).
aKnuaire dk 1883.
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XV
II NE
ASCENSION Al] POPOCATEPETL 1
(5,420 METRES)
Le projet d'une excursion au gigantesque volcan qui
domine le plateau cTAnahuac hante l'esprit du touriste
des les premiers temps de son sejour dans le pays. Apres
Tenchantement des Terres Chaudes, la travers£e desfor&ts
tropicales du Paso del Macho h Cordoba, et la mont£e
vertigineuse aux flancs du pic d'Orizaba, qui font durailway
de Vera-Cruz & Mexico une des conceptions les plus eton-
nantes et les plus hardies du monde entier, le voyageur,
parvenu h la halte d'Esperanza, d^couvre soudain l'im-
1, Le recit de l'ascension de M. Marcel Monnier au Popocatepetl a
ete" adresse de Mexico a la redaction de VAnnuaire dans le couranf
de fe"vrier 1884. II est done arrive a Paris deux mois apres le term:'
reglementaire fixe pour la reception des manuscrits. II ne pouvait eu
etre autrement, l'ascension de M. Monnier ayant eu lieu le 10 fevrier.
La redaction a pense que Finteret de ce recit ferait excuser cette infrac-
tion a la regie.
Un autre voyageur francais, M. E. Chabrand, de Barcelonnette, a
atteint le sommet du volcan mexicain en avril 1883. M. Chabrand,
qui a raconte son ascension dans une conference faite a la Section de
Lyon (voir le Bulletin du Club Alpin Francais d'avril 1884) se propose,
nous dit-on, d'en publier lui-meme le recit, qui formera Tun des Epi-
sodes de la relation de son recent voyage autour du monde. M. Cha-
brand eHait accompagne d'un compatriote, M. Bachelet : ces deux
messieurs sont descendus au fond du cratere au moyen d'un cable et
y ont passe une nuit,ce qu'aucun autre ascensionnisten'avait fait avant
eux. — La Redaction.
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UNE ASCENSION AU POPOCATEPETL. 323
mense horizon fauve et pele des Terres Proides et, fermant
cet horizon du c6te de TOuest, les silhouettes juxtaposes
des deux volcans : le Popocatepetl et l'lztaccihuatl. Cin-
quante lieues Ten scparent encore ; et, tandis qu'il avance
a travers cette region monotone et nue, ou tranche seule
la pale verdure des champs d'alofcs, la lointaine apparition
le fascine ; sous la chaleur accablante, la gorge dessechee
par Timpalpable poussi&re que soutevele train en marche,
il tient ses yeux fixes sur les cimes etincelantes comme sur
un phare qui marque le terme d'un p6nible voyage. L'im-
pression persiste apres rarriv6e. On ne peut faire un pas
hors de la ville sans entrevoir les deux pics, souverains
incontest6s de la region qui, partout, porte la trace de
leur action puissante. Ge ne sont, dans ce grand cirque mon-
tagneux , dont Mexico est le centre, et oil les moindres
sommets atteignent prfcs de 3,000 m&t., que soulfcvements
anciens, embryons de crateres, fissures profondes, coulees
de lave et amoncellements de roches volcaniques. Parfois
m&me encore, le monstre assoupi a des velleit^s de reveil;
le sol fr6mit, et la plupart des rues de la capitale pr6sen-
tent les marques de ces soubresauts recents : beaucoup
de murs sont 16zard6s, et, sur ce terrain mouvant, la ligne
des constructions affecte une apparence onduleuse. Tout
ici vous parle de « la Montagne qui fume » ; mais ellef a,
pour le nouveau venu a peine 6chapp6 a l'atmosph&re
brAlante et aux miasmes des basses terres, Tattrait parti-
culier de l'Alpe fralche, des torrents clairs, de la neige
immaculee.
Ce qui pr6c&de suffit pour expliquer mon vif d6sir de
tenter Tescalade. Malheureusement, ici plus que partout
ailieurs, il est malais6 de passer du projet a l'ex6cution.
11 ne s'agit plus simplement, comme dans nos contr6es,
de se mettre en marche le baton ferr6 a la main. La chose
est inflniment plus compliqu6e. D'abord, comment se pro-
curer des guides ? j'entends des gens silrs et capables de
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324 COURSES ET ASCENSIONS.
r6sister, si parfois elle leur venait, h Tid6e de vous deva-
liser chemin faisant. Car, en d6pit de la pacification rela-
tive du territoire, onne saurait y voyager sans 6tre expos6
a certaines m6saventures. A ceux qui en douteraient, il
suffira de jeter un coup d'oeil sur Tarticle de Fordonnance
des Douanes de la Republique concernant les objets que
le voyageur peut introduire en franchise, comme etant h
son usage personnel et de premiere necessity ; ces objets
sont, entre autres, dit Tarticle IV: Une paire de pistolets
et accessoires, et jusqu'i 200 cartouches ; une epee, un
rifle, escopette ou carabine et accessoires, et jusqu'&
200 cartouches ! Gette disposition, tout en t6moignant de
l'esprit liberal dont s'inspire ladouane mexicaine, estaussi
de nature k faire naltre quelques doutes sur la s6curit6
d'un pays ou un pareil arsenal est pr6sent6 comme Tin-
dispensable vademecum du voyageur. Chacun, au surplus,
in^me a l'int£rieur des viiles, ne circule qu'avec un appa-
reil guerrier; il n'est personne qui ne porte a la ceinturo
un revolver de calibre respectable. D'ailleurs, s'il est h peu
prfcs impossible de dSgager la verit6 des renseignements
contradictoires fournis par les gens du pays sur les dis-
tances et Titin6raire h suivre, en revanche il est un point
sur lequel tout le monde s'accorde : c'est la n6cessit6 de ne
ch'eminer qu'escorte d'hommes eprouves. Encore, si bonne
que soit la reputation de vos guides, est-il preferable
d'attendre, pour entreprendre l'expedition, le renfort de
quelque autre touriste. Nous disons done : necessity d'une
escorte et, qui plus est, d'un certain nombre de compa-
gnons pour surveiller ladite escorte ! II y a de quoi deses-
perer. Mais tous ceux qui ont voyage en pays espagnol
savent qu'ils doivent, avant toute chose, faire ample pro-
vision de patience et ne s'etonner ni des complications ni
des lenteurs. A la manana, « Ge sera pour demain ». C'est
la le fond de la langue, la conclusion presque inevitable
de tout entretien. II va sans dire que les jours se succ&-
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UNB ASCENSION AU POPOCATEPETL. 325
dent et que rien ne semble devoir h&ter la solution tant
desiree.
Apres plus d'une semaine d'attente et d'incertitude, le
hasard, qui a souvent de ces prevenances, me fit lier con-
naissance avec deux gentlemen am^ricains etablis & Mexico,
tous deux grands chasseurs et amateurs de courses loin-
taines, qui, eux aussi, avaient decide d'entreprendre l'as-
cension. Deux jours plus tard, c'6tait un jeune Suisse,
M. Walder, de Zurich, lequel avait appris nos preparatifs
et demandait& partager notre fortune. Une premiere ques-
tion, celle du nombre, se trouvait done r6solue. Quoi qu'il
put advenir, nous serions en force. Enfin, les derni&res
difficulty relatives aux guides furent aplanies par l'entre-
mise obligeante d'un aide de camp du president de la
Republique, le general Sanche Ochoa, qui possfcde des
terres considerables dans la montagne et, par suite, est
en relations avec les Indiens de ces parages, occupes &
l'exploitation des for^ts ou it Textraction du soufre. 11
s'&ait charge de nous procurer hommes et chevaux, et
avait, &ceteffet, exp6di6 des instructions au bourgd'Ame-
cameca, point de depart de l'ascension.
Tout etant ainsi r6gle pour le mieux, nous quittions
Mexico le 9 f&vrier au matin, MM. Walder, Kelly, le D r \V.
Keller, de New-York, et moi, lorsqu'au moment du de-
part nous fumes rejoints par deux jeunes touristes arrives
1'avant-veille de la Nouvelle-Orleans, qui r^clamaient in-
stamment la faveur d'accompagner la caravane, tous deux,
du reste, convenablement equip6set habitues, disaient-ils*
aux courses de montagne. Leur tournure semblait con-
firmer cette derni&re assertion : l'air decide, alertes , le
type vigoureux de rAm6ricain du Nord. Tout au plus crut-
on pouvoir leur faire observer que leur arrivGe toute
recente sur les hauts plateaux les pr£parait peut-6tre insuf-
fisamment aux fatigues d'une course dont la principale
difficult^ est causae par la rarefaction de Tair, h une alti-
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3'2(\ COURSES ET ASCENSIONS.
tudc considerable. Mais cette objection ne parut point les
6mouvoir, et ils repliquerent judicieusement qu'ils en
ssraient quittes pour faire halte, si leurs poumons leur
refusaient tout service. II n'y avait plus rien k ajouter. Nul
d'ailleurs parmi nous, si bien entraine 'qu'il fut, et si vif
que put Gtre son desir, n'etait certain de parvenir &la cime.
On se rend de Mexico^ Amecameca par le petit chemin
defer de Morelos destine, dansl'esprit de ses createurs, k
atteindre, Dieu sait quand, le port d'Acapulco sur le Paci-
fique. II s'intitule fierement Chemin de fer Interocea-
nique, bien qu'il n'ait qu'une longueur de trente lieues et
ne depasse pas les premieres terres chaudes de Yautepec.
Amecameca n'est m6me pas h mi-chemin, et pourtant il
nous faut, pour Tatteindre, pr&s de quatre heures. La
voie, etablie de fagon trfcs sonimaire, est mal assise et
vacillante. On traverse d'abord les lacs ou, pour parler
plus exactement, les grands marais de Mexico, que cou-
vrent d'innombrablesbande*de canards sauvages ; ensuite
apparaissent des landes sablonneuses, rouge&tres, deso-
leas. Nous passons devant quelques villages : Los Reyes,
Ayotla, miserables hameaux dont les habitants vivent
presque exclusivementde chasseou dep£che. Les maisons,
b^Lties en briques sechees au soleil, se m6tamorphosent en
blocs de boue k T6poque de la saison des pluies, et bon
nombre d'entre elles s'gcroulent. Le terrain s'61£ve insen-
siblement ; le train roule au milieu d'un paysage unifor-
mement aride et poudreux. Enfin, sur le coup de midi,
nous arrivons au terme de cette premiere elape. La bour-
gade oil nous nous arr^tons compte pr&s de deux mille
habitants, la plupart d'origine indienne, population basa-
n6e qui etale ses haillons dans un decor saharien : masures
en tdb, enclos de cactus et d'agaves, rien n'y manque, le
tout saupoudr6 de sable fin et chauffg k blanc par le soleil
tropical. Le contraste est frappant entre ce site brul6 et
les colosses neigeux qui se dressent a l'arri&re-plan. C'est
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UNE ASCENSION AU POPOCATEPETL. 327
de la que les deux volcans se presentent sous leur aspect
le plus grandiose : le Popocatepetl avec son cdne aigu et
dune regularity absolue, riztaccihuatl, moins eleve, mais
rappelant davantage, par ses aretes en dents de scie et les
nombreux glaciers qui sillonnent ses flancs, la forme de
nos Alpes. Leurs masses enormes menacent les plaines
environnantes ; impression saisissante, k laquelle je ne
saurais comparer que celle 6prouv6e le jour oh, pour la
premiere fois, j'apenjus le Mont-Blanc du pont de Sal-
lanches.
Les Indiens sont la avec les cbevaux et les mules, et la
caravane s'organise sans perdre de temps. Elle est \6rita-
blement imposante et se compose de quatorze personnes,
dont huit indigenes ; quatre mules de charge emportent
les provisions et objets de campement. Un attirail aussi
complique fera sans doute sourire l'alpiniste accoutum6
k parcourir la montagne sans autre bagage que son havre-
sac. Je lui ferai observer seulement que, dans les regions
qu'il explore, il est rare qu'il soit expose a passer plus
d'une journSe loin du glte; ou si, par hasard, il est force
de camper, il a k sa disposition les nombreux abris que
la sollicitude des difterents Clubs Alpins a £tablis au pied
des glaciers, abris munis en general d'un lit de camp et
des ustensiles essentiels : fourneau, batteriede cuisine 61e-
mentaire, etc. Ici, rien de pareil. Des distances enormes,
la certitude de se trouver pendant trois jours au moins
reduit k ses seules ressources, et la n6cessit6 debivaquer
deux nuits k une altitude de 3,000 m&t. Enfin,de la plaine
d'Ameca k l'endroit ou commence la veritable escalade,
une dizaine de lieues k franchir dans un terrain poussie-
reux, calcinS, oil l'ombre des pins et des grands cfcdres
suffit k peine & entretenir une maigre verdure. Le marcheur
le plus intrdpide ne saurait mSpriser le concours du che-
val mexicain qui parcourt aisgment, en sept ou huit
heures, tant au galop qu'au pasreleve, l'Stape qu'un piston
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328 COURSES ET ASCESSIONS.
ne pourrait fournir en une journee, vu l'ardeur du climat
et la nature particuliere du sol. Or, il faut de toute n6ces-
sit6 la faire d'une seule traite, et, autant que possible, r ne
pas se laisser surprendre par la nuit. Pas de halte inter-
mediate : d'abord, parce que l'eau manque ; ensuile, en
proc6dant de la sorte, il ne faudrait pas songer k atteindre
le sommet le jour suivant. LVxcursion se trouverait ainsi
allongee d'au moins 24 heures. Et, dans ce pays, ofx vos
mouvements risquent d'etre 6pi6s et ou la security est
partout trfcs pr^caire, il convient d'aller vite et d'eviter
toute cause de retard, k moins d'obstacles insurmontables
ou d'accident impr^vu. Ces diverses considerations suffl-
ront k justifier la solennit6 de nos preparatifs, et ce luxe
de montures qui semble annoncer moins une excursion
d'alpinistes qu'une vulgaire promenade k Montmorency.
Nous mettons pres d'une hcure et demie k traverserjla
plaine, quoique le village, au premier abord, semble b&ti
au pied m6me des monts. Mais, nulle part, l'immensit6 des
horizons etles proportions gigantesques des reliefs du sol
ne donnent lieu k plus de m6comptes sur revaluation des
distances. Bient6t, le sentier s'escarpe, et nous sommes
contraints de marcher & la file. Nous gravissons en zig-
zags les contreforts du pic, k travers de vastesbois de pins
et de cadres s6culaires, ancfctres des for&ts decim£s par la
lbudre et aussi, h61as, par la main de Thomme. La devas-
tation des superbes fonHs, seuls vestiges de Tancienne
splendeur du Mexique, se poursuit avecune rage aveugle,
un acharnement inoui. Rien de navrant comme cette
fureur de d6boisement qui a d£ja donn6 k la plus grande
partie du pays le morne aspect des plateaux d'AlgSrie, et
I'aura, dans un avenir trfes rapproch6, converti en un
effroyable d6sert de rochet et de sable, tarissant les cours
d'cau de'jk si rares et jusqu'aux humbles sources. Le
Mexique, jusqu'& ce jour, possfede peu de mines de houille,
et le combustible en est de quality inf6rieure. Les recher-
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330 COURSES ET ASCENSIONS.
ches n'ont pas 6t6 pouss6es trds loin, et Ton attend, pour
les reprendre, que la derntere bftche soit consum^e. En-
core si les coupes 6taient faites avec quelque regularity :
mais non. On abat des hectares entiers sans y laisser un
buisson pour favoriser le reboisement et emp&cher le
complet dessfcchement du sol. Parfois m&meilsemble que
la hache n'est pas assez expeditive, et Ton procfcde par le
feu ; un amas de broussailles est allum£ au pied desvieux
arbres qui s'abattent dans un tourbillon d^tincelles. Les
for6ts du Popocatepetl, prot6g6es jusqu'ici par leur 61oi-
gnement, ne tarderont pas k disparaitre k leur tour ; le
fer et le feu y ont d£ja fait quelques troupes sinistres.
Regardons bien ces beaux arbres, contempo rains \6n6-
rabies de Cortez et de Montezuma ; les touristes qui vien-
dront aprfcs nous explorer la montagne ne jouiront plus
de leur ombre protectrice.
Apr&s cinq heures de montee, la pente s'adoucit et nous
nous trouvons sur un vaste espace d6couvert oil les hautes
herbes s&ches craquent sous les sabots du cheval. Le
soleil est d6}k tres bas sur l'horizon au moment oh nous
atteignons l'ar&te du col qui s6pare les deux volcans.
Devant nous, les croupes boisSes s'abaissent rapidement,
et, au deli, c'estle vide, un r£seau de vapeurs bleues qui
s'eteve aux approches du soir et nous masque le plateau
de Puebla. Quelques instants plus tard, la nuit est tomb£e,
brusquement, sans cr6puscule, et notre marche se ralen-
tit, incertaine, arr£t£e k chaque minute par des obstacles
de toute nature, troncs calcines par la foudre, arbres tom-
b6s, excavations causees par les pluies. Cette derni&re
partiede la route est extr&mement penible, et il faut avoir
eprouv6 la sftrete de pied et Tinstinct tout particulier du
cheval mexicain pour se risquer sans inquietude en pareil
lieu, k pareilleheure. Enfin, nous atteignons Tendroit ou
nous devons passer la nuit. II y a sept heures etdemie que
nous avonsquitte Amecameca.
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UNE ASCENSION AU POPOCATEPETL. 331
Le lieu se nomme le Rancho de Tlamacas ; notre sen-
tier y rejoint celui qui monte du plateau de Puebla. Le
Rancho, simple cabane qui abritait autrefois les Indiens
occupes k extraire le soufre, a et£ abandonn6 du jour oil
l'exploitation, trop onereuse, a pris fin. Aujourd'hu*, il
tombe en ruines; il n'en reste que les quatre parois, dont
les planches ont 6te arrachSes en maint endroit, et la moi-
tie de la toiture. Le bivac est rapidement installe : on
allume au centre un grand feu de branches de pins et,
apres un souper plus que frugal, chacun prend ses dispo-
sitions pour la nuit : les couvertures sont 6tal6es h terre,
et nous attendons le sommeil sur cette couche un peu
dure, les pieds tourn6s vers la flamme, les yeux fix6s au
plafond qui n'est autre que le ciel 6toil6. De l'autre c6te
du foyer, les indigenes ont pris position, enroul6s dans
leur sarape, la t&te appuySe sur les harnachements des
chevaux. Suivant une precaution usitee en pareil cas et
que Ton a eu soin de nous rappeler, tout en nous procu-
rant des guides r£put6s stirs, nous avons organist une
garde de nuit. Chacun de nous veillera a tour de r61e pen-
dant une heure et quart, ce qui n'a rien assur6ment de
fort p6nible. Le sort m'a attribug la faction de 1 h. & 2 h.
15 min., et ces cinq quarts d'heure dans le rancho crou-
lant, prds du foyer dont la flamme vacillante pr&tait une
apparence fantastique aux groupes de mes compagnons
endormis, ne sortiront jamais de ma memoire. Aprfcs
avoir jet6 sur les tisons de nouvelles souches, je fais quel-
ques pas au dehors. La nuit est froide, mais claire. Hors
le pietinement des chevaux & J'entrave, pas un bruit ; pas
une seule de ces mille voix myst6rieuses de la montagne,
murmures des bois profonds, 6chos lointains des torrents
et des cascades, qui animent les nuits alpestres. Les eaux
provenant du n6v6 superieur se perdent dans les cendres
pour ne reparaitre que beaucoup plus bas, rigoles imper-
ceptibles et muettes. II n'y a pas un souffle dans l'air, et
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332 COURSES ET ASCENSIONS.
la haute pyramide du volcan se detache singulifcrement
agrandie sur le fond limpide du ciel. Splendeur incompa-
rable de la nuit tropicale, que Ton ne saurait d£peindre,
et encore moins oublier.
A 4 heures, tout le monde est debout, et a 4 h. 30
min., nous nous mettons en marche a travers les bois deja
clairsemes et rabougris. Au bout d'une heure, brusque-
ment, toute vegetation disparalt, et nous commenQons a
gravir des pentes couvertes de cendre et de scories ou
Ton avance avec peine en depit des mocassins ou guara-
chos indiens, qui ont remplace nos chaussures, et grace
auxquels le pied penfctre un peu moins avant dans les
debris. La pente ne tarde pas a s'accentuer, et la couche
pulverulente recouvre maintenant une nappe de glace
noire et dure. Cette partie de Tascension, qui dure deux
heures, met notre patience et nos forces a une rude
epreuve. Les glissades se succ&dent, irr£sistibles et sou-
vent douloureuses, et c'est avec une veritable joie que
nous atteignons enfin la limite des neiges. Depuis la
veille nous avons contourn£ le pic dont nous attaquons le
versant oriental, le plus accessible : le versant Nord, qui
regarde Mexico, coupS de parois verticales que surplombe
un glacier trfcs crevasse, et est peu ou point abordable.
La croute neigeuse qui nous supporte est r£sistante, au
point d'exiger en maint endroit l'usage de la hachette :
souvent aussi Taction combinee du soleil et du vent Ta
h£riss£e d'aiguilles de glace quirendent la marche extr&me-
ment fatigante ; il semble que Ton avance sur des chevaux
de frise. Point d'autre difficult^ d'ailleurs. Aucun passage
vraiment dangereux. Le seul inconvenient a redouter est
le vertige ; car Tinclinaison du versant est tr&s vive, et
ceux-la m&mes dont les nerfs sont 6prouv6s ressentent
quelque malaise au moindre regard jet£ en arri&re. La
reverberation du soleil sur la neige est aussi fort d£sa-
greable ; la tdte enveloppee d'un £pais foulard, les mains
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UNE ASCENSION AU POPOCATEPETL. 333
protegees par des gants do grosse laine, nous n'en eprou-
vons pas moins sur la peau une sensation de brftlure dont
les consequences seront, le lendemain, des crevasses plus
ou moins profondes, et parfois assez longues & cicatriser:
menus inconvenients qui n'ont rien d'alarmant du reste.
II y a pres de quatre heures que nous grimpons le long
du cdne, lorsqu'un incident se produit. L'un des jeunes
Americains qui sont venus se joindre h nous au moment
du depart se trouve tout k coup pris de spasmes, et dans
Timpossibilite d'avancer d'un pas. En vain, il veut lutter :
rh6morragie se declare ; le sang lui jaillit du nez et des
oreilles, et force lui est de rebrousser chemin. Accompa-
gn£ d'un de nos guides, il redescend au rancho oil nous
le retrouverons le soir complement remis et dormant
d'un sommeil reparateur.
Nous venions de d^passer l'altitude de 5,100 mfct., et
appr6hendions pour notre compte quelque phenomene
analogue. Mais nous en Mmes quittes pour la crainte.
J'avoue m&me avoir 6prouve dans les Alpes, h des hau-
teurs beaucoup moindres, une difficulty de respiration que
je n'ai point retrouv6e ici. Je crois 6tre redevable de la
facility avec laquelle j'ai fait cette course k mon sejour
pr£alablc sur les hauts plateaux, durant lequel mes pou-
mons avaient eu tout loisir de s'accoutumer & la subtilit6
deratmosph&re.Ily al^t une question d'entralnementqu'il
est bon de signaler. Quelques minutes plus tard, nous
parvenions au bord inf6rieur du crat&re. La croftte de
glace s'interrompt tout k coup : une £troite bordure de
cendres, puis l'abtme. La montagne qui, vue de la plaine,
affecte la forme d'un pic extrSmement aigu, pr^sente a
son sommet cette excavation formidable d'un kilometre
de diamfctre, et de pr&s de 600 mfet. de profondeur. Les pa-
rois en sont taillees k pic, et de toutes parts jaillissent en
sifflant des jets de vapeur sulfureuse dont l'&crete vous
prend k la gorge. La descente dans le crat&re et son explo-
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334 COURSKS ET ASCENSIONS.
ration exigeraient une journ6e. Mais il n'y fautpassonger.
Autrefois, les Indiens avaient 6tabli des cables au moyen
desquels ils extrayaient le soufre qui etait ensuite pr6ci-
pit6 sur la pente glac6e, et recueilli au pied du cdne.
Aujourd'hui, toute trace de cable a disparu *, et Ton en est
reduit a scruter du regard le precipice, dont, au surplus,
le soleil, au plus haut de sa course, eclaire les moindres
replis.
De cet endroit au point culminant qui commande le ver-
sant Nord, deux heures suffisent en longeant le bord du
cratfcre, tant6t sur le rocher ou les cendres, tant6t sur la
glace ; la pente n'est pas excessive ; mais, a cette hauteur,
la marche est singulterement lente, et le plus petit effort
devient une veritable souffrance.
A 1 h. 30 min., nous atteignons la cime. Le panorama
qu'on y d6couvre vaut surtout par son etendue ; seules
les grandes lignes s'y dStachent nettement. Au Nord,
Mexico et ses lagunes nous apparaissent comme un point
brillant; en arrtere, ce sont les ondulations sans fin do
montagnes chauves ; a l'Est, le plateau de Puebla : on dis-
tingue la ville couch6e a la base de la Malinche et, plus
loin, la cime blanche d'Orizaba, puis unrideau de brumes
flottant au-dessus du golfe. A TOuest, au Sud, le pic s'a-
baisse a des profondeurs infinies projetant d'interminables
aretes jusqu'a l'interieur des Terres Chaudes de Yautepec
et de Matamoros, dont la riche vegetation s'accuse par
des teintes sombres contrastant avec Taridite et la nuance
rougeatre des terres environnantes. Au dela, les premiers
contreforts de la Sierra-Madre du Sud ferment l'horizon
dans la direction du Pacifique.
Nos regards so portent ensuite sur notrevoisin Tlztacci-
1. Voir, dans le Bulletin d'avril 1884, pp. 104 et 105, le recit de la
descente de M. Chabrand dans le cratere, au moyen du cdble et de la
poulie qui existaient encore au moment de son ascension, accomplie dix
mois avant celle de M. Monnier. — La Redaction.
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UNE ASCENSION AU POPOCATEPETL. 335
huatl, qui prolonge vers le Nord-Est la separation elevee
entre les Etats de Mexico et de Puebla. C'est une superbe
montagne aux aretes vives, d'ou pendent plusieurs glaciers,
troues Qa et la par des pointes de roc noir. Elle est repu-
te inabordable ; et ce doit Gtre exact, au moins avec les
faibles moyens d'attaque dont disposent les indigenes :
avec la corde, le piolet et des compagnons accoutum6s a
s'en servir, l'ascension en serait assur^ment praticable
sans trop de difficult^.
Apres une halte de 45 min., nous songeons a la des-
cente. Le vent s'est elev6 et un sejour plus prolong^ pour-
rait avoir de facheux r^sultats. Je me hate de prendre
quelques photographies, que j'ai pu faire developper grace
a la complaisance de M. Gove, photographe a Mexico. Pour
donner une id6e de la sensation de malaise eprouvee a
cette hauteur de 18,000 pieds, je dirai que l'operation 616-
mentaire de la mise au point m'a donn£ un mal 6norme :
une faiblesse g£n6rale m'envahissait, et je fus oblige de
m'y reprendre a plusieurs fois. Impossibility absolue de
fixer un peu longtemps son attention sur quoi que ce soit;
la parole m£me est une fatigue et, pour nous faire entendre
les uns des autres, nous nous livrons a des efforts de
gosier comme si l'intervalle qui nous s^pare etait conside-
rable ; encore a travers le vent, nos \oix nous semblent-
elles singulifcrement gr^les.
Nous commengons a descendre avec une prudente len-
teur, command6e par la duret6 et Tinclinaison du n6ve,
sur lequel une glissade pourrait devenir fatale. Parvenus a
la limite des neiges, notre marche s'acc&fcre, parfois m6me
au dela de nos voeux, par suite de la nappe de glace qui
se cache sous la couche de scories. Enfln, a la nuit tom-
bante, nous degringolons le long des dernteres pentes de
cendres; et, hon sans quelques faux pas dans les herbes
sfcches et la broussaille, nous nous retrouvons au rancho
a 8 h. du soir; apres cette rude journee, notre abri
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336 COURSES ET ASCENSIONS.
charicelant nous apparatt plus confortable, le foyer plus
attrayant, et notre cuisine app6tissante !
Le lendemain matin k 7 h. nous levons le camp et mon-
tons h cheval; h midi, nous sommes h Amecameca, ou
nous prenons, deuxheures plus tard, le train pour Mexico. .
A notre retour, nous trouvons la capitate illuminee et
pavoisee en l'honneur de Tanniversaire de Tlndependance.
Mais, en depit des chants populaires et des musiques mili-
taires qui se disposent a sillonner les rues jusqu'& une
heure avanc6e de la nuit, nous nous promettons un som-
meil profond et paisible !
Avant de terminer, je dois, pour me conformer a l'usage
adopts, presenter le resume succinct de la course, l'indi-
cation de la distance et du temps qu'elle exige. Non queje
m'illusionne au point de supposer que cet index pourra
etre utile & beaucoup de nos collegues ; mais, ne ddt-il
rendre service qu'& quelques-uns d'entre eux, tenths par
ces contrees lointaines, il aurait encore sa raison d'etre.
Index (sans haltes).
De Mexico a Amecameca, par chemin de fer, 3 a 4 h.
I)' Amecameca au rancho de Tlamacas (a cheval), environ 7 h.
Du rancho a I'arete inferieure du cratere, 7 h.
De ce point a la cime, 2 h.
DESCENTE
De la cime au rancho, 5 h. a 5 h. 30 min.
Du rancho a Amecameca, 5 h.
D' Amecameca a Mexico, 3 h.
Marcel Monnier,
Membre du Club Alpin Francais
(Section de Paris).
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SCIENCES ET ARTS
ANNUA IRE DE 1883. 22
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UN VOYAGE ASTRONOMIQUE
DANS LE PACIFIQUE
Le 22 avril 1883, un chetif Hot de corail, perdu dans
les immenses solitudes du Pacifique, voyait tout h coup
apparaitre deux grands navires de guerre, et un per-
sonnel nombreux de savants et de marins descendre
dans son Stroit lagon et prendre position sur une petite
plage formSe de debris de coraux imergeant k peine du
sein des eaux.
Qui done venait troubler ces solitudes par un appareil
si considerable et si inusitS? Pourquoi ce concours de
savants arrivant de regions si diverses et si 61oign6es?
Quelle raison enfin avait fait choisir sur l'immensite du
globe ce point desert et isold?
G'est qu'il s'agissait d'un ph6nom&ne rare, m&me pen-
dant le cours d'un sifecle, c'est-&-dire d'une Eclipse totale
de soleil, d'une duree de prfcs de six minutes, et que cette
grande eclipse, qui pouvait fournir un moyen pr^cieux de
rGsoudre de hautes questions sur la constitution du soleil,
ne pouvait 6tre observe qu'en ces regions recuses. Voil&
comment, parmi les nations savantes, la France, l'Angle-
terre, l'Am6rique, l'Autriche, l'ltalie, avaient tenu & faire
observer le ph&nom&ne et avaient fait les frais de cette
grande expedition.
Mais avant de donner aux lecteurs de YAnnuaire un r£-.
cit succinct de notre voyage et de ses resultats, il me pa-.
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340 SCIENCES ET ARTS.
rait indispensable d'exposer d'abord l'etat des questions
qui etaient alors k r^soudre. Je leur demanderai done
la permission de reproduire ici un passage de mon rapport
au Bureau des Longitudes, oh ces questions sont traitSes :
« Nous allons examiner tout & Tbeure les conditions
dans lesquelles se produira cette rare occultation solaire;
voyons d'abord quel est l'etat des questions qui devront
etre abordees en cette occasion. Une des plus importantes
est celle qui regarde la constitution des espaces avoisinant
imm6diatement les enveloppes actuellement reconnues du
soleil.
« La grande 6clipse asiatique de 1868 qui arriva si mer-
veilleusement k propos, et par sa longue duree et par la
maturite des problfcmes qu'on allait aborder, nous permit
■*' en quelque sorte de dechirer le voile qui nous cachait les
phenom^nes existant au de\k de la surface visible du so-
leil. (Test alors que Ton decouvrit T6nigme tant cherchee
de la nature de ces protuberances rosacees qui entourent
d'une mantere si singuliere le limbe du soleil eclipse.
« L'analyse spectrale nous apprit que ce sont d'immenses
appendices appartenant au soleil et formes presque exclu-
sivement de gaz hydrog£ne incandescent. Presque aussi-
t6t, la m6thode sugger6e par cette m^me eclipse, et qui
permet d'etudier journellement ces phenomenes, r6v61a
les rapports de ces protuberances avec le globe solaire. On
reconnut que ces protuberances ne sont que des jets, des
expansions d'une couche de gaz et de vapeurs, de 8" k 12"
d'6paisseur, oh Thydrog&ne domine et qui est & trfes haute
temperature, en raison de son contact avec la surface du
soleil. Cette basse atmosphere est le siege de frequentes
eruptions de vapeurs venant du globe solaire et parmi les-
quelles on remarque principalement le sodium, le magne-
sium, le calcium. On doit m£me admettre que dans les
parties les plus basses de cette chromosphere, comme elle
a ete designee, la plupart des vapeurs qui, dans le spectre
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UN VOYAGE ASTRONOMJQUE DANS LE PACIFIQUE. 341
solaire, donnent naissance aux raies obscures qu'il nous
pr6sente, existent k l'etat de haute incandescence.
« L'eclipse de 1869, qui fut visible en Amerique, permit
en effet de faire l'importante observation, toujours confir-
mee depuis, du renversement du spectre solaire k l'extreme
bord du disque, c'est-&-dire aux points oh la photosphere
est imm6diatement en contact avec la chromosphere, ph6-
nom^ne qui ne signifie pas que la photosphere elle-meme
ne puisse contenir les m&mes vapeurs et concourir k la
production des raies spectrales solaires.
« Ainsi, la d£couverte d'une nouvelle enveloppe solaire,
la nature reconnue des protuberances et la connaissance
de leur rapport avec le soleil ; enfin la conqu&te d'une
m6thode pour l'etude de ces phenom^nes, tels furent les
fruits que donna Tanalyse spectrale appliquee k l'etude de
cette longue eclipse de 1868.
« Mais une Eclipse totale nous presente encore d'autres
manifestations complement inexpliqu6es jusqu'au mo-
ment dont nous parlons. On voit, au de\k des protuberances
et de l'anneau chromospherique, une magnifique aureole
ou couronne lumineuse, d'un 6clat doux et de teinte ar-
gent6e, qui peut s'etendre jusqu'& un rayon entier du
limbe obscur de la lune.
« L'6tude de ce beau phenomfcne, faite par les methodes
qui avaient donne de si magnifiques resultats, fut imm6-
diatement entreprise et occupa les astronomes pendant les
eclipses de 1869, 1870, 1871.
« Mais Taureole ou la couronne, bien que constituant un
brillant phenomfcne, possede en realite une faible puis-
sance lumineuse. Be. Ik, la difficulte d'obtenir son spectre
avec ses vrais caractfcres. Aussi, les astronomes differfcrent-
ils d'abord sur la veritable nature du phenomene. En 1871,
et par Temploi d'un instrument extremement lumineux,
un astronome frangais parvint & prouver definitivement
que le spectre de la couronne contient les raies brillantes
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3i2 SCIENCES ET ARTS.
de rhydrog&ne et la raie verte dite 1474 * des cartes de
Kirchhoff, observation qui demontre que la couronne est
un objet r6el constituG par des gaz lumineux formant une
troisi&me enveloppe autour du globe solaire.
« Si, en effet, le ph6nomfcne de la couronne 6tait un simple
ph^nomfene de reflexion ou de diffraction, le spectre coro-
nal ne serait qu'un spectre solaire affaibli. Au contraire,
les caracteres du spectre solaire sont ici tout & fait subor-
donn6s, et le spectre est celui des gaz protub^rantiels et
de la matifcre encore inconnue d6cel6e par la raie 1474 *.
« Les Eclipses subs6quentes de 1875 et 1878, et celle qui
vient d'etre- observSe en Egypte sont venues confirmer ces
resultats.
« Mais si la constitution du soleil se d6voile ainsi rapi-
dement, il nous reste encore de grands problfcmes h resou-
dre, et sur cette dernifcre enveloppe solaire, et sur les re-
gions qui l'avoisinent.
« Tout d'abord, les immenses appendices que la cou-
ronne a pr^sentes pendant quelques eclipses ont-ils une
r6alit6 objective et sont-ils une d£pendance de cette im-
mense atmosphere coronale, ou plut6t ne seraient-Ce
pas des essaims de m6t£orites circulant autour du soleil,
ainsi que l'a sugg6r6 un des membres du Bureau?
« N'oubiions pas la lumi&re zodiacale, dont il reste & de-
terminer les rapports avec ces d^pendances du soleil.
« Mais ces problfcmes importants ne sont pas les seuls
que nous devions actuellement aborder pendant les occul-
1. Decouverte par M. Young, en 1869.
2. L'un de nous emit l'ide'e (Notice du Bureau des Longitudes, 1879)
que l'atmosphere coronale qui est en de'pendance avec la chromosphere
et la photosphere, doit offrir un aspect beaucoup plus tourmente a
l'epoque du maximum des taches et des protuberances, puisque les jets
d'hydrogene qui y penetrent sont alors beaucoup plus nombreux et plus
riches. Les observations ulterieures, et notamment celles qui ont ete
faites pendant la derniere Eclipse, au moment oil les eruptions solaires
e*taient abondantes, ont confirme cette prevision.
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UN VOYAGE ASTRONOMIQUE DANS LE PAC1FIQUE. 343
tations du globe solaire. Les regions qui nous occupent
renferment-elles une ou plusieurs planfctes que l'illumina-
tionde notre atmosphere, sivive dans le voisinage dusoleil,
nous aurait toujours derobees. Leverrier a longuement
examine cette question, et ses travaux analytiques l'avaient
conduit h admettre leur existence.
« D'un autre c6t6, plusieurs observateurs ont annonc6
avoir assists k des passages de corps ronds et obscurs de-
van t le soleil; mais ces observations sontloin d'etre cer-
taines. La surface du soleil est souvent le sifcge de petites
taches trfcs rondes, qui apparaissent et disparaissent dans
un temps souvent assez court pour simuler le passage de
corps ronds devant cet astre.
« La question a une importance capitale ; aussi pr6oc-
cupe-t-elle actuellement, h juste titre, tous les astro-
nomes.
« L'analyse de Leverrier doit-elle enrichir le monde so-
laire vers ses regions centrales, comme elle Ta fait avec
un si magnifique succ&s pour ses limites les plus recu-
lees?
« Pour r6soudre le probl&me dont la solution incombe
encore plus parliculifcrement h l'astronomie frangaise,
nous n'avons que deux moyens : l'etude attentive de la
surface solaire, ou Texamen des regions circumsolaires
quand une 6clipse nous en rend Texploration possible. Ce
dernier moyen semble le plus efficace, mais h la condition
que Toccultation sera assez longue pour permettre une
exploration minutieuse de toutes les regions oil le petit
astre peut fctre rencontr6.
« Voil& cequi donne une importance capitale h T6clipse
du 6 mai prochain, une des plus longues du sifccle.
« Examinons actuellement les circonstances de- cette
grande 6clipse, et les moyens qu'il conviendrait d'employer
pour son observation.
« L'eclipse totale du 6 mai prochain aura une dur6e
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344 SCIENCES ET ARTS.
de six minutes, ail point oil la phase est maximum
(5 m 59 s ) ; c'est un temps triple de celui des 6clipses ordi-
naires.
« Laligne centraleest tout entire comprise dansT0c6an
Pacifique Sud, et Ton ne peut espGrer l'observer que dans
des iles de cet oc6an.
« Aprfcsune etude attentive de la question, il nous a paru
que deux iles se prfctaient k peu prfcs Sgalement bien k
l'observation : ce sont les iles Flint et Caroline.
« L'iie Flint (lat. 11° 25' 43" et long. 14° 8' 0) est la plus
rapprochSe de la ligne centrale. Le calcul donne pour la
dur6e de la totality dans cette ile 5 m 33 8 . L'ile Caroline est
par 152° 26' 0. et 9° 14' S. ; la dur6e de la totality y sera
de 5 m 20 s , c'est-&-dire seulement 13 8 de moins qu'a Tile
Flint. »
On voit, d'apr&s cette citation, quel 6tait le but de Texp6-
dition.
II consistait principalement & decider entre ces deux
alternatives ggalement importantes pour la constitution
du systfcme solaire, k savoir : les espaces qui avoisinent
le soleil renferment-ils une ou plusieurs plan&tes analo-
gues a la plan&te Mercure, ou bien ne contiennent-ils que
de la mati&re cosmique non agglom6ree, circulant autour
du soleil en anneaux ou en essaims k la mani&re dgs me-
teorites? Gar Tanalyse de Leverrier ne laisse gufcre d'autre
alternative.
Nous verrons tout k l'heure quelle solution nos obser-
vations donn&rent k ce probldme.
L'Acad6mie des sciences, dont la sollicitude n'a jamais
manque depuis plus de deuxsi&cles k toutce qui interesse
Thonneur scientifique de la France, et en particulier k
ce qui regarde Tastronomie, s'est associee, dans cette
circonstance, au Bureau des Longitudes pour demander
au gouvernement les moyens de rSaliser cette importante
expedition.
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UN VOYAGE ASTRONOMIQUE DANS LE PACIFfQUE. 345
Le gouvernement exauga ce voeu *. Des fonds et un ba-
timent de l'Etat furent mis a la disposition de ce corps
savant. LTAcademie, le Bureau me firent l'honneur de me
demander de me charger de la conduite de cette expedi-
tion, ce que j'acceptai avec empressement.
Une expedition aussi iointaine, qui exigeait le concours
de la marine de l'Etat, pr6sentait des difficult^ particu-
lifcres ; aussi adressames-nous des invitations aux savants
europ6ens qui n'auraient pas les moyens n6cessaires, et
leur offrimes-nous l'hospitalite. Cet appel fut entendu.
M. Tacchini, l'eminent directeur del'Observatoire de Rome,
si connu pour ses belles observations spectrales solaires,
et M. Palisa, de l'Observatoire de Vienne, dont les nom-
breuses d£couvertes ont magnifiquement enrichi nos cata-
logues de petites plan&tes, voulurent bien se joindre a
nous. Je n'ai pas besoin de dire que, pour reconnaitre un
concours si honorable, je m'efforgai de leur oiFrir, dfcs
. qu'ils furent sur notre navire, une hospitality si bien due
a leur m£rite.
Quant a moi, j'etais accompagn6 par MM. Trouvelot, de
TObservatoire de Meudon, et Pasteur, photographe.
Je decrirai plus loin notre materiel astronomique. Nous
emportions de fort grands instruments, dont plusieurs
pr£sentaient des dispositions nouvelles, appropri6es aux
questions_a etudier, et dont Tensemble constituait le ma-
teriel d'un bon observatoire de second ordre. C'est ce
materiel, soigneusement emball6, formant une quaran-
taine de grandes caisses, qu'il s'agissait de transporter
a plus de 4,000 lieues.
Notre depart eut lieu le 6 mars, de Saint-Nazaire, et le
27 nous abordions a Colon, qui forme la tfcte du chemin
de fer traversant Tisthme de Panama. Nous devons dire ici
1. Je desire remercier ici, (Tune maniere toute particuliere, M. Du-
clerc, alors ministre des affaires 6trangeres et president du Conseil, qui
prit a notre expedition un inters t qui en assura le succes.
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346 SCIENCES ET ARTS.
que nous ifetimes qu'k nous louer de la maniere dont la
Gompagnie Transatlantique traita la mission.
A Colon, je rencontrai M. Charles de Lesseps, appele
par les affaires du canal, qui nous requi de la maniere la
plus gracieuse et facilita & nos instruments la travers6e de
Tisthme. Dans l'isthme et dans toute retendue du trace du
canal, les travaux etaient en pleine activity, etl'eminent
ing6nieur M. Dengler venait en prendre la direction ge-
nerate.
A Panama, nous trouvions le navire de guerre VEclai-
reur, command^ par M. Pougin de La Maison-Neuve, qui
devait, d'aprfcs les ordres du ministre de la marine, nous
conduire direetement de Panama & Tile Caroline, lieu
choisi pour l'observation.
L'eclipse devait avoir lieu le 6 mai, et nous etions & la
fin de mars. Nous devions arriver au moins vingt jours
d'avance, temps strictement n6cessaire pour TSrection des
grands instruments et les plus indispensables pr6paratifs.
Nous n'avions done qu'une quinzaine de jours pour fran-
chir environ 4,300 milles. La situation etait critique, a
moins que le commandant de notre navire, interpretant
dans son esprit l'ordre du ministre qui, en nous accordant
un navire, voulait 6videmment la pleine reussite de l'expe-
dition, ne prit des dispositions pour une marche un peu
rapide, ce qui exigeait un supplement suffisant de char-
bon. UEclaireur prit seulement quatre-vingts tonnes de
supplement, marcha k la vitesse moyenne de 8 nceuds, et
arriva k Caroline le 22 avril.
Ge ne fut pas sans emotion que je vis cet ilot si anxieu-
sement attendu.
II nous restait quatorze jours pour effectuer le debar-
quement (qui a lui seul pouvait absorber trois ou quatre
jours & cause de la grandeur de notre materiel et des dif-
ficultes d'accostage), choisir Templacement, deballer une
quarantaine de grandes caisses, eriger des tentes, fonder
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UN VOYAGE ASTRONOM1QUE DANS LK PACIFIQUE. 347
des piliers, monter et orienter trois £quatoriaux, deux
telescopes, une m£ridienne, etc. On ne pouvait sauver la
situation que par un travail energique et presque inces-
sant de jour etde nuit : c'est ce que nous fimes.
Mais je reviens au d£barquement.
Quand nous Mmes en vue de Caroline, le navire am6ri-
cain le Hartford etait au large ; il venait de d6barquer la
mission am<§ricaine et s'apprStait h partir pour Tahiti. Un
officier vint nous visiter et nous instruisit des difficult^
du d6barquement.
Le lendemain matin, nous commenQ&mes cette opera-
tion. Je descendis d'abord h terre, accompagne de MM. Tac-
chini, Palisa, Trouvelot, pour reconnaitre les lieux, voir
les astronomes am^ricains et arr^ter notre point d'obser-
vation.
Caroline est une lie basse, dont la partie 6merg£e est
enticement form6e de corail. Elle consiste en une serie
d'ilots disposes en forme de couronne et r6unis entre eux
par des r6cifs coralliffcres h fleur d'eau, sur lesquels la
mer deferle constamment.
Du c6te 0C1 nous abordions l'lle, le mur des r6cifs pr6-
sente une lacune fort etroite, h peine suffisante pour le
passage d'un canot. Cette passe nous fut signage par l'of-
ficier amiricain. C'est par elle que nous p6n6tr&mes dans
le lagon ou mer interieure. La commission astronomique
am£ricaine nous regut trfcs cordialement. Ces Messieurs,
quoique partis de Lima une quinzaine de jours avant nous,
etaient arrives depuis deux jours seulement. L'ile Caroline
contient des gisements assez importants de phosphate de
chaux, provenant de guano lave par les pluies si abon-
dantes de ces regions. Ce phosphate de chaux est exploits
par une maison de commerce (MM. Houlder fr&res, de
Londres), qui y envoie de temps en temps des travailieurs
et qui, pour ses operations, a fait construire deux grands
chalets en bois. Les astronomes am6ricains occupaient
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348 SCIENCES ET ARTS.
d6j& h notre arriv6e ces deux chalets ; mais M. Holden,
leur chef, m'offrit gracieusemeni Tun d'eux. Sur cette ile
dSserte, oil les orages et les pluies diluviennes sont si fre-
quents, on comprend combien une telle ressource nous
fut pr6cieuse : aussi n'est-il que juste d'adresser ici nos
remerciements aux propri£taires.
Ge point si important fixe, nous arr6t&mes le lieu de nos
observations. Nous retourn&mes ensuite au navire pour
Top6ration du debarquement. Cette operation se fit ainsi :
les caisses Gtaient d'abord prises sur le pont par un palan
et descendues dans un canot. Quand celui-ci 6tait charg6,
on le conduisait h l'entr£e de la passe et, par une manoeu-
vre rapide, on l'y faisait p£n6trer. II se trouvait alors dans
les eaux calmes du lagon int6rieur, mais bientdt il 6tait
forc6 de s'arrGter par manque de fond. II fallait alors
transborder les caisses qu'il contenait dans un petit bateau
plat, calant seulement quelques centimetres etqui, poussS
par les matelots marchant dans l'eau, amenait la charge
tres prfcs du rivage. On reprenait alors les caisses sur les
6paules et on les conduisait au lieu que nous avions d£si-
gn6. Nos lourdes caisses necessiterent jusqu'& quinze et
dix-huit porteurs.
De ces diverses operations, la plus difficile 6tait la tra-
vers6e de la passe dans les r6cifs de coraux. La mer y bri-
sait avec fureur, et les r£cifs dissimul6s sous les eaux per-
mettaient difficilement de reconnaitre la position exacte
de Tentree ; il fallait saisir le moment oil le flot, en s'abais-
sant, montrait la position de l'ouverture et profiter du flot
suivantpour pen6trer d'un seul coup, & travers la passe,
jusqu'a. l'entree du lagon.
MalgrS l'habilete de nos braves marins, plusieurs canots
furent crev6s pendant ces difficiles operations, et des
caisses furent mouillges ; celles-lk Gtaient mises k part et
ouvertes immidiatement, afin d'empfccher les suites de ces
accidents.
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UN VOYAGE ASTRONOMIQUE DANS LE PACIFIQUE. 349
L'op6ration dura ainsi deux jours. Le 24 au soir, elle
etait termin6e.
Avant de partir, YJ^clalreur nous laissait, d'apres les or-
dres que le ministre avait bien voulu donner, sur ma
demande, un detachement de dix-sept hommes compre-
nant des timoniers, des ouvriers et des matelots.
D&s le lendemain matin, les emplacements etaient assi-
gns, les tentes se dressaient et les instruments se tiraient
de leurs caisses.
11 est indispensable de donner maintenant une courte
description de nos appareils et du plan de nos obser-
vations.
Pour la recherche des planetes intra-mercurielles,
M. Palisa avait une lunette de 6 pouces (0 m ,16), a court
foyer, k grand champ, mont6e 6quatorialement et trfcs
propre a la recherche en question. Pour le m6me objet,
M. Trouvelot disposait de deux lunettes : une de 3 pouces
(0 m ,08) d'ouvertiire, & grand champ, avec reticule et cercle
interieur de position, et une de 6 pouces donnant un fort
grossissement. La lunette de 3 pouces, formant chercheur
et ayant un champ d'environ 4°, 5, devait servir k l'explo-
ration des regions circumsolaires ; la crois6e de fil permet-
tait de relever une position ; le cercle de position interieur,
dont les larges divisions etaient gravees sur une couronne
de verre, etait destine & orienter les details de la couronne
pour le dessin que M. Trouvelot devait en faire. Quant k
la lunette de 6 pouces, qui etait egalement munie de reti-
cule, elle devait servir & verifier si un astre soupQonne
d'etre une planfete poss6dait reellement un diamfetre, et le
reticule permettait d'en relever la position exacte. Ges
lunettes etaient montees sur un pied parallactique, un de
ceux qui avaient servi au dernier passage de Venus. Pour
rendre plus rapide le releve d'une position et dispenser de
lectures qui eussent fait perdre un temps si pr6cieux, j'a-
vais fait adapter, par M. Gautier, aux cercles d'ascension
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350 SCIENCES ET ARTS.
droite et de d^clinaison, des tracelets de microscope.
Chacun de ces tracelets, plac6 sous la main d'untimonier,
permettait de faire, sur l'ordre de l'observateu'r, un trait
fin k travers le cercle divisS et son vernier, de manifcre
k pouvoir ensuite, k l'aide de ce repfcre tr&s precis, re-
placer Tinstrument dans sa position d'observation et faire
k loisir les lectures necessaires.
Je dois ajouter que, sur ma proposition, MM. Palisa et
Trouvelot se divis&rent le travail et voulurent bien explo-
rer seulement chacun un c6te du soleil. On sait que la
grande difficulty de ces recherches de planet es, pendant
les Eclipses, reside dans le peu de temps dont on dispose ;
il est done de la plus haute importance de r^duire autant
que possible le champ qui doit £tre explore par un obser-
vateur.
Telles Staient les dispositions prises pour la recherche
des plan&tes intra-mercurielles par Tobservation oculaire,
mais nous y avions ajoutg un 616ment nouveau : la photo-
graphic
Sur mes indications, M. Gautier nous avait dispose un
pied parallactique ayant un axe horaire de 2 m de longueur,
portant une forte et large plate-forme sur laquelle 6taient
fix6s les appareils photographiques suivants : Une grande
chambre portant un objectif de 8 pouces (0 m , 21) de Darlot,
embrassant un champ de 20° sur 25° (glace de m , 40 k
m , 50) et destine & la photographie de la couronne et des
regions circumsolaires au point de vue des astres que ces
regions pouvaient presenter ;
Une deuxifcme chambre portant un objectif de 6 pouces
(0 m ,16) de Darlot, embrassant un champ de 26° sur 35 #
(glace de m , 30 & m , 40), destinSe au m£me usage ;
Un appareil de Steinheil tr&s parfait, pour l'Stude de la
couronne.
Un second appareil parallactique portait des chambres
k objectif de 4 pouces (O^IO), tr&s lumineux, destines k
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UN VOYAGE ASTRONOMIQUE DANS LE PACIFIQUE. 351
constater quelles seraient les limites de la couronne, avec
des plaques tres sensibles, un appareil tr&s lumineux et
une exposition embrassant toute la dur6e de la totalite.
Pour l'analyse spectrale, j'avais emporte deux teles-
copes.
L'un de m ,50 d'ouverture, k tres court foyer (l m ,60),
muni d'un spectroscope k vision directe, a 10 prismes, tr6s
lumineux ; la fente de ce spectroscope pouvait prendre
diverses positions angulaires et s'ouvrir ou se fermer rapi-
dement a la volonte de l'observateur ; un excellent cher->
cheur, muni de reticule, etait place pr&s du spectroscope
et h la distance des axes visuels, de manifcre que l'un des
yeux se portant par le chercheur sur un point de la cou-
ronne, l'autre ptit obtenir l'analyse spectroscopique de ce
point ; j'ai decrit ailleurs cette disposition si commode,
employee par moi dfcs 1871.
Ce telescope portait en outre une lunette polariscopique
& biquartz, de M. Prazmowski, et une autre du m&me op-
ticien donnant les anneaux de Respighi.
Tout l'instrument etait monte sur un pied parallactique.
Craignant beaucoup le climat maritime de Caroline, j'a-
vais associe au telescope de m , 50 un autre de m , 40, por-
tant les mGmes dispositions ; le miroir de ce telescope
resta dans sa bolte et ne devait &tre ouvert que dans le cas
oil le telescope de m , 50 exit 6te gravement attaqu6 par
l'atmosph&re de notre station. Heureusement, je ne fuspas
oblig6 de recourir k ce second instrument. Par des pre-
cautions tr&s minutieuses, j'ai pu, malgr6 les orages et
l'humidite de ces climats, conserver mon miroir absolu-
ment intact.
Nous avions encore divers autres instruments et une
m6ridienne qui ne nous servit pas, M. Palisa ayant bien
voulu, pour nous soulager, se charger de la determination
du temps.
Notre installation fut fortement contrartee par les orages
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352 SCIENCES ET ARTS.
qui se succ£dfcrent pendant notre sejour & Caroline. Nos
tentes etaient enlev£es ou dechirees et nos instruments
inond6s. Nous 6tions obliges de lutter continuellement
pour maintenir notre materiel en £tat de fonctionner. Le
miroir de mon telescope devait £tre d6mont£ chaque soir,
rapporte k notre habitation et plac6 dans une atmosphere
rendue s&che par un foyer de charbon. Dans Tun de ces
orages, nous mesur&mes une chute d'eau de m , 17.
Malgr6 tous ces obstacles, notre installation avangait
rapidement. Nous fimes plusieurs jours de suite des repe-
titions destinies k bien fixer le r61e de chacun et, le jour de
Eclipse, nous 6tions pr&ts.
Mais le temps ne semblait gufcre nous favoriser. Le matin
m6me du jour du phenomfcne, un grand orage 6clata et
nouscroyions tout perdu. Gependant, quant k moi,je ne
d£sesp£rais pas, ayant eprouve par experience combienle
temps peut changer & Tapproche d'une Eclipse. Ge fut encore
ce qui arriva. Une heure avantle moment critique, le ciel se
d6gageait et a l'instant de la totality il £tait tr&s pur. Nous
piimes done observer le phenomfcne dans d'excellentes con-
ditions. Mais il faut dire que l'eclaircie fut tout k fait mo-
mentan£e etproduite comme je le disais par T6clipse elle-
mGme ; car le ciel comment k se couvrir de nouveau
apr&s Eclipse, et la fin de la journ6e, sauf Forage, fut
semblable k son commencement.
Les observations de la mission furent, en somme, fa-
vorisees par un trfcs beau ciel, et reussirent complfcte-
ment.
Je ne parlerai pas ici des observations am£ricaines qui
ne nous concernent pas, excepte pour la recherche des
petites planfctes pour lesquelles une entente avait eu lieu
afin de donner plus d'efficacit6 aux efforts.
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UN VOYAGE ASTRONOMIQUE DANS LE PACIFIQUE. 353
Quant aux savants etrangers qui avaient bien voulu se
mettre sous ma direction, les resultats qu'ils obtinrent ont
du les satisfaire, car ils furent tres complets.
M. Taccbini fit d'importantes observations spectrosco-
piques, et entrevit de curieuses analogies entre la consti-
tution du spectre de certaines parties de la couronne et
celle du spectre des comfctes.
M. Palisafit, avec une grande habilete, Texploration des
regions circumsolaires pour y chercher les planetes intra-
mercurielles, et le rSsultat negatif qu'il obtint est un argu-
ment d'un grand poids en faveur de leur non-existence.
M. Trouvelot fit aussi la m£me recherche et ex6cuta un
dessin de la couronne.
Quant & moi, le but principal de mes observations etait
la recherche d'un caractere spectral dans la lumi£re de la
couronne qui puisse constituer un argument incontestable
en faveur de l'existence de cette mati&re cosmique extrasc-
laire dont nous parlions tout & l'heure.
Or je dois dire que le resultat a d6pass6 mon attente.
Les raies noires de Fratinhofer qui constituent le carac-
tere spectral vise ci-dessus se sont montrees, a l'aidedes
dispositions optiques adoptees, tres accusSes et tr6s nom-
breuses, et leur presence, qui accuse dans la lumifcre de
la couronne une enorme proportion de lumifcre reflechie,
est une preuve presque indubitable de la pr6sence„ dans
les espaces coronaux, de matifcre cosmique.
En outre, j'ai fait prendre une pr6cieuse s6rie de pho-
tographies de la couronne et une autre des espaces cir-
cumsolaires, au point de vue des planfctes intra-mercu-
rielles.
J'ai obtenu aussi, au moyen de la photographie, une
mesure photom6trique de Tintensit^ lumineuse de la
couronne, compar6e h celle de la pleine lune.
Gomme r6sum6 g6n£ral de nos observations, je dirai
que leur importance consiste principalement en ce qu'elles
ANNUAIRK DE 1883. 23
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354 SCIENCES ET ARTS.
ont montre que la matiere exig6e par l'analyse de Lever-
rier ne parait pas exister dans les espaces circumsolaires
agglom6r6e en planfctes h diamfctre sensible, mais plut6t
sous forme de matiere cosmique h T6tat de corpuscules
solides.
C'6tait precisement le point qu'il s'agissait de decider.
VEclaireur vint nous reprendre le 13 mai et nous con-
duisit k Tahiti, ou nous f&mes regus de la manifcrela plus
cordiale et la plus distingu6e par le gouverneur, le direc-
teur de l'interieur et les habitants. M. le gouverneur nous
fit visiter les points les plus int6ressants, autour de Papeete,
notamment la pointe deV6nus, lieu encore plein des sou-
venirs de Cook, et sur la c6te Ouest, a Paea, oil la mission
fut regue par des chefs tahitiens et suivant les anciens
usages.
Les cercles militaire et civil nous offrirent des fetes
charmantes. Enfin, nous regimes de tous les marques les
plus vives de sympathie, et Tahiti restera certainement
corame le plus charmant souvenir de ce grand voyage 1 .
Maintenant, je dois dire que nous avons 6t6 frappes, et
du d6sir ardent de dGveloppement manifesto par nos co-
lons, et des richesses naturelles de ce beau pays ; aussi
est-il de notre devoir d'appeler l'attention du gouverne-
ment sur la n6cessit6 d'augmenter les ressources d'une
colonie si admirablement placee et si digne de notre inte-
r£t par son d6vouement, son Snergie et son patriotisme.
1. Retenu aulit par une maladie qui e^ait sans doute une suite des
fatigues e'prouve'es a Tile Caroline, je ne pus assister aux dernieres
fetes qui furent offertes a la mission. Je dois ici renouveler mes remer-
ciements a M. le docteur Chassagnol, me'decin en chef de rhdpital
militaire, pour ses soins 6*claires et si empresses.
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UN VOYAGE ASTRONOMIQUE DANS LE PACIFIQUE. 355
Enquittant Tahiti, nous devions nous rendre & San-Fran-
cisco; mais ayant appris que File d'Hawai pr^sentait alors
d'importants ph6nom^nes volcaniques, je demandai au
commandant de YEclaireur d'y faire une rel&che, demande
appuyee par le gouverneur. Du reste, cette rel&che aux
Sandwich, qui permettait d'y prendre du charbon et, en
consequence, de faire la route plus rapidement, accei6rait
plut6t notre arriv£e k San-Francisco.
A Hawaii, je me rendis au cratfere de Kilauea et j*6tudiai
avec le plus grand interfct les beaux phenomfenes dont je
fus temoin. Une nuit pass6e dans ce grand crat&re, le plus
remarquable du monde, et sur les bords d'un lac de lave
en fusion, me permit de faire des etudes d'oii il r6sulte de
curieuses analogies entre ces phenomfcnes volcaniques et
ceux de la surface solaire., J'ai pu en outre faire l'analyse
spectrale de flammes sortant de ces laves et y const'ater la
presence du sodium, de l'hydrogfcne et de combinaisons
carburees.
Enfin, j'ai recueilli pour nos etablissements une collec-
tion de min6raux et des 6chantillons de gaz qui, dans ces
circonstances, ont toujours de Tint6rM.
A San-Francisco, nous avons assists & la celebration,
par la colonie frangaise, de notre fete nationale, et nous
avons ete touches du patriotisme qui anime nos conci-
toyens des rives du Sacramento.
Avant de traverser TAmerique, nous avons voulu,
M. Trouvelot et moi, visiter l'observatoire du mont Hamil-
ton, qui doit posseder la plus grande lunette du monde.
J'ai visite ensuite les observatoires de Madison, de Chicago,
de Washington, de Cambridge, oil j'ai ete regu par des
hommes eminents et oil se trouvent de grands et ceiebres
instruments qui avaient pour moi le plus vif int6ret.
A Washington, j'ai rencontre mon illustre ami Alexan-
dre Graham Bell, qui m'a rendu bien agr6able et bien
fructueux mon sejour dans cette belle cite.
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356 SCIENCES ET ARTS.
Enfin, je dois dire que nous avons regu de tous les sa-
vants am6ricains l'accueil le plus flatteur et le plus cordial.
Le 15 aoftt, le paquebot le Canada, de la Gompagnie
transatlantique, partant de New-York, nous ramenait en
Prance.
A notre retour, nous present&mes les r6sultats de notre
mission & TAcademie des sciences, qui les accueillit de
manifcre h nous faire oublier nos fatigues. Je terminerai
en rapportant ici les paroles que son Eloquent et si sympa-
thique president m'adressa en cette circonstance :
« Monsieur Janssen,
« ...Vous venez de si loin qu'il doit m'fctre permis de sa-
luer voire retour et de me faire l'interprfcte du sentiment
de tous nos confreres en applaudissant aux rSsultats de
votre mission.
« Vous nous avez tant accoutum6s h vos departs pour
des contr6es lointaines lorsque venait &luire l'espoird'une
d6couverte dans la constitution du soleil ou d'une plan&te,
que nous n'avons pas eprouvd une trfcs grande surprise h
l'annonce de votre projet de vous rendre dans une tie de-
serte de Toc6an Pacifique. On savait que les obstacles ne
vous ont jamais deconcertS, car personne n'oublie qu'aux
jours malheureux oh nous 6tions emprisonnSs dans Paris,
ce fut pour vous affaire toule simple de vous envoler par
dessus les murs de la ville et les armies ennemies; la suite
a prouv6 que Inspiration avait 6t6 bonne 1 .
« Cette fois pourtant, on se sentait touch6 par un rap-
prochement : votre enthousiasme pour la dur6e exception-
nelle de T6clipse de soleil du 6 mai, un peu plus de cinq
minutes, et votre insouciance pour la longueur de la navi-
gation & travers TAtlantique et le Pacifique, sans compter
1 . Voir Compies rendus de I'Academie des Sciences, t. LXXII.
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UN VOYAGE ASTRONOMIQUE DANS LE PACIFIQUE. 357
le voyage sur le continent amGricain, des mois cTennui et
de fatigue.
« Votre resolution vous avait m£rit6 le succfcs, vos
etudes ant6rieures vous l'avaient prepare, les circonstances
atmosph6riques vous Font assur6. (Test une bonne fortune
pour la science. II ne me reste, Monsieur Janssen, qu'&
vous prier de transmettre h vos habiles cooperateurs les
felicitations de l'Academie. »
J. Janssen,
Membre de la Direction centrale
du Club Alpin Francais.
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II
LA THEORIE DES VOLGANS
ET LE PLATEAU CENTRAL
HI STORIQUE
THEORIES ACTUELLES.— VUES NOUVELLES
CONFERENCE FAITE LE J 5 DtiCEMBRE 1883
PAR M. A. JULIEN
PROFESSEUR DE G&OLOGIE A LA FACULTE DES SCIENCES
COMMISSAIRE DE LA SECTION d'aUVERGNE
Les id£es les plus bizarres ont r6gn6 dans tout le cours
du xviii stecle sur la nature et le gisement des phenome-
nes volcaniques. Chimistes et naturalistes consid6raient a
l'envi toutes les Eruptions comme le r6sultat de l'incendie
superficiel de matieres pyriteuses et combustibles. Ainsi,
LSmery, vers 1700, les attribuait au d6gagement de la cha-
leur intense provoquSe par le contact des eaux de la sur-
face ou des mers avec des amas de soufre et de fer enfouis
& une faible profondeur. Buffon partageait ces id6es, sauf
de 16gfcres nuances. Frapp6, par exemple, de la position
voisine de la mer des volcans italiens, il pensait que les
grandes conflagrations du V6suve et de l'Etna resultaient
du choc des vagues furieuses contre les amas de pyrites
et de charbon accumul6s & Tint6rieur de ces montagnes.
La consideration du feu central, et de son intervention
dans les ph6nomenes ign6s, 6tait bannie de toutes les theo-
ries 6tranges que cette p£riode vit naitre. Ainsi, Tillustre
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LA THfcORIE DES VOLCANS ET LE PLATEAU CENTRAL. 359
chef de l'6cole des neptunistes, Werner, & la suite de
Buffon et de L6mery, ne voyait dans chaque Eruption
volcanique qu'un embrasement des couches s6dimentaires
de houille et de pyrites, au contact des eaux de p6n6tration
de la surface. Breislak, seul, imagina une th^orie originale,
bien que des plus invraisemblables.il avait depuis long-
temps remarque, le long de la chaine des Apennins situ6e
h TEst du V6suve, une longue trainee d'emanations carbu-
rees, de lits ou de filons de pyrites et d'amas de houille ou
de lignite. La combustion des pyrites devait, k son avis,
provoquer la distillation des mati&res carbur^es et favori-
ser la formation de grandes quantity de p6trole. Ge liquide,
6minemment inflammable, p6n6trait alors par des canaux
souterrains jusque dans les cavit6s profondes du Vesuve,
et Ik son inflammation fortuite par T61ectricit6 provo-
quait une Eruption. Nous pourrions multiplier ces cita-
tions, et rappeler les theories de Patrin, de Bernardin de
Saint-Pierre et de tant d'autres ; mais nous avons Mte
d'abandonner ces conceptions bizarres, pour arriver tout de
suite & la belle et simple observation de Dolomieu, qui vint
les faire disparattre comme par enchantement. Dolomieu,
visitant TAuvergne en 1797, quarante-cinq ans apr&s le c6-
l&bre voyage de Guettard et de Lamoignon de Malesherbes,
remarqua que les volcans h crat&res 6taient installs sur
la roche fondamentale de T6corce terrestre, c'est-&-dire
sur le granite. II en conclut judicieusement que le foyer,
loin d'etre superficiel, avait son gisement dans les profon-
deurs du globe. Gette dScouverte eut un immense reten-
tissement. D6j& Hutton avait d6montr6 l'origine ign6e des
filons de granite d'Aberdeen. L'6cole des plutonistes triom-
phait desormais avec le concours des vulcanistes, Dolomieu ,
Desmarest, Faujas Saint-Fond, Spallanzani. Le glorieux
chef des neptunistes 6tait vaincu. Quelle tristesse dut vrai-
semblablement assombrir les derni&res ann6es de Werner,
trop exclusivement min6ralogisteetmineur! Amer retour
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360 SCIENCES ET ARTS.
des choses d'ici-bas, il v6cut assez pour voir s'evanouir son
ancien prestige, ses disciples favoris, Leopold de Buch,
Alexandre de Humboldt, d'Aubuisson des Voisins rSpudier
ses doctrines, et se lever T6clatante aurore de la geologie
moderne : merveilleux Edifice dont les assises fondamen-
tales etaient jet6es par de Saussure, Gordier, James Hall,
par William Smith, Alexandre Brongniart et Cuvier ! Do-
lomieu a formula tr&s nettement ses id6es dans son rapport
h. Tlnstitut national sur ses voyages de Tan V etde l'an VI.
On en jugera par les citations suivantes :
« Les volcans de TAuvergne, du Vivarais et du Velay se
sont fait jour h travers ces masses granitiques. Us les ont
6videmment perches pour placer sur leur surface exte-
rieure des matifcres qui r6sidaient au-dessous, lesquelles,
sans les efforts des agents volcaniques, r auraient6t6 h jamais
soustraites & nos observations. »
Et plus loin : « Les foyers volcaniques ne sont point pla-
ces dans les couches secondaires, comme difKrents ecri-
vains Font suppose. lis ne resident point dans des couches
de houille et autres matifcres combustibles d'origine v6ge-
tale ou animale. Les laves et la cause inconnue qui pro-
duit leur fluidity ont leur sifcge sous T6corce consolidee
du globe J'ajouterai m£me que ce n'est pas sans
dessein que j'emploie l'expression d'ecorce consolidee du
globe; car*, si je ne puis pas douter que notre globe n'ait
6t6 fluide, rien ne peut me prouver qu'il y ait autre chose
qu'une ecorce plus ou moins 6paisse ; rien ne peut m'ap-
prendre si la consolidation, laquelle a dft necessairement
Stre progressive, a d6j& atteint le centre de ce sph6roide.
En admettant l'hypoth&se de la fluidity interne du globe,
tous les phenomfcnes relatifs aux volcans deviennent de
l'explication la plus simple ; les agents volcaniques, qui se
r6duisent k n'Gtre que des fluides Slastiques, ne feraient
que soulever cette mati&re, de tous temps p&teuse et vis-
queuse, sur laquelle reposent nos continents, et qui les
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LA THEORIE DES VOLCANS ET LE PLATEAU CENTRAL. 361
supporte sans peine, parce qu'elle a plus de density que
la croflte exterieure. »
Dolomieu doit done 6tre consider^, sans reserve, comme
le promoteur de la th^orie moderne des volcans , thSorie
que nous qualifierons, dans le cours de cette conference,
et pour la facility de Imposition, de tkeorie des plutonistes.
II ne manquait k cette th6orie pour conqu^rir un droit de
cit6 d6finitif dans la science, que de s'appuyer sur Tobser-
vation precise de l'augmentation graduelle de la tempera-
ture en profondeur. Aussi, bien que des mesures eussent
dej& 6t6 effectu6es, Cordier, disciple et continuateur de
Dolomieu, reprit-il Texamen de ces observations, pour les
soumettre & une critique savante et minutieuse, et fit-il
lui-m6me de nouvelles et nombreuses experiences, en
s'entourant des precautions indispensables pour 6carter
ou diminuer les chances d'erreur. Le resultat en fut consi-
gns dans un magistral m&noire lu & l'Acad6mie des scien-
ces en 1827, & la fin duquel il donna & la conception de
Dolomieu sa formule scientifique et decisive, en exposant
le m6canisme qui opfcre la projection des matures fluides
de la profondeur & Text6rieur de la plan&te.
« Les phSnomfcnes volcaniques, disait-il, paraissent 6tre
le resultat simple et naturel du refroidissement int6rieur
du globe, un effet purement thermometrique. La masse
fluide interne est soumise & une pression croissante qui
est occasionn6e par deux forces dont la puissance est im-
mense, quoique les effets soient lents et peu sensibles ;
d'une part, Tecorce solide se contracte de plus en plus &
mesure que sa temperature diminue, et cette contraction
est nScessairement plus grande que celle que la masse
centrale eprouve dans le m&me temps ; de Tautre, cette
m&me enveloppe, par suite de Tacc616ration insensible du
mouvement de rotation, perd de sa capacity int£rieure &
mesure qu'elle s'&oigne davantage de la forme sphSrique.
Les mati&res fluides interieures sont torches de s'epancher
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362 SCIENCES ET ARTS.
au dehors sous forme de laves par les Events habituels
qu'on a nommds volcans, et avec les circonstances que Tac-
cumulation pr6alable des mati&res gazeuses, qui sont natu-
rellement produites k l'int^rieur, donne aux Eruptions. »
Pendant que se developpait cette theorie, qui rallie de
nos jours encore un grand nombre d'adh6rents, une 6cole
nouvelle, prenant pour base un principe diam6tralement
oppos6, faisait son apparition dans la science. Elle com-
prenait surtout des chimistes. Entralnes et s^duits eux-
mSmes par la grandeur et la beaut6 des d6couvertes que
chaque jour voyait naitre, ils croyaient hardiment pouvoir
expliquer tous les ph6nomfcnes volcaniques a l'aide des
seules donn^es de cette jeune science, qui brillait dej^t
dans le monde d'un prestigieux 6clat. Ainsi, dfcs 1808,
apres la merveilleuse d^couverte des m6taux alcalins,
Humphry Davy 6mettait Tidee que les volcans 6taient dus
h la reaction des flots de la mer, ruisselant & travers les
crevasses de l'ecorce terrestre sur des amas internes de
potassium et de sodium.
Anim<§ d'une conviction ardente, il aimait & renouveler
la c61£bre experience de Lemery dans ses cours publics,
et k donner & ses auditeurs enthousiasm^s le spectacle
d'une Eruption volcanique en miniature. II enfermait un
fragment de potassium dans un c6ne d'argile et l'arrosait
d'eau. En 1812, au plus fort des guerres de Tempire avec
TAngleterre, il obtenait de Napoleon, gr&ce k la c61ebrit6
universelle qui Tentourait, la faveur unique de traverser
la France pour visiter les volcans 6teints de TAuvergne.
Plus tard, en decembre 1819 et Janvier 1820, appel6 & Na-
ples pour y etudier les moyens de conservation des papy-
rus r^cemment decouverts h Pomp6i, il eut Theureuse
occasion d'assister h une Eruption du V6suve. II se Mta
d'en profiter pour 6tudier les produits gazeux qui s'dchap-
paient du cratfcre et des laves incandescentes, espSrant y
trouver la justification et la preuve de sa theorie volca-
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LA THEORIE DES VOLCANS ET LE PLATEAU CENTRAL. 363
nique. On vit le ceifcbre chimiste, bravant les perils,
transporter les instruments de son laboratoire sur les
flancs de la redoutable colline : exemple memorable qui
n'a cess6 depuis d'etre suivi. Mais une deception cruelle
1'attendait. Au lieu d'y decouvrir les torrents de gaz
hydrog&ne qui devaient s'echapper du cratere, il reconnut
Tabsence de ce gaz et, par contre, Tabondance des vapeurs
d'acide chlorhydrique. II abandonna sa theorie. On dit
qu'avant sa mort, arrivee pr6matur6ment , ce grand
homme s'etait rallie & la theorie des plutonistes, et qu'il
reconnaissait le feu central comme la cause premiere du
phenom^ne. Gay-Lussac, k son tour, aborda le probl&mo
en 1823. Lui aussi ecartait l'existence de la pyrosph&re. II
consid£rait l'incandescence interne comme « tout h fait
hypothetique et comme tres douteuse, malgre les obser-
vations sur Taccroissement de temperature dans les
tnines » {Reflexions sur les volcans). Apres avoir realist la
belle synthase du fer speculaire des volcans par la double
decomposition du perchlorure de fer et de la vapeur d'eau,
il modifia l'hypothese de H. Davy, en substituant un
noyau de chlorures metalliques au noyau de potassium et
de sodium.
Mais l'acide chlorhydrique n'est pas le seul gaz qui
emane des crateres en ignition. II y a aussi l'hydrogene
sulfurd et'l'acide sulfureux, produit de sa combustion.
Aussi Brongniart, en 1829, crut-il sceller definitivement la
theorie de ses deux illustres predecesseurs, en ajoutant
aux amas de metaux et de chlorures des amas de sulfures
metalliques.
Ainsi, pour cette ecole qui tenait exclusivement compte
du point de vue chimique, qui avait 6chapp6 k Cordier
malgre son importance capitale, la pyrosphere n'existait
pas; la chaleur centrale n'avait d'autre valeur que celle
d'une hypothese sans verification possible, et la chaleur
qui fondait les laves n'avait d'autre origine que les r6ac-
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364 SCIENCES ET ARTS.
tions chimiques provoqu6es par le contact des eaux de la
mer, k travers les fissures d'un globe enti&rement refroidi,
sur des amas de metaux natifs ou de sels m6talliques.
Chose remarquable ! un mot devait suffire encore pour rou-
ter toutes ces theories etles faire disparattre, aussi rapide-
ment que la belle et simple observation que Dolomieu
avait faite des conceptions bizarres du xvin e siecle. En
effet, les astronomes ont pes£ la terre et lui ont trouve
une densite voisine de 5,5. Gelle de l'6corce terrestre,
envisagee dans son ensemble, etant de 2,5, il en rSsulte
que Ton doit trouver, au-dessous de l'ecorce, des couches
plus denses; et, par suite, Ton doit rejeter, sans possibi-
lity d'appel, l'existence d'un noyau interne forme de me-
taux alcalins ou alcalino-terreux ou de chlorures et sul-
fures de ces metaux beaucoup trop lagers.
Tel 6tait l'gtat des opinions relatives k la production des
volcans, vers 1830. De nos jours, ces deux ecoles subsis-
tent encore, ou plutdt il s'en est forme deux nouvelles
qui proc&dent directement des premieres. L'une enseigne
la th6orie de Dolomieu et de Cordier en la completant
chaque jour, pour ainsi dire, par quelques hypotheses
plus ou moins inggnieuses, plus ou moins plausibles.
L'autre, prenant dans chacune des mani&res de voir les
parcelles de v6rit6 qui s'y rencontrent, s'eflforce, dans une
conception savamment eclectique, de les unir et de les
fondre ensemble, esperant ainsi mieux embrasser les
aspects si multiples et si divers de ce myst6rieux et ter-
rible phenom&ne.
A la t&te de la premiere a doming longtemps Elie de
Beaumont, qui herita pendant tant d'annges du prestige
ct de Tautorite qu'exergaient jadis dans le monde savant
le celfcbre lithologiste. Cordier n'attribuait aucune impor-
tance au prodigieux d6gagement des vapeurs d'eau, de
gaz et de sels qui caract6rise chaque Eruption : « La
vapeur d'eau, disait-il, et les matures volatiles entratnSes
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LA th£orie des volcans et le plateau central. 365
avec la lave, proviendraient de nappes d'eau rencontres
par le fluide incandescent, et entraln6es avec lui par un
mouvement d'aspiration comparable & celui qu'on observe
dans les trombes.» Elie de Beaumont, au contraire, mieux
renseigne sur l'6tat de fusion ign&o-aqueux des laves, don-
nait k la theorie de son predecesseur sa formule definitive
et Tamenait k Tetat de perfection, en proclamant la disso-
lution pr6alable, d&s l'origine de la plan&te, de ces sub-
stances dans la pyrosph&re, sous l'influence de pressions
enormes. Le degagement se produisait dans le crat&re au
fur et & mesure que la lave, arrivant au jour, n'etait plus
soumise qu'k la pression atmospherique. « Ainsi, pour-
quoi l'eau et les sels existent-ils, pour ainsi dire, en disso-
lution dans les laves & l'etat incandescent ? (Test un phe-
nomfcne aussi singulier que certain, et qui a sans doute
des analogies avec d'autres que nous produisons dans nos
laboratoires, comme le rochage de l'argent, etc. » (Note
sur les emanations volcaniques et metalh 'ffoes.)
Et de nos jours, M. A. de Lapparent, auteur de ce ma-
gnifique Traite de Geologie sans rival en Europe, un des
disciples convaincus de cette 6cole, a cherche, de la ma-
nure la plus ing^nieuse, & mettre la theorie en harmonie
avec le fait reconnu du voisinage de la mer de la plupart
des volcans en activity.
Quant k l'ecole 6clectique, & laquelle je faisais allusion
quelques lignes plus haut, elle a trouve definitivement un
avocat du plus grand merite dans la personne d'un brillant
vulcaniste. J'ai nomme M; Fouqu6. Mais il est vrai de dire
que cette theorie avait ete largement esquissee dej& par
les meditations de g^ologues tels qu'Abich, Durocher,
Angelot, et par les belles etudes sur les emanations
gazeuses et les sublimations salines, de Boussingault dans
les Andes, de Bunsen k l'Hekla, et du regrette Charles
Sainte-Glaire Deville & TEtna et au Vesuve. Les disciples
de cette theorie font & lafois intervenir la pyrosphfcre etles
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366 SCIENCES ET ARTS.
flols de la mer. « Si Ton admet F existence d'une couche
de matifcres en fusion etendue au-dessous de l'ecorce ter-
restres et penetrant dans ses anfractuosit^s [suivant le
mecanisme indique par Cordier], et si Ton suppose des
infiltrations de l'eau de mer arrivant jusqu'au contact du
liquide incandescent, nous avons vu que toutes les mani-
festations volcaniques s'expliquent et s'interpretent avec
une grande facility. » (These inaugurate, 9 aoftt 1866.)
Faut-il croire que la question soit ddfinitivement close,
et que ces deux theories, ou Tune d'elles, r£pondent
victorieusement a toutes les objections, expliquent ra-
tionnellement tous les aspects si multiples, toutes les
relations si varices du phenom&ne volcanique, agissant
dans le temps et dans Tespace? Non; la verite, c'est qu'au
fond aucune d'elles ne peut r6sister a l'examen approfondi
des faits. Les limites restreintes de cette conference ne me
permettent pas de m'engager dans cette voie, douloureuse
pour l'amour-propre des geologues qui aimeraient a voir
leur science d6barrass6e de vaines theories, et qui esti-
ment que dans les sciences naturelles l'observation seule
peut nous amener graduellement a la conquSte de la v6-
rit6. Mais veuillez ouvrir le beau Traite de geologie de
M. de Lapparent, et vous y verrez les objections sans re-
plique faites a la th£orie eclectique. Lisez les Elements de
geologie si scrupuleusement ecrits de M. Contejean, et
d'autres trait6s, et vous y trouverez 6num6r6e la serie des
objections faites aux deux 6coles.
II ne m'en coilte point cependant d'avouer que la se-
duisante th^orie des eclectiques avait conquis mon suf-
frage en d6pit des objections. Je me plaisais nagu£re
encore a la dSvelopper dans mes cours publics avec une
predilection marquee. Vous avez dti. vous en apercevoir ici
m6me, car, il y a trois aris, j'y faisais allusion a la fin de
l^tude ins6r6e dans YAnnuaire sous le titre : « Les Volcans
de la France centrale et les Alpes. »
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LA TH6ORIE DES VOLCANS ET LE PLATEAU CENTRAL. 367
Comment ai-je pu modifier mes opinions, au point de
brtiler ce que j'avais adorS ? Oh ! tout naturellement et
presque sans y songer. Gette conversion s'est produite a
la suite de recherches que je poursuis depuis plusieurs
ann£es sur un sujet bien different, sur la stratigraphie des
terrains pateozoiques et des terrains tertiaires du Plateau
Central, et sur l'&ge relatif des roches eruptives anciennes
et modernes de la m£me region. Ce sont les resultats ddjk
acquis de ces 6tudes qui m'ont conduit k formuler les
vues nouvelles que cette conference a pour but de vous
exposer.
On distingue dans le Massif central de la Prance trois
grandes p£riodes d'activit6 Eruptive, savoir : 1° la periode
des vastes epanchements du granite et des roches cong£-
n£res ; — 2° celle des porphyres, en y comprenant les
eurites, les m&aphyres et d'autres roches voisines ; —
3° enfin celle des trachytes, des basaltes et des laves
modernes.
Or ces trois grandes p£riodes d'activite interne coinci-
dent d'une mani&re 6tonnante dans Tensemble et j usque
dans les details avec les phases d'exhaussement du Plateau
Central ; de m6me que les phases de repos de Tactivite
Eruptive coincident avec une exactitude non moins frap-
pante avec les p^riodes d'affaissement de cette magnifique
region. De telle sorte qu'il parait bient6t paradoxal, quand
on a saisi nettement cette relation, d'attribuer le ph£no-
mene 6ruptif k Intervention de la mer, puisque l'activite
se manifeste dfcs que la mer s'eloigne et qu'elle prend fin
au fur et & mesure qu'k son retour elle p£n&tre dans Tinte-
rieur du Massif. Examinons, pour nous en convaincre, ce
qui s'est pass6 chez nous, dans le cours des &ges. A
l^poque arch£enne, le Plateau Central etait h peu pr&s
r6duit k la moiti6 de la surface qu'il occupe sur la carte
g£ologique de France d'Elie de Beaumont et Dufr£noy.
Un Hot de gneiss et de micaschiste occupait une partie de
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368 SCIENCES ET ARTS.
la Correze, du Limousin, de la Creuse et du Puy-de-Ddme,
et s'61evait au-dessus de la mer archeenne. D&s la fin de
cette periode, k l'aurore du silurien, le Plateau Central se
soulfcve, car le terrain silurien fait absolument defaut dans
nos regions, et il manque en particulier sur la bordure qui
rcgarde Paris, ou Ton voit le d6vonien et le carbonif&re
marin reposer transgressivement sur les roches arch^ennes
ou sur les Stages plus anciens formes par le miscaschiste
et le gneiss. Cette grande ile silurienne, entourde de toute
part par la mer, ou pullulaient les trilobites, s'6tend de
l'Est h TOuest, et se prolonge entre les Alpes et les Vosges
jusqu'en Bavifcre. Eh bien ! ce mouvement d'exhausse-
ment coincide avec les vastes epanchements du granite et
des roches de la m&me famille.
Puis arrive une 6re d'affaissement. Le Plateau Central
diminue. La mer devonienne envahit l'espace compris
entre les Vosges et le Massif Central actuel, et envoie
m£me dans l'interieur un bras de mer qui atteint Diou et
Gilly-sur-Loire. L'affaissement se continue, prend des
proportions de plus en plus vastes, et toute la region Nord
disparait bient6t sous les flots de la mer carboniffcre.
Celle-ci depose des sediments vaseux et calcaires, aujour-
d'hui transform^ en schistes et en marbres, sur un espace
que limite au Sud une vaste courbe, jalonnee par Evaux,
dans la Creuse ; Ferrifcres, dans TAllier ; Saint-Germain-
Laval et Nerondes, dans la Loire, les environs de l'Arbresle
et de Beaujeu dans le Rh6ne. Le Morvan tout entier est
enseveli sous les eaux de cette mer. Or le repos Sruptif le
plus complet se manifeste pendant la duree de cette
pSriode d'affaissement. Mais bient6t le Plateau Central se
relfcve. A droite et & gauche, la Loire et la Creuse, d£s la
fin de l'Spoque R6gny-Namur, Emergent graduellement.
Elles se couvrent d'une vegetation dej& riche qui prelude
k l'arriv6e prochaine de la luxuriante flore houill&re, et
ce mouvement d'exhaussement coincide k son d£but avec
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LA THtiORIE DES VOLCANS ET LE PLATEAU CENTRAL. 369
l'apparition du porphyre granitoide. Le mouvement s'ac-
cenlue; la mer carbonif&re, qui s^journe un instant dans
la region du Forez voisine de l'Ardoisiere-Vise, s'Sloigne
dgfinitivement en remontant vers la Belgique, et les por-
phyres quartziffcres succfcdent aux precedents.
Puis l'Europe occidentale est entrainee elle-m&me dans
ce grand mouvement qui Sloigne la mer jusqu'en Russie ;
le Plateau Central s'unit graduellement aux terres d'Eu-
rope nouvellement 6merg6es, pendant toute la duree de
la p^riode houill&re, et Tactivite interne ne cesse de se
manifester jusque dans le cours de l'epoque permienne,
par Tapparition de nouveaux porphyres, d'eurites, de
m&aphyres, de diabases et d'une foule de roches en gene-
ral de couleur sombre, plus denses et plus basiques que
les precedentes.
Un mouvement en sens inverse se produit vers la fin
du trias. Le Plateau Central, entour6 de nouveau par la
mer, reprend les dimensions qu'il a acquises aujourd'hui.
La mer cependant empi&te de plus en plus dans les pre-
miers temps de l'6poque jurassique. Le Morvan disparait
encore, comme Font prouv6 les heureuses decouvertes de
M. Collenot et les travaux d'Ebray. II en est de m&me du
massif du mont Lozere, au Sud, d'aprfcs M. Fabre. Le Pla-
teau Central est alors dans uner^ellep^rioded'affaissement,
et cette p6riode, qui commence chez nous vers la fin du
trias, coincide de nouveau avec fextinction de la grande
activity interne qui a couvert toute sa surface de roches
porphyriques.
Si nous examinons maintenant ce qui s'est passe dans
le cours des kges tertiaires, nous arrivons au m&me resul-
tat. Les premieres Eruptions volcaniques que nous consta-
tons dans la Limagne sont contemporaines du calcaire a
phryganes et des couches k Helix Ramondi qui succ&dent
au calcaire de Beauce proprement dit. Ce systfcme temoigne,
par la nature de ses sediments et de ses fossiles, de l'ex-
ANNUAIRB DB 1883. #4
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370 SCIENCES ET ARTS.
haussement qui a mis fin a ce grand lac qui s'£tendait
sans discontinuity k travers les plaines devenues le
Plateau Central de nos jours, de Moulins-sur-Allier a
Asprifcres dans FAveyron, et peut-6tre bien mftme jusqu'St
Agen. Ce mouvement s'accentue jusqu'd. T6poque des
sables de TOrl^anais, qui ont des repr£sentants si nette-
ment accuses k Gergovia et au Puy-de-Miir. C'est l'£poque
des p£perites, roche semi-volcanique de la Limagne ; c'est
aussi celle de la nappe basaltique inferieure de Gergovia
et de quelques autres. C'est encore celle des rocbers de
basalte du Puy-de-Courny, prfcs d'Aurillac. A ce moment,
la France tout entifcre s'affaisse en entralnant le Plateau
Central dans son mouvement de descente. Nous sommes
& l'gpoque miocfcne moyenne des g6ologues parisiens. La
mer envahit simultanement les bassins de la Loire, du
Rhdne et de la Gironde, et depose les sediments coquillers
connus sous le nom de faluns. Le Plateau Central est une
lie. L'activite Eruptive cesse aussitdt chez nous. Je ne con-
nais, pour ma part, aucun filon de rocbe Eruptive, aucune
nappe que Ton puisse stirement attribuer k cette 6poque.
La mer disparait lentement des trois bassins. Le Massif
Central devient en s'exhaussant la France entiere. Des
dep6ts terrestres succ&dent partout aux depdts marins.
Nous sommes au miocfcne sup6rieur, k l'6poque des hip-
parions. Or M. Torcapel vient de d6montrer par de trfcs
heureuses et tr&s remarquables decouvertes que c'est k ce
moment precis qu'a lieu le vaste epanchement basaltique
des Goirons, et c'est vers la fin de cette 6poque, k l'aurore
des temps pliocenes, que l'activite interne, qui s'etait
deplacee successivement de la Limagne aux confins du
Vivarais, remonte vers le Nord, et produit les montagnes
volcaniques du Velay, du Gantal, du Mont-Dore, des Puys
dolomitiques et du Cdzalier, dont le synchronisme avec le
plissement gigantesque qui a fagonn6 les Alpes a et6 mis
definitivement en lumi&re. II n'est pas, enfin, jusqu'aux
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LA THEORIE DES VOLCANS ET LE PLATEAU CENTRAL. 371
volcans & crat&res, de l'6poque des abris prghistoriques de
la V^z&re, qui ne paraissent co'incider avec le dernier sou-
lavement des rivages voisins de laM6diterranee.
En r6sum£ et en me bornant h l'esquisse rapide de cet
admirable parall61isme, sur lequel je reviendrai tr&s certai-
nement un jour, avec toutes les preuves et tous les details
qu'il comporte, on comprendra, sans qu'il soit n^cessaire
d'insister, comment une conviction nouvelle s'est form^e
dans mon esprit, et comment j'ai dfl rejeter, d'une ma-
nifcre irrevocable, Tintervention brutale de lamer, agissant
directement sur la pyrosph&re, comme base d'une thSorie
des volcans.
Permettez-moi d'ouvrir ici une parenth&se. II n'est per-
sonne d'entre vous qui ne connaisse le bel ouvrage de
Darwin, intitule les Recifs de corail. Dans cette OBuvre
captivante d'un des plus beaux genies du si&cle, il est
un chapitre qui a pour titre : Absence de volcans actifs
dans les aires d'affaissement. Leu?* presence frfquente dans
les aires de souldvement. Ge grand naturahste, en effet,
dans le cours de son magnifique voyage sur le Beagle k
travers TocSan Pacifique, a dGcouvert la relation qui lie
dans le monde actuel Tactivite volcanique ou son 6tat de
repos avec les phases oscillatoires de l'£corce terrestre.
Et ce n'est pas seulement dans l'oc6an Pacifique que
cette relation, que Ton peut considSrer comme une loi,'
en raison de sa g6n6ralit6, se vSrifie ; mais c'est dans le
monde entier, comme le d^montre la carte generate an-
nex6e k la fin de l'ouvrage et qui 6tablit la repartition
geographique des difKrentes classes de bancs de coraux
et des volcans actifs.
Darwin, avec cette prescience et cette puissance de ge-
neralisation qui sont le propre des hommes sup6rieurs, a
mfcme ajoute cette note caract6ristique k la fin de ce cha-
pitre et au bas de la page 215 : « Nous pouvons d£duire
de cette loi que dans les points ou une formation anciqnne
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372 SCIENCES ET ARTS.
contient des couches interstratifiSes de matifcres volca-
niques, la surface de la terre ou le lit de la mer formait
pendant la periode d^ruption une aire de soul&vement
et non pas d'affaissement 1 . » Ainsi Darwin avait, pour
ainsi dire, devin6 de longues ann6es & l'avance la relation
qui existe entre les phases oscillatoires du Plateau Central
et l'activitS interne du globe, qui a imprime un caractfcre
k la fois si original et si instructif k notre belle region.
Mais il y a plus, et nous pouvons aborder un autre ordre
d'idSes. Dans la theorie £clectique dont M. FouquS est le
dernier et le plus illustre d6fenseur, comme dans la
theorie des plutonistes purs, dSveloppee avec un talent si
souple et si entratnant dans le bel ouvrage de M. de Lap-
parent, le si&ge de Tactivit6 volcanique reside a la surface
m&me de la pyrosph^re, au-dessous de l'ecorce terrestre
consolidee. C'est \k le principe commun qui relie les deux
theories. Eh bien, l'examen appro fondi du vulcanisme
du Plateau Central, la dScouverte de Tordre veritable
d'apparition des roches 6ruptives, cendres, nappes ou
filons, la connaissance de leur composition chimique,
aussi importante et plus, k notre point de vue, que leur
composition min^ralogique, et celle de leurs densites,
nous amenent k rejeter d'une mani&re non moins abso-
lue, non moins radicale, la position du foyer volcanique
en ce point. Car il y a des faits contre lesquels ne sau-
raient prSvaloir ni Tantiquite des pr6jug6s, ni les theories
6Iabor6es dans le cabinet, quelque ing6nieuses qu'elles
soient, ni m£me Illustration des hommes qui les ont
accueillies, cre6es ou propag6es.
Le plus important de ces faits, & mon avis, mais non le
seul, c'est TantSriorite d'apparition du basalte sur.le tra-
chyte, ou plut6t Intercalation de cette derniSre roche
entre les Eruptions basaltiques, contrairement k la theorie
1. Les Rteifs de corail, par Ch. Darwin. Traduit de l'anglais d'apres
la 2 e edition par M. L. Cosseras. Germer BaiUiere et C ie , 1878. ;
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LA TlltiOME DES YOLCANS ET LE PLATEAU CENTRAL. 373
qui exige que les roches soient d'autant plus denses et
d'autant moins saturees chimiquement qu'elles viennent
de regions plus profondes et par suite qu'elles sont plus
recentes. Or le basalte, qui a pr6c6d6 le trachyte, est une
roche basique et a pour density 3, tandis que le trachyte
est une roche neutre, parfois m&me acide dans sa vari6t6
rhyolite, du ravin de l'Usclade, pr&s de la Bourboule, et a
pour density 2,3 & 2,6 & peine. (Test la, a mon avis, le
fait le plus important peut-6tre du vulcanisme du Plateau
Central, et qu'une theorie des volcans, quelle qu'elle soit,
doit pouvoir expliquer sous peine d'infirmation. Et ce n'est
point le cas des deux doctrines contemporaines, absolument
impuissantes sur ce point. II est bon, je crois, d'insister sur
ce fait, dont la connaissance est r6cente. Henry Lecoq, par
exemple, croyatt le basalte plus recent que le trachyte en
Auvergne. La vue des nappes basaltiques du Cantal et du
Ctezalier, superposes au trachyte, l'avait porte h g6n6rali-
ser le fait. Mais la paleontologie et la stratigraphie,
auxquelles il ne croyait gu§re, comme il n'a pas craint
de l^crire, et qui ne l'ont jamais pr6occup6, sont venues
donner un dementi formel h cette affirmation gratuite. La
botanique fossile a permis de fixer I'&ge du Mont-Dore et
du Cantal au debut de la p6riode pliocene, tandis que la
puissante formation de p6p6rites basaltiques de la Limagne,
qui atteint 100 m&t. d'Spaisseur prfcs de Vertaison, date de
la periode miocfcne inferieure. Ces premieres Eruptions
volcaniques sont contemporaines du calcaire h phryganes,
de V Helix Ramondi et d'une faune de vert6br6s ou domi-
naientle caenotherium, I'amphicyon, l'anthracotherium et
l'amphitragulus.
La coulee interieure de basalte de Gergovia est du m6me
age, comme je l'ai d6montr6, contrairement k l'assertion
de Dufresnoy, qui a commis k cet egard une erreur que
partagent encore beaucoup de g6ologues, sur la foi de cet
Eminent min6ralogiste. Le Plateau Central doit beaucoup
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374 SCIENCES ET ARTS.
k Dufresnoy. Toutefois on doit faire remarquer que si les
observations de minSralogie pure que nous lui devons
sont des plus nombreuses et des plus precises, ses obser-
vations geologiques sont souvent moins heureuses et
laissent parfois prise k la critique. On n'estpaspeu 6tonn6,
par exemple,de lui voir, plusieurs annees apr&s la publica-
tion des travaux de Murchison et Sedgwick, considerer les
marbres k Produclus Cora de la Loire comme siluriens, et
les gneiss laurentiens de Bourg-Lastic comme du terrain
de transition metamorphisS ! G'est par milliers que les
scories basaltiques de la coulee inferieure de Gergovia
sont stratifies dans les couches calcaires & Helix Ramondi.
Certaines d'entre elles sont entourees de tubes de phry-
ganes, preuve irrecusable de leur contemporaneity, etnous
en avons decouvert quelques-unes qui pr6sentent dans les
cellules tout & fait p6riph6riquesdes coquilles depaludines
qui, apr&s la chute de la scorie, sont venues s'y 6tablir et
y laisser plus tard leur depouille. Ges faits sont bien con-
nus de certains amateurs de min6ralogie, si nombreux dans
notro pays, et qui recherchent ces scories extr^mement
caverneuses pour les faisceaux et les belles houppes
soyeuses d'aragonite aciculaire qui ornent leurs cavites.
Enfin je rappellerai encore les rochers du Puy-Courny
et le vaste epanchement des Coirons, fait capital au point
de vue auquel nous nous pla^ons, depuis la belle d6cou-
verte de M. Torcapel.
Du reste, ce fait d'intercalation de roches neutres ou
acides entre des roches eruptives basiques et plus denses
est bien loin d'etre particulier k TAuvergne. Le monde
entier est plein de ces exceptions. Ne savons-nous pas que
les diorites et les serpentines, par exemple, ont fait Erup-
tion & tous les &ges ; que le granite lui-m6me, d6guis6 sous
le nom de liparite, est tertiaire & Tile d'Elbe et & la grande
Galite? M. Barrois ne vient-il pas de nous faire connaltre
dans les Asturies des kersantites quartziferes de Ykge des
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LA T11E0RIE DES VOLCANS ET LE PLATEAU CENTRAL. 375
Pyr6n6es, impossibles h distinguer de celles de Daoulas ?
Ainsi, Texamen attentif du Plateau Central, tant au point
de vue des relations que son histoire nous enseigne avoir
existe jadis entre les grands mouvements orogSniques aux-
quels il a (He soumis et les p6riodes de r6veil ou de declin
del'activite interne, qu'au point de vue de l'ordre d'appa-
rition, du degr6 de basicity, et de la density compara-
tive des roches fluides 6man6es de la profondeur, nous
conduit & rejeter a la fois et Intervention directe de la
mer, et l'intervention m£me de la pyrosph&re, en tant que
gisement du foyer 6ruptif.
Quelle est done la cause du vulcanisme? quel est son
m6eanisme? ou reside son foyer? Voila les questions qu'a
notre tour nous allons tenter de rGsoudre, et je fais appel
h toute votre indulgence, car si vous avez consenti a me
suivre dans cette sorte d'epreuve des theories volcaniques,
examinees & la lumiere des faits qui ont laiss6 leur em-
preinte ineffaceable dans notre belle Auvergne, vous pour-
riez me trouver peut-6tre par trop aventureux dans les
routes inexplorc§es ou je vous convie & me suivre.
Nous avons vu que tous lesgGologues qui, dans le cours
du si&cle, se sont occupes de theorie des volcans, ont
reconnu Timportance capitale des sublimations salines et
de l'eau. II faut done que nous cherchions d'abord la
source d'alimentation de ces substances, puisque nous
rejetons a la fois et la pyrosph&re et l'intervention de la
mer. Cette source existe-t-elle? Oui, je me h&te de le dire.
Elle existe, et il est bien surprenant qu'elle ait dchappe k
Tattention des vulcanistes ; peut-cHre serait-il plus exact
de dire qu'elle etait connue d'eux, mais qu'ils n'ont pas su
lui reconnaltre l'importance capitale qu'elle possfcde. II y
a sous nos pieds, dans l'6paisseur de l'ecorce terrestre, des
reservoirs d'eau inepuisables, il y existe une circulation
profonde qui se manifeste & nous par le ph6nom&ne super-
ficiel des sources thermales. Que des naturalistes qui
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376 SCIENCES ET ARTS.
vivent loin (Tune region hydrothermale n'aient point song6
h cette source d'alimentation des Eruptions volcaniques,
je le concede volontiers; mais nous, qui vivons dans le
coeur du Plateau Central, nous ne saurions m6connaitre
un ph6nom&ne d'une importance telle qu'il s'impose a des
yeux attentifs.
A ce propos, quelques donnSes ne seront pas inutiles
pour justifier notre assertion. Voyons ce qui se passe
dans le Puy-de-D6me. Mon eminent collfcgue k la Faculty,
M. Truchot, a public r6cemment un Dictionnaire des
eaux thermales du departement; dans lequel il donne
Tanalyse de 225 sources thermales utilises, et il ne met
pas au-dessous de 300 le nombre des orifices sans utili-
sation de la m&me region. Les departements voisins sont
aussi riches que le n6tre, et c'est rester bien au-dessous de
la vSrite que de compter seulement 1,200 k 1,500 sources
importantes dans toute la region volcanique du Plateau
Central, car il y en a rSellement des milliers. Le d6bit total
de ces sources en 24 heures donne des chiffres extraordi-
naires. Veut-on quelques exemples :
Royat donne 1,500 met. cubes par jour.
Saint-Nectaire — 450 met. cubes —
La Bourboule — 1,000 met. cubes —
Mont-Dore — 500 met. cubes —
Chateauneuf — 1,200 met. cubes —
Chatelguyon ....... — 800 met. cubes — -
Vichy — 600 met. cubes —
Neris — 1 ,700 met. cubes —
Gimaux — 600 met. cubes —
Medagues — 550 met. cubes —
Saint-Maurice — 450 met. cubes —
Chabetout (pres d'Ardes) — 200 met. cubes —
Saint- Alyre — 550 met. cubes —
Saint-Honore — 1,000 met. cubes —
Chaudesaigues — 2,000 met. cubes —
Total 12,900 met. cubes par jour.
Ainsi, pour ces 15 sources ou groupes de sources, le
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LA THfiORIE DES VOLCANS ET LE PLATEAU CENTRAL. 377
debit par jour est de 13,000 mfct. cubes d'eau chaude.
Mais bien que ce chiffre soit considerable, nous pouvons
affirmer qu'il est loin d'exprimer la r6alit6, et que cette
realite nous ne pouvons la connaitre, lors m6me que nous
y ajouterions la quantity inconnue d'eau qu'6mettent nos
milliers d'orifices.Car la majeure partie de Teau qui s'elfcve
se perd dans les couches superficielles avant d'arriver au
jour. Nous en avons la preuve dans l'augmentation certaine
du d6bit qu'amfcnent des fouilles entreprises dans le voisi-
nage des anciennes sources. La grande source Eugenie de
Royat, qui donne un magnifique jet de 1,000 litres par mi-
nute, a et6 d£couverte en 1853 seulement. En 1828, les six
sources connuesde laBourboule,d'apr£s H. Lecoq, avaient
un debit total de 50 litres par minute. Les six sources nou-
velles donnent aujourd'hui le chiffre inscrit au tableau,
1 ,000 mfct. cubes par jour. II en est de m£me a Ch&telguyon,
k CMteauneuf. Partout, en un mot, ou la speculation pro-
voque de nouvelles recherches, chaque coup de sonde
amfene un nouveau filon d'eau. (Test en realite une veri-
table riviere qui s'Gcoule silencieusement, sans tr&ve ni
repos, par mille orifices du Plateau Central, et cela sans
interruption depuis les temps g6ologiques les plus recul£s.
A l'6poque actuelle, le debit est caracterisd par une con-
stance absolue pour une source donnGe, mais dans l'his-
toire de ce phenom&ne hydrothermal on constate &
plusieurs reprises des recrudescences, des maxima, et
cela, chose curieuse, chaque fois que l'activite volcanique
entre en jeu. Nous en avons le temoignage dans les innom-
brables amas de travertin ou d'aragonite de l'6poque des
volcans k cratere, dans les puissantes couches de travertin
calcaire ou siliceux et de meuli&res de l'6poque basal tique,
dans les filons sans nombre de quartz, de fluorine, de
barytine et de minerals varies de l'epoque des porphyres,
dans les puissantes couches de minerais de l'epoque silu-
rienne. Le phenomfcne n'a jamais subi d'interruption, et
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378 SCIENCES ET ARTS.
il faut bien pour cela qu'il y ait une alimentation inces-
sante, permanente et adequate & la perte.
II y a 1&, certainement, une source suffisante pour la
production des ph6nomenes volcaniques de notre r6gion,
et j'estime que si l'eau qui s'6coule en pure perte etait
utilisSe dans ce sens, il ne faudrait pas un si&cle pour
couvrir le Plateau Central depep^rites, de c6nesde scories
ou de cendres, de coulees de laves ou de nappes de basalte
et de trachyte d'un volume comparable a celui du terrain
volcanique actuel. Mais cela ne suffit pas. Si nous connais-
sons dans la profondeur une source d'eau suffisante pour
nous passer de la mer, il faut encore d6couvrir une source
des sublimations salines qui tapissent les parois des cra-
teres et la surface des courants de lave en ignition. Eh
bien, les eaux thermales m£mes sont le gisement primitif
de ces sels. Dressez le tableau des substances salines en
dissolution dans les eaux du d6partement et comparez-le
& la liste des sublimes des crateres, et vous reconnaitrez de
part et d'autre une identite absolue. Bien que nos sources
chaudes soient peu min6ralis6es,elles le sont encore suffi-
samment pour fournir dans un cas donnS un poids au
moins aussi considerable de ces substances que celui qui
se forme dans chaque eruption du V6suve ou de l'Etna.
Voici, par exemple, la quantite de sel marin, le sel le plus
important des eaux, aussi bien que des cratfcres, qui se
trouve en dissolution dans quelques sources: Royat, 1 gr. 56
par litre ; — Saint-Nectaire, 2 gr. 5 ; — Ch&telguyon, 1 gr. 8 ;
— N6ris, gr. 17; — Gimeaux, 1 gr.; — Saint^Maurice,
2 gr. 25 ; — Moyenne par litre, 1 gr. 5.
En cent jours, dur6e de I'eruption de TEtna de 1867, si
bien 6tudi6e par M. Fouqu6, les 5 sources ci-dessus 6nu-
m6r6es donneraient k elles seules plus de 2 millions de
kilogr. de sel marin. Je vais plus loin encore. M. Fouqu6
a cru trouver un argument puissant dans les proportions
relatives de sel marin et de chlorure de potassium qui
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LA thGorie des volcans et le plateau central. 379
composent les sublimations & haute temperature des
bombes volcaniques ou des crateres, proportions de ces
deux sels qui seraient & peu prfcs les monies que dans l'eau
de mer. En me servant d'analyses d6jk pubises, j'arrive
pour la M6diterran6e k une proportion de 1/59, c'est-&-dire
1 gr. de chlorure de potassium pour 59 gr. de chlorure de
sodium, et pour les volcans k celle de 1/33. Nos eaux
thermales renferment aussi ces deux chlorures et la pro-
portion est encore la m&me. Par exemple, pour la Bour-
boule, la proportion est de 1/37, pour le Mont-Dore 1/45,
pour Royat, Saint -Nectaire et CMtelguyon 1/15. La
moyenne est done la m6me que celle que Ton observe
dans les Eruptions volcaniques.
Nous avons done l&une source largement suffisante pour
la production des ph£nom&nes de toutes sortes qu'on
observe dans les Eruptions.
Mais ce ph6nomfcne hydrothermal est-il aussi d6velopp6
dans les regions volcaniques du globe qu'il Test dans le
Plateau Central? Gela ne saurait faire aucun doute. Bien
que les trait6s de g6ologie soient trfcs sobres de details sur
ce sujet, qui a tr6s peu jusqu'ici attir6 l'attention des
g6ologues, tous les documents, si incomplets qu'ils soient,
d^montrent partout une pareille identite de faits. Dressez
une carte gGographique des sources thermales du globe,
et vous la verrez coincider exactement avec la carte des
volcans. Les deux ph6nom&nes coexistent dans le monde
actuel, comme ils ont toujours coexiste dans le pass6. lis
sont intimement li6s Tun & l'autre, non seulement au point
de vue des lieux detection k la surface du globe, mais aussi
& celui des variations de leur intensity. Comparez, sous ce
rapport, la France centrale, la region volcanique de l'Alle-
magne, l'lslande, la Sicile, les Champs Phl6gr6ens, Java,
Sandwich, la Nouvelle-Zelande/les Cordilleres etla Sierra-
Nevada de Californie.
Ce serait un beau sujet d'etudes que celui de cette-cir-
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380 SCIENCES ET ARTS.
dilation souterraine,de ses sources d'alimentation, de ses
modes divers, soit que Ton considfcre seulement l'eau qui
imbibe intimement toute T6paisseur de recorce terrestre,
soit que Ton envisage, ici les lacs souterrains qui remplis-
sent des cavites de toute dimension, la de v6ritables fleuves
avec leur derivation partielle par mille orifices vers la sur-
face exterieure de la planfcte. Nous ne pouvons que l'indi-
quer rapidement. Disons, en passant, qu'un phenom^ne
aussi grandiose ne saurait trouver sa source unique dans
la penetration des eaux pluviales qui ruissellent & la sur-
face des terres emerg£es. Gette cause nous parait insuffi-
sante, d'abord parce que le debit des eaux thermales est
invariable dans un laps de temps donne, quels que soient
les ecarts offerts par les annees humides et seches, mais
encore parce que les sources qui jaillissent au fond des
mers sont aussi nombreuses que celles qui se font jour h
la surface des continents. La geologie est Ik pour en
temoigner. C'est done la mer avec ses sels qui alimente et
maintient cette circulation souterraine. G'est elle qui a
etabli Timbibition absolue de l'ecorce terrestre tout entiere,
jusqu'ci des profondeurs qui vont toujours croissant, et
c'est dans ce sens seulement et avec cette restriction bien
definie, par Tintermediaire de cette imbibition pr6alable,
que nous admeltons la mer comme productrice du pheno-
mfcne volcanique, a peu prfcs au m^me titre, si Ton veut,
qu'elle produit les glaciers. Inexperience, desormais ceifcbre,
du plus illustre des g£ologues frangais contemporains,
M. Daubr6e, a demontre victorieusement la possibilite de
cette penetration graduelle et de proche en proche de l'eau
dans les couches solidesderecorce,malgreia chaleur etdes
contre-pressions de vapeur. G6nie sagacefct prof ond, esprit
generalisateur de premier ordre, M. Daubree ne cesse de
rendre les services les plus* memorables & la science de la
terre, en la faisant entrer de plus en plus dans les voies fe-
condes de l'experimentation . Dans la belle experience que je
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LA T11E0RIE DES VOLCANS ET LE PLATEAU CENTRAL. 381
rappelle, il a reconnuque la chaleur, loin d'etre un obstacle
& la rapidity de la penetration, en etait au contraire un
excitant energique. Une sorte d'appel se produisait de la
part des parties les plus chaudes aux parties k temperature
moins elev6e. L'eau ne saurait done manquer aux foyers
volcaniques. Mais, dans la nature, il y a une autre cause
d'appel, plus puissante encore, plus efficace, et qui va nous
donner la clef de ce fallacieux voisinage de la mer, en
m&ne temps que nous expliquer l'existence de ces volcans
tels que ceux de la Mandchourie, situ£s k 900 kilom. au
moins dans l'int6rieur des terres. Cet appel est determine
par retat d'exhaussement des regions ^nvisagees. Cela ne
peut se produire sans une diminution correspondante de
la pression dans la profondeur. L'appel lateral del'eau, des-
tine k combler les vides produits, k maintenir la pression,
doit devenir d'une puissance incalculable. II doit etre com-
parable k celui d'un vaste piston de machine aspirante.
L'eau afflue de toutes parts et le phenom^ne se revMe aux
yeux par l'intensite nouvelle qu'acquifcrent les phenomfcnes
hydrothermaux et volcaniques. De Ik des sources et des
geysers innombrables, des eruptions. Qui oserait pretendre
que les eruptions des volcans de la grande chatne de feu
du Pacifique, presque toutes reduites & des emissions de
vapeur et de cendres, aient une autre cause? Si la region
s'afifaisse au contraire, la pression augmente, les couches
se tassent, la penetration de l'eau diminue dans de grandes
proportions, devient de plus en plus difficile et Iente, et
sources thermales et volcans disparaissent. Et e'est pour
cela qu'il n'y a aucun volcan sur la cdte orientale des deux
Ameriques, quelles que soient l'etendue infinie des rivages
et la proximite de la mer. G'est pour cette cause qu'il n'y
en a pas davantage sur les rivages du continent africain ni
sur ceux de l'Australie. G'est ainsi qu'il faut s'expliquer
Texistence du district volcanique de l'lslande et de 1'lle
Jan Mayen, parce que e'est \k que se produit le maximum
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382 SCIENCES ET ARTS.
de Texhaussement de la vaste region qui entralne dans son
mouvement d'ascension la peninsule scandinave ; ainsi que
Texistence du groupe volcanique mediterraneen, situ6,
comme chacun sait, sur une zone de soulfcvement. Enfin,
o/est h cette cause que nous devons, sans aucun doute,
l'extinction actuelle des volcans d'Auvergne. Depuis le
debut de la p6riode geologique contemporaine, nous som-
mes, en effet, compris dans la grande zone d'affaissement
qui commence & la Scanie, qui englobe l'Angleterre et la
France, aux rivages entoures d'une ceinture de for^ts sous-
marines, et qui ne s'arrfcte quTt la hauteur de la Corse
et de la Sardaigne.
Si Interpretation que nous donnons aux faits est vraie,
si la cause que nous attribuons au phgnomfcne volcanique
est r^ellement fondle, nous aurons l'explication de la
carte si curieuse de Darwin, et nous aurons en outre la
clef du deplacement lent et progressif de Tactivite interne
dans le temps et dans Tespace. Car elle a dft suivre les
variations de la circulation profonde, hydrothermale, et
celle-ci & son tour a suivi docilement les bossellements
genSraux de l'Scorce terrestre, s'eloignant des zones d'af-
faissement pour envahir les zones d'exhaussement.
Nous avons maintenant h examiner le mecanisme du
ph6nom£ne volcanique, d^sormais intra-cortical. Dans
l'ordre d'idees oil nous sommes places, il ne nous parait
pas tr&s difficile de le concevoir. Je ne sais qui a compare
la projection de la lave hors des cheminSes volcaniques au
jet du vin de Champagne; cette comparaison me parait
des plus heureuses. Dans le champagne, c'est l'acide car-
bonique qui fait jaillir le vin; dans le volcan, c'est la
vapeur d'eau & haute tension qui soulfcve la lave k Tetat de
fusion igneo-aqueuse et qui la pulverise mfcme en la redui-
sant & l'etat de cendres et de lapilli. Dans les deux cas,
c'est un fluide gazeux fortement comprint qui, dans sa
detente, entralne les matieres auxquelles il est intimement
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LA THfiORIE DES YOLCANS ET LE PLATEAU CENTRAL. 383
m61ang6. II n'y a de difference que dans le mode de pro-
duction de cette tension du fluide gazeux. Dans le pre-
mier cas, c'est l'appareil k compression qui permet de
Fobtenir; dans le second, c'est la chaleur de plus en plus
61ev£e des couches profondes. Mais il est dans la nature un
ph6nomfcne tout & fait comparable k celui des volcans,
oil la chaleur est Fagent actif : c'est le geyser. Nous n'avons
pas ici k en donner la theorie, que Bunsen a si heureuse-
ment decouverte; nous la supposons connue, et vous la
trouverez, du reste, exposee dans Fouvrage de M. de Lap-
parent. Eh bien, le volcan n'estpas autre chose, & nos yeux,
qu'une sorte de geyser ; son m^canisme est le m£me. L'eau,
en imbibant avec abondance, suivant les circonstances
locales, des colonnes verticales de roche solide, s'echauffe
par le bas de plus en plus, acquiert ainsi des tensions de
plus en plus considerables. A 20 kilom., la temperature
des roches est de 600°. La pression de la vapeur d'eau &
cette profondeur atteint de 1800 a 2000 atmospheres. Les
roches imbibGes largement ne peuvent rester solides et
coherentes ; elles passent & l'6tat de bouillie cristalline, h
Fetat de fusion ign6o-aqueuse. Tant que la croftte solide
est assez compacte et r^sistante pour s'opposer k l'effort
souterrain de cette eau vers FextSrieur, on ne pergoit que
des secousses, des tremblements de terre, des bruits sou-
terrains. Mais qu'k un moment donne le sol se fende,
qu'une crevasse se produise, imm6diatement le ph6 tio-
m&ne de la bouteille de champagne *ou du geyser se mani-
feste : Irruption a lieu et suit son jx>urs. II parait, du
reste, que dans les grandes regions & geysers, telles que la
Nouvelle-Z&ande et la Californie, la nature offre tous les
interm^diaires, tous les passages entre la source thermale
assimilable k la bouteille de champagne et le geyser, d'une
part ; entre le geyser et le volcan, d'autre part. La th6orie
de Involution pourrait s'appliquer & ce beau phenomene
naturel.
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384 SCIENCES ET ARTS.
Voil& la th6orie h laquelle je suis arrive, et qui, si elle
est Texpression de la verity doit pouvoir r^pondre k la
variety si grande des manifestations volcaniques, et en
donner une explication simple et facile. II me paraft bien,
en effet, qu'elle peut satisfaire aux objections tirees des
particularites singulifcres du phfriomfcneet que Ton oppose
sans cesse, avec raison, aux deux theories contempo-
raines. Ainsi, de la marche m£me d'une Eruption et de
ses differentes phases : Texplosion initiale suivie du jet
de nuages de vapeur qui stance parfois & des hauteurs
prodigieuses en prenant Taspect du pin parasol : « Nubes
oriebatur cujus formam non alia magis arbor quam pintis
expresserit » (Pline) ; puis la pluie de cendres ou de roche
pulv6ris6e, puis enfin, parfois, T6panchement de la lave,
et finalement Texhalation de vapeur d'eau qui se con-
tinue pendant des semaines et des mois, vapeur d'eau qui
provient de Tappel lateral de l'eau d'imbibition des cou-
ches voisines, s'evaporant a la surface des parois incan-
descentes de la haute cheminee. Les sublimations salines
proviennent des sels en dissolution dans Teau d'imbi-
bition. Si Teau de m r intervenait directement dans le
phSnomfcne, la quantite de sel marin devrait 6tre, il nous
semble, beaucoup plus considerable.
1/independance de volcans voisins ou m6me de bouches
situ^es sur une m£me montagne ne notis parait pas
offrir plus de difficulty que le fait de l'indgpendance ou
de l'intermittence de -geysers voisins. II y a des exemples
celebres, par exemple aux iles Sandwich, de cette inde-
pendance absolue de bouches voisines situ^es a des alti-
tudes tr&s differentes et qui forcent l'esprit k rejeter l'in-
tervention de la pyrosphfcre.
Je ne vois aucune difficulty & appliquer cette thGorie,
par voie d'extension, aux vastes Spanchements de granite
ou & ceux plus reduits de porphyres, aux Spoques pateo-
zo'iques. Le mScanisme est toujours le mGme. Les dimen-
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LA TIlfeORIE DES YOLCANS ETLE PLATEAU CENTRAL. 385
sions seules du ph6nomene varient. Mais ce qui me parait
capital, c'est qu'elle explique sans difficult6s, non seule-
ment l'ordre normal d'apparition des roches eruptives, en
raison de leur densite, du degre de saturation de la silice
et de leur &ge, mais aussi les exceptions dont la terre
fourmille et qui consistent soit dans l'intercalation de
roches plus denses ou plus leg&res, basiques ou acides,
dans une serie qui ne les comporte pas, soit dans la
difference proibnde de laves contemporaines 6mises par
des volcans tres rapproches. En effet, le ph6nom&ne vol-
canique ayant, k notre avis, son siege dans l'epaisseur
m6me de Tecorce solide et dependant de la penetration
de l'eau, il est facile de comprendre que les roches erup-
tives ont dd arriver graduellement et successivement au
jour, au fur et k mesure de leur consolidation, qui pro-
gresse de la peripheric au centre, et de leur imbibition
consecutive. Les granites sont sortis les premiers. Avec
le temps, la region porphyrique se consolide k son tour.
L'eau y p£n£tre en moins grande abondance que dans
la region superieure, car les continents sont dej& lar-
gement esquisses et le domaine de la mer, c'est-&-dire
la principale surface d'imbibition, la source de cette eau
de penetration, s'est restreint. De \k, diminution dans la
puissance des epanchements et multiplication des filons,
c'est-a-dire tendance de plus en plus accus£e de l'appareil
geys^rien k se rapprocher des dimensions du volcan actuel.
Mais la region basaltique se consolide avec le temps et, &
son tour, elle est assise par l'eau, qui ne cesse de s'ache-
miner de plus en plus profondement et qui ne s'arr&tera
que lorsqu'elle aura imbibe toute la planfcte. Les basaltes
peuvent alors venir au jour.
Ainsi, dans notre these, tout aussi bien que dans les
theories qui ont cours dans la science, le foyer volcanique
se deplace incessamment dans le sens vertical et atteint
des regions de plus en plus rapprochees du centre. Mais
ANNUAIRK DE 1883. 25
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386 • SCIENCES ET ARTS.
06 sa superiority 6clate, c'est dans Implication de Hri-
tercalation des trachytes du Plateau Central entre l'ar-
riv6e des basal tes du miocene interieur et superieur
d'une part et des basaltes pliocenes d'autre part, et
d'une maniere plus g£n£rale dans Implication du re-
tour de roches anciennes, telles que le granite, aux
6poques modernes du globe. Le simple deplacement ver-
tical du foyer volcanique, c'est-&-dire du lreu oh se pro-
duisent les conditions du mecanisme geyserien, suffit
pour Texpliquer. Apres avoir s6journ6 dans la region
basaltique, le foyer, en se deplagant, s'est 61ev6 dans celle
du porphyre.
Qu'est-ce, en effet, que le trachyte, sinon du porphyre?
Constitution chimique et mineralogique, densite, sont
identiques. Tous les geologues ont reconnu depuis long-
temps Texact parall61isme de ces deux categories de
roches. La seule difference reside dans T6tat physique du
feldspath des trachytes, qui est vitreux et fendille\ Mais ce
n'est pas \k un caractere special au trachyte. Beaucoup de
roches le possedent ou peuvent l'acqu£rir : par exemple,
les andesites. Gonstituent-elles une roche particuliere ,
ayant son siege marque" & une place fixe dans les profon-
deurs du globe? On peutlesoutenirpeut-6tre; pour moi, je
n'en crois rien. Les andesites amphiboliques et pyroxeniques
ne sont autre chose, k mon avis, que des diorites, des m6-
laphyres, des porphyres oligoclasiques ou des diabases
appartenant k une zone profonde, interm6diaire entre celle
des porphyres et des basaltes, c'est-&-dire des roches an-
ciennes k feldspath trachytise\ II en est de m&me du granite
terliaire de Tile d'Elbe et de la grande Galite, d6signe sous
le nom de liparite. Ce n'est pas autre chose que du granite
ancien k feldspath ggalement trachytise\ Pour expliquer
ces anomalies, insolubles dans toute theorie qui place le
foyer & la surface de la pyrosphere, il n'y a qu'k operer le
defacement du foyer dans l'epaisseur de T6corce terrestre,
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LA THfiORIE DES VOLGANS ET LE PLATEAU CENTRAL. 387
partout ou des diminutions de pression caus6es par les
bossellements du globe se produisent, partout oil l'eau
d'imbibition, Snergiquement appetee, se precipite. Si le
foyer est aujourd'hui dans la region des porphyres, cesont
des trachytes qui apparaltront ; s'il est, au contraire, dans
l'6paisseur de la zone granitique, ce sont des liparites.
Cette ind6pendance des foyers volcaniques, qui peuvent
adnsi, quoique trfcs voisins, Mre situGs h des profondeurs
variables, nous expliquera sans difficult^ pourquoi Grave-
noire, Pariou et la Nugfcre, trois volcans presque en con-
tact et contemporains, ont donn£, Tun, Gravenoire, du
basalte franc, Pariou une anddsite, et la Nugfcre du
trachyte.
Mais la superiorite de notre thfcse nous paratt 6clater
encore plus dans cette consideration quelle est unique-
ment bas^e sur Tobservation des faits, envisages en eux-
mGmes et dans leur vaste ensemble, et que la part laiss£e h
rhypothfcse y est aussi r6duite que possible. II est loin
d'en 6tre ainsi pour les deux autres. La th6orie de Gordier
est la fille de la generalisation exag6r£e d'un seul fait : la
progression reguli&re de la temperature dans les couches
profondes; ce savant arrive ainsi k la conception hypoth£-
tique d'un noyau Guide, de la pyrosphfcre, et c'est cette
hypothese qu'il prend pour base de sa th£orie. Mais la gra-
vity sollicite les couches superficielles de la planfcte, et il
imagine alors la contraction de l'ecorce solide pressant sur
la surface de la pyrosphfcre et faisant ainsi refluer celle-ci par
les fentes vers la surface. Mais cette deuxi&me hypoth&se
vient se heurter h deux objections irr6futables. C'est la
tension de la vapeur d'eau intimement m6l6e pr£alable-
ment qui fait monter la lave, et non la pression, car,
dans ce dernier cas, une bouche volcanique une fois
ouverte ne saurait plus se refermer. Et la deuxi&me
objection, qui n'a jamais ete faite et qui me parait
plus decisive encore, c'est que les volcans se trouve*
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388 SCIENCES ET ARTS.
raient concentres dans les vastes regions d'affaissement
du globe et feraient entifcrement defaut dans les zones
d'exhaussement.
La th^orie d^fendue par M. Fouque n'est basee aussi
que sur la consideration d'un seul point de vue, le
point de vue chimique du ph6nom&ne. On comprend
bien que dans ses longs s£jours au Vesuve, a l'Etna,
h Santorin, le c£l£bre vulcaniste, ayant toujours sous
les yeux la vaste mer, y ait vu la source unique des
torrents de vapeur d'eau et des amas de sublimations
salines des eruptions. Mais il fallait le g6nie de Darwin
pour decouvrir d'abord la signification des r6cifs de
coraux et des atolls des regions 6quatoriales et en d£-
duire les mouvements oscillatoires de Tecorce terrestre.
La fixation de Templacement des volcans sur la carte
permettait alors seulement de reconnaitre la relation
qui existe entre ces zones d'oscillation et le ph£nom&ne
eruptif. La th6orie que j'ai l'honneur de vous proposer,
bas6e sur ce triple point de vue, compl6tee par la con-
sideration d'une source nouvelle de l'eau et des sels, me-
connue jusqu'ici, et rattachee au ph6nomene si voisin des
geysers, me parait done offrir un supreme caract&re de
vraisemblance et de probability. Nous dirons done, en
terminant, quk nos yeux le volcan ou, plus g&ieralement,
le ph6nomfcne 6ruptif a son sifcge k des hauteurs va-
riables dans l'£paisseur de l'Scorce terrestre et qu'il est
la consequence, qu'il est fonction de la temperature de
plus en plus elev6e des couches qui la constituent, de
leur penetrability par les eaux superficielles d'origine
marine et pluviale et des mouvements d'oscillation de
cette ecorce. Gela revient h dire que les volcans ont la
m&me origine que les glaciers : la mer, et, pour cause
initiate, le soleil qui, en 6chauffant la terre de ses rayons,
maintient les oceans & l'£tat liquide et permet ainsi
leur Evaporation, d'une part, leUr p6n£tration dans les
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LA TH60RIE des volcans et le plateau central. 389
profondeurs, de l'autre, en cr6ant les deux plus beaux
ph6nom&nes de la nature et, en apparence, les deux plus
contradictoires.
A. Julien,
Professeur de geologie
a la Faculte des Sciences de Clermont-Ferrand,
Commissaire de la Section d'Auvergne
du Club Alpin Francais.
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Ill
LE
CHEMIN DE FER DU SAINT-GOTHARD
La grande attraction des Alpes, en Tan dc gr4ce 1882,.
a 6t6 la traversSe du mont Saint-Gothard. Tous les tou-
ristes pour la Suisse ou l'ltalie ont tenu h jeter au moins un
coup d'oeil sur le grand tunnel du nouveau chemin de fer
et les admirables travaux d'art qui l'accompagnent. Depuis
les bords du lac des Quatre-Cantons jusque sur les rives
du lac Majeur, les prodiges du travail humain rivalisent
avec les merveilles de la nature pour captiver Tattention
du passant. Aussi bien, nos amis et confreres du Club
Alpin Fran^ais nous permettront-ils de laisser pour un
instant Tascension des hauts sommets, afin de leur racon-
ter modestement comment tout le monde peut traverser
des montagnes que les plus forts d'entre nous sont seuls
en 6tat de gravir ! J'ai 6t6 conduit en Italie deux fois dans
le courant de Tann6e dernifcre, d'abord pour aller .gotiter
quelques jours de repos sur les plages ensoleillSes du
golfe de Naples, pendant les vacances de P&ques; puis
pour explorer, en automne, les formations glaciaires de la
region des lacs. Au printemps, la voie du Saint-Gothard
n'Gtait pas encore ouverte, et, faute de loisirs assez longs,
j'ai dfl prendre le chemin du Mont-Cenis et revenir par le
passage du Brenner. En automne seulement. les trains
rapides h travers le Saint-Gothard ont commenc6 leur
marche r^guliere, vous conduisant, dans Tespacede trente-
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LE CHEMIfl DE FER DU SA1NT-G0THARD. 391
six heures, de Strasbourg & Rome, avec un trajet de
1,080 kilometres. Mon d6sir serai t de vous d6crire en quel-
ques traits le plus recent des trois chemins de fer des
Alpes, au moyen des notes crayonnees sur mon carnet.
Allons, la locomotive siffle h la station de Fluelen oil le
train s'£branle sur le territoire du libre et vieux pays
d'Uri. Vite en voiture : Avantil
Par le beau temps, les trains du Saint-Gothard sont
actuellement au complet. Maints jours, pendant la saison
des vacances, le nombre des billets d£livr£s depasse celui
des places disponibles. II en a 6te ainsi lors de mon pas-
sage, en tous cas. Gomme la foule des voyageurs se dispu-
tait les places, un digne Anglais, & la face florissante et a
l'expression placide et satisfaite, s'etait avise k s'assurer
un coupe complet, en faisant placer, moyennant pour-
boire apparemment, un placard sur la portiere avec l'in-
scription : Compartiment reservt. Un compartiment r£serv6
avec des si&ges disponibles, quand dans les autres voitures
les places manquent, c'^st parfait. Aussi je m'y installe,
non sans d£ranger quelques bibelots, comme les insulaires
de bonne famille en emportent toujours une cargaison
enti&re. Scandalisee de mon procede, une jeune dame,
compagne de route du rubicond homme d'affaires de la
Cite, me rend attentif a l'inscription du placard : Compar-
timent reserve. — Je l'ai vue, milady. Les wagons voisins
£tant complets, je prends ici un des sieges libres. — Milady
fait une moue d6pit£e, rongeant d'amers shocking entre
ses dents blanches. Tant pis pour elle, car, malgre tous
les pourboires dont la bourse d'un riche Anglais est sus-
ceptible, on ne reconnait pas chez nous, m&me entre gens
comme il faut, le droit de reserve en chemin de fer, oil
chacun a la pretention d'occuper une place libre dont il a
pay£ le prix f Ahead and never mind.
Aucune voie ferr£e en Europe ne presente autant et
d'aussi remarquables travaux d'art que la ligne du Saint-
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392 SCIENCES ET ARTS.
Gothard. On constate le fait pendant le parcours du train.
On le reconnalt mieux en faisant & pied, au retour, le trajet
accompli d'abord en voiture. Nous sommes transporters
comme par un coup de baguette magique au-dessus des
abimes ou la Reuss mugit &une profondeur vertigineuse,
au-dessus des for&ts et des p4turages, ou les habitants
des chalets epars ou group6s nous sourient gaiement.
Plusieurs fois, le chemin de fer revient sur lui-m£me par
des passages en spirales. Avec quelle surete d'allure et
de mouvement il glisse, il roule sur les ponts suspendus,
pareil a un aigle au milieu des airs ! Les villages d'Amsteg,
de Gurtnellen, de Wasen, le Pont-du-Diable, cent sites
pittoresques et charmants se suec&dent comme les chan-
gements il vue dans un decor de thS&tre.Voici deja Ten-
tv6e du grand tunnel, & Goeschenen, oil le train s'engage
dans la nuit perp6tuelle de la montagne. Attention et
silence, pendant ce parcours de 14,912 metres. Les conver-
sations s'interrompent et chaque passager recueille ses
pens6es.Mais quoi, entr£s & peine, nous sommes dej& ren-
dus k la lumi&re et au jour, avec le sifflement triomphant
de la machine qui nous depose & la station d'Airolo, siffle-
ment r6p6t6 par tous les echos des grandes Alpes, comme
un d6fi, comme un chant de victoire, fier, bref, strident,
lanc6 & la face d'une nature dont les resistances longtemps
souveraines sont dompt^es desormais et assouplies it la
volonte de l'homme. En vingtetune minutes &peine, vous
traversez le tunnel principal, sans effort ni fatigue, pendant
qu'une tourmente de neige sevit peut-6tre au sommet du
col et barre le chemin 1^-haut. Au-dessus de nos tMes, l'an-
cienne route, le plus souvent, monte dans les brouillards,
imp£n6trables pour ToBil, au milieu des rafales, ou la tem-
pMe mugit, ou la pluie, la neige, le gr6sil fouettent le
visage du passant. Avec la route ordinaire, il faut de trois
& quatre jours aux pistons pour aller de Fluelen h Bellin-
zona par-dessus le col. Encore n'arrivent-ils pas toujours.
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LE CHEMIN DE FER DU SAINT-GOTHARD. 393
Les croix plantees au bord du chemin en temoignent,
jalonnant les points oh les tourmentes de neige ou les ava-
lanches ont enseveli des victimes, dont les survivants ont
consent le souvenir. Si les chroniqueurs du xvi e siecle
rapportent corame un prodige de rapidite le fait que, le
22 octobre 1531, le pape Clement VII re^ut la nouvelle de
la victoire de Kappel, remportee le 11 octobre precedent
par les cantons catholiques sur les Zuricois protestants,
et dans laquelle le rSformateur Ulrich Zwingli tomba les
armes a la main; aujourd'hui, par les trains directs, vous
mettez 4 h. 30 minutes pour un trajet de 130 kilom.,
entre le lac des Quatre-Gantons et Bellinzona, y compris
1'arrGt pour diner h table d'h6te, au buffet de Goeschenen.
Airolo est une petite ville suisse du versant italien, qui
se presente h la sortie du tunnel principal par 1,145 mM.
au-dessus de la mer, h Taltitude du col de la Schlucht dans
nos Vosges d'Alsace. Devore en 1877, le 17 septembre, par
un violent incendie, ce centre populeux domine les lacets
etag£s de la route, qui descend sur les flancs 4pres et sau-
vages du val Tremola. A partir de Faido, on voit appa-
raitre, & plus de 700 m6t. d'altitude, le ch&taignier sur les
pentes chaudes expos£es au midi, en contraste avec la
v6g6tation plus severe du c6te septentrional. For6ts,
champs cultiv£s, villages riants se suivent alors, alternant
avec une succession de paysages grandioses, de fibres
montagnes, de chutes d'eau i§cumeuses, d'eboulements de
rochers, d'escarpements et de precipices. Rien de suisse
ne se manifeste, & vrai dire, dans toute la vallee du Tessin,
rien, sinon les couleurs de la Confederation et la forme
republicaine du gouvernement. Sur le versant Sud des
Alpes, les cultures, comme la nature, presentent dej& Tas-
pect des pays du Midi. A d6faut de l'ardeur du soleil, le
visage brun et h&le des hommes, les muriers et les pieds de
vigne au milieu des champs de mais, en place des planta-
tions de seigle et des pres plus verts du Nord, suffiraient
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394 SCIENCES ET ARTS.
d&jk pour caractdriser une d^pendance de la Lombardie.
Longtemps, d'ailleurs, la valine sup^rieure du Tessin
appartint aux dues de Milan. Les cantons allies de Schwytz,
d'Uri et d'Unterwald enlev&rent, il y a plusieurs si&cles,
cette partie du territoire & la domination des Milanais,
pour en prendre les habitants sous leur protectorat. Ce
protectorat, qui, dans un langage moins diplomatique, se
traduit par le mot d'annexion et de conqu&te, dura jusqu'a
l'erection de canton du Tessin en un territoire autonome,
jouissant des m£mes droits que tous les autres cantons
Swisses, dans les premieres ann6es du si&cle actuel. Bellin-
zona, chef-lieu politique du canton, est reste pour la
Suisse un point strategique d'une importance majeure.
Pour s'en convaincre, il suffit d'un regard sur les trois
ch&teaux-forts qui dominent la ville et commandent le
passage de la vallee, r6tr6cie en un d6fil£ 6troit, ou le che-
min de fer, l'ancienne route et la rivifcre passent c6te a
c6te. Le chemin de fer touche le lac Majeur a Locarno et &
Pino, bifurqu6 en deux branches, tandis qu'une autre ligne,
la branche du Monte-Genere, s'en detache vers Lugano et
C6me.
Sur aucun chemin de fer de l'Europe, vous ne voyez
autant de travaux d'art qxx'h la travers6e du Saint-Gothard.
Ni la ligne du Mont-Cenis, ni celle du Brenner, dans les
Alpes, ni le passage de la sierra de Guadarrama, qui monte
en Espagne & 1,400 m&t. d'altitude, ni en Italic la voie des
Apennins, entre Bologne et Ferrare, ne prSsentent un
ensemble d'ouvrages aussi digne d'attention. D'abord le
tunnel principal, entre Goeschenen et Airolo, mesure une
longueur de 14,912 m&t. Son point culminant atteint une
616vation de 1,154 met. au-dessus du niveau de la mer ;
l'entrSe de Goeschenen, 1,109 met.; la sortie *d'Airolo,
1,145 m6t. Le developpement total de la voie ferr6e, entre
les stations extremes de Chiasso, pr&s de Cdme, et de
Rothkreuz, pres de Lucerne, atteint 214 kilom. Outre le
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Tunnels en spirale sur la ligne du Saint-Gothard.
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396 SCIENCES KT ARTS.
grand tunnel de Goeschenen h Airolo, nous en comptons,
sur la ligne propre du Saint-Gothard, 55 autres de moin-
dre importance, dont 27 sur le versant Nord el 28 snr le
versant Sud. Ensemble, ces 55 tunnels ont une longueur
totale de 41 kilom. passes, soit les trois quarts de la lon-
gueur de tous les tunnels de l'Allemagne, places bout h
bout les uns k la suite des autres. On le sait, la longueur
du grand tuYinel duMont-Cenis nedepassepas 12,233 m&t.;
la longueur du tunnel de l'Arlberg, dans le Tyrol, entre
Innsbruck et le lac de Constance, 10,270 mfct. ; la longueur
du tunnel de Hoosac, en Am6rique, 7,654 met. Ajoutons
que, sur la ligne du Soemmering, la traversee des monta-
gnes entre Trieste et Vienne n'offre pas plus de 4,409 m&l.
de tunnels, tandis que le plus long des 27 tunnels de la
ligne du Brenner atteint 886 m&t. seulement.
Un ing£nieur geologue de merite, M. Stapflf, a trac6 le
profildes terrains traverses par l'axe du percement entre
Goeschenen et Airolo : Geologisches Profit des Sankt-Gotthard
in der Axe des grossen Tunnels wahrend des Baues aufgenom-
men, Berne, 1880. On reconnait dans ce profil la structure
en 6vcntail caract^ristique dans la formation des differents
massifs de la chalne des Alpes. Tout d'abord, & partir du
portail Nord, se prSsentent des granits gneissiques com-
pacts, avec amas de micaschistes , dont la formation se
rattache au massif du Finsteraarhorn. Viennent ensuite des
gneiss tr&s charges de mica, m£16s de quartzites et suivisde
couches de schistes, decipolin et de calcaire, ces dernteres
avec de fortes sources d^bitant 21 litres d'eau par seconde.
A 4,325 met. de Tentr£e jusqu'& la distance de 11,742 met.,
on rencontre le massif ggologique propre du Saint-Gothard,
sous la forme d'un 6ventail ouvert, compost de couches
de serpentine et de gneiss varies, m^langees de horn-
blende. Sur les points oh les couches du faisceau en 6ven-
tail sont & peu pr&s verticales, comme dans l'arfcte du
Monte-Prosa, les schistes micac^s passent au quartzite ;
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LE CHEMIN DE FER DU SAINT-GOTHARD. 397
mais la roche qui pr^domine de beaucoup est le gneiss
de Sella. Les filtrations d'eau, peu importantes sur ce par-
cours, indiquaient une temperature de 25 h 28° centi-
grades. Entre 11,742 m&t. et la sortie d'Aifolo apparaissent
enfin des schistes micaces, des hornblendes, des dolomies.
Aucune autre partie des Alpes ne prSsente une plus grande
richesse de mineraux, parmi lesquels entre autres de
beaux grenats de la grosseur d'un oeuf de pigeon, abon-
dants dans les micaschistes.Toutnaturellement, lesroches
trouvees a l'interieur du tunnel se montrent aussi a la sur-
face du massif, le long de l'ancienne route postale. Les val-
ines m£mes qui decoupent les flancs de ces montagnes
sont des crevasses contemporaines de leur soutevement,
mais 61argies par l'6rosion lente des glaciers et des eaux.
A en juger par les roches moutonn^es, par les surfaces
du granite poli reluisant au soleil, l'ancien glacier de la
Reuss aurait atteint nagu&re une epaisseur de 400 met.
au moins, aux environs du Pont-du-Diable, oil vous remar-
quez aussi, en temps de basses eaux, une enorme marmite
de geants.
Sur les deux versants du Saint-Gothard, avant l'acc&s du
tunnel principal, il a fallu etablir des tunnels en spirale,
oh la voie revient sur elle-m&me, dans les passages oh les
differences de niveau ne peuvent 6tre rachetees par des
traces en ligne droite ou par des courbes ordinaires. Ces
tunnels en spirale ou h61icoi'daux, dont le chemin de fer
de la For6t-Noire, entre Triberg et Offenbourg, nous offre
les premiers exemples, atteigneht un developpement de
1,471 mbt. an Pfaffensprung, de 1,084 met. au Watting et
de 1,088 met. au Leggistein, sur le versant Nord, le long
de la Reuss; sur le versant Sud, du.-cdte.-du Tessin,
1,568 met. & Freggio, 1,559 met. & Prato, 1,508 mfct. a
Piano -Tondo. Le tunnel du Pfaffensprung, au-dessus du
pont de la Reuss, ou les alpinistes, attires par les belles ou
imposantes scenes de la nature, ne manquent pas de s'ar-
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398 SCIENCES ET ARTS.
rftter parce que sous leurs pieds, dans la profondeur, le
torrent furieux
Wallet und siedet und brauset und zischt,
Wie wenn Feuer mit Wasser sich menget,
le tunnel du Pfaffensprung, disons-nous, avec un deve-
loppement de 1,471 mM., pr^sente une difference de niveau
de 33 met. entre ses deux extr^mites, soit une pente de
23 millimetres par m6tre. Au tunnel de Piano-Tondo, la
pente s'el&ve & 26 millimetres, avec 40 mM. de difference
de niveau pour une longueur de 1,508 mfct. Nulle part, sur
tout le parcours de la ligne, le rayon des courbes ne des-
cend au-dessous de 280 m&t., et les pentes ne depassent pas
le maximum de 26 millimetres par m&tre. Les tunnels en
spirale du versant Nord traversent tous le gneiss et des
schistes cristallins, presentant par-ci par-l& des passages
de granU. On y a trouv6 des b&emnites fossiles Stirpes
sur une longueur d'un pied, quand pourtant leur taille
naturelle ou normale atteignait k peine deux pouces. Dans
Tintervalle des tunnels, de superbes viaducs traversent les
passages dangereux, tandis que des galeries speciales et
des murs garantissent la* voie ferree contre les avalanches
et les chutes de pierres. Quelques-unes de ces galeries
atteignent un d£veloppement de 61 et m6me de 98 m&t.
dans l'Entschigthal ; d'autres, pres de la station de Gurt-
nellen, mesurent 25 a 29 mfct. seulement.
• Parmi les viaducs, construits moitiG en fer, moiti£ en
pierre, signalons ceux de Brennstanden, avec ses cinq
ouvertures de 8 mfct., au bord du lac de Zug; du Keller-
bach, avec deux ouvertures de 31 m&t. entre Wasen et
Goeschenen. Les ponts dont la port6e ddpasse 20 met.
sont au nombre de 42, tous en fer : celui de la Verzasca,
pr&s Gordola, mesure 100 met., ainsi que celui jet6 sur la
principale branche du Brenno. Quelques-uns, franchissant
les torrents d'un saut, avec un tablier unique, atteignent
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LE CHEMIN DE FER DU SAINT-GOTHARD. 399
35 mfct. de port6e, comme h Goeschenen et & Inschi. D'au-
tres s'appuient sur un seul pilier, en ligne droite, comme
au Ried, ou bien dessinent des courbes comme stir le
Rohrbach. Au Leggistein et devant le piton rocheux cou-
ronne par la blanche Sglise de Wasen, au confluent de la
Meien-Reuss avec la Reuss du Gothard, vous voyez h la fois
trois ponts du chemin de fer, etages les uns au-dessus des
autres, dresses immgdiatement devant Tentr6e ou la sortie
des tunnels en spirale, dontla double boucle enveloppe l'an-
cienne route et enlace les deux courants d'eau. Vous Mes
transport^, comme par enchantement, du sein t^nebreux
de la montagne au milieu des airs, ou vous entendez la
Meien-Reuss mugir & 79 m&t. de profondeur verticale au-
dessous du tablier du pont moyen. Impossible de se figu-
rer, si Ton n'en a pas 6te t6moin, quel effet pittoresque,
imposant, font dans le paysage ces passes & la fois har-
dies et tegfcres, suspendues ou lancSes par-dessus les
abimes ou les flots brises sur les rochers grondent et se
precipitent blancs d'6cume, reduits en vapeur ou en une
poussi&re humide, dans un vide vertigineux. Si les naifs
montagnards des Alpes ont attribue & Intervention des
ggnies de l'enfer la construction du Pont-du-Diable, qui
fait franchir la Reuss k Tancienne route du Gothard,
avant son arrivee & Andermatt, au-dessus du tunnel prin-
cipal, combien ne doivent-ils pas admirer les ingenieurs
qui ont realise l'oeuvre gigantesque du nduveau chemin
de fer !
Commences le l er octobre 1872, les travaux du chemin
de fer du Saint-Gothard ne sont pas encore terminus com-
plement, quoique cette voie soit en pleine exploitation
depuis le mois de juin 1882, moins de dix ans apresle
d6but. G'est le 28 fevrier 1880 qu'un coup de foret, venu
du Sud, mit en communication les deux galeries ouvertes
h partir d'Airolo et de Goeschenen. A quelques centimetres
pr&s, les axes des deux rampes Nord et Sud se sont rencon-
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400 SCIENCES ET ARTS.
tr6s avec une admirable precision dans l'interieur de la
montagne, h plus de mille metres au-dessous du col que
franchit la route. Exposer les proced6s employes pour
Tex6cution de cette oeuvre gigantesque nous conduirait
trop loin el exigerait un espace dont nous ne disposons
pas ici. Qu'il suffise de rappeler que le travail de per-
cement du grand tunnel a 6t6 accompli en l'espace de
huit ans, moyennant une depense de 56,750,000 fr., sans
occuper jamais plus de 3,405 ouvriers k la fois. Les tra-
vaux de la voie ont et6 commences seulement six ans apr&s
le d6but de la perc£e du grand tunnel. Le nombre des
ouvriers occup^s au tunnel principal s'est eleve successi-
vement de 841, pendant l'annee 1873, & 3,405 au mois de
juin 1880. Sur l'ensemble des chantiers.de toute la ligne,
il y a eu jusqu^ 17,658 hommes occup6s simultanement
dans le courant d'aoftt 1880, nombre qui est descendu &
11,436 pendant le mois de d£cembre. Variables suivant les
saisons et la nature de l'ouvrage, suivant l'Age des hommes
et les localites, les salaires ont oscilie entre 2 fr. h 2 fr. 50
et 6 h 7 fr. par jour pour les travaux & la t&che, avec une
moyenne de 3 fr. 50, depassant d'ailleurs sur la rampe
Nord de 1 franc les prix pay£s sur le versant meridional.
Sur 1$ versant meridional, les ouvriers, en majeure partie
originaires du Tessin ou du Nord de l'ltalie , se trouvant
en quelque sorte chez eux, se montraient moins exigeants.
En general, les taux 6taient 6tablis au m&tre courant des
diflterents ouvrages & executer!
Parmi les difficutes d'ex£cution, on a beaucoup parle de
la zone d'6crasement, Druckstelle, rencontr^e sur une lon-
gueur de 72 mfct., a 2,766 m&t. de l'entree du grand tunnel,
et qui ecrase les revGtements de ma^onnerie sous la poussee
d'une masse de kaolin provenant de la decomposition du
gneiss normal. Ge kaolin, de couleur jaun&tre ou gris&tre,
assez dur & Tetat sec, devenait plastique et mou sous
l'effet de l'humidite, de maniere h d6truire la magonnerie
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LE CUEMIN DE FER DU SAINT-GOTHARD. 401
ordinaire par suite de la pression exerc£e. L'£crasement
des parois a pu &tre arr£t6 au moyen de substructions
plus solides et par Temploi de blocs de gneiss de 1 mfct. a
1 met. 50 de puissance dans la votitc du tunnel. Une autre
difficult^ du travail est le malaise cause par l'glevation de
la temperature. Notre collegue du Club Alpin Suisse
M. Stapff, dans son memoire : Warmezunahme nack dem
Innern von Hochgebirgen, public en 1880, & Berne, a fait
connaltre les observations sur la temperature de Fair &
l'interieur du tunnel. D'apr&s ses observations, la tempe-
rature s'est 61ev6e en decembre 1879, dans la moitte Sud,
a 7 kilom. de l'entree, h 32° 94 centigrades, tandis que,
pendant les mois d'aotit h novembre de la m&me annnee,
cette temperature ymarqua de 31° h 3t°7.Danslamoiti6
Nord, &7,500 m6t. de l'entree, soit au milieu du tunnel, lair
indiqua une temperature moyenne de 30° 3. Quant au sol
meme on au rocher, il marquait au milieu du tunnel 31 d 7,
avec une incertitude de 2°, 6 centigrades, en plus ou en
moins. Les observations sur la temperature du sol 6taient
faites au moyen de mining thermometers places dans des
trous de sonde a 1 met. de profondeur et ferm6s hermeti-
quement, plusieurs jours durant, avant la lecture. Le phy-
siologiste Du Bois-Raymond considfcre comme mortelle
pour Thomme une temperature de 40° centigrades dans
lair satur6 d'humidite. Mais dans les mines de Gomstock,
Etat de Nevada, dans TAmerique du Nord, on travaille
encore jusqu'& 42° et plus, en fournissant au mineur de
Fair comprint relativement sec, h raison de 150 litres par
seconde et par homme. Fait curieux h noter, c'est que
dans le grand tunnel du Saint-Goth ard, la temperature
semblait augmenter davantage sous le fond des vallees que
sous les sommets.
En ce qui concerne la temperature de Tair exterieur,
voici la moyenne des observatipns faites & l'entree et k la
sortie du tunnel, compares h cellesde Thospice du Saint-
ANXUAIRE DE 1883. 26
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402
SCIENCES ET ARTS.
Gothard, des stations de Lucerne et de Lugano, pendant
les douze mois desann£es 1877 et 1878, en degres centi-
grades :
1877-1878
Z
a
Z H
« -a
8
O
C H
S a
5 2-
• < .
z **
o S
p eo
O . .
< a
Janvier
Fevrier
Mars
— 2.43
— 23
— 1.20
+ 4.17
-J- 8.30
-t- 13.44
+ 12.78
-f 14.47
4- 9.42
+ 5.85
+ 1 64
— 3.11
— 2.32
+ 0.42
— 0.53
4- 4.98
4- 9.02
4- 14.36
4- 15.47
4- 15.47
+ 11 23
4- 5.74
4- 0.34
— 4.06
— 9.48
— 4.17
— 7.81
— 1.88
4- 2.80
4- 4.57
-t- 6.98
+ 7.53
+ 5.58
4- 1.24
— 7.20
— 11.65
— 0.25
4- 2.08
4- 2.86
4- 8.19
4- 11.76
-f 16.62
4- 16.50
4- 17.35
4- 12.51
+ 8.06
+ 3.57
— 0.79
4- 3.41
4- 5.19
+ 6.35
+ 11.45
4- 14.87
4- 19.94
-h 20.90
+ 21.34
+ 17.47
4- 11.08
+ 6.15
4- 1.81
Avril
Mai
JuiQ
Juillet
Aout
Septeinbre
Octobre
Novembre
Decembre
Hiver
— 1.92
+ 3.79
-f 13.56
+ 5 63
— 1.91
4- 4.49
4- 14.89
4- 5.77
— 7.73
— 2.10
4- 6.70
4- 0.15
+ 0.52
-r 7.61
4- 16.92
4- 8.05
4- 3.43
+ 11.72
4- 20. £9
+ 12.00
Printemps
Ete
Automne
Annee
— ^ — — ^ —
-f 5.27
4- 5.86
— 0.74
+ 8.25
4- 11.73
La temperature la plus basse observee h Lugano, sur le
versant meridional des Alpes, est descendue en 1877, le
21 decembre, k— 4^2 eU— 7° 9 le 13 Janvier 1878, tandis
que sur le versant Nord, h B&le, le thermom&tre a marque
— 17°7 laveille. Sur le versant italien, le climat est plus sec
et le ciel plus serein que sur le versant Suisse, comme il
ressortde la comparaison du nombre de jours neigeuxet
pluvieux aux deux extremity du grand tunnel pendant les
deux ann6es d'observations :
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LE CHEMIN DE FER DU SAINT-GOTHARD.
403
STATIONS
DOBSERVATIONS.
Gceschenen
Airolo. . . .
Lucerne.. .
Lugano. . .
1877 1878
153
119
172
115
168
111
132
122
JOURS DE
1877 1878
61
45
34
9
34
40
11
1877 1878
4
4
18
36
COUVKRT.
1877 1878
?
?
169
83
125
110
170
107
Avant la construction du chemin de fer, les neiges
interceptaient souvent la traverses du Saint-Gothard.
Plus d'une fois le mauvais temps nous a surpris k l'hospice,
en venant d'ltalie, au point de nous obliger de redescendre
en tralneau vers le lac des Quatre-Cantons,alors que nous
avions quitt6 Tltalie avec un ciel bleu, regr^ttant comme
Mignon le pays
Oil la brise est si douce
Et l'oiseau si leger.
La neige commence & joncher le sol du passage h partir
<ie la mi-octobre, pour intercepter les communications six
mois durant. Aussi longtemps que Fair reste calme, on
peut encore se frayer une voie au moyen du chasse-neige.
Un service special de cantonniers fonctionnait a cet effet
sur la route du Saint-Gothard, non sansfrais considerables.
Rude service que celui-R et qui exige des hommes au corps
d'acier, plus endurcisquenosconducteurs de locomotives!
Je les vois encore & Toeuvre, partages en plusieurs £quipes,
chacune avec sa Uche propre. Quand la route est encom-
bree par un epais linceul, les frayeurs ou les voyers,
Wegern dans le dialecte d'Uri, attellent au pesant traineau
en forme de coin une douzaine de bceufs ou de chevaux
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404 SCIENCES ET ARTS.
a la file, un & un. Derri&re le sillon ouvert le long de la
route, comme sous le soc (Tune charrue, une 6quipe de
cantonniers, en allemand Butner, et rottori en italien, suivent
le traineau, munis de pelles, pour 61argir le sillon, pour le
transformer en sentier au fond d'une tranchee. Gette ope-
ration a cotite, en 1879, au canton d'Uri seul, 56,680 fr.
pour le passage du Saint-Gothard. Sur les points de la
route et du chemin de fer exposes aux avalanches, des
ouvrages speciaux, appeles galeries, sont construits pour
faciliter le passage des masses de neige en mouvement et
pour proteger la voie. La percee du grand tunnel soustrait
le chemin de fer k une quarantaine de ces passages, dont
la trace est marquee a travers les forGts, comme une rai-
nure sur le roc k nu. En allant d'Amsteg & Andermatt, en
traversantle beau ponten fer jet6 par-dessusla Reuss,vous
remarquez tout particulifcrement sur les flancs du Bristen,
& des hauteurs prodigieuses, les couloirs & pic des Bristen-
laui, Langlaui, Teuflaui, par oil descendent en 6te de
petits filets d'eau, mais dont l'activit6 violente, pendant les
tour men tes de l'hiver et du prin temps, s'atteste par les
enormes blocs de gneiss pr6cipites et accumul^s & vos pieds
au fond de la rivifcre. Quand la neige d'une avalanche rem-
plit un chemin- sur une grande hauteur, elle reste long-
temps en place, en sorte que les communications ne peu-
vent 6tre r^tablies qu'en penjant un tunnel a travers sa
masse compacte, tres coh6rente, impossible a entamer
avec le traineau frayeur ordinaire.
J'ai lu, pendant le trajet du chemin de fer de Lucerne &
Lugano, une excellente monographie de M. Coaz,deCoire,
sur les avalanches : « Uber die Lauinen der Schweiz »,
6tude h recommander & l'attention de tous les alpinistes.
La formation des avalanches ne s'efifectue pas sans Tinter-
vention de vents plus ou moins forts. En fait de vent, on
ne peut toucher l'histoire naturelle du Saint-Gothard
sans penser au foehn, dont nous avons d6j& etudio les
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LE CHEMIN DE FER DU SAINT-GOTH ARD. 405
effets et la cause, page 483 de YAnnuaire du Club Alpin de
1877. Autrefois, on attribuait au foehn des Alpes, ce vent
chaud qui enleve en quelques jours, en quelques heures
mftme, d'enormes masses de neige, tellement, disent les
gens d'Uri, que sans lui title soleil ni le bon Dieu ne peu-
vent aider le cultivateur, on attribuait autrefois au foehn,
disons-nous, une origine saharienne, en rapport avec le
sirocco de l'Algerie oule harmattan du grand desert. Aujour-
d'hui pourtant nous savons que le foehn du versant septen-
trional des Alpes, dont nous ressentons les effets jusqu'en
Alsace, ne vient pas precisement d'Afrique. On constate
l'existence defoehns dirig£s de rOuestversrEst,aussi bien
que du Sud au Nord, suivant l'axe des principales valines
des pays d'Uri et de Glaris. Bien plus, des vents sembla-
bles, dou6s des caractfcres du foehn, se manifestent k la
Nouvelle-Zeiande et m£me au Greenland. Ge sont des cou-
rants d'air k temperature relativement elevee, apparais-
sant brusquement, sous l'effet d'une forte compression
des couches d'air inferieures k l'interieur de valines pro-
fondes, avec une violence telle que les toits des chalets
sont souvent emportes. Quand souffle le foehn, il est
interdit d'allumer du feu dans les localites ou son action
est le plus forte. Les terribles incendies de Glaris et de
Meyringen proviennent de la negligence de cette pres-
cription. Main tenant que nous avons un reseau de sta-
tions iheteorologiques embrassant toute la region, depuis
la region des Alpes jusqu'St l'interieur du Sahara, et
tout le bassin de la Mediterran6e, il serait bien interes-
sant de preciser les relations ou plut6t rind6pendance
du foehn et du sirocco, en appliquant k Texplication de
ces phenomenes les nouvelles acquisitions de la th6orie
mecanique de la chaleur. Peut-£tre un de nos jeunes
collogues du Club Alpin Frangais se decidera-t-il k faire
cette etude en prenant pour base Tann6e 1865-1866
pour laquelle nous avons les observations recueillies
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406 SCIENCES ET ARTS.
par Dollfus-Ausset au col de Saint-Th6odule, & 3,300 met.
d'altitude ?
Quelques mots encore, avant de terminer, sur les condi-
tions cteonomiques du chemin de fer du Saint-Go thard.
Actuellement, ce r6seau ferre a un d6veloppement total
de 292 kilom., k savoir : 231 kilom. pour la ligne de Lu-
cerne & Chiasso, 40 pour la ligne de Bellinzona k Luino, et
21 pour la ligne de Bellinzona & Locarno. Les d6penses,
pour l'execution de ce reseau, se sont elevees k 238 mil-
lions de frahcs, dont 11 millions attribues k la traversee du
Monte-Cenere. Le capital de la societe chargee de l'entre-
prise comprend 34 millions de francs en 68,000 actions k
500 francs, 419 millions de subventions k fonds perdus,
85 millions en obligations & 5 p. 400, empruntSs sur hypo-
th£que. Les subventions k fonds perdus proviennent : 28 mil-
lions de francs de la Suisse, 30 millions de l'Allemagne,
55 millions de 1'Italie. Jusqu'& Touverture du grand tun-
nel, il a et£ pay6 5 pour 400 d'inter&ts fixes pour le capital
actions. Si les dividendes revenant aux actions devaient
jamais s'Slever au-dessus de 7 pour 400, d'apr&s les con-
ventions etablies, la moitie des excedents serait k attribuer
aux Etats subventionnaires, en proportion de leurs verse-
ments. Provisoirement, lesdits Etats ne doivent pas s'at-
tendre k toucher de ce titre de gros revenus. En effet,
d'apres les comptes du premier semestre d'exploitation,
allant du 4 er juillet au 34 decembre 4882, publies dans
le rapport de l'assemblee generale des actionnaircs
du 30 juin 4883, les recettes ont atteint, pour ce se-
mestre Fr. 5,686,074 74
contre une dSpense de 2,466,376 97
d'ou un excedent de Fr. 3,549,697 74
dont & dSduire, pour inter6t des obligat. 2,425,000 »
ce qui r6duit le produit & Fr. 4,394,697 74
sur lesquels 425,000 fr. ont et6 distribues aux actionnaires,
a raison de 2 fr. 50 pour le semestre en question de juillet-
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LE CHEMIN DE FfiR DU SAINT-GOTHARD. 407
d£cembre, apr&s d£compte de differentes autres charges.
Sur les recettes effectives, 41 pour 100 proviennent des
voyageurs, au nombre de 533,605 personnes, ayant par-
couru un trajet moyen de 51 kilom. Le transport des mar-
chandises, pour la mGme p£riode, a atteint 186,880 tonnes,
dopt 26,63 pour 100 en combustibles, 26,19 pour 100 en
substances alimentaires, 18,58 pour 100 en articles m6tal-
liques. Chaque tonne de marchandise a effectu6, sur le
reseau des chemins de fer du Saint-Gothard, un trajet
moyen de 161 kilom. sur un d6veloppement total de
231 kilom. La plus large part revient done au transit pour
l'ltalie & travers la Suisse.
Dans les trains de marchandises qui d6filent sous nos
yeux, nous voyons passer, en provenance d'ltalie, du be-
tail, des grains, des comestibles, des fruits de toute
espfcee; en destination pour l'ltalie, des houilles, du fer,
des produits manufactures. Qui le croirait aussi? les b£tes
de boucherie, ces grands boeufs lombards, aux longues
cornes, qui vous regardent d'un air placide & travers les
ouvertures de leurs wagons, ne sont pas seulement expor-
tes en Alsace et en Allemagne, mais en Suisse egalement,
laquelle ne produit pas assez de viande pour sa con-
sommation. Touchant les tarifs, dont la connaissance
importe aussi quelque peu aux membres du Club Alpin,
d'apres le trait£ coriclu le 15 octobre 1869 entre la Confe-
deration suisse et l'ltalie, traits auquel s'estrallie l'Empire
allemand h la date du 28 octobre 1871, et qui a £t6 modifte
par un acte additionnel du 12 mars 1878, la compagnie du
Saint-Gothard est autoris£e & pr61ever les taxes maxima
suivantes pour le transit entre TAllemagne et l'ltalie :
Voyageurs : par lieue suisse, en premiere classe, 50 cen-
times; en seconde classe, 35 centimes; en troisteme classe,
25 centimes; — plus un supplement de 50 pour 100 sur les
rampes dont la pente d£passe 15 millimetres par metre.
Marchandises : en grande vitesse, 45 centimes par tonne
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408 SCIENCES ET ARTS.
kilometrique, sanssurtaxe; pour les matures brutes, en
vitesse ordinaire, expedites par wagon complet, 5 centimes
par tonne kilometrique, avec une surtaxe de 3 centimes
par tonne et par kilometre sur les trajets dont la pente
depasse 15 millimetres par metre ; pour toutes autres mar-
chandises en petite vitesse, de 14,5 & 19,5 centimes par
tonne et par kilometre pour les trajets ayant moins de
15 millimetres d'inclinaison. Toute moderation de taxe
que la compagnie du Saint-Gpthard accordera a Tune ou
a Fautre ligne de chemins de fer Strangers ou en faveur
d'une station frontifcre suisse, devra profiter aux Etats
subventionnaires, apr&s avoir et6 pr^alablement soumise
aux gouvernements de ces Etats.
Telles sont mes observations sur le chemin de fer du
Saint-Gothard. Certes, Tancien passage du col, desormais
abandonn6 par le commerce, continuera & attirer tou-
jours les membres du Club Alpin, malgre ies facility
de la nouvelle voie pour les voyages rapides. La con-
struction de la grande route du col date d'ailleurs seu-
lement des ann6es 1820 & 1830. Avant 1820, les voitures
ne pouvaient s'y aventurer : les transports entre Tltalie
et la Suisse s'effectuaient sur des chevaux de b&t, par le
fameux trou d'Uri, YUrnerloch, ouvert au moyen de
la mine, en 1708, en un point oil, le chemin de mulets
ne pouvant s'accrocher au rocher, il fallait franchir la
Reuss furibonde sur une passerelle retenue par des
chaines, ou un cavalier ou un cheval charg6 trouvait avec
peine un passage suffisant. Avant l'annee 1293, ce chemin
de mulets n'existait m&me pas, au dire des chroniqueurs,
qui fixent k 1'annSe 1300 la construction du premier
refuge par le pieux Heiny d'Uri, k la place de THospice
du col, sur « une inspiration de Tange Gabriel ». En 1839,
le colonel La Nicca, inspire, lui, par son propre g^nie,
soumit au gouvernement des Grisons le premier projet de
traversee des Alpes par un chemin de fer. Pendant trente
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LE CHEMIN DE FER DU SAINT-GOTIIARD. 409
ans, les Suisses discut&rent avec passion les trois traces
rivaux du Lukmanier, du Splugen et du Saint-Gothard,
jusqu'au jour oil les gouvernements de FAllemagne et de
Tltalie promirent de subventionner cette derniere ligne, k
la suite d'une interpellation a la Ghambre des deputes de
Prusse. Entre les deux perches du Mont-Cenis et du Bren-
ner, qui relient les deux reseaux ferres de la France et de
FAutriche avec celui de Tltalie, il fallait k FAllemagne une
communication directe & travers la Suisse avec les ports
de la peninsule italique. Gette communication, suivant
une note presence, de la part de M. de Bismarck, au Gon-
sei! federal suisse par l'ambassadeur d'Allemagne, devaitse
faire par le Saint-Gothard, & travers le massif central des
Alpes, comme pr6sentant Je plus d'avantages pour les inte-
rns allemands. Gr&ce k sa subvention, l'Empire allemand
fut repr^sente dfcs Forigine dans le conseil d'administra-
tion de la Compagnie du Saint-Gothard, et un tiers des
employes de la ligne fut compose de sujets allemands.
Aujourd'hui m6me, la majeure partie des actions se trouve
entre des mains allemandes. D'ailleurs, les Allemands
comptent pour plus d'un tiers dans le nombre des touristes
qui parcourent « le pays oil fleurit Foranger », comme
autant d'eclaireurs, en attendant que la pouss6e, inevitable
resultat de Faccroissement de leur race, amfcne cette po-
pulation k prendre sous sa protection ses cousins de la
Lombardie, aux yeux bleus et aux cheveux blonds, melan-
ges de sang gothique. Ne faut-il pas interpreter, des main-
tenant, comme un avertissement dans ce sens, les paroles
d'un air populaire allemand que j'ai entendu chanter au
printemps dernier par les bateliers du golfe de Naples, k
Capri, & Sorrente et k Gastellamare :
Wenn icli komra', wenn ich komm',
Wenn ich wiederum komm'... !
Charles Grad.
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IV
QUELQUES
TRACES GLACIAIRES EN ESPAGNE
J'ai signale, dans YAnnuaire de 1877 (page 423) les traces
laissees par la p6riode glaciaire dans la valine d'Ossau. Des
blocs granitiques roul6s, d6couverts sur le plateau calcaire
de Lusque, m'avaient permis de constater le passage du
glacier h 600 mbt. au-dessus des Eaux-Chaudes, et j'avais
pu m'assurer que le glacier affluent de la valine de Sou-
souSou avait plus de 700 mfct d'Spaisseur, puisqu'il avait
passe par-dessus le bas du plateau d'Anouillas. Depuis, en
visitant le col du Gourzy, & 1,569 mM,, c'est-^i-dire & plus
de 900 m&t. h pic au-dessus des Eaux-Chaudes, j'ai reconnu
que toute la surface en a ete rabotSe; un caillou route
d'ophite, ench&sse dans une fissure du calcaire, indiquait
clairement quel avait 6t6 l'auteur de cette erosion. Du reste,
les blocs erratiques et les pierres striees que j ai trouves
sur le sommet de la Montagne Verte, dSmontrant que le
glacier avait plus de 600 mM. d'Spaisseur en aval de la
gorge des Eaux-Chaudes, l'epaisseur de 900 m&t. sur ce
point de grand r6tr6cissement n'a rien que de tres vraisem-
blable.
Les effets produits par la derniere periode glaciaire dans
les Pyr6n6es etant aussi intenses, j'Stais curieux de savoir
si Ton en trouverait des traces bien marquees dans une
region plus meridionale, et j'ai profits avec plaisir d'un
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QUELQUES TRACES GLACIAIRES E>N ESPAGNE. 411
petit voyage en Espagne pour les rechercher. J'avais pre-
cisSment a visiter une valine de montagnes dans la Sierra
de Gredos, prfcs de la fronti&re portugaise.
En passant k Madrid, je me presentai, avec notre col-
legue M. Armand Reclus, mon compagnon de voyage,
chez M. le colonel CoSllo, que j'avais eu l'honneur de voir
au Congr&s gSographique de Bordeaux, en septembre 1 882 ;
nous savions combien ont eu k se louer de leurs relations
avec lui les membres du Club Alpin Frangais qui s'occupent
des Pyrenees espagnoles, et nous ne nous Stions pas trom-
pSs en comptant sur son bon accueil, car il mit k notre
disposition sa carle, encore inedite, de la province de Pla-
sencia, et poussa mSme la complaisance jusqu'& nous en
faire faire un caique.
La vallee de la Jerte, que nous allions visiter, s'etend en
ligne droite du Nord-Est au Sud-Ouest, partant du col de
Tornavaccas (1,378 met.), qui la sSpare du bassin du Duero
et de la vallee d'Avila, et aboutissant, apres 45 kilom. k vol
d'oiseau, k Plasencia, qui marque Ja fin de la region mon-
tagneuse; plus bas,ia Jerte fait un coude au Nord-Ouest
et va se jeter dans TAlagon, affluent du Tage. L'altitude du
thalweg, k Plasencia, est d'environ 300 m&t. La ville est k
peu pres sous le 40° degre de latitude. La valine est entifc-
rement coupee dans le terrain granitique. Les chainons
qui Tenserrent ne sont pas tr&s Sieves, mais, au Nord, on
trouve dans la sierra des sommets s'elevant au-dessus de
2,600 met.
Des l'inspection de la carte, nous fumes frappSs d'un
fait singulier. Sur les 28 premiers kilometres en avant de
Plasencia, nous ne voyions dans la vallSc aucun village,
aucune habitation. En revanche, aprfcs le premier village,
Navalconsejo, situe &414 m&t. d'altitude, trois autres se
pressaient sur une distance de 13 kilom. seulement, grou-
pant 5,500 habitants dans le haut de cette vallee, dont le
bas est completement inhabits. Nous ne sommes pas habi-
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412 SCIENCES ET ARTS.
tu6s, dans nos montagnes, k voir les vall6es devenir plus
desertes en se rapprochant de la plaine.
Dans notre voyage, nous eumes Implication de ce phe-
nom&ne. Dans sa partie inferieure, la valine se compose
d'un granit absolument denude. Une veg6tation de brous-
sailles, quelques aunes implants au milieu des cailloux
du lit, de petits taillis de chines avec un sous-bois de la-
vande sur les flancs, de loin en loin quelques maigres oli-
viers, ne pouvaient suffire k nourrir une population. Au-
dessus de Navalconsejo, au contraire, les anfractuosites des
rochers sont garnies de terre vegetale ; des vignes, des oli-
viers vigoureux les recouvrent, de beaux bois de ch&tai-
gniers s'implan tent dans un sol assez profond; les habitants
ont leurs caves et leurs greniers garnis d'huile, d'excel-
lent vin, de ch&taignes. G'est presque un pays riche. Et il
faut bien qu'il puisse se suffire & lui-m6me, separ6 comme
il Test du monde civilise par sept k huit heures de chemins
de mulets! et quels cbemins!
Cette difference si caracteris6e entre les deux portions
de la vallee me rappela un fait observe dans les Pyr6n6es.
Geux de nos collegues qui font l'etude du versant espagnol
ont ete frappes d'une difference analogue entre les valines
espagnoles et les valines franchises. Dans les premieres,
tr&s peu de cultures, peu de terre v6g6tale ; quelques forMs
seulement, qui ont pu veg6ter d'abord sur le roc presque
nu, et se dSvelopper ensuite, en engraissant le sol de l'hu-
mus que fournissaient leurs debris. Tout le monde connait,
au contraire, la fertilite relative des vallees fran^aises, oil
toutes les anfractuosites sont couvertes, jusqu'a une grande
hauteur, de cultures poussant allegrement dans un terrain
morainique. La cause en est 6vidente. Les glaciers se sont
d6veloppes surtout sur le versant Nord, et c'est \k qu'ils
ont enlraine l'enorme quantite de d6bris et de boue gla-
ciaire dont ils ont recouvert toute la region sous-pyre-
neenne.
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QUEEQUES TRACES GLACIAIRES EN ESPAGNE. 413
La cause du disparate entre les deux portions de la
valtee de la Jerte n'est-elle pas la m&me? et les terres v6-
getales qui enrichissent la region d'amont ne sont-elles
pas dues a une action glaciaire qui ne se serait pas 6ten-
due jusqu'& la region d'aval? Ge fut Ik pour moi une pre-
miere pr£somption de l'existence des glaciers quaternaires
dans la sierra de Gredos.
Un autre motif me portait k croire k cette existence :
c'etait l'excessive abondance des cailloux routes, et forte-
ment roules, qui remplissent la valtee. Ainsi que je l'ai
d£j& expose dans YAnnuaire de 1877 (page 431), cet
indice me paralt Gtre k lui seul d'un grand poids, a moins
qu'on ne se trouve sur un ancien rivage maritime ou la-
custre, ce qui n'est pas ici le cas. Dans les valines de mon-
tagnes, ou les courants d'eau seuls ont pu travailler k polir
et arrondir les galets, les cailloux fortement routes sont
exti^memcnt rares. L'action des eaux courantes, quelque
longue qu'elle soit, ne fait gu6re qu'adoucir les angles des
blocs de rochers, mais, pour leur donner la forme compte-
tement arrondie, il faut la puissante pression des glaciers
ou le frottement continu les uns sur les autres des galets
mis en mouvement par les vagues.
Des traces plus certaines sont venues, du reste, corrobo-
rer ces premiers indices. Au-dessus du village de Jerte, &
540 m&t. d'altitude, j'ai trouv6 une moraine laterale for-
mee de cailloux routes, emp&tes dans la boue glaciaire.
J'avais vu, dans la valtee, des masses de granit en decom-
position, transforntees presque entterement en terre, avec
quelques rognons seulement, epars dans la masse, formes
par les parties les plus rdsistantes. Mais ici, c'etait un ph£-
nom&ne tout different : les blocs roules etaient presses les
uns contre les autres et de nature difterente. 11 6tait clair
qu'ils ne pouvaient provenir d'une roche decompos6e sur
place ; lis devaient leur origine k diverses parties de la val-
tee et avaient et6 rassembtes et cimentes sur le flanc de la
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414 SCIENCES ET ARTS.
montagne par une action mecanique qui ne peut s'expli-
quer que par la presence des glaciers.
Enlre le village de Jerte et celui <ie Tornavaccas, situe
en amont, une moraine frontale, couple par le cours d'eau,
traverse le vallon. Enfin, en redescendant, j'ai reconnu en
amont de Cabezuela, chef-lieu de la valine (450 mfct.), pre-
mier village en amont de Navalconsejo, l'existence du ter-
rain morainique qui est venu recouvrir le chainon de ro-
cher transversal sur le versant Sud duquel est b&ti le
village.
11 est done indubitable pour moi qu'un glacier a rempli
autrefois le haut de la valine de la Jerte et qu'il descendait
jusqu'5. une altitude de 450 met. Je n'ai pu trouver de
roches polies ni de cailloux strips ; mais le temps tr&s court
dontj'ai pu disposer et surtoutla pluie battante et continue
qui nous a chassis du pays ne m'ont pas permis de faire
de recherches ailleurs que sur les bords des sentiers que
nous suivions. Le fond de la valine et les flancs inferieurs
sont, du reste, couverts par la v6g6tation, qui ne permet
pas de voir s'il existe des roches moutonnSes, et quant aux
stries, ce n'est gu&re que sur les calcaires durs qu'on les
retrouve en abondance et bien conservees ; elles sont rares
sur les granits, surtout sur des granits aussi facilement
dScomposables que ceux qui forment la valine de la Jerte.
Notre voyage, a Taller, avait dft se faire de nuit, par le
seul train de vitesse passable qui circule sur la ligne du
Nord de l'Espagne. Au retour, nous nous decid&mes, pour ne
pas rentrer en France sans avoir vu le pays, a affronter
deux jours complets de wagon pour un parcours de 600 ki-
lom. Je fus heureux d'en profiter pour faire quelques
observations sur la travers^e de la chaine de Guadarrama,
autant qu'on peut en faire en chemin de fer.
Les faits que je venais d'observer dans la Sierra de Gredos
me donnaient lieu de penser que la p6riode glaciaire avait
dti. laisser aussi des traces dans cette chaine. En efifet, avant
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QUELQUES TRACES GLACIAIRES EN ESPAGNE. 415
d'arriver au tunnel qui precede la station de Torre Lodones,
&une altitude d'environ 800 met., il est facile de recon-
naitre que le chemin de fer coupe une moraine form£e de
cailloux roules de granit et de quartz melanges. Plus loin,
et jusqu'Si Robledo (4,000 m&t.), les bords du Guadarrama,
que longe la voie, sont fortement moutonn£s jusqu'& une
certaine hauteur. Au del& du falte, on retrouve les roches
poliesetles blo.cs erratiques jusqu'au de\k d'Avila (1,130
ma.).
Les traces de la periode glaciaire sont done parfaitement
reconnaissables dans la Sierra de Guadarrama, mais je n'ai
pu en constater l'existence qu'k une altitude notablement
plus grande que dans la Sierra de Gredos, bien que la lati-
tude soit plus 61ev6e de plus d'un demi-degr6.
Je serais assez port6 & croire qu'il existe reellement une
difference dans ce sens. On observe que les phenom&nes
glaciaires ont et6 beaucoup plus developpes sur le versant
Nord-Ouest des Pyren6es, c'est-&-dire entre Bayonne et
Toulouse, que sur le reste de la chalne. La zone de plus
grande intensity de ces phenomenes semble ainsi coincider
avec la zone la plus pluvieuse. II est naturel, en effet, que
les glaciers prennent leur plus grand dSveloppement dans
la region oh ils peuvent £tre aliment6s par une plus grande
quantity de neige, et Tinfluence du froid n'est pas la seule
qui en favorise l'extension ; la quantity d'humidit6 atmo-
spherique joue un r61e encore plus important. Si Tonadmet
que la repartition pluviornetrique dans l'Ouest de l'Europe
n'ait pas beaucoup vari^depuisT(§poque glaciaire, on trouve
\k une explication toute naturelle de ladiff^rence que je viens
de signaler.
Or, en appliquant le m£me principe aux montagnes espa-
gnoles, on doit en conclure que les phenomenes glaciaires
ont dft presenter beaucoup plus d'intensit6 dans la Sierra
de Gredos que dans les chalnes centrales. La vallee de la
Jerte, en effet, ouverte. droit au Sud-Ouest, assez pr6s de
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416 SCIENCES ET ARTS.
rOc6an, est unede celles qui regoivent le plus de pluie de
l'Ouest de l'Europe ; elle a cette reputation, m&me h Pla-
sencia, dont le climat est d6jft tr&s pluvieux. Les habitants
du pays, reconnaissantlinsuffisance des vGtementshabituels
pour les preserver, portent sur les 6paules et sur les jambes
des cuirasses de cuir epais. Nous avons pu constater par
nous-m§mes, helas ! que quand il y pleut, il y pleut bien,
et nous avons vu des traces de crues, que. Ton nous a dit
£tre assez frequentes, et qui nousparaissaient d'une hauteur
invraisemblable, dans une vallee d'ausjsi faible longueur.
On s'explique done assez naturellement que, durant la
p&riode glaciaire, ralimentation des glaciers ait dti Stre
extrGmement importante dans cette vallee, et qu'elle ait pu
les faire descendre jusqu'ii une altitude relativement tres
basse.
A. Bayssellance,
Membre du Club AJpin Francais
(Section du Sud-Ouest).
Nota. — Je crois devoir relator une remarque assez sin-
gulis que nous avons faite dans la valine de la Jerte. Je
fus 6tonne de voir aupres de la route un grand cercle de
pierres levies, rappelant parfaitement le monument drui-
dique que Ton appelle en Bretagne un galgal. En m'appro-
chant, je reconnus que l'interieur de ce cercle etait pave
de petits cailloux ronds. Nous vlmes plus loin d'autrcs
constructions semblables, et Ton nous apprit qu'elles sont
destinees au d6piquage des grains, qui se fait & l'uide de
fleaux dans l'interieur de ces enceintes.
Y aurait-il une parente entre ces constructions, conser-
ves en usage dans une des valines les plus arri6rees de
l'Espagne, et les antiques galgals celtiques, regards jusqu'i
present comme des monuments religieux?
A. B.
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LES PLATEAUX DU COLORADO
PAYSAGE ET STRUCTURE GEOLOGIQUE
LES TRAVAUX DES GEOLOGUES AMERICAINS
II existe, dans l'Ouest des Etats-Unis, une region tout k
fait singulifcre comme paysages et comme structure ; une
region qui n'a nulle part dialogues pouvant lui 6tre
compares : les Plateaux du Colorado. Traverses & plusieurs
reprises, depuis le xvi c siecle, par des Espagnols du Nou-
veau-Mexique, ils ne commencerent k Stre explores que
tout recemment, il y a seulement quelques dizaines d'an-
nees. En 1857-58, une expedition dirig6e par le lieutenant
Ives et dont faisait partie, en quality de g6ologue, le D r
Newberry, vint r6v61er au public et au monde savant la
merveille de ce pays des plateaux par excellence : le Grand
Canon du Colorado, sur lequel on n'avait poss6d£ jusqu'a-
lors que les notions les plus vagues, souvent m616es d'exa-
g6rations et de fables. Enfin, en 1869, le major Powell 1 ,
s'embarquant sur la Riviere Verte, au point oil le chemin
de fer du Pacifique la franchit, commenQa k descendre le
cours du Colorado ; il employa plusieurs ann^es k accom-
plir cette navigation pGrilleuse et & explorer les pays qui
s'etendent & droite et k gauche du fleuve ; il arriva ainsi
\ . Aujourd'hui directeur de V United States Geological Survey.
ANNUA IRK DE 1883. 27
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418 SCIENCES ET ARTS.
jusqu'au confluent du Rio Virgen, oil la region des pla-
teaux se termine pourfaire place aux sierras qui acci-
dentent les deserts de^TArizona et du Nevada. Le voyage
du major Powell et d& ses compagnons peut compter
parmi les entreprises geographiques les plus audacieuses
du xix c si&cle ; de plus, il eut des resultats scientifiques
considerables, consignes par le hardi explorateur dans
un volume dont l'importance est fondamentale pour
T6tude des plateaux du Colorado; gr&ce a ce savant et &
plusieurs de ses collaborateurs, MM. Gilbert, Dutton,
Holmes, etc., la science possfcde actuellement sur cette
region si remarquable une serie de travaux du plus haut
inter£t au point de vue de la connaissance de l'ecorce
terrestre en general.
Peut&tre un extrait de ces publications offrira-t-il quel-
que inter&t aux alpinistes frangais; mais, comme il faut
necessairement se limiter, j'ai pense que ce qui valait le
mieux, e'etait de ne decrire ici que la portion la plus
typique du pays des plateaux : le Grand Canon du Colo-
rado, dont MM. Dutton et Holmes ont recemment donne une
excellente monographic ! . C'est a cet ouvrage que j'ai em-
prunte presque tout ce qui va suivre, tantdt sous forme
de traduction pure et simple, tantdt sous forme d'analyse.
Mais, avant de parler du Grand Canon, il est necessaire de
jeter un coup d'oeil sur les caractfcres generaux des pla-
teaux.
I
Le paysage, il faut en convenir, ne ressemble guere k
ceux que les alpinistes considerent comme 6tant dans la
i. C. E. Dutton : The Tertiary History of the Grand Canon District
(Dept. of the Interior, U. S. Geological Sjirvey, Monographs, vol. II),
i vol. in-4° de xiv-264 p. et 42 pi., avec atlas in-fol. de 23 pi.; Washing-
ton, 1882. — La plus grande partie de cet ouvrage est reproduite dans
le Second Annual Report of the Director of the U. S. GeoL Survey, sous
le titre de Physical Geology of the Grand Canon District.
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LES PLATEAUX DU COLORADO. 419
nature la manifestation supreme de la beauts. D'abord, le
vert y est h peu pr&s inconnu, par suite de 1 'absence de
v6g£tation, consequence de Taridite du climat : partout les
roches nues montrent leurs couleurs 6clatantes. Les formes
ne sont pas moins Granges au premier abord : de tous
les c6t6s les escarpements presentent des lignes horizon-
tales qui marquent les plans de stratification, et Tap-
parence architecturale des masses, due & T6tonnante
Constance du profil caract6ristique de chaque 6tage strati-
graphique, est souvent frappante, d'autant plus que de
v^ritables sculptures naturelles ornent avec profusion
toutes les parois rocheuses.
Bien que laplupart du temps les couches, — qui appar-
tiennent k toutes les p6riodes de l'histoire du globe, —
aient conserve dans cette region leur disposition plane
originelle, les dislocations n'y sont cependant pas rares,
et elles y atteignent une ampleur de d£veloppement
et en m&me temps une simplicity de formes inusit6es
ailleurs : ce sont des failles ou des plis d'une nature parti -
culiere, auxquels les g^ologues am6ricains ont donne le
nom deplis monoclinaux, parce qu'ils sont k un seul flanc
et raccordent par une courbure continue les couches hori-
zontals situSes k des niveaux differents de part et d'autre;
on peut les consid6rer comme des failles sans nipture, et
l'observation montre qu'il existe tous les termes intermg-
diaires entre les failles et les plis monoclinaux, tant dans
le sens horizontal que dans le sens vertical. On ne connatt
pas jusqu'ici, sur le globe, de systfcme de dislocations aussi
grandiose que celui des Hauts Plateaux de l'Utah, ou la
longueur de certaines lignes de fracture atteint 400 kilom.,
et oil le rejet de quelques-unes se compte par plusieurs
milliers de metres.
En dehors de ces dislocations et d'un certain nombre de
groupes montagneux isol£s d'origine eruptive ou franche-
ment volcanique, la structure g^ologique est, encore une
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420 SCIENCES ET ARTS.
fois, excessivement simple : les strates sont horizontales
ou tres faiblement inclines; la designation de Plateau est
done parfaitement justifi6e au point de vue structural. Ce-
pendant la surface du terrain est loin d'etre uniforme : des
gorges longues et profondes,ou canons, et d'6normes lignes
de falaises, ou cliffs, subdivisent la region en une serie de
plateaux secondaires plus ou moins nettement individua-
lises. Aussi les altitudes sont-elles trfcs varices ; on peut
^valuer la hauteur moyenne & 2,100 mfct., mais les altitudes
r6elles varient entre 1,500 et 3,600 m&t., et m£me, tandis
que le fond de plusieurs canons se trouve notablement
en-dessous du premier chiffre, plusieurs sommetsdes monts
Uinta d^passent 4,000 mfct. II est vrai que la « Province
des Plateaux », comme disent les Americains, occupe une
superficie d'environ 440,000 kilom. carr6s (presque exac-
tement les 5/6 e de la France), repartis sur des portions des
Territoires ou Etats suivants : Wyoming, Utah, Colorado,
Arizona et New-Mexico; on con^oit que sur une aussi vaste
surface il puisse y avoir d'aussi grands ecarts d'altitude
sans que le caract^re de plateau soit perdu.
On ne connait pas de contreespr6sentantautantd'avan-
tages que les Plateaux du Colorado pour l'etude des ph6-
nom&nes d'6rosion; e'est \k qu'il faut aller si Ton n'est pas
encore convaincu de la r^alite des denudations dont les
parties emerges de la surface terrestre ont 6t6 le th6&tre.
En Europe, presque toujours du moins, des difficulty de
toute nature emp&chent le geologue de se rendre compte
de la disposition souterraine des masses minerales autre-
ment que par les yeux de Tesprit, h la suite d'observations
de detail laborieusement accumulees et rapprochees les
unes des autres. Au pays des plateaux il en est tout autre-
ment : on n'a qu'& regarder autour de soi ; les strates ne sont
pas masqu£es par la vegetation ou par des d^pdts superfi-
ciels, et leur horizontals, faisantl'officed'un plan de com-
paraison CQntinuel, permet d'apprecier d'un coup d'oeil tout
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LES PLATEAUX DU COLORADO. 421
ce qui manque, autrement dit le volume des materiaux que
TSrosion a enlev6s. Depuis les ravinements relativement peu
considerables que montrent les couches tendres des dis-
tricts connus sous le nom de Mauvaises-Terres ou Bad-
lands, — celles de la Rivi&re Verte, par exemple, dans le
Wyoming, — jusqu'& ces depressions aux dimensions colos-
sales, comme le Grand Canon, creus6es en partie dans
des gr&s et des calcaires compacts, on apergoit partout
dans ces contrees des preuves de l'£rosion sur une 6chelle
inoui'e. L'esprit reste confondu devant l'immensite des
masses deplacees, et pourtant il n'y a pas de doute pos-
sible : les couches qui forment les deux parois opposes
des canons se montrent rigoureusement parallfcles de
chaque c6te ; de plus, toutes les fois qu'on peut observer
le fond, ce qui n'est pas rare dans ce pays ou les cours
d'eau sont souvent k sec, on constate invariablement que la
roche en place y est continue d'un bord k l'autre : on n'y
voit point trace de rupture ou de dislocation. Mais le vo-
lume des canons eux-m£mes devient insignifiant lorsqu'on
le compare k ceux des plateaux disparus dont il ne reste
plus que des vestiges sous forme de buttes isol6es, hautes
de plusieurs centaines de metres et semblables, comme on
Fa dit si justement, k ces temoins que les terrassiers laissent
debout pour pouvoir jauger le volume des materiaux qu'ils
ont enlevds. Les falaises, oil affleure la tranche des couches,
conduisentaum&me r^sultat^On le voit done, toutse passe
comme si les couches , continues a I'origine, avaient ete succes-
sivement entamees a partir d'en haut. On ne peut douter s6-
rieusement qu'il en ait bien 6te ainsi en r£alit£. Du reste,
dans ce m$me pays des plateaux, on observe une s6rie de
1. M. Dutton etablit de la maniere la plus concluante que tous les
terrains secondaires, et probablement aussi l'eocene, ont recouvert
autrefois tout le district du Grand Gallon; il lvalue a 1,500 metres en
moyenne Tepaisseur de ces masses enlevees d'une surface ayant plus
de 50,000 kilom. carres !
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422 SCIENCES ET ARTS.
sediments de tous les &ges, d'une 6paisseur extraordinaire,
et formes aux d£pens de roches prdexistantes qui consti-
tuaient sans doute la charpente de quelque continent dis-
paru : ainsi une seule couche de grfcs jurassique a 300 ct
quelquefois 400 met. de puissance, et cela sur des cen-
taines de kilometres carr6s. Le volume des mat6riaux en-
lev£s aux plateaux par l'6rosion n'a par consequent rien
d'invraisemblable, etant donn^e l'gpaisseur 6norme des
sediments qui constituent la m6me region, 6paisseur nous
fournissant la preuve irrefutable de denudations accom-
plies pendant des p^riodes recuses de Thistoire du globe,
suivant des proportions tout k fait analogues k celles des
denudations plus recentes dont le bassin du Colorado porte
Tempreinte non equivoque.
En dehors de la grande hauteur des plateaux au-dessus
du niveau de base de l'6rosion et de leur constitution stra-
tigraphique spgciale, il a fallu qu'une autre condition se
trouv&t r£alisee pour que les canons aient pu se former,
et, par suite, pour que le modele de l'ensemble de la re-
gion ait acquis ses caract&res actuels : les sources du Colo-
rado et de ses affluents sont situGes prfcs des limites du
pays ou m£me compl&tement en dehors, dans des contrees
montagneuses plus ^levees et plus humides. II en est re-
sult6 que le creusement des canons par les cours d'eau,
toujours aliments d'une manifcre relativement abondante,
aprogress£ beaucoup plus rapidement que la degradation
laterale des plateaux qu'ils traversaient et dont le climat
est tr6s aride.
Mais ce qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est qu'un cours
d'eau qui ne transporterait pas de debris de roches r6duits
k un 6tat plus ou moins avanc6 de trituration, serait tout k
fait incapable d'approfondir son lit, quelque grandes que
soient sa masse et sa vitesse : c'est ce qui arrive pour
les cours d'eau qui sortent de lacs.
Ainsi, le Niagara n'a pour ainsi dire pas touchy k son lit au
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LES PLATEAUX DU COLORADO. 423
dessus des chutes, qui sont dues, comme tout le monde sait,
a Taffleurement de couches inegalement r6sislantes. Tandis
que le Colorado, au lieu de se pr6cipiter en cascades par
dessus les bancs durs qu'il traverse (et qui different tout
autant des couches tendres situees en-dessous d'eux que
le calcaire du Niagara ne difffcre des argiles sous-jacentes),
presente beaucoup moins d'in£galit6s dans sa pente,
parce qu'il a pu, avec l'aide des masses 6normes de
sable et do blocs qu'il transporte, surmonter en grande
partie la resistance oppos6e par ces m&mes bancs, dont
la presence se manifeste seulement par des rapides ! .
L'altitude, la structure geologique, le climat et la dispo-
sition des sources des cours d'eau, telles sont done, ender-
ni&re analyse, les conditions principales qui ont fait des
plateaux du Colorado ce qu'ils sont aujourd'hui. Or, ces
divers facteurs se trouvant trfcs rarement combines d'une
manure semblable, au moins sur line surface aussi consi-
derable, on conQoit que notre region prdsente des particu-
larity d'aspect si speciales. C'est peut-Mre un cas qui ne
s ? et&it encore jamais presents dans l'histoire du globe.
Eh bien, ce qu'on observe avec tant de nettete aux pla-
teaux du Colorado peut nous donner la clef de bien des
faits relatifs a d'autres contrees. Ce que l'6rosion a accom-
pli dans ce pays ou les strates sont horizontales, elle doit
aussi l'avoir fait ailleurs, ou Failure des couches est plus
compliquee, mais oil les Conditions de pente et d'humidite
sont analogues et souvent'm&me plus favorables. II est inu-
tile de recourir & des forces plus ou moins occultes, a des
cataclysmes d'une nature problematique, pourexpliquerla
creation du models dans les regions montagneuses. L'ac-
tion des forces internes en determine les grandes lignes,
et les agents extSrieurs, toujours h 1'oeuvre sur les terres
emergees, viennent sculpter les mille details du relief, sans
\. G.-K. Gilbert, American Journal of Science, 1876, vol.11, pp. 99-
101.
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424 SCIENCES ET ARTS.
lesquels les continents ne presenteraient au regard qu' « une
masse informe et sans beaute ». Je renvoie ccux qui dou-
teraient encore aux publications originales des Americains;
si, apr&s les avoir examinees en detail, ils ne sont pas con-
vertisjecrois qu'il faut renoncer h vouloir les faire chan-
ger d'opinion; car, encore une fois, les plateaux du Colo-
rado, ce « paradis des gSologues », nous prSsentent le
type par excellence des vallees et des montagnes produites
exclusivement par 6rosion; et, k cet 6gard, ils ne peuvent
manquer bient6t do devenir classiques.
II
Les Hauts Plateaux de l'Utah sont s6pards de la plate-
forme dans laquelle est creus6 le Grand Canon par une
bande dirigee de TEst k l'Ouest et large de 30 h 50 kilom.,
oil affleurent successivement tous les terrains compris
entre le permien etl'eoc&ne inclusivement, les stages stra-
tigraphiques occupant une hauteur d'autant plus grande
et une position d'autant plus septentrionale qu'ils sont
plus recents, et presentant une s6rie d'escarpements paral-
teles faisantface au Sud. L'epaisseur totale de ces couches
est d'environ 3,000 mfct. ; mais, k cause de la leg&re incli-
naison de tout Tensemble vers le Nord, l'altitude du som-
met du plateau 6ocfcne, au-dessus de la base de Tescarpe-
ment permien, n'est que de 1,500 m&t., c'est-&-dire la
moitie seulement de ce qu'elle serait si les couches etaient
rigoureusement horizontals. Cette zone de transition entre
les Hauts Plateaux et la plate-forme du Grand Canon est
designee sous le nom de Terrasses.
L'observateur plac6 sur un promontoire avance du Mar-
kagunt ou du Paunsagunt (les derniers des hauts plateaux
dans la direction du Sud-Ouest), — k peu pr&s h l'altitude
du Mont-Perdu, — voit un magnifique spectacle se derou-
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LES PLATEAUX DU COLORADO. 425
ler devant lui : la hauteur absolue du point ou il se trouve
et sa situation dominante relativement aux objets voisins,
T^tendue du panorama aussi bien que la rare purete de
l'atmosphere, la singularity des formes et des couleurs et
l'etrangete myst^rieuse des lointains, tout contribue &don-
ner un caractere grandiose et en m6me temps extraordi-
naire a ce panorama, surtout pour le voyageur qui penetre
pour la premiere fois dans le pays des plateaux.
Neanmoins, si Ton veut bien juger des Terrasses et les
contempler dans toute l'ampleur de leur d^veloppement,
c'est evidemment, en consequence de leur disposition, au
Sud qu'il faut se placer : en effet, du Nord, on ne voit que
leurs sommets inclines en pente douce vers l'observateur,
avec qh et la seulement des echapp£es sur leurs fagades
abruptes m^nagees a la vue par le cours sinueux des lignes
d'escarpement, tandis que du Sud, au contraire, les plate-
formes sont invisibles et les falaises font face directement
au regard. C'est du plateau desert de Kanab qu'on jouit le
mieux de cet admirable spectacle, et, malgr6 l'eloignement
de Tarri^re-plan, — qui est & plus de 80 kilom. — les de-
tails sont d'une telle nettcte que, d'apr&s le capitaine Dut-
ton, en mesurant une ligne de base dans le voisinage du
poste d'observation, et avec l'aide d'un bon theodolite, il
serait possible de faire toutes les mesures necessaires pour
determiner les masses et les positions des difF6rents
membres de la s6rie stratigraphique, avec un degr£ d'exac-
titude sensiblement egal & celui qu'on obtiendrait en les
6tudiant sur place.
« Un spectacle de cette nature, continue le m6me auteur,
fait une vive et profonde impression sur l'esprit du g£o-
logue : il groupe en un seul coup d'oeil les r£sultats coor-
donn^s d'observations de detail peniblement faites pendant
. des mois de voyage et d'dtudes dans une contrde tr&s
vaste et tres difficile k parcourir. Les grandes distances
que franchit le regard, l'aspect des falaises s'61evant les
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426 SCIENCES ET ARTS.
unes au-dessus des autres en s'&oignant de plus en plus,
la grande altitude cumulative ainsi atteinte, l'immensite
des masses revel^es, leur hardiesse de lignes, la nettete des
plans de stratification, les nuances brillantes, adoucies il
est vrai, mais aussi rendues plus delicates par l'effet de
la perspective a6rienne, — tout cela donne h la scdne une
grandeur qui a peu de paralleles. »
II y a quatre lignes principales de falaises ; chacun des
groupes de couches qui y affleure poss&de son style propre
de sculpture et d'architecture : « (Test avec surprise au
premier abord, mais toujours avec plaisir qu'on observe
combien ces diff6rents styles tranchent fortement les uns
vis k vis des autres. Les constructions massives des bords
du Nil, les temples grecs, les pagodes de la Chine, les ca-
thedrales de TEurope occidentale n'offrent pas de contrastes
plus marqu6s que ceux qui frappent le regard h mesure
qu'on descend le grand escalier naturel aboutissant au
pied des Hauts Plateaux. Lorsqu'on passe d'une terrasse h
une autre, la sc6ne change compl&tement, et non seulement
dans la disposition generate des masses, mais j usque dans
les moindres details et m&me dans les accessoires ; dans le
ton des parties eclairdes, dans la vegetation, dans l'esprit
et les influences subjectives du paysage. »
La plus inferieure et la plus m6ridionale de ces lignes
d'escarpements est connue sous le nom de Shinarump
Cliffs. Elle correspond au terrain permien. Ces falaises, qui
atteignent de 3 a 400 mfct. au-dessus de leur base, sont re-
marquables k la fois par Textraordinaire Constance de cha-
cune des couches constituantes, par la richesse unique de
leurs couleurs, — chocolat, marron, pourpre, brun, rouge,
violet, — et enfin par le caractere 6minemment architec-
tural de leurs formes : on dirait les ruines des anciens
temples de TEgypte.
Ensuite viennent les Vennillion Cliffs, appartenant au
trias, et dont la hauteur depasse 600 mfct. dans TOuest de
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LES PLATEAUX DU COLORADO. 427
la region ; ce sont incontestableraent les plus belles. Leur
profil, bien que tr&s complexe et beaucoup plus variable,
suivant les locality, que celui des pr6c6dentes, se conforme
cependant k un type tr&s d6fmi : il consiste en une alter-
nance d'escarpements verticaux et de plans inclines corres-
pondant respectivement k l'affleurement de gr&s massifs
ou, au contraire, de marnes tendres. C'est aux environs
du Rio Virgen, dans le Sud-Ouest de FUtah, que les Ver-
million Cliffs arrivent h Fapog6e de leur splendeur. II
est vrai que leurs parties rGellement superlatives occu-
pent une surface relativement peu etendue et tien-
draient & l'aise dans n'importe lequel des grands cirques
lateraux du Grand Canon; cependant, en comparant a la
fameuse vallee de Yosemite cello du Rio Virgen, le capi-
taine Dutton cite le mot celfcbre du pofcte : « It is Hyperion
to a satyr. »
Aussi, d'apres notre savant voyageur, les « temples » du
Rio Virgen sont-ils destines k &tre considers dans l'avenir
comme Tun des spectacles typiques les plus remarquables
du globe ; dans la region des plateaux, apres le Grand Ca-
non, rien n'dgale leur beauts. — Au point de vue de la
couleur, ainsi que Findique leur nom, c'est un rouge vif
qui caract6rise les Vermillion Cliffs.
La troisteme ligne d'escarpements en allant vers le Nord
a 616 designee sous le nom de White Cliffs, pour rappeler
Tun des caract^res les plus saillants des roches jurassiques
qui la constituent : ce sont des gr&s, aussi blancs que du
sucre, et formant une couche indivisible sur une hauteur de
300, quelquefois m6me de 400 m&t. ; ces roches presentent
constamment des stratifications entrecrois6es (cross-bed-
ding), qui, gr&ce & Finegale resistance des feuillets aux
agents atmosph6riques, se rev&lent a la surface en affec-
tant la delicatesse du filigrane. L'aspect de ces falaises
tranche vivement avec celui des Vermillion Cliffs, & cause
de la grande hardiesse et de FextrGme simplicity de leurs
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428 SCIENCES ET ARTS.
formes : elles sont d'un seul jet, sans ornements, et il n'y
a pas ou presque pas de talus h la base.
Le terrain cretace est beaucoup moins interessant au
point de vue du paysage, parce qu'il est generalement for-
me de d6p6ts peu r6sistants, incapables de donner lieu &
des escarpements de quelque hauteur. Cependant, la nature
de ces couches se modifie dans la partie orientale des Ter-
rasses : c'est \k que se trouve le grand cirque de Paria,
forme de nombreux gradins superposes, dont la hauteur
totale depasse 1,200 met. C'est du flanc Sud-Est du Paun-
sagunt qu'on peut le mieux etudier cet immense amphi-
theatre : on voit en face de soi le lambeau isoie de terrain
eocene appele Table Cliff, « qui se dresse comme un su-
perbe Parthenon au sommet d'une vaste Acropole ». Ces
falaises n'ont pas les couleurs violentes des terrains infe-
rieurs, les gr£s sont jaune p&le ou brun clair, et les argiles
bleu&tres, ou gris-de-fer ; mais l'effet d'ensemble est remar-
quable, et la vue de ce grand cirque est Tun des plus beaux
spectacles de cet etonnant pays.
Les dernieres falaises qu'on rencontre vers le Nord sont
les Pink Cliff's; elles forment le rebord des Hauts Plateaux
de TUtah, et sont constituees par des marnes lacustres
eocenes, atteignant une epaisseur de 200 met. environ.
Leur couleur est rouge p&le, et devient d'un rose admi-
rable au coucher du soleil : d'ou leur nom. Independam-
ment de cette coloration, « belle au deliJt de toute descrip-
tion », les falaises eocenes sont remarquables & cause de
leur disposition en piliers d'une hauteur uniforme : on
dirait « une colonnade gigantesque dont l'entablement
aurait disparu » .
Au del&, le pays change complement ; des terrains vol-
caniques extremement developpes occupent presque par-
tout la surface ; et, gr&ce k Taltitude considerable et k l'hu-
midite qui en est la consequence, les Hauts Plateaux sont
recouverts, au moins partiellement, d'une abondante xeg6-
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LES PLATEAUX DU COLORADO. „ 429
tation. En se voyant au milieu de prairies tout 6maill6es
de fleurs, et de forGts oil se mGlent diverses espfcces d'ar-
bres verts, le voyageur pourrait se croire transports au
fond de quelque vallee des Alpes.
Tout ce qu'on vient de voir au sujet des Terrasses est
assur6ment bien inattendu et bien etrange pour nous,
habitues que nous sommes k des contrees oil les roches
sont le plus souvont cachees, ou bien incolores, et oil les
formes semblent (Hre presque toujours quelconques, sans
loi et sans raison d'etre apparentes. Eh bien ! tout cela est
peu de choses en comparaison de ce qui nous attend au
Grand Canon : le lecteur, en ayant sous les yeux le magni-
iique panorama de M. Holmes, sera probablement tout h
fait disorients au premier abord, tant ces paysages diffe-
rent des n6tres ; peut-6tre m6me se demandera-t-il si vrai-
ment il ne r&ve pas ou si on ne se moque pas de lui. Mais
peu a peu, l'6tonnement fera place h un autre sentiment,
et les formes qui au premier abord ne paraissaient que
bizarres et Snormes, finiront par se montrer pleines de
sens et de beaute, revStues d'un caractfcre grandiose et
sublime dont nulle autre chose sur le globe ne peut
donner l'idee. Tous les voyageurs qui ont parcouru les
abords du Grand Canon ont passS par les m£mes im-
pressions ; mais h la fin ils sont arrives & Tenthousiasme.
Qu'on ne se h&te done pas de juger le paysage dont il
est question ici, simplement parce qu'il est imprSvu
et qu'il ne rentre pas dans les habitudes ordinaires des
choses. N'oublions pas que les ressources de la nature
sont infinies :
And finer forms are in the quarry
Than ever Angelo evoked.
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430 SCIENCES ET ARTS.
Ill
Arrivons enfin au Grand Canon.
On se le figure generalement comme 6tant caracteris£
par une Stroitesse extreme; cependant rien n'est plus
inexact, et les mauvais dessins publies par les premiers
explorateurs ont beaucoup contribuS k r6pandre k cet 6gard
des idees tout k fait errondes.
Aujourd'hui on sait que sa Iargeur au sommet varie
entre 8 et 19 ou 20 kilom., tandis que sa profondeur est
comprise entre 1,500 et 1,800 m£t.,elcelasur une longueur
de 320 kilom. environ 1 .
Les plateaux qui le bordent au Sud n'offrent aucun
accident particulier pouvant permettre de les subdiviser ;
c'est k euxqu'est appliqu6 specialementle nom de Colorado
Plateau.
Du c6t6 du Nord, au contraire, le pays est traverse par
plusieurs lignes de dislocation affectant des proportions con-
siderables et manifestoes k la surface par des falaises recti-
lignes, d'une apparence toute difierente de celles qui ont et6
d6crites plus haut. Ges grandes failles forment les limites
de quatre plateaux distincts par Taltitude, par la forme et
par l'aspect. On les nomme, apartir de l'Ouest, Sheavwits,
Uinkaret, Kanab et Kaibab. Les deux premiers sont remar-
quables par le grand developpement que les phenom&nes
volcaniques y ont atteint pendant des p^riodes geologique-
ment tr&s r6centes. Le Kanab est plus 6tendu en Iargeur
que ses voisins; c'est le moins interessant des quatre.
i. Le Grand Caflon n'est qu'une partie de la serie ininterrompue
des gorges qui constituent la vallee du Colorado et de sa branche prin-
cipale, la Riviere Verte. La longueur totale de ces gorges, depuis le
confluent de TUinta jusqu'au Grand Wash (a Textr^mite d'aval du
Grand Cafion), est d'environ 1,300 kilom. !
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LES PLATEAUX DU COLORADO. 431
Quant au Kaibab, il est beaucoup plus elev6 que les autres :
ses points culminants d6passentr 2,800 m&t. ; grace k cette
altitude, il regoit beaucoup plus d'eau que le reste de la
region, et, comme plusieurs des Hauts Plateaux de l'Utah,
il est rev6tu d'une v6g6tation 'splendide : le voyageur qui
vient de parcourir les deserts environnants se repose avec
delices dans les « Parks » du Kaibab ou des bouquets d'ar-
bres verts alternent de la manifcre la plus heureuse avec
des prairies. C'est aussi dans le Kaibab quele Grand Canon
se montre dans toute sa beautd.
A PEst du Kaibab, le terrain s'abaisse brusquement de
1,200 met. ; les gorges au fond desquelles coule le Colorado
dans cette partie de son cours ne sont plus comparables
au Grand Canon comme dimensions et comme effet pitto-
resque ; elles portent le nom de Canon de Marbre {Marble
Canon) .
Entre Tissue du Canon de Marbre, — lequel passe gra-
duellement et sans interruption au Grand Canon, — et l'ex-
tr6mit6 de celui-ci, la direction moyenne du Colorado est
vers l'Ouest-Sud-Ouest, mais le fleuve d6crit deux demi-
cercles dont la concavity est tournee vers le Nord : l'un
au Sud du Kaibab et l'autre au Sud du Sbeavwits. En
fait d'affluents, le Colorado n'en regoit que trois pendant
ce long trajet : deux sur la rive gauche (Colorado Chiquito,
Cataract Greek) et un seul sur la rive droite (Kanab Creek).
Le climat aride est evidemment la cause de cette p6nurie
de tributaires, et h cet 6gard le cours inf6rieur du Colorado
ressiemble k celui du Nil.
Lorsque, du village mormon de Kanab, situ6 au pied des
Vermillion Cliffs, le voyageur se dirige au Sud-Ouest, vers
les sombres cdnes de scories et les noires coulees de laves
de l'Uinkaret, il traverse d'abord un plateau desole et bru-
lant : c'est le desert de Kanab. Puis, arrive k la base des
monts, le chemin s'engage dans une leg^re depression que
rien ne distinguerait parmi tant d'autres, si on ne voyait
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432 SCIENCES ET ARTS.
dans le lointain ses parois grandir de plus en plus vers le
Sud, en montrant constamment un profil architectural
uniforme, mais nouveau pour Tobservateur venant de la
region des Terrasses. Cette valine, appel^e Toroweap, con-
duit au Grand Gaiion, dont elle forme une digne preface;
k l'endroit oil elle d6bouche, sur le bord m£me de Tabime,
se dresse un c6ne volcanique, Sieve de 175 metres environ
au-dessus de sa base, et qu'on a nommd le « Trdne de Vul-
cain ». C'est au sommet de ce petit volcan eteint qu'il faut
se placer pour contempler le paysage dans toute sa gran-
deur 1 . La disposition g6n6rale du Grand Canon se montre
\k trfcs simple : une gorge, profonde d'environ 900 mbt. et
large de 1,000 k 1,200 mfct. au sommet, est creus6e au
milieu d'une plate-forme ayant kpeu prfcs 8 kil. de largeur
et limit6e k droite et k gauche par des escarpements de
600 met. L'altitude du c6ne, bien que faible en compa-
raison des masses environnantes, est cependant assez
grande pour laisser voir dans la direction de l'Est, — c'est
de ce c6t6 que regarde le dessin, — les parois de la gorge
sur une douzaine de kilometres, et on aper^oit m6me le
fleuve au premier plan. Quant k la large depression ext£-
rieure du Grand Canon, elle se montre jusqu'a une distance
de 60 ou 70kilom., et dans le lointain apparalt m&me la
rampe bleu&tre du Kaibab, semblable & un rideau de
nuages sur Thorizon.
Ainsi qu'il arrive presque toujours en face des falaises
ou des montagnes, on a de la peine k se rendre compte
des proportions r^elles du Grand Canon : le Colorado., ce
torrent imp6tueux dont la largeur atteint une centaine de
metres, semble n'£tre qu'un ruisseau et sa surface parait
presque aussi calme que celle d'un lac. Sur la rive oppos6e,
au sommet des parois de la gorge, on remarque quelques
1. Voir les pi. 5 et 6 de l'Atlas qui accompagne Touvrage du capi-
taine Dutton, ou les pi. 24 et 25 du 2d Ann, Report U. S. Geol. Survey,
qui eu sont des reductions au trait.
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28
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434 SCIENCES ET ARTS.
taches vertes, et on ne tarde pas a s'apercevoir que ce qu'on
aurait pu prendre d'abord pour des touffes d'herbes, ce
sont en r6alite de grands arbres ; k mesure que les veri-
tables dimensions se r6vfclent, Tesprit se sent comme acca-
ble sous le poids de cette inconcevable grandeur.
Mais ce qui est le plus frappantdans ce paysage, ce n'est
pas tantla dimension absolue des masses que la precision
des formes manifest6e au supreme degr6 dans Tapparence
architecturale des profils. La gorge interieure elle-m&me
ne joue qu'un r61e secondaire : en effet, nous dit le capi-
taine Dutton,sion s'eloigne un peu du bord,elle disparait,
et cependant la sublimits du spectacle ne semble guere
amoindrie. C'est la depression ext6rieure qui accapare
tout entifcre l'attention.
Les immenses murailles qui la limitent decrivent de
nombreuses sinuosites : tantdt elles projettent un contre-
fortqui s'avance comme une coulisse sur un th64tre, tant6t
elles reculent au contraire pour former un cirque, ou
s'ouvrent largement au d6bouch6 de quelque canon secon-
daire. Leur profil estpartout le m&me : au sommet est un
escarpement presquc vertical form6 de calcaires k silex,
surmontant une bande de calcaires plus purs, dontTaffleu-
rement correspond k un plan incline, et est en partie
recouvert de talus; ces deux assises ont ensemble de 210
k 230 m&t. d'epaisseur. En dessous apparait un nouvel
escarpement, ayant 80 mfct. de hauteur, et constitue par
des grfcs tres r6sistants, dont une assise, Spaisse d'une cin-
quantaine de metres, montre partout des stratifications
entre-crois6es. A cette plinthe succ£de une longue pente
recourbee, ou affleurent sur une hauteur de 300 mfct. des
grfcstrfcs tendres, argileux, ayant une coloration d'un rouge
extrfcmementbrillant; malheureusement cette belle nuance
est en tr&s grande partie masqu6e par un talus form6 de
debris des couches sup6rieurcs, dont les tofl$ §ont beaucoup
moins vifs : gris p&le, avec qk et \k une te^te jaun&tre ou
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LES PLATEAUX DU COLORADO. 435
creme. — Ce profil est, comme on le voit, d'un caractfcre
nettement defini, et pour ainsi dire systematique il'effet en
est 6minemment gracieux et architectural : « il n'a rien de
commun avec ces rocs informes et chaotiques qui ne sont
que gros et rudes », et qui si frequemment forment seuls la
charpente des collines dans d'autres contrees. — Les couches
du terrain carboniffcre, qui constituent les parois du Grand
Canon, ont done leur style propre aussi bien caracterise
que celui de chacun des etages de la region des Terrasses.
La plate-forme qui s'6tend au pied de ces escarpements
paratt k peii pr6s horizontale et m£me pour ainsi dire lisse
en comparaison; mais en reality elle est accidentee de
nombreux monticules s6par6s par des bassins, oil Teau
s'accumule apr&s les pluies d'orage : ces mares brillent
alors au soleil comme d'innombrables miroirs. Qk et \k
croissent quelques cedres ou quelques pins rabougris.
Quant k la gorge interieure, elle pr6sente la tranche de
couches epaisses de gres massifs ou de calcaires compacts,
oil dominent les nuances brun-rouge, rouge fonc6 etpour-
pre. L'ensemble est trfcs lumineux : k Tinverse de ce qu'on
s'imagine souvent, les tons n'ont rien d'obscur et le soleil
pen&tre librement dans les profondeurs, l'6tendue de ciel
visible au zenith, du fond de la gorge, 6tant rarement infe-
rieure a 60°. Au pays des plateaux, il n'y a que les gres
blancs jurassiques ou les couches rouges du trias qui pre-
sentent au regard un eelat plus vif.
La largeur de l'espace compris entre les murailles sup6-
rieurs est Tun des 6l6ments essentiels de Teffet du Grand
Canon : la hauteur des parois semble &tre tout k fait bien
proportionnee k la distance de leurs bases. Si ce rapport
changeait, le resultat ne serait plus aussi harmonieux.
Jetons maintenant un coup d'ceil rapide sur les autres
parties du panorama dont on jouit depuis le sommet du
Tr6ne de Vulcain.
La vallee de Toroweap,qui dGbouche sur la plate-forme
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436 SCIENCES ET ARTS.
du Grand Canon, correspond k une faille de 200 met. de
rejet environ, et dont I'effet est de surelever notablement
ses parois orientales : elle sSpare le plateau de l'Uinkaret
de celui de Kanab. Sur l'autre rive du Colorado et direc-
tement en face se trouve une valine disposee d'une ma-
niere semblable, de sorte que notre cdne volcanique est
situ6 exactement a l'intersection de l'axe du Grand Canon
et de celui de ces deux vallees lat6rales.
Du cdte de l'Ouest on aper^oit le Grand Canon jusqu'a
une grande distance; le grand coude du fleuve, au Sud du
Sheavwits, emp^che seul de le suivre au de\k d'une tren-
taine de kilometres. L'aspect du paysage, danscette direc*
tion, est beaucoup plus compliqu6 qu'^t l'oppose.
« II serait difficile, dit le capitaine Dutton, de trouver
ailleurs, dans n'importe quelle region du globe, un point
offrant autant de sujets de contemplations pour un g6o-
logue ». En effet, outre l'erosion des falaises et du canon,
on y observe la grande faille de Toroweap, visible sur
les parois de la gorge int6rieure aussi nettement qu'un
dessinateur pourrait la reprSsenter sur une feuille de
papier, et manifestee a la surface de la plate-forme par un
escarpement d'une hauteur 6gale a celle de son rejet;
son &ge g6ologiquement tr&s recent et posterieur a l'exca-
vation d*une bonne partie du Grand Canon est d^montre
par le fait qu'elle coupe, aussi nettement que les couches
carbonif&res, des coulees de lave sorties d'un crat&re voi-
sin, encore bien conserve et situS au pied des falaises supe-
rieures de la rive gauche du Colorado. Tout pr&s de la, le
recul des escarpements qui constituent la gorge interieure
est venu r6v61er, d'une maniere tout h fait unique, la struc-
ture d'un c6ne volcanique, dont le soubassement a 6te
dissequ6 eii quelque sorte par l'6rosion, de telle maniere
que la cheminee d'eruption est visible sur une hauteur
de plusieurs centaines de metres. Des tufs en relation avec
ce cratfcre occupent en fpartie la surface d'un cirque lat6-
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LES PLATEAUX DU COLORADO. 437
ral; et des dykes de basalte se projettent au dessous sur
les parois de la gorge. C'est par consequent entre le niveau
ou descendent ces tufs et celui ou montent les dykes que
le fond du Grand Canon se trouvait & l^poque ou ce petit
volcan etait actif. Or, d'une part, celui-ci est parfaitement
conservd en dehors des portions qui se sont 6croulees par
suite du recul des parois du canon ; il appartient par con-
sequent h une epoque peu eloignee des temps actuels au
point de vue geologique; etd'autre part, cet ancien niveau
du Colorado ne se trouve qu'& un quart ou un tiers de la
profondeur de la gorge actuelle. Cette observation montre
combien le creusement de celle-ci a dft &tre rapide ; du
reste, lorsqu'on descend au bord du fleuve, on est profon-
d6ment impressionne par les marques d'un travail de cor-
rosion extr£mement energique : roches polies, marmites
de grants, blocs enormes roules ; et lorsqu'on voit cet im-
petueux couranta l'oeuvre, avec ses rapides et ses tourbil-
lons, on n'a pas de peine & se figurer quelle doit &tre sa
puissance au moment de£ hautes eaux.
La vallee de Toroweap reprSsente le lit d'un ancien cours
d'eau qui cessa de couler, par suite de modifications dans
le climat, lorsque le Colorado etait encore bien loin d'avoir
atteint la profondeur oh il est aujourd'hui. II existe un
certain nombre devalues analogues, dont 1'etude a conduit
au m£me resultat, et le creusement du canon, les modifi-
cations du climat, le recul des escarpements, la produc-
tion des failles, les Eruptions volcaniques, sont des ph6no-
menes dont les manifestations sont tellement li6es entre
elles qu'il est possible de reconstituer l'histoire du Colo-
rado avec une precision assez rare a trouver dans cet
ordre de sujets. Les conclusions du capitaine Dutton, qui
s'est livre k ce travail avec beaucoup de succ£s, sont que
la position du Colorado est trfcs ancienne, remontant
jusqu'au d6but des temps tertiaires, et ant6rieure a la for-
mation des failles ou des plis monoclinaux observes dans
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438 SCIENCES ET ARTS.
son voisinage ; de plus, le creusement du Grand Canon est
loin d'avoir marchS d'une manifcre uniforme ; il y a eu une
serie de saccades, determines elles-m6mes par des in6ga-
lites dans la vitesse du soul&vement; l'amplitude totale de
ce mouvement d'exhaussement a dA Gtre enorme et at-
teindre de 3,600 k 5,800 mfct., comme le montre l'altitude
considerable k laquelle se trouve port6 aujourd'hui le ter-
rain carbonifere, qui, k l'ipoque Soc&ne, etait encore en-
seveli bien au-dessous du niveau de la mer, sous un epais
manteau de terrains secondaires dont les restes n'affleurent
plus aujourd'hui que sur le pourtour de la region. Mais ce
n'est pas ici le lieu d'examiner les preuves de ces induc-
tions : le lecteur les trouvera discuses en detail dans
Touvrage du savant officier amgricain.
Revenons k notre panorama. Si Ton se tourne vers le
Nord-Ouest, on jouit d'un spectacle aussi imposant qu'in-
structif : l'Uinkaret apparatt dans la plus grande partie de
son etendue, avec ses c6nes volcaniques, au nombre de plus
de 160, et ses coulees, dont quelques-unes ont Tair d'etre
aussi fraiches que celles qui, au Vesuve, ne remontent pas
k plus de vingt 6u trente ans en arri&re. On voit ces cou-
lees basaltiques, issues du sommet du plateau, descendre
jusqu'au fond du Toroweap en franchissant les parois de
cette vall6e oil elles prennent une inclinaison extr&mement
forte. Une chose ajoute puissamment k la hardiesse du
tableau : des frontons de strates horizontales surgissant
qk et Ik au milieu des champs de laves contrastent de la
mani&re la plus tranchge et la plus inattendue, par les
admirables proportions de leurs lignes et par leurs bril-
lantes couleurs, avec les sombres nappes de basalte qui
les enveloppent comme un manteau. Plusieurs de ces
coulees sont parvenues au niveau de la plate-forme du
Grand Canon, et de Ik ont plong6 d'un seul bond jusqu'au
fond de la gorge; continuant & descendre jusqu'& une cer-
taine distance dans le sens du fleuve, elles ont comble son
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LES PLATEAUX DU COLORADO. 439
lit sur une Spaisseur de 120 mfct. Depuis lors, le Colorado
a recreuse son lit, et aujourd'hui non seulement il l'a de-
blayg de ces mati&res volcaniques, mais il a entame pro-
fondement la roche sousjacente.
Tournons-nous maintenant au Nord-Est; les murailles
orientales de la valine de Toroweap, qui sont le principal
objet d'intSr&t dans cette direction, se relient d'une manifere
continue aux grandes parois ext^rieures du Gisand Canon.
Partout la fagade se dSveloppe en conservant ce m6me
profit caracteristique qui nous est dej& familier. Le cercle
entier de notre panorama se trouve ainsi ferm6.
Passons maintenant & une autre partie du Grand Canon,
dont Taspect est tr&s different de celui que nous venons de
contempler au Toroweap.
IV
C'est autour du Kaibab que le d^veloppement du Grand
Canon atteint touteson ampleur. Gr&ce k une altitude plus
grande et & des precipitations atmospheriques plus abon-
dante, les agents d'£rosion ont d^ploye une activite inusitSe
dans les autres portions de Timmense gorge : de vastes
cirques lateraux y entaillent profond6ment ses parois, en
ne laissant entre eux que des residus du plateau, extraor-
dinaires de formes et de sculptures. Pour se faire une idee
deTeffet scenique,il faut ajouteraux 6normcs dimensions
du Canon : la complexity de la disposition en plan des
masses rocbeuses,. la noblesse de leur architecture, la
Constance inoui'e des profils ; les proportions colossales des
buttes,leurrichessed'ornementation ; lasplendeurdescou-
leurs et les jeux merveilleux de la lumifcre et de l'ombre.
Le voyageur qui se rend au Grand Gaiion par le Toroweap
voit la sc&ne se developper peu a peu et le preparer pour
ainsi dire k la vue finale qui l'attend au sommet du Trdne
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440 SCIENCES ET ARTS.
de Vulcain. Au Kaibab, au contraire, le spectacle se rSvele
toujours brusquement au regard, sans que rien annonce
la proximity de Tablme avant qu'on n'arrive au bord ; mais
k cause de l'etat trfcs d6coup£ de la lisiere du plateau, la
vue dont on jouit alors est trfcs diflferente, suivant qu'on
arrive k la naissance d'un cirque ou bien, au contraire, k
TextrSmite d'un promontoire. C'est cette derni&re alterna-
tive que nous choisirons d'abord, en suivant le capitaine
Dutton au cap qu'il a nomme Pointe- Sublime.
Le magnifique panorama qui accompagne la pr6sente
notice a 6t6 dessinG par M. W. H. Holmes, du sommet de
ce promontoire.
De la Pointe-Sublime on voit le Grand Canon sur une
longueur de 40 kilom. & peu prfcs de chaque c6te,avec une
largeur de 16 k 20 kilom. Bien au delk de cette distance
apparaissent les sommets volcaniques de l'Uinkaret, ainsi
que ceux du centre de 1' Arizona. Le tableau est caracterise,
comme tous les autres panoramas du Kaibab, k la fois par
la multitude des objets, ayant chacun des dimensions
enormes et affectant une disposition systematique, Tinfinit6
des details et la hardiesse majestueuse des formes. Ce
qui en constitue le trait dominant, c'est incontestablement
la formidable muraille qui se dresse en face, sur la rive
oppos^e du Colorado, et dont les proportions ecrasent ve-
ritablement Timagination cherchant k appr6cier les di-
mensions reelles. Comment se figurer un escarpement
ayant 1,600 m&t. de bautl
Nous avons d6j& vu combien il etait faux de se repr6-
senter le Grand Canon comme tres 6troit : s'il en etait ainsi,
il perdrait presque toute sa valeur esthetique, car il est
evident que l'oeil a besoin d'etre & une certaine distance
d'une haute paroi de rochers pour pouvoir la contem-
pler dans toute sa hauteur. Or cela serait tout k fait
impossible, 6tant donnSes les dimensions verticales du
Grand Canon, s'il n'avait par exemple que 300 mfct. de lar-
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LES PLATEAUX DU COLORADO. IAI
geur au sommet. II se passerait la m&me chose que dans
ces ruelles etroites du moyen &ge, oil les edifices sont sou-
vent trfcs beaux, mais oil. il est malheureusement impos-
sible de les bien voir & cause de Tabsence de recul.
Gette muraille est pleine de diversite ; elle d6crit une
foule de ddtours, et generalement les £perons aux angles
aigus qu'elle projette au devant d'elle ne laissent voir que
I'entree des grands cirques lateraux. Qk et \k un brusque
changement de direction en montre le profil eminemment
complexe. Gomme aux Vermillion Cliffs, mais sur une bien
autre echelle, il consiste en une serie d'escarpements et
de pentes alternant dans le sens vertical, avec une persis-
tance absolue au contraire dans le sens horizontal. « C'est
comme une plinthe moul6e, dans laquelle chaque couche
se r6vele semblable k une assise de magonnerie. » Le calcaire
designe sous le nom de Bed Wall (la muraille rouge) en
est le membre le plus remarquable : partout il montre son
escarpement d'une mani&re ininterrompue sur une hauteur
de 250 & 300 m&t. Les couches dures moins epaisses appa-
raissent plus souvent sur les pentes comme une succession
de saillies longitudinales emergeant du talus peu 6pais,
qui ne les cache jamais compl&tement.
Les nombreuses buttes detachees qui flanquent Textr£-
mit^ des longs promontoires paraissent insignifiantes en
comparaison de la muraille contre laquelle elles se pro-
jettent, bien qu'en r6alit6 leurs proportions soient gigan-
tesques, et souvent on ne s'apergoit pas qu'elles en sont
compl&tement separ^es, l'intervalle 6tant parfois de plu-
sieurs kilometres.
Au pied de la « Palissade » se trouve une plate-forme
dans laquelle est entailtee la gorge interieure ou serpente
le Colorado. On rrapergoit la surface du fleuve qu*en un
seul point oil la direction de la gorge se trouve coi'ncider
pour un moment avec celle du rayon visuel ; en amont et
en aval, on ne voit que l'6troite ouverture, les parois
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442 SCIENCES ET ARTS.
trop rapprochees masquant le fond. Gette gorge inte-
rieure a de 300 h 360 m&t. de profondeur. Au sommet est
une bande verticale haute de 60 m&t. et formee par un
gres d'une superbe nuance brunfttre foncSe; au-dessous
apparait le granit, aux tons gris de fer tournant au noir et
donnant un aspect sombre au fond du canon. A peupr&s
800 m&t. du cours du Colorado sont visibles : un rouge
p&le et sale, sans 6clat et sans miroitement, une surface
immobile, un petit recoin sans inter^t et sans beauts appa-
raissent au milieu de Tombre du granit ; c'est Ik tout ce
qu'on en voit d'ici. Et pourtant nous savons que c'est un
large fleuve, un torrent imp6tueux qui 6cume en franchis-
sant ses rapides de rochers.
Un peu — et seulement un peu — moins impression-
nantes que la grande muraille de l'autre rive sont les buttes
qui se dressent du m6me cdt6 du fleuve que nous. II n'y a
pas, dans tout le Far- West, de buttes comparables k celles-
ci, sauf les temples du Rio Virgen, qui les dSpassent peut-
6tre m&me, en somme, au point de vue de la noblesse des
formes, de la beauts des ornements et de la splendeur
des couleurs. Mais, tandis que les buttes du Kaibab sont
& peine infGrieures k celles du Rio Virgen sous ces divers
rapports, elles les egalent amplement en majeste et
les depassent de beaucoup comme dimensions, et, de plus,
il y en a une quantity, au lieu que la vallee de TUtah n'a
qu'un petit nombre de ces creations culminantes k mon-
trer au voyageur. Du reste, ces deux localitds difF&rent tout
a fait comme style, et la comparaison n'est pas possible
dans les d6tails.
Tout ce qui est caracteristique, pittoresque et Snergi-
quement expressif dans les formes des rochers, au pays
des Plateaux, se trouve concentr6 et pousse jusqu'i l'ex-
tr£me limite possible, pour ainsi dire exag6r6, dans les
buttes : le style particulier du terrain dont elles sont for-
nixes y atteint son plus haut degre de d^veloppement.
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LES PLATEAUX DU COLORADO. 443
Tandis que la disposition en plan des buttes parait souvent
echapper k toute definition simple et constante et affecte
les allures les plus capricieuses, les profils, au contraire,
ont un caract&re tr&s determine et nettement accentu£ :
ils peuvent se decomposer en Elements susceptibles d'une
definition g6ometrique plus ou moins precise ; ces Ele-
ments sont des lignes generalement simples et peu nom-
breuses en derniere analyse, mais capables, en se combi-
nant diversement entre elles, de donner naissance k des
effets tr&s varies : les escarpements sont verticaux, les
sommets horizontaux et les pentes se prGsentent comme
des segments d'hyperboles k longue courbure concaves
vers le ciel. Tout cela diff&re radicalement des profils
indefiniment varies, mais irr£guliers et quelconques
qu'exhibent ailleurs les flancs de la plupart des reliefs. Et,
au Colorado, ainsi qu'on Ta d6)k vu, non seulement les
profils consid£res isol^ment sont simples et definis, mais
ils se poursuivent sur d'immenses espaces sans aucune
modification essentielle, k cause de Thorizontalite des
strates et de leur Constance d'Epaisseur, les seules diffe-
rences entre l'aspect d'une m6me ligne de falaises consi- •
der£e en divers points de sa longueur provenant, par
exemple, d'une inegalite dans Tinclinaison d'un talus ou
dans la distance en projection horizontale de deux des
bandes verticales qui entrent dans la constitution de l'es-
carpement : ces variations n'alterent point la nature des
lignes, mais seulement leur mode de groupement et leurs
proportions relatives, et encore dans une mesure assez
restreinte, suffisante cependant pour ^carter la monoto-
nie inh^rente en toutes choses a Tuniformite absolue.
C'est comme le ton d'un morceau de musique, qui persiste
et dont l'esprit conserve la conscience sous toutes les mo-
dulations changeantes de l'harmonie.
On voit done qu'il n'y a aucune exageration h dire que
l'effet de ces profils et de ces lignes horizontales est tout a
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444 SCIENCES ET ARTS.
fait architectural : la ressemblance ne fait defaut qu'au
point de vue de la disposition en plan, et pourtant il n'est
pas rare de trouver des buttes dont la forme rappelle celle
d'un edifice. Au Grand Canon, il n'y en a gu&re qu'une
seule qui soit frappante h ce point de vue ; elle est invisible
de la Pointe-Sublime et est situ6e vers l'extr6mite d'amont
de la travers6e du Kaibab; elle a plus de 1,500 mfct. au-
dessus de sa base et ressemble d'une maniere surprenante
k une pagode orientale. Aussi a-t-elle 6te nomm6e le
Temple de Vicknou.
A droite et k gauche de notre promontoire se trouvent
deux gorges Morales dont le fond est k 1,200 mfct. au-
dessous de nous et qu'on voit se r6unir au milieu du
tableau dans un tronc common qui s'approfondit de plus
en plus et va deboucher dans le Grand Gafion. Au de\k de
ces deux ravins se dressent de chaque cdte des buttes
excessivement dScoupees, nominees le Cloitre de VOuest
et le Cloitre de CEst; ce sont des exemplaires, faciles h
6tudier d'ici h loisir, d'un type trfcs repandu sur la rive
Nord du Grand Canon dans toute la division du Kaibab.
• L'infinitS des details, d6finis chacun d'une manifcre on ne
peut plus nette, est Stonnante : d'innombrables entailles
verticales, faites par le ruissellement des pluies d'orage,
coupent les strates dont le parallelisme apparait si accen-
tu6 sur toutes les fagades. On remarque aussi ayec surprise
la singular e disposition qu'affecte le cours des parois :
elles ne peuvent pas conserver un instant une direction
rectiligne, mais d6crivent une s6rie de courbes rentrantes
avec des lobes saillants dans l'intervalle ; cette disposition
est tout & fait caract6ristique des couches carboniferes de
la r6gion et elle leur parait speciale. Gombinee avec le
surplomb des murailles, elle donne lieu a de veritables
niches qui ont jusqu'a prfcs de 200 mfct. de hauteur.
A mesure qu'on contemple cet incroyable spectacle, les
sens se refusent a admettre la realite des proportions veri-
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LES PLATEAUX DU COLORADO. 445
tables des objets ; il ne faut pas longtemps & l'observateur
pour acquGrir la conscience (Tune disparite enorme entre
Teffet produit par les masses qui sont dans son voisinage
immSdiatet par d'autres de dimensions equivalentes, mais
situees a une plus grande distance : le petit talus qu'on
voit au centre du panorama , derri&re le premier plan et
k gauche de l'6peron escarp^ au confluent des deux
gorges laterales, ce petit talus n'est qu'& un peu plus de
200 m&t. au-dessous de notre poste d'observation, tandis
que le fond de la gorge vers laquelle il s'incline est k
1,150 metres plus bas que notre corniche. Certes, on ne
dirait pas qu'il y a autant de difference entre Taltitude de
ces deux points. Le gr6s k stratifications entre-croisees qui
commence immediatement en-dessous du talus en ques-
tion, eh bien, c'est lui qui forme le sommet du Gloitre
de TEst : « et quelle que soit la conclusion de la raison, il
est inutile de chercher k persuader l'imagination de l'ega-
lite d'altitude de ces deux cordons de grfcs. » Le m6me
Cloitre, qui est un peu plus rapproch6 de nous que Tautre,
est a une distance d'environ 2 kil. 1/2; k le voir, on le
croirait beaucoup moins 61oign6. Quant k son altitude au-
dessus de sa base, elle est de 1,000 k 1,200 mfct.; du reste,
on s'apergoit bien vite que toute tentative pour estimer les
hauteurs au moyen des impressions visuelles est comple-
tement illusoire; « tout ce qu'on 6prouve k cet dgard,
c'est un sentiment inquiet de l'immensite. »
Gette masse gigantesque, & sommet aplati, qu'on voit k
gauche se dresser dans le voisinage du plateau et & la'
m6me altitude, c'est le Temple de Siva, butte sans rivale
comme hauteur — 1,800 mbt. — et rest6e debout au milieu
d'un r6seau de ravins effrayants dont les parois presentent
une succession d'ar^tes vertigirieuses.
Dans ces singuliers paysages, l'attention ne peut pas
arriver &se. fixer; sp^cialement sur un de ces innombrables
objets qui s'offrent & la vue en m6me temps : elle est con-
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146 SCIENCES ET ARTS.
stamment attirSe vers d'autres, tout aussi enormcs et
extraordinaires. Car, encore une fois, ce qui rend ce spec-
tacle v^ritablement prodigieux, c'est bien plus encore la
profusion extravagante avec laquelle ces objets ont ete
distribuSs tout le long du Grand Canon, que leurs dimen-
sions individuelles.
Dans le panorama de la Pointe-Sublime, les objets ne
sont pas groupSs autour d'un point central ou coordonnes
par rapport k un axe. Cette disposition caracterise, au
contraire, la vue du Grand Canon dont on jouit lorsqu'on
est place sur le rebord meridional du plateau de Powell,
— cette sorte de presqu'lle k sommet aplati qui barre le
•cours du Colorado au Nord-Ouest du grand coude du
fleuve autour du Kaibab. De 1&, on a devant soi, vers le
Sud-Est, une perspective de 80 kilom., avec les palissades
gigantesques & droite k gauche et dans l'intervalle les
incomparables buttes qui d£ploient toute leur richesse
d'ornements habituelle. La vue est done disposee d'une
manifere plus systfonatique ; elle est, du reste, k peu pres
equivalente k la premiere comme effet grandiose. Mais les
defauts qui, parfois, g&tent le paysage dans les canons y
sont plus prononc6s : ce sont les illusions de la perspec-
tive, l'aplatissement des objets provenant du manque de
gradations entre les clairs et les ombres, Tabsence de net-
ted dans les formes et les details des objets produite par
leurs grandes distances et l'6paisseur de l'air interpose.
Les vues moins (Hendues qu'on decoiivre depuis lalisi&re
des cirques secondares sont naturellement peu de chose
en comparaison des prec6dentes ou des panoramas des
autres promontoires du Kaibab. Mais si ces amphitheatres
etaient isol6s dans une regron quelconque, ils passeraient
k coup stir pour des merveilles. Voyez par exemple celui
qu'on a nomme te Transept et que l'habile artiste am&ricain
Thomas Moran a represents sur la pi. XViH de l'atlas
qui accompagne Touvrage du capitaine Dutton : cesrochers
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LES PLATEAUX DU COLORADO. 417
aux formes fantastiques, semblables a des mines, et ces
lignes calmes, simples, qui dominent tout et reapparais-
sent de quelque c6t6 qu'on tourne le regard, n'est-ce pas
\k deja un spectacle sublime, et la plupart des contrees
cheres k ceux qui aiment la nature ont-elles beaucoup de
scenes aussi imposantes et aussi majestueuses & leur offrir ?
(Test k TOuest du plateau de Powell que le style du Kai-
bab disparait graduellement pour faire place & celui dont
la vue du Toroweap nous a offert un magnifique exemple.
Si on compare les profils typiques de ces deux styles, ce
qui frappe le plus, c'est Tabsence, dans le Kaibab, de la
plate-forme qui s6pare, dans les autres divisions du Grand
Cafion, les murailles exterieures de Ja gorge interieure:
Tandis que, dans l'un et I'autre profll, la muraille extSrieure
form6e par les couches sup^rieures du terrain carbonifere
[Aubrey Wall) reste la m&me au moins dans ses traits gene-
raux, ce qui est au-dessous au contraire ne se ressemble
pas du tout : au Kaibab la plate-forme est profondement
entamee par la partie interieure des cirques, qui n'en
laissent subsister que des debris sous forme de buttes, et
le profll, &la base du grand talus constituant la partie infe-
rieure de l'Aubrey, plonge brusquement par les preci-
pices & peu pr&s verticaux du Red Wall ; dans beaucoup
de localites, cette derniere falaise a recul6 presque autant
que l'Aubrey; celui-ci se trouve alors sap6 par la base, et,
en depit de leur nature peu rSsistante, les argiles et gr&s
de l'Aubrey inferieur forment escarpement continu avec le
Red Wall sur lequel ils reposent. Ces differences de prolil
s'expliquent aisSment : le Red Wall est en effet supporte par
des assises faciles h desagr^ger, qui, dans le Kaibab, se
trouvent & une altitude beaucoup plus forte qu'ailleurs, ou
par suite le Colorado n'a p6n6tre au niveau correspondant
que tout recemment : en un mot, le Grand Canon est, au
Kaibab, dans une phase de son developpement beaucoup
plus ayanc^e qu'ailleurs, la base du Red Wall y affleurant
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448 SCIENCES ET ARTS.
et ayant par consequent recul£ depuis beaucoup plus long-
temps. En effet, non seulement la base est visible, mais on
voit encore au-dessous une forte epaisseur degres, puis une
bande 6troite de quartzites, appartenant Tun et l'autre au
d^but de la p6riode carbonifere ; dans un certain nombre
de points, des couches cambriennes, trfcs puissantes et dis-
cordantes par rapport au terrain carbonifere; enfin les
roches cristallines schisteuses du terrain dit primitif. Si les
trois plateaux de TOuest du district subissaient un nouveau
soufevement, ils prendraient sans doute peu & peu l'aspect
actuel du Kaibab.
Pour appr6cier h leur juste valeur les paysages du Grand
Canon au Kaibab, il,ne faut pas oublier les couleurs et la
lumiere : les couches sup^rieures sont p&les, mais les gres
inferieurs de l'Aubrey sont d'un rouge vif, et le Red Wall
est rouge aussi, mais d'un rouge leg^rement pourpr6 et
tr&s chaud, quoique moins brillant; ce ton est, en somme,
celui qui domine, car le Red Wall forme au moins la moitie
de la surface totale des parois visibles. En dessous vien-
nent les bruns fonc£s du carbonifere inferieur, et enfin,
tout & fait au bas, le noir de fer des schistes cristallins :
c'est la seule chose qui ne soit pas lumineuse dans le
tableau, mais ces roches occupent trop peu d'espace pour
exercer une influence notable sur l'effet brillant de l'en-
semble.
II existe au pays des Plateaux, comme nous Tavons deja
vu, des groupes de couches dont les couleurs propres sont
beaucoup plus vives que celles de la serie carbonifere, et
cependant celles-ci produisent un effet bien sup6rieur k
cause des modifications sp6ciales que leur font 6prouver,
au point de vue pittoresque, les qualit6s de Tair qui baigne
le Grand Canon.
Rien n'est plus mobile et plus changeant d'aspect : la
sensibility du tableau aux moindres modifications de la
lumiere est etonnante. A mesure que le soleil se rapproche
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LES PLATEAUX DU COLORADO. 449
du meridien, la scene se transforme et grandit; chaque
mouvement d'un nuage qui passe, chaque modification
dans l'inclinaison des rayons lumineux, metamorphose
completement le paysage. A cause de son orientation & peu
pres de l'Est h l'Ouest, le Grand Canon n'est bien 6claire
que le matin ou le soir ; vers le milieu du jour, il n'y a que
la rive Nord d'6clair6e, celle du Sud est dans une obscurity
souvent complete. Les ombres, au pays des Plateaux, frap-
pent particuli&rement le voyageur : elles semblent enve-
loppees, m&me a de faibles distances, d'une obscurite im-
penetrable ; cela rappelle la surface de la lune, vue dans
une lunette, lorsqu'elle est eclair6e obliquement. €e qui,
parait-il, est encore plus extraordinaire, c'est le lustre
metallique de l'atmosphfcre projetee contre les fonds
d'ombre : Tair est tr6s lumineux et obscurcit les details,
dejd. affaiblis par Tombre ; on dirait qu'on voit les objets
itravers des vapeurs de plomb ou de mercure. Ce n'est
que vers la fin de la journee, lorsque la lumiere devient
oblique, que les formes et les proportions reelles se font
bien comprendre. Enfin, lorsque le soleil est pr6s de Tho-
rizon, les feux du couchant viennent s'ajouter aux couleurs
propres des roches, et le spectacle se termine au milieu de
splendeurs qui semblent Gtre plus que terrestres.
Emm. de Margerie,
Membre du Club Alpin Francais
(Section de Paris).
ANNUAIRK DE 1883.
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VI
RELEVfiS HYPSOMETRIQUES
RESULTANT
^OBSERVATIONS FAITES AU BAROMETRE
PAR LES MEMBRES DU CLUB ALP1N FRANCA IS
KT CALCULEES PAR LE COMMANDANT DU GENIE PRUDENT
DE LA SECTION DE PARIS
MEMBRE DE LA DIRECTION CENTRALE
Avertissement. — Les altitudes ci-apres sont, le cas ech6ant,
rectificatives de celles contenues dans les articles correspondants
de YAnnuaire. Elles sont, autant que possible, obtenues par
interpolation entre des altitudes plus certaiues, et de plus nous
avons ameliore ce travail d'interpolation en prenant pour
chaque point les moyennes de toutes les altitudes mesurSes jus-
qu'ici par les divers observateurs. Nous avons d'ailleurs continue
a tenir compte, lorsqu'il a 6te* possible de le faire, des erreurs
individuelles de chaque instrument employ^, et nous avons rec-
tiiie les observations d'apres la marche de la pression atmo-
spherique, telle qu'elle resulte des observations textuelles relevees
dans les divers observatoires meteorologiques fixes.
Daus la liste qui suit, les altitudes qui ont servi de base pour
Interpolation sont imprimees en chiffres gras. En outre, pour
simplifter Tecritui e, nous avons adopts les abr6viations ci-apres :
3 obs. — Moyenne de trois observations.
D. G. — D'apres le Dep6t de la Guerre.
I. M. — D'apres l'lnstitut Geographique et Statistique de
Madrid.
C. F. — D'apres des etudes de chemin de fer.
P. Ch. — D'apres les Ponts et Chaussees.
A — Altitudes calculees au moyen de visSes faites avec la
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.RELEVES HYPSOMETRIQUES. 451
regie a eclimetre du colonel Goulier, ou avec l'orographe
Schrader, par MM. de Saint-Saud, Schrader ou Wallon.
OBSERVATEURS
B. —
MM. fimile Belloc.
Fr. —
Fribourg.
Ga. —
le docteur Garrigou.
Go. —
Gourdon.
M.
Mallada, ingenieur des mines en Espagne, -
P.
Packe, membre de l'Alpine Club et du Club Alpin
Francais.
Ca. —
Carez, membre du Club Alpin Francais.
La. -
Labrouche, —
Laf. —
l'abbe don Pancrazio Lafita, de Barbastro
(Espagne). •
Le. —
Lequeutre, membre du Club Alpin Francais.
Sa. —
De Saint-Saud, —
Schr. —
Schrader, —
W. —
Wallon, —
M. Emile Belloc. — (Aragon, Region du Mont-Perdu
et de Bielsa.) — Barometre holost6rique de 7 cent, de
Naudet. — Du 9 au 16 aoftt 1883.
Bielsa, pied du clocher 1040 C. F.
— , sous le pont 1034
Javierre . 1123 C. F.
Plateau de Plancarnes 1285
Source avant le Portillo ... 1630
Col du Portillo •. 2135
Revilla 1295 3 obs. (B. Schr. W.)
Garganta de Mirabal ... 1060
Escoain, l°piso de la casa Jacinto 1265 3 obs. (B. Schr. W.)
Puerto de Puertolas ... 2025
Pletadelos Franjins 1760
Fontaine avant Bestue 1410
Puertolas, milieu du village 1217 ' 2 obs. (B. W.)
Sous le pont avant Puey-Arruego 705
Puey-Arruego, village 735 5 obs. (B. Ca. W.)
Gallisue 1075 5 obs.(B. Ca. Schr. W.)
Buerba, 1" etage de la casa Corte 1175 4 obs. (B. Ca. Schr. W.)
Maison sur le sentier en face d'Arsuela. . . . 1460
Fanlo, 1" etage de la casa del Sefior 1380 6 obs. (B. Le. Schr. \VJ
Vieux pont sur le rio Jalle, au confluent d'un
petit ruisseau 1065 2 obs. (B. Le.)
Barranco de la Canal 970 2 obs. (B. Le.)
— del Fuende 950
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452 SCIENCES ET ARTS.
Sarvise 860 14ob.(B.Le;Sa.Sch.W.)
Broto 895 P. Ch.
Sandaruelo, ou plana de la Pazoza 1965 3 obs. (B. Sa. Schr.)
Port de Gavarnie 2255 P. Ch.
M. Maurice Gourdosn. — (Excursion dans le Pallas,
Catalogne.) — Barom&tre altim. compens6 de 7 cent,
de Naudet. — Du 6 au 15 juillet 1883.
Estefri, pueblo; posada del Sol 971 C. F.
Canne de Roland 945 2 obs. (Go. Schr.)
E seal 6, pueblo; porche de l'eglise 870
Llavorsf, pueblo ; posada 800 C. F.
Alins. pueblo dans le Vall-Farrera ; casa Suitet. 1175 C. F.
Bifurcation des sentiers de Areo et de Tor . . 1270
Areo, pueblo; casa Castellarnau 1465 C. F.
Bordas de Naballa , . . 1780
Bordas del Rey. 1975
Premier col sur la crSte du Montech 2285
Collada del Rey .... 2295
Source et grotte naturelle au bas du Montech. 2640
P u del Montech ou Montexo 2906 A Sa. Fr.
Pont sur la Noguera de Vall-Farrera, au bas
de Areo 1462
Puente Nuebo 1548
Bifurcation des sentiers du port de Bouet et des
Bordes de la Reybuyra (ou Rebuyra) . . . .* 1556
Pont de la Farga 1585
Plateau apres les granges de la Farga . ... 1695
Bordes de la Rebuyra 1815
Passage du ruisseau venant des Estanys de
Baborta 1890
Hount de Marquet 1910
Col inferieur de Sullo 2050
Abri de Socalma. . 2045
Lacs de Sullo, 1" 2255
— 2 e a gauche du cirque de Sulld 2328
— 3 e 2404
— 4« 2405
— 5« et 6« 2455
Lac de Bedet 2385
Breche dominant le lac superieur de Sullo. . . 2645 .
Col de Riofredo 2825
Lac glace dans le haut val de Sullo. ..... 2795
Pointe Sud-Est de l'Estax 8118 A d'apres des pbotogr.
Grand somraet de l'Estax 8141 D. G. '
Lac glace au-dessous du col de Sullo 2410
Col menant du val de Sulld dans celui de Ba-
. borta 2350
Lac inferieur de Baborta 2270
Col de Sallente 2420
1. Ceat; uu- point geodesique de second ordre, d'apres la description de la
chaine des Pyrenees, du colonel Corabceuf. — Memorial du Dipdt de la gue,re,
vol. VI.
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RELEVtiS HYPSOMtiTRIQUES. 453
Col dans la crete du Pic de Besero 2196
Soramet du Pic de Besero 2525 & d'apres des photogr.
Plata de Besero 2145
Pont de Montalto 1265 .
Tabescan, pueblo ; la place 1101 C. F.
Source sulfureuse froide a 1 kil. en aval de Ta-
bescan, rive gauche de la Noguera de Cardos 1080
Castell dels Mauros, au-dessus de Tabescan. . 1255
Ayneto, pueblo 1180
Coll ad a de Lleret dans la sierra de Campirme 1775
Bordas de Migros, haut ravin de Estahon . . . 1610
Collada de Campirme entre le val de Estahon
et le pueblo de Burgo 1980
Bordas et pleta au-dessus de lajneme collada. 1660
Burgo, pueblo 1310
Escalarre, pueblo 1010
Esterri, pueblo: posada del Sol . 971 C. F,
Puente del Pontillon 1325
Hospice superieur de la Bonaigo 1518 C. F.
M. Labrouche. — (Frontiere du Haut Aragon, vers
Urdos.) — Baroinfctre holostSrique de P6rillat, 5 cent.
— Aoutl883.
Bedous (B.-Pyr.), niaison Nougue, a Tissue du
village vers Urdos 420 D. G.
Moulin Villeneuve 445
Col d'Etsant, au N.-E.-E 825
Groupe au-dessus de la vallee de Lescun . . . 1060
Lescun, eglise 902 D. G.
Foataine d'Anie 1720
Lac d'Anie 1975
Anie (Pic d') ... . . 2504 D. G.
Col d'Anayu 2325
Vallee aragonaise au pied du col frontiere . . 2045
Collada de las Casetas 2190
Caseta d'Insola, cabane 1920
Col sur une sierra secondaire 1970
Source de la vallee de Lestrelle 1460
Col de Paralon. . . 1695
Punta de Zoriza, pic 2215
Col rouge ou de Piedrafita 1985
Casa de la Mina 1280 2 obs. (La. \V.)
Pied du premier ressaut a l'E. de la Casa de
la Miua 1330
Pont dans le vallon d'Aguas Tuertae 1460
Collada del Ibon Viejo 1630
Ibon Viejo ou Liouvieil, ancien lac desseche . 1620
Cabane d'Espelunguere 1685
Col d'Estaens 1905
Lac ditEstaens ou l'Etang. ......... 1765 2 obs. (La. W.)
Col de Bernera 1970
Maison du cantonnier sur la route du Somport
(France) 1451 d, G.
Le Somport, col frontiere 1632 I. M.
Cabane d 1 A stun 176o
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454 SCIENCES ET ARTS.
L'Aragon au pied du ressaut du lac d'Astun. . 1800
Lac d'Astun (sup' ?) 2170
Col de Canauronye ou d'Astun 2245
Col de Peyreget 2300
Cabane Houns de Gabas (France) 1800
Cr6te en vue du Pic du Midi d'Ossau 2120
Pic du Midi d'Ossau 2885 D. G.
Gabas, hotel 980
Route d'Ossau, jonction du sentier d'lxege . . 782 D. G.
Cabane d'Izege 1640
Col d'Izege \ 1764
Pont sur le Vert au-dessus de l'Arette .... 448 D. G
Fontaine de Sencousse 495
Extremite de la route carrossable 565
Cabane de Chousso 840
Plateau de Suscousse 1155
Col de Tourume 1665
Col de la Peyre-San-Marti (pierre Saint-Martin) 1710 D. G.
Cabane de Guliers 1370
M. de Saint-Saud. — (Aragon et Catalogne.) — Baro-
m6tre holostSrique de 7 cent, de Naudet. — Septembre
1883.
I. — De Gavarnie au rio Ginca, par le Sarrablo et le Somontano
(Du 12 au 18 septembre 1883.)
Gavarnie, hdtel des Voyageurs 1846 P. Ch.
Ruine de la cabane des Soldats 1890
Rocher de Peyrelade, base du port sur le ver-
sant francais 2030
Port de Boucharo 2255
Plana de la Pazoza, base du port sur le ver-
sant espagnol 1965
Boucharo 1826
Pont de Techelle ou de Sta-Helena 1295
El Puente Nuevo 1195
Rocher et prise d'eau de la Zute ....... 1080
Pont des Navarrais 1064
Chapelle de San-Antonio 1025
Torla, casa Viu 1081
Broto, pont 895
Oto, bas de la Tour et casa Laguua 905
Confluent du rio Forcds et de l'Ara 825
Bergua, village 1025 5 obs. (Sa Schr.W.)
Ermita de San-Marc6s 1345
El Cuezo occidental (sierra de Fenez) 1608 A Sa.
Colladeta del Cuezo- Fenez 1525
Fanlillo, haineau 1105
Urus, hameau. 980
Le rio Basa en bas de San-Julian 920
Ermita de Ballaran 1045
Colladeta de Ballaran. . 1345
Alto de Ballaran 1505 A Sa.
Alto de la sierra de Urus 1515
6 obs.
(Sa
)
P. Ch
3 obs.
(B.
Sa.
Schr.)
P. Ch
8 obs.
(Sa
Schr. W.)
3 obs.
(B.
Sa.)
2 obs.
(Sa.
)
P. Ch.
2 obs.
(Sa.)
P. Ch.
P. Ch.
2 ■obs.
(Sa.
W.
)
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RELEVtiS 11YPS0METRIQUES. 455
Colladeta de Picarbiello 1410
Tozal de Picarbiello 1522 A Sa.
Ceresola, hameau 1125
Bescos, hameau 1050
Villacampa, hameau . 1040
Gillue, hameau; celui du bas 980 2 obs. (Sa.)
Secorun, village 1075 3 obs. (Ca. Sa.)
Le rio Guarga, entre Secorun et Cafiardo. . . 975
Cafiardo, hameau 1050
Col du Plan de Ler 1745 2 obs. (Ca. Sa.)
Tozal de Gabardon, ou La Pinales 1802 A Sa.
Laguarta, hameau, casa de D. Jose Villa-
campa . . . 1175
Le rio Guarga, entre Laguarta et Secorun.. . 1005
Cuello Sarrablo 1482 A Sa.
Pardina de San-Juan. 1110
Le rio Alcanadre, en bas de Biban 1090
Biban, hameau 1165
Alastrue, hameau 1230
San-P61iz, hameau 1050 2 obs. (Sa.)
Bagiieste, hameau; Teglise 1247 A Sa.
— casa Allue 1225
Tozal de las Forcas, sierra de Balcez 1551 A Sa.
Sommet de la sierra . . ._ 1565 A Sa.
Paso de Alconata 1450
Alto de Alconata 1478 A Sa.
Cerro de la sierra de los Juncos 885
Le rio Isuela en bas de Alberuela 515 2 obs. (Sa.)
Alberuela-de-la-Liena, village 635 2 obs. (Sa.)
Adahuesca, bourg 645
Pont de Buera sur le Vero 500
Buera, village 580
Alto de la sierra de Salas 755 A Sa.
Ermita de N. S. de la Candelaria 660 A Sa.
Salas- Altas, village, casa Mur-Castillon. ... 545
Salas-Bajas, village 495
Torrent en bas de Burceat 385
Burceat, hameau 450
Cregenzan, village 470 5 obs. (Laf. Sa.)
Le rio Cinca, au bac de Estadilla 320
Estada, village, casa Damaso 868 C. F.
II. — Du Ginca a la Noguera Ribagorzana et retour a Broto
(Du 19 au 28 septembre 1883.)
Estadilla, pueblo de 425 a 485 2 obs. (Ca. Sa.)
Pefia de la Palomera, sierra de la Carrodilla. . 970
Tozal de Artigali de Lucas 1052 A Sa.
Tozal de Campo Labasa 1105 A Sa.
El Campo Labasa 1035
Mofiero 1 , signal geodesique dans la sierra de
la Carrodilla 1108 I. M.
Fontaine et mare de Ard6s 800
Calazanz, pueblo, casa Coll 754 2 obs. (Ca. Sa.)
Mas Nou, sur le chemin du San-Quilez .... 785
1. Appele a tort Bufiero par l'lnstitut statistique et geographique de Madrid.
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456 SCIENCES ET ARTS.
Ermitage et montagne de San-Quilez 1090 A Sa.
Base orientale de la m^rae montagne 830
Fuente Redonda 740
Estopiflan, pueblo 750
Paso de Guar dias 795
Moulin de Penavera, sur le rio Guart ou
Cajicar 555
Fet, village, casa Venasque 790
Colladeta de la Cruz de Sarradets 860
Ermita de San Antonio de los Mases de Burg. 1035
Col des Mases de Burg 1085
Monsech de Aragon 1819 A Sa.
Chiriveta, hameau 676 A Sa.
Gue de Monrreveig, sur la Noguera Ribagor-
zana 485
Alsamora, village, casa Aljarre 880 2 obs. (Sa.)
Le Coll de Ares .. 1505 2 obs. (Sa.)
Le Monsech Central, signal geodesique. . . . 1677 I. M.
El Granct, passage dans la cr£te 980
La Clua, hameau 755
Castisent-de-Dalt, petit hameau, 805
Tossal Gros de Castisent 1694 A Sa.
El Puente-de-Montaflana, pueblo, pont sur la
Noguera 545 3 obs. (Ca. Sa.)
Montafiana, village, porche de l'eglise .... 630
Le sender en bas de la Mora. 795
Ermita de la Pallera 955
El Puyol-de-Monesma , hameau , casa San-
Roca 1160
Tozal de Monesma, ermitage et ruines .... 1281 A Sa.
Las Abadias-de- Monesma 1055
Las casas de Noguero 1030
Cajicar, hameau, porche de l'eglise 1040 A Sa.
Le torrent en bas deSan-Esteban-del-Mall. . . 885
San-Esteban-del-Mnll, village, porche de l'e-
glise 1045 A Sa.
Pont sur Tlsabena en bas de la Pobla-de-
Roda 725 2 obs. (Ca. Sa.)
Roda, bourg, casa Vicen Bonet . 900 A Sa.
Le barranco Gardison en bas de Roda .... 725
Casa de Espuyes 920
Casa Collan-de-Giiel ." 925
Roca de la Virgen , dans les Morrones de
Gael 1401 A Sa.
Tozal de Santa- Quiteria 1455 A Sa.
Abenozas, hameau 1075
Santa-Liestra, village, pont et moulin sur le
rio Esera 536 C. F.
La Espluga do Caballera, hameau 650
Caballera, hameau, porche de l'eglise 865
Colladeta de San-Lorenzo 1005
Troncedo, hameau 1010
Station topogr. en bas de Troncedo 936 A Sa.
Salinas-de-Trillo, hameau 820 environ.
Eglise de la Virgen de Bruis 685
Le rio Usia, en bas de Elumo 610
Elumo-de-Palo, hameau 630
Casas de Ministerio 870
Colladeta de Ministerio 907
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RELEVtiS HYPSOMtiTRIQUES. 457
La Corona 750
Pont en bas de Gerbe, sur le rio Nata .... 535
Gerbe, village 575
Bonaston, hameau 615 2 obs. (Sa.)
Confluent de l'Ara et du Cinca 540 C. F.
Boltafia, petite ville ; la place 660 8 obs. (Sa. Schr. \V.)
Meson de Latre 780 3 obs. (Sa. W.)
Ltfbelilla, hameau 710 6 obs. (Sa. Sch. W.)
Pont de la Estacion 700
Pont de Fiscal 771 10 obs. (Sa. Schr. W.)
Meson de Asin 800
Pont de Broto 895 0. F.
Nota. — Les altitudes suivantes ont ete
obtenues au moyen d'observations barome-
triques faites par l'abbe don Pancrazio
LAFITA, a Barbastro, et communiquees par
lui a M. de Saint-Saud. Les divers itineraires
indiques sont toujours rattaches par leurs
deux extremites a Barbastro, bibliotheque de
l'abbe (raerae altitude que la gare) 330 C. F.
I. — De Barbastro a Graus
Costean (fond du barranco de), sur l'ancien che-
min de Graus 338 2 obs. (Laf.)
Enate (moulin de) 350 C. F.
Auberge sur l'ancien chemin de Graus. . . . 405
San-Roque (la route au bas de rErmitage de). 660 2 obs. (Laf.)
La Puebla-de-Castro 655 2 obs. (Laf.)
Graus, casa de Bullou, l or etage 486 projet de route.
El Grado, le pout 888 C. F.
Alveo Barranco, avant et pres de celui de Cos-
tean 325
Sommet du chemin du Grado a Barbastro, entre
le Cinca et le Vero 395
II. — De Barbastro a Costean
Alto de la Serreta. . 410
Barranco de la Serreta, traversoe du sentier. . 340
Alto dela 2« sierra 410
Costean, presbytere 415
III. — De Barbastro a Hoz
Hoz, le presbytere 680 5 obs. (Laf.)
IV. — De Barbastro a Gregenzan et a Guardia
Alto de Cregenzan • 445
Barranco de Cregenzan ~. 410 3 obs. (Laf.)
Guardia 510 4 obs. (Laf.)
Cregenzan 470 5 obs. (Laf.)
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(58 SCIENCES ET ARTS.
V. — De Barbastro a Ponzano
Chemin del Pueyo devant la maisonnette du
cnntonnier 435
Ponzano, casa Rivera 520 2 obs. (Laf.)
VI. — De Barbastro a N.-S. del Pueyo
Chapelle de San-Jose, sur le chemin 490
N.-S.-del-Pueyo, la cure 583
VII. — De Barbastro a Bierge
Bierge, le presbytere 565 6 obs. (Laf. a.)
VIII. — De Barbastro a Coscojuela-de-Fantova
Barranco de Coscojuela 465
Coscojuea-de-Fantova, presbytere 610
Soinmet du chemin entre Coscojuela et Guar-
dia 530
IX. — De Barbastro a l'Ermita de la Carrodilla
Estada, presbytere et bas du pueblo ..... 330
Ermita de la Carrodilla 785
Estadilla, porte des ecoles et bains 415 2 obs. (Laf. Sa. )
X. — De Barbastro a Buera
Huera 490 2 obs. (Laf. Sa.)
XI. — De Barbastro a Naval
Naval, presbytere 610
Ermita de N.-S.-de-los-Dolores 790
M. Schrader. — (Aragon et Gatalogne.) — Barom&tre
holosterique de 5 cent, de PSrillat. — Du 8 au 15 aoftt et
du l cr au 7 septembre 1883.
Gavarnie, hotel des Voyageurs. ....... 1346 P. Ch.
Prairie au-dessus des Entortes ? . 1665
Source au bas du port 1965
Port de Boucharo ou de Gavarnie 2255 P. Ch.
Broto 895 P. Ch.
Sarvise 86014obs.(B.Le.Sa.Schr.W.)
Col de Cajol 1580
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RELEVKS UYPSOMETRIQUES.
459
Cajol, village 1350
Semolue, village 1340
Giral, village 940
Lacort, hameau de Abella 720
Meson de Latre . . * ... 780
Au pied du barranco de Santa-Maria 610
Boltafia , .
Dans le vallon de Merlera, dernieres maisons 1170
Col de Morillo 1171
Cime de San-Vicente 1332
San- Vicente, hameau 845
La Buerda, village 585
Gue du Cinca 550
Cajigosa, hameau 740
— , station 740
El Pueyo-de-Araguas, village 725
Torrelisa, hameau 945
San-Victoriano, hameau 1114
Lacort-de-Foradada, hameau 920
Col de Foradada 1020
Sommite au sud du col c 7 e Foradada 1180
Campo, bourg 738
Gorge de los Congustos, point le plus eleve
du chemin 1085
Rocher de Bentamillo 1030
Le sender a 1' entree de la plaine del Run. . . 945
Castejon-de-S6s 942
Sahun, a 20 metres en contre-bas et vis-a-vis . 1090
Eriste (au niveau de) 1128
Anciles 1140
Benasque (Venasque) 1163
Castejon-de-Sos, ville; la place. 942
Bisauri, village 1144
San-Felice, porche de l'eglise 1450
Partage des eaux entre l'Esera et Hsabena. . 1480
Espes-Alto, village 1 125
Station sur un cerro a l'Est de Espes 1488
Confluent des .torrents de Espes et de las
Paules 1210
Fond de la crevasse de Tlsabena au pied du
barranco Salado 1170
Col a la tete du barranco Salado 1480
Mamelon au Nord du col precedent 1434
Bonansa, village, casa consistorial 1275
Estfoll (vis-a-vis de) 1220
■ Cires, hameau 1075
Pont-de-Suert, ville . . • .* 884
Pointe au nord de Pont-de-Suert 995
Llesp, pueblo (le torrent est a 30 metres en
contre-bas) 1025
Sarrahis (au pied de) 1085
Las Escabanasas 1120
Cardet (au pied de) ; le village est a 100 metres
en contre-haut 1125
Barruera 1145
Eril-Avall (au pied de) 1280
Caldas-de-Bohi, bains 1508
Lac de los Caballeros 1710
Plaine et fontaine de los Gavachos 1760
2obs. (Schr.W.)
5 obs. (Sa. Schr.-W.)
5 obs. (Sa. Schr. \V.)
660 8obs.(Ca.M.Sa.Schr.\V.)
A Schr.
A Schr. \V.
Projet de route.
C. F.
A Schr.
A Schr.
3 obs. (Sa. Schr.)
A Schr.
Projet de route.
C. F.
2 obs. (Schr.)
C. F.
C. F.
4 obs. (M. Schr.)
3 obs. (Schr )
A Schr.
A Schr,
3 obs. (Schr.)
11 obs. (Ga. Le. Schr.)
2 obs. (Schr.)
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460 SCIENCES ET ARTS.
Plaine au pied du vallon de Beciberri 1845
Au-dessus de la Pleta du Rio Malo 2090
Portde Caldas 2450 4 obs. (Ga.Le.P. Schr.)
Lac superieur de la Restenque 2210
Lac inferieur de la Restenque 1990 20 obs. (Le. Schr.)
Confluent a 600 metres du lac precedent. . . . 1940
Pont de Rieux 1640
Pont inferieur 1305
Artias, place 1140 P. Ch.
M. Wallon. — (Environs de Gauterets et fronttere de
Navarre.) — Barom&tre holostSrique altimetrique com-
pens6 de 7 cent, de Naudet. — 27 juillet au 30 aoftt
1883.
Cauterets, hotel d'Angleterre 926 P. Cn.
Bains de Laraillere . 1047 6 obs. (W.)
Pont de Laraillere - 978 D. G.
Grange de la Reine-Hortense . 1206 6 obs. (Sa. W.)
Plateau de Rigeu 1592 3 obs. (\V.)
Col de Riou, h6tellerie 1931 4 obs. (Sa. \V.)
Lescun, mairie 902 D. G.
Pont de Lescun 510
Pont du moulin de Lescun 835
Bifurcation des sentiers d'Ansabe et Larraille . 1185
Derniere cabane d'Ansabe. ., 1420
Fontaine d'Ansabe 1720
Cirque d'Esquesto, au pied du port d'Ansabe. . 1860
Port d'Ansabe, frontiere 2120 D. G. 40,000°.
Pic des Trois-Rois (punta de los Reyes). . . . 2434 A W.
Col de Larraille 2015 A W.
Lescun, mairie 902 D. G.
Bedous 435 2 obs. (W.)
Pont Suzon 390
Sarrance-Bas 363 D. G.
— , pont 370
Sarrance-Haut . . . • 370
Bains d'Escot 363
Pont d'Escot . . ., 340
Escot. 435
Lurbe 330 *
S.-Christau, bains 320
Point culminant de la route, au bois du Bager .445
Arudy, place de l'eglise 425
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RELEVES HYPSOM&TRIQUES. 461
NOUVELLE MfiTHODE
POUR LA
MESURE DES HAUTEURS PAR LE BAROMETRE
d'apbSs M. G. K. GILBERT
(2 d Annual Report of the U. S. Geological Survey for 1881,
pp. 405-566,*tfashington, 1882.)
Voici les traits essentials de cette methode :
On choisit deux stations destinies a servir de base, dont la
difference d'altitude (ligne de base verticale), determined par un
nivellement, est la plus grande possible, et dont la distance
horizontale est la plus faible possible. On fait chaque jour des
lectures barometriques, fr£quentes et synchroniques, dans les
deux stations. En m£me temps, on fait des observations sem-
blables dans la 3 e station dont on veut determiner l'altitude.
On ne fait pas d'observations pour determiner la temperature
de Fair et l'humidite\ Les lectures, corrigees pour 1'erreur de
1'index et la temperature du mercure, sont reunies en groupes
de trois, correspondant aux observations coincidentes des deux
stations de base et de la nouvelle station. On en deduit la hau-
teur approchee (A') de la nouvelle station et celle de la ligne de
base (B') 1 , en calculant comme si l'air etait sec et a 0°. Alors, si
la hauteur connue de la ligne de base est B, la hauteur vraie (A)
de la nouvelle station est donnee par la proportion :
- = - (I)
B A [l)
car le poids W de la colonne d'air comprise entre les deux sta-
tions de base, determine par le barometre, est egal au produit
de la density moyenne (d) de la colonne, multiplied par la hau-
teur (B) et par une constante (E) :
W = dBE (2)
Et aussi, B' 6tant la hauteur approchee de la me" me colonne,
en admettant que sa densite" moyenne est la ni£me que si l'air
etait sec et a 0°, on a :
W = d' B' E (3)
1. C'est-a-dire la difference d'altitude des deux stations de base.
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462 SCIENCES ET ARTS.
d
ou
Ton
tire
[de
(2)
et
(3)]
B'
B
d
Le rapport de la hauteur approch£e (B') a la hauteur vraie de
la ligne de base est par consequent une mesure de la condi-
tion temporaire de la colonne d'air de la ligne de base relative-
ment a la densite. De m&me, le rapport correspondant tie la
hauteur approchee (A') a la vraie (A) de la nouvelle station me-
sure la mSnie condition relativement a la densite* pour la colonne
comprise entre la nouvelle station et la station inferieure de la
ligne de base, et de la on tire F equation (1).
Dans liquation (I), il est admis que la condition temporaire
des deux colonnes d'air est identique, c'est-a-dire que les acci-
dents temporaires de temperature et d'humidite* afFectent les deux
colonnes de la m6me maniere. Dans la pratique, la compari-
son entre la hauteur calculee et la hauteur vraie de la ligne de
base donne un coefficient qui exprime les variations locales
temporaires de la density, et on T applique a la determination
simultanee de la hauteur de l'autre colonne d'air, laquelle est
comprise dans la premiere.
II est ais6 de transformer l'equation (1) pour la pratique. Si
L, U, N represented respectivement l'altitudo des stations
inferieure, sup6rieureet nouvelle (dans l'hypothese, bien entendu,
de L < N < U), et si /, u, n representent respectivement les lec-
tures barometriques synchroniques pour les stations correspon-
dantes, les hauteurs approch6es de la ligne de base et de la
nouvelle station seront exprimees, d'apres la loi logarithmique
connue, par les formules :
C (log / - log u)
Et C (log / — log n)
ou C est une constante. Substituant ces valeurs dans liqua-
tion (1), on obtient :
A — B l0g *~ l0gn
log / — log u
On tirerait de cette expression la hauteur cherchee, si la
vapeur d'eau 6tait Ggalement distribute et si la (olonne d'air
poss£dait une temperature uniforme. Comme cela n'est pas
vrai, il faut introduire une correction pour 1'effet de ces deux
causes. On le fait en admettant que la densi{6 thermique moyenne*
1. M. Gilbert, pour abregerle discours, designe sous le nora de thermiques les
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relevGs hypsomGtriques. 463
de la colonne d'air entre la station de base inferieure et la nou-
velle station est 6gale a celle de la couche d'air situSe a la
moitie de la distance verticale qui les sSpare. et dont I'altitude est
N 4- L
— - — . De m&nie la density thermique moyenne de la ligne de
base est considered comme etant la mfime que celle de la cou-
che d'air situee a I'altitude — - — . L'espace vertical entre ces
deux couches intermSdiaires est :
U + L N + L U — N B — A
2 2 2 ~~ 2
On trouvera la difference entre ces deux densites moyennes
en multipliant le nombre des unites compris dans cet espace
vertical par l'augmentation thermique de la densite pour chaque
unite" de cet espace vertical. L'augmentation de cette densite ther-
mique 6tant conside>6e comme uniforme a partir du niveau
du sol, on peut supposer qu'a une certaine hauteur (appe-
lons-la — ), son effet accumule* atteintun chiffre e*gal a la density
au niveau du sol, ou qu'il devient egal a l'unite* lorsqu'on Tex-
prime en termes de la density initiate.
L'augmentation thermique de la densite pour chaque unite de
D 2
l'espace vertical est alors exprimee par 1 : — ou rr, et l'expres-
sion pour la difference entre les densites thermiques moyennes
devient :
B — A 2 _ B — A
~~2~~ X D — — D~~
Cela denote la fraction par laquelle cette augmentation ther-
mique de la densite afifecte les densit6s relatives de B et de A ;
cela exprime aussi la fraction par laquelle I'altitude deduite A
est affected par la variation thermique de la densite. La correc-
tion est par consequent
A (B — A)
D
L'hypothese, admise en commengant, de l'uniformite de tem-
perature et d'humiditS, rendait la densite trop grande, et, par
facteurs dependant collectivement de la temperature et de l'humidite; il nomine
augmentation thermique V augmentation ascendante de densite qui leur est due,
et densite thermique la densite qu'ils etabliraient par eux-memes.
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.464 SCIENCES ET ARTS.
suite, 1' altitude trop faible. II en resulte que la formule complete
doit etre :
A = B lQ g [ - lo S n , A (R - A)
_ log / — log u D
II est aise de modifier cette formule pour l'adapter au cas ou
les hauteurs relatives des trois stations (L < N < U) ne sont
pas disposees de la maniere supposee plus haut.
Quant a la constante D de l'equation ci-dessus, il faut la
2
determiner experimentalement ; comme on Fa vu, rr- est laug-
mentation de la densite thermique pour l'ascension d'une unite
d'espace, et — est la distance verticale a laquelle l'augmentation
totale atteint l'unite. D doit par consequent &tre exprime en
unites de longueur semblable a celles dont on s'est servi pour
exprimer A et B, et est fonction de la distribution verticale de
la chaleur et de l'humidite dans l'atmosphere. D represente par
suite une quantite perpetuellement variable dont on ne peut
obtenir qu'une valeur moyenne. L'auteur propose, pour deter-
miner cette valeur, d^ppliquer la formule au calcul d'altitudes
deja connues, etde deduire de la la valeur de D, ce qui donnera
le meilleur resultat moven. Cette determination a ete essayee
au moyen de plusieurs altitudes connues : et il est rtisulte de ces
calcul s que la valeur de l'augmentation varie dans des limites
tres etendues, pour des heures du jour differentes et des saisons
differentes. La valeur moyenne accept^e est de 490,000 pieds
anglais = 149,349 metres, de sorte que la formule est :
Afcnmctrcc)-B l0g/ ~ l0g . n + A (B ~ A)
A (en metres] - U log/ _ log - w + 149)349
Les variations de la pesanteur sent negligees a cause de la
maniere sensiblement egale dont elles affectent a la fois la
colonne-elalon et la colonne dont on opere la mesure.
II requite des exemples donnas par Tauteur que sa methode
donne, dans de bonnes conditions, des resultats dont la preci-
sion est bien superieure a ceux qu'on obtient par la methode
ordinaire.
Des discussions etendues et dingenieux tableaux graphiques
completent cet important travail.
(Extrait, traduit et analyse de Y American Journal of science, 3 8 serie, vol.
XXIV, pp. 404 407, 1882, par Emm. de Margerie.)
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MISCELLANIES
ANN U AIRE DB 1883.
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MISCELLANIES
EXCURSION OE TROIS MONTAGNAROS PYRENEENS
DANS LES ALPES FRANQAISES
ASCENSION DE LA MKIJE EN UNE JOURNEE.
Lorsque j'arrivai l'ete dernier en Oisans, accompagne corarae
toujours de mon ami Jean Bazillac, il y avait plus de trois ans
que la Meije ne s'6tait laisse escalader. La veille encore, une
tentative dirigee par deux guides de Ghamonix ' avait echoue.
Mais comme elle etait le but avoue de notre voyage, nous n'etions
pas disposes a lacher prise volontiers; au besoin,nous pouvions
lui consacrer un siege en regie de quinze jours. Gaspard pere,
avec son plus jeune ills Maximin, commandait la caravane, a la-
quelle nous avions joint Celestin Passet, notre guide habituel des
Pyrien6es : il etait assez bon montagnard pour meriter de se me-
surer avec les Alpes, et nous voulions qu'il put de>elopper, a
l^cole de Gaspard, des qualites de guide de premier ordre. Celui-
ci lui avait fait bon accueil, l'entente la plus parfaite r6gnait
dans notre petite troupe ; tout nous promettait une heureuse
campagne.
Entrained par Tascension des Fetoules (3,465 met.) et celle du
Plaret (3,570 met.), nous 6tions installed au Chatelleret, atten-
dant que le soleil eut fait fondre la neige qui, recemment tom-
bee en grande quantite, interdisait toute tentative serieuse. Le
jeudi 26 juillet, le temps parut favorable, et, des 1 h. du matin,
on fit les preparatifs du depart.
II serait inutile de raconter cette ascension, copiee sur un iti-
ntoire deja parcouru quatre fois, si elle ne presentait une par-
ticularity importante, c'est d* avoir 6t6 effectuee tout entiere en
un seul jour. A Tavenir, Gaspard ne veut pas faire autrement.
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468 MISCELLANIES.
Ainsi, plus de nuit terrible a redouter : le lit de camp du Cha-
telleret remplace la corniche du glacier Carre. Peut-6tre cette
perspective sera-t-elle de nature a attirer a Tune des montagnes
les plus belles et les plus originates des Alpes un plus grand
nombre de visiteurs.
L'air etait vif et le ciel encore plein d'etoiles quand nous fer-
mames derriere nous (3 h. 35 min.) la porte du refuge : le gla-
cier des Etancons fut rapidement enleve et, a 5 h., nous arri-
vames a l'extremite* inferieure du promontoire. Les debuts furent
lents, car il fallut tailler des marches dans la glace des couloirs
et prendre garde au verglas des rochers, ce qui est peu de chose
enmontant, maisdevient plus grave lors deladescente. Nous lais-
sames cependant, pour &tre plus lestes, trois de nos piolets sur
cinq; fort heureusement, nous ne deviohs pas commettre sur la
pente du glacier Carre la m£me maladresse que quelques jours
plus tard au col des Ecrins.
Nous mimes 2 h. 25 min. a gravir la grande muraille. L'em-
ploi de la corde, que nous avions neglige trop souvent dans les
Pyrenees, m6me pour des escalades hasardeuses, nous donnait
une s&urite' qui doublait notre hardiesse, et nous montions avec
entrain , partageant notre admiration entre les fantastiques
escarpements de la montagne et l'adresse inoule de Gaspard.
Tout hardi grimpeur qu'il est, notre brave Celestin etait emer-
veille et ne s'en cachait point. Sur la corniche du glacier Carre\
on nous nous reposames 40 min., je recueillis, outre le myosotis
nana, d6ja signale par MM. Salvador de Quatrefages et Guillemin,
de nombreux echantillons de ranunculus glacialis a fleurs blan-
ches. Le glacier Carre\ dont la neige avait la consistance voulue,
n'offrit aucune difficulte : je n'en dirai pas autant des rochers
du pic proprement dit, recouverts d'un manteau presque inin-
terrompu de verglas.
Ce fut a 1 h. 35 min. que, apres avoir escalade le terrible mur
de la fin, nous atteignimes le sommet on nous attendait le plus
sublime des spectacles.
Pas un nuage au ciel, pas une brume a l'horizon. Du Mont-
Blanc au Viso, du Cervin a l'Olan, des Grandes-Rousses aux Alpes
Maritimes, nos regards 6merveill6s flottent au hasard de notre
imagination surexcitee. C'est feerique et defle toute description.
La cime est couverte d'une Spaisse couche de neige sous la-
quelle sont enfouies les pyramides de nos devanciers. II fait tr6s
froid, aussi a peine sommes-nous au but depuis un quart d'heure
qu'il faut partir.
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EXCURSION DE TROIS MONTAGNARDS PYRtiNtiENS. 469
Engourdis et glacis par le vent du Nord, nous franchissons
avec peine le premier escarpement : reste le dernier, Gaspard se
voit oblige de sacrifier un morceau de la corde supplemental.
A 3 h. 30 min., nous achevons la traversee du glacier Carre\ ayant
cherche en vain dans les rochers du Pic du Glacier, et sur les
indications d'un croquis contenu dans le registre de la Berarde,
les couvertures abandonnees en 1879 par MM. Pilkington et
Gardiner. Nous repartons a 4 h. 5 min., cette fois pour ne plus
nous arrSter, car, si nous pr&endons arriver au Ghatelleret, il n'y
a pas une minute a perdre.
Malgre" ses corniches vertigineuses et ses couloirs a pic, la
grande muraille est descendue sans encombre, en juste autant
de temps qu'il nous en a fallu pour l'escalader.
Quand nous passons a cdte de la pyramide Duhamel, la teinte
melancolique du soir envahit deja les valines. Peu a peu le soleil
disparait, les ombres grandissent. Nous avons beau faire, grace
au verglas la nuit nous devance dans les derniers corridors du
promontoire, et, pour comble d' ennui, des brumes epaisses nous
enveloppent, nous ravissant jusqu'a la lueur indecise des etoiles.
Desormais, il fait aussi noir que dans un four : nous avons bien
une lanterne, mais elle nepourrait eclairer suffisamment la route,
et sa lumiere vacillante serait plus dangereuse qu'utile.
Quoique, dans ces rochers, une chute pouvant avoir des conse-
quences graves ne soit guere a redouter, la marche y est terri-
blement p^nible ; on n'avance qu'a tatons, en trelmchant et en se
heurtant rudement a chaque pas. Personne n'est fatigue, et pour-
tant, chaque fois que se rencontre quelque 6troite plate-forme,
plus d'un propose d'y camper pour y attendre le jour, tant il
semble insense* de poursuivre.
Tout a coup, Maximin et Bazillac, qui marchent en t6te, bon-
dissent en arriere en m6me temps que nous entendons rouler
une avalanche de pierres. Ceci se passe au sommet d'une mu-
raille a pic de sept ou huit metres ou se trouve Tunique pas-
sage. Pour descendre, il faut s'engager d'abord sur des blocs qui
chancellent et dont on ne voit seulement pas le point d'appui.
Cette fois, les plus determines croient la partie perdue, mais
Gaspard ne veut rien entendre. Admirable d'audace, d'adresse et
de sang-froid, il maintient a bras-le-corps une pierre enorme qui
menace de balayer le couloir, et dirige la plus difficile manoeuvre
qu'il soit possible d'executer. Je ne raconterai pas comment
nous parvinmes tous sains et saufs, par une obscurite complete
(il £tait 9 h. 30 min.), en bas de cette chemin6e, deja difficile en
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470 MISCELLANIES.
plein jour. 11 y eut dans cet Episode draniatique de notre des-
cente des moments de veritable angoisse.
Tout finit bien, grace a Dieu : le reste n'est plus qu'un jeu, et je
passe les derniers incidents. Bientdt, les piolets abandonn£s le
matin sont retrouv^s; la lanterne est aliunde sur le glacier des
Etanc,ons que nous descendons au pas de course, et, a 10 h.
40 min., nous rentrons triomphants au Chatelleret apres une
absence de plus de dix-neuf heures.
Quand, autour du poele flambant joyeusement, nous songea-
mes a nous detacher de la corde qui nous liait depuis de si lon-
gues heures dans une Stroite solidarity, il sembla que ce fut avec
regret que chacun reprenait sa liberty. Puis des tasses d'un the
parfume* et authentique, savamment dose* et pr6par6, firent ou-
blier les Spreuves de la journee : on but a la Meije, on 6changea
ses impressions, et il 6tait plus d'une heure quancl nous nous
d6cidames a prendre un repos bien gagn6, mais dont aucun de
nous ne ressentait le besoin.
La Meije me>ite sa renommge. Mais si penible, si difficile qu'en
soit Tascension, surtout a cause de sa duree sans trfive ni repos,
il faut reconnaitre qu'elle est une ennemie loyale : peu ou point
de pierres qui roulent sur la t6te ou glissent trattreusement sous
le pied, point de saillies perfldes qui cedent sous la main, point
de danger cache* ou imprSvu. Aussi, me faisant l'avocat de la
Meije, me hasarderai-je a 6mettre le vceu qu'elle reste toujours
telle que Ta faite la nature. Ne faut-il pas laisser quelques efforts
a faire aux alpinistes de l'avenir? DJautant plus qu'il ne manque
pas dans les Alpes de belvederes aussi superbes et plus faciles a
conque>ir.
Index
Du Chatelleret au promoutoire rocheux I h. 25 min.
Du promontoire a la pyramide Duhamel 2 10
De la pyramide au glacier Carre 2 25
Traversee du glacier Carre. . , 35
De la sortie du glacier au sommet 1 35
Total 8 h. 10 min.
Du sommet au glacier Carre 1 h. 30 min.
Descente du glacier 15
Du bas du glacier a la pyramide Duhamel ... 2 25
De la pyramide au Chatelleret (en partie de uuit) i 10
Total 8 h. 20 min.
soit en tout : 16 h. 30 min. de marche, arrets non compris.
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EXCURSION DE TROIS MONTAGNARDS PYREN12ENS. 471
l'ajgujlle du plat et les ecrins.
Revenus le 27 juillet a Saint-Christophe, nous mgntames le
28 a 1' Aiguille du Plat (3,602 met.). A part les derniers rochers
que recouvre un verglas perfide, elle ne presente aucune diffi-
culte serieuse, au moins quand on y monte directement par
Saint-Christophe; au contraire,- par le vallon de la montagne
des Etages, c'est, nous dit Gaspard, une petite Meije.
Deux chamois nous avaient precedes au sommet, et aussi les
nuages. Les premiers avaient bien vite deguerpi, mais non les
seconds, et nous eumes le regret d'etre a peu pres complete-
ment priv6s d'une vue merveilleuse.
Le 30 juillet, nous transportames nos penates au chalet du
Carrelet.
Au choix excellent de leur emplacement, toujours a proxi-
mite sufiisante tant des buts a atteindre que des lieux de ravi-
taillement, s'ajoute dans les refuges du Dauphine un vrai confor-
table d'amenagement et de mobilier. Quelle difference avec les
Pyrenees, on l'absence m6me d'un simple abri expose les tou-
ristes qui entreprennent une campagne de longue haleine a
plus d'6preuves et de fatigues qu'on n'en rencontre dans les plus
rudes ascensions des Alpes !
Au Carrelet, nous fimes de la villegiature : reduits par la
neige au repos le plus complet, nous vecumes pendant quatre
jours un peu a la Robinson, et ce sSjour, qui n'etait point denue
de charmes et de pittoresque, comptera dans nos meilleurs sou-
venirs.
Le vendredi 3 aout vit enfin notre perseverance recompensee.
Partis a 2 h. du matin, nous atteignlmes la cime des Ecrins a
11 h. 20 min. Par malheur, le temps, fort beau d'abord, s'etait
gate; la neige fit de nouveau son entree en scene, en sorte
que nous n'aperc,umes entre les nuages que des fractions ad-
mirables, mais insuffisantes , du panorama sur lequel nous
comptions.
Tout ce qu'on a dit de pire de l'ar^te orientale, par ou s'effec-
tua le retour, nous parut au-dessous de la realite : je lui pre fere
vingt fois les plus mauvais rochers de la Meije. Ce qui prouve
qu'elle se presentait ce jour-la dans des conditions particuliere-
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472 MISCELLANIES.
ment deTavorables, cest qu'il nous fallut pres de trois heures
pour atteindre le glacier Blanc en tournant la bergschrund. De la
jusqu'au col des Ecrins, le parcours est merveilleux. Tout ce cdte
Nord de la montagne est incomparablement plus grandiose que
le versant meridional ; seulement on enfonce a chaque pas dans
la neige jusqu'au genou quand ce n'est pas davantage, et l'as-
cension par cette voie doit 6tre d^sesperante.
D'abord tres lente, a cause de la forte inclinaison du couloir
de glace qui oblige en commenQant a prendre les roches escar-
pees de la rive droite, la descente du col des Ecrins faillit se ter-
miner beaucoup trop rapidement, ainsi qu'on va le voir. Ayant
regagne le couloir, nous avions pense* pouvoir risquer une glis-
sade, lorsque, des le debut, allant trop vite, je tombai dans les
jambes de Gaspard et le renversai, entrainant toute la caravane
dans une degringolade £pouvantable de plus de deux cents me-
tres. Pr6cipit6s les uns sur les autres dans un p61e-m61e inexpri-
mable, roulant avec une vitesse vertigineuse et to uj ours crois-
sante sur une pente de neige durcie de plus de 40°, nousullions
tout droit nous engouffrer dans une large et profonde crevasse
qui coupait la ligne de chute. Apres plusieurs essais infructueux,
je croyais tout iini, quand, faisant une tentative d6sesperee et
que je sentais, quel qu'en fut le r6sultat, devoir 6tre la derniere,
je saisis frenetiquement a deux mains le fer de mon piolet et je
le plantai dans la neige. Au m&me instant, par un bonheur pro-
videntiel, Gaspard, qui etait au-dessus, en faisait autant, et nos
efforts combines resistaient aux saccades terribles qu'impri-
mait a la corde le poids de nos trois compagnons. II n'etait
que temps : Bazillac, a moitie 6tourdi et qui arrivait bon pre-
mier, la t6te la premiere, n'etait plus qu'a quelques metres de
Tabime.
Quand tout le monde fut remis sur pied et les chapeaux ainsi
que le piolet de Bazillac recueillis au passage, nous tournames
la crevasse, qui avait Fair de nous regretter, et nous gagnames
gaiement la Berarde (7 h.), trouvant calomniee la fameuse mo-
raine de la Bonne-Pierre.
Deux caravanes nous y avaient pr6c6d£s : dans Tune se trou-
vait une jeune fille, une Francaise, qui allait, elle aussi, vaincre
les Ecrins. L'autre 6tait compos^e du guide Roderon et de
M. Leser, un de nos collegues, qui attendait que l'engagement
des deux Gaspard avec nous fut expire* pour livrer a la Meije
un deuxieme assaut qui devait cette fois Gtre couronne* de
succes.
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EXCURSION DE TROIS MONTAGNARDS PYRGNtiENS. 473
Index
Du Carrelet au col des Avalanches 3 h. 50 min.
Da col au glacier Sud 2 25
De l'extremite inferieure da glacier au sommet. 1 40
Total 7 h. 55 min.
Du sonmet au col des IScrins 4 h. 05 min.
Du col a la Berarde 2 45
Total 6 h. 50 min.
soit 14 h. 45 min. de marche sans arrets.
LES AIGUILLES D'ARVE. — LE MONT-BLANC.
Des le lenrlemain de notre ascension aux Ecrins, nous pas-
sames la Breche de la Meije (3,369 met.) par un assez mauvais
temps et nous descendimes a la Grave. La, il fallut nous separer
de Gaspard et de Maximin; les adieux furent tristes, car nous
6tions devenus amis; aussi, en se serrant la main, sepromit-on
de bon coeur de se revoir.
Nous etant reposes toute la journee du dimanche, qui passa
trop vite dans la contemplation des glaciers de la Meije etin-
celant sous un ciel splendide, nous repartimes le lundi, a midi
seulement, avec Pierre Dodde comme porteur, Celestin se trou-
vant eleve a la dignite* de guide-chef.
Apres avoir depasse le premier tunnel de la route du Lautaret,
nous remontames sur la colline de Ventelon et nous entr&mes
dans le vallon de Valfroixle qui devait nous conduire au col Lom-
bard. Si, quand on le redescend, on jouit d'une vue splendide
sur les glaciers de l'Oisans, ce vallon, lorsqu'on le remonte,
n'offre d'abord a la vue rien de bien s6duisant : des prairies, des
champs, des hameaux qui ressemblent aux villages des Pyrenees
espagnoles.
Quand on a gravi, apres trois heures de marche environ, un
escarpement rocheux, qui a d'abord l'air d'un col, et qui est le
seuil d'un vallon sauvage, origine de la vallee inferieure, mais
avec une direction presque perpendiculaire, le paysage devient
triste et austere. A gauche, le Bee de Grenier; a droite, la cr6te
sombre du Goleon; en face, vers le Nord, se dressent en enfi-
lade, escarp^es et sinistres, les trois aiguilles d'Arve. Traversant
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474 MISCELLANIES.
la partie inferieure du glacier Lombard qui monte a gauche jus-
qu'aux aiguilles de la Saussaz, nous nous arr^tames a dix mi-
nutes au-dessous du col Lombard, dans un Hot de rochers
on se trouve le refuge.
Une deception nous y attendait : impossible d'occuper l'abri,
presque combl6 par la neige ; les ustensiles de cuisine £taient
rouill6s, les couvertures moisies. La plaque d'une compagnie
«r assurance contre Pincendie qui s'6tale complaisamment sur la
porte nous fit Teffet d'une mauvaise plaisanterie. Pourtant, en
cherchant bien, nous trouvames un peu de bois ; une plate-forme
fut construite a l'abri d'un gros rocher, une*tente dressee a
l'aide des couvertures, et la nuitse passa tantbien que mal. Nous
revames que nous 6tions dans les Pyrenees.
Le reveil fut mauvais, car le temps ne valait rien. Le vent qui
avait gemi toute la nuit redoubla de violence, et ce fut tout juste
si nous punies escalader la corne Sud de l'aiguille septentrionale.
Prenant en 6charpe les eboulis et les neves qui aboutissent au
col Lombard, nous etions parvenus au col des Aiguilles d'Arve
par un tres mauvais couloir situ£ tout a fait contre les murailles
de l'aiguille septentrionale. II etait tout entier de glace dure,
balaye" continuellement par des chutes de pierres et coupe vers
son milieu par un mur de glace absolument vertical de deux
metres de haut. Celestin s'y comporta vaillamment : personne
ne manie le piolet plus vigoureusement que lui.
Chassis par les nuages, sans avoir eu le temps de voir par on
montera la pointe lapluseleveede notre aiguille, nous redescen-
dimes sur la cr6te ou nous avions laisse Dodde, et tentames de
la tourner par l'Est. II fallut pour cela descendre tres bas du cdt£
du vallon des Aiguilles, puis, remontant a l'espece de col qui les
separe a TEst de l'Aiguille de TEpaisseur, attaquer l'ar^te orien-
tale excessivement raide. Celestin, qui s'etait hiss6 tres haut, en
^claireur, garantissait le succes, lorsque les nuages nous enve-
lopperent de plus belle : Forage menacant de se mettre de la par-
tie, la retraite s'imposa. La pluie nous accompagna tout le long
du vallon des Aiguilles d'Arve jusqu'aux chalets de Bonne-Nuit.
La, le soleil reparut, mais trop tard. A Valloire, nous quittames
Dodde et nous continuames tous les trois notre route jusqu'a
Saint-Michel-de-Maurienne.
Quatre jours apres, nous terminions notre trop courte cam-
pagne par Tascension du Mont-Blanc.
Ce ne serait pas un adversaire bien redoutable si on ne consi-
derait que les difficultes de Tascension au point de vue de la
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PIERRES A BASSINS DE LA VALLEE DE CHAMONIX. 475
gymnastique : mais, a cause du froid qui y regne, des temp&tes
qui s'y dechainent, souvent invisibles de la vallee, il n'est pas
permis d'en parler trop legerement, comme on serait d'abord
tent6 de le faire.
Nous quittames les Grands-Mulets le samedi 1 1 aout, vers 1 h. du
matin, avec Alfred Gouttet, notre fidele Celestin et un porteur. Au
Grand-Plateau, le vin blanc d'Asti ne coulait plus de nos outres;
aux Bosses, par — 9°, il 6tait change en pierre. Ce fut par un
vent furieux, et en rampant pour ne pas 6tre enleves, que nous
gravimes l'arSte des Bosses et gagnames le sommet. A travers
les brouillards que le vent faisait tournoyer, les montagnes du
Dauphin^, de l'ltalie et de la Suisse apparaissaient par instants
livides et blafardes, semblant aller et venir comme des fantd-
mes. Le thermometre marquait 15° au-dessous de z6ro, et le vent
faisait rage.
Nous ne fimes que passer, nous dirigeant vers le Corridor. Jus-
qu'au bas du mur de la C6te, il y eut un tres mauvais moment
a passer au milieu d'une vraie tourmente de neige. DegelSs peu a
peu, nous rentr&mes aChamonix en m&me temps qu'une caravane
anglaise qui, moins heureuse que nous, avait du retrograder aux
Bosses, a peu pres au moment ou nous avions atteint le sommet.
Telle fut notre premiere campagne dans les Alpes. Nous en
sommes revenus avec un sentiment profond d'enthousiasme, et
la ferme intention d'y retourner.
On a souvent essayS de comparer les Pyrenees aux Alpes. A
quoi bon ? Elles ne se ressemblent pas du tout, et je declare que,
mSme au sommet du Mont-Blanc, nous avons donne sans
rough* un souvenir au Mont-Perdu.
Henri Brulle,
Membre du Club Alpin Fran<jais
(Section du Sud-Ouest).
PIERRES A BASSINS DE LA VALLEE DE CHAMONIX
Ayant pris part a la reunion et aux courses du Club Alpin dans
les vallees de Samoens et de Sixt, arrive a Chamonix je consa-
crai deux jours a reunir des renseignements sur la topographie
et Thistoire de cette vallee, htstoire que j'avais ebauchee en pu-
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476 MISCELLANIES.
bliant les deux volumes de documents recueillis par feu M. Bon-
nefoy, notaire a Sallanches. M. Venance Payot, le naturaliste bien
connu, m'ayant signale* Texistence aux Houches de pierres a bas-
sins ou ecuelles qui lui avaient ete indiquees, mais qu'il n'avait pu
examiner, je me rendis chez notre collegue M. l'abbe* Lombard,
cure* des Houches, qui m'avait deja fourni des notes interessantes
sur Chamonix. Sur sa demande, la fille ain£e de D6sailloux, le
seul habitant de la partie des Houches ou devaient exister ces
pierres a bassins, voulut bien servir de guide a M. l'abbe Orsat,
cure* de Servoz, et a moi. Un peu avant d'arrrver au pont des
Gurres, sur la rive droite de l'Arve, nous quittames la route de
Chamonix a Sallanches pour nous engager au milieu des roches
et des buissons de ce pays accidente ou j'avais peine a suivre
notre guide dans sa marche rapide. Au-dessus de la route, la
roche est polie sur des espaces tres Stendus et garde encore la
trace tres nette des stries tracees par le glacier dans sa marche.
Leur direction va de bas en haut, indtquant ainsi tres nettement
le relevement des glaces par suite du retr^cissement de la val-
ine; un peu au-dessus sont des roches moutonnees dont la sur-
face tres fruste n'a pas garde trace de stries.
Nous arrivons a la maison de Derail loux, a Pravesin (Pra ve
Esin) ; sa fille nous offre gracieusement une hospitality que le
temps dont nous disposons ne nous permet pas d'accepter. Tout
aupres sont de nombreux et Snormes blocs erratiques cubant de
70 a 100 metres cubes, connus dans le pays sous le nom caracte-
ristique de pierres des fe'es. « C'est la, nous dit notre guide, que se
rSunissaient les sorciers et se tenait le sabbat ; sur plusieurs de
ces pierres, on a vu des traces de pieds de divers animaux :
ane, cheval, chevre, etc. » Mais vainement, pour satisfaire notre
curiosity, s'elance-t-elle avec agilite* au sommet des principaux
blocs, elle ne peut retrouver les vestiges dont la croyance po-
pulate admet l'existence sans la discuter et sans la verifier.
Continuant a descendre la vallee, nous arrivons au lieu dit la
Roche, ou le pere D^sailloux gardait des moutons; celui-ci nous
repete a peu pres ce que sa fille vient de nous dire relativement
au groupe de blocs erratiques que.nous venons de visiter. II nous
conduit ensuite vers les pierres a bassins, qui lui sont connues
depuis longtemps, mais auxquelles il ne parait pas attacher la
m6me id^e de merveilleux. Elles sont au nombre de trois, assez
rapproch^es.les unes des autres, appartenant toutes a la m£me
nature de roches, gres houiller schisteux, d'un gris de fer, a
grains fins et homogenes, qui se trouvent en couches puissantes
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PIERRES A BASSINS DE LA VALLEE DE CllAMONIX. 477
au col de la Forclaz et aux Houches (note de M. Pillet sur un
echantillon que j'avais d^tache de Tun de ces blocs.) Quatre bas-
sins ou ecuelles sont creuses dans ces trois pierres : le premier,
dans une roche qui nous parait Gtre en place, est ovoide et raesure
m 27 sur m 20, avec une profondeur de m 20 ; il est dune regula-
rity parfaite et d'un poli acheve\ Les trois autres sont creuses dans
deux blocs erratiques de forme arrondie. Le second, place* au mi-
lieu d'un bloc, mesure m 45 de diametre sur m 30 de profondeur;
il est parfaitement rond, tres regulier et poli, mais presente
quelques traces d'£rosions sur les bords. Le troisieme occupe Tun
des bords du m6me bloc qui a ete" casse (il n'en reste environ
qu une moitie); sa dimension est plus considerable et depasse
pour la partie qui reste m 50 en diametre et en profondeur. Le
quatrieme, seul sur le second bloc, est beaucoup plus petit que
les precedents; ce n'est tres probablement qu'un bassin ebauche"
plutdt qu'une ecuelle ; de forme ovoide, mais plus regulier que
les autres, il mesure m 12 sur O m il, avec une profondeur de
m 05. Notre examen acheve, nous recherchons sans succes aux
alentours quelques traces de travail sur les roches voisines, et
descendons ensuite sur Servoz, apres avoir remercie notre guide
et son pere. M. le cure m'a signale depuis lors l'existence d'un
bassin decouvert par lui sur un rocher au-dessus de Servoz.
L'emploi de ces bassins, ou le but dans lequel ils ont ete creuses
par 1'homme, n'a pas encore £te determine avec quelque cer-
titude, bien qu'ils aient ete signales et etudies par un grand
nombre de personnes l .
Leur existence a ete" indiqu^e sur un grand nombre de points
de la Suisse et de l'Europe septentrionale, et g£n£ralement sur
des blocs erratiques qui n'ont pas ete" deplaces de leur position
primitive.
Les cavites regulieres, h6misphe>iques ou ovo'ides, tres variables
dans leurs dimensions et dans leur nombre, sont g6ne>alement
placees a la partie superieure des blocs, se rencontrant cependant
aussi bien sur les cdtes que sur la partie supe>ieiire. Parfois, ils
sont aligned et groupes regulierement, reunis par des rainures figu-
rant des triangles et desxroix; parfois associes a d'autres signes
graves, tels que des cercles, des rayons ou des spirales; on les
1. Materiaux pour Vhistoire de Vhomme, 1870, page 506, et 1872, page 353,
Pierres a bassins du Morvan; 1872, page 73, et 1879, page 97, Pierres a bassins de
laLozhre. — Dbsor, Les Pierres a e'cuelles, Geneve, 1878, avec quatre planches.
— Le docteur Faurkl, Les Pierres et les Bochers a dcuelles et a bassins de I' Alsace,
dans le Bulletin de la Society d'histoire naturelle de Colmar, 1879-1880.
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478 MISCELLANIES.
trouve aussi sur les parois de roches en place et sur les monu-
ments m6galithiques. Ges bassins, creuses de main d'homme,
portent gen£ralement des noras particuliers ou figurent des fees,
des dames, des paiens, des geants, des sorciers ou des diables.
Les idees superstitieuses qui s'y rattachent, leurs denominations,
a peu pres les m6mes partout, semblent contirmer l'hypothese
d'une destination religieuse. On les appelle chaudrons des sor-
ciers, et Ton a pretendu y trouver la forme du pied du diable; les
croyances populaires les associent aussi a Tidee de reunion du
sabbat ou synagogue. On les a divis£s en bassins sur rochers en
place (rochers a bassins), sur blocs isol6s, sur des tables ou au-
tels druidiques (pierres a bassins), ou ecuelles sur blocs erratiques
(pierres a Ecuelles, godets ou fossettes), sur rochers en place (ro-
chers a Ecuelles). Desor pensait que ces pierres a bassins avaient
un but religieux, prouve par les l^gendes et par la veneration dont
elles sont encore l'objet en plusieurs localites, ou que, marquees
de signes indel^biles, elles etaient destinies a rappeler certains
£venements et revelaient alors un caractere monumental etsacre.
Elles ont £galement £te* considered comme ayant servi a des
usages domestiques, soit a conserver des liquides, soit a broyerdes
matieres alimentaires. La tradition populaire y voit des autels
paiens ou des. pierres a sacrifice ; les cavites auraient -servi a
recevoir des offrandes, Teau de pluie consacree ou le sang des
victimes. Dans lavallee de l'Arboust, au coeur des Pyrenees, elles
continuent a 6tre venerees malgre' les efforts incessants du clerg6
qui, dans bien des localites, a essaye* de transformer le culte dont
elles £taient l'objet en y tracant ou plagant des croix. Quant a
l'age de ces monuments, on considere comme plus anciens les
godets isotes ou relies par des rainures, et comme plus recents
ceux qui sont accompagn^s de dessins plus compliques; sur
les dolmens et les monuments m^galithiques dont on a pu fre-
quemment etablir la contemporaneite, ils disparaissent avec
I'apparition de figures attestant un certain art. La pliipart des
arch6ologues admettent que les megalithes de l'Europe appar-
tiennent a l'epoque de la pierre polie, et que les cannelures, les
anneaux concentriques et les dessins archa'iques associes aux
plus regents rappellent ceux reproduits sur les armes, les parures,
les ustensiles et les poteries de l'age du bronze. Disons a ce
sujet que Desor relate vingt experiences qui prouvent qu'il est
plus facile de creuser des cavites de ce genre avec les ciseaux de
silex qu'avec ceux en metal.
D'apres Desor, leur presence fait entrevoir un lien entre la
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ERREURS GfcOGRAPHIQUES. — LES MONTS FAUCTLLES. 479
plupart des peuples prehistoriques de l'Europe ; leur extension a
d'autres continents, et specialement en Asie,fournit unepresomp-
tion en faveur d'une parente primitive, une confirmation de
rhypothese qui place nos origines dans les montagnes de l'ln-
doustan. Gelles que nous venons de signaler a l'entr^e de la
vallee de Chamonix appartiendraient a l'epoque la plus ancienne
de ces monuments, et les premiers habitants de cette vallee au-
raient ete les hommes de l'age de la pierre.
A. Perrin,
Membre du Club Alpin Francais,
President de la Section de Chambery.
ERREURS GCOGRAPHIQUES. — LES MONTS FAUCILLES
Dans le premier volume de YAnnuaire du Club Alpin francais
(1874), M. Francis Borson, alors colonel d'etat -major, a consa-
cr6 un important article a decrire les erreurs nombreuses, et as-
sez graves pour 6tre qualifies d'incroyables, qu'a entrainees la
denomination de Mont-Iseran appliqu^e a un col de la Savoie.
Apres avoir rappele* que le mot montagne ou mont n'est pas tou-
jours applique* a une sommite, et pris pour exemple le Mont-
Genis (on pourrait en citer bien d'autres dans les Alpes), cet ecri-
vain distingue* enumere les auteurs qui ont 6t6 induits en erreur
par cette locution inexacte : il nomme en particulier l'ingenieur
Borgonio, avec sa carte publi6een 1683; Albanis Beaumont et sa
Description des Alpes Grecques et Cottiennes, publtee en 1806; le
celebre colonel Goraboeuf, du corps des ingenieurs geographes
francais; le corps de l'fitat-major sarde; M. Elisee Reclus dans
son etude g6ographique de la Savoie; M. Th6ophile Laval-
tee, etc., etc. Ces erreurs n'ont ete* rectifiers que par FAlpine
Club d'abord, en 1862, et ensuite par Tfitat-major francais, qui
a execute" en 186i un nivellement soign6 de cette region. C'en
est fait : il n'y a plus de Mont-Iseran.
II existe quelque chose de semblable dans la region qui forme
le domaine de la Section vosgienne.
Je veux parler de la pr6tendue chaine de montagnes qu'on ap-
pelle les monts Faucilles. On applique ordinairement cette
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480 MISCELLANEES.
denomination a une region tres m6diocrement 61evee aa-dessus
du niveau de la mer, qui s'etend du pied des Vosges au plateau
de Langres, et qui forme ainsi la limite Nord du bassin secon-
daire de la Sadne, et, par consequent, du bassin primaire du
Rhdne. Rien, absolument rien, ne peut meriter a cette bande de
terrain la qualification de montagnes. Le point culminant, qu'on
appelle la T6te-Haute, n'est qu'a 504 met. au-dessus dela mer;
cette altitude n'a pu Stre cotee qu'une seule fois dans la region,
et c'est assurement estimer tres haut que de porter la hauteur
moyenne de cette ligne de faite a 450 met.. Si, d' autre part, on
remarque que le fond des grandes valines, c'est-a-dire les points
les plus de^primes du pays, sont cot6s jusqu'a 350 met. et plus,
on peut en conclure que le relief de cette prStendue chaine de
montagnes est bien faible.
D'ailleurs, les pentes du terrain, qui est presque enlierement
de l'etage triasique, y sont extrSmement douces. Pour en donner
une id£e, il suffira de rappeler sur quelle vaste 6tendue on trouve
ces mares ou 6 tangs auxquels on donne le nom (Veaux indtcises,
parce que le premier coup d'oeil ne suffit pas pour faire juger si
elles s'Scoulent par le Rhin dans la mer du Nord, ou par le
Rhdne dans la Mediterran£e. Les travaux publics executes dans
ce pays prouvent aussi le peu de d6clivite* du sol. Les chemins
de fer de Nancy a Gray, et de Nancy a Chalindrey, et le canal
de la Moselle a la Sadne, traversent cette region suivant des
directions presque perpendiculaires a celle de la ligne de faite,
et n'ont cependant donne lieu a aucun de ces ouvrages extraor-
dinaires que n^cessitent les contr^es a pentes abruptes. La facility
de l'ex6cution du canal avait d6ja frappe l'administration ro-
maine des Gaules, car Tacite (Annates, livre XIII, § 53) rapporte
que les lieutenants de Neron avaient voulu creuser cette voie de
communication pour faciliter le transport des armies par le
Rhdne et la Sadne sur la Moselle et le Rhin, et de la sur la mer
du Nord. Si ce travail resta a cette Spoque a l'6tat de projet,
cela ne tint nullement a la difficulte du terrain, mais a des con-
siderations politiques que l'illustre historien romain expose tout
au long. De nos jours, on a realise* cette conception sans grands
efforts.
On voit done que ni Televation du terrain au-dessus du ni-
veau de la mer ni la raideur des pentes ne mSritent a la region
en question le nom de montagnes. Les collines escarp^es du
terrain jurassique qui marquent en Lorraine chacun des Stages
oolithiques par un ressaut brusque et abrupt, et forment ainsi
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ERREURS GtiOGRAPHIQUES. — LES MONTS FAUCILLES. 481
de veritables chalnes dont le relief au-dessus des plaines voisines
est de plus de 200 met., c'est-a-dire plus que double de celui des
pretendus monts Faucilles, sont certainement bien plus dignes
que ceux-ci d'etre d6cor6es de ce titre; et cependant persoiine
ne songe a les designer autrement que sous le nora de collines.'
En ceci, on a certainement raison; mais, pour rester dans la ve-
rity il faudrait attribuer au pays dont je m'occupe ici la quali-
fication de plaine tlevee.
Cela pos6, quelle peut etre la raison pour laquelle on a suivi
Fusage contraire et impose a cette contree le vocable monts ? II
est clair que cela ne peut tenir qu'a cette circonstance qu il sert
de limite a l'important bassin du Rhdne. D'anciens g^ographes,
mal renseignes, ont sans doute" pens£ qu'un aussi grand fleuve
doit avoir un bassin delimits de toutes parts au moyen de
veritables chaines de montagnes; et que le principal affluent
d'un cours d'eau qui prend sa source dans les plus hautes mon-
tagnes de l'Europe ne peut sortir d'une veritable plaine.
Une fois adoptee pour Fespace compris entre les Vosges et le
plateau de Langres, la denomination demonts Faucilles a donne lieu
a des erreurs de toutes sortes. On ne fit plus de cartes g6n£rales
de France sans representer en ce lieu une chaine aussi conside-
rable que celle des Vosges, ce qui contribua a fausser de plus en
plus les idees du public en general, qui connait mal ou point du
tout une region peu visited et peu frequentee. Mais les habitants
du pays, qui savent bien qu'il n'y a la qu'une plaine un peu
haute, n'ont pu Stre victimes de cette erreur : ils ne Font evit6e
que pour tomber dans une autre presque aussi considerable et
assurement aussi difficile a deraciner. Invite" un jour par un in-
specteur primaire a visiter avec lui Fecole d'un village des Hautes-
Vosges, je fus tr£s surpris d'entendre les Aleves, sans Hve repris
par Finspecteur ni par leur maitre, appeler monts Faucilles une
portion integrante de la chaine des Vosges, c'est-a-dire le chai-
non qui, se d^tachant du ballon d'Alsace, court vers le Nord-
Ouest, forme le cdte Sud-Ouest de la vallee superieure de la Mo-
selle et se termine aux environs de Remiremont. Je m'informai,
et j'appris que plusieurs ouvrages etementaires de geographie,
et, a leur suite, beaucoup d'habitants de la contree avaient trans-
port^ cette designation a ce chainon des Vosges, qui n'a rien de
particulier au point de vue geologique ni au point de vue geo-
graphique, et qui n'a pas plus besoin d'un nom special qu'aucune
autre portion de la chaine principale. Ajoutons qu'au contraire,
-ce chainon se relie parfaitement au reste de la qhaine, dont on
ANNUAIRB DB 1883* 31
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482. MISCELLANIES.
pretend le distinguer, par deux circonstances principales : la
composition mine>alogique du sol forme" par la roche sy£ni-
tique, et le nom de ballon que portent plusieurs de ses princi-
pales sommit^s : le ballon de Servance, le ballon Saint-An-
toine, etc., comme les sommets voisins de la grande chaine qui
sont aussi formes par la syenite.
Tant il est vrai qu'on avait besoin d'appliquer a de vraies
moulagnes ce nom invents par des personnes e'trangeres au
pays!
Mais les geographes qui publient des descriptions generates
de la France continuent toujours a appeler monts Faucilles la
region designee ainsi par la carte de Tfitat-major et qui s'etend
de la fin du chainon dont il vient d'etre question jusqua la val-
ine superieure de la Meuse qui la s^pare du plateau de Langres.
Ainsi A. Joanne (Dictionnaire de la France, verbo Faucilles) de-
crit cette contree d'une manure fort nette, et fait remarquer.
avec raison que ce pays, tout deprim6 qu'il est, fait partie de la
grande ligne de faite qui partage l'Europe entire en deux ver-
sants, Tun au Nord, l'autre au Sud. M. filisee Reclus (Nouvelle
Giographie universelle, tome II, page 813) d^signe tres claire-
ment la m£me region sous le nom de monts Faucilles ; cepen-
dant, trompe probablement lui-m6me par le mot, il accorde a la
ligne de faite un relief de deux ou trois cents metres sur les val-
ines environnantes, ce qui, comme on vient de le voir ci-dessus,
est trois ou quatre fois trop. Le reste de cette courte description
est exact. M. Albert Dupaigne, dans son beau livre les Montagues,
s'etend complaisamment sur la description des montagnes fran-
chises : il ne prononce mSmepas le mot de Faucilles; il a parfai-
lement raison, puisque son ouvrage, n'Stant destine qu'aux mon-
tagnes, n'a pas a s'occuper de ces tr6s modestes collines.
1 II est done bien certain qu'a propos de la region des Faucilles,
"comme a propos du Mont-Iseran, et sans doute encore de bien
d'autres lieux, la locution fausse a faussS bien des id£es et donn6
lieu a jdes erreurs qu'il sera bien difficile d'extirper completement*
car la denomination que je combats tend assur^ment a se per-
petuer plutdt qu'a disparaitre.
~ II n'est pas rare qu'un cours d'eau important, comme la Sadne
ou la Meuse, prenne sa source dans une plaine; mais une cir-
"constance plus remarquable encore, dont on trouve un exemple
^interessant dans la chaine des Vosges, et qui a donne lieu,
« comme celle sur laquelle je viens de m'Stendre, a bien des er-
reurs gSographiques, e'est le cas de rivieres n6es dans les
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ERREURS GtiOGRAPHIQUES. — LES MONTS FAUCILLES. 483
plaines, et qui traversent ensuite une region montagneuse dans
des vallees profondes qui la percent de part en part et perpen-
diculairement a la ligne de faite ; de sorte que la ligne de partage
des eaux est parfaitement distincte et mfime assez eloigned de
cette ligne de faite. C'est ainsi que la riviere de Zorn franchit le
faite des Basses-Vosges aupr6s de Saverne ; la Zintzel (qui tombe
plus bas dans la Zorn), a Dossenheim; la Moder, aupres dlng-
willer; le Rothbach, aupres du village du mSme nom; la Zintzel
(qui se jette plus bas dans la Moder), a Zinswiller; le Falken-
steinerbach, pres de Niederbronn ; le Sauerbach, non loin de
Woerth ; la Lauter, pres de Wissembourg. Dans toute cette vaste
Vendue de terrain, la falaise du gres vosgien, qui limite la plaine
d'Alsace, forme la ligne de faite ; et comrae les affluents du Rhin
que je viens de citer prennent leur source assez loin en arriere
dans la plaine, il s'ensuit qu'une partie des eaux qui s'6coulent
a la surface du sol commencent, a partir de cette cr£te, par cou-
rir de l'Est a l'Ouest, pour revenir ensuite de l'Ouest a l'Est
quand elles ont rejoint ces rivieres.
Le mfime fait se produit, en direction inverse, dans la chalne
de la Forfit-Noire, situ£e en face des Vosges, de l'autre cdte* du
Rhin. .
Beaucoup de g^ographes considerent cependant 1'arSte prin-
cipale des Basses-Vosges comme la limite du bassin de la Mo-
selle, et dessinent leurs cartes en consequence, sans s'occuper
de la veritable ligne de partage des eaux, qui ne forme qu'un
relief insignifiant dans la plaine de la Lorraine. lis propagent
ainsi des erreurs qui ne sont pas sans consequences, et qu'ils
devraient plutdt combattre.
Le Club Alpin pourra rendre de veritables services a la
science, en s'attachant a relever les id£es erron^es que Ton
trouve reproduites dans les livres, et qui se transmettent d'un
ouvrage a l'autre; il en reconnaitra l'existence par l'etude pa-
tiente et attentive des faits, et par la comparaison des descrip-
tions imprimis avec le champ de ses excursions.
LUCIEN ROUSSEL,
Membre du Club Alpin Franrais
(Section des Vosges).
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484 MISCELLANIES.
OU PIRCE AU CAIRE
LA TRAVERSEE.
Le 23 Janvier 1882, le docteur Cohadon et moi, apres avoir
passe* quelque temps a Athenes, reprenions le chemin du Pir6e
pour rejoindre le bateau ggyptien a destination d'Alexandrie.
Le Mahala, transport de guerre kh^dival, est un veteran des
guerres turco-russes, qui a rapports de ses campagnes blessures
et horions. Les soldats de l'equipage spnt en haillons, et les
passagers du tillac, parmi lesquels se trouvent de nombreux
pelerins grecs en route pour la Terre-Sainte, ont Fair miserable
et deja extenue\ lis font leur cuisine chaque jour sur de petits
braseros de forme gracieuse, et tous les soirs se glissent pele-
mSle, au milieu des volatiles vivants qui les accompagnent comme
provisions de route, sous des tapis ou des couvertures de nuances
fines et gaies : un lit par famille, telle est la r6gle. Rien n'est
plus int^ressant que de contempler — de loin — les granges
usages des singuliers compagnons que le hasard nous a
donnas.
Quand nous atteignimes le pont, apres force bousculades sur
rSchelle d'embarquement, il presentait un aspect des plus com-
pliqu^s : ce n'etait qu'un enchevfitrement de caisses, barriques,
sacs, balles, par-dessus lesquels une foule grouillante et sale
criait et gesticulait. Apres avoir essaye\ sans y reussir, de
trouver un asile sur le gaillard d'arriere, nous nous refugi&mes
du cdte* de l'avant, malgre l'odeur infecte d'un troupeau de che-
vres entass£es dans l'entrepont. Enfm, quand les passages furent
deblaySs, nous primes possession de nos cabines.
L'endroit reserve' aux passagers de choix paraissait, a cdte du
reste, d'une proprete exquise, d'un luxe royal, et, les nababs des
premieres etant en petit nombre, nous pumes obtenir une cabine
pour chacun de nous.
A peine 6tions-nous installed que le capitaine vint nous pre-
senter ses hommages avec toute l'humilite et l'obsequiosite*
orientales; c'6tait un caboteur levantin, crasseux et graisseux,
qui nous offrit, en m6me temps que sa passerelle, quelques bil-
lets d'une loterie a son benefice. Les lots se composaient de
divers objets en ambre qu'il rapportait de Constantinople. Nous
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du pir6e au caire. 485
accept&mes la passerelle avec mille courbetles, remerciements,
protestations, tout en renvoyant aux calendes grecquesla question
des billets. Le second etait un jeune Triestin, parlant fort bien
francais. L'autre officier 6tait arabe, un pauvre Arabe doux, mo-
deste, obligeant; il n'Etait point, certes, vStu comme un prince
des Mille et une Nuits, son uniforme Etait troue comme le dra-
peau d'un brave regiment; mais il Etait allE jusqu'a Marseille,
et il cherchait a nous tEmoigner sa sympathie en repEtant, en
vrai perroquet, quelques mots de provencal qu'il avait retenus
de son expedition. Le mEcanicien, enfin, Etait Anglais.
L'Etat-major, le gar$on de salle et le cuisinier etaient coiffes
du tarbouche comme fonctionnaires Egypliens.
A une heure, le bateau largue ses amarres, 1'hElice commence
ses Evolutions, et nous quittons le Piree par un beau soleil re-
pandant sur Athenes et TAcropole le plus vif eclat. Les yeux
fixEs sur la silhouette aerienne des temples, nous nous eloignons
de l'Attique. Les PropylEes et 1'ErechthEion disparaissent tout
d'abord; les colonnes du Parthenon, semblables aux cordes
d'une lyre antique, s'effacent a leur tour; nous sommes une fois
de plus entre le ciel et Teau.
Apres avoir dEpassE Tile d'^gine, le navire met le cap au Sud-
Est et glisse paisiblement sur une mer clemente; et nous, eten-
dus sur les fauteuils en osier de la dunette, nous nous abandon-
nons a Find^finissable plaisir de nous sentir entralnes vers cette
figypte ou nous avons tant hate d'arriver.
Mais le dieu qui se rit des estomacs humains veut nous faire
une penible route ; il excite les sombres nu6es, precipite la nuit
du ciel, et Euros se heurtant a Bor6e nous tire brusquement de
notre douce extase... II nous faut beaucoup d'Energie pour re-
pondre a l'appel de la cloche qui annonce le diner.
Avec le capitaine au haut bout, nous sommes six convives ; les
deux autres, que nous ne connaissons pas encore, sont un Grec
de Thessalie et une vieille Anglaise faisant le tour du globe en
compagnie d'un bain de siege monumental. Le diner est bon, et
se passe le mieux du monde, a notre grand etonnement.
A Tissue du repas, le capitaine nous quitte en nous jetant
comme adieu un : Bel tempo, Signori, qui ne trouve aucun Echo
dans nos cceurs. En effet, la pluie tombe, le vent redouble, et la
vieille carcasse khedivale se tremousse et danse un cavalier seul
qui nous lance impitoyablement les uns sur les autres. Nous
nous blottissons pres de la machine et, sous nos plaids d'alpi-
nistes, nous nous disposons a passer la nuit au grand air, in-
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486 MISCELLANIES.
siruits par l'exemple d'un imprudent dont la mesaventure £gaie
notre misere. A neuf heures cependant, mouille, transi, je n'y
tiens plus el t malgre la terreur que m'inspire ma cabine, je m'y
prgcipite t£te baiss^e, en tr^buchant, et me jette tout habille sur
ma couchette. Le navire tangue et roule, le vent meie ses sifile-
menls aux grondements de l'h£lice hors de Feau, les lames
gemissent contre la coque qui flechit sous la pression, et des
tonneaux vides dans la cale dansent une sarabande effr^nee avec
un fracas de tonnerre.
Je me cramponne pour ne pas tomber, une sueur froide m'en-
vahit, je sens mon coeur faiblir; mais heureusement le sommeil
vient a mon secours : bientdt je suis plonge dans des r£ves
dorls, et je ne m'eveille qu'au jour dans la baie de Santorin.
— Sm, su, Signore, e Santorino; venga a vedere subito, » me crie
le gallon. Je me leve, je grimpe sur le pout, et voici l'^trange
spectacle que jai devant les yeux : tout autour de nous de hautes
falaises abruptes, couronnees ca et la de blanches maisons ter~
minees en terrasses ou en ddmes, et, au centre d'un lac d'eau
salee, notre vieux Mahala bien calme, bien sage, sur l'immense
plaine liquide.
Aucune passe n'est visible, le cirque semble ferme* de toutes
parts, et le port de Santorin accessible seulement aux longues
ailes des mouettes et des goelands. Jadis, dans une effroyable
convulsion, le noyau de Tile s'abima dans la mer, et il ne resta
de Fancien sol qu'une etroite bordure crevee en deux endroits
par les Hots et ne presentant qu'une cdte perpendiculaire heris-
see de roches volcaniques, de scories, et dechir^e par des coulees
tie lave du plus sombre aspect. En face de nous, a plusieurs cen-
taines de metres de hauteur, est perched la ville dont les mai-
sons presses se retiennent les unes aux autres pour Sviter une
terrible chute. Une rampe Etroite et a peine visible la relie a son
port circulaire.
Le vin et les fruits de Santorin sont estimes, mais pour nous
cette lie offrait un intent tout special. Le zele patriotique des
Lazaristes et des soeurs de charite y a fonde deux maisons d'edu-
cation tres frequences, et notre langue doit a ces ardents apo-
tres d'etre tres r^pandue, tres vulgarised dans toutes les
Cyclades.
Des que le navire eut termine son chargement d'oranges et de
vin, il quitta la baie, franchit la passe etroite, mais bientdt le
bruit de la chaine entrainee par l'ancre nous annoncait une
nouvelle station. « — Qu'y a-t-il ? — Pourquoi s'arr6te-t-on ? —
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DU PIRtiE AU CAIRE. 487
Sera-ce pour longtemps? » Le capitaine m'apprend enfin qu'une
chaudiere est bris£e, et que nous resterons en panne jusqu'a cinq
heures pour la reparer.
A cinq heures et demie, le Mahala reprend sa marche en avant ;
a six heures, le diuer sonne; mais nous ne dinerons pas aujour-
d'hui, la mer est trop mauvaise; enfin, a dix heures, on depasse
Candie et son mont Ida, ou grandit Jupiter. Aussit6t le temps
s'ameliore. Mon Dieu ! comme nous allons dorrair !
La blonde Aurore annoncait le troisieme jour de notre cap-
tivity, lorsque nous nous Sveillames tout joyeux. Le ciel 6tait
bleu, le soleil chaud et la mer presque d'huile; la brise chantait
dans les cordages, et la barque £gyptiennc avec ses deux chau-
dieres et tous ses feux filait huit noeuds a l'heure. Ge n'etait
assur£ment pas la vitesse d'un bon voilier, mais nous avancions,
et, en d6pit de la lenteur de notre marche, le capitaine nous
affirmait que nous serions le lendemain a I'aube devant Alexan-
dria Aussi 6tions-nous tout a la joie, et pour surcrolt de bon-
heur le diner etait excellent : du cary, des becasses, des asperges,
beaucoup de safran dans les sauces, et un petit vin de Grece aro-
matise* de refine et violet comme la robe d'un evfique. La soiree
fut chaude, lumineuse ; la lune daigna se montrer par6e a
l'orientale et nous passames de longues heures sur la dunette.
Le lendemain matin, helas ! quelle deception \ Les chaudieres
refusent tout service. On tend les voiles, mais le vent est de-
bout et nous reculons. « — Quando giungeremo, capitano ? —
Qiiando Bio vorra, Signore. » Et les matelots prient, se proster-
nent du cdte de la Mecque ou jouent au jacquet avec impassibi-
lity pendant que nous nous abandonnons au d^sespoir.
Ce vieux navire, depuis plusieurs ann^es en r^forme, elait
cense, chaque fois qu'il prenait la mer, faire sa derniere traver-
see ; mais il 6tait 6crit sur le livre de caisse du khedive qu'il
marcherait jusqu'a complet epuisement; ce moment 6tait venu,
et notre malechance avait permis que nous fussions t^moins de
son agonie.
Cependant le vent tourne, les voiles s'arrondissent, le navire
a boug6, nous avanc.ons. Bient6t la c6te d'Egypte sort des flots r
et Ton aper^oit une ligne gris&tre s'elevant a peine au-dessus de
la mer. Puis le phare, des minarets, la colonne de Pomp6e, des
palais, des moulins a vent, des palmiers deviennent distincts.
Alors, branle-bas general, on lave le navire, on hisse le pavilion,
les matelots astiquent les quelques boutons qui d^corent encore
leurs uniformes, et, a trois heures, sous les derniers efforts de
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488 MISCELLANIES.
l'helice epuis^e, nous franchissons la passe sem6e d'ecueils du
grand port egyptien. .
ALEXANDRIE.
De tous les ports de l'antique Alexandrie, celui de l'Ouest,
considerablement agrandi et embelli, est le seul praticable au-
jourd'hui. Mais les vapeurs de toutes les nations y fourmillent,
et c'est au milieu des paquebots elances et des bricks aux flancs
rebondis, pres d'une fregate egyplienne us6e et rapi^cee comme
lui, que notre vieux pyroscaphe jeta Fancre pour la derniere
fois.
A peine la chaine s'etait-elle deroulee que des centaines de
barques, semblables a des vautours guettant le dernier soupir
de leur proie, fondirent sur le navire et nous envoyerent par
chaque bout de grelin pendant a ses tlancs des nuees de bipedes
a moitie nus qui s'assurerent sur-le -champ de nos personnes :
les uns nous prirent par le bras, d'autres nous arracherent nos
bagages en se disputant leurs captures en francais, italien ou
anglais de mauvais aloi. Mais nous flmes un signe au drogman
de Th6tel Abbat, signe aussitdt compris qui fit lacher prise a nos
agresseurs, et, quelques minutes apres, une barque £l£gamment
pavois^e, conduite par des rameurs aux bras de bronze, nous
deposed t sur le quai de debarquement. La est la douane, la on
remet ses passeports et on distribue des bakchiches; ces forma-
lites une fois remplies, nous montdmes dans le break de Th6tel
qui nous entraina rapidement dans llnconnu.
La ville que nous traversions de toute la vitesse de nos cour-
siers arabes, apres avoir brille sous les Ptolemees d'un incompa-
rable £clat, apres avoir tr6ne comme la m^tropole du commerce
et des sciences, la cit6 des temples, des palais et des bibliothe-
ques, n'Stait plus, a l'^poque de I'expeVlition francaise, qu'une
miserable bourgade sans industrie, sans avenir. Mais la con-
qu^te de Bonaparte changea la face des choses, dirigea les des-
tinees de l'Egypte dans une voie nouvelle, et attira l'attention de
l'Europe marchande et savante sur la fertile vallee des Pharaons
et ses ruines pr^cieuses.
Aujourdhui, la filleule d'Alexandre, ayant vaincu son engour-
dissement seculaire, est redevenue le centre commercial de
l'figypte et la capitale des colonies europSennes. Elle est l'6den
des banquiers, des courtiers, des agioteurs juifs, grecs et euro-
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du pirGe au caire. 489
p6ens, qui y amassent en peu de temps d'^normes fortunes
d^pensees ensuite royalement.
Aussi, quoique la masse du peuple soit miserable, ecrasee
d'impdts, la vie est-elle chere en 6gypte, et l'6tranger voit son
or filer dans la boue ou la poussiere Sgyptienne avec la m6me
rapidity que sur l'asphalte de Paris.
On conceit qu'avec ces elements strangers, Alexandrie ait un
aspect moins oriental que cosmopolite. Les rues ont des noms, .
les maisons des numeros, les caleches et les fiacres circulent
partout, plusieurs quartiers riches ont ^te" pav£s aux frais des
commercants, et on s'imaginerait ais^ment visiter une ville fran-
chise ou italienne si Ton n'avait sous les yeux la foule bariol£e
des passants. Mais cette foule fait le charme d' Alexandrie, et
pendant que je me livrais a mes reflexions, mon compagnon, qui
pour la premiere fois mettait le pied dans une ville arabe, s'ex-
tasiait a chaque tour de roue. Toutes les races de l'ancien monde
Staient representees dans cette multitude pittoresque : Fellahs,
Arabes, matelots de tous pays, negres, Europeans, metis,
les uns noirs de peau, les autres bronzes, jaunes ou blancs ;
ceux-ci superbement drapes, ceux-la ayant le torse nu, ou seu-
lement un lambeau de vehement jete sur les 6paules. Puis
e'etaient, au milieu des magasins europeens, des boutiques mi-
nuscules comme on en voit tant a Stamboul, a Damas, au Caire,
remplies de riches merchandises d'Asie ou d'Afrique, ou encore
un changeur juif accroupi au coin d'une borne, offrant ses ser-
vices a tout venant ; des femmes voices, des chameaux age-
nouilles, et partout une cohue fourmillante, tapageuse, des cris
dont les aspirations et le son guttural nous £corchaient l'oreille,
un tumulte dtourdissant.
Bientdt lavoiture dSbouche sur une grande place, au centre de
laquelle se dresse, au m6pris des pr6ceptes du Coran, la statue
6questre de M6h6met-Ali. Cette place, dite des Consuls, est decor£e
de larges trottoirs, d'une double ranged d'arbres, de bassins, de
kiosques, et bordee de superbes boutiques europ^ennes et de cafes ;
la se trouventles consulats de France et d'Angleterre, et le Palais
de Justice. Mais ces hauts edifices, de style greco-italien, sont loin
de valoir, pour Pel^gance et la grace pittoresque, les maisons
arabes avec leurs sculptures, leurs moucharabi£s, leurs toits en
auvent et leurs facades peintes, Les colonnades et les frontons
ont cependant pr£valu et d£parent, avec beaucoup d'autres orne-
ments de mauvais gout, les constructions nouvelles.
A cdte de la place des Consuls est le square Ibrahim, vaste
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490 MISCELLANIES.
pare plein d'ombre et de fraicheur, oft s'eleve 1'hdtel franc.ais que
nous avons choisi.
(Test un palais que cet hdtel; dans les cours on ne voit que
marbre, faience, fontaines d'alb£tre, et partout de superbes
indigenes revGtus de longues chemises blanches, bleues ou rou-
ges, selon la mode du pays. Ces seigneurs s'emparerent de nos
bagages et nous accompagnerent dans nos appartements. Bientdt,
nous ressortlmes pour aller prendre nos lettres a la poste fran-
chise, flaner a l'aventure avant l'heure du diner, et corriger
notre demarche du delianchement lourd que le roulis lui avait
fait contracter. Mais la nuit vint nous surprendre et nous obligea
a rentrer avant que nous eussions pu faire connaissance avec les
quartiers avoisinants.
Apres diner, nous r£solumes, malgre la pluie qui tombait, de
faire dans Alexandrie une promenade nocturne.
La ville est 6clair6e au gaz et, comme je l'ai dit, les rues des
beaux quartiers sont pavees. Mais les autres, infiniment plus
nombreuses, se transforment par l'humidite en affreux cloaques,
dans lesquels, si on n'y prend garde, on enfonce jusqu'a mi-,
jambe.
En regagnant notre hdtel, crotteY jusqu'a la ceinture et mouilles
jusqu'aux os, nous nous heurt&mes a de nombreuses caisses
qui encombraient les trottoirs et repondaient aux chocs par des
soupirs et des grognements. Nous eumes bientdt le mot de
l'enigme. Dans chaque boite est un concierge, un vrai concierge,
qui couche en dehors de la maison au lieu de coucher en
dedans; e'est, en effet, la coutume a Alexandrie de faire cou-
cher dehors les gardiens des maisons, des docks et des ma-
gas ins.
Le lendemain, \e soleil d'Egypte, en nous rdtissant le cr&ne,
nous demontrait par un argument sans rSplique qu'il n'avait
perdu ni de sa vigueur, ni de son 6clat. La journ^e etait su-
perbe et nous en profit&mes pour visiter les monuments, les
promenades et les environs de la cit6 laborieuse.
Une rue bord^e de villas et une avenue plantee d'acacias et de
tamaris, boueuses, cahoteuses et marecageuses, nous conduisi-
rent a la colonne de PompSe par laquelle nous d£but£mes. Cette
colonne, ^lev^e ou restaur^e par un pr^fet de ce nom, est formee
d'un seul bloc de granit rose de Syene admirablement poli, et
atteint une hauteur de pres de 32 metres; elle aurait, dit-on,
fait partie d'une colonnade entourant le fameux S£rapeum, qui
etait, en mdme temps qu'un monument religieux, le sanctuaire
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DU PIBEE AU CAIRE. 491
de l'erudition et le siege de la tant regrettee bibliotheque; mais
il n'est reste* aucun vestige de ce prodigieux edifice, et, sur
l^norme emplacement qu'on lui assigne, s'eparpillent innom-
brables les blanches tombes d'un cimetiere arabe, dont le silence
n'est trouble que par les lamentations des femmes pleurant sur
leurs morts.
Le canal Mahmoudie, que nous vimes ensuite, relie le port
d'Alexandrie a la branche de Rosette; il fut restaure par M6he-
met-Ali et recut le nom du celebre et malheureux Mahmoud,
qui occupait alors le trdne des califes h Stamboul. Deux cent
cinquante mille fellahs, dit la chronique, en creuserent le lit,
et ces infortun^s, corv^ables jusqu'a la mort, y p6rirent par
milliers. Aujourd'hui, le canal est sillonne de lourds bateaux
marchands et de dahabies elegantes; sur les berges poussent
des dattiers, un fouillis de verdure, et la rive gauche, transfor-
med en une riante allee ombreuse, est devenue, malgre la boue
et les trous de la chaussee, la promenade dubeau monde alexari-
drin. D'opulents pachas s'y sont fait construire des maisons de
plaisance au milieu de frais jardins, et a travers le feuillage de
pi antes bizarres on peut apercevoir les facades peintes, les fen6-
tres grillees des harems et quelques eunuques noirs, massifs,
ridicules et fe'roces. Mais la plupart des villas sout veuves de
leurs hdtes ; ils font au Caire leur cour au vice-roi, et c'est en ete
seulement que les rives du canal brillent de tout leur 6clat,
quand le khedive vient chercher un peu de fraicheur au bord de
la mer.
L'aiguille de Cleopatre, voisine de l'ancien grand port, n'eut
jamais rien de commun avec la reine de ce nom. C'est un obe-
lisque qui decorait le temple du Soleil a Heliopolis et dont les
Grecs d^lexandrie ornerent le S^bast^ion 61eve en l'honneur de
Tibere. II porte le cartouche du puissant roiThoutmes III, iilustre
conquerant qui regnait a Thebes dix-sept cents ans avant notre
ere.
Pres de l'hfttel, un spectacle etrange nous etait reserve. Sur
le trottoir, un Arabe aux bras nus faisait des tours d'escamotage
avec une habilete tellement remarquable, que j'en restai long-
temps r^veur. Mais qui ne connait l'adresse de ces charmeurs,
psylles ou autres industriels de m£me genre, qui semblent avoir
de*rob6 aux fakirs de l'lnde quelques-uns de leurs secrets mer-
veilleux !
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492 MISCELLANIES.
D ALEXANDR1E AU CAIRF.
Le matin du jour suivant, nous visitames le pensionnat des
Freres de la Doctrine chretienne et des Lazaristes, ou ces excel-
lents religieux nous recurent tres amicalement ; puis nous times
nos preparatifs de depart pour le Caire. Nous bouclons nos va-
lises, courons a la gare, et le docteur chirurgien-mSdecin de la
voie nous invite a monter dans son compartiment reserve. La
gare, les wagons, les locomotives sont les mfimes que partout;
les billets sont imprimis en francais et en arabe, a notre grande
satisfaction ; il en est de m£me des avis, renseignements et indi-
cations. Le service est tres regulier depuis quelque temps, et si
je fais cette derniere restriction, c'est que, il y a peu d'aunees, les
pachas propriStaires d'immeubles le long de la voie faisaient sou-
vent stationner les trains devant leurs palais au mepris des regle-
ments et de la sScurite' des voyageurs. Le chameau etait a la veille
de reprendre son antique credit, lorsque les directeurs de l'ex-
ploitation purent mettre fin a ce dangereux abus.
A dix heures, le train s'6branle, il traverse sur une chaussee
le lac MarSotis peuple 'd'oiseaux d'eau, puis s'elance au milieu
des plainesfertiles.Aussi loin que le regard s'^tend on ne voitque
des plaines sans limites entrecoupees dune multitude de canaux,
<les cubes de boue recouverts de tiges de sorgho, humbles abris
des cultivateurs, du milieu desquels s'6chappe vers le ciel un grele
minaret, d'6normes cdnes gris servant de pigeonniers, des bou-
quets de palmiers et de sycomores, des buffles, des chameaux
dans des champs de trefle, et, au milieu de ces richesses agri-
coles, le patient et laborieux fellah, coupant la canne a sucre,
cueillant le coton et arrosant ses cultures avec le chadouf ou la
sakieh. Ces deux instruments, dont nous entendrons si souvent
le grincement melancolique, sontde la plus fabuleuse antiquite:
le premier est un levier portant du cdte* le moins long un contre-
poids et de Tautre un panier enduit de limon ou une jarre de
k6neh; le second est une simple roue a pots, mue par une
paire de buffles.
Mais nous voici a Damanhour; le sol devient de plus en plus
noir, la campagne de plus en plus riche. A Bahari, un pont de
fer enjambe la branche occidentale du Nil, et le vaste fleuve
roule des flots jaunes que le ciel peint en bleu. Nous dejeunons au
buffet de Kafr-el-Zaiat. Nous arrivons a Tantah, grande cite
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DU PIREE AU CAIRE. 493
commercante et capitale de la province, celebre par ses foires,
ses santons et ses saturnales. De nombreuses coupoles emergent
des terrasses, de sveltes minarets s'elancent dans les cieux. A
Birket-Sob, nous franchissons la branche de Damiette. A Touk,
nous apercevons avec des tressaillements de joie les grandes
pyramides roses et bleues surgissant comme des montagnes du
milieu du desert; et, a chaque arrGt, des nu6es de jeunes lilies
sveltes, bien decouplers, portant sur leur tele des corbeilles
d'oranges fraichement cueillies, des marchands d'eau, des jeunes
gens, des mendiants, des aveugles se suspendent aux marche-
pieds et prennent d'assaut les portieres en criant : bakchiche. Mais
bientdt les deux chaines de montagnes qui courent le long du
Nil se rapprochent et resserrent la vallee ; on decouvre la colline
du Mokattan, une multitude invraisemblable de coupoles et de
minarets.
C'est le Gaire !
Georges Malbet,
Membre du Club Alpin Francais
(Section d'Auvergne).
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CHRONIQUE
DU CLUB ALPIN FRANQAIS
RAPPORT ANNUEL
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CHRONIQUE
DU CLUB ALPIN FRANCAIS
DIRECTION CENTRALE
RAPPORT ANNUEL
Notre sympathique collegue M. Caron vous disait l'annee der-
niere que les beaux temps des rapporteurs etaient passes. Avant
1882, en effet, les relations de la Direction Centrale et de nos
soci£taires etaient rares, et c'etait seulement par le rapport
annuel que nous apprenions les progres realises, les travaux
accomplis, et que nous prenions part les uns et les autres a la
vie active du Club tout entier. Aujourd'hui, grace a la regularity
des Bulletins mensuels, les moindres incidents sont immedia-
tement connus dans tous leurs details; le rapporteur n'a plus
rien a glaner, et son rdle se borne a vous rappeler en quelques
mots les principales modifications survenues pendant le dernier
exercice.
Si la prosperity d'une Society comme la ndtre se mesure a
l'accroissement continu de ses membres, j'ai sur ce point essen-
tiel, comme tous mes devanciers, le plaisir de vous apporter les
plus favorables temoignages.
L'annee derniere, a pareille epoque, nous comptions un effectif
de 4,230 membres. Permettez-moi aujourd'hui de vous en pre-
senter plus de 4,900, avec la certitude que nous depasserons
5,000 avant le milieu de T6t6, car c'est toujours au retour du
soleil, quand les yeux et le cceur commencent a se tourner vers
la montagne, que les nouveaux adherents viennent en plus grand
nombre frapper a la porte du Club Alpin Francais.
ANNUA1RB DB 1883. 32
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498 CURONIQUE
C'est done avec confiance dans l'avenir que nouspouvons ft* lev
notre dixieme anniversaire.
A cdte* de l'accroissement de nos membres, je dois vous faire
reraarquer avec une6gale satisfaction l'augmentation du nombre
de nos Sections. Grace a leur multiplication, il n'y a plus guere
en France de contrGes pittoresques ou nous ne soyons as-
sures de trouver pour nos voyageurs des renseignements et de?
appuis, et les beautSs naturelles de notre pays, raieux connues
et mieux 6tudiees, attirent chaque jour, des points les plus eloi-
gned, un plus grand nombre de touristes. Ces Sections aujourd'hui
atteignent le chiffre de 40, et les trois plus jeunes sont n6es en
Algerie, dans cette France prolonged dont les couleurs plus vives
et plus chaudes forment le digne complement des merveilles de
la mere-patrie. Souhaitons done la bienvenue aux sections de la
Petite-Kabylie, du Djurjura et de TAures, 6tablies a Bougie, Tizi-
Ouzou et Constantine.
Beaucoup de nos Sections se sont fait remarquer par leur ac-
tivity, et plusieurs ont organise* des excursions collectives sur
leur territoire et m6me sur celui des sections voisines.
La Section de Vals et des CSvennes, par exemple, a voulu
visiter ces hautes montagnes dauphinoises dont elle aperc,oit les
glaciers du haut des pics de TArdeche.
La Section de TAtlas s'est distingu6e d'une facon sp6ciale par
la multiplicity de ses reconnaissances dont le cercle s'etend de
plus en plus autour d'Alger. Elle a gravi, cette annee, TAbd-el-
Kader-el-I)jillali, le Djebel-bou-Zegzah, le Mouzai'a, admirables
belvederes sur lesquels il sera facile de la suivre a l'aide des ren-
seignements pr6cis qu'elle a publies dans ses itineraires. L'Al-
gerie est encore trop peu explor6e au point de vue pittoresque ;
aussi, ces reconnaissances executees par les sections locales
offrent-elles le plus grand inte*6t.
Qu'il nous soit permis a ce propos de rappeler aux Sections
que les travaux les plus utiles sont souvent ceux qui se prgsentenl
sous la forme la plus modeste, tels que les itineraires abr6ges
contenant l'indication des points curieux, la direction a suivre,
le temps de marche, les ressources qu'on peut trouver pendant
le trajet; tels aussi que l'excellent tableau synoptique public
autrefois par la Sous-Section de Briancon, et qui renfermait pour
toute la region le nom des meilleurs centres d'excursion, celui
des hdtels et guides recommandes, les moyens de communi-
cation et de transport, les ressources locales en chevaux, mulets
et voitures, et surtout les tarifs detailles. Ces notes sommaires,
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DU CLUB ALPIN FRANQA1S. 499
si faciles a dresser par ceux qui habitent sur les lieux, sont des
plus precieuses pour le touriste. Grace a elles, il peut preparer
d'avance son plan et son budget de voyage, sans craindre les sur-
prises, et elles profitent au pays lui-mdme en y attirant des
etrangers qui eussent hesite en face de Tinconnu.
Nous ne pouvons abandonner la Section de l'Atlas sans la
feliciter du soin avec lequel elle a jalonne les environs d' Alger,
et permis au touriste de se retrouver sans aide dans le charmant
dedale des vallons et des collines boisees qui s'etendent entre la
mer et la Mitidja.
Au point de vue du jalonnement et des plaques indicatrices,
la Section d'Epinal, qui avait merite d'etre prise pour modele,
tient a conserver la premiere place. Elle est d'ailleurs aid6e,
comme les annges prexedentes, par les bons offices de l'admi-
nistration forestiere et les g^nereuses subventions des communes.
Imitant l'exemple donne par la municipality de la Bresse, celle
de Gornimont vient de voter une subvention pour la pose des
poteaux indicateurs sur toute l'6tendue de sa circonscription.
Les Sections de llsere et de la Tarentaise se sont fait remar-
quer par d'autres travaux. Nos collogues de Grenoble ont edite
le second album de leur collection photographique, si complete
et si reussie que les epreuves en sont ejpuisees meme avant
d'avoir vu le jour. La Section de la Tarentaise a envoye a la Di-
rection Centrale de splendides photographies de ses glaciers et de
ses cascades. Elle ne pouvait rien faire qui lui fut plus profitable,
car il ne manque a cette admirable contree, surnommee a juste
titre l'Oberland frangais, que d'etre un peu plus connue pour
attirer et retenir les voyageurs.
La Sous-Section de Briancon a creuse dans les flancs de Ro-
chebrune une grotte pouvant servir d'abri aux alpinistes. Ce
magniflque sommet est situe* pres des limites de deux massifs
d'un caractere bien different, les Alpes du Dauphine* et celles de
la Provence, et son panorama offre par la m^me de curieux
effets de contrastes.
C'est ^galement avec le pic et la mine que la Section du Sud-
Ouest a ouvert un refuge dans les rochers calcaires du Mont-
Perdu. Get abri, destine" a remplacer Tabri detruit par les bergers
espagnols sur le versant Sud de la chalne, rendra les plus grands
services a tous ceux qui visiteront cette contree.
Comme tous les autres abris, ces deux grottes ont ete ache-
vees et amenag£es entierement avec les fonds fournis par la
Direction Centrale.
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500 CHRONIQUE
Jusqu'ici, tous nos refuges avaient ete eleves au-dessus <le terre
soit en bois, soit en pierres seches, soit en maconnerie; maisles
multiples Elements de destruction qui s'entre-choquent dans la
montagne les ont si souvent endomraages que nous avons voulu
essayer du systeme oppose, du creusement dans le roc. Ces essais
terniines, nous allons nous y arreler pendant quelques annees,
afin d'attendre le resultat de l'experience. Aussi reviendrons-
nous a la maconnerie pour eHablir les chalets du Mont-Pourri,
des Nants en Tarentaise, et du Lac-Noir au pied des glaciers du
Mont-de-Lans, dans le d^partement de l'lsere.
Pour ce dernier, la Direction Centrale a vote* 4,500 francs. Elle
a bien trouve la carte un peu forte et elle a manifesto quelques
vell£it£s de resistance; mais les hommes devoues et compeHents
qui dirigent votre Section de l'lsere lui ont affirme que, vu les
difficultes a surmonter, il etait difficile de terminer l'oeuvre a
meilleur compte, et qu'on chercherait d'ailleurs a realiser le
plus d 1 economies possibles. Ge qui a surtout determine notre
vote, c'est l'importance capitale de ce chalet qui, faisant pendant
au refuge de la Lauze, construit sur 1' autre versant par la Sous-
Section de Briancon, abaissera a la ported des marcheurs les
plus faibles la traversee complete des glaciers du Mont-de-Lans,
Tune des plus belles courses des Alpes. Le Club Alpin emploiera
pour le toit de cette construction une nouvelle espece de cou-
verture en feuilles de tdle galvanised, fixees d'un seul cdte pour
laisser libre jeu a la dilatation. Les essais faits a de grandes
altitudes par les administrations des Ponts et Chaussees et des
Douanes, ainsi que par le Ministere de la guerre, ont deja donne
a cet ^gard des r^sultats favorables.
A c6t6 des progres qu'on est heureux d'enumerer, toute societe
nombreuse comme la n6tre a fatalement ses deuils annuels. Nous
avons fait des pertes sensibles depuis le dernier rapport qui vous
a 6te pr6sent£, et nous devons un souvenir special a deux de nos
plus devours presidents de Section.
M. Durandeau, president de la Section de laCdte-d'Or, etait Tun
de nos organisateurs les plus entrainants et les plus devoues; il
a puissamment contribue a la formation des premieres cara vanes
scolaires et il a conduit lui-m6me plusieurs excursions collectives
en France et a Tetranger. II laisse parmi nos collegues de la
Cdte-d'Or un vide qui ne sera pas comble.
M. le commandant Mayniel est reste peu de temps a la tMe de
la Section du Roussillon, mais, par son activite, il lui avail fait
faire.de serieux progres.
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DU CLUB ALPIN FRANQAIS. 501
M. Paul Devot, de la Section de Paris, prematurement enleve
aux nombreux amis qu'il comptait parmi nous, etait un alpiniste
vigoureux et hardi, admirateur sincere du Dauphine qu'il a
contribue* a faire connaitre.
Le dernier de nos collegues dont je dois prononcer le nomne
se rattachait a nous que par les liens de l'honorariat. Vous avez
tous nomrae M. Sella, Y eminent president du Club Alpin Italien,
membre correspondant de l'Academie des Sciences de Paris.
Tour a tour professeur a l'Ecole des ingenieurs de Turin, depute
et ministre des finances de l'ltalie, l'importance des hautes fonc-
tions qu'il a remplies avec tant d'eclat ne l'emp&chait pas de
prendre une part active aux travaux du Club Italien et de faire,
en compagnie de ses fils, les expeditions alpines les plus peni-
bles et les plus audacieuses. Je citerai seulement la premiere
ascension italienne du Viso et l'escalade du Cervin.
M. Sella 6tait un partisan convaincu des caravanes scolaires
qui ont fait de Tautre cdte des Alpes de sensibles progres, et
auxquelles nos voisins ont ajoute les sejours scolaires dans cer-
taines localites particulierement interessantes. Grace a ces se-
jours, que notre sympathique vice-president, M. Durier, s'efforce
d'acclimater en France, les frais sont diminues et l'organisation
materielle du voyage est singulierement simplified.
Cette question des caravanes scolaires est egalement l'objet
des preoccupations constantesdu Club Alpin Francois, mais nous
eprouvons toujours les plus gran des difticultes a les former di-
rectement avec des Elements etrangers les uns aux autres. Pour
y reussir, nous ne pouvons que faire appel a la presse dont la
voix est seule assez puissante pour triompher de Tesprit de rou-
tine et pour reunir sous notre patronage les jeunes gens que
nous voulons amuser, instruire et developper.
S'agit-il, au contraire, des caravanes r^unies dans le m&me eta-
blissement d'instruction, la, notre succes s'affirme de plus en
plus. Les caravanes de Sainte-Croix-d'Orleans, d'Arcueil surtout,
portent notre drapeau haut et loin. Les eleves d'Arcueil l'ont
plante cette ann6e en Savoie, sur les glaciers de la Vanoise et
sur les pics du Tyrol, apres l'avoir promene dans Venise. La ca-
ravane des Minimes de Lyon a visite avec succes la Suisse et
l'ltalie du Nord. Ces premiers pas Tenhardiront sans doute, et
nous lui donnons rendez-vous, pour l'annee prochaine, sur les
sommets eleves de nos montagnes fran^aises.
J'arrive a la partie du rapport que beaucoup de nos societaires
attendaient sans doute des le debut, auxeloges dus par la Direc-
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502 rilRONIQUE
tion Centrale aux orgunisateurs de la fete tie Sixt-Charaonix.
Quant a nos remerciements,nous les prions de vouloir bien les
partager avec le Conseil g6ne>al de la Haute-Savoie, avec les
municipality qui ont vote des subventions, avec tous les mem-
bres de la Section et tous les habitants de la contr^e dont les
raoindres hameaux s'etaient mis en fete pour nous recevoir. Non
contents d'accumuler sur notre passage les arcs de triomphe,
les plantations improvisees, les bannieres, non contents de nous
accueillir par des allocutions et des feux d'artiflce, ils offraient
aux touristes strangers des lunchs servis avec la plus parfaite
cordiality.
Parmi les illuminations de chaque soir, il en est une dont le ca-
ractere original et gracieux a vivement frapp£ tous les assistants :
c'est ^illumination de Samoens. Ses mille bougies dessinaient
les moindres moulures, les moindres saillies des maisons, et si
grand a et6 le succes de cette partie de la fete, que le nom de la
petite ville savoyarde est 116 desormais a la fete du Club Alpin
Francais de 4883,laquelle restera inscrite dans nos annales sous
le nom de fete de Samoens-Sixt-Chamonix.
De Chamonix meme, il suffira de dire que les ressources in-
comparables de ce premier centre de Talpinisme ont 6te* mises
lib^ralement a la disposition du Club. Nos collegues de la Savoie
ont su rajeunir a notre intention les sites les mieux connus,
temoin le Fer-a~Cheval, salle champ&tre de notre banquet, ou
des percees ont et6 faites dans la for<H voisine pour mieux de-
couvrir et mieux mettre au point les beautes de son celebre
panorama.
C'est l'Algerie qui a ete choisie pour 6tre, en 1884, le siege de
vos assises annuelles. Vous pouvez vous Tier a la Section de
l'Atlas et aux jeunes Sections algeriennes pour leur organisation.
Elles vous promeneront des rives de la Mediterran6e aux plaines
fertiles de la Mitidja, des plantations d'orangers aux for<Hs de
cedres de Batna, des gorges merveilleuses et des montagnes de
la Kabylie aux solitudes grandioses du Sahara et a ses vertes
oasis. On parle deja d'un des palais du dey comme salle du festin,
de fantasias, d'une fete au bord des ravins de Constantine, la
vieille cite mauresque. Le programme n'est pas encore definiti-
vement arr^te, mais ce que je puis promettre a ceux qui se lais-
seront seduire et qui profiteront de cette occasion unique pour
visiter la France d'Afrique, avec tous les avantages matSriels
otferts par le Club, c'est que les reves les plus brillants de leur
imagination seront encore d^pass^s.
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DU CLUB ALPIN FBAN£AIS. 503
En 1885, nous reviendrons probablement aux glaciers; on pro-
nonce tout bas le nora d'une partie des Alpes jusqu'au fond de
l^quelle va p^netrer une des arteres du reseau Paris-Lyon-Medi-
terranee. Mais ce sujet appartient a votre rapporteur de
l'annee prochaine, et je dois lui laisser le plaisir de vous en
entretenir.
Albert (iL'yard,
Membre de la Direction Centrale
et de la Section de Paris.
Paris. — Typ. Georges Chamerot, 10, rue des Saints-Peres. — 15517
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■ I
I — 1
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1° fo'
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