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Full text of "Annuaire Club alpin français 1884"

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ANNUAIRE 



Dt! 



CLUB ALPIN FRANCAIS 



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PARIS 

TYPOGRAPHIC GEORGES CHAMEROT 
\9, ruo des Saints-Peres, 19 



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ANNUAIRE 



DU 



CLUB ALPIN 



FRANQAIS 



• — «<T"?«S _ DNa^ — 



ONZltME ANNEE 
188 4 



PARIS 
AU SIKGE SOCIAL DU CLUB ALPIN FRANCA1S 

30, RUK DU BAC, 30 

KT A LA L1BRA1RIR HACIIKTTK KT C" 

79, BOULEVARD 8AINT-GKRMAIN, 79 

1885 ■ .— 



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•0^ 
\\ 



vj- 



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TABLE MfiTHODIQUE 



Pag©». 
Table methodiquk v 



COURSES ET ASCENSIONS 

I. Courses nouvelles. en Savoie (la Pointe de Vichelle; 

la Pointe Rdnod; le tour du Grand-Bee; le Grand- 
Marchet; la Pointe de Creux-Xoir), par M. Pierre 
Puiseux 3 

II. Passage du col du Dom (premiere ascension francaise), 

par MM. Louis Sicard et Paul Vignon 34 

III. De Vallouise a Chamonix (le col de I'Ailefroide; de la 

Be'rarde a Oz par le Pic de Vitcndard; le Pic central 

de Belledonne; au Mont-Blanc), par M. H. Duhamel. 52 

IV. Autour de Chamonix et de Zermatt (la Floria et la 

Dent du Ge'ant; de Courmayeur a Bourg Saint- 
Pierre; le Grand-Combin ; de Mauvoisin a Arolla 
par la Haute-Route; d' Arolla a Zermatt par la 
Haute-Route ; le mont Ccrvin; le Weisshorn; le 
Mont-Rose; le Morning ou Rothhorn de Zinal), par 
M. L. Wiart DO 

V. Ascension de la Pigne d'Arolla en Valais, par 

M. P. Bauron 127 

VI. Une promenade au Casque de N6ron, par M. le capi- 

taine Gambiez 140 

VII. Voyage en zigzag dans les Alpes franchises (Pointe 

orientale de Loranoure; Aiguille du Plat; la Barre 

a 



352153 

/Googlt 



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VI TABLE MfcTllODIQUK. 

Pages. 
des terms; les Rms, premiere ascension francaisc: 
col du Cht des Cavales), par M. Paul Engelbach. . 15! 

VIII. Ascensions (Vignemale : deux ascensions; trois messes 

dans mon refuge pris du sommet : neuf jours a 
3,200 mtt. d'altitude), par M. le-comtc Henry Russell. 1 68. 

IX. Le Vignemale, ses deux versants franc.ais et la villa 

Russell, par M. E. Wallon I HO 

X. La region d'Arremoulit et le Pic d'Esquera (Basses- 

Pyrenees), par M. le comte H. de Bouille 2M 

XI. Quelques mots sur l'Aude et les Pyrenees-Orientales, 

par M. Edouard Rochat 240 

XII. Le Causse Noir et Montpellicr-le-Vieux, par M. E.-A. 

Martel 203 

XIII. Ascension de l'Elbrous (Minghi-Tau), par M. Mau- 

rice de D6chy 2112 

XIV. Le Cap Nord au soleil de minuit (notes de voyage), 

par M. Charles Grad 32" 



SCIENCES ET ARTS 



I. Les deux theories orogeniques, par M. Alexandre 

Vezian, doyen de la Faculte des sciences de Bo- 
sanQon 34,'» 

II. De Paction des eaux dans les montagnes, par M. Fa- 

bien Benardeau 37.5 

III. Les montagnes de la mer : expedition du Talisman; 

les Canaries, les lies du Cap Vert, les Acores, par 

M. Edmond Perrier, professeur au Museum. . . . 397 

IV. La musique primitive conservee par les montagnes, 

par M. Bourgault-Ducoudray, professeur au Con- 
servatoire national de musique 430 

V. Note sur un phenomene lumineux observe au Pic du 

Midi, par M. Bayssellance 463 



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TABLE MKTH0D1QUK. VII 

Pnge>. 

VI. De l'echelle naturellc des dessins et des photogra- 

phies, par M. le commandant Prudent 4<i8 

VII. Le cirque de Cotatuero, par M. Fr. Schrader. . . . 474 



MISCELLANIES 

I. Ascension de la Dent-de-Crolles (2,060 met.;, par 

M. J. Delmas 470 

II. Le Bee d'Arguille (2,887 met.), premi6re ascension, 

par M. Georges Bartoli 484 

III. Huit jours en Daupbine en 188V, par M. H. Dulong 

de Rosnay 480 

IV. ' Traversed du Belvedere des Aiguilles-Houges, de la 

Pierre-a-B6rard a Chamonix, par M. P. Beaumont 490 

V. Les Posets, par M. le D r A. Mony .'>0I 

VI. Des bains de Panticosa a Venasque, le long du cor- 

don sanitaire, par M. V. de GorlofT. 'il4 

VII. Ascension de la Roche d'Ajoux (Beaujolais), par 

M. E. de Sevelinges * 520 

VIII. Une excursion dans l'inte>ieur du Finistcre, par 

M. Leduc 524 

IX. Ascension de l'Ouarensenis (Algerie), par M. Finest 

Fau. . ;i3i 

X. Une promenade en Angleterre et en Ecosse, par 

M. P. Porchon .i'tO 

XI. Brousse et ses environs, par M. E. Jouaust Vt8 



CHRONIQUE DU CLUB ALP1N FRANQAIS 

Direction Centrale : Rapport annuel ,*>;>0 

Liste des membresde la Direction Centrale et des bureaux 
des Sections o(>7 



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VIII TABLE MKTUODIQUE. 



CARTE 

Pages. 

Carte de la region du Domjoch, d'apres la carte federate 
suisse 37 



ILLUSTRATIONS ET FIGURE! 

1. Pointe de l'£chelle, face Nord-Ouest, dessin de 

MM. Michelin et Fr. Schrader 5 

2. Pointe de l'Echelle, face Sud-Est, dessin de MM. Mi- 

chelin el Fr. Schrader II 

3. Vue prise de la Pointe de F pejus, dessin de Fr. Schra- 

der, d'apres une photographie de M. Henri Ferrand. 10 

4. Les Mischabelhorner, vus de l'arele de neige du Roth- 

horn, reproduction d'une photographie communi- 
que^ par M. Paul Vignon 45 

5. Glacier du Sel£, dessin de Slom, d'apres une photo- 

graphie de M. H. Duhamel 61 

6. La Pigne d'Arolla, dessin de Fr. Schrader, d'apres 

une photographie communiquee par M. P. Bauron. 133 

7. Le Casque de Neron, dessin de Slom, d'apres une 

photographie communiquee pat* M. H. Duhamel. . 143 

8. Le Vignemale, vu du Pimene, dessin de Fr. Schrader, 

d'apres nature 170 

0. Panorama du glacier du Vignemale, dessin de Pru- 
dent, d'apres une photographie de M. E. Wallon. 176 

10. LeVignemale,vudu Pic d'Ardiden, dessin de Fr.Schra- 

der, d'apres nature 1 85 

1 1 . Vue prise de la breche de Gaube, dessin de Slom, d'a- 

pres une photographie de M. E. Wallon 195 

12. Le Vignemale, vu du Plan de Millas, reproduction 

d'une photographie de M. E. Wallon 199 



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TABLE M6T00DIQUE. IX 

Page 8. 

13. Le Palaset le Bat-Laetouse, dessin de M. de Bouille, 

d'apres nature 213 

li. Le col d'Arremoulit et le Pic d'Arriel, dessin de M. de 

Bouille, d'apres nature 217 

15. Le « raccourci » a gauche du lac d'Arrioas, dessin 

de M. de Bouille, d'apres nature 225 

16. Balcon du Pic d'Esque>a, dessin de M. de Bouille, 

d'apres nature 237 

17. Gorge de Pierre-Lis, dessin de Slom, d'apres une 

photographie de M. Ed. Rochat 241 

18.» Vallee du R6benty, dessin de Slom, d'apres une pho- 
tographie de M. Ed. Rochat 247 

19. Ermitage de Saint-Miquel, dessin de Vuillier, d'a- 

pres une photographie de M. Chabanon 267 

20. Vallee de la Jonte, vue de l'Ermitage Saint-Miquel, 

dessin de Vuillier, d'apres une photographie de 

M. Chabanon 2T1 

21. Cirque des Rouquettes (Montpellier-le-Vieux), dessin 

de Vuillier, d'apres une photographie de M. Casi- 
inir Julien, de Millau 277 

22. Porte de Mycenes (Montpellier-le-Vieux), dessin de 

Vuillier, d'apres une photographic de M. Cha- 
banon • 280 

23. Citadelle et cirque du Lac (Montpellier-le-Vieux), 

dessin de Vuillier, d'apres une photographie de 

M. Chabanon 283 

2i. L'Elbrous, vu de la vallee de Baksan, reproduction 

d'une photographie de M. Maurice de D6chy. . . 299 

25. Le Toungossoroun et la vallee de Baksan, reproduc- 

tion d'une photographie de M. Maurice de D6chy. 313 

26. Perimetre de Loudervielle (Hautes-Pyr6nees), dessin 

de Prudent, d'apres une photographic de M. E. de 
Gayfder 378 



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X TABLE M&T110DIQUE. 

Pages. 

27. Bassin de reception du ravin de Valcrouzes, dessin 

de Prudent, d'apres une pholograpbie de M. Labbe. 380 

28. Ensemble de la sortie du Rramabiaou, dessin de 

Prudent, d'apres une photographie de M. Labbe. 382 

29. Demoiselles du ravin des Merles (Hautes-Alpes\ des- 

sin de Prudent, d'apres une pholograpbie de 

M. Chapelain 387 

30. Canal d'e>oulemeut du torrent de Ptguere, pres de 

Cauterets, dessin de Prudent, d'apres une photo- 
graphic 389 

31. Vue d'ensemble du torrent de Riou-Bourdoux, valine 

de Bareelonnette, dessin de Prudent, d'apres une * 
photographic 390 

32. Vue d'ensemble du pic et du torrent de Pcguere, 

dessin de Prudent, d'apres une pholograpbie. . . 391 

33. Le sondeur du Porcupine 401 

34. Une drague munie de ses fauberts 403 

35. Hnltenia Carpenter*, eponge des grands fonds. . . . 400 

36. Brisinga coronata, etoile de mer habitant les grands 

fonds 407 

37. Une Kncrine vivante, lc Pentaciinus Wyville Thom- 

sonii 408 

38. Eurypharynx, poisson a bouche demesuree 40t» 

39. Bathypterois, poisson a. appareils tactiles trt's deve- 

loppes 409 

40. Ptychog aster formosus, sorle de crabe a longues 

)>attes 410 

41. \]n des dragonnifrs geants d'Orotava 413 

42. Un bouquet de Sargasses 422 

43. Le lac de Sete-Cidades, a San-Miguel (Acores). . . . 42^ 

44. Les sources jaillissantes d'eau chaude a Furnas (ile 

San-Miguel) 427 



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TABLE M&TUODIQUK. XI 

Pages, 
t.'i. I'n phenomene lumineux au Pic du Midi, dessin de 

Prudent, d'apres un croquis do M. Bayssellance. . KK> 

*f». Figure explicative de l'article lV>7W/e nafurellc des 

drssins et des photographies 470 

VT. l/» cirque de Cotatuero (Pyrenees espagnoles), repro- 
duction, par Ja maison Gillot, dune aquarelle de 
M. Fr. Schrader (hors (exte, sous envelnppe . 



Au present volume est joiute en outre la reproduction, par la 
maison (ilLLOT, d'une aquarelle do M. HOLMES, representant 
le Grand Canon da Colorado, (lette aquarelle, qui n'avait pas pu 
tUre adievee en temps utile Tan dernier, accompagne rarticle 
«le M. de Mvrgkrie public dans VAnnuaire de 1883. 



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COURSES ET ASCENSIONS 



ANNUA IRK 1>K 1881. 



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COURSES NOUVELLES EN SAVOIE 



LA POINTK DK l'kCHEI.LE (3,432 MET.;. 

LA POINTE RKNOD (3,372 MET.}. 

I.E TOUR DU GRAND-BBC. — LE GRAND- MARCHBT (2.600 MET.) 

I.A l»OINTIC PK CREt'X-NOIR (3,178 MET.!. 



I. — LA POIMTE DE LtCHELLE (3,432 m£t.) 

Les Parisiens retenus h leur posie le 13 juillet 1884 n'onl 
sans doute pas oublie la chaleur torride qui a s£vi ce jour- 
IHl Vers 10 h. du matin je gravissais un peu p^niblement, 
on compagnie de mon frere, la montagne Sainte-Genevieve. 
Qu'on se rassure : ce n'est pas le r6cit de cette ascension 
que je propose h 1'inteXH bienveillant du Club Alpin. La 
solennite du lendemain allait apporter dans nos occupa- 
tions ordinaires une tr6ve de quarante-huit heures. II etait 
trop tard pour nous joindre h nos collegues de la Section 
de Paris,. dej& en route pour les falaises de la Manche. 
Mais l'id6e nous vint que nous pourrions encore c<5l£brer 
la f£te d'une maniere originale et brillanle. 11 s'agissait 
d'employer la joum£e du 11 & planter l'etendard meta- 
phorique du Club sur quelque cime vierge, depassant en 
altitude tous les sommets des Pyr£n6es. 

Je vois d'ici plus dun lecteur, habitue h gemir sur la 
raret6 croissante des courses nouvclles, sourire a l'£noncc 



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1 COURSES ET ASCENSIONS. 

ile ce programme. Qui croira qu'une montagne de cette 
importance, a vingt-quatre heures de Paris, ne soit pas 
fombee depuis longtemps dans la sphere d'activite des 
Clubs Alpins?M£me en excluant la condition de nouveaule\ 
le probleme ne comporte que bien peu de solutions, si 
pen, qu'on aurait t6t fait d'en dresser la liste, une carte a 
la main. Disons des maintenant, pour 6pargner toute re- 
cherche oiseuse, que la montagne en question existe, et 
so nomme la Pointe de l'Echelle. Elle s'eleve au Nord de 
Modane, juste en face du tunnel de Frejus, a deux pas 
de la route la plus fr£quentee des Alpes. 

II n'en est que plus malaise d'expliquer l'oubli total 
ou est demeur6e ensevelie la Pointe de l'Echelle. En 
juillet dernier, elle n'avait <He, a notre connaissance, 
lobjet d'aucune tentative d'ascension. Un seul ouvrage 
imprime, la carte de l'Etat-major a part, en fait mention, 
(rest une etude archeologique sur la Maurienne et la 
Tarentaise, par M. Ferrand. Notre collegue y qualifie la 
Pointe de l'Echelle d'inaccessible, titre ambitieux suggere 
par l'inspection des faces Sud et Ouest, les seules qu'on 
ait occasion de voir en franchissant le col de Chaviere. 
Et qu'on veuille bien le remarquer, il ne s'agit pas d'une 
montagne secondaire, d'un simple accident dans une crfcte 
rattach6e a des sommites plus hautes. Dans son petit 
(lomaine, limits par les cols de Chaviere et d'Aussois, la 
Pointe de l'Echelle domine, elle est souveraine. Aucun 
des pitons qui en dependent ne peut rivaliser avec elle, 
bien que cinq au moins depassenl 3,000 met. Deux seu- 
lement portent des noms sur la carte : ce sont le Rateau 
(3,126 met.) et l'Aiguille Doran (3,049 met.), obelisque 
hardi et probablement inaccessible. On l'aperc,oit de la 
frare de Modane. 

Depuis plusieurs annexes, nous avions not6 la Pointe de 
l'Echelle comme la conqu£te la plus desirable que Ton 
put encore se proposer en Savoie. Aussi l'accord sVtablit- 



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COURSES NOUVELLES EN SAVOIE. 7 

il promplement entre nous pour en tenter l'ascension. 
A 10 h. 30 min. notre projet n'etait pas eclos. A 11 h. 
15 min. le sifflet de la locomotive nous donnait le signal 
du depart h la gare de Lyon. (Test dire qu'il avait fallu 
sauter dans le premier fiacre venu, avec un bagag&reduit 
au minimum imaginable. Nous avions nos piolets, nos 
chaussures de montagne, mais la corde, les gants, les lu- 
nettes de couleur 6taient restes au logis. Point de carte, 
encore moins de guide. La journee est dure & passer. II 
faut attendre, pourtrouver un peu de fraicheur, que notre 
infatigable locomotive nous engage, vers 2 h. du matin, 
dans les d6files de la Maurienne. Au jour, nous sommes k 
Saint-Micbel, et nos yeux rafralchis se reposent avec d£- 
lices sur les fonHs de sapins. Mais des reparations a la voie 
ralentissent la marche. II est A h. quand on nous depose 
a la gare de Modane, oti nous demandons & un bref dejeu- 
ner le renouvellement de nos forces. 

Le moment est venu d'agir. Nous avons treize heures 
devant nous, car nous tenons h redescendre pour le train 
du soir. L'air est deja tifcde, des nuages orageux couvrent 
une partie du ciel. Joignez k ces f&cheux presages la fa- 
tigue dune mauvaise nuit; notre ignorance du terrain, les 
souvenirs personnels qui nous representaient deux faces 
sur trois comme impraticables, et Ton s'expliquera qu'& ce 
moment les chances de succes aient pu nous paraitre bien 
reduites, et notre entreprise difficile h justifier. 

Mon frfcre avait sur moi Tavantage d'avoir pu examiner 
en 1881 la face orientale du pic, celle qui regarde les 
chalets des Fonds. Ce cdt6 lui avait sembl6 plus accessible 
que les deux autres. Mais le temps dont nous disposions 
6tait court. II etait bien grave de perdre dfcs le d6but une 
grande heure pour gagner par une marche en plaine le 
village d'Aussois. Un coup d'oeil jet6 sur la carte expli- 
quera notre repugnance. II fut done resolu que Ton irait 
au plus direct, e'est-i-dire par les chalets de Polset. Si 



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8 COURSES KT ASCENSIONS. 

aucune route rie s'offrait de ce c6t6, nous aurions la res- 
source de suivre la crttte qui va rejoindre I'Aiguille Dorau, 
et au besoin de la franchirpour retrouver la face orientale. 
Modane d£pass6, on franchit l'Arc et Ton s'61eve en zigzag 
dans un bois de pins. Comme sur tous les versants de la 
Maurienne exposes au Midi, la vegetation est clairsemee, 
aromatique, plutdt meridionale qu'alpine. Au milieu du 
feuillage se dressent des colonnes de gypse, formations 
curieuses que Ton retrouve mieux developpees encore au- 
dessus de Thermignon, k la descente d'Entre-deux-Eaux. 
Vers 5 h. 30 min. nous dgpassons les chalets de Polset, 
en face du cirque imposant que couronne le glacier de 
Chaviere. Le sentier continue, un peu vague, mais tou- 
jours facile, au milieu d'une \6g6tation de rhododendrons 
et de myrtilles. Un air plus vif emplit nos poumons a 
mesure que notre altitude augmente, et les nuages, de 
plus en plus 16gers, voilent agr6ablement le soleil, sans 
nous causer desormais d'inqutetude serieuse. 

Le signal d'arr&t estdonn^surle dernier plateau qui pre- 
cede le col de Chavifcre. Un torrent y vague en demi-cercle 
au milieu des gazons et des bancs de neige a demi fondus. 
Deux heures et demie se sont ecoulees depuis que nous 
avons franchi TArc. Le Mont-Thabor, la Meije et les Ecrins 
sont en vue. Dans cette premiere montee, accomplie sans 
arrets, nous avons gagn6 1,400 met. d'altitude, prfcs des 
trois cinqui&mes de Tascension totale. Pour une premifcrr 
journ6e de marche, sans entrainement prealable, ce resul- 
tat est satisfaisant et de bon augure. 

Ddsormais plus do sentier. On tourne brusquement & 
l'Est sur des gazons raides, puis k travers un chaos de 
blocs emp&t6s de neige. Notre m a rche,j usque-Ik si rapide. 
devient lente et penible. Une variante avaniageuse, que 
nous avons reconnue & la descente, consiste (1 suivre, 
sur des talus d'avalanche, la base de Tarfite oil s'ouvre 
le col de Chavifcre. On passe ainsi au Nord du petit lao 



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COITHSES NOUVKLLES EN SAVOIE. 9 

de la Partie et du point cote 2,739 met. sur la carte, au 
lieu de les laisser a gauche, comrae nous l'avons fait en 
monlant. 

De toute facon, on doit rejoindre le champ de neige 
compris entre les aretes Ouest et Sud, et clairement 
indiqu£ par l'Etat-major. Malgr6 son etendue conside- 
rable, ce n'est pas, autant que j'ai pu men convaincre, 
un vrai glacier. II a du en etre autrement dans le passe, 
ear les debris qui precedent ont bien l'aspect d'une vieille 
moraine. On fait halte au dernier Hot Emerge des neiges, 
tant pour profiler dun filet d'eau courante que pour 
choisir la route en dernier ressort. Le site est d'une gran- 
deur imprevue. On ne s'attendait guere a retrouver ici 
la protogyne pure, avec un caractere aussi accentue que 
dans la chatne du Mont-Blanc. Les dentelures qui font 
trait d'union entre la Pointe de TEchelle et l'Aiguille 
Doran ne depareraient pas les aretes des Charmoz ou des 
Jorasses. Suivre cette arete dans toute sa longueur est hors 
de question. L'atteindre meine est difficile, un seul point 
excepts : celui ou vient aboutir un large couloir a une fai- 
ble distance au Sud du point culminant. Un autre couloir, 
situe plus a l'Ouest, constitue egalement pour notre pic 
un point vulnerable, car il permet de selever a 3,300 met. 
d'altitude sur le versant qui regarde le col de Ghaviere. 
Mais de ce c6te les derniers rochers nous laissent en 
defiance. C'est le couloir du Sud qui reunit nos suffrages, 
bien qu'il soil le plus haut et le plus escarpe des deux. 
Partout ailleurs la muraille est massive et inexpugnable. 

Un quart d'heure de marche va nous mettre en presence 
de cette partie ardue de l'ascension. Des les premiers pas 
la bergschrund d'usage fait ce qu'elle peut pour nous 
arreter, mais la petite malicieuse en est pour ses frais. A 
ce moment nous sommes de niveau avec le sommet de 
TAiguille Doran. Dautre part, Torigine du couloir ne le 
cede que de bien peu au point cote 3,327 met. sur la carle. 



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10 COURSES ET ASCENSIONS. 

Je ne puis done ^valuer la hauteur de cette 6chelle dc 
neige h moins de 230 met., et son inclinaison generate 
doit approcher de 50 degr^s. Ce chiflre est cerlainement 
atteint dans ie haut, oil il faut monter en droite ligne, les 
mains dans la neige, et loger alternativement dans chaque 
entaille le fer du piolet et la pointe du pied. Au moins nos 
progres sont rapides. Vu le de7aut lc plus absolu de place 
pour s'asseoir, nous ne nous accordons que les arrets 
n6cessaires au jeu r^gulier des poumons. Un moment je 
fus inquiet, non pas que notre s6curit6 parut compromise, 
mais les bandes de roc laissees & nu par la neige se rap- 
procbaient d ? une maniere alarmante, menacant de ne plus 
laisser Tdpaisseur voulue pour creuser des marches. En ce 
cas nous aurions dd battre en retraite, car les rochers, & 
droite comme k gauche, sont impitoyables. On pourrait 
y prendre pied sur deux ou trois points, s'y engager 
peut-£tre ; mais si jamais on les gravit, e'est que Tart du 
grimpeur aura realise des progr&s dont je n'ai pas encore 
Hdee. 

Le sommet du couloir est atteint au bout de 50 min. 
Mais ce rude exercice a quelque peu us6 notre energie. 11 
nous faudra encore une heure pour mener h. bien I'ascen- 
sion, quoique le trajet soit court et exempt de difficult^ 
serieuses. Un coup d'ceil suffit k nous convaincre que 
cette mysterieuse face orientale, enfm devoilee, offre sur 
sur les deux autres un avantage inestimable : la roche y 
est divistfe en blocs et en arfctes vives, au lieu d'etaler des 
parois nues et convexes. Pleinement rassures, nous nous 
pr£parons k livrer le dernier assaut. Cinq minutes se pas- 
sent & suivre le faite, assez aigu, ma foi, de l'arete de neige. 
Vient ensuite l'echafaudage capricieux des blocs grani- 
tiques. Un mot d'eloge est bien du & leurs qualites solides, 
car je ne sais si, dans tout le cours de Tascension, nous 
avons fait rouler une pierre. Un mur & pic nous fait ob- 
stacle, et nous rejette forcement sur la face de TEst. Nous 



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BOURSES NOUVBLLES KN SAVOIE. 13 

la traversons obliquement, dans la direction pr6sum£e de 
la plus haute cime. Mais ou peut-elle bien &trc? La ques- 
tion est moins naive qu'elle ne le paralt, car plusieurs den- 
telures presque 6gales couronnent la Pointe de l'Echelle. 
Nous eumes la main beureuse, car la premiere attaqu£e se 
trouva effectivement la plus haute. Les defenses en sont 
assez bien concert6es du c6t6 du Sud t mais un mouvement 
tournant nous en rend mattres, et a It h. 30 min. nous 
nous serrons la main, surpris de notre prompt et facile 
succfcs. Point de pyramide au sommet : nulle carte de 
visite, pas mdme celle de M. Coolidge. 

On trouve a s'installer agrSablement sur cet entasse- 
ment de gros blocs, qui laisse filtrer un rayon de jour a 
sa base; tr&s solide du reste, et si compact que nous en 
detachons avec quelque peine les materiaux d'un petit 
cairn. Le panorama est grandiose nialgre la brume accu- 
mulee vers le Nord, mais une carte suppl6era aisement a 
toute description. Un examen attentif nous confirme de 
plus en plus dans l'idee que la Pointe de l'Echelle est inac- 
cessible par TOuest. 

Je vais seul eriger une pyramide sur une autre pointe 
inf£rieure de 2 metres & celle dont nous occupons la cime. 
II faut, pour passer de Tune a l'autre, cinq minutes d'une 
gymnastique assez dure ; mais je tiens a ne pas voir se 
renouveler les doutes Aleves sur notre ascension al'Aiguille 
de Peclet. En gravissant cette montagne, le 22 aout 1877, 
nous avions n£glige comme visiblement plus basse une 
pointe situ6e plus au Sud. Seul depuis cette epoque, 
M. Coolidge a escalade les deux cimes. Notre sympathique 
collogue, dont le nom revient forc£ment quand on s'oc- 
cupe des Alpes Frangaises, attribue au sommet Sud une 
superiority de 5 mfct., d'apres l'indication d'un barometre 
an£roide. Ge jugement ne me paralt pas sans appel, car de 
tous les points d'oii j'ai pu examiner l'Aiguille de Peclet, 
la preeminence semble appartenir a la cime Nord. La 



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1i COURSES ET ASCENSIONS. 

question doit done dtre regardee comme pendante, jus- 
qu'a. ce qu'on ait employe pour la r6soudre un instru- 
ment plus precis quun baromfetre m£tallique. 

Tout le monde sail que le Pic d'Olan et l'Aiguille du 
Geant ont donne lieu a des discussions de m£me genre. 
La Pointe de I'Echelle est maintenant a l'abri de ce dan- 
ger, car, de la seconde pointe, que j'ai £galement visitee, 
l'ar&te s'abaisse brusquement et sans retour vers le col 
d'Aussois. 

Je serai bref au sujet de la descente, qui s'est effectuGe 
par la m&me route. Dans la premiere partie, nous trouvons 
preferable de suivre l*ar£te autant que possible. A 1'avan- 
tage d'une route mieux tracee, on joint celui d'eviter 
quelques bancs de neige, ramollis outre mesure par une 
demi-journee de soleil. La portion superieure du couloir 
est descendue a reculons, avec tous les egards dus a sa 
raideur. Plus bas, la bonne quality de la neige aidant, 
nous pouvons cesser de faire face k la pente, et gagner au 
pas de course la bergschrund, qui est pass6e en filant sur 
le dos, les jambes allong6es. Toujours par glissades, nous 
utilisons les r6sidus d'avalanche qui s'etendent vers le lac 
de la Partie. On repasse ainsi de la neige au gazon, sans 
aucune transition rocailleuse. 

A ce moment, ma montre n'accuse que 2 h. 30min. Mais 
la perfide a retard^ depuis le matin. II en requite que nous 
nous accordons dans la for&t des haltes plus prolong6es 
que de raison. L'borloge de Modane nous avertit de 
I'erreur : mais e'est bien juste si, en pressant le pas, nous 
arrivons pour saisir au passage lc train rapide. Les 
wagons, qui ont subi tout le jour le soleil d'ltalie, sont de 
vraies fournaises. Nous y appelons la nuit de tous nos 
va?ux, nial en train de nous associer aux rejouissances 
populaires ou mOme a l'aimable conversation de collegues 
savoisiens qui ont mis a profit comme nous leur jour de 
conge. Le lendemoin matin nous rentrions a Paris, ayant 



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COURSES NOUVELLES EN SAVOIE. 15 

effectue la course entiere, aller et retour, en un peu 
moins de quarante-cinq heures. 

Dans les conditions ou nous Tavons faite, Tascension de 
la Pointe de l'Echelle est Svidemment une course peniblc. 
Mais on peut la considdrer comme absolument exempte 
de danger. Elle se recommande, en tout cas, par le 
caractere intSressant de Fescalade et par sa proximity de 
Paris. Une question reste k resoudre : c'est le choix d'une 
route — il doit y en avoir plusieurs — sur la face orien- 
tate de la pointe. Ge chemin aurait l'avantagc d'etre pra- 
ticable pendant tout le coups de T6te. Je n'en saurais 
dire autant du n6tre, car la presence dun solide rev£- 
tement de neige au fond du couloir nrTa paru fctre la 
condition rigoureusement indispensable du succes. 

Je termine en indiquant approximativement, pout un 
bon marcheur, le temps exige par les diverses etapes de 
Tascension. 



De Modane aux chalets de Polset. 
Des chalets au lac de la Partie. . 

Du lac au bas du couloir 

Ascension du couloir 

Escalade des rochers 



II. — LA POIMTE RENOD (3,372 mkt.) 

Six semaines plus tard, le 3 septembre, je me retrouvais 
aux chalets de Polset, sous un ciel gris et menaqant. Mon 
frere n'avait pu, k notre grand regret k tous deux, se rendre 
libre pour cette 6poque. J'Stais accompagn^ de M. Edouard 
Michelin, notre collegue k la Section de Paris. Notre but 
etait cette fois la Pointe Renod, sentinelle avancee du 
massif de P6clet vers le Sud, dont la situation promettait 
une vue magnifique des AlpesDaupbinoises. Nous n'avions 



Mouteo. 


Desconto. 


1 h. 30min. 


1 h. 5 min. 


1 30 


4 10 


1 10 


— 35 


— 55 


- 25 


1 — 


— 45 


Gh. 5 liiin. 


4 It. 



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Iti COUIISES ET ASCENSIONS. 

aucune donnee sur cette ascension. Le mot signal, inscril 
sur la carte, nous portait cependant a croire qu'elle avait 
dti 6tre accomplie par des chasseurs, charges de con- 
struire une pyramide pour les operations g£od£siques. Vue 
a distance, la Pointe R6nod n'est pas ais£e a identifier. 
Elle occupe Ie troisifcme rang dans le massif de P6clet, 
parmi les sommites honor£es d'un nom special. En r£a- 
lit£ elle c&de le pas a plusieurs aiguilles anonymes, dont 
Tune, designee par la cote 3,407 rnfct., est bien digne, par 
son altitude et son aspect ijnposant, de l'attention des 
alpinistes. 

Nous faisons halte aux chalets de Polset, le temps dc 
nous assurer du vivre et du couvert pour le soir. La 
maitresse du logis nous fait bon accueil, et nous nous 
allegeons entre ses mains d'une partie de notre bagage. 
Repartis a 6 h., nous abandonnons presque aussit6t la 
direction du col de Chaviere. Un sentier horizontal, le 
long d'une prise d'eau, va rejoindre le torrent. Nous voici 
maintenant en presence d'une pente escarpee, haute de 
7 a 800 mfct. et dont I'escalade, possible d'ailleurs sur 
plusieurs points, conslitue le morceau de resistance de la 
journ£e. Vers le milieu, une depression marquee, sillonnee 
de cascades, indique Tecoulement du glacier de Ghavidre. 
Dans la partie Sud de la muraille, on distingue quatre 
couloirs de neige, r£unis deux a deux a leur base en 
forme de V. C'est le plus septentrional des quatre que 
nous avons dessein d'escalader. 

Tournant a l'Ouest, on s'Gleve le long d'un ravin, an 
milieu d'une riche vegetation de rhododendrons. Partis a 
1 h. de Modane, nous abordons vers 8 h. la premiere 
assise de rochers, non sans avoir pris un croquis de la 
Pointe de l'Echelle, un moment degag£e de brumes. Pen- 
dant une heure et demie Tascension se poursuil sur une 
pente raide, vrai dedale dassises rocheuses et de couloirs 
gazonn£s. Toute la difticulte reside ici dans le choix d'uno 



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COURSES NOUVELLES EN SAVOIE. 17 

route, et de vagues sentiors de chcvres aident h trouver 
les meilleurs passages. Nous allons lentement, d6sireux de 
nous manager pour un premier jour, et de multiplier les 
points de repfcre qui guideront notre descente en cas de 
brouillard. 

Enfin, voici le couloir. II est rempli d'une vieille neige 
davalanche Ires dure, oil la taille des marches est indis- 
pensable. Vers la fin nous reprenons a droitc une pente 
de debris, et h 10 h. 10 min. nous dGbouchons sur le 
plaleau. Devant nous s*6tend un bassin de neve scmi-cir- 
culaire, s£pare par une arfcte rocheuse du grand glacier 
de Chaviere, situe plus au Nord. Au fond se dresse un pic 
sombre, h la mine rebarbativc, et que nous baptisons 
immediatement du nom de Pointe Renod. 

Notre pic etait trouv6 : il ne s'agissait plus que d'y 
monter. Traversant une portion du champ de neige, nous 
rejoignons Tardte orientale au point ou elle commence k 
s'elever uniformement vers la cime. L'escalade est d'une 
simplicity extreme, sauf les derniers pas ou elle devient 
un peu escarp6e. A 11 h. 50 min. nous touchons au but; 
il est signal^ par une pyramide massive, ou nous nous 
empressons de d£poser nos cartes. Des nuages errent 
autour de nous, et par moments nous enveloppent. Dans 
les Sclaircies apparaissent successivement tous les pics 
du Dauphine. Plus prfcs la vallee de l'Arc se creuse a 
2,400 mfct. de profondeur. Au Nord se d^roule par ondu- 
lations majestueuses le glacier de Chavierc, Tun des plus 
vastes et des plus beaux de nos Alpes. 

Un examen plus attentif troubla I6g&rement notre quie- 
tude. Nous aurions dft, d'aprfcs la carte, voir sous nos 
pieds un autre glacier considerable, incline & l'Ouest vers 
les chalets du Plan Bouchet. Rien de semblable ne s'offrait 
a nous. Dans cette direction, la vue 6tait arr£t6e par une 
cime abrupte, qui nous depassait visiblement. Je n'estime 
pas toutefois la difference & plus de 30 met., ce qui 

ANNUAIRE DE 1881. 2 



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IS COURSES ET ASCENSIONS. 

ne permet guere (Tattribuer k notrc pointe la cote 
3,255 met. de la carte. Apres une courte hesitation, nous 
decidAmes qu'il fallait aller rendre visite k la vraie cime. 
Le trajet semblait malaise, rnais il s'offrait k nous sous 
l'aspect le plus defavorable. II 6tait permis d'esp£rerque 
la muraille finale serait moins redressee en re\ilite qu'en 
apparence. 

A midi nous etioris de nouveau en route. Une deseente 
raide sur les debris nous amena sur rarete de neige qui 
relie les deux pointes. Un seul endroit demande de 
Tattention, car il faut cdtoyer une crevasse sur une pente 
rapide, oil de larges degres sont les bienvenus. On 
retrouve avec plaisir les rocbers, qui donnent lieu, pour 
les derniers pas, k une gymnastique seneuse. Aucun peril 
du reste, et nous n'avons pas jug6 opportun de nous 
attacber. Cette fois nous etions bien k la place assignee 
par la carte k la Pointe Renod, sur la ligne de partage des 
eaux entre les valines de Polset et de Plan Bouchet. Nulle 
trace de pyramide, aucun vestige d'une ascension prec£- 
dente. La vue devrait etre fort belle, mais nombre d'objets 
int6ressants nous sont caches. Nous recueillons cepen- 
dant quelques observations sur les glaciers qui splendent 
au Nord, et oil les ascensionnistes de Tavenir pourront 
glaner encore des courses nouvelles. 

L'heure tardive et les menaces du brouillard nous deci- 
dent k prendre le chemin du retour k \ h. 10 min. Arrives 
k la depression entre les deux pics, nous voulons eviter 
de remonter sur le premier. Dans ce hut nous nous enga- 
geons sur la face Nord, fortement inclinee vers le glacier 
de Ghaviere. Des eboulis penibles, des couloirs de glace 
traitreusement garnis de neige fraiche ne lardent pas a 
nous faire regretter l'arele. Elle est franchie de nou- 
veau i2 h. 30 min., et bientdt apres nous revoyons, k 
1,000 met. sous nos pieds, les p&turages de Polset, k demi 
voiles par une brume pluvieuse. 



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.2 c 



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COURSES NOUVELLES EN SAVOIE. 21 

On s'aperQoit un peu tard que les degres tallies en gra- 
vissanl le couloir sont trop espaces, glissants, et doivent 
<Hre en partie refaits pour la descente. Plus bas, dans les 
rochers, une ressemblance trompeuse nous egare et nous 
fait sortir de la route du matin. Nous allons lentement, 
profitant des issues praticables quand elles se presentent, 
avec la crainte incessante de nous engager dans une 
impasse. Ge n'est pas que le temps nous manque ou que 
les difficultes soient bien grandes, mais nous mettons une 
sorte d'amour-propre a ne point faire de pas inutiles. 
A 4 h. la marche redevient libre sur les gazons, et nous 
pouvons, avant de rentier au gite, nous oftrir une immer- 
sion fortifiante dans l'eau glacee du torrent. 

Les chalets de Polset sont eminemment hospitaliers, et 
Ton y dort tres bien sur le foin. La crainte d'y £tre blo- 
ques indefiniment par le mauvais temps nous les fit envisa- 
ger le lendemain sous un jour moins favorable. Plut6t que 
de nous y resigner, nous partimes a 7 h. 30 min., malgre 
pluie et neige, pour le col de Chavi&re (2,806 met.). En six 
heures de marche p£nible nous arrivions aPralognan, surs 
de trouver a nous secher el a nous refaire, grace a la cor- 
diale hospitality de M. Favre. 

L'ascension de la Pointe Renod, faite dans une saison peu 
favorable, nous a donn6 plus de peine que celle de la 
Pointe de TEchelle. Toutes choses egales d'ailleurs, elle 
doit fttre consid6r£e comme plus facile, et je crois qu'il y 
a dans les Alpes peu de cimes de m&me altitude oil, par 
un beau temps, le touriste soit plus completement r6com- 
pens£ de ses peines. 

Montee. Descente. 

De Modane aux chalets de Polset. ... 1 h. 30 min. 1 h. 5 min. 

Des chalets au bas des rochers 1 45 15 

Ascension des rochers. ....... 1 20 1 20 

Du glacier au premier sommet 1 15 — 50 

Du premier sommet au deuxieme — 55 — 55 

6 h. 45 min. 5 h. 15 min. 



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22 COURSES ET ASCENSIONS. 



III. — IE TOUR DU 6RAHD-BEC 

La neige tomba sans interruption toute la nuit du 4 an 
5 septembre. L'aurore nous montre toutes les pentes cou- 
vertes d'unblanc linceul au-dessus de l,600m&t.d*altihide. 
Evidemment les hautes cimes allaient <Hre inabordables 
pour deux jours au moins. Conime d6dommagcment les 
vall6es voisinesnous offrirent de cbarmantes promenades, 
et nous etimes lieu, en particulier, de remercier M. Rochat 
de nous avoir signals les gorges et les cascades de Mont- 
cbavet. Le 7, toujours sous la pluie, nous rentrions a 
l'h6tel de la Vanoise. Mon fr&re, arriv*6 directement de 
Paris, nous rejoignit dans la soiree, et nous d^cida a entre- 
prendre des le lendemain une grande course. Notre choix 
se porta sur le Grand-Bee, dont la cime septentrionale, la 
plus haute, n'a pas encore ete gravie en partant de 
Pralognan. 

M. Guyard a donne dans YAnnuaire de 1878 le recit de 
l'ascension qu'il a faite a la cime Sud. J'avais rep6t<* cetle 
course en 1879 par une route cntierement difF£rente, et 
il m'avait paru possible de passer d'un pic a Tautre en 
suivant l'arfcte, malgre lopinion d6favorable emise a ce 
sujet par notre collfcgue. Le manque de temps et de pro- 
visions m'avait emp£ch£ d'en faire lepreuve. La route 
que j'avais suivie, et que nous nous proposions de repren- 
dre, est facile a retrouver sur la carte. On quitte a 
30 minutes au dela des chalets de la Gliere le sentier de la 
Vanoise. On s'elfcve dans la direction du Nord sur un epau- 
lement gazonn6, couronne d'une pyramide. Parvenu en 
baut, on est sur le bord d'un plateau oil alternent les 
torrents et les champs de neige. Au fond se dresse un demi- 
cercle de pentes escarp^es dont les neiges alimentent un 
petit glacier carr^. Deux couloirs considerables en partent, 
montant Tun vers la Pointe du Creux-Noir, Tautre vers la 



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COURSES NOUVELLES EN SAVOIE. 23 

Fointe du Vallonet de l'Etat-major. (Dans le pays, ces 
denominations se rapportent, paralt-il, k des montagnes 
differentes.) Gontournant le fond du cirque par la droite, 
on atteint la base du plus septentrional des deux couloirs. 
On le laisse k gauche pour s'elever par des pentes raides, 
mais sans difficultes particulifcres, vers un beau col neigeux 
ouvert k l'Est du Vallonet et servant d'origine au glacier 
de la Becca-Motta. En 1879, favorise par le temps et Tetat 
de la neige, j'avais employe k cette ascension un peu plus 
de quatre heures. 

Le cas etait tr£s different cette annee. La neige nouvelle 
encombrait d6j& la route k partir des chalets de la Gliere. 
Plus nous allions, plus son epaisseur croissait. Des blocs 
de rochers tapiss£s de broussailles formaient sous ce man- 
teau trompeur un terrain non moins fatigant que perfide. 
Un clair de lune douteux nous avait permis de nous mettre 
en route Uh,, mais, deux heures plus tard, enveloppes 
dans le brouiliard, nous nous 6puisions en efforts st6riles 
pour gravir la base des Aiguilles de la Gliere. Aprfcs discus- 
sion contradictoire, nous finissons par deviner k peu pr^s 
oil nous sommes. Nous redescendons au fond du cirque, 
et k 7 h. nous dejeunons, fraternellement assis sur un 
m6me plaid, prfcsdu dernier torrent qui reussisse k percer 
les neiges. 

Des fragments de ciel bleu, un rayon de soleil, nous 
encouragent k la perseverance. Un ressaut brusque, sur- 
mont6 d'une moraine, donne accfcs sur le glacier, dont 
nous suivons la rive Nord aprfcs avoir pris la corde. Qk et 
\k il faut traverser une coul6e plus agglomeree, residu 
manifeste d'avalanches. Leur repetition n'est pas & crain- 
dre, car la gel£e de la nuit a revcHu les pentes d'une croute 
consistante, point assez cependant pour nous porter. Elle 
se brise k chaque pas, et nous laisse aux prises avec la 
neige poudreuse, d'une epaisseur toujours croissante. 
Engag6s dans la pente, nous suivons une petite arete ou 



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24 COURSES ET ASCENSIONS. 

percent de distance en distance des pointes de roc. Mais 
de Tune a l'autre les effondrements sont si brusques que 
nous nageons litteralement dans la neige,dechaussant par 
nos propres efforts le pied des blocs sur lesquels il faut 
nous Clever. Malgrtf la fatigue, nous allions toujours, 
founds de neige jusque dans les plis les plus intimes de nos 
vGtements et fort peu pr6occup6s du spectacle comique 
que nous devions offrir. 

Les heures se passent, cependant : le soleil monte et nous 
grille le visage en d6pit des voiles. Gbaque metre de ter- 
rain est gagn6 lentement, au prix d'^nergiques efforts. Sur 
nos tfites l'arfcte court horizontalement entre les Pointes 
du Vallonet et de la Gli&re, couronnee d'une frange 
bleuatre qui surplombe en quelques endroits. Le passage 
est cependant facile un peu a gauche, vers le sommet du 
couloir. Nous l'atteignons peniblement a 11 h. 40 min. par 
une pente unio, ou nous laissons derriere nous un 6nornle 
sillon, presque un fosse\ Que n'avons-nous a notre service 
ces robustes bocufs qui frayaient a l'armee du general 
Lecourbe le chemin du Saint-Gothard! Une halte est indis- 
pensable pour Sparer nos forces, et encore faut-il l'abr6- 
gerle plus possible, sous les assauts d'une bise aigut*. La 
vue presque degagee est magnifique. Elle a pour limites 
au Nord le Jura et le Mont-Rose, au Sud les Alpes Dauphi- 
noises el le Viso. Mais a peine reconnaissons-nous nos 
vieux amis sous ce voile uniforme. On est tente, en les 
voyant, de dire avec Theophile Gautier : 

Les monts sur l'^paule ont Therraine 
Comme des magistrals siegeant. 
Leur blanc tribunal examine 
Un cas d'hiver se prolongeant. 

Sans prejudice du dejeuner, nous tenons conseil. La 
Pointe du Vallonet (3,3 43 mbl.) nous domine d'une cen- 
taine de metres a TOuest. J'en avais trouve 1'escalade un 



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COURSES NOUVELLES EN SAVOIK. 25 

peu difficile en 1879. Nul doute qu'elle ne fAt penible et 
scabreuse, avec ces rochers encombres de neige fralche. 
L'arGte qui va de la au Grand-Bee promettait moins encore. 
Dentelures aiguEs, corniches fragiles , pourraient bien 
nous mener loin, a en juger par le temps qu'avait absorbe 
deja la premiere partie de la course. II fallait modifier nos 
plans , mais une perspective interessante nous etait 
ouverte. Sous nos pieds le glacier de la Becea-Motta se 
deroulait en une large nappe, brusqucment lerminee a 
la ranged de s£racs. Ne pouvions-nous pas en forcer le 
passage, et rejoindre la route suivie par M. Rochat pour 
Tascension du Grand-Bee? 

Ce plan reunit les suffrages. Dix minutes de descente sur 
un neve doucement incline\ puis une dSnivellation brus- 
que, et nous void engages dans un vrai labyrinthe de glace 
disloquSe. De superbes crevasses se croisent en tous sens, 
ne laissant entre elles que des ilots ou des tours bran- 
lantes. Vu la convexity croissante du glacier, il est impos- 
sible de fixer sa route a l'avance. Plus d'une fois il nous 
arrive d'etre bloques sur un 6troit promontoire, dominant 
de tous c6tes des profondeurs bleues. Force nous est de 
remonter peniblement, et de chercher ailleurs une issue. 
La direction a suivre est difficile a bien indiquer, et doit 
varier avec la saison. Pour s'en tenir aux grandes ligncs, 
nous avons d'abord appuye a droite vers un ilot de ro- 
chers. On en suit la base dans un corridor etroit et raide 
ou la vue est bornee de tous c6tes par des murs de glace. 
Des debris d'avalancbe indiquent assez qu'il no convient 
pas de s'y attarder. Sortis de la, nous avons incline con- 
stamment a gauche, profitant des terrasses praticables pour 
contourner les massifs de seracs qui herissent chaque ren- 
flement de la pente. La neige fralche a du nous faciliter 
certains passages, en nous dispensant d'y tailler des pas. 
Par contre elle nous a obliges, dans l'examen des ponts 
de neige, a multiplier les tatonnements et les recherches. 



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26 COURSES ET ASCENSIONS. 

II nous a fallu 2 h. 30 rain, pour gagner la sortie du gla- 
cier k son extr6mit6 Nord. Dans les conditions ordinaires 
ce temps sera trouve plus que sufflsant. 

Toute difficult^ cesse une fois la moraine atteintc. Nous 
nous arrfctons quelque temps en face du spectacle gran- 
diose offert par les trois Aiguilles de la Gliere, avec la 
Grande-Casse a Tarriere-plan. Leur versant Nord, qu'elles 
nous presentent, est incomparablement plus sauvage et 
plus abrupt que celui qui regarde la Vanoise. La moindre 
attention donnee k ce groupe prouvera que les Alpes de 
la Savoie ont encore des nouveautSs 6mouvantes & oflrir 
en fait d'escalades. 

Les nuages saccumulent et mettent fin k notre contem- 
plation. Inutile tie songer pour aujourd'hui k Tascension 
du Grand-Bee. Une descente rapide, le plus souvent sans 
cheniin, sur des gazons sem6s de pierres et de brous- 
sailles, nous am&ne au fond du val de Pr6mou, un peu en 
amont de Laisonnay. Plus bas la vallce est debois6e, 
monotone, semee de villages malpropres. Cette impression 
fdcheuse est vite elfacee k la vue des belles gorges de 
Champagny. Aux abords du village la route est encore en 
construction, et il faut passer bien au-dessus pour se mettre 
k l'abri des eclats de mine. Laissant il droite Champagny- 
le-Bas, nous traversons horizontalement la Forftt Noire 
parun cbarmant sentier,qui rejoint la route de Pralognan 
immediatement au-dessus du dernier lacet. A ce moment 
la nuit est venue. L'un de nous, un peu eclope, trouve 
interminable la derniere montee. Nous ne rentrons a 
Th6tel Favre qu y k 8 h. i5 min., aprfcs une dure joum£e 
de Ireize heures de marche. 

Notre itineraire doit rejoindre celui de M. Rocbat au bas 
du glacier. II est done possible de Tutiliser pour Tascen- 
sion du Grand-Bee. On abr^gerait le retour en traversant 
la breche ouverte au Sud de la Becca-Molta. Mais dtit-on 
refuser au passage franchi par nous toute utility pratique, 



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COURSES NOLVELLES EN S.WOIK. 27 

il garderait le merite d'oftrir une vue splendide, et do faire 
traverser le plus beau glacier de la Tarentaise. A cet egard, 
il a droit a une place hors ligne parmi les cols de la region, 
a c6te de celui de la Grande-Casse et au-dessus de tous 
les autres. 

Les heures indiqu£es ci-dessous representent pour la 
montee le temps employ^ en 1879, dans des circonstances 
plus favorables. 

De Pralognan aux chalets de la Gliere 1 h. 15 min. 

Des chalets au glacier 1 10 

Traversee du glacier — 25 

Ascension du col 1 20 

Descente du glacier de la Becca-Motia 2 20 

Du glacier a Laisounay 1 25 

De Laisounay a Champagny 1 30 

De Champagny a Pralognun 2 — 

1 1 h. 25 min. 



IV. — LE 6RAND-MJIRCNET(2 9 000 mkt.) 

Quelques renseignements obligeamment communiques 
par Joseph Amiez, le guide bien connu, m'avaient ouvert 
des aperQus nouveaux sur une question que j'avais cru 
reglee depuis longtemps. II s'agissait du Grand-Marchet, 
de cette lame calcaire, d'aspect formidable, qui forme Tun 
des principaux traits du paysage de Pralognan. Nous avions 
eu occasion a plusieurs reprises d'en voir les deux faces. 
Elles nous avaient paru a Tenvi verticales et inaccessibles. 
Quel ne fut pas notre 6tonnement d'apprendre de la 
bouche d'Amiez que la course n'etait point consider^ 
comme difflcile dans le pays! A la verite aucun touriste 
ne l'avait encore accomplie. 

Notre curiosity fut piqu6e. II manquait bien au Grand- 
Marchet quelques centaines de metres daltitude pour 
compter parmi les cimes notables du pays. Mais le mau- 
vais temps nousobligeait a 6tre modestes. La neige tomba 



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28 COURSES ET ASCENSIONS. 

encore pendant les journees du 9 et du 10 septembre. Une 
excursion au beau glacier du G6nepy acheva de nous con- 
vaincre que Facets des bauis sommets serait trop p6nible. 
A tant faire que de rester au-dessous de la limite des 
neiges, nous ne pouvions nous proposer de but plus 
attrayant que le Grand-Marchet. 

Toujours sans guide, nous nous mimes en route le 
11 septembre & midi 30 min. C'etait passer d'un extreme 
a l'autre et montrer peu de consideration pour notre 
montagne. Le temps 6tait assez beau, il est vrai, et la 
route en partie connue. Au sortir de l'hdtel, on traverse 
une prairie dans la direction du Sud, et Ton suit la lisifcre 
Ouest de la belle for6t de sapins qui tapisse les penles 
en face du village. On s'eifcvc rapidement sur un terrain 
inegal, m£lang6 de rocs, de broussailles et de gazons. Dp 
sentier, il n'en faut pas chercher, quoi quen dise la carte. 
Nous avons parcouru cette pente quatre Ibis, & la descente 
ou k la mont6e, sans rien voir que des traces inter- 
rompues et confuses. On a devant soi une muraille de 
rochers blancs et polis, courant du Roc de la Valette au 
Grand-Marchet, et qui semble interdire tout passage. Le 
point vulnerable est k droite, prfcsdu Roc de la Valette, ou 
un eperon saillant dissimule une chemin^e. Ici Tart est 
venu en aide k la nature, par la main des bergers qui ont 
dispose quelques grosses pierres en forme de marches. 
Cet escalier franchi, le pretendu sentier de la carte tour- 
nerait & gauche vers le Grand-Marchet. A-t-il 6chappe k nos 
recherches? Toujours est-il que nous avons du monter 
plus k l'Est par des p&turages coupes de bancs calcaires, 
jusqu'au chemin trace qui r6unit les chalets du Petit et du 
Grand-Marchet. 

Ceux-ci sont k quelque distance sur la gauche, precedes 
d'une forte descente. A leur place nous ne trouvons que 
des ruines. Derrifcre s'ouvre une ar6ne de gazon ou erre 
en silence un ruisseau limpide. (Test vraiment une des 



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COURSES NOUVELLES EN SAVOIE. 29 

belles solitudes des Alpes, k mettre en parall&le avec 
Salanfe ou Anzeindaz. A gauche les flfcches aigufis du 
Grand-Marchet montent d'un jet k 400 mfct. dans les airs. 
Au fond est une muraille noire oil glissent les cascades, 
semblables k des 01s d'argent, et, couronnant le tout, la 
masse eblouissante des glaciers de la Vanoise. 

Mon frfcre attendra ici notre retour. II veut se menager 
pour le lendemain, et d'ailleurs il ne croit pas au succfcs. 
De fait notre montagne n'est gufcre plus encourageante 
qu'au depart, et la possibility de la gravir semble un 
paradoxe. II faut raffirmation d'Amiez pour me donner 
confiance. Nos doutes se sont transformes en certitude en 
ce qui concerne la cime de l'Ouest (2,561 mfct.), la seule 
visible de Pralognan. Mais la pointe de l'Est, notablement 
plus haute, peut 6tre approehee dassez pr£s par un petit 
col gazonnS, trait d'union entre le Grand-Marchet et la 
masse principale des montagnes de la Vanoise. Ge trajet 
accompli (c'esl laffaire de trois quarts d'heure au plus), 
on a sous ses pieds un vallon sterile et neigeux, qui trouve 
une issue vers le Nord, k la base du Roc du Dar. La 
descente par \k est, je crois, possible, et completerait la 
course d'une manifcre heureuse. 

D£cidement, le Grand-Marchet n'offre que murailles 
nues et d<§sesperantes. Ou Ton s'est moque de nous, ou la 
seule voie possible est une chemin6e sinueuse qui, k peu 
de distance sur la gauche, entre au coeur de la montagne. 
Elle a bien l'air, k premiere vue, dune impasse. Cette 
apparence resulte d'un coude brusque qui en masque la 
partie superieure. Nous en gagnons la base sur des gazons 
raides, qui r6clament de la prudence et de bons clous aux 
souliers. Viennent ensuite les debris, puis le roc vif ; qk et 
\k un banc de neige molle qu'il faut battre profond^ment 
avant dy chcrcher un appui. La chcmin^e est absolument 
verticale pour ces derniers pas, mais les fissures k saisir 
se trouvent avec un peu d'attention. Somme toute, esca- 



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30 COURSES ET ASCENSIONS. 

lade courte et amusante. On fera bien, pour Pentreprendre. 
de se munir d'une corde. Son absence, a la descente, a 
m£le un grain d'amertume a notre plaisir. 

Du haut du couloir, le regard plonge subitement, a 
1,000 mfct. plus bas,dans le vallon de l'Arselin. Le sommet 
est a deux minutes de marche vers la droite par des ban- 
quettes de rochers faciles. Nous laissons nos cartes de visile 
dans une pyramide erigee en hate. Le panorama est peu 
6tendu, mais grandiose. On plane de tous cotes sur des 
abimes, et, comme fond de tableau, les glaciers d£roulcnt 
leurs larges cataractes a demi voilees. 

La cheminee exige 30 minutes au retour commo a Taller. 
Mais au dela, nous prenons un train aussi rapide que le 
comporte la pente. Tant pis pour les jolis points de vue 
que chaque tournant pourait nous offrir. 11 s'agit avant tout 
de ne point passer dans la fonM une nuit qui s'annonce 
noire et pluvieuse. Tel serait notre sort, si nous nous 
attardions tant soit peu; car le terrain est trop difficile 
pour qu'on puisse operer la descente dans l'obscurite. 
Gourir sur les gazons, sauter sur les blocs, plonger dans 
les buissons au grand detriment de nos- habits, tout est 
mis en oeuvre. Enfin, nous posons le pied sur les molles 
prairies de Pralognan, au moment oil s'6teint la derniere 
lueur du crepuscule. Nous n'avions ete que six heures 
dix minutes en route, mais la course merite d'&tre faite 
plus k loisir; je ne saurais trop engager les amateurs 
descalades & lui consacrer une journee. 

V. — LA POINTE DE CREUX-MOIR (3,17.8 iifcT.) 

La Pointe de Creux-Noir, appeb ; i* aussi Pointe du Val- 
lonet dans le pays, est une gracieuse coupole de neige. 
parfaitement visible de Brides -les -Bains. Couple a pic 
vers le Sud, au dessus des chalets de la Gliere, elle se 
rattache au Grand-Bee par une ariMe aigutS et envoie deux 



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COURSES IIOUVELLES EN SAVOIE. ' 31 

longs couloirs de neige, Tun k l'Ouest vers les pAturages 
de lu Vuzelle, I'autre k TEst vers le glacier du Vallonet. 
(Test cc dernier que j'avais note de longue date comme 
la ligne d'ascension la plus agreable et la plus courte. 
Aucune difficult^ serieuse en perspective. Aussi etions- 
nous convenus de reserver cette course pour le cas ou 
des conditions d6favorables et persistantes nous interdi- 
raient des vis£es plus hautes vers les Aiguilles de la Gli&re. 
Tel etait le cas, malheureusement, le 12 septembre; notre 
experience des jours precedents le disait assez. Mais nos 
regrets n'ont pas dure. L'6preuve faite, nous avons pres- 
que remercte le mauvais temps, qui nous a donne occa- 
sion d'ajouter au repertoire de Pralognan cette ascension 
charmante etcomme faite expres pour les dames. 

La route est identiqueau debut avec celle que nous avions 
suivie quatre jours plus t6t. Partis k 4 h. 10 min., au clair 
de lune, nous avons l'avantage de trouver les pentes infe- 
rieures libres de brouillard et de neige nouvelle. Laissanl 
a droite le bassin uni qui sert de preface au glacier, nous 
abordons celui-ci k son extr6mil6 Sud, et avant 7 h. nous 
degeunons, confortablement installes sur la moraine. 

La Pointc de Creux-Noir est masquee ici par un contre- 
fort qui s'en dStache du cdte de TEst. Le sommet redevient 
visible apres quelques minutes de marche sur le glacier, 
qui est a peine incline, sans crevasses dignes de ce nom. 
Une surprise agr6able nous y attend : la gelee de nuit a 
ete assez forte pour constituer a la surface une croftte 
r6sistante, 6minemment favorable a la marche. Get etat 
de choses trouve malheureusement une fin des le debut 
du grand couloir par ou seilectue la montee. Pour ne 
pas effondrer la croftte, il faut multiplier les points d'ap- 
pui en s'aidant des genoux et des coudes. Encore cette 
ressource nous manque-t-elle bient6t, et il faut se r6soudre 
k creuser une trace profonde dans la neige poudreuse. 

Le couloir est large, en pente moderde, sur une hauteur 



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82 COURSES KT ASCKNSIONS. 

d'au moins 200 mfct. II prend son origine a la depression 
qui s6pare les pointes du Vallonet et de Creux-Noir. Entre 
cette brfcche et la cime s'61£ve un massif de roches d£cou- 
pees. Pour 16viter, nous abandonnons le couloir, et nous 
attaquons surla gauche une belle nappe de neige qui va 
rejoindre l'arfcte plus pres du sommet. Ici, linclinaison 
devient peu a peu tres forte, et c'est au prix d'une veri- 
table escalade, terminee par un retablissement. que nous 
retrouvons les pentes douces de Tautre versant. Un mo- 
ment, le regard embrasse les paturages de la Vuzelle, et 
plus loin la vallee du Doron, long berceau de feuillage oil 
miroite Targent des cascades. Mais ce nVst qu'une appa- 
rition fugitive. Les nuages s'abaissent sur nos t^tes, et la 
neige tombe en flocons serres. 

Nimporte, nous savons que le sommet est a quelques 
minutes sur notre gauche. Encore une courte et penible 
monttfe, et nous devinons, dans une profondeurbrumeuse, 
les chalets de la Glifcre. Au-dessus du precipice, la neige 
se recourbe en gracieuses volutes, imitant, sous une forme 
adoucie, Tar&te finale de la Grande-Casse. Pench6s sur ce 
balcon fantastique, nous voyons a quelques metres plus 
bas un chamois effleurer la pente et disparaitre au deHour 
d'une roche. 

Pour etre surs d'avoir foulc la cime, nous suivons quel- 
ques minutes la ligne de falte, jusqu'au point oil elle 
s'abaisse franchement dans la direction de Pralognan. Un 
ledger cordial passe a la ronde pour nous pcrmettre de 
lutler plus efficacement contre le froid, et nous entamons 
la descente par la m&me route, sans avoir pu saisir la 
moindre portion de la vue, qui promet d'etre extrfimemcnt 
belle. Partis a 9 h. 50 min., nous avions rejoint la moraine 
a 11 h. Ge temps pourrait 6tre abr6g6 de beaucoup si la 
neige 6tait bonne, car nulle part la nature n'a mieuxreuni 
toutes les conditions d'agr^ment et de s^curite pour une 
glissade echevel^e. 



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C0CRSES NOUVKLLES EN SAVOIE. 33 

Le reste du jour se passa en fl^neries sur les p4turages 
du Morion, belvedere naturel des glaciers de la Vanoise. 
Nous all&mes aussi rendrc visite h l'aiguille du m6me 
nom, mais sans rien trouver k changer aux conclusions 
enoncees par M. Rochat dans YAnnuaire de 1879. Au 
moins, ce d6tour fut-il r6compens6 par la vue d'une belle 
avalanche, lentement 6croul6e sous nos yeux dans, le 
vallon de TArselin. 

Ainsi s'est terming, par un succ&s relatif, noire petite 
campagne autour de Pralognan. Bien que peu favoris6s 
par le temps, nous en avons gard6 le plus agr£able sou- 
venir, et je souhaite que ces pages puissent contribuer a 
faire rendre une enti&re justice a Tune des plus attrayantes 
de nos stations alpines. 

Mont6e. Descente. 

De Pralognan au glacier 2 h. 20 min. \ h. 30 min. 

Traversee du glacier — 25 — 20 

Du pied du couloir au sommet 2 — — 4-» 

4 h. 45 niiu. 2 b. 35 min. 

Pierre Puiseux, 

Membre du Club Alpin Francais 
^Section de Paris). 



ANXt'AIRK DK 1881. 



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II 
PASSAGE DU COL DU DOM 

(4,350 mkt. environ) 

PREMIERE ASCENSION FRANQAISE 

Le 26 juillet 188 i nous partions do Viege, pour aller nous 
etablir dans le fond de la vallee do Saas. A Staldon, laissant 
a droite la route de Zermatt, suivie par tant de touristes 
qu'attire le grand nom du Cervin, nous nous engageons 
dans la valine voisine, tres pittoresque et trop peu visitee. 
D'abord la Viege gronde entre les deux pontes abruptos 
qui Tencaissent; le ehemin, ombrage ea et la par des 
m<Mezes sexulaires, court a mi-hautour, et parfois sur- 
ploinbe le torrent. Plus baut, torrent et sentier so rejoignont : 
le mel&ze crolt au bord de rondo exnmanto; le torrent, 
rivalisant de fracas avec les cascades voisincs, so rue avoc 
fureur contre les blocs qui le brisent. La pluio mo* me no 
peut amoindrir a nos youx la grandeur du spectacle, et le 
brouillard dans lequel so perdent les totes des sapins forme 
au torrent une vouto lumineuse que ses eaux refletent on 
un gris argents. 

Notre enthousiasmo n'a pas encoro dofailli un soul in- 
stant lorsque nous arrivons au point le plus merveilleux do 
la vallee, au cirque de Fee, enceinte grandiose do paturagos 
et de foreHs, que la nature vivante a pen a peu conquiso 
sur le monde des glaciers. Ceux-ci, coniino rofoules par 



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PASSAGE DIT COL Dt f DOM. 35 

uno puissance superieuro, se pressent tout autour, rem- 
plissent les gorges, mais nc franchissent pas les limites do 
la vallee quils ravageaient autrefois. Gonfiant dans son 
triomphe, l'honime y vit paisible, irriguant puis fauchant 
ses prairies, rentrant son foin ; le touristo lui-meme viont 
echanger sa tente d'un jour conlre une commode instal- 
lation, et deTriche le sol & sa maniere. L'et£ dernier, nous 
frtmes au nombre de ces pionniers, pionniers tardifs, mais 
contents encore d'elargir les voies que d'autres, plus 
hardis, ont tracees. 

Avant de penser & franchir le col du Dom, nous nous 
oxerc&mes h la Lange Fluh, h TKgginerhorn et au Nadol- 
horn. 

Nous n'elargimes guere la route de la Lange Fluh, ba- 
nale etape du col de l'Alphubol, quoique, nous larioant 
sans guide le long du glacier, nous ayons nous aussi gravi 
noire petit mur de rochers polis et cntaille notre petit 
sorac. 

Nous n'aplantmes pas davantage celle de TEgginerhorn 
(3,377 met.), faute de l'avoir vue sans doute, car la mon- 
tagne se voilait pudiquement dans le brouillard : une ruse 
si subtile ne prevalut pas contre la science de Basile An- 
denmatten *. 

Pensez-vous que le chemin du Nadelhorn d,33i met.) 
ptit encore etre ameliore? Certes, pour gravir 1,900 met. de 
gazons rapidesetde rochers, quelqueslacets sont agreables; 
mais chacun les fait en choisissant ses pas ; vous ne pou- 
vez desirer de neve plus uni et plus stir que celui de Hoch- 
balen, et vous grimpez pendant deux heures le long de 
1'areHe Nord-Est, tres aigue, sans regarder a droite ni a 
gauche ou trop vous redresser, si vous etes sujet au ver- 
tige. 

1. Nous cueillimes sur la pointe meme de TEgginerhom le ration- 
rulus glarialis Wane, la yentiana bavarira, et YerUrichium nanum, 
Schrad. 



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3fi COURSES KT ASCENSIONS. 

Le Nadelhorn pout compter commo un s6ricux entralne- 
ment; ce n'est pas line exploration. Force nous est done 
de concentrer nos pretentions ainsi que notre recit sur le 
passage du col du Dom (Domjoch), et peut-etre comble- 
rons-nous une lacune en revclant les mysteres des deux 
murailles qui soutiennent le Saasgrat entre le Dom et le 
Taeschhorn. 

Notre ascension n'est pas nouvelle, car le Doinjoch fut 
traverse par MM. Foster et Walker, de Y Alpine-Club, en 
1868; niais les gens du pays ne pouvaient nous donner sur 
ce col aucun rcnseignement precis. Soul, le guide Peter 
Knubel pretend connattre I'cxistcnce dun passage eflectue 
a une date incertaine par deux Anglais qui durent bivoua- 
querdans les rochers de l'Ouest au-dessous de la create. 
Faut-il admettre ce recit? Faut-il ne voir \k qu'une version 
ainplifiee de Tascension de M. Foster? Celle-ci est seule 
certaine, k notre avis. Nous la resumons plus has, pour 
eviter k ceux de nos collegucs que ce sujet interesserail 
la peine dela chercher dans Y Alpine Journal. Nous n'avons 
trouve nulle part, dans cette publication ni dans aucune 
autre, de traces d'un passage ulterieur. 

Le Domjoch nous intriguait par Vobscurite de son histoire : 
mais surtout il nous attirait par ses enormes masses de 
neige, tantot plaqu£es d'une gouache mate et uniforme 
dans le milieu du jour, tant6t baignees dans une brume 
lumineuse au lever du soleil. Vers le soir, le spectacle 
changeait : durement sertie, la montagne etait sillonnee de 
rides obscures et de bourrelets aux reflets metalliques. 
Moins tourmentee, mais d'une pAleur froide sous la lune, 
elle reprenaitpeu k peu sa simple majeste; nous admirions 
une belle statue, que bientot allait animer le souffle ma- 
giquc de l'aurore. 

Ghaque jour, le Domjoch nous passionnait davantage; 
nous le vimes trop, et nous resolumes de le franchir. 

Notre guide, Alois Anthamatten (dej& connu des lecteurs 



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PASSAGE DU COL DU DOM. 37 

de YAnnnaire), s'associait sans repugnance a nos projets; 
hardi chasseur, il etait rhomme de la circonstance. Nous 
ongageames aussi notre porteur du Nadelhorn, David An- 
denmatten, frere de Basile, jeune colosse, auquel nous ne 
demandions qu'un emploi judicieux de sa solidite, sous la 
haute direction d'Anthamatten. 

Le dimanche 3 aout, apres cinq jours d'un temps radieux, 
nous quittames l'h6tel a i h. du soir, pour aller hivouaquer 
surTEgglluh (3,000 met.). 

En deux heures et demie, suivant d'abord la route du 
Nadelhorn, puis tournant a gauche sous le Fallgletscher, 
nous atteignimes pres de Tar<He une etroite terrasse bien 
abrit£e du vent du Nord, et bordee d'un mur a hauteur 
d'appui. Nous y passames une nuit d'alpinistes, une de ces 
nuits qui fatiguent, et dont un sommeil vague ne dissimule 
pas la longueur. Le lundi de grand matin quelques nuages 
intempestifs avaient suivi la lune au dela des monts, et 
Tobscurite seule sopposait a notre prompt depart. Eneffet, 
il ne pouvait etre question de franchir a la lueur douteuse 
de la lanterne la pente rocheuse qui nous separait du gla- 
cier, ni le labyrinthe de ses crevasses marginales. A A h. 
seule'ment nous levames notre camp, laissant aux soins du 
porteur supplementaire couvertures et casserole. 

L'heure de notre depart est la derniere que nous puis- 
sions indiquer avec un peu de certitude jusqu'au terme de 
notre course, car, en quittant le bivouac, la seule montre 
de l'expedition, prise sans doute de peur, refusa de mar- 
cher. En revanche, nos cotes sont exactes, grace au baro- 
metre et surtout a rexcellente carte du Club Alpin Suisse, 
dont la Redaction de YAnnuaire a bien voulu faire repro- 
duire un fragment. 

Le Feegletscher, que nous traversons dans sa largeur 
apres une courte descente, ne semble pasau premier abord 
tres merchant; cependant bientot les crevasses s'enche- 
v^trent, et Alois taille des marches dans une paroi de 



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38 COURSES ET ASCENSIONS. 

13 met., prcsque verlicalc, pour rejoindre le lit brusque- 
ment affaisse du glacier. Ge niur n'est marque qu'en partie 
sur la carte, revue en 1878. La descente sur les marches 
d'Alois nous eut pris k tous deux un temps precieux : Tun 
de nous proposa de nous laisser glisser successivement, 
retenus par David, et cette idee peu alpine, aussit6t mise a 
execution, dejoua la difflculte. Nous nous elevames ensuite 
vers la droitc, tant pour eviter les crevasses que pour nous 
rapprocher du couloir d'ascension. Cette traversee facile 
demanda cependant des precautions, car elle s'eflfectuait 
sur de recentes avalanches, terrain mouvant que de nou- 
velles masses de neigc pouvaient recouvrrr a chaque in- 
stant: mais nous touchames sans incident aux roches du 
couloir (courbe 3,580). 

G'est la que nous dejeunames, sous le ciel bleu, dans un 
site admirable entreles Mischabel, TAlphubcl, le Weissmies 
et le Fletschhorn ; le couvert etait mis sur une roche qui 
surplombait le glacier de Fee, vaste tapis etendu a nos 
pieds. Tandis que tous les pics resplendissaient, la vallee 
paraissait plus sombre encore au milieu du flamboiement 
general. 

Le grand couloir du Domjoch, qui part du sommet du 
pic, se prolonge pendant un millier de metres jusquau 
glacier de Fee, par des pentes de plus de H0° dans sa 
partie superieure; ver< sa base, nous avons constate une 
cnclinaison de 52°, peut-iMre la plus faible de cette paroi 
orientale des Mischabel, que Whimper deelarait inacces- 
sible. 

A 100 met. au-dessous de la crete, le couloir est soudain 
coupe par d'6normes masses de glaces surplombantes, der- 
niers restes dune couche plus epaisse, disparue en grande 
partie a la suite de la fonte du printemps. La prudence 
commandera toujours de ne fairc que de courtes stations 
sous ces blocs menacants. 

Mais si le couloir presente des dangers, lescalade des 



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PASSAGK DU COL DU DOM. 39 

rochers qui le bordent para it au premier coup d*oeil tres 
facile, carleurs couches plongentdu Sud-Estau Sud-Ouest, 
com me dans toute la chalne des Mischabel. Malheureuse- 
ment, ils ne forment pas une artUe continue, comme on le 
croirait a la seule inspection de la carte; peut-£tre les 
solutions de continuity sont-elles encore accentuees par 
l'amas des neiges tomb^es pendant l'hiver de 1882-1883. 
En realite, la bordure rocheuse est formee d'un grand 
noinbre de sillons paralleled, qui servent d'^coulement 
lateral au couloir; la plupart des bourrelets "qui les 
separent sont eux-m£mes pour ainsi dire inondes. La 
neige n'etait pas sure; recouvrant d'une couche de 30 cent, 
une neige infericure presque glacee, elle semblait n'at- 
tendre qu'une occasion pour glisser en avalanches. Peu 
desireux de lui servir de pretexte, nous traversions les 
sillons en avancant Tun apres l'autre, et, sans nous arr&ter 
sur les bourrelets inondes, nous nous nations de nous 
cramponner aux rochers lorqu'ils surgissaient a nouveau. 
La muraille rocheuse que nous suivions, a une cinquan- 
taine de metres en dessous de la bordure inline du cou- 
loir, sinterrompait de plus en plus, la neige devenait plus 
poudreuse, partant la difficulty croissait. Levant alors les 
yeux, nous apercuines des nuages formes a notre insu 
pendant notre travail d'escalade; ils s'abaissaient rapide- 
ment, et tout autour les cimes etaient voile" es. Que faire? 
descendre? II n'en 6tait plus temps, car deja le jour £tait 
avance. Ou passer la nuit si nous atteignions le glacier? 
Comment rester exposes aux chutes de pierres et aux ava- 
lanches sur ces bourrelets sans ressaut protecteur? Com- 
ment surtout franchir a la descente et dans le brouillard 
ces pentes peu stables fatiguees par un premier passage, 
lorsque souvent un seul de nous etait solidement cram- 
ponne? Ajoutons que Torage paraissait devoir se dechalner 
a nos pieds, et que nous esperions trouver au besoin un 
abri dans les rochers de la muraille opposed. La situation 



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40 COURSES ET ASCENSIONS. 

otait critique, mais aucun de nous ne fut surpris lorsque 
Alois d^cida de continuer l'ascension. 

Avancer, il le fall ait; mais ce n^tait possible qu'au prix 
de lents efforts. Le guide nous precedait avec 17 m&t. 
de corde; tantdt il grimpait une anHe recouverte d'un 
metre de glace et de neige molle; tantdt il traversait un 
sillon dangereux; tantOt, du haut de quelque t£te de 
rocher, il nous soutenait sur des marches qui presque 
toutes s'effondraient sous le poids du second ou du troi- 
si&me. 

Nous nous rappelons surtout un passage ou, la corde 
qui nous liait a Alois n'etant pas assez longue pour lui 
permettre d'atteindre le rocher suivant, nous dumes nous 
detacher. Nous <Hions tous trois debout sur les etroites 
saillies d'une corniche horizontale, comme nous en avions 
d6ja rencontre plusieurs, et seulement appuyes contre le 
mur de neige; ainsi places, a 10 m£t. au-dessous d'Alois, 
nous n'aurions pas pu le retenir si quelque glissement, 
toujours a craindre, s'etait produit. Au bout de quelquos 
minutes bien longues pour nous, Alois parvient a se hisser 
sur une dalle solide ; mais c'est en vain qu'il cherche une 
issue praticable. Plus que tout a Theure la descente est 
impossible ; que deviendrons-nous si Faeces du col nous est 
interdit a son tour? C'est alors que Tun de nous proposa 
s6rieusement de creuser une cabane de glace dans un des 
bourrelets, et partout le danger semblait si grand que 
cette proposition etrange fut s^rieusement discutee, et re- 
pouss^e seulement parce que la profondeur de la glace 
etait insuffisante sous la dalle. Avant tout, il fallait re 
joindre Alois pour lui rendre la liberte de ses mouve- 
ments; ce fut une besogne fatigante et difficile. Cette dalle 
ainsi conquise s'enfonqait a gauche sous une epaisse cou- 
che de neige, ou nous essayames inutilement de prati- 
quer des marches. A droite se dressait le couloir que nous 
avions obliquement traverse depuis la derniere etape, et 



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PASSAGE DU COL DU DON. II 

dans lequel aucune pierre ne per^ait plus la neige. Mais 
peut-dtre le salut 6tait-il sur l'autre pente de 1'artHe de 
neige. Alois l'abattit pour mettre la dalle & decouvert; 
elle se prolongeait k gauche comme nous Tavions espere, 
de sorte qu'il doubla facilement le promontoire. Nous le 
perdlmes alors de vue; mais, heureux d'entendre les 
coups r6petes de son piolet, nous le soutenions au moyen 
de la corde enfoneee dans l'ar&te comme dans la gorge 
d'une poulie. Les rochers reparaissaient sur le bord d'un 
couloir plus abrupt encore que les precedents, mais que 
nous travers&mes sur des marches presque solides. Puis 
nous nous trouv&mes tous reunis, et momentanement en 
surete. 

Nous avions atteint le point d'attache de notre contre- 
l'ort. A gauche nous apercevions le col du Dom, presque k 
notre niveau; mais lerejoindre eut ete fort difficile, etd'ail- 
leurs maladroit, car la face occidentale est impraticable 
pr&s du Tffischhorn, comme Alois l'avait parfaitement 
remarque dans diverses ascensions. Le seul parti k prendre 
etait de nous diriger directement vers la cr<He par une 
large pente de neve, encore haute de 100 met. lei, plus de 
bourrelets ni de sillons : la neige, moins accumulee que 
dans les couloirs, plus homogene que sur les ar&tes, et 
sans doute aussi soutenue par les roches interieures, 
etait d'un acc6s moins dangereux. Cependant la super- 
position de deux couches distinctes sur une pente de 
H0° persistait. Alois se gardait bien d'ebranler la neige 
plus qu'il n'eHait strictement neeessaire : il s'elevait en la 
tassant par places avec les bras et les genoux, et ne tail- 
lait que de distance en distance une marche profonde 
dans la glace sous-jacente. 

La cnHe, petite vague de neige, fut enfin enjambee vers 
4 heures (4,350 met.); mais jamais succes ne provoqua 
moins d'enthousiasme, sur le moment du moins; car 
jamais aucun ne fut plus incomplet. 



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42 COURSES ET ASCENSIONS. 

Gomme perspective, rien; un rideau de nuages d£ro- 
bait k nos regards les montagnes de Saas, et nous n'aper- 
cevions le glacier de Kien, qu'il nous fallait atteindre a 
450 met. plus bas, qui travers les dfohirures du brouil- 
lard. « Quoi qu'il puisse arriver, secria l'un de nous, nous 
aurons franchi le Domjoch! » 

Apres une courte halte sur les rochers qui bient6t sue- 
cedaient a la neige, la descente commenca. David, en qui 
nous avions pleine contiance, fut place k l'arri&re-garde ; 
sans se detacher, le second de la corde prit la kHe ; Alois le 
suivait k quelques pas, pnH k le soutenir, et libre aussi de 
se porter partout de sa personne. 

On comprendra facilement ponrquoi les rochers, desagre- 
ges et croulants, n'oflxaient plus aux mains de saillies 
commodes : ils formaient la contre-partie obligee de eeux 
du versant oppose. Gependant, les obstacles futurs resul- 
tant clairement d'une remarqnable disposition des couches 
sur ce versant, quelques explications simplifieront les 
descriptions de la descente. 

En etudiant la carte, qui serait fidele si elle n'avait pas 
exagere la proportion de la neige, on reconnatt que la 
muraille Ouest du Domjoch est constitute par une serie de 
gradins en losanges, d f une inclinaison moyenne de 45°. 
Entre deux gradins, le plan vertical est parfois coupe par 
une cheminee, mais le plus souvent il est infranchissable. 
De Zermatt, cette disposition est visible contre les flancs du 
Dom : le profil des gradins se detache en ligne brisee sur 
le ciel, et, sur la pente, des bandes alternativement blan- 
cMtres et noires en indiquent la succession. Plans inclines 
et murs verticaux se nivellent pres du Treschhorn, et con- 
tre les flancs de ce pic ils ont completement disparu. Le 
fond de la depression est occupe par de longs couloirs gla- 
cis alternant avec des roches unies tr&s rapides, qui inter- 
disent la descente directe du Domjoch. Au Nord, notre 
muraille est coupee k angle droit par le contrefort du Gra- 



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.PASSAGE DL COL DU DOM. i3 

benhorn, qui separe le glacier dc Kien clu glacier de Festi. 
Un couloir important comble Intersection vers laquelle il 
faut se dirigec en obliquant a droite, apres avoir franclii la 
crete. On arrivera ainsi sans Irop de peine a la base d'un 
puissant mur vertical, qu'on longera le plus longtemps pos- 
sible. (Test ce que nous fimes nous-in&mes, apres quelques 
hesitations. 

Cette muraille ne tarde pas a devenir pour nous un 
auxiliaire precieux; l'orage, qui ne semblait avoir fait 
tr^ve pendant quelques heures que pour nous attirer plus 
avant dans la montagne et nous tenir plus surement a sa 
merci, eclate maintenant snr la chatne du Weisshorn : 
plonges dans un brouillard opaque, nous sommes beureux 
de suivre a talons notre rampe de rochers. 

La neige se met de la partie; elle tombe en floeons 
presses Jetant soudain surle sol ce manteau lugubre qu'on 
a compare & un linceul. Certes, l'occasion est propice 
pour se livrer aux idees funebres; mais, sauf David qui 
parfois murmure : Wir werden alie caput! chacun reagit 
contre son inquietude, et nous n'avons jamais temoigne 
plus d'entrain. 

Cependant il convient de ne pas pousser trop loin notre 
pittoresquedescente; car l'escalier, abandonnant sa rampe, 
tourne a gauche sous forme d'une cheminee rocheuse, 
toute .blanche pour le moment. Quant a la muraille 
tutelaire, elle oblique vers la droite, continuee en des- 
sous par un talus rapide et bientot interrompu. Alois, pro- 
litant des dcrnieres clartes du jour, pousse de ce cot£ une 
reconnaissance infructueuse. Quitter le mur, suivre la che- 
minee pour s'engager sur les dalles unies ou Platten dont 
les gradins commencent a etre paves, serait de la folic : 
le bivouac propose tout a 1'heure est maintenant n^ces- 
saire. 

Nous voila. tous quatre a l'ceuvre, desagr^geant le talus 
avec les piolets, faisant glisser mainte pierre pour prati- 



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44 COURSES ET ASCENSIONS. 

quer une plate-forme quelconque, tandis que la neige 
silencieuse nous recouvre toujours.Mais nous sommcs bien 
sur ces Flatten maudites ! Sous une couche de larges pierres 
-inclinees, on en trouve une autre pareille, pnMe a glisser 
pour faire place a une couche nouvclle, qui glissera encore ; 
le travail continue, la plate-forme n'apparait pas, mais les 
pierres glissant toujours tombent de gradin en gradin sur 
le glacier. 

Un nouvel essai sur un autre point donne le inline 
resultat negatif... Mais a quelques pas plus haut dans la 
muraille, sur un terrain solide, Alois a remarque^ tout a 
Theure une corniche; quelques minutes s'eeoulent pen- 
dant qu'il remonte a la decouverte. BienlM il nous crie 
quil n'est pas mal, mais ne peut redescendre; c'est a nous 
de le rejoindre. On fixe les piolets comme on peut, et, 
malgr6 l'engourdissement cause par cette halte d'unc demi- 
heure, on se met en mesure de gagner la corniche. On 
rampe, on s'accroche, on se hisse aupres d 'Alois, qui fail 
les honneurs du glte... bonheur! deux bancs superposes 
et tres etroits, non pas horizontaux, mais assez inclines; 
sur la droite une faille ou Ion peut tenir deux; a la hau- 
teur de notre t<Me, une saillie tres en relief qui, entouree 
par la corde, a pour mission de nous retenir tous, apres 
avoir fait ses preuves bien entendu. Au-dessous? ah! il ne 
faut pas se monlrer exigeant; au-dessous cc sont les dalles, 
et au-dessous, le glacier, 

II devait etre 8 h. quand nous primes possession de ce 
bivouac sommaire a plus de 4,200 met. d'altitude. 

Les deux guides se blottissent dans la faille, ou ils sonl 
assez g£nes;chacun de nous obtient un siege forme de 
deux pierres, pour corriger la pente, et jouit de la moitie 
du banc inferieur en guise de tabouret et de promenoir. 
Nous pouvons rester assis sans nous adosser, ou nous tenir 
prudemment debout sur le promenoir, en nous appuyant 
sur une jambe, puis sur Tautre, ou sur toutes deux a notre 



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8 8 



LES M1SCHABELHORNER, vus de 1 



1. Dilrrenhorn, 4,035 metres. 

2. Hohbergpass, 4.000 metres. 

3. Hohberghorn, 4,226 metres. 

4. Nadelhorn. 4.334 metres. 



5. Siid-I^eoxspii; 

6. Nadc»ljoch, 4. 

7. Dom. 4,551 n 

8. Domjoch (not 
8 bis. Domjoch. 



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10 



eigre du Rothhorn, d'apres une photogTaphie. 

9. Tftschhorn, 4,498 metres. 

10. Mischabeljoch, 3,856 metres. 

11. Alphubel, 4,207 metres. 
,350 m. environ. 12. Alphubeljoch, 3,802 metres. 



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PASSAGE Di: COL DU DOM. 45 

choix; mais nous n'avons pas le droit de donnir, ce qui 
serait bicn bon, avcc le froid qui nous engourdit. Si Tun de 
nous s'assoupit, le voisin charitable est toujours pr A t k le 
frotter, k le seeouer, k lui prodiguer les consolations et 
les bourrades reparatriees. L'un de nous a-t-il faim? On 
lui offre un morceau de pain quil ne peut avaler, car on 
ne lui donne rien k boire : un fond de gourde, dernier 
reste de huit bouteilles de vin, d'ailleurs pctites, disparues 
au milieu des fatigues du jour, bien qu'on ait £te tres 
£conome a TEggfluh, et sobre aussi dans Tascension; le 
fond d'un flacon de cognac, qu'un membre de la caravane, 
pris d'une d^faillance, vide en trois gorg^es, voih\ ce qui 
constitue notre cave 1 . Pour rafratchir toules ces provisions 
liquides, un ruisselet eph£mere, sans se hAter, suinte du 
banc superieur sur le banc inferieur ; secartant en partie 
de son cours rationnel pour s'£garer dans nos jambes, il 
provoque dans tout notre <Mre un invincible frisson. 

Apres avoir imbibe nos v<Hements, le ruisselet tarit : il 
est gele\ Tout bruit cesse, la neige s'arnHe, le brouillard se 
dissipe, les etoiles s'allument au ciel, la lune, mettant sur 
la crete du Tseschhorn un diademe argents, monte radieuse 
dansle ciel; mais, peu k peu, le calorique nous abandonne. 
Vous desirez savoir quel degre marquait notre thermo- 
metre? Curiosite legitime, mais que nous ne songe&rnes 
pas k satisfaire, malgre le gout tres vif que nous avouons 
dans la plaine pour l'eloquence des cbiffres. De toutes les 
facultes dont le concours harmonieux forme la raison, seule 
celle de l'admiration avait consenti k nous suivre si haut. 

1. Serai t-ce le cas de reproduirc, aux depens du porteur engage 
jusqu'a l'Eggfluu, l'explicatiou si spirituellement pro po see dans uu 
article de VAnnuaire, pour rendre comptc de la grande consommation 
de vin dans les ascensions precedees d'un bivouac? 

«< La rarefaction de lair, dit a peu pres notre collegue, est souvent 
sufifsante pour determiner line Evaporation considerable du vin dans 
la gourde, evaporation qu'il est d'ailleurs facile de conjurer, en sc 
faisant de la gourde un traversin. » 



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(ti C01RSES ET ASCENSIONS. 

Quelle nuit fcerique! Bien has dans les vallces, rhomme 
dort. Les grands pics pour qui, alors que tout etait glace 
et ncige, des milliers d'annees passaicnt comme un 
instant, retrouvent pendant quelques heures, dans leur 
empire bien diminntf, la inorne solitude qui leur est 
chere; delivres de leur joug, ils se redressent et s'apaiscnt. 
Pour nous, chetifs humains colles aux flancs du precipice, 
etonnes de noire victoire meme, nous restons miiets d*an- 
goisse devant l'accablante grandeur que conservent en- 
core ces puissances dechues... 

Bientot, ce spectacle fantastique cesse d'6blouir el de 
fasciner nos regards; nous ne sentons plus ni le froid ni la 
soif ; une torpeur ^nervante, sorte de sommeil moral, nous 
envahit. 

Le mardi, le jour se leva comme la veille, tandis que. 
Tesprit engourdi et le sang fige, nous n'esperions presque 
plus sa venue. Mais il s'agit de se disposer h la descente 
par un exercice violent : pietinements et fridions repetees. 
A peine croyons-nous cMre rechauffes, que le froid nous 
etreint plus mordant. Nos jambes sont brisees par les 
crampes, nos denls claquent sans cesse, et un tremblement 
convulsif secoue tout notre corps. 

Ah ! les premiers pas sur des pentes difficiles, quel effort 
douloureux! Vers 6 h., chacun quitte k son tour le 
rocher, et gagne lentement le talus ou ont etc laisses les 
piolets. Nous mangeons un peu, nous tentons aupres de la 
gourde une derniere demarche, helas! h peu pres vaine; 
puis, Tun de nous prenant la tcte, tandis qu'Alois se 
reserve le poste de confiance b larricre-garde, nous disons 
adieu au banc si dur que nous proclamons cependant noire 
sauveur, car nous avons peutHHre rencontre 1& le seul 
point de la muraille ou Ion put sasseoir en surete. 

La chemin^e nous conduit sur un etroit gradin incline, 
verglasse, et par surcrott couvert de neige depuis la veille. 
Les premiers y sautent k l'aventure soutenus par la enrde. 



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PASSAGE DU COL DC DOM. 47 

pendant qu'ils cherchent quelque saillie sous la neige; 
puis Alois se laisse adroitement glisser ju$qu'& nos piolets 
qui, lui servant de marcbe, enraient son elan. Toujours 
rampant et fort inal cramponn^s, nous Iongeons vers la 
droite le bord superieur du gradin : ee passage court, inais 
tres difficile, nous prend beaucoup de temps, une heure 
peut-£tre. 

Apr£s notre gradin, une ebeininec presque anssi dan- 
gereuse, puis une terrasse qui cette fois aboutit au pre- 
cipice. Partout le sol manque sous nos pieds, et nous 
perdons bien du temps k errer, prudemment, sur les bords 
de cette prison d'un nouveau- genre. La corde est, il est 
vrai, Tinstrument du salut des prisonniers, mais lorsquils 
ont ou la fixer. Alois iinit par decouvrir un point ou le 
mur, haut de quinze metres et ne surplombant pas, rem- 
plit toutes les conditions desirables. Une dalle solide fait 
saillie, de telle sorte que la corde s'enroulant autour puisse 
elre ramenee facilement. Ce passage paratt iHre imprati- 
cable & la montce. 

Nous avions presque atteint le couloir, sur lequel Alois 
tailla bientdt des pas. Sous la neige tombee la veille, il 
rencontrait une coucbe de glace. 

Un lacet dans le couloir nous permit de tourner un nou- 
veau mur vertical, puis nous suivlmes, pendant trop peu 
de temps, la cnHc d'un promontoire facile, jusqu'a une 
petite t<He rocbeuse sous laquelle cette fois nous aperce- 
vions reellement le glacier. 

Mais tout n'etait pas fmi, car une serieuse inspection 
nous prouva qu'il £tait neccssaire de regagner le couloir 
par une pente de dalles difficile. Nous descendimes ensuite 
directement le long des rochers de gaucbe, jusqu'ft ce que 
nous fussions obliges de traverser le couloir sur des roches 
polies exposes aux avalancbes. A peine etions-nous en 
surete sur l'autre bord que plusieurs pierres, sifflant el 
d£crivant leurs courbes gracieuses au ras du sol que nous 



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4S COURSES ET ASCENSIONS. 

venions do quitter, bondirent sur le glacier ou s'enfon- 
corent profondement dans la rimaye. Ainsi se trouvaienl 
justifies la repugnance d'Alois a demeurer engage dans le 
couloir, et les cris d'impatience par lesquels il surexcitait 
notre ardeur, lorsqu'il nous avait fallu le traverser. 

II etait environ 2 h. : sept heures bien employees avaient 
ete necessaires pour triompher de ces pentes qui, vues du 
bivouac, paraissaient assez courtes. Sept heures pour des- 
cendre 300 met. ! Notre description rend mal compte d'une 
pareille lenteur; inais vous supple>rez k de plus longs 
details en remontant dans vos souvenirs, si parfois, k la 
Dent-Blanche par exemple, vous vous 6tes risques sur des 
Platten verglassees et neigeuses, vous rappelant k quelles 
precautions minutieuses, k quels efforts d'equilibre, a 
quelle constante preoccupation de la route k suivre vous 
avez du votre succes. 

Apres avoir repare nos forces par un repas solide, mais 
arrose" d'eau sucree, nous prtmes un pas rapide sur le neve 
de Kien (3,900 met.). Rien de saillant a signaler jusqu'a la 
ligne de crevasses ou Ton quitte le glacier dans Tascension 
du Tijeschhorn ; nous la franchissons facilement ; puis, apres 
une tentative pour descendre par le milieu du glacier, nous 
jugeons plus simple d'obliquer k gauche pour en suivre le 
bord. Nous depassons ainsi la grande chute de glace sans 
avoir rien k dem^ler avec ses murs disloques. Imm^diate- 
ment au-dessous, nous gagnons au pied du Grabenhorn la 
rive droite, ou nous sommes heureux de denouer la corde 
qui depuis trente-six heures unit etroitement nos destinees. 

La moraine fut desagreable selon son ordinaire, mais de 
bonnes marches en eurent raison. Toujours au pas acce- 
lere, nous nous engage&mes dans le vallon du Wildibach 
jusqu*& Randa, ou nous faisions notre entree & sept heures 
et demie du soir, cinquante-deux heures apres avoir quitte 
Thotel de Saas-Fee. Deux heures plus tard, la nature re- 
prenant imperieusement ses droits apres tant de fatigues. 



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PASSAGE DU COL DU DOM. 49 

nous nous endormions en denouant peniblement, avec nos 
doigts gel^s et ecorches, tes laccts de nos souliers 1 . 

Le lendemain, parfaitement reposes, nous gagnions Zer- 
matt... en voiture, car un pied geld et douloureusement 
enfl£ condamnait 1'un de nous a rimmobilit£ pour quelques 
jours. Tel est le seul desagrement que nous ait valu notiv 
imprudence, dure expression par laquelle plusieurs de nos 
amis ne craignirent pas de condamner notre entreprise. 
Nous protestons avec Anergic contre une semblable alle- 
gation, car, si nous avons couru quelque^ dangers, c'esl 
assurement bien inalgrd nous. Mais que dirait-on si nous 
avions a notre passif la nuit terrible de MM. Guiliemin et 
Salvador de (Juatrefages au Viso, ou celle de M. Ferdinand 
Reymond a l'Aiguille du Gouter? 

Notre presence dument constatee dans la vallee mit un 
terme a Techange de dep^ches qui s'effectuait depuis la 
veille entre Zermatt, Saas et Handa. G'est avec grand plai- 
sir que nous remercions iei de 1'intenM qu'ils ont portd a 
notre expedition les habitants des vallees de Saas et de Zer- 



1. Voici comment MM. Foster et Walker passerent le Domjoch : 
Partis de la Lange Fluh oil ils avaient bivouaque, ils atteignirent It* 
pied du couloir a 7 h. Ils suivirent ensuite presque le rneme chemin 
que nous jusqu'au glacier de Kien qu'ils atteignirent en huit heure^ 
seulement : ils etaient favorises par des rochers sees, une neige dure 
et un temps superbe; ce n'est que dans ces conditions que leur vitess** 
pourra etre egalee. A partir du glacier de Kien, l'itineraire de M. Fos- 
ter s'ecarte du notre, et le lecteur voit surgir des difficult^ inattendues. 
Croisant, sans les suivre comine il eut ete rationnel, les traces dr 
M. Heatcote qui faisait l'asceosion du Twschhorn, la caravane se 
dirige sur les rochers de Kien, et gagne la branche gauche du glacier 
par une muraille dangereuse. Grand est son etonnement de ne pas 
se trouver dans le vallon de Ttesch , dont la separe encore l'ar£te 
importante de la Strahlbett! 11 fallut rejoindre le Wildibach et Ran da 
par une voie qui n'etait ni la plus facile, ni la plus courte. L'absence 
tie neige, favorable sur le Domjoch, avait, au contraire, retarde la 
murchede M. Heatcote au milieu des mursde glace du Tieschhorn, car 
il ne revint a Zermatt qu' a trois heures du matin. (Voir Alpine Journal. 
tome IV.) 

De Fee a Randa nous avons marche 29 heures. Dans de bonnes cou- 

ANNUAIRK DR 1881. 4 



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50 COURSKS KT ASCKNSIONS. 

matt, et a leur tetc M. Seller. On nous permettra d'adresser 
encore un temoigna^e special de reconnaissance a M. le 
professeur Forel, de Lausanne, a M. le docteur Tauseher, 
de Pesth, nos collegues des Clubs suisse et autriciiien ; a 
M. Caron, membre de la Direction Centrale, dont le cha- 
leureux accueil nous toucha profondement. 

Pouvons-nous, en tenninant, oublier notre excellent 
#uide Alois? (Test a sa hardiesse, a sa force, a sa pratique 
de la neige et surtout a sa parfaite connaissance de la mon- 
lagne que nous sommes redevables, non seulement de la 
course la plus emouvante peut-ctre qu'il nous sera donne 
de faire, — cetle consideration serait de pen de poids pour 
plus d'un alpiniste raisonnable, — mais aussi de la vie. 
Doit-il encourir avec nous le reproche diinprudence? Oui, 
mais au inline titre que ies Michel Groz, les Aimer, les 
(Jaspard : eux aussi ont acceple la responsabilite d'exp^di- 
tions hasardees, et parfois dans de moins bonnes condi- 
tions. Dcvait-il pressentir i'orage plus que Michel Folliguet 
et Henri Devouassoud qui, le me^ne jour, conduisaient 
M. et M mc Caron au Cervin? Devail-il deviner toutes ies 
surprises que nous reservait un passage si peu connu, et, 
une fois aux prises avec la difficulty, pouvait-il la surmon- 

ditions la traversed du col du Dom est une course de 20 a 22 heures, 
ainsi reparties : 

De Fee a l'Eggfluh ou a la Lange FJuh. . . 2 h. 30 a 3 h. 

Jusqu'au pied du couloir 4 h. 

Jusqu'au neve du glacier de Kien 8 a 10 h. 

Du neve du glacier de Kien a Randa (2,500 met. 

a descendre) 5 a 6 h. 

II serait fort dangereux de s'engager de nuit dans le vallon du Wil- 
dibach, menie avec une lanterne, et l'ancienne moraine du glacier de 
Kien offre au pied du Grabenhorn des emplacements excellents pour 
bivouaqner. Inutile d'ajouter que nous recommandons chaudement au 
touriste attarde notre petite installation de la corniche, qui est simple, 
en bon air, et a proximite d'un cours d'eau. 

En 1878, MM. Conway et Penhall, puis MM. Cullinaii et Fitzgerald 
firent l'ascension de la muraille Ouest du Domjoch, les premiers pour 
mouter au Dom, les seconds pour monter au Tfesrhliorn. 



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PASSAGK DC COL DL DOM. T» 1 

tor plus beureuscment? La reputation d'Aloi's Anlbamat- 
ten commence a s'etablir dans la valine; nous rroyons 
qu'il la nitrite : nous ferons notro possible pour la pro- 
pager et temoigner ainsi notre reconnaissance an brave 
guide qui est devenu notre ami. 

Louis Sicahd, Paul Viuion. 

C. A. F., Section de Lyon. <\ A. F., Section «le I.yon. 



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Ill 



1)E VALL011SE A CHAMOMX 



LE COL DE L'AILEFROIOE (3,306 m£t.) 

Nous venions do reeonstruirc la petite muraille en pierre 
seche qui, avec le panneau de bois sur lequel se trouvc 
inscrit « Refuge Puiseux », permet aux excursionnistes 
de passer la nuit dans la combo de Celse-Niere au moins 
a l'abri de l'eau du eiel.D'ailleurs,le temps etait splendide; 
et la journee du 16 juin 1882, que nous venions de passer, 
(iaspard pore, son fiis Pierre et moi, a explorer la crtMe dr 
la Temple et le Haut Glacier Noir, malgre un vent extre- 
meinent violent, promettait d'tHre suivie d'une de cos 
periodes de grand calme atmospheriquo ou la montagne. 
si bouleversee et si abrupte, surtout dans notre massif du 
Pelvoux, forme un contraste imposant en se deHachant sur 
les incomparables teintes azurees que le ciel prCsente lors- 
qu'on atteint les grandes altitudes. 

Ricn no favorise davantage le sommeil de lalpiniste que 
la perspective de ne pas (Mre contrarie dans ses projets 
d'escalades du iendemain par les intemperies. Pour moi. 
il y avait cependant alors un petit nuage dans mon bonheur. 
Mes excellents collogues et amis MM. Henri Vincent el Au- 
guste Reynier, en compagnie desqueis j'avais pendant les 
derniers jours parcouru notre grande chaine des Alpes 
daupbinoises, venaient d'etre brusquement rappeles a Gre- 
noble. Notre projet commun avait ete jusque-la de gagner 
par la haute montagne la valine d'Aoste, et de franchir en 



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DE VALL0U1SE A C11AM0NIX. 53 

col le Mont-Blanc. Nos braves guides, de vieux amis pour 
nous, Gaspard pere et ses deux (ils Pierre et Maximin, 
etaient radieux a la pens£e de faire la connaissanee du eo- 
losse etincelant de neige et de glace, qui tant de fois avail 
attirS leurs regards et dont ils avaient entendu vanter les 
enormes glaciers. Nous n'avions pas voulu, malgr6 ce con- 
tretemps, renoncer entitlement a notre projet; et, en 
nous separant, chacun de nous faisant quelques concessions 
afin d'obtenir au moins la realisation de la derni^re partie de 
notre programme d'excursions, nous etions convenus dun 
rendez-vous general pour le premier train du 23 juin, k la 
station de Gieres-Uriage, sur la ligne de Grenoble k Albert- 
ville. De cette derniere ville, nous devions ensuite atteindre 
directement Gourmayeur, ou nous nous trouverions eniin 
au pied m&me de ce Mont-Blanc si desire. Mais une dislo- 
cation de caravane laisse toujours, en plus des souvenirs 
de la cordiale intimity des jours precedents interrompue, 
une crainte vague d'inexactitude mutuelle pour le rendez- 
vous prochain qui a et£ l\\6. 

Gertes, je voulais pour ma part, avant tout, donner le bon 
exemple sur ce point; mais je ne pouvais faire moins, natu- 
rellement, que de proliter du temps merveilleux qui se 
preparait, pour entreprendre quelques courses interes- 
santes. J'6tablis done mon itineraire de facon k pouvoir, le 
cas £cheant, facilement battre en retraite par les valines. 

C'est pourquoi nous nous trouvions blottis, les deux 
Gaspard et moi, sous le rocher de Soureillan, baptise 
« Refuge Puiseux 1 » en souvenir de notre illustre et re- 
grets collegue Victor Puiseux, qui, en 1848, lit Tascension 
de la plus haute pointe du Pelvoux (3,954 met.) k laquello 
son nom demeure d£sormais attach^, depuis que la Section 

i. Un autre refuge, nomine « Refuge de Provence », est e'tabli 
1,200 met. plus haut que le Refuge Puiseux, sur la montagne de Sou- 
reillan. Tous deux ont ete amenages par la Section de Briancon du 
Club Alpin Francais. 



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5i COURSES ET ASCENSIONS. 

de Briuncon du C. A. F. a eu lhcureuse pense> d'y etablir la 
porte el le mur en pierres seches que nous avions trouves, 
a notre a rrive>,ren verses par les avalanches du dernier hi ver. 

Grace aux soins que nous avons mis a remettre tout en 
ordre, nous jouissons d'un veritable confortable pour un 
bivouac : nous nous offrons m£me le luxe de matclas, au 
moyen de quelques debris de couvertures que nous trouvons 
soigneusement ranges dans un eoflre en bois deposed sous le 
roeher.Demain, avant notre depart, nous resserrerons soi- 
gneusement ces vestiges de lainages, qui eussent stupe^ie 
Callot lui-m^me, et, pour mieux les prot£ger contre l'app£- 
lit des rats, nous placerons sur le couvercle de la botte une 
grosse pierre.On se fait peu id£e de la quant ite prodigieuse 
de rongeurs qui pullulent dans les rochers jusqu'a une 
altitude on on ne constate que tresdifficilement la presence 
de la vegetation. Dernierement un grand refuge macjonne 
£tait construit par les soins du Club Alpin aux abords dun 
glacier, a une; altitude de pres de 3,000 met. Dans les 
anfractuosites des rochers environnants on ne trouve pas 
la moindreplantule;a peine quelques maigres lichens noir- 
cissent le roc convert de neige en cet endroit pendant pres- 
que toute l'annee. Au bout de deux jours de presence des 
ouvriers charges de la construction du refuge, les bandes 
de rats faisaient leur apparition, et les plus hardis de la 
troupe venaient, jusquau milieu de Tabri provisoire des 
travailleurs, prendre leur part des repas dam le plat com- 
mtm. Je ne parlerai que pour m£moire des souliers ronges 
pendant la nuit. Toutefois je dois noter qu'un matin, au r£- 
veil. Tun des ouvriers sapercut que, pendant son sommeil, 
le ncpud de sa cravate avait <He completement rongd sous 
son menton; etlorque le materiel destine au refuge, c'est-a- 
dire, les casseroles, gobelets, cuilleres, etc., furent mfs en 
ordre, les papiers epars qui avaient envelopptf chaque ob- 
jet furent reduits en brindilles en moins de deux heures! 

Dans le recit de M. de Tilly, le premier Franeais qui ait 



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DE VALLOUISE A CHAMONIX. 55 

gravi le Mont-Blanc, n'est-il pas dit d'ailleurs qu'on trouve 
des souris sur ce rochor des Grands-Mulets isole de toutes 
parts au milieu denormes masses de glace a plus de 
3,000 met.? 

Je n'ai pas souvenir, malgr6 cette presence evidente des 
rongeurs dans la haute montagne, d'avoir, pour ma part, 
jamais M£ vilipend^ par leur visile pendant mes frequents 
bivouacs ou s^jours dans les chalets alpestres; et, pour ras- 
surer m^me entierement mes collogues, j'ajouterai que la 
presence de rats dans un campement ne doit g6n6rale- 
ment se r6v61er que lorsque l'homme, y sSjournant depuis 
quelque temps d£ja, a r^pandu sur le sol une quantity 
relativement considerable de substances propres a Tali- 
mentation de ces rongeurs. M. de Tilly, pendant la nuit ou 
il bivouaqua aux Grands-Mulets, ne put constater du reste 
par lui-m&me la presence des souris dont il parle. Nous 
avons cru devoir insister sur ce sujet pen connu, bien qu'il 
ait £te d£ja traits par plusieurs de nos collegues, en parti- 
culier par MM. Gh. Martins et Gh. Durier 1 . Je dois avouer 
qu'il ne pr£occupa en aucune facon les h6tes du refuge 
Puiseux pendant Texcellente nuit que nous y passames. 

Le sommeil de chacun de nous a et6 si profond, qu'il 
est d£ja 4 h. 30 min. lorsque nous sortons de notre ta- 
niere, apr6s avoir fait chauffer a la hale un peu de cafe sur 
notre lampe h esprit de vin. 

Notre but est de visiter l'ar&te aliant de la cr&te des 
Boeufs-Rouges a la barre de l'Ailefroide 2 et en particulier 
une certaine £chancrure marquee en bleu, au Nord du 
Pic du S616, sur la carte de l'gtat-major, qui attribue a ce 
sommet une cote d'altitude de 2,983 m6t. par suite d'une 
erreur inexplicable ; car il est evident que le Pic du Sele 

\. Du Spitzbery au Sahara, par Ch. Martins, p. 311 ; Le Mont-Blatic, 
par Ch. Durier, p. 300. 

2. Voir la carte du Contrefort meridional de la chaine des Serins, 
par H. Duhamel, dans YAnnuaire de 1882. 



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56 COURSKS ET ASCENSIONS. 

est plus £leve que le col du mdme nom, eot£ 3,302 met., 
et m£me que les Boeufs-Rouges (3,454 met.). D'apr^s une 
premiere observation faite par notre caravane, nous avons 
obtenu une hauteur de 3,483 met. pour le Pic du Sele. 
Est-ee a cette etrange erreur qu'on doit de voir figurer 
T£chancrure au Nord du Pic du Sele sous le nom de col 
du S£le sur toutes les cartes de cette region pubises 
jusqu'a ce jour, et qui sont, a vrai dire, de simples 
copies des minutes de TEtat-major on m£me des feuilles 
r£duites au 80,000° ? Toujours est-i) que tout voyageur, 
d£couvrant le glacier du S£l£ du haut du village des 
Claux-en-Vallouise , prend le grand couloir de glace qui 
domine ce glacier pour le chemin du col du Sel£. Aussi, 
lorsque, arrive dans la valine de Gelse-Ni£re, le guide 
parvient a monlrer le veritable col du Sele enfonce dans 
Tangle meridional du glacier, une discussion ne tarde-t-elle 
pas a s'eiever entre le montagnard qui connalt son chemin, 
et Texcursionniste ferre sur sa carte. Geci est m&me a tel 
point vrai, que dans un document officiel tout recent, 
public par le ministere de la guerre sur'les voies de com- 
munication de nos Alpes,Tofficier charge de reconnaltre le 
col du Sele, et qui la en effet franchi avec des guides, a 
malgre tout indique son itineraire a pr£s de 2 kilometres 
plus au Nord qu'il ne devrait TiUre, imitant en cela tons 
les excursionnistes. 

Du refuge Puiseux au glacier du Sele 1 , la direction suivie 
par les touristes a ete souvent decrite. Rappelons seule- 
ment qu'il faut environ deux heures pour atteindre la rive 
gauche du glacier auquel on accede par quelques metres 
de rochers ne presentant aucune difiiculte, et recomman- 
dons particuliercment une grande attention dans la tra- 
versee des eboulements incessaminent recouverts de nou- 
velles dejections, provenant des parois abruptes du Pelvoux. 

Le grand plateau du Sele est admirable a parcourir. 
I/Ailefroide et les Boeufs-Rouges Tencadrent sans Tenser- 



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DE VALLOUISE A CHAMONIX. 57 

rer, et c'est surtout en sortant de la combe de Celse-N'iere, 
profond^ment encaiss^e entre les crates de Claphouse et 
du Pelvoux, que Ton trouve d£gage ee grand golfe glaciaire 
qui semble rernonter de tous c6t6s en larges bandeaux nei- 
geux vers les sommets environnants. 

Apr£s plusieurs haltes photographiques, nous abandon- 
nons a notre gauche le bras du glacier descendant du col 
du S6Ie. Devant nous se dresse le large couloir que nous 
allons gravir. Une 6paisse moraine m£diane nous y conduit 
en une heure depuis Tentr^e sur le glacier. La pente est 
douce, F6tat de la neige excellent, et deux grandes cre- 
vasses seulement nous obligent a allonger un peu quclques- 
uns des lacets par lesquels nous nous elevons avec une 
facility complete pendant une heure et demie jusqu'a 
l'ar&te que nous atteignons a 10 h. 20 min. Imm6diate- 
ment nous nous penchons par-dessus l'esp£ce de parapet 
form£ par les roches que la neige laisse a d£couvert. 

Un glacier nous apparalt a quelques dizaines de metres 
de profondeur, mais la muraille qui nous en separe, et au 
sommet de laquelle nous sommes, ne paralt pas des plus 
commodes a descendre. 

J'ai beau regarder ma carte avec tout le respect du a une 
oeuvre serieuse, il ne m'est pas possible de reconnaltre le 
moindre detail de la rive orientale du glacier de la Pilatte, 
que nous devons dominer et qui n'est m&me point visible. 
Evidemment, le glacier que nous apercevons est une 
decouverte. Voici d'ailleurs la seconde fois que la carte 
del'Etat-major me reserve pareille surprise. Je me rappetle 
encore mon arrivee au sommet de ce gigantesque cimier, 
baptise depuis mon ascension du nom de Pic Gaspard 
(3,880 m<H.). Nous £tions partis, mes braves guides et moi, du 
glacier du Clot des Gavaies, et la carte de l'Etat-major nous 
annongait que nous allions atteindre le nceud central de 
partage des trois bassins glaciaires de i'Homme, du Clot des 
Gavaies et des Etancons. Quel fut notre 6tonnement de ne 



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5M COURSES ET ASCENSIONS. 

pas voir a nos pieds ce dernier glacier quand nous arri- 
vames au sommet ! Le Pic (iaspard etait lout simplement 
entoure par le glacier du Clot des Cavales, dominant 
d'autre part le seul glacier de l'Homme. Quant a la valine 
des Etancons, elle nous £tait cachee par la crete du Clot 
des Cavales que la carte de l'Etat-major nous representait 
comme foul£e en ce moment par nous, alors qu'en rea- 
lity elle setendait a 600 mel. plus a l'Ouest, se rattachant 
sur la grande chalne de la Meije a un sommet (le Pave* 
inferieur d'une cinquantaine de metres a notre Pic 
Gaspard. 

Tons les releve^s trigonometriques que jai fails dans la 
region m'ont convaincu depuis cette epoque de lexacti- 
tude de ma premiere observation. 

De ce fail, le departement des Hautes-Alpes s'est trouve 
agrandi de plus de 3 kilometres carres, puisque la limite 
departementale adoptee passe sur la cr£te occidentale du 
Clot des Cavales. La commune du Villar-d'Arene, a la- 
quelle revient ce sol glace, n'a du reste guere ete enrichie 
par cette annexion involontaire! 

Deux heures sont vite passees, surtout quand, favoris^s 
comme nous le sommes par un temps merveilleux de pu- 
ret£ et de calme, on se trouve le matin dans la haute mon- 
tagne abrite par des roeliers queehaufle le soleil levant. 

Ah! quelle charmante salle detudes! et combien on 
regrette d'etre oblige de former son carnet et de ranger 
dans les sacs les instruments dont on s'est pourvu pour 
rapporter des souvenirs un pen precis de ce gigantesque 
musee que la nature oflfre a nos yeux. II est a peine midi, 
mais nous ignorons ce que pent etre la descente; elle 
semble m^me nous reservcr l'ennui de battre en retraite, 
d'apres ce qui nous a ete dit en Vallouise. La muraille que 
nous devons descendre ne nous semble pas moins rebarba- 
tive qu'au premier coup d'oeil, malgr6 les continuelles 
visiles que nous avons etc lui faire a tour de r61e pendant 



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DE VALLOUISE A CUAMONIX. 59 

notro longue halte. Gaspard a prepare le passage en preci- 
pitant vers le glacier inferieur les plus gros blocs qu'il peul 
detacher de l'arete. Gette excellente precaution a pour 
eflfet de produire un ebranlement considerable sur la sur- 
face de la paroi a descendre, et d'entrainer toutes les ro- 
ches plus ou moins branlantes qui pourraient tout a l'heurp 
se derober sous nos pieds, ou meine nous tomber sur la 
tete. De plus, les ressauts formes par cette mitraille de 
pierres nous revelent les petites corniches qui nous etaient 
invisibles, et jalonnent en quelque sorte la direction a 
suivre. 

Nous voici rattaches a la corde; le pere Gaspard, en 
avant, enjambe la crete vers la gauche. II disparalt, se fai- 
sant donner petit a petit la corde necessaire pour sa 
iuarche. La canonnade de roches precipitees dans 1'espace 
se fait entendre de plus belle. Enfin, apres s'etre fait filer 
une quinzaine de metres de corde, notre brave guide re- 
grimpe pres de nous et apparalt derriere la barre de 
rochers comme un de ces petits diables qui sortent d'une 
boite, a la terreur des enfants. 

Dans tous les cas, c'est un tres bon diable, car il nous 
annonce qu'il a commence a balayer la route : « Je crois 
que ca ira », ajoute Texcellenl homme. 

Je jette un dernier regard sur le beau groupe du Pel- 
voux et vers les jolies Alpes du Queyras, qu'une chaude 
vapeur commence a envahir, et je rejoins inon brave 
guide. 

Bient6t nous avons atteint le point extreme explore par 
Gaspard ; notre marche est ensuite ralentie par le soin que 
nous mettons a_ d£barrasser de tous les debris qui les 
encombrent les corniches et les cheminees que nous tra- 
versons. Enfin, en appuyant a droite, nous decouvrons un 
passage assez facile, qui nous permet de mettre les pieds 
sur le glacier, 40 min. apres le depart de notre col. Gar 
d£sormais la possibility du passage de Vallouise en Oisans, 



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tiO COURSES ET ASCENSIONS. 

par notre chemin, ne fait plus de doute pour nous, et 
nous n'h^sitons pas a nomnier col de FAilefroide l'6chan- 
crure jusque-l& reputee infranchissable et que Gaspard se 
promet bien, a l'avenir, dengager sesvoyageurs k prendre 
de preference au col du S61e\ d'un parcours plus long, 
dans le cas ou le reste de notre niarche ne pr^senterait 
plus de difficulte. 

Le glacier sur lequel nous nous trouvons descend vers 
le Sud-Est. Autrefois il devait rejoindre le glacier de la 
Pilatte vers son plateau sup6rieur. Sa surface est des plus 
faciles a parcourir, la pente en etant pen rapide. Un quart 
d'heure nous suffit pour atteindre les moraines et, gr&ce 
k la neige, qui nous permet de nombreuses glissades dans 
les couloirs descendant sur le glacier de la Pilatte, nous 
abordons en 25 min. les rochers de la rive gauche de ce 
grand cirque glaciaire, ou, nous trouvant cette fois en pays 
connu, nous pouvons k loisir nous livrer aux devices d'une 
nouvelle halte. Du reste du trajet vers la B^rarde, que nous 
atteignons en deux heures et demie, je me borne k dire 
que le chemin ne presente aucune difficulte et qu'aujour- 
d'hui les courses sur le glacier de la Pilatte sont grandement 
facilities par retablissement d'un refuge tres confortabie 
etabli au Garreiet par la Section de Tlsere du G. A. F. 

En resume, la traversee du col de l'Ailefroide doit <Hrc 
chaleureusement conseill£e aux visiteurs des Alpes dau- 
phinoises, comme <Hant une des courses les plus belles de 
la region. La vue dont on jouit du sommet rappelle celle du 
col du S616 sur l'admirable montagne des Bans et le massif 
des Rouies; nous serions mdme tentes de la preferer. Quant 
au panorama sur le versant de la Durance, celui que Ton a 
du col de l'Ailefroide est infiniment plus beau et plus 
etendu. Nous croyons inutile d'insister sur le peu de diffi- 
culte presents par le nouveau passage. Peut-^tre dans cer- 
taines annees, k une saison moins avanc^e que celle ou nous 
avons gravi la pente de neige conduisant au col, rencon- 



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I)E VAI.LOUISi: A CHAMOMX. 63 

trera-t-on des crevasses plus nombreuses et plus large s; 
en tous cas, nous restons persuades qu'on aura toujours 
une reelle gconomie de temps a suivre la voie que nous 
avons tracee, et qui, selon nous, est la plus direete et la 
plus agreable pour aller de Yalloui.se en Oisans. Jexpri- 
merai cependant le voeu qu'un refuge plus confortable 
que celui offert par le roeher de Soureillan soil eoustruit 
dans la valine de Gelse-Niere, a moins qu'un chalet dans 
le genre de celui de la Berarde puisse (Mre etabli a Aile- 
froide , ce qui serait , j'en suis certain , exlrdmoment 
agreable aux touristes visitant cette region, ainsi que je 
Fai souvent entendu dire et reconnu par moi-mAmc. 

DE LA BtRAROE A OZ 
PAR L{ PIC DE LCTENDARD (3,473 met.) 

Dans le chalet Rodier, am£nag(> a la Berarde par la 
Societe des Touristes du Dauphine, on est toujours assure 
de ne pas <Hre en retard le dimanche pour le re veil. A 
2 h. du matin les proprietaires de Fendroit arpentent deja 
en tous sens leur immeuble, pour tirer leurs plus beaux 
vetements des armoires que chaque membre de la famille 
posscde en propre, suivant Fusage de la montagne. Puis 
des branchages sont brises, le feu petille, un doux echange 
de voix commence entre les humains pour continuer 
parmi les habitants de Fecurie oil se trouvent reunis pMe- 
mdle mulets, vaches, brebis et chevres. On prepare le 
chargement des bats, la pature des gens et des IxHes. 
Aussi quand a 5 h. le pere Rodier tire la queue de sa mule 
pour decider Fanimal a partir, y a-t-il longtemps que 
notra caravane est sur pied. Nous aussi, nous voulons des- 
cendre jusqu'a la capitale du Yeneon, ou nous nous ad- 
joindrons le second fils de Gaspard, Maximin, jeune mais 
intrepide montagnard, dt j sireux comme son pere et son 
I re re de voir de pres le Mont-Blanc. Le soir nous irons 



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64 COURSES ET ASCENSIONS. 

vouchor an pied des Grandes-Housses, dans \a vallee du 
Ferrand, pour le lendemain franehiren col le Pic do 1'Eten- 
dard ot redescendre a Oz. 

Sur le sentier que nous suivons, nous apercevons a la 
file des groupes formes des populations de tons les ha- 
meaux allant comme Rodier entendre la inesse a Saint- 
Chrislophe. Ce n'est pas quand on a sous les yeux ce 
pittoresque spectacle que Ion est tente^ de dire que les 
communications sont devenues plus faciles pendant ce 
siecle; car nous lisons dans les Preoccupations statistiques 
du dc'partemettt des Hautes-Alpes, publiOs par Ghaix en 
1845, « qu'il est de notoriety publique a Pisse en Val- 
louise, qu'un pretre du lieu partait tous les dimanches des 
chalets de l'Allee-Freyde pour se rendre a la Bcrarde on 
Oisans, passant au bras de M me Garle, le point dit Grande- 
Sagne sur les cartes, pour y dire sa messe, et s'en revenir 
dans la menic journce »>. 

Les gens de la Berarde, du moins les anciens, ont garde 
souvenir de ce fait, qui leur epargnait un fameux deran- 
gement le dimanche. Aujourd'hui, ils attribuent la modili- 
calion de facilite du passage a une enonne diminution des 
glaciers. Chaix, au contraire, declare que les chasseurs de 
chamois de son temps tHaient persuades que e'etait a un 
accroissement des glaciers qu'etait due cette modification. 
II est cependant un fait interessant qui merite, je crois, 
d'etre signals. Dans un manuscrit autographe du c^lebre 
naturaliste dauphinois Yillars, consaere a un voyage que fit 
celui-ci a la Berarde en Oisans, en 1786\ ilesl dit « qua une 
heure et demie du Garrelet » (ou se trouve aujourd'hui le 
refuge du Club Alpin Francais) v< commence le glacier de 



1. L'auteur decet article a d^ja fait plusieurs citations (Voir Annuaire 
du C. A. F., 1880, p. 13, et Annuaire S. T. I)., 1879, p. 88) de ce tres inte- 
ressant manuscrit autographe, publie plusieurs tois au commencement 
de ce siecle dans divers recueils, et encore recenunent sans indication 
du nom do l'auteur dans Y Annuaire df 1882 de la S. T. P. 



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DE VALLOUISt: A CIIAMOMX. 65 

Jubernay dans lequel se jotte celui de Bavargeat. Le baro- 
metre se soutient dans eel endroit k 22 pouces, le thermo-t 
metre eHant k 10 degrees, ce qui donne une Elevation de 
1,047 toises » ^2,041 met.). Or, le m^me jour, 13 septem- 
bre 1786, Yillars notait comme r£sultat de ses observations 
baromeHriques a la Berarde 854 toises, soil 1,664 met., et 
au Garrelet 950 toises, soit 1,852 met.; tandis qu'en re^alite 
I'altitude de la Berarde est de 1,738 m&t. et celle du Gar- 
relet de 1,946 m<H., ce qui fait une difference en moins de 
74 met. et de 94 m£t. pour les observations de Yillars. 
Nous ne pensons done pas Aire loin de la vgrite en avan- 
cant que Ton doit ajouter au moins 60 met. aux 2,041 met. 
trouv^s par l'explorateur de 1786 pour Taltitude de la base 
du glacier de Jubernay, qui n'est autre que le glacier de 
la Pilatte, cote 2,096 met. k son extremity inferieure par 
les officiers de I'Etat-major en 1853, e'est-a-dire dans un 
moment ou les glaciers dauphinois paraissent avoir eu leur 
maximum d'extension en ce sieele, si on sen rapporte au 
dessin des minutes du Despot de la guerre. 

Actuellement(1882), la base du glacier de la Pilatte est a 
une altitude denviron 2,120 met. On est done quelque peu 
fonde & dire qua la tin du sieele dernier les neves supe- 
rieurs de ce district alpestrc out du augmenter eonside- 
rablement de volume, ce qui a determine, il y a quelque 
soixante ans, une periode d'allongeinent des extremiles 
inferieures des glaciers, par suite de l'aceroissement de 
pression. Aujourd'hui, nous assistons k un recul tres ac- 
centue de nos masses glaciaires, don I il nous est facile de 
constater en mr>mc temps la diminution d'epaisseur. 

Qu'il nous soit permis, k propos de cette synonymic du 
glacier de la Pilatte designe par Villars sous le noin de Juber- 
nay, de dire quelques mots, nous aussi, sur cette fameuse 
question de Torthographe des noms geographiques. Plu- 
sieurs articles ont (He ecrits k ce sujet dans nos Annuaires, 
particulierement en 1881 et 1882. Nous nous rallions ph»i- 

ANNUAIRE DK 1884. 5 



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66 COURSES ET ASCENSIONS. 

nement a la proposition faite do fixer l'orthographr des 
diverses appellations do pics ot do glaciers, aussi bien que 
celle des fleuves et des villes. Mais ce que je voudrais voir 
instituer avant tout pour l'obtontion dun bon resultat a <•«• 
sujet, c'est une sorte de commission superieuro googra- 
phique, recrutee parmi des porsonnes veritablement coin- 
peHentes. Dans le cas qui nous uccupe plus spe< ialemenl 
ici, je n'ai encore signals que les synonymies de Pilatte el 
de Jubernay 1 , mais je dois rappeler que Bourcet designeee 
glacier sous le nom de Condamine, et que Cassmi en appello 
le vallon d'£coulement Vallon de la Pirate, prononciation 
encore conservee actuellement par nos moutagnards. A 
mes yeux, letymologie de Pirate frappe au moins autant 
que celle de Pilatte (amoncellemont de pierros } ; mais je ne 
veux pas proposer de modifier eel to orthographo do inon 
propre mouvement, pas plus quo celle du glacier bien 
connu de la Temple qui devrait socriro Toumple toin- 
ptUe), et surtout cello du sominet qui domino Saint-Chris- 
tophe ot est appelo sur le cadastre YAure Mord ivent du 
Nordi, nom que l'Ktat-major a transform*'* en Lauranottre. 
L'exemple qui nous est donne par les rosultats obtonus 
pendant cos dorniors temps aver la proposition faite dans 
VAnnuaire meme du Club Alpin Franpais de Uxor l'ortho- 
graphe, ontre autres, ducelebro Pie de laMeije, est la raison 
qui nous determine a garder cetto reserve. II est bon do 
rappeler cette histoire, qui interesso tout particulioromenl 
les alpinistes frequentant le Dauphine. L'Etat-major avail 
adopte lorthographe Meije* appuye d'ailleurs en cola par 

1. On appelle quelquefois le glacier du Says glacier de Gioberney. 
Giouberney, Gioubernez ou Gibernay (Cassinii. C'est celui que Villars 
nomrae Bavargeat. Ne pas confoudre celui-ci avec le petit glacier du 
Cheret (ou Chiare, suivant Bourcet) qui n'a pu se reunir a celui de la 
Pilatte qu'a une epoque tres reculee. Rappelons enfin que le pic de 
Gioberney (3,350 met.) domine, sur la crete allant du Cheret aux Bans, 
les paturages de Gioberney au Nord du Clot en Valgodemar, dans la 
haute vallee de la Severaisse. 



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DE VALL0U1SE A CIIAMONIX. 67 

la haute competence de MM. le D r Chabrand et le com- 
mandant de Rochas d'Aiglun, auteurs d'un savant ouvrago 
sur les Patois des Alpes Coltiennes, public en 1877 l . Evi- 
demment, d'apres la prononciation locale, plus encore que 
d'apres l'cHymologie, l'orthographe Medje, proposeeen 1881 
dans YAnnuaire du Club Alpin Frangais, etait fort tentante; 
elle fut m£me adoptee dans une etude publiee par YAn- 
nuaire de la Societe des Touristes du Dauphine de 1882. Mais 
dans le volume public Tann£e suivante par cette derntere 
Societe, on vit Tauteur m£me de l'etude de 1882 adopter 
sans aucune nouvelle explication une troisieme orlhogra- 
phe, Meidje, pour un travail special sur cette montagne. 
Le but d'uniiication et de fixation orthographique preco- 
nise avec tant de raison avait ainsi donne un resultat dia- 
metralement oppose. 

Mais nous void loin de la B£rarde! A 5 h., nous avons 
quitt£ ce hameau en emboitant le pas de la mule du brave 
p&re Rodier, que son maitre et nous suivons comme de 
vrais moutons de Panurge, pendant que nous devisons le 
long du chemin sur la montagne de 1'ancien temps. La 
cloche de Saint-Christophe commence a se faire entendre, 
et bientcH nous faisons notre entree dans le petit village 
dont les ruelles (Hroites sont encombn§es d'arrivants. 

11 y a plusieurs semaines que les Gaspard ont quitt£ avec 
moi leur foyer; aussi, avant de partir pour la Savoie, je les 
laisse vaquer jusqu'a 3 h. a leurs affaires. Maximin Gaspard 
se joint a notre caravane, en quality de volontaire, suivant 
la promesse que nous lui en avons faite; le chargement des 
sacs est contrdld et complete; enfin, rapidement, nous 
prenons la route de TAlpe du Mont de Lans, passant par 
les chalets du Puys. Nous avons un peu flan6, comme 
chaque fois que, redescendant d'un sejour prolonge au 
milieu des neiges et des rochers, nous nous retrouvons au 

\. Voir page 189 de I'ouvrage cite. 



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68 COURSES KT ASCENSIONS. 

contact de la civilisation, et il nous reste k faire 16 k 
17 kilom. de chemin de inontagne par un temps qui 
menace d'etre peu agitable, si nous nous en rapportons & 
un plongeon epouvantable du niercure dans le tube du 
barometre de la station meteorologique fondle a Saint- 
Ghristophe parlc Club Alpin. 

Je dois signaler une derniere fois la carte de l'Etat-major 
k Tattention des alpinistes, k propos de la susdite route 
de l'Alpe que nous suivons. Que ceux-ci veuillent bien re- 
garder un exemplaire d'une Edition quelconque (avec ou 
sans courbes, coloriee ou non, a l'eehelle du 40,000" ou a 
celle du 80,000°) de ce document topographique, et ils ver- 
ront que les deux seuls chemins mettant Saint-Christophe 
(la seconde des communes de France comme superficie 
territoriale) en communication avec le reste du monde 
passent par le Puys; le fameux chemin muletierdu Glapier, 
le seul veritablement praticable, ayant etc* omis ou ayant 
sombr£ pour le moins dans les flots du Ventfon 1 . Quelle 
triste figure ferait l'oflicier oblige de suivre avec sa compa- 
gnie, m&me en plein £t£ comme aujourd'hui, ces passages 
indiqu£s au milieu des escarpements de T<Me-Monthe; en 
hiver, il serait mat^riellement impossible de les traverser. 
Nous prenons le sentier inferieur, c'est le meilleur; il ser- 
pente, k peine fray6 au-dessus du Vimeon que nous domi- 
nons k pic de 1,000 met. Mille autres metres de roches som- 
bres se dressent imm^diatement au-dessus de nous, en plein 
midi, et surchauflent lair que nous respirons en transpi- 
rant a grosses gouttes. Nous sommes k une altitude de 
1,900 met. k peine, et j'avoue que peu de passages dans les 
Alpes m'ont paru plus penibles. Jen connais un toutefois 
du m6me gout, presque en face, de Tautre cote de la valine, 

1. Depuis Tetablissement tout recent d'une route de voitures a tra- 
vers le clapier de Saint-Christophe, un nouveau tirage de la feuille de 
Briancon a ete fait. La route en question a ete tiguree alors avec la 
meme valeur que celle donnee aux sentiers de pietons. 



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DE VALLOUISE A C11AM0NIX. 69 

pour aller du lac de la Muzelle k Lanchatra, par un certain 
col de la Coche ; il traverse les parois schisteuses que Ton 
peut voir de Venose. Je ne saurais trop recommander de ne 
pas le prendre ; d'ailleurs I'Etat-major a eu la bonne id6e de 
ne pas le mentionner, et depuis qu'un berger de la Muzelle 
s'y est « d£roch6 », il y a deux ans, il est moins fr£quente 
que jamais. Ce chemin de la Coche a au moins l'avantage 
d'etre expose au Nord. Nous quittons enfin notre fournaise 
et nos roches escarp£es, pour entrer subitement au milieu 
des verdoyantes prairies de l'Alpe. 

Malgr6 les nuages orageux qui s'accumulent de plus en 
plus avec force coups de tonnerre & la cantonnade, nous 
trouvons tout frais et tout charmant au sortir de cet affreux 
grippet, qui nous a 6conomis£, k vrai dire, deux bonnes 
heures de marche que nous aurions du faire en plus, si 
nous avions suivi la route muletiere passant par Venose. 
En trois heures le village de Mont-de-Lans esl atteint; nous 
en descendons k toutes jambes vers le fond de la vallee de 
la Romanche, que nous franchissons au Pont S£gut. Le 
jour dej& tr&s sombre commence k disparaltre complete- 
mentlorsque nous traversons Mizoen, ou une porte grande 
ouverte nous laisse apercevoir au fond dune 6norme pi&ce 
deux bougies allum^es eclairant un lit bien blanc. G'est 
une veiltee fun&bre k laquelle personne n'assiste! Gette 
rencontre ne fait qu'augmenter le silence qui regne depuis 
quelque temps parmi nous, gr&cc k notre marche qu'acc£- 
lerent de plus en plus les gouttes de pluie commenca'nt k 
tomber. Enfin voici Glavans et son auberge, ou vers 8 h. 
30 min. nous nous attablons autour d'une soupiere fumante, 
pendant que dehors l'orage eclate dans toule sa fureur. 

Le lendemain, nous restons jusqu'& 10 h. au logis; la 
pluie ne cesse de tomber & torrent, et notre projet de tra 
vers6e de la chalne des Grandes-Rousses, en passant par 
son sommet principal TEtendard, nous semble bien com- 
promis, du moins pour aujourd'hui. A 10 h. une 6claircie 



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70 COURSES ET ASCENSIONS. 

se produit, notre caravane en profitc imm£diatement; mais 
k peine avons-nous fait quelques centaines de metres que 
force nous est de chercher au plus vite un abri dans une 
maison hospitaliere de Clavans-d'en-Haut. Pendant cinq 
heures nous regardons mtflancoliquement pleuvoir; notre 
journ£e est desormais perdue, aussi les plus philosophes de 
la bande mettent-ils k profit linctemenee des cieux pour 
se recueillir, la ttHe plong^e dans leurs bras d'ou leurs 
profondes pens^es s'exhalent en sonores ronflements. Geux 
de nos collegues qui ont pu se trouver comme nous empri- 
sonn6s par le mauvais temps comprendront Thnpatience 
croissante qui s'emparait de nous et nous fit quitter le toit 
hospitalier des que l'orage eut deg£ne>£ en une pluie fine. 
II est decide" que ce soir nous irons au moins jusqu'au fond 
de la vallec du Ferrand, ou s'61eve k plus de 2,000 met. 
d'altitude le chalet Aubert, isol6 au milieu des beaux p&tu- 
rages arros£s par l'ecoulement du glacier des Quirlies. 
L'arrosement est meme g6n£ral quand nous entrons dans 
le chalet dont le proprieHaire, justement en tourne> d'in- 
spoction, nous fait les honneurs. Quelques pommes de tcrre 
et de grandes cuillerees de lait sont ajoutSes k notre inten- 
tion dans la marmite des p&tres, dont le feu de tourbe est 
ravivS a Taide de morceaux de bouse de vache dess£ch£e. 
Apres le souper, notre hote, M. Aubert, riche proprtetaire 
de Glavans, nous interesse vivement en nous racontant ses 
impressions de voyage en Amerique, en Espagne et en 
Italie, qu'il a visitees pour le commerce des moutons. Get 
excellent montagnard est un fin observateur qui pourrait 
servir de modele aux touristes, dont un si grand nombre 
ne court le monde que dans le seul but de constater, sui- 
vant Texpression de Tcepfler, Inexactitude des observations 
de leur Joanne ou de leur Baedeker. 

lei, l'hospitalite est des plus gcossaises. La moitte de 
lunique lit de 1'endroit m'est offerte. G'est une sorte 
de caisse en planches brutes occupant tout un angle de 



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DK VALLOUISK A CHAMONIX. 71 

TiHroite et unique piece destinee a la population humaine 
du lieu; le reste de la toiture abrite quelques bestiaux. On 
pSndtre dans le lit en question par une sorte d'ouverture 
juste assez large pour le passage des epaulcs, apres quoi 
on s^tend sur une moelleuse couche de paille reriouvel£e 
habituellement rhaque annee. Les dimensions interieures 
de la caisse nous obligent a prendre la precaution de nous 
rtendre tete-bcVhe, ee qui ne presente aucun danger imm6- 
diat quand on a le soin de quitter les souliers clouds qui 
ornent les pieds du inontagnard. (Test d'ailleurs la seule 
partie de notre costume que nous quittons, le port mi^rne 
du chapeau n'^tant pas inutile dans les lits de ce genre. 
Si ce meuble n'est pas le dernier mot du confortable au 
\ix e siecle, il nous abrite toutefois des courants d'air dont 
les huis disloques de la j>orte et du volet gratifient nos 
compagnons etendus sur le sol de la chambre. 

Une des choses les plus indispensables a emporter quand 
on part pour les Alpes, c'est une bonne sante, dit-on! Et 
pourtant je connais une grande quantity de voyageurs dou£s 
d'un temperament ordinairement tres d£licat, qui ont la 
passion de la montagne et viennent chaque ann£e s'exposer 
de gaiety de cceur a des ecarls dhygi&ne dont le moindre 
les terrasserait au milieu de leur paisible existence de la 
ville ! Quel meilleur argument invoquer en faveur de l'ex- 
cellence de la vie alpestre! Je declare, quant a moi, n'avoh 
jamais rapporte le inoindre rhume de toutes mes peregri- 
nations, et si j'ai dtn£ quelquefois d'un robuste appetit et 
dormi dun bon sommeil, c'est surtout dans des endroits 
aussi primitifs que ce chalet Aubert, que nous quittons a 
i h. 30 min. du matin. 

La montee jusqu'au glacier des Quirlies s'effectue sur 
une pente assez douce et a moitie gazonn^e. Le ciel s'est 
remis completement au beau pendant la nuit, et nous pro 
met un merveilleux panorama du haut de l'Etendard, si 
nous en jugeons d'apres la purete avec laquelle nous appa- 



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/2 COURSES ET ASCENSIONS. 

raissent les Aiguilles d'Arve, et, plus au loin, la Muzelle. En 
une heure et dcmie nous sommes sur le glacier, ou nous 
prenons la eordc. Nos devanciers ont habituellement re- 
joint le glacier de Saint-Sorbin par un col de nev£ fort exac" 
tement indique sur la carte de l'Elat-major. 

La neige qui est tombce la veille en grande abondance 
k cette hauteur nous engage a gravir un grand couloir 
descendant k l'Estde la cimedu Grand-Sauvage (3,229 met. i 
vers la base du glacier des Quirlies. Une heure trois quarts 
descalade peu fatigante nous menent au soinmet de co 
couloir (3,175 m^t.), d'ou nous descendons en quelques 
minutes, par une pente de neige, sur le glacier de Saint- 
Sorbin, apres avoir baptise notre passage du nom de « col 
du Grand-Sauvage». Une demi-heure plus tard nous pas- 
sons devant le col des Quirlies. 

L'Etendard se montre devant nous, formanl un petit 
d6mc neigeux en haut du glacier qui se releve insensible- 
ment jusqu'au sommet. Getle partie de l'ascension se fait 
absolument les mains dans les poches, du moins en cette 
saison. A peine rencontrons-nous deux ou trois crevasses. 
Elles ne nous detournent d'ailleurs aucunement de notre 
chemin, et deux heures k peine apres avoir quitte^ le col du 
Grand -Sauvage nous sommes au sommet de l'Etendard 
(3,473 met.). La vue est fort belle de ce pic; elle a et£ e£le- 
br£e trop souvent pour que nous fassions autre chose que 
d'approuver de toutes nos forces ceux qui l'ont vantee. 

Devant nous se dresse la chaine de Belledonne que nous 
voulons explorer le lendemain; nous passons un bon mo- 
ment k lexaminer avee soin. Puis, apres avoir salu6 de la 
main le Mont-Blanc, nous commences a optfrer notre 
descente sur le glacier des Rousses. En temps ordinaire les 
rochers de la face occidentale de l'Etendard sont faciles a 
escalader. Aujourd'hui ils sont tellement couverts de neige 
et de verglas qu'il nous faut renoncer bient6t a suivre cette 
direction. Nous nous d< ; cidons k descendre la pente de 



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DE VALLOUISK A CHAMON1X. 73 

glace formant couloir au Nord de l'Etendard. Pendant deux 
heures Gaspard taille des pas dans cette paroi glac£e qui 
peut sans crainte rendre des points comme difficult^ et 
comme longueur a la celebre pente terminale du versant 
Nord des Ecrins. Nous void enlin sains et saufs sur le gla- 
cier des Itousses qui se faisait si vivement desirer, quand 
nous nous escrimions tout a Theure a creuser des marches 
dans ce diable de couloir, que j'engagerai mes collegues a 
ne prendre que quand ils ne pourront pas faire autrement. 
Du glacier des Rousses a Oz, la route est bien connue; de- 
puis longtemps on a d^critles jolis lacs que nous c6toyons, 
les charmantes prairies que nous traversons. Pour nous qui 
avons pass6 beaucoup de temps pendant notre course a 
photographier et a admirer, nous batons notre marche de 
facon a arriver assez tot pour faire une visite a la torn be 
du regrets cure" d'Oz, le bon abbe Bayle, sur laquelle les 
membres des Soeietes alpines dauphinoises ont £leve* un 
monument. 

C'etait bien le moins que pussent faire pour son souvenir 
ceux qu'il avait, pendant sa trop courte carriere, combl^s 
de temoignages d'amitie\ 



LE PIC CENTRAL DE BELLEDONNE 

(Test al'hotel du Chasseur d'Afrique qu'on loge a Oz. A 
d£faut d'un parfait contort on est toujours assure d'un bon 
accueil. Le lendemain matin, 21 juin, par un ciel des plus 
purs, nous cheminons a 5 h. sur la route du hameau du 
Mollard. A partir de cet endroit, le sentier se confond sou- 
vent avec le litdu torrent'qui descend du lac de Belledonne. 
On Tabandonne meme completement pour se livrer a une 
grimpade directe sur les pentes recouvertes de taillis de 
rhododendrons. En trois heures et demie nous sommes sur 
les bords du lac, au refuge construit par la SociSte" des 



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7i COURSES ET ASCENSIONS. 

Touristes. A quoi nous servait toute cette belle ardeur! 
Le brouillard s'est empar£ de la montagne, et, pendant 
qu'il semble vouloir tomber sur nous, des iourbillons de 
nuages s'61event de la valine. Nous delib£rons en grand 
conseil pour savoir ce que nous devons faire. Notre projet 
6tant de visiter la cr£te ralliant le Grand Pic deBelledonne 
au Pic de la Croix, il nous paratt de toute imprudence de 
nous lancer dans l'inconnu de cette artUe, qui est des plus 
abruptes et d'un aspect d£ja vertigineux quand on la voit a 
distance, ainsi qu'en sont convaincus les nombreux excur- 
sionnistes qui, pendant la saison baln£aire d'Uriage mon- 
tent a la Croix de Belledonne. 11 est done decide que nous 
attendrons la premiere eclaircie pour partir. En attendant 
nous organisons notre glte pour le soir, et une provision 
de bois est faite pour la preparation de la soupe. Toute la 
journ£e se passe a maudire notre mauvaise chance, mais 
bien en pure perte, car nos lamentations ne font naturelle- 
inent pas changer le temps. 

Le refuge de Belledonne doit tHre, paratt-il, prochaine- 
ment d6plac£, car on s'est apercu qu'il 6tait £tabli sur 
l'tfcoulement d'une source. Nous soinmes ravis de cette 
d^couverte, parce que nous esp^rons que ce changement 
permettra au construcleur de modifier la structure du lit 
de camp, tres savamment combing, mais qui ne laisse pas 
que d'etre extr^mement incommode. Que Ton se figure, au 
milieu d'une piece assez basse, un £chafaudage en bois, 
divis£ en plusieurs paliers, assez longs chacun pour per- 
mettre a deux rang£es d'hommes de s'cHendre pieds contre 
pieds. Quand on dort cela va bien; mais comme a tout il y 
a une fin, m£me dans le meilleur des mondes, et qu'au 
reveil on n'est pas toujours port6 a se souvenir qu'on a a 
quelques doigts au-dessus du front une paroi a laquelle on 
est g£n6ralement peu habitu6, il en r^sulta que chaque 
membre de notre caravane se cassa le nez scrupuleusement 
a son tour, lorsque le chef de la bande, apres avoir donn6 



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UK VALLOUISK A C11AM0NIX. 73 

le premier I'exemple en se levant, out laisse e>happer une 
douloureuse exclamation. 

Certes, a bord des navires la disposition des cabines est k 
peupre^du m£me genre ;toutefois,je ferairemarquerqu'on 
peut se tenirassis sur la couchette des cabines. Maisce qui 
rend la disposition interieure du refuge de Belledonne par- 
ticulierement g<mante, c'est qu'il n'a jamais eu la moindre 
vitre, et que par consequent on y est plunge dans une pro- 
fonde obscurite\ lorsque la porte et le volet sont fermes. 
Inutile de dire que Tusage d'allumettes au milieu de la 
paille qui couvre cet etroit lit de camp serait des plus dan- 
gereux. 

Le brave pere Gaspard qui vienl de se lever pour re- 
connaitre l'etat du ciel, renlre tout joyeux en nous an- 
noneant que la journee sera magnifique ; il n'en faut pas 
davantage pour nous mettre tous sur pied imm^diatement. 
Les sacs sont boucl^s, et k 3 h. 30 min. nous quittons le 
refuge apres l'avoir mis en bon ordre. 

Le lendemain est le 23 juin, jour fixe avec nos amis Rey- 
nier et Vincent pour le rendez-vuus de depart vers le Mont- 
Blanc ; nous nedevons done pas faire de fausses manoeuvres 
si nousdesirons ne pas arriver en retard. Aussi est-il decide" 
que le I'ic Central de Belledonne, sommet encore vierge, 
etant notre principal objectif, nous en tenterons l'ascension 
en partant du Pic de la Croix, ce cote de la longue crtHe 
qui domine l'6norme muraille qui vient se refltfter dans le 
lac nous paraissant presenter le plus de chance de succes. 

Une heure et demie suffit pour monter au col de Belle- 
donne, ou lious laissons les sacs apres- avoir fait une vi- 
goureuse breche aux provisions. Nous allons & la Croix 
jeter un coup d'ceil sur l'ardte que nous devons suivre. 

Revenant ensuite un peu sur nos pas apres nous <Hre 
attaches k la corde, nous descendons dans les rochers, do- 
minant de 750 met. le lac, sur les bords duquel est k peine 
visible le refuge ou nous venons de passer la nuit. Nous 



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76 COURSES ET ASCENSIONS. 

void au-dessous du Pic do la Croix sur la ligne do crete ; 
nous y trouvons une sorle de poteau casse. Bientot il nous 
faut appuyor a gauche et passer sur le versant de la valine 
de l'Fsere, pour escalader un premier petit sommet sur 
lequel nous trouvons plante un piquet de bois semblable a 
celui dont nous avons constats tout a l'heure la presence. 
La commencent les difflcultes replies ; 1'anHe devient ina- 
bordable, etc'estsurtouten longeant son flanc occidental que 
nous avanqons. Une derniere fois nous devons suivre la 
ligne de falle, sur laquelle nous chevauchons exactement 
une jambe dans la vallee de l'Eau d'Olle et l'autre dans 
celle de Tlsere. Nous ne sommes plus separes du Pic Cen- 
tral de Belledonne que par une profonde £chanerure qui 
donne naissance a une 6troite cheminee absolument lisse, 
tombant vers le lac. Gaspard pere descend le premier dune 
huitaine de metres, et, solidement soutenu par la corde, a 
l'aide de son piolet il precipite dans l'espaee un gros amon- 
cellement de roches 6boulees qu'une seule petite pierre 
maintenait a l'entr^e de la cheminee qu'il nous faut fran- 
chir. Cette derniere traversee exige veritablement un absolu 
m£pris du vertige, et de plus des jambes bien fendues ainsi 
qu'une grande surety de coup d'ceil; car il est un moment 
ou le voyageur,ne pouvant se tenir positivement que de la 
paume de la main droite et de Texti-emite* des doigts de la 
main gauche, a les pieds sans soutien lixe et doit de sa 
main droite aller saisir a pres dun metre de distance un 
point dappui extr£mement limite. 

Les quelques metres qui restaienl a escalader apres ce 
mauvais pas sont rapidement gravis. II y a une heure 20 min. 
que nous avons quitte le Pic de la Croix, lorsque nous 
dressons une pyramide sur le Pic Central de Belledonne 
que nous venons de vaincre. Gaspard pere se met imme- 
diatement en qudte de poursuivre notre chemin vers le 
Grand Pic, dont Tascension s'est faite jusqua ce jour en 
partant directement du refuge de la Soci£te des Touristes. 



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DE VALLOUISE A CI1AMON1X. 77 

Un piton formant ressaut sur 1'artUe est atteint, mais \k il 
faut se contenter de faire une petite pyramide, car il de- 
vient absolument impossible d'avancer. A peine 10 met. 
nous separent dun rocher ou la crete reprend un aspect 
accessible, qui nous permettrait d'atteindre certaine che- 
min£e du Grand Pic, d'ou Ton arriverait sans trop de 
peine au dernier sommet. Nous faisons une longue halte 
sur notre Pic Central, maintenant que nous avons sinon 
terming notre journ6e, du moins atteint notre but, et que 
desormais nous n'avons plus qu'i parcourir des cbemins 
connus. A 9 h. nous redescendons au mauvais pas de la 
cheminee, apres avoir d£pos6 notre carte dans la pyramide 
et avoir constate que le Pic de la Pyramide est plus 61evG 
de 29 m£t. que le Pic de la Croix. GrAce aux grandes pre- 
cautions que nous prenons, le retour seffectue sans inci- 
dent f&cheux, et h 10 h. nous retrouvons nos sacs dont 
nous achevons d'absorber le contenu. Apres cette nouvelle 
halte, que nous prolongeons a plaisir, nous partons pour 
Uriage en passant par les grands lacs alpestres du Dom£- 
non, le riant vallon de la Pra, ou depuis si longtemps le 
Club Alpin Francais, desireux de construire un chalet, 
reclame de la commune de Hevel, de laquelle depend cet 
endroit, une autorisation de construction. Nous avons du 
reste tout lieu de penser que did peu le voeu du Club sera 
exauce, et que les excursionnistes pourront proflter de cette 
utile creation pour explorer plus facilement et plus i\ fond 
ce magnifique massif, situ^ presque aux portes de Grenoble. 
Nous void au vallon de rOursiere,duquel jaillitla splen- 
dide cascade du meme nom, si gracieusement encadr^e de 
sapins. En fin nous atteignons la station thermale d'Uriage 
dominee par son antique chateau, et 6 kilom. de grande 
route nous amenent, au sortir de la pittoresque vallee 
du Sonnant, au village de Gieres, ou demain matin nous 
devons prendre le premier train via Mont-Blanc, en com- 
pagnie de mes deux amis. 



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7K COURSES ET ASCENSIONS. 



AU MONT-BLANC 



Le train e&tre enfin en gare. Cost l'hcure de notre 
fameux rendez-votts general ! Pendant que nous cherchons 
anxieusement aux fenMres ties portieres une tete amie, le 
chef de train me remet une lettre otk M. Vincent m'annonce 
que ses affaires lobligent a ajourner son depart. Notre excel- 
lent collegue ajoute qu'il essaiera de nous rejoindre. Quant 
a M. Reynier, deja je suis averti par un t^legramme que 
nous pouvons compter sur lui, mais que toutefois ce n'est 
qu'a Albertville qu'il rejoindra notre caravane. En eflet, en 
debarquant dans cette derniere ville nous l'apercevons 
surveillant d'un ceil vigilant les meilleures places de la 
diligence de Moutiers. Nous arrivons dans cette ville a 
lheure du diner. Gomme nous voulons protiter du beau 
temps qui regne depuis deux jours, immediatement nous 
fretons une voiture pour Bourg-Saint-Mauriec, dou le len- 
demain nous gagnerons facilenient Courmayeur par le col 
du Petit Saint-Bernard. 

Tout cet itineraire est fort eonnu, et je ne serai pas 
contredit par les alpinistes ayant visile la Tarentaise si je 
vante ici la pittoresque valine de la Haute-Isere, que je ne 
quitterai pas sans avoir eonseille aux excursionnistes des- 
cendant a YHdtel de$ Voyageurs de grand hotel de Bourg- 
Saint-Maurice), ou on est d'ailleurs fort bien traite. d'avoir 
le soin d'indiquer l'heure de leur depart du lendemain 
matin a un domeslique competent. 

Faute d'avoir pris nos precautions a ce sujet dans un 
voyage precedent, il nous fut impossible, a deux de nos 
collegues lyonnais et a moi, de sortir des corridors de 
cet hotel, ou vers t h., un certain matin d'avril, nos sou- 
liers impatients de courir la montagne secondaient cepen- 
dant puissamment nos appels desesperes. Ileureusement 
Tun de nous deeouvrit enfin une porte qui lui parul 



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DE VALLOUISK A CHAM0N1X. 79 

celle d'une chambrc de domestique, d'ou s'exhappait un 
ronflement sonore. II eut l'id£e d'y frapper, la porte mal 
fermee s'ouvrit, et pendant qu'un chat so sauvait ontre 
lesjambes de lindiscret, nous nous trouvions en face d'une 
£norme tete d'elephant... sorte de masque de carnaval 
depose dans un capharnaum, oil nous mettions la main 
sur une clochette k l'aide de laquelle nous ponies enfin 
nous faire ouvrir la porte. 

Cette fois, instruits par Texp^rience, nous avons pris nos 
precautions avant de gagnernos chambres. Aussi trouvons- 
nous k qui parler, lorsqu'au moment du depart Tami Rey- 
nier, desireux de conserver, pour le Mont-Blanc, ses forces 
fortementatteintes par une indisposition qui l'atenu eveille 
toute la nuit, exprime le de^sir de montcr au Petit Saint- 
Bernard avec l'aide d'un mulct. BientcH l'animal demands 
est amene, et nous quittons Bo urg-Saint-M auric e. 

J'ai fait la conqutHe du muletier qui nous aceompagne. 
Sans que je l'interroge, il me met au courant de ses fails el 
gestes. Les renseignements qu'il me donnc sont d'ailleurs 
essentiellement materiels ; ce qu'il connatt surtout, c'estla 
valeur relative des cafes et des auberges de la contree. Je ne 
tarde pas k m'apercevoir quil me prend pour le guide-chef 
de Reynier, qui monte son millet. 11 m'enseigne la maniere 
de tirer un brillant parti pecuniaire de ma position, et me 
conseille avec bienveillance de faire donner par mon Mon- 
sieur, comme une chose habituelle, une bonne main de 
quarante sous au garcon de lhospice du Petit Saint-Ber- 
nard, ou nous allons dejeuner tout k Theure. « GrAce a 
cette bonne main, nous autres guides qui mangerons dans 
une salle s<§pareede nos voyageurs, me dit mon bonhomme, 
nous serons bien trait£s, et puis en payant le domestique 
en consequence on pent avoir du vin bouche d'excellente 
quality. » Je ne puis conserver plus longtemps mon in- 
cognito, et lorsque, arrive k lhospice, mon ami Reynier 
solde son muletier, celui-ci voit clairement que nous ne 



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80 COURSES ET ASCENSIONS. 

sommes pas positivement entbousiasmtfs de sa maniere 
d'agir. Les consequences ne tardent pas k se faire sentir 
d'une maniere fAcbeuse ill nos estomacs. 

Gaspard et ses deux flls regoivcnt pour leur repas une as- 
siett£e de soupe, du pain noir, et une bouteille de vin ; nos 
provisions de conserves destinees au Mont-Blanc subissent 
une premiere epreuve devant un^emblablemenu. De notre 
c6te, dans la salle des voyageurs, les plats nous rappellent 
ceux du royaume de Lilliput. Enfin,nous quittons le Petit 
Saint-Bernard aprcs avoir presente en quelques lignes, 
tracees sur le registre des voyageurs, nos bommages k 
Texcellent recteur de l'hospice, M. Tabb6 Chanoux, qui 
aujourdhui a profits avec raison du beau soleil pour se 
promenerun peu, et lui avoir fait part de nos plaintes sur 
la facon dont nos guides ont ete traites. 

H nous a et£ affirme depuis, par une personne des plus 
autorisees, que la commission superieure de Tordre des 
saints Maurice et Lazare, duquel depend l'hospice du Petit 
Saint-Bernard, s'est emue de noire plainte. II a 6t& d£cid6 
que, puisque les guides strangers se plaignaient du regime 
special qui leur etait accorde et dont se felicilaient les guides 
italiens, il ne serait plus fait d'exception dorenavant en 
faveur de la classc des guides. Nous sommes tres satisfaits 
dapprendre que le regime ordinaire sera attribue desor- 
mais k nos guides francais, car trois assietles de soupe, 
une bouteille de vin et un morceau de pain noir pour 
trois hommes voues a un exercice des plus violents, et de 
la force desquels peut dependre la vie des voyageurs qu'ils 
accompagnent, forment en eflct un regime trop special. 

En descendant vers le pittoresque bameau de Pont-Fer- 
rand, ou se trouve ladouane italienne, on commence a voir 
d'assez pres la longue cbafne du Mont-Blanc. Nous traver- 
sons le village de la Thuile, puis Saint-Didier; enfin il est a 
peine 5 b. quand nous arrivons & Courmayeur, ou nous 
trouvons Francois Simond, de Chamonix, qui ma conduit 



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I)K VALLOUISE A CllAMONlX. 81 

deux fois d6ja au sommet du Mont-Blanc par le versant 
fran^ais, en 1874 et en 1877. II est entendu qu'il sera des 
notres dans notre prochaine ascension. 

Les Gaspard sont <§merveill6s du nombre et du luxe des 
hdtels que Ton est occupy de tous cdtes k preparer pour la 
saison prochaine, sur le point de commencer. Mais le len- 
demain & notre reveil, quand la bourse commune est aux 
prises avec les pretentions de notre aubergiste, Tadmira- 
tion de mes braves montagnards dauphinois se modifie en 
un d£sir plus intense que jamais de regagner les regions 
plus hospitalises, suivant eux, des hautes cimes. 

Vers midi, nous nous mettons en marche ; la journee sera 
assez courte aujourd'hui, car nous n'avons qu'& nionter 
au col du G6ant, ou nous passerons la nuit dans la eabane 
qui y est installs. La chaleur est accablante,nous montons 
avec peine au milieu de la forel du Mont-Fr6ty, dans la- 
quelle nous faisons notre provision de bois pour le chauf- 
fage de notre bivouac. 

Le pavilion construit au sommet de la c6te est encore 
ferm6; ce n'est que demain, 26 juin, que son proprtetaire 
doit monter y dresser ses batteries de cuisine, d'apr&s ce 
que nous dit un berger obs^quieux, en quete d'une bonne 
main, et suivant, en cela, la coutume encore trop g£nera- 
lement r^pandue dans son beau pays que nous avons par- 
couru de l'extremite de la Sicile au sommet du Mont-Blanc. 

A peine avons-nous abord6 les premieres roches de 
l'areie escarped, en haut de laquelle se trouve notre gitc, 
qu'un formidable coup de tonncrre retentit, suivi imm^ 
diatement d'une veritable nu£e de neige qui nous enve- 
loppe en un instant. 

Les Eclairs se succ&dent sans interruption, accompagnes 
du craquement incessant de la foudre qui s'en va se perdre 
vers le fond des vallons en sourds 6chos. 

Nous nous blottissons h la h&te dans des fentes de ro- 
chers, apres avoir abandonn6 loin de nous nos piolets, qui 

ANNUAIRE DE 1884. 6 



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82 COL'RSES ET ASCENSIONS. 

deviennent entre nos mains de dangereux paratonnerres. 
Une heure se passe avant quo nous puissions songer a 
quitter nos abris. 

Enfin,le temps s'£claircit un peu, et nous sortons chacun 
de notre trou pour reprendre notre chemin, recouvert 
d'une mince et glissante couche de neige. Vers 6 h. nous 
faisons notre entree dans la cabane du col du G£ant, situSe 
a 3,350 met. d'altitude, c*est-&-dire presque au niveau du 
col de ce nom, rendu celebre par le sejour qu'y fit de 
Saussure en 1788. Le refuge est tout en planches et de 
dimension tres restreinte ; son mobilier consiste unique- 
ment en un po£le et une casserole ; le planeher sert de lit. 
Pendant toute la nuit le vent mugit furieusement autour 
de la pauvre cabane, que nous sentons remuer jusque 
dans ses fondations. Le matin au rereil, nous ne pouvons 
que tres difficilement entr'ouvrir la porte en r6unissant 
nos efforts, tant est violente la temp<He. Nous sommes em- 
prisonnSs, ayant pour toute distraction la vue du precipice 
effrayant sur le bord duquel nous nous trouvons perches, 
et que nous contentions chacun k notre tour pendant des 
heures k travers Tunique petite vitre qui £claire notre 
cellule. 

Le panorama est d'ailleurs presque nul, des nuages 
opaques tourbillonnent de tous c6t6s, ne laissant que rare- 
ment des £claircies qui nous permettent d'apercevoir rapi- 
dement k plus de 2,000 met. k nos pieds le vallon d'En- 
treves. Ces nuages mouvement£s, cette sensation de 
l'abime qui nous entoure, et aussi T^branlement continuel 
de la cabane, nous produisent exactement Teffet d'une 
ascension en ballon. Vers 9 h. l'orage se calme ; il est 
cependant trop tard pour entreprendre la longue escalade 
du Mont-Blanc. 

D'ailleurs, il fait 6 degr£s de froid et le ciel est encore 
tres couvert; nous aurions fort peu de chances dans de 
telles conditions d'atteindre le soinmet, l'entreprise serait 



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1)E VALLOUISE A CHAMON1X. 83 

m6me dangereuse. Nous ne d^serterons toutefois noire 
posie (\uk la derni&re extr^mite: nos vivres sont suffisants 
pour quatre jours en les 6conomisant. Seule, la question 
du combusiible pourra obliger d'envoyer deux ou irois des 
nitres k la foret de Mont-Fr^ty pour faire un approvision- 
nemeni. Une heureuse visite nous 6vite cette corvee; ee 
sont des ouvriers envoySs par le Club Alpin Iialien pour la 
construciion d'un refuge confortable en remplacement de 
notre cabane si insuflisante. 

Les braves gens, surpris comme nous par 1'orage, n'a- 
vaient pu la veille mooter jusqu'au col et s^taient abrit£s 
chez des bergers. lis apportent une provision de bois qui 
nous permettra de faire fondre de la neige pour avoir de 
l'eau. 

Tout est done pour le mieux, excepts quand arrive Theure 
du repos. Je crois que jamais probl^me ne fut plus difficile a 
rtfsoudre que celui de coucher neuf hommes dans Tancien 
refuge du G6ant, Nous y arrivons k grandpeine, surs par 
exemple que pendant la nuit notre cabane bien lest£e ne 
sera pas enlev^e par le vent qui a repris de plus belle. 

A 7 h. du matin, le barom&tre a tellement remonte, 
que malgr£ les mauvaises apparences du ciel nous nous 
d£cidons k explorer notre route future. 

Nous passons au-dessus du rocher de la Vierge, et apres 
avoir contourn6 les 6normes crevasses du glacier du G6ant, 
nous montons sur le plateau du glacier de I'Altee-Blanche. 
Ici regne le calme le plus grand, les derniers brouillards 
ont disparu, et notre caravane en profite pour se h&ter de 
gravir les parois du Mont-Blanc du Tacul, un des contre- 
forts du grand Mont-Blanc. 

Deux directions ont 616 suivies par les rares ascension- 
nistes qui nous ont pr6c6d£s sur cette voie : les rochers de 
la face Nord, ou la pente de glace qui se trouve plus k 
droite et qui descend se r£unir au glacier des Bossons par 
une chute rapide de plus de 1,000 met. de profondeur. 



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84 COURSES ET ASCENSIONS. 

J'ignore ce que peut <Hre cc dernier chemin ; quant a Tau- 
tre pour lequel nous avons opt£, je n'engagerai que les per- 
sonnes bien habitudes aux escalades alpestres a le suivre, 
s'il est, ainsi que je le crois, presque toujours enduit d'un 
verglas des plus traltres par la fausse solidity qu'il donne 
aux rochers que Ion gravit. Nous atteignons a 1 h. le n£v6 
qui s'6tendentre le Mont-Blanc du Tacul et le Mont-Maudit; 
il est cote 4,051 met. sur la carte de Mieulet, qui est d'une 
exactitude scrupuleuse, du moins pour cette region. 

La pente de neige au-dessus de laquelle se dresse la fine 
Dent du Mont-Maudit ne presente pas la inoindre diffi- 
culty , nous n'avons aucune marche k y tailler. La petite 
croupe neigeuse qui nous cache le Corridor est franchie 
(4,430 met.), mais aussitot le vent s'eleve et commence & 
g£ner notre marche sur les pentes glacees que nous avons 
& descendre. A 400 m&t. se dresse le sommet, but de notre 
long voyage. Nous void au pied du Mur de la Gdte. La 
tourmente redouble, le froid gele dans nos poches la 
viande que nous y avons mise de fac;on a 6viter toute halte ; 
nous n'avons que bien juste le temps d'achever notre 
course, car il est deyk 4 h. A ce moment, deux des n6tres 
sont violemment repousses par le vent. 

Est-il raisonnable, en pareilcas,de s'ent&ter & poursuivre 
sa route? Si, quand on sera sur le Mur de la Cdte, Tun de 
nous est 6branle par Torage, nul doute qu'il ne perde 
lequilibre et nentratne k sa suite toule la caravane atta- 
che a la corde, et Dieu sait les terribles abtmes qui 
attendent les imprudents a 1,000 m&t. & pic vers le glacier 
de la Brenva ! 

Pas d'hSsitation possible, il faut battre en retraite. 
J'avoue que je me rSsigne avec peine a adopter cette 
determination, que le pdre Gaspard a proposee energique- 
ment le premier; mais, en reconnaissant la sagesse, je 
donne le signal de la retraite. La descente sur le Grand- 
Plateau s'effectue rapidement, ainsi que celle du Petit- 



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DE VALLOUISE A CHAMONIX. 85 

Plateau. Enfin vers 5 h. 30 min., nous arrivons k la 
cabane des Grands-Mulets, pendant que nous voyons les 
sommets couronnes de panaches de neige que la tempete 
regnant dans les hauteurs el&ve en tourbillons. Le souper 
est rapidement absorbe, et k la h&te nous allons nous 
Stendre, car, le barom&tre promettant pour demain, 28 juin, 
une splendide journ^e, nous voulons repartir de tres bonne 
heure, pour reparer lichee que nous venons de subir. 

A 1 h. 30 min. du matin nous quittons le chalet, eclaires 
par notre lanterne; notre piste de la veille nous evite tout 
t&tonnement au milieu des nombreuses crevasses qu'il 
nous faut franchir. Nous sommes dejk au Petit-Plateau 
quand une lumi&re vacillante appftrait en bas sur le gla- 
cier; e'est une caravane d'Anglais qui a couch£ avec nous 
aux Grands-Mulets, et nous a laiss6s faire la trace en avant. 
Tranquillement, nous continuons k monter jusqu'au Grand- 
Plateau, ou nous faisons notre premier dejeuner pendant 
que les Anglais qui nous ont rattrap^s s'empressent de 
prendre les devants, car e'est pour eux une vraie premiere 
ascension. Personne n'est alld au Mont-Blanc depuis le 
mois de Janvier dernier, et il n'y a pas encore de vestige 
du chemin si nettement fraye pendant la saison d'et6 par 
les nombreux touristes qui vont maintenant de Ghamonix 
au Mont-Blanc aussi facilement qu'on fait en Dauphin^ la 
traversee d'un des cols du massif du Pelvoux. Nous repre- 
nons notre marche regultere au milieu des merveilleux 
champs de neige qui nous entourent, vers les Bosses du 
Dromadaire par lesquelles nous voulons attaquer cette fois 
le g6ant des Alpes. Les pentes sont douces k gravir, nous 
void bient6t au Ddme du Gouter. La caravane anglaise est 
en plein d£sarroi, ainsi que Tannon^ait depuis quelque 
temps 1'etat de sa trace. (J'eut 6t6 bienle cas de rappeler la 
fable du Li&vre et de la Tortue aux malheureux que nous 
devan^ons a notre tour. Les Bosses du Dromadaire sont 
tres faciles k monter lorsqu'il ne fait qu'une legere brise 



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8tf COURSES ET ASCENSIONS. 

comme celle d'aujourd'hui. Enfin, nous voici, aussi dispos 
qu'au depart, sur l'ar£te m^me du Mont-Blanc, des plus 
faciles a parcourir ordinairement, ainsi que j'en ai acquis 
la certitude dans mes prec£dentes ascensions. Gette ann£e, 
1'aspect du somniet s'est profond£ment modifie ; k la place 
du Ddme habituel nous trouvons une sorte d'enorme serac 
orn£ dune corniche de neige regardant Ghamonix, et 
interrompu k l'Est et k TOuest par deux profondes crevas- 
ses qu'il nous faut contourner en taillant des marches 
dans la muraille de glace mince qui domine le glacier de 
Miage. Ge mauvais passage d'une dizaine de metres de 
longueur est la seule difficult^ r£elle que pr£sente actuel- 
lement le Mont-Blanc. Gertes, il ne faut pas croire que 
monter a 1,810 m<H. se fasse absolument comme une pro- 
menade dans un jardin, mais tous ceux qui ont une con- 
naissance pratique de la haute montagne pourront aflirmer 
sans exag£ration aucune que lascension du Mont-Blanc 
par les Grands-Mulets est des plus faciles. J'affirme m£me, 
sans crainte d'etre dementi, que, dans les Alpes dauphinoi- 
ses, il n'y a pas un seul sommet d'une altitude sup£rieure 
k 3,500 met. qui ne soit, sinon plusp£nible, du moins aussi 
difficile d'acces que le colosse Savoyard. Quant aux pheno- 
m£nes physiologiques resultant de la difference de pres- 
sion atmospherique ou de la rarefaction de Fair, les mon- 
tagnards savent qu'on peut en eluder les desagr£ments 
par un entralnement prealable. La meilleure preuve que 
Ton puisse donner du peu de danger que pr^sente celte 
course peut &tre lout naturellement puisne dans le nombre 
prodigieux des personnes qui ont r£ussi k Taccomplir jus- 
qu& ce jour (pres de mille), et surtout dans Texamen du 
peu d'entrainement et d'exp^rience des glaciers quont la 
plus grande partie de ces alpinistes improvises accourant 
annuellement des cinq parties du monde pour monter sur 
le point culminant de la vieille Europe. Des enfants y sont 
alles, un aveugle bien guide a pu faire l'ascension, m'a-t-on 



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DE VALLOUISE A CDAMONIX. 87 

dit. Personnellement, j'ai assiste ainsi qu'un de mes amis k 
une ascension faite par un Anglais qui, arrive aux Grands- 
Mulets pendant que nous y 6tions, se faisait trainer au mi- 
lieu des glaciers sur des peaux de bouc assemblies. La 
course dut lui cotiter cher, car les guides et les porteurs 
qui l'aceompagnaient eHaient nombreux ; toutefois, il r£us- 
sit dans son projet de se faire hisser au Mont-Blanc. 

On pourra all£guer que nulle part il n'est arrive autant 
d'accidents qu'au Mont-Blanc. Gette observation ne fait du 
reste que confirmer absolument ce que j'ai dit k propos 
des capacity alpines de la principale categoric des tou- 
ristes allant au Mont-Blanc et de l'insouciance que la plu- 
part des guides de Ghamonix ont malheureusement k regard 
de cette montagne continuellement visitee par eux. Si facile 
que soil un glacier, il sera toujours dangereux en cas 
d'avalanche, de tourmente et de brouillard, ou quand on 
n'aura pas sufftsamment sond6 les crevasses et tenu ses 
distances k la corde. Le Mont-Blanc ne pr^sente done que 
des difficult^ tres ordinaires, et qui sont k peu pr&s toutes 
ais£ment Gvitables. II a m£me I'avantage de presenter une 
variete exceptionnelle d'itineraires pour y acc£der. A ce 
sujet, qu'il nous soit pennis de recommander tout particu- 
li&rement celui passant par l'Aiguille du Gotiter, et qui a 
6t6 dScrit avec une competence sp6ciale tout derniere- 
ment encore dans YAnnuaire l par M. Joseph Lemercier. 
le (ils du tr&s v6n£r6 fondateur du Club Alpin Francois. 
Je crois sincerement cette voie d'acces de beaucoup la 
meilleure k tous les points de vue, et si elle <Hait adoptee, 
en dehors des avantages personnels qu'il tirerait de ce 
choix, le voyageur ferait une bonne oeuvre en stimulant 
rindifTerence de la majority des guides routiniers de Gha- 
monix, par mi lesquels on peut compter, k vrai dire, quel 
ques brillantes mais trop rares exceptions, par exemple 

1. Annuaire du Club Alpin Frungais. 1883, p. 41. 



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88 COURSES ET ASCENSIONS. 

le brave Francois Simond, dont je iTai jamais eu qu'a me 
louer. Mais tout engage aujourd'hui les guides & passer 
par les Grands-Mulets , ou le refuge en planches qui s'y 
trouve est lou£ annuellement avec celui de Pierre-Pointue 
14,000 francs par la commune de Ghamonix. Aussi les re- 
proches ne doivent-ils pas &tre tous adress£s au locataire 
de ces immeubles, quand il allege le porte-monnaie des 
ascensionnistes ; il nous semble qu'il serait juste d'en r£- 
server la plus grande partie & une municipality qui oblige 
evidemment son locataire k exploiter le voyageur, alors 
qu'un tarif raisonnable pourrait 6tre joint au cahier des 
charges de chaque adjudication. 

Le temps passe vite sur un sommet quand on a le bon- 
heur de sy trouver par un ciel aussi pur que celui dont 
nous jouissons. Les bons Gaspard regardent tout particu- 
lierement l^norme croupe de glace £tincelante qui s'Stend 
au Sud, dominie par l'aiguille aigue de la Meije ' ; c'est le 
grand glacier du Mont de Lans, au-dessus de leur village de 
Saint-Christophe. Le panorama a 61& cent fois dScrit; il est 
incomparable dans son genre, puisque de toutes parts les 
plus hautes cimes se trouvent aux pieds du louriste ; mais 
il manque par cela m&me de contraste, et le regard £bloui 
par Tinfini du ciel ne peut se reposer qu'en s'abaissant. 

Nous devons songer k redescendre. Le but de nos pere- 
grinations & travers monts et valines est atteint. Aussi, 
joyeux, nous reprenons le chemin de la valine en compa- 
gnie du seul Anglais qui ait pu nous rejoindre. 

A Ghamonix, ou nous arrivons vers 4 h., le meilleur ac- 
cueil nous est fait & lexcellent h6tel de TUnion. Nous ne 
pouvons malheureusement pas nous feliciter de m6me de 

1. Ce sont les Gaspard pere et fils qui, en aout 1877, acconipagne- 
rent notre collegue M. Boileau de Castelnau lors de la premiere 
ascension de la Meije, faite par le versant Sud, dit de la B4rarde. 
Les m6mes guides ont, a la fin de juin 1885, reussi la premiere esca- 
lade du celebre sommet par la face Nord, regardant la Grave, avec 
M. Verne, membre de la Section de l'lsere. 



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DE VALLOUISE A CHAMONIX. 89 

la reception que nous firent, surtout aux braves Gaspard, 
certains guides chamoniards errant dans les rues en qu£te 
devoyageurs. Gonstatons seulement qu'ils sont jaloux de la 
concurrence que leur font non seulement les montagnards 
suisses et italiens, mais encore les chasseurs de chamois 
du Dauphin6, maintenant devenus des guides hors ligne. 
Pourtant k qui la faute? ils n'ont k s'en prendre quk eux- 
m&mcs. En 1817, une croix fut soiennellement plantee au 
pied du glacier des Bossons dans l'espoir d'obtenir de la 
Providence qu'elle servirait de limite k lexpansion du gla- 
cier. Elle fut en effet respect£e. Que pourront faire a leur 
tour les amis de la montagne pour mod^rer chez les guides 
de Ghamonix leurs pretentions et leur arrogance? G'est une 
question depuis longtemps k letude, k la sous-prefecture 
de Bonneville et au Club Alpin Frangais. Pour moi, je ne 
vois qu'une solution pratique : que les alpinistes soient 
moins exclusifs, et donnent Texemple en sortant des che- 
mins battus; qu'ils aillent visiter la vraie montagne, celle 
qui n'est pas soumise k la coupe r£giee d'industriels de 
toutes categories! Alors seulement, les exploiteurs al- 
pestres rabattront de leurs exigences, et rendront k leurs 
belles montagnes ce caract£re grandiose de la nature, si 
incompatible avec les petites mesquineries des trafics pe- 
cuniaires. 

Puissentles merveilleuses Alpes du Dauphin£, que nous 
nous empress4mes de rejoindre apres cette equip^e, rester 
longtemps k Tabri de ces tristes abus ! 

Mais oublions ces petits nuages pour ne nous souvenir 
que des purs et incomparables spectacles que laisse graves 
dans Tesprit la fr£quentation de la montagne. 

H. Duiiamel, 

membre du Club Alpin Francais 
(Section de l'lsere). 



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IV 
AUTOUR 

DE CHAMONIX ET DE ZERMATT (1883) 

LA FLORIA ET LA DENT DU GtANT 

Mes debuts dans la montagne n'avaient pas 6t6 heureux 
en 1885. Le mauvais temps s'6tait charge de simplifier par 
trop mon programme, qui avait fini par se require a deux 
ou trois courses ou le brouillard m'avait la plupart du 
temps epargn6 la fatigue d'examiner le paysage. Cependant 
j'etais revenu l'annee suivante, serieusement pris de la 
« fievre de Zermatt », mal non encore catalogue par la 
Faculte, qui mene ses victimes droit a Tescalade de som- 
mets a l'usage des seuls chamois, et encore... 

A mon arrivee a Chamonix, mon guide Francois Simond 
£tant a Zermatt, ce fut avec son frere Alfred que je (is la 
traditionnelle course de mise en train. Nous avions choisi 
pour l'accomplissement de ce rite oblige I'Aiguille de la 
Floria, un des plus hauts sommets des Aiguilles-Rouges. 
(Test une ascension interessante, facile, et qui conduit a un 
panorama superbe ; cependant elle se fait rarement. Entre 
les touristes managers de leurs jambes, qui preferent gra- 
vir le Brevent... k mulet, et les grands seigneurs de Talpi- 
nisme qui dedaignent ses 2,953 met., il reste piteusemenl 
solitaire, dominant la foule qui se presse chaque jour a la 
Flegere, sans se risquer plus loin. 

Tout en flanant au sommet et en cherchant sur la carle 



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AUTOUR DE CUAMOMX ET DE 2KRMATT. 9i 

les noms des pointes qui se dressaient en foule autour de 
nous, inondees de soleil et etincelant sous leurs manteaux 
de neige, nous discutions l'itineraire a suivre pour gagner 
Gourinayeur. 

II est un pic a la mode en ce moment a Chanionix, c'est 
la Dent du G6ant. Les guides qui Font grimpee ne tarissent 
pas sur son compte, comme ceux qui ne Tont pas grimpee, 
d'ailleurs. On en a beaucoup parle, on a echange a son 
sujet force lettres acerbes ; c'est en un mot le lion du jour, 
la great attraction. 

Nous convenons done d'en faire lascension en passant le 
col du Geant. Profitant du soulagement dti a la prise de 
cette importante decision, nous redescendons a la Fleg&re, 
faisant en route une magnifique glissade, et de la a Cha- 
monix, pour remonter le m^me jour au Montenvers, munis 
de cordes, d'un second guide, eniin de tous les accessoires 
indispensables d'une excursion serieuse. Seulement, il fal- 
lut perdre du temps pour engager Gustave Couttet, chas- 
seur de chamois de profession et guide par raccroc, et re- 
gler les mille details qui ne manquent jamais de surgir au 
dernier moment, si bien que nous n'arrivames au Mon- 
tenvers qua 9 h. 30 du soir. J^tais fatigu6 de cette pre- 
miere promenade; il etit fallu repartir a minuit. Je passai 
done la journ^e du lendemain a regarder s^couler le flot 
bariole des touristes de toute nationality, de tout age et 
de tout 6quipement, que Ton voit ensuite defiler sur la 
glace sous forme de petites quilles peu equilibrees, et qui 
font du Montenvers le boulevard des Italiens de Chanionix. 

Le lendemain, 11 aotit, un malentendu nous fait partir a 
1 h. au lieu de minuit. Le ciel est seme de nuages isoles 
qui executent devant la lune une course d'un macabre 
acheve et dont les ombres errent fantastiquement sur les 
montagnes environnantes. Gependant, le vent etant bon et 
le barom&tre haut, nous partons a la file indienne. A peine 
sommes-nous arrives aux Ponts, survient unsuperbe Eclair, 



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92 COUIISES ET ASCENSIONS. 

et un coup de tonnerre reveille les 6chos de la Mer de 
Glace. Quelques minutes plus tard les eclairs ne disconti- 
nuaient plus; la bourrasque s'61eve tout a coup et 6teint la 
lanterne. Rebrousser chemin pour un simple orage, qui 
probablement ne durerait pas, eut e\6 absurde. Nous de- 
cidons d'aller chercher sur le glacier un abri que connais- 
sait Gouttet. 

Je notai alors combien l'electricite a gagn£ a passer des 
mains de Dame Nature a eelles de l'homme. Ici, les nappes 
de lumiere blafarde, qui tombaient des nuages en cascades 
fulgurantes et continuelles, nous aveuglaient. Nous avan- 
cions a tatons, colles au rocher pour donner moins de prise 
a la rafale qui nous secouait. Nous arrivames ainsi a la 
moraine, puis sur le glacier, a Tabri que nous cherchions. 

H etait tres joli, l'abri de Gouttet. G6tait une enorme 
pierre tomb6e fort intelligemment de fa^on a constituer le 
toit d'une sorte de cabane fermee de trois cdt£s. II etait 
temps d'ailleurs, il commen^ait a pleuvoir a torrent?. 

Le spectacle etait alors admirable. En face de nous se 
dressaient les premiers contreforts de TAiguille du Dru; 
plus loin, la cbaine des Aiguilles-Rouges. A chaque Eclair, 
cet ensemble grandiose semblait jaillir du neant, pour y 
retomber brusquement, et rien ne saurait donner id6e de 
l'ampleur magistrale des echos qui r^pondaient aux gron- 
dements du tonnerre. 

Nous assistions a une representation de gala, et nous 
etions aux premieres loges. 

Au bout d'une heure environ, Torage s'eloigne et nous 
repartons, glissant a qui mieux mieux sur la surface du 
glacier polie par la pluie qui vient de tomber. 

tl faut generalement faire un long detour sur la gauche 
pour 6viter la partie du glacier dominie par F Aiguille de 
Tr61aporte, que des crevasses rendent impraticable. Gette 
annee, la neige a tout combl£, et en coupant au plus court 
nous gagnons une bonne demi-heure. 



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AUTOUR DE CHAMONIX ET DE ZERMATT. 93 

Le niveau de la Mer de Glace, dans lout son bassin su- 
perieur du moins, a subi cette ann£e un exhaussement 
que Ton peut estimer k 12 ou 15 m&t., et plusieurs glaciers 
de la valine de Chamonix ont repris leur mouvement de 
progression. 

Gouttet, tout en marchant, nous narre ses exploits cy- 
n6g£tiques avec une verve rappelant de pr&s celle d'un 
simple Nemrod des plaines ; ce qui me permet d'arriver k 
cette importante conclusion, que je note pr£cieusement : 
La puissance narrative d'un chasseur est totalement ind£- 
pendante de Taltitude et des variations thermom£triques; 
mais elle rtfsiste moins bien h l'influencc de l'humidite : 
en effet, au beau milieu de sesr£cits, Gouttet vient k mettre 
le pied jusqu'au genou dans une crevasse pleine d'eau lim- 
pide, mais glacee; l'incident lui coupe net la parole, et de- 
sormais il suit sans mot dire, profondement demoralise. 

Le passage des s£racs est tres facile cette ann6e, k cause 
de Tenorme quantite de neige tomb£e pendant lhiver. 
Arrives au sommet, nous nous arnHons pour dejeuner. Les 
derniers lambeaux de nuages accroches au sommet de 
l'Aiguille-Verte l&chent prise et sontbalay£s; nous aurons 
certainement une vue magnifique du haut de la Dent, si 
nous y arrivons. 

D'ici nous la voyons admirablement; mais quelle paralt 
haute et raide! II faut encore cinq heures de marche pour 
arriver au pied du pic terminal. Nous croisons en ce mo- 
ment une bande de deux voyageurs et trois guides qui 
descendent du col du Geant avec cc gracieux dandinement 
commun aux alpinistes marchant dans la neige k mi-jambe 
etfdoit-onle dire?) aux canards qui vont k Tabreuvoir. 

Et le soleil allait ramollissant de plus en plus la neige 
sous nos pas, et la demoralisation allait gagnant toujours 
dans la m&me proportion, pendant les trois longues heures 
pass£es k nous trainer clopin-clopant par une temperature 
s£negalienne de l'endroit ou Ton quitte le chemin du col 



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91 COURSES KT ASCENSIONS. 

clu (leant a celui ou aboutissent les dern teres pentes de la 
Dent. Nous y arrivons enfin, et un £norme soupir de sou- 
lagement s'6chappe de nos trois poitrines. 

Nous marchions alors juste depuis douze heures ; \\ 6tait 
convenable et opportunde diner. Nous proc£donsacetteop4- 
ration avec tout le soin qu'elle comporte ; puis nous allon- 
geons les cordes, 12 met. entre chacun de nous, nous in- 
stallons confortablement les sacs et les piolets dans un creux 
de rocher et nous partons. H ay a plus que 200 met. agravir. 

L'escalade des premieres assises de la Dent est admira- 
blement int£ressante. Les (lanes de la montagne sont la- 
bourns, d6chir£s, crevasses de toutes les faeons imaginable?, 
et pr^sentent Taspect d'un chaos d'£normes blocs dont un 
fort respectable specimen, arrivant du haut, eflleure 
Simond en passant, des nos premiers pas. II faut dire cc- 
pendant que e'est la l'exception. Partout le roc est excel- 
lent. M£me de minces tablettes elevens et paraissant tenir 
a peine, que Ton serait sur partout ailleurs de voir partir 
sous le pied, r^sistent parfaitement. Aussi, malgre la pente 
eflrayante de Tensemble, e'est plaisir de grimper sur ce roc 
solide, ou le clou mord ferine et donne d'excellents points 
d'appui pour s'£lancer de bloc en bloc. 

Mais lorsque nous nous tflevons davantage, la situation 
change. Le roc devient de plus en plus uni, et l'escalade 
absorbe toute notre attention. Simond a gard£, attache a 
son poignet, un piolet pour tailler des marches dans un 
petit n6v£ qui est a moitte chemin du sommet. Au moment 
ou Couttet me rejoint et ou Simond est juste au-dessus de 
nous a bout decorde, un cri venu d'en haut nous fait lever 
les yeux. La ficelle du piolet, us6e par le frottement sur le 
rocher, a c£de* : il rebondit, nous arrive en tournoyant, et 
se brise d*un seul coup a nos pieds en plusieurs morceaux 
qui disparaissent dans l'ablme, a notre grand soulagement. 
Quel ridicule de monter a 3,800 met. expressement pour 
recevoir un piolet sur le crane? 



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AUTOUR DE CUAMONIX ET DE ZERMATT. 95 

Encore quelques minutes et nous sommes k la plaque 
Burgener. (Test ici, dit l'histoire, que sont venus £chouer 
les efforts du guide de ce nom, ainsi que toutes les tenta- 
tives faites de ce c6t<§ avant celles des trois guides de 
M. Sella, en 1885. 

L'endroit est remarquable. Une £norme paroi triangu- 
laire presque verticale forme le flanc de la montagne; sa 
surface lisse et comme polie est partag^e en trois par deux 
maigres fissures k peu pr£s horizontals. Nous prenons 
d'abord l'ar&te de gauche pour franchirla premiere portion. 
Ici la corde fixe nous est indispensable, car letroite cre- 
vasse qui nous sert d'£chelle est toute garnie de verglas. 
La vue est fort belle sur le glacier du G£ant, au-dessus 
duquel notre position sur FanMe nous fait paraltre suspen- 
dus k quelques centaines de metres en fair. 

Point n'est besoin d'ajouter que nous marchons avec des 
precautions extraordinaires. Un faux pas dun de nous lui 
vaudrait une merveilleuse culbute. De plus, le maladroit 
pourrait compter k coup stir que ses deux compagnons le 
suivraient fid&lement, sinon volontiers, jusqu'au glacier, sauf 
ce qui pourrait resterd'eux accroch£ aux angles de rocher. 

Puis, suivant la premiere fissure et en equilibre contre le 
roc, nous arrivons k la seconde corde, laquelle, apr&s mtir 
cxamen, se trouve Gtre k moitte couple en haut, pr&s du 
point d'attache. (Test un nouveau genre de supplice de 
Tantale, qui nous vaut une rude gymnastique. 

Nous sommes alors en presence de la troisieme et der- 
niere portion de la paroi. La corde pend le long du rocher, 
compl&tement uni cette fois. Les guides de M. Sella ont 
dii tourner la difficult^, puis attacher la corde en descen- 
dant. Simond trouve moyen de s'aider des pieds, en se 
tenant des deux mains k la corde : ou un guide ne trouve- 
rait-il pas moyen de s'accrocher? Je mets de cdte toute 
fausse honte, et je m'enl£ve simplement k la force du 
poignet. 



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96 COURSES ET ASCENSIONS. 

Bienheureux souvenirs de gymnastique, sans vous 
j'aurais fait triste figure, hiss6 par mes guides comme un 
sac de bl6 dans un moulin. J'ai des prejug^s indSraci- 
nables contre ce mode de locomotion. Quoi de plus illo- 
gique que de se Her k une paire de bras que Ton ne 
connait pas, quand on a les siens, que Ton doit connattre, 
ce me scmble ? 

Simond, mettant la main sur la corde suivante, s'aper- 
coit que son point d'appui cede. Arrives en baut de ce 
second c&ble-Tantale, apres un vrai travail de clown, nous 
trouvons qu'il est attache autour d'un bloc, lequel, 
derange probablement par des pierres tombSes du haut, 
balanee d f une faqon significative. Gette fois, c'est bien tout, 
et en quelques minutes nous sommes en haut, contem- 
plant un de ces panoramas des hautes cimes qui ^chap- 
pent k la description. Nous avions mis une heure et 
25 min. k grimper ces 200 metres. 

Puis nous passons sur le second sommet, plus haut de 
quelques metres, sur lequel nous transplantons le m&t 
dress£ sur le premier, afin de t(H<§graphier notre succes 
au Montenvers. II faut descendre un peu pour rejoindre la 
charmante petite arete qui relie les deux pointes. Aigue k 
souhaits, garnie de blocs chancelants, elle donne des deux 
cdt6s & 400 ou 500 metres de profondeur. C'est un passage 
extremement interessant. 

Mais le vent commence k se lever, il est temps de 
retourner sur nos pas. 

Comme c'est la regie dans toutes les courses difficiles, la 
descente est plus malais^e que la mont£e, surtout k Tendroit 
des deux cordes auxquelles on ne peut pas toucher. On y 
eprouve au plus haut degr6 cette d<§licieuse sensation de 16- 
geret6 sylphique, qui est un des grands charmes des courses 
de hauts sommets, et qui se developpe surtout lorsqu'on 
descend une c6te abrupte, le vide en face de soi. Nous 
regagnons sans incident le pied de la Dent, ou nous 



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AUTOUR DE CHAMONIX ET DE ZERMATT. 97 

avons la triple satisfaction : 1° de dekouvrir do l'eau, 2° de 
retrouver nos provisions; 3° de reduire de moitte les 
12 met. de cordes qui trainent entre chacun de nous, et 
mettentune obstination incomprehensible a se pincer dans 
toutes les fentes de rocher. 

Nous avons mis 1 h. 35 min. a descendre, soit 3 h. en 
tout. 

Nous sommes bientOt a la bergschrund, dont l'unique 
pont, ramolli par le soleil, casse sous Couttet qui se rat- 
trape au bord inferieur avec l'agilite dun de nos anc6tres 
selon Darwin. Reste Simond et moi a passer; la recette est 
bien simple : vous remontez de quelques pas, et vous vous 
laissez glisser sur le dos. En vertu de lirnpulsion vous filez 
comme un aGrolithe au-dessus de la crevasse, et arrive 
au-dessous, vous vous rattrapez de compte a demi avec 
celui qui est deja passe. (N. B. — Que les compagnons 
soient solides et qu'il n'y ait pas trop de crevasses au- 
dessous.) 

Simond me suit de la inline facon, et nous recommen- 
cons a ptetiner dans la neige molle, occupation antipa- 
thique a tout ce qui court la montagne a n'importe quel 
titre, et surtout aux alpinistes qui ont dej& fait une quin- 
zaine d'heures de marche. 

Gependant vient nous distraire un coucher de soleil qui 
serait admirable, n'etait qu'il nous presage presque a coup 
sur du mauvais temps pour demain, et, lorsque nous arri- 
vons au col, il y a deja quelques instants que les puissants 
massifs qui encadrent le glacier du Geant, se fondant gra- 
duellement en une sombre teinte livide, ont disparu dans 
l'ombre. En meme temps, le ciel s'est couvert, le vent est 
d£ja violent; nous d^cidons de passer la nuit a la cabane 
du col, bien que sans bois. 

Bonheur inattendu ! Nous en trouvons, en entrant, une 
provision dans un coin. Alpinistes inconnus, mais pre- 
voyants, qui avez apport£ plus de bois qu'il ne vous en 

ANNUA1RK DE 1881. 7 



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98 COURSES ET ASCENSIONS. 

fallait, nous vous avons envoys sur l'aile des vents force 
benedictions. Puissent-elles vous avoir fait autant de 
plaisir, si elles ne se sont pas egarees en route, que nous 
en firent vos restes. 

II 6tait 8 h. 30 inin. k notre arrivee a la cabam*. 
Nous obtenons, k force d'instancos, que les deux moities du 
tuyau de poele consentent k se rejoindre, et contribuent a 
couronner cette journe> bien reinplie par un diner con- 
fortable. 

Pendant la nuit, nous sommes tonus au rourant du 
temps qu'il fait par la porte qui persiste, & intervalles ine- 
gaux mais frequents, k admettre k battant ouvert le venl 
qui secoue la cabane et la pluie qui tonibe k dots. 

En somme, la course que nous avons faite est une des 
plus belles de Chamonix. Kile coniprend en un jour le col 
le plus grandiose et un des sonunels les plus interessants 
de la chaine, qui n'a encore ete gravi que bien pen de fois. 

DE COURMAYEUR A B0UR6 SAINT-PIERRE 

Le lendemain, en descendant du col du (leant, je trouve 
que la physionomie du revers italien a completemenl 
change depuis l'annee derniere. La neige a remplace le 
rocher dans toute la partie superietire, ou ses longues 
nappes blanc sale, couvertes de verglas par la pluie de la 
nuit, gt^nent la marche et compromettent la stabilite. 

Gourmayeur est en fete. C'est, paralt-il, son etat normal. 
Les habitants, dument endimaneh<?s, vont et viennent aver 
une mine sepulrrale. 

Et re qui ne contribue pas k augmenter les attraits de 
lendroit, c'est la stupt»fiante quantite de mouches qui y 
infestent le moindre recoin, y compris et surtout les 
rhambres a coucher, d'ou elles bannissent k peu pres le 
sommeil, et dont elles poussent en quelques instants Toe 
rupant jusqu'aux confms de Thydrophobie. 



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AUTOUR DK CHAMONIX ET DE ZKRMATT. 99 

Cc qu'il y a de mieux & faire a Courmayeur, c'est d'en 
partir au plus vite. Le lendemain, & 5 h. du matin, je 
partais avec Simond pour Bourg Saint-Pierre. Couttet re- 
tournait de son c6t£ k Chamonix. 

Nous rejoignons, k peu pr&s au milieu du Val Ferret, 
trois touristes italiens et leur guide, qui vont comme nous 
au Grand-Saint-Bernard. Les voyage urs sont des jeunes 
gens alertes et pleins d'entrain, et nous d£cidons immedia- 
tement de cheminer de compagnie, resolution fertile en 
gais propos et rires gargantuesques. 

Nous avons eu la m£me id£e, qui est de passer par le col 
de Bellecombe et le col d'Arc. La valine de Bellecombe re- 
joint le Val Ferret k Tendroit oil les glaciers de Triolet et 
du Mont-Dolent, y amenant leurs moraines frontales, en font 
un desert de pierres. Elle debute par une gorge 6troite, 
extrdmement sauvage et pittoresque, tout au fond de la- 
quelle bondit et 6cume un torrent, qui ca et \k disparait 
sous des amas 6normes de neige , restes d'anciennes ava- 
lanches. Plus loin, elle s'6largit un peu, & lendroitou jaillit 
une minuscule source minSrale dont le gout, participant 
& la fois de celui de Tencre, des oeufs pourris et de Teau de 
savon, est d6clar£ k Tunanimite excellent, coupant net la 
soif, et probablement Tapp^tit. Plus loin encore, elle se 
d£veloppe en un gigantesque entonnoir k flancs en pente 
assez rapide, couverts de gazons d'une richesse (Honnante 
en plantes aromatiques. Lk il y a un chalet, d'ou s'ensuit 
une orgie memorable d'un lait parfume comme on ne se 
le figure pas. 

Puis vient la montee du col, facile et composee partie de 
nev£, partie de rocher. 

Une bise aigre et glaciale nous accueille au sommet, 
mais ne dure pas, car une triomphante glissade nous amene 
en quelques minutes au bas du col , d'ou nous voyons 
l^chancrure du col d'Arc se dessiner devant nous. Apres 
avoir pass£ ce dernier, nous contournons un eperon de 



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100 COURSES ET ASCENSIONS. 

rocher, au grand eflroi d'une colonie de marmottes qui se 
replient en d£sordre sur leurs trous, et nous sommes en 
vue de la cantine de Fontainte, sur la route du Grand- 
Saint-Bernard. Au bout d'une heure nous arrivons a l'hos- 
pice, ou restent pour la nuit mes trois compagnons. 

Si j'ai un conseil a donner aux touristes mes confreres 
qui passeront par ici, c'est de ne point trop insister sur 
l'histoire de l'endroit, s'ils ne veulent s'attirer une formi- 
dable douche de disillusions. 

D'abord, une bande d^normes chiens a 1'air maussade 
et sournois vient inspector le voyageur qui, tout en rece- 
vant du guide l'avis de veiller sur ses mollets, remarque, 
pour peu qu'il soitobservateur, qu'une bonne partie de ces 
braves sauveteurs portent les poucettes de la gent canine, 
une solide museli&re. Gela remplace d^savantageusement 
Taur6ole que leur avaient faite la tradition et les images 
d'Epinal. D'ailleurs, sans nier aucunement les vertus de 
ces animaux philanthropes, il parait que les premiers voya- 
geurs qui arrivent a Thospice au printemps, alors que les 
chiens ne sont pas encore habitues a la vue de Thomme, 
doivent soigneusement se tenir sur leurs gardes, s'ils veu- 
lent conserver leurs habits, voire leur peau, sans accroc. 

Puis, les pauvres religieux sont en r6alit6 de riches pro- 
prtetaires : ils ont des vignes, dont ils vendent le vin ; des 
pr£s, ou ils 616vent des bestiaux; et on a du leur interdire 
d'acheter des terrains en Suisse, tant ils envahissaient. 
Maintenant, ils se rattrapent en Italic. 

Ils ont aussi des maisons dans la vallee, pour les freres 
auxquels l'air de la montagne ne convient pas, et pendant 
Thiver, leur plus dur travail consiste a payer quatre hommes 
du pays pour faire les provisions, accompagn6s de quel- 
ques chiens. 

J'espere encore que ces renseignements sont unique- 
ment dus a des malveillants. 

N'importe, quelle breche a mes illusions ! 



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AUTOUR DE CUAMONIX KT DE ZERMATT. 101 

Le temps est devenu menaeant, et, quoique nous redes- 
cendions au pas gymnastique sur Bourg Saint-Pierre, nous 
sommes glaces par le vent du Nord qui tralne presque sur 
nos t£tes d'interminables bandes de nuages gris et tristes. 
Cette derniere partie du chemin est completement insigni- 
fiante; elle ne dure heureusement que deux heures, et 
nous trouvons sur la porte de Tunique h6tel de Bourg 
Saint-Pierre Francois Simond qui nous attend. Apr&s le 
diner, nous tenons conseil, et d^cidons de passer par le 
Grand-Combin, superbe montagne qui se trouve juste sur le 
chemin de Zermatt. 

LE GRAND-COMBIN 

Ge n est que Tapres-midi que nous partons pour la ca- 
bane du Grand-Combin. 

Le commencement de la valine de Valsorey est cultiv£ et 
riant. Nous rencontrons nombre de mules cheminant gra- 
vement, charg£es d'6normes balles de foin, suivies de leur 
proprtetaire, la pipe & la bouche. Mais a mesure que la valine 
s'616ve, le gazon se fait court et rare, et nous abordons les 
pentes rapides qui montent k notre gauche, au moment oil 
se d£couvre devant nous le vaste cirque encombr£ de mo- 
raines qui la termine. C'est ensuite par des £boulis fleuris 
d'edelweiss, dont Tespece est ici loin de disparaltre, que 
nous gagnons la cabane ou nous passerons la nuit. 

II faut avouer que Taspect en est peu engageant. Murs & 
jour, toiture-6cumoire & courants d'air ingenieux et mul- 
tiples, lit de camp en quartiers de roche aimablement an- 
guleux, tel est le signalement de notre domicile, dont la 
vue nous remplit de pressentiments f&cheux au sujet du 
repos que nous aurions du y trouver. Tant pis pour le 
voyageur qui, se Iaissant Sblouir par la fallacieuse eti- 
quette de Cabane du Club, n'arrive pas pourvu de tout ce 
qu'il faut pour passer la nuit k la belle etoile. 



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102 COURSES ET ASCENSIONS. 

Nous mangeons tristement notre diner arros£ de nos 
larmes, car la fume> du bois vert fait de nous autant d'in- 
consolables Jer6mies, et nous t&chons de rerer que nous 
donnons. Le Iendemain, & 1 h., tout le monde est sur 
pied, et a 2 h., en route. Devant nous, sous les p&les 
rayons de la lune, ressortent au milieu d'un chaos de 
silhouettes heurte>s le Mont-V61an, puis le Mont-Blanc 
et sa chalne jusqu'au Mont-Dolent. Sous 1'eHreinte de la 
gelee, le murmure du ruisseau, le grondement du rocher 
qui s^boule, la detonation sourde de la crevasse qui se 
forme, tous ces bruits divers qui se fondent pour devenir 
la grande voix de la montagne se sont tus. 

(Test le silence de la mort, qui contraste estrangement 
avec l'id£e qu'ercillent ces puissantes masses de granit 
des forces incalculables dont elles sont les monuments. 

Sur notre gauche, une longue pentede n£v6, qui, eclaire> 
en plein, paratt presque verticale, monte vers le col des 
Maisons-Blanches. C'est notre chemin, que nous suivons 
lentement pendant deux longues heures, et dont nous 
sommes obliges de grimper la derniere moitte, toute de 
glace, dans les rochers qui la bordent. On trouve en cet 
endroit une 6norme assise d'un roc noir qui r£sonne clai- 
rement sous le choc du piolet, comme les colonnes basal- 
% tiques de la grotte de Fingal. 

Au sommet du col, nous observons un lever de soleil 
admirable, comme c'est d'ailleurs la regie k cette hauteur. 
Malheureusement, nous sentons dans toute sa force le 
vent du Nord, qui nous force k rengainer notre admira- 
tion, sous peine de faire h bref deMai partie int^grante du 
champ de glace ou nous nous trouvons. Nous nous em- 
pressons de gagner la face Sud de la montagne, ou com- 
mence la veritable ascension. 

Aucun de nous n'est encore all£ jusqu'au sommet. Si- 
mond a!n6 seul est venu faire, il y a quelque temps, une 
tentative inutile, la caravane ayant <H£ arrelee par une 



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AUTOUR DE CUAMONIX ET DE ZERMATT. 103 

tourmenle qui, sans autre forme de proces, lui fit rebrousser 
chemin, fort heurcuse de ne point redescendre par le plus 
court chemin, celui du caillou qui tombe. 

L'escalade du Grand -Combin, par la voie que nous 
avons prise, e*est-a-dire en suivant la face qui domine le 
glacier de Sonadon, est extr£mement dure. La paroi de la 
rnontagne, chaos de blocs £normes, qui n'en sont pas plus 
solides pour cela, impose au grimpeur trois bonnes heures 
dune gymnastique qui rappelle fort la Dent du Geant, 
inoins les cordes. A un endroit d'ou nous voyons parfaite- 
ment le col de Sonadon, nous laissons les sacs, que nous 
reprendrons en descendant, et nous montons, echelonnes 
les uns sous les autres, jusqu'a lacrete generate, qui court 
de l'Est a l'Ouest. 

Une fois en haut, autre chose. Le maudit vent nous y 
attend, plus froid et plus violent que jamais. L'arcHe est 
ibrm£e de blocs dechir^s, mais parfaitement garnis de ver- 
glas, qu'il faut tantot franchir, tantdt contourner en des- 
icndant sur la pente a droite ou a gauche. Or, Tun et 
l'autre cot^ sont egalement d'une inclinaison tout a fait 
inadmissible pour ce genre d'cxercice. Le vent et le ver- 
glas nous font mettre plus d'une heure a traverser ce pas- 
sage. Mais nous sommes en vue du sommet couronne dc 
neige, ce qui nous emptV'he de reculer. Nous y arrivons 
pour decouvrir que ce n'est encore qu'un faux sommet, 
une pointe sans principes, qui s'est logee la expres pour 
leurrer le voyageur. Le vrai sommet dresse son superbe 
dome neigeux, coupe brusquement a pic vers l'Est, de 
l'autre cottf d'une grande vallee de n£ve que nous descen- 
dons et remontons en maugreant. Cette fois, nous y 
sommes, nous avons nos 1,310 m&t. au complet, probable- 
ment mt^me un peu plus, car il y a beaucoup de neige 
cette annee. Mon barometre, lui, s'enttHe a marquer 
1,500 met., sans paraltre s'apercevoir qu'il se couvre de 
ridicule. 



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104 COURSES ET ASCENSIONS. 

La vue est magnifiquc... le vent glacial. 11 y a peu de 
brumes a lhorizon... nous pleurons de froid. L'immense 
glacier de Corbassiere se deroule majestueusement a nos 
pieds Brrr... quelle onglee! 

Bref, malgre" nos regrets, il n'y a pas a s'amuser, d'au- 
tant plus qu'une l£gere augmentation du vent nous cou- 
perait fort bien la retraite. Et, en efFel, il ne faut pas avoir 
de distractions ni admirer trop le paysage en repassant 
l'anHe. Du c<Me du glacier de Sonadon, il y a 7 a 800 met. 
a descendre en quelques bonds, ce que le vent nous invite 
fortement a faire. Mais une Ibis engages sur la paroi Sud 
de la montagne, changement complet. En quelques mi- 
nutes, l'absence de vent, jointe au soleil brulant, nous fait 
passer a la temperature des oeufs a la coque. Nous preie- 
rons cela. Nous reprenons nos sacs et nous descendons 
droit vers le glacier de Sonadon. La pente devient plus 
acceptable, mais des talus de gravier ont comble les anfrac- 
tuosites du rocher et se mettent familierement a descendre 
avec nous. Simond trouve charmante cette facon d'aller 
jusqu'au moment ou, partant pour tout de bon, il va 
s'echouer a bout de corde sur un rocher pointu, ce qui le 
fait soudain changer d'avis. 

Puis les pierres, degetees par le soleil, se mettent de la 
partie et bondissent en folatrant autour de nous. Quel 
dommage que la faculty d'avoir un oeil en Tair, l'autre en 
bas en me*me temps, qui serait si prexieuse a l'alpiniste, 
ait £te ddvolue a ce triste marcheur, Tescargot! 

Mais a force de d^gringoler en compagnie des cailloux. 
nous voici a une belle pente de neige. La voie est libre, 
pas de bergschrund : les voyageurs, en voiture! et en 
deux temps nous glissons jusqu'en bas, hors de portee 
de l'artillerie du Grand-Combin. II faut cependant revenir 
en longer la base, rendez-vous des pierres dont nous avons 
crois£ la route plus haut, pour gagner le col de Sonadon 
et rcdescendre sur le glacier de Durand. C'est une im- 



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AUTOUR DE CIIAMONIX ET DE ZKRMATT. 105 

monse nappe do novo do faible inclinaison et qui scrait 
monotone sans ladmirablc cadre de sommets qui l'en- 
tourent, domin^s par le Grand -Combin, k la cime cou- 
ronnee de son enorme franco de corniches colossales. 

Apres un passage de s£racs assez difficile, nous descen- 
dons dans le Val de Bagne, et a 7 h. 30 min. nous faisions 
notre entree dans l'hotel de Mauvoisin, dont nous elions 
les seuls habitants. 



DE MAUVOISIN A AROLLA PAR LA HAUTE-ROUTE 

La journee doit £tre courte, d'apres le maltre d'htitcl- 
guide de Mauvoisin : huit a neuf heures de marche. Mal- 
heureusement, il est fort difficile d'apprecier *ce quil y a 
k prendre et k laisser dans les rcnseignements fournis par 
messieurs les gens du pays. Exemple : bier nous arrivons 
a 6 h. du soir k un chalet, ou un vacher nous predit gra- 
vement deux heures et demie de route jusqu'ft Mauvoisin. 
Or, & 7 h. 30 min. nous etions k rhdtel. La difference, qui 
etait ici en moins, se trouve egalement parfois (Mre en 
plus, de sorte que le pauvre touriste, qui no tient pas a 
changer de guide tous les jours, est quelquefois bien em- 
barrassed malgre les cartes. 

A 8 h. du matin nous partons. La cascade qui tombe 
du glacier de Gelroz est maintenant dans tout son beau. 
Hier, k peine apercevait-on son leger voile de brume qui 
se perdait dans Tobscurite. Le glacier lui-meme montre 
juste ses derniers s£racs dominant les escarpements de la 
valine. II y a une soixantaine d'anne>s, il lui prit fantaisie, 
a la suite de plusieurs hivers neigeux, d'envoyer toute sa 
portion terminate, par un vaste eboulement, former dans la 
valine une digue derriere laquelle s'amasserent peu k peu 
les eaux d'amont. Puis la digue ceda tout k coup, et le 
Yal de Bagne se trouva balay£ dans toute sa longueur par 
une terrible inondation qui alia ensuite faire dtfborder le 



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106 COURSES ET ASCENSIONS. 

Rhone. J'imagine que les habitants doivent d£j& commen- 
cer k trouver qu'il avance un pen trop pour leur parfaito 
sScurite. 

Un peu plus loin, la route traverse le torrent et nous 
nous £levons, d'abord par des paturages, puis par des 
Sboulis de schistes micac< s s pourris dont les paillettes mi- 
croscopiques argentent Teau qui y serpente, jusqu'au 
glacier de Lire-Rose. Get infernal petit glacier est lisse, et 
a tout k fait la disposition dun miroir convergent. Et Dieu 
sait s'il fait converger les rayons du soleil! Chacun a con- 
stats qu'en fait de cuir, lepiderme d'un guide en remon- 
trerait k celui d'un rhinoceros. Cependant les deux Simond 
recolterent de superbes insolations. Quant k moi, tout ce 
qui se trouvait au dehors se garnit comme par cnchante- 
ment de belles et bonnes ampoules. Voil& ce que c'est 
que de trop dormir. Une heure plus tot, le soleil ne don- 
nait pas sur le glacier. 

Ouf! nous sommes en haut, au col du Mont-Rouge. La 
carte donne 3,3i0 met. Le barometre... 1,500 met.! Imme- 
diatement, pendant que Ton sert le dejeuner, une visite 
domiciliaire praliquee dans l'inttfrieur du stupide instru- 
ment amene la decouverte et l'extraction d'un copeau de 
cuivre engage dans le ressort de rappel. II se decide alors 
a revenir a de meilleurs sentiments et k concorder k peu 
pres avec la carte. 

Les trois cols du Mont-Rouge, de Seilon et du Pas-de- 
Chevres sont presque au m£me niveau, et toute cettepartie 
de la Haute-Route forme une charmante promenade au 
pied de beaux sommets : la Ruinette, le Mont-Blanc de Sei- 
lon, le Mont-Pleureur, la Pigne d'Arolla. De plus, il n'y a 
aucune difliculte sur ce parcours, im)me pour le plus me- 
diocre marcheur, et ceci n'est que la pure v£rit£. 

Chacun sait qu'il y a deux classes de narrateurs de 
courses en montagne, dans lesquelles on doit s'efforcer de 
rentrer le moins possible. Les premiers voient partout 



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AITOUR DE CHAMOMX ET J>E ZERMATT. 107 

anHes vertigineuses, precipices insondables, epouvantables 
pentes, etc., etc. ; les autres n'arrivent jamais k decouvrir 
la moindre difficulty dans quelque passage que ce soit. 

In medio stat virtus, ont dit les anciens, qui, pour n'6tre 
pas alpinistes, ce a quoi leur costume ne devait guere se 
prefer, avaient cependant du bon sens. 

Nous avons passe une excellente journ£e a fl&ncr, a exa- 
miner les crevasses, a faire de superbes glissades. Cepen- 
dant ^ oh. nous sommes a l'hotel de TAroIla, k peine fati- 
gues de notre course. 11 s'y trouve nombreuse sociele de 
touristes anglais, donl plusieurs partiront avec nous de- 
main matin. 

D'AROUA A ZERMATT PAR LA HAUTE-ROUTE 

Le temps continue a £tre magnifique, et a 6 h. du matin 
nous quittons, au nombre d'une douzaine, Th6tel de TArolla. 
Apres deux heures de marche, nous abandonnons, a la 
hauteur du Plan de Bertol, nos compagnons de route qui 
se dirigent vers le col de Collon, et nous traversons l'abo- 
minable moraine lat£rale du glacier de TArolla, pour esca- 
lader le Plan de Bertol par une pente gazonnee et fleurie, 
mais tres raide, d'oii le Mont-Gollon apparalt dans toute sa 
grandeur. Ce n'est pas le veritable col de Bertol que nous 
allons traverser, sur les champs de neige duquel se d£ta- 
chent trois petites fourmis qui se trouvent (Hre une expe- 
dition partie une heure avant nous pour l'Aiguille de la Za. 
Nous montons vers une depression sur la droite, qui mene 
plus directement au col d'Herens. 

La montee est delicieuse. Nous sommes a Tombre, etla 
neige est juste & point, assez molle pour eviter de tailler 
des marches, et trop peu pour fatiguer. 

Une fois le col de Bertol pass£, le paysage prend une am- 
pleur indescriptible. 

Souvent, dans les Alpes, ilfaut gagner les hauts sommets 



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108 COURSES ET ASCENSIONS. 

pour trouver les horizons etendus. Ici, & perte de vue au- 
tour de nous, d'immenses champs de neige, domines ca et 
la par dc magnifiques montagnes, la chatne des Dents de 
Bertol, les Bouquetins et la Dent-Blanche entre autres. Ce 
passage est le col du G6ant de la valine de Zermatt. (Test 
un endroit extr^mement favorable a la realisation de la pa- 
role de l'Ecriture : Tu mangeras ton pain k la sueur de ton 
front. 

11 y a 6videmment un gros contresens k se trouver cuit k 
ce point au milieu d'un paysage tout neige et tout glace. 
(Test cependant une bouillante r£alit£ qui vient faire rude 
concurrence k Tenthousiasme. 

Devant nous, de l'autre c6te de la valine qui nous s£pare 
de la Dent-Blanche et que remplit plus has le glacier de Fer- 
pecle, trois points noirs se montrent k l'horizon, et tout en 
surveillant la pente de neige dans laquelle nous enfongons 
jusqu'au genou, et qui manifeste des dispositions inquie- 
tantes & glisser tout dune piece au fond de la valine, nous 
remarquons qu'ils paraissent cheminer vers le col d'H6rens. 

Puis, c'est le Mont-Cervin qui presque subitement se d£- 
couvre devant nous. Son prolil simple et severe, ses pentes 
verticales, dont la teinte sombre est k peine l£gerement 
poudr£e de neige, sa situation isol£e au milieu d'un cirque 
de glaciers, tout concourt k lui donner une eflfrayante ma- 
jeste, qui p£netre le spectateur d'une admiration m£16e de 
crainte. 

La petite artHe rocheuse qui forme le col d'Herens est 
un observatoire sans pareil, mais Toeil revient toujours a la 
pyramide g^ante, dont on ne peut se figurer que Tascen- 
sion soit possible, et dont la masse £crase tous les sommets 
voisins. 

Les trois points noirs, devenus un voyageur et deux 
guides, arrivent au col. lis viennent de faire & la Dent-Blan- 
che une tentative rest£e infructueuse k cause de la glace 
mince qui tapisse les rochers. Mais ils rapportent de leur 



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AUTOUR DE CHAMONIX KT DK ZERMATT. 109 

excursion des souvenirs tristement int£ressants. Ce sont 
les sacs des deux guides qui ont accompagne Tan dernier 
Cabbett k la Dent-Blanche. lis les avaient d£pos£s au pied 
du pic, avant d'entreprendre Tascension ou tous trois pe- 
rirent. 

Nous arrivons rapidement k la cabane du Stockje, ou 
nous dinons. Mais apres une heure de marche agreable sur 
le glacier, nous revoildt en pleine moraine. Et, circonstance 
aggravante, c'est une moraine cheminante, entassement 
indescriptible, chaos inoui de blocs de tout volume, qu'un 
malin genie semble avoir pris plaisir k poser en equilibre 
au detriment des promeneurs, avec lesquels ils aiment a 
rouler de compagnie. Aussi est-ce avec infiniment de plai- 
sir que Ton prend, imm^diatement apres le glacier du 
Mont-Cervin qui domine sur la droite, un sentier plus civi- 
lis£, lequel, £maille de guides, de mulcts, de touristes, de 
chalets et autres productions du pays, nous amene vers 
7 h. k Th6tel du Mont-Rose, a Zermatt. 

LE MONT-CERVIN 

Le point remarquable de la valine de Zermatt est le 
Mont-Cervin. C'est lui qui a la plus grande part dans Tad- 
miration des touristes qui animent ce melange curieux 
d'habitations primitives et d'h6tels modernes. 11 suffit d'cn 
avoir vu la photographie pour comprendre facilement com- 
bien un pic qui se pr£sente sous un aspect aussi fantasti- 
quementinabordable doit avoir d'attrait pour un grimpeur. 

Le lendemain de mon arrivee, je partais avec Simond et 
un guide du pays que je ne nommerai pas, bien que je 
doive avoir k en dire du mal. Nous rejoignons bicnt<H un 
voyageur anglais et ses deux guides, et nous faisons route 
ensemble. J'ai remarqu6 pendant mon sejour, et k mon 
grand regret, une absence presque complete de lelement 
francais & Zermatt. 



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110 COURSES ET ASCENSIONS. 

La montee a la cabanc du Cervin est longue, longue, 
longue. II est vrai qu'elle est fort d£pourvue d'inter£t. On 
arrive aux gazons du lac Noir par dinterminables zigzags, 
de lacet poudreux en lacet poudreux, et chaque lacet ajoute 
sa petite part a la dose ph£nom6nale de demoralisation qui, 
en somme, fait du voyageur une chose qui transpire, se 
hissc p£niblement en contemplant le bout de ses bottines, 
saisit toute occasion de seehouer sur n'importe quoi res- 
semblant d'aussi loin que ce soit a un siege, mais chez qui, 
la partie pensante est aussi eUeinte que chez une momie de 
Pharaon de la premiere dynastie. Apres le lac Noir, il y a 
progres, car le rocher commence. L'exp£dition, d£filant en 
bon ordre sur la crcHe aigue d'une moraine, rappelle assez 
une procession de fourmis sur la lame d'un rasoir. A lar- 
riv£e au Hornli, tout le monde est d^linitivement remis sur 
pied et grimpe lestement jusqu'a la cabane, ou nous nous 
trouvons juste a temps pour observer un superbe coucher 
de soleil. 

La cabane du Cervin est un vrai palais. Kile est a un 
eUage, il y a des fen<Mres qui ont des vitres, et le rez-de- 
chausst s e se compose de trois pieces. De plus, il y a un lit 
de camp en planches et une foule de couvertures. Puis, 
Tautre voyageur est un gai compagnon, qui if a jamais 
songe a eriger ses courses en travaux d'Hereule, se con- 
tente d'etre tout heureux de respirer en liberte le grand 
air, de rire de tout et de tous, y compris lui-m£me; les 
provisions sont abondantes et varices, et la cabane fournit 
a foison les ustensiles pour aider a Tabsorption d'icelles. 
D'ou Ton peut tirer la conclusion que la soiree fut 
joyeuse. 

Au moment du coucher, la lune paraissant a l'horizon 
argentait les eretes du Mont-Rose et du Breithorn, et Zer- 
matt signalait sa presence par quelques points lumineux 
au fond d'un gouffre d'un noir profond. 

A 1 h. du matin, Simond nous reveillait impitoyable- 



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AUTOUR DE CHAMONIX ET DE ZERMATT. 111 

ment; le temps de depecher la soupe bouillante, de nous 
equiper, et a 2 h. nous pariions par un beau clair de lune, 
serpentant en file serine le long des flancs rugueux de la 
montagne. 

Le Cervin se prete extremement mal aux excursions 
en nombreuse compagnie, a cause des pierrcs branlantes 
qui y sont dune frequence extraordinaire, et qui saisis- 
sent le moindre pretexte pour descendre sur le glacier de 
Furggen, juste au-dessous a quelques centaines de me- 
tres. Pendant les premieres heures, ce n'est point encore 
trop genant, mais un peu avant d'arriver a Tancienne ca- 
bane, perehee sur un petit me plat et malbeureusement 
remplie de neige, il y a toute une paroi completement dis- 
loqu£e. 

Guetter tout caillou suspect, et le loger en lieu sur, est 
un exercice monotone, mais dont la negligence, signaled 
par la chute d'un morceau, provoque une trainee dimpre^- 
cations bien senties de la part de tons les grimpeurs des 
etages inferieurs. 

Bien que Tascension soit dure, tres dure meme, elle ne 
repond pas comme difficulty a l'idee que Ion s'en fait den 
bas, et Ton ne comprend guere qu'un Americain se soit 
laiss^ d£gringoler, a peu prcs au milieu du trajet entre la 
cabane et le sommet, il y a quelques annees. 

Un peu plus loin, apres une petite arete de rocher re- 
couvert de glace oil la eirconspcction est de rigueur, on 
trouve le premier cable serieux. Les deux ou trois que 
nous avons deja rencontres sont presque inutiles. Celui-ci 
epargne un devour considerable sur la gauche. Les guides 
nous montrent Tendroit ou a eu lieu la catastrophe de 
Whymper. 

lis paraissent d'ailleurs eprouver un plaisir tout particu- 
lier a signaler les accidents arrives dans leurs montagnes. 
Celui de mon compagnon surtout y mettait un entrain sin- 
gulier. Le pauvre garcon ne prevoyait guere que deux 



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112 COURSES ET ASCENSIONS. 

jours apres, a une demi-heure du sommet de la Dent d'He- 
rens, un bloc detach^ du haul le froisserait dans sa chute, 
et que ses compagnons, avec des dif!icuit« s s inoui'es, le rap- 
porteraient mourant a Zermatt. 

Une fois les derniers cables depass£s, le sommet est 
tout proche. Bien que mon compagnon de route et moi 
nous ayons mis en commun nos faeuites imaginative*, 
aid6es d'une bouteille de champagne, pour composer une 
exclamation impromptu d'un lyrisme correspondant a la 
sublimits de la situation et faisant bonne figure dans une 
relation de voyage, nos efforts aboutirent a un piteux 
echec. II fallut nous contenter de contempler en silence 
cet £norme massif qui entoure Zermatt d'une couronne de 
sommets dont une vingtaine depasscnt 1,000 met.,systemc 
plus important que celui de Chamonix, bien que son point 
culminant soit moins elevc. 

11 faut cependant songer au retour. On eprouve toujours 
une certaine tristesse a quitter ces grandes hauteurs, ou 
Ton so sent vivre doublement, pour redescendre au niveau 
general, en bas. Tout va bien jusqu'au-dessous des cables, 
ou nous retrouvons les pierres branlantes. Malgre nos pre- 
cautions, nous sommes forces, par egard pour les cranes de 
nos compagnons, de leur laisser prendre une bonne demi- 
heure d'avance, atin qu'ils ne se trouvent plus sous notre 
feu. Nous n'avons plus des lors qua veiller sur nous, ce 
qui suffit d'ailleurs a nous occuper,car il faudrait etre bien 
philosophe pour d^daigner un caillou de quelques kilos, 
ne vous arrivat-il que dun metre de haut. 

Voila pourquoi la descente du Gervin est la plus desa- 
greable que je connaisse. II faut dire aussi que mon guide 
de Zermatt a pour principe de marcher tout droit devant 
lui, sans s'inquieter plus de ce qui le suit que de la qua- 
drature du cercle. Aussitot que lui a franchi un endroit 
difficile, il reprend impcrturbablement son pas, et, comme 
nous sommes a la corde, on devine facilement le resultat. 



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AUTOUR DE CHAMONIX ET DE ZERMATT. 113 

Aussi, en arrivant & Zermatt, lui ai-je donnd un excel- 
lent certificat. Que mes collegues me le pardonnent, mais 
voyant sur son livret tant de bons renseignements dument 
parafes, je n'ai pas os£ me mettre en contradiction avec 
une foule de gens valant probablement beaucoup mieux 
que moi. 

A propos de pierres, le Cervin nous r^servait un bel 
6chantillon de son savoir-faire. 

Au moment ou noustraversions un couloir deneige, nous 
entendons un roulement sourd venant du haut. Nous ne 
nous sommes pas arr<H6s k consulter le barometre. En 
quelques bonds, nous etions dans le rocher de Tautre c6t£, 
juste k temps pour voir le couloir balayt* par une veritable 
cataracte de blocs de tout format, passant avec la rapidity 
d'autant de boulets et allant se perdre dans l'espace au- 
dessous. Quelques secondes de moins, et nous passions 
tout vifs k T6tat de « faits divers ». 

Quelques minutes plus tard nous etions & la cabane ou 
nous attendaient nos compagnons, et & 8 h. nous rentrions 
a Zermatt, enchantes de notre journee. 

LE WEISSHORN 

Le Weisshorn est un magnitique sommet, un peu plus 
haut que le Cervin, 4,51:2 met. d'apr^s la carte du Club 
Alpin Suisse; sa position le dSsigne tout naturellement au 
grimpeur qui veut connaltre bien la valine. 

Le vendredi k 1 h., je partis pour la cabane avec un 
touriste anglais, excellent compagnon et bon marcheur, 
qui venait de faire l'ascension du Mont-Rose et du mont 
Cervin. 

Nous nous rendlmes k pied de Zermatt k Randa, au 
milieu de la procession de voitures qui vont regulierement 
cahotant les malheureux qui se figurent connattre la Suisse 
pour s'&tre fait trainer d'hotel en hotel dans la poussiere 

ANNUAIRK DE 1884. 8 



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114 COURSES ET ASCENSIONS. 

des valines. A Randa so trouvait un autre voyageur avec 
deux guides, partant egalement pour le Weisshorn, et on 
nous annonca* qu'une troisieme expedition, composed de 
deux voyageurs et deux guides, allait arriver pour faire la 
mejne course. C'£tait la un concours singulier de circon- 
stances, car le Weisshorn nest pas fort frequente. Avec 
nos deux guides et notre porteur, nous tHions done douze 
devantcoucher a la cabane, qui peut contenir sixpersonnes 
a laisc. La soiree promettait d'etre amusante, elle le fut. 

La montee, au milieu des bois et a Tombre, puis par des 
paturages, est assez insignifiante jusqu'a la cabane. 

Nous y arrivons en quatre heures environ a partir do 
Randa, et une demi-heure apr6s d^bouche la demise 
oaravane. Alors commencent les apprtHs du dtner, en face 
d'un superbe panorama dont le Mottolhorn, le Gabelhorn, 
le Morning et les beaux glaciers qui en doscendent sont les 
principaux points. Rien no vaut ces rencontres inattendues 
dans la montagne pour la gaiete franche et sans arriere- 
pensee et les 6normes parties de rire. A 9 h. 30 min. un 
guide £teint d'office la lumiere, pour mettre fin a la soiree 
qui menaoait de se prolonger indeXiniment, et nous nous 
endormons, serrtfs les uns contre les autres sur le lit do 
camp a faire exarter le mur. Par terre, un amoncellement 
de guides presente le plus curieux fouillis de bras et de 
jambes en tous sens. 

A 1 h. du matin, reveil ; operation rendue toute simple 
par ce fait qu'un seul individu so remuant trouble lequili- 
bre de tous les autres. 

La cabane a tout a fait laspect d'un campement de 
boh£miens, et les couvertures dont plusieurs sont encore 
enveloppes lour donnent, vus a la flamme capricieuse du 
feu de bois, une couleur locale fort r^ussie. 

Peu a peu chacun s'equipe, et a 2 h. nous partions par 
un clair de lune d'une purete incomparable. Nous £tions 
douze ayant chacun entre nous 6 met. de corde. 



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Al'TOUR DE CHAMONIX ET DE ZERMATT. 115 

Rien de fantastique comme de voir cette longue file, 
accompagn6e d'ombres d6mesur6es, serpenter sur les 
champs de neige. 

Nous venions de prendre le rocher quand des Eclairs 
commenc&rent a se montrer a l'horizon, accompagn^s de 
roulements lointains de tonnerre. Nous tinmes conseil, et 
la majorite fut d'avis de continuer a tout hasard. 

A mesure que nous montions, le nuage gagnait et iinit 
par entourer le sommet du Taeschhorn, en face de nous, de 
I'autre c6t6 de la valine de Zermatt. La, il s'arr£ta. Le 
nuage orageux, nettement iso!6, et dont les flancs soinbres 
etaient sillonn^s d'£clairs continuels qui contrastaient par 
leur teinte violacGe avec la lumi&re pale de la lune, formait 
un gnorme ddme au sommet du Taeschhom, qui prenait 
des allures de volcan en Eruption. 

Nous nous arr£tames pour dejeuner, et peu a peu le 
nuage donnant moins d'^clairs se fondit, puis fut entralne 
par le vent. 

Une heure apres, nous arrivions a la grande ar£te, point 
caracteristique de Tascension du Weisshorn. Elle domine de 
quelques centaines de metres les glaciers de Bies au Nord, 
de Schallenberg au Sud. Elle se compose alternativement 
dun bout d'artHe de neige, juste assez large pour y poser 
le pied, et d'un petit piton rocheux tout droit, de quelques 
metres de haut, qu'ilfaut grimper et redescendre; etil y en 
a une quinzaine. J'en excepte deux ou trois qu'on doitcon- 
tourner, colle au rocher et absolument suspendu au-dessus 
du vide. Cette petite gymnastiquG dure deux heures et 
demie. 

On aborde Tar6te par une paroi atrocement lisse et 
raide, que Ton traverse pendant 5 ou 6 m£t. accroch£ 
par les ongles et le bord des semelles des souliers. 
Le guide de Zermatt passe le premier, puis se cramponne 
soiidement de Tautre cdt6, et mon compagnon avance a son 
tour. J'entends quelque chose glisser, puis un Oh! etouffe. 



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116 COURSES ET ASCENSIONS. 

et tout a coup je lc vois anim£ d'un mouvement oscillatoire 
au-dessus du vide et au bout de la corde, le premier guide 
le contemplant par-dessous son bras d'un air completement 
ahuri. Nous nous hatons de traverser le mauvais pas pour 
rep&cher ce balancier vivant dun nouveau genre, et au 
bout de nos deux heures et demie d'equilibre a la hauteur 
d'un centi&me Stage environ, nous arrivons a quelques 
plaines de neige qui nous reposent, puis a la bergschrund. 
En ce moment, elle a environ i met. de large et 3 met. de 
difference de niveau entre les deux bords. De pont, point. 
Le guide de Zermatt, s'appuyant contre I'autre cdte, formd 
de belle glace bleue, joue le rdle de pont avec beaucoup 
de naturel. Simond grimpe sans certfmonie sur son dos, 
taille quelques marches dans la glace, et arrive, en s'ac- 
crochant avec son piolet dans la neige au-dessus, a s'en- 
lever d'abord, et a nous aider ensuite. 

Les difficultes sont alors terminees. Une iongue pente 
raide de neige nous mene a une plus Iongue ariHe de n£ve, 
vraie Schelle de Jacob qui nous conduit au sommet sans 
gu6re nous &tre enfonc^s plus d'une dizaine de fois chacun 
dans des crevasses cach^es, ni avoir perdu par transpira- 
tion plus d'une ou deux livres de notre individu, car il est 
9 h.30 min., et le soleil chauffe ferme. 

Le sommet est une pyramide de n£v£ ; la vue que Ion a 
tient toutes les promesses de la carte, et nous restons 
longtemps a en jouir tranquillement. 

Nous y restons m6me si bien qu'en redescendant nous 
trouvons l'^chelle de Jacob garnie d'une sorte de bouillie 
de neige demi-fondue, et qu'en arrivant en bas nous pous- 
sons un soupir de soulagement bien excusable apres une 
demi-heure de glissades involontaires en vue du fond a 
quelques centaines de metres. 

Aussi est-ce un de ces passages ou Ton sent travailler 
tous les muscles, tous les nerfs, ou la sensation vitale 
atteint une intensity 6tonnante. 



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AUTOUR.DE CUAMONIX ET DE ZERMATT. 117 

11 reste encore a repasser la bergschrund, qu'il faut 
sauter, naturellement. C'est a peine si nos 6 m&t. de corde 
y suffisent. De tous les spectacles d£sopilants que Ton pent 
imaginer, il n'en est pas qui vaille le saut dune belle 
bergschrund. 

Alpinistes, mes freres, si jamais vous avez occasion de 
descendre en nombreuse compagnie une montagne oil 
s'en trouve une, surtout ne manquez pas de la passer le 
premier. Vous jouirez alors a loisir de la com6die que 
vous donneront gratis vos compagnons de route par leur 
hesitation d'abord, puis par leur vol gracieux a travers les 
airs, et enfin par leur arriv£e en bas, a plat ventre g£n£ra- 
lement. Au-dessous de la bergschrund, nous faisons halte 
le temps de mettre a sec une bouteille d'une exquise mix- 
ture de lait, de th6, de sucre et de cognac, doctement 
elaboree par mon compagnon et mise a rafratchir ici dans 
la neige a la mont£e. 

Puis nous revenons a la grande ar£te, que nous mettons 
cette fois pr&s de trois heures a redescendre. La bande de 
deux voyageurs et deux guides a pris l'avance sur nous, 
lis appartiennent a la variety dite « chronom£trique », 
pour qui tout l'int6r£t d'une course consiste a la faire en 
moins de temps que n'importe qui, et dont toutes les 
ascensions se r£sument en un certain nombre d'heures, 
minutes, secondes, employees a mouvoir leurs jambes le 
plus vite possible. 

Nous les voyons d£filer le long de l'ar£te, apparaissant 
et disparaissant tour a tour derri&re les dentelures qui 
Tagr^mentent. Gomme nous contournons une ar£te de 
neige que nous soupconnons de former corniche, et que 
nous en suivons le flanc a quelques metres au-dessous de 
la cr£te, je m'appuie de la main contre la pente. A mon 
grand etonnement, il se produit une petite lunette par 
laquelle j'aper^ois le versant oppose de la valine. La neige 
avait a peine quelques centimetres d'epaisseur. Nous nous 



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118 COURSES ET ASCENSIONS. 

empressons de passer le plus tegerement possible, car c'est 
la le seul chemin. 

Apres la grande ar£te reprennent les longues pentes 
couples de rocher. Mais le soleil a tellement ramolli la 
neige qu'il est impossible de glisser. Heureusement, une 
demi-heure au-dessous de la cabane nous retrouvons un 
chalet de vaches oil nous avons pris du lait en montant et 
oil nous en reprenons en descendant. Gar, quoi qu'on en "ait 
dit, le lait ne produit aucun effet facheux sur un touriste 
normalement constitue\ pourvu qu'il ne s'arrGte pas suffi- 
samment longtemps pour se refroidir. 
. Vers 6 h., nous sommes a Randa d'oii une voiture nous 
ramene a Zermatt, nous mettant a m£me de juger pendant 
la route de ce que doivent tMre les sensations d'un individu 
enferme" dans un tormeau qui roule sur une belle pente, et 
nous laissant fort <Honn6s de retrouver tous nos os en place. 

LE MONT-ROSE 

Le surlendemain de Tascension du Weisshorn, je quittai 
Zermatt avec Simond et un guide du pays, pour aller cou- 
cher a Fh6tel du Riflfel et de la faire l'ascension du Mont- 
Rose, le point culminant du massif. Pour 6viter la chaleur, 
nous partlmes a 6 h. du matin. Un l£ger brouillard estom- 
pait a peine les contours abrupts du mont Gervin, et Fair 
vif et frais doublait l'elasticite* du jarret. 

Mon second guide ne parlait ni franc,ais ni anglais: 
cependant nous nous comprenions fort bien, grace a une 
vive pantomime qui avait en outre l'avantage d'exercer les 
bras presque a l'6gal des jambes. Nous arrivames a l'hdtel 
du Riffe 1 pour dejeuner, et j'acquis la triste certitude que 
je ne trouverais pas de chambre, tout etant occupy ou 
retenu. 

Pour passer la journge, nous allames d'abord grimper 
le Riflfelhorn du cdte* du glacier, promenade amusante et 



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AUTOUR DE CHAMONIX ET DE ZERMATT. ill) 

excellente gymnastique. On jouit d'une superbe vue du 
ha lit de ce petit piton, compost de rocher fortcment ma- 
gnetique et tout lisse, sur lequel les clous glissent comme 
sur de lacier poli. Puis, apres une longue et voluptueuse 
fl&nerie, en vue de l'incessante procession de touristes k 
pied, k mulet et en chaise k porteurs, qui deTdent conti- 
nuellement vers le Gornergrat, nous y allons nous-memes 
et nous rentrons k l'h6tel juste pour diner. 

Comme on nVen avait pr6venu, pas de chambre. On me 
remise dans une sorte de bolte, qui sert de d^barras pour 
la vaisselle, le linge, les chaises et les voyageurs surnum6- 
raires. D'ailleurs, je ne dois pas me plaindre : trois jours 
plus tot, il y avait juste trois fois autant de voyageurs que 
de lits. La salle k manger et les corridors etaient jonche\s 
de matelas garnis de touristes, et il fallait enjamber le 
tout pour passer d'une chambre k l'autre. On voit d'ici la 
mise en scene. 

La consigne etait de nous rdveiller HI h. 30 min. pour 
prendre un repas mi-partie dejeuner, mi-partie souper, et 
k minuit nous nous mettions en route, formant une bande 
de trois voyageurs et quatre guides. 

Quittant, au bout de deux heures environ de marche, les 
rochers au-dessous du Gornergrat, nous traversons en par- 
tie I'enorme glacier de Gorner, et apres un passage difficile 
k la lanterne k travcrs une veritable toile d'araignee de' 
crevasses, nous sommes aux premieres lueurs de Taube 
aux rochers de Blattje. lei l'exp£dition se scinde en deux 
caravanes. 11 y a deux routes pour arriver au sommet. 
L'ancienne y montc droit : par de longues et monotones 
pentes de neige, jusqu'au Sattel, puis par une arete de 
neige et de rocher. G'est celle que prennent nos conipa- 
gnons. Nous suivons Tautre. Elle laisse d'abord le Mont- 
Rose k gauche, et se dirige sur le col de Lys, passant entre 
la Dufourspitze et le Lyskamm. Puis brnsquement, un peu 
avant le col, on prend k gauche et on monte directement 



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120 COURSES ET ASCENSIONS. 

au sommet par unc pente de rocher d'environ 600 met. 
de haut et presque verticale. 

On est g£n£ralement d'avis que cette route est plus 
longue d'environ trois quarts d'heure. J'en doute,car nous 
arriverons au sommet une demi-heure avant nos compa- 
gnons. Des rochers de Blattje au col de Lys il y a peu de 
difficult^ : quelques crevasses, et un seul endroit ou la 
partie terminale dun petit glacier secondaire vient se t6- 
pandre d'une centaine de metres de haut, jonchant notre 
route de blocs de se>acs qui de loin semblent lc contenu 
renversG d'un sucrier de grants. Sur notre droite s'eleve la 
majestueuse cnMc du Lyskamm. Mon guide de Zermatt se 
garde bien de laisser 6chapper une si belle occasion de ra- 
conter un accident : II y a quelques annees, trois voyageurs 
et deux guides gravissant le Lyskamm s'approcherent im- 
prudemment de l'enorme corniche qui surplombe au Sud. 
Elle c£da; pendant la chute de quelque cents metr.es qu'ils 
tirent, une pointe de rocher accrocha la corde. La secousse 
fut telle que Tun des voyageurs fut coupe en deux par la 
corde qu'il avait autour de la ceinture, ef qui ne s'arrcHa 
qu'a la colonne vertebrale. Mon guide etait un de ceux qui 
allerent rechercher les cinq cadavres. 

Ceci expliqu£ a grand renfort de gestes, il se remet en 
marche dun air tout guilleret. II est 6 h. 30 min., nous 
essayons de dejeuner malgr£ le vent glacial qui vient du 
col. Yaine tentative : la viande d£fie le ratelier le plus so- 
lide,le pain nargue le couteau, le vin gele dans les verres, 
et, a peine arr^tes de quelques instants, nous constatons 
que noussommes en train de faire comme le vin, sous nos 
passe-montagnes et nos gu&tres & neige. Une heure de 
marche nous amene au pied de la grande pente de rocher, 
en plein soleil, ou nous pouvons enfln donner satisfaction 
aux reclamations d6sordonn6es de mattre Gaster. 

De la, en deux heures et demie de grimp£c, nous sommes 
en haut. 



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autour.de chamonix et de zermatt. 421 

Le panorama est surprcnant, gr&ce au contraste complct 
entre les deux moittes du tour d'horizon. 
, Au Nord-Ouest, ce sont les massifs tourment^s du groups 
de Zermatt, k l'extreme limite duquel se dresse la Dufour- 
spitze et que domine la superbe pyramide du Gervin. Au 
Sud-Ouest, le regard plane au-dessus de Tltalie. Gr&ce k la 
hauteur oil se trouve plac6 Tobservateur, les contreforts 
interm^diaires semblent s'£craser, et c'est du pied m6me 
du Mont-Rose que paraltpartirl'immense plaine ou brillent 
au loin les grands lacs italiens. 

II est d'ailleurs assez rare, paralt-il, de jouir de la vue 
dans toute sa beauts, et bien des touristes, voyant le ciel 
parfaitement pur sur Zermatt, arrivent pleins d'entrain au 
sommet pour d^couvrir avec d^sappointement que la mer 
de nuages voile tout le vcrsant italien. 

Le vent est tombd, et le soleil brille au milieu du ciel 
presque noir; la seconde caravane nous rejoint, et nous 
restons longtemps confortablement installs sur ce mer- 
veilleux belvedere. 

Puis nous nous mettons k descendre par l'arete de 
rocher, assez facile du reste, qui m£ne au Sattel. A partir 
de \k> il y a quelques heures de longues pentes de neige 
jusqu'auBlattjc, au pied de la montagne. Lorsque la surface 
est k point, on doit ex^cuter de superbes glissades sur ces 
gnormes nappes presque pas coupees de crevasses. Mais 
cette fois une mince croute durcie couvre de la neige tout 
a fait molle. Tous les huit ou dix pas, la croute cede et un 
de nous s'enfonce jusqu'au genou. Gr&ce a. la glace qui alors 
nous cisaille les jambes, nous nous trouvons 6prouver a 
pd\i pr£s Timpression d'avoir mis par megarde le pied dans 
un piege k loups. Nous voulons glisser assis, mais cela ne 
r^ussit pas davantage. En moins de 100 met. nous nous 
serions trouves dans un costume par trop simplify. Nous 
essayons de glisser debout : aussit6t que la glace cede sous 
le pied, le glisseur retenu brusquement par la base est 



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122 COURSES ET ASCENSIONS. 

projetS vivement en avant et va dessiner sa silhouette 
entre les jambes de celui qui le precede. Aussi sommes- 
nous heureux de retrouver au bout d'une heure de la neige, 
molle, bien que celle-ci g6n£ralement ne recoivegu&re que 
des maledictions de la part des touristes. 

Arrives au Blattje, seconde halte. Nous dtnons et nous 
attendons Tautre caravane. Puis, k travers le glacier de 
Gorner, siIlonn£ maintenant de v6ritables rivieres, nous 
regagnons tranquillement, et en fl&nant de tous cdt6s, 
rhdtel du Riflel. Notons en passant que jamais en Suisse je 
n'ai vu recevoir les voyageurs avec autant de mauvaise 
gr&ce que dans cette bienheureuse auberge. 

Vers 5 h., nous entrions k Zermatt. 

LE HOMING OU ROTNNORN DE ZINAL 

11 fallait cependant bientdt songer k quitter les mon- 
tagnes; tous renseignements dtiment pris, je me d^cidai k 
passer en col le Morning, pour descendre sur Zinal et de la 
& Sierre. La voix publique disait qu 'Aloys Burgener 6tait 
le seul guide capable de faire cette course canoniquement; 
je lui dep£chai Simond, et il daigna consentir k nous con- 
duire. La voix publique disait egalement que la course 
etait excessivement difficile; pour une fois, elle etait dans le 
vrai. De plus,comme iln'ya pas l'ombredabri entre Zermat 
et le sommet, c'est une longuc promenade & faire en un 
seul jour, bien que le Morning n'ait que 1,223 met. de baut. 

Je pris cong£ de mes compagnons d'h6tel, qui me prodi- 
guerent la consolante assurance que, si nous nous laissions 
dSgringoler, ils s'empresseraient de venir nous rechercher, 
et le lendemain k 2 h. du matin nous partions. 

II faisait noir comme dans un four, et nous common- 
ctkmes par nous 6garer quatre fois dans les gazons de la 
gorge de Trift, avant d'arriver au seul pont qui permetto 
de traverser le torrent. 



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AUTOUR DE CHAMONIX ET DE ZERMATT. 123 

Dame Nature, qui a eu la gracieusete d'oflrir ce pont aux 
touristes, a bien fait les choses. (Test tin £norme mono- 
lithe, couchg en travers de la gorge, juste au pied dune 
superbe cascade, dontriotre lanterne £claire les nappes d'e- 
cume au niveau du pont, sans nous en laisser voir l'origine. 

L'aspect de ce rideau mouvant, qui se developpe sans 
cesse devant nos yeux, sans que nous puissions en voir ni 
le commencement ni la fin, est des plus frappants, et aussi 
des plus vertigineux. 

Au lever du soleil, nous sommes en haut de la gorge, et 
par une suite de moraines et de champs de neige, ou entre 
temps nous nous arrdtons pour dejeuner, nous aboutissons 
a une pente de glace ou nous taillons des marches pendant 
une heure. Jusque-la, pas de diflicultes. 

Nous prenons alors une ar<He de neige. Mais, pour eviter 
les corniches, nous sommes obliges de descendre sur la 
pente exposed au soleil, assez douce dailleurs. 

Au bout de trois pas, Simond se trouve tout a coup a 
plat ventre. Nous sommes encore arrives a un endroit ou 
une mince couche dure recouvre de la neige molle ; mais, 
cette fois, au lieu d f enfoncer jusqu'au genou seulement, 
toute la jambe y passe, exactement comme si Ton mettait 
le pied dans une trappe. De sorte que pendant une demi- 
heure nous sommes uniquement occup£s a nous extraire 
des trous que nous nous fabriquons a nous-m^mes. Par- 
fois nous r£ussissons a faire quelques pas raisonnablement, 
puis, patatras! un, ou deux, ou tous les trois s'engouflrent 
brusquement jusqu'a la ceinture. 

Enfin Tar^te se termine. Nous sommes sur le bord d'une 
pente de glace qu f il faut traverser. C/est une magnifique 
nappe qui, une vingtaine de metres au-dessus de nous, se 
recourbe en corniche, et qui plonge a 300 ou 400 met. 
plus bas. Ici, elle a une centaine de metres de large. L'in- 
clinaison est telle que, 6tant debout sur les marches que 
faille Simond, notre epaule touche la pente. 



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124 COURSES ET ASCENSIONS. 

De l'autre c6te, nous arrivons k uno chemin£e de rocher 
toute droite, et dans laquelle un malencontreux ruisseau a 
jug£ convenable de s'etablir. Pendant trois quarts d'heure, 
nous montons, entretehus k une temperature au-dessous 
de la moyenne par Teau glac£e qui de temps sit autre en- 
voie des derivations dans nos manches. Au sommet de la 
chemin£e, coup de theatre. Deux rochers verticaux sont 
separes par une fente de 2 met. de haut sur quelques cen- 
timetres de large, par laquelle nous apercevons toute la 
partie superieure de la valine de Zinal, d'un seul coup 
d'oeil. 

Ici la montee change encore de caractere. Nous sommes 
sur l*ar<He qui mene au pic terminal, mais il faut la suivre 
en contre-bas. 

Les couches de rocher sont stratifies a la facon destuiles 
d'un toit, en retrait les unes sur les autres, avec une forte 
inclinaison. D'ou necessity de ramper k plat ventre, tout 
comme des limacons, pendant assez longtemps. Avec du 
rocher un peu moins grossier, ce passage serait totalement 
impraticable. 

L'anHe cependant se decide a devenir abordable, et nous 
permet de reprendre la marche, lentement, il est vrai, car 
elle est complement desagregee jusqu'au pied du petit 
pit-on terminal que Ton distingue de Zermatt. Une fois en 
haut, notre premier soin est de nous etablir pour dejeuner, 
car il n'y a pas de vent et le soleil est chaud. Une pente 
magnilique part de notre observatoire, et va rejoindre le 
glacier de Hohlicht, 1,500 met. plus bas. Aussi les blocs de 
rocher que nous faisons rouler semblent fondre dans l'es- 
pacc, et disparaissent bien avant d'avoir atteint le terme de 
leur course. 

La vue est surtout belle sur le Weisshorn, dont nous 
voyons admirablement Tinterminable arete ; autour de nous, 
le Gabelhorn, le Grand-Cornier, la Dent-Blanche ; plus loin, 
le mont Gervin et le groupe du Mont-Rose forment les points 



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AUTOUR DE CHAMONIX ET DE ZERMATT. 125 

principaux du panorama, le dernier que nous devons avoir 
sous les yeux cette ann£e. 

L*ar£te de rocher par laquelle nous allons descendrc se 
voit tr&s bien du sommet, et nous nous mettons en route 
connaissant d6j& k peu pres les difficulty que nous allons 
rencontrer. On ne peut pas suivre le dessus de FartMe par 
Texcellente raison qu'en beaucoup d'cndroits il est consti- 
tue par un angle vif de rocher, notamment k une place ou 
nous voyageons k cheval sur la cr6te pendant une dizaine 
de metres, en contemplant de chaque c<Me le vide & quel- 
ques centaines de metres de profondeur. Puis nous arri- 
vons k un piton rocheux plants sur l'ardtc, k cheval comme 
une chemin^e sur un toit. 

II ne faut pas songer a le franchir. Nous en contournons 
la base, de crevasse en crevasse, suspendus au rocher qui, 
par une amere ironie, se trouve Mre encore plus lisse que 
partout ailleurs. Au-dessous de nous, les plaincs blanches 
du glacier de Durand semblent nous inviter & venir les re- 
joindre. Trois fois nous sommes obliges de contourner des 
pitons semblables, que les guides du pays appellent les 
Gendarmes. Enfin le dernier est passe ; nous arrivons k un 
endroit ou une faille a coup6 1'arGte, qui se trouve brus- 
quement interrompue par une paroi presque verticale , 
d'une vingtaine de metres de hauteur, et garnie de verglas. 

Nous mettons pr6s d'une demi-heure a franchir ce mau- 
vais pas avec des precautions considerables, et nous repre- 
nons TanHe qui s^largit un peu; mais en revanche elle 
se compose de blocs chancelants qui de temps a autre dis- 
paraissent comme par magie, aussitdt qu'ils supportent le 
pied d'un voyageur. 

Pendant trois quarts d'heure nous suivons notre route 
aerienne jusqu'St une belle pente de neige qui mene au gla- 
cier de Durand. H61as, au premier pas nous constatons 
qu'il n'y a qu'un centimetre de neige sur de la glace. 11 
faut se mettre k tailler derechef ; tous les morceaux d£ta- 



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126 COURSES ET ASCENSIONS. 

ches s'arnHent invariablement a la bergschrund du bas de 
la pente, preuve qu'elle est largement ouverte et ne ferait 
qu'une bouch^e de la caravane. Burgener se risque sur 
Tunique pont, d'une solidity fort problgmatique, et passe 
sans incident. Nous n'avons plus dds lors que de longues 
plaines de neige demi-fondue jusqu'a la cabtne des Moun- 
tets. Mais au bas du glacier, quelles moraines! Oa serait 
tente de croire que les pierres qui composent ces enormes 
remparts de debris sont depourvues de poids, en voyant 
avec quelle facilite elles se mettent en mouvement. Mais 
l'illusion ne dure que le temps d'en recevoir quelques-unes 
dans les jambes, ce qui ram£ne promptement le touriste 
au sentiment de la r£alit£. 

Une fois les moraines d£pass£es, un sentier en zigzag 
nous descend dans la valine, et a 7 h. 30 min. nous 
sommes a l'hdtel a Zinal, apr&s une journ£e aaagnifique, 
mais aupr&s de laquelle toutes nos courses pr6c6dentes 
sont des promenades sur des grandes routes. 

Le lendemain, nous descendions la charmante vallee 
d'Anniviers, a pied jusqu'a Vissoye, en voiture jusqu'a 
Sierre. 

La campagne etait finie; Simond retournait a Chamonix, 
et je me dirigeais sur Geneve par le Bouveret et le lac. 

L. WlART, 

Membre du Club Alpin Francais 
(Section de Paris}. 



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ASCENSION 

M LA PIGNE D'AROLLA EN VALAIS 

(3,810 METRES 

Lc Valais ne le c£de gu&re a l'Oberiand en sites varies et 
grandioses. II est pouriant moins connu et moins exploits. 
J'avais visits les environs d'Evolena en compagnie de 
mes Aleves, lis se reposaient de l'escalade du Pic d'Arzinol. 
J'6prouvais le d£sir de faire une course plus longue sur 
les glaciers. La puret« s de l'air nous promettait encore une 
serie de belles journ£es. Le guide Pralong me vantail la 
Pigne d'Arolla comme sup£rieure & tons les sommets de la 
region pour l^tendue de la perspective sur un oc£an de 
plateaux neigeux, de rochers, de monts, d'ablmes et de 
pics, qui se indent, se croisent et forment un enchevcHre- 
ment bizarre et merveilleux. 

« Puis-je y monter avec un seul guide? 

— II est d'usage de prendre aussi un porteur; mais 
puisque vous marchez bien et que vous £tes prudent, je 
crois que nous pourrons nous en passer. 

— Alors, soyez pr£t & 3 heures. » 

G'est un dimancbe, le 10 aout 1881. Le soleil est chaud ; 
nous cheminons d'abord lentement, puis nous nous enga- 
geons dans les sapins qui gardent l'entree de la gorge 
d'Arolla. Rien n'est pittoresque et sauvage comme ce val 



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128 COURSES ET ASCENSIONS. 

efroit, domine & gauche par le Visivir, les Petites-Dents et 
la Maja, k droite par les derniers contreforts des Aiguilles 
Rouges. La lumiere bleue inonde et baigne tout : sommets, 
vallons, glaciers, fonHs. 

Je ne sais si je m'abuse, mais souvent il m'a paru qu'in- 
d£pendamment de leurs formes, de leur encadrement et 
de leurs perspectives, les montagnes ont chacune une 
physionomie k part, un air v6ritablement special, qu'elles 
empruntent k l'atmosphere ambiante ou plul6t qu'elles lui 
donnent. Gomme les gracieuses chatelaines des antiques 
manoirs, elles ont teinte favorite et couleur pr£fer£c. II en 
est de roses et de blanches, de brunes et de blondes. Leurs 
noms m6mes indiquent parfois ces nuances. Elles ne sont 
pas seulement TefTet de la roche schisteuse ou granitique, 
mais le r£sultat de causes multiples et combiners. Le val 
d'H£rens se voile d'une gaze diaphane bleue qui frappe le 
regard et £lonne la pensee. 

Le soleil dore les cimes de ses derniers feux quand nous 
atteignons le charmant lac de Lucel. Ses eaux, d'une 
transparence parfaite, sont litteralement bleues. Elles ont 
une saveur particuliere assez agr6able, et une temperature 
de -+- 6°. Je l£ve k la main le plan du bassin. II est k 
2,200 met. d'altilude. II a 98 pas de long, 45 de large, une 
profondeur de I k 10 met. II ne contient aucun poisson. II 
est aliments par deux cascatelles d'un debit de 4 k 5 m&t. 
cubes par seconde. Elles jaillissent d'un roc vert et bleu 
comme deux anses cristallines sur un verre de Boh6me. 

La vue est superbe. Au fond du val d'Arolla, sur un tapis 
de neige que les crevasses rayent de bandes noires et 
blanches, se dresse le Mont-Collon. Je l'apercois dans toute 
sa hauteur, de la base au sommet. Estomp£ au soleil cou- 
chant de teintes vaporeuses, il prend peu k peu un aspect 
fantastique. L'ombre noire se couche k ses pieds ; sa t£te 
blanche, illuminSe de reflets roses et noyee dans l'azur, 
ressemble au premier degr6 de la porte du ciel, dont elle 



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ASCENSION DE LA PIGNE D'AROLLA KN VALAIS. H9 

cache la splendeur. A ma droite s'allonge l'immense mu- 
raille des Aiguilles-Rouges. Elle se courbe en hlmicycle et 
forme comme un gigantesque amphitheatre, d'ou se pr£- 
cipite en sillons £cumeux, d'une hauteur de 140 m«M., la 
fomiidable cascade des Ignes. 

Nous descendons sur les mayens de Satarme. Un rocher 
attire mon attention par sa position el sa forme. G'est une 
grande pierre jaune et rouge, tacbetee de mousse, mince 
comme une lame et qui d'aplomb, sur un socle de granit 
orn£ de lichen, s'£lance dans les airs et figure l'aile de- 
ploys dun aigle. Elle a plus de vingt metres d Elevation 
sur une longueur proportionnelle. 

Nous arrivons HLi ThcMel du Mont-Gollon. 11 est 
situ£ k la jonction du val d'Arolla k la combe sauvage et 
tourmentee du Zinareffien. Un fil t£l£graphique le relie 
a Evolena durant la belle saison. La Pigne d'Arolla le sur- 
plombe de 1,600 m£t. et etincelle la-haul, pres des tHoiles, 
dans le ciel bleu. 

Le lundi, 11 aout, Pralong m'eveille & 2 h. A 3 h. pre- 
cises nous commencons h gravir la vieille et gigantesque 
moraine du glacier de Zigiorenove. L'air est doux ; l'at- 
mosphere, d'une purele sans tache. Une lune comparable 
& celle de Venise jette ses tons bleus, transparents et ve- 
lout£s sur tous les objets, en adoucit les angles et les con- 
tours et me donne la sensation d'un monde nouveau, ideal, 
divin. 

La moraine est raide, son ar<He aigue. Encombr£e d*e- 
normes blocs, elle nous oblige k une grande attention, pour 
ne pas glisser dans les ravins profonds qui s'ouvrent de 
chaque cdt£. Nous montons droit vers le sommet de la Pigne, 
qui resplendit sur nos t£tes. Je remarque une aigrette blan- 
che, a forme allong£e comme la queue d'une comete,et qui, 
plac£e enlre le firmament et la montagne, couronne cette 
derni&re d'une aureole. D'ou vient cette lueur? Est-ce la 
neige du glacier qui, ehass£e par le vent du Nord, pou- 

ANNCAIRK DB 1881. 9 



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130 COURSES ET ASCENSIONS. 

droie et etincelle aux rayons de la lune ? Mais comment 
peut-elle atteindre une pareille elevation? N'est-ce pas plu- 
tOt la lumiere de l'astre qui, r£fl£chie vers le ciel par le 
glacier, nous est renvoyee par des cirrus et des couches 
d'air plus froides et plus denses? Quelle que soit la cause 
du ph£nomene,c'est la premiere fois que je le constate dans 
les montagnes. L'intensit6 de cette lueur est telle que je 
la prendrais pour l'aube, si elle ne se trouvait par rapport 
h nous & l'opposite du soleil. 

A i h. 45 min., nous abordons le glacier. Le guide de- 
noue sa corde et me la passe autour des reins. 

« Faudra-t-il marcher longtemps ainsi attaches? 

— Jusqu'4 ce soir », dit Pralong. 

La glace est dure et rugueuse. Nous avancons d'abord 
sans difficulte. Bientot la pente devient plus prononcee; 
les pieds ne mordent pas ; il faut tailler des marches. Plus 
loin,le glacier lourne h gauche. Une chaine de roehers 
rouges le surplombent. Nous nous tenons sur l'extremite 
de l'ar^te supe>ieure. Un faux pas a gauche et nous glis- 
sons dans rabime ; un mouvement malenconlreuxtl droite, 
et nous passons dans la noire fissure qui s'ouvre entre le 
glacier et la paroi de granit polie comme un verre. L'air 
est d'un calme complet. Le moindre bruit se percoit net- 
tement. Le silence imposantde la nature nest trouble que 
par la chute de quelques pierres, le cri plaintif de l'oiseau 
des neiges ou le clapotement loirrtain des cascades. 

Tout k coup le glacier se releve en dos d'&ne et semble 
nous barrer le passage. Sa surface est lisse. Je le dis k ma 
honte ! le pied ma dej& manque deux fois et je me suis 
abattu; la corde me retient heureusement; elle reste tou- 
jours tendue entre le guide et moi. Je me demande com- 
ment je pourrai escalader ce roc glissant. Pralong creuse 
des entailles plus profondes. 11 me recommande de planter 
fortement mon b&ton, de m'accroupir et de lenir solidement 
la corde pendant qu'il montera. Je suis ses conseils et je le 



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ASCBNSION DE LA PIGNE D'aROLLA EN VALAIS. 131 

vois grimper. Arrive sur le talus, il fixe son piolet, s'arc- 
boute et me tire. 

Nous avons atteint le haut du couloir et je nose guere 
tourner mes yeux en bas, tant l'inclinaison est forte, 
1'abfme profond et fascinateur. La muraille de granit 
forme maintenant une espece de cirque ;elle est surmontee 
dune corniche sur laquelle s'avance en festons et en sta- 
lactites une longue ligne d'^normes s£racs. 

Le soleil s'est lev6 derriere la Dent-Blanche et colore les 
n£ves dune teinte violette et rose dun effet magique. 

Son action ne tarde pas k se faire sentir; de tous cote^s, 
mon oreille pergoit de leg&res crepitations. Pendant (jue 
nous passons sous ces arceaux menacants qui pendent sur 
nos tetes, je me sens Increment 6mu et je voudrais avan- 
cer plus vite. Les minutes sont longues conime des heures. 
Mais il faut encore tailler des pas, garder le silence et 
l^quilibre, et ne marcher que Tun apres l'autre. Une chule 
sur la pente escarped et glissante serait irreparable. On 
roulerait jusqu'au fond du precipice. D'autrc part, je ne 
suis pas tranquille sous ces masses, que le genie de la 
montagne tient suspendues, maisqui peuvent dun moment 
k l'autre s ecrouler dans l'abime. Les coups de piolet, que 
I'ralong cherche visiblement a amortir, retentissent dou- 
loureuseinent dans tout mon <}tre. Je prolite d' # un instant 
ou je suis pres du guide pour lui dire h voix basse : « Si 
l'avalanche se produit, faudra-t-il me coucher? — Ola 
depend » , dit Pralong, et il se remet & tailler des pas. « Cette 
reponseest bien peu precise, pense-je. Si je me jette conlre 
le rocher, je glisserai sous le glacier; si je me penche a 
gauche, l'avalanche m'entrainera. D'autre part, j'ai deja de 
la peine k me tenir dans les deux petites entailles ou je 
pose mes pieds. Avancer ou reculer pour fuir, cest perdre 
l'6quilibre.» Je me repr£sente l'elfet que je produirais bon- 
dissant, la tete dun cote et le buste de l'aulre, au milieu 
des enormes tronQons de l'avalanche. Cetle lugubre vision 



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132 COURSES ET ASCENSIONS. 

no fait que traverser mon esprit. Pralong au bout de la 
corde me fait signe d'avancer. 

Apres vingt minutes de cette angoisse, nous atteignons 
enfin l'exlr£mit£ de l'escarpement. Nous prenons le glacier 
en 6charpe pour nous Eloigner de la fatale corniche et 
gagner l'ombre du rocher de Piece. Nous marchons vi- 
venient. Soudain, un craquement sec comme un coup de 
canon nous fait retourner et lever la t£te. La bande de 
seracs qui nous dominait tout k l'heure vient de se rompre 
sur une longueur de plus de 100 met. Un premier bloc se 
delache et vole en sifflant; puis nous voyons la gigantesque 
masse tout entiere chanceler, sincliner, seflbndrer enfin 
avec un bruit de tonnerre, comme si la montagne elle- 
m6me s'£croulait. Kile se casse, se broie, se pulverise sur 
le glacier, au milieu d'un nuagede poussiere blanche, dou 
s'elancent comme des boulets des centaines de blocs, qui 
roulent, bondissent, vibrent, tournoient et produisent un 
£pouvantable fracas que tous les echos exagerent et se 
renvoient. Cette infernale mitraille balaie le fond du cou- 
loir, se perd dans les crevasses avec un grondement pareil 
k celui d'une charge de cavalerie. Le guide et moi restons 
stupeTaits dadmiration et d'horreur. Mais un coup de vent 
froid nous frappe en plein visage avec une telle violence 
qu'il nous* fait chanceler et chasse, comme une poignee de 
feuilles mortes, les cailloux 6pars sur la surface du glacier. 
Je n'ai jamais £prouv6 en moins de temps une Amotion 
plus poignante, ni vu de spectacle plus terrible et plus 
imposant. Cinq minutes de retard dans notre course cau- 
saient infailliblement notre perte. Jai senti, je Tavoue. 
un vif sentiment de reconnaissance pour Dieu qui nous 
a proteges, et de bon coeur jai serr£ la main de mon 
guide. 

D£j& nous apercevons la chatne dentelee des rocs qui 
dominent le glacier de Zigiorenove et le separent de celui 
de Piece. Les crevasses se multiplient; plusieurs sont tres 



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ASCKNS10N DK LA PIGNK d'aROLLA EN VALAIS. 135 

larges; d'autres sont cachees par des ponts de neige. II 
faut sonder la croilfe qui nous porte. A 7 h. 35 min. 
nous atteignons les pointes rocheuses qui Emergent de la 
glace. Elles forment la barriere qui rejoint l'Arolla a Piece 
et au Vuibert. Lendroit est propice a un arret. Le coup 
d'oeil est splendide. A ma droite le Grand etle Petit-Gollon 
sont si pres qu'on penseraitles atteindre en cinq minutes. 
Etrange illusion! 11 faudrait trois heures. Le Vuibert est en 
face; plus loin, derriere, se montrent en saillie les Bouque- 
tins, la Tete-Blanche et la Dent d'Herens. 

Comme la faim nous tiraille, je me mets a cheval sur une 
pierre poui 1 n'avoir plus les pieds en contact avec la neige, 
et nous dejeunons avec app^tit sous le regard bienfaisantdu 
soleil. Au bout d'un quart d'heure, nous reprenons l'ascen- 
sion par le glacier de Piece. Nous avons trois ou quatre 
passages difilciles a cause des crevasses ; mais la prudence 
de Pralong m'aide a les franchir sans trop de peine. Nous 
entrons ensuite sur 1'immense champ de neige qui s'etend 
du Vuibez au Jardin des Chamois. Nous le coupons a angle 
droit pour revenir sur la droite et suivre la croupe de l'Arolla. 

La neige s'amollit et nos pieds enfoncent jusqu'a la 
cheville. Comme la pente est raide, le pas se derobe sou- 
vent; la marche devient penible. Le soleil darde daplomb 
ses rayons ^blouissants. La reverberation nous briile le 
visage et nous aveugle, malgre nos voiles et nos lunettes. 
J'eprouve un peu d'oppression ; je suis oblige de multiplier 
les arrets et de me tourner vers le bas des monts pour 
recevoir et donner a mes poumons un air plus dense. 
Enfin, un dernier effort nous porte au spmmet. 

II est 9 h.30 min.L'ascension a dure six heures et demie. Un 
cri dadmiration et de reconnaissance pourDieu s'echappe 
de nos l^vres. Je frappe du pied la tete de TArolla. J'ai 
devant moi le plus ideal et le plus sublime panorama que 
Tesprit puisse concevoir et Timagination rever. Cest 
comme une vision de l'infini. 



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136 COURSES ET ASCENSIONS. 

Le premier coup d'oeil sur ces champs de neigc, sur ces 
K'«>ants de pierre, sur cet horizon tourment6 et sans limite, 
sous ce ciel lumineux, vous plonge dans une sorte de ra- 
vissement mei6 de la douleur de ne pouvoir tout remar- 
quer, tout retenir. L admiration augmente k mesure que 
le regard se rend inieux compte des principaux details de 
cette incommensurable perspective. 

Laltitude est de 3,810 metres. La Pigne figure, dans le 
sens £tymologique du mot ', un mamelon dont la partie 
Nord a £te eoupee k pic, tandis que les autres c6t£s pr£- 
sentent une inclinaison relativement mod£r£e. Elle n'a pas 
de corniche surplombante. Je puis m'approcher du bord et 
apereevoir, llk-bas, au fond du val, lh6tel dou je suis 
parti. On domine k l'Est le Grand et le Petit-Gollon d'une 
hauteur de ^250 met. Derriere eux, le Mont-Brul£ leve sa 
corne roussie. L immense glacier d'Otemna s'£tend vers le 
Sud et fait ressortir la ligne noire de la Valpelline, sembla- 
ble k une 6norme fissure dans la croute terrestre. Au delli, 
dans une buee grise, l'oeil distingue le Bee d'Arbien, le Bee 
de Sole, le Mont-Redessau et le Gh&teau-des-Dames que 
vous prendriez pour un formidable amas de tours cre- 
nelles. Au Levant, derriere la Tete-Blanche et la Dent 
d'H6rens, le Cervin montre son echine pelee et son bee de 
corbeau. Le Mont-Rose et le Monte-Moro ferment l'horizon 
et paraissent se confondre avec le ciel. 

La Jungfrau, le Wildstrubel et les Diablerets semblent 
appartenir k notre massif. La vallee du Rh6ne nest plus 
qu'un large fosse. La notion des distances s'efface comple- 
tement. Si Ton se tourne vers les sommets de l'Occident, 
tres nettement 6claires, rceil erre en liberty du Oheval- 
Blanc et des Aiguilles-Rouges d'Argentiere au Mont-Blanc. 
La chaine du Saint-Bernard, le Mont-Dolent, le (irand- 

1. La Pigne d'Arolla signifie la pomme de pin. Le mot pigne designe 
le cone ou fruit du pin, et arole ou aroila est le nom donne en Suisse 
au pin cembre Pinus cembrc > . 



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ASCENSION DE LA PIGNE D AROLLA EN VALA1S. 137 

Gombin et le Mont-V£lan ont lair de se toucher. L 'Aiguille 
des Gharmoz, la Dent du G£ant; les Grandes-Jorasses et 
l'Aiguille-Verte dressent leurs pointes au-dessus des autres 
eimes. Plus pres de nous la Ruinette et la Serpentine res- 
semblent k deux cailloux qu'un geant aurait oublies sur 
un tapis de neige. Le Mont-Blanc de Gheillon etale an so- 
leil sa corniche taill£e en biseau. 

Un plaid iixe k l'aide de nos batons nous garantit con ire 
le vent du Nord.Ily a d£j& trois quarts d'heure que je con- 
teniple ce panorama,et mes yeux ne sont pas rassasies,et de<> 
sentiments nouveaux surgissent dans mon &me. Mes pieds 
sont glac£s, mais je n'y pense point. Pralong declare que sur 
les trente ascensions qu'il a failes, aucune n'a «H£ favoris^e 
dune vue plus belle. En m&me temps, il me rappelle h la 
realite des choses et m'avertit qu'il serait imprudent de 
rester davantage. Je depose ma carte dans une bouteille, 
et nous partons. Aulieu de descendre par le inline cheinin, 
nous prenons le glacier de Breney et de Gheillon. Cest le 
passage ordinaire ; il est moins dangereux, moins difficile 
que l'autre, mais aussi moins varj6 et moins interessant. 

Le guide me fait aller devant, la corde tendue pour me 
retenir en cas de glissade. La neige amollie rend la marche 
ais£e jusqu'au-dessous du Mont-Blanc de Gheillon ou lin- 
clinaison est telle que la moindre chute nous entrainerait 
dans une crevasse ou dans l'abime. II faut ralentir le pas 
et appuyer fortement sur le talon. Le passage du glacier 
de Breney k celui de Durand s'op^re en cascades. Les cre- 
vasses sont larges, noires, profondes. Nous les franchissons 
Tun apr&s l'autre, de facon que Tun de nous, solidement 
camp£, tienne la corde tendue pendant que l'autre se 
risque sur des ponts d'une resistance douteuse. 

Enfin, nous rencontrons une trace de chamois. Le guide 
declare qu'elle est du matin m<>me et m'ordonne de la 
suivre sans hesitation. Tout t3t coup, je m'aperqois que 
l'animal a execute des sauts, s'est rejet£ en arriere, puis 



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138 COURSES ET ASCENSIONS. 

k droite par un bond prodigieux. Gependant rien ne parait 
anormal & la surface du glacier. Pralong appuie sur la 
corde, me dit d'arrdter, de fixer mon Mton el denrouler 
plusieurs fois la corde pr6s du fer. Ainsi retenu, il s'avance 
avec precaution,- sonde et je vois son piolet enfoncer dans 
le vide. Nous revenons en arri&re, faisons un detour et 
rejoignons plus loin la trace de Intelligent quadruple. 
Alors nous d£couvrons une crevasse au fond noir et b£ant, 
large au moins de trois metres et qu'un pont de neige 
fratchement tomb£e nous d£robait. Sans Tinstinct qui a 
guide le chamois et lui a signald le danger, j aurais stire- 
ment fait la culbute. Pralong aurait-il pu me retenir? Ce 
n'est pas aussi certain, et l'eau que j'en tends couler au 
fond du gouftre n'a rien d'attrayant. 

Enfin, nous alteignons le col de Riedmatten. Nous sommes 
& la naissance du val d'Herdmence. Une longue muraille, 
arm£e de roches en saillie et d'une hauteur de 20 met., 
nous stfpare de la combe d'Arolla. G'est le Pas des Chevres. 

« Je d£fie bien la chevre la plus agile de passer 1&. 

— Sans doute, dit Pralong; mais l'homme y passe en fai- 
sant la chevre ; et vous allez voir. » 

II me donne son sac, plante son piolet sur une saillie et 
s'£l£ve par la force des bras. II recommence deux fois 
l'op€ration jusqu'& une pierre assez large ou il prend pied. 
Je lui jette la corde et il me tire comme un ballot. Je 
cherched m'aiderdes mains et des genoux; mais mes mou- 
vements sont g&n£s par le frottement de l'abdomen contre 
la paroi rocheuse. Nous faisons trois fois ce manage et en 
20 min. nous gagnons le bord du col. Nous retrouvons le 
gazon avec volupte. II est 3 h. ; il y en a dix que nous mar- 
chons sur la glace. Nous enlevons nos voiles. Mon nez a la 
rougeur d'une cerise mtire et dans quelques jours mon 
visage fera peau neuve. Un veritable sentier de ch&vres h 
travers un chaos de rocs £boul£s du Zinareffien nous con- 
duit jusqu'aux p&turages. L'onde gazouillante et limpidc 



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ASCENSION DE LA P1GNE D'AROLLA EN VALAIS. 139 

du torrent me tente. Je prends un bain eomplet. Pralong, 
evidemmcnt plus las que moi, s^endort sur l'hcrbe menue. 

Ce bain deiicieux rend la vigueur t\ mon eerveau, la 
souplesse k mes jambes, le bien-(Mre a tous mes organes, 
et j'arrive dispos k I'hotel. 

En achevant la derntere partie de mon £tape parmi les 
myrtilles sauvages, je me demandais pourquoi, malgr£ le 
danger et la fatigue , une course pareille est pleine d'un 
charme si penetrant et dune Amotion si enivrante. N'est- 
ce pas que l'homnie y exerce k la fois toutes les faculty 
de son kme et toutes les Energies de son corps? Inatten- 
tion, Intelligence, I'imagination et la volonte sont en 
eveil, pendant que des sensations diverses, agr6ables ou 
pGnibles, arrivent k la sensibility par tous les sens, la vue, 
l'oule, le toucher, et se font valoir par leur opposition 
ni&me. L'activit6 organique est en jeu et s'61eve souvent 
jusqu'au maximum de l'efforl. Dans ce d£ploiement de 
forces intellectuelles, morales et physiques, rien ne trou- 
ble la conscience, la paix de l*&me. Rien darner ne jaillit 
du fond de cette volupt£. A ces conditions, ajoutez la pu- 
ret£ de Tair, la liberte de l'espace, la magie d'une per- 
spective toujours nouvelle et par-dessus tout les beautes 
de la nature, image visible de cette invisible splendeur 
qu'elle reflate, que nous admirons en elle, comme dans son 
symbole, et dont les premiers lineaments, caches au fond 
de notre conscience, y constituent la notion m<hne de l'ideal 
et du beau, et vous aurez, je crois, les principales raisons 
qui mettent au nombre des sentiments les plus nobles, les 
plus purs, Tamour de la montagne. Le Club Alpin, qui 
allume dans les coeurs jeunes et vaillants le feu sacr6 de 
cette sublime passion, nitrite bien de la France, des 

hommes et de Dieu ! 

P. Bauron, 

Membre du Club Alpin Francais 
(Section de Lyon). 



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VI 

UNE 

PROMENADE AU CASQUE DE NERON 



Un de mes amis vint, au mois d'octobre dernier, me pro- 
poser de l'aceompagner au Casque de Neron, dont il 6tait 
charge de faire la reconnaissance militaire. 

J'avais bien souvent examine sous ses difterentcs faces 
cette montagne dont le profil n'est pas moins bizarre que 
le nom, cherchant en vain de l'oeil sur ses parois escarpees 
un itine>aire qui permit d'en atteindre le sommet, et, sui- 
vant les prudents conseils du Guide Joanne, je m'etais con- 
tents d'en faire le tour sans songer & maventurer sur ses 
pentes peu engageantes. Mais puisqu'un prStexte s'oftrait k 
ma euriosite, je ne fus pas f&che d'aller faire plus ample 
connaissance avec ce fameux Casque et de m'assurer s'il 
merite reellement la mauvaise reputation qui lui est faite. 

La caravane, qui se composait de quatre touristes, 
quitta Grenoble, le 6 novembre 1884, a 5 h. 30 niin. 
du matin. A Clementiere, elle fut renforcee par le pere 
Galle, propriStaire k Quaix, qui avait demande ^ nous ser- 
vir de guide, et par son neveu, Marius Giraud, qui se ehar- 
geait de nos provisions et de nos cordes. Le pere Galle 
porte allegrement ses soixante-sept ans; bucheron... de 
naissance, il a passe la plus grande partie de sa vie sur les 
pentes du Neron; aussi connait-il tons les secrets de sa 
montagne, pour laquelle il professe un veritable culte. 



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UNE PROMENADE AU CASQUE DE N&RON. lil 

Maintenant que ses Economies lui permettent de vivre dans 
une aisance rudement gagnee, il retourne souvent en ama- 
teur sur son cher rocher, et c'est avec un veritable plaisir 
qu'il s'appnHe a nous en faire appr6cier les charmes. 

Nous avions forme le projet de gagner la cime par la che- 
minee qui se trouve en face de Quaix, de parcourir la ligne 
de falte du Nord au Sud dans toute sa longueur et de 
redescendre sur Narbonne. 

Sept heures sonnent quand nous quittons Clementi&re. 
Nous nous engageons dans un chemin de chars qui s'el&ve 
obliqueriient sur les pentes Nord de la montagne, et nous 
ne tardons pas a le quitter pour suivre un sentier en zigzag 
qui nous amene par la ligne de plus grande pente jusqu'au 
pied des escarpements. Chemin faisant, notre guide nous 
montre les vestiges d'une tranchee construite en 1870 pour 
la defense de Grenoble. 

Les escarpements, quid'en bas nousparaissaient peu ras- 
surants, se laissent au contraire franchir avec la plus 
grande facility grace a une cheminee qu'on pourrait a la 
rigueur remonter jusqu'a la ligne de falte. Mais il vaut 
mieux la quitter vers son milieu pour s'engager a gauche 
sur un ressaut du rocher; on s'eleve ainsi, en suivant une 
direction Nord-Sud, le long de la muraille a pic qui cou- 
ronne le versant oriental de la montagne. 

Le pere Galle, qui possede une collection de legendes sur 
le N£ron, nous oblige a faire un crochet pour nous mon- 
trer une excavation ou un certain colonel Brun, compro- 
mis en 1816 dans la conspiration Didier, aurait, d'apres 
lui, cherch^ un refuge. Ancien officier en retraite, le colo- 
nel Brun habitait le village de Quaix et jouissait dans le 
pays d'une grande influence. On Tappelait « le Droma- 
daire », parce qu'il avait commande en Egypte le regiment 
des dromadaires, organise par Bonaparte pour poursuivre 
a travers le desert les mamelucks de Mourad-Bey. Seduit 
par les discours de Didier qui promettait une restauration 



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142 COURSES ET ASCENSIONS. 

napoleonienne, il s'engagea a tenter un coup de main 
sur Grenoble avec les paysans du massif de la Chartreuse 
et u n grand nombre de ses anciens compagnons d'armes. 
Sa troupe devait penetrer en ville par le plateau de la 
Bastille, tandis que les conjures de linterieur de la place 
saisiraient la porte Tr6s-Gloitres, et livreraient passage au 
detachement principal commande par Didier. Le complot, 
combing dans le plus grand secret, ne fut revile aux auto- 
rites qu'a la derntere heure par un adjoint de la commune 
de la Mure. Quelques arrestations intimiderent les conspi- 
raleurs de la ville, qui n'os^rent pas se reunir; 'Didier et 
ses hommes, qui s'etaient avanc6s en toute conliance jus- 
qu'aux fortifications, furent re<jus a coups de fusil et faei- 
lement disperses. Brun, de son cote, apres s'etre 6tabli 
dans la vieille tour de la Bastille, voyant le coup manque, 
jugea prudent de se retirer. De tristes represailles suivi- 
rent cette echauftourtfe. Vingt-six malheureux payerent de 
leur vie sur T6chafaud ou devant le peloton d'ex£cution 
leur trop facile confiance dans les promesses de Didier. 

Or, dans la liste des yictimes fusillees dans les fosses de 
1' Esplanade figure le nom de Jean Fiat Galle, cultivateur 
a Quaix, ag6 de trente-trois ans, ce qui laisse supposer que 
notre guide possede sur cette affaire des renseignements 
precis, peut-Mre meme de famille. 

Didier, apres une odyssee des plus emouvantes, fut 
capture par trahison, mourant de faim et de fatigue, 
dans un chalet perdu au milieu des montagnes de la Mau- 
rienne. II fut juge et ex£cul6. Le colonel Brun sen tira a 
meilleur compte. Apr6s s'£tre tenu cach£ pendant plu- 
sieurs semaines au milieu des rochers du Casque de Neron, 
il parvint a gagner Lyon oil il se laissa prendre. On le con- 
damna a la prison, mais on le laissa libre sur parole de 
circuler dans linterieur de Grenoble. 

Les explications du pere Galle au sujet de ces £v£ne- 
ments mena^ant de se prolonger outre mesure, nous de- 



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UNE PROMENADE AU CASQUE DE NfeRON. 145 

vons Tarracher a ses souvenirs pour reprendre notre grim- 
pade: bientdt nous tournons k droile pour nous glisser 
dans un couloir elroit m£nag6 enlre deux roches & pic, et, 
au bout de quelques minutes, nous mettons, & 9 h., le pied 
sur le cimier du Casque. 

La vue qu'on decouvre du point ou nous £tions parve- 
nus, sans £tre fort (Hendue, ne manque pas d'un certain 
charme; mais ce qui attirait nos regards, c'6tait surtout 
ramoncellement des rochers fantastiques qui couronnent 
l'ar£te terminate; les uns, penches au-dessus de l'abtme, 
semblent ne tenir en place que par un prodige d'6quilibre; 
dans leurs intervalles, la vue plonge par des meurtri&res 
et des machicoulis naturels jusqu'au pied des escarpements ; 
les au tres, tailles en forme d'aiguilles, herissent leurs pointes 
dans toutes les directions; l'ensemble donne Tid£e d'une 
ruine gigantesque de quelque monument d'un autre Age. 

Apres avoir paye & ce chaos un juste tribut de curiosite, 
excites par notre facile triomphe, nous escaladons rapide- 
ment un premier sommet cote 1,280 met., que nous aper- 
cevons sur notre gauche. De cet observatoire, on se rend un 
compte exact de la forme singuliere de la montagne. La 
ligne de faite, d^coupee en lame de scie, ne pr£sente pas 
trace de plate-forme; elle nous apparalt a premiere vue 
comme une intersection mathematique de deux plans, Tun 
vertical, faisant face au Rachais, l'autre incline vers 1'Ouest 
a 45 degres et descendant jusqu'aux escarpements inf£- 
rieurs qui dominent le hameau du Muret. Un examen plus 
attentif nous montre que la pente de ce versant occidental 
se releve legerement k sa partie superieure et y atteint 
55 degres. Le sol en est labour^ par une infinite de crevas- 
ses et couvert par d'impen^trables taillis de buis et de 
genievres. Deux ou trois ravins paralleles, peu larges et 
peu profonds, mais aux flancs tres escarpes, le sillonnent 
sur toute sa hauteur et correspondent aux principales 
6chancrures de la ligne de fafte. 

AXNCAIRK DB 1881. .10 



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U6 COURSES KT ASCENSIONS. 

La inarche sur un pareil plan incline ne pent etre qm» 
tres p^nible et tres lenle; nous en avons fait lexperience a 
nos dlpens, lors d'une premiere tentative infructueuse, le 
29 octobre dernier. Partis du Muret, sous la eonduite dun 
bAcheron de la locality, nous avons mis irois heures ot 
demie pour atteindre le petit mamelon qui se trouve sur 
la ligne de fatle, au-dessus de Narbonne eta une altitude de 
1,000 met. Le guide, qui derail nous montrer la eheminee 
en face de Quaix, ayant refuse de nous suivre sur I'anUe, 
nous dtimes retrograder sur le Murel, non san.s mettre nos 
v£tements en lambeaux et nos mains en sang. Aussi pre- 
f£rons-nous suivre la cr£te sur laquelle on voit au moins on 
on va poser le pied. Mais a peine y avons-nous fait quelques 
pas dans la direction du Sud que nous sommes brusque- 
ment arnHes par une coupure verticale d'une vingtaine de 
metres de profondeur. La difficult*' 1 est se>ieuse et nous 
donne a r6fl£chir. Le mieux est de prendre son temps pour 
essayer de la r£soudre. et, tout en disculant, de faire hon- 
neur a nos prorisions. 

Le repas termini, nous retournons a la coupure et eon- 
statons l'impossibilite* de la franchir pres du sommet: il 
faut done se decider a descendre sur le plan incline pour 
tenter le passage un peu plus bas. Le pere Galle enroye en 
reconnaissance deeouvre enfin ce qu'il appelle un chemin. 
Kn nous accrochant aux rochers et nous suspendant aux 
arbustes, nous parrenons, apres quaranle minutes dune 
gymnastique des plus risquees, a traverser le ravin et a 
nous hisser de nouveau jusqu'a la cnMe oil nous atteignons 
un detixi&me sommet sur lequel not re barometre mar- 
que 1,290. 

Au Sud, se dresse devant nous une autre pointe qui 
nous parait plus £lev£e de quelques metres. Notre guide, 
qui professe pour 1'artHe une mediocre estime, veut nous 
entratner encore sur le plan incline, mais nous resistons a 
ses conseils el nous le laissons se d£battre au milieu des 



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UNE PROMENADE! At CASQUE DE NERON. HI 

taillis pour suivre la crdte oil nous regrettons de ne pas 
poss6der Tart de Blondin. Pour qui nous examinerait en 
ce moment de G16mentiere, notre d-marche paraltrait bien 
chancelante, car nous n'avons pas, comme ce c£l&bre 6qui- 
libriste, l'habitude de franchir le Niagara sur la corde raide, 
et l'alternative qui nous menace, si nous faisons un faux 
pas, de glisser de 100 m&t. a droite oil de culbuter de 
200 m&t. a gauche, nous impose une prudence bien natu- 
relle. II y a d'ailleurs un moyen simple de franchir les 
passages les plus etroits, c'est de se mettre bravement a 
cahfourchon sur l'arete el d'avancer en se soulevant sur 
les poignets. » 

Apres 50 min. de ce manege, nous atteignuns le sommet 
principal, cote 1,305 met., ou lepere Galle nous a precedes 
depuis quelques minutes. Son ceil per^ant y a d£couvert les 
traces certaines du s£jour dun aigle et celles plus proble- 
matiques d'un chamois. C'est un fait avere, le pere Galle 
nous rafGrme, qu'il y a six ans, un chamois s'est aventure 
sur le Casque de Neron, qu'il y aete chasse par les btiche- 
rons du pays, mais qu'il leur a echappe pour aller se refu- 
gier sur la Pinea ou il a trouv£ la mort. 

Nous n'avons guere le loisir d'admirer le paysage, car la 
route est encore longue jusqu'a Narbonne, et nous menage 
peut-etre des surprises. Nous ne quittons pas toutefois le 
sommet sans avoir jete un coup d'oeil surradmirable pano- 
rama qui se deroule au Midi, depuis la chaine de Belle- 
donne josqu'au Moucherotle; le pic de Bure, dontle profil, 
vu du Neron, est identique a celui du Mont-Aiguille, attire 
particulierement nos regards. 

Ce qui nous reste a parcourir de la eretc lie nou^ oftre 
pas plus d'agrement que ce que nous en connaissons. Une 
nouvelle coupure nous oblige a nous rejeter sur le versant 
Ouest; la aussi, un petit ravin longitudinal nous barre 
le passage. Les parois en sont a pic, et on va derouler la 
corde, quand l'idee nous vient de hit snbstituer un arbre 



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148 COURSES ET ASCENSIONS. 

qui monte du fond du ravin jusqu'a notre portee et de 
nous Iaisser glisser le long de ses branches. En souvenir de 
ce mode original de locomotion, Tendroit rec,oit a l'unani- 
mite le nom de Ravin des 6cureuils. 

Plus loin, il nous faut contourner une dent par une cor- 
niche inclinee comprise entre deux parois a pic; le rocher 
est lisse; tout point d'appui fait defaut, et la corniche pre- 
sente un leger divers du cdte du vide ; la corde est jugee 
necessaire. 

Ge mauvais pas franchi, on atteint a 2 h. 45 min., sans 
autre incident, le mamelon cote 1,000 m&t. ou s'6tait faite 
la grande halte lors de notre premiere reconnaissance. Le 
temps presse, car dej& le soleil est bas sur Thorizon, et il 
importe de ne pas &tre surpris par la nuit sur les escarpe- 
ments. Nous apercevons k nos pieds le pr6 de Rencurel 
vers lequel nous nous dirigeons par le prolongement de la 
ligne de falte. Aux aretes vives du sommet a succ£d6 une 
croupe nioins vertigineuse, mais dun parcours plus penible 
encore et non moins lent; il faut tant6t se frayer violem- 
ment un passage a travers depais massifs de buis qui 
masquent les ressauts du terrain, tantdt se Iaisser glisser 
sur des rochers lisses sur lesquels il est impossible de se 
tenir debout. 

Quand nous atteignons le pre de Rencurel, le soleil a 
disparu derriere le plateau de Sprnin et 1'ombre commence 
a s'elever du fond de la vallee. Heureusement, a ce moment 
nous d£couvrons le sentier qui franchit les escarpements 
au-dessus de Narbonne. 11 est coupe par une corniche assez 
difficile, pr&s de la base du rocher. Quand nous parvenons 
a ce passage d^licat, l'obscurite est complete. Nous y 
engager en pleine nuit, sans lumiere, serait commettre une 
insigne imprudence; aussi preferons-nous contourner l'ob- 
stacle en remontant a tatons environ une centaine de 
metres dans la direction du Nord, en nous raccrochant aux 
arbustes quand le sol manque sous nos pieds. Enfin, nous 



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UNE PROMENADE AU CASQUE DE N&RON. 149 

atteignons le sommet d'un £boulis que nous degringolons 
en quelques minutes pour gagner la lisiere d'un petit bois 
d'ou un bon chemin nous mene jusqu'& Narbonne. II est 
alors 6 h. 30 min. 

L'impression que j'ai conserved de eette excursion est 
celle d'une course horriblement fatigante. Sans doute, les 
pics de l'Oisans sont heriss^s de difficult^ plus serieuses 
et surtout plus varices, mais la marche n'y est pas con- 
stamment p£nible; la traversed d'un champ de neige, par 
exemple, repose d'une escalade dans le rocher. Le Casque 
de Ne>on ne laisse aux muscles ni & Tesprit aucune minute 
de repit. Si Ton veut bien considerer que notre reconnais- 
sance a exige onze heures et demie depuis le depart de 
Cl&nenttere jusqu'^i Tarriv^e & Narbonne; que, defalcation 
faite des haltes et des deux heures consacr£es k la montce, 
nous avons dti, pendant huit heures consecutives, composer 
tous nos mouvements pour 6viter un faux pas et nous ser- 
vir presque autant des bras que des jambes; qu'enfin tous 
ces efforts ne nous ont conduits qu'& 700 met. au-dessus 
de notre point de depart sur un rocher peu pittoresque 
d'oto la vue n'est guere plus 6tendue que celle dont on peut 
jouir du haut du Rachais,on reconnattra sans peine que le 
Neron est un endroit tres favorable aux exercices gymnas- 
tiques, mais d6pourvu de tout agrement. 

Si quelque collegue mal avise etait tent£ de nous imiter, 
je lui donnerais surtout le conseil de ne pas risquer sans 
guide la descente par le versant Ouest; il ne s'en tirerait 
pas et subirait le sort de ce frere de la doctrine chr6tienne 
qui s'6tait aventur6 dans ces parages avec sept de ses 
eleves. Les malheureux ont du passer une partie de la nuit 
sur le rocher et n'ont 6t6 secourus qu'& 2 h. du matin par 
les buxherons du Muret qui avaient entendu leurs cris de 
detresse. 

En somnie, I'itineraire le moins p6nible pour atteindre le 
sommet principal est celui qui passe par la chemin^e en 



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150 COURSES ET ASCENSIONS. 

face de Quaix ; il faut environ trois heures et demie pour y 
parvenir, haltes non comprises, en partant de Cl£menti£re. 
Si on se contente d'escalader le sommet 1,280, situ£ immc- 
diatement au Sud de la eheminee, lascension est d£barras- 
see de toute difficult^ et devient une promenade agr^able. 
C/est a cela que je conseille aux touristes de se borner. Le 
reste de la course ne leur r^serverait que des fatigues et 
mdme des dangers, sans aucune espece de compensation. 

Le capitaine Gambiez, 

Mcmbre du Club Alpin Francais 
(Section de l'ls&re). 



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VII 



VOYAGE EN ZIGZAG 

DANS 

LES ALPES FRANCISES 



Arreter d'avance le plan dun voyage on niontagne est 
bien souvent temeraire; le inauvais temps ne tarde pas 
dans le plus grand nombre des cas k renverser les projets 
les mieux concus, & mettre des b&tons, je n'oserai dire 
dans les roues, mais dans les jainbes du grimpeur mal- 
heureux. 

' En debarquant le 30 juillct an soir au Bourg-d'Oisans, 
nous n'avions, par consequent, nion frere et moi, qu'une 
idee : penetrer dans le massif du Pelvoux et faire, sous la 
eonduite du pere (jaspard, le plus d'escalades possible. 

Le scjour au Bourg-d'Oisans ne presente qu'un mediocre 
attrait, malgre tout le confortable de I'hotel Martin; aussi 
nous decidons-nous & gagner Venose le meme soir. La 
patache nous depose au pont de Saint-Guillerme & la tom- 
bee de la nuit; 1'obseurit^ est complete, mais la marche 
sur Texcellent chemin carrossable qui conduira bientot la 
.voiture du touriste h Saint-Christophe est heureusement 
des plus faciles. A mi-chemin nous homines rejoints par une 
carriole dont le propruHaire compatissant nous ofTre gene- 
reusement de nous prendre avec lui. Sa conversation ne 
manque pas d'ailleurs d'intenH; appartenant a cette classe 
de montagnards que la vente des plantes alpines a enri- 



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152 COURSES ET ASCENSIONS. 

chis, il a parcouru la plus grande partie des Etats-Unis; on 
s'en aperQoit du reste aisement : sur son accent dauphi- 
nois sont greflfees des intonations yankees, ma foi! fort 
plaisantes. 

Si j'insiste sur cette ascension nocturne du Bourg a 
Venose, qui n'a certes rien de bicn glorieux, je demando 
au lecteur bienveillant de me le pardonner. Mais je crois 
tHre utile a ceux qui me suivront en leur signalant notre 
lamentable odyssee dans le village & la recbercbe d'une 
auberge ; il me faut dissuader energiquement le touriste de 
frapper & la porte de Martin ; e'est une porte inhospitaliere ; 
on nous y repond d'une facon bourrue de passer notre 
cbemin. Drdle d'accueil de la part d'un aubergiste! 

Sans le d^vouement d'une bonne femme de quatre- 
vingts ans que nous avons reveillce et qui nous guide chez 
Paquet, nous risquions fort de passer la nuit k la belle 
etoile ; nos tribulations h la recherche d'un gtte n'avaient 
pas dure moins d'une heure. Les provenances toutes dau- 
phinoises de Paquet ne tarderent pas d'ailleurs a faire dis- 
parattre notre mauvaise humeur. 

Le lendemain, notre etape ne va quejusqu'^Saint-Chris- 
tophe, oil je retrouve avec plaisir M mo Turc chez laquelle j'ai 
sejourn^ il y a deux ans. Gaspard n'est pas de retour, aussi 
nous dirigeons-nous en fl&nant vers les chalets de la Selle : 
nous obliquons vers la droile, et, apr£s avoir escalade un 
long couloir, nous voici sur les hauteurs qui dominent le 
village, contemplant d'un ceil ravi nos vieilles connaissan- 
ces, les Fetoules, Loranoure, etc. Les premieres personnes 
que nous rencontrons en rentrant au gite sont le pere 
Gaspard et son ills Maximin. D'un grave mais bref debut* 
il resulte que nous nous attaquerons le lendemain u 
Loranoure « pour nous mettre en train ». 



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VOYAGE EN ZIGZAG DANS LES ALPES FRANgAISES. 153 



POINTE ORIENTALE DE LORANOURE (3,299 mkt. 

Le jour ou les touristes afflueront dans la vallee du 
Ven6on, I'ascension dc Loranoure sera Tune des plus fre- 
quentes : la proximite d'un bon gite, l'absence de dangers 
et de fatigues trop exagerees permettront h. l'alpiniste 
encore un peu novice de faire son education. II sera 
d'ailleurs recompense de ses efforts par la contemplation 
d'un splendide panorama. 

Gaspard, un peu fatigue de ses peregrinations anterieures, 
n'est pas aussi exact qu'il l'avait annonce; mais le temps 
est si favorable qu'une heure de retard ne presente aucune 
importance. Suivant la route de MM. Rabot et Garbonnier, 
nous contournons les pentes gazonnees qui surmontent 
I'Alpe du Pin et qui supportent le pic de Loranoure; ce 
mouvement tournant ne tarde pas k nous amener sur les 
flancs du vallon de la Uariandc, et nous dressons la table 
au bord d'un petit lac en miniature. Pendant la halte, le 
paysage s'anirne; un aigle passe k peine & 50 met. de 
nous; en face, sur les verdoyants gazons du Pouget, des 
chamois prcnnent lours ebats; l'endroit est dailleurs, 
paratt-il, un excellent point pour observer leurs habitudes: 
j'espere que les habitants du pays ne nous y convieronl 
jamais, comme en Suisse, i contempler l'animal en ques- 
tion, moyennant finances, mais en cage. 

La marche est reprise; un petit glacier minuscule, vrai 
glacier dc sommet, monte jusqu'i la partie rocheuse du pic. 
Nous le gravissons; l'escalade des rochers est des plus 
aisee et vers 11 h. on s'assied plein de bonne humeur sur 
les larges dalles de la cime. 

Lorsqu'on n'a plus foule les Alpes depuis longlemps, 
I'arrivee sur une haute montagne, la contemplation d'un 
beau panorama cree une impression toute particuliere; ce 



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154 COURSES ET ASCENSIONS. 

qui me frappe aujourd'hui, c'est la proximite de Saint- 
Christophe, perdu k quelque deux mille metres dans 
l'abime; c'est la masse du Mont-Blanc ecrasant tout de sa 
puissance et de sa grandeur; ce sont les Ecrins se dressant 
lierement & Thorizon. Je les ai contempts de tous les 
c6t£s, et j'avance qu'il est pen de points aussi favorables 
que Loranoure pour les admirer. 

D^sirant varier les plaisirs, nous suivons cette fois 
l'ar&te Nord-Est; puis a 300 ou 400 met. du sommet, 
nous obliquons sur la i)ente et, longeant une £troite cor- 
niche sur le flanc de la montagne, nous regagnons, par 
une descente & pic, notre lieu de halte du matin; le 
reste nest plus qu'un jeu. On ne s'arriMe que pour avaler 
quelques gouttes d'une eau delicieuse que le berger de 
I'Alpe met genereusement a notre disposition. 

AIGUILLE DU PLAT (3,602 mkt.) 

Loranoure n'est, k proprement parler, qu'une entree 
en matiere; l'Aiguille du Plat, sans demander autre chose 
qu'un pied exerce et une t<Me sure, pent cependant <Hre 
rangee parmi les belles escalades de notre massif alpin. 
Sentinelle avancee du eliainon qui separe le vallon de la 
Selle de celui du Veneon, elle n'a tHe vaincue qu'une fois 
par son versant Sud-Ouest. Les difficultes de ce c<He sont 
tres grandes; nous nous contentons done de l'attaquer du 
cdte* de la Selle. Nous quittons Saint-Ghristophe au point 
du jour, pleins d'un entrain qui, je le confesse, se ralentit 
un peu pendant les deux heures bien monotones que 
demande la montee des p&turages. On glisse sur le gazon; 
le sol est dur, rocailleux; la teinte encore grise du paysage 
vous plonge dans une sorte de melancolie; mais au gla- 
cier, la bonne humeur reprend ses droits, dautant plus 
que de substantiates provisions vont nous permettre de 
satisfaire nos estomacs exigeants. 



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V0YAGK EN ZIGZAG IUNS LES ALPfcS KKANC.AISES. 15,1 

Tout en mangeant, Gaspard nous fait remarquer quo le 
glacier n'a pas d^coulement ; il y a la sans doute de vastes 
fissures qui conduisent les eaux dans les torrents bruyants 
qui passent pres des Etages, apres Hre sortis des flancs de 
Roche-Blanche. 

L' escalade du petit glacier n'est qu'un jeu , malgre 
1'inclinaison. Nous voici d^sormais sur les flancs du pic 
nie'me. Nous contournons l'arete Sud-Ouesl et nous nous 
<>ngageons dans la face qui regarde la Selle; la pente est 
abrupte, mais la roche hien solide fournit au pied et a la 
main des auxiliaircsprtfcieux; seulement, un verglas traltre 
remplit les anfractuosit£s, recouvre les saillies et com- 
mande la prudence. L'areHe esl bientdt regagnee, et nous 
pouvons des lors apprecier les difficultes de Tascension de 
M. Duhamel. Gette arete domine un bel ablme; mais elle 
est semee de blocs offrant un solide point d'appui. Nous 
voici a la cime; nous y deposons le carnet destine a con- 
lenir la signature des gravisseurs. Son enveloppe m£tal- 
lique, frappee par la foudre, avait du etre remplac^e. Le 
nom de notre infortune* collegue Cordier est le premier 
inscrit: et Fopil se detache involontairement du carnet 
pour chercher le Plaret. Puis voila tout pros de nous ce 
Gervin dauphinois, la Meije, quil retail il y a dix ans de 
vaincre le premier; l'aspect fantastique que revet cette 
inontagne vaut a lui seul Tascension de TAiguille du Plat. 

Un dernier regard, et en route; nous revoila sur le gla- 
cier qui nous invite a une formidable glissade aussit6t 
commenced que resolue; nous retrouvons nos sacs et 
regagnons Saint-Ghristophe. 



LA BARRE DES tCRINS (4,103 met.) 

Notre projet, ce jour-la, est de gagner le Carrelet ; nous 
nous engageons done sur le chemin de la Berarde qu'il 



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156 COURSES ET ASCENSIONS. 

serait ridicule de d^crire : tout alpiniste qui a visits l'Oi- 
sans ne le connalt que trop; car, par le beau temps, le 
marcheur y trouve la temperature un peu exag6r6e. Jo 
recommande aux flaneurs le petit bosquet de bouleaux 
situe a mi-chemin; nous y avons pass6 quelques heures 
delicieuses. Mais a tout plaisir une fin; il faut repartir 
pour I'asile hospitalier de la Society des Touristes, et re- 
faire connaissance avec l'excellente M mo Rodier, dont les 
talents de cuisini&re n'ont pas fait beaucoup de progres 
depuis mon dernier passage ; le temps s'est mis a 1'orage, 
et nous renvoyons notre ascension au surlendemain, 
4 aout. 

Comme la Berarde est deserte, le depart est matinal. 
Nous aimons tous deux la vie dans les refuges, et Taspect 
changeant des cimes aux diverses heures de la journee 
nous dedommage amplement de fabsence d'un confort 
hors ligne. Bah ! il vous revient alors a la m£moire quel- 
ques souvenirs de la vie militaire qui ne vous font que 
mieux apprecier les beaut^s du spectacle. Le temps est 
toujours menacant, et vents et tonnerre semblent nous 
predire une deception, jusqu'au moment ou une bienfai- 
sante brise du Nord chasse les nu£es. Nous sommes done 
plus heureux que MM. Brulle et Bazillac, et le 5 au matin 
nous montons au clair de lune le vallon du Carrelet avec 
une vraie furia; mais notre luminaire disparait bientdl 
derrtere une cime, et la nuit devient si noire que nous 
void forces de sojourner derri&re le rocher qui servil 
d'abri ou plutot de paravent a M. Duhamel. Au petit jour, 
reprise de la grimpade. Le glacier du Vallon n'est qu'un 
excellent escalier; il est loisible de lever la t&te et de con- 
templer le but qui, par suite de la convexity du glacier 
cachant la base du pic, n'a ma foi rien de bien effrayant : 
au col des Avalanches nous effectuons la halte tradi- 
tionnelle, et les Ecrins, reprenant un aspect superbe, 
semblent pr&ts a s'eflbndrer sur nous. Je n'oserai pas dire 



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VOYAGE EN ZIGZAG DANS LES ALPES FRANCISES. 157 

que je les ai admires ; la montagne vue de trop pres devient 
un peu diffbrme; les moindres details, couloirs, pointes 
rocheuses, viennent trop en avant. 

Le dejeuner expedie, la grimpade proprement dite com- 
mence; je n'en parlerai pas : ce serait faire acte de plagiat. 
Nos pred^cesseurs ont analyse dans divers volumes de ce 
recueil toutes les sensations 6prouvees par eux ou leurs 
devanciers. Us ont decrit les mauvais pas; je renvoie le 
lecteur k leurs articles. Tout ce que je puis dire, c'est 
qu'avec un guide comme Gaspard, du sang-froid et de 
li-propos, il n'y a guere de danger. 

Je n'ai eu qu'un moment d'emotion : mon papier h ciga- 
rettes s'echappant d'unc de mes poches comment une 
descente fantastique vers le glacier Noir, puis se perditdans 
1'abime, emportant avec lui notre espoir de fumer sur la 
cime du geant. 

Toute cette grimpade k travers ccs escarpements prodi- 
gieux est assez lente pour vous permettre de jouir d'un 
spectacle qui defle toute description ; le Pelvoux avec ses 
trois times, l'Ailefroide noire comme la nuit, selon I'expres- 
sion de M. Whymper, s6par6s par de vastes entailles, sont 
grandioses. Au moment ou nous montons le petit glacier 
suspendu, Us commen^ent k se voiler; leurs contours s'es- 
tompanl peu & peu les font ressembler & de gigantesques 
fantdmes, tandis que le cirque du glacier Noir se change 
en une vaste chaudiere dont les vapeurs semblent vouloir 
se lancer a notre poursuite. 

Nous approchons, mais Gaspard donne des signes d'in- 
quietude. Va-t-il falloir retrograder si pres du but? non; 
voici bien 1'artUe neigeuse et le sommet supreme! Les 
quelques moments passes li-haut sont ft jamais graves 
dans nos memoires. 

Au Nord, par-dessus les nu£es qui tournoient autour de 
la Meije et de Roche-Faurio, la lumtere se joue sur le Mont- 
Blanc et la Vanoise; plus pres, le Pic de Neige Cordier et 



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158 COURSES ET ASCENSIONS. 

le glacier Blanc resplendissent sous les rayons (Tun bril- 
lant soleil d'aout. 

Derriere nous, les nuages se sont elev6s, ils nous d£ro- 
bent par moment toute vue, et, chose curieuse, en ilepas- 
sant 1'artMc tie la Grande-Sagne, ils continuent a inonter 
tout droit sans franchir cette ar&te : la muraille de pierre 
qui separe les deux grands glaciers des Ecrins se complete 
d'une muraille ephem^re de vapeurs. 

Tout cela est de mauvais augure : n'ctait le rayon d«» 
soleil qui brille la-bas sur le glacier Blanc, nous serions - 
tentes de revenir au Carrelet pour echapper a la tour- 
mente ; mais, au besoin, nous avons le refuge Tuckett. Nous 
nous engageons done sur cette ar&te dont la mauvaise re- 
putation n'est plus a faire, puis dans le couloir dont la 
glace dure comme le roc nous cotite un piolet; nous voici 
enfin a la bergschrund, vite franchie dun bond, et une 
glissade bien a propos nous am&ne au col des Ecrins. C'est 
le moment de jeter un coup d'oeil d'adieu a la formidable 
montagne, a ses parois de glace, k ses seracs gigantesques. 

Le couloir du col a un aspect tr<>s pen engageant; la 
Bonne-Pierre disparait sous nos pieds dans une obscurite 
sinistre; mais, comme dit le proverbe : « Le vin est tire, 
il faut le boire. » En avant ! Nous devalons par les premiers 
rochers et nous atteignons le couloir que nous quittons 
presque aussit6t. On a delibere un instant; l'opinion gene- 
rale est « qu'il n'y fera pas bon dans quelques minutes ». 
Nous obliquons done vers Roche-Faurio, et bien nous en 
prend ; car en m<>me temps que les premiers coups de ton- 
nerre commence une canonnade de rochers bien nourrie; 
la pluie, la neige et le gresil se mettent de la partie, et la 
paroi le long de laquelle nous cheminons se change en un 
torrent dont l'eau glacee nous arrose a profusion. On re- 
prend avec bonheur pied sur la glace que Ion arpento 
peuWtre un peu rapidement, car a lendroit mt>me de la 
chute de MM. Brulle et Bazillac je glisse et je me sens litte- 



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VOYAGE EN ZIGZAG DANS LES ALPES FRANQA1SES. 159 

ralement rep&che par Gaspard. Une derniere crevasse a 
franchir, et nous voici sur le glacier inferieur; il n'est que 
temps; la temp&te fait rage; nps piolets presentent deja 
des lueurs violettes. Nous voici sur la moraine, calomniee 
peut-£tre si le temps est beau, mais horrible quand les 
terres deviennent glissantes; pour comble de malheur les 
torrents sont gonfles; il faut remonter a la passerelle des 
Etancons, et cc n'est qu'a 7 h. qu'un bon feu commence a 
nous faire oublier cette mesaventure un pen trop humide. 

Horaire (sans halte). 

Du Carrelet au col des Avalanches 3 h. 30 miu. 

Du col au sommet 4 h. 15 

Du sommet au col des ficrins 4 h. — 

Du col au glacier de la Bonne-Pierre — 55 

Du glacier a la Berarde 1 h. 15 



Total 13 h. 55 min. 

LES BANS (3,651 met.) 

PREMIERE ASCENSION FRANf.AISE 

L'orage qui nous avail surpris dans le vallon de la Bonne- 
Pierre n'etait que le prelude d'une serie de mauvais jours. 
l^e lendemain de notre ascension nous ne perdons pas en- 
core patience, un peu de repos nous etant du; nous faisons 
d'ailleurs connaissance avec M. Goolidge, notre vaillant 
collegue, qui depuis quinze ans n'a cesse de contribuer a 
faire connattre notre beau massif. 

II etait arrive la veille au soir, apres avoir gravi la Tete 
du Crouzet et la Pointe Lemercier. Mais la temp£te ne lui 
avait pas <§te plus elemente qu'tl nous, et nos deux cara- 
vanes passent la journ^e t\ se sexher, tantot devant le feu 
de M me Rodier, tantot devant le refuge lorsque le soleil 
daigne paraitre; mais & la longue 1'ennui nous envabit : 



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160 COURSES ET ASCENSIONS. 

aussi, malgre le temps menacant, nous decidons-nous k 
faire la montee du Faulhorn dauphinois, de la T<He de la 
Maye, d'ou mon appareil photographique est bient6t bra- 
que sur les grands pics. 

Lorsque l'h6tel de la Berarde sera ouvert, le nom de la 
Maye sera sans doute aussi connu que celui des autres 
grands belvederes alpins, d'autant plus qu'une ascension k 
mulet ne m'y semble pas impossible. 

Le temps <Hant trop incertain pour attaquer la Meije, 
nousconvenons,en depit des elements, d'cssayer une grim- 
j>ade moindre, mais st»rieusc pourtant, celle des Bans. 

Tous ceux qui ont traverse le classique col de la Temple 
se rappelleront sans doute a jamais le spectacle grandiose 
etalt* sous leurs yeux : a leurs picds, la courbe arrondie du 
glacier de la Pilatte, doming par des cimes neigeuses dont 
la plus belle est certainement cellea Jaquelle nous voulions 
nous attaquer; ses roches foncees, se dressant au-dessus 
de vastes s£racs amoncel£s en un chaos gigantesque, con- 
trasted dune facon bizarre avec les blancs couloirs de 
neige qui la rayent dans tous les sens. 

Son escalade ne tente pas beaucoup les grimpeurs. En 
1877, le jour meme ou la caravane de M. Boileau de Cas- 
telnau accomplissait cette traversee du col des Bans qui 
fa i 11 i t lui cotiter si cher, elle fit une tentative arriMee par 
la grande quantity de neige tombac les jours precedents. 
L'ann6e suivante, M. Coolidge fut plus heureux, ot,5 trois ans 
d'intervalle, MM. Gabett et Baker joignirent leurs cartes 
a celle de leur devancier. Aucun pied francais ne s'cstait 
done encore pose sur la cime; aussi etions-nous piques 
d'6mulation. Le 8, a 12 h. 30 min. du soir, nous quittons 
la Berarde, par un beau temps sec et froid. La nuit est si 
noire qu'a mi-chemin du Garrclet nous faisons halte sous 
le bloc de rochers qui se dresse a c6te du scntier; chacun 
tache de dormir; il faut esp£rer que nos guides y reussis 
sent mieux que nous; les nuits sont froides en Oisans et, 



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VOYAGE EN ZIGZAG DANS LES ALPES FRANCHISES. 161 

sans couverture, je sens bien qu'il me sera impossible de 
fermer Toeil. Je me r6signe done & contempler les 6toiles, 
occupation peu r6cr6ative pour l'instant. 

A 3 h., depart; malheureusement, notre second por- 
teur est malade, bien qu'il n'en convienne pas, et il fait 
grand jour quand nous gravissons la partie inferieure du 
glacier en obliquant k droite, vers une terrasse rocheuse 
ou jadis campaient les fanatiques du col du Sel<§ ou du Says. 
. Nous d£ployons la corde ; les premiers pas sont ais£s ; 
quelques crevasses & sauter,et nous void en face des pentes 
de glace vive qui m&nent aux deux cols de la Pilatte et des 
Bans; a gauche le chemin du Sel6, k droite une paroi 
vertical* 1 de roche qui divise le glacier en deux courants. 
Desormais des efforts vont 6tre nScessaires ; la pente est 
d'abord tres rapide, et nous conduit a une premiere cre- 
vasse sans le moindre pont de neige ; elle est heureusement 
fort Stroite, et, n'£tait l'inggalitg de niveau de ses deux 
bords, elle serait tr&s ais6e a franchir; le bord supSrieur est 
a * met. 50 cent, au-dessus de Tautre. Gaspard, se penchant 
hardinient au-dessus de l'abtme, plante son piolet de I'autre 
r dtey se fait soulever, et, son agility aidant, le voila de Tau- 
tro c6te. A notre tour, nous ex^cutons la manoeuvre, servis 
rf une facon obligeante par la corde; k peine etions-nous 
a 50 rrxH. plus loin que nous nous trouvons de nouveau 
ar *s l'embarras : deux fissures beaucoup plus largos que la 
err **«*re ferment Iff route ; nous obliquons a gauche et tra- 
s °Ds la premiere sur un beau pont, puis nous revenons a 
1 **> en suivant une 6troite ar£te absolument en lame de 
^ *o^ u q U j s^p are les deux abimes bleu&tres. La seconde 
e ! ^^se est vaincue a son tour. Nous serions presque au 
fj'- ^^ss Bans, mais de nouveaux obstacles se pr£sentent; 



^r** 



*^Xenses s£racs, qui, vus den bas, ne semblaient que de 



*>1, 



(j e * *^>s renflements a la surface du glacier, montent au- 
na - *~*^ de nos t6tes ; il faut les traverser a tout prix, car a 
^ gauche un gouffre se prolonge jusqu'au col de la 

^^•SCAIRB DE 1881. 11 



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162 COURSES ET ASCENSIONS. 

Pilatte. Pendant que nous delib£rons, nous apercevons au 
loin, comme deux points noirs a peine perceptible* , 
M. Coolidge et le fils Aimer escaladant le col du Says avec 
cette rapidity de marche que tous les touristes leur envient. 
Du mieux que nous pouvons,nous leur envoyons un adieu, 
avant de nous engager sous des portiques fantastiques et a 
traversces colonnettes fr&lesqui semblent sans cesse pr&tes 
a s'£crouler. Rien ne saurait rendre les teintes d£licates de 
ces amoncellements de glaces, la transparence de lair ou 
de Teau qui circule dans leurs interstices; on en sort pres- 
que a regret pour se retrouver sur le vaste glacier, ou une 
derni£re crevasse nous force k revenir presque au niveau 
du col de la Pilatte. Aussi n'est-ce qu'apres quatre heures 
d'effort que nous arrivons au col. 

Celui-ci me paraft m£riter sa mauvaise renomm6e; il est 
un peu comparable au col des fecrins, mais son Stroit cou- 
loir est beaucoup plus long quecelui de ce dernier; il a failli 
couter la vie a Gaspard et lui a laissG les plus mauvais sou- 
venirs. Aussi notre guide ne se lasse-t-il pas de nous ra- 
conter les moindres incidents de cette travers£e ngfaste ; 
I'ascension du pic lui semble plus engageante, et a nous 
aussi. Le depart est ordonnG, nous attaquons d6ja l"ar<He 
neigeuse qui va nous mener au rocher, lorsque les nuages 
environnent la cime; d6cid6ment un sort jaloux semble 
nous poursuivre. S'ent&ter & grimper sur un terrain inconnu 
aux guides serait de la folie; il faut r^trograder, etnous 
descendons en maugreant contre les 616ments qui nous 
tiennent sans cesse rigueur; pour comble d'infortune, nous 
sommes a peine a la plate-forme que le soleil se remet a 
briller sur la cime. Aussi, pour tacher d'oublier la m6sa- 
venture, les uns cherchent des consolations dans le som- 
meil, d'autres dans la fumee du tabac qui, n'en deplaise 
a ses d£tracteurs, est l'ami de tous les montagnards. 

Nous rentrons ensuite a la B^rarde battus et pas con- 
tents. 



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VOYAGE KN ZIGZAG DANS LES ALPES FRANCHISES. 163 

Le soleil radieux qui brille le lendemain a 1'air de faire 
amende honorable pour son Eclipse de la veille. Desireux 
de ne pas nous avouer vaincus, nous revoili bien vite au 
Garrelet ; Maximin nous y a seul accompagn£s, son p&re est 
all6 chercher Pierre qui doit rcmplacer notre porteur hors 
de service. La journ^e se passe agr^ablement; lappareil 
photographique est braque dans tous les sens, puis des 
parties de piquet alternent avec les jeux d'adresse ou je 
dois confesser sans fausse honte que Maximin nous bat k 
plate couture. N'oublions pas, dans Enumeration de nos 
jouissances, la soupe, dont la confection n'aura dorenavant 
plus de secrets pour moi. A 6 h. les deux absents nous 
rejoignent et, aussitot le souper termine, le pere intime k 
tousTordre de dormir, ordre execute sur-le-champ, et de 
bonne gr&ce. 

Depart au petit jour; notre porteur malade ne nous 
retardant plus, la marche est plus rapide. Pierre, & peine 
remis d'un grave accident dont il a et6 victime il y a un 
mois et demi, fait mon admiration par sa vaillance et sa 
solidite. Nos traces de Tavant-veille sont bien visibles et 
nous ne gagnons pas moins dune heure et demie pour 
franchir la distance entre le campement et le col. 

D6sormais, la partie nouvelle de Tascension va com- 
mencer. Oaspard a juge 1'anHe impraticable et nous fait 
suivre pendant une heure une pente de glace vive sur- 
montant la bergschrund; son piolet ne discontinue pas 
d'enlever de larges fragments qui glissent vers Tabime 
avec un sifflement bizarre. Nous void sur TarcHe ; mais, 
attention! elle forme une corniche en surplomb vers le 
val d'Entraigues. Personne ne d£sirant devaler vers le val- 
lon la t£te la premiere, nous redescendons un peu, et nous 
atteignons le rocher. II est. d'abord n^cessaire de se glisser 
le long d'un gros bloc qui surmonte I'ariHe et qui, pos£ sur 
elle, me paralt pouvoir tHre compart, toute proportion 
gardee, avec le « gendarme » du Weisshorn ; nous filons 



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164 COURSES ET ASCENSIONS. 

cnsuite sur le cot£ de la face qui regarde au Sud ; I'anMe 
n'est pas tres aiguv, mais plut6t arrondie et ravin£e d'une 
masse de petits couloirs; la roche est partout.solide. Bien- 
t6t nous rencontrons de larges dalles de granit que nous 
escaladons de notre mieux. Le moment d^licat est arrive ; 
de TarcHe, il nous faut nous glisser dans le premier couloir 
qui descend sur le glacier de la Pilatte ; un mauvais pas 
pourrait couter cher; mais avec les Gaspard, la prudence 
est de regie, et ce couloir que nous parcourons pendant 
une centaine de metres nous est clement. Aucune pierre 
ne vient & notre rencontre ; les efforts se multiplient, et, 
apres quelques mauvais pas, nous void sur une terrasse 
tres inclin^e qui aboutit au sommet. Celui-ci forme un 
croissant dont la convexity regarde a l'Est, et les deux 
extr£mit£s vers le col du Sellar et la Pilatte; a la conca- 
vite aboutit un grand couloir qui plonge vers le Valgode- 
mar. Void le cairn dans lequel se trouve un flacon con- 
tenant la carte de M. Goolidge et celle de M. Gabett. Tout 
en d£posant les n6tres, nous nous mettons en devoir de 
satisfaire notre app£tit bien aiguis<3 par l'exercice. Nous 
retirons quelques victuailles de nos poches, car les sacs 
sont restes au col, et cependant l'oeil ne perd pas un 
instant et se tourne ravi de tous c6t£s. Je m'attendais un 
peu a une deception a cet £gard ; les Bans, places a l'extr£- 
mit6 de la chaine, ne me semblaient pas un centre de 
panorama bien plac£ ; je fais ici mon mea culpa. Sans doute, 
certaines cimes, laMeije entre autres, s'y effacent; mais, 
d'autre part, la face Sud des Ecrins nous 6tale chacun des 
obstacles que nous avons rencontres l'autre jour; a droite, 
xoM le Pelvoux, le Pic Salvador-Guillemin, l'Ailefroide 
et ses trois cimes; du cote du Yalgodemar, le spectacle est 
encore plus surprenant. Sans parler de cette paroi mtfri- 
dionale des Bans, h6riss£e de dentelures, que M. Gabett 
tenta vainement de vaincre, rien ne saurait rendre le 
contraste des neves etincelants du Sirac et de la roche 



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VOYAGE EN ZIGZAG DANS LES ALPES FRANQA1SES. 165 

du Jocelme et du Bonvoisin travailtee par les Elements. 
Leurs flancs d6chiquet£s ont une teinte boueuse; ils 
doivent tUre bien dtfsagr^gt^s, car sous nos yeux un vrai 
pan de montagne se d^tache ct roule avec fracas sur les 
pontes du glacier du Sellar. 

Au dela, le Valgodemar, ses prairies, ses pauvres villages 
dont les cloches envoient par moments de faibles sons 
niourir & nos oreilles. 

Une heure n'est pas trop pour contempler ce spectacle 
magique, et chacun semble avoir peine k se remettre en 
route. La descente s'accomplit par la mcme voie. Nous 
suivons cependant l'ar<He jusqu'au col, car elle est moins 
eflrayante en r6alit<5 qu'elle ne l'avait semble k Gaspard; 
ensuite, pour Ja quatrieme fois en deux jours, nous par- 
courons le glacier de la Pilatte dans toute sa hauteur; plus 
heureux cependant cette fois, car le succes a recompense 
nos efforts, et le soir, k la B£rarde, choquant nos verres, 
nous buvons k la derniere victoire qu'il nous reste k rem- 
porter : c'est la Meije que nous voulons vaincre, H£las ! il 
y a loin de la coupe aux levres! 

REVUE ALPINE 

l f c ascension, 14 juillei 1878. M. W.-A.-B. Coolidge; guides : Chris- 
tian Aimer pere ct fils. 

2« ascension, juillet 1881. MM. Oabett et Baker; guides : J. Loch- 
matter et Aloys Pollinguer. 

3« ascension (I™ franoaise), 10 aout 1884. MM. Gustave et Paul En- 
gelbach ; guides : Gaspard et ses deux fils. 

Horaire (sans halte). 

Du Carrelet au bas du glacier 1 h. 13 min. 

Du bas du glacier au col 2 h. 30 

Du col au rocher 1 h. 30 

Du rocher au sommet 2 h. — 



Total 7 h. 15 min. 



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16ti COURSES KT ASCENSIONS. 

Descenle. 

Du 8ommet au col 2 h. 30 min. 

Du col a la Berarde 4 h. 45 



Total. . . 7 h. 15 min. 

COL DU CLOT DES CAVALES (3,128 mkt.) 

Campus au Ghatelleret, le lendemain nous nous pr£pa- 
rons a livrer une derniere bataille. Nous soinmes pleins 
d'espoir, le temps est beau ; mais, h£las, lorsque Gaspard 
sonne le r6veil, les nu£es tournoient rapidement autour du 
colossc que nousvoulions affronter. Gaspard est un oracle: 
il ne veut pas monter, il n'y a plus qu'a se r^signer, et, 
comme son engagement avec nous finit le soir m£me, nous 
terminons notre campagne un peu vulgairement par la tra- 
verse du col du Clot des Cavales. Gelui-ci m^rite d'ailletirs 
d'etre vu ; il joint a Tavantage d'offrir de tr£s beaux points 
de vue Tabsence de tout danger, et si son sommet n ? 6tait 
pas defendu par une pente de glace, les mulcts le franchi- 
raient encore aujourd'hui comme jadis. A TAlpe nous re- 
trouvons la civilisation sous la forme d'un sentier, et a 
i h. nous arrivons a la Grave. Jusque-l^t le beau temps s'est 
maintenu, et nous pestons tout bas contre notre timidite 
du matin; timidite bien justifiee cependant, car 1'orage 
entre a la Grave avec nous et se met a faire rage sur la 
Meije. 

Que Ton me permette une petite digression au sujet de 
la Grave. On y trouve un hotel assez bien tenu, on peut y 
arriver en voiture : il est done assez incomprehensible de 
n'y rencontrer que peu de touristes, et jen suis encore a 
me demander ce qui fait pr£ferer la Suisse a la plupart de 
nos compatriotes. Seraient-ce les prix exorbitants qu'exi- 
gent dans ce pays les guides et les h6teliers? Je connais 
une autre classe de touristes : ceux-la r^clament surtout 



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VOYA0C EN ZIGZAG DANS LES ALPES FRANgAlSES. 1H7 

• 

b vue des pics les plus £lev6s, et les 13 met. qui man- 
quent a la Meije pour atteindre le chiflre de 4,000 met. 
leur semblent un argument pe>emptoire. Que leur repon 
dre? sinon : Allez voir, et dites-moi s'il existe a proximite 
d'une grande route carrossable d'acces aussi facile que 
celle de la Grave un pic comine celui de la Meije et des 
glaciers comme ceux du Tabuchet ou du Mont de Lans. 
Mais j'oublie qu'il n'y a de pires sourds que ceux qui ne 
veulent entendre. Je ferme done la parenthese. 

Afin d eviter les mortelles heures a passer dans la dili- 
gence de Grenoble, et aussi afin de jouir de la vue des Ai- 
guilles d'Arve, nous nous d^cidons a descendre en Mau- 
rienne. Nous serrons done la main des Gaspard, et, apres 
une journ^e passed a courir autour de la Grave, nous nous 
engageons dans le vallon du Gol£on. Notre projet est de 
passer le col des Trois Pointes des Aiguiltes entre TArgen- 
tiere et la Pointe meridionale d'Arve. Nous aurions 6t6 trop 
heureux en jouissant du beau temps pendant notre der- 
niere course. L'orage arrive, et n'osant sans guides nous 
aventurer sur un col peu connu, nous nous rabattons sur 
le Goteon d'ou Ton jouit heureusement d'uiie vue qui Iui 
fait pardonner son insipide monotonie. Pour rester fideles 
st nos habitudes, nous essuyons une forte bourrasque au col 
de Valloires, et e'est tremp^s jusqu'aux os que nous retrou- 
vons a Saint-Michel l'expression la plus elev£e de la civili- 
sation, sous forme d'un train de chemin de fer. 

Paul Engelbacii, 

Membre du Club Alpin francais 
(Section de Paris). 



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VIII 

ASCENSIONS 

VIGNEMALE (3,298 met.) : DEUX ASCENSIONS.— TROIS MESSES DANS 
HON REFUGE PRtS DU SOW MET : NEUF JOURS A 3,200 METRES 
D ALTITUDE. 



Comment se fait-il qu'un 6tre aussi sociable, aussi sen- 
sible, aussi fragile que Thomme, se laisse si facilement 
s6duire par le desert, la solitude, et le silence des champs 
de glace? Lui que la in61odie fait tressaillir, -et que le froid 
repousse toujours, comment peut-il s'6prendre des preci- 
pices de raarbre, des aiguilles d£labr£es de granit, et des 
neiges 6ternelles, c'est-k-dire de ce qu'il y a de plus muet, 
de plus glacial, et de plus morne au monde? D'oii nous 
vient, en un mot, la passion des montagnes? Ne sont-elles 
pas les symboles les plus trisles et les plus 61oquents de la 
vieillesse, de la decrepitude et de la mort? Comment ana- 
lyser, comment comprendre le charme toujours nouveau 
que trouve le coeur humain, Torgane par excellence de la 
tendresse, h s'exiler dans les glaciers, dans 1'eternel hiver 
et la desolation des monts en ruines, au bord des lacs 
fun&bres et des ablmes en deuil sem£s de larmes de neige, 
et le plus loin possible des hommes, \h oil il n'y en a plus 
trace? Je ne vais pas jusqu'i conclurc de 111 qu'il faille 
absolument 6tre seul pour s'6mouvoir vivement devant les 
grands spectacles de la nature. Mais... peu s'en faut. Est- 
ce un £tat morbide de Tdme, que ce besoin de recueille- 



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ASCENSIONS. 169 

ment et d'isolement, quand on Sprouve une Amotion sin- 
cere, profonde et douce? Non, mille fois non. L'amour un 
peu misanthropique de la nature n'est pas une maladie : 
ce n'est qu'un paradoxe et un mystfcre. Notre £me est 
pleine d'6nigmes. Les vrais malades, ce sont ceux qui pr6- 
tendent, et qui croient rtellement que plus on est nom- 
breux dans une course de montagnes, plus elle est agr6able 
ct utile. Quelle 6norme h6r6sie ! C'est comme si on disait 
que le meilleur moyen de lire un livre, de le mettre & pro- 
fit, ct d'en jouir, c'est d'en faire la lecture en commun. 
cinq ou six h. la fois, se tenant par la main, et tout haut, 
C'est bon pour un journal ! C'est du militarisme ! 

Ce qu'on 6prouve en caravane n'a gu6re d'analogie avec 
le veritable amour de la nature. C'est tout autre chose : 
c'est un autre ordrc d'id6es. On jouit les uns des autres : 
c'est de la sociability mais ce nest plus de l'enthousiasme : 
il devient impossible. De m&me dans un concert : ceux qui 
causent ne sentent pas la musique, car leur Ame est ail- 
leurs. 

Gardons-nous cependant de soulever une discussion 
psychologique qui menacerait de devenir aussi ardente 
qu'elle serait inutile ; et bornons-nous & constater, h rap- 
peler le fait que l'homme, pourvu que dans ses veines il y 
ait une goutte de sang du Nord, a des recoins sauvages 
dans le fond de son &me, surtout apr6s avoir, comme moi, 
passe vingt-cinq et6s & gravir les montagnes, souvent seul ; 
a vivre chezelles, surellesj'allais presque dire « comme » 
elles! II en rSsulte qu'au bout de tant d'annSes de vie 
nomade et militante, on suit l'exemple des vieux garQons 
qui se marient pour « faire une fin ». On adopte une mon- 
lagne, on l'6pouse, on l'adore, on la pr6sente fierement h 
ses amis, et on finit par lui trouver tant de vertus et de 
beaut6s, par l'idealiser h. un tel point, qu'on n'a plus 
dyeux doux, plus d'amou.r que pour elle. 

Jen suis arrive \k pour le Vignemale. A force d'y vivre, 



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170 



COURSES ET ASCENSIONS. 



j'en suis devenu tout h fait amoureux. Ce sera mon excuse 
pour y ramener encore une fois les lecteurs indulgents de 
YAnnuaire. Mais avant d'entreprendre le recit des deux 
expeditions que j'y ai faites l'et6 dernier, je tiens h leur 
donner quelques details pratiques, et m£me assez cuomul, 




,c^ 



Le Vignemale. vu du Pimene. 
Dessin de Fr. Schroder, d'apres nature. 

sur mon abri creuse prfcs du soinmet, sur la mani&re de 
s'en servir, sur les services qu'il m'a rendus, et sur le 
genre de vie que j'y ai adopts. 

Etablissons d'abord le fait, prouve par l'expSrience de 
trois 6t£s, qu'en g6n6ral on ne pourra ni coucher dans 
cette grotte, ni m&me y p6netrer, avant le |mois d'aoftt, k 
moins de la vider par des moyens artificicls. Mais en 
revanche, la neige ne la bloquera jamais avant le mois 
d'octobre. Elle sera done utile pendant deux mois. Si on 
voulait l'utiliscr avant le mois d'aotit, il suffirait d'y en- 



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ASCENSIONS, 171 

voyer deux hommes munis (Tune pelle et <Tbb piolet, avec 
un peu de bois ou de charbon. En deux jours la cavern e 
serait prdle. Le premier jour, on la d^barrasserait cte 
neigc, et le lendemain on y entretiendrait du feu jusqu'i 
ce qu'ello fut seche. (Test bien facile. 

C*est pour n'avoir pas pris cette precaution 616mentaire 
que, le 29 juillet dernier, j'ai dft coucher sur de la glaco, 
avec mes deux porteurs, Haurine et FranQois Salles. Mais 
la lecon a 6t6 bonne, et j'aurai soin d'en proftter. Les pre- 
miers qui se servent de 1'abri chaque annee devraient 
aussi, la veille ou le matin de leur depart, y faire monter 
de Therbe. 11 n'en manque pas au pied du grand glacier 
d'Ossoue! 11 n'y a qu'iSt la faucher. 

Tout cela complique un peu une ascension, j'en con- 
viens; mais ce n'est qu'a ceprix qu'on peut vraiment dor- 
mir dans un rocher h 3,200 met. d'alt. Sans cela on souffrc, 
on passe toute la nuit blanche, et on descend bris6 par la 
fatigue, sans avoir joui de rien. 

Quant au reste, j'en r^ponds. Une fois ma grotte vid6e, 
s6chee et tapiss^e d'une bonne couche d'herbe, elle se 
comportera bien. Jamais personne ne Fa trouv6e humido 
ou froide. Jamais non plus le vent ne l'a frappee de front : 
il ne le pourrait pas. Au moins neuf jours sur dix, c'est le 
vent d'Ouest, ou du Sud-Ouest, qui souffle sur le Vigne- 
male : disons le mot, il y fait rage, surtout le soir, au 
moment du coucher du soleil. Depuis 7 heures, il passe 
de telles rafales sur le col de Cerbillonas, qu'on risque 
parfois d'etre renvers6. Elles viennent de FAtlantique, et 
dfes que le soleil a disparu, leur violence diminue. C'est 
une coincidence tres myst6rieuse. Mais ma caverne s'ou- 
vrant k l'Est-Sud-Est, nous n'avons rien k craindrc de ce 
vent-l&. 11 rugit : voihk tout. Au Nord, 1'abri est proteg6 
par la cr6te du Vignemale, dont les murailles forment une 
digue de 100 m&t. de hauteur; et au Midi, par la puis- 
sante arfcte qui, du Cerbillonas (3,246 m&t.), descend au 



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172 COURSES ET ASCENSIONS. 

Montferrat (3,223 mfct.). Nous sorames au fond d'une 
baie ouvertek l'Est. Notre seul ennerai possible serait done 
le vent d'Est; car de ce c6t6-l&, iln'y a aucun obstacle: 
Thorizon est sans borhes. Ce vent pourrait nous arriver 
depuis la M6diterran6e et fondre sur nous avec la force 
terrible que lui donnerait un 61an de 300 kilom. Mais, jus- 
tement, il ne souffle pas. Done, auCun vent & craindre : et 
e'est beaucoup, dans un pays si froid. 

Dans les longs jours, le soleil ne nous quitte qu'k 1 h. 
Sur le col de Cerbillonas, qui s'ouvre de TEst k TOuest, il 
brille toute la journee. Quand mes porteurs sont fatigues, 
e'est \k qu'ils vont dormir comme des lizards. Le 31 juil- 
lct, j'ai observe 46° centigr. au soleil ! 

De la rarefaction de Fair, nous avions bien des preuves. 
D'abord, ressoufflement que nous causait le moindre tra- 
vail, quoique sans aucun malaise. Puis la faiblesse de la 
lumifcre que donnaient nos bougies. Geci 6tait assez gfinant. 
Leur flamme 6tait si courte, si pile, si 6triqu6e, qu'on 
avait beau en allumer, on y voyait trfcs mal. M. J. Yallot, 
laimable et jeune savant qui fit k mon abri Thonneur de 
s'en servir deux fois, explique ce ph^nomene d'une autre 
mani&re. II Tattribue au fait que ma caverne est noire, 
ainsi qu'& Tabsorplion rapide d'une grande dose d'oxyg£nc 
par les poumons de huit ou neuf personnes ayant k peine 
■Id met. cubes d'air a respirer. L'air est vici6. Toujours est- 
il que, dans une atmosphere subtilisee, la combustion, ipso 
facto, est ralentie, m&me k Fair libre, ou dans une chambre 
inhabitee : car dans un temps donn6, il brule moins 
d'oxygfcne qu'au niveau du la mer, et la lumifcre doit en 
souffrir. 

D\ipr&s M. Vallot, le point debullition de Teau, dans 
mon abri, est k 89°, 2 ; au sommet du Vignemale, k 88°, 8 ; 
sur le Mont-Blanc, j\ 84°. 

Un ph6nom6ne des plus bizarres, e'etait l'dtincellement 
de mes paupi&res pendant la nuit, chaque fois qu'elles se 



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ASCENSIONS. 173 

rouvraient. Au raoindre mouvement un peu brusque de 
mes ycux, il en sortait tant de petits Eclairs, que je crai- 
gnais de meltre le feu k mes voisins, ou d'allumer la 
paille. Je voyais mille chandelles, aprfcs les avoir toutes 
6teintes. J'etais pass6 k l'etat de briquet. J'6tais bien plus 
dangereux qu'une allumette de la r£gie. Serait-ce un des 
mysteres de l'61ectricite dans un air sec et rarefte? (Test 
bien probable, puisqu'on n'y comprend rien. 

Un mot maintenant de la capacity de mon refuge : ques- 
tion vitale dans une region oil il pourrait devenir impos- 
sible ou mortel de coucber en plein air. 

La grotte a 16 mfct. cubes, et sa surface est de 8 met. 
carrSs. A sept, on dort trfcs bien ; k huit, moins bien ; a 
neuf, tr&s mal ; et kdix, pas du tout. Apr&s cela, on s'ecrase. 
Vingt-cinq personnes peuvent s'y tenir debout, sans se 
baisser. 

Un fait assez curieux pour etonner M. Tyndall lui- 
m£me, malgr6 son experience des glaciers de la Suisse, 
c'est la rapidite extraordinaire de l'evaporation des neiges 
k ces hauteurs, sous un soleil pyren6en. A cela il y a sans 
doute deux causes : Textr^me s6cheresse de l'air, et sa 
diminution de density, qui, dans nos latitudes, donne une 
puissance 6norme aux rayons du soleil. 

Aprfcs de minutieuses observations faites k la source du 
glacier oriental du Vignemale dans le courantde trois an- 
nees, je me suis convaincu qu'en 6t6, la plaine de neige 
qui sert de reservoir k ce glacier s'abaisse d'au moins 2 mM. 
par mois sousle seuil de ma porte : ce qui fait qif en quatre 
mois, dur6e probable de la fusion, le niveau du glacier 
doit descendre de 9 metres environ. (Test certainement le 
minimum. Et c'est pourquoi j'ai fait sceller de petites barres 
de fer dans le rocher, sous Torifice de mon abri; sans quoi 
il deviendrait souvent inaccessible k la fin de Y6ti. Avant 
la canicule, c'est 1'inverse qui arrive. La caverne est alors 
invisible : elle est aussi masquee par le glacier qui la do- 



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174 COURSES ET ASCENSIONS. 

mine, que celles qui disparaissent au pied de nos falaises 
sous les immenses marges de l'Oc6an, et ce n'est qu'H la 
fin de juittet quelle recommence k voir le jour. 

Et c'est alors aussi que reparaissent les fleurs ; car il y 
en a sur le Vignemale. Sans doute, leurs 6pith£tes font 
grelotter : c'est si souvent du nivalis, du glacialis, du 
Grcenlandica ; mais elles ont des couleurs, et se comment 
m6me de charmants papillons. D'ailleurs, il y en a 
d'autres, aux noms plus doux. M. Vallot m'ayant g6n6reu- 
sement autorise h publier la lisle des plantes qu'il a trou- 
pes entre le pic de Cerbillonas (inclusivement) et la cime 
du Yignemale, les voici : 



Hutchinsia Alpina, R. Br. 
Draba aizoides, L. 

Drabotomenlosa, Waulenb; var. frigida. 
Silene acaulis, L. 
Cerastium Alpinum, L. 
Saxifraga oppositt folia, L. 
Saxifraga muscoides, Wulf. 
Saxifraga mixta, Lap.; var. iratiana. 
Campanula pusilla, Hcencke. 
Androsace pubescent, D.C.; var. ciliuta. 
Oxyria digt/na, Campd. 
Poa laxa, Hoencke. 
Festuca rubra, L., forma Alpina. 

Une mousse, non fructifiee; 14 lichens, dont un nou- 
veau, Lecidea Valloti. 



Quant au r&gne animal, depuis que je me suis fix6 sur 
le Vignemale et qu'on y trouve de quoi manger, il y a pris 
une certaine extension. Ge n'est plus un desert. Sans par- 
lor des isards, j'ai vu, tout au sommet du pic, un campa- 
gnol des neiges. Une abeiile m'a tenu compagnie quelque 
temps. J'ai vu des mouches, ainsi qu'une araign£e. Les 
vautotirs et les aigles me regardent, mais de loin. Les 
indolentes coccinelles (b&tes du bon Dieu) sont trfcs com- 
munes. Enlin j'ai pu si bien apprivoiser trois chers petits 



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ASCENSIONS. 175 

pinsons l'et6 dernier, qu'ils ne me quittaient plus. lis pas- 
saient tout Ieur temps k me faire des yeux doux, k sauliller 
sur le glacier, k s'y laver, et k manger devant ma porte. 
Us s'envolaient le soir sous un rocher voisia, et revenaient 
me dire bonjour au lever du soleil. CTetaient toujours les 
m&mes : je leur avais donne des noms, et je me mis vrai- 
ment k les aimer. lis n'avaient qu'un defaut : ils ne chan- 
taient jamais. Ge n'etait pas le cas de dire : « gai comme 
pinson ». S'ils avaient eu un peu de voix, nous aurions pu 
organiser quelques trios, pour les grands jours de recep- 
tions extraordinaires. Peut-Gtre que le silence de la nature 
leur faisait peur... C'est contagieux. 

Sur le climat d'6t6 de ces pays glac6s, comme il y en 
aurait long k dire! II ne ressemble k rien; ni k l'6t£ ni k 
l'hiver des plaines, et il n'a m&me aucune analogie avec 
l'hiver du Nord. C'est un violent melange des quatre sai- 
sons ensemble. C'est un climat « extreme », dans toute la 
force du terme. 11 est vrai qu'on s'y porte k merveille ; 
mais c'est k condition de bien veiller sur sa poitrine, et 
d'gviter un rhume, ce qui n'est pas Facile : car on grille au 
soleil et on gele k c6te. On a parfois 30° centigr. de diffe- 
rence entre le soleil et l'ombre! 11 y a aussi des hearts 
incroyables entre le jour et la nuit. II en r6sulte qu'on 
passe k chaque instant de rete k l'hiver; m&me au repos, 
quand on est expose k la fois au soleil et au vent, on a 
tout un cdte du corps litteralement transi, et Tautre i*6ti. 
Dans ces conditions-Ik, un rhume est bien vite pris et 
devient grave en quelques heures ; c'est presque inevitable, 
lorsque sur une surface d'un kilom. carre on trouve toutes 
les temperatures imaginables. 

Mais k l'etat normal, de quelle sante on jouit, dans un 
milieu si pur et si tonique! En huit jours on devient un 
athlete! 

En general, le ciel est bien plus bleu que dans la plaine, 
el m£me qu'& Gavarnie. Les nuits surtout sont admirables. 



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176 COURSES ET ASCENSIONS. 

La neige leur donne Teclat ct la splendeur des nuits du 
Nord, mais sans leur froid terrible ; au mois d'aoftt, il gele 
k peine, et le matin il fait presque toujours de 3° k 5°. Les 
orages sont superbes, mais un peu trop frequents. L'ete 
dernier, c'est devenu un abus. La pluie est rare, presque 
inconnue : car je n'ai vu pleuvoir qu'une fois. 

Jusqu'& la fin d'aoM, on peut compter sur une tempera- 
ture de 7° k 10° k TintSrieur de ma caverne, pendant la 
nuit, sans feu. Si on allume le poGIe que m'a obligeam- 
ment donn6 M. Henri Bellou, de Gavarnie, on peut la faire 
monter k 15°. 

Voici maintenant Thistoire des deux voyages que j'ai 
faits au Vignemale cette annee. Le but unique de ma pre- 
miere campagne 6tait de d£bloquer ma grotte, de la s6cher, 
ct de la rendre aussi digne que possible de la cer£monie 
auguste qui, quelques jours plus tard, allait en faire la 
chapelle la plus haute de TEurope. II faut avouer que sa 
toilette laissait encore beaucoup k desirer ! Elle 6tait pleine 
de neige le 20 juillet ! 

Je profitai de Toccasion pour cacher qk et \k 7 comme on 
le fait dans les expeditions arctiques, des d£pdts de con- 
serves, dont le besoin pourrait peut-Gtre se faire sentir 
plus tard, s'il venait des touristes affam£s : car le froid 
rend vorace. 

Je montai done k la fin de juillet (29), avec mes deux 
athletes, Haurine et Salles. Nous fftmes bientdt temoins 
d'un spectacle eflrayant, et qui tenait vraiment du mer- 
veilleux. Dans la soir6e, a 8 h. 1/2, apres la fin du cre- 
puscule, alors qu'il faisait nuit, une rougeur tropicale 
ct sanglante, venue de l'Ouest par le col de Cerbillonas, 
incendia subitement toutes les neiges du Vignemale. Elles 
devinrent Gcarlates, tandis que les rochersrestaientaffreu- 
sement noirs, comme les 6cueils d'une mer de sang. C'£tail 
indescriptible, pour ne pas dire terrible. Je me soitvins 
alors du Krakatoa, l'infortune volcan bris6 que Ton ac- 



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A8CENSI0NS. 177 

cuse d'avoir chang6 toutes les couleurs du ciel, en le cou- 
vrant de cendres et de fumee. C'etait peut-fctre l'adieu 
supreme qu'il envoyaitau monde. Dans tons les cas, c'etait 
sublime, on serait m6me tenU» de dire « surnaturel ». 

Le sol de ma caverne etant encore couvert de glace 
(29 juillet!), notre premiere nuit fut desastreuse. Chose 
etrange cependant : gr&ce ft. ma belle porte neuve en t61e, 
il ne faisait ni froid, ni mfcme humide k rint6rieur; lair 
etait tiede et sec. Mais. sous notre dos, la glace fondait, et 
nous dormimes dans l'eau. 

Le lendemain fut employ^ & enlever la glace, qui r^sista 
beaucoup ; h d6molir les masses de neige qui masquaieht 
le solcil ; k faire secher sur les rochers brulants du col 
Therbe de Tannee derniere, que nous trouvAmes intactc 
entre la glace et le sol. Le froid l'avait sauvee de la putre- 
faction. 

Nous fimes ensuite de Tornementation. Creusant une 
profonde ruelle de neige devant Tabri, une sorte d'avenuc 
bien droite, nous lui donn£mes de trfcs grands airs. Plus 
tard, quand le glacier baissa, cornme il etait un peu en 
pente, j'y fis un escalier de glace. Qa. devenait magistral, 
et mon petit palais prit alors une tournure si grandiose, it 
inspirait tantde curiosity il avait l'air si niysterieux, qu'on 
aurait pu le prendre pour un de ces sanctuaires monoli- 
thiques et sombre^, ou sommeillent les Bouddhas et les 
bonzes de TAsie. 

Enfin, couvrant la neige de grandes pierres plates, je 
r6ussis a faire devant la porte une esplanade ou Ton pou- 
vait s'asseoir, et voir pendant quinzc heures par jour res- 
plendir au soleil, comme une mer de cristal, la plus vaste 
plaine de neige des Pyr6n6cs. (Test 1^, sur cette petite ter- 
rasse brulante et toujours s&che,que vivaient, s'amusaient 
et mangeaient mes pinsons; et jc jouissais de leur bon- 
heur, car je le partageais. 

Redcscendu le troisieme jour h Gavarnie de cette cxpe- 

ANNUAIRK DB 1684. 12 



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178 COURSES ET ASCENSIONS. 

dition « pr61iminaire » sur le Vignemale, j'y renvoyai im- 
m6diatement Haurine, arm6 d'une faux, pour me couper 
au pied du Montferrat autant d'herbe qu'il pourrait en por- 
ter, et la monter dans ma carerne. II alia vite. II en couvrit 
le sol d'une couche 6paisse d'au moins 20 cent., aussi 
sfcche et moelleuse qu'un matelas, et revint le soir m6me ' . 

Tout 6tant prfct, je repartis de Gavarnie le 4 aoul, tou- 
jours avec mes braves porleurs Haurine et Francois Salles, 
pour ma douzifcme ascension du Vignemale, ou jerestaicette 
fois neuf jours sans redescendre, & 3,200 mfct. d'alt. (Test la 
campagnela plus neigeuse et la plus fantastique que j'aife 
faite en Europe. Dans son ensemble, elle se presente k 
mes souvenirs comme un voyage en Laponie, mais avec le 
tonnerre des tropiques. Jamais je n'oublierai ces merveil- 
leux contrastes de vent violent et de soleil, de neiges sans 
fin et de lumifcre equatoriale, de calme supreme et d'orages 
effroyables, de cr6puscules sauvages et de nuits bleues. 
Ajoutez k cela, pour le c6t6 moral, le changement conti- 
nuel dans ma vie, dft aux alternatives subites et quoti- 
diennes de solitude complete pendant le jour etde visites 
nombreuses presque tous les soirs, et vous aurez alors 
une idee vague de Texistence Strange que je menais k 
une centaine de metres du sommet du Vignemale. Etant 
presque toujours seul de 8 h. du matin k 3 h., pendant que 
mes porteurs allaient chercher des vivres au plateau des 
Oulettes (1,860 met.), c'6tait un peu la vie d'un Robinson 
que je menais pendant sept ou huit heures par jour avec 
mes trois oiseaux. Mais quand, plus tard, ma grotte se 
remplissait de monde, je me civilisais le plus que je pou- 
vais, i\ Tarriv^e de mes semblables. 

Le premier soir, j'eus le plaisir de loger deux confreres 

4. Pour porter de grandes charges avec le moins de gene possible, 
je recommande un certain sac styrien en toile (Ruck-sack), extreme- 
ment fort et tres leger. Je dois le mien a l'amabilite de mou illuslre 
collegue de V A/pine Club, M. Tuckett. H. R. 



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ASCENSIONS. 179 

sympathiques, montagnards v6ritables, militants, et tou- 
jours «surlabr6che ». C'6taient MM. Wallon et Lourde- 
Rochcblave, avec les guides Brioule et Poques,deGavarnie. 
Parti trfcs tard (midi), je n 'arrival qu'au crepuscule : et en 
entrant dans ma cellule de marbre je les trouvai nageant 
mollement sur des flots d'herbe, pour ne pas dire noy6s 
dedans, etrespirant une atmosphere chauffee h 15°, gr&ce 
au po£le que venait de m'offrir, et m6me de m'envoyer k 
domicile, leg6n6reuxM. Henri Bellou, de Gavarnie. Ce fut 
Gr6goire Junt6 qui le monta sur ses 6paules, en une demi- 
journ6e, po&le, charbon et tuyau ! L'ensemble devait peser 
25 kilos. 

A 5 h. du matin, comme des lueurs rouges entraient d£j& 
dans ma caverne, nous sortlmes pour saluer le soleil. 
G'est un moment si solennel sur les montagnes neigeuses 
et th&Mrales qui narguent audacieusement le monde, et 
s'6clairent avant lui! J'ai vu vingt-quatre aurores sur le 
Vignemale, mais je n'en oublierai jamais aucune. 

Le ciel £tant sans nuages, M. Wallon en profita pour 
prendre quelques vis6es, puis de brillantes photographies 
ou le glacier joue un tel role, ou la neige se d^roule sur 
de telles etendues, qu'on croit y voir les plus blanches 
cimes des Alpes. Elles ressemblent aux dessins 6blouis- 
sants que l'illustre Nordenskjold a rapportes naguere du 
Groenland. C'6tait pourtant le 4 aout. 

Helas! mftme k 3,201 mfct., on est parfois malade; et 
M. Lourde souffrait beaucoup d'une fluxion aux gencives. 
Mes deux aimables collogues durent done parlir, aprfcs un 
court s6jour d'une vingtaine d'heures, et je les vis tris- 
tement disparaitre vers 10 h. derrifcre Timmense convexity 
de glace qui, cette ann6e, formait a l'Est une vraie col- 
line ft 100 m<H. de ma grotte, en me cachant quelques 
montagnes que je voyais les autres ann6es. Gomme mes 
porteurs descendirent en m&me temps aux Oulettes, je 
restai seul jusqu'i 4 h. ; mais j'avais mes pinsons. 



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180 COURSES ET ASCENSIONS. 

Je ne sais plus quel jour ma solitude dura dix heures, 
pendant lesquelles j'essuyai tant d'orages, qu'a parti r de 
midi je ne pus gufcre sortir. Je restai prisonnier dans ma 
grotte, k voir tomber la grfcle, & 6couter le fracas du ton- 
nerre, et k entendre siffler le vent commc au mois dc 
d6cembre. J'avais des pensees noires... II est si desolant 
de grelotter au mois d'aotit ! A un moment donn6, il eclata 
trois orages k la fois. lis m'cntouraient d'un cerclc 
d'eclairs, et chacun d'eux avail un timbre particulier, unc 
voix &lui, toute diff6rente de celle des autres. Je les recon- 
naissais k leurs detonations. Quant au Vignemale, noir de 
frayeur, et couch6 tristement sur la neigc, il avait Tair 
d'un monstre bless6. Sa pointe 61octris6e ne cessait dc 
mugir, et trfcs souvent j'en entendais sortir un bourdon- 
nement atroce et menaQant. 

Ces choses font beaucoup plus d'effet quand on est 
seul, et elles expliquent qu'on ne s'ennuie jamais sur lcs 
montagnes. L'aspect de la nature y change k chaque in- 
stant. Et puis, il y a les e\6nements inattendus. Ainsi, 
entre deux orages, je re^us la visite d'un isard solitaire et 
pensif qui fl&nait sur la neige. Ne pouvant pas me voir, il 
vint si pr&s de moi que si j'avais 6t£ dehors, j'aurais faci- 
lement pu l'atteindre avec une picrre. II etait triste. Je 
crois qifil en avait assez de Texistence. 

On le voit done, m6me seul, j'avaismille distractions ; et 
tous les soirs il arrivait du monde. Ma grolle devint un kalei- 
doscope ou plus de qualre-vingts personnes (touristes et 
guides) se succedfcrent dans Tespace de neuf jours! On 
m'apportait tant de bonnes choses que lcs r61es furent 
intervertis ; c'esl moi qui recevais une hospitality char- 
mante, au lieu de Texerccr. 

Je n'oublierai ni le madfcre ni le porto dont vint me 
r^galer un spirilucl causeur arrive de Bordeaux, M. Lorenz 
Preller ; ni le bon vin de France que m'envoya d&icate- 
ment rexcellent M. Brullo ; ni les vertus et le parfurn du 



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ASCKNSIONS. 181 

the que m'apporta de Pau M. Daniel, le roi des tricyclistes. 
Comme j'aime aussi a me rappeler M. Emile Belloc, qui 
futmon h6te pendant deux jours, et qui, avec autant de 
soin et d'obligeance que si j'avais 6te une femme, passa 
des heures entieres a me photographier un peu partout 
sur le plus beau glacier des Pyr6n6es ! M. Regelsperger 
m'int^ressa vivement aux fulgurites, et le bon M. Brulle, 
devinant le plaisir que j'aurais h le voir, remonta tout 
cxprfcs au Vignemale. Ges messieurs et bien d'autres me 
g&tferent ; je devins difficile. II n'y a qu'une chose qui leur 
manquait generalement, et que je considfcre comme de 
premiere necessity sur les montagnes, quand on y fait un 
long sejour : c'6tait Tesprit de vin. Mais j'en avais une 
provision illimit6e, pour faire chauffer la viande et bouillir 
les liquides : car boire et manger froid dcsseche tellement 
la bouche qu'au bout de quelques jours on ne peut plus 
rien avaler. Faire la cuisine en r&gle a* une si grande hau- 
teur etant un art trfcs dispendieux et difficile, h cause de 
la cherte du combustible, j'utilisais I'esprit de vin pour 
tout : c'etait beaucoup plus simple, un peu moins cher, 
ct plus vite fait. 

L'annee dernifcre, comme il n'y avait pas une goutte 
d'eau a une lieue a la ronde, la neige 6tait notre seule 
ressource : nous la faisions fondre au soleil, s'ii y en avait ; 
sinon nous la faisions bouillir. Tout cela ctait trfcs long. 
Mais cette ann6e Theil fit une magniflque trouvaille : il 
d6couvrit h cinq minutes au Sud de mon abri, dans uneile 
de cailloux, un suintement d'eau si permanent, que nous 
pouvions en remplir une bouteille par minute. Quel tr6sor 
que cette « source » ! Elle valait une mine d'or. 

Etant ainsi muni d'esprit de vin et d'eau & discretion, 
je pus toujours faire de la soupe, du th6, du chocolat, du 
punch et du caf6 en moins de cinq minutes, ce qui, avec 
de bons cigares et des convives intelligents, ne contribuait 
pas peu & Tagr^ment de nos soirees. C'est vers 11 h. 



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182 COURSES KT ASCENSIONS. 

queje servais le punch, que Ton trouvait toujours trop 
chaud! En verit6, en me rappelan! alors le Vignemale 
cTautrefois, il me semblait rfcver! Comme nous sommes 
loin des temps oil il passait pour indomplable! Il'n'y a 
pourtant que cinquante ans de cela. II est devenu l'asile 
d'un sybarite, et il ne rougit pas. 

Un jour, nous nous permlmes d'augmenter sa hauteur 
de 2 mfct., en y Levant une tour superbe, afin qu'il 
atteignit le chiffre rond de 3,300 mfct. Cette tour 6tait 
si grande, quon la voyait, mfcme k l'oeil nu, du lac de 
Gaube. Mais la nature, se r6voltant sans doute contre 
cette profanation d'une de ses ceuvres, foudroya notre 
Babel, qui fut an6antie le sixieme jour. Voilft oil mfcne 
Torgueil I 

Je passerai sous silence mille details de ma vie singu- 
lifcre sur ce Tibet pyreneen, auquel je m'attachais de 
plus en plus chaque jour : car il y a \k des charmes qu'il 
faut avoir gotit6s pour les comprendre. Je n'en donne 
qu'une id6e g6n6rale. Mais je ne puis omettre la solen- 
nelle et memorable cer6monie qu'6claira un matin le 
soleil, en se levant le 12 aoilt sur les neiges orientales du 
Vignemale, oil il salua de ses premiers rayons trois pr&tres 
disan£ la messe devant un auditoire de prfcs de trenle per- 
sonnes, sur une cnHe d6solee sdparant deux nations, h 
3,200 met. au-dessus du niveau de la mer. G'etait plus 
qu'un spectacle : c'6tait un 6v6nement absolument unique 
dans Thistoire de TEurope. 

Tenant pour respectables toutes les croyantes honn^tes, 
je n'en froisserai aucune, et je n'entrerai pas ici sur le 
terrain sacr6 de la theologic. Je me contenterai done de 
raconter les faits. J'61iminerai ce qu'ils avaient de plus 
touchant et de plus beau, leur c6t£ religieux et mystique, 
et je n'en parlerai qu'en montagnard 6mu par un tableau 
sublime qui, jusqu'alors, ne s'etait vu que sur les Cordii- 
leres des Andes. 



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ASCENSIONS. 183 

La veille, le 11 aout, Taprfes-midi n'avait 6t6 qu'une 
suite d'orages si formidables que je desesp6rais de voir 
venir personne, excepts mes porteurs qui, descendus de 
bonne heure aux Oulettcs a, la rencontre des pterins, 
remonteraient h tout prix plutftt que de me laisser seul 
pendant la nuit sur le Vignemale. 

G'6lait un beau, mais effrayant spectacle, que ces 
nuages fauves et gigantesques, qui, semblables a des 
lions 6chevel6s dont le vent agiterait la crini&re, sortaienl 
en fr6missant du fond des precipices, escaladaient les 
crates avec fureur en les couvrant d'eclairs, et s'6crou- 
laient de 1'autre c6t6 avec des explosions confuses et 
metalliques, dont les echos lugubres et prolong^s allaient 
frapper la voute cendr6e du ciel, comme des blasphemes 
de la nature. D'autres, h Tabri du vent et accroches aux 
cimes, ressemblaient a des pieuvres. La terre etle glacier 
tremblaient : et j'etais seul... car mes pinsons eux- 
m&mes, pris de vertige et de terreur, m'avaicnt aban- 
donn6. Une fois, la foudre tomba si pres que je fermai 
la porte de mon abri, et, me cachant dans le coeur du 
Vignemale, j'allumai tristement une bougie. Dehors, la 
neige se lamentait comme une mer orageuse. 

Enftn, je crus entendre sortir des voix lointaines du 
fond de l'horizon des glaces. Une demi-heure aprfcs, quel- 
ques points noirs se dessinerent sur la plaine blanche, et 
vers 6 h. j'eus le bonheur de voir surgir, derrifcre une 
vague Gnorme de neige, une t6te humaine, puis deux et 
trois, enfin une caravane entiere, poussant des cris de 
joie. On aurait dit des hurrahs britanniques. J'en (is autant, 
car j'avais \k plus d'un ami ;^et j'6tais fier de ma caverne, 
car elle allait leur <Hre utile. Tout blanchis par la grfile, 
frissonnants et mouill6s, ils avaient Tair de naufrages cou- 
verts d'ecume. Mais les voila, sauv6s! Ils sont au port et 
dGbarquent dans ma grotte, ou la fraternity devient une 
loi de la nature et cesse d'etre une fiction. Dans un pareil 



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*• 



184 COURSES ET ASCENSIONS. 

d6sert, on s'aime beaucoup ou pas du tout, et la simula- 
tion est impossible. C'est comme sur un navire. A l'in- 
stant mGme nous devinmes une famille. Nous elions 
quinze. II y avait les ze!6s missionnaires de H6as, le P. 
Pascal Carrere et le P. Cassagnere, M. l'abbe Pomes, 
prfctrc de Saint-P6, qui arrivait de Rome (ce n'elait plus le 
mfime climat!); il y avait quatre touristes. dont un, 
M. Clifford, repr6sentait une des families les plus illustres 
de TAngleterre; cinq ou six guides, et Theil, l'entrepre- 
neur de ma caverne ; enfin Victor Chapelle, fils du fameux 
et regrette chasseur d'isards, et son neveu, le jeune 
Drufcne, de Luz. Un touriste vint de Pau. Tout cela ne 
semble-t-il pas une hallucination, quand on y pense deux 
mois apres, dans une ville, dans une chambre, et dans la 
vie de tons les jours? 

Nous commenQ&mes par allumer le po£le; je fis du the, 
puis nous dinAmes les uns aprfcs les autres, pendant que 
les costumes sechaient. Le poele donnait tant de cha- 
leur, qu'il fallut presque l'eteindre en y jetant des masses 
de neige. II faisait 15° centigr. ! Le vin exquis qu'avait 
eu la bonte de m'oifrir M. Brulle eut un enorme succes: 
mais m6mc avec de i'eau nous aurions lous et6 de bonne 
humeur. 

Portant un toast k l'admirable clerg6 de France, je bus 
de bien grand cceur& sa prosperity. II y eut ensuite quel- 
ques chansons, et apres le dessert, quand parurent les 
cigares, je fis passer du caf6 si bouillant, que malgre 
I'abaissement tres sensible du point d^bullition h cette 
hauteur, on se brfilait en y touchant ; on jetait meme de 
petits cris, et la vapeur faisait fumer ma grotte comme un 
volcan. 

Etions-nous done vraiment & quelques metres du som- 
met du Vignemale, et separds du monde civilis6 par un 
dexlale de precipices, par Forage et la nuit, et par quatre 
cents hectares de neige et de crevasses? Bordeaux, Tou- 



V 



ASCENSIONS. i 85 

louse et Saragosse etaient sur l'horizon visible a quelques 
pas de h\!... Etait-ce reel? Etail-ce possible? 

Apres diner, quelques-uns d'entre nous allferent, par le 
senlier de neige que j'appelais la « rue d'Espagne », se 
promener a la frontiere sur le col de Cerbillonas (3,207 met. ), 
pour y mieux voir briller la lune sur le glacier. Livide et 



Li Vignemale, vu du Pic d'Ardiden. 
d'apres un dessin de L. Lourde-Rocheblave. 

pale, il avail l'air d'un fleuve d'argent ou de mercure 
petrifie par ic froid. Un vent d'hivcr passait dessuscomme 
sur du marbre, en y roulant des nuages plus noirs que du 
charbon, qui le laissaient soudain dans uneclarl6 vitreusc, 
ceruleenne et mysterieuse, chaque fois qifils s'en allaient 
bondir et disparaitre dans les abimes. 

Mais &l'Oues(, quelles t6nfcbres! On no distinguait pas 
la terre de ralmosphere ; on ne voyait m6me pas la 
neige; et, malgr6 leur blancheur naturelle, le pic d'Enfer 
et le Balaitous se cachaient dans la nuit comme de grands 



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186 COURSES ET ASCENSIONS. 

malfaiteurs. Quand la lumifcre frappait un champ de 
glace, on aurait dit un mort flottant sur l'ombre. Nous 
avions, d'un c6t6, la Sibdrie au clair de lune & travers des 
rafales, et, de Tautre, le silence et la nuit de l'Erfebe. 
C'6tail 6pouvantable. 

A onze heures, on rentra pour le punch. Dehors, le 
vent etait tomb6 : on n'entendait plus rien. La neige bril- 
lait partout de T6clat le plus pur, et le Vignemale semblait 
une cathedrale du Canada eclairde par la lune au milieu 
de Thiver. 

A Tint6rieur.de mon abri, ou toutlemondese recueillait 
comme la nature, M. l'abbe Pom&s, debout et a haute 
voix, rdcita une prifere pour finir cette soir6e memorable. 
Puis nous nous dimes bonsoir. Je fis 6teindre le pofcle et 
les bougies, et chacun s'allongea comme il put, plulut 
pour s'assoupir que pour dormir : car etant quinze sur 
une surface aussi restreinte (8 mfet. carr6s), il fallul 
renoncer au sommeil. SpontanGment et seul, Haurine 
coucha bravement dehors. 

Le lendemain matin, le vent recommen^a, bien qu'il fit 
assez beau. Je desirais infiniment qiTune messe au moins 
fut dite sur le sommet lui-m£me; mais la violence du 
vent le rendit impossible. II fallut done se contenter de 
mon refuge ; et e'est Ik qu'& 3,200 met. d'alt. furent 
c6l£br6es trois messes, le 12 aout, en presence d'une 
trentaine de personnes ; car, le matin, il arriva encore 
beaucoup de monde, entre autres le jeune comte de 
Champeaux, de Gavarnie, avec Henri Passet, et une assez 
nombreuse caravane de Gauterels, avec M. Tabbe Bour- 
riot, M. Ross, photographe, et des guides. II faisait froid 
dehors (3° centigr.) ; mais malgr6 cela, comment se trouver 
\k sans &lre 6mu jusqu'au fond de T&me par la grandeur 
et par la po6sie d'un tel spectacle au faite des Pyr6n6es, 
au lever du soleil, et sur la rive sauvage d'une mer de 
glace? N'y avait-il pas, dans cette lumifcre arctique oil 



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ASCENSIONS. 187 

scintillaient des champs de neige, dans la virginit6 de la 
nature 6clair6e par Taurore, dans les ablmes aust&res qui 
nous cernaient, et dans rimmensitd de Thorizon, un 
ensemble non seulement plus grandiose, mais plus tou- 
chant, plus eloquent que toutes les pompes d'une basili- 
que, malgr6 la suavit6 des emotions qu'inspirent son 
cr6puscule, ses nuages d'encens et ses flots d'harmonio? 
Jamais Paris ou Rome n'ont rien vu de pareil. On se sen- 
tait plus pr&s du ciel que sous les plus belles votites du 
monde. 

Quand les trois messes furent dites, alors que le soleil 
illuminait d6ja un oc6an de pics, dorait leurs neiges, et 
allumait an loin les plaines et les collines, oix les bruits 
de la terre commen^aient a monter, le Pfcre Carrfcre, 
levant les mains au ciel, b6nit solennellement mon cber 
abri transform^ en chapelle. Une grande partie des spec- 
tateurs £taient dehors a frissonner sur le glacier, que le 
soleil frappait en vain a cette heure matinale; mais la 
pluparl d'entre eux se d6couvrirent, malgre un froid d'hiver 
et un vent sans piti6. 

Apr&s un d6jeuner aussi joyeux que n6cessaire, et des 
adieux sortis du cceur, tous les pelerins, sauf un, redes- 
cendirent : ce fut une dispersion universelle; et a 11 h., 
il ne restait sur le Vignemale qu'un jeune malade, son 
guide, les miens et moi. La solitude y reprit son empire. 
Mais j'y passai encore une nuit, et ne quittai mon gite 
que le lendemain, aprfcs avoir goiit6 pendant neuf jours 
la vie sauvage et libre d'un aigle ou d'un condor. 

Y remonterai-je? Oh oui! Je le sens bien! Comment y 
r6sister? Je les aime tant, ces chores montagnes! J'y 
reviendrai. J'irai m'asseoir encore au cr6puscule, comme 
un fiance de la nature, sur les sommetssterileset solitaires 
ou brillent les froides clart6sdu Nord; y rfcver dans Tazur 
au printemps de ma vie, et rajeunir mon cceur dans la 
blancheur et la s6renite de ces d6mes kernels, dans la 



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188 COURSES ET ASCENSIONS. 

sainted de ces Thabors de neige, oil, cerne par le vide, 
les frimas et la mort, on songe avec autant d'amour que 
de tristesse aux heures berries, aux jours trois fois heu- 
reux, aux belles ann^es qui ne reviendront plus! 

C te Henry Russell, 

Membre du Club Alpin Francais 
(Section da Sud-Quest). 



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IX 



LE VIGNEMALE 

SES DEUX VERSANTS FRANCAIS 

KT LA VILLA RUSSELL 



Lete dernier (1884), j'avais projete de poursuivre mes 
explorations vers les confins de la Navarre, mais la diffi- 
cult6 de violer le cordon sanitaire espagnol me fit renoncer 
a ce projet. Alors, c'est a quelques cimes francaises, et 
notamment au Vignemale, que je ronsacrai mes excur- 
sions. J'avais d6ja visits cette fi£re montagne,et les impres- 
sions que j'en avais rapportees m'avaient inspire le vif 
desir de la rcvoir encore et de l'tHudier avec plus de 
details. 

En mettant, cette ann6e, ce projet a execution, je n'ai 
fait que suivre le grand courant qui a pousst* tant de tou- 
ristes de Gauterets et de Gavarnie a faire l'ascension de la 
Pique-Longue du Vignemale. Aussitot que Ton eut appris 
que 1'abri creus£ sous la direction et aux frais du comte 
Russell <Hait habitable, il n'y eut qu'un d£sir dans le clan 
des grimpeurs : faire Tascension de la e£l£bre montagne. 
On <Hait, en eflet, maintenant assure d'y trouver un refuge 
en cas de mauvais temps et de pouvoir y passer assez con- 
fortablement la nuit. 

Je crois ne pas exag^rer en fixant a une centaine le 
nombre des personnes, guides et touristes, qui ont visite, 
cette ann£e, le Vignemale. 



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100 COURSKS KT ASCENSIONS. 

Jamais aucune dos grandes cimes ri vales du Vignemale 
n'avait vu un pared concours d'ascensionnistes. Son voisin, 
le Mont-Perdu, a vait bien eu aussi son triomphe, a 1 £poque 
de la ftMe du Club Alpin Fran^ais a Gavarnie; mais ce 
triomphe n'avait dure qu'un jour. Pour le Vignemale, au 
contraire, la vogue a dur£ toute la saison. 

Avant Installation de la villa Russell, ce n'6tait qu'a la 
hate que Ton pouvait visiter ces crates. II fallait se presser de 
descendre, car, sans compter I'orage, la nuit pouvait vous 
surprendre dans de bien mauvais pas. Alors le temps man- 
quait absolument pour £tudier dans ses details ce splen- 
dide ageneement de glaees immenses et de pitons mer- 
veilleux. On en rapportait, sans doute, une impression 
enthousiaste, mais cettc impression etait un peu gatee par 
le regret de n'avoir pu savourer plus longtemps Textase 
provoqu£e par la contemplation de toutes ces merveilles. 

Aussi j'estime qu'en faisant £tablir sa villa, le comte 
Russell a rendu un important service au tourisme en gene- 
ral et a la science de la montagne en partieulier. Combien 
de myst&res orographiques, geologiques, glaciaires et 
autres vont pouvoir <Hre eclaireis maintenant grace a cet 
abri commode. 

Le Vignemale est plutot un assemblage de crtHes et de 
pitons qu'un pic unique. La Pique-Longue ou Grand-Vigne- 
male (3,298 m&t.) qui s'eleve a la fronttere n'en est que le 
point culminant. Ces crates, dans leur ensemble, cireon- 
scrivent un vaste plateau sup^rieur en forme d'ovale 
allonge de l'Ouest k l'Est, mais de ce dernier c6te se 
recourbant vers le Nord. G'est sur ce plateau, qui const it ue 
en grande partie le versant oriental du Vignemale, que 
repose le grand glacier du Montferrat dou sort le gave 
d'Ossoue. 

Du cdt£ du Sud, l'enceinte du plateau est form£e par les 
crates du Montferrat qui tracent la ligne fronti&re en decri- 
vant vers l'Ouest un quart de cercle, lequel, au dela de la 



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LE VIGNEMALE. 191 

pointe de Gerbillonas, tourne vers le Nord ot linii a la 
Pique-Longue. Ges crates du Sud et de l'Ouest separent le 
versant oriental, francais, du versant meridional et du ver- 
sant occidental, tombant Tun et lautre au Rio Ara, et par 
consequent espagnols. 

Du cote du Nord, les crates sont toutes francaises stir 
leurs deux versants. Klles se detaehent de la Pique-Longue 
et se dirigent vers l'Est en sinflediissant au Nord au Petit- 
Vignemale. Sur le versant septentrional de ces crates 
repose aussi un assez beau glacier d'ou sortent les*eaux 
qui alimentent le lac de Gaube. 

Comnie je n'ai pas la pretention d'entreprendre ici une 
inonograpbie complete du massif du Vignemale, jessaie- 
rai seulement, laissant de cote les versants espagnols, de 
donner, au sujet des versants francais, quelques indications 
capables de faire comprendre le grandiose caractere de ce 
merveilleux ensemble. 

Gommencons par le versant septentrional ou de Gaube. 

J'estime que c'est la marcbe rationnelle que doit suivre le 
visiteur du Vignemale ; car, lorsqu'il abordera ensuite le 
versant oriental, il se rendra mieux compte des enormes 
differences de niveau et de la puissance de l'enceinte qui 
sert de berceau au grand glacier. 



VERSANT SEPTENTRIONAL 01' DE GAUBE 

Des bords du lac de Gaube on distingue assez bien la 
forme et la direction des enUes septentrionales; on voit 
aussi une partie des bifurcations du glacier qui repose sur 
leurs flancs, mais les details eehappent. Ge nest que du 
dernier plateau des Oulettes que Ton peut juger de toute 
l'imposante majeste de ce versant. G'est done au moins 



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192 COURSES ET ASCENSIONS. 

jusque-lsi qu'il faut aller pour en avoir une idee complete. 
L'itineraire du lac de Gaube aux Oulettos est bien 
connu; cependant je le retrace jrapidement, ne fut-ce que 
pour indiquer quelqucs altitudes nouvelles. Je paraphrase 
purement et simplement les notes de mon earnet de 
courses du 23 juillet 1884, en faisant remarquer que dans 
la duree de l'excursion sont compris les temps d'arret 
consacr£s aux observations baromeiriques. D'ou il restiite 
que cette duree pourrait etre sensiblement abregee. 

Rappelons dabord qu'avant darriver au lac de Gaube, 
en venant de Cauterets, on a traverse l'axe granitique de 
la chatne dans cette region. On ne peut oublier ces masses 
granitiques, striees et polies par les glaciers, que Ton 
trouve constamment depuis Mauhourat jusque dans les 
environs du lac de Gaube. Entre le lac et le pied du gla- 
cier on trouve encore le granit, mais sa structure est dif- 
ferente; il est plus lamellaire et se rapproche de plus en 
plus du gneiss 1 . 

R6sumons cet itineraire. 

10 h. Depart de la rive Sud du lac (1,736 met.). 

La pente est d'abord assez douce, et c'est insensiblement 
que Ton monte sur le ressaut d'ou tombe la premiere cas- 
cade d'Asplugo, 1,775 met. 

10 h. 30min. Au-dessus de cette cascade, on chemine 
toujourssurla rive gauche du torrent en suivant un sentier 
assez bien trace; mais la montee ne tarde pas a devenir 
plus raide pour atteindre le plateau d'ou tombe la deuxieme 
cascade qui commence la serie de celles de Spumous. 

11 h. 15 min. Cime de la cascade, 1,930 met. 

Au deliJi on traverse des p&turages moles aux eboulis 
sous lesquels les bergers ont ebauchtf quelques abris. 

12 h. Apres avoir laisse sur la rive droite la cabane de 
Spumous, on arrive h la cascade qui se precipite en une 

1. Voir 1'article de M. Degrauge-Touzin daus YAnnuaire de 1879. 



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LK V1GNKMALE. 193 

belle gerbe, en aval du confluent du ruisseau de Tchabar- 
rou. Cime de la cascade, 2,050 mfct. 

Midi 30 min. Derni&re cascade et entree des Oulettes, 
2,135 mfct. 

La masse du Vignemale apparait de la base au som- 
met. 

1 h. Fond des Oulettes, 2,150 m£t. Je signaie aux ascen- 
sionnistes du Vignemale un abri qui se trouve Ik, sous un 
gros bloc, presque au pied du glacier, au bas de la hour- 
quette d'Ossoue. Cet abri transforms en cabane par les 
bergers pourrait offrir un asile en cas d'orage ou pour la 
nuit. 

Le lecteur, en comparant les altitudes ci-dessus avec 
ceHes portees sur la carte du D6p6t de la Guerre, trouvera 
entre elles une grande difference. Or, la cause, la voici : 
la cote du point de depart, c'est-i-dire celle du lac de 
(Jaube, qui est portee k 1,789 rafct. sur la carte officielle, a 
6te ramen6e par notre collogue le commandant Prudent 
k 1,726 mfct., moyenne d'un grand nombre d'observations 
baromStriques. 

C'est du milieu du plateau des Oulettes qu'il faut con- 
templer les crates septentrionales du Vignemale. Vues 
de la, toutes ces murailles, et notamment celles de la 
Pique-Longue, paraissent absolument perpendiculaires. 
Elles s'61ancent d'un jet du fond des Oulettes (2,150 mM.) 
jusqu'k la cime (3,298 mdt.), sans asp6rit6s ni corniches 
apparentes. (Test done un d-pic de douze cents metres et 
Tun des plus imposants que Ton puisse trouver dans les 
Pyr£n6es. 

Ce tableau est d'autant plus intSressant que le regard 
peut, Ula fois, embrasser Tensemble grandiose de la masse 
et en discerner les details g6ologiques. Ainsi, par exemple, 
dans la grande muraille de la Pique-Longue on distingue 
parfaitement, au-dessus de la base composee de granit 
lamellaire et de gneiss, le rubanage forme par le con- 

ANNUAIRK DK 1^81. 13 



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194 COURSES ET ASCENSIONS. 

tourneinent et la torsion des couches de schistes, de cal- 
caires et de grfcs qui se superposent jusqu'& la cime. Ce 
rubanage parait commencer k 600 m&t. environ de la 
cime. Nous le reverrons plus tard de plus prfcs en explo- 
rant le versant oriental. 

Le glacier qui tapisse les murailles septentrionales est 
trfes remarquable par sa forme et ses bouleversemenls.Ses 
diverses branches naissent presque a la cime des chemi- 
n£es qui s6parent les pitons et se rGunissent k une altitude 
moyenne de 2,600 mbt. pour former ce majestueux fleuve 
de glace qui descend jusqu'au fond des Oulettes. Sous 
T6norme pression que lui imprime sa grande pente, il se 
fendille et se boursoufle dans tous les sens. Aussi remar- 
que-t-on dans ses dislocations la s6rie complete de tous 
les ph6nom&nes glaciaires : crevasses, aiguilles, prismes 
et blocs de toules formes et de toutes dimensions, dont la 
couleur varie dcpuis le vert tendre jusqu'au bleu fonc6. 
Si Ton veut Gtudier de prfcs cet 6norme bouleversement, il 
faut essayer de monter, non sans quelque danger, jusques 
aux boursouflures en forme de champignons qui parais- 
sent dans l'axe de la grande br&che, k l'Est de la Pique- 
Longue. On dirait qu'une incalculable pouss6e fait surgir 
des entrailles du glacier ces 6normes rognons aux couleurs 
plus fonc6es. Dans la grande chemin6e qui s6pare le Petit- 
Vignemale du piton central, on remarque aussi une cas- 
cade de glace tres curieuse. Gette branche sup6rieure du 
glacier, resserr6e entre des murailles qui se rapprochent 
k leur base, reste pour ainsi dire en Tair, tandis que la 
partie inftrieure suit sa marche descendante. II en r^sulto 
une separation ou une grande coupure en forme de mur 
perpendiculaire orn£ de prismes et de colonnes de grandes 
dimensions. 

Le spectacle de ces dislocations glaciaires et de cesverti- 
gineuses murailles frappe d'autant plus qu'il contrasts 
absolument avec Taspect si calme du plateau des Oulettes. 



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LE V1GNEMALE. 197 

La surface de ce plateau, si r£guli£rement nivel<§e, r^vele 
les traces dun lac supSrieur comble peu a peu par les gra- 
viers et les sables que charrient les eaux a leur sortie du 
glacier. Ces eaux, d'une couleur laiteuse assez intense, ne 
s eclaircissent que dans le lac de Gaube ou les detritus 
deposes ont form6 un delta croissant tous les ans. 

La superficie du glacier, avec ses diverses branches, et 
en tenant compte de la pente, peut £tre estimee a une 
centaine d'hectares. 

En resume, on ne saurait assez recommander la visite de 
ce glacier septentrional du Vignemale et des murailles de 
la Pique-Longue a ceux qui aiment a voir de pres les 
grandes scenes de la nature. L'excursion est d'ailleurs 
peu fatigante, car, si Ton ne perd pas du temps en route, 
on peut facilement aller du lac de Gaube au fond des 
Oulettes en deux heures et demie. Quant a la course de 
Gauterets au lac de Gaube, elle ne doit pas entrer en ligne 
de compte, puisqu'on peut la faire a cheval. 



II 



VERSANT ORIENTAL OU D OSSOLE 

G'est par la cime de ce versant que Ton attaque d'ordi- 
naire la Pique-Longue. Je dis d'ordinaire, car des intr£- 
pides ont r£ussi a I'escalader par les 6pouvan tables corniches 
du Clot de la Z/ourc/.Mais c'est la une voie tres dangereuse 
qu'il ne faut citer que pour m<§moire et qui doit &tre abso- 
lument d£conseill6e. R6sumons done les voies les plus 
usitees. 

Si Ton vient de Gauterets, lorsqu'on arrive aux Oulettes 
de Gaube, on peut choisir entre les deux voies suivantes : 
1° celle de la breche au Sud du col des Mulets, au dela de 



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198 COURSES KT ASCENSIONS. 

laquelle on contourne, sur le versant espagnol, le Clot de 
la Hount, pour aborder la cime du glacier par le col do 
Cerbillonas, pres de la villa Russell ; c'est la voie la plus 
courte lorsque les passages ne sont plus obstru^s par les 
neiges ; 2° la voie, plus frequentee quoique plus longue, 
de la hourquette d'Ossoue. Au dek\ de la hourquette on 
franchit lextr^mite de la cnUe du Petil-Vignemale, pour 
aborder le glacier de Montferrat que Ton remonte dans 
toute son etendue. 

Si Ion vient de Gavarnie, c'est habituellement par le 
val d'Ossoue que se fait lascension, et alors on remonte 
en entier le versant oriental et le grand glacier. On pour- 
rait aussi, au fond d'Ossoue, prendre le vallon qui 
dlbouche au grand pont de neiges et grimper ainsi jusqu'& 
la enHe de Montferrat; mais c'est h\ une escalade fort 
penible, que les guides de Gavarnie se permettent cepen- 
dant quelquefois. A la descente, lorsque les neiges encom- 
brent le vallon, on pout passer par \k si Von vcui se donner 
le plaisir de superbes glissades. J'estime, pour mon compte. 
quil vaut mieux suivre la voie ordinaire. 

C'est cette voie par le versant oriental que j'ai suivie 
l'£t£ dernier, en compagnie de mon collegue et ami 
I,. Lourde-Rocheblave, et au sujet de laquelle j'extrais 
encore de mon carnet de courses les notes nexessaires 
pour donner une idee de ce versant. Mais, en relatant la 
dur£e de l'ascension telle que je l'extrais textuellement de 
mes notes, je dois faire remarquer que j'y comprends le 
temps consacrti aux observations barom^triques. 

Le dimanche 3 aout, arrives de bonne heure ^ Gavarnie, 
nous eumes la grande joie d'y trouver, ^l la fois, notre 
sympatbique collegue et ami M. le comte Russell et M. Bor- 
deres, le celebre botaniste de Gedres. Quelle bonne fortune 
de nous trouver ainsi r^unis dans Texcellent h6tel de 
M. Verges-Bellou et de resserrer nos liens d'amitte autour 
dune table tres confortablement servie. 



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LE VIGNEMALE. 201 

Pendant le repas, la conversation fut naturellement 
amende sur le Vignemale et notre projet d'ascension pour 
le lendemain. Lourde et moi ne connaissions pas encore la 
villa Russell, et nous voulions aller y passer la nuit. Nous 
ne primes decider notre collegue a nous y accompagner, ce 
qui eut beaucoup ajoute aux charmes de notre excursion, 
inais il promit de venir nous y trouver le surlendemain. 

Le soir meme, nous nous entendimes avec les guides 
Brioule et Poques pour tout preparer, et le lundi nous nous 
mettions en route a 4 h. 30 min. du matin. 

Inutile de d£crire une fois de plus cette longue et ravis- 
sante valine d'Ossoue qui revet un caractere plus char- 
mant encore a cette heure matinale et par un temps dune 
purete parfaite. Tout est beau, mais c'est surtout le fond 
du tableau qui attire sans cesse nos regards. Le Vignemale 
y ap pa rait dans toute sa majesty et le grand glacier sen 
detache etiocelant de lumiere. 

Un arr6t de quelques minutes au Plan de Millas est con- 
sacrg a prendre des photographies de ce splendide ensem- 
ble, encadrS entre les cr&tes s^veres de Montferrat, a 
TOuest, et les croupes de Pouy-Mourou, a l'Est. 

A 8 h. nous sommes au fond des Oulettes d'Ossoue, au 
pied du premier pont de neige (1,855 met.), oil nous trou- 
vons trois ouvriers qui montaient a la villa pour comple- 
ter son installation. Instruits de notre projet, ces braves 
gens nous attendaient la pour cheminer avec nous. Nous 
dejeunons tous ensemble et puis la caravane se remet en 
route. 
La vraie montee commence bientcM. 
A 9 h. 15 min. nous traversons le deuxieme pont de 
neiges, tres considerable cette ann^e : 2,025 met. a peu pres 
au centre. 

Au dela du pont de neiges, il faut monter tres raide sur 
Tun des contreforts du Montferrat dont les escarpements 
sc terminent en corniches sur la rive droite du torrent. 



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202 COURSES ET ASCENSIONS. 

On atteint ainsi la ertMe m£me du Montferrat que Ton fran- 
chit pour aborder le glacier. 

Mors on se trouve subitement devant un tableau des 
plus imposants. Les moraines et la base du grand glacier 
apparaissent en entier, et Ion pent mesurer du regard les 
proportions de cet immense plan incline de glace qui 
remplit tout l'espace eompris entre le point oil nous som- 
mes et les murailles du Petit-Vignemale. 

Une fois sur le glacier, nous marchons avec precautions. 
En commencant, la pente est assez prononc^e et en cer- 
tains endroits nous trouvons le n£v£ fondu et la glace a 
d^couvert. 

A 11 h. 40 min. nous atteignons le pied (2,650 met.) de 
la grande muraille de glace qui se developpe du Sud-Ouest 
au Nord-Est sur une cMendue de pros dun demi-kilom&tre. 
II est impossible de d^crire l'effet que produit cette ligno 
de prismes, de cylindres, de pyramides dun vert transpa- 
rent dont les faces sont resplendissantes de lumtere sous 
les rayons d'un soleil ardent. Nous aurions bien voulu 
nous approcher assez de cette muraille pour pouvoir en 
mesurer & peu pr£s la hauteur, mais la chute frequente 
des blocs qui s'en dtHachent nous fait renoncer & ce projet. 
Nous nous eontentons done d'estimer par approximation 
cette hauteur, qui nous paratl £tre en moyenne de 15 a 
20 metres. 

On ne quitterait jamais la place, tant est attrayante cettr 
merveille de glace, mais nos guides jugent prudent de ne 
pas rester plus longtemps l&-dessous, et nous nous rappro- 
chons le plus possible du Montferrat, dont la cime com- 
mence & paraitre, au-dessus des neiges, k TOuest-Sud- 
Ouest. Nous ne courons plus aucun risque, et nous conti- 
nuons notre ascension sur des pentes qui deviennent de 
plus en plusraides. Nous n'allons pas vite;car, en certains 
endroits, nous trouvons la glace vive dans laquelle il faut 
pratiquer des empreintes avec le piolet. 



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LE VIGNKMALK. 203 

Au-dessus de ces passages d6sagr6ables, on atteint la 
grande plaine de nev6s oil la marche devient un amuse- 
ment. Cependant c'est avec precaution que nous longeons 
une crevasse 6norme, qui commence au pied du Mont- 
ferrat et se dirige vers le milieu du glacier, en se rami- 
fiant fort irreguli£rement. A partir de la, nous aurions tres 
certainement fait usage de la corde, si nos guides, qui par- 
courent frequemment ce glacier, ne nous avaient affirm^ 
que nous pouvions nous fier complement a eux. 

Lorsqu'on se trouve au centre du glacier, le panorama 
est des plus grandioses. Get immense champ de neiges, en 
forme de berceau, se releve par degres sur ses bords et 
s'appuie, au Sud, sur la cnHe du Montferrat et, au Nord, sur 
les flancs de la cr£te du Petit-Vignemale. De ce c6t6, il 
d£borde dans les br&ches qui separent les divers pitons, 
formant ainsi des bastions de glace dont le plus remarqua- 
ble est celui que Ton apercoit de l'hdtellerie m£me du lac 
de Gaube, a la cime de la cheminee qui s^pare la Pique- 
Longue du Piton-Garre. 

Voici dans quel ordre se pr^sentent a Tobservateur 
place au centre du glacier les divers pitons qui le circon- 
scrivent : 

1° Au Sud, le plus rapproch^ est le pic du Montferral, 
3,223 met. 

2° Au Sud-Ouest, immediatement apres le Montferrat, 
sel£ve la pointe que jappelle Gentrale faute d'aulre nom, 
3,220 met. 

3° A l'Ouest, lepic de Cerbillonas, 3,248 met. 

Le glacier monte prcsque jusqu'a la cime de ces pointes. 

4° A TOuest-Nord-Ouest, le pic du Clot de la Hount, 
3,288 met. 

Gette cime est tr&s rapproch£e de la Pique-Longue et 
n'en est qu'un appendice. Vues de loin, on les confond 
souvent Tune avec Tautre. 

C'est entre le pic du Clot de la Hount et la pointe de 



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204 COURSES ET ASCENSIONS. 

Cerbillonas que s'ouvre, a la cime ni&me du glacier, le 
col de Cerbillonas, 3,203 m&t. 

5° Enfin, au Nord-Ouest, la Pique-Longue, qui domine 
tout le massif, 3,298 m£t. 

Telle est la s6rie des cimcs qui jalonnent la ligne fron- 
tiere. 

La Pique-Longue, dou partent les crates septentrionales, 
toutes franchises, produit 1'effet d'un m61e gigantesque 
dominant le vide immense que Ton pressent derri&re ces 
crates, et dont on a un aper^u par l'echapp£e de la breche 
de Gaube. Dans la muraille a pic qui domine cette breche, 
on retrouve jusqu'a la cime les contournements des cou- 
ches de transition et secondaires signalees au-dessus des 
Oulettes de Gaube. On les voit ici de tres pres, et le regard 
peut suivre toutes les arabesques que dessinent leurs nom- 
breux replis. On n'y trouve plus aucune trace de granit. 
Nous sommes en plein dans les terrains de stratification. 

Voici maintenant dans quel ordre se presentent les trois 
principaux pitons de cette cr6te septentrionale : 

1° Le PitonCarr6 (3,200 met.), s£par6de laPique-Longue 
par la grande br&che de Gaube. 

2° La cime du Milieu, 3,205 met. 

3° Le Petit-Vignemale, 3,034 met. 

Au dela du Petit-Vignemale, lacnHe se divise. Une partie 
continue vers TEst-Nord-Est, formant encore la rive gauche 
du grand glacier, tandis que Tautre ramification tourne 
plus au Nord, pour finir au-dessus de la hourquette d'Os- 
soue. 

Le glacier du Montferrat, en tenant compte de sa pente, 
mesure environ 4 kil. de long sur 800 met. de large en 
moyenne, ce qui donne une superlicie de plus de trois cents 
hectares. G'est beaucoup pour les Pyrenees; mais ce qui le 
rend encore plus remarquable, e'est la disposition de sa cein- 
ture de cimes qui ressemblent & des Hots emergeant dune 
mer glacee. Les sillons stries du neve qui ont, en certains 



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LE VIGNEMALE. 205 

endroits, l'aspectde flots subitement gel£s, ajoutent encore 
a nilusion. 

Get aspect est saisissant surtout dans la partie du glacier 
qui s'etend entre le pic du Montferrat et la pointe Gentrale. 
Les stries des neves indiquent sur ce point un mouvement 
tournant dans la marche du glacier. II serait int£ressant 
d'etudier ce phenomene glaciaire, en piquant des perches 
sur divers points de la courbure de ces stries. En relevant 
de temps a autre les angles formes par ces perches entre 
elles, on pourrait se rendre un compte exact du mouve- 
ment des surfaces. 

Apr&s avoir parcouru en tous sens ces vastes champs de 
neiges, nous arrivions a 2 h. 45 min. a la villa Russell. 
Nous ne flmes qu'y deposer nos bagages inutiles, et une 
demi-heure apres nous £tions installes a la cime de la 
Pique-Longue ou le restant de cette belle journ^e fut con- 
sacr6 au travail. 

Quels splendides panoramas sur ces horizons sans limites 
et quelles belles horreurs a nos pieds! Nous nen perdons 
pas un detail, tant I'atmosphere est rest£e pure. Mais ce sont 
surtout les aflreux precipices du Clot de la Hount qui atti- 
rent nos regards. J'y retrouve la continuation de ces con- 
tournements qui z£brent les murailles de la Pique-Longue, 
tant du cdte des Oulettes de Gaube que du c6t& du grand 
glacier. 

En descendant de la cime, au lieu de nous enfermer dans 
la villa, nous allons passer quelques instants sur le large 
plateau du col de Gerbillonas pour jouir du magique spec- 
tacle (Tun coucher de soleil. A ce moment, toutesles cimes 
sont eclair^es par des reflets d'un rouge vif, tandis que 
tout est sombre et presque noir au fond des vallees. Le 
contraste est des plus saisissants. Onne s'arracherait jamais 
a de pareils spectacles. Mais il faut bient6t quitter la place, 
tant Fair se refroidit vite, a de pareilles hauteurs, lorsque 
le soleil disparatt de l'horizon. 



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206 COURSES ET ASCENSIONS. 

La villa Russell (3,201 met.) est situ6e k la cime m£me du 
glacier du Montferrat, k quelques metres au Nord du col 
de Cerbillonas et presque an m£me niveau. Elle consiste 
en une excavation qu'il a fallu pratiquer al'aide de la mine 
dans une roche de transition traversed par des filons cris- 
tallins. Le granit n'arrive pas jusque-l&, n£anmoins la 
besogne a du etre dure. 

Ainsi que l'indique son altitude, ce refuge est un des 
plus £lev6s de l'Europe et je le crois aussi Tun des plus 
confortables. II est assez vaste pour que dix person nes 
puissent y coucher sur le lit d'herbes seches dont il est 
garni. Son entree, form£e par une muraille en maconne- 
rie, est prescrvee par une porte en fer munie dun gui- 
chet. A l'interieur se trouve un poeie fonctionnant par- 
faitement. Ge poele est un don du sympathique niaitre 
dhotel de Gavarnie, M. Henri Verges-Bellou, qui a voulu 
eontribuer ainsi k completer Installation de labri. Une 
niche ereus£e dans le fond est destined k reeevoir les 
objets fragiles, et des crochets en fer scelles aux parois 
servent de porte-manteaux. Comme on le voit, rien n'a 
et6 oublie\ / 

J'avais entendu, a Cauterets, quelqu'un se plaindre du 
froid et de riiumidite qui regnaient dans Tabri. 11 est 
vrai que c'etait au commencement de la saison. Alors il 
n'y avait rien d'etonnant k cela; car, la porte primitive 
ayant ete~ enlev6c par les intemp^ries, la neige avait en- 
combrG le reduit qui s *^tait transform^ en glaciere. Mais 
une fois le d£blayage operti, l'abri est redevenu tres sain. 
J'ai pu constater moi-mAme, pendant la nuit que j'y ai 
passee, que le sol est actuellement tout a fait sec et que la 
temperature y est tn i s douce. Le thermometre s'y est en 
effet maintenu constamment a 10 degres centigrades au- 
dessus de zero, quoique le poele n'eut ete allium* que pour 
faire la soupe, tandis qu'a lVxterieur, a 5 h. du matin, 
le mAme thermometre ne marquait que 3 degres et que 



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LE VIGNEMALE. 207 

toutes les cimes portaient les traces de la gel6e de la nuit. 

Je ne saurais done assez le redire : e'est un important 
service que le comte Russell a rendu aux explorateurs de 
cette merveilleuse region que d'avoir mis k leur disposition 
un'abri si bien installs. Du reste, je suis certain que la 
nombreuse phalange de touristes qui lont visits cetto 
ann6e, aprfcs son installation definitive, partage absolu- 
ment mon sentiment, et se joint bien volontiers k moi pour 
adresser un sincere t&noignage de gratitude a cet enthou- 
siaste admirateur du Vignemale, qui n'a recul6 devant au- 
cune tribulation ni aucune d6pense pour rendre sa villa si 
confortable. 

Aprfcs notre souper, nous ne songions quk nous installer 
le plus commodement possible pour passer la nuit, lorsque 
nous entendimes un appel qui venait du c6t6 du glacier. 
Qui done pouvait monter au Vignemale k pareille heure ? 
Nous sortons et nous distinguons la silhouette de trois per- 
sonnes sur le champ de neiges, & la hauteur de la brfcche 
de Gaube. Nous ne pouvons encore reconnaitre ces trois 
voyageurs. Mais ils se rapprochent k grands pas et bientot 
notre incertitude cesse. Nous distinguons, en effet, parfai- 
tement la haute stature de notre ami Russell. AlorsLourde 
et moi courons a sa rencontre pour avoir le plaisir de lui 
presser plus tdt la main. A la vue d'un si beau temps, Rus- 
sell n'avait pu se r6soudre k perdre toute sa journ^e & Ga- 
varnie et, apr&s son dejeuner, il 6tait parti, avec ses deux 
porteurs Haurine et Francois, pour venir nous surprendre. 
Notre surprise etait grande, en effet, mais notre joie T6tait 
bien davantage. 

Quelle charmante soir6e nous pass&mes ensemble et 
combien nous 6tions heureux de pouvoir communiquer nos 
impressions a notre coll&gue. Nous 6tions si confortable- 
ment installs que nous ne pouvions nous faire k cette idee 
que nous allions nous endormir k 3,201 metres d'altitude. 

Pour mon compte, je dormis peu. Plus d'une fois je sortis 



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1>08 COURSES ET ASCENSIONS. 

sur le glacier pour contempler les effets d'un beau clair de 
lune sur ces plaines de n6v6s. C'dtaient toutes les appa- 
rences d'un tableau polaire. 

Au lever du soleil, nouveau d6cor. Toutes les times 
s'6clairent Tune aprfcs Tautre de ces chaudes couleurs si 
connues de ceux qui ont souvent pass6 la nuit sur les som_ 
mets. La surface des neiges gel^es pendant la nuit est 
eblouissante sous ces premiers rayons solaires... Mais k 
quoi bon recommencer ici une description de ces merveil- 
leuses scenes de la nature qui ontete tant de fois d^crites! 
II n'en est pas moins vrai qu'il est impossible de les oublier, 
lorsque Ton en a et6 le t6moin. 

La matin6e du mardi fut encore consacr6e au travail et 
a parcourir le haut du glacier un peu dans tous les sens. 
Notre affectueux collogue et ami aurait bien voulu nous 
garder encore toute la journ6e, pour nous faire les hon- 
neurs de cet entourage dont il connait si bien les moindres 
details. Mais notre but 6tait atteint. Nous avions eu le plai- 
sir de lui communiquer nos impressions dans sa villa 
m6me. Nous n'avions done plus rien a faire au Vignemale. 
Toutefois, avant de nous quitter, Russell voulut nous con- 
duire sur une plate-forme, au pied du piton Garr6, d T ou 
Ion domine les effrayants precipices de la brfcche de Gaube 
ct des d-pic de mille metres sur les Oulettes. 

Entin, h notre grand regret, il fallut nous s6parer. 

Au retour, nous suivons les traces de la veille et, pleins 
de s6curit£, nous nous mettons k courir sur le glacier jus- 
qu'aux abords de la grande crevasse du Montferrat. A par- 
tir de 1^, les precautions recommencent. Nous nous arr6- 
tons un instant pour jeter un regard sur ces ablmes dont 
les murailles, distantes de 7 k 8 metres sur le point ou 
nous sommes, se rapprochent sensiblement vers le haut, 
en forme de voute. Quant & la profondeur, elle est inson- 
dable. Du reste, il serait fort dangereux de s'approcher 
assez du bord de la crevasse pour voir ce qui se passe dans 



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LE VIGNKMALE. 20J* 

le fond, car on no peut pas compter absolument sur hi 
solidity de la crdte qui couronne les parois. 

Je ne peux passer outre sans prendre une photographic 
de cette partie si curieuse du glacier. Le temps, il est vrai, 
sest assombri sensiblement, et la Iumiere manquera pr<>- 
bablement pour obtenir un bon cliche. Peu importe , j'pssaic 
tout de m£me. 

Nous voici aux grandes pentes ou la glace est plus dun* 
que la veille. Les precautions redoublent. Nos guides font 
id preuve de beaucoup de sang-froid et d'assurance. Enfin. 
nous arrivons sans accident au pied des murailles de glace 
dont j'ai d£ja dit quelques mots. 

Pendant que nous nous reposons, notre attention est 
atlir£e par un bruit sourd qui se produitau-dessus de nous. 
Ce ne peut etre encore le grondement du tonnerre, quoiqur 
le temps se soit gate\ Qu'est-ce done? Nous en 6tions tou- 
jours aux suppositions, lorsque le bruit se renouvellc, suivi 
presque aussit6t d'un craquement bien distinct. Alors nous 
sommes temoins d'une d^gringolade de blocs qui se deta- 
chent par grandes masses de la muraille de glace et rou- 
lent, avec un bruit eflrayant, vers le fond du glacier. Nous 
somnies en dehors de la ligne de chute; cependant quel- 
ques £claboussures arrivent jusqu'a nous. Nos guides, 
Brioule et Poques, insistent prudemment pour nous faire 
rapprocher de la cr£te du Monlferrat, dou nous pouvons 
sans danger suivre toutes les perip£ties de cette scene gla- 
eiaire. Nous avions devant nous la preuve evidente du mou- 
vement du glacier. Si nous n'avions pas ete aussi limites par* 
le temps, il eut £te interessant de passer la quelques heures 
et d'essayer de determiner la vitessedemarchede ccfleuvr 
de glace. Pour cela, il n'y aurait eu qua s'installer sur la 
crtHe solide du Montferrat et a jalonner le bord extreme de 
la muraille de glace en visant un point du Petit-Vigneinale. 

Toutes ces observations seront maintenant grandeiuenl 
facilities grace a la villa Russell. 

ANNUAtRK l>K 1884. 1 » 



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210 COURSES ET ASCENSIONS. 

En somme, nous rentrions & Gavarnie enchantes de notre 
excursion au Vignemale et, sans 1'orage qui vint nous 
assaillir avant notre arriv£e au village, la satisfaction eut 
<H6 complete. 

Je ne peux terminer sans rendre hommage au z&le et au 
d6vouementd6ploy£s par nosdeux guides. Ilsappartiennent 
k la categoric de ces montagnards qui ne reculent devant 
aucune difficulty mais qui cependant savent, h Toccasion, 
faire preuve d'une grande prudence. 

E. Wallon, 

Membre du Club Alpin Francais 
(Section du Sud-Ouest). 



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U REGION D'ARREMOULIT 

ET LE PIC D'ESQU^RA 

(BASSES-PYRfcNfeES) 



I 



Unedes portions les plus int£ressantes -ties Basses- 
Pyr^n^es est le quartier cTArremoulit encadrtf, au Sud et 
k l'Ouest, par les murailles d'Arriel (2,823 m&t.), au Sud-Est 
par la ligne de frontiere, et au Nord-Est par le pic Guje la 
Palas ou Mourrous (2,976 m&t.), qui semble un contrefort 
du Bat-Laetouse ! (3,U6 met.)auquel il se relie parle chal- 
non de Labrane (2,584 m£t.). Mais il faut des chances tr&s 
heureuses pour faire ces courses, d'un soleil k l'autre, en 
partant des Eaux-Bonnes, et encore, ft la condition de les 
ex£cuter en deux bonds, sans avoir le temps d'en jouir. Je 
crois done que la question d'un refuge s'impose forc^ment 
dans cette region, et e'est dans Arremoulit qu'il devrait 
elre plac£. 

La Roche du Dejeune, ainsi d^nomm^e par le comte Rus- 
sell, est un bon abri, mais trop rapproch£ du Bat-Laetouse, 
pas assez central, et situ^ sur le territoire espagnol, ce qui 
offre quelques inconv£nients. La roche que j'ai baptisee 

1. J'ai explique, dans un article public par la Societe Ramonden 1882, 
pourquoi,contrairement a I'usage de plusieurs alpiuistes,mes collegues, 
qui appellent ce pic Balaltqus, j'avais adopte la denomination de Bat- 
Laetouse, qui est celle de la carte d'lStat-major etdes habitants dupays. 



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212 COURSES ET ASCENSIONS. 

Roche de la Providence, nest qu'une pierre debout. Dail- 
leurs, elle est aussi en Espagne, et il faudrait la couvrir. 
Or, il ne faut pas croire qua ces hauteurs, lorsque, transi 
par le froid et la fatigue, on est dispose a bruler une par- 
tie de ses vetements pour reehaufler l'autre, on respecte- 
rait une porte ou un chevron ! 11 faut qu'un abri soit creuse* 
dans le roc et que rien ne tente la cupidity ou le besoin. 

Quand, avec mes trois filles, nous avons gravi le Bat-Lae- 
touse, en 1882, nous e^ions partis des Eaux-Bonnes a 10 h. 
du soir en voiture, suivant la route d'Espagne, par Gabas, 
pendant 7 kilom., jusqu'au Gaillou de Soques. La, nous 
sommes montes en pleine nuit avec une lanterne : une lan- 
terne pour dix!... A la descente du pic, surpris par une 
tourmente ot clouds sur place a la Roche de la Providence, 
nous avons eu le temps de r£ver a la n^cessite* dun abri 
pendant les douze heures de nuit que nous y avons pas- 
sers, empil£s les uns contre les autres, sans couvertures, 
recevant la pluie, le vent, la greie et la neige. 

En 1883, nous avons voulu faire l'ascencion de Cuje la 
Palas. Cette fois, je suis alle coucher a Gabas. A minuit, 
nous £tions en route avec une lanterne. A la pointe du 
jour, je ciHoyais le lac d'Arrious, non pas la rive gauche, — 
les neiges qui couvraient tout, cette ann^e, y desccndaient 
il pic, — mais la rive droite, dans une ruelle ou la roche 
avail fondu la neige. Nous touchions a lextremite du lac, 
quand neuf isards, couches sur les derniers glacons, se 
leverent devant nous. Mon fusil etait a l'arrierc-gardc ; je 
ne pus m'en servir. 

Orteig, qui devait etre notre guide, setant trouve einpfi- 
che par un engagement anterieur, le docteur Doassans 
avait voulu le remplacer. Soustrade, Labarthe, des Eaux- 
Ghaudes, et Laborde, de Gabas, portaient nos vivres. 

L'isard ' des Pyrenees [Ant Hope rupicapra, Linn.) et le cha- 

i. Gaston Pikebus l'appelle Bouc Ysarus; Cuvier ecrit Ysard. 



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Le Pains et le Bat-Lactouse. dossin de M. tic Bouille. 



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LA REGION d'aRREMOULIT KT LE PIC d'bSQUERA. 215 

mois des Alpes peuvent &tre consid£r6s comme le m£me 
animal; co nom d'isard est peuNHre une corruption du 
mot bearnais Sarri, comme celui d'antilope* que lui a 
donng Pallas, est une corruption d'Antholops f . 

Nos neuf isards gravissaient une pente de neige tellement 
raide qu'ils Staient obliges de se pelotonner sur eux-m6mes 
et de bondir par sauts, de droite et de gauche, en lacet. 
Pres du sommet, ils saut^rent sur une roche oil la neige 
n'avait pu tenir, 6branlant tout sur leur passage et d6ta- 
chant des pierres qui roulaient jusqu'au lac. 

Nous n'avions pas d'autre voie k suivre, et ce n'est pas 
sans peine que le fatte de ce d<§fil6 fut atteint. 

L'arriv£e k un col est une des grandes joies des excur- 
sions : c'est la fin d'une montee p^nible, le repos devant 
un spectacle souvent inattendu, toujours grandiose. 

Gelui-ci, qui n'est pas nomm^ sur la carte d'Etat-major 
et que j'appelle col d'Arriel (2,478 met.), nous apparut, 
au sortir de l'obscurite, 6blouissant de neiges qui flam- 
boyaient aux premiers rayons du soleil. 

Plusieurs kilometres de glaciers descendent dans Arre- 
moulit qui est au pied; ses lacs, gel£s, Staient aussi bleus 
que le ciel et semblaient 6clater sous le poids du Palas qui 
les 6crase. Enfin, dans les profondeurs de l'Est et encadr£ 
par les roches noires de la frontiere, le Bat-Laetouse res- 
plendissait dans lather embrasg !... 

Quelles heures d'etude d^licieuses nous avons pass£es 
sur la roche de granit rose qui nous servait d'observa- 
toire, et surgissait au milieu de cet oc£an de neige comme 
un vaisseau pris dans les glaces! Nous n'en 6tions pas les 
seuls habitants : les Palxno*, les Callidice*et m^meune Pe- 
tite tortue * butinaient sur les gentianes et les artemises 5 . 

1. Eusthatius, auteur du temps de Constantin, l'appelait Anthotops. 

2. Colias Palxno. 

3. Pieris Callidice. 

4. Vanessa Urticx. 

5. Herbomation du rocher : Gentiana alpina, Will., Armetia alpina, 



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2lti COUHSES ET- ASCENSIONS. 

Ayant renonc^ au Palas, je voulus tacher de rattraper 
les isards, en suivant* leurs traces surla roche disloqu^e 
ou ils avaient disparu. Linclinaison de la neige etait 
pffrayante et une rimaye assez large me forca de redes- 
cendre jusqu'au bas. Les pierrailles eHaient couvertes de 
Saxifraga iratiana en fleurs et en si beaux exemplaires 
qu'un seul remplit ma bolte. II fall ait un guide derriere 
fhacun de nous pour soutenir les debris, autrement tout 
Hiirait croul6; c'etait un chateau de cartes. 

En arrivant au sommet, j'apercus les neuf isards, a cin- 
(|uante pas, group£s dans lombre du faux Arriel. J'avais 
deux balles dans chaque cartouche. Je mets en joue sur 
le dos du docteur accroupi, et j'allais tirer, quand il saisit 
mon fusil avec eftroi. — « Ne tirez pas! Rien ne tieril iei; la 
detonation va tout libranler... vous allez ensevelir vos en- 
t'ants!... » 

Jen eus vraiment peur, et lorsque je levai la t<He apres 
un moment dh£sitation, les isards, qui ne sont pas sourds, 
quoiqu'ils ne respirent pas par les oreilles comme lont 
cru d'anciens auteurs 1 , s'enfuyaientde\ja dans les crevasses 
d'Arriel, hors de ported. 

Leur organe le plus parfait est la vue. Leurs grands yeux 
ne sont pas seulement une beaute, comme l'indique leur 
nom scientifique, Antholops; c'est Torgane supreme de la 
conservation pour eux. Tandis que leurs cousins, les che- 
vreuils, se cachent au fond des forets pour nous echapper, 
eux s'eiancent au sommet des pics et cherchent leur salut 
clans la lumiere. 

J'envoyai Laborde, au pas de course, barrer le versant 

Willd., Artemisia Baumgavtenii. Cette plante, (rouveedans les Carpa- 
thes, a ete decrite sous ce nom bien avant que Godron ne l'eut appelee 
A. Villarsii. 

1. L'isard a derriere chaque oiville une petite poche contourn^c en 
spirale que Ton trouve toujours vide, ce qui avait fait croire k Empe- 
docle que les Antholops et les chevres, avec lesquelles ils out tant 
d'analogie, respiraient par les oreilles. 



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Le col tl'Arrenioulit et le pic dWrriel, dessin de M. de Bouille. 



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LA REGION DARREMOUUT KT LE PIC d'esQU&RA. 219 

Sud. Si les isards posaient une sentinelle sur la cr^te, il 
devait les contoumer par I'Arriel et les rabattre sur nous. 
La chauss6e oil nous 6tions n'avait pas trente pas de large. 
— Ah! si Laborde pouvait arriver k temps!... En une mi- 
nute, nous eumes disparu dans les trous. 

Les isards montaient tranquillement en broutant les gen- 
tianes ef les art£mises. — Le coeur nous battait. — lis ar- 
rivent k la cr£te, la passent... un k un... Le dernier s'y ar- 
r£te un instant... regarde de tous c6tes... puis disparaft k 
son tour. 

II me restait encore une chance!... II etait facile de voir 
k leurs allures qu'on ne les chasse pas souvent dans ces 
parages. lis pouvaient done, pleins de quietude, n'avoir pas 
plac£ de sentinelle et s'£tre couches au soleil a deux pas 
de la cr£te. 

J'y arrivai en rampant... Pas d'isards! — lis avaient d6j& 
traverse le vallon qui sSpare le faux Arriel du vrai, et arri- 
vaient au sommet du pic ou la chute des pierres trahissait 
leur presence. Au lieu de neuf, ils £taient treize maintenant, 
et plusieurs d'entre eux, perches sur les quatre aiguilles 
les plus pointues, les pieds rassembl^s, semblaient poser 
pour notre plaisir. 

Deux gouftres s'ouvrent, k l'Est, sur les glaciers d'Arre- 
moulit. Le second a un orifice de 20 met. ; la neige s'y est 
tass£e & vingt pieds de profondeur, et au milieu s'est creus£ 
un puits rond de 3 met. de diametre. Un isard avait bondi 
du sol et s'£tait moule jusqu'aux reins dans la neige molle. 
Evidemment, il s'est pr^cipite dans le puits. « Pour le 
massacrer », Laborde y culbute un bloc de 2,000 kilog. ; 
sorte de quartz opaque qui aurait fait belle figure dans un 
mus6e et qui taillade les croutes de glace avec des mugis- 
sements sinistres. 

Ge col, si on peut lui donner ce nom, est remarquable ; 
il semblerait que les si&clesy ont accumulS les squelettesde 
vingt basiliques. Je ne puis register au plaisir d f en faire 



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220 COURSES ET ASCENSIONS. 

mi croquis. Mais, pour ne pas perdre de temps, j'envpie 
une de mes filles au sommet de l'Arriel avec Soustrade et 
le docteur. L'autre fait rherborisation de notre entonnoir. 
Le soleil n'est jamais plus ardent que sur la neige : j'avais 
35° dans le dos et 5° sur 1'estomac, les pieds sur la glace, 
mollement assis surun tapis de Saxifraga iratiana, Sehultz. 
d'ancien S. Grcenlandica, L. G. G.). 

Toujours aux aguets quand j'ai un des miens en mission, 
j'avais un oeil sur l'Arriel et l'autre sur mon album, lors- 
qu'un bruit de pierrailles vint frapper mon attention... Le 
sol semblait crouler sous mes pieds avec des detonations 
eomme des coups de mines!... 

Instinctivement, je m'appuyai au rocher, craignant un 
effondrement, et je cherchais a remonter, quand ma iille 
eria : « Un isard! » 

11 etait si pros de moi, surgissant perpendiculairement 
du puits, que j'aurais pu le frapper avec mon baton. — Je 
ne sais lequel de nous deux etait le plus stup£fait!... Mon 
fusil etait au-dessus de ma t£te ; dans ma precipitation pour 
ratteindre,jefaillisroulerdanslepuitsetlorsque,toutahuri, 
j'eus pu le saisir, l'isard avait disparu du c6t£ de l'Hspagne. 

Je brulai une cartouche pour voir s'il n'y en avait pas 
d'autresdans Arremoulit. A mon coup de fusil, il en sortit 
de tous les c6t£s par bandes de cinq ou six. JVn comptai 
plus de vingl-sept courant sur la neige, mais hors de portee. 

Le sommet deTArriel (2,883 met.) est un chaos de roches 
feldspathiques, mica et amphibole, analogues a la minette 
des Vosges; mais la, elle est stratiftee en place; c'est une 
leptynolite. 

Mes explorateurs n'en finissaient pas; pour economiser le 
temps, je leur (is signe de descendre par le Sud-Ouest, puis, 
me chargeant des bottes et du fusil, j'allaia leur rencontre 
vers le col de Sobe *. Ici, il nous fallut traverser une pentc 

I. Viscaria alpina, Fries. 



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la RfcGioN d'arremoulit et le pic d'esqueha. 221 

de 50°. Soustrade, pieds nus dans la neige depuis le matin, 
parce qu'il s J 6tait bless£ la veilleau Pic du Ger, avait gagn£ 
les cnHes. Fort emp&tr6 de tout ce que j'avais sur moi, 
jappelai Laborde k mon aide... A peine eut-il pris ma 
charge que, n'apercevant pas une bande de neige glac6e, le 
pied lui manqua et il glissa comme une fl£che dans les 
abimes du fond. Au premier moment, nous ne pumesnous 
emp£cher de rire de ses culbutes a pile ou face. Mais bien- 
t6t l'effroi nous saisit quand nous le vimes pr£t a se briser 
sur une pointe de rocher qui lui barrait le passage. Heu- 
reusement que le soleil avait fondu la glace autour <?t qu'il 
sarr£ta dans l'espece d'entonnoir creus£ a la base. 

Cette aventure nous rendit plusprudents et nous remon- 
tames sur les cnHes de l'Est, ou, envelopp^s paries nuages. 
nous fumes pendant plus d'une heure en detresse. A la fin. 
un berger de Sainte-Golombe, attir6 par nos cris, nous lit 
descendre dans Arrious. A 7 h. 30 min. nous tHions sur la 
route d'Espagne. 

S'il avait exists un abri dans Arremoulit, nous ne serions 
certainement pas revenus ce soir-la ; nous y aurions attend u 
la journ£e du lendemain, que tout annoncait magnitique. 

Cette ann£e (1884), je voulus encore tenter lascension du 
Palas, avec Orteig pour guide, mais en allant carrtmenl 
coucher en pleine montagne. 

Partis des Eaux-Bonnes, le 21 aoiit dans la journec, avec 
M. de Moland6 et le docteur Doassans, nous (Hions a 
6 h. 30 min. aux cabanes d'Arrious. J'avais choisi celle de 
Debatch dont on m'avait vant£ la proprete... Une autre 
raisou m'avait decide : construite au bord du torrent 
d'Arrious, elle confine aux bois de Soques, et presque toufes 
les nuits, les ours viennent se battre avec les chiens du 
troupeau pour enlever les brebis. Quelle chance si je pou- 
vais donner a mes enfants le spectacle dun aussi joli coup 
de fusil — sans danger!... 



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222 COURSES ET ASCRNSIONS. 

Pendant que nous dtnons souslagrande roche, Omphrie 
et Tronquet, de Sainte-C©lombe, pr£parent- la cabane. D6- 
doublant les toilesqui servent de ioiture, ils en £tendent une 
par terre pour y coucher avec nos cinq guides : Soustrade, 
Laborde et un Espagnol que le docteur a racol6 a Gabas; 
Orteig et Pascal, qui ont chass<§ toute la journSe au Pic du 
Ger, arriveront dans la nuit. Ils el&vent le sol du fond avec 
des fagots et des buches et jettent leurs capes dessus : c'est 
la chambre dhonneur!... Mes lilies se roulent a c6t£ de 
moi, M. de Moland<* et le docteur sont & ma droite. Chacun 
est envelopp£ dans sa couverture, la cartouchi&re k lacein- 
ture, les batons et les armes k c6t6 ; il ne s'agit pas de se 
mettre k son aise dans ces occasions. 

Dailleurs, il faut dormir d'un bloc pour partir de m6me, 
k minuit. Puis... j'avais toujours la bonhomie de penser 
k Tours. Mais il aurait fallu que le malheureux fut sourd 
et aveugle pour venir cette nuit-l&. Une bougie brulait a la 
porte, une autre derri&re moi, accroch£e k un jambon qui 
me servait d'oreiller. Les cinq guides et trois bergers grouil- 
laient k nos pieds, enchev6tr£s les uns dans les autres, 
fumant, chantant ; Tronquet racontant ses campagnes et sa 
prison k Koenigsberg ; Orteig jetant un cri d'eflroi, parce 
qu'en dormant il a allonge son pied dans le feu. Gependant, 
nous nous laissions entrainer insensiblement & un sommeil 
h£vreux, quand un ennemi invisible, arr&t6 d'abord par 
nos molleti&res, nos chemises de laine bien herm£tiquement 
ferm£es aux poignets et au cou, fmit par se frayer un pas- 
sage jusqu'aux endroits les plus retires. Je bondis de mon 
estrade... Oh! s'il y avait eu un abri dans Arremoulit! 

Malgre la privation de sommeil, nous avions tout inte- 
rest k partir de suite pour abr£ger un tel supplied — Je 
gagne la porte pour voir le temps, ecrasant la moitte des 
guides, et je viens tomber sur un magnifique Pastour, 
aussi blanc qu'un ours polaire, qui barre la porte. 

La nuit £tait sombre, ce qui mimportait peu avec noire 



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la region d'arremoulit et le pic d'esqu£ra. 223 

lanterne, quoiqu'elle eut un verre cass£ ; mais il pleu- 
vait... II fallut rentrer. 

Un sommeil invincible finit par nous envahir, malgr6 
le bruit du torrent qui nous fait croire aux bords de la 
•mer. Mais, quel sommeil !... Je reve que je suis tombS la 
fete dans une fourmiliere, et que les fourmis me d^vorent . . . 
Mon voisin tousse si convulsivement qu'il fait tressauter 
loutes les buches de notre couche... Debout! 

11 est i h. 30 min. La porte entr'ouverte laisse p£n6trer 
un air vivifiant au milieu de notre atmosphere de chair 
humaine, et l'eau glac6e du torrent, ou nous nous plon- 
geons la figure, emporte les fatigues de la nuit. 

Cependant le brouillard est aftreux et mouille horrible- 
ment. Quelle journSe aurons-nous? Je desespere dej& d'at- 
teindre mon but, et je cherche un encouragement dans la 
mousse de ma tasse de cafe ; elle pr6dit le beau temps en 
se concentrant au milieu... 

Les festukas 1 , trop durs pour la dent des bestiaux, sont 
couverts d'eau et d'Apollons* engourdis qui pendent jus- 
qu'ili terre. Nous n'avons pas fait vingt pas que nous 
sommes mouilfes jusqu'au genou. Cependant, nos mous- 
taches, ruisselantes de ros6e, ne se d^frisent pas... C'est un 
pronostic de beau, encore bienplus infaillibleque la mousse 
du cafe, et Orteig, pour me rassurer, m'apprend qu'il a 
decouvert un passage horizontal qui abr6gera la route de 
deux heures & Taller et d'autant au retour, en evitant la 
mont£e et la descente du col du faux Arriel. 

Entre les cabanes d'Arrious et le col, nous cueillons une 
quantity considerable de Dianthus que M. Loret a cm re- f 

connattre, l'annee derniere, pour le Dianthus benearnensis 
qu'il a cr£6 et dont nous n'avons jamais pu, inalgr£ de 
nombreuses recherches, retrouver le type si bien indiqu6 

1. Festuca eskia, ftam. 

2. Par nassius Apollo. 



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221 C0UHSES ET ASCENSIONS. 

par lui sous lc pont de Gabas, pr£s de l'h6tel des Pyre- 
nees. Malheureusement, apres avoir etudie plus attentive- 
ment nos nombreux £chantillons de cette annee, il a de- 
clare" que ce n'eiait qu'une forme alpine du D. Monsprssu- 
lanus. J'ai acclimate cette variele en Poitou, oil, malgre 
une terre plus riche et line exposition plus chaude, elle a 
conserve la delicatesse et la tenuite de son aspect al- 
pestre. 

Orteig prend la gauche du lac d'Arriouspourcontourner 
le massif par l'Est. Le brouillard a augments. Nous 
sommes trempgs malgre nos caoutchoucs qu'il a fallu 
retrousser pour marcher. 

Voici le passage : une rochc depenaillee qui d£gringolc 
dans le vide... A quoi se rattraper?... Elle est herissee 
dartemises en fleur, couvertcs de rosee, dont ceux qui 
suivent nous versent les gouttelettes dans le cou, et ce- 
pendant il faut se debarrasser completement des imper- 
m£ables et serrer tout au corps. 

« 11 est eftrayant, votre raccourci! dis-je a Orteig. 

— Oh! il n'y a qu'un tout petit endroit pas bien joli : 
ensuite, ce n'est rien. » 

Je lui confie une de mes filles. Ramon, Pascal et lui la 
descendent. A 10 met. au-dcssous, ils disparaissent dans 
lobscurit(3 ; je ne les entends pas non plus, le brouillard 
nous bouche les oreilles. 

Je concois la lutte avec les diflicultes, avec les dangers 
quelquefois, il faut meme avouer que c\?st un grand 
attrait ; mais j'ai horreur de Hnconnu, de ces tenebres 
implacables et des angoisses de ce silence sepulcral. 

Je les rejoins a 50 met. et les fais remonter en voyant 
qu'Orteig, qui n'y est passe qu'une fois f n'est pas plus stir 
de son « raccourci ». II faut rebrousser chemin pour 
revenir au lac d'Arrious, serrant la crete rocheuse autant 
que possible, pour eviter de tomber dans leau qu'on ne 
voit pas lant la nu£e est opaque. 



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Le m raecourci » a gauche du lac d'Arrious, dessin de M. de Bouille\ 

ANNUAIRK DE 1881. l."i 



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LA REGION D ARREMOl'LIT ET LE PIC d'esQUERA. 2^7 

Une heure aprcs, nous elions au col ou javais cache un 
d£pot dasbeste blanche, en 1*881 ; il n'y est plus '. 

L'ann^e derniere, Arremouiit avait disparu sous la 
neige. Aujourdhui, les grandes berges de ses granits 
rouges, couchees au travers de ses lacs, se chauflent au 
soleii. Palas, enchain^ au Bat-Laetouse par la passe de 
Labrane, est coupe en deux par ies nuages. Franchi- 
rons-nous aujourdhui ses murailles bronze>s? — Je le 
saurai quand nous aurons dejeune. 

La descente a travers les rueiles en ruines, les roches 
plutoniques, les mares, les etangs et les petits lacs, est 
beaucoup plus raide et plus tongue qu'elle n'en a lair. 

Nous nous arrelons au bord dun d6versoir, entre les 
lacs ; deux blocs de glace glissent a la surface, comme les 
cygnes de nos bassins, au souffle de la brise. A mes pieds 

1. HERBORI* \TION I>ES BORD3 DU LAC D'ArRIOLS. 

Gentiana alpina Wi\\. Carex pyrenaica Wahl. 

Myosotis pyrenaica Pourr. Sedum alpestre Will. 

Phyteuma hemisph/pricum L. Sedum atratum L. 

Saxifrage ajug& folia L. Srmpervivum arachnoideum L. 

Saxifraga opposili folia L. Senecio Tournefortii Lap. 

Htttchinsia alpina R. B. Gnaphalium supinum L. 

Vaccinium uliginosum L. Leucanthemum alpinum Lam. 

Salix reticulata L. Sibbaldia procumbensL. 

Salix pyrenaica Gouan. Campanula linifolia Lam. 
Oxytropis pyrenaica Gren. Godr'. A?itennaria dioica Goertn. 

Linaria alpina D . C . Potentilla nivalis Lap. 

Polygonum viviparumL. Anneria alpina Willd. 

Carex nigra All. Alchemilla alpina L. 

Viola bi flora L. Caltha palustris L. 

HERBORISATION d'ArREMOULIT. 

Les plantos precedences se retrouvent presque toutes dans Aire 
moulit ; il faut y ajouter, en descendant du col : 

Soldanella alpina L. 

Ranunculus alpestris L. 

Bunium bulbocastanum. revetant, a ces hauteurs, une forme tivs voi- 
sine de Y alpinum W. et K. 

Conopodium denudahnn Kooh. 



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228 COURSES ET ASCENSIONS. 

est un foldspath, avec mica rouge, que j'ai dabord pris 
pour une leptynolite d'Arriel. 

Quand on na pas dormi, il faut manger; c'est la oontro- 
partie du proverbe : Qui dori dine ! Malheureusement, les 
minutes d£pens£es pour reconstituer les forces diminueni 
nos chances d'ascension. 11 est 10 h. 30 min. ; les nuages 
d£versent deja dans Arremoulit ; jamais je ne les gagnerai 
de vitesse... 

Comme nous gravissons la grande base du pic, oscarpe>, 
fatigante mais facile, un bel £chantillon de tourmaline dans 
du quartz nous tombe sous la main. Les fleurs sont rares ; 
nous rencontrons quelques gentianes alpines et YAronicum 
scorpioides, D. C. Une grande douve de 150 met., remplie 
de neige, nous s£pare des railleres ou glissent les debris 
des murailles du sommet. Cette seconde portion du pic est 
funebre : on dirait un linceul sem£ de larmes de neige ; 
landis que le systeme qui nous porte est en granit rose, 
earacteristique de tout Arremoulit '. 

Une particularity de celte masse, et que je n'ai vue qu'ici, 
cost la disposition de pocbes ou la roche semble s'<Hre 
I'nfoncee. Les debris sont tombes dans ces trous ; les ava T 
lanches, probablement, ont oogneoes pierres comme un 
paveur avec sa demoiselle, et il en resulte un pav£ tivs 
egal, a moellons serr£s, qui sont liches debont aussi r£gu- 
lieremenl que dans nos rues les plus soigne>s. 

Tar la douve, nous gagnons, en montant plein Est, un 
<ol tr&s accessible qui domino Labrane, la Roche de la 
Providence, les lacs d'Arriel dont les eaux se perdentdans la 
brume des plaines pour aller arroser les champs do Salient. 

Mais ce qui est plus splendide, cost le Bat-Laetouse, la a 
deux pas, nous nhelant les merveilles de sa formation 
geologique, sculptors dans un chaos de cheminees et d'ai- 
guilles. Une balafre, en bandouliere, le fend en deux du 

1. En reality, lc granit est gi-is; cost Je contact prolonge des neiges 
ijui decompose les parties ferniLriueuse* et los trim on rose. 



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LA REGION D'ARRKMOl'LIT ET LE PIC D'ESQIERA. 229 

Sud-Ouest au Nord-Est : c'etait notre Iigne dascension do 
1881, ct nos regards avides voudraient y reconnaltre la 
trace de nos pas. 

Nous sommes en Espagne; je regarde par une £chan- 
crure. Presque tous les cols sont occup£sdans ce moment a 
cause du cholera; je voudrais bien n'avoir rien a d£meJor 
avec les cordons sanitaires. 

Nous n'avons que 50 met. k descendre pour rentrer en- 
suite en France et commencer la derniere partie del'ascen- 
sion, par lEst-Sud-Est. 11 ne faut plus qu'une heure et demie 
pour atteindre le sommet. La coupe est \h> je la touche, et 
pourtant je refuse d'y porter les levres, parce que les nuages 
aussi sont la; its montent & l'assaut avec nous, en batail- 
lons afibl£s, maintenant qu'ilsne sont plus retenus dans les 
abimes par la pesanteur du jour, lis me cerneront la-haul 
ou je resterai prisonnier sur quelque bloc glace, sans avoir 
m£me le temps de trouver une seconde Roche de la Provi- 
dence!... 

Gelui qui se risque seul, dans la montagne, n'^prouvo 
pas la centieme partie des jouissances que je partage avec 
mesenfants; mais il rira peut-etre de mes terreurs, parce 
qu'il ignore les angoisses qui en sont la cause et que 
comprennent mes compagnons, quand je donne l'ordre de 
la retraite, pour ne pas tenter Dieu. 

Ah ! s'il y avait un abri ici m^rno, — car e'est la qu'il le 
faudrait, — j'aurais explore les environs; dans ces deserts 
sauvages ou ne vivent que les ptarmigans et les isards, il 
y avait de quoi nous occuper jusquau soir. Une nuil 
exempte des hallucinations de la veille m'aurait permis 
d'aller saluer le premier rayon du soleil au sommet du 
Palas et d'y passer six heures avail t d'avoir vu les vapeurs 
de la terre lecher les tlancs du pic. Au lieu de cela, bien 
qu'il ne soit que midi, j'ai la certitude que nous sommes 
perdus si nous continuons l'ascension... Ce qui va nous 
arriver le prouvera!... 



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230 COURSES ET ASCENSIONS. 

Nous avons mis une heure et demie pour monter ici ; un 
quart d'heure nous suffit pour descendre au lac, englissant 
Est-Ouest sur les neiges qui ne fondcnt jamais au fond de 
la grande douve dont j'ai parte. Ge lac paralt plus grand 
que la carte d'Etat-major ne le ferait supposer. Mes enfants 
jettent dans ses ondtes le talisman qu'elles voulaient d6po- 
ser au sommet de Palas comme elles 1'ont fait au Bat-Lae- 
touse. 

Pousses par le vent d'Ouest, les nuages se d^chirent sur 
les cimes : il y a des moments d£claircie. Orteig en profite 
pour me proposer de prendre son fameux raccourci k 
rebrousse-poil, en c6toyant la rive gauche du lac. 

Un peu confus de ma reculade de ce matin, je c£de, par 
respect humain,^lattraitde la nouveaut^.MontantauNord- 
Nord-Ouest, nous tombons dans le pays des grenats. Le sol 
en est couvert; beaucoup sont detaches de la roche; il y en 
a qui ont la largeur dune pi£ce de 50 centimes. Avec eux, 
est un fragment dun gris ccndre, passant au sombre 
comme s'il avait £t<5 frappS par la foudre ; il a le poids du 
plomb : c'est un calcaire ptfnetre de quartz avec des poin- 
tes et des filons de quartz noir qui a un reflet metallique. 
Nous montions insensiblement quand, au detour d'un 
promontoire, Orteig me dit, en me montrant une sorte de 
gouflre au fond des nuages : « Voila mon passage! » 

Je mets de c6t6 tout amour-propre; il y a des circon- 
stances ou je ne risque ni mes amis, ni mes enfants. Le 
docteur, qui vient de prendre un bain dans le lac pour 
rep£cber une de nos tasses, descend en Sclaireur avec 
Ramon... lis reviennent presque aussit6t, declarant qu'on 
ne peut se lancer dans une telle aventure au milieu de 
l'obscuritG. En effet, les nu6es sortent de cet entonnoir, 
aussi noires que la fum<§e d'une usine. Orteig, lui, s'y 
enfonce rSsolument avec Pascal. Quelques instants apres, 
ils ont disparu et leurs voix m£mes n'arrivent plus jusqu'& 
nous. 



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LA REGION d'aRREMOULIT ET LE PIC d'eSQUERA. 531 

Que faire?... sans guide, — au milieu des nuages, — dans 
une contr^e qu'aucun de nous n'a jamais traverse^?... 

Je decide de descendre au lac d'Artouste. Soustrade 
prend lat£tede notre petite colonne, efnous voila courant 
au Nord-Est dans les £claircies, trSbuchant a tatons quand 
on n'y voit plus, ou que le pied sent la roche disparaltre. 
Nous descendons ainsi 2 ou 300 m£t. Mais le sol nous man- 
que. Allons-nous coucher la?... Etcependant ce me serait 
une satisfaction en pensant a ce qui pouvait m'arriver sur 
les hauteurs de Palas... 

Soustrade crie au perdu!... Les bergers espagnols, cam- 
pus au lac d'Artouste, repondent de pointer au Nord! 
J'allais m'y decider quand le docteur, qui a disparu vers 
1'Ouest, entend une voix, tres affaiblie par la distance; elle 
semble venir du ciel et nous appelle dans les hauteurs du 
Nord-Ouest; c'est Orleig. II nous indiquait notre veritable 
voie. En effet, une heure apres, nous I'avions rejoint au 
col d'Arrious. Ce n'est pas sans peine qu'il s'est tir£, avec 
Pascal, de son fameux raccourci, assurant toujours qu'il 
sera tres praticable quand il y aura mis des barres de 
fer?... (Test possible ; rnais en attendant, quand on r£pond 
de la peau des autres, on veut y voir clair, et c'est ce qui 
m'a manqu£. 

Cinq minutes avant notre arriv^e, au col, une roche a 
roul£, juste au milieu du sentier qui descend au lac d'Ar- 
touste. Elle me manage une agr^able surprise : c'est la 
premiere Xois que je rencontre unetr£molitefibreuse p£n£- 
tr£e de calcaire blanc; je Tavais prise d'abord pour un 
polypier-fossile. 

Faisant route avec deux douaniers qui viennent de pren- 
dre des contrebandiers d'allumettes, nous ramassons nos 
couvertures a la qu£ba et, passant sous les nuages, au 
travers de la foret, nous retrouvons enfln la lumiere sur la 
route d'Espagne. II est 6 h. 30 min. 

En r6sum£, quoi qu'il en soit du raccourci d'Orteig ou 



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232 COURSES KT ASCENSIONS. 

je promets bien do passer en plein jour, je erois qu'il y a 
mieux : ce serait de descendre r6solument lc cold'Arrious, 
sans passer pres du lac, — comme si I'on avait le lac d'Ar- 
touste pour objectif, — de prendre a mi-c6te, Est-Sud-Est, 
par le chaos de neige et de rochers ou nous nous sommes 
perdus, de traverser le dtfversoir du grand lac d'Arremoulit, 
et de pointer Nord-Est au col de Palas par la grande douve. 
II fund rait suivre la m£me ligne pour le Bat-Laetousc, 
puis descendre du col de Palas sous la passe de Labrane 
et de la, au lac Glace\ On gagnerait ainsi 3 kilom. sur la 
direction que nous avons suivie en 1881 ;ce qui est 6nor- 
me en montagne. 



II 



II est des grimpeurs qui ne soccupent pasdunpic a moins 
qu'il n'ait 3,000 met. Je n'ignore pas les charmes de cette 
altitude; mais je pose en principe qua partir des stations 
alpines, c'est-a-dire 2,000 a 2,500 met., vous pouvez trouver 
des sujets d'etude extr&mement int^ressants sur des pics 
de second ordre : dans les fleurs qui sont leur parure et 
qui ont chacune un insecte ou un papillon dont elles sont 
le berceau, le palais et le tombeau; dans la forme que 
Dieu a pr£t£e a ces sommets en les faisant surgir de la 
croute terrestre ; dans les tresors qu'ils cachent dans leurs 
flancs ou les mineurs vont chercher la fortune et oil ils 
trouvent quelquefois la misere ou la mort. On me pardon- 
nera done de parler dun pic tout a fait de second ordre 
et qui offre cette particularity de n'etre pas nomm^ sur la 
carte d'Etat-major, malgre lintelligence, le m^rite et le 
devouement de l'ofiicier a qui nous devons la topographie 
de cette partie des Pyrenees. Tout manquait a cette epo- 
que : l'habitude des excursions, les guides. II n'y avait 
que deuxchoses qui ne lui ont pas fait defaut : un cadastre 



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LA REGION D AHRKMOUMT ET LE PIG D ESQUERA. "233 

des plus defectueux et les nuages qui couvrent presque 
tous les jours cette portion de la cbaine. 

Voici comment le hasard, ou plukU ma bonne fortune, 
nous y a conduits. 

Nous n'avions pas encore foul£ le sommet de la Latte de 
Bazen (2,471 met.) dans le massif Sud du col de Tortes. 
Parli des Eaux-Bonnes le 31 aout, avec un de nos amis, 
M. de Molandd, suivant la route thermale de Gauterets 
jusqu'a Gourette, j'entrai dans la gorge des Englas par le 
rocher du Boucaou. Puis, piquant rapidement k l'Est, je 
m'glevai par des pentes tres abruptes au-dessus de la Table 
de Bazen et fus bient6t au niveau de la Latte. G'est alors 
qu'une pointe plus elevee et en recul du cbalnon attire 
mon attention. Elle est bien indiqu^e sur la carte d'Etat- 
major, mais sans nom, ni altitude. Son nom est le Pir 
d'Esquera; son altitude, je chercherai a, l'evaluer tout a 
l'beure, mais d'une maniere fort hypotbeHique, puisque je 
n'avais pas d'instrument. 

Cette ascension n'est pas absolument dangereuse: mais 
si la pluie, qui commence, vient a continuer, je ne sais pas 
comment nous pourrons nous tenir sur les strates, un eal- 
caire feuillete, qui descendent perpendiculairemenl sur 
nous ! . 

Une ruelle de 100 met. nous conduit a un observalohv 
ravissant : rien n'y manque, les bancs sont a profusion 

1. Carex nigra All. 
Ranunculus paniassifolius L. 
Ranunculus Thora L. 
Hutchinsia alpina L. 
Aster Alpinus L. 
Saxifraga aizoides L. 
Saxifraga csesia L. 
Saxifraga longifolia Lap. 
Saxifraga oppositifoliaL. 
Lithospermum Gastonii Bent. 
Passerina dio'ica Ram. 
Leontopodium Alpinum Cass. {UEdelweiss des Allemamls.> 



r 



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234 COURSES ET ASCENSIONS. 

aupres d'un balcon d'oula vue est splendide. Tout le monde 
a vu la Latte, de la place Royale de Pau, par un temps ordi- 
naire ; mais peu de personnes peut-£tre ont remarqu£ qu'elle 
paralt plus haute et plus large Iorsque le ciel est plus pur... 

J'en trouve la raison dans ce moment : c'est qu'Esquera, 
qui est juste derriere elle, devient alors visible et lui sert 
de rallonge. Enfin, si Fair est d'une transparence parfaite, 
la masse devient encore plus large, parce que le Bat- 
Laetouse vient se joindre a eux : la place Royale, la Latte, 
Esqutfra et le Bat-Laetouse sont sur la m£me ligne droite. 

Esquera sort de son chalnon a mi-corps, inclinant la t&te 
dans la direction du soulevement des Pyr6n6es; t<He si 
chenue et si rap6e qu'il faut se dechausser pour aller 
cueillir le Draba pyrenaiea, L., tout a fait a lextremite' de 
son occiput. La vous attend une autre surprise : si vous 
<Hiez mont£ par les cr&tes de Louesque, vous arriviez 
presque de plain pied par les pentes de gazon. 

A Toeil nu, j'estime a 2,550 met. Taltitude oil nous 
sommes, c'est-a-dire 79 met. de plus que la Latte? Peut- 
Mre suis-je trop genereux ; les nuages nous enveloppent, et 
ils ont rinconve"nient de grandir les hauteurs au travers 
des 6claircies. J'ai une autre raison pour appuyer au 
moins cette altitude... J'ai confiance dans certaines plantes. 
Je sais bien qu'il y a des vierges folles parmi elles; ainsi 
YErinus alpinus, L., fleurit a Pau comme a 2,600 met. Mais 
il y en a aussi de serieuses, et, quand vous les trouvez au 
sommet d'un pic, ou elles sont venues de leur plein gre, 
elles accusent une altitude. Le Draba pyrcnaica y L., le Saxi- 
fraga iratiana, Schultz, indiquent 2,600 met. 

Si vous les trouvez au-dessous, ne les croyez plus sur 
parole, parce qu'ellesontpu, comme tant d'autres, ceder a 
l'entralnement des temp^tes, aux caresses d'un oiseau ; quel- 
quefois une rocheles a enveloppecs dans sa chute... Ainsi, 
vous trouvez le Draba pyrenaiea au Salient de Sesques, le 
Saxifraga iratiana dans le cirque de Gavarnie; au Pic du 



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LA REGION D'ARREMOULIT ET LE PIC d'eSQUERA. 235 

Midi d'Ossau,le Ranunculus g facialis, L., a gliss£ jusque dans 
les ruines de Mondeils. Mais ici, le Draba pyrenaica n'a 
pu tomber de nulle part; c'est pourquoi, sauf preuve du 
contraire, jo crois & une altitude de 2,550 met. environ. 

Comme les massifs de I'Ouest, au-dessous de nous, ont 
<He fouill^s! On peut faire remonter l'epoque des premieres 
explorations jusqu'aux Romains; un puits porte encore leur 
nom, dans Ar. II y a quelques jours, traversant les preci- 
pices d'Herrana, nous avons vu, suspendus aux rochers de 
Mous Cabarous, les lambeaux des couvertures avec lesquel- 
leson a Iraine, surla neige, lescadavresdedix-septmineurs 
ecrases sous la meme avalanche; ce qui n'a pas empikhe 
d'aulres compagnies dattaquer vigoureusement les llancs 
de Counques, sous nos pieds; la mine y resonne 5. chaque 
instant. 

Nous voyons au Sud-Ouest le col de Sourins laboure par 
la foudre. On croirait que la charrue y a pass£; jai trouve, 
dans ces sillons, le mispickel dont la presence fait toujours 
tressaillir les chercheurs de nickel. 

Le docteur Doassans vient de me rapporter un minerai 
delacr£te deMonjes (2,648 met.) que nous apercevons d'ici, 
an Sud-Sud-Ouest. (Test une substance mineralogiquement 
interessante a cause de la forte proportion d'antimoine 
qu'elle contient, et qu'on n'avait signage jusquici dans 
aucun mispickel; mais ce n'est pas le nickel, si souvent 
cherchcS esp^re, et m&me promis par les chercheurs py- 
ren^ens, ainsi que me le mande M. Des Gloizeaux, membre 
de l'lnstitut, k qui je dois mes determinations : ce n'est 
qu'un mispickel antimonif&re 1 . 

Je ne sais ce que nous veulent un gypaete 1 et un vautour 



1. Souire 18,29 /- 

Arsenic 42,73 

Antimoine 5,93 

Fep 31,86 

2. Gypaetus barbatus Cuv. 



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23H COURSES ET ASCENSIONS. 

griffon 1 qui passent si pres de uous, sous nos pieds oil sur 
nos t£tes, que Ion voit distinctement les grandes pennes 
des ailes, espactfes par la resistance de l'air, pliant sous le 
poids du corps. On dirait qu'ils vont nous magnetiser. 
Leur apparente immobility, tandis qu'ils parcourent en pla- 
nant circulairement un espace immense, a quelque chose 
de mysterieux et de fatidique. 

Le griffon est ignoble; tout en lui est obtus : le bee, les 
ongles et Intelligence. G'est bien le croque-mort par 
excellence; il ne touche a rien de ce qui a vie. Son 
plumage, qui de pres est sordide, a ici des miroitements 
fauves ou violaces, suivant quil traverse un rayon de soleil 
ou un nuage. 

Le gypaete (y0|, vautour, et £st4;, aigle) est plus noble, et 
Ion conceit leffroi des troupeaux d'isards ou je Tai vu 
sabattre quelquefois comme la foudre. 11 ne faut pas trop 
lennoblir cependant; car, tout revelu quil soit de son 
manteau noir k pointes dargent, comme un magistrat sous 
l'hermine, il a l'ignominie de manger la charogne lorsque 
les temps sont durs. 

Du haut de notre balcon, la roche fuit sous moi ; mos 
yeux s'egarent dans le vermilion dore des cateaires qui 
echappent a la lumiere directe. A 400 met. au-dessous, 
mais sans intermexliaire, Bourroux et les Arunglettes. Dans 
les airs, les hirondelles et le martinet de montagne *, bien 
autrement rapide que celui de la plaine, font eHincelor 
largent de leur parure, se precipitant en tourbillons fan- 
tastiques aux plaines de Littor et de Tarbes, comme sij 
enivr£s de vertige, ils avaient perdu la tete. Les nuages 
battent, comme un flot, lilot qui nous porte. — Est-ce lui 
qui vogue, ou eux qui courent?... On ne saurait le dire... 

1. Yultur fulvus Linn. Vuttur, a volatu tardo, disent d'anciens 
auteure. 

2, Cypsefus alpinus Termiuck. Ce martinet est plus gros que celui 
de la plaine et a le ventre blauc. 



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Baloon (In Pic il'lCsqtiera. tles>»iij rl« M. «le Bouille. 



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LA REGION DARREMOULIT ET LE PIC D'ESQUERA. 239 

Une nuee blafarde nous a enveloppes! — Nous ne tenons 
a rien; il n'y a plus ni del, ni terre... et cependant, on 
voudrait vivre iei, si Je pe"ril du retour ne venait nous 

Un coup de tonnerre assombrit encore les images. Nous 
n'avons que le temps de nous enfuir, prenant, sur le flanr 
de la Latte, un sentier eflrayant ou il faut pourtant courir 
pour atteindre le col de Tortes avant 1'orage. II delate alors 
avec une telle fureur que, malgre nos caoutchoucs, la 
pluie nous inonde par la figure, pendant qu f aveugl£s 
par les Eclairs, nous d^gringolons dans l'eau jusquaux 
genoux. 

C le R. de Bolille, 

Membre du Club Alpin Francais 
(Section de Paris}. 



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XI 



OUELQUES MOTS 



I/AIDE ET LES PYRENEES- ORIENTALES 



I'NE AHBESTATION DESAGRSABLE A MONTLOLIS 

I Mus je visile la France, plus je Irouve qu'elle merite 
d'etre niieux et plus complctenient eonnue. L'annee der- 
niere, apres avoir pareouru l'Ariege, je m'etais dcmande 
pourquoi un si beau* departeinent etait si peu visits, et je 
m'6tais promis cette annee de parcourir un peu les Pyre- 
nees-Orientates et les parties de l'Aude liniitrophes de ee 
dernier departenient et de l'Ariege. 

Dans les Pyrene>s-Orientales on ne eonnait guere que le 
Canigou, Am<Mie-les-Bains, le Vernet et le littoral. Les 
botanistes n'ignorent pas que la vallee d'Eyne pros Mont- 
louis est comme flore la plus riche des Pyrenees, mais bien 
peu de personnes savent que les gorges de Carenca, dun 
aeecs tres facile, peuvent soutenir la comparaison avec les 
plus belles vallees des Pyr£n£cs. Et jY'tonnerai certes la 
plupart de ines leeteurs en aflirmant que les gorges du de- 
partenient de l'Aude, traversers par d'excellentes routes 
de voitures, oirrent d'admirables beauttfs. 

La partie la plus pittoresque de l'Aude est bornee a l'Est 
par les Pyrenees-Orientales, a I'Ouest par l'Ariege, au Sud 
par res deux d^partements. De la ville d'Axat comme centre, 



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ANM'AIUK 1)K 1881. 



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QUELQUES MOTS SUR L AIDE ET LES PYRENlllES-ORlENTALES. 2iH 

on peut faire quatre courses intcressantes, dans les direc- 
tions du Nord, du Sud-Ouest, dc l'Est et de l'Ouest. 

D'abord d'Axat k Quillan (12 kil.), en remontant la vallee 
de I'Aude. Parti k 10 h. 30 min. d'Axat apr&s dejeuner, 
j'etais ill h. 40 min. k l'entr£e des gorges de Pierre-Lis. 
Cette premiere partie de la route est deg& tr&s interessante. 
A droite et k gauche, on est doming par des montagnes aux 
formes imposantes : c'est presque une gorge. A l'entre> des 
gorges proprement dites, on trouve encore un tron^on de la 
vieille route que je conseillerai de prendre. Depuis le tunnel 
d'entree jusqua la sortie de la gorge, tout est superbe. Les 
roches calcaires reverent les formes les plus varices et les 
plus fantastiques. Leseauxde I'Aude sont abondanteset tres 
belles, et la route magniftque; les 200 derniers met. de la 
route sont particulierement remarquables. A 12 h. 30 min. 
je sortais des gorges ou j'avais pris trois photographies. 
A I h. 30 min. j'eHais au village de Belvianes ou Ton com- 
mence a voir des oliviers, et je continuais ma route sur 
Quillan ou j'allai prendre le chemin de fer. De la sortie 
des gorges a Quillan le paysage est gtfneralcment joli. 

Gomme seconde course, j'indiquerai celle d'Axat aux bains 
d'Usson en remontant la vallee de I'Aude. Apres 2,500 met. 
environ dune route charmante, on arrive aux gorges de 
Saint-Georges ; leur entree rappelle celle des gorges de 
Pierre-Lis en venant de Quillan. Arrive aux gorges i 9 h.. 
j'atteignais k 1 h. 40 min., apr6s avoir traverse la superbe 
forest de Gesse, la limite du departement de I'Aude et j'entrais 
dans l'Ariege. Toute cette partie de la vallee de I'Aude est 
admirable. C'est un peu moins severe que les gorges de 
Pierre-Lis, sans £tre moins imposant. Les aspects sont plus 
varies. La vallee s'£largit et se retrccit alternativement. 
Les arbres verts se m6lent agreablement aux helres. On 
suit tanlot la rive droite, tantot la rive gauche de la riviere. 
Du village de Gesse on a une vue veritablement d£lieieuse: 
roches a pentes raides boisees. roches nues ressemblant a 



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244 COURSES ET ASCENSIONS. 

de vieilles fortifications, dont on voit 1& encore qVelques 
restes. 

D£S qu f on a quitt6 le departement de l'Aude pour entrer 
dans l'Ariege, on arrive aux bains d'Usson ou d'Husson; les 
eaux sulfureuses contiennent un peu d'arsenic, ce qui est 
rare; l'Stablissement est encore bien modeste. Pr£s des 
bains sont les ruines encore importantes du chateau d'Us- 
son, perche comme un nid d'aigle sur un rocher et d'ou 
Ton a une fort belle vue. En continuant a remonter l'Aude, 
on arrive par une route agreable aux bains de Carcanieres; 
i) y a \k des sources sulfureuses abondantes et plusieurs 
etablissements de bains. 

Toujours en partant d'Axat, i) y a une troisieme et tres 
belle course & faire, celle de la vallee du R£benty. Cette 
rivi&re ou ce torrent se jette sur la rive gauche de l'Aude 
a 2 kilom. environ au-dessous d'Axat. Je vais decrire 
sommairement cette route comme je l'ai parcourue en 
descendant la valine & partir de Belfort. Ce hameau est 
situe sur la rive gauche du torrent. Une excellente route 
de voitures suit le cours de l'eau, le pays est charmant. 
Apr&s une demi-heure de marche, on arrive aux gorges ou 
j'entrais ^ 3 h. (5 min. de l'apr&s-midi. Elles ont quelques 
rentaines de met. et Ton passe sous plusieurs tunnels. La. 
les roches calcaires pr^sentent les formes les plus fantasti- 
ques ; quelques-unes m'ont rappel£ celles du canon du 
Tarn, dans la Lozere : c'est le plus bel eloge que je puisse 
en faire. II y aurait la de bien curieuses photographies a 
prendre; en general, c'est au soleil levant que le paysage 
serait le mieux £clair£. 

De la sortie des gorges jusqua l'Aude, toute la valine du 
Rebenty est tr^s jolie et, par endroits, tres belle; quelques. 
charmants vallons s'ouvrent dans la direction du Sud. A 
i h. 20 min. j'arrivai au village de Joucou, au dela et pros 
duquel est un site vraiment remarquable. Plus loin, c'est 
le hameau de Labeau, gracieusement etag£ sur le flanc de 



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QUELQUES MOTS SUR L'AUDE ET LES PYRgNtiES-ORIEpTALES. 245 

la montagne; ensuite c'est le village de Marsa, dont la 
petite 6glise fait un tres joli eflfet. 11 y a la une auberge ou 
Ton pourrait coucher. Apr&s ce village, on suit la rive 
droite du Rebenty jusqu'a sajonction avec l'Aude et a la 
grande route qui vient de Quillan et mene a Axat. II y a 
environ 25 kil. entre Belfort et Axat ; c'est une excellente 
route de voitures. 

Dans mon voyage j'ai gagne Axat en venant des Pyre- 
n£es-Orientales. Le matin, j'eHais parti des bains de Molitg 
dont les eaux sulfureuses commencent a avoir beaucoup 
de reputation ; on y traite les rhumatismes, les douleurs 
nerveuses et surtout les maladies de la peau ; on vient d y 
construire de somptueux cabinets de bain. Le site est tres 
beau. 

Parti le matin, je ne me rappelle plus au juste a quell*' 
heure, j'entrais all h. 20 min. sur le territoire de l'Aude; 
je traversai le joli bois de Lagaste et a midi 55 min. 
jarrivais a la Boulzane dont les bords sont remarqua- 
blement pittoresques. On passe par Gincla et Salvezines. 
On peut admirer de la grande route des montagnes 
calcaires, aux formes majestueuses et accident^es. On 
laisse sur la gauche les ruines importantes du chateau 
de Puylaurens, et plus loin on arrive au village de la 
Pradelle ou Ton quitte la Boulzane et la direction du Nord 
pour prendre a l'Ouest. On reinonte d'abord le cours du 
ruisseau de iMagnac, affluent de la Boulzane, pour suivre 
ensuite le cours de l'Alies qui se jette sur la rive droite de 
l'Aude, un peu au-dessous d'Axat et un peu au-dessus du 
Rebenty. La derniere partie de la route est d£licieuse et 
d'autant plus belle qu'on se rapproche davantage de la 
valine de TAude. A 4 h. 35 min. j'Stais a Axat, a l'hdtel 
Richard. Je my suis trouve tres bien; nulle part je n'ai bu 
d'aussi bon vin de Frontignan. Quelque interessante que 
soit cette derni&re course, je lui pr^fere les trois prec*'*- 
dentes. 



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246 COURSES KT ASCENSIONS. 

Pour un touriste arrive a Axat on venant des Pyrenees- 
Orientaleset qui desire voir beaucoup de pays en peu de 
lemps, voici le meilleur itin^raire a suivre : Premiere jour- 
nee : d'Axat aux bains de Carcanieres. Seconde journe> : 
des bains de Carcanieres a Ax dans l'Ariege par Querigut, 
Mijanes, le col de Palheres et la vallee de la Lauze, course 
Ires belle et tres facile, ou un guide nest pas neeessaire. 
I'ne troisieme journ£e suftit pour aller d'Ax a Axat, a con- 
dition d'aller en voiture d'Ax a Espezel. Gomine une denii- 
journe> suffit pour aller d'Ax a Quillan, on pourrait le troi- 
sieme jour partir a pied d'Ax et coucber au village de 
Marsa dans la vallee du Rebenty. Le quatrieme jour on 
irait de Marsa a'Uuillan. 

Le d£partement des Pyrenees-Orientales, dont je vais 
maintenant dire quelques mots, est arrose par trois Cours 
d'eau principaux : l'Agly au Nord, la Tet au Centre et le 
Tech au Sud. 

L'Agly prend sa source dans l'Aude, suit une direction 
Xord-Sud jusqu'a Saint-Paul-de-Fenouillet dans les Pyre- 
nees-Orientales, pour se diriger ensuite a I'Est. 

A Saint-Paul-de-Fenouillet, il ne I'aut pas manquer 
d'aller visiter l'ennitage de Saint-Antoine de Calamus el 
surtout l'admirable gorge qui commence au-dessus de 
Termitage pour aller deboucher 700 a 800 met. plus loin 
dans le d^partement de l'Aude, en remontant le cours de 
l'Agly. 11 n'y a encore la qu'un chemin trop etroit pour 
donner partout passage a deux personnes, mais ce sera 
bientot, je crois, une bonne route de voitures. 

Je n'ai pas vu dans tout mon voyage une gorge aussi 
• troite sur une pareille longueur. Le chemin est de niveau; 
illonge la rive gauche de la riviere, qui est la un veritable 
torrent. En remontant celui-ci, on le domine dabord de 
80 met. environ pour arriver, a la sortie de la gorge, a 
quelques metres seulement au-dessus de leau. A droite 
i 'est une muraille de rochers, a gauche c'est le precipice. 



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QUELQUES MOTS SUR i/AUDE ET LES PYRGnGeS-ORIENTALES. 249 

A l'entrde comme k la sortie, les roches calcaires peuvent, 
pour la vartetS des d£coupures et r&tranget£ des formes, 
soutenir la comparaison avec les gorges de Pierre-Lis, do 
Saint-Georges et du R£benty. Je dirai en passant que la 
route de Quillan k Saint-Paul-de-Fenouillet pr^scnte quel- 
ques passages assez remarquables. 

La valine du Tech est tres belle ; je l'ai remontee d'Am6- 
lie-les-Bains k la Preste, ou il y a un 6tablissement ther- 
mal important. Arles-sur-Tech poss£de un vieux cloltre 
gothique tr&s remarquable, plus une ancienne £glise 
romane assez curieuse et une vieille tour. Prats-de-Mollo, 
avec ses anciennes fortifications et son £glise haut perch^e, 
est de l'aspect le plus pittoresque ; mais n'ayant pas fait do 
courses dans les valines lat£rales, je ne parlerai pas davan- 
tage de la valine du Tech. Je m'£tendrai un peu plus sur 
celle de la Tet, que je crois de beaucoup la plus intSres- 
sante du d^partement des Pyr6n6es-Orientales. 

Partant de Saint-Paul-de-Fenouillet, je me suis rendu a 
Millas sur la rive gauche de la Tet. On y voit sur la place 
une porte ancienne et assez curieuse. II faut un peu plus 
d'une heure et denrie pour monter sur l'autre rive k l'er- 
mitage de Forca-Real,d'ou Ion a une belle vue sur la mer 
et les montagnes. On trouve des coquillages fossiles en 
abondance sur la rive gauche de la Tet. 

De Millas je suis all£ & Prades par le chemin de fer ; la 
route est assez jolie. Des fen<Hres de l'excellent h6tel Ja- 
nuari, on a une tres belle vue sur le Ganigou. Les bains de 
Saint-Michel, dans la ville,ont et£ en partie construits avec 
des debris du cloltre du m£me nom, dont il ne faut ,pas 
manquer d'aller visiter les derniers restes k 3 kil. de 
Prades. II y a eu Ik une abbaye tres importante ; la tour de 
Tancienne £glise est encore bien conservee,et k l'entree de 
Tabbaye il y a sur des montants en pierre deux bas-reliefs 
assez remarquables dont Tun represente saint Pierre. Le 
site est tres joli. Remontant le cours de la Tet k partir de 



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250 COURSES ET ASCENSIONS. 

l'rades,on trouve &2kilom. le joli village de Ria,et Ikilom. 
plus loin on rencontre Villefranche-de-Conflens, ville forte 
qui barre la valine. Le pied de ses remparts est baigne par 
la Tet et la riviere de Fillols ; elle possede encore quel- 
ques vieux monuments. De pres conune de loin, elle pro- 
duit leffet le plus pittoresque. 

On remonte le cours de la riviere de Fillols et dun ruis- 
seau qui s'y jette pour alter k Vernet-les-Bains. On passe 
par Corneilla-de-Conflens ou s'eleve une eglise romanedont 
le portail et labside sont remarquables. II y a une grande 
analogic entre son portail et celui de leglise de Villefranclie. 

Au Vernet je suis alle & l'botel des Commandants, ou je 
me suis trouve fort bien. Une Compagnie fait actuellement 
de grands frais dans cette station balneaire. II y a mainte- 
nant un casino, un grand hotel qui adu ouvrir le t er juillet. 
(iomme on voudrait faire du Vernet une station hivernale, 
on a mis une bourne de chaleur dans chaque chambre. A 
letablissement de bains les cabines sont belles et tr£s con- 
fortables. Le pare est cbarmant. Le climat est un peu moins 
chaud qu k Amelie-les-Bains, mais le site doit £tre moins 
humide, et la beauts des arbres indique quil doit y avoir 
peu de vent. 

Tout autour du Vernet il y a des courses interessantes a 
faire. J'ai essaye sanssucces lascension du Ganigou. Gelait 
le 10 juin, epoque ou lascension est generalement possible. 
Arrive avec mon guide, Micbel Nou, apres une beure au 
moins de marche dans la neige, au bas de la chemin£e que 
Ion prend pour gagner la cime, n'etant plus qu k 40 min. 
dusommet, j'ai trouve le passage absolument impraticable. 
La cheminec etait remplie dune neige sans consistanre, 
de hi neige en farine comme disent les guides du Dauphine, 
et une avalanche etait k craindre. A peine commencions- 
nous k battre en retraite que nous en avons vu une des- 
eendre d'une cheminee voisine de <Hle que nous aurions 
du prendre. 



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QUELQUES MOTS SLR l'aUDE ET LES PYR6n6eS-0RIENTALES. 251 

Du Vernet je suis all£ aux bains des Graus d'Olette-Thues, 
en passant par Villefranche. Plus on avanee dans la vallee 
de la Tet, plus elle est belle. Le vieux pont du village de 
Serdinya est dun tres joli effet. 11 faut le traverser pour 
aller ft 1 £glise; elle n'a rien de remarquable comme archi- 
tecture, mais renferme des peintures anciennes vraiment 
belies. II y a dans la sacristie un Christ en bois tr&s cu- 
rieux. 

Le cur£,en me faisant voir un beau reliquaire gothiquo, 
ma donn6 l'excellent conseil d'aller voir les peintures t\o 
l'eglise d'Evol. 

En continuant k remonter le cours de la Tet, on ren- 
rontre entre Serdinya et Olette, sur les bords de la riviere, 
deux tours en ruine d'un tres bel effet. Le village d'Olette 
est k 10 kilom. de Villefranche, ses maisons sont pittores- 
quement 6tag6es sur la rive gauche de la Tet. Pour aller 
d'Olette k Evol on remonte dans la direction du Xord- 
Nord-Ouest, sur une longueur de 3 kilom. environ, une ra- 
vissante valine arros£e par un ruisseau tributaire de la Tet. 
L'eglise est dominie par les ruines d'un chateau fort et 
renferme des peintures qui rappellent celles de lVglise de 
Serdinya, mais elles sont certainement plus remarquables. 
Je recommande cette interessante petite course. 

Redescendu k Olette, je reprends la valine de la Tet et 
vais coucher 3 kilom. plus loin k l^tablissement des bains 
des Graus d'Olette-Thues. Avant d'y arriver, il ne faut pas 
oublier d'aller a un premier 6tablissement de bains, au fond 
d'une gorge sur les bords de la Tet; la riviere coule \k entre 
des roches noir&tres couples k pic. Le site est sauvage et 
du plus grand caractere. 

Les bains des Graus d'Olette-Thues sont remarquables 
par l'abondance, la varied etle nombre deleurs sources, en 
lout 42, les unes alcalines, les autres sulfureuses. Ces der- 
nieres sont les plus nombreuses; plusieurs ont une tempe- 
rature beaucoup trop Slevee pour qif on puisse y tenir la 



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252 COURSRS ET ASCENSIONS. 

main. On a calculi, je crois, qu'en utilisant toutes les eaux 
on pourrait donner jusqu'& 24,000 bains par jour. Dans une 
promenade faite dans les d£pendances de l'^tablissement, 
je me rappelle 6tre arrive k un endroit oil deux sources 
chaudes, l'unesulfureuse, l'autre sans gout et probablement 
alcaline, descendaient le long d'un rocher a 2 ou 3 mM. 
de distance l'une de l'autre et allaient ttedir l'eau 
d'un petit ruisseau coulant au fond d'une gorge et sur les 
bords duquel poussaient de beaux figuiers k une altitude 
ou Ton n'en rencontre plus. lis avaient des fruits, on nva 
dit qu'ils n'y murissaient pas. Je ne sais si je me trompe, 
mais je ne crois pas qu'il y ait en France un seul endroit 
ou Ton pourrait traiter autant de maladies diflferentes. 

Comme on est tr£s bien k l^tablissement des bains 
d'Olette-Thu&s, c'estde \k que je conseillerais departirpour 
la belle course des gorges de Garenga. Elles s'ouvrent en 
face du village de Thues a 3 kilom. en amont des bains. La 
rivi&re de Garenca se jette sur la rive droite de la Tet. De 
la route on a une trds belle vue sur lentr<5e et les mon- 
tagnes du fond qui sapercoivent par l^chancrure de la 
gorge. On y penetre par un tunnel fait de main d'homme. 
Le chemin suit d'abord la rive droite de la riviere. La 
gorge dans sa premiere partie est tres 6troite et presque 
lugubre avec ses rochers k pic de couleur sombre. J'ai fait 
ma course le 21 juin, les eaux (Haient beaucoup plus 
hautes qu'elles ne le sont d'ordinaire k cette £poque, el 
mon guide, un p&cheur de Thues, dont je regrette d'avoir 
oublie le nom, a dil me prendre plusieurs fois sur ses 
£paules dans le trajet, pour m'^viter d'entrcr dans l'eau 
jusqu'a mi-jambe. La course est du reste des plus faciles: 
on n'a qu'ifc suivre le torrent, tantdt sur une rive, tantot 
sur l'autre, et un guide n'est pas n£cessaire quand le tor- 
rent est rentr£ dans son lit. 

Partis de Thu£s k A h. 10 min. du matin, nous avons 
march£ sur la rive droite jusqif a 5 h. 50 min. Arrive sur la 



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QUELQUES MOTS SUR l'aUDE ET LES PYR6n6eS-0RIENTALES. 253 

rive gauche, jem'arrcHe un instant pour contempler a mon 
aisele cirque ou nous venons d'entrer ; la valine s'est 61argie, 
mais elle n'est pas moins belle, elle pr£sente une succes- 
sion de superbes points de vue dune singuli£re variety. 
De 5 h. 50 min. a 6 h. 15 min. nous traversons, je crois, 
neuf fois la rivi&re sur de petits ponts. Toute cette partie 
de la course est splendide. R£gle g£n£rale,quand,dans les 
montagnes, il faut a tous moments passer d'une rive sur 
Fautre d'un torrent, les sites sont remarquables. 

A 6 h. 35 min. je m'arr&te pour admirer a mon aise; je 
ne suis qu'a quelques m&tres au-dessus du torrent; en me 
retournantj'aidans la direction du Nord une vue superbo: 
je d£couvre presque toute la partie inferieure de la vallee, 
et comme fond de tableau j'ai les montagnes de la rive 
gauche de la Tet, ou Ton reconnalt parfaitement le village 
de Liar perchg a une grande hauteur. Tout autour de moi 
le paysage est magnifique, la vallee est large, je suis dans 
un beau cirque de verdure ou se dressent des rochers en 
forme de tours, d'aiguilles et de pyramides. 

A 6 h. 45 min. je commence a voir les neiges du fond. 
Les essences dominantes a droite et a gauche sont toujours 
le tilleul, le bouleau, le noisetier et le fr£ne. On ne ren- 
contre qu'un pcu plus loin les arbres verts. Les pentes, par 
place, sont couvertes de superbes genets en fleurs. 

A 7 h. 50 min. nous arrivons sur le territoire de la 
commune de Fonpedrouse ; la valine assez large est encore 
superbe, et les sites eharmants abondent. A 10 h. 5 inin. 
nous arrivons au premier etang, a 10 h.,15 min. nous 
sommes au second et a 10 h. 50 min. nous arrivons au 
lac de Garenqa doii sort la riviere. 

Les deux premiers tiers de la route sout les plus beaux, 
ils peuvent soutenir la comparaison avec ce qu'il y a de 
plus remarquable dans les Pyrenees ; c'est aussi grandiose 
que la route de Cauterets au lac de Gaube, et les aspects 
sont plus varies. J'ai fait la course au bon moment. Le lac 



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25 i COURSES ET ASCENSIONS. 

de Carenca, situe a 2,266 met. d'altitude, etait encore gele, 
et, grace a l'abondance de la neige, dont la blancheur 
contrastait avec la couleur sombre des rochers, le fond de 
la vallee c^tait superbe. 

A midi, nous songeons ail retour. Nous suivons d'abord 
la rive gauche du torrent, comme a la mont£e, puis incli- 
nant au Nord-Ouest nous montons une pente assez raide 
couverte de paturages, pour redescendre sur le versant 
Ouesl des montagnes de la rive gauche de la riviere de 
Carenca, de maniere a rejoindre la valine de la Tet au- 
dessus de Fonpedrouse, pour ensuite gagner Montlouis. 
• A 2 h. 55 min. nous sommes a un col; la vue est assez 
belle, elle s'etend sur un grand nombre de pics encore 
converts de neige ; nous voyons Montlouis et beaucoup de 
villages de la Gerdagne. La descente se fait par des che- 
mins faciles: partout le paysage est joli et quelquefois 
Ires beau. 

A 1 h. 45 min. nous sommes au hameau de Prats-de- 
Valaguer, nous passons pres des bains de Saint-Thomas, 
dont nous sentons les emanations sulfureuses, et, apres 
avoir traverse la Tet, je me separe de mon guide. Nous 
nous quittons satisfaits, je crois, Tun de l'autre et je vais 
coucher a Montlouis a I'h6tel de France, oil je me suis 
trouve tres bien. Dans cette journee, j'avais dti marcher 
douze heures. 

Autour de Montlouis j'avais visite les jours precedents la 
tres petite, mais tres interessante eglise de Planes, la vallee 
d'Eyne et Font-Romeu. 

La valine d'Eyne, celebre pour sa (lore, nest pas tres 
pittoresque; mais cette ann£e, grace a l'abondance des 
neiges, on avait en approchant du fond de la valine, et en 
s'elevant un peu sur les hauteurs de la rive gauche du 
torrent, une vue splendide sur un h£mieycle de neige 
couronne par des sommets dune altitude de 2,700 met. 
a 2.800 met. 



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QUELQUES MOTS SUIt LAUDE ET LES PYRGnKES-ORIENTALES. 25.S 

Font-Romeu est un ermitage avec dps hotels ou des 
habitants du pays viennent lete passer quelques semaines 
dans les grandes clialeurs; c'est une agitable promenade. 

J'avais remonte* la vallec de la Tet de Millas h Montlouis. 
et je lavais trouvee tres belle depnis Villefranehe. D£siranl 
voir si elle £tait aussi belle au-dessus qu'au-dessous de 
Montlouis, je partis le dimanche 22 juin avec un jeune 
homme du pays, pour satisfaire ma curiosity. Parti k It h. 
30 min. de l'hdtel, j'ai remonte la riviere jusqu'& 3 h. sans 
faire beaucoup de ehemin: car, k partir de Montlouis, il 
n'y a plus guere de sentier trace. Les bords de la Tet sont 
toujours superbes et presentent les aspects les plus varies. 
11 serait tres int£ressant de remonter jusqu k la source du 
fleuve. Pour faire cette course, il faudrait partir de Mont- 
louis de tres bonne heure et emporter couvertures et pro- 
visions pour coucher au besoin une ni\it dans la montagne. 

En rentrant k Montlouis, j'<Hais loin de m'attendre a 
l'aventure dtfsagreable dont je crois devoir dire quelques 
mots a mes lecleurs. Si je la raconte ici, c'est pour faire 
savoir a mes collegues que, la ou les tourist es sont rares, 
un passeport est encore nexessaire pour voyager sans 
enconibre. Voici les fails : 

Arrive k la porte de la ville, je trouve un gendarme qui 
me dit de le suivre a la gendarmerie. La, le brigadier me 
demande mes papiers : je suis suspect. — Pourquoi suspect? 
Parce que j'ai pris, le vendredi matin, une photographic 
dun coin de Montlouis : or, Montlouis est une place forte. 
On envoie chercher tout mon bagage k Th6tel. Je montre 
deux cartes d'eleeteur & mon nom, mon carnet de membre 
du Club Alpintpiecessur lesquelles est ma signature), et trois 
bandes de journaux imprimees. Toutes ces pieces portent 
mon nom, mon pivnom et mon adresse; je donne encore 
une enveloppe imprimee de la Society de Geographie aver 
mon nom et mon adresse. Mais je n'ai pas de passeport; 
le brigadier ne trouve pas mon identite suffisamment eUa- 



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456 COURSES ET ASCENSIONS. 

blie... On me .fouille, on se saisit- demon argent, de inon 
eouteau, on examine tout ce qui .est dans monporte- 
feuille, ou Ton trouve deux telegramriiesque mon pere 
m'av&it adress^s de Nogent-sur-Marne du je demeiire aver 
nies parents. . Le brigadier trouve _toujours moh " idenlite 
insuffisamment etablie. II veut! examiner mes cliches pho- 
tographiques. Je fais; observer. que. si on ouvre les boites 
oil sont mes glaees, en raison de leur extreme sensibilite, 
elles seront absolument perdues, et qu'on n'y trouvera 
pas les preuves de mon pretendii espionnage ; on les res- 
pecte. Le brigadier me fait subir un long iriterrogatoire : 
il me demande la liste des photographies que j'ai prises. 
II pretend qu'on m'a vu mesurer la longueur et la largeur 
du pont ou je me suis place pour executor la photographic 
de Montlouis. Je fais observer que j'ai pris cette photo- 
graphic & 9 h. du n\atin sur une rouie fr6quent6e, ce qui 
serait bien imprudent de la part d'un espion. Le gendarme 
me repond : « II y a des gens qui paient daudace. » II va 
jusqu k me reprocher d avoir examine, en revcnant des 
gorges de Carenca, les restes dun vieux fort qui domino 
le village de Saint-Thomas, et d'avoir pris une note k un 
coin de la route en revenant k Montlouis. 

Sur mes observations que je prends des notes tous les 
jours, en vue de l'article destine a YAnnuairedu Club Alpin, 
re qu'il peut du reste verifier sur mon carnet de notes dont 
il s'est saisi, et que tout ce que j'ai fait est bien naturel de la 
part d'un touriste, le gendarme me repond : « Un ne prend 
pas des imbeciles pour faire certain metier. » 

Ce premier interrogatoire acheve, le brigadier me con- 
duit chez le commandant de place, et, apres avoir confere 
quelques instants avec lui, il mintroduit. Je suis recu, au 
point de vue des formes, avec la plus grande politesse, 
inais quand je dis au commandant, qui a du etre informe 
par le brigadier de toutes les pieces que j'ai produites, que 
jusqu'& present les pieces comme celles dont je suis porteur 



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QIKLQUES MOTS SUR l'aIDE ET LES PYRENEES-OR1ENTALES. 257 

ont paru parfaitement suffisantes pour etablir mon iden- 
tity (l'ann£e derni£re, dans l'Ariege, on m'avait demande 
trois fois mes pieces), il me repond comme le brigadier : 
« Vous n'avez pas de passeport, votre identity n'est pas 
regulierement etablie. » II me dit que la population s'est 
emue. J'ai demands le soir en me promenant quel £tait le 
chiflre de la garnison de Montlouis, « parole au moins 
imprudente dans une ville fortifi^e », me r6pete-t-il deux 
fois. Quant a ma photographie, il me montre, le r&glement 
k la main, que je n'avais pas le droit de la faire, aucun 
dessin, plan ou croquis ne devant £tre pris dans la zone des 
servitudes militaires sans une autorisation prtfalable. Nul 
n'est cense ignorer la loi. « Du moment ou vous <Hes sus- 
pect, ajoute-t-il, et ou vous n'avez pas de passeport, tous les 
autres papiers dont vous pouvez tHre porteur sont insuffi- 
sants pour etablir regulierement votre identity; on vavous 
conduire k Prades ou vous vous expliquerez devant le 
sous-pr^fet et le parquet. » 

Sur cette observation de moi que j'ai vu exposees dans 
une boutique, en face du fort m£me de Vincennes, des 
photographies de ce fort et que j'ai pu, apres cela, prendre 
tres innocemment une photographie d'un coin de Mont- 
louis, lofticier me dit que s'il commandait k Vincennes, il 
ne permettrait pas cela. Quand je lui demande jusqu'ou 
s'etend la zone des servitudes militaires, il est un peu 
embarrass^ et ne me repond pas categoriquement. Je me 
suis dit plus tard & part moi que dans les pares ou dans les 
jardins publics on mettait des affiches pour pr£munir les 
promeneurs contre ce qui est d6fendu, et qu'il serait bon 
de mettre £galement des affiches aux portes des villes for- 
tifies, pour renseigner les voyageurs et leur 6viter un 
desagr£ment pareil k celui qui m'etait arrive. II m'avertit 
qu'il va demander imm£diatement par telegraphe ma pho- 
tographie. J'en suis vivement contrarte et je ne le lui cache 
pas. Je crains que mes parents ne s'imaginent qu'il m'esl 

ANXL'AIRK DE 1884. 17 



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258 COURSES KT ASCENSIONS. 

arrive un accident dans la montagne, car je suis pour le 
moment dans l'impossibilite de les aviser par un tele- 
gramme de ce qui marrive. 

Le commandant me reconduit tres polimenl jusqu'a sa 
porte, el nous nous s£parons dans de bons lermes. II ma 
assure que la demande de ma photographie serait faite par 
lintermediaire du maire de ma commune, de maniere a 
ne pas alarmer mes parents, et je me rappelle que, dans 
le courant de la conversation, il ma dit que tant que la 
culpability d'une personne netait pas etablie, on devait 
avoir pour elle touslesegardsque nitrite un innocent. Apres 
ces paroles, je ne m'attcndais pas a ce qui allait m'arriver. 

Ramene^ a la gendarmerie, je puis faire venir a souper 
de l'h6tel ; le brigadier me garde jusqu'a 9 ou 10 h. dans 
son logement. II m'avait dit que je ne pourrais pas retour 
ner a l'hdtel, mais que j'aurais un ban lit; je couche en 
prison sur un lit de camp ou il n'y a que de la paille. Pour 
arriver le lendemain a Prades et ne pas coucher une se 
conde nuit en prison, je dois prendre a mes frais une voi- 
ture qui ramenera les gendarmes qui m'accompagneront : 
c'est 10 francs. On m'cnleve, avant d'entrer en prison, 
jusqu'a un couteau a lame d'argent qui a une petite 
serpette. 

Le lundi matin, me rappelant de quelle maniere on avait 
examine le contenu de mon portefeuille, je dis au briga- 
dier : « Si j'avais eu des lettres interessant lhonneur d'une 
famille et que j'eusse voulu m'opposer a ce qu'on en prit 
connaissance, qu'auriez-vous fait ? » 11 me repondit : « Je 
n'aurais rien eu de plus presse que de les ouvrir», et cela 
sur un ton tel que je crois, chose triste a dire, qu'en cas 
d'arrestation, justitiee ou non justitiee, la gendarmerie a I'ha- 
bitude den agir ainsi. Je me suis demande a ce moment si 
le commandant de place connaissait bien toutes les conse- 
quences d'une arrestalion et savait qu'elle entrainait ou 
pouvait entrainer la violation du secret des lettres. 



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QUELQUES MOTS SUR L'AUDE ET LES PYRENEES-ORIENTALES. 259 

Le brigadier ajouta : « La police est secrete, les gen- 
darmes sont des gens tries sur le volet. » Je me eontentai 
de lui faire observer que, dans toutes les classes de la so- 
eiete, il se trouvait quelquefois des membres indignes. 

Avant de partir de Montlouis, je ne pus qu'envoyer h 
ines parents un lelegramme disant simplement que je 
retournais a Trades et que je me portais bien. Enfin, je 
inonle en voiture; les quelques personnes qui sont la me 
paraissent assez indiflerentes, et, sans les paroles du com- 
mandant, je ne me serais pas doule que la population avail 
ete emue a mon endroit. Le piolet qui fait partie de mon 
bagage est ce qui me paralt les intriguer le plus. Un des 
gendarmes me dit que si j'avais ete dans une ville du Nord, 
nil la population est moins impressionnable (pie dans le 
Midi, je n'aurais pas asubir le desagrement qui rnarrive en 
ce moment. II ajoute : « Aux termes des reglemenls, nous 
devrions vous mettre les menottes, mais nous ne le ferons 
pas et nous tjteherons de faire en sorte qu'il en soil de 
meme aux brigades suivantes. » 

A Tarrivee a Fonpedrouse, cbangement de gendarmes. 
La on me met les menottes, mais pour rire : l'anneau forme 
par la chaine et les cadenas etait si large que la main y 
passait facilement. La voiture va bon train de Fonpedrouse 
a Olette, ouje dois encore cbanger de gendarmes. La, nou 
veau d6sagr£ment ; j(» passe quatre heures en prison, 
et si les gendarmes, par suite de ce qu'ils appellent la 
•< correspondance », n'avaient pas di\ aller a Prades, j'aurais 
et^ force de coucher a Olette dans une prison ou il ne fait 
pas assez clair pour lire et oil la paille etait infecte. Je 
crois comprendre, d'apres ce que j'entends dire, que les 
gendarmes de Montlouis, ayant une voiture, auraient du 
ineconduirejusqii'i Prades. Je puis heureusement envoyer 
d'Olettc un tel^gramme comme je le desire. Mais en par- 
lant d'(31ette on me met tres serieusement les menottes. 

Avant d'arriver a Prades, je cbange encore de gendarmes 



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260 COURSES ET ASCENSIONS. 

a un village dont je no me rappelle plus le nom. La, on me 
delivre imm£diatement de mes menottes, et j'cntends on 
des nouveaux gendarmes dire d'un air mecontent £ ceux 
qui m'accompagnaient: « On vous a attendus aujourd'hui 
deux heures au parquet », preuve que, d'apres les rensei- 
gnements venus de Montlouis, on me considerait comme 
une capture importante. Du reste, on m'avait toujours dit 
a Montlouis qu'aussitM a Prades je serais interroge\ J'y 
arrive enfln entre 6 et 7 h. du soir. On me conduit au par- 
quet, plus personne ; on me mene a la sous-prefecture. 
Avant de descendre de voiture, je vois arriver un homme 
encore jeune qu'on est alle chercher : c'est le substitut. On 
lui a remis des papiers, et je lui entends dire : « II y a un 
long proces-verbal qui ne dit pas grand'chose. » 

On me debarque a la sous-prefecture avec tout mon ba- 
gage, et je suis introduit dans le cabinet du sous-pr£fet ; on 
me fait asseoir tres poliment, et le sous-prdfet me dit du 
ton dune personne qui me connaitrait: « Mais, monsieur 
Rochat. vous n'avez done pas de papiers pour (Hablir voire 
identity? Vous devez connattre le maire de votre com- 
mune? » Et sur ma reponse aftirmative, il ajoute : « Nous 
allons lui envoyer un t£l£gramme », puis il s'interrompt 
pour me dire : « Je vous preriens que vous pourrez aller 
coucher ou vous voudrez; je vous demande seulement 
votre parole de ne pas quitter Prades et ses alentours. Jo 
dois vous dire que vous serez surveille. » La situation 
s'ameliorait singulierement. Je dis que j'ai produit diflfc- 
rentes pieces a Montlouis, je les tire de mon sac de voyage, 
ou le brigadier de Montlouis en a torm6 une petite liasse, et 
je donne d'abord mes deux cartes d'electeur. Le substitut 
me fait donner ma signature, on la trouve parfaitement 
pareille a celle de mes cartes d'electeur ; je montre mon 
carnet du Club Alpin, ou est 6galement ma signature; 
j'ajoute que je viens de retrouver dans le fond d'une poche 
une lettre qui m'aet£ adress^e de Paris, et, sans Fexaminer, 



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QIELQUES MOTS SUR L AUDE ET LES PYRtiNfcES-ORIENTALES. 261 

le sous-prefet me dit : « Kn voila plus qu'il no faut pour 
constater votrc identite, vous etes libre. » II s'etonne un 
peu qu'a Montlouis on n'ait pas trouve les pieces dont 
jetais porteur suffisantes pour etablir mon identite, et me 
dit de venir le lendemain a 9 h. a la sous-prefecture ou 
Ton me delivrera, pour m'eviter tout nouveau desagre- 
ment, un passeport m£me pour aller en Espagne si je le 
desire. J'ai pris ce passeport. 

Au moment ou je me levais pour partir, le substitut fait 
observer qu'il y a lieu de dresser un proces-verbal, qu'il 
redige a haute voix. 

Yoici assez exactement, je crois, les termes de eo proces- 
verbal, que j'ai du reste signe les yeux fermes, empresse 
que j'etais de recouvrer ma liberte : 

« Le voyageur amene devant nous a declare se nommer. . . , 
ctre ne a..., <Hre fils de... et do..., etre domicilie a... II a 
justify de son identite par les pieces dont il est porteur. 
Gomme il a en sa possession une somme de plusieurs cents 
francs, il ne peut etre consider^ comme etant en etat de 
vagabondage. En consequence, nous le mettons en li- 
berty. » 

Comment expliquer la difference de conduite a mon 
egard des autorites de Montlouis et de celles de Prades? 
J'avais passe deux jours a Prades, j'avais circuit dans la 
ville et dans les environs avec mon appareil photogra- 
phique, et Ton m'y avait pris pour un innocent touriste; 
a mon retour, on avait reconnu en moi le voyageur inscrit 
prec6demment a l'hotel Januari sous le nom d'Edouard 
Rochat, et la moitie des pieces dont j'etais porteur avait 
paru suffisante pour etablir mon identite. A Montlouis, on 
s'etait malheureusement laisse influencer par l'emotion 
inintelligente de quelques habitants, et tout ce que j'avais 
pu dire et produire avait ele inutile aupres de gens 
prevenus. 

Je ferai remarquer que j'avais pris ma fatale photogra- 



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S*)^ COURSKS KT ASCENSIONS. 

phie le vendredi el qu'on m'avait dej& surveille le samedi. 
On auruit pu le samedi avoir exactement h l'hdtel mon 
nom et mon adresse, et telegraphier h Nogent-sur-Marne le 
samedi soir on le dimanehe matin pour avoir des rensei- 
gnements sur moi, renseignements qu'on aurait eus bien 
avant l'hcure a laquelle j'ai ete arrets le dimanehe. 

J'ajouterai encore eeei a la charge desautorites de Mont- 
louis. Le lundi matin, le maire de Nogent-sur-Marne avail 
reeu du commandant de la gendarmerie, m'a-t-il dit, et 
nun du commandant de place (je me suis rappele alors 
avoir entendu dire a Montlouis, quand le commandant de 
place voulut envoyer son telegramme pour avoir ma pho- 
tographic : « Mais cela ne le regarde pas! ») un telegramme 
donnant mon signalement et demandant des renseigne- 
ments sur mon compte ; il avait a huit heures du matin r« ; - 
pondu par telegramme adresse a Montlouis que, signale- 
ment et renseignements, tout se rapportait parfaitement A 
M. Edouard Ilochat, demeurant, 5(, Grande-Hue, h Nogent- 
sur-Marne, et qu'il allait envoyer ma photographic, et, le 
interne jour a quatre heures du soir, on me mettait hrutale- 
ment les menottes a Olette qui est en correspondance t£le- 
graphique avec Montlouis. 

Conclusion. Dans les Pyr6n6es-Orientales, h la fin dn 
xix e si&cle, un touriste qui explore une region-front iere 
peu visitSe, s'il a un appareil photographique et s'iljcst 
porteur d'un piolet, instrument qui intrigue singuliere- 
ment ceux qui ne le connaissent pas, doit avoir soin de 
se munir d'un passe[>ort. 

Edouard Rociiat, 

Membre du Club Alpin Francais 
(Section dc Parish 



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XII 

LE CAUSSE NOIR 

ET MONTPELLIER-LE-VIEUX 



En 1883, les membres de la Societe do geographic do 
Toulouse apprenaienl, par le 8° Bulletin de cello Societe, 
avec une surprise mel£e d'admiration, la decouverte dune 
invraisemblable mcrveille naturelle , totalenient incon- 
nue bien que situee a 15 kil. Est de Millau (Aveyron). 
M. Louis de Malafosse, auquel les gorges du Tarn doivenl 
deja une grande partie de leur celebrilo, £tait encore lau- 
leur de cetle trouvaille, le denicheur de Montpellier-le~ 
Vieux, grace aux indications de M. de Barbeyrac, grand 
proprietaire du Causse Noir. Invinciblement fascintf par 
l'eloquence de sa notice 1 , el surexcite par lenthousiasmo 
de M. Lequeutre, que le recit de M. de Malafosse avail 
entrain^ dans cette Cite du Diable des le 3 septembre 1883, 
je suis reparti pour les Causses a la (in d'aoiU 1881. J'gtais 
bien d6cid£ cette (bis a fouiller a fond tous les recoins de 
Montpellier-le-Vieux, pour me venger dtMre passe au pied 
lannee precedente sans en soupoonner Fexistence. Par la 
meilleure des fortunes, dont les lecteurs pourront appre- 
cier les heureuses consequences en admirant les gravures 
ci-jointes, M. Ghabanon, notaire a Ganges, avait bien voulu 
maccompagner ; grace a son talent de photographe savant, 
a son gout parfait de veritable artiste et surtout a sa gra- 

1. En partie reproduite page 178 du nouveau Guide des C^renrtc*, 
de M. Joanne (1884). 



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264 COURSES ET ASCENSIONS. 

cieuse obligeance, le Club Alpin Francois a deja pu, dans 
YAnnuaire de 1883, publier les premieres bonnes et fideles 
images des gorges du Tarn. Dans celui-ci, ce sont les 
faeries du Causse Noir que M. Ghabanon nous permet de 
reproduire; je tiens k lui en faire publiquement mes 
remerciements ; je ne crois rn^me pas trop m'avancer en 
lui exprimant la reconnaissance du Club entier pour le 
concours efficace et gen£reux avec lequel il nous aide h 
r£v£ler les sixieme et septieme merveilles naturelles de la 
France. Dans notre beau pays, en effet, le cirque de Ga- 
varnie, la rade de Toulon, les environs de Cannes et TEs- 
terel avec leurs vues sur la mer et les Alpes, lamphith^Atre 
de la B£rarde en Oisans et la valine de Chamonix peuvent 
seuls se comparer aux gorges du Tarn et k Montpellier-le- 
Vieux pour Hmpression de stupeur admirative produite 
sur le spectateur! Et ceux qui me taxeraient d'exag£ra- 
tion, je les assigne & comparaitre par-devant les falaises 
des Causses, pour se voir condamner au m&me ^bahisse- 
ment. 

Pendant quatre jours done, du 11 au 14 septembre 1884, 
nous avons explore les forteresses titanesques du Causse 
Noir dans l'6troit espace compris entre le Rozier-Peyre- 
leau, la Jonte, Saint-Andr£-de-Veyzines, la Dourbie, la 
Roque Sainte-Marguerite et le Valat-Negre (V. carte de 
TEtat-major, feuille de S^verac, n° 208, portion Sud-Sud- 
Est). Malgr£ tout ce que nous rapportons de nouveaut^s, 
peuWtre y a-t-il encore des inconnues h degager h droite 
et a gauche de notre champ de rechcrches. 

On sait que le Causse Noir, appele ainsi pour la couleur 
sombre de ses pins sylvestres rabougris, s'appuie vers l'Est 
sur la masse granitique deTAigoual; auNord la Jonte coule 
dans la fissure qui la d6tach£ du Causse Mejean; au Sud, 
la profonde fosse de la Dourbie le separedu Larzac. Comme 
aspect g£n£ral et comme facies g£ologique, il ne differe pas 
sensiblement des plateaux calcaires voisins : ;\ ces deux 



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LE CAUSSE NOIR ET MONTPELLIER-LE-VIEUX. 265 

points de vue les voyageurs et les savants ne nous ont plus 
rien laisse k dire. Du c6te de l'Ouest, les escarpements de 
Millau ont encore 500 met. de hauteur et ne le cederaient 
pas & ceux des gorges d'amont si la valine du Tarn <Hait 
moins large et s'ils se dressaient sur les deux rives au lieu 
d'une seule. 

A hauteur du confluent du Tarn et de la Jonte au Ro- 
zier-Peyreleau (390 met.), les deux villages jumeaux se pares 
par la Jonte, celui-ci aveyronnais et l'autre loz£rien, se 
trouve la partie la plus etroite de la table du Gausse Noir. 
Dans laxe de la coupure rectiligne que suit le Tarn depuis 
son grand coude au cirque des Baumes, le ravin d'Aleyrac 
entaille le Causse Noir presque jusqu'i son falte (environ 
800 met.); pres de la cote 769, voisine du point de partage 
des eaux, un autre ravin venu du Nord-Est, celui du 
Riou-Sec, s'infl£chit au Sud et, continuant la direction trans- 
versale au Causse, tombe dans la Dourbie k la Roque 
Sainte-Marguerite (100 met.). De ce village & Peyreleau 
sur la Jonte la distance k vol d'oiseau est de 7 kilom. 
Le sentier de pistons en compte k peu pres onze; deux 
de plus environ allongeront la route quand elle sera 
terminer ; pour faire cette traversed en voiture, il sufflrait 
de construire, k partir d'Aleyrac (732 met.), un embran- 
chement descendant au Riou-Sec. Ge travail naurait rien 
de colossal; le plus difficile est fait (c6te et lacetsde Peyre- 
leau k Aleyrac, route de Saint-Andre-de-Veyzines), et la 
descente au Riou-Sec ne demandera pas tant de peine. 
D'ailleurs, les communes interessees eludient serieuse- 
ment ce projet en voyant leur pays naitre k la celebrite. On 
peut espe>er que l'ouverture de cette voie de communica- 
tion coi'ncidera avec celle du chemin de fer de Neussargues 
k Marvejols. 

Au Nord-Est de la route naturelle, qui franchit ainsi le 
Gausse Noir k son point le moins large et le plus d£prime, 
le cirque de Madasse pr^cipite dans la Jonte ses cataractes 



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266 COURSES KT ASCENSIONS. 

de rochers; au Sud-Est, les nionolithes de Roques-Altes, 
tours de guet postees sur le parapet du plateau, surveil- 
lent au loin les d£fil< s s de la Dourbie ; au Sud-Ouest, Mont- 
pellier-le Vieux £tale ses 500 hectares de chateaux d£man- 
tel£s et d'ar£nes ruinees perches a 450 m£t. au-dessus des 
valines entre le Riou-Sec et le Valat-Nfcgre. 

Voila les trois sites qui completent l'excursion des gorges 
du Tarn et rivalisent avec elles en surnaturelles magnifi- 
cences. II faut maintenant en indiquer un peu le detail 
topographique. Quant a les decrire, George Sand m£me y 
eut renonc£ : c'est tout dire ! 

Lorsque, mont£ de Peyreleau, on suit au dela d'Aleyrac 
la route de Saint-Andre-de-Veyzines, la vue ne tarde pas a 
£tre frappee vers le Sud par deux sourcilleux donjons ro- 
cheux debout de part et d'autredu Riou-Sec inf£rieur, donl 
le haut vallon se excuse immSdiatement a droite de la 
route; mais il faut resister a l'attraction qu'exerce cette 
premiere apparition de Roques-Altes et de Montpellier-le- 
Vteux. Continuant notre chemin vers l'Est et d^passant la 
cote 877, nous arriverons bientdt, toujours en vue des deux 
tours fascinatrices, a Sainl-Jean-de-Balme : c'est un vieux 
petit ermitage a moiti£ ruin£, d'une fort curieuse architec- 
ture (xi° au xm e stecle), point que nous n'avons pas a deve- 
lopper ici. A 900 met. d'altitude, en plein causse desert et 
tout moutonn£ de mamelons chauves, au milieu de chaos 
pierreux ou s'etiole une vegetation rachitique, les premiers 
plans de I'horizon dechir^s tout h l'entour par les dents 
dolomitiques du rebord des causses prates a broyer au bas 
de leurs murailles l'im prudent qui en tenterait l'escalade, 
Saint-Jean-de-Balme (Honne et platt du premier coup d'oeil : 
ses antiques pleins-cintres et son clocher carre font de ce 
lieu un tableau severe et original, digne pr£ambule des 
surprises prochaines. 

Arrive la, il faut tourner au Nord en quittant la routes 
monter a travers champs a 905 met. entre les m6tairies de 



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■= y- 



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LE CAUSSE NOIR ET MONTPELL1ER-LE-V1EUX. 289 

Massablau et de la Bartasserie, puis redescendre vers la 
Jontc 1 , d'une centaine do metres environ. Soudain, a un 
detour du sentier, une profondeur £norme so creuse a nos 
pieds, accrue encore par I'obscurittf impenetrable dun 
bois de hetres et de pins : une clairiere s'ouvre quelques 
pas plus loin, et nous voila clouds sur place, muets d'ad- 
miration devant le tableau de l'Ermitage Saint-Miguel on 
Saint-Michel et son cadre de cation americain. En face, 
sur un double rocber, que Ion croirait toucher du doigt 
mais dont un precipice de 500 piedsinterdit 1'acces direct, 
les restes d'une chapelle carlovingienne et dune redoute 
du moyen age couronnent deux champignons inabor- 
dables sans £chelle. Les religieux du neuvieme siecle et 
les routiers du quatorzieme ne devaient guere <Ure tra- 
casses dans ce bout du monde monastique, vrai repaire 
de brigands et nid d'aigle. Un circuit d'une demi-heure est 
n£cessaire pour atteindre le pied des ruines ou nous nous 
hissons le long du roc presque lisse. M. Fabi£, notaire 
a Peyreleau, nous a guides ici : c'esl lui qui nous a obli- 
geamment r£v£le ce superbe point de vue; c'est a lui que 
revient I'honneur de la d£couverte, et je me hate de le lui 
attribuer tout entier. Ainsi accroches aux trois quarts (en 
hauteur) de la paroi du Gausse Noir, la vue dont nous 
jouissons ne peut se rendre : constamment reviennent 
les m£mes termes impuissants de profondeurs, bastions, 
forteresses, abtmes, etc. La valine de la Jonte se dlroule 
tout entiere en aval et en amont; au sommet de son autre 
rive, a 2 kilometres en droite ligne, les escarpements 
du Causse Mejean r6fl6chissent sur leurs surfaces polies 
les rayons obliques du soleil matinal; au haut des cretes 

1. Un guide est n^ccssaire aussi bien la qu'a Montpellier-le-Vieux. 
Kmile Foulquier, de Peyreleau, recommande' par M. Lequeutre, nous 
a parfaitemcnt satisfaits : il a note avec la plus grande attention les 
passages parcourus et les nouveaux noms semes par nous. II est a 
memo de retrouver partout sa route dans ces labyrinthes. 



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270 COURSES ET ASCENSIONS. 

tailladces, les rocs detaches semblent une procession de 
fantomes blancs brusquement immobilises dans les plus 
desordonnees attitudes d'une danse macabre fantastique. 
Le piton de Capluc, au-dessus du Rozier, n'est pas le moins 
bizarre de tous. Plus pres, autour de nous, a nos pieds 
et sur nos t^tes, ce ne sont que reploiements de minces 
cloisons rocheuses, obelisques, tables et chapeaux, c6nes 
et cylindres g£om(Hriques, encorbellements et surplombs* 
M. Fabi£ a mesur£ Tune de ces saillies, bomb£e au milieu 
roinme un fut monstre et qui suspend au-dessus d'ef- 
1 ray ants precipices une large et plane pelouse de gazon 
(Rucher Fabie) : il a trouve 160 met. de hauteur verticale 
ou surplombante! Or, plusieurs stages de gradins ana- 
logues s'echelonnent sur les flancs du Gausse! Que sont 
les piliers de la Suisse saxonne et les falaises cauchoises 
aupres de ces remparts colossaux! Et tout cela est £vide, 
creuse, sculpts a m£me la pierre rouge, jaune, noire, 
emaillee de ces flamboyantes couleurs que la palette des 
sels de fer sait communiquer aux roches dolomitiques. 
Ajoutez-y le fouillis des arbres sombres et les entrelacs 
d'arbusles epineux aux baies pourpres, toute cette vege- 
tation lenace et vivifiee par les eaux des pentes, qui esca- 
lade les couloirs, enveloppe les pointes et drape les parois 
eomme font le lierre au chene et la vigne vierge aux murs 
de brique! 

Mais I'Erniitage de Sainl-Miquel n'est que la fin du chao- 
tique ravin des Palies [Espalws de la carte), qui commence 
plus haut dans le cirque de Madasse. On ne devra done 
pas regagner Saint-Jean-de-Bahne par le meme chemin; 
on aura soin de. remonter sur le causse en tournant a 
droite vers le Sud-Est. En quelques minutes on domine le 
cirque de Madasse, foret daiguilles et de pins ou les rochers 
de 30 met. de haut fourmillent drus et serres comme les 
arbres : e'est le Bois de Pai'olive en grand, mais Pai'olive 
pendu et accroche au rebord vertigineux du causse et non 



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LE CAUSSE NOW KT MONTPELLIER-LE-V1EUX. 273 

pas simplement edifie sur l'aire plane dun plateau sans 
precipices. A Madasse, les files de statues et d'animaux gro- 
tesques s'inclinent les unes au-dessus des autres comine 
pour s'ebouler dans une tumultueuse degringolade le long 
de la pente abrupte. Jamais rien ne ma rappele dune 
fagon aussi frappante les seracs des Grands-Mulets a la 
jonction des glaciers des Bossons et de Taconnaz. 

De Peyreleau, directement par la vallee de la Jonte, on 
peut grimper h ce paradis des chevres : un sentier trace 
sur la paroi Nord du Gausse Noir m£ne j\ l'Ermitage de 
Saint-Miquel. Toutefois, cette voie dacces nest pas k recom- 
mander ; le coupdceil est inflniment plus saisissant quand, 
arrivantdu Sud, on debouche subitement dans le colossal 
amphitheatre. 

Pour gagner Roques-Altes, les chemins se trouvent faei- 
lement par la Roujarie et Saint-Andre-de-Veyzines ; il va 
sans dire que les ressources alimentaires de ces fermes et 
hameaux sont k peu pres nulles, et qu'une bonne charge 
de pain, vin et provisions de bouche doit composer le prin- 
cipal bagage des touristes. J'oubliais de noter que les 
Caussenards-Noirs sont aussi aflables et complaisants que 
les sauvages du Mejean sont egoistes et malappris. lis dis- 
posent avec la meilleure gr&ce en faveur des touristes de 
leur pauvre materiel et de leurs minces reserves de pain 
noir, laitage et lard fume. On trouvera toujours chez eux 
les elements constitutifs dune omelette champetre. Depuis 
le haut du cirque de Madasse, deux heures suffisent pour 
gagner le pseudo-chateau fort qui doit son nom 5, sa figure 
saillante et h sa position elevee (816 met.). Au milieu d'un 
amoncellement de blocs informes et de remparls creneles, 
surgit une haute tour lezardee en trois piliers : ce sont les 
Roques-Altes (roches hautes) proprement dites, jadis masse 
unique et homogene ; les pluies, la foudre et la gclee out 
tronconne ce mastodonte dolomitique en trois obeiisques 
pyramidaux ; une petite plate-forme herbeuse occupe leur 

ANNIAIRK DB 1884. 18 



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274 COUKSES ET ASCENSIONS. 

centre dou plusieurs corridors (Hroits descendent an 
dehors. La hauteur est a l'interieur de 30 a 40 met., a 
l'exterieur de 50 a 60, et le sommet n'est pas accessible. 
(Juelques pas plus loin, un peu en contre-bas, un roc isole, 
haul de 10 a 12 met., est perce dune porte ogivale de 5 a 
H met. d'eleAation sur 2 de large, veritable poterne habile- 
men t dissimulee dans un pli de terrain : la forme et l'em- 
plaeenient font la plus trompeuse illusion. Tout autour 
abondent les ouvrages de defense dans cette Carcassonne 
naturelle; a travers les embrasures et les meurtrieres qui 
trouent ses murs de pierre, les £chapp£es sur Montpellier- 
le-Vieux, loin a l'Ouest, font pousser des ailes aux imagi- 
nations les moins a^riennes. Ne dirail-on pas les ruines de 
deux puissantes cit£s militaires bombardees Tune par 1'autre? 

(dependant, c'est a peine si Ion prend le temps de par- 
courir Hoques-Altes, fant on est fascine par les Pers£polis 
et les Karnac que Ton devine en face de soi. Degringolant 
au fond du Riou-Sec (a tiOO met. environ), on remonte en 
une heure et demie sur le plateau oppose par le ravin de 
la Bresse. Au hameau de Maubert (816 met.), la charmante 
famille et la spacieuse ferme neuve des Robert offrent la 
plus £cossaisc et pittoresque hospitalite. D'ailleurs, tou( 
paraitrail poetiquement illumine en rose apres cette pre- 
miere journee du Causse Noir; surtout quand elle est cou- 
ronnee par un soleil couchant pourpre sur l'enceinte exte- 
rieure doree de Montpellier-le-Vieux ou le Viet'l. 

La mysterieuse et immense forteresse, invisible des basses 
vallees, n'est pas nonin^e ni figuree sur la carte de l'Etat- 
major (V. feuille de Stfverac, n° 208, portion Sud-Sud-Est); 
mais sa position peut s'y indiquer facilement. Au Sud du 
hameau de Maubert, entre le Valat-N6gre a l'Ouest el le 
Riou-Sec a l'Est, la carte montre quatre ruisseaux qui 
tombenl, en divergeant, dans ce dernier ravin ou dans la 
Dourbie. Entre leurs rigoles s'allongent en erentail les trois 
promontoires inegalement arrondis dun plateau inii (d'apres 



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LK CAUSSE NOIR ET MONTPELLIER-LE-VIEUX. 275 

la carte) : cet espace blanc, entour6 de hachures soirees, 
dessin£ sans accidents et repr^sente en plan par la figure 
d'une pointe de fleche, est justement la partie la plus bou- 
leversee des Cevennes et le cceur memo de Montpellier-le- 
Vieux. Plus a 1'Ouest, sur les deux versants de la crete qui 
domine la rive gauche du Valat-Negre, des lignes de tours, 
des redans isoles et des lunettes avancees font encore par- 
tie de la place. Lensemble a environ deux kilometres et 
demi de largeur maximum dans les deux sens, du Nord 
au Sud et de l'Est al'Ouest, soit i a 500 hectares de super- 
ticie. La cote 822 au S.-S.-E. de Maubert indique l'empla- 
cement, sinon Taltitude exacte de la Citadelle centrale, 
representee par les trois rochers (le Corridor, la Ciutad el 
le Douminal) qui du Causse Noir et du Larzac eveillent la 
nieme curiosite que Roques-Altes. 

Montpellier-le-Vieux est indescriptible. M. de Mala- 
fosse 1 l'a caracterise en une phrase ; on ne peut dire mieux 
ni plus : « Tout cet enchevetrement de rues, de voutes, 
« de cheminements , de saillies sur corniche, tant6t se 
« croisant a angle droit comnie une ville tir^e au cordeau, 
« tantdt forniant un vrai labyrinthe ou Ton erre avec quel- 
« quefois un grand embarras, tout cet ensemble comme 
« ces details ne peuvent se d^crire. » Les explications qu'il 
donne sur Tetymologie du nom (Mont-Pele, pierreux, 
aride) et la formation g^ologique de ces bizarreries quasi- 
lartificielles sont aussi des plus justes; lespace manque 
malheureusement pour les reproduire ici in extenso. 

1. L'inventeur de Montpellier-le-Vieux (et M. de Malafosse merite 
bien ce titre) a ete trop reserve* en disant qu'il n'en avait pas par- 
couru plus du quart : dans sa premiere visite (en 1883) il en avait 
vu le tiers, les quartiers du Nord et de l'Ouest; les trois cirques du 
Sud semblent lui avoir e^chappe. II les a admires cette annee quelques 
jours apres nous. — J'ai tenu a faire cette remarque pour cxpliquer les 
dissemblances entre son article revelateur et l'itineraire que j'indique 
ici. II m'a fallu deux jours et demi pour me reconnaitre dans les em- 
brouillements de ce chaos. Mais avec Foulquier ou Tun des Robert, un 
jour suffit pour tout voir en suivant le chemin ci-apres. 



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276 COURSES ET ASCENSIONS. 

Voici comment il faut se faire guider, afin de ne rien 
n£gliger dinteressant. 

A 5 min. au Sud de Maubert, apr&s la travers£e de quel- 
ques champs, on est tent£ de descendre dans l'un des deux 
cirques entre lesquels on chemine sur une large cr£te : le 
Lac ou Colisee a gauche (Est), qui s'ineline versle Riou-Sec, 
le Pare ou la Ville proprement dite a droite (Ouesl). II 
faut cependant continuer droit au Sud jusqu'a une large 
rue presque carrossable, le Corridor, avenue de sphinx et 
de crioc£phales ; un pylone la termine, dont le massif droit 
est le roc du Cotridor el celui de gauche la Ciutad; der- 
ri£re le pylone commence la montueuse rue des Aiguilles, 
tant6t large chauss£e aplanie, tantot (Hroit et roide cou- 
loir, qui coupe en deux toute la ville. Nous y reviendrons. 
Mais eommen^ons par les quartiers Est et escaladons suc- 
cessivement la Ciutad et le Douminal (la Cit£ et le Sei- 
gneur). La vue de ces sommels est inouie sur tout le 
labyrinthe des cinq cirques a nos pieds et les cr£nelages 
de la Dourbie, du Tarn, de la Jonte et de Roques-Altes 
rompant avec contraste aux quatre coins de l'horizon la 
maussade uniformity des Gausses. Entre ces deux belve- 
deres, la Breche de Roland ramenerait au Nord dans le 
Lac, mais il vaut mieux descendre au Sud par les Salles 
des Pins, la rue et la poterne de la Grotte jusquau cirque 
des Itouquettes. Tout a l'heure nous rentrerons dans cette 
sorle d'arene romaine par un vomitorium doii les gradins 
et les mceniana se pr^senteront plus ressemblants encore. 
Emerveillons-nous une premiere fois sur ce joyau central 
de Montpellier-le-Vieux, entrons dans la grande grotte 
seche et peu curieuse des Rouquettes, et disons-nous que 
bientot nous aurons un accrs de fi^vre d'enthousiasme. 
Demi-tour a droite apres cette pointe indispensable; repas- 
sons sous la poterne et, au lieu de reprendre la rue de la 
Grotte et la Breche de Roland, grimpons par le couloir de 
droite : e'est la rue du Lac qui monte vers l'Est du Dou- 



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LE CAUSSE NOIR ET MONTPELUKR-LE-VIEUX 279 

minnl et debouehe dans le cirque du Lac. Toutes res eir 
convolutions sont longues, mais absolument necessaires 
pour visiter en detail, et, comme radmiration proscrit la 
fatigue, on cheminegaillardement parmi les escaliers£crou- 
les, les branchages piquants et les ronces.Le Zac est encore 
une arene romaine dix fois grande comme le Golistfe, avec 
des baltei et des precinctions suspendus a 80 met. en l'air, 
des pilastres de 100 pieds limitant de tortueux anibulacres, 
et, pour figurer le niur du podium, des falaises haut^s 
comme nos maisons. II faut se laisser conduire par sa fan- 
laisie dans ces couloirs aux voutes deToncees et tacher 
seulement de retrouver le Dolmen ou Baignoire du diable a 
la base N.-E. de la Ciutad et du Doumhial. A la sortie du 
cirque, la ravine des Bouxes coule au Riou-Sec vers l'Est 
quand la terre n'a plus assez soif pour engloutir les pluies 
du prin temps. Du meme cute, une croupe boisee, la SetTe 
des Nouquettes, s^pare le Lac du vallon du Riou-Sec. En 
haut du dernier elage Sud, une masse carree se dresse 
lourdement, pareille aux tours des Sarrasins sur les arenes 
d'Arles : c'est le rocker de la Trappe, que surmonte une 
petite tourclle-gutTite et qui est ainsi nomine dune grosse 
pierre engaged dans une fen&tre naturelle. Du sommet, le 
panorama est aussi beau que de la Ciutad ', car un nouveau 
labyrinthe s'etend de l'autre cote au Sud, les Amats (pro- 
noncez lei Match); et Hoques-Altes se campe plus her que 
de tout autre point, sans parler de la vue sur le Lac, la 
triple Citadelle, les Gausses et la Dourbie. Les Amats ne 
representent plus un amphitheatre ovale, inais bien une 
place ■>/' Armes irreguliere au pied des bastions et des cour- 
tines : sur Tun des cotes d^bouchent obliquement trois 
larges avenues paralleles, isolees par trois contreforts qui 
s'appuient au mur mitoyen du Lac. Sil y avail des sources 
dans cet aride terrain de dolomie, elles sen iraient toutes 
a la Dourbie par le ravin de la Combe, aussi sec que ses 
voisins. Entre la grande place et la premiere avenue, on 



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280 COURSES ET ASCENSIONS. 

(ombe sur la plus bizarre fantaisie de tout Montpellier-le- 
Vieux : un monolithe haut do 10 a 12 met., de forme tra- 
pezoidale, est peree d'une large ouverture de m£me figure: 
le monument, fort £pais et completeinent isole\ semble 
l'entrSe dune redoule cyclop£enne. N'est-ce pas la porte 
de Mycenes, exaetement disposee comme relle des Lions 



Moutpellier-le-Vieux. — Porte d<> Mycenes (cirque des Ainats). 
Dessin de Vuillier. d'npres une photographic de M. Chabanon. 

dans la eapitale d'Atre'e et d Agamemnon? Avec un peu de 
bonne vulonte, on pourrait au besoin reconnaitre les lions 
eux-memes parmi les eapricieuses saillies des rampants 
superieurs. Malgre leur taille, les ogives geantes d'Ktretat 
me paraissent moins extraordinaires, car la mer est tou- 
jours la pour expliquer leur perforation ; sur le Gausse, an 
contraire, plus un ruisseau : on dirait qu'apres avoir edifie 
et cisele" ces forteresses et res temples, les eaux out voulu 



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LB CAUSSE NOIR ET MONTPELLIER-LE-VIEUX. 281 

rentrer sous terre de peur dabimer leur oeuvre ! — Quel- 
ques pas plus loin, une autre arcade plus petite et irregu- 
liere se dissimule dans un fourre ; a edte, les paysans ont, 
a 1'aide dun nmr en pierres seches, 6tabli une bergcrie 
sous un rocher surplombant. Puis viennent la salte du 
Trdnej Yallee des Obelisques, etc., qui font partie des trois 
avenues laterales des Amats; toutes ces galeries commu- 
niquent par des pentes plus ou moins roides et des cols 
plus ou moins faciles avee le Lac au Nord. 

Plusieurs heures seeouleraient vite dans ce dedale. Les 
grands pins verts, les arbousiers rouges, les houx cha- 
toyants et uri petit champ de seigle. qui s'etiole dans un 
£troit fond plat entre quatre murs de iO met. , vien- 
nent ajouter le charme du contrasle a l'impression de 
grandiose horreur eprouvt'e par le visiteur. Mais nous ne 
sommes pas a la moiti£ de la course et, deviant vers l'Ouest, 
il faut nous Clever le long dune haute paroi pour sortir 
des Amats. Sur la ertMe nous nous arretons soudain, une 
fois de plus petrifies en place. Un gouffre de 400 met. de 
profondeur s'ouvre sous nos pas, et, jusque dans le lit de 
la Dourbie, les dragons indiens et les pagodes chinoises, 
brises et culbutes, roulent les uns sur les autres en cas- 
cades de pierre ; a gauche se continue le chaperon de la 
crete, vertigineuse corniche sans garde-fous, coupee d'in- 
franchissables creneaux; tout au bout veille le Chaleau- 
Gaillard, louvrage le plus avanctf de la cite vers le Slid, 
perche sur le bord de la falaise, comme le donjon de 
Richard Goeur-de-Lion aux Andelys; au pied du remparl, 
des chemins de ronde exte>ieurs devraient nous y con- 
duire, mais ils sont sap^s par le temps, et la promenade 
serait hasardeuse. En face, le Larzac et le Gausse Noir 
ont d'effrayants a-pic aussi, rouges et jaunes, de chaque 
cole de la Dourbie, dans la direction de Millau. A droite, 
deux ou trois couloirs pt'metrent au coeur d'une autre en- 
ceinte : ou menent-ils? Nous en choisissons un au hasard. 



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282 COURSES ET ASCENSIONS. 

et , apres un passage obscur et resserre , un vomitorium 
nous jette en pleine lumiere sur un gradin oriental du 
cirque des llouquettes. Nous avons dej& p6n£tr£ un in- 
stant dans ce bassin, Ie plus imposant de Montpellier-le- 
Vieux; maintenant nous embrassons tout l'ensemble de 
cette cavea antediluvienne. Un peuple de Cyclopes pourrait 
trouver place dans ses tribunes et ses eunei ; pour tendre 
un velarium il suffirait de dresser les mall sur les pilastres 
quientourent le portique ou promenoir sup^rieur; l'arene 
bien unie est envahie d'herbes et de buissons, mais quel- 
ques coups de faux lui rendraient vite son niveau de com- 
bats. Si les empereurs Heliogabale et Carin £taient jamais 
montes ici, nul doute qu'ils n'eussent fait afficher k Tentre> 
V album des circenses, distribuer les tesserae oU billets, et 
r^pandre la poudre rouge de cinabre pour (Handier le sang 
des gladiateurs. II eut fallu toutefois relever quelques mas- 
sifs de soutenement, rejointer les gradins GventrGs et rela- 
blir les voutes. On retrouve encore les carceres ou loges 
des animaux feroces dans les grottes qui s'ouvrent sur les 
galeries. Et le funebre silence des ruines antiques regne 
aussi dans cette enceinte mysttfrieuse. Le grand axe de 
X amphitheatre inesure plus de 1,000 met. depuis le som- 
met du Douminal et de la Ciutad, au pied desquels la salle 
des Pins constitue un ambulacre interieur, jusqu'&la sortie 
ou commence le ravin de Cauxels ou de Canazels, affluent 
de la Dourbie; le petit axe n'a que 3 a 400 met. de lon- 
gueur; l'ovale est done beaucoupplus allonge" que dans les 
constructions romaines analogues. Les corridors d'esca- 
liers convergent tous vers le centre, la plupart imprati- 
cables. De l'arene a la pointe des plus hauts rocs du pour- 
tour, la profondeur depasse 100 met. Le grand portail est 
au Sud, fort en contre-bas, compris entre deux pieds droits 
de 120 pieds; le temps a detruit le linteau. En suivant le 
lit a sec du Canazels, on peut atteindre la Dourbie a travers 
les ecroulements que nous admirions tout a l'heureau pied 



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LE CAUSSE NOIR ET MONTPELLIER-LE-VIEUX. 285 

du C huteau-Gaillard : mais notre visile nest pas terminee. 
Au c6t£ Quest du cirque des Rouquettes, la me des Aiguilles 
s'embranche sur lavenue du grand portail, borde le flanr 
de l'arene derriere un long mur rocheux et forme un 
deambulatoire principal : on a vu plus haut que cette rue 
coupe la ville en deux; une corniehe a pic et deux cols 
etroits la divisent elle-m&me en trois sections qui se pro- 
longent Tune l'autre. Ainsi qu'a lamphith^atre d'KI-Djeimii 
Thysdrus) en Tunisie, une large breche est ouverte au Sud 
au-dessus du grand portail; toute la paroi de ce cote est 
detruite comine si la pression de Feau Favait preeipite> 
dans la Dourbie pendant une naumachie de geants. C/est 
peu d'une heure pour traverser, contourner, descendre, 
remonter les restes infornies de cette architecture effrenee. 
Pour en sortir suivons la rue des Aiguilles jusqu'a la hauteur 
de \&salle des Pins que nous laissons a l'Kst et, tournant a 
gauche, pen£trons dans le Pare ou la Ville propreinent dite ; 
nous avions deja apcreu ce labyrinthe a droite en venant 
de Maubert. La, coinnie a Pompei, eest une cite" morte sans 
toits ni habitants, avec ses carrefours dalles, ses balcons et 
ses fenMres, ses portiques et presque ses tombeaux, plus 
gaie cependant a cause des grands arbres. Deniandez le 
rocker de la Lune, muni dune lucarne ronde. Ce quartier 
est le plus complexe et le plus rapproche* de Maubert ; au 
N.-O. de 1'ensemble et creuse en plein causse, il est diame- 
tralemenl oppose a la place a" Amies (les Amats): vers le 
Sud il communique avec un troisieme cirque, qui d^bouche 
a la Dourbie par le ravin du Doul. Cette cinquieme partie 
est plutot un forum aux colonnes tronconne>s comme la 
basilique de Trajan : on Fappelle la Milliere. Sur la terrasse 
qui le separe de la Ville un avert insondable engloutit, sans 
bruit de chute, les pierres que Ton y jette. Des gradins 
analogues s£parent la Milliere des Rouquettes ou Yavenue 
du Sphinx nous ferait rentrer par le Sud-Ouest. Montons 
encore jeter un regard plongeant sur Y Amphitheatre, reve- 



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286 COURSES ET ASCENSIONS. 

nons traverser le forum, beaueoup moins creux, et eievons- 
nous jusqu'& la crete qui le borne k l'Ouest : ici finit Mont- 
pellier-le-Vieux. On est sur Tarete perpendiculaire k la 
Dourbie que la carte de l'Etat-major repr£sente fort bien, 
allonge^ k l'Est du Valat-Negre (Vallon Noir); une ligne 
de forts d£tach£s couvre cette croupe. Au lieu dit le Singla 
(Sanglier), sur le versant du Valat-Negre, on remarquera le 
Roc-Troue de la Jassette, poterne semblable k la petite 
arcade d'amont h Etretat. 

C'est au bout de cette crete, au plan del Ramie, que se 
d£roule un des plus fantastiques spectacles du monde, je 
ne crains pas de le dire : de trois c6t£s, le terrain manque, 
suspendu que Ton est en haut des escarpements du Doul, 
de la Dourbie et du Valat-Negre ; en arriere il ne faudrait 
qu'un pont de Garabit pour passer sur les causses voisins, 
k 400 met. au-dessus de la vallee. En face, tout Montpellier- 
le-Vieux s'etale soutenu en lair par ses soubassements rou- 
ges et perpendiculaires : lc forum de la Milliere, le portai 
gigantesque et Y amphitheatre des liouquettes , le Chateau- 
Gaillard et les tours exterieures des Amats en premiere li- 
gne ; au second plan, les obelisques du Pare et la triple eita- 
delle du Douminal, derriere laquelle le Lac reste invisible. 
On ne peut s'arracher a la contemplation de la cite enchan- 
ted, et c'est k peine si les beaux rocs du Caussou et du Valat- 
Negre vers Longuiers (ou plutot Longuers) attirent 1'atten- 
tion. II faut cependant dire adieu k ces decors diaboliques 
et rejoindre la Dourbie par YAire-Ferree (restes d'babitations 
anciennes), le Roc de l'A'tgle y derniere belle tour ronde, et le 
Valat-Negre. Quoiqu'il n'y ait pas de sentier trace, on des- 
cend aisement dans la vallee. De meme en escaladant les ra- 
vins de la Combe, de Ganazels et du Doul on pourrait tres 
bien,de la route de Millau ou de la RoqueSainte-Marguerite. 
atteindre, par le Sud, les Amats, les Rouquetteset\n Milliere\ 

1. M. de Mnlafosse a etc 1 evidemment induit en errcur paries per- 



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LE CAUSSE NOJR ET MONTPELLIER-LE-VIEUX. 287 

La grotte de YAluech ou do la Poujade, pres du confluent 
du Valat-Negre et de la Dourbie, ne merite pas une visite : 
sa source intermittente, qui coule pendant un ou plusieurs 
mois et quelquefois une annee ou deux a des intervalles de 
six a douze ans, semble diminuer de volume a chaque ap- 
parition. Au fond extreme de Tinsignifiante caverne, qui 
n'est pas facile a atteindre, on sent, a Torifice d'un trou de 
15 ou 20 centim. de diamtMre, un courant d'air fort appre- 
ciable : un bruit sourd d'egouttement parait assezlointain. 
Mais qu'il y aurait de coups de mines a donner et de dan- 
gers a courir pour scruter les vaisseaux capillaires et les 
reservoirs des causses, pour resoudre le probleme de la 
communication des avens avec les grottes des vallees. Et 
cependant quelque temeraire explorateur arrachera peut- 
Mre un jour aux entrailles des plateaux calcaires les se- 
crets de leur hydrographie ! 

On sait que la vallee de la Dourbie meriterait d'etre 
suivie dans toute sa longueur; mais une fois la route de 
Millau atteinte, on n'a plus qu'une seule preoccupation : 
chercher a distinguer encore quelque chose des mines 
amoncel£es la-haut ! Vains efforts , le rebord du plateau 
est trop rectangulaire, et Montpellier-le-Vieux trop en re- 
trait. II faut gagner la Roque Sainte-Marguerite en se con- 
tentant des falaises du Larzac a droite. 

De ce dernier village, le vrai cheniin de Meyrueis est la 
traversed en diagonale du Causse Noir, course monotone" 
et longue. Neanmoins on doit la recoinmander hautement 
a cause du curieux ravin de Saint-Veran, monceau de rocs 
analogue, quoique bien inferieur, au cirque de Madasse. 
Gomme M. Lequeutre nous en a deja parle dans YAn- 
nuaire de 1882, nous reprenons, avec le lit du Riou-Sec, 
le chemin d'Aleyrac, de Peyreleau et de Meyrueis pour 

sonnes qui lui ont fait croire a «rinutilite* des tentativcs d'escalade par 
la vallee de la Dourbie ». — A la Roque Sainte-Marguerite demander, 
pour Montpellier-le-Vieux, le guide Froment qui possede un mulet. 



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288 COURSES ET ASCENSIONS. 

faire halte, dans la valine de la Jonte, a la grotte de Dar- 
gilan. 

Situee a 6 kil. Ouest de Meyrueis, sous la corniche sep- 
lentrionale du Gausse Noir et le hameau de Dargilan, vers 
900 met. d'altitude environ, cette caverne fut dexouverte 
aecidentellement en 1880 par un patre, qui avait essaye 
vainement d'y enfumer un renard. Rien dVtonnant a ce 
qu'il n'ait pas reussi dans son operation, puisque la cavity 
est une succession de vastes salles; un £troit boyau, dont 
l'ouverture se distingue a peine du dehors et ou il faut ram- 
per a plat ventre pendant quelques metres, eonstitue Ven- 
tres. La grotte n'est pas facile a parcourir a cause des 
accidents de son plancher; il y a des pentes glissanles et 
des fentes rocheuses au fond desquelles il ne faudrait pas 
choir; d'enormes blocs de dolomie, qui paraissent tout 
reremment d(Haeh£s des voutes, inspirent pen de confiance 
sur la solidity du plafond; niais les murailles ne sont pas 
encore salies par la fum£e des torches, les frtMes colonnes 
de stalagmites et les aiguilles de stalactites nont pas 616 
jusqu'ici trop martyrisees par les touristes destructeurs, les 
draperies cristallisees nont rien perdu de leurs reflets 
dores, et dans la grande salle, haute de 30 a 40 met. sur 
100 de diamctre, tout etincelle comme un palais d'opale. 
Gette caverne bien neuve est vraiment belle a voir dans sa 
fralcheur, ct cette partie des Gevennes n'en possede pas 
de plus grandiose. A 6 ou 700 met. (trois quarts d'heure 
de Tentree), bailie un gouflre sans fond pour I'omI : les 
pierres rebondissent longtemps de paroi en paroi avant de 
s'arnHer avec leur bruit mat ; tout un materiel de gymnas- 
tique serai t neressaire ici, et une exploration complete 
mais penible amenerait sans doute la connaissance de nou- 
velles magnificences comme a Ganges et a Adelsberg. Avis 
aux amateurs demotions souterraines. 

En face, de l'autre cote de la Jonte, sur le llanc du 
Gausse Mejean, on apercoit la caverne de yabrigas; les 



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LE CAUSSE NOIR ET MONTPELL1ER-LE-VIEUX. 289 

jeux d'orgue et les figures eHranges manquent totalement 
dans cet humble trou auquel les d£couvertes d'animaux 
fossiles ont fait une celebrity d'un autre genre. Apres 
MM. Joly, Trutat, Gartailhac et Poujol, j'ai pu, cette annee 
encore, exhumer d'une poche non fouillee plusieurs t&tes 
et de nombreux ossements d'ursus spelxus. Cette fosse, su- 
preme refuge des pauvres animaux contre lc cataclysm** 
diluvien, leur avait servi de torn be. Dans le limon rouge 
et les cailloux qui remplissaient leHroite niche, setaittrou- 
v£e (Houffee, fracassee et ensevelie, toute une famille de 
ces carnassiers, composee d'au moins sept membres, de- 
puis le petit ourson nouveau-ne, repr£sente par un minus- 
cule intermaxillaire, jusqu'au redoutable colosse dont la 
tete seule mesurait cinquante centimetres de longueur. 

J'ai parl£, dans le dernier Annuaire, de Poulard le 
maitre fouilleur, de Meyrueis et de l'Aigoual; mais en 1883, 
javais n£glig6 Bramabiaou, tout proche cependant, et je 
conjure les visiteurs des Gausses de ne pas commettre cetle 
faute impardonnable que j'ai r£par£e avec ravissement. 

Au Sud-Est de Meyrueis et du signal de la Croix-de-fer, 
a l'Est de Saint-Sauveur-des-Pourcils, la nature a exexute 
a coups de siecles une de ces oeuvres qui confondent Ima- 
gination : tout le plateau ou coule le ruisseau de Bonheur, 
en amont du hameau de Camprieux (1,128 met., excellent*' 
auberge chez Philippine), formait jadis un lac ; par-dessus 
la rive occidentale, le cours d'eau tombait en une cascade 
de 120 mel. de haut dans la vallee de Saint-Sauyeur. Mais 
un point faible s'est oflfert parmi les calcaires de cette berge: 
aujourd'hui, lac et cascade ont disparu ; sous le point cote 
1,128 existe maintenant un tunnel parfaitement rectan- 
gulaire, haut de 8 & 12 m6t., large de 12 a 20 met., long 
de 70 a 80 m6t. ; on peut le parcourir aisement k pied sec 
aux basses eaux. Quel contraste fait le mince ruisselet ac- 
tuel avec le travail d'6rosion accompli pour cette admi- 
rable pereee! Les proportions harmonieuses de la monu- 

ANM'AIRB DE 1881. 19 



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290 COURSES ET ASCENSIONS. 

mentale galerie sont dignes dun architecte-ingthiieur. 
Vous croyez qu'au bout du souterrain, le Bonheur reprend 
son cours normal? Loin de la! Nous ne sommes pas k lalin 
de nos etonnements : la sortie d£bouche au fond d'un enton- 
noir profond de 20 met., a parois tronconiques. A gauche 
s'ouvre une caverne dont l'extr£niit£ se prolonge a iO ou 
50 met. au dela; un puits profond est b£ant dans celte 
grotte ; c'est la bouche dune fissure du plateau qui avale 
le Bonheur tout entier; et je ne crois pas cette fois qu'on 
use jamais suivre son cours dans les conduits de la nion- 
tagne : aucun aven nest plus noir et formidable. Getle so- 
lution de continuity a ete fort bien indiqu£e sur la carte 
de l'Etat-major, feuille de S£verac. II faut cependant re- 
trouver notre riviere; sortons done de Tentonnoir, enjam- 
bons l'ancienne margelle du lac vide, et, le long du nou- 
veau sentier de ladministration forestiere. descendons 
dans la vallee que la Croix-de-Fer (1,347 m<H.) domine au 
Nord. Au bout de 10 minutes a peine, le plus surprenant 
decor se decouvre soudain : une falaise brune de 150 met. 
s'entr'ouvre, creusee d'une £troite entaille, et tout au 
fond reparait en deux bruyantes cascades le ruisseau de 
Bonheur, d^sormais appele Brama-biaou (mugissement du 
taureau). Gette vue est un veritable coup de theatre. 
Vaucluse nest rien aupres de ce site sans egal. En eftel, 
la source ne sort pas, presque sans remuer, du pied ni&ne 
de l'escarpement : une double chute d'eau s echappe en 
bondissant dune haute meurtriere; on dirait une barba- 
cane pratiquee dans un mur de soutenement ; il nV a pas 
de comparaison plus juste, dautant plus que les regulieres 
assises des marnes infra-liasiques font l'illusion d'une mu- 
raille de moellons ! Et cette merveille, connue des geolo- 
gues seuls, reduction parfaite des alc6ves pratiquees dans 
le Red-Wall du grand Canon du Colorado, est presque 
sur le chemin de Meyrueis a l'Aigoual ! 
Tels sont les complements necessaires de l'exeursion d<*s 



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LK CAUSSE NOW ET MONTPELLIER-LE-VIKUX. 291 

(iorges du Tarn. La nouvelle Section de la Lozere et dcs 
(Gausses va trouver la un champ d'aclion admirable. Comp- 
lons sur son activity pour amenajxor ccs pays grandioses a 
la satisfaction des touristes! 

E.-A. Martel, 

Membre du Club Alpin Fr:»n<;ui* 
Section <1*» Paris et «le la Lozere). 



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XIII 

ASCENSION DE L'ELBROUS 

(MlXGIU-TAUj 

!&.:>2G PIEDS RUSSES', o,648 METRES 

Apres quo lr voyageur, en s'avan^ant vers le Gaucase, a 
traverse les vastcs plaines de Stavropol, il voit so rappro- 
cherles plateaux etages de la grande ehatne de montagnes. 
Bientot les lignes planes formees par la superposition des 
couches son! interrompues par les formes pittoresques du 
Bechtau, un cone d eruption qui, avec sa ceinture de ro- 
chers isol£s, donne an paysage un aspect dtrange e» fan- 
tastique. Tout a coup le regard est ramene de ce decor du 
premier plan vers lhorizon meridional. La montagne 
geante qui dresse la, au-dessusde toutes les autres, ses deux 
sommets. sous un voile de neige etincelante, c'est lElbrous. 
la plus haute eime du Gaucase. 

Le soulevemenl volcani(jue de l'Elbrous forme an Xord 
de l'arete principale de la chaine a structure cristalline un 
massif avance que couronnent deux sommets : le plus 
eleve, qui se dresse au Nord-Ouest,atteinl, d'apres les me- 
suresderEtat-majorrusse 1N,52() piedsrusses (5,tU8met.i: 
celui quise trouve au Sud-Est s'eleve a 18,431 pieds russes 
(5,til9 met. . Une depression d environ 1,500 pieds relic 
Tune a 1'autre les deux dines. De vastes champs de neige 
et de neve ceignenl la base puissante de la montagne. 

1. Lc pied rus-e a la memo valeur que le pied anglais. 



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ASCENSION DE l'eLBROUS. 293 

d'ou, rayonnant dans Unites les directions, des Hemes de 
glace descendent dans les etranglements des valines. Au 
Nord-Ouest, les cours d'eaudecoulant de l'Elbrous se diri- 
ment, aprfcs s\Hre r^unis dans la vallee de Khoursouk, vers 
le Kouban au bord duquel est situe Outcbkoulan dans la 
region de KaratchaT, k une altitude de i,67i pieds russes, 
landis que les eaux du versant Nord-Est sen vont vers la 
Malka. Les torrents qui se preeipitent avec fracas le long 
des pentes Sud-Est sont des affluents du Baksan, dont la 
vallee contient la localite la plus voisine du pied de l'El- 
brous, le village d'Ourousbieh, a 5,136 pieds. 

(Vest vers la valine du Baksan que je me dirigeais avec 
mes deux Suisses, le c£lebre Alexandre Burgener et le 
jeune Pierre-Joseph Ruppen, tons deux de la vallee de 
Saas. Nous venions d'accomplir la premiere ascension de 
FAdai-Khokh, et nous longions le versant septentrional de 
la chaine, traversant une se>ie de contreforls pour nous 
rapprocher du pied de l'Elbrous. 

Nous apercumes la valine du Baksan pour la premiere 
fois le 11 aout 1884, quand venant de Tehegem, apr&s 
avoir laiss£ notre campement dans la valine de Gestendi, 
nous eumes atteint le falte peu eleve dun chainon secon- 
dare. Un long val aride sYHendait devant nous; une mu- 
raille de rochers rougetitres courait en face le long de la 
vallee. 

Nous entr&mes dans la vallee du Baksan a une altitude 
d'environ 4,200 pieds. Cbeminfaisant,apres que nous eumes 
depass£ le hameau de Korhbossan (4,530 pieds) et traverse 
le torrent, le paysage devint plus inte>essant. Avant d'at- 
teindre la partie superieure de la vallee, nous rencon- 
Iriimos un etroit defile comme en ont toutes les vallees 
Iransversales qui s'ouvrent au Nord du Gaucase.Maisici le 
torrent a rencontre une roche plus tendre, le volume des 
eaux etait plus considerable qu'ailleurs, de sorte que la 
gorge est moins eHroite et la coupure pratiquee dans le 



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29 i COURSES ET ASCENSIONS. 

roehermoins sauvage. La froide aridity do la vallee rosso 
egalement ici. Dos bois magnifiques cornmencent a rev&tir 
les pontes. Dos bouleaux, des aulnes, dos saulos ot dos 
sapins mottenl do la diversity dans l'epaisse feuillee, jus- 
qu'a ce quo, dans los partios superieures de la vallee, 
lo pin conquiere une royaute qui no lui est plus eon- 
testae. 

Nous parvlnmes ensuito a un elargissement de la vallee 
ou le Baksan so partage on plusieurs bras formes par le 
torrent dans Tune de cos cruos rapides ou il dctruit et 
ravage tout sur son passage. Le s*oleil couchant entoure a 
co moment dune vapour lumineuse le fond neigeux du 
tableau qui vient de se decouvrir : o'est l'ar&te princi- 
pale du Caucase avec les sommets du Toungossoroun. 
Do sombros murailles recouvertes de foriMs et portant 
eomme une couronne de pics et de dents forment le cadre. 
Sur la rive gauche du torrent nous voyons les caba- 
nos d'Ourousbieh escaladant les pentes nuos do la mon- 
tagno. 

On ne peut guere imaginer d'accueil plus cordial quo 
colui qu'on me fit & mon entree dans le village. Deja, de- 
puis mon entree dans la partie du versant septentrional 
du Caucase qifhabitent les Tartaros musulmans, un 
mombre de la famille princiere d'Ourousbieh, Hamzat 
Ourousbief, s'£tait joint a moi ; mon arrivee lui avail eto 
annonce> grace a l'amabilite du gouverneur de Vladi- 
kavkas, le g£n6ral do Yourkovsky, et a son desir de me 
faeiliter mon voyage. Depuis ce moment Hamzat Ourous- 
bief avait 6t& notre compagnon, de Bezinghi aux glaciers 
d'Ourban et de Michirghi ainsi qu a Tchegem, atin de nous 
conduire jusqu'a Ourousbieh. Ici, Ismail Ourousbief, 1<' 
chef do la famille, vinl nous saluor et nous reeut avec 
une hospitalite cordiale. Le nom de cello famille est dej;» 
connu de ceux qui ont lu les recits de voyage an Gaucaso 
do Freshfield et de (irove. Jamais les belles paroles du 



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ASCENSION DK LELBROUS. 295 

Koran qui enseignent le devoir d'hospitalile envers les 
strangers n'ont recu d'applieation plus aimable et plus 
noble. 

Le depart pour TElbrous fut fix£ au lendemain matin 
(12 aout). Les princes d'Ourousbieh voulaient nous accom- 
pagner et, a en juger par le va-et-vient affaire des habi- 
tants, de grands preparatifs eHaient faits. Mais le temps se 
passa sans qu'on fit mine de partir, et fmalement on nous 
apprit, avec toute sorte de precautions oratoires, que 
nous ne nous mettrions en marche que le jour suivant, a 
la premiere heure, il est vrai. C est ainsi que, bon gre 
mat gr£, nous dumes passer a Ourousbieh cette journee, 
qui tut magnifique. 

L'Aoul (village) d'Ourousbieh est traverse^ par le courant 
rapide du Kirtyk, qui sort dun ravin derriere le village el 
coule vers le Baksan. Nous montames sur une colline au- 
dessus du village, et de la nous eumes un beau coup d'oeil 
sur la vallee de TAdyrsou qui s'ouvre sur l'autre rive du 
Baksan. Le torrent s'echappe dun puissant champ de 
glace, puis, bondissant dans sa course rapide, se dirige en 
plusieurs bras vers le Baksan. Une gorge £troite terming 
le val de l'Adyrsou au moment ou il rejoint la vallee prin- 
cipale, mais plus haut il s'elargit pour donner place au 
glacier. Au-dessus des murailles qui le bornent s'eleve une 
ranged de dents cuirassees de neige et de glace, chatne 
innomme> qui a un caractere de sauvagerie peu ordi- 
naire. 

La journee passa vite dailleurs ; nous reclames la visite 
des personnages considerables d'Ourousbieh et des parents 
d*» notre hdte. Sa famille proche se composait de son fils 
Naurous, jeune homme de dix-neuf ans, qui est boursier du 
gouvernementaugymnase de Vladikavkas, etdeses f re res, 
Hamzat, notre compagnon depuis Bezinghi, Mohammed, 
et un troisieme plus jeune qui exerce a Ourousbieh les 
functions de starchina fmairet, et dont j'ai oublie le noin. 



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296 COURSES ET ASCENSIONS. 

parce qu'on lui donnait toujours son litre de starchina. 
Suivant la coutume musulmane, les femmes de la famille 
ne se montrerent pas, bien que j'eusse pour elles particu- 
lierement un sentiment tres vifde reconnaissance: n etait-ce 
pas a elles que nous devions un heureux changement a 
notre ordinaire, uniquement compose, depuis des semaines 
(jue nous parcourions le Caucase, de mouton bouilli ou T 
dans les grandes occasions, r6ti a la broche et prenant 
alors le nom de chichlik? 

11 etait 10 b. du matin quand, le 13 aout, nous quit- 
lames Ourousbieh. Nous formions une cavalcade assez 
imposante : Ismael Ourousbief, son lils aine, ses freres 
Hamzat, Mohammed et le Starchina, tous tr6s cranes sur 
leurs chevaux, sans oubher Alexandre Burgener, sur un 
des plus petits poneys que j'aie jamais vus. Plusieurs ser- 
viteurs nous accompagnaient, partie a cbeval, partie a 
pied, ainsi que les meilleurs chasseurs d'Ourousbieh; car 
on projetait des parties de chasse grandioses dans les gla- 
ciers de l'Elbrous. Quelques b£tes de somme portaient 
des tapis, des couvertures, des provisions et des ustensiles 
de cuisine. 

Pour ma part, je n'etais pas a l'unisson du joyeux fracas 
de notre caravane, car le temps avait malheureusement 
change. Des images s elevaient venant du Sud, le courant 
d'air frais qui avait regn6 dans la valine faisait place a un 
calme etouflant de mauvais augure. Seul, l'aspect de la 
valine superieure du Baksan rejouissait les yeux et le 
eoeur et chassait les tristes pensees. Une rangee de vallons 
etroits s'ouvraient sur la rive droite du torrent, laissant 
apercevoir les plus superbes glaciers; dans Tun deux, 
celui de l'Adyrsou, notre regard avail deja pen^tre le jour 
precedent. Avant d'atteindre la valine de l'Adoulsou, nous 
trouvons sur notre chemin comme un verrou tire : un 
eboulement a cause la un amoncellement de pierres dont 
quelques-unes sont des blocs enormes; parvenus au haul 



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ASCENSION DE l'eLBROUS. 297 

ili? cot anioncellement, nous jouissons dim beau coup 
d'oeil sur la valine du Baksan qui s'cnfuit au loin dorriere 
nous. 

Nous faisons haltc aupres dun groupe dc huttes placoos 
a l'entree do la vallee do llrik, affluont dc gaucho du 
Baksan; lc torront bondissant en i>oliles cascatelles, les 
cabanes do bois avec quelquos roues do moulin, un ponl 
jcte sur le ravin forment un decor charmant, tout prel 
pour uno idyllo montagnarde. 

11 faut reconnailre qu'entre toutos les vallees laterales 
qui s'ouvrent dans la valine du Baksan, la plus belle est 
<olle de TAdoulsou, dont la montagne, s'avanc^ant conuno 
uncoin, divise le fond en deux paysages distincts. Dos gla- 
ciers serpentent autour des montagnes dont les somniets 
so dressent avec hardiesse, et la verdure des bois superbos 
do pins ne sarr&te que pour faire place h. la blancheur des 
neiges. A nos pieds une petite plaine entouree par la 
IbnH est animee par des chalets construits en bois. 

Mais la vallee se resscrre de plus en plus, devient de 
plus en plus sauvage. Le cheniin suit tantot la rive droite, 
tanlot la rive gauche du torrent; cependant nous trouvons 
toujours des ponts plus ou moins vacillants pour nous 
conduire d'une rive & l'autre, tandis quo dans les vallees 
que nous avons traversers dans l'Ossetie, les torrents sau- 
vages nous opposaient souvent de grandes diflicultes. La 
l'urfct h l'ombre de laquelle nous cheniinons devient de 
plus en plus 6pais.se, de plus en plus imposante, et parfois 
Ion ne peut avancer qu'avec prudence a travcrs l'6pais 
ontrelacement de raineaux que forment les troncs d'arbres 

Nous depassons l'entree de la gorge de l'lozinghi, par 
laquelle plus tard nous nous sommes eleves jusqu'aux 
glaciers de la chaine principale pour gagner la Souanelie ; 
plus loin souvre, entre des glaciers, le vallon par lequel 
passent les montagnards pour atteindre le col du Nakra 
et le versant meridional de la chaine principale. 



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298 COl'RSES ET ASCENSIONS. 

Le cheinin qui s'eleve sur la pento gazonnee du cote 
gauche do la vallee depasso un coude, ct nous voyons 
devant nous uno polite plaino entour^e de bois que tra- 
versent les difFerents bras sinueux du torrent. En face, 
eouronnees do hautos montagnes, les masses congel^es du 
glacier situe au Sud-Ouesl de l'Elbrous (glacier d'Asau on 
du Baksan) descendent tranquillement, landis que, dans le 
fond dune gorge s'ouvrant a droite, on aper^oit la chute 
abrupt e du glacier Sud-Est (glacier de Terskol) qui f^o 
precipite le long dun mur escarpe de rocbers, tout cre- 
vasse^ et dressant vers le ciel sombre du soir ses tours el 
ses aiguilles. L epaisse for£t ne couvre pas seulement les 
pentes qui s'inclinent vers la petite plaine ou nous des- 
cendons; mais le fond m£me de la valine est occupy par 
des bois impenetrates, ce qui donne au paysage un as- 
pect estrange et surprenant par sa sauvagerie, car dans les 
Alpes les fortHs ont disparu depuis longtemps du creux 
des vallees. 

Dans une petite clairiere nous trouvons une pauvre hutte 
habitee, entouree de quelques champs cultives, et nous 
installons notre campement sous le toit surplombant dune 
etable que supportent des poutres de bois, — a 6,780 pieds 
d'altitude, d'apres mes mesures. Le soir etait arrive; nous 
avions mis buit a neuf heures pour venir d'Ourousbieh. 

De notre campement, l'Elbrous lui-m&me netait pas vi- 
sible; mais, en nous elevant quelque pou, soit sur les parois 
de gauche de la gorge de Terskol, soit sur les pentes do 
droite de la vallee du Baksan, nous pouvions apercevoir les 
deux sommets du geant de ces montagnes. On reconnait 
au premier coup d'ceil que des forces volcaniques ont 
pousse vers le ciel ces imposantes masses coniques. La 
neige et la glace enveloppent maintenant la mature ignee. 
ne laissant voir que par places la roche sombre ; les vol- 
cans refroidis reposont sur un plateau a faible declivite, 
reconvert aussi de neigo et de glaces, et qui a H6 autre- 



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ASCENSION DE l'eLBHOUS. 301 

fois forme par les dejections du eraterc dans sa periods 
d'activite\ 

Au premier instant, on ne peut guere se rendre nn 
compte exact des proportions, mais pins on s Yd eve sur les 
montagncs situees en face de lui, pins l'Elbrous semble 
grandir et plus ses sommets gagnent en hauteur. Bientol 
toutes les autres montagnes s'eflacent, et le point culmi- 
nant du Caucase apparait majestueux dans le ciel, depas- 
sant tout cc qui l'environne. 

L'Elbrous 6tait connu des peuples depuis les temps anti- 
ques. D'apres la tradition locale, l'Arche de l'Ecriture, avanl 
de s'arreter a l'Ararat, serait restee aecrochee a l'Elbrous. 
En pared cas, comme la dejil fait remarquer M. Freshheld 
dans son excellent ouvrage sur le Caucase central, l'hon- 
neur de la premiere ascension de l'Elbrous reviendrait cer- 
tainement a la famille de Noe. Toutefois. comme les preuves 
de ce fait laissent quelque peu a desirer, nous passerons 
tout de suite aux ascensions tentees ou effectuees dans des 
temps plus recents. 

Nous trouvons deja des renseignements sur le plus haul 
sommet du Caucase dans les ouvrages d'aneiens voya- 
geurs, qui avaient loutau pluspenetre dans les vallees qui 
entourent la montagne. Pour rencontrer une tentative 
d'ascension de l'Elbrous ou Minghi-Tau, il faut descendri' 
jusqu'au recit d'une expedition russe entreprise en 18:29. 
Cette expedition dans le Caucase, qui avait un caractere a 
la fois seientihque et politique, etait placee sous le coin- 
mandement militaire du general russe Emmanuel, a qui 
Ton avait adjoint un corps de savants de Saint-Petersbourg : 
le mineralogiste Kupffer, le botaniste Meyer, le professeur 
Lenz et dautres encore. L'expedition, aecompagn£e dun 
grand nombre de fantassins et de quelques canons , s'avanca 
dans la valleede laMalka sur le versant Nordde l'Elbrous, 
oil un camp fut etabli a une hauteur de 8,000 pieds. Nous 
suivons a partir d'ici le recit de l'expedition, tel qd'il est 



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30-2 COURSES ET ASCENSIONS. 

donne par le chef des savants, Adotphe Kupffer 1 . Le ge- 
neral Jui-meine resta au camp et promit aux Circassiens 
qui devaient accompagner les savants de fortes primes en 
cas darrivee au sommet. Le matin du 21 jnillet 1829 les 
voyageurs se mirent en route et atteignirent k 1 h. du 
soir la limite des champs de neige, k une altitude qu'on 
estima de 10,000 pieds. La nuit fut passee en cet endroit, 
♦*t le lendemain, a 3 h. du matin, Tascension fut continued 
avec quelques Circassiens indigenes et quelques Cosaques. 
Au debut tout se passa sans incidents; mais, quand la 
declivile des pentes de neige cut augmente et que les 
rayons du soleil eurent commence d'agir fortement, les 
progres furent plus lents. Laissons la parole a M. KupfTer : 
« La liskte que nous avions datteindre le sommet avant 
que la neige eut ete fortement ramollie par la chaleur 
epuisa nos forces, de sorte que nous etions contraints iina- 
lement de nous amUer presque k chaque pas pour re- 
prendre haleine. La rarete de lair est si grande k cette 
hauteur que la respiration ne suffit plus pour remplacer 
la force consommee; la circulation du sang est fortement 
acceleree et cause une inflammation des parties d61icates. 
Mes levres tHaient brulantes,mes yeux souffraient de lexlat 
aveuglant de la neige, hien que, sur le conseil des habi- 
tants de ces montagnes, j'eusse noirci mon visage de poudre 
a canon tout autour de mes yeux. Toutes mes sensations 
etaient confuses, ma UUe etait en .proie au vertige et je 
sentais par moments un indefinissable affaissement que je 
ne parvenais pas a vaincrc. Au-dessous du sommet, l'Kl- 
brous presente une scrie de rochers decouverts, qui facili- 
lent singulierement lascension en formant une sorte d'esca- 
lier. Mais MM. Meyer, Menetries, Bernardazzi et moi-mcnie 
etions si cpuises de fatigue que nous resolumes de prendre 

1. Voyage dans les environs du niont Klhourz dans le Caucase, entre- 
pris par m-dre de S.i Mnjeste I'Empereur en 1820. Rapport fait a 1'A- 
cademie Impet iale des sciences de Snim-PetPislmurg (en francais). 



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ASCKNSION DK LELBROUS. 303 

une ou deux houres de repos alin d'avoir la force do 
eontinuer notre marcho. Nous etions la a 11,000 piods 
au-dessus du niveau de la mer. » Mais bientot la neige se 
Irouva si ramollie qu'elle ne portait plus les voyageurs, et 
plus ils avaient tarde & prendre le chemin du retour, plus 
le danger etait grand de tomber dans quelque abime 
cached M. Kupffer espe>ait encore que M. Lenz, qui avait 
pris les devants, pourrait atteindre le soinmet et en 
inesurer l'altitude au barometre. « Mais, dit M. Kupffer, 
apres avoir atteint le haul des rocbers, M. Lenz se Irouva 
encore s£par£ du sommet par une pente de neige si ra- 
mollie par le soleil qu on y enfonoait jusquaux genoux 
et qu'on courait risque d'y eire enterre tout entier. Ses 
compagnons parurent decides a no pas alter plus loin, et 
le danger 6tait trop grand de se risquer tout seul; de plus, 
il etait 1 h. de l'apres-midi et il devenait necessaire de 
songer au retour pour n'etre pas surpris par la unit avant 
Parrivec au camp. M. Lenz se decida done a revenir sans 
avoir atteint le sommet. » 

11 est evident d'apres ce reeit qu'on celte occasion aiicun 
iU^ voyageurs nest parvenu au sommet de PKlhrous; par 
contre, ilparaitrait qu'un des indigenes qui aoeoinpagnaii'nt 
lVxpedition en a fait P ascension. 

M. Kupfler continue en eflet en cos tonnes : « Pendant 
eelte journ6e pleine d'anxi(H£, le general etait assis dans 
sa tente et suivait notre marc he avec une excellente lunette 
dapproche que j'avais mise a sa disposition. Aussitot que 
Irs nuages du matin eurent disparu, il nous vit gravir la 
pente neigeuse et gagner le pied- des rocbers on nous nous 
♦Hions separcs en deux groupes dont Pun continua d'avan- 
eer vers le sommet, tandis que Pautre faisait balte. Mais 
tout a coup il remanpia un homme isole fort imi avant des 
autres, qui avait deja traverse presque cntieremont la pente 
do neige placee entre la cime et le haul de Pescalier do 
rocbers. On vit cot bomnie se rappro.^her du rocber con- 



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304 COURSES ET ASCENSIONS. 

tourntf qui forme lacime proprement dito, lournerautour, 
se perdre un instant dans la coloration brune de la roche. 
puis devenir invisible a cause du brouillard qui remplit a 
co moment la valine et cacha l'Klbrous aux regards. Cela 
so passait a H h. du matin, et le general ne put pas douter 
plus longtemps que Tun des n6tres n'eut atteint le som- 
met; la couleur des v^tements lui permit de reconnaitre 
que c'£tait un Circassien, mais la distance 6tait trop grande 
pour qu'il put distinguer les traits du visage. Killar, tel 
<Mait le nom du Circassien qui 6tait parvenu au sommel 
de l'Klbrous, avait su mieux que nous tirer parti de la 
fralcheur du matin. II avait franchi la limite des neiges 
eternelles longtemps avant nous et revenait d6j& du som- 
met alors que M. Lenz atteignait le point qu'il n'a pas 
depasse. » Tel est le reeit de M. Kupfler. 

Nous possedons encore sur cette expedition un autre te- 
moignage reste presque inconnu et sur lequel le celebre 
voyageur et orientaliste Vamb6ry a attire mon attention 
pour la premiere fois & mon retour du Caucase. Ge temoi- 
gnage est contenu dans le r£cit de voyage d'un de mcs 
compatriotes qui visita le Caucase et la Crimee en 1849 el 
1830 pour etudier les conditions ethnograpbiques et la 
langue des populations de ces contrees, ou jusqua ce jour 
s'est conservce la tradition d'un rapport de parents avee 
les Magyars. Jean-Cbarles de Besse, tel etait le nom du 
voyageur, se trouvait au Caucase precisement a l'epoqiu 1 
ou le general Emmanuel £tait parvenu avec son expedition 
au pied de l'Elbrous. Le voyageur bongrois obtint la per- 
mission de se joindre a ^'expedition, qu'il accompagna 
jusqu'a son campement dans la vallee do la Malka, a um* 
altitude de 8,000 pieds. Besse a raconle son voyage dans 
un livre paru h Paris en 1838, en francais, sous le titiv 
de : Voyage en Crimee. au Caucase, en Georgie, en Arme- 
nie, etc. Les descriptions qu'il donne du pays et des habi- 
tants sont a plusieurs egards exactes et Ires interessanles. 



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ASCENSION HE L ELBROUS. 305 

Son eompte rendu diflfere, il est vrai, dans quelques de- 
tails, du rapport de Kupflfer ; mais il convient do remar- 
quer que Besse £crivait neuf ans apros la date de lexptkli- 
tion. Sur les points essentiels son r6cit est conforme a 
celui de Kupfler. 

Besse raconte 1'ascension en ces termes : « L'expedition 
avait disparu depuis la veille; e'est seulement vers le mi- 
lieu du jour suivant qu'a l'aidc de la longue-vue nous 
aperejlmes quatre homines qui s'eflbrcaient d'atteindre le 
sommet de l'Elbrous. Nous vlmes tres distinetement aussi 
trois de ces hommes se reposer sur la neige, incapables de 
resister plus longtemps a la rarefaction de lair, tandis 
que le quatrieme continuait seul sa route dun pas assure, 
inclinant tant6t a droite, tantot a gauche, pour ehercher 
les points ou ses pieds rencontraient le plus de solidite 
dans la neige naturellement ramollie par lardeur du so- 
leil... Le general commandant l'expedition, sa longue- 
vue en main, attendait le moment ou l'homme hardi qui 
restait seul debout dans cette region glaetfe atteindrait le 
sommet de la montagne. Enfin nous vimes eel homme 
s'arreter sur la cime apres qu'il out triomphe d'une foule 
d obstacles qui paraissaient invincibles. Le general en chef 
fit aussit6t saluercette conquete de l'Elbrous par line triple 
decharge de mousqueterie. » 

Killar obtint la prime promise de 400 roubles pour l'ex- 
ploit accompli par lui seul. Mais il est difficile de decider 
si l'Elbrous a trouve r£ellement dans ce Kabarde son Jac- 
ques Balmat. L'art des ascensions etait alors dans son en- 
fance. D'apres Kupffer, des nuages cacherent l'ascension- 
niste au dernier moment et, si Ion se reporte aux idees 
alors r6gnantes sur les ascensions, il n'est pas absolument 
certain que le voyageur hongrois, h<He de l'expedition et 
t6moin du triomphe, ait r^ellement entendu par arrive> 
sur la cime 1'ascension du point le plus 61eve. II faut se 
rappeler de plus qu'une cime qui, vue de la valine, parait 

ANNUAIRK DB 1884. 20 



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306 COURSES ET ASCENSIONS. 

le point le plus ele\6, peut n'elre qu'une partie du som- 
met derriere laquelle s'eleve, inapercue, la cime veritable. 
Toutefois un point du moins paratt inattaquable; c'est que 
Killar a laiss6 loin derriere lui tous los membres de l'expe- 
dition et, seul, a marche courageusement versle bul. Cela 
suftit pour assurer & Killar une place d'honneur dans This- 
toire des ascensions de TElbrous. 

Une longue stfrie dann^es s^coula ensuite sans nouvelle 
tentative d'ascension de 1'Elbrous; enfin l'eminent explo- 
rateur des pays du Caucase, le docteur Gustave Radde, r& 
solut en 1865 d'atteindre le sommet de TElbrous, en l'at- 
taquant non plus du cctte* Nord, comme Texp^dition de 
1849, mais du c6t6 occidental. Le 7 aout, comme le rap- 
porte M. Radde dans son compte rendu paru h Tiflis et 
dans les m^moires de la SocieH6 de g6ographie de Vienne, 
on atteignit Outchkoulan dans le pays de Karatchai, point 
d'ou 1'Elbrous devient visible quand le regard se tourne 
vers l'Est en remontant la valine de Khoursouk. L'ascen- 
sion fut entreprise le 9 aout. Le voyageur traversa TOuli- 
kam dans le voisinage du village de Khoursouk et suivit 
ensuite le ruisseau de Khoursouk jusqu'aux deux sources 
du Minitau-Sou. Le campement fut eHabli pour la nuit au 
confluent des deux sources, h une altitude de 7,058 pieds. 
Le 10 aout, au point du jour, on se remit en marche. On 
avait decide qu'apres avoir atteint le falte des rochers qui 
doininent la source du Minitau-Sou, on se dirigerait vers 
le Nord-Est du massif pour y escalader la haute crfcte gra- 
nitique qui, partant de la cime septentrionale de l'EI- 
brous, se dirige vers le Nord. Quand cette crftte eut (He 
escaladee vers midi, on se trouva k une altitude de 12,345 
pieds. Le temps 6tait favorable, le ciel sans nuage, et un 
vent d'Ouest violent ne cessait de souffler. « Nous nous 
reposAmes, dit M. Radde, pendant un temps assez long; 
a la fatigue s'ajoutait le vertige chez deux de mes com- 
pagnons et chez moi , en m6me temps qu'une faiblesse 



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ASCKNSION DE LELBKOl'S. 307 

particuli&re de l'articulation du genou nous aflectait tous ; 
elle grandissait par moment de fa^on & empGcher tout 
mouvement. » Bientdt apr&s, quand on eut gagne Textr6- 
mite meridionale de la cr£te dont nous avons parte, on 
rencontra un champ de n£ve h forte inclinaison le long 
duquel les voyageurs grimpdrent lentement et penible- 
ment. « C'est seuiement pendant de courts intervalles, 
continue M. Radde, que nous pouvions nous mouvoir. Le 
vertige et la faiblesse des genoux augmentaient ; une fa- 
tigue horrible s'emparait de moi.Entre temps la prophetie 
des guides du Karatchai se v£rifiait. Les cimes glacees de 
l'Elbrous disparaissaient a I h. dans le brouiliard. On tint 
conseil. Les guides pressaient le retour et conseillaient de 
se diriger h l'Est. Vers 2 h., le brouiliard nous enveloppa 
nous-m£mes. Le baromtHre indiquait une altitude de 
1 1,295 pieds au-dessus du niveau de la mer. On revintalors 
en h4te vers le Nord en suivant lar&te de la montagne. » 

Telle fut la fin de cette deuxifcme tentative, men6e avec 
beaucoup d^nergie. 

Trois ans aprfcs, en 1868, une nouvelle attaque fut di- 
rig6e contre la montagne. C^tait cette fois une societe 
compose de MM. D.-W. Freshfield, A. -W.Moore, C.-C. 
Tucker, membres du Club Alpin Anglais, et du guide 
FranQois Devouassoud de Ghamonix, qui s'etaient rendus 
au Gaucase et etaient parvenus le 27 juillet & Ourousbieh 
dans la valine du Baksan, apr&s quatre semaines de 
voyage dans une grande partie de la chaine centrale : 
pendant cette excursion le sommet du Kasbek avait etc 
atteint pour la premiere fois. On partit le 29 juillet pour 
Tascension de FElbrous. On passa la nuit dans la gorge 
de Terskol k 8,000 pieds d'altitude, et le lendemain on 
s'eleva le long des pentes qui courent & droite du glacier. 
Un campement fut £tabli i\ 11,900 pieds entre des blocs de 
rochers, et Ton repartit le 31 juillet a 2 h. 10 min. du ma- 
tin. Les voyageurs montfcrent alors pendant plusieurs 



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308 COURSKS ET ASCKNSIONS. 

heures sur les pentes du grand plateau neigeux. Le soni- 
met 6tait cache en partie par les nuages. Les voyageurs 
souffrirent beaucoup du vent et du froid, mais ne rencon- 
trerent pas d'obstacles s^rieux. Deux des porteurs indi- 
genes firent aussi lascension a la suite des alpinistes an- 
glais. Aprfcs cinq heures un quart de marche, on parvint 
aux pentes rocheuses du sommet; deux heures trois quarts 
plus tard, a 10 h. 40 du matin, on atteignait la cr£te sup6- 
rieure, dont les trois pointes s6par6es par de profondes 
echancrures furent escalades Tune apr&s l'autre 1 . 

Six ans aprds, en 1874, une nouvelle soci6t6, coraposee 
de MM. F. Gardiner, J.-C. Grove, A.-W. Moore et Horace 
Walker, arriva au Gaucase avec Pierre Knubel de Saint-Ni- 
colas. Le 22 juillet les voyageurs entraient dans Ourousbieh. 
ct le 26 ils camp&rent dans la vallee du Baksan, unpeuau- 
dessous de la gorge de Terskal. Le jour suivant on bivoua- 
qua sur un plateau rocheux place au-dessous du campe- 
ment de l'exp6dition de 1 868, a une altitude de 1 1 ,400 pieds. 
Le 28 juillet, MM. Grove, Gardiner et Walker quitt&rent 
Ieur campement a 1 h. du matin, tandis que M. Moore res- 
tait en arrifere pour attendre deux offlciers russes avec 
qui Ton avait projet6 Tascension de l'Elbrous; il devait 
poursuivre avec ces messieurs le lendemain. Tandis que 
les voyageurs s'61evaient, ils avaient devant eux le sommet 
oriental, et a leur gauche, bien plus loin, le sommet occi- 
dental (ou proprement Nord-Ouest). On se dirigea vers la 
depression qui joint les deux sommets, et on Tatteignil 
un peu apres 8 h. La marche dans la neige se faisait dans 
des conditions excellentcs, mais le froid etait intense. A 
lOh. 40min. le plus haut sommet fut atteint; c'etait une 
petite eminence sur 1'arGte sup£rieure de forme circulaire *. 

Un examen plus attentif a montre que I'expgdition 

1 . Alpine Journal, Vol. IV : Journal of the Roy. Geographical Society, 
4869; et Frcshfield : Travels in the Central Caucasus. 

2. Alpine Journal, Vol. VII, et Grove : The frosty Caucasus. 



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ASCKNS10N l)B l'eLBROUS. 309 

de 1871 avail atteintle soinmet Nord-Ouest, haut de 18,526 
pieds d'apr&s la carte russe, tandisquo l'expedition de 1868 
etait parvenue au sommet Sud-Est, haut do 18,131 pieds et 
moins 61ev6 par consequent de 95 pieds. Toutefois la diffe- 
rence de hauteur est si peu considerable, en supposant 
m£me qui! n'y ait pas de doute a elever sur la valeur des 
mesures, qu'on ne peut refuser a M. Freshfield et a ses coni- 
pagnons Thonneur de la premiere ascension de TElbrous 
ou Minghi-Tau ; Texp6dition de 1874 le reconnalt d'ailleurs 
express£ment. 

Ainsi fut vaincu le Minghi-Tau! 

M. Moore avec les deux officiers russes, MM. Kvitka et 
Bernoff, deux chefs indigenes d'Ouroushieh, le chasseur 
indigene Achia et Knubel, quitterent le campement le len- 
demain 29 juillet 1871 a I h. du matin pour renouveler 
1'ascension. Mais a o h. du matin, a une altitude d'environ 
15,000 pieds, le mauvais temps se declara et contraignit les 
voyage urs a prendre le chemin du retour en renoncant a 
1'ascension '. 

Aprfcs cette expedition, dix annees s'eUaient ecoul£es de 
nouveau sans que le sommet de TElbrous fut atteint, au 
moment ou j'arrivai au pied de la montagne. 

1. Outre les re'cits de Freshfield, de Gardiner, de Grove ci de Tuc- 
ker, parus dans diff.-rents recueils geographiques et dans les Annuaires 
des Clubs Alpins, Freshfield a raconte en detail l'expedition de 1868 et 
Grove cclle de 1874 dans des ouvrages deja cites. Ces deux ouvrages sont 
des descriptions tres originales d'une grande partie de la chaineccntrale 
du Caucase; ils nous decouvrent les traits principalis deces montagnes, 
examinees dans leur nature physique, et s'appuient sur une connais- 
sance tres complete des memes phenomenes tlans les Alpes. Le livre de 
Freshfield sera le compagnou indispensable de tons les visiteurs des 
hautes montagnes du Caucase conunc il en a ete le mien. II contient de 
nombreux renseignements geographiques sur les valines, les cols, etaussi 
sur des sommets qui n'avaient encore ete atteints precedemment par 
aucun voyageur. Dans les descriptions que contient Tom-rage regne un 
esprit qu'on peut qualifier d'emineminent scientifique, et qui permettra 
a toute pcrsonne connaissant les Alpes de sc faire une idee nette de la 
constitution physique et geographique du massif caucasique. 



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310 COURSES ET ASCENSIONS. 

Cette fois l'Elbrous paraissait devoir register £nergique- 
ment. Le temps s'6tait tout k fait g&te\ et nous eumes une 
veritable tempfcte de foehn qui dura plusieurs jours. Le 
vent soufflait toujours du Sud ou du Sud-Ouest et, quand 
parfois les Stoiles paraissaient le soir au firmament, ou que 
le ciel se rassSrenait le matin, cette embellie ne durait 
g6n6ralement que quelques heures, puis la pluie recom- 
menc,ait k tomber k torrents. Les hauteurs environnantes 
6taient enveloppees de nuages depuis leur base, et, quand 
le sommet de l'Elbrous se trouvait visible pour un moment, 
la neige tourbillonnant dans la tourmente semblait un 
mince nuage blanc et temoignait de Tintensite redoutable 
avec laquelle sevissait l'ouragan. 

Sans succes, malheureusement, mes compagnons invo 
querent les bons et les mauvais g6nies qui peuplent l'El- 
brous ou, comme ils lappellent, le Minghi-Tau. Les Tartars 
do la vall6e du Baksan et les montagnards de Karatchal, 
c'est-&-dire les habitants les plus voisins de la montagne, 
nomment « Minghi-Tau » (Mont-Blanc) le plus haul som- 
met du Gaucase; cette denomination ne devrait 6tre aban- 
donn6e pouraucune autre, de m6me que le nom de Gau- 
risankar devrait £tre conserved k la montagne la plus 
6lev6e de l'Himalaya ! . 

Deux fois, nous avions tent£ Tattaque de la montagne et 
deux fois la pluie nous avait forces de rebrousser chemin 
apres une ou deux heures de marche. Nous monUmes sur 
les hauteurs avoisinantes, sur le glacier dWsau, ou je (is 
quelques observations et utilisai les rares heures d^clair- 
cie en prenant quelques vues photographiques des envi- 
rons : les deux glaciers de l'Elbrous, le sommet de l'Elbrous 
vu des hauteurs qui lui font face, et surtout le splendide 
groupe du Toungossoroun. Nous cherch&mes des mures 
dans les bois et nous nous adonnAmes aux nobles travaux 

1. Voir dans les Geog. Mittheilungen de Petermann, 1880, p. 459 : 
De*chy, Gebirgsreise im Sikkim -Himalaya. 



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ASCENSION DE LELBROUS. 311 

de la chasse. Mais le gibier £tait rare et dissSmine. On tua 
deux chamois et il y eut f<He alors dans le camp ; mais ni 
ces rares triomphes de nos Nemrods, ni la poe^sie du bois 
tranquille, ni Taspect superbe des murailles de glace cou- 
ples de rochers du Toungossoroun qui s^levait en face de 
nous, ne pouvaient conjurer la monotonie de notre campe- 
ment dont le mauvais temps aggravait les desagrements. 
Ce fut done une d61ivrance quand, le 22 aoilt, apres huif 
longues journees, nous eilmes enfm, sans l'avoir espere>, 
une belle matinee radieuse de clart£. Pas le moindre 
nuage au firmament. — Nous times aussit6t nos prepara- 
tifsde depart. Parmi mes compagnons, Mohammed et le fils 
d'Ismael voulaient d'abord entreprendre avec nous Tas- 
cension de l'Elbrous, mais ils abandonn&rent ensuite ce 
dessein. Puis ce fut Ismael, le chef de la famille, qui ne 
voulut laisser & personne autre le soin de nous conduire 
jusqu'^t notre campement. Ismael est un chasseur hardi 
en m<>me temps qu'un tres bon marcheur. Dune manure 
g£n6rale, les habitants de la valine du Baksan sont de 
beaucoup les meilleurs marcheurs que j'aie vus dans le 
Gaucase et je suis tout h fait de l'avis de M. Freshfield, 
dapr£s qui ces indigenes pourront les premiers fournir 
des guides aux explorateurs des montagnes du Cau- 
case; parmi les Souan&tes aussi jai trouv6 plus tard des 
hommes vigoureux et endurcis a la fatigue. — Outre 
Ismael, son chasseur favori Molley Tirbolax et cinq 
hommes vinrent avec nous; ces derniers portaient la tente, 
les provisions et le bois nexessaires h notre campement. 

Malgre mes efforts pour Mter les pr£paratifs du depart, 
nous ne ptimes nous mettre en marche qu^ 10 h., et nous 
entrAmes alors dans la gorge de Terskol qui s'ouvrait de- 
vant nous. Montant le long des pentesgauches de la vallee, 
nous tourn&mes la coupure profonde que le torrent de 
Terskol s'est creusge dans la roche cristalline du seuil de la 
valine. Apres une courte ascension, le fond de la gorge 



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312 COURSES ET ASCENSIONS. 

nccupe par lo glacier devient visible; au-dessus, lElbrous 
se dresse dans sa blaneheur rayonnante, le sommet Nord- 
Ouest, le plus eleve, est cach6 en partie et paraft bien plus 
eloigne. Nous faisons halte aupres dun koch (chalet) 
pendant quelques minutes, et nous nous rafraichissens 
avec 1'excellent brcuvage de lait acidul£ qu'on nomme 
eiram. Ensuitenous continuons notremarche en remontant 
la vallee dont les pentes se denudent peu & peu, car les 
pins disparaissent et sont remplaees par des blocs de pierre. 
Nous traversons des prairies que recouvrent ici des arbris- 
seaux, la des eboulis que traversent quelques fdets d'eau, 
et nous parvenons vers midi au pied du glacier. II est jete 
sur les rochers comme dans une chute gigantesque, puis 
seinble se ramasser sur lui-meme dans l^lacgissement 
♦>n forme de cirque que presente la valine. Non seulement 
les restes de moraines visibles en avant du glacier et les 
parois de gauche de la vallee indiquent que le glacier des- 
cendait autrefois bien plus bas et poss^dait aussi une lar- 
geur plus grande, mais son aspect mfcme revile au pre- 
mier coup d'oeil quil se trouve dans une pSriode de fort 
recul. Ses moraines sont peu considerables et se compo- 
scnt de roches granitiques et volcaniques, de tufs rou- 
ge&tres et de trachytes noirs incrustes de porphyre gri- 
sfttre. Nous conimencAmes h monter le long de la moraine 
droite, qui est la plus developpee, puis nous nous tour- 
ndmes vers la pente parfois revetue dun gazon dessech£, 
inais plus souvent pierreuse, et nous cherch&mes & en 
vaincre la raideur en y d^crivant un chemin en zigzag. 
Apres cinq quarts dheure de mont£e, nous avions atteint 
une premiere elevation. Le groupe du Toungossoroun, qui 
avait si longtemps vu notre camp h ses pieds, se.d^velop- 
pait magniliquement. Vues de \k les deux petites cimes 
neigeuses, qui £taient en partie cach^es pr£c£demment, 
apparaissent h bon droit comme les points les plus eleves 
du massif. Toutes lesvallees laterales ont disparu dans 



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ASCENSION DE LELBROUS. 315 

les profondeurs avec leurs parois; les montagnes qui, dans 
le fond, forment 1'arGte principale du grand Caucase, py- 
ramides superbes de glace ou dents sauvages taillees dans 
le roc, elevent toutes (ierement leur front dans une seule 
et gigantesque ligne. Par-dessus tout se dressent dans 
leur imposante grandeur les deux sommets de l'Ourhba, 
le Cervin du Caucase. C'est a peine si la neige fralche etin- 
celante peut rester (ix£e & ce roc abrupt. Une trainee de 
glace monte jusqu'a lechancrure qui separe les deux 
cimes et entoure le sommet situe a gaucbe pour le spee- 
tateur. D6j& le paysage qui s'offre t\ nous est unique en 
son genre. Le tableau est encadr£, k droite, par les mu- 
railles qui forment les parois de droite de la gorge de 
Terskol et la s6parent des ravins qui descendent du plateau 
de l'Elbrous vers le Baksan. Sur la base granitique de cette 
arete, des masses tracbytiques de lave se sont deposees et 
des crates s'en d^tachent poussant vers la valine leurs ra- 
mifications, tandis que leurs tours, leurs (leches, leurs pics 
et leurs dents prennent une coloration tantdt rouge&tre, 
tantdt noir&tre. La magnificence austere des cimes glacees 
est adoucie par le verdoiement des vallees qui se d6ve- 
loppent au-dessous, avec leurs rivieres eblouissantes el 
leurs pentes tantdt rocheuses, tantdt couvertes de neige ou 
bien encore parees de bois £pais. 

Mais deja un petit nuage, auquel nous n'attribuions 
d'abord aucune signification f&cheuse, est venu se poser 
dans Techancrure qui separe les deux sommets de I'Ouchba : 
une heure apres, comme nous arrivions, en grimpant sur 
la roche et sur la neige, au haut de l'ar6te, des images 
puissantsetaient montes de tous c6tes. Vite, j'emploie Tap- 
pareil photographique & fixer le paysage sur une plaque, 
comme je favais d£j& fait sur la premiere eminence. La 
vue s'etait 6tendue, les sommets isol£s avaient grandi et 
paraissaient avec plus de relief. Le regard s'elance main- 
tenant plus librement vers les murailles de glace couples 



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316 COURSES KT ASCENSIONS. 

do roches du Toungossoroun, car la paroi de droite de la 
gorge de Terskol a fui dans les profondeurs. Le faite ou 
nous soriimes parvenus est recouvert de neige, des masses 
traehytiques y font saillie avec leurs formes semblables 
a cellos du basalte ; cette ar6te se developpe en un 
demi-cerele dont la concavite s'incline en maniere de cra- 
tere. Un pen plus haut, nous arrivons a un large plateau 
d'eboulis, on partie convert de neige, a une altitude d'en- 
viron 11,300 pieds. Vers le Nord-Ouest, une pente douce 
de neige se developpe. Le passage de la vallee du Bak- 
san vers Karatchai' est marqu£ par une depression pro- 
fonde, et au-dessus se drossent a une grande distance des 
chaines de montagnes bleuatres. 

II etait 3 h. de Tapr6s- midi quand nous parvtnmes a 
l'elevation ou nous devions etablir notre campemcnt. 
Cinq heures s'etaient eeoulees depuis notre depart de la 
valine du Baksan, ce qui fait, on retranchant les temps d'ar- 
ret, quatro heuros de marche.ll est tres important et d'un 
grand avantage pour l'ascension de l'Elbrous que la journee 
de marche qui precede laseension definitive soit de courte 
durec ot se passo sur dos terrains aises a parcourir. 

Nous aperQurnes bientot les restes d'un mur bas, con- 
struit en pierros, qui entourait le campement de TexpSdi- 
tion de 187i.Nous etions encore s£par£s des plateaux sup£- 
rieursde TElbrouspar un dosd'ane couvert de blocs gigan- 
tosques et de debris. Nous savions que les premiers esca- 
ladeurs de l'Elbrous avaientcampe plus haut sur ces pentes. 
A nous aussi il semblait avantageux de passer la nuit aussi 
haut que possible, bion qu'on ciU decide^ de ne pas camper 
sur la cnHe du dos d'ane, a cause du froid et du vent qui 
devaient y rogner. II n'etait copendant pas si facile de 
trouver sur cette pente rapide, couverte de debris de roches, 
un endroitpouvant convenir au campement. Notre societe 
so divisa, ot chacun do nous s'eleva vers la create par un 
chemin different. Apres une recherche assez longue, nous 



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ASCENSION DE LKLBROUS. $[~ 

decouvrimes un espace sufh'sammcnt plan, couvcrt de 
neige il est vrai, et situe a une petite demi-heure de marche 
au-dessus du premier plateau d ? £boulis; cet emplacement 
etait protege contre le vent par des blocs de rocher. 
Aussitdt nous nous mimes au travail : la neige et le gravier 
humide furent eeartes autant que possible, les piolots 
travaillerent de leur inieux, et au bout de peu de temps on 
avait un espace assezbien nivele et suflisamment sec. Mais 
a peine ce travail £tait-il termine que Tun de nous decouvrit 
tout auprfcs un emplacement meilleur, beaucoup plus sec, 
protege par un bloc surplombant. Un examen plus attentil' 
nous montra que le nivellement en etait artificiel et que 
des pierres avaientett* accumulSes pourremedier a findi- 
naison de la cote. Sans aucun doute possible, nous avions 
devant nous Tancien campement de M. Fresbfield. Aussitot 
nous nous rendimes en cet endroit, que nous appelons 
l'hotel Freshfleld, et qui est a 11,864 pieds anglais d'alti- 
tude, d'apres mes mesures hypsometriques. 

Kntre temps, la temperature avail fraichi, le ciel s'etait 
entitlement couvert, ce qui etait plus grave, et le temps 
paraissait mena^ant. Notre soupe fut bientdt cuite, et 
nous nous introduislmes en rampant sous notre tente, dans 
une disposition d'esprit assez triste. IsmaGl, qui £tait 
monte derriere nous avec son chasseur et les porteurs, 
prefera camper dans un emplacement situe une demi- 
heure au-dessous du n6tre, s'y croyant mieux protege 
contre le froid et le vent. Nous avions decide* de repartir 
peu apres minuit; IsmaOl, qui avait exprime le souhait de 
prendre part a l'ascension avec son chasseur, devait nous 
rejoindre a minuit. Nous savionsque lexpedition de 1874, 
partie de son campement a 1 h. du matin, avait employe^ 
dans des conditions de marche excellentes, neuf heures 
quarante minutes pour atteindre le sommet. Pour nous, 
aprfcs le mauvais temps des dernieres semaines, nous etions 
prepares a trouver la neige peu propre a la marche. Toute 



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31 X COURSES ET ASCENSIONS. 

personne connaissant les montagnes sait a quel point la 
neige fraiche, surtout quand ello tombe, comme dans notre 
cas, pendant plusieurs jours et que le foehn souffle par Ia- 
dessus,rend les ascensions pfoiibles; si elle ne les empexhe 
pas, elle en augmente au moins la duree et le danger. 11 
nous parut done qu'un depart matinal etait doublement 
tndique. Mais il devait en etre autrement; dfcs la tomb6e 
de la nuit un vent violent s'etait 61ev6 qui peu a peu devint 
un ouragan. Plus tard, la violence du vent s'apaisa, mais 
nous entendions une pluie glacee tomber sur le roc. 
Quand, vers 1 h., Burgener sortit en rampant de la tente 
pour voir quel temps il faisait, 1% neige fralcbe recouvrait 
tout autour de nous. « Malheureox que nous sommes », 
gemit Burgener. II avait raison. D'heure en beure nous 
regardions au dehors; pas d'amelioration ; Forage avait 
seulement diminutf d'intensit6. Vers 7 h. du matin, lsaiael 
arriva ; il pr^tendait qu'a l'Est le ciel, dont cette pariie 
nous elait cachge par la montagne, s'6tait eclairci depuis 
une heure et que des sympt6mes d'am61ioration eHaient 
visiblcs de ce c6te\ Nous nous precipitames hors de la 
tente et en quelqucs pas nous eumes tourn6 la muraille. 
Ismail avait raison; mais a ce moment il £tait trop 
tard pour tenter Tascension. Tout a coup Burgener dit 
pourtant : « Nous devrions courir le risque. » 11 ajoutait 
(|ue si le temps ne devait pas fttre precisement beau, il se 
maintiendrait du moins probablement pendant la journ6e; 
mais qu'il etait non moins sur ou meme encore plus sur 
que nous devions nous attendre ensuite a une serie pro- 
longed de journees pluvieuses. Si Burgener proposait 
de parlir aussi tard pour faire Tascension d'un sommet de 
18,500 pieds, e'est qu'il croyait possible de faire cette 
ascension en septheures. On pourrait ainsiarriverau som- 
met vers 3 h. et, comme la montagne ne prSsente pas 
de difficulty sericuses, la descente pourrait Gtre tres 
rapide, de faeon que nous fussions rendus, a la tombee de 



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ASCENSION DE L ELBROIS. 319 

la nuit, a notre campcment ou, du moins, dans quelque 
emplacement voisin ne presentant plus de danger. Je 
savais,il est vrai, que mes prGdecesseurs avaient mis, duns 
de bonnes conditions, pr&s de dix heures pour arriver au 
sommet, mais I'id^ede renoncer a TElbrous ou de continuer 
pendant des semaines la vie que nous avions men6e an 
pied de la montagne et d'etre ainsi plus longtemps a 
charge a nos excellents hdtes, me d^cida rapidement a 
eonsentir au depart. Nous nous mimes done en marche le 
23 aoftt a 7 h. 30 min. du matin, pour escalader une 
montagne haute de 18,500 pieds! Ismafll el son chasseur 
nous accompagnaient. 

Au bout d'une petite demi-heure nous avions atteint sur 
des blocs de pierrc et sur ie gravier le haut du dos d'ane, 
et, en traversant une petite pente de neige, nous nous 
trouvames a la limite du large plateau de nev£ dont la d£- 
clivit6 mod£ree conduit pcu a pen jusqua la base du cone 
de TElbrous. Quand, en cetendroit, nous primes la corde 
pour nous y attacher, Ismael renonca a nous suivre, tout 
en nous priant d'emmener son chasseur. Je savais que ce 
dernier, quoique bon marcheur, ne nous serait d'aucune 
utility, mais au contraire serait un embarras, ou au moins 
une g&ne, si des difficultes inattendues se pr^sentaicnt, a 
cause des sandales dont il etait chauss6. Cependant, sur 
mon refus, lsmafil revint a la charge et je crus remarquer 
qu'il s'agissait pour lui de nous adjoindre un temoin ocu- 
laire de Tascension. Cela me d£cida, et Moliey Tirbolax 
prit ie dernier rang a notre corde. Dapres les r£cits des 
deux premieres ascensions de TKlbrous, — laissant de cote 
les tentatives anterieures entreprises par des personnes 
peu faites aux ascensions, — nous ne devions pas compter 
sur des difficulty particulieres, et Taspect de la montagne 
confirmait ce jugement. Un seul danger, d'apres nos prr- 
dicesseurs, etait a redouter : c'tftaient le froid et le vent. 

Nous avancames d'abord rapidement ; plus tard la chute 



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320 COURSES ET ASCENSIONS. 

de Tun on de lautre d'entre nous dans de larges crevasses 
nous forca dc marcher avec plus de prudence, d'autant quo 
ces Crevasses couraient longitudinalement dans le sens oil 
nous nous elevions. Ces chutes frequentes, en des points 
oil la crevasse paraissait recouverte d'une assez forte 
couche de neige, provenaient de ce que cette neige fraiche- 
ment toinbee et pulverulente n'avait aucune cohesion. A 
10 h. nous primes une demi-heure de repos aupres de 
blocs de rocher recouverts de glace qui se dressaient dans 
une large plaine de neige. Le temps avail 6t6 des plus 
satisfaisants jusque-la; nous voyions distinctement les 
deux sommets de la montagne et nous pouvions nous din- 
ger exactement vers la pointeNord-Ouest ou nous voulions 
parvenir. Mais bientot apres notre halte le temps se gata. 
Le ciel prit une coloration gris-bleu pleine de menaces, 
les nuees sanioncelerent autour des crates neigeuses, 
s'epaissirent et nous en cacherent la vue. La neige etait 
conune une poussiere sur les pentes gel6es, dont la raideur 
avait augmente et nous forcait de tailler des marches 
presque sans interruption. Le vent siftlait sur le desert de 
neige et faisait tourbillonner les nuages autour des som- 
mets. Nous souffrions de plus en plus du froid; incessam- 
ment il fallait se frotter de neige les doigts, surtout ceux 
qui tenaient le piolet, pour les emp&cher de geler. Nous 
supportions tout sans plainte et n'avions qu'une seule 
crainte : perdre la direction. Les heures se passaient el 
nous montions sans relache; il pouvait 6tre H 3 h. de 
l'apres-midi quand 1'orage, bien qu'augmcntant encore, 
nous deeouvrit la cime et nous montra que nous traver- 
sions les pontes de neige plac^cs au-dessous de Tar£te 
joignant les deux sommets. Nous etionssur lebon chemin. 
Des rochers mirent alors un terme a notre longue et 
penible marche sur les champs de neige. Nous allions tou- 
jours de l'avant. Un courant fantastique semblait agiter 
l'almosphere, le vent hurlait dans tous les tons, il semblait 



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ASCENSION DE LELBROUS. 321 

que la nuit ftit venue. Et nous, quatre points impercep^ 
tibles, nous avangions toujours dans rimmense desert de 
neige. Tout a coup, la pente rocheuse se termina en une 
ar&te suivie dune brusque descente. G'etait le sommet du 
cratere de l'Elbrous qui, au lieu de lave ardente, porte, 
maintenant engloutie, une neige plusieurs fois seculaire. 
L'arfcte offrait encore une petite eminence neigeuse ; c'6tait 
li la plus haute cime de l'Elbrous. Un regard sur ma montre 
m'apprit qu'il £tait 6 heures! II n'y avait pas un instant & 
perdre. 

Pierre d6ploya le pavilion tricolore — aux couleurs de 
mon pays — que nous avions apporte dans la neige de la 
cime derni£re de l'Elbrous. Ma femme, Russe de nais- 
sance, qui m'avait excite ft visiter les belles montagnes de sa 
patrie, avait eu Tattention de me donner ce drapeau avant 
mon depart : sur ce haut sommet, je pensai h elle avec re- 
connaissance. Nouscass&mes quelques fragments de roche 1 
qui tSmoignaient de Torigine volcanique de la montagne, 
puis nous repartimes en toute h&te. La nature entiere sem- 
blait soulevee.Nousentralnions des couches de neige tout 
entieres dans notre course prexipitee. Nous combattions 
pour notre vie. A ce moment, notre compagnon indigene 
nous mit dans un grave embarras. Avec ses sandales de 
cuir tout unies, il ne pouvait s'arr&ter sur les pentes glis- 
santes. Plusieurs fois nous fumes contraints de moderer 
notre allure; je lui donnai mon piolet en place de son ba- 
ton assez inutile, pour qu'il sen servit comme d'une ancre. 
Nous esperions toujours avoir d£passe les pentes abruptes 
5 la tombSe de la nuit et atteindre notre campement vers 
11 h., quand vers 8 h. nous nous trouv&mes dans une 
situation telle que nous n'en avions jamais rencontre^ de 
pareille, apres de nombreuses ann^es d'excursions dans 
les Alpes. Une large pente, dont le nev6 glaci nous avait 

(1) Biotite trachytique melee avec de I'andesine labradoritique, 
d'apres la determination du professeur de Szabo. 

ANXUAIRE DE 18"»4. 21 



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322 COURSES ET ASCENSIONS. 

de'jk forces k la mont^e de tailler de nombreuscs marches, 
se trouvait entierement balayee par Forage et pr6sentait 
un mur de glace poli, glissant, sur lequel il etait impos- 
sible de faire un pas sans tailler des marches profondes 
dans la glace durcie; il fallut done tailler des marches 
pendant quatre heures dans FobscuritS d'une nuit sans 
iune, livr6s au froid et a Forage. Les Eclats de glace bon- 
dissaient avec un bruit lugubre dans l'abtme noir ouvert 
devant nous, ou bien Fouragan furieux nous les chassait 
au visage. (Test seulement en tat an tie terrain avec lespieds 
que nous parvenions, dans Fobscurite, a atteindre la marche 
suivante. Un seui faux pas aurait ingvitablement causd 
notre mort. Le froid devenait intolerable ; nos pieds et nos 
mains etaient gel£s depuis longtemps; l'epuisement se 
faisait sentir, mais il fallait continuer de descendre si nous 
ne voulions pas p6rir sur ce mur abrupt de glace. Enfin 
nous parvlnmes au has! Vers minuit nous vimes au-des- 
sous de nous, dans les t6nebres, ie rocher aupres duquel 
nous nous etions arr£tes ie matin, dans la plaine de neige. 
Quelques pas encore et nous parvenions a la neige oil nous 
pouvions reprendre notre descente pr6cipit£e. Par miracle, 
nous n'avions pas perdu la direction, bien que les traces 
laiss£es en montant fussent eflace>s pour la plupart. 

A la descente, Burgener venait en dernier; dans Forage 
nos voix se croisaient parfois sans pouvoir &tre entendues, 
mais en somme c'6tait toujours Burgener qui guidait. Nous 
avancjons dans la neige qui paraissait insondabie ; le venl 
et le froid avaient diminue*. Pour flnir nous nous egar&mes 
quelque peu en cherchant notre campement sur le rocher 
et, en cet endroit, nous fAmes redevables de Findication 
qui nous remit dans la bonne voie & notre compagnon indi- 
gene, qui jusqu'alors s'etait contente de nous suivre sans 
dire un mot. Une demi-heure apres, a 2 h., nous nous 
trouvions sur le faile du dos d'ane dont nous avons parle. 
La, nous nous occup&mes de casser les glacons qui pen- 



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i 

ASCENSION DE LELBROUS. 323 

daient a nos barbes depuis midi. A 2 h. 30 min. du matin, 
nous arrivions a notre campement. Les porteurs elaient 
1&, accroupis lesunscontre les autres, et ils nous saluerent 
avec une joie fr£n6tique; ils nous avaient crus perdus. 
Nous nous pr^pardmes une soupe chaude; depuis 10 h. dn 
matin nous navions ni bu ni mange. 

J'allais oublier de dire un mot de la question de fair 
rarefle. Nous avions tous ressenti un certain degre de fa- 
tigue et d'6puisement qui, pendant la derni&re partie de 
l'ascension, se traduisit pour moi par une faiblesse tres 
grande des muscles du genou et pour Burgener par un 
6tat complet d'an£antissement in la descente du mur do 
glace; mais cela est inevitable quand on entreprend l'as- 
cension d'une aussi haute montagne dans des conditions 
particulifcrement p£nibles; et, k part cette fatigue, on ne 
peut pas dire qu'aucun de nous ait eprouve de malaise 
particulier dt k la rarefaction de I'air. Les membres de 
l'exp6dition de 1868 n'avaient pas eu non plus particulie- 
rement h souffrir de l'effet des couches superieures do 
l'atmosphfere; par contre, certains symptdmes de malaise 
se sont manifestos chez quelques-uns des membres de 
l'expedition de 1874; toutefois ces voyageurs eux-rn&mes 
altribuent ces sympt6mes au fait qu'ils avaient entrepris 
l'ascension de TElbrous sans un entrainement suffisanl el 
sans avoir effectu£ auparavant aucune excursion dans les 
hauies regions montagneuses. 

Pierre et moi avions les pieds geles, et Burgener deux 
doigts de la main. Nous ressentimes longtemps encore les 
suites de cette excursion : Pierre out plus tard des ampoules 
aux pieds, et Burgener souflVit pendant deux jours d hor- 
ribles douleurs. 

Je donnerais une idee fausse des conditions dans lesquellcs 
se fait l'ascension de TElbrous si l'ondevait considcrer notiv 
voyage comme donnant la mesure des difficultesa vaincre. 
Au lieu de nous mettre en marehe un peu apres minuil. 



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324 - COURSES ET ASCENSIONS. 

nous £tions partis vers 8 h., c'est-&-dire que nous avions 
commis un acte presque sans exemple m£me dans les 
Alpes, par le beau temps, quand on connalt exactement le 
chemin et qu'on se propose un but moins elev6 de 3 & 
4,000 pieds. Pendant des semaines le mauvais temps avait 
r£gne\ la neige etait tres mauvaise et, le jour m&me de 
Tascension, nous avions rencontr6 le plus mauvais temps 
imaginable dans une montagne oil aucun de nous n avail 
encore mis le pied. Ge que nous avons fait n'cst pas justi- 
fiable; ce sont des circonstances particulieres qui nous y 
ont pousses: nous ne voulumes pas reculer quand nous 
virnes que Tentreprise devenait dangereuse,parce que nous 
avions confiance dans notre experience et dans notre force 
£prouvee par des annees dexcursions longues et difficiles 
dans les Alpes, parce que.:... « celui qui n'a jamais ses 
heures de folie est moins sage qu'il ne pense », dit quel- 
que part La Bruyere. Le froid et le vent seront toujours 
des adversaires redoutables sur l'Elbrous; la marche pen- 
dant des heures sur d'interminables champs de neige 
sera toujours une t&che penible qui peut <Hre encore 
aggrav6e, quand la neige est mauvaise, comme nous 
Tavons £prouve, par la n6cessite* de tailler beaucoup de 
marches ; mais quant & des difficult^ proprement dites, k 
des difficulty techniques causees soit par la glace, soit 
par le roc, la montagne n'en presente pas dans l'Stat 
actuel de Tart des ascensions. II est interessant de con- 
stater que l'Elbrous, le plus haut sommet du Caucase, 
ressemble k ce point de vue au Mont-Blanc, le plus haut 
sommet des Alpes. Sur Tune et Tautre montagne, une mar- 
che fatigante sur des pentes plus ou moins p^nibles suivant 
l'etatde la neige, mais aucun de ces remparts de glace ou 
de rochers dont Tescalade necessite, sur d'autres sommets 
alpestres,laplusgrandehardiesseet la plus grande adresse. 
Le Kasbek a presente a ses conquerants — jusqu'ici ses 
seuis visiteurs — Freshfield, Moore, Tucker et Francois 



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ASCENSION DE LELBROUS. 325 

DevouassouddeChamonix, des difficult^ d£j& plus grandes, 
etles autres cimes du Caucase, rAdai-Khokh,leKochtantau, 
le Dykhtau et l'Ouchba, semblent opposer aux escaladeurs 
des obstacles plus s6rieux que les sommets des Alpes. On 
retrouve ici le caractfcre particulier des montagnes du 
Caucase; les puissantes cimes neigeuses en sont plus 
hautes et plus abruptes que celles des Alpes, et cette dispo- 
sition ajoute k leur splendeur, bien que les valines qu'elles 
dominent le cedent en beaut£ aux valines des Alpes. Aucun 
lac n'y renvoie I'image de ces montagnes, aucune grande 
cascade n'en dScorc les pentes. Dans certaines parties du 
versant meridional seulement, la sombre verdure des for&ts 
vierges et la magnificence tropicale de la v6g6tation 
s'unissent k la blancheur de la chaine qui se dresse au 
Nord pour former des tableaux que ne sauraient 6galer 
mgme les plus c616bres valines du versant meridional des 
Alpes. Mais tout ce qui s'eteve au dela de la limite des 
neiges 6ternelles est plus sauvage, plus d6chir6 que tout 
ce que nous oflrent les Alpes; \k mfcme oil, par Irruption 
de masses trachytiques, les montagnes se sont dress^es 
plus uniformes au-dessus des assises schisteuses, grani- 
tiques et cristallines. leurs proportions gigantesques 
forcent T6tonnement et l'admiration. 

Aprfcs avoir vaincu pour la premiere fois Tun de ces som- 
mets, l'Adai-Khokh, nous avions done conquis, dans des 
circonstances difficiies, la plus haute cime du Caucase. 
Triomphants, b&tissant de nouveaux plans, nous faisions 
le surlendemain notre entree dans Ourousbieh. Les cris de 
« Alia il Allah Iliaha » et de « Minghi-Tau » se prolon- 
ggrent sans fin, plus ou moins accompagn6s d'autres excla- 
mations. 

Maurice de D£chv, 

Membre honoraire 
du Club Alpin Franeais. 



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XIV 

LE CAP NORD AU SOLEIL DE MINUIT 

(NOTES DE VOYAGE) 

tinkce aux bateaux a vapour, tout le monde peul voir 
main tenant le soleil de niinuit au Cap Nord. Pendant la 
saison d*et6, des services postaux reguliers font chaque 
semaine le tour du Cap, de Bergen et Throndhjem, par 
Hammerfest a Vadso. Me trouvant dans la peninsule scan- 
dinave afin den £tudier les formations glaciaires, pendant 
les vacances du Parleirvent, je n'ai pu me dispenser d'une 
visite aux lies Lofoten et aux cdtes de la Laponie. Or, le 
19 juillet 1883, le steamer norvegien Ok Bull, k bord du- 
quel j'avais pris passage, vint jeter Tanere dans une anse a 
labri du Cap Nord, k 9 h. du matin, par une mer un peu 
agitee. Si le transport des harengs en barriques et des 
morues seches n'avait en, pour les amateurs, plus dim- 
portance que la realisation des souhaits d'un naturaliste 
(Mirieux, peut-^tre le capitaine Bentzon, notre comman- 
dant, se serait-il decide k stopper ici un jour entier. Mais 
tnes d£sirs intimes ne pouvaient entrer en ligne de compte 
avec le temps mesure pour le chargement du poisson sec 
on sale. Tout ce que je pus obtenir en plus, ce fut un d61ai 
«le six heures pour exdcuter lascension du Cap. Vingt per- 
sonnes d'ailleurs voulaient &tre de la partie. Vite deux 
ranots charg&rent cette societe. Quelques vigoureux coups 
<le rames nous amenerent entre da gros rocbers 6boules 
battus par les vagues qui ballottaient les canots. Presse 



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LE CAP NORD A U SO LEI L DE MINUIT. 327 

de monter au haut des escarpements, je sautai sur un de 
ces rocs, laissant a mes compagnons de route plus galants 
le soin de d£barquer les dames de l'expedition, avec les pre- 
cautions voulues pour 6viter un plongeon. 

Le Gap Nord se dresse superbe, pareil a un gigantesque 
bastion avance, a lextremite de FEurope, en face de 
l'Oc^an glacial. Un coup d'aile semble devoir suffire pour 
atteindre le sommet. Manquantd'ailes, j'ai t&che d'y monter 
a pied, comme le premier bourgeois venu. Point de che- 
min d'ailleurs, ni mi^rae de sentier trace. On s'el&ve du fond 
dune gorge, par-dessus les 6boulis. Les pierres mouvantes 
cedent par places, glissent et bondissent, tellement qu'il y 
a un avantage positif k marcher en t(>te de la bande, k se 
trouver plac6 le plus haut, pour (khapper k ces voltigeurs 
bien connus des alpinistes. Des deux cdtes de la gorge, ou 
plut6t de la chemin£e ou vous vous hissez en vous aidant 
des mains, les escarpements rocheux de grcs m£tamor- 
phiques s'elevent en murailles verticales. Gette gorge sert 
de lit k un ruisseau. Le ruisseau nalt d'un champ de neve 
sur les £boulis. Ses bords sont gazonn6s, verts, riants, 
emailles de fleurs en plein epanouissement. Qui le croirait? 
Presque toute la flore du Hohneck vosgien se retrouve ici, 
avec la m£me fraicheur vigoureuse, la m£me vivacite de 
coulcurs que dans nos hauts p&turages du Wormspel et 
dans les couloirs des Spitzenkoepfe au-dessus de Miinster. 
Trouver les fleurs des Vosges sur les rives imni£diates de 
lOcean glacial, quelle gracieuse surprise! Des renoncules 
jaunes, des anemones, des bartsias purpurines, des trolles 
p&les, des geraniums pourpres, des alchemilles alpines, 
des cerastiums, des gnaphaliums et le tendre myosotis, 
lleur du souvenir, Vergissmeinnicht! Doutez-vous que je 
me sois empresse de serrer dans mon carnet de notes le 
Vergissmeinnicht du Gap Nord? Vous pensez bien si le sou- 
venir de l'Alsace et des # chers absents est venu m'assaillir &la 
vuedeces petites fleurs bleues cueillies si loin dechez nous. 



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328 COURSES ET ASCENSIONS. 

Je montais, et je montais plus haut, toujours plus haul, 
sur la penle escarp£e de la gorge. D'en bas, on eui dit que 
quelques sauts suffiraient pour arriver sur la hauteur. De 
fait, jy ai mis une demi-heure enti&re; Ie gros de la 
soctete de YOle Bull, le double ou le triple, tant lascension 
est rude, plus rapide qu'un escalier. Encore, si c'etait un 
escalier avec de vraies marches comme au Letzenberg au- 
dessus de la Fecht! Mais ici point de marches, rien que 
des pierres qui glissent. A mesure que Ton monte, la v£g£- 
tation diminue, les fleurs deviennent plus rares, au point 
de manquer tout a fait, m&me entre les pierres du ruisselet 
sur la fin de l'escalade, laissant k jour la roche nue toute 
seule au dernier moment. Ainsi dans la vie, la voie au 
d£but paralt pleine d'esperances, dillusions et denchan- 
tements ; puis, a mesure que nous allons, les enchante- 
ments et les illusions se dissipent, les esp£rances tombent 
au point de manquer tout a fait, vers la fin de noire car- 
ri&re, nous laissant aux prises avec la seule reality et ses 
asperit£s inflexibles. Pourtant la port£e du regard gagne k 
l'atteinte du sommet, d'ou le ciel parait plus proche. Vu du 
hautde la gorge, au fond des precipices entre lesquels nous 
sommes montes et que nous dominons maintenant, le ba- 
teau k vapeur ressemble a une coquille de noix sur lim- 
mense surface de la mer. Sous Taction dun fort vent du 
Nord-Ouest qui me saisit, avec la perspective d'un petit 
rhume de cerveau, je ne m'arrfcte pas pour le moment a 
'contempler la mer. Pour ne pas prendre froid apres la 
montee, il faut continuer a marcher. Je m'avance done sur 
un plateau uni, en partie pierreux, en partie tourbeux. 
N'6tait TOcean, je me croirais sur les Hautes-Chaumes, au- 
dessus des lacs d'Orbey. Dans les parties pierreuses, le sol 
parait forme de roches metamorphiques schisteuses, parse- 
mees qk et l*3t de fragments blancs de silex. Dans les creux, 
oil leseaux restent stagnantes, le sol, tourbeux et mouvant, 
compost de mousses et de sphaignes, c&de sous le pied. 



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LE CAP NORD AU SOLEIL DE MINUIT. 329 

Une demi-heure de marche me conduit sur le promontoire 
m6me forme par le Cap Nord. Trois cairns en pierres ont 
et6 elev£s sur ce promontoire. Entre les cairns, un ob£- 
lisque en granit poli, dresse sur un piedestal au plus haut 
point, rappelle la visite faite ici, le 2 juillet 1873, par le roi 
Oscar de Su&de. Voili done mon but atteint. Je suis au 
terme de mon voyage dans le Nord, pour cette annee du 
moins, car je caresse encore le projet d'aller examiner une 
autre fois la structure de la glace k lextr£mite des grands 
glaciers du Groenland danois. 

Arrive premier, loujours t&te de colonne, avec une assez 
large avance, j'ai le temps d'attendre mes compagnons, de 
regarder autour de moi k mon aise. De prime abord, k las- 
pect du roc aride, des noirs escarpements, dont les vagues 
Scumeuses viennent battre la base avec un rythme cadence 
et de sourds mugissements, dont les vents Apres balaienl 
sans rel&che les flancs d^charnes et la cime chauve, & las- 
pect de la mer immense dont les confins se perdent dans 
1'horizon lointain et dans la brume terne du ciel, loin de 
tout bruit bumain, sans aucun £tre vivant qui anime, de 
pr&s ou k distance, cette perspective infinie, la terre appa- 
ralt seulement comme un corps cosmique, pareil k ces 
plan&tes lointaines ou finit toute manifestation de la 
vie organis^e, telle qu'elle a ete aux premiers jours de sa 
formation, tel que peut redevenir notre globe si le soleil 
cesse de lui prodiguer sa lumtere et sa cbaleur. Longtemps 
mon regard se perd dans Tespace, ma pens£e sonde et 
fouille les profondeurs inconnues de l'Ocean et du ciel, 
interrogeant, scrutant avec un sentiment anxieux et cu- 
rieux tout & la fois les cnoses d'au del&. La connaissance 
des objets visibles et sensibles, loin de satisfaire cette 
pensee inquiete, excite sa soif inassouvie de savoir. Saisir 
ce qui est sensible et visible, afin de pen^trer ce qui ne lest 
plus, pour en deviner la raison, Torigine et la fin, voilk ou 
tendent les efforts de l^tre pensant. Et tandis que je me 



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330 COURSES ET ASCENSIONS. 

demande si ce monde ou je vis, si l'existence de l'homme 
iei-bas peut avoir un but determine, un r61e dans I'avenir, 
une reverie vague nie berce et m'endort. 

Sans une piqAre de moustique, je serais reste ainsi 
perdu dans le grand tout. Un cousin, moucheron ordi- 
naire, comme les tourbieres de la Magero et surtout le 
fjeld lapon en nourrissent beaueoup, me rappela au sen- 
timent de la reality. Sous reflet de la piqtire, je dus me 
dire : Je sens, done je suis. Je me frottai les yeux et me 
levai. Plus que rafralchi par le souffle piquant d'une forte 
bise, je constatai au thermometre-fronde une temperature 
de 5° centigrades. Trop peu pour rester assis, n'est-ce 
pas, ami lecteur? Rejoint par deux de mes compagnons de 
voyage, le colonel Kominek, du ministere de la marine 
d'Autriche, et le D r LofT, medecin principal de Farmed, a 
Vienne, je constatai avec eux comment la fraieheur de lair 
excite la fraicheur de l'esprit ou de ce je ne sais quoi qui 
passe pour l'esprit. Ensemble nous constatons, au contraire 
de mon impression de tout a l'heure, que la vie organique 
ne disparait pas tout a fait au sommet du Cap Nord, mOme 
sur les parties en apparence les plus cbauves, les plus 
nues. Non seulement on est pique par les cousins, non 
seulement on d^couvre, ici et la, des mottes de mousses et 
de lichens; mais un peu d 'attention vous fait apercevoir 
des fleurs : une renoncule aur6e, une anemone, toules 
deux petites, a tige courte, pour abriter contre la terre 
protectrice leur delicate corolle, comme dit Burns de sa 
marguerite : 

Scarce reared above the parent earth 
Thy tender form. 

Ce n'est pas tout. Aprils avoir aper^u les fleurs et senti 
la piqtire des moustiques, que voyons-nous encore ?Quelque 
chose comme un double jet d'eau intermittent, au-dessus 
de la mer a aspect de plomb fondu. Une masse noire s'en- 



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LE CAP NORD AU SOLEIL DE MIMUIT. 331 

fence et Emerge alternalivement sous les jets d'eau sus- 
dits. A n'en pas douter, cette masse repr^sente une baleine 
qui prend ses ebats et se demande peut-£tre ee que font 
bien ces visiteurs etrangers perches en haut des rochers 
du Cap. En allant vous promener aux p^cheries de Vadsd, 
a une journ£e de bateau h vapeur plus bas, vers l'Est, vous 
pouvez vous donner le spectacle d'une chasse a la baleine, 
qui se fait dans ses parages comme une industrie reglee. 
Les rochers de la Magero, dont le Gap Nord forme la 
pointe extreme du c6te de l'Oeean glacial, se composent 
de couches du terrain de transition redresses verticale- 
ment. Sur les flancs du promontoire, de profondes fissures 
^ntaillent les escarpements, descendant jusqu'dt la mer en 
manure de cheminees. A premiere vue, ces fentes noires, 
au bas desquelles les lames d'eau se brisent blanches 
decume, donnent le vertige. On doit pouvoir y descendre 
pourtant avec les precautions voulues. Dans les creux du 
plateau restent encore des flaques de neige. Partout ou 
l'ecoulement manque, se d6veloppent des marais tourbeux. 
Tout le pourtour de Hie, car le Cap Nord constitue lex- 
tremite dune lie etnon du continent, se montre profonde- 
ment d^coupe. Une quantite de promontoires avances et 
de baies profondes, termin^es en cirques, dessinent les 
confins de cette terre abrupte sur toutes ses faces et conime 
<»ntaill£e tk Temporte-piece. Notre compatriote alsacien 
M. KoBchlin-Schwartz, dans la relation de son voyage en 
Laponie, compare sa figure h celle dun crabegigantesque. 
Ce qui est positif, e'est quelle s'evase en cuvette dans sa 
partie centrale et envoie dans la mer cinq rayons pareils 
aux bras d'une asterie, se relevant a partir de la depression 
du centre pour s'aflaisser dans les flots, sinon comme des 
murailles verticales sur tout le pourtour, du moins avec 
de fortes pentes. Tandis que le g6ologue Keilhau attribue 
une altitude de 976 pieds de Norv£ge au point culminant 
du Cap Nord, M. Charles Martins lui assigne 308 met., 



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332 COURSES ET ASCENSIONS. 

dapres les observations baronuHriques de l'expedition 
franchise de 4838 dans les mers du Nord. Suivant nos 
marins, la pointe Sud des ties Spitzbergon doit elre vi- 
sible par un temps clair, depuis la colonne comme- 
morative du roi Oscar. Dans le Nord-Est de la grande 
terre des Spitzbergen, le D r Petermann et le baron de 
Henglin m'ont dedie en 4874 une montagne dont je serais 
curieux de decouvrir la silhouette. Aujourd'hui le temps 
n'est pas assez clair ou je n'ai pas des yeux de lynx au 
regard assez pendant. 

. Mais le soleil de minuit, dites-vous, quels sont ses effels 
au Cap Nord? Un peu de patience, jy viendrai apres avoir 
observed une temperature de 8°, 8 dans Teau a la surface de 
la mer, aux abords du promontoire, a 3 h. de Papn>s- 
midi, le thermometre a Pair marquant au m&me moment 
7°, 5. Plus chaude que Pair, la temperature de la mer prouve 
lextension du Gulf Stream dans ces parages. Jamais la mer 
ne gele aux abords du Cap Nord, pas meme en hiver. Malgre 
son nom d'Oc^an glacial, jamais la mer ne porte ici un 
glagon £chou£ sur ses exueils. Quant au soleil de minuit, jai 
ecrit a ses darters les lignes que voici. « Je n'ai pu attendre 
le soleil de minuit au Cap Nord, parce que le capitaine de 
YOle Bull nous a contraints de nous rembarquer a 3 b. 
sous peine d'aller a pied a la station de peche de Kjelvig, 
situ£e a 30 kilom. de marche, pour attendre la, huit jours 
durant,le passage d'un autre navire. Par contre, j'ai pu voir 
le soleil de minuit ce soir a Hammerfest et je Pai vu hier 
dans la traversee du Malangerfjord, entre Lavangnas et 
Tromso. C'est un spectacle etrange, vraiment beau et gran- 
diose pour nous habitants de PAlsace et de la France, habi- 
tues al'alternance quotidienne de lanuitetdu jour. Visible 
a partir du cercle polaire, le soleil de minuit revient tous 
les jours, ou plut6t le disque entier de Pastre reste au- 
dessus de Thorizon a Hammerfest a partir du 46 mai; du 
13 mai jusqu'au 30 juillet au Cap Nord. Toutefois, on n'en 



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LE CAP NORD AU SOLE1L DE MINUIT. 333 

jouit pas quand il est masque par les montagnes ou cache 
par les nuages, comme cela vous arrive frequemment pen- 
dant la navigation sur les cdtes de la Norv&ge. Lorsque je 
le vis pour la premiere fois, apr&s plusieurs jours brumeux, 
pendant une £claircie, a travers Touverture d'un bras de 
mer et entre deux rangees de monts eleves, il etait tout a 
fait splendide et dans son plein £clat. Le ciel absolument 
pur, dans cette direction, avait un coloris dun rouge sang, 
sur lequel les sommets du littoral se detaehaient en relief. 
Gette lumiere rouge se tamisait, avec ses tons pourpres, a 
travers le feuillage dun bois de bouleaux nains, qui rev&- 
tait les parois du chenal rocheux ou nous passions, se 
refl£tant sur les ardtes nues des montagnes plus hautes et 
sur les flots de la mer. Ghaque lame de la mer refl^tait 
l'image de l'astre radieux, qui descendit lentement et se 
releva de nouveau, sans disparattre au-dessous de Thorizon. 
Quand le soleil de minuitfreste masque par les montagnes, 
l'atmosphere vaporeuse etale au ciel, du cote oppose^ toutes 
les couleurs du prisme, avec des reflets rouges, jaunes, 
oranges, verts, bleus, indigos, violets, fondus les mis dans 
les autres en tons adoucis, moelleux. Ge n'est plus la 
lumiere vive du jour, ce n'est pas non plus la nuit, mais 
quelque chose d'indecis, un cr^puscule lumineux <{ue 
Tegner d^peint dans son po&me de Frit hj of : 

Midnattsolem pa bergen salt 
Blodrod till a skada ; 
Det var ej dag, det vav ej natt, 
Det vQgde emellan b^da. »* 

La Magero n'est pas tr£s peuplee. Les recensements offl- 
oiels sur lesquels Friis a base son E thnographhk Kart om 
Finmarken, publiee en 1861 par l'Academie de Christiania, 
y comptent 26 families norvegiennes et 10 families de La- 
pons dont une seule habite une maison en charpente. Sans 
vous enfoncer dans le fjeld, vous pouvez eHudier l'archi- 



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334 C0UH8ES ET ASCENS10K9. 

tecture des demeures en terre des Lapons et vous mettre 
au courant des us et coutumes de cette population dans le 
Tromsdal, pr£s de Tromso. Notre collogue du Club Alpin 
M. Charles Rabot, qui depuis nombre d'annees consacre 
la belle saison a 6tudier la constitution physique du Nord 
de la Scandinavie et qui connait ce pays mieux que per- 
sonne, nous donnera un jour la description du territoire 
et un tableau de ses habitants. Aussi bien me contenterai- 
je de noter, a propos de la structure de la p£ninsule scan- 
dinave, que son territoire a et6 compare a une immense 
vague dirigek' de l'Est a TOuest et qui se serait figee ou soli- 
difiee subitement au moment de se briser. Point de chaine 
de montagnes continue qui traverse la p^ninsule du Sud 
au Nord, comme une sorte depine dorsale, indiquee dans 
les anciens manuels de geographie sous le nom de Kjdlen 
et dont la ligne de fatte dessine la frontiere entre les deux 
royaumes de Suede et de Norvege. Cette chaine imaginaire 
se rattachait dans les traites systematiques aux hauteurs, 
je nose dire aux montagnes de la Finlande. Au lieu d'une 
chaine continue, nous trouvons entre la Finlande russe 
et le Finmark scandinave, entre le golfe de Bothnie et le 
Varangerfjord, une depression et des terres basses, oil le 
lac d'Enara atteint a peine un niveau do tOO met. au- 
dessus du niveau de la mer. Nous verrons par les recits 
topographiques de M. Rabot que le fjeld lapon, tout le 
Finmark oriental entre l'Altenfjord et le Varangerfjord, ne 
forme pas une con tree montueuse pareille au reste de 
la Nonage. Quelques pointes isolees selevent bien a une 
hauteur de 500 a 600 met. , mais sans former de chaine. 
Le vrai highland commence a louest du fjord d'Alten. La 
Magero, qui finit au Cap Nord, atteint 360 mtH. au-dessus 
de Kjelvig et forme l'extre^mite de la rang£e des iles du 
littoral de la Norvege, toutes d'une hauteur superieure. 

A vrai dire, la peninsule scandinave ne presente pas de 
chaine de montagnes avec une arfcte accentuee comnie 



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Lfc! CAP NOKD A I' SOLEIL DE MINUIT. 335 

dans les Alpes, les Pyr6ne>s et les Apennins. Une traverse** 
en chemin defer de Christiania & Throndhjem et de Thrond- 
hjem a Gefle suffit pour s'en convaincre. Au lieu dun** 
chaine de montagnes, dans le sens propre du mot, on con- 
state Texistence d'une haute terre sillonnee par d'innoni- 
brables valines, qui s'enfonce dans la mer brusquement du 
cdte de TOuest, quis'abaisse du c6te" de l'Estou du Sud-Est 
vers le golfe de Bothnie et la mer Baltique, sous forme de 
terrains en pente douce. En tracant une ligne h peu pres 
parallele a la c6te occidentale, a 42 ou 45 milles g£ogra- 
phiques de distance, on dessine u peu pres la limite orien- 
tale du haut plateau qui finit du c6te de la mer decoupe 
par une multitude de fjords, de valines, de depressions 
lacustres, repartis sans ordre apparent et entre lesquels 
surgissent un grand nombre de sommets isol£s elev£s au- 
dessus du niveau general. Si je puis m'exprimer ainsi, les 
vallees et les fjords de la Norvege sont entaill^s dans le 
plateau, tandis que dans les Alpes et les Vosges le souleve- 
ment des lignes de faite determine l'apparition des vallees. 
Sous la latitude de Bergen, le profil de la Scandinavie 
s'eleve & un niveau de 1,400 a 4,200 met. jusqu'a 30 milles 
de la c6te norv£gienne, pour sabaisser ensuite avec une 
inclinaison & peu pres reguliere, et sur une longueur de 
70 milles, vers Gefle et Stockholm. La Norvege offre done 
aussi des plateaux fort 6tendus, les Heidi ou les Vidder, 
malheureusement inhabitables dune maniere permanente 
& cause de leur situation £lev£e au-dessus de la limite des 
forfets et m&me de la limite des neiges'. Sur toute cette 

1. Voici les hauteurs reievees pour la limite des neiges persistantes 
sous diverses latitudes de la Scandinavie : 

Folgefunden 4 800 pieds 60" lat. Nord 

Salatind 5 300 — 61° 

Iotume 4 610 — 61<> »/* — 

Dovre 5 200 - 62° •/, — 

Sulitjelma 3 730 — 67" — 

He de Seiland 3 000 — 70<> — 

Au Sud du Cap Nord . . 2 280 - 71" — 



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336 COURSES ET ASCENSIONS. 

etendue, en Suede plus encore qu>n Norvege, les pheno- 
menes glaciaires se sont manifestos dans une proportion 
imposante, bien autrement accentu£e que dans nos Vosges 
d'Alsace. Je me reserve d'y revenir dans une etude spe- 
ciale. 

Une serie d'observations sur la temperature de la mer f 
que j'ai relevees dans le cours de ma navigation de Thrond- 
hjem au Cap Nord, s'accorde avec les faits dont on a deduit 
l'extension du Gulf Stream dans ces parages. Sans Tinfluence 
du Gulf Stream, je n'aurais pas cueilli le Vergissmeinnicht 
du Hohneck dans les gorges de la Magero, ni forme mon 
joli herbier du Cap Nord. Schubeler a explique les rapports 
de la vegetation avec le climat dans son livre : Culturpflan- 
zen Norwegens, 4° edition, Christiania, 1862. La temperature 
moyenne de la mer autour du Cap Nord depasse sensible- 
ment la temperature de lair. Celle-ci reste toutefois encore 
au-dessus de 0°, contre 5° centigrades & Throndhjem. Sur 
tout le littoral, les vents de mer moderent la rigueur de 
riiiver. Aucun pays du monde ne possede ill latitude egale 
un climat aussi doux que celui de la Norvege. Sauf le fond 
de quelques fjords, la mer ny g£le jamais sur les c6tes. 
Nous voyons le bouleau nain former des bois jusqu'a 
Tromso, h c6te de champs d'orge et de pommes dfc terre. 
Le pin sylvestre s'etend au deli de 70° de latitude, le sapin 
au Nord du cercle polaire, partout ou levaporation de la 
mern'entrave pas sa croissance.De m^mepour le cerisier. 

Apres avoir touche la c6te de Norvege entre le promon- 
toire de Stadt et le cercle polaire, le courant chaud venu 
du golfe du Mexique s'ecarte du continent pour passer k . 
l'Ouest des lies Lofoten et Westeraalen et revenir ensuite 
sur le Cap Nord. Les recherches du service hydrographique 
de la Norvege et les travaux du professeur Mohn, direc- 
teur de Tlnstitut meteorologique de Christiania, ont nette- 
ment determine les limites de Tcxtension du Gulf Stream. 
Dej& Wahlcnberg, l'auteur de la Flora lappomca, signale la 



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LE CAP NORD AU SOLEIL DE MI N LIT. 337 

dtfcouverte sur les c6tes du Finmark de graines provenanl 
de l'Amerique tropicale, d'ou elles sont amen£es par les 
courants. Ces courants sont aussi accompagnes sur les cotes 
de Norv&ge par diverses especes de ehironectes, genre de 
poisson qui ne se rencontre ailleurs que dans les fucus de 
la mer des Sargasses et dans les parages de la Jamai'que, 
regions plus meridionales de rOcean atlantique. Sur les 
plages de Tile Host, la plus me>idionale des Lofoten, 
on recueille aussi des masses d'acajou, un bois venu 
par mer de la baie de Honduras. Dans le voisinage d<* 
Tromso, on a ramass6 des troncs d«* campeche longs de 
80 pieds, egalement de provenance americaine. Le natu- 
raliste Bulloch cite aussi des noix d' Acacia scandens, pro- 
venantd'une liane qui crolt sur les rives des grands fleuves 
de l'Amerique et se trouvant sur les plages de la Laponie 
et des lies Orkney. Pennant, dans V Arctic Zoology, signal*' 
parmi les fruits exotiques nageant ou flottant vers la Nor- 
vege des cosses de Cassia, des noix de coco, des calebasses. 
des graines de Cucurbita lagenaria, de piscidia, des racines 
d'Anacardiumoccidentaleydos produits de beaucoup d'autres 
espexes encore, toutes originates de l'Amerique centrals, 
autant de temoignages de l'existence dun courant d'eau 
dirige du golfe du Mexique sur le Cap Nord. 

Mes observations s'accordent avec les resultats d6ja 
obtenuspar M. Mohn, le savant directeur de l'lnstitut me- 
teorologique de Christiania, avec le concours de la marine 
norvSgienne. 11 en ressort une difference sensible entre la 
temperature de la mer aux lies Lofoten et dans les parages 
plus meridionaux. Au lieu de decroltre r6gulierement du 
Sud au Nord, la temperature aux Lofoten, entre 68 et 70 n 
de latitude, est plus elevtfe que dans le Sud, le long du lit- 
toral, entre Bodo et Throndhjem. Une pareille anomalie 
s'explique seulement par Tinfluence de courants marins 
venus de regions plus chaudes. Void d'ailleurs les tempe- 
ratures que j'ai prises pour Veau a la surface de la mer, 

AXNUMltK DK 1881. 2i 



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:M8 COURSKS KT ASCKNSIONS 

dans leur ordre do succession, a Taller et au retour, enlrc 
Throndhjem ei le Cap Nord, en juillet 1883 : 

Torgen, 65°50 r lal. Nord. 14 juillet, 8 heures soir 12° ,3 

Vahlberg, aux Lofoten. . 16 — 2 - 13«,5 

Kabelvaag, Lofoten ... 16 5 — — 15°,0 

Kjobvig, Lofoten ... 17 7 — matin 14°,0 

Lodingen, ile Hindo ... 17 1 — soir 12<> f 2 

Havnvig 17 — 7 — — 13<>,3 

Lavangsnas 17 — 9 — — 13°,0 

TrorasO 18 — 10 — matin 9°,5 

Cap Nord 19 - 2 — soir 9°,8 

Havd 19 - "i — 7o,r> 

Hammerfest 19 — minuit 7°,5 

Loppen 20 9 heures matin H°,0 

Lyngen fjord 20 — midi I5°,0 

Karlstf 20 — 2 heures soir 10°,0 

Tromso 21 5 — — 9°,8 

Moalsnas 21 - 9 -- - 15°,2 

Il)estadt 21 minuit 10°,5 

Sandhorv 22 10 heures matin 10°,5 

Korsnas 22 - * — soir l'J°,5 

TranO, Lofoten 22 — 7 — — I5°,0 

TranO, Lofoten 22 — minuit 14°,2 

Kabelvaag, Lofoten ... 23 - 10 heures matin 15°,2 

Henuigvaer, Lofoten. . . 23 — 2 — soir 1 5®,0 

Balstad 23 — 5 — — 15»,0 

Bodo 23 — J I - — 9<»,0 

Kobberdal 2V - I — 12°,5 

Sannosoen 2* — 2 ■ — — 12°,0 

LovO 2i — 3 — — l2o,4 

Sovig 2i - \ — l2o,5 

Va^o 2'» — 7 — — 12<»,4 

Saufuneou deux stations a l'int6rieur des terres, dans 
des bras de mer peu profonds, ou agissent les variations de 
lair, alors que le soleil reste constamment au-dessus de 
lhorizon, sans les alternatives de nuit et de jour, comine 
a l'extremitg du Lyngenfjord, je n'ai observe des tempera- 
lures de II a 15 degr£s centigrades qu'aux lies Lofoten. 
Au Sud des ties Lofoten et de Bodo, le long de la c6te de 
iNorvege, le thermomfetre est descendu plus bas, sans at- 
loindre pourtant le minimum des bords de l'Ocean glacial 



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LE CAP NORD AU SOLEIL DE MIXUIT. 339 

autour du Gap Nord. Au Cap Nord, je l'ai dit plus haut, 
dans une anse abritee au niveau de la mer, la temperature 
de l'air marquait 7°,5 a 2 heures apr£s midi, tandis que 
l'eau de la mer etait a la surface a 8°, 8. Parmi les plantes 
du petit herbier de la llore alpine, que j'ai recueillies dans 
lagorge, en montant au point culminant du Cap, il faut citer 
les esp&ces suivantes, alors en pleine floraison : Anthriscus 
sylvestris ; Myosotis alpestris ; Ranunculus aureus; Bartsia 
alpina; TVolUus europxus; Geranium sylvaticum ; Alchemilla 
alpina; Gnapkalium hyperboreum; un Cerastum, etc. 

Puisque j'en suis aux courants, quelques mots encore, 
avant de terminer, sur les tourbillons produits dans les 
parages des Lofoten par les mouvements des marees. Qui 
n'a pas entendu parler des dangers du gouffre de Malstrom 
pour les marins entratnes dans ses profondeurs? Eh bien, 
j'ai pass6 dans le courant du Malstrom sans tHre englouti 
dans son abime. Le Malstrom ou Moskenstrom se trouve 
dans le bras de mer entre Tile Mosken et Lofotodden, la 
pointe Sud de Moskenaso par 67°45 — 49' de latitude Nord. 
Entre ces deux points, la mer atteint done une largeur 
d'un mille marin. Sauf en un point appel£ Horgan, tout le 
chenal est libre de bas-fonds. Au banc m6me de Horgan, 
la profondeur atteint 12 metres. Par un temps calme, la 
mer en passant sur ce banc bouillonne et ecume. Elle 
« moud », suivant lexpression des pecheurs, sans pourtant 
se briser, d'ou le nom de Malstrom, courant quimoud y donne 
par les marins, quoique sa denomination locale soit Mos- 
kenstrom. Suivant le flux et le reflux, le mouvement des 
marees dans le Vest Fjord produit des courants qui tour 
a tour s'engouflrent dans les etroits bras de mer formes 
entre les escarpements des Lofoten ou bien en ressortenf 
comme autant de rivieres sous l'effet de differences de 
niveau. Pour eviter les tourbillons du Horgan, au moment 
de leur agitation, les embarcations doivent se tenir a l'abri 
du promontoire de Lofotodden ou des ties Hogholmer. Pen- 



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340 COURSES ET ASCENSIONS. 

dant les tempetes dOuest sur la haute mer, le courant du 
Malstrom se dirige k 1'Est au flux comme au reflux, sous 
I'influence du vent. Mors, quand arrive le point culmi- 
nant pour la mar£e haute ou la mar£e basse, le courant 
ralentit sa vitesse au point de paraltre arrets un moment, 
pour reprendre ensuite comme auparavant sa direction vers 
TEst. Si dans ces conditions la mer monte ou descend, dit 
Vibe (Kmten undMeer Norwegens, Gotha, i860), la vitesse du 
courant augmente au point de devenir impraticable aux 
navires. II n'est pas rare, en hiver, lors de fortes tempetes 
k la surface de TOc£an, dans l'Ouest, que la mer marche 
vers la terre, tandis que le vent de terre souffle par le 
Vest Fjord en sens opposed Dans ce cas, quand les vagues 
s'avancent les unes contre les autres, dans une direction 
opposed, et s'ajoutent au mouvement propre du courant, 
tout le bras de mer, tout le detroit se met en branle et 
6cume, formant des tourbillons dangereux dont la force et 
Firregularite augmentent avec la vitesse du courant. Vou- 
loir forcer I'entr^e du courant est bien tetneraire, quand 
la violence du vent s'accrott au point de vaincre le mouve- 
ment du courant. Impossible alors au gouvernail de sim- 
ples bateaux de p&che de dominer Taction de tourbillons 
auxquels des navires a vapeur ont de la peine k resister. 
Pendant l'et£ et par des temps calmes, sans vent, on risque 
d'etre jete aux abords du bas-fond de Horgan contre les 
rochers de Lofotoddon ou les nombreux erueils qui en- 
tourent Tile Mosken. La mer autour de cette tie est tel- 
lement entour6e d^eueils et de bas-fonds, que les barques 
doivent l'eviter. La vitesse du courant atteint d'ailleurs 
son maximum entre Hoi, la pointe Sud-Ouest de Lofo- 
todden, et les Hogholmer. Sur plusieurs points le cou- 
rant principal se dirige droit vers la rive, notamment sur 
les points ou il rencontre des contre-courants. En somme, 
le Malstrom est a editor pendant les tempetes de l'hiver et 
les calmes plats de l'ete. A part ces circonstances et pen- 



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LE CAP NORD AU SOLE1L DE MINU1T. 341 

dant de bonnes brises d'£te, comme celle qui nous a favo- 
ris£s Iors de mon passage, la traversee est sans danger et 
Ton peui affronter sans risques le redoutable gouffre, ou 
plutdt ses tourbillons, avec de simples barques comme 
avec mi fort steamer! 

Charles Gkad, 

Membre du Club Alpin Francais 
(Section des Vosgea.) 



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SCIENCES ET ARTS 



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SCIENCES ET ARTS 



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LES DEUX THEORIES OROGfiNIQUES 



Les causes qui interviennent dans la formation des 
chalnes de montagnes sont au nombre de trois : i° les 
phinomenes d' erosion fonctionnant sous l'influence des 
agents atmosph^riques ; 2° les phtnomenes 4t*uptifs; 3° les 
actions dynamiques auxquelles l'£corce terrestre est sou- 
mise. 

Mais ces trois causes sont loin de cooperer avec la 
m£me Snergie et la m^me efficacite k l^dification des 
chalnes de montagnes. L'influence exerc£e par les actions 
dynamiques est pr6pond6rante, et le probl&me orog^nique 
se ram6ne surtout & rechercher quelle est leur nature 
essentielle et leur mode de manifestation. 

Sans doute, toutes les montagnes sans exception por- 
tent, k divers degr£s, le tSmoignage de l'influence exercSe 
sur elles par les phSnomenes atmosph£riques. Mais ces 
ph^nomenes n'agissent que pour donner k chaque mon- 
tagne sa forme definitive et caractSristique ; on ne saurait 
les consid^rer comme ayant 6t6 les agents essentiels de sa 
formation. lis ont pu contribuer k donner & la statue son 
models, mais ils n'en ont pas fait l'£bauche et ils n'ont 
pas extrait de la carri&re le bloc de marbre que l'artiste a 
mis en oeuvre. 

Les agents exterieurs, en burinant, en rabotant et en 
ciselant le sol, laissent quelquefois en relief des masses 
plus ou moins considerables ; mais ces masses constituent 



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S 



3-4(5 SCIENCES ET ARTS. 

ordinairementdes collines plutdt que des montagnes ; elles 
sont isol£es et non disposes de maniere a former des 
chaines proprement dites. 

Pourtant, dans des cas exceptionnels, les agents d'6ro- 
sion etdablation acquierent assez denergie pour determi- 
ner l'apparition de v£ritables montagnes. La maniere don! 
le Cervin s'est forme en est un exemple. Ilpr£sente au plus 
haut degre le Uhnoignage de Intervention des agents 
atmospheriques quil'ont, pour ainsi dire, laiss£ comme un 
t£moin de l^norine masse dont il faisait partie. Mais. 
m£me dans ce cas, il faut remarquer que Taction d£nuda- 
trice a 6t6 pr6c£dee et, en quelque sorte, prepared par les 
forces interieures qui ont porte k une tres grande hauteur 
le bloc 6norme abandonne sans defense h. l'influenee des 
agents exterieurs. 

Geux-ci interviennent pour modeler et facxmner les 
chaines de montagnes, et non pour pr^sider k leur edifica- 
tion. Leur mission consiste i\ reprendre en sous-ceuvre le 
travail des forces souterraines. lis proc&dent par voir 
d ablation, et ils apportent une telle activity dans l'accom- 
plissement de leur t&ehe qu k force de retoucher la masse 
sur laquelle ils operent, ils finissent par en amener la 
disparition. Au lieu d'6difier des chaines de montagnes, 
ils les detruisent en tendant sans cesse & niveler la surface 
du globe. 

La cause de l'apparition des chaines de montagnes 
reside dans l'interieur du globe. Pourtant, afin d'Gviter 
toute Equivoque, nous ajouterons que cette cause agil 
dynamiquement en soulevant et en disloquant l'e>oree 
terrestre. En nous exprimant ainsi, nous voulons indiquer 
que, dans l'etude des ph^nomenes orog£niques, on ne 
doit accorder qu'une importance secondaire aux actions 
eruptives. Dans ces ph6nom£nes, les roches eruptives n'onl 
jou£ qu'un r61e tantdt nul, tantdt secondaire, suivanl 
qu'elles £taient de nature volcanique ou Eruptive. 



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LES DEIX THEORIES OROGSNIQUKS. 847 

Les roches plutoniques (granites, porphyres, etc.) seni- 
blent avoir £te les agents directs, essentiels du souleve- 
ment des montagnes; mais elles n'ont fait que transmettre 
l'impulsion qu'elles recevaient des profondeurs du globe, 
et c est cette impulsion qui constitue en rXalite" 1m cause 
premiere du phXnomene orogenique. 

Quant aux roches volcaniques (trachytes, basaltes, laves . 
les montagnes qu elles ont edifices ont 6te la consequence 
non dun soulevement du sol, mais d'une action Eruptive 
ayant persists sur le m&me point pendant un temps plus 
ou moins long. Les montagnes volcaniques resultent de 
l'accumulation de materiaux venant d'une profondeur plus 
ou moins grande tant6t a l'Xtat fluide sous forme de lave, 
lantot a 1 £tat pulverulent, cest-a-dire de cendres et de 
scories. Leur configuration et leur mode de formation per- 
mettent de les comparer a de gigantesques taupinieres. 

Un fait qu'il ne faut pas oublier, c'est que les laves el 
les roches volcaniques, par suite de diverses circonstances 
et notamment de leur grande fluidity, n'ont exerc£ aucune 
action dynamique sur les strates. Gontrairement a l'an- 
cienne thXorie d6fendue par Elie de Beaumont, les volcans 
sont des cones d'Xruption et non des cones de souleve- 
ment. 

Quelques montagnes volcaniques, il est vrai, atteignent 
non seulement une grande altitude, mais aussi une hau- 
teur considerable au-dessus de la contrXe environnante: 
tel est l'Etna dont laltitude est de 3,313 met. et dont les 
premieres pentes commencent au bord de la mer. Mais 
nous n'avons pas besoin dinsister pour demontrer qu'en 
general ce nest pas par voie d'eruption que se sont for- 
nixes les montagnes et, encore moins, les chaines de 
montagnes. 

He qui acheve de demontrer qu'il n'y a aucune identite 
entre la cause qui preside a l'edification des chaines de 
montagnes et les actions volcaniques, c'est que, de tout 



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348 SCIENCES ET ARTS. 

leinps, des montagnes ont surgi & la surface du globe, 
landis que les volcans ne datent que d'une £poque assez 
recente ; les plus anciens ne remontent pas beaucoup plus 
haut que la p£riode miocene; les volcans & crat&re nont 
m^me commence k se constituer qu k dater de la periode 
quaternaire. 

La cause essentiellequi preside sU'apparition des chalnes 
de montagnes, quelle que soit la th£orie orog^nique que 
Ion adopte, consiste surtout en un ensemble d'actions 
dynamiques ayant pour r^sultat d£finitif de porter k une 
certaine hauteur au-dessus des regions voisines des ter- 
rains plus ou moins puissants qu'elles disloquent et dont 
elles modifient les caracteres stratigraphiques. Ges actions 
sexercent dans des conditions que les g£ologues apprS- 
rient difT£remment. 

Deux theories orog£niques, diversement formulas et 
diversement comprises, se trouvent actuellement en pre- 
sence. Ce que nous dirons des opinions de Descartes et de 
St£non, puis de de Saussure et de Hutton, montrera que 
ces deux theories semblent correspondre k deux courants 
d*id£es qui ont existe dans la science depuis le xvn 6 si&cle. 
Ces deux theories different par la cause premiere qu'elles 
invoquent et par le mode de manifestation qu'elles accor- 
dent aux actions orogeniques. 

L'une de ces theories, celle qui est actuellement en 
faveur, k tort selon nous, voit dans l'&iification des 
chaines de montagnes la consequence de la mani&re dont 
s'opdre le refroidissement du globe. La masse int£rieure, 
en se refroidissant de plus en plus, se contracte et prend 
un volume de plus en plus faible. L'£corce terrestre, 
(U}& solidifiee et ne pouvant se contracter k son tour, 
«»st obligee, pour s'adapter k la masse interne et la suivre 
dans son mouvement centriptite, de se plisser comme 
le ferait un vehement trop ample sur le corps qu'il re- 
couvre. Les parties saillantes des plissements deviennent 



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LES DEUX THKOBIES OROGEN1QUES. 349 

les chaines dc montagnes, les parties rentrantes deviennenl 
les valines. Gette throne ne tieni aucun compte des forces 
souterraines qui, au contrairejouentle r61e principal dans 
la thSorie opposed. 

Gelle-ci a pour base essentielle la notion de la force 
d 'expansion emmagasinee dans linterieur du globe, notion 
qui se d£duit elle-meme de l'opinion generalement admise 
au sujet des transformations successives de notre planets 
pendant son evolution siderale. C'est cette force d'expan- 
sion qui est la cause et(si nous faisons abstraction pour un 
instant de la pesanteur) la seule cause de tons les motive- 
ments qui se manifestent dans linterieur et a la surface de 
l'enveloppe solide du globe. Par suite de la tension inte- 
rieure, lecorce terrestre se maintient a pen pres a la 
meme distance du centre du globe, on du moins elle ne 
s'aft'aisse qu'avec une lenteur excessive qui s 'oppose a ce 
que son afTaissement exerce une action quelconque sur le 
relief ext£rieur du globe. 

L'influence exerctfe par le refroidissement de notre pla- 
ne te sur l'6corce terrestre permet trait, d'apres la premiere 
th£orie, de comparer le globe a une pomme en voie de se 
rider. D'apres 1 autre theorie, le globe serait plutot une 
grenade arrivee a complete maturite et dont la peau ten- 
drait a se dechirer el a se gercer. 

Les partisans de Tune on l'autre de ces deux theories 
font 6galement intervenir des impulsions horizontales el 
des impulsions verticales dirigees de has en haul. 

Mais, d'apres l'une de ces theories, celle que nous 
avons consid£re> en premier lieu, les impulsions horizon 
tales, qui d<Herminent les ph£nomenes de refoulement ou 
de plissement, sont la cause iniliale et essenlielle de Tac- 
tion orogenique ; les impulsions verticales n'en sonl que la 
consequence. 

D'apres l'autre theorie, on observerail bien, dans les 
actions orogenique^, des impulsions horizontales. d»*s 



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:J50 



SCIENCES ET ARTS. 



unaisseiiients du sol et dcs refouleinents des strates; niais 
ees divers mouvements, au lieu de constituer la raison 
d'etre et le point de depart du ph£nomene, n'en seraient 
«|iie le resultat et le d^veloppement. 

I. - TIIKOHIKS UROUKMQl'KS 

IIATTACHANT I. A FORMATION DES JIONTAIJNES 
AU REl-BOIDISSKSIENT DU GLOBK 

I'our les geologues qui, denosjours,voient dans leschai- 
nes de montagnes la consequence du refroidissement du 
globe, les pb.enonid.nes orogeniques se manifesteraient par 
dcs impulsions horizontales, des plissemonts ou des refou- 
lemenls lateraux. Sous ce rapport, cest-a-dire au point de 
vue de la direction des forces mises en jeu, on peut dire 
que les theories de ces geologues precedent historique- 
nient des idees que Descartes et de Saussure avaient 
emises et que nous allons rappeler en peu de mots. 

On sail que la gloire d'avoir eu le premier lidee du feu 
central revient a Descartes; pour lui la terre etait un 
soleil eteint ,-t enrroute. Mais son genie ne lui avail pas 
permis d'arriver A la connaissance de la structure et du 
mode de formation de lecorce terrestre. Xous n'insiste- 
rons pas a ce sujet. Notre unique intention doit etre de 
montrer comment l'auteur des Principe, de la philosophie 
cxphquait par des efTondrements lapparition des mon- 
tagnes. 

II distingue vers la peripherie du globe un corps C con- 
sistent en « une croutc de terre interieure fort solide et 
fort pesante, de laquelle viennent lous les mutaux ». Au- 
'l.'ssus se place un corps D qui est de I'eau, et que recouvre 
■in corps K qui est « une autre croutc de terre moins 
massive, .omposee de pierres. .Kargile. de sable el de 
limon ... 



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LES DEUX THEORIES OROGKNIQUES. 351 

« Or, dit Descartes, y ayant ainsi plusieurs fentes dans 
le corps E, lesquelles s'augmentaient de plus en plus, elles 
sont enfin devenues si grandes, qu'il n'a pu se soutenir 
plus longtemps par la liaison de ses parties, et que, la 
voute qu'il composait se creusant tout dun coup, sa pe- 
santeur la fait tomber en grandes pieces sur la superficie 
du corps G. Mais, pour ce que cette superficie n'eHait pas 
assez large pour recevoir toutes les pieces de ce corps en la 
m£me situation quelles avaient ete auparavant, il a fallu 
que quelques-unes soient tomb£es de c<He, et se soient 
appuy£es les unes contre les autres. » 

Dans une figure dessin6e par Descartes pour montrer ce 
qui a du se passer par suite de la dislocation et de I'eflbn- 
drement des fragments du corps E, on voit que certaines 
parties ont <H6 recouvertes par l'eau et sont devenues les 
iners; d'autres ont forme les plaines; d'autres encore, plus 
elevens que le reste et fort e;n pente, ont fait les montagnes. 

Descartes appartenait a la premiere moitte du xvn c siecle ; 
transpdrtons-nous tout d'un coup vers la fin du xviu* 
jusqu'en 1796, e'est-a-dire & f£poque ou de Saussure pu- 
bliait le quatrieme volume de ses Voyages dans les Alpes. 
Les limites dans lesquelles nous sommes oblige^ de nous 
renfermer nous dispensent, dans cet historique, de parler 
des systemes orog^niques de Leibnitz, de Button, de De- 
luc, etc. 

La notion du soutevement des strates, si feconde en 
consequences pour la g£ologie, <Hait tomb£e dans l'oubli 
depuis Stenon. La gloire de lavoir retrouvee revient k 
H.-B. de Saussure qui la vulgarisa par ses belles observa- 
tions sur le poudingue de Valorsine. 

Pour expliquer le redressement des strates, et en m&me 
temps la formation de la chaine du Mont-Blanc, qu'il avait 
plus particulierement en vue, de Saussure avait eu d'abord 
recours & « riiypoth&se du feu ou d'autres fluides elastiques 
qui, enferm£s dans Tint6rieur du globe, avaient soulev£ et 



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352 SCIENCES ET ARTS. 

rompu son ecorce et fait sortir la partie interieure ou pri- 
mitive de cette ecorce, land is que ses parties exterieures 
ou secondares demeuraient appuyees contre les couches 
interieures ». Plus tard, il abandonnait cette hypothese. 
Le desordre que Ion observe dans la structure des mon- 
tagnes lui paraissait bien rappeler naturellement a l'esprit 
l'idee de feux souterrains; « mais, disait-il, comment des 
feux capables de soulever et de bouleverser des masses 
aussi enormes n'auraient-ils laisse, ni sur ces monies 
masses, ni dans tous ces lieux, aucun vestige de leur ac- 
tion? Le redressement des couches esl du a une revolution 
du globe qui a determine leur refoulement. » 

De Saussure professait les.idees de Werner sur le mode 
de formation des terrains. Le granite, la protogyne e! 
toutes les roches cristallines du massif alpin etaient pour 
lui, comme pour l'illustre mineralogiste saxon, le resultat 
de depots effectues au fond de la mer des premiers temps 
geologiques. II admettait, et ceci avec raison, que ces 
roches etaient stratiliees et quavant d'etre re<fressees 
quelquefois jusqu'a la verticale, elles avaient ete primiti- 
vement paralleles a l'horizon. Mais il ignorait que, si le 
granite sous forme de gneiss est stratifie, il se present 
frequemment aussi a letat de roche eruptive. Et lorsqu'il 
declarait que les Alpes qu'il avait parcourues dans tous les 
sens n'offraient aucun vestige de roches ayant subi Taction 
des feux souterrains, il ne se doutail pas que le r<Me qu'il 
assignait a ces feux souterrains avail pu etre rempli par le 
granite ou par des roches analogues. S'il avait coiiiiu 
les opinions generalement admises de nos jours sur letat 
interieur de notre planete, il aurait cumpris que ces feux 
souterrains n'avaient pas besoin de se inoiitrer a la surface 
du globe pour exercer leur influence surl'ecorce terrestre. 
II eut persiste dans sa premiere pensee, au lieu d'essayer 
de rattacher la formation des montagnesace qu'il appelait 
dune maniere indecise un refoulement. 



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LES DEUX THEORIES OROGENIQUES. 358 

tjuelle idee lie Saussure se faisait-il de Taction qu'il desi- 
gnait ainsi? Elie de Beaumont pensait qu'il existe beau- 
coup de rapports entre le resullat necessaire de ce qu'il a 
appel£ lui-meme ecrasement transversal et les phenomenes 
que de Saussure entendait designer par le mot de refoule- 
menty dont, disaii-il, il s'est servi dans les derniers apercus 
th£oriques consigned dansses Voyages. II fait observer que 
quelques-uns des passages ou ces apercus se trouvent 
consignes ont &t£ imprimes trois ans seulement avail t la 
mort de Timmortel observateur qui conservait sans doute 
le projet de les d£velopper ulterieurement. 

Elie de Beaumont se faisait illusion en admettant une 
certaine analogie entre son systeme orogenique et les 
idees exprime>s par de Saussure. Pour lui, le ph^nomene 
initial, dans Taction orogenique, consistait, comme nous le 
verrons tout a Tbeure, en un veritable ellbndrement, lan- 
dis que, pour de Saussure, les st rates obeissaient a une 
impulsion horizontale; les strates, ainsi deplae^es laterale- 
ment, rencontraient un obstacle qui ne pouvait <Ure 
qiTune partie de Tecorce terrestre restee immobile; pous- 
s£es, refoulees contre cet obstacle, elles se redressaient 
comme le fait la vague qui, apres avoir glisse' sur le fond 
de la mer, rencontre une falaise et se releve contre elie. 
La principale lacune dans Texplieation fournie par de Saus- 
sure r£sulte surtout de ce qu'il nindiquait pas la cause du 
d^placcment lateral des strates. 

Quoi qu'il en soit, Thypothese que de Saussure n'a pas 
eu le temps de developper n'en a pas moins ^t^ le point 
de depart des theories orogeniques actuellement en faveur, 
•*t Texpression de refoulement a ete frequemment em- 
ployee sans que Ton ait ete* bien (^difie sur le sens qu'il 
fallait lui attacher. 

Pendant plus d'un demi-siecle, les idees emises par de 
Saussure n'attirerent Tattention d'aucun geologue, et la 

AXNTAIRK I>E 1881. 23 



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354 SCI BUCKS KT AHTS. 

theorie do la formation des chaines de montagnes par suite 
dimpulsions horizontal's ne recut aucun developpement. 
En 1853, lors de la reunion de la Soeiete helvetique des 
sciences naturelles tenue a Porrentruy, Thurmann fit une 
communication relative aux soulevemenls en vortte el aux 
chatnes du Jura oriental. En ftudiant ces accidents oro- 
graphiques qui rendent si pittoresques certaines parties 
du massif jurassien. Thurmann £tait preoecupe des eflets 
des phenomenes qui attiraient son attention plutot que de 
leurs causes. Pourtant, coinme les idees de de Saussuiv 
paraissaient avoir laisse dans son esprit une forte em- 
preinte, il n'hesitait pas a eliminer, parnii les causes qu'il 
aurait pti invoquer, toute action soulevante appliquee ver- 
ticalement. Au contraire, disait-il, tons les fails s'intor- 
pretent, en tons points, par Thypothese dune action 
laterale. proeedant du rote" suisse vers le cote^ franrais. 
sur des massifs failles et avec concours do grands agents 
dablation. Quant a cette action laterale, Thurmann n'he- 
sitait pas a Tattribuer au massif alpin qu'il voyait se 
dresser devant lui. 

[/explication proposee par Thurmann, quand hien m£me 
elle serait admissible, ne saurait oiro consideree comme 
une solution satisfaisante du probleme orogenique. La 
difficult e ne serait pas resolue, elle ne serait que deplaceV. 
II resterait toujours a savoir comment le massif alpin, au 
moment oil il allait produire autour de lui une action de 
refoulement, avait ete souleve a la hauteur ou il se trouve. 
« Nous sommes portc* a reconnaitre, disait a son tour 
Studer. une force lateral e immense, dont Taction s est pro- 
pagoe des Alpes centrales sur les hords de la chatne. Cette 
force ne paratt pas devoir se rapporter directement aux 
massifs granitiques, car Tangle du massif cristallin des 
Alpes valaisannes fait 1111 angle de 15 a 20° avec la valler 
du Rhone, qui est a pen pres parallele a la chatne du 
Wildhorn. Elle est due plutot, je cr«»is, a Torigine on a 



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LES DEUX TIIE0H1ES OROGENIQIES. 355 

lelargissement de la crevasse dans la eroiite terrestre par 
laquelle toute la zone de nos Alpes centrales a <He mise a 
decouvert, comme un corps qui sort dune boutonniere en 
forqant ses bords a lui donner passage. » 

Studer admettait que la partie centrale des Alpes avail 
subi, a diverses epoques, des modifications importantes 
ronsistant dans l'exhaussement du sol, dans le redresse- 
ment g£n£ral des couches et dans le fendillement de 
lecorce terrestre. line derniere dislocation du sol aurait 
fu lieu entre la formation du nagelflue et le diluvium 
alpin ; par reflet de ce dernier soulevement, les terrains 
secondaires alpins furent refoules et resserres entre les 
terrains tertiaires, et ces derniers furent souleves, brisks 
et aflecterent une inclinaison plus ou rnoins forte. On peut 
dire que, dans l'explication proposee par Studer, les deux 
theories orogeniques intervenaient simultan£ment el 
jouaient chacune un r6le distinct. Seulement les pheno- 
nienes de refoulement lateral n'etaient pas le resultat du 
refroidissement du globe el ne constituaient pas la cause 
initiale. 

En r6alit£, pendant la premiere moitie de ce siecle, la 
theorie de la formation des montagnes par des impulsions 
horizontals on des refoulement s lateraux, est restee, 
comme du temps de de Saussure, k l'elat d'£bauche ou de 
vague indication. Elle ne pouvait etre formulee dune ma- 
niere complete et trouver une base rationnelle qua dater 
du moment ou la notion de la production de saillies h la 
surface du globe sous linfluence de son refroidissemenl 
aurait £t£ introduite dans la science. 

La pens£e de rattacher, par leur origine, les chaines de 
inoiitagnes aux conditions dans lesquelles s'opere le re- 
froidissement de notre planete a £t£ exprim^e pour la 
premiere fois par Elie de Beaumont, qui l'indiquait deja 
dans une note jointe a son Memoire sur les montagnes tie 



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356 SCIENCES ET AKTS. 

rOisans, publie en 1829. Plus lard, en 1852, il rcprenail 
«ette idee, la d£veloppait et decrivait les circonstances qui 
determinent l'apparition des chalnes de montagnes. Voiei 
en quels termes il exposait sa th£orie : 

« Le refroidissement s£culaire, c'est-^-dire la diffusion 
lente de cette chaleur primitive & laquelle les planetes 
doivent leur forme sphenoidale, presente un 616ment au- 
quel il me semble que la cause des revolutions de la surface 
ilu globe pourrait £tre rattachtte. (let element est le rajn 
port qu'un refroidissement aussi avancg que celui des 
eorps plan^taires elablit sans cesse entre la capacite de leur 
onveloppe solide et le volume de leur masse interne. Dans 
un temps donn£, la temperature de l'int£rieur des planetes 
sabaisse dune quantite beaucoup plus grande que celle 
de leur surface, dont le refroidissement est aujourd'hui 
presque insensible. Linegalite de ce refroidissement doit 
mettre les enveloppes des planetes dans la n6cessit6 de 
diminuer sans cesse de capacity malgr£ la Constance pres- 
que rigoureuse de leur temperature, pour ne pas cesser 
d'embrasser exactement leurs masses internes, dont to 
temperature decrolt sensiblement. Elles doivent par suite 
s ecarter legerement, et dune maniere progressive, de la 
ligure sphenoidale qui leur convient, et qui correspond a 
un maximum de capacite, et la tendance graduellement 
eroissante k revenir h une ligure h peu pres de cette nature 
pourrait peut-etre rendre completement raison de la for- 
mation subite des rides et diverses tuberositas qui se sont 
produites par intervalle* dans la croilte ext£rieure du 
globe. >» 

Essayons d'indiquer ce qui, d'apres Elie de Beaumont, 
<e passe au moment de lapparition dune chalne de mon- 
tagnes. 

Un bossellement se produit insensiblement dans lecorce 
lerrestre par suite de son plissement. Pendant quelque 
temps, ce bossellement se maintient au-dessus de la masse 



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LKS DKLW THEORIES OROGENIQUKS. 357 

*ous-jacente, dans un etal d'equilibre instable. Mais, a un 
certain moment, l'oquilibre est rompu : la partie de IV- 
oorce terrestre correspondant an bosselloment s'eflbndre : 
il se produit un ecrasement transversal de chaquecoted'une 
liprno AB marquant la direction de l'axe du bossellemenl. 
La matiere fluide sous-jacente, ainsi pressee, reflue des 
deux c61es vers la ligne AB en formant deux courants qui 
s<> dirigent horizontalement Tun contre l'autre. Au uio- 
nient ou Us se rencontrent , ils se font mutuellemenl 
obstacle, prennent uue direction verticaleet donnent ainsi 
naissance h une pression dirigee de bas en haut le longde 
la ligne AB. Cette prossion determine la fracture et le sou- 
levemont de la parti** do lVeorce terrestre correspondant 
a AB. Le deplacement de la matiere eruptive devient ainsi 
la cause immediate de 1'apparition dune chaine de mon- 
lagnes, et tout se passe, a partir de ce moment, comme 
dans la th^orie que nous croyons devoir adopter. 

Nous adresserons au systeme d'Elie de Beaumont le 
meme reproche qua tons les systcmes orogejiiques bases 
sur le refroidissement du globe : e'est que rinfluence de 
re refroidissement sur le relief de notre planete est nulle. 
En ce qui concerne plus spec ialement l'hypotliese d'Elie 
de Beaumont, nous ajouterons qu'on se rend compte dif- 
ticilement de la maniere dont un phenoineno lent, sans 
eesse agissant comme lest le refroidissement d'une masse 
planetaire, peut determiner une action brusque, plus on 
moins violente, et soumise a des periodes de repos et d'ac- 
tivite, conune Test Faction orogenique consideree dans 
son ensemble. 

Les idees emises par Elie de Beaumont pour expliquer 
la formation des montagnes n'ont, ainsi que nous Tavons 
deja dit, qu'une analogic ties eloignee avec celles de de 
Saussure. Celui-ci n'avait aucune notion des roches erupr 
lives, ni de ce que Ion designe aetuellement sous le no:n 
de pyrosphere. Or, comme ces roches jouent, dans le 



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358 SCIENCES ET AHTS. 

systeme d'EIie tie Beaumont, un rule preponderant, il en 
resulte une difference fondamentale entre ce systeme el 
celui de de Saussure. De part e\ d'autre, on peut constater 
un refoulement ; mais, pour Fun, ce refoulement affects 
la pyrosphere, tandis que pour Tautre il affecte Tecorce 
lerrestre. 

En terminant, nous ferons remarquer que le syst&nu* 
d'EIie de Beaumont se rattache a la fois aiix deux theories 
orogeniques qui se trouvent actuellement en presence. 
D apr£s ce systeme, Taction dynamique qui intervient dans 
la formation des chatnes de montagnes a bien sa raison 
d'etre dans le refroidissement du globe, mais elle se mani- 
feste par une impulsion verticals. 

Arrivons maintenant a notre epoque. De nos jours, 
beaucoup de g£ologues adoptent Topinion que les chaines 
de montagnes se rattachent, par leur origine, au refroi- 
dissement du globe, mais 1 accord est loin de r£gner parini 
eux sur la maniere dont cette cause agirait. Par suite du 
disaccord qui existe entre eux, leurs theories orogeniques 
perdent leur principal avantage qui semblait etre, au pre- 
mier abord, d'expliquer la formation des montagnes d'un»» 
maniere tres simple, intelligible pour tons. 

Si, pour Elie de Beaumont, Taction orogenique consiste 
en une impulsion verticale dirigee de has en haut, pour 
d'autres, au contraire, il se produirait une impulsion ver- 
ticale dirigee de haut en has, c'est-a-dire un effondrement. 
Pour un plus grand nombre, Texplication la plus simple 
que Ton puisse donner du mode de formation des chaines 
tie montagnes, c'est de se representor Tecorce terrestre 
comme etant soumise a un plissemenl progressif, donnanf 
lieu a une serie d'ondulations. Ajoutons que les theories 
orogeniques formuiees par M. Dana, en Amerique, M. Heim, 
en Suisse, M. de Lapparent, en France, sont encore plus 
eompliquees et different beaucoup les unes des autres, 



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LKS DEUa TUKOHIKS OROGENlQUIiS. 359 

quoique egalement basees sur la notion du refroidisse- 
ment du globe. 

(Ie qui a mis ces diverses theories pour ainsi dire a la 
mode, c'est qu'elles pretendent s'appuyer sur la methode 
•wperimentale. Toutefois, comme nous allons essayer de 
l'etablir, cet avantage doit leur etre contests. 

Xous sommes loin de nier le merite et lutilite des expe- 
riences de J. Hall, de M. Alp. Favre et de M. Daubree; mais 
nous ne saurions leur accorder, surtout en nous placant 
a un point de vue orographique, une valeur absolue. Nous 
ne pensons pas que, dans la nature, les ehoses se soient 
toujours passees comme ces experiences l'indiquent. Dans 
les phenomenes geologiques, une meme cause est suscep- 
tible de donner naissance a des phenomenes differents et 
les m^mes phenomenes peuvent resulter de causes diverses. 
Quand bien meme des pressions laterales auraient pu 
prod u ire certains accidents topographiques ou orographi- 
ques, ce que nous ne contestons pas, il ne sensuit pas ne- 
cessairement que des actions dynainiques d'un ordre tout 
a fait distinct n'aient pu aniener les memes resultats. Par 
consequent , dans la recherche du mode de formation des 
ehaines de montagnes, il sagit avan t tout detablir, parmi 
les causes dont il est pennis d'invoquer Intervention, 
quelles sont celles qui out reellenient opere. 

La methode experimental n'a pas en geologic la meme 
importance qu'en physique; pour les phenomenes geolo- 
giques il est des conditions multiples, et notamment des 
conditions d'espace et de temps, qu'on ne saurait obtenii 
dans les laboratoires. 

M. Daubree ne dit-il pas lui-menie : <« L'experinientation, 
si utile en geologic, relativement a Tetude des phenomenes 
chimiques et physiques, n'a pas la inline valeur quand il 
sagit de certains phenomenes dynainiques dont l'ecorce 
lerrestre porte l'empreinte. Les grandes cassures et les 
plissemenfs qui se montrenf de toutes parts dans la croute 



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360 SCIENCES ET ARTS. 

du globe, dans les chaines de montagnes et ailleurs, soul 
dun acces plus difficile a l'experience, surtout a cause de 
leurs grandes dimensions. Si Ion vent aborder ces ques- 
tions, on ne doit pas perdre de vue un seul instant que les 
conditions de similitude en mecanique sont tout autres 
qu'en geometric. Pour les questions de mecanique, plus 
que pour toutes les autres, le geologue, de meme que 
lartiste en face du modcle vivant, ou le dessinateur en 
presence de la chambre claire, doit avoir sans cesse <\ les- 
prit lensemble des phenomenes naturels qui formenl 
l'objet de son etude. •> [fitudes synthrtiquesde geologic expe- 
riment /e, p. 288. > 

Dans les experiences que nous venons de mentionner el 
dans les phenomenes naturels don I elles nous donnent, 
sur une petite echelle, limage plus ou moins exacte, les 
dimensions des plis sont en relation avec lepaisseur des 
nappes ou plaques mises en mouvement. En dautres tei- 
mes, plus les plaques seront epaisses et plus les plis de- 
vront avoir de grandes dimensions. Or la plupart des 
chatnes de montagnes ont une largeur trop faible, relati- 
venient & la puissance de lecorce lerrestre, pour corres- 
ponds a des plissements de cette ecorce. 

Si nous prenons pour exeinple les soulevements en 
voute du Jura, auxquels la theorie de la formation des 
chatnes de montagnes par pressions laterales a £te plus 
particulieremcnt appliquee, nous verrons que le rayon de 
courbure de leur voute est trop petit pour qu'on admette 
que l'inflexion des strates s'y prolonge dans toute l'epais- 
seur de l'ecoree terreslre. II ne faut pas oublier, en effel, 
que l'enveloppe solide du globe est de vingl mille metres, 
tandis que les soulevements en voufe du Jura ont souvent 
moins dun kilometre de largeur. Le phenomene qui a 
donne naissance a ces accidents stratigraphiques et oru- 
graphiques est superliciel. Supposer que la poussee lale- 
rale ne s'est exereee que sur la partie superieure de 



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LES DEUX TUEORIES OROGENIQUKS. 301 

l'ecorce terrestre, stir la zone sedimentaire, par exemple, 
qui aurait glisse sur la zone sous-jacente nullement inte- 
ressSe au phenomcne, rest rompliquer de plus en plus le 
probleme sans le resoudre. 

Nous ferons remarquer, enfin, que les experiences don I 
il vient d'etre question ne trouvenl pas en geologic une 
application rigoureuse, en ce sens que les forces qui inter- 
viennent dans ces experiences sont distinctes des objets 
sur lesquels elles s'exercent, tandis que, pour l'ecorce ter- 
restre, les masses dont elle se compose portent en elles la 
force qui les sollicite et qui nest autre que la pesanteur 
ou, si Ion veut, leur propre poids. On concoit que, dans 
un cas et dans l'autre, il n'y ait pas parite absolue. 

Les limites de cet article ne nous permettent pas d'in- 
sister sur les objections qu'on pout adresser aux theories 
nrog£niques qui ont pour caraetere commun de repousser 
loute idee de la formation des montagnessous l'influenee 
des forces interieures. Nous nous bornerons, en nous 
placant a un point de vue general, a dire dans qu piles con- 
ditions, selon nous, sopere le refroidissement du globe el 
a montrer que Taction exereee par ce refroidissement sur 
le relief de not re planete est a peu pres nulle. 

Nous ne nions pas que l'ecorce terrestiv ne soil soumise 
a un affaissement general par suite de la contraction de 
la masse interne du globe, mais cet affaissement est exces- 
sivement lent parce que la contraction de cette masse 
s'eflectue elle-meme avec une lenteur excessive. D'ailleurs, 
les eflets du refroidissement de notre planete sont en partie 
eompenses par la force expansive tenue en reserve dans 
l'interieur du globe, — ce qui revient a dire que l'ecorce 
terrestre tend a se mainlenir a peu pres a la meme dis- 
lance du centre de noire planete. 

Diverses circonslances viennent encore s'opposer a ce 
que cet affaissement, quelque importance qu'on lui accorde. 



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:U\"2 SCIENCES KT AHTS. 

amene dans leeoroe terrestre des dislocations et des plis- 
sements quelcunques. 

Les eflets de cet aflaissement sunt ri'abord eompenses 
par le mouvement dc contraction qui sopere dans l'ecorce 
terrestre dans le sens horizontal et qui contribue a la 
formation des grandes failles. lis sont encore eompenses 
par les vides que les phenoincnes eruptifs et surtout les 
phenomenes geyse>ieux font a chaque instant dans l'enve- 
loppe solide du globe. Gelle-ci peut ainsi toujours s'adap- 
ler, sans eprouver de deformation, a la masse quelle re- 
eouvre. 

Nous ferons une autre objection generate a la th£orte 
orogenique basee sur la notion du refroidissement du 
globe : c'est que ce refroidissement s'eflfecUie d'une ma- 
niere continue et tres lento: il nous parait peu logique de 
lui rattacher un phenomene relativement brusque, violent 
<»t sujet a des intervalles de repos et d'activite conime 1'esl 
la formation des chaines de montagnes. (Vest ce qu avail 
parfaitement compris Klie de Beaumont lorsqu'il avait 
recours, dans son explication des phenomenes orog^niques, 
a des debacles interieures. 

11 n'y a pas non plus harmonie e ntre la cause invoquee 
el relfet prod u it lorsquon se place a un point de vue geo- 
graphique. Quobserverait-on a la surface de notre planete 
si les saillies et les protuberances qui accidentent sa sur- 
face etaienl dues a la maniere dont sopere le refroidisse- 
ment du globe? Evideinment, la cause invoquee otant ge- 
nerate, agissant partoul de la m£me maniere et avec la 
mfrne intensity, ces saillies seraient uiiiforni<'*inent r£par- 
lies a la surface du globe et presenteraient sur toute 
lV'fendue de cette surface le memo relief. Or, il s'en faul 
de beaucoup quil en soil ainsi. 

Les Alpes ont ete, pendant toute la duree des temps 
geologiques, soumisesa linfluenee des forces souterraines. 
t>llos-ci n'onl jamais oesse d'etre a ToMivre pour comple- 



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LES DEUX THEORIES OROGENIOUES. 363 

ler ledification du massif monlagneux le plus puissant de 
TKurope. 

Dautres regions, au contraire, telles que le massif b re- 
ton et les contr^cs montagneuses de TKurope centrale, 
soni entitlement tranquilles. Dans la Russie, le terrain 
rarbonifere est en rourhes horizontales; eela indique que, 
depuis l'impulsion qui a determine son emergement, il a 
et* 5 soumis a un repos absolu. II ne devrait pas en dtre 
ainsi dans 1'hypothese que nous eombattons; les m&mes 
• auses devraient agir de la nieine maniere en Russie et 
dans le massif alpin. 

II. — THEORIES OROGENIQIES 

R\TTA*:iIANT LA FORMATION DES MONTAGNKS 
A LA CHALEUR CENTRA I. E 

tin connalt ce passage des psaumes de David ou Ton 
nous montre les montagnes bondissant comme des beliers 
••I les collines comme des agneaux. Les ouvrages d'Ovide 
«*l de Strabon, etc., indiquent que les anciens se represen- 
taient dune manidre assez exacte la formation des mon- 
tagnes par soul&vement. Les ecrivains de I*antiquit6 habi- 
laient, en effet, un pays ou le sol est sans cesse agite par 
les tremblements de terre et les phenomenes volcaniques; 
ils etaient souvent temoins d'aflaissements et de souleve- 
ments du sol. Mais nous n'insisterons pas a ce sujet; il 
serait pueril dattaeher une trop grande importance a ce 
que les philosophes et les savants de l'antiquite, inspires 
par leur vive imagination, ont pu dire de fonde sur les 
phenomenes g£ologiques. 

St£non ( 1H38-IB87), que Deluc appelait le premier geo- 
logue, se rendaif un compte exact du mode de formation 
*les ruches sedimcntaires, de leur division en bancs pri- 
mitivement horizontaux et plus lard souleves et dislo- 



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364 SCIENCES ET ARTS. 

ques. « Los couches terrestros, disait-il, ont d'abord ete 
parallelcs a l'horizon; plus tard, elles out pu changer 
de position suivant deux modes diflerents. Le premier 
mode est une violente secousse imprimee aux couches de 
has en haul et provenant de la combustion subite de va- 
peurs souterraines, on dun tres fort derangement d'air: 
cette secousse est quelquefois aecompagnec d'une projec- 
tion de eendres, de rochers, de soufre et de bitume (evi- 
demment Stenon faisait ici allusion an mode de formation 
des montagnes volcaniquesi. Le second mode resulte de 
Taction violente des eaux a l'int^rieur on a fexte>ieur des 
couches terrestros: a l'exterieur, les pluies et les torrents 
entrainent les couches deja fondues par les alternatives 
de la chaleur et du froid (ici Stenon avail en vue les mon- 
tagnes dVrosioni: a rinterieur, il so produit des cavernes 
et des conduits, de sorte que les couches supe>ieures s'al- 
faissent, lorsque la base qui les soutenait disparatt(St£non 
exprime la memo idee qui devait inspirer a Fournet sa 
th£orie des valleos d'eftbndremont que Ton observe dans 
le Jurah 

(Test en 1788 que llutton publia, dans les Transactions 
philosophiques d'Edimbourg, sa Theorie de la Terre. (Vest 
en 1795, deux ans avant sa mort, qu'il developpa le nu^nio 
sujet dans un oil v rage en quatre volumes. En 1802, le 
docteur Playfair, ami de Hutton, reprit en sous-oeuvre lt- 
travail de celui dans l'intiinite duquel il avait vecu et dont 
les vues lui etaiont familieres. II exposa les ide>s de Hut- 
ton d'une maniere plus claire que celui-ci ne Tavait fait, 
et, par la, il contribua beaucoup a lour vulgarisation. Aussi 
les noms de Hutton et do Playfair sont-ils, dans notre pen- 
s£e, inseparables, car lour ceuvre a ete commune. 

Hutton, comme nous l'avons dit, avait sur de Saussure 
un avantage, celui de connaitro la nature eruptive et l'o- 
rigine en partie-ignee du granite. II a le premier constat*' 1 



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LKS DEUX THKORIES OROGKMQl'ES. 365 

que la chaleur avait joue un role important dans la lor- 
inalion de l'ecorce terrestre. Quelques-uns des plus anciens 
geologues avaicnt admis lexistence de feux souterrains, 
mais c'etait pour expliquer le redressement de certaines 
parties de l'ecorce terrestre et non leur origine. Plus tard, 
Descartes, Leibnitz, Buflfon avaient suecessivement formule 
1'hypothese dun feu intgriour, mais l'emploi qu'ils avaient 
fait de cette hypothese etait plut6t cosmogonique que geo- 
logique. La lutte entre les neptunistes et les vulcanistes 
s'etait £lev£e an sujet de l'origine ignee ou aqueuse du 
trachyte et du basalte, mais cette lutte devint plus vive 
lorsque Hutton declara que, non seulement les roches vol- 
caniques, mais aussi les granites et les porphyres avaient 
une origine ignee. 

Puis en examinant les indices de desordre el de mouve- 
inent parnii les strates, il avait observe que « malgr6 la 
fracture et la dislocation dont il y a tant d'exemples, il se 
trouve en elles peu d'espaces vides, Les fentes, les separa- 
tions sont nombreuses et distinetes, mais elles sont presque 
toujours remplies de mineraux dune espece diffe>ente de 
eelle qui se trouve sur les deux cotes. Ces mineraux (Hut- 
ton entendait par la les roches eruptives) sont immediate- 
ment li£s au bouleversement des strates, et, dans beaucoup 
d'occasions, ont servi d'instrument a leur elevation. » 

Hutton rattachait ensuite le soulevement des strates a 
une impulsion dirigee de bas en haut et opente par les 
masses eruptives ;il considerait cette impulsion comme un 
des effets de la puissance expansive de la chaleur. Nous 
n'avons, disait-il, d'autre alternative que d'adopter cette 
opinion ou d'attribuer les faits en question a quelque cause 
sect*ete et inconnue. 

Playfair, inspire par son esprit eclectique, ajoutait : 
« Quoique la premiere impulsion de la force qui a ainsi 
souleve les strates "ait du agir de bas en haut, cependant 
elle a et£ combinee avec la gravite et la resistance des 



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3ttrt SCIENCES ET ARTS. 

masses, de maniere k donner un choc lateral oblique et a 
produire toutes les oontorsions qui, sur une grande eehelK 
so comptent parmi les phenomenes les plus curieux et les 
plus instruct ifs de la geologic. » 

On voit comment Playfair completait la theorie d«' 
Hutton. Nous avons term k le rappeler, aim de bien etablir 
que, des la fin du siecle dernier, les partisans de la theorie 
de la formation des chaines de montagnes par voie de sou- 
levement direct nignoraient pas les divers contournements 
subis par les slrates. 

De tous les geologues de son temps, Hutton etait celui 
qui possedait, sur les phenomenes geologiques el la struc- 
ture de Tecorce terrestre, les notions les plus nettes. La 
propension qu'il avait k trouver partout Taction du feu et 
linfluence des agents interieurs, ne l'empoehait pas de s»' 
rendre compte des effets des agents atmospheriques. 

« Chaque vallee, disait-il, est Touvrage du ruisseau qui 
larrose. Lorsqu'une riviere coule a travers le defile <Mroit 
d'une montagne, il est facile de reconnaltre que cette mon- 
tagne etait continues k travers lespace ou coule cette 
riviere; et, si Ion hasarde de raisonner sur la cause dun 
tenement si prodigieux, on est porte a l'attribuer k quel- 
que grande convulsion de la nature, qui a bris£ cette 
montagne en pieces pour livrer passage aux eaux. Le phi- 
losophe seul qui a medite profondement sur les effets pos- 
sibles dune action longtemps continues, et sur la simpli- 
city des moyens mis en o?uvre par la nature dans tous ses 
procedes, lui seul, dis-je, ne voit rien \k que le travail gra- 
duel du ruisseau qui a coule jadis aussi haut que les bords 
qu'il coupe maintonant si profondement, qui s'est fraye 
une route j\ travers le rocher, de la mome manure et aver 
les memes instruments dont se sert le lapidaire pour cou- 
per un bloc de inarbre ou de granit. » 

La theorie de Hutton et de Playfair, telle que nous 
venons de lexposer en pen de mots, resume les idees <\\u\ 



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LES DEIX TII&OMES OROGENIQIES. 3(i7 

si nous en avions le temps, nous voudrions dcvelopper 
pour expliquer la formation des chatnes do rnontagnes. 
La science a pu donner a la pensee de ces deux geologues 
quelque chose de plus precis, de plus complet dans lex- 
pression: elle n'en a guere modifie le fond. 

11 est un reproehe qu'on a quelquefois adrcss£ k la theo- 
rie de la formation des chaines de rnontagnes sous l'in- 
lluence des forces interieures : cest de ne pas s'appuyer, 
comme celle qui a d'abord attire notre attention, sur la 
methode expe>imentale. O reproehe n'a aucune valeur. 

[/observation consciencieuse des faits, le simple bon 
sens in^me suffisent pour demontrer que les chaines de 
inontagnes ont pu sedifier a la suite dimpulsions verti- 
cales ascendantes. S'il a paru necessaire d'instituer des 
experiences pour demontrer que des impulsions horizon- 
tales sont susceptibles de produire th^ displacements dans 
le sens vertical, cette necessite ne saurait exister pour 
demontrer que des impulsions verticales peuvent deter- 
miner des displacements du meine ordre. La methode ex- 
perimentale n'a done rien h faire ici. 

La question se rainene, en definitive, a savoir s'il existe 
dans Tinterieur du globe une force suftisante pour amener 
le soulevement de certaines parties de l'ecorce terrestre. 
Nous nhesitons nullement a repondre k cette question par 
1* affirmative. S'il etait demontre que la masse interieure 
est inerte, la theorie orog^nique que nous adoptons n'au- 
rait plus de base et nous nous empresserions de l'aban- 
donner. Si, au contraire, l'existence de ce que Ion desigue 
generalement sous le nom de « forces souterraines » esl 
admise, nous demanderons alors aux partisans de l'hypo- 
these de la formation des rnontagnes sous lintluence du 
refroidissement du globe , quel role ils font jouer a cos 
forces dans Tensemble des ph^nomenes geologiques .^el 
pourquoi ils n'en tiennent aucuii cnmpte? 



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;»r>S SCIENCES ET AHTS. 

Quelquo opinion que l'onadopte relativement k Yori*/\iw 
des chaines de montagnes, on est oblige d'admettre que 
cette cause a son siege au-dessous de l'eeorce terrestre. Kt 
cost h lineertitude de nos eonnaissances sur l'etat inte- 
riour du globe que doit etre attribue le desaccord qui 
regno parnii les geologues relativement au mode de for- 
mation des saillies qui arcidentent la surface de noire pla- 
nete. Ce desaccord disparaitrait si des progres accomplis 
<lans nos moyens d'investigation nous permettaient de 
savoir ce qui se passe au sein de noire planete. 

L'etude des phOnomenos orogeniques doit Otre nOcessai- 
rement basee sur HdOe que Ion peut se faire de la constitu- 
tion physique du globe. Mais, dun autre cote, la connais- 
sance de cette constitution physique du globe ne peut 01 re 
acquise sans rechereher quelles sont les transformations 
quil a subies. L'etat general de notre planete est en rela- 
tion etroite avec les changements qui so sont accomplis 
dans sa masse. C'est ainsi que l'organisation (Tun animal 
ne saurait <Hre bien comprise quautant que son etude a 
ete pr6c6dee de celle de son £tat embryonnaire etque Ion 
a constate les divers etats par lesquels il est passe. 

La terre, elle aussi, a eu sa periode embryonnaire. Kilt* 
a subi et.subira une sOrie de transformations qui consti- 
tuent son evolution siderale. Pour que ces transformations 
successives aient pu s'operer, il a fallu et il a suffi que la 
masse planetaire ait possOde i\ Torigine une temperature 
excessivement elevOe et se soil trouvee dans un milieu 
Ires froid. 

Au commencement des temps cosmogoniques, la terre 
possedait une chaleur telle que les substances dont elle se 
compose elaient maintenues h l'etat gazeux ou meme de 
dissociation. Depuis lors elle n'a pas cess£ et elle ne ces- 
sera pas de se refroidir jusqu k sa complete solidification. 

L'origine de cette haute temperature initiale nous est 
enmplctement inconnue ; nous voyons dans notre ignorance 



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LES DEUX THEORIES OROGENIQUES. 369 

a ce sujet une des preuves de 1'impossibilite oil nous 
sommes deremonter aux causes premieres. D'ailleurs, cette 
ignorance ne doit pas nous empecher d'admettre lexis- 
tence du fait primordial que nous venons de rappeler et 
que Ion peut considerer comme un axiome se justiliant 
par les consequences qui sen deduisent naturellement. 

Quant a la maniere dont s'opere le refroidissement du 
globe, il est facile de sen rendre compte en se rappelant 
le principe de physique en vertu duquel tout corps plonge 
dans un milieu plus froid que lui perd de sa chaleur jus- 
qu'a ce que lequilibrc de temperature soit etabli entrc ce 
corps et le milieu qui l'entoure. On sait, en eftet, que la 
temperature de Tespace interplanetaire est tres basse; 
Pouillet la evalu^e a — 110°. 

Le fait fondamental que nous venons de mentionner, et 
Tensemble des deductions que Ion peut en tirer logique- 
ment, constituent « le principe du refroidissement cosmo- 
gonique ». Ce principe forme la base essentielle de la 
science de l'ecorce terrestre ; sans lui, on essaierait vaine- 
ment detablir une synthese geologique quelconque. 

Cela pose, indiquons sommairement les transformations 
que le globe a subies; essayons de retrouver l'ordre dans 
lequel ces transformations se sont operees et de montrer 
comment notre planete a pris une structure de plus en 
plus compliquee. 

Sous l'influence du refroidissement cosmogonique, les 
elements chimiques dont se compose le globe ont tendu a 
passer de l'etat de dissociation a l'etat de combinaison; 
c'est ainsi que l'hydroge^ie etloxygene, d'abord dissocies, 
se sont combines entre eux pour donnernaissance a l'eau. 
En meme temps, ces substances, ainsi chimiquementtrans- 
formees, ont quitte l'etat gazeux, pour prendre, suivant 
les circonstances, soit letat liquide, soit l'etat solide. 

A un certain moment, la terre, arrivee a sa periodestel- 
laire, a pris une constitution semblable a celle que le 

ANNUA1RB DE 1834. 21 



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370 SCIENCES ET ARTS. 

soleil presente actucllenient. II s'est form6 aatour de sa 

masse line enveloppe, future pyrosphere, oil la matiere 

etait a letat de liquefaction ignee. 
Plus tard, le globe s'est eteint en se recouvrant dune 

mince pellicule, rudiment de lecorce terrestre, constitute 

aux depens de la pyrosphere. 
Peu apres commencaient les temps geologiques. Ceux-ci 

datent du moment ou les eaux se sont accumulates a la 

surface du globe pour donner origine a iin seul ocean 

s'etendant d'un pole a l'autre. 
Depuisle commencement des temps geologiques, l'exorce 

terrestre augmente peu a peu d epaisseur aux depens de la 
pyrosphere. Celle-ci prend a son tour a la masse intexieure 

ou nucleus ce que l'eeorce terrestre lui enleve a chaque 
instant. 

Les transformations que nous venons d'indiquer ne se 
sont pas eflectuees simultanement dans toute la masse du 
globe. Elles ont aflecte des zones placees les unes au-des- 
sous des autres. Et comme la cause qui les detcrminait, 
e'est-a-dire le froid de l'espace interplanetaire, etait exte- 
rieure par rapport au globe terrestre, il en resulte que ces 
transformations se sont produites et continueront ase pro- 
duire du dehors en dedans, en suivant une direction cen- 
tripete. 

Actuellement, le globe presente la structure suivante. 
II se compose d'une enveloppe solide au-dessous de laquelle 
se place la pyrosphere, ou s'alimentent les courants de lave 
des vi deans. Tout ce qui se trouve au dela constitue le nu- 
cleus dont nous allons indiquer la composition probable. 
Un fait auquel nous altachons une grande importance, 
e'est que les transformations subies par notre planete n'ont 
aflecte (pie sa partie peripherique. La masse tout a fait in- 
lerieure ou nucleus a conserve son etat primitif et la ma- 
jeure partie de sa chaleur initiate. Ainsi qu'on l'a deja dit, 
la matiere y est a letat de liquide elastique ou de liquide stir- 



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LES DEUX TIIKOHIKS OROGKNIQUKS. 371 

chauffe. Le lecteur, qui voudra so faire une idee dece qu'il 
faut entendre par liquide elastique, na qu'ase representor 
un tube en verre h. parois epaisses, rempli d'eau. Si Ton 
suuinet le tube & une forte chaleur, l'eau conservera son 
etat liquide, maisacquerera une force d'expansion compa- 
rable k celle des gaz. 

Le liquide eJastique, retenu prisonnier dans l'interieur 
du globe, tend toujours h se d^gager vers sa surface. Lors- 
qu'une circonstance quelconque lui livre passage, il im- 
priine ;\ la pyrosphere, sur un point determine^ un mou 
venient plus ou moins violent. Celle-ci, transmettant 
limpulsion quelle regoit, vient se heurter contre Tecorce 
terresfre qu'elle souleve et disloque en derangeant les 
slrales de leur situation premiere. 

Pendant queees phcmomeness'aecomplissent, une partie 
d*>* substances composant le nucleus arrive-t-elle jusqua 
la surface du globe? Nous ne serious pas eloigne de le 
penser. 11 esttres possible, en offet, que la partie m<Hal- 
lique des lilons provienne directement du nucleus. Mais 
nous ninsisterons pas sur ce point, dont la constatation 
nest pas necessaire dans cet expose sommaire de noire 
theorie orogenique. 

11 ne faut pas, d'ailleurs, perdre de vue que TelTort 
quexige le soulevement dune montagne est ties minime 
relativement au volume du nucleus et «\ l'enonne force d'ex- 
pansion qui s'y trouve tonne en reserve pour un temps 
plus on moins long. 

La longueur correspondanl a l'altitude du Mont-Blanc 
est moindre que la 120u c partie du rayon terrestre; sur 
une sphere de 1 met. 20 de rayon, le Mont-Blanc serail 
represents par une asperite dTi peine un millimetre dele- 
vation. Et pourtant, sa formation a ete la consequence de 
plusieurs impulsions successives, correspondanl aux prin- 
cipalis periodes de son histoire et se deeomposanl elles- 
inemes en impulsions secondares. 



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372 SCIENCES ET ARTS. 

D'apres ce que nous vcnons de dire, la cause essentielle 
des phenomenes orogeniques est, sous un certain rapport, 
d'ordre cosmogonique. En effet, la force qui inlervient 
dans cos phenomenes est due ft la chaleur que noire pla- 
nete possedait ft son origine. 

Si la lune ne prison te pas ft sa surface des chaines de 
montagnes semblables ft celles qui accidentent la surface 
de noire plane te, e'est parce que, ft cause de son faible 
volume, elle s'est plus vite refroidie. La solidification de 
son enveloppe s'est effect nee d'une maniere plus rapide, et 
le moment ou cette enveloppe a pu opposer une resistance 
insurmontable ft 1'efTort interieur est arrived plus tdl. 

A mesure que les siecles g6ologiques s'exouleront , 
l'ecorce terrestre augmentera d'epaisseur aux d£pens de 
la masse quelle recouvrc. Elle opposera une resistance de 
plus en plus energique aux forces souterrainesqui tendent 
ft la soulever et ft la disloquer. En m£me temps aussi le 
volume du nucleus diminuera et la force d'expansion qu'il 
possede agira d'une maniere de moins en moins efficace 
eontre l'enveloppe solide du globe. II nous semble voir en 
presence deux armies dont Tune compte ft chaque instant 
de nombreux deserteurs, tandisquel'autre ree,oit toujours 
de nouvelles recrues. 

Un jour viendra ou le nucleus, tout en conservant encore 
son 6tat primitif, n'aura pas une force suffisante pour dis- 
loquer l'ecorce terrestre. Alors il ne s'6difiera plus de 
chaines de montagnes; celles qui existeront encore ten- 
dront ft disparaitre pen & peu, car elles seront soumises ft 
Tinfluence exclusive des agents atmospheriques. Peut-tHre 
viendra-t-il un moment ou les eaux s'etendront sur toute 
la surface du globe comme elles l'avaient fait au commen- 
cement des temps gexdogiques; un seul oc£an recouvrira, 
comme dun linceul, la terre inerte et refroidie. 

La masse interne du globe est, par rapport ft son enve- 



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LES DEUX TI1E0KIES OROGENIQUES. 373 

loppe solidei tellement considerable que la force d expan- 
sion du nucleus n'a pas du beaucoup diminuer depuis les 
premiers temps geologiques. La cause essentielle qui pre- 
side aux apparitions successives des chatnes de montagnes 
a done conserve presque toute son energie. 

Ge qui a change, e'est l'ecorce terrestre dont l'epais- 
seur s'est accrue; e'est aussi la nature des roches erup- 
tives. 

Par suite de Tepaisseur de plus en plus grande prise 
par l'ecorce terrestre, Taction orogenique a du soulever 
des masses de plus en plus considerables; en meme 
temps, elle a du agir d'une maniere de plus en plus vio- 
lente. 

Aussi les massifs montagneux, pris dans leur ensemble, 
ont-ils une altitude d'autant plus forte qu'ils datent dune 
epoque plus recente. L'ordre dans lequel on doit ranger 
les Yosges, les Pyrenees et les Alpes, en tenant compte de 
leur elevation au-dessus du niveau de la mer, est aussi 
eelui des dates de leur apparition. Si le Mont-Blanc est la 
montagne la plus elevee de l'Europe, e'est aussi celle 
qui a surgi la derniere, en faisant toutefois abstraction de 
ce qui a pu se passer en Italie, dans la region des Apen- 
nins. 

Quant k Tinfluence des roches eruptives, nous rappelle- 
rons que les eruptions de roches plutoniques ne fonc- 
tionnent plus. La zone ou elles s'alimenterent est actuel- 
lement solidiflee et fait partie integrante de 1'ecoree 
terrestre. Les courants eruptifs s'alimententdans une zone 
of j la matiere, & l'etat de liquefaction ignee, est de la 
meme nature que la lave des volcans de notre epoque. 
Ces changements ont modifie, a un certain moment, le 
mode de manifestation des phenomenes orogeniques, 
ainsi que nous l'avons sommairement indique dans un 
precedent article (A nnuaire du Club Alpin Franrais, 1880). 

Dun autre cote, on sait que l'aspect d'une montagne 



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37 i SCIENCES ET AHTS. 

depend, on majeure partie, de la nature des roches dont 
•■lie est formSe. Pour mettre ce fait en Evidence, il n'y a 
qu'a comparer les montagnes arrondies et mamelonnees 
(W<> regions granitiques, les crates aigues du terrain sehis- 
teux, les soulevements en voute du Jura, les montagnes 
I ibulaires ou prismatiques des Alpes dolomitiques e! des 
Pyrenees calcaires, etc. 

Mais ces divers types orographiques n ont pu apparaltre 
que les uns apres les autres et k mesure que se consti- 
tuaient les roches qui entrent dans, leur composition. 
(Uiaque Spoque a done anient avec elle une nouvelle 
forme de montagne, et, comme toutes ces formes ont per- 
sists pendant les Spoques suivantes, il en rSsulte que le 
pay sage, considered dans son Element orographique, a 
acquis une variete de plus en plus grande. 

Alexandre Vezian, 

Doyen de la Faculte des Sciences de Besaneon, 
Membre du Club Alpin Francais 
(Sections du Jura et du Mont-Blanc). 



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II 
DE I/ACTION DES EAUX 

DANS LES MONTAGNES 



Apr&sles causes internes qui ont pousse au jour la masse 
genexale des montagnes, des causes exterieures ont modifie 
cette masse et l'ont dexoupee suivant les accidents que 
Ion y remarque aujourd'hui. Chacun convient que les 
formes particulieres des montagnes, leurs profits, leurs 
silhouettes, leur physionomie, si on peut sexprimer ainsi, 
sont le r6sultat de Faction longtemps prolongee des causes 
ordinaires de degradation sur leur sol. 

Les profils suivant lesquels les montagnes (endent k se 
disposer sont de veritables courbes d'equilibre, fonctions, 
d'une part, de la t£nacit£ du terrain et, d'autre part, de 
lenergie plus ou moins active des agents destructeurs. 
D6s que Tune de ces forces vient a varier, la figure de la 
montagne varie pareillement. Plus le terrain est formed de 
roches dures et lentes a se d^truire, plus la courbe se 
rapproche de la verticale et plus la montagne se presente 
sous des formes abruptes. Le terrain devient-il friable ? la 
courbe s'abaisse, les pentes s'allongent, la montagne 
s'etale sur une large base et ses formes s'arrondissent. 

Voila pourquoi & chaquc climat, a chaque constitution 
particuliere de terrain, correspond une figure particuliere 
et caracte>istique de la montagne. C'est ainsi qu'on a, 
sans sortir de France, des ballons dans les Vosges, des 



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37 1) SCIENCES ET ARTS. 

causses dans la Lozere, des puys dans TAuvergne, des pics 
dans les Pyrenees et des aiguilles dans les Alpes. 

Les cireonstances de la formation primitive ont esquisse 
les grands traits des in^galites de la surface terrestre. 
(Test ensuite Taction continue des agents atmospheriques 
qui en a dessine presque tous les details. 

Cette action ne s'exerce que sur la montagne chauve; 
car la vegetation protege le sol qu'elle recouvre contre le 
pouvoir de dEsagregation et de transport que possedent 
les agents atmospheriques et contre TaiTouillement des 
eaux. Si nous n'avions pas de preuves de ce fait, nous en 
trouverions dans ces Elevations artificielles en terre, ou 
barrows, qui sont si communes dans plusieurs parties de 
l'Angleterre : elles ont Ete exposes, dans ce climat, a 
Taction de Tatmosphere et des pluies, pendant environ 
deux mille ans; et, cependant, elle n'ont 6prouv6 dans 
leur forme aucune alteration sensible, quoique, au moins 
pendant une partie considerable de ce laps de temps, elles 
n'aient ete recouvertes que par une le\gere couche de gazon. 
Sans cette propria te precieuse dont jouit la vegetation, de 
iixer le profil des montagnes, les roches les plus tendres 
seraient promptement emport^es par les eaux, et le sol nn 
pourrait plus nourrir ni vEgetaux ni animaux. 

Le tapis vegetal protege le sol contre Taction mecanique 
de la pluie et de la grele ; il oppose un obstacle insurmon- 
table au ravinement, origine de tous les maux; retient 
une partie des eaux qui tombent sur sa surface, ralentit 
Tecoulement du reste et attenue dans une certaine mesure 
le nVau des inondations. II fonctionne commc une Sponge 
gigantesque. Cest la principale cause de la fralcheur et de 
Thumidite qui persistent sous Tombrage des forels. 11 
n'est pas un paysan, pas un touriste, qui n'ait fait Texpe- 
rience de ce fait, en payant (Tun rbume de cerveau Tim- 
prudente fantaisie d'une promenade sous bois au lende- 
main dun jour d'orage. Et quant aux forestiers, les rhu- 



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DE L ACTION DES EAUX DANS LES MONTAGNES. 377 

matismes precoces auxquels ils sunt, helas ! fatalement 
voues, ofTrent chaque jour aux plus sceptiques une 
demonstration (Tune cruelle eloquence. 

Ainsi deux forces antagonistes se trouvent en presence 
dans les montagnes, et de la preeminence de Tune ou do 
Tautre depend la ruine ou la prosperite du pays. La pre- 
miere est la force de denudation qui demolit les creles, 
ravine les versants, comble les valines, porte partout la 
devastation. La seconde est celle de la vegetation, victo- 
rieuse autrefois, vaincue aujourd'hui par l'aveuglcment de 
rhomme qui a tout fait pour l'amoindrir et a cause la dis- 
parition du tapis de verdure auquel il devait aisance et 
security; toujours pnHe cependant 11 cicatriser les plaies, 
a reparer les d£sastres. 

Les phenomenes de denudation sont de deux ordres et, 
suivant la cause qui les determine, doivent 6tre subis ou 
peuvent (Hre prevenus. 

Parmi les premiers, se rangont les eboulements qui se 
produisent au pied des bauts escarpements, les chutes de 
rocbers, certains glissements, lents ou subits, de terrains 
parfois eteudus qui descendent h des niveaux inferieurs, 
avec maisons, forets et p&turages. Ce sont la des conse- 
quences inevitables de la constitution geologique de cer- 
taines montagnes soulevees a des epoques relativeinent 
recentes et formees le plus souvent de terrains sedimen- 
taires non metamorphiques, alternativement delayables et 
resistants. Ces montagnes n'ont point encore pris leur 
assiette et la doivent prendre : — nulle force humaine ne 
saurait s'y opposer. 

Mais k cdte de faits de ce genre, locaux et accidentels en 
definitive, il en est d'autres d'un caractere plus general, 
auxquels revient la plus large part dtes ruines dont, helas ! 
beaucoup de montagnes et notamment les Alpes sont cou- 
vertes. Ceux-la peuvent etre prevenus; reboisement et 
gazonnement en fournissent les moyens certains. 



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37JS SCIENCES ET ARTS. 

Aux pbenomen^s de cot ordre se rapporte surtout Fac- 
tion delayante des eaux pluviales, qui tombent dans les 
Alpes avec unc force inusitee et rach&tent en une tois, par 
leur extreme abondance, la rarete avec laquelle elles se 
produisent. Les boues glaciaircs, les terrains argileux et 
marneux y sont tres developpcs ; its torment de puissantes 
assises dans les etages liasien, oxtordien et neocomien 
prineipalement, et sont represents suivant les lieux par 



Kiouhk I. — Perimfctre de Loudervielle (Hautes-Pyreneea). 
Dessin de Prudent, d'apres une photographie de M. E. de Gayftler. 

des scbistes, tendres ou durs, qui constituent les fameuses 
terres brunes ou noires de la contree. 

Sous Taction des pluies d'orage, de tels sols se delaient, 
content ou se ravinent profondement en donnant naissance 
a des cours d'eau d'une nature singuli&re qifon appelle 
des torrents. (Voir tig. 1.) 

Dans les Cevennes, le travail des eaux, pour 6tre diffe- 
rent, n'en est pas moins tres energique. Au point de vue 
geologique, cette region, qui va du mont Tanargue, dans 
l'Ardeche, a la montagne de TAigoual dans le Gard, avec 
une etendue de 7,000 kilom. earres, est exclusivement 



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DE L ACTION DKS £AUX DAKS LKS MONTAGNKS. 379 

formeo do talcschistos mieacos. Par leur &ge, ces terrains 
remontent h la plus haute ant i quite de notre planete. Les 
convulsions geologiques les ont souvent tourmentes, tin- 
tdt les coupant de failles enormes, tantot les injectant de 
filons plus ou moins metalliferes. Au debut de la periode 
oolithique les Cevennes formaient, parait-il, le fond de la 
mer jurassique, lorsqu'un phenomene gigantosque vint 
profondemont moditier leur relief. Trois enormes massifs 
de granit £mergeaient lentement, refoulant au-dessus 
d'eux et disloquant les assises de schiste (Monts Lozere, 
Aigoual, de Lasalle). 

De ces trois massifs, le plus important constitue aujour- 
d'hui le Mont-Lozere dont le chemin de fer de Villefort a 
Genolhac longe le ilanc oriental. C'est un vaste plateau, 
d'une altitude moyenne de 1,400 met. et d'une superficie 
d'environ 300 kilom. carres. La ligne de faite est h pen 
pros rectiligne de FEst a l'Ouest et se maintient pendant 
25 kilom. & une hauteur presque uniforme de 1 ,t>00 mei. 

Depuis ce soulevement, les Cevennes ont toujours emerge 
et les actions atmosphcriques seules en ont modole la sur- 
face. Sur un terrain ainsi disloque, sur des roches s'efFri- 
tant par feuillets, les eaux pluviales ont pu sans peine 
accomplir leur ceuvre d'erosion. Xe ne sont que gorges 
profondes, 6troites, se succedant k chaque pas et ne lais- 
sant entre elles que des crates aigufis, dechirees. Les ver- 
sants sont couverts d'eboulis schisteux micaces qui luisent 
comme des miroirs au soleil qui vient apres l'orage. 

Les pentes y sont tres fortes ; la culture h peu pres 
exclusive en dehors des fonds de valines est celle du chA- 
taignier h fruits; au-dessus de 700 met., la recolte cesse 
d'etre remuneratrice. La montagne est alors abandonnee 
au p&turage des moutons. 

De toutes ces gorges, de ces ravins sans nombre qui sil- 
lonnent les Cevennes, sortent quatre grandes rivieres : le 
Tarn, l'Horault, le Card et la Ceze. 



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380 SCIENCES ET ARTS. 

Arr6tons-nous un instant sur les bords de la Ceze, dont 
la vallee commence & quelques metres au Sud de la gare 
de Villefort. Nous y verrons lc type des torrents de la rdgion. 

Le torrent de Valcrouzes, que Ton traverse en chemin de 
for avant d'arriver & la station de Concoules, a une courte 
histoire. Ce n'ctait sans doute au siecle dernier qu'un 



Figure 2. — Dassin de reception du ravin de Valcrouzes. Dessin de Prudent, 
dapres une photographie de M. Labbe. 

ruisseau inofTensif, au bord duquel s'elevait le hameau du 
m&ne nom. 

En 1783, a la suite dun violent orage, dun « tonnerre 
d'eau », comme on dit dans le pays, les maisons de Val- 
crouzes etaient emportees par une crue subite et sur leur 
emplacement, au bas de la montagne, s'etalait une vaste 
nappe de graviers longue de 500 mel., large de 100, et 
d'une epaisseurde 4 a 5 mfct. Au-dessus, le flanc du Mont- 
Lozere s'£tait creuse en un vaste entonnoir a parois abrup- 
tes et croulantes. 



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DE L'ACTION DES EAUX DANS LES MONTAGNES. 381 

Gette catastrophe etait due aux causes suivantes : 

Entre Villefort et Concoules, h femplacement m£me du 
torrent de Valcrouzfcs, l'emersion du Mont-Lozfcre a souleye 
une bande de terrain schisteux pr6existant qui est restee 
collie sur le flanc oriental de cette montagne. Ce lambeau 
a "2 kilom. de large et 8 kilom. de long; son pied n'est qu'a 
l'altitude de 600 mfct.; l'extremitc superieure, & 1,600 m&t. 
La pente y est ainsi tres forte et suffirait & expliquer les 
Erosions superficielles sur un sol aussi instable et denude. 

Mais ici les ravages du ruissellenient sont exageres par 
un ph£nom&ne plus redoutable encore, le glissement de 
la montagne. Les eaux ont iini par traverser les scbistes et 
sont arrivees jusqu'au granit absolument impermeable. 
Sur cette surface de contact fortement inclin^e et lubre- 
fi6e, la couche superieure a glisse, s'est affaissee sous son 
propre poids. La figure 2 montre ces stages successifs 
de decollement; sur la cr6te, h l'horizon, une immense 
crevasse s'est ouverte, large de 4 m&t. et profonde d'une 
trentaine de metres. 

De nouvelles Erosions ne sont pas survenues depuis long- 
temps, mais le glissement persiste toujours ; il y a deux ans, 
la route nationale qui traverse cette region s'est affaissee 
brusquement de 25 cent.,et lavoie ferree s'est d£placce. 

Les eaux souterraines du Bramabiaou ont produit au 
pied de la montagne de TAigoual un phenomene plus re- 
marquable encore. (Voir fig. 3.) 

Au col de la Serreyrede, au-dessus de la petite villc de 
Valleraugue, dans le Gard, ifaltitude de 1,300 1116L, prend 
naissance un modeste ruisseau qui a recu le nom po£tique 
de « rivifcre de Bonheur ». 11 coulc d'abord au milieu des 
h6tres de la forfit domaniale de Miguel, s'etale dans les 
prairies en fleurs et les champs du village de Camprieu, 
puis disparalt brusquement sous le sol form6 de calcaires 
de l'infralias, pour ressortir 500 mfct. plus loin, par une 
fente de rocher, en une cascade de U mfct. de haut. Dans 



r 



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38-2 SCIENCES ET ARTS. 

son passage souterrain, la riviere a perdu son nom de 
« Bonhour » ; a sa sortie, elle devient « le Bramabiaou » 
(btpuf qui brame, en patois, pour rappeler le mugissement 
de ses eaux). Des leur sortie les eaux du Bramabiaou se 
sont crcuse une vallee etroite, profonde de ^200 met., dont 
les berges s'eboulent a chaque pluie. 



Fn.iMu: 3. — Ensemble de la sortie du Bramabiaou. 
l>«»ssin de Prudent, d'apres une photographie de M. Labbe. 

Les torrents ravagent les montagnes suivant certaines 
lois de destruction que la science a pu formuler, tant leur 
marcbe est devenue constants et infatigable. 

Co sont des cours d'eau a pontes excessives, a crues su- 
biteset violentes, qui affouillent dans la montagne et depo- 
sent dans la vallee oil ils divaguent par suite de ces depdts. 

Lours sources sont caebees dans les replis des monta- 
gnes, dit M. Surell. Us descendant de la vers les vallees, 
et so nuMent aux ruisseaux on aux rivieres qui les arrosent. 
Quand ils arrivent dans ces parties basses, ils s'gtalent 



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DE L ACTION I>ES EAUX DANS LES MONTAGNES. 383 

sur un lit demcsuremcnt large et bombe. Ce dernier fail 
est remarquable; il etablit deja line distinction tranchee 
entre les torrents et la plupart des autres cours d'eau. On 
sait, en efTet, que ceux-ei content toujuurs dans des enfon- 
cements qui les encaissent; en sorte qu'une section faite 
perpendieulairemerU a leur cours donne une courbe con- 
rave vers le ciel et dont les eaux oecupent la portion la 
plus basse. Dans les torrents, tout au contraire, un 
pareil profit donne une courbe convexe et les eaux se tien- 
nent dans la region la plus haute. Les eaux, ruisselant ainsi 
sur le faite, sont contenues par une legere depression qui 
les empfcche de s'eparpiller sur la convexite du lit. On coni- 
prend qu'un seinblable cours ne peut pas &tre bien stable : 
rest en efret ce que montre 1'observalion. Les plus petites 
crues jettent les eaux hors de leurs berges. Elles se dever- 
sent alors a droite et a gauche et s'echappent en suivant 
les pen les transversales du lit. Cette instability rend les tor- 
rents extrCmement dangereux, car elle les transporte sur 
des points toujours nouvcaux, et ouvre a leurs ravages 
des etendues considerables de terrain. On voit deees lits 
dont la largeur depasse 3,000 mfct. II if arrive jamais qu'uu 
torrent couvre a la fois eetle surface tout entifcre; niais en 
se portant tant6t ici, tantot la, il en menace continuelle- 
nient toutes les parties, et, au bout de quelques crues, 
toutes portent reellement des marques de son passage. 

Tels sont les torrents lorsqtfils debouehent dans les 
vallees. 

(Juand on les remonte dans les detours des montagnes, 
poursuit M. Surell, on les voit (pii s'enfoneent entre (h^ 
talus abrupts, crevasses, qui se dressent jusqua de 
grandes hauteurs, en formant des gorges profondes. Os 
berges, sans cesse minees j>ar la base, s'eboulent et entrai- 
nent dans leur chute les cultures et les habitations voi- 
sines. Lorsque enfin Ton approche des sources memes des 
torrents, le terrain s'ouvre en amphitheatre. II forme une 



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384 SCIENCES KT ARTS. 

sorte d'entonnoir, beant vers le ciel, qui recoil sur une 
vaste surface la grGle, lcs eaux des pluies, des neiges et 
des orages, et les prGcipite rapidement dans la gorge. 

11 ressort de la definition m£me des torrents que, si 
on observe leur cour« depuis leur source jusqu'a leur 
debouche dans la vallee, on y distingue trois regions qui 
sont d'ailleurs nettement caracterisees par leur forme, par 
leur position et par les effets constants que les eaux exer- 
cent dans chacune d'elles. D'abord une region dans laquelle 
les eaux s'amassent et aftbuillent le terrain. Elle forme 
un bassin cacbe dans la montagne, a la naissance du tor- 
rent. Puis une autre region, dans laquelle les eaux depo- 
sent les mati&res provenant de raffouillement. Elle forme 
un large lit situe dans les vallees. Enfin, entre ces deux 
regions, une troisieme, ou se fait le passage de raffouil- 
lement a l'cxbaussement. Dans cette partie, les eaux s'e- 
coulent sans affouiller sensiblement leur canal et sans 
lexhausser. 

On retrouve inevitablement ces trois regions dans toutes 
esp^ces de torrents, avec des formes divcrses, d'ou resul- 
tent les actions variees des torrents. 

C'est a la Constance de leur disposition que les torrents 
doivent tout ce qu'il y a de general et en mGme temps de 
funeste dans leurs proprieties. 

La premiere region s'appelle le bassin de reception; 
elle a la forme d'un vaste entonnoir diversement accidente 
et aboutissant a un goulot place dans le fond. L'eflet d'une 
pareille configuration est de porter rapidement sur un 
mOme point la masse d'eau qui tombe sur une grande sur- 
face de terrain. 

Tantot le bassin de reception embrasse de vastes croupes 
de montagnes; sa figure caracteristique se distingue m&me 
sur les cartes ordinaires. Le goulot se prolonge vers 
l'aval, en formant une veritable vallee ou plutdt une gorge 
etroite, profond Anient encaissee par les flancs des mon- 



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de Faction des eaux dans les montagnes. 385 

tagnes. Elle donne l'exemple de veritables tranches 
ouvertes par l'unique action des eaux. Dans cette gorge, 
les berges sont tres abruptes, minees par le pied et d£chi- 
r6es par un grand nombre de ravins. Ges berges fournissent 
au torrent la plus grande masse de ses alluvions; c'est de 
leurs flancs qu'il tire ces blocs enormes qui tombent c,a et 
la dans le lit et sont ensuite ported au loin par les eaux. 

Tantdt le bassin de reception, au lieu de se perdre dans 
les cols des montagnes, est forme par une ondulation de 
leur cime et creuse dans leur revers. Dautresfois entin, le 
bassin de reception se r£duit a une espece de large fon- 
driere, creusee par quelques ravins et qui porte souvent 
dans le pays le nom de combe. Elle est toujours creusee 
dans les flancs m£mes des montagnes et au-dessous de leurs 
cimes; mais elle tend a s'accroitre, et s'eleve peu a peu 
vers le sommet quelle ft" nit par atteindre. 

Dans certaines especes de terrains, les d^chirements des 
berges donnent naissance a des accidents dune forme tres 
singoliere. Ce sont des especes d'ob^lisques qui se dressent 
verticalement au milieu du talus; ils sontpresque toujours 
coifles par un bloc que Ton dirait pos6 par la main des 
hommes. 

C'est a ce bloc que l'ob61isque doit sa formation. Primi- 
tivement, le bloc 6tait couch6 sur la surface du talus. Dans 
cette position, lorsqu'il survenait une averse, et que les 
eaux descendaient en ruisselant sur la pente des berges, il 
leur pr£sentait un obstacle solide qui divisait les courants 
et les rejetait a gauche et a droite. On conqoit que de cette 
fac,on le bloc prot^geait la portion du talus situ£e immg- 
diatement au-dessous de lui; celle-ci demeurait intacte, 
pendant que les parties environnantes 6taient de plus en 
plus creusees et abaisse>s. A la fin, il devait arriver que 
la partie ainsi menagee seleverait au-dessus des parties 
affouillees, en formant dabord une ar6te tres saillante, 
qui s'amincit de plus en plus et prend enfin, par Taction 

ANNUA IRE DE 1881. 25 



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386 SCIENCES ET AKTS. 

du temps et des agents atmospheYiques, la figure d'un 
obelisque tres nettement detached 

Ges singularity sont connues, suivant les localites, sous 
le nom de « colonnes coifiees », de « dames », de « nonnes » 
ou de « demoiselles ». 

On trouve de ces piliers diversement colored dans la 
gorge du Dard pres d'Aoste; pres de Botzen, dans le Tyrol, 
ou ils sont taill£s dans la dolomie ; enfin dans TAuvergne 
et les Causses. Mais les plus beaux specimens se trouvent 
dans les Alpes franchises et notamment dans le d^parte- 
ment des Hautes-Alpes. 

Plusieurs de ces curieuses colonnes naturelles se dressent 
pres du village de Molines-en-Queyras. L'une d'elles, haute 
de 12 met., prSsente assez bien laspect d'une bouteille de 
champagne. Elle est surmontee d'un bloc d'euphotide tres 
remarquable. La forme qu'ont acquise ces colonnes et le 
contraste qu'oflre leur base blanch&tre avec Tespece de 
bonnet noir qui lessurmonte attirent vivement l'attention. 

Le bassin de reception du torrent de Th6us presente, en 
grande quantite, des pyramides terreuses, souvent coiffees 
de blocs dont le sommet indique l'ancien niveau de la 
surface du sol. Ge sont de ve>itables t^moins de Y immense 
deblai pratique autour d'elles par Taction des eauxetdu 
ravinement. 

Dansle ravin de Vallauria notamment, les « demoiselles » 
existent si nombreuses et si regulierement disposers le 
long des berges, que cette partie du bassin de reception de 
Theus est connue, dans le pays, sous le nom de « salle de 
bal ». Rien n'est plus saisissant que Taspect de cette salle 
de bal pendant un gros orage. Soudainement illuminees 
par les eclairs qui jaillissent des nuages, les tetes des de- 
moiselles, dont le sommet est pointu, apparaissent, par in- 
tervalles, surmontees d 'aigrettes etincelantes ; la grele, la 
pluie et parfois la foudre detachent deleurs robes terreuses 
quelques-unes des pierres qui on font Tornement. Par 



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DE L'ACTION DES EAUX DANS LES MONTAliNES. 387 

un eflet strange de cet eclairage eleetrique, irregulier et 
intermittent, Illusion devient complete : la salle de bal 
s'anime, les demoiselles perdent leur immobility, elles 
s'agitent et, au milieu des roulements du tonnerre, du 
bruit eflravant des eaux torrent ielles, roulant avec fracas 



KiuiTRK 4. — Demoiselles du ravin ties Merles (Hautes-Alpes). Dessin de 
Prudent, d'apres une photographie de M. Chapelaiu. 

des blocs et des rochers entiers, presque toujour* quelques- 
unes de ces danseuses fantastiques laissent tomber leurs 
bonnets dans le fond des ravins. 

C'est ainsi que les demoiselles du ravin des Merles, pres 
de Brianeon, ont ete presque toutes decoiftees par la 
foudre ou a la suite de quelque pluie diluvienne. 

Ces piliers, que represente la figure 4, sont composes 
d'un conglomerat non stratihe de cailloux et de blocs 
relies par une gangue terreuse; — quelques-uns sont 



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388 SCIKNCKS ET AKTS. 

melanges de pierres plus rapproch£es que les raisins de 
Corintlie dans un plum-pudding ; d'autres sont herisses de 
pierres aigues comme les piquants dun oursin. Cette 
gangue est si dure et si adherente qu'on a une peine 
extreme a en arracher les pierres. Celles-ci une fois deta- 
ehees, la gangue terreuse disparait tres facilement par un 
simple lavage dans le torrent voisin. On extrait ainsi des 
fragments de syenite, de micasehistes, plusieurs varietes 
de caleaires, et diverges plantes fossiles caraeteristiques des 
roehes carboniferes. Les plus eleves de ces piliers ont de 
IS a 41 met. Leur profil actuel est du a Taction directs 
de la pluie, mais leur formation doit £tre attribute an 
ruissellement de l'eau courante. 

Certaines pyramides qui se trouvent pr&s du fort de 
Mont-Dauphin, a moins d'une demi-lieue de la gare Saint- 
(iuilbaume, sont disposees en chapelets sur plusieurs files. 
Par un beau clair de lune, le touriste a l'illusion dune 
procession de moines ou de reiigieuses. C'est sans doute 
pour oe motif que les obelisques s'appellent aussi des 
nonnes. 

Des 1869 ees curieuses demoiselles et particulieremeut 
relies du Saehas, pres de Briancon, ont excite Tattention 
et l'etonnement du celebre ascensionniste anglais Edouard 
Whymper, qui les a decrites et dessinees dans son liwv 
Escalades dans les Alpes. 

Au-dessous du bassin de reception, et a la suite du gou- 
lot, se trouve cette region ou il n'y a plus d'affouillement 
et ou il n'y a pas encore de depots. C'est le canal d'ecoule- 
ment. II est toujours compris entre des berges bien des- 
sinees. Dans cette region, les torrents sont moins redou- 
tables. Malheureusement, elle est presque toujours la plus 
courte. (Voir fig. 5.) 

II reste a dire quelques mots de la region ou se forment 
les dep6ts. C'est un entassement de cailloux et de blocs 
disposes sur une grande £tendue de terrain , une plage 



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DE L ACTION DES EAUX DANS LES MONTAGNES. 389 

aride, presque denuee de cultures, ou la vegetation n'est 
representee le plus souvent que par quelques buissons 
de genevriers rabougris dont les grives sont tres friandes, 
de minces touftes de genets, des bouquets de bruyeres, 



Fh.urb 3. — Canal d'ecoulement du torrent de Pdguere, pres de Cautereis. 
Dessin de Prudent, d'apres une photographic 

du thym et du serpolet dont se grisent et se parfument les 
ltevres. 

En presence de cette masse 6norme de debris, on a sou- 
vent peine a comprendre qu'elle puisse £tre l'ouvrage du 
chetif filet d'eau qifon voit suinter a travers les blocs. 

Examines avec plus de soin, on decouvre que ces amas, 



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390 SCIENCES ET ARTS. 

qui paraissent jelt s s la avec tant de desordre, sont au con- 
tra in 1 disposes siiivanl des lois inathematiques. 

D'abord lour forme generate est tres remarquable. C'esl 
relle dun monticule conique, tres aplati, place a la sortie 
de la gorge et aeeole a la montagne comme un contreforl. 
Les armies sont dressees tres regulierement et partent 
toutes de Tissue de la gorge, qui figure le sommet du edne. 
On prend une ide> assez exacte de cette figure, dit M. Sn- 



Ficur •: 6. — Vue d'ensemlde du torrent de Riou-Bourdoux . vallee 
Barcelonnette. Dessin de Prudent, d'apres une photographic. 



roll, en la comparant a celle que ferait uneventail deploye 
dont le point d'attache serait a Tissue de la gorge et donl 
le faisoeau aurait ete releve" vers le milieu en dos d'dne. 

L'aspect de ce monticule est si particulier qiTil decele 
de fort loin la presence du torrent avant quaucun autre 
indice ait pu la faire soupconner. II occupe souvent trois 
quarts de lieue de largeur, el sa hauteur, au-dessus du 
niveau de la valle>, peut d£passer 100 met. Rien ne 
prouve mieux l'Snergie des torrents que ces masses 
enormes fornixes tout entieres de leurs dejections. 



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DE LACTION DES EAUX DANS LES MONTAGNES. 391 

La figure 6 montre le Riou-Bourdoux, c^l&bre dans le 
pays par ses devastations; c'est le torrent le plus impor- 
tant, le plus redoutable de tous ceux qui sont actuellement 
en activity dans les Basses-Alpes. La route nationale n° 100, 
qui traverse le c6ne vers sa base, n'est qu'un chemin h 
peine trace a travers les dejections, sans cesse recouvert 
par les mat£riaux de transport et dont l'entretien absorbe 



Fiourk 7. — Vue d'ensemble du pic et du torrent de Peguere. 
Dessin de Prudent, d'npres une photographie. 

des sommes importantes pour n'&tre maintenu qu'a grand'- 
peine dans le plus triste 6tat de viability. — On a 6tabli, il 
y a une vingtaine d'ann£es, le long de la route, une s6rie 
de balises pour guider le voyageur pendant Tepoque des 
neiges abondantes. Certains de ces poteaux n'6mergent 
plus que du tiers de leur hauteur par suite de l'exhausse- 
mentdu c6ne. 

La figure 7 repr£sente la montagne de Peguere. C'est 
un pic raide, situ£ au couchant de Cauterets et diffi- 
cile a escalader de ce c6t£. Les tfboulis qui en garnissent 



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392 SCIENCES KT ARTS. 

le pied sont couverts de fonHs et de prairies en fleurs. 
Dans les deux valines qui l'entourent, les sites pittoresques, 
les cascades <T«ne eau tou jours limpide dont les goutte- 
lettes etincellent au soleil, ww* vegetation luxuriante, les 
gorges ravissantes du pont d'Espagne attirent incessam- 
ment ceux des baigneurs qui ne sont pas indifferents aux 
beautes de la nature. Le pic P^guere est pourtant moins 
connu qu'on ne pourrait le croire. Peu de touristes ont 
aftronte jusqu'& present les difficult^ de Tescalade. D % une 
part, le versant Est, le plus abrupt, est difOcilement acces- 
sible vers les sommets; d'autre part, le c6ne d'eboulis qui 
encombre sa base s'accrolt chaque annexe de debris nou- 
veaux, ce qui en rend les abords perilleux. 

Les c6nes d'eboulis sedistinguent des cones de dejections 
par leur surface, par leurs pentes beaucoup plus conside- 
rables et par la disposition inverse des materiaux qui les 
composent. Ici, comme dans le cas du transport en masse, 
les plus gros blocs sont h la base et les graviers au sommet 
du cdne dont, par consequent, la surface est convexe, tan- 
dis que la surface d'un cdne de dejections est concave en 
general. Si un c6ne, d'eboulis ou de dejections, venait k 
etre forme de materiaux identiques, sa generatrice serait 
rectiligne. 

Un torrent veritable a pris naissance sur le versant 
Est du pic Peguere. Son bassin de reception est cache 
par une ondulation de la cime et creuse dans une roche 
granitique tres fissile, partiellement decomposee, assez 
semblable h un amas de sable dans lequel seraient noyes 
des blocs de granit k arfites vives et de toutes dimen- 
sions. 

Dans cette situation, il est facile de prevoir combien les 
berges doivent etre instables et croulantes : il suffit de 
deplacer un grain de sable pour mettre en mouvement des 
roehers entiers. La pluie, la greie, le ruissellement des 
eaux, les vents violents, detachent le sable des berges 



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di: l' action dks eaux dans lbs movtagnks. 393 

vives. Les blocs, manquant de point d'appui, obeissent h 
la pesanteur qui les entralne, alors, avec une vitesse pro- 
digieuse, par bonds d£sordonn£s, vers le fond de la vallee 
ou ils mitraillent de leurs debris la buvette de Maubourat, 
les bains de la Raillere, en mGme temps que Tune des pro- 
menades favorites des baigneurs. Ces avalanches de blocs 
suivent rarement le meme chemin ; la mobility excessive 
de leur trajectoire les rend tres dangereuses et pr£sente 
un caractere de gravity tout k fait exceptionnel. 

Telle est la physionomie des torrents quand ils sont a 
sec; mais la parole humaine ne saurait d^crire leurs 
ravages en termes capables de les faire comprendre, au 
moment de ces crues subites qui ne ressemblent & aucun 
des accidents ordinaires du regime des eaux fluviales. I>» 
sol, d£pouille d'herbes et d'arbres, porphyris6 par un 
soleil brulant, sans cohesion, sans point dappui, se pr6ci- 
pite alors dans le fond des valines, tant6t sous forme de 
boue noire, jaune ou rouge&tre, puis par courants de 
galets et meme de blocs £normes qui bondissent avec un 
horrible fracas et produisent dans leur course imp£tueuse 
les plus etranges bouleversements. 11 arrive, surtout vers 
le commencement des crues torrentielles, que les eaux, 
surcharges de boues et de blocs, coulent sous la consis- 
tence d'un liquide epais et visqueux. Elles s'avancent len- 
tement, comme avec peine, se ramiflent en plusieurs cou 
lees et surmontent les obstacles pen eleves qui g&nent leur 
cuurs en s'exhaussant derriere eux par une sorte de 
remous. On reconnalt dans cette description la marche des 
laves volcaniques. L'analogie est si frappante que ces sortes 
d'alluvions portent le nom de « laves » dans les pays de 
montagnes. 

Cette boue empoisonne toutes les cultures sur lesquelles 
le torrent se repand. 

D'autres fois, on voit arriver tout a coup, & la place de 
lean, cette lave noire dont la marche lente n'a plus rien 



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3JM- SCIENCES ET ARTS. 

qui ressemble k lecoulement des liquides. Alors, le flot 
boueux, poursuivant sa descente vers la valine, se jette a 
angle droit sur la riviere et la force par le choc de remonter 
vers sa source. 

Parfois enfln, le torrent tombe comme la foudre, e>rit 
encore M. Surell. II s'annonce par un mugissement sourd 
dans l'inte>ieur de la montagne; en mftme temps, un venl 
furieux s'echappe de la gorge. Ce sont les signes prexur- 
seurs. Peu d'instants aprfcs pa rait le torrent, sous la forme 
dune avalanche d'eau, precipitant devant elle un amas de 
blocs et de broussailles. L'ouragan qui prexfcde parfois le 
torrent est accompagn£ d'elTets plus surprenants encore. 
■II fait voler des pierres au milieu d'un tourbillon de pous- 
siere, et Ton a vu, sur la surface d'un lit & sec, des blocs 
se mettre en mouvement avant que les eaux ne fussent 
devenues visibles. 

Tous les exemples d'ouragan se rapportent a des crues 
d'orages survenues pendant les lourdes chaleurs de r6t£. 
Lair froid, verse dans le bassin par la pluie ou la trombe, 
s'ecoule, sous pression, par le goulot et le canal d'£coule- 
ment, chassant devant lui les blocs. II y a la une action 
dont l^nergie est extreme et qu'on peut comparer k celle 
qu'exercent les trombes d'eau qui servent de machines 
soufflantes aux usines (Hablies dans les montagnes. II faut 
se figurer que Tair sort par la gorge du torrent comme par 
le tuyau d'une forge gigantesque. 

Cet £tat de choses n'a pas toujours existe. La tradition, 
l'observation la plus superficielle Tattestent jusqu'& levi- 
dence. Partout on reconnalt sur les flanes des valines 
aujourdhui degrades des lambeaux d'anciennes forfcts et 
de paturages qui ont autrefois fait partie dun mfcme ver- 
sant r£gle et continu et que s£parent maintenant de larges 
plaies re>emmenl ouvertes dans la roche vivo : Fenlfcve- 
ment dun brin d'herbe a suffi pour delruire le mervcilleux 
f»quilibre des forces naturelles. 



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DE L ACTION DES EAUX DAKS LKS MONTAGM-S. H95 

Ainsi, la disparition du tapis vegetal, herbacc et ligneiix, 
a fait nattre toutes les mines que je viens do signaler. 
Pour arrfcter le cours desordonn£ des eaux, il faut retablir 
sans aucun retard la v£g6tation partout ou elle a disparu. 

C'est le moyen datt^nuer les inondations qui ravagent 
les plus riches valines de France ; de reserver pour les irri- 
gations, si utiles k la f'6condit6 des terres, une partie de 
ces eaux d'inondation , si funestes aux cultures de ces 
m£mes terres; de donner aux fleuves et rivieres un regime 
plus regulier; de prot£ger les chemins et les voies ferrees 
contre les d£bordements des torrents qui les traversent et, 
par suite, d'assurer la se>urite de la circulation en mon- 
tagne. 

D'ailleurs, qu'on ne l'oublie pas, a ce point de vue, la 
restauration des Alpes represente un inte>6t national; elles 
gardent par leurs forteresses une des parties les plus ini- 
portantes de la frontiere. C'est par la vallee de la Durance 
— une des plus boulevers^es par les torrents — que sont 
passes Annibal, C£sar, Charlemagne, Charles VIII, Fran- 
cois I cr et Louis XIII. Lesdiguieres, Catinat, Berwick, Vil- 
lars ont fait campagne dans les Hautes-Alpes. II n'y a pas 
une gorge de ce departement, pas un passage qui ne soil 
illustr6 par une action d'eclat. Quelques-unes des plus 
belles pages de l'histoire franchise sont exrites sur ces 
montagnes que les torrents travaillent sans relache a de- 
chireret a detruire. 

Vous connaissez maintenant le remede a taut de maux : 
pour sauver nos chores montagnes dune mine certaine, 
il suffit de jeter sur leurs £paules frileuses un epais man- 
teau de fourrure. Cette noble mission a £te confine a l'ad- 
ministration forestifcre. C'est d'elle, de ses soins, de ses 
travaux et des credits qui lui seront ouverts, que depend 
Tavenir de nos pays de montagnes. C'est dans ses mains 
aussi que repose, dans une certaine mesure, la clef des 
inondations. Elle doit ctre largement dotee, ses travaux ne 



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39ti SCIENCES ET ARTS. 

le cedant en rien comme utility publique k ceux qui ont 
pour objet de faciliter la circulation des hommes et des 
produits et en faveur desquels le budget, aid6 de l'opinion 
publique, s'est toujours montr6 si liberal. Son but est 
aujourd'bui de cre>r et de reg£nerer, tout autant que de 
1'aire produire et de conserver le domaine qui lui est conG6 : 
qu'on la dote de moyens sufiisants, et elle saura y pourvoir. 

FABIEN BfeNARDEAU, 

Membre du Club Alpin Francais 
(Section de Paris). 



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LES MONTAGNES I)E LA MER 

EXPEDITION OU « TALISMAN » — LES CANARIES, 
LES ILES OU CAP VERT, LES AQORES 

Les plus grandes prof'ondeurs qui aient ele constatees 
au-dessous du niveau de la mer sont dans le Pacifique, 
tout a fait au voisinage de larehipel des Kouriles, un peu a 
l'Est du Japon, et atteignent 8,500 metres; la plus haute 
montagne qui ait £te mesuree, le Gaurisankar, dont un sa- 
vant voyageur entretenait naguere le Club Alpin, s'eleve 
a 8,840 metres dans les airs. Entre ces deux chiffres, il n'y 
a guere qu'une difference de 300 metres. C'est dire quil y a 
presque autant de montagnes sous les eaux qu'au-dessus; 
c'est dire que le sol sous-marin est pour le moins aussi 
accidente que le sol Emerge. 

La plupart, sinon la totalite, des grandes chaines de 
montagnes sont groupies le long des rivages des mers 
actuelles ou des mers anciennes que la geologie sait re- 
constituer; elles forment, le long des c6tes, des series de 
rides paralldles dont les versants sont inegalement inclines, 
qui tournent vers la mer leur cote abrupt et leurs pentes 
douces vers l'interieur des terres; ces rides se continuent 
avec la m6me allure sous les eaux; les c6tes, apres s'etre 
plusou moins brusquement enfoncees, se redressent peu a 
peu; lentement, une ride saccentue et se montre, cornme 
celles du littoral, doucement inclinee vers la c6te, raide, 
au contraire, vers la pleine mer; si bien que c'est tout le 



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398 SCIENCES ET ARTS. 

long des rivages ou au milieu de groupes d'lles qui ne 
sont que les sommets emerges des plus hautes cimes de la 
ride, que la sonde atieint les plus grandes profondeurs. A 
niesure qu'on s'eloigne des c6tes, soit vers les terres, soit 
vers la pleine mer, ces rides s'efiacent. De part et d'aulre 
on atteint une region a courbures insensibles, peu elevee 
au-dessus des mers dans les continents, profonde de 
4,000 metres, en moyenne, dans les regions centrales des 
Oceans. 

Les plaines continentales et les plaines sous-marines sonl 
done separ£es par un seul et m&me syst&me de rides raon- 
tagneuses avoisinant les cdtes, dont une partie seulement 
est aerienne, le reste 6tant couvert par les eaux. La moitie 
aerienne de ce vaste systeme est l'objet ordinaire des 
explorations des alpinistes ; mais un ami des montagnes ne 
peut se contenter de les connaltre a demi. Plusieurs de 
nos collogues ont bien voulu r£clamer pour les montagnes 
sous-marines le m6me honneur que pour les autres, et e'est 
ainsi que je me trouve amene a faire dans cet Annuaire le 
r£cit des derniers travaux de la commission scientifique 
qui, a quatre reprises successives, a bord de l'aviso le Tra- 
vaillew ou de l'eclaireur d'escadre le Talisman, a ete 
eharg£e d'explorer les grands fonds de l'Atlantique. Nous 
aurons en m&me temps Toccasion de parcourir les sites les 
plus remarquables des Canaries, des Azores, des lies du 
cap Vert, ces singuliers archipels que les volcans ont 
lentement £dif!6s au milieu de TOcean. 

G'est un r&ve qu'ont fait bien souvent les naturalistes et 
les voyageurs que de se laisser couler au fond des eaux, 
revcHus du scaphandre protecteur, et d'aller ainsi, durant 
quelques heures, pratiquant un alpinisme au rebours, 
explorer ces for6ts vierges des grands fonds ou les coraux 
remplacent les plantes, oil la vie semble s'abandonner aux 
plus etonnantes fantaisies ! 

Malheureusement, le scaphandre ne permet pas de telles 



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LES MONTAGNES DE LA MER. 399 

excursions, et si les points extremes ou nous nous arrSterons 
dans cette rapide promenade parmi les monlagnes de la 
mer — le sominet du pic de Ten£riflfe et le fond de la mer 
des Sargasses — sont situ£s lit une distance verticale de 
pr&s de 10,000 metres Tun de Fa litre, je me h&te de dire 
que, pour l'exploration des 6,000 metres situ^s sous l'eau, 
il faut se r£signer a se faire repr^senter par des instru- 
ments de precision dont le fonctionnement est d'ailleurs 
fort simple et avec lesquels il est facile de faire connaissance. 

Ges appareils sont un thermom&tre, une bouteille m£tal- 
lique, un sondeur, des dragues et des chaluts. Avec cela 
on a tout ce qu'il faut pour £tre assez exactement ren- 
seign£ sur les paysages sous-marins. Seulement, et ce sont 
lilt les points d£licals, le thermometre doit 6tre construit de 
faqon k indiquer la temperature du fond et pas d'autre; la 
bouteille ne doit se remplir qu'& la fin de sa descente; le 
sondeur ne doit pas seulement tendre le til & l'aide duquel 
on mesure la profondeur, il doit aussi rapporter des echan- 
tillons du fond, afin que Ion sache sur quoi Ton va jeter 
la drague et quel genre de drague il faut employer pour 
ramener les organismes qui peuplent les abimes oceani- 
ques. 

L'outillage du Talisman £tait merveilleusement adapte 
aux fonctions qu'il devait remplir, gr&ce aux indications 
fournies par M. Alpbonse Milne-Edwards, h. 1'habilete au- 
dessus de tout eloge de M. l'ingenieur Thibaudier qui 
avait installe le navire, et a Tintelligente sollicitude des offi- 
ciers, nos compagnons de route, aujourdhui nos amis. 

Le tube de nos thermomcHres etait r<Hr£ci au-dessus du 
reservoir, de maniere qu'en le retournant, le reservoir en 
haut, la tige en bas, la moindre secousse faisait s^parer en 
deux la colonne de mercure, et la partie de cette colonne 
isotee du reservoir tombait au fond de la tige. Sa longueur 
pouvail se lire sur la tige, gradu^e de haut en bas au lieu 
de YHre de bas en haut, et donnait immediatement la 



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400 SCIENCES ET ARTS. 

temperature. Chacun de ces thermometres etait place 
dans un cadre entre les branches montantes duquel il 
pouvait tourner; on le mainlenait parall&le aux branches 
a laide d'un crochet muni dun levier horizontal; le som- 
met de la tige buttait alors contre un ressort qui le pous- 
sait brusquement et faisait retourner le thermom^tre des 
quon enlevait le crochet. 

Nos bouteilles k recueillir l'eau etaient des tubes de fonte 
presentant ill chaque bout un seul orilice que fermait un 
robinet. Ge robinet etait actionn6 par un long levier, hori- 
zontal quand le robinet 6tait ouvert, vertical quand le 
robinet etait ferine. Voulait-on puiser de l'eau a diverses 
profondeurs et avoir la temperature de l'eau recueillie ? On 
suspendait k un m£me c&ble, de 100 mfct. en 100 met., par 
exemple, des bouteilles d'eau et des thermom&tres, et Ion 
descendait le dkble. Quand, en mollissant, le c&ble indi- 
quait que le fond 6tait atteint, on laissait glisser du bateau 
un lourd anneau de fonte k travers lequel le cable etait 
file; l'anneau en tombant abaissait tous les leviers, fer- 
mait par consequent tous les robinets, decrochait tous les 
thermom&tres qui se retournaient aussitot et Ton n'avait 
plus qu'tk remonter ce long chapelet d'outils dont cha- 
cun avait rempli sa mission. L'eau recueillie k partir de 
100 metres est, en raison de la pression qu'elle supporte, 
tellement charg£e de gaz que les bouteilles, lorsqu'on les 
ouvre, projettent un jet de liquide comme si elles etaient 
remplies de bon champagne ou de forte eau de Seltz. 

Le sondeur nest pas plus complique et, dans une pareille 
campagne, les sondages onl, comme on le pense, une 
importance de premier ordre. On ne peut assurer le sue- 
ces d'un dragage quk la condition de savoir d'abord com- 
bien il faut d^rouler de c&ble pour atteindre le fond avec 
la drague ; or un sondage prealable peut seul renseigner 
sur ce point. II faut aussi sonder au moment ou Ion re- 
iuonte la drague, car elle a souvent beaucoup voyage sur 



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LES MONTAGNES DE LA MER. 



401 



le fond et plus (Tune fois il est arrive 
de commencer un dragage k 1 ,500 met. 
par exemple, et de le terminer & 2,000. 
Avec un navire, qu'on ne peut mainte- 
nir absolument immobile, il n'est pas 
aussi facile qu'on pourrait le croire de 
mesurer exaclement une profondeur : 
le fil de sonde, si pesant que soit le 
sondeur, tend toujours k devenir obli- 
que, surtout s'il a une certaine epais- 
seur; dautre part, pour atteindre 
6,000 metres, un fil de sonde doit etre 
assez solide pour ne pas se rompre 
|a i sous son propre poids; or, une corde 

de chanvre n'est solide quk la condi- 
tion d'etre grosse, et si son diametre 
est grand elle ne descend plus verti- 
calement. Aussi tous les sondages a 
grande profondeur du Talisman et du 
Travailleur ont-ils ete executes, comme 
ceux du navire americain The Blacky 
au moyen dun mince fil d'acier, pas 
plus gros que celui qui sert k etablir 
les sonnettes de nos appartements et 
identique k ceux que Ion emploie 
pour fabriquer les cordes de piano. 
Ces fils soutiennent sans se rompre 
des poids enormes et coupent la vague 
pour ainsi dire sans se laisser devier 
par elle. 

Le sondeur qui leur etait suspendu 
devait rapporter du fond des echan- 
tillons capables de nous renseigner sur 

Figure 1.-1,6 sondeur du Porcupine, oil les poiHs de fonte laisses au fond 
de la mer peniant les sondages sont disposes comme ceux du Talisman. 
ANNUAIRK Dli 1881. 26 



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402 SCIENCES ET ARTS. 

sa nature. C'etait un tube cylindrique que pouvaient fermer 
en bas deux clapets manceuvrables k l'aide de petits leviers 
perpendiculaires k leur surface. Quand les leviers etaient 
horizontaux, les clapets se relevaient verticalement k Tin- 
t£rieur du cylindre. On maintenait pendant la descente 
les clapets ouverts en attachant avec un fil les leviers & 
un anneau dans lequel passait le sondeur et qui suppor- 
tait lui-m&me d'epais disques de fonte (fig, 1). L'anneau 
etait suspendu, par des fils de fer termines en boucles, aux 
encoches d'une barre metallique qui s'enfon^ait par son 
propre poids dans Tinterieur du cylindre. Alors, les fils de 
fer se decrochaient d f eux-m£mes, les disques de fonte, 
devenus fibres, glissaient le long du sondeur, qui se de- 
gageait des disques quand on le relevait. Les leviers hori- 
zontaux des clapets s'abaissaient en traversant Touverture 
6troite de ces derniers. Le fil qui reliait les leviers k Tan- 
neau ayant k supporter seul le poids des disques etait 
bientdt brise et, ces disques restant au fond de la mer, le 
sondeur remontait rempli de vase ou de sable. On n'avait 
pas, du reste, a se preoccuper de mesurer la longueur du 
fil deroule : par un mecanisme ing^nieux, la diminution 
de tension eprouvee par le fil de fer quand le sondeur tou- 
chait le fond suffisait a mettre en mouvement, a bord du 
navire, un frein qui arnHait automatiquement le d£roule- 
ment du fil, tandis qu'un compteur inscrivait le nonibre 
de metres qui avaient ete deroules. 

Durant sa campagne, le Talisman a donn6 2i2 coups de 
sonde; les profondeurs maximum qu'il a rencontrees se 
sont trouvees de 6,067 metres. Le commandant avait in- 
cessamment sous les yeux, durant la campagne, des cartes 
de profondeur dressees par la marine de la nation qui se 
pique d'etre la nation exacte et savante par excellence. 11 
a eu la curiosile de faire dresser les profils comparatifs 
des reliefs des fonds de la mer sur notre trajet tels quils 
auraient dvk tUrc d'apr&s les cartes allemandes officielles, 



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Figure 2. — Une drague munie do ses fauberts. 



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404 SCIKNCKS KT AltTS. 

et tels qu'ils sont reellement. Lour comparaison montre 
dune maniere peremptoire que les fonds de la mer, tout 
au moins, ont reussi jusqu'a ce jour a se soustraire a lhe- 
gemonie prussienne. 

Je ne dirai qu'un mot des dragues et des chaluts qui 
r6coltaient les animaux au fond de la nier : la figure 2 
montre unc de ces vastes poehes, qui avaient jusqu'a 
7 met. de long et tftaient suspendues a un cable dacier de 
la grosseur du doigt. Naturellement, de pareils engins ne 
peuvent etre manoeuvres qua l'aide de machines a vapeur. 
11 y en avait deux pour la draguo, une pour le sondeur, line 
pour les appareils a lumiere (Mectrique. Aussi le pont du 
Talisman avait-il lair dune verjtable usine. 

Nous voila done en route, bien outill£s, bien amies, im- 
patients de voir enfin surgir du fond des eaux ce monde 
inconnu que bien peu ont eu la bonne fortune de contem- 
pler avant nous. Helas ! des le premier soir, les fronts se 
rembrunissent. Nous avons beau vouloir nous montrer 
vaillants et forts, il n'y a pas a en douter, e'est le mal de 
mer qui commence. Trois des membres de la Commission 
maintiennent haut cependant l'honneur des estomacs 
seientiiiques et viennent cbaritablement consoler leurs 
collegues en leur d£nombrant les matelots — les recrues 
sans doute — qui ont dil mettre, eux aussi, tout amour- 
propre de cdte. Nous voyons ainsi filer m£Iancolique- 
ment sous nos yeux les cotes du Portugal; enfin void 
(Jadix avec ses blanches maisons a tourelles et les per- 
siennes vertes de ses miradores, derriere lesquelles les 
beaux yeux noirs des jeunes Espagnoles guettent le 
fiance qui vient chaque jour faire sa cour de la rue (car 
l'entree de la maison lui est interdite), causer de longues 
heures ou charmer avec sa guitare les loisirs de sa future. 
Nous avions espere reparer a Cadix les longues nuits pen- 
dant lesquelles le Talisman, un rouleur par excellence, 
nous avait transformed en simples balanciers de pendule; 



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LES MONTAGNES DE LA MER. 405 

nous avions compte sans les guitares. Les jours de f<He, 
— et e'est presque tous les jours fete en Espagne, — on 
joue de la guitare toute la nuit; en revanche, on dort si 
bien pendant le jour, que la poste ni&me n'ouvre qu* a 
onze heures du matin. Cadix est d'ailleurs une coquette et 
charmante ville, si charmante qu'elle enleva inos officiers 
leur cuisinier. Le malheureux avait pense s'y etablir, 
mais il avait compte sans les reglements militaires; des 
le lendemain de son escapade, il etait arr<He comme de- 
serteur et reconduit de brigade en brigade jusqu'a Cher- 
bourg. 

De Cadix datent nos premieres operations serieuses. An 
long de la cote du Maroc, les dragages ne s'effectuenl 
guere que de 500 a 2,000 met. ; mais des les premiers coups 
de drague, les animaux etranges affluent dans nos filets. Ce 
sont d'elegantes eponges dont le squelette est fait de 
cristal de roche, telles que les Holtenia, semblables a des 
nids (fig. 3), et les Apfirocallistes, qu'on pourrait prendre 
pour des manchettes de tulle; de magnifiques etoiles de 
nier, telles que ces Brisinga ecarlates (fig. A) k qui leur 
eclat a valu le nom du bijou jete au fond des mers par 
Freya, la Venus scandinave; de superbes encrines (lig. 5), 
restes d'une faune aujourd'hui disparue; des crevettes 
grandes comme des homards et plus rouges que les ecre- 
visses de Tancienne Academie francaise; des poissons 
aussi rares qu'etonnants, comme YEurypharynx (fig. H) 
et le Melanocelus, qui ont sous la bouche une poche sem- 
blable k celle du pelican, ou le Bathyplerois (fig. 7), dont 
les nageoires sont precedees d'une sorte de longue ba- 
guette dont Tanimal se sert dans l'obscurite comme un 
aveugle se sert de son b&ton, ou encore le Malacosteus 
niger, qui porte sur la tete, en avant des yeux, deux falots 
pour s'eclairer. Nous nous considerons deja comme riches 
en arrivant a Mogador. 

Ce n'est pas aux environs de Mogador qu'il serait pos- 



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Fiqurb 3. — Boltenia Carpenteri, eponge des grands funds dont le tissu 
est forme de filaments de silice semblables a du verre fild. 



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Figure 4. — B rising a coronal a, etoile de mer e carl ate de 60 centimetres de 
diametre, habitant los grands fonds de I'Atlantique. 



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408 



SCIENCES ET ARTS. 



sible d'organiser quelque excursion en montagne; partout 
d'immenses plaines de sable, cou- 
pees de dunes en forme de crois- 
sant qui semblent nous indiquer 
que nous sonunes dans le pays de 
l'Fslam. Mogador, malgre ses rues 
etroites, sales, tortueuses, ses im- 
inondes bazars ou les robes bro- 
dees d'or et les bijoux d'argenl 
ciscle se vendent dans des echop- 
pes dont ne voudraient pas nos 
savetiers, Mogador, defendue par 
des reniparts moyen &ge, n'en esl 
pas moins pittoresque. A peine 
sommes-nous debarques, qu'une 
foule d'individus, moitie mar- 
chands, moitie mendiants, tous 
teigneux d'ailleurs, nous entou- 
rent, oflrant des marcbandises de 
toutes sortes, comestibles ou bi- 
joux, tendant la main, baisant les 
pans de nos habits; ceux qui tien- 
nent le plus a nous attendrir nous 
embrassent les bras et les epaules 
ou le bout des ongles. (Test hi- 
deux. Ghacun fait au plus vite ses 
provisions d'armes, de plats de 
bronze ciseles, de bijoux, de tapis, 
de babouches, de fez et de robes 
de harem; et, une fois rentrtf k 
bord, personne ne songe h revenir 
fraterniser avecles trop empresses 
fils de Sem. II y a cependant & Mo- 
gador une ecole franchise dont les 
Aleves savent, au besoin, chanter la Marseillaise. 



Figure 5. — Une Encrine vi- 
vante, le Pentacrinus Wyville 
Thomson*, habitant a 1,500 
met. de profondeur. 



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LES MONTAGNES DE LA MER. 409 

Le Talisman, draguant le jour,marchant la nuit, metune 
semainc a parcourir la distance qui separe Mogador des Ca- 



Figurk 6. — Euryphanjnx, poisson a bouche demesuree , 
vivaot a 2,000 met. de profondeur. 

naries. Presque partoutles funds sont d'environ 2,000 mel. 
nous draguons dans une vase molle, grise, gluante, pe- 



Fiourb 7. — Bathypterrris, poisson de la grandeur dune tanche, a uppareiN 
tactiles tres developpes, vivant a 1,500 met. de profondeur. 

trie de coquilles microscopiques, les globigerines ; on a 
voulu voir dans cette vase de la craie en voie de formation. 
A nos collections s'ajoutent entre autres une magnifique 
eponge en cristal de roche, X Euplectella suberea, de petites 



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410 SCIENCES ET ARTS. 

encrines diflerentes de cellos que nous avons deja trou- 
vees, et appartenant au genre Bathycrinus, nonibre d'our- 
sins mous et d'6toiles de mer; de bizarres holothuries 
rampantes, dont la structure interne est celle d'animaux 
rayonnes et qui ont cependant toute I'apparence (}e gi- 
jrantesques vers portant redressed une enorme queue; des 
cruslactfs etonnants, tels que les Pentackeles, voisins des 
Eryons jurassiques, ou les Plyckogasler (fig. 8). 
Cependant les fonds s'elevent ; bient6l ils ne sont plus 



Figure 8. — Ptychoganter formosus, sorte do crabe a longuos pattes, 
1/2 grandeur, vivant a 950 met. de profondeur. 

qu'aune centaine de metres, et nous pouvons apercevoir au 
loin larchipel des Canaries. Le Talisman s'engage dans le 
detroit de la Bocayna, entre Lanzarote el Fuerta Ven- 
tura, et le 29 juin nous venons mouiller a Sanla-Cruz 
de Tene>ifle. II y a pres d'un mois que nous soninies en 
route; les machines ont besoin de nombreuses reparations. 
II faut refaire des vivres et du charbon ; nous avons huit 
jours devant nous. Nous cessons d'etre marins pour deve- 
nir cette fois tout a fait alpinistes. Partout autour de nous 
so dressent des c6nes volcaniques ; nous apercevons au loin 
le majestueux pic de Teyde qui s'eleve a 3,715 metres; c'est 
lui qui a construit Tile par Taccumulation de ses laves que 
nous foulons partout et dont les dernieres coulees, remon- 



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LES MONTAGNES DE LA MER. 411 

tant seulement k 1798, semblent encore ft peine refroidies. 
On appelait jadis les Canaries les lies Fortunees; le paysage 
qui nous environne est bien loin cependant d'Atre celui 
d'un riehe et fertile pays. La terre v^getale n'est pas abon- 
dante; aux environs de Santa-Cruz point de bois, ni de 
prairies. La principale culture 6tait celle de Tarbre a co- 
chenilles, du nopal on cactus h raquettes. Mais la fuchsine, 
qui enrichit nos marchands de vin, a d£pr6cte le carmin et 
mine les eleveurs de cochenille. Dailleurs les cactus & co- 
chenilles sont tout aussi impuissants & egayer un paysage 
que les euphorbes epineuses, semblables k des cierges du 
Perou, qui croissent c& et la parmi les blocs de lave, ou que 
les maigres bosquets de lauriers-roses qui grimpent sur la 
croupe de quelques collines. Gette premiere impression 
s'efface cependant quand on quitte la partie Sud-Ouest de Tile 
pour p^netrer dans la partie Nord-Est. II la faut traverser 
presque entierement pour atteindre le pic, situ£ au centre 
de la partie elargie de Tile. Une cr6te montagneuse par- 
semee de cratfcres separe ces deux moities de rile. C'est 
presque au sommet de cette crfcte que se trouve Laguna, 
ville d'ete\ qu'on peut conside>er comme une sorte de fau- 
bourg Saint-Germain de Santa-Cruz; quelle difference de 
climat, en effet! Nous ne reconnaissons plus le soleH d'A- 
frique, que nous ressentions dejii sur la cote : l'air est gris, 
brumeux, le sol partout gazonntf, et les paysans, de haute 
stature, portent les gufttres, la vaste limousine et le cha- 
peau & large bord des cultivateurs de nos regions monta- 
gneuses. II se trouve sans doute, parmi eux, des descen- 
dants de ces anciens Guanches qui momifiaient leurs morts 
comme les Egyptiens et les P6ruviens, les cousaient dans 
des peaux, les genoux et les bras replies sur la poitrine, 
et fournissaient abondamment leurs tombeaux de figues 
scenes et de toutes les provisions n^cessaires pour un 
long voyage. 

Laguna est la ville noble : toutes les maisons sont ar- 



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412 SCIENCES ET ARTS. 

moriees; les eglises, dotees de nombreuses statues, sem- 
blent indiquer que la ville a joui autrefois d'une magnili- 
que prosperity. A quatre que nous £tions, nous avons 
failli cependant ne pas y trouver k coucher, et c'est la que 
nous avons pu appr6cier, dans toute sa saveur naive, la 
cuisine espagnole en la personne d'une omelette dont les 
oiufs 6taient battus avec des rondelles de pomnies de 
terre el douze sardines k Thuile, le tout cuit dans l'huile 
m&me des sardines. On boil du vin poivre pour activer la 
digestion de cette monumenlale galette. 
; II faut encore six heures de voiture pour alter de La- 
guna a Orotava. Lk nous sommes dans la vraie region 
fortun£e. La valine d'Orotava; vaste cirque tourne vers la 
mer, passe pour Tune des plus belles vallees du monde. 
De riches vallons, de magnifiques jardins s*6tagent sur ses 
cotes, descendent jusqu'au bord d % e la mer. Les modestes 
Dracaena de nos appartements y deviennent de magni- 
fiques dragonniers, atteignant la taille de grands arbres 
verts,. ramifies, et dont chaque rameau semble termine 
par une touffe de feuilles de lis (fig. 9). On montrait encore 
il y a cinq ou six ans, dans Tun des jardins d'Orotava, un 
de ces arbres qui ne pouvait avoir moins de cinq ou six 
mille ans d'existence ; il 6tait done contemporain d'Adam. 
C'est d'Orotava qu'on fait l'ascension du pic de Teyde. 
Nous ne songions pas d'abord k Tescalader; mais d£cide- 
inent la tentation est trop forte et, bien que quelques- 
uns d'entre nous n'aient pour toute chaussures que des 
hotlines vernies, une caravane est bientdt organ is^e. Nous 
nations que quatre grimpeurs; mais pour quatre homines 
il faut quatre chevaux; comme dans certains passages il 
est n^cessaire de tenir les chevaux k la fois par la bride et 
par la queue, chaque cheval comporte deux guides; eniin 
ce n'est pas trop de trois mules pour porter les provisions : 
bref, nous formons une fort respectable caravane. Nous 
suivons pendant quelques centaines de metres des sentiers 



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LES MONTAGNES DE LA MER. 413 

do chevres ou nous prenons peu a peu confiance dans 
le pied de nos montures; mais bientot les sentiers dispa- 
raissent et graduellement la vegetation change de carac- 



Figure 9. — Un des dragonniers geants d'Orotava. 

tere : au-dessus des regions cultivates, les flancs de la mon- 
tagne sont encore couverts de gramindes, de vipe>ines, de 
fougeres; & ces plantes succedent peu h peu les bruyeres, 
auxquelles se melent a mesure qu'on s'eifeve les touffes 
d'une sorte de gen&t epineux rappelant par son aspect les 



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414 SCIENCES ET ARTS. 

ajoncs de nos monlagnes; ces touffes deviennent graduel* 
lenient plus nombreuses; la bruyere au contraire devient 
rare, puis disparait tout k fait, et la campagne autour de 
nous semble bientdt uniformement dor£e. Gependanl au 
milieu de tout cet or se montrent quelques larges plaques 
d 'argent. Ce sont de magnifiques cytises, presque sans 
feuilles, entitlement couverts de fleurs dun blanc pur qui 
remplissent lair d'une suave odeur d'acacia. Quand les gc-. 
n&ts jaunes ont disparu, il semble que nous soyons dans 
un magnifique champ de neige parfumee ; jamais spectacle 
pareil ne s'est oflert k nos yeux; le son argentin des clo- 
chettes pendant au cou de quelques chevreaux ^gares, la 
mer que nous decouvrons au loin ajoutent encore k la 
magie du pay sage, 

Cependant nous sommes dejti au milieu des ponces qui 
remplissent le cratere du voican, et qui k la prochaine 
eruption seront projetees en Tair en fragments innombra- 
bles. D'enormes blocs noirs presque spheriques, semblables 
k des lessons de verre a bouleille, sont disperses ca et la; 
ce sont des blocs dobsidienne que le voican a lances aii 
loin comme d'immenses bombes lors de sa derniere erup- 
tion. Les cytises finissent eux aussi par devenir moins 
nombreux. Nos gens en ramassent soigncusement toutes 
les tiges desscchees pour entretenir le feu de notre bivouac 
de nuit. La region ou nous arrivons est, en effet, tout k 
fait nue. C'est la plaine de la Canada, semblable a un lac 
de pierre ponce, reflecbissant brutalement vers nous les 
rayons d'un soleil qui sent deja Tapproche du tropique. 
Au bout de trois quarts dheure la montee reprend. Une 
seule plante semble sOtre oubliee a cette hauteur. C'est 
une charmante violet te aux feuilles allongees et poilues, 
aux fleurs grandes, d'un bleu pdle, la violette du pic, Viola 
Teydana, speciale au pic de Teyde, dont nous cueillons 
quelques minces bouquets comme souvenir. Dej& le soir 
approche ; et la ponce est maintenant reduite a une sorte 



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LES MONTAGUES DK LA MER. 415 

de sable mou; nos chevaux ne peuvent plus nous porter; 
le mien, apr6s avoir tegerement mordille mes bottines, 
comme pour me prevenir, m'enleve delicatement Fetrier de 
dessous le pied ; c'est sa mani&re de minviter a deseendre ; 
la bonne b6te a pris d'ailleurs la resolution irrevocable de 
ne pas faire un pas de plus. Nous descendons tous de che- 
val et nous voili, k 6 h. 30 min. du soir, sur une espece de 
plate-forme pierreuse, parsem^e de nombreux blocs d'ob- 
sidienne et d'and^site. G'est Alta Vista, le lieu ou nous de- 
vons passer la nuit. 

La nuit, on la passe en plein air. Une sorte de cirque en 
pierres s&ches a ciel ouvert abrite le feu contre lindiscre- 
tion des rafales. Nos guides ont bientot fait d'allumer une 
splendide flamb6e;ils se couchent autour, et nous... ou 
nous pouvons; encore Tun d'eux, lillustre Pepe, se plaint- 
il de la duret£ du sol et du froid avec de tels gemissements 
que nous renon^ons a dormir et prenons le parti d'aller 
con tern pier la mer. A l'horizon il nous semble apercevoir 
un splendide phare electrique; nous hesitons un instant k 
reconnaitre Venus dans l'astre eclatant qui fcst sous nos 
yeux. Tout pres de l'horizon se montrent aussi les pre- 
mieres etoiles de la Croix du Sud. 

Gomme nous desirous arriver au sonimet du pic pour voir 
lever le soleil, nous repartons k 2 h. 30 ruin, du matin, a la 
lueur des torches. Cette fofs 1'ascension se fait k pied sur 
une coulee de lave. Imaginez une moraine formee de blocs 
enormes, rugueux, branlants, dont chacun doit etre esca- 
lade; nous y usons nos ongles et notre epiderme. Knfin voici 
le c6ne terminal. Nous sommes de nouveau dans la ponce; 
mais ici le mineral est altere par les emanations qui se de- 
gagent de toutes parts et qui impregnent lair d'une p6- 
n^trante odeur sulfureuse. D'ailleurs on peut ramasser k 
poignees sur le sol les cristaux de soufre natif, et les fu- 
merolles qui s'echappent du sol ont une temperature assez 
tflevee pour qu'on ne puisse s'asseoir sans risquer de 



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416 SCIENCES ET ARTS. 

s'echauder. On pretend qu'a certains jours la lerre est 
assez chaude pour charbonner le bout des batons qu'on y 
enfonce; elle Test toujours suffisamment pour qu'on n*y 
puisse tenir la main. Le cratdre le plus recent est sur le 
versant du pic oppose a celui par lequel nous avons fait 
Tascension; c'est une excavation peu profonde dont les 
parois ont le m&me aspect que le sol sur lequel nous mar- 
chons, et sont destinees a sauter au premier jour, car les 
eruptions du pic de Tcyde semblent se renouveler avec 
assez de regularity tous les siecles; quatre-vingt-douze ans 
ont s£par6 les deux dernieres : 1706 et 1798. Naturelle- 
ment, le sol est absolument sterile. Gependant quelques 
insectes et m&me une araign6e, un faucheur, courent au- 
tour de nous. De quoi ce petit monde peut-il vivre? 

Du haut du pic la vue s'etend sur le plus grandiose pa- 
norama. L'lle de T6nerifle nous est en partie cach^e par 
une couche de nuages; mais par dela les nuages la mer 
apparalt dans toute son immensite; elle semble surveillee 
par des monstres accroupis dans lesquels le guide Ignatio 
reconnatt la Grande Ganarie, Fuerta Ventura, Lanzerote el 
les autres lies de l'Archipel des Canaries. 

On ne trouve en s^levant d'Alta Vista a Tetroit sommet 
du pic aucune trace d'eau ; mais a peu de distance de la 
coulee principale, dans une grotte profonde, la glace per- 
sists pendant toute l'annee; c'est pour nous une heu- 
reuse rencontr6, car nos guides, qui nont rien de la pre- 
voyance des guides alpins, ont oublie les provisions, et la 
soif commence a nous faire £prouver de r£elles souf- 
frances. A 10 h. nous etions de retour a Alta Vista. Une 
heure apres nous montions a cheval au commencement 
des plaines de ponce, et a 8 h. du soir nous faisions notre 
entree a Orotava. 

II faut aller vite en campagne. Notre excursion, aller 
et retour, avait dur6 36 heures; on ne peut gufcre y con- 
sacrer moins de temps. Une nuit pass£e en voiture nous 



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LES MONTAGNES DE LA MER. 417 

ramenait h Santa-Cruz, et ^ 6 h. nous etions a bord, vo- 
^ruant vers la Grande Ganarie, ou le D r Ghil, un eleve du 
regrette Paul Broca, entretient un mouvement scientifique 
dune reelle importance, et ou nous n'avons que le temps 
de visiter le musee d.'histoire naturelle principalement 
consacre h la faune locale et aux documents qui peuvent 
erlairer l'histoire des Guanches. Le D r Ghil est dune inge- 
niosite etonnante. En raison de ses affinite^s avec les Guan- 
ches, la race Ganarienne est une des plus interessantes 
pour les anthropologistes. Pour la montrer aux connais- 
seurs dune maniere complete, le D r Ghil a cree une 
societe musicale. Quand il veut faciliter les etudes d'un 
savant, il donne un concert sur la grande place de Las 
Pahnas et le fait annoncer parlout. Les Ganariens, essen- 
tiellement artistes, arrivent en foulc et on pent alors etu- 
dier i\ loisir cette forte race/ dont les origines sont peut- 
etre les monies que celles des compagnons de Jugurtha. 

Le 7 juillet, le Talisman reprend sa route vers le Sud. 
Les fonds s'abaissent brusquement jusqu k 2,600 metres; 
des le lendemain, hien que nous ne cessions de nous 
eloigner de Tenerifle et de la cote d'Afrique, ils remonlent 
successivement a 1,800 metres, 600 metres et inline 
102 metres. Nous suivons & peu pres le me>idien de 17 de- 
gres ; il y a done hi une chaine de montagnes sous-marines, 
presque parallele a la cote d'Afrique, s'elevant k plus de 
2,000 met. au-dessus des fonds voisins; en marchant au 
Sud et h l'Ouest les fonds s'abaissent de nouveau jusqu'tt 
2,000 met., puis ils remontent. Vers le 13 juillet, nous 
nous retrouvons par les fonds de 110 met. Nous sommes 
au voisinage du banc d'Arguin ou se perdit la Meduse, et 
presque a l'anniversaire de cetle douloureusc catastrophe. 
Pendant le diner, on cause de l'evenement dont Gericault 
a si bien rendu toute l'horreur; tout a coup apparait le ti- 
inonier de service : « Commandant, lofticier de quart fait 
prevenir que nous sommes menaces par un fort grain. » 

ANXl'AIRK DE 1884. Vi 



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418 SCIENCES ET ARTS. 

Est-ce que ees pays porteraient nialheur? Nous sommes 
justement un 13. Le commandant se leve en froncant le 
sourcil; nous le suivons. Aussit6t le tonnerre retentit, la 
griMe tombe et au milieu de tout ce vacarme apparait sur 
le pont une menagerie complete d'animaux etranges con- 
duits par des cornacs plus etranges encore. Le grain est 
passe ; il s'agit simplement d'une ambassade envoy£e par 
1'illustre monarque Tropicus, nous informant que nous ve- 
nons de francbir les limites de ses Etats et que, n'ayant 
pas l'intention de descendre jusqu'a l'Equateur, nous avons 
a subir des le lendemain le baptdme de rigueur. Le lende- 
main nous etions priHs, et je vous assure que l'equipage du 
Talisman a joyeusement eelebre la fete nationale de Tan- 
nic 1883. 

Le soir la mer elle-meme voulut bien prendre part a la 
fete; elle s'illumina et nous pumes admirer dans toute sa 
majeste ce spectacle feerique d'une mer en furie dont les 
vagues semblent des flammes qui s'allument tout a coup, 
s'elancent et embrasent en un instant tout l'horizon. 

D'ailleurs, lamer s'anime cbaque jour davantage; le 
Talisinan, en s'avaneant , fait a cbaque instant lever des 
essaims de poissons volants; les requins, accompagnes de 
leurs pilotes, viennent jouer autour du batiment. On les 
pecbe a la ligne ; il aurait et6 facile d'en prendre trois on 
quatre par jour si nous n'avions pas ete pr6occupes- par 
un autre genre de pfcche. 

Douze jours de cette traversee nous menent aux iles du 
cap Vert. Elles ne sont pas vcrtes, tant s'en faut, ces iles 
brulees qui se tiennent comnie des sentinelles en avant 
de l'Afriquc tropicale; c'esl le meme paysage qu'aux Cana- 
ries, du sable et des volcans. Par exemple, b£tes et gens, 
tout est cbange; des bandes de milans p<>chent comnie de 
simples mouettes; de petits vautours, les percnopteres, se 
promenent dans les rues des villages comnie s'ils etaient 
cbezeux; nous nous atlendons a les voir nous demander 



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LES MONTAGNES HE LA MER. 419 

laumone comme les Arabes do Mogador. Mais non, ils sont 
plus dignes, et les negres aussi. L'ile de San-Iago, ou nous 
abordons, est moins fertile que San-Antonio; on y peul 
cependant renouveler ses provisions de vivres: sa capitale 
Porto Praya est propre et assez bien btktie ; les enfants 
chantent en nous suivant, comme des b<Mes curieuses que 
les etrangers sont toujours, la Marseillaise, et diflferents 
airs fainiliers k l'aimable Fille de M me Anqot ou i\ la Mas- 
coUe. La race est d'ailleurs belle, et si les nogresses ont 
conserve l'usage de porter leurs enfants sur le dos et de 
salueren se frottant le nez avee la paume de la main, elles 
savent aussi se eonformer aux modes de Paris, et pren- 
nent pour danser leurs bamboulas le blane costume de nos 
soirees. 

Autour de Porto Praya, le paysage ^st assez plat; de la 
mer, on apereoit bien un bois de eocotiers assez piltores- 
que; a*ais, comme aux Canaries, c'est dans les vallees de 
linterieur de Tile qu'il faut alter admirer la vegetation 
tropicale, do»t le geant est le gigantesque baobab. Malbeu- 
reusement, riatensite de la cbaleur interdit les longues 
courses a pied, el les montures se reduisent k de pet its 
iknes fort ruses d'aitteurs, et fort habiles, quand ils sont 
fatigues, k disposer leurs cavaliers par terre sans leur faire 
aucun inal, simplement en s'agenouillant des quatre niein- 
bres. C'est ainsi que tons, dans Tune de nos courses, nous 
avons ete gracieusement invites a inettre pied k terre. 

San-Iago a encore de magnifiques vallees; on y a crec 
des jardins ou croissent i\ l'envi le cafeier, le gingembre, la 
canne k sucre, le papayer, le gommier, le cocotier, en un 
mot toutes les plantes tropicales. Quelques parties de l'ile 
out ete cependant envabies par les fievres; c'est ainsi que 
la ville de Flibeira Grande, en face de laquelle se p6ebc le 
corail, a du etre abandonnee; les monuments qui restent 
encore debout atlestent que ce dul etre line opulente cite. 

L'ile de Saint-Vincent, plus frequence que San-Iago, 



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(20 SCIENCES ET ARTS. 

n est qu'un entrepot de charbon. Non loin de \k se trouve 
un Hot desert qui est sur notre programme d'exploration et 
qu'il semble dun haut intertU de visiter. L'ilot Branco n'a 
pas 2 kilom. de large; mais rest 1'unique point du monde 
ou Ion ait encore trouve certains lezards herbivores de 
grande faille, les Macroscinques. Comment ces animaux 
se trouvent-ils \k et pas ailleurs? Ne sont-ils pas accompa- 
gnes d'animaux ou de plantes aussi speriaux qu'eux-m<>mes 
;\ l'ilot? L'ilot n'est-il pas le dernier soinmct emerge de 
quelque ancienne terre? Gc sont les points qu'il s'agit 
dexaminer. Notre consul nous fournit un pilote, un guide, 
et nous nous mettons en route. 

L'ilot Branco est une masse de rochers volcaniques qui 
se dresse verticalement au-dessus de la mer; les vagues de- 
ferlent sur lui de toutes parts en produisant d'immenses 
volutes qui lui font, vues de loin, comme une charniante 
eollerette blanche. Bien entendu, le Talisman doit se tenir 
k une distance suftisamment respectueuse de cet ecueil, 
pour ne pas avoir k craindre d'etre jete k la cote par une 
saute de vent. On demande au pilote de quel cote peuvent 
aborder les canots et les baleinieres qui doivent nous de- 
barquer; nous nous apercevons alors que le pilote, qui 
tout le long du chemin nous avait vante l'ilot de Ilazza 
dont il a atTerme la p<Vhe, est fort desappointe de n'aVoir 
pu nous decider a debarquer dans ses domaines ou il a 
affaire; il nest jamais venu ;\ Branco, et ne peut donner 
aucun renseignement. « Eh bien, tu sauras maintenant ce 
que c'est que Branco, lui dit le lieutenant de vaisseau 
Jacquet, nous allons reconnaitre le rocher ensemble, et si 
on se noie, tu scras de la f*Me. » La baleiniere fait le tour 
de Tile et revient sans avoir trouve un endroit ou Ion 
puisse debarquer autrement qu'en se jetant ^t l'eau et ga- 
gnant la ciMe k la nage entre deux vagues. Notre president, 
M. Alphonse Milne- Edwards, reclame lhonneur d'essayer 
le premier ce mode de debarquement; en sonuue tout se 



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LES MONTAGNES DE LA MER. 421 

passe bien, et nous voila prisonniers pour toute une apres- 
inidi. Lilot nest visite que par intervalle par les negres 
qui viennent y guetter des tortues ou y pratiquer une pdche 
rudimentaire. La cOte est tellement abrupte qu'on n'en 
peut faire le tour sans se mettre a I'eau de temps en temps. 
De profondes decoupures descendent du sommet de lilot 
jusqu'ala mer; le vent, soulevant les sables de la c6te, les 
a fait glisser le long des parois de ces decoupures, et les a 
portes peu a peu jusquau sommet du roc; ils tracent ainsi 
dans la lave de longues lignes blanches que Ton prendrait 
de loin pour des depots crayeux. Dans ces sables poussent 
de rares vegetaux, notamment une belle Ascl£piadee, la 
Calotropis prorera, dont les graines servent a nourrir les 
lezards qui avaient attire notre attention sur Tile. Toute- 
fois, un lichen abonde partout, et couvre les roches des 
qu'on s'eleve a une centaine de metres : c'est tout simple- 
ment l'orseille, autrefois si recherchee a cause de la belle 
couleur rouge quelle fournit, aujourd'hui d£laissee,comme 
la cochenille, parce qu'on a reussi a fabriquer artiticielle- 
ment Yorceine, comme on fabrique Yaliza?ine, matiere co- 
lorante de la garance, et que d'ailleurs les couleurs d'ani- 
line, peu solides, mais momentan^ment eclatantes, fonl 
tout a la fois Taffaire des personnes elegantes qui jugent 
qu'une toilette ne doit pas durer plus dune saison T et cello 
des negociants qui n'ont jamais cherche a r£soudre le 
probleme de faire durer un sieclelafrafcheur d'une etoffe. 
Branco s'eleve a 500 ou 600 met. au-dessus du niveau de 
la mer; nous avons essaye d'arriver au sommet de l'ile: 
mais une muraille verticale de 100 metres de hauteur ro- 
siste a tons nos efforts. D'ailleurs, nos recoltes de plantes 
et d'animaux sont faites, grace a nos matelots, car notre 
guide ne eonnait, lui aussi, que Razza; de plus, il a peur 
des lezards, et s'enfuit de son c6te tandis que le lozard se 
sauve du sien. 

Un detail donnera une idee de l'intensite de la cha- 



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i22 SCIENCES ET ARTS. 

leur du soleil, dont nous ne nous f'aisions pas d'ailleurs 
nous-m£mes une juste idee. Un pic de fer abandonne sur 
le sable n'a pu etre pris a la main, quand il s'est ag-i de 
reembarquer. En somme, il resulte de notre examen que, 
pas plus que les Canaries, les lies du cap Vert n'ont ete rat- 
tachees a l'Afrique a un moment donne; ce qu'on y trouve 
y a 6te importe par I'homme, les oiseaux, les vents ou la 
mer, et tout porte a penser que ces iles sont les plus 



Figure 10. — Un bouquet de Sargasses (1/5 de la grandeur naturelle). 

bauts sommets dune chaine de montagnes sous-marines 
qui court le long du littoral europeo-africain et que nous 
avons pu suivre longtemps entre le 17 e et le 18° ineridien. 
D£sormais, le Talisman descend vers le Sud et, se diri- 
geant vers l'Am&'ique, penetre dans cette region peu visitee, 
couverte d'herbes flottantes, qu'on nonime la mer des Sar- 
gasses. Mais il n ? y a pas a craindre que lhelice de notre 
navire se prenne dans les rameaux de ces algues (fig. 10). 
Les Sargasses ne se rassemblent que rarement en masses 
compactes; elles salignent par touftes paralleles a la direc- 



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LES MONTAGNKS DE LA. MER. 423 

tion du vent, de la grosseur d'un nid de pie environ el 
distantes de deux a trois metres les unes des autres. C'est 
dans cette region de la mer des Sargasses que se trouve 
la profondeur la plus grande que nous ayons trouvee : 
6,067 met. Nous y avons eu aussi des malheurs; un beau 
jour, la rupture dun cable de fer a occasionne la chute 
de la pouliequi soutenait le ca^le d'acier de la drague; la 
poulie est tombee si malheureusement que le cable d'acier 
a et£ coupe net; nous en avons laiss6 4,000 met. a la mer 
sur 12,000. Nous n'en continuons pas moins a draguer 
sur les fonds de 1,200 a 2,500 m<H., reservant pour la fin 
de la campagne les coups plus hardis a 4 ou 5,000 met. qui 
peuvent nous enlever nos derniers morceaux de cable et 
que nous pouvons tenter dans le golfe de Gascogne. Nous 
arrivons ainsi, apres vingt et un jours de pleine mer, aux 
Acores, et c est la belle He de Fayal que nous abordons la 
premiere. 

Je dis la belle ile de Fayal, car c'est la premiere fois 
qu'une He ou nous allons aborder nous oflre a contempler 
de la mer un riant paysage. Le port de Fayal s'appelle la 
Horta, c*est-a-dirc le jardin, et rien nest mieux merite que 
ce nom gracieux. Du rivage le sol semble decoupe en une 
infinite de cases regulieres, bordees de murs. Ges murs 
sont, en r^alite, de superbes haies d'hortensias en fleurs 
entourant des plantations d'orangers. Les oranges sont, en 
eflet, la grande culture des Azores : la seule ile de San- 
Miguel expediait naguere chaque annee 2(0 millions 
d'oranges en Angleterre; mais les orangers ont ele malades, 
l'Espagne et l'Algerie ont pris la place des Acores, et, quoi- 
que les orangers se portent bien aujourd'hui, les Acores 
n'ont pu regagner encore le terrain perdu. La population 
des Acores est des plus sympathiques. Les vieux usages 
sont partout religieusement respectes et, chez le paysan 
comme dans la petite bourgeoisie, les costumes sont eux- 
memes demeures immuables. Jeunes etvieilles, les femmes 



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424 SCIKN'CES ET ARTS. 

sont entitlement enveloppe>s par un manteau de drap 
bleu fonce qui est un modele de discretion. La capuchon a 
souvent pres dun metre de hauteur, et une baleine arquee 
le maintient constamment dresse\ A San-Miguel, le capu- 
chon est un peu moins vaste, quoique encore de belle 
taille et fort sufhsant pour garder, dit-on, beaucoup de 
charmants secrets. 

Les Acores sont des ties volcaniques ou l'activit6 souter- 
raine est peut-etre plus grande encore qu'aux Canaries ; 
elles ont ete de la part de notre compatriote, Tillustre 
geologue Fouque, lobjet d'etudes des plus remarquables. 
Frequennnent, les eruptions sous-marines sont assez vio- 
lentes pour constituer des iles nouvelles qui ne r£sistent 
malheureusement pas a Taction des flots. Les Azores doivent 
pourtant incontestablement leur origine a des pheno- 
menes volcaniques se produisant sans doute au sommet 
de la chalne sous-marine que nous avons suivie des Cana- 
ries au cap Vert. A Fayal, les crateres s'avancent jusque 
dans la mer, et Tun deux, la Caldeira de Inferno, ou Chan- 
diere d'Enfer, sert souvent de refuge aux petits bateaux 
durant les tern petes furieuses qui se dechainent autour de 
larchipel. I>e plus beau cratere, la Grande Caldeira, est situe 
presque au centre de Tile. On y arrive facilement par des 
pentes douces couvertes de mousses, de lycopodes, de 
bruyeres, sous lesquelles les blocs de lave se devinent aux 
inegalites du sol. Rien ne decele Tapproche du cratere; 
tout a coup, au sommet des pentes, on se trouve en presence 
d'un colossal entonnoir, dun immense gouffre ayant 
2 kilom. de diametre et 400 met. de profondeur. La cr£te 
qui l'entoure s'eleve a 1,042 met. au-dessus du niveau de 
la mer. Les parois de l'entonnoir sont presque verticales, 
quoique inegales;une abondante vegetation lesrecouvre; 
il n'existe qu'un seul passage, le lit etroit dun torrent, par 
lequel il soit possible de dcscendre dans le cratere. Au fond 
de cette enorme vasque, les eaux se rassemblent en une 



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LKS MONTAGNKS DK LA MER. 425 

sorle de lac, habite par des poissons rouges, et entoure do 
paturages ou s'engraissent de superbes moutons. Deux 
crateres secondares s'elevent au-dessus du fond du cra- 
tere principal, Inn deux parfailement regulier, l'autre 
convert dun impenetrable fourre compose principalement 



Figl'Rk 11. — Le Lac de Sete-Cidades a San-Miguel (Azores). 

de faya, ces arbrisseaux si communs aux Arores el aux- 
quels Tile doit son nom. 

Si imposants qu'ils soient a Fayal, les phenomenes vol- 
caniques n'y reverent pas encore un aussi grandiose aspect 
qua San-Miguel, la plus riche des neuf lies composant 
l'archipel des Acores. La, a une epoque incertaine, sept 
villages furent engloutis dun seul coup, laissant a leur 
place un lac nomme le lac des Sept-Villes ( Sete-Cidades i, 
on pourrait meme dire deux lacs unis seulement par un 



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12(5 SCIENCES ET ARTS. 

etroit chenal. Le lac cmplit entierement le fond de l'en- 
tonnoir dans lequel il est situe et dont les parois sont 
revalues, comme celles de la Galdeira de Fayal, dune 
riche vegetation. Un chanuant village entoure de bois est 
pittoresquement situe tout au bord de 1'eau. 

A Sete-Cidades,onne trouve aucune trace d'une activite 
volcanique actuelle; il en est tout autrement k Furnas, a 
l'autre bout de Tile. La aussi se trouve un lac rappelant 
celui de Sete-Cidades, mais il est alimente par une riviere 
d'eau cbaude ; des bulles de gaz traversent incessamment 
ses eaux transparentes oil vivent, malgr£ les conditions 
deTavorables que sembleraient devoir leur faire des gaz 
mephitiques, un nombre assez considerable de plantes, de 
mollusques et meme de poissons. Sur les bords du lac une 
haute colonne de funi^e indique la place ou jaillissent 
comme d'une fournaise des gaz brulants identiques i 
ceux qui constituent les fumerolles du pic de Tenerifte. 
Une colline domine le lac, et 1& on pourrait se croire en 
presence dune perpetuelle eruption volcanique. Le sol, 
forme de ponce dcsagregee, est tout parseme de cristaux 
de soufre; un perpetuel grondement souterrain t£moigne 
de l'activite de la fournaise; par place apparaissent des 
puits remplis d'une eau bouillante que soulevent a grand 
bruit, comme dans les geysers d'Islande, d'enormes co- 
lonnes de gaz. L'eau est & la fois si chaude et si min£ra- 
lisee quune enfant tomb6e dans Tun de ces trous fut en 
une demi-heure reduite h son squelette, sans qu'il fut pos- 
sible de la ressaisir. Les enfants jouent d'ailleurs con- 
stamment autour de ces sources d'eau bouillante, qui 
sont presque au ras du sol, et s'amusent a en surexciter 
l'activite naturelle en jetant dans les puits des mottes de 
terre ou des cailloux. 

Rien nest plus emouvant qu'une promenade au clair de 
lune dans cette region des sources. Un immense brouillard 
aux allures fantastiques enveloppe la vallee; une chaleur 



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LKS MONTAGNKS DE LA MKK. i27 

humide semblable a celle d'une salle de fete vous penelre; 
les vagues odours dune atmosphere sulfureuse vous eni- 
vrent, tandis que s'agitent, comme dimmenses fantomes, 
au milieu dun efTroyable tumulle, les colonnes de vapeur 



Fir.tf'RE 12. — Les sources jaillissantes <l*eau chaude a Furnas 
(ile San-Miguel). 



qui selancent du sol. On reve ainsi l'infernale vallee de 
la nuit de Walpurgis. 

Furnas est cependant la station elegante des Azores; ses 
sources sulfureuses et carbonatees, si soigneusement etu- 
diees par M. Fouque, ont ele captees en partie et ame- 
nagees pour les besoins dun etablissement thermal ; la vallee 
elle-meme, grace aux soins eclaires de deux riches pro- 
prietaires, M. Boghes et M. Jose do Canto, a ete transformed 
en un vaste jardin ou se pressent les plus splendides speci- 



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428 SCIENCES ET ARTS. 

mens de la vegetation des regions tropicales et temperees. 

Hien n'est fertile, en effet, comme ce sol, presque vierge, 
forme des detritus des laves, arrose par d'abondantes 
pluies et ou la vegetation est favorisee par une tempera- 
ture presque toujours egale. Hien n'est primitif cependant 
comme les instruments agricoles. Les charrois se font a 
l'aide de voitures dont les roues pleines sont tout simple- 
rnent un disque coupe dans Ie tronc d'un arbre, et Ion 
rencontre k chaque instant sur les routes des paysans 
qui vont a leurs affaires dans une sorte de chaise roulante 
attelee d'un mouton. 

Avant peu, sans aucun doute, toutes les collines des 
Acores serontcouvertes de belles forets; car, chaque annee, 
des pepinieres des riches proprietaires de Tile partent des 
milliers d'arbres appartenant aux essences les plus varices 
qui vont accroitre le domaine forestier. Dans quelques 
annees aussi, on pourra eonsiderer les Acores comme le 
lieu de rendez-vous des flores de to us les pays, comme un 
vaste musee botanique. II n'en a pas toujours ete ainsi. Au 
debut, presque tons lesanimaux, presque toutes les plantes 
des Acores etaient europcens, quelques-uns ne se trouvaient 
pas en dehors de Tarchipel, un tres petit nombre pro- 
venaient manifestement d'Amerique. Gette predominance 
des animaux europeens a suscitc bien des contro verses au 
sujet de lorigine des Acores. Les uns ont voulu y voir la 
preuve que ces lies etaient autrefois relieos a TEurope; 
mais nous avons vu que les archipels oceaniques semblent 
distribues plul6t sur une chaine de montagnes parallele a 
la cote que sur un prolongement du continent europeo- 
asiatique. II f and rait un soulevement de plus de 4,000 met. 
pour combler le chenal qui separe les Acores de l'Europe. 
Sans doute de tels soulevements sont possibles. Les Alpes 
ne remontent qu'h une epoque relativement recente de la 
vie de notre planete, et, dans la premiere partie de lepoque 
terliaire, les Pyrenees etaient, en partie, couvertes par la 



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LES MONTAGNES DE LA MEIt. 429 

mer. Mais rien dans la constitution geologique des archi- 
pels oceaniques n'autorise h penser quils ont jamais etc 
portes&une altitude qui, pour lepic deTeyde, parexemple, 
serail presque le double de celle du Mont-Blanc. Aucune 
trace de l'Atlantide, cette terre situ« ; e entre l'Furopc et 
l'Amerique qif auraient visitee les anciens Phenieiens, n'a 
pu tMre retrouv^e, et tout indique que les archipels que 
nous venons de visiter ont £te £dities piece a piece sur la 
cr«Me des montagnes sous-marines. On a d'ailleurs la preuve 
que plusieurs de ces lies etaient d'abord fragmentees en 
plusieurs parties qui ont ete peu k pen r^unies; que quel- 
ques-unes ont e'prouve des soulevements loeaux, et que des 
sominets nouveaux, actuellement en construction, pour 
ainsi dire, altendent sous les (lots qu'une Eruption finale 
leur donne droit de cite parmi les terres stables. 

Les Azores sonl la derniere station du Talisman. Huit 
jours seulement nous separentde l'epoque fixec pour noire 
rentree. Ce n'est pas trop pour fouiller les localities les plus 
profondes du golfe de (iascogne avant de gagner Roche- 
fort; les derniers coups de drague sont donnes u 4,000 et 
5,000 metres. Parlout la vie se montre h profusion. En fin 
le moment est venu de jeter pour la derniere Ibis les 
engins. (Test notre adieu a la mer; elle nous le rend en 
garnissant nos filets dun magnifique lot de grandes et 
belles Encrines vertes, de ces Palmiers nains qui avaient 
si fort £tonne (iuillard, au sifccle dernier, et dont on ne 
soupQonnait pas rexistence si pres des cotes de France. 

Le 31 aout, h 3 h. de 1'apres-midi, le Talisman rentrait h 
flochefort aprfcs trois mois pleins de campagne. 

Kimono Pehiuer, 

Professeur au Museum, 
Membre du Club Alpin Fraurais 
(Section de Paris. 



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LA MUSIQUE PRIMITIVE 

CONSERVEE PAR LES MONTAGNES 



Lorsque notre clier vice-president M. Durier m'a pro- 
pose de prendre la parole devant vous, mon premier mou- 
vement a etc de lui en cMre reconnaissant et d'aeeepter 
sans hesitation. 

C'etait la une occasion pour moi de me rapprocher de 
mes collegues et de leur exprimer tous mes regrets de ne 
pas m'<Mre retro live* plus souvent avec eux depuis la tres 
agreable excursion deBeauvais. Ces regrets, permetlez-moi 
de les formuler ici de la maniere la plus vive et la plus 
sincere. 

Mon second mouvement, apres avoir accepte, a ete" celui 
dun serieux embarras. Que pourrais-je bien dire a l'audi- 
toire empress(§ qui vientici chaque mois entendre des con- 
ferences si interessantes et si instructives? 

Je ne suis que musicien... comment m'y prendre pour 
parler musique devant une societe qui s'occupe avant tout 
des montagnes? J'ai consulte mes plus lointains souvenirs; 
car longtemps avant d'avoir l'bonneur d'etre membre du 
Club, j'ai aime la montagne et j'ai ador£ les ascensions. 

1. L'article qu'on va lire est la reproduction d'une conference faile 
l'liiver dernier, devant les membres dela Section de Paris, par M. Bour- 
fMuU-Ducoudrny. professeur au Conservatoire national de musique, 
nienibre du Club Alpin Francais. 



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LA MUSIQUE PRIMITIVE CONSERVE PAR LES MONTAGNES. 431 

Or, dans toute ma earriere dalpiniste, jo n'ai pu relrouver 
que trois impressions ayant rapport & la musique. 

Jemesouviensqiruno fois, voyageant dans les Pyrenees, 
jetais aecompagno dun guide qui avait vraiment une belle 
voix. Je lui demandai s'il ne connaissait pas quelques chan- 
sons du pays. « Jen sais une tres jolie, me repondit-il. 
— Comment s'appelle-t-elle? — La chanson de la belle 
Eleonore. — Eh bien, mon ami, chantez-moi la chanson 
de la belle Eleonore. » Quelle ne fut pas ma stupefaction 
quand j'entendis ce montagnard entonner d'une voix eon- 
vaincue le Miswere du Trouvere... 

Mon second souvenir se rapporte h une ascension fort 
interessante que j'eus le plaisir de faire dans le memo 
voyage : celle de la Maladetta. 

Lorsqu'on fait lascension du pic d'Aneto, on emploic 
deux jours pour toute I'excursion. A la tin de la premiere 1 
journee, on couche gen^ralement au pied de la montagne, 
dans un endroit excessivement pittoresque qu on appelle 
la Rencluse. J'ai conserve une tr£s poetique impression 
de la nuit que j'y passai. Les guides avaient allume un 
grand feu. Assis autour, en cercle, ils chanterent toute la 
nuit. Leur silhouette, se d£tachant en vigueur sur la 
ilamme, prenait a mes yeux des formes fantastiques, dans 
le demi-sommeil ou j'6tais plongtf. Je dormis fort peu ; mais 
je passai Isi une nuit delicieuse, beretf dans ma reverie par 
les chansons des guides que soutenait raccompagnement 
obstine* du torrent. Quant aux chansons en elles-memrs, 
elles tiraient tout leur m^rite de la po£sie du milieu. 
Aucune d'entre elles ne me frappa particulierement; dou 
je conclus qu'ellos n'avaient pas une originalite bien 
accentuee. 

Mon troisiemo souvenir date de Suisse. 11 est lie a une 
circonstance dramatique, presque perilleuse... mais vous 
n'ignorez pas qu'on n'est pas alpiniste si Ton ne sait pas 
braver le danger. 



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432 SCIENCES ET ARTS. 

Apres avoir fait le tour du Mont-Blanc, par Chamonix, 
le col du Bonhomme et Cormayeur, nous avions parcouru, 
mes compagnons et moi, la valine dWoste jusqu'a Cha- 
tillon. Puis, remontant le val Tournanche, nous voulions 
franchir le col de Saint-Theodule pour aller a Zermatt. 
An passage du col, qui se trouve a Taltitude tres respec- 
table de 3,300 met., notre situation devint critique. Une 
couche de neige, tombee pendant la nuit, masquait les 
crevasses, sans etre assez r£sistante pour nous empeeher 
d'y tomber, si nous avions mis le pied dessus. De plus, 
un epais brouillard nous plongea dans une obscurite 
profonde; on n'y voyait pas a quatre pas, et, juste a 
l'endroit le plus dangereux du glacier, les guides nous 
declarerent qu'ils etaient completement egares. Heureu- 
sement, nos guides savaient se servir de leur voix : au 
moyen dun cri musical, que je crois encore entendre 
resonner en ce moment, ils consulterent les ecbos, recon- 
nurent la position des montagnes, et, parvenant ainsi a 
s'orienter, retrouverent la bonne route. Quelques minutes 
apres, nous frappions a la porte d'une ch^tivecabane situee 
au milieu du glacier; c'elait le salut. Dans cette cabane 
babilaient deux jeunes filles; Tune d'elles etait la fiancee 
dun de nos guides. Aussi ai-je toujours pens^ que si le 
cri musical renvoye par l'ecbo nous avait fait retrouver 
notre route, ie petit dieu malin pouvait bien avoir contri- 
bue lui aussi a nous tirer d'embarras. 

Voila a quoi se bornent mes souvenirs! 

Assurement, ils ne suffisent pas pour prouver Texistence 
dune musique originale dans les montagnes. 

Je pourraisbien vous dire que les montagnards chantent 
dordinaire dans un diapason eleve, qu'ils se plaisent dans 
les longues tenues, que leur style de chant est propre a 
vaincre les grandes distances et a franchir les vastes 
etendues. Je pourrais vous parler de certains instruments 
usites dans les montagnes de Suisse : du « cor desAIpes », 



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LA MUSIQUE PRIMITIVE CONSERVES PAR LES MONTAGNES. 433 

qui est surtout un instrument de perception de l'imp6t pre- 
leve sur le voyageur partout ou il y a un 6cho c£lebre; de 
I'odieux accoi'deon, qui, lui, est un instrument de torture 
pour les musiciens et dont le bruit nasillard vous persecute 
jusque dans les glaciers... Mais tout ceci rentrerait dans un 
cercle dobservations banales, et je voudrais vous parler or 
soir dun sujet interessant et peu (Hudie. 

Celu i qui n'a voyage que dans les montagnes « on tout 
le monde va » peut dire qu'il n'y a pas de musique origi- 
nale dans ces parages. Comment y en aurait-il? Trouvc- 
t-on de 1'berbe et des fleurs dans les sentiers battus? 
Pout-on surprendre les £panchements de la muse popu- 
late, la ou les touristes ont transplants le confortable, les 
garcons de cafe et les chemins de for? 

Heureusement, il y a des contrees montagneuses « ou 
tout le monde ne va pas ». A defaut de confortable, on y 
rencontre des traditions, des legendes et une musique 
pleine de savour. Cest de cette musique que je veux vous 
entretenir. 

II existe dans certaines contrees, et principalement dans 
les regions montagneuses de TEurope, une musique tres 
curieuse, tres originate, et qui merite d'&tre appel£e pri- 
mitive, car tous les caracteres qu'elle pr£sente font croire 
avec vraisemblance qu'elle remonte a la plus haute anti- 
quite. Cette musique offre ceci de curieux qu'elle nest 
pas construite dans lesysteme de notre musique moderne, 
mais dans le systeme de la musique antique et du plain- 
chant qui en derive. 

On la rencontre fr£quemment en Greco, en Irlande, en 
Kcosse, dans le Pays de Gallos, et aussi dans la Bretagne 
armoricaine. 

Je n'ai pasbesoin d'entrerdans de longs dtfveloppements 
pour vous expliquer pourquoi c'est dans les montagnes 
plutot quo dans la plaine qu'on doit cherchor la musi- 
que primitive. Le simple bon sens suffit a en decouvrir la 

AXNUAIRE DK 188-1. 2H 



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434 SCIENCES ET ARTS. 

raison. II est evident que, toutes les fois qu'un pays a ele 
envahi, les conqu£rants se sont installes de preference dans 
les plaines grasses etfertiles; les vaincus au eontraire onl 
ele surs de trouver un refuge dans les inontagnes, en 
raison de leur sterrlite. Or, si les inontagnes ont servi 
d'asile aux races primitives, il nefaut pas s'etouner qu'on y 
rencontre la musique que ces races ont conserve . 

Ce mot me rappelle une expression heureuse de notre 
spirituel vice-president. Lorsque je lui soumettais, non 
sans hesitation, le sujet de cette causerie, il s'ecria d'un 
Ion rassurant : « Votre sujet? il est magnifique! Les inon- 
tagnes sont les conservatoires de la musique primitive ! » 

Toutefois il faut sexpliquer sur ce nom de conserva- 
toire donne aux inontagnes. II est Evident que si la mu- 
sique primitive avail rencontre ailleurs des conditions 
isolantes aussiefficaces, elle s'y serait conserve tout aussi 
bien. Ainsi rimmobilite de la liturgie catholique a per- 
petue chez nous la tradition des modes de la musique 
antique; ces modes se sont conserves dans l'Eglise, tandis 
(jue la musique profane, qui d£coule de la meme source, 
subissait des transformations profondes et marchait dans 
une voie de plus en plus eloigned de son point de depart. 
Mais on peut dire que le chant liturgique est un moins bon 
conservatoire de la musique primitive que la montagne ; et 
voici pourquoi : le plain-chant, dans lequel revivent les 
modes de la musique antique, a perdu son rythme, tandis 
que Ion trouve dans les melodies des pays de inontagnes 
lous les modes de la musique antique unis aux rythmes les 
plus francs et les plus varies. Pendant bien des annees, 
jai r&ve dune musique diflerente de la n6tre qui, a toute 
la saveur des modes antiques, joindrait cet element d 'ex- 
pression incomparable qui sappelle le rythme. 

Jai passe, Messieurs, par une longue p£riode de dou- 
ioureuses et laborieuses recherches avant de faire cette 
bonne rencontre. 



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LA MUSIQUE PRIMITIVE CONSERV^E PAR LES MONTAGNES. 435 

J'essayais bien dassouplir les melodies gregoricnnes, en 
leur restituanl le rytlime qu'elles ont perdu ; mais, hesitant, 
incertain, je me sentais d£courag£ par le caractere arbi- 
trage de cette restitution, et je retombais des hauteurs de 
mon reve plus malheureux quavant. Je devais soulfrir 
aVant de jouir : rest dans l'ordre! Presque toujours, lors- 
qu'on est appele a posseder quelque chose qu'on desire 
ardemment, il faut soupirer tr6s longtemps avail t d'arriver 
au inornent des epousailles. La rigueur de l'epreuve ne 
fait qu'ajouter a la volupt£ de la possession. 

Le commandant Prudent me parlait dune analogic qu'on 
remarque dans lhistoire de la musique et dans celle de 
rarchitecture. Toutes les cath£drales gothiques sont encore 
debout : limmobilite du culte catholique les a presences. 
Au contraire il ne reste qu'un trfcs petit nombre d'^diiices 
gothiques ayant une destination laique; presque tous out 
riisparu, emport^s par le courant de la vie. 

Pour en revenir a mon r<)ve, je caressais celui d'une 
musique entrevue dans le plain-chant et qui aurait une 
destination profane, et je me disais que, sije devais la ren- 
contrer quelque part, ce serait sur le sol de 1'Attique. 

Ce pressentiment 6tait vrai. Un jour (pie je me prome- 
nais tout simplement dans les rues d'Athenes, sans songer 
a faire la moindre d£couverte, je dressai l'oreille; j'enten- 
dais resonner une melodied'un caractere entierement nou- 
veau pour moi. Cette m^lodie <Hait jouee par une flute. Je 
me retournai et demeurai immobile. Des bergers, qui d'ordi- 
nairedescendentdelamontagne a cette £poque del'annee, 
sedivertissaientendansant.Ilsformaientunchoeurdedanse, 
au centre dtiquel £tait place le flutiste (|ui maniait linstru- 
ment favori des Grecs depuis le temps dHomere. 

L'air qui me frappa avait un accent et une allure tout 
particuliers. 11 debutait par une sorte d'introduction dans 
un mouvement un pen lent; puis, par une gradation insen- 
sible, il se transformait en un rytlime d'un caractere entrai- 



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436 SCIENCES ET ABTS. 

nant et joycux; mais ce qui m'enchanta, e'est que cette 
m£lodie si rythmic ot si vive etait dans un mode absolu- 
m ent etranger a la musique moderne... Je possedais enfin 
l'objet de mes voeux ! 

Je le declare ici: si j'avaisgagnelegroslotde 500, 000 francs, 
je naurais pas ete aussi heureux qu'en entendant eetfe 
musique-la! 

Quelques jours apres, il y avait une f£te au Pentelique. 
Grace arexcellente hospitalite que m'avait donned M.Emile 
Burnouf, alors directeur de l'Ecole d*Ath&nes, j'etais ren- 
seign£ sur toutes les circonstances qui pouvaient servir 
mes etudes. Je me rendis avec empressement a cette fcMe. 
La encore, j'entendis jouer et chanter des airs de danse 
dans les modes antiques. J'avais done acquis cette convic- 
tion qu'il existait de notre temps une musique rythmee 
descendant en droite ligne de la musique de l'antiquite. 

Le bon souvenir musical que j'ai gard£ du Pentelique 
en eveille un autre chez moi. Je lis l'ascension de cette 
montagne avec un veritable enthousiasme. Ce n'est pas le 
moment de la decrire, surtout apres la conference si ehar- 
mante que notre vice-president M. Durier a faite ici m6me 
sur ce sujet. Permettez-moi seulement de me rappeler 
limpression extraordinaire que me causa la vue des cdtes 
de la Grece, avec leurs decoupures si gracieuses et si deli- 
cat es. On comprend qu'un peuple ayant sous les yeux une 
nature aussi elegante Tait peuplee de dieux et de demi-dieux. 

11 y a aussi, dans ce beau pays, une singularity qui me 
frappa : e'est la couleur extraordinaire des terrains, qui 
revfctent parfois lapparence et leclat des pierres precieuses. 
Tant6t, ils sont d'un rouge vif ; tant6t, d'un bleu d'outre- 
mer; tantdt, dunjaune gomme-gutte ; et ces couleurs 6cla- 
tantes se fondent toujours dans un ensemble harmonieux, 
encadre dans une mer admirable et dans un ciel dun 
bleu vcrddtre. Si j'appuie sur le mot verdatre, e'est que je 
trouve qu'il y a un rapport intime entre laspect du ciel de 



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LA MUSIQUE PRIMITIVE C0NSERV&E PAR LES MONTAGNES. 437 

l'Attique et l'impression des modes de la musique grec- 
que. 

La musique populaire que j'avais entendue en Gr&ce 
mavait tellement frappe\ qu a mon retour en France je 
demandai une mission au gouvernement. Je l'obtins, et, k 
mon deuxifcme voyage, qui ne fut pas un voyage de fUnerie, 
je travaillai enormement. J'eus la chance de faire une ample 
recolte de melodies populaires; je visitai non seulement 
Athfcnes, mais Constantinople et Smyrne, oil je trouvai 
d'admirables specimens de chants dans les modes antiques. 
Je fus aussi k Megare, et \k non seulement je recueillis 
des chants, mais je vis executer des danses populaires fort 
curieuses, evidemment perpeluees par une tradition tres 
ancienne et dans lesquelles sum vent probablement plu- 
sieurs des danses de l'antiquite. 

Un de mes collegues, rempli d'obligeance , et que je 
m'empresse de remercier sil est present dans la salle, 
M. Paul Guillemin, ma envoys une etude sur une danse 
populaire du Dauphine, le Bachu-Ber, sorte de danse de 
l'ep^e qui s'exe>ute encore aux environs de BrianQon. En 
lisant la description qu'en fait M. Guillemin dans son int6- 
ressante brochure, je n'ai pu m'empfteher de faire un rap- 
prochement entre le Bachu-Ber et les danses chorales de 
la Grfcce. 

De retour de ma mission, je n'eus rien de plus presse 
que de publier le r£sultat de mes trouvailles. J'eus la bonne 
fortune de voir mes efforts publiquement approuves et 
encourages; et, k la suite d'une conference faite au Troca- 
d£ro pendant l'Exposition universellede 1878,jefus nomme 
professeur d'histoire g£n£rale de la musique au Conserva- 
toire national. 

Le poste tres honorable que j'avais k remplir dans l'en- 
seignement musical officiel de notre pays donna une impul- 
sion plus grande k mes etudes. 

Oblige de parler de la musique de tous les peuples et 



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438 SCIENCES ET ARTS. 

de tous les pays, je reeueillis de nouveaux materiaux, qui 
me fournirent d'autres rapprochements et elargirent mes 
idees. C'est ainsi que j'etudiai avec l'inteiuH le plus vif les 
chants populaires de la Ilussie, de l'Ecosse, de l'trlande et 
de la Basse-Bretagne. 

Dans la musique populaire de tous ces pays, je reconnus 
des caraeteres absolument identiques a ceux de la musique 
que j'avais recueillie en Gr&ee, et, pour la premiere fois, 
je formulai une hypothfcse qui est devenue aujourd'hui 
pour moi presque une certitude. Si Ton rencontre ehez 
des peuples situes a des extremites differentes de l'Europe 
une musique populaire identique, ne doit-on pas en eon- 
clure que ce systeme musical (trfcs different de la musique 
moderne) provient dune tradition commune a tous les 
representants de la famille indo-europeenne, generale- 
ment designes sous le nom d'Aryens? 

Si Ion pretend que les (irees sunt les inventeurs du sys- 
tfcme, on s'explique mal comment ce syst6me a pu se pro- 
pager jusque dans des contrees si eloigners de son bereeau, 
precis6ment chez les races que leur earaetfcre et leur 
situation isolaient le plus du reste de l'Europe. 

Pour expliquer un ph^nom^ne si curieux, il me semblc 
plus rationnel de penser que ce systeme de musique est 
un patrimoine commun a tous les peuples de race aryenne, 
et qu'il remonte jusqu'a lY»poque lointaine ou la race 
aryenne nYtait pas encore disseininee et se trouvait rfrinie 
dans son bereeau. 

De tous les caraeteres eomniuns a la musique primitive, 
— je pourrais dire k la musique aryenne, — le plusfrappant, 
c'est celni de la modalite, Sa cause d'originalite la plus 
frappante eonsiste dans la pluralite des modes, 

Chacun sait que la musique moderne possfcde deux modes : 
le majeur et le mineur. Ce qui distingue la gamine majeure 
de la gamme mineure, c'est que la position des demi-tons 
n'est pas la m£me dans les deux gammes. 



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LA MUSIQUE PRIMITIVE CONSERVES PAR LES MONTAGNES. 439 

Dans la gamme majeure, le premier demi-lon est place 
entre le 3° degr£ et le 4 C ; le deuxiejne demi-ton, entre le 
7 e degre et le 8 e . 

Dans la gamme mineure, le premier demi-ton est place 
entre le 2 C degr6 et le 3", et le second demi-ton entre le 5 e 
et le 6 C . (Je neglige pour le moment le 3° demi-ton forme* 
par la note 7 C sensible du degre" au 8 e .) 

La difference de la position occupee par les demi-tons, 
tdans les deux gammes, — qui permet a loreille de les di- 
inguer, — donne a chacune d'elles un caractfcre expressifs 
tres different. 

On s'en convaincra tres ais^ment en entendant jouer la 
mOme melodic successivement dans les deux modes. 

Je choisis un air que tout le monde connatt : Au clair de 
la lune. Cet air est en majeur. Je le joue en entier pour 
que vous observiez bien la position des demi-tons : 




Si je le joue maintenant en mineur, le earactfcre change 

i 



^PFf^Fl^^ N^ 




L'air prend une physionomie suppliante, presque lamen- 
table, en tout cas fort £loign£e de la premiere qui n'avait 
rien de m£lancolique. 

Le mode majeur a done son earact£re; le mode mineur 
a aussi le sien. 



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140 SCIENCES ET ARTS. 

Tous les airs construits en tnajeur reproduiront le carac- 
tere expressif du modo tnajeur. 

Tous les airs construits en mineur seront cmpreints du 
caractere expressif propre au mode mineur. 

On peut conclure de la que la plurality des modes est 
une cause de variele dans lexprcssion musicale. 

Maintenant, le tnajeur et le mineur sont-ils les deux seuls 
modes possibles? Ne peut-on concevoir dautres gammes 
ou les demi-tons occuperaient des positions differentes? 
Evidemment oui. 

Dans l'gchelle fixe form6e par les touches blanches dun 
clavier de piano, les demi-tons occupent une position in- 
variable; ils se trouvent places de mi a fa et de si a ut. Si 
je construis successivement une gamme sur chacune des 
sept notes de loclave, il est Evident que, dans chacune de 
ces gammes, la position des demi-tons changera. 

Gonstruisons une gamme en prenant la note mi comme 
point de depart ; le demi-ton mi fa se reneontrera au pre- 
mier degre de la gamme. 

Si je construis une gamme sur la note re, le demi-ton 
mi fa se trouvera reporte entre le 2 e degr6 et le 3 e . 

Si je la construis sur ut> le demi-ton mi fa va se trouver 
place entre le 3 e degre et le 4°. On peut done former autant 
de gammes differentes qu'il y a de notes dans l'octave. 

Dans chacune de ces gammes, la position des demi-tons 
changera. Chacune d'elles sera dou6e d'un caractere ex- 
pressif different. 

II est clair,d'apres cela,qu'un systeine musical sera d'au- 
tant plus.riche au point de vue de Texpression meModique, 
qu'il usera dun plus grand nombre de gammes ou de 
modes differents. 

Sous ce rapport, la musique primitive offre plus de res- 
sources que la musique moderne, car celle-ci n'a que deux 
modes, tandis que la musique primitive en a sept. 

Pour vous faire mieux appr^cier la difference de carac- 



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LA MUSIQUE PRIMITIVE CONSERVEE PAR LES MONTAGNES. 441 

lere qui distingue les modes, je vais vous jouer la m£me 
melodie harmonised? dans les sept modes tie la musique 
primitive et dans les deux modes de la musique moderne, 
e'est-a-dire dans neuf modes difterents. Dans ehaque 
mode son expression changera. 

Je vais prendre encore un air tres connu, l'air : « J'ai du 
bon tabac! » 

Pour designer les sept modes de la musique primitive, 
jemploierai la nomenclature grecque, car si les Grecs ne 
sont pas les inventeurs de ces modes, ils ont invente du 
moins les noms qui les designent. 

Rien de plus facile a retenir que cette nomenclature. 11 
suffit pour cela de quelques minutes d'attention. 

Trois gammes sont basees sur la tonique : Xhypodorien 
igamme de la sans accidents), qui difTere de notre mineur 
en ce qu'il n*a pas de note sensible; X hypophrygien (gamme 
de sol sans accidents), qui difTere de notre majeur en ce 
qu'il n'a pas de note sensible; Xhypolydien (gamme de fa 
sans accidents), qui difTere de notre majeur en ce que le 
l e degre est sur^leve d'un demi-ton. 

Trois gammes sont basees sur la dominante: le dorien, 
gamme de mi sans accidents; le phrygien, gamme de re 
sans accidents ; le lydien, gamme d'ut sans accidents, qui 
se confondrait avec le majeur si ce dernier n'etait pas base 
sur la tonique. 

Une gamme est baseesurla tie?-ce:\e mixolydien, gamme 
de si sans accidents. 

Voici lair en question en majeur : 



S-j^f-^^fe^ 



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442 



SCIENCES ET ARTS. 



Le voici inaintenant en mineur 



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Le voici en hy pod or ten : 




En hypophrygien 




En hypolydien : 



En dorien : 




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LA MUSIQUK PRIMITIVE CONSERVEE PAR LES MONTAGNES. 413 

En phnjgien : 

J7s 




Eii lydien , 




Vous l'entendez, Messieurs, on passant dans ehacun de 
cos modes, cette petite melodio change de earactere, et sa 
physionomie si connue acquiert nn regain de nouveaute\ 

IVrmettez-moi maintenant de vous soumettre quelques 
exemples d'une valour inusicale plus grand** : il s'agit de 
melodies populaires dans les modes antiques recueillies 
dans differents pays, notammont en Greco, on Irlande, en 
Ecosse, en Russio, en Suede et en Basse-Bretagne. 

En France, il y a certaines regions ou la recolte des 
chants populaires rfoerverait a I'explorateur plus d'une 
surprise et, onlre autros, le pays Basque. J'ai recu au- 
jourd'hui memo, avec unhien vif plaisir, la visile de notiv 
collogue M. Franz Schrader, qui m'a Ires graeieusemenl 
apport£ un air basque ravissant que lui a transmis son ami 
M. Ernest Redon, le compositeur de tanl de charmantes 
ocuvres. 

La contexture de cette melodie est fort singuliere et 
capable de derouter l'homme le plus ferre sur les modes 
antiques; en eftet, c'est une melodie hybride, construite 
dans deux modes difterents : une partie de l'air est concue 
dans le mode hypodorien et lautre dans le mode majeur. 



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-i-4-i SCIENCES KT ARTS. 

(Voir YAir basque & la page ci-apres.) 

Quieonque est exempt de parti pris et sensible aux ac- 
cents de la muse populaire, doit <Hre frapp6 de limpres- 
sion que cause cette m^lodie si etrange, si contraire a 
toutes les regies et pourtant si expressive et si chSv- 
mante. 

Elle commence dans un rythme grave et se termine par 
un trait de fantaisie folle. De meme un visage serieux que 
viendrait <Vlairer tout a coup le plus charmant sourire. 

Maintenant je voudrais vous montrer que le mode hypo- 
dorien (mode mineur sans note sensible) existe dans la 
plupart des pays dont j'ai parle tout k Theure. Je vais 
commencer parprier madame Prudent de vouloirbien nous 
chanter une melodic grecque, construite dans ce mode. 
Je ne saurais trop remercier madame Prudent de la peine 
quelle a prise pour se familiariser avec la langue grecque, 
ce qui vous permettra aujourdhui, Messieurs, d'entendre 
des melodies populaires de la Grere interpretees dans la 
langue nationale. 

Voici la traduction des paroles: 

« Pleurez mes yeux, pleurez ; pleurez jusqu'il en mourir, 
parce que vous verrezjinc separation; pleurez jusquW re 
que vous en soyez las. » 

i Voir la Melodie grecque aux pages 446 et AA1.) 

Jai recueilli cet air a Smyrne. Permettez-moi de pronon- 
cer ici le nom dune personne dont la collaboration ma 
ete singulierement precieuse en Orient : celui de M me Laffon, 
dont le mari, alors chancelier au consulat francais do 
Smyrne, est aujourd'hui consul a Andrinople. 

Vous savez quelle est la difficult^ la plus grande dans 
la recolte des chants populaires. Lorsqu'on a a sa dispo- 
sition un chanteur complaisant, il ne faut pas £tre un 
bien grand clerc pour ecrire une mt'dodie sous sa dictee. 
Mais ce qui est horriblement difficile, ce qui demande une 
patience inouie, c'est de mettre la main sur une personne 



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LA MUSIQUE PRIMITIVE CONSERVEE PAR LES MONTAGNES. 445 





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1. Cette melodic fait partie <lu recueil : Melodies populates de Grtcc ct d'Orient (Paris. 
Lemoine, editeur). 



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LA MUSIQUE PRIMITIVE CONSERVES PAR LES MONTAGNES. 147 




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4 48 SCIENCES ET ARTS. 

qui ait une memoire tid&le, et no vous fournisse pas une 
marchandise avariee ! En un mot, il est aussi pou coniinun 
do trouver une melodie populairo lidelemont reproduce, 
qu'une coquille parfaitemont intacto sur U 1 rivage do la 
mer. 

Eh bien, M mc Laflbn etait une personne douee dune 
admirable memoire, ot, quand ello m'avait chante un air. 
j'etais sur qu'il avail ete creo" ainsi ot pas autroment; aussi, 
anion retour on France, j'ai fait paraitro dans mon rocuoil 
toutos los melodies qu'olle m avail ohanlees. 

M mc Laflbn ost nee a Chypro. Gotto ilo est fr<§quenteV 
par dos inarins originaires do toutos los provinces greeqm-s. 
qui y # ont implante los chants populaires do lour pays. 
M mc Laflbn, avec la riche memoire dont olio est douee, a 
done pu, dos son onfance, s'assiiniler toute la floro mclo- 
diquo do la (Jroce. 

Je prierai maintenant niadamo Prudent do vouloir bien 
rxecuter une chanson bretonne, oonstruilcegalement dans 
lo ino'de hypodorien. Cotte melodie ni'a etc chantee par une 
ouvriere employee a la papeterie de Belle-lsle-on-Terre(Cotes- 
du-Nord), pendant une exploration musicale que je fis en 
Bretagne en 1881. A ce propos, je dois vous fairo pari 
dun projet que j'ai forme : celui de publier prochaine- 
ment une collection de* chansons populaires bretonnes. 
Si je n'ai pas realise ce projet plus tot, cost que la traduc- 
tion dos paroles bretonnes presentait de serieux obstacles. 
Cost toujours une besogne tr£s delicate que de traduire 
dos paroles destinees a elre chantees; la difficult*} est plus 
grande encore, lorsqu'il s'agit de consorver a un texte 
populairo son parfum de naivete. 

J'ai eu la bonne fortune d'avoir pour collaborates un 
veritable poote, qui s'est acquitte de cotto tache peril- 
leuse avec un rare bonheur, et jo dois remercier du fond 
du coeur Francois Coppee d avoir bien voulu mettre au 
service de la Bretagne son talent si souplo, si delieat et 



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LA MUSIQUE PRIMITIVE CONSERVES PAR LES MOIITAGNES. 449 

si eleve. Du reste, Coppee adore la Bretagne. 11 n'est pour- 
tant pas Breton, car il est ne dans la rue du Cherche-Midi. 

(Voir la Melodie bre tonne a la page ci-apr&s.) 

On trouve de nombreux exemples du mode hypodorien 
dans les chants populaires russes, ecossais et irlandais. 
On en rencontre meme quelquefois en France dans des 
regions non niontagneuses. Car si les traditions primitives 
se sont conservees dans les pays de inontagnes, mieux que 
partout ailleurs, il ne faudrait pas en conelurc, cependant, 
qu'elles aient disparu completement des pays de plaines. 

C'est dans le mode hypodorien qu'est construite la me- 
lodic de la l rc Pylhique dePindareJ'un des rares fragments 
de la musique de l'antiquile qui soit parvenu jusqu'anous. 
Enfin, beaucoup de melodies gregoricnnes sont dans ce 
mode, par exemple, lhymne Sacris solemniis et la sublime 
prose du Dies Irx. 

11 est un autre mode qui se rencontre aussi dans les 
chants populaires de presque toutes les races primitives; 
c'est le mode hypophrygien. 

Je vous rappelle que la gamme hypophrygienne, c'est la 
gamme majeure sans note sensible. Exemple : la gamme de 
sol avec fa naturel. Remarquez que la presence du fa 
nalurel dans le ton de 50/ donne a ce mode quelque chose 
de vague, d'indclini, et en meme temps d'extremement 
profond. L'autre jour, voulant faire comprendre a des 
eleves la difference qui distingue, au point de vue de l'ex- 
pression, le majeur de Y hypophrygien, javais recours a 
cette comparaison : Prenez une phrase a la lin de laquelle 
il y a un point; elle produira un ell'et analogue a celui 
du mode majeur, qui a toujours un sens fini et precis. Au 
contraire,rAy/>o/?^ry^/>»ressemblerait a une phrase termi- 
nee par un point d exclamation. Quand je dis: « Cette 
campagne est belle », je parle dans le mode majeur; mais 
si je dis : « Que cette campagne est belle! » c'est de 
Y hypophrygien. 

ANNUA I RE DK 1884. 20 



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SCIENCES ET ARTS. 



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LA MUSIQUK PRIMITIVE CONSERYEE PAR LES MONTAG.NES. 451 





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SCIENCES ET ARTS. 



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LA MUSIQUE PRIMITIVE! CONSERVE PAR LES MONTAGXES. 453 

Voici une chanson bretonne intitule le Semeur y et 
traduite par Fr. Copp6e, qui est construite dans le mode 
hypophrygien ; elle renferme un couplet qui se termine par 
ces vers : 

J'ai d'un cote la plaine, 
De r autre j'ai la mer. 

Eli bien ! il ^st certain que le mode hypophrygien rend 
admirablement cette impression de vaste etendue, precis£- 
ment parce qu'il ne conclut pas. 

Pour mieux faire sentir la difference qui s£pare Yhypo- 
phrygien du majeur, je veux faire une experience : je vais 
ex£cuter la phrase finale du couplet dans le mode majeur. 

Eh bien! Messieurs, ce n'estplus lamer, c'est une mare. 

Le mode hypodorien et le mode hypophrygien sont extrfc- 
mement repandus en Bretagne. Je ferai remarquer en 
passant que retude des melodies populaires n'est pas inu- 
tile aux personnes qui se prSoccupent de la question des 
races*. J'ai observe qu'en Bretagne il y a deux zones par- 
faitement tranches : Tune ou presque toutes les melodies 
sont dans le mode hypophrygien, Tautre ou Ton chante 
presque exclusivement dans le mode hypodoinen. 

L'hypodorien est un mode s£v&re; les Grecs lui attri- 
buaient un caractdre grave, solennel, et il £tait employe 
dans tous les hymnes chantes en l'honneur d'Apollon; au 
contraire, le mode hypophrygien, d'un caractere enthousiaste 
et passionne, etait reserve aux chants consacres k Bacchus. 
Eh bien ! dans le nord de la Bretagne, ou la population est 
contemplative, serieuse, austere, on chante de preference 
dans le mode d'Apollon. Dans le Sud, ou la race est vive, 
nerveuse et remuante, on chante de preference dans le 
mode de Bacchus. II me semble que cette observation n'est 
pas sans interfct pour un ethnographe. 

Le mode hypophrygien n'existe pas qu'en Bretagne. On 
le trouve aussi en Ecosse, en Irlande, en Russie et en 



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SCIENCES ET ARTS. 



Grece. Un des cinq fragments de musique antique qui nous 
restent, YHymne a N&nesis, est dans le mode hypophry- 
gien. 

Beaucoup d'hymnes de lEglise sont £galement dans ce 
mode, par exemple le Lauda Sion, pour n'en citer quune. 

Le mode hypolydien nest autre chose que la gamme de 
fa sans le si bemol. La presence du si naturel donne a cetle 
gamme quelque chose de dur : le sentiment du majeur 
y est trop intense. 

Ce mode est beaucoup moins repandu que les deux pre- 
cedents. II existepourtant en Suede, dans le pays de Galles. 
et en Basse-Bretagne. Pour vous faire appr^cier son carac- 
tere, je vais prier mademoiselle Moore, Sieve de notre 
Conservatoire de musique, de vouloir bien chanter une 
mSlodie suSdoise extraite du beau livre de Gevaert sur la 
Musique de I'Anliquite. 

Voici la traduction des paroles : « Les lilies de Pehr Tyr- 
son & Wange ont dormi si longtemps qu'& leur rSveil les 
forfcts dSpouillees avaient repris leur couronne de ver- 
dure. » 



Andaotino. 




Pchr TJr . sons dottrar i \V3a 



• «* 




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LA MISIQUE PRIMITIVE CONSEKVEE PAR LES MONTAGNES. 455 




Four bien vous faire appr£cier la difference qui existe 
on I re Yhypolydicn et le mode majeur, je demanderai a ma- 
demoiselle Moore de vouloir bien interpreter une chanson 
eeossaise dans le mode majeur. Si la monlagne a servi 
d'abri aux modes antiques, cela ne I'emp&ehe pas de pos- 
seder aussi le majeur, le mode le plus important de la 
musique moderne. 

La melodic qui va vous <Hre change est extraite d'un 
recueil de melodies 6cossaises, public a Londres. L'An- 
gleterre, qui passe ehez nous pour une nation peu musicale, 
est extrtaiement friande de ses chants populaires. Les 
recueils de chants e>ossais, irlandais, anglais et gallois y 
abondent. Gertaines editions a tres bon marche sont dans 
toutes les mains. 

11 serait grandement a desirer qu'en France, sous ce 
rapport, nous eussions les mceurs musicales de l'Angleterre. 

Avant que mademoiselle Moore ne chante sa m£lodie, je 
vais vous donner la traduction des paroles : 

« Si quelqu'un rencontre quelqu'une, passant a travers 
tin ruisseau, si quelqu'un embrasse quelqu'une, devra-t-on 
crier pour cela? Toute fille a son galant, et moi, dit-on, je 
n'en ai pas. Pourtant tons les garcons me souricnt, quand 
je passe le ruisseau. 

« Si quelqu'un rencontre quelqu'une, revenant de la 
ville, si quelqu'un embrasse quelqu'une, faut-il crier pour 
cela? Toute fille a son galant, etc. » 

(Voir la Melodle tfcossaise a la page suivante.) 



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(58 SCIENCES ET ARTS. 

Jo viens do vous parler de trois modes antiques qui sunt 
lous bases sur une tonique. II me reste k vous dire quel- 
ques mots de trois autres modes qui sont lours proches 
parents, mais qui sen distinguent en ce qu'ils sont bases 
sur une dominante. Cos modes sont le dorien, le phrygien 
et le lydien. 

Le dorien, e'est Yhypodorien base! sur la dominante. 

Le phrygien, rest Yhypophrygien base sur la dominante. 

Le lydien, cost Xhypolydien bas£ sur la dominante. 

Ge qui earaeterise Ies modes bases sur la dominante, 
cost quils no presentent pas de conclusion, le sens musical 
y reste comme suspendu. 

Peu de personnes connaissent cos gammes, et cependant 
nous les entendons employer journellement dans les chants 
d'eglise. Le Pange lingua, par exemple, est dans le mode 
dorien. Ce mode se rencontre assez frequemment dans les 
chants populaires de la Gr£ce et de la Russie. En Bretagne, 
je n'en ai trouve qu'un soul exemple, dans un cantique 
dont le caractere est absolument identique a celui que 
les anciens attribuaient au mode dorien. Les philosophes 
grecs et les Peres de l'Eglise s'accordaient pour reconnai- 
treace mode une expression de virilite, d'austerite, je dirai 
presque de detaehement. Platon l'admet dans sa Repu- 
blique et declare qu'il est pro pre a developper les vert us 
h6roiques. 

Pour vous donner un exemple de ce mode, je vais prior 
madame Prudent d'interpr£ter une chanson russe. Si l'ex- 
pression n'en va pas jusqu'a limpassibilite stoiqw*, en 
revanche vous reconnaitrez comme moi qu'elle est em- 
preinte dun sentiment dune elevation et dune melancolie 
incomparables. 

Voici la traduction des paroles russes : 

« Le soleil s'est eouche derriere les sombres for£ts ; alors 
s'est form£ un nuage sombre, qui a convert tout le eiel... 

« Le soleil s'est couched derriere les sombres forets; le 



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LA MUSIQUE PRIMITIVE CONSERVES PAR LES MONTAGNES. 459 

chant des ojseaux sVsl ralenti... on n'entend plus leur 
voix 1 . » 

Maintcnant, madame Prudent, qu'on ne se lasse jamais 
dentendre, va bien vouioir nous chanter une m£lodie dans 
leinode phrygien que jai recueillie a Smyrne de la bouche 
de M mc Lafibn. Je la considere comme empreinte d'une 
beauts superieure et la recommande vivement a voire 
attention. Jai eerit quelque part que, si cette m£lodie etait 
un morceau de sculpture, sa place serait an Louvre. 

En voici les paroles : 

« Ma petite rose blanche, de grace! nion jasmin toufFu, 
dis-moi, qui a jamais renonce a lamour, dame Marie, pour 
que j'y renonce aussi? 

« Tes yeux noirs, de grace! quand ils se tournent vers moi 
el me regardent, allument des flammes dans mon coeur, 
dame Marie, et je les sens petiller *. » 

Je vois, Mesdames et Messieurs, que je ne suis pas seul 
de mon avis et que vous trouvez i\ cette mcModie un cer- 
tain merite. J'appelle votre attention sur l'impression par- 
(iculiere qui se degage de la tinale. La phrase musical? ne 
se (ermine pas sechement; mais il semble quapres la 
derniere note, la melodie s 'exhale encore comme un doux 
parfum d'amour. 

II me reste a vous parler du mode mixolydien qui, lui, 
nesl base ni sur la dominante, ni sur la tonique, mais sur 
la tiei % ce. 

Ce(te terminaison sur la tierce donne a toutes les melo- 
dies construites dans ec mode (on en trouve frequemment 
dans le chant liturgique) une aptitude speciale a exprimer 
les sentiments de prirre et de supplication. Je vais vous en 
(aire juge. Voici une chanson greeque dont les paroles 
u'ont rien de lilurgique, mais qui vous permeUra d'appre- 

1. Voir le rccucil (le Melodies russcs tie Balakireff. 

2. Voir le recueil ; Melodies populaires de Grew et d'Orient 'Paris. 
Lcmoine, editeur . 



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4tfO SCIENCES ET ARTS. 

oier le caractere propre an mode mixolydien. Jen traduirai 
les paroles : 

« Mais pourquoi ta mere a-t-elle besoin d'une lampe pen- 
dant la nuit... allons, allons, je t'en prie, ne me tyrannise 
pas, pour que je pleure!.,. puisquelle a dans sa maison le 
soleil et la lune ? Allons, allons, je t'en prie, ne me tyrannise 
pas, pour que je pleure x ! » 

Madame Prudent va nous chanter unc derniere melodie 
grecque dans le mode majeur. 

Mesdames et Messieurs, je ne suis certainement pas 
6tonn6 que vous appr£ciiez les belles choses... mais enfm 
je pouvais redout er Timpression causee par une musique 
inusit£e et qui d'abord pouvait d^concerter votre oreille. 
II n'en a rien ete, et je vous avoue lout franehement que 
je suis £tonn£ de la facility aver laquelle vous entrez dans 
les modes grecs. Permettez-moi cependant d'entrem&er 
un peu de majeur parmi les modes antiques, afin de ne pas 
compromettre le succes de ces derniers. 

Voici les paroles de cette melodie : 

« Un petit oiseau, a Taube, pleurait tristement. Oh! 
combien profondement je t'aime ! 

« Parce que son nid etait loinet qu'on lui avait coup£ les 
ailes. Oh! combien profondement je t'aime 2 ! » 

11 ne me reste plus k vous entretenir que dun seul mode 
qui se rencontre frequemment dans le plain-chant et dans 
les melodies populaires, mais qui parait avoir £t£ inusite 
chez les anciens. (Test le mode de re (sans accidents) base 
sur la tonique, mode qu'il faut se garder de confondre avec 
lephrygien qui, lui, est bas£ sur la dominante. 

On trouve de nombreux exemples de ce mode dans les 
pays de race celtique, en Ecosse, en Irlande, dans le pays 
de Galles et en Basse-Bretagne. 

1. Voir le recueil : Melodies populaires de Grece et d'Oricnt (Paris, 
Lemoioe, editeur\ 

2. Voir ibidem. 



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LA MUS1QUE PRIMITIVE CONSERVE PAR LES MONTAGNKS. 4 til 

Le chant que mademoiselle Moore va interpreter- est un 
chant ecossais. 

En voici la traduction : 

« John Anderson, quand je vous vis pour 4a premiere 
fois, vos cheveux etaient noirs comme le corbeau, aujour- 
d'hui votre t&te est chauve et de la couleur de la neige. 
Dieu b£nisse vos cheveux blancs, John Anderson, my Jo ! 

«(John ? nous avons gravi ensemble la colline de la vie: 
ensemble, nous avons passe beaucoup de jours heureux. 
Maintenant, nous descendons de l'autre c6te de la pente ; 
mais nous marcherons la main dans la main, et nous dor- 
mirons ensemble aux pieds de TEternel ! . » 

Pour terminer la seance, mademoiselle Moore va nous in- 
terpreter un chant irlandais dans le mode majeur. Mais ce 
majeur n'a rien de banal:ilaune saveurtouteparticuliere; 
nousl'appelleronSjSi vous voulez, le majeur des montagnes. 

Yoiei le texte de la chanson : 

« Le m£nestrel est parti pour la guerre, vous le trouverez 
dans les rangs de la mort; il a degaine le glaive de son pen 1 , 
et sa harpe sauvage est suspendue derriere lui. « Terre dn 
chant ! » dit le barde guerrier, « quoique tout le monde te 
« trahisse, une ep£e du moins d^fendra tes droits, une 
« harpe fidele te celebrera! » Le menestrel lomba! Mais la 
chaine de l'esclave ne put asservir son Aine fiere ; la harpe 
qu'il aimait n'a jamais parle depuis, caril hrisa ses cordes, 
et dit : « Aucune chaine ne te souillera, 6 loi, inspiratrire 
« de 1* amour et du courage ! Tes chants etaient faits pour 
« les Ames pures et libres, jamais ils ne tomberont en 
« esclavage i ! » 

II ne me reste plus, Mesdames et Messieurs, qua vous 
remercier de la bienveillante attention dont vous avez bien 
voulu mhonorer. Je dois ausside vifs remerciements & mes 
deux aimables interprets, auxquelles vous n'avez pas 

1. Voir le recueil de Melodies Cossaises (Londres, Boosey, editeur\ 
• 2. Voir le rccucil de Melodies iriandaises ^Londres, Boosey, edilcuri. 



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462 SCIENCES ET AllTS. 

menage vos applaudissements, et retail justice, car linte- 
ret principal de cette causerie provient de leur tres pre- 
eieuse collaboration. GrAee ileur obligeance et & leur talent, 
j'ai pu mettre en lumiere les tresors musicaux que renfer- 
ment nos cheres montagnes, et je n'aurai pas perdu ma 
peine si j'ai pu conlribuer ce soir a vous les faire cherir 
encore phis. 

L.-A. BoiRGAULT-DUGOUDRAY, 

Membra du Club Alpin Francais 
(Sec i ion (\o Paris . 



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WTE SUR UN PHENOMENE LUMINEIX 

OBSERVE AU PIC DU MIDI 



J'ai eu l'occasion d'observer depuis le Pic du Midi do 
Bigorre un remarquable ph6nomene lumineux, dont la 
description a etonne les physiciens a qui j'en ai parte. II 
me semble utile de le porter a la connaissance des meni- 
bres du Club Alpin Francois : il recevra sans doute une 
explication qui permettra de le relier a la theorie g6n6rale 
des ph6nomenes meleorologiques. 

Le 30 juillet 1882, j'avais regu du general de Nansouty 
et de M. Vaussenat une gracieuse hospitajite a FObsorva- 
toire tout recemment 6tabli alors au sommet du Pic. La 
journee avait etc belle, mais les nuages avaient de bonne 
heure envahi les somrnets, et Fapres-midi et la soiree s'e- 
taient passes a peu pres constamment dans une brume 
glaciale. Le 31 au matin, apercevant des A b. les som- 
rnets des montagnes tres clairs, je me hatai de sortir 
pour aller admirer le lever du soleil. Dans les bautes re. 
gions, Fair etait dune limpidite pariaile,mais, a 2,000 met. 
environ, une epaisse couche de nuages blancs couvrait la 
plaine, et, presseepar une legere brise de N.-E., penetrait 
dans les anfractuosit6s de la montagne, cachant les vallees 
de Luz, de Bareges et de Gripp, a la bauteur du col du 
Tourmalet. Au couchant, sur le Gabisos, la lune, dans son 
plein, 6tait a quelques degres au-dessus de Fborizon. 



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164 SC1ENCKS ET ARTS. 

Au moment ou le soleil allait se lever, comnienca a se 
dessiner au-dessous de la lune, lc long de Thorizon, une 
zone lumineuse limine en dessus par une courbe en forme 
de branche dhyperbole a axe vertical, dont la lune sem- 
blait occuper le foyer. Le sommet de la courbe etait a peu 
pres a mi-distance entre la lune et lhorizon. En dessous 
du sommet, la lumiere £tait extremement vivo, et allait en 
diminuant d'intensite des deux cdtes, vers le Nord et vers 
le Sud, a mesure que l'hyperbole s'ecartait de Thorizon. 
L'interieur de la courbe 6tait, vers le sommet et autour du 
disque de la lune, dun sombre tres intense qui s'eclaircis- 
sait graduellement, et arrivait, a une certaine distance, a 
se confondre, ainsi que la lumiere de la zone plus eclairce, 
avec la teinte generate du ciel. Ce phenomcne, tres frap- 
pant pendant un instant, dura quelques minutes, et s'ef- 
faca peu a peu, a mesure que la lune s'abaissait, et que le 
soleil s'£levait sur Thorizon. 

La petite brise de N.-E., qui 6tait tres froide avant le le- 
ver du soleil, cessa un instant au moment du lever, mais re- 
prit bientot encore plus glaciale pendant un quart d'heure : 
il 6tait impossible de tenir un crayon. Elle cessa de nou- 
veau, le soleil prit de la force, et la temperature devint 
d£licieuse. 

F^es nuages avaient commence a se dissiper dans la val- 
lee de Bareges a Tabri du col du Tourmalet; presses par le 
vent dans la valine de Gripp, ils passaient par-dessus le col 
etdisparaissaient ensuite. Sous Taction du soleil, la couche 
ne tarda pas a se dissoudre completement, mais en laissant 
a Tatmosphere une singuliere apparence. Les sommets 
restaient d'unc extreme nettete\ mais en dessous du ni- 
veau, demeure parfaitement distinct, que tracait un instant 
auparavant la couche de nuages, les montagnes semblaient 
vues a travers un fluide transparent. On eut dit qu'tuic 
mer extremement limpide remplissait tous les bas-fonds. 
et, pour rendre l'illusion plus complete, quelques flocons 



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ANNUAlRt: DE 1881. 30 



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NOTE SLR UN PHfcNOMENE LUMINEUX. 467 

de brume flottant encore a la surface de cette mer ve- 
naient se coller au (lane des montagnes. 

Cette apparence, tres frappante d'abord, nc tarda pas a 
se dissiper. Des brumes moins nettement d£limitees se re- 
form£rent peu a peu, et dans la journde voilerent, comme 
la veille, les sommets des montagnes. 

Les phenom£nes mdteoriques qui font apercevoir dans le 
ciel des arcs d'hyperbole lumineux, dont la lune ou le so 
leil occupe le centre, sont bien connus; maisje n'ai pas 
entendu dire qu'on en ait observe dans lesquels un de ces 
astres occupat le foyer d'une courbe hyperbolique, enve- 
lopp6 dobscurit£, tandis que la lumiere etait concentric 
au centre de la courbe. C'est la ce qui nVa fait juger inte- 
ressant de signaler cet exemple que j'ai eu l'heureuse 
chance de pouvoir observer; j'ai pens£ aussi qu'il 6tait 
bon de relater les apparences atmosphSriques, qui peuvent 
donner des indications sur Fetal hygrom£trique de l'at- 
mosphere au moment de l'observation. 

A. Bayssellance, 

Mcmbre du Club Alpin Franca is 
(Section du Sud-Ouest). 



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VI 
DE 

L'ECHELLE NATURELLE DES DESSINS 

ET DES PHOTOGRAPHIES 



Dans un numero du Bulletin, mon collogue et ami 
Schrader a parle de ce que j'appelle Yechelle naturelle 
des dessins. Je voudrais dire en quelques mots ce qu'il 
faut entendre par 1& : j'espere que cette notion simple, 
mais que je crois pen oonnue, sinon inconnue, — il n'y a 
rien de nouveau sous le soleil! — pourra £tre utile a eeux 
de nos eollegues qui voyagent avec un album, et rm>me 
h eeux qui pratiquent la photographic. 

Elant jeune oflicier et me trouvant en garnison h Mont- 
pellier, je mettais a profit les loisirs que nous faisait la 
chaleur insupportable des apres-midi dete pour aller au 
Musee ou, tout en goutant la fraicheur que Ton entre- 
tenait soigneusement dans les salles, pour le plus grand 
bien des precieux chefs-d'oeuvre qui s'y trouvent, je m'es- 
crimais de mon mieux a faire quelque copie de maitre. 
A cote des grandes salles qui renferment la collection 
Fabre, plus italienne, se trouvent de charmantes petites 
salles ou Ion a depose la collection Valedeau, qui est plu- 
tot flamande et qui renferme entre autres quelques t<Hes 
d'^tude de Greuze, un Flamand bourguignon. Certain jour, 
je peinais bcaucoup a chercher sur ma toile Vesquisse de 
Tune d'elles. C'est k un detour de ce difficile sentier 



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DE LECUELLE NATURELLE DES DESSINS. 469 

que m'attendait Yechelle naturelle. Je me proposals de 
reproduire mon modele a eehelle egale. Or, il etait a peu 
pros a un metre de moi, et ma toile a cinquantc centi- 
metres seulement. Apres m'£tre bien applique, satisfait 
de mon travail, que je trouvais ressemblant, je me levai 
et me reculai pour en jugcr de plus loin;mais alors 
quelle disillusion ! Tous les defauts de mon trait, inapercus 
lorsque j'etais assis, me sautaient aux yeux. Pour bien m'en 
assurer, et d'instinct, je plagai mon chevalet de maniere a 
le mettre exactement a la m£me distance de moi que le 
modele, et alors, regardant alternativement Tun et l'autre, 
je pus sans peine les comparer et rectifier mon esquisse. 
Puis je me rassis dans ma position premiere ; mais alors 
une impression inverse se produisit : je ne retrouvais 
plus aussi parfaite la ressemblance entre ma copie et l'ori- 
ginal. Cependant, appelant la geomelrie a mon aide, je me 
mis a ruminer et a chercher la cause de ce disaccord 
entre mes deux impressions. 

L'explication est aisee, comme je vais m'eftbrcer de 
l'exposer. Soit a copier un tableau A (ou tout autre objet, 
peu importe pour le raisonnement). Le copiste est au point 
0. Si nous supposons que son rayon visuel suive le con- 
tour a reproduire, cette ligne ideale dans ses deplacements 
successifs d<krira un c6nc, qui sera le c6ne perspectif du 
contour. Placons devant lui a la distance convenable pour 
dessine?* et parallelement au modele une toile B; le c6ne 
perspectif intersectera suivant une certaine ligne le plan 
de la toile; cette ligne, qui est une reduction exacte du 
contour a reproduire, sera a une certaine eehelle, plus 
petite que celle du modele : pour la distance choisie de la 
toile B, cette eehelle est precisement Yechelle naturelle de 
la copie. 

On concoit tres bien que si la toile B 6tait transpa- 
rente et si le copiste restait immobile, il pourrait tracer 
son esquisse en calquant le modele; mais comme la 



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470 



SCIENCES ET ARTS. 



toile (ou le papier) est opaque, il faut la rejeter sur le 
c6te pour d£masquer le modele. Mais alors, si le copiste 
op&re k Techelle naturelle, il aura encore par le fait a 
exScuter un simple caique, ou plutot un decalque. En 
eflet, dans ce cas, apres avoir attentivement eonsidere son 








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module, il reportera son regard sur la toile B'; mais grikce 
k la persistance des impressions sur la retine, si son 
esquisse est k Yechelle naturelle definie ei-dessus, l'image 
de cette esquisse se superposera sur la retine k V image 
persistante du module et leur comparaison se fera d'in- 
stinct et sans effort. Si l'esquisse est exacte, il y aura 
coincidence entre les deux imoges. Si elle est inexacte, au 



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de l'eciielle naturelle des dessins. 471 

contraire, on aura commc la perception (Tun objet qui se 
deforme, surtout si on porte alternativement et assez vite 
les regards de Tun a Tautre objet. 

Que si la copie nest pas a I'echelle naturelle, cetle coin- 
paraison par superposition n'est plus possible, et alors il 
faut faire en soi une sorte de raisonnement g6ometrique 
instinctif pour agrandir (ou rapetisser) la figure imprimee 
sur la ratine par le modele, afin de I'adapter k l'esquisse 
cherchee; il faut eonstamment ouvrir et fermer le c6ne 
perspectif. G'est precis£ment ce qui m'arrivait k Montpellier 
lorsque, etant assis, je cherchais k faire une copie kechelle 
egale, et k moitie distance; chaque fois que, ayant bien 
consider^ mon modele, et ayant par consequent imprime 
son image sur ma ratine, je me reportais k ma copie, il 
me fallait doubler cette image par la pensee pour obtenir 
Tesquisse cherchee, operation que je ne reussissais qu'avec 
difficulte. Mais lorsque je me levais et me reculais pour 
me trouver k egale distance du modele et de la copie, 
celle-ci se trouvait alors a Yechelle naturelle pour sa nou- 
velle distance k mon ceil ; et alors je rectifiais mon esquisse 
tres ais^ment par la superposition des deux images. 

On conclura facilement de ce qui precede que cette 
echelle naturelle n'est pas absolue, mais qu'elle depend 
de la distance k laquelle on place le papier ou la toile sur 
lesquels on dessine. Pour un album, cette distance sera 
g^neralement celle de la vue distincte, c est-&-dire vingt- 
cinq & trente centimetres. Elle sera plus grande pour le 
peintre. 

On pourrait aussi, au lieu de songer uniquement au des- 
sinateur, penser un peu au lecteur et se preoccuper de la 
distance k laquelle sera vu le dessin (ou la toile). Pour un 
dessin d'album, par exemple, cette distance sera la meme 
pour le dessinateur et pour le lecteur; pour une toile ou 
un dessin & suspendre au mur, elle sera plus grande pour 
ce dernier, et alors Tartiste fera bien d'y songer et, lors- 



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472 SCIENCES ET ARTS. 

qu'il esquissera, de placer sa toile on son papier a une dis 
tance de ses yeux superieure a oeile de la vue distincte. 

Dans la pratique, lorsquon se dispose a commencer une 
esquisse, il est bon, si Ton vent la faire a Xechelle naiu- 
rclle, de chercher une des dimensions principals du mo- 
dele avec u n crayon place a la distance convenable des 
yeux, entre ceux-ci et le modele, on avec le bord m£me de 
ralbum, place droit devant soi a hauteur du modele. 

En resume, Xtchelle nat urel Ye d'un dessin est celle de l'in- 
tersection du c6ne perspectif de I'objet a reproduire avec 
un plan normal an rayon visuel nioyen, et place a la m&mo 
distance de 1'ceil que celle a laquelle le dessinateur se place 
de son dessin Iorsqu'il Texecute. 

J'ai dit, en commencant cette petite note, quelle pourrait 
6tre utile au photographe. En eflet, le plus souvent on 
n'a cure de la distance a laquelle le lecleur examinera 
lepreuve photographique. Or, pour une 6preuve donnee, la 
distance du point de vue est prfoisement egale a la dis- 
tance focale de Tobjectif ; mais, d'autre part, pour que 
l'image satisfasse Toeil du lecteur, cette m&ne distance 
du point de vue, en supposant par exemple le lecteur 
devant une table, devrait 6tre celle de la vue distincte. 
II est rare que ces deux conditions soient satisfaites en- 
semble; dans les appareils que nos collogues emportent 
en montagne, la distance focale est le plus souvent de 
dix a douze centimetres. Pour avoir limpression de la 
nature, lorsqu'on regarde les photographies ainsi oble- 
nues, il faudrait done les porter a dix ou douze centi- 
metres de ses yeux; mais alors l'impression serait confuse 
sur la ratine, et m^me insupportable pour les yeux qui 
ont deja nn peu perdu de leur faculte d'adaptation. 

Si done on vent que les £preuves photographiques soient 
satisfaisantes a notre point de vue, il faut ou employer des 
objectifs dont la longueur focale soit de vingt-cinq a trente 
centimetres, ou faire tirer des epreuves amplifiees a une 



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dk l'echelle naturellk des dessins. 473 

cchelle convenable. Nous avons vu de telles epreuves; 
rimpression est vraimont saisissante, et il en sera de 
meme toutes les fois que Ton aura employe Xechelle na- 
turelle, telle que jai essaye de la definir. 

F. Prudent, 

Mcmhre dii Club Alpin Franrnis 
(Section de Paris). 



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VII 



VUE DU CIRQUE DE COTATUERO 



Cette ann£e encore, je n'ai pu derober k des travaux 
absorbants le temps n£cessaire pour parler k mes collogues 
de quelques coins nouveaux des Pyrenees. Je puis, en re- 
vanche, leur faire connaitre de visit, ainsi que j'en avais 
depuis longtemps le desir, la region la plus superbe peut- 
£tre du versant meridional de la chaine: je veux parler du 
cirque de Cotatuero, dont les murailles forment sur le ver- 
sant espagnol la contre-partic du cirque franQais de Gavarnie. 

En admirant Taquarelle de M. Holmes, qui vient com- 
puter cette ann£e retude de M. de Margerie, inser^e dans 
le dernier Annuaire y }e n'avais pu me defendre d'un regret. 
Comment se peut-il, me disais-je, que le Canon du Colo- 
rado, si lointain, soit plus connu en France que le Cota- 
tuero, situe h la frontiere m£me de notre pays? Sans doutc, 
les dimensions du plateau americain sont infiniment plus 
considerables que celles du massif i'ranco-espagnol ; mais 
en revanche la crevasse am6ricaine n'a pas jusqu'i pre- 
sent, que je sache, pr£sente un seul site aussi complfcte- 
ment beau que le Cotatuero, dont les formes harmonieuses 
s'eifcvent d'une base de forfcts et de prairies jusqu'^t une cou- 
ronne de neiges. 

Je me suis alors impost le devoir de faire connaitre cette 
merveille des Pyrenees autrement que par des dessins 
fragmentaires et decolores ou par des descriptions qui 
pouvaient paraitre trop enthousiastes. 



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VUE DU CIRQUE DE COTATUERO. 475 

Hassemblant les etudes d'aquarelles inachev6es, les des- 
sins et les photographies que j'avais rapportes de cclte 
region, j'ai fait de mon mieux pour en donner rimpros- 
sion exacte. La copie est encore loin de l'original, mais,au 
moins, je crois pouvoir dire qu'elle est sincere et fidele. 

Notre collegue, M. (Jlillot, Ta reproduite avec une scrupu- 
leuse fidelite, dont je le remercie. 

F. Sciirarer, 

Membrc du Club Alpin Franoais 
(Sections tic Paris et <lu Suri-Ouest). 



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MISCELLANIES 



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MISCELLANEES 



ASCENSION DE LA D EHTD E C ROLLES (2,066 met.) 

Le mercredi 17 septembre 1884, je partis a 6 h. 30 min. du 
chateau de Pichat et a 7 h. de Froges (lsere), en compagnie de 
mon fils Jules et de son ami Grevin, jeune etudiant en droit 
recemment arrive de Paris. En route, ayant decide de profiter du 
beau temps, nous modifiAmes l'itine>aire primitif, et nous voila 
traversant Brignoud, Tlsere, Bernin, Craponoz, dans Tintention 
bien arnH6e d'ascendre la Dent-de-Crolles (Petit-Som). Nous 
devious <Hre plus heureux que sages : le ciel propice, d'une 
extraordinaire limpidity vers le Nord, nous permit ce jour-la de 
contempler dans toute sa beauts le g£ant des Alpes, le Mont- 
Blanc. 

L'ascension par la cascade de Craponoz fut penible sous les 
brulants rayons du soleil; et nous avons du regretter toute la 
journ6e de n'avoir pas eflectue notre depart une heure et demie 
plus tot. 

L'enthousiasme de mes jeunes amis s'est singulierement 
refroidi : tout suants ct essouffles, nous allons nous reposer et 
prendre le cafe a Saint-Pancrace, au restaurant Dubois; l'expe- 
rience nous a appris qu'un cafe pris au matin d'une rude excur- 
sion est ce qu'il y a de preferable; avis aux excursionnistes de 
Tavenir! 

Partis de Craponoz a 9 h. 45 min., et arrives a Saint-Pancrace 
a 10 h. 20 min., nous avions mis une beure cinquante-cinq mi- 
nutes a monter la gorge de Manival, par les innombrables 
lacets qui viennent deboucher sur le plateau. A 10 h. 50 min. 
on repart de Saint-Pancrace, se dirigeant au Nord-Ouest, afin 
de eontourner le pied du Petit-Som; on laisse, au Nord, quel- 
ques haberts dissemines dans la prairie; a gauche, la grange 
Toumand; el par un joli chemin montant, pierreux, mais bien 



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480 , MISCELLANEES. 

ombrage, que rejoint bienldt a gaucbe le sentier du col du 
Coq, on arrive vers midi & une sorte de clairiere arros£e par 
iin pelil ruisseau, ou se trouve le partage des deux sentiers 
du col du Coq et du col des Ayes. Nous reconnaissons le vert 
gazon oil nous avons dejeune deja au re tour de la Grande-Char- 
Ireuse; nous choisissons sous les noisetiers et les sapins une 
place plus ombragee, et, les provisions sorties des sacs et mu- 
settes, inalgre la quantite iusuffisante du pain de menage, 
presque noir, achetea Craponoz, nous dejeunonsde bon appetit. 
C'est la troisieme station faite dans la matinee; malheureuse- 
nient, on s'endort quelque peu dans les delices de ce joli site, et 
ce nouveau retard intluera sur toutes les operations de la soiree. 

A i h., laissant a gaucbe le sentier boise qui passe au col du 
Coq en contournant le Hoc d'Arguille (alt. 1,787 met.), nous 
arrivons a i b. 20 min. au chalet de la montagne d'Arguille : 
e'est la proprement que commence notre ascension de la Dent- 
de-Crolles. Plus de troupeaux de vacbes ni de cocbons noirs; 
le silence a reconquis pour tout l'hiver la solitude de ces 
vertes prairies, dont l'emeraude pendant de longs mois va dis- 
parailre sous un blanc manteau; un peu plus bas seulement 
quelques charbonniers entassent de tous cdtes de nombreux 
fagots de bois recemment coupe. Loin de suivre le conseil de 
Vltintraire d'Adolpbe Joanne, qui consiste a partir directement 
du baut de l'ar^te du col des Ayes, ce qui pennettrait d'atteindre 
en une demi-beure le sommetclu Petit-Som, nous nous obstinons 
a nous elever au-dessus des baberts, en piquant droit, al'aide de 
nombreux et penibles zigzags a travel's la prairie, vers la crevasse 
de rochers fermee par des ecorces de sapin et babitee en ete par 
un jeune pat re : c'est le Pas de 1'Aiguille (de TOEille, en patois), 
ainsi nomine a cause d'un l-ocber de forme bizarre que Toncoii- 
tourne pr6s du sommet, et auquel, a cause de son aspect fan- 
tastique, nous venions de dormer le nom de Dieu Vicbnou. Le 
passage sur ces rochers est court, mais assez difficile : on sur- 
plombe 1'enoruie crevasse ou se forme le torrent qui descend 
rapidemenl par une serie de cascades et de ruisseaux versSaint- 
Pancrace. C'est le passage dont parle Joanne : « plus raide, mais 
plus court et plus facile que le chemin du Trou-du-GIaz », et 
qu'il dit impraticable pour les personnes qui craignent le vertigo. 
Raide, il Test en elFel, et presque effrayaut; mais nous n'avous 
pas ressenti le moindre vertige. 

A mesure que Ton s'eleve et lorsqu'on se trouve au niveau 
du sommet du Roc d'Arguille, on d£couvre de nouveaux bori- 



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ASCENSION DE LA DENT-DE-CROLLES. 481 

zons; la vue s'elend au loin, au levant, au midi, aa couch ant, 
sur les glaciers des Alpes dauphinoises, et tout le massif de la 
Grande-Chartreuse; Perquelin, Saint-Pierre -de-Chartreuse, le 
Casque de Neron, le Grand- Sora, apparaissent a nos pieds. 

A ce moment le soleilest brulant, la chaleur excessive; a bout 
de forces, nous sommes heureux de nous abriter quelques mi- 
nutes sous de grandes excavations, especes de grottes ouvertes 
au levant, on ne penetrent point les rayons du soleil. Encore un 
effort, et nous parvenons, a 3 h. 15 min., sur le sommet de la 
Dent-de-Crolles (alt. 2,066 met.). Nous sommes harasses, mais 
heureux et rvais; de cette hauteur le spectacle est indescriptible. 
Un vent frais venant du Sud nous oblige a resserrer nos vele- 
ments, et pendant une demi-heure nous sommes tout entiers a 
la contemplation du magnifique panorama. L'air est pur, le 
temps tres clair nous permet de saisir tous les details ; la lunette 
serai t inutile. 

Nous avons le pied sur uu plateau pierreux, en pente inclined 
au Nord-Ouest et dont l'arfite se dresse au couchant par-dessus 
un rempart a pic de plus de 4,000 metres sur Saint-Pancrace, 
effrayant abime; nous n'osons nous approcher du bord et en 
sonder de l'oeil la profondeur. Certes, nous sommes bien recom- 
penses denos peines, et nous avons su profiler de la chance d'un 
temps exceptionneilement beau en cette saison. 

Au Nord, notre oeil ne saurait se detacher de la vue gran- 
diose de la plus haute montagne de l'Europe, du g£aut des 
Alpes, du superbe Mont-Blanc. 11 se dresse isole et fler, dans 
son immense manteau de neige, bien au-dessus de toutes les 
cimes ses vassales : c'est le plus beau spectacle que putsse offrir 
cette hauteur; mais le panorama qui se deroule au levant est 
saisissant d'une autre maniere. C'est une longue ligne de mon- 
tagnes d'un bleu sombre, presque noir, revalues a leurs som- 
mets d'une trainee d'etincelants glaciers, qui se d£veloppent 
presque sans interruption de la Maurienne jusqu'au D6voluy, 
jusqu'aux monts Obiou et Embel, et dont le plus large, le plus 
beau resplendit au centre, le glacier des Grandes-Rousses ; au- 
dessus de la ligne sombre et nue des montagnes plus basses, 
la ligne blanche des glaciers, et au-dessus de tous ces pics, de 
toutes ces cretes immacutees, le splendide et pur ether, la vo&te 
azuree du ciel. 

On distingue aussi tres bien au midi la haute muraille du 
Mont-Aiguille; mais les neiges eternelles qui regnent sur le 
Mopt-Blaoc, le Saint-Bernard, les Beauges, les Sept-Laux, le 

ANNUAIRK DB 1881. 31 



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482 MISCELLANYS. 

Pic de Bellcdonne, Taillefer, le Mont-Viso, le Pelvoux, ne splen- 
dent pas j usque-la. Au Sud et au Sud-Ouest, un chaos de pics 
et de crates qui entourent la Grande-Chartreuse, prenant f outes 
Jes formes et directions : c'est une roiide, une danse, une sa- 
rabande de pics a donner le Vertige ou le mal d*9 menla- 
gnes; mais nous y voyons avec deptt la tele arrondie de 
Chamechaude (2,087 met.) se dresser encore plus haut que 
nous. 

En bas, s'ouvre un large fosse\ un gouflre long de plus de 
40 kilometres, la merveilleuse et riche valine du Graisivaudan, 
le plus beau jardin de France; Ton apercoit tres distinctement a 
diverses distances Pontcharra et ses usines, Allevard et Brarae- 
Fariue, les toits rouges de Goncelin, Theys assis au centre de sa 
gracieuse vallee, Tencin, Froges, les chateaux de Picliat, du Mas, 
Dubois, la tour de Montfalet, les Adrets, Brignoud, Villard-Bonnot, 
jusqu'a Grenoble, jusqu'au cours du large Drac encaisse eutre 
une double rangee de collines; le cours sinueux de l'lsere; el 
plus prcs, non sans precautions, Crolles, Bernin, Saint- Ismier... 
Tout a coup nous fumes surpris et charmed de voir, a cette hau- 
teur souvent balayee par les vents, naguere encore couverte de 
neige, passer en volant au-dessus de nos teles un pauvre petit 
oiseau solitaire, puis plonger en bas dans la vallee. Que venait- 
il chercher sur cette cime? A quelle poursuite £chappait-il ? sur- 
pris sans doute lui-meme de rencontrer la encore des elres 
humains, qu'il croyait ses ennemis mortels. 

La soiree s'avance, il est grand temps de deguerpir de notre 
observatoire, de devaler vers la plaine ; on s'arrache a regret a 
ce spectacle merveilleux, fascinant. On raonte sur le plus haut 
monceau de pierres qui sert de signal; on agite le plaid, les 
mouchoirs au bout des alpenstocks, dans I'espoir improbable que 
nos chelives silhouettes seront peut-elre apercues de Pichat; 
puis, apres avoir consults la carte de l'£tat-major, on se de- 
cide, a 4 b., a descendre vers le Nord-Ouest en traversant 
dans sa large ur le plateau pierreux, par-ci par-la gazonne, par- 
seme de dangereuses fissures, jusqu'a la rencontre du sentier 
marque sur la carte et qui descend du Roc de Bellefonds; Ton 
se trouve ainsi rapidement descendu a l'altitude d'environ 
1,500 met., devant un col beant, bien au-dessus du vallon pro- 
tond et boise qui du col des Ayes va a Perquelin. A droite et 
nssez loin, sout le habert Barbebison el la source du Guiers- 
Mort. 

On descend a gauche par le menie sentier difficile, quoique 



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ASCENSION DE LA DENT-DE-CROLLES. 483 

visiblement trace\ passant deux fois entre d'etroiles fissures de 
roches que d'autres roches recouvrent; tout en suivantda base 
Ouest de la cr6te, on est surpris d'arriver a l'entree du fameux 
Trou-du-Glaz (ou du glacier). On eprouve des le seuil un froid 
glacial, on s'avance a trente pas dans l'intericur de la myste- 
rieuse excavation; de la voute tombe a grand bruit une eau 
abondante, aussitdt perdue dans les entrailles du sol; on aper- 
coit bien aufond une sombre galerie, maisle temps nous presse, 
nous n'avons d'ailleurs ni lanternes, ni bougies, ni le guide 
necessaire pour s'aventurer dans ces profondeurs; l'impression 
de froid ressentie est telle que nous n'osons penetrer plus loin. 
Du dedans au dehors de la grolte la difference de temperature 
est au moins de 40 degres. Nous sommes tout suants, aussi 
notre sejour dans la grotte ne dure pas plus de trois minutes; 
au dehors la chaleur nous semble etouffante en comparaison. 
A quelques pas plus loin, a 4 h. 45 min., a lieu la separation do 
notre petite troupe; mes deux compagnons descendent penible- 
ment vers Perquelin, par un sentier broussailleux et raide qu'il 
faut decouvrir; ils iront souper et coucher a Saint-Pierre-de- 
Chartreuse, pour visiter la Chartreuse le lendemain. Pour moi, 
je bats en retraite vers le Sud-Ouest, par un haut sentier en cor- 
niche, dans la direction de l'argle supe>ieure du col des Ayes, 
que j'atteins a 5 h. 10 min. A ce moment quelque peu solennel 
et troublant, le soleil se couche a droite sur la cime du Roc 
d'Arguille. « L'horizon est grave, cerne par les Alpes, qui sem- 
blent plus pres a cette heure. Les bois noirs de sapins sont deja 
obscurcis et entenebres du soir; les glaciers rayonnent encore 
d'une blancheur palissante *... » 

Le jour baissant, il faut se hater : mon objectif est la descents 
par la cascade de Craponoz, que je voudrais atteindre avant la 
nuit noire. A 6 h. 20 min. je traverse comme une Heche le 
village de Saint-Pancrace ; au debut de la descente par le raide 
sentier, sem6 de mauvais pas, d'eboulis niSme, j'ai la chance de 
faire route avec un brave employe de la gare de Brignoud, envoye 
la-haut pour porter une d^pGche. La nuit complete tombe bientOt, 
noire et sans lune; le gravier roule sous nos pas; a peine dis- 
tinguons-nous la blancheur des pierres du chemin; decidement 
cette d^gringolade nocturne manque de gaiete. Enfln, apres deux 
ou trois courtes haltes, nous voila parvenus sans encombre «ni 
bas de la cascade, devant la terrasse du chateau de Craponoz. 

1. J. Michelet, I'Oiseau. 



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484 MISCELLANIES. 

II est 7 h. 45 min. ;*il a done fallu une heure vingt-cinq minutes 
pour opcrer c%tte rude descente. Une station, prolonged jusqu'a 
8 h. 45 min., au cafe de Craponoz, est reconnue necessaire. 

Afin de couper par le plus court, laissant Bernin a droite, on 
prend a gauche par le hameau de Fragnes, d'ou un sentier facile 
nous mene directement sur la route de Crolles au pont de pierre, 
puis au pont suspendu de Briguoud. La porte en est deja fermle; 
nous re vei lions le gardieu; 9 h. 30 min. sonnent quand nous tra- 
versons le pont; a 40 h. je quitte la gare, je passe a 40 h. 30 
min. a Froges, pour arrive r a Pichat a 41 h. sonnanles. 

Gette folle descente, cette marche rapide dans la nuit a ele* 
tres penible; dans les grands jours de Tele, on eut pu arriver 
deux heures plus tdt. Pour descendre du sommet de la Dent-de- 
Crolles a Pichat, il ne m'a pas fallu moins de six heures un 
quart de marche. — Marche 4 3 heures; parcouru 42 kil. environ; 
— dgpense totale personnelle, i fr. 55. 

J. Delmas, 

Membre du Club Alpin Francais 
(Section de Provence). 



LE BEC D'ARGUILLE (2,887 met.) 
(premiere ascension) 

Le commencement de la saison de 4883 se signala, dans les 
Alpes, par une temperature exceptionnellement barbare. Depuis 
douze jours une pluie persistante me conflnait, a Allevard, dans 
une chambre d'hdtel. La montagne disparaissait sous un impi- 
toyable rideau noir. Tous mes essais d'ascensions avaient piteu- 
sement 6choue\ Le Grand-Charnier lui-meme, pic tres beau mais 
en general tres facile, etait inabordable a cause du verglas qui 
recouvrait son d6me majestueux. Et toujours mouille et transi. 
j'avais attendu en vain le bienheureux coup de vent qui devait 
dechirer le brouillard et me faire entrevoir quelque lambeau de 
pay sage. Decourage, j'allais abandonner la parlie, lorsque le soleil 
parut, radieux et brulant. 



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LE bec d'arguille. 485 

Sans perdre de temps, j'escaladai la Pyramide des Sept-Laux 
(2,931 met.) d'ou je comptais observer de pres le Bec d'Arguille, 
but principal de mes efforts, qui, dans mes ascensions pr6ce- 
dentes, m'avait toujours ete cache par d'epaisses brumes. Le 
massif des Sept-Laux presentait cette annee une physionomie 
tout a fait in so lite. An lieu des grand es masses de rocbers som- 
bres qui donnaient au paysage le caractere apre et sauvage que 
Ton connalt, je trouvai, a cette altitude modeste (2,200 met.), 
une enorme quantite de neige eclatante qui recouvrait entiere- 
ment la montagne (26 juillet). Le lac du col meme eta it gele et 
le thermometre ne marquait que 4 degree en plein soleil a 8 h. du 
matin. Quant aux autres lacs, ils Itaient libres de glaces et l'im- 
mense cadre blanc qui les sertissait faisait ressortir a merveille 
le bleu sombre et profond de leurs eaux. L'effet etait saisissanl. 

Pour arriver a la Pyramide, nous d times, mon guide Joseph 
Baroz et moi, tailler des pas, tant la neige etait dure. Du som- 
raet, apres avoir longuement admire la prodigieuse quantite de 
montagnes que me laissait voir un temps tres pur, je pus a 
loisir examiner le Bec d'Arguille, second pic pour l'altitude du 
massif de Valloires. Je n'apercevais pas le point vulnerable, mais 
j'acquerais la certitude qu'il etait inutile de faire le detour par 
le col de la Croix et que Ton pourrait trouver un passage pour 
contourner le Bec dans une petite combe qui se trouve, sur la 
carte de l'fitat- major, immediatement au Sud, apres la cote 2,034, 
dans la combe de Madame. Quant a ce que pouvait elre l'ascen- 
sion du pic lui-m&me, c'etait encore une question non tranchee. 

Cette question, je ne voulais pas la laisser longtemps sans 
solution et, trois jours apres (29 juillet), j'allais de nouveau 
coucher au Cur til lard, ou Baroz m'attendait. La soiree etait lumi- 
neuse et splendide; le glacier scintillait. Nous 6lions pleins de 
con fiance. Mais, le lendemain matin, quelle deception! Plus une 
etoile; le vent a passe au Sud-Ouest et amoncelle de gros images 
d'une facheuse apparence. 

Malgre tout, nous nous mettons en route a 4 h., esperant que 
le lever du soleil ameliorerait peut-^tre la situation. L'air est 
charge d'electricite ; silencieux, nous montons mollement le che- 
min pierreux de la combe de Madame. Apres le deuxieme chalet, 
le ciel se rasserene, un rayon de soleil se montre limidement el 
nous rend la confiance un instant perdue. Nous escaladons d'un 
pas rapide les pentes assez raides du fond de la vallee, prenons 
pour le quitter bientdt, le sentier du col de la Croix que coupen' 
de nombreux neves, et 8 h. nous trouvent dans la combe sai/ 



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48b' MISCELLANIES. 

vage, entierement couverte de neige dure, que j'avais remarquge 
du sommet de la Pyramide. De la, une demi-heure de marche 
facile sur une neige excellente suffit pour atteindre un cirque 
desole aux rochers hardis, aux crates tres de>oupecs. Au fond, 
une muraille d'aspect farouche se dresse et atteint d'un seul jet 
une hauteur de quatre a cinq cents metres : c'est 1'ennemi, et 
Ton peut des a present juger qu'il se defendra. Sur ses tlancs 
abrupts bondissent gracieusement une quinzaine de chamois ; 
leur chef fait sentinelle sur une pointe d'apparence inaccessible; 
il nous apercoit et pousse un siftlement strident; aussitot toute 
la troupe gravi; avec une merveilleuse agilite un couloir presque 
vertical ct va se grouper autour de lui. La, immobiles, ils sem- 
blent nous defier d'atteindre jamais leur domaine aerien. Ce 
curieux spectacle nous a un instant arr&teV, il s'agit maintenant 
de tenir conseil et de s'entendre sur la direction a suivre. Les 
rochers de gauche sont des l'abord ^cartes comnie inabordables. 
A droite, souvrent trois cheminees; les deux plus eloignees 
semblent d'un acces douteux; nous adoptons la premiere qui se 
dirige au Nord-Est. Une demi-heure de montee rapide, mais 
nullement difficile, mene au sommet de ce passage. Des lors, 
la ligne de faite est franchie, nous sommes en Savoie. Tout pres 
dc la est le point extreme atteint par un de nos collegues dans 
une tentative faite l'annSe pr^cedente au Bee d'Arguille. Deja la 
vue est de toute beaute ; depuis le Mont-Blanc jusqu'au Pelvoux, 
c'est un nierveilleux entassement de pics neigeux et de glaciers, 
au milieu desquels les Aiguilles d'Arves font le plus tHonnant 
etfet. A nos pieds s'ouvre la verdoyanle combe de Tepey, dout 
la partie superieure est occupee par un beau glacier que nous 
attaquerons dans un instant. 

11 est 9 h. Cinq minutes de repos, et nous meltons de nouveau 
le pied sur la neige; elle est molle et nous enfoncons jusqu aux 
genoux. iNous descendons une ci n quanta i node metres, poureviter 
quelques crevasses, puis nous remontons dans la direction de 
l'Ouest. Les dernieres pentes du glacier sont tellement rapides 
qu'il devient indispensable de derouler la corde. Nous abordons 
enfin un terrain tres friable entrem£le d'eboulis et de to u lies de 
gazon. La commence la veritable escalade. Un seul couloir semble 
praticable; il est tres escarped Peu de points d'appui solides; les 
pierres roulent sous les pieds et d6gringolent en mitraille sur le 
glacier. Vers le milieu de l'ascension, un roc perpendiculaire 
barre le passage ; je fais appel a tous mes souvenirs de gymnas- 
lique, mais je ne parviens pas a faire un retablissement assez 



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LE BEC d'arguille. 487 

puissant pour fianchir l'obstacle, que, d'ailleurs, nous tournons 
sans trop de peine. Resteni a passer uri tout petit neve, puis un 
roc ferme qui permet d' a r river assez faci lenient a une etroite 
plate-forme parcimonieusement gazonnee. La traverser de cette 
fatigante cheminee a dure une heure. Mais le but n'est pas loin, le 
sommet se dresse a peu de distance; on s'elance, on va pousser 
enfln un victorieux hourrah!... 

On ne le poussa pas! La trompeuse pointe que nous aperce- 
vions n'est pas le point culminant, c'est simplement lanaissance 
de la desagreable arfite qui y conduit et qui nous le cachait. 
Cette arele atteint rarement un metre de largeur ; elle est formee 
de blocs desagreges qui commandent la plus serieuse attention; 
la pression du pied les precipite dans l'abime et ils restent sou- 
vent dans la main qui cherche a s'y accrocher. Cbaque pas ebranJe 
cette fragile ecorce; il faut sonder soigneusement le terrain et 
eprouver le rocher avant de s'y confier. Ajoutez a cela, des deux 
cdtes, des precipices profonds de plusieurs centaines de metres. 
Baroz dirige l'escaladc avec prudence et sang-froid. Tout a coup 
se leve un tres fort vent du Sud-Ouest; impossible de se tenir 
debout, il faut ramper, et ainsi place a plat ventre sur une crete 
branlante on se soustrait difficilement a l'borrible sensation du 
vide. Deux ou trois metres de roc plus sur permettent de reprendre 
la position verticale; on passe alors sur le cdte droit de l'arete ou 
se trouve un rocher en surplomb. Celui-ci ne saurait se tourner, 
il faut Taborder en face ; Baroz grimpe le premier en s'aidant de 
mon dos, puis me jetle la corde, au moyen de laquelle je le re- 
joins bientdt. De la au point culminant il ne faut plus qu'un peu 
d'attention et quelques minutes de marche. Nous l'atteignons a 
it h. 30 min. (Alt. 2,887 m . Therm., 9 degres.) 

Le sommet du Bee d'Arguille u a peine 1 met. de large; ce 
n'est pas une plate-forme, c'est rextremite de l'arete. Celle-ci, 
tres disloquee et coupee de nombreuses breches, a environ 
150 met. de longueur et ressemble a une scie legerement 
recourbee. Nous mimes trois quarts d'heure pour la franchir. Le 
panorama qu'on y decouvre est remarquablement beau et fait 
de cette montagne un belvedere de premier ordre. Le detail de 
tous les pics que Ton voit serait fastidieux; qu'il me suffise de 
dire que, du Cervin a la Meije, du Mont-lseran au massif de la 
Grande-Chartreuse, rien n'echappe a i'ceil de i'observateur. 

Malgre la splendeur de ce spectacle, nous ne pouvions nous 
attarder. D'epais nuages s'entassaient autour de la Dent-de- 
Crolles, teignant tout l'Ouest d'uue alireuse couleur d'encre. 



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488 MISCELLAN6KS. 

Pendant que je prenais mes notes, Baroz avait decouvert une 
cheminee pour la descente. Nous nous y engageaines en m&me 
temps que le premier coup de tonnerre eclatait. La cheminee 
£tait facile et permettait de jouir sans contrainte, dans une 
marche paisible, des merveilles alpestres. Tout a coup je fis un 
faux pas et faillis perdre l'equilibre. 

« Attention! » cria Baroz. 

L'attention etait , en effet , aussi necessaire que jamais ; la 
rapid i to de la pente augmentait de plus en plus, et notre cou- 
loir, si agreable au debut, se transformait en un abominable 
chaos de cailloux roulants ou le maiutien de la verticale e*tait un 
problem e difficile a resoudre. Toute chute ent et6 fatal e. Faute 
de pouvoir faire mieux, nous continuames adescendre avec beau- 
coup de precautions; mais ce n'etait pas la le dernier mauvais 
tour que devait nousjouer cettefallacieusemontagne. Notre che- 
minee aboutissait perpendiculairement a un autre couloir rempli 
d'un nev£ ties dur et d'une inclinaison extreme. La question de 
savoir si ony pourrait prendre pied ne pouvantse trancher qu'en 
y allant voir, Baroz se cala fortement derriere un rocher, m'at- 
tachaet me laissa toutdoucement glissersurle nev6. La,jeperdis 
de suite l'equilibre, et sans la cordej'auraisfait une glissade que 
le secours m&me du piolet n'aurait pu empficher, vu la durete 
de la neige, et qui ne se serait terminer que sur les rochers quel- 
ques centaines de metres plus bas. Je rejoignis mon guide et 
nous commenc&mes une marche de tlanc tres penible, car il fal- 
lait a chaque instant franchir de rapides plaques de neige getee 
et escalader des blocs presque totalement dSpourvus d'asperites. 
Bientol mSme il devint impossible de continuer ainsi ; le roc etait 
tout a fait lisse et se terminait en un long 6peron surplombant 
d'une cinquantaine de metres un vaste champ de neige. La situa- 
tion s'aggravait et nous nous demandions si nous n'allions pas 
revenir sur nos pas pour chercher un autre passage, lorsque je 
remarquai que, sous Taction de la chaleur, une solution de con- 
tinuity s'etait produite enlre le rocher et le neve. C'ltait la une 
voie praticable et, dans les Pyrenees, je m'etais souvent servide 
ces sortes de crevasses pour remonter ou descendre des pentes 
de neige trop rapides. Un passage delicat fut la descente dans la 
rimaye; il s'clTectua cependant sans encombre. 

Au bout d'une heure environ, toute difficulty avait cesse; uii 
neve excellent nous permettait de faire de folles glissades et nous 
menait a un £boulis, solide celte fois. 

A I h. 30 min. nous dejeunions pres d'une source, a l'abrt 



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11U1T JOURS EN DAUPHIN&. 489 

d'un grand roc et en pays connu. Survint la pluie qui ecourta le 
festin. Nous descendimes rapidement les pentes fort raides qui 
inenent au fond de la combe de Madame, eta4h. nous rentrions 
au Curtillard. 

En r6sum£, excursion tres interessante ei tres vartee. Aux 
grands et doux horizons de la vallee de la Ferriere succedent les 
pa tu rages deja plus severes de la combe de Madame, od les son- 
nail les des troupeaux jettent seules une note gaie dans l'aust£- 
rite du paysage; plus haut, la nature est plus apre et plus hostile, 
rochers a pic, couloirs glissants, glaciers, arfites se combinent 
pour repousser l'effort de l'homme ; enfln coup d'oeil magique qui 
recompense de toutes les peines. Neanmoins, il ne faut entre- 
prendre cette ascension que si Ton est absolument exempt de 
vertige et si Ton a l'habitude du rocher. Je crois aussi qu'il serait 
preferable d'adopter le chemin que j'ai pris pour la desceute et 
d'abandonner complelement celui par lequel je suis monte. D'ail- 
leurs, Joseph Baroz,dontjen'ai euqu'a me louer,connatt mainte- 
nant assez le Bee d'Arguille pour ne plus se risquer dans les mau- 
vais passages auxquels nous exposaient necessairement les hasards 
d'une premiere exploration. 

Index (sans haltes). 

D'AUevard au Curtillard 3 h. — 

Du Curtillard au 2«° chalet de la combe de Madame . 2 h. 15 min. 

Du 2" ne chalet au sommet du Bee d'Arguille 4 — 

Du sommet au Curtillard 4 — 

Du Curtillard a Allevard 3 — 

Total 16 h. 15 min. 

Georges Bartoli, 

Membre du Club Alpin Froncais 
(Section de Parish 



HUIT JOURS EN DAUPHINC EN 1884 

Je partis pour le Dauphine, seul, h61asl le 24 juillet 1884. Un 
de mes amis, compagnon agreable et solide grimpeur, dut au 
dernier moment me fausser compagnie, retenu par des obliga- 
tions professionnelles. II me faudra done garder pour moi-m£me 



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490 MISCELLANIES. 

mes impressions et me con tenter des exclamations admiratives 
d' usage qui n'auront d'autre 6cho que celui de la nioutagne. 
Le 24 j'etais a Lyon et le 25 a la Sdne, a 1 h. 49 min. Deux ou 
trois heures apres j'etais au Pont-en-Royans. La route de la 
Sdne au Pont-en-Royans est monotone et depourvue de tout 
iutertt, sauf toutefois a son extr£mite. La petite capitate du 
Royannais apparatt tout k coup au bout du lac de la Bourne, 
adossee a de grandes montagnes calcaires et encadree dans la 
verdure. Tout re paysage est d'un eoloris 6tonnant. Le blanc 
des montagnes et des maisons, la verdure des arbres, le bleu du 
ciel et du lac s'harmonisent admirablement. II est preferable 
neanmoins de s'arrfiter a Saint-Hilaire-du-Rosier, on une voiture 
publique, qui correspond avec le train partant de Valence a 
12 h. 23 min., conduit au Pont-en-Royans, d'autant que la route 
de Saint-Hilaire rejoint celle de la Sdne et n'en forme plus 
qu'une pour arriver au Pont. Je penelre dans la ville et vais 
droit a l'ndtel Dubouchet, ou j'ai ete fort bien traite\ a des prix 
d'une extreme moderation. 

LES GOULETS 

Le lendemain 26, j'accomplis Texcursion classique des Goulets 
(12 kilom. du Pont-en-Royans aux Baraques). Faut-il le dire? j'ai 
£prouve une certaine deception. De mgme que, dans certains 
operas, il faut assister a cinq actes pour entendre deux ou trois 
jolis morceaux, de mfime aux Goulets, il faut faire 42 kilometres 
pour admirer... le douzieine seulement. La route des Goulets 
est, a mon avis, monotone et sans grand charme jusqu'a Tentr6e 
des Grands-Goulets proprement dits, qui n'ont qu'une minime 
longueur. 11 vaut done mieux, je crois, lorsqu'on est au Pont-en- 
Royans, et qu'on a Grenoble pour objectif, ne pas perdre un jour 
aux Goulets else dinger immediatementsurGreuoble par la vallee 
de la Bourne. Cette vallee otFre des paysages analogues a ceux 
des Goulets. mais, suivant moi, tres supe>ieurs, inftniment plus 
varies et qui, a aucun moment, ne laissent reposer 1' admiration. 

LA VALLEE DK LA BOUHNE 

Je ne pivteuds pas decrire la vallee de la Bourne; je ne I'ai 
pas decouverte, pas plus que les canotiers lyonnais, dans leurs 
voyages au long cours, n'ont d6couvert Tile Barbe. Or, la vallee 
de la Bourne est aussi connne des touristes que Tile Barbe des 



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11UIT JOURS EN DAUPHINS. 491 

canotiers. Neanmoins, il me faut, en passant, rendre hommage a 
cette merveille. Du commencement a la fin l'attention et 1'admi- 
ration sont tenues en eveil. La la vallee se resserre entre deux 
parois a pic qui semblent se rejoindre et la route court pendant 
des kilometres sur des encorbellements et sous des tunnels; ici 
elle s'elargit pour nous laisser un moment admirer des prairies 
et d'immenses et pittoresques forfits de sapins. Enfin rarrivSe 
au Villard-de-Lans est remarquable : partout de gaies pelouses 
et de vertes forfits qui font contrasle avec les sombres gorges 
dont on vient de sortir et, lout au fond, la chalne de la Mouche- 
rolle. On ne saurait trop recommander cette excursion qu'il 
est facile de faire figurer dans un itin&raire, au d6but d'un 
voyage, par exemple, et comme entrainement. On peut £ga- 
lement la faire en voiture (voiture chez Dubouchet : 25 francs 
jusqu'au Villard-de-Lans). Arrive au Villard-de-Lans, je dine a 
I'hdtel Imbert, dont la bonne reputation est justified. A 4 h. 
je prends la voiture qui me conduit a Grenoble. 

ASCENSIONS DV PIC SUD DES G R ANDES-RO U SSES (3,473 MET.) 
ET DU 3 C PIC DE LA HEME CHAINE (3,400 MET.) 

Le 28 au soir, la voiture me dSposait au Bourg-d'Oisans, a 
I'hdtel de Milan, ou je pensais trouver Roderon, mon guide 
habituel. Roderon, absent de Saint-Christophe, sa residence, 
n'avait pas. recti ma lettre. Imm6diatemenl je lui 6cris a Saint- 
(ihristophe de se trouver a Venose le 31 et j'envoie en ra^me 
temps un expres a Allemont pour retenir Ginet. Ce" guide heu- 
reusement n'6tait pas engage, et le soir m6me il arrivait, 
accompagne du porteur Michel Francois, 6galement d'Allemont. 
Ginet ne connait que les massifs d'Allevard, de Belledonne et 
des Grandes-Rousses, que j'ai deja parcourus et dont l'interSt 
pour moi commence a s'epuiser. Enfin, je me decide pour le pic 
Sud des Grandes-Rousses et, le lendemain 29, nous partons du 
Bourg-d'Oisans pour le refuge de la Fare, en passant par Huez. 
Cette premiere journe> d'ascension est longue et d'un intent 
mediocre. A ceux qui voudront sacrifier le con fort de I'hdtel de 
Milan, je conseillerai toujours, dans les ascensions aux Grandes- 
Rousses, de partir d'Oz pour se rendre au refuge de la Fare. La 
montee par Oz est plus courte que celle d'Huez, plus inte>essante 
et offre de beaux points de vue sur les chatnes des Rousses et 
de Belledonne. 



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492 MISCELLANYS. 

Nous trouvons le refuge en deplorable etat : les murs sont 
macules, la paille est repandue sur le sol, la provision de bois 
epuisee. Les patres ont pass6 par la. 11 faut done tout d'abord 
laver, essuyer, nettoyer, tout remettre en 6tat et s'approvi- 
sionner de bois, ce qui n'est pas facile a Paltitude de 2,400 metres. 
Heureusement Ginet a de grandes jamhes. Je le vois devaler 
rapidement sur les pentes et remonter bientdt, portant un lourd 
fagot de broussailles. 

Le 30, partis a 4 h., nous sommes au sommet du pic Sud 
a 40 h. 30 min. La montee nous a done pris six heures et deniie, 
mais nous I'avons faite sans nous presser, marchant douce- 
ment et nous arr£tant frequemment. Beaucoup de nos collegues 
connaissent cette ascension par les recits qui en ont deja et6 faits. 
On sail qu'il faut, en quittant le refuge, s'elever a droite sur les 
rocbers et traverser le glacier des Rousses, en se dirigeant sur 
les llancs du pic Blanc. II faut ensuite gravir re pic, soit par 
le glacier, soit par la moraine late rale droite jusqu'au col qui 
separe le pic Blanc du troisieme pic, dont je parierai tout a 
Theure. On tourne alors a gauche en preuant le versant Est de 
la chalne, on contourne la base du troisieme pic en le laissant 
a sa gauche et, apres avoir traverse la bergschrund, on s'eleve 
jusqu'au sommet du pic Sud par des pentes de neige d'une 
faible inclinaison. 

V ascension du pic Sud des Housses n'a guere He faite qu une 
douzaine de fois, et on s'elonne qu'elle n'attire pas plus souvent 
les touristes. Elle ne presente en effel aucune difficult^ et elle 
est d'un grand interel. Les glaciers du versant Est, dont on tra- 
verse une partie, sont remarquables par leur 6tendue et leur 
beaute. La vue du sommet est splendide; qu'il me suffise de 
nommer les massifs d'Allevard, de Belledonne, de la Meije, du 
Gol^on, des Aiguilles d'Arves et du Mont-Blanc. On ne saurait done 
Irop recommander cette ascension. Elle peut 6tre accomplie en 
toute s^curite par les caravanes scolaires, par les touristes 
timides ou debutants, par les dames, qui pourront la faire sans 
fatigue en s'arretant au refuge a la descente. Les grandes 
ascensions de 3,500 met. d£pourvues de difftcultes sont assez 
rares pour qu'ou les siguale et les recommande avec insistance. 

De la chalne principale des Housses emergent plusieurs som- 
mets qui sont, par ordre, et en cornmencant par le Nord : Je 
pic de Tfitendard (3,473 met.), le pic Sud (3,473 met.), un pic non 
deuommS (3,400 met.), le pic Blanc (3,332 met.) et 1'Herpie 
(2,99o met.) Le troisieme de ces sommets a et6 omis sur la carte 



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UUIT JOURS EN DAUPMN&. 493 

de 1'Etal-major ou le pic cote n° 3 est en realite le quatrieme : 
Ic pic Blanc. L'altitude du troisieme so m met est d'environ 
60 met. inferieure a celle du pic Sud, son voisin. Le 30 juillet 
1884, entail le seul qui ne fut pas surmonte* d'un cairn et son 
ascension n'avait jamais 6te faite, m'affirma Ginet qui connalt 
bien le massif des Grandes-Rousses et son histoire. 

Je me decide a en faire l'ascension qui, apres celle du pic 
Sud, n'avait d'autre interest pour moi que d'etre la premiere, 
suivant 1 'affirmation de Ginet 1 . Je redescends done du pic Sud 
jusqu'au col qui separe le troisieme pic du pic Blanc, je franchis 
la bergschrund sur un pont de neige d'une solidity douteuse et 
j'arrive au sommet par un plan neigeux peu incline et d'une 
ascension extrgmement facile. J'eleve un cairn ou je depose ma 
carte et je redescends jusqu'au bas du glacier des Rousses par 
le chemin suivi a lamonlee, puis je tourne a gauche et gagne la 
vallee du Gua par le lac Blanc. 

Gette descente est assez remarquable et tres supgrieure au 
chemin parcouru la veille en passant par Huez. 

Parti a midi du sommet du troisieme pic, j'arrive a 4 h. dans la 
vallee duGua; je congedie mes guides, je franchis le cold'Auris 
et a 7 h.je suis au Fresney-d'Oisans. 



LE COL DE l'aLPE (1,613 MET.) 

Le 31, a 9 h. du matin, je quitte le Fresney pour passer de la 
vallee de la Romanche dans celle du Ven6on par le col de 
l'Alpe et me rendre a V6nosc, d'ou je ferai l'ascension de la 
Roche de la Muzelle. La traversee du col de l'Alpe est une fort 
jolie promenade, facile a faire sans guide, le sentier n'etant pas 
un seul instant interrompu. II est d'ailleurs praticable anx mulets. 

En quittant le Fresney, je m'eleveatraversune deMicieuse forfit 
de bouleaux, d'erables et de sapins d'une tres belle venue. Le sol 
est recouvert d'un 6pais tapis de gazon et tout ce paysage a un 
caractere de gaiele et de fralcheur qu'on ne rencontre pas tou- 
jours en Oisans, ou les vallees, d'une grande altitude, laissenl 
au-dessus d'elles peu de place a la vegetation. En sortant de la 
forSt, on laisse a gauche le village de Mont-de-Lans, puis on tra- 
verse des paturagesjusqu'a l'Alpe. Del'AIpe on descend a Venose 

1. Renseignements pris, cette ascension aurait ete faite anterieure- 
ment par M. Coolidge. 



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494 MISCELLANIES. 

par un sentier en lacets trac6 dans le flanc de la montagne. Pen- 
dant la traversed des p^lurages et la descente sur V6nosc, ['atten- 
tion est incessamment soUicitee par la Roche de la Muzelle, dont 
le caractere est saisissant et grandiose. L'aspect de cette belle 
inontagne que j'avais sans cesse sous les yeux augmentait mon 
desir d'en tenter Tascension. 

A i h. je suis a Venose. Nouvelle deception! Roderon n'est pas 
la. On l'a vu le matin conduisant des touristes a Saint-Christophe. 
Depuis on ne l'a pas revu. Evidemment il n'* pas recu ma lettre. 

Lame affligee du plus noir chagrin, mais Pestomac creux et 
le gosier sec, je me rends a Tauberge Martin. En entrant, un 
piolet et une corde deposes dans un coin altirent mon attention. 

J'interroge M me Martin qui, pour toute reponse, nn mon Ire 
le guide Gaspard pere que je n'avais pas d'abord apercu et qui 
dlnait tranquil lenient au fond de la salle. Gaspard... e'eat la 
Providence! Aussi tout s'arrange: nous allous partir pour Saint- 
Christophe ; Texcellent guide me donnera son Pi Is Maxim in, et je 
ferai mon ascension. 

La derniere bouchee avalee, nos sacs boucles, nous partons 
et, arrives au clapier, j'apercois a un d 6 tour de la route... Rode- 
ron qui vient rae chercher a Venose, apres avoir conduit a Saint- 
Christophe quelques touristes dont il avait organise les caravan es 
pour le lendemain. 



ASCENSION DE LA ROCHE DE LA Ml'ZELLE (3,439 MET.) 

Dans VAnnuaire de 1879 (p. 130), nos collegues MM. Ferdi- 
nand Reyinoudet Paul Devots'exprimentainsi : « La Roche de la 
Muzelle est cette merveilleuse crfite rocheuse qui s'eleve, abruple 
de loutes parts, a 1'Est du col de la Muzelle et separe le vallon 
de ce nom de celui de TEuchatra ! ... 

<c Aucune montagne, dans tout le massif du Pelvoux, ne pi e- 
sente une semblable forme. A cote* de tous les pics plus ou moins 
aigus de ce massif, la Muzelle se distingue par la masse impo- 
sante d'une croupe reguliere, et rappelle, dans des proportions 
bien autrement grandioses, la forme bizarre du Mont-Aiguille en 
Trieves : quelque chose d'uu formidable rempart demantele. 
Aussi, de tous les noms affectes aux montagnes, aiguille, cime, 



t. Elle est, par consequent, situee sur la rive gauche du Ve'neon, et 
son flanc Nord fait face a Venose. 



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HL'IT JOURS EN DAUPHIN £. 495 

pic, t£te, bee ou pointe, aucun ne semblait lui convenir, et lui 
a-t-on laisse* la denomination vague, mais vraie, de Roche. » 

A. cette description, j'ajouterai que la Roche de la Muzelle 
n'est pas seulement iraposante et grandiose ; eile doit encore a 
ses admirable* proportions une rare elegance et, vue de certains 
points, de Glavans, par exemple, eile semble plus svelte et plus 
elanc^e qu'elle ne Test peut-£tre en realite. 

L'ascension de la Roche de la Muzelle a et6 faite trois fois : 

1° Le 2 juillel 4875, par M. Goolidge; 

2° Le 6 aout 1878, par MM. Reymond et Devot; 

3° Par M. Marduel, a une date qu'on n'a pas pu m'indiquer. 

Signalons £galement l'ascension du 17 juillet 1878, accomplie 
par quelques guides dauphinois. 

Si je me laisse aller, apres la relation si bien ecrite de 
MM. Reymond et Devot, a faire un nouveau, mais bref r6cit de 
cette ascension, e'est que je ne Tai pas trouvSe absolument telle 
que nos cbllegues Favaieht dlcrite ; non pas qu'il y ait dansleur 
relation la moindre inexactitude, mais l'etat des neiges et la 
presence du verglas avaient legerement modifte les accidents de 
la route. 

Le 31, apres avoir rencontre* Roderou, je monte avec lui au 
bameau de l'Enchatra, et nous prenons glte chez Jean S arret que 
Roderon retient comme porteur pour le lendemain. Apres une 
bonne nuit passe e dans le fenil de Sarret, nous nous mettons en 
route le l er aout a 3 h. du matin, par un temps splendide, 
ideal, et qui, de toute la journSe, ne nous trahira pas. 

Nous remontons le ravin de la Pisse, jusqu'a la cabane du 
berger, un pat re du Valgodemar, qui adresse la parole a Rode- 
ron. Un colloque amine* s'engage entre eux dans un langage 
absolument inintelligible pour moi. Enfln, on m'explique ce 
dont il s'agit : le patre qui a, parait-il, un temperament d'alpi- 
niste, desire vivement nous accompagner. On me transmet sa 
requ&te, a laquelle je fais volontiers bon accueil, et notre cara- 
vane, grossie d'un grimpeur de plus, se remet en route et gravit 
la moraine jusqu'a la base des magnifiques glaciers du Vallon.- 
La, nous nous attachons a la corde, non saus quelque resistance 
du Valgodemarot, qui pretend cheminer seul. Puisqu'il en est 
ainsi, pas de corde, pas d'ascension! voila mon dernier mot. 
Ausst notre homme se decide. Bien nous en prit, a moi de parler 
ferme, a lui d'obeir; car, s'il en eut ete autrement, ce brave 
garc.on n'eut jamais revu ni sa cabane ni ses moutons. 

Le cirque des glaciers du Vallon et de Montagnon est circon- 



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496 MISCELLANIES. 

scrit a rOuest par la Roche de la Muzelle, au Sud par la poinle 
Marguerite et un pic non d6nomme* d'une altitude su per ie ure au 
precedent, a FEst par la Tele de Salude et le pic Signals. 

Nous commencons l'ascension du glacier, qui dure de trois a 
quatre heures. Son inclinaison est en quelques endroits tres 
forte, mais la couche de neige est sufflsamment Ipaisse pour 
nous permettre de le gravir sans tailler de pas. Les crevasses sont 
convenablement pourvues de ponts de neige, sauf deux ou trois 
d'entre elles qui, assez larges, nous obligent a prendre notre 6lan 
et a les franchir successivement, attache's a la corde. 

Nous gagnons ainsi les rochers et prenons I'artte Sud-Est si 
exactement decrite par MM. Reymond et Devot. Cette arSte est 
d'une terrible inclinaison, et il serait peut-Gtre impossible de la 
gravir si le rocher n'6tait pas partout excellent. BienUH il faut 
quitter l'arfite, tourner a droite et prendre la pente qui re garde 
le Nord et domine la bergschrund. 

En parlant de cette pente, mes pr6d6cesseurs ont 6crit : « II 
est certain qu'avec une neige fraiche cette partie du trajet de- 
viendra fort dangereuse et reclamera to uj ours beaucoup de 
prudence et d'attention.Nos guides sont adrairables sous ce rap- 
port et, evitant soigneusement les roches peu solides ou recou- 
vertes de cette glace dure et mince sur laquelle le piolet n'a aucune 
prise, peu a peu nous arrivons au pied du fameux couloir. * 
Helas! malgre Intelligence du guide, nous ne pouvons 6viter 
ces roches recouvertes de glace dure et mince. En effet, au mois 
d'aout 1884, la pente Nord etait coupee de distance en distance 
par de petits couloirs d'avalanches dont les parties lal&rales 
etaient garuies d'un verglas extrdmement dur. Ces bandes 
de verglas elant trop larges pour 6tre enjambees, il fallait ne- 
cessairement y reposer le pied qui ne trouvait la qu'un point 
d'appui absolument pr^caire. II nous faut traverser ainsi quatre 
couloirs, et les traverser a la corde un par un, ce qui n'est pas 
fait pour abr£ger 1 'ascension. 

La pente Nord se termine par un petit couloir de rochers 
presque vertical, dSpourvu de neige et de verglas et bien pourvu 
au contraire de saillies et de points d'appui. Nous le gravissons 
aisement, colics au rocher comme des lizards, pour employer 
le cliche usite. Ace couloir en succede un autre, neigeux, celui-la, 
fort eleveet incline^ a 75ou80degr6s. II faut le traverser en echarpe. 
Son aspect peu engageant me donne a rellfohir, mais je reprends 
un peu con fiance a la vue de la neige qui semble 6paisse et ou 
il sera possible de tailler de bonnes marches. Mais, pour gagner 



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nuiT jDurs en daupuink. 497 

la neige, il faut traverser une large bande de verglas, et, de 
1'autre cflte\ nous en attend une semblable. Erifin, tout so passe 
bien, grace a l'habilete de Roderon; mais, c'est egal, voila un 
couloir qui fait mentir le proverbe « qu'il ne faut pas juger les 
gens sur la mine ». Son air est rebarbatif et son earactere 
aussi. 

Enfin vient un troisieme couloir de rochers, sans inclinaison; 
puis uue ar6te de quelques metres dont MM. Reymond et Devot 
n'ont pas fait mention, vu probablement son peu de longueur. 
Cette arele, trop etroite pour fitre suivie a son sommet, doit 6tre 
longee par son flanc Nord en prenant des points d'appui pour 
les mains sur les rochers du sommet. Elle ne prSsenle d'ailleurs 
aucune difficult^, les pieds reposant sur le sol des assises. Le 
seul danger a redouler est le vertige, en raison de l'abirne pro- 
fond et vertical que surplombe ParSte. 

A I'exlremile de cette petite ar<He se trouve le sommet, que 
nous gravissons en quelques pas. II est 2 h. Le panorama de la 
Muzelle est admirable et defie toute description. Je jie veux pas 
d'ailleurs donner la longue nomenclature des glaciers et des 
pics qui forment tout autour de nous un magique spectacle, 
Cette nomenclature complete a ete donnee par mes pred£ces- 
seurs dans YAnnuair'e de 1879, page 138. 

A *2 h. 30 min., nous commencons la descente. Roderon, qui 
♦Hait en tete a la montee, est maintenant a la queue, et Jeau 
Sarret tient la t£te. Nous nous retrouvons bient6t en face du 
grand couloir. Sarret le traverse, puis le patre, et je m'engage, a 
mon tour, sur la pente traitresse. Ma travers6e s'accomplit heu- 
reusement jusqu'a la bande de verglas de la rive droite. La je 
sens mon pied glisser tout doucement, tandis que j'aper^ois 
au-dessous de moi l'abirne vertical qui aboutit au glacier. Je 
lutte de mou mieux, mais le piolet ne raord pas. Cette maudite 
glace, plus dure que Tacier, ne se laisse pas entamer. Entin, je 
suis vaincu, et... je degringole. Roderon, heureusement, est 
agenouille; son piolet est solidement fix6 dans la neige et la 
corde m'arnHe brusquement au debut de ce perilleux voyage. 

Plus bas, dans Tun des petits couloirs de la pente Nord, c'est 
le tour du patre dont la chute a lieu dans les m£mes conditions 
que la mienne. J'ai le temps d'embrasser vigoureusement une 
saillie de rocher, et notre brave compagnon en est quitte pour 
la peur et... unbon juron en patois. Avant que la descente de 
la pente Nord soil terminer, Roderon, qui craint que la nuit ne 
nous surprenne sur le glacier, modifie, en la raccourcissant, la 

ANNUAIRE DE 1884. 32 



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498 MISCELLANIES. 

route suivie le matin. Au lieu de conlinuer a descendre la peute 
en £charpe jusqu'a I'arete Sud-Est et de tourner a droite, nous 
tournons brusquement a gauche et descendons directenient au 
glacier. Les rochers sont presque lisses et d'une inclinaison 
inquieiante. Nous en operous la descente, a peu pres couches sur 
le dos, et nous laissant glisser doucement les unsapres les autres 
jusqu'aux rares saillies que nous apercevons de distance en dis- 
tance. Cette descente, d£pourvue d'agrements, mais non de diffi- 
cultes, se termine sans encomhre sur le glacier. 

La, le pat re, heureux d'en avoir fini avec les peutes de rochers 
et les handes de verglas, se livre a des gambades copies sur 
celles de ses chevreaux et de ses moutons dans leurs heures de 
gaiete. Ges cabrioles se terminent par une nouvelle chute, heu- 
reusement enraySe, d'autant plus heureusement que 50 metres 
au-dessous de nous s'ouvrent la bergschrund et les grandes cre- 
vasses qu'il va falloirde nouveau frauchir. 
• Puis, le glacier descendu, ce sont de longues glissades sur les 
neves, un rapide parcours de la vallee de la Pisse, et nous 
sommes a PEnchatra a 9 heures. 

La course entifcre nous a demande dix-huit heures. 

MM. Reymond et Devot resument ainsi (p. 140) leurs impres- 
sions : u L'ascension de la Roche de la Muzelle ne saurait Gtre 
trop recomniandee. Avec un beau temps et des guides attentifs, 
l'alpiniste deja habitue aux courses de raonlagnes n'y troUvera 
pas de sgrieuses difficultes. La derniere parlie toulefois sera 
toujours dangereuse, si on y rencontre de la neige fralche ou 
du verglas. » 

Les auteurs de ces lignes sont dans le vrai. Malheureuseruent, 
il faudra toujours, dans cette ascension, compter avec le verglas 
qu'on y rencontrera souvent, par cette raison que la majeure 
partie de la course s'effectue sur un versant expose au Nord. 
Telle que je I'ai faite, c'est-a-dire avec le verglas, l'ascension de 
la Roche de la Muzelle presente des difficultes et m£me des dan- 
gers. iXeanmoins, ceux-ci pourront elre conjures par des tou- 
ristes habitues a la montagne, attentifs, et pourvus d'excellents 
guides, s'ils prcnnent soin surtout de ne franchir les parties 
verglassees qua lacorde et un par un. Dans ces conditions, l'as- 
cension merite d'etre recomniandee une fois de plus, en raison 
de son intertH puissant et de la splendeur du panorama. 

11 me reste a rendre de mes guides un excellent temoignage. 
Roderon a ete ce que je I'ai toujours vu : prudent, habile, 
attentif, excellent en un mot. Quant a Jean Sarret, c'est un por- 



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TRAVERSEE DU BELV£d£RE DES AIGUILLES-ROUGES. 499 

teur intelligent, complaisant et de pied solide. Jean Sarret n'est 
pas pourvu d'un livret de porteur, mais il merite a tons egards 
4[u'il luien soit delivr6 un. 

Le lendemain 2 aout, mon voyage etant termine, je rentrais 
au Bourg-d'Oisans, a l'hdtel de Milan, on j'ai trouve eomme tou- 
jours bon gite, bonne table, le tout a prix moderes. 

H. DULONG DE ROSNAY, 

Membre du Club Alpin Francais 
(Section lyonnaise). 



TRAVERSEE DU BELVEDERE DES AIGUILLES- ROUGES, 
DE LA PIERRE-A-BERARD A CHAMONIX 

Le chaine des Aiguilles-Rouges, qui separe les vallees de Cha- 
monix et de Berard, chaine si pittoresque ct si estrangement 
decouple, presente plusieurs sommets, dont les principaux ont 
♦He gravis en ces dernieres annees; mais ces ascensions ont ton- 
jours ete failes par le versant Sud, d'Argentieres ou de Chamo- 
nix, jamais par le versant Nord, de la Pierre-a-Be>ard. Lors de 
ma course au Buet en 1881 , je r^solus de faire la traversee com- 
plete d'une valine a l'autre dans le sens oppose. 

Le lundi 23 juillet 1883, a C h. du matin, par un temps 
superbe, je quittais la Pierre-a-Berard avec deux guides valai- 
sans. Au bout d'une heure et quart nous etions au col de Berard 
(2,563 met.) et nous attaquions Karate dc gauche, qui monte 
droit au Belvedere ou point culminant de la chaine; la montee 
nous prit trois heures et demie jusqu'au sommet. Je ne la decri- 
rai pas en detail : tous les clubistes connaissent ces assises de 
granit mine et etfrite , clochetons, pierres superposees, debris 
agglome>6s plus ou moins verglassSs le matin : la pente de 
I'anHe atleint 45 degres, et celle des deux versants, sur Berard 
et sur la Diosaz, de passe certainement 50 degres. Je signalerai 
seulement trois obstacles sur cette artHe : a une heure du col de 
Berard, une premiere tour de roc au haut de laquelle on arrive 
par une. corniche et un couloir; puis a une heure du sommet, 
au dela d'une sorle de col neigcux, une seconde tour que Ton 
contourne en taillant des pas dans un neve raide et dur; der- 



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500 MISCELLANKES. 

riere ce second obstacle, une cassure dans l'arele, Stroite, mais 
profonde, a rec,u fort heureusement une 6norme pierre qui s'y 
est sblidement encastree. On descend doucement sur cette pierre, 
et comme le bord superieur de la fente depasse de beaucoup le 
bord infcrieur, les grimpeurs font la courte echelle pour aitein- 
dre le replat schisteux. Enfin, apres avoir longe* une corniche de 
glace qui surplombe la vallee de Berard, et qui ne laisse de pas- 
sage que pour un touriste, au bout de quelques pas on rencontre 
riiomme de pierre (2,966 met.). 

La vue doit tHre fort belle; mais, plonges dans un brouillard 
compact , nous sommes descendus immediatement. 

Nous avons vainement essaye 1'arSte glacee qui tombe vers 
Argentieres et dont la pente est excessive, et nous avons pris 
celle qui descend vers la Flegere. Composee, comme celle de 
B£rard, de clocbetons et de pierres branlanles, elle se termine 
par une petite cheminee verticale de 6 a 7 met. de hauteur, que 
Ton cdtoie sur des saillies plates. Quelques instants apres, on est 
sur le glacier Blanc. En obliquant vers la gauche nous sommes 
arrives vers 2 h. au lac Blanc. Nous avons encore rencontre 
quelques llaques de neige, quelques eboulis, de magnifiques 
champs de roses des Alpes, avant d'entrer a la F16gere; une 
heure et quart apres, nous £tions a Chamonix. 

En resume^ belle traversee, vivement recommandee aux clu- 
bistes exempts de vertige : car les pentes sont partout d'une 
raideur extrfime. 

Quant a la course en sens inverse, avec descente sur Berard, je 
la crois, sinon impossible, au moins trfcs difficile et daugereuse. 

bidex (sans haltes). 

De la Pierre-a-Berard au col de Berard. . 1 h. 15 min. 

Ducol de Berard a la cirae 3 h. 30 min. 

De la cime au lac Blanc 2 h. 

Du lac Blanc a la Fle*gere In.. 

De la Flegere a Chamonix 1 h. 15 miu. 



Total. . . Ph. 



P. Beaouont, 

Membre du Club Alpin Francak 
(Section de Paris). 



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LES POSETS. 501 



LES POSETS 



Venus la veille de Luchon et quiltant 1'Hospitalet ce matin, 
nous faisons halte a Venasque ; c'est de la que, le 8 aout \ 883, nous 
par tons a 3 h. de Tapres-midi pour aller camper dans la mon- 
tagne, pres des cabanes d'Eriste\ et faire le lendemain l'ascension 
des Posets. 

...On suit d'abord le cours de l'Esera; la valine, plane, a 
pente tres douce, prend aussitdt un large developpement, et tout 
de suite dans son aspect un faitinteressant vous frappe: de part 
eld'autrede I'axe de la chaine, Venasque et Bagneres-de-Luehon 
sont a la m6me distance, — perpendiculairement, de V6nasque 
a Crabioules et de Luchon au pic Sacroux, on trouve H kilo- 
metres, — et cependant la vallee de Venasque, ou de San-Pedro 
suivant les cartes espagnoles, diff&re entierement de celle de 
Luchon. On remarquera d'abord la difference d altitude; Luchon 
etant a 600 met.et Venasque a 1,100, la vallee de San-Pedro est 
plus 61ev6e de 500 met. ; de plus, tandis que la valine de Luchon 
est encaissee dans des hauteurs grandies encore par leur rappro- 
chement, celle-ci est ouverte, et les massifs qui l'avoisinent, bien 
que les plus importants de la chaine, semblent moins hauts 
qu'ils ne le sont; a droite la cime des Posets est masquee par des 
crates qui sont pourtant de premier ordre et qui paraissent 
secondaires; a gauche, derriere une suite de contreforts mo- 
destes, monte tout le groupe des Monts-Maudits, mais le N6thou 
st*. cache, et, dans ces formes effacees, ces plans d'un jaune rou- 
gealre, qui retrouverait la fiere allure de notre blanche Mala- 
detta? Seul le Gallinero, glevant sa pointe grise, fait assez grande 
figure. 

En fin, dans les vallees franchises, a partir de 1,000 met.,comme 
par exemple a la Haillere de Cauterets, la fertilite cesse, la 
vegetation change, on ne trouve bienUH que la rude flore des 
hauteurs ; ici, a 1 ,100 met., il semble qu'on soit dans la plaine 
et dans la plus feconde ; m6mes arbres, mfimes plantes — pour 
les especes sinon pour laphysionomie — qu'a300 met. en France. 
Les moissons depuis longtemps sont couples, mais, a leur chaume, 
on voit qu'elles eHaient magnifiques; les prairies ont donne leur 
regain, et cependant, vertes d'un vert... trop vert, elles ont une 
herbe si drue que, comme le ray-grass anglais, elle etouffe 
presque les lleurs. 

A cela il y a une cause generate : on sait que toute l'Espagne 



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502 MISCELLANIES. 

est un plateau elev£; mais aussi, je crois, des causes locales: 
les depflts de debris et les alluvions qui les couvrent paraissenl 
avoir une Spaisseur considerable ; cela pent tenir a ce que, sur le 
versant Sud de la chaine, les glaces, moins etendues peut-tHre, 
ont du reculer plus lot et, dans bien des points, disparaitre. Elles 
avaient fait leur ceuvre de comblement ; mais alors la roche vive, 
sans ces glaciers qui larecouvrenl et, on peut dire, la conservenl, 
a 6te livree nue a la morsure des siecles; sous des alternatives 
de chaleur et de froid bien plus tranches qu'au Nord, elle s'est 
vite delitee, et, sous les pluies torrentielles qui ont du suivre 
Pepoque glaciaire, elle a pu fournir en peu de temps des masses 
enormes de diluvium; de la les lignes fondues de son bassin, 
rexhaussement de la valine, sa grande largeur, sa planitude et 
mdme sa ferlilite. 

Pour ce dernier point cependaut, je croirais que l'exposilion, 
franchement meridionale, avec de hauts abris sur tout le reste 
du compas, ajoute beaucoup aux autres causes. 

Mais nous marchons toujours et nous ne voyons pas encore par 
ou s'abordent les Pose ts; patience!... — Leurs contreforts, allaul 
du Nord-Ouesl au Sud-Est, derobaient jusqu'ici la gorge que nous 
allons gravir; elle s'entr'ouvre enfin aux approches d'Eriste 
(4 kilom. de Venasque); la route s'61oigne du gave et s'eleve 
doucement; les champs qu'elle longe ont, a hauteur d'appui, un 
revelement de blocs superposes; Ires curieux, ces murs cyclo- 
peens; la mosaique de leurs pierres est le mustSe geologique de 
la contree; granits, schistes azolques, trapp, calcaire rubane, 
toutse retrouve la. Hamlet disaitque la cendre de Cesar pouvail 
servir a r6crepir un mur; ici, c'est plus que la pbussiere d'un 
homme, quelque grand qu'il put 6tre, c'est celle d'une monlagne, 
c'est un fragment de toutes ses assises, c'est le rapprochement, 
par une main inconsciente, de toutes ces formations que des mil- 
Hers de stecles ont cr£ees, et separent! 

Des sedums carnoses jettent leur broderie sur ces pierres; des 
lezards, qui s'y grillent, s'eveillenl... et, entre les blocs, des 
queues fretillantes s'enfoncent; sur la cr&te du mur de grosses 
sauterelles vertes nous regardent avec des yeux ronds. 

Erist6 — qu'on prononce Griste — est un petit bourg d'une 
irentaine de maisons baties de schistes et couvertes d'ardoises; 
les toils, de hauteur presque egale, sont si serres sur des rues 
Ires etroites que, d'un peu loin, ils semblent n'en faire qu'un; 
seul, le clocher carr£, a loiture presque plate, avec les cloches 
dans de petites baies cintrees, doinine le village; on le tra- 



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LES POSETS. 503 

verse par une ruelle tres montante, el aussitdt l'ascension com- 
mence. 

Encore quelque temps, de fraiches prairies ou le torrent tombe 
par nappes lapissentla vallee d'Eriste; mais, presque soudaine- 
ment, a un coudedu sentier, la valine devient gorge, et gorge des 
plus sauvages ; son aspect general peut s'indiquer en quelques 
mots : — entre deux versants raides, resserr6s, sombres, sinis- 
tres, ungavebouillonnant; tout au fond, dans leciel, a deuxlieues 
et deiiiie, a 3,001) met. de haut, une crele grise, decharnee; c'est 
quelque part dans un de ses plis que nous dormirons ce soir, et 
d'ici, franchement, on se demande comment on y arrive. Le sen- 
tier, serpentant sur le versant de droite, beaucoup au-dessus du 
gave, est tres Stroit, rapide, pas entretenu, sem6 de pierrailles; 
presque constamment au bord de parois presque verticales, il 
serait inquietant, a cbeval du moins, si les cbevaux n'avaient le 
pied sur. Mais son niveau se rapproche du torrent, il le traverse 
et, sur sa gauche, est plus facile. 

Une longue et mince cascade, qui se tord a travers les bfitres, 
descend sur Tautre rive; plus loin, du mGme cdte, une autre 
s'eiale comme celle de Madeleine pres du val d'Esquierry, mais 
plus abondante, plus belle. 

La gorge, depuis le bas, — et jusqu'en haut, nous le verrous, — 
est une clase profonde du terrain de transition ; les couches cum- 
briennes onl cerlainement une grande puissance, mais on l'ap- 
pr6eie mal, car, au fond de 1'hiatus, le granitqui l'ouvrit se cache 
encore; il ne se montre qu'en blocs routes. 

Sur les ressauts des versants, les buis, lesnoisetiers dissimulent 
la roche; plus haut ce sont des for&ts ; c'est seulement au-dessus 
que se dressent des dentelures grisatres, declarers, qui parais- 
sent siluriennes. 

La cr£te ou nous tendons, doree deja par l'Ouest, — car la 
journee avance, — s'enleve vivemcnt sur I'azur sombre. Fir- 
min Barrau la norarae la cr&te de Baticiel, et ce nom lui va 
bien. 

Mais le sentier, franchissant de nouveau le gave, devient de 
plus en plus raide ; il s'engage sous les helres par lacels si ra- 
pides que les chevaux s'arrfitent, soufilant a chaque detour; il 
fautles exciter de la voix et du fouet, car reculer serait dange- 
reux; il vaudrait mieux marcher, mais le soir nous presse; d'ail- 
leurs, plus de sentier; un chaos de blocs epars ou le torrent 
lui-mgme cherche son chemin; il faut le traverser sans cesse, au 
Hair des guides, qui viennent la bien rarement et improvisent la 



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504 MISCELLANIES. 

marche; on cntre dans l'eau rapide, dont Pecume cache le fond; 
le pied des chevaux h£site, le fouet ne suffit plus, il faut les frap- 
per du baton, les piquerde la pointe; ilsse decident, tr6buchent, 
grimpenl sur les pierres polies, glissent, s'accrochent ou ils 
peuvent et gagnent enfin la rive, essoufflSs et tremblants; dans 
unde ces passages, celui de N..., perche" sur une roche plate, 
manque de s'abattre et ne veut plusbouger; Pierre Barrau saute 
sur un bloc, saisit la bride et le tire de la. D'Artagnan,mon che- 
val jaune, lait une telle glissade que je le crois dans Peau et le 
cavalier avec... — Enfin nous en sortons, mais c'est un quart 
d'heure diabolique. 

Mainlenant re sont des roses — des roses de granit — que 
You cueille au basard, mais a pied sec du moins; d'ailleurs les 
pentes s'adoucissent, le cbaos est moins rude, Pherbe se m6le 
aux rochers, et peu apres nous atteignons un petit plan de palu- 
rages ou est la cabane d'Eriste. 

La premiere, car Fautre est a une heure plus haut; c'est a la 
seconde que nous voulions camper, mais le jour tombe, la nuit 
vient vite ici; d'ailleurs nous sommes las; cette montee est bri- 
sante et ce lieu calme nous seduit. 

C'est un repos de la gorge, aux pieds d'un cirque assez ouvert 
que couronne fierement la crete de Baticiel. Le gave coule, assez 
tranquille, entre le versant Est et le mamelon herbeux ou nous 
allons dresser la tente. 

La cabane en effet n'a rien d'une hotellerie; c'est un petit 
amas de pierres seches couvert de mottes de gazon, ou l'ou 
entre a quatre pattes et ou deux bommes et demi peuvent tenir, 
accroupis ou couches stir un lit de pinade. 

Mais pour dresser la tente il faut Pavoir, et les porleurs n'ar- 
rivent pas; plusieurs fois, peudant la montee, on a fait halte 
pour les attendre, mais ils ne tardaient pas autant; avec leurs 
bStes Ires chargers et ce qu'ifs portent eux-m£mes, comment se 
tirent-ils du torreut? Nous sommes inquiets, Pierre et Firmin 
vont redescendre a leur rencontre lorsqu'on les apercoil; ils ont 
eu beaucoup de peine et les chevaux n'en peuvent plus, mais 
Felfectif enfin est au complet. 

La tente se dresse ; Barrau fait la cuisine dans un petit creux 
pres de la cabane, et, la nuit venue, on se groupe aupres du feu 
et Ton soupe gaiement. 

Le temps est magnifique, d'un calme et d'une douceur 
extremes, contraste etrange, surtout a cette hauteur, avec Fin- 
certitude et le froid de ce matin; la montagne, pour ses fiddles, 



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LES POSETS. 505 

a de ces surprises heureuses. Dans le ciel, tres noir, les eloilcs 
plus nombreuses ont une ^clatante fixite; le fin croissant de la 
lunenouvelle monte lentement derriere une crfite dentel^e ; sons 
ces piles clartSs la gorge d'EristS, devoilant vaguement Tabime 
de ses tSnebres, s'empreintd'une myste>ieuse etimposante gran- 
deur; dans les ombres plus proches la flamme du foyer lance 
des eclairs rouges ou dansent des formes etranges... — On r6ve- 
rait la loute la nuit. 

Mais il faut se reposer; chacun s'installe a sa facou; les che- 
vaux, en liberty, s'ebrouent la-bas dans le paturage; les deux 
porteurs s'&endent sous une roche, avec une selle pour oreiller; 
dans la cabane, entre ses pierres peu jointes, brille une vive 
clarte; c'est Firmin et Bajun qui font flamber la-dedans du 
genevrier et qui comptentydormir.Je veux visiter leur taniere et 
j'en ressors vite, asphyxie. Barrau a entretenu le feu de la mar- 
mite; Pierre a fait provision de bois sec et, pres de la flamme 
claire, dispose une couverture sur des branches de sapin; c'est, 
sous la voute du ciel, le lit de M. Du Bourdage et de ses deux 
compagnons, et ils ne seront pas les plus trial. 

Je reste encore longtemps pres d'eux; elles sont si rares ces 
belles heures de nuit dans la montagne!... on voudrait ne pas 
les abr^ger. 

Mais N... a fini ses petits pr^paratifs; elle m'appelle et je 
regagne la lente qui, 6clairee a Finterieur par la lanterne de 
voyage, est toute blanche dans la nuit. 

10 h. — N... se repose sur l'un des petits lits de camp; 
assis sur Pautre, je redige mes notes, puis je m'etends pour 
dormir. 

Le silence du desert regne sur notre petit camp; on n'entend 
que les craquements du sapin dans le feu, le perp^tuel gronde- 
ment du gave et quelquefois, au loin, ces bruits lagers, myste- 
rieux, qui sont comme les soupirs de la montagne. Dort-on? — 
On le dirait; rien ne bouge, et les porteurs ronflent discrete- 
rnent; mais sous la tente?... pas trop, une somnolence demi- 
consciente. Cependant, vers i\ h., je m'etais franchement 
assoupi, lorsqu'un hennissement strident, aigu comme le cri 
du cneval dans le Lac Ontario, d^chire 1'air et me reveille en 
sursaut; presque en mfime temps une galopade folle ebranle le 
sol autour de nous et la tente est heurtee, violeniment secouee 
par quelque chose qui tombe. J'ouvre vivement la toile, je sors 
et, a deux pas dans Tombre, je me heurte a un corps etendu... 
— « Qu'est-ce qu'il y a?... » — Rien du tout, Dieu merci!... Les 



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506 MISCELLANIES. 

chevaux pris d'une panique sont arrives dans le camperaent ; 
Pierre, Tun des porteurs, en voulant les chasser, s'est pris le 
pied dans un piquet de la tente et s'est lourdement 6tal£; il n'a 
qu'une 6corchure et un peu d'etonnement. Mais pourquoi cette 
peur de nos b£tes?... on ne sait pas; quelque pierre qui roule ou 
un isard qui passe; ce ne peut 6trc un loup, car les chevaux sont 
deji repartis. — Le camp reprend son calme et tranquiJlemenl 
la nuit s'acheve. 

9 aout. — A 3 h. on est debout ; le ciel blanchit a peine, mais 
la journee s'annonce superbe et on ne peut partir trop tdt. — 
Toilette so mm a ire a l'eau glac6e du gave; cafe* bouillant; nous 
sommes prfits. Pierre, remis de sa culbute, demande k nous 
accompagner; l'autre porteur, Jean, dit Tabac, qui preTere sa 
pipe, reste pour garder le camp et les chevaux. 

Prenant le versant Ouest, nous nous £levons doucement, aux 
premieres lueurs de Taube, sur des gazons semes de debris ; le 
gave, par un circuit, coule maintenant de ce cdte; on le fran- 
chit au point on la gorge se releve et Ton traverse en biais tout 
le has de ramphitheatre qui rappelle quelque peu celui de la 
Renc!use;on revient ainsi, par des pentes plus raides, sur W 
versant de I'Est, ayant de>rit un demi-cercle; et presque sous 
nos pieds, dans la vallee encore sombre, nous revoyons com me 
un petit point rouge le feu du campement. 

De plus en plus les pentes se redressent, et c'est par de nom- 
breux detours qu'on les gravit lentement; le gazon se fait rare; 
les debris plus serres s'entassent sur les ressauts; les sapins 
demi-morls, les racines prises dans le roc, tordent leur tronc 
brise ; quelques pins mis6rables penchent leur maigre parasol 
sur des myrtilles rabougries, puis plus rien que les blocs, la 
necropole de granit qui est le seuil des hautes cimes. 

Sur les plus saillants de ces debris, Barrau place des signes* 
quelques pierres dressees qui, eu cas de brouillard, jalonneraient 
la route pour le retour. Tout en s'elevant, on revient vers le 
cirque, on redescend un peu pour traverser une derniere fois le 
gave, et, revenant vers le couchant, on monte la gorge en 
echarpe. Ainsi jusqu'a ce point la ligne suivie, comme un ser- 
pent, se replie deux fois sur elle-m6mc. 

Nous sommes a la seconde cabane, plus grande et plus solide 
que Tautre, et habilee en ce moment. Un berger espagnol 
demeure la, seul, cinq mois de Tannee ; de temps en temps, sa 
fille et un petit garc,on de dix ans viennent d'Erist6, avec un Ane, 
lui apporter des provisions. Comment sortent-ils du torrent ? Ce 



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LKS POSETS. 507 

scrait impossible s'ils n'avaient un secret que nous saurons a la 
descenle, lout sirnplement un autre passage qui 6vite le gave ; 
lnalgre" cela un tel metier demande un grand courage pour le 
pere com me pour les enfants. 

Le berger est noir comme un Maure; grand, maigre, les sour- 
ces forts, le nez un peu busque, les pommettes saillantes ; cos- 
tume : un gilet brun a manches rouges, montrant des traces 
de broderies, une culotte brune, des bas grisatres et pour chaus- 
surcs des espadrilles, le tout trds rapiece ; sur la t<He une petite 
calotte de peau de bouc, avec le poil par place, semblant collie au 
crane; — un faux air d'arlequin, mais d'un arlequin digne qui, 
debout, silencieux, la jambe roulee autour d'un grand baton, 
montre qu'il est chez lui. Le petit garc,on, cache" derriere la porte, 
ne laisse voir que ses yeux; la fille a la figure presque couverte 
d'un moucboir; les ecrouelles la rongent et, honteuse, elle a 
peine a nous montrcr son mal, bien que Barrau lui dise : « El 
senor es medico. » Helas!... qu'y feront les remedes?... 11 fau- 
drait la le doigt du roi... d'Espagne, et le roi est bien loin. 

Autour de la cabane, paissant sur des banquettes berbeuses, — 
oasis du rocher, — quelques chcvres, des vaches et surtout des 
mulets; Tun d'eux est jaune et elegant comme une h^mione : 
r'est un brut, nous dit Pierre Barrau, c'est-a-dire le produit du 
cheval et de Panesse et non de I'ane et de la jument ; la noblesse 
ici vient du pere. Ces mulets, parait-il, naissent en France, soul 
eleves la et vendus a Venasque; c'est dans ces rudes regions 
qu'ils gagnent leur pied si sur et leur sobriele. 

Nous reprenons la marche vers l'Ouest. Sans dire un mot le 
berger nous suit: c'est bien son droit sur ses domaines; do- 
maines de pierre maintenant, non plus seulement de blocs ou 
de pierrailles, mais de granit en place . Deja dans la gorge 
d'Erisle\ surtout a notre campemenl, nous avions reconnu des 
affleurements non equivoques; depuis le matin nous en trouvions 
et de plus en plus manifestes ; ici rien ne cache plus la roche 
primordiale ; debarrassee de lout, elle est le flanc m£me de la 
monlagne. Au campement, c'etait encore un granit melange, 
ffneissique; ici, c'est le plus pur, celui du Portillon de la Mala- 
detla, gris clair, serre, a fines paillettes de mica noir; et sa 
nature plutonienne, son etat de lave plus ou moins chaude, 
lors du soulevement, est ici residence mfime; partout ou sont 
encore quelques lambeaux de transition on voit avec eux sa 
liaison ou mieux encore sa soudure ; a chaque pas, sur ses 
pentes lisses,on trouve des bandes schisteuses, parfois m&me 



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508 MISCELLANIES. 

tres minces (1*2 k \o centim.), qui y sont comme trenip^es. Sa 
surface g&ierale, onduleuse, est usee, sillonne>, ridee de famous 
tr6s diverses ; l'usure des eaux et du temps se montre ici comme 
d'ordinaire par des rigoles, de petits bassins et par 1'alteration 
de la roche ; mais un ph^nomene local permettrait presque de 
mesurer Tanciennele de l'usure : des veines de quartzite sillon- 
nent souvent la masse, et tout naturellement cette matiere plus 
dure, moins alterable que Tautre, y forme des rides saillantes; 
mais quand le quartz, isole, n'est qu'uu simple rognon, place 
jadis a la surface, il a protege le reste qui, ronge* tout autour, est 
demeure sous lui en une petite colonne; de sorte qu'on a main- 
tenant, surlout sur les faces verticales, des champignons de 
pierre, longs quelquefois de 12 centim., dont le pedicule est 
granilique et le chapeau quartzeux. Bien qu'on doive certaine- 
ment trouver ailleurs ce genre de bolets, je n'en avais pas en- 
core rencontre. 

Des sillons longitudinaux, qui seraient d'une £poque ant£- 
rieure, indiqueraient Taction des glaces. Enfin le gran it m£nie 
oflVe ce reseau de saillies qu'on rencontre partout,mais qui est 
la tres remarquable : ce sont des rides rectilignes s'entre-croisant 
suivant des angles tres divers, toujours inferieurs a un droit et 
souvent tres aigus; leur matiere, semblable a celle de la masse, 
para it fitre plus dense; elle est 6videmment plus dure puisqu'elle 
s'est moins us6e. Serait-ce un ph£nomene de cristallisation qui, 
suivant les clivages, aurait serre les Elements? — Un mine>alo- 
giste aurait la de quoi faire. 

Le massif monte, suivant une pente moyenne d'a peu pres 
30 degr6s, jusqu'a une hauteur d'environ 3,000 met., et la, se 
rencontrant avcc la crfite de Baticiel, qui se dresse en abrupt, 
s'enfonee brusquement par-dessous. Cette crGte, que nous Ion- 
geons maintenanl, est, au moins dans le has, de schistes 
azolques certainement cumbriens, d'un rouge cuit, steriles, dislo- 
qu6s; le pendement, qui parait 6tre au Sud, est tourmente, bou- 
levers6; Televation, a la priucipale pointe, peut s'estimer a 
200 met.; la ligne faitiere, tr6s d6chiree, les couches sup£- 
rieures plus grises sont d'apparence silurienne; pour £tre sur il 
faudrait y aller voir, et ce n'est pas commode. 

II est temps d'ailleurs de faire halte : voila 7 h. et le soleil 
chauffe deja; un petit ruisselet murmure, une roche donne un 
peu d'ombre, cassons la croute du matin. 

L'Espagnol, qui nous regarde, perche comme Fra Diavolo, 
revolt sa part et la mange noblement. — II va sans doute pren- 



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LES POSETS. 509 

dre conge? Non pas; quand on part il repart, el, a dix pas sur 
notre droite, lentement et sans bruit, a grandes enjambees, suit 
de pierre en pierre coinme une ombre. 

L'ascension se continue, en appuyant toujours a I'Ouest afin 
de contourner la crete. Quand on l'a d^passee, on laisse vers 
rOuest-Sud-Ouest une autre cr&te un peu plus basse, inais aussi 
berissee, et Ton s'engage, en marcbant au Nord-Ouest, direction 
qu'on ne quittera guere plus, dans une gorge elroite, tristement 
enfermee entre de raides parois cbauves ; c'est d'un cdte la crete 
de Baticiel, completement tournee, de l'autre une creUe parallele. 

La neige commence presque aussitot, garnissant toute oette 
gorge d'un blanc tapis d'une demi-lieue, qui monte d'une pente 
egale et douce. 

Le Maureva s'arreter la? — Nullement; malgre ses espadrilles 
il entre dans la neige comme sur un gazon et, toujours a distance, 
suit sa marche muette. 

La neige arrive a un petit cirque ou, si Von veut, un demi- 
entonnoir couronne des areles qui vont converger aux Posets; on 
appuie sur la droite, c'est-a-dire vers l'Est, pour en gravir le 
fond; les pentes, rayees de debris, se redressent peu a peu. On 
laisse a gaucbe, dans une coupure du cirque, un col neigeux 
plongeant sur une gorge profonde, et Ton monte vers une tele 
qui semble elre lacime, — les guides le laissent croire pourvous 
donner courage, — mais qui, belas! n'est encore que le premier 
ressautde son arete. 

De la, lorsqu'on se retourne, la gorge qu'on vient de monter 
presente un aspect tres iaroucbe; on domine ses creles, mfinie 
celle de Baticiel, et Ton embrasse leurs parois minces, dechi- 
quetees, fendues en obelisques mena^ants. 

La neige cesse et Ton aborde une croupe assez large, mais 
raide, couverte de pierrailles croulantes ; c'est l'arete des Posets 
qui s'isole et va bient6t tout surplomber. Ces debris caries, 
plats, schistes curabriens, fragments de trapp, glissent les uns 
sur les autres et s'eboulent sous le pied; le baton ne sert a rien; 
il faut monter lentement, par elans, a quatre pattes ; c'est ener- 
vant, le souffle manque... Quand diable arrivera-t-on?... 

N... monte vaillamment, avec les deux Barrau; Pierre, le por- 
teur, vient me donner le bras et, a nous deux, nous glissons 
moins. M. Du Bourdage nous precede, avec Pierre Barrau et 
Bajun, et le Maure, seul, suit... a quinze pas. 

Enfm ces detritus font place a une rocaille plus ferme; l'arete 
se r£trecit, mais, beaucoup moins rapide, elle permet un repos. 



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510 MISCELLANIES. 

C'est d'ailleurs de ce point que Ton saisit le mieui, pour co ver- 
sant, l'ossature des Posets. Adroite tie celle que nous suivons, et 
venanl la rejoindre, monte 1'aWHe tres inegale qui borde le c6t£ 
Nord-Kst de l'entonnoir; a gauche, sur le versant Nord de eette 
profonVle gorge ou conduirait le col neigeux, se decoupe sur le 
ciel, venant directement de l'Ouesl, une haute crete tres ondulee, 
mais presque horizontale ; ses plissements reguliers sont extrSnie- 
menl remarquables ; rubans de terrain de transition, de couleurs 
vives et tres diverses, ils font Tetfet d'une coupe teintee dans un 
atlas geologique; toutes ces roches paraissent brulees; elles 
rappeUent les schistes des mines on le feu a passe. 

Cette crtta, qui vient se souder perpendiculairement a l'arete 
des Posets» lui est peu inferieure; quelques pointes, Tune sur- 
tout couverte d*uae neige etincelante, semblent 6tre plus elevees 
que la cime ; mais il y a erreur; Pextreme cime est encore loin; 
elle nous est cachee jusiement par cette crele. Ce qu'on pretid 
d'ici pour elle, c'est une seconde tele, aussi trompeuse que la 
premiere, mais comme elle servant a entretenir Pcspoir. 

L'arSte se relrecit encore et, sur ses deux versants, se flanque 
<le precipices. On a tendance a se porter a gauche ou les pentes 
sont moins raides, mais ou la roche desagregee est d'un appui 
peu sur; aussi Barrau, d'un air furieux, commande-t-il : « A 
toute crtHe!... » — II est le chef, on obeit, et on reconnait qu'il 
a raison; le dos de Parele est bien meilleur; le schiste est fis- 
sure, divis6 en fragments cubiques, rhombo£driques t en lames 
plus ou moins plates, mais ces fragments, debout, se tiennent 
Tun par l'autre; partout la crele, sauf quelques places tres 
courtes, est suffisamment large, et a present ses ilancs, quoique 
Ires inclines, ne le sont pas a ce point de donner le vertige. 

i 1 h. — La seconde tele est depassee ; enfin, nous voyon's la vraie 
cime; quelque chose remue dessus; cesontuos compaguons qui, 
arrives depuis quelque temps deja, nous font des signes d'encou- 
ragement. Quand nous sommes a 100 met. environ du somniel, 
M. Du Bourdage en redescend, apportant a N... un sorbet de 
neige au malaga; vin de dessert et biscuits, c'est tout ce qu'ils 
out la-haut; nous apportons le reste; aussi nous attendent-ils 
avec impatience. Le dernier effort est facile, la roche se presente 
en degres; l'arele en se redressant reprend du large; devant le 
but la fatigue se dissipe et, a 11 h. 30 min., nous donnons sur la 
cime ce coup de talon vainqueur qui recompense de tout. 

Depuis une heure deja la vue elait superbe. Si nous n'en par- 
lions pas encore, c'est qu'elle n'est complete qu'au sommet; de 



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LES POSETS. 511 

plus, dans la montee, l'Stude du detail et, vers la An, les pre- 
cautions a prendre et le malaise des hauteurs empe'chent d'en 
jouir ; on regarde d'un ceil, on pressent son plaisir et Ton se 
reserve de le savourer. 

Nous le pouvons maintenant; le ciel est magnifique, pas un 
image, tres peu de vent; seulement un peu de brume tout au 
loin sur la France. 

Unchale sur deux batons garantit N... du soleil; Pierre Bar- 
rau a trouve une poche de neige, et une grosse pelote qu'il a 
plantee sur la roche tiede donne en fondant sa petite fontaine; 
rien ne uous manque done pour reparer les forces, pas me'me 
1'appetit. 

Pendant ce repos eludions un peu l'observatoire lui-mejiie. Le 
sommet des Posets, large de 4 met., est moins une cime qu'une 
crSte; e'est le summum, le plus haul noeud de l'arete qui, 
com me nous l'avons vu, y inonte par ressauts successifs, attaches 
d'arfites secoudaires, et, comme nous le voyons, redescend de 
mfime au dela. Dans la faible portion ou l'etroite croupe est un 
peu plane, elle est recouverle d'une couche de fragments, mais 
d'une couche mince; elle n'est done pas un entassement de 
debris, ainsi qu'on l'a cru des grandes cimes pyren6ennes. 
Comme au N6thou et comme au Mont-Perdu, la roche ici, toute 
fissured qu'elle soit, conserve jusqu'en haul son allure; mGme 
disloqu&e elle reste en place ;et, en elfel, comment comprendrait- 
on qu'une secousse assez forte pour faire d'un sommet une pyra- 
mide de ruines eut laisse debout cette pyramide? 

Ces fragments sont du trapp; melange sur l'arfite aux schistes 
de transition, il semble pr^dominer ici et former l'exlrfimecreJe; 
im debris, recouvert d'une couche vitrifiSe, est certainement une 
fulgurite ; bien enveloppee, elle disparait dans le sac aux cattloux. 
Un petit cairn est au milieu de la croupe; e'est la-dessous que 
le voyageur glisse sa carte aux Posets et dessus qu'il appuie la 
lunette marine pour se repaitre enfin de l'horizon. 

Au Midi, vers l'Espagne, e'est Tetendue sans bornes, le mou- 
tonnement sans fin de chalnes brunes, modestes, se perdant a 
dix lieues dansle bleu fonce de la plaine; seuls, le Cotiella, d6- 
pendance des Posets et, plus a droite, un autre pic, dont le nom 
nous echappe, dorainent de leurs teles grises; mais soudaine- 
inent a l'Ouest, sur la haute chaine pour fond, se dressent, rap- 
proches dans un ensemble sublime, le Mont-Perdu, son grand 
glacier, ses gradins, sa tele blanche, la Acre couronne de Ga- 
varnie; plus au loin, le Vigucmale, sa pique noire, son long 



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5 12 MJSCELLANEKS. 

man tea u zebre de places bleuatres; l'Ardiden de Cauterels, le 
Pic du Midi de Bareges, puis au^ord, bien plus pres, les Gours- 
Blancs, Glarabide et le Perdighero, le revers de Crabioules avec 
ses trainees de neige, Sacroux, la crete aigue de Sauvegarde et 
du Port; enfin, s'elevant sur la chaine orientale, la masse des 
Monts-Maudits ct par-dessus leurs crates, toujour* graudioses 
mais sombres, la pointe eclatante du Nethou. 

Apres cette vue d'ensemble, revenons, car maintenant nous 
le comprendrons mieux, au groupe ineme des Posets. Ce groupe, 
sommairement, est l'accident superbe, la surelevation en Tun de 
ses points d'une chaine secondaire de plus de dix lieues de long, 
qui de San-Vitoriano monte directement au Nord et se rattache 
a la grande chaine vers les hauteurs de Clarabide; laprincipale 
arete est celle que nous avons suivie; nous connaissons deja, 
a parlir d'Eriste, les gorges qui y menent et les chainons qui 
s'y rattachent; du sommet ou nous sommcs, en se tournant vers 
le Midi, le regard plonge presque verticalement dans des gorges 
sauvages, sur des crates steriles, ebr^chees, dechirees; les gorges 
naissent de 1'anHe centrale, les crates en descendent. L'arele, 
elle-meme, passe le sommet, s'abaissant par degres, s'incurve de 
TOuest au Nord, tombe au col de Gistain et se releve, sous Cla- 
rabide, pour se soudera.it Port d'Aiguestortes ; elle contourne 
ainsi un deini-cirque tout blanc qui est le glacier de Paoul et le 
depart de la vallee d'Astos ; c'est ce glacier qu'on monte lorsque 
Ton vient par Turmes et Paoul ; assez rapide, il se redresse 
encore aux approches de l'arete et les langues du neve se pro- 
longed tres haut. Barrau nous montre lachemin6e de neige qui 
conduit au passage nouime le Pus du Clud; il semble peu com- 
mode, et cette portion de l'arete, dentel6e, disloquee, doit 
demander beaucoup de prudence ; c'est le Pont de Mahomet des 
Posets. 

Ayant ce tableau sous les yeux et rassemblant par la pensee 
toutes nos observations de detail, nous nous rendrons peut-etre 
compte de la formation de ce massif. Lors des premieres Pyre- 
nees, ou Pyrenees devonieunes, la chaine secondaire, de Clara- 
bide a San-Vitoriano, moins importante sans doute, devail exister 
cependant; plus tard, bien des siecles plus tard, quand se pro- 
duisit le grand elan granitique qui, soulevant de nouveau toute 
la chaine, parut au jour dans sa portion centrale, le flot pointa 
d'abord au Val de Burbe, redressa Sauvegarde et, rejetant an 
Nord les couches cumbriennes, les depassa, monta au Perdi- 
ghero et retomba dans la vallee d'Astos et dans les gorges de 



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LES POSETS. 513 

PEsera; la il se divise en deux vagues, l'uue, ia plus puissante, 
qui forme les Monts-Maudits, I 'autre qui surexhausse la chatne 
des Posets;la premiere, montant a 3,404 met., el bien plus haut 
peut-elre, comme nous Ie dirons, a rejete sur ses ilancs toutes 
les anciennes assises, et le granit trone au Nethou; la seconde 
s'est 6lev6e a pres de 3,000 met., mais, tout en redressant les 
couches de transition, en s'en debarrassant par places, elle les 
conserve sur sa t6te, elle porte en arele les assises cumbriennes 
et garde au Sud les autres formations; le Coliella, Ires voisin, 
serait calcaire. 

Que de choses il y aurait a dir^ que de clioses a voir!... Ce ne 
sont pas des heures, ce sont des mois qu'il faudrait passer la; 
le groupe des Posets, tres peu etudie, aurait pour le savant un 
interel de premier ordre; en a-t-il autaut pour l'artiste? M. le 
comte Russell le pense; le grand explorateur, l'amant passionne 
de nos cheres montagnes, estime que les Posets donnent des 
Pyrenees « la vue la plus spleudide ». — « C'est, dil-il, l'obser- 
vatoire par excellence, isole\ immensement haut, et d'ou Ton 
voit tout ; la forme elle-m6me du Posets, qui s'etage et semble 
monter aux nues par gran des et horizontales terrasses, explique 
peut-elre cette predilection qu'out pour lui les rares touristes 
qui l'ont mis sous leurs pieds. » 

Nous sommes bien dccel avis; certes, la vue est immense, 
variee, saisissante... mais — il y a un mais... — elle manque... de 
ueiges.Cela s'explique naturellement puisqu'on regarde le midi de 
la ckaine, mais quel charme de moins !... C'est la neige qui donne 
leur grandeur aux montagnes; sa liniite inferieure est, on petit 
dire, la borne entre le monde ordinaire et un autre... tout autre. 

Aussi dans ce bel ensemble n'y a-l-il de vraiment grand que 
le Mont-Perdu et le Vignemale, parce que leur position permet de 
voir leurs glaciers; les Posets monies ne semblent a leur hauteur 
(3,363 met.) que lorsque, vers le Nord, on plonge sur le glacier de 
Paoul. Nous avouons done que, sous ce rapport, nous prSferons 
la vue qu'on a du Vignemale et m£me de pics moins importants. 

Mais c'est atfaire de gout; que cela n'arrele personne 1 !... 

D r A. Mony, 
Membre du Club Alpin Francais 
(Section de Paris). 

1. Cet article est extrait d'un livre en preparation, intitule Pyrtwfes. 
C'est pour cette raison que nous ne nous sommes pas cru le droit d'y 
faire la molndre modification, soit dans l'orthographe des noma, soit 
dans les apercus geologiques ou topographiques . — Note de la Redaction . 

ANNUAIRK DE 1881. 33 



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514 MISCELLANIES. 



DES BAINS DE PANTICOSA A VtMSQUE, LE LONG 
DU CORDON SANITAIRE 

J'avais projete en 1884 une excursion dans les Pyrenees sur 
les deux versants. Au dernier moment, le cordon militaire etabli 
sur la frontiere pour cause de cholera me forca a modifier mon 
itineraire. Habitant en Espagne , je ne pouvais songer a en sortir 
sous peine de sept jours de lazaret au retour. Je me bornai done 
aux montagnes de l'Aragon. 

Parti le 2 aout de Barcelone, j'^tais a Huesca le mSme soir. 
Trois compagnies de diligence y font le service des bains de 
Panticosa. Mais leur administration est deplorable : on ne res- 
pecte ni tarifs ni r&glements. Souvent le voyageur qui a paye 
d'avance sa place de berline a Madrid ou a Barcelone se voit 
fourr6 dans Tinterieur de la voiture. Inutile de protester. On nV 
gagne que des injures. Le seul remede est une plainle au gou- 
verneur de la province, et on s'en abstient generate men t. 

La diligence quitte Huesca au matin, le soir elle est a Jaca et 
le lendemain a I'aube aux bains. 

Aussitdt arrive, j'avalai une tasse de chocolat et, prenant mon 
alpenstock, me dirigeai seul et sans but vers les escarpements 
de Tautre cdte du lac. 

La pente d'eboulis etait assez forte, la chaleur aussi, mais fair 
ne manquait pas. Je fus assez surpris en voyant dans des cas- 
catelles, le long d'un raide escarpement, une grenouille remon- 
tant lestement le courant par une serie de bonds executes avec 
une cranerie qu'un chamois eut enviee. Ce nouveau collegue en 
alpinisme me depassa rapidement et fut bient6t hors de vue. 

J'alteignis enfln une coulee de neige et peu apres la brfeclie 
des Aruelas, entre le pic des Aruelas et un pic plus modesle au 
Nord. Sur Tautre versant des neiges eblouissantes encadraient 
deux lacs gel6s. La glace, d'un indigo fonce, etait rompue c& et la 
et l'azur pale de Teau se montrait dans les trous circulaires. 
Derriere un chainon aride. le Pic du Midi d'Ossau s'elevait avec 
majeste. 

Par ou continuer ina promenade? Je savais que Tavant-veille 
on avail plante un drapeau sur TAruelas, dont les escarpements 
septentrionaux semblaient assez accessibles; mais, vu la raideur 
de la pente qui ne permet guere de voir au dela de quelques 
metres en a van!, j'apprehendais de ne pouvoir retrouver mon 



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DBS BAINS DE PANT1C0SA A VfcNASQUE. 515 

cliemin a la descente. Je gravis done le pic plus modeste de 
droite. 

Le pic d'Enfer me cachait le Balaltous et toule une region inte- 
ressante; cependant ni les lacs en dessous, ni Panticosa dans son 
ablme avec les pics du Brazzato, la Tendenera et plus a Thorizon 
le Vignemale et le superbe Mout-Perdu, ne manquaient de 
charmes. 

De retour a Panticosa dans l'apres-midi je m'occupai d'obtenir 
un document qui me permit de passer libremenl le long du 
cordon militaire. Je ne Feus pas sans peine. C'elait un cerlillcat 
constatant ma provenance : de plus, dans chaque village on je 
passerais, le maire devait y annoter l'heure de mon arrivee et 
celle de mon depart. 

Le 5»aout, je quitlai les bains en compagnie d'un homme qui 
y vient tous les deux jours vendre des truites de Torla aux hdtels. 
Presque au sortir des bains nous rencontrames les soldats du 
cordon. Mon document exhibe, nous 6tions une heure apres au 
premier lac du Brazzato, une demi-heure apres au second, et au 
bout de trois quarts d'heure au col. Ici Unit l'aflreuse desolation 
de pierres caracterisant Panticosa. Devant nous s'ouvrait le vert 
vallon de Cerbillonas. Le Vignemale se dressait a gauche. Sur 
ses pentes uniformes presque aucune trace de neige ou de gazon. 

Grace a Dieu, voici des arbres, les ruisseaux sourdent sur le 
gazon parfume, de fralches senteurs de moisissure sylvestre 
nous arrivent. II me semble elre transports dans mes belles fo- 
rces de Russie. Du ruisseau d'Ordissa a Torla, le parcours est 
ravissant. Nous ne vimes point de soldats; on eut pu facilement 
passer de Cauterets ou de Gavarnie a Biescas sans Hre vu. Mais 
le temps se gate, le tonnerre se met a mugir et a Sclater, la 
grSle survient. Nous entrons nous abriter dans Thospice de 
Bonjaruelo. La nous trouvons le poste au complet jouant de 
la guitare, au lieu de surveiller les environs, u Cosas de Es- 
pana! » A la nuit, j'eHais a Torla chez Baptiste Viii. 

Je descend is le lendemain au Broto et de la me rendis a Fanlo 
en compagnie du facteur du village qui se chargea de mon sac. 

Chez Jose* Sans (casa del Sefior),son frere Tabbe* 6tala sur une 
table la carte de M. Schrader et, peu apres, un certain Juan 
Larrey survenant, nous nous mimes a discuter le passage a 
Bielsa par le Mont-Perdu et le col de Niscle. Mais les soldats nous 
permettraient-ils de monter au Mont-Perdu? Nous allames a la 
mairie elucider la question. A son tour, le maire, pours^clairer, 
recourut au commandant du poste Jqui vint avec le capitaine des 



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516 MISCELLANIES. 

carabiniers et plusieurs officiers. II y eut conference. Employant 
deux jours pour notre course, rien ne pourrait prouver au maire 
de Bielsa que durant ce temps nous nations pas descendus a 
Gavarnie. D'ailleurs le Mont-Perdu lui-m£me se trouvait en 
dehors de la zone du cordon. Ces messieurs me conseillaieut 
done de m'abstenir du Mont-Perdu ou de faire la course en im 
jour si je le pouvais et sans mentionner Tasrension faite en 
chemin. Juan Larrey que je prenais comme guide avait une 
mediocre envie de faire une marche si forte; cependant devant 
la perspective de quatre douros (20 francs), il n'hesita pas. 

Le 9 aout, a 3 h. du ma! in, je quittai Fanlo. A 7 h. nous 
d£jeunions de lait de clievre et de pain bis chez les bergers des 
plateaux. La moutagne etait devant nous. Les trois sommetsdu 
Mont-Perdu se decoupaieut admirablement avec leurs gradins 
neigeux sur le radicux azur d'un ciel malinal. Le vallon d'Arras 
serpentant a gauche, au fond des precipices, me rappelait, au 
centuple, le fameux ravin de Constantine. Les rouges terrasses 
du mont d 'Arroyo s'elevaient de 1'autre cdte" de Tablme : une 
d'elles £lait si reguliere qu'il semblait qu'on eut pu pendant des 
kilometres circuler en voiture le long de sa cornicbe probable- 
ment inaccessible. 

Sur les derniers gazons nous flmes un dejeuner serieux, et 
aussit6t commenca la mont6e des eboulis. Apres avoir depasse 
un bizarre tronc de c6ne, la tour de Gaulis, je crois, et qui ne 
paralt pas attaquable, nous arrivames aux premiers gradins. Le 
premier est tres facile, le second ne se remarque mGme pas. 
Quant au troisieme, on a le choix entr deux cheminees. Celle 
de gauche sert de gouttiere aux eaux des neiges superieures : 
on a le desagrement de grimpersous une douche. Celle de droite 
se trouvait exceptionnellemenl, paralt-il, verglassSe et exigeait 
Tattention. Plus haut, en faisant quelques pas sur la gauche, 
Tenorme cylindre se revele subitement avec je ne sais quelle 
farouche mais attirante grandeur. Le quatrieme et dernier 
escarpement est moins facile que les autres, le schiste pourri 
cede sous Teflbrt, et la montee est tresraide. Si cette route 6tait 
souvent suivie, un cdble serait utile en cet endroit. Au moment 
ou la cime 6tait proche, les nuages, sans cesse plus nombreux, 
qui depuis deux heures tournoyaient autour de la montagne, 
Tenvahirent brusquement par -rOuest : ce fut au milieu d'une 
vapeur blanche que j'arrivai a la cime, et n'y vis que le registre 
et de nombreuses cartes de visite, dont je crains que mon guide 
n'ait emporte plusieurs malgr^ ma defense. Le nuage ne se dis- 



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DES BAINS DE PANT1C0SA A VfiNASQUE. 517 

sipait pas, un vent glacial s'etait eleve accompagne de grele. II 
fallut retrograder. Pourtant, au moment de descendre,j'eus une 
petite consolation : il se prod u is it coup sur coup dans le nuage 
deux dechirures, d'ailleurs aussitot bouchees. La premiere me 
montra la valine de Gavarnie toute noire, la seconde celle de 
Bielsa plongee dans le velours violet de Pombre. II ctait \ h. 
de Tapres-midi. 

Comme nous n'avions pas de cordes avec nous, Juan, pour 6viter 
Iachemiu6e, essayade descendre a gauche sur le glacier; mais les 
roches etaient encore plus d£sagregees la qu'ailleurs,et nous dumes 
redescendre par on nous etions venus. Au bas du second escar- 
pement, tout TAragon devint visible, du Posets a la Tendeiiera. 
Mais ni les verts plateaux doucement ondules, ni Peleganle Pena 
Montanesa, ni les lointaines plaines lumineuses n'attiraient nies 
regards. Us etaient captives par la vallee de Niscle. Elle sem- 
blait s'enfoncer subitement sous terre, cette vallee mysterieuse, 
avec ses precipices couronn£s de fore'ts bleues, noyees dans 
Pombre douce. Elle respirait un charme melancolique indefinis- 
sable; on eut dit un de ces recoins ignores du reste de la terre, 
qui semblent n'exister que dans ('imagination ou le r6ve, et on 
Ton aimerait a se derober a ses semblables. 

L'borizon se voila une seconde fois et il se mit a pleuvoir. 
INous suivions a present une large corniehe en dessous du glacier 
et contournant la Som Ramond. Elle semblait ne jamais devoir 
finir. Les parois, surplombanl a gauche, nous prot£geaient de la 
pluie, mais en revanche il fallait en d'autres endroits se coller 
a la muraille, ou passer au bord de l'abime pour eviter les 
douches qui par intervalles lombaient d'eu haut, comme de- 
versees par les gargouilles d'une vieille calhedrale. 

Cependant,je remarquai que je venaisde glisser plusieurs fois 
de suite du pied gauche. Un coup dVil me fit constaler avec 
effroi le trepas de la bottine dudit pied. Les eboulis tranchants 
1'avaient completement ouverte. Je la jette et mets mes espa- 
drilles. Les Espagnols vantent ce genre de chaussures; je ne le 
d£pr6cie pas, j'affirme seulement que de marcher avec sur des 
•'•boulis pointus est une torture chinoise ou digne de l'elre. 

D'ailleurs, au bout de dix minutes de marche, les semelles se 
mcttent sur les cot£s et je glisse de plus belle. Je les change de 
pied, cela va mieux d'abord, puis cela recommence et finalement 
elles se dechirenL Je les jetle a leur tour et remets inon 30iilier 
restant et trois paires de bas sur Tautre pied. II est vite a nu. 
Nous touchions au terme de la corniche; une descente malais£e 



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518 MISCELLANIES. 

pour moi le long de rochers lisses nous conduit au col de 
Niscle, a o h. 30 min. du soir. 

La nuit allait bientot venir. Avec mon pied nu et mon pied 
chausse j'avan$ais peniblement; la vue des longues pentes qu'il 
fallait descendre et od un faux pas 6tait dangereux me rendait 
maussade. Juan devenait grincheux. II me proposa de passer la 
nuit sur le col : autremenl dit une bronchite assuree et le lazaret, 
les deux ensemble. Je pris mon parti de descendre quand m&me, 
et, mon guide regimbant, Tidee me viut d'essayerde la imHhode 
usitee pour faire passer un pont aux mulels et qui consiste, comme 
on sail, a les tirer en arriere par la queue. Je conseillai done a 
Juan de rester la et d'ecrire a Venasque pour se faire payer dans 
le cas od il m'arriverait malheur dans la descente. II se leva 
aussitdt, me rejoignit et guida irreprochablement la descente, 
tout en grognant sans interruption. 

Nous eumes la cbance de sortir des mauvais pas juste au 
moment ou I'obscurite rendait notre marche incertaine. La 
riviere fut passee a gue dans la nuit, et nous rencontrames le 
chemin de Bielsa ou nous arrivames a i 1 h. 30 min. de la nuit, 
dans un tel etal de fatigue que tous les objets semblaient danser 
devant nous. Je m'arrd tai chez Sollans y Nerin. 

Le lendemain, mes jambes refusant le service, je gagnai El 
Plan sur un mulet, passai la nuit chez l'hospitalier D. Alonzo, 
maire et apothicaire du village, et re partis de la pour Venasque. 
Au sommet du col on jouit d'une belle vue sur la Maladetta. La 
descente est egalement pittorcsque a travers les hautes herbes 
remplies de fleurs et plus loin sur des croupes escarpe>s, boisees 
dehaut en bas. Le Guide Joanne a raison de dire de Venasque que 
e'est un sale bourg. Au milieu des rues, pav£es d 'afire ux cailloux, 
se promeneut des bandes de cocbons qui a chaque instant foul 
irruption dans les maisons. 11 n'y a aucune auberge convenable. 
Heureusement je retrouvai la quelques officicrs de connaissance. 
Leur ayant montr6 les cartes de MM. Schrader et Wallon, ils s'y 
interessereut vivement, depourvus qu'ils 6taient de carles exactes. 

J'allai dejeuner, le jour d'apres, aux bains de Venasque, on 
Ton esperait bien revoir noire collegue le comte Uussell-Kil- 
lough en depit du cordon, puis je me rendis a 1'hospice re nip I i 
de soldals. Non loinde la avait 6t6 ^tabli le lazaret, une grange 
pouvant contenir vingt personnes ou Ton en avait fourre* soixantc- 
dix pfile-m^le dans la paille. 

Je revins a Venasque, cueillant des framboises sauvages le 
long du chemin. 



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DBS BAINS DE PANT1C0SA A VENASQUE. 519 

L'impossibilite de me procurer des chaussures convenables a 
bref delai me fit renoncer au N6thou ainsi qu'au projet de revenir 
a Barcelone par Viella, Andorre et la Seu dTrgel, et je pris la 
route de Graus. Co chemin serait peu interessant, si ce n'etait 
pour la vue du Posets, aride conime uue montagne grecque, et 
pour une fort belle gorge a la moitie du parcours. 

Parti le 13 aout a 6 h. du matin de V6nasque, a dos de 
mulet, j'£tais le m£me jour a minuit a Graus. A la premiere 
auberge oil je frappai, on me prit pour un cholerique venant du 
lazaret el Ton refusa de m'ouvrir. Je fus plus heureux dans une 
autre. De la la diligence me deposa en quelques heures devant 
la station du chemin de fer a Barbastro. 

En terminant, je d£sirerais faire une remarque sur les chaus- 
sures. Le Club Alpin fait sagement de s'occuper d'instruments 
scientifiques, mais il ferait bien 6galement de s'occuper des 
chaussures, le facteur indispensable par excellence d'une ascen- 
sion, necessaire egalement au louriste scientifique et au touriste 
vulgaire. 

Or, une bonne paire de chaussures de montagnes est un article 
bien plus difficile a trouver qu'un bon alpenstock on un bon 
piolet. MSme a Chamonix, je n'ai pu Gtre satisfait, et a Zermatt 
mon guide lmboden se les faisait venir d'Angleterre. 

N'y aurait-il pas urgence, au moins pour ce qui regarde la 
Section de Paris, a trouver un cordonnier qui se fasse le fournis- 
seur du Club et nous donne un rival de Y « alpine boot » que 
Ton peut se procurer a Londres pour 45 francs chez le fouruis- 
seur de l'Alpine Club? 

D'ailleurs, le dernier mot sur la chaussure alpine n'a pas ete* 
dit. Sur certains rochers lisses, sur certains eboulis, les clous ne 
valent rien, et les semelles de cordes tress£es doivent elre em- 
ployees. L'espadrille espagnole, l'opanka des Montenegrins, le 
chausson en gros feutre des Souanetes et des Daghestaniens au 
Caucase, les guarachos des lndiens de I'Amerique centrale et 
meridionale le demontrent. Ne pourrait-on a la bottine a lacets, 
preferable en tous les cas a la bottine a elastiques de Wlrymper, 
adapter deux semelles mobiles, a l'aide de vis ou de charnieres? 
L'une des semelles serait a clous, l'autre en corde Iressee. 

Valentin de Gorloff, 

Membre du Club Alpin Francais 
(Section de Paris). 



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520 MISCELLANIES. 



ASCENSION DE LA ROCHE D'AJOUX 

(beaijolais) 

Les membres du Club Alpin Francais ne s'attacheiit pas 
exclusivemcnt aux ascensions des hautes cimes des Alpes ou 
des Pyrenees. Us s'interessent egalement a tout ce qui porte 
nom de raontagne. C'est a ce titre que je veux dire quelques 
mots du Beaujolais. 

Combien ne connaissent du Beaujolais que le vin justemenl 
estime qu'il produit, sans meme se douter que cette magniflque 
region de notre belle France est non . seulement un pays de 
vignobles, mais aussi un centre reunissant tous les attrails du 
pittoresque ! 

Dans les Annuaires du Club Alpin, il n'a jamais ele fait, que 
je sache, de relation sur le Beaujolais ni sur le Forez, deux 
provinces qui se touchent et se confondent en certains points. 
Messieurs les membres de la Section de la Madeleine, comme 
ceux de la Section de Sadne-et-Loire, ne nous ont pas encore 
parle de leurs belles montagnes. Je ne veux pas attribuer cette 
reserve au desir de les garder exclusivement pour eux. Je crois 
pluUH a un exces de modestie de la part de nos sympathiques 
collegues. lis ont d'ailleurs Fexcuse de la recente organisation 
de leurs Sections. Mais j'ai la conliance que dans les prochains 
Annuaires ils nous initieront a toules les merveilles alpestres que 
recelent ces regions privilegiees et que je n'ai fait qu'entrevoir. 

Le Beaujolais, cette ancienne province J i mi tee autrefois par le 
Forez, le Lyonnais, le Maconnais et le Charolais, est situ6 dans 
une des contrees les plus montagneuses de la France. 11 s'etend 
en elfet entre les monts du Charolais et les monts du Lyonnais 
et forme comme le trait d'union de ces chaines secondaires se 
rattachant, au Sud, au massif des Cevennes par les monts du 
Vivarais, qui sonl eux-m^mes le prolongement des monts du 
Gevaudan ou Cevennes proprement dites, dans la Lozere. 

Le Beaujolais occupe tout le Nord-Ouest du department 
du Rhone, la parlie Nord-Est de la Loire et le Sud du Sadne- 
et-Loire. 

Ce qui caracterise ce pays est certainement la beauts en 
m£me temps que la facilite des excursions qu'on y peut faire, 
ainsi que la grande etendue des points de vue qu'on y decouvrc. 



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ASCENSION DE LA ROCHE n'AJOUX. 521 

Le Forez possede les grandes montagnes de Montbrison, et la 
longue et haute chaine de la Madeleine qui domine Roanne 
et dont le point culminant — Piene-sur-Haute — mesure 
1,640 metres d'altitude. 

Le Beaujolais, plus modeste, compte a son avoir une serie de 
pics de 800, 900 et mfime 1,000 metres, tels que : 

Le Signal de Saint-Rignud 1,012 met. 

Le Monet 1,000 

La Roche d'Ajoux 973 

Le Mont-Tourveon 953 

La Chevrelieu 907 

Le Mont-Soubrant 898 

Teissonniere. . 892 

Le Mont-Auguel (au Sud) 890 

I/e Mont-Avenas 850 

La Croix du Puits 847 

sans compter nombre de sommets de 900 a \ ,000 metres qui, 
officiellement, n'ont jamais ete baptises. 

L'une des montagnes les plus remarquables du Beaujolais est 
assurement la Roche d'Ajoux (973 met.), dont je fis l'ascension 
au prinlemps de 1884. 

Le 12 mars, par une belle matinee, je partais du village de 
Lagresle, dans la Loire, en compagnie de M. Tardy, notaire et 
conseiller d'arrondissement du pays, et de M me Tardy. Grace 
a Textreme obligeance de M. Tardy, qui avait bien voulu se 
charger d'organiser le depart, une voiture attelee d'un bon che- 
val nous prenait a notre porte et nous conduisait au col des 
fccharmeaux (718 met.), passage ties frequents par les gens du 
pays et situe au pied de la Roche d'Ajoux. Ce col est d'ailleurs 
la seule communication entre le Beaujolais proprement dit et le 
Forez, entre Beaujeu et Roanne par Chauflailles et Cbarlieu. 

La route que nous devons suivre domine de 300 met. environ 
la vaste et longue valine de la Loire, dont le panorama s'elend a 
perte de vue. A chaque detour de la route, c'est un coup d'oeil 
nouveau et enchanteur. 

En passant, nous visitons Belmont (450 met environ), chef- 
lieu de canton pittoresquement etage* sur le versant d'une ravis- 
sante vallee. Cette petite ville, point extreme du d^partement 
de la Loire, possede un couvent de religieuses cloitrees, dites 
du Verbe-lncarne\ Grace a M m0 Tardy, qui a des intelligences 
dans la place, il nous est donn6 de contempler, a travers une 



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522 MISCKLLAN&ES. 

grille respectable, le costume eel a tan t que portent les reli- 
gieuses. Leur robe, d'un blanc mat, sous un manteau de 
pourpre, accompague' de souliers pourpre, evoque le souvenir 
d'un autre age en reportant la pensGe a des temps qui ne son! 
plus ! 

Arrives au col des £charmeaux, apres trois heures de route, 
nous nous faisons servir, dans une des trois auberges de l'en- 
droit, un dejeuner qui va nous faciliter i'escalade de la Roche 
d'Ajoux, que nous apercevions depuis la sortie de Belmont et 
qui semblait fuir a mesure que nous approchions. 

Cette montagne bizarre a son sommet couronne par un 
enorme roch er, sorte de dolmen gigantesque qui en surplombe 
la cr&te et qui, de loin, paralt inaccessible. 

Nous commencons l'ascension a 4 h. de l'apres-midi. La mon- 
l^e s'effectue presque constamment dans les bois, a Tabri du 
soleil. C'est une promenade delicieuse! Nous nous diri«reons 
vers le sommet, et a 2 h. 30 min. nous touchons le rocher qui 
I ermine le pic. 

Le terrain ne se decouvre que pres du terme de l'ascension, 
a l'approche d'un plateau assez vaste, ce qui, en l'absence de 
sen tier trace, necessite l'emploi de la boussole. A partir du pla- 
teau, les hautes herbes remplacent la forSt, et le rocher de la 
< a r6te, qui, pendant la mont6e, est rest6 pour nous completement 
invisible, apparait inopinement a nos yeux dans toute sa splen- 
deur et nous prouve que nous n'avons pas devi£ de la bonne 
route. Un hourrah le salue ! Mais la Roche d'Ajoux n'est pas 
encore vaiucue : nous devons gravir cette muraille qui nous 
barre le passage. Impatient de toucher le but, je m'eJance a l'as- 
saut et, m'aidant des genoux et des mains, j 'arrive enQn sur la 
plate-forme terminate par un chemin qui me rappelle vague- 
ment certains passages peYilleux des grandes Alpes. Mes compa- 
gnons me rejoignent presque en m&me temps. Moins t&m£- 
raires, ils avaient contourne le cflne de rocber et decouvert, du 
c6te Nord, une sorte de route naturelle arrivant au faite pres- 
que en penle douce. 

Le temps est admirable; la temperature est chaude; le baro- 
melre marque 1,000 metres environ. Nous nous trouvons sur 
une sorte de plate-forme, toute en grauit, de 20 metres de su- 
perlicie, avec le precipice a nos pieds et I'immensitS devant 
nous ! La vue nous recompense du dernier effort : le spectacle 
est grandiose. Au Nord-Ouest, l'o?il embrasse toute la vallee de 
la Loire et, dans le lointain, a plus de 70 kilometres a l'Ouest, la 



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ASCENSION DE LA ROCHE DAJOUX. 523 

belle chaine de la Madeleine; au Sud, Ies monts du Lyonnais 
entasses les uns au-dessus des autres en un prodigieux amon- 
cellement et, a l'Est, tout le Beaujolais dont la surface res- 
serable a une serie de volcans entrecoupes de profondes 
vallees ! 

Beaujeu est la, dans le fond, a 12 kilometres, Chauffailtes a 
Poppose et, dans le lointain, Charlieu, Ambierle, Roanne, Saint- 
A I ban, que Ton devine plutdl, tant la distance est grande. 

La Roche d'Ajoux se trouvant, par son altitude et par sa 
situation, comme la sentinelle avancee du Beaujolais du cote 
Sud-Ouest, la vue sur tous les pays environnants n'est arr£tee 
par aucun obstacle. L'ceil peut scruter a loisir les innombrables 
valines qui se perdent et s'entre-croisent a travers tous ces monts 
echelonnes. Admirable panorama que Ton contemplerait sans 
se lasser ! 

11 faut cependant s'arracher a ce spectacle, et nous redescen- 
dons a travers laforfit, oil nous nous perdons tant soit peu; mais 
la boussole nous ramene, une heure apres, aux ficharmeaux ou 
nous reprenons notre voiture, a 4 h. 30 min. Nous etions de 
retour a Lagresle a 8 h. du soir, enchantes de notre journ^e. 
Notre intrepide compagne, M mo Tardy, avait eflectuS Fascen- 
sion en veritable montagnarde. 

Pour faire Fascension de la Roche d'Ajoux, on peut aussi 
partir soit de Propieres, sur la route de Saint-Germain-la- 
Montagne, soit de ChSnelette, sur la route de Beaujeu. 

Quantity d'autres sommets sont a gravir aux environs de 
Beaujeu. Mais la Roche d'Ajoux, par sa situation unique, est un 
des monts qui doivent attirer principalement le grimpeur; 
Faspect rebarbatif du cdne final n'est pas etranger a cet attrait. 

Que nos collegues ne craignent pas de s'aventurer dans ce 
d£dale de monts et de vallees. lis trouveront des facility de 
toutes sortes, des hdtels et auberges partout. L'habitant est 
tres hospitalier en Beaujolais; les routes sont nombreuses et 
bien entretenues, et gene>alenient on boit d'excellent vin, ce 
qui a bien son prix. 

Les amateurs d'antiquites trouveront aussi dans ce pays 
quelques specimens interessants, tels que le chateau de Jarnosse 
dans la Loire, les ruines de la Tour d'Esthieugues, au-dessus de 
Cours dans le departement du Rhdne, restes curieux d'un 
ancien chateau fort, habite encore a une 6poque recente, et 
qu'un proprietaire ennemi du moyen age a fait en partie demo- 
lir pour en vendre les materiaux ! 



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524 MISCKLLANKKS. 

On a le choix entre Irois routes pour penetrer en Beaujolais : 
soit par la ligne <le Bourgogne, embranchement de Belleville a 
Beaujeu, soit par la ligne de Roanne a Paray-le-Monial en s'ar- 
retant a Pouilly-sous-Charlieu, soit enfin par la petite ligne de 
Cours, qui rejoint celle du Bourbonnais a Saint-Victor-Tliizy. 

Kdocard de Sevelinges. 

Memhre du Club Alpin Francais 
(Sectious de Paris et de Briancon;. 



UNE EXCURSION DANS LINTERIEUR DU FINISTERE 

Je n'ai pas la pretention d'avoir decouvert la Bretagne, niais 
il me semble qu'on ne commit pas assez les ressources qu'elle 
offre aux amateurs d'excursions a pied. Nos collegues me sau- 
ront peut-tHre gr£ de les leur avoir signalees. On ne peut tou- 
jours allor aux grandes montagnes; les circonstances, des rai- 
sons de famille peuvent vous amener a passer une saison au 
bord de la mer. A ceux qui se trouveront dans ce cas, je dirai : 
« Choisissez une plage bretonne, particulierement dans le Fi- 
nistere; prenez-la pour base d'operations, rayonnez en tous sens, 
et, toutensatisfaisant votre gout pour la marcbe, vousrecueille- 
rez une riehe moisson depressions, de souvenirs, et, si vous 
savez taut soit peu manier un crayon, de croquis interessants. »> 

Sans sortir des limites du Finistere, quelle richesse et quelle 
vari^te d'aspects! Au Sud, vers les emboucburcs de 1'Odet et de 
la riviere de Pont-1'Abbe, des bois de h£tres et de pins qui 
viennent baigner leurspieds jusque dans la mer, des lies sortant 
toutes blanches du milieu des tlots; en remontant au Nord-Ouest, 
lasauvagepresqu'lle de Pen' Marck avec ses ruines feodales, ses 
plages de sable fin, ses rochers noirs et souruois; cette immense 
baie d'Audierne ou la grande boule de TOcean s en vient du 
large, sans obstacle, briser ses lames en longues lignes d 'ecu me 
£blouissante ; la pointe du Raz et la baie des Trepass^s, une 
horreur sublime; la baie de Douarnenez, si grandiose avec sa 
celebre plage du Riz; Crozon, Morgat et ses grottes, la rade de 
Brest, la pointe Saint-Mathieu; au Nord, Roscoff et son semis 
de roches. 

Mais c'est de I'inteVieur que je veux parler. Le sujet est-il 



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UNE EXCURSION DANS L INTKRIEUH DU F1N1STERE. 525 

digne du Club Alpin? Le r6cit de l'excursion dequatre jours que 
j'ai faite en septembre 1884 avec inon beau-frere et l'ain6 de 
mes (lis, garcon de onze ans, vous permettra d'en juger. 

Depuis longtemps je projetais de traverser le Finistere du 
Sud au Nord. Trois ans auparavant, j'avais parcouru le littoral 
de Pont-rAbbe a la pointe du Raz, Douarnenez, le Menez-Hom, 
Crozon, Brest. 

Cette annee, notie point de depart etaitegalementPont-rAbbe, 
ou depuis une quinzaine j'entrainais mes compagnons par des 
courses aux environs. Connaissaut deja la route de Pont-1'Abhe' 
a Quimper, nous primes, le 10 septembre au matin, le courrier 
jusqu a Quimper. Je ne parlerai pas de Quimper. Sa charmante 
situation sur le bord de l'Odet, sa belle calhedrale Saint-Co- 
rentin, le palais episcopal, sont bien connus. Arrives a 9 h. 
30 min. f nous meltons le sac au dos et nous nous eugageons 
dans la vieille route de Chateaulin. J'aime ces routes d'autrefois 
qui allaient droit devant elles sans souci des obstacles. I/aban- 
don les rend plus pittoresques encore : dans les cdles ravin£es 
par la pluie, l'ossature de granit reparalt ca et la; partout les 
arbres et les buissons, abandonnes a eux-mftmes, poussent en 
tous sens leurs branches 6chevel6es. Sur cette route de pres de 
sept lieues, pas une voiture, pas un village; de loin en loin 
quelque masure. (Test dire qu'il faut avoir soin de se munir de 
provisions. 

II fait au depart un soleil brulant, mais quelle admirable 
lumiere! La verdure est intense, l'borizon bleu fonce. Je ne sais 
vraiment pas pourquoi on parle si souveut du ciel brumeux de 
la Bretagne. Pour ma part, aux epoques ou jV suis alle, j'ai 
trouve le plus frequemment un ciel pur, une lumiere claire et 
transparente, souvent mGrne, sur le cdte Sud, une erudite de 
tons qui fait penser aux paysages du Midi. 

A 12 kilom. environ de Quimper, et apres avoir francbi trois 
ravins profonds d'un caractere a peu pres semblable, on rejoint 
la route neuve. Deja Phorizon s'eHend vers TOuest oil se dresse, 
toute rose de bruyeres, une haute butte, la for6t du Due 
(289 met.). La aussi on apercoit une maison a la porte de la- 
quelle se balance la traditionnelle branche de gen^t. 11 est pres 
de niidi : e'est le moment de deballer les provisions. Nous 
entrous : Finterieur est un veritable bouge ou grouillent trois ou 
quatre enfanls ; personne ne parle fraucais ; cependant, avec 
quelques mots bretons et des signes, nous parvenons a nous 
fa ire servir. 



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52H MISCELLANIES. 

On y trouve peu de chose du reste : da vin et des oeufs. Apres 
un rapid e repas, nous repartons. La route neuve que nous sui- 
von9 quelque temps traverse un fort beau pare ; on y voit de ces 
longues avenues a quadruple rangee d'arbres dont rextr6mite, 
perdue dans le fond d'un vallon, 6chappe aux regards, hStres 
louffus ou chenes trapus, que le soleil a peine a percer de 
quelques rayons. Bient6t, apres avoir franchi trois autres 
vallees arrosees de frais ruisseaux, nous reprenons definitive- 
ment la vieille route pour traverser le chemin de fer de Quimper 
a Ch&teaulin, pies de la station de Quemeneven,et monter droit 
dans la montagne. Le mot paraitra peut-elre bien ambitieux 
pour des altitudes variant entre 200 met. et 390 met. au maxi- 
mum ; mais il ne faul pas oublier que nous sommes au bord de 
la mer; que le fond des vallees est a peine a quelques metres 
au-de"§sus du niveau moyen des marees. Et puis le caractere ne 
reside-t-il pas, beaucoup plus que dans l'altitude absolue, dans 
la forme des lignes et des masses,, dans la soudainete des con- 
trastes, dans la nature du sol et de la vegetation, dans l'eiendue 
et la majesty des horizons? 

lei le pays devient tout a fait sauvage et grandiose : les arbres 
font place a la bruyere que percent ca et la des poiutes de gra- 
nit, quelques bouquets de pins tordus font des taches d'onibre 
sur cette elendue rose. La vue, bornee vers TEst par des som- 
mets un peu plus Aleves (le Menez-Kerque, 252 met.), s'etend a 
I'Ouest sur un vaste panorama de pres de dix lieues d'etendue : 
d'abord un enchevelrement de collines et de ravins de quatre 
lieues de large; au dela, les eaux bleues de la baie.de Douar- 
nenez encadree au Nord et a TOuest par la presqu'ile de Grozon 
qui, se recourbant vers le Sud, va se terminer par la coupure 
a pic du cap -de la Chevre. Beaucoup plus loin, dans TOuest, la 
pointe du Raz dont l'extreniite se perd dans les brumes trans- 
parentes de TOcean. Devant nous, au Nord, les trois dOmes du 
Menez-Hom (360 met.) qui formenl la base de la presqu'lle de 
Crozon. Tout cela eclatant de couleur, baigne dans une admi- 
rable lumiere. On resterait des heures entieres arrdt6 dans la 
contemplation de ce spectacle dont la majeste sereine voos 
penetre. On en jouit longlemps du reste, car la route garde les 
hauteurs variant entre 150 et 204 met. d'altitude sur un par- 
cours d'environ 4 kilometres. 

La descente sur Chtlteaulin dure 3 kilom. ; elle s'opere par 
des ravins dont les sinuosites decouvrent et cachent tour a tour 
la petite ville enfouie au fond de son elroite valine. 



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UNE EXCURSION DANS i/lNTERlEUR DU F1NIST&RE. 527 

On arrive par une grande allee d'ormes au vieux bourg, situe 
sur la rive gauche de la riviere et aceroche" au flanc du coleau 
abrupt que couronnent les mines du vieux chateau et qu'en- 
taillent plus loin de profondes ardoisieres. Nous sommes au 
pays de l'ardoise, ce qui lui donne une couleur generate un 
peu noire. Rien a dire de la ville, a cheval sur sa riviere que 
bordent deux beaux quais, solidement balie, com me toutes les 
villes bretonnes a qui la pierre n'a pas manque. Nous descen- 
dons a l'hdtel de la Grand 'Maison, type excellent du vieil hotel 
breton. 11 est environ 4 h. et demie. Apres le rafralchissement 
oblige, nous grimpons, par un chemin en escalier, a 1'hospice 
accole aux ruines du chateau. Ces ruines n'offrent, par elles- 
memes, aucun inter£t, mais c'est un observatoire commode 
pour embrasser d'un coup d'ceil la ville et les environs, inextri- 
cable r6seau de vallees qui s'entre-croisenl en tous sens. 

Notre gite de demain sera Huelgoat, a plus de dix lieues de 
Chateaulin. Pensant raccourcir un peu 1'etape, j'ai projete* de 
prendre le chemin de fer jusqu'a Quimerch, premiere station au 
Nord de Chateau 1 in, pour de la gagner le mont Saint-Michel, 
point culminant de toute la Bretagne (391 met.), et arriver a 
Huelgoat par Saint-Herbot, lieu de pelerinage celebre. 11 nous 
faudra dejeuner aupres du mont Saint-Michel, qui se trouve a peu 
pres a moitie route. Notre bote, que nous consultons, nous 
annonce que nous ne trouverons rien a manger, mais seulement 
du vin dans un debit sur la route de Morlaix qui passe au pied 
de la montagne. Nous emporterons encore notre dejeuner. 

Apres une excellente nuit, nous prenons le train a o h. 
30 min. et debarquons vers h. a Quimerch. Ne pas confondre 
le Quimerch neuf,qui ne figure pas sur la carte de Tfitat-major, 
avec le Quimerch vieux qui y est indique et qui se trouve a 
3 kilom. environ. 

A ce propos, il serait bien desirable qu'on mil dans le com- 
merce les cartes de TEtat-major rectifiers. Celles qu'on vend au 
public ne sont plus, au point de vue de la voirie, d'aucune utilite ; 
el les peuvent m£me contribuer a egarer celui qui sy He. Si Ton 
n'avait soin de suivre pas a pas sur la carte les accidents de ter- 
rain, on se perdrait infailliblement dix fois par jour. 

Au sortir de la gare, voy&ut que le Quimerch qu'on nous 
montre n'est pas celui sur lequel nous devions compter, nous 
nous engageons dans le premier ravin a notre droite pour gagner 
la hauteur. Un chemin abrupt, rocailleux,ombrage dehfitres, de 
rhfines et de chataigniers ou filtrent les rayons du soleil levant; 



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528 MISCELLANIES. 

des vaches et des chevaux sorlant d'une ferine voisine et des- 
cendant au paturage nous examinent curieusemenl ; une exquise 
fraicheur, l'herbe etincelaute de rosee. Tout a coup le chemin 
creux d^bouche sur la route en pleine bruycre (275 met. d'alli- 
tude). Le soleil brille dans un ciel sans nuages, tnais une brume 
legere estompe les horizons lointains. Voici bientdt le vieux 
Quimerch: quelques maisons, une grande place plantee d'arbres 
et leglise, petite, mais charmante avec sa tleche de granit fine- 
inent dentelee. 

Ces eglises bretonnes, tout en granit, inline dans les plus 
petits villages, ne me laissent jamais indiifcrenl. Souveut la nef 
est basse et trapue, robuste comnie la foi dont elle est I'oeuvre; 
mais dans le clocher qui s'elance bardi, parfois decoupe a jour 
conime une dentelle, on croit retrouver 1' image des aspirations 
vers Tinfini qui sont Tun des caracteres marques de la race. 

La route descend ensuite au fond d'une valine, et nous la 
quiltons au bout de quelques kilometres pour prendre a gauche 
dans la direction du manoir de Nivol. Nous atteignons le manoir 
sans trop de peine. On est en train de le reconstruire;jardins et 
bois qui l'entourent sont a I'abandon. Un jardinier qui parle 
franca is nous indique un sentier pour descendre au moulin du 
Nivol, dans la derniere valine que nous ayons a franchir avant 
de nous elever deTmitivement sur les crates. 

« Le sentier est bien envahi par le bois, nous dit-il, mais vous 
passerez tout de me" me. » En elFet,le sentier est si bien envahi 
qu'il faut se plier en deux pour passer sous les branches entre- 
lacees. Nous devalons rapidement, et bientot nous voici au fond 
du vallon, dans une charmante clairiere; un ruisseau limpide y 
court en murmurant; par une echapp^e au Nord nous aper- 
cevons une etroile breche d'ou sort, entre deux inurailles de 
rocher, le ruisseau qui fait tourner le moulin du Nivol. 11 est 
tout prcs, ce moulin; mais plus de sentier, rien qu'un epais 
fourr6 a travers lequel nous essayons de nous frayer un passage; 
nous tombons dans des fondrieres. Force nous est de revenir 
sur nos pas et de chercher un meilleur terrain. Enfin, apres 
beaucoup d'efforts el d'imprecations contre les bois et les mare- 
cages, nous atteignons le moulin, un vieux moulin avec son toil 
de chaume, sa roue vermoulue, perdu au fond d'un vallon sau- 
vage; nous y penetrons, personue. Plusieurs chemins creux 
s'ouvrent devant nous, lequel prendre? Heureusement voici des 
moissonneurs qui battent sur place le ble noir qu'ils viennent 
de faucher : le pere, la mere, les enfants, des figures respirant 



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INE EXCURSION DANS LINTKRIEUR HU K1NISTKRE. 829 

le calme ot la sante. On s'arrete pour nous regarder. Quel 
charmant tableau! Nous faisons comprendre a ces braves gens 
que nous allons au Saint-Michel, et, comme il nous faut passer 
par le hameau du Leure, nous en demandons le chemin. Un 
jeune garcon se delache et nous y conduit, puis les fleaux se 
remettent a battre en cadence. 

Nous gravissons done le chemin pierreux qui conduit au Leure 
et qui sert en m£me temps de lit a un ruisseau babillard. Par- 
lout sur ces terrains granitiquesdes eaux puresjaillissent, mftme 
au sommet des montagnes. Nous arrivons au Leure : quelques 
miserables chaumieres, des rues ou plutotd'etroits passages od 
Ton enfonce dans la boue liquide jusqu'a la cheville; au sortir 
du hameau, la lande toute couverte d'ajoncs et de bruyeres. 
Apres une rude mont£e de quelques minutes nous atteignons la 
criHc de la montagne (270 met.) qu'il s'agit de suivre jusqu'au 
pied du Saint-Michel. Rien de plus simple en apparence, un 
seul chemin figure sur la carte; mais sur le terrain, e'est autre 
chose; nous en renconlrons plusieurs, et le mieux trace n'est pas 
toujours celui qu'il faut prendre. On s'aper^oit tout a coup que 
Ton descend soit a droite, soit a gauche, et alors il faut rega- 
gner la crfite en franchissant ajoncs et bruyeres. Nous avons un 
peu a notre gauche le Saint-Michel qui se dresse chauve et 
severe, surmontl de sa petite chapelle; plus loin, au Nord, la 
rime dentel£e de Roc-Trevezel ; entre nous et le Saint-Michel 
s'elend un vallon absolument nu ou poussent quelques joncs de 
mauvais augure. Le mieux est de decrire une large courbe en 
gardant les hauteurs. Mais il est bientot 11 h. 30 inin., le soleil 
est brulanl, notre petit compagnon declare qu'il nieurt de faim, 
et les grands, sans le dire, partagent assez son avis. Nous deci- 
dons de remettre l'ascension apres dejeuner et d'aller au plus 
pressed e'est-a-dire au debit qui doit nous fournir le vin pour 
arroser notre poulet froid. Voici la route de Morlaix, une mai- 
son; vite nous y courons, elle est fermee! et d'ailleurs, pas de 
branche de gene! ou de pin. Que faire? Gagner la fontaine 
Saint-Michel que la carte indique au pied de la montagne, sur 
le versant Nord au bord de la route. Puisque e'est un lieu de 
pelerinage, le debit ne doit pas en 6tre loin. 

S'il n'y est pas, nous aurons au moins d'excellente eau que 
nous couperons d'eau-de-vie. Nous suivons done la route en 
descendant pendant environ un kilometre sans rien apereevoir. 
Enfin, voici un petit groupe d'arbres, et au milieu une petite 
masure. C'est le d£bit! e'est la fontaine! BienlAt nous sommes 

ANNUAIRK DE 1881. * 34 



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530 MISCELLANIES. 

inslalles pies du bassin profond d'ou l'eau jaillit fraiche el 
limpide. Le poulet est deballe" et devoid; nous y ajoulons 
quelqties ceufs durs et plusieurs bouteilles de vin. Quel exquis 
dejeuner! en plein soleil, en plein desert, le visage battu par le 
vent du Nord, nous savourons pendant une heure un repos bien 
gagne. II y a cependant une ombre au tableau; le pauvre petit 
debit est un veritable nid de 'pirates. Nous en trouverons un 
autre le lendemain, de l'autre c6t6 de la montagne; mais, disons- 
le tout de suite a Tbonneur de la Bretagne, c'est la une excep- 
tion extrSmement rare. 

Apres dejeuner, nous faisous Tascension du Saint-Michel, 
120 met. encore a gravir, par un petit sentier assez raide. Le 
sommet est denude; la chapelle, sans interGt par elle-m£me, 
est entourGe d'un mur circulaire en pierres seches a hauteur 
d'appui. L'horizon est immense, mais une legere brume nous 
cache la mer que, par un temps clair, on doit apercevoir au 
Nord, a l'Ouest et au Sud. Le paysage, malgre le beau soleil, 
est empreint de trislesse. Rien ne vient rompre en eflet la grave 
uniformite des premiers plans exclusivement couverls de lamles 
et de bruyeres. Pas d'arbres, sauf ceuxqui entourent la fontaine 
Saint-Michel, el quelques clochers seulement a plusieurs lieues 
de distance. 

En descendant par le versant Sud, nous croisons la route par 
laquelle nous sommes arrives le matin et nous nous eugageons 
sur la cr£te de la montagne, dans la direction de 1'Est. Ici 
encore le chemin, tres bien trac6 sur la carte, se divise, se perd 
dans la lande, si bien que nous tombons au Sud dans un pre- 
mier ravin; mais nous ne regrettons pas notre erreur, car nous 
remontons par une gorge pittoresque entre de grands contre- 
forts de rocbers, le long d'un ruisseau qui degringole en joyeuses 
cascades du haul de la montagne. A peine avons-nous regagne 
le sommet el traverse un hameau od paraissent sur les portes 
quelques jolies filles que, voulant couper au court, nous nous 
embourbons dans un marecage. Ce sera notre derniere m£sa- 
venture. Tout pres de la, nous rejoignons, un peu au-dessus de 
Loqueflret, la route qui va nous couduire tout droit a Saint- 
Herbot et Huelgoat. 

Ma foi! les routes battues ont du bon, surtout quand il est 
4 h. et que depuis le matin on a marche" dans des chemins 
douteux, s'arrachant la figure aux epines des fourres et les 
mollets aux piquants des ajoncs, enfon$ant jusqu'aux genoux 
dans la vase molle des marais. Elles ont du bon pour le chef 



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UNE EXCURSION DANS L INTERIEUR DU FINISTERE. 531 

responsable quand, dans sa troupe, figure un touristicnte de 
onze ans. Heureusement que le touristicule possede des moilets 
musculeux et des jarrets solides, un estomac toujours affam£ el 
une gaiety inalterable. Le chef alors replie sa carte, oublie ses 
soucis, marche l'esprit libre, les yeux ravis, la tele dans la lu- 
miere, et fait fierement sonner son baton ferre sur les cailloux 
du chemin. 

Quelle belle et bonne route! Rien n'arr£te la vue. Nous com- 
menc,ous a descendre, et tout a coup, au detour d'une croupe 
rocheuse, surgit d'un massif de sombre verdure une grande tour 
carree, aux ogives fiancees; derriere, au Sud, s'etagent plu- 
sieurs plans de collines dont les dernieres se perdent dans la 
brume lumineuse. C'est Saint-Herbot. Une tour carree est une 
exception en Bretagne, on les fl6ches effilees dominent. Celle-ci 
est d'une elevation et d'une legerete que 1'isolement rend plus 
frappantes encore. C'est le moment de faire un croquis. Quelque 
inexperimente" que Ton soit, croquer est un des plaisirs les plus 
vifs qu'on puisse £prouver en voyage. C'est un moment de repos 
exquis; c'est une occasion de penetrer a fond le caractere d'un 
paysage. De plus, ici, pas d'importuns, on goute pleinement le 
charme de la solitude. Si on approche de la vieille 6glise, si on 
p£nelre sous ces mysterieuses avenues qui y aboutissent et od 
glissent quelques rayons du soleil couchant, quel charme plus 
penetrant encore! quelle ser^nite dans le paysage! quel apaise- 
ment dans le coeur! Mais il faut s'arracher a ces seductions et 
songer que nous avons encore 7 kilometres a faire avant d'arri- 
ver a l'6tape. La route, apres avoir franchi la riviere qui tombe 
en cascade a quelque distance sur la gauche, par une breche de 
la montagne, s'61eve progressivement de 158 a 248 met., puis 
redescend sur Huelgoat. II est 7 h. quand nous arrivons. 
tongue journee, mais qui nous a procure de bien vives jouis- 
sances et nous laissera d'ine tradables souvenirs. L'h6tel de Bre- 
tagne nous tend les bras. Chambre charmante, chere exquise et 
bon marchS; on ne peut desirer mieux. Huelgoat est riche en 
sites curieux que nous visiterons demain matin; il est decide, en 
consequence, que nous ne quitterons l'hospitaliere auberge 
qu'apres dejeuner. 

Le lendemain, des 7 h., nous soinmes debout. Le bourg se 
compose d'une rue principale qui s'evase au centre en une vaster 
place rectangulaire, bordtfe de vieilles maisons en granit, aux 
portes cintr6es. Une rue transversale aboutit a un elang mer- 
veilleusement encadre de collines roeheuses. L'etang se diverse 



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534 MISCELLANIES. 

par une gorge elroite, eneombr6e d'^normes rochers, dans laquelle 
nous nous engageons, guides par un jeuue indigene. Tout a 
coup nous nous arrfitons saisis de surprise. Devant nous s'ouvre 
un profond ravin ou se prScipite une veritable cascade de roches. 
Ces roches polies, aux angles emousses, et sous lesquelles ou 
entend bruire la riviere, semblent de monstrueux galels qui au- 
raient ete jetes la par des geants ; Tautre versant au contraire 
est couvert d'une v£g6talion luxuriantc. C'est la que se Irouve 
une pierre tremblante semblable a un 6norme mausolee et que 
deux enfanls font remuer en se glissant dessous ; c'est la aussi 
que le guide nous fait descendre au milieu des rochers pour 
nous montrer le manage de la Vierge. Avec beaucoup de bonne 
voiont6 on peut reconnaltre un chaudron, une cuillere a pot et 
beaucoup d'autres ustensiles que les eaux se sont chargees de 
fabriquer. 

Arrives au fond du ravin, nous prenons un charmant chemin 
sous bois qui nous conduitala route de Carhaix.Tresjolie. cette 
route qui suit toutes les sinuosites d'une valine magnifiquement 
boisGe. Une legere brume, chassSe par le vent du Nord, s'ac- 
croche au sommet des collines et, laissant apercevoir de loin en 
loin quelque coin bleu du ciel, ajoute encore au channe du 
paysage. Tout pres de la se trouve le gouffre, trou profond 
creus6 dans le granit ou la riviere se pr^cipite sous lesombrages 
epais de hStres et de chines. 

En re n trail t a Photel, nous nous trouvons nez a nez avec un 
poulain en liberty ; nous lui faisons place ; un second se presente, 
puis une vieille jument montee par un personnage hSteroelite: 
et enfin un quatrteme cheval surmonte d'un Breton au large 
cbapeau. Le personnage est un Anglais, paralt-il, acclimate dans 
le pays. 

Apres le dejeuner, aussi plantureux que le diner de la veille, 
nous remettons sac au dos pour gagner Pleiber-Christ (2i kilo- 
metres). La route, qui se dirige sur le bourg de la Feuille'e, 
remonte quelque temps le cours du ruisseau (le Fao) qui forme 
Tetang d'Huelgoat. A droite et a gaucbe, des croupes rocheuses 
d'un beau caractere viennent mourir dans la vallee; jecroque 
en passant la plus pittoresque. La un moulin, enfoui sous la ver- 
dure et mu par un ruisselet qui tombe de la colline, nous invite 
a la halte. Puis, quittant la valine, nous nous elevons de noi:- 
veau dans la region des bruyeres ou la Feuillee (281 met.) do- 
mine de vastes Vendues. Nous revoyons au Sud-Ouest le Sainl- 
Michel, au Nord-Ouest Roc-Trevezel ; devant nous la demiere 



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UNE EXCURSION DANS L'iNTGRIEUR DU FJNISTERE. 533 

muraille des montagnes d'ArrSe (368 met.) que nous franchissons 
pour descendre sup le versant Nord. Debout sur la crtHe que 
dentellent des armies de granit, nous voyons se perdre dans la 
brume toute la partie Nord du Finistere ; a nos pieds Plouniour 
dont le clocherhardi s'elance vers le ciel. Le soleil, deja bas sur 
I'liorizon, baigne tout ce severe paysage d'une lumiere grise et 
melancolique. Le vent est frais; nous arpentons rapidement la 
route qui conduit a Pleiber-Christ. Nous y remarquons mainls 
details interessants : frais vallons, rochers agrestes. Vers 6 h. 
30 min. nous sommes a Pleiber-Christ, oh nous prenons le 
train qui nous amene a 8 h. du soir a Morlaix. Je ne vous par- 
lerai pas de Morlaix ; nous rentrons ici dans les regions les plus 
connues de la Bretagne. 

Le lendemain, nous gagnons Roscoff par Saint-Pol-de-L6on. 
Tout a £te dit sur Saint-Pol, sur sa calhe^drale, sur son merveil- 
leux Kreisker, sur ses vieilles maisons f£odales ; mais il faut aller 
a 1 kilometre de la, sur la promenade r^cemment cre6e et plan- 
tee de manches a balai qui deviendront pcut-elre un jour des 
arbres. Du rond-point on a une admirable vue de la baie de 
Morlaix, parsemSe d'lles, he>issee de rochers, encadrSe dans des 
cdtes d^chiquetees, d'un caractere moins majestueux sans doute 
que la baie de Douarnenez, maistres atlachante dans son genre. 
Parlerai-je de Roscoff? Roscoff dont la renommSe, un peu sur- 
faite peut-fitre, a cause" plus d'une deception? II faut qu'on le 
sache bien, a Roscoff, il n'y a que la mer. Pour s'y plaire, il n'y 
faut voir que la mer, soit a mar6e basse avec son effrayant 
fouillis de roches, soit a mar6e haute, avec ses eaux limpides et 
changeantes ; c'est la mer dont il faut attendre et a qui il faut 
demander tout son plaisir. A ceux qui viennent a Roscoff, nous 
dirons : Ne regardez jamais du cdte* de terre, vous n'y verriez 
qu'une plaine sans caractere, des murs de pierre seche encadrant 
les champs com me un Schiquier, des artichauts et des oignons; 
mais donnez-vous tout a la mer, pechez dans les roches, allez en 
canot lever les filets ou les casiers, gagnez la pointe de Pera- 
ridi et tournez vos regards vers TOuest. Si, a ce moment, le 
soleil est sur son d^clin, si la mar6e est encore assez basse, si 
la nuee se dechire apr£s un grain comme une toile qui se leve 
sur un d6cor, en voyant se dresser dans une bu£e lumineuse 
cette armee de roches que les flots ont battues et hardiment 
d6chiquet£es, vous serez saisis d'admiration et de lerreur. Mais, 
croyez-moi, beaucoup y viendront qui ne verront rien et n'en 
sentiront pas davantage. 



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531 MISCELLANIES. 

Aprds deux jours pass&s aupres de vieux amis, nous repre- 
nions le train pour Pont-PAbbe\ nous promeltant de recom- 
inencer a la premiere occasion. Avis a nos bons camarades du 
Club Alpin Franc.ais. 

Lkduc, 

Membre du Club Alpin Franca is 
(Section de Rouen). 



ASCENSION DE L'OUARENSENIS (ALGtRIE) 

Depuis longlemps, Vascension du mont de POuarensenis, au 
Sud d'Orl£ansville, dans le departement d'Alger, avail 6te resolue 
en principe par la Section de l'AUas.Elle fut deTinitivement fixee 
pour la fin du mois de mars 1883. 

II avait ele* convenu que le nombre des excursionnistes ne de- 
passerait pasle chiffre de six personnes bien delerminees a ne se 
plaindre nide la fatigue, ni des raoyens de transport, ni surtout 
de la nourriture. Nous allions a I'aventure et dans l'inconnu. 

Plusieurs jours a l'avance, les pr6paratifs les plus complets 
avaient 6te" faits, au point de vue du costume, des aliments et 
de la defense. Toules les armes elaient autoris^es, m£me des 
fusils et des revolvers sans cartouches. 

Le depart d'Alger devait avoir lieu irrevocablement le 25 mars. 

A 6 h. precises du matin, quinze membres de la Section 
de I' Atlas montaient en wagon pour se rendre a Affreville, 
localite situ£e a 120 kilom. d'Alger, sur la ligne ferree qui 
aboutit a Oran. Mais neuf de nos collegues devaient se separer 
de nous a cetle station, pour se dinger vers Milianah et les 
montagnes du Zaccar. 

A notre arrivee a Affreville, a 10 h. 30 min., un dejeuner nous 
fut servi au buffet de la gare : bontS du repas, cele>ite du ser- 
vice, discretion du prix (3 fr. 50 y compris le cate), furent im- 
mediatement notees, et nous nous s£parames pour suivre nos 
voies et nos destinees diverses. C'etait ecrit! Maktoub! disaitun 
arabisant distingue, un des six de la grande excursion. 

All h. precises, les six s'elancaient, pour se rendre a Teniet- 
el-Haad, dans la voiture publique, — voiture impossible, invrai- 
semblable; mais toute marque de disapprobation £tant inter- 



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ASCENSION DE l'OUARENSENJS (ALG6RJE). 533 

dile, personne ne murmurait, au conlraire. Cliacun settlement 
reclamait corame une faveur de suivre le plus souvent possible 
la voiture a pied : concession facile, vu failure des chevaux. Le 
conducleur u'en vantait pas moins la qualite de ses coursiers el 
la commodite de son vchicule. 

A 1 h. 15 min. nous arrivions au lieu dit le Pont-du-Caid, a 
17 kilom. d'Affreville. La git une triste auberge, qui s intitule : 
Hotel du Pont~du-Caid. Passants ! ne vous y arrelez pas! Je n'ai 
plus souvenance de quel ordre est cet hfllel, niais ce n'est cer- 
tainement pas du premier. On met la balte a profit pour pren- 
dre uue photographie du groupe et de la diligence. 

Plus loin, a 3 kilom., le lieu dit : G?*os-Pin. Sur les coteaux 
environnants, on decouvre beaucoup de pins : au premier plan 
des clones verts (Calendula? anemia). 

A 24 kilom. nous nous trouvons au milieu d'un grand cirque. 

A 26 kilom. 6 hectom. nous rencoutrons une ferine fortiliee. 

A 35 kilom., le Camp des Chines; cours d'eau (Oued Ker- 
rouch) avec ponceau. 

Au 39 c kilom., uue rocbe pointue, appelee, a cause de sa 
forme, le Pain de sucre. La base de la roche est pourrie, des 
blocs sout en equilibre sur ses llancs et pr6ts a toinber sur les 
myopes qui ne peuvent voir sans s'approcher, ou les incredules 
qui ne peuvent croire sans toucher; mais pas d'accident a de- 
plorer pouraucun de nous. 

Au 43° kilom., le Camp des Scorpions; une riviere (Oued 
Merdja) avec de Peau el des poissons. 

Au 51 c kilom. (c'est le nom du lieu) on trouve un petit debit, 
tenu par uncantonnieralsacien. 11 trinque avec tous les consom- 
mateurs, ce qui ne contribue pas a rendre son etrange idionie 
plus comprehensible. 

A 6 h. 45 min., nous faisons notre entree a Teniet-el-Haad, 
et nous descendons a Phfllel du Commerce, tenu par Roure, 
rue Saiute-Marguerite : Pappetit est grand, le diner est bon, 
leschambres sonl propres; c'est un excellent d^but. 

Le village de Teniet-el-Haad est agrSablement situ£ dans un 
grand cirque, sur un plateau eleve\ Les sommets environnants 
sont boises. Sur un mamelon, on decouvre un village negre. 

Mais que faire a Teniet-el-Haad, le soir, a moins qu'on ne se 
couche? 

Le depart est fixe pour le lendemain matin a 8 b. Chacun 
est exact, et deux mulets, charges de nos cantines, chemiuent 
devant nous d'un air dolent. Notre petite caravane se met en 



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536 MISCELLANIES. 

inarche, precedee par I'administrateur de la commune mixte, qui, 
avec beaucoup d'obligeance, a veille a ce que nous fussions tous 
monies d'une facon convenable. Suivant ses aptitudes, Tun en- 
fourche un cheval fougueux, ('autre une mule au pas tranquilly 
garnie de ce bat s^culaire sur lequel ont passe plusieurs genera- 
tions d'indigenes et qui oppose a Yinexprbnable une resistance 
parfois douloureuse. 

A 8 h. 45 miu. nous apercevons, sur la droite, un immense 
rocher surmonte* d'un grand cedre. 

A 10 h. 15 min., arrivee au Rond-Point et a la maison fores- 
tiere. Un magniflque spectacle se de>oule a nos yeux : la foriH 
de cedres forme en cet endroit un vasle demi-cercle, entrecoupe 
de masses rocheuses, d'un tres bel aspect. Au milieu de ce demi- 
cercle, la maison forestiere, situ£e a 1,200 met. d'altilude. 

Une petite ascension d'un quart d'heure est necessaire pour 
contemplerdeprfcsle plus grand arbrd de la forfit, \aSultane. Elle 
reste seuleaujourd'hui exposee aux intemperies et aux outrages du 
temps. Son congenere et son epoux, le Sultan, qui l'egalait en 
force et en beaule,. a succombe sous le poids des ans et sous 
I'effort de la hache. Nous nous empressons de mesurer lacircon- 
ference de la veuve : au pied, 8 met. 30 cent. ; a 1 metre du 
sol, elle n'est plus que de 7 met. 50 cent. Son cubage donne 
63 metres cubes. 

Apres avoir rendu nos hommages a Sa Grosseur la Sultane, 
nous revenons a la maison forestiere, ou une aimable hdtesse 
improvise vm dejeuner reconfortant. Au dessert, de nombreux 
toasts sont portes au Club Alpin Francais. 

A midi 15 min., depart pour Kef-Siga. Nous entrons dans une 
vallee, et nous faisons Pascension de la montagne du Kef, par 
le versant Nord-Est. A midi 45 min., nous sommes au so m met : 
devant nous, la plaine du Chelif, si belle el si vaste (100 kilom.); 
derriere, les montagnes du Zaccar, et au fond, plus loin, la 
mer. Nous passons sur l'autre versant (Nord-Ouest) qui a aussi 
son sommet distinct; les deux sommets sont s^pares par un 
ravin superieur. Nous atteignons le second a 1 h. Nous com- 
niencons a apercevoir les majestueuses montagnes de VOuaren- 
senis. Klles sont trois, nous regardant en face, la plus haute au 
milieu. Les contours se dessinent tres nettement; notre desir 
est vif de nous en rapprocber ; il semble que ce soit 1'affaire de 
quelques instants. 

Nous abandonnons a regret cependant les hauteurs de Kef- 
Siga pour aller a Ain-Taga (ain, fontaine), ou nous arrivons a 



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ASCENSION DE LOUARENSEN1S (ALGERIE). 537 

1 h. 4o min. Du liaut du plateau d'Am-Taga, nous apercevons, 
an Nord, les derniers contreforls de fOuarensenis; a l'Ouest, les 
trois sommets, le premier dominant les deux autres ; au Sud, 
le petit desert que Ton.decouvre apres une suite de mamelons ; 
a I'Esl, cdte abrupte, formee de rochers et couverte de cedres. 
Nous continuons notre route en suivant une valine verdoyante, 
et en traversant successivemeut les tribus des Beni-Ayen, des 
Beni-Chalb, des Ouled-Halia. A 5 h. 30 min., nous arrivons au 
lieu dit Souk-el-Sebt (march£ du samedi), et a 6 h. 30 min. 
nous sommes chez le caid des Beni-Chaib, Si-Miloud-ben-Abd- 
el-Kader, qui nous otfre tres gracieusement l'hospitalitS, non 
pas dans sa maison particuliere, mais dans la maison des hdtes. 
Ce batiment se compose de deux pieces : la premiere, pour les 
gens de service, c'est le vestibule ; la seconde est destinee aux 
receptions : c'est a la fois le reTectoire et le dortoir. La maison, 
due a la main-d'oeuvre kabyle, est construite en mac,onnerie, et 
couverte en chaume, lequel est soutenu par une charpente qui 
re\fcle quelques notions d'architecture. On a seulement oublie 
de pratiquer dans la muraille des ouvertures ; il n'existe aucune 
rheminee dans la piece : le feu se fait au milieu de la salle, et, 
chose extraordinaire, les 11am me s s'elcvent, les 6tincelles volent 
sans que le chaume s'enflamme ; la fumee, ne trouvant aucune 
issue, demeure immobile et compacte. Les poumons eurojeens 
s'accommodent difflcilement de cette accumulation d'acide car- 
bonique. Nonobstant, le diner est servi, et notre appetit doit 
faire honneur aux mets de notre hdte. Voici venir le cherba, 
potage au lait et au vermicelle, agremente tres genereusement 
de piment ; puis le hamnis, ragout de niouton avec des oeufs a 
la neige, et le traditionnel couscouss. 

Le repas termine, apres nous 6tre assures que nos montures, 
chevaux ou mulets, sont suffisamment entravgs et gardes par 
les gens du caid, nous procSdons au coucher. Au fond de la salle 
se trouve une plate-forme inclinee, en maconnerie, en forme de 
lit de camp, sur laquelle quelques-uns de nous elendent leurs 
inanteaux et s'endorment malgrS la fumde qui senible s'&tre 
particulierement reTugiee en cet endroit; d'autres preTerent 
rester couches sur le sol. 

Le sommeil est paisible, et, a 6 h. du matin, chacuu est de- 
bout. Notre hdte nous invite a inscrire nos noms sur son re- 
gistre : ce que nous faisons avec plaisir, apres les compliments 
d'usage. 

A 7 h. le depart; a 8 h. arrivee aux Ouad-Esbit, ou, a Tombre 



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538 MISCELLANYS. 

(Tun ch6ne magnifique a trois branches, nous faisons un frugal 
et rapide dejeuner. Et, apres trois heures et demie de marche et urie 
visile a une fontaine d'eau chaude, a droite de la route, nous 
arrivons au bordj de radministrateur de.la commune mixte de 
l'Ouarensenis. Le bordj est vaste et bien entretenu. Son altitude 
est de 1,066 metres. 

Apres le dejeuner, visile a Ain-Sfa, source artesienne jaillis- 
sante, dont l'eau est utilised a l'aide d'une conduite due a rad- 
ministrateur et a ses administrcs indigenes. 

Le lendemain, 28 mars, depart a 7 h. 15 min. pour l'ascension 
du pic principal de l'Ouarensenis. A 8 h. entree dans la for&t, 
sortie a 8 b. 45 min. Les traces de sanglier et d'hyene sont noin- 
breuses. Sur la lisiere gauche du bois, une suite de roches a 
pic forment un immense rideau. A 9 h., halte, pour cousiderer 
a gauche le djebel (montagne) M'Ahmed; en face, le djebel 
lkhoud. 

Nous poursuivons not re ascension, et, a 9 h. 35 min., du monl 
Sidi-Amar on nous sommes, nous faisons une halte au niveau du 
monl Sidi-el-Khairat; ces deux montagnes sont comme les deux 
plus jeunes freres de la montagne principale ; elles ont, vis-a- 
vis de cette derniere, une attitude respectueuse. Nous poursui- 
vons noire marche, et a 10 h. 2 min. nous arrivons au premier 
plateau du g£ant; a 10 h. 25 min., au deuxieme plateau. Nous 
sommes au sommet. Nous quittons l'equateur pour la Siberie. 
Sur le versant Sud, le soleil el ses ardents rayons; sur le versanl 
Nord, la neige epaisse et un vent septentrional violent. Les 
plantes rares que nous rencontrons sont envelopp£es de givre. 
L'adminislrateur du bordj, qui nous accompagne, nous montre 
remplacement od il avail plante, le 14 juillcl precedent, un 
drapeau que les vents et la foudre ont detruit. Nous nous hatons 
de deployer le faniou de la Section, et les couleurs nationales 
llottent aussi longtemps que le froid permet de le soulenir : 
dix minutes environ. Des coups de feu relenlissent : Honneur 
au drapeau! Honneur au Club Alpin ! 

Le sommet sur lequel nous sommes a rec,u des indigenes le 
nom de Kef Oustanis (pointe Oustanis). La montagne s'appelle 
Sidi-Abd-el-Kadoi', du nom d'un marabout que Ton dit y avoir 
ete enseveli. Ce saint hornme, plus qu'un Pharaon, a eu pour 
lombeau plus qu'une pyramide; car le Kef Oustanis a 2,000 met. 
d'altitude. Ses deux congeneres, qui forment avec lui le groupc 
de rOuarensenis, semblenl s'^lre elTondres. Ce sont deux esclaves 
orientaux qui devant leur sultan se prosternent le front dans la 



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ASCENSION DK LOUARENSENIS (aLGKRIKJ. 539 

poussiere. Nous promenons nos regards partout : au Nord, la 
vallee du Chelif, qui recele Orleansville; au Sud, une succession 
de hauls plateaux qui se succedent presque sans interruption, 
mais nous laissent apercevoir le commencement du desert. Dans 
leur enthousiasme pour ce magnifique point de vue, les indi- 
genes appellent le Kef Oustanis YcbU du monde. Personne n'y 
contredit. Tous nous sommes saisis par la majesty du spectacle 
qui s'offre a nos yeux. Mais la rigueur de la temperature nous 
force a mettre un terme a noire contemplation, et nous descen- 
dons de ces magniflques hauteurs all h. 5 min. Nous faisons 
une premiere halte a mi-versant de la montagne, puis une 
seconde halte au milieu de la fortH, et nous rentrons au bordj a 
2 h. 20 min. Nous etions attendus par M. Traube, adjoint a 
I'administrateur. Dejeuner a 2 h. 30 min. Le soir, diner chez 
M. Brunei, administrateur, a 7 heures. 

Le depart est fix6 au lendemain matin, el, en effet, a 8 h. 
55 min., la caravane se met en marehe. Nous cheminous bientdt 
a travers une charmanle forSt de pins, de ch6nes-lieges et de 
genevriers,et nousarrivons au village d'Ain-Lellou a 1 1 h. 15 min. 
Puis, laissant a gauche le Kef-Tagri, nous arrivons, a 2 h. de 
Papres-midi, a ATn-Leca, au pied de la montagne du Temdrara 
sur lequel se trouve une pyramide. De la, nous pouvons encore 
contempler l'Ouarensenis, le pic de Sidi-Abd-el-Kader, le pic de 
Sidi-Amar couvert de neige. Nous repartons, apres dejeuner, 
d'AIn-Leca a 3 h. 45 min., pour Orleansville, traversant, sans 
autre incident que la chute de Tun de nous du haut de son che- 
val, un pays vdritablement atlreux tanl il est nu et monotone. 
Nous arrivons a Orleansville, les uns a 7 h. 30 min., les autres 
a 8 h. Nous sommes, en reality, au terme de Pexcursion, et Tin- 
discipline s'introduit dans nos rangs. 

Rien a noter a Orleansville, cetle capitale d'un pays laid en 
hiver, brulant en 6t^,et nous en repartons le surlendemain pour 
Alger, par le chemin de fer, non sans avoir fait de nombreuses 
recrues qui ambitionnent deja 1'houneur de fonder une Section 
de l'Ouarensenis. 

Ernest Fait, 

Membre du Club Alpin Francais 
(Section de 1' Atlas). 



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i 40 MISCELLANIES. 



UNE PROMENADE EN ANGLETERRE ET EN CCOSSE 

Co n'est pas par choix que notre caravaiie, composee de deux 
Vcrsaillaises et de quatre Versaillais, a explore 1*616 dernier une 
partie de la Grande-Bretagne. Nous nous etions trac6 un itine- 
raire superbe dans les Alpes suisses et italiennes, mais les qua- 
rantines etablies par l'ltalie et notre peu de gout pour les 
lazarets nous ont fait changer nos plans et passer la Blanche. 

Voila done nos six alpinistes dans le district des lacs anglais. 
Bien que poursuivis par le souvenir des splendeurs de la Suisse, 
ils sont bientdt enchantes des sites du Cumberland et du West- 
moreland. Dans un espace de quelques lieues carrees, une dou- 
zainede lacs deiicieux, perdus dans un labyrinth e de montagne*. 
enfouis dans une belle v6g6tation, noy6s de brumes transpa- 
rentes, se disputent Fadmi ration du touriste. C'est Windermere. 
Grassinere, Derwent-Water, Buttermere, Ullswater, pour ne ciler 
que les principaux. Ils sont tous si gracieux qu'on ne saitauquel 
donner la preference. Mais n'ayant pas a ma disposition les 
photographies dont M. Ch. Durier a regale dans une recente 
conference les membres de la Section de Paris, je crois prudent 
de m'abstenir de longues descriptions. 

Les fanatiques de la Suisse, qui dominent dans notre troupe, 
reprochenta ces eaux une couleur jaunatre particuliere, qui fait 
regretter I'azur du Leman. Tous les ruisseaux, les lacs, les cas- 
cades de ce district ainsi que de Tficosse, bien que d'une limpi- 
dity cristalline, sont caracterisSs par une nuance ambree. Les 
plus forts geologues de la bande attribuent cette coloration a 
ccrtaines particules micacees en suspension ; mais ils sont accuses 
de vouIoir£blouir leurs collegues par des termes de mine>alogie; 
et on passe outre. 

Ce qui est admis a l'unanimite, e'est que les montagnes sont 
le point faible du paysage. Klles encadrent tres agreablement les 
nappes d'eau et les charmantes rivieres du pays ; mais considered 
de pres, elles manquent decidement d'ampleur. Des qu'on s'eleve 
au-dessus de la premiere zone, on atteint avec une rapidite 
f ache use les limites de la vegetation. D'ailleurs les indigenes ont 
beau citer leurs cols, Honister Crag, Stake Pass, et autres,comme 
des specimens de grandeur so very enjoyable : nous n'y voyons 
que des talus arides et un peu ridicules, quoique entretenus et 
ratissGs c,a et la par des ouvriers mineurs qui font rouler des 



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UNE PROMENADE EN ANGLETERRE ET EN ECOSSE. 541 

cailloux de haut en has, et menacent de demolir la niontagne k 
bref delai. 

Les cascades, tres vantees aussi, sont a peu pres a sec, du 
moins en aout.Toutecette nature est construile avec parcimonie, 
comme des dehors d'ppera de province. Citons cependant avec 
honneur une charmanle chute, Dungeon Ghyll, non pour l'abon- 
dancede seseaux,mais pour sa grace sauvage et solitaire. Nous 
Tavons rencontree par hasard en cherchaut un col qui nous a 
echappd. Car dans ces Alpes en miniature, on peut se permettre 
de se lancer, le sac au dos, sur des renseignements tres som in ai- 
res, a la recherche d'un col plus ou moins authentique. Si on le 
manque, on est sur de descendre quelque part, fut-ce dans une 
direction opposed, soit par des rockers, soit par des marecage.% 
et Ton a toute chance de trouver au fond de la valine un roastbecf 
sauveur, renforce de plusieurs canards et llanque de pommes de 
terre providentielles. 

C'est au milieu de cet entourage qu'un jour de grande chaleur 
etde grande faim nous est apparue Dungeon Ghyll, une cascade 
aimable, sans pretention, jaune comme ses sceurs et maigre 
comme elles, mais cach6e myst6rieusement dans une crevasse 
de la montagne. Point de billets a prendre a Tentree, point de 
tourniquet comme au Reichenbach eta tous les backs de I'Ober- 
land. Vous p^netrez en gravissant des rochers a la force des 
poignets, et vous vous trouvez dans uue salle d'unc delicieuse 
fraicheur : a vos pieds, un bassin d'eau transparente ; au-dessus 
de vos l&tes, un toit forme par uu bloc 6boul& et par un arbre 
eniacine dans les fentes, au fond la naiadc qui sanglote. 

Quelques jours suffisent pour visiter ces parages ou penetrent 
rarement, paralt-il, des excursionnistes francais. Car nous exci- 
tons une certaine curiosite. Des habitants nous arrStent sur les 
chemins, s'informent de la partie du monde qui nous a vus 
naitre. L'un nous interroge avec terreur sur les nouvelles du 
cholera, I'autre sur les mo3urs de noire nation. On nous de- 
mande s'il est vraiment possible que les Franfjais ne prennenl du 
th£ qu'une fois par jour, le remplacent lereste du temps par du 
porter, et se nourrissent principalemeut de grenouilles. .\"os re- 
ponses sont colportees dans le village et causent un 6merveille- 
ment general. 

Le chemin de fer nous emporte a Glasgow, une grande ville 
ou Jes trois quarts de la population ne portent pas de souliers 
et poursuivent Tautre quart pour lui cirer les siens; de la a Bal- 
loch, station de bateau a vapeur sur les bords du Loch-Lomond, 



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542 MISCELLANIES.,. ( .j ... 

Nous nous embarquons, nous passons au milieu de wtocott- 
ronnees de bois superbes qui donnent au roi des lacs d EeWsse 
une physionomie si originate, et, pour jouir plus longtemps de 
cette vue, nous prenons terre a Luss, une des premieres stations, 
decide, a suivre la rive a pied. Mais nous avions compte sans les 
trahisons du ciel ecossais. Surpris bientdt par une pluie ddu- 
vienne, nous cherchons un refuge dans une auberge rustique, 
situee loin de tout village, en un lieu pittoresque appele Inve- 
ruaUu* r'est-a-dire embouchure du Douglas. La commence une 
seine e'pique. 11 nous faut prendre les chambres d'assaut centre 
l'botesse, bonne dame llegmatique etennemie des complications, 
qui assure ne pas avoir de place pour une aussi forte garnison. 
Nous la decidons, a force d'energie, a nous abandonner les Ills 
dont elle dispose, et meme a en installer de supplementa.res 

dans le parlour. 

Les hostility terminees, on discute les conditions de la pais 
su- le champ de bataille. Nous ne demandons pas moms que la 
moil dun poulel, comme reparation. Mais cette pretention esa- 
K eree se heurte contre une resistance sourde. En consideration 
de la belle defense, nous transigeons sur les bases smvantes : 
the lait ceufs et jambon. De plus la cuisine sera occupee mili- 
tairement par les dames, qui feronl sauter des gyrolles recoltees 
par nous dans les bois. La dessus un espoir luit dans les yeux 
bleus des Gaels que les Francais seront empo.sonnes, et que la 
victoire restera ii la vieille Ecosse. 

La nuit se passe sans incident notable ; notre gite se trouve 
confortable au dela de toute esperance, el il est convenu que nous 
pouvons attendre ici les evenements. Le lendemain la pluie con- 
tinue de plus belle, et nous force a ajourner l'ascension du Ben- 
Lomond, qui se dresse devant nous, la lete perdue dans les 
nuaites. Nous sommes bloques. Toutefois, pousses par le des.r 
de varier notre menu, car les poulels continuenl k nous narguer, 
la lete haute, nous nous cnveloppons de nos vetementsde caout- 
chouc, et nous faisons une brillante sortie jusqu'aux beefsteaks 
d'Airocnar, a 8 ou 10 milles de la sur le Loch-Long. 

A notre retour, nous apprenons des montagnards que le Ben- 
Lomond, detrempe par tant de pluie, est inabordable pour le 
moment. Force nous est de renoncer a cette montagne-eponge, 
et des le lendemain nous prenons le chemin de Callander. Cette 
route est classique enlre toutes cclles de I'Ecosse ; il nous a ete 
donne de la parcourir par un fort beau temps, el nous en avow 
ete ravis. Le pays qu'on traverse est celui qu'a chante Walter 



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UNE PROMENADE EN ANGLETERRE ET EN ECOSSE. 543 

Scott dans son joli poeine de la Dame du Lac, et les souvenirs 
litteraires rehaussent encore ses charmcs nalurels. Le Loeh-Katrin 
commence comme un lac ordinaire, sans caraclere particulier, 
et rien ne fait pressentir la charmante surprise que son extremity 
superieure tient en reserve. Tout a coup, on voit ses rives se 
resserrer, une v6getalion luxuriante les vfitir, et se de*ployer le 
plus frais, le plus gracieux, le plus boise des archipels. Les re- 
gards sont captives, les conversations s'arnHent a hord. Le 16ger 
steamer lui-mGme, en glissant a travers les ilots, semble retenir 
son haleine, de crainte de troubler ce coin retire du monde, ces 
bords moussus ou repose le silence, ces ombrages sans cesse 
impregnes de ros6e. Emporle circulairement par son vol d'hiron- 
delle, on regretlede les eflleurer si peu de temps; mais on con- 
serve a jamais le souvenir d'une vision fugitive et enchantee. 

Alors se presente le ceJebre defi!6 des Trosachs, que les voya- 
geurs presses, c'est-a-dire tout le monde, traversent dans de 
grands cars. Les agences d'excursions ont fait disparaltre dans 
ce pays la race des marcheurs. Mais nous nous sommes bien 
gardes de suivrela voie vulgaire de M.Cook ; nous avonssavoure 
lentement et pedestrement le passage des Trosachs; nous nous 
sommes assis sur les bords du Loch-Achray, a I'ombre des grands 
bois, et nous avous salue, sur la rive opposee, la cime empour- 
pree du Ben- Venue. Un des traits distinctifs des montagnes 
d'Ecosse, c'est qu'elles sont revenues d'un erlalant man tea u de 
bruyere aux fleurs rouges. 

II est peut-6lre a propos d'ouvrir ici une parenthese pour avertir 
que Loch, en gaelique, signifie lac, que Ben veut dire montagne, 
Ben-Venue montagne du milieu. Mais cest pour les profanes que 
ces mots s'orthographient de la sorte. En vrai gaelique on ecrit 
Beimwnheadhonaidh, et on prononce Ben-Venue (a 1'anglaise). 
Rien n'egale la richesse de cet idiome en consonnes, si ce n'esl 
le luxe de ses voyelles. L'ecriture d'une lettre en gaelique doit 
<Hre un travail de benedictin. 

Nous voici a Callander, jolie bourgade situee au seuil des 
Highlands, pres du remarquable d6fil6 de Leni, au pied du Ben* 
Ledi. Notre premier soin est de nous consoler de notre echec du 
Ben-Lomond enfaisant l'ascension de cette cime. Cest une tache 
facile, qui peut s'accomplir en cinq heures, aller et retour, mais a 
laquelle nous consacronsune journee de tlanerie. La vue est fort 
belle tout le temps de la promenade, particulierement sur le lac 
Lubnaig. Du sommet on apenjoit au Nord le chaos confus des 
cimes des Highlands, du cote oppose loute la Basse-Ecosse avec 



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544 MISCELLANIES. 

ses collines boisees, la riviere de Forth deroulant au loin ses 
replis jusqu'au chateau d'Edimbourg. 

De Callander, nous entrons dans les Highlands, et nous passons 
d'un saut par le cherniu de fer a Oban, a i'exlr^mite occidentale 
du canal Cal6donien. Ce petil port est une station de bains de 
mer fort a la mode, bien que la fralcheur continuelle de la tem- 
perature invite peu aux plaisirs aquatiques. Les environs sont 
agreables, riches en vieux chateaux historiques. Nous visitons 
entre autres celui de Dunstaffnage, situe dans une presqu'ile a 
peu pres inabordable a pied sec. C'est l'antique residence des 
rois de I'Ecosse primitive, et m&me des chefs caledoniens avail 
Fere chetienne. C'est la que se trouvait la fameuse pierre de 
Scone, transporter ensuite au chateau de ce nom, puis a West- 
minster, sur laquelle on consacre encore aujourd'hui les rois 
d'Angleterre. Ce vieux manoir n'est qu'une masure; son princi- 
pal ornement est un canon de I'invincible Armada, rep£che\ dit- 
on, dans ces parages. Mais on y jouit d'une vue superbe sur la 
mer et sur le Loch-Elive. Ces sites sont d'une melancolic pro- 
fonde. Une rare vegetation se mele a des amas de rochcrs ; le 
silence et la solitude regnent; on sent qu'on approche des 
conlifis du monde habitable et que la nature, deja plongee dans 
un demi-sommeil, va bientdt s'cndormir tout a fait dans les 
brumes du Nord. 

Mais 1'excursion qui nous seduit surtout a Oban est celle de la 
grotte de Fingal, situee dans Tile de Staff a, de l'archipel des 
Hebrides. M. Ch. Durier racontait dernierement sa deconvenue 
dans cette entreprise. Helas! notre voyage a Stalfa a <H6 bien 
plus affreux que le sien. Ernbarques par une belle matinee sur le 
steamer le Chevalier, le 29 aout, en compagnie d'une centaine de 
touristes, nous arrivons a Stalfa par une grosse mer, a maree 
montante. On descend dans les chaloupes, mais l'6tat de la mer 
ne perinet pas a ces embarcations de p6n£trer dans la grotte. 
Les passagers se dirigent vers Tentr6e de la caverne par une 
chaussee de rochers battue par le Hot. On sait que Tile est formee 
entierement de prismes basaltiques; sur le rivage, ilssont b rises 
a des hauteurs di verses; c'est sur ces futs de colonnes glissants 
et inegaux que nous avons a parcourir plusieurs centaines de 
metres, par une pluie battante. Mais le plus grave, c'est que les 
grandes lames de l'Oc6an deferlent contre le sen tier et viennent 
plus d'ime fois nous lecher les pieds. Pendant que je conduis une 
dame par la main, un matelot me dit a voix basse : « Attention, 
il faut faire grande attention. » A cet instant mdme, un motive- 



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UNE PROMENADE EN ANGLETERRE ET* EN fiCOSSE. 545 

ment de recul so produit dans la colonne dcs voyage urs ; des gens 
reviennent, Ies traits decomposes, et crient : « Quatre hommesa 
Ja mer ! » Voici ce qui £tait arrive. Les voyageurs les plus lestes, 
parmi lcsquels justement etait un de mes fils, etaient entr£s dans 
la grotte, sur un rebord de rochers qui y donne acres, et qui est 
defend u par une rampe de fer. Mais ce chemin etait balaye par 
des lames de plusieurs metres de hauteur, et Tunc d'elles eni- 
porta quatre homines. L'un put 6tre retenu sur le moment a 
Taide de ses habits. Les trois autres, dont un ouvrier qui etait 
venu pour reparer le garde-fou,disparurent dans l'£pouvantab)c 
dSsordre des vagues. Leurs corps n'ont et6 retrouves que huit 
jours apres. 

On peut juger de l'angoisse horrible qui nous etreignit jus- 
qu'a ce que nos families fussent reunies. Elle ne se calrna pas 
m£me a ce moment, et nous fumes consternSs tout le reste du 
jour. II est facile, apres coup, de nous taxer d'imprudence; mais 
I'expedition ne passe pas pour presenter le moindre danger et 
de fait elle n'a jamais, parait-il, et6 marquee par aucun autre 
accident. Persoune de nous ne connaissait d'ailleurs la disposi- 
tion des lieux. II y avait parmi les visiteurs un grand nombre 
de femmes et d'enfants; on nous a montr6 le proprietaire du 
Times de Londres avec ses deux jeunes filles. Dans I'ignorance 
ou nous 6tions tous d'un p6ril possible, on ne peut faire peser de 
responsabilite, mais une responsabilite bien grave, que sur les 
chefs du bateau. 

Apres ce terrible coup, nous avons pris peu d'inte>&t a la vi- 
site de Hlediona, de sa vieille cathedrale en ruines, des tombes 
des rois d'£cosse, et entre autres de Macbeth, qui y sont depo- 
ses. Des le lendemain, nous nous empress^mes de quitter 
Oban, en prenant le bateau du Loch Elive, et en nous engageant 
dans la route de Glencoe. 

Ce dernier passage est au coeur des monlagnes des Highlands. 
On le visile comnie site sauvage et romantique, comme bereeau 
•d'Ossian, et comme theatre du fameux massacre du clan de Mac- 
Gregor par les troupes anglaises en 1691. Ces montagnes sont 
monotones, chauves et sinistres. C'est une scene bien appropriee 
a. un horrible carnage, mais nullement divertissante. Nourris des 
traditions de l'Opera-Comique, nous nous attendions, dans notre 
candeur, a renconlrer au fond de ces vallees les figurants de la 
Dame Blanche, nu-jambes, vtHus du kilt et du plaid. Illusion ! \a* 
peuple des Highlands ne porte plus le costume antique de ses 
peres; d'ailleurs il ne porte pas non plus de culottes, el cela par 

ANNUAIRK UK 1884. 35 



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546 MISCELLANIES. 

la raison qu'il n'existe pas, ou qu'il n'existe guere. On l'aun peu 
massacre\ et beaucoup expulse. II est remplace* par les grouses, 
les dainis, el autre s gibiers plus appr£cies des lords d'Angle- 
lerre. 

Le pays est un parfait desert. A mi-chemin de la route entre 
le Locb Etive et le Loch Leven est une auberge isolee, qui nous 
donne un glte pour la nuit. Deux gentlemen y sont installed de- 
puisNune semaine pour chasser le grouse. lis nous accueillenl 
avec uue grande amubilite, nous cedent avec empressement la 
place au feu. Car il faut noter, inalgre" le prejuge contraire, que 
les Anglais qu'on rencontre en voyage sont generalement d'une 
affability exquise. Nous leur apportons les nouvelles du jour, 
car il ne paralt pas de journal a King's House; nous leur ra- 
contons les exploits de l'amiral Courbet dans la riviere Min. En 
echange, ils nous communiqueut le dernier tirage de la loterie 
des Arts Decoratifs : c'est ce qu'ils ont de plus neuf ; ils nous 
narrent leurs aventures de cbasse. II y a quelques jours, ils se 
sont egares dans les moors, et ont passe la nuit a la belle eloile: 
ce n'est peut-£tre pas le vrai mot, car les etoiles etaient rempla- 
cees par une pluie fine, com me ce soir mGrne; il pleut presque 
loujours. lis se sont assis sur des rochers, et ont passe la nuit a 
chanter pour echapperausommeil. Nous fr£missons en songeant 
au sort qui nous 6tait reserve" si nous avions manque King's 
House. 

Du Loch Leven a Inverness, il y a une journ6e de traversee 
par le canal Caledonien, cette grande fissure naturelle qui 
coupe tramsversalement la Haute-ficosse d'une mer a l'aulre. 
Une s6rie de paysages varies et pittoresques defileril devant le 
voyageur. On passe au pied du Ben Nevis, la plus haute cimc 
de la Grande-Bretagne. Elle se prSsente sous un aspect assez fier 
pour le pays. Quelques petits champs de neige tachent le som- 
met, comme pour Thonneur de la montagne. On traverse deux 
bourgades, Fort William et Fort Augustus; tout le reste est a peu 
pres inhabits. Pour varier le voyage, on peut descendre souvent 
et devancer le bateau, a cause des nombreuses 6cluses qui ralen- 
tissent sa m arc-he. Quelques cabanes vendent du lait pour les 
dames, des cigares pour les simples gentlemen et du tabac a cln- 
quer pour les purs Ecossais. line visite charmante que Ton ne 
manque pas de faire est celle de la cascade de Foyers, une chute 
d'eau puissante qui s'elance dans une gorge au milieu d'une 
admirable fortH. 

Inverness surprend, a ceshautes latitudes, parson air coquet, 



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UNE PROMENADE EN ANGLETERRE ET EN ECOSSE. 547 

par ses nombreuses et riches villas, par la belle vegetation dont 
elle est entouree. C'est une oasis dans les deserts du Nord. En 
m&me temps ses vieux Edifices sont bien en harmonie avec sa 
reputation legendaire. Pourtant l'ancien chateau, celui on Mac- 
beth a toe Duncan, n'existe plus : le prince Charles l'a fait sauter 
dans sa malheureuse expedition terminer par la bataille de 
Culloden. Nous ne le felicitons pas d'avoir delruit ce souvenir 
shakespearien pour un si maigre resultat. Pourtant le prince 
Charly est rest6 populaire. Ces braves gens en parlent comme 
d'un vieux camarade. Quant a Macbeth, dont nous nous sommes 
in formes, plusieurs habitants nous ont assure ne pas le connaltre. 

Les environs de la ville sont charmants. Nous visitons, a quel- 
ques milles, le champ de bataille de Culloden, ou de gros blocs 
de granit indiquent, clan par clan, la sepulture des derniers d6- 
fenseurs de l'independance gcossaise.Cette partie olfre en mdme 
temps une vue magnifique sur le cours inferieur de la Ness, sur 
les montagnes qui l'encadrent, et sur le golfe de Murray. 

Le cimetiere d'lnvemess, situ6 sur une haute colline boisee, 
domine egalement un panorama splendide sur la ville, les envi- 
rons et le golfe. Ce champ de repos est dispose en promenade, 
comme le sont generalement les cimetieres ecossais, 6 tab I is sur 
de beaux points de vue. Est-ce un reste de tradition celtique ou 
preccltique? Car ou sait que les monuments megalithiques, qui 
marquent des s6pultures, sont presque toujours 6riges sur des 
hauteurs embrassant de vastes horizons. 

Ne quittons pas Inverness sans donner un souvenir a Clyde, le 
chien quftleur dont toute la presse francaisc et surtout anglaise 
a celcbre les exploits au mois de Janvier dernier, sur une relation 
que M. Fontaine, notre compagnon, a faite a la Revue scientiflqite. 
Get animal, aussi intelligent que peu scrupuleux, charg6 par 
son maltre de qufiter pour l'hdpital au moyen d'une lirelirc 
pendue a son cou, attrape volontiers les sous dans sa gueule, et 
va sans plus de fac.on les Schanger chez le boulanger contre un 
gateau dont il se regale. C'est le tour qu'il nous a jou6 et que 
nous avons signaled Le maitre du chien, un boutiquier d'lnver- 
ness, ayant lu notre recil, rapporte" dans les journaux anglais, 
nous a confirm^ les habitudes vicieuses de son qufiteur, nous en 
a envoy6 des photographies ou nous avons reconnu son ceil 
intelligent et sa tirelire, et nous a raconte une foule d'anecdotes 
que nous tenons a la disposition du Club Alpin. 

Nous n'abuserons pas de la patience de nos lecteursen les pro- 
menant sur nos traces dans le comte de Perth, un des plus 



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5(8 MISCELLANIES. 

charmants et des plus hoists de l'ficosse, dans la passe de 
Killicranchie, dans les forfits de Pitlochrie, dans les gorges de 
Rumbling Bridge, a l'embouchure du Tay, ou se dressent les 
ruines de cc fameux pont qui, en s'6croulant il y a quelqaes 
annees, a englouti tout un train de chemiu de fer dans le bras 
de mer, ni a fidimbourg, ni a Stirling, ni aux chutes de la 
Clyde, bien que nous ayons consacre de nombreuses journeys 
a ces regions. Encore moins parlerons-nous de Birmingham, 
de Liverpool, de Londres et de l'ascension de Regent Street, 
trop facile pour les membres du Club Alpin. Nous conclurons 
en disant qn'utie excursion de six semaines en Ecosse est pitto- 
resque, ingress ante a bien des titres, qu'elle n'exige pas de 
defenses exagerSes et qu'elle vaut la peine d'etre faite, m£me 
lorsqu'il n'y a pas de cholera sur le continent. Mais souvenez- 
yous, alpinistes mes f re res, que rien n'approche des Alpes poor 
la grandeur, pour la grace, pour la fralcbeur, pour I'horreur, 
pour la beaute souveraine. 

P. Porchon, 

Membre du Club Alpin Francais 
(Section de Paris'-. 



BROUSSE ET SES ENVIRONS 

Constantinople nous avait captive's pendant pres de deux se- 
maines, il fallait partir. Mais peut-on quitter Constantinople 
sans donner uu ou deux jours a la capitale de l'Anatolie, a 
Brousse? Tout le monde nous dit que non. Aussi nous decidons- 
•nous a faire ce facile voyage en Asie, et un matin du niois de 
septembre 1884, munis du teskiere' ou passeport indispensable, 
un bon dejeuner froid dans notre bissac, nous prenons le 
bateau qui doit nous conduire au port de Moudania, le plus 
rapproche de Brousse. La traversed est de cinq beures uormale- 
ment; mais nous avons le plus mauvais marcbeur de Ja plus 
mauvaise des Compagnies turques, qui sont toutes mauvaises. 
Aussi, nul espoir de rattraper le temps que nous a fait perdre 
un retard d'une beure dans notre depart. Peu nous importe du 
reste; la nonchalance et le fatalisme turcs nous ont gagnes. et 



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BROUSSE ET SES ENVIRONS. 549 

nous acceptous tout, ce qui arrive devant arriver. Au sortir de 
la Corne d'Or, nous voyons defiler devant nous le spectacle 
connu de la Tour de Leandre, de l'entrSe du Bosphore, de Scu- 
tari, de Kadi-Keui, de la pointe du Serai, de la ville et de ses 
mosquees. On ne s'enlasse jamais. Nous emmenons de nombreux 
Turcs en Asie;aussi le personnel du bateau est-il tres inleressant. 
Des hommes, des femmes, des enfants se pressent sur l'avant du 
b&timent; tous ont Paspect miserable et sont couverts de hail- 
Ions ; mais ces haillons multicolores, rouges, verts, bleus, blancs, 
roses, £clair6s par un soleil aux chauds rayons, artistiquement 
drapes, brillent de I'eclat le plus vif et en m6me temps le plus 
harmonieux. Quels costumes de bal, si Ton pouvait emporter 
avec eux le rayon qui les 6claire! Tout ce monde dort, fume et 
grouille sur le pont. Approchant midi, Theure des ablutions, 
chacun se dirige vers la pompe du bateau et se livre a un net- 
toyage complet, des mains, de la figure, des pieds et de lout le 
reste. De petits enfants sont exposes tout nus au jet de la 
pompe, qu'ils supportent courageusement. Puis quelques Turcs 
montent sur la passerelle, elendent leurs manteaux, leurs lapis, 
se mettent a genoux le visage toume* vers 1'Orient, et commen- 
cent la priere avec un recueillement que rien ne distrait. C'est 
vraiment un spectacle imposant que celui de ces hommes graves, 
convaincus, prosternes sur ce bateau dont ils font un temple 
mouvant, en face de rimmensite" de la mer. Je delie Tesprit 
le plus sceptique d'eprouver aucun sentiment de moquerie; la 
conviction n'est jamais ridicule. 

Nous nous sommes rapprochGs de la belle et luxuriante c6te 
d'Asie que nous longeons. Nousdoublons le cap de Bouz-Bournou 
et entrons dans le golfe de ftoudania, que nous atleignons 
bientdt. Nous descendons sur la jetee et apercevons un petit 
Turc agile et trapu qui agite un papier avec la main : c'est le 
t£legramme que nous avons envoye pour demander qu'on nous 
retlnt une voiture. Tout va bien, nous sommes surs de ne pas 
rester en route. II y a foule sur la jetee, et Ton en sort difticile- 
ment, car il faut payer un droit de quelques paras pour en|xer 
en ville, et une barriere en bois, prSsentant une ouverture de 
cinquante centimetres au plus, assure Tacquittement de cette 
redevance. Nous nous tirons cependant de ce kalabalik 1 , et avons 
le plaisirde nous trouver dans un village completement turc, ou 



1. Mot turc populaire qui exprime le bruit et rencombrement de la 
foulo. 



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550 MISCELLANIES. 

n'apparaissent pas d'autres visages europeens que les ndtres. On 
nous installe dans un grand landau recouvert de velours rouge* 
ou nous sommes tres confortablement. Mais noire v<§hicule a le 
tort d'etre trop europeen, et nous envierions presque le sort des 
families turques piltoresquement entassees dan9 des arabas tout 
peinturlurt*s,si Ton ne nous disait qu'ils n'arriveront a Brousse 
que dans la nuit. Notre gros petit Tun*, qui est, parall-il, le 
loueur le plus important de Brousse, nous confie a un de ses 
tochers, puis court, les jambes en arc de cercte, se demene, 
racole les amateurs pour ses autres voitures et revient a nous, 
tenant a honneur de conduire lui-m6me des voyageurs qui lui 
ont envoy e un telegramme. Nous sortons de Moudania par une 
belle route refaite tout recemment pour le prince Rodolphe d'Au- 
triche, qui ne s'en est du reste pas servi, son voyage a Constan- 
tinople s'etant trouv£ 6court6 pour des motifs politiques. Les 
habitants de Brousse, qui ne Tout jamais vu, lui rendent des 
actions de grace, la seule espe>ance de son arrivee ayant suffi 
pour leur faire construire une superbe route qui abrege de moi- 
tie le trajetenlre Brousse et Moudania. Qu'auraient-ils doucobtenu 
s'il fut reellement venu? Peut-elre aurait-on vu enfin rouler une 
machine a vapeur sur le chemin de fer qui, construit depuis des 
annees, n'a jamais servi et n'offre maintenant aux yeux que deux 
longues lignes de fer rouillg. On a trouve des millions pour les 
travaux a faire, on manque de quelques centaines demille francs 
pour tirer parti du travail fait. 

Notre route monte a travers des plantations d'oliviers, entre- 
mfilees de vigne. Nous avons pendant quelque temps le golfe de 
Moudania a gauche. La rive opposee a la ndlre, vivement eclai- 
ree par le soleil qui commence a decliner, renvoie des rayons 
presque rouges, et d'espace en espace un coin de mer d'un bleu 
eclatant nous apparatt dans les intervalles des oliviers, semblant 
un petit lac en entonnoir entourtS d'une sombre verdure. An 
sommet de la route, le spectacle change : une immense plaine 
se d^ploie devant nous, a gauche et a droite, a perte de vue, plaine 
nue, aride, chaude, telle que Tiinagination concoit celles qui ont 
vu se derouler les ev6nements de Thistoire sacree. 11 nous semble 
qu'a un detour de la route nous allons voir apparaitre saint Jo- 
seph, tenant par la bride Tane qui porte la Vierge et l'enfant Jesus. 
Droit devant nous, a vingt kilometres environ, s'elevent les mon- 
tagnes de Bithynie, et, les dominant toutes, TOlympe dont le 
sommet, helas! nous est cache par un bourrelet de nuages. Peu a 
peu nous voyons emerger du fond boise et verdoyant ou repose 



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BROUSSK ET SES ENVIRONS. 551 

FOlympe les maisons de Brousse, qui de loin semble plutAt un 
lieu de vill6giature qu'une grande ville d'industrie. Apres une 
courte halte sous un massif de magnifiquesplatanes, nous repre- 
nons une course verligineuse, coupant a travers champs, sans 
respect de la propriety d'autrui, a tout raccourci possible. A un 
carrefour non loin de la ville nous assistons quelques instants a 
un spectacle en plein vent : deux pcrsonnages sont en scene, un 
idle de femme est jou6 par un homme qui, pour imiter la voix 
feminine, produit des sons suraigus qui percent les oreilles, mais 
font la joie des spectateurs, assis en demi-cercle, homines d'un 
cote^ femmes de Tautre. La clef nous manque pour comprendre, 
nous continuons notre. route et sommes en quelques minutes au 
faubourg de Tchekirgueh, sur la droite de Brousse, qui forme 
une ville d'eaux assez frequentee. (Test la que se trouvent les 
bains de Brousse, celebres dans tout l'Orient depuis rantiquite\ 
lis sont au nombre de sept. Le plus remarquable est celui de 
Soliman, que nous visitons. C'est Pheure du bain des homines : 
la premiere salle carree n'a rien de remarquable; elle est garnie 
de lits de repos ou de uombreux fumeurs lancent nonchalam- 
ment la fum6e de leur cigarette ou de leur narghile. La deuxieme 
et la troisieme salle sont de forme ronde; la temperature, tres 
61ev6e dans l'une, devient brulante dans l'autre. Elles sont 
tout en marbre, revfitu en differents endroits de belles faiences 
persanes qui semblent dater d'hier : au milieu un bassin pour 
les ablutions apres le savonnage; les plafonds en coupole sont 
perces de trous boucliGs par des globes de verre qui laissent 
p6n6trer un jour insuffisant. Notre venue ne trouble personne, 
et si un regard se porte sur nous, il ne s'y arnHe m£me pas. C'est 
mdme un peu vexanl. 

Un temps de galop nous mene au coeur de Brousse. On nous 
a adress£s a Vhotel d'Anatolie, tenu par M mo Brotte, une Fran- 
chise qui nous installe dans une grande chambre bien propre, 
bien aeree, et qui nous otrre pour guide son fils, jeune homme 
intelligent et inslruit. Nous allons avec lui visiter les anciennes 
murailles, d'ou la vue s'etend sur l'immense plaine situete entre 
Brousse et la mer. Le spectacle est grandiose : a travers Tatmo- 
sphere bleue et limpide, les montagnes au loin se couvrent peu a 
peu d'un voile lilas, sSparGes de nous par la plaine, qui semble 
un long lleuve;et le soleil se coucbe dans sa robe jaune orange. 
La nuit vient et nous laisscle regret d'une journe'e trop vite ter- 
minee. Un excellent diner en tres bonne compagnie nous remet 
des fatigues de la joutaee. Le tres aimable vice-consul dc France, 



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552 MISCELLANIES. 

M. Gianmarchi, nous offre sou kavas pour nous accompagner 
demain. Nous allons done nous coucher tr&s tranquilles, certains 
d'etre encore bien guides. 

Les lits sont excelleuts; aussi, apres une bonne nuit, Ie matin 
nous trouvc frais et dispos. Le kavas nous attend : c est un grand 
et beau garcon dont Fair martial, le sabre et le costume bleu 
soutache tloivent inspirer le respect. Aucun fanatisme n'existe 
du reste a Brousse, et la petite colonie chnHienne d'environ cin- 
quante individusqui s'y est etablie vil en lanieilleure intelligence 
avec les Turcs. Point n'est done besoin d'appareil militaire pour 
se faire respecter. La confiance est reciproque et pas un Euro- 
pean ne formule la moindre plainte. Nous marchons done prece- 
des de noire kavas ; un soldat qui monte la garde nous pre- 
sente les amies. La ville, e*clairee par un beau soleil, est tres 
riante. Chaque maison est enlouree d'un jardin ou tout pousse a 
merveille, grace aux nombreux ruisseaux qui coulent de TOlyrnpe. 
II n'est point une propriele qui n'ait son eau courante et son 
petit bassin avec ses poissons. Brousse ne risque pas comme 
Constantinople de pe>ir par la soif. L'exuberance de verdure 
domie a cette ville orientate un cachet tout particulier : on se 
croirait quelquefois dans Tun des channants villages des en- 
virons de Paris, si les costumes, les monuments, ne ramenaienl 
Pesprit a TOrient. 

Nous apercevous bient6t une mosqu6e a la coupole et aux 
minarets de couleur vert eineraude. C'est la Yechil-Djami, la 
mosquee verte, ou de Mahomet I cr , le bijou de Brousse. De petite 
dimension, elle est completement construite en marbre; rien de 
plus gracieux, de plus finemenl sculpts que sa porte et ses fe- 
nfires aux barreaux de fer. L'ogive des fenelres est une inerveil- 
leuse deulelle que le temps a presque entierement respected. 
Ce sont des entrelacements infinis dont le dessin echappe, mais 
dont l'ensemble est absolument harmonieux. Nous penetrons 
dans la nef; au milieu, un petit bassin avec jet d'eau, et de 
chaque ctile, a une hauteur de plusieurs metres, des carreauxde 
faience emaillee de forme hexagone, de couleur verte, ornes de 
dessins en or. L'einail est intact et eblouissant sous les rayons du 
soleil. Sur les bas-c6tes, des sortes de petites chapelles aussi 
toutes deforces de faiences. Quatre degres meuent au chosur, au 
fond duquel le mirhab, sculpts en creux au milieu, a la forme 
d'un carre* haul, plaque* tout entier des plus belles faiences per- 
sanes que nous ayons jamais vues. De beaux tapis de priere 
sont 6pars dans la mosquee. Revenant sur nos pas, nous mon- 



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BROUSSE ET SES ENVIRONS. 553 

tons, par un petit escalier pratique* a 1'entree de la mosquee, a 
deux loges reservees l'une au sultan, I'autreason harem, et d'ou 
Ton enibrasse tout l'interieur du monument, chef-d'oeuvre de 
sculpture et de ceramique.Nous sortons eblouis, et, accoudes sur 
la balustrade du terre-plein qui s'etend devant la mosquee, nous 
fermerions volontiers les yeux pour revoir en imagination les 
beautes qui nous onl charmes, si un autre spectacle ne forc.ait 
notre attention. L'immense plaine de Brousse s'etendanos pieds 
toute chaude des rayons dores du soleil. Plus loin, devant nous, 
de hautes monlagnes aux tons de rouille; a droite et a gauche, 
la ville gaie, verte comnie sa mosquee, adossee au massif de 
l'Olympe qui lui prfite la fraicheur de son ombre. Merveille de 
Tart! Splendeur de la nature ! 

Notre itineraire nous porte ensuite vers rOulou-Djami, la 
grande mosquee recouverle de vingt-quatre coupoles. Elle do- 
mine toute la ville, sa masse est imposante. Sa construction 
remonte, comnie celle de la Yechil-Djami, au commencement 
du xiv c siecle. De riches ornements, de belles faiences qui la 
d6coraient autrefois ont disparu. Ce qui nous frappe surtout, 
e'est la gaiete du lieu. Un grand bassin aux eaux jaillissantes 
r£paud une iralclieur delicieuse et un murmure harmonieux. 
Des enfants courenl etjouent autour du bassin; des adolescents 
accroupis gofttent tranquillement le charme de ce sejour. II y a 
foule, mais personne ne prie. Un enfant seul recite le Koran, 
assis sur ses talons et se balanc,ant devant le inollah, qui aide 
de temps en temps sa m^moire infidele. L'Oulou-Djami est pres 
du bazar, bien moins important que celui de Constantinople, 
mais aux rues plus agrees, plus larges, car les voitures y pas- 
sent. Les soies de Brousse y dominent naturellement. Nous y 
faisons quelques emplettes, entre aulres celle d'uue tres amu- 
sante croupiere d'ane tout orn6e de eoquillages. Nous avons 
en passant visits les turbes de Mohammed et d'Orkhan aux 
tombeaux incrustes de nacre et recouverls de velours; et, fati- 
gues de noire course, nous allons nous reposer, en d^gustant 
une tasse de cafe, sous les ombrages des beaux oliviers de Bou- 
nar-Bachi, aux troncs noueux et tordus. Le cafe* est 6tabli sur 
les deux rives d'un ruisseau aux eaux argentSes descendant de 
TOlympe, dont on apergoit les pentes a travers le feuillage. Le 
cafedji pose sa petite bouilloire de cuivre sur la cendre chaude, 
Tenleve apres trois bouillons, plonge un verre dans le ruisseau, 
puis vient deposer cafe el verre d'eau sur un trepied place pr&s 
de nous. Quelques Turcs sont nonchalamment 6tendus sur 



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554 MISCELLANIES. 

1'herbe, presque engourdis par cette delicieuse fraicheur. Nous 
nous laisserions volontiers aller a ce farniente, mais nous ne 
pouvons oublier, helas, que nous sommes toujours presses et 
que le repos n'est pas fait pour nous. C'est au reste I'heure de 
dejeuner; nous descendons rapidement vers le has de la ville, 
contournant une partie dcs anciennes murailles, visitant une 
filature de soie assez primitive, ou Mahometanes sans voiles, 
Armeniennes, Grecques travaillent fraternellement cote a c<He, 
et arrivons a not re hotel. 

Reconfortes par un bon repas, nous repartons dans mi lan- 
dau, allele de deux chevaux maigres et chetifs dont nous nous 
detions, bien injustement nous le verrons. Le kavas est sur le 
siege. Un soldat lure nous porte encore les amies. Decid6meut 
nous sommes de hauls personnages. Nous Iraversons le bazar 
en voiture, nous arr&tant chez un marchand de soieries, et pre- 
nons des informations sur un faiencier qui ce matin n'avait pas 
encore ouvert sa boutique lors de notre passage, tst-ii cbezlui 
a cette heure? On ne sait, lanldt il ouvre, tantdt il n'ouvre pas. 
suivant son caprice. Si on le trouve, tant mieux ; si on ne le trouve 
pas, tant pis; mais on ne se plaint pas, on revient un autre 
jour, on a toujours le temps en Turquie. Je n'ai pas souvenir, 
pendant deux semaines de sejour dans ce pays, d'avoir vu un 
Ottoman se deparlir de son calme olympieu. Cela donne un 
grand air a ces gens. Nous trouvons noire marchand et lui 
achelons quelques menues faiences de forme hexagone, d'uu 
assez joli decor, qui, rapprochees les unes des autres, c6te contre 
cdtc, formeront une assietle a dessert originale. Nous monlons 
el traversons un pout de bois delabre jete sur un torrent : les 
pluies d'hiver ou la fonte des neiges de l'Olympe ne doivent pas 
le raviner, car la vegetation y est luxuriante sur les deux ver- 
sauts el jusqu'au fond, ou poussent des arbres vigoureux. Nous 
sortons de la ville et monlons toujours par des chemins qui 
sont plutdt des fondrieres, devant lesquelles reculeraient cochers 
«>t chevaux europeens. Mais raulomedon est piein de courage 
«'t de calme et engage sans sourciller ses haridelles dans ces 
casse-cou dont les pauvres beles, en d^pit de leur facheuse 
apparence, se lirent toujours a leur honneur. Nous sommes sur 
les penles de TOlympe, que nous parcourons en lacets, mais 
nous nous elevons fori peu. A un dolour, la vue domine toute la 
ville longue, etroite, adossee a la montagne, ses maisons aux 
toits de tuiles, ses mosquees aux nombreuses coupoles et aux 
«''l£gants minarets, sa riante verdure arrosee d'eau courante; 



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BROUSSE ET SES ENVIRONS. 555 

puis s'etend l'immense plaine traversee par Ja route toute 
droite de Moudania, long cordon qui rattache la ville a la mer. 
Noire retour s'effectue par ies mAmes cliemins, plus que mal- 
aises, et nous revenons a noire hdtel. Le ills de noire hdtesse 
devail nous faire faire une petite partie de I'ftscension du mont 
Olympe, malheureusement toujours couvert de sod chapeau. Le 
jeuue homme est inalade, e'est une excursion manquee. Nous 
nous en consolons en flananl dans la ville, constatant toujours 
combien elie est moins turque que Constantinople, bien que pea 
en contact avec l'Europe. 11 serable ici que la vie commune 
s'elablirait facilement entre Chretiens et mahomeians sans trop 
de froissements, et Ton n'eprouve jamais ce sentiment a Constan- 
tinople ou Tabime entre les unset les autres parait infranchissa- 
ble. Les habitants de Brousse nous regardent avec une sorte de 
bienveillance; on est trop heureux a Slamboul de ne recueillir 
que des regards indifferents. Le soleil se couche et chacun se 
hate vers sa demeure, qui dans son araba, qui sur son ane ; 
nous en faisons autant, mais a pied comme des mendiants. 
Apres un diner auime par les discussions de trois habitues de la 
table d'hdte, que le sejour en commun rend peu indulgents Tun 
pour l'atilre, nous allons nous coucher de bonne heure : demain, 
il faudra etre sur pied a 4 h. du matin. 

Leves a l'heure dite, puis lesles par un fort cafe au lait, nous 
prenons cordialement conge de noire htitesse comme d'une 
vieille arnie et montons en voiture. Nous avons encore noire 
petit cocher turc, gros, alerte, mais boitant aujourd'hui : il s'esl 
blesse en tombant. Bien qu'il fasse froid a cette heure, nous 
ouvrons notre landau pour bien jouir du lever du soleil. « L'au- 
rore aux doigts de rose entr'ouvre les portes de T Orient », et le 
vert le plus doux, le plus transparent se mele aux tons roses. 
Ce mouvement de lumiere dans le ciel est d'un effet eblouissant. 
L'Olympe se debarrasse des uuages qui le couvraient hier et 
avant-hier, et semble nous narguer. Si demain un autre ba- 
teau pouvait nous ramener a Constantinople, nous retournerions 
sur nos pas, pour faire rascension du geant de la Bithynie. Mais 
il n'y faut pas songer, il n'y a plus de bateau que dans qualre 
jours. Nous contiuuons done notre route, non sans regrets : 
tout voyage a ies siens. Arrives a Moudania a 7 h., nous n J en 
repartons qu'a h. : e'etait bien la peine de se lever a 4 h. ! 
Oui, puisque sans cela nous n'aurions pas assiste au lever du 
soleil. Done, pas de regrets cette fois. Notre retour s'effectue 
aussi lentement que Taller. Mais cette lenteur a laquelle on 



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556 MISCELLANIES. 

s'habitue finit par elre un charme dans ce pays ; elle permel do 
se p6n6trer peu a peu et plus profon dement de chaque chose, 
au grand avanlage du souvenir. La haie de Moudania, les belles 
cdtes colorees de l'Asie, les lies des Princes, puis Slamboul, 
d'abord a peine aper^u, sortant de la mer de Marmara, s'eclai- 
rant, grandissant, s'elevant dans toule sa majesty, Scutari, 
f entree du Bosphore : spectacle inoubliable et toujours devant 
nos yeux. Le debarquement a la Come d'Or ne s'effectue pas 
sans difficult^ : une douzaine de barques serait suffisante pour 
tous les voyageurs, il s'en presente des centaines, qui se pres- 
sent, s'euchevGtrent l'une dans l'autre et font entendre des cra- 
quements de mauvais augure. Vingt bras se tendent vers nous, 
deux nous saisissent enfin et nous posent au fond d'un caique 
qui atteint rapidement Techelle de Top-han6. 

Nous voici de nouveau ft Constantinople, ou nous retrouvons 
« bon souper, bon gite et le reste ». Mais l'heure du retour a 
sonne, famille et penates nous rappellent. II faut partir : nous 
partons, emportant un souvenir qui ne s'eiFacera jamais. Le 
regret du depart se trouve attenue par la perspective d'une 
belle et longue carriere a parcourir encore. Nous reviendrons 
par Smyrne, Athenes, Corfou, Trieste, Vienne el... Paris. 

E. Jouaust, 

Membre du Club Alpin Francais 
(Section dc Paris). 



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CHRONIQUE 

DU CLUB ALPIN FRANQAIS 



RAPPORT ANNUEL 



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CHRONIQUE 

DU CLUB ALPIN FRANCAIS 



DIRECTION CENTRALE 



RAPPORT ANNUEL 



11 y a quelques aunees des pronostics inquieHants £taient venus 
Trapper au coeur tous les amis des montagnes. Une se>ie d'hi- 
vers sees et d'ett»s brulants avait appauvri les reservoirs de 
neige accumules sur nos frontieres. Parlout on signalait la 
dexroissance rapide des glaciers. Des calculateurs pessimistes 
assignaienl deja l'epoque ou ils auraient disparu, ne laissant 
derriere eux que des pentes- nues et (16sol6es. Quelques annees 
encore, et les champs d'elude des Saussure, des Agassiz et des 
Tvndall n'auraieut plus existe que dans le souvenir des hommes 
de science. On pouvait se demander si notre Club nY'tait pas 
venu trop tard, et si cette decadence, fatale a la beaute des 
montagnes, n'allait pas avoir son contre-coup sur les Soeietes 
alpines. Aujourd'hui, une perspective plus rassurante s'ouvre 
devant nous. Fidele a son rdle de monarque, le Mont-Blanc a 
donne* le signal d'une marche en avant. Le glacier des Bossons, 
son principal emissaire, a gagne pres de 300 met. dans 
le courant de l'ete dernier. A ce compte peu d'annees lui suf- 
firont pour retrouver sa splendeur premiere. Dans ce fait, 
signale par nos collegues de la Section du Mont-Blanc, nous ai- 
mous a voir un heureux augure. Le Club Alpin lui aussi doit 
ienir a honneur de suivre une marche progressive. Arriv6 a la 
onzieme annee de son existence, il n'a encore connu ni la deca- 



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560 CHRONIQUE 

dence ni les revers. Mais il ne faut pas qu'il croie sa tache 
accomplie, son ideal realise. L'an dernier, M. Guyard vous annon- 
cait un chiffre de 4,900 membres. Nous en comptons aujour- 
d'hui 3,250, repartis en 40 Sections. C'est beaucoup, si Ton a 
egard a la modestie de nos debuts. C'est peu, si Ton considere 
le nonibre des personnes capables de s'interesser a nos travaux 
et qui s'en liennent encore ecartees. Tous ceux qui souhaitenl 
de voir mettre en lumiere les beaut6s naturelles de la France 
ou de ses colonies out leur place marquee dans nos rangs. Nous 
prions nos collegues de s'en souvenir. 

L'accroissement du Club Alpin en Afrique, depuis Fannie der- 
niere, est bien fait pour nous donner confiance. L'annee 1884 a 
vu naitre la Section de la Petite-Kabylie. Une autre a pris pour 
champ de ses etudes l'Aures el le Sahara. Jusqu'a present ces 
deux Sections ne sembleut pas sorties de la periorle de forma- 
tion; mais on ne saurait douter que le prochain congres, qui 
doit se tenir a Alger, ne leur imprime une impulsion decisive. 
Un moment on a cru pouvoir cr6er une Section du Djurjura. Les 
elements dont on disposait ne se sont pas trouv6s suffisants. 
C'est une tentative a reprendre dans un avenir prochain. Des a 
present une compensation nous a ete otterte par M. Tarry, in- 
specteur des finances et Tun de nos plus zel6s collegues. Nous 
devons a son initiative la Section des Hauls-Plateaux, dont le 
siege est a Medeah. M. Tarry compte bien ne pas s'arr&erla, et 
nous annoncer sous peu la fondation d'une Section nouvelle a 
Laghouat, sur les coniins monies du desert. 

11 faut citer a part la Section de Carthage, etablie a Tunis par 
M. Bcerner, procureur de la Republique. Des son debut cette Sec- 
tion seinble vouloir se classer au nombre des plus vivantes et 
des plus mareheuses. Deja elle a visite les ruines de Carthage et 
d'Ulique. Elle a du s'embarquer pour Malte, aux vacances de 
PAques. IVinteressantes relations, aecompagnees de photogra- 
phies, sont deja parvenues a la Direction Cent rale, et nous font 
esperer une riche moisson de decouvertes poui' la geographie el 
pour la science. 

Sur le terriloii e proprement dit de la France, il s'agit moius 
de creer des centres nouveaux que de develop; er ceux qui exis- 
tent. Signalons toutefois une nouvelle venue dont nous avons 
droit de beaucoup altendre : la Section du Gard. Fondee a Alais, 
au pied des Cevenues, elle nous a envoye deja le compte rendu 
de ses visites au Mont-Aigoual, ou va (Hre etabli un observatoire, 
a I'antique cite d'Aigues-Mortes, si interessanle a divers til res. 



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DU CLUB ALP1N FBANQAIS. 561 

Get aecroissement dans le nombre de nos Sections a entralne 
une correspondance plus active. Notre bibliotheque s'est enrickie 
de documents et d'ouvrages nouveaux. II a done fallu donner suite 
au projet forme depuis longlemps de transferer le siege du Club 
dans un local plus vaste. Ceux de nos collegues qui viendront le 
visiter pourront se convaincre qu'ii est parfaitement approprie* a 
sa destination et que nos richesses bibliographiques y sont con- 
venablement mises en lumiere. Toules les facility sont main- 
tenant offertes aux membres du Club qui veulent se mettre au 
courant de la litterature alpine ou obtenir des renseignements 
pour elaborer leurs plans de voyage. La Direction peut compter 
a cet egard sur le zele de son nouveau secretaire, M. De Jarnac, 
installe au mois de d^cembre de l'annde derniere. 

De leur cote, les anciennes Sections ne sont pas rest^es inac- 
tives. Si leurs relations avec la Direction Centrale n'ont pas tou- 
jours 6te aussi frequentes que nous Taurions desire\ nous en 
savons assez cependant pour affirmer qu'elles marchent, au 
propre comme au figured Excursions individuelles ou collectives, 
travaux d'acces dans les montagnes, inauguration de refuges, 
conferences, publications, tout s'est maintenu pour le moins au 
niveau des ann£es precedentes. La Section de Paris a visite les 
antiquites de Folleville et de Breteuil, ou elle a recu le plus 
charmant accueil de M. Levavasseur, depute de L'Oise. Elle a fait 
dans les Vosges, au mois de juin de 1'annee derniere, une excur- 
sion bien arrosee par les eaux du ciel, mais qui n'en a pas moins 
laisse un excellent souvenir. En fin, elle a reuai un personnel 
exceptionnellemeut nombreux pour la tourn^e de Compiegne et 
de Pierrefonds. La Section du Sud-Ouest a parcouru la valine 
d'Ossau. Nos collegues Roussillonnais nous ont rerele les sites 
des Monts Alberes et la belle fordt de Sorede. Les alpinistes de 
Lyon, en avance sur la saison, ont visite en juin la croix de 
Belledonne. La Section de Gap a siSge" a une altitude encore plus 
respectable sur le Mont-Chaillol et, brochant sur le tout, cinq 
membres de la Section de Tarentaise ont escalade" la Grande- 
Sassiere. 

Au risque de tomber dans la secheresse, nous ne pouvons 
donner aux excursions individuelles qu'une mention sommaire. 
Tout porte a croire que Tactivit^ de nos collegues ne s'est point 
ralentie. C'est a leur discretion peut-6tre excessive qu'il faut s'en 
prendre, si nous ne connaissons qu'une faible partie des courses 
accomplies par eux. La crainte des redites ou de la prolixite leur 
aura fait garder le silence. Sans doute il n'appartient qu'a un 

ANNUAIRE DK 1884. 36 



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562 CUR0N1QUE 

maitre Je renouveler la forme de la litterature alpine, mais le 
fonds en est inepuisable, et nos collaborateurs ordinaires Font 
bien montre. Les Pyrenees-Orientales ont ete explorees par 
M. Rochat. M. Duhamel a fait la premiere ascension du Pic cen- 
tral de Belledonne. Trois alpinistes lyonnaisont escalade lapointe 
d'Arcalod, au centre du massif des Bauges, qui forme, au point 
de vue orographique, une suite naturelle aux massifs deja 
celebres du Vercors et de la Chartreuse. 

(Test encore au coinpte de la Section de Lyon qu'il faut porter 
un grand nombre de courses jusqu'ici jamais ou bien rarement 
acconiplies par nos compatriotes. Citons, dans Jes Alpes fran- 
chises : l'Aiguille mendionale d'Arve, l'Aiguille de Peclet, la Mu- 
zelle, la Barre des Serins ; en Suisse : Ja Strahleck, la Jungfrau, 
le Piz Bernina, et les passages redoules de rAlt-Weissthor et du 
Domjoch; en tcosse : le Ben Nevis. Les courses d'hiver, depuis 
longleiups en faveur chez les alpinistes anglais, suisses et ita- 
liens, trouvent maintenant chez nous des imitaleurs intrepides. 
Cette annee, la plus remarquable a ete accomplie par MM. Brulle 
et Bazillac, dont les Alpes connaissent aujourd'hui Je nom 
com me les Pyrenees. Partis de Gavarnie le 28 Janvier, ils y 
sont rentres le m&nie soir, apres avoir gravi le Mont-Perdu. 11 
est du devoir du Club Alpin d'appiaudir a de lels exemples, non 
pour flatter l'amour-propre de ceux qui les donnent, mais pour 
encourager chez les jeunes generations le developpement de la 
vigueur physique, rhabitude de la marche, le sang-froid en face 
du peril, qualites qu'elles pouiront mettre un jour au service de 
la patrie. 

Ce n'est pas tout de marcher : il faut voir et faire pro titer les 
autres de ce qu'on a vu. De la l'utilile de ces conferences, accom- 
pagn^es de projections photographiques, qui sont devenues 
raccompagncnient oblige de nos reunions. Quelques-unes de 
ces conferences, visant plus a charmer leurs auditeurs qu'a les 
instruire, les ont transporter en face des sites des Alpes cen- 
trales, si connus, mais si beaux qu'on ne se lasse pas de les 
admirer et de les decrire. D'autres conferenciers nous ont decrit 
des portions injustement meconnues dc notre pays. De plus 
entreprenants nous ont fait franchir les mers. 

Avec M. Martel, nous avons parcouru les CSvennes, avec 
M. l'abbe Raboissou le Sinai, avec M. Paul Passy le Pare natio- 
nal d'Amerique, avec M. Schrader l'Himalaya. M. Perrier nous a 
fait descendre au fond de l'Atlantique. M. Benardeau nous a 
entretenus de Taction des eaux dans les mo nt agues; M. Bour- 



N 



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DU CLUB ALPIN FRANQAIS. 563 

gaull-Ducoudray, de la musique primitive chez les peuplesmon- 
lagnards. Toutes les conferences queje viens de raentionner out 
eu lieu dans cette enceinte. Mais la province n'est pas reslee en 
arriere du mouvement. La Section de Lyon a £coute avec faveur 
les recils d'excursions accomplies par ses membres. Reuen a 
tenu a s'assurer pour sa premiere seance fpublique la parole 
toujours si sympathique de notre vice-president M. Charles Du- 
rier. Enfin nos collegues du Sud-Ouesl ne sont pas pres d'ou- 
blier rattrayant voyage que M. Trutat leur a fait faire a travers 
I'Espagne. 

Plnsieurs publications inte>essantes, dues a des membres du 
Club, ont vu le jour cette ann6e. Nous devons a M. de Bouille un 
excellent guide des Eaux-Bonnes et des Eaux-Chaudes. M. le 
capitaine Gambiez a developpe, dans son livre sur YAlpinisme 
militaire, des considerations d'une importance capitate pour la 
defense de nos frontieres. Le tableau des coordonn6es des noifi- 
breux points determines dans les Pyrenees par M. Wallon con- 
stitue une addition prexieuse a nos connaissances sur la geo- 
graphic de TEspagne. M. Schrader a poursuivi Tex^cutiou de 
sa carle des Pyr£n6es centrales, si appr6ciee de tous ceux qui 
ont eu occasion d'en faire usage sur le terrain. M. Lory, doyen 
de la Faculty des sciences de Grenoble, fera paraltre prochaine- 
ment de nouvelles feuilles de la carte g6ologique de la Savoie 
et du Dauphine, monument scientifique qui resume les labeurs 
de toute une vie. 

Dans un autre ordre d'idees, le Club Alpin n'a cesse d'eneou- 
rager ou d'accomplir lui-m£me tous les travaux propres a faci- 
liter Tacces des montagnes. Mais il n'entre chez lui aucune 
pensee d'exclusion jalouse a regard des promenades en plaine, 
et, ce qui le prouve, c'est que fanned 1885 verra s'effectuer par 
ses soins l'^tablissement de poteaux indicateurs dans les bois 
des environs de Paris. II suffira, pour donner satisfaction a tous, 
de s'inspirer de ce que plusieurs Sections, entre autres celles 
d'£piual, d'Auvergne et de l'lsere, ont su accomplir sur leur 
terrain. Nous devons aussi feliciter nos eoJIegues vosgiens d'avoir 
pris energiquement la defense du lac de Longemer, menac6 par 
des travaux d'endiguement. Esperons que leurs efforts auront 
pour resultat la conservation d'un des sites les plus charmants 
de notre pays. L'abri du Vignemale, encore ameliorS par notre 
collcgue le comte Russell Killough, rend chaque annee des ser- 
vices plus apprecies aux touriste?. Dans les Alpes, nous somiues 
heureux d'annoncer 1'achevement du refuge du lac Noir, dont 



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504 CURONIQUE 

M. Guyard vous signalait l'annee derniere toute Tim porta nee. 
L'ann6c i884 a vu encore inaugurer a Rochebrune le plus eleve 
des abris construits par le Club Alpin. On nous promet pour 
Tele qui vient Tachevement d'un refuge au Mont-Pourri, et des 
travaux d'acces aux belles gorges de Ballandaz en Tarentaise. 
La Direction Centrale a voulu aussi contribuer parune allocation 
pecuniaire au chemin de fer du Semnoz et a l'etablissement 
d'un poste t£l6graphique a Pralognan. 

Des ameliorations de ce genre ne peuvent manquer d'etre un 
encouragement pour les caravanes scolaires, objet constant des 
soins et des vceux de la Direction Centrale. lei, nous devons 
Pavouer, les resultats ner6pondent pas entierement a nos desirs. 
Ce sont toujours les monies elablissements qui mentent d'etre 
cites avec honneur. Les Minimes de Lyon ont parcouru la Savoie 
et la Suisse. I/Ecole Monge a mis les Alpes sur sa route en se 
dirigeant vers l'ltalie. L'iustitution d'Arcueil, avant de pousser 
jusque dans TEngadine et le Tyrol, a consacr6 quelques jours a 
la Tarentaise, et accompli Tascension dGsormais classique du 
Ddme de ChasseforeH. 

A cdte des progres qu'on est heureux de signaler, une Societe 
nombreuse comme la ndtre doit toujours enregistrer des pertes 
eruelles. Je demanderai seulement a vous citer deux noms qui 
ont droit de notre part a un souvenir particulier, ceux de 
M. Aniel, vice-president de la Section de Lyon, et de M. Eugene 
Caire, tresorier de la Sous-Section de Brianc,qn. L'un et 1'aulre 
ont apporte dans Texercice de fonctions modestes un devoue- 
nient fecond et infatigable, et le vide qu'ils laissent parmi nous 
ne sera pas comble de longtemps. Une autre perte vivement 
ressentie est celle de M mo Vignet-Trouv6. A Texemple de son 
mari, president d'honneur de la Section de Briancon, elle aimait 
les montagnes et faisait du Club Alpin Tinstrument de son in- 
ielligente liberality. En donnant son nom au refuge de Roche- 
brune, nos collegues dauphinois ont accompli un devoir de 
reconnaissance. 

Notre rapporteur de 1'annSe derniere vous annonc.ait pour 
Tautomne de 1884 une reunion generate du Club en Alg£rie. 
L't'pidemie de cholera et les mesures preventives qu'elle a en- 
Iralnees ont mis obstacle a ce projet, et necessite son ajourne- 
nient. II recevra cette annee son entier accomplissement, etje 
puis m6me vous dire que ce delai d'un an a ele mis a profit par 
nos Sections algeriennes pour nous preparer, s'il est possible, 
une reception plus brillanle et un programme mieux etudie. 



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DU CLUB ALP1N FRAN^AIS. 565 

Reunions cordiales, fantasias arabes, merveilles archeologiques 
ou pittoresques, tel est Je resume de ce que nous promettent 
iios collegues d'Afrique. Tous les gouts seront consultes, toutes 
les euriosites satisfaites. Au sortir des palais mauresques et des 
jardins d'orangers, les iutr^pides pourront, s'ils le veulent, 
affronter la traversee du desert, coucher sous la tente ou dans 
les gourbis kabyles. Puissent un grand nombre de nos collegues 
se laisser tenter par cette occasion unique de visiter la France 
de I'Afrique. Et s'il m'est permis d'exprimer un voeu pour Pave- 
nir de notre Societe, c'est que, non contente de se d£velopper en 
Algerie, elle s'6tende un jour a toutes les colonies, partout ou 
flotte le drapcau national. II faut qu'elle facilite a nos conipa- 
triotes appeles a resider dans ces contrees lointaines les nioyens 
de les parcourir et d'en mieux connaitre les ressources. Par la, 
le Club Alpin aura contribue* pour sa part au progres de Paeti- 
vite et de influence franchises. C'est le but le plus £leve qu'il 
puisse promettre a ses efforts. 



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CLUB ALPIN FRANCAIS 

a 

FONDfi LE 2 AVR1L 1874 
Reconnu d'utilit6 publique le 31 mars 1882 



DIRECTION CENTRALE 

MM. Daubree, president henorairc. 
Blanc (Xavier), president. 
Lemercier (Abel), vice-president. 
Durier (Charles), vice-president. 
Templier (Armand) , trtsorier. 
Pierre, membre honoraire. 
van Blarenberghe (Henri). 
Garon (Ernest). 
Goulier. 

Guillemin (Paul). 
Guyard. 

Janssen (Jules). 
Joanne (Paul). 
Lequeatre. 
Millot (Albert). 
Prudent (Ferdinand). 
Puiseux (Pierre). 
Schrader (Franz). 
de Tnrenne (marquis). 

Belloc (Emile), dele'gue' de la Section des Pyre'ne'es-Centralcs. 
Bochet, dtiltgut de la Section- de Chambdry. 
Chancel (Alphonse), president de la Sons-Section de Briancon. 
Chaulin-Mercier, dHCguC de la Section du Mont-Blanc. 
Chaumontel, de'le'gue' de la Section d'Annecy. 
Courty, deligue' de la Section du Midi. 



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568 



DIRECTION CENTRALE. 



MM. d'Esterno (comte), de'le'gue' de la Section de Saonc-ct- Loire. 
fivrard (Alfred), dtUgud de la Section du Forez. 
Horteur, dtltguC de la Section de Maurienne. 
Lacretelle (Gaston), dtlegut de la Section de VAin. 
Laferriere, ddltgut* de la Section d'Auvergne. 
Letellier, detegue" de la Section de I' Atlas. 
Martel, de'le'gue' de la Section de la Lozfre et des Causes. 
N6rot, deUgui de la Section d'tipinal. 
Phiibert (E.), de'UguC de la Section de Tarentaise. 
Reclus (Armand), dtle'gue' de la Section du Sud-Ouest. 
Renaud (Georges), de'le'gue' de la Section du Canigou. 
Richard-Berenger, de'le'gue' de la Section de Vlsere. 
Riche, dele'gue' de la Section des Alpes-Maritimes. 
Salvador de Quatrefages, dtUgut de la Sous-Section d'Embrun. 
Tarry, de'le'gue' de la Section des Hauts-Plateaux. 

De Jarnac, secre'taire de la Direction. 

MEMBRES HONORAIRES. 

FRANCE. 

MM. Lory (Charles), membre correspondant de l'lnstitut (Section 
de Tlsere et Section de Chamb6ry). 
Martins (Charles), directeur du Jardin des Plantes de Mont- 
pellier (Section de Paris et Section du Midi). 



ANGLETERRE. 



MM. TyndaU (John). 
Tuckett (F.-F.). 
Ball (John). 
Packe (Charles). 

MM. Favre (Alphonse). 
Studer (Bernard). 
Tschudi (Frederik). 

MM. BaretU( Marti no). 
Budden. 

Palmieri (Luigi). 
Giordano (F.). 



SUISSE. 



ITAL1E. 



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DIRECTION CENTRALK. 569 



AUTRICHE-HONGRIE. 



MM. Payer (Jules). 
Dechy (Moritz). 

Sl'fcDE ET NORVfeGE. 

M. le professeur Nordenskjdld. 

feTATS-UNIS. 

M. le professeur Hay den. 

E8PAGNE. 

MM. le general Ibafies. 

le colonel Cofillo y Quesada (Francisco. 

RfcPUBUQUE ARGENTINE. 

M. Moreno (Francisco). 

MEMBRES DONATEURS. 

MM. Barille (Louis). — Sections de Paris et du Midi. 
Bethouart (fimile). — Section de Paris. 
Biollay (Paul). — Section de Paris, 
van Blarenberghe (Henri). — Section de Paris. 
Bordier (Henri). — Section de Paris. 
Davillier (Henri). — Section de Paris. 
Delaporte (Amedee). — Section de Paris. 
Fabre (Charles). — Section des Pyren6es-Centrales. 

de Ferrari (Philippe). — Section de Paris. ^ 

Genouville (M mo Berthe). — Section de Paris. 
Genouville (M lle Marie). — Section de Paris. 
Genouville (Louis). — Section de Paris. 
Genouville (Felix). — Section de Paris. 
Gerard (Amedee). — Section de Paris. 
Gibert (Edouard). — Section de Paris. 
Gnetal (abbe). — Section de l'lsere. 
Hollande (Jules). — Section de Paris. 
Jackson (James). — Section de Paris. 



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570 D1RKCTION CENTRALIS. 

MM. Jackson (William). — Section de Paris. 

Jacmart (Guslave-Adolphe). — Section de Paris. 
Jayal (Emile). — Section de Paris. 
Jouffray (Antoine). — Section de Paris. 
Juglar (M mo Josephine). — Section de Paris. 
Kratft (E.). — Section de Paris. 
Lamy (Ernest). — Section de Paris. 
Lamy (Henri-Gamille). — Section de Paris. 
Lebas (Alphonse). — Section de Paris. 
Lemercier (Abel). — Section de Paris. 
Lichtenberger (Henri). — Section de Paris. 
• Martin (William). — Section de Paris. 
Maugin (Albert-Louis). — Section de Paris. 
Maugin (Gustave-Oscar). — Section de Paris. 
Maugin (M mo Gustave). — Section de Paris. 
Maugin (M lle Jeanne- Charlotte). — Section de Paris. 
Maugin (M ll ° Lucie-Pauline). — Section de Paris. 
Meiner (Edmond). — Section de Paris. 
Mequillet (Camille). — Section de Paris. 
Montpensier (A. d'Orleans, due de). — Section de Paris. 
Morel d'Arleux (Charles). — Section de Paris. 
Muasy (Jean). — Section de Paris. 
Paumier (Louis-Henri). — Section de Paris. 
Picard (G.-J.-E.). — Section de Paris. 
Privat (Paul). — Section des Pyrenees-Centrales. 
Rich* (Alexandre). — Section des Alpes-Maritimes. 
de Rothschild (baron Edmond). — Section de Paris, 
de Saint-Martin (Ch.-L. Minette). — Section de Paris. 
Segretain (Alexandre). — Section de Paris. 
Templier (Armand). — Section de Paris. 
deTurenne (marquis). — Section de Paris. 
Vigier (Leon). — Section de Paris. 
Warnod. — Section de Paris. 
Wartelle (fimile). — Section de Paris. 



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PARIS. 571 



BUREAUX DES SECTIONS 



SECTION DE PARIS 

Siege social : rue du Bac, 30, a Paris. 

BUREAU. 

MM. Daubree, membre de l'lnstitut, boulevard Saint-Germain, 2o4, 

president honoraire. 
Blanc (Xavier), senateur, rue de Fleurus, 1, president. 
Lemercier (Abel), rue d'Assas, 90, vice-president. 
Durier (Charles), rue Godot-de-Mauroy, 43, vice-president. 
Templier (Armand), boulevard Saint-Germain, 79, trdsorier. 
Pierre (colonel), rue de Varenne, 14, membre honoraire. 
van Blarenberghe (Henri), ingenieur en chef des ponls el 

chaussees, rue de la Bienfaisanee, 48. 
Garon (Ernest), place Boieldieu, 1. 
Goulier (colonel), rue d'Estrees, 0. 
Guillemin (Paul), quai de Bethune, 30. 
Guyard, rue Duphot, 9. 

Janssen (Jules), membre de I'lnslitut, au chateau de Meudon. 
Joanne (Paul), rue Soufflot, 16. 
Lequeutre, rue Miromesnil, 8. 
Millot (Albert), avenue des Champs-£lys6es, 1 17. 
Prudent (commandant F.), au DepGt des fortifications, rue 

Saint-Dominique, 8. 
Puisenx (Pierre), rue Herschel, C. 
Schrader (Franz), rue Madame, 75. 
de Turenne (marquis), rue de Berri, 20. 

De Jarnac, secre'laire. 



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372 AUVERGNE. — GAP. 

SECTION D'AUVERGNE 

Siege social : passage Godefroi-de-Bouillon, 2, a Clermont-Ferrand. 

BUREAU. 

MM. Chotard, doyen de la Faculte deslettres, a Clermont-Ferrand, 
president. 

Gaillard, depute, rue de Rome, 21, a Paris, vice-president. 

Lenoir, avoue, rue Savaron, 3, a Clermont-Ferrand, vice- 
president. 

Vimont,bibliothecaire de la ville de Clermont-Ferrand, mon- 
tee de Jaude, 3, secretaire general honoraire. 

Viallefond, rue des Gras, a Clermont-Ferrand, secretaire 
ge'ne'ral. 

Jusseraud, chef de bureau a la prefecture du Puy-de-Ddme, 
a Clermont-Ferrand, secretaire des stances. 

Reynard (Joseph), agent voyer, rue Abbe-Girard, 6, a Cler- 
mont-Ferrand, archiviste. 

Labourier, avoue, rue Pascal, 22, a Clermont-Ferrand, trtso- 
rier honoraire. 

Pestel(Leon), place Thomas, \0, a Clermont-Ferrand, trfoorier. 

Julien, professeur a la Faculte des sciences. \ 

Dumas de Ghampvallier, general d'artillerie. J commissaires. 

Grimaud, avoue a la Cour d'appel, a Riom. ) 

Laferriere, president de section au Conseil d'fitat, dHCgue 
pris de la Direction Centrale. 



SECTION DES HAUTES-ALPES 

SOUS-SECTION DE GAP 

Siege social : a Gap. 

BUREAU. 

MM. Blanc (Xavier), senateur, rue de J 

Fleurus, i, a Paris f . ., A ... 

... /i • \ it . , n r presidents a honneur. 

Pion (Lucien), conseiller a la Cour i r 

d'appel, a Grenoble 1 



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BRIANCON. 573 

MM. T emptier (l'abbe), aumdnier, a Gap, vice-president d'honneur. 
de Caxeneuve, vice-president du tribunal civil, a Briangon. 

president. 

Faure (Clement), avou6, a Gap \ 

Cardot, inspecteur adjoint des fonHs, a [ vice-presidents. 

Saint-Bonnet (Hautes-Alpes) / 

Fiard, rue Villars, 2, a Gap, trCsorier. 

Laty (A.), avocat, a Gap, secretaire gen&ral. 

Roche (Achille), architecte, a Gap, secretaire-adjoint 

Moures, juge de paix, a Serres 

Grimaud, conseiller g£ne>al I 

Burle (Louis), contrdleur des contributions I 

directes \ _ . . A ± 

„ , r , .. , , / admimstrateurs. 

Beynet, chef de section au chemin de 

P.-L.-M., a Gap 

Faure (Leon), pharmacien, a Gap .... 

Vollaire (Aime), banquier, a Gap. . , 



i 



SOUS-SECTION DE BRIANQON 

Siege social : a Briangon. 

BUIIEAU. 

MM. Vignet (Louis), a Fontaines-sur- 

Sadne(Rhdne) 

Guillemin (Paul), inspecteur general } presidents d'honneur. 

de la navigation, quai de B6thune, 

36, a Paris 

Chancel (Alphonse), rue VSzelay, JO, a Paris, president. 
Brun (Jules), conseiller d'arrondisscment, \ 

a Briangon vice-presidents. 

Faure (Rene), maire de Briangon ) 

Faure (I'abbe), vicaire, a Briangon, secretaire. 

Monnier (Eugene), notaire, k Briangon, tresorier-archiviste. 



Vagnat (Auguste), docteur en mSdecine 
Iioard (Adolphe), capitaine en retraite 

Chabrand (Charles), avocat 

Rozan, docteur en medecine 

Lagier, maitre d'hdtel, a Ville-Vallouise 
Queyras (Frangois), maire de La Roche 
Iioard (Hippolyte), maitre d'hdtel, 
MonStier 



\ 



• administruteurs. 



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57 4 EMBRUN. — 1SKRE. 

SOUS-SECTION D'EMBRUN 

Siege social : a Embrun. 

BUREAU. 

MM. Gouget, inspecteur des fonHs, a Embrun, president. 

Huentz, inspecteur des douanes, a Embrun, vice-president. 
Guigues (Emile), receveur particulier des finances, a Embrun, 

secretaire. 
Guigues (Etienne), notaire, a Embrun, trtsorier-bibliothe'caire. 
Sahrador de Quatrefages, magistrat, a Coulommiers, deiegue 
pres de la Direction Cent rale. 



SECTION DE L'ISfiRE 

Siege social : place Grenette, 13, a Grenoble. 

BUREAU. 

MM. Lory (Charles), membre correspondant de l'lnstitut, rue Per- 

tuisiere, 8, president honoraire. 
Duhamel (Henry), a Gieres, pres Grenoble (Isere), president. 
Giroud, professeur a PEcole de medecine, J 

quai de PUe-Verte, '<l > vice-presidents. 

Fernel (Ernest), maire de Claix (Isere) . . ) 
Blanchet (Hector), rue de Sault, \, secretaire general. 
Melchior, professeur d'allemand au lycee, place Saint-Joseph. 

20, a Grenoble, secretaire des seances. 
Viallet (Felix), ingenieur-constructeur, avenue de la Gare. 

tresorier. 
Morin (Lucien), professeur au lycee, rue de Bonne, 5, archi- 

viste-bib lio theca ire. 
Boscary, conseiller a la Courd'appel . . . \ 

Crouzet, capitaine du genie I 

Gambiez, capitaine du genie f 

Racape, sous-inspecteur des Jbrdts .... I , . 

de Lapierre, professeur aa lycee ' «*»«««««'««•*• 

Jacquier (Gaston), proprietaire, a Gieres. 

Jolivet, notaire 

Thouvard (Alcide) 

Richard-Berenger, quai Voltaire, *9, a Paris, deiegue pres de 

la Direction Centrale. 



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CUAMBERY. — AIX-LES-BAINS. 0/0 

SECTION DE CHAMBERY 

Siege social : a Chambery. 

BUREAU. 

MM. Martin-Franklin (Jean), k Chambery, president howmtirv. 

Perrin (Andre), membre de I'Academie de Savoie, a Cham- 
bery, president. 

Raymond (E.), avocat a la Cour d'appel, a \ 
Chamb£ry ( vice-presidents. 

B6rard (L.). avocat, a Chambery ) 

Coppier (J.), avocat, rue de la Banque, 1, a Chambery, secre- 
taire general. 

Faga, architecte, a Chambery, secretaire adjoint. 

Burnier (Francois), avoue, a Chambery, tresorier. 

Bouvier (C), journaliste, a Chambery, bibliothccaire. 

Tochon (G.), clerc de notaire, bibliothecaire-ad joint. 

Briot (F.), inspecteur des fordts .... 

Descostes (Fr.), avocat 

Revel (J.-S.), architecte 

Auzias-Turenne, president de Chambre a 1 . . . . . 
. ~ ., , ) admimstrateurs. 

la Cour d appel ; 

Durand (C), avocat 

Duclos (E.), directeur de la Caisse eom- 

merciale 

Bochet, inspecteur des mines, deieyue" pre* de la hinHivn 

Cent rale. 



SECTION D'AIX-LES-BAINS 

Siege social : a Aix-les- Bains, a l'HOtel de Ville. 

BUREAU. 

MM. deLoche(comte J. Mouxy), aGresy-sur-Aix (Savoie), pres ident. 
Barbier, villa Campanus, & Aix-les-Bains, vice-president. 
N..., secretaire. 
Mailland(Pierre), notaire, a Aix, trtsorier. 

Blanc (L.), docteur en medecine j adMt) . ttteurs . 

Grisard (Blaise-Henry), architecte .... J 



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570 ANNECY. — RUMILLY. — LYON. 

SECTION D'ANNECY 

Siege social : a Annecy. 

BUREAU. 

MM. Dunant (Camille), conseiller de prefecture, a Annecy, president. 
Ruphy (Gustave), a Annecy-le-Vieux (Haute-Savoie), vice-pre- 
sident 
Nanche (Isidore), a Annecy, secretaire. 
Grettet (Victor), avoue, a Annecy, sous-secretaire. 
Mang6 (Auguste), architecte de la ville d' Annecy, tresorier. 
Bovier (Ernest), greffier, a Annecy, sous-tre'sorier. 
Dunand (Alexis) \ 

Boch (Louis), architecte / , . . . . 

« ^ /A . v ... • } administrates*. 

Ruphy (Auguste), propngtaire \ 

Garron, avocat, a Annecy / 

Chaumontel, senateur, de'le'gue' pre** de la Direction Centrnh. 



SECTION DE RUMILLY 

Siege social : a Rumilly. 

BUREAU. 

MM. N... f president. 

Ducret (Noel), a Rumilly, tresorier. 
La Rayoire (Charles), administrateur. 



SECTION DE LYON 

Siege social : quai de Retz, 6, a Lyon. 

BUREAU. 

MM. Lortet (Louis), doyen de la Faculty de medecine, quai de la 
Guillotiere, \ , president honorairc. 
Bianchi (Auguste), docteur en medecine, rue de FHdtel-de- 
Ville, 97, president. 



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VOSGES. 577 

MM. Montaland (Joseph), place Bellecour, 33. i 

Fabre(Joanny),commissaire-priseur, cours > vice-presidents. 

Morand, 20 i 

Ghappet (Prosper), place Morand, 4, secretaire general. 
Pouzet (Augustin), rue Neuve, \, secretaire des stances. 
Denis (Paul), montee du Gourgillon, 29, secretaire adjoint. 
Mar duel (Joanny), rue Franklin, 44, trtsorier. 
Mital (Jerflme), avocat, quai de la Charity, 4, archiviste- 

bibliothe'caire. 

Berger (Jacques), negociant ' 

Berlioux (Etienne). professeur a la Faculte des 

lettres 

Perret(Emmanuel),ingenieuren chefdu P.-L.-M. 

Darnat (Pierre), negociant 

Bonnamour (Louis), negociant 

Tavemier (Jean), avocat '[ conseillers 

Sestier (Maximin) 

Dufourt (Ernest) 

La my (Edouard) 

Coquet (Adolphe), architecte 

Collomb (Alexis) 

Vignet (Louis), notai re honoraire 



SECTION DES VOSGES 

Siege social : a Nancy. 

BUREAU. 

MM. Lejeune (Jules), membre des Academies de Metz et de Sta- 
nislas, rue de la Ravinelle, 22 bis, a Nancy, president. 
de Miscault (Henri), rue de d' Alliance, o, a \ 

Thierry -Mieg (Aug.), rue du Havre, a I VlC ^ T 
Mulhouse ) 

de Meti-Noblat(Antoine), membre de FAcademie de Stanislas, 
rue de la Havinelle, 27, a Nancy, secretaire. 

de Lallemand de Mont (Pierre), rue des Carmes, 9, a Nancy, 
secretaire-adjoint. 

Diot (Nicolas), sur laCarriere, 16, a Nancy, tresorier-archiviste. 

Gluck (Emile), a Mulhouse, vice-tresorier. 



ANNUAIRK DK 1881. 37 



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.*>78 SAONE-KT-LOIRE. — TARENTAISE. 

SECTION DE SAONE-ET-LOIRE 

Siege social : a Chalon-sur-Sadne. 

BUREAU. 

MM. Vaflier (Hubert), au chateau de Volognat. par Maillat (Ain). 

president. 
Bugniot (abbe), a Saint-Jean-des-Vignes (Saflne-et-Loire), 

vice-president. 
Chenot (Leon), avocat, quai du Canal, 1 4, a Chalon-sur-Sadne, 

secretaire. 
de Champeaux de La Boulaye (G.), ingenieur civil, a Autun, 

trtsoricr. 

Canat de Chixy \ 

de Montessus, docteur en medecine J memhres 

de Poligny (Ren6) ) 

d'Esterno (comte), deUguc prds de la Direction Cent rate. 



SECTION DE TARENTAISE 

Siege social : a Moutiers (Savoie). 
BUREAU. 

MM. Garquet (Francis), juge de paix, a Moutiers, president. 
Greff (Adrien), inspecteur des forSts, a Mod- \ 

tiers f 

Deschamps (Louis), procureur de la Repu- / l ice 'P r ^idents . 

blique, a Moutiers ) 

Belleville (C.-A.), a Moutiers, trdsoricr. -' 
Anselmi (Jules), controleur, a Moutiers, secretaire. 
Joriox (Adolphe), notaire, a Moutiers, sous-secretaire. 
Cettier (Ferdinand), contrdleur, a Moutiers, archicistc. 
Durax (Victor), juge de paix, a Bozel ] 

(Savoie) J 

Mayet (Charles), maltre d'hdtel, a Bourg- ( , . 
o • t u • , • \ / admimstrateurs. 

Saint-Maurice (Savoie) ( 

Moris (J.-M.), notaire, a Flumet (Savoie) . \ 

Viallet, notaire, a Beaufort (Savoie). . . . ; 

Philbert (E.), docteur-medecin, deUgue pres de la Direction 

('entrale. 



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JURA. 



PROVKNCK. 



57 !♦ 



SECTION DU JURA 

Siege social : a Besangon. 

BUREAU. 

MM. V6zian (Alexandre), professeur a la Faculte des sciences, rue 
Charles-Nodier, 21, a Besangon, president. 

Armbnister, inspecteur primaire, a Belfort. 

Boysson d'£cole (Alfred), rue de la Prefec- 
ture, 22, a Besangon 

Caron (Alfred), a Chateauneuf, pres Frai- \ vice-presidents. 
sans (Jura) I 

Meiner (Edmond), a l'lsle-sur-le-Doubs. . . j 

Sahler (Leon), a Audincourt / 

Suleau (C.), square Saint-Amour, 10, a Besangon, secretaire. 

Bertin (Jules), rue Saint-Pierre, I Si, a Besangon, Msoricr. 

Gochet (Emile), proprietaire, aux Chaprais, banlieue de Be- 
singon, administrateur. 

Orarbe, imprimeur-lithographe, a Ddlo (Jura). 

DothTers, imprimeur, Grande-Rue, 87, a Besan- 
gon . 

Henry, professeur de physique au lycee de Be- 
sangon 

Jacquard, banquier, rue des Granges, 21, a 
Besangon 

Mairot, banquier, rue de la Prefecture, 17, a 
Besangon » 

Rouzet, ingenieur civil, a DOle 

Cochet, proprietaire, aux Chaprais, banlieue de 
Besangon. 



conseillei's. 



SECTION DE PROVENCE 

Siege social : rue Mongrand, 15, a Marseille. 

BUREAU. 

MM. de Leuglay (H.), rue Saint-Jacques, 8«», president honoraire. 
Dupuy (Benoit), directeur de la Compagnie immobiliere, rue 
dc la Republique, 12, president. 



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secretaires generaux 
J honoraires. 



580 PYRfcNKES-CENTRALES. 

MM. Regnier (Antony), artiste peintre, rue d'An 

vers, 25 

Famin (Ferdinand), rue Dragon, Ho. ... , . . ., . 
» /i? aa> • \ r a u • / vtcc-prtsidents. 

Hugueny (Frederic), professeur de physi- ' 

que a la Faculte des sciences, allee des 

Capucines, 23 

Gonzales (Paul), rue Breteuil, 91. 

Lan (Louis), chef de division a la Mai- 
ne, rue des Trois-Rois, 2. . . 

Seneque (Henry), traverse du Chapitre, 1, secretaire general. 

Guisol (Paulin), avocat, rue Paradis, 19, tresorier. 

SOUS-COMMISSION ADMINISTRATIVE. 

MM. Regnier (Antony), artiste peintre, rue d'Anvers, 25, president. 
Vimar (Louis), negotiant, rue Saint-Savournin, 19, secretaire. 
Bonnefoy (Charles), cours Belzunce, 27, administrates. 

SOUS-COMMISSION DES EXCURSIONS. 

MM. Famin (Ferdinand), rue Dragon, 115, president. 

Viguier (Fortune), artiste peintre, rue de Rome, 1 29, secretaire. 
Vidal (Jules), negotiant, rue Paradis, 108, administrates. 

SOUS-COMMISSION DES SCIENCES. 

MM. Hugueny (Frederic), professeur de physique a la Faculte des 
sciences, president. 
Cauvet (Charles), avocat, rue de Rome, 90, secretaire. 
Pelissier (Alexandre), avocat, rue Haxo, 13, administratenr. 



SECTION DES PYREN15ES-CENTRALES 

Siege social : allee Saint-fitienne, 13, a Toulouse. 

BUREAU. 

MM. Benoit, professeur a la Faculte des lettres, rue Germaine, 
3, president. 
Jeanbernat, docteur en medecine, rue du Moulin -Bayard, 
vice-president. 



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SUD-OUEST (BORDEAUX). 581 

MM. Fabre (C), aide-astronome a I'Observatoire, rue Fermat, 18, 
secretaire. 
Beteille, commissaire-priseur, a Toulouse, tresorier. 
Belloc, de'le'gue' prts de la Direction Centrale. 



SECTION DU SUD-OUEST (BORDEAUX) 

Siege social : cours du Chapeau-Rouge, 5S-, a Bordeaux. 

BUREAU. 

MM. Schrader (Fr.), rue Madame, 73, a Paris, president hono- 

raire. 
Bays8ellance(A.), rue Saint-Genes, 84, a Bordeaux, president. 
Degrange-Touiin (A.), avocat, rue du Tem- \ 

pie, 24 6is I . 

Lourde-Rocheblave, rue du Jardin-Pu- ( * 

blic, 28 ' 

Manes, directeur de i'Ecole superieure de commerce et d'in- 

dustrie, rue Judaique, 20, secretaire ge'ne'ral. 
Rosset, notaire, rue Mably, 20 bis, Msorier. 
Rodel, avocat, rue Vital-Carles, 30, secretaire- archiviste. 
Blaquiere, architecte, rue Hustin, 9. . . . 
Brulle, avocat, rue Saint-Kmilion, 30, a 

Libourne 

Gross, rue Saint-Remy, 48 

Guillaud, professeur a la Faculte de me- 

decine, place Sainte-Eulalie 

Jaeggi, negotiant, rue d'Aviau, 41 . . . . \ administrateurs. 
Le villain, avocat, professeur a la Faculte 

de droit, rue Montmejean, 9 

d'Arlot de Saint-Sand (comte Ay mar), au 

chateau de la Valouze, par la Roche- 

Chalais (Dordogne) 

Tisseyre, pav6 des Chartrons, 01 bis.. . . ; 

Reclus (Armand), lieutenant de vaisseau, de'le'gue' pres de la 

Direction Centrale. 



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582 cotb-d'ok et morvan. — Spinal. 

SECTION DE LA COTE-DOR ET DU MORVAN 

Sieck social : a Dijon. 

BIHEAL. 

MM. Party, juge au tribunal, rue Saint-Pierre, 3J-, a Dijon, pre- 
sident. 

Robelin, maire de Dijon, rue des Bateaux. • 

Gaffarel, doyen de la Faculte des lettres, j vice-presidents . 
rue Buffon, 5 ) 

Lory, avoue, rue Button, I , secrdtaire. 

Gaudelette, inspecteur primaire, boulevard Sevigne, scc/d- 
taire adjoint. 

Darantiere, notaire, place Saint-Jean, 17, trdsorier. 

Boch (Felix), proprietaire, rue Saint-Benigne, 3, 
a Dijon. 

Gareau, notaire, a Salmaise (Cdte-d'Or/ 

Herbault (Leopold), inspecleur d'academie, a 
Clermont-Ferrand 

Joliet (Gaston), avocat, sous-prefet, a Autun ) tncn*bns. 
(Sadne-et-Loire) 

Aubelle, proprietaire, rue des Novices, 1, a Di- 
jon 

Paulin, notaire honoraire. eours du Pare, *», a 
Dijon. 



SECTION D'lSPINAL 

Siege social : a Spinal. 
1IUREAU. 

MM. Fournier (Alban), docteur en medecine, a Rambervillers 
(Vosges), president. 
Diemer, notaire, a Epinal, vice-president. 
Lafite, docteur en medecine, a Ep'ma\ y . secretaire. 
Froereisen, a fipinal, tecrdtaire adjoint. 
Juillard (Georges), a 6pinal, tre'soner. 
Nerot, avocat a la Cour d'appel de Paris, de'le'gue prei de la 
Direction Centrale. 



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VALS ET CfcVENNES. — MONT-BLANC. 58:1 

SECTION DE VALS ET DES CEVENNES 

Sieoe social : a Vals. 

BUKKAU. 

MM. Chabannes, doctcur en medecine, a Vals (Ardeche), president 
d'honneur. 
d'Albigny (Paul), a Privas (Ardeche), president. 
Favre de Thierrens, a Aubenas (Ardeche). j 
Oilier de Marichard, archeologue, a Val- I 

lon (Ardeche) ' vice-presidents. 

Rostaing, a Annonay (Ardircne) ' 

Saussac, a Antraigues-sur-YoIane (Arde- 
che) 

N., seer Hair e-tre'sorier. 



SECTION DU MONT-BLANC 

Siege social : a Bonneville. 



BUHEAU. 

MM. Merrier, premier president honoraire a la Cour de cassation, 
a Saint-Jeoire (Haute-Savoie), president d'honneur. 

Wills (Alfred), avocat au Banc de la Reine, a Esher, Surrey 
(Angleterre), vice-president d'honneur. 

Thevenet (Joseph), avocat. a Bonneville, president. 

Tairrai (Joseph), a Chamonix \ 

Orsat (Leon), avocat, consoiller general, a j vice-presidents. 
Bonneville 

Maillot (Gmile), avoue, a Bonneville, secretaire gtntral. 

Blanc (Angel), a Bonneville. .;■•■* secretaires anoints. 

Guy (Albert), avocat, a Bonneville . . * 

Abre (Philibert), k Bonneville, tresorier. 

Chaulin-Mercier, dttegud pres de la Direction Centrale. 



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conseillei's 



584 MAIRIKNNE. 

MM. Orsat (Constant), conseiller general, maire de 
Bonneville. 

de Montravel (Andre), sous-preTet de Bonne- 
ville 

Galais, docteur en medecine, a Bonneville.. 

Warchex (Francois), avocat, a Bonneville. 

Ghardon (fidouard), tanneur, a Bonneville.. 

Ghavin (Francois), imprimeur, a Bonneville. 

Dupont (Ren6), administrateur dHtgiU pour le canton dt 
La Roche. 

T a vernier (Hippolyte), administrateur dtttgut pour la vallee 
du Giffre. 

Duplan (Albert), administrateur dth'guc' fx>ur le Chabtais. 

Sennet (Jacques), administrateur Me'gue' pour le canton de 
Sallanches. 



SECTION DE LA MAURIENNE 

Siege social : a Saint-Jean-de-Maurienne. 

BUREAU. 

MM. Bonnet, avoue, a Saint-Jean-de-Maurienne, president. 

Durand, juge de paix, a Saint-Michel-de-Maurienne, vice- 

prCsident. 
Raisin, a Saint-Jean-de-Maurienne, tresorier. 
Dellozcourt, notaire, a Saint-Jean-de-Maurienne, secretaire- 

arckiviste. 
D6charne, conducteur de la voie au 

P.-L.-M., a Modane (Savoie) 

Bally, huissier, conseiller d'arrondisse- 

ment, a Aiffuebelle , , . . M M 

_ /w • v t • , c • 4 ... . , ) admmistratcurs. 

Grange (Maurice), notaire, a Samt-Micnel- 

de-Maurienne 

Carloz, banquier, a Saint-Jean-de-Mau- 
rienne 

Horteur, depute, de'le'gue' pris de la Direction Centrale. 



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MIDI. — ALPES-MARITIMES. 585 

SECTION DU MIDI 

Siege social : chez MM. Bazille et Leenhardt, rue Saint-Guilhem, 
a Montpellier. 

BUREAU. 

MM. tie Rouville (Paul), doyen de la Faculte des sciences, au Jar- 
din des Plantes, president honorairc. 

Gide, professeur & la Faculte de droit, rue Salle-Pfivdque, 
12, president. 

Cazalis de Fondouce, rue des Etuves, 3. . . 

Gleize (Etienne), route du Pont- Juvenal, vice-presidents. 
cite Laurent, villa Gleize ) 

Serre (Fernand), rue Leval, 2, secretaire general. 

Leenhardt (Pierre), rue Marceau, 27, trteorier. 

Debons, agent voyer en chef de l'Herault, rue Jacques-Co3ur, 
administrates dClegnd pres des chemins de f'er. 

Bazille (Louis), rue Marceau, 27 bis. ... ) , 

Bazille (Marc), Grande-Rue, II i °*ministrateur*. 

Goste, docteur, bibliothecaire a la Faculte de medecine, rue 
de Toulouse, 3, archivute. 

Courty, delegue' prds de la Direction Centrale. 



SECTION DES ALPES-MARITIMES 

Siege social : a Nice. 

BUREAU. 

MM. Bran, architecte, villa Brun, rue Saint-Etienne, 27, president 

honoraire. 
Faraut, avocat, rue Saint-Francois-de-Paule, 20, president. 
de Longjumeau Norreys (comte), villa Fran- \ 

cinelli J vke-prCsidents. 

Bera (Elisee), villa B6ra, a Saint-Maurice. J 
Pommateau, rue Raucher, 2, secretaire gavral. 
Gilly (Michel), avocat, rue Garnieri, 5, secretaire . 
Dalmas, rue Massena, 4, tre'soricr. . 
Rdgis (J.), rue Saint-Francois-de-Paule, II, archiviste. 



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38<» ATLAS. 

MM. Audemard, negociant, avenue Auber 
Calm els, avenue de la Gare, 23. . . 



i 



« .. ii/,^ • conseillers. 

Paoh, avenue de la Gare, 29 i 

Pilar, avenue des Capucins, a Grasse ; 

Rich*, conseiller d'arrondissement, ddUgue' pris de la Direction 

Cent rale. 



SECTION DE L'ATLAS 

Sikoe social : passage Narboni, 8 (rue Bab-Azouin, 31), a Alger. 



BUREAU. 

MM. Durando, proresseur de bolanique, \ 

rue de Tanger, 19, a Alger. . . . / . . , . .,. 

° . , , T ^ ,. ; presidents d honneur. 
Fau, procureur general, a Orleans i 

(Loiret) J 

Galland (Ch. de), professeur au lyeee d'Alger, rue Courbet, I, 

president. 

Quirot, vice-consul d'Haiti, rue de Tivoli, 1, \ 

a Alger / . . . . 

_ ... ° ., . . , , %, vtce-prfsidents. 

Feuilhd, prolesseur au lycee, rue de la Ma- i 

rine, 14, a Alger 

Vagnon, rue Mogador, 6, a Alger, secretaire general. 

Perrin (Jules), rue de Tanger, 9. . . . ) .. . 

„ \ secretaires adjoints. 

w ) 

Fredouille (Leon), rue de Tanger, 8, tresorier. 

Outin, sous-chef de comptabilite 
a la Banque d'Algerie, rampe 
Valee, 48 . f membres de la commission 

Heit, rue de Joinville, 4 bis. . . [ des poteaux. 

Fredouille, courtier, rue de Tan- 
ger, 8 

Letellier, depute d'Alger, Mfyueprdsdela DircHionCentrale. 



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CANIGOU. — AIN. .VS< 

SECTION DU CAMGOU 

Siege social : a Perpignan. 

BUREAU. 

MM. Ferrer (Leon),- rue des Marchands, 2, president d'honneur. 

Verges de Ricaudy (Emmanuel), rue Saint-Martin, ;>, pre- 
sident. 

Maderon (Jacques), professeur d'histoire, rue de la Tel, 4(», 
vice-president. 

Auriol (Prosper), rue Font-Froide, tre'sorier. 

Payre (Joseph), rue de la Cloche-d'Or, secretaire. 

Pepratx (Eugene), rentier, place de la 

Republique 

de Viry (le baron Am6), directeur de Tela- , , . . t . 
,,...-, } admvustrakurs. 

bussement du Gaz 

de Lamer (Paul), docteur-medecin, rue 

Saint- Jean, JO. ' 

Renaud (Georges), deUgiU pres de la Direction Ceutrale. 



SECTION DE LAIN 

Siege social : a Bourg. 

BUKKAl'. 

MM. Augerd (Victor), ancien magistral rue Lalande, a Bourg, 
president. 
Tissot, a Seyssel, vice-president. 
Baux, avocat, rue Bourgmayor, a Bourg, secretaire. 
Grandy, rue Glavagny, { , a Bourg. tre'sorier. 

Cabanet, proprietaire, a Nantua \ 

Jenin des Prots, maire de Virieu-Ie-Grand (Ain). J 

Mermod, avocat, a Bourg I comeillers. 

Pic, avocat, a Bourg 

Vaulprl, juge de paix, a Hauteville (Ainj. . . 
Lacretelle, dtttgue pres de la Direction Centrak. 



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588 MONTAGNE-NOIRE. — ROUEN. — MADELEINE. 

SECTION DE LA MONTAGNE-NOIRE 

Siege social : a Carcassonne. 

BUREAU. 

MM. Cochet (Honore), inspecteur-ingenieur des telegraphes, a Car- 
cassonne, president. 

Cantegril (J.-B.), conservateur des forels, a Carcassonne, 
vice -president. 

Sarda (Jules), banquier, a Carcassonne, tresorier. 



SECTION DE ROUEN 

Siege social : a Rouen. 

BUREAU . 

MM. Lefort, professeur au lycee, president. 

Letellier (Charles), president de chambre \ 

a la Cour d'appel f . . , A 

„ . , n . v f « . , > vice-presidents. 

Manchon (Gaston), rue Jacques-rauquet, a i f 

Bolbec ) 

Leduc, secretaire general de la mairie, a l'Hdtel de Yille. 

secretaire. 
Allais (Henri), avocat, rue Bouquet, 9, secretairenirchiviste. 
Valin (Lucien), rue de l'ficole, 4, secretaire adjoint. 
Besselievre (Louis), rue de Crosne, 24, tresorier. 



SECTION DE LA MADELEINE 

Siege social : a Roanne. 

BUREAU. 

MM. Verchere (Gabriel), notaire, a Saint - Germain -Lespinasse 
(Loire), president. 
Jotillon (Victor), avocat, place d'Armes, a Roanne, vice- 
president. 



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BOURBONNAIS. — FORKZ. 589 

MM. Matray(Julien), notaire, rue Sainte-Elisabeth, 106, a Roanne, 
Msorier. 
Vial (Gabriel), rue Nationale, 17, a Roanne, secretaire. 
du Sauzay (E.), rue de Sully, a Roanne ... 
Vial (Leon), proprietaire, rue Nationale, 17, a ( 

Roanne 

Durand, a Pradines, par le Coteau (Loire) . . . 



SECTION DU BOURBONNAIS 

Siege social : a Vichy. 



BUREAU. 

MM. Bonnard, banquier, a Vichy, president. 

Nicolas, docteur en medecine, a Vichy, vice -pre" si dent 
Mallat, pharmacien, a Vichy, secretaire . 
Roubeau, proprietaire, a Vichy, tre'sorier. 
Ameline,editeurde faiences d'art, a Vichy. 

Batilliat, a Vichy 

Cureyras, a Cusset (Allier) 



administratenr> 



SECTION DU FOREZ 

Siege social : place Marengo, 1, a Saintrfitienne. 

BUREAU. fr 

MM. Jouve (B.) f architecte, rue Saint-Jean-Baptiste, 5, president. 

Berne (S.), place de rH6tel-de-Ville, 6. . . ) . , . , , 

\J\\ , . „ . . . , , I vire-pr€sidents. 

Leroux(G.),ingemeur,rue Saint-Louis, 1*. ) 

Varinard (Adrien), place Jacquard, 5, secretaire general. 

Deville (J.-B.), rue de la Republique, 14, secretaire des stanret. 

Fleury, docteur en medecine, place de l'HOtel-de-Ville, :t, 

bibliothecaire. 



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s 



590 AIRES ET SAHARA. — PETITE-KARYLIE. 

MM. Deville (J.-M.), rue de la Paix, 14, tre'sorier. 
Durand (P.), architecte, rue du Coin, 16. . . , 
Lamaiziere (L.), architecte adjoint de la Ville, 1 

rue Saint-Honore, 4 I 

lrngniaut (Ovide), secretaire general de la I 

mairie, nie Sainte-Catherine. I \ } mmmissaircs. 

Chataignon (J.-M.), rue du Coin, 2. a 

Roanne 

Grand, docteur en medecine. pfae^Aa P*u- 

ple, 3 / 

fivrard, dtte'gue' pres de la Direction Central?. 



SECTION DE L'AUKfiS ET DU SAHARA 

Siege social : a Constantine. 



BIREAT 



MM. Huiglay, docteur-medecin, a Constantine, president. 

Godain, geometre principal, a Constantine, vice-president. 
Gaston, pharmacien al'hdpitalcivil, a Constantine. serrdtaire. 
Pouill, professeur au lycee, a Constantine, tresorier. 



SECTION DE LA PETITE-KABYLIE 

Siec.e social : a Bougie (Algerie). 



BUREAl . 

MM. Bouvard, conservateur des hypotheques, a Bougie., president. 
Carayol, president du Tribunal civil, a \ 

Bougie J vice-prteidmt*. 

Vendeling, inspecteur des for&ts, a Bougie. ) 

Petin, notaire, a Bougie, secrdtaire general. 

Marchand, contrOleur des contributions directes, a Bougie, 

secretaire des stances. 
Verdin, veterinaire, a El-Kseur, secretaire adjoint. 
Perpoli, greffier du Tribunal civil, a Bougie, tre'sorier. 



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GARD. — CARTHAGE. HA UTS-PLATEAUX. 591 

MM. Mounier, nolaire, a Djidjelli 

Beyraud-Reynaud,recereur des domaines, f , . . A 

.... } administrateurs. 

a Akbou i 

Mandon, juge de paix, au Guergour. . . / 



SECTION DU GARD 

Siege social : a Alais. 

BUREAU. 

MM. Fabre (Georges), inspecteur des foists, a Alais, president. 
Plantier (A.), docteur en medecine, rue d'Avejan, u Alais 

vice-president. 
Oberkampf (E.), receveur des finances, a Alais, tresorier. 
Feminier (G.), conducteur des ponts et cliaussees, a Alais 

secretaire. 



SECTION DE CARTHAGE 

Siege social : a Tunis. 

BUREAU. 

MM. BoBrner, procureur de la Republique, a Tunis, president. 

Ract, ingenieur de la Compagnie B6ne-Guelma, a Tunis, 
vice-pre'sident. 

Proust, directeur de la Compagnie algerienne, a Tunis, tre- 
sorier. 

L em arch and, juge suppleant, a Tunis, secretaire. 



SECTION DES HAUTS-PLATEAUX 

Siege social : a Medea (Alge>ie) 



BUREAU. 



MM. Vigouroux, sous-prefet, a Medea, president. 

Juhel, capitaine de cavalerie en retraite, a Med£a, secretaire 
ge'ne'ral. 



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592 LOZfcRE KT CAUSSES. 

MM. MUset, a Medea, tresorier. 

Tarry (Harold), detegue" pres de la Direction Centrale. 



SECTION DE LA LOZfiRE ET DES CAUSSES 

Siege social : a Mende. 



BUBEAU. 

MM. Lequeutre, rue Miromesnil, 8, a \ 

Paris f 

j m. i * A • ai „™ } presidents d'honneur. 

de Malafosse (Louisj, rue Mage, 20, \ l 

a Toulouse / 

Lefranc, ingenieur en chef des ponts et chaussees, a Mende. 

president. 

Paradan, avocat, a Mende \ 

Gasson, receveur parliculier des finances, J vice-presidents. 

a Marvejols ) 

de Brun (Hippolyte), garde general des forels, \ 

a Mende f 

d'Espinassoux (Gerard), juge suppleant a Mar- ( 

vejols ) 

Bonnefoug (Jules), banquier, a Mende, tresorier. 
Roussel, agent voyer en chef, a Mende. . | 
Deuxdenierg, inspecleur des for£ts, a j 

Mende f 

de Guirand (P.), notaire, a Chanac (Lo- / administratenrs. 

zere) 

Carbon-Ferridre, inspecteur adjoint des 

forels, a Milhau (Aveyron) 

Martel (E.-A.), de'legue' pres de la Direction Centrale. 



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LISTE DES SECTIONS 



Pari* 1149 

Auverjfne 328 

. Gap 93 

Hautes-Alpes j Briancon . 92 

Kmhrun 41 

Isere 229 

Chambery 123 

Aix-les-Bains 84 

Annecy 103 

I umilly 12 

Lyon 586 

Vosjres 257 

Saone-et-Loire 35 

Tarentaise . . 112 

Jura . . 159 

Provence 19G 

Pyrenees Centrales 4i 

Sud-Ouest 170 

Cote-d'Or et Morvan 140 

Kpinal 70 

Vals et ('evennes 42 

Mont-Blanc 231 

Maurienne 59 

Midi 43 

Alpes-Marilimes 118 

Atlas 155 

('anigrou 49 

Ain 50 

Monlajrne-Xoire 71 

.-1 reporter 4; 47 

ANNIWIRK UK 1881. ;t8 



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59-4 L1STE DES SECTIONS. 

Report 4847 

Rouen 32 

Madeleine 39 

Bourbonnais 32 

Forez 103 

Aures et Sahara 56 

Petite-Kabylie 59 

Gard 44 

Carthage 29 

Hauts-Plateaux 16 

Lozere et Causses 42 

Total general des membres du Club au 1" aout 1883. 5299 



Pari*. — Typ. <!*<*&** Chamerot, 19, rue de» SainU-1'. res. — leUCC. 



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