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Full text of "Le Costume ancien et moderne ; ou, Histoire du gouvernement, de la milice, de la religion, des arts, sciences et usages de tous les peuples anciens et modernes, d'après les monumens de l'antiquité et accompagné de dessins analogues au sujet"

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EUROPE. 


v 


DE     1/    E    U   R   O   P    F, 

DISCOURS   PRÉLIMINAIRE 

DE 

ROBUSTINIEN    GIRONI 

YlCE- BIBLIOTHECAIRE    DE    LA    BIBLIOTHÈQUE    IMPÉRIALE    ET    ROYALE    DE    MIL  A3 
ET   CENSEUR. 


Lvlgré  que  ,  des  quatre  continens  qui  composent  notre  globe  ,  Lnpunmiee 
l'Europe  soit  le  moins  considérable;  malgré  qu'il  ne  soit  sorti  de  ç  "'°'- 
la  nuit  des  siècles  que  long  tems  après  ceux  qui  formaient  avec 
lui  l'ancien  monde ,  et  n'ait  commencé  que  fort  tard  à  exercer 
sur  eux  l'influence  de  son  pouvoir,  ce  continent  est  néanmoins  ce- 
lui gui  mérite  le  plus  de  fixer  notre  attention  et  nos  soins  dans 
la  recherche  du  costume  des  peuples  dont  il  fut  le  berceau ,  et  de 
ceux  qui  l'habitent  aujourd'hui.  C'est  dans  son  sein  d'ailleurs  que 
se  trouve  la  belle  Italie  , 

.......  felice  ,  onorato,  almo  terreno  (i). 

où  nous  avons  eu  le  bonheur  de  naître ,  qui  fut  la  patrie  des  maî- 
tres de  l'univers ,  et  depuis  la  terre  classique  d'où  les  connaissances 
humaines  se  sont  répandues  chez  les  autres  nations. 

L'Europe  est  cette  région  célèbre  ,  où  l'esprit  humain  a  donné  Supériorité 
Fessor  à  toutes  ses  facultés  et  développé  toute  son  énergie ,  eu  por- 
tant à  la  perfection  les  arts  et  les  sciences  à  peine  ébauchés  et  reatés 
dans  l'enfance  chez  les  Egyptiens,  les  Assyriens  et  les  Phéniciens. 
Elle  est  encore  en  droit  de  s'enorgueillir  du  nombre  et  de  la  ci- 
vilisation de  ses  habitans,  de  leurs  constitutions  politiques ,  de  leur 
commerce  ,  de  leur  industrie  ,  de  leurs  découvertes ,  et  même  de 
leur  ambition  ,  de  leurs  caprices ,  de  leurs  besoins  ,  ainsi  que  de 
la  variété  de  leurs  passions ,  de  leurs  caractères  et  de  leurs  usages. 
C'est  elle  qui  a  été  le  théâtre  des  plus  grandes  révolutions  ,  des 
événemens  les  plus  extraordinaires ,  et  qui  nous  offre  le   champ  le 

(i)  Le  Tasse,  Rimes, 


de  l  .Europe. 


loi  VI 


°  Ï3  I  S  C  O  U  R  S     FRELIBUSTAIRE 

plus  vaste  à  parcourir  parmi  une  foule  de  peuples  divers,  de  mo- 
Biamens  insignes  et  de  chefs-d'œuvre  de  la  magnificence  des  beaux 
arts  (i).  Qu'il  nous  soit  donc  permis  de  rappeler  ici,  au  sujet  de 
cette  terre  fameuse  3  ces  paroles  de  Pline  :  Altrix  victoris  omnium 
gentium  populi  s  longeque  terrarum  puîcherrima  Europa. 
scènes  Mais  d'où  est  venu  à  ce  continent  le  nom  qu'il    porte  ?   com- 

revherches  .,      ,     ,  IL 

au  sujet       nient  a-t-il  ete  peuplé?  qu'elles  étaient    les   limites  de    l'ancienne 

de  ï Europe.      --,  ,  *  JL 

Europe,  et  quelles  sont  les  révolutions  qu'elle  a  subies?  Telles 
sont  les  questions  sur  lesquelles  s'exerce  ordinairement  l'érudition 
des  savans.  Nous  dirons  d'abord  qu'on  ne  peut  assurer  rien  de  po- 
sitif sur  la  dénomination  de  V Europe ,  ni  au  sujet  des  noms  sous 
Ses  rVffcrcm  lesquels  elle  a  été  anciennement  connue.  Ortelius  et  Brietius  s'ac- 
cordent à  dire ,  d'après  la  Bible  ,  que  les  écrivains  sacrés  lui  don- 
nèrent le  nom  de  Japetia;  mais  ils  n'apportent  aucune  raison  solide 
à  l'appui  de  leur  opinion  fa).  Brietius  assure  encore  que  l'Europe  fut 
jadis  appelée  Galazia  ,  et  il  s'appuye  en  cela  de  l'autorité  de  Dio- 
dore  et  de  Sol  in  ,  qui  pourtant  ne  désignent  point  sous  ce  nom  l'Eu- 
rope entière,  mais  seulement  quelques-unes  de  ses  contrées.  Ptolémée 
dans  le  second  livre  de  son  opus  quadripartitum ,  lui  donne  celui 
de  Celtica  ;  et  on  la  trouve  désignée  sous  le  même  nom  dans  d'autres 
écrivains  de  l'antiquité  ;  mais  encore  cette  dénomination  ne  peut 
s'appliquer  h  tous  les  pays  qui  composaient  autrefois  cette  partie 
du  monde.  Il  n'est  guères  facile  de  déterminer  l'origine  du  mot 
Europe ,  qui  est  le  nom  le  plus  général  et  peut  être  le  plu3  ancien 

(i)  Si  l'on  veut  considérer  les  Européens  sous  le  rapport  des  arts  et 
des  sciences  ,  quel  est  le  peuple  qui  peut  leur  être  comparé  ?  Les  autres 
nations  ne  sont  jamais  sorties  des  limites  et  des  époques  de  leur  empire. 
Semblables  à  ces  arbres  qui  ne  peuvent  prospérer  que  sur  leur  sol  natal, 
les  arts  ne  se  sont  jamais  étendus  chez  elles  au  delà  des  besoins  de  la 
vie.  L'Européen ,  franchissant  les  bornes  du  présent ,  a  embrassé  dans  l'ac- 
tivité de  son  imagination  et  de  ses  travaux  le  passé  et  l'avenir.  Il  a  re- 
cueilli avec  des  peines  infinies  les  débris  des  arts  ;  et  fier  de  ces  riches 
dépouilles  ,  il  a  su  conduire  à  la  perfection  ce  que  le  génie  des  anciens 
n'avait  fait  qu'ébaucher  ,  ajouter  de  nouvelles  découvertes  à  celles  qu'ils 
lui  ont  transmises,  imposer  des  lois  aux  élémens ,  parcourir  tous  les  pays, 
€t  dans  sa  noble  audace,  aller  interroger  la  nature  jusques  sous  les  pôles.  » 
Telles  sont  les  éloquentes  expressions  dont  s'est  servi  M r  Masson  de  Mor- 
*villiers  en  parlant  de  l'Europe. 

(2)  Ortel.  Geogr.  Pars  2  lib.  £  cap.  4.  Briet.  Parai.  Geogr.  Pars  po- 
ster, tom.  1.  lib.  s. 

m 


elurcs 
nom 


sur    l'Europe.  g 

de  ce  continent.  Festis  le  fait  dériver  à1  Europa  fille  d'Agenor ,  Cow 
qui  fut  enlevée  par  Jupiter ,  et  transportée  dans  un  pays  auquel  dans  Europa 
la  suite  passa  son  nom.  et  il  cite  à  l'appui  de  son  sentiment  le  té- 
moignage de  plusieurs  écrivains  qui  attestent ,  qu'Agenor  et  les 
Phéniciens  avaient  fait  la  conquête  de  ce  pays  ,  sous  le  prétexte 
de  l'enlèvement  d'une  jerne  fille,  qui  portait  peut-être  le  nom  d' Eu- 
ropa. D'autres  enfin  prétendent  que  ce  nom  lui  est  venu  des  Phé- 
niciens ,  dans  la  langue  desquels  le  mot  Europa  ,  ou  XJr-Appa  si- 
gnifie une  terre  dont  les  habitans  ont  le  visage  blanc  (i).  Entre 
toutes  ces  opinions  et  autres  semblables ,  que  la  crainte  d'être  pro- 
lixes nous  fait  passer  sous  silence  ,  il  serait  embarrassant  de  porter 
un  jugement  certain  :  c'est  pourquoi  nous  nous  contenterons  de  les 
avoir  indiquées.  Eh!  qu'importe  d'ailleurs  pour  notre  instruction;, 
que  les  Phéniciens  ayent  donné  à  l'Europe  le  nom  à'Ur-Jppa  , 
visage  blanc ,  parce  que  cetie  couleur  est  celle  des  peuples  qui  l'ha- 
bitent, ou  qu'il  se  soit  formé  du  mot  oriental  ourab ,  qui  veut  dire 
pays  de  l'occident  (a)? 

Il  ne  nous  sera  peut-être  pas  aussi  difficile  de  découvrir  quels  ^"/T 
ont  été  les  premiers  hommes  qui  ont  peuplé  l'Europe.  Nous  avons  de  l^uroPe 
déjà  dit ,  qu'après  le  déluge  universel  3  les  restes  de  l'espèce  hu- 
maine échappés  à  cette  grar.de  catastrophe ,  allèrent  se  réfugier 
dans  les  hautes  régions  de  l'Asie,  et  que  c'est  delà  sans  doute  que 
l'Europe  aura  reçu  dans  la  suie  ses  premières  colonies,  lesquelles 
après  s'être  avancées  à  travers  les  pays  qui  joignent  les  deux  con- 
tinens  à  l'est,  ou  les  lies  nombreuses  dont  l'Archipel  est  parse- 
mé, seront  venues  s'établir  d'abord  dans  ses  contrées  orientales, 
d'où  elles  se  seront  ensuite  répandues  peu-à-peu  sur  toute  sa  sur- 
face. Et  en  effet  Moyse ,  parlant  des  enfans  de  Japhet ,  ou  plu- 
tôt des  peuples  qui  étaient  leurs  descendans  ,  dit  qu'il  se  parta- 
gèrent entre  eux  les  îles  des  gentils  ,  et  les  divers  pays  s  chacun 
selon  son  langage  (3).    Or  les   interprètes   sont   d'avis  pour  la  plu- 

(0  V.    Bocliart     Phaleg.  lib.  4  et  55. 

(2)  Ghantreau  Science  de  l'Histoire  ,  vol.  2  pag.  61.  D'autres  écri- 
vains veulent  encore  que  le  mot  Europe  tire  son  origine  d'un  canton 
fort  petit  qui  portait  ce  nom  ,  et  se  trouvait  dans  le  voisinage  de  l'Helles» 
pont  ;  mais  leur  opinion  manque  de  raisons  solides.  Pinkerton,  vol.  1  pag.  12. 

(5)  Gen.  X  5.  V,  Calmet.  Diction  de  la  Bible  ,  vol.  I  Malte-Brun, 
Hist.  de  la  Géogr.  pag  17.  Pluche ,  Concorde  de  la  Géogr.  pag.  244» 
Hist.  univers,  d'une  société  de  gens  de  lettres.  T.  I.  L.  1  c.  2  Sect.  IV, 

Europe,  Vol.  I.  a 


io  Discours    preliminaîee. 

part  que  ,  par  ces  mots  insulœ  gentium ,  on  d»it  entendre  l'Europe. 
Cette  expression  asiatique  s'accorde  en  effet  avec  ce  qu'il  y  a  de 
plus  certain  en  géographie,  car  la  première  chose  qui  se  présente 
à  quiconque  veut  passer  de  l'Asie  Mineure  enEurope  ,  est  cette  mul- 
titude d'îles  qui  s'étendent  dans  tout  l'Archipel.  Le  Clerc  croit  même 
que  l'Europe  entière  passait  pour  être  une  île  dans  l'esprit  des  an- 
ciens peuples  de  l'Asie.  C'est  aussi  l'idée  {ue  semble  en  avoir  eue 
Pomponius  Mêla.  On  lit  encore  dans  le  second  livre  des  Machabées , 
qu'après  avoir  réduit  ses  ennemis  à  ne  pcqvoir  plus  troubler  la  tran- 
quillité de  ses  états,  Démétrius  Nicanqr  licencia  son  armée,  à 
l'exception  des  troupes  étrangères,  qu'il  avait  appelées  ex  insulis 
gentium  ,  c'est  à  dire  de  la  Grèce.  Il  parûtrait  donc  que  la  Créce  , 
ou  les  autres  contrées  qui  en  sont  voisines,  ont  été  les  premières  ha- 
bitées en  Europe  ;  et  il  est  à  présumer  que  delà  sa  population  se 
sera  étendue  dans  les  Gaules  ,  en  Espagne  et  en  Etrurie ,  par  suite 
du  penchant  naturel  qui  devait  porter  (es  hommes  de  ces  premiers 
tems  à  s'établir  clans  des  pays  fertiles  st  d'une  douce  température  , 
plutôt  que  dans  les  climats  stériles  et  glacés  du  nord  ;  de  quoi  nous 
aurons  occasion  de  parler  plus  amplement  dans  les  recherches  que 
nous  aurons  à  faire  >  sur  le  costume  de  chacun  des  peuples  de  ce 
continent. 
Europe  Mais  les  anciens  n'eurent    encore    que    des  connaissances  fort 

des  anciens.  J- 

imparfaites  sur  la  configuration  et  l'étendue  de  l'Europe.  Héro- 
dote ,  ce  père  de  l'Histoire ,  qui  vivait  environ  quatre  siècles 
après  Homère  ,  croyait  que  l'Europe  égalait  en  grandeur  l'Asie 
Homère.  et  la  Lybie  prises  ensemble.  Homère ,  le  prince  des  poètes  et  des 
historiens  de  l'antiquité ,  regardait  le  mont  Olympe  en  Thessalie 
comme  le  centre  de  l'univers,  et  file  de  Scherie ,  depuis  Co?cyre0 
maintenant  Corfou ,  comme  la  partie  la  plus  occidentale  de  ce 
continent  (i).  Il  place  au  nord  de  la  Grèce  les  vastes  contrées  de 
la  Thracc,  mais  il  ne  nous  dit  rien  de  l' Hébre ,  ni  du  Danube  dont 
il  est  fait  mention  pour  la  première  fois  dans  Hésiode  sous  le  nom 
à'Jster.  L'Italie  même  est  à  peine  indiquée,  et  encore  confusément, 
dans  l'Odyssée.  La  Sicile  (a)  et  les  îles  adjacentes  y  sont  décrites 
d'une  manière  bien  peu  conforme  à  leur  véritable  position  ,  et  com- 
me étant  le  séjour  de  monstres,  de  nymphes  dangereuses,  et  de  peu- 

(i)  Odyss.  VI.  v.  204. 

(2)  Appelée  Thrinaçcia ,  et  ensuite  Thrinacria. 


sur    l'Eukope.  îi 

pies  entièrement  fabuleux  :  ce  qui  prouve  combien  peu  elles  étaient 
connues  de  cet  écrivain  célèbre  (i). 

On  trouve  clans  Hérodote  des  notions  bien  plus  étendues  sur  Hérodote 
l'Europe.  11  parle  des  peuples  de  Y  Adriatique  t  des  Thyrrhéniens  s  de 
Vlbérie  ,  et  de  Tariessus  3  aujourd'hui  Y  Andalousie  en  Espagne  ;  il 
donne  quelqu'indice  ,  quoique  d'une  manière  obscure,  de  Masilia, 
aujourdh'hni  Marseille,  des  Liguriens,  et  des  Enéihes  ;  il  désigne 
très-clairement  YTster ,  le  Boristhéne  et  le  Tanaïs;  il  fait  une  belle 
relation  des  Scythes  dont  il  place  les  diverses  tribus  entre  Ylster 
et  le  Tanaïs  ,  et  cite  en  outre  divers  autres  peuples  confinans  avec 
les  Scythes.  Mais  entre  ces  régions ,  dont  quelques-unes  sont  décri- 
tes avec  beaucoup  d'exactitude  par  cet  historien  ,  il  se  trouve  des 
vuides  immenses  qu'il  n'a  point  su  remplir. 

Depuis  Hérodote,  la  géographie  de  l'Europe  ne  parait  pas  fyïhèas. 
avoir  fait  de  grands  progrès,  jusqu'à  l'époque  brillante  où  la  va- 
leur Romaine  porta  ses  aigles  triomphantes  dans  toutes  les  contrées 
du  monde  alors  connu.  On  sait  pourtant  qu'un  certain  Pyihms  ha- 
bitant de  Marseille,  lequel  vivait  quelques  années  avant  Alexan- 
dre, avait  écrit  la  relation  d'un  voyage  qu'il  avait  fait  en  Scandi- 
navie ,  et  peut-être  jusques  dans  la  mer  Baltique  ;  et  que  d'autres 
voyageurs,  particulièrement  de  la  Grèce,  avaient  cherché  à  péné- 
trer peut-être  encore  plus  avant  dans  le  nord  ;  mais  leurs  ouvrages  ont 
été  la  proie  du  tems ,  et  ce  qu'on  en  trouve  rapporté  dans  certains 
écrivains,  ne  présente   que  des  notions  imparfaites  et  très-obscures. 

Ce  ne  fut  même  que  sous  le  siècle  d'Auguste  que  les  Romains,  Lésions. 
plus  jaloux  de  conquérir  que  de  publier  leurs  conquêtes,  songèrent  à 
donner  une  description  exacte  des  pays  qui  leur  étaient  soumis.  Mais 
la  politique  apprit  bientôt  à.  ces  maîtres  du  monde,  combien  il  leur 
importait  de  connaître  la  position  et  les  limites  de  leur  vastes  do- 
maines, ainsi  que  les  avantages  qu'ils  pouvaient  en  tirer  pour  le 
commerce ,  pour  le  luxe  et  pour  la  guerre.  C'est  peut-être  à  cette 
politique  que  nous  sommes  redevables  des  œuvres  de  Strabon  et  de  Straion. 
Pline.  Le  premier  vivait  sous  Auguste.  11  fit  un  recueil  ,  qui  n'est 
pas  toujours  très-fidèle  ,  de  tous  les  écrits  des  géographes  qui  l'avaient 
précédés,  et  des  relations  de  son  tems.  La  série  des  régions  que  ce 
géographe  a  décrites,  commence  par  Ylbérie  ou  l'Espagne  ,  et  con- 
tinuant par  les  Gaules,  l'Italie,  l'Allemagne,  l'Iilyrie,  et  la  France, 

(0  v-  GosseKn  ,  Géographie  des  Grecs  analysée. 


p:in 


Itinéraires 
Piomains. 


Europe 

2  Pioiëmêe. 


ia  Discours    préliminaire 

finit  aux  iîes  de  la  Grèce.  Il  fait  aussi  mention  à* Albion  ou  de 
la  grande  Bretagne  ,  de  la  Scandinavie ,  et  autres  contrée  du  nord  j, 
malgré  qu'il  suspecte  un  peu  la  vérité  des  relations  d'après  les- 
quelles il  en  parle.  Mais  il  lui  arrive  souvent  de  tomber  dans  des 
erreurs  grossières ,  et  d'avoir  des  opinions  extravagantes  au  sujet  de 
pays  qui,  de  son  tems,  devaient  être  parfaitement  connus  à  Rome. 
Il  fait  courir  la  chaîne  des  Pyrénées  du  nord  au  midi }  et  couler 
le  Rhin  sur  une  ligne  parallèle  à  cette  chaîne.  Sa  description  de 
l'Italie  contient  des  notions  du  plus  grand  intérêt;  mais  on  l'y 
voit  avec  peine  discutant  sérieusement  si  cette  péninsule  a  la  ligure 
d'un    triangle  ou  d'un  carré. 

Pline  aussi  doit  être  considéré  comme  un  compilateur  soigneux 
de  toutes  les  relations  qui  avaient  été  faites  avant  lui  et  de  son  tems , 
sur  la  géographie  universelle  ;  mais  comme  il  avait  puisé  en  partie 
aux  mêmes  sources  que  Strabon ,  on  trouve  également  dans  ses 
écrits  des  contradictions  choquantes  ;  et  un  étrange  assemblage  de 
vérités  et  de  fables,  surtout  lorsqu'il  parle  de  l'Europe  septentrio- 
nale. Admirable  par  la  précision  et  l'étendue  de  ses  connaissances^, 
quand  il  décrit  quelqu' objet  d'Histoire  naturelle  appartenant  même 
à  des  pays  très-éloignés  de  Rome,  il  admet  avec  une  crédulité 
puérile  l'existence  de  certains  peuples,  dont  les  uns  avaient  des 
pieds  de  chevaux  ,  et  les  autres  des  oreilles  si  grandes  qu'elles  leur 
servaient  comme  de  coussin  dans  leur  lit.  Son  ouvrage  cependant , 
malgré  le  grand  nombre  d'erreurs  dont  il  est  semé,  nous  fournit  des 
éclaircissemens  précieux ,  pour  déterminer  quelles  étaient  les  limi- 
tes de  l'Europe  septentrionale  dans  les  premiers  siècles  de  l'em- 
pire Romain. 

Ce  qui  contribua  encore  beaucoup  aux  progrès  de  la  géogra- 
phie ,  ce  fut  ce  qu'on  appela  les  itinéraires ,  que  certains  Empe- 
reurs firent  dresser  pour  indiquer,  non  seulement  les  routes,  mais 
encore  les  confins,  les  revenus,  et  l'étendue  des  provinces  qui  étaient 
sous  la  domination  Romaine.  Malgré  qu'il  y  eût  des  ordres  très- 
sévères  pour  empêcher  que  ces  itinéraires  ne  fussent  connus,  (i) 
il  était  bien  difficile  ,  pour  ne  pas  dire  impossible  ,  qu'ils  échap- 
passent à  la  curiosité  des  géographes  et  dos  voyageurs.  Et  en  ef- 
fet ,  Ptolémée ,  astronome  d'Alexandrie  „  le  dernier  et  le  plus 
grand  des  géographes  de  l'antiquité  3  qui  vécut    sous   le  régue  des 


(i)  Tacit.  Armai,  (en  plusieurs  endroits). 


sur    l'Europe.  i3 

Antonins ,  y  puisa  la  plupart  des  connaissances  qu'il  avait  acquises 
clans  cette  science.  A  l'exemple  de  Marinus  de  Tyr  il  posa  les  fon- 
démens  de  la  géographie  sur  l'astronomie  et  les  mathématiques  (i), 
Les  notions  qu'il  nous  a  laissées ,  nous  mettent  dans  le  cas  d'as- 
signer d'une  manière  assez  précise,  les  limites  qu'avait  l'ancienne 
Europe  à  l'orient  et  au  nord.  11  trace  avec  beaucoup  d'exacti- 
tude le  cours  du  [Volga  qu'il  appelle  Rha ,  ainsi  que  celui  du  Ta- 
ndis ,  auquel  il  fait  décrire  une  courbe  comme  celle  qu'il  suit 
réelement  dans  les  cartes  modernes ,  tandis  que  Strabon  le  fait 
courir  du  nord  au  midi.  On  trouve  néanmoins  diverses  erreurs  dans 
son  ouvrage.  Il  fait  avancer  la  Méditerranée  vers  le  levant  à  vingt 
degrés  au  delà  des  limites  qu'elle  a  de  ce  côté ,  malgré  que  de  son 
teins,  cette  mer  fût  parcourue  par  les  Grées  et  les  Romains  dans 
toute  son  étendue  :  il  donne  à  Albion  une  extention  si  considérable 
à  l'orient,  qu'il  la  fait  replier  sur  l'Allemagne,  et  à  l'Italie  même 
une  cofiguration  peu  conforme  à  celle  qu'elle  a  ;  enfin ,  dans  la 
description  qu'il  fait  des  parties  septentrionales  de  l'Europe^  qu'il 
prolonge  jusqu'à  la  Chersonése  Cimbrique ,  aujourd'hui  le  Jutland 
en  Dannemark  s  il  désigne  comme  des  îles ,  certaines  contrées  qui 
tiennent  au  continent. 

On  voit  par  cet  exposé  rapide  des    progrès    de    la  géographie       Confins 

dlîpi  -,  .  ,  ,1  ^   ©        O       JT  £e  r  ancienne 

e  1  tLurope ,    que   les    anciens    n  eurent    qu  une   connaissance  très-       Europe, 

imparfaite  de  ce  continent  jusqu'à  la  fondation  de  l'Empire  Ro- 
main. Depuis  cette  époque,  on  sut  d'une  manière  positive  qu'il 
était  borné,  non  seulement  au  midi  parla  Méditerranée,  mais  en- 
core à  l'occident  par  une  ligne  qui  s'avançant  dans  l'Océan,  passait 
entre  l'Irlande  et  l'Angleterre  3  et  regagnait  la  muraille  d'Anton  in  en 
Ecosse.  Ses  limites  du  côté  du  nord  ne  sont  pas  aussi  faciles  à  fixer. 
Après  avoir  dit  tout  ce  qu'il  connaissait  des  contrées  septentrio- 
nales de  l'Europe ,  Ptolémée  lui  donne  pour  confins  3  au  lieu  de 
l'océan  3  des  terres  qu'il  suppose  inconnues.  Les  navigateurs  Romains 
avaient  visité  les  côtes  méridionales  de  la  Baltique  jusqu'au  Piubo  a 

(i)  Quelques  écrivains  ont  élevé  des  doutes  sur  l'authenticité  de  la 
géographie  de  Ptolémée.  Ils  prétendent  que  le  vrai  texte  est  perdu,  et 
que  l'ouvrage  qu'on  a ,  n'est  qu'une  compilation  postérieure  aux  tems 
où  vivait  cet  écrivain.  Cette  opinion  ne  repose  cependant  que  sur  des  fon- 
demens  bien  fragiles:  nous  ^n'entreprendrons  point  de  la  discuter  ici.  On 
peut  lire  à  cet  égard  ce  qu'en  a  dit  Gosselin  dans  l'ouvrage  que  nous 
avons  déjà  cité. 


*4  Discours    préliminaire 

aujourd'hui  la  Dwlna  ,  et  ils  en  avaient  rapporté  les  noms  de  di- 
verses peuplades  qui  les  habitaient,  sans  y  laisser  aucun  établisse- 
ment. On  voit  même  clairement,  par  les  cartes  de  Ptolemée ,  que 
les  Romains  n'avaient  aucune  connaissance  des  pays  intérieurs  de 
l'Allemagne.  Ainsi  l'on  peut  affirmer 5  sans  crainte  de  se  tromper  } 
que  les  anciens  n'étaient  point  allés  ,  sur  le  continent ,  au  delà  du 
5i.e  degré  de  latitude  septentrionale  ,  ou  d'une  ligne  qui,  partant 
de  l'embouchure  du  Rhin ,  venait  finir  aux  monts  Sarmates  ou 
Krapacks.  Quant  aux  confins  de  ce  continent  à  l'est ,  les  opinions 
des  anciens  géographes  sont  partagées ,  et  on  lit  dans  Brietius  qu'il 
y  avait  à  cet  égard  cinq  sistômes  différens  ,  que  nous  n'entrepren- 
drons point  de  discuter  ici,  pour  ne  point  trop  nous  écarter  du  but 
que  nous  nous  sommes  proposés.  Ce  qu'il  y  a  de  certain  ,  c'est  que 
du  tems  des  Empereurs  Romains ,  on  donnait  pour  limites  à  l'Eu- 
rope 9  du  côté  de  l'orient,  la  mer  Egée  ou  l'Archipel,  la  Propon- 
tide  ,  ou  mer  de  Marmara  ,  le  Pont  Euxin  ou  la  Mer  Noire  ,  jusqu'à 
l'embouchure  du  Niester ,  et  de  là  une  ligne  qui  remontait  le  long 
de  ce  fleuve  jusqu'aux  monts  Krapacks  ;  mais  on  ne  pourrait  rien 
dire  de  positif  sur  la  limite  véritable  qui  séparait  l'Europe  de 
l'Asie  au  delà  de  l'embouchure  de  ce  fleuve  (i). 
Division  Nous  venons  de  voir  quels  étaient  les  confins   de  l'Europe  an- 

sou*  vEmpire  cienne.  Ce  serait  ici  le  cas  d'en  présenter  la  carte  selon  le  plan 
que  nous  nous  sommes  prescrit  ;  mais  comme  il  serait  difficile  de 
lui  donner  assez  d'étendue  pour  y  éviter  la  confusion ,  à  cause  du 
grand  nombre  de  divisions  qu'il  faudrait  y  marquer;  et  l'ordre  que 
nous  avons  adopté  „  exigeant  que  nous  traitions  distinctement  de  cha- 
que pays  en  son  lieu,  nous  nous  réservons  à  donner  les  différentes 

(i)  L'Encyclopédie  méthodique  étend  l'Europe  ancienne  jusq\i'au  Ta- 
Ttaïs  ;  mais  il  n'est  pas  encore  bien  décidé  si  le  Tanaïs  des  anciens  était 
îe  Danube  ,  ou  le  Don  ,  ou  quelqu'autre  fleuve  de  la  Russie.  Il  est  d'au- 
tres écrivains  qui  donnent  pour  limite  à  cette  partie  du  monde  ,  du  côté 
de  l'est,  une  partie  du  Don ,  puis  une  ligne  qui  va  de  ce  fleuve  au  Volga  , 
du  Volga  au  Carambice  qu'ils  croyent  être  YOby ,  et  enfin  le  reste  du 
cours  de  ce  dernier  fleuve  jusqu'à  son  embouchure.  Cette  démarcation  con- 
fond d'une  manière  étrange  les  limites  cle  l'Europe  moderne  avec  celles 
de  l'ancienne.  Pour  ne  point  nous  exposer  à  donner  comme  certaines  ces 
choses  douteuses ,  ou  trop  hazardées  ,  nous  avons  préféré  de  nous  en  tenir 
à  l'opinion  des  écrivains  les  plus  dignes  de  foi ,  sur  les  confins  de  ce  con- 
tinent qui  nous  paraissent  les  mieux  démontrés. 


Romain. 


v     SDR    l'Europe.  i 5 

Cartes  de  la  géographie  comparée  de  ce  continent,  an  commence- 
ment de  l'histoire  particulière  de  chacun  des  peuples  qui  l'habi- 
tent. Nous  nous  bornerons  donc  à  observer  pour  le  moment  que  v 
lors  de  l'empire  Romain ,  l'Europe  se  divisait  en  douze  provinces 
qui  étaient  ^  les  îles  Britanniques  3  la  Scandinavie,  la  Sdrmalie  3 
la  Gaule,  la  Germanie  ,  Y  Espagne  3  Y  Italie  3  la  Mésie  ,1a  Thrace, 
la  Macédoine ,  Ylllyrie  ,  et  la  Grèce. 

Telles  étaient  en  Europe  les  contrées  sur  lesquelles,  comme  Décadent 
sur  le  reste  du  monde  connu  3  s'étendait  dans  les  premiers  tems  la  dcRomam™ 
domination  Romaine.  Mais  déjà  s'accumulaient  dans  le  nord  de 
cette  partie  du  monde  ainsi  qu'en  Asie ,  ces  hordes  de  peuples  bel- 
liqueux et  féroces,  qui  devaient  un  jour  envahir  l'empire  et  Rome 
même.  Tandis  que  les  Romains  livrés  à  la  mollesse  et  à  tous  les 
excès  de  la  corruption ,  perdaient  insensiblement  dans  des  révolu- 
tions continuelles  et  dans  les  guerres  intestines  leur  ancienne  vi- 
gueur et  la  supériorité  de  leurs  vertus  guerrières,  ces  mêmes  hor- 
des qu'ils  appelaient  Barbares  ,  croissaient  de  jour  en  jour  en 
nombre  et  en  force ,  et  trop  resserrées  bientôt  dans  leurs  terres 
natales,  menaçaient  d'en  sortir  comme  des  torrens  impétueux.  Au 
commencement  de  l'ère  vulgaire ,  l'Europe  civilisée  était  divisée  de 
l'Europe  encore  barbare  par  une  ligne  ,  qui  prendrait  à-peu-près 
depuis  l'embouchure  du  Rhin  jusqu'à  celle  du  Danube  (i).  D'un 
côté  la  nature  étalait  toutes  ses  beautés ,  réunies  à  tout  ce  que  l'in- 
dustrie ,  les  arts  et  les  sciences  avaient  pu  inventer  pour  les  com- 
modités et  les  agrémens  de  la  vie;  de  l'autre  on  ne  trouvait  que 
d'affreux  climats  en  proie  à  un  hiver  perpétuel ,  et  manquant  de 
tout ,  que  de  misérables  cabanes ,  et  des  hommes  errans  comme  des 
bêtes  sauvages  (a).  Non  contens  de  leurs  immenses  possessions  et  tou- 
jours avides  de  conquêtes,  les  Romains  osèrent  s'avancer  au  delà 
de  cette  ligne,  et  engager  avec  ces  hordes  misérables  une  guerre 
qui  dura  pendant  presque  les  deux  premiers  siècles  de  l'empire. 
Forcées  de  se  retirer  plus  au  loin  dans  le  nord ,  elles  s'y  multi- 
plièrent bientôt  au  point  de  n'y  plus  trouver  de  quoi  subsister;  et 
cédant  à  l'appât  des  riches  dépouilles  que  leur  offraient  les  pro- 
vinces de  l'empire  Romain  tombant  en  ruine  de  toutes  parts,  sur- 
tout après  le  partage  qui  en   fut   fait   en   empire   d'orient  et  em- 


Causes 
de  F  invasion 

des  Barbares. 


(i)  Voy    ce  que  nous  avons  dit  plus  haut. 

(2)  Le  Sage.  Atlas  histotiq.  Tabl.  8,  edit,  de  Flor. 


J6  Discours    prélimihaike 

pire  d'occident,  elles  franchirent  de  nouveau,  vers  le  milieu  du 
troisième  siècle,  les  confins  de  leurs  climats' glacés,  et  se  précipi- 
tèrent en  foule  sur  les  plus  belles  contrées  de  l'Europe.  Telle  fut 
l'invasion  des  Goths.  Dans   le    même    tems,    et   poussés    sans   doute 

Goths,  Hum.  par  les  mêmes  motifs,  les  Hum ,  non  moins  barbares  que  les  Goths , 
sortirent  des  régions  centrales  de  l'Asie,  et  se  débordèrent  égale- 
ment sur  les  terres  de  l'empire  Romain.  Quelle  douceur  et  quels 
charmes  ne  devait  point  avoir  pour  ces  peuples  l'aspect  de  pays  si 
riches ,  si  florissans ,  et  si  différens  en  tout  des  tristes  contrées  qu'ils 
avaient  quittées  ?  Entraînés  par  les  mêmes  causes ,  et  peut  être  par 
l'exemple  des  Goths  et  des  Huns ,  d'autres  barbares ,  laissant  là  leurs 
déserts ,  se  joignirent  à  eux ,  ou  leur  firent  la  guerre  ,  et  se  dis- 
putèrent entre  eux  les  débris  sanglaus  de  cet  empire.  Envain  quel- 
ques Empereurs  réussirent  à  repousser  ces  hordes  féroces,  et  même 
à  les  forcer  de  se  retirer  dans  les  pays  lointains  d'où  elles  étaient 
sorties  :  elles  revinrent  toujours  avec  plus  de  fureur ,  et  finirent 
par  chasser  à  jamais  les  aigles  Romaines  de  l'empire  d'occident  (i). 

TdJsÊiTba>iT  La  Bretagne  fut  envahie  par  les  Saxons ,  la  Gaule  par  les  Francs , 
et  l'Espagne  par  les  Fisigoths.  L'Italie  après  avoir  subi  successi- 
vement le  joug  des  Huns ,  des  Hérules ,  des  Ostrogoths ,  et  autres 
peuples  barbares ,  passa  enfin  sous  celui  des  Lombards. 

JNous  croyons  faire  une  chose  agréable  à  nos  lecteurs  que  de  leur 
donner  ici  une  carte  où  sont  représentées  les  invasions  des  Barba- 
res d'après  les  idées  de  Le  Sage.  L'étendard  bleu  indique  ceux  qui 
étaient  sortis  du  nord  de  l'Europe  3  et  dont  les  pays  se  trouvaient 
entre  l'océan  ,  et  une  ligne  qu'on  pourrait  imaginer  tracée  entre 
la  Crimée  et  l'embouchure  de  la  Dwina:  l'étendard  rouge  désigne 
ceux  qui  étaient  venus  de  l'Asie  ,  et  qui  habitaient  au  delà  d'une 
ligne  qu'on  pourrait  tirer  depuis  l'embouchure  du  Don  jusqu'à  celle 
de  YOby  j  et  l'étendard  jaune  signale  ceux  dont  les  tribus  occu- 
paient les  contrées  comprises  entre  ces  deux  lignes. 

.iVouvei  ordre  La  chute  de  l'empire  Romain    en   occident    y    fit   éclorre   un 

nouvel  ordre  de  choses;  et  des  ruines  de  l'Europe  ancienne,  s'éleva 
pour  ainsi  dire  l'Europe  moderne.  Un  nouveau  costume  commença 
dès  lors  à  s'introduire  parmi  les  peuples  qui  étaient  passés  sous  le 

(i)  Une  chose  qui  ne  contribua  pas  peu  à  la  décadence  de  l'empire 
Romain  ,  ce  fut  le  partage  solennel  qui  en  fut  fait  en  empire  d'orient , 
eu  en  empire  d'occident  sous  Valentinien  en  l'an  364- 


politique. 


sur    l'Europe.  17 

joug  des  Barbares ,  costume  qui  dans  nos  recherches  nous  servira 
comme  de  liaison  entre  l'ancien ,  et  surtout  entre  le  Romain  et 
celui  des  tems  modernes. 

Malgré  l'invasion  des  Barbares ,  et  lorsque  l'empire  d'occident  e, 
avait  déjà  repris  sous  de  nouvelles  formes  une  nouvelle  existence 
sous  Charlemagne  vers  le  commencement  du  neuvième  siècle,  l'em- 
pire d'orient  ne  s'était  pas  tout  à  fait  éclipsé,  et  il  conservait  en- 
core quelque  reste  de  puissance  sur  certaines  contrées  de  l'Italie. 
Mais  comme  les  vicissitudes  politiques  de  cet  empire  ont  moins  de 
rapport  avec.  l'Europe  qu'avec  l'Asie,  où  il  s'étendait  presqu'en 
entier ,  nous  nous  réservons  d'en  parler  de  nouveau  lorsque  nous 
traiterons  du  costume  des  peuples  appartenais  aux  contrées  occi- 
dentales de  ce  dernier  continent.  Quant  aux  grands  événemens  qui 
se  sont  passés  à  Constantinople ,  lieu  de  la  résidence  des  Empereurs 
d'orient ,  nous  en  ferons  mention  incessamment  dans  notre  introduc- 
tion au  costume  des  Grecs.  Nous  nous  bornerons  à  observer  poul- 
ie moment  à  nos  lecteurs ,  que  cet  empire  ,  qui  était  connu  encore 
sous  les  noms  d'empire  Grec ,  et  de  bas  empire ,  accablé  sous  le 
poids  des  vices  de  son  gouvernement  et  de  l'avilissement  de  la  na- 
tion ,  finit ,  après  diverses  révolutions ,  par  devenir  la  proie  des 
Turcs  en  i543,  époque  mémorable,  où  Mahomet  II.  prit  Constan- 
tinople d'assaut,  et  fonda  en  Europe  Fempire  Ottoman  qui  dure 
encore  aujourd'hui.  (1). 

L'invasion  des  Barbares  en  Europe  opéra ,  comme  nous  venons  & 
de  le  dire ,  un  chagement  total  dans  l'ancien  costume  de  ses  habi- 
tans.  Il  se  fît  un  mélange  bizarre  des  lois ,  des  institutions ,  des 
coutumes ,  des  langages  même  et  des  arts  des  conquérans  avec  ceux 
des  nations  subjugées.  Nous  marcherons  pendant  plusieurs  siècles  à 
travers  les  ténèbres,  dans  l'ignorance  et  la  confusion.  Des  généra- 
tions féroces  se  succéderont,  jusqu'à  ce  qu'il  sorte  de  l'Italie  un 
premier  rayon  de  lumière  ,  qui  annoncera  l'aurore  de  plus  beaux 
jours.  Alors  nous  verrons  l'ordre  et  l'harmonie  sortir  peu-à-peu 
comme  du  cahos ,  et  s'étendre  dans  toute  l'Europe.  Le  génie  de 
l'Italie  se  relèvera  plus  glorieux  que  dans  le  siècle  d'Auguste,  et 
reprendra  son  empire  sur  cette  partie  du  monde ,  non  plus  par 
la  violence  3  par  la  force  des  armes,  ni  par  la  tyrannie,  mais  par 
les  lettres ,  les  arts ,  les  sciences  et  le  commerce. 

(1)   V.  Gibbon.  Hisbory  of  tlie  décline  and  f ail  of  the  Roman  an- 
pire.  Beau.  Histoire  du  Bas-Empire.  Montesq.  Décadence  etc. 

Europe-   Vol,   I.  3 


d*ûrieiit 


oaveaux 
costume. 


i8  Discours    préliminaire 

Progrès d* la  Ces  irruptions  de  Barbares  contribuèrent  néanmoins  aux  pro- 

gres  de  la  géographie,  et  à  reculer  les  limites  de  l'ancienne  Eu- 
rope. Les  relations  qu'ils  donnèrent  sur  les  pays  dont  ils  étaient 
originaires ,  furent  recueilies ,  bien  que  grossièrement ,  dans  les  chro- 
niques des  siècles  modernes.  Elles  furent  la  source  de  connaissan- 
ces plus  étendues  et  plus  précises  sur  les  légions  du  nord.  Mais 
c'est  encore  moins  à  ces  relations  qu'à  la  propagation  de  la  reli- 
gion Chrétienne  9  que  l'Europe  est  redevable  de  l'avancement  de 
sa  géographie.  Les  moines  lui  ont  rendu  des  services  importons 
ainsi  qu'aux  autres  sciences.  C'est  d'eux  que  nous  tenons,  non  seule* 
ment  les  annales  des  siècles  du  moyen  âge  ,  mais  encore  les  diffé- 
rentes descriptions  des  pays  dont  ils  ont  douné  l'histoire,  (i).  Le  zélé 
des  missionnaires  pénétra  dans  des  climats,  jusqu'où  les  conquérana 
n'avaient  point  osé  s'avancer.  Ce  furent  eux  qui  les  premiers  nous 
firent  connaître  la  véritable  position  du  Dannemark  s  de  la  Suéde, 
et  de  l'Irlande.  Ils  parcoururent  les  bords  de  la  Vistule  et  de 
VOder ,  et  donnèrent  la  description  de  ces  contrées ,  ainsi  que  des 
mœurs  de  leurs  habitons  (a).  Des  Princes  qui  sentaient  tous  les 
avantages  que  pouvaient  leur  procurer  de  ces  connaissances ,  firent  en- 
treprendre des  voyages  vers  toutes  les  extrémités  de  l'Europe.  Dès 
le  neuvième  siècle ,  les  Normands  avaient  découvert  les  îles  de 
Féroer  et  l'Islande  (3).  On  était  même  parvenu  dans  le  dixième 
siècle  jusqu'aux  plages  lointaines  du  Groenland  (zf).  Les  Danois 
s'aventurèrent  les  premiers  dans  la  mer  glaciale  au  delà  du  7Ô.e 
degré  de  latitude  9  et  en  i553  ils  découvrirent  les  îles  sauvages  et 
glacées  du  Spitzberg. 

Nous  avons  parcouru  toutes  les  époques  les  plus  remarquables 
de  l'Europe,  depuis  la  plus  haute  antiquité  jusqu'aux  dernières  dé- 

(i)  V.  Anton.  Matthei.  jlnalecta  veteris  aevi ,  ec. 

(2)  C'est  ainsi  qu'Emon ,  abbé  de  Werum,  fit  vers  l'an  1217  la  des- 
cription de  toutes  les  contrées  que  les  Croisés  avaient  traversées  depuis 
les  Pays-bas  jusques  en  Palestine.  S.  Bonifaee  apôtre  des  Allemands  en 
fit  autant  de  divers  cantons  de  l'Allemagne  ,  dans  des  lettres  qu'il  écrivit 
aux  Souverains  Pontifes.  Voy.  encore  Malte-Brun ,  tom.   1  ,  pag.  4°8- 

(3)  Langebek.  Script,  rer.  Dan.  T.  III.  Torf.  Hist.  Norveg.  II.  lib.  2. 

(4)  Voy.  Torfoei.  Groenland,  antiqua.  Quelques  géographes  encla- 
vent encore  le  Groenland  en  Europe.  Mais  les  dernières  découvertes  qui 
ont  été  faites ,  ne  permettent  plus  de  douter  que  cette  contrée  ne  tienne 
au  continent  de  l'Amérique. 


sur    l'Europe.  19 

couvertes  qui  y  ont  été  faites;  et  nous  avons  ainsi  indiqué  en  quel- 
que sorte  la  marche  que  nous  nous  proposons  de  suivre,  dans  la 
recherche  du  costume  des  différens  peuples  de  ce  continent.  Nous 
sentons  toute  la  difficulté  d'une  pareille  entreprise;  mais  cette  diffi- 
culté même  servira  d'aiguillon  à  notre  zélé,  et  l'accueil  favorable  que 
le  public  a  fait  jusqu'ici  à  notre  ouvrage  rassurera  nos  pas  dans 
cette  carrière  épineuse.  Nous  ne  donnerons  pas  non  plus  la  carte 
de  l'Europe  moderne ,  par  les  mêmes  motifs  qui  nous  ont  fait  omet- 
tre celle  de  l'Europe  ancienne.  Nous  nous  contenterons  donc  d'aver- 
tir ici  nos  Lecteurs,  que  dans  la  division  des  états  de  l'Europe, 
nous  suivrons  le  système  généralement  adopté ,  d'après  lequel  on  la 
partage  en  dix  sept  régions  qui  sont  :  le  Portugal ,  l'Espagne ,  la  Division 
France,  la  Hollande  avec  la  Belgique,  la  Grande  Bretagne,  le  moderne!30 
Dannemark  ,  la  Norvège  ,  la  Suéde  ,  la  Russie ,  la  Prusse  ,  la  Po- 
logne,  la  Bohême,  l'Allemagne,  la  Suisse,  l'Italie,  la  Hongrie  et 
la  Turquie  ,  outre  les  diverses  îles  disséminées  dans  ses  mers. 

L'Europe  moderne  est  bornée  au  nord  par  la  mer  glaciale ,  à  Se*  eonjîm. 
l'occident  par  l'Océan  ,  au  midi  par  la  Méditerranée  qui  la  sépare 
de  l'Afrique,  à  l'orient  par  l'Archipel,  la  mer  de  Marmara,  la 
mer  Noire,  la  mer  tfAsof?  et  ensuite  par  le  Don  et  le  (Volga 
jusqu'aux  monts  Poyas  ou  Oural  (1).  Elle  s'étend  depuis  le  12,0  ao' 
de  longitude  occidentale,  jusqu'au  65°  4°'  de  longitude  orientale 
du  méridien  de  Paris ,  et  depuis  le  36.e  jusqu'au  7a.6  degré  de  la- 
titude septentrionale:  ce  qui  fait  11 10  lieues  de  longitude  depuis 
le  cap  Saint  Vincent  jusqu'à  l'embouchure  de  l'Oby,  et  environ  cpo 
lieues  de  latitude  depuis  le  cap  Matapan  jusqu'au  cap  Nord  (2,). 

Les  anciens,  comme  on  le  sait,  étaient  dans  l'usage  de  repré-  &Eur*ps 
senter  l'Europe  sous  l'image  fabuleuse  d'une  jeune  nymphe  que  Ju-  représentée. 
piter  avait  enlevée  en  prenant  la  forme  d'un  taureau  :  c'est  là  le 
seul  symbole  qu'il  nous  en  ont  laissé.  La  planche  3  en  offre  trois 
figures  emblématiques  qui  ont  été  copiées  sur  divers  monumens.  Le 
n.°  1  ,  pris  d'une  peinture  appartenant  au  tombeau  des  Nasons , 
représente  l'Europe  enlevée  à  la  vue  de  ses  compagnes  qui  parais- 

(1)  Selon  la  carte  de  Pwbert. 

(2)  Voyez  la  carte  géographique  qui  précède  ce  discours.  Les  limites 
qui  séparent  l'Europe  moderne  de  l'Asie  ne  sont  pas  encore  parfaitement 
déterminées  entre  les  Géographes.  Il  n'entre  point  dans  notre  sujet  de  discu- 
ter cette  question  ,  sur  laquelle  le  Lecteur  pourra  consulter  le  voyage  de 
Pallas. 


20  Discours    préliminaire   sur  l'Europe, 

sent  épouvantées.  Dans  le  n.°  a,  copié  sur  un  camée  du  Chevalier 
Fontaine,  la  nymphe  se  montre  sans  aucun  ornement.  Le  n.°  3, 
qui  est  tracé  d'après  une  autre  camée  du  cabinet  de  la  maison  de 
Brandebourg,  la  dépeint  au  milieu  du  cortège  gracieux  des  Amours 
et  des  Néréides ,  telle  qu'on  la  trouve  décrite  dans  Lucien.  Divers 
artistes  modernes  l'ont  représentée  sous  la  figure  d'une  matrone  ma- 
gnifiquement vêtue.  Son  habillement  à  diverses  couleurs  annonce  la 
variété  de  ses  richesses.  Sa  tête  est  ceinte  d'un  brillant  diadème , 
en  signe  de  la  domination  qu'elle  exerça  sur  le  monde  entier  du 
tems  des  Romains.  Elle  est  assise  pour  Fordinaire  sur  deux  grandes 
cornes  d'abondance,  symbole  de  sa  fertilité:  d'une  main  elle  tient 
l'image  d'un  temple,  comme  signe  allégorique  de  religion;  et  de 
l'autre  un  sceptre  dont  l'expression  emblématique  désigne  la  forme 
la  plus  commune  de  ses  gouvernemens.  On  voit  d'un  côté ,  un  che- 
val avec  des  trophées  qui  annoncent  son  génie  belliqueux  ;  et  de 
l'autre  des  livres  ,  des  globes ,  des  compas ,  des  pinceaux ,  et  des 
instrumens  de  sculpture  et  de  musique,  qui  attestent  sa  supériorité 
dans  les  sciences  et  dans  les  arts.  L'Europe  est  encore  figurée  quel 
quefois  sous  l'image  d'une  Pallas  ayant  un  casque  en  tête,  avec  un 
sceptre  d'une  main  ,  et  de  l'autre  une  corne  d'abondance. 

Europe  Lebrun  l'a  représentée  clans  le  grand   escalier    du  château  de 

Versailles  sous  la  figure  d'une  femme,  d'un  aspect  aimable  et  en  même 
tems  noble  et  majesteux  ,  assise  sur  des  canons.  Elle  a  pour  coiffure 
un  casque  surmonté  d'un  panache  blanc:  une  cuirasse  d'or  brille 
sur  sa  poitrine,  et  un  riche  manteau  de  couleur  bleue  lui  sert 
cle  vêtement.  D'une  main  elle  tient  un  sceptre,  et  de  l'autre  une 
corne  d'abondance.  A  l'un  de  ses  côtés ,  un  coursier  hennissant  lève 
sa  tête  superbe;  et  de  l'autre  se  voyent  quelques  livres,  avec  un 
étendard  ,  un  casque  et  un  bouclier. 

L'Evmpe  Enfin  le  Chevalier  Appiani  a  figuré  l'Europe  sous  l'aspect  d'une 

belle  femme  se  reposant  dans  une  chaise  d'or,  et  contemplant  l'O- 
lympe. Un  long  sceptre  est  dans  l'une  de  ses  mains,  qu'elle  tient 
mollement  étendue  sur  une  corne  d'abondance  :  elle  est  vêtue  d'une 
tunique  blanche  et  d'un  manteau  couleur  de  pourpre  :  non  loin  de 
la  chaise  sont  épais  ça  et  là  le  ciseau,  le  maillet,  la  palette  ,  une 
harpe ,  un  caducée ,  et  une  couronne  de  laurier ,  emblèmes  des 
beaux  arts.  On  voit  à  ses  pieds  un  livre ,  un  compas ,  un  équerre , 
et  un  globe  qui  sont  les  attributs  des  sciences  et  des  arts ,  et  plus 
loin  une  chouette ,  symbole  de  la  sagesse. 


Le&ru*. 


d'Appùmi. 


■iÂlcâ/ofiùuiLhifmMs,asJ!a  <?'J_*<V&  di  JHùùj- 


LE     C  O  S  T  U 

ANCIEN    ET    MODERNE 

DE     LA     GRÈCE 

PAS 

M.r    GIRONI 

VICE-TiMI.TOTHECA.Hll:     EE    LA   BIBLIOTHEQTJE    IMPÏMAM2    El    RQTÀ1E   SE   MUAS 

ET     CÏÏÏSEl'». 


INTRODUCTION 


.LJLu  seul  nom  de  la  Grèce ,  de  grands  souvenirs  se  réveillent  idée» 
en  foule  dans  Pâme  de  quiconque  a  fréquenté  l'école  des  muses  5  eTL'uTicno 
et  se  pique  de  quelques  connaissances ,  même  médiocres ,  dans 
les  sciences  et  les  arts.  Et  qui  pourrait  en  effet  arrêter  sa  pensée 
sur  cette  terre  heureuse  qui  donna  le  jour  aux  Homères ,  aux  Hé- 
rodotes ,  aux  Sophocles ,  aux  Démosthénes ,  aux  Thémistocles ,  et  à 
tant  d'autres  grands  hommes ,  sans  être  pénétré  d'un  sentiment  puis- 
sant qui  élève  lame  et  enflamme  l'imagination  ?  Il  semble  que  des 
monumens  qui  nous  restent  de  cette  nation  célèbre ,  s'échappe  une 
flamme,  pour  ainsi  dire,  divine  qui ,  dispersant  les  nuages  amoncelés 
par  les  tems ,  découvre  à  nos  yeux  le  spectacle  enchanteur  des  scè- 
nes Mythologiques,  et  fait  revivre  dans  notre  esprit  tout  ce  que 
l'histoire  nous  a  transmis  de  plus  étonnant  dans  les  arts  ^  et  de  plus 
merveilleux  en  fait  d'événemens. 

Mais  aussi ,  dans  cette  espèce  d'enthousiasme  qui  s'empare  de  Difficulté 
nous  en  songeant  à  la  Grèce,  il  est  bien  difficile  de  ne  pas  se  lais-  d° t'cfécT 
ser  transporter  par  un  mouvement  d'admiration  ,  qui  nous  empêche 
souvent  de  juger  sainement  de  la  vérité  3  et  nous  égare  dans  des 
routes  incertaines  et  trop  élevées.  C'est  là  peut-être  ce  qui  a  donné 
lieu  à  cette  multitude  de  systèmes  sur  l'origine  de  la  Mythologie 
Grecque;  aux  explications  étranges,  et  souvent  contradictoires  qui 
en  ont  été  faites;  au  peu  de  vérité  qui  régne  quelque  fois  dans 
les  écrits  des  historiens ,  et  même  dans  les  récits  des  voyageurs  ; 
et  enfin  à  l'imperfection  des  descriptions  qui  nous  ont  été  trans- 
mises sur  les  monumens  de  l'ancienne  Grèce:  considérations  qui 
toutes  devraient  nous  faire  renoncer  au  projet  de  retracer  ici  le  cos- 
tume des  peuples  qui  l'ont  habitée. 

Une  autre  difficulté   non    moins  grande  s'est    présentée  à  nous      Bfpcvhé 
dans  cette  entreprise ,   c'est,  celle  de  rapporter  l'histoire  et  le  cos- 
tume de  cette  nation  à  un  centre  commun ,  de  lier  ensemble  tous 
les  événemens  qui  la  concernent ,  et  de  lui  donner  ,  pour  ainsi  dire  ,      la  a 
une  seule  et  même  physionomie  d'habitudes,  de  lois  et  de  constitu- 


ée rapporter 

a  un   centre 

commun  tout  ce 

qui  concerne 


s 


Hisloire 
éa   Gillies. 


Athéniens  , 

principal 

peuple 

de  le  Grèce. 


ïiiulililê 

des  recherches 

minutieuses. 


24  Introduction. 

tions ,  comme  il  est  aisé  de  le  faire  pour  tous  les  autres  peuples  de 
l'antiquité.  Et  en  effet ,  la  Grèce  doit  être  envisagée  en  quelque  sorte , 
non  comme  une  seule  et  même  nation  ,  mais  bien  comme  un  monde 
entier ,  comme  une  aggrégation  de  divers  peuples ,  qui ,  tout  en  con- 
servant entre  eux  quelque  ressemblance  et  certains  rapports  ,  dif- 
fèrent néanmoins  essentiellement  de  caractère 3  de  mœurs,  de  gou- 
vernemens  et  même  de  langage.  Cette  diversité  se  manifeste  bientôt 
de  la  manière  la  plus  sensible ,  par  exemple  entre  les  Athéniens  et 
les  Béotiens  ou  Spartiates. 

Quant  à  l'histoire  de  ce  pays ,  nous  sommes  d'avis  que  Gillies 
est  Fécrivain  qui  Ta  le  mieux  traitée  ,  et  peut-être  le  seul  qui  ait 
su  mètre  de  l'ensemble  dans  le  tableau  des  différentes  vicissitude? 
des  peuples  de  la  Grèce  ,  et  les  ramener  à  un  point  d'unité  qui , 
dans  tous  les  genres ,  fait  le  charme  principal  des  productions  de 
l'esprit.  C'est  pourquoi  nous  nous  en  rapporterons  souvent  aux  re- 
lations de  cet  écrivain,  en  tout  ce  qui  concerne  les  événemeus  poli- 
tiques et  militaires  qui  peuvent  avoir  quelque  liaison  avec  l'objet  du 
costume.  Mais  comme  de  tous  les  peuples  de  la  Grèce ,  les  Athéniens 
méritent  le  plus  de  fixer  notre  attention,  nous  nous  attacherons  à 
décrire  le  leur  d'une  manière  plus  particulière.  Parmi  les  villes 
Grecques ,  Athènes  fut  sans  contredit  la  plus  polie  et  la  plus  remar- 
quable. C'est  d'elle  que  les  autres  empruntèrent  leurs  connaissances 
dans  les  arts  et  dans  les  sciences  ,  aussi  bien  que  leurs  vices.  Les 
modes  Athéniennes  furent  recherchées  et  suivies  par  tous  les  Grecs 
qui  avaient  quelque  prétention  au  bon  goût.  D'ailleurs  le  territoire 
d'Athènes  nous  est  beaucoup  mieux  connu  que  tout  autre  lieu  de 
la  Grèce  ;  et  les  descriptions  que  nous  avons  sur  le  costume  Atti- 
tique  sont  en  si  grand  nombre ,  qu'il  nous  sera  aisé  d'en  former  un 
tableau  ,  d'après  lequel  on  pourra  se  faire  une  juste  idée  du  carac- 
tère de  ce  peuple,  qui  fut  autrefois  le  premier  de  la  terre. 

Mais  en  nous  proposant  de  traiter  ici  du  costume  des  Athé- 
niens et  de  celui  des  autres  peuples  de  la  Grèce,  notre  inten^ 
tion  n'est  pas  d'entrer  dans  des  recherches  minutieuses ,  ni  dans 
des  raisonnemens  subtils ,  qui  ne  tendraient  qu'à  faire  pompe  d'une 
vaine  érudition  s  sang  aucun  profit  pour  le  lecteur.  Qu'aurions  nous 
gagné  en  effet  dans  l'étude  de  l'antiquité ,  lorsqu'après  bien  de» 
conjectures,  nous  parviendrions  à  savoir  quelle  était  la  forme  du  lit 
de  Junon ,  ou  du  vaisseau  qui  transporta  les  Argonautes  à  la  con- 
quête de  la  toison  d'or?  Bien  loin  donc  de  vouloir  imiter  le  docte 


Introduction  2,5 

Saumaise,  qui,  après  avoir  démontré  dans  deux  longues  et  savantes       Critique 

d~  de  ôaumuisc 

issertations ,  que  les  pommes  d  or  du  jardin  des  Hespérides  n'é- 
taient, selon  le  témoignage  de  divers  auteurs,,  que  des  oranges  de 
la  plus  grande  beauté,  finit  par  déclarer  avec  un  Docteur  Al- 
lemand, que  ces  pommes  n'étaient  point  des  oranges,  mais  des  ci- 
trons ,  nons  laisserons  de  côté  tout  ce  qui  ne  fournirait  matière  qu'à 
de  vaines  arguties,  et  n'aurait  d'autre  mérite  que  de  grossir  inuti- 
lement cet  ouvrage.  Car,  encore  une  fois ,  notre  but  n'est  pas  d'y  Noire  butdans 
rassembler  tout  ce  qui  a  été  dit  au  sujet  de  la  Grèce  ;  mais  seule- 
ment d'y  exposer  avec  choix  les  notions  dont  la  certitude  ou  au 
moins  la  probabilité  sont  reconnues,  et  surtout  celles  qui  peuvent 
être  de  quelqu'utilité  pour  les  artistes.  Nous  ne  prétendons  donc 
point  à  l'honneur  de  publier  des  choses  nouvelles,  ou  que  personne 
n'ait  jamais  dites;  notre  ambition  se  borne  seulement  à  recueillir 
ça  et  là ,  et  à  réunir  en  un  seul  corps ,  tout  ce  qui  concerne  le  cos- 
tume Grec,  et  dont  on  ne  pourrait  s'instruire  autrement,  qu'en 
lisant  une  multitude  de  volumes,  qui  ne  se  trouvent  que  dans  les 
plus  riches  bibliothèques.  Et  que  pourrait-on  dire  de  neuf  sur  un 
sujet,  qui  a  été  traité  par  tant  d'auteurs  célèbres  anciens  et  mo- 
dernes ?  Nous  ne  marcherons  pourtant  point  pour  cela  servilement 
sur  les  traces  de  ceux  que  nous  prendrons  pour  guides  ,  quelque  soit 
du  reste  le  poids  de  leur  autorité  ;  nous  n'hésiterons  même  pas  à 
nous  écarter  de  leur  jugement ,  toutes  les  fois  que  les  lumières  d'une 
saine  critique  nous  feront  appercevoir  qu'ils  peuvent  être  tombés 
eux  mêmes  dans  l'erreur. 

Nous  éviterons  également  de    nous    arrêter    sur    certains   vices       *?*««* 

nêcess-'"— 

grossiers  ,  et  sur  quelques  déréglemens  particuliers  aux  Grecs.  Les  l  d'" 
mœurs  Athéniennes  surtout,  même  dans  le  beau  siècle  de  Périclés ,  du 
étaient  souil liées  de  taches  honteuses,  que  la  pudeur  ne  permet 
point  de  montrer  à  nu.  C'est  pourquoi  nous  n'en  dirons  que  ce  qui 
sera  indispensable  pour  en  donner  une  juste  idée  ,  et  pour  que  no- 
tre ouvrage  ne  soit  pas  incomplet  à  cet  égard  ;  mais  nous  aurons 
soin  d'observer  dans  nos  expressions  la  décence  la  plus  scrupuleuse, 
à  l'exemple  de  Socrate ,  qui  voulait  que  les  grâces ,  ces  volupteuses 
compagnes  de  Venus ,  ne  parussent  jamais  que  couvertes  d'un  voile. 

Un  autre  écueil ,  et    sans  doute  bien  dangereux ,  vient  encore      />>?;  ^ 
s'offrir  à  nous  dans  cette    tâche    laborieuse,    c'est    la    difficulté  de    ef^Tîï^/'''î" 
trouver   un    guide    sûr,    d'après    lequel   nous   puisions   juger   de  ce      fabuleux- 
qui  appartient  aux  tems  fabuleux.  Il  est  des   écrivains    et    des  ar~ 

Europe.  Vol.  L  > 


nécessaire 
riptio, 

Crie'."1' 


prem 
historiens 
de  la    Grèce 


2,6  sur    la    Grecs, 

listes  qui  se  montrent  peu  délicats  sur  ce  point  3  et  qui ,  sans  res- 
pect pour  ia  vérité  ,  représentent  les  Grecs ,  des  teras  par  exemple 
d'Hercule  et  de  Thésée,  avec  un  costume  qui  ne  convient  qu'aux 
Grecs  déjà  policés ,  et  devenus  maîtres  dans  les  arts  de  tout  genre. 
Que  de  fois  n'avons  nous  pas  vu  sur  la  scène,  Euridice  et  Ariane, 
habillées  en  Aspasîes,  et  comme  les  belles  Grecques  du  tems  d'Ale- 
xandre ?  Que  de  fois  ne  nous  a-t-on  pas  présenté  la  ville  de  Thé- 
bes  assiégée  par  les  sept  chefs ,  bâtie  avec  cette  magnificence  d'ar- 
chitecture cpii  ne  se  développa  que  plusieurs  siècles  après  la  seconde 
guerre  Thébaine  ?  C'est  pourquoi  nous  avons  cru  ne  pouvoir  con- 
sulter, dans  la  description  du  costume  propre  aux  tems  fabuleux, 
d'autorité  plus  respectable  que  celle  d'Homère  et  autres  poètes  de 
Les  Poètes  la  plus  haute  antiquité.  Personne  n'ignore  que  les  premières  rela- 
tions historiques  ont  été  écrites  en  vers ,  et  qu'on  n'y  mêla  le  mer- 
veilleux, que  dans  la  vue  de  les  graver  plus  profondément  dans 
l'esprit  du  peuple,  en  frappant  plus  vivement  son  imagination.  En 
même  teras  que  nous  offrirons  à  l'attention  de  nos  lecteurs  quel- 
qu'un des  monumens  appartenant  à  ces  siècles  reculés ,  nous  nous 
ferons  un  devoir  de  les  instruire  des  motifs  qui  nous  ont  déterminé 
à  le  leur  présenter  préférablement  à  d'autres.  Nous  avons  donc 
rangé  tout  ce  qui  tient  à  ces  tems  fabuleux  sous  trois  époques  dis- 
tinctes, qui  sont;  l'expédition  des  Argonautes,  la  seconde  guerre  de 
Thébes ,  et  la  guerre  de  Troie. 
Tems  Après   cette  dernière  guerre  ,  le  flambeau    de    l'histoire    com- 

lsLord/Udge  mence  à  jetter  quelques  rayons  de  lumière  3  au  moyen  desquels 
nous  voyons  se  développer  peu  à  peu  des  scènes  imposantes  qui 
étonnent  l'imagination  ,  et  mettre  en  pratique  les  grandes  maximes 
de  la  politique  et  de  la  philosophie.  Au  retour  de  cette  entreprise 
fameuse,  les  Grecs  devinrent  la  proie  de  révolutions  affreuses  et  sans 
cesse  renaissantes  ;  on  ne  vit  de  toutes  parts  que  des  trônes  teints 
de  sang,  des  villes  opprimées  par  de  cruels  tyrans,  et  des  divisions 
intestines  et  sanglantes.  Quelques  villes  secouèrent  enfin  le  joug  , 
et  la  nation  entière  se  forma  en  république.  C'est  à  cette  époque, 
qu'on  peut  regarder  comme  le  second  âge  de  la  Grèce  ,  que  pa- 
rurent les  plus  grands  capitaines  et  les  plus  sages  législateurs  ;  que 
les  arts  et  les  sciences  parvinrent  au  plus  haut  degré  de  splendeur; 
que  la  population  s'accrut,  au  point  qu'il  fallut  envoyer  au  dehors 
des  colonies  pour  s'y  procurer  une  vie  plus  commode;  et  que  les 
Grecs  enfin  devinrent  le  premier  peuple  du  monde. 


sec 
de    l-a    Grèce 


INTRODUCTION  H7 

Mais  l'esprit  de  rivalité ,  ce  fléau  destructeur  des  républiques  Tpeutème 
et  des  empires,  vint  bientôt  troubler  cette  union  politique  qui  fait 
la  principale  force  d'une  nation  ,  et  à  laquelle  les  Grecs  étaient 
redevables  des  victoires  étonnantes  qu'ils  avaient  remportées  sur  les 
Perses»- La  Grèce  fut  partagée  en  trois  puissances.  Athènes,  Sparte 
et  Thébes  furent  tour  à  tour  en  possession  du  pouvoir  suprême.  Ce- 
pendant Thébes  voyait  se  former  dans  son  propre  sein  ,  sous  les  leçons 
du  père  d'Epaminondas ,  Philippe  le  Macédonien,  politique  profond,  Philippe 
à  la  pénétration  duquel  rien  n'échappait  cle  ce  qui  pouvait  lui  ser-  de  ia  Grdce 
vir  un  jour  pour  se  rendre  maître  de  la  Grèce  entière.  II  se  com- 
plaisait à  voir  les  Grecs  se  déchirer  entre  eux  ,  et  user  toutes  leurs 
forces  dans  cette  fameuse  guerre  civile.,  connue  sous  le  nom  de 
guerre  sacrée.  Dès  qu'il  fut  monté  sur  le  trône  de  Macédoine  ,  il 
donna  le  premier  choc  à  leur  liberté;  mais  cette  grande  entre- 
prise ne  fut  portée  à  sa  fin  que  sous  son  fils  Alexandre.  L'époque 
que  nous  venons  de  parcourir  compreud  les  plus  beaux  tems  de  la 
Grèce ,  et  l'âge  où  les  arts  et  les  science  arrivèrent  au  plus  haut 
point  de  perfection. 

Après  la  mort  d'Alexandre  ,  la  Grèce  devint  le  théâtre  des  Quatrième %». 
guerres  des  Macédoniens,  et  ses  villes  furent  livrées  à  la  merci  de 
tyrans  féroces ,  jusqu'à  l'époque  où  les  Achéens ,  sous  le  comman- 
dement d'Aratus ,  jettèrent  les  fondemens  d'une  nouvelle  république  , 
qu'on  peut  regarder  comme  le  dernier  effort  de  la  liberté  de  Grecs. 
Cependant  les  Etoliens  et  Cléoméne  Roi  de  Sparte  ,  s'opposèrent  for- 
tement au  projet  d'Aratus,  qui  seul  pouvait  rendre  à  la  Grèce  sou 
ancien  lustre.  Après  plusieurs  défaites,  les  Achéens  appelèrent  à 
leur  secours  Philippe  II  Roi  de  Macédoine.  De  leur  côté  les  Eto- 
liens s'allièrent  avec  les  Athéniens;  mais  voyant  qu'ils  ne  pouvaient 
se  soutenir  contre  les  forces  des  Achéens  et  des  Macédoniens  réu- 
nis, ils  se  mirent  sous  la  protection  des  Romains,  qui  ne  tardèrent 
point  à  déclarer  la  guerre  à  Philippe.  Les  Romains  dont  la  puis- 
sance était  déjà  devenue  formidable  par  la  ruine  de  Carthage ,  usè- 
rent d'abord  envers  les  Grecs  de  cette  politique  astucieuse  ,  dont 
ils  s'étaient  déjà  servis  pour  tromper  d'autres  peuples  ,  et  tout 
en  feignant  de  vouloir  rendre  à  chaque  ville  son  premier  état ,  ils 
les  tinrent  toutes  divisées,  et  les  mirent  ainsi  dans  l'impuissance 
de  se  défendre  ni  de  faire  aucune  entreprise  sérieuse  pour  recouvrer 
leur  indépendance.  Enfin  ,  après  avoir  réglé  les  affaires  de  la  Grèce 
comme  arbitre  et  comme  médiatrice  3  Rome  la  subjuga  par  la  force 


dfs    Romain. 


Guerre 
de  MitrJiidate 


2.8  Introduction 

La  Gréée      des  armes.  Le  Consul  Mummius  détruisit   la   superbe  Corinthe,   et 

conquise  par  J-  " 

les  Romains,    sous  ses  ruines  s'ensevelit  pour  toujours  la  liberté  des  Grecs.  Depuis 

de?J G,éee  cet  événement  qui  eut  lieu  l'an  608  après  la  fondation  de  Rome  , 
la  Grèce  devint  une  province  Romaine  sous  le  nom  d'Achaïe. 

Cependant,  dans  cet  état  même  de  servitude,  les  vaincus  con- 
servaient sur  les  vainqeurs  une  sorte  d'empire  ,  par  leur  supério- 
rité dans  les  arts  et  dans  les  sciences,  lorsque  Mithridate  Roi  de 
Pont,  et  l'ennemi  le  plus  terrible  des  Romains  suscita  contre  eux 
une  guerre  des  plus  sanglantes.  Sylla  n'ayant  point  de  machines 
pour  prendre  Athènes ,  qui  était  devenue  le  centre  des  forces  et 
de  la  puissance  militaire    de    Mithridate.,  lit   raser  les  bosquets  de 

et  de  suia.  l'Académie  et  du  Lycée ,  et  ayant  fait  construire  avec  les  bois  qu'il 
en  tira  toutes  celles  dont  il  avait  besoin  pour  tenter  un  assaut,  il  s'em- 
para de  cette  malheureuse  ville,  et  la  livra  à  toutes  les  horreurs  du 
pillage  et  de  la  dévastation  ,  comme  il  avait    déjà  fait    des  temples 

Sous  Oetaue.  d'Epidaure  ,  d'Olympie  et  de  Delphes.  Octave  ,  après  avoir  saisi  les 
rênes  du  monde ,  craignant  que  la  Grèce  ne  parvint  une  autre  fois 
à  secouer  le  joug  ,  y  envoya  trois  Préteurs  Romains  pour  la  gou- 
verner ;  et  depuis  lors,  l'oppression  et  l'avilissement  ne  laissent  plus 
voir  dans  les  Grecs ,  qu'un  peuple  misérable  et  dégradé. 
GoiBtanûnopie  Bysance  qui  prit  ensuite  le  nom  de   Constantinople    et  devint 

et  empire  ,  . 

d'Orient.  la  capitale  de  l'empire  d'orient,  ne  conserve  plus  rien  du  costume 
Grec ,  que  les  vices ,  la  superstition  3  le  mensonge  et  la  mauvaise 
foi.  "  La  révolution  ,  comme  le  remarque  l'illustre  Ghoisseul  dans 
le  discours  préliminaire  de  son  grand  ouvrage ,  qui  transféra  sur 
le  Bosphore  le  siège  de  l'empire,  ne  pouvait  manquer  de  jetter 
aussitôt  les  Grées  dans  une  espèce  d'ivresse.  L'abandon  de  Rome 
pour  une  ville  Grecque ,  fut  à  leurs  yeux  une  espèce  de  victoire 
que  la  Grèce  remportait  sur  Rome.  Mais  de  quel  effet  pouvait  être, 
après  tant  de  désastres,  un  événement  de  cette  nature,  tout  flat- 
teur qu'il  était  en  apparence  ?  Les  idées  de  patrie  et  de  liberté 
s'évanouirent  tout-à-fait.  Les  Grecs  devinrent  d'autant  plus  lâches 
et  plus  vils,  qu'ils  se  trouvèrent  plus  près  du  trône  :  les  vices  de  la 
cour  se  propagèrent  rapidement  dans  tout  le  corps  de  la  nation  : 
les  dignités  usurpèrent  les  hommages  dûs  à  la  vertu  ,  et  chacun  fit 
son  unique  étude  de  chercher  à  plaire  au  tyran.  „ 

La  Gréée  La  Grèce  ne  nous  offrira  plus    désormais    qu'une    suite   d'évé- 

nemens  déplorables.  Prise  et  dévastée  tour  à  tour  par  cent  peuples 
divers^  Goths,  Scythes,    Alains  ,    Gépides ,   Bulgares,    Africains, 


fous  les  Turcs. 


sur    la    Grèce.  29 

Sarrazins  _,  Croisés,  elle  devint  enfin,  vers  le  commencement  du 
XIV.%  siècle  la  proie  des  Turcs ,  sous  le  joug  desquels  elle  gémit  en- 
core ,  et  ne  présente  plus  aujourd'hui  à  l'œil  du  voyageur,,  que  des 
pays  incultes,  de  tristes  chaumières,  et  des  habitans  plongés  dans 
l'ignorance  et  la  misère.  Malgré  cet  état  d'abjection  ,  la  Grèce 
compte  encore  quelques  âmes  nobles  qui,  tout  en  gémissant  sur  les 
restes  précieux  de  leur  ancienne  patrie  ,  conservent  des  sentimens 
généreux  ,  et  attendent  que  quelque  main  bienfesante  vienne  lui 
rendre  son  premier  éclat.  C'est  dans  les  campagnes  et  sur  les  monts, 
ajoute  le  même  auteur,  qu'il  faut  chercher  aujourd'hui  les  descen- 
dais véritables  des  anciens  Grecs.  C'est  sur  ces  monts  escarpés ,  que 
se  formèrent  ces  terribles  phalanges  qui ,  sous  la  conduite  de  Pyr- 
rhus ,  envahirent  l'Italie,  et  portèrent  l'épouvante  jusque  dans  les 
murs  de  la  capitale  du  monde:  c'est  laque  le  fameux  Scanderberg, 
le  héros  de  la  Chrétienté  ,  le  vainqueur  à'A murât  et  de  Mahomet  II, 
renouvella,  avec  une  poignée  de  braves  dans  le  XV. e  siècle.,  les  pro- 
diges de  valeur  dont  furent  témoins,  dix  huit  siècles  auparavant,  les 
champs  de  l'Attique  et  de  la  Béotie  :  c'est  là  enfin  que  vivent  les 
rejetons  des  anciens  Spartiates,  connus  sous  le  nom  de  Maniottes }  qui 
n'ont  jamais  plié  sous  le  joug  Ottoman.  Déjà  quelques  rayons  de 
lumière  semblent  se  répandre  sur  ces  malheureuses  contrées,  depuis 
que  les  Grecs  modernes,  surtout  dans  l'Ionie ,  ont  commencé  à  cul- 
tiver leur  esprit  et  leur  cœur  par  l'étude  des  arts  et  des  sciences, 
dont  ils  ont  hérité  de  leurs  ancêtres.  Puissent'ils  recouvrer  un  jour 
leur  gloire  primitive  3  et  faire  revivre  les  noms  de  ces  grands  hom- 
mes,  dont  la  mémoire  nous  enflamme  avec  eux  du  p'us  noble  en- 
thousiasme !  Pleins  de  cette  espérance  ,  nous  avons ,  à  l'exemple  du 
même  Choîsseul  ,  représenté  à  la  planche  6  la  Grèce,  sous  la  figure 
d'une  matrone  dans  les  fers  :  elle  est  entourée  de  monumens  funé- 
raires élevés  en  l'honneur  des  illustres  personnages  qui  l'ont  rendue 
si  célèbre  ;  un  de  ses  bras  est  appuyé  sur  la  tombe  de  Léonidas  : 
derrière  elle  s'élève  une  pierre ,  où  on  lit  l'inscription  faite  par  Si- 
monide  pour  les  trois  cents  Spartiates  qui  périrent  à  la  bataille 
des  Thermopyles:  Passant ,  vas  dire  à  Sparte  que  nous  sommes  morts 
ici  pour  obéir  à  ses  lois.  La  Grèce  ne  semble  attendre  que  le  se- 
cours de  quelque  grande  puissance,  pour  se  relever  de  son  avilisse- 
ment. Sur  une  roche  voisine  sont  gravées  ces  paroles  de  Didon  dans 
le  IV.e  livre  de  l'Enéide  : 

EXORIARE    ALiqVIS   NOSTRIS   EX  OSSIBUS   ULTOR, 


Grecs 
modernes. 


ManioUes- 


de  la   Grèce, 


CATALOGUE  DES  PRINCIPAUX  OUVRAGES 

<JUI      ONT      ÉTÉ      CONSULTÉS 

SUR      LE      COSTUME      DES       GRECS      (i). 


xIchillis  Tatii  De  Clitophontis  et  Leucippes  amoribus  libri  VIII.  gr.  et 

lat.  ex  recens.  B.  G.  L.  Boden.  Lipsiae ,   1776,  in  8.° 
.AEschyli  Tragoediae,  cur.  Fr.   H.  Bothe.  Lipsiae,   i8o5  ,  in  8.° 
Agincourt,  Seroux  d'^  Histoire  de  l'art  par  les  monumens.  Paris,   181 1  , 
et  suiv.  fol.0 

Agricola,  De  mensuris  et  ponderibus  Roraanor.  et  Graecor.  Basil.    i55o, 

in  fol.0 
Alciphronis  Soph.   Epistolae.  Milan,   1806,  in  8.° 
Alypiij  introductio  musica,  gr.  lat.  apud  antiq.  musicae  auctores  ,  ex  edic. 

Marc.  Meibomii.  Amstel. ,   1662  ,  vol.  2  ,  in  4.0 
Anacreon.  T.  et  Saplius,  Garmina    cur.  Fr.  G.   Born.  gr.  Lipsiae,     1789, 

in  8.° 
Anthologia.  Napoli ,  gr.  irai.  ,   1788  ,  vol.  6.  in  4.0 
Antiquité  sacr.  et  prof.  gr.  et  rom.  Haye,   1796,  in  fol.° 
Antonini  Itinerarium  ,  edit.  Pet.  Wesselingii.  Amstel.,   1705,  in  4.0 
Appiani  Alexandr.  Historiae  ,    gr.  lat.  cum    notis  varior.  Amstel.  ,  1670  , 

2 ,  vol.  in  8.° 
Apollodori  Athen.  Bibliotbeca ,  cum  notis    et    versione  gallica  E.  Clavier. 

Paris,  i8o5,  vol.  2.,  in  8." 
Apollonii  Rhodii.  Argonautica  ,    cum  notis  varior.   cur.    Jo.  Shaw  gr.  lat, 

Oxon.  ,   1779  ,  in  8.° 
Apuleii  ;  Metamorphoseon.  L.  XI.  edit.  Priaei.   Gouclae. ,  i65o,  in  8.° 

(1)  Nous  ne  citerons  ici  que  le  principaux  ouvrages.  Si  quelqu'un, 
de  nos  lecteurs  trouvait  que  nous  en  avons  oublié  quelques-uns  ,  nous 
le  prions  de  ne  pas  nous  taxer  trop  promptement  d 'omission ,  car  nous 
-pourrions  lui  répondre  que  nous  avons  en  effet  passé  à  dessein  sous  si- 
lence divers  auteurs  ,  soit  parce  qu'ils  ne  nous  ont  offert  aucuns  ma- 
tériaux propres  à  notre  objet,  soit  parce  que  leurs  écrits  nous  ont  paru 
trop  médiocres  pour  mériter  que  nous  en  fissions  mention.  Tel  est ,  entre 
autres  }  V ouvrage  de  Bannier.  Outre  ceux  qui  sont  énoncés  dans  ce  ca- 
talogue ,  nous  avons  eu  encore  recours  à  plusieurs  autres  dont  on  trou- 
vera V indication  au  bas  île  chaque  page. 


Catalogue  des  Ouvrages  sur  les  Grecs.  3i 

Arebaeiogia  ,  or  Miscell.  Tracts,  relat.  to  antiquités,  publ.  by  the  Society 

of  antiq.  of  Lonclon  ,   1779,   1814  ,  vol.   18,  in  4.0 
Aristophanis  Comoediae,  cur.  Brunck.  gr.  lat.  Argent;.,   17S0,  vol.  4  ,  in  8." 
Arrianus.   De  exped.  Alexandri    et    Indica  ,  cur.  Nie.    Blancardo ,    gr.  lat. 

Amstel.  ,    1668  ,  in  8.° 
Athenians  letters    Lond. }   1781  ,  in  4.0 

Aubignac.  Pratique  du  théâtre.  Amster.  ,    iyi5  ,  vol.  2  ,  in   8»8 
Augustinus.  Gernmae  et  Sculpt.  antiq.  ec.    1694  ,  in  4.0 
Augustirti  S.  Opéra,  edit.  Bénédictin.  Parisiis  ,   1679,  v0^    ÎI  '  *n  ^* 
Auli  Gellii  Noctes  atticae  ,  cum  notis  varior.  Lug.  Bat.  ,  1666  ,  vol.  2,  in  8.* 
Bailly,  Histoire  de  l'astronomie  ancienne,  Paris,  Debure ,   178 1  ,  in  4.0 

Essai  sur  ]es  fables  et  sur  leur  histoire.  Paris  ,  an  VIII.  ,  vol.   2 ,  in  8.* 
Balduinus  ,   De  Calceo  antiquo  etc.  Amstel.  ,   1667  ,  in   16. ° 
Bardon,  Dandré.  Les  costumes  des  anciens  peuples.  Paris  ,  1772 ,  vol.  3,  in  4.0 
Barthélémy ,   Voyage    du    jeune    Anacharsis    en    Grèce  publ.  par.  M.  de 

Sainte-Croix.  Paris  ,  Didot  jeune  an  VII.  ,  7  vol.  in  4.0  et  atlas. 
Bartholinus  Th.  De  armillis  veterum.  Amst.  ,  1676 ,  in   12. °  De   tibiis  ve- 

terum.  Ibid.    1679  '   I2-° 
Bartholdy  ,  Voyage  en  Grèce  dans  les  ans-i8o3-4.  Trad.  de  lAllem.  par. 

A.  D.  G    Paris  ,   1808,  vol.  2,  in  8.° 
Bartoli  a.  Santé.  Mus.  odescalcum.   Romae  ,   1747  _,  vol.  2,  in  fol.0 
Basilii  magni  Collectio  operum  ,  gr.  lat.  Parisiis  ,   1721  ,  vol.  5  ,  in    fol.0 
Batteux,  Histoire  des  causes  premières.  Paris,   1769,  vol.  2,  in  8.° 
Bayle,  Dict.  histor.  et  critiq.  Roterdam  ,   1720,  vol.  4  ,  in  fol.0 
Belon ,  Observations  de  plusieurs  singularités  trouvées  en  Grèce  etc.   Pa- 
ris ,   i588  ,  in  4.0 
Begeri  Bellum  et  excidium  Trojanum  ex  antiquitatum  reliquiis  etc.  Bero- 

lini  ,   1699  ■>  ^n  4* 
Berger  ,  Gomment,  de  personis  vulgo  larvis.  Franco/.  ,   1723  ,  in  4.0 
Bianchini  Fr.  ,  Storia  universale  provata  co'monumenti.  Rorna,  1697,  in  4.* 
Bionis  et  Moschi  Idyllia  cur.  L.  A.  Teuchero  gr.   lat.  Lipsiae ,   1793,  in  8.° 
Blond  ,  Description  des  pierres  gravées    de  M.  le  Duc  d'Orléans.   Paris  , 

1780  ,  vol.  2 ,  in  fol.° 
Blair's,  Chronological  tables  and  maps  ,  etc.  Lond.  ,   i8o3  ,  in  fol.0 
Boettiger  ,  Descriptions  et  Fragmens  etc.  trad.  de  l'Allem.  par.  F.  F.  Bast. 

Paris.  Didot  le  jeune  ,  an  IX.  ,   1801  ,  in  8.° 
Les  furies.  Paris,   1802^  in  8.° 
Bos  (  Lamb.  )  Antiquitatum  graecar.  descriptio.  Lipsiae  ,   1767  ,  in  8.* 
Bossuet ,  Discours  sur  l'Hist.  universelle.  Paris,  Renovard,  i8o5  ,  vol.  6,  in  12.0 
Bracci,  Comment,  de  antiq.  Scalptoribus.  Flor.   1786^  vol.  2,  in  f.° 
Bruckerus  (  Jac  )  Historia  critica  philosophiae.  Lipsiae  ,  1742,  vol.  6,  in  4. ° 
Brissonius  (  Barn.  )  et  Hottomanus  ,  De  veteri  ritu  nuptiar.  et  jure  con- 

nubiorum.  Lugd.  Bat.  ,   1641.  ,  in   12  ° 
Brunings  (  Ghri.  )  Gompendium  antiquitatum  graecarum  etc.,  1734,  in  8.° 


3à  Catalogue  des   Ouvrages 

Buffon  ,  Histoire  natur.  etc.  rédigé    par    Sonnini.  Paris  an  VIT.,    1798, 

1807  ,  vol.    127  ,  in  8.° 
Byzantinae  historiae  scriptores  ,  etc.  Parisiis,  etc.,  vol.  5o  ,  in  fol.0 
Callimachi  Cyr.  Omnia  cura  notis  Varior.  gr.  lat.  Lugd.  Bat. ,   17  61,  in  8.° 
Caryophilus ,  De  veterum  clypeis.  Lugd.  Bat.  ,   ijSi  ,  in  4.0 
Gaylus  ,  Recueil  d'antiquités  égypt.  étrusques  etc.  Paris  ,  1761,  vol.  7 ,  in  4.° 
Cellarius ,  Notitia  orbis  antiqui.  Lips.   iy3i  ,  vol.  2,  in  4.0 
Chandler's  ,  Travels  in  Greece  ,  and  in  Asia  minor.  Oxford  and  London  , 

1776 ,  vol    2  ,  in  4.0 

Inscriptiones  antiquae.   Oxonii  ,  1774  »  in  fol.0 
Charitonis  aphrodisiensis  ,    de    Cherea  et    Gallirhoe  etc.    gr.  lat.  Amsteh  , 

1750  ,  vol.  2  ,  in  4.0 
Ghau  ,  Description  des  pierres    gravées   de    M.  le  Duc  d'Orléans.  Paris  , 

1780  ,  vol.  2  ,  in  fol.0 
Sur  les  attributs  de  Venus.  Paris  ,   1776,  in  4-° 
(Chaussard,  )  Fêtes  et  courtisanes  de  la  Grèce.  Paris,  i8o3,  vol.  4, in  8.° 
Chevalier  ,  Voyage  dans  la  Troade.  Paris  ,  vol.  3  ,  in  8.° 
Choisseul-Gouffier  ,  Voyage  pittoresq.  de  la  Grèce.    Paris  ,  1782,  in  fol.* 
Coluthus  ,  De  raptu  Helenae  ,  gr.  lat.  ital.  ex  recens.  M.  Bandini.  Floren- 

tiae   1765  ,  in  8.° 
Conti ,  Illustrazione  del  Parmenide  di  Platone.   Venezia  ,   1743,  in  4-° 
Gorsinus  ,  Fasti  attici.  Florent.,   1744,  vol.  4,  in  4.0 
Croix ,  Ste ,  Examen  critiq.    des    anciens    historiens    d'Alexandre.    Paris _, 

1775  ,  in  4.0 
Danetius  ,  Dictionar.  antiquitat.  Roman,  et  Graec.  Paris. ,   1698  ,  in  4.0 
Dapper  }  Description  des  îles  de  l'Archipel.  Amst.   1703  ,  in  fol.° 
Denina,  Istoria  délia  Grecia.   Venezia  ,   1784,  vol.  4j  in  8.° 
Diodori  Siculi  Biblioth.  cur.  P.  Weseling  ,  gr.  lat.  Bip.  et  Argent.  ,   1793- 

801  ,  vol.    11  ,  in  8.° 
Diogenes  Laertius ,  De  vitis  philosophorum  ,  gr.  lat.  Lips.,  1739,  in  8.° 
Dionysius  Halicarn.  Opéra  omnia,  gr.  lat.   Oxon.  ,   1704,  vol.  2,  in  fol.0 
Dissertation  on  the  Eleosinian  and  Bacchic  Mysteries.  Amst.  ,  in  8.° 
Dodwel  ,  De  veteribus  Graecor.  Romanor.  cyclis.   Oxon.  ,   1701  ,  in  4-° 
Dupuis  ,  Origine  de  tous  les  cultes  ,  etc.  Paris  ,  an  III.  (  1795)  vol.  4 ,  in  4.° 
Durand,  Recueil    et  Parai,  des  édifices,  etc.    Paris,    an   VIII,  fol.°  at- 

lant.  obi. 
Eckel  ,  Doctrina  numor.  veterum^  Vindobonae  ,   1798  ,  vol.  8  ,  in  4.0 
Eisenchmidius ,  De  ponderibus  et  mensuris  veterum.  Argent.,  1737,  in  12.0 
Encyclopédie    méthodiq.    Antiquités,    Mythologie    etc.  Paris,    1786,    e£ 

suiv. ,  in  4.0 
Ercolano  ,  Antichità  d'  ,  etc.  Napoli  ,  1767  ,  92  ,  vol.  9  ,  in  fol.0 
Euripidis  Tragoediae  ex  edit.  et  cum  not.  Barn.  cur.  Beckio  ,  gr.  lat.  Lips. 

1778-88,  vol.  5,  in  4.0 
Origenis  opéra  omnia,  gr.  lat.  cur.  Car.  de  la  Ruq.  Paris >  ifîz ,  vol.  4? 

in  fol.° 


sur   les   Grecs;  33 

Flaxman,  The  Iliad  and  Odyssey  of  Homer,  engrav.  by  Th.  Piroli ,  etc. 

Lond.  ,   17^5  ,  fol.0  obi. 

Compositions  from  the  tragédies  of  Aeschylus ,    etc.  Lond.,  iyq5  , 
fol.0  obi. 
Geographiae  veteris  scriptores  graeci  minores ,  edit.  H.  Dod.  et  J.  Hudson , 

gr.  lat.   Oxon.  ,   1698  ,  vol.  4  ,  in  8.° 
Gell  ,  Geography  aud  antiquities  of  Ithaca.  Lond. ,   1807,  in  4.0 
Gessnerus,  Nmnismata  Graeca  etc.  Tiguri  in  fol.° 
G  illies ,  History  of  the  ancient  Graece.  Lond.  ,  1786  ,  vol.  2  ,  in  4.0 
Goguet  ,  De  l'origine  des  lois,  etc.  Paris,  1758,  vol.  3,  in  4.0 
Gorius.  Thésaurus  gemmar.  antiq.  Flor.    1760  ,  vol.  3  ,  in  fol.0 
Gosselin  ,  Géographie  des  Grecs  analysée.  Paris,   1790,  in  4.0 
Gronovii  Thésaurus  antiquitatum  Graecar.  Lugd.  Bat.  1697,  vol.  i3,  in  fol.0 
Guichard  ,  Funérailles  et  diverses    manières    d'ensevelir  des  Grecs    et  des 

Rom.  Lyon,   i58i  ,  in  4.0 
Guis,  Voyage  littéraire  de  la  Grèce.  Paris,   1783.  vol.  4,  in  8.° 
Hamilton  ,  Pitture  de' vasi  antichi.  Firenze  ,   1800,  vol.  4,  in  fol.0 
Hancarville,  Recherches  sur  les  arts  de  la  Grèce.  Lond.,  1785,  vol.  3,  in  4.0 

Antiquités  étrusq.  grecq.  etc.   Naples  ,  1767  ,  vol.  4  ,  in  fol.° 
Hérodote,  Histoire  etc.  par  Larcher.  Paris  ,   1802  ,  etc.  vol.  9,  in  4.0 
Hesiodi  Opéra  cum  notis  Varior.  gr.  lat.  Amstel.  ,   1701  ,  in  g.0 
Homerus.  llias  ,  cur.  C.  G.  Heyne  ,  gr.  lat.  Lips. ,   1802,  vol.  8  ,  in  8.° 
Opéra,  cur.  J.  Aug.  Ernesto,  gr.  lat.  Lips.   1769,   vol.  5,  in  8.° 
Hume,  Discours  politiq.  Paris,   i754  ,  vol.  2,  in   12. ° 
Jamblichus  ,  De  mysteriis  etc.,  gr.  lat.    Oxonii,   1678,  in  fol.0 
Juliani  Imperatoris  Opéra  ,  gr.  lat.  ,  cur.  Spanhemio.  Lips.  ,   1696  ,  in  fol.0 
Junius  ,  De  pictura  veterum.  Rotera,  ,   1694  ,  in  fol.0 

Justini  Hist.  cum  notis  Varior. ,  cur.  Gronovio.  Lugd.  Bat.  ,  1760  ,  in  8.° 
Justini  Martyris  Opéra  omnia  ,  gr.  lat.  stud.  Bened.  Parisiis  ,  1742,111  fol.° 
Kirmannus  ,  De  animlis.  Lug.  Bat.  ,   ^72  ,  in   16.0 
Laguilletière  ,  Athènes  ancienne  et  nouvelle.  Paris  ,   177$,  in   12.0 
Lampe,  De  cymbalis  veterum.    Traj.   ad  Rh.  ,   1703,  in   16.0 
Lens  ,  Costume  ,  ou  essai  sur  l'habillement    et  les  usages  de  plus,    peupi. 

de  l'antiquité,  prouvé  par  les  monumens.  Liège  ,  1776,  in  4.0 
Lessing  ,  Laoocoon  sur  la  peinture  et  la  poésie  ,  trad.  de  l'Allem.  Paris  0 

1802  ,  in  8.° 
Lipsius  Justus,  Opéra  omnia.  Antuerp.  ,  1692  ,  vol.  4  ,  in  fol.° 
Lomeyerus,  De  lustrationibus  veterum  gentilium.   Ultra/.  ,  1681,  in  4.* 
Lydius,  De  re  militari.  Dordr. ,   1698,  in  4.0 
Malliot.  Recherches  sur  les  costumes,    etc.    des  anc.    peuples  etc.  Paris, 

Didot  l'aine  j   1804,  vol.  3  ,  in  4.0 
Mariette,  Des  pierres  gravées.  Paris ,   i75o  ,  vol.  2,  in  fol.° 
Marmora  oxoniensia  ,  gr.  lat.   Oxon  ,   i763  ,  in  fol.0 
Martin  ,  Explication  de  divers  monumens  singuliers  etc.  Paris,  1739  ,  in  4.e 

Europe.  Vol.  I,  5 


34  Catalogue   des    Ouvrages 

Meibomius  ,  Antiquae  musicae  auctores  ,  gr.  lat.  Amstel. ,  i652  ,  vol.  2  ,  m  4* 
Meiners ,  Histoire  etc.    des  arts  dans  la  Grèce  ,    trad.  de  l'Allem.  Paris  , 

vol.  5,  in  8.° 
Mémoires  de  l'académie  des  inscriptions  et  belles  lettres.  Paris  ,  1717,,  etc. 
Meursius,  Graecia  feriata.    Liigd.  Bat.,   i6i5,    in  4.0  Graecia  ludibunda. 

Ibid. ,   1625  ,  in  8.° 
Millingen,  Peintures  antiq.  et  inédites  de  vases  Grées  etc.  Rome  ,   i8i3, 

in  fol.0 
Mionnet.  Description  de  médailles  antiq.  gr.  etc.  Paris,  i8i6-i3,  vol.  6,  in  8.® 
Montfaucon  ,  Antiquité  expliquée.  Paris ,    1719,  vol.   i5,  in  fol.* 

Paleographia  graeca.  Paris ,    1708,  in  fol.0 
Montesquieu,  Ses  oeuvres.  Amsb.  ,   1768,  vol.  3,  in  4.0 
Musée  Napoléon  etc.  Paris  ,   1804  ,  et  suiv.  in  4.0 
Nicolai  ,  De  graecorum  luctu.    Thielae,   1697,  in   16. ° 
Noël,  Dictionnaire  mythologique.  Paris }  an  IX.,  vol.  2,  in  8.* 
Nonni  Dionysiaca  ,  gr.  lat.  Hanoviae ,   1610  ,  in  8.° 
Orphaei  Omnia  quae  extant ,  cur.  God.  Hermanno  ,  gr.  lat.  Lips. ,  i8o5  , 

in  8.° 
Paciaudus,  De  athletis  Graecorum.  Romae ,   1766,  in  4.0 
Palmerius  ,  Graeciae  descriptio.  Lug.  Bat.,   1678,  in  4.0 
Passerius    Nov.  Thés,  gemmarum.  Piomae  ,    1781  ,  vol.  5,  in  fol.0 
Pausanias,  Graeciae  descriptio,  cur.  Jo.  Fr.  Facio,    gr.  lat.  Lips.  ,    1794, 

vol.  4,  in  8.° 
Paw  ,  Recherches  philosophiq.  sur  les  Grecs.  Berlin  }  1788  ,  vol.  2,  in  8.° 
Picard,  Bern.    Cérémonies  et  coutumes  relig.  etc.  Amst.  ,  1723,  tom.  5, 

vol.  7  ,  in  fol.0 
Piranesij  1.  B.  Antiquités  de  la  grande  Grèce,  etc.  Paris  ,  1804,  in  fol. ° 
Platonis ,  Opéra  ,  gr.  lat.  interpr.  Mars.  Ficino.  Franco/.  ,     1602  ,  in  fol.0 
Plinii ,  Ser.  (  Caii  )  Historiae  natur.    cum.  notis  varior.  ex  recens.  Georg. 

Frid.  Franzii.  Lips.    1778-91,  vol.    10,  in  8.° 
Pluche,  Histoire  du  ciel.  Paris  ,   1739  ,  vol.  2  ,  in   12. 

Concorde  de  la  Géographie  des  différens  âges.  Paris,   1785,  in  8." 
Plutarco,  Le    vite    etc.,  volgarizzate    da    Girol.  Pompei.  Kerona ,    1773, 

vol.  5,  in  4.0 
Polenus  ,  Utriusq.  thesauri  an tiquitaf.  roman,  et  graecar.  etc.  Venet. ,  1737^ 

vol.  5  ,  in  fol.0     '• 
Polybius  ,  Historiae,  cur.  Jo.  Schweighaeuser  ,  gr.  lat.  Lips. ,  1789,  vol.  9, 

in  8.° 
Postellus ,  De  magistratibus  Atheniensium.  Venet.,  i54i  ,  in  8.° 
Potterus,  Archaeologia  graeca.   Lug.  Bat.  ,   1702,  in  fol.0 
Pouqueville  ,  Voy.  en  Morée  ,  en  Albanie  ,  etc.  Paris  ,  181 5,  vol.  3  ,  in  8.* 
Procopii  Historiae,  gr.  lat.  Parisiis  ,   1662,  vol.  2 ,  in  fol.° 
Quaclrio  ,  Délia  storia  e  délia  ragione  d'  ogni  poesia.  Bologna  e  Milano , 

1739-62,  tom.  5,  vol.  7,  in  4.0 


sur   les   Grecs,  35 

Quatrèmere,,  Le  Jupiter  Olympien,  etc.  Paris,  i8i5,  in  fol.0 
Quintus  Calaber  ,    Praetermissa   ab    Homero ,  cur.  I.  Corn,   de  Paw.  ,  gr. 

lat.  Lug.  Bat.  ,   i734  ,  in  8.° 
Posthomericorum  efvcum  observ.  Clir.  G.  Heynii.  Argent.  1807  ,  in  8.° 
Rasche  ,  Lexicon    univ.    rei    numariae    etc.  Lipsiae  ,    1785-1805,   7    Tom. 

vol.    14  ,  in  8.° 
Roccheggiani ,  Raccolta    di    200    Tavole    rappres.  i  costumi  etc.  ,   Roma , 

1804^  vol.  2.,  fol.  obi. 
Roi  (  le  )  Ruines  de  la  Grèce.  Paris ,   1770,  tom.  2  ,  vol.   1  ,  in  fol.0 
Roussier  ,  Mémoire  sur  la  musique  des  anciens.  Paris  ,    1770  ,  in  4.0 
Sabatier  ,  Moeurs,,  coutumes  et  usages  des  anc.  peuples.  Paris ,  1770  ,  in  4.0 
Saint-Non  ,    Voyage  pittoresq.  etc.    du.  Royaume    de    Naples  etc.    Paris  , 

1781-86  ,  Tom  4  ,  en  5  vol.  in  fol.° 
Schlegel  ,  Geograpliia  Homerica.  Uanov.   1788^  in  8.° 
Scrofani  ,  Viaggio  in  Grecia  negli  anni   1794  e  95  ,  vol.  3  ,  in  8.° 
Sonnini,  Voyage  en  GriJce  etc.  Paris,  1801  ,  vol.  2  ,,in  8.°  et  atlas,  in  4 -° 
Sophoclis  Tragoediae  ,  cur.  B.  Brunckio ,  gr.  lat.  Argent.,   1776,  vol.  2  , 

in  4  ° 
Spallart ,  Tableau  historiq    des  costumes  etc.  ,  trad.  de  l'Allem.  etc.  Metz, 

1804-9  ,  vol.  7  ,  in  8.°  et  atlas,  etc. 
Spon  ,  Recherches  curieuses  sur  Tantiq.  Lyon  ,   1680  ,  in  4-9 
Stosch  ,  Pierres^  antiq.  gravées.  Amst,  ,   1724  ,  in  fol.° 
Stuard  ,  The  antiquities  of  Athen  etc.  London ,  1761  ,  in  fol.°,  trad.  aussi 

en  Français. 
Thucididis  Historia  cum  notis  etc.  ,  gr.  lat.  Biponti ,  1788  ,  vol.  6.,  in  8.° 
Tischbein ,  Recueil    de    gravures    d'après  des    vases  antiques  etc.    Paris  ^ 

1810  ,  vol.  4  }  i11  fol.° 
Figures  d'Homère  d'après  l'antiquitée  etc.  Metz  ,  1801  ,  in  fol.° 
Valerius  Flaccus,  Argonauticon ,    cur  J.  A.    Waguer.    Gottingae ,    i8o5, 

vul.  2  ,  in  8.° 
Visconti ,  Il  Museo  Pio-Clementino.  Roma,  1782  _,  vol.  6,  in  fol.0 

Iconographie  grecque.    Paris  }    Didot  Vaine,   i8n  ,  vol.  3  ^  in  4.0 
avec  atlas. 
Visconti ,  Fil.  Aur  ,  e  Guattani.  Il  Museo  Chiaramouti.  Roma,  1808,  in  fol.° 
Vitruvius  ,  De  architectura  etc.  cur.  I.  Got  Schneider.  Lips. ,   1808,  vol.  4, 

in  8.°  etc. 
Weler  ,  Voyage  d'Italie,   de  Dalmat.    de   Grèce,    etc.  La  Haye,    172.$, 

vol.  2  ,  in    12. 
Winkelmann ,  Histoire  de  l'art  chez  les  anciens ,  etc.  avec  des  notes  ,  etc. 

Paris,  an  XL,   1802,  vol  3.  in  4.0 
Monumenti  antichi  inediti.  Roma,   1767,  vol.  1,  in  fol.° 
Young,  Wil.  The  history  of  Athens.  Lond.  ,   1786  ,  in  4.3 
Xenophontis  quae  extant  omnia  ,    ex    edit.  Schaeideri  et  Zeunii ,    gr.  lat. 

Edinburg,   181 1  ,  vol.   10,  in  8.° 


TOPOGRAPHIE 

DE     LA     GRÈCE. 


EiTnoZe  -*-jES  historiens  sont  encore  partagés  d'opinions   sur  l'étymolc- 

de  ia  Grèce.    gie  des  mots  de  Grèce  et  de  Grecs.  Quoique  moins  anciens  que  les 
Egyptiens ,  les  Juifs  >  les  Assyriens  et  les  Chinois ,  les    Grecs    sont 
peut-être  de  tous  les  peuples,  celui  dont    le  berceau  est  enveloppé 
de  plus  de  nuages,  et  qui  offre  le  moins  de  monumens  sur  son  ori- 
gine. De  grands  Empires  florissaient  déjà  en  Asie   et  en    Afrique, 
que  la  Grèce  était  encore  sauvage  et  barbare.  C'est  par  un  effet  de 
cette  ignorance  absolue  sur  leurs  commenceraens ,  que  les  Grecs  eux 
mêmes  se   vantaient    d'être  aW***^,  c'est  à    dire  les    enfans    de  la 
terre  qu'ils  habitaient.  On  trouve  dans    Pline  (  liv.  4  ,  ch.   7  )  que 
ce  pays  prit  son  nom  de  Greco,  un  des  Rois  de  la  Thessalie.  Qu'il 
nous  soit  permis  cependant,   de  nous  écarter  en  cela  du  sentiment 
de  cet  écrivain  ,  qui  n'est  appuyé  d'aucunes  preuves ,  et  de  recher- 
cher de  plus  haut  l'étymologie  de  ce   mot.  Les    noms  les  pins   an- 
ciens sous  lesquels  nous  trouvons  désignés  les  Grecs ,    sont  ceux  de 
Pelasses  et  d'HéUéniens.  M.r  De  Gèbelin  est  d'avis,  que  les  premiers 
habitans  de  la  Grèce  sont  venus  des  contrées  boréales  9   ou    des  ri- 
ves du  Danube,  et  qu'ils  s'appelaient  Pelasges:  il  ajoute  qu'ils  don- 
nèrent le  nom  à9 Illyrique  ,  ou  de  Détroit ,  à  une  partie  de  mer  lon- 
gue et  resserée,  et  qu'ils  appelèrent  aussi  Illyrie  le  pays  qui  s'éten- 
dait le   long   des   rivages  de    cette    mer;    mais  que   s' étant   avancés 
jusqu'au  mont  Acrocéronien  au  nord  de  la  Chaonie  et   de   la   Thes- 
salie où    finit  ce   golphe  ,    ils  trouvèrent  une  mer  spacieuse  ,  à  la- 
quelle ils  donnèrent  le  nom  de  Rha  ou  Rhe,  qui  veut  dire,  vaste, 
immense,  d'où  se  forma  le  mot  Rhaïcus ,  sous  lequel  ils  désignèrent 
la  mer,  ainsi  que  la  nation  qui  peuplait  ses  bords.  D'Esichius  a  con- 
servé cette  dénomination    comme    étant ,   selon    lui  ,    celle   que    les 
Grecs  eurent  dans  le  principe.  Mais   comme  les  lettres    linguales , 
L  et  R^  ajoute  M.r  de  Gébelin,  sont  ordinairement  précédées  d'une 
lettre  gutturale  ,  il  est  à  présumer  que  le  mot  Rhaïcus  se  sera  aisé- 


\ 


Topographie    de    la    Grèce.  3j 

ment  changé  en  celui  de  Graicus.  Cette  conjecture  ,  si  elle  n'est. 
des  mieux  fondées  3  est  au  moins  très-ingénieuse;  et  comme  l'observe 
fort  bien  M.r  Mentelle  ,  elle  explique  la  raison  pour  laquelle  les 
peuples  compris  sous  la  dénomination  de  Grecs  ,  furent  toujours  dis- 
tincts des  Macédoniens  s  des  Thraces  et  autres  nations  Pélasges , 
bien  que,  selon  toutes  les  apparences,  ils  ayent  eu  tous  une  origine 
commune. 

L'opinion  de  Gébelin  semble  se  confirmer  par  le  mot  né;ù*,>y<i$,  Eymoiot 
ou  ul\*<ryo<  ,  qui  veut  dire  cicogne  ,  parce  qu'à  l'exemple  de  cer-  jvV^e 
tains  oiseaux  ,  ces  peuples  allaient  errans  de  pays  en  pays.  Ils  quit- 
tèrent les  bords  du  Danube  ,  attirés  sans  doute  par  la  douceur  du 
climat ,  et  par  l'abondance  des  productions  que  la  nature  leur  of- 
frait à  mesure  qu'ils  s'avançait  vers  les  contrées  méridionales  de 
l'Europe.  Le  même  auteur  dit  encore ,  que  les  Pelasses  furent  aussi 
appelés  Joniens  ,  du  nom  àjon  leur  père,  fils  de  Japhet  et  petit 
fils  de  lYoè  ,  d'où  une  partie  de  la  Grèce  prit  le  nom  d'/orzie  (i). 
Il  croit  voir  en  outre  dans  l'histoire  de  Deucalion  et  des  Argonau- 
tes l'emblème  de  celle  de  Noé  :  c'est  pourquoi  il  regarde  comme 
très-probable,  qu9 Hellenus ,  qui,  au  dire  des  Grecs,  était  fils  de 
Deucalion ,  et  du  nom  duquel  ils  prirent  celui  d'Helléniens s  n'était 
autre  chose  que  Jon  ,  père  des  Joniens  ou  des  Pélasges  ,  et  con- 
clut que  Moyse  avait  des  notions  parfaitement  exactes  sur  le  sol 
et  les  populations  de  la  Grèce.  Le  sentiment  de  Gébelin,  quel-  Jn 
qu'il  soit,  diffère  peu  de  celui  de  Gillies  (a) y  non  plus  que  des 
anciennes  traditions,  qui  font  remonter  la  population  de  la  Grèce 
a  environ  dix  huit  siècles  avant  Fére  vulgaire:  il  parait  môme, 
aux  yeux  de  ceux  qui  partagent  cette  opinion  ,  que  ces  premiers 
peuples  n'étaient  pas  aussi  sauvages  qu'ils  ont  été  représentés  par 
la  plupart  des  écrivains  ;  et  qu'ils  ne  tombèrent  depuis  dans  la 
plus  grossière  barbarie  ,  que  par  suite  de  quelqu'une  de  ces  gran- 
des catastrophes  qui  ont  boulversé  à  diverses  époques  toutes  les 
parties  de  notre  globe  ,  laquelle  aura  ,  pour  ainsi  dire ,  totalement 
défiguré  cette  contrée ,  comme  nous  nous  proposons  de  le  démontrer 
dans  un  autre  lieu.  Nous  ne  croyons  pas  pourtant  pour  cela  devoir 
adopter  entièrement    l'hypothèse   que    nous    avons    exposée  aupara- 

(i)  Cette  opinion  parait  être  aussi  celle  de  Boccart  dans  ses  savantes 
recherches  sur  les  racines  et  l'origine  des  langues. 
(2)  Hist.  of  anc.  Greece  vol.   1.  pag.  3. 


de  la  Gn 


Premit 

habita 


Do  Topographie 

vant;  et  nous  ne  l'avons    rapportée,  que  parce  qu'elle  nous  a  pan* 
]a  plus  ingénieuse  et  la  plus  vraisemblable  (i). 

D'après  toutes  ces  considérations  ,  et  dans  la  supposition  que  les 
premiers  habitans  de  la  Grèce  soient  venus  du  Danube }  on  pour- 
rait ,  suivant  le  système  de  Gébelin  (a)  envisager  cette  contrée  sous 
la  forme  d'un  triangle  aigu ,  qui  aurait  pour  base  le  lit  de  ce 
fleuve  au  nord,  et  dont  les  côtés  seraient  Y  Adriatique  et  la  mer 
Ionienne  d'une  part,  et  de  l'autre  Y  H  elles  pont  ou  détroit  de  Gal- 
lipoli ,  avec  la  mer  Egée  ou  Y  Archipel.  Ce  triangle  est  partagé 
en  trois  grandes  bandes  ou  sections ,  par  diverses  chaînes  de  mon- 
tagnes parallèles  à  la  base.  L'angle  qui  lui  est  opposé  se  termine 
par  une  péninsule ,  qui  est  presqu'eutièrement  détachée  du  reste 
du  triangle.  Telle  est  l'idée  la  plus  exacte  qu'on  puisse  se  for- 
mer de  la  configuration  du  territoire  de  la  Grèce.  On  dirait  que 
la  nature  l'a  ainsi  disposé,  pour  en  faire  le  séjour  d'une  grande 
nation  divisée  en  peuplades  différentes  ,  suivant  les  démarcations 
qu'elle  même  y  a  établies. 

Il  est  probable  que  les  premiers  peuples  qui  se  sont  fixés  en 
deiaG.ece.  Grèce  étaient  venus  de  l'Asie,  eu  passant  Y Hellespont  qui  n'est 
qu'un  bras  de  mer  très-étroit.  Les  bateaux  les  plus  ordinaires  pu- 
rent leur  suffire  pour  ce  passage  ,  car  plusieurs  siècles  après,  quinze 
mille  Bulgares  osèrent  le  traverser  à  cheval,  sans  le  secours  d'au- 
cune barque.  Arrivées  au  Danube  3  et  ne  pouvant  s'avancer  plus 
loin  au  nord  ,  faute  de  moyens  pour  franchir  ce  fleuve,  ces  colonies 
se  dispersèrent  le  long  de  F Adriatique ,  et  s'étendirent  de  proche 
en  proche  jusqu'au  bout  du  triangle.  Retranchant  maintenant  de  ce 
triangle  la  Thrace  qui  ne  fit  jamais  partie  de  la  Grèce  ,  ainsi  que 
la  Macédoine  qui  ne  fut  aggrégée  à  la  Grèce  proprement  dite 
que  du  tems  de  Philippe,  nous  aurons  pour  nouvelle  base  la  chaîne 
de  l'Olympe  qui  sépare  la  Thessalie  de  la  Macédoine ,  et  la  Grèce 
se  trouvera  ainsi  divisée  par  la  nature  même  en  deux  parties ,  savoir; 

(x)  Nous  ne  devons  point  taire  n'ont  plus  celle  du  célèbre  Lareher 
à  cet  égard  ,  qui  est  que  tout  le  pays  appelé  Grèce  ou  Hellade  du  tems 
d'Hérodote,  n'était  connu  avant  la  guerre  de  Troie ,  et  encoi~e  long 
tems  après  ,  que  sous  le  nom  des  divers  peuples  qui  l'habitaient.  Homère 
parle  bien  des  Dauniens  ,  des  Arglens  ,  des  Achéens  etc.  ,  mais  il  ne 
désigne  jamais  sous  un  même    nom    tous    les    Grecs  ensemble. 

(2)  Dict.  Etymol.  de  la  Lang.  grecq.  dise.  prél.  pag.  xxxin. 


générale 

'  la  G;  ce 


de    la    Grèce.  3o, 

d'un  côté  le  mont  Olympe  jusqu'à  l'isthme  de  Corinthe  ;  et  de 
l'autre ,  l'étendue  de  pays  qui  se  trouve  depuis  cet  isthme  jusqu'au 
cap  le  plus  méridional  de  la  péninsule,  appelé  anciennement  Tae- 
narium  Promontorium  ,  et  aujourd'hui  le  Cap  Mata-pan. 

Cette  contrée  s'étend  depuis  le  36.e  jusqu'au  delà  du  ^o.e  degré  20 
minutes  environ  de  latitude  septentrionale,  savoir  du  mont  Olympe 
jusqu'à  la  pointe  la  plus  méridionale  de  l'île  de  Gythère  >  à  présent 
Cérigo ,  et  depuis  le  3o,.e  degré  moins  3o  minutes ,  jusqu'au  4a-e  e* 
3o  minutes  de  longitude  dans  sa  plus  grande  largeur  prise  oblique- 
ment ,  depuis  la  rivière  Achêron  ,  appelée  aujourd'hui  Uliki ,  jusqu'au 
cap  Sunni,  qui  est  maintenant  le  cap  Colonni.  Sa  plus  grande  lon- 
gueur peut  doue  être  évaluée  à  environ  24°  milles ,  et  à  peu-près 
à  200  sa  plus  grande  largeur.  Elle  forme  ainsi  deux  grandes  pé- 
ninsules que  joint  ensemble  l'isthme  de  Corinthe,  et  qui  sont  baignées 
par  le  golfe  Thermaïco ,  aujourd'hui  golfe  de  Salonique ,  par  la 
mer  Egée  ,  par  V Archipel ,  et  par  la  mer  Ionienne  qui  forme  l'entrée 
de  Y  Archipel.  Le  golfe  de  Corinthe  ,  qui  porte  encore  ce  nom  , 
sépare  l'une  de  l'autre  ces  deux  péninsules.  La  Grèce  est.  le  plus 
beau  séjour  qu'il  y  ait  sur  la  terre,  tant  à  cause  du  climat  qui  par 
sa  latitude  y  est  généralement  tempéré,  et  jouit  d'un  ciel  toujours 
pur  et  serein  ,  qu'en  raison  de  sa  position  au  bord  de  mers  parse- 
mées d'îles ,  presque  toutes  fertiles  et  agréables. 

La  Grèce  est  entrecoupée  de  montagnes  qui  déployent  diver- 
ses chaînes  du  nord  au  raidi  ,  et  partagent  tout  son  territoire  en 
divers  cantons  dont  quelques-uns  ont  fort  peu  d'étendue ,  et  sont 
circonscrits  dans  les  limites  de  quelques-unes  des  rivières  qui  sor- 
tent de  ces  différentes  chaînes.  Plusieurs  de  ces  monts,  surtout  dans 
la  Grèce  septentrionale  ,  sont  très-élevés  et  cachent  presqu'en  tout 
iems  leurs  sommets  sous  des  masses  de  neige  et  de  glace.  Tels  sont 
entre  autres;  l'Olympe ,  aujourd'hui  mont  Lahca^  où  les  anciens  poè- 
tes placèrent  le  séjour  de  leurs  divinités  fabuleuses;  et  le  Parnasse , 
appelé  maintenant  Japora  ,  dont  la  cime  se  divise  en  plusieurs  pics, 
et  qui ,  au  dire  de  Wholer  et  de  Spon  ,  ne  le  cède  point  au  Mont 
Cènis  en  hauteur  (1).  La  péninsule,  au  dessus  de  l'isthme,  ne  comp- 
tait pas  moins  de  vingt  quatre  de  ces  monts  fameux  dans  l'anti- 
quité. Après  YOlympe  et  le  Parnasse ,  les  plus  connus  étaient  ;  VOs- 
sa ,  à  présent  Cassopa ,  et  le  Pélion  maintenant  Petras ,  qui  ne  sont 


Longitude 
et  latiaule. 


Longue; 
cl   large 


Climat 
et  situation. 


Montagne. 


(1)  Ghandler  ,  Voy.  en  Grèce,  vol.  3  pag.  35g. 


4°  Topographie 

qu'une  ramification  de  YOlympe ,  laquelle  setend  le  long  des  côtes 
de  l' Archipel  ;  le  Pinde  qui  est  une  longue  branche  de  VHcmus  5 
autre  mont  fameux  et  très-élevé  dans  la  Thrace  ou  Romanie ,  au- 
jourd'hui mont  Argentaro  ou  Chaîne  du  monde  ;  YHélicon  ;  le  Ci- 
théron  qui  forme  une  chaîne  d'occident  en  orient;  le  Penthéllque 
maintenant  Penteli ,  autrefois  renommé  par  ses  marbres  ;  et  YHymé- 
£e,  à  présent  mont  Sethinos ,  connu  par  l'excellence  de  son  miel. 
On  trouve  dans  les  cartes  de  Danville  et  de  Laurenberg  (i)  ces 
différentes  chaînes  parfaitement  tracées. 
Momagncs  D'autres  chaînes  se    présentent    encore    dans  la  péninsule ,    au 

du  Péloponnèse  -  l  #  ' 

dessous  de  L  isthme  appelé  par  les  anciens  Péloponnèse ,  ou  île  de 
Pélops ,  héros  qui  selon  la  tradition  était  venu  de  l'Asie,  et  conquit 
une  partie  de  la  Grèce.  Strabon  lui  donne  la  figure  d'une  feuille 
de  platane,  parce  qu'elle  ressemble  en  effet  à  une  feuille  divisée 
comme  en  plusieurs  lobes  (a).  C'est  pour  la  même  raison  que  les  mo- 
dernes lui  ont  donné  le  nom  de  u<>?i»  (Morée),  car  elle  abonde  en 
une  espèce  de  mûriers  dont  les  feuilles  sont  partagées  en  cinq  lo- 
bes,  qui  est  le  nombre  des  principaux  caps  du  Péloponnèse.  Cette 
péninsule  tient  au  continent  par  l'isthme  de  Corinthe ,  appelé  au- 
jourd'hui Hexa-Miliv  nom  qui  dérive  du  Grec  moderne,  et  veut 
dire  six  milles,  qui  est  précisément  l'étendue  de  sa  largeur  (3). 
On  rencontre  sur  cet  isthme  les  monts  Géraniens  et  les  Pierres 
Scyronides  qui  sont  une  chaîne  de  rochers.  Les  chaînes  des  mon- 
tagnes de  cette  péninsule  ont  aussi  leur  direction  du  nord  au  midi, 
quoi  qu'en  certains  endroits  elles  jettent  des  branches  qui  vont 
d'occident  en  orient ,  ce  qui  la  partage  en  divers  cantons  dont  la 
nature  semble  avoir  posé  elle  même  les  limites.  Les  plus  remarqua- 
bles de  ces  monts  sont,  Y Acrocorinthe  qui  s'élève  sur  l'isthme  com- 
me un  pic  ou  comme  une  roche  nue  3  le  Stymphale  à  présent  mont 


(i)  Il  y  a  encore  en  Thessalie  des  crêtes  ou  roches  fameuses  parmi 
les  Grecs  modernes  sous  le  nom  de  météores.  Selon  Pouqueville  ,  ch.  28  , 
ces  roches  forment  un  canton  séparé  à  la  distance  d'environ  trente  milles 
de  Jannina.  On  voit  sur  leurs  cimes  quelques  couvens  de  Calogers.  La 
situation  de  ces  lieux  escarpés  et  inaccessibles ,  fait  qu'on  ne  peut  monter 
à  ces  couvens  que  par  des  échelles  de  cordes ,  ou  dans  un  panier  que  les 
moines  tirent  à  eux  au  moyen  d'une  roue. 

(2)  Strab.  Paris  etc.   18 12.,  vol.  3.  pag.   i3g. 

(3)  Deux  lieues  de  France. 


de    la    Grèce.  41 

Poglyphe^  YErymanthe  maintenant  Dlmizane ,  le  Parthenius  ,  le. 
Ménale  ,  Ylthome ,  YAnchisius ,  et  le  Taygéle  aujour  d'hui  mont 
des  Maïnottes  ,  qui  abonde  en  toutes  sortes  de  gibier. 

Quelques-unes  des  îles  qui  avoisinent  la  Grèce  ont  aussi  des  monts  Montagne 
ou  masses  de  rochers  très-élèves^,  et  ont  été  célèbres  par  la  beauté 
de  leurs  marbres,  telles  que  Paros ,  et  Antiparos.  Cette  contrée  Miue^ 
avait  en  outre  des  mines  de  différens  métaux ,  dont  on  trouve  en- 
core des  vestiges.  Thucydide  ,  Xénophon  et  Strabon  font  mention 
des  mines  d'argent  de  l'Attique,  et  il  est  dit  dans  Hérodote  que  Pe- 
sistrate  tira  beaucoup  d'or  des  sables  du  Strymon,  sur  les  rives  duquel 
il  y  avait  ,  au  rapport  de  Strabon  ,  diverses  mines  d'or  et  d'argent. 
La  petite  île  de  Kimolos  a  pris  le  nom  d'Argentière  que  lui  ont 
donné  les  modernes,  à  cause  des  mines  d'argent  qui  y  furent  décou- 
vertes (r).  Certains  monts  de  la  Grèce,  surtout  dans  les  îles,  ne 
permettent  point  de  douter  que  cette  partie  de  la  terre  n'ait  aussi 
subi  toutes  les  catastrophes,  que  l'action  des  volcans  a  occasionnées  Volcan*. 
sur  presque  toute  la  surface  du  globe.  On  en  voit  la  preuve ,  non 
seulement  dans  les  cratères  qu'on  apperçoit  encore  sur  plusieurs  de 
ces  monts ,  et  dans  les  eaux  thermales  qu'on  y  trouve ,  mais  encore 
dans  la  quantité  des  matières  volcaniques  que  renferme  entre  au- 
tres cette  dernière  île ,  et  qu'on  rencontre  sur  le  mont  Mosychon 
dans  celle  de   Lemnos  (a). 

Les  montagnes  de  la  Grèce  donnent  naissance  à  une  foule  de  »„«/«  «t-fc* 
rivières,  dont  la  plupart  sont  plus  célèbres  par  ce  qu'en  ont  dit 
les  Poètes ,  que  par  le  volume  de  leurs  eaux.  Les  plus  considé- 
rables de  la  péninsule  au  dessus  de  l'isthme  sont  ;  Y  Achetons  D 
appelé  aujourd'hui  Y Jspropotane  ,  qui  soit  du  Pinde,  et  se  jette 
dans  la  mer  à  l'entrée  occidentale  du  détroit:  Homère  lui  don- 
ne le  nom  de  *fU.*  ax«x*«s  (3)  qui  veut  dire  Roi  Achetas  ,  ses 
eaux  étaient  autrefois  le  principe  de  la  fertilité  des  pays  qu'elles 
arrosaient  ;  le  Céphisc  qui  prend  sa  source  dans  le  mont  Oeta  ,  à 
présent  Banina  ,  et  qui  après  avoir  grossi  son  cours  de  quelques 
autres  rivières,  va  se  perdre  dans  le  lac  Copaïs '-,  maintenant  lac  de 
Topogiia  renommé  par  ses  coquilles;  et  le  Penée  actuellement  Sa- 
lampria ,    qui  vient  aussi  du  Pinde ,  et    a   son  embouchure    dans  le 

(i)  Sonnini ,   Voy.  en  Gr.  tom.  2.  pag.  35. 

(a)  Buttmann.  Sur  le  Vole,  de  Fîslë  de  Lemnos, 

(5)  Lib.  XX.  v.   194.  Iliad. 

Europe.    VuL,  I.  g 


4a  Topographie 

golfe  Thermaïque •-,  ou  de  Salonique.  Dans  la  péninsule  au  dessous 
de  l'isthme,  les  principales  rivières  sont;  YAlphée  aujourd'hui  Roféas 
qui  se  jette  dans  la  mer  Ionienne ,  et  dont  la  source  n'est  pas  en- 
core bien  connue  des  Géographes;  le  Crati  qui  prend  sa  source 
dans  une  montagne  du  môme  nom,  et  va  se  décharger  dans  le 
golfe  de  Corlnthe  ,  il  recevait  autrefois  les  eaux  de  YJlisson  et  du 
Styx  ;  et  1' 'Enrôlas  ,  maintenant  Vasïli-Potasmo  ,  ou  Fleuve  Royal ., 
cpi  n'est  qu'un  écoulement  de  quelques  marais ,  dont  le  lit  est  res- 
serré entre  des  bois  d'oliviers ,  et  des  rochers  d'un  très-beau  mar- 
bre ,  et  qui,  après  s'être  dirigé  vers  le  midi,  tombe  dans  la  mer 
Ionienne.  On  trouve  encore  dans  les  deux  péninsules  d'autres  riviè- 
res .  telles  que,  Yllyssus,  le  Céphise ,  YInachus  et  autres,  qui  doi- 
vent toute  leur  célébrité  aux  fictions  des  poètes ,  et  qui  ne  sont 
que  des  torrens  ou  des  ruisseaux  dont  on  apperçoit  à  peine  quel- 
ques traces,  lorsqu'ils  ne  sont  plus  alimentés  par  les  pluies  ou  par 
la  fonte  des  neiges  (i).  Tels  sont  encore  les  marais  et  les  lacs., 
excepté  pourtant  celui  de  Copa'is  que  nous  venons  de  citer.  Par- 
mi ces  lacs,  on  doit  néanmoins  quelque  distinction  au  Stympha- 
lus ,  aujourd'hui  Vulcimis ,  fameux  par  ses  oiseaux  dont  la  des- 
truction fut  une  des  expéditions  d'Hercule. 
<w.  Le  sol  de  la  Grèce  et  de  ses  îles  est  composé  en  grande  par- 

tie de  matière  calcaire  (a)  ;  et  comme  il  renferme  les  espèces  les 
plus  pures  de  cette  substance,  telles  que  les  marbres  et  les  pierres 
calcinées ,  aussi  bien  que  les  espèces  mixtes ,  comme  les  terres  et  les 
pierres  faciles  à  entrer  en  effervescence  ,  il  s'ensuit  que  la  Flore 
Grecque  consiste  assez  généralement  en  plantes  qui  sont  propres  à 
la  nature  de  ce  sol,  et  qui  croissent  également  en  d'autres  climats, 
fiches  et  fie  urs.  môme  en  Italie.  De  ce  nombre  sont;  Yacanthus  carduifolius ,  acan- 
the à  feuilles  de  chardon  sauvage  ;  le  chicorium  spinosum ,  la  chi- 
corée épineuse;  la  sauge  pomif ère  ;  Y  astragale  tragacanthe ,  d'où, 
on  extrait  la  gomme  à'adragant  ;  et  le  cistus  ladaniférus ,  le  ciste 
ladanifère  qui  croît  particulièrement  dans  l'île  de  Crète.  Ce  der- 
zù-bustes.  nier  est  un  arbuste  reeommandable  par  l'élégance  de  sa  forme,  et 
la  bonne  odeur  de  la  gomme  appelée  ladanum  ,  qui  suinte  de  ses 
feuilles  et  de  ses  bourgeons.  Voy.  la  planche  7  }  fig.  4-  On  recueille 
cette  gomme  en   frappant  la  plante  avec  de  petits  cordons  de  cuir 

(1)  Chandeler,  Voy.  en  Grèce  etc. 

(2)  Pinkerton  }  vol.  III. 


. 


de    la    Grèce.  /|3 

gutour  desquels  elle  s'attache  en  forme  de  glu.  I/Hélicon  est  par- 
semé à  sa  base  d'herbes  de  toutes  sortes  ,  et  de  jolis  arbustes  par- 
mi lesquels  on  distingue  Yarbutus  andrachne  ,  ou  arbuste  à  pani- 
cule.  Il  est  d'un  aspect  riant  et  pittoresque  ,  et  il  est  presque  tou- 
jours couvert  de  fleurs  et  de  fruits  en  même  tems  :  Voy.  le  n.°  5 
de  la  môme  planche.  Uopuntis ,  appelé  vulgairement  aujourd'hui 
le  figuier  d'Inde ,  abonde  dans  le  territoire  d'Jrgos:  cette  plante 
est  composée  d'articulations  ovales  et  serrées,  de  la  longueur  d'un 
pied  plus  ou  moins,  et  d'un  pouce  de  largeur ,  qui  croissent  les 
unes  au  dessus  des  autres,  et  forment  entre  elles  un  tissu  comme 
une  espèce  de  réseau. 

Les  arbres  les  plus  communs  en  Grèce  et  dans  les  îles  voisi-  4rhrPt, 
nés  sont,  le  sapin  ordinaire,  le  pin  melése  ,  le  cèdre ,  le  chêne  à 
cochenille,  avec  les  fruits  duquel  on  fesait  Técarlate  avant  que  l'ar- 
bre de  la  cochenille  fût  généralement  connu,  le  chêne  appelé 
proprement  Grec  qu'on  trouve  aussi  répandu  en  Italie,  le  platane 
d'orient ,  le  sycomore,  le  mûrier ,  le  cyprès,  le  laurier  et  autres. 
Parmi  les  arbres  fruitiers  les  plus  nombreux  sont ,  les  oliviers  dont 
il  y  a  des  forêts  entières,  le  myrte  à  larges  feuilles ,  le  myrte  com- 
mun, l'oranger ,  le  figuier  «  la  vigne,  le  grenadier,  le  noyer,  le 
cerisier  et  le  chaiaigner.  La  palmier  et  autres  plantes  qu'on  voit 
figurées,  dans  les  anciens  monumens  de  la  Grèce,  sont  aujourd'hui 
fort  rares  dans  cette    contrée. 

Le  régne  animal  n'y  offre  que  très-peu  de  particularités  :  les  A***™ 
quadrupèdes,  les  oiseaux  et  les  insectes  y  sont  à  peu  près  les 
mêmes  que  dans  toutes  les  autres  parties  méridionales  de  l'Europe. 
Certains  cantons  de  la  Grèce  étaient  renommés  par  la  beauté  et  le 
grand  nombre  des  chevaux  qu'ils  produisaient,  ce  qui  avait  fait  don- 
ner à  ces  cantons  le  surnom  de  i**»»ittiTts  ,  qui  veut  dire  amateurs 
de  chevaux.  Le  jakal  animal  féroce  et  vorace  se  fait  voir  quelque- 
fois en  Grèce  :  on  y  trouve  aussi  des  loups ,  des  ours  et  des  renards- 
Parmi  les  quadrupèdes  dont  on  se  sert,  ou  qui  sont  de  quelqu'uti- 
lité  à  l'homme  3  les  plus  communs  sont,  le  bufle,  le  bœuf,  le  cerf, 
le  chevreuil ,  le  mouton ,  le  lapin ,  la  belette ,  le  lièvre ,  et  des 
cJiiens  de  presque  toutes  les  races. 

La  Grèce  nourrit  en  outre  une  quantité  de  volatiles    sauvages      Vo^Vn- 
et  domestiques  de  toutes  les  espèces.  11  y  a  aux  environs  de  M  égare 
une  espèce  de  poule  singulière,  que  Chandler(i)  croit  très-ancienne 

(i)  Chandeler,  Tom.  III.  pag.  455,  et  suiv. 


44  Topographie 

dans  ce  pays,  mais  qui  est  particulière  à  la  Perse  et  à  la  Virginie; 
on  lui  a  donné  îe  nom  moderne  de  Cu-nu ,  parce  qu'elle  est  sans 
croupion  ,  et  manque  par  conséquent  des  plumes  qui  devraient  for- 
mer sa  queue.  Les  Grecs  avaient  un  autre  oiseau  célèbre  parmi 
eux  qu'ils  appelaient  Porphyrion ,  et  dont  font  mention  Aristote, 
Diodore  de  Sicile  et  autres  :  étranger  à  leur  sol ,  ils  le  fesaient 
venir  de  la  Lybie  et  des  îles  Baléares:  il  fesait  l'ornement  des 
palais  et  des  temples  où  on  le  laissait  errer  librement  comme  un 
hôte  digne  de  ces  lieux,  par  la  noblesse  de  son  port  3  la  douceur 
de  son  naturel  ,  et  la  beauté  de  son  plumage.  Voy.  la  planche  8 
fig.  3.  Parmi  les  oiseaux  de  rapine,  le  plus  remarquable  est  la 
chouette,  ou. pour  mieux  dire  le  hibou  cornu  aux  ailes  noires, 
qu'on  appelle  encore  le    grand    hibou;    c'est    le    même    que    celui 

tf^thZcs.  qu'Edward  a  décrit  sous  le  nom  de  grand  hibou  d'Athènes.  Voy. 
fig.  4-  Il  a  ^a  force  et  la  voracité  de  l'aigle,  et  ne  craint  pas, 
lorsqu'il  est  pressé  par  la  faim,  d'assaillir  les  lièvres  et  même  les 
agneaux.  Ha  lier  assure  avoir  vu  de  ces  oiseaux  s'attaquer  avec  des 
aigles  et  en  rester  vainqueurs  (i).  Les  Epefviers,  les  Faucons ,  les 
Vautours  et  autres  espèces  d'oiseaux  de  proie  sont  très-communs 
surtout  dans  les  lies  (a).  Parmi  les  reptiles  on  doit  distinguer  le 
serpent  d'Epidaure  ,  consacré  à  Esculape ,  qui  est  jaune,  fort  gros, 
facile  à  apprivoiser  et  n'est  point  venimeux:  il  se  défend  vigou- 
reusement avec  sa  queue  lorsqu'il  est  attaqué.  Voy.  la  même  plan- 
che fig.  5. 

faissaw.  Le  peu  (\e  profondeur  des  mers  qui  baignent  les  cotes    cle    la 

Grèce,  les  sables  et  le  gravier  qui  en  forment  presque  par  tout  îe 

(i)  Que  la  chouette  dont  il  s'agit ,  et  connue  ordinairement  sous  le 
nom  de  grand  hibou  soit  réelement  le  grand  hibou  d'Athènes ,  et  par  con- 
séquent la  vraie  chouette  de  Pallas ,  c'est  ce  qu'il  est  facile  de  reconnaî- 
tre par  la  grande  ressemblance  qu'on  observe  entre  celle-ci ,  et  la  chouette 
qui  est  représentée  dans  les  anciens  monumens  comme  l'emblème  de  cette 
déesse,  ainsi  qu'on  peut  le  voir  au  n.°  2  de  la  planche  io,  copié  d'après 
les  vases  d'Hamikon.  En  effet  Démosthénes  avait  l'habitude  de  dire  que 
Minerve  Poliade  fesait  ses  délices  de  trois  bêtes  affreuses  qui  étaient ,  la 
chouette,  le  dragon  et  le  peuple:  ce  qu'il  n'aurait  pu  dire,  si  la  première 
eut  été  la  chouette  commune.  C'est  donc  un  erreur  de  la  part  des  artis- 
tes ,  que  de  représenter  Minerve  avec  la  petite  chouette  ,  qui  est  cette 
dernière. 

(a)   Sonnini  ,  Voy.  etc.  T.  II.  J>ag.   177. 


jgg^ 


de    la    Grec  è.  45 

fond  ,  et  la  multitude  d'Iles  et  de  rochers  dont  elles  sont  parse-» 
niées  ,  font  que  leurs  eaux  fourmillent  de  poissons  de  toutes  sortes. 
La  scale ,  célèbre  chez  les  anciens,  est  très-commune  dans  l'Ar- 
chipel: elle  a  les  dents  larges,  de  grandes  et  minces  écailles,  et 
elle  est  d'une  couleur  bleue  tirant  sur  le  noir ,  excepté  sous  le 
ventre  qui  est  blanc  :  elle  vit  dans  les  fentes  des  rochers ,  et  for- 
me s  dit'on  ,  une  espèce  de  société  soumise  à  un  chef  qui  la  gou- 
verne. Le  Rouget  de  l'Archipel,  appelé  par  Linnée  mullus  bar-  &>uget. 
batus  ,  était  aussi  en  grande  réputatiou  chez  les  anciens.  Ce  poisson 
était  un  morceau  friand  pour  les  Romains;  leur  sensualité  allait 
même  jusqu'à  le  faire  cuire  sur  la  table  tout  vif  et  à  petit  feu 
sous  des  cloches  de  verre,  afin  que  les  conviés  pussent  jouir  du 
plaisir  de  le  voir  prendre  insensiblement  une  teinte  ronge,  avant 
de  le  manger.  Voy.  la  planche  8  ,  fig.  1.  Une  autre  poisson  éga- 
lement renommé  dans  ces  mers.,  c'est  la  Mu rén e ,  espèce  de  serpent  Murène 
de  la  longueur  de  9  à  12  pieds  sur  un  et  demi  de  tour,  dont  Son- 
nini  donne  la  description,  et  qu'on  voit  représenté  sous  le  n.°  2. 
On  l'appela  encore  serpent  de  mer,  non  seulement  à  cause  de  sa 
forme  ,  de  la  vivacité  et  de  la  sinuosité  de  ses  mouvemens ,  mais 
encore  en  raison  de  sa  beauté  et  de  la  variété  des  couleurs  qui 
brillent  sur  tout  son  corps.  Dans  le  tems  où  le  luxe  fut  porté  chez 
eux  au  plus  haut  point ,  les  Romains  étaient  dans  l'usage  de  tenir- 
une  quantité  de  ces  poissons  dans  les  réservoirs  de  leurs  jardins  , 
et  de  livrer  à  leur  voracité  les  esclaves  qui  avaient  commis  quelque 
faute.  Nous  nous  bornerons  à  cette  courte  description  de  l'histoire 
naturelle  de  la  Grèce,  car  les  animaux,  les  végétaux  et  autres 
productions  qui  s'y  trouvent  ,  se  rencontrent  également  en  Italie 
et  dans  les  antres  contrées  du  midi  de  l'Europe. 

Mais  dans  le  régne  animal ,  l'espèce  qui  sous  cet  heureux  Phomm* 
climat  se  montre  sous  des  formes  plus  belles ,  et  dans  un  état  d'or- 
ganisation plus  parfait  que  partout  ailleurs ,  est  celle  de  l'homme. 
Il  n'y  a  pas  lieu  de  s'en  étonner,  si  l'on  réfléchit  que  de  la  tem- 
pérature du  climat  dépendent  en  grande  partie  la  conformation 
du  corps  humain  ,  ainsi  que  le  développement  de  ses  facultés  in- 
tellectuelles. M.r  de  Buffon  (1)  observe  que  les  Grecs  de  la  partie 
septentrionale  sont  très-blancs,  et  que  ceux  de  la  partie  méridio- 
nale et  des  îles  ont  le  teint  brun.  Il  paraîtrait  que  dans   des  tems 

(t)  Vol.  XX.  Edit.  Somnni,  pag.  s5i«, 


■4^  Topographie 

très-éloignés  rie  nous,  les  habitans  de  ces  contrées  étaient  d'une 
très-haute  stature  3  et  que  par  une  des  conséquences  de  la  civili- 
sation et  de  la  mollesse  qu'elle  introduisit  peu-à-peu  dans  leur  ^enre 
de  vie  ,  leur  stature  s'est  réduite  insensiblement  à  celle  des  hommes 
les  mieux  conformés.  Les  bustes  et  les  médailles  dés  anciens  nous 
les  représentent  avec  de  grands  yeux  ,  et  des  sourcils  très-élevés. 
On  retrouve  encore  dans  les  Grecs  modernes  la  même  vivacité  de 
physionomie,  avec  l'élégance  des  formes  et  les  belles  proportions 
de  leurs  ancêtres  (i).  «  La  nature,  dit  Winkelmann  (a)',  après 
avoir  passé  par  tous  les  degrés  du  chaud  et  du  froid,  s'est  fixée  dans 
la  Grèce  comme  dans  son  centre  où  régne  une  température  moyen- 
ne,  entre  l'hyver  et  l'été.  Plus  elle  s'approche  de  ce  centre,  plus  elle 
annonce  de  franchise  et  de  sérénité,  et  plus  ses  opérations  se  ma- 
nifestent généralement  par  des  formes  gracieuses  et  spirituelles ,  par 
des  traits  décidés  et  caractéristiques.  Entourée  sans  cesse  d'un  air 
pur  et  serein ,  tel  qu'Euripide  décrit  le  climat  d'Athènes ,  elle 
n'est  point  gênée  dans  son  activité  par  les  brouillards  et  les  vapeurs  ; 
et  portant  plutôt  le  corps  à  sa  maturité  ,  elle  s'élève  avec  force  dans 

des  statures  avantageuses,  surtout  dans  la  taille   des  femmes 

On  ne  doit  point  ajouter  foi  à  ce  que  disent  les  scholiastes  de  la 
longueur  démesurée  des  tètes  ou  des  visages  des  habitans  de  l'Eu- 
bée  (3).  „  Nous  avons  représenté  à  la  planche  7  diverses  têtes , 
d'après  lesquelles  on  pourra  se  former  quelqu'idée  des  traits  carac- 
téristiques de  celles  des  anciens  Grecs.  Le  n.°  a  est  une  tête  d'As- 
pasie  ,  célèbre  courtisanne  de  Milet,  qui  sut  s'élever  au  point  de 
régir  avec  Périclés  les  destins  d'Athènes.  La  fig.  1  est  une  tête 
d'Alcibiade  en  qui  la  nature  réunit  les  plus  rares  talens  avec  les 
plus  belles  formes.  Le  docte  antiquaire  Visconti  est  d'avis  que  cette 

(t)  M.r  Dongîas,  dans  son  essai  sur  les  Grecs  anciens  et  modernes, 
est  d'avis  que  c'est  dans  les  îles  de  l'Archipel  plutôt  que  sur  le  continent, 
que  le  sang  de  cette  nation  paraît  s'être  conservé  dans  sa  plus  gande  pu- 
reté. V.  Bib.  Britan.  Tom.   57  ,  pag.  479. 

(2)  Histoire  de  l'art.  Vol.    1  ,  pag.  317. 

(5)  Ces  observations  doivent  s'entendre  particulièrement  du  climat 
d'Athènes  ,  car  on  trouve  dans  les  Recherches  philosophiques  de  Paw  , 
qu'en  divers  cantons  de  la  Grèce ,  l'hyver  est  très-rigoureux,  et  l'été  brû- 
lant. Vol.I,  part.  \,  pag.  84.  Les  relations  de  cet  écrivain  sont  confir- 
mées à  cet  égard  par  les  voyageurs  modernes.  Ponqueville ,  en  parlant  de 
l'Arcadie  ,  dit  qu'en  hyver  il  y  tombe  beaucoup  de  neige. 


de    la    Grèce.  /^ 

image  n'est  point  celle  du  héros  dans  la  fleur  de  la  jeunesse ,  mais 
déjà  sur  le  déclin  de  l'âge.  Ses  traits  ont  bien  en  effet  quelque 
chose  de  noble  et  môme  encore  des  grâces,  mais  on  y  remarque 
aussi  l'empreinte  des  chagrins  et  du  malheur.  Ces  deux  têtes  sont 
prises  de  l'Iconographie  Grecque  du  même  antiquaire.  La  figure 
sous  le  n.°  3  est  encore  une  tête  d'Alcibiade  dans  sa  jeunesse ,  et 
a  été  dessinée  sur  une  cornaline  du  cabinet  de  Fabius  Ursin  (i). 
Nous  donnerons  en  outre  dans  ce  traité ,  des  dessins  d'autres  monu- 
mens ,  au  moyen  desquels  on  pourra  encore  mieux  juger  du  carac- 
tère de  la  physionomie  des  anciens  Grecs;  et  nous  ferons  con- 
naître celle  des  Grecs  de  nos  jours,  d'après  des  figures  prises  dans 
les   tems  modernes. 

Jusqu'ici  nous  n'avons  fait  que  tracer  une  esquisse  rapide  de  Description 
l'état  physique  de  la  Grèce.  L'ordre  des  matières  exige  maintenant  S6°sraphu'1^ 
que  nous  disions  quelque  chose  de  sa  division  politique  et  géogra- 
phique. Cette  contrée,  comme  nous  l'avons  déjà  observé,  est  entre- 
coupée de  montagnes  et  de  rivières  qui  la  partagent  en  cantons 
distincts  et  séparés  les  uns  des  autres.  Nous  allons  donc  examiner 
sa  géographie  sous  trois  aspects  qui  sont  ;  la  géographie  des  tems 
héroïques ,  ou  la  géographie  d'Homère  ;  la  géographie  des  tems  his- 
toriques ;  et  la  géographie  des  colonies. 

La  géographie  d'Homère  se  trouve  dans  la  seconde  partie  du  Géographie 
second  livre  de  l'Iliade,  où  le  poète  passe  en  revue  les  différens  d^ontére- 
peuples  qui  prirent  les  armes  contre  Troie.  Il  n'y  est  point  parlé 
des  Macédoniens  ni  des  Epirotes  ;  et  les  seuls  peuples  dont  il  fait 
mention  sont  ceux,  de  Y  Etoile,  de  la  Phocide ,  de  la  Béotle  ,  de 
la  Locride  ,  de  l'Argolide,  de  la  Laconie ,  de  la  Messénie,de  YAr- 
cadie  ,  de  la  Thessalie,  des  grandes  îles  de  Samos  et  de  Cépha- 
lonie,  de  VEubée ,  de  la  Crète,  de  Rhodes  ,  et  des  petites  îles  qui 
sont  disséminées  tant  dans  la  Mer  Egée  ou  l'Archipel ,  que  dans  la 
mer  Ionienne  à  l'occident  du  Péloponnèse.  Il  ne  parle  point  de 
VAttique,  mais  seulement  d'Athènes,  peut-être  parce  que  les  diver- 
ses tribus  que  comprenait  ce  canton  avaient  été  réunies  ensemble 
par  Thésée,  et  ne  formaient,  comme  l'observe  également  M.r  Cou- 
sin qu'une  seule  peuplade.  Les  épithétes  dont  se  sert  ce  poète  cé- 
lèbre pour  caractériser  chaque  j)ays  et  chaque  ville  ,  donnent  une 

(i)  Imag.  ex  Bibl.  F.   Ifrsini ,  n°.  4. 


4$  Topographie 

juste  idée  de  leur  situation ,  de  la  qualité  de  leur  sol ,  et  de  leurs 
richesses  (i). 
Géographie  Après  la  géographie  d'Homère  il  en  vient  trois  autres  qui  ap- 

hhtorùjues.  partiennent  aux  tems  historiques  ou  certains  ,  savoir  ;  celle  de  Stra- 
bon ,  de  Pausanias  ,  et  de  Ptolémée.  Notre  plan  ne  nous  permettant 
pas  d'entrer  dans  le  détail  des  notions  contenues  dans  ces  différens 
ouvrages ,  nous  nous  bornerons ,  à  l'exemple  de  Chantreau,  à  présenter 
dans  le  tableau  suivant,  l'ancienne  géographie  des  Grecs  comparée 
avec  la  moderne  ,  d'après  les  descriptions  que  nous  en  ont  laissées 
ces  anciens  géographes  (a).  Nous  avons  cru  à  propos  de  joindre  à 
ce  tableau  une  carte  topographique  de  l'ancienne  Grèce,  prise  de 
l'Atlas  de  Lesage. 


(i)  «  Le  dénombrement  des  deux  armées  qu'on  lit  dans  le  second  livre 
de  l'Iliade  présente  la  première  carte  géographique  de  la  Grèce  et  de  la 
côte  d'Asie  ,  tracée  avec  une  précision  admirable.  L'ouvrage  de  Strabon 
n'est  en  partie  qu'un  commentaire  et  une  apologie  de  cette  carte:  et  Wood 
qui  a  traversé  l'Archipel  avec  un  Homère  et  un  Strabon  à  la  main  ,  ne 
cesse  d'exalter  l'exactitude  du  poète  dans  ses  descriptions  topographiques.  » 
Cesarotti  Raison.  Histor.  critique  sur  les  œuvres  d'Homère  I.rc  part.  3  l'IL.e  sec 

(r?)  Science  de  l'Histoire  Vol.  II.  pag.  564. 


de    la    Grèce. 
TABLEAU 

DE  LA   GÉOGRAPHIE   COMPAREE   DE   LA   GRECE. 


49 


Division  ancienne. 


Noms  modernes  peuples 

des  Pays.  qui  les 

habitaient. 


Epirus ,  1'  Epire Basse  Albanie  ....    Molosses .  . 


Thessalia 3  la  Thessalie.  Sangiakato  di  Larissa. 


•  'Acarnania ,  Acarnanie  , 
JEtolia ,  l'Etolie    .  .  .   . 

Locris ,  la  Locride   .  .  . 

Doris }  la  Doride  .   .  .  . 


Livadie 
idem    . 


idem Locriens . 

idem 


Phocis  ,  la  Phocide .   .  .  idem Plwcéens 


Boeotia  >  la  Béotie    .  .  .  idem   .........  Béotiens. 


Megaris ,  la  Mégaride 
Attica  ,  l'Attique  .  .  . 


idem 

idem Athéniens. 


Corinthia , 
la  Corinthie 


Noms  anciens        Noms  modernes 
des    principales    villes. 

{  Amhracia  ....  Larta. 
[Nicopolis Prevesa-Vecchia. 

Cynos-Cephalae.  (  ruinée  ) 

Pliarsalus  ....  Farsa. 

E,arissa Larissc. 

Magne  si  a  .  .   .   .  La  mie. 

Pherae Ienizara 

sans  villes  d'importance. 

Calydon Ai  ton. 

f  Amphissa  ....  Salone. 
\  Naupactus  ....   Lépante. 

elle  avait  quatre  petites  villes  de  peu. 
d'importance. 

De//?//*' (Delphes)  Gastri. 
(  Thebae (Thébes)  Striva. 
|  Cheronaea  .   .   .  .  (  ruinée  ) 

<  lueuctra idem. 

i  Platea idem. 

[  Aulis idem. 

Megare. Mégare. 

fAtlienae Athènes. 
Marathon  ....  Marazona 
Eleusis  ......  Lepsine. 


Achaja  , 
l'Achaïe    -l 
divisée  en 


Sicyonia  , 
la  Sicyonie. 

Achaja 
propria  , 
l'Achaïe 
propre  .  .  . 


Corinthus    .   . 
Cenchraea  .  . 


Corinthe. 

Port  de  Corinthe. 


partie  du  Duché 

de  Clarence Achéens 


Sycion Basilique. 


autre  partie 

du  Duché  f  Patrae  . 

de  Glarence \  Dymae . 

[  Egiu  m  , 


Mycenae.  .  . 
Epidaurus  .  . 
Hermione  .  . 
Nauplia  .  .  .  , 

Tzaconie Lacedëmoniens,  j  Sparta  .... 

opartiates  .  .     \  Epidauria   .   . 

ÎMessenia.   .  . 
Pylus  Messen 
nacus    .  .  . 

autre  partie  f  Elis 

du  Belvédère <   Olympia  .  .  . 

[  Iiisa 

Megalopolis  . 
Mantinea  .  . 


Argolis  }  l'Argolide  ...  Sacanie Argiens . 


Laconia  3  la  Laconie  . 

Messene  ,  la  Messénie. 
Elis,  l'Elide 


Arcadia ,  TArcadie Arcadiens.  .    ! 


Patras. 

Clarence. 

Vostiza. 

Argos. 

Charia. 

Cherronesi. 

(  ruinée  ) 

Napoli  de  Romanie 

Misitra. 

Malvasia. 

Mosseniga. 

Navarino. 

Belvédère. 

Langanizo. 

(  ruinée  ) 
,  Leontari. 
,  Goriza. 


Tels  étaient  les  pays  de  l'ancienne  Grèce  sur  le  continent.  Il  faut  maintenant  y  ajouter  les  îles  nom- 
breuses répandues  dans  ses  mers,  et  dont  les  principales  sont;  Lesbos  ,  à  présent  Métélin;  Chio  ;  Samos  ; 
^oos ,  actuellement  Stanchio  ;  Pathmos ,  appelée  encore  Patino  ;  YEubée  aujourd'hui  le  Négiepont; 
Rhodes  -,  Chypre  ;  Corcyre  maintenant  Corîou ,  ainsi  que  plusieurs  autres  dont  on  peut  voir  les  noms 
ûans  la  carte  géographique  sous  le  n.°  6. 

Europe.  Vol.  /,  q 


Colonies 
Grecques, 


Colonie 
de  Doriens. 


Colonie 
des  Eolieus. 


Colonie 
des  Auidens. 


5o  Topographie 

Mais,  soit  par  un  effet  de  leur  penchant  à  la  nouveauté  et 
au  changement  ,  soit  par  suite  de  l'accroissement  excessif  de  leur 
population  ou  de  leurs  guerres  intestines ,  soit  enfin  qu'ils  fussent 
pressés  par  le  besoin  d'aller  chercher  ailleurs  des  moyens  de  sub- 
sister, comme  il  était  déjà  arrivé  à  d'autres  peuples,  les  Grecs 
envoyèrent  des  colonies ,  non  seulement  dans  les  îles  voisines ,  mais 
même  jusques  sur  les  côtes  de  l'Italie,  des  Gaules,  de  l'Asie  et  de 
l'Afrique.  On  raconte  qu'avant  la  guerre  de  Troie ,  Iolas  neveu 
d' Hercule ,  avait  amené  de  Thébes,  ville  de  Béotie  ,  en  Sardaigne  une 
colonie  Grecque  ,  qui  y  fut  assaillie  et  presqn'entièrement  détruite 
par  les  Phéniciens  et  les  Carthaginois  (i).  Vers  la  fin  de  la  guerre 
de  Troie,  quelques  Athéniens  vinrent  bâtir  la  ville  d'£7ée  dans 
l'Asie  mineure  ,  presqu'en  face  de  File  de  Lesbos.  Cette  ville  de- 
vint dans  la  suite  un  port  fameux  ,  et  l'arsenal  de  la  grande  ville 
de  Pergame.  Les  Doriens  qui  habitaient  entre  le  Parnasse  et  la 
Thessalie  ,  réduits  à  l'impossibilité  de  pourvoir  aux  besoins  de  leur 
nombreuse  population  .  expédièrent  une  colonie  composée  d'une 
jeunesse  choisie,  qui  alla  s'établir,  partie  dans  File  de  Rhodes, 
et  partie  sur  le  continent  voisin.  Cette  colonie  ,  à  laquelle  se  réu- 
nirent ensuite  des  Cariens  venus  de  Crète,  jetta  les  fondemens  des 
villes  de  Gnide  et  d'Halicarnasse. 

Mais  de  toutes  les  émigrations  des  Grecs  depuis  la  guerre  de 
Troie  ,  la  plus  fameuse  est  celle  des  Eoliens  qui  ,  partis  de  la 
Laconie  sous  la  conduite  de  Pentlle  fils  d'Oreste  ,  se  rendirent  maî- 
tres de  l'île  de  Lesbos  aujourd'hui  Mètèlin  ,  et  y  bâtirent  la  célè- 
bre ville  de  Milylène.  Guidés  par  les  fils  de  Pentile ,  les  Eoliens 
firent  de  nouvelles  entreprises,  et  ils  construisirent  sur  le  conti- 
nent 3  entre  la  Mysie  et  la  Phrygie,  la  ville  de  Cumes  ainsi  que 
plusieurs  autres,  qui,  avec  l'île  de  Lesbos,  formèrent  ce  qu'on  ap- 
pela depuis  YEolie.  Après  la  mort  de  Codrus  dernier  Roi  d'Athè- 
nes,  environ  uSa  ans  avant  l'ère  vulgaire  3  sou  fils  Nélée  quitta 
Y  Attique  avec  une  forte  colonie  ,  et  vint  se  fixer  sur  la  côte  mari- 
time d'une  partie  de  la  Lydie.  C'est  à  cette  colonie  qu'est  due  la 
fondation  de  plusieurs  villes  considérables,  telles  que,  Phocée , 
Smyrne  ,  Colophon  ,  Ephcse  et  Milet.  De  tons  ces  divers  établisse- 
mens  réunis ,  il  se  forma  peu-à-peu  une  nouvelle  Grèce ,  qui  prit  le 
nom  de  Grèce  Asiatique,  et  dont  voici  le  tableau. 


(i)  Pluche  Concorde  de  la  Géographie. 


de    la    Grèce.  5i 

TABLEAU 

DE   LA   GÉOGRAPHIE   COMPAREE   DE   LA   GRECE   ASIATIQUE, 

Noms  anciens.    Observations.         Noms  modernes.  Noms 

anciens  modernes 

des  principales  villes. 


Fesait  partie  de  la 
Mœsie.  Elle  fut 
appelée  Eolie,  du 
nom  des  Eoliens 
qui,  après  la  guer- 
Eolia,  l'Eolide.  re  de  Troie ,  vin- 
rent du  Pélopon- 
nèse s'établir  dans 
l'Asie  mineure. 
L'île  de  Lesbos 
en  fesait  partie. 


Ainsi  appelée  de 
lone,  lequel  après 
avoir  établi les/o- 
niens  dans  YAt- 
tlque ,  vint  avec 
une  petite  colonie 
en  Asie.  Nélée  y 
transporta  depuis 
une  autre  colonie 
plus  nombreuse 
que  la  précéden- 
te. 


Ulonie. 


La   Carie. 


Se  divisait  en  Ca- 
rie proprement 
dite  ,  et  en  Do- 
ride  ,  ainsi  appe- 
lée des  Doriens 
qui  vinrent  s'y 
établir.  Elle  prit 
encore  le  nom  de 
Pentapole,  de  ses 
cinq  villes  prin- 
cipales, dont  trois 
étaient  dans  File 
de  Rhodes  qui  en 
fesait  partie. 


DéPf d  ,  Eloea.  . 

auiourd  nui  du  n 

Gouvernement  n; 

de  Kutaieh. 


Appartient  au 

Gouvernement 

de  Kutaieh , 

Sangiagato 

d'Aidinlli. 


Appartient 

aux  Sangiakats 

à'Aidinlli  f 

et  de 
Mentechek. 


Smyrna  .  : 
Clazomenae 
Theos.  .  .  . 
Colophon.  . 
Phocoea  .  . 
Ephesus   .  . 


Haîicarnassus. 
Mile  tus.  .  .  . 
Gnidus  .... 
Myndus  .  ,  , 


Castro. 
Fokia. 


Smyrne^oulsmir, 

Vourla. 

Seagi. 

Alto-Bosco. 

Fokia-Vecchia. 

Aïa-Salouk. 


BodrouiiiQ, 
Milet. 
Gnido. 
Sari-Pietro. 


Colonies 
Grecques 
en  Sic  iie. 


Colonies 
Grecques 
eu  Italie. 


5a  Topographie 

Dès  les  tems  les  plus  reculés  3  des  colonies  Grecques  étaient 
venues  s'établir  dans  la  Sicile.  Les  plus  célèbres  sont  celles  qui 
jettèrent  les  fondemens  de  Messine  et  de  Syracuse.  Messine  s'ap- 
pelait auparavant  Zanclé ,  nom  sicilien  qu'elle  avait  emprunté,  selon 
Thucydide  ,  de  la  forme  de  son  port  qui  ressemblait  à  une  faulx. 
Chassés  du  Péloponnèse  par  les  Spartiates  s  les  Messénierts  ,  aidés 
d' Auassila ,  Messénien  lui  même  et  tyran  de  Reggio,  débarquèrent 
en  Sicile  ,  et  s'emparèrent  de  Zanclé  ,  qui  prit  depuis  lors  le  nom 
de  Messana.  Cette  événement  date  d'environ  94  ans  après  la  fon- 
dation de  Rome.  Néanmoins  la  plus  considérable  de  toutes  les  co- 
lonies Grecques  qui  passèrent  dans  cette  ile  ,  fut  celle  qu'y  con- 
duisit Arcade  Corinthien  ,  quelques  années  après  la  fondation  de 
Rome  ,  et  environ  sept  siècles  et  demi  avant  l'ère  vulgaire.  Arcade 
ayant  débusqué  les  Siciliens  de  la  petite  ile  à'Ortygie  ,  fit  cons- 
truire quelques  ouvrages  autour  du  lac  de  Syracus  pour  en  former 
un  port  :  ce  qui  fit  donner  le  nom  de  Syracuse  à  la  petite  ville 
que  renfermait  cette  île.  Autour  de  cette  ville,  Arcade  en  fit  en- 
core bâtir  quatre  autres  petites ,  qui  ayant  été  entourées  dans  la 
suite  d'une  même  muraille,  prirent  ensemble  le  nom  de  Syracuse. 

Avant  l'établissement  de  ces  colonies  en  Sicile ,  d'autres  s'é- 
taient déjà  fixées  dans  le  midi  de  l'Italie.  Plusieurs  des  héros  Grecs 
n'ayant  pu  rentrer  dans  leurs  domaines  à  leur  retour  de  la  guerre 
de  Troie  ,  prirent  le  parti  d'aller  se  chercher  une  autre  patrie  , 
et  se  dispersèrent  principalement  dans  l'Italie  méridionale,  dont 
le  climat  est  à  peu-près  le  même  que  celui  de  la  Grèce.  Le  ter- 
ritoire qu'ils  occupèrent  comprenait  tous  les  pays  situés  entre  celui 
des  Salentins  (maintenant  la  terre  d'Otrante),  et  le  détroit',  et 
on  l'appela  la  Grande  Grèce  ,  parce  qu'au  rapport  de  Pline  (1),  il 
parut  aux  Grecs  qui  s'y  étaient  réfugiés  d'avoir  trouvé  un  pays  plu* 
vaste  ,  plus  beau  et  plus  heureux  que  celui  qu'ils  avaient  quitté. 
Diomtâe  et  Tdoménée  furent  les  principaux  fondateurs  de  ces  co- 
lonies. Le  premier  ayant  trouvé  ses  états  dans  le  plus  grand  dé- 
sordre à  son  retour  du  siège  de  Troie ,  quitta  Argos  }  et  vint  avec 
Philoctecte  et  quelques  autres  chefs  s'établir  à  la  pointe  de  l'Italie. 
Effrayé  du  soulèvement  qu'il  avait  excité  parmi  ses  peuples ,  en 
sacrifiant  impitoyablement  son  propre  fils  à  Neptune,  Jdomenée 
Roi  de  Crète  se  réfugia  ,  avec  un  bon  nombre  de  sujets  qui  lui 
étaient  restés  fidèles,  sur  la  côte  orientale  de  cette  péninsule,  à 
peu  de  distance  du  golphe  de  Tarente.  Voici  également  le  Ta- 
bleau comparé  de  la  Grande  Grèce. 


(1)  Lib.  III.  c.  5.  et  10. 


DE      LA 


Gré 


ece. 


53 


Division 
ancienne. 


TABLEAU    COMPARÉ 

DE      LA      GRANDE      GRECE. 

Peuples 
Noms  modernes.  qui  l'habi- 


ANCIENS  MODERNES 

DES    VILLES    PRINCIPALES. 


Apulia.  La  Gapitanate. 

On  croit  que  c'est  là 
que  Dioméde  établît 
sa  colonie ,  et  fonda 
la  ville  de  Venusia , 
dont  le  premier  nom 
fut  viphrodisia  ,  ou  la 
Ville  de  Venus.  Frè- 
re t  fait  descendre  les 
Apuliens  des  Libur- 
niens  ,  peuples  qui 
étaient  passés  de  l'il- 
lyrie  en  Italie  environ 
seize  siècles  avant  l'ère 
vulgaire. 


Brubium.       La  Terr 


{Lucania. 
Calabria. 


re| 


Venusia .  . 

Dauniens.       Cannae  .  . 
Messapiens.   Tarentum . 


Venosa. 

Cannes. 
Tarente. 


de  Bari  .   . 
d'Otrante. 

Fréret  prétend  que  le 
nom  de  Brutium  dé- 
rive des  mots  celti- 
ques ber,  bret ,  arbre , 
forêt  ,  parce  que  ce 
pays  était  ancienne- 
ment couvert  de  forets. 

Les  deux  Galabres. 

Le  Lucaniens  étaient 
Samnices  d'origine,  et 
on  croit  que  leur  nom 
dérive  de  Lucanus  , 
ou  de  Lucius  leur  an- 
cien fondateur  ,  ou 
bien  encore  du  mot 
Luc  ou  Lu  g ,  qui,  en 
langue  samnite  ,  veut 
dire  eau  ,  parce  que 
leur  nouveau  pays  é- 
tait  arrosé  d'eaux  de 
toutes  parts.  La  Cala- 
bre  fut  peut-être  ainsi 
appelée,  du  mot  orien- 
tal calab ,  qui  signifie 
poix  ,  parce  que  cette 
contrée  produit  une 
quantité  de  pins  dont 
on  tire  la  Résine. 


Brutiens.         Croton. 


Locri.  . 
Regium 


Crotone. 

Mota  di  Burzano. 
Reggio. 


Lucaniens. 

Salentins. 
Calabrais. 


Elea Castello  a  mare. 

Sybaris    .  .   .    f  _  , 
Thurium,     j  détruites. 

bâtie  sur 

les  ruines 
de  Sybaris 
Rudiae.  .  . 


Brundusium. 


(  Villes  détruites.  ) 
Brindes. 


Colonies 
anns  les  Gaules 


^4  Topographie 

Mais  plusieurs  siècles  avant  l'ère  vulgaire,  il  y  avait  déjà  des 

et  aiikurs.  Grecs  établis  dans  les  Gaules,  en  Chypre  et  en  Afrique.  Quelques 
marchands  Phocéens,  cinq  cents  ans  avant  la  naissance  du  Christ 
vinrent  de  L'Ionie  jusques  aux  bouches  du  Rhône,  et  bâtirent  la 
ville  de  Marseille.  Environ  à  la  même  époque,  la  Lyhie,  province 
d'Afrique,  voyait  déjà  fleurir  la  belle  colonie  de  Cyréne,  capitale 
de  la  Cyrénaïque.  Teucer ,  chassé  par  son  père  de  Salamine,  ville  et 
lie  tout  près  à' Athènes ,  vint  s'établir  en  Chypre  f  où  il  fonda  une 
nouvelle  Salamine  ,  avec  d'autres  villes  s  telles  qu' Amathonte  ,  Pa- 
phos  et  Tdalion,  qui  devinrent  célèbres  dans  la  suite,  par  le  culte 
qu'on  y  rendait  à  Venus  (1). 

Macédoine;  Aucune  province  cependant  n'avait  encore  été  réunie  à  la  Grèce 

9à'ia  Grée*  proprement  dite,  jusqu'au  tems  de  Philippe  II  le  Macédonien.  En- 
voyé ,  quoique  fort  jeune  encore ,  par  son  père  Amyntas  en  otage 
à  Thébes ,  il  y  étudia  les  mœurs  Grecques ,  et  conçut  dès  lors  le 
projet  d'asservir  la  Grèce  entière.  A  peine  monté  sur  le  trône  de 
Macédoine.,  toutes  ses  pensées  se  tournèrent  vers  cette  entreprise; 
et  en  effet,  après  une  guerre  sanglante  et  des  événemens  divers, 
il  parvint,  par  la  victoire  qu'il  remporta  à  Chéronée  vers  l'an  338 
avant  l'ère  vulgaire ,  à  se  rendre  l'arbitre  de  toute  la  Grèce  :  de- 
puis cette  époque,  les  Macédoniens  ne  furent  plus  regardés  par 
les  Grecs  comme  un  peuple  barbare,  et  leur  pays  fit  partie  inté- 
grante de  l'empire  Grec.  La  conquête  de  Philippe,  ou  la  réunion 
de  la  Macédoine  à  la  Grèce ,  fut  consolidée  ensuite  par  la    valeur 


(1)  Il  n'est  nullement  hors  de  probabilité  que  le6  Grecs  ayent  poussé 
leurs  colonies  jusques  dans  le  Nord.  Voici  ce  que  rapporte  à  ce  sujet  le 
docte  Lanzi  dans  son  Mémoire  sur  les  vases  antiques ,  pag.  42.  «  J'en 
donne  pour  preuve  une  lettre  écrite  par  M.r  Luaff  Chevalier  Moscovite  à 
M.r  Jacques  Byres  Anglais,  qui,  il  y  a  peut-être  20  ans,  m'en  commu- 
niqua à  Rome  un  fragment  de  la  teneur  suivante  :  On  a  trouvé  aux  en- 
virons de  Coliran  dans  une  grotte  artificielle  une  inscription  en  carac- 
tères inconnus  aux  Chinois ,  aux  Tartares  et  aux  Japonais  ,  et  qu'on  na 
vu  déchifrer.  Un  peu  plus  loin  dans  la  grotte  ,  qui  est  une  galerie  de  200 
toises  j  on  a  découvert  deux  vases  dont  l'un  était  d'argent,  d'une  forme 
parfaitement  grecque  ,  avec  des  bas-reliefs  d'un  beau  travail ,  et  Vautre 
était  étrusque  ;  qu'est  ce  que  cela  signifie  au  fond  de  la  Sibérie  ?  Je 
ne  suis  point  éloigné  de  croire  qu'il  n'y  ait  eu  jadis  par  là  quelque  co- 
lonie Grecque,  comme  il  y  en  eut  à  Tomes,  dont  le  dialecte  conservait 
encore  du  tems  d'Ovide  quelques  restes  d'hellénisme,  » 


de  la   Gr 


de    la    Grec  e.  55 

et  les  exploits  do  son  fils  Alexandre.  Ce  dernier  s'étant  fait  nom- 
mer généralissime  des  troupes,  dans  une  assemblée  des  villes  G ree- 
crues  qu'il  avait  convoquée  à  Corinthe  ,  il  prit  avec  lui  l'élite  de  l'ar- 
mée ,  et  secondé  par  une  fortune  constamment  heureuse  ,  il  porta  ses 
armes  victorieuses  en  Asie  et  en  Afrique;  s'empara  de  la  Syrie,  de 
la  Perse,  de  la  Médie  et  de  l'Egypte;  et  fonda  dans  les  pays 
qu'il  avait  conquis,  des  colonies  et  des  villes  auxquelles  il  donna 
les  coutumes  et  les  lois  de  la  Grèce.  Après  sa  mort,  qui  arriva  à 
Babylone,  ses  Généraux  se  partagèrent  ses  conquêtes,  et  avec  eux 
commencèrent  les  nouvelles  dynasties  des  Antiochiens ,  des  Séleuci- 
des  3  des  Ptolérhées ,  et  autres  Princes,  tant  en  Perse  ,  qu'en  Svrie 
et  en  Egypte.  Depuis  lors,  le  costume  des  principales  villes  de  Concrètes 
l'Afrique  et  de  l'Asie  fut  presqu'entièrement  Grec.  Ainsi  tout  ce  *Akxa"d:e- 
que  nous  dirons  par  la  suite  de  celui  de  la  Grèce  proprement  dite, 
devra  s'entendre  aussi,  non  seulement  des  colonies  Grecques,  mais 
encore  des  divers  contrées  de  l'Asie  et  de  l'Afrique  qui  furent 
subjugées  par  Alexandre. 

Il  nous  reste  maintenant  à  dire  quelque  chose  de  la  population  population 
de  la  Grèce  tant  ancienne  que  moderne.  Quant  à  la  première,  les 
auteurs  même  les  plus  renommés  présentent  d'étranges  contradic- 
tions. Quelques-uns  d'entre  eux  donnent  cà  la  Grèce  une  popula- 
tion en  quelque  sorte  innombrable;  d'autres  la  réduisent  au  point 
que  leurs  calculs  sont  démentis  par  les  faits  seuls.  Cette  question 
difficile  ne  pourrait  donc  être  décidée  que  d'après  l'autorité  des 
monumens;  car  si  le  témoignage  des  écrivains  nous  parait  quelque- 
fois justement  suspect ,  il  n'en  est  pas  ainsi  des  monumens ,  dont 
la  vérité  parle  aux  yeux.  Les  Pyramides  de  l'Egypte  attestent 
d'une  manière  évidente  l'immense  population  de  ce  pays  dans  des 
tems  reculés.  Le  Colysée  ,  où  cent  mille  hommes  pouvaient  as- 
sister aux  spectacles  à  Rome,  nous  donne  une  idée  bien  plus  posi- 
tive de  l'étonnante  population  de  cette  ville,  que  toutes  les  relations 
qui  traitent  de  la  puissance  Romaine.  Mais  on  ne  rencontre  point 
dans  la  Grèce  de  ces  monumens  gigantesques ,  et  il  ne  parait  pas 
que  les  villes,  même  les  plus  considérables  et  les  plus  florissantes, 
y  fussent  d'une  étendue  à  contenir  un  nombre  d'habitans  aussi  pro- 
digieux. Athènes  était  sans  contredit  la  ville  la  plus  grande  de 
toute  la  Grèce,  et  n'avait  de  rivale  que  Sparte,  du  tems  de  Thu- 
cydide. Mais  qui  est  ce  qui  voudra  ajouter  foi  au  rapport  d'Athé- 
née qui  assure ,  que   la  première  de   ces  deux  villes  comptait  dans 


56  Topographie 

ses  murs  vingt  un  mille  cytoyens  (i),  dix  mille  étrangers,  et  qua- 
tre cent  mille  esclaves?  Jamais  les  productions  du  sol  de  TAt- 
tique,  déjà  peu  fertile  par  lui  même,  ni  les  approvisionnemens 
que  le  commerce  maritime  pouvait  tirer  du  dehors,  n'auraient  pu 
suffire  aux  besoins  d'une  pareille  population  3  surtout  à  l'époque  où 
Athènes  était  le  siège  de  la  délicatesse  ,  du  luxe  et  de  la  magni- 
ficence. Aussi  a-t-on  lieu  de  présumer  qu'Athénée  a  mis  par  erreur 
un  chiffre  de  trop,  au  moins  dans  le  nombre  qui  représente  cette 
multitude  d'esclaves.  Pausanias,,  en  parlant  de  la  loi  Achéenne 
qui  concernait  tout  le  Péloponnèse  ,  dit  que  tous  les  Achéens  en 
état  de  porter  les  armes  ,  y  compris  même  un  grand  nombre  d'es- 
claves qui  avaient  obtenu  la  liberté,  ne  formaient  pas  plus  de  quinze 
mille  hommes.  Diodore  de  Sicile  assure  que  tous  les  Etoliens  pro- 
pres au  service  militaire,  du  tems  d'Antipater,  ne  fesaient  que  dix 
mille  combattans.  Or  on  peut  poser  en  fait,  d'après  ces  données ,  que 
l'ancienne  Grèce  proprement  dite,  contenait,  dans  son  plus  grand 
lustre,  neuf  cent  vingt  mille  habitans  libres,  et  quatre  cent  soi- 
xante mille  esclaves  ;  et  que  par  conséquent  toute  sa  population 
pouvait  s'élever  à  environ  un  million  et  trois  cent  quatre  vingt  mille 
habitans  ,  nombre  qui  n'excède  guères  celle  de  la  Grèce  moder- 
ne (a),  d'après  ce  qu'en  ont  écrit  les  voyageurs,  et  comme  nous 
le  verrons  en  son  lieu. 

Dans  cette  description  topographique  de  la  Grèce,  nous  n'avons 
remarqué  que  les  choses  les  plus  importantes  ,  notre  but  n'étant  pas 
d'entrer  dans  un  examen  plus  détaillé  de  tout  ce  qui  concerne 
l'histoire  naturelle,  la  statistique,  et  enfin  la  géographie  de  cette 
contrée.  Nous  avons  cependant  indiqué  les  sources  ou  nous  avons 
puisé,  pour  l'utilité  de  ceux  de  nos  lecteurs  qui  voudraient  acqué- 
rir des  connaissances  plus  étendues  sur  ces  différentes  matières  ,  et 

(i)  Par  citoyens  on  doit  entendre,  selon  le  témoignage  des  plus 
doctes  écrivains ,  les  hommes  libres ,  et  propres  à  porter  les  armes. 

(2)  Quant  à  l'acienne  population  de  la  Grèce  ,  on  peut  lire  le  Dis- 
cours de  David  Hume  sur  la  population  des  nations  anciennes.  L'auteur 
y  traite  la  question  avec  beaucoup  d'érudition  ,  et  avec  la  plus  fine  cri- 
tique. On  peut  lire  encore  l'Essai  de  F.  S.  Nortli  Dongias  ,  au  sujet  de 
quelques  points  de  ressemblance  entre  les  Grecs  anciens  et  modernes 
(Londres,  i8i3  in  8.°).  Ce  serait  trop  nous  écarter  de  notre  objet,  que 
de  nous  arrêter  plus  long  tems  sur  cette  question.  Nous  aurons  néanmoins 
occasion  d'en  parler  ailleurs. 


de    la    Grèce.  5? 

nous  nous  réservons  de  leur  donner  d'autres  renseignemens  à  ce 
sujet.,  surtout  lorsque  nous  aurons  à  parler  de  l'agriculture.  En  at- 
tendant, nous  avons  cru  de  faire  une  chose  qui  leur  serait  agréable, 
que  de  leur  présenter ^  à  la  planche  9,  une  vue  d'Athènes,  telle 
qu'elle  se  montre  aujourd'hui  aux  voyageurs  (1).  On  jugera  aisé- 
ment ,  d'après  cette  vue  ,  de  l'état  ou  se  trouve  actuellement  ,  non 
seulement  cette  ville  jadis  si  célèbre  ,  mais  encore  la  Grèce  en- 
tière ;  et  les  artistes  y  trouveront  un  modèle  à  suivre  ,  dans  toutes 
les  imitations  qu'ils  auraient  à  faire,  d'un  sol  et  d'un  horison  sem- 
blables à  ceux  de  la  Grèce.  On  voit  sur  un  rocher  la  citadelle 
anciennement  appelée  par  les  habitans  Acropolis ,  qui  veut  dire 
ville  haute,  et  était  ainsi  distinguée  d'Athènes,  ou  de  la  ville 
basse:  on  la  regardait  comme  le  lieu  le  plus  sacré  de  la  ville , 
et  elle  renfermait  les  plus  beaux  temples,  ainsi  que  le  trésor  et 
les  archives  de  l'Etat.  Elle  sert  encore  à  présent  de  forteresse; 
mais  elle  ne  conserve  presque  plus  rien  de  son  état  primitif,  ni  de 
son  ancienne  magnificence.  Les  murs ,  ainsi  que  les  édifices  ,  en  sont 
construits,  en  plusieurs  endroits,  avec  des  fragmens  de  colonnes ,  de 
corniches  et  autres  morceaux  de  sculpture  ,  dont  le  bizarre  assem- 
blage offre  l'image  déplorable  de  la  barbarie  et  de  la  destruction. 
Vers  le"  milieu  s'élève  le  Parthénon ,  ou  temple  de  Minerve  :  entre 
une  tour  moderne  qui  sert  aujourd'hui  de  prison  ,  et  un  bâtiment 
carré  qui  est  un  magazin  militaire,  on  retrouve  des  restes  des  cé- 
lèbres Propylées  ,  ou  des  portes  d'Acropoîis ,  qui  étaient  des  arcs 
magnifiques  consacrés  à  Mercure.  A  quelque  distance  de  la  cita- 
delle, du  côté  de  l'occident,  est  le  mont  Anchesme 3  au  haut  duquel 
est  bâtie  une  petite  église  dédiée  à  Saint  Georges,  sur  les  ruines 
même  du  temple  de  Jupiter  Anchesmien  :  au  pied  du  mont,  et  près 
du  mur  de  circonvallation  on  apperçoit  un  tombeau  Turc  :  à  l'orient, 
et  sur  le  même  plan  qu5 Acropolis,  mais  hors  des  murs,  on  découvre 
une  colonne  qui  était  surmontée  anciennement  d'un  grand  trépied  : 
plus  bas  en  gagnant  la  plaine  ,  on  voit  les  ruines  du  théâtre  de 
Bacchus.  Les  colonnes  d'ordre  corinthien  qui  paraissent  dans  la  cam- 
pagne sont  des  restes  gigantesques  du  temple  de  Jupiter  Olympien  ; 
derrière  s'élève  l'arc  d'Adrien;  entre  cet  arc  et  la  colline  se  trouve 
l'Athènes  moderne  ,  et  on  découvre  au  fond  une  partie  du  mont 
ffymète. 

(1)  V.  Stuart.  Antiq.  of 'Athènes.  Vol.  II. 

JEwope.  Vol.  I.  g 


COSTUME    DE    LA    GRÈCE 

TEMS     MYTHOLOGIQUES     OU     FABULEUX. 


Ancien  .Il  n'est  personne  qui  ne  sache  aujourd'hui ,  que  les  peuples  de 

coutume  x  L  1  i  •  • 

propre  de  tous  tous  les  pays  ont  eu  plus  ou  moins ,  dans  le  principe,  un  costume  qui 
leur  a  été  commun ,  et  dont  la  nature  et  le  besoin  leur  ont  donné 
les  premières  leçons.  Des  herbes,  des  racines  et  des  fruits  formaient 
leur  unique  nourriture  ;  ils  cherchaient  dans  des  grottes ,  dans  des 
cavernes ,  dans  des  troncs  d'arbres ,  un  abri  contre  l'intempérie  des 
saisons  3  et  un  asile  contre  la  fureur  des  bêtes  féroces;  le  soupçon, 
la  vengeance  et  la  crainte  étaient  les  principaux  mobiles  de  leurs 
actions.  Ainsi  l'histoire  des  commencemens  d'une  nation,  est,,  pour 
ceux  qui  ne  recherchent  ni  les  dates,  ni  les  noms,  celle  de  toutes 
les  autres  à  leur  berceau  (i).  On  peut  donc  se  figurer,  que  le  cos- 
tume des  premiers  habitans  de  la  Grèce  ,  aura  été  à  peu  près  le 
môme,  que  celui  des  peuples  les  plus  sauvages  de  l'Afrique  et  de 
l'Amérique.  Malgré  les  soins  continuels  qu'exigeait  leur  conserva- 
tion ,  et  le  besoin  où  ils  étaient  de  lutter  sans  cesse  contre  une  na- 
ture ingrate  et  barbare  ,  ils  auront  néanmoins  conservé  comme  ces 
derniers  quelques  idées  confuses  de  religion ,  qu'ils  auront  reçues 
idées  par  tradition  de  leurs  premiers  pères.  Les  Pélasges,  qui  étaient  les 
A''auiï}efs    plus  anciens    peuples  de  la  Grèce  ,  avaient ,    au  dire   d'Hérodote  , 

de  leursDœux.  ^  notions  de  quelques  divinités  ;  mais  ils  ne  savaient  pas  encore 
les  distinguer  par  des  noms  propres.  Leurs  connaissances  à  cet  égard 
se  seront  bornées  à  savoir,  qu'il  y  avait  des  êtres  dont  la  puissance 
gouvernait  toutes  choses.  La  première  révolution  qui  s'opéra  chez 
les  Grecs ,  ou  leur  passage  de  l'état  de  barbarie  à  l'état  social  , 
est  dû ,  selon  le  même  auteur ,  aux  colonies  étrangères  ,  et  par- 
ticulièrement à  celles  venues  de  l'Egypte.  Ce  fut  d'elles  qu'ils  ap- 
prirent à  distinguer  les  dieux  du  premier  et  du  second  ordre  ,  et 
à  fonder  des  lois ,  des  coutumes  et  des  institutions  sur  des  princi- 
pes raisonnes  de  religion.  Il  résulte  donc  du  témoignage  de  cet 
écrivain,  qu'avant  l'arrivée  de  ces  colonies,  les  Grecs  avaient  déjà 
quelqu'idée  passable  de    l'être  suprême;  et  que  par   conséquent  ce 

{i)  Batteux    Hist.  des  causes  premières  ,  pag.  88. 


Costume    de   la    Grèce.  5o, 

sont  les  opinions  de    ces   mêmes   étrangers ,  qui   les   ont  égarés  en 
matière  de  religion. 

L'établissement  de  ces  colonies  serait  donc  l'époque,  d'où  de-  La  Grèce 
Vf  aient  commencer  nos  recherches  sur  le  costume  des  Grecs.  Mais  cZT'Homè%.e 
que  peut'on  dire  de  ces  tems  éloignés  dont  il  ne  nous  est  resté  au- 
cun monument  ?  La  raison  veut ,  qu'à  défaut  de  cette  ressource  9. 
nous  ayons  recours  aux  plus  anciens  historiens ,  dont  les  écrits  sont 
parvenus  jusqu'à  nous.  Or,  combien  de  siècles  n'ont  pas  dû  s'écouler 
depuis  l'arrivée  de  ces  colonies,  jusqu'au  siècle  d'Hésiode  et  d'Ho- 
mère ,  qui  sont  les  plus  anciens  écrivains  de  la  Grèce  ?  Quelles  étaient 
les  opinions,  les  lois  et  les  coutumes  des  Grecs  dans  ces  siècles  re- 
culés? Si  nous  consultons  les  œuvres  d'Homère,  d'Hésiode,  et  au- 
tres poètes  ou  historiens  de  l'antiquité  3  nous  n'y  voyons  que  le 
cahos  informe  de  la  mythologie.  IL  est  bien  vrai  que  ces  écri- 
vains n'ont  dû  faire  autre  chose ,  que  de  recueillir  dans  leurs  ouvra- 
ges les  traditions  populaires  ,  surtout  en  ce  qui  avait  rapport  à 
la  religion  ,  dont  l'influence  fut  toujours  si  puissante  sur  l'esprit 
des  peuples  doués  d'une  imagination  vive  et  prompte  ,  tels  que 
l'étaient  les  Grecs.  Nous  considérerons  donc  cette  époque,  anté- 
rieure au  siècle  d'Hésiode  et  d'Homère  s  comme  celle  des  tems 
mythologique  et  fabuleux;  et  prenant  pour  guides  les  auteurs  les 
plus  renommés,  nous  allons  chercher  si,  parmi  les  nuages  épais  qui 
couvrent  ces  tems  éloignés  ^  il  est  possible  de  découvrir  quelque  trait 
de  lumière,  à  la  faveur  duquel  nous  puissions  reconnaître  quelques 
faits  d'une  vérité  non  équivoque.  Malgré  que  les  traditions  qui  nous  en 
sont  parvenues  soient  d'une  origine  très-obscure,  et  ne  nous  offrent 
presqu'aucun  caractère  d'authenticité  ,  elles  ne  sont  cependant  pas 
pour  cela  tout-à-fait  dépourvues  d'un  certain  degré  de  probabilité  : 
car  si  les  écrits  dans  lesquels  elles  sont  rapportées,  ne  sont  point 
réeîement  des  auteurs  dont  ils  portent  les  noms ,  elles  n'en  doivent  pas 
moins  passer  pour  très-anciennes ,  puisqu'elles  sont  données  pour  tel- 
les par  des  auteurs  qui  sont  eux  mêmes  de  la  plus  haute  antiquité. 
Et  quand  elles  seraient  encore,  comme  l'observe  M.r  Batteux ,  d'une  Cherche* 
date  plus  récente,  elles  seraient  toujours  d'une  grande  autorité,  ™m£Ê£&. 
comme  étant  composées  de  matériaux  appartenans  à  des  tems  très- 
reculés  (j).  Hésiode    et  Homère   nous   font  voir  dans    leurs   œuvres 

(i)  Hist.  des  caus.  premier,  pag.  97.  Cet  auteur  ajoute  que  ceux  qui 
regardent  comme  supposés  les  hymnes  d'Orphée ,  les  attribuent  à  un  cer- 


"6o  Costume 

le  système  de  la  mythologie  déjà  solidement  établi.  Ils  y  exposent 
les  choses  telles  qu'ils  les  ont  trouvées ,  et  telles  cju' elles  étaient 
crues  de  leur  nation,  ensorte  que  leur  autorité  pourrait  suffire  en 
quelque  manière  à  la  partie  historique  de  nos  recherches  ;  mais 
comme  la  partie  philosophique  exige  que  nous  remontions  à  une 
époque  plus  éloignée  ,  nous  aurons  recours  aux  conjectures ,  pour 
découvrir  l'origine  de  la  mythologie  et  du  polythéisme  ,  qui  ont 
eu  tant  d'empire  sur  le  costume  des  Grecs. 
deMontfaLon  ^e  célèbre  Montfaucon  est  d'avis,  qu'on  ne  peut  dire  rien  de 

positif  sur  les  commencemens  de  l'idolâtrie  ,  ni  déterminer  l'épo- 
que à  laquelle  ses  différens  cultes  se  sont  propagés  sur  la  terre  (i). 
INembrod  passe ,  aux  yeux  de  quelques-uns ,  comme  le  premier  . 
homme  auquel  il  a  été  rendu  des  honneurs  divins,  et  qui,  sous  les 
noms  de  Bel  ou  Baal  3  a  eu  des  autels  dans  tout  l'orient.  Les  pre- 
mières idoles  dont  il  est  fait  mention  dans  l'histoire  sacrée  sont 
celles  de  Thare ,  d'où  elles  passèrent  dans  la  famille  de  Laban. 
L'auteur  que  nous  venons  de  citer  croit  voir  une  des  principales 
causes  de  l'idolâtrie ,  dans  les  statues  élevées  chez  divers  peuples  de 
l'antiquité  qui  n'avaient  que  de  faibles  notions  de  la  divinité,  à 
des  hommes  qui  s'étaient  illustrés  par  de  grandes  actions,,  par  quel- 
que découverte  utile  à  l'humanité  ,  ou  qui  s'étaient  acquis  par  leurs 
vertus  la  considération  de  leurs  semblables.  Chaque  peuple  se  créeait 
Sentiment,  deg  dieux  à  sa  fantaisie;  et  comme  dit  le  prophète  Isa ïe ,  du  même 
bois  qui  servait  à  le  chauffer,  l'homme  se  lit  des  statues  qui  de- 
vinrent l'objet  de  son  culte ,  et  dans  lesquelles  il  plaça  tonte  sa 
confiance  (a). 
desF,T,sZ!ide  Quelques  écrivains,  d'un  nom  même  assez  marquant ,  après  avoir 

%MJïaBÏiîe    employé  toute  leur  sagacité  à  trouver    quelques    rapports   entre   la 

tain  Onomacrite  Athénien ,  qui  vivait  600  ans  avant  l'ère  vulgaire.  L'an- 
cienneté de  cette  date  n'est  pas  moins  respectable,  que  ne  le  serait  celle 
même  d'Orphée. 

(1)  Montfaucon.  & 'Antiquité  expliquée.  Tom.  I.  Par.  I.  pag.  XCII. 

(2)  Isaïas,  Chap.  45,  i5.  L'auteur  du  livre  de  la  Sagesse  indique 
comme  une  des  sources  de  l'idolâtrie  la  douleur  d'un  père  qui  a  perdu 
son  fds  par  une  mort  prématurée.  Pour  se  consoler  de  cette  perte ,  il  fait 
faire  une  image  de  ce  fils  chéri ,  et  lui  rend,  au  sein  de  sa  famille,  des 
honneurs  qui  ne  sont  dus  qu'à  la  divinité.  Ce  culte  se  propage  bientôt 
du  foyer  de  cette  famille  dans  toute  la  ville  ,  et  d'un  dieu  privé  il  se 
fait  ainsi  peu-à-peu  une  divinité  publique. 


de    la    Grèce.  61 

Bible  et  la  Mythologie  3  ont  prétendu  que  plusieurs  des  événement 
rapportés  dans  l'histoire  sacrée  _,  ont.  été  empruntés  de  la  Mytho- 
logie ;  et  que  par  conséquent ,  quelques-uns  des  Dieux  et  des  Héros 
de  cette  dernière,  ne  sont  que  des  persounages  illustres  dont  parle 
l'ancien  testament  (i).  Par  exemple,  le  Tubalcain  de  la  Cénêse  , 
serait,  selon  eux,  le  Vulcain  des  poètes  Grecs:  opinion  des  plus 
étranges ,  qui  n'est  appuyée  d'aucune  autorité  ,  et  ne  repose  que 
sur  des  simples  conjectures  (a).  Les  Juifs  formaient  une  nation  trop 
méprisée  de  ses  voisins,  et  trop  ignorée  des  peuples  de  l'antiquité , 
pour  que  les  Phéniciens  3  les  Egyptiens  et  les  Grecs  ayent  pris 
chez  elle  aucune  idée  de  religion  ni  de  mythologie.  Cette  nation 
était  d'ailleurs  si  jalouse  de  ses  dogmes  et  de  ses  cérémonies  reli- 
gieuses ,  qu'elle  se  fesait  un  devoir  le  plus  scrupuleux  d'en  dérober  la 
connaissance  aux  étrangers  ;  et  il  ne  parait  pas  en  effet  que  les  Grecs 
en  eussent  la  moindre  notion  ,    avant  la  conquête  d'Alexandre  (3). 

L'abbé  Bannier  pense  (A)  qu'on  doit  regarder  la  mythologie  Opinion 
comme  un  grand  et  précieux  dépôt  d  evenemens  remarquables ,  ar- 
rivés dans  les  tems  les  plus  reculés  ,  immédiatement  après  3e  dé- 
luge ,  et  rétablissement  des  enfans  de  Noè  en  diverses  contrées  ;  et 
il  croit  fonder  son  système  sur  une  base  solide  ,  en  Pétayant  de  la 
doctrine  de  certains  pères  de  l'Eglise  ,  et  de  savans  écrivains  tels 
que,  Boccard ,  Vossius ,  Einsius ,  le  père  Tournemine  et  autres. 
Ainsi,  c'est  avec  le  plus  grand  sérieux  qu'il  parle,  du  Roi  Tems0 

(i)  Vossius ,  Seldéne  ,  Boccart  et  autres  ont  prétendu  expliquer  l'ori- 
gine et  le  sens  de  diverses  fictions  mythologiques  par  de  savantes  re- 
cherches sur  les  racines  des  langues  Hébraïque  et  Phénicienne. 

(2)  L'éditeur  de  Daniel  selon  la  version  des  septante  ,  ouvrage  pu- 
blié à  Rome  en  1772  est  aussi  de  cette  opinion.  Il  va  même  jusqu'à  pré- 
tendre qu'Homère  a  pris  plusieurs  choses  de  la.  Bible  ;  et  il  croit  voir  la 
chute  des  Anges  dans  la  fable  à'Até  ,  Déesse  de  l'injure  lancée  hors  de 
l'Olympe  par  Jupiter ,  et  l'histoire  de  Joseph  dans  celle   du  Béllerophon. 

(5)  Dans  les  premiers  siècles  du  Christianisme  ,  il  y  en  eut  encore  qui 
entreprirent  de  prouver  que  les  Grecs  étaient  une  nation  ,  non  seulement 
d'origine  récente  }  mais  encore  qui  tenait  des  Juifs  les  principes  de  sa  mo- 
rale et  de  sa  législation.  On  s'imaginait  favoriser  ainsi  la  religion  Chré- 
tienne ,  tandis  qu'au  contraire  on  l'exposait  d'avantage  aux  attaques  de 
ces  ennemis  ,  en  employant  des  moyens  aussi  futiles  pour  la  soutenir.  Li- 
sez Larcher  dans  son  Com.  sur  Hérodote.  Vol.  VII ,  pag.  289  et  suiv. 

(4)  Explication  histuriq.  des  Fables. 


6^  Costume 

du  Prince  Ciel ,  de  la  Princesse  Terre,  et  des  Capitaines  Tithon 
et  Taurus.  On  voit  que  tout  ce  système  ne  tient  qu'à  des  conjec- 
tures vagues  et  incertaines,  et  n'est  appuyé  de  l'autorité  d'aucun 
écrivain  de  l'antiquité,  ensorte  qu'on  est  autorisé  à  le  regarder. 
Bien  plus  comme  un  jeu  de  l'imagination  ,  que  comme  le  résultat 
de  méditations  solides  et  raisonnées. 
deSe'nZke  L'ingénieux   De-Pluche   rapporte   à    l'astronomie    l'origine    de 

toutes  les  divinités  anciennes  (r).  Les  premières  sociétés,  ou  pour 
mieux  dire ,  les  premières  familles  qui  se  formèrent  après  le  dé- 
luge 3  furent  instruites  par  le  besoin  à  observer  le  cours  des  astres , 
Je  retour  des  saisons ,  les  chaugemens  des  vents ,  et  enfin  tous  les 
phénomènes  de  la  nature  qui  intéressent  la  vie  de  l'homme.  Quel- 
ques-uns de  ces  phénomènes ,  ou  événemens  naturels  s  étaient  pré- 
cédés ,  ou  accompagnés  du  vol  de  certains  oisseaux  ,  ou  d'un  autre 
aspect  de  la  Lune  et  du  Ciel  ;  d'autres  avaient  quelques  point  de 
ressemblance  avec  des  animaux ,  ou  autres  objets  terrestres  déjà 
connus.  L'inondation  du  Nil,  par  exemple,  est  toujours  précédée 
de  VEpervier ,  lequel  quitte  alors  la  partie  septentrionale  de  ces 
contrées ,  pour  s'envoler  vers  l'Ethyopie ,  lorsque  le  vent  du  nord 
pousse  vers  cette  dernière  les  nuages  amoncelés.  Ainsi  l'image  de 
cet  oiseau  à  été  employée  pour  indiquer  l'approche  des  déborde- 
mens  de  ce  fleuve ,  et  avertir  les  Egyptiens  de  retirer  de  leurs 
champs  tout  ce  qu'ils  voulaient  mettre  à  l'abri  de  l'eau.  Ils  avaient 
encore  observé ,  que  cette  inondation  était  précédée  de  même  de 
l'apparition  d'une  étoile  à  Fhorison  ,  un  peu  avant  l'aurore.  Le  lever 
de  cet  astre  était  pour  eux  d'une  si  grande  importance,  qu'ils  le 
prirent  pour  le  commencement  de  leur  année  ,  et  en  firent  dériver 
F,gm-es        la  succession  de  leurs  fêtes  religieuses  (a).  Or,  pour  ne  point  le  con- 

symboliques         ni  t  /•!  •  •  t  «     r  «»i 

?&*  Egyptiens,  londre  avec  les  autres  étoiles,  ce  qui  serait  sans  doute  arrive,  s  ils 
l'eussent  représenté  en  peinture  ,  ils  trouvèrent  à  propos  de  lui 
donner  une  figure,  qui  eût  quelqu'analogie  avec  le  bienfait  qu'ils 
Cn  recevaient.  Ils  imaginèrent  donc  de  le  désigner  sous  la  forme 
d'un  homme  avec  une  tète  de  chien  ,  parce  que  cet  animal  avertit 
par  ses  aboyemens  de  l'approche  de  quelqu'un  ;  c'est  pourquoi  ils 
donnèrent  à  cette  figure  le  nom  d?Anubis0  qui  veut  dire  l'a boyeur  , 

(i)  Histoire  du   Ciel.  Vol.  I.    pag.  3  et  suiv.   Spectacle  de  la  Nature 
Lausanne.   1739.,  vol.  IV.  png.  3o6  et  suiv, 
(a)  Porphyr,  de  NympJiar.  antro. 


DE     LA     GrÉC!\  63 

la  canicule.  Telle  fut,  selon  cet  auteur,  l'origine  de  l'écriture  ou 
des  signes  symboliques  usités  en  Egypte,  et  en  d'autres  contrées  de 
l'orient.  L'utilité  de  ces  signes  pour  le  peuple  lui  en  rendit  bientôt 
l'intelligence  familière  ;  mais  leur  usage  ne  se  borna  point  à  l'in- 
dication de  certains  objets  pris  dans  la  nature  ,  on  s'en  servit  encore 
pour  exprimer  des  notions  abstraites  de  politique  et  de  morale. 
Cependant  on  inventa  des  caractères  alphabétiques ,  dans  la  combi- 
naison desquels  on  trouva  un  moyen  plus  facile  et  plus  prompt  de 
communiquer  ses  pensées,  que  ne  pouvait  l'offrir  l'usage  des  signes 
symboliques  (i).  Tous  les  peuples  qui  se  piquaient  de  quelque  sa- 
voir j  et  par  conséquent  les  Egyptiens  avec  eux,  se  hâtèrent  d'adop- 
ter cette  nouvelle  invention.  Depuis  cette  époque,  l'écriture  sym- 
bolique cessa  d'être  cultivée  ,  et  ne  se  vit  plus  que  sur  les  anciens 
monumens  :  le  peuple  oublia  peu-à-peu  leur  véritable  signification , 
et  on  finit  par  regarder  ces  figures  emblématiques ,  comme  des  objets 
de  culte  religieux  ,  ou  tout  ou  moins  comme  des  monumens  histo- 
riques qui  attestaient  les  actions  mémorables  des  anciens  héros.  La  ,symW.ç 
superstition  ,  toujours  prompte  à  se  glisser  parmi  le  peuple  ,  vint  c^pemu!on. 
confirmer  cette  croyance  ,  que  la  doctrine  des  prêtres  entretint  de- 
puis avec  le  plus  grand  soin.  On  voit  par  ce  système,  que  M.r  De- 
Pluche  attribue  en  grande  partie  aux  Egyptiens  l'origine  de  la  My- 
thologie. Nous  ne  disconviendrons  pas  qu'elle  n'ait  en  effet  une  de 
ses  principales  sources  dans  les  figures  symboliques  des  Egyptiens; 
mais  nous  ne  saurions  être  entièrement  de  son  avis,  sur  la  manière 
de  l'expliquer,  d'après  le  sens  qu'il  lui  pîait  de  donner  à  ces  si- 
gnes emblématiques. 

Nous    ne    croyons    pas   non    plus    devoir    adopter  l'opinion    de    si  les  colonies 
certains  écrivains  tant  anciens  que  modernes,   qui    croyent  que  les    f°lVo"'J'?e 
Grecs  ont  emprunté  des  Egyptiens  toute  leur  religion.   Sans   doute  cul!e  ';'%""" 

A  o-  x  o  eu    G-vece. 

crue  les  colonies  Egyptiennes  3  en  portant  dans  la  Grèce  leurs 
usages  et  leurs  mœurs ,  y  auront  aussi  transporté  avec  eux  quelques- 
nnes  de  leurs  divinités.  Mais  d'autres  peuples  non  moins  anciens ,  et 
non  moins  civilisés  que  les  Egyptiens ,  envoyèrent  aussi  des  colonies 
dans  cette  contrée.  C'est  pourquoi  elle  avait  des  divinités  et  des 
cérémonies  religieuses,  dont  les  unes  lui  étaient  venues  de  la  Phé- 
nicie ,  d'autres  de  l'Etrurie ,  et  beaucoup ,  comme    l'observe  Monl- 

(i)  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  rechercher  quel  a  été  l'inventeur  des  si- 
gnes alphabétiques:  nous  en  parlerons  en  traitant  du  costume  des  Chaldéens. 


le  divers 
uaiions 


64  Coutume 

faucon  (1),  avaient  pris  naissance  dans  le  sein  de  cette  même  Grèce , 
dont  le  génie  fut  si  fécond  en  fictions  de  tout  genre.  Il  ne  suffit 
pas  d'appercevoir  quelque  ressemblance  dans  le  culte  des  divinités 
des  nations  différentes,  pour  en  conclure  aussitôt  qu'elles  se  sont 
communiquées  leurs  idées  religieuses  :  car  en  raisonnant  ainsi ,  on 
pourrait  dire  également,  que  les  Péruviens  et  les  Mexicains  ont  pris 
aussi  leur  culte  des  Egyptiens,  ou  les  Egyptiens  des  Mexicains  et 
des  Péruviens,  parce  que  les  monumens  des  uns  et  des  autres,  pré- 
sentent des  figures  emblématiques  du  zodiaque,  ainsi  que  de  di- 
vers objets  physiques  et  moraux ,  comme  on  peut  le  voir  dans  le 
voyage  du  célèbre  Humboldt.  D'habiles  écrivains  ont  prétendu  trou- 
ver effectivement  des  rapports  frappans,  entre  les  divinités  Indien- 
ConformUé  nés,  et  celles  de  la  Grèce  et  de  Rome  (2).  Cette  conformité,  qu'on 
remarque  aussi  entre  les  idoles  et  les  signes  symboliques  usités  chez 
des  peuples,  de  costumes  bien  différens,  et  séparés  par  de  grandes 
distances,  ne  peut  avoir,  selon  nous,  d'autre  cause  que  l'identité 
des  besoins  et  des  passions  qui  se  font  sentir  aux  hommes ,  dans  des 
circonstances  semblables.  Avec  les  mêmes  facultés  physiques  et  in- 
tellectuelles ,  les  hommes  agiront  plus  ou  moins  de  la  même  ma- 
nière ,  lorsqu'ils  y  seront  déterminés  par  les  mêmes  motifs  ;  et  ils 
exprimeront  leurs  idées  par  des  signes,  qui  seront  à  peu-près  les  mê- 
mes. C'est  pour  cela  sans  doute,  que  les  arts  encore  au  berceau  , 
chez  les  Egyptiens,  les  Etrusques,  les  Grecs  et  les  Romains,  aussi 
bien  que  chez  les  Péruviens,  les  Mexicains,  et  les  Indiens,  mon- 
trent tant  de  ressemblance  dans  leurs  productions,  surtout  en  peinture 
et  en  architecture.  Aussi  le  Chevalier  Boni  a-t-il  eu  raison  de  dire  , 
que  les  lois  d'après  lesquelles  l'homme  agit?  sont  9  à  parité  de  cir- 
constances ,  partout  les  mêmes  (3). 
Système  De  tous  les  systèmes  modernes ,  celui  qui  a  obtenu  le  plus  de 

crédit,  bien  qu'il  ne  soit  fondé  que  sur  une  simple  hypothèse  ,  est 
sans  contredit  le  système  de  Dupuis  (4).  Ce  philosophe  établit  pour 
principe  de  sa  doctrine,  que  Dieu  est  l'univers ,  ou  que  l'ensemble  de 
tous  les  corps  est  le  Dieu  universel.  Dès  que  les  hommes  ont  voulu 

(1)  U antiquité  expliqué  vol.  I.  pag.  IX.  et  ailleurs. 

(2)  Lisez  le  Mémoire  du  célèbre  Hastings  inséré  dans  les  Recherches 
.Asiatiques  ,  et  Desbrosses  Dieux  fétiches. 

(3)  Idole   de  Fiésolanum  ,  pag.  9. 

(4)  Origine  de  tous  les   Cultes }  ou  Religion  universelle  etc. 


de    Dupuis. 


de    la    Grèce.  65 

raisonner  sur  la  cause  de  leur  être  et  de  leur  conservation ,  ils  ont 
adoré  les  divers  membres  de  ce  grand  corps.  Pour  que  ces  membres 
lui  devinssent  sensibles ,  et  offrissent  quelqu'attrait  à  son  imagina- 
tion 3  l'homme  les  représenta  sous  diverses  formes,  auxquelles  il  donna 
les  noms  de  différentes  divinités.  Or  ces  divinités  n'étant  rien  autre 
chose  que  la  nature  même ,  ou  l'univers ,  leur  histoire  sera  celle  de 
la  nature;  et  comme  elle  ne  présente  d'autres  événemens  que  les 
phénomènes  qui  lui  sont  propres  ,  les  actions  de  ces  divinités  ne 
seront  que  ces  mêmes  phénomènes  exposés  allégoriquement.  Ainsi 
le  plus  sûr  moyen  d'expiiquer  la  Mythologie ,  est  de  rapporter 
aux  effets  des  causes  naturelles ,  toutes  les  fictions  qui  ont  pour  objet 
la  divinité.  Voilà  en  quoi  consiste  le  fameux  système  sur  l'origine 
des  cultes.  Il  eut  aussitôt  pour  sectateurs  zélés,  Volney  (i),  Rabaud 
de  Saint-Etienne ,  l'auteur  des  Fêtes  et  des  Courtisannes  de  la 
Grèce  (a),  Noël  (3)  ,  le  rédacteur  de  la  partie  Antiquités  de  l'En- 
cyclopédie, et  autres.  Ce  système  repose  tout  entier  sur  la  physique 
et    l'astronomie.    Selon    Dupuis ,    les    peuples    n'ont    jamais    adoré,     LeSoidi, 

,     ,  i  i  i  •  cet  i  divinité 

et  n  adorent  encore  dans  leurs  ditierens  cultes ,  que  le  soleil  3  ses  d^  toutes 
attributs,  ou  les  divers  rapports  que  cet  astre  vivificateur  et  bien- 
fesant  a  avec  tous  les,  autres  corps  célestes ,  et  avec  la  nature  entière. 
On  peut  expliquer ,  dit'il ,  allégoriquement  les  exploits  des  héros 
de  la  fable  ,  par  le  passage  du  soleil  d'une  constellation  à  l'autre. 
Les  mouvemens  du  ciel  donnent  l'interprétation  des  histoires  d'Her- 
cule et  à'Osiris:  les  poèmes  de  Linus,  d'Orphée,  et  autres  poètes 
de  l'antiquité,  ne  sont  que  des  allégories,  sous  lesquelles  est  figurée 
îa  nature  ,  mère  de  tous  les  êtres. 

Nous  ne  nous  permettrons  pas  d'entrer  dans  une  discussion  ap 
profondie  du  système  de  cet  écrivain  ,  pour  ne  point  trop  nous  écar-     de  />', 
ter  de  notre  sujet.    Il   a    été  depuis    peu  savamment  combattu    par 
M.r  Palmieri  (4).    Nous   nous    bornerons  à  faire    quelques   observa- 
tions sur  son  ensemble.  Dabord  ,  on  ne  peut  pas  le  regarder  comme 
tout-à-fait  nouveau ,  car  ce  n'est  autre  chose  que  le  Panthéisme ,  on 

(i)  Les  ruines  ;  ou  méditations  sur  les  révolutions  des  empires, 
(2)  Mr.    Chaussard. 
(5)  Dictionnaire  de  la  Fable. 

(4)  Analyse  raisonnée  des  systèmes  et  des  fondemens  de  l'athéis- 
me et  de  l'incrédulité.  Gênes   181 1   et  suiv. 

Europe.  Vol.  I.  g 


Fausseté 

du    ^ 

"  7" 


Contradictions 
entfi 


66  Costume 

le  système  de  Spinosa  :  ainsi  tous  les  argumens  qui  ont  été  dirigés 
contre  les  Panthéistes  et  les  Spinosistes  ,  peuvent  être  également 
employés  à  le  réfuter.  L'autorité  des  écrivains  que  cite  Dupuis ,  n'est 
d'aucun  poids  dans  la  thèse  qu'il  soutient,  en  ce  que  leurs  disser- 
tations ne  tendent  qu'à  prouver ,  que  les  anciens ,  et  surtout  les  Egyp- 
tiens ,  adoraient  les  astres.  Ces  mêmes  écrivains  sont  d'ailleurs  d'une 
époque  bien  éloignée  des  tems,  auxquels  on  veut  rapporter  les  pré- 
tendues allégories  mythologiques.  Nous  voulons  bien  convenir  que 
dans  les  tems  les  plus  reculés ,  les  Grecs  rendaient  peut-être  aussi  aux 
astres  un  culte  religieux ,  comme  l'atteste  même  Platon  ;  nous  ajou- 
terons même  que  certaines  fictions  mythologiques,  semblent  bien  avoir 
quelques  rapports  avec  l'astronomie,  selon  l'opinion  de  Lucien  (i); 
mais  nous  nierons  toujours  qu'on  puisse  démontrer ,  que  la  Mytho- 
logie n'est  autre  chose  que  le  culte  de  l'univers  considéré  comme 
divinité,  et  qu'avec  ce  système  on  puisse  expliquer  toute  espèce 
de  théogonie. 

En  second  lieu  :  les  anciens  philosophes  se  contredisent  eux 
rZiosofhes.  mêmes,  lorsqu'ils  disputent  sur  l'origine  et  la  généalogie  de  leurs 
Dieux.  Cicéron  fa) ,  en  parlant  de  l'opinion  des  anciens  Grecs , 
dit  que  Jupiter  est  la  même  chose  que  le  Ciel ,  et  il  cite  à  ce 
sujet  plusieurs  passages  d'Ennius ,  des  Augures  et  d'Euripide.  Dio- 
dore  de  Sicile  affirme  au  contraire  (3),  sur  la  foi  de  plusieurs  au- 
teurs de  l'antiquité,  que  Jupiter  était  «i«^»,  le  souffle  qui  anime 
tout  ce  qui  vit  ;  et  quant  aux  autres  Dieux ,  il  nous  en  donne  une 
toute  autre  idée  que  Cicéron.  On  peut  donc  conclure  de  cette 
étrange  diversité  d'opinions,  qui  régne  parmi  les  anciens  écrivains 
sûr  certains  sujets  de  la  fable  ,  que  ces  fictions  n'appartiennent 
point  à  l'a  Mythologie  considérée  dans  son  origine;  mais  qu'elles 
ont  été  imaginées  par  ces  mêmes  écrivains,  pour  couvrir  ce  que  les 
relations  fabuleuses  avaient  de  ridicule  et  d'absurde;  et  que  par 
conséquent    les  idées    les  plus  bizarres    et  les  plus  extravagantes    à 

(i)  Lucian.  De  Astrologia  tom.  I.  pag.    992.    Licet  potissimum,  ex 
Homeri  poetae  Hesiodique  carminibus  intelligere  priscorum  fabulas  cum 

astrologia  consentire Nam  quaecumque  de  Veneris  et  Martis 

adulterio  dixit ,  deque  detectione  haud  allunde ,  quam  ex  hac  sclenUa 
Sipnt  confecta, 

(2)  Lib.  II    De  Nat.  Deorum. 

(3)  Liv.  I.  pag.   10. 


de   la    Grèce.  6*7 

cet  égard  ,  sont   réelement   originelles   et   inhérentes  à  la  Mytho- 
logie (1). 

Après  cette  courte  exposition  des  principaux  systèmes  mytho-  inuùihè 
logiques ,  il  n'est  pas  besoin  sans  doute  de  beaucoup  de  raisonne-  mtthfiùgiyZa 
mens  ,  pour  démontrer  qu'aucun  d'eux  ne  peut  être  considéré  com- 
me la  source  unique  et  véritable  de  l'idolâtrie  et  du  polythéisme, 
et  bien  moins  encore  comme  une  doctrine  certaine ,  qui  donne  la 
clef  des  mystères  étranges  et  infinis  de  la  Mythologie  Grecque. 
Voici  ce  que  dit  Dupais  lui  même  dans  sa  Préface  contre  les  in- 
venteurs de  pareils  systèmes ,  sans  s'appercevoir  que  ses  réflexions  , 
pouvaient  s'appliquer  au  sien  propre  :  «  La  plupart  de  ceux  qui 
ont  écrit  sur  les  antiquités  religieuses  ,  ne  nous  ont  donné  que  des 
notions  fausses  ou  incomplètes.  Ils  avaient,  avant  d'écrire,  une  opi- 
nion faite  ,  et  ils  n'ont  travaillé  que  pour  rassembler  des  preuves 
propres  à  lui  donner  quelque  vraisemblance.  Alors  leurs  études , 
leurs  efforts,  n'ont  servi  qu'à  les  égarer,  en  ne  leur  montrant  que 
ce  qu'ils  voulaient  voir.  Ils  avaient  déjà  un  système  ,  et  ils  ont  étu- 
dié l'antiquité  ,  afin  de  trouver  de  quoi  l'établir.  „  Ainsi  donc  , 
tout  système  de  Mythologie  ,  selon  l'observation  d'un  écrivain  judi- 
cieux ,  est  comme  un  lit  de  Procuste ,  aux  dimensions  duquel  ,  à 
force  de  tortures  et  de  mutilations,  toutes  les  différentes  interpré- 
tations j  même  contraires  entre  elles ,  doivent  s'adapter.  A  combien  Erreurs  qui 
d'erreurs  et  d  absurdités  na  pas  donné  lieu  cette  espèce  de  manie, 
de  vouloir  expliquer  au  hazard  tous  les  mystères  de  la  Mythologie? 
Chaque  écrivain  a  prétendu  découvrir  dans  les  fictions  des  anciens, 
l'objet  qu'il  s'était  proposé  dans  ses  études.  Le  Physicien  y  a  vu 
des  allégories  aux  secrets  de  la  nature;  le  politique,  les  principes 
d'un  bon  gouvernement;  le  philosophe,  la  plus  belle  morale;  Fal- 
chymiste ,  tous  les  secrets  de  son  art:  chacun  d'eux  enfin  a  regardé 
îa  Mythologie  comme  un  pays  de  conquête  ,  où  il  s'est  cru  en 
droit  de  faire  une  incursion  ,  selon  ses  idées  et  son  propre  inté- 
rêt (a).  Concluons  donc  ,  avec  le  Comte  Carli  dans  son  prologue  sur 
l'Expédition  des  Jrgonautes ,  que  «  c'est  afficher  un  esprit  de  sys- 

(1)  C'est  avec  raison  que  S.  Augustin  s'exprimait  ainsi  contre  la  doc- 
trine de  ces  philosophes  :  Sed  cum  conantur  vanissimas  fabulas ,  slve  ho~ 
minum  res  gesbas  velub  naturalibus  interpretationïbus  honorare }  alias 
homines  acubissimi  banbas  pabluntur  angusbias  ,ub  eorum  quoque  vaniba- 
ùem  dolere  cogamur.  De  Civ.  Dei.  7.   18. 

(2)  EncycL  mèbhocl.  Antiq.  Mibologie.  Tom.   IV.  pag.  236. 


68  Costume 

terne,  c'est  à  dire  un  art  propre  à  tout  expliquer,  sans  rien  en- 
seigner ,  que  de  vouloir  envisager  l'antiquité  sous  un  seul  point  de 
vue,  en  rapportant  tout  à  l'histoire  sacrée,  à  la  morale,  ou  à  la 
physique,  et  en  croyant  voir  partout  du  mystère.  Comment  une 
seule  clef  peut'elle  nous  ouvrir  la  porte  à  toute  la  Mythologie , 
qui  est  un  composé  de  choses  si  disparates,  inventées,  amplifiées 
et  enseignées  par  des  personnages  divers ,  à  des  époques  et  dans  des 
tems  différens  ?  „ 
SSaUe  Quelle  sera  donc  l'origine  de  la  Mythologie  Grecque  ?   Com- 

Mntotgie     ment  a-t-elIe  pu  jetter    d'aussi    profondes   racines  chez  un  peuple, 

drecçue.       dont  le  génie  s'éleva    au    premier    rang    dans-   les    arts    et  dans  les 

sciences?  Nous  ne  croyons  pas    nous   tromper   eo  disant,  qu'elle  a 

eu  autant  de  causes  et  autant  de    sources    différentes ,    qu'on    en  a 

vu  dans  tous  les  systèmes  dont  nous  venons  de  parler. 

deTcotnics.  Pour  ce  •  qui  concerne  les  Grecs  dont  il  s'agit  ici,  il  y  a  lieu 

de  croire  que  leurs  premières  connaissances  en  Mythologie  leur 
auront  été  apportées  par  les  colonies  qui  sont  venues  s'établir  chez 
eux ,  ainsi  que  nous  l'avons  remarqué  plus  haut ,  et  comme  l'at- 
teste également  Diodore  de  Sicile.  Réduit  encore  à  des  mœurs  ru- 
des et  presque  sauvages  ,  n'ayant  que  le  sentiment  de  ses  propres 
besoins  ,  et  d'autres  notions  que  celles  qu'il  tenait  de  ses  ancêtres 
sur  la  nature  et  l'être  suprême ,  doué  d'une  imagination  active  , 
entraîné  aux  passions  par  tempérament  et  par  Feffet  du  climat, 
ardent  pour  tout  ce  qui  portait  l'empreinte  de  la  nouveauté  et 
du  merveilleux  ,  ce  peuple  dut  accueillir  avec  transport  les  leçons 
de  ses  nouveaux  hôtes.  Les  mêmes  raisons  durent  lui  faire  regarder 
ces  étrangers  comme  des  êtres  extraordinaires  ,  comme  des  demi- 
dieux  envoyés  par  l'être  suprême  pour  réformer  ses  mœurs ,  pour 
lui  enseigner  les  arts  et  les  sciences  ,  et  comme  pour  le  régéné- 
rer ;  ou  comme  des  enfans  de  la  terre  d'une  nature  immortel ie 
et  supérieure  à  la  sienne,  dont  il  ignorait  l'origine  et  la  patrie. 
De  là  les  fables  de  Prométhée  ,  d'Hercule,  d'Apollon,  des  Titans 
et  autres  semblables.  Ne  vit'on  pas  les  mêmes  choses  chez  les 
Mexicains,  les  Péruviens  et  autres  peuples  de  l'Amérique,  lors- 
que les  Européens  parurent  pour  la  première  fois  dans  ce  conti- 
nent; avec  cette  différence  pourtant,  que  les  Grecs  ne  renoncèrent 
point,  selon  toutes  les  apparences,  aux  connaissances  qu'ils  avaient 
déjà,  et  dont  l'amalgame  avec  les  nouvelles  idées  qui  leur  furent 
communiquées  depuis ,  dut  produire  un  assemblage  bizarre  de  tra- 
ditions fabuleuses  ? 


des  voyageurs. 


de    la    Grèce.  69 

Dès  les  premiers  pas  qu'ils  auront  fait  dans  la  civilisation,  ^gJ"j»J 
les  Grecs  se  seront  sans  doute  montrés  jaloux  de  cette  apparence 
d'antiquité  qu'ils  ont  ensuite  recherchée  avec  tant  d'ardeur;  et  ils 
n'auront  certainement  rien  négligé  pour  voiler  aux  yeux  de  la 
postérité  l'état  de  barbarie  dans  lequel  leurs  ancêtres  vécurent 
pendant  long  tems ,  sans  frein  et  sans  lois ,  et  à  la  manière  des 
brutes.  Ils  auront  en  conséquence  imaginé  d'être  descendus ,  dans 
les  siècles  les  plus  reculés,  de  héros  enfans  de  ces  mêmes  Dieux, 
qui  auront  eu  commerce  avec  quelque  nymphe ,  ou  mortelle  hono- 
rée de  leurs  faveurs.  Voilà  une  autre  source  de  la  Mythologie  chez 
cette  nation.  De  nouvelles  circonstances ,  et  par  conséquent  de  nou- 
velles fables  seront  venues  successivement  fortifier  cette  opinion , 
qui  ne  pouvant  être  transmise  par  l'art  de  l'écriture  dont  l'usage 
n'était  point  encore  connu,  se  sera  perpétuée  par  la  voie  de  la 
tradition  ,  où  même  de  quelque  monument  symbolique. 

Plusieurs  de  ces  fables  auront  peut-être  encore  pris  leur  source  ign. 
dans  les  relations  de  voyageurs  ignorans  et  souvent  menteurs.  Pri- 
vés des  lumières  nécessaires  pour  bien  juger  des  choses  ,  ces  voya- 
geurs se  seront  laissés  séduire,  et  auront  séduit  également,  par  des 
récits  exagérés  ou  peu  réfléchis,  leurs  compatriotes,  toujours  prêts 
comme  eux  à  se  passionner  pour  tout  ce  qui  tenait  du  merveilleux. 
Les  fables  qui  ont  été  débitées  dans  les  derniers  tems  par  quelques- 
uns  de  nos  plus  célèbres  voyageurs  au  sujet  des  géans  de  la  côte  des 
Palagons?  n'ont  sans  doute  pas  eu  une  autre  origine.  C'est  peut-être 
d'après  les  relations  de  quelque  voyageurs ,  que  les  champs  Elysées 
furent  placés  dans  les  heureuses  contrées  de  la  Bètique.  Ajoutons  ignorance 
à  toutes  ces  causes,  l'ignorance  des  Grecs  en  fait  de  navigation,  navigation. 
Ils  ne  savaient  parler  de  l'océan  que  comme  d'une  immense  région 
couverte  de  ténèbres,  dans  laquelle  le  soleil  se  plongeait  tous  les 
soirs  avec  un  fracas  épouvantable ,  pour  aller  se  coucher  avec  Thétis. 
Si  quelque  vaisseau  avait  eu  l'audace  de  franchir  le  détroit  qui 
sépare  l'Italie  de  la  Sicile,  le  bruit  se  répandait  aussitôt  qu'il 
s'était  trouvé  entre  deux  rochers  battus  par  les  flots  impétueux,  qui 
étaient  Charybde  et  Sylla ,  deux  monstres  affreux  qui  engloutis- 
saient les  navigateurs. 

Ce  défaut  de  connaissances    en    physique ,    en    chronologie    et      ignorance 
eu  histoire,  dut  être  pour  les    Grecs  la    source    d'une    infinité    de  C^Ê/"£'L"'"e, 
relations  fabuleuses.  On  attribua  à    des    causes    animées    une    foule  e/i7f/îLfJL. 
d'effets  dont  on  ne    connaissait  pas   la  raison    ni  le    principe.   Les 


7°  Costume 

vents  furent  regardés  comme  des  divinités  malfesantes ,  qui  déchaî- 
naient les  tempêtes  sur  la  terre  et  sur  la  mer;  et  l'arc-en-ciel  fut 
pris  pour  une  déesse  gracieuse,  vêtue  d'un  manteau  de  diverses 
couleurs.  Les  Grecs  n'ayant  commencé  que  fort  tard,  comme  nous 
l'avons  déjà  observé,  à  faire  usage  de  l'écriture,  et  à  déterminer 
les  époques  principales  de  leur  histoire,  ils  ne  pouvaient  guère» 
embrasser  dans  leur  mémoire ,  que  les  événemens  de  quatre  ou  cinq 
générations ,  au  delà  desquelles  ils  n'appercevaient  plus  qu'un  la- 
byrinte  obscur  de  traditions  confuses  sur  les  divinités ,  de  Saturne, 
de  Jupiter,  du  ciel  et  de  la  terre.  Ils  inventèrent  donc  une  gé- 
néalogie de  Rois,  de  Dieux  et  de  Héros  qui  n'existèrent  jamais; 
à  mesure  que  leurs  relations  s'étendaient  avec  d'autres  peuples,  par 
la  guerre  a  par  le  commerce  ou  autrement ,  ils  transportèrent  en 
même  tems  dans  leur  propre  histoire  ce  qui  appartenait  à  ces  peu- 
ples ,  et  en  firent  ainsi  un  mélange  monstrueux  de  choses  réeles 
et  imaginaires. 

Jaa^TJil.  IST°US  ne  devons  Pas  n0ïl  Plus  passer  sous  silence    l'opinion    de 

M.r  d'Hancarville  à  ce  sujet ,  comme  présentant  beaucoup  de  vrai- 
semblance (i):  «  Long  tems  avant  que  la  peinture,  la  sculpture ,  et 
l'art  d'écrire  fussent  connus  des  Grecs,  pour  rappeler  le  souvenir 
des  événemens  qui  les  intéressaient,  celui  de  leurs  Héros,  et  de 
leurs  Dieux,  ils  donnèrent  les  noms  des  uns  et  des  autres  aux  ter- 
ritoires, aux  mers,  aux  fleuves  de  leurs  pays,  aux  villes  qu'ils 
construisirent,  aux  montagnes ,  et  aux  fontaines  qui  leur  parurent 
distinguées  par  quelques  singularités.  Leur  imagination  brillante, 
et  plus  encore  les  fictions  de  leurs  anciens  poètes,  leur  représen- 
tèrent ces  mêmes  objets  comme  étant  protégés  par  les  divinités 
dont  ils  portaient  les  noms;  quelquefois  même  ils  leur  attribuèrent 
les  actions  de  ces  divinités.  De  pareilles  idées  ne  pouvaient  qu'être 
accueillies  avec  transport,  par  un  peuple  dont  la  vanité  croissait  en 
raison  des  progrès  qu'il  fesait  dans  la  civilisation.  „  Voilà  une  des 
autres  sources  de  la  Mythologie.  Ainsi ,  dit  encore  le  même  au- 
teur, les  rochers  du  mont  Sypile  d'où  sortaient  plusieurs  fontaines , 
étaient  Niobé  même  entourée  de  ses  enfans,  accablée  de  tristesse, 
changée  en  pierre,  et  pleurant  encore  les  malheurs  de  sa  famille. 
Nous  reviendrons  sur  l'opinion  de  cet  écrivain,  lorsque  nous  aurons 
à  parler  du  culte  et  de  la  sculpture  des  Grecs. 

(i)  Vases  d'  Hamilton  etc.  T.  III. 


de    la    Grèce.  71 


Enfin  plusieurs  de  ces  fables  peuvent  encore  être  dérivées  du     Équivoque 


dans  la 


idèrëe 

connue  partie 


sens  équivoque  que  présentent  une  foule  de  mots  dans  les  langue 
orientales ,  et  même  dans  la  langue  Grecque.  Ainsi  il  est  assez  vrai- 
semblable ■  que  quelques  poètes  auront  feint  que  Venus  était  sortie 
de  l'écume  de  la  mer ,  parce  que  le  mot  A'<pPc<r/n  ,  nom  que  les 
Grecs  donnaient  à  cette  Déesse  ,  vient  de  *<p°>s ,  qui  veut  dire  écu- 
me. Il  suit  donc  de  toutes  ces  observations  3  comme  nous  l'avons  déjà 
dit,  que  la  Mythologie  Grecque  n'a  pas  eu  qu'une  seule  origine, 
et  que  parmi  les  causes  qu'on  peut  lui  assigner,  les  principales  sont; 
l'orgueil  et  la  vanité  de  cette  nation;  son  ignorance  dans  l'histoire, 
dans  la  chronologie  ,  dans  les  langues  ,  dans  la  physique  et  en  géo- 
graphie; et  les  notions  diverses  qui  lui  ont  été  apportées  par  les 
étrangers. 

Dans  tout  ce  que  nous  avons  dit  jusqu'ici ,  nous  n'avons  encore  Mfyt&oh 
envisagé  la  Mythologie  que  sous  le  rapport  des  recherches  philoso- 
phiques auxquelles  elle  a  donné  lieu  :  nous  allons  la  considérer  ldslortq 
maintenant  comme  partie  historique  de  ce  premier  période  de  la 
Grèce.  Pour  ne  point  nous  engager  dans  un  labyrinthe  d'où  il  nous 
serait  difficile  de  sortir  s  nous  ne  ferons  que  marcher  sur  les  traces 
d'Hésiode  et  d'Apollodore.  Le  premier,  au  dire  d'Hérodote,  fut 
contemporain  d'Homère,  et,  selon  d'autres  écrivains,  le  précéda  de 
quelques  années  (r)  :  ainsi  il  appartient  à  la  plus  haute  antiquité.  Sa 
Théogonie  contient  toutes  les  traditions  qui  étaient  le  plus  en  vo- 
gue de  son  tems  ;  mais  il  n'y  parle  guère  que  de  l'histoire  des 
Dieux  ,  et  ne  dit  que  quelques  mots  des  anciens  Héros.  On  trou- 
vera,  dans  le  tableau  suivant,  la  généalogie  des  Dieux  suivant  le  sy- 
stème de  cet  écrivain  ,  et  nous  croyons  qu'il  suffira  pour  donner  à 
nos  lecteurs  une  idée  de  la  théogonie  des  Grecs.  Nous  l'avons  pris 
de  l' Histoire  universelle  de  François  Bianchini  ,  ouvrage  plein  d'é- 
rudition ,  dont  se  sont  servis  avantageusement  plusieurs  écrivains 
ultramontains  des  plus  renommés  ,  surtout  ceux  qui  ont  imaginé 
les  nouvelles  théories  mythologiques  et  historiques,  et  dont  les  opi- 
nions ont  été  tant  vantées  par  quelques-uns  de  nos  compatriotes, 
qui  ,  à  la  honte  de  leur  patrie ,  ne  se  montrent  admirateurs  outrés 
des  productions  étrangères,  que  parce  qu'ils  ignorent  les  richesses 
qui  lui  sont  propres. 

(1)  Volney,  Chronologie  des  douze  siècles  etc  ,  e  Blair-Tabl.  Chrono- 
log'ques. 


7a  Costume 

Après  Hésiode,  Apollodore  Athénien  a  décrit,  dans  sa  Biblio- 
thèque ,  les  actions  des  Dieux  et  des  Héros  ;  et  on  ne  peut  nier  que 
la  théogonie  de  cet  écrivain  ne  conserve  une  espèce  de  liaison  en- 
tre les  diverses  ramifications  de  la  descendance  des  Titans  et  des 
premières  divinités.  Mais  en  avançant,  sa  narration  devient  si  em- 
brouillée et  présente  tant  de  lacunes ,  qu'il  serait  bien  difficile 
de  trouver  un  fil  pour  s'y  reconnaître.  Le  savant  Clavier  s'est  ef- 
forcé de  remplir  ces  lacunes ,  à  l'aide  de  fragmens  qu'il  a  su  dé- 
couvrir dans  divers  auteurs  de  l'antiquité  ,  et  son  ouvrage  a  répandu 
beaucoup  de  lumières  sur  celui  de  l'historien  Grec ,  qui  ne  nous  est 
parvenu  que  très-imparfait.  UHeyne  a  éclairé  l'édition  qu'il  a  faite 
du  même  historien  par  des  tables  généalogiques  5  dans  lesquelles  il 
a  tâché  de  classer  en  diverses  souches  la  génération  des  Dieux 
et  des  Héros.  Mais  ce  serait  trop  nous  écarter  de  notre  sujet ,  que 
de  vouloir  exposer  ici  dans  tout  son  jour  la  doctrine  de  ces  deux 
habiles  commentateurs.  Ce  n'est  que  dans  les  Dictionnaires  de  la, 
fable ,  et  autres  ouvrages  de  ce  genre ,  auxquels  nous  renvoyons  nos 
lecteurs  (i),  qu'il  faut  chercher  des  notions  plus  étendues  sur  la 
vie ,  les  aventures ,  et  en  général  sur  l'histoire  des  Dieux  et  des 
Héros.  Nous  aurons  bien  aussi  à  entrer  dans  plus  de  détails  à  cet 
égard  ,  en  nous  aidant  des  monumens  qui  y  auront  rapport ,  lorsque 
nous  en  serons  à  l'article  de  la  religion.  Néanmoins  pour  terminer 
cette  époque ,  qu'on  peut  appeler  le  premier  période  du  costume 
des  Grecs  ,  nous  joindrons  ici  le  tableau  de  la  dynastie  des  Rois  d'Ar- 
gus jusqu'à  l'invasion  des  Héraclides  ,  copié  d'après  les  anciennes  théo- 
gonies, et  rédigé  avec  la  plus  grande  précision  par  M.r  Palaméde 
Carpani  notre  collègue  ,  pour  l'usage  de  Messieurs  les  Pages  du  ci- 
devant  Royaume  d'Italie  ;  et  nous  le  donnons  d'autant  plus  volon- 
tiers, que  la  ville  d'Argos  eut  pour  fondateur  Inachus  qui  amena  en 
Grèce  les  premières  colonies  ,  et  que  l'histoire  de  sa  race  est  plus 
féconde  qu'aucune  autre  en  événemens  fabuleux  ou  mythologiques. 

Après  les  siècles  des  Dieux  viennent  ceux  qu'on  appelle  lierai- 
Te"ls.  ques  dans  lesquels  on  distingue  quelques  faits  historiques ,  malgré 
les  fictions  et  les  absurdités  dont  ils  sont  enveloppés  (a).  Nous    re- 

(i)  Parmi  les  livres  qu'on  peut  consulter  à  ce  sujets  les  meilleurs, 
selon  nous  sont  ;  les  Dictionnaires  de  Millin  et  de  Noël ,  X Iconographie 
de  Ripa  ,  les  Images  de  Cartari  ,  et  le  Dictionnaire  de  Sabathier. 

(2)  Toute  la  Mythologie  peut  se  diviser  en  deux  générations,  l'une 
des  Dieux ,  et  l'autre  des   Héros.    Au    commencement: ,   dit  Critias  dans- 


mythologiques. 


SUCCESSION  DES  ROIS 


Inachus  ,  venu 


Io ,  Prêtre 
Jupiter 
ca'die  ,  e 
donne  1 
vient  et 
selon  q 
et  seloij 
elle  est 

Epaphus  (  ensi 

Lil 


Egyptus ,  peut-être  Sésostris  Roi  d' 


12  Lyncée.,  un  des  5o  fils  d'Eg] 
tue  Danaùs  et  lui  succède. 


i3  Abas  é^ 
et  fo 


i4  Proetus  chassé  d'Àrgos  par  son  frère , 


ibie  épouse  22  Agamemnon              Mené' 

phius  Roi  épouse                     Hélène 

la  Phocide.  Clytemnestre                    de  T; 

\_  veuve 

e  épouse  Electre.  de  Tantale. 


Iphigénie.     Electre.    240reste.         Henj 

par  Pyrrl 


25  Tisaméne  Roi  d'Argos ,  Mycéne  et 


SUCCESSION  DES  ROIS  D'ARGOS  JUSQU'A  L'INVASION 


OCÉAN    ET    THÉTIS. 


Inachus,  venu  de  la  Phénicie  dans  le  Péloponnèse,  fonde  Argos ,  épouse  sel 
fille  de  l'Océan,  selon  d'autres  Isméne  ,  et  est  ensuite  changé 


Io  ,  Prêtresse  de  Junon ,  est  aimée  de  Egialée. 

Jupiter,  poursuivie  par  lui  en  Ar- 
cadie  ,  est  changée  en  Vache.  Elle 
donne  le  nom  à  la  mer  Jonienne  , 
vient  en  Afrique  où  elle  se  marie  , 
selon  quelques-uns  avec  Télégon  , 
et  selon  d'autres  avec  Osiris.  Enfin 
elle  est  adorée  sous  le  nom  d'Isis. 

Epaphus  (ensuite  Dieu  Apis)  épouse  Memphis. 

Libye  épouse  Neptune. 

Bélus  Roi  en  Afrique. 


Europe  Vol.  I.  P»g.  7a. 


>ES  HÉRACLIDES 


quelques-uns  Mélisse 
fleuve. 


2  Phoronée  Rc 
1 

3  AP] 

4  A 

L 
5  Cryasus  ou 

6  Phorjws. 

7 
8 

9  Sthéni 

1 

10  Gelai 


Triopas. 

1 

>  Crotor,  îs. 

ni    u: 


Egyptus ,  peut-être  Sésostris  Roi  d'Egypte.' 

J_ 

12  Lyncée,  un  des  5o  fils  d'Egyptus , 

tue  Danaùs  et  lui  succède. 


1 1  Danaiis  chassé  d'Afrique  enlève 

le  trône  d'Argos  à  Gélanor. 

J_ 

Hyperméstre  ,  une  des  5o  Danaïdes , 

sauve  son  mari  Lyncée. 


i3  Abas  épouse  Ocalea.  Est  Roi  sage  , 
et  fonde  Aba  en   Phocide. 


1,4  Prœtus  chassé  d'Argos  par  son  frère , 
va  en  Lycie  près  Jo  bâtés.  Il  y  épouse 
Sthénobée,  ou  Anthèe  ,  ou  Antiope. 
Retourne  en  Argolide  ,  se  fait  Roi 
de  Tyrinthe.  Poursuit  Bellérophon. 


i5  Acrise  épouse  Euridice  fdle  de  Lacédémc  1, 
1 
Danaé  et  Jupiter  en  pluie  d'or. 
1 
16  Persée  épouse  Andromède  fille  de  Ce] 
Roi  d'Ethyopie,  et  fonde  Mycéne. 


d'Argos,  changé  en  fleuve. 


Pyrasus. 


Rois  d'Argos 
peu  connus. 


Les  5  Prcetides  ,       Mégapenlue 
maniaques.  Roi  de  Tyrinte. 

JUPITER  ET  LA  NYMPHE  PLOTTA. 

Tantale  Roi  de  Lydie. 

Ravisseur  de  Ganiméde. 

Fait  cuire  une  épaule  de  Pélops. 

1 

Pélops  donne  le  nom  au  Péloponnèse. 

épouse  Hipppdamie. 


18  Sthénélus. 

1 

19  Eurysthee 
persécute 

Hercule 
son  cousin. 


17  Electryon  successeur  de  Persée.  Alcée  épouse  Hyppoméde 

1     '  1 

Alcméne  épouse  Amphytrion.  Amphytrion 

Est  aimée  de  Jupiter  st  fait  Roi  de  Thébes  , 

et  est  mère  d'Hercule.  I  et  tue  Electryon. 


Plisthéne 

recommande 

ses  fils 

à  Atrée. 


21   Thyeste 

succède  à  Atrée  , 

est  chassé 

par 

Agamemnon. 


20  Atrée 
Roi  d'Argos 

est  tué 
par  Egisthe. 


Erope 
femme  d'Atrée 
auquel  elle  porte 

en  dot 
le  trône  d'Argos. 


Hercule  Thébain  , 

exclus  du  trône  d'Argos 

pour  le  crime  d'Amphytrion. 

Epouse  JJéjanire. 

Aime  Auge ,  Iole  etc. 


Tantale  épouse 
Clytemnestre 

fille  de  Tyndare 
Ploî  de  Sparte, 
mais  il  est  tué 

par  Agamemnon. 


23  Egisthe 
tue  Atrée 
et  ensuite 
Agamemnon: 
régne  à  Argos  , 
et  est  tué 
par  Oreste. 


Anaxibie  épouse 

Strophius  Roi 

I  de  la  Phocide. 

A  - 

?ylade  épouse  Electre. 


22  Agamemnon 

épouse 

Clytemnestre 

veuve 
de  Tantale. 


Ménélas  épouse 
Hélène  autre  fille 
de  Tyndare.    . 


Télephe  fils  d'Auge 

et  d'Hercule 

devient  Roi  de  Mcesye 

et  est  blessé  par  Achille. 


Hyllus  ayant  envahi  le  Pélo- 
ponnèse se  retire  à  caiise  de 
la  peste.  Trois  ans  après  il 
revient  et  est  tué  en  duel  : 
pour  cette  raison  les  Héracli- 
des  ne  font  plus  guerre  au  Pé- 
loponnèse pendant   100  ans. 


Iphigenie.     Electre.    24  Oreste.  Hermione  ravie 

par  Pyrrhus ,  épouse  d'Oreste. 

a5  Tisaméne  Roi  d'Argos  ,  Mycéne  et  Sparte  ,  vaincu  par  les  Héraclide: 


26  Héraclides  envahissent  le  Péloponnèse. 


Cresfonte 

Roi 

de  Mycéne. 


Temenus 
Roi  d'Argos. 


Eurysthee  et  Proclus , 
fils  d'Aristodême  , 
et  Puoi  de  Sparte. 


»  E. 


e  de  Jupiter. 
)   Deucalion 


Europe.  Vol.  I.  Pag.  72. 


Nérée    ^   cinquante  Nymphes  marines ,    sa- 
Doris     J  voir  ,  Protée  etc.  v.  240. 

Isis.  v.  266. 
Thaumantis ,  Aelio  et  Occipéte,  Harpies. 
Ceto  >    Grées,    ou    Gorgones,  qui    sont 

Phorcys    '  Méduse  etc. 

24  Fleuves  principaux ,  savoir,  le  Nil  etc.  v.  3  38 
Trois  mille  Fleuves  moins  considérables 
41  Nymphes  des  Fleuves  principaux  ,  parmi 
lesquelles  Stix.  v.  35o.  mère  de 

la  Force  ,  la  Vigueur ,  la  Victoire,  le  Zélé. 
3ooo  nymphes  des  Fleuves  moins  considérab. 
L'ancien    Scholiaste  de    Pindare ,    XIX.e 
Olymp. ,  dit  qu'il  y  a  trente  mille  Nymphes 
.     Océanitides.  N 


XAOS 

CHAOS. 

"V.    116. 


re  femme  Minerve  III.e ,  on  la  figure  née  du  cerveau  de 

fille  de  Ura-  Jupiter  même  v.  886. 

I.e  femme.      (  Heures. 

Eunomie 

Justice. 

Paix 

Parques  (  Moïpat  )  qui  sont  Clothon  ,  etc.  On  les 
dit  encore  filles  de  l'Ere be  et  de  la  Nuit. 
u  Eurynome  III.e  f.e  les  Grâces  ,  Aglaya,  Euphrosyne ,  Thalie» 
^  Sat.  II ,e    f>    Proserpine. 

d'Ur.  IV .e   f.e   les  9  Muses,  v.  917. 
de  Cœus,  VI.e  f.e  Apollon. 

Diane ,  Apnfiis. 
le  Sat.  VII.e   f.e    Jeunesse  ,  H/S*. 

Mars  ,  Apus. 

Lucine  ,  KimIùviu.. 

Vulcain  ,  ntpctunos. 
Atl.  VIII.e  f.e   Mercure  ,  h,.^. 

Dionysus  ou  Bacchus  de  Sémélé. 
Hercule  d'Amphytrion. 


GÉNÉALOGIE     DES     DIEUX     D'HÉSIODE. 


Europe.  Vol.  I.  Pog.  -)i- 


(URANUS, 

ou  Ciel. 
I  v.  127.  (i) 


OCÉAN,  a*.'*,.?  v.  i32.  ■> 

Thétys.  T,«,f.  } 

)Latone  ,  VI.0    femme  de  Jupiter,  v. 
Astérie,  v.  410. 
Hécate,  ou  Rhée.  v.  4'8  et  467. 
Rhée  ,  femme  de  Saturne,  v.  467. 
Thémis  ,  II.»   femme  de  Jupiter. 
Mnémosyne  ,  V.°    femme  de  Jupiter. 
Phébé.  4>oi/3n. 


J  JAPET.  unETos ,  de  qui 


XAOS 

CHAOS, 
v.   116. 


Amour  z?°i 
\  v.  120. 


Hypérion ,  de  qui 

Brontés ,  Stérope  et  Argés  ,  appelés  Cyclopes. 

£°.ttu,s  i  Echidna  mère  de  plusieurs  1   *&. 

>      monstres,  v.  3og.  f.°  de  l    '     ' 
Gérion.  v.  3og. 


Gigés 
Electre 


héu- 


ÎZéphyre.  v.  37g. 
Borée 
Notus 
Lucifer 
S  telle 
'  Pallas ,  père  de  Pallas ,  V.»    Minerve  de  Cicéron. 


.  Perséis 


Nérée    \    cinquante  Nymphes  marines,    sa- 
Doris     J  voir  ,  Protée  etc.  v.  240. 

Isis.  v.  266. 
Thaumantis,  Aello  et  Occipéte,  Harpies. 
Ceto  1    Grées,    ou    Gorgones,  qui    sont 

Phorcys    '  Méduse  etc. 

24  Fleuves  principaux ,  savoir,  le  Nil  etc.  v.  3  38 
Trois  mille  Fleuves  moins  considérables 
4i   Nymphes  des  Fleuves  principaux  ,  parmi 
lesquelles  Stix,  v.  35o.  mère  de 

la  Force,  la  Vigueur,  la  Victoire,  le  Zélé. 
3ooo  nymphes  des  Fleuves  moins  considérab. 
L'ancien    Scholiaste  de    Pindare ,    XI -X." 
Olymp. ,  dit  qu'il  y  a  trente  mille  Nymphes 
V.     Océanitides.  x 


et  Sphinx 
et  Cetus. 


Callirhoe  , 
f.e   de  Neptun. 


Crysare-Gérion. 
v.  287. 


I  Idra  ,  Memnon  R< 
.  La  Chimère. 


v  SATURNE ,  kîonoz  ,  de  qui 


Tartare  -  Typhée  -  Vents  umides. 


Erébe. 
v  ia3. 


Nuit. 
v.  ia3. 


'  ETHER  de  Cicéron  qu'on  dit  père  d'URANUS 

Le   Jour 
I  Le   Destin,  v.  210. 
1  La  Parca 
i  La   Mort 
1  Le   Sommeil 
I  Momus 
I  Le   Travail 
l  Les  Héspérides 
J  Les  Destins  Mo7f«< 
1  Les  3  Parques ,  savoir  ; 
f      Clothon ,  Lachésis  et  Atropos. 
J  Némésis 
f  La  Fraude 
!  L'Amitié 

La  Vieillesse 
V  La  Discorde  ou  Dispute  Ef«,  de  qui 


'  Atlas  -  Maïa  VIII.0   femme  de  Jupiter. 
I  Menezius 

.;....  1  ...  ; }  Prométhée )  Deucalion 

j  Epiméthée  v.  41 i- 
(  Thérmére  ,  Jone  etc. 

Thia  }  Circé.  v.  966. 

Le  Soleil  \  Oetus 
La  Lune 
L'Aurore 

i  des  Ethiopiens.  Phaëton.  Egiz. 

•  Vesta,  urh  v.  453. 
Cérés  ,  An/n'rsf   v.  4.   —  Pin  ton  le  riche. 
IV.e   femme  de  Jupiter  —  Pluton  ,  v.  968. 
Junon  Km  ,  VII,8    femme  de  Jupiter. 

AiU ,  Pluton.       •  f  de  Métis ,  I.»  femme  Minerve  III.» ,  on  la  figure  née  du  cerveau  de 

Jupiter  même  v.  886. 
Heures. 
Eunomie 
1   Justice. 
\   Paix 

I    Parques  (  M»7f*.  )  qui  sont  Clothon  ,  etc.  On  les 
I  dit  encore  filles  de  l'Erébe  et  de  la  Nuit. 

de  Vénus  ou  Eurynome  III.0  f.°  les  Grâces  ,  Aglaya,  Euphrosyne,  Thalie. 
de  Cérés  de  Sat.  II.»    f.e    Proserpine. 
z,h.  JUPITER,  de  qui  naquirent  ......  \  de  Mnemos  d'Ur.  IV.0   f.°  les  9  Muses,  v.  917. 

de  Latone  de  Cœus ,  VI.0   f.0   Apollon. 

Diane  ,  Apnfiis. 
de  Junon  de  Sat.  VII.0   f.°   Jeunesse  ,  h/3b. 
Mars  ,  Aftis. 
Lucine  ,  ■B.i^tlvia. 
Vulcain  ,  n<p«.ims- 
de  Maïa  d'Atl.  VIII.e   f.e    Mercure  ,  H>fo. 

de  Séméle Dionysus  ou  Bacchus  de  Sémélé. 

d'Alcméne Hercule  d'Amphytrion. 


de  Métis  ,  I.re  femme 
de  Thémis  ,  fille  de  Ura- 
nus .  et  IIe  femme.      ( 


n.«,<f«,.  NEPTUNE  --  Triton 

Vénus.    Aif  f  »tf/n ,  III.e   femme  de  Jupiter. 


La  Fatigue,  v.  227. 
L'Oubli 


La  Peste 

La  Douleur 

Les  Combats 

Les  Massacres 

Les  Batailles 

La  Victoire 

La  Licence  et  la  Perte 

Le  Serment ,  ou  Orcus  , 


La  lettre  y.  indique  les  vers  d'Hésiode. 


de    la    Grèce.  7  a 

marquerons  avec  Heyne  que  ces  faits  ne  remontent  pas  à  plus  de 
cinq  générations  avant  la  guerre  de  Troie  s  et  que  par  conséquent 
on  ne  trouve  au  delà  de  cette  époque,  aucun  événement  qui  soit 
rapporté  par  Homère  dans  le  sens  de  narration  historique  (1).  La  anquième  «s« 
première  génération  qui  précède  la  prise  de  Troie  est  la  guerre  ""ZVt?*^ 
Thébaine,  à  laquelle  prit  part  Tydée  père  de  Dioméde  ;  la  se- 
conde est  l'expédition  des  Argonautes;  la  troisième  est  celle  d'Her- 
cule ,  de  Nelée  père  de  Nestor ,  et  dWnée  père  de  Tidée  et  de 
Méléagre;  la  quatrième  est  celle  d'Amphytrion  et  â'Alcméne;  et 
la  cinquième  est  celle  de  Persée  et  de  Pélops,  l'un  et  l'autre  fils 
de  Jupiter.  Le  généalogie  de  Priant  offre  également  cinq  généra- 
tions. Car  Priam  eut  pour  père  Laomédon  :  celui-ci  fut  fils  à'Ilus, 
qui  naequit  de  Troes  fils  d' Ericthon  ,  lequel  eut  pour  père  Dar- 
danus  fils    de   Jupiter    et  d'Electre    fille  d'Atlas. 

Mais  parmi  ces  diverses  époques,  trois  particulièrement  sont  Epoque 
remarquables.  La  première  est  l'expédition  des  Argonautes  con-  hîZrïqZl. 
duits  par  Jason  à  la  conquête  de  la  toison  d'or,  environ  79  ans 
avant  la  prise  de  Troie,  et  ia63  ans  avant  l'ère  vulgaire  (a).  La 
seconde  est  la  guerre  des  sept  chefs  contre  Thébes ,  qui  eut  lieu 
laaS  ans  avant  cette  ère  (3).  La  troisième  est  la  prise  de  Troie, 
environ  1184  ans  avant  la  même  ère  (4).  Comme  ces  trois  époques 
comprennent  les  faits  les  plus  marquans  dans  les  fastes  de  l'an- 
cienne Grèce,  et  qui  ont  fourni  à  la  poésie  et  aux  beaux  arts  les 
sujets  de  composition  les  plus  célèbres  ,  nous  croyons  qu'il  importe 
de  nous  y  arrêter  un  peu,  afin  d'en  éclaircir  l'histoire  par  l'exa- 
men critique  de  quelque  monument  qui  y  ait  rapport, 

Platon,  les  Dieux  régnèrent  sur  la  terre  dans  les  lieux  qui  leur  échu- 
rent par  le  sort.  Voilà  la  Théogonie  ,  ou  génération  des  Dieux.  Les  hom- 
mes bons  et  sages  ,  selon  le  même  Gritias ,  qui  prirent  à  tâche  d'imiter  les 
Dieux  ,  formèrent  VHérogonie  ,  ou  génération  des  Héros. 

(1)  Hom.    Carmina.  Tom.  VIII.  Excursus  IV.  pag.   83i. 

(2)  La  même  année  Adraste  Roi  d'Argos  célébra  pour  la  première 
fois  les  jeux  Pythiques. 

(3)  Nous  nous  sommes  servis  des  Tables  chronologiques  de  Blair 
pour  déterminer  les  années  de  ces  époques. 

(4)  Troie  fut  incendiée  par  les  Grecs  dans  la  nuit  du  s3  au  2.4  du 
mois  de  Targelion  ,  qui  correspond  à  celle  du  n  au  12  juin  ,  d'après  les 
marbres  RArondei,  408  ans  avant  la  première  Olympiade  selon  Apollo- 
dore.  Les  marbres  &  Arondel  _,  connus  encore  sous    les  noms    de   marbres 

Europe.    Vol,  I,  i0 


.l'£OS. 


74  CoSTÏÏME 

EXPÉDITION      DES     ARGONAUTES. 

fs  Argonautes  furent  ainsi  appelés  du  mot  Argos ,   nom  du 
DU'crsite      vaisseau  qu'ils  montèrent  pour  aller  en  Colchide  à  la  conquête  de 

a  opinions  . 

su\f  mot  ^a  toison  d'or.  Apollonius,  Diodore  de  Sicile  et  autres  sont  d'avis, 
que  ce  vaisseau  prit  le  nom  à' Argus  ou  à9 Argos ,  de  celui  qui  en 
fut  le  constructeur.  D'autres  prétendent  que  cette  dénomination 
dérive  du  mot  Grec  *n**  ,  qui  veut  dire  vite ,  léger  (i),  d'autres 
enfin  la  font  dériver  d' Argos,  nom  de  la  ville  où  il  fut  construit  (a). 
Quelle  que  soit  l'étymologie  de  ce  mot ,  l'opinion  était ,  que  le 
même  navire  avait  été  fait  sur  le  dessin  et  sous  les  auspices  de  Mi- 
nerve ,  que  sa  proue  était  du  bois  des  chênes  de  la  forêt  de  Do- 
clone  qui  parlaient  et  rendaient  des  oracles  >  et  le  reste ,  de  bois 
coupés  sur  le  mont  Pélion.  C'est  pourquoi  on  lui  avait,  encore 
donné  les  noms  de  sacra ,  loquax ,  falidica ,  ainsi  que  ceux  de 
pelia  et  peliaca. 

de  Paros  et  d' Oxford ,  sont  le  plus  ancien  et  le  plus  beau  monument 
de  chronologie  qui  existe.  Ils  furent  découverts  dans  file  de  Paros  par 
Thomas  Petre  ,  que  Lord  Howard  Comte  d'Arondel  avait  envo)ré  dans 
le  Levant,  pour  y  faire  l'acquisition  des  monumens  de  l'antiquité  les  plus 
précieux  ,  et  le  dépôt  en  a  été  confié  à  l'Université  d'Oxford  où  ils  se 
trouvent  maintenant.  Ils  indiquent  les  époques  les  plus  mémorables  de 
la  Grèce  ,  depuis  Cécrops  fondateur  d'Athènes  jusqu'à  l'Archonte  Dio- 
gnéte  ,  ce  qui  forme  une  suite  de   i3i8  ans. 

(i)  Quidam  Argo  a  celeritate  dictarn  volunt.  Servius.  Comm.  in  IV. 
Virg.  Eclog. 

(2)  Quelques-uns  s'en  tenant  aux  deux  vers  rapportés  par  Cicéron 
dans  le  premier  livre  de  ses  Tusculanes  ,  comme  étant  d'un  ancien  poëte 
latin  ,  ont  donné  une  autre  étymologie  au  mot  Argos.  Ces  vers  ,  qui  sont 
d'Ennius  ,  sont  les  suivans  : 

■Argo }  quia  Argivi  in  eà  delecti  -viri 
Vecti  _,  petebant  pellem  inauratam  arietis. 

On  regarde  néanmoins  généralement  comme  apocriphes ,  malgré  le  senti- 
ment de  Virburge  ,  ces  expressions  quia  Argivi ,  car  dans  toutes  les  édi- 
tions d'Ennius  on  lit  ;  Argo ,  qua  vecti  Argivi  delecti  viri. 


de    la    Grèce.  «5 

Le  chef  de  cette  expédition  fut  Jason  ,  et  avec  lui  partirent  rw 
cinquante  deux  princes,  la  fleur  des  héros  de  la  Grèce.  Ils  s'em-  desArs°"nu 
barquèrent  à  Pagase  promontoire  de  la  Magnésie  en  Thessalie, 
passèrent  à  Lemnos,  et  de  là  dans  la  Samothrace.  Après  avoir 
traversé  l'Hellespont  et  côtoyé  l'Asie  mineure,  ils  entrèrent  dans 
le  Pont-Euxin  par  le  détroit  des  Simplegades  (1),  et  abordèrent  à 
Aea^  capitale  de  la  Colchide  (a).  Le  but  de  leur:  voyage  étant 
rempli ,  ils  se  rembarquèrent ,  non  sans  courir  quelques  dangers , 
renvinrent  presque  tous  heureusement  dans  leur  patrie.  On  trouve 
dans  Apollonius ,  dans  Apollodore,  dans  Ovide,  et  dans  Valerius 
Flaccus  (3),  des  notions  détaillées  sur  cette  expédition  et  sur  les 
héros  qui  y  prirent  part. 

On  fait  ordinairement  deux  questions  au  sujet  de  cette  entre-      Opinions 
prise  fameuse.  On  demande  d'abord  quelle  était  la  forme  du  vais-     "ïJltZ 
seau  dont  il  s'agit.  La  plupart   des  écrivains  sont  d'avis   qu'il  était        Al6"s 
long,  et  ressemblait  à  nos  galères.  La  construction  devait   en   être 
fort  simple  et  même  grossière  dans  ces   premiers  tems ,  où  l'art    de 
la  navigation  était  encore  dans  son  enfance  ;  et  en  effet    le    scho- 
liaste    d'Apollonius    rapporte    que,    selon    l'opinion   commune,    ce 
vaisseau  fut  le  premier  a  qui  on  donna  une  forme    longue.,    ou   le 
premier  navire  de  quelqu'importance  et  armé  en  guerre  qui  parut: 
ce  qui  est  encore  attesté  par  Diodore.  Pline  assure  la  même  chose 
sur  la  foi  de  Philostéphane  (4).  Que  ce  navire  ne  fût  pas  d'un  vo- 
lume bien  considérable,  c'est  ce  dont  on  ne  peut  guères  douter,  d'a- 
près l'ancienne  tradition  qui  le  fait  porter  sur    les    épaules    même 
des  Argonautes ,  depuis  les  bords  du  Danube  jusqu'à  la  mer  Adria- 

(1)  Deux  îles  ,  ou  plutôt  deux  rochers  près  le  détroit  de  Constanti- 
nople  :  ils  sont  si  près  l'un  de  l'autre  qu'ils  semblent  se  toucher  et  s'en- 
trechoquer ;  ce  qui  a  fait  imaginer  aux  poètes ,  que  c'étaient  deux  monstres 
.marins  funestes  aux  navigateurs. 

(2)  Aujourd'hui  Mingrélie  ,  à  l'extrémité  orientale  de  la  mer  Noir, 
entre  la  Circassie ,  la  Géorgie  et  l'Aladulie. 

(5)  Lisez  sur  cette  fameuse  expédition  le  X.e  tome  des  œuvres  du 
Comte  Carli.  Milan,  1785,  Monast.  de  S.  Ambsoise.  Ce  savant  auteur 
a  traité  son  sujet  en  quatre  livres  ,  dans  lesquels  sont  éclaircis  divers 
points  sur  la  Navigation  ,  Y  Astronomie  ,  la  Chronologie  et  la  Géogra- 
phie des  anciens. 

(4)  Longa  nave  Jasonem  primum  navigasse ,  Pkilost-ephanus  au* 
céor  est,  Plin.  liv.  7.  c,  58. 


^76  Costume 

tique.    On    croit   encore    qu'il    était   de  l'espèce   de  ceux   appelés 

*T*n*Ml'ft  à  cinquante  rames,  comme  on  peut  le  conjecturer  d'après 

certains  passages    d'Orphée ,  d'Apollodore ,    de    Pindare    et  autres. 

Médaille  où  ea  On  le  voit  en  effet  représenté  avec  des  rames ,  sur  une  médaille  qui 

représenté  i  i  t  er  i  i         •         ..  ^  -, 

ce  navire,  se  trouve  dans  le  1.  tome  des  Antiquités  Grecques  de  Gronove , 
de  laquelle  le  Comte  Carli  a  donné  une  copie  dans  son  ouvrage, 
et  dont  nous  présentons  l'image  à  la  planche  10,  fig.  i.  La  lé- 
gende de  cette  Médaille  est  Arro  MAr-NHTnN  ,  Argos  des  Magnésiens , 
autre  nom  des  Argonautes ,  soit  parce  qu'ils  étaient  tous  de  la  Ma- 
gnésie ,  soit  parce  que  Jason  était  né  à  Giolchos ,  ville  de  cette 
contrée ,  soit  enfin  parce  que  le  vaisseau  avait  été  construit  à  Pa- 
gase ,  qui  était  également  une  ville  et  un  promontoire  de  la  Ma- 
gnésie. Après  son  expédition ,  Jason  consacra  à  Neptune  son  na- 
vire ,  qui  fut  ensuite  transporté  au  ciel ,  et  mis  au  nombre  des 
constellations. 
objet  On  demande  en  second  lieu  quel  était  îe  but  de  cette  fameuse 

de  l'ex  édition  £  a  •    • 

des  Argonautes  expédition,  et  ce  qu  on  doit  entendre  par  la  toison  d'or.  Selon 
la  tradition  mythologique,  Athamante  fils  d'i?oZe,  eut  de  Néphéle 
un  garçon  et  une  fille  appelés  Phrysus  et  Hellê.  Néphéle  ayant 
été  métamorphosée  en  nuage,  Athamante  épousa  Inus  ou  Jnon. 
Cette  dernière,  dans  la  vue  de  se  débarasser  de  ses  beaux-fils, 
persuada  aux  femmes  de  YEoiide  de  broyer  le  grain  avant  de  le 
semer,  en  leur  promettant  de  recueillir  par  ce  moyen  une  mois- 
son plus  abondante.  Ce  conseil  artificieux  fut  la  cause  d'une 
horrible  famine  dans  toute  la  Thessalie.  Les  prêtres  de  Delphes 
qui  avaient  déjà  été  gagnés  par  Inon ,  dirent  que  la  famine  ne  ces- 
serait, que  quand  Néphéle  aurait  immolé  un  de  ses  enfans.  Phrysus 
fut  designé  pour  être  sacrifié.  Mais  Néphéle ,  les  enveloppa  tous  les 
deux  d'un  nuage ,  et  les  fit  monter  sur  un  bélier  dont  la  toison  était 
d'or,  pour  les  enlever  de  la  Grèce.  En  traversant  la  mer  Assénienne , 
Hellê  tomba  clans  l'eau  et  se  noya  ,  ce  qui  fit  donner  à  cette  mer 
le  nom  d' Hellespont.  Arrivé  à  Cole ,  Phrysus  sacrifia  le  bélier  à 
Mars ,  épousa  Calciope  fille  â'Hecta  Roi  de  Colchide ,  et  suspen- 
dit sa  toison  à  un  arbre  de  la  forêt.  Or  l'expédition  des  Argo- 
nautes avait  pour  but  la  conquête  de  cette  toison. 
Srsiême  Nous  ne    rapporterons    pas    ici    l'interprétation    que    Du  puis , 

.de  Dupuis  n     _  _      ,  .      rr„    .  f  i-ii  il' 

a  autres.  Ptabaud  de  saint  Ltienne,  et  autres  philosophes  modernes  donnent  a 
cette  histoire  en  disant,  qu'elle  est  une  allégorie  des  personnages 
;et  des  signes    emblématiques    du  firmament^,  qui  courent    après    !.$ 


tZ'Ëusu 


;rron  , 
de   Pline  de. 


de    la    Grèce.  77 

bélier  dans  îe  zodiaque ,  lorsque  cette  constellation  revient  sur 
Hiorison  :  nous  avons  vu  le  cas  qu'on  doit  faire  des  systèmes  de  ces 
philosophes.  Nous  nous  abstiendrons  également  de  parler  des  ex- 
plications presque  ridicules  ou  puériles  qu'on  trouve  dans  Hera- 
clite, Palefate,  Suidas  et  autres  (i)  dont  M.r  Carli  fait  mention 
dans  son  ouvrage.  D'autres,  et  particulièrement  Eustaze,  pensent  0ifl 
avec  plus  de  probabilité,  que  les  Argonautes  avaient  pour  objet 
dans  leur  expédition  ,  de  rapporter  de  l'or  que  les  torrens  de  la  Col- 
chide  roulent  avec  leurs  sables  ,  et  qu'on  ramasse  avec  des  peaux 
de  mouton  ,  comme  cela  se  pratique  encore  en  quelques  endroits  sur 
les  bords  du  Rhône  et  du  Rhin.  Strabon  et  Justin  semblent  confir- 
mer l'opinion  à°Eustaze.  Le  premier  dit  positivement ,  qu'à  l'exem- 
ple de  Phrysus ,  les  Argonautes  allèrent  en  Coîchide  pour  s'enri- 
chir dans  cette  riche  contrée  (a).  C'est  pour  cela  aussi  que  Vale- 
ïius  Flaccus  fait  dire  à  Jason  ,  qu'il  allait  à  Colchos  pour  s'enri- 
chir des  dépouilles  des  Scythes  (3).  Il  y  a  peut  être  encore  plus 
de  probabilité  dans  l'opinion  de  Varron  et  de  Pline,  qui  préten-  2?eVa 
dent  <jue  la  toison  âJor  n'était  autre  chose  que  la  belle  laine  de 
Colchos,  et  que  par  conséquent  l'expédition  des  Argonautes  ne 
doit  être  considérée  que  comme  une  expédition  de  commerce.  Tel 
est  aussi  le  sentiment  de   Le    Clerc   et    antres    écrivains  distingués, 

(i)  Heraclite  dit  que  ce  mouton  était  une  homme  appelé  #/»*«*;  Ckrios, 
qui  veut  dire  aussi  Mouton  ,  et  qu'on  lui  donna  l'épithéte  d'or  à  cause 
de  sa  fidélité.  Palefate  croit  que  ce  personnage  était  le  trésorier  d'Atha- 
mante ,  lequel  avait  entre  autres  choses  sous  sa  garde  une  statue  d'or. 
Suidas  prétend  que  ce  n'était  autre  chose  qu'un  livre  couvert  d'une  peau 
de  mouton  ,  dans  lequel  on  apprenait  à  faire  de  l'or.  Bochart  s'efforce 
d'expliquer  toute  l'histoire  des  Argonautes  par  des  conjectures  étranges 
sur  l'étymologie  de  mots  Phéniciens. 

(a)  Strab.  Liv.  I. 

(3)  Liv.  IV.  Que  la  Coîchide  fût  riche  autrefois  en  or  et  en  argent,, 
c'est  ce  qu'on  peut  déduire  de  ce  passage  de  Pline  :  Jam  regnaverat  in 
Colchis  Salauces  et  Esuprobes  ,  qui  terrain  virginem  nactus ,  plurimum 
argentin  aurique  eruisse  dicitur ,  in  suap.te  génie,  et  alioquin  i)elleri- 
bus  inclyto  regno.  Hist.  nat.  liv.  53  ,  chap.  3.  Que  si  cette  contrée  ne 
présente  plus  aujourd'hui  aucuns  trésors ,  on  ne  doit  pas  en  conclure  pour 
cela  qu'elle  n'en  renfermait  pas  avant  la  guerre  de  Troie.  Combien  de 
pays  jadis  renommés  par  leurs  richesses  ,  qui  sont  à  présent  pauvres  et 
misérables?  Que  de  mines  d'or,  maintenant  épuisées ,  qui  jetaient  ancien- 
nement d'un  rapport  immense  ? 


> 


7*-*  Costume 

jNous  ne  saurions  pourtant  adopter  à  cet  égard  l'opinion  d'un  au- 
teur moderne,  qui  a  prétendu  prouver,  avec  un  grand  étalage 
d'érudition  ,  que  la  toison  d'or  indique  les  draps  de  soie  que  Jason 
rapporta  de  la  Colchide  en  Grèce,  et  que  par  conséquent  les  Grecs 
eurent,  dans  les  tems  reculés,  des  relations  commerciales  avec  la 
Chine  (i).  Les  raisons  qu'il  donne  sont  d'un  si  faible  argument., 
l'interprétation  qu'il  fait  de  certains  passages  des  auteurs  Grecs  et 
Latins  est  si  arbitraire,  et  la  première  connaissance  qu'on  a  eue 
de  la  soie  en  Europe  est  si  éloignée  de  Fépoque  de  l'expédition 
des  Argonautes  ^  qu'il  lui  sera  bien  difficile  de  trouver  quelqu'un 
de  son  avis.  (a).  On  peut  donc  regarder  cette  expédition  comme  le 
premier  voyage  qui  ait  été  entrepris  pour  des  intérêts  de  commer- 
ce ;  et  cette  opinion  nous  parait  au  moins  la  plus  problable  de 
toute  celles  qu'a  fait  naitre  cet  événement  fameux ,  qui  forme  la 
première  époque  des  tems  héroïques. 
d'où  doit-on  Néanmoins,  avant  de  donner  la  description  d'aucun  monument 

lesmonumpns    relatif  à  cette  époque   et    à    celles    qui    suivent,    nous    observerons 

eoHcenians  les       -,  -i  -■  .  ,     . 

tems  héroïques,  deux  choses  que  nous  ne  devons  point  laisser  agnorer.  La  premiè- 
re, c'est  qu'à  défaut  de  monumens  qui  appartiennent  aux  siècles 
héroïques,  nous  serons  obligés ,  non  seulement  de  recourir  à  des  tems 
postérieurs,  mais  encore  à  sortir  quelquefois  de  la  Grèce,  pour 
rechercher  en  Italie  ceux  qui  peuvent  avoir  rapport  à  l'histoire  et 
à  la  Mythologie  des  Grecs  :  car  après  les  monumens  Egyptiens , 
les  plus  anciens  sont  ceux  qui  ont  été  trouvés  en  Etrurie  et  dans 
le  Latium.  Nous  verrons  même  que  le  souvenir  de  certains  événe- 
mens  particuliers  à  la  Grèce,  s'est  moins  conservé  dans  les  ouvra- 
ges des  Grecs,  que  dans  ceux  qui  ont  été  improprement  appelés 
Vases        Etrusques.   Et  en  effet,  les  peintures   qui  embellissent  les  vases   et 

improprement  _  .  .         .     ,        ,,,«-,  . 

appelés       autres    objets    d  antiquité    de    1  Etrurie  ,  sont    pour  la    plupart  dans 

Etrusques.        ta  *  i  •  ,-, 

le  goût  et  représentent  des  sujets  Grecs.  «  Il  semble ,  dit  Winckel- 
m&nn  (3),  que  Fart  du  dessin  a  été  professé  chez  les  Tyrrhéniens, 
ou  en  Etrurie  par  des  Grecs;  c'est  ce  qu'on  peut  conjecturer  de 
l'établissement  que  firent  quelques  colonies  Grecques  dans  ce  pays, 
et  plus  encore  du  penchant  qu'on  voit  dans  les  artistes  Etrusques 
à  ne  retracer ,  pour  ainsi  dire  ,  que   des    sujets    de  la  fable   ou  de 

(i)  Panth.  Chin.  par  Jos.  Hager. 

(2)  Nous  reviendrons  sur  ce  sujet  à  l'article  du  commerce  des  Grecs. 

(5)  Monumens  anciens  inédits,  Rome.,  1767  ,  vol.  I.  pag.  XXVI. 


de    la    Grèce.  7g 

l'histoire  Grecques  dans  la  plupart  de  leurs  ouvrages.  „  Les  plus  ha- 
biles écrivains  s'accordent  tous  sur  ce  point  avec  Winckelmann  (1). 
Nous  nous  étendrons  d'avantage  sur  ce  sujet ,  lorsque  nous  traiterons 
du  costume  des  anciens  Etrusques.  On  ne  sera  donc  pas  surpris,  si 
lorsque  la  Grèce  ne  nous  présente  aucuns  monumens  ,  nous  y  sup- 
pléons par  d'autres,  pris  dans  des  antiquités  Etrusques,  et  qui  sont 
analogues  à  son   histoire. 

En  second  lieu ,  c'est  que  malgré  que  les  monumens  dont  nous 
invoquerons  le  témoignage  soient  postérieurs  aux  tems  auxquels  ils  se 
rapportent,  ils  n'en  retracent  pas  moins  fidèlement  le  costume  propre 
aux  personnages  qu'ils  représentent,  et  tel  qu'il  était  alors,  ou  tel 
qu'on  le  croyait  avoir  été  à  l'époque  où  ils  furent  faits.  Il  ne 
faut  pas  croire  pourtant  que  dans  ces  sortes  d'ouvrages,  les  artistes 
Grecs  ne  se  permissent  point  quelque  licence,  surtout  lorsqu'il  s'a- 
gissait de  représenter  l'image  de  leurs  Dieux  ,  de  leurs  héros,  ou  de 
quelqu'autre  personnage  illustre.  Par  exemple,  leur  goût  pour  le 
nu  et  pour  les  formes  élégantes ,  leur  a  fait  représenter  souvent 
leurs  généraux  et  même  leurs  magistrats  sans  aucune  sorte  d'ha- 
billement, ou  seulement  avec  quelque  draperie  jettée  autour  de 
leurs  épaules  ou  de  leurs  reins.  Or,  comment  est  il  probable,  que 
Méléagre  soit  parti  nu  pour  la  chasse,  tel  qu'il  est  représenté  dans 
la  statue  du  Musée  de  Paris?  Achille  ne  sera  sans    doute    pas  in- 


Probabilité* 
du  costume 
représenté 

dans 

les  ancien* 
monument 


(1)  Trois  choses  semblent  aujourd'hui  évidemment  prouvées  à  l'égard 
des  Etrusques:  i.°  que  les  beaux  arts  ont  été  apportés  en  Etrurie  par  des 
colonies  Grecques  qui  vinrent  s'y  établir  environ  trois  cent  ans  avant  le 
siècle  d'Homère  ;  z.°  que  la  plupart  des  ouvrages  Etrusques  représentent: 
des  sujets  tirés  de  la  Mythologie  et  de  l'histoire  Grecque  ,  dont  on  ne 
retrouve  aucune  trace  dans  les  monumens  qui  nous  sont  venus  de  la 
Grèce  ;  5.°  que  les  peuples  de  l'Etrurie ,  selon  le  témoignage  de  gens 
érudits  ,  jouirent  d'une  longue  paix,  pendant  laquelle  il  purent  s'appliquer 
aux  beaux  arts  qu'ils  avaient  appris  des  Grecs ,  tandis  que  ceux-ci  en  proie 
à  des  troubles  violens  ,  devaient  naturellement  être  détournés  des  occu* 
pations  paisibles.  On  peut  donc  regarder  justement  comme  Grecs  une  grande 
partie  des  monumens  Etrusques.  V.  Winckelmann  Histoire  de  l'art  etc., 
et  Monumens  anciens  inédits.  Guarnacci ,  Origines  Italiques.  Caylus, 
Recueil  d'antiquités  ,  et  plusieurs  autres ,  du  nombre  desquels  sont  d'Han- 
carville  et  le  savant  Heyne  dans  sa  belle  Dissertation  sur  les  Etrusques  , 
qui  a  été  insérée  dans  le  premier  volume  page  653.  Addition  G.  de 
Winckelmann ,  Histoire  etc.  édition  de  Paris  ,  1802.  Voy.  après  où  il  est 
question  du  gouvernement  de  l'ancienne  Grèce. 


Manumens 
tle  la    maison 

Albaiii 
représentai       Jang    Ja    maison 
le  navire 
Argos. 


80  Costume 

tervenu  au  Conseil  des  Rois,  dans  l'état    de    nudité  où    on   îe  voit 
dans  les  bas-reliefs  du  Capitole.  Cet  état  n'aura   certainement  pas 
Lihené        été  non    plus  celui    de    Laocoon    offrant    un  sacrifice    à  Neptune 

des   artistes  IjÉs-i-'iiip 

Grecs  dans     maigre  qu  il   soit  tel  dans  le  fameux  groupe  qui  le  représente.  En- 

le   costume.         r  j ,  r      -,  .  ,     rT1  ,  .',     ,  n 

Un,  a  après  les  soins  que  prend  Ulysse  échappe  du  naufrage  pour  pa- 
raître avec  décence  devant  la  fille  d'Alcinoùs ,  on  ne  doit  pas  pré- 
sumer que  Jason  restât  nu  à  la  cour  d'Aete  ou  de  Créonte,  ni  dans 
les  entretiens  qu'il  avait  avec  Médée  ou  avec  Creuse,  malgré  qu'on 
le  voye  tel  dans  tous  les  bas-réliefs  où  il  est  représenté.  Lisez  à 
ce  sujet  la  belle  Dissertation  de  M.r  Visconti  dans  la  Décade  phi- 
losophique (1).  Il  sera  néanmoins  facile  aux  artistes,  lorsque  la 
décence  et  les  circonstances  l'exigeront,  d'habiller  ces  personnages 
sans  s'écarter  du  costume  des  tems ,  en  leur  donnant  la  forme  de 
vêtement  qui  leur  est  propre  ,  et  dont  ils  trouveront  la  description 
dans  cet  ouvrage. 

La  fig.  r  de  la  planche  10  qui  représente  le  vaisseau  des  Ar- 
gonautes, est  copiée  d'après  un  bas-rélief  eu  terre  cuite  existant 
dans  la  maison  de  plaisance  du  Cardinal  Albani  (2).  Le  mât  qu'il 
porte  peut  donner  une  idée  des  bois  du  mont  Pélion  avec  lesquels 
ce  vaisseau  fut  fabriqué.  Argos  travaille  à  sa  construction  aidé 
par  Minerve.  On  croit  voir  la  Déesse  arrangeant  la  voile  sur  l'an- 
tenne. Celui  qui  l'aide,  en  soutenant  cette  voile,  est  Tiphis  le 
pilote.  La  partie  du  navire  à  laquelle  Argos  travaille  est  sans 
doute  la  poupe,  car  Pallas  l'ayant  placée  au  rang  des  constella- 
tions 3  cette  partie,  ainsi  que  le  mât  et  la  voile,  étaient  les  seules 
choses  qu'on  voyait  de  ce  navire.  L'édifice  voisin  pourrait  être  le 
temple  d'Appolon ,  qui  était  bâti  sur  le  promontoire  de  Pagase  où 
ce  vaisseau  fut  construit  (3). 

Le  n.°  3  de  la  même  planche  est  pris  d'un  vase  Etrusque  de 
la  belle  Collection  du  Chevalier  Hamilton  (4).  Il  représente  Mé- 
dée qui,  pour  venger  Jason  dont  Pelias  avait  fait  périr  le  père  et 

(1)  i5  Floréal,  an  12. 

(2)  V.  Winckelmann,  Monum,  anciens  pag.  IX.  et  Origine  de  V Art. 
Tom.  I.  pag.  29. 

(3)  Ce  bas-relief  fut  trouvé  dans  le  mur  d'une  vigne  en  face  de  la 
porte  Latine  à  Rome  ,  où  il  était  incrusté  avec  deux  autres  ,  et  tenait 
lieu  d'une  brique  ainsi  que  divers  autres  fragmens  précieux  du  même  genre, 

(4)  Peinture  des  vases  antiques }  èdit.  de  Flor.  1800.  Vol.  I.  plan- 
che  VIII. 


î)  È    là    Grèce.  8i 

an  frère  promet  aux  filles  du  même  Péîias  de  rajeunir  leur  père 
en  le  coupant  par  morceaux  qu'elles  feraient  bouillir  ensuite  dans 
une  chaudière,  où  elle  aurait  jette  une  liqueur  contenue  dans  la 
coupe  qu'on  voit  dans  la  main  gauche  d'une  des  deux  filles. 

La  planche  il  est  copiée  sur  une  des  peintures  antiques  et  Mcdèe  et  Jason. 
inédites  des  vases  de  Millingen.  Médée,  assise  au  pied  d'un  arbre, 
présente  au  dragon  le  breuvage  soporifique.  Le  monstre  en  ressent 
déjà  les  effets.  Jason,  profitant  du  moment  heureux  qui  s'offre  à  lui , 
s'avance  pour  le  tuer.  Près  du  héros  est  "Venus  qui,  à  la  prière  de 
Junon  avait  allumé  dans  le  cœur  de  Médée  une  violente  passion 
pour  Jason.  La  Déesse  a  l'air  d'encourager  Médée  à  l'entreprise  , 
et  de  lui  représenter  que  le  moment  est  favorable  pour  son  exécu- 
tion. A  côté  de  Médée  est  un  jeune  homme  ailé.  Ses  formes  n'ont 
tien  d'élégant  ni  d'aimable,  et  il  n'a  aucun  des  attributs  de  l'A- 
mour; son  regard  annonce  les  funestes  auspices  sous  lesquels  s'est 
faite  l'union  des  deux  amans,  et  l'épée  qu'il  tient  dans  Pune  de  ses 
mains,  fait  allusion  aux  événemens  tragiques  qui  devaient  en  être 
la  suite.  Millingen  croit  que  cette  figure  est  le  mauvais  Génie  de 
Medée ,  connu  sous  le  nom  de  ax**™?.  Jason  porte  un  casque  et 
une  épée  ,  et  n'a  pour  vêtement  qu'une  chlamyde  autour  d'un  bras, 
qui  lui  sert  de  bouclier.  L'habillement  de  Médée  est  celui  des 
Amazones  et  des  peuples  de  l'Asie.  Ce  costume  lui  convient  beau- 
coup mieux  que  celui  qu'on  lui  voit  dans  d'autres  monuraens  :  car 
selon  Strabon ,  Médée  donna  son  nom  et  le  genre  de  son  vêtement 
au  peuple  de  l'Asie  chez  lequel  elle  s'était  réfugiée.  Venus  est  ha- 
billée ;  et  cette  manière  de  la  représenter  est  certainement  la  plus 
ancienne:  l'espèce  de  socle  sur  lequel  elle  est,  indique  l'enceinte 
sacrée  où  se  passe  l'action.  Ce  monument  est  un  des  plus  rares  et 
des  plus  précieux  que  l'antiquité  nous  ait  transmis. 

Ces  trois  monumens  nous  paraissent  suffisans ,  pour  satisfaire  la 
curiosité  des  amateurs  du  costume  antique  ,  et  servir  de  modèle  aux 
artistes  qui  voudraient  retracer  dans  quelqu' ouvrage  l'expédition  des 
Argonautes.  * 

Les  sept  Chefs  contre  Théhes. 

Après  l'expédition  des  Argonautes,  l'événement  le  plus  mai-  Première 
quant  que  nous  présente  l'histoire  des  tems  héroïques  est  la  pre-  àfrteîes. 
mière  guerre  de  Thébes,  connue  sous  le  nom  des  Sept  Chefs  contre 

■  Europe,  Vol.  I.  h 


8a  Costume 

Thébes.  C'est  aussi  à  cette  époque  que  l'histoire  de  la  Grèce  com- 
mence à  se  rapprocher  de  Ja  vérité,  et  à  se  dépouiller  du  carac- 
tère fabuleux  dont  sont  empreints  tous  les  événemens  qui  lui  sont 
antérieurs.  «  Les  lois  de  la  guerre  et  de  la  paix,  dit  un  illustre 
écrivain,  allaient  se  perfectionnant  peu-à-peu  dans  la  Grèce,  et 
suivaient  dans  leur  développement  les  progrès  de  la  philantropie  :  la 
guerre  de  Thébes,  la  première  entreprise  remarquable  qui  suivit 
l'expédition  des  Argonautes,  nous  laisse  appercevoir  que  les  peu- 
ples, aussi  bien  que  les  individus,  avaient  déjà  commencé  à  respecter 
les  vertus  qui  sont  les  plus  nécessaires  à  la  félicité  publique  (i).  „ 
Le  mépris  affiché  pour  un  ancien  oracle  ,  les  crimes  involontaires 
d'GEdipe  ,  et  la  férocité  de  ses  enfans ,  entraînèrent  la  famille 
royale  de  Thébes  dans  cet  abîme  de  calamités  si  célèbres ,  qui ,  de- 
puis Eschyle  jusqu'à  Alfieri  ont  fourni  une  source  inépuisable  d'ar- 
gumens  à  la  Muse  de  la  tragédie.  Etéocle  et  Polynice  ,  tout  deux 
fils  du  malheureux  (Edipe,  après  les  disgrâces  infinies  de  leur  pè- 
re, convinrent  d'occuper  successivement,  chacun  pendant  un  an, 
le  trône  de  Thébes.  Etéocle,  qui,  en  sa  qualité  d'ainé  ,  avait  com- 
mencé à  régner  la  première  année ,  ne  voulut  point ,  lorsqu'elle  fut 
expirée,  céder  sa  place  à  Polynice.  Celui-ci  ayant  épousé  Argie 
fille  d'Adraste  Roi  d'Argos,  engagea  son  beau  père  à  l'aider  de  ses 
armes  pour  revendiquer  ses  droits  envers  Etéocle.  Soutenus  des  ren- 
forts que  leur  amenèrent  Tydée ,  Capanée  et  trois  autres  chefs,  les 
deux  Princes  marchèrent  contre  Thébes  à  la  tète  d'une  armée  nom- 
breuse ,  et  l'assiégèrent  avec  fureur.  Etéocle  fit  plusieurs  sorties 
vigoureuses  contre  les  assiégeans  et  les  repoussa.  Enfin  après  divers 
combats  sanglans ,  l'armée  des  alliés  périt  presque  toute  sous  les 
murs  de  cette  ville  avec  les  vaillans  capitaines  qui  la  comman- 
daient, à  l'exception  d'Adraste.  Pour  mettre  fin  à  cette  guerre, 
Mon  Etéocle  et  Polynice  en  vinrent  à  un  combat  singulier,  et  se  tuèrent 
mdePoiynke.  l'un  et  l'autre  (a).  Créon  qui  3  après  la  mort  d'Etéocle  s'était 
fait  Roi  de  Thébes  ,  défendit  qu'on  donnât  la  sépulture  aux  deux 
Princes  dont  les  cadavres  étaient  gissans  au  dehors  de  la  ville.  Mais 

(i)  Gillies,  John.  History  of  ancient  Greece.  London- Sùrehati  1786 , 
yol.  I.  pag.   16. 

(2)  Quiconque  voudrait  avoir  des  notions  plus  détaillées  sur  cet  évé- 
nement ,  n'a  qu'à  lire  l'ouvrage  du  P.  Antonioli  intitulé  ;  Ancienne  pierre 
précieuse  Etrusque  expliquée,  avec  deux  dissertations.  Pise  1767  in  4-° 


de    la    Grèce.  83 

îa  belle  et  sensible  Argie,  qui  pleurait  la  mort  de  son  cher  Po- 
îynice  avec  autant  d'amertume  qu'elle  l'avait  tendrement  aimé  pen- 
dant sa  vie  ,  s'en  vint  la  nuit  dans  le  camp  pour  y  chercher  le 
corps  de  son  malheureux  amant.  Elle  était  parvenue  à  le  trouver, 
et  l'arrosait  de  ses  larmes,  lorsqu'Antigone  fille  d'QEdipe ,  sortie 
de  la  ville  pour  enlever  les  cadavres  de  ses  frères,  survint  dans  le 
même  lieu;  s'étant  reconnues  l'une  et  l'autre,  elles  confondirent 
leurs  larmes ,  et  placèrent  ces  deux  Princes  infortunés  sur  le  même 
bûcher.  Créon  en  ayant  été  instruit ,  ordonna  qu'elles  fussent  enseve- 
lies toutes  vives.  Adraste  ,  aidé  du  secours  de  Thésée  et  des  Athéniens , 
revint  ensuite  sous  les  murs  de  Thébes.  Thésée  tua  Créon,  et  con- 
traignit les  Thébains  à  permettre  aux  Grecs  de  rendre  à  leurs 
morts  les  honneurs  de  la  sépulture.  Environ  dix  ans  après  cet  évé- 
nement ^  les  fils  de  ces  sept  Chefs  s'étant  ligués  entre  eux,  entrepri- 
rent une  nouvelle  expédition  contre  Thébes  afin  de  venger  la  mort 
de  leurs  pères;  ce  qui  leur  fit  donner  le  nom  d'Epigones  (i).  Ils 
tuèrent  Laodamante  fils  d'Etéocle  ,  forcèrent  les  Thébains  d'aban- 
donner leur  patrie,  et  démolirent  les  murs  de  la  ville  après  en 
avoir  emporté  un  riche  butin.  Cette  expédition  est  connue  dans 
l'histoire  sous  le  nom  de  seconde  guerre  de  Thébes. 

Le  n.°  i  de  la  planche  12,  est  pris  d'un  scarabée  Etrusque  en 
corniole  du  musée  Stoschano  (a).  Il  représente  Tydée  ,  Polynice  , 
Amphiaraùs,  Adraste  et  Parthénope  ,  cinq  des  sept  héros  de  cette 
expédition  qui  tiennent  conseil  entre  eux.  Les  trois  premiers  noms 
sont  écrits  de  droite  à  gauche  ,  et  les  deux  autres  de  gauche  à 
droite.  Ce  monument  est  non  seulement  le  premier  qu'on  connaisse 
sur  cette  guerre  fameuse  ,  mais  il  doit  encore  être  regardé  comme 
le  plus  précieux  reste  que  nous  ayons  de  l'art  Etrusque  en  ce  gen- 
re,  et  même  de  l'art  en  général  (3).  La  forme  des  lettres  et  la 
composition  des  mots  diffèrent  beaucoup  de  l'écriture  ordinaire 
des  Etrusques,  et  semblent  plutôt  appartenir  à  la  langue  pelas  ge , 
que  les  savans  croyent  avoir  été   la   mère  des  langues  Etrusque  et 


Argie 
et  AriUgone. 


Ep'igmes. 


Premier 

monument 

de   la  guerre 

de   Thébes. 


Prix  de  ce 

monument. 


(1)  Descendais  ,  du  grec  y*U*it*t ,  qui  veut  dire  naître ,  être  engen- 
dré ,  parce  que  les  chefs  de  cette  seconde  expédition  étaient  nés  des  sept 
qui  commandèrent  la  première. 

(2)  Descr.  des  Pier.  gr.  du  Gab.  de  Stosch.  pag.  644. 

(3)  Winckelmann  ,  Hist.  de  ï 'Art.  Vol.  I.er  pag.  225  ,  et  monum. 
antiques  ,  vol,  I.er  pag.   140. 


°4  Costume 

Grecque.  La  gravure  en  est  d'une  beauté  et  d'une  finesse  qui  sur- 
passent toutes  les  idées  qu'on  pourrait  s'en  former  à  une  époque 
aussi  reculée  ,  malgré  qu'on  n'y  trouve  point  cette  variété  de  com- 
position dont  le  mérite  ne  s'est  acquis  que  dans  des  tems  posté- 
rieurs (i).  Une  des  choses  qui  frappent  le  plus  dans  cette  pier- 
re, c'est  la  position  de  Parthénope  les  genoux  croisés  l'un  sur 
l'autre.,  tel  que  Polignote  représenta  depuis  Hector  à  Delphes,  et 
serrant  de  ses  mains  son  genoux  gauche  ,  attitude  qui  peint  par- 
faitement l'homme  absorbé  dans  une  affliction  profonde  :  il  est  en- 
veloppé dans  son  manteau  ,  comme  Priam  est  dépeint  dans  Homère  , 
c'est  à  dire  que  la  draperie  est  tellement  appliquée  sur  ses  mem- 
bres qu'elle  en  dessine  toutes  les  formes.  Le  bouclier  d'Adraste 
mérite  encore  d'être  remarqué  par  sa  forme  ovale  avec  deux  en- 
tailles semi-circulaires ,  comme  on  en  voit  aux  boucliers  retracés  sur 
les  médailles  d'Argos. 
Awphiaraûs.  Les  ii.  % ,  3  et  4  de  la  même  planche  représentent  un  fait  qui 

appartient  aussi  à  l'expédition  de  Thébes.  Amphiaraûs  un  des  sept 
Chefs  et  devin  fameux  ,  était  persuadé  que  les  chefs  de  cette  entre- 
prise devaient  tous  périr  sous  les  murs  de  cette  ville,  excepté  Adraste: 
il  s'efforçait  par  conséquent  d'eu  détourner  ses  compagnons,  pour 
échapper  lui  même  à  cette  destinée.  Mais,  par  un  engagement  so- 
lennel qu'il  avait  pris  avec  Adraste,  il  s'était  obligé  de  suivre 
les  conseils  de  sa  femme  Eryphile  dans  toutes  les  questions  qui 
pourraient  s'élever  entre  eux.  Flattée  par  l'appât  d'un  collier  d'or 
dont  Polynice  lui  fit  présent ,  Eryphile  décida  que  son  mari  deva  it 
aller  à  la  guerre. 

Le  monument  est  copié  sur  une  des  peintures  des  vases  anti- 
ques du  Chevalier  Hamilton  (a).  Les  deux  figures  n.°  a  sont  Am- 
phiaraûs avec  l'habillement  et  le  bâton  de  devin,  et  Eryphile  don- 
nant son  avis  en  faveur  d'Adraste.  Le  n.°  3  représente  Amphiaraûs 
méditant  sur  le  parti  qu'il  cloit  prendre.  On  apperçoit  un  génie 
qui  lui  présente  un    casque ,   et  le  détermine  à  mourir    victime  de 

(i)  La  description  de  cette  pierre  fut  publiée  pour  la  première  fois 
par  Gori,  mais  avec  peu  d'exactitude.  Winckelmann  ÇPier.  grav.  de 
Stosch.  endroit  cité  )  finit  ainsi  ce  qu'il  en  dit  :  «  Cette  pierre  est  donc  , 
entre  toutes  les  autres  pierres  gravées }  ce  qu'Homère  est  parmi  les  poètes  : 
aucun  cabinet  ne  peut  se  vanter  de  posséder  un  ouvrage  en  gravure  aussi 
précieux,  » 

(2).  Tom.  premier  planche  XXI.  ,  édit.  de  Florence. 


de    la    Grèce.  •  85 

sa  parole.  Le  n.°  4  est  Eryphile  menacée    par    son  fils  Alcraéon  & 
auquel  son  père  avait  recommandé  le  soin  de  le  venger. 

Les  artistes  trouveront  encore  à  acquérir  des  connaissances  pré- 
cieuses dans  les  gravures  de  Flaxman,  où  sont  représentés ,  avec  un 
soin  et  des  travaux  infinis,  tous  les  sujets  des  tragédies  d'Eschyle , 
du  nombre  desquelles  est  aussi  celle  des  sept  Chefs  contre  Thé- 
bes  (r). 

Guerre  de  Troie. 
Ce  serait  trop  nous  écarter  de  notre  objet ,  que  de  vouloir  trai-       NoOoua 

L  J  *  SUT   la  querpc: 

ter  ici  toutes  les  questions  agitées  entre  les  érudirs  au  sujet  de  cette  ^  Troili- 
guerre  fameuse.  Nous  croyons  d'ailleurs  qu'il  est  parfaitement  inu- 
tile .d'en  retracer  l'histoire  5  en  ce  qu'il  n'est  personne  d'un  esprit 
un  peu  cultivé,  et  ami  des  beaux  arts,  qui  n'ait  quelque  teinture 
des  œuvres  divines  d'Homère  et  de  Virgile.  Nous  nous  bornerons 
donc  à  exposer  succinctement  quelques  notions  préliminaires,  qui 
seront  comme  autant  de  corollaires  aux  recherches  laborieuses  que 
les  écrivains  les  plus  savans  ont  faites  sur  la  guerre  de  Troie ,  nous 
accompagnerons  ces  notions  de  quelques  monumens  qui  ayent  rap- 
port aux  événemens  les  plus  remarquables  de  cette  guerre. 

On  ne  peut  plus  douter    aujourd'hui  que  la  guerre  de  Troie  ne        Vérité 

,     .     »      1         «    .  ,         .  ,  ,  .  ,  .  de   la  guerre 

soit  une  vente  de  lait,  maigre  que  le  plus  ancien  écrivain  qui  en  de  Troie. 
ait  traité  soit  un  poète,  qui  est  Homère.  On  ne  doit  donc  point 
regarder  l'Iliade  et  l'Odyssée  comme  de  simples  productions  d'un 
génie  poétique,  mais  encore  comme  un  recueil  précieux  des  tradi- 
tions les  plus  antiques  de  la  Grèce.  Plusieurs  des  événemens  qui 
sont  exposés  dans  ces  deux  poëmes  célèbres ,  sont  confirmés  non 
seulement  par  les  relations  de  Thucydide,  de  Pausanias  et  autres 
historiens  Grecs ,  mais  encore  par  tous  les  monumens  les  plus  anti- 
ques ,  et  entre  autres  par  les  marbres  à'drundel  (a).  Il  faut  pour- 
tant savoir  y  distinguer  ce  qui  est  réelement  historique  de  ce    qui 

(i)  Compositions  front  the  tragédies  of  Aeschylus  designed  by  John, 
Flaxman ,  engraved  hy  Thomas  Piroli.  London  etc.  Plusieurs  de  ces 
compositions  nous  semblent  prises  sur  celles  des  vases  d'Hamilton  ,  avec 
lesquelles  elles  ont  en  effet  beaucoup  de  ressemblance. 

(2)  Voy.  l'histoire  universelle  d'une  société  de  gens  de  lettres  An- 
glais t  et  Gillies.  Hïstory  of  An,  Greece,  Vol.  I.er  pag.  3o  et  suiy. 


1 


Faits 
historiques. 


80  Costume 

n  est  que  simple  fiction  ,  on  des  ornemens  qu'il  a  plu  au  poète 
d'y  ajouter,  pour  leur  donner  ce  caractère  de  merveilleux  qui 
tient  aux  choses  surnaturelles,  et  qui  doit  dominer  dans  l'épopée. 
On  peut  donc  réputer  comme  historiques  les  faits  suivans  rapportés 
dans  l'Iliade;  i.°,  que  la  Grèce  était  divisée  à  cette  époque  en 
plusieurs  petites  principautés;  3.0,  qu'Agamemnon  Roi  de  Mycé- 
ne,.de  Sicyone  et  de  Corinthe  ,  était  le  Prince  le  plus  puissant 
d'entre  les  Grecs,  et  qu'il  avait  été  élu  pour  commandant  en  chef 
de  l'expédition  contre  Troie;  3.°,  on  doit  également  retenir  pour 
vérités  historiques  les  noms  des  diverses,  nations  et  des  différent 
Princes  qui  s'allièrent  aux  Troyens,  l'art  militaire  et  les  machines 
de  guerres  usitées  à  cette  époque  ,  les  noms  des  conducteurs  de  la 
flotte  ,  leur  caractère  ,  la  situation  des  pays  et  des  villes  ,  ainsi 
qu'une  foule  d'autres  choses  qu'il  serait  trop  long  d'indiquer  ici  (1). 
Postes  En  second  lieu,  ce  ne  fut  que  cent  ans  au  moins    après   Ho- 

mère, et  depuis  la  publication  de  ses  ouvrages;  que  l'histoire  de  la 
guerre  de  Troie  commença  à  être  chantée  par  les  poètes  cycliques, 
qui ,  à  l'exemple  d'Homère  ,  se  mirent  à  traiter  en  poésies  épiques 
non  seulement  les  événemens  rapportés  dans  l'Iliade,  ainsi  que 
ceux  qui  l'ont  précédée  et  suivie,  mais  encore,  comme  le  prétend 
Proclus  dans  Phocius ,  toute  la  mythologie ,  depuis  les  noces  du 
ciel  avec  la  terre  ,  jusqu'au  terme  des  voyages  d'Ulysse  (fi).  C'est 
pourquoi  les  savans  distinguent  ordinairement  deux  cycles  poétiques  9 
ou  deux  périodes  d'événemens  mythologiques  et  historiques  :  le  pré- 
cède mkycpe.  mier  s'appelle  cycle,  mityqim  ou  fabuleux,  et  comprend  tous  les 
tems  de  la  fable,  depuis  la  généalogie  des  Dieux  jusqu'à  la  ruine 
Cycle  Troyen.  de  Troie  ;  et  le  second,  qui  est  le  cycle  Troyen  ,  comprend  tous 
les  événemens  de  la  guerre  de  Troie ,  tant  vrais  que  fabuleux. 
Ces  deux  espèces  de  cycles  ont  donné  naissance  à   deux    sortes    de 

(1)  Dion  Chrysostome  est  peut-être  le  premier  qui,  dans  un  discours 
qu'il  adresse  aux  Troyens  ,  s'est  efforcé  de  prouver,  que  le  siège  et  la  ruine 
de  Troie  ne  sont  qu'une  fable.  Les  érudits  sont  néanmoins  d'avis  que  ce 
discours  n'est  qu'un  ouvrage  sophistique  ,  composé  par  Dion  pour  faire 
pompe  de  son  esprit.  Les  Chants  héroïques  de  Philostrates  sont  du  même 
genre,  et  méritent  la  même  confiance. 

(2)  Lisez  à  ce  sujet  ,  entre  autres  écrivains  ,  Schwarzius  Altdorf  in 
Diss.  de  poetis  cyclicis  ,  et  Fabr.  Bibl.  Gr.  t.  I.er  pag.  281  ,  et  surtout  le 
savant  Heyne  dans  son  Virgile  Vol.  II,  De  auctoribus  rerum  Trojanarum 
pag.  352  ,  troisième  édit.  Leipsik  etc. 


Poètes 
et  prosateurs 

cycliques. 


15  e    la    Grec  e.  87 

poètes  et  de  chants  cycliques ,  selon  qu'ils  ont  préféré  de  s'attacher 
à  l'un  plutôt  qu'à  l'antre.  Le  premier  a  été  chanté  par  Enmolus 
Corinthien  qui  vivait  vers  le  commencement  des  Olympiades,  et  par 
Aretinus  de  la  même  ville;  le  second  par  un  autre  Aretinus ,  par 
Lesque  3  par  Stasinus  de  Chypre  et  autres.  Bien  que  ces  poètes ,  au- 
tant qu'on  en  peut  juger  par  les  fragmens  qui  nous  restent  de  leurs 
œuvres,  par  l'imitation  qu'en  a  faite  Quintus  de  Smyrne ,  et  par  les 
argumens  des  vers  Cypriens ,  aient  cherché  à  marcher  sur  les  traces 
d'Homère ,  ils  ne  laissent  pas  cependant  de  s'en  écarter  beaucoup , 
en  s'égarant  dans  un  labyrinthe  de  généalogies  nouvelles,  d'histoires 
particulières  à  certaines  villes  de  la  Grèce  ,  et  de  fictions  de  leur 
invention.  Ces  écarts  furent  encore  bien  plus  communs,  lorsque  les 
fables  et  les  anciennes  chroniques  commencèrent  à  être  traitées 
en  prose  par  les  écrivains  cycliques.  Alors  tout  frein  fut,  pour  ainsi 
dire,  rompu;  et  il  n'y  eut  plus  de  tradition  fabuleuse  ou  populaire  9 
qui  n*ait  été  donnée  par  quelqu'un  de  ces  écrivains  pour  vérité  his- 
torique. Vinrent  ensuite  les  Philosophes,  les  Sophistes  et  lesRhéteurt 
qui  corrompirent  à  Fenvi  les  anciennes  traditions  ,  soit  par  d'é- 
tranges interprétations  ,  comme  firent  Pythagore  ,  Heraclite  et  Xé- 
nophon ,  soit  pour  faire  pompe  de  leur  talent  en  jettant  des  doutes 
sur  les  événemens  historiques  de  la  guerre  de  Troie ,  comme  Dion 
Chrysostôme.  Cette  passion  des  Grecs,  de  donner  aux  relations  de  leur 
antiquité  les  couleurs  de  la  fables,  s'affaiblit  en  eux  lorsqu'ils  eurent 
subi  le  joug  de  la  domination  Romaine ,  et  cette  époque  fut  aussi 
celle  de  la  décadence  de  la  bonne  poésie  et  des  beaux  arts  parmi 
eux.  On  vit  paraître  après  divers  écrivains,  qui  prirent  dans  les  ou-  irom>e*u* 
vrages  des  anciens  poètes  cycliques ,  divers  sujets  pour  de  nouveaux  «rt^. 
poèmes  ;  et  à  ceux-ci  en  succédèrent  d'autres  qui  3  des  notions  re- 
cueillies par  eux  dans  les  œuvres  des  anciens  grammairiens ,  des 
historiens  et  des  philosophes  Grecs  ,  composèrent  des  épitomes  ou 
livres  contenans  tout  ce  qui  avait  rapport  à  la  guerre  de  Troie. 
Du  nombre  des,  premiers  sont  Quintus  Calabrus  de  Smyrne,  Try- 
phiodore  ,  Colutus  et  autres  (i).  Parmi  les  auteurs  qui  ont  traité 
d'une  manière  historique  de  choses  relatives  à  la  guerre  de  Troie  0 
en  y  ajoutant  tout  ce  qu'ils  ont  trouvé  sur  ce  sujet  dans  les  ouvra- 


.    'arSU. 

de  Iroie. 


(1)  Quint  Calab.  Praetermissa  ah  Homero. 

Tryphiodorus-Zte  Trojae  eversione  carmen. 
Colutus-Zte  Raptu  Helenae  carmen. 


sur 


SB  C  0  3  T  U  M  E 

ges  des  poètes ,  clés  grammairiens  et  des  anciens  historiens ,  on  doit 
mue  Cretois,  compter  le  Cretois  Ditté  (i).  L'écrivain  qui  s'est  caché  sons  ce  nom, 
quelqu'il  soit,  n'était  certainement  pas  sans  érudition,  et  souvent 
même  il  donne  à  connaître  d'avoir  eu  sous  les  yeux  les  tragédies 
Grecques.  Les  Grecs  modernes  ont  emprunté  de  lui  beaucoup  de 
choses  ,  entre  autres  Jean  Mulela  ,  Gédrénus ,  Tzetza  et  Constantin 
Darèie        Manassé.  Nous  citerons  enfin  l'opuscule  de    Daréte    Phrygien  ,   au- 

jPkrjrgien.  ,  .,  .  ,  J  O  ' 

teur  suppose,  sous  le  nom  duquel  semble  avoir  voulu  se  déguiser 
quelque  sophiste  malhabile  qui  a  voulu  discourir  de  la  guerre  de 
Troie  à  la  manière  des  déclamateurs  (a).  Mais  en  voilà  assez  sur 
les  écrivains  qui  ont  parlé  de  cette  guerre.  Ceux  qui  voudraient 
acquérir  des  connaissances  plus  étendues  sur  cette  matière,  peuvent 
lire  la  Bibliothèque  Grecque  de  Fabricius,  et  les  doctes  discussions 
de  Heyne  sur  l'Iliade  d'Homère  ,  et  l'Enéide  de  Virgile. 
Traditions  Troisièmement.  L'abus  que  firent  les  écrivains  cycliques  de  la 

<■  ta  guerre    tradition  relativement  à  la  guerre  de  Troye  3  et  le  goût    passionné 

le  Iroie.  ,  t  %  t 

qu  eurent  en  tous  tems  les  Grecs  pour  la  nouveauté  et  le  merveil- 
leux ,  donnèrent  naissance  à  une  infinité  de  récits  fabuleux ,  dont 
quelques-uns  ne  furent  inventés  que  dans  la  seule  vue  de  flatter 
la  vanité  d'un  peuple  s  ou  la  superstition  d'un  autre.  C'est  de  là 
qu'est  venue  ,  selon  quelques  écrivains,  la  tradition  de  l'arrivée  d'E- 
née  en  Italie,  et  de  la  fondation  de  son  nouveau  royaume  dans  le 
Latiuni  ;  tradition  qui  avait  tant  d'attraits  pour  les  Romains,  et  que 
Virgile  a  si  sagement  ménagée  dans  son  Enéide  (3).  Telle  a  été  peut- 
être  aussi  l'origine  de  la  fable  du  fameux  cheval  dont  les  Grecs  se 
servirent  pour  prendre  la  ville  de  Troie  :   invention   vraiment  pué- 

(i)  Tout  ce  qu'on  a  dit  de  la  personne  de  ce  Cretois  est  fabuleux. 
C'est  encore  un  point  de  discussion  de  savoir,  si  l'histoire  de  Troie  que 
nous  avons  sous  le  nom  de  cet  auteur  _,  a  été  écrite  originairement  en  Grec 
ou  en  Latin ,  et  si  la  traduction  latine  qu'on  attribue  généralement  à 
Q.  Septimus  ou  Septimius  3  auteur  du  troisième  ou  du  quatrième  siècle 
de  notre  ère  ,  ne  doit  point  être  regardée  comme  le  texte  original. 

(2)  Il  n'y  a  également  rien  que  de  fabuleux  dans  ce  qu'on  rapporte 
au  sujet  de  ce  Daréte.  L'opuscule  qui  porte  son  nom  ,  et  qu'on  connait 
sous  le  titre  De  excidlo  Trojae  ,  fut  attribué  pendant  quelque  tems ,  sans 
aucun  espèce  de  raison ,  à  Cornélius  Nepos  ;  mais  on  l'a  rendu  depuis  à 
son  véritable  auteur ,  qui  est  un  certain  Joseph  Iscanus  ,  écrivain  des  siècles 
modernes. 

(5)  V.  Heyne.  Disquisitio  II.  De  rerum  in  Aeneide  etc. 


de    la    Grèce.  0*9 

rlle  et  dénuée  de  toute  vraisemblance  ,  mais  que  Virgile  a  exposée 
avec  un  art  qui  lui  prête  le  charme  du  merveilleux,  et  la  rend 
extrêmement  intéressante.  On  en  retrouve  quelques  traces  dans  les 
fragments  des  poètes  cycliques ,  et  entre  autres  de  Lesché  et  d'Arc- 
tinus  (i).  Nos  conjectures  à  cet  égard  paraissent  d'autant  mieux 
fondées  3  qu'on  trouve  à-peu-près  la  même  origine  aux  histoires 
de  nos  poètes  romanciers ,  qui  9  dans  leurs  contes  de  fées  et  de  che- 
valiers errans,  n'ont  fait  que  copier  les  traditions  populaires,  ou 
les  vieilles  chroniques  des  Troubadours. 

Quatrièmement.  L'aveu  que  fait  Homère  dans  son  invocation  Jg« d'Homère^ 
aux  Muses  ,  que  ni  lui  ni  ses  contemporains  ne  savent  rien  de  cer- 
tain sur  les  capitaines  qui  prirent  part  à  la  guerre  de  Troie,  et  que 
tout  ce  qu'il  en  va  dire  il  ne  le  tient  que  par  tradition;  la  re- 
marque qu'il  fait  souvent  d'une  grande  décadence  dans  l'espèce 
humaine  des  siècles  postérieurs  à  cette  guerre  jusqu'à  ses  jours; 
l'état  de  ïa  langue  et  de  la  versification  dans  ses  poëmes  et  la  su- 
blimité de  leur  composition  3  tout  concoure  à  prouver  que  ce  père 
des  poètes  vécut  plusieurs  siècles  après  la  prise  de  cette  ville.  C'est 
pourquoi  nous  trouvons  une  grande  prohabilité  dans  le  témoignage 
des  marbres  d'Arundel ,  qui  fixent  son  existence  à  environ  trois 
siècles  après  cette  époque.  Quoiqu'il  soit  à  cet  égard  ,  il  est  cer- 
tain que  les  ouvrages  d'Homère,  au  dire  des  critiques,  doivent  être 
considérés  comme  le  monument  le  plus  authentique  que  nous  ayons 
de  l'histoire  des  premiers  tems  de  la  Grèce,  et  c'est  aussi  celui 
qui  peut  nous  fournir  les  notions  les  plus  intéressantes  sur  l'ancien 
costume  des  Grecs  (a). 

Après  ces  considérations  ,  nous  croyons  à  propos  maintenant  de 
présenter  aux  artistes  quelque  monument,  qui  puisse  leur  servir  de 

(i)  Pausanias  parle  ainsi  de  cette  fable:  «  Ge  fameux  cheval  de  bois 
était  sans  doute  une  machine  de  guerre  propre  à  abattre  les  murs ,  à  moins 
quon  ne  veuille  supposer  que  les  Troyens  étaient  des  hommes  d'une 
ignorance  et  d'une  stupidité  qui  exclut  jusqu'à  l'ombre  de  toute  raison.  » 
C'est  ce  qui  a  fait  croire  à  quelques-uns  ,  que  cette  machine  en  "bois  se 
terminait  en  une  tête  de  cheval  faite  en  fer  ou  en  bronze  ,  semblable  à 
«elle  à  qui  on  donna  clans  la  suite  le  nom  de  bélier. 

(2)  Ceux  qui  désireraient  avoir,  comme  dans  un  seul  corps,  tout  ce 
cjui  a  été  dit  et  écrit  sur  la  personne  d'Homère  et  sur  ses  ouvrages  ,  peu- 
vent lire  le  VIe  vol.  des  œuvres  de  Cesarotti ,  édit.  de  Pise ,  1812,  ainsi 
que  Pope,  An  Essay  on  the  Ufe  ,  TVriùngs  etc.  of  Homer ,  et  le  sa- 
vant Heyne  que  nous  venons  de  citer. 

Europe.  Vol.  I.  ,  ia 


Sept  héros 

Ue  la  guerre 

de  Troie. 


tllysse. 


ÏHomècle. 


■Ménélas. 


Jganwnma- 


90  Costume 

modèle  dans  les  ouvrages  où  ils  voudraient  traiter  quelque  sujet  ap- 
partenant à  la  guerre  de  Troie ,  ou  à  des  faits  qui  y  ont  rapport.  La 
planche  i3,  représente  un  grouppe  de  sept  héros  principaux  qui 
eurent  une  grande  part  dans  cette  guerre,  et  le  dessin  en  est  pris 
d'une  des  plus  belles  compositions  de  M.r  Tischbein.  La  tête  du 
milieu  est  celle  d'Ulysse  ,  et  a  été  copiée  sur  un  ancien  buste  de 
marbre  de  grandeur  naturelle  qui  appartient  maintenant  à  Milord 
Bristol.  Son  principal  caractère  est  dans  le  bonnet  de  navigateur , 
lequel  est  orné  de  fleurs,  de  feuilles  de  lotos,  de  génies  ailés  ,  et 
vers  le  bas  d'une  frange  sinueuse  qui  imite  le  profil  des  ondes.  La 
sagesse  du  héros,  sa  prudence  et  sa  politique  sont  admirablement 
peintes  dans  son  œil  pénétrant  et  plein  d'intelligence  „  ainsi  que 
dans  toute  sa  physionomie. 

A  la  droite  d'Ulysse  est  Diornéde.  La  tête  est  prise  d'un  buste 
en  marbre  un  peu  au  delà  de  la  grandeur  naturelle ,  lequel  appar- 
tient au  Musée  Clémentin.  Elle  porte  l'expression  d'un  courage 
mâle ,  de  la  force  du  corps ,  et  montre  de  la  fierté  ,  de  Faudace  , 
de  l'ingénuité  et  de  la  franchise  dans  son  aspect.  Son  front  large 
annonce  de  la  fermeté  et  de  la  vigueur. 

La  tête  de  Paris  se  reconnaît  à  la  beauté  de  sa  figure  ,  à  ses 
cheveux  frisés ,  et  à  son  casque  Phrygien.  Elle  est  copiée  sur 
celle  de  la  statue  qui  se  voit  au  même  Musée  ,  et  qui  existait  au- 
paravant dans  le  palais  d'Altemps.  Son  caractère  est  celui  d'un 
jeune  homme  efféminé,  mais  qui  n'a  pas  encore  entièrement  perdu 
le  courage  et  la  force  virile.  La  fleur  de  la  jeunesse  brille  sur  ses 
joues  arrondies  et  vermeilles. 

La  dernière  tète  à  droite  est  prise  d'un  buste  en  marbre  9 
ouvrage  admirable  et  d'un  caractère  sublime  qui  appartient  encore 
à  ce  Musée.  C'est  celle  de  Ménélas  :  sa  physionomie  est  l'image  de 
la  bonté  et  de  la  compassion.  Le  casque  est  d'un  travail  magnifi- 
que :  sur  sa  partie  supérieure  est  figuré  en  bas-relief  un  combat 
de  centaures.  Les  aigles  qu'on  voit  sculptées  par  le  bas ,  sont  deve- 
nues monstrueuses  sous  le  ciseau  d'un  sculpteur  moderne  qui  a  voulu 
restaurer  cette  partie  considérablement  endommagée  par  le  tems. 
M.r  Tischbein  est  d'avis  que  ces  figures  étaient  anciennement  des 
gryphons ,  dont  pouvait  être  décorée  la  courroie  qui  servait  à  at- 
tacher ce  casque  sous  le  menton. 

L'autre  tête  vis-à-vis  celle    de  Ménélas   vers  la  gauche   repré 
sente  Agamemnori  le  Roi  des  Rois  :  elle  est  modelée  sur    un   buste 


i. 


ïe    la    Grèce;  91 

en  marbre  d'une  grandeur  au  dessus  du  naturel ,  ouvrage  d'un  style 
également  sublime ,  qui  a  été  transporté  il  y  a  déjà  quelque  tems 
de  Rome  en  Angleterre.  On  y  reconnaît  précisément  le  caractère 
de  physionomie  de  l'aîné  des  Atrides ,  et  une  certaine  ressem- 
blance avec  la  tête  de  Jupiter.  Le  héros  a.  dans  le  buste  original 
une  poitrine  large  ,  comme  on  représente  ordinairement  celle  de 
Neptune  ;  sa  barbe  est  très-épaisse,  et  sa  chevelure  frisée  comme 
la  crinière  d'un  lion  ,  symbole  de  la  force  et  du  courage.  Il  a 
l'œil  perçant  de  l'aigle ,  ses  muscles  saillans  et  animés  portent  l'em- 
preinte d'une  mâle  fierté;  l'orgueil,  la  colère  et  l'ambition  se 
lisent  sur  son  front  ;  il  est  enfin  tel  que  le  dépeint  Homère  : 
Agamemnon  parait  au  milieu  d'eux ,  semblable  au  taureau  dont  le 
front  superbe  s'élève  au  dessus  du  troupeau  qui  le  suit  ;  et  parmi 
tant  de  héros ,  Jupiter  a  imprimé  dans  toute  sa  personne  une  no- 
blesse et  une  majesté  telle ,  ^y'on  le  prendrait  pour  Mars  à  son 
riche  baudrier ,  pour  Neptune  à  sa  caste  poitrine ,  et  pour  le  Sou- 
verain  des  Dieux  lui  même  au  feu  qui  brille  dans  ses  regards  et 
dans  tous  ses  traits  (1). 

A  côté  d'Agamemnon,  on  voit  la  tête  d'Achille  qui  est  celle  Achm, 
d'un  jeune  homme  d'une  grande  beauté.  Son  regard  annonce  une 
gravité  mâle  ,  accompagnée  d'une  réflexion  profonde  et  décidée.  La 
fierté  du  héros  semble  comprimée  par  les  passions  de  son  cœur  ,  et 
son  air  a  quelque  chose  de  mélancolique  et  de  pensif.  Son  état  est 
peut-être  l'effet  de  la  douleur  qu'il  ressent  de  la  mort  de  son  cher 
Patrocle  :  car  ,  comme  l'observe  fort,  bien  Ftfeyne ,  la  perte  de  la 
charmante  Briséis  avait  moins  affligé  son  âme,  qu'enflammé  sa  co- 
lère. Son  casque,  qui  est  d'un  travail  précieux,  est  surmonté  d'un 
gryphon  et  d'une  sphinx  (a). 

Entre  Achille  et  Ulysse,  est  une  tète  prise  d'un  monument  qui       mst«r, 
se  trouve  dans  la  maison  du  Marquis  Vivenzio  à  Nola.  M.1'    Tisch- 
bein  croit  voir  en  elle  celle  de  Nestor,  ce  sage  vieillard    dont   le 
profond  savoir  ,  fruit  d'une  longue  expérience  ,  savait  démêler  et  dis- 

(1)  Iliad.  lib.  II.  Trad.  de  Monti. 

(2)  M.r  Tischbein  assure  que  cette  même  tête  se  retrouve  dans  trois 
monumens  de  l'art  de  l'antiquité ,  savoir;  dans  une  statue  de  la  maison 
de  plaisance  Borghese ,  dans  un  ouvrage  découvert  en  1772  à  six  milles 
de  Rome,  et  qui  fut  emporté  par  le  Général  Schouwalow  à  Petersbourg, 
et  dans  un  autre  ouvrage  de  la  collection  de  M.r  lieiner  ancien  secrétaire 
privé  de  la  Reine  de  JNaples. 


9a  Costume 

poser  en  ordre  les  fils  obscurs  des  événemens  passés.  Cette  tête  sem- 
ble avoir  conservé  un  air  de  jeunesse  trop  remarquable  ,  comparati- 
vement à  celles  des  autres  héros;  mais  il  faut  se  rappeler  aussi,  que  , 
si  Nestor  était  un  vieillard,  c'était  un  vieillard  robuste  et  vigoureux. 
Il  faudrait  entrer  dans  de  trop  longs  détails,  pour  analiser  tou- 
tes les  beautés  de  composition  que  présente  l'assemblage  de  toutes 
ces  têtes.  Nos  lecteurs  pourront  consulter  à  ce  sujet  les  explications 
de  Heyne  sur  les  figures  des  héros  d'Homère  dont  Tischbein  a 
donné  les  dessins. 
®ïe&oT  Le  n-°   I  de  la  planche    14,    offre    le    sujet  si    connu    d'Enée 

emportant  son  père  Anchise  sur  ses  épaules ,  et  conduisant  par  la 
main  le  petit  Ascagne  ,  précédé  de  Mercure  qui  lui  sert  de  guide. 
C'est  un  des  tableaux  de  la  Table  Iliaque,  monument  précieux  du 
premier  siècle  de  notre  ère,  qui  fut  trouvé  au  milieu  des  ruines  de 
Rome  par  Archange  Spagna,  grand  amateur  des  objets  d'antiquité  (1). 
ekssadre.  Le  n.°  2  représente    Cassandre  ,    prophetesse    infortunée ,    que 

le  furieux  Ajax  traîna  par  les  cheveux  devant  l'autel  de  Pallas. 
Il  ne  faut,  pour  l'intelligence  de  cette  scène,  que  rappeler  ces 
beaux  vers  de  Virgile  (a). 

Ecce  trahebatur  passis  Priameia  virgo 

Crinïbus  a  templo  Cassandra  adytisque  Minervae , 

Ad  coelum  tendens  ardentia  lumina  frustra. 

Ce  monument  a  été  copié  sur  une  peinture  d'un  vase  antique  a 
dont  M.r  H.  Meyer  a  donné  ,  il  n'y  a  pas  long  tems ,  une  savante 
description  ,  et    que    M.r    G.  A.  Bôttiger  a  expliqué    avec   la    mê- 

(1)  On  trouve  représentés  sur  cette  table  presque  tous  les  principaux 
événemens  de  la  guerre  de  Troie.  Il  semble  que  i'artiste  ait  voulu  y  ras- 
sembler tout  ce  qu'il  a  pu  recueillir  ,  non  seulement  dans  Homère  ,  mais 
encore  dans  Virgile ,  et  même  dans  les  poètes  cycliques.  V.  Fabretti.  Exr 
plicabio  veteris  Tabellae  anaglyphae  Homeri  Iliadem  ,  atq.  ex  Stesi- 
choro  Arctino  et  Lesche  Ilii  excidium  continentis ,  et  Begerus  :  Bellum 
et  excidium  Trojanum  etc.  La  matière  dont  est  formée  cette  table  est 
un  composé  de  chaux  et  de  sable  si  habilement  travaillé ,  qu'il  parait  être 
une  pierre  de  la  plus  grande  dureté.  Vitruve  dans  son  liv.  7  ch.  3  parle 
de  cette  composition  comme  d'un  invention  des  Grecs. 

(2)  Aeneid.  Hb.  II.  v.  4°5- 


Achille 
et  Ifeslor* 


de    la    Grèce.  g3 

me   érudition  ,    dans  un  livre    élégamment   imprimé  à   Weiraar  en 
1794  (0- 

Le  n.°  3  retrace  l'image  du  sacrifice  d'Ipïiigénïe  en  Àulide  ;  Sacrifier 
il  est  copié  sur  une  portion  de  bas-relief  d'un  vase  antique  en  d,IPh''semc- 
marbre,  qu'on  voyait  autrefois  dans  les  jardins  des  Médicis  à  Ro- 
me (a),  et  qui  fait  partie  maintenant  du  Musée  de  Florence.  Iphi- 
génie  s'est  assise  par  terre  auprès  de  l'autel  de  Diane  ,  et  pleure  sur 
sa  destinée.  Selon  l'usage  le  plus  généralement  suivi  dans  les  anciens 
bas-reliefs,  les  assistans  sont  debout,  posture  que  tenaient  ordinai- 
rement ceux  qui  se  trouvaient  présens  à  quelqu' événement  doulou- 
reux. I/Heyne  n'est  pas  éloigné  de  croire  ,  que  le  héros  qu'on  voit 
tout  pensif  en  face  d'Iphigénie  ne  soit  Achille  ,  et  que  les  figures 
qui  sont  à  côté  de  lui  ne  soient  celles  de  Ménélas  et  d'Agamem- 
non  qui  a  la  tôte  enveloppée  dans  son  manteau,  ou  peut-être  même 
du  grand  prêtre  Calchas.  L'autre  héros  qui  est  derrière  la  jeune? 
fille  ,  est  probablement  Pa  troc  le  ou  Dioméde. 

Le  n.e  4  est  la  copie  d'une  belle  gravure  tracée  sur  un  jaspe 
du  Musée  de  Florence.  L'Heyne  croit  encore  y  reconnaître  trois 
des  neuf  capitaines  Grecs,  tirant  au  sort  dans  une  urne  à  celui 
d'entre  eux  qui  ira  le  premier  attaquer  Hector,  comme  il  est  dit 
dans  le  VII. e  livre  de  l'Iliade.  Nous  regardons  néanmoins  comme 
plus  probable  l'opinion  du  savant  antiquaire  Antoine  François 
Gorio  (3),  qui  voit  dans  cette  pierre  Achille  offrant  en  présent  à 
Nestor  cette  urne  précieuse.  Et  en  effet,  la  colonne  sur  laquelle? 
on  distingue  deux  sphinx.,  semble  indiquer  le  tombeau  qu'Achille 
avait  élevé  à  Patrocle,  en  l'honneur  duquel  il  avait  encore  fait 
célébrer  des  jeux  solennels.  Après  la  distribution  des  prix  aux  vain- 
queurs ,  il  restait  un  vase  que  le  héros  présenta  au  vieux  Roi  de 
Pylos  ,  comme  un  témoignage  des  honneurs  funèbres  qu'il  avait  fait 
rendre  à  son  ami.  Achille  est  celui  qui  va  pour  prendre  l'urne  s 
ou  qui  vient  de  la  déposer.  Nestor ,  à  la  barbe  vénérable ,  est  de- 
bout devant  Achille  3    armé   d'une    lance,    d'un    bouclier  et  d'une 


(i)  Ce  sujet  eut  tant  d'attraits  pour  les  artistes  de  l'antiquité  ,  qu'au 
dire  de  Pausanias  ,  il  fat  représenté  non  seulement  par  Phidias  dans  le 
trône  de  Jupiter ,  mais  encore  auparavant  sur  l'urne  de  Cipséle  >  et  ensuite 
par  Polignote  dans  le  temple  de  Delphes  et  ailleurs. 

(2)  Admirancla  Pwmae.    Tab.    18.    19. 

(5)  Mus.  Florent,  tom.  IL  tab.  XXIX. 


94  Costume 

épée.  Le  jeune  guerrier  en  face    de    Nestor,    est  probablement  un 
des  capitaines  qui  sont  entrés  en  lice  pour  la  course  des  chars  ;  c'est 
peut-être  Antiloque  fils  de  Nestor  lui  même,  qui  y  avait  remporté 
le  second  prix  (i). 
Pénélope  Nous  croyons  à  propos  de    présenter  encore  à  nos  lecteurs  un 

autre  monument  dont  le  sujet  se  rapporte  à  l'Odyssée;  et  nous  le  fai- 
sons avec  d'autant  plus  de  gré  ,  que  ce  sujet  étant  d'un  genre  gra- 
cieux ,  il  forme  un  contraste  agréable  avec  les  précédons,  et  peut 
donner  une  juste  idée  de  l'habillement  des  femmes  Grecques  dans 
ces  tems  héroïques.  Il  est  pris  d'une  des  peintures  des  vases  d'Ha- 
snilton  qu'on  voit  à  la  i5.e  planche  de  l'édition  Italienne,  et  re- 
présente Pénélope  qui  a  fini  de  s'habiller  :  derrière  elle  est  une 
femme  qui  porte  ailleurs  le  miroir  dont  s'est  servi  la  Princesse , 
tandis  qu'une  autre  lui  apporte,  dans  un  des  pans  de  sa  robe,  les 
choses  dont  elle  a  besoin  pour  continuer  un  ouvrage  commencé  par 
ees  mains.  On  lit  au-dessus  de  ce  vase  le  mot  grec  k*a?  qui  veut 
dire  k*a6?  ,  ou  beau ,  qu'on  trouve  écrit  dans  la  plupart  des  vases 
antiques  d'un  travail  achevé.  Cette  peinture  a  fourni  à  Angélique 
Kaufifman  ,  à  quelques  changemens  près  ,  le  sujet  d'un  fort  beau 
tableau  (a). 

On  pourrait  citer  encore  beaucoup  d'autres  monumens  qui 
ont  rapport  à  la  guerre  de  Troie.  Mais  comme  ils  sont  tous  d'une 
époque  bien  postérieure  à  cet  événement  fameux  ,  et  l'occasion 
d'en  parler  devant  se  présenter  d'autres  fois  ,-  on  ne  trouvera  pas 
Mauvais  que  nous  terminions  ici  ce  second  période  de  l'histoire 
Grecque  ,  qui  est  celui  des  tems  héroïques.  Outre  la  Table  Iliaque 
dont  nous  venons  de  parler,  les  artistes  pourront  encore  consulter 
au  sujet  de  cet  événement  les  antiquités  du  Musée  de  Florence  , 
les  monumens  inédits  de  Winkelmann  ,  les  vases  d'Hamilton  etc.  , 
ainsi  que  les  belles  compositions  de  Flaxman.  Les  fouilles  d'Her- 
culanum  ont  aussi  procuré  quelques  monumens ,  mais  qui  ne  sont 
pas  de  nature  à  pouvoir  être  bien  instructifs  ni  d'une  grande  uti- 
lité  pour  les  artistes. 

(0  Voy.  Iliad.  liv.  XXIII.,  vers.  6i5.  Text.  gr. 

(2)  Ceux  qui  voudront  faire  la  comparaison  de  cette  Pénélope  avec 
celle  qu'on  voit  dans  l'ouvrage  intitulé  ,  Costume  des  peuples  antiques  etc. 
qui  s'imprime  à  Brescia ,  s'apperceveront  aisément  que  l'auteur  de  cet 
ouvrage  a  composé  une  Pénélope  à  sa  fantaisie  _,  et  sans  consulter  aucun 
ïnonument  digne  de  foi. 


de    la    Grèce.  q$ 


GOUVERNEMENT      DE     LA      GRECE. 


T  ' 


gouvernement. 

'ancienne 


ancienne  Grèce  ,  dit  ' Montesquieu  (i),  ne  nous  présente  Etat  du 
que  des  peuples  peu  nombreux  et  divisés  3  pirates  sur  la  mer,  in-  faZT 
justes  sur  la  terre  ,  sans  police  et  sans  loix.  Les  belles  actions  d'Her-  Grece' 
cule  et  de  Thésée  font  voir  l'état  où  se  trouvait  ce  peuple  naissant. 
Il  semble  que  la  religion  seule  leur  tenait  lieu  de  lois  civiles.  Et 
en  effet,  que  pouvait  elle  faire  de  plus  que  ce  qu'elle  fit  pour  donner 
de  l'horreur  du  meurtre  ?  Elle  établit  qu'un  homme  tué  par  vio- 
lence était  d'abord  en  colère  contre  le  meurtrier  ,  qu'il  lui  inspi- 
rait du  trouble  et  de  la  terreur,  et  voulait  qu'il  lui  cédât  les  lieux 
qu'il  avait  fréquentés;  on  ne  pouvait  toucher  le  criminel  ni  con- 
verser avec  lui  sans  être  souillé  ou  intestable  (<a)  ;  la  présence  du 
meurtrier  devait  être  épargnée  à  la  ville,  et  il  fallait  l'expier  (3).  „ 
Il  semble  par  conséquent ,  qu'aux  terns  d'Homère  ,  l'opinion  commune? 
des  Grecs  était  que  les  Dieux  intervenaient  dans  les  actions  humai- 
nes ;  c'est  ce  qui  est  formellement  attesté  dans  l'Iliade  et  dan» 
l'Odyssée  ,  et  surtout  au  commencement  du  premier  de  ces  deux 
poèmes,  où  le  poète  affirme  que,  Jovis  perficiebatur  consilium  (4)« 

La  Grèce  ,    comme   nous   l'avons   déjà    remarqué,    doit   à   des     Monarchie. 
colonies  étrangères  les   premiers    pas   qu'elle    a    fait ,    de   l'état   de   gow'J'nemL 
barbarie  vers  la  civilisation.  Mais  outre  la  colonie  Egyptienne  qui      J^SSk 
vint  s'établir  en  Grèce  sous  la  conduite  de  Cécrops ,    il   en    arriva 
encore  plusieurs  autres  de    la   Phénicie  et  autres    contrées    de  l'o- 
rient  (5).  C'est  là  le  motif  pour  lequel  la  Grèce  ne  passa  que  fort 

())  De  V Esprit  des  Loix.   Gén.   1749?  pag.  388, 
(2)  V.  l'Œdipe  Colon,  de  Sophocle. 
(3),  PLato.  De  leg.  lib.  IX. 

(4)  V.  Heyne.  Homeri  Carmin  a.  Lips.  1802.  Excursus  etc.  vol.  IVW 
-pag.   170. 

(5)  «  L'honneur  de  policer  la  Grèce  était  réservé  aux  colonies ,  qui 
d'Egypte  et  de  Phénicie  passèrent  dans  cette  partie  de  l'Europe  quelque 
tems  après  les  Titans.  Dans  l'espace  de  deux  siècles ,  tout  au  plus  ,  on' 
voit  arriver  successivement  dans  la  Grèce  plusieurs  étrangers ,  qui,  à  la  tète 
de  différens  peuples ,  s'emparèrent  des  cantons  où  ils  avaient  abordé ,  et 
s'y  érigèrent  en  souverains.  Ces  nouveaux  chefs  firent  alors  dans  la  Grèce 
ce  que  nous  savons  s'être  pratiqué  originairement,  et  se  pratiquer  encore 
journellement  dans  l'Amérique  :  ils  ramassèrent  quelques  familles  errantes 


96  CoU'VERKEMEST 

tard  sous  la  domination  d'un  seul  homme  ,  et  c'est  pour  cela  aussi 
qu'elle  fut  divisée  en  plusieurs  petits  états  libres  et  indépendana 
les  uns  des  autres  :  division  à  laquelle  dut  contribuer  la  disposition 
naturelle  du  sol  de  ce  pays,  ainsi  que  nons  L'avons  observé  dans  la 
description  topographique  que  nous  en  avons  donnée.  Les  peuples 
de  ces  différens  petits  états  n'ont  pu  adopter  d'autre  forme  de  gou- 
vernement que  celle  de  la  monarchie ,  parce  que  les  chefs  qu'ils 
avaient  suivi  n'en  connaissaient  pas  d'autre  ,  et  parce  qu'il  semble 
beaucoup  plus  facile  d'obéir  à  la  volonté  d'un  seul  qu'à  celle  de 
plusieurs.  Les  notions  de  république  supposent  des  lumières  et  des 
circonstances,  qu'il  n'est  guères  possible  de  concevoir  chez  un  peu- 
ple naissant  (1).  Aussi  Platon  ,  Aristote  et  Tullius  attribuent-ils  à 
Diverses  cette  cause  la  division  de  la  Grèce  en  petites  monarchies.  Cespre- 
mlnarchies  n"ers  ^-ois  ne  possédaient  qu'une  ville,  ou  un  très-petit  territoire; 
et   ils  étaient  en  même  tems  pontifes  ,  juges  et  capitaines  (fi).  Néan- 

Conseii       moins  leur  pouvoir  était  tempéré  par  un  conseil  de  sages  ou   d'ari- 
des sages.  .  .  .        .  "  ., 

ciens  ,  qui ,  pourtant  n  avait  que  voix  consultative.  Ce  conseil  est 
appelé  dans  Homère  ^«W*  yspô»r«»  ,  conseil  des  vieillards ,  et  on  y 
délibérait  d'abord  de  tout  ce  qui  devait  être  ensuite  proposé  au  peu- 
ple ,  ou  aux  armées.  Telle  est  l'idée  que  ,  de  ces  sortes  de  monar- 
chies, nous  offre  Homère  dans  la  Béotie,  ou  seconde  partie  du  deu- 
xième livre  de  son  Iliade;  et  telle  est  aussi  celle  que  s'étaient  for- 
mée les  Grecs  du  gouvernement  des  Dieux  ,  dont  Jupiter  était  le 
père  et  le  Souverain. 

Parmi  les  chefs  qui  condusirent  des  colonies  en  Grèce,  les 
plus  renommés  sont  ^  Ogygés ,  Inachus ,  Cècrops,  Cadmus ,  Léleje 
et  Danaùs;  et  ce  furent  eux  qui,  à  des  époques  peu  éloignées  les 
unes  des  autres ,  fondèrent  les  royaumes  d'Athènes ,  d'Argos  ,  de 
Sparte  et  de  Thébes.  Mais  on  ne  doit  les  considérer,  aussi  bien  que 
leurs  successeurs  3  que  comme  les  chefs  de  petites  republiques.  Ainsi 
les  anciens  gouvernemens  de  cette  contrée  n'étaient,  à  proprement 

et  dispersées  dans  les  bois  et  clans  les  campagnes  ,  leur  persuadèrent  de  se 
réunir  et  de  vivre  en  société  ,  bâtirent  des  maisons  ,  instruisirent  leurs 
jiouveaux  sujets  dans  les  arts  les  plus  utiles  et  les  plus  nécessaires ,  leur 
donnèrent  des  lois,  et  les  assujettirent  à  une  forme  de  gouvernement.  » 
jGoguet.   Orig.  etc.  vol    II.  liv.  I. 

(1)  V.  Barthélémy.  Voy.  d'Anac.  vol.  I,  pag.  5o.  Paris  1790. 

(2)  Arisc.  de  Rep.  lib.  III.  chap.  14. 


de   ià    Grèce,  07 

parler,  qu'un  mélange  de  monarchie,  d'oligarchie. et  de  démo- 
cratie. Les  grands  avaient  beaucoup  d'autorité ,  et  les  droits  du 
peuple  étaient  très-étendus.  On  lit  dans  le  VIIIe  livre  de  l'Odys- 
sée ,  qu'Alcinoùs  Roi  des  Phéaoiens  se  déclare  le  treizième  des 
chefs  qui  commandaient  au  peuple.  «  La  description  que  fait  Ho- 
mère de  la  forme  de  ces  mêmes  gouvernemens ,  donne  assez  à  con- 
naître que  les  Rois  proposaient  au  peuple  ce  qui  avait  été  résolu 
dans  le  conseil  (1).  „  Il  semblerait  par  conséquent,  que  l'autorité 
des  anciens  Rois  de  la  Grèce ,  consistait  particulièrement  dans  le 
commandement  des  troupes  eu  tems  de  guerre,  et  dans  l'intendance 
suprême  sur  tout  ce  qui  tenait  à  la  religion  (a).  Ces  Rois  étaient 
encore  dans  la  dépendance  d'une  autre  autorité  ,  qui  était  celle 
des  oracles  quelque  fût  leur  origine  (3).  Chez  les  peuples  encore 
barbares  ,  la  religion  se  change  aisément  en  superstition  gros- 
sière et  ridicule.  Le  plus  fort  et  le  plus  rusé  fait  de  cette  arme 
l'instrument  de  sa  politique,  pour  gouverner  à  son  gré  l'esprit 
et  les  passions  du  plus  faible,  et  l'erreur  devient  ainsi  une  maxime 
de  législation.  Les  sauvages  môme  de  l'Amérique  ont  leurs  devins  et 
leurs  oracles,  qu'ils  consultent  dans  toutes  leurs  entreprises.  Quant 
aux  Grecs ,  la  décision  des  oracles  précédait  toujours  toutes  leurs 
délibérations  publiques  et  privées,  et  les  Rois  même  étaient  obli- 
gés de  s'y  soumettre.  L'Iliade  et  l'Odyssée  sont  remplies  d'exem- 
ples qui  confirment  cette  opinion. 

Les  revenus  et  les  richesses  des  Souverains  consistaient ,  comme 
ceux  des  particuliers,  en  champs ,  en  bois  et  en  troupeaux.  Les  droits 
même  qu'ils  imposaient  pour  les  frais  de  la  guerre  et  les  besoins  de 
l'état ,  ainsi  que  les  tributs  qu'ils  exigeaient  des  peuples  conquis ,  ne 
se  percevaient  point  en  argent,  mais  en  denrées  et  en  objets  de 
toutes  sortes,  parmi  lesquels  il  ne  faut  point  oublier  les  esclaves. 

Il  est  également  certain  que  chez  les  anciens  Grecs ,  le  scep- 
tre était  un  héritage  qui  se  transmettait  de  père  en  fils,  et  en  gé- 
néral à  l'aîné  (4).  On  trouve  des  preuves  indubitables  de  cet  usage 

(1)  Tn  moral.  1.  3.  c.  5.  Voy    encore  Denis  d'Halic.  1    2. 

(2)  Aristot.  Polit.  1.  3.  e.  14.  Hom.  passim.  Plut.  Cicer.  etc.  ,  et  un 
grand  nombre  d'autres. 

(3)  Nous  parlerons  de  l'origine  et  de  la  nature  des  oracles  à  l'article 
de  la  religion. 

(4)  Odyss.  1.  1  v.  387.  liv.  16.  v.  401.  Ariet.  Polit.  1.  3.  c.  14.  Thu- 
cyd.  etc.  etc 

Europe-  Vol   I.  o 


Monarchie 

mêlée 
d' 'oligarchie 

et  de 
démocratie* 


jéutoritê- 

des    oracles 

dans  le 

gouvernement. 


Revenus 
des  Rois, 


Sceptre 
héréditaire- 


Habillement 
des  Rois. 


Pourpre- 


98  Gouvernement 

dans  plusieurs  passages  d'Homère ,  et  surtout  dans  la  généalogie 
qu'il  fait  du  sceptre  d'Agamemnon  (1).  Il  arrivait  néanmoins  quel- 
quefois que,  par  des  circonstances  particulières,  le  sceptre  ne  pas- 
sait point  à  l'héritier  légitime.  Par  exemple s  celui  d'Agamemnon 
était  passé  de  Pélops  à  son  fiîs  Atrée,  et  de  celui-ci  à  son  frère 
Thyeste  qui  aurait  dû  le  transmettere  à  son  fils  Egiste  ;  mais  celui- 
ci  étant  né  d'un  inceste,  le  sceptre  retourna  à  Agamemnon  fils 
d'Atrée  (a).  Il  n'était  pas  rare  aussi  que ,  pour  des  motifs  de  supersti- 
tion on  en  privât  le  véritable  héritier.  Homère  dans  l'Odyssée  fait 
demander  par  Nestor  à  Télémaque ,  si  ses  peuples  ne  lui  sont  point 
devenus  contraires ,  ensuite  de  quelque  réponse  défavorable  de  la 
part  de  l'oracle  ?  (3) 

Tels  ont  dû  être  sans  doute  les  privilèges  des  monarques  dans 
ces  tems  héroïques.  Mais ,  avant  d'en  venir  aux  lois  positives  et  aux 
divers  gouvernemens  qui  s'établirent  en  Grèce  ,  après  qu'elle  eut  été 
régénérée  par  les  colonies  étrangères  ,  il  ne  sera  pas  hors  de  pro- 
pos de  dire  ici  quelque  chose  de  la  manière  dont  s'habillaient  ces 
anciens  Monarques ,  suivant  le  peu  de  monumens  que  nous  en  avons. 
Nous  nous  dispenserons  pour  le  moment  d'entrer  dans  un  examen 
détaillé  des  diverses  parties  de  l'habillement  en  général,  nous  reser- 
vant d'en  parler  plus  au  long,  lorsque  nous  en  serons  à  cet  article  r 
et  à    celui  de  l'ameublement. 

La  pourpre  marine  formait  un  des  attributs  des  Rois  de  la 
Grèce  (4).  Homère  ,  en  parlant  d'un  morceau  d'ivoire  teint  en 
pourpre  ,  jouli  ouvrage  d'une  femme  Méonienne  ou  Carienne,  com- 


(1)  Iliad.  1.  2.  v.  46.  et  101. 

(2)  V.  Heyne.  vol.  4.  Excursus  ad  librum  II.  Iliad.  Excurs.  J. 
(5)  Odyss.  1.  3.  v    2i5    et  1.   16.  v.  96. 

(4)  Les  Grecs  connaissaient  deux  sortes  de  pourpre  ,  savoir  ;  la  pour- 
pre marine  ou  animale  ,  et  la  végétale.  La  première  ,  qui  parait  la  plus 
ancienne,  était  d'un  rouge  violet,  et  se  tirait  d'une  espèce  de  coquillage, 
ce  qui  lui  avait  fait  donner  le  nom  de  marine  Nous  aurons  occasion  de 
revenir  sur  cet  objet.  En  attendant,  nous  ne  pouvons  dissimuler  notre  éton- 
nement  sur  l'équivoque  que  prend  à  cet  égard  l'auteur  de  l'ouvrage  in- 
titulé, Costume  des  peuples  anciens  et  modernes  ,  qui  s'imprime  à  Brescia, 
en  affirmant  à  la  pag.  i55,  que  par  la  pourpre  marine  un  doit  entendre 
le  bleu  céleste.  Mais  ce  n'est  par  là  la  seule  erreur  qui  se  trouve  dans 
cet  ouvrage ,  et  malheur  aux  artistes  qui  voudraient  y  chercher  de  vrai» 
«îodèles. 


D  È     L  A     G  R  i  C  E.  tyg 

me  propre  à  servir  de  mors  pour  un  cheval  ,  dit  qu'il  est  un  ob- 
jet d'envie  pour  une  foule  de  cavaliers:  mais  qu'on  le  tient  en 
réserve  dans  la  vue  d'en  parer  le  cheval  de  quelque  Monarque  (i). 
Voici  comment  le  même  poète  (a)  décrit  l'habillement  d'Agamem- 
non  :  il  vêtit  la  tunique  moelleuse ,  belle ,  neuve ,  et  jetta  le  grand 
manteau  par  dessus  ;  il  attacha  à  ses  pieds  délicats  ses  jolis  bro- 
dequins, passa  à  son  coté  son  épée  suspendue  à  un  baudrier  garni 
de  plaques  en  argent  >  et  prit  le  sceptre  paternel  qui  est  à  jamais 
incorruptible.  Le  même  héros,  (3)  poussant  ses  soldats  au  combat, 
tenait  dans  sa  main  vigoureuse  un  manteau  de  pourpre ,  afin  ,  dit 
le  Scholiaste  ,  qu'il  leur  servît  de  signal  pour  le  reconnaître. 

Mais  c'est  comme  attribut  distinctif  de  la  royauté  que  le  scep- 
tre doit  surtout  être  regardé.  Les  Etymologistes  donnent  au  sceptre 
le  nom  de  regia  virga  ou  baculus ,  du  mot  grec  <r*ipfaTt<rt«i  parce  que  , 
comme  nous  l'apprend  encore  Homère  (4),  il  servait  aux  Rois  pour 
s'appuyer  et  comme  pour  s'arrêter  :  ce  qui  fait  dire  encore  à 
Ovide  (S) 

—  Jupiter  sceptroque  innixus  éburno.  — 

Homère  vante  singulièrement  ce  sceptre  d'Agamemnon ,  ouvrage, 
de  Vulcain  ,  que  le  héros  avait  hérité  de  ses  ancêtres  ;  il  ajoute 
qu'il  avait  été  fait  du  tronc  d'un  arbre  coupé  sur  les  montagnes  ^ 
et  que  le  tranchant  du  fer  le  dépouilla  de  ses  feuilles  et  de  son 
écorce  (6).  C'est  encore  ainsi  que  Virgile  (7)  parle  du  sceptre  des 
Rois  Latins  : 

Olim  arbos ,  nunc  artificis  manus  aère  decoro 
Inclusit  j  patrïbusque  dédit  gestare  Latinis. 

(1)  Iliade  1.  4.  v.   i4i. 

(2)  Iliad.  2.  y.  42.  Dans  les  citations  que  nous  ferons  des  passages 
d'Homère  et  autres  écrivains  Grecs  ,  nous  nous  en  tiendrons  le  plus  sou- 
vent à  la  traduction  littérale  ,  pour  qu'on  juge  mieux  de  l'esprit  de  l'ori- 
ginal et  de  la  nature  des  choses. 

(3)  Iliad.  8.  v.  221. 

(4)  Odyss.  1.  17.  v.   196.  et  ailleurs, 

(5)  Métam.  I. 

(fi)  Iliad.  1.   1    v.  255. 
(7)  Enéide  liv.  12.  v.  210, 


100  Gouverne  m  est 

tépfrL'  0n  1H  dans    Jastin    l'historien  («),   que    les   sceptres   des  an-, 

iuiqm*  ciens  n'étaient  autre  chose  que  des  lances  :  Per  ea  adhuc  ternpora 
Reges  hastas  pro  diademate  habebant ,  quas  Gratci  **Urf«  dixere. 
Narn  et  ab  origine  rerum  pro  Diis  immortalibus  Vêler  es  hastas  co- 
luere.  Les  Rois  prenaient  le  sceptre  en  main  dans  toutes  les  fonctions 
publiques  qu'ils  avaient  à  remplir.  Il  est  dit  dans  le  IILe  livre  de 
l'Odyssée,  que  Nestor  devant  offrir  un  sacrifice  à  Minerve,  s'assit  le 
matin  devant  la  porte  de  sa  demeure,  le  sceptre  en  main,,  entouré 
de  ses  enfans ,  de  sa  femme  et  de  plusieurs  autres  personnes.  C'est' 
ainsi  qu'Agamemnon  se  présente  aux  chefs  de  l'armée  pour  les  ap- 
peler au  conseil  :  de  môme  Ulisse  voulant  empêcher  les  Grecs  d'a- 
bandonner les  rivages  de  Troie,  affronte  Agamemnon,  prend  le 
sceptre  de  ses  mains ,  et  parcoure  les  vaisseaux  des  loricati  Achi- 
vi  (a).  Aristote  dit  que  les  Rois  fesaient  encore  usage  du  sceptre 
lorsqu'ils  administraient  la  justice  ,  et  que  l'acte  seul  de  le  lever 
en  l'air  avait  la  force  du  serment  et  en  tenait  lieu  (3).  C'est  ce  qui 
fait  qu'Homère  donne  un  sceptre  à  Mi  nos  juge  des  enfers ,  et  que 
Virgile  dit  (4)  : 

Hoc  Priami  gestamen  erat  ,  cura  jura  vocatis 
More  daret  populis  ,  sceptrumque ,  sacerque  tiaras. 

Formi;  Le  sceptre,  bien  qu'il  fût  en  bois,  se  terminait  ordinairement 

et  matière  l  '  *■  ■   ' 

du  seepire.  en  haut  par  un  ornement  en  or  semblable  à  une  tête  de  clou.  On 
lit  même  dans  Homère  et  autres  écrivains,  que  le  sceptre  était  quel- 
quefois tout  d'or.  Tel  était  selon  le  même  poète  celui  de  Minos  et  de 
Tyersias.  Et  en  effet  il  dit  dans  le  premier  livre  de  l'Iliade,  v.  i5. 
que  Chrysés  tenait  en  main  la  guirlande  d'Apollon  z^h  *■>«  «ï"p?, 
qui  lance  les  flèches  au  loin ,  entrelassée  autour  de  son  sceptre  d'or. 
Nous  observerons  même  que,  dans  les  tems  les  plus  reculés,  la  mas- 
sue tenait  lieu  de  sceptre:  car  Pindare,  01.  VIL  v.  5i,  dit  que 
Tlepoléme  tua  Licinius  avec  un  sceptre  d'o'ivier  d'une  extrême 
dureté.  On  voit  aussi  parmi  les  antiquités  dHerculanum  certains 
sceptres  à  trois  pointes ,  qui  ont  à-peu-piès  la  forme   d'une    chaiv 

(1)  Histoir.  liv.  42. 

(2)  Iliad.  1.  2.  v    186. 
(5)  Polit,  chap.    14. 

(4)  Eneïde  1.  7.  v.  246. 


'mages 

des  âais-. 


H  e    la    Grèce.  îoï 

rue;  et  Pierius  Valerianus,  dans  ses  hiéroglyphes,  prétend  que  tell© 
était  celle  du  sceptre  chez  les  anciens. 

Servius  est  d'avis  que  les  anciens  Rois  de  la  Grèce  portaient  smdeaa. 
en  outre  le  diadème.  Mais  Homère  ne  parle  point  de  cette  mar- 
que distinctive,  comme  particulière  à  la  royauté,  et  il  semble  au 
contraire  ne  l'accorder  qu'aux  Dieux,  comme 'l'observe  Pline  (i). 
Les  Rois  ne  ceignaient  leur  tète  que  d'un  bandeau  de  peu  de  lar- 
geur ,  et  qui  était  en  général  couleur  de  pourpre;  et  telle  fut 
en  effet  la  couleur  du  bandeau  royal  dont  Minerve  fit  présent  à 
Paris  ,  en  signe  du  pouvoir  suprême  qu'elle  lui  offrait.  Ce  bandeau 
était  de  la  plus  grande  simplicité,  tissu  en  fil  de  laine,  dont  la 
couleur  n'était  pas  toujours  de  pourpre  ou  violette  ,  mais  quelque- 
fois plus  ou  moins  blanche.  Pline  voulant  décrire  le  cercle  blanc 
qu'on  voyait  sur  la  tête  d'un  serpent  de  la  Gyrénaïque  ,  le  com- 
pare au  bandeau  royal  ;  Candida  in  capite  macula  ,  ut  quodam 
diademate    insignem  Hi). 

D'après  ces    notions    préliminaires ,   nous    présentons    ici"    deux       i, 
portraits  d'anciens  Rois    de  la  Grèce,  prises  des  peintures  des  vases 
d'Hamilton  (3);  et  pour  qu'on  saisisse  encore  mieux  toutes  les  beautés 

(i)  Quant  aux  attributs  de  la  Royauté  du  tems  d'Homère,  il  faut 
lire  Everard  Phéitius ,  Antiqiiitatum  Homericarum ,  liv.  2.  c.  4-  dans 
Gronove.  Thesaur.  Graecar.  stntiquitat.  vol.  VI.  Nous  verrons  que  le 
diadème  royal  proprement  dit ,  ne  fut  en  usage  qu'au  tems    d'Alexandre. 

(2)  Liv.  8.  c.  21.  et  liv.   11.  c.   16. 

(5)  Vol.  II.  planche  4*.  et  vol.  III.  planche  45.  Nos  lecteurs  ne  se- 
ront peut-être  pas  fâchés  de  trouver  ici  quelques  éclaircissemens  sur  l'an- 
tiquité et  le  mérite  des  vases  d'où  ces  figures  sont  prises.  Les  plus  anciens 
et  les  plus  renommés  sont  ceux  qu'on  découvrit  le  siècle  dernier,  dans  le 
fouilles  qui  furent  faites  entre  Capoue  et  Nola.  Ils  sont  remarquables  par 
la  finesse  de  la  terre  dont  ils  sont  fabriqués  ,  par  la  beauté  du  vernis , 
par  l'élégance  des  formes  ,  et  surtout  par  le  goût  qui  régne  dans  leurs  pein- 
tures ,  dont  le  style  et  la  manière  annoncent  une  excellente  école.  Ils  ont 
par  conséquent  beaucoup  plus  de  prix  que  ceux  qui  ont  été  apportés  des  îles 
de  la  Grèce  ,  et  semblent  être  les  mêmes  vases  dont  Pline  fait  tant  d'éloges 
au '2  e  chapitre  de  son  17. e  livre.  Or  Suétene  (dans  G.  Jul.  César,  chap. 
81  )  rapporte  que  «les  habitans  de  la  colonie  envoyée  à  Capoue  par  Ju- 
les César,  voulant  se  construire  des  maisons  dans  la  campagne  ,  se  mirent  à 
démolir  d'anciens  sépulcres  ,  vêtus tissima  sépulcra  ;  et  que  leur  ardeur  à 
poursuivre  ces  démolitions  était  d'autant  plus  grande,  qu'ils  y  fesaient  de  tems 
à  autre  la  découverte  de  vases  d'un  travail  antique.  »  Pour  parvenir  à  con-- 


IG25  Gouvernement 

de  composition  qni  offrent  ces  peintures ,  ainsi  que  l'action  des  per- 
sonnages qui  y  sont  représentés ,  nous  avons  cru  à  propos  d'y  réunir 
par  fois  les  figures  des  autres  personnages  qui  ont  part  à  l'action, 
en  leur  donnant  la  position  qu'elles  ont  dans  l'original.  Le  n.°  i  de 
la  planche  16  offre  l'image  d'un  Roi  habillé  à-peu-près  comme  l'A- 
gameranon  d'Homère;  quant  à  l'action  qui  est  exprimée  ici ,  on  ne  sau- 
rait guères  la  déterminer.  La  planche  17  est  la  copie  d'une  pein- 
uijrsse       t.ure,  que  M.    D'Hancarville  explique  ains  :  «Il  me  semble  voir  ici 

et  Alcinoùs.        t       ■  1        t  tl  •> 

dit-Jl,  Ulysse  s  entretenant  avec  Alcinoùs,  tandis  que  la  femme  et 
la  fille  de  ce  dernier ,  à  l'ombre  d'un  parasol  à  la  manière  des  Thes- 
sâliens  ,  écoutent  la  réponse  du  héros  à  la  proposition  que  le  Roi 
semble  lui  avoir  faite  d'épouser  Nausicaa.  On  reconnaît  Ulysse  à  la 
forme  de  son  bonnet,  à  son  manteau,  et  à  la  tunique  brodée  dont 

naître  de  quelle  nature  étaient  ces  vases  ,  il  n'y  avait  pas  d'autre  moyen 
que  de  chercher  dans  les  mêmes  lieux  quelqu'un  de  ces  anciens  sépul- 
cres ,  qui  fut  échappé  aux  recherches  de  cette  colonie.  On.  trouva  en 
effet  dans  le  dernier  siècle  ,  et  même  il  y  a  peu  d'années  ,  plusieurs 
tombeaux  qui  correspondent ,  non  seulement  à  ce  qu'en  dit  Suétone  , 
mais  encore  qu'une  foule  d'autres  raisons  doivent  faire  regarder  comme 
des  monumens  d'une  antiquité  très-reculée.  Ces  tombeaux  diffèrent  beau- 
coup de  ceux  des  anciens  Romains  :  ils  sont  fabriqués  sans  chaux  et  avec 
des  pierres  carrées  et  si  grosses  ,  que  deux  mulets  ou  deux  bœufs  pour- 
raient à  peine  les  traîner  ;  en  un  mot  ils  sont  d'une  construction  semblable 
à  celle  des  murs  de  Tyrinthe  ville  qui  fut  ruinée  par  les  Grecs  ,  et  de 
îa  porte  de  l'antique  Mycénes.,  ouvrages  qui  passaient  l'un  et  l'autre  pdur 
«voir  été  faits  par  les  Cyclopes  ,  et  qui  marquent  l'époque  la  plus  an- 
cienne dans  l'art  de  bâtir.  On  n'y  apperçoit  ni  inscriptions  ,  ni  portes  > 
ni  fenêtres  ,  de  sorte  que  pour  savoir  ce  qu'ils  renferment ,  il  faut  abso^ 
lument  les  démolir.  Enfin  les  caractères  imprimés  sur  les  vases  qui  ont  été 
trouvés  dans  ces  tombeaux  sont  entièrement  Grecs.  Si  donc  ils  étaient  déjà 
vetustissima  du  tems  de  Jules  César  ,  il  faudrait  remonter  à  une  antiquité 
bien  reculée  pour  déterminer  l'époque  de  leur  construction  ,  c'est  à  dire 
jusqu'à  celle  où  les  Grecs  vinrent  s'établir  en  Italie.  Ainsi  ces  vases  sont 
probablement  antérieurs  au  régne  de  Numa  Pompilius  :  ils  furent  jugés 
d'un  grand  prix  sous  César  même,  non  à  cause  de  la  matière  dont  ils 
sont  faits  :  car  à  l'exception  d'un  petit  nombre  qui  étaient  en  bronze  ,  tous 
les  autres  étaient  en  terre  cuite  ,  mais  en  considération  de  leur  antiquité , 
et  de  la  beauté  de  leur  travail  :  ce  sont  enfin  des  monumens  inappré- 
ciables par  la  certitude  et  l'authenticité  des  notions  qu'ils  nous  donnent 
«n  ce  qui  concerne  le  costume  et  les  arts.  Nous  reviendrons  sur  cet  ar- 
ticle lorsque  nous  traiterons  des  beaux  arts. 


ïï  è    la    Grec  ë.  ïoS 

Nausicaa  lui  avait  fait  présent;  et  dans  ces  parties  de  son  habille- 
ment comme  dans  tout  le  reste  3  on  distingue  aisément  le  luxe  des 
Phéaciens.  „  Winkelma nn  présente  dans  ses  Monumens  antiques  , 
sous  les  n.  64  et  65  s  le  bas-relief  d'une  cuvette  en  marbre  blanc  „ 
que  l'on  conservait  autrefois  dans  la  maison  de  plaisance  Albani , 
lequel  représente  Eurysthée  Roi  d'Argos  et  de  M'ycénes,  auquel  Eurysthée 
Hercule  était  subordonné.  L'habillement  d'Eurysthée  semble  y  être 
tel  que  le  dépeint  Euripide.,  et  diffère  peu  de  celui  dont  nous  ve- 
nons de  donner  la  description. 

Quant  aux  Reines,  nous  ne  pouvons  en  dire  que  fort  peu  de  cho-  Reiaer. 
ses:  car  ,  à  l'exception  de  la  pourpre  et  du  diadème,  leur  vêtement 
était  le  même  que  celui  du  reste  des  femmes  Grecques  dont  nous  par- 
lerons en  son  lieu ,  si  ce  n'est  qu'il  était  plus  ample  et  plus  riche. 
Elles  ont  dans  certains  monumens  la  tète  ceinte  d'un  simple  bandeau, 
et  dans  d'autres  le  diadème  proprement  dit,  ou  une  lame  de  mé- 
tal triangulaire  ou  ronde,  qui  s'appliquait  ordinairement  sur  les  che- 
veux au  dessus  du  front.  Nous  avons  vu  dans  la  planche  précédent© 
les  figures  de  Nausicaa ,  et  de  la  Reine  sa  mère.  Les  numéros  1  et 
n  de  la  planche  18  représentent  deux  Reines  ,  qu'il  est  aisé  de  re- 
connaître pour  telles  ,  à  la  richesse  de  leur  habillement  ,  et  au 
siège  qu'elles  occupent  dans  les  peintures  des  vases  d'où  elles  sont 
prises  (1).  L'une  d'elle  se  regarde  dans  un  miroir  que  tient  devant 
elle  une  de  ses  femmes.  On  trouve  dans  Winkelmann  un  bas-relief 
en  terre  cuite  qui  représente  le  rapt  d'Hélène.  Cette  femme  celé-  Rapt  A'mièaé. 
bre  habillée,  dit  cet  auteur,  plus  en  matrone  qu'en  femme  élégante 
et  lascive  comme  la  dépeint  Homère  >  fait  un  mouvement  avec  la, 
main  comme  pour  se  couvrir  le  visage ,  ou  qui  annonce  qu'elle  vient 
de  se  le  découvir  :  la  tranquillité  de  son  maintien  indique  qu'elle 
consent  à  quitter  son  mari  et  à  se  faire  enlever ,  comme  l'atteste  le 
poète  Sresicore.  Paris ,  vêtu  à  la  Phrygienne,  la  conduit  sur  un  char  9 
selon  l'usage ,  de  la  maison  de  son  père  à  la  sienne  propre.  Il  est 
même  dit  dans  Euripide  que  Ménélas  transporta  Hélène  sur  un 
quadrige  (2).  l'habillement  d'Hélène,  dans  ce  monument,  ne  dif- 
fère pas  beaucoup  de  celui  des  Reines  que  nous  venons  de  décrire. 

Le  trône  ,  pris  dans  le    sens   que   nous  y  attachons    ordinaire-        Trône*. 
ment,  ne  devint  un  attribut  de  la  Royauté  que  dans  des  tems  bien 

(1)  Antiq.  etc.  d'Hamilton  t.  I.   128;  II.  89. 

(•2)  Les  figures  Homériques  de  Flaxman  sont  également  conformes  à 
celles  que  nous  venons  de  présenter. 


Trônes 
de  pierre. 


*°4  Gouvernement 

postérieurs    à    Homère,  et  même  aux  conquêtes   d'Alexandre.  Ho- 
mère  semble    avoir    réservé    aux    Dieux    seuls    la    magnificence    du 
trône  (i).    Le  mot.  (*,„.,)    signifie  en  effet   un    siège    magnifique, 
qui  pourtant  n'était  pis  seulement  propre    aux    Rois,    mais    encore 
à  toutes  les  personnes  distinguées    par    leur    naissance    ou  leurs    ri- 
chesses. Ce  siège  avait  des  bras  et  un  marche-pied  (a).    Il  est  bon 
néanmoins  d'observer  que  les  anciens  Rois  de  la  Grèce ,  étaient  clans 
l'usage  de  rendre  la  justice  ou  d'écouter  leurs  peuples ,  assis  sur  un 
banc  de  pierre 9  qui  portait  également  le  nom  de  trône.  Ii  y  avait 
de  ces  sièges  à  la  porte  des  Princes  et  des  Grands.  Ainsi  l'on  voit, 
dans  Homère,  Nestor  assis  sur  le  banc  de  pierre  sur  lequel   son  père 
JVélée,   le  sceptre  en  main,  avait  coutume  de  rendre  la  justice  (3); 
et  le  trône  de  Toanthe  Roi  de  Lemnos,  au   dire  d'Apollonius,  était 
aussi  en  pierre  (4).  Du  même  genre  est  le  siège  que  M.r  Chissul  (5) 
a  découvert  sur  la  côte  de  l'Ionie,  et  dont  nous  présentons  le  des- 
sin   au  n.°    i  de  la  planche   19.    Stuart  assure  qu'on   trouve    encore 
plusieurs  de  ces  sièges  ou  trônes  de  marbre  parmi  les  ruines  d'Athènes. 
Les  uns  sont  de  la  plus    grande  simplicité,    et  les  autres  ornés  de 
sculptures.  Voy.  les  numéros  2,  3  et  4.  Le  n.°  a  de  la  planche  16 
est  tiré  d'une  peinture  d'un  des  vases  de  Millingen.  On  ne   saurait 
dire  précisément  quel  est  le  Prince  qui  est   assis   ici.    Cependant, 
d'après  les  autres  figures  qui  composent  ces  peintures ,   et  les  per- 
sonnages qui    les    accompagnent  ,    on    pourrait    conjecturer    que    ce 
Prince  est  Aéte  Roi  de  Colchide ,  à  qui  Phrysus  ou  Jason  présente 
la  toison  d'or,  ou  bien  Pélias  à  qui    le    même    Jason,  de  retour  à 
lolcos,  fait  hommage  de  cette  précieuse  dépouille.  Le  Roi  est  riche- 
ment vêtu,  et  tient  un  sceptre  qui  se  termine  en  une  figure  d'aigle. 
Le  trône  est  orné  de  bas-reliefs ,  dont    la    disposition    rappelle    les 
trônes  d'Apollon  à  Amyclée 3    et    de    Jupiter  à    Olympie ,   décrits 
l'un  et  l'autre  par  Pausanias.  Une  esclave  semble  vouloir  approcher 
un  siège ,  destiné  peut-être  au   héros    qui  doit   s'entretenir    avec  le 
Roi.  Il  est  à  remarquer  que,  dans  les  tems  héroïques,  les  Rois  et  les 
Princes  étaient  servis  par  des  femmes  qui,  le  plus  souvent,  avaient 

(1)  Nous  en  parlerons  à  l'article  des  usages  religieux. 

(2)  V.  l'Hérodote  comm.  par  Larcher.  vol.  I.  pag.   192.  Note  29. 

(3)  Odyss.  liv.  3.  v.  406.  et  suiv. 

(4)  Argon,  liv.   1.  y.  667.  V.  l'edit.  de  Rome  1791,  vol.  I.  pag.  204. 

(5)  Antiq.  Asiat. 


de    la    Grèce.  io5 

été  prises  à  la  guerre.  Et  en  effet  lorsque,  dans  l'Odyssée,  Télé- 
raaque  se  présente  à  Nestor ,  ce  Prince  ordonne  à  ses  femmes  es- 
claves d'apporter  un  siège  à  cet  hôte  illustre.  Tous  les  soins  inté- 
rieurs de  la  maison  chez  ces  Princes,  étaient  l'ouvrage ,  non  seule- 
ment de  ces  esclaves,  mais  encore  des  épouses,  des  filles  et  des 
sœurs  de  ces  hauts  personnages.  La  cuisine  seule  ,  peut-être  parce 
qu'elle  avait  quelque  chose  de  cruel  et  de  sanguinaire ,  était  réser- 
vée aux  hommes,  et  ces  Princes  eux  mêmes  y  prêtaient  leur  mi- 
nistère. C'est  ainsi  qu'on  voit  dans  l'Iliade,  Patrocle  servant  en  quel- 
que sorte  de  valet  de  chambre  et  de  cuisinier  à  Achille. 

Le  peu  d'attributions  qu'avaient  ces  anciens  Rois,  et  leur  ex-  Cortège 
t renie  simplicité  ,  fesaient  qu'ils  n'étaient  suivis  que  d'un  très-petit 
cortège  lorsqu'ils  paraissaient  en  public.  Télémaque,  héritier  du 
royaume  d'Ithaque,  sort  dans  l'Odyssée  pour  se  rendre  au  conseil, 
sans  autre  suite  que  deux  chiens  qui  l'accompagnaient  ;  et  dans 
Théocrite  ,  le  Roi  Augias  a,  pour  tout  cortège,  Hercule  et  son  pro- 
pre fils.  Ainsi  Virgile,  par  respect  pour  cet  usage  antique  (i),  dé- 
crit en  ces  termes  la  sortie  d'Evandre  avec  Enée  : 

Nec  non  et  gemini  custodes  limine  ah  alto 
Procedunt ,  gressumque  canes  comitantur  herilem, 
Filius  huic  Païïas,  olli  cornes  ibat  Achates. 

Cependant  les  Rois  étaient  suivis  à  la  guerre  de  certains  minis-  atà&u* 
très  appelés  Hf4***rù  s  comme  on  peut  le  voir  dans  l'Iliade.  C'est  ainsi 
que  Patrocle  accompagnait  Achille,  Mérion  Idoménée,  Lycophron 
Ajax;  et  ces  ministres  3  au  dire  d'Esichius ,  étaient  comme  leurs 
compagnons  d'armes  ou  leurs  écuyers.  Parmi  les  personnages  char- 
gés des  fonctions  publiques  ,  on  distinguait  entre  autres  les  c rieurs 
publics,  ou  les  hérauts  *V*^,  qui  étaient  employés  à  divers  ser-  Béram 
vices  auprès  du  Roi.  Us  convoquaient  le  peuple  en  son  nom,  com- 
mandaient le  silence,  lui  présentaient  son  sceptre,  et  étaient  en- 
voyés par  lui  en  message  ou  en  ambassade  ;  ils  l'accompagnaient 
dans  ses  voyages  et  dans  ses  expéditions ,  et  recevaient  les  marques 
du  plus  grand  respect  partout  où  ils  allaient.  Ils  portaient  le  ca- 
ducée dans  leurs  missions,  comme  le  symbole  du  ministère  pacifi- 
que qu'ils^enaient  remplir:  ainsi  Jason  montra  son  caducée  en  dé- 

(i)  Homer.  Odyss.  liv.  III.  v.  489. 

Europe.  Val-  î;  €t 


106  Gouvernement 

barquant  sur  les  rivages  de  Colchos  (i).  Les  hérauts  portaient  quel- 
quefois la  lance  et  le  caducée  pour  déclarer  la  guerre  ou  propo- 
ser la  paix  (a).  Tel  est  le  héraut  qu'on  voit  sur  un  vase  de  terre 
cuite  dans  le  cabinet  du  sacré  Collège  à  Rome  ,  et  dont  Winkel- 
mann  a  aussi  donné  le  dessin  (3).  Il  porte  une  espèce  de  chapeau 
plat  et  rabattu  sur  ses  épaules,  qui  était  la  coiffure  des  voyageurs. 
Voyez  la  planche  19  num.  5.  Mais  nous  aurons  encore  occasion  de 
parler  de  ces  hérauts  à  l'article  concernant  l'art  militaire. 

L'autorité  royale,  comme  nous  venons  de  le  voir,  était  tem- 
pérée par  un  conseil  de  sages  (zj).  Ce  conseil  s'assemblait  ordinai- 
rement sur  les  places,  ou  dans  des  lieux  publics  et  élevés.  Tous 
les  membres  y  étalées  assis,  excepté  celui  qui  devait  haranguer. 
Ainsi  Télémaque  dans  le  II.e  livre  de  l'Odyssée,  après  avoir  assemblé 
les  anciens  d'Ithaque  ,  s'assied  sur  le  trône  de  son  père ,  et  au  mo- 
ment de  parler  se  lève  et  prend  le  sceptre.  On  y  traitait,  non  seule- 
ment des  affaires  publiques,  mais  encore  de  choses  privées.  Dans 
le  même  poème  ,  Télémaque  se  plaint  en  plein  conseil  des  violenceg 
et  des  outrages  des  Procis,  et  ceux-ci  craignent  qu'il  n'y  révèle 
les  trames  qu'ils  avaient  ourdies  contre  lui. 
jurisprudence  La  Grèce  n'avait  donc  d'autre  jurisprudence    à    cette    époque 

Grecs.  que  quelques  coutumes,  qui  avaient  force  de  loi.  Outre  ce  que  nous 
avons  dit  plus  haut  touchant  l'homicide  ,  on  voit  que  dès  les  tems 
héroïques ,  il  avait  été  établi  des  peines  pour  d'autres  délits.  L'adul- 
tère était  puni  d'une  peine  pécuniaire  (5).  Néanmoins  le  divorce 
était  permis  lorsque  les  époux  le  croyaient  fondé  sur  des  raisons 
légitimes  (6).  Il  parait  aussi  que  les  alliances  illicites  n'avaient  rien 
de  déshonorant,  car  dans  le  huitième  livre  de  l'Odyssée,  Ulysse  se 
vante  d'être  né  d'une  concubine.  Et  en  effet,   les    enfans    naturels 

(1)  Argonaut.  Apoll.  IH.  v.  197. 

(2)  Polyb.  liv.  IV. 

(3)  Mon.  anciens  pag.  xxxt. 

(4)  Il  semble  aussi  que  dans  ces  tems  anciens  les  femmes  prenaient 
part  à  ces  assemblées  publiques.  C'était  une  tradition  que  dans  le  con- 
seil tenu  à  Athènes  par  Gecrops  ,  pour  savoir  lequel  des  deux  divinités, 
de  Minerve  ou  de  Neptune  donnerait  son  nom  à  la  nouvelle  ville  ,  la 
Déesse  l'emporta  d'une  seule  voix ,  qui  fut  celle  d'une  femme.  Varro  apud 
]^dugusb.  de   Civit.  Dei  liv.  XVI II.  ch.  9.  Voy.  aussi  Goguet. 

(5)  Odyss.  liv.  VIII.  et  Diod.  liv.' XII. 

(6)  Pau%  liy,  VIL  chag.  2Cj.  Voy.  aussi  Pollux. 


se    la    Grèce.  107 

participaient  comme  les  enfans  légitimes  à  l'héritage  de  leur  père, 
et  l'aîné  n'y  avait  pas  une  part  plus  grande  que  les  autres.  Cepen- 
dant il  y  avait  de  grands  privilèges  attachés  au  droit  d'aînesse.  Ces  Mteti& 
privilèges  consistaient  dans  les  témoignages  de  considération  et  de 
respect  que  les  autres  frères  devaient  rendre  à  leur  aîné.  Jupiter, 
dans  le  XV.e  liv.  cfe  l'Iliade,  fait  dire  par  Iris  à  son  frère  Neptu- 
ne ,  qu'en  sa  qualité  d'aîné  il  lui  est  supérieur.  Les  mendians ,  les 
oisifs  et  les  vagabonds  étaient  regardés  comme  des  gens  infâmes, 
ainsi  qu'on  le  voit  par  plusieurs  passages  d'Homère.  Mais  les  lois 
principales  concernaient  l'agriculture  (1).  Parmi  les  sages  institu- 
tions de  ces  anciens  gouvernemens  ,  la  plus  remarquable  est  celle 
qu'on  attribue  à  Triptolême ,  par  laquelle  il  était  défendu  à  qui 
que  ce  soit  de  posséder  plus  de  terrein  qu'il  n'en  pouvait  cultiver. 
Aussi  était-ce  une  tradition  des  plus  anciennes,  qu'en  enseignant 
l'agriculture  aux  hommes  3  Cérés  leur  avait  en  même  tems  donné 
des  lois:  c'est  pourquoi  Ovide  dit: 

Prima  Ceres . 

Prima  dédit  lea.es ,  Cereris  sumus  omnia  munus  (a). 

Tout  ce  que  nous  avons  dit  jusques-ici  regarde  la  Grèce  en 
général;  mais  par  un  effet  nécessaire  des  particularités  que  nous 
avons  déjà,  remarquées  dans  la  disposition  de  son  sol,  de  la  diver- 
sité des  mœurs  et  des  usages  qui  y  furent  introduites  par  les  colo- 
nies ,  et  enfin  de  la  variété  des  systèmes  de  législation  qui  y  fu- 
rent établis  postérieurement  aux  tems  héroïques ,  cet  état  se  divisa 
bientôt  en  plusieurs  peuples,  malgré  l'identité  de  langage  qui  les 
unissait  entre  eux.  Ainsi  la  Grèce,  resserrée  dans  un  petit  terri- 
toire 3  et  divisée  de  lois  et  d'intérêts  privés,  serait  devenue  peu-à- 
peu  le  théâtre  des  guerres  civiles,  ou  la  proie  du  plus  hardi  d'en- 
tre ses  Princes ,  et  peut-être  de  quelque  conquérant  étranger.  Am- 
phictyon  Roi  des  Thermopyîes ,  devenu  maître  de  toute  l'Afrique, 
obvia  à  ces  inconvéniens ,  en  créant  un  conseil  qui  fut  appelé  dans 
la  suite,  Conseil  des  Amphictyons.  Cette  assemblée  était  composée  Conseil  des 
des  députés  des  principales  villes  de  la  Grèce,  pour  qui  c'était  AmPhi^oas' 
«ne  tache  d'infamie  des  plus  grandes,  que  d'en  être  exclus,  comme 

(1)  Voy    Goguet  Part    II    liv.  I.  chap.  IV.  art.  VIII. 

(2)  Métam.  liv.   V,  y.  54.1.  etc. 


I08  GoUVERNEMEMT 

il  arrivait  quelquefois.  Elle  se  réunissait  ordinairement  deux  fois 
l'année,  savoir;  au  printems,  et  en  automne.  Celle  du  printems  se 
tenait  à  Delphes,  comme  l'attestent  deux  décrets  que  Demosthéne 
et  Strabon  nous  ont  conservés  (i);  et  celle  d'automne  aux  environs 
d'Anthéle  dans  le  temple  de  Cérés ,  qui  pour  cette  raison  fut  ap- 
pelé Amphictyonide.  Bien  que  cette  fameuse  assemblée  semble  n'avoir 
eu  d'autre  objet  que  celui  de  protéger  le  temple  de  Delphes,  et 
de  rendre  la  justice  aux  personnes  qui  accouraient  en  foule  de  tous 
les  points  de  la  Grèce  pour  consulter  l'oracle  d'Apollon,  néanmoins 
elle  devait  beaucoup  contribuer  à  entretenir  l'union  parmi  ces  di- 
vers peuples,  que  des  intérêts  de  religion  mettaient  pour  ainsi  dire 
en  contact  les  uns  avec  les  autres  au  moins  deux  fois  par  an.  Or 
si  on  ne  veut  point  regarder  cette  réunion  comme  une  confédéra- 
tion des  peuples  de  cette  contrée ,  on  ne  peut  disconvenir  au  moins 
que  cette  institution,  qui  établit  entre  eux  un  lien  aussi  étroit 9 
n'ait  été  l'ouvrage  d'une   sage  politique  (a).    TN'ous  citerons   encore 

(i)  Demos  th.  pro    Corona.  Strab.  liv.  IX. 

(2)  Les  érudits  avaient  toujours  considéré  le  Conseil  des  Amphictyons 
comme  une  assemblée  composant  les  états  généraux  de  la  Grèce  ,  et  par 
conséquent  comme  une  confédération  purement  politique ,  où  se  traitaient 
les  grandes  affaires  de  guerre  et  de  paix  ,  et  qui  avait  pour  but  de  tenir 
toute  la  Grèce  réunie  comme  en  une  seule  république.  Cette  opinion  a. 
été  complètement  réfutée  par  Sainte- Croix  dans  un  ouvrage  qui  a  pour 
titre  Des  anciens  Gouvernemens  fédératifs.  Les  différens  peuples  de  cette 
contrée  étaient  dans  un  état  de  guerre  perpétuelle  entre  eux;  et  pourtant 
on  ne  vit  jamais  le  conseil  des  Amphictyons  interposer  son  autorité  pour 
ramener  la  paix  ,  pas  même  dans  la  guerre  qui  dura  si  long  temps  entre 
les  Athéniens  et  les  Spartiates.  Jamais  on  ne  lui  envoya  d'ambassadeurs. 
Philippe  même  fut  proclamé  généralissime  des  Grecs  à  Corinthe.  «  Si 
l'assemblés  des  Amphictyons,,  dit  Sainte-Croix,  avait  été  vraiment  une 
diète  fédérative  ,  ne  serait-ce  pas  elle  qui  aurait  fait  cette  élection  ?  Phi- 
lippe l'aurait  certainement  préférée  à  toute  autre ,  car  elle  lui  aurait  as- 
suré  la  pluralité  des  suffrages ,  en  mettant  ainsi  à  sa  disposition  ceux  de 
tous  les  peuples  de  Thessalie,  aussi  bien  que  les  deux  vœux  accordé  aux 
habitans  de  la  Macédoine  ».  Nous  ne  pourrions  ,  sans  trop  nous  écarter 
de  notre  sujet,  rapporter  ici  tous  les  raisonnemens  que  ce  savant  auteur 
employé  pour  démontrer ,  que  l'unique  objet  de  cette  assemblée  était  de 
protéger  le  temple  de  Delphes.  Lisez  en  outre  le  commentateur  d'Héro- 
dote (  Paris  Crapelet,  1802)  vol.  IV.  pag.  270  ,  et  vol.  V.  pag.  418.  etc. 
Ce  peu  de  mots  suffira  pour  faire  appercevoir  à  nos  lecteurs  ,  que  Goguet  et 
De  Real ,  écrivains  doués  d'ailleurs  de  beaucoup  d'érudition,  ont  erré  sur  ce 
poinj:  cQjrmie  sur  d'autres.  t  eA  adoptant  trop  légèrement  l'opinion  commune; 


de  la  Grées* 


bè    la    Grèce.  roi) 

les  jeux  olympiques  comme  une  autre  institution  politique,  qui  avait  olympique. 
pour  but,  en  rassemblant  ces  divers  peuples  à  certaines  époques, 
de  conserver  entre  eux  les  rapports  de  mœurs  et  d'intérêts  natio- 
naux qui  leur  étaient  communs.  Mais  nous  parlerons  en  son  lieu 
de  ces  jeux  et  de  ceux  qui  les  instituèrent.  Le  conseil  des  Am- 
pli ictyons  ,  les  jeux  olympiques  et  la  Ligue  Achéene  dont  nous  Ligue  Aahêea», 
discourerons  ensuite,  sont  peut-être  les  seules  institutions  qui  ten- 
dissent à  ne  faire  de  tous  les  peuples  de  la  Grèce  qu'un  seul  corps 
politique. 

L'ordre  des  choses  nous  conduit  à  parler  maintenant    du   gou-  Gwuwnemeaa 

r  c  des  divers 

vernement  et  des  différens  systèmes  politiques  adoptés  par  les  divers  dep^'PQr 
peuples  qui  composaient  cette  nation.  Nous  ne  ferons  mention  à  cet 
égard  que  des  principaux,  et  de  ceux  qui  sont  l'ouvrage  des  plus 
célèbres  législateurs,  laissant  à  part  tout  ce  qui  ne  présente  que 
des  doutes ,  ainsi  que  toutes  les  questions  de  généalogie  et  de  chro- 
nologie ,  comme  étrangères  à  la  connaissance  du  costume  qui  forme 
l'objet  de  nos  recherches.  Nous  diviserons  donc  la  Grèce  selon  ses 
trois  principales  constitutions  politiques  ;  et  prenant  pour  guides 
les  écrivains  les  plus  accrédités,  nous  traiterons  successivement  des 
gouvernemens  d'Athènes,  de  Crète  et  de  Sparte,  qui  ont  servi  de 
modèle  à  ceux  de  presque  tous  les  autres  peuples  de  la  Grèce  (i), 
sans  omettre  ceux  de  ses  colonies  dont  nous  dirons  aussi  quelque 
chose. 

ATHÈNES. 

L'histoire  ne  nous  offre  rien  de  certain  sur  l'état  de  TAttique  'Gawememmà 

J  d  Athènes 

avant  l'arrivée  de  Cecrops.  Ce  n'est  donc  qu'à  partir  de  cette  épo-  en  commençant 

J-  *  x  ■*  par   Lecrops, 

que  que  doivent  commencer  nos  recherches.  On  prétend  que  Ce- 
crops vint  dans  cette  contrée  avec  une  colonie  Egyptienne  vera 
l'an  i856  avant  l'ère  vulgaire,  ou  selon  les  tables  chronologiques 
de  Blair,  780  ans  avant  la  première  olympiade,  et  qu'il  y  fonda 
la  ville  d'Athènes.  C'est  lui  qui  le  premier  fit  dresser  un  autel  à 
Jupiter  et  institua  des  cérémonies  religieuses  ;  et  comme  le  peuple 
de  l'Attique  n'avait  encore  que  des  notions  imparfaites  sur  la  société 
conjugale  ,  la  première  loi  qu'il  établit  fut  celle  par  laquelle  il 
défendit  à  l'homme  d'avoir  plus  d'une  seule  femme  (a).  Il  partagea 

(1)  V.  Goguet  vol.  I.  et  II.  De  Real.  Science  du  Gouvernement  ete. 
(a)  Varro  apud  August.  de  Givit.  Dei  1.  18.  c.  g.  Suida  t.  3.  pag.  189. 


110  Gouvernement 

les  habitans  en  quatre  tribus ,  et  leur  apprit  à  ensevelir  les  morts 
et  à  répandre  du  grain  sur  leur  tombe.,  comme  on  lit  dans  Gicé- 
ron  (i).  Il  créa  en  outre  diverses  magistratures  pour  l'administration 
de  la  justice  ,  dont  la  plus  renommée  fut  Y  Aréopage ,  tribunal  éta- 
bli peut-être  à  l'imitation  de  ceux  d'Egypte,  et  qui  devint  si  cé- 
lèbre dans  la  suite  ,  que  les  Souverains  étrangers  même  envoyaient, 
quelquefois  le  consulter. 
'oirëopagê.  Dans  les  premiers  tems ,  l'Aréopage  ne  jugeait  que  des  causes 

de  meurtre.  Ses  membres  étaient  élus  parmi  les  citoyens  les  plus 
sages  de  la  ville  ,  mais  on  ne  sait  rien  de  positif  sur  leur  nom- 
bre (a).  Ses  assemblées  ne  se  tenaient  point  hors  de  la  ville,  comme 
Je  prétend  Esichiusj  mais  au  milieu  d'Athènes  sur  une  colline  qui 
était  en  face  de  la  citadelle  ,  ainsi  qu'on  peut  le  présumer  de  cette 
observation  d'Hérodote,  que  les  Perses  s'étaient  campés  sur  une  émi- 
Tience  qui  était  vis-à-vis  de  la  citadelle  3  et  que  les  Athéniens  ap- 
pelaient Aréopage.  Lucien  et  Valérius  Maximus  s'accordent  en  cela 
avec  Hérodote.  Cette  colline  prit  encore  le  nom  de  colline  de  Mars , 
ensuite  de  l'ancienne  tradition  populaire  d'un  jugement  qu'y  avait 
rendu  l'Aréopage  en  faveur  de  Mars,  meurtrier  du  fils  de  Neptune, 
et  d'un  sacrifice  que  les  Amazones  y  avaient  offert  au  premier  de 
ces  Dieux.  L'édifice  où  s'assemblait  ce  tribunal  était  de  la  plus  gran- 
de simplicité:  le  toit  en  était  fait  de  fange  et.  de  chaume,  et  on  le 
voyait  encore    dans  cet  état  du  tems  d'Auguste  selon  le  témoignage 

de  Vitruve  :    Athenis    Areopagi tectum   e   luto    (3).    Oreste 

y  fit  dresser  un  autel  à  Minerve.  On  y  voyait  en  outre  deux  blocs 
d'argent  massif  taillés  en  forme  de  sièges,,    sur    l'un    desquels    s'as- 

(i)  De  legib.  lib.  II.  L'usage  de  brûler  les  cadavres  fut  introduit  dans 
îa  suite  chez  les  Grecs ,  comme  on  le  voit  dans  Homère. 

(2)  Nous  ne  savons  également  rien  de  certain  sur  l'étymologie  du 
mot  aréopage.  Ceux  qui  voudraient  s'instruire  de  toutes  les  recherches 
qui  ont  été  faites  sur  ce  fameux  tribunal ,  n'ont  qu'à  lire  la  savante  dis- 
sertation de  M.r  l'abbé  De  Carnage  dans  les  Mémoires  de  Académie  R. 
des  Inscriptions.  Vol.  VIL 

{3)  Vitruv.  1.  V.  c.  1.  Le  Spon  dans  son  Voyage  en  Grèce  (  t.  IL 
j>ag  199  )  observa  sur  la  colline  de  l'Aréopage  des  débris  de  pierres  énor- 
mes taillées  à  pointe  de  diamans,  et  en  demi-cercle.  Il  est  d'opinion  que 
ces  pierres  formaient  les  fondemens  de  l'édifice  ,  dans  lequel  était  enclavé 
l'Aréopage.  Smart  a  tracé  aussi  dans  sa  carte  topographique  d'Athènes  le 
lieu  qu'occupait  ce  tribunal, 


»e    ia    Grèce,  f î f 

seyait  l'accusateur,  et  l'accusé  sur  l'autre.  L'un  était  consacré  k 
Y 'Injure ,  et  l'autre  à  Y  Impudence  ^  divinités  allégoriques  auxquelles 
Epiménide  fit  élever  dans  la  suite  des  autels  et  des  temples,  comme* 
l'atteste  Cicéron  dans  son  second  livre  des  lois.  (Edipe  avait  encore 
son  tombeau  dans  l'enceinte  de  l'Aréopage  (i). 

Dans  les  commencemens,  ce  tribunal  ne  s'assemblait  que  les  trois        Quanti 
derniers  jours  de  chaque  mois;  mais  les  nouvelles  attributions  qui  lui 
furent  données,  surtout  du  tems  de  Solon  3  et  la  multiplicité  des  af- 
faires, l'obligèrent  insensiblement  à  tenir  ses  séances  tous  les  jours  (a). 
La  fréquence  de  ces  assemblées  devenant  trop  pénible  pour  les  vieil- 
lards, à  cause  du    chemin    escarpé   qu'ils    devaient    faire    pour    s'y 
rendre,  on  les  transporta  par-fois  dans  un  quartier  de  la  ville,  ap- 
pelé le  portique  royal ,  qui  était  exposé  à  toutes  les  intempéries  de      Portïgro 
l'air.  Les  juges  y  étaient   enfermés  dans  un  cercle    formé  par   une        toyali 
espèce  de  fil  ou  de  corde:  ils  ne  s'assemblaient  que  de  nuit,  dans 
la  vue,  dit  Lucien,  de  se  garantir  de  toute  distraction:  usage  qui 
fit  dire  à  Athénée  que  leur  nombre  ni  leur    figure  n'étaient  con- 
nus de  personne.  Le  tribunal  étant  réuni ,  un  héraut  fesait  faire  si- 
lence et  ordonnait  au  peuple  de  se  retirer.  Aucune  affaire  n'y  était      Comment 
traitée  de  préférence  aux  autres ,  et  c'était  le  sort  qui  décidait  de     les  a/ffiret 
1  ordre  dans  lequel  chacune  d'elles  devait  être  présentée,  ainsi  que       tra^^ 
du  juge  qui  était  commis  à  son  examen.  Dans    les    premiers    tems., 
c'étaient  les  parties  qui  exposaient  elles  même  leur  différend   avec 
toute  la  simplicité  possible,  et  l'art  de  l'éloquence  était  absolument 
banni  de  ce  tribunal;  mais  dans  la  suite  il  se  relâcha  un    peu   de 
cette  sévérité ,  et  permit  qu'on  se  servît  devant  lui  d'avocats  même 
payés,  auxquels  il  était  pourtant  défendu  d'employer  dans  leurs  dis- 
cours ni  exorde  ni  aucun  ornement  oratoire.  L'accusateur  commen- 
çait sa  délation  par  invoquer  contre  lui,  en  témoignage  de  la  vérité, 
la  vengeance  des  Eumenides  ;  et  pour  rendre  encore  plus  terrible  à 
ses  yeux  la  formule  de  ce  serment  5  en  le  fesait  asseoir  sur  les  débris 
sanglans  des  victimes  qu'on  venait  d'égorger  (3).  Les  suffrages  se  don- 

•       (i.)  V.  Pausan.  in  Att. 

(2)  L'autorité  de  l'Aréopage  s'étendit  avec  le  tems  jusqu'aux  choses 
de  religion.  En  effet  Socrate  lui  même ,  accusé  d'impiété ,  subit  la  sentence 
de  mort  que  HAréopage  avait  rendue  contre  lui,  comme  l'atteste  Diogéne 
Laerce.  C'est  pour  cette  raison  aussi  que  l'Apôtre  Saint  Paul  fut  conduit 
par  devant  ce  tribunal. 

(3)  Poil.  1.  VIII.  c.  10.  Dinarq.  Oraù.  in  Demost.  Démosthenes  w 
ûrat.  Aristocrate,  Antiph.  de  caecle  Herodis. 


Jugement 

dans  la  cause 

d'Or  este. 


IJslrêopage 

subsistait 

encore 

au  tenu  où 

la   Grèce 

était  soumise 

ù  la  domination 

Romaine. 


lia  Gouvernement 

naient  par  îe  moyen  de  certains  coquillages  marins  ,  auxquels  on 
substitua  ensuite  de  petits  morceaux  de  cuivre  appelés  Spondyles  , 
d'une  même  forme,  avec  cette  différence,  que  ceux  qui  devaient  in- 
diquer le  vœu  de  condamnation  étaient  noirs  et  percés  au  milieu  , 
et  que  les  autres  étaient  blancs  et  sans  trou.  Chaque  juge  prenait 
une  de  ces  marques  avec  le  pouce  ,  l'index ,  et  le  doigt  du  milieu , 
et  la  posait  dans  une  des  deux  urnes  qui  étaient  placées  vis-à-vis 
l'une  de  l'autre  dans  le  lieu  le  plus  retiré  de  l'assemblée.  L'une 
s'appelait  l'urne  de  la  mort  ««ir»»*  ,  et  était  de  cuivre;  et  l'autre 
qu'on  nommait  l'urne  de  la  miséricorde  *'xi»v  était  en  bois.  Tout 
cela  se  fesait  dans  le  plus  grand  secret;  mais  les  trente  tyrans  vou- 
lurent 9  pour  se  rendre  les  arbitres  des  décisions  de  FAréopage , 
True  chaque  juge  vint  déposer  son  vœux  sur  une  table  qui  était  de- 
vant eux  (i).  Le  traitement  des  juges  était  très-modique,  et  se  ré- 
duisait quelquefois  à  une  seule  obole  :  ce  qui  fait  que  ,  dans  Lucien  , 
Mercure  témoigne  sa  surprise ,  de  ce  que  des  vieillards  aussi  sages , 
vendissent  à  si  vil  prix  la  peine  qu'il  prenaient  de  monter  si  haut  (a). 
Parmi  les  jugemens  qui  acquirent  tant  de  célébrité  à  Txlréopage  , 
celui  qu'il  rendit  dans  la  cause  d'Oreste  mérite  d'être  distingué.  (3). 
Oreste  fut  accusé  devant  ce  tribunal  d'avoir  tué  sa  mère  :  les  voix 
étant  divisées  en  deux  avis  contraires  parfaitement  égaux,  il  devait 
par  conséquent  être  condamné  à  la  mort9  lorsque  Minerve,  touchée 
de  son  malheur ,  se  déclara  pour  les  juges  qui  l'avaient  absous  en  joi- 
gnant son  suffrage  au  leur.  Oresie  fut  sauvé  par  ce  moyen  ;  et  en 
mémoire  de  cet  événement,  toutes  les  fois  que  les  voix  étaient  éga- 
les des  deux  côtés  ,  il  passa  en  usage  d'absoudre  l'accusé  j  à  la  fa- 
veur de  celle  qu'on  appelait  la  voix  de  Minerve. 

L'Aréopage  subsistait  encore  du  tems  que  la  Grèce  était  sou- 
mise à  la  domination  Romaine.  Car  outre  ce  qui  est  dit  dans  les 
actes  des  Apôtres  de  la  harangue  de  Saint  Paul  par  devant  ce  tri- 
bunal,  Gellius  et  Valerius  Maximus  rapportent  encore  le  fait  sui- 
vant. Une  femme  accusée  d'avoir  tué  son  mari  et  son  fils  fut  con- 
duite en  présence  de  Dolabella  proconsul  en  Asie.  Elle  avoua  son 
crime ,  en  disant  qu'elle  avait  eu  les  plus  fortes  raisons  pour  le  com- 


(i)  Démosth.  Orat.  in  Neaeram.  Lysias.  Orat.  in  Ageratum. 

(2)  Lucien,  in  bis  accusato. 

(3)  En  l'an  375  de  l'ère  Attique ,  sous  le  régne  de  Démophon  XII.  â 
Athènes. 


d^    la    Grèce.  ii"S 

mettre.  «  T'avais,  dit-elle,  de  mon  premier  mariage  un  fils  que  je 
chérissais ,  et  que  ses  vertus  rendaient  digne  de  toute  ma  tendresse. 
Mon  second  mari ,  et  le  fils  que  j'ai  eu  de  lui  l'ont  assassiné  s  c'est 
pourquoi  je  me  suis  crue  autorisée  à  priver  de  la  vie  ces  deux  mons- 
tres de  cruauté.  Vous  pouvez  maintenant  me  punir  de  ce  crime , 
dont  je  ne  me  repentirai  jamais.  M  Dolabella  proposa  la  cause  à  son 
conseil ,  qui  n'osa  point  prononcer  de  sentence.  L'Aréopage  auquel 
elle  fut  portée  décida,  après  une  longue  délibération,  que  l'accu- 
sateur et  l'accusée  comparaîtraient  de  nouveau  en  jugement  au 
bout  de  cent  ans. 

Le  gouvernement  fondé  par  Cecrops  ne  subit  aucun  changement  Gom-ememem 
jusqu'à  Thésée,  dixième  Roi  d'Athènes,  qui  vivait  environ  12,35 
ans  avant  l'ère  vulgaire:  outre  l'Aréopage,  Cecrops  institua  encore 
d'autres  tribunaux  dans  divers  cantons  de  l'Attique.  Or  on  lit  dans 
Thucydide,  que  depuis  ce  législateur  jusqu'à  Thésée,  les  Athéniens 
vivaient  épars  dans  des  bourgades  de  l'Attique ,  dont  chacune  avait 
son  Prytanée  et  ses  Archontes  ;  mais  que  ces  magistratures  furent  sup- 
primées par  Thésée  ,  homme  d'une  grande  prudence  et  très-puissant, 
qui  les  transporta  à  Athènes ,  où  il  établit  un  Sénat  avec  un  seul 
Prytanée  (i).  On  peut  donc  tirer  de  ce  passage  de  Thucydide  Prjtantti 
ces  deux  conséquences  ;  l'une ,  que  l'institution  du  Prytanée  est 
due  à  Thésée;  et  l'autre,  que  le  Prytanée  et  le  Sénat  ne  for- 
maient qu'une  seule  et  même  magistrature  (a).  L'attribution  du 
Prytanée  dans  son  origine ,  était  de  juger  des  choses  inanimées  qui 
avaient  occasionné  la  mort  de  quelqu'un  :  institution  précieuse  qui 
tendait    à    accroître   dans   les   citoyens    l'horreur    du    meurtre    (3). 

(i),  Thucydide  liv.  II.  parag.  i5.  V.  aussi  Piutarque  dans  la  vie  de 
Thésée.  Il  en  est  qui  croyent  que  ce  nom  vient  des  mots  grecs  *vfU  rapuo*, 
parce  qu'on  conservait  dans  le  Prytanée  le  feu  inextinguible  ;  d'autres  le 
font  dériver  de  ^«r  t*^i7«v5  parce  qu'on  y  tenait  le  dépôt  des  grains  publics. 
V.  Suidas ,  et  VEbymolog.  magnum.  V.  encore  Gronove  Thés.  Graecar. 
antiquitab.  Vol.  IV.  col.  846.  et  suiv. 

(2)  Au  sujet  du  Prytanée  on  peut  encore  consulter ,  outre  Gronove, 
le  savant  Corsini  Fastl  attici.  Pars.  I.  ,  Dïssert.  II.  parag.  XXVII.  pag. 
10 1.  Dissert.  VI.  parag.  IV.  V.  pag.  265.  etc.  V.  aussi  l'Hérodote  com- 
menté par  Larcher  ,  vol.  I.  pag.  440.  et  suiv.  et  vol.  IV.  pag.  309.  et  suiv. 

(5)  C'est  peut-être  dans  le  même  but ,  c'est-à-dire  pour  distraire  les 
esprits  de  tout  sentiment  inhumain,  que  Cecrops  avait  défendu  d'offrir 
aux  Dieux  en  sacrifice  rien  de  ce  qui  avait  eu  vie. 

Europe.  Vol.  I.  i5 


1 14  Gouverne  m  ENf 

Mais  dans  la    suite  ,  et  particulièrement  du  vivant    cïe    Solon  ,    son 
dfcézte       autorité  fut  augmentée  de  beaucoup.  Elle  embrassait  en  même  tems 

magistrature,  l'administration  suprême  de  la  justice ,  la  distribution  des  vivres  , 
la  police  générale  de  l'état,  et  celle  de  la  ville  en  particulier, 
les  déclarations  de  guerre,  la  conclusion  de  la  paix,  la  nomina- 
tion des  tuteurs,  et  enfin  le  jugement  de  toutes  les  causes  qui  avaient 
été  portées  par  devant  les  tribunaux  subalternes  3  et  dont  on  avait 
appelé  à  cette  cour  supérieure. 

Thésée  donna  Au  moyen  de  cette  magistrature ,  dans  laquelle  étaient  admis 

a  Athènes  un  ~  l 

gouvernement    des  citoyens  de  toutes  les  classes,  Thésée    avait    donné    à    Athènes 

presque  J 

démocratique,  la  forme  d  un  gouvernement  presque  démocratique.  C'est  pourquoi  , 
dans  les  tems  que  la  population  d'Athènes  était  partagée  en  quatre 
tribus,  on  tirait  de  chacune  cent  individus  au  sort,  et  ces  quatre 
cents  citoyens  composaient  le  Sénat;  mais  le  nombre  de  ces  tribus 
ayant  été  porté  à  dix  par  Clisthéne ,  dans  la  IV.e  année  de  la 
LXVII.e  olympiade,  celui  des  citoyens  à  élire  dans  chaque  tribu 
fut  réduit  à  cinquante  :  ce  qui  porta  à  cinq  cent  le  nombre  des 
membres  composans  le  Sénat  ,  comme  on  le  voit  par  plusieurs  pas- 
sages des  orateurs  Grecs.  Ces  dix  tribus  ayant  encore  été  augmen- 
tées de  deux  autres  dans  la  Ill.e  année  de  la  CXVIII.6  olympiade, 
les  sénateurs  se  trouvèrent  enfin  au  nombre  de  six  cent  (i).  Cha- 
que tribu  avait  tour-à-tour  la  primauté  sur  les  autres.  L'élection 
des  sénateurs  se  fesait  au  sort.  On  appelait  Prytanes  les  cinquante 
d'entre  eux  qui  étaient  en  fonction ,  et  Prytanie  les  trente  cinq 
Prytanes 3     jours  que  durait  leur  service  (a).  Les  Prytanes  se  divisaient  en  cinq 

et  EpistaTes.  classes ,  chacune  de  dix  Prytanes,  qui  s'appelaient  Proédres.  On 
choisissait  sept  de  ces  derniers,  auxquels  on  donnait  le  nom  ÏÏEpis- 
tates ,  chacun  desquels  avait  successivement  la  présidence  sur  le  reste 
des  Prytanes  et  des  Proédres  (3).  Un  sénateur  ne  pouvait  être  Epis- 
Ci)  "V.  Plutar.  in  Demetrio. 

(2)  Il  est  bon  d'observer  que  l'année  des  Athéniens  était  lunaire,  et 
n'avait  par  conséquent  que  554  jours.  Or  ,  lorsque  les  tribus  étaient  au  nom- 
bre de  dix ,  chacun  d'elles  ayant  la  primauté  pour  trente  cinq  jours  ,  il  en  ré- 
sultait un  excédent  de  quatre  jours  à  la  fin  de  l'année.  Ces  quatre  jours  étaient 
entre  les  quatre  tribus  que  le  sort  avait  désignées  les  premières  pour  la 
primauté ,  qu'elles  conservaient  par  conséquent  pendant  trente  six  jours. 

(3)  Hérodote ,  Therpsicore  ,  liv.  V.  parag.  LXXI.  ,  appelle  les  Pry- 
tanes des  Naucrariens  ,  terme  dont  le  sens  a  été  pendant  long  tems  un 
sujet  de,  dispute  parmi  les.  érudits.  Chaque  tribu  d'Athènes    était    ancien- 


de    la    Grèce.  ii5 

tate  deux  fois  dans  la  même  année ,  dans  la  crainte  où  étaient  le* 
Athéniens  que  l'autorité  dont  il  était  revêtu  ,  trop  long  tems  pro- 
longée ,  ne  devint  dangereuse  pour  leur  liberté  dont  ils  furent  tou- 
jours extrêmement  jaloux.  Le  même  motif  avait  fait  rendre  annuelle 
la  charge  de  sénateur,  tandis  que  celle  de  membre  de  l'Aréopage 
était  à  vie.  Les  Prytanes  réunissaient  le  sénats  expédiaient  les  af- 
faires qui  lui  étaient  soumises  3  convoquaient  le3  assemblées  du  peu- 
ple ,  et  en  avaient  la  présidence.  Les  Proédres  proposaient  l'objet 
sur  lequel  on  avait  à  délibérer,  l'Epistate  recueillait  les  voix,  et 
prononçait  d'après  le  vœu  de  la  pluralité.  Nul  ne  pouvait  devenir 
sénateur,  ou  membre  du  Prytanée  ,  avant  l'âge  prescrit,  que  Liba- 
nius  appelle  fi»*x*»vt*n  ,'ajk/*  ,  l'âge  du  sénateur,  et  que  Larcher  croit 
être  le  même  que  celui  qu'on  exigeait  pour  être  juge  ,  c'est-à-dire 
l'âge  de  trente  ans,  comme  on  le  voit  parle  serment  d'Héliaste  (ï). 
Les  Prytanes  étaient  nourris  aux  frais  du  public  dans  une  salle 
du  Prytanée,  qui  portait  le  nom  de  Tholus ,  peut-être  parce  qu'elle  Satk 
était  voutee  (a).  Le  même  traitement  y  était  assure  aux  citoyens  appelée 
qui  avaient  bien  mente  de  la  patrie  ;  et  on  y  conservait  en  outre 
le  feu  sacré ,  le  froment  et  les  armes.  Lorsqu'on  envoyait  une  co- 
lonie dans  quelque  pays  ,  on  tirait  pour  elle  du  Prytanée  les  ar- 
mes,  les  vivres  et  le  feu.  Cette  colonie  ne  pouvait  prendre  de  feu 
ailleurs;  et  si  par  hazard  il  venait  à  s'éteindre,  il  lui  fallait  re- 
courir de  nouveau  au  Prytanée  pour  en  avoir.  Ce  feu  sacré  n'était 
autre  chose  qu'une  lampe  qu'on  tenait  toujours  allumée  (3).  C'est 
pourquoi  le  Prytanée  était  consacré  à  Vesta;  et  aux  premières  ma- 

nement  divisée  en  cantons,  ou  peuplades ,  A3^a«.  Les  Nauerariens  ré- 
glaient les  contributions  de  chacun  de  ces  cantons.  Il  y  avait  par  tribu  douze 
Nauçrarîes,  dont  chacune  devait  fournir  à  l'état  deux  cavaliers  et  un 
navire  ,  d'où  dérive  peut-être  l'étymologie  de  ce  mot.  Pour  nous  nous  som- 
mes d'avis  ,  qu'après  la  réforme  faite  par  Thésée  ,  les  Nauerariens  furent  éga- 
lement concentrés  dans  le  Prytanée.  C'est  aussi  le  sentiment  de  Larcher 
et  autres  savans  écrivains. 

(0  ArSuin  in  Orat.  Demos  th.  contra  Androt.  et  Demos  th.  advers. 
Tim  ocrât. 

O)  Poliux  Onomast.  liv.  VIII.  c.  i5.  Segm.  i55.  pag.  972.  et  Har- 
pocrat.  pag.  88. 

(3)  C'était  un  proverbe  célèbre  chez  les  Grecs  que  le  Aix„,v  h  itfvruii,?, 
ou  la  lampe  dans  le  Prytanée  y  pour  désigner  une  chose  abondante  ,  et 
qui  ne  tarissait  jamais  Le  soin  de  cette  lampe  était  confié  à  certaines  fem- 
mes veuves ,  qu'on  appelait  pour  cela  Prytanide*. 


n6  Gouvernement 

gistratures  seules,  c'est-à-dire  aux  Archontes,  aux  Rois  ou  aux 
Prytanes  même,  appartenait  le  droit  de  lui  offrir  des  sacrifices  (i). 
Outre  les  images  de  Vesta  et  autres  divinités  telles  que  la  Paix  , 
Jupiter  ,  Minerve  etc.  ,  on  plaçait  encore  au  Prytanée  celles  des 
plus  grands  personnages  d'Athènes.  On  y  voyait  les  statues  d'As- 
ti loque  ,  de  Thémistocle  ,  de  Miltiade  et  autres,  dont  les  Athé- 
niens eux  mêmes,  au  moyen  d'inscriptions  postérieures  et  menson- 
gères ,  firent  un  instrument  de  la  plus  vile  adulation  ,  en  les  dédiant 
à  un  Romain  ou  à  un  Thrace.  Une  partie  du  froment  qu'on  y 
conservait  était  employée  à  alimenter  les  Prytanes  ,  et  ceux  qui 
avaient  bien  mérité  de  la  patrie  ;  le  reste  était  distribué ,  à  cer- 
tains jours,  à  des  familles  pauvres  et  honnêtes.  On  portait  encore 
au  Prytanée  la  dixtne  de  la  viande  des  victimes:  Moris  erat  coquis^ 
dit  le  Scholiaste  d'Aristophane ,  ut  décimas  immolatorum  Prytani- 
bus  durent. 
*<"  p^paÎM  A  l'exemple  d'Athènes ,  toutes  les  principales  villes  de  la  Grèce 

de  leurfniéce  eurerlt  nn  Prytanée ,  et  Syracuse  entre  autres  en  eut  un  qui  fut 
a»  Prytanée.  célébre  (n).  L'Empereur  Adrien 3  jaloux  d'imiter  en  tout  les  Grecs, 
avait  fait  construire  dans  sa  maison  de  plaisance  à  Tibur  un  édi- 
fice,  auquel  il  avait  donné  le  nom  de  Prytanée  (3).  M.r  Guilletière 
dit  que  ,  de  son  tems ,  on  voyait  encore  près  de  l'Archevêché  ,  les 
ruines  du  Prytanée  d'Athènes;  mais  Thucydide  assure  positivement 
que  l'ancien  Prytanée  fut  détruit  par  un  tremblement  de  terre  ar- 
rivé la  sixième  année  de  la  guerre  du  Péloponnèse  (4)  ,  et  il  ne 
reste  à  présent  aucun  vestige  de  cet  édifice  ,  comme  on  peut  le  voir 
par  les  relations  de  Spon  et  de  Stuart. 
..Archontes.  La  troisième  des  grandes  magistratures  d'Athènes,  est  celle  des 

Archontes  (5).  Son  institution  est  d'autant  plus  mémorable  ,  qu'elle 
fut  le  commencement  d'une  nouvelle  forme  de  gouvernement  après  la 
mort  de  Codrus.  Ce  Prince  avait  généreusement  sacrifié  sa  vie  pour 

(i)  Aristot.  Politiq.  liv.  VI.  chap    18. 

(2)  Cicer.  in  Verrern ,  de  signis.  parag.  53.  Les  villes  de  la  Grèce 
avaient  presque  toutes  un  Prytanée  ,  par  cela  même  qu'elles  professaient 
le  culte  de  Vesta.  C'est  ce  qui  fait  dire  à  Pindare  ,  au  commencement  de 
sa  première  Ode  Neméene  :  O  f^esta  ,  JîLle  de  Rhée  }  qui  as  en  héritage 
les  PryCanées  etc. 

(3)  Spartianus  in  vita  Hadriani  c.  XXVI. 
(4),  Relli  Péloponnes.  liv.  III. 

(5)  Afx*'.  Commandant,  de  *?%»?'*'  ,  incipio ,  impero  ec. 


ce    la    Grèce.  jj* 

la  patrie  dans  la  guerre  contre  las  habifans  du  Péloponnèse  (i). 
Les  Athéniens  qui  aspiraient  depuis  long  tems  à  une  démocra- 
tie absolue,  trouvèrent  dans  les  querelles  de  Médon  et  de  Nilée 
fils  de  Codrus  pour  la  succession  au  trône  ,  un  motif  de  plus  pour 
changer  de  gouvernement;  ils  abolirent  donc  la  monarchie  ,  pro- 
clamèrent Jupiter  Roi  unique  et  suprême,  et  confièrent  l'autorité 
publique,  ou  le  pouvoir  exécutif,  à  un  corps  de  magistrats  qu'il t 
appelèrent  Archontes.  Cette  magistrature  fut  d'abord  à  vie  ,  et  le 
même  Médon  ,  fils  aîné  de  Codrus ,  fut  élu  premier  Archonte  vers 
l'an  ii3ii  avant  l'ère  vulgaire.  (2).  Médon  conserva  cette  dignité 
pendant  37  ans,  et  eut  douze  successeurs  tous  de  sa  race,  dont  le 
dernier  fut  Eschile  qui  la  posséda  a3  ans  (3).  A  près  cette  dynastie, 
les  Athéniens  toujours  extrêmement  jaloux  de  leur  liberté,  et  crai- 
gnant jusqu'à  l'ombre  de  la  Monarchie  dans  la  durée  de  cette  ma- 
gistrature,  en  bornèrent  le  terme  à  dix  ans.  Le  premier  Archonte  Archontes 
décennal  fut  Carops  fils  d'Eschiîe.  Il  entra  en  charge  dans  la  qua- 
trième année  de  la  VI. e  olympiade,   ou    ^Sa.    ans    avant  l'ère   vul- 

(1)  L'oracle  de  Delphes  avait  prédit  aux  habitans  du  Péloponnèse 
qu'ils  seraient  vainqueurs  des  Athéniens ,  s'ils  fesaient  ensorte  que  Codrus 
Roi  d'Athènes  ne  pérît  point  dans  cette  guerre.  Instruit  de  cette  prédic- 
tion ,  Codrus  travesti  en  mendiant  ,  ou  selon  d'autres  en  simple  soldat , 
attaqua  un  des  ennemis  et  le  tua.  Transportés  de  fureur ,  les  compagnons 
du  mort  se  jettérent  sur  le  Roi  déguisé,  et  le  massacrèrent.  A  cette  nou- 
velle ,  les  Péloponnésiens  s'enfuirent  précipitamment ,  et  la  -victoire  resta 
aux  Athéniens.  Codrus  fut  le  dix  septième  et  dernier  Roi  d'Athènes,  et 
son  régne  dura  21   ans.  V.  Eusebii   Chronicon,  livr.   dernier  pag.  y6.  etc. 

(2)  A  légaid  des  Archontes  ,  nous  avons  suivi  la  Chronologie  de  Lar- 
cher  ,  qui  est  un  ouvrage  vraiment  classique.  Cet  illustre  auteur ,  en  s'ap- 
puyant  de  l'autorité  des  plus  grands  écrivains  ,  et  au  moyen  de  calculs 
très-exacts ,  a  vérifié  ,  ou  au  moins  réduit  à  la  plus  grande  probabilité ,  les 
ep.ocru.es  de  l'histoire  Grecque.  Il  s'est  servi  surtout  pour  cela  des  Faste» 
Attiques  de  Corsini.  V.  l'Hérodote  commenté  par  lui ,  tom.  VIL 

(5)  Eschile  eut  pour  successeur  dans  la  charge  d'Archonte  Alcméon  t 
qui  ne  la  conserva  que  deux  ans.  A  la  troisième  année  de  l'Archontat 
d'Eschiîe  ,  qui  fut  776  avant  l'ère  vulgaire  ,  commença  l'Olympiade  de 
Corébe  ,  ainsi  appelée  parce  que  Corébe  d'Elée  avait  remporté  cette  année 
là  le  prix  aux  jeux  olympiques.  Cette  olympiade  passe  généralement  pour 
la  première  ,  comme  étant  celle  dont  les  Grecs  ont  fait  la  base  de  leur 
chronologie.  A  compter  de  cette  époque  ,  nous  continuerons  à  rapporter 
les  années  de  l'olympiade,  avant  celies  qui  ont  précédé  la  venue  du  Christ. 


annuels. 


Ji8  Gouvernement 

gaire.  Il  n'y  eut  que  sept  Archontes  décennaux,  et  dans  ce  nom- 
bre est  compris  Hyppoméne  quatrième  Archonte,  malgré  qu'il  ait 
été  déposé  de  sa  charge  dans  la  neuvième  année  (i). 

Mais  les  Athéniens  trouvèrent  encore  excessive  et  dangereuse 
cette  autorité  de  dix  ans.  Us  en  réduisirent  donc  la  durée  à  un 
an  seulement;  et  pour  qu'il  ne  restât  plus  la  moindre  trace  de 
Monarchie,  ils  portèrent  à  neuf  le  nombre  de  ces  Archontes  an- 
nuels. Le  premier  d'entre  eux  s'appelait  simplement  V Archonte  9 
ou  Y  Archonte  Eponyme;  le  second  Y  Archonte  Roi;  le  troisième  le 
Polémarque  ;  et  les  six  autres  Tesmothétes  ou  Législateurs.  Le  nom 
de  l'Archonte  Eponyme  se  trouve  presque  toujours  désigné  fidèlement 
dans  la  chronologie  d'Athènes  ,  parce  que  c'était  de  lui  que  l'an- 
rfrckonies  née  prenait  son  nom.  Les  Archontes  annuels  entraient  dans  l'exer- 
cice de  leur  charge  au  commencement  de  janvier,  et  l'Àrchontat 
correspondait  par  conséquent  à  quelqu'année  que  ce  fût  de  la  pé- 
riode Julienne,  on  de  l'ère  qui  a  précédé  la  venue  du  Christ  (a). 
Le  premier  Archonte  annuel  fut  Créon ,  qui  entra  en  charge  la 
quatrième  année  de  la  XXIlI.e  olympiade,  ou  684  ans  avant  l'ère 
vulgaire  (3).  Les  Archontes  se  tiraient  au  sort:  ils  étaient  obligés 
de  subir  un  premier  examen  dans  le  Sénat,  puis  un  autre  devant  le 
peuple.  On  leur  demandait  si ,  depuis  trois  générations,  ils  étaient  des- 
cendans  de  citoyens  Athéniens  des  deux  côtés  3  paternel  et  mater- 
nel; à  quelle  tribu  ils  appartenaient;  s'ils  étaient  parens  d'Apol- 
lon et  de  Jupiter  LIercéen  (4)5  s'^s  n'avaient  jamais  manqué  de 
respect  à  leurs  parens;  s'ils   avaient  combattu  pour  la    patrie;  s'ils 

(1)  Mémoir.  de  l'Académ.  des  Bell.  Lettres  t.  XLVI.  pag.  61. 

(2)  Les  Athéniens  conservèrent  l'usage  de  commencer  leur  année  par 
un  mois  qui  répondait  à  notre  janvier  ,  iusqu'à  la  réforme  du  Calendrier 
faite  par  Méthon  ,  l'an  4682  de  la  période  Julienne  ,  4^2  ans  avant  l'ère 
v  Igaire.  Depuis  cette  époque  ,  l'année  Athénienne  commença  avec  l'année 
olympique. 

(3)  Marmora  Oxoniens.  Epoch  XXXIII. 

(4)  Il  n'y  avait  pas  d'Athénien  qui  ne  se  vantât  d'être  en  parenté 
avec  Apollon  et  Jupiter.  On  jugeait  par  la  réponse  que  fesait  l'Archonte 
à  cet  égard ,  si  l'individu  était  réelement  Athénien.  V.  Aristophane  dans 
sa  comédie  des  Oiseaux.  Néanmoins  l'usage  vint  peu  à-peu  de  nommer 
à  la  dignité  d'Archonte  }  même  des  citoyens  de  nouvelle  date  ,  pourvu  toute 
fois  que  leur  mère  fût  Athénienne  d'origine.  V.  Plutarq.  Symphosiaq. 
.11  y,  I. ,  et  Probl.  liy,  L  Probl.  10,  et  liv.  X  dern.  Probl. 


des  Arohontc'i' 


fis    la    Grèce.  î rg 

étaient  assez  riches  pour  soutenir  l'éclat  de  leur  dignité;  et  enfin 
s'ils  étaient  sains  de  corps.  Les  nouveaux  Archontes  se  rendaient  au 
forum,  on  au  portique  royal,  où,  devant  une  pierre  sacrée  à  ce 
destinée,  ils  juraient  d'observer  les  lois,  de  ne  recevoir  aucun  pré- 
sent,  de  n'user  d'aucune  partialité  dans  leurs  jugemens ,  et  s'enga- 
geaient en  outre  â  faire  dresser  à  leurs  frais,  dans  le  temple  de 
Delphes,  une  statue  en  or  de  leur  grandeur,  dans  le  cas  où  ils  man- 
queraient à  leur  serment. 

Parmi  les  fonctions  des  Archontes,  il  y  en  avait  qui  étaient  ^  Fonction 
communes  à  tout  le  corps,  et  d'autres  particulières  à  chacun  de 
ses  membres.  Du  nombre  des  premières  étaient,  la  condamnation  des 
malfaiteurs  à  la  peine  capitale,  la  nomination  des  magistrats  infé- 
rieurs j  la  surveillance  sur  la  conduite  de  tous  les  autres  magistrats,  et 
la  destitution  de  ceux  qui  s'étaient  montrés  indignes  du  choix  que 
le  peuple  avait  fait  d'eux.  L'Archonte  Eponyme  avait  la  présidence 
sur  les  autres  ,  et  donnait  son  nom  à  Tannée  comme  nous  venons 
de  l'observer  (î).  Sa  jurisdiction  s'étendait  sur  tous  les  citoyens 
Athéniens,  sur  les  contestations  entre  mari  et  femme,  sur  les  fem- 
mes qui  avaient  accouché  après  la  mort  de  leur  mari ,  sur  les  te- 
stamens,  les  legs,  les  dotations,  les  orphelins,  et  enfin  sur  tous  les 
citoyens  sujets  à  l'ivresse  ou  à  quelqu'autre  vice  grossier.  Mais  s'il 
était  trouvé  ivre  lui  même ,  il  était  aussitôt  condamné  à  mort.  Il 
avait  en  outre  l'inspection  des  fêtes ,  et  surtout  de  celles  qu'on  ap- 
pelait Dionysies  s  ainsi  que  celle  des  jeux  publics  et  des  spectacles. 
Il  tenait  son  tribunal  à  VOdeum  (a). 

L'Archonte  Roi  siégeait  sous  un  portique,  qu'on  appelait  pour 
cela  portique  royal ,  et  décidait  les  causes  entre  les  prêtres  et  les 
familles  sacrées:  il  jugeait  les  citoyens  accusés  de  profanation,  avait 
la  présidence  dans  la  célébration  des  mystères  d'Eleusis,  de  Bac- 
chus  et  autres  cérémonies  religieuses,  et  offrait  les  sacrifices  publics 
dans  les  cas  où  il  s'agissait  d'invoquer  les  Dieux  pour  la  prospérité 
de  l'état.  C'était  encore  à  lui  qu'appartenait  l'examen  des  procès 
pour  cause  d'homicide  ,  et  d'en  référer  â  l'Aréopage.  Son  épouse 
portait  le  nom  de  Reine ,  et  elle  pouvait  intervenir  dans  quelques- 
unes  des  fonctions  de  son  mari ,  à   moins   qu'elle   n'eût   été   veuve. 

(i~\  Zvâtvfiôs  t  de  eVafo^ <*£*.,  surnom. 

(2)  Odeum  du  mot  grec  *<&» ,  chant  :  c'était  le  nom  d'un  espèce  de 
théâtre  qui  ne  servait  que  pour  le  chant  et  les  concours  de  musique ,  com- 
me nous  le  verrons  ensuite. 


Fonctions 

de  l'Archotttï; 

Roi. 


1^^  Gouvernement 

avant  de  l'épouser,  ou  qu'elle  ne  fut  point  issue  d'une  ancienne 
famille  d'Athènes.  Le  Polémarque  avait  l'inspection  sur  les  étran- 
gers ,  sur  tous  les  habitans  d'Athènes  qui  n'avaient  pas  encore  ac- 
quis le  droit  de  citoyen,  et  avait  la  présidence  dans  les  affaires 
de  guerre  (i).  C'était  lui  en  outre  qui  offrait  les  sacrifices  à  Mars, 
et  à  Diane  dgrotcre,  ou  chasseresse.  On  renouvellait  tous  les  ans 
ces  sacrifices  en  mémoire  de  la  victoire  remportée  à  Marathon.  Il 
avait  aussi  la  préséance  Sans  les  jeux  funéraires,  qui  se  célébraient 
en  l'honneur  des  citoyens  morts  pour  la  défense  de  la  patrie  ,  et 
rendait  chaque  année  l'hommage  solennel  consacré  à  la  çloired'Ar- 
modius  et  d'Aristogiton  ,  qui  avaient  délivré  Athènes  de  la  ty- 
rannie d'Hipparque.  Enfin  il  était  chargé  de  veiller  à  ce  que  les 
enfans  des  citoyens  morts  au  service  de  la  patrie  fussent  entretenus 
Us  aux  dépens  du  public  (a).  Les  Thesmotétes ,  ou  les  six  autres  Ar- 
chontes  recevaient  les  accusations  de  calomnie,  de  subornation  et 
d'impiété  :  ils  jugeaient  les  contestations  entre  les  marchands ,  dé- 
féraient l'appel  au  peuple  dont  ils  recueillaient  les  suffrages,  et 
avaient  la  direction  des  tribunaux  ou  des  magistratures  inférieures: 
:ils  accusaient  dans  l'assemblée  du.  peuple  les  citoyens  qui  avaient 
tenté  de  suborner  ou  de  tromper  les  juges  ,  ratifiaient  les  traités 
de  paix  ,  et  s'opposaient  aux  projets  de  loi  qui  pouvaient  être  con- 
traires au  bien  public  (3). 

Après  que  les  neuf  Archontes  avaient  rendu  compte  de  leur 
administration,  ils  étaient  admis  dans  l'Aréopage,  quoi  qu'en  di- 
sent certains  écrivains  qui  prétendent  que  cette  prérogative  n'était 
réservée  qu'aux  Thesmotétes  seulement.  C'était  aussi  les  seuls  ma- 
gistrats qui  fussent  exempts  d'impositions  publiques. 
kSucèefsïmn  non  La  succession  des  Archontes  Eponymes  ne  souffrit  jamais  d'in- 

J^Archomes    terruption  et  se  fit  toujours  avec  régularité,  malgré  les   fréquentes 
Eponymes.     évolutions  dont  Athènes  fut  le    théâtre.  Le    savant  Corsini  3    dans 
ses  fastes   Àttiques ,   ne   compte  pas  moins  de  mille    cent   soixante 
neuf  de   ces  magistrats ,    depuis  Créon  jusqu'à  Théogéne  ,  c'est-à- 


(1)  On  disait  Hù\ipws  de  v'tMptt ,  guerre,  et  de  *^*  avoir  la  direction. 

(2)  Il  était  accordé  quelquefois  un  conseiller  à  chacun  des  trois  pre- 
miers Archontes  t  surtout  lorsque  leur  grand  âge  ou  le  défaut  d'expérience 
ne  leur  permettait  pas  de  satisfaire  pleinement  aux  devoirs  de  leur  place. 
Ces  conseillers  s'appelaient  vfiJfn  t  ou  assesseurs 

(3)  Le  mot  ««•/*«0«r*«  dérive  de  t*/**  loi,  et  rfh/**  poser. 


'     ±   A    À.    A.    A.    1    ^  À.   X  A   J 


JÂAUA À  À   À  À  À  A 


"7^ 


DE     LA     G  .RÉ  CE.  121 

dire  jusqu'à  la  CCGXX.e  olympiade,  vers  l'an  494  de  notre  ère , 
sur  quoi  on  peut  encore  consulter  les  antiquités  Grecques  de  Gro- 
nove.  Plusieurs  autres  villes  delà  Grèce  eurent  encore,  sous  les  Em- 
pereurs Romains ,  pour  magistrats  suprêmes  deux  Archontes,  dont 
les  fonctions  étaient  les  mêmes  que  celles  qu'exerçaient  les  Dé~ 
cèmvirs  dans  les  colonies  et  les  villes  municipales  (r).  Nous  re- 
marquerons en  outre  que  plusieurs  de  ces  Empereurs  prirent  quel- 
quefois le  titre  d'Archontes  Athéniens,  ainsi  qu'on  peut  le  voir  dans 
les  mêmes  Fastes ,  dans  Gronove  et  autres  écrivains. 

Les   Archontes  avaient  pour  marque  distinctive    une    couronne       Marque 

f  /•»■  s     \       ri     I     '  •  distinctive 

de  myrte  ou  de  laurier  qui  leur  ceignait  le  iront  (aj.  Celui  qui  des  Arckont^.. 
aurait  osé  offenser  un  Archonte  ayant  sa  couronne,  était  condanné 
à  deè  peines  infamantes,  comme  s'il  eût  outragé  la  patrie  même. 
On  voit  dans  les  peintures  des  vases  antiques  du  chevalier  Hamilton 
deux  figures,  que  l'illustre  commentateur  de  ces  beaux  monumens 
croit  être  celles  de  deux  Archontes  dans  l'exercice  de  leurs  fonc- 
tions (3).  La  fig.  n.°  1  de  la  planche  ao  avec  un  bâton  tortu  re- 
présente l'Archonte  Eponyme,  examinant  un  jeune  homme  qui 
avait  probablement  demandé  d'être  initié  au  sacerdoce  :  c'est  la 
conjecture  qu'on  pourrait  tirer  de  l'autel  qu'on  apperçoit ,  lequel 
a  la  forme  d'une  colonne  ,  et  ressemble  en  cela  à  celui  qui  était 
destiné  à  cette  cérémonie  dans  le  Forum  d'Athènes.  Le  bâton  tortu  Marque 
était  précisément  le  signe  distinctif  de  l'Eponyme  ,  comme  le  bâ-  de  riîpoLjma: 
ton  droit  était  celui  des  autres  Archontes.  L'Archonte  Roi  est  aussi 
présent  à  cet  examen,  comme  ayant  l'inspection  particulière  sui- 
dai) On  trouve  aussi  par  fois  dans  les  anciennes  médailles  ,  des  femmes 
sous  la  dénomination  d 'Archontes \  Il  est  même  des  auteurs  du  bas  empire 
qui  donnent  ce  nom  à  certains  fonctionnaires  tant  laïcs  qu'ecclésiastiques , 
et  le  plus  souvent  aux  grands  de  la  cour  des  Empereurs  de  Constantinople. 
Ainsi  on  appelait  Archonte  des  Archontes  ,  ou  grand  Archonte }  le  pre- 
mier dignitaire  de  l'état  après  l'Empereur  ;  Archonte  des  églises ,  Ar- 
chonte de  V Evangile  un  archevêque  ,  un  evêque  ;  Archonte  des  murail- 
les le  surintendant  des  fortifications  etc.  etc. 

(2)  V.  Meurs,  in  Thesaur.  Antiq.  Graec.  tom.  IV.  col.  1109,  et  alibi. 
Il  ne  nous  a  pas  été  possible  néanmoins  jusqu'ici  de  trouver  dans  les  mo- 
numens aucun  Archonte  avec  cette  couronne. 

(3)  Ces  deux  monumens  sont  pris  de  la  première  édition  de  Florence 
de  1800  etc.  ,  et  nous  avons  cru  à  propos  de  les  rapporter  en  entier  ,  pour 
qu'on  juge  mieux  de  la  composition  et  de  l'action  des  divers  personnages 
êjui  y  sont  représentés. 

Europe.  Foi.  L  tQ 


iaa  OonVERHEMEKï 

tout  ce  qui  avait  rapport  au  culte.  Le  n.°  a  représente  probablement 
un  Archonte  Roi  entre  ses  deux  adjoints  ou  assesseurs  (i).  J|  tient 
en  main  le  bâton  accoutumé,  qui  était  commun  également  à  tous 
les  autres  juges  (a).  On  voit  dans  le  personnage  ,  ou  l'adjoint  qui 
parle  ayant  un  bras  nu,  une  preuve  que  tel  était  l'usage  de  celui 
qui  haranguait  (3).  Ces  deux  monumens  sont  les  seuls  dans  lesquels 
nous  avons  reconnu  les  marques  distinctives  des  Archontes,  ainsi  que 
de  tous  les  autres  magistrats;  et  nous  nous  abstiendrons  d'en  citer 
d'autres  ,  pour  ne  point  tomber  dans  l'erreur  de  Spallart  et  autres 
écrivains,  qui  ont  donné  comme  authentiques  des  monumens  d'une 
origine  incertaine  ou  pris  du  costume  Romain }  en  les  rapportant 
faussement  à  celui  des  Grecs. 
fafhprudence  ^ous  avons    vu  jusqu'ici    les    principaux   magistrats    d'Athènes 

des  Grecs.  creés  à  diverses  époques ,  et  même  avant  que  cette  ville  célèbre 
eût  un  code  de  lois  écrites.  Ces  magistrats  n'eurent  pendant  long 
tems  pour  code  de  jurisprudence  que  leur  propre  sagesse  ,  avec  un 
petit  nombre  de  lois  qu'ils  tenaient  de  leurs  ancêtres,  et  que  l'usage 
ou  la  tradition  avaient  conservées.  Il  est  même  prouvé  que  les  an- 
ciens législateurs  de  la  Grèce  eurent  recours  au  chant,  pour  mieux 
graver  leurs  lois  dans  l'esprit  du  peuple ,  et  les  transmettre  pi  us 
sûrement  à  la  postérité.  C'est  pourquoi  les  Grecs  donnaient  éga- 
lement le  nom   de  wF,t  aux    lois    et   aux  chansons  (4).    C'est    donc 


(i)  Dans  les  fonctions  sacrées  dont  l'exercice  lui  appartenait  ,  l'Ar- 
chonte Roi  se  fesait  assister  de  deux  adjoints  choisis  par  lui.  Mais  pourtant 
ils  ne  pouvaient  être  admis  à  cet  honneur ,  qu'après  avoir  passé  au  scru- 
tin dans  le  sénat  des  5oo ,  et  subi  un  examen  par  devant  un  juge  à  ce 
destiné.  V.  Poil.  liv.  VIII.  sect.  92. 

(a)  Poil.  liv.  VIII.  sect.  16.  On  lit  dans  YEtymologiste ,  que  le  bâ- 
ton droit  était  porté  par  ceux  qui  avaient  une  -prééminence ,  et  par  les 
juges.  C'est  pourquoi  on  notait  dans  Athènes  ,  comme  marques  d'un  esprit 
altier  ,  et  qui  voulait  paraître  au-dessus  des  autres  ,  ces  trois  choses-ci  ; 
marcher  vite ,  parler  haut,  et  porter  un  baron.  V.  Démosth  advers. 
P antaenet. ,  et  le  Casaubon ,  Théophraste  ,  Char,  chap.  7.  Des  formes  et 
usages  divers  des  hâtons. 

(3)  Prassagoras  dans  une  comédie  d'Aristophane  suggère  aux  femmes 
qui  allaient  à  son  école,  d'imiter  aussi  en  cela  les  orateurs.  Aristoph. 
Prassagoras  ,  vers.  267. 

(4)  Graecarum  quippe  urbium  multae  ad  lyram  leges  ,  decrçtaque 
publica  recUalian^  Martian,  Gapella  de  Nupt,  Philolog.  etc. 


Dracon. 
Sévérité 


dé   ha    Grèce.  ia3 

St  Dracon  ,  â  ce  qu*it  semble ,  que  les  Athéniens  sont  redevables 
de  leur  premier  code  de  lois  écrites  (i).  Ce  peuple,  d'un  carac- 
tère inconstant  et  léger,  jaloux  à  l'excès  du  pouvoir  qu'il  déférait 
à  ses  magistrats,  qu'aucune  guerre  n'inquiétait,  et  resserré  dans 
les  limites  d'un  petit  territoire,  portait  dans  son  propre  sein  les  ger- 
mes de  la  discorde.  Ses  besoins  et  ses  vices  allaient  croissant  avec 
ses  connaissances.  Enfin  se  voyant  exposée  aux  plus  grands  malheurs 
et  à  une  révolution  imminente  ,  Athènes  sentit  la  nécessité  de  con- 
fier pour  quelque  tems  le  pouvoir  suprême  à  un  seul  homme,  qui 
fut  assez  sage  pour  lui  donner  un  code  de  lois  analogues  à  sa  po- 
sition ,  et  telles  que  l'observation  en  fût  inviolable  et  sacrée.  Cet 
homme  fut  précisément  Dracon  ,  le  soixantième  des  Archontes  an- 
nuels (a).  Il  publia  ses  lois  la  quatrième  année  de  la  XXXIII.6  olym- 
piade ;  mais  leur  sévérité  était  telle  qu'elles  punissaient  de  mort  la  de  Dracon 
moindre  faute:  ce  qui  fit  dire  à  Démades,  qu'elles  étaient  écrites 
avec  le  sang.  Un  homme  convaincu  de  vivre  dans  l'oisiveté,  ou 
d'avoir  volé  quelques  légumes ,  était  réputé  aussi  criminel  qu'un 
assassin  ou  le  plus  grand  scélérat.  Ces  lois  devaient  subir  le  sort  de  tout 
ce  qui  porte  un  caractère  de  violence,  et  elles  ne  durèrent  en  ef- 
fet que  vingt  six  ans  (3).  Fatigués  delourjoug,  et  sans  en  décla- 
rer l'abolition  ,  les  Athéniens  s'abandonnèrent  à  la  licence  la  plus 
effrénée.  Chilon  un  des  citoyens  les  plus  marquans,  et  qui  s'était 
acquis  une  grande  réputation  aux  jeux  olympiques  où  il  avait  rem- 
porté le  prix  ne  la  double  stade,  tenta  de  s'emparer  du  pouvoir 
suprême.  Il  échappa  au  supplice  par  la  fuite,  mais  ses  complices 
furent  mis  à  mort  par  l'effet  d'une  trahison  sacrilège.  Cet  événe- 
ment fut  suivi  de  toutes  sortes  de  désordres  et  de  calamités,  aux- 
quelles se  joignit  encore  la   perte   de   Nysée  et  de  Salamines ,  qui 


Cliiloji.  - 


(i)  Nous  ne  nierons  pourtant  pas  pour  cela  ,  que  les  Athéniens  ayent 
eu  des  lois  écrites  même  avant  Dracon.  Démosthéne  (m  Naeram}  parle 
d  une  loi  de  Thésée  qui  était  gravée  sur  une  colonne.  Nous  voulons  dire 
Seulement ,  qu'avant  Dracon  ils  n'eurent  point  un  code  ,  une  collection  de 
lois  écrites. 

(2)    Clément.  Alexandr.  Stromat.  lib.  I.  pag.  366. 

(5)  La  mort  de  Dracon  fut  tragique  et  glorieuse.  S'étant  montré  un 
jour  au  théâtre  ,  il  y  fut  accueilli  au  milieu  des  plus  vives  acclamations  ; 
et  pour  lui  donner  un  témoignage  spécial  de  leur  amour  et  de  leur  res- 
pect ,  les  spectateurs  lui  jettérent  de  tous  côtés  une  si  grande  quantité  de 
-vêtemens,  qu'il  fut  étouffé  dessous. 


1^4  Gouvernement 

tombèrent  au  pouvoir  des  Mégariens.  La  peste,  dont  "Lucien  fait 
un  tableau  si  pathétique  dans  son  sixième  livre  de  rerum  natum  9 
mit  le  comble  à  la  désolation  de  Athéniens.  Dans  leur  extrême  dé- 

Çpimënide.  tresse,  ils  appelèrent  à  leur  secours  Epiménide,  devin  de  Crète  , 
qui  avait  su  par  son  art  en  imposer  à  tonte  la  Grèce.  Il  purifia 
]a  ville,  et  y  rétablit  la  tranquillité  (i).  Mais  à  peine  fut-il  parti  , 
que  les  factions  se  rallumèrent  avec  encore  plus  de  fureur,  et 
Athènes  se  vit  bientôt  réduite  une  autre  fois  à  cette  extrémité  9 
où  il  faut  de  toute  nécessité  qu'un  état  périsse ,  ou  qu'il  s'abandonne 
à  la  sagesse  et  à  la  direction  d'un  seul  homme.  Solon  qui  s'était 
déjà  rendu  recommandable  par  la  douceur  de  son  caractère  ,  par 
son  éloquence  et  par  l'heureux  stratagème  dont  il  se  servit  pour 
délivrer  Salamine  de  l'invasion  des  Mégariens,  fut  choisi  d'une 
voix  unanime  pour  législateur  et  pour  Souverain;  mais  il  ne  voulut 
accepter  que  la  dignité  d'Archonte  (a). 

Solon  commença  sa  réforme  par  l'abolition  des  lois  de  Dracon, 
dont  on  ne  conserva  que  celles  qui  concernaient  l'homicide  ;  et 
comme  les  troubles  publics  avaient  eu  leur  principale  cause  dan* 
l'extrême  inégalité  des  fortunes  entre  les  citoyens ,  dont  les  uns 
étaient  immensément  riches,  et  les  autres  réduits  à  la  plus  grande 
pauvreté ,  il  voulut  d'abord  affranchir  le  grand  nombre  des  débi- 
teurs du  payement  de  leurs  dettes,  et  rendre  la  liberté  aux  escla- 
ves ,  ce  dont  il  donna  le  premier  l'exemple.  Il  donna  à  Athènes 
une  constitution  démocratique ,  et    divisa    la    population    en   quatre 

population     classes.  Les  trois  premières  comprenaient  les  riches,  auxquels  étaient 
tribus,        réservées  exclusivement  les  charges  et  les  dignités.  Ces  trois  classes 
furent  divisées  dans  la  proportion  des  richesses   de    chaque    indivi- 
du (3).  La  quatrième  classe  était  composée  des  artisans  et  des  mer- 


Solon  ,  et  sa 
■  canslituLion. 


Division 
de  la 


(i)  Qu'on  lise  ce  que  dit  Hérodote,  Thersic.  liv.  V.  parag.  LXXI. 
édit.  de  Larcher  ,  au  sujet  de  ce  devin  fameux.  Il  éleva ,  à  cette  occasion , 
quelques  autels  aux  Dieux  inconnus  ,  qui  subsistaient  encore  du  tems 
de  Saint  Paul ,  et  qui  fournirent  à  cet  Apôtre  le  sujet  de  l'éloquent  dis- 
cours dont  il  est  parlé  dans  les  Actes  des  Apôtres. 

(2)  Ce  fut  la  seconde  année  de  la  XLVI e  olympiade ,  594  ans  avant 
l'ère  vulgaire.  V.  Plutarq.  dans  Solon  ,  eu  Diog.  Laerb.  liv.  I.  segm.  62. 
Solon  fut  le  quatre  vingt  seizième  Archonte  annuel. 

(3)  La  première  classe  se  composait  des  riches,  dont  le  revenu  se 
montait  à  cinq  cent  mesures  de  grain  et  autres  productions  ;  la  seconde  , 
de  ceux  qui  eu  recueillaient  trois  cents  mesures^  et  qui  pouvaient  en  tems 


o  e    la    Grèce,  ino 

.ccnaires.  Malgré  que  les  citoyens  de  cette  dernière  classe  fussent 
exclus  des  emplois,  ils  n'en  avaient  pas  moins  le  droit  de  voter 
dans  les  assemblées  générales,  droit  qui  rendit  bientôt  le  peuple 
l'arbitre  absolu  des  délibérations  publiques.  Solon  releva    l'autorité       Jutorité 

.  de  t-'Jràop.'igr 

de  l'Aréopage,  et  donna  au  Sénat  l'organisation  dont  nous  venons  de  relevée 
parler.  Il  confia  à  l'Aréopage  le  soin  de  veiller  à  l'éducation  des 
enfans ,'  et  voulut  qu'on  les  instruisît  dans  les  sciences  spéculati- 
ves ,  afin  qu'accoutumés  de  bonne  heure  au  raisonnement,  ils  pus-, 
sent,  dans  un  âge  plus  avancé,  étudier  avec  plus  de  fruit  l'histoi- 
re, la  politique  et  les  lois.  Il  puisa  un  moyen  d'instruction  non 
moins  utile  ,  dans  le  goût  des  Athéniens  pour  les  plaisirs ,  en  don- 
nant pour  sujet  des  représentations  théâtrales  les  funestes  effets 
des  dissensions  et  des  désordres  de  toutes  sortes,  qui  font  la  ruine 
des  états.  C'est  depuis  cette  époque,  qu'on  vit  mettre  en  scène  le* 
belles  actions  et  les  vertus  des  grands  hommes,  ainsi  que  les  pas- 
sions et  les  vices  du  peuple  et  des  magistrats.  Ce  sage  législateur 
établit  en  outre  une  juste  proportion  entre  les  délits  et  les  peines; 
mais  il  n'en  prononça  aucune  contre  le  parricide  ,  ne  croyant  pas 
que  la  nature  pût  produire  de  monstre  capable  de  commettre  un 
tel  forfait.  L'extrême  rigidité  des  Athéniens  en  tout  ce  qui  tenait 
au  culte,  fit  qu'il  ne  leur  donna  que  peu  de  lois  en  matière  de 
religion.  Il  conserv)  celles  de  Dracon  contre  les  oisifs,    en    rédui-     Lot  contre* 

,  ,  T  .  1 1  •      r»         •  i  •  x.  •  1  tes  oisifs* 

gant  cependant  à  une  simple  peine  d  inlamie  la  punition  de  ce 
délit;  et  il  y  ajouta  ce  sage  règlement,  pris  des  institutions  Egyp- 
tiennes, qui  obligeait  chaque  individu  à  se  présenter  tous  les  an» 
devajit  un  magistrat  pour  y  justifier  de  ses  moyens  d'existence.  Si 
ces  moyens  étaient  contraires  à  l'honnêteté ,  il  était  condamné  pour 
la  première  fois  à  une  amende  de  cent  drachmes  (i),  et  à  la  troi- 
sième il  encourait  la   peine  d'infamie. 

Mais,  parmi  les  lois  dont  Solon  fut  l'auteur ,  on  doit  citer  par-     toir&tit* 
ticuliérement  celle  qu'il  regardait  comme  le  palladium  de  son  édi- 
fice politique  ,  et  qui  était  conçue  en  ces  termes.  «  Si   l'esprit   de 
faction  vient  à  diviser  le  peuple  en  deux   partis  ,   au    point    de    le 
faire  courir  aux  armes ,   celui  qui    dans   cette    circonstance   ne  se 

de  guerre  entretenir  un  cheval  à  leurs  frais  ;  et  le  troisième ,  de  ceux  qui 
n'en  avaient  que  deux  cent.  V.  Aristob.    Politiq.  liv.    II.    chap.    XII.    et 
Plut,  dans  Solon. 
(i)  go  francs. 


ï^6  G-OUVERNEMEMT 

prononcera  pour  aucun  des  deux  partis,  et  qui  chercherait  ainsi  à 
se  soustraire  aux  malheurs  de  la  patrie,  sera  condamné  à  l'exil 
perpétuel  et  à  la  confiscation  de  ses  biens.  „  L'expérience  de  tous 
les  siècles  a  justifié  l'utilité  de  cette  loi:  car  on  a  toujours  vu  dans 
les  révolutions  politiques,  les  individus  qui  étaient  demeurés  specta- 
teurs timides  ou  indifférens  de  la  lutte  de  deux  partis  contraires , 
se  repentir,  mais  trop  tard,  de  leur  neutralité,  après  que  la  fac- 
tion victorieuse  avait  renversé  le  gouvernement,  et  imprimé  sur  leur 
front  Panathême  de  la  proscription  et  de  la  mort  (i). 
lois  de  Soion,  Nous  nous  bornerons  à  ce  peu  d'observations  sur  les   points  les 

Jnt'ZrLs.  plus  remarquables  de  la  législation  de  Solon  ,  notre  tâche  n'étant 
pas  d'entrer  dans  de  plus  grands  d'étails  sur  cette  matière  (a).  Ses 
lois  furent  écrites  sur  des  cylindres  de  bois  encadrés  dans  un  châs- 
sis où  ils  étaient  mobiles.  On  plaça  d'abord  ces  cylindres  dans 
V Acropolis  ,  c'est-à-dire  dans  la  citadelle,  qui  était  l'endroit  le  pins 
fort  d'Athènes;  puis  on  les  transporta  au  Prytanée  ,  pour  qu'il  fût 
libre  à  tout  citoyen  d'y  venir  consulter  les  lois.  Plutarque  assure  que 
de  son  tems  on  voyait  encore  quelques-uns  de  ces  cylindres.  Les 
Athéniens  s'engagèrent  par  serment  à  ne  rien  changer  aux  lois  de 
Solon  pendant  dix  ans;  mais  ce  sage  législateur  qui  connaissait,  la 
légèreté  et  l'inconstance  de  ses  concitoyens,    crut  à  propos  d'allé- 

(i)  Anquetil,  Précis  de  l'Histoire  univ.  tom.  I.  pag.  408. 

(2)  Parmi,  les  lois  ciAriles  de  Solon ,  nous  citerons  les  suivantes  comme 
des  plus  remarquables.  Une  riche  héritière  qui  se  trouvait  avoir  été  trom- 
pée après  le  mariage  ,  par  la  connaissance  actuelle  de  quelque  défaut  na- 
turel et  antique  dans  la  personne  de  son  mari  ,  pouvait  se  remarier  avec 
le  plus  proche  parent  de  celui-ci.  Toute  espèce  d'injure  contre  les  gens 
décédés  était  défendue.  Pour  encourager  l'industrie  et  les  manufactures  ,  et 
suppléer  à  l'insuffisance  des  productions  territoriales ,  Solon  voulut  que  le 
père  qui  n'aurait  pas  fait  apprendre  un  métier  à  son  fils,  ne  put  préten- 
dre de  lui  aucun  secours  lorsqu'il  serait  dans  le  besoin.  L'adultère  pris 
sur  le  fait  pouvait  être  tué  impunément }  et  il  était  défendu  à  sa  com- 
plice de  porter  aucun  ornement ,  et  de  paraître  dans  les  sacrifices  publics. 
L'exportation  des  produits  du  sol ,  excepté  l'huile  ,  était  interdite.  Il 
n'était  point  permis  au  tuteur  d'habiter  sous  le  même  toit  avec  la  femme 
de  son  pupille.  Le  soldat  coupable  de  lâcheté  ,  était  exclus  des  lieux  pu- 
blics comme  personne  infâme.  Les  injures  particulières  étaient  réputées  une 
offense  contre  la  société  entière.  Tout  Athénien  avait  droit  de  citer  en 
jugement  celui  qui  en  avait  offensé  un  autre.  V.  Anquetil  au  même  en- 
droit ,  et  Roberston  Hist,  of  Greece  etc. 


fis    la    Grec k.  iiïj 

guer  le  prétexte  de  vouloir  aller  s'instruire  chez  divers  peuples  ±  ^yage 
et  surtout  chez  les  Egyptiens ,  de  leurs  différens  usages,  pour  entre-  éeSoiow 
prendre  un  voyage  dont  l'unique  motif  était  de  se  soustraire  à  la 
nécessité  d'opérer  quelque  changement  dans  sa  législation  (j).  De 
retour  au  bout  de  dix  ans,  il  ne  voulut  plus  se  mêler  d'affaires  de 
gouvernement ,  et  fixa  sa  demeure  sur  la  colline  de  Mars.,  content 
de  présider  l'Aréopage. 

Les  lois  de  Solon  étaient  si  sages,  que  les  Romains  en  firent  S'w*e 
îa  base  de  leur  jurisprudence.  Il  semblerait  que  le  concours  de 
l'Aréopage  et  du  Sénat  à  leur  maintien,,  aurait  dû  garantir  Athènes 
de  toute  agitation  et  de  nouveaux  troubles  ,  car  ces  deux  corps  po- 
litiques avaient  pour  attributions;  le  premier  de  veiller  à  l'intégrité 
de  la  constitution  ,  et  de  contenir  l'ambition  des  riches;  et  le  second 
d'empêcher  que  le  peuple  ne  s'abbandonnât  aux  excès  d'une  licence 
dangereuse.  Et  pourtant  Athènes  n'en  devint  pas  moins  plus  que  jamais 
le  théâtre  des  plus  funestes  dissensions.  Les  politiques  croyent  voir  Caractère 
la  cause  de  ces  désordres ,  d'abord  dans  le  caractère  même  des  Athé- 
niens, singulièrement  jaloux  d'une  liberté  mal  entendue,  dans  leur 
goût  pour  le  luxe  et  les  plairirs ,  et  dans  leur  facilité  à  se  laisser 
corrompre,  et  à  céder  à  l'ascendant  des  citoyens  ambitieux  ;  et  en 
second,  lieu  dans  la  licence  et  l'autorité  eccessive  du  peuple  ^  qui 
rejettait  souvent  les  mesures  les  plus  salutaires  qui  lui  étaient  pro- 
posées par  le  Sénat.  C'est  ce  qui  donna  lieu  un  jour  à  Anacharsis 
de  dire  à  Solon  même:  «  Je  vois  avec  étonnernent  chez  vous  leâ 
sages  n'avoir  que  le  droit  de  proposer,  tandis  que  les  fous  y  ont 
celui  de  décider  (aj.  A  ces  causes  il  faut  encore  joindre  l'esprit 
de  faction  qui  dominait  souvent  dans  le  Sénat,  et  qui  était  en 
quelque  sorte  inévitable ,  dans  un  corps  dont  les  membres  étaient  si 

(i)  Hérod.  vol.  I.  Clio.  liv.  I.  parag.  XXIX. 

(2)  Lisez  Goguet  sur  les  vices  du  Gouvernement  d'Athènes,  III.e  part, 
liv  I.  chap.  V.  art.  I.  etc.  et  De  Real ,  Science  du  Gouvern.  pag.  226. 
Montesquieu ,  en  parlant  du  caractère  des  Athéniens  et  des  Spartiate? 
s'expiime  ainsi  :  «  Les  Athéniens  montraient  de  la  gaieté  en  tout  ;  une 
plaisanterie  ,  un  bon  mot  t  avaient  pour  eux  les  mêmes  charmes  à  la  tri- 
bune comme  sur  la  scène.  Le  caractère  des  Lacédémoniens  était  au  con- 
traire grave  ,  sérieux ,  avide  ,  taciturne.  On  n'auroit  pas  plus  gagné  à  en- 
nuyer un  Athénien ,  qu'à  vouloir  amuser  un  Spartiate.  »  On  trouve  encore 
dans  Théophraste  une  fort  belle  peinture  du  caractère  Athénien  ,  et  Bar- 
thelmy  s'en  est  avantageusement  servi  dans  son  voyage  du  jeune  Ana- 
charsis. 


citoyens. 


'&8  GoùVe  r  a~  e  m  ekï 

nombreux.  «  L'expérience ,  dit  Goguet ,  a  toujours  prouvé  ,  que 
les  tètes  des  grands  hommes  se  rapetissent ,  pour  ainsi  dire  ,  lors- 
qu'elles sont  réunies  entre  elles;  et  que  là  où  il  y  a  plus  de  sao-es , 
on  trouve  moins  de  sagesse  (i).  „  Aussi  Solon  eut-il  occasion  de 
dire,  que  s'il  n'avait  pas  donné  aux  Athéniens  les  meilleures  lois 
possibles,  c'était  au  moins  celles  qu'ils  étaient  le  plus  dans  le  cas 
de  supporter. 

traitement  On  ne  peut  qu'être  surpris  en  effet  du  grand  nombre  d'indivi- 

se* magistrats  .,.  ,         ,         .  „      -,  ° 

Aihënims.  dus  qui  étaient,  employés  dans  1  administration  publique.  Ils  étaient 
tous  salariés  par  l'état;  mais  leur  traitement  était  si  modique  ,  qu'il 
nè  suffisait  pas  à  un  juge  pour  vivre  même  décemment  (a)  :  ce  qui 
donnerait  à  présumer  ,  que  les  magistrats  avaient  d'autres  moyens  de 
nepem  pourvoir  à  leur  entretien.  On  ne  pourrait  également  rien  dire  de 
positif  au  sujet  des  richesses  de  trois  premières  classes  de  citoyens. 
L'agriculture  ne  pouvait  pas  fournir  de  grandes  ressources,  dans  un 
territoire  aussi  restreint  et  aussi  ingrat  que  celui  de  l'Attique ,  où 
les  productions  de  la  terre  étaient  souvent  insuffisantes  pour  les  pre- 
miers besoins.  Il  paraîtrait  donc  que  l'état  tirait  ses  revenus;  pre- 
mièrement dés  productions  du  sol  5  c'est-à-dire  de  la  vente  des  bois 
et  de  l'argent  des  mines  ;  secondement  (3)  de3  amendes  et  des  con- 

(i)  Aristophane  (  Equit.  act.  2  )  représente  le  peuple  d'Athènes  sous 
limage  d'un  vieillard  plein  de  sens  dans  sa  propre  maison  ,  mais  enfant 
et  dénué  de  raison  dans  ses  assemblées  publiques. 

(2)  Le  salaire  d'un  juge  pour  une  sentence  était  ordinairement  de 
trois  oboles  ,  qui  valent  trois  sous  de  notre  monnaie.  V.  Lucien  Dlcaste- 
ria  ,  et  Sigonius  De  Pœp.  AtJien  ,  Larcher  et  autres.  Mais  aussi  on  accor- 
dait aux  magistrats  et  aux  citoyens  qui  avaient  bien  mérité  de  la  patrie  , 
des  honneurs  et  des  récompenses  d'un  autre  genre.  Tels  étaient  par  exem- 
ple les  suivans  \  ïïpoo-eâpla ,  le  droit  d'occuper  une  des  premières  places 
dans  les  spectacles  et  dans  les  banquets  publics  ;  Exâv  3  l'inauguration  d'une 
statue  dans  un  lieu  public  ;  lLri(pavjoi  des  couronnes  qui  était  décernées  tantôt 
par  le  sénat  et  tantôt  par  les  tribus;  Aré/leia,  l'immunité  de  toute  charge, 
publique,  qui  ne  s'accordait  pourtant  que  fort  rarement  ;  et  Zizla  de  airoç  , 
froment ,  l'entretien  aux  frais  de  l'état  dans  le  Pry tanée.  V.  Potter.  endr. 
déjà  cit. 

(3)  Les  principales  peines,  non  seulement  chez  les  Athéniens.,  mais 
encore  dans  les  autres  états  de  la  Grèce ,  peuvent  se  réduire  aux  suivan- 
tes ,  savoir  ;  Zqpia  la  peine  pécuniaire  ;  Kri^ia  l'infamie  ,  ou  l'ignominie  qui 
entraînait  la  privation  de  tout  droit  politique  ;  Aovùèia  l'esclavage  ,  par  le 
quel  le  coupable  était  réduit  à  la  condition  d'esclave  ;  Sr/y^ara  l'impression 


la  conslïuaiotb 
de  Solon. 


de    la    Grèce.  12,9 

jfîscatio'ns  prononcées  par  les  tribunaux;  troisièmement  du  commerce, 
et  sourtout  du  produit  des  manufactures;  quatrièmement  des  taxes 
extraordinaires  qu'on  imposait  en  cas  de  besoins  urgens  ;  cinquiè- 
mement enfin  du  butin  fait  à  la  guerre,  ainsi  que  des  contribu- 
tione  levées  sur  les  peuples  vaincus  ou  confédérés.  Cette  dernière 
source  de  richesses  fut  en  môme  tems  une  des  causes  pour  lesquelles 
la  république  était  presque  toujours  en  guerre  (1).  Selon  n'établit  e^f"tulnlâ 
aucune  loi  sur  les  régies  d'équité  à  observer  envers  les  autres  peu- 
ples,  ni  sur  les  motifs  qui  rendent  la  guerre  injuste  ou  légitime: 
autre  cause  d'instabilité  dans  la  constitution  [d'Athènes.  Lorsqu'un 
générai  s'était  acquis  une  grande  réputation  ,  il  n'avait  pas  de 
peine  à  s'emparer  du  pouvoir  suprême;  et  cette  usurpation  lui  de- 
venait encore  d'autant  moins  difficile,  que  les  Athéniens  se  laissaient 

de  certains  caractères  au  moyen  d'un  fer  rouge ,  spécialement  sur  la  partie  du 
■  eorps  qui  avait  eu  le  plus  de  part  au  délit ,  peine  qui  ne  s'infligeait  qu'aux 
esclaves  et  aux  citoyens  les  plus  pervers  ;  St^/1»?  ,  colonne  ,  espèce  de  pi- 
lori ,  parce  qu'on  écrivait  le  délit  du  criminel  sur  la  colonne  à  laquelle 
il  était  exposé  à  la  dérision  publique  ;  Aeo-fioç  la  prison,  ou  les  fers  ;  Kvtpov  , 
le  collier  de  bois ,  ainsi  appelé  du  mot  xéicta  qui  veut  dire  courbe ,  parce 
qu'il  tenait,  courbée  la  tète  du  coupable  \  navo-ixàvcq ,  machine  ronde  qui  em- 
brassait le  cou  du  criminel ,  de  manière  à  lui  empêcher  de  porter  les  mains 
à  sa  bouche  ;  XoiviÇ ,  les  ceps  dans  lesquels  on  lui  serrait  les  pieds  ou  les 
cuisses;  Havlç  autre  espèce  de  pilori  auquel  il  était  attaché  nu;  <bvy^ ,  l'exil 
à  perpétuité,  et  la  confiscation  des  biens  ;  Qàvaroç ,  la  peine  de  mort  qui 
s'infligeait  de  diverses  manières ,  savoir  ;  fyxpûç  ,  quand  on  tranchait  la  tête 
au  criminel  ;  ~Bpo%oç ,  la  corde  ,  lorsqu'on  le  pendait  à  une  colonne  ,  ou  à 
une  potence  comme  cela  se  pratique  parmi  nous  ,  genre  de  mort  le  plus 
infâme  ,  et  dont  l'usage  est  très-ancien  ,  ainsi  qu'on  le  voit  dans  Homère  , 
Odyss.  liv.  XXII.  v.  465;  ®âp{iaxov  ,  le  poison,  qui  était  ordinairement  la 
cigùe  ;  'Kpyipvoç,  le  précipice  d'où  on  jettait  le  criminel  ;  Tôpœava  ou  rojtarx  , 
les  coups ,  le  bâton  dont  on  leî  frappait  jusqu'à  la  mort  ;  lixavpàç,  la  croix  , 
dont  parle  Thucydide  dans  son  livre  premier  :  c'étaient  deux  morceaux 
de  bois  joints  ensemble  transversalement ,  et  qui ,  au  dire  de  Lucien  ,  re- 
présentaient la  lettre  T  :  le  coupable  y  était  étendu ,  les  mains  clouées  sur 
le  morceau  de  bois  horisontal ,  et  les  pieds  également  cloués  sur  le  morceau 
vertical;  Bôopaâpov ,  la  fosse  dans  laquelle  on  l'enterrait  ;  enfin  AiâofioXia,, 
la  lapidation  ,  supplice  très-usité  et  très-ancien  ,  comme  on  peut  le  voir 
dans  Homère  ,  Iliade  liv.  III.  v.  5-j.  V.  Potter.  Àrchaeol.  Gr.  liv.  I.  c.  a5. 
(1)  Du  tems  d'Aristide,  les  contributions  rapportaient  460  talens; 
Périclés  les  accrut  d'un  tiers,  et  elles  furent  enfin  portées  à  i5oo  talens. 
Y-  Robertson  a  l'endr.  déjà  cit. 

Europe-  Fol.  1.  jj 


Jàfe  nvelles 
factions. 


Reforme 
de  Clisthéne. 


Ostra 


1 3o  Gouvernement 

éblouir  aisément  par  les  prestiges  de  l'éloquence,  par  le  faste,  et 
tromper  par  les  artifices  quelquefois  les  plu?-  puérils.  Il  ne  faut 
donc  pas  s'étonner ,  si  ,  après  avoir  reçu  les  lois  de  Solon  ,  Athènes 
tomba  presqu'aussi tôt  sous  la  tyrannie  de  Pisistrate  (i).  Celui-ci 
laissa  le  pouvoir  suprême  en  héritage  à  ses  deux  fils  Hipparque  et 
Hippias.  Le  premier  fut  tué  par  Aristogiton  et  Harmodius,  aux- 
quels cette  action  valut  les  honneurs  divins  _,  comme  nous  l'avons  re- 
marqué. Hippias  vengea  cruellement  la  mort  de  son  frère.  Fatigués 
de  son  joug,  les  Athéniens  le  chassèrent  et  lui  jurèrent  une  haine 
éternelle,  ainsi  qu'à  tous  les  descendans  de  Pisistrate.  Mais  les  fac- 
tions ne  tardèrent  point  à  renaître.  Clisthéne  et  Isagore ,  tous  deux 
citoyens  puissans ,  cherchèrent  à  usurper  l'autorité  souveraine,  en 
se  déclarant,  l'un  pour  la  démocratie,  et  l'autre  pour  l'aristocratie. 
Clisthéne,  riche  et  soutenu  de  la  faveur  du  peuple,  l'emporta  sur 
son  rival:  il  divisa  les  quatre  tribus  (a)  en  dix,  changea  les  noms 
que  quelques-unes  avaient  emprunté  des  enfans  d'Ion,  comme  celles 
de  Géleon,  (VEgicore,  à\4rgade  et  à'Ople  ,  et  leur  en  substitua  d'au- 
tres pris  de  divers  héros  de  FAttique ,  dans  le  nombre  desquels  il 
voulut  aussi  comprendre  Jjax  ,  comme  ayant  été  d'un  pays  voisin 
et  allié  des  Athéniens  (3). 

Clisthéne  introduisit  l'ostracisme,  sous  le  prétexte  apparent 
d'empêcher  les  citoyens  ambitieux  d'aspirer  au  pouvoir  suprême  0 
mais  dans  l'intention  réele  de  se  délivrer  lui  même  de  ses  puissans 
rivaux  (4).  Mais  il  eut  précisément  le  sort ,  que   nous   voyons  dans 


(i)  Solon  morut  dans  l'exil  où  il  s'était  condamné  volontairement 
après  l'usurpation  de  Pisistrate  ,  et  on  lui  décerna  dans  Athènes  l'honneur 
d'une  statue.  Pisistrate  mourut  après  son  second  exil ,  l'an  5â8  avant  l'ère 
vulgaire.  Les  Pisistratides  régnèrent  55  ans  au  dire  d'Aristote ,  et  36  selon 
Hérodot.  V.  Larcher. 

(2)  Par  cette  augmentation  de  tribus,  Clisthéne  porta  un  coup  fatal 
à  la  constitution  d'Athènes  ,  en  donnant  ainsi  le  rang  de  citoyen  à  une 
foule  d'étrangers  ,  de  fugitifs  et  même  d'esclaves.  V.  G  illies  Hist.  of  Greece. 
vol.  I.  pag.  464. 

(3)  Hérod.  Therpsic.  liv.  V.  parag.  LXVI.  La  division  de  la  popula* 
tion  d'Athènes  en  dix  tribus ,  eut  lieu  l'an  4  de  la  LXVII.e  olympiade  , 
environ  509  ans  avant  l'ère  vulgaire. 

(4)  En  attribuant  à  Clisthéne  rétablissement  de  l'ostracisme  ,  non* 
n'avons  fait  que  nous  conformer  à  l'opinion  d'Elien  ,  comme  ont  fait  Ro- 
hertson  et  autres*  Nous  n'ignorons  pas  cependant ,   que  le    sentiment  des 


t>E    la    Grèce.  î3r 

l'histoire,  avoir  été  souvent  celui  de  divers  autres  législateurs  qui 
voulurent  établir  des  peines  en  matière  civile  s  et  fut  le  premier 
condamné  à  l'ostracisme  (i).  Au  moyeu  de  cette  mesure,  les  cî-l 
toyens,  que  leur  trop  de  crédit  ou  de  richesses  rendait  dangereux  à 
3a  patrie,  étaieut  condamnés  à  un  exil  de  dix  ans,  qui  n'empor- 
tait ni  l'infamie  ni  la  confiscation  des  biens.  Chaque  citoyen  écri- 
vait sur  une  tablette  de  terre  cuite,  le  nom  de  celui  dont  il  voulait 
la  condamnation;  et  comme  ces  tablettes  étaient  faites  en  forme  de 
coquille  ,  on  donna  à  la  foraiule  môme  de  cette  condamnation  le 
nom  de  oarpax^wv  du  mot  oçrpaxbv ,  qui  veut  dire  testula  ,  tablette  ,  ou 
de  ocreàv  qui  signifie  os.  Ces  tablettes  se  mettaient  dans  un  vase  ou 
dans  une  urne  ,  et  la  décision  se  prenait  d'après  la  pluralité  des 
voix.  Pour  que  l'ostracisme  eût  son  plein  effet  ,  il  fallait  d'abord 
que  le  nombre  des  votans  ne  fût  pas  au  dessous  de  six  mille;  en 
second  lieu  qu'ils  n'eussent  pas  moins  de  LX  ans  chacun.  Leur  sa- 
laire était  de  trois  oboles ,  ou  d'une  demi  draine.  Cette  institution.    Pif "  ef-fe\ 

o  j    de  i ostracisrng. 

dont  le  but  semblait  être  de  mettre  la  liberté  publique  à  l'abri 
de  toute  atteinte  3  devint  bientôt  pour  le  peuple  ,  et  même  poul- 
ies simples  particuliers  ,  un  moyen  de  persécution  contre  les  citoyens 
qui  avaient  le  plus  mérité  de  la  patrie.  C'est  ainsi  que  furent  ban- 
nis de  l'Attique,  Aristide  dont  le  seul  délit  était  d'avoir  mérité 
le  surnom  de  Juste ,  et  Thémistocle  pour  s'être  acquis  trop  de  gloire 
par  les  armes.  Mais  l'ostracisme,  qui  ne  devait  être  dans  son  prin- 
cipe qu'un  exil  honorable  pour  les  citoyens  devenus  trop  puissans 
par  leurs  richesses  ou  leur  crédit ,  tomba  enfin  dans  l'avilissement 
par  la  condamnation  d'Hyperbolus ,  homme  du  peuple,  et  d'une 
naissance  abjecte  et  méprisable.  Cet  homme  était  parvenu  par  son  AboMon 
éloquence  hardie  et  populaire,  de  l'état  de    marchand    de  cloches  deCosLracism' 

écrivains  est  partagé  à  cet  égard.  Diodore  de  Sicile  dit ,  que  l'ostracisme 
fut  institué  après  l'expulsion  des  Pisistratides  d'Atk4ïies.  On  lit  dans  Plutar- 
que ,  que  le  premier  condamné  à  l'ostracisme  fut  Hipparque  fils  de  Timarque 
beau-frère  d'Hippias.  Héraclide  de  Repub.  l'attribue  au  même  Hippias  fils 
de  Pisistrate.  Phocius  lui  donne  pour  auteur  Achille  fils  de  Lyson.  Suidas 
et  Eusébe  en  font  remonter  l'origine  jusqu'à  Thésée.  On  peut  cependant 
regarder  comme  chose  certaine  ,  qu'il  n'est  fait  mention  de  l'ostracisme  } 
pris  dans  son  vrai  sens  ,  que  depuis  la  réforme  de  Glisthéne.  V.  Meurs. 
Attiq.  lection ,  liv.  V.  chap.  18.  Gillies.  Hist.  of  Greece  :  ce  dernier  sem- 
ble d'avis,  que  l'ostracisme  a  été  établi  à  deux  époques  différentes, 
(i)  Aelianus  liv.  X1JL   Var.  Histor.  chap.  24. 


i  3j2  Gouvernement 

au  pouvoir  suprême.  Devenu  ainsi  un  démagogue  turbulent  et  am- 
bitieux ,  il  ne  tarda  pas  à  s'attirer  le  mépris  et  îa  haine  des  Athé- 
niens. Tel  est  souvent  le  sort  des  états  démocratiques  ,  d'être  gou- 
vernés par  des  gens  de  la  lie  du  peuple  y  dont  tout  le  mérite  con- 
siste dans  une  coupable  audace.  Il  subit  donc  la  loi  de  l'ostracis- 
me (i);  mais  les  Athéniens  en  furent  tellement  pénétrés  de  honte , 
qu'ils  l'abolirent  pour  toujours.  Thucydide  a  peint  en  peu  de  mots 
cet  Hyperbolus,  ainsi  que  le  siècle  où  il  vivait  (a).  «  Hyperbolus 
d'Athènes  s  dit-il ,  homme  pervers  ,  avait  été  banni  par  la  voie  de 
l'ostracisme  ,  non  parce  que  son  pouvoir  ou  son  mérite  fussent  à  crain- 
dre ,  mais  parce  que  tout  était  corrompu  dans  la  république "(3).  }> 
Après  l'expulsion  de  cet  homme  ,  Athènes  fut  gouvernée  pendant  qua- 
tre mois  par  un  conseil  de  quatre  cents  citoyens ,  appelés  pour  cela 
ffus'Tet  TetpxéffLoi (4).  Mais  à  peine  l'ordre  y  était-il  rétabli  y  qu'il  fut  trou- 
-imcédémomens  j^  ^e  nouveau  d'une  manière  encore  plus  terrible  ,  par  la  con- 
quête que  firent  de  cette  ville  les  Laeédémoniens ,  au  printems  de 
la  /f.e  année  de  la  XCIIT.6  olympiade,  4°4  ans  avant  l'ère  vulgaire, 
Alexias  étant  Archonte  :  conquête  qui  mit  fin  à  la  fameuse  guerre 
du  Péloponnèse.  Lysandre,  général  des  Spartiates,  donna  alors  à 
Athènes  un  gouvernement  composé  de  trente  magistrats ,  si  connus 
sous  le  nom  des  trente  tyrans.  Mais  huit  mois  étaient  à  peine  écoulés , 
que  cette  tyrannie  fut  détruite  par  le  valeureux  Trasibule.  Le 
gouvernement  démocratique  fut  rétabli ,  et  l'amnistie  réunit  tous 
les  citoyens.  Cependant  la  jalousie  et  l'ambition  ne  perdirent  rien 
de  leur  activité  dans  Athènes.  Les  généraux  et  les  orateurs  se  dis- 
putaient entre  eux  le  pouvoir  suprême;  mais  ils  ne  purent,  ni  les 
uns  ni  les  autres ,  sauver  la  ville  de  la  supériorité  des  forces  du 
conquérant  Macédonien. 
Sous  Après    la    lis;ue    Achéene ,    les    Athéniens    respirèrent    encore 

&S   Romains.  x  ■  °      -  ■.  ,  .  . . 

quelque  souffle  de  liberté;  mais  quelle  barrière  pouvaient-ils  opposer 

(i)  Ceci  arriva  la  première  année  de  la  XCII.e  olympiade,  412  ans 
avant  l'ère  vulgaire. 

(2)  Thucydid.  lib.  VIII.  parag.  73. 

(3)  L'ostracisme  n'était  pas  seulement  en  vigueur  à  Athènes ,  mais 
encore  dans  toutes  les  villes  de  la  Grèce  qui  avaient  adopté  le  gouver- 
nement démocratique  ,  comme  on  peut  le  voir  dans  Aristote  (  Polit,  liv. 
III.  chap.  i3  ).  Les  habitans  d'Argos  ,  de  JVIilet  et  de  Mégare  lavaient 
également  proclamé. 

(4)  Diodor.  de  Sicàl  lib.  XIII.  parag.  34.  et  Harpocrat.  voc,  T*r/>*Kà««. 


©  E "    £  A      G  R  Ê  C  È.  I  33 

désormais  à  la  politique  et  à  la  puissance  des  Romainâ,  qui  allaient' 
envahissant  tout  le  monde?  De  tous  ces  grands  capitaines  qui  avaient 
sauvé  tant  de  fois  PÀttique  et  la  Grèce  entière,  il  ne  restait  plus- 
que  les  noms.  Sylla  mit  le  siège  devant  Athènes  qu'il  pressa  vigou- 
reusement. Envain  les  Athéniens  lui  envoyèrent  leurs  vdéclamateurs 
pour  émouvoir  sa  sensibilité.  L'érudition  pédantesque  des  Sophistes 
avait  succédé  à  l'éloquence  des  Périclés  et  des  Démosthénes.  Us 
parlèrent  de  Thésée ,  des  grands  hommes  d'Athènes ,  et  de  leurs 
anciens  exploits  contre  les  Perses,  sans  dire  un  seul  mot  du  sujet 
de  leur  ambassade.  "  Gardez  pour  vous,  leur  répondit  Sylla  ^  ces 
fleurs  de  rhétorique.  La  République  ne  m'a  point  envoyé  pour  en- 
tendre le  récit  de  vos  antiques  provesses ,  mais  pour  punir  votre 
rébellion.  „  A  cette  réponse,  les  Athéniens  répartirent  par  des 
mots  piquans ,  par  des  satires  et  d'insoîens  libelles  contre  le  Gé- 
néral Romain  ,  unique  héritage  qu'ils  avaient  conservé  de  leurs  an- 
cêtres. Sa  vengeance  fut  terrible ,  on  massacra  jusqu'aux  femmes  ff 
et  aux  enfans.  Athènes  vit  luire  par  fois  sous  les  Empereurs  Ro- 
mains quelques  rayons  d'espérance ,  qui  semblaient  lui  promettre  le 
retour  de  son  ancienne  splendeur  ;  mais  leur  éclat  ne  fut  qu'appa- 
rent et  passager. 

Il  semblera  peut-être  à  quelques-uns  de  nos  lecteurs,  que  nous 
nous  sommes  trop  étendus  sur  le  gouvernement  d'Athènes.  Nous 
voudrions ,  pour  notre  justification ,  qu'ils  eussent  toujours  présent 
tes  ces  paroles  de  Cicéron  :  Adsunt  Àthcnienses  ,  unde  hurnanitas  9 
doctrina  ,  religio  ,  fruges ,  jura  ,  leges  ortae ,  atque  in  omnes  terras 
distrïbutae  putantur  (i).  Athènes  fut  toujours  regardée  comme  la 
plus  célèbre  des  villes  de  la  Grèce  ,  tant  par  le  génie  de  ses  ha- 
bitans ,  que  par  le  haut  degré  de  perfection  où  les  sciences  et  les 
arts  y  furent  portés ,  au  point  que  le  même  Cicéron  eut  à  dire  s 
de  son  tems ,  lorsque  les  beaux  jours  de  la  Grèce  étaient  déjà  sur 
leur  déclin  ,  tant  la  réputation  de  cette  ville  était  encore  fameuse  : 
ut  jam  fractum  prope  ac  dehilitatum  Graeciae  nomen  hujus  urbis-, 
lande  nitatur  (a). 

(i)  Orat.  pro  Flaôco. 
(2)  Or.   1^9. 


I04  Gouvernement 


CRETE. 


ïtSÏT  La  Crétfî  eut  une  fomie  de  gouvernement  à  une  époque   très- 

reculée  9  et  peut-être  avant  toutes  les  autres  contrées  de  la  Grèce  : 
car  les  habitans  des  îles  qui  étaient  les  plus  voisines  de  l'Egypte 
et  autres  pays  où  les  peuples  étaient  déjà  réunis  en  société,  et  ins- 
truits dans  les  arts  et  les  sciences,  durent  participer  avant  ceux 
du  continent  aux  découvertes  et  aux  lumières  des  nations  déjà  civi- 
lisées (i).  Les  lois  de  Crète  servirent  même  de  modèle  à  celles  de 
Sparte  et  autres  villes  Grecques.  Elles  furent  dictées  par  Minos , 
premier  de  ce  nom  ,  célèbre  dans  les  fastes  héroïques  par  ses  ex- 
ploits ,  et.  plus  encore  dans  la  mythologie,  pour  avoir  été  fait 
par  Jupiter  juge  aux  enfers   avec  son  frère  Rhadamante  (a).  Il  fut 

(i)  L'île  de  Crète  ,  aujourd'hui  appelée  Candie  ,  est  située  entre  la 
mer  Egée  ou  l'Archipel ,  et  la  mer  de  Lybie  à  présent  celle  de  Barbarie. 
Elle  a  plus  de  soixante  lieues  de  longueur  d'orient  en  occident.  Elle  était 
autrefois  trés-peuplée  ,  comptait  avec  orgueil  une  centaine  de  villes  dans 
«on  sein  ,  et  se  vantait  de  posséder  le  tombeau  de  Jupiter.  Selon  Héro- 
dote (  liv.  I.  paragr.  170  ),  ses  habitans  étaient  barbares  dans  les  tems  les 
plus  reculés.  Ils  s'appelaient,  au  dire  de  Diodore  de  Sicile }  Ethéocrétes , 
ou  vrais  Cretois.  Ils  se  donnaient  pour  Autocthones ,  c'est-à-dire  originaires 
de  File;  et  c'est  peut-être  là  ce  qui  leur  fit  prendre  pour  type  dans  leurs 
monnaies  des  serpens  entortillés  ,  comme  on  peut  le  voir  par  le  n.°  3  de 
la  planche  20.  Sans  doute  que  la  croyance  où  l'on  était  alors  que  les  ser- 
pens s'engendrent  de  la  terre  ,  donna  aux  Cretois  l'idée  de  prendre  cet 
emblème,  comme  une  allusion  à  leur  origine  fabuleuse,  et  ce  avec  d'autant 
plus  de  raison  que,  d'après  certaines  traditions  mythologiques  ,  l'opinion  s'é- 
tait établie  que  les  serpens  s'étaient  changés  en  hommes  dans  l'île  de  Crète. 
Voy.  à  cet  égard  le  Begerius ,  De  Nummis  Cretensium  serpentiferis  ,  et 
Rasche,  Lex.  Num.  vol.  II.  Leur  plus  ancien  Roi  s'appelait  Cré s  ,  d'où 
l'île  prit  probablement  son  nom  de  Crète.  Elle  fut  occupée  par  les  Pelas- 
ges  ,  et  ensuite  par  les  Doriens  ;  et  après  le  retour  des  Héraclides  ,  des 
habitans  d'Argos  et  des  Spartiates  vinrent  s'y  établir.  Ceux  qui  désireraient 
avoir  des  notions  plus  détaillées  au  sujet  de  cette  île,  n'ont  qu'à  lire  l'ou- 
vrage de  Meurs  intitulé  Crète  \  et  quant  à  sa  fameuse  constitution ,  il  faut 
lire  l'excellent  Mémoire  de  M.r  de  Sainte-Croix  sur  la  législation  Cretoise , 
lequel  se  trouve  à  la  suite  de  l'ouvrage  qui  a  pour  titre  :  Des  anciens 
Gouvernemens  Frédératifs  du  même  auteur. 

(2)  Ce  Minos,  selon  le  tableau  chronologique  de  Larcher ,  nacquit 
vers  l'an   i548  avant  l'ère  vulgaire.  On  ne  sait  trop  sur  quel  fondement  -f 


de    la    Grèce.  i33 

regardé  comme  le  plus  sage  des  législateurs  de  l'antiquité',  et  l'opi% 
nion  était  qu'il  avait  reçu  ses  lois  de  Jupiter  même  (j).  On  pré- 
tend qu'il  se  retirait  habituellement  dans  un  antre  de  l'île ,  où.  il 
s'entretenait  avec  le  père  des  Dieux  :  Jovis  arcanis  Miaos  admis- 
sus  ,  éloge  le  plus  grand ,  qui ,  selon  Platon  ,  pût  être  fait  à  un 
Souverain  (a).  Minos  semblait  s'être  proposé  deux  lins  principales 
dans  son  système  de  législation  ,  l'une  de  rendre  ses  sujets  propres 
au  métier  des  armes,  et  l'autre  d'établir  entre  eux  l'union  la  plus 
parfaite.  Ses  lois  furent  gravées  sur  des  tables  de  bronze,  qu'on 
voyait  encore  du  tems  de  Platon. 

La  constitution  de  la  Crète  fut  aristocratique,  car  le  pouvoir 
suprême  résidait  dans  les  Cosmes ,  ainsi  appelés  du  mot  kôciwq  , 
qui  veut  dire  ordre ,  parce  qu'ils  étaient  chargés  du  maintien  du 
bon  ordre  dans  la  république.  Ils  étaient  au  nombre  de  dix ,  et 
celui  d'entre  eux  qui  avait,  comme  Prince,  la  prééminence  sur  les 
autres,  s'appelait  nporoxoçpoç,  ou  le  premier  Cosme  ,  ainsi  que  l'at- 
testent d'anciennes  inscriptions.  On  les  prenait  au  sort  dans  les  fa- 
milles les  plus  illustres ,  comme  nous  l'apprend  Aristote.  La  durée 
de  leurs  fonctions  était  d'un  an  ;  et  à  l'exception  du  sénat ,  toutes 

Denina  et  autres  écrivains ,  font  honneur  de  la  constitution  de  Crète  à  Mi- 
nos second ,  fils  de  Lycaste ,  et  célèbre  par  ses  expéditions  maritimes. 
Apollodore  ,  Strabon  et  Plutarque  ont  confondu  les  deux  Minos  ,  et  n'ei* 
ont  fait  qu'un  même  personnage.  Tel  est  le  destin  des  grands  hommes 
qui  ont  paru  dans  les  tems  fabuleux.  Leur  vie  est  toujours  enveloppée  des? 
nuages  de  l'antiquité  et  de  fictions  poétiques.  Minos  premier  fut  fils  de 
Jupiter  et  d'Europe  ;  il  épousa  Ithone  fille  de  Lysssus  ,  de  laquelle  il  eut 
Lycaste  père  de  Minos  second.  Au  sujet  de  la  distinction  à  faire  entrç 
ces  deux  Minos ,  il  faut  lire  l'Hist.  de  l'Acad.  R.  clés  Inscript,  etc.  tom.  III. 
pag.  45.  ,  ainsi  que  l'Hérodote  de  Larcher  tain.   VII.   pag.  55g  et  54 1. 

(i)  Gic.  Tuscul,  Qtiaesùion  liv.  II.  Pausanias  in  Laconicis.  Nemes.. 
de  Nat.  Hom.  cap.  XXXIX. 

(•a)  Certains  écrivains  ,  entre  autres  M.1'  De  Real ,  sont  d'avis  que  Mi- 
nos composa  son  code  de  tout  ce  qu'il  avait  trouvé  de  plus  recommandable 
dans  les  institutions  politiques  de  l'Egypte.  D'autres  prétendent  qu'il  ne  fie 
qu'imiter  Moyse  ,  dont  il  pouvait  avoir  appris  les  lois  de  sa  mère  qui  était 
Phénicienne.  Nous  laisserons  le  choix  de  ces  opinions  à  la  sagaeité  de  nos 
lecteurs,  nous  bornant  à  rappeler  ici  ce  que  nous  avons  démontré  ailleurs, 
qu'il  ne  faut  pas  trop  légèrement  regarder  les  lois  et  les  coutumes  d'un 
peuple ,  comme  dérivées  ou  prises  de  celles  d'un  autre  peuple  à  cause  de 
quelque  ressemblance  qu'elles  peuvent  avoir  avec  elles. 


i3S  Gouvernement 

les  autres  magistratures  de  la  Crète  étaient  également  annuel  les.,  se- 
lon le  témoignage  de  Polybe  et  autres:  en  quoi  devrait  être  recti- 
fiée l'Encyclopédie  méthodique  où  il  est  dit,  peut-être  sur  la  foi 
de  De  Real ,  que  les  Cosmes  conservaient  leur  charge  jusqu'à  la 
mort.  Il  leur  était  libre  au  contraire  de  s'en  démettre,  et  ils  pou- 
vaient même  en  être  destitués  par  le  peuple  ou  par  leurs  collègues. 
Leur  marque  distinctive  principale  consistait  dans  la  longueur  de 
leur  chevelure  et  de  leur  barbe  qu'ils  ne  coupaient  pas  (i).  Les 
autres  magistratures  étaient  sous  leur  surveillance  :  ils  maintenaient 
un  certain  équilibre  entre  les  deux  corps  de  l'état,  et  avaient  le 
commandant  suprême  des  armées  en  te  rus  de  guerre. 
Sénateurs.  Dans  les  affaires  d'une  importance    majeure ,    les    Cosmes    pre- 

naient l'avis  du  Sénat.  Ce  corps  était  composé  de  trente  citoyens, 
et  formait  proprement  le  conseil  public  qu'on  appelait  reparla  ; 
c'est  pourquoi  le  Sénateurs  avaient  pris  le  nom  de  G é roules ,  du  mot 
grec  yepèp ,  qui  veut  dire  vieillard.  La  délibération  des  affaires 
publiques  en  général  appartenait  de  droit  au  Sénat ,  qui ,  selon  Aris- 
tote,  n'était  tenu  de  rendre  compte  à  qui  que  ce  soit  du  motif 
de  ses  décisions.  Le  membres  en  étaient  élus  parmi  les  citoyens 
qui  avaient  déjà  été  Cosmes,  et  leur  charge  était  à  vie.  Les  che- 
valiers formaient  encore  un  ordre  distingué  dans  l'état.  Us  avaient 
part  aux  soins  de  l'administration  ,  et  se  servaient  du  cheval  à  la 
guerre  (a). 
Soc;ê-és  Les  citoyens  étaient  distribués  en  espèce  de  sociétés  appelées 

<et  banquets-         r  ,  1  t         • 

sraipei.ai  et  c  est  pour  cela  que  Jupiter  même  était  appelé  en  Crè- 
te, staipéîoi  Sodalitius.  Il  y  avait  dans  chaque  ville  deux  maisons 
qui  étaient  destinées  à  ces  sociétés ,  l'une  pour  les  citoyens ,  et  l'au- 
tre pour  les  étrangers  ou  les  voyageurs ,  envers  lesquels  Minos  voulait 
qu'on  usât  de  la  plus  grande  bienveillance.  Dans  l'une  de  ces  deux  mai- 
sons,  qui  s'appelait  Andreior ,  étaient  dressées  les  tables  publiques, 
où  venaient  manger  ensemble  tous  les  citoyens.  La  nourriture  y  était 
très-frugale,  on  y  buvait  peu  devin,  et  la  même  coupe  servait  pour 
tous.  Une  femme  non  moins  distinguée  par  sa  vertu  que  par  sa  nais- 
sance présidait  au  banquet.  Elle  choisissait  ce  qu'il  y  avait  de  meil- 
leur sur  la  table  *  et  l'offrait  publiquement  à  ceux  d'entre  les  convives 
qui  s'étaient  rendus  les  plus  recommendables  par  leur  valeur  ou  leur 

(i)  Seneca  Rli.  lib.  IV.  Controv.  XXVII. 
(>j  V.  Strab.  lib.  Xs 


»e    la    Grèce.  i3y 

sagesse;  elle  était  assistée  de  quatre  citoyens  a  sou  choix,  lesquels 
avaient  eux  mêmes  pour  aides  deux  esclaves  pour  porter  le  bois^ 
et  qui  s'appelaient  par  cette  raison  calophores,  ou  porteurs  de  bois. 
Chaque  citoyen  était  obligé  d'apporter  dans  ces  sociétés  la  dixme 
de  ses  récoltes,  et  recevait  des  magistrats  une  portion  des  revenus 
publics.  Ainsi  tous  les  citoyens  étaient  nourris  aux  frais  de  l'état. 
Après  le  repas,  les  vieillards  s'entretenaient  des  affaires  de  la  ré- 
publique. La  conversation  roulait  toujours  sur  quelque  point  de 
Fhistoire  nationale ,  ou  sur  les  actions  des  grands  hommes  ;  et  les 
jeunes  gens  s'instruisaient  à  cette  école  de  tous  les  intérêts  de  la 
patrie  ,  et  s'enflammaient  d'émulation  au  récit  des  belles  actions  de 
leurs  ancêtres. 

Les  enfans  étaient  nourris  et  élevés  tous  ensemble,  pour  qu'ils  Education 
se  formassent  de  bonne  heure  au  même  genre  de  vie  et  aux  mêmes 
maximes.  Ils  étaient  sous  la  direction  de  quelques  citoyens  des  plus 
distingués  par  leur  naissance  et  leur  sagesse,  qu'on  appelait  Kyelô.- 
têç,  du  mot^e/lj?,  qui  veut  dire  troupeau;  parce  qu'ils  gouvernaient 
le  troupeau  des  enfans.  Leur  vie  était  sobre  et  austère.  On  les  ac- 
coutumait à  se  contenter  de  peu,  à  souffrir  le  chaud  et  le  froid  > 
à  courir  sur  les  lieux  escarpés  et  difficiles ,  à  combattre  en  trou- 
pes ,  à  supporter  courageusement  les  coups  qu'ils  se  portaient  réci- 
proquement, à  s'exercer  à  une  sorte  de  danse  guerrière  à  laquelle 
on  donna  dans  la  suite  le  nom  de  pyrrhique ,  et  dont  l'invention 
était  en  effet  attribuée  aux  Cretois,  comme  l'attestent  Diodore  , 
Denis  d'Halicarnasse  et  autres  :  on  leur  donnait  aussi  quelque  no- 
tion des  lettres,  mais  très-superficielle  :  ils  s'appliquaient  à  l'étude 
des  lois,  qui  se  chantaient  sur  une  espèce  de  musique  grave,  ani- 
mée et  propre  à  faire  naître  des  transports  belliqueux  :  enfin  on 
Jeur  apprenait  à  jouer  de  la  fuite  et  de  la  lyre,  instrurnens  au  son 
desquels  on  les  menait  au  combat.  Mais  leur  occupation  la  plus  or- 
dinaire était  de  s'exercer  à  lancer  des  flèches 3  en  ce  que  la  nature 
■du  sol  de  l'île,  couvert  de  bois  et  de  rochers,  ne  permettait  d'y  faire 
qu'une  petite  guerre  d'archers  et  de  troupes  légèrement  armées. 

Parmi  ceux  de  ces  enfans  qui  étaient  parvenus  à  l'âge  de  pu- 
berté ,  on  choisissait  les  plus  robustes  et  les  plus  propres  au  mariage. 
Cependant  l'épouse  ne  venait  à  la  maison  du  mari,  que  lorsqu'elle 
était  jugée  capable  de  gouverner  une  famille.  Le  mariage  était  permis 
même  entre  frère  et  sœur;  et ,  dans  ce  cas,  l'époux  recevait  pour  dote 
la  moitié  de  la  portion  qui  revenait  à  sa  sœur  de  l'héritage  paternel. 

Eujope.   Fui.  I.  tg 


Défauts  de 

Îcl  constitution 

de  ûlinos. 


Vices 
des  Cretois, 


I  38  G  0  V  V  E  R  N  E  M  E  IM? 

Parmi  les  institutions  de  Mi  nos  ,  Platon  fait  sur  tout  l'éloge 
de  celle  qui  défendait  aux  jeunes  gens  d'élever  aucun  doute  ,  ni  de 
proposer  aucune  question  sur  les  lois  de  l'Etat.  Cependant,  si  d'un 
côté  il  importe  que  les  peuples  obéissent  aux  lois  tant  qu'elles 
existent,  on  ne  peut  nier  aussi  de  l'autre  qu'il  né  leur  soit  utile 
d'écouter  les  leçons  de  l'expérience  sur  ce  qu'elles  pourraient  avoir 
de  défecteux  ,  pour  y  faire  les  cliangemens  nécessaires.  Une  pareille 
maxime  ne  peut  être  considérée  au  contraire  que  comme  un  vice 
dans  la  législation  de  Minos.  Il  voulut  en  outre  que  la  population 
fût  proportionnée  à  l'étendue  de  l'île;  et  pour  qu'elle  n'excédât 
point  ce  ternie,  il  permit  non  seulement  le  divorce,  mais  encore 
il  fut  le  premier  à  introduire  parmi  les  Grecs  uii  genre  d'amour 
honteux  et  contraire  au  vœu  de  la  nature  (i),  autre  défaut  encore 
plus  condamnable  dans  sa  constitution. 

Malgré  ces  lois,  il  n'y  eut  pas  dans  la  Grèce  de  peuple  plus 
débauché,  plus  séditieux,  plus  avare  et  plus  sordide  que  les  Cre- 
tois (a).  Ils  étaient  continuellement  en  guerre  les  uns  contre  les 
autres,  et  ne  se  ralliaient  que  quand  il  s'agissait  de  repousser  les 
attaques  d'un  ennemi  extérieur:  ce  qui,  selon  Plutarque,  a  donné 
naissance  à  ce  proverbe  des  Grecs  sincrctuer ,  pour  exprimer  la 
réunion    de    divers    partis    contre  une  faction  ou  un  ennemi.   Mais 


(i)  Lisez  à  ce  sujet  Héraclide  Poriticus  De  politiis  Graecorum  -- 
Videntur  autem  primo  (  Cretenses  )  usi  congressibus  cum  puerls  ma- 
sculis  amoris  causa ,  neque  in  eo  est  apucl  illos  allquid  turpibudinis. 
JSarti  si  quos  amare  instituant ,  obtinenb  ,  abducunt  eos  in  montent  ,  aut 
in  agros  suos  ,  ibique  convivunt  ad  dies  sexdginata  (  ulterius  enim  non 
ïicet  J.  Tuni  vefo  amator  veste  eum  donatum  demibtit ,  addens  praeter 
alia  doua  etiam  bovem.  V.  Gronov.  vol.  IV.  col.  617.  D  ,  et  vol.  VI.  col. 
2824.  E,  et  Meurs   Creta  ,  chap.    i3. 

(2)  Les  Cretois,  par  l'effet  d'un  autre  vice  de  leurs  institutions  politi- 
ques, étaient  singulièrement  amis  de  l'oisiveté.  Ils  laissaient  à  des  esclaves  le 
soin  de  toutes  leurs  affaires.  Ces  esclaves  étaient  divisés  en  trois  classes  , 
savoir  ;  les  Ghrysonetes  qui  servaient  dans  les  villes  ;  les  Périécicns  qui 
étaient  employés  aux  travaux  de  l'agriculture  ;  et  les  Clarotes  lesquels 
étaient  originaires  de  l'île ,  que  la  guerre  ou  le  sort  avait  réduits  à  l'es- 
clavage ,  et  qui  tenaient  une  espèce  de  milieu  entre  les  citoyens  et  les 
esclaves,  en  ce  qu'ils  participaient  aux  droits  des  premiers  et  aux  devoirs 
des  seconds.  Ils  célébraient  chaque  année  à  Gydonie  une  fête  en  l'hon- 
neur de  Mercure  ,  pendant  laquelle  l'entrée  de  la  ville  était  interdite  aux 
citoyens.  Cette  fête  était,  une  espèce  de  jubilé  peu  différent  de  celui  des 
ïïuifs. 


de    la    Grèce.  i 39 

le  vice  principal  dont  les  Cretois  sont  taxés  par  tous  les  écrivains 
est  celui  du  mensonge.  Les  Cretois  sont  toujours  menteurs,  dit  Cal- 
limaque  dans  son  ode  à  Jupiter;  et  c'était  encore  un  autre  proverbe 
fameux  parmi  les  Grecs  que  celui-ci  %6ç  Kofjra  %p??Ti&iv ,  cum  Cre- 
iensi  cretlssare ,  c'est-à-dire  mentir  comme  les  Cretois,  ou  avec  les 
Cretois,   défaut  dont  les  accuse  aussi  S.  Paul  (1). 


9  P  A  RT  E. 


L'origine  de  Sparte  nous  est  inconnue,  et  de  tous  les  peuples  Amiqvm 
de  la  Grèce,  les  Spartiates  sont  ceux  dont  l'histoire  se  perd  entiè-  °  ''ane' 
rement  dans  la  nuit  des  tems.  La  cause  de  notre  ignorance  à  cet 
égard  ,  vient  sans  doute  du  mépris  que  ce  peuple  afficha  toujours 
pour  les  sciences  et  les  lettres  (a).  Cependant,  au  milieu  de  ces 
épaisses  ténèbres ,  un  rayon  de  lumière  s'est  échappé  jusqu'à  nous 
d'une  inscription  de  la  plus  haute  antiquité,  trouvée  dans  un  tem- 
ple qu'on  voyait  encore  il  n'y  a  pas  fort  long  tems  à  Àmiclée  en 
Laconie  (3).  Cette  inscription  porte  que  le  temple  fut  élevé  en 
l'honneur  d'Onga ,  qui  était  la  Minerve  des  Béotiens  et  des  La- 
coniens^  par  Eurotas  Roi  des  Icthéocrates.  Or  ces  Icthéocrates 
étaient  précisément  les  anciens  hahitaus  de  la  Laconie ,  comme 
nous  l'apprend  Esichius  dans  l'explication  savante  qu'ils  nous  donne 
sur  la  formation  du  mot  grec  ïxTeoxpareïç  ;  et  d'ailleurs  Eurotas  est 

(1)  Ad  Tit.  chap.  I.  v.  12.  Dixit  quidam  ex  Mis  proprius  ipsorum 
propheta:  Cretenscs  semper  mena  aces  ,  malae  bestiae  ,  ventres  pigri. 
Le  Cretois  dont  parle  l'Apôtre  est  le  poète  Epiménide.  On  lisait  ancien- 
nement cet  épitaphe  sur  le  tombeau  de  Minos  ,  Mivoç  rov  Aïoç  Tafîoç  , 
qui  veut  dire  Sépulcre  du  Dieu  Minos.  Le  tems  ayant  effacé  le  nom  de 
Minos,  les  Cretois  y  substituèrent  celui  de  Jupiter  ,  et  firent  croire  que 
c'était  là  le  tombeau  du  père  des  Dieux,,  imposture  à  laquelle  l'Apôtre 
fait  allusion. 

(2)  Si  l'on  en  devait  croire  quelques  traditions  antiques  et  incertaines, 
l'origine  de  Sparte  ou  de  Lacédémone  remontrait  jusqu'au  tems  de  Moyse. 
L'historien  Joseph  rapporte  que  de  son  tems  les  Lacédémoniens  se  glori- 
fiaient d'être  descendons  d'Abraham  (  Antiq  Jud.  liv.  XII.  ch.  l\.  XIII, 
ch.  5.  et  Bell.  Jud.  liv.  II.  ch.  itj.  )  Il  faut  lire,  sur  cette  prétendue  affi- 
nité entre  les  Lacédémoniens  et  les  Juifs,  les  savantes  dissertations  de  Calmet. 

(5)  Mémoir.  de  l'Aeadém.  des  Incript.  etc.  tom.  XV.  pag.  4o3.   Cette- 
.inscription  a  *  selon  Larcher,  plus  de  53oo  ans  d'antiquité. 


i4°  Gouvernement 

connu  pour  avoir  été  le  troisième  Roi  de  Sparte  après  Lelex  ,  qui , 
selon  quelques  anciens  écrits,  vint  s'établir  en  Laconie  avec  plu- 
sieurs familles  Egyptiennes.  Mais  Lacédémon  fils  de  Jupiter  et  de 
Sérnélé,  ou,  selon  d'autres,  de  la  nymphe  Taygéte  ,  ayant  épousé 
dans  la  suite  Sparte  fille  d'Eurotas,  les  Icthéocrates  prirent  le  nom 
de  Lacédémoniens  ou  Spartiates  (i).  Ces  notions  suffisent  pour  nous 
première      faire  connaître  d'une    manière    certaine    l'époque    de    la    première 

djriasUe  X      T.  r 

&>  Spam,  dynastie  qui  a  régné  en  Laconie  ,  ainsi  que  l'origine  des  premiers 
habitans  qui  sont  venus  s'y  fixer.  Sous  Eurotas  et  ses  successeurs, 
le  gouvernement  de  Sparte  fut  monarchique,  et  tel  que  nons  avons 
décrit  ceux  des  tems  héroiques.  Parmi  les  Rois  de  cette  dynastie, 
les  plus  illustres  dont  font  mention  les  fastes  de  cette  époque  sont, 
Tyndare,  Castor  et  Pollux  frères  d'Hélène,  Ménélas  et  Amycla. 
Seconde  L'histoire  nous  a  transmis  des  renseignemens    plus    positifs    sur 

Uljriaslte.  O  1  J 

la  seconde  dynastie  des  Rois  de  Sparte,  qui  est  celle  des  Héra- 
clides.  Larcher  en  a  savamment  développé  la  chronologie  dans  le 
Vll.e  vol.  de  son  Hérodote.  Aristodème,  Téméne  et  Cresphonte  fils 
d'Aristomaque  et  descendans  d'Hercule,  firent  la  conquête  du  Pélo- 
ponnèse, comme  étant  l'héritage  de  leurs  ancêtres,  vers  l'an  1 190  avant 
Père  vulgaire  (a).  Aristodème ,  à  qui  était  échue  en  partage  la  La- 

(1)  Les  Laconiens  conservent  encore  le  nom  d'Iethéocrates  dans  di- 
verses inscriptions,  même  sous  les  premiers  Piois  de  la  seconde  dynastie. 
V.  Mémoir.  etc.  à  Pendr.  cit. 

(2)  Hercule  laissa  en  mourant  ses  droits  sur  le  Péloponnèse  à  Illus , 
l'aîné  des  enfans  qu'il  eut  de  Déjanire.  Illus  et  ses  frères  ,  aidés  des  se- 
cours de  Thésée  et  des  Athéniens  ,  s'emparèrent  en  effet  du  Péloponnèse  ; 
mais  une  peste  horrible  et  le  vœu  de  l'oracle  de  Delphes  les  obligèrent 
bientôt  à  abandonner  leur  conquête.  Peu  d'années  après,  Illus  rentra  dans 
cette  contrée  et  y  perdit  la  vie  dans  un  combat  singulier  qu'il  engagea 
avec  le  plus  brave  de  l'armée  ennemie.  Son  fils  Cléodée  fit  une  troisième 
tentative  ,  mais  avec  aussi  peu  de  succès  ;  et  Aristomaque  fils  de  Cléodée 
ne  fut  pas  plus  heureux  dans  la  même  entreprise.  Enfin  Aristodème  ,  Thé- 
inéne  et  Cresphonte,  après  plusieurs  batailles,  et  favorisés  par  l'oracle  de 
Delphes  ,  se  rendirent  maîtres  de  tout  le  Péloponnèse  ,  environ  80  ans  après 
la  prise  de  Troie.  Ils  avaient  parmi  leurs  troupes  un  corps  de  Tyrrhéniens 
commandés  par  Arconde.  Nous  remarquerons  que  c'est  alors  que  les  Grecs 
connurent  pour  la  première  fois  la  trompette  tyrrhénienne.  V.  Apollod. 
Biblioth.  liv.  II.  chap.  VII.  et  VIII.  Scholiastes  vêtus  in  Sophoclis  Aja- 
oem  ,  vers  17.  Les  descendans  d'Hercule  sont  désignés  dans  les  relations 
des  historiens  sous  le  nom  à'Héraclides  ,  du  mot  YipaXfX^ç  ,  nom  d'Her-. 
Çiile  chez  les  Grecs ,  qui  signifie  gloire  de  Junon, 


DE     LA      G'HÊCR  ïtfl 

dfconie  ,  laissa  en  mourant  deux  enfans  jumeaux  nouveaux-nés.  Lé 
peuple  voulait  donner  le  sceptre  à  l'aîné  des  deux  frères;  mai* 
dans  l'impossibilité  où  l'on  était  de  le  reconnaître,  on  consulta 
l'oracle  de  Delphes,  qui  répondit  que  les  deux  en  Pans  devaient  ré- 
gner ensemble.  On  leur  donna  les  noms  d'Euristhone  et  de  Proclés, 
et  ils  furent  la  souche  des  deux  dynasties  ou  maisons  des  Euristhé- 
nides  et  des  Proclydes.  Mais  Agis,  second  Roi  de  la  ligne  Euris- 
thénide,  s'étant  acquis  une  grande  renommée  par  ses  exploits  ,  ses 
descendans  prirent  le  surnom  d'Agides  (i).  La  ligne  des  Proclydes 
prit  aussi  celui  d'Euripontide ,  d'Euripont  qui  fut  le  troisième  de 
ses  Rois  y  lequel  s'était  également  rendu  célèbre  par  ses  grandes 
actions. 

Ainsi,  sous  les  Héraclides,  Sparte  eut  à  la  tête  de  son  gouver- 
nement deux  Rois,  dont  l'autorité  suprême  passa  à  leurs  descendans 
pendant  plusieurs  siècles  :  exemple  peut-être  unique  dans  les  fastes 
du  monde.  Les  premiers  Rois  de  cette  dynastie  se  rendirent  recom- 
mandables  par  leur  sagesss  ,  et  furent  chéris  de  leur  peuple.  Ils 
s'occupaient  particulièrement  du  soin  de  rendre  la  justice  à  tous 
les  citoyens  sans  aucune  distinction.  Cette  forme  de  gouvernement 
était  connue  chez  les  Grecs  sous  le  nom  d'îwnom/e  ,  qui  veut  dire,  bouomîe 
égale  distribution  de  la  justice.  Ces  premiers  Rois  appelèrent  aux 
affaires  du  gouvernement  les  citoyens  les  plus  distingués  par  leur 
sagesse  et  leurs  vertus ,  et  partagèrent  avec  eux  les  fonctions  du 
pouvoir  suprême.  Mais,  comment  l'harmonie  aurait-elle  pu  durer 
toujours  dans  un  tel  gouvernement,  dont  les  rênes  se  trouvaient 
entre  les  mains  de  deux  Princes,  de  caractère  et  d'intérêts  sou- 
vent opposés  ?  Le  peuple  même  ,  toujours  enclin  à  l'esprit  de 
parti  ,  devait  nécessairement  ,  selon  les  circonstances  ,  se  décla- 
rer pour  l'un  plutôt  que  pour  l'autre.  Les  révolutions  sont  inévi- 
tables dans  tous  les  états  où  les  Princes  se  laissent  séduire  par  le 
désir  de  rendre  leur  autorité  absolue,  et  les  peuples  par  l'amour 
de  l'indépendance.  Euripont  neveu  de  Proclés  et  fils  de  Sous ,  avait 
singulièrement  relâché  les  ressorts  de  l'autorité  royale ,  dans  la  vue 

(i)  Un  des  principaux  exploits  d'Agis  était  la  prise  à'JElos.  Il  avait 
soumis  toutes  les  villes  voisines  de  Sparte ,  celle  RElos  seule  lui  opposait 
une  résistance  opiniâtre.  Il  la  prit  enfin  après  un  long  siège  ,  et  en  ré- 
duisit les  malheureux  habitans  au  plus  dur  esclavage.  C'est  cle  là  que  pri- 
rent leur  origine  les  Elot.es  ou  Ilotes ,  esclaves  dont  le  nom  est  très-connu 
dans  la  constitution  de  Sparte. 


■1  4-  GOUVERNEMENT 

de  se  rendre  agréable  au  peuple  ,  qui  se  livra  bientôt  à  la  plus 
grande  licence.  En  vain  les  Rois  tentèrent  depuis  de  reprendre 
leur  premier  pouvoir.  L'Etat  aurait  sans  doute  succombé  sous  le 
cboc  des  factions  ,  sans  la  réforme  salutaire  que  Lycurgue  vint  y 
introduire. 

-Lyeurgue.  Lycurgue  fils  d'Eunome  cinquième  Roi  de  la  dynastie  des  Eu- 

ripontides,  était  frère  puiné  de  Polydecte,  mais  d'un  second  lit  ([). 
Polidecte  qui,  en  qualité  d'aîné,  avait  remplacé  son  père  sur  là 
trône,  mourut  avant  d'avoir  aucun  enfant  mâle.  Le  sceptre  passa 
donc  à  Lycurgue;  mais  la  Reine  ayant  été  reconnue  enceinte, 
Lycurgue  déclara  qu'il  se  démettrait  aussitôt  de  la  couronne,  si  elle 
accouchait  d'un  enfant  mâle.  L'ambitieuse  Reine  fit  des  vaines  ten- 
tatives pour  l'engager  à  l'épouser,  en  l'assurant  qu'elle  saurait  se  dé- 
barasser  de  sa  grossesse.  Elle  accoucha  en  eiïet  d'un  garçon.  On 
Tutenr  le  porta  de  suite  à  Lyeurçue  ,  qui  le  présenta  au  peuple  en  disant* 
bpartmtes  voici  votre  Roi  ;  et  1  ayant  placé  sur  le  siège  royal  ,  il 
lui  donna  le  nom  de  Carilaûs ,  qui  signifie  cher  au  peuple.  Au  bout 
de  huit  mois,  Lycurgue  déposa  le  sceptre  }  sans  cesser  cependant 
de  régner  comme  tuteur  Au  ieune  Prince.  La  générosité  de  ce  pro- 
cédé lui  attira  l'affection  et  les  respects  du  peuple;  mais  il  ne  fut 
point  pour  cela  à  l'abri  des  persécutions  secrètes  de  la  jalousie  et 
des  hommes  puissans.  Pour  écarter  de  lui  tout  supçon  ,  il  quitta  le 
pays,  avec  la  résolution  de  n'y  revenir,  que  lorsque  Carilaûs  serait 
Ses  voyages,  en  âge  de  régner  ,  et  aurait  eu  des  en-fans.  Il  voyagea  en  àsie  et  en 
Egypte,  et  s'arrêta  particulièrement  en  Crête,  charmé  des  lois  de 
Minos,  qui  lui  parurent  les  plus  propres  à  ses  vues  pour  la  régé- 
nération de  sa  patrie.  Pendant  son  absence  ,  Sparte  fut  agitée  plus 
que  jamais  par  les  factions:  les  choses  y  furent  portées  à  une  telle 
extrémité,  que  les  citoyens  de  toutes  les  classes,  et  les  deux  Rois 
eux  mêmes,  demandèrent  instamment  le  rappel  de  Lycurgue.  Il  re- 

akm  retour  Y**t.t  en  effet  sous  les  auspices  de  l'oracle  de  Delphes,  qui  le  décla- 
rait le  réformateur  de  Sparte  ,  et  ne  tarda  point  à  donner  sa  fameuse 
constitution,  laquelle  fit  des  Spartiates  un  peuple  tout-à-fait  nou- 
veau, et  qui  n'avait  rien  de  commun  que  le  langage  avec  le  reste 

(i)  Lycurgue  naquit  vers  l'an  0,2.4  avant  l'ère  vulgaire  :  il  publia 
ses  lois  en  l'an  866  ,  la  troisième  année  de  la  V.e  olympiade  d'Iphitus , 
et  mourut  en  l'an  840  ,  la  première  année  de  la  XII.e  olympiade.  V.  l'Hé- 
rodot.  corara,  par  Larcher ,  ainsi  que  les  tables  chronologiques    de    Blair, 


DE     LA      GrÉCÈ.  1^3 

des  Grecs.  Les  institutions  de  Licurgue  sont  si  connues,  que  nous 
nous  bornerons  à  rappeler  ici  les  principales,  d'après  les  relation» 
d'Hérodote,  de  Gillies  ,  et  de  Robertson. 

L'autorité  des  deux  Rois  fut  restreinte  en  détroites  limites.  Çornûaute* 
Pendant  la  paix,  ils  ne  pouvaient  rien  faire  sans  l'approbation  du 
Sénat  ;  mais  en  tems  de  guerre ,  ils  exerçaient  un  pouvoir  absolu 
sur  toute  l'armée.  Néanmoins  leur  conduite  militaire  était  sujette 
à  une  rigoureuse  censure ,  et  souvent  ils  étaient  condamnés  à  des 
peines  très-graves. 

Le  Sénat  ,  qu'on  doit  regarder  comme  la  plus  sage  des  insti-  Le  sénat, 
tutions  de  Lycurgue  ,  tempérait  par  son  autorité  celle  des  Rois  et 
ciel  le  du  peuple.  Il  était  composé  de  trente  membres  appelés  Gé- 
Tontcs  ,  y  compris  les  deux  Rois  qui  en  étaient  les  présidens  ,  et 
dans  ce  corps  résidait  toute  la  puissance  législative.  Le  lieu  où  il 
tenait  ordinairement  ses  séances  était  une  salle,  ou  plutôt  une  grande 
cabanne  ,  qui  n'était  couverte  que  d'un  toit  de  paille  et  de  joncs  , 
pour  que  la  magnificence  du  local  ne  fût  point  un  sujet  de  dis- 
traction dans  les  délibérations. 

L'autorité  du  peuple  fut  également  très-restreinte.  Il  choisis-  Le  peuple. - 
sait  les  membres  du  Sénat,  et  ratifiait  ses  décrets,  qui,  sans  cela 
ne  pouvaient  avoir  aucune  force;  mais  il  ne  pouvait  proposer  aucun 
projet,  ni  s'assembler  sans  un  décret  du  Sénat.  Ainsi  la  constitu- 
tion de  Sparte  réunissait  en  soi  les  trois  formes  de  gouvernement, 
monarchique,  aristocratique  et  démocratique. 

Cependant  le  Sénat  jouissait  d'un    pouvoir    trop    considérable  ,    £e*  àphan* 
qui  ,  avec  le  tems,  aurait  pu  avoir  les  plus  funestes  effets.  Cet  incon- 
vénient donna  lieu  à  l'institution  des  Ephores ,  dont  l'autorité  s'éten- 
dait surjes  Rois  et  le  Sénat  lui  même  (i).  Ces  magistrats  ,  au  nombre 


s  en 


(i)  On  les  appella  TLtpôpoi ,  du  mot  êfiopd&  ,  qui  veut  dire  foi- 
re, parée  qu'ils  étaient  chargés  d'observer  la  conduite  des  Rois  et  des 
Sénateurs.  Certains  écrivains  attribuent  l'institution  des  Ephores  à  Théo- 
pompe ,  qui  régna  environ  i3o  ans  après  Lycurgue.  C'est  aussi  l'opinion 
d'Aristote,  de  Plutarque  ,  de  Cicéron  et  de  Valerius  Maximus.  On  pour- 
rait cependant  leur  opposer  le  témoignage  d'Hérodote  ,  qui  les  a  tous  pré- 
cédés ,  et  qui  ayant  fait  à  cet  égard  les  recherches  les  plus  soigneuses  , 
ne  mérite  pas  peu  de  confiance  sous  ce  double  rapport.  L'opinion  d'Héro- 
dote est  encore  appuyée  de  celle  de  Xénophon  ,  lequel  ayant  demeuré 
long  tems  sur  les  terres  de  Sparte,  avait  eu  par  conséquent  tout  le  loisir 
d'étudier  les  lois  de  son  gouvernement.  Or  ces  deux  auteurs  attestent  éga- 


«Ordre  erjuestre- 


Distribution 
des  terres. 


Kgfliè 

des  fortunes. 


Proscription 
des  richesses. 


1 44  Gouvernement 

de  cinq  ,  étaient  élus  chaque  année  le  huit  d'octobre  (1),  et  pris 
parmi  le  peuple.  Le  premier  s'appelait  Ephore  éponyme,  et  donnait 
5on  nom  à  l'année ,  comme  l'Archonte  èponyme  à  Athènes.  Les 
Ephores  avaient  beaucoup  de  rapports  avec  les  Cosmes  de  Crète: 
revêtus  d'une  autorité,  supérieure  en  quelque  sorte  à  celle  des  Rois 
même 0  ils  ne  se  levaient  point  devant  eux,  et  ne  leur  donnaient 
aucune  marque  de  soumission.  Cléoméne  fils  de  Léonidas,  et  tyran 
de  la  dynastie  des  Agides,  les  fit  massacrer  vers  l'an  22.6  avant  l'ère 
vulgaire,  et  depuis  lois  il  n'en  est  plus  fait  aucune  mention  dans 
l'histoire  (a). 

Enfin  Lycurgne  donna  aussi  à  Lacédémone  un  ordre  équestre, 
sur  le  modèle  de  celui  que  Minos  avait  établi  en  Crète,  avec  cette 
différence  pourtant,  que  les  chevaliers  Cretois  avaient  des  chevaux, 
et  que  ceux  de  Sparte  n'en  avaient  pas  (3), 

Jusqu'ici  nous  avons  vu  les  institutions  de  Lycurgne  quant  à  la 
forme  du  gouvernement.  Mais  c'est  à  régler  la  vie  privée  des  citovens 
qu'il  visa  particulièrement  ,  persuadé  que  les  meilleurs  lois  restent 
sans  effet  ,  si  l'obéissance  qu'ils  leur  doivent  n'est  point  en  eux  le 
fruit  de  l'éducation.  Il  commença  donc  par  distribuer  entre  tous 
les  citoyens  les  terres  de  la  république  ,  qui  formaient  auparavant 
l'apanage  d'un  petit  nombre  d'entre  eux.  Le  territoire  de  la  La- 
conie  fut  divisé  en  trente  mille  portions  égales,  et  les  productions 
de  Sparte  en  neuf  mille.  Chaque  portion  de  terre  devait  donner 
une  récolte  suffisante  pour  l'entretien  d'une  famille.  De  cette  ma- 
nière Lycurgne  vint  à  établir  dans  sa  république  une  parfaite  égalité 
clt;  fortunes.  Ensuite,  pour  ôter  aux  citoyens  tout  sujet  de  jalousie 
et  d'ambition  3  il   proscrivit  la  magnificence  dans  le  vêtement,  dans 


lement  que  l'institution  des  Ephores  est  due  à  Lycurgue  ,  et  Platon  sem- 
ble aussi  s'accorder  avec  eux  sur  ce  point  (  Epit.  VIII.  ).  Barthélémy  a 
cherché  à  concilier  ces  deux  opinions  dans  son  voyage  d'vVnacharsis,  vol. 
IL  pàg.  5^7  ,  et  dans  la  note  pag.  63o  :  nous  renvoyons  donc  nos  lecteurs 
à  cet  ouvrage. 

(1)  Dodwell  de  Cyclis.  Dissert.  VIII.  Sect.  V. 

(a)  Outre  les  Ephores  ,  Pausanias  fait  mention  des  cinq  Momophila- 
gjues  ,  ou  gardiens  des  lois ,  qu'on  appelait  encore  Bidiéniens.  On  ignore 
quel  a  été  fauteur  de  cette  institution.  Cependant  Larcher  l'attribue  à 
Lycurgue.  Il  parait  que  ces  magistrats  étaient  aussi  chargés  de  présider 
,aux  jeux  et  aux  exercices  de  la  jeunesse. 

(3)  Hérodot. ,  Clio ,  liv.  VIII.,  parag.   124.  et  Strab.  liv.  X.  etc. 


de    la    Grèce.  1^5 

les  meubles  et  dans  l'architecture  des  maisons,  défendit  l'usage  de 
l'or  et  de  l'argent,  et  ne  permit  que  celui  des  monnaies  de  cuivre. 
Il  interdisit  dans  la  même  vue  l'exercice  des  arts  libéraux ,  et  tout 
spectacle ,  et  ne  voulut  d'autre  amusement  que  la  chasse  et  les  exer- 
cices du  corps.  A  l'exemple  de  Minos  ,  il  institua  des  tables  publiques  Tables 
auxquelles  étaient  admis  tous  les  citoyens  sans  aucune  distinction.  ef//-«|«&*. 
Ces  tables  étaient  distribuées  par  quinze  personnes,  dont  chacune 
était  tenue  d'y  apporter  une  quantité  de  provisions  déterminée,  et 
tout  mets  de  luxe  ou  recherché  en  était  banni.  Celui  dont  on  fe- 
sait  l'usage  le  plus  fréquent  et  le  plus  estimé  ,  était  une  espèce  de 
sauce  faite  avec  le  jus  de  la  viande  et  certaines  racines,  qu'on  ap- 
pelait sauce  noire  (i). 

Mais,  de  toutes  les  institutions  de  Lycurgue,  la  plus  fameuse  Education. 
et  la  plus  sage  peut-être  est  celle  qui  concerne  l'éducation  des  enfans, 
et  dans  laquelle  il  semble  avoir  voulu  étendre  sa  sollicitude  jusques  sur 
leur  formation.  Il  prit  donc  les  précautions  les  plus  efficaces  pour 
que  les  mères  fussent  saines  et  robustes ,  et  voulut  pour  cela ,  que , 
dès  leur  bas-âge,  les  jeunes  filles  fussent  exercées  à  la  lutte,  à  la 
course,  à  lancer  le  javelot,  et  enfin  à  tous  les  jeux  de  force  qui 
peuvent  concourir  à  donner  au  corps  tout  le  développement  et  toute 
la  perfection  dont  il  peut  être  susceptible.  Ce  genre  d'éducation 
avait  encore  la  plus  heureuse  influence  sur  l'âme,  qui  se  formait 
ainsi  peu-à-peu  aux  vertus  les  plus  héroïques  (a).  Les  jeunes  filles 
ne  pouvaient  se  marier  avant  d'avoir  acquis  toute  la  vigueur  de  la 
jeunesse.  Les  mariages  étaient  clandestins,  et  avaient  l'air  d'un  rapt  Mariages. 
plutôt  que  d'une  union  légitime.  De  cette  manière ,    les   embrasse- 

(i)  Gicëron  rapporte  dans  ses  questions  tusculanes  que  Denis  tyran 
de  Sicile  ,  curieux  de  goûter  de  cette  sauce  noire  ,  fit  venir  exprés  un  cuisi- 
nier de  Sparte  ,  et  qu'ayant  montré  un  extrême  dégoût  après  l'avoir  à  peine 
touchée  des  lèvres ,  il  en  témoigna  son  mécontentement  au  cuisinier  ,  le- 
quel lui  répondit ,  quil  y  manquait  V assaisonnement.  Denis  lui  ayant 
demandé  quel  était  cet  assaisonnement ,  ce  sont  _,  lui  répondit  le  cuisinier , 
les  fatigues  de  la  criasse  ,  les  courses  sur  les  rives  de  l'Eurotas ,  la  faim 
et  la  soif  des  Lacédémoniens. 

La  sauce  noire  ,  selon  Meurs  ,  était  une  espèce  de  jus  ou  de  ragoût , 
fait  avec  de  la  viande  de  cochon  ,  dans  lequel  il  entrait  du  vinaigre  et  du 
sel  :  c'est  aussi  ce  qu'en  dit  vithénée. 

(2)  Nous  nous  dispenserons  de  citer  ici  aucun  exemple  de  ces  vertus 
des  mères  Spartiates  ,  en  ce  que  tous  les  livres   en  sont  remplis, 

Europe.  Vol.  /.  iq 


*4^  Gouvernement 

mens  des  époux  étaient  rares ,  difficiles  et  de  peu  de  durée  :  ce 
qui  modérait  en  eux  l'ardeur  de  leurs  premiers  feux  3  et  les  empê- 
chait de  s'énerver.  Un  des  usages  les  plus  célèbres  qu'il  y  eût  à  Sparte 
était  celui  qui,  à  certains  jours  de  fête,  obligeait  les  jeunes  gens  à 
faire  pour  ainsi  dire,  la  conquête  de  leurs  épouses,  en  triomphant 
d'elles  à  la  course ,  à  la  lutte ,  et  autres  jeux  gymnastiques.  Dans 
ces  fêtes  ,  les  jeunes  filles  ,  qui  vivaient  tout  le  reste  du  tems ,  re- 
tirées et  loin  du  commerce  des  hommes,  paraissaient  presque  nues, 
et  dans  toute  la  pompe  de  leurs  charmes. 

Les  enfans  nouveaux-nés  étaient  soumis  à  l'inspeetion  du  ci- 
toyen le  plus  ancien  de  la  tribu ,  lequel  fesait  mourir  aussitôt  ceux 
en  qui  il  appercevoit  quelque  vice  de  conformation ,  ou  des  symptô- 
mes d'une  faible  complexion.  On  n'emmaillottait  jamais  les  enfans; 
abandonnés  à  la  nature  ,  ils  croissaient  pleins  de  force  et  de  vi- 
dîlï"fZ.  Sueur-  °n  avait  som  de  choisir  leurs  nourrices  parmi  les  femmes 
les  mieux  conformées,  les  plus  habiles  et  les  plus  diligentes  (i). 
Arrivés  à  l'âge  de  sept  ans  ,  ils  passaient  de  la  maison  paternelle 
sous  la  direction  d'un  magistrat  appelé  Paidonome,  qui  veut  dire 
instituteur  des  enfans  (a),  lequel  était  chargé  de  les  accoutumer  à 
une  vie  sobre  et  extrêmement  dure  ,  à  souffrir  les  excès  du  froid 
et  du  chaud,  à  marcher  nu-pieds,  et  à  supporter,  la  tête  nue  et 
rasée  ,  toutes  les  intempéries  de  l'atmosphère.  Lorsqu'ils  avaient  at- 
teint leur  douzième  année  ,  ils  entraient  dans  la  classe  des  jeunes 
gens ,  où  ils  étaient  soumis  à  un  genre  de  vie  encor  plus  austère. 
Là  ,  on  leur  inspirait  l'amour  de  la  patrie  ,  comme  l'unique  affec- 
tion de  leur  cœur ,  et  on  les  élevait  dans  les  maximes  qui  étaient" 
les  plus  propres  à  les  enflammer  de  zélé  pour  l'honneur  et  la  gloire 
de  la  nation.  Leur  première  leçon  était  celle-ci:  ne  jamais  fuir , 
vaincre  ou  mourir.  Les  exercices  militaires  formaient  leur  principale 
occupation.  Ils  combattaient  l'un    contre    l'autre    avec  un   acharne- 

(1)  Les  nourrices  de  Sparte  étaient  recherchées  avec  empressement 
de  tous  les  autres  peuples  de  la  Grèce.  On  prétend  qu'Alcibiade  avait 
été  allaité  par  une  Spartiate. 

(2)  V.  Gronov.  IV.  471.  E. 

Au  moyen  de  cette  institution  _,  Lycurgue  parvint  à  ne  faire  des 
Spartiates  qu'une  seule  famille.  Les  enfans,  après  avoir  abandonné  la 
maison  paternelle  ,  ne  connaissaient  souvent  d'autre  mère  que  la  républi- 
que ,  ni  d'autre  père  que  les  Sénateurs.  Mais  ,  comme  l'observe  fort-bien 
Pe  Real ,  Lycurgue  détruisit  ainsi  la  nature  en  voulant  la  perfectionner. 


d  e    la    Grec  e.  \^j 

ment,  qui  allait  quelquefois  jusqu'à  la  mort.  Les  vaincus  se  fesaient 
une  gloire  de  couronner  les  vainqueurs.  Le  vol  leur  était  permis , 
pourvu  qu'ils  le  commissent  de  manière  à  n'être  point  découverts  , 
et  cela  dans  la  vue  de  les  rendre  plus  adroits  et  plus  entrepre- 
nans.  On  les  instruisait  aussi  dans  la  langue  ;  mais  la  méthode  qu'on 
employait  pour  cela  ne  tendait  qu'à  les  former  à  un  style  rapide 
et  concis ,  qui  prit  dans  la  suite  le  nom  de  Laconisme. 

La  patience  des  enfans  était  soumise  à  des  épreuves  publiques  Epreuves 
devant  l'autel  de  Diane  appelée  Orthia  (i),  où  ils  étaient  fouettés 
jusqu'au  sang  ,  et  quelquefois  jusqu'à  la  mort.  Plutarque  rapporte 
qu'un  enfant  de  Sparte ,  dans  la  manche  duquel  était  tombé  un 
charbon  ardent  durant  un  sacrifice,  se  laissait  brûler  le  bras  sans 
faire  le  moindre  mouvement  d'impatience  ni  de  douleur,  jusqu'au 
moment  où  les  assistans  en  furent  avertis  par  la  mauvaise  odeur. 
On  lit  encore  dans  le  même  auteur,  qu'un  autre  enfant,  qui  te- 
nait caché  dans  son  sein  un  petit  renard  qu'il  avait  dérobé  ,  souf- 
frit de  s'en  laisser  déchirer  le  ventre  jusqu'à  en  mourir ,  plutôt  que 
de  laisser  appercevoir  son  vol. 

Ainsi  la  constitution  de  Lycurgue  fit  des  Spartiates  un  peuple 
presque  unique  dans  son  espèce,  totalement  différent  des  autres  par 
ses  mœurs ,  ses  idées  ,  ses  affections  ,  et  même  par  ses  qualités  par- 
ticulières d'esprit  et  de  cœur.  Mais  rien  ne  contribua  peut-être 
autant  à  isoler  ce  peuple  de  tous  les  autres,  que  la  Sénélasie,  ou  Loi  s&âaai». 
la  loi  qui  excluait  de  la  Laconie  tous  les  étrangers,  de  quelque 
nation  qu'ils  fussent  (a).  Plutarque  ,  en  vantant  la  sagesse  de  cette 

(i)  Diane  debout,  de  opOôo  ,  erigo  ,  j'élève. 

(2)  De  Izivôç ,  étranger  ,  et  èMo  ,  chasser.  Un  passage  d'Hérodote  , 
Clio  liv.  l.er  §  65  ,  a  fait  croire  à  quelques-uns  que  Lycurgue  avait  au 
contraire  aboli  la  Sénélasie.  Il  parait  néanmoins  ,  qu'en  parlant  de  la  rus- 
ticité sauvage  qui  rendait  les  Lacédémoniens  ennemis  de  toute  relation 
sociale  avant  la  réforme  de  Lycurgue  ,  Hérodote  ne  fait  allusion  qu'à 
leurs  divisions  intestines  :  car  il  y  a  plusieurs  exemples  qui  prouvent , 
qu'anciennement  les  étrangers  étaient  admis  à  Lacédémone.  Ainsi  Ménélas 
y  accueillit  Paris  avec  Télémaque ,  et  les  Spartiates  eux  mêmes  accor- 
dèrent aux  Miniens  le  titre  de  citoyens.  Aristote  ,  Politic.  liv.  II. ,  parle 
de  la  facilité  avec  laquelle  on  pouvait  acquérir  ce  droit  à  Sparte.  Il  est 
donc  à  présumer  que  cette  loi  fut  créée  sous  Lycurgue.  Et  en  effet ,  elle 
porte  ,  pour  ainsi  dire  ,  l'empreinte  du  caractère  de  ce  législateur  ,  et  res- 
semble assez  à  ses  autres  lois ,  par  sa  singularité  aiusi  que  par  sa  rigueur. 


148  Gouvernement 

loi ,  observe  que  Lycurgue  l'établit ,  non  clans  la  crainte  que  les 
étrangers  ne  vinssent  à  se  donner  des  constitutions  semblables  à  la 
sienne,  et  à  s'élever  par  conséquent  à  des  vertus  sublimes,  comme 
l'avait  avancé  Thucydide,  mais  plutôt  pour  empêcher  que  la  per- 
versité des  mœurs  étrangères  n'eût  une  influence  funeste  sur  celles 
de  Sparte.  Cependant,  malgré  la  sagesse  de  toutes  ces  institutions, 
Défauts       les  politicrucs  ont  reproché  des  défauts  très-graves  à  la  constitution 

le  la  législation  *      i  ,    *  r  .  &  .       . 

de  Sparte,  de  ce  législateur.  La  liberté  qu  avaient  les  maris  infirmes  ou  trop 
vieux  de  prêter  à  d'autres  hommes  leurs  femmes,  et  de  les  repren- 
dre ensuite  ,  est  certainement  une  institution  contraire  à  la  saine 
morale  ,  et  qui  tend  à  rompre  un  des  liens  les  plus  étroits  de 
l'amour  filial  et  paternel.  La  loi  qui  ordonnait  la  destruction  des 
enfans  d'une  faible  complexion  ou  mal  conformés ,  était  barbare 
et  contraire  à  la  loi  naturelle.  Que  d'enfans  ne  voit-on  pas ,  dont 
le  tempérament ,  délicat  dans  les  premières  années ,  acquière  en- 
suite la  plus  grande  vigueur  à  l'âge  de  puberté,  ou  même  dans  un 
âge  plus  avancé  ?  Que  n'a-t-on  pas  à  dire  de  l'inhumanité  plus  que 
sauvage ,  avec  laquelle  les  Spartiates  traitaient  les  Ilotes  qui  culti- 
vaient leurs  terres,  et  subvenaient  par  conséquent  aux  besoins  de 
leur  existence  ?  Les  Ilotes  étaient  assujettis  au  plus  rude  esclavage, 
et  en  butte  à  toutes  sortes  d'outrages:  ils  étaient  insultés,  et  frap- 
pés sans  aucun  sujet  et  impunément,  quelquefois  même  on  se  fesait 
un  passe-tems  de  les  poignarder.  On  n'a  pas  d'exemple  d'une  cruauté 
plus  atroce  que  celle  du  jeu  de  la  Criptie  ,  ou  de  Yembuscade  ,  à 
l'occasion  de  laquelle  les  jeunes  Spartiates,  armés  de  poignards,  al- 
laient se  cacher  la  nuit  dans  les  bois  et  dans  les  lieux  de  la  cam- 
pagne les  plus  retirés ,  d'où  ,  semblables  à  des  bêtes  féroces  ,  ils 
se  précipitaient  sur  les  malheureux  Ilotes,  et  surtout  sur  ceux  qui 
leur  paraissaient  les  plus  forts  et  les  plus  hardis  ,  dont  ils  fesaieut 
un  horrible  massacre. 

Lycurgue  introduisit  encore  à  Sparte  certaines  maximes  dont 
on  ne  saurait  guères  expliquer  le  motif,  et  qui  portent  même  l'em- 
preinte de  l'ignorance  et  de  la  superstition.  Telle  était  entre  au- 
tres celle  qui  défendait  aux  Spartiates,  dans  leurs  expéditions  mi- 

Xénophon  ,  Plutarque  ,  Philostrates  et  autres  écrivains  illustres  sont  aussi 
de  cet  avis.  Il  y  eut  néanmoins  des  étrangers  distingués  par  leur  mérite  , 
qui  furent  reçus  à  Lacédémone  même  depuis  cette  loi.  Lycurgue  lui  même  , 
au  rapport  de  Strabon  et  de  Plutarque ,  y  appela  Thaïes  de  l'île  de  Crête. 


DE      LA      GeÉCE,  l^g 

litaires ,  de  se  mettre  en  marche  avant  la  pleine  Inné  ,  ce  qui  fut 
cause  qu'ils  arrivèrent  trop  tard  à  la  bataille  de  Marathon  :  telle 
était  encore  celle  d'après  laquelle  les  Ephores  observaient  le  ciel 
dans  une  nuit  de  chaque  année  ,  et  s'ils  voyaient  tomber  une  étoile  s 
c'est-â-dire  glisser  dans  l'air  un  feu  follet,  ils  en  accusaient  leur& 
Rois,  et  les  punissaient,  comme  ayant  mérité  le  courroux  des  Dieux. 
Malgré  toutes  ces  imperfections,  les  lois  de  Lycurgue  n'en 
ont  pas  moins  fait  l'admiration  des  anciens  politiques  (i),  et  c'est 
d'elles  surtout  qu'Aristote  et  Platon  ont  emprunté  ce  qu'ils  ont  écrit 
sur  la  législation  dans  leurs  traités  de  la  république.  Sparte  fut 
invincible  tant  que  ses  lois  conservèrent  leur  vigueur  primitive  ;  et 
il  n'est  pas  douteux  qu'elle  ne  fut  redevable  qu'à  elles,  d'être  moins 
sujette  aux  révolutions  que  les  autres  villes  de  la  Grèce. 

Lycurgue  n'avait  point    voulu    permettre    que    ses   lois    fussent  z, 

écrites  en  aucune  manière.  Tous  les  enfans  les  apprenaient  de  mé- 
moire ,  en  sorte  qu'il  n'y  avait  pas  de  Spartiate  qui  pût  les  ignorer. 
La  constitution  de  Lycurgue  se  conserva  presque  intacte  pendant  plus 
de  six  siècles;  ma  is  le  luxe  s'étant  introduit  insensiblement  à  Lacé- 
démone  après  l'invasion  d'Àtbénes  par  les  Spartiates ,  il  entraîna 
avec  lui  les  mêmes  calamités  qu'il  produisit  dans  Rome  après  la 
conquête  de  la  Grèce.  Dès  lors  les  Spartiates  commencèrent  à  rou- 

(i)  Les  Spartiates  avaient  juré  de  n'abroger  aucune  des  lois  de  Ly- 
curgue avant  qu'il  ne  fût  de  retour  à  Sparte.  Ce  législateur  étant  allé 
consulter  l'oracle  de  Delphes  ,  et  ayant  reçu  de  lui  la  réponse  que  La- 
cédémone  serait  heureuse  tant  que  ses  lois  y  seraient  en  vigueur,  résolut 
de  n'y  plus  retourner,  pour  que  les  Spartiates  ne  pussent  jamais  se  dé- 
gager de  leur  serinent.  Il  passa  à  Chrysa  où  il  se  tua  ,  ou  selon  Plutarque  , 
se  laissa  mourir  de  faim.  Les  Lacédémoniens  ayant  appris  sa  mort ,  lui  éle- 
vèrent un  temple  et  un  autel ,  sur  lequel  ils  lui  faisaient  chaque  année  des 
sacrifices  comme  à  un  héros.  Hérodote  atteste  que  ce  temple  existait  en- 
core de  son  tems.  Hérod.  Clio.  liv.  Ler  §  66.  Le  même  tribut  d'hommages 
est  rendu  à  Lycurgue  par  Macchiavelli.  De  tous  les  législateurs  qui  se 
sont  distingués ,  dit-il ,  par  de  semblables  constitutions  ,  celui  qui  a  mé- 
rité le  plus  d'éloges  c'est  Lycurgue  ,  qui  en  Sparte  donnant  des  lois 
aux  Rois  ,  aux  principaux  citoyens  et  au  peuple  ,  il  fonda  un  état ,  dont 
V existence  se  soutint  en  paix  et  avec  éclat  pendant  plus  de  huit  cents 
ans.  Il  arriva  le  contraire  du  gouvernement  démocratique  que  Solon 
établit  à  Athènes  ,  et  qui  fut  de  si  courte  durée  ,  qu'avant  de  mourir 
il  vit  naître  la  tyrannie  de  Pisistrate.  Des  Discours  etc.  liy.  I.er  pag.  24  , 
édit.  des  Classiques  Italiens. 


de  Lycurgue 
non  écrites. 


i5o  Gouvernement 

gir  de  leur  ancienne  simplicité.  Les  mœurs  se  corrompirent,  le 
vice  leva  sa  tête  orgueilleuse  et  triomphante  ,  et  les  lois  tombè- 
rent dans  le  dernier  mépris.  Vinrent  ensuite  les  dissensions  3  les 
troubles >  les  crimes  de  tout  genre,  funestes  précurseurs  de  la  ruine 
prochaine  des  empires  (i).  Ces  vicissitudes,  ajoute  Larcher,  s'étaient 
déjà  vues  en  d'autres  tems  et  en  d'autres  lieux:  ce  qui  ne  s'était 
encore  jamais  vu ,  ce  fut  le  triste  spectacle  d'un  Roi  jugé  et  traîné 
au  supplice  par  ses  propres  sujets.  Les  Spartiates  furent  les  premiers 
à  donner  ce  terrible  exemple  à  l'univers.  Agis,  le  troisième  de  ce 
nom,  de  la  dynastie  des  Euripontides,  et  Prince  en  qui  brillaient 
les  antiques  vertus  de  la  république,  avait  tenté  de  faire  j-revivre 
les  lois  de  Lycurgue  :  la  mort  en  fut  sa  récompense  (a).  Après  un 
tel  forfait,  Sparte  devint  la  proie  des  plus  cruels  tyrans  }  qui  se  suc- 
cédaient les  uns  aux  autres  avec  autant  de  rapidité  que  de  violen- 
ce (3).  Plongés  dans  l'avilissement,  et  déchirés  par  des  divisions 
et  des  révolutions  continuelles  ,  les  Spartiates  tombèrent  enfin  sous 
le  joug  des  Achéens ,  qui  les  obligèrent  à  abroger  toutes  les  lois  de 
Lycurgue;  et  ils  restèrent  dans  cet  état,  jusqu'à  l'époque  où  les  uns 
et  les  autres  se  virent  engloutis,  avec  la  Grèce  entière.,  dans  le 
goufre  de  la  puissance  Romaine. 
Fases  Nous  terminerons  nos  recherches  sur  le  gouvernement  de  Sparte, 

représentons  #     Y 

Hercule.  par  la  description  de  deux  monumens  qui  font  partie  de  la  collec- 
tion des  vases  d'Hamilton.  Le  premier  (  voy.  la  planche  ai  n.°  i  ) 
représente  un  fait  qui  appartient  aux  tems  héroïques ,  ou  à  l'épo- 
que qu'Hercule  parcourait  le  Péloponnèse.  Hercule  assiste  à  un 
sacrifice  expiatoire  :  son  port  et  son  aspect  annoncent  l'état  de  fré- 
nésie dans  lequel  il  se  trouvait.  Déiphobe  Roi  d'Amiclée  ,  ville 
de  Laconie  ,  qui  avait  donné  au  héros  l'hospitalité,  est  dans  l'atti- 
tude d'un  homme  qui  parait  désirer  la  guérison  du  malade  :  il  tient 
de  la  main  gauche  le  sceptre  ,  ou  bâton  recourbé  à  son  extrémité 

(0  ^°y-  'A  ce  sujet  les  belles  réflexions  de  Larcher  dans  son  Héro- 
dote ,  tom.  VIL  ,  pag.  729. 

(2)  Ce  fait  arriva  vers  l'an  s35  avant  l'ère  vulgaire.  La  dynastie  des 
Agides  finit  avec  Agesipolis ,  le  troisième  de  ce  nom ,  qui  ayant  été  chassé 
par  Lycurgue  le  tyran ,  et  parti  sur  un  vaisseau  pour  venir  en  Italie  im- 
plorer le  secours  des  Romains ,  fut  tué  par  les  pirates  environ  200  ans 
avant  la  même  ère. 

(3)  Nous  verrons  que  malgré  les  tyrans  et  les  calamités  auxquelles 
Lacédémone  a  été  en  proie  ,  les  Spartiates  ont  conservé  jusqu'à  nos  jours 
quelques  restes  de  leur  ancien  costume. 


dé    la    Grèce.  i5i 

supérieure  ;  son  front  est  ceint  d'un  simple  bandeau ,  et  le  reste, 
de  son  habillement  est  également  de  la  plus  grande  simplicité.  La 
femme  qui  fait  la  libation  est  l'épouse  de  Dèiphobe  :  elle  tient 
d'une  main  un  bâton  ,  ce  qui  indique  qu'elle  est  prête  à  suivre  le 
mari ,  aussitôt  qu'elle  aura  versé  la  liqueur  sur  la  flamme.  Le  scep- 
tre,  la  couronne,  les  vêtemens  sont  tels  que  devaient  les  avoir  les 
anciens  Rois  de  la  Laconie  ,  selon  le  sentiment  de3  érudits  (i). 

Le  n.°  a  de  la  même  planche  est  pris  d'une  parère  de  la  ^ase  relatif 
même  collection,  et  se  rapporte  à  un  événement  de  la  dynastie  des  Euripontide* 
Euripontides  (a-).  Après  la  mort  d'Agis ,  deuxième  de  ce  nom, 
Lysandre  fit  nommer  Roi  Agésilas  son  ami  ,  au  préjudice  de  Léo- 
tichide  fils  d'Agis.,  mais  dont  on  suspectait  la  légitimité,  à  cause  des 
liaisons  secrètes  que  Timée  femme  du  Roi  décédé  avait  eues  avec 
Alcîbiade.  Le  devin  Tisaméne  ,  ou  selon  d'autres  Diopite,  s'étant 
marié  avec  Timée,  trama  une  conspiration  contre  Agésilas.  Cette 
conjuration  devait  s'exécuter  par  le  moyen  de  Cinadon  homme  des 
plus  entreprenans  ;  mais  Agésilas  en  ayant  été  instruit  par  les  E- 
phores  ,  il  fit  appeler  Cinadon  ,  et  après  lui  avoir  remis  une  note 
des  Ilotes  et  autres  individus  qui  devaient  être  incarcérés 3  il  l'adressa 
au  gouverneur  de  la  jeunesse  ,  pour  effectuer  leur  arrestation  à 
l'aide  des  jeunes  guerriers  que  celui-ci  lui  aurait  donné.  Ces  jeunes 
gens  mirent  au  contraire  Cinadon  lui  même  en  arrestation  chemin 
fesant ,  et  après  l'avoir  obligé  à  déclarer  ses  complices,  ils  le  re- 
conduisirent à  Sparte. 

Les  deux  figures  qu'on  voit  en  bas  sont  celles  de  Lysandre  et 
d'Agésilas,  qui,  étant  boiteux,  tient  d'une  main  sa  béquille.  On 
apperçoit  encore  en  haut  le  même  Agésilas  avec  la  béquille  :  la 
position  dans  laquelle  il  tient  une  de  ses  jambes,  ne  laisse  plus  au- 
cun doute  sur  l'identité  de  sa  personne.  Le  jeune  homme  qui  est 
en  face  est  Cinadon;  il  tient  le  scytale  (S),  et  semble  prêt  à  exé- 

(i)  V.  Hamilton,  êdit.  de  Florence  vol.  2.  Planche  XXI. 

(2)  Ibid.  Planche  LX. 

(3)  Le  scytale  était  une  bande  de  peau  ou  de  parchemin  ,  qui  se  rou* 
lait  sur  un  bâton,  de  manière  à  ce  que  ses  deux  bouts,  à  1  endroit  où  ils 
venaient  se  joindre,  formassent  une  spirale.  On  écrivait  sur  cette  spirale, 
ensuite  on  déroulait  le  parchemin  ,  et  on  l'expédiait  à  sa  destination.  La 
personne  à  laquelle  le  scytale  était  adressé  avait  un  bâton  égal  à  l'autre 
sur  lequel  on  appliquait  le  même  parchemin  pour  réunir  les  lettres  qui 
se  trouvaient  divisées.  On  ne  fesait  usage  du  scytale  que  pour  transmettre 
des  ordres  secrets.  Voy.  Aul.  Gell,  liv.  XVII.  chap.  g. 


1 5a  Gouvernement 

cuter  les  ordres  du  Roi,  et  à  se  rendre  chez  le  gouverneur  de  la 
jeunesse.  Dans  l'espace  du  milieu  est  Timée  veuve  d'Agis  :  elle  parle 
avec  Tisaméne  ou  Diopite  ,  que  son  vêtement ,  sa  couronne  ,  et  sur- 
tout son  long  bâton  dénotent  évidemment  pour  un  devin  (r).  Ce 
monument  nous  parait  des  plus  précieux  ,  comme  étant  d'une  haute 
antiquité  ,  et  peut-être  l'unique  ou  au  moins  le  plus  authentique  , 
où  l'on  trouve  représentés  un  Roi  et  une  Reine  de  Sparte  depuis  la 
constitution  de  Lycurgue. 

GOUVERNEMENT     DES     COLONIES     GRECQUES. 

Il  ous  avons  déjà  dit  que  du  sein  de  la  Grèce  sortirent  plu- 
sieurs colonies  qui  allèrent  s'établir  en  diverses  contrées  de  l'Eu- 
rope ,  de  l'Asie  et  de  l'Afrique,  et  nous  avons  également  indiqué 
les  causes  de  ces  fréquentes  émigrations  fa).  Une  chose  bien  re- 
marquable sans  doute  ,  c'est  qu'un  peuple  dont  le  territoire  n'était 
pas  plus  grand  que  le  quart  de  l'Italie,,  ait  pu  fournir  presque  de 
tout  tems  un  aussi  grand  nombre  de  colonies  ,  dont  quelques-unes 
passèrent  jusques  dans  les  régions  les  plus  lointaines  (3).  Ces  colo- 
nies durent  transporter  avec  elles  ,  et  transmettre  à  leurs  descen- 
dais les  lois  et  les  usages  du  pays  d'où  elles  étaient  sorties.  On  est 
d'autant  plus  fondé  à  le  présumer,  qu'on  retrouve  chez  les  Grecs 
d'Asie  et  d'Italie  ,  les  mêmes  mœurs ,  les  mômes  rites  religieux  , 
le  même  goût  pour  les  arts  et  la  même  perfection  dans  les  monu- 
mens  qui  en  sont  l'ouvrage,  comme  dans  la  Grèce  proprement  dite  ; 
c'est  ce  dont  il  n'est  pas  permis  de  douter,  à  la  vue  de  ceux  de 
ces  monumens  qui  subsistent  encore  aujourd'hui.  Ainsi  donc,  tout 
ce  que  nous  avons  dit  des  anciens  gouvernemens  de  la  Grèce,  peut 
aussi  s'étendre  en  général  à  toutes  les  colonies  qui  en  sont  sorties. 
Croît,™  Mais  dans  la  suite  des  tems ,  certains  peuples  de  la  grande  Grèce 

^  gui  fondée.  prirent  insensibleraent  un  costume  distinct,  et  d'autres  reçurent  de 

(i)  Ce  devin  avait  fait  parler  les  Dieux  contre  la  personne  d'Agé- 
silas,  et  annoncé  qu'un  ancien  oracle  défendait  aux  Athéniens  d'avoir 
un  Roi  boiteux. 

(2)  V.  Topographie  de  la  Grèce  pag.  5o.  Ceux  qui  désireraient  avoir 
des  notions  plus  particulières  sur  les  colonies  de  la  Grèce  ,  n'ont  qu'à  lire 
les  belles  et  savantes  recherches  de  Larcher  dans  ses  commentaires  sur 
Hérodote  vol.  VII.  pag.  4o5.  etc. 

(3)  V.  Goguet.  Origine  ec.  vol.  III.  pag.  5j. 


delà    Grèce.  i53 

leurs  législateurs  des  constitutions  particulières.  La  ville  de  Gro- 
tone ,  fondée  par  Myscelus  chef  d'une  colonie  d'Achéens  ,  se  ren- 
dit célèbre  par  la  longévité  et  la  vigueur  de  ses  habitans  s  chez 
qui  la  force  du  corps  et  l'ardeur  du  courage  tenaient  lieu  de  loi  et 
de  raison.  On  croit  que  les  Crotoniates  étaient  redevables  de  la 
simplicité  de  leurs  mœurs  à  Pythagore,  qui  bannit  de  leur  ville 
toute  espèce  de  luxe  3  en  induisant  les  femmes  à  consacrer  à  Junon 
leurs  habillemens  somptueux  ,  et  en  les  portant  à  regarder  la  pudeur 
comme  le  plus  bel  et  le  plus  précieux  ornement  de  leur  sexe  (r). 

A  trente  milles  environ  de  Crotone  s'élevait  Sybaris,  égale-  Sybaris 
ment  fondée  par  une  colonie  d'Achéens ,  et  qui  se  rendit  fameuse 
par  l'étrange  contraste  des  mœurs  de  ses  habitans  avec  celles  des 
Crotoniates.  En  effet  les  Sybarites  étaient  parvenus  à  un  tel  degré 
de  mollesse  ,  qu'ils  avaient,,  par  une  loi ,  banni  les  coqs  des  murs  de 
leur  ville  ,  pour  n'être  point  éveillés  par  les  chants  nocturnes  et 
perçans  de  ce  volatile.  Une  autre  loi  y  avait  de  même  interdit 
l'exercice  des  arts  qui  occasionnaient  un  bruit  incommode  et  dé- 
sagréable Le  repos  ,  la  bonne  chère  ,  la  volupté  et  les  plaisirs  les 
plus  rafinés  formaient  toute  l'occupation  des  Sybarites.  Mais  il  ne 
tardèrent  point  à  subir  le  joug  des  Crotoniates ,  qui  ,  sous  la  con- 
duite du  fameux  athlète  Milon  ,  en  firent  un  horrible  carnage  ,  et 
détruisirent  presqu'entièrement  leur  ville.  Cinquante  ans  après  cet 
événement  ,  un  certain  Thessalus  rassembla  le  peu  de  Sybarites  qui 
étaient  échappés  à  la  ruine  de  leur  patrie  ,  et  rebâtit  leur  ville; 
mais  elle  fut  détruite  de  nouveau  par  les  Crotoniates.  Six  ans  après  , 
les  Athéniens  y  envoyèrent  une  colonie,  à  laquelle  ils  donnèrent 
le  nom  de  Thurius  (a).  Mais  la  population  de  cette  nouvelle  ville  , 
composée  en  partie  de  Sybarites  et  de  ces  nouveaux  hôtes ,  fut  bien- 
tôt agitée  par  des  divisions  intestines,  qui  ne  finirent  que  par  l'ex- 
pulsion des  premiers.  A  cette  époque  ,  les  Thuriens  s'étant  érigés 
en   gouvernement  démocratique  ,  et  devenus  puissans   par    l'alliance 

(i)  Justinus.  Liv.  XL.  chap.  4. 

(2)  La  ville  de  Thurius  fut  fondée  Tan  I er  de  la  LXXXI.V."  olym- 
piade. Hérodote  l'historien  ,  âgé  de  40  ans  ,  et  Lysias  âgé  seulement  de  i3  , 
lequel  devint  dans  la  suite  un  orateur  célèbre ,  firent  partie  de  la  colo- 
nie qui  y  fut  envoyée  d'Athènes.  Cette  nouvelle  ville  fut  appelée  Thu- 
rium  ,  du  nom  d'une  fontaine  appelée  Thuria  ,  connue  aujourd'hui  sous 
le  nom  d'Eau  -parlante.  Biodore  de  Sicile  en  met  la  fondation  deux  ans 
après  cette  époque. 

Europe.  Fol.  1,  20 


i^4  Gouvernement 

clés  Crotoniat.es ,  divisèrent  la  ville  en  dix  tribus ,  auxquelles  ils  don*- 
nèrent  le  nom  des  divers  peuples  d'où  elles  étaient  sorties. 

L'auteur  de  leur  constitution  fut  Charondas  disciple  de  l'école 
de  Pythagore ,  qui  vivait  vers  l'an  44^  avant  l'ère  vulgaire ,  selon 
les  tables  chronologiques  de  Blair.  Les  institutions  politiques  de  ce 
législateur  peuvent  se  réduire  aux  suivantes  :  il  exclut  du  Sénat  et 
des  charges  publiques  tous  ceux  qui  avaient  contracté  un  second 
mariage ,  après  avoir  eu  des  enfans  du  premier ,  persuadé  que  des 
pères  aussi  peu  attachés  à  leurs  enfans,  ne  le  seraient  pas  d'avantage 
aux  intérêts  de  la  patrie  ;  il  bannit  entièrement  l'espionnage  ,  qu'il 
regardait  comme  la  cause  de  toutes  les  dissensions  publiques  et  pri- 
vées, et  condamna  ceux  qui  en  seraient  coupables  à  être  promenés 
par  les  rues,  la  tête  couronnée  de  tamarin  ,  ce  qui  était  réputé  pour 

Carnation  une  des  p{Lls  grandes  marques  d'infamie  :  il  salaria  des  instituteurs 
dus  en/ans.  publics  pour  que  l'instruction  3  rendue  ainsi  gratuite  ,  en  devint  aussi 
plus  générale,  et  ordonna  que  les  enfans  fussent  appliqués  de  bonne 
heure  à  l'étude  des  belles  lettres ,  pour  orner  leur  esprit  et  disposer 
leurs  coeurs  à  la  vertu:  il  voulut  que  la  tutéle  et  l'éducation  des 
orphelins  fussent  confiées  aux  parens  maternels ,  desquels  ils  n'avaient 
rien  à  craindre  pour  leur  existence  ,  et  laissa  l'administration  de 
leurs  biens  au  plus  proche  parent  du  côté  paternel,  qui  avait  un 
certain  intérêt  à  en  prendre  soin,  comme  étant  son  héritage  en  cas 
que  le  pupille  vint  à  mourir  :  au  lieu  de  punir  de  mort  les  sol- 
dats coupables  de  désertion  et  de  lâcheté  ,  il  les  condamna  à  pa- 
raître pendant  trois  jours  dans  les  places  publiques  avec  des  robes 
de  femme  :  pour  obvier  à  l'abrogation  des  lois ,  il  ordonna  que  qui- 
conque voudrait  proposer  quelque  changement  dans  la  constitution  , 
vint  dans  l'assemblée  la  corde  au  cou  ,  et  fût  étranglé  sur  le  champ , 
dans  le  cas  que  sa  proposition  fût  rejettée  (i).  Charondas  ne  survé- 
cut pas  long  tems  à  ses  lois  :  un  jour  qu'il  revenait  de  sa  maison 
de  campagne  ayant  son  épée  ,  qu'il  avait  prise  pour  se  défendre 
en  chemin  contre  les  voleurs,  il  trouva  du  tumulte  dans  la  ville; 
l'étant  avancé  pour  l'appaiser  ,  un  citoyen  lui  fit  le  reproche  de 
violer  la  loi  qu'il  avait  établie  lui  même  ,  en  venant  haranguer 
ainsi  armé:  non ,  lui  repondit-il  ,  je  ne  viole  point  la  loi,  mais  je 
la  icelle  de  mon  propre  sans  ,  et  de  suite  il  se  perça  de  son  épée. 

Xuicuous.  Dans  le  même  tems  que  vivait  Charondas ,  Zaleucus  législateur 


Peines 
infamantes 


Mort 
C/faroridaS- 


(i)  Diod.  SicuL  liv.  XII.  JuAt.    Lips.    Monit.    et  Exemp.  Pol.   liv, 
3QI.  chap.  g. 


de   la   Grèce.  i55 

des  Locriens  et  comme  lui  disciple  de  Pythagore  ,  se  rendit  égale- 
ment célèbre  (i).  11  ne  nous  reste  de  lui  qu'une  espèce  d'intro- 
duction à  ses  lois,  et  que  Scaliger  appelle  divine.  Zaleucus  com- 
mence par  démontrer  l'existence  d'un  Dieu ,  dont  il  déduit  les 
preuves  de  l'ordre  admirable  qui  régne  dans  la  nature  :  il  défend 
que  les  baines  soient  éternelles  3  et  recommande  aux  juges  de  ne 
point  sévir  contre  les  accusés,  avant  d'avoir  rendu  leur  jugement. 
Il  eut  recours  à  un    singulier   expédient    pour  bannir  le   luxe   de     Son  «**»»• 

CJ  l.  x  pour  bannir 

la  ville  ,  ce  fut  de  ne  permettre  qu'aux  courtisannes  de  porter  & luKe- 
des  ornemens  en  or  et  des  vêtemens  brodés ,  et  d'interdire  aux 
hommes  l'usage  des  anneaux  d'or  et  des  étofes  de  Milet ,  excepté 
à  ceux  qui  tenaient  une  conduite  malhonnête  (fa).  Par  ce  moyen  , 
et  sans  avoir  besoin  d'user  d'aucune  violence ,  Zaleucus  parvint  à 
préserver  ses  citoyens  des  dangers  du  luxe  et  de  la  mollesse. 

Nous  ne  pouvons  ajouter,  à  ce  que  nous  venons  de  dire,  rien  Cotonies 
de  particulier  sur  le  gouvernement  de  la  Grande  Grèce ,  et  nous  en  6icile- 
n'avons  que  fort  peu  de  choses  à  y  joindre  sur  celui  des  colonies 
Grecques  qui  s'étaient  établies  en  Sicile.  De  toutes  les  villes  que 
renfermait  cette  lie,  la  plus  considérable  est  Syracuse  qui,  dès  son 
origine ,  étendit  sa  domination  sur  tout  le  pays  \  mais  la  fondation 
et  les  premiers  siècles  de  cette  ville ,  ainsi  que  l'origine  et  les  com- 
mencemens  des  autres  villes  de  la  Grèce,  se  perdent  dans  la  nuit 
des  tems  fabuleux.  Pour  ne  point  laisser  imparfaite  cette  partie 
des  événemens  qui  se  rapportent  à  la  Grèce,  et  pour  plus  de  briè- 
veté en  même  tems  ,  nous  avons  jugé  à  propos  de  donner  ici  un 
abrégé  des  notions  historiques  que  Vincent  Mirabella  a  extraites 
des    ouvrages    d'auteurs    Grecs    et   Latins   concernant  Syracuse   (3). 


Syracuse- 


(i)  La  ville  de  Locres  ,  ainsi  appelée  pour  avoir  été  fondée  par  une 
colonie  Grecque  venue  de  la  Locride,  était  située  au  nord  du  promontoire 
Zephyrius  ,  appelé  aujourd'hui  cap  Burzano 

(2)  Pollien  parle  d'une  loi  qui  était  en  vigueur  à  Milet,  et  semble 
avoir  quelques  rapports  avec  celles  de  Zaleucus.  Les  jeunes  filles  de  Mi- 
let étaient  devenues  sujettes  à  un  mouvement  de  fureur  qui  les  portait  à 
s'étiangler.  Sur  la  proposition  d'une  sage  matrone  ,  il  fut  ordonné  par  une 
loi ,  que  les  cadâ-vres  des  jeunes  filles  qui  se  tueraient  ainsi ,  seraient  expo- 
sés nus  dans  la  place  publique  Cette  mesure  suffit  pour  les  guérir  toutes 
de  cette  étrange  manie.  Voy.  De-Réal.  Science  du  Gouvern.  etc.  pag  236. 

(3)  Des  anciennes  Syracuses.  Palerme  ,  Aiccaido,  1717.  4-°  II. e  vol. 
pag  5.  Voy.  en  outre  De  Republica  Syracusana  Urbvnis  Hemmii  in. 
.(ironov.  "VI. e  vol.  col.  63 1.  et  suiy. 


r56 


GotTVËRNEMEïîT 


Pétalisme. 


Tyrannie 
&e  Denis. 


mcisshuàes     a  Les    Syracusains   se    gouvernèrent    d'abord    selon    les    lois  et    les 

des  Syracusains     ,'...,  _J       .  ,,  .     ,      ,,  ,  ,       , 

institutions  des  Doriens ,  sous  1  autorité  d  un  seul;  mais  a  la  mort 
d'Archias  (i),  ce  gouvernement  fit  place  à  celui  des  notables, 
qui  dura  jusqu'à  ce  que,  par  l'effet  des  séditions  et  des  discordes 
civiles,  il  vint  à  se  concentrer  dans  la  personne  de  Gélon  premier 
Roi  de  Syracuse  (a).  Son  régne  fut  suivi  de  ceux  de  Géron  et  en- 
suite de  Trasibule,  dont  l'audace,  l'orgueil  et  la  cruauté  devinrent 
si  insupportables  aux  Syracusains  ,  qu'ayant  pris  les  armes  ils  abo- 
lirent la  tyrannie  ,  et  recouvrèrent  la  liberté.  Ayant  rétabli  le  gou- 
vernement des  notables  ,  ils  se  rendirent  fameux  par  les  armes , 
et  se  défendirent  contre  les  attaques  d'ennemis  puissans,  et  en  par- 
ticulier contre  les  Athéniens,  sur  lesquels  ils  remportèrent  une 
victoire  célèbre.  Enorgueilli  de  ces  succès,  le  peuple  de  Syracuse 
voulut  introduire  dans  le  gouvernement  la  loi  du  Pétalisme  (3) , 
qui  condamnait  à  l'exil  tous  ceux  dont  on  écrivait  les  noms  sur 
certaines  feuilles:  cette  loi  entraîna  la  ruine  de  la  république: 
car  les  Carthaginois  ayant  fait  une  irruption  en  Sicile  durant  les 
troubles  civils  dont  elle  fut  la  cause  ,  Denis  ,  qui  dans  ces  cir- 
constances avait  été  le  sauveur  de  sa  patrie  ,  n'eut  pas  de  peine 
à  s'en  rendre  le  maître  absolu,  et  il  la  gouverna  pendant  qua- 
rante deux  ans  avec  le  titre  de  Roi  :  il  laissa  la  couronne  à  son 
fils  appelé  aussi  Denis  ,  de  la  domination  duquel  Dion  de  Syra- 
cuse voulut  délivrer  son  pays,  et  qu'il  vainquit  dans  une  bataille; 
le  môme  Denis  étant  rentré  ensuite  dans  ses  états  ,  il  en  fut  chassé 
<Je  nouveau  par  Timoléon  de  Corinthe,  et  Syracuse  encore  une  fois 

(i)  L'Archias,  dont  est  ici  question,  est  le  même  que  l'Arcadien 
dont  nous  avons  parlé  dans  la  Topographie  de  la  Grèce  ,  et  il  était  de  la 
descendance  des  Héraclides. 

(2)  Les  fastes  et  les  événemens  les  plus  certains  de  la  Sicile  datent  du 
tems  de  Gélon.  Il  s'empara  de  Syracuse  la  première  année  de  la  LXXIV.6 
olympiade  ,  484  ans  avant  l'ère  vulgaire.  Vaillant  capitaine  non  moins 
que  politique  habile  ,  il  se  fit  admirer  de  ceux  même  des  Syracusains  qui 
étaient  encore  chauds  partisans  de  la  liberté.  Voy.  Hérod.  tom.  III  pag  3o,i, 

(3)  Le  pétalisme  eut  la  même  origine  à  Syracuse  que  l'ostracisme  à 
Athènes  ,  c'est  à  dire  qu'il  fut  l'ouvrage  de  la  jalousie  du  peuple ,  con- 
tre les  citoyens  qui  étaient  devenus  trop  puissans  par  leurs  richesses  ou 
par  leurs  grandes  actions.  Mais  le  pétalisme  était  encore  plus  funeste 
et  plus  cruel  que  l'ostracisme  ,  car  à  Syracuse  il  ne  fallait  que  montrer 
dans  la  main  une  feuille  d'olivier,  pour  envoyer  en  exil  un  personnage 
des  plus  marquans  :  ce  qui  la  privait  souvent  de  ses  meilleurs  citoyens.  Le 
mot  pétalisme  dérive  du  mot  Grec  xêraùov ,  qui  veut  dire  feuille. 


il    la    Grèce,  i 57 

recouvra  sa  liberté.  Mais  elle  n'en  jouit  pas  pendant  long  tems ,  car 
vingt  deux  ans  après,  tandis  qu'elle  avait  à  se  défendre  contre  les 
entreprises  des  ennemis  du  dehors ,  elle  succomba  sous  l'effort  des 
factions  qui  s'étaient  renouvellées  avec  plus  de  fureur  que  jamais  s 
et  dont  Agatoclc,  homme  puissant,  sut  profiter,  pour  s'emparer  du  Jgaiocie,- 
gouvernement:  après  sa  mort,  les  Syracusains  se  voyant  assaillis 
par  les  Carthaginois,  appelèrent  à  leur  secours  Pyrrhus  Roi  des 
Epirotes;  mais  ce  dernier  ayant  été  vaincu  par  les  Romains  et 
obligé  de  s'enfuir,  ils  se  jettèrent  d'eux  mêmes  entre  les  bras  de 
Géron  un  de  leurs  concitoyens  et  en  firent  leur  Roi:  la  guerre  Géron.- 
que  ce  nouveau  Monarque  soutint  seul  contre  les  Romanis  se  termina 
par  un  traité  de  paix,  qui  rendit  le  repos  à  la  République  pen- 
dant quelque  tems  :  ce  qui  arriva  du  vivant  d'Archiméde.  Après 
sa  mort ,  Géron  eut  pour  successeur  son  neveu  Jérôme  que  les  Ro-  Jérôme. 
mains  regardèrent  comme  leur  ennemi,  à  cause  du  penchant  qu'il 
montrait  pour  la  faction  Carthaginoise;  mais  peu  de  teins  après  il 
mourut  à   Léontium  ,  victime  d'une  conspiration  de  ses  proches.  Sy-       Syracuse 

-,  .       -,  T"»  '  1    1  •  •  )(  ,  ,  conquise  par 

racuse  se  gouverna  depuis  iors  en  République,  jusqu  a  ce  que  s  étant    les  Romain*. 

laissée  entraîner  de  nouveau  par  la  faction  Carthaginoise  ,  elle  arma 

contre  elle  la  jalousie  des  Romains:  Marcellus  mit  le  siège  devant 

ses  murs  avec  une  armée  formidable ,  et  après  trois  ans  de  travaux 

et  de  combats  inutiles,  il  la  prit  enfin  par  trahison,  et   la  soumit 

à  la  domination  Romaine  l'an   5^2.  de  la  fondation  de  Rome,  aia 

ans  avant  l'ère  vulgaire.  „ 

Parmi  les  grands  hommes  qui  ont  illustré  Syracure  ,  Dioclés  est  Diodes, 
le  seul  qu'on  puisse  regarder  comme  législateur.  Diodore  nous  le 
dépeint  comme  un  homme  de  mœurs  austères,  d'une  éloquence 
prompte,  et  d'une  politique  sage  et  éclairée  (1).  Cinquante  ans 
après  s'être  délivrés  de  la  tyrannie  de  Trasibule  ,  et  avoir  défait 
les  Athéniens  par  terre  et  par  mer,  les  Syracusains  s'abandonnè- 
rent aux  factions  les  plus  funestes  (a),  et  à  un  tel  excès  de  li- 
cence, que  ne  connaissant  plus  de  frein  ,  ils  se  virent  bientôt  en 
proie  à  la  plus  affreuse  anarchie.  Ce  fut  alors,  au  rapport  du 
même  Diodore,  que    Dioclés   qui    appartenait    à   une    des  familles 

(1)  Il  est  étonnant  que  les  auteurs  de  la  nouvelle  Biographie  fran- 
çaise (  Paris ,  Michaud ,  1801  et  suiv  ) ,  ne  fassent  aucune  mention  de 
ce  législateur  ,  qui  pourtant  est  si  célèbre  dans  les  fastes  de  Syracuse. 

(2)  La  défaite  des  Athéniens  eut  li«u  l'an  4  de  la  XCI.e  olympiade , 
4i3  ans  avant  1ère  vulgaire. 


Sa  mort. 


1 58  Gouvernement 

les  plus  distinguées  de  Syracuse  ,  entreprit  de  réformer  le  gouver- 
nement ,  en  créant  des  lois  qui  furent  ensuite  adoptées  par  toutes 
Sa  constitution,  les  autres  villes  de  la  Sicile.  La  constitution  de  Diodes  fut  démo- 
cratique ;  mais  il  serait  trop  difficile  d'en  expliquer  la  forme ,  car 
on  n'en  trouve  que  des  notions  faibles  et  obscures  dans  les  anciens 
écrivains.  Il  parait,  d'après  ce  que  dit  Diodore  dans  le  commen- 
cement de  sa  relation  sur  ce  qui  concerne  Agatocle  ,  qu'il  y  eut  un 
Sénat  composé  de  six  cents  citoyens,  mais  il  est  bien  rare  qu'on 
en  trouve  ailleurs  quelque  mention.  Le  peuple  avait  le  pouvoir  su- 
prême, et  se  réunissait  fréquemment  en  assemblées.  Il  nommait  ses 
premiers  officiers  tant  de  paix  que  de  guerre  ,  mais  les  juges  et  au- 
tres magistrats  étaient  tirés  au  sort  (i).  On  prétend  que  Dioclés  a 
fini  ses  jours  par  une  mort  semblable  à  celle  de  Charondas.  Il  avait 
défendu  par  une  loi  que  personne  se  présentât  en  armes  dans  la 
place  publique  ;  s'y  étant  montré  lui  même  l'épée  à  la  main  ,  en 
revenant  de  repousser  l'ennemi  qui  s'était  avancé  jusques  sous  les 
murs  de  la  ville,  il  fut  vivement  apostrophé  par  un  simple  citoyen  , 
auquel  il  répondit ,  «  vois  combien  je  suis  fidèle  observateur  de  la 
loi  „  ,  et  en  m?me  tems  il  se  perça  le  sein  (a).  Mais  comme  cela 
devait  être  ,  on  ne  vit  pas  durer  long  tems  un  état  de  choses  où 
la  liberté  populaire  était  portée  à  l'excès  ,  et  où  par  conséquent 
l'audace  et  l'emportement  des  esprits  exagérés  pouvaient  tout ,  et 
presque  rien  les  conseils  des  hommes  sages.  Aussi,  huit  ans  s'étaient 
à  peine  écoulés  depuis  la  réforme  de  Dioclés  ,  que  Syracuse  re- 
tomba sous  la  tyrannie  des  Denis. 

Les  colonies  qui  passèrent  de  la  Grèce  ,  et  surtout  de  l'Ionie 
dans  l'Asie  mineure  ,  devinrent  plus  célèbres  dans  l'histoire  que  cel- 
les qui  vinrent  s'établir  en  Italie  -et  en  Sicile.  Placées  dans  un  pays 
vaste ,  agréable  et  fertile  „   et  au  bord  d'une  mer  qui  leur   ouvrait 


Colonies 
Grecques 
in  Asie. 


(t)  Athénée  dans  son  XII. e  livre  affirme,  sur  la  foi  de  Philarque , 
qu'il  fut  proclamé  à  Syracuse  une  loi  semblable  à  celle  de  Zaleucus  ,  par 
laquelle  il  était  défendu  aux  femmes  de  bonnes  mœurs  de  porter  des 
vêteméns  de  pourpre  et  brodés  ;  et  il  ajoute  que  cette  loi  défendait  aussi 
aux  hommes  d'être  trop  recherchés  dans  leur  habillement ,  et  aux  femmes 
de  sortir  de  chez  elles  après  le  coucher  du  soleil  ,  à  moins  que  ce  ne 
fussent  des  courtisannes. 

(2)  Diodore  rapporte  dans  son  XIII. e  livre  que  les  Syracusains  avaient 
élevé  à  Dioclés  un  temple ,  que  Denis  fit  abattre  dans  la  suite  lors  de  la 
construction  des  murs  de  la  ville. 


D  E     LA     CrÉCE.  r  5q 

des  communications  faciles  avec  les  peuples  les  plus  civilisés  et  les 
plus  puissans,  elles  s'élevèrent  dans  le  sein  d'une  longue  paix  au 
plus  haut  degré  de  splendeur,  tandis  que  l'ancienne  Grèce  leur 
mère  patrie  était  déchirée  par  les  factions ,  ou  menacée  par  les 
barbares  (i).  Mais  les  fastes  de  ces  colonies  sont  encore  plus  in téres- 
sans  sous  le  rapport  des  arts  ,  des  sciences,  du  commerce  et  de  la  re- 
ligion ,  que  du  côté  de  la  législation  et  de  la  politique.  L'histoire  ne 
nous  apprend  rien  de  leur  gouvernement  ,  sinon  que  divisées  dès 
leur  origine  en  petits  royaumes,  elles  conservèrent  la  forme  du  gou- 
vernement monarchique  ,  selon  les  idées  qu'elles  tenaient  de  leur 
pays  natal.  Les  Ioniens  ,  les  Eoiiens  et  les  Doriens  ,  ou  Grecs  de 
l'Asie,  passèrent  dans  la  suite  de  l'état  monarchique  à  une  démo- 
cratie organisée  à-peu-près  comme  celle  d'Athènes,  qui  se  maintint 
jusqu'à  ce  que  l'autorité  suprême  devint  enfin  le  prix  des  intri- 
gues, des  violences  et  de  la  trahison  de  quelque  citoyen  puissant. 
Parmi  les  tyrans  qui  ont  dominé  dans  ces  colonies,  ceux  de  Milet 
sont  les  plus  fameux. 

Les  Grecs  Asiatiques  furent  en  outre  victime  de  la  politique 
de  Sparte  :  car  dans  le  traité  conclu  entre  les  Lacédémoniens  et  les 
Perses,  il  fut  solennellement  stipulé  que  toutes  les  villes  Grec-  L 
ques  de  l'Asie  resteraient  dans  la  dépendance  du  Roi  de  Perse,  dont 
elles  portèrent  le  joug,  jusqu'à  l'époque  des  conquêtes  d'Alexandre, 
qui  leur  rendit  leur  liberté  et  leurs  anciens  droits.  Après  la  mort 
d'Alexandre,  ces  mêmes  Grecs  énervés  par  le  luxe  et  les  vices 
sans  force  et  sans  courage,  n'opposèrent  aucune  résistance  aux  ar- 
mées des  Séleucides,  successeurs  du  conquérant  Macédonien,  et 
devinrent  sujets  des  Rois  de  Syrie.  Les  Romains  leur  rendirent  de 
nouveau  la  liberté,  c'est  à  dire  cette  liberté  qu'ils  avaient  accor- 
dée aux  Grecs  Européens ,  assujettie  à  des  conditions  dures ,  et 
plus  apparente  que  réelle.  Mais  s'étant  révoltés  contre  les  Romains 
pour  embrasser  le  parti  de  Mithridate  Roi  de  Pont,  et  ce  Monar- 
que ,  après  une  guerre  longue  et  sanglante,  ayant  enfin  succombé 
sous  les  armes  de  Syila,  ils  se  trouvèrent  exposés  à  toute  la  vengeance 
du  proconsul  irrité,  lequel  les  condamna  à  payer  des  contributions 
si  énormes,  et  leur  imposa  des  lois  si  rudes,  qu'ils  ne  purent  jamais 
.recouvrer  depuis  leur    ancien   éclat   ni  leur  prospérité    passée  (a). 


Leur 
gouvernement.' 


,eurs  revers* 


Accablés 
par  Sylith 


(i)  Gillies.  Hist.  of  Greece  ,  vol  I  pag.  76,  et  Hérod.  Glio.  liy.  I.  142. 
(2)  Appien  dans  Mitrhidat.  et  Plut,  dans  Sylla. 


iC  Athènes. 


160  Gouvernement 

Nous  nous  bornerons  à  ce    peu    d'observations  sur  le   gouvernement 
des  colonies  Grecques,    gouvernement  qui  est  plus  ou  moins  appli- 
cable à  toutes  les  autres  colonies    fondées    par    ce  peuple ,    tant  en 
Europe  qu'en  Afrique. 
Forum  Nous  ne  croyons    pouvoir    mieux   terminer    ce   que  nous  avons 

dit  jusqu'ici  sur  le  gouvernement  de  la  Grèce  en  général  ,  qu'en 
présentant  à  nos  lecteurs  deux  dessins ,  que ,  d'après  Vitruve  ,  Pal- 
ladio nous  a  donnés  du  forum  d'Athènes,  place  fameuse,  où  se  ren- 
daient les  sages  pour  s'entretenir  de  questions  philosophiques ,  les 
oisifs  pour  critiquer  les  magistrats  et  jaser  de  politique  et  de  guerre, 
et  où  enfin  s'agitaient  les  grands  intérêts  de  la  république  et  du 
gouvernement.  La  planche  2,2  offre  le  plan  ,  et  la  planche  a3  ''élé- 
vation du  forum  Nous  nous  contenterons  maintenant  d'en  indiquer 
les  parties,    nous  réservant    d'en   parler   plus  au  long   lorsque    nous 

(1)  Palladio  {Livres  de  l'Architecture  etc.  Venise  etc.  De  France- 
schi  1670  )  parle  ainsi  du  forum  des  Grecs:  Les  Grecs  (  d'après  ce  que 
nous  dit  Vitruve  dans  le  I.er  chapitre  de  son  V.e  livre*)  construisaient 
dans  leurs  villes  des  places  de  forme  carrée,  lesquelles  étaient  entourées 
de  portiques  vastes  et  doubles  ,  soutenus  par  des  colonnes  très-rappro- 
chées ,  et  qui  n'étaient  qu'à  la  distance  d'un  diamètre  et  demi,  ou  tout 
au  plus  de  deux  diamètre  de  colonne  les  unes  des  autres.  La  largeur 
de  ces  portiques  était  égale  à  la  longueur  des  colonnes  ,  ensorte  que  , 
comme  ils  étaient  doubles  ,  l'endroit  pour  se  promener  était  de  la  lar- 
geur de  deux  fois  cette  longueur  ,  et  par  conséquent  très-spacieux  et  fort 
commode  Ces  premières  colonnes  ,  qui  ,  (  eu  égard  au  lieu  où  elles  se 
trouvaient  )  ,  devaient  être  ,  à  mon  avis  ,  d'ordre  corinthien  ,  en  suppor- 
taient d'autres  d'un  quart  plus  petites  ,  qui  soutenaient  deux  portiques 
supérieurs  assez  élevés  pour  pouvoir  y  rester  et  s'y  promener  commo- 
dément ,  et  pour  'voir  les  spectacles  qui  se  donnaient  dans  la  place  pour 
cause  de  dévotion  ou  d'amusement.  Tous  ces  portiques  dévoient  être  dé- 
corés de  niches  avec  des  statues  ,  genre  d ornement  dont  les  Grecs  étaient 
très-amateurs.  Près  de  ces  -  places ,  (  malgré  que  dans  la  description 
qu'il  nous  en  donne  ,  Vitruve  ne  fasse  aucune  mention  de  leurs  alen- 
tours )  ,  devaient  se  trouver  le  palais  ,  la  cour  de  justice ,  les  prisons  et 
tous  les  autres  lieux  ....  qui  tiennent  à  la  place  :  ce  qui  est  d'autant 
plus  probable  ,  que  ,  (  comme  il  l'observe  au  VIIe  chapitre  du  premier 
livre  )  ,  les  anciens  étaient  dans  rasage  de  bâtir,  aux  environs  des  places, 
les  temples  consacrés  à  Mercure  et  à  Isis  ,  comme  les  divinités  qui  pré- 
sidaient au  commerce  et  aux  marchandises  ;  et  en  effet  on  en  voit  en- 
core deux  sur  la  place  de  Pola  ville  dis  trie  ,  d'une  forme,  d'une  gran- 
deur et  d'un  genre  d'architecture  parfaitement  semblables. 


de    la    Grèce.  i6ï 

traiterons  de  l'architecture  Grecque.  En  voici  donc  la  description 
en  peu  de  mots:  A,  place;  B,  portiques  doubles;  C,  basilique; 
D,  temple  d'Isis;  E,  temple  de  Mercure;  F^  cour  (i);  G,  por- 
tique et  petite  cour  au  devant  de  la  monnaie;  H,  portique  et 
petite  cour  en  avant  des  prisons  ;  I ,  porte  du  vestibule  d'où  l'on 
entre  dans  la  cour  ;  K ,  corridors  autour  de  ce  local. 

PREMIÈRE     SÉRIE    DE     L*  ICONOGRAP  HIE     GRECQUE» 

;  PORTRAITS 

des  sept  Sages ,  des  Princes  et  des  Législateurs. 


-1_Jes    sept   sages  tant  vantes  dans    1  histoire    Grecque    doivent  Recherches  suF 

•  i  ■     ,  .,-   i  ,      i3  •  i         les  sept  toge*-- 

être  encore  considères  comme  législateurs:  car,  a  1  exception  de 
Thaïes  ,  tous  ont  été ,  ou  à  la  tête  de  quelqu'Etat ,  ou  se  sont 
appliqués  à  donner  aux  hommes  des  leçons  de  morale  et  de  po- 
litique (a).  Mais  nous  ne  savons  rien  de  positif  sur  leur  nom  ni 
sur  leur  nombre  ;  et  il  serait,  fort  difficile  de  vouloir  déterminer 
les  maximes  propres  à  chacun  d'eux  (3).  Néanmoins  les  person- 
nages qui  ont  été  décorés  de  ce  nom  sont,  selon  l'opinion  la  plus 
commune,  Périandre  Roi  de  Corinthe  ,  Solon  législateur  d'Athè- 
nes ,  Bias  né  à  Priéne  en  lonie ,    Thaïes  de    Milet ,   aussi   Ionien  , 

(i)  Les  cours  étaient  les  lieux  où  s'assemblaient  les  sénateurs ,  ou 
les  principaux  magistrats  ;  et  les  basiliques  ,  d'autres  lieux  où  les  magistrats 
rendaient  la  justice  à  eouvert ,  et  où  se  traitaient  les  affaires  les  plus  im- 
portantes de  l'état. 

(2)  De-Réal,  Scien.  du  Gouv.  etc.  tom  I.er  pag.  226,  observe  judicieu- 
sement ,  que  les  maximes  tant  vantées  des  sept  sages ,  lorsqu'on  vient  à  les 
examiner  froidement ,  et  sans  prévention  pour  l'antiquité ,  ne  sont  que 
des  préceptes  vulgaires  ;  et  même  que  plusieurs  de  ces  prétendus  sages 
ont  été  de  cruels  tyrans. 

(5)  Voy.  l'Iconographie  Grecque  de  Visconti  vol.  I,er  pag.  102.  D'après 
ee  qu'on  lit  dans  Diogéne  Laerce  y  on  pourrait  fixer  à  l'an  5o4  avant  l'ère 
vulgaire  ,  l'époque  où  l'on  commença  à  désigner  sous  le  nom  de  Sages- 
certains  personnages  ,  qui }  par  leurs  sentences  morales,  s'étaient  rendus 
célèbres  dans  les  villes  Grecques  d'Europe  et  d'Asie. 

e.  Vol  L 


Recherches  sur 
les  portraits 
des  anciens. 


Portraits 

pli  peinture- 


162  Gouvernement    et  Lois 

et  le  premier  qui  enseigna  en  Grèce  la  philosophie  naturelle ,  Cléo- 
bule  de  Rhodes,  Pittaque  de  Mytiléne,  et  Chilon  de  Sparte  (1). 
Nous  allons  maintenant  donner  une  idée  particulière  de  chacun 
de  ces  grands  hommes,  et  nous  y  joindrons  même  leurs  portraits, 
que  nous  croyons  devoir  faire  précéder  des  réflexions  suivantes, 
dont  on  pourra  faire  l'application  à  ceux  de  tous  les  anciens  per- 
sonnages ,  que  nous  représenterons  successivement  dans  le  cours  de 
ce  traité. 

L'homme  a  un  penchant  naturel  et  dominant  qui  le  porte  à 
chercher  les  moyens  de  conserver  l'image  des  personnes ,  qui  ont 
mérité  son  estime  et  son  affection.  C'est  à  ce  penchant  que  nous 
sommes  redevables  des  premières  notions  de  l'art  de  la  peinture  et 
de  la  sculpture  (a).  "  Ce  goût  alla  toujours  croissant,  dit  l'illustre 
Visconti,  à  mesure  que  les  essais  devinrent  moins  grossiers,  et  que 
l'art  s'avança  vers  la  perfection.  L'imitation  en  plein  relief  fit 
croire  à  l'homme  étonné ,  qu'il  avait  acquis  la  puissance  de  soustraire 
à  l'empire  de  la  mort  les  formes  fragiles  et  variables  des  êtres  vi- 
vans.  Ces  êtres,  ainsi  représentés,  devimeut  en  quelque  sorte  immor- 
tels (3).  C'était  une  opinion  reçue  dans  les  beaux  jours  de  la  Gré- 
ce  ,  que  l'usage  de  transmettre  à  la  postérité  les  images  en  relief 
de  personnes  chères  ou  distinguées ,  remontait  jusqu'aux  siècles  hé- 
roïques. Appollodore  parle  de  la  statue  d'Hercule  exécutée  par 
Dedalus  du  vivant  de  ce  héros,  et  fait  mention  du  fameux  palla- 
dium ,  comme  de  la  statue  d'une  vierge,  qui  avait  été  liée  d'une 
amitié   très-étroite  avec  Minerve  (4).  » 

Les  images  des  anciens  Grecs  étaient,  pour  la  plupart  des  ou- 
vrages en  plastique,  en  toreutique  ou  en  sculpture.  Elles  étaient 
déposées  dans  les  temples  et  dans  les  édifices  publics,  où  chaque 
citoyen  pouvait  de  même  placer  la  sienne  ou  celle  de  toute  autre  per- 
sonne ,  sans  avoir  besoin  pour  cela  de  recourir  à  l'autorité  publi- 
que.   Dès    les  tem9  les  plus  reculés ,  les  images   des    simples  parti- 

(1)  Antipater  Sidon.  Analecta,  ep.  LX.  Hygin.  Fab  221.  Auson.  Lud. 
VII.  Sidon  Apollin.  Carm  XV.  A  la  place  de  Périandre,  Platon  met  un  cer- 
tain Myson  du  mont  Oeta.  Nous  nous  dispenserons  de  rapporter  ici  l'his- 
toire fabuleuse  et  si  connue  du  trépied  d'or ,  qui ,  selon  Ausonius  et  Va- 
lerius  Maximus  ,  a  donné  le  nom  de  Sages  à  ces  sept  personnages. 

(2)  Plin.  liv,  XXXV.  §.  5.  43    et  44- 

(3)  Visconti  Iconogr.  grec.  Disc,  prélimin. 

(4)  Apollod.  liv.  II.  c.  6.  §.  3.  et  liv.  III.  c.  12.  §.  3. 


les 
monnaies. 


de    la    Grèce..  i63 

culiers  fesaient  un  des  principaux  ornemens  des  sépulcres;  et  sou- 
vent même ,  parmi  celles  des  morts ,  on  voyait  aussi  les  images  de 
leurs  parens  ou  de  leurs  amis  encore  vivans  ,  ou  celle  de  quelqu'hom- 
me  célèbre  qui  avait  été  de  la  même  profession  que  le  défunt.  C'est 
ainsi  que ,  près  d'Athènes ,  on  voyait  les  tombeaux  de  l'orateur  Iso- 
crate  ,  et  de  Theodétes  poète  tragique  ,  décorés  des  images  de  poètes 
et  orateurs  divers  (i).  L'art  monétaire  nous  a  aussi  conservé  les  por- 
traits de  plusieurs  grands  personnages  de  l'antiquité  :  car  malgré 
que  les  monnaies  les  plus  anciennes  de  la  Grèce  ,  portent  en  gêné-  Portraits 
rai  pour  type  ,  les  images  et  les  emblèmes  des  divinités  tutélaires , 
ou  certains  caractères  symboliques  des  peuples  ou  des  villes  où  elles 
ont  été  frappées,  il  y  eut  néanmoins  des  villes  Grecques,  même 
dans  les  tems  les  plus  reculés,  qui  retracèrent  sur  leurs  monnaies 
les  images  d'hommes  illustres  auxquels  elles  avaient  donné  le  jour. 
Par  exemple ,  celle  d'Homère  fut  prise  par  plusieurs  peuples  pour 
type  de  leurs  monnaies,  et  les  Mytileniens  donnèrent  aux  leurs 
celle  de  Sapho  (a).  Mais  ,  depuis  qu'à  l'exemple  des  Rois  de  Perse, 
Alexandre  voulut  que  ses  monnaies  ne  portassent  d'autre  empreinte 
que  son  propre  portrait  figuré  en  Hercule,  il  passa  en  usage,  dans 
les  Etats  monarchiques ,  de  représenter  sur  les  monnaies  l'effigie 
du  Souverain  régnant.  Si  nous  avons  maintenant  un  grand  nombre 
de  portraits,  historiques  surtout,  c'est  précisément  aux  monnaies  que 
nous  en  sommes  redevables  ;  et  ces  portraits  portent  en  eux  le  plus 
haut  degré  d'authenticité  ,  pour  avoir  été  exécutés  d'après  les  or- 
dres de  quelqu' autorité  publique  3  et  par  des  artistes  contemporains 
des  Princes  qu'ils  ont  représentés  (3).  Après  les  monnaies  et  les  mé- 

(i)  Cet  usage  se  retrouve  aussi  chez  les  Romains.  La  statue  du  poète 
Ennius  avait  été  placée  dans  le  mausolée  des  Scipions  sur  la  voie  Ap- 
pienne  :  les  images  de  Sophocle  et  de  Ménandre  furent  découvertes  près 
de  Rome  dans  le  tombeau  d'un  poète.  Ces  images  étaient  pour  la  plupart 
en  marbre ,  en  plein  ou  en  bas-relief,,  et  n'offraient  souvent  que  le  buste 
du  personnage  représenté.  Visconti  est  même  d'avis  que  la  dénomination 
de  buste  dérive  du  mot  bustum ,  qui  dans  la  basse  latinité  voulait  dire 
sépulcre ,  peut-être  de  combustum  ,  brûlé  ,  parce  qu'anciennement  on  était 
dans  l'usage  de  brûler  les  cadavres. 

(2)  Strab.  liv.  XIV.  pag.  646.  Pollux  ,  Onomasù.  liv.  IX.  num.  84. 

(3)  «  Dans  ce»  monumens  solides,  (dit  encore  Visconti  au  même  en- 
droit )  ,  qui  en  raison  de  la  matière  dont  ils  sont  faits ,  de  leur  forme  cir- 
culaire et  de  leur  peu  d'étendue ,  sont  moins  faciles  à  se  détériorer ,  noua 


Portraits 
éir  les  camées. 


Authenticité 
des  anciens 
■t  portraits. 


Médailles 
Contournées. 


164  Gouvernement    et    Lois 

dailles  viennent  les  camées  et  les  gravures  en  pierre  dure  ;  maïs , 
dépourvus  pour  la  plupart  d'inscriptions  ou  d'emblèmes  analogues 
au  personnage  qui  y  est  représenté  ,  ils  ne  peuvent  être  que  d'un 
faible  secours  dans  l'étude    de    l'iconographie  antique. 

En  second  lieu  ,  il  faut  observer  que  les  portraits  des  grands 
hommes  de  la  Grèce,  même  ceux  qui  ont  été  faits  long  tems  après 
la  mort  du  personnage  dont  ils  offrent  l'image,  ne  laissent  pas  de 
présenter  assez  généralement  un  autre  genre  d'authenticité ,  dans 
l'usage  où  l'on  était  d'en  faire  un  grand  nombre  de  copies,  qui 
étaient  destinées  à  servir  d'ornement ,  non  seulement  dans  les  édi- 
fices publics  et  privés ,  mais  encore  sur  les  ecus  votifs  les  vases 
et  les  bas-reliefs ,  ainsi  que  sur  les  patères  en  terre  cuite  3  et 
autres  ustensiles  domestiques  ;  en  sorte  que  ces  copies  se  renou- 
vellant  ainsi  d'âge  en  âge,  se  transmettaient  d'une  génération  à  l'au- 
tre avec  une  espèce  de  respect  religieux.  Ainsi  donc  ,  en  supposant 
que  le  tems  nous  ait  ravi  les  portraits  qui  ont  été  faits  du  vivant  des 
personnages  qu'ils  représentent ,  il  est  à  croire  que  dans  les  copie9 
faites  postérieurement  et  qui  sont  parvenues  jusqu'à  nous ,  les  ar- 
tistes auront  cherché  à  imiter  de  leur  mieux,  si  non  les  originaux, 
au  moins  les  copies  les  plus  authentiques  et  les  plus  estimées  de 
leur  tems ,  qui  leur  auront  servi  de  modèle. 

C'est  pour  cette  raison  que  Visconti  regarde  jusqu'à  un  cer- 
tain point  comme  authentiques  quelques  portraits,  qui  ne  se  trou- 
vent que  sur  les  médailles  appelées  contournées,  et  frappées  à  l'épo- 
que de  la  décadence  des  arts ,  c'est-à-dire  dans  les  IV.e  et  V.e  siè- 
cles de  l'ère  vulgaire.  Rome  et  Constantinople  avaient  encore  à  cette 
époque  des  collections  de  monumens  antiques  et  rares  en  tout  genre, 
qui  offraient  aux  graveurs  de  médailles  des  modèles  précieux  à 
imiter  ,  et  sur  lesquels  ils  ont  en  effet  exercé  leur  talent  avec  suc- 
cès, comme  on  à  lieu  d'en  être  convaincu  par  la  comparaison  de 
certains  portraits  représentés  sur  les  médailles  contournées ,  avec 
ceux  qu'on  voit  encore  aujourd'hui  dans  des  monumens  de  la  plus 
haute  antiquité.  La  même  raison  a  encore  porté  ce  savant  anti- 
quaire, à  accorder  un  certain  degré  d'authenticité  à  d'autres  por- 
traits d'une  date  encore  plus  récente  ,  qui  nous  sont  conservés  dans 

trouvons  les  portraits  de  tous  les  Empereurs  Romains  ,  ainsi  que  ceux  de 
la  plupart  des  Rois  postérieurs  à  Alexandre  ,  lequel  a  été ,  selon  moi ,  le 
premier  Souverain,  qui,  de  son  vrvant,  ait  fait  imprimer  son  effigie  sur 
les  monnaies.  » 


DE     LA     GrIcE.  1 65 

des  miniatures  dont  sont  décorés  quelques  anciens  manuscrits ,  pourvu  Miniatures. 
toutefois  qu'elles  ne  soient  point  évidemment  un  ouvrage  de  fantai- 
sie, et  qu'on  reconnaisse  dans  le  costume  ou  autres  accessoires  un 
caractère  d'originalité  tel  ,  qu'on  puisse  raisonnablement  présumer 
qu'elles  ont  été  faites  sur  des  copies  plus  antiques ,  et  d'une  époque 
plus  rapprochée  des  vrais  originaux.  Il  ne  faut  donc  pas  en  croire 
trop  légèrement  M.r  Mongez ,  aux  yeux  duquel  les  portraits  que 
représentent  ces  anciennes  gravures,  n'offrent ,  pour  ainsi  dire,  au- 
cun caractère  d'authenticité  (i). 

Il  est  une  troisième  et  dernière  observation  que  nous  ne  de-  Ponraip 
vons  pas  passer  sous  silence  ;  c  est  1  erreur  ou  sont  tombes  même  des 
auteurs  distingués  ,  en  prenant  pour  les  portraits  d'anciens  person- 
nages Grecs,  les  effigies  gravées  sur  des  médailles  et  en  pierres  du- 
res; et  voici  comment.  Par  une  suite  de  l'usage  où  étaient  la  plupart 
des  villes  de  la  Grèce  3  de  donner  à  l'année  le  nom  de  leur  pre- 
mier Magistrat  ou  de  leur  premier  Archonte  ,  souvent  aussi  les  artis- 
tes gravèrent  son  nom  et  son  image  sur  leurs  médailles.  Mais  comme 
il  y  avait  eu  divers  personnages  portant  le  même  nom,  il  arriva, 
îors  de  la  restauration  des  arts  et  des  lettres ,  que  les  têtes  de 
ces  magistrats  furent  prises  pour  celles  des  grands  hommes  qui  avaient 
porté  le  nom  dont  ces  médailles  étaient  décorées  :  or  c'est  ainsi 
que  certains  antiquaires  ont  cru  voir  dans  quelques-unes  d'elles  la 
tête  du  philosophe  Socrate  ,  tandisque  que  ce  n'était  que  celle  d'un 
magistrat  inconnu  qui  avait  eu  le  même  nom.  Il  en  est  de  même 
des  portraits  qu'on  trouve  sur  les  camées  et  les  pierres  dures.  Le 
nom  qui  y  est  gravé  est  le  plus  souvent  celui  de  l'artiste  s  et  rare- 
ment celui  du  personnage  qui  y  est  représenté.  Par  exemple  on 
prit  pour  le  législateur  d'Athènes  (a)  certain  Solon  graveur  ,  dont 
le  nom  ,  qui  fait  au  génitif  coaqnoc  ,  et  par  abbréviation  coaok  se 
lit  sur  divers  camées.  C'est  pourquoi  dans  le  choix  que  nous  avons 
fait  du  petit  nombre  de  portraits  insérés  dans  ce  traité,  nous  n'a- 
vons pris  que  ceux  qu'une  saine  critique  nous  a  fait  regarder  com- 
me authentiques,  ou  à-peu-près  comme  tels;  et  nous  nous  en  sommes 
rapportés  pour  cela  presque  toujours  au  jugement  du  célèbre  anti- 
quaire M.r  Visconti  ,  lequel  est  à  tous  égards  le  savant  le  plus 
distingué  que  nous  ayons  dans  cette  science. 

(i)  Encyclop.  méthod.  antiqiût.  I.eF  vol.  pag.  g. 
(2)  Mongéz  endroit  cit. 


Selon. 


166  Gouvernement    et    Lois 

Portrait  D'après  ces  considérations  ,  nous  commencerons  par  Périandre 

e  Périandre.  •  1  1  -i 

qui  passe  pour  le  plus  ancien  des  sept  sages ,  quoique  tous  les  au- 
tres ayent  été  ses  contemporains.  Il  était  fils  de  Cypséle  ,  et  régna 
à  Corinthe  pendant  près  de  quarante  quatre  ans  :  il  e9t  regardé 
comme  un  des  premiers  législateurs  qui  ayent  donné  aux  hommes 
des  régies  de  gouvernement  (i).  Son  image  nous  a  été  conservée 
dans  le  buste  ,  ou  hermès  en  marbre  (  voy.  le  n.°  i  de  la  plan- 
che 2,4)  ,  monument  précieux  du  Musée  Vatican  ,  qui  fut  décou- 
vert en  1780  aux  environs  de  Tivoli ,  dans  les  excavations  de  la 
maison  de  campagne  de  Cassius ,  avec  Thermes  de  Bias  ,  et  des 
fragmens  de  celles  de  Solon,  de  Thaïes,  de  Pittaque  et  de  Cléo- 
bule.  Le  sculpteur  a  donné  à  son  regard  un  caractère  ferme  et 
résolu.  Le  n.°  a  représente  Solon  ,  et  est  pris  d'un  buste  en  mar- 
bre de  la  galerie  de  Florence.  Le  sage  a  la  tête  ceinte  d'un  cordon  , 
symbole  de  son  apothéose:  le  bout  de  son  pallium  ou  manteau  lui 
retombe  sur  l'épaule  gauche  :  sa  physionomie  annonce  le  calme  et 
la  force  de  l'âme.  Suit ,  sous  le  n.°  3  ,  l'image  de  Bias  dans  un  buste 
en  marbre ,  qui  a  également  été  découvert  dans  les  excavations 
faites  à  Tivoli.  Le  sage  de  Priéne  s'était  rendu  célèbre  par  l'élo- 
quence avec  laquelle  il  servit  les  intérêts  de  sa  patrie,  par  l'activité 
de  sa  bienfesance,  et  par  l'inaltérable  égalité  de  sa  conduite. 
Il  expira  à  la  tribune  entre  les  bras  de  son  neveu,  à  la  fin  d'une 
harangue  qu'il   prononça  pour  un  de  ses  amis.   Le  n.°  4  représente 

Thaïes.  Thaïes,  le  fondateur  de  la  secte  Ionique,  et  le  père  de  la  philo- 
sophie Grecque ,  dont  nous  aurons  occasion  de  parler  ailleurs.  Ce 
philosophe  fut  le  premier  qui,  au  dire  d'Hérodote,  conçut  le  pro- 
jet d'un  état  confédéré ,  système  qui  fut  d'abord  rejette  par  ses 
concitoyens ,  mais  qu'on  regarda  dans  la  suite  comme  un  bienfait 
de  la  plus  sage  politique.  Cette  hermès  fait  partie  du  Musée  du 
Vatican,  et  fut    trouvée  dans  les   fouilles  du  mont  Celius.    La    mé- 

fittaque.  daille  n.°  5  offre  l'effigie  de  Pittaque.  Cette  précieuse  médaille  en 
bronze,  qui  est  l'unique,  appartenait  dans  le  XV.e  siècle  au  cé- 
lèbre Fulvius  Ursin  :  elle  passa  ensuite  dans  la  collection  Gotofredi 
à  Rome  ,  et  de  là  dans  le  cabinet  de  la  Reine  Christine.  Pie  VI 
en  fit  l'acquisition  pour  en  enrichir  la  collection  du  Vatican,  d'où 

(1)  L'opuscule,  ou  dialogue  de  Plutarque  ,  intitulé  le  Banquet  des 
sept  Sages  ,  où  sont  représentés  ces  parsonnages  illustres,  assis  à  un  banquet 
solennel  ehez  Périandre,  doit  être  regardé  comme  une  espèce  de  roman y 
plutôt  que  comme  un  morceau  historique. 


de   la    Gré*  ce.  167 

elle  est  enfin  allée  au  Musée  de  Paris.  Pittaque  donna  des  lois  à 
Miîyléne,  et  y  exerça  la  dictature  pendant  dix  ans,  au  bout  des- 
quels il  vécut  tranquille  et  honoré  de  ses  concitoyens,  sans  être  con- 
traint de  se  condamner  à  un  exil  volontaire  ,  comme  avaient  fait 
Lycurgue  et  Solon.  Il  mourut  à  Mityléne,  âgé  de  plus  de  soixante 
et  dix  ans,  Tan  570  avant  l'ère  vulgaire.  Le  fragment  de  Mosaïque 
qu'on  voit  au  ri,0  1  de  la  planche  2,5  ,  retrace ,  bien  que  grossière- 
ment, le  portrait  de  Chilon  (ij.  Ce  sage  était  de  Sparte,  et  il  vi-  çw&» 
vait  à  l'époque  où  la  législation  de  Lycurgue  était  dans  toute  sa 
vigueur.  Il  obtint  la  dignité  de  premier  Ephore  l'an  556  avant 
notre  ère  (2,);  il  vécut  long  tems  constamment  honoré  de  ses  con- 
citoyens, et  mourut  aux  jeux  olympiques  entre  les  bras  de  son  fils 
qui  y  avait  remporté  le  prix  du  pugilat. 

Nous  ne  pouvons  retracer  ici  le  portrait  de  Cléobuîe,  le  cin-       ciéoiuie 

'  .  \  »  )        .  ,  -,  ...  ,  et  Pisïstrate 

quieme  d  entre  les  sages ,  les  monumens  qui  devaient  nous  le  trans- 
mettre ainsi  que  celui  de  Pisistrate  ayant  été  la  proie  du  tems. 
L'illustre  Visconti  nous  avertit  cependant  que  l'on  conserve  dans 
le  Musée  du  Vatican  les  piédestaux  en  façon  de  hermès  sur  lesquels 
posaient  ces  images ,  et  où  on  lit  encore  les  noms  de  Cléobuîe  et 
de  Pisistrate.  A  l'exemple  de  cet  antiquaire,  nous  remplirons  cette 
lacune  par  le  portrait  d'Esope  (3).  Esope  ,  dit-il,  né  en  Phrygie,  e<oj>^ 
esclave  à  Athènes  ,  puis  à  Samos ,  est  le  premier  qui  se  soit  acquis 
un  nom  durable  dans  l'apologue,  espèce  de  contes  moraux  inventés 
en  orient  dès  la  plus  haute  antiquité.  Ses  fables,  ses  sentences  et 
ses  réponses  ingénieuses  lui  valurent  sa  liberté  ,  et  le  firent  mettre 
en  quelque  sorte  au  rang  des  sept  sages ,  dont  il  était  contemporain. 
Il  fut  accueilli  avec  distinction  à  la  cour  de  Crésus  ;  mais  son  bon- 

(1)  Ce  morceau  de  mosaïque  se  trouve  à  Véronne  dans  la  Bibliothèque 
de  la  Cathédrale  ,  à  laquelle  il  en  a  été  fait  présent  par  le  Prélat  Bianchini , 
qui  l'avait  acheté  à  Rome  ,  où  il  avait  été  découvert  au  commencement 
du  siècle  parmi  les  ruines  de  rAventin.  On  y  lit  la  fameuse  sentence 
qu'on  atribue  à  Chilon  :  rNQQi  cayton:  Connais  toi  toi  même.  Ce  fragment 
semble  avoir  été  détaché  du  pavé  de  la  Bibliothèque  du  Pollion  sur 
rAventin.  On  sait  que  Pollion  avait  orné  sa  Bibliothèque  des  portraits 
des  hommes  illustres. 

(2)  Corsini.  T.  A.  tom.  III    pag.   io3. 

(3)  Les  Athéniens  avaient  fait  sculpter  par  Lisyppe  l'image  d  Esope  , 
et  l'avaient  placée  après  celles  des  sept  sages.  Phœd.  EpiJog  liv.  2;  ver.  1. 

Aesopi  ingenio  statuant  posuere  Attici. 


1 68  Cou  Versement    et    Lois 

heur  n'y  fat  pas  de  longue  durée.  Après  s'être  élevé  par  son  génie  et 
son  savoir,  de  l'état  le  plus  abject  à  une  condition  honorable,  il 
périt  à  Delphes ,  victime  de  la  plus  noire  calomnie  ,  qui  le  fit  pré- 
cipiter comme  sacrilège  de  la  roche  Iampea.,  (i)  l'an  56o  avant 
l'ère  chrétienne  (a).  Le  n.°  a  représente  lliermès  d'Esope ,  dont  on 
voyait  autrefois  l'original  dans  la  maison  de  plaisance  Albani  à 
Rome.  La  forme  de  cette  hermès  ou  therme ,  observe  encore  le 
même  Antiquaire  ,  usitée  chez  les  anciens  nour  les  portraits  des  hom- 
mes illustres,  la  gibhosité  et  les  défauts  de  conformation  du  per- 
sonnage figuré  dans  ce  monument,  avec  son  ventre  saillant  et  sa  tête 
pointue,  tel  enfin  qu'on  représente  Esope  ,  ne  permettent  aucune- 
ment de  douter  que  ce  ne  soit  là  l'image  du  fameux  auteur  d'apo- 
logues. Les  défectuosités  de  sa  personne  y  sont  compensées  par  une 
certaine  vivacité  de  physionomie,  qui  diffère  extrêmement  de  celle 
que  les  anciens  donnaient  ordinairement  aux  portraits  qu'ils  fe- 
saient  des  nains  et  des  bouffons ,  dans  la  figure  desquels  on  apper- 
cevait  toujours  quelque  chose  de  ridicule  et  même  de  stupide. 
Zaïeucm  Les  portraits  des  deux  législateurs   de  la    Grande    Grèce    Za- 

•gf;  Cliarondas.  x  «» 

Jeucus  et  Cliarondas  devraient  aussi  trouver  ici  leur  place;  mais  ils 
ne  sont  point  parvenus  jusqu'à  nous.  La  médaille  d'argent  des  Lo- 
criens  d'Italie  rapportée  par  Faber,  par  F.  Ursin  et  par  Gronove , 
sur  laquelle  certains  antiquaires  ont  cru  voir  le  portrait  de  Zaleu- 
eus ,  est  reconnue  aujourd'hui  comme  fausse;  et  la  même  erreur  a 
été  le  partage  de  quelques  autres  érudits,  qui  ont  pensé  découvrir 
l'effigie  de  Cliarondas  dans  une  tête  chauve  et  barbue,  gravée  sur  de 
petites  médailles  d'argent  qui  ont  été  frappées  à  Catane  en  Sicile.,. 
Les  figures  que  représentent  ces  médailles  sont  celles  de  Silène  et 
de  Pan,  comme  le  démontrent  évidemment  les  accessoires  et^autrea 
indications  analogues  (3). 

(i)  V.  Larcher  ,   Chronoï.  cP  Hérodote,  ch.   19% 

(2)  Cet  auteur  ,  Iconogr.  gr. ,  vol.  3  pag.  121  ,  combat  victorieuse- 
ment le  scepticisme  de  ceux,  qui  ont  douté  de  Inexistence  d'Esope. 

(3)  Visconti  endr.  cit.  pag.  i25  N.  Cet  auteur  est  d'avis  que  la  tête 
couronnée  de  la  médaille  Locrienne  est  celle  de  Jupiter  qu'on  voit  sur 
les  médailles  authentiques  des  Locriens  ,  et  que  le  nom  de  cette  divinité 
zeuî  à  été  changé  en  celui  de  z*Ae««<.s.  Quant  à  ce  prétendu  portrait  de 
Cliarondas  dans  les  médailles  de  Gatane  ,  que  Gronove  rapporte  dans  son 
ouvrage  ,  nous  remarquerons  qu'il  est  représenté  tantôt  avec  des  cornes  x 
et  tantôt  avec  des  oreilles  de  bouc  ,  qui  sont  les  signes  caractéristiques, 
de  Pan.  et  de  Silène. 


Cëcrops  „ 
Minos  , 
CodruS' 


Lyturgue. 


de    la    Grèce.  i 69 

Les  portraits  de  Cécrops,  de  Minos  ,  de  Codrus  et  autres  an- 
ciens monarques  et  législateurs ,  rapportés  par  Gronove ,  ne  méri- 
tent pas  plus  de  foi  :  on  n'a  aucune  raison  solide  pour  croire  à 
leur  authenticité,  et  ils  n'ont  eu  souvent  pour  archétype  que  le 
caprice  de  l'artiste,  ou  la  crédulité  de  quelqu'antiquaire,  qui  s'est 
imaginé  de  voir  les  images  de  ces  grands  personnages  dans  quelques 
têtes  antiques ,  idéales  ou  même  inconnues.  Pour  ne  point  tomber 
dans  les  mêmes  erreurs  à  cet  égard  ,  nous  nous  sommes  fait  une  loi 
de  ne  donner  ici  que  les  portraits  dont  l'authenticité  est  avouée  par 
une  saine  critique  ,  ou  au  moins  appuyée  de  grandes  probabilités. 
Tel  est  celui  de  Lycurgue  qu'on  voit  au  n.°  3  de  la  planche  a5  , 
et  qui  est  pris  d'une  tête  en  marbre  de  la  collection  Farnaise.  La 
différence  sensible  qu'on  apperçoit  dans  la  conformation  de  l'œil 
gauche  et  des  parties  environnantes ,  en  la  comparant  avec  le  côté 
droit  du  visage  ,  indique  que  ,  par  ce  défaut  de  symétrie  ,  l'artiste 
a  voulu  caractériser  un  homme  qui  n'avait  qu'un  œil  :  or  Lycurgue 
en  avait  en  effet  un  de  moins,  qu'il  avait  perdu  dans  une  émeute 
populaire.  La  chevelure  inculte  est  négligée,  telle  que  le  compor- 
tait l'austérité  des  mœurs  Spartiates,  et  l'armure  qu'on  voit  en  par- 
tie sur  l'épaule  droite,  décèlent  bien  le  législateur,  qui  avait  fait 
de  la  bravoure  militaire  la  base  de  sa  constitution  (1).  Au  portrait 
de  Lycurgue,  de  l'immortel  fondateur  de  la  grandeur  Spartiate, 
joignons  celui  du  tyran  Cléoméne  III.e,  fils  de  Léonidas  IIe  Roi  de  cièommein. 
Sparte,  et  le  dernier  de  la  famille  royale  des  Agides.  Il  avait 
changé  la  forme  du  gouvernement  par  le  massacre  des  Ephores,  et 
l'empoisonnement  du  jeune  Roi  de  la  famille  des  Euripontides  qu'il 
devait  avoir  pour  collègue.  Son  image  se  voit  sur  un  médaillon  en 
argent  frappé  à  Sparte  ,  qui  fut  apporté  de  ]a  Grèce  à  Paris  par 
M.r  l'abbé  Fourmont ,  et  publié  par  la  première  fois  dans  l'His- 
toire de  l'Académie  des  belles  lettres  (a).  Le  revers  représente  Mi- 
nerve Chalciaecos,  ou  Minerve  au  temple  de  Bronze^  protectrice 
de  Sparte.  Eckel  et  Visconti  donnent  des  raisons  plausibles  sur 
l'authenticité  réele  de  ce  portrait  (3). 

(1)  On  conserve  dans  le  Musée  du  Vatican  une  statue  de  Lycurgue, 
dont  la  tête  ne  diffère  guères  de  celle  de  la  collection  Farnése  que  nous 
venons  de  rapporter.  Voy.  Mus.  Pio-Clem.  ,  tom.  III.  plan.   i3. 

(2)  Tom.  XL.  pag    g3. 

(3)  Eck.  Doctr.  Num.  tom.  II.  pag,  282.  et  Vise.  Iconogr.  gr.  vol.  II. 
pag.  q4  et  suiv. 

Europe-  Fol.  J-. 


170  Gouvernement 

ï&icks.  Parmi  les  hommes  d'Etat  qui  se  sont  rendus  fameux  dans  toute 

îa  Grèce  3  on  doit  placer  au  premier  rang  Périclés,  qui  fut  pen- 
dant quarante  ans  l'arbitre  de  la  république  d'Athènes.  Profond 
scrutateur  du  cœur  humain  et  politique  habile ,  il  sut  conserver 
adroitement  son  autorité  ,  par  le  sage  emploi  qu'il  fit  des  trésors 
de  la  Grèce  ,  et  surtout  de  l'éloquence  rare  dont  la  nature  l'avait 
doué.  Athènes  parvint  sous  lui  au  plus  haut  degré  de  splendeur  dans 
les  sciences  et  dans  le  beaux  arts:  il  mourut  de  la  peste  qui  dé- 
sola cette  ville  l'an  4a9  avant  l'ère  Chrétienne,  et  le  troisième  de 
la  guerre  du  Péloponnèse.  Son  portrait ,  n.°  5  ,  regardé  comme 
authentique  par  Visconti ,  a  été  copié  sur  une  belle  hermès  en 
marbre,  découverte  il  n'y  a  pas  long  tems  aux  environs  de  Tivoli, 
dans  les  ruines  de  la  maison  de  campagne  de  Cassins ,  d'où  il  est 
passé  dans  le  musée  du  Vatican  (i).  „  La  profondeur  des  pensées, 
la  finesse  du  jugement,  et  une  fermeté  de  caractère  inébranlable, 
sont,  au  dire  du  même  antiquaire,  les  qualités  dont  l'artiste  a  voulu 
graver  l'empreinte  sur  le  front ,  dans  les  yeux  et  sur  les  lèvres  du 
personnage  que  représente  cette  image.  11  est  à  remarquer  que  la 
forme  du  crâne  de  Périclés  ,  qui  ,  selon  Plutarque  était  oblong  et 
trop  élevé ,  se  trouve  cachée  ici  sous  le  casque  ;  et  que  cet  artifice 
a  été  employé  par  tous  les  artistes  de  cette  époque ,  pour  voiler  ce 
défaut  dans  les  portraits  de  leur  grand  protecteur  (a).  A  coté  de  celui 
de  Périclés  on  devrait  placer  le  portrait  d'Aspasie  fameuse  courti- 
sanne  de  Milet,  qui  de  cet  état  sut  s'élever  au  point  de  se  rendre, 
avec  ce  grand  personnage,  l'arbitre  des  destinées  d'Athènes.  Mail 
nous  l'avons  déjà  donné  sous  le  n.°   i   de  la  planche  7. 

Nous  terminerons  cette  première  série  de  l'Iconographie  Grec- 
que par  la  planche  36  ,  où  sont  retracés  les  portraits  des  Prince* 
et  des  Rois  de  Sicile  ,  qui ,  par  leurs  grandes  actions  ,  ont  mérité 
une  place  distinguée  dans  l'histoire.  Les  médailles  qui  les  repré- 
sentent sont  toutes  authentiques,  et  prises  en  grande  parties  de  l'ou- 
vrage du  célèbre  antiquaire  dont  nous  venons  de  parler.  La  médaille 

(1)  Dans  Thermes  on  lit  au  bas  du  portrait  en  grec,  et  en  carac- 
tères majuscules  l'inscription  suivante:  Périclés  fils  de  Xantippe  Athé- 
nien. On  a  découvert  dans  les  mêmes  ruines  prés  de  Tivoli  une  autre 
image  de  Périclés  qui  a  été  transportée  en  Angleterre  :  elle  est  gravée  sur 
un  cul  de  lampe  qu'on  trouve  dans  le  ll.e  tom.  ,  chap.  5  des  antiquités 
d'Athènes  par   Stuart. 

(a)  Plutarch.  Périclés  etc. 


%e 


CweiL 


DE     LA     GeÉCÊ.  -  171 

d'argent  n.°  1  représente  Hiéron ,  qui  gouverna  Agrigente  depuis  Hiêronl 
Tan  487  jusqu'en  472  avant  l'ère  vulgaire,  et  que  Pindare  fait  de- 
scendre de  héros  Thébains.  La  faction  des  Emmérides,  qui  formait 
dans  cette  ville  un  corps  politique ,  dont  les  membres  étaient  étroi- 
tement unis  entre  eux  par  les  liens  de  certaines  cérémonies  religieu- 
ses,  l'avait  élevé  au  pouvoir  suprême,  et  il  en  fit  un  usage  égale- 
ment utile  à  sa  patrie  et  à  la  Sicile  entière,  en  délivrant  cette  île 
du  joug  des  Carthaginois,  au  moyen  de  l'alliance  qu'il  fit  avec  Gélon 
chef  de  Syracuse.  Cette  médaille  se  trouve  dans  la  collection  Ca- 
relli  de  Naples.  L'écrévisse  qu'on  voit  sur  le  revers,  et  qui  s'appe- 
lait xpay&v  eu  grec,  était  devenu  l'emblème  d'Âgrigente,  à  laquelle 
les  Grecs  donnaient  pour  cela  le  nom  d'Àcragos.  Le  bandeau  qui 
ceint  le  front  du  personnage  ,  annonce  qu'on  le  mettait  au  rang 
des  anciens  héros. 

Les  n.os  2,  et  3  offrent  le  portrait  de  Gélon.  Après  s'être  rendu  Gélo,i- 
par  la  force  l'arbitre  de  Gela  sa  patrie,  Gélon  entreprit  la  con- 
quête de  Syracuse  ,  et  y  entra  en  vainqueur  à  la  tète  de  la  fac- 
tion des  riches  que  le  peuple  en  avait  chassés.  A  la  bataille  d'Hy- 
mère  il  défit  l'armée  Carthaginoise  commandée  par  Amilcar,  qui 
était  bien  de  trois  cent  mille  hommes:  il  en  employa  les  prison- 
niers à  l'agriculture  et  aux  ouvrages  publics,  au  lieu  de  cette  po- 
pulace inconstante  et  séditieuse ,  que  l'intérêt  public  l'avait  porté  à 
expulser  tout  à  fait  de  la  Sicile.  S'étant  présenté  ensuite  sans  ar- 
mes dans  l'assemblée  du  peuple,  il  y  rendit  compte  des  actes  de 
son  autorité,  et  fut  spontanément  proclamé  Roi.  Il  se  consacra  en- 
suite tout  entier  au  bien  de  la  Sicile,  à  laquelle  il  fit  en  quelque, 
sorte  changer  de  face,  en  y  créant  d'utiles  institutions  (1).  Il 
mourut  d'hydropisie  l'an  478  avant  l'ère  vulgaire.  Les  deux  mé- 
dailles, dont  l'une  est  en  argent  et  l'autre  en  bronze,  représentent 
ce  Prince  à  deux  âges  un  peu  différens  ,  et  ont  été  décrites  par 
Mionnet  (fi).  Dans  celle  du  n.°  a,  on  voit  derière  la  tête  et  dans 
le  champ  de  la  médaille  une  massue  ,  qui  pouvait  bien  être  l'em- 
blème de  ses  triomphes  dans  les  jeux  olympiques ,  idée  que  semblent 
confirmer  les  chars  de  victoire  qu'on    apperçoit    sur    le    revers  clés 

(1)  Gélon  inséra  dans  son  traité  avec  les  Carthaginois  un  article,  qui 
les  obligeait  à  l'abolition  de  l'usage  barbare  où  ils  étaient  de  sacrifier  des 
gnfans.  Voy.  Montesquieu  ,  Esprit  des  lois  ,  liv.   X  chap    5, 

(2)  Description  de  médailles  etc.  tom.  I.  Rois  de  Sicile  ,na  %  et. 5,- 


i7a  Gouvernement 

deux  médailles,  ainsi  que  la  lettre  E  qui  est  au  dessous  des  che- 
vaux du  n.°  a.  Elles  portent  l'une  et  l'autre  une  légende  en  Grec, 
qui ,  sur  l'une  ,  signifie  :  Les  Syracusains  (  à  la  mémoire  )de  Gélon  ^ 
et  sur  l'autre  simplement  (  à  la  mémoire  )  de  Gélon. 

méroni.  Le  n.°  4  représente  Hiéron  I.er  frère  de  Gélon    (i).    Sous  ce 

Prince  le  trône  de  Syracuse  acquit  un  nouvel  éclat.  Il  fut  ami 
des  lettres  et  des  arts;  et  malgré  son  ambition,  et  les  autres  dé- 
fauts que  lui  impute  Diodore  (2),  on  l'a  toujours  regardé  comme 
le  modèle  des  Princes.  Il  avait  fondé  la  ville  d'Etna,  dans  la- 
quelle il  obtint  les  honneurs  héroïques ,  qu'ont  avait  coutume  de 
rendre,  selon  le  témoignage  du  môme  écrivain  ,  aux  fondateurs 
d'une  ville  qui  ne  renfermait  pas  moins  de  dix  mille  habitans. 
Cette  médaille  est  en  bronze ,  et  porte  à  son  revers  les  mèmer 
emblèmes  que  celle  de  Gélon. 

La  médaille  d'argent,  n.°  5,  a  tous  les  caractères  que  nous  avons 
remarqués  dans  celles  de  Gélon  et  de  Hiéron ,  d'où  l'on  peut  con- 
clure avec  quelque  vraisemblance ,  qu'elle  a  été  frappée  à  la  môme 
époque  et  au  même  atelier  que  les  premières,  c'est  à  dire  à  Syra- 
cuse sous  Hiéron  II.  La  légende  Grecque  qui  est  sur  le  revers  si- 

Pkiiisie.  gnifie  :  (  à  la  mémoire  )  de  la  Reine  Philiste.  On  retrouve  le  nom 
de  cette  Philiste  sur  diverses  médailles  ,  ainsi  que  sur  quelques 
monumens  Paléo graphiques  de  la  Sicile  ;  mais  les  antiquaires  ne 
sont  pas  encore  d'accord  entre  eux  sur  la  place  à  assigner  à  cette 
Reine  dans  l'histoire  et  la  chronologie.  De  toutes  les  opinions  qui 
ont  été  émises  à  cet  égard  ,  la  plus  probable  selon  nous  est  encore 
celle  de  Visconti  ,  qui  croit  que  cette  image  est  celle  d'une  Phi- 
liste fille  de  Hiéron  I.er  ,  de  laquelle  descendait  vraisemblablement 
Hiéron  II.,  et  que  ce  dernier  fit  frapper  cette  médaille  avec  celle 
du  premier  Hiéron.  Le  char  de  victoire  fait  peut-être  allusion 
aux  triomphes  que  le  père  et  l'oncle  de  cette  femme  avaient  rem- 

(i)  Il  y  eut  deux  Hiéron.  Le  premier,  qui  était  fils  de  Dioméne  , 
jégna  io  ans  ,  et  mourut  l'an  467  avant  Lère  vulgaire  :  le  second  régna 
54  ans  ,  et  mourut  l'an  2i5  avant  la  même  ère.  Le  portrait  que  présente 
la  médaille  dont  est  question  est  celui  de  Hiéron  Ier,  malgré  que,  selon 
toutes  les  régies  de  la  bonne  critique  ,  elle  ait  été  frappée  sous  Hiéron  II 
qui  voulut  par  là  honorer  la  mémoire  de  ce  grand  homme.  Voy.  l'ouvrage 
du  même  Mionnet,  (  Rois  de  Sicile  n.°  20  )  ,  et  Visconti  Iconogr.  Grec, 
vol.  IL  pag.    i5  et  suiv. 

(2)  Diodor.  XL  §  67. 


be    la    Grèce.  173 

portés  dans  les  jeux  de  la  Grèce.  La  palme  qu'on  voit  dans  le 
champ  de  la  médaille  derrière  la  tète ,  et  la  lettre  A  au  dessous 
des  chevaux,  sont  des  signes  emblématiques  ou  de  la  ville  où  elle 
a  été  frappée,  ou  du  magistrat  qui  présidait  à  l'établissement  où 
elle  a  été  faite  (1).  La  chevelure  de  cette  Reine  va  disparaissant 
sous  le  diadème  et  sous  son  voile,  genre  de  coiffure  que  les  artistes 
de  l'antiquité  donnaient  souvent  à  la  mère  des  Dieux.  Nous  avons 
rapporté  d'autant  plus  volontiers  cette  image ,  qu'elle  peut  fournir 
à  nos  artistes  une  idée  de  l'habillement  des  Reines  Grecques  dans 
les  plus  beaux  jours  de  la  Sicile.  Tel  est  le  petit  nombre  des  mé- 
dailles que  nous  avons ,  et  sur  lesquelles  les  images  des  Rois  de  Si- 
cile ont  un  caractère  certain  d'authenticité  :  car  les  autres  mé- 
dailles ,  et  entre  autres  celle  de  Denis  l'ancien  ,  où  Mirabella  croit 
voir  le  portrait  de  ce  tyran  (fi)  ,  sont  toutes  supposées ,  ou  ne  re- 
présentent que  des  divinités  tutélaires.  Nous  n'étendrons  donc  pas. 
plus  loin  cette  première  série  de  l'iconographie  Grecque. 


SECONDE     SÉRIE      DE     L  I C  ONO  GRJ  P  H IE     GRECQUE* 

La  Grèce  sous  les  Rois  de  Macédoine. 

or,  la  dissimulation,  la  ruse  et  la  politique  insidieuse  de  toicademe 
Philippe  Roi  de  Macédoine  d'un  côté,  et  de  l'autre  la  mollesse,  de  u  GrJee, 
la  discorde,  l'abandon  des  anciennes  constitutions,  et  l'adulation 
vénale  des  orateurs,  avaient  déjà  porté  le  coup  le  plus  funeste  à  la 
liberté  des  Grecs.  Envain  Démosthénes  et  un  petit  nombre  d'au- 
tres, en  qui  survivait  encore  l'amour  des  premières  vertus,  fesaient 
tous  leurs  efforts  pour  soutenir  l'édifice  chancelant  de  la  puissance 

(1)  Visconti  observe  que  les  Grecs,  n'ayant  pas  de  noms  de  famille, 
fesaient  un  grand  usage  de  cachets  pour  se  distinguer  les  uns  des  aurres. 
«  Je  ne  crois  pas  ,  dit  il ,  qu'il  existe  de  monument  qui  prouve  mieux  cet 
usage  ,  et  qui  soit  plus  propre  à  expliquer  les  emblèmes  et  les  caractères 
qu'on  trouve  sur  les  anciennes  médailles  ,  que  la  célèbre  inscription:  ou 
table  en  bronze  d'Héraclée  :  on  y  lit  les  noms  des  magistrats  de  cette 
ville  ;  et  chaque  nom  est  accompagné  de  son  signe  emblématique  ou  du 
type  de  son  cachet  ,  et  de  quelques  lettres  qui  probablement  y  étaient 
gravées.  »  On  peut  lire  encore  ce  que  dit  à  ce  sujet  Mirabella  ,  Des  an- 
ciennes Syracuses ,  vol.  IL,  part.  II.   pag.   12a. 

(2)  Mirabella,  ibid.  Médaille  XXXI. 


ï  74  Gouvernement 

h MaSdZieri.  nat*onaie-  Philippe,  en  suite  d'une  convention  entre  son  père  Amyn- 
tas  et  le  Thébain  Pélopidas,  avait  été  envoyé  comme  otage  à  Thé- 
bes.  Il  y  fut  élevé  dans  la  famille  d'Epaminondas ,  où,  pour  le 
malheur  de  la  Grèce,  il  apprit  l'art  de  la  guerre  à  l'école  de  ce 
grand  capitaine.  Monté  sur  le  trône  de  Macédoine  ,  et  sûr  de 
l'obéissance  de  ses  sujets,  il  tourna  ses  vues  du  côté  de  la  Grèce, 
dont  la  faiblesse ,  fruit,  de  la  corruption  des  mœurs  et  de  l'esprit 
de  faction  qu'il  y  avait  remarqués,  lui  firent  sans  doute  regarder 
la  conquête  comme  peu  difficile.  Les  traîtres  qu'il  soudoyait  à  tout 
prix  dans  chaque  état  l'aidèrent  dans  l'exécution  de  son  projet  (i). 
Ses  premiers  mouvemens  le  rendirent  maître  des  Thermopyles  et 
de  la  Phocide  ,  dont  les  villes,  par  un  acte  de  sa  volonté,  furent 
réduites  en  simples  villages.  Ensuite  il  obtint  d'être  admis  solen- 
nellement dans  le  conseil  des  Amphyctions ,  avec  le  privilège  de 
deux  voix  dans  les  délibérations.  Les  Thébains  et  les  Athéniens 
tentèrent  vainement  d'opposer  une  barrière  au  torrent  des  phalan- 
ges Macédoniennes  ;  ils  furent  enfin  vaincus  à  la  fameuse  bataille 
de  Chéronée ,  et  Philippe  aurait  dès  lors  achevé  son  entreprise  ç 
s'il  eût  su  profiter  de  la  victoire ,  et  n'eût  pas  regardé  comme  une 
chose  imprudente  et  prématurée  de  pousser  les  Grecs  à  une  résis- 
tance désespérée.  Cette  crainte  fut  sans  doute  ce  qui  le  détermina 
à  se  faire  proclamer  par  tous  les  Etats  chef  suprême  de  toutes 
les  troupes  Grecques  ,  pour  une  expédition  qu'il  méditait  contre 
les  Perses,  et  qu'il  aurait  peut-être  exécutée,  s'il  n'avait  point  été 
Mon         tué  par  Pausanias  jeune  Macédonien    dans    la    XLVIl.e    année    de 

&  Philippe.  ,,,        J  .     .,,  .        . 

son  âge  ,  et  doo  ans  avant  I  ère  vulgaire. 
4iexanàre.  L'entreprises  que  Philippe  n'avait  pu    terminer    fut    heureuse- 

ment conduite  à  sa  fin  par  son  fils  Alexandre  (fi).  Celui-ci  nacquit 
à  Pella  en  Macédoine  356  ans  avant  l'ère  vulgaire:  il  descendait 
des  Héraclides  du  côté  paternel,    et    des    Eacides    du  côté    de    sa 

(i)  Les  Spartiates  furent  les  seuls  qui  surent  se  préserver  de  la  con* 
tagion  de  Tor  de  Philippe.  Pausanias  comparait  cette  contagion  à  la  peste 
qui  avait  dévasté  toute  la  Grèce  dans  la  guerre  du  Péloponnèse.  Les  fié-' 
ehes  d'Apollon  ,  dit  un  écrivain  illustre  ,  furent  moins  funestes  aux  Grecs 
dans  les  champs  de  Troie  que  l'or  répandu  par  Philippe  dans  leurs  pro- 
pres foyers.  Voy.   Sainte- Croix.  Exam.  etc. 

(2)  Nous  ne  rapporterons  d'Alexandre  que  ce  qui  a  une  relation  im- 
médiate avec  les  événemens  de  la  Grèce  ,  en  renvoyant  nos  lecteurs  pour 
le  reste  au  grand  ouvrage  de  Sainte- Croix  ,  Examen  critique  d&s  atir- 
siems.  historiens  iï Alexandre-le-grandK 


î)e    là    Grec e.  i^5 

trière  Olympie*  c'est  pourquoi  il  se  vantait  d'origine  divine,  comme 
issu  d'Hercule  ,  d'Achille  et  de  Jupiter.  Son  père  lui  donna  pour 
précepteur  Aristote,  qui  se  proposa  d'en  faire  un  grand  Boi,  en  Son  éducations 
quoi  il  réussit  parfaitement  :  car  dans  le  transport  de  son  admiration 
à  la  vue  des  progrès  rapides  que  fesait  son  fils,  Philippe  ne  put 
s'empêcher  de  s'écrier ,  d  mon  fils ,  cherche  un  autre  Royaume  qui 
soit  digne  de  toi ,  car  désormais  la  Macédoine  ne  peut  plus  le  con- 
tenir. Après  avoir  pris  les  rênes  de  l'Empire  à  l'âge  de  vingt  aus, 
et  vengé  la  mort  de  son  pète,  il  subjugua  les  Illyriens  et  les  Thra- 
ces.  La  prise  de  Théhes ,  qu'il  détruisit  entièrement  ,jetta  une  telle  Ses  première* 
épouvante  parmi  les  Grecs,  qu'ils  se  soumirent  tous  à  lui  ,  et  l'élu-  enirei]nses- 
rent  pour  leur  Généralissime  contre  les  Perses  leurs  mortels  enne- 
mis. A  vingt  deux  ans  il  passa  PHelïespont,  et  plein  de  confiance 
dans  le  succès  de  ses  armes,  il  distribua  entre  ses  amis  tous  les  do- 
maines de  sa  couronne,  ne  gardant  pour  lui  que  l'espérance.  Les  llJepjfè' 
batailles  du  Granique,  de  l'Issus,  et  d' Ai -belles  ,  les  sièges  d'Hali- 
carnasse  et  de  Tyr  s  et  une  foule  d'autres  exploits,  rélevèrent 
au  trône  de  l'Asie  dans  l'espace  de  cinq  ans  :  la  fondation  d'Ale- 
xandrie, la  restauration  de  villes  fameuses,  et  la  ruine  de  plusieurs 
autres,  forment  une  des  plus  belles  parties  de  l'histoire  Grecque, 
et  peut-être  la  relation  la  plus  importante  des  expéditions  militai, 
res  de  l'antiquité.  Parvenu  au  plus  haut  degré  d'élévation  qu'un 
homme  puisse  atteindre,  Alexandre  ne  s'endormit  point  au  milieu 
cle  ses  triomphes;  mais  poursuivant  sa  marche  victorieuse  à  travers 
d'immenses  régions  3  il  excita  l'admiration  et  la  terreur  chez  tous  les 
peuples,  et  poussa  ses  conquêtes  jusqu'aux  bords  de  l'Hydaspe  et 
de  l'Indus.  Salué  fils  de  Jupiter  par  l'oracle  d'Ammon ,  il  sut 
mettre  à  profit  cette  flatterie  pour  s'attirer  l'admiration  des  peu- 
ples ,  et  accomplir  le  grand  projet  qu'il  avait  conçu,  et  qui  peut- 
être  ne  pouvait  s'effectuer  par  la  force  seule  des  armes.  Ce  projet 
était  de  ne  former,  des  peuples  de  l'Asie  et  de  la  Grèce,  qu'une 
seule  nation  et  un  seul  empire,  capable  d'assurer  la  tranquillité 
des  peup!es  dont  il  serait  composé,  et  de  contenir  dans  une  certaine 
dépendance  les  nations  étrangères  dont  il  serait  environné.  Mais 
la  mort  l'empêcha  de  réaliser  cette  grande  entreprise:  frappé  d'une 
fièvre  violente  à  Babylone  ,  il  y  mourut  à  l'âge  de  3a  ans  ,  3o3  Sa  mon, 
avant  l'ère  chrétienne  (i). 

(1)  Voy.  Larcher  sur  l'opinion  de  la  mort  d'Alexandre.    Hérod.  vol. 
YII ,  pag.  7o8. 


• 


176  Gouvernement 

Conduite  Alexandre,  après  avoir  soumis  les  Grecs,  ne  voulut  point  leur 

d'Alexandre       #  m  \       1  »  1  \  • 

envers  la  Grèce  imposer  de  joug  ;  et ,  à  1  exemple  de  son  père ,  il  tint  au  con- 
traire envers  eux  une  conduite  pleine  de  noblesse  et  de  générosité. 
En  partant  pour  l'Asie  ,  il  leur  laissa  la  faculté  de  se  donner  telle 
forme  de  gouvernement  qu'il  leur  plairait  ;  et  dans  la  destruction 
de  Thébes,  il  voulut  même  ne  paraître  que  comme  le  simple  exé- 
11  se  venge  cuteur  de  leurs  décrets.  Il  ne  se  montra  pas  moins  grand  dans  la 
vengeance  qu'il  tira  des  Lacédémoniens ,  qui  lui  avaient  refusé  leur 
vœu  pour  le  commandement  suprême  des  troupes  Grecques  :  car 
ayant  envoyé  à  Athènes,  après  la  bataille  du  Grauique,  trois  cents 
armures  prises  sur  les  Perses  3  pour  y  être  consacrées  à  Minerve-Po- 
liade  ,  il  voulut  qu'on  mît  au  bas  cette  inscription  :  Alexandre  fils 
de  Philippe ,  et  les  Grecs  ,  excepté  les  Lacédémoniens ,  des  dépouil- 
les des  barbares  qui  habitent  l'Asie.  Mais  il  humilia  encore  d'avan- 
tage leur  orgueil  à  l'occasion  du  soulèvement  du  Péloponnèse,  dont 
ils  avaient  été  les  instigateurs.  Après  la  défaite  d'Agis  ,  qui ,  avec 
une  armée  de  Spartiates,  était  accouru  au  secours  des  rebéles,  Ale- 
xandre exigea  que  Lacédémone  lui  envoyât  quelques  otages  sous 
le  titre  d'ambassadeurs ,  et  se  mît  entièrement  à  sa  discrétion.  Il 
ne  montra  pas  moins  d'empressement  à  paralyser  l'énergie  des  peu- 
ples de  l'Elide  et  de  l'Achaïe  ,  qui  avaient  pris  les  armes  contre 
lui ,  en  fesant  dans  le  Péloponnèse  des  levées  d'hommes  plus  consi- 
dérables que  dans  aucune  autre  contrée  de  la  Grèce.  De  cette  ma- 
nière il  ôta  à  ses  ennemis  les  moyens  de  lui  nuire,  en  les  associant 
sans  qu'ils  s'en  doutassent  à  l'accomplissement  de  ses  vastes  projets. 
À»  affection  Alexandre  conserva  toujours  une  affection  particulière  pour  la  ville 
Vour  Athènes,  g^fofa^  ?  à  lac[Uelle  il  ne  refusa  rien  de  tout  ce  qu'elle  lui  de- 
manda durant  le  cours  de  son  expédition;  il  lui  fit  même  restituer, 
non  seulement  les  statues  d'Harmodius  et  d'Aristogiton  ,  mais  en- 
core les  simulacres  de  ses  Dieux  qui  lui  avaient  été  enlevés  et  trans- 
portés à  Suse.  Connaissant  néanmoins  l'esprit  de  légèreté  et  de  sé- 
dition qui  dominait  dans  ses  habitaus,  il  eut  toujours  soin,  suivant 
la  maxime  politique  de  son  père,  de  fomenter  la  faction  Macé- 
donienne dans  les  murs  de  cette  ville,  en  s'assurant,  au  prix  de 
For,  l'appui  de  ses  premiers  citoyens  (1).  Cette  conduite  artifi- 
cieuse soumit  la  Gréée  entière  au  joug  des  Macédoniens  sans  qu'elle 
s'en  aperçût. 

(1)  V.  Plut,  in  Alex.  Aescliin.  contr.  Ctesipîi.  Diod.   Sic.  Arrien.  et 
S.  Croix.  Examen  etc.  pag.  461. 


Caractère 
d'Alexandre. 


de    la    Grèce.  177 

Nous  n'entrerons  point  ici  dans  une  dissertation  approfondie 
sur  le  caractère  d'Alexandre.  Nous  laissons  aux  Rhéteurs  et  aux 
Sophistes  la  liberté  de  l'élever  au  rang  des  demi-Dieux ,  ou  de 
l'abaisser  au  nombre  des  tyrans  et  des  fléaux  de  l'humanité.  Il  nous 
semble  néanmoins  qu'Aristote  a  tracé  un  fidèle  portrait  de  ce  grand 
homme ,  qui  avait  été  son  disciple  ,  dans  le  passage  suivant  dont 
Rutilius  Lupus  nous  a  donné  la  traduction  latine  :  Jlexandro  Ma- 
cedoni ,  neque  in  déliherando  consilium  ,  neque  in  praeliendo  virtus 
neque  in  beneficio  benignibas  deerat ,  sed  dumtaxat  in  supplicio  cru- 
delitas.  Nam  cum  aliqua  res  dubia  accidisset ,  apparebab  sapien- 
tissimus  ;  cum  autem  confligendum  esseb  cum  hosbibus ,  forbissimus-, 
cum  vero  praemia  dignis  tribuendum ,  liber alis simus  :  ab  cum  uni- 
madverberidum ,  clementissimus  (1). 

Tels  furent  le  caractère  et  la  vie  d'Alexandre  ,  dont  le  génie  Ses  erreur. 
aurait  pu  changer  la  face  de  l'ancien  monde  ,  et  y  faire  régner  le 
bonheur.  Mais ,  comme  l'observe  fort-bien  Gilles ,  l'esprit  d'amélio- 
ration est  passager  et  demande  des  efforts  suivis ,  tandis  que  les 
causes  de  destruction  sont  infinies  et  permanentes  (a).  En  négli- 
geant d'assurer  la  succession  à  son  trône ,  le  héros  Macédonien  laissa 
un  champ  ouvert  aux  guerres  sanglantes,  qui  ont  si  long  temps 
désolé  le  monde  après  lui.  On  rapporte  même  qu'ils  les  prédit 
dans  les  derniers  momens  de  sa  vie  ,  en  disant  :  Mes  funérailles 
seront  de  sang.  Ses  Généraux  usèrent  de  la  pilus  astucieuse  politi- 
que, pour  paralyser  les  droits  que  ses  en  fans  et  ses  frères  avaient 
à  lui  succéder  (3).  Perdicas ,  à  qui  il  avait  donné  l'anneau  revêtu 


Politique 
ans  Généraux 
d'Alexandre, 


(1)  Rutil.  Lup.,  de  fig.  sentent..  L.  I.  §.  18.  Voy.  l'ouvrage  cité 
de  Sainte  Croix,  pag.  ao3.  Voyez  aussi  l'Iconographie  de  Visconti ,  qui  fait 
à  propos  l'observation  suivante,  tom.  II.  pag.  Zz:  «  Cet  éloge  ,  qu'Aristote 
nous  a  laissé  d'Alexandre  est  d'autant  plus  digne  d'attention,  qu'il  a  sans 
doute  été  écrit  après  sa  mort:  ce  qui  me  fait  regarder  comme  injuste  le 
reproche  d'adulation,  que  Ronchenius,  d'après  Tertullien,  fait  à  ce  sujet 
au  philosophe. 

(2)  Hist.  of  Greece.  Vol.  II.  pag.  678. 

(3)  Alexandre  eut ,  de  Barsine  fille  de  Darius ,  selon  quelques  écri- 
vains ,  et  d'Artabaze  selon  d'autres  ,  un  fils  appelé  Hercule  ,  qui  ne  vé- 
cut que  fort  peu  de  tems  ;  de  la  belle  Pwxane  fille  d'Oxiarte  Bactrien  , 
un  autre  fils  posthume  qui  eut  son  nom,  et  porta  pendant  quelque  tems 
le  titre  de  Roi;  et  de  Cléoplie  Reine  d'une  partie  des  Indes  un  troisième, 
qui  fut  également  appelé  Alexandre  ,  et  succéda  au  trône  de  sa  mère.  Il 

Europe,  fol.  J.  a3 


1 7&  CouVernement 

du  sceau  royal  ,  prit  la  Régence  de  ses  vastes  états  :  les  troupes  et 
les  provinces  furent  partagées  entre  Antigone ,  Ptolémée  ,  Crater 
et  autres  généraux,  qui,  ayant  été  auparavant  les  égaux  de  Perdi- 
cas ,  se  trouvaient  humiliés  d'être  devenus  ses  inférieurs.  Chacun 
d'eux  voulut  se  faire  un  état  indépendant  et  absolu  par  la  force  des 
armes:  ils  enrôlèrent  de  nouvelles  troupes,  cherchèrent  à  se  ravir 
réciproquement  les  pays  dont  ils  s'étaient  emparés ,  formèrent  entre 
eux  et  rompirent  tour  à  tour  les  alliances  les  plus  formidables.  Du- 
rant ces  débats ,  les  enfans  et  les  parons  d'Alexandre  périrent  tous  mi- 
sérablement dans  les  prisons  où  ils  avaient  été  renfermés,  ou  dans 
les  divers  pays  où  ils  étaient  dispersés.  L'histoire  n'offre  plus  qu'une 
Leurs  guerres    suite  affreuse  de  calamités  et  de  forfaits.  Les  provinces  étaient    en 

entre  eux.  •        3      ■»         i  '    •  i  t      1  •  1  1 

proie  a  1  ambition  des  généraux  qui  se  les  arrachaient  successive- 
ment ,  et  en  fesaient  un  théâtre  permanent  de  désolation,  d'épou- 
vante et  de  carnage.  Perdicas  fut  massacré  par  ses  propres  soldats , 
Alcéte  se  donna  la  mort  ,  Eumènes  fut  tué  par  ordre  d'Antigone. 
Enfin  la  bataille  d'Issus  en  Phrygie,  où  ce  dernier  conquérant,  le 
plus  redoutable  de  tous,  périt  sous  une  grêle  de  dards,  mit  un 
terme  à  cette  lutte  sanglante;  et  l'empire  fut  divisé  entre  Ptolé- 
mée ,  Cassandre,  Lysimaque  et  Seleucus.  La  Macédoine  et  la  Grèce 
tombèrent  au  pouvoir  de  Cassandre. 
fia  Grèce  sous  Notre  but  n'étant  pas  de  tracer  l'histoire  de  ces  événemens,  mais 

les  successeurs  ni  i        •  i 

d'Alexandre,  bien  celle  du  costume,  nous  nous  abstiendrons  d  entrer  dans  de  plus 
longs  détails  sur  les  successeurs  d'Alexandre.  Il  nous  suffit  d'avoir 
indiqué,  en  quelque  sorte,  le  fil  de  l'histoire,  pour  lier  ensemble 
tous  les  faits  qui  appartiennent  à  la  Grèce.  Ceux  qui  voudraient  ac- 
quérir de  plus  amples  notions  à  cet  égard  ,  pourront  consulter  , 
parmi  les  anciens,  Q.  Curtce  ,  Arrien,  Justin,  Diodore  de  Sicile 
et  Plutarque;  et  parmi  les  modernes  Sainte-Croix,,  l'Histoire  uni- 
verselle de  la  société  des  gens  de  lettres    d'Angleterre  ,    et    surtout 

avait  en  outre  trois  frères  ,  savoir  ;  Ariclée  fils  de  la  danseuse  Philine  j 
Ptolémée  fils  è? Arsinoé  qui  était  déjà  enceinte  ,  lorsque  Philippe ,  père 
de  cet  enfant ,  la  maria  avec  Lagus  ;  et  Caraunus  fils  de  Cléopatre ,  la 
rivale  d'Olympie  :  il  eut  encore  une  sœur  appelée  Tessa  ,  qui  fut  l'épouse 
de  Cassandre.  Certains  écrivains  prétendent ,  qu'au  mépris  des  droits  de 
ses  propres  enfans ,  Alexandre  partagea  avant  sa  mort  les  pays  qu'il  avait 
conquis  entre  ses  plus  grands  généraux  5  mais  ce  n'est  pas  à  nous  d'entrer 
dans  cette  discussion.  Lisez  encore  l'ouvrage  de  Sainte  Croix ,  pag.  568 
et  suiv. 


de    la    Grèce.  179 

l'histoire  du  monde  par  l'illustre  Gillies  (1).  Nous  observerons  seu- 
lement à  nos  lecteurs,  que  dès  cette  époque  ,  la  langue  aussi  bien  que 
les  usages  des  Grecs,  passèrent  comme  par  adoption  chez  tous  les  peu- 
pies  qui  étaient  tombés  au  pouvoir  des  successeurs  d'Alexandre  (2), 
C'est  ce  qui  arriva  particulièrement  en  Syrie  et  en  Egypte,  où  les 
Séleucus,  les  Ptolémées  et  leurs  descendans  affectèrent  d'allier  dans 
la  magnificence  de  leurs  cours  ,  les  arts  et  l'élégance  des  Grecs , 
avec  la  pompe  et  le  luxe  des  orientaux.  Mais,  comme  l'observe  en- 
core Gillies,  ils  avaient  plus  d'ostentation  que  de  goût  ,  et  leur  pré- 
tendue libéralité  était  continuellement  en  opposition  avec  l'escla- 
vage dans  lequel  ils  retenaient  les  peuples;  aussi  tombèrent-ils  bien- 
tôt dans  la  mollesse,  dans  l'avilissement  et  dans  un  état  de  nullité 
parfaite.  Les  intrigues  des  femmes,  des  Eunuques  et  de  ministres 
efféminés  ne  nous  offrent  rien  qui  mérite  de  trouver  place  dans 
l'histoire  Grecque. 

La  Grèce  proprement  dite  nous  laisse  pourtant  encore  aper-  Elle  conserva 
cevoir  sous  les  successeurs  d'Alexandre  quelqu'étincelïe  des  vertus  °es  &M" 
antiques  ;  mais  cette  étincelle  pourrait  se  comparer  à  la  faible 
lueur  d'une  lampe  qui  s'éteint.  Elle  avait  toujours  plus  ou  moins 
conservé ,  avec  une  liberté  apparente  ,  ses  constitutions  et  ses  lois. 
Alexandre  ne  s'en  était  jamais  déclaré  le  Souverain  maître,  et  il 
semblait  s'être  contenté  du  titre  modeste  de  protecteur;  mais  il 
est  bien  rare  que  la  protection  d'un  grand  Prince  n'entraîne  pas 
l'esclavage  du  peuple  qui  en  est   honoré.    Ses    successeurs    suivirent 

(1)  The  Us  tory  of  the  world  from  the  reign  of  Alexander  to 
thaù  of  Augustus  comprehending  the  lutter  âges  of  Europaa  Greece 
etc.  London  ,    Cadel ,   1807,  vol.  IL  in  4.0 

(2)  Les  usages  Grecs  se  répandirent  après  cette  époque  jusques  chez 
les  autres  nations ,  au  point  qu'il  n'y  avait  personne  dJun  peu  d'éducation 
qui  ne  voulut  passer  pour  Grec.  La  langue  Grecque  devint  celle  ,  non 
seulement  des  savans,  mais  encore  de  tous  ceux  qui  se  piquaient  d'être 
du  bon  ton  et  bien  élevés.  Elle  passa  en  usage  en  Italie  ,  à  Carthage  et 
même  chez  les  Juifs.  Cette  presque  universalité  des  mœurs  et  des  maniè- 
res Grecques  fut  le  résultat  des  conquêtes  d'Alexandre,  dont  les  armées 
et  les  garnisons  ne  s'alimentaient  que  de  recrues  qui  arrivaient  continuel- 
lement de  la  Grèce  ,  et  plus  encore  des  inombrables  colonies  Grecques 
qui  se  dispersèrent  en  Europe  ,  en  Asie  et  en  Afrique  ,  ainsi  que  de  la 
gaieté ,  de  l'amabilité  du  caractère  de  cette  nation  ,  de  la  perfection  de 
sa  langue,  et  de  sa  supériorité  dans  les  arts. 


Cassandre 

«L  Demetrius 

J'halére. 


18©  Gouvernement 

pendant  quelque  tems  sa  politique  ;  mais  aussi  ils  déployèrent  les 
mêmes  principes  de  tyrannie  ,  comme  l'avait  fait  Alexandre  envers 
les  Athéniens ,  toutes  les  fois  que  quelqu'un  des  peuples  de  !a  Grèce 
chercha  à  secouer  le  joug ,  et  à  se  soulever  au  premier  rayon  d'es- 
Phocion.  pérance  qui  venait  le  flatter.  Phocion  était  peut-être  le  seul  qui 
aurait  pu  faire  revivre  dans  la  nation  les  vertus  de  ses  ancêtres , 
et  la  tirer  de  l'état  de  léthargie  où  elle  était  plongée.  Il  réunissait 
en  lui  la  pénétration  politique  de  Thémistocle  à  lahravoure  militaire 
de  Miltiade.  Mais  l'esprit  des  Athéniens  était  déjà  trop  corrompu  : 
ce  peuple  inconstant  et  léger,  après  avoir  embrassé  le  parti  de  ce 
grand  homme,  lui  préféra  ensuite  des  hommes  vils  et  abjects,  sans 
autre  motif  que  celui  d'une  basse  jalousie.  Il  fut  condamné  par 
une  assemblée  tumultueuse  à  boire  la  ciguë.  Cependant  Athènes 
avait  joui ,  sous  l'autorité  de  Cassandre  et  les  auspices  de  Demetrius 
Phalère  ,  de  tons  les  avantages  que  peut  procurer  un  gouvernement 
bien  constitué.  Demetrius,  à  qui  Cassandre  avait  confié  les  rênes 
de  cette  république ,  avait  tenté  d'y  remettre  en  vigueur  les  ancien- 
nes lois,  d'en  reformer  tous  les  abus,  et  de  ramener  les  citoyens  à 
la  vertu,  à  la  concorde,  à  la  soumission  ,  et  enfin  à  la  gloire  de 
ses  ancêtres.  Sa  récompense  fut  comme  celle  de  Phocion  ,  d'être 
cruellement  persécuté  par  ses  propres  concitoyens  :  son  ingrate  pa- 
trie l'envoya  en  exil,  et  on  renversa  les  trois  cent  statues  qu'on  lui 
avait  élevées  :  exilé  et  condamné  à  mort  par  contumace  ,  il  trouva 
un  asile  honorable  en  Egypte  à  la  cour  de  Ptolémée  Soter  protec- 
teur magnanime  des  arts  et  des  sciences  (i). 

Tandis  que  la  Grèce  se  trouvait  en  proie  à  tant  de  troubles 
et  de  revers  sous  la  domination  des  conquérans  Macédoniens,  elle 
se  vit  tout  à  coup  menacée  d'une  catastrophe,  dont  le  danger  rap-^ 
procha  un  instant  tous  les  peuples  de  cette  contrée  ,  et  qui  aurait 
pu  produire  les  plus  heureux  effets ,  comme  cela  était  arrivé  chez 
d'autres  nations,  si  l'amour  de  la  patrie  et  l'honneur  national  n'a- 

(1)  Les  Athéniens  étaient  arrivés  à  un  tel  degré  de  lâcheté  ,  qu'ils 
ne  rougirent  point  d'accumuler  les  honneurs  les  plus  extravagans  sur  De- 
metrius Poliorcète  et  son  père  Antigone  ,  en  donnant  à  chacun  d'eux  le 
titre  de  Dieux  tutélaires ,  et  en  portant  solennellement  en  procession  leur» 
images.  Après  avoir  chassé  Cassandre  de  l'Attique,  Demetrius  obtint  det 
Athéniens  pour  son  habitation  le  temple  de  Minerve  ,  qu'il  souilla  par 
toutes  sortes  de  profanations.  Que  pouvait-on  espérer  d'un  peuple  tombé 
dans  un  tel  état  d'abjection  ? 


Incursions 
^es   Gaulois. 


6!    là    Grèce,  181 

valent  pas  été  totalement  éteints  dans  l'âme  des  Grecs.  Les  Cel- 
tes ou  Gaulois,  sous  la  conduite  de  Brenuus,  firent  une  irruption  en 
Grèce  avec  une  armée  formidable;  mais  à  peine  eurent-ils  franchi 
les  Thermopyles  qu'il  furent  battus.  Ce  premier  échec  n'empêcha 
pourtant  pas  qu'une  de  ces  hordes  barbares,  au  nombre  de  qua- 
rante mille  hommes,  ne  s'avançât  en  Etolie  où  elle  commit  toute 
sortes  d'atrocités,  sans  le  moindre  égard  pour  les  vieillards  et  les 
enfans  à  la  mamelle.  Revenus  de  leur  première  épouvante,  et  ren- 
forcés  par  d'autres  Grecs  ,  les  Etoliens  l'attaquèrent  avec  tant 
d'impétuosité  ,  qu'il  ne  s'en  retourna  que  vingt  mille  aux  Ther- 
mopyles ,  où  se  trouvait  encore  ie  nerf  de  leurs  forces.  Ces  barba- 
res tentèrent  néanmoins  une  autre  expédition  contre  Delphes,  dans 
la  vue  de  piller  le  temple  fameux  qui  existait  dans  cette  ville  ; 
mais  les  Grecs  accourus  de  toutes  parts  à  sa  défense  détruisirent 
entièrement  l'armée  ennemie,  et  Brennus  lui  même  se  voyant  blessé 
et  sans  espoir  de  salut,  se  donna  la  mort  d'un  coup  de  poignard  (i). 
Si,  après  cet  avantage  signalé,  les  Grecs  avaient  su  conserver  l'énergie 
qui  les  avait  réunis  dans  le  danger  dont  ils  venaient  de  se  délivrer „ 
peut-être  auraient-ils  pu  recouvrer  leur  ancienne  liberté,  et  se- 
couer tout-à-fait  le  joug  étranger  qui  pesait  sur  eux  ;  mais  dans 
cette  entreprise  ,  chacun  avait  suivi  l'impulsion  de  l'intérêt  privé 
plutôt  que  celle  du  bien  public  ;  c'est  pourquoi  s  le  danger  passé  , 
la  corruption  et  les  divisions  intestines  reprirent  leur  cours. 

De  tous  les  peuples  de  la  Grèce,  les  Achéens  furent  les  seuls 
qui  ,  nourrissant  encore  quelqu'étincelle  des  antiques  vertus,  osèrent 
chasser  les  Macédoniens,  et  s'ériger  de  nouveau  en  république.  Ils 
avaient  eu  anciennement  pour  Roi  un  fils  d'Oreste  appelé  Tisamé- 
ne  ,  qui,  chassé  de  Sparte  après  le  retour  des  Héraclides,  s'était 
rendu  maître  de  l'Achaïe,  où  ses  descendans  continuèrent  à  ré- 
gner jusqu'à  Ogygés  (a).  Mais  le  gouvernement  des  enfans  d'Ogygés 

(i)  L'irruption  des  Gaulois  en  Gréée  eut  lieu  la  seconde  année  de 
la  CXXV.e  olympiade  ,  27g  ans  avant  l'ère  vulgaire.  Lisez  cet  événement 
dans  Pausan.  liv.  X.  ch.  22  et  23. 

(2)  Les  Achéens  étaient  ainsi  appelés  ,  parce  qu'ils  descendaient 
d'Achus  fds  de  Xutus  et  petit-fils  d'Helenus.  Avant  ie  retour  des  xiéracli- 
des  ils  habitaient  le  pays  d'Argos  ;  mais  chassés  de  là  par  les  Héraclides 
quatre  vingt  ans  avant  la  prise  de  Troie ,  ils  se  réfugièrent  chez  les  Io- 
niens dans  le  Péloponnèse ,  et  s'y  emparèrent  des  douze  yilles  dont  Po- 
lybe  fait  mention  au  8.e  chap.    du  II.e  liv.    de  son  ^histoire.  Il  est  a   re- 


Victoiré 

des  Etoliens. 


Mort 
de  Brennus 


Ligue 
Achéetme. 


18a  Gouvernement 

étant  devenu  despotique,  les  Achéens  l'abolirent  et  adoptèrent  la 
forme  du  gouvernement  républicain,  qu'ils  conservèrent  jusqu'aux 
tems  de  Philippe  et  d'Alexandre  ,  malgré  que  l'état  de  leurs  af- 
faires eût  varié  selon  les  différentes  révolutions  qui  s'étaient  opé- 
Les  Achèem  rées  en  Grèce.  Cette  republique  se  composait  de  douze  ville ,  qui 
MalèLnLis.  étaient,  Patras,  Dyma,  Phare,  Tritée  ,  Léontium  ,  Egire  ,  Pellé- 
ne  ,  Egios  ,  Bura  ,  Celinée  ,  Oléne  et  Elice  :  ces  villes  existaient 
encore  du  tems  de  Polybe,  à  l'exception  d'Oléne  et  d'Elice  que 
la  mer  avait  englouties.  Après  Alexandre ,  et  avant  le  CXXIV.6 
olympiade  ,  la  discorde  s'insinua  chez  les  Achéens  par  l'entremise 
surtout  des  Macédoniens;  de  sorte  que  renonçant  à  la  loi  commune 
pour  se  donner  des  institutions  capricieuses  et  opposées  entre  elles, 
chaque  ville  prit  une  forme  de  gouvernement  conforme  à  l'intérêt 
de  ses  citoyens  le  plus  puissans  et  des  factions  différentes.  Deme- 
trius  et  Cassandre  surent  mettre  à  profit  ces  divisions,  et  après 
eux  Antigone  Gonatas  qui  fut  comme  la  souche  de  la  plupart  des 
tyrans  ,  dont  la  cruauté  affligea  toutes  les  villes  de  la  Grèce. 
Ces  trois  principaux  chefs  placèrent  une  garnison  de  Macédo- 
niens dans  certaines  villes  de  l'Achaïe,  et  assujétirent  les  autres 
au  joug  de  quelques  tyrans  qui  étaient  dans  leur  dépendance.  En- 
fin vers  la  même  olympiade,  et  dans  le  tems  que  Pyrrhus  fit  son 
incursion  en  Italie  ,  les  villes  de  l'Achaïe  commencèrent  à  se  sou- 
lever, et  à  renouer  entre  elles  leur  ancienne  alliance.  Dyma.,  Patri, 
Tritée  et  Phari  furent  celles  qui  donnèrent  l'exemple  de  cette  réu- 
nion. 11  fut  bientôt  suivi,  non  seulement  par  les  autres  villes  de 
l'Achaïe,  mais  encore  par  toutes  celles  du  Péloponnèse,  sous  les 
auspices  du  sage  et  valeureux  Aratus,  qui  délivra  du  joug  des  tyrans 
Sicyone  sa  patrie,  et  la  réunit  à  la  république  Achéene ,  ainsi 
que  Mégare  et  Corinthe  ,  qui  était ,  par  sa  position ,  la  plus  forte 
et  la  plus  importante  des  villes  Grecques.  La  vertu  et  la  fermeté 
'miopomène.  du  généreux  Philoporaéne  de  Mégalopolis,  achevèrent ,  par  la  réu- 
nion de  Sparte,  l'ouvrage  de  cette  ligue. 

marquer  qu'Hérodote  ,  Polybe  et  Pausanias  ne  sont  pas  parfaitement  d'ac- 
cord entre  eux  sur  le  nombre  de  ces  villes.  Cependant  Hérodote  et  Stra- 
bon  le  sont  parfaitement,  en  substituant  Ege  et  Ripa  à  la  Léontium 
et  à  la  Gérinée  de  Polybe.  Chaque  ville  était  le  chef  lieu  d'un  district  , 
et  avait  quelques  bourgs  dans  sa  dépendance.  Il  faut  lire  sur  la  ligue 
Achéenne  Polybe  et  les  Fastes  de  V A 'choie  illustrés  Théoph.  Siegfr. 
iBayeri  dans  le  V.e  yol.  des  actes  de  l'Académie  de  Pétersbourg, 


Réunion 
des  villes 
jlchéennes- 


Jralus. 


de    la    Grèce.  i83 

Les  villes  dont  elle  se  composait  avaient  les   mêmes   lois ,  les     Constitution 

k  i  «i  i  ,  de  la  ligue 

mêmes  monnaies  3  les  même  poids  et  mesures,  et  les  mêmes  magistra-  Achëenne., 
tures;  et  l'unité  de  leur  administration  était  telle,  que  l'Achaïe* 
entière  semblait  ne  faire  qu'une  seule  ville.  Polybe  observe  qu'il  n'y 
eu  jamais  de  république ,  où  la  liberté  ,  l'égalité  et  la  bonne  foi 
ayent  régné  avec  plus  d'empire.  Les  anciennes  villes  ne  jouissaient 
d'aucune  prérogative ,  qui  ne  fût  commune  à  celles  qui  étaient  en- 
trées les  dernières  dans  la  ligue  (i),  Chacune  avait  ses  magistrats 
particuliers ,  et  se  gouvernait  par  ses  propres  lois.  Mais  il  y  avait  Assemblée 
une  assemblée  générale  composée  de  tous  leurs  députés ,  qui  se  réu- 
nissait ordinairement  deux  fois  l'année  en  hyver  et  en  autonne , 
est  le  plus  souvent  à  Egios ,  qui  était  peut-être  la  plus  ancienne  s 
la  plus  riche  et  la  plus  peuplée  de  toutes  le  villes  PAehaïe.  Ce- 
pendant cette  assemblée  se  tint  aussi ,  dans  les  derniers  tems  de 
la  république,  à  Corinthe  s  ville  que  sa  position  ,  comme  nous  ve- 
nons de  le  dire  ,  rendait  très-forte. 

C'est,  dans  le  sein  de  cette  assemblée  générale  que  se  fesait  Stratège 
l'élection  du  Stratégue0  ou  du  commandant  en  chef  des  troupes,  dont 
l'autorité  s'étendait  encore  sur  les  affaires  politiques  et  administra- 
tives, mais  pourtant  avec  des  restrictions  déterminées  par  les  lois. 
Sa  charge  était  annuelle  :  elle  pouvait  néanmoins  lui  être  continuée 
ou  conférée  de  nouveau.  L'assemblée  avait  le  droit  de  déclarer  la 
guerre,  de  faire  la  paix,  de  former  des  alliances,  de  les  rompre., 
et  de  créer  des  lois  générales.  Elle  choisissait  les  magistrats  com- 
muns à  toute  la  nation,  nommait  les  ambassadeurs,  et  recevait  ceux 
des  autres  états.  Son  président  était  le  Stratégue  ,  auquel  on  don-  Démiurges, 
nait  comme  pour  adjoints  dix  autres  magistrats  appelés  Démiurges , 
qui  étaient  élus  par  elle  à  la  pluralité  des  suffrages.  Les  affaires  se 
discutaient  d'abord  entre  les  Démiurges  ,  et  ensuite  étaient  portées  à 
l'assemblée,  qui  devait  avoir  prononcé  dans  le  terme  de  trois  jours , 
passé  lequel  elle  était  dissoute.  Ses  décrets ,  après  avoir  reçu  la 
sanction  du  serment ,  étaient  gravés  sur  des  pierres  ou  sur  des  colon- 
nes s  et  exposés  dans  les  lieux  sacrés.  Une  des   villes    de    la    ligue 

(i)  M.r  de  Folard  dit  dans  ses  commentaires  de  Polybe  ,  que  la  ré- 
publique Achéenne  pourrait  être  mise  en  parallèle  avec  celle  d'Hollande  ; 
et  en  effet ,  on  remarque  entre  ces  deux  républiques  une  singulière  con- 
formité d'événemens  ,  de  conduite  ,  de  courage  ,  et  de  gouvernement.  Hist 
de  Polybe  etc.  Amsterd.  1774  in  4-°  vol.  III.  pag.  2Ô2.  Nota  (a). 


1 04  Gouvernement 

qui  refusait  de  se  soumettre  aux  délibérations  de  l'assemblée.,  ou 
d'envoyer  son  contingent  de  troupes  en  tems  de  guerre,  pouvait 
y  être  contrainte  par  la  force  des  armes.  Cette  ligue  avait  une 
Loi  tressage.  ]0i  remarquable,  et  bien  propre  à  maintenir  la  paix  et  l'union  entre 
les  villes  qui  la  composaient;  c'était  celle  qui  empêchait  qu'aucune 
d'elles  ne  pût  envoyer  directement,  et  de  son  propre  mouvement, 
des  ambassadeurs  à  l'étranger.  Nous  passons  sous  silence,  pour  plus 
de  brièveté,  une  foule  d'autres  lois  non  moins  admirables,  qu'on 
peut  voir  dans  Polybe  et  dans  Tite  Live  (i).  Nous  ne  devons  pour- 
tant pas  omettre  de  dire  que  plusieurs  peuples  de  la  Grande  Grèce, 
et  entre  autres  ceux  de  Crotone,  de  Sybaris  et  de  Caulon  ,  avaient 
adopté  la  constitution  de  Achéens ,  qu'ils  perdirent  ensuite  sous  la 
tyrannie  de  Denis,  et  l'oppression  des  Barbares  leurs  voisins  (2). 
Jalousie  La  ligue   Achéenne  était  arrivée  en   peu  d'années  à  un  si  haut 

des   Romains  .,.  •     \  >  >      i  r 

contre         point  de  gloire  et  de  splendeur,  et  avait  déployé  des  forces  si  im- 

les  Achéens.       l  ,    i .        ,       •  ,  ■  -i       ■    ,         .  i 

posantes,  quelle  devint  un  objet  de  jalousie  et  de  craintes  pour  la 
république  Romaine:  c'est  pourquoi,  malgré  qu'ils  se  fussent,  servis 
des  Achéens  dans  plusieurs  de  leurs  entreprises,  et  surtout  dans  la 
guerre  de  Macédoine  contre  Philippe  V.,  ou  Philippe  fils  de  De- 
metrius,  les  Romains  firent  tout  leur  possible  pour  rompre  ou  au  moins 
affaiblir  cette  union  formidable.  Les  querelles  des  Lacédémoniens 
qui  s'étaient  retirés  de  la  ligue,  et  les  ravages  que  les  Achéens 
commettaient  sur  leur  territoire,  fournirent  enfin  aux  Romains  une 
occasion  favorable  pour  réaliser  les  projets  de  leur  astucieuse  po- 
litique. Le  Sénat  de  Rome  ayant  été  invité  par  les  Spartiates  à 
venir  à  leur  secours  3  il  leur  répondit  qu'il  enverrait  des  commis- 
saires pour  vérifier  les  faits,  et  venger  leurs  torts.  Ces  commissaires 
ayant  convoqué  à  Corinthe  une  assemblée  générale  des  chefs  de 
toutes  les  villes  de  la  Grèce,  ils  leur  donnèrent  lecture  d'un  dé- 
cret, par  lequel  le  Sénat  ordonnait  qu'on  retranchât  de  la  ligue 
toutes  les  villes  qui  ne  fesaient  pas  partie  de  l'Achaïe  proprement 
dite.  Ce  décret  irrita  tellement  les  Achéens,  qu'ils  massacrèrent 
tous  les  étrangers ,  et  les  commissaires  Romains  eux  mêmes  n'au- 
raient point  été  épargnés ,  s'ils  n'eussent  trouvé  le  moyen  de  s'éva- 
der à  la  faveur  du  tumulte.  A  peine  reçue  à  Rome  la   nouvelle  de 

(1)  Lisez  encore    IJbbon  Emmïus  Descriptio  Relpubl,   Achaeorum  , 
Gronovii  Thés.  vol.  IV. 

(2)  Polyb.  liv.  IL  chap.  VII. 


d?  Alexandre* 


DELA     G  RÉ  CE.  l85 

cet  événement ,  le  sénat  confia  au  consul  Mummius  le  soin  de  la 
guerre  Achaïque  ,  dont  les  suites  furent  si  funestes  pour  la  Grèce 
entière.  La  ruine  de  Corinthe  entraîna  la  dissolution  de  la  liçrue 
Achéenne;  et  depuis  lors,  toute  la  Grèce  fut  soumise  à  la  puis- 
sance des  Romains  ,  et  gouvernée  par  leurs  magistrats. 

Revenant  maintenant  à  notre  objet ,  nous  allons  rechercher  les    iconographie 

■i  .  i  •       •  /         i  i  des  Rois 

images  des  personnages  qui  se  sont  distingues  dans  le  gouvernement  de  Macédoine. 
de  la  Grèce  sous  les  Macédoniens.  Nous  n'avons  aucun  portrait  des 
Rois  de  Macédoine  avant  Alexandre ,  et  on  ne  regarde  aujour- 
d'hui que  comme  idéales  les  têtes,  qu'Eckhel  et  autres  numismati- 
ciens  nous  ont  données  pour  celles  d'Archelaùs,  de  Pausanias  et 
d'Amyntas  IL  :  l'antiquité  ne  nous  a  également  transmis  aucun 
monument  qui  ait  rapport  aux  tems  de  la  ligue  Achéenne.  Nous 
nous  en  tiendrons  donc  à  quelques  portraits  d'Alexandre  et  de  ses 
successeurs,  et  à  un  petit  nombre  d'observations  sur  la  forme  des 
habillemens  royaux  à  cette  époque  du  gouvernement  de  la  Grèce. 

La  vanité,  dit  l'illustre  Visconti ,  l'enthousiasme ,  la  reconnaissan-  p«w& 
ce,  l'adulation,  l'amour  des  arts  et  la  gloire,  la  curiosité,  la  supersti- 
tion même  multiplièrent  à  l'infini  les  portraits  d'Alexandre  durant 
sa  vie,  et  après  sa  mort.  A  pelle  l'avait  peint  de  tant  de  manières,  qu'il 
serait  impossible  d'en  déterminer  le  nombre.  Lysippe  et  ses  élèves 
îe  représentèrent  en  bronze  ,  et  Pirgotéle  grava  son  image  sur  une 
quantité  de  camées.  Les  temples  consacrés  à  ce  héros,  les  jeux  insti- 
tués à  son  honneur  en  Grèce  ,  dans  l'orient  et  ailleurs,  en  avaient 
rendu  l'image  aussi  commune  que  celle  des  Dieux  (i).  Or  il  est 
impossible  que  de  tant  de  monumens  il  n'en  soit  pas  resté  quel- 
qu'un, et  surtout  que  le  tems  ait  dévoré    les    innombrables    copies 

(i)  De  tous  les  Rois  et  les  hommes  illustres  des  tems  historiques  , 
dit  Winkelmann  ,  (  Hist.  de  l'Art  Paris  etc.  tom.  II  ,  pag.  3o6  )  ,  Ale- 
œandre  est  le  seul  qui  ait  eu  le  privilège  d'être  représenté  sur  des  bas- 
reliefs.  L'histoire  même  de  cet  homme  surprenant  en  explique  la  rai- 
son ;  c'est  que  le  grand  nombre  de  faits  éclatans  dont  elle  est  remplie  , 
lui  ayant  donné  en  quelque  sorte  le  merveilleux  de  la  poésie  ,  elle  res- 
semble à  un  récit  d'aventures  héroïques.  D'ailleurs  les  arts  amis  de 
tout  ce  qui  est  extraordinaire  ,  ne  pouvaient  trouver  un  sujet  plus  ana- 
logue à  leur  objet,  que  la  vie  de  ce  fameux  conquérant,  dont  les  ex- 
ploits connus  du  monde  entier,  n'étaient  pas  moins  importuns  que  les 
gestes  d'Achille  et  les  aventures  dU lisse.  Voj.  encore  Pline  liv.  XXXV. 
chap.   10.  sect.  36.  §  io. 

£urope.  Fol.  /.  3' 


1 86  Gouvernement 

que  l'on  doit  présumer  en  avoir  été  faite?,  par  une  conséquence 
nécessaire  du  goût  général  des  anciens  pour  l'imitation  (i).  Nous 
avons  en  effet  un  monument  authentique  et  précieux  en  ce  p-enre,  qui 
a  été  trouvé  en  1779  prés  de  Tivoli,  dans  l'emplacement  qu'o'ecu- 
pait  la  maison  de  plaisance  des  Pisons.  Ce  monument  5  (  voy.  la 
planche  27  n.°  1  ),  est  un  henné  en  marbre  penthèlique,  repré- 
sentant l'image  d'Alexandre,  et  portant  l'inscription  suivante  qui 
est  en  Grec  ,  et  a  été  en  partie  effacée  par  le  tems  : 

Alexandre  Macédonien  fils  de  Philippe  (3). 

Caractère  Selon  le  témoignage  de  Piutarque  et  d'Elien ,  on  distingue  or- 

du  portrait  t 

d'Akxandre.     dniairement  a  trois  caractères  les  portraits  du  héros  Macédonien  : 

(1)  On.  rapporte,  qu'à  la  vue  d'une  image  d'Alexandre  qui  était 
consacrée  dans  le  temple  d'Hercule  à  Cadix ,  Gésar  éprouva  une  telle  im- 
pression que ,  laissant  là  l'Espagne  ,  il  se  rendit  précipitamment  à  Rome  , 
où  il  se  jeta  à  corps  perdu  dans  les  troubles  qui  agitaient  la  république, 
et  commença  sa  grande  carrière  qu'il  termina  par  la  conquête  du  monde. 
Sveù.  Jul.  Caes.  §  5.  Trabellius  Pollion  dit  que  dans  le  IILe  siècle  de  l'ère 
vulgaire  ,  c'était  encore  une  opinion  généralement  répandue  chez  les  Ro- 
mains ,  que  ceux  qui  portaient  sur  eux  l'image  d'Alexandre  en  or  ou  en 
argent ,  étaient  heureux  dans  toutes  leurs  entreprises.  Aussi  cette  image  se 
voyait  elle  sur  les  anneaux ,  les  bracelets ,  et  tout  ce  qui  tenait  à  la  pa- 
rure ;  et  les  grandes  actions  de  ce  héros  étaient  également  représentées 
sur  les  meubles  et  les  vaisselles  les  plus  précieuses.  Cet  usage  passa  même 
jusques  chez  les  Chrétiens  ,  qui  portaient  comme  une  espèce  d'amulette 
l'image  d'Alexandre  sur  des  médailles  en  cuivre.  S.1  J.  Chrysost.  Ad  illuni 
Cailiecumenos . 

(2)  Visconti  observe  que  la  forme  de  cette  inscription ,  le  marbre 
penthèlique  dont  l'hernie  est  fait,  et  la  conformité  de  style  qu'on  y  aper- 
çoit avec  celui  des  hermes  de  Périelés  et  des  sept  sages,  qui  furent  éga- 
lement découverts  à  Tivoli ,  offrent  la  preuve  que  celui  dont  il  s'agit 
fut  fait  à  Athènes,  vers  les  derniers  tems  de  la  République  Romaine. 
«  Les  sculpteurs  d'Athènes,  dit-il,  stimulés,  comme  le  sont  à  présent 
ceux  de  Carrara  ,  par  la  quantité  et  la  beauté  des  marbres  de  Pentelos 
et  de  l'Hymette  t  ne  laissaient  pas  de  faire  revivre  encore  sous  le  ciseau 
tout  ce  que  les  arts  de  la  Grèce  leur  présentaient  d'intéressant,  et  leurs 
ouvrages  étaient  ensuite  envoyés  à  Rome  pour  l'ornement  des  maisons  de 
plaisance  et  des  jardins  des  maîtres  du  monde  »  .  Cette  image  ,  malgré 
qu'elle  ne  soit  qu'une  copie  ,  n'en  doit  pas  moins  être  regardée  comme 
authentique  ,  parce  que  celles  des  grands  hommes  passent  de  copie  en  co- 
pie à  la  postérité  la  plus  reculée  ,  et  leur  physionomie  reste  ainsi  gravée 
dans  l'esprit;  des  peuples  et  surtout  des  artistes, 


a7: 


de    la    Grèce.  187 

i.°  à  sa  chevelure  qui  se  relevait  au  mi^u  du  front,  et  retombait 
en  arrière,  a.0  au  gonflement  du  muscle  mastoïde,  qui  lui  tenait 
la  tête  penchée  vers  l'épaule  ;  3.°  à  la  physionomie  ,  qui  malgré 
un  certain  air  de  beauté,  avait  quelque  chose  de  terrible,  et  déno- 
tait un  naturel  porté  à  la  colère  :  car  ses  yeux  brillaient  de  beau- 
coup d'éclat,  et  la  vigueur  de  son  âme  se  peignait  dans  la  vivacité 
de  leurs  mouvemens;  sa  face  avait  une  sorte  de  ressemblance  avec 
celle  du  lion  (j).  Ces  trois  caractères  ressortent  éminemment  dans 
l'image  dont  il  s'agit.  Le  sculpteur,  dit  l'illustre  Visconti,  unique- 
ment occupé  du  soin  de  rendre  avec  la  plus  grande  vérité  les  traits  de 
la  physionomie  ,  a  négligé  tous  les  accessoires.  Il  a  même  omis  le 
diadème,  mais  il  l'a  marqué  en  quelque  manière  par  une  rainure  cir- 
culaire qu'on  voit  imprimée  sur  les  cheveux  du  derrière  de  la  tète. 

Le  n.°  a  représente  un  camée  antique,  ouvrage  vraisemblable-  Camêex. 
ment  de  Pirgotéle.  On  retrouve  dans  le  portrait  qui  y  est  retracé 
tous  les  caractères  du  précédent,  malgré  que  le  personnage  y  pa- 
raisse d'un  âge  plus  avancé  (a).  Sa  tête  est  ceinte  du  diadème,  or- 
nement dont  Alexandre  se  para  le  premier  chez  les  Grecs  à  l'imi- 
tation des  Rois  de  l'Asie ,  et  que  ses  successeurs  prirent  ensuite 
comme  marque  distinctive  de  la  dignité    royale. 

Parmi  le  g;rand  nombre  de  médailles  qui  furent    frappées    du      Médailles 

i^»i  1  1       •  v     1»    «*     .        '.  d'Alexandre. 

vivant  même  d  Alexandre,  on  en  trouve  plusieurs  ou  1  effigie  de  ce 
monarque  présente  les  trois  caractères  que  nous  venons  d'indiquer. 
M.r  Visconti  est  même  d'avis  que  ce  conquérant  est  le  premier  en 
l'honneur  duquel  il  a  été  frappé  des  médailles  portant  son  image  , 
étant  encore  vivant.  «  Une  innovation 'de  ce  genre,  ajoute  cet  il- 
lustre antiquaire,  convenait  plutôt  à  Alexandre  qu'à  aucun  de  ses 
successeurs  3  et  cela  d'autant  plus,  qu'ayant  été    mis    au    rang    des 

(1)  Divers  écrivains  ont  assuré  }  d'après  Freinsemius  ,  qu'Alexandre 
avait  le  nez  aquilin*  Leur  assertion  ne  repose  cependant  sur  aucun  témoi- 
gnage certain  ,  et  se  trouve  même  en  contradiction  avec  les  monumens  , 
qui  nous  représentent  le  nez  de  ce  héros  comme  légèrement  arqué  vers 
le  milieu.  Il  y  a  plus  de  vraisemblance  dans  l'opinion  de  ceux  qui  lui 
donnent  des  cheveux  blonds,  car  Elien  (  Trar,  hist.  liv.  XII.  chap.  14  _, 
le  dit  positivement.  Voici  le  portrait  qu'en  a  fait  Solin  ,  chap.  IX.  Forma 
supra  hominem  augustiore ,  ce/vice  celsa ,  laetis  oculis  et  illus  tribus } 
malis  ad  gratiarn  rubesoentibus  ,  reliquis  corporis  partions  non  sine 
majestate  quadam  decoris.   Victor  omnium  ,  vino  et  ira  victus. 

(2)  Ce  camée  se  trouvait  dans  le  cabinet  de  l'ex-Impératrice  Joséphine. 


Babillé 
e.n  Hercule. 


Démétrius 
Poliorcète. 


Flatté 

par  les  Grecs. 


î  88  GoUVERKEME  NT 

Dieux  avant  sa  mort,  son  portrait  pouvait  être  gravé  sur  des  médail- 
les, sans  enfreindre  l'usage  qui  ne  réservait  qu'aux  Dieux  seuls  cet 
honneur.  On  voit  aussi  des  médailles  où  Alexandre  est  représente 
vêtu  d'une  peau  de  lion,  et  avec  les  attributs  d'Hercule,  genre 
d'adulation  qui  le  flattait  beaucoup,  car  il  aimait  à  paraître  quel- 
quefois en  public,  habillé  à  la  manière  de  ce  demi-Dieu,  dont 
sa  race  descendait.  Teî  est  le  médaillon  sous  le  n°  3.  La  tête  est 
recouverte  de  la  peau  de  lien,  et  les  cheveux  ont  sur  le  front  la  po- 
sition que  nous  avons  remarquée  daus  l'herme  sous  le  n°.  i.  Le  revers 
présente  Jupiter  assis.  Les  lettres  grecques  P.  O.  qu'on  voit  au  des- 
sous du  siège  de  ce  Dieu  ,  et  de  la  fleur  qui  est  devant  cette  figu- 
re ,  signe  emblématique  de  Rhodes ,  attestent  que  ce  médaillon  a  été 
frappé  dans  cette  lie  (i).  Nous  ne  dirons  rien  ici  de  la  statue  équestre 
d'Alexandre  qui  a  été  découverte  dans  les  ruines  d'Herculanum  ,  ni 
de  celle  trouvée  à  Gabies  qui  est  fort-belle  quoique  petite  ,  parce 
que  la  forme  de  l'habillement  et  les  marques  dLtinctives  qu'a  le 
héros  dans  l'une  et  l'autre,  tiennent  plus  du  costume  militaire  que 
du  civil.  Nous  remettons  donc  à  en  parler  à  l'article  de  la  milice, 
et  nous  y  joindrons  encore  aux  autres  monumens  relatifs  à  cette 
partie  le  beau  bas-relief  rapporté  par  Sainte-Croix  dans  sou  Exa- 
men critique  des  historiens  d'Alexandre,  lequel  représente  la  ba- 
taille d'Arbelles. 

Le  n.°  4  °ffre  l'image  de  Démétrius  Poliorcète  fils  d'Antigo- 
ne  5  le  plus  hardi  et  le  plus  ambitieux  des  capitaines  d'Alexandre. 
Démétrius  étant  encore  fort  jeune ,  remporta  une  victoire  navale 
près  de  Chypre  sur  la  flotte  de  Ptolémée  fils  de  Lagus.  Depuis 
lors  Antigone  ceignit  le  diadème  d'Alexandre,  et  le  fit  prendre 
également  à  son  fils.  Non  content  du  titre  de  Roi,  il  osa  encore  0 
au  milieu  de  la  Grèce  et  dans  Athènes  même ,  se  faire  proclamer 
Dieu  et  adorer  comme  tel.  Les  Grecs  lui  donnèrent  en  effet  ainsi 
qu'à  son  père,  le  nom  de  Dieux  sauveurs  ou  tutélaires ,  ainsi,  que 
nous  l'avons  observé  ,  et  il  voulut  que  ce  titre  servit  de  formule 
dans  les  actes  publics,  et  fût  invoqué  par  les  Athéniens  dans  leurs 
sermens.  On  lui  donna  encore  le  surnom  de  Poliorcète ,  ou  maître 
dans  l'art  des  sièges ,  parce  que  nul  ne  savait  mieux    que    lui  dis- 


(i)  Ce  tétradraclime  ,  ou  médaillon  se  voyait  dans  le  cabinet  de  la 
Bibliothèque  R.  de  Paris.  Y,  Mionaeç  toiu.  i.ec  Rois  dû  Macédoine  ,  num. 
#69  ,  353  et  564.  pi.  5« 


de    la   Grèce.  189 

poser  les  machines  de  guerre  contre  les  murs  cPune  ville  ou  d'une 
forteresse.  S'étan't  rendu  maître  de  la  Macédoine  ,  il  voulut  aussi 
entreprendre  la  conquête  de  l'Asie;  mais  après  une  longue  suit© 
de  défaites ,  il  fut  contraint  de  se  rendre  prisonnier  de  Seleu- 
cus  ,  chez  lequel  il  mourut  épuisé  de  débauches  à  l'âge  de  54 
ans.  La  petite  statue  que  nous  rapportons  ici  fut  découverte  dans 
les  ruines  d'Herculanum  ,  et  a  été  improprement  attribuée  à  Se- 
leucus  Nicator  par  les  antiquaires  de  Naples.  La  ressemblance- 
parfaite  de  la  physionomie  de  cette  statue  avec  celle  des  portraits 
de  Démétrius  dans  les  médailles  que  nous  avons  de  lui ,  a  juste- 
ment autorisé  M.r  Visconti  a  reconnaître  en  elle  l'image  du  fils 
d'Antigone.  «  Démétrius,  dit-il  ,  est  ici  représenté  avec  la  chlamy-  UahV.id  etp 
de  et  la  chaussure  d'un  chasseur;  mais  les  cornes  d'un  jeune  taureau  ^amm'- 
attachées  à  son  front  lui  donnent  l'air  d'un  nouveau  Bacchus  „. 
Quant  au  costume  de  chasseur,  Alexandre  ne  le  dédaignait  pas  lui 
même  dans  les  portraits  qu'on  fesait  de  lui,  et  Démétrius  devais 
d'autant  plus  l'aimer  qu'il  était  passionné  pour  la  chasse.  Sa  main 
appuyée  sur  la  cuisse  tenait  probablement  deux  javelots,  tel ,  qu'au 
dire  de  Plutarque,  il  s'était  présenté  au  retour  de  la  chasse  à  son 
père ,  dans  le  moment  où  ce  dernier  recevait  un  message  de  la  parti 
de  ses  compétiteurs  (1). 

La  médaille  n.°  5  porte  l'effigie  de  Philippe  V.  Roi  de  Macé-  PhutPf)e  pr. 
doine  ,  et  fils  de  Démétrius.  Ainsi  qu'Alexandre  il  réunissait  en 
lui,  du  côté  de  sa  mère  Thia,  le  sang  d'Achille  à  celui  des  Hé- 
raclides.  Cet  honneur  le  rendait  fier  et  avide  de  gloire  et  de 
conquêtes.  La  fortune  lui  fut  singulièrement  favorable  dans  les  pre- 
mières années  de  son  règne  ,  grâces  à  l'état  de  faiblesse  où  se  trou- 
vait alors  la  Grèce ,  et  aux  embarras  qu'occassionnaient  aux  Ro- 
mains leurs  guerres  avec  les  Carthaginois.  Sa  sagesse  dans  le  manie- 
ment des  affaires,  et  ses  talens  dans  l'art  militaire  furent  obscurcis 
par  des  vices  grossiers  ,  et  surtout  par  des    actes   de    cruauté    qu'il 

(1)  Démétrius  était  d'une  beauté  presque  divine  ,  si  Ton  en  doit  croire 
Diodore  et  Elien.  Il  aimait  tellement  les  beaux  arts,  qu'au  dire  de  Pline  , 
il  ne  voulut  pas  entrer  dans  Rhodes  de  vive  force  ,  dans  la  crainte  qu'un 
tableau  de  Protogéne  ne  vint  à  être  endommagé  dans  la  chaleur  du  com- 
bat. Aussi  ne  dit-on  pas  être  étonné  de  la  multitude  des  portraits  qu'en, 
ont  fait,  comme  à  l'envi,  les  artistes  Grecs.  Tisicrates  en  fit  un  grand 
nombre  en  bronze  ;  et  les  peintres  Théodore  et  Diogènes  qui  vivaient  £ 
sa  cour  ,  le  reproduisirent  dans  plusieurs  de  leurs  ouvrages. 


*90  Gouvernement 

exerça  même  contre  sa  famille.  Ses  guerres  avec  les  Romains  ses 
terminèrent  par  une  paix  honteuse,  et  par  la  ruine  de  ses  propres 
Etats.  Convaincu  ,  mais  trop  tard  ,  de  l'innocence  de  sou  fils  Dé- 
métrius  qu'il  avait  condamné  à  la  mort,  il  tomba  dans  une  noire 
mélancolie  ,  qui  le  conduisit  au  tombeau  Fan  178  avant  l'ère  vul- 
&m  portrait    gaire.  Une  particularité  remarquable  dans  le  portrait  de  ce  Prince 

cl  particularité.        ,  ,        ,         , ,  ,  ,  L  ' 

c  est  la  barbe,  a  cause  de  la  défense  qu'avait  faite  Alexandre  à 
ses  troupes  de  la  laisser  croître.  Cet  usage  devint  même  général,  non 
seulement  parmi  les  Princes  de  la  Macédoine  ,  mais  encore  chez 
les  lettrés  de  la  Grèce.  On  doit  donc  conclure  de  ce  portrait, 
ainsi  que  de  ceux  de  Persée  et  autres  Princes  de  cette  époque,  que 
sous  le  règne  de  Philippe,  l'usage  de  porter  la  barbe  longue  se  re- 
xiouvella  :  circonstance  dont  les  artistes  doivent  avoir  bien  soin  de 
se  rappeler.  La  légende  Grecque  qui  est  au  revers  signifie  ,  du 
.Roi  Philippe:  la  massue  d'Hercule  et  la  couronne  de  chêne,  em- 
blèmes du  Roi  des  Dieux ,  en  forment  le  type  par  allusion  à  la 
double  origine  de  Philippe ,  qui  se  disait  issu  d'Hercule  et  de 
Jupiter. 
JSwidice Heine  Pour  rendre  cette  planche  encore  plus  complète,  nous  y  join- 

Miccdoint.  drons,  sous  le  n.°  6,  la  médaille  qui  fut  frappée  en  honneur  d'une 
Euridice  Reine  de  Macédoine.  Ce  royaume  a  eu  cinq  Princesses 
de  ce  nom,  mais  on  ne  sait  pas  précisément  laquelle  est  ici  repré- 
sentée. La  légende  Evpyfoxet&v  indique  néanmoins  que  cette  mé- 
daille fut  frappée  à  Euridicée  ,  ville  à  laquelle  cette  Reine  avait 
probablement  donné  son  nom,  les  successeurs  d'Alexandre  surtout 
ayant  été  dans  F  rasage  de  donner  aux  villes  les  noms  de  leurs  mères 
ou  de  leurs  épouses.  L'ajustement  de  la  tête  est  à  peu-prês  le  mê- 
me que  celui  de  Philistis,  dont  nous  avons  donné  la  description. 
Le  trépied  du  revers  est  un  symbole  des  sacrifices  et  des  jeux  so- 
lennels, qui  avaient  sans  doute  été  institués  en   l'honneur  de  cette 

Reine. 

♦ 

LA     GRÈCE     PROVINCE     ROMAINE. 

„,    ,  il  ous  sommes  arrivés  au  terme  des  beaux  jours  de  la  Grèce. 

Décadence  J 

de  la  Gré™.  Çette  nation ,  jusques  là  si  fameuse,  ne  va  plus  désormais  se  pré- 
senter à  nous  que  comme  une  matrone  surannée  ,  qui  conserve  en- 
core quelques  traits  de  sa  beauté  primitive  ,  mais  dont  la  physio- 
nomie 3  les  formes  et  même  Fesprit ,  altérés  par  le  tems  et  par  ses 


Etal 
de  la  Gréées. 

loi   Romains.^ 


de    la    Grec ë.  xgt 

propres  vices ,  n'offrent  plus  qu'une  idée  confuse  cle  ses  premiers 
charmes,  et  semblent  indiquer  une  de  ces  femmes  ridicules,  qui  sur 
les  portai ts  de  leur  première  jeunesse  cherchent  encore  quelqu'ap- 
pât  à  leur  vanité.  Nous  serons  donc  très-laconiques  dans  ce  qui 
nous  reste  à  dire  sur  l'état  politique  de  la  Grèce ,  postérieurement 
à  l'époque  de  sa  splendeur.  Pour  mettre  plus  d'ordre  et  de  clarté 
dans  cette  partie  ,  nous  la  diviserons  en  trois  périodes  dans  les- 
quelles nous  considérerons  la  Grèce;  d'abord,  sous  les  Romains, 
ensuite  sous  l'empire  d'Orient ,  et  enfin  sous  la  domination  des  Turcs. 
La  chute  de  Corinthe  porta  le  dernier  coup  à  la  liberté  de  la 
Grèce:  le  gouvernement  populaire  fut  aboli  dans  toutes  ses  villes; 
les  impositions  y  furent  les  mêmes  que  dans  toutes  les  autres  pro- 
vinces soumises  à  la  puissance  Romaine ,  toute  assemblée  nationale 
fut  défendue  ,  et  les  gens  riches  n'eurent  pas  même  la  faculté 
d'acheter  des  terres  hors  de  leur  pays.  La  Grèce  enfin  fut  réduite 
à  l'état  de  province  Romaine  ,  et  eut  pour  magistrat  suprême  un 
Préteur  qui  lui  était  envoyé  de  Rome  tous  les  ans;  et  comme  les 
Achéens  s'étaient  acquis  dans  ces  derniers  tems  une  grande  célé- 
brité ,  on  donna  à  la  Grèce  entière  le  nom  (YJcJtaïe,  Les  Ro- 
mains conservaient  néanmoins  tant  d'égards  pour:  cette  contrée  , 
que  peu  d'années  après  en  avoir  fait  la  conquête,  ils  adoucirent 
la  rigueur  de  son  sort  ,  en  lui  laissant  l'élection  de  quelques  ma- 
gistrats,  et  en  lui  accordant  plusieurs  privilèges  qui  ne  l'avaient  sonTLcZ^ 
jamais  été  à  aucun  autre  province  (i).  Cette  considération  des  Ro- 
mains pour  les  Grecs  n'a  rien  de  surprenant:  car  malgré  son  avilis- 
sement }  et  l'extinction  de  cet  esprit  d'émulation  qui  avait  été  au- 
trefois Sa  principale  cause  de  sa  grandeur ,  elle  exerçait  encore  une 
souveraineté  presqu'absoîue  dans  les  beaux  arts  comme  dans  les 
sciences.  Il  n'y  avait  pas  de  Romain,  jaloux  de  se  distinguer  par  Vêtirai, 
la  politesse  de  ses  manières  et  par  son  savoir,  qui  ne  se  vantât  d'avoir  PÎZ  £"ïUw 
fait  ou  achevé  son  éducation  dans  quelqu'une  des  villes  Grecques  , 
et  surtout  à  Athènes  qui  était  regardée  comme  la  patrie  des  scien- 
ces et  des   muses  (a).  D'un  autre  côté  ,  Rome  voyait  sans  cesse  ar. 


PrîoMdgi 

qui  lui 


'.eoii. 
des   Romains 


(i)  Voy.  Polyb.  liv.  II.  dhap.  62.  Ubbon.  Emm.   dans   Gron.    Thés/ 
yol.  IV.  et  Dav.  Hume  Discours  -politiq.  vol  II.  pag.  270.  Amsterd.  1764, 

(2)  Germanicus  accorda  à  Athènes  un  licteur ,  ce  qui  était  une  mar- 
que distinct!  ve  de  souveraineté  Ce  privilège  lui  fut  confirmé  par  Tibère 
et  ses  successeurs ,  jusqu'à  Yespasien  qui  le  lui  Qta  %  en  disant  que  les 
Athéniens  n'étaient  pas  faits  pour  la  liberté^ 


192,  Gouvernement 

river  dans  ses  murs  des  hommes  de  lettres  et  des  artistes  de  la  Grèce  , 
dont  plusieurs,  après  s'être  acquis  le  plus  grand  crédit  dans  les  mai- 
sons des  grands  par  leurs  lumières  ou  leur  habileté  dans  un  art 
quelconque  ,  s'en  retournaient  chez  eux  comblés  d'honneurs  et  de 
richesses.  La  passion  des  Romains  pour  tout  ce  qui  était  Grec 
vint  à  un  tel  point ,  que  plusieurs  personnages  des  plus  distingués 
affectaient ,  non  seulement  les  usages  3  mais  encore  prenaient  des 
noms  Grecs  :  ce  qui  a  donné  lieu  à  ce  bon  mot  si  connu  de  Ve- 
nosius  :  Grœcia  capta  ferum  victorem  cepit ,  et  artcs  intulit  agre- 
sti  Latio. 
tfâuutim  Cette  supériorité  dans  les  arts  et  dans  les  sciences,  et  cet  em- 

des    (jiecs  *■  ' 

tnrers  Amoine.  pire  du  ]30Q  ton  qui  prit  dans  la  suite  le  nom  d'atticisme ,  étaient 
bien  propres  à  nourrir  chez  les  Grecs  ce  noble  orgueil  ,  qui  dans 
une  nation  ,  malgré  l'avilissement  où  on  l'a  réduite  ,  nait  du  senti- 
ment de  son  propre  mérite  ,  et  du  souvenir  de  son  antique  gloire. 
Mais  la  Grèce  était  devenue  alor»  l'école  de  la  flatterie.  Que  ne 
firent  point  les  Athéniens  en  l'honneur  du  triumvir  Marc  Antoine  ? 
Ils  poussèrent  l'adulation  jusqu'à  chanter  ses  louanges  dans  les  spec- 
tacles publics.  Faut-il  s'étonner  après  cela  s'il  se  vantait  d'être  ap- 
pelé Y  amant  de  la  Grèce?  Lorsqu'il  se  porta  à  Ephèse,  les  fem- 
mes vinrent  à  sa  rencontre  habillées  en  Bacchantes,  et  accompa- 
gnées de  chœurs  de  jeunes  garçons  travestis  en  Faunes  et  en  Satyres. 
L'air  retentissait  de  ces  acclamations,  au  nouveau ,  au  gentil,  à 
l'aimable  Bacchus.  Cet  esprit  d'adulation  alla  toujours  croissant  sous 

Supers  Néron,  les  Empereurs  Romains.  On  rapporte  que  les  Grecs  ayant  envoyé 
à  Néron  ,  comme  fameux  joueur  de  harpe  ,  des  ambassadeurs  avec 
la  couronne  destinée  aux  vainqueurs  dans  l'art  de  jouer  de  cette 
instrument,  cet  Empereur  les  invita  à  un  repas  de  cérémonie,  à  la 
suite  duquel  ils  le  supplièrent  de  vouloir  bien  leur  donner  qnelqu'es- 
sai  de  son  talent:  s'étant  rendu  à  leurs  prières,  il  en  reçut  tant 
d'applaudissemens,  qu'il  ne  put  s'empêcher  de  dire  lui  même,  qu'il 
n'y  avait  que  les  Grecs  qui  eussent  une  bonne  oreille ,  et  qu'eux  seuls 
s'entendaient  en  musique  et  en  harmonie.  Il  les  paya  bientôt  après 
de  cette  flagornerie:  car  s'étant  rendu  en  Grèce  avec  une  suite 
tellement  nombreuse  ,  an  dire  de  Dion  ,  qu'il  aurait  pu  subjuguer 
tout  l'orient  _,  si  les  gens  qui  la  composaient  eussent  portés  d'autres 
armes,  que  des  harpes  ,  des  flûtes,  des  masques  et  autres  instru- 
mens  de  théâtre  ,  il  y  fit  pompe  aux  jeux  olympiques  de  son  ha- 
bileté en  musiquej  dans  la  danse  ,   dans  la    pantomime    et   dans  là 


de    la    Grèce.  193 

course,-  des    chars.    Fier    de   sou   triomphe,  il    restitua    à  îa    Grèce      La  Gréc'e 

L  recouvre 

son  indépendance,  et  fit  lui  même,  dans  les  jeux  isthmiques  de  sa  liberté. 
Corinthe,  l'office  d'un  héraut  public,  en  proclamant  la  liberté  des 
Achéens.  Mais  tout  en  caressant  les  Grecs  d'une  main,  Pséron  les 
dépouillait  de  l'autre  de  tout  ce  qu'ils  avaient  de  plus  précieux  en 
peinture,  en  sculpture,  et  en  monumens  des  beaux  arts:  ce  qui 
a  donné  lieu  de  dire  à  quelques  écrivains,  qu'il  fit  plus  de  mal  à 
la  Grèce  comme  umi ,  que  ne  lui  en  avait  fait  Xerxès,  en  y  en- 
trant   comme  ennemi  et   en  conquérant  (1). 

La  Grèce  ne  conserva  la  liberté  crue  Néron  lui    avait    rendue      La  Grèce 

x  sous   yespasiel 

que  jusqu'au  règne  de  Vespasîen.  Elle  fut  de  nouveau  réduite  en  et  ^w*< 
province  Romaine  sous  ce  dernier  Empereur  ,  et  ne  s©  releva  plus 
jusqu'au  tems  d'Adrien  ,  qui  tournait  particulièrement  vers  Athènes 
toutes  ses  sollicitudes.  Il  avait  été  Archonte  l'an  IV  de  la  CCXXII.6 
oliympiade  (a).  Parvenu  au  trône  du  monde,  il  rendit  aux  Athéniens 
leurs  anciens  privilèges  ,  rétablit  à  ses  propres  frais  les  deux  ports 
du  Pyrée  et  de  Munichia  ,  fit  achever  le  temple  de  Jupiter  olym- 
pien, et  augmenta  la  ville  d'un  nouveau  quartier,  qui,  de  son  nom, 
prit  celui  d' Àdrianopolis  :  enfin  il  fit  tant  pour  Athènes,  qu'il  en 
fut  regardé  comme  le  nouveau  fondateur  ,  ce  dont  rendent  témoi- 
gnage les  inscriptions  et  les  monumens  qu'en  y  voit  encore  (3). 
Les  Grecs,  à  leur  ordinaire  %  n'omirent  aucun  genre  de  flatterie 
pour  témoigner  à  cet  Empereur  toute  leur  reconnaissance  :  car  ou- 
tre l'arc  de  triomphe  qu'ils  érigèrent  en  son  honneur  à  Athènes 
ils  se  firent  encore  une  gloire  de  mettre  au  rang  des  Dieux  le 
charmant  Antinous  son  favori  ,  auquel  ils  consacrèrent  des  statues, 
des  temples  3  des  prêtres  et  des  feux  solennels. 

Mais  de  tous  les  Empereurs  Romains ,  celui  qui  fit  le- plus  pour  La -Grée*  m» 
la  Grèce  fut  le  grand  Constantin,  en  régénérant  sou  état  politique,     Censlaniirt- 

(1)  Néron  fit  éclater  aussi  en  Grèce  sa  cruauté  ,  dont  Philo-strates  nous 
rapporte  le  trait  suivant  Un  acteur  ,  dans  une  tragédie  qui  se  joua  aux 
jeux  isthmiques  s'était  attiré  par  son  chant  les  plus  grands  applauclisse- 
înens;  mais  plus  habile  dans  son  art  que  dans  celui  de  la  flatterie,  il  re- 
fusa de  modérer  sa  voix  qui  couvrait  entièrement  celle  de  1  Empereur 
lequel  le  fit  étrangler  de  colère  sur  la  scène  même  ,  en  présence  de  toute 
la  Grèce.  Quoi  de  surprenant  d'après  cela,  si  Néron  remportait  toujours 
la  palme  dans  les  jeux  publics  ? 

(2)  Sporti anus ,   Vita  Aihiani ,  ohap.   XIX. 
(5)  V.  Smart ,  Antiq.  of  Ath.  vol.  III. 

Ewope.  yol.  I.  ^ 


194  Gouvernement 

et  en  y  établissant  un  nouvel  ordre  de  choses,  qui  la  mit  dans 
le  cas,  si  non  de  faire  revivre  les  jours  de  son  ancienne  splendeur, 
au  moins  de  se  distinguer  de  nouveau,  et  de  jouer  un  rôle  impor- 
tant sur  la  scène  du  monde.  Soit  animosité  contre  les  Romains 
qui  étaient  offensés  de  ce  qu'il  avait  embrassé  la  religion  chré- 
tienne fi),  soit  dessein  de  faire  pompe  de  son  pouvoir  en  fon- 
dant une  ville  égale  à  Rome  même,,  qui  était  regardée  comme  îa 
première  merveille  du  monde  (a)  ,  Constantin  fit  bâtir  sur  les 
ruines  de  Bysante ,  petite  ville  de  la  Thrace  vers  les  confins  de 
la  Grèce,  une  ville  à  laquelle  il  donna  le  nom  de  Constantino- 
Fondation  de  pie  (3).  11  en  traça  lui  même  l'enceinte,  dans  laquelle  il  enferma 
,xm$tantmoV  .  gept  c0]jmes  comme  à  Rome.  Cette  nouvelle  Rome,  (  car  elle 
prit  aussi  ce  nom)  fut  construite  avec  une  telle  célérité,  que 
les  fondemens  en  ayant  été  jetés  le  26  novembre,  l'an  827  de 
l'ère  vulgaire  ,  son  achèvement  fut  solennellement  proclamé  le 
11  du  mois  de  mai  suivant  (4).  Constantin  n'épargna  rien  pour 
rendre  sa  ville  en  tout  semblable  à  Rome.  Il  l'orna  de  temples 
magnifiques,  de  places,  de  fontaines,  d'un  cirque,  de  deux  palais 
impériaux ,  même  d'un    capitole  ,   et   embellit   tous   ces  monumens 

(1)  Zosime,  liv.  II.  pag.  686. 

(2)  Eutrope ,  pag.  488  ,  et  Soz.  liv.  II.  chap.  III.  pag.  444. 

(3)  Il  n'est  guères  possible  de  déterminer  l'époque  de  la  fondation 
de  Bysante  ,  et  l'on  ne  sait  pas  avec  plus  de  certitude  qu'elle  est  la  co- 
lonie Grecque  qui  vint  s'établir  la  première  dans  cette  position ,  qui  est 
sans  contredit  la  plus  agréable  ,  et  la  plus  heureuse  de  l'univers  pour 
ïe  commerce.  Certains  historiens  prétendent  que  ce  sont  des  Miiésiens  , 
d'autres  des  Mégariens ,  ceux-ci  des  Athéniens  ,  et  ceux  là  des  Spartiates. 
L'alliance  ou  la  possession  de  cette  ville  fut  un  sujet  continuel  de  san- 
glantes querelles  entre  Athènes  et  Sparte.  Philippe  de  Macédoine  la 
soumit  à  sa  domination.  Alexandre  sut  en  tirer  de  grands  avantages  pour 
la  conquête  de  l'Asie.  Bysante  avait  acquis  sous  les  Romains  un  nouvel 
éclat  ;  mais  l'an  197  de  l'ère  vulgaire,  elle  paya  chèrement  l'imprudence 
d'avoir  embrassé  le  parti  de  Pescennius  Niger  l'un  des  émules  de  Sévère. 
Cet  Empereur  se  vengea  cruellement  du  siège  qu'elle  lui  fit  soutenir,  et 
qui  arrêta  pendant  trois  ans  ses  armes  victorieuses:  il  en  fit  démolir  les 
murs  et  les  principaux  édifices  ,  et  la  mit  dans  la  dépendance  de  la  pe- 
tite ville  de  Périnthe.  V.  Dufresne  du  Gange  Hisù.  Byzantlna  :  Descripcio 
urbis  constantinopolicanae  e  variis  scriptaribus  contexta  etc.  et  Melling. 
Voyage  pittoresque  à  Constantinople. 

(4)  Art,  de  vérifier  les  dates  vol.  I.  pag.  3go. 


de  -là    Grec  e.  1^5 

de  superbes  statues  tirées  cle  la  Grèce  et  de  l'Italie,  U  y  créa  en 
outre  un  sénat 3  dont  il  eut  soin  cependant  de  borner  l'autorité  à 
l'administration  de  la  justice  seule,  sans  lui  donner  la  moindre  in- 
fluence dans  les  affaires  publiques.  La  fondation  de  cette  ville  fut 
sans  doute  une  entreprise  glorieuse  pour  Constantin  :  les  Grecs  et 
les  Romains  vinrent  bientôt  en  foule  s'y  fixer;  mais  si  le  but  de 
cette  entreprise  fut  de  se  venger  de  Rome  ,  sa  vengeance  fut  bien 
funeste  non  seulement  à  cette  dernière  ville,  mais  encore  à  tout 
l'empire  Romain.  "  Lorsque  le  siège  de  l'empire,  dit  Montesquieu, 
eut  été  transféré  en  orient  ,  Rome  y  passa  presque  toute  entière  : 
les  Grands  y  conduisirent  leurs  esclaves  ,  c'est  à  dire  presque  tout 
le  peuple  ,  et  l'Italie  se  vit  dépeuplée  de  ses  babitans  n.  Cette  dé- 
solation d'un  pays,  qui  était  auparavant  le  centre  des  forces  de 
l'empire,  facilita  les  invasions  des  barbares,  et  accéléra  la  ruine 
de  l'empire  d'occident. 


EMPIRE  DES  GRECS,  OU   EMPIRE  D'ORIENT. 


as  transportant  le  trône  du  monde  dans  sa  nouvelle  ville  , 
Constantin  avait  déjà  donné  un  choc  fatal  à  la  puissance  Romai- 
ne; mais  il  lui  porta  un  coup  bien  plus  funeste  encore,  par  le  par- 
tage qu'il  fit  de  l'empire  entre  ses  trois  fils  Constantin,  Constance, 
et  Constant.  Néanmoins  la  fondation  de  l'empire  des  Grecs,  ou  d'orient, 
n'eut  lieu  que  sous  l'empereur  Valentinien  l'an  36^  de  l'ère  vulgai- 
re (i).  Valentinien,  mu  par  un  sentiment  d'amour  fraternel ,  plutôt 
que  par  des  vues  d'intérêt  public  et  les  conseils  d'une  prudence  éclai- 
rée ,  partagea  ,  la  même  année,  l'empire  avec  son  frère  auquel  il  céda 
la  partie  de  l'orient,  gardant  pour  lui  celle  d'occident.  C'est  à  cette 
époque  que  prit  naissance  l'empire  des  Grecs,  plus  fameux  par  la 
mollesse  ,  par  l'hypocrisie  ,  par  la  cruauté  ,  par  les  fureurs  théologi- 
ques,  que  par  les  vertus  et  les  exploits  des  Princes  qui  en  occupèrent 
le  trône.  Valent  était  lui  même  sans  connaissances,  sans  talens  mi- 
litaires, et  partisan  outré  des  Amena.  On  rapporte  qu'au  sujet  de 
l'incertitude  que  manifestait  encore  Valentinien  sur  le  choix  de 
son  frère  pour  collègue  à  l'empire  ,  un  de  ses  officiers   lui    ré  pou - 

(i)  Art  de  vérifier  les  dates.  T.  I.  pag.  3q5 ,  et  Blair ,  Tab.  Chronol. 
N.°  16. 


Division 
de  L'empire,. 


Fondation 

de  l 'empira 

d'orient. 


*9^  Gouvernement 

dit  :  <i  Si  vous  voulez  User  de    partialité    pour   votre    famille  ,    voua 
nommerez  votre  frère  ;  mais  si    vous    avez    à    cœur    le    bien    de    vos 
Caractère      peuples ,  vous  vous  donerez  un  tout  autre  collègue  „.    Valent  n'ac- 
h  lKaZ?u'   quit  en  effet  que  la  triste  célébrité  des    Princes    faibles,    qui    ont 
tourmenté  les  consciences  de  leurs  sujets  par  leurs  opinions  :  il  se- 
conda l'opiniâtreté  d'Arrien  ,    et   fut    l'instrument    de    ses  cruelles 
persécutions  contre  les  catholiques. 
aiiêodose.  Parmi  les  successeurs  de  Valent,  on  en  compte  bien   peu   qui 

pgra  '  se  soient  montrés  vraiment  clignes  du  diadème  impérial.  Il  ne  fau 
pourtant  pas  confondre  dans  ce  nombre  Théodose,  qui,  par  ses 
opérations  militaires  et  politiques,  et  plus  encore  peut-être  par  son 
extrême  piété  ,  et  son  zèle  pour  la  religion  chrétienne  ,  mérita  le 
surnom  de  grand,  Mais  après  sa  mort,  l'empire  alla  toujours  en 
déclinant,,  et  dans  la  longue  série  des  Empereurs  Grecs,  à  peine 
aperçoit-on  de  loin  en  loin  quelqu'étincelle  de  vertu  et  de  grau*- 
£a  Grèce  sous  deur.  «  L'histoire  de  l'empire  des  Grecs  s  dit    Montesquieu      n'est 

les  successeurs  .  ,  A.  -,  ,       , ,  ,  -  ,  ...    .  ,  <■%».— 

de  Théodose,  plus  qu  un  tissu  de  rebellions,  de  séditions  et  de  perfidies.  Les  sujets 
n'avaient  pas  même  l'idée  de  la  fidélité  qu'ils  doivent  au  Prince;  et  la 
succession  des  Empereurs  fut  si  souvent  interrompue,  que  le  titre  de 
porphlgnorète ,  c'est-à-dire  venu  à  la  lumière  dans  l'appartement  des- 
tiné à  l'accouchement  des  Impératrices,  fut  un  honneur  si  relevé, 
qu'il  réussit  à  bien  peu  de  Princes  d'en  être  décorés.  Il  n'est  pas 
de  délit  qui  n'ait  été  tenté  pour  arriver  à  l'empire  :  on  y  parvint 
par  le  moyen  des  soldats ,  du  clergé ,  du  sénat ,  des  gens  de  la 
campagne,  des  habitans  de  Constantinople  ,  et  de  ceux  des  autres 
villes Une  vénération  telle  quelle  pour  les  ornemens  impé- 
riaux attirait  aussitôt  les  regards  sur  celui  qui  osait  s'en  revêtir. 
C'était  un  crime  que  de  porter  ou  de  teuir  chez  soi  une  étoffe  de 
pourpre;  mais  dès  que  quelqu'un  se  montrait  avec  cette  parure, 
il  avait  tout-à-coup  une  foule  de  suivans ,  car  le  respect  s'attache 
ordinairement  plus  à  l'habillement  qu'à  la  personne  (i);>.  L'asceu* 
dant  des  femmes,  le  pouvoir  des  eunuques ,  la  minorité  et  l'inexpé- 
rience des  Princes  ,  la  courte  durée  des  règnes  ,  et  les  atteintes 
que  portaient  successivement  au  corps  de  l'état ,  non  seulement  les 
Décadence  incursions  des  barbares,  mais  encore  la  perfidie  des  Princes  alliés 7 
^eë'eT'e  voilà  les  causes  principales  qui  ont  insensiblement  amené  la  chute 
4e  l'empire  des  Grecs.  De  ce  cahos ,  comme  de   celui  des   succès» 

(r)  Montesquieu,  Grandeur  eu  décadence  des  Piom.  ch.  XXI. 


ht  la   G iie cë.  197 

seurs  d'Alexandre  sortirent  d'autres  états ,  mais  de  peu  d'importan-     ■ 
cCj  et  qui  disparurent  presqu'aussitôt  dans  les  conquêtes  des  Arabes. 

On  a  lieu  néanmoins  d'être  surpris  que  l'empire  des  Grecs  Gaum 
ait  pu  se  soutenir  aussi  long  tems  parmi  tant  de  catastrophes.  Mou-  <e  durJ!fue" 
tesquieu  en  donne  les  raisons  suivantes  comme  les  principales;  d'a- 
bord les  discordes  civiles  des  Arabes,  qui,  après  avoir  fait  la  cou-» 
quête  des  provinces  de  l'empire  des  Grecs  en  Asie,  et  des  contrées 
de  la  Perse  ,  se  divisèrent  en  factions  à  la  suite  de  leurs  sanglantes 
querelles  ponr  le  Califat  ;  en  second  lieu  le  feu  grégeois  qui  avait 
été  inventé  par  un  architecte  nommé  Callinique ,  et  fut  pendant 
plusieurs  siècles  entre  les  mains  des  Grecs  un  instrument  terrible  ^ 
avec  lequel  ils  consumaient  les  vaisseaux  de  leurs  ennemis,,  surtout 
ceux  des  Arabes,  ce  dont  nous  aurons  occasion  de  parler  ailleurs; 
troisièmement  les  richesses  immenses  que  le  commerce  et  les  ma- 
nufactures entassaient  à  Constantinople,  qui  était  devenue  la  Reine 
des  mers ,  dans  un  tems  où  les  Goths  d'un  côté ,  et  les  Arabes  de 
l'autre ,  avaient  tari  partout  les  sources  du  commerce  et  de  l'indus- 
trie ■;  quatrièmement  enfin  les  Barbares  des  bords  du  Danube,  qui 
après  s'être  fixés  d'une  manière  stable  ,  n'étaient  plus  aussi  dange- 
reux ,  et  servaient  même  comme  de  rempart  contre  les  incursions 
des  autres.  Ainsi  l'empire  se  trouva  étayé  par  des  causes  particu- 
lières ,  dans  le  môme  teras  que  la  faiblesse  des  gouvernemens  ,  leur 
perversité  et  les  convulsions  instestines  i'ébranlaient  jusques  dans  ses 
fondemens  :  de  la  même  manière  que  nous  voyons  aujourd'hui  se  sou- 
tenir certains  états ,  malgré  leur  épuisement  et  les  revers  politiques 
qu'ils  ont  essuyés. 

Mais  tandis  que  d'un  côté  les  Turcs ,  après  avoir  conquis  la  Conquête 
Perse,  s'avançaient  à  grands  pas,  et  en  hordes  innombrables  d'orient 
en  occident;  de  l'autre  les  Croisés,  entraînés  par  un  zèle  héroï- 
que, d'Europe  en  orient,  étaient  forcés  de  passer  sur  les  terres  de 
l'empire.  Dans  cette  situation,  les  Empereurs  Grecs  voyaient  leurs  plus  Expéditions 
belles  provinces  de  l'Asie  devenues  la  proie  des  Turcs,  qui  avaient 
déjà  poussé  leurs  conquêtes  jusqu'au  Bosphore  ,  en  même  tems  que  l'ap- 
proche des  Chrétiens  leur  causait  les  plus  vives  alarmes.  Pour  dé- 
tourner ces  derniers  de  leurs  entreprises,  ils  eurent  recours  aux  ar- 
ides des  âmes  viles  et  lâches,  savoir  à  la  perfidie  et  à  la  trahison. 
Les  Français  et  les  Vénitiens  animés  d'un  esprit  de  vengeance  ,  et 
peut-être  plus  encore  par  des  vues  d'intérêt ,  d'ambition  ,  et  par 
un  faux  zèle ,  formèrent  une  croisade  contre  lès  Grecs»  Ils  n'eurent 


,     _        .  T9^  Gouvernement 

Les  Français       y 

ei  tes  Vénitien*  a  combattre  qu'un  peuple  efféminé  et  sans  valeur  (  i).  S'étant    em- 

s  emparent  de  .  ^ 

Consianiiiiopia.  parés  de  Constantinople ,    ils    y    proclamèrent    pour    Empereur    un 

comte  de  Flandres  (a).  Les  Grecs  se  réfugièrent   dans    la  Paphla- 

gonie  et  en  Colchide  ,  où  d'un  côté  les  montagnes  leur  servaient  de 

boulevard  contre  îes  Turcs ,  et  de  l'autre  la  mer  contre  les  Latins. 

Empire       Là,  David  et  Alexis,  frères  et  Princes  de  la  maison  des  Comnènes „ 

et  de        fondèrent  les  deux  petits  états  de  Nicée    et    de    Trébisonde.  Mal- 

■ST/ébisonde,  ,  ,        ,         .  .  -         ^        ,  .  ,  „ 

gre  crue  la  domination  des  Latins  a  Constantjnople  n  ait  duré  que 
soixante  ans  ,  elle  n'en  fut  pas  moins  le  dernier  coup  qui  anéantit 
fout-à-fait  l'empire  d'orient  :  car  durant  cet  espace  de  tems  3  le 
commerce  passa  entièrement  aux  villes  d'Italie  ,  et  Constantinople 
perdit  ainsi  la  source  de  ses  richesses ,  seul  avantage  qui  lui  restait 
de  sa  puissance  passée.  Lorsque  Michel  Paléologue  reprit  cette 
ville  en  1264,  il  y  trouva  la  marine  dans  un  état  si  déplorable, 
qu'elle  manquait  même  de  petits  navires  pour  l'entretien  des  com- 
munications avec  îes  îles  de  l'Archipel ,  qui  étaient  encore  dans 
la  dépendance  de  l'empire  Grec.  A.  ©ette  époque,  les  Turcs,  des- 
cendans  féroces  de  ces  mêmes  Huns  qui  avaient  jadis  si  cruellement 
ravagé  l'empire  Romain,  s'étaient  déjà  répandus  dans  toute  l'Asie, 
et  menaçaient  même  l'Europe  (3).  Quel  rempart  pouvait-on  opposer 
Constantinople  à  leurs  hordes  redoutables  ?  L'empire  ,  resserré  dans  les  faubourgs  de 
Vara/eTSTurcs,  Constantinople ,  était  près  de  sa  lin  3  semblable  au  Rhin  qui  n'est  plus 
qu'un  ruisseau  lorqu'il  vient  se  perdre  dans  la  mer  (4).  Envahi  les 
Princes  d'occident  envoyèrent  au  secours  de  Constantinople  une  ar- 
mée de  cent  trente  mille  hommes.  Bajazet  qui  tenait  déjà  cette 
malheureuse  ville  étroitement  assiégée,  défit  dans  une  seule  bataille 

(1)  Les  latins  (  c'était  le  nom  qu'on  donnait  aux  Européens  qui 
avaient  pris  Constantinople  )  regardaient  les  Grecs  avec  un  tel  mépris , 
qu'après  la  guerre  ,  ils  n'en  voulurent  recevoir  aucun  dans  leurs  troupes  , 
de  quelque  condition  qu'ils  fût. 

(2)  Baudouin  I.er  qui  fut  couronné  Empereur  dans  l'Eglise  de  sainte 
Sophie  le   16  mai  en   1204. 

(3)  On  rapporte  que  les  Turcs ,  dans  leurs  premières  incursions  sur 
le  territoire  de  la  Grèce  ,  enchantés  de  la  beauté  des  femmes  ,  se  dégoû- 
tèrent des  leurs  qui  étaient  laides  et  mal  habillées;  et  que  c'est  à  cette 
passion  pour  les  femmes  Grecques,  qu'il  faut  attribuer  en  partie  le  féroce 
enthousiasme  qui  les  entraînait  à  la  conquête  du  siège  de  l'empire.  Voy. 
Michel  Ducas  ,  histoire  de  Jean  Manuel  etc.  ,  chap.  IX. 

(4)  V,  Montesquieu  endroit,  cit. 


i5E   la    G  ré  (3e.  199 

l'armée  des  alliés:  c'en  était  fait  d'elle,  si  Bajazet  n'eut  pas  da 
porter  toutes  ses  forces  contre  Tamerlan  qui  Pavait  inopinément 
attaqué.  Mais  cette  expédition  fut  renouvetlée  avec  plus  de  succès 
par  Mahomet  II,  la  huitième  année  du  règne  de  Constantin  XII 
on  de  Constantin  Paléoîogue.  La  ville,  dont  la  garnison  n'était  que  de 
huit  mille  hommes,  se  défendit  avec  un  courage  héroïque  contre 
une  armée  des  pins  formidables.  Mais  à  la  fin,  le  bouillant  fanatisme  mietomia 
des  Turcs  triompha  de  la  mémorable  résistance  des  Grecs,  et  la  deMahometit 
malheureuse  Constantinople  fut  emportée  d'assaut  le  29  mai  de  l'an 
i453.  Constantin  y  périt  les  armes  à  la  main  dans  la  cinquantième 
année  de  son  âge.  Les  Barbares  la  saccagèrent,  et  y  commirent 
pendant  trois  jours  tout  ce  que  l'on  peut  imaginer  de  plus  cruel 
et  de  plus  affreux.  Telle  fut  la  fin  de  l'empire  d'orient.  Constan- 
tinople,  fondée  par  Constantin  le  grande  après  avoir  été  pendant 
près  de  onze  siècles  le  siège  de  l'empire  des  Grecs,  succomba  sous 
un  monarque  qui  portait  le  même  nom  que  son  premier  Empereur, 
de  la  même  manière  que  l'empire  d'occident,  fondé  par  Auguste  , 
finit  dans  la  personne  d'un  Auguste.  Démétrius  et  Thomas,  frères 
de  Constantin  Paléoîogue,  se  soutinrent  encore  quelque  tems  dans 
le  Péloponnèse  ,  c'est  à  dire  jusqu'à  l'an  i458  que  Mahomet  s'en 
rendit  maître.  Trébisonde  était  encore  au  pouvoir  des  Grecs,  et 
avait  pour  Roi  David  Comnène  ;  mais  Mahomet  finit  aussi  par 
s'en  emparer,  et  conduisit  David  à  Constantinople ,  où  il  le  fit 
mourir  (1). 

Nous  ne  dirons  rien  ici  de  l'état  politique  de  l'empire  Grec,     Gomûmim 
parce  que  les    Empereurs  Romains    transplantèrent    à    Constautino-     de g,'"?.'"* 
pie,    non  seulement    la  plupart    des  usages  de  Rome,    mais    encore 
tout  !e  système  de  son  gouvernement;  c'est    pourquoi    il    faudra  se 
rappeler  à  cet  égard  tout  ce  qui    sera    dit,  en    son    lieu   dans    cet 

(1)  Art  de  vérifier  les  dates  ,  vol.  I.er  pag.  455.  Les  principales  fa- 
milles qui  régnèrent  à  Constantinople  pendant  les  onze  siècles  que  dura 
l'empire  Grec  ,  sont  ;  la  Théodosienne  ,  la  Justiniane ,  Y ' Héraclienne  , 
Y  Isaurienne  ,  la  Phrygienne ,  la  Macédonienne  ,  celles  des  Ducas  :  des 
Comnen.es,  àPsaac  Y  Ange  ,  des  Comtes  de  Flandres  ,  des  Courtenay 
des  Briennes  ,  des  Cantacuzènes  ,  et  des  Peléologues.  Il  existait  encore 
il  y  a  peu  de  tems ,  quelques  rejetons  de  ces  anciens  familles.  Louis  XVI 
a  reconnu  par  des  lettres  diplomatiques  les  descendans  des  Comnénes. 
Cette  famille  a  donné  six  Empereurs  à  Constantinople ,  onze  à  Trébi- 
sonde., dix  Prorogé rondes  ou  chefs  à  la  Laconie  î  et  trois  à  la  Corse. 


Code. 


Digesic. 


ïns  Ululions. 
Novelles. 


Marques 

disthiclives 

■des   Empereurs 

Grecs. 


30$  GoUVERKEMERT 

ouvrage  sur  la  législation  de  l'empire  Romain.  ISous  observerons  seu- 
lement, que  c'est  aux  Empereurs  Grecs  que  nous  sommes  redevables 
de  la  collection  des  lois  ,  qui  ont  été  adoptées  dans  la  suite  chez 
toutes  les  nations  de  l'Europe  sous  la  dénomination  de  Code  ,  ou 
Code  Romain.  Le  i5  février  de  l'an  4^6,  Théodose  le  jeune  pu- 
blia son  code,  qu'il  composa  de  toutes  les  constitutions  des  Empe- 
reurs Romains  depuis  Constantin  jusqu'à  lui;  et  il  abrogea  toutes  les 
lois  qui  ne  s'y  trouvaient  pas  comprises.  Ce  code  servit  ensuite  de  base 
à  la  législation  des  Goths ,  des  Lombards  et  des  Francs.  Mais  Justi- 
nien  Ler  ayant  remarqué  que  plusieurs  lois  y  avaient  été  omises ,  et 
que  le  code  même  était  presque  tombé  en  oubli  dans  le  petit  nom- 
bre de  provinces  qui  fesaient  encore  partie  de  l'empire  d'occident  p 
cet  Empereur  chargea  Tribonius  son  chancelier  de  faire  une  com- 
pilation de  toute  la  jurisprudence  Romaine  depuis  Adrien  jusqu'à 
lui.  Cette  collection  fut  publiée  le  16  avril  de  l'an  5ao,  ,  sous  le 
nom  de  Code  par  exellence.  C'est  encore  du  même  Empereur  que 
nous  tenons ,  le  Digeste  >  qui  est  un  recueil  de  divers  fragmens 
de  jurisconsultes  Romains,  dont  les  écrits  ne  composaient  pas  moins 
de  deux  milles  volumes;  les  Institutions  qui  contiennent  les  pre- 
miers éîémens  de  la  jurisprudence  ,  et  les  Novelles  qui  forment 
le  recueil  de  ses  dernières  lois.  Mais,  comme  nous  venons 'de  le 
dire  ,  toutes  ces  constitutions  et  ces  lois,  appartiennent  plutôt  à  la  ju- 
risprudence Romaine  qu'à  celle  de  l'empire  des  Grecs;  c'est  pour- 
quoi nous  remettons  à  en  parler  plus  au  long,  lorsque  nous  traite- 
rons du  gouvernement  des  Romains. 

Nous  n'avons  guères  de  particularités  à  offrir  à  la  curiosité 
de  nos  lecteurs,  en  ce  qui  concerne  l'habillement,  les  ornemens  , 
et  les  marques  de  la  dignité  des  Empereurs  Grecs:  car,  à. l'ex- 
ception de  quelques  temples,  tous  les  édifices  remarquables  de 
Constantinople  furent  ou  rasés  par  les  Barbares,  ou  abandonnés  à 
la  faux  du  tems ,  dont  ils  ont  été  la  proie.  Les  Turcs  élevèrent 
ensuite  sur  les  ruines  de  l'ancienne  ville  d'autres  édifices  d'archi- 
tecture Arabe  :  ce  qui  acheva  la  destruction  des  statues ,  des  pein- 
tures et  des  bas-reliefs  qu'on  y  voyait  encore.  Néanmoins ,  pour  ne 
j'en  laisser  à  désirer  dans  cet  ouvrage  ,  nous  produirons  le  petit 
nombre  de  tnonumens  que  nous  avons  pu  recueillir  dans  les  auteurs 
des  annales  bysantines.  Avant  tout ,  nous  devons  avertir  le  lecteur 
de  deux  choses;  la  première,  c'est  que  le  costume  des  Empereurs 
Grecs  et  de  leur  cour ,  est  en  grande  partie  le  même  que  celui  des 


de    la    Grèce.  2,0 f 

Fomains,  dont  nous  traiterons  amplement  à  l'article  de  l'empire  Ro- 
main :  c'est  pourquoi  nous  ne  ferons  mention  ici  que  de  ce  qui  est  par- 
ticulier aux  Empereurs  d'orient ,  ce  qui  se  borne  à  fort  peu  de  chose. 
La  seconde  est  que  nous  présenterons  les  images  de  ces  Empereurs 
sans  aucune  altération  ,  et  tels  qu'ils  se  trouvent  dans  les  monumens  , 
ensorte  que  la  dureté  des  contours,  la  sécheresse  dans  l'expression 
des  physionomies  ,  et  les  autres  défauts  de  peinture  qu'on  pourra 
y  remarquer,  ne  devront  point  nous  être  imputés,  mais  bien  aux 
tems  où  les  originaux  de  ces  images  ont  été  faits  ,  c'est  à  dire  à 
l'époque  de  la  décadence  des   beaux  arts  et    de    toutes    les    institu-        Rareté 

. . ,    ,       ,  T  , .  . ,  . . .    ,-       ,  1 5    a->  •  -,       des  monumens. 

tions  libérales.  E  impossibilité  ou  nous  sommes  d  affirmer  rien  de 
positif  sur  l'authenticité  de  la  plupart  de  ces  figures,  fait  que  nous 
nous  abitiendrons  de  placer  les  portraits  des  Empereurs  Grecs  dans 
la  série  de  notre  Iconographie.  Nous  ne  nous  étendrons  pas  beau- 
coup non  plus  sur  la  description  des  habits  impériaux,  pour  laisser 
à  l'oeil  du  lecteur  et  de  l'artiste  le  soin  d'en  distinguer  les  diverses 
parties  et  le  caractère  particulier  :  car  il  serait  aussi  difficile  que 
fastidieux  et  inutile  d'entrer  dans  de  longs  détails  à  cet  égard. 
Nous  observerons  en  troisième  lieu  ,  qu'à  défaut  d'autres  monu-  Mosaïques 
mens  ,  nous  avons  dû  quelquefois  avoir  recours  aux  mosaïques , 
bien  que  du  moyen  âge,  ainsi  qu'aux  miniatures  qui  se  trouvent 
dans  les  anciens  écrits.  A  l'aide  de  ce  dernier  moyen  ,  de  l'avis 
même  de  l'illustre  auteur  de  l'Iconographie  Grecque,  nous  pouvons 
retrouver,  non  sans  quelqu'apparenee  d'authenticité,  les  images  vé- 
ritables de  plusieurs  personnages  de  l'antiquité,  par  les  raisons  que 
nous  en  avons  déjà  données,  quoique  le  savant  Mongez  dise  du 
contraire.  On  sait  qu'à  l'époque  où  les  arts  étaient  florissans  dans 
ces  mêmes  tems  ,  il  était  d'usage  d'orner  les  livres  de  miniatures 
allusives  aux  sujets  qui  y  étaient  traités.  Ceux  qui  firent  copier 
ces  livres  dans  des  tems  postérieurs ,  durent  nécessairement  faire 
aussi  copier  les  miniatures,  pour  ne  rien  laisser  à  désirer  sur  l'exac- 
titude de  leur  travail.  Que  si  l'on  veut  malgré  cela  élever  encore 
quelques  doutes  sur  la  ressemblance  des  physionnomies  que  repré- 
sentent ces  miniatures,  on  ne  devra  pas  moins  leur  accorder  un 
grand  degré  d'authenticité,  quant  à  la  vérité  du  costume  qui  y  est 
retracé,  n'y  ayant  pas  de  probabilité  que  l'artiste  ait  voulu  s'écar- 
ter de  l'usage  alors  établi  ,  et  blesser  ainsi  l'opinion  généralement 
reçue.  Les  mêmes  raisons  veulent  qu'on  ait  encore  beaucoup  de 
confiance  dans  l'authenticité  du    costume ,    qui  est   représenté  dans 

Europe.  Fol.  I.  26 


et  miniatures. 


202 


Constantin 
et  Hélène. 


Statue 
de  Constantin- 


Gouvernement 
certains  monumens,  quoiqu'exécutés  hors  du  pays  auquel  ce  costume 
est   propre. 

Le  n.°  i  de  la  planche  38  offre  les  images  de  Constantin  le 
grand  et  de  sa  mère  Hélène  ,  lesquelles  sont  tirées  d'un  manuscrit 
qui  fut  transporté  de  Constantinople  à  Paris  3  et  a  été  déposé  , 
après  la  mort  du  savant  Du-Cange  ,  dans  la  Bibliothèque  du  Roi. 
Ce  manuscrit  est  anonyme,  et  renferme  plusieurs  opuscules  sur  l'ori- 
gine et  les  affaires  de  Constantinople  ,  ainsi  que  sur  les  Empereurs 
et  les  Patriarches  d'orient  (i).  On  voit  par  le  catalogue  qu'il  donne 
des  Empereurs ,  qu'il  fut  écrit  vers  l'époque  du  règne  de  Michel 
Paléologue  à  Constantinople,  c'est-à-dire  entre  Tan  1261  et  l'an 
1283  (2).  De  chaque  côté  de  ces  deux  images  est  écrit  en  Grec: 
le  Saint  et  grand  Constantin  Roi  —  la  Sainte  Hélène  sa  mère.  Mais 
comme  les  actions  de  cet  Empereur  et  de  sa  mère,  personnages  des 
plus  célèbres  dans  les  fastes  de  la  chrétienté,  sont  une  source  fécon- 
de de  sujets  de  composition  pour  les  artistes  modernes,  nous  croyons 
joindre  ici  deux  autres  portraits  de  l'un  et  de  l'autre,  lesquels  ont 
été  copiés  sur  des  monumens  d'une  plus  haute  antiquité,  et  encore 
plus  certains.  Le  il°  2  représente  la  tête  de  la  mère  de  Constantin 
portant  un  riche  diadème;  elle  est  prise  des  médailles  de  Ban- 
duri  (3).  La  statue  en  bronze  n.°  3  ,  se  voit  encore  à  présent  sur 
la  place  de  Barletta  dans  la  Pouille  :  l'avis  des  érudits  les  plus  dis- 
tingués est  qu'elle  représente  Constantin,  et  fait  probablement  partie 
du  grand  nombre  de  celles  qui  furent  fabriquées  à  Constantinople 
sous  les  premiers  Empereurs  d'orient  (4).    En  confrontant  les  deux 


(1)  Banduri  ,  Imp.   Orient,.  Praef.  pag.  VI. 

(2)  Il  est  à  remarquer  que  le  dessus  de  la  couverture  de  l'original 
porte  l'empreinte  des  aigles  impériales  à  deux  têtes. 

(3)  Numismata  Imperat.  etc.  ad  Palaeologos  usque.  T.  II.  pag.  288. 
Tab.  II. 

(4)  Voyez  Winkelmann ,  Histoire  des  arts  etc.  Rome ,  1783  etc. 
T.  II.  pag.  4a5.  N.  (A).  Le  savant  abbé  Fea  observe  que  les  Empereurs 
Grecs  firent  ériger  particulièrement  à  Constantinople  un  nombre  presqu'in-, 
fini  de  statues  ,  la  plupart  en  bronze  ,  soit  pour  eux  mêmes ,  soit  à  des 
membres  de  leur  famille  ,  à  leurs  prédécesseurs  ou  à  leurs  Généraux.  Ces 
statues  ont  disparu  presque  toutes  dans  les  nombreux  désastres  qu'a  es- 
suyés cette  ville.  «  La  seule  en  bronze }  dit-il  ,  de  toutes  celles  qui  ont 
été  faites  en  Italie,  autant  que  je  sache  ,  et  peut-être  l'unique  au  mon- 
de j  est  la  statue  qu'on  voit  encore  à  présent  sur  la  place  de  Barletta  en 


DELA      G  RÉ  CE.  203 

figures  de  Constantin  et  d'Hélène  qu'on  voit  sous  les  n.°a  et  3,  avec 
celles  de  la  miniature  n.°  i  ,  on  s'apperçoit  aussitôt  du  changement 
de  costume  qui  eut  lieu  à  la  cour  d'Orient,  du  moment  que  la  re- 
ligion chrétienne  devint  la  dominante  dans  l'empire.  La  médaille 
ainsi  que  la  statue  semblent  appartenir  aux  tenis  qui  ont.  précédé 
la  conversion  de  Constantin  ;  c'est  pourquoi  il  faut  bien  faire  at- 
tention ,  lorsqu'il  s'agit  du  costume  de  cet  Empereur,  à  ne  pas  con- 
fondre ces  deux  époques  très-distinctes  ,   celle    de    Constantin    ido-    Deux  époques 

11  '  du  costume 

lâtre  ,  et  celle  de  Constantin  chrétien.  Dans  la  première,  il  doit  de  Constantin, 
être  habillé  à  la  manière  des  Empereurs  Romains;  mais  dans  la 
seconde ,  sa  parure  doit  avoir  toute  la  richesse  du  luxe  oriental  , 
parce  qu'à  cette  dernière  époque  il  voulut  lui  même  que  ses  vête- 
mens  fussent  enrichis  de  perles  et  de  pierres  précieuses  ,  et  que 
son  diadème  en  fût  entièrement  tissu;  et  pour  se  distinguer  encore 

Pouille  ,  et  qui  a  environ  vingt  palmes  de  hauteur.  Les  habitans  de  cette 
ville  prétendent  qu'elle  représente  Constantin;  et  je  le  croirais  aussi  d'a- 
près la  comparaison  du  dessin  que  m'en  a  donné  M.r  D  E  manuel  Mola 
directeur  des  écoles  royales  etc  }  avec  les  statues  de  Constantin  décrites  par 
Winkelmann  ....  M.r  le  baron  de  Riedstl ,  qui  ,  clans  son  Voyage  en 
Sicile  et  dans  la  Grande  Grèce  ....  la  prend  pour  un  Jules  César, 
n'avait  pas  bien  présente  la  physionomie  de  cet  Empereur  ni  celle  de 
Constantin  ,  et  n'aura  pas  fait  attention  à  la  forme  de  l'habillement  qui 
est  des  tems  du  bas  empire.  » 

Voici  ce  que  dit  encore  le  même  commentateur  de  cette  statue  dans 
le  III e  vol.  pag.  404  «  Elle  passe  dans  l'esprit  même  des  habitans  les 
plus  éclairés  de  Barletta  pour  être  celle  de  Constantin.  Le  vulgaire  l'ap- 
pelle Héraclius.  Mais  outre  qu'elle  n'offre  aucune  ressemblance  avec  la 
physionomie  qu'a  cet  Empereur  sur  les  médailles ,  où  il  est  représenté 
avec  la  barbe  et  des  traits  tout  différens .,  il  est  impossible  que  vers  le 
milieu  du  VII.e  siècle ,  c'est-à-dire  à  l'époque  de  la  décadence  totale  des 
arts  ,  on  ait  pu  faire  une  statue  aussi  grande  ,  aussi  belle  ,  et  d'un  travail 
aussi  considérable  ,  à  moins  de  dire  que  ,  selon  l'usage  presque  général 
alors  ,  on  ait  dédié  à  Héraclius  ,  à  l'occasion  de  quelqu'événement  parti- 
culier ,  la  statue  consacrée  à  la  mémoire  d'un  autre  Empereur  ,  sans  avoir 
égard  à  la  ressemblance.  Le  même  M.r  Mola  me  fit  observer  que  la  croix 
est  moderne,  et  que  la  statue  porte  sur  la  tète  une  comonne  de  laurier: 
ce  que  je  ne  trouve  pas  fréquemment  dans  les  médailles  représentant  des 
Empereurs  chrétiens  ,  qui  l'ont  pour  la  plupart  en  pierres  précieuses.  Les 
deux  statues  des  fils  de  Constantin  ou  de  Constantin  lui  même  ,  qu'on 
voit  sur  la  montée  du  capitole  ,  semblent  avoir  la  couronne  de  chêne  ». 
Nous  parlerons  des  autres  statues  de  cet  Empereur  à  l'article  des  beaux  arts. 


STiéodose 
le  Grand. 


Maurice 
Phoeas. 


Irène. 


Manuel 

Palëologue. 

Jean 

Palëologue. 


û04  Gouvernement 

d'avantage  des  Empereurs  Romains,  il  quitta  la  barbe  qu'ils  avaient 
reprise  depuis  Adrien.  On  ne  peut  donc  regarder  que  comme  un 
anachronisme,  la  barbe  qu'on  lui  voit  dans  la  miniature  que  uous 
venons  de  rapporter.  Et  en  effet  l'usage  de  se  la  raser  se  maintint 
chez  les  Grecs  depuis  la  bataille  d'Arbelles  jusqu'au  règne  de  Jus- 
tinien  ,  c'est-à-dire  jusqu'au  sixième  siècle  de  l'ère  vulgaire,  où  re- 
vint celui  de  la  porter  dans  toute  sa  longueur  ,  comme  nous  le  ver- 
rons ailleurs  (i). 

Le  n.°  4  est  la  tète  de  Théodose  le  Grand  prise  d'une  mé- 
daille de  Banduri.  Cet  Empereur  voulut  que  la  religion  chrétienne 
fût  la  seule  professée  dans  son  empire  ,  à  l'exclusion  de  toute  autre. 
Les  têtes  des  n.°*  5  et  6  sont  également  prises  des  médailles  du 
même  antiquaire.  La  première  est  celle  de  Maurice  Phoeas,  qui 
régna  depuis  l'an  602  jusqu'en  6io  ,  et  se  fit  renommer  par  sa 
cruauté  et  l'assassinat  du  pacifique  Empereur  Maurice,  et  de  tonte 
sa  malheureuse  famille.  La  seconde  représente  celle  de  l'Impé- 
ratrice Irène ,  épouse  de  Léon  IV ,  qui  régna  seule  depuis  797 
jusqu'en  80a.  Elle  se  rendit  célèbre  parmi  les  Chrétiens  Grecs, 
pour  avoir  embrassé  leurs  opinions  sur  le  culte  des  images  ;  mais 
elle  ne  le  fut  pas  moins  par  les  assassinats  et  les  forfaits  qu'elle 
commit  pour  s'emparer  du  diadème  :  c'est  la  première  femme  qui 
ait  régné  seule  dans  l'empire  d'orient.  Mongez  observe  que  la  gros- 
sièreté de  l'art  clans  les  médailles  de  cette  époque  ,  ne  permet  guè- 
res  de  juger  de  la  beauté  tant  vantée  de  celle  Princesse.  Le  n.°  7 
représente  l'Empereur  Manuel  Paléologue  ,  qui  régna  depuis  1891 
jusqu'en  i4^5.  Les  deux  portraits  sous  le  n.°  8  sont  ceux  de  Jean 
Paléologue,  qui  y  est  peut-être  représenté  à  deux  âges  différens. 
Il  était  fils  de  Manuel  ,  et  régna  depuis  i4a5  jusqu'en  1448:  il  se 
rendit  célèbre  par  le  Concile  qu'il  fit  convoquer  à  Florence  pour 
y  traiter  de  la  réunion  des  deux  églises  grecque  et  latine  ,  et  fut 
le  pénultième  Empereur  d'orient.  Ces  trois  portraits  peuvent  être 
regardés  comme  authentiques,  tant  à  l'égard  de  la  ressemblance, 
que  pour  la  vérité  du  costume;  car,  comme  nous  l'avons  dit  plus 
haut,  le  manuscrit  d'où  ils  sont  tirés  appartient  aux  teins  du  même 
Jean  Paléologue. 

(1)  Plutarque  rapporte,  qu'avant  la  bataille  d'Arbelles,  Alexandre  fit 

couper  la  barbe  à  ses   soldats,    pour    empêcher    que  l'ennemi    ne  pût  les 

saisir  par  là.  Depuis  lors ,  la    barbe    ne  fut    plus    conservée    que    par  les 

Ephores  ,  dont  elle  devint  même  une  marque  distinctive  ,  et  il  ne  fut  plus 

permis  aux  Spartiates  de  porter  que  les  moustaches. 


de   la   Grèce.  a,o5 

Les  mosaïques  des  n.os  i ,  2,  et  3  de  la  planche  29  ne  forment  qu'un 
Seul  ouvrage  ,  et  représentent  l'Empereur  Justinien  avec  sa  femme 
Théodore  ,  qui  assistent  à  la  consécration  de  l'église  de  Saint  Vital 
à  Ravenne  (1).  L'Empereur  sous  le  n.°i  a  le  front  ceint  d'un  ri- 
che diadème  et  de  pierres  précieuses,  qui  pendent  avec  ses  cheveux: 
il  est  vêtu  d'une  tunique  blanche  ,  et  de  la  chlamyde  impériale 
de  couleur  violette ,  et  tient  d'une  main  une  coupe  d'or ,  qui  était 
peut-être  le  présent  que  les  Empereurs  étaient  accoutumés  de  faire 
aux  églises  à  l'occasion  de  leur  dédicace.  Le  n.°  a  offre  les  por- 
traits de  deux  ministres  ou  courtisans,  qu'on  voit  dans  ce  morceau 
de  mosaïque  à  la  droite  de  l'Empereur:  ils  portent  comme  lui  une 
tunique  blanche  avec  une  chlamyde  de  même  couleur,  qui  est  at- 
tachée sur  l'épaule  droite,  et  leurs  cheveux  flottent  sur  leurs  épau- 
les. Nous  ne  rapporterons  point  les  figures  des  ecclésiastiques  et 
des  soldats  que  présente  le  même  ouvrage ,  comme  n'étant  d'aucune 
utilité  pour  notre  objet.  Le  n.°  3  offre  le  côté  opposé  de  cette  mo- 
saïque ,  et  nous  allons  le  décrire  en  entier.  On  y  voit  l'Impératri- 
ce 3  la  tête  ceinte  d'un  riche  diadème,  d'où  tombent  le  long  des 
joues  et  sur  les  épaules  de  longues  files  de  perles:  son  manteau  est 
aussi  violet  ,  et  a  un  large  bord  en  or  avec  des  broderies  :  sa  rob© 


Justinien 
et  Théodose., 


Ministres 
et  courtisans,. 


(1)  Cette  consécration  fut  faite  par  l'évêque  saint  Maximin  en  l'an 
547.  Giampini  parle  au  long  de  ce  précieux  morceau  de  mosaïque  dans 
ses  Vetera  monumenta  etc.  pag.  73.  On  en  trouve  aussi  la  description  dans  . 
les  auteurs  de  l'histoire  Bysantine  ,  et  M.r  Séroux  et ' Agincourt  le  rapporte 
en  partie  dans  son  histoire  de  Fart  (  Peinture  pag.  16  )  :  on  le  voit  dans 
le  chœur  de  Saint  Vital  à  Ravenne.  Winkelmann  dit  (  vol.  IL  pag.  420 
édit  de  Reina  )  ,  que  sur  cette  mosaïque ,  on  -peut  se  former  une  idée  de  ce 
qu  étaient  les  statues  équestres  en  bronze  de  Constantin  et  de  sa  femme 
Théodore  qui  étaient  autrefois  à  Cons  tantinople  ,  car  elle  fut  faite  dans  le 
même  tems  que  ces  statues.  Il  est  bon  d'observer  cependant  que  la  pre- 
mière de  ces  deux  statues  était  vêtue  en  Achille  ,  comme  le  dit  Pro- 
cope  ,  avec  des  semelles  attachées  au  pied  ,  les  jambes  nues  ou  à  l'hé- 
roïque. On  ne  doit  point  s'étonner  que  nous  ayons  cité  ici  une  mosaïque 
faite  en  Italie  :  car  Ravenne  ,  comme  tout  le  monde  le  sait ,  fut  pendant 
long  tems  sous  la  puissance  des  Empereurs  Grecs.  Nous  dirons  même  à 
cet  égard  ,  que  l'Italie  n'ayant  pas  de  peintres  dans  les  tems  du  bas-em- 
pire ,  on  les  y  fesait  venir  de  la  Grèce  ;  et  comme  ils  ignoraient  les  usa- 
ges des  lieux  où  ils  travaillaient ,  ils  continuaient  à  donner  à  leurs  Saints 
l'habillement  Grec  de  cette  époque  ,  comme  nous  le  verrons  ensuite.  Voy. 
Giampini  pag.   14,  et  Léon  d'Ostie ,   Chronic,  Monast.    Cassinensis. 


Femmes, 


Basile  II. 


Habillement 

impérial. 


Diadème. 


206  Gouvernement 

qui  est  sous  le  manteau  est  d'un  blanc  un  peu  luisant  :  de  riches 
agrafes  semblent  orner  sa  poitrine  et  ses  épaules,  et  elle  tient  dans 
une  de  ses  mains  un  vase  fait  de  pierres  précieuses.  La  première 
des  femmes  qui  sont  à  sa  gauche  a  le  manteau  blanc  et  la  robe 
violette  :  de  sa  poitrine  descendent  jusqu'aux  pieds  deux  écliarpe3 
ou  bandes  d'étoffe  parsemées  de  pierreries  :  la  seconde  a  la  robe 
tressée  de  fleurs  en  vert  et  en  or  avec  de  longues  manches  :  la 
troisième  a  le  manteau  blanc  ,  et  la  robe  aussi  à  fond  blanc  avec 
des  fleurs  vertes  entrelacées;  la  quatrième  porte  le  manteau  écar- 
late  avec  la  robe  blanche  brodée  de  fleurs  en  or.  La  première  des 
deux  femmes  qui  sont  à  la  droite  de  l'Impératrice  a  la  tunique 
blanche,  et  la  seconde  de  couleur  violette.  L'habillement  de  ces 
Femmes  leur  couvre  le  corps  ,  de  manière  à  ne  laisser  voir  que  la 
tête  ,   le  cou  et  les  mains. 

Le  n.°  4  représente  l'Empereur  Basile  II.  qui  régna  avec  Cons- 
tantin X,  depuis  l'an  976  jusqu'en  io2,5.  Il  est  au  moment  de  re- 
cevoir les  bénédictions  du  Ciel  et  les  hommages  de  la  Terre  :  ce 
portrait  est  tiré  des  miniatures  d'un  pseautier  grec  en  parchemin 
du  X.e  siècle }  qui  appartenait  autrefois  au  monastère  de  la  Vierge 
appelée  Cospicua  à  Constantinople  ,  et  se  trouve  aujourd'hui  dans 
la  Bibliothèque  de  Saint  Marc  à  Venise  (1);  son  authenticité  mé- 
rite par  conséquent  beaucoup  de  confiance.  L'Empereur  y  est  ha- 
billé militairement;  mais  outre  le  diadème  qui  est  enrichi  de  pierres 
précieuses,  il  a  encore  le  hoqueton  ,  le  sceptre  et  autres  marques 
distinctives  de   la  dignité  impériale. 

De  toutes  ces  figures  il  nous  sera  facile  maintenant  de  déduire, 
comme  autant  de  corollaires,  les  diverses  parties  de  l'habillement 
qui  composaient  le  costume  des  Empereurs.  La  première  marque 
de  cette  dignité  était  le  diadème.  Nous  avons  déjà  vu  qu'après 
avoir  vaincu  Darius,  Alexandre  quitta  le  diadème  des  Rois  de 
Macédoine,  qui  n'était  qu'un  simple  bandeau  d'étoffe  blanche, 
pour  prendre  celui  des  Monarques  de  la  Perse  ,  composé  d'une 
bande  de  lin  blanc  avec  une  raie  rouge,  sur  lequel  il  plaçait  quel- 
quefois des  cornes  de  bélier  comme  fils  de  Jupiter  Àmraon  :  nous 
avons    vu  aussi  que  Constantin  ajouta  au  diadème  les  perles    et    les 


(0  V°y-  Morelli  ,  Bibllotheca  manuscripta  Graeca  et  Labina  ,  Bas- 
sani ,  Pxemoncl.  1802  ,  pag.  53.  Cette  figure  est  encore  rapportée  par 
M.r  Séroux  d'Agincourt.  Ibid.  pag    33  ,  pi.  47. 


tf  ,J?)tarr/f/.'  l'r. 


de   là    Grèce.  aoy 

pierreries.  Les  successeurs  de  cet  Auguste  adoptèrent  non  seulement 
cette  sorte  de  diadème  3  mais  encore  tout  le  faste  des  anciens  Rois 
de  Perse.  Claudien  ,  dans  la  description  qu'il  fait  des  trésors  et  des 
ornemens  impériaux  que  les  enfans  de  Théodose  se  partagèrent 
après  sa  mort  dit  fi)  : 

Et  vario  lapidum  distinctas  igné  coronas. 

Agathias ,  en  parlant  des  marques  de  royauté  ,  que  les  Empereurs 
envoyaient  en  présent  aux  Rois  des  Laziens ,  peuples  qui  habitaient 
les  derniers  rivages  de  la  mer  Noire,  fait  mention  d'un  diadème  en 
or  enrichi  de  pierres  précieuses  (a).  Il  faut  pourtant  bien  se  garder 
de  confondre  le  diadème  des  Empereurs  avec  la  couronne  royale. 
Celle-ci  n'était  qu'un  simple  cercle  en  or^  tandis  que  le  diadème 
impérial  était  comme  une  double  couronne  :  car  celle  qui  devait 
ceindre  le  front  était  surmontée  d'une  autre,  avec  laquelle  elle  était 
jointe  par  une  garniture  enrichie  de  pierreries ,  et  d'un  beau  tra- 
vail (3).  Ce  diadème  était  quelquefois  orné  de  têtes  en  bas-relief 
et  en  or  ,  ou  d'espèce  de  camées.  Tel  est  celui  de  Constantin  II 
qu'on  voit  au  n.°  i  de  la  planche  3o ,  et  qui  est  pris  des  pierres 
gravées  de  la  Galerie  de  Florence.  On  plaça  aussi  une  croix  sur  le 
haut  du  diadème  5  comme  on  peut  le  voir  par  celui  de  Phocas 
(  planche  2,8  n.°  5  ) ,  usage  qui  prit  son  origine  de  l'Empereur 
Justin,  d'après  le  témoignage  des  médailles.  La  forme  du  diadème 
de  cet  Empereur  nous  rappelle  encore  le  xa^isXavxtov ,  appelé  par 
les  écrivains  du  bas  empire  Camelaucum ,  et  qu'ils  croyent  sembla-  camelaucum. 
bîe  à  la  mitre  ou  cidaris  des  Perses  (4):  on  en  voit  le  dessin  sous 


Couronn* 
royale. 


Diadème  de 
Constantin  IL 


de  Phocas. 


(1)  In  pr.    Consuls  Stilich.  ,  lib.  II.,  v.  92. 

(2)  Hisb.  Jusbiniani ,  lib.  II    pag.  60. 

(5)  V.  Ciampini  ,   Prêtera  Monimenba.  Pars  I.  pag.    m. 

(4)  Le  Camelaucum  était  une  espèce  de  bonnet  fait  de  poil  de  cha- 
meau ,  d'où  il  a  pris  ce  nom.  Il  est  encore  en  usage  chez  les  moines  du 
lerant,  et  ressemble  un  peu  au  bonnet  carré  de  nos  ecclésiastiques  Voici 
la  description  qu'en  fait  Allazius  (De  utriusq.  Ecclesiae  consensione  ,  lib. 
III.  cap.  8  num.  12  ).  Capub  operiunb  Camelauco  }  quod  capitis  begmen  est 
ex  lana  nigricanbe  ,  ut  nabura  illam  dedlb  ,  textum  ,  robundum  ,  albi- 
budine  semipalmare  ,  in  formam  conchae  finiens  ,  quae  capub  ingredi- 
bur  ,  non  undequaque  Tobundabur ■;  sed  ubi  aures  sunb  ,  plagulae  ungunbur ', 
quibus  aurium  incommodis  medenbur.  Ainsi  de  ce  Camelaucum  pendaient 


iL 


Diadème 
avec  le  casque. 


Ornement 

du  Diadème. 


2o3  Gouvernement 

le  n.°  a,  pris  des  Las-reliefs  de  l'arc  de  Constantin  (i).  Le  dia- 
dème se  joignait  quelquefois  tellement  avec  le  casque,  qu'ils  ne 
formaient  ensemble  qu'un  même  tout  ,  ainsi  qu'on  le  voit  par  le  cas- 
que n.°  3  qui  forme  la  coiffure  de  l'Empereur  Héraclius ,  célèbre 
dans  les  fastes  de  l'église,  pour  avoir  enlevé  la  croix  à  Cosroès  Roi 
de  Perse  :  ce  qui  fait  que  ce  diadème  s'appelait  g  aléa  diademata. 
TNous  avons  remarqué  dans  le  portrait  de  Justinien,  que  son  diadème 
est  orné  de  fils  de  perles  et  de  pierres  précieuses  qui  lui  tombent 
sur  les  épaules.  La  même  chose  se  voit  dans  ceux  de  Constantin, 
d'Irène  et  de  Basile  dont  nous  avons  aussi  fait  mention  ;  et  l'on 
en  a  une  preuve  encore  bien  plus  claire  dans  le  diadème  de  Justi- 
nien sous  le  n.°  4-  Cet  usage  fut  généralement  adopté  par  tous  les 
Empereurs  ,  de  manière  cependant  que  plus  on  s'éloigne  de  l'épo- 
que de  Constantin  ,  et  plus  ces  diadèmes  ainsi  que  tous  les  autres 
ornemens  impériaux  vont  perdant  de  leur  ancienne  simplicité,  et  se 
surchargent  d'or,  de  perles,  de  pierreries  et  d'ornemens  de  tout  gen- 
re, selon  l'esprit  particulier  à  cette  époque  où  les  beaux  arts  étaient 
entièrement  tombés  :  ce  dont  il  est  aisé  de  se  convaincre,  par  le  seule 
confrontation  de  ces  figures  entre  elles.  Nous  ne  devons  pas  passer  ici 
Sonmt  sous  silence  la  forme  extravagante  du  camelaucum  ou  bonnet,  n°5 , 
Patiohgue.  qu'on  voit  sur  une  grande  médaille  de  Jean  VIII  Paléologue  ,  frappée 
en  Italie  ,  et  citée  par  Baucluri  et  Du-Cange  (a).  Les  Empereurs 
avaient  encore  quelquefois  autour  du  corps  une  autre  marque  de 
leur  dignité,  c'était  un  cercle  d'or  ou  de  lumière,  appelé  par  les 

des  espèces  de  bandes  de  même  étoffe,  ou  d'une  autre  plus  fine,  pour  cou- 
vrir les  oreilles  ;  ce  qui  a  peut-être  donné  l'origine  aux  queues  des  mitres 
de  nos  évêques. 

(i)  Constantin  Porphignorète  {De  Adm.  Imper,  cap.  i3  )  dit  que 
cette  espèce  de  bonnet  avait  été  apporté  par  un  ange  à  Constantin  ,  et 
que  les  Empereurs  ne  le  portaient  que  dans  les  grandes  solennités. 

(2)  Ce  médaillon  est  un  ouvrage  de  Victor  Pisano  ou  Pisanello  pein- 
tre de  Vérone  ;  qai,  au  rapport  de  Vasari  ,  fit  en  médaillons  de  jet  une 
quantité  de  portraits  de  Princes  de  son  tems  et  autres.  Voici  ce  que  dit 
Monseigneur  Giovio  du  médaillon  et  de  l'artiste  dans  une  lettre  qu'il  écrit 
au  Duc  Cosimo.  J'ai  encore  une  belle  médaille  de  Jean  Paléologue  Em- 
pereur de  Constantinople  avec  ce  chapeau  bizarre  à  la  Grecque,  que  les 
Empereurs  étaient  dans  l'usage  de  porter  ;  elle  a  été  faite  par  Pisano  à 
Florence  lors  du  concile  d'Eugène  auquel  assista  cet  Empereur  :  elle  a 
pour  revers  la  Croix  du  Christ  soutenue  par  deux  mains  ,  qui  représen- 
tent sans  doute  les  deux  églises  grecque  et  latine. 


de'  la    Grèce.  209 

antiquaires  nimbus.  Cet  attribut  n'appartenait  anciennement  qu'aux  WfoOm; 
Dieux  ,  "  et  entre  autres  à  Apollon.  Pline  rapporte  que  Galigula 
fut  le  premier  des  mortels  qui  osa  s'en  décorer;  mais  Antonin  le 
Pieux  est  le  premier  des  Empereurs  qu'on  voit  sur  les  médailles  avec 
cet  ornement.  Les  Empereurs  et  les  Impératrices  du  bas-empire 
en  ont  toujours  la  tête  parée  ;  et ,  comme  l'observe  Mongez ,  les 
artistes  ne  doivent  point  l'oublier  lorsqu'ils  veulent  représenter  un 
Empereur  de  cette  époque.  L'origine  de  cet  ornement  dérivait 
■d'une  aveugle  et  basse  adulation  ,  de  la  part  des  Romains ,  qui  vou- 
laient indiquer  par  là  que  les  Augustes  étaient  admis  au  conseil 
des  Dieux  (1). 

Nous  ne  voulons  pas    finir    cet    article    sans    faire    mention    de       Couronne 
la  couronne  de  fer ,    qui ,    selon    les    chroniques    de    Monza  ,  après 
avoir  servi  pendant  long  tems  au  sacre  des  Empereurs  Grecs,  passa 
de  Gonstantinople  à  Rome,  d'où  le  Pape  Saint  Grégoire  le  Grand 
l'envoya  en  présent  à  Théodolinde  Reine  des  Lombards,  qui  fesait 
sa  résidence  à  Monza.  Si  de  pareilles  assertions  pouvaient  être  ad- 
mises ,  il  s'en  suivrait  ;  d'abord  ,    que    la   couronne    de  fer  dont    il 
s'agit  n'était  originairement  que  le  diadème  des  Empereurs  de  Cons- 
tantinople  ;  en  second  lieu  qu'elle  a   été    faite    avec    un    des  clous 
qui  ont  servi  au  crucifiement  du  Christ:  ce  qui  lui  a  fait  donner  le- 
pithète  de  de  fer.  Or  quant  à  la  première  conséquence ,  il  suffit  de     Différence 
comparer  la  couronne  de  Monza  n.°  6,  avec  celle  que  portent  les  Ife^eSwT 
Empereurs  dans  les  divers  monumens  que  nous  venons  de  rapporter  3  cdls  "nPenale- 
pour  avoir  la  preuve  évidente  que  celle-ci  diffère  considérablement 

(1)  Il  convient  de  rapporter  à  ce  sujet  ce  passage  de  Pignorius ,  que 
le  P.  Kircher  a  transcrit  sans  en  citer  l'auteur.  Consuevib  Daedala  anbi- 
quibas  res  hominum  opinione  religiosas ,  et  augusbis  quibusdam  veluti 
no  bis  insignire  ,  quasi  ipsis  aliqua  dignibas  accéder  eb.  Inber  lias  maxi- 
me nobilis  fuib  orbis  quidam  capibi  aliquando  circumscripbus ,  venera- 
tionis  index  eb  majesbabis  ,  quae  humanam  excedereb.  Hune  ego  Impe- 
raboribus  ,  quos  veberes  supra  fasbigium  morbalibabis  elabos  suspiciebant , 
provinciis  orbis  Romani  ,  urbibus  pritnariis  ,  aninialibus  ebiam  Deorum, 
circumposibum  nobavi  :  et  quod  ad  Augusbos  perbineb ,  extant  mimis- 
mata  aerea  Antonini  PU ,  et  Consbanbii  illius  .  qui  Arrianis  favens 
cabholicam  Ecclesiam  perburbavib.  Eb  Ravennae  in  aedibus  S.  Vibalis 
manenb  adhuc  anbiquissim,ae  ex  opère  musiuo  Jusbiniani ,  eb  conjugis  ima- 
gines ,  quarum  capita  balis  circxdus  ambib.  Cet  usage  passa  des  gentils  aux 
peintres  chrétiens ,  qui  entourèrent  d'une  auréole  les  têtes  de  leurs  saints. 

Europe.  Foi.  J.  3 


aïo  Gouvernement 

âe  la  première.  D'ailleurs  ,  dans  le  grand  nombre  des  médailles  de 
Constantin  rapportées  par  Du-Fresne  et  autres ,  on  ne  voit  jamais  cet 
Empereur  avec  une  couronne  semblable  à  celle  de  fer  ;  mais  bien 
tantôt  avec  un  casque  ,  tantôt  avec  une  couronne  dé  laurier,  ou 
avec  un  diadème  bien  différent.  Ce  diadème  est  le  plus  souvent  com- 
posé d'un  double  rang  de  pierreries  jointes  ensemble  par  des  ban- 
delettes ,  qui  descendent  jusques  sur  les  épaules.  ;Nous  ne  pouvons 
accorder  beaucoup  de  crédit  aux  conjectures  du  P.  Allegranza,  qui 
voudrait  nous  persuader  que  Constantin  portait  la  couronne  de  fer 
sur  le  diadème  Impérial  9  ou  sur  la  cime  de  son  casque,  parce  que 
les  médailles  sur  lesquelles  il  étaye  son  assertion,  ne  laissent  aper- 
cevoir aucune  trace  de  cette  couronne  sur  le  casque,  ni  sur  le  dia- 
dème (i).  Quelle  que  soit  au  reste  la  forme  de  cette  couronne  de 
fer ,  on  aura  toujours  droit  de  demander  aux  partisans  de  cette 
opinion  ,  sur  quel  monument  ils  se  fondent ,  pour  croire  qu'un  or- 
nement aussi  précieux  soit  passé  de  Constantinople  en  Italie.  Il  n'y 
a  aucun  écrivain  qui  en  parle  ,  et  nous  n'avons  aucunes  relations  sur 
l'époque  où  l'on  prétend  que  cette  translation  a  eut  lieu  :  le  même 
Saint  Grégoire  n'en  dit  pas  un  mot  dans  ses  épitres.  Il  n'est  guè- 
res  vraisemblable  non  plus,  que  les  Empereurs  de  Constantinople 
fissent  assez  peu  de  cas  du  trésor  le  plus  précieux  que  leur  avait 
laissé  Constantin ,  pour  le  laisser  transporter  ailleurs.  Si  donc  la 
couronne  de  Monza  n'est  pas  celle  que  Constantin  a  transmise  à  ses 
successeurs ,  il  s'ensuit  qu'il  n'est  pas  aisé  de  prouver  qu'elle  ren- 
Diadême       ferme  un  des  clous  de  la  passion.  Il  est  bien  vrai  qu'un  de  ces  clous 

avec  l  *- 

le.  saint  clou,    avait  servi  à.  former  le  diadème    qu'Hélène   envoya    à  son  fils  :  car 

(i)  Frisi ,  Mémoires  historiques  de  Monza.  Vol.  2  pag.  161  et  suiv. 
Nous  reviendrons  sur  ce  sujet  lorsque  nous  traiterons  du  costume  des  Lom- 
bards, et  nous  rechercherons  alors  la  véritable  origine  de  la  couronne  de 
fer.  Nous  nous  bornerons  à  observer  ici;  i.°  que  les  partisans  de  la  cou- 
ronne de  fer  n'ont  pas  démontré  jusqu'ici  d'une  manière  solide ,  que  cette 
couronne  est  la  même  que  celle  qu'ont  portée  Constantin  et  ses  succes- 
seurs; 2.0  que  l'authenticité  du  saint  clou,  qu'on  dit  en  former  la  garni- 
ture intérieure  ,  est  encore  extrêmement  douteuse.  Lisez  Muratori  :  Anec- 
dota ,  quae  ex  Ambrosianae  Bibliothecae  Codicibus  etc.  Tom.  II  ,  pag. 
267  et  suiv.  L'examen  que  nous  avons  fait  du  manuscrit  de  Bosca ,  qui 
est  conservé  dans  la  librairie  du  Chapitre  de  Monza  }  et  qui  à  pour  but 
de  prouver  l'authenticité  de  la  couronne  de  fer }  nous  a  encore  confirmé 
d'avantage  dans  l'opinion  de  Muratori. 


de    la    Grèce.,  an 

Saint  À  mb  roi  se  dit  positivement  que,  quaes'wit  Helena  Clcwos ,  qui- 
bus  crucifixus  est  Dominus  ,  et  itwenit.  De  uno  cZapo  fraenos  fieri 
praecepit ,  de  altero  dladcma  intexuit  ....    Misit   itaque  filio  suo  •- 

Constantino  diadema  gemmis  insignitum  ,  quas  pretiosior  ferro  in- 
nexas  Crucis  redemptionis  dwinae  gemma  connecteret.  Misit  etfrae- 
num.  Utroque  usus  et  Constantinus  ,  et  fidem  transmisit  ad  posteras 
Reges(iy  On  ne  sait  trop  ce  qu'est  devenu  ce  diadème,  et  ce  n'est 
pas  à  nous  d'entrer  dans  ces  recherches.  Nous  ajouterons  seulement, 
que  le  Diacre  Paul ,  qui  vivait  à  la  cour  des  Rois  Lombards ,  et 
qui  a  traité  au  long  de  leurs  usages  et  de  tout  ce  qui  les  concerne  y 
ne  fait  aucune  mention  de  la  couronne  de  fer ,  ni  du  saint  clou 
de  Monza  ;  et  qu'au  contraire  il  dit ,  qu'Hélène  de  clavis  ,  quibus 
manus  Chris ti  fuerunt  perforatae  ,  alios  in  galeam  misit  Imper  a- 
toris  ,  filii  capitis  providentiam  gerens  ,  ut  jacula  bellica  submove- 
ret,  alios  fraeno  equino  permiscuit  (a).  Le  même  écrivain  assure  en 
outre,  que  dans  le  sacre  des  Rois  Lombards,  on  ne  fesait  point  usage 
du  diadème }  mais  d'une  lance  ou  sceptre  qu'on  leur  présentait , 
selon  l'usage  anciennement  établi  ,  comme  la  marque  distinctive  de 
l'autorité  royale.  C'est  de  quoi  nous  parlerons  ailleurs. 

Le  sceptre  est  la  seconde  marque  distinctive  de  la  dignité  im-       Sceptre. 
périale.  Tout  le  monde  sait  que  celui  des  Empereurs  Romains  portait 
à  son  extrémité  supérieure  un  aigle,  comme  celui  que  Romulus  avait 
reçu  des  Etrusques.   Les  Empereurs    Grecs  placèrent    sous  les   pieds       Seèvres 
de  l'aigle  un  petit  globe  d'or,  et  tout  leur  sceptre  était  fait,  à   ce       la  c'°<*  ' 

,.,  .  j  a  ei  le  globe. 

qu  il  parait,  du  même  métal.  Le  camée  qu'on  voit  sous  le  n.°  7, 
et  qui  se   trouve  dans  le  Musée   de  Florence  (3)  offre    la  forme  de 

(1)   Oratio  de  obitu   Theodosii ,  num.  47. 

{2)  Hisù.  miscel.  liv.  II.  Rufîn  prêtre  d'Aquilée  et  contemporain  de 
Saint  Ambroise  ,  Socrate  le  Scclastique  ,  Théodoret  évêque  de  Cyrus  ,  et 
Sozoméne^  qui  dans  le  V.e  siècle  ,  presque  cent  ans  après  la  mort  de  Con- 
stantin ,  écrivirent  en  grec  l'histoire  ecclésiastique  ,  assurent  tous  qu'Hé- 
lène plaça  le  saint  clou  non  dans  le  diadème  ,  mais  dans  le  casque  de 
son  fils.  L'assertion  de  ces  écrivains  pourrait  peut-être  se  concilier  avec 
celle  de  Saint  Ambroise  ,  si  l'on  voulait  admettre  ,  chose  qui  n'est  pas 
invraisemblable  ,  qu'Hélène  plaça  ce  clou  dans  un  diadème  fait  en  forme 
de  casque. 

(3)  Nous  avons  suivi  l'opinion  des  célèbres  éditeurs  du  Musée  de 
Florence,,  qui  croyent  voir  sur  ce  camée  le  portrait  de  Constantin  ,  malgré 
que  d'autres  savans  le  prennent  pour  celui   de  Vespasien. 


^ia  GouVE  RNIMEKT 

ce  sceptre.  Phocas  substitua  la  croix  à  l'aigle  ,  et  son  exemple  fut 
suivi  par  les  Empereurs  qui  lui  succédèrent.  On  trouve  aussi  quel- 

Croi±.  quefois  les  Empereurs  représentés  avec  une  croix  dans  la  main  droite, 
et  le  sceptre  dans  la  gauche.  C'est  ainsi  que  parait  Michel  Paléo- 
logue  dans  une  peinture  d'une  ancienne  église  de  Constantinople 
consacrée  à  la  Vierge.  Voy.  la  planche  3i,  n.°  i.  Le  sceptre  des  Em- 
pereurs Grecs  subit  néanmoins  quelques  changemens  ,  comme  l'at- 
teste celui  de  Basile,  planche  29  n.°  4,  et  celui  d'Eudoxie  dans 
la    planche  suivante.  Les  tableaux  faits  dans  les    siècles   postérieurs 

Narlex        présentent  souvent,  à  la  place  du  sceptre,    le  labrum  et  le  nartex. 

ou.  icrum*         tvt  1  i  • 

JNous  parlerons  du  premier  a  l'article  de  la  milice.  Le  nartex  ,  ou 
ferula ,  était  une  espèce  de  baguette ,  ou  pour  mieux  dire  ,  de 
bâton,  qui,  à  son  extrémité  supérieure,  se  terminait  par  un  ou 
plusieurs  carrés  composés  d'une  frange  d'or,  et  enrichis  de  pier- 
reries au  sommet  des  angles,  dont  la  disposition  souvent  ne  diffé- 
rait guères  de  la  figure  d'une  croix.  On  voit  trois  de  ces  sortes  de 
bâtons  sous  les  n.os  a ,  3  et  4  de  la  planche  3i.  Le  n.°  2  offre 
l'image  de  Théodore  femme  de  Michel  Paléoiogue  s  copiée  sur  la 
peinture  dont  nous  venons  de  parler,  qui  se  voit  à  Constantinople. 
Les  n.°  3  et  4  représentent  celles  de  Manuel  Paléoiogue  et  de  sa 
femme  Hélène ,  prises  d'une  miniature  qui  décore  un  manuscrit 
des  œuvres  de  Denis  l'Aréopagite ,  dont  cet  Empereur  fit  lui  mê- 
Crioie.  rne  présent  au  monastère  de  Saint  Denis  eu  France  (1).  Le  globe, 
signe  emblématique  du  pouvoir  souverain  sur  toute  la  terre  ,  lequel 
était  ordinairement  surmonté  d'  une  Victoire ,  passa  des  Empereurs 
Romains  à  ceux  de  l'orient ,  dans  les  portraits  et  les  statues  que  les 
artistes  firent  de  ces  derniers,  avec  cette  seule  différence,  que  du 
tems  de  Théodose ,  le  globe  était  surmonté  d'une  croix.  Tel  était 
en  effet  celui  que  tenait  d'une  main  une  statue  équestre  de  Jus- 
tinien ,  qu'on  voyait  à  Constantinople  :  car  Procope ,  en  parlant  de 
cette  statue  ,  dit  :  non  gladium ,  non  hastam  ,  aliudve  gestat  ar- 
morum  genus  ,  sed  prucem  globo  impositam  (a).  Nous  traiterons ,   à 

(1)  Voy.  Du-Fresne.  De  Imp.  Constantinop.  etc.  Numismat.  Disser- 
èatio.  Dans  les  portraits  de  Théodore  et  d'Hélène  ,  les  deux  diadèmes 
méritent  d'être  observés  à  cause  de  l'extravagance  de  leur  forme  ,  qui  at- 
teste en  même  tems  la  décadence  du  bon  goût  avec  celle  de  l'élégance 
et  de  l'antique  simplicité. 

(2)  L.  De  Aedib.  chap.  II. 


d£   la    Grèce.  a i 3 

l'article  de  la  religion,  des  autres  objets  qui    distinguent   les   Em- 
pereurs Grecs  dans  les  anciens  monumens. 

Les  Monarques  de  Bysante  substituèrent,  à  la  simplicité  de  la 
chaise  curule,  la  richesse  et  la  magnificence  du  trône  des  Rois  de 
Perse  ,  dont  on  trouve  dans  Athénée  la  description  suivante.  «  Le 
trône  sur  lequel  étaient  assis  les  Rois  de  Perse  ,  lorsqu'ils  adminis- 
traient la  justice,  était  en  or:  il  était  porté  sur  quatre  petites 
colonnes  du  même  métal,  et  enrichies  de  pierreries,,  (i).  On  lit 
dans  Arrien  qu'Alexandre  avait  un  trône  semblable,  et  que  ses 
amis  s'asseyaient  à  ses  côtés,  sur  des  lits  qui  avaient  des  pieds  d'ar- 
gent. Voici  la  description  que  le  poète  Corippe  fait  du  trône  de 
Justin  II  successeur  de  Justinien  :  «  Le  trône  impérial  fait  l'orne- 
ment du  palais.  Quatre  colonnes  précieuses  soutiennent  une  coupole 
en  or  massif,  qui  représente  la  voûte  céleste.  Cette  riche  coupole 
s'élève  au  dessus  de  la  tête  de  notre  immortel  Empereur,  et  couvre 
son  siésje  composé  de  pourpre  ,  d'or  et  de  pierreries.  Quatre  pieds 
recourbés  en  arcs  flexibles  lui  servent  de  supports;  quatre  Victoi- 
res en  bronze  déployent  leurs  ailes  ,  et  portent  une  couronne  de 
laurier  (a)  „.  Le  n.°  5  représente  ce  trône  ,  dont  le  dessin  est  de 
M.r  Alexandre  Sanquirico.  Les  annales  Bysantînes  font  mention  de 
plusieurs  autres  trônes,  la  plupart  en  marbres  précieux,  et  avec  des 
ornemens  en  or  et  en  bronze:  un  des  plus  remarquables  était  ce- 
lui qu'on  voyait  dans  l'Hyppodrome  ,  et  dont  Cristophe  Bondelmont 
parle  en  ces  termes  :  Hippodromi  viginti  quatuor  erant  altissimae 
colwnnae ,    ubi  Imperator  cum  Principibus  residebat  (3). 

Les  Empereurs  Grecs  empruntèrent  encore  des  Rois  de  Perse 
et  de  l'orient  l'usage  des  parasols,  des  chasse-mouches,  et  des 
éventails.  Nous  nous  dispenserons  de  donner  ici  la  description  de 
ces  divers  objets ,  au  sujet  desquels  le  lecteur  pourra  consulter  l'his- 
toire du  costume  des  Perses  et  des  Lyciens  comprise  dans  cet  ou- 
vrage. Les  mêmes  Monarques  semblent  encore  avoir  pris  de  l'orient 
l'usage  de  se  faire  accompagner  avec  des  torches  et  des  flambeaux 
allumés  dans  les  cérémonies  publiques ,  usage  dont  nous  aurons  aussi 
occasion  de  parler  ailleurs. 


Trôna, 


Trône 
de.  Justin  là 


Parasol , 
éventail  etc. 


(i)  Voy.  le  Costume  Persan. 

(2)   Coripp.  De  laudïb.  Justini ,  liv.  III.  v.    194. 

(5)  V.  Du-Fresne.    Constantinop.  Christ,  pag.   104  ,  et  P.   Gylii ,  De 
Constantinop \   Topographia  etc.  liv.  II.   chap.  XIII. 


Habillement 

des  Empereurs 

Grecs. 

Tunique. 


214  Gouvernement 

Quant  à  l'habillement  des  Empereurs  Grecs ,  voici  la  descrip- 
tion que  nous  en  ont  laissée  les  historiens  Bysantins.  La  tunique 
ordinaire  était  recouverte  de  la  tunique  impériale,  qui  était  blan- 
che ,  enrichie  de  broderies  en  or  et  de  belles  franges ,  et  retenue  par 
une  ceinture  qui  l'empêchait  de  descendre  plus  bas  que  le  jarret. 
Le  poète  Corippe  ,  dans  l'éloge  de  Justin  le  jeune ,  en  parle  en  ce 
termes  : 

tunicaque  plus  inducitur  artus 

Aurata  se  veste  tegens ,  qua  candidus  omnis 

Enituib . 

SubstricLoque  sinu  vestis  dwina  pependit 
Poplite  fusa  tenus ,  pretioso  candida  Lïmbo  (1). 

chiamyde.  Par  dessus  cette  tunique  impériale  était  une  longue  chlamyde  de 
pourpre  marine ,  qui  tenait  par  une  large  agrafe  en  or ,  avec  des 
chaînes  du  même  métal,  et  parsemée  de  pierreries  (a) 

Caesareos  liumeros  ardenti  murice  texit 

Circumfusa  chlamys , 

Aurea  juncturas  morsu  perstrinxlt  adunco 
Fibula  ,  et  a  summis  gemmae  ni  tuer  e  catenis  (S) 

Les  Empereurs  Grées  étaient  très-jaloux  de  cet  ornement ,  et  ne 
le  quittaient  jamais  pas  môme  dans  les  teins  de  deuil  :  ils  permi- 
rent bien  aux  Rois  du  Bosphore  l'usage  de  la  chlamyde  blanche  (4)  S 
mais  il  leur  défendirent  par  un  décret  spécial  de  porter  celle  de 
Chaussure,  pourpre.  Leur  chaussure  était  rouge  aussi,  ainsi  que  les  cordons  qui 
servaient  à  l'attacher  3  et  le  plus  souvent  faite  d'une  espèce  de  ma- 
roquin appelé  cuir  de  Perse  (5). 


(1)  H.  Cresconius  Corlppus.  De  laudibus  Jus ti ni  etc.  Romae-Framesius 
1777  in  4.0  liv.  II.  v.   100  et  suiv. 

(2)  Par  pourpre  marine  il  faut  entendre ,  comme  .nous  l'avons  ob- 
servé ailleurs ,  celle  qu'on  tirait  des  coquillages  marins.  Nous  parlerons 
de  cette  pourpre  à  l'article  où  nous  traiterons  de  la  matière  et  des  cou- 
leurs des  vêtemens  grecs.  Voyez  cependant  Amatius  de  Restitutione  purpu- 
rarum, ,  et  Rosa  ,  Délie  porpore  e  délie  materie  vestiarie  presso  gli  Antichi; 

(3)  Corippus.  Ibid.  v,  118. 

(4)  Agatk.  Hist.  Justin.  II.  pag,  60. 

(5)  V.  Corip.  Ibid.  lib.  II.  v.   io5. 


Grecques. 


Placidies 
Eudoxùz. 


de   la    Grèce.  ai5' 

Les  Impératrices  Grecques  rivalisaient  avec  leurs  époux  en  RaMiemeni 
luxe  et  en  magnificence.  On  les  voit  représentées  dans  les  monu-  impératrices 
mens  avec  les  mêmes  marques  distinctives  que  les  Empereurs ,  et 
vêtues  tantôt  d'une  chlamyde  parsemée  de  perles ,  et  attachée  par 
de  larges  et  riches  agrafes,  tantôt  d'une  espèce  de  tunique  ou  man- 
teau enrichi  de  perles  et  autres  ornemens  précieux  ,  et  ouvert  ou 
divisé  sur  les  deux  côtés  depuis  la  coude  jusqu'en  bas ,  usage  qui 
semble  avoir  eu  lieu ,  surtout  dans  les  siècles  les  plus  rapprochés  de 
nous.  Voyez  les  n.os  i  et  3  de  la  planche  3i.  La  première  de  ces 
deux  figures  est  copiée  sur  un  ancien  dyptique  ,  et  les  érudits  la 
prennent,  avec  assez  peu  de  fondement ,  pour  celle  de  l'Impé- 
ratrice Placidie.  Le  n.°  a  représente  la  célèbre  Impératrice  Eu- 
doxie  femme  de  Basile  le  Macédonien,  qui  régna  depuis  l'an  867 
jusqu'en  886.  Cette  figure  est  copiée  sur  une  miniature  d'un  ancien 
manuscrit  des  œuvres  de  Saint  Grégoire  de  Nazianze ,  qui  se  trouve 
dans  la  Bibliothèque  de  Paris  (ij.  Eudoxie  a  tout  le  costume  im- 
périal :  de  la  main  droite  elle  tient  un  long  sceptre,  au  bout  du- 
quel est  une  fleur,  et  porte  le  globe  dans  la  gauche  :  une  pelisse 
chamarrée  d'or  et  de  pierres  précieuses  enveloppe  en  partie  sa  tu- 
nique de  pourpre  ,  et  lui  pend  du  bras  gauche  :  ce  genre  d'habil- 
lement n'était  pas  seulement  propre  aux  Impératrices,  mais  encore 
aux  nobles  matrones,  lesquelles  avaient  le  droit  de  se  parer  d'une 
semblable  pelisse  dans  les  jours  de  solennité  (a)  :  les  souliers  sont 
d'une  espèce  de  maroquin  rouge,  et  parsemés  de  pierreries.  L'ha- 
billement d'Hélène  mère  de  Constantin,  qu'on  voit  sous  le  n.°  3,  est 
plus  simple  et  diffère  peu  de  celui  de  la  fig.  n.°  1.  11  est  pris  d'une 
miniature  d'un  manuscrit  précieux  existant  dans  la  même  Biblio- 
thèque ,  qui  semble  être  du  tems  de  Basile  le  Macédonien,  et 
traite  de  l'invention  de  la  croix.  Hélène  y  est  représentée  en  deux 
endroits  différens.  Ce  qu'il  y  a  encore  de  remarquable  dans  cette 
miniature  ,  c'est  la  forme  du  trône  ou  siège  ,  ainsi  que  les  figures 
de  deux  personnages,  qu'on  ne  sait  trop  si  ce  sont  des  courtisans, 
des  pages  ,  des  clercs  ou  des  licteurs  :  car  les  Impératrices  se  fe- 
saient  aussi  accompagner  par  des  licteurs.  L'obligation  où  nous  se- 
rons de  traiter  amplement  ailleurs  des  vêtemens  impériaux,  nous 
dispense  de  rechercher  ici  de  quelle  matière  ils    étaient    composés. 


Héiène^ 


(1)  V.  Du-Cange.   Familiae   Augustae  Byzantlnae  ,  pag.   140, 

(2)  V.  Du-Cangv-DisserÉ.  de  Numism.  Impp.  etc.  N.°  YIIL 


âI6  Gouvernement 

Nous  observerons  seulement  que  9  du  tems  de  Justinien  ,  c'est-à-dire 
dans  le  sixième  siècle  de  l'ère  vulgaire  3  il  s'établit  en  Grèce  ,  et 
surtout  à  Athènes,  à  Thèbes  et  à  Corinthe  diverses  fabriques  d'é- 

iFiafoie  toffeS  de  SOie'  et  ^ue  cette  denrée  qui  ■>  xm  siècle  auparavant,  se 
vendait  au  poids  de  l'or,  fut  bientôt  substituée  à  la  laine,  au 
chanvre  et  au  lin,  et  déploya  son  luxe  dans  les  cours  et  dans  les 
cérémonies  publiques.  Et  en  effet  le  poète  Corippe,  en  parlant  des 
préparatifs  qui  avaient  été  faits  pour  le  retour  de  Justin,  dit  que: 

Serica  per  cunctas  pendehant  vêla  columnas. 

çhevelwe.  Quant  à  la  manière  dont  les  Impératrices  Grecques  arrangeaient 
leurs  cheveux  ,  on  la  trouve  presque  toujours  la  même  dans  les  mé- 
dailles, quoiqu'il  y  ait  lieu  de  croire  cependant  que  le  caprice 
de  la  mode  lui  aura  fait  subir  de  tems  à  autre  quelques  change- 
ments. Nous  renvoyons  encore  nos  lecteurs  pour  cet  article  au  cos- 
tume des  Impératrices  Romaines.  La  chevelure  des  Empereurs  Grecs 
semble  aussi  avoir  suivi  les  variations  de  celle  des  Romains.  Il  pa- 
rait néanmoins  par  les  monumens,  que  depuis  Justinien  ,  ils  furent 
dans  l'usage  de  la  porter  coupée  eu  rond  ,  et  flottante  autour  du  cou. 
Faste  Malgré    que    les  Empereurs  Grecs  professassent  la  religion  du 

des  Empereurs     _.,       .  .  itlîi  1111  •«  11 

Grecs.  Christ ,  qui  est  celle  de  la  douceur,  de  rhumilite  ,  et  de  la  ver- 
tu, ils  n'en  avaient  pas  renoncé  pour  cela  au  faste,  à  la  pompe, 
à  la  vanité  ,  et  en  un  mot  à  l'orgueil  qu'ils  avaient  comme  hérité 
des  Empereurs  Romains;  et  quoiqu'ils  n'osassent  plus  se  faire  met- 
tre au  rang  des  Dieux  ,  ils  n'en  conservaient  pas  moins  l'usage  de 
Adoration.  y  adoration.  Voici  ce  que  dit  à  ce  sujet  Procope  en  parlant  des 
innovations  introduites  par  Justinien  et  sa  femme  Théodore:  "  Au- 
trefois ,  lorsque  les  sénateurs  se  présentaient  devant  l'Empereur  , 
ceux  qui  étaient  patriciens  s'inclinaient  vers  le  sein  droit  du  Mo- 
narque s  qui  leur  baisait  la  tète  avant  de  se  retirer:  les  autres  se 
retiraient  en  fléchissant  le  genou  udroit»  Mais  sous  Justinien  ,  tous 
les  sénateurs,  patriciens  et  autres.,  se  prosternaient  à  terre  en 
abordant  l'Empereur  et  l'Impératrice,  et  leur  baisaient  les  pieds, 
que  les  deux  augustes  personnages  leur  présentaient  à  cet  effet  , 
après  quoi  ils  se  retiraient.  Théodore  ne  refusa  point  cet  hon- 
neur, et  l'accorda  même  aux  ambassadeurs  de  Perse Au- 
paravant, quiconque  s'approchait  de  l'Empereur  ne  l'appelait  que 
par  ce  seul  nom  ,  et  donnait  à  son  épouse  celui  d'Impératrice.   Les 


de    la    Grèce.  317 

Grands  de  l'empire  prenaient  celui  de  leur  dignité.  Mais  celui 
<Jui  en  adressant  la  parole  à  Justinien  et  à  Théodore  ,  n'aurait  pas 
ajouté  aux  titres  d'Empereur  et  d'Impératrice  ceux  de  seigneur  et 
de  madame  (  AW««*» ,  JW«r«»),  et  qui,,  en  parlant  avec  les  Grands, 
ne  se  serait  pas  servi  de  l'expression  d'esclaves  (  &'a*<  ) ,  aurait  passé 
pour  un  homme  grossier,  impertinent,  et  coupable  d'une  faute  grave; 
il  était  chassé  de  la  cour,  comme  un  homme  indigne  d'y  paraî- 
tre   (1).   „   Corippe ,    en   parlant  de  Justin  II,  dit  aussi: 

et  popïite  flexo 

Plurima  divinis  supplex  dabat  oscula  plantis. 

Ce  langage  d'adulation  alla  toujours  croissant,  à  mesure  que  l'em- 
pire marchait  à  sa  décadence,  et  on  en  vint  à  joindre  aux  titres 
d'Empereur  et  de  Seigneur  3  toutes  les  qualifications  qui  pouvaient 
flatter  davantage   l'orgueil  humain. 

Il  nous  reste  encore  à  parler  de  deux  choses ,  savoir  ;  des  Grands       Grand* 

1  71/T-  il  15'j_.i  1  et  Ministres. 

ou  des  Ministres  de  la  cour  d  orient ,  et  du  couronnement  de  ses 
Empereurs  ;  mais  ce  que  nous  en  dirons  maintenant  se  réduira  à 
peu  de  chose ,  tant  parce  que  nous  devrons  nous  en  entretenir  en- 
core à  l'article  du  culte  Grec  ,  que  parce  que  les  objets  qui  y  ont 
rapport,  seront  traités  plus  amplement  dans  l'histoire  du  costume 
de  l'empire  d'occident.  Jusques  à  la  chute  totale  de  ce  dernier 
empire,  les  Empereurs  Grecs  semblent  avoir  conservé  dans  leur 
cour  toutes  les  dignités  qu'il  y  avait  à  celle  des  Empereurs  Ro- 
mains; il  parait  même  qu'ils  n'avaient  pas  donné  lieu  à  de  grands 
changemens  dans  l'habillement  et  les  décorations  des  Grands  et 
des  Ministres.  Mais  au  commencement  du  bas  empire  ,  les  digni- 
tés et  les  distinctions  se  multiplièrent  à  l'infini  à  Gonstantinople  : 
on  quitta  presque  généralement  la  toge  :  les  officiers  de  la  cour 
étalèrent  leur  luxe  sur  leurs  tuniques,  en  les  chargeant  de  bande- 
lettes de  pourpre  et  autres  étoffes  brodées  en  or  et  en  argent  ;  et 
ces  riches  ornemens  finirent  par  devenir  particuliers  aux  courtisans 
seuls,  en  vertu  d'un  décret  de  l'Empereur  même,  qui  défendait 
à   toute  autre  personne  de  les  porter. 

Codin    Guropalata    ne  compte  pas  moins  de    81    officiers    com-    leur  nombre.. 
posant  la  cour  de  Gonstantinople  de  son  tems  (a).  Certains  manus- 

(1)  Procop.  Hist.  Arcanae  cliap.  XXX. 

(2)  Georges  Codin  vécut  vers  la  fin  de  l'empire  d'orient ,  et  fut  ap- 

Europe.  Vol.  !■  28 


ai8  Gouvernement 

crits^  rapportés  dans  l'histoire  Bysantine,  font  monter  ce  nombre 
jusqu'à  95  s  dont  chacun  avait  ses  fonctions  et  ses  décorations  par- 
ticulières. Nous  observerons  à  cet  égard  9  que  Constantin  lui  même 
avait  conféré  divers  titres  aux  Princes  des  pays  les  plus  anciens 
et  les  plus  renommés  de  la  Grèce  ,  tels  que  ceux  de  Grand  Duc 
d'Athènes,  de  Prince  du  Péloponnèse,  et  de  Grand  Primicier  de 
la  Béotie  (1).  Or  quelques-uns  de  ces  titres  étaient  passés  aux  di- 
gnitaires de  la  cour  de  Constantinopîe.  Mais  les  Empereurs  Grecs, 
non  contens  de  ces  dignités,  ni  de  plusieurs  autres  qui  étaient  en- 
core passées  de  Rome  à  Constantinopîe  lors  du  partage  de  l'em- 
pire ,  voulurent  encore  y  en  ajouter  d'autres  qui  étaient  usitées 
dans  les  cours  de  Perse  et  d'orient,  dont  ils  imitaient  le  luxe. 
Comme  il  serait  aussi  ennuyeux  qu'inutile  d'entrer  dans  Je  détail 
de  toutes  ces  dignités,  nous  nous  bornerons  à  faire  mention  ici  des 
Despote.  principales.  La  première  donc,  et  la  plus  importante  était  celle 
du  Despote  (  Ain-lw  ).  C'était  ordinairement  le  collègue  et  le  suc- 
cesseur de  l'Empereur,  dont  il  était  souvent  le  fils  ou  le  gendre: 
on  lui  donnait  le  titre  de  Majesté  ,  et  il  recevait  la  couronne  des 
mains  de  l'Empereur  ;  mais  cette  couronne  n'était  qu'un  simple 
cercle  en  or,  surmonté  de  deux  demi-cercles  avec  une  croix  en 
haut.  Hors  les  jours  de  solennité ,  il  portait  une  espèce  de  chapeau 
qui  était  fait  en  forme  de  parasol ,  et  parsemé  de  pierreries  :  il 
avait  pour  vêtement  une  tunique  et  un  manteau  de  pourpre  avec 
des  broderies  en  or,  dont  les  dessins  représentaient  des  fleurs  et 
des  feuillages  :  ses  souliers  étaient  de  deux  couleurs,  blanc  et  écar- 
late,  avec  des  aigles  figurées  en  pierres  précieuses  aux  talons  et  sur 
les  côtés  :  la  selle  de  son  cheval  était  des  mêmes  couleurs  et  en- 
pelé  Curopalaba,  probablement  du  nom  de  la  charge  qu'il  avait  à  la  cour. 
Le  Curopalaba ,  nom  dérivé  peut-être  des  deux  mots  cura  palatii ,  était 
chargé  de  la  garde  et  de  la  surveillance  du  palais  impérial,,  dont  Luit- 
prand  parle  ainsi  dans  sa  chronique.  Rerumper  Europam  g'esbarum  livre  V. 
Consbanbinopolibanum.  palabium  non  pulchribudine  solum  ,  verum  etiam 
forbibudine  omnibus  quas  unquam  videriyn,  munibionibus  praesbab  ;  quod 
etiam  jugi  militum  stipatione  non  minima  observabur.  Moris  ibaque  eb 
hoc  ,  posb.  mabubinum  diluculum  ,  mox  omnibus  patere.  Posb  berbiam, 
vero  diei  horam ,  emissis  omnibus  ,  dabo  signo  ,  quod  esb  Mis  ,  usque 
in  horam  nonam  cuncbis  adibum  prohibere.  On  ne  saurait  guéres  si  ce 
signe  Mis,  veut  dire  Missa  ou  Missio.  Voy.  Meurs  au  mot  m/«*. 
(1)  V.  Nicephori  Gregorae  Hisbor.  liv.  VII, 


de    la    Grèce.  fi  19 

richie  des  mêmes  ornemens.  Cette  dignité  ne  fut  créée  qu'après 
le  règne  d'Alexis  Comnène  ,  c'est-à-dire  vers  le  milieu  du  XLe 
siècle. 

Les  autres  dignités  principales  peuvent  se  réduire  aux  suivan- 
tes. La  première  était  celle  du  Grand  Domestique  (MsV«A»iKi';m.f| 
C'était  lui  qui  avait ,  non  seulement  la  direction  de  l'administra- 
tion publique ,  mais  encore  le  commandement  des  troupes  en  l'ab- 
sence de  l'Empereur:  ses  attributions  étaient  celles  des  Préfets  du 
Prétoire  à  Rome  ;  il  avait  un  grand  bonnet  rond  en  écarlate  avec 
des  nœuds  en  or  à  tête  de  clou,  des  bandelettes  tissues  en  pourpre 
et  en  or ,  et  des  pendans  de  chaque  côté  du  cou  :  il  portait  le 
sceptre  et  le  bâton  d'ivoire  avec  des  nœuds  en  or;  son  vêtement 
consistait  en  une  tunique  ample  appelée  mif «•*»•*  ,  rouge  ,  dou- 
blée de  blanc  ,  avec  une  broderie  qui  représentait  le  portrait  de 
l'Empereur,  et  une  chaîne  d'or  et  de  pierreries  qui  en  bordait 
la  partie  supérieure  :  son  manteau  et  ses  souliers  étaient  de  couleur 
orange.  Il  servait  l'Empereur  à  table  dans  les  jours  de  solennité  , 
et  portait  devant  lui  son  épée  et  son  étendard  dans  les  cérémonies. 
On  trouve  déjà  quelques  traces  de  cette  dignité  dès  les  premiers 
tems  de  l'empire  Grec. 

La  seconde  était  celle  du  Protostrator  (  np*TesTp-«r«?  )  ,  qui  était 
comme  le  chef  ou  le  premier  des  palefreniers  :  c'était  une  espèce 
de  grand  écuyer,  qui  avait  la  surveillance  des  écuries  de  l'Empe- 
reur, et  tenait  la  bride  de  son  cheval  dans  les  grandes  cérémonies. 
Il  portait  aussi  un  bonnet  rond  ,  rouge  et  brodé  en  or  :  ses  souliers 
étaient  de  peau  verte  ,  sa  tunique  de  soie  teinte  en  pourpre  ,  et 
son  manteau  de  même  couleur  avec  des  broderies  et  des  franges  en 
or:  les  nœuds  de  sou  bâton  ou  sceptre  étaient  en  or  par  le  haut, 
et  en  argent  par  le  bas. 

La  troisième  de  ces  dignités  était  celle  du  Grand  Logothète 
(  '/ty*c  Aoyoêlrvç  )  dont  il  est  fait  mention  dès  le  règne  de  l'Empereur 
Anastase  vers  la  fin  du  V.e  siècle.  Elle  répondait  à  celle  de  Grand 
Chancelier  ,  et  réunissait  les  attributions  des  deux  Ministères  de 
la  justice  et  de  la  police.  L'habillement  de  ce  dignitaire  était  le 
même  que  celui  du  Protostrator,  mais  il  ne  portait  pas  de  sceptre  ; 
et  son  bonnet,  qui  était  de  drap  écarlate  broché  en  or,  avait  la  for- 
me pyramidale. 

La  quatrième  dignité  était  celle  de Primicier  de  la  cour  (*,.** 
^wnfi^ïf)  qui  était  le  Grand  maître  des  cérémonies:  il  portait 


Grand 
Domestique. 


Prolostralor. 


Logothèlc. 


Primicier. 


aaG  Gouvernement 

un  grand  bonnet  broché  (i)enor,  et  une  riche  tunique  de  couleur 
d'or  et  orange,  avec  des  broderies  qui  représentaient  sur  le  devant 
l'Empereur  assis  sur  un  trône  magnifique  en  or ,  et  sur  le  derrière 
l'Empereur  à  cheval  :  son  bâton  était  en  argent  et  sans  aucun  or- 
^Mutres dignités,  nement.  Il  y  avait  en  outre  le  Préfet  cubiculariorum  (  r«»  «i^i*.  ) 
qui  équivalait  au  Grand  Chambellan,  le  Grand  Chasseur,  le  Grand 
Logothète  ou  ministre  du  trésor  public,  le  Protocomte,  ou  premier 
Comte  ,  et  enfin  presque  toutes  les  dignités  qui  existent  à  présent 
dans  les  cours  modernes.  L'habillement  des  ministres  et  des  courtisans 
était  à  peu-près  le  même  pour  la  forme  ,  comme  on  a  pu  en  ju  ger 
par  celui  des  grands  dignitaires  que  nous  venons  de  citer  ;  et  il  n'y 
avait  de  différence  à  cet  égard  que  dans  la  couleur,  et  le  plus  ou  moins 
de  richesse  et  de  magnificence.  Les  auteurs  Bysantins  font  encore 
Erfam  mention  d'enfans  auliques  ou  honoraires  (  n**tt*pt,*.»,-9  adolescents*  puer 
honorarius  )  qui  étaient  comme  des  espèces  de  pages ,  au  nom- 
bre desquels  on  n'admettait  que  des  jeunes  gens,  qui  eussent  quel- 
que relation  de  parenté  ou  d'affinité  avec  la  famille  impériale,  ou 
qui  appartinssent  au  moins  à  des  Grands  de  la  cour.  Leurs  fonctions 
étaient  de  servir  l'Empereur  et  l'Impératrice  à  table ,  de  leur  placer 
le  tabouret  sous  les  pieds ,  de  marcher  devant  eux ,  et  enfin  de  faire 
tout  le  service  auquel  nous  les  voyons  destinés  dans  les  cours  mo- 
dernes. Ils  restaient  toujours  nu-tête  dans  les  appartemens,  tandis  que 
les  Grands  d'un  âge  avancé  y  avaient  la  permission  de  se  couvrir. 
Eunuques.  ]1  ne  faut  pas  non  plus  oublier  les  Eunuques  dont  fourmillait  la 
cour  Bysantine,  lesquels  avaient  aussi  leurProfo,  c'est-à-dire  Prince 
ou  chef.  Ils  remplissaient  les  fonctions  les  plus  communes  dans  le 
palais,  et  formaient  par  conséquent  le  troupeau  des  domestiques; 
souvent  aussi  les  Empereurs  s'en  servaient  pour  des  missions  secrètes, 
et  ils  en  firent  quelquefois  leurs  plus  intimes  confidens.  Mais  en  voilà 
assez  sur  cet  article.  Ceux  qui  voudraient  se  procurer  des  notions 
plus  étendues  sur  ce  sujet ,  et  auraient  le  tems  et  la  patience  de  faire 
pour  cela  les  recherches  nécessaires  ,  pourront  consulter  les  œuvres 
de  Georges  Codin  Curopalata,  et  de  Constantin  Porphirogénéte  (a). 

(i)  Les  écrivains  Bysantins  nous  représentent  généralement  le  bon- 
net des  Grands  de  la  cour  comme  une  espèce  de  toupie  ,  ou  de  turban 
fait  en  forme  de  cône  ,  couvert  en  soie  de  diverses  couleurs  ,  et  plus  ou 
moins  riche  selon  la  dignité  du  personnage  qui  le  portait.  Les  latins  ap- 
pellaient  ces  bonnets  pilei  turbinati. 

(a)  Godinus  etc.  De  ofjiciis  magnae  Ecclesiae  et  Aulae  Constan- 
tinopoliùanae  liber  ^  gr.  lat.  ed.Jac.    Goar.  Parisiis ,   1648  in  fol.0  Const 


be   la    Grèce.  aaï 

Le  même  Codin  Curopalata  nous   a   encore   laissé   une   ample   Couronnement. 

-..-  .._-,  /-it  -1-r-ç  des  Empereurs, 

description  du  couronnement  des  empereurs  Grecs.  Le  nouvel  Em-  Grecs. 
pereur  commençait  par  envoyer  sa  profession  de  foi  écrite  de  sa 
propre  main  au  Patriarche,  qui  l'attendait  avec  le  clergé  dan* 
l'église  de  Sainte  Sophie:  ensuite  il  montait  au  Triclinium ,  qui 
était  une  salle  magnifique  située  au  bout  de  VJugustée ,  d'où  l'on 
voyait  l'année  et  le  peuple  assemblé  (i).  De  là,  plusieurs  séna- 
teurs jetaient ,  par  ordre  de  l'Empereur,  à  la  multituda  des  mil- 
liers à'épicombes ,  ou  petits  morceaux  d'étoffe  dans  lesquels  étaient  Epico®best 
enveloppées  quelques  pièces  d'or  et  d'argent.  Après  cela  ,  l'Empe- 
reur assis  sur  son  bouclier,  et  porté  par  des  membres  de  sa  famille  , 
était  présenté  par  le  Patriarche  9  accompagné  des  premiers  dignitai- 
res, à  la  foule  du  peuple  qui  l'accueillait  au  milieu  des  acclama-, 
tions.  Cette  cérémonie  achevée,  on  le  conduisait  dans  l'église  de 
Sainte  Sophie,  où  après  s'être  revêtu  d'une  simple  tunique  rouge  et 
blanche,  et  le  front  ceint  d'un  bandeau,  ou  d'une  simple  couron- 
ne, ou  seulement  couvert  d'un  bonnet  selon  son  gré ,  il  montait 
dans  une  espèce  de  chambre  ou  tribune  en  bois  tapissée  en  rouge , 
et  construite  à  ce  dessein  à  l'entrée  de  l'église.  Alors  commençait 
la  liturgie,  durant  laquelle  le  Patriarche  et  les  anciens  du  clergé, 
en  habits  pontificaux,  et  avant  qu'on  entonnât  l'hymne  Trisagio  fa)  Trisagfr, 
montaient  à  Vambone  qui  était  un  autre  sorte  de  tribune.  A  un 
signal  que  fesait  le  Patriarche ,  l'Empereur  s'y  rendait  aussi  ,  et 
se  découvrait  la  tête ,  après  que  le  premier  avait  fini  de  réci- 
ter la  prière  analogue  au  sacre.  Le  Patriarche  oignait  alors  avec 
l'huile  sainte,  et  en  forme  de  croix,  la  tête  de  l'auguste  person- 
nage ,  en  chantant  à  haute  voix  le  mot  Ày««  sanctus  ,  que  le  cler- 
gé et  le  peuple  répétaient  trois  fois.  Le  Patriarche  lui  posait  en- 
suite le  diadème  sur  la  tête  en  chantant  Agn*  ,  c'est-à-dire  di- 
gnus ,  que  répétaient  encore  le  clergé  et  le  peuple  (3).  Les  prières  Counmwmem 
finies ,  l'Empereur  descendait  de  Vambone  par  un    escalier    opposé    impl-ll-iees* 

Porphyr.  JLïbri  duo  de  caeremoniis  Aulae  Byzantinae ,  gr.  lab.  opéra.  1. 1. 
Reiskii ,  Lipsiae  ,  iy5i  ,  in  fol.° 

(i)  \J  Augusbée  était  une  vaste  place,  carrée,  entourée  de  portiques 
et  d'édifices  magnifiques ,  et  qui  servait  comme  de  cour  à  l'église  de 
Sainte  Sophie  et  au  palais  impérial. 

(2)  Ainsi  appelé  ,  parce  qu'on  répétait  trois  fois  le  mot  hyioç,  sanctus. 

(3)  Si  le  père  de  l'Empereur  était  présent ,  il  plaçait  la  couronna 
sur  la  tête  de  son  fils  avec  le  Patriarche» 


32,2,  Gouvernement 

à  celui  par  où  il  était  monté,  et 'qui  était  vis-à-vis  le  tabernacle: 
en  descendant  il  plaçait  lui  même  sur  la  tête  de  son  épouse  un 
diadème  différent  du  sien ,  qui  lui  était  présenté  par  les  plus  pro- 
ches parens  de  l'épouse  même,  ou  par  deux  eunuques.  Après  l'avoir 
reçu ,  elle  s'inclinait  devant  son  époux  comme  pour  l'adorer  ,  et 
confesser  qu'elle  était  sa  sujette  :  puis  ils  montaient  l'un  et  l'autre 
sur  le  trône  élevé  dans  la  tribune  en  bois ,  l'Empereur  tenant  le 
sceptre ,  et  l'Impératrice  une  palme.  Après  l'hymne  Trisagio  , 
et  la  lecture  de  l'évangile  s  l'Empereur  ,  précédé  de  trois  chan- 
tres ,  portant  chacun  une  pique  ornée  de  morceaux  d'étoffe  en 
soie  ,  les  uns  rouges ,  les  autres  blancs  et  tous  de  forme  ovale , 
et  accompagné  de  ses  licteurs  ou  massiers,  et  d'une  garde  de  cent 
jeunes  gens  de  la  première  noblesse ,  se  revêtait  devant  la  balustrade 
du  sanctuaire  d'une  chlamyde  de  couleur  d'or,  prenait  la  Croix  de 
la  main  droite ,  et  de  la  gauche  le  nartex  :  là  il  recevait  le  salut 
du  Patriarche,  l'encens  des  diacres,  et  s'arrêtait  pendant  la  messe 
jusqu'après  l'élévation ,  qu'il  montait  à  l'autel  pour  prendre  part 
à  la  sainte  table.  A  la  fin  de  la  liturgie  ,  il  baisait  la  main  du 
Patriarche  et  des  évèques  qui  avaient  assisté  à  la  cérémonie;  et 
après  s'être  montré  de  la  tribune  des  Catéchumènes  à  la  foule  des 
spectateurs ,  il  se  rendait  à  cheval  au  palais  impérial ,  avec  le  cor- 
tège des  Grands  qui  l'entouraient  à  pied.  Pendant  plusieurs  jours 
ce  n'étaient  que  fêtes  et  banquets  à  la  cour  ,  et  l'on  fesait  des  lar- 
gesses au  peuple  en  argent  et  en  comestibles.  Telles  étaient  les  cé- 
rémonies qui  avaient  lieu  pour  le  couronnement  du  tems  de  Codin, 
dont  le  témoignage  s'accorde  en  cela  avec  celui  de  Jean  Gantacu- 
zène.  Quelques-unes  semblent  même  avoir  été  déjà  en  usage  sous 
Justinien  ,  car  le  poète  Corippe  en  fait  mention. 
Aigle  Avant  de  terminer  cette  partie  du  gouvernement    de   l'empire 

Jeux  têtes.  x  D  _  i    '  a 

Grec,  nous  croyons  à  propos  de  dire  un  mot  de  l'aigle  â  deux  tê- 
tes ,  qui  est  l'arme  de  l'auguste  maison  d'Autriche,  et  qu'on  trouve 
quelquefois  sur  les  monumens  Bysantins.  (  Voy.  la  planche  3o  n.°  8  ). 
Pendant  plusieurs  siècles,  les  Empereurs  Grecs  n'eurent  pour  armes 
que  l'aigle  ,  qu'ils  avaient  reçue  des  Empereurs  Romains.  L'image 
de  ce  roi  des  oiseaux  fut  conservée  sur  les  enseignes  impériales ,  long 
tems  après  qu'on  vit  flotter  celle  de  la  Croix  sur  les  étendards  mi- 
litaires. La  croix  qui  se  portait  devant  l'Empereur  était  en  or  massif, 
et  religieusement  gardée  avec  les  objets  précieux  du  trésor  sacré. 
Mais  il  n'est  guères  facile  de  fixer    l'époque    à    laquelle    on    cora- 


de    la    Grèce.  aa3 

mença  à  représenter  l'aigle  avec  deux  têtes.  Selon  Du-Cange  ,  le 
monument  le  plus  ancien  où  elle  se  trouve ,  c'est  le  bouclier  d'un 
soldat  qui  se  voit  sur  les  bas-reliefs  de  la  colonne  Trajanne.  Mais 
l'usage  n'en  devint  habituel  que  dans  les  derniers  tems  de  l'empire 
Grec  ,  c'est-à-dire  lorsque  les  Empereurs  de  Constantinople ,  à  l'e- 
xemple de  ceux  de  Rome,  adoptèrent  celui  des  armoiries.  Et  en 
effet ,  le  premier  monument  qu'on  trouve  dans  les  antiquités  By~ 
santines  avec  l'aigle  à  deux  têtes ,  est  une  pièce  de  monnaie  de  Monument 
Théodore  Lascar  le  jeune  ,  dont  Octave  Strada  donne  la  descrip-  à"deaxaîitL 
tion  3  avec  une  miniature  du  manuscrit  Àugustain  des  chroniques  de 
Georges  Pachiméride  ,  qui  est  citée  par  Jérôme  Volf  (i).  Georges 
Franze ,  dans  la  description  qu'il  fait  de  l'entrée  solennelle  de 
Jean  Paléologue  à  Venise,  dit  qu'on  voyait  sur  la  poupe  du  vais- 
seau où  était  l'Empereur  l'image  de  Faigle  à  deux  têtes  entre 
celles  de  deux  lions ,  et  que  les  matelots  la  portaient  encore  à 
leur  bonnet.  Ismael  Bulialdo  s  homme  très-érudit ,  assure  que  ,  de 
son  tems ,  on  voyait  dans  le  palais  qui  conserve  encore  le  nom  de 
Constantin  ,  des  images  de  boucliers  avec  l'aigle  à  deux  tètes , 
et  qu'on  y  lisait  les  deux  lettres  Grecques  iia  ,  que  Du-Fresne 
regarde  comme  les  deux  premiers  élémens  du  mot  Paléologue.  En- 
fin nous  avons  le  sceau  en  cire  d'une  épitre  du  Despote  Démétrius 
Paléologue  à  Charles  VI  Roi  de  France ,  sur  lequel  est  représen- 
tée l'aigle  à  deux  têtes  avec  deux  couronnes.  (  Voy.  la  même  fi- 
gure ).  Il  semblerait  ^  d'après  toutes  ces  observations,  que  cette  aigle 
ne  commença  à  figurer  parmi  les  marques  distinctives  de  la  dignité 
impériale,  que  sous  les  Lascars  et  les  Paléologues,  dont  elle  était 
peut-être  î'armoirie  de  famille  (a).  Nous  reviendrons  sur  ce  sujet 
à  l'article  du  gouvernement  de  l'empire  d'occident.  En  attendant,  oinionturtm 
nous  remarquerons  ici ,  que  certains  erudits  ont  cru  apercevoir  ,  dans  **&*&<***>**■ 
l'aigle  à  deux  têtes,  un  signe  emblématique  du  partage  de  l'empire 
entre  deux  Princes ,  qui  avaient  leur  résidence  ,  l'un  en  orient  et 

(i)  Nous  ne  pouvons  assurer  cependant  si  cette  monnaie ,  dont  parle 
encore  Du-Fresne  d'après  le  témoignage  de  Strada ,  et  qui  est  en  outre 
rapportée  dans  la  Collection  des  écrivains  Bysantins  ,  peut  être  regardée 
comme  authentique.  L'aigle  à  deux  têtes  se  voit  dans  le  coussin  qui  est 
sous  les  pieds  de  l'Empereur. 

(2)  V.  Du-Fresne,  De  Imperat.  Coustantinop.  etc.  Numismat.  Dis- 
sertatio  §.  XI.  Rasche  ,  Lexlc.  univ.  Rei  numariae  T.  V.  P.  I.  pag.  io5o. 
Eckel.  Doctrina  nw.rtor.  veter.  P.  II.  vol.  VIII.  pag.  267. 


32,4  Gouvernement 

l'autre  en  occident  (i).  Cette  opinion  est  encore  celle  de  Trissin 
dans  le  second  livre  de  son  poème  de  l'Italie  délivrée  :  Le  grand 
empire  qui  ne  fesait  qu'un  seul  corps  avait  deux  chefs  3  Vun  dans 
l'ancienne  Rome }  qui  régnait  sur  les  pays  d'occident ,  et  Vautre 
dans  la  nouvelle ,  appelée  vulgairement  la  ville  de  Constantin  s  qui 
était  la  capitale  de  tout  l'orient.  Voilà  pourquoi  l 'aigle  d'or ,  qui  est 
l'arme  de  l'Empire ,  fut  et  est  encore  représentée  sur  un  champ 
rouge  avec  deux  têtes. 

Mais  cette  opinion  ne  repose  que  sur  de  simples  conjectures  : 
car  ce  ne  fut  que  dans  les  derniers  tems  des  Empereurs  Bysantins, 
que  l'aigle  à  deux  têtes  devint  une  des  marques  distinctives  de  la 
dignité  impériale,  c'est-à-dire  depuis  la  chute  de  l'empire  Romain 
avec  Augustule.  Nous  n'avons  pas  cru  devoir  parler  de  la  domina- 
tion des  Latins,  des  Français,  des  Vénitiens  et  autres  peuples, 
parce  qu'elle  ne  fut  que  passagère ,  et  n'apporta  aucun  changement 
dans  les  usages  ni  dans  le  gouvernement  de  l'empire  Grec. 

GOUVERNE  MEîCT     DE    LA     GRECE     MODERNE. 

,    ?taX  ,  J-l  ous  avons  parcouru  l'histoire  de  la  Grèce    depuis  les    tems 

de    la    (xièce  l  .   * 

mode,™.  les  plus  reculés ,  jusqu'à  l'époque  fatale  où  elle  est  tombée  sous 
le  joug  des  Mahométans  ;  et  nous  avons  vu  comment  ,  d'une  fai- 
ble origine ,  elle  s'est  élevée  au  premier  rang  parmi  les  nations 
les  plus  civilisées,  puis  de  quelle  manière,  après  une  foule  de  ca- 
tastrophes, elle  est  passée  sous  la  domination  des  Romains.  Considé- 
rant ensuite  son  état  sous  l'empire  d'orient ,  nous  l'avons  vue  sous 
des  formes  nouvelles  livrée  au  luxe,  à  la  mollesse,  et  plongée  dans 
une  si  honteuse  létargie ,  qu'elle  ne  nous  a  plus  offert ,  au  lieu  d'une 
auguste  matrone,  que  l'image  d'une  chétive  femmelette.  Après  tant 
de  vicissitudes,  elle  gémit  à  présent  sous  l'oppression  des  Turcs ,  et 
ne  conserve  plus  qu'un  triste  souvenir  de  sa  grandeur  passée.  Con- 
eovveniement  tente  d'avoir  gardé  en  partie  ses  usages,  orgueilleuse  encore  d'un 
vain  nom,  son  unique  héritage,  elle  s'est  accoutumée  peu-à-peu  à 
souffrir  le  poids  de  ses  chaînes.  Dans  les  îles  de  l'Archipel,  dit  un 
illustre  écrivain,  tu  ne  vois  qu'un  peuple  vil  en  proie  à  la  misère, 
à  l'ignorance  et  à  l'esclavage  :  dans  les  villes  de  terre  ferme  tu  ne 
trouves  que  des    esclaves    riches    et    superbes.    Les    différentes    con- 

(i)  Bellarminus ,  De  translat.  Imp.  Rom.  lib.  I.  cap.  VII.  §.  2. 


Ottoman. 


Archonte. 
Archoutesse. 

Spartiates- 


de    la     Grèce.  .2^5 

trées  de  îa  Grèce  ,  sont  maintenant  gouvernées  par  des  Pachas,  Pavkq. 
dont  l'avidité  et  la  tyrannie  l'emportent  souvent  sur  celles  des  Pré- 
teurs que  Rome  envoyait  autrefois  aux  nations  vaincues  et  tributai- 
res. A  Athènes,  un  Papas  ignorant  et  superstitieux  harangue  ce  papas. 
peuple  ,  qui  jadis  n'était  sensible  qu'à  l'éloquence  des  Eschines  et 
des  Démosthénes:  tristes  reliquiae  Danaum(i).  Les  Athéniens  n'ont 
conservé  des  vertus  et  du  caractère  de  leurs  ancêtres ,  qu'une  adresse  Athinieay. 
merveilleuse  à  contrarier  les  vues  d'avarice ,  qui  portent  quelque- 
fois un  gouverneur  inhumain  à  aggraver  le  malheur  de  leur  po- 
sition. Pendant  le  séjour  que  M.,s  Stuard  et  Revett  firent  parmi 
eux,  ils  parvinrent,  par  des  trames  conduites  avec  beaucoup  d'ha- 
bileté 3  à  se  débarrasser  successivement  de  trois  gouverneurs,  dont 
deux  furent  môme  incarcérés,  et  réduits  à  l'état  le  plus  déplo- 
rable. A  part  cette  aptitude  à  la  ruse  et  aux  intrigues,  les  Athé- 
niens sont,  aussi  bien  que  les  autres  Grecs,  vains,  ambitieux  et 
lâches.  Ceux  d'entre  les  Grecs  modernes,  qui  se  croyent  au  des- 
sus des  autres  par  leur  naissance  ou  leurs  richesses,  prennent  les 
noms  d' Archonte  ou  d'Archontes  se  ;  mais  ces  titres  frivoles  ne  leur 
donnent  aucun  privilège  (a).  Les  Spartiates  montrent  encore  un 
reste  de  la  fierté  de  leurs  ancêtres  ;  mais  contens  généralement  de 
chanter  leurs  anciens  exploits,  ils  mènent  le  plus  souvent  une  vie 
errante,  et  parcourent  le  pays  en  troupes  de  brigands,  plutôt  qu'en 
corps  militaires  bien  ordonnés.  Cependant  il  existe  encore  de  ces  mê- 
mes Spartiates  un  peuple,  dont  l'énergie  est  faite  pour  réveiller  en 
nous  les  plus  grandes  idées.  Nous  voulons  parler  de  ces  Grecs ,  con- 
nus dans  le  levant  sous  le  nom  de  Maniotes ,  et  qui,  retirés  au  sein  Manioc. 
de  leurs  montagnes,  n'ont  jamais  été  soumis  par  les  Turcs  (3).  «  Là, 
"  sur  les  monts  Taigéte  ,  dit  Choisseul ,  ces  hommes  intrépides  ar~ 
»  mes  pour  la  cause  commune,  robustes ,  sobres ,  invincibles,  libres 
«  comme  au  tems  de  Lycurgue  ,  défendent  contre  les  Turcs  cette 
«  liberté  qu'ils  osèrent  soustraire  à  tous  les  efforts  de  la  puissance 
«  Romaine.  Envain  les   Turcs  ont  souvent  .envoyé    contre    eux  des 

(i)  Guys,  Voy.  littér.  de  la   Grèce.  T.  I.  pag.    18. 

(2)  Guys  etc.  Ibid.  pag.  104.  Hobhouse ,  L.  G.  A  journey  through 
Albania  etc.  during  the  years  1809  and  1810.  London  ,  Cawthorn  ,  i8i3 
gr.  in  4.0  fig.°  Letter  XIX.  et  ailleurs. 

(3)  Napoléon  en  traversant  la  Méditerranée  pour  se  rendre  en  Egypte 
écrivit  aux  Maniotes  une  lettre  par  laquelle  il  donnait  les  plus  grands 
éloges  à  leur  généreux  patriotisme.  V.  Hohhocye  ibid. 

Europe.  Vol.  I.  *_ 


â2Ô  Gouvernement 

«  armées  formidables  ;  une  poignée  d'hommes  libres  a  triomphé  de 
"  milliers  d'esclaves.  G'est  là  que  se  sont  réfugiés ,  après  la  ruine 
«  de  Constautinople  ,  les  Comnènes ,  les  Paléologues ,  les  Phocas  , 
«■  et  les  Lascars  ,  autrefois  maîtres  d'un  peuple  avili ,  et  mainte- 
«  nant  membres  d'un  peuple  libre.  Là ,  restent  ensevelies  des  ac- 
«  tions  héroïques,  dignes  d'être  transmises  à  la  postérité  par  la 
«  plume  des  Thucydides  et  des  Xénophons  :  là  existe  encore,  et  je 
«'  l'ai  vu  moi  même  s  un  de  ces  chefs  de  Maniotes ,  qui  ayant  pris 
"  les  armes  à  l'arrivée  des  Russes,  et  s'étant  enfermé  dans  une  tour 
«  avec  quarante  hommes ,  soutint  un  siège  contre  six  mille  Turcs  9 
«  et  se  défendit  pendant  plusieurs  jours  ;  les  assiégeans  étant  enfin 
«  parvenus  à  mettre  le  feu  à  son  asile  ,  en  virent  sortir  tout  san- 
«  glans  et  couverts  de  blessures  deux  hommes,  un  vieillard    et  son 

"fils Ces  peuples ,    habitans   des  montagnes ,  sont  les  seuls 

«  qui  puissent  mériter  le  nom  de  Grecs  ,  et  élever  les  autres  à 
«  l'honneur  d'en  être  dignes  „. 


MILICE      DE: 


T  ' 

Système  suivi  J-J  histoire  nous  a  fait  connaître  les  divers  gouvernemens  qui 

par   nous  '  1  '         1  I         r~\      '  ••  1  -•  r      r 

jusqu'à  pèsent,  se  sont  succèdes  dans  la  C^-rece,  ainsi  que  les  principaux  evenemens 
qui  ont  rendu  cette  contrée  si  célèbre.  Nous  avons  fait  ensorte  jus- 
ques  ici  de  ne  rien  affirmer,  qui  ne  pût  être  prouvé  par  l'autorité 
des  monumens }  conformément  au  plan  que  nous  nous  avons  adopté 
dans  cet  ouvrage.  Cependant,  sans  nous  engager  dans  une  infinité 
de  questions  qui  nous  auraient  trop  éloignés  de  notre  but  ,  nous 
n'avons  pas  laissé  de  nous  opposer  quelque  fois  aux  opinions  les  plus 
accréditées,  et  même  de  remarquer,  comme  en  passant,  les  erreurs 
dans  lesquelles  sont  tombés  quelques  écrivains  des  plus  estimés   (i). 

(1)  G'est  ce  que  nous  avons  fait ,  à  l'égard  des  questions  géologiques , 
dans  notre  Discours  préliminaire  sur  le  globe  terrestre,,  et  successivement 
dans  nos  recherches  sur  la  Mythologie  Grecque ,  dans  l'explication  que  nous 
avons  donnée  de  divers  monumens  de  l'antiquité  ,  et  enfin  dans  nos  con- 
sidérations sur  la  couronne  de  fer.  Nous  croyons  même  à  propos  d'ajouter 
ici ,  qu'on  pourrait  faire  sur  ce  dernier  sujet  trois  questions ,  qui  seraient  ; 
la  première  ,  si  la  couronne  de  fer  n'est  point  toute  autre  chose  que  le 
diadème  de  Constantin  dont  parle  saint  Ambroise  ;  la  seconde  ,  si  elle 
servait  anciennement  au  couronnement  des  Rois  d'Italie  ;  la  troisième  ,  si 
cette  couronne  renferme  réelement  un  des  clous  de  la  passion  du  Sauveur. 


de    la    Grèce.  aa? 

Nous  suivrons  constamment  la  même  marche,  toujours  guidés  par 
ce  précepte  de  .Cicéron  :  ne  plus  ei  tribuas  quam  res  et  Veri- 
tas ipsa  concédât.  Prenant  donc  la  milice  des  Grecs  pour  sujet 
de  nos  premières  recherches,  nous  entrons  d'abord  dans  le  vaste 
champ  des  guerres  appartenantes  aux  tems  héroïques ,  dont  la  trom- 
pette du  divin  Homère  fait  encore  retentir  le  bruit  à  nos  oreilles. 

•«  «-    .  ,  Deux  époques 

Majs    ces    guerres   sont    encore    moins   mémorables   que    celles    des    de  fa  miiioa 


Grecque, 


Nous  avons,  ce  nous  semble,  suffisamment  prouvé,  bien  qu'en  passant,, 
qu'il  ne  faut  pas  confondre  la  couronne  de  fer  avec  le  diadème  des  Em- 
pereurs Bysantins  :  nous  ferons  voir  ailleurs  que  son  origine  date  des  tems 
modernes,  et  qu'avant  le  dixième  siècle  il  n'en  est  fait  aucune  mention. 
Qu'on  ne  croye  pas  ,  que  ce  que  nous  avons  dit  de  cette  couronne  ,  soient 
des  choses  nouvelles  ,  ni  que  nous  voulions  nous  faire  un  mérite  de  les 
avoir  publiées:  car  nous  n'avons  fait  en  cela  que  répéter  ce  qu'en  ont 
dit  des  écrivains  qui  sont  trés-connus  parmi  nous.  Notre  opinion  à  cet 
égard  est  également  celle  de  Muratori  dans  ses  observations  sur  les  mo- 
numens  et  les  annales  d'Italie,  que  le  lecteur  pourra  consulter  outre 
les  Anecdotes  Ambrosiennes  dont  nous  avons  déjà  parlé  ;  c'est  aussi  celle 
de  Prosper  Lambertini  dans  sa  Relation  lue  à  la  Congrégation  des  Rites  , 
sur  le  culte  qui  peut  être  dû  à  la  couronne  de  fer  (  De  cultu  coronae 
ferrae  etc.  Rornae  1717  )  ;  du  Président  Jean  Renaud  Carli  (  Antiqui- 
tés Italiques  ,  lV.e  partie ,  pag.  55'  et  67  )  ;  des  illustres  auteurs  des  An- 
tiquités Longobardico- Milanais es  (  I.**  vol.  pag.  g5  et  96  )  ;  de  Verri  , 
et  enfin  du  savant  Bernardin  Zanetti  (  Du  Règne  des  Lombards  en. 
Italie ,  Venise  i753  ,  pag.  139.  Note  XXV).  Nous  pourrions  augmenter 
de  beaucoup  d'autres  le  nombre  de  ces  autorités  ,  si  nous  n'étions  retenus 
par  la  crainte  d'ennuyer  nos  lecteurs.  La  seconde  des  trois  questions  que 
nous  venons  de  poser  appartient  à  des  tems  postérieurs  à  la  domination 
des  Lombards,  c'est  à  dite  à  ceux  des  Empereurs  des  Francs  et  des  Ger- 
mains,  qui,  après  Charlemagne ,  montèrent  sur  le  trône  de  l'Italie;  et 
nous  prouverons,  en  traitant  du  costume  de  cette  éqoque  ,  que  plusieurs 
furent  sacrés  Rois  d'Italie  avec  la  couronne  de  Monza.  La  troisième  ques- 
tion peut  se  faire  indépendamment  même  de  la  première,  car  le  fer  qui 
garnit  l'intérieur  de  cette  couronne  pourrait  bien  être  en  effet  un  des 
clous  de  la  passion  ,  malgré  qu'elle  soit  toute  autre  chose  que  le  diadème 
de  Constantin.  Mais  ce  serait  trop  nous  écarter  de  notre  sujet  que  de  vou- 
loir entrer  dans  ces  recherches.  Nos  lecteurs  pourront  consulter  l'ouvrage 
de  Just  Fontanini ,  Dissertatio  de  corona  ferrea  etc. ,  qui  a  pour  objet 
de  prouver  l'ancienneté  de  la  couronne  de  Monza,  et  l'authenticité  delà 
relique  qu'on  prétend  y  être  jointe;  et  nous  leur  laisserons  faire  la  com- 
paraison des  raisons  qu'en  donne  cet  illustre  prélat ,  avec  celles  rapportées 
dans  les  ouvrages  des  écrivains  que  nous  venons  de  citer. 


ztâ  Milice 

tems  historiques ,  où  les  Grecs ,  non  par  le  nombre  des  phalan- 
ges ,  mais  à  force  d'art  et  de  bravoure  ,  firent  front  aux  armées 
des  plus  grands  conquérans.  Ainsi  nous  diviserons  en  deux  époques 
ce  que  nous  avons  à  dire  sur  la  milice  des  Grecs  ;  la  première 
comprendra  les  tems  héroïques,  et  la  seconde  les  tems  historiques. 
Nous  jetterons  ensuite  un  coup  d'œil  sur  l'art  militaire  de  l'empire 
d'orient  et  de  la  Grèce  moderne  :  car  en  passant  sous  la  domina- 
tion de  nations  étrangères,  les  Grecs  adoptèrent  les  usages  militai- 
res, et  partagèrent  les  destinées  de  leurs  maîtres. 

MILICE      DES      TEMS      HEROÏQUES. 

Observations  générales. 

âe  fataGrëce  Avant  les  tems  héroïques  ,  les  Grecs  étaient  un  peuple   sau- 

RVht!ZTs  vaSe  et  kart>are,  comme  le  furent  tous  les  hommes  avant  de  se 
réunir  en  société,  et  de  se  donner  une  forme  quelconque  de  gou- 
vernement. Il  ne  faut  donc  chercher  rien  de  remarquable ,  ni  qui 
soit  digne  de  notre  admiration  dans  ces  siècles  obscurs,  dont  Thucy- 
dide nous  fait  une  peinture  effrayante  au  commencement  de  son 
histoire  ,  et  en  parlant  desquels  Plutarque,  dans  la  vie  de  Thésée  , 
s'exprime  en  ces  termes.  «  Il  n'y  avait  point  de  pays  qui  ne  fût 
«  infesté  de  voleurs  et  de  brigands  ,  ou  exposé  à  leurs  attentats  :  car 
"  cette  époque  avait  produit  des  hommes  d'une  dextérité  de  main  , 
»  d'une  agilité  à  la  course  et  d'une  audace  extraordinaire,  qui  n'em- 
«  ployaient  ces  dons  de  la  nature  à  rien  d'utile  ni  de  juste,  mais 
«  qui  au  contraire  se  plaisaient  à  faire  des  insultes  et  des  surpri- 
«  ses,  et  ne  fesaient  usage  de  leurs  facultés  que  pour  commettre  des 
«  actes  de  violence  et  de  cruauté,  ne  cherchant  qu'à  usurper,  à  vkn 
"  1er,  et  à  corrompre  tout  ce  qui  se  présentait  à  eux,  et  regardant 
«  la  justice,  la  pudeur,  l'équité  et  l'humanité  comme  des  choses  de 
«  nulle  considération  pour  quiconque  pouvait  les  fouler  aux  pieds  „. 
Mais  à  l'époque  des  tems  héroïques,  les  habitans  de  la  Grèce  pas- 
sèrent de  cet  état  d'indépendance  et  pour  ainsi  dire  de  férocité, 
à  celui  de  société  ,  dans  lequel  ils  se  donnèrent  des  lois  et  s'uni- 
Premier iumnt  rent  par  de  nouveaux  liens.  Voilà,  dit  un  illustre  écrivain  .  le  pre- 

*«  l'héroïsme.  .  .  ,       ,,1    ,  _  , 

mier  instant  de  1  héroïsme  (i).  L  enthousiasme  produit  par  de  nou- 

(i)  Piochefort.  Mémoire  sur  les  moeurs  des  siècles  héroïques .  Hist. 
d$  l  Ace  ad.  Roy.  des  Inscript,  etc.  T.  XXXVI.  pag.  398  et  suiy. 


de    la    G  r  i  d  e.  aa^ 

relies  sensations,  les  jouissances  d'une  vie  plus  heureuse  ,  Pexempîe, 
l'émulation,  le  développement  des  vertus  sociales,  qui  étaient  étouf- 
fées auparavant  par  l'intérêt  privé ,  furent  les  causes  qui  concou- 
rent à  élever  l'âme  ,  et  à  allumer  en  elle  cette  ardeur  puissante 
et  créatrice  ,  qui  peut  seule  enfanter  les  grandes  choses.  Mais  cet 
héroïsme  ,  qui   changea    les    mœurs    de    la    Grèce  ,    ne    pouvait  pas     Décadence 

'     *  &  _  /  r        t  l  de  l'héroïsme 

conserver    long-terris  sa    première  vigueur.   Il    devait    nécessairement       dutem» 

P  ,..,..  d'Homère: 

s  affaiblir  en  proportion  des  progrès  que  fesait  la  civilisation  ,  et 
de  l'accroissement  que  prenaient  les  nouvelles  passions  :  cette  dé- 
cadence se  fesait  déjà  sentir  dans  le  siècle  d'Homère  ,  car  ce  poète 
se  plaint  souvent  du  changement  qui  s'était  opéré  dans  les  mœurs. 
Après  la  prise  de  Troie  ,  les  divers  peuples  de  la  Grèce  ,  deve- 
nus inquiets  et  turbulens ,  commencèrent  à  se  brouiller  entre  eux 
et  à  se  désunir,  savoir;  les  Héraclides ,  en  redemandant  à  maiu 
armée  leurs  anciens  domaines;  les  peuples  de  Plonie,  en  abandon- 
nant leur  patrie;  et  d'autres  en  allant  en  chercher  une  dans  les 
pays  même  où  ils  avaient  fait  la  guerre  pendant  si  long  tems.  Nous  Epoques 
fixerons  donc  l'origine  des  tems  héroïques  au  règne  de  Thésée,  qui  ,  hdroîquel* 
après  avoir  détruit  une  foule  de  voleurs  et  de  brigands,  auxquels  la 
force  seule  tenait  lieu  de  loi,  donna  le  premier  à  l'Âttique  la  forme 
d'un  gouvernement  bien  constitué  Ci).  À  l'époque  du  règne  de  Thésée 
appartient  aussi  celui  de  Minos  ,  qui,  au  rapport  de  Thucydide, 
opéra  dans  les  mœurs  des  Grecs  une  heureuse  révolution,  dont  l'ef- 
fet fut  d'établir  plus  de  conformité  dans  les  usages,  plus  de  sûreté 
dans  le  commerce  et  la  navigation,  plus  d'ordre  dans  les  villes ,  et 
une  meilleure  méthode  dans  la  manière  de  les  construire  et  de  les 
fortifier  contre  les  attaques  de  l'ennemi.  Les  tems  héroïque,  propre- 
ment dits,  doivent  donc  se  compter  depuis  le  règne  de  Thésée  jusqu'à 
la  destruction  de  Troie,  ou  depuis  l'an  i3i7  jusqu'à  l'an  1370  avant 
l'ère  chrétienne  ,  selon   la  chronologie  de  La  relier. 

Le  premier  sentiment  des  Grecs,  et  celui  qui  les  touchait    le        Àmow 
plus  vivement  dans  les  tems  héroïques ,  était  l'amour  de  la   patrie  ;      * -frémi™' 

,         );,■',  C  '  1  1  sentiment 

et  ce  sentiment  n  était  pas  renierai  e ,  pour  chaque   peuple   en  par-    de  rhéroïsme. 
ticulier,  dans  les  limites  du  pays  qu'ils  habitait,  mais  il  s?étendait 

(i)  M.r  Pwcheforù  (  ibid.  pag.  482  )  observe  judicieusement-,  qu'avant 
le  règne  de  Thésée  ,  la  Grèce  ne  se  présente  que  comme  un  pays  de 
fictions ,  habité  par  des  poètes  et  des  fabulistes ,  et  qui  pourrait  être  corn*- 
paré  à  ces  régions  inconnues  p  que  les  géographes  ne  font  qu'indiquer  aux 
extrémités  de  leurs  cartes, 


fraternité 
d'armes. 


Lois 
i  la  guerre- 


a3o  Milice 

encore  à  toute  la  Grèce.  Cet  amour  devint  l'esprit  général  de  la 
nation  :  amour  bien  différent,  dit  M.r  de  Rochefort,  de  celui  qui 
fît  dans  la  suite  de  tous  les  peuples  de  la  Grèce  autant  de  nations 
particulières,  divisées  d'intérêts,  et  ennemies  les  unes  des  autres 
hors  des  circonstances  où  le  danger  commun  les  réunissait  ,  pour 
accroître  ,  après  qu'il  était  passé ,  leurs  haines  et  leurs  divisions. 
Ce  zélé  ardent  pour  la  patrie  peut  en  quelque  sorte  être  comparé 
au  sentiment  qui  liait  entre  eux  nos  anciens  chevaliers  :  car  les 
héros  de  la  Grèce  avaient  nomme  eux  un  même  esprit,  de  mêmes 
lois ,  et  une  même  religion.  Ils  formaient  ,  au  moyen  de  cette  al- 
liance cimentée  par  la  foi  du  serment ,  une  espèce  de  confrérie 
armée,  dont  les  membres  étaient  toujours  prêts  à  voler  au  secours 
les  uns  des  autres.  Cette  ligue,  pour  ainsi  dire  sacrée,  s'offre  à 
nous  sous  des  traits  bien  frappans;  dans  la  coalition  des  sept  chefs 
contre  Thébes;  dans  celle  de  tous  les  Rois  de  la  Grèce  pour  re- 
tirer, par  la  force  des  armes ,  la  belle  Hélène  des  mains  du  Troyen 
qui  l'avait  ravie;  et  dans  le  conseil  des  Amphictyons  qui  prési- 
dait à  toutes  les  entreprises  de  la  nation  ,  malgré  que  l'objet  pri- 
mitif de  son  institution  fût,  comme  nous  l'avons  déjà  observé,  de 
veiller  à  la  sûreté  du  temple   de  Delphes. 

La  guerre  n'avait  plus  le  caractère  du  brigandage  ni  de  la 
surprise  dès  les  tems  héroïques ,  et  ses  opérations  étaient  subor- 
données à  des  lois  sacrées  et  au  droit  des  nations.  Elle  était  tou- 
jours précédée  de  ces  préliminaires  inviolables,  dont  l'usage  ne  se 
trouve  établi  que  chez  les  peuples  déjà  civilisés.  On  envoyait  à 
l'ennemi  des  ambassadeurs  pour  demander  la  réparation  des  torts 
dont  on  avait  à  se  plaindre  ,  avant  de  recourir  à  la  force  et  au 
sort  des  armes.  Avant  de  mettre  le  siège  devant  Thébes ,  Polinice 
envoyé  Tydée  à  son  frère  Ethéocle,  pour  l'engager  à  le  laisser  ré- 
gner à  son  tour  ,  ainsi  qu'ils  en  étaient  convenus.  Ulysse  et  Mé- 
nélas  furent  également  envoyés  à  Troie  pour  réclamer  Hélène  ,  et 
la  guerre  ne  fut  commencée  que  d'après  le  refus  que  firent  les 
Troyens  de  rendre  cette  beauté  fatale.  Les  alliances,  les  trêves, 
les  conditions  de  paix,  en  un  mot  tous  les  traités,  n'avaient  d'au- 
tre garantie  que  la  bonne  foi,  les  promesses,  et  l'invocation  des  Dieux 
en  présence  desquels  ils  étaient  scellés  par  des  libations ,  par  des 
sacrifices,  par  des  sermens  solennels,  et  par  des  imprécations  terri- 
bles qui  se  prononçaient  au  pied  de  leurs  autels.  La  conclusion 
de  ces  traités  se   fesait    devant    des   Hérauts    en  qualité    de   minis- 


de   la    Grèce.  a3r 

très  des  Dieux  et  des  hommes,  motif  pour  lequel  on  les  regardait 
comme  des  êtres  sacrés  et  inviolables.  Homère  nous  fournit  des 
exemples  fameux  de  ces  sortes  de  cérémonies.  Ce  respect  pour  le 
droit  des  nations  détourna  toujours  les  Grecs  d'un  usage  presque 
commun  à  tous  les  peuples  barbares,  qui  était  de  se  servir  d'ar- 
mes empoisonnées  (i).  On  ne  trouve  dans  l'Iliade  aucune    trace   de    Aucun  usage 

c  -i  i-i  .,/N  ••  .  ,-,-,  -i  de.-:  armes 

cette  funeste  coutume;  et  il  est  dit    dans    I  Odyssée    qu  lms ,    dans    empoisonnées. 
la     crainte    d'offenser    les    Dieux ,  refusa    à    Ulysse    le  poison   qu'il 
lui  avait  demandé  pour    en    frotter    la    pointe    de    ses    flèches ,    ce 
qui  dénote  assez  Fhorreur  qu'avaient  les  Grecs  pour  un  usage  aussi 
contraire  au  droit  des  gens  (a).  Une  antre   preuve  des   progrès  que 

(i)  Voy.  Potter ,  Archéologie  Grecque.  Qelques  écrivains  pensent 
que  le  droit  public  était  encore  bien  peu  connu  dans  les  siècles  héroïques , 
où  il  parait ,  selon  eux ,  que  le  parjure ,  les  rapines  et  les  pirateries  étaient 
encore  en  honneur.  Féizius  lui  même  ,  dans  ses  Antiquités  Homériques  }  se 
montre  de  cette  opinion ,  sur  la  fausse  interprétation  qu'il  donne  à  l'éloge 
qu'Homère  fait  d'Antolique  dans  le  XIX.e  livre  de  l'Odyssée  ,  où  le  sens 
naturel  des  mots  cpxcs ,  et  KMwrixfvvn  n'indique  point  l'habitude  de  ce  héros 
à  la  fraude  et  au  parjure ,  mais  selon  les  plus  savans  interprètes  ,  la  Rdé-. 
lité  dans  les  sermens  et  l'art  des  stratagèmes  usités  à  la  guerre.  La  même  chose 
doit  se  dire  de  l'esprit  de  ruse  tant  vanté  dans  Ulysse.  Si  le  parjure  eût  alors 
été  en  honneur  ,  à  quel  propos  Homère  aurait-il  représenté  les  Euméni- 
des  punissant  les  parjures  aux  enfers  ?  Si  le  vol  et  la  piraterie  eussent  été 
regardés  comme  des  professions  honorables ,  ce  poète  n'aurait  certaine- 
ment pas  fait  dans  l'Odyssée  la  description  des  peines  atroces  et  sans  cesse 
renaissantes  auxquelles  Sisyphe,  fameux  brigand ,  était  condamné  dans  le 
Tartare  ;  il  ne  montrerait  pas ,  dans  le  même  poème  ,  le  sage  Nestor  de- 
mandant à  Télémaque  et  à  ses  compagnons,  d'où  ils  viennent ,  s'ils  voya- 
gent pour  quelqu'affaire  }  ou  si ,  comme  les  pirates  ,  ils  exposent  continuel- 
lement leur  vie  pour  troubler  celle  des  autres  ;  enfin  il  ne  donnerait  pas 
dans  le  IV. e  livre  de  ce  poème  l'épitlïète  de  scélérats  à  ceux  qui  exercent 
le  métier  de  pirates  ,  et  qui  se  contentant  de  charger  leurs  vaisseaux  du 
butin  qu'ils  font  sur  les  rivages  ,  n'osent  point  s'y  arrêter ,  dans  la  crainte 
du  courroux  des  Dieux.  Ce  n'est  que  dans  les  tems  historiques  ,  que  le 
vol  commença  à  être  regardé  chez  les  Spartiates  comme  un  exercice  ,  et 
une  preuve  de  ruse  et  de  dextérité.  V.  Roçheforb  dans  sa  dissertation  citée 
plus  haut. 

(2)  Nous  ne  pouvons  être  en  cela  de  l'avis  de  Goguet ,  qui  cite  le 
passage  de  l'Odyssée,  (  liv.  I.er  v.  260),  comme  une  preuve  certaine, 
que  dans  les  tems  héroïques ,  les  Grecs  étaient  généralement  dans  l'usage 
d'empoisonner  leurs  armes. 


^3a  Milice 

Conscription    ce  peuple    fesait    dans    la    civilisation  ,    c'est  l'espèce   de    conscrit 

militaire.  ...,..-  x  i 

non  militaire  dont  est  question  dans  l'histoire  des  teras  héroïques. 
A  cette  époque,  les  citoyens  n'étaient  plus  tous  indistinctement 
appelés  à  la  profession  des  armes  ,  mais  on  prenait  au  sort  dans 
les  familles  nombreuses  l'individu  qu'elles  devaient  donner  à  l'ar- 
mée. Et  en  effet ,  lorsque  Mercure  ,  dans  l'Iliade ,  se  présente  à 
Priam  allant  à  la  tente  d'Achille  ?  il  lui  dit  qu'il  est  fils  de  Po- 
lyctor,  et  qu'il  a  suivi  Achille  3  après  avoir  tiré  au  sort  avec  ses  frè- 
res ,  pour  savoir  lequel  d'entre  eux  irait  au  siège  de  Troie  (i).  Les 

Les  héros  Grecs  commençaient  déjà  à  préférer  les  jouissances  de  la  paix  sous  le 
GZcLapaix?  to'lt  de  leurs  Dieux  domestiques  ,  aux  travaux  et  aux  fureurs  de  la 
guerre.  Ulysse  avait  voulu  se  faire  passer  pour  insensé  ,  et  le  fils  de 
Pelée  ,  déguisé  en  jeune  fille  ,  s'était  caché  à  la  cour  du  Roi  Lycomè- 
de  ,  l'un  et  l'autre  pour  ne  point  aller  à  la  guerre  de  Troie.  On  voit 
encore  dans  Homère  Echepole  ,  qui  fait  présent  à  Agamemnon  d'un 
superbe  coursier,  pour  ne  point  être  compris  dans  cette  expédition  , 
et  pour  qu'on  le  laisse  jouir  tranquillement  des  grandes  richesses 
qu'il   avait  à  Sicyone  (a).  Il  n'était  donc  plus  honteux  alors  de  cher- 

Comiats       cher  à  se    soustraire   à    la   guerre.   Le  même  principe  semble  avoir 

singuliers.  ->  ,  ,       , ,  ,  ,  , 

donné  naissance  a  1  usage  de  terminer  les  guerres  par  des  combats 
singuliers  ^  au  moyen  desquels  les  Pvois  épargnaient  la  vie  de  leurs 
sujets,  en  fesant  dépendre  de  leur  propre  valeur,  ou  de  celle 
de  quelque  champion ,  le  succès  d'une  guerre  ,  qui  le  plus  souvent 
n'avait  point  pour  objet  le  bien  de  la  nation ,  mais  seulement 
leur  intérêt  privé.  C'est  ainsi  qu'Ethéocle  et  Polinice  convinrent 
de  décider  3  par  un  combat  singulier ,  de  leur  droit  à  la  suc- 
cession du  trône  de  Thébes.  De  même,  la  guerre  de  la  Grèce  con- 
tre l'Asie  se  serait  terminée  par  un  duel  entre  Paris  et  Ménélas ,  si 
les  Troyens  avaient  observé  les  conditions  du  traité  qu'ils  avaient 
conclu  pour  cet  effet  avec  les  Grecs.  «  Ces  défis  particuliers ,' dit 
«  M.r  Rochefort ,  ressemblent  aux  combats  et  aux  duels  de  nos 
«  chevaliers,  non  seulement  par  les.  preuves  de  valeur  ,  mais  encore 
«  par  les  traits  de  générosité,  auxquels  ils  donnaient  lieu.  Qui  ne 
«  croirait  voir  un  fragment  de  l'histoire  de  nos  anciens  chevaliers, 
«  dans  la  description  que  fait  Homère  du  combat  entre  Hector  et 
«  Ajax  ?  Ces  deux  fiers  rivaux ,  après  avoir  combattu  avec   une  va~ 

(i)  Iliad.  liv.  XXIV. 
(a)  *liad-  liv.  XXIII. 


de    la    Grèce.  a  33 

«  leur  digne  de  leur  nom  3  sont  séparés  par  deux  Hérauts,  qui  , 
«  dans  cette  circonstance,  fesaient  l'office  de  nos  juges  de  duel; 
«  mais  en  se  séparant  ,  les  deux  héros  voulurent  se  laisser  une 
«  preuve  de  leur  estime  réciproque  :  Hector  donna  à  Ajax  son 
«  épée,  et  celui-ci  fit  présent  à  Hector  de  son  baudrier  3  ou  du 
«  ceinturon  de  son  épée.  Les  Hérauts  accoururent  pour  séparer  ces 
"  deux  vaillans  guerriers  ,  en  leur  observant  qu'il  fallait  céder  à 
«  la  nuit  qui  s'approchait.  Cet  usage  de  ne  point  combattre  de  nuit 
«  existe  encore  chez  divers  peuples  ,  et  se  trouvait  établi  chez  les 
«  anciens  Mexicains  :  car  il  formait  alors  une  des  maximes  fonda- 
«  mentales  du  droit  des  gens,  maxime,  qui,  selon  le  scoliaste  de 
«  Thucydide  ,  était  rigoureusement  observée  même  par  les  pirates.  „ 

Le  droit  et  les  lois  de  la  guerre,  dans  les  tems  héroïques  de  la  région 
la  Grèce,  avaient  pour  fondement  principal  la  religion.  Aussi  était-  f°dudroÏÏ 
ce  une  opinion  généralement  reçue,  que  les  Dieux  intervenaient  e  a  à'"e/re* 
dans  les  guerres ,  et  prenaient  part  aux  combats.  De  cette  opinion 
naissaient  le  respect  qu'on  avait  pour  les  morts ,  et  le  soin  qu'on  pre- 
nait de  leur  sépulture.  La  seconde  guerre  de  Thèbes  vint  en  effet,  de 
ce  que  Créon  avait  défendu  qu'on  ensevelit  ceux  c[ui  avaient  péri 
sous  les  murs  de  cette  ville.  Ce  devoir  était  sacré  et  si  inviolable  , 
que  malgré  !a  fourberie  et  la  trahison  des  Troyens ,  les  Grecs  n'eu- 
rent point  de  répugnance  à  se  réunir  à  eux,  pour  rendre  les  hon- 
neurs funèbres  aux  morts  des  deux  armées.  La  religion  était  en- 
core le  motif  de  l'empressement  et  de  l'ardeur  des  guerriers  à  s'em- 
parer des  armes  de  l'ennemi  qu'ils  avaient  vaineu  ,  parce  que  ces 
dépouilles  étaient  consacrées  aux  Dieux  protecteurs ,  et  devenaient 
par  conséquent  un  monument  de  la  gloire  et  de  la  piété  des  vain- 
queurs. Ainsi  Ulysse  consacre  à  Minerve  les  dépouilles  de  Dolon  ,  et 
Hector  fait  vœu  de  suspendre  dans  le  temple  d'Appoîlon  les  armes  de 
celui  qui  osera  l'affronter.  Cependant  les  droits  de  la  guerre  étaient 
alors  extrêmement  rigoureux  envers  les  vaincus.  Les  villes  ennemies  Cruauté 
étaient  incendiées  et  détruites  jusqu'aux  foudemens  :  les  peuple*  h 
étaient  massacrés  ou  mis  en  esclavage;  les  Rois  égorgés,  et  leurs 
cadavres  jetés  aux  chiens  et  aux  vautours;  les  enfans  taillés  en  piè- 
ces, et  les  Reines  chargées  de  chaînes  ou  condamnées  aux  plus 
vils  emplois.  Hector  dit  à  Andromaque  dans  le  VLe  livre  de  l'Ilia- 
de ,  que  la  chute  d'Iîion  la  réduirait  à  s'entendre  commander  d'our- 
dir la  toile,  ou  d'aller  puiser  de  l'eau  à  la  fontaine  de  Mes- 
séide  ou  d'Hypérée  ;   et  on  lit    dans   le  XXIl.e    livre    les   terribles 

Europe.   Vol,  1  30 


envers 
s  vaincus. 


des  guerriers* 


d, 


z%4  Milice 

prédictions  de  Priam  et  d'Hécube  sur  leur  destinée  future  et  celle 
de  toute  leur  famille  ,  dans  le  cas  où  la  ville  de  Troie  viendrait 
à  tomber  au  pouvoir  des  Grecs.  On  trouve  un  affreux  exemple  de 
cet  usage  dans  la  vengeance  d'Achille,  qui  immola  douze  guerriers 
Troyens  sur  la  tombe  de  Patrocle  ,  et.  accabla  d'outrages  le  cadavre 
d'Hector ,  auquel  il  voulut  que  chaque  soldat  fit  une  insulte ,  ac- 
compagnée d'un  coup  de  dard   ou  de  pique. 

Solde  Les  Grecs,  dans  les  tems  héroïques,  fesaient  la  guerre  à  leurs 

irais  et  sans  aucun  traitement.  L'unique  avantage  qu'ils  pouvaient 
retirer  de  leurs  exploits,  était  dans  les  dépouilles  et  le  butin  pris 
sur  l'ennemi  ,  qui  se  partageaient  équitabiement.  Ce  partage  se  fe- 
sait  par  le  chef  suprême  de  l'armée  ,  auquel  par  conséquent  cha- 
que soldat  portait  tout  ce  qu'il  avait-pris  à  la  guerre.  C'est  pour 
cela  que  ,  dans  l'Iliade,  Achille  se  plaint,  qn' Agamemnon  auquel 
il  avait  remis  les  dépouilles  de  vingt  trois  villes  ,  n'en  avait  jamais 
fait  une  juste  distribution.  Les  chefs  étaient  dans  l'usage  de  pro- 
mettre,  avant  le  combat,  une  portion  choisie  et  plus  considérable 
du  butin  de  l'ennemi,  aux  soldats  qui  se  distingueraient  par  leur 
valeur.  Ainsi  Àgamemnon  promet  à  Teucer  un  trépied  ,  un  char 
attelé  de  ses  chevaux,  ou  une  jeune  fille  des  plus  belles,  selon  son 
choix  ,  dans  le  butin  qui  se  ferait  à  la  prise  de  Troie.  Il  y  avait 
aussi  des  occasions,  où  les  guerriers  qui  s'étaient  illustrés  par  quel- 
que action  d'éclat,  recevaient  dans  les  banquets,  comme  marque 
de  distinction  et  d'honneur,  une  portion  de  viande  plus  considérar 
ble  et  meilleure  que  celle  des  autres  (i).  Les  esclaves  faits  à  la 
guerre  pouvaient  obtenir  leur  rançon  avec  de  l'or  ou  autres  objets 
précieux.  Chry-és,  dans  l'Iliade,  offre  à  Agamemnon  de  riches  pré- 
sens pour  racheter  sa  fille,  et  c'est  aussi  ce  que  fait  Priam  (2).  On 
pourrait  citer  une  infinité  d'autres  exemples  à  l'appui  de  cet  usage. 

Conseils  Nous  avons  déjà  vu  ailleurs  que,  dans  les  assemblées  publiques, 

l'autorité  des  anciens  Rois  était  balancée  par  la  volonté  des  peu- 
ples. Elle  l'était  également  dans  le  commandement  des  armées. 
Àgamemnon,  le  Roi  des  Rois,  était  bien  le  chef  suprême  de  l'ar- 
mée campée  devant  Troie,  et  il  avait  même  le  droit  de  vie  et  de 
mort  dans  les  batailles  (3),  où  le  commandement  appartenait  à  lui 

(1)  V.  Iliad.  VII.  v.  3a  1. 

(2)  V.  Feith.  Antiq.  Homèr.  liv.  IV    cliap.  XVI. 

(3)  Homère  ,  clans  le  II e  chant  de  l'Iliade  fait  dire  à  Agamemnon  : 
S'il  arrive  que  je  voie  quelqu'un  rester  sur  les  vaisseaux  pour  se  tenir  loin 
du  combat ,  celui-là ,  rien  ne  pourra  la  sauver  des  oiseaux  et  des  chiens., 


de    la    Grèce.  a35 

seul;  mais  hors  de  là,  il  ne  pouvait  rien  sans  l'avis  du  conseil.  Ho- 
mère distingue  trois  sortes  de  conseils  de  guerre.  Le  premier  était 
général,  et  formé  de  tous  les  soldats  composans  l'armée.  Le  second 
et  le  neuvième  livre  de  l'Iliade  noos  offrent  deux  exemples  de  ce 
conseil ,  à  l'occasion  de  la  proposition  qui  y  fut  faite  par  Aga- 
memnon  de  retourner  en  Grèce.  On  reconnaît  encore  dans  les 
invectives  d'Achille  et  de  Dioméde  cette  liberté  avec  laquelle  les 
capitaines  se  permettaient  de  parler  contre  le  chef  suprême  dans 
ces  assemblées  publiques.  Le  second  conseil  n'était  composé  que 
des  capitaines,  et  on  n'y  traitait  que  de  choses  particulières,  ou 
-des  besoins  de  l'armée.  Ainsi  dans  le  dixième  livre  de  l'Iliade, 
les  Grecs  étant  assiégés  clans  leur  camp  par  les  Troyens,  Aganiem- 
non  réunit  en  conseil  les  chefs  ,  pour  délibérer  avec  eux  sur  les 
moyens  de  repousser  l'ennemi.  Enfin  le  troisième  était  le  conseil 
privé,  qui  se  tenait  dans  la  tente  du  chef  suprême,  et  auquel 
n'étaient  appelés  que  les  hommes  les  plus  distingués  par  leurs  lu- 
mières et  leur  sagesse,  ainsi  qu'on  le  voit  pratiqué  en  diverses  oc- 
casions par  Agamemnon  (i). 

Tactique  des  tems  héroïques. 

Jusqu'ici  nous  n'avons  parlé  qu'en  termes  généraux  de  l'art  Foptificati^, 
militaire  des  Grecs  dans  les  tem-  héroïques:  il  nous  reste  mainte- 
nant à  traiter  de  leurs  fortifications,  de  leurs  moyens  de  défense 
de  leurs  armes,  et  de  l'ordre  qu'ils  observaient  dans  les  batailles. 
A  commencer  par  les  fortifications,  Arfetôte  et  Diodore  nous  ap- 
prennent, que  les  anciennes  villes  de  la  Grèce  n'étaient  pas  même 
entourées  de  xnurt ,  mais  que  les  rues  en  étant  sinueuses  et  fort- 
étroites  ,  il  était  facile  d'y  arrêter  l'ennemi  avec  peu  de  troupes  , 
et  même  de  l'écraser  en  fesant  pleuvoir  sur  lui  des  dards  et  des 
pierres  du  haut  des  toits  (fa).  Eustase  observe  également,  que  les 
fondateurs  des  premières  villes  eurent  la  précaution  de  les  bâtir 
sur  des  lieux  escarpés  ,  pour  qu'elles  fussent  moins  exposées  aux   in- 

(i)  Les  délibérations  des  Grecs  étaient  souvent  accompagnées  d'un 
banquet;  et  quelquefois  on  décidait  des  choses  les  plus  importantes  au 
milieu  des  plats  et  des  coupes.  V.  Feith.  Ibid.  liv.  III.  c.  V.  et  Go°-uet. 
T.  II.   pag.  2^6  édit.  de  Naples. 

(2)  Arist.  De  Republ.  liv.  VII.  chap.  XL  Diod.  liv.  IV, 


clopéem. 


•â36  Milice 

suites  de  l'ennemi  (i).  On  prétend  qu'Amphion  et  Zétus ,  qui  ré- 
gnaient à  Thébes  vers  l'an  2,890  avant  l'ère  vulgaire,  furent  les 
premiers  à  donner  l'exemple  des  fortifications  ,  pour  avoir  entouré 
leur  ville  de  murs,  et  l'avoir  flanquée  de  tours,  en  ne  laissant  d'ac- 
cès dans  son  enceinte  que  par  sept  portes  (a) ,  parce  qu'étant  d'une 
étendue  considérable,  elle  offrait  à  l'ennemi  plus  de  moyens  de  la 
surprendre.  Les  autres  villes  Grecques  ne  tardèrent  pas  d'en  faire 
autant,  et  la  renommée  vanta  les  murs  d'Acrocorinthe  et  de  l'A- 
cropolis  d'Athènes.  Ces  fortifications  étaient  simples,  mais  solides 
au  point  que  dans  plusieurs  endroits  de  la  Grèce  on  en  voit  en- 
core des  restes.  Les  plus  célèbres  de  ces  constructions  étaient  les 
murs  de  Mycènes ,  qu'on  croyait  être  l'ouvrage  des  Cyclopes,  et  d'où 

Murs  prirent  le  nom  de  murs  cyclopéens  tous  ceux  qui  furent  construits 
après  dans  ce  genre.  Selon  la  description  qu'en  fait  Pausanias ,  ils 
étaient  faits  avec  des  pierres  ou  avec  des  masses  de  roc  irréguiières , 
et  si  énormes ,  qu'au  dire  du  même  auteur,  deux  bœufs  n'auraient 
pas  suffi  pour  mouvoir  la  plus  petite.  Les  vuides  qu'elles  laissaient 
entre  elles  étaient  remplis  par  d'autres  pierres  plus  petites,  mais 
sans  y  employer  de  chaux  ni  aucun  ciment.  Ces  murs  étaient  or- 
dinairement crénelés,  et  avaient  quarante  pie.ds  de  haut  sur  vingt 
cinq  d'épaisseur  (3);  ainsi  il   n'est  pas  étonnant  que  ce  genre  d'ar- 

Tows.  chitecture  colossale  ait  pu  résister  aux  injures  du  tems.  Des  tours 
carrées  et  rondes  flanquaient  cette  enceinte  :  les  premières  s'éle- 
vaient aux  angles ,  et  à  environ  cinquante  pieds  de  distance  les  unes 
des  autres  lorsque  les  murs  étaient  droits  ;  et  les  secondes  domi- 
naient sur  les  angles  lorsque  ceux-ci  étaient  (rès-aigus  (4)-  Ces  tours 

(t)  Eustath.  ad  Iliad.  A.  V.  encore  Poter.  Arcliael.  Gr.  liv.  I.  chap.  VIII. 

(2)  Hom.  Odys.  liv.  XI.  v.  261  et  suiv. 

(5)  Cette  description  s'accorde  parfaitement  avec  celle  que  donne  So- 
phocle dans  les  Trachlnies.  Tels  sont  aussi  les  restes  des  murs  cyclopéens  , 
qu'on  voit  encore  en  Grèce  et  en  Italie. 

(4)  Pour  avoir  des  notions  précises  sur  les  fortifications  des  anciens 
Grecs  et  les  murs  cyclopéens,  il  faut  lire  la  belle  dissertation  de  [Guil- 
laume Hamilton  dans  \  Archéologie  :  or  Miscellaneous  Tracts  ,  relating 
ùo    Antiqutiy    etc.  London  ,   1806,  vol,  XV.  pag.  3î5. 

Nous  avons  déjà  observé  ailleurs ,  que  les  principes  des  arts  fu- 
rent les  mêmes  presque  chez  tous  les  peuples ,  parce  que  leur  position  et 
leur  besoins  furent  les  mêmes.  Les  restes  des  murs  bâtis  par  les  Incas  ne 
diffèrent  guères  des    cyclopéens.    Ypj.  l'Atlas  pittoresque    du    voyage  de 


cyclojjsens 

dans 
le  LatiuiU. 


de   la    Grèce.  2,37 

étant  saillantes  ,  ou  portées  en  dehors ,    elles   défendaient   le  flanc 
des  murs ,  et  donnaient  aux  assiégés  l'avantage  de  pouvoir  combat- 
tre l'ennemi  d'un  point  plus  élevé.,  sans  avoir  beaucoup  à  craindre 
de  lui.  Telles  étaient  les    fortifications   des  forts  ou    citadelles  que      cuadvik» 
l'art  avait  élevées  dès  les  teras  héroïques ,    et    qui   formaient    com- 
me   une  espèce  d'appendice  aux  villes.  C'était  là  qu'on   renfermait 
les  choses  précieuses    et    sacrées,    et  que    se    retiraient    les    prêtres 
et  les  magistrats  dans  les  tems  de  danger.  Ces  citadelles  étaient  bâ- 
ties sur  des  rochers ,  sur  des  collines  ,  ou  sur    le    flanc    des   monta- 
gnes,  de  manière  à  ce  qu'elles  pussent   dominer    sur    la    ville.    La 
plus  fameuse  était  celle  de  Mycènes,  qui  avait  une  quadruple  en- 
ceinte de  murs  ,  et  à  la  porte  de  laquelle  on  voyait    deux    figures 
de  lion  en  pierre.  On   y  garda  pendant  long-rems  les    trésors    d'A-         mum 
trée.  L'ancien  Latium,  dont  les  premières  villes  furent  bâties,  se- 
lon la  tradition  ,  par  les  Pélasges  et  autres  peuples   d'origine   Grec- 
que ,  offre   encore   des    monumens    imposans    de    cette  architecture 
militaire.  Et  en  effet,  Denis  rapporte  que  les  Aborigènes,  après  avoir 
chassé,  au  bout  d'une  longue  guerre,  les  anciens  habitans  du   La- 
tium ,  s'établirent  eux  mêmes  dans  ce  pays ,  où  ils  vécurent  d'abord 
dans  les  montagnes  sans  enceintes  de  murs;  mais  qu 'ensuite  les  Pé- 
lasges avec  quelques  Grecs  réunis  à  eux ,  ayant   subjugué    les  peu* 
pies  circonvoisins ,  fortifièrent  plusieurs  châteaux  ......  le  même 

peuple  occupa  ensuite  ces  contrées  en  changeant  seulement  de  nom,, 
sans  changer  celui  cV Aborigènes ,  qu'il  conserva  jusqu'au  tems  de 
la  guerre  de  Troie,  époque  à  laquelle  le  Pioi  Latinus  lui  donna 
le  nom  de  Latins.  Le  même  auteur  ajoute  que  les  écrivains  Ro- 
mains les  plus  erudits  étaient  également  d'avis,  que  ces  peuples 
-étaient  panis  de  la  Grèce  plusieurs  siècles  avant  la  guerre  de 
Troie,  Il  est  donc  ainsi  démontré  ,  que  l'époque  de  la  fondation  et 
la  forme  des  œuï's  cyclopéens  dans  le  Latium  ,  appartiennent  aux 
teins  dont  nous  parlons  (j).  JJ  aspect  de  ces  murs,  dit  l'illustre  Ma- 

Humboldt.  Ce  qu'on  voit  encore  de  l'ancien  mur  caucaséen  entre  la  mer 
Caspienne  et  la  mer  Noire  ,  ressemble  beaucoup  aussi  aux  ouvrages  de 
l'architecture  cyclopéene.  V.  Theophill  Sigefridi  Bayeri  Opuscula  ad 
Historiam  antiquam  etc.  Halae ,  1770,  8.°  De  mura  caucaseo  ,  pag.  g4 
et  suiv. 

(1)  C'était  une  opinion  établie  chez  les  Latins,,  que  leurs  anciennes 
villes  avaient  eu  Saturne  pour  fondateur.  Tertullien  observe  à  ce  sujet 
dans  s.on  Apologie  ,  chap.  X.  >  que  .,  selon  l'ancienne  tradition  de  Diodore 


a"38  Milice 

rianne  Candidi  Dîonigi,  en  parlant  de  ceux  de  Ferentino,  compo- 
sés de  masses  informes  et  colossales  ,  et  de  pierres  noirâtres  d'une 
rusticité  majestueuse ,  semble  être  le  portrait  de  leurs  antiques  fon- 
dateurs. Ces  murs  soutiennent  dans  presque  tout  leur  contour  l» 
penchant  de  la  montagne  (i).  Les  murs  cyelopéeos  du  Latium  nous 
Pênes.  retracent  encore  la  figure  des  portes,  dont  quelques-unes  sont  qua- 
drangulaires  3  peu  larges  ,  et  ont  des  architraves  ;  d'autres  ont  la  for- 
me d'un  angle  ,  qui  est  désignée  sous  le  nom  de  tiers  çrigu  ,  comme 
on  le  voit  par  la  porte  de  Cwitavecckia  d'Arpino,  laquelle  ne 
diffère  gnères  de  celle  de  Tyrinte  ,  dont  Dodwell  a  donné  le  des- 
sin clans  son  Voyage  en  Grèce  (a).  Maintenant  nous  croyons  à  pro- 
pos de  présenter  à  nos  lecteurs,  (  planche  33  )  ,  l'intérieur  d'une  ville 
de  construction  cyclopéene,  tracé  d'après  l'idée  que  nous  venons 
de  donner  de  l'architecture  militaire  des  anciens.  Nous  avons  suivi, 
dans  la  composition  de  cette  planche,  le  système  de  Palladio,  de 
Cassas,  de  Lavallée  et  autres  artistes  célèbres,  qui,  d'après  les  des- 
criptions que  les  anciens  écrivains  nous  ont  laissées  de  ces  construc- 
tions, et  les  restes  qu'on  en  voit  encore  en  divers  lieux,  ont  ima- 
giné et  exécuté  le  pian  de  l'édifice  en  entier. 

et  autres  écrivains  ,  Saturne  n'était  point  un  Dieu  ,  mais  un  homme  ,  qui 
après  fait  de  grandes  choses  ,  était  venu  de  l'Attique  en  Italie.  Il  ne 
serait  donc  pas  hors  de  probabilité,  qu'il  eût  apporté  de  la  Grèce  dans 
le  Latium'  la  forme  de  murs  qui  était  en  usage  dans  cette  première  con- 
trée ,  à  l'époque  des  tems  héroïques. 

(i)  Voyages  dans  certaines  villes  du,  Latium  ,  qu'on  dit  avoir  été 
fondées  par  le  B.oi  Saturne.  Rome  1S09  et  suiv.  Ces  anciens  peuples  , 
dit  l'auteur ,  ne  visaient  qu'à  l'utilité  et  à  la  solidité ,  et  nullement  à 
Vélégance  ni  à  la  beauté.  J'imagine  ,  que  ,  selon  la  configuration  des 
masses  qu'ils  employaient ,  ils  en  taillaient  les  côtés  en  lignes  droites 
pour  en  former  autant  de  polygones  ,  et  les  joindre  ainsi ,  bien  que  san? 
ordre ,  avec  les  pierres  inférieures  et  latérales.  Lorsque  ces  pierres  no 
pouvaient  pas  bien  s' assembler  ,  on  remplissait  avec  d'autres  plus  petites 

les  interstices  qu'elles  laissaient  entre  elles //  est  à    remarquer 

pourtant  qiûon  encastrait  ces  pierres  les  unes  avec  les  autres  ,  quelle  que 
fût  V irrégularité  de  leur  forme  ,  de  manière  à  les  lier  fortement  entre 
elles  :  ce  qui  formait  de  tout  l 'édifice  un  corps  ,  dont  la  construction 
pouvait  même  résister  aux  tremblemens  de  terre. 

(2)  A  la  Table  Iliaque  ,  dont  nous  avons  déjà  fait  mention  ,  on  voit 
des  portes  arquées  ;  mais  il  est  bon  d'observer  que  cette  table  appartient 
au  premier  siècle  de  l'ère  vulgaire  ,  et  que  par  conséquent  il  ne  faut  pas 
«'étonner  si  on.  y  trouve  cette  espèce  d'anacronisme, 


inconnues 

dans  les  tems 
héroïques* 


de    la    Grèce.  2,89 

L*arcliitecture  militaire  dont  nous  venons  de  parler,  et  les  pierres  Mécanique 
énormes  qu'elle  employait  dans  ses  ouvrages  ,  prouvent  clairement  que  haroquct. 
les  Grecs  connaissaient  la  mécanique,  sans  le  secours  de  laquelle  ils 
n'auraient  pu  mouvoir  des  masses  aussi  pesantes ,  et  encore  moins 
les  élever  à  de  grandes  hauteurs,  et  les  y  fixer  avec  un  art  éton- 
nant. Ajoutons  à  cela,  que  les  murs  cyclopéens  montrent  dans  leur 
construction  l'application  des  lois  de  la  Statique ,  car  ils  sont  plus 
larges  à  leur  hase  ,  et  vont  en  se  rétrécissant  par  le  haut  ,  selon 
les  règles  de  l'art.  Ces  murs ,  hien  qu'ils  ne  fussent  point  entourés 
d'un  fossé,  suffisaient  néanmoins  pour  mettre  les  villes  à  l'abri  de 
toute  surprise  de  la  part  de  l'ennemi  ,  et  même  en  état  de  sou- 
tenir un  siège  de  plusieurs  années  (1):  car  dans  ces  anciens  tems  ,  Makhmes 
on  n'avait  encore  aucune  connaissance  des  machines  militaires ,  dont 
l'usage  ne  fut  introduit  en  Grèce  qu'à  l'époque  de  la  guerre  du 
Péloponnèse,  comme  nous  le  verrons  dans  la  suite.  Homère,  si  at- 
tentif et  si  exact  à  rapporter  les  moindres  circonstances  de  la  guerre 
de  Troie,  ne  fait  nullement  mention  de  machines,  pas  même  d'é- 
chelles, dont  les  Grecs  auraient  pu  se  servir  pour  escalader  les  murs 
de  cette  ville  (a). 

(1)  Goguet  observe  judicieusement,  qu'Homère  n'aurait  pas  imaginé , 
dans  le  XVI.e  livre  de  l'Iliade  ,  qu'après  avoir  repoussé  les  Troyens  à  la 
suite  d'une  action  vigoureuse  ,  Patrocle  monta  furtivement  sur  les  murs  de 
Troie  ,  s'il  eut  fallu  traverser  un  fossé  pour  y  arriver  ;  ou  au  moins  il  n'aurait 
pas  manqué  de  faire  mention  de  cette  circonstance.  Nous  ne  pouvons  pourtant 
pas  être  de  l'avis  de  cet  écrivain  ,  lorsqu'il  dit  que  les  murs  de  Troie  étaient 
probablement  en  terre.  Homère  n'en  parle  nullement ,  et  ces  murs  n'auraient 
certainement  pas  passé  pour  avoir  été  bâtis  par  Neptune  et  par  Apollon  , 
s'ils  n'eussent  été  qu'une  simple  fortification  en  terre,  Nous  croyons  au 
contraire  qu'ils  étaient  de  construction  cyclopéene ,  et  que  c'est  pour  cela 
qu'ils  eurent  la  réputation  d'être  l'ouvrage  de  deux  divinités  ,  selon  l'opi- 
nion qu'on  avait  de  tous  ceux  cpii  furent  les  premiers  à  entourer  les  villes 
de  murs.  En  effet ,  si  cette  enceinte  eût  été  en  terre  ,  et  d'un  plan  né- 
cessairement incliné  ,  comme  le  suppose  Goguet  ,  non  seulement  Patrocle  , 
mais  encore  toute  l'armée  des  Grecs  aurait  pu  aisément  l'escalader.  An- 
dromaque  ne  dirait  point  à  Hector  ,  dans  le  VI e  livre  de  l'Iliade  ,  de  pla- 
cer les  troupes  prés  le  figuier  sauvage  „  où  il  est  facile  de  pénétrer  dans 
la  -ville  ,  en  passant  par  dessus  le  mur ,  endroit  qui  est  précisément  celui 
où  les  deux  Ayax  ,  Idoménée  ,  les  Atrides  et  le  lils  de  Tydée  avaient 
déjà  fait  cette  tentative.  Voy.  l'Iliad,  liv.  VI.  v.  433  et  suiv. 

(2)  Quelques-uns  pensent  crue  l'usage  des  échelles  et  des  machines 
de  guerre  était  connu  dés  les  tems  de  la    guerre    de    Thébes  ;    et  ils  ap- 


a4o  Milice 

La  vraie  Nous  venons    de  voir   les    moyens    qu'employaient    les    anciens 

tac  lin  i.iG 

peu  connue.  Grecs  pour  la  défense  des  villes.  Mais  ta  longueur  de  leurs  guer- 
res et  de  leur  sièges  prouve  qu'ils  ne  connaissaient  encore  que 
les  premiers  élémens  de  la  tactique  et  de  la  fortification.  Et  en 
effet  on  ne  trouve  nulle  part  dans  Homère  s  que  les  Grecs  eus- 
sent tracé  aucune  ligne  de  cireonvallation  autour  de  Troie  ,  ni  dis- 
posé leurs  troupes  de  manière  à  la  serrer  de  tous  les  côtés,  et  à  la 
forcer  à  se  rendre.  Pendant  les  dix  années  que  dura  ce  siège  fa- 
meux ,  non  seulement  la  ville  ne  manqua  jamais  de  vivres ,  mais 
encore  elle  reçut  toujours  librement  les  secours  que  lui  envoyaient 
ses  alliés.  L/espace  qu'il  y  avait  entre  ses  murs  et  le  camp  des  Grecs 
était,  si  vaste,  que  les  troupes  des  assiégeans  et  des  assiégés  pou- 
vaient quelquefois  s'y  mettre  en  bataille  sans  le  moindre  danger. 
Homère  ne  parle  jamais  d'une  action  générale  3  dont  l'issue  put 
décider  du  sort  de  l'une  ou  de  l'autre  des  deux  armées.  On  ne  voit 
jamais  que  des  affaires  partielles  3  où  les  deux  partis  tantôt  se  por- 
tent en  avant  et  tantôt  sont  repoussés  :  point  d'opérations  en  grand  , 
point  de  mouvemens  généraux  qui  annoncent  un  plan  où  un  sys- 
tème raisonné.  Les  chefs  ne  se  distinguent  point  par  le  comman- 
dement des  troupes,  mais  par  leur  bravoure,  et  par  le  nombre  des 
ennemis  qu'ils  ont  tués.  Quelquefois  trois  ou  quatre  guerriers  des 
plus  impétueux  répandent  la  terreur  devant  eux  ,    et  jettent  le  dé- 

puyent  leur  opinion  sur  le  trait  qu'on  rapporte  de  Gapanée  ,  qui  fut  ren- 
versé d'un  coup  de  foudre  en  voulant  escalader  les  murs  de  la  ville  en- 
nemie. Mais  cette  interprétation  n'est  qu'une  faible  conjecture  ,  commune 
à  ceux,  qui,  à  l'exemple  de  Bannier ,  croyent  toujours  voir  quelque  al- 
légorie dans  les  traditions  mythologiques.  Car,  si  les  machines  de  guerre 
n'étaient  point  encore  connues  à  l'époque  de  la  guerre  de  Troie  ,  comment 
pouvaient-elles  l'être  lors  du  premier  siège  de  Thèbes  ?  D'autres  ,  comme 
nous  l'avons  dit  plus  haut ,  ont  cru  voir  dans  le  fameux  cheval  de  Troie 
une  machine  destinée  à  abattre  les  murs  de  cette  ville  :  opinion  que  , 
sur  la  foi  de  Pausanias ,  Pline  même  semble  avoir  embrassée  ■  mais  Ho- 
mère ,  dans  le  VI. e  livre  de  l'Odissèe  v.  272  ,  dit  clairement ,  que  ce  che- 
val ne  fut  qu'une  ruse  grossière  pour  surprendre  Troie  ,  et  non  pour  en 
renverser    les  murailles.  C'est  donc  à  tort  que  Stace,  dans  ce  vers 

Murorum  tormenta  Pylos ,  Messenaque  traclunb , 

affirme  que  les  villes  de  Pylos  et  de  Messène  ont  fourni  les  machines 
pour  le  siège  de  Troie,  V.  Heyne ,  Vkg.  liv.  II.  Excursus  III  et  VII. 


DE      LA      GeÉCE.  2/jl 

gordre  dans  tonte  l'armée  ennemie.  Néanmoins  les  Grecs  avaient  su 
choisir  pour  leur  camp  une  position  heureuse  3  qui  rendait  difficiles 
à  l'ennemi  les  moyens  de  le  surprendre.  Ce  camp  avait  devant  lui 
le  Scamandre  ,  qu'il  fallait  traverser  pour  aller  vers  la  ville  ;  il  était 
divisé  par  des  rues  en  plusieurs  quartiers  :  au  milieu  ,  et  en  avant 
le  quartier  d'Ulysse,  était  le  forum  âyopà ,  où  se  trouvaient  les  au- 
tels des  Dieux  ,  et  les  magasins  des  vivres  ,  et  où  l'on  administrait 
la  justice:  entre  ces  quartiers,  il  y  avait  des  espaces  vuides  où  se 
célébraient  les  jeux  funèbres ,  et  dans  l'un  d'eux  fut  élevée  la  tombe 
de  Patrocle.  Les  vaisseaux  fasaient  partie  du  campement  ,  ayant 
été  tirés  à  sec  selon  l'usage  des  anciens  :  ils  formaient  deux  li- 
gnes; l'une,  du  côté  de  la  ville,  qui  se  composait  des  vaisseaux 
les  premiers  arrivés;  et  l'autre,  au  bord  de  la  mer,  qui  compre- 
nait ceux  qui  étaient  arrivés  les  derniers.  Il  parait:  que  les  Grecs 
n'avaient  pas  pensé  d'abord  à  fortifier  le  front  de  leur  camp,  croyant 
sans  doute  avoir  suffisamment  pourvu  à  sa  sûreté ,  en  confiant  la 
garde  des  deux  points  les  plus  exposés,  à  deux  de  leurs  plus  bra- 
ves guerriers,  qui  étaient  Achille  et  Ajax.  Mais  ayant  été  re poussés 
jusques  dans  le  camp  par  les  Troyens  à  la  suite  d'un  combat  san- 
glant i  ils  se  mirent ,  d'après  les  conseils  de  Nestor ,  à  construire  de- 
vant eux  un  mur  de  circonvallation  (1).  Dabord  ils  dressèrent  en 
face  des  vaisseaux  un  bûcher  commun  à  toute  l'armée  ,  et  après  y 
avoir  brûlé  les  cadavres  de  tous  ceux  qui  avaient  péri  dans  le  com- 
bat, ils  élevèrent  au  même  endroit  un  tombeau,  ou  monument  en  for- 
me de  monticule  ,  d'où  ils  tirèrent  un  retranchement  fait  avec  des 
pierres,  des  troncs  d'arbre  et  eu  terre,  auquel  Homère  donne  le 
nom  de  *eï%oç ,  qui  vent  dire  mur.  Ce  retranchement  était  flan- 
qué, de  distance  en  distance,  de  tours  crénelées  ,  d'une  construction 
semblable,  à  celle  du  mur  (2).  Les  combattans  se  plaçaient  aux 
ouvertures  de  ces  créneaux  ,  où  tout  le  bas  de  corps  était  à  cou- 
Ci)  Iliad.  VIL  v.  327,  343  et  344. 

(a)  Il  est  parlé  au  XII.e  livre  de  l'Iliade  des  crénaux  des  tours,  aux- 
quels le  poète  donne  le  nom  de  xpoaoou  qui  veut  dire  en  latin  pinnae. 
Quelques-uns,  du  nombre  desquels  est  Goguet ,  ont  cru  que  ces  tours 
étaient  en  bois,  trompés  peut-être  par  le  36.e  vers  du  même  livre  ,  où  il 
est  dit,  que  les  coups  retentissaient  sur  les  bois  des  tours;  mais  le  son 
ou  retentissement  dont  parle  le  poète,  doit  se  rapporter,  non  aux  tours 
en  bois,  mais  aux  poutres  qui  fesaient  partie  des  ouvrages  en  pierre  dans 
lesquelles  elles  étaient  entremêlées.  V.  Heyne,  Iliad,  liy.  VII  Excurs.l. 

Europe,  f^ol.    J.  a 


Description 
du  camp. 


Circonvalla- 
tion 
du   Camp. 


Cahanes 
ou  baraques. 


Vivres, 


242  Milice 

vert  ;  et  l'on  avait  construit  dans  le  même  dessein ,  tout  le  long 
du  mur,  des  parapets  avec  des  retranchemens.  Le  mur  n'entourait 
pas  tout  le  camp  des  Grecs ,  mais  s'étendait  en  ligne  droite  sur 
le  front,  et  entre  les  deux  positions  qu'occupaient  Achille  et  Ajax  : 
sa  hauteur  n'excédait  pas  celle  d'un  homme,  car  Sarpédon  put 
en  arracher  les  créneaux  avec  ses  mains;  il  n'avait  qu'une  seule 
porte,  par  laquelle  pouvaient  passer  les  chars  même  des  guerriers. 
Il  régnait  tout  le  long  du  retranchement  un  fossé,  d'où  avait  été 
tirée  la  terre  qui  avait  servi  à  la  construction  de  ce  rempart  ;  et 
ce  fossé  était  garni  de  pieux,  qui  formaient  une  palissade  élevée. 
Il  y  avait  entre  le  retranchement  et  le  fossé  une  espace  qu'occu- 
pait la  cohorte  de  garde,  ou  la  troupe  destinée  à  veiller  pendant 
la  nuit  :  un  autre  espace  assez  considérable  s'étendait  encore  entre 
le  retranchement  et  les  vaisseaux  ,  où  se  passa  une  action  des  plus 
chaudes  entre  les  Grecs  et  les  Troyens.  Les  soldats  n'étaient  pas  cam- 
pés sous  des  tentes,  comme  l'ont  cru  quelques  auteurs,  mais  sous  des 
espèces  de  cabanes  ou  baraques  faites  avec  des  planches  ou  avec 
des  pieux  entrelacés  de  branchages.  Ces  baraques  étaient  revêtues 
de  terre  en  dehors,  et  couvertes  en  jonc.  Celles  des  Princes  étaient 
plus  spacieuses  ,  et  d'une  construction  plus  soignée  ,  comme  devant 
servir  à  l'habitation  de  plusieurs  personnes ,  et  entre  autres  des 
femmes  de  service.  La  demeure  d'Achille  était  précédée  d'une  cour 
entourée  d'une  palissade ,  avec  de  fortes  portes  en  sapin  ,  après  la- 
quelle venaient  l'habitation  des  domestiques,  le  portique  et  le  ves- 
tibule (1).  Le  camp  des  Grecs  était  abondamment  pourvu  en  vivres 
de  toutes  sortes,  qu'on  y  transportait  des  îles  voisines  de  l'Archipel. 
On  lit,  entre  autres  passages,  dans  le  VII.e  livre  de  l'Iliade,  que 
les  vaisseaux    étaient    arrivés  de    Lemnos   chargés    de    vin   (a).   Ces 


(1)  Virgile,  pour  se  conformer  à  l'usage  de  son  siècle,  plutôt  qu'à 
celui  des  tems  héroïques ,  a  commis  un  anachronisme  dans  le  vers  469  du 
livre  II  de  son  Enéide. 

Nec  procul  hinc  Rhesi  niveis  tentoria  velis. 

(2)  Thucydide  assure  que ,  pendant  le  siège  de  Troie  ,  les  Grecs 
envoyèrent  des  détachemens  dans  la  Chersonnèse  de  Thrace  pour  y  semer 
et  faire  la  récolte  ;  mais  on  ne  trouve  nulle  part  dans  Homère  ,  qu'il  se 
soit  jamais  éloigné  du  camp  le  moindre  corps  de  troupes,  pour  quelqu'objet 
que  ce  soit  ;  et  il  y  est  parlé  au  contraire  des  convois  chargés  de  vivres , 
qui  arrivaient  de  tems  à  autre.  Voy.  l'Iliad.  liv.  IX.  v.  71  etc. 


de    la    Grèce.  2,43 

transports  maritimes  pouvaient  s'exécuter  alors  d'autant  plus  faci- 
lement, que  l'art  de  faire  la  guerre  par  mer  n'était  pas  encore 
connu,  à  ce  qu'il  semble,  à  l'époque  des  tems  héroïques.  Et  en 
effet,  Homère  ne  parle  d'aucun  combat  naval,  malgré  que  les  des- 
criptions qu'il  en  aurait  pu  faire  lui  offrissent  une  source  féconde 
de  beautés  nouvelles  pour  ses  poèmes,  et  que  les  Troyens  eussent 
une  marine  composée  d'un  grand  nombre  de  vaisseaux ,  dont  se 
servirent  Enée  et   Anténor  pour  se  sauver  avec  toute  leur  suite. 

La   principale    force    de    l'armée    Grecque    consistait    dans    ses   Diverses  sortes 

•  i  .  ,  ,  ....  de   trouves. 

chars  et  dans  ses  guerriers  pesamment  armes:  ces  derniers  n  étaient 
pourtant  qu'en  très-petit  nombre,  car  la  plupart  des  soldats  ne  fe- 
saient  usage  que  de  la  lance,  ou  d'armes  propres  à  être  lancées  avec 
la  main.  Il  y  en  avait  bien  peu  également  qui  se  servissent  de  Parc 
et  de  flèches,  malgré  qu'il  en  soit  fait  mention  dans  les  exercices  des 
Mirmydons  (  ISiad.  IL  ),  et  dans  les  jeux  funèbres  (  Uiad.  XXII.  ). 
Les  Locriens  fesaient  usage  de  l'arc  et  de  la  fronde,  comme  on 
le  voit  par  le  XIIl.e  livre  de  l'Iliade.  Une  longue  pique,  un  bou- 
clier ,  un  casque  et  des  cuissards  composaient  l'armure  pesante.  Armure 
Ceux  qui  combattaient  sur  des  chars  portaient  des  armes  encore  Pesante' 
plus  fortes.  On  les  appelait  toaeïç  ou  cavaliers  ,  tandis  que  les  au- 
tres soldats,  quelque  fût  le  genre  de  leur  armure,  se  désignaient 
sous  le   nom  de  xpvkéeç  fantassins  ou  piétons  (1).   Les  chars  étaient        c/w 

(1)  Dans  les  tems  héroïques  il  n'y  avait  pas  encore  de  cavalerie  propre- 
ment dite.  Néanmoins  ,  quelques  érudits  ont  cru  voir  la  preuve  du  contraire 
dans  trois  différens  endroits  des  œuvres  d'Homère.  Le  premier  est  dans  le 
liv.  XX.  de  l'Iliade  ,  où  il  est  dit  que  Dioméde  ,  aux  instances  de  Minerve  , 
monta  sur  les  chevaux  de  Rhésus,  et  les  conduisit  aux  vaisseaux  des  Achëens 
laissant  le  char  auquel  ils  étaient  attelés,  dans  la  crainte  des  Troyens.  Le  se- 
cond est  dans  le  liv.  XV  ,  où  vVjax  est  comparé  à  un  homme  habile  à 
sauter  d'un  cheval  à  un  autre  ,  qui,  ayant  su  atteler  le  premier  quatre 
chevaux  de  front ,  les  poussa  vers  la  grande  ville  par  la  voie  publique  : 
exercice  dont  la  difficulté  prouve  ,  que  l'art  de  monter  à  cheval  était  déjà 
porté  à  un  haut  degré  de  perfection.  Le  troisième  est  dans  la  description  du 
bouclier  d'Achille  ,  où  le  poète  raconte  que  les  assiégés  ayant  été  surpris  par 
l'ennemi  montèrent  sur  des  chevaux.  Les  deux  premiers  passages  ne  veu- 
lent" dire  autre  chose  sinon ,  que  l'art  de  monter  à  cheval  était  connu 
dés  les  tems  d'Homère  ;  mais  on  ne  peut  guéres  en  conclure,  que,  dans 
les  guerres  héroïnes  on  fit  usage  de  la  cavalerie  proprement  dite.  Ho- 
mère n'aurait  certainement  pas  oublié  d'en  parler,  surtout  s'agissant  d'une 
chose  qui  pouvait  donner  un  nouveau  lustre  à  son  poème.  Dioméde  monte 


*44  Milice 

a  deux  roues  ,.  légers .,  bas ,  et  faits  de  manière  à  pouvoir  y  mon- 
ter aisément  par  derrière.  Les  cavaliers  ,  qui  étaient  en  même 
tems  princes  et  capitaines,  ne  combattaient  pas  toujours  de  la  mê- 
me manière:  tantôt  ils  s'élançaient  avec  leur  char  au  milieu  des 
phalanges  ennemies,  et  se  fesaient  jour  à  travers  le  plus  fort  de  la 
mêlée;  tantôt  ils  en  descendaient  pour  combattre  à  pied  ,  sans  s'en 
éloigner,  afin  de  pouvoir  y  remonter  aussitôt  qu'ils  se  trouvaient 
vivement  pressés  par  l'ennemi.  Il  y  avait  toujours  deux  guerriers 
sur  le  char  ,  l'un  appelé  nvio^oç  qui  combattait ,  et  l'antre  nommé 
TcapaBârriç  qui  conduisait  les  chevaux.  On  voit  par  les  vers  i56 
et  167  du  XX.e  livre  de  l'Iliade  (i),  qu'on  savait  déjà  harnacher 
les  chevaux  dans  les  tems  héroïques.  On  mettait  encore  sur  le  char 
les  armes  de  l'ennemi  qui  avait  été  terrassé,  et  l'on  y  plaçait  éga- 
lement   le    cadavre    du    héros    qui   le    montait,    lorqu'il    avait    péri 

sur  les  chevaux  de  Pihésus  ,  mais  par  Tordre  de  Minerve  ,  et  pour  em- 
pêcher qu'ils  ne  fussent  pris  par  l'ennemi ,  et  non  dans  l'intention  de 
s'en  servir  pour  combattre.  Pour  mieux  représenter  Ajax  sautant  d'un 
vaisseau  à  un  autre ,  il  le  compare  à  un  homme  habile  dans  V art  de 
sauter  d'un  cheval  sur  un  autre  ;  mais  une  simple  comparaison  ne  peut 
pas  tenir  lieu  de  preuve  ;  elle  n'a  d'autre  mérite  que  celui  de  fournir  au 
poète  un  moyen  de  rendre  ses  descriptions  plus  sensibles  au  peuple  dont 
il  emprunte  les  idées  ,  afin  de  faire  ressortir  d'avantage  les  objets  qu'il 
veut  graver  plus  fortement  dans  l'esprit  des  lecteurs.  Dans  la  description 
du  bouclier  d'Achille  ,  Homère  emploie  l'expression  dont  il  se  sert  ail- 
leurs pour  désigner  les  cavaliers  sur  les  chars ,  comme  nous  le  verrons 
plus  bas.  Nous  reviendrons  sur  ce  sujet  à  l'article  de  la  milice  des  tems 
historiques.  On  ne  peut  nier  du  reste  que  l'usage  de  ces  sortes  de  chars 
ne  dût  être  sujet  à  beaucoup  d'inconveniens.  Un  fossé  ,  une  haie  ,  une 
grosse  pierre  ,  un  terrein  inégal  pouvaient  aisément  les  faire  verser  ,  ou 
les  arrêter.  Des  deux  guerriers  qui  étaient  sur  le  char  ,  il  n'y  en  avait 
qu'un  qui  combattait ,  ainsi  l'autre  n'était  d'aucune  utilité  :  ces  chars 
étaient  attelés  de  deux,  de  trois  et  même  de  quatre  chevaux,  autre  dé- 
pense aussi  superflue  que  nuisible  pour  l'armée.  Il  faut  avouer  pourtant  _, 
que  dans  les  combats  d'Homère  ,  on  ne  voit  guéres  que  des  chars  à  deux 
chevaux,  et  il  parait  même  que  le  quadrige  n'était  en  usage  que  dans 
les  jeux. 

(i)  Il  parait  que  l'usage  de  ferrer  les  chevaux  n'était  pas  connu  de 
même  alors  ,  quoique  disent  du  contraire  Eustase  ,  et  d'après  lui  Madame 
Dacier.  En  effet ,  Homère  n'en  parle  en  aucun  endroit  ,  et  Xéuophon. 
n'aurait  pas  oublié  d'en  faire  mention  dans  son  traité  sur  la  manière  de 
soigner  les  chevaux. 


de    la    Grèce.  2Zj5 

dans  la  mêlée.  Ce  char  avait  un  timon,  au   bout   duquel    était    un        Forme 

1  .  des  chars- 

joug,  semblable,  dit  Winckelman  ,  à  celui  dont  on  se  sert  aujour- 
d'hui pour  atteler  les  bœufs.  L'extrémité  de  ce  joug  se  terminait 
en  une  espèce  de  volute,  et  imitait  le  cou  d'une  oie  (i).  Mais 
il  n'est  pas  aussi  facile  de  faire  connaître  les  autres  parties  du 
char  j  ni  les  harnois  des  chevaux,  en  ce  que  les  sculpteurs  en  ont 
extrêmement  négligé  les  proportions ,  et  ont  poussé  quelquefois 
l'oubli  jusqu'à  en  représenter  l'attelage  sans  harnachement  (a).  On 
voit  seulement  que  ces  chars  étaient  ouverts  par  derrière,  et  que 
par  devant  ils  avaient  une  espèce  de  parapet  qui  n'était  pas  plus 
haut  que  la  croupe  du  cheval.  Ainsi  leur  forme  ne  différait  guère* 
de  celle  des  chars  usités  dans  les  jeux  et  les  courses ,  dont  nous 
parlerons  ailleurs. 

On  n'observait  aucun  ordre  dans  les  combats,  ainsi  que  nous  Dispositif 
lavons  déjà  dit  ,  et  jamais  on  n  eu  venait  a  une  aliaire  générale. 
Les  chars  n'étaient  point  réunis  en  un  seul  corps,  ou  rangés  sur  une 
même  ligne;  mais  chaque  chef,  monté  sur  le  sien  s  combattait  à  la 
tête  de  sa  troupe  ,  jusqu'à  ce  que  les  guerriers  se  trouvassent  cou- 
fondus  pêle-mêle  dans  la  chaleur  de  l'action.  Homère  parle  néan- 
moins,  en  deux  endroits,  de  dispositions  particulières  à,  donner 
à  l'armée  sur  la  proposition  de  Nestor  (3).  Dans  le  premier  ,  livre 
II  de  l'Iliade,  ce  sage  et  prudent  vieillard  conseille  à  Agamemnon 
de  distribuer  les  troupes  par  nations  et  par  tribus,  afin  qu'elles 
puissent  s'entre-secourir  plus  facilement  ,  et  qu'il  soit  plus  aisé 
de  distinguer  le  brave  d'avec  le  lâche.  Dans  le  second  ,  liv.  IV , 
le  môme  Nestor  range  l'armée,  et  place,  les  chars  sur  le  front, 
les  meilleurs  fantassins  à  l'arrière-garde  ,  et  entre  ces  deux  lignes 
les  troupes  d'une  valeur  suspecte,  pour  qu'elles  se  trouvassent  ainsi 
dans  la  nécessité  de  faire  leur  devoir  :  disposition  qui ,  sans  doute  , 
n'est  pas  très-savante  ,  mais  dont  on  doit  pourtant  louer  la  sa- 
gesse ,  à  cette  époque  des  premiers  essais  de  l'art  militaire.  Le 
334-e  vers  de  ce  dernier  livre  offre  une  circonstance  bien  digne 
de  remarque  ;  c'est  qu'en  parlant  d'une  troupe  d'Acbéens  qu'on 
attendait   pour    commencer   le    combat  3    le    poète    se    sert  du    mot 

(i)  Winckel.  Monum.  ant.  pag    5i. 
(2)  Lens.  Le   Costume  etc.  pag.    100. 

(5)  Ménesthée  ,  général  des  Athéniens  ,  est    encore    désigné  dans  l® 
ll;e  livre  de  l'Iliade  ,  comme  très-habile  en  tactique  militaire. 


M6  Milice 

xipyoç,  tour,  que  Politi  traduit  par  phalanx  et  quadratum  ag- 
men:  interprétation  d'après  laquelle,  et  selon  l'idée  qui  naît  du 
mot  tour,  on  pourrait  présumer,  que  dès  les  tems  d'Homère,  on  con- 
naissait cette  disposition  de  troupes,  à  laquelle  on  donne  aujour- 
Commande-  d'hui  le  nom  de  bataillon  carré.  Le  signal  du  combat  de  fa 
marche,  et  de  la  retraite ,  ne  se  donnait  point,  à  ce  qu'il  pa- 
rait ,  au  s*>n  ou  au  bruit  d'un  instrument  quelconque  ,  mais  c'était 
la  voix  du  capitaine  q«i  le  fesait  entendre  :  car  Homère,  ce  peintre 
si  fidèle  des  mœurs  et  des  usages  de  son  tems,  ne  fait  aucune 
mention  de  trompettes,  de  tambours  ni  de  timbales;  il  ne  parle 
pas  même  d'étendards ,  ni  d'aucune  espèce  d'enseignes  militaires. 
C'est  pourquoi,  une  voix  forte  et  sonore  était  alors  regardée  comme 
une  qualité  essentielle  et  précieuse  dans  un  commandant  (i).  Il  suit, 
de  tout  ce  que  nous  venons  de  dire,  que  l'art  militaire,  ainsi  que 
nous  l'avons  remarqué  plus  haut,  était  encore  bien  imparfait  dans 
les  tems  héroïques,  et  même  que  la  ruine  de  Troie  doit  se  mettre 
au  nombre  de  ces  victoires,  que  les  Grecs,  d'après  un  ancien  pro- 
verbe, appelaient  à  la  Cadmée ,  puis  qu'au  lieu  d'être  avantageuse 
aux  vainqueurs,  elle  eut  au  contraire  pour  eux  les  effets  les  plus 
funestes  (a). 
Combat  pour  Nous    avons    vu    jusqu'ici    ce    qu'était    l'art   militaire    chez    les 

le   cadavre  f^  i  ' 

de  Pau-ode     Grecs  dans  les  tems  héroïques.  Avant  d'aller  plus  loin  dans  nos  re- 

par  Homère,    cherches ,  nous  croyons  à   propos   de    présenter    à    nos    lecteurs  ,    à 

la  planche  34,  l'image  d'un  des    combats    les    plus    célèbres  de  la 

(1)  Goguet  observe  judicieusement  que,  dans  le  II. e  livre  de  l'Iliade, 
Homère  donne  à  Ménélas  l'épithéte  de  /S«»v  »?*$!*,  qui  veut  dire  que  ce 
héros  avait  une  voix  propre  à  être  entendue  de  loin  :  car  le  mot  /Soi 
dérive  du  verbe  £««*  qui  signifie  boo  ,  clamo  ,  c'est-à-dire  je  mugis  , 
je  resonne  ,  je  crie.  La  voix  des  commandans  Troyens  pouvait  se  faire  en- 
tendre d'autant  plus  facilement,,  que  les  Grecs  au  contraire  gardaient  un 
profond  silence  dans  leurs  marches  ,  et  en  allant  au  combat.  V.  l'Iliad.  III. 
y.  8  ,  et  IV.  v.  429. 

(2)  On  appelait  victoire  à  la  Cadmée  ,  celle  dont  le  résultat  n'était 
pas  moins  fatal  aux  vainqueurs  qu'aux  vaincus  ;  et  ce  qui  donna  lieu  à 
ce  proverbe  ,  furent  peut-être  les  suites  de  la  première  guerre  de  Thé- 
bes ,  où  les  Thébains  ou  Gadméens ,  après  la  mort  d'Ethéocle  et  de  Po- 
lynice  ,  remportèrent  sur  les  Grecs  une  victoire  qui  fut  bien  funeste  à 
leurs  descendans.  V.  Erasmi  Pioterd.  Adagiorum  Chiliades  ,  Oliva.  Rob. 
Steph.   i558^  fol.  pag.   56i. 


de    la    Grèce.  2,47 

guerre  de  Troie ,  tracée  d'après  les  passages  des  XVI.e  et  XVII.* 
livres  de  l'J^ade  ,  où  les  Grecs  et  les  Troyens  se  disputent  le  ca- 
davre de  Patrocle.  Pour  rendre  le  sujet  de  cette  planche  plus  in- 
telligible ,  il  convient  de  rapporter  en  peu  de  mots  la  description 
que  fait  Homère  de  l'événement  qui  y  est  représenté.  Patrocle  était 
étendu  sur  le  sol,  tout  étourdi  d'un  coup  qu'Apollon  lui  avait  porté. 
Euphorbe  ,  l'un  des  ennemis ,  qui  le  premier  avait  blessé  le  héros 
derrière  le  dos  ,  étant  accouru  pour  lui  enlever  ses  armes ,  fut  tué 
par  Ménélas.  Celui-ci  se  retira  à  l'approche  d'Hector ,  qui  emporta 
ces  armes ,  et  renvoya  les  siennes  à  Troie.  Ménélas  revient  avec  Ajax 
pour  sauver  le  corps  de  l'ami  d'Achille,  et  le  couvre  de  son  bou- 
clier. Ranimés  à  la  voix  d'Hector  3  les  Troyens  se  pressent  autour 
du  fils  de  Télamon.  Ajax  ,  toujours  plus  obstiné  à  la  défense  du 
cadavre  de  Patrocle ,  terrasse  plusieurs  ennemis  ;  mais  craignant 
qu'Hector  n'amène  contre  lui  des  forces  encore  plus  considérables, 
il  charge  Ménélas  d'appeler  à  son  secours  les  plus  vaillans  d'entre 
les  Grecs.  A  la  voix  de  Ménélas  accourt  l'autre  Ajax  fils  d'Oïlée, 
avec  Idoménée ,  Mérion  ,  et  une  foule  d'autres  guerriers.  La  vic- 
toire allait  se  déclarer  en  faveur  des  Troyens;  mais  Ajax  fils  de 
Télamon  soutient  avec  intrépidité  le  choc  des  ennemis,  et  fait  mor- 
dre la  poussière  à  Hippotoùs ,  qui  déjà  fesait  des  efforts  pour  en- 
traîner le  corps  de  Patrocle.  Schedius,  le  plus  brave  d'entre  les 
Phocéens,  est  percé  d'un  coup  de  lance  qu'Hector  dirigeait  contre 
Ajax.  Ménélas  tue  Phorcine  qui  cherchait  à  défendre  Hippotoùs. 
Hector  commence  à  se  retirer  avec  les  siens  :  les  Grecs  dépouillent 
les  cadavres  de  Phorcine  et  d'Hippotoùs,  et  déjà  la  victoire  leur  sou- 
riait, lorsqu'Enée  poussé  par  Apollon  rallume  le  courage  des  Troyens , 
et  perce  de  sa  lance  Léocrite  compagnon  de  Licoméde.  Le  combat 
se  prolonge  jusqu'à  la  fin  du  jour.  Les  défenseurs  du  corps  d'Hector 
ainsi  que  leurs  antagonistes  succombent  de  fatigue, et  sont  tout  souillés 
de  sueur,  de  sang,  et  de  poussière.  Mais  Minerve  ordonne  à  Mé- 
nélas de  ne  point  abandonner  le  corps  du  héros;  il  brandit  sa  lance, 
et  tue  Produs  l'ami  d'Hector.  Celui-ci  revient  également  au  com- 
bat ,  après  avoir  fait  de  vains  efforts  pour  s'emparer  des  chevaux  d'A- 
chille. Polydamas  renverse  Pénélée  chef  des  Béotiens:  Hector  blesse 
Leïtus ,  et  tue  Cerenus  l'ami  de  Mérion  et  le  conducteur  de  son 
char.  Enfin  Ménélas,  voyant  la  victoire  prête  encore  à  se  déclarer 
pour  les  Troyens ,  sort  de  la  mêlée  pour  dire  à  Antiloùs  ,  fils  de 
Nestor  ,  de  porter  à  l'invincible  Achille  la   fatale    nouvelle    de    la 


M8  Milice 

mort  de  Patrocle,  et  retourne  ensuite  au  combat.  Alors  Ajax  l'invite 
à  retirer,  avec  Mérion  ,  le  cadavre  de  Patrocle  du  lieu  où  il  était  : 
ce  qui  est  exécuté  à  la  vue  des  Troyens  même ,  malgré  les  cris  et 
les  menace?  de  ces  derniers ,  et  malgré  une  nuée  de  dards  qu'ils 
font  pleuvoir  sur  les  deux  héros. 

La  planche  dont  il  s'agit  est  l'ouvrage  de  M.r  Pelage  Palagi ,  pein- 
tre habile  ,  et  digne  émule  des  plus  grands  maîtres  que  compte  notre 
siècle.   Le  costume  des  personnages  qui  y  sont  représentés  a  été  co- 
pié sur  les  peintures  des  vases  antiques  d'Hamilton  ,  de  Mil  fin  et  de 
Millingen.  Mais  l'artiste  ne  pouvant  réunir  dans  un  seul  cadre  toutes 
les  circonstances  de  cet  événement ,  qui  dans  le  poème  arrivent  dans 
des  lieux  et  à  des  tems  difféiens,  a  dû.  choisir  celles  qui  pouvaient 
entrer  dans  un  même  sujet  ,  et  se  borner    à    la    représentation    des 
principaux   personnages,  sauf  quelques  changemens  qui  étaient  né- 
cessaires, pour  mettre  plus  de  variété  dans  les    positions,    dans    les 
costumes  et  dans  les  armes.   Par  exemple,  il  n'a  pu  se  dispenser  de 
rétrécir  les  dimensions  qu'avaient  les  boucliers  dans  les  tems  héroï- 
ques, et  d'y  ajouter  ces  espèces  d'attaches,   ou  courroies,    dont   on 
se  servait  pour  les  fixer  au  bras,    postérieurement   à    la   guerre    de 
Troie ,  et  cela  pour   que   leur    trop  d'étendue    ne  masquât  point  en 
quelque  sorte  tout  le   tableau  ,    et   n'empêchât    pas    d'en    distinguer 
Jes  personnages  et  toutes  les  parties.  C'est  ainsi    en    effet    que    sont 
représentés  ces  boucliers  ,  non    seulement    dans    les    collections    de 
vases  ,  mais  encore  sur  tous  les  monumens  antiques,  malgré  que  les 
événemens  qui  y  sont  retracés    appartiennent    aux    tems    héroïques 
ou  au  siècle  d'Homère.    On  voit  ici    Hector,  qui,    revêtu    des    ar- 
mes d'Achille,   et  piqué  des   sarcasmes  que  lui   lance  Glaucus  chef 
des  Lyciens ,  retourne  sur   le   champ  de  bataille    avec    un   gros  de 
Troyens,  pour  enlever  le  cadavre  de  Patrocle.    Ménélas  ,  les  deux 
Ajax,  Idoménée  ,  Mérion  et  autres  guerriers  moins  renommés,  dé- 
fendent le  corps  du  héros.  Celui  d'Euphorbe  tué   par    Ménélas    est 
étendu  nu  par  terre.  Mérion  tient   embrassé  par  les    cuisses  le  ca- 
davre de  Patrocle,  pour  le  soustraire  à  la  fureur  des  Troyens,  tan- 
dis que  Ménélas  lui  fait  un  rempart  de  son    bouclier,    et   va  pour 
porter  de  la  main  droite  un  coup  de  sa  lance  terrible.  L'ami  d'A- 
chille est  nu  aussi  ,  et  dépouillé  de  ses  armes,  qu'Hector  a  emportées. 
A  côté  de  Ménélas  est  Teucer  ,  à  l'arc   redoutable,  décochant  un 
dard  contre  le  chef  Troyen  :  derrière  lui  est  Idoménée  ,  la  tête  ca- 
chée dans  son  casque  ,  qui  va  pour  décharger  un  coup  de  sa   massue 


de    la     Grèce.  3^9 

ferrée  sur  un  des  chevaux  d'Hector.  Ajax  ,  le  terrible  fils  de  Té- 
lamon  ,  a  aussi  le  visage  couvert  de  sou  casque  ;  il  oppose  son  bou- 
clier à  la  lance  d'un  guerrier  Troyen,  et  lui  porte  de  la  droite  un 
coup  de  hache  :  l'autre  Ajax  regarde  fièrement  l'ennemi  ,  prêt  à 
plonger  son  glaive  dans  te  sein  de  celui  qui  oserait  s'approcher  du 
corps  de  Patrocle  (1).  Hector  couvert  des  armes  d'Achille  s'élève 
sur  son  char,  et  va  pour  porter  un  coup  de  lance  à  Ajax  fils  d'Oï- 
lée  :  un  gros  des  siens  l'accompagne  ;  derrière  eux  sont  deux  Ly- 
ciens,  dont  l'un  est  Glaucus  prêt  à  décocher  la  flèche  homicide  (a). 

Armes. 

On  à  vu  à  la  planche  ci-dessus  les  différentes  espèces  d'armes 
qui  étaient  en  usage  dans  les  tems  héroïques.  Cependant 9  pour  que 
cette  partie  de  la  milice  Grecque  soit  encore  plus  complète  ,  nous 
allons  entrer  dans  un  examen  détaillé  de  ces  mêmes  armes,  et  don- 
ner de  chacune  d'elles  une  exacte  description.  Nous  les  diviserons 
donc  en  deux  espèces,  à  l'exemple  de  Poter  3  de  Phéitius ,  des 
Académiciens  d'Herculanum  et  autres  écrivains  distingués  ,  savoir  ; 
en  armes  défensives,  et  en  armes  offensives.  Il  est  bon  d'observer  -* 
d'abord  ,  à  l'égard  des  premières  3  que  les  Grecs ,  selon  le  témoi- 
gnage du  Scholiaste  d'Euripide,  en  fesaient  particulièrement  usage, 
en  quoi  ils  différaient  des  Barbares  ,  qui  ne  songeaient  qu'au  mas- 
sacre et  à  répandre  la  «erreur.  Aussi  les  héros  d'Homère  ne  pa- 
raissent-ils jamais  sur  le  champ  de  bataille  que  bien  armés  et  toujours 
prêts  à  la  défense.  Les  législateurs  Grecs  avaient  décrété  des  peines 
contre  les  soldats  qui  jettaieut  leur  bouclier,  tandis  qu'il  n'en  était 
infligé  aucune  à  ceux  qui  avaient  perdu  leur  lance  ou  leur  épée  , 
et  cela  pour  leur  apprendre  qu'un  soldat  doit  pourvoir  à  sa  sûre- 
té, avant  de  chercher  à  frapper  l'ennemi,  comme  l'observe  Plu- 
tarque  dans  la  vie  de  Pélopidas  (3).  Or  ces  armes  défensives  étaient 

(1)  Le  costume  de  cette  figure  est  pris  de  la  planche  49  des  vases 
de  Millingen. 

(2)  Le  costume  de  ces  deux  guerriers  est  copié  sur  la  planche  22  de 
la  même  Collection  Le  même  sujet  se  voit  souvent  répété  dans  les  an- 
ciens monumens  ,  et  on  le  trouve  encore  dans  la  Table  Iliaque  ,  ainsi  que 
sur  un  beau  vase  en  marbre  du  Musée  Etrusque,  T.  I.er,  pi.    134. 

(3)  Potter.  Archael.  Gr.  liv.  III.  chap.  IV. 

Europe.  Vol.  I.  0 


défensives. 


La  tête 
défendue  avee 
la  dépouille 
des  animaux. 


Origine  , 

antiquité  , 

diverses 

formes 

du   casque. 


a5o  Milice 

de  diverses  sortes  ,  selon  les  différentes  parties  du  corps  auxquelles 
elles  devaient  servir.  D'abord  ,  «  il  est  aisé  de  concevoir,  dit  M.r 
«  de  Caylus  (i),  que  si  la  défense  ou  la  conservation  de  la  tète 
«  fut  un  des  premiers  objets  qui  fixa  l'attention  des  hommes ,  les 
«  dépouilles  des  animaux  furent  aussi  regardées  comme  un  des  pre- 
«  miers  dons  de  la  nature  pour  satisfaire  à  ce  besoin.  Ces  dépouilles 
«  utiles  à  la  conservation  de  l'homme,  devinrent  bientôt ,  par  une 
«  conséquence  nécessaire,  un  témoignage  authentique  de  leur  bravoure 
<«  et  de  leur  force.  C'est  pourquoi  les  Rois  les  plus  anciens,  comme 
«  on  peut  s'en  convaincre  par  ceux  de  l'Egypte,  n'avaient  point 
«  d'autre  marque  extérieure  de  leur  autorité.  Il  faut  conclure  de 
«  cette  remarque,  que  les  monumens  dans  lesquels  on  voit  les  hom- 
«  mes  porter  pour  coiffure  des  dépouilles  d'animaux,  sont  les  plus 
«  anciens,  ou  au  moins  qu'on  doit  les  regarder  comme  des  copies 
«  d'un  usage  qui  a  précédé  ceux  du  même  genre  ....  Il  est  en- 
«  core  facile  de  voir  que  la  tête  de  l'animal  a  servi  de  défense  à 
«  celle  de  l'homme,  et  que  si  tous  les  animaux  féroces,  carnivores 
«  ou  à  cornes  ont  été  employés  à  cet  usage  dans  l'antiquité,  la  peau 
«  du  lion  dut  être  préférée  à  celle  de  tout  autre.  Outre  qu'on  a 
«  toujours  regardé  comme  honorable  l'entreprise  de  le  dompter  .... 
«  la  grandeur  de  sa  peau  offrait  un  moyen  facile  et  commode  pour 
"  se  couvrir  une  praode  gartie  du  corps ,  et  pour  la  nouer  par  les 
«  pattes  sur  la  poitrine ,  comme  on  le  voit  dans  une  infinité  de 
«  monumens.  Si  les  hommes  se  firent  dans  la  suite  des  casques  de 
«  métal,  ils  gardèrent  néanmoins  pendant  long  tems  les  oreilles 
«  de  l'animal  ,  et  les  adaptèrent  aux  côtés  de  leur  bonnet  „.  Ces 
observations  de  Caylus  nous  indiquent  en  même  tems  l'antiquité  du 
casque,  ainsi  que  l'origine  de  ses  diverses  formes  et  des  différentes 
parties  qui  le  composaient.  Homère  donne  en  effet  souvent  aux  casques 
les  noms  de  divers  animaux  ,  et  il  se  sert  fréquemment  de  Pépithète 
de  xwèri  ,  qui  veut  dire  de  chien,  ce  qui  annonce  que  le  casque 
était  fait  de  la  peau  de  cet  animal  (a).  Il  en  est  de  même  du  mot 
g  aléa  ,  autre  nom  qu'on  adonné  au  casque,  et  qui  dérive  de  yaÀtf  9 
ou  belette,  parce  que  la  peau  de  cet  animal  était  encore  employée 


("ï)  Recueil  d' Antiquit,  T.  III.  pag.  62. 

(2)  Eustase  (  ad  Iliad.  III.  y.  336  )  traduit  l'épithéte  *v*>n  qu'Homère 
donne  au  casque  j  par  le  mot  *T«pi6>  »»««,  chien  aquatique ,  ou  de  fleuve  : 
et  Salvini  explique  l'interprétation  d'Eustase  en  disant ,  que  le  canis  flu-* 
viatilis  est  celui  qui  -va  à  la  chasse  dans  les  fleuves. 


D  E     L  A      G  a  É  C  E.  û5  I 

au  même  Usage.  On  trouve  que  du  tems  d'Homère  môme  ,  où  les 
casques  de  cuivre  étaient  déjà  très-communs,  il  est  fait  mention 
d'armures  de  ce  genre ,  non  seulement  comme  étant  faites  de  peaux, 
mais  encore  qui  imitaient  la  figure  des  animaux  d'où  on  les  avait 
prises.  Tel  était  le  casque  d'Ulysse  ,  que  le  poète  nous  décrit  ainsi  : 
sa  peau  rude  était  renforcée  au  dedans  par  un  épais  tissu  de  cor- 
dons ,  et  parsemée  au  dehors  d'une  quantité  de  dents  de  sanglier , 
disposées  en  forme  de  guirlandes  :  le  haut  en  était  garni  d'un  feu- 
tre solide  (i).  On  voit  ensuite  quelques  casques  de  peaux  d'animaux 
remplacer  ceux  de  métal.  Ce  n'était  d'abord  que  de  simples  bon- 
nets,  et  tels  semblent  être  pour  la  plupart  les  casques  que  les  artis- 
tes de  l'antiquité  ont  donné  pour  coiffure  aux  héros  dont  ils  nous  ont 
laissé  les  images.  Voy.  les  planches  n,  i3  et  16.  Ulysse  est  le  plus 
souvent  représenté  avec  un  simple  bonnet,  très- ressemblant  avec 
celui  qu'on  donnait  ordinairement  à  Yulcain  et  aux  Dioscures  ,  et 
qui  avait  â-peu-près  la  forme  de  la  moitié  d'un  œuf  coupé  par  le 
milieu  (a).  Tel  est  encore  le  casque  que  porte  ce  héros  à  la  plan- 
che i3.  Les  bonnets  furent  agrandis  dans  ia  suite  au  point  d'en- 
velopper presque  toute  la  tête  ,  jusqu'à  ce  que  l'addition  de  nouvelles 
parties  et  d'ornemens  divers  leur  fit  prendre  une  autre  forme  plus 
agréable  ,  et  plus  propre  à  parer  les  coups.  Les  casques  proprement 
dits,  dont  l'usage  était  déjà  très-répandu  du  tems  d'Homère  s  offrent 
deux  parties  bien  distinctes  dans  leur  composition.  La  première  est  le 
frontal,  qui  s'étendait  en  avant  du  visage  pour  couvrir  le  front.  Les 
Grecs  lui  donnaient  le  nom  de  ,««■*«*■<»»  qui  veut  dire  front:  ils  la 
désignaient  aussi  sous  celui  de  yù-m  ou  suggrundium,  comme  étant 
en  quelque  sorte  pour  le  casque  et  la  tête,  ce  que  la  gouttière  est 
pour  les  toits  des  maisons,  ainsi  que  l'écrit  Winkelmann  d'après 
la  remarque  de  Pollux:  cette  partie  était  fixée  dans  le  casque  et  im- 
mobile ,  en  quoi  il  faut  bien  la  distinguer  de  la  visière  mobile  ,  dont 
on  ne  trouve  aucune  trace  dans  les  tems  héroïques  ;  elle  avait  la  for- 
me d'un  triangle  aigu,  ou  d'une  section  conique,  ensorte  qu'en  abais- 
sant seulement  son  casque  en  avant ,  le  guerrier  pouvait  se    couvrir 


Bonnets 
des  héros- 


Frontal. 


(i)  Iliad.  X.  v.  261.  Traduction  du  Cliev.  Monti. 

(2)  Winckelmann  n'est  pas  éloigné  de  croire,  que  le  pylée  cVUllsse , 
qui  a  tant  de  ressemblance  avec  les  bonnets  des  marins  qu'on  voit  sculptés 
dans  les  anciens  monumens  ,  et  surtout  dans  ceux  des  Etrusques  ,  et 
même  encore  avec  ceux  des  levantins  de  nos  jours  ,  puisse  être  un  em- 
blème des  longs  voyages  que  ce  héros  fit  par  mer.  Monum,  anc  pag.  208, 


ou  cimier, 


s5a  Milice 

ïa  figure  presqu'en  entier.  C'est  pour  cela  qu'on  donnait  quelquefois 
au  frontal  la  forme  d'an  visage,  qui  avait  deux  ouvertures  vis-à-vis 
des  yeux  s  pour  que  le  guerrier  pût  apercevoir  son  ennemi  ,  et 
souvent  une  troisième  en  avant  de  la  bouche  pour  donner  issue  à 
la  respiration.  Tels  sont,  pour  la  plupart,  les  casques  qu'on  donne 
C/fw  à  Minerve  dans  les  anciens  monumens.  La  seconde  partie  de  cette 
armure  est  la  crête  ,  ou  îe  cimier,,  qui  en  formait  la  partie  supé- 
rieure; et  qui,  du  terns  d'Homère,  était  composée  de  longues  queues 
de  cheval  dont  les  crins  étaient  hérissés  (i).  Cette  forme  est  celle 
du  casque  qu'on  voit  au  n.°  a  de  la  planche  35,  que  nous  avons 
pris  des  vases  Grecs  de  Millingen.  Il  est  posé  dans  l'original  au 
haut  d'une  colonne  dressée  sur  le  tombeau  d'Agameranon  ,  qui  porte 
en  lettres  Grecques  le  nom  du  héros.  Voyez  aussi  les  casques  dans 
la  scarabée  ,  planche  10(2).  Le  cône  du  cimier,  ou  la  crête  propre- 
ment dite ,  était  quelquefois  en  or  ou  de  quelqu'autre  matière  pré- 
cieuse :  ainsi  que  la  partie  inférieure  et  flottante  du  casque,  ou  la 
crinière,  cette  crête  était  souvent  teinte  en  rouge  ,  ou  autre  couleur. 
Casque        C'est  pour  cette   raison   qu'Homère  donne  au    casque    fabriqué    par 

fV Achille.         T,    .        .  *      1    mi  .  t      •    1    v,  11        i         ,  • 

Vulcain  pour  Achille  ,  entre  autres  epithetes  celle  de  $*tê*Mh  s  va- 
riegalam  ,  que  Salviui  traduit  par  le  mot  peinte  (3).  La  crête  se 
portait  haute,  luisante  et  flottante  pour  effrayer  l'ennemi  (4).  Telle 
était  encore  celle  du  casque  d'Achille ,  que  le  poète  décrit  ainsi  :  Son 
grand  casque  hérissé  de  crins  brillait  sur  son  front  comme  une  étoi- 
le ,  et  sa  crête  dorée  s'agitait  sur  le  cône  quelle  couvrait  (5).  Le 
casque  delà  belle  statue  Grecque  d'Achille  ,  qu'on  voyait  autrefois 
dans  la  maison  de  plaisance  Pinciana,  ou  Borghèse ,  ne  diffère  guè- 
res  du  précédent  (6);  et  tel  nous  semble  être  aussi  celui  du  n.°  1, 
que  nous  avons  pris  des  vases  de  Millingen  (y).  On  voit  dans  le  X.e 

(1)  La  crinière  était  contenue  dans  une  espèce  de  canneilure  ,  appelée 
fthis.  Le  casque  avait  quelquefois  deux  ,  trois  et  jusqu'à  quatre  criniè- 
res. V.  Millin.  Peinp.  des   Vas.  etc.  Vol.  I.er  pag.  41.  N.  (9). 

(9)  On  prétend  que  les  Gariens  ont  été  les  premiers  à  prendre;  le 
cimier  :  sur  quoi  on  peut  lire  Hérodote  et  Strabon. 

(5)  Iliad.  XVIII.  v.  6x1. 

(4)  lliad.  III.   v.  557. 

(5)  Iliad.  X.  v,   58 1.  Traduction  du  Cliev.  Monti. 

(6)  Sculptures  de  la  maison  de  plaisance  Borghèse.  Pwine.  PagliarinJ , 
1796  ,  vol.  I.  n.°  9. 

(7)  PI.  XLIX.  La  peinture  du  vase  représente  un  combat  entre  A- 
cjiille.  et  Memnon.  Achille  y  est  désigné  par  son  nom. 


de    la    Grèce.  253 

livre  de  l'Iliade,  v.  2$7,  que  les  casques  n'avaient  pas  tous,  la  cri- 
nière ni  le  cône  ,  et  que  ceux  des  jeunes  gens  n'étaient  qu'en  cuir 
et  sans  crinière  :  motif  pour  lequel  ,  en  parlant  du  casque  que  Dio- 
inède,  le  plus  jeune  des  héros,  avait  reçu  de  Trasiméde  en  place  du 
sien  ,  le  poète  dit  qu'il  était  fait  de  cuir  de  taureau,  sans  frontal 
et  sans  cimier  ,  et  ajoute  qu'on  l'appelait  **t»n#l  barbu  ,  et  que  c'était 
là  la  coiffure  des  jeunes  guerriers.  Nous  croyons  distinguer  la  même 
forme  dans  le  casque  d'Amphion  ,  n.°  3  de  la  planche  35,  qui  est 
pris  d'un  has-relief  de  la  maison  de  plaisance  Borghèse  ;  et  tel  est 
aussi  celui  qu'a  encore  Dioméde  dans  une  pierre  précieuse  que 
possède  le  musée  Stoschiano.  Eustase  nous  apprend  que  les  casques 
s'attachaient  avec  une  courroie  ,  qu'Homère  appelle  ô%tus  ,  et  qui 
passait  sous  le  menton  (1).  Voy.  le  n.°4,  où  est  représenté  le  casa- 
que d'Ajax  fils  d'Oïlée  ,  copié  sur  une  pierre  gravée  des  Monumens 
antiques  de  Winkelmann  (2).  Les  casques  des  simples  soldats  étaient 
sans  crête  et  sans  crinière,  et  se  terminaient  insensiblement  en  un 
bouton,  ou  en  pointe,  comme  on  le  voit  par  celui  d'Amphion, 
ou  en  une  surface  lisse  et  convexe  ,  comme  celui  du  n.°  5.  Ce  pe- 
tit casque  de  bronze  est  recommandable ,  dit  M.r  de  Caylus ,  pour 
l'exactitude  de  la  forme  et  la  précision  du  travail  ;  il  nous  montre 
quelle  était  anciennement  la  forme  particulière  de  cette    arme  chez 

les  Grecs Fai  fait    dessiner    ce  petit    monument   avec 

tout  le  soin  possible.  (3).  La  planche  3^  offre,  dans  la  bataille  qui 
y  est  représentée  ,  l'image  de  plusieurs  autres  casques  d'une  forme 
singulière.  Nous  observerons  pourtant  ,  avant  de  finir  cet  arti- 
cle, que  pour  empêcher  que  la  tête  ne  fut  blessée  par  les  cas- 
ques de  métal  ,  on  mettait  par  dessous  un  bonnet  qui  descendait 
jusqu'aux  oreilles,  et  était  de  laine  au  rapport  d'Ammien  Marcel- 
lin  :  usage  dont  on  trouve  quelque  trace  dans  Homère  (  Iliad.  X. 
v.  2Ô5  ).  Le  casque  était  quelquefois  garni  intérieurement  d'une  espèce 


Casque 
des  jeunes  ira  lis. 


Casque 
d'Amphion, 


Casque 
d'Ajax. 


Casque 
des  siinplej 

soldats. 


Bonnet 
et  doublure 
ous  Le  casque:, 


(1)  Eust.  Iliad.  III.  v.  371. 

(2)  On  voit  également  dans  plusieurs  monumens  des  casques  avec  la 
courroie  qui  passe  sous  le  menton,  et  Spallarcl  en  présente  un  qui  est 
pris  d'un  bas-relief  de  Grotta  Ferrata  près  Fraseati.  Versuch  ùber  das 
Kostuni  cler  vorzùgltchsten  Volker  etc.  Wien  1796.  Ers  t.  Theil.   F.  n.°  6. 

(3)  Recueil  cl'  Antiquités  Egyptiennes  ,  étrusq.  ,  grecq.  etc.  Tom.  III. 
pag.  235.  Ce  petit  casque  a  deux  pouces  de  long  ,  sur  un  pouce  et  trois, 
lignes  de  haut.  Il  semble  avoir  été  fait  pour  un  voeu  ,  ou  pur  varier  le.s 
attributs  de  Minerve  dans  les  petites  statues  des  Dieux  Lares. 


Ses  parités. 
Baudrier: 


âJ>4'  Milice 

de  doublure,  ou  d'épongé  (i).  On  peut  donc  conclure  de  tout  ce  que 
nous  venons  de  dire  :  premièrement ,  que  la  visière  mobile  n'était 
point  connue  dans  le  tems  héroïques  ;  secondement,  que  les  artistes 
du  meilleur  siècle  de  l'art  n'ont  jamais  représenté  les  héros  de  l'an- 
tiquité avec  des  casques  garnis  de  joues  ou  comme  d'appendices 
pour  couvrir  ou  défendre  les  joues  (a);  troisièmement,  que  l'u- 
sage des  panaches,  ou  des  crêtes  faites  de  plumes  était  également 
inconnu. 

Nous  mettrons  au  rang  des  armes  défensives  Je  la  seconde  espèce  , 
celles  qui  étaient  destinées  à  couvrir  ou  à  préserver  le  corps  du  soldat. 
Nous  avons  vu  plus  haut ,  que  les  anciens  héros  n'avaient  pour  armure 
que  la  peau  des  animaux  qu'ils  avaient  tués  ,  et  qu'ils  portaient  ces 
dépouilles  comme  une  marque  de  leur  courage  et  de  leur  force  :  ce  dont 
les  poètes  nous  offrent  des  exemples  multipliés.  Mais  dans  la  suite, 
ces  mêmes  guerriers  ne  dédaignèrent  pas  de  se  revêtir  d'une  armure 
plus  noble  et  plus  solide,  à  laquelle  on  donna  le  nom  de  kJ/*ef  , 
ou  cuirasse.  Elle  était  composée  de  trois  parties.  La  première  s'ap- 
pelait ft/rp» ,  ou  le  baudrier,  qui  était  une  ceinture  faite  de  la- 
mes de  métal  ;  elle  serrait  le  ventre  au  dessons  de  la  cuirasse  ,  et 
était  garnie  en  laine  pour  ne  point  blesser  la  peau.  Homère  dit 
que  la  flèche  lancée  par  Pandare  contre  Ménélas  3  après  avoir  tra- 
versé toute  l'armure  du  héros,  s'amortit  dans  sa  ceinture  et  n'atta- 
qua que  ta   peau  : elle  pénétra  jusqu'à  la  ceinture  qu'il  portait 

pour  lui  servir  de  défense,  et  comme  de  plastron  contre  la  pointe 
des  dards  ;  mais  pourtant  le  trait  la  perça  de  part  en  part ,  et  effleura 
la  peau  du  héros  (3).  La  seconde,  appelée  le  thorax,  était  la  cui- 


(i)  Winckelmann  (  Monum.  anc.  pag.  208  )  observe  quon  voit  en 
effet ,  dans  un  casque  antique  de  bronze  ,  que  Von  conserve  dans  le  mu~ 
sée  du  sacré  Collège  à  Rome,  un  morceau  de  la  doublure  de  feutre  qui 
y  est  encore  attachée  ;  et  que  dans  plusieurs  casques  des  statues  de 
P allas  ,  on  apperçoit  derrière  la  nuque ,  autour  du  cou  et  au  dessus  de 
l'oreille ,  une  espèce  d'étoffe  ou  de  toile  qui  fait  ourlet,  avec  certaines 
attaches  qui  y  sont  adaptées  pour  le  lier  sous  le  menton  ,  lesquelles  sont 
relevées  et  rentrées  sous  le  casque. 

(2)  Il  est  à  remarquer  pourtant  que  ces  appendices  étaient  déjà  en 
usage  du  tems  d'Homère  ,  car  ce  poète  dit  dans  le  XVII.e  livre  de  l'Ilia- 
de ,  vers  294 ,  que  le  casque  d'Hippotoùs  tué  sur  le  cadavre  d'Hector 
avait  les  joues  en  cuivre. 

£3)  Iliad.  IV.  v.   137.  Traduction  de  Salvini. 


de    La    Grec  e.  «255 

fasse  proprement  dite,  et  enveloppait  entièrement  le  corps  du  guer- 
rier. Elle  était  composée  de  deux  pièces,  dont  l'une  couvrait  la 
poitrine  et  le  ventre  ,  et  l'autre  les  épaules  et  les  reins  :  ces  deux 
pièces  étaient  jointes  sur  les  flancs  avec  des  boucles  ou  des  agraf- 
fes  (i).  Telle  était,  selon  Pausanias ,  la  cuirasse  d'airain  qu'on 
voyait  sur  un  autel ,  dans  le  fameux  tableau  de  Polignotes  représen- 
tant la  prise  de  Troie.  Les  cuirasses  étaient  faites  de  diverses  ma- 
tières :  il  y  en  avait  de  lin  ou  de  chanvre  tors,  tressé  en  petites  Cuirasse* 
cordes  ;  et  c'est  pour  cela  qu'il  est  fait  mention  de  cuirasses  bilices 
et  trUices,  du  nombre  des  fils  ou  des  petites  cordes  mises  à  côté  les 
une  des  autres.  Ainsi,  Ajax  fils  Oïlée  est  appelé  par  Homère  dans 
le  II.9  livre  de  l'Iliade  v.  5f2,8  xti»4»'p%t%  ,  portant  la  cuirasse  de  Un(n). 
Mais  le  plus  souvent  les  cuirasses  étaient  en  cuivre  ou  d'un  autre  mé- 

(i)  L'endroit  où  se  joignaient  les  deux  parties  de  la  cuirasse  laissait  un 
passage  ouvert  à  l'épée  de  l'ennemi  :  ce  qui  le  fesait  regarder  comme  le 
plus  faible  ,  et  le  plus  dangereux  de  l'armure. 

(2)  La  cuirasse  de  lin  ou  de  chanvre  semble  avoir  été  particulière- 
ment en  usage  pour  la  criasse ,  à  cause  de  sa  légèreté ,  et  de  la  résistance 
que  l'épaisseur  de  son  tissu  opposait  à  la  dent  et  aux  griffes  des  bêtes  fé- 
roces. On  s'en  servait  rarement  à  la  guerre  ,  selon  le  témoignage  de  Pau- 
sanias. Les  Grecs  avaient  emprunté  des  Egyptiens  cette  espèce  d'armure. 
Hérodote  ,  dans  Polymn.  §  LXIII ,  parle  aussi  des  cuirasses  de  lin  ,  et  dit 
qu'elles  étaient  usitées  parmi  les  Assyriens.  Il  faut  lire  au  sujet  de  ce 
passage  de  l'Historien  Grec  la  m.e  note  de  Larcher,  où  est  décrite  laxma- 
niére  dont  le  lin  était  préparé  à  cet  effet.  Hi  casses  ,  dit  Pline  ,  Hist. 
Nat.  liv.  XIX.  chap.  I.  (  nempe  a  lino  )  vel  ferri  aciem  vincunt.  Aussi  la 
légèreté  de  ces  cuirasses  les  fit-elles  préférer  dans  plusieurs  pays  à  celles 
de  fer.  Cornélius  Nepos  ,  dans  la  vie  d'Hyphicrates ,  dit  que  mutant  genus 
loricarum  ,  et  pro  ferreis  .  atque  aeneis  lineas  dédit.  Quo  facto  expédi- 
tions milites  reddidit.  Cependant  l'Heine  ,  au  55o.e  v.  du  liv.  II  de  l'Ilia- 
de ,  est  d'avis  que  l'usage  des  cuirasses  de  lin  était  particulier  aux  ar- 
chers ,  et  que  le  nom  de  linothorax  sous  lequel  Ajax  y  est  désigné  doit 
être  regardé  comme  intrus ,  en  ce  que  ce  héros  ne  combattait  point  avec 
l'arc,  mais  avec  la  lance.  On  voit  en  plusieurs  endroits  des  vases  d'Ha- 
milton  et  de  Millin  ,  des  guerriers  avec  la  cuirasse  de  lin  ,  quoiqu'armés 
d'une  lance  :  ce  qui  prouve  que  l'épithéte  ci-dessus  à  été  réelement  donnée 
à  Ajax  par  le  poète  ,  et  n'est  point  supposée.  La  planche  5o  du  II. e  vol. 
de  Millin  présente  deux  guerriers ,  dont  la  cuirasse  semble  être  faite  de 
divers  morceaux  de  toile  ,  placés  les  uns  sur  les  autres ,  et  tissus  ou  en- 
trelassés de  fils  de  lin  ,  de  manière  à  former  une  espèce  de  matelas  pro- 
pre à  garantir  le  corps  contre  la  pointe  ou  le  tranchant  des  armes. 


de  métal. 


de  cuir. 


Ceinturon. 

Tiuiiijiie. 
Caleçons- 


^56  Milice 

tal  réduit  en  lames,  formant  quelquefois  plusieurs  couches,  de  ma- 
nière à  les  rendre  impénétrables  à  la  pointe  de  quelqu'arme  que 
ce  fût.  II  parait  qu'à  des  tems  encore  plus  reculés,  on  se  servait  de 
cuirasses  faites  de  peaux  aprêtées  avec  art,  ou  changées  en  cuir.  Cay- 
lus  parle  d'une  petite  statue  de  Mercure  revêtue  d'une  cuirasse  , 
qui,  par  les  revers  qu'on  voit  à  la  partie  antérieure  du  cou  3  montre 
clairement  que  l'artiste  a  voulu  indiquer  la  matière ,  ou  le  cuir  dont 
il  a  pensé  qu'elle  était  faite  (i).  On  ne  trouve  nulle  part  dans  Ho- 
mère, qu'à  l'époque  des  tems  héroïques,  les  Grecs  se  servissent 
de  cuirasses  faites  de  bandes  circulaires  ,  à  écailles  ou  à  crochets  ,  et 
Eustase  n'en  dit  rien  non  plus  dans  la  longue  description  qu'il  nous 
a  donnée  des  cuirasses  (a)  Les  anciens  monumens  ne  nous  offrent 
également  cette  espèce  d'armure ,  que  chez  les  peuples  appelés 
barbares"  par  les  Grecs.  La  cuirasse  couvrait  le  buste  du  guerrier 
jusqu'au  bas  des  flancs.  On  y  adaptait  un  large  ceinturon  appelé 
ièf-x.  ,  qui  descendait  jusqu'aux  genoux,  et  était  fait  avec  des  ban- 
delettes de  cuir  ou  de  quelqu'autre  matière  souple  ,  pour  ne  pas 
gêner  le  mouvement  des  cuisses  et  des  jambes.  Ce  ceinturon  for- 
mait la  troisième  partie  et  le  bas  de  la  cuirasse.  Par  dessous 
celle-ci  était  la  tunique  dont  nous  parlerons  ailleurs  ,  et  qui  ne 
différait  de  l'ordinaire  qu'en  ce  qu'elle  était  plus  petite.  Il  semble 
qu'on  portait  encore  sous  cette  tunique  des  espèces  de  caleçons  : 
car  Ulysse,  en  gourmandant  Tersite  dans  le  II. e  livre  de  l'Iliade, 
le  menace  de  le  dépouiller  du  manteau ,  de  la  tunique,  et  du  vê- 
tement qui  couvre  les  parties  honteuses  :  sur  quoi  Eustase  observe , 
dans  les  réflexions  que  lui  suggère  ce  passage  ,  que  le  poète  em- 
ploie une  périphrase  ,  peut-être  parce  que  la  langue  Grecque  n'a- 
vait uas  encore  de  mot  propre  pour  indiquer  cette  sorte  de  vête- 
ment, que  les  Romains  désignaient  sous  celui  de  hracca  ou  femora- 
lia  ,  et  que  les  Grecs  appelèrent  dans  la  suite  *,»ivf{i».  M-r  Mon- 
gez  croit  que  ce  vêtement  pouvait  être  semblable  à  celui  qu'on 
voit  aux  soldats  Romains  dans  la  colonne  Trajanne  ,  où  ils  sont  re- 
présentés avec  des  caleçons  qui  leur  arrivent  jusqu'à  mi-jambes  ,  et 
$e  lient  autour  du  mollet.  Mais  malgré  le  peu  de  différence  qu'on 


(i)  Rec.  d'Antiquités  etc.  T.  II.  pag.  279.  Quelques-uns  sont  d'avis 
que  le  nom  de  lorica  donné  par  les  latins  à  la  cuirasse  ,  dérive  du  mot 
lorum ,  cuir ,  précisément  parce  que  les  plus  anciennes  cuirasses  étaient 
en  cuir.  V.  Potter.  Arch.  graeca. 

(2)  Ad.  IV.  Iliad.  pag.  991  et  suiv, 


DKBondffi"àixe« 


de    la    Grec  e.  2^7 

remarque  entre  l'habillement   militaire    des    Romains   et    celui  des 
Grecs ,  l'opinion  de  cet  écrivain  ne  semble  guères  pouvoir  se  con- 
cilier avec  Pétymologie  du  mot  ,  «.»gv^iT«  qui  dérive  du  verbe  «wr^.», 
dont  le  sens  est.,  lever  ses  vêtemens  et  montrer  sa  vergogne.  Il  est  à 
présumer,  selon  nous,  que  le  vêtement  dont  parle  Homère,  n'était 
qu'une  espèce  de  tablier  qui  enveloppait  les    cuisses  ,    ou  bien    en- 
core la  partie  inférieure    de   la  tunique  qui    s'attachait    aux  reins , 
pour  ne  pas  embarasser  le  guerrier.  L'autorité  des  monumens  vient 
en  cela  à  l'appui  de  notre  opinion.  On  voit  à  la  planche  XXXIX 
du  IL  vol.  des  vases  de  Millin  un  jeune  guerrier,  qui  se  met  la  cui- 
rasse  par  dessus  sa   tunique,  laquelle  est  ceinte    en  deux  endroits, 
et  laisse  à  découvert   le  bas  des  cuisses.  Une  femme  ,  d'un  air  pensif 
et  affligé  ,  lui  présente  de   la  main  droite  le  casque  et  une  bande- 
lette ,  et  de  la  gauche   le  bouclier.    Nous    avons    copié    ces    figures 
sous  les  n.os  3  et  4  de  la  planche   87,  telles    qu'elles    sont  dans    le 
monument.  Nous  nous  sommes  contentés  de    donner,  sous   les  n.os  6 
et  7  de   la  planche   35 ,    les    dessins    de  deux  cuirasses    pris  l'un  et        Figures 
l'autre  des  vases  d'Hamilton;   parce  que  cette  armure  ayant  presque     de  cuirasse 
toujours  la  même  forme  dans  les  monumens ,  et  nos  lecteurs  pouvant 
en  voir  un  grand  nombre  dans  la  planche  qui  a  pour  sujet  le  com- 
bat, où    les  Grecs  et   les  Troyens  se  disputent  le  cadavre  de  Patro- 
cle  ,  il  aurait  été  superflu  d'en  présenter  une   plus  grande  quantiîé 
d'exemples.   Dans  la    première,  on   ne  voit  pas  les  deux  parties  de 
la  cuirasse  attachées  sur  les  côtés,  mais  elles  semblent  au  contraire 
jointes  ensemble  sur  la    poitrine    et    aux    reins    par    une   espèce   de 
bande.  On  distingue  dans  l'une  et  l'autre  ,  non  seulement  la  tunique, 
qui  dépasse  le  bas   du    ceinturon  ,    mais    encore     le  manteau    ou   la 
chlamyde,  qui  est  attachée  dans  l'une  sur  la  poitrine,  et  dans  l'au- 
tre sur  le  ventre:  car  la  chlamyde  était  une  des  marques  dïstincti-      chiamyde. 
vos  de  l'état  militaire;  elle  se  portait  en   tems  de  guerre  sur  îa  cui- 
rasse ,  et  en  tems  de  paix  sur  la  tunique.  Sa  forme  en  général  était 
celle  d'un   carié  long:  sa   largeur  était    le   plus    souvent  égale    à   la 
distance  qu'il   y   a  du  cou  à   la  moitié   des  jambes  d'un    homme   de 
haute  stature,  et  elle  avait  en  longueur  le  double  de  sa  largeur  (1). 

(1)  Il  faut  bien  distinguer  la  chlamyde  de  la  clena  qui  avait  beau- 
coup plus  d'ampleur  que  la  première ,  était  d'un  tissu  épais  et  poilu  ,  et 
servait  pour  cela  de  couverture  ou  de  tapis  pour  dormir.  V.  N'orner  Iliad. 
XXIV.  v.  649.  Odys    III.   vers.  346  etc.  La  chlamyde  était  généralement 

Europe.  Fol    I  33 


a58  Milice 

Elle  servait  encore  d'arme  défensive,  lorsque  le  guerrier  était  sur- 
pris par  l'ennemi  sans  son  bouclier.  Alors  il  la  roulait  autour  de  son 
bras  gauche  pour  parer  les  coups  de  son  adversaire.  D'autres  fois 
j^afe.  la  chlamyde  s'attachait  avec  une  agrafe  par  les  deux  angles,  ou 
les  deux  bouts  de  l'une  des  deux  lignes  les  plus  longues  ;  mais  le 
plus  souvent  elle  était  fixée  à  deux  autres  points  de  la  même 
ligne  ,  et  à  environ  aux  deux  tiers  de  sa  longueur.  Du  reste ,  de 
quelque  manière  que  ce  vêtement  fût  attaché  ,  on  le  laissait  jouer 
librement,  ensorte  que  l'agrafe  se  trouvait  tantôt  sur  la  poitrine, 
et  tantôt  sur  l'une  ou  l'autre  épaule.  Toutes  ces  particularités  de- 
viendront plus  sensibles  à  l'inspection  des  figures  n.°  i  de  la  plan- 
che 87,  qui  sont  prises  d'un  monument  décrit  par  Winckelmann , 
et  ont  pour  sujet  la  restitution  du  cadavre  d'Hector  aux  Troyeus  (1). 
On  voit,  dans  la  figure  du  plus  jeune  des  deux  guerriers ,  la  moitié 
de  la  chlamyde  qui  descend  sur  la  poitrine  jusqu'au  genoux,  et 
dans  l'autre  cette  moitié  qui  va  le  long  du  dos.  Dans  ces  deux 
figures  ,  la  chlamyde  n'est  point  attachée  par  les  angles ,  qui  tous 
les  quatre  sont  libres  ,  mais  par  deux  points  de  la  ligne  supérieure. 
Le  n.°  a  représente  une  chlamyde  déployée  dans  le  sens  de  la  po- 
sition de  ces  deux  figures.  La  lettre  A  indique  le  premier  angle 
supérieur;  B  le  premier  point  où  est  placée  l'agrafe;  C  le  second; 
D  le  second  angle  supérieur;  E  le  second  angle  inférieur;  et  F 
le  premier  angle  inférieur. 
jambards.  Les  jambards  ,  appelés  par  les    Grecs  «n^T/ss  ,    ocreœ  formaient 

la  troisième  espèce  des  armes  défensives.  Mongez  observe  judicieu- 
sement à  ce  sujet  ,  qu'il  serait  difficile  de  décrire  la  forme  de 
la  chaussure  militaire  des  Grecs  ,  en  ce  que  les  personnages  des 
tems  héroïques  sont  généralement  représentés  nus,  et  qu'outre  cela, 
les  pieds  de  la  plupart  des  statues  antiques  ont  été  restaurés.  C'est 
pourquoi  il  faut  avoir  recours  aux  bas-reliefs  ,  où  il  n'est  guères 
facile  de  distinguer  les  parties  de  l'habillement.  Nous  remarque- 
rons donc  en  premier  lieu  'qu'Homère,  en  parlant  de  l'armure  des 
jambes ,    employé  toujours  le  pluriel  «m^-TJW ,  et  que  par  conséquent 

carrée  ,,  comme  nous  venons  de  le  dire  :  cependant  on  la  trouve  quelque- 
fois dans  les  monumens,  et  surtout  dans  les  statues  des  héros,  de  forme 
ovale  ,  et  agraffée  avec  un  bouton  sur  la  poitrine  ,  ou  sur  l'épaule  gauche. 
(1)  Monum.  anù.  n.°  i36.  Voyez  encore  V Encyclop.  méthod,  Anbicf. 
vol.  I.  pag.  24.  PL  55. 


DE      LA      G  B.  É  C  E.  259 

les  guerriers  des  teras  héroïques  se  servaient  de  deux  jambards ,  à 
la  différence  des  siècles  postérieurs  où  s'entroduisit  l'usage  de  n'en 
porter  qu'un  seul.  En  second  lieu,  il  ne  faut  pas  confondre  cette 
armure  avec  la  chaussure,  car  il  y  avait  entre  Tune  et  l'autre  une 
grande  diversité  ,  puisque  la  première  se  mettait  quelquefois  par 
dessus  la  seconde  ,  ce  dont  nous  parlerons  ailleurs.  Les  jambards 
étaient  faits  en  plaques  de  métal  ,  et  ne  couvraient  que  le  de- 
vant de  la  jambe  depuis  le  genou  jusqu'au  coude-pied  :  on  les  atta- 
chait par  derrière  avec  des  courroies  ;  et  ils  étaient  j  ainsi  que  le 
casque,  garnis  d'un  feutre  ou  d'épongé  très-fine  pour  ne  point  bles- 
ser. Hésiode,  dans  le  bouclier  d'Hercule,  v.  iaa  ,  parle  des  jam- 
bards faits  d'un  cuivre  resplendissant.  Homère  dit  en  plusieurs 
endroits  qu'lis  étaient  en  étain  ,  et  que  tels  étaient  ceux  que 
fit  Vulcain  pour  Achille  ,  (1).  Au  lieu  de  courroies  pour  se  les 
attacher  aux  jambes ,  on  se  servait  quelquefois  de  boucles  ou  d'a- 
graffes  en  or  et  en  argent.  Nous  observerons  enfin  que  les  jam- 
bards laissaient  à  découvert,  non  seulement  les  doigts,  mais  encore 
tout  le  dessus  du  pied.  Il  semble  que  cette  armure  était  particulière 
aux  Grecs,  auxquels  Homère  donne  toujours  Pépithéte  de  bienchaus- 
sés.  Le  n.°  5  de  la  planche  3^  représente  Achille,  avec  un  esclave  Jambards 
qui  lui  attache  le  jambard  à  la  jambe  droite,  et  sur  ses  brodequins 
ou  sa  chaussure  ordinaire.  Ces  deux  figures  sont  prises  d'un  bas- 
relief  de  la  maison  de  plaisance  Borghèse  ,  publié  par  Winkelmann, 
lequel  représente  le  fils  de  Thétis  se  revêtant  de  ses  armes  pour  al- 
ler venger  la  mort  de  Patrocîe  (a).  Le  n.°  6  est  copié  d'un  vase  de  castor. 
grec  de  la  Bibliothèque  du  Vatican  ,  et  représente  Castor  s'attachant 
un  jambard.  Il  a  le  pied  appuyé  sur  son  bouclier,  et  le  corps  en- 
core nu,  parce  que  les  guerriers  commençaient  à  s'armer  par  les 
jambes  (3).  Les  jambards  qu'on  voit  au  n.°  1  de  la  planche  38  3  sont 
pris  d'une  statue  grecque    de  la  maison    Borghèse  3  et  Lens  en  fait 

O)  Iliad.  XVIII.  y.  612. 

(2)  Les  auteurs  de  l'Encyclopédie  méthodique  ont  représenté  ces 
deux  figures  dans  une  position  tout-à-fait  contraire  à  celle  qu'elles  ont 
dans  l'original.  V.  Antiq.  T.  L.  PI.  LVI.  n.°  1  ,  et  Winckel.  Monum. 
ant.  n.°   i32. 

(3)  Ce  guerrier  n'est  pas  représenté  non  plus  avec  fidélité. dans  la 
même  Encyclopédie.  Montfaucon  a  publié  aussi  ce  monument ,  mais  sur 
un  dessin  trés-incorrect ,  c'est  pourquoi  l'explication  qu'il  en  donne  s'éloi- 
gne de  la  vérité. 


a6o  Milice 

aussi  mention  (i).    Le  n.°  a  est  extrait  d'un  bas-relief  publié   par 
Winckelmann  (a). 
Bouclier.  La  dernière  et  la  plus  importante  des   armes    défensives    était 

le  bouclier ,  appelé  par  les  Grecs  i*»\s ,  de  la  particule  d  ,  et  du 
verbe  mt%m  ,  qui  veut  dire  extendo  ,  en  ce  que  le  guerrier  déten- 
dait en  avant  de  lui  contre  les  coups  de  l'ennemi.  Cette  arme  était 
tellement  en  honneur  chez  les  anciens  Grecs,  que  leurs  héros  n'ont 
souvent  dans  les  monumen?  que  le  casque ,  l'épée  et  le  bouclier. 
Aussi  la  perte  en  était-elle  regardée  comme  une  tache  d'infamie  (3). 
Dans  les  premiers  terns,  les  boucliers  étaient  faits  de  petites  bran- 
ches d'osier  entrelacées,  forme  à  laquelle  Virgile  fait  allusion  dans 
ce  passage  du  YlLe  livre  de  l'Enéide  : 

.flectuntque  salignas 

Jmbonum  crates 

et  l'on  prétend  que  tels  étaient  les  boucliers  de  Prsetus  et  d'Acrise, 
dont  parle  Pausanias.  A  ces  boucliers  d'osier,  on  en  substitua  dans 
la  suite  qui  étaient  faits  avec  de  petites  planches  de  figuier  ,  de 
saule,  de  hêtre,  ou  de  queîqu'autrc  espèce  de  bois  très-léger  (^). 
Mais  cette  partie  de  l'armure  était  ordinairement  en  cuir  de  bœuf, 
et  c'est  pour  cela  qu'il  est  si  souvent  fait  mention  dans  Homère  de 
boucliers  de  ce  genre  inrliu  piu*< ,  (5).  On  mettait  les  unes  sur  les  au- 
tres plusieurs  de  ces  peaux,  qu?on  avait  soin  d'entremêler  ou  de  re- 
couvrir de  plaques  de  métal  ,  de  quoi  Homère  nous  fournit  plusieurs 
exemples.  Le  bouclier  était  plus  ou  moins  rond,  et  sa  hauteur  éga- 
lait pour  le  moins  celle  d'un  homme  ,  ensorte  qu'il  couvrait  tout 
Parties  le  corps.  On  y  distinguait  deux  parties  principales,  qui  étaient; 
xUxôs ,  ou  le  contour  du  bouclier;  et  i^*x^,  appelé  par  les  latins 
umbo  ,  qui  en  était  le  centre  ou  la  partie  la  plus  bombée  et  la  plus 
saillante  ,  laquelle  servait  non  seulement   à    repousser  ou    à  rendre 

£i)   Costumes  etc.  fig.  3i. 

(2)  Monum.  ant.  n.°  6. 

(3)  Hérodote,  Melpom.  §  GLXXXI,  dit  que  les  Grecs  reçurent  des 
Egyptiens  le  casque  et  le  bouclier.  On  remarque  en  effet  une  grande  res- 
semblance entre  les  boucliers  des  Egyptiens ,  et  ceux  des  Grecs  dans  les 
teins  héroïques, 

(4)  Plin.  ffisù.  Nat,  liv.  VI    chap.  XL 

(5)  Le  mot  latin  scutum  dérive  du  gver    ;      e-  ,  ci  ri  signifie  aussi  cuir. 


($,11  bouclier. 


de    la    Grèce.  261 

nuls  les  coups  des  armes  offensives ,  mais  encore  à  heurter  l'ennemi 
et  à  le  mettre  en  désordre.  Mais  il  n'est  pas  aussi  facile  d'expli- 
quer la  manière  dont  les  Grecs  se  servaient  de  cette  arme  dans  les 
tems  héroïques  :  car  on  ne  trouve  nulle  part  dans  Homère  qu'elle 
eût  un  manche  ,  ou  des  attaches ,  ou  quelqu'autre  chose  par  où  on 
pût  la  saisir.  Ce  poète  donne  même  à  entendre  clairement  en  plu- 
sieurs endroits,  que  le  bouclier  s'attachait  au  cou  avec  une  bande 
de  cuir  qu'il  appelle  ni»/»«.  Par  ce  moyen  ,  le  guerrier  ,  au  mo- 
ment de  combattre ,  le  fesait  glisser  sur  l'épaule  gauche  3  et  le  te- 
nait avec  le  bras  gauche  contre  la  poitrine  :  dans  la  marche  il  se 
remettait  derrière  les  épaules ,  et  battait  sur  les  talons.  C'est  pour 
cela  qu'Homère  donne  l'épithète  de  talare  au  bouclier  d'Achille  , 
et  dit  que  ce  bouclier  tomba  des  épaules  de  Patrocle  avec  la  ccm> 
roie  ,  lorsque  ce  héros  fut  blessé  par  Apollon  (1). 

Les  boucliers ,  et  surtout  ceux  des  Princes  ou  des  héros 3  por*  Ornement 
raient  ordinairement  à  leur  surface  extérieure  des  figures  d'aigles , 
de  lions  et  autres  animaux  généreux  qui  y  étaient  sculptées  3  ou 
l'image  de  quelque  divinité,  ou  bien  encore  le  tableau  d'une  par- 
tie quelconque  de  la  nature  ou  de  quelqu'une  de  ses  opérations  : 
usage  qui  ,  selon  Hérodote  ,  doit  son  origine  aux  Cariens.  Ainsi 
Ton  voyait  sur  le  bouclier  d'Agamemrion  une  Gorgone;  sur  celui  Bouclier 
d'Ulysse  un  d'auphin ,  emblème  de  la  navigation  ;  et  sur  celui  d'Js«'»e»w°n. 
de  Parthénope  un  sphinx  serrant  un  homme  entre  ses  griffes.  Le 
n.°  8  de  la  planche  35  représente  le  bouclier  de  l'aîné  des  Atrides. 
Il  est  pris  d'un  bas-relief  qui  a  été  trouvé  dans  les  fouilles  près  de 
Frascati  ,  et  a  pour  sujet,  selon  Winckelmann  ,  la  translation  du 
cadavre  d'Hector.  Mais  il  convient  ,  pour  en  rendre  l'intelligence 
plus  facile  ,  de  rapporter  ici  les  propres  paroles  de  cet  illustre  a n^ 
tiquaire  :  "  On  voit  ce  bouclier  ,  comme  celui  d'Agamemnon  , 
"  décoré  au  milieu  ,  ainsi  qu'il  était  d'usage  ,  d'une  tête  de  Mé- 
««  duse  ;    et    cela    à  limitation    de    celui  de  Pallas,  au  milieu  du- 

(1)  Iliad.  XVI.  v.  802.  Voici  ce  que  dit  Goguet  du  défaut  de  ces 
boucliers  ,  et  de  la  difficulté  de  les  manier.  Cette  arme  ne  pouvait  être 
que  d'une  faible  utilité  }  et  devait  causer  beaucoup  d 'embarras  et  d'in- 
commodité ,  eu  égard  surtout  à  son  volume  immense.  Comment  un  sol- 
dat pouvait-il  se  battre  ?  à  peine  était-il  en  état  de  se  remuer.  Il  ne 
devait  pas  avoir  les  mouvemens  libres.  D'ailleurs  on  perdait  la  princi- 
pale utilité  du  bouclier ,  qui  parlait  avoir  été  particulièrement  destiné  à 
parer  les  coups  qui  menaçaient  la  tête. 


a6a  Milice 

«  quel  la  Déesse  plaça  cette  tête  ,  qu'on  suppose  encore  avoir  été 
«  ainsi  employée,  pour  donner  plus  de  courage  aux  guerriers,  qui 
«  en  effet  se  croyaient,  en  la  portant,  à  l'abri  de  tout  événement 
«  sinistre;  ensorte  qu'elle  était  pour  eux  une  espèce  d'amulette  . 
«  Les  têtes  de  Méduse  qu'on  voit  sur  les  boucliers  et  autres  armu- 
«  res,  sont  ordinairement  applaties  et  tirées  dans  le  sens  de  leur 
«  largeur,  comme  celle  d'un  visage  qu'on  aurait  écorché.  On  trouve 
*<  une  preuve  de  la  haute  antiquité  de  cet  ornement  dans  la  notice 
«  qui  nous  est  parvenue  sur  le  bouclier,  qu'en  partant  de  Troie, 
«  Ménélas  suspendit  dans  le  temple  d'Apollon  ,  appelé  Branchide 
«  chez  les  Milésiens ,  auquel  il  en  fit  hommage  :  il  y  est  dit  que 
«  Pitagore  le  trouva  réduit  en  putréfaction,  en  ce  qu'il  était  de 
<«  peau  ,  à  l'exception  de  la  tête  de  Méduse  en  ivoire  qui  était  au 
"  milieu.  Cet  ornement  est  blanc  également  dans  les  boucliers  qu'on 
«  voit  représentés  sur  deux  vases  en  terre  cuite  de  la  Bibliothèque 
«  du  Vatican  ,  sans  doute  pour  indiquer  que  cette  partie  de  l'ar- 
(i  mure  présentait  un  ouvrage  en  ivoire  :  .  cet  ouvrage  étant  d'une 
"  matière  différente  que  celle  du  bouclier,  il  est  à  présumer  qu'il 
«  y  était  fixé  par  des  clous  (i).  „ 
Bouclier  Mais  de  tous  les  boucliers  héroïques,  le    plus    célèbre  est   ce- 

lui dont  il  est  parlé  dans  le  XVilï.e  livre  de  l'Iliade,  et  que  le 
poète  feint  d'avoir  été  fabriqué  par  Vulcain  pour  Achille.  Nous 
croyons  à  propos  d'en  donner  le  dessin  à  la  planche  36  ,  en  pre- 
nant pour  guide  la  description  savante  qu'en  a  faite  M.r  Quatremère 
de-Quincy  (2).  Les  événemens  et  les  usages  qui  y  sont  représentés 
n'appartenant  pas  tous  à  l'art  militaire,  nous  n'en  exposerons  les  dé- 
tails que  successivement  et  à  mesure  que  les  occasions  s'en  présenteront 
dans  cet  ouvrage  ,  nous  bornant  pour  le  moment  à  ne  décrire  que 
les  parties  de  ce  bouclier  qui  ont  rapport  à  l'art  militaire  ,  et  à 
ne  faire  que  la  simple  énumération  des  autres.  Ce  ne  sera  pas  nous 
écarter  non  plus  de  notre  but ,  que  de  remarquer  en  passant  les 
questions  presqu'infinies  auxquelles  il  a  donné  lieu  parmi  les  cri- 
tiques et  les  savans.  Ceux  qui  voudront  voir  ce  sujet  traité  à  fond 
pourront  consulter  ,  parmi  un  grand  nombre  d'autres  écrivains , 
Dacier  ,  Pope,  Goguet ,  Caylus,  Cesarotti ,  Lessiugs,  Hancarvilie, 

(1)  "Winckel.  Monum.  ant.  pag.   181. 

(2)  Le  Jupiter  Olympien  ,  ou  l'Art    de  la    Sculpture    antique    etc. 
Paris  ,  De  Bure  Frères  etc.   x8i5.  gr.  in  fol.0 


de    la    Grèce.  a65 

Gébelin ,  et  le  célèbre  Heine  ;  ils  y  trouveront  examinée  aussi  la 
question  de  savoir,  auquel  des  deux  boucliers  d'Homère  et  d'Hé- 
siode on  doit  accorder  la  priorité  de  l'invention  (i).  Nous  ajouterons     Besaription. 

, .  i  i  •  •  l  go1  en  fait 

seulement,  que  ce  boucher  est  extrêmement  important  pour  la  con-  Homère- 
naissance  des  arts  et  des  usages  de  cette  époque  :  car  on  y  voit  à 
quel  point  était  parvenue  chez  les  Grecs  au  tems  d'Homère  la  sculp- 
ture polycrome  ,  ou  l'art  de  graver  sur  les  métaux  de  grandes  com- 
positions ,  et  de  leur  y  donner  une  expression  vive  au  moyen  de 
certaines  couleurs  (a).  Homère  raconte  donc  que    Vulcain   mit   am 

(x)  M.r  Quatremére  prend  argument  de  la  multiplicité  même  des» 
objets  que  présente  le  bouclier  d'Hercule ,  pour  prouver  qu'Hésiode  ,  si 
tant  est  qu'il  en  soit  l'auteur  ,  doit  être  considéré  comme  postérieur  à  Ho- 
mère. «  Les  sujets ,  dit-il  ,  qui  composent  la  presque  totalité  du  bou- 
clier d'Achille,  et  qui ,  comme  on  le  verra  _,  se  bornent  à  huit,  forment 
la  moindre  partie  de  celui  d'Hercule.  L'analyse  graphique  de  ce  dernier _, 
lui  donne  au  moins  vingt  sujets ,  où  il  se  trouve  des  repétitions ,  des  re- 
dondances ,  une  grande  multiplicité  de  ligures  ,  et  un  luxe  d'objets  ac- 
cessoires ,  que  le  dessin  ne  parviendrait  pas  à  réduire  dans  l'espace  pre- 
scrit. Je  ne  sais  si  je  me  trompe  ,  mais  il  me  semble  qu'il  est  dans  l'esprit 
de  l'écrivain  postérieur  d'amplifier  la  matière  plutôt  que  de  la  restreindre  , 
de  mettre  le  plus  à  la  place  du  mieux,,  et  de  donner  en  quantité  ce  qu'il 
ne  peut  donner  en  qualité  ;  d'où  Ton  pourrait  inférer ,  que  des  deux 
descriptions  de  bouclier,  la  plus  nombreuse  en  objets  et  en  détails  doit  être 
la  moins  ancienne  ,  et  que  si  le  bouclier  d'Hercule  est  d'Hésiode  ,  il  sert 
à  prouver  qu'Hésiode  fut  postérieur  à  Homère.  » 

(2)  Je  ne  vois  dans  l'histoire  ancienne ,  dit  Goguet  ,  aucun  fait: 
qui  soit  plus  propre  que  le  bouclier  à"  Achille  à  faire  connaître  l'état  et 
les  progrès  des  arts  dans  ces  tems  reculés.  Sans  pailler  du  mérite  et  de 
la  variété  du  dessin  qui  règne  dans  cet  ouvrage  ,  il  faut  d'abord  con- 
sidérer l'amalgame  des  divers-  métaux  tels  que  le  cuivre  ,  l'ètain  ,  l'ar- 
gent  et  For  qu  Homère  fait  entrer  dans  la  composition  de  ce  bouclier. 
Hem  arquerons  ensuite  que  dès  lors  on  connaissait  l'art  de  représenter 
par  Vaction  du  feu  sur  les  métaux  et  par  le  moyen  de  leur  mélange 
la  couleur  de  chaque  objet.  Ajoutons  à  cela  le  talent  de  la  gravure  et 
de  la  ciselure  ,  et  il  faudra  convenir  que  ce  bouclier  était    un    ouvrage 

extrêmement  compliqué Voyons    néanmoins    si    l'industrie    des 

modernes  nous  fournit  quelqu  ouvrage  qui  puisse  nous  aider  à  compren- 
dre ce  genre  de  composition.  Rappelons  nous  ces  pièces  d'orfèvrerie  qui 
se  f es  aient  il  y  a  quelques  années  ,  et  où  ,  par  le  moyen  de  l'or  et  de 
l'argent  combinés  ensemble  de  diverses  manières  sur  un  champ  plane  et 
uni ,  on  présentait  V image  de  différons  objets.   Tout  l'art  de   ce   travail 


parties. 


264  MurcE 

feu  Varain  dur  }  Vêtain ,  Vor  précieux  et  l'argent  ;  qiCïl  plaça  en- 
suite sur  le  billot  une  grosse  enclume ,  et  saisit  d'une  main  le  mar- 
teau pesant ,  et  de  Vautre  la  tenaille.  Il  commença  par  donner  au 
bouclier  une  forme  ample  et  solide  ,  et  en  travailla  soigneusement 
toutes  les  parties  ;  il  l'entoura  ensuite  d'un  cercle  laminé  ,  à  tri- 
ple rang  ,  et  d'un  éclat  éblouissant  ,  et  y  adapta  une  attache  en 
argent  pour  le  porter.  Ce  bouclier  avait  cinq  plis  ,  et  il  V embel- 
lit de  plusieurs  omemens  faits  avec  autant  d'habileté  que  de  sa- 
gesse. Le  poète  passe  ensuite  à  la  description  de  chacune  des  par- 
ties de  ce  bouclier  ,  ou  plutôt  des  événemens  qui  y  sont  représen- 
tés. Pour  en  rendre  le  sujet  plus  intelligible  ,  nous  suivrons  au 
lieu  du  poète,  M.r  Quatremère  dans  celle  qu'il  en  a  tracée,  en 
observant  pourtant  à  nos  lecteurs  ,  que  dans  la  planche  ci-dessus  , 
les  parties  du  bouclier  sont  exactement  disposées  selon  Tordre  qu'el- 
le* diverses  les  ont  dans  Homère.  Le  n.°  1  représente  la  culture  des  champs  ; 
îe  n,°i  la  moisson;  le  n.°  3  la  vendange;  le  n.°4  les  troupeaux  de 
bœufs;  le  n.°5  les  pâturages  ;  le  n.°  6  la  danse  dédalienne  ;  le  n.°  7 
la  ville  en  paix  (1);  le  n.°  8  la  ville  en  guerre;   le  n.°9  le  ciel;  et 

consistait  dans  un  nombre  infini  de  petites  pièces  rapprochées  et  appli- 
quées sur  la  surface  de  la  pièce  principale  ,  lesquelles  étaient  toutes  gra- 
vées ou  ciselées.  La  couleur  et  les  reflets  de  la  lumière  -produits  par  la 
combinaison  de  ces  métaux  avec  le  dessin  ,  détachaient  en  quelque  sorte 
les  objets  du  champ  de  V ouvrage ,  et  les  fesaient  ressortir  d'eux  mê- 
mes. Telle  est  à-peu-prés  Vidée  qu'on  peut  imaginer  qu  Homère  a  prê- 
tée à  Vulcain  pour  la  fabrication  du  bouclier  d' Achille.  Le  champ  en 
était  en  cuivre  ,  mais  parsemé  de  petites  pièces  de  divers  métaux  ciselées 
et  gravées.  Donnons-en  quelques  exemples.  Si  Fttlcain se  pro- 
pose de  représenter  une  vigne  chargée  de  grappes  de  raisin  noir  ou 
mûr ,  l'or  en  forme  le  tronc  ,  et  ces  branches  ont  pour  appui  des  échalas 
d'argent.  Il  est  probable  que  les  grains  de  raisin  étaient  faits  de  petits 
morceaux  d'acier  poli  et  bien  bruni.  Un  fossé  du  même  métal  entoure 
cette  vigne  ,  et  une  palissade  en  étain  lui  sert  de  haie  ....  Une  sem- 
blable composition  ne  permet  point  de  douter  que ,  du  tems  de  la  guerre 
de  Troie  ,  l'art  de  V orfèvrerie  n'eût  déjà  été  porté  à  un  très-haut  degré 
de  perfection  chez,  les  peuples  de  V  Asie ,  où  Homère  place  toujours  le 
séjour  des  arts  et  des  artistes  célèbres. 

(1)  Parmi  les  sujets  qui  composent  le  n.°  7  ,  on  doit  distinguer  celui 
qui  concerne  proprement  le  Gouvernement,  et  l'administration  de  la  justice. 
De  l'autre  côté  ,  dit  le  poète  ,  le  peuple  se  portait  en  foule  à  la  place. 
Là deux  hommes  se  disputaient  au  sujet  de  l'amende  pour  un 


en  guerre 


de    la    Grec  e.  260 

le  n.°  10  V 'océan.  Mais  comme  nous  ne  devons  nous  occuper  ici  que 
de  ce  qui  regarde  la  milice  ,  nous  allons  rapporter  littéralement 
ce  que  dit  Homère  de  la  ville  en  guerre,  qui  fait  le  sujet  du  n.°  vuie 
8^  L'autre  ville  était  étroitement  cernée  par  deux  armées  qui  V as- 
siégeaient ,  et  dont  les  guerriers  étaient  revêtus  d'armes  éclatantes . 
Le  conseil  des  assiégeans  était  divisé  d'opinions*  Les  uns  voulaient 
que  la  ville  fût  mise  au  pillage ,  les  autres  quon  fît  le  partage  de 
tout  ce  qu'elle  renfermait.  Mais  de  leur  côté  les  assiégés  n'étaient 
pas  disposés  à  se  rendre  ,  ils  se  préparaient  au  contraire  en  secret 
pour  un  coup  de  main.  Les  femmes  et  les  en  fans  étaient  restés  sur 
les  remparts  avec  les  vieillards  retenus  par  l'âge,  pour  en  faire  la 
garde.  Les  autres  s'étaient  mis  en  marche,  précédés  de  Mars  (t  de 
P allas  ,  qu'il  était  aisé  de  reconnaître  à  leurs  vêtemens  tout  brillans 
d'or  ,  à  l'éclat  de  leurs  armes ,  et  surtout  à  la  hauteur  et  à  lu  n  a- 
jesté  de  leur  taille  ,  tandis  que  les  guerriers  étaient  d'une  stature 
un  peu  inférieure.  Arrivés  à  un  lieu  qui  leur  paru  propre  à  C em- 
buscade qu'ils  méditaient  ,  et  qui  était  l'endroit  où  les  troupeaux  ve- 
naient s'abreuver ,  Us  s'y  cachèrent  enveloppés  dans  l'airain  resplen- 
dissant dont  leur  armure  était  faite.  Ils  avaient  à  l'écart  deux  es- 
pions ,  pour  observer  la  marche  des  troupeaux  de  moutons  et  de  bœufs. 
Un  de  ces   troupeaux    vint    en    effet,    suivi   de    deux  pasteurs,  qui 

homme  tué.  L'un  ,  en  s' adressant  au  peuple  ,  soutenait  de  la  lui    a-voir 

payée,  l'autre  au  contraire  le  niait Les  hérauts  contenaient  le 

peuple.  Mais  les  vieillards  étaient  assis  sur  des  pierres  luisantes  dans 
le  cercle  sacré  ,  et  leurs  sceptres  étaient  dans  les  mains  de  ces  hérauts. 
seyant  repris  chacun  leur  sceptre  ,  ils  s'avançaient  et  donnaient  l'un 
après  l'autre  leur  opinion.  Au  milieu  d'eux  il  y  avait  deux  talens  d'or, 
■pour  celui  dont  V avis  serait  trouvé  le  plus  juste.  Ce  passage  offre  trois 
choses  à  remarquer  quanta  l'usage.  La  première  ,  c'est  que  la  justice  n'était 
administrée  que  par  des  -vieillards.  Il  était  bien  naturel ,  dit  M.r  Bitaubé 
d'avoir  recours  à  la  prudence  des  vieillards  ,  dans  un  terris  où  il  n'y 
avait  point  de  lois  écrites  :  maintenant  il  faudrait  y  recourir  par  la 
raison  tout-à-fait  contraire ,  c'est  à  dire -parce  que  nous  en  avons  de 
trop.  La  seconde  remarque  ,  c'est  que  le  lieu  où  se  rendait  la  justice  était 
circulaire  ,  et  regardé  comme  sacré.  Sophocle  l'appelle  le  trône  circulaire 
du  for.  La  troisième  enfin  ,  c'est  que  durant  tout  le  tems  que  les  juges 
entendaient  les  parties,  ils  restaient  assis  et  ne  tenaient  point  leur  sceptre  , 
et  qu'ils  le  reprenaient  des  mains  des  hérauts  lorsqu'ils  se  levaient  pour- 
prononcer  leur  jugement  :  ce  qui  devait  inspirer  au  peuple  plus  de  respect  ' 
pour  l'exercice  de  leur  ministère. 

Europe    Vol.  I.  3/ 


s66  Milice. 

jouaient  de  la  musette ,  ne  se  doutant  nullement  de  Vemhuscade 
qui  les  attendait.  La  troupe  se  jetta  aussitôt  sur  les  bœufs  tar- 
difs et  les  blanches  brebis ,  et  les  ayant  séparés  des  deux  pasteurs  , 
elle  tua  ces  derniers.  Les  assiégeans  qui  étaient  en  conseil  ayant 
entendu  un  grand  bruit  du  côté  des  troupeaux ,  montèrent  de  suite 
sur  leurs  chevaux  au  pied  léger ,  et  se  mirent  à  la  poursuite  des 
aggresseurs  qu'ils  ne  tardèrent  pas  à  rejoindre  (i).  S'étant  arrêtés 
Bataille.  les  uns  et  les  autres ,  il  s'engagea  sur  les  bords  du  fleuve  un  com- 
bat ,  dans  lequel  ils  se  portaient  des  coups  avec  des  lances  d'ai- 
rain. Là  se  trouvaient  la  Rixe  ,  le  Tumulte  et  la  Parque  homicide 
qui  ranimait  la  vie  d'un  guerrier  blessé  ,  qui  en  tenait  un  autre 
non  encore  atteint,  et  en  traînait  par  les  pieds  un  troisième  tué 
au  milieu  du  carnage  ;  ses  épaules  étaient  enveloppées  d'un  vête- 
ment souillé  du  sang  des  guerriers.  Ces  spectres  se  mouvaient  mm-, 
me  des  êtres  vivans ;  ils  combattaient  et  entrainaient  avidement  avec 
eux  les  cadavres  de  ceux  qui  périssaient  dans  la  mêlée.  Le  Lut 
de  cet  ouvrage  ne  nous  permet  pas  de  nous  arrêter  sur  les  beautés 
poétiques  dont  cette  description  est  remplie;  nous  remarquerons 
seulement  qu'elle  pourrait  fournir  à  un  peintre  le  sujet  d'une  grande 
et  terrible  composition. 
justification  Peut-être  que  quelques-uns  de  nos    lecteurs  trouveront   étrange 

les  éditeurs  au        ,       -i  ,      ,  ,         ,•> .   1  ..  -.       ,  ,  ,  , 

sujet  de  cetu  et  déplacée  1  idée  que  nous  avons  eue  de  leur  donner  une  planche, 
pianc ie.  fo^  aucun  monument  de  l'antiquité  ne  nous  a  fourni  le  modèle. 
Nous  leur  répondrons  par  les  deux  observations  suivantes;  la  pre- 
mière ,  c'est  qu'au  défaut  absolu  de  monumens  on  est  bien  forcé 
de  recoprir  aux  écrivains,  et  de  chercher  dans  leurs  ouvrages  le 
costume  des  tems  où  ils  vivaient.  Or  l'Iliade  et  l'Odyssée  ne  doi- 
vent pas  être  seulement  considérés  comme  des  poèmes ,  mais  encore 

(i)  Quelques  érudits  ont  cru  pouvoir  conjecturer  de  ce  passage ,  que 
dès  la  guerre  de  Troie  on  connaissait  l'usage  de  la  cavalerie  proprement 
dite.  Mais  les  commentateurs  observent  que  le  mot  i<p'  ^w»  qui  yeut  dire 
sur  les  chevaux  ,  doit  être  pris  pour  une  synecdoche  selon  la  coutume 
d'Homère  ,  et  que  par  conséquent  il  ne  faut  pas  entendre  par  ce  mot  des 
chevaux  ,  mais  bien  des  chars.  V.  Heyne  Var.  lect.  et  Obss.  ad  Iliad. 
liv.  XVIII.  v.  53:}.  M.r  Quatremère  prenant  également  à  la  lettre  l'ex- 
pression  dont  se  sert  Homère,  fait  aussi  entrer  dans  le  bouclier  d'Achille 
des  cavaliers  au  lieu  de  chars  :  ce  qu'avait  fait  de  même  Boivin  avant  lui. 
Nous  n'avons  pas  cru  devoir  corriger  la  composition  de  M.r  Quatremère  sur 
celle  de  notre,  planche  ,  persuadés  que  nous  avons  suffisamment  remédié 
à  cet  anachronisme    par    l'observation  que  nous  en  fesons  à  nos  lecteurs-. 


delà    Grèce.  2,67 

comme  l'histoire  des  opinions,  des  usages,  des  arts,  des  sciences  et 
des  mœurs  propres  au  teros  d'Homère,  ou  dont  la  tradition  avait 
jusques  là  perpétué  le  souvenir.  C'est  pourquoi  le  poète  que  nous  avons 
cité  plus  haut ,  donne  avec  raison  à  l'immortel  auteur  de  ces  deux  poè- 
mes le  nom  de  ,  Premier  peintre  des  relations  historiques  de  l'antiquité. 
Pourquoi  ne  uous  serait-il  donc  pas  permis  de  suppléer  au  manque 
de  monumens,  et  d'emprunter  les  secours  du  dessin ,  de  la  gravure , 
et  de  la  peinture,  pour  la  représentation  des  ohjets  ou  des  choses , 
dont  le  poète  nous  offre  non  seulement  la  description,  mais  encore 
pour  ainsi  dire  le  modèle?  Et  n'est-ce  pas  ainsi  qu'ont  fait  Flax- 
man  ,  Bartolozzi ,  Tischbeîn  et  une  foule  d'autres  artistes  renommés , 
tant  d'Italie  qu'ultramontains  ?  La  seconde  observation,  c'est  que  les 
monumens  même  que  nous  avons  concernant  des  faits  qui  ont  eu 
lieu  durant  la  guerre  de  Troie  ,  appartiennent  à  des  tems  posté- 
rieurs au  siècle  d'Homère;  de  sorte  que  les  auteurs  de  ces  ouvrages 
n'ont  fait  que  suivre  les  traces  du  poète  dans  la  représentation  des 
événemens  historiques  qu'ils  y  ont  figurés.  Nous  ne  croyons  donc 
pas  qu'on  puisse  nous  faire  un  reproche,  d'avoir  voulu,  à  leur 
exemple,  donner  la  description  graphique  de  certains  faits,  dont 
l'antiquité  ne  nous  a  laissé  aucun  monument. 

Les  armes  dont  nous  avons  fait  mention  jusqu'à  présent,  n'é-  -*■«« 
taieot  à  proprement  parler  que  défensives:  il  nous  reste  mainte-  °Jfenswes' 
liant  à  discourir  des  armes  offensives.  Anciennement,  les  peuples 
ne  se  servaient,  pour  attaquer,  que  des  armes  que  leur  fournissait  la 
nature,  telles  que  les  pierres,  les  massues,  le  feu,  les  cornes  et 
les  ongles.  On  ne  connaissait  pas  alors  ces  machines  fatales ,  dont 
une  cruelle  nécessité,  et  la  coupable  soif  de  l'or  et  de  la  gloire 
firent  inventer  l'usage.  C'est  ce  qui  a  fait  dire  à  Horace,  en  par- 
lant de  ces  tems  reculés , 

Unguibus  et  pugnis.,  dein  fustibus,  atque  ita  porro 
Pugnabant  armis ,  quae  post  fabrlcaçerat  usus  (1). 

11  est  encore  un  autre    passage  très-connu  dans  le  V.e  livre  de  Lu- 
crèce 3  où  ce  poète  s'exprime  ainsi  : 

Arma  antiqua  m,anus ,  ungues  ,  dentesque  fucre  , 
Et  lapides,  et  item  siharum  fragmina  ,  rami , 
Et  jlammae  ,  atque  ignés  .  , 

(1)  Sermon,  liv.  I.  sat.  III. 


a68  Milice 

Massue.  Ainsi  la  massue  est  l'arme  propre  des  héros  appartenans  aux  tems 
fabuleux,  et  la  plus  ancienne;  l'antiquité  de  son  origine  est  peut- 
être  ce  qui  l'a  fait  prendre  pour  signe  emblématique  de  la  tragé- 
die ,  comme  on  le  voit  souvent  dans  les  monumens.  Cette  arme  était 
tantôt  de  cuivre,  ou  de  fer,  et  tantôt  garnie  de  pointes,  surtout  à 
son  extrémité.  Telle  est  la  massue  que  tient  dans  sa  main  droite 
une  statue  de  Mars  transportée  d'une  peinture  antique  dans  les  mo- 
numens de  Winckelmann  :  voy.  le  n.°  3  de  la  planche  38.  De  fer 
était  aussi  celle  d'Aréitoùs  ,  surnommé  dans  Homère  le  clavigère,, 
parce  qu'il  ne  fesait  usage  d'aucune  autre  arme  que  de  la  massue  (i). 
Mais  depuis  que  la  nature  a  dû  céder  aux  efforts  d'une  sagacité 
ingénieuse  et  barbare  }  dans  l'art  de  créer  de  nouveaux  instrumens 
pour  moissonner  la  vie  des  hommes,  la  massue  a  fait  place  aux 
lances,  aux  dards,  aux  épécs,  aux  flèches  et  aux  javelots. 

p^ue  ou  lance.  Dans  la  pique  ou  la  lance,  nous  avons  deux  parties    à    distin- 

guer ;  la  première  ,  c'est  le  fut  qui  était  de  bois ,  et  le  plus  sou- 
vent de  frêne.  C'est  pour  cela  que  Pline,  en  parlant  de  cet  arbre, 
dit:  Procera  haec  ac  turcs,  pennata  et  ipsa  folio ,  multumque  Ho~ 
mcri  praeconio  ,  et  Jchillis  hasta  nobilitata  (a).  La  seconde  est  la 
cime  qui  était  en  cuivre,  ayant  la  figure  d'un  dard,  ou  pour  mieux 

j)çuiie  peinte,  dire,  de  deux  pyramides  tronquées,  jointes  ensemble  par  la  base, 
dont  les  côtés  étaient  tranchans,  et  le  sommet  très-aigu.  Du  tems 
d'Homère  cette  arme  avait  quelquefois  deux  pointes,  l'une  à  cha- 
que bout  du  fût ,  avec  cette  différence  pourtant  ,  que  celle  d'en 
bas  était  plus  étroite  et  moins  longue  que  celle  d'en  haut.  Voy.  le 
n.°  9  de  la  planche  35  ,  où  est  représentée  une  lance  des  tems 
d'Homère,  prise  des  monumens  de  Winckelmann.  La  pointe  d'en  bas 
servait  à  ficher  la  lance  enterre  après  le  combat  (3).  Quelquefois  le 
guerrier  agitait  sa  lance  en  plusieurs  sens  de  manière  à  frapper  avec 
ses  deux  pointes  (4)-  La  lance  levée,  droite,  et  comme  immobile 
était  le  signal  pour  parlementer,  ou  demander  une  suspension  d'ar- 
mes (5).  Néanmoins  la  lance  ordinaire,  c'est  à  dire  celle  des  sim- 
ples soldats,  n'avait  pas  de  pointe  à  son  extrémité  inférieure,  ainsi 

(i)  Iliad.  VII.  i36  et  suiv.. 

(2)  PUn.  Hlstor.  liv.  XVI,  chap.  XIIJ. 

(5)  Iliad.  X.  v.   *5i. 

(4)  Iliad.  XV.  v.  278. 

H)  Iliad.  III.  v.  77  e  VII.  v.  54. 


de    la    Grèce,  269 

qu'on  le  voit  au  n.°  10  de  la  planche  35,  (pi  est  pris    des   monu- 
mens  de  Winckelmann.  Outre  tout  ce  que  nous  venons  de  dire  des 
lances  en  général  ,  il  est  encore  à  remarquer  que  les  anciens  écri- 
vains en  distinguent  de  deux  sortes;  les  unes  servaient  à  combattre 
de  près .,  et  les  Àbans  (1)  sont  célèbres  dans  Homère  par  leur  adresse 
à  les  manier;  les  autres  se  lançaient  de  loin    contre    l'ennemi,    et 
peuvent  se  ranger  par  conséquent  dans  la  classe    des   dards  et    des        D"râ. 
javelots.  Et  en  effet  il  est  parlé  dans  le  VIII.6    livre    de   l'Odyssée 
d'un  certain  Thrasoa ,  qui  se  vantait  d'être  plus  sûr  d'atteindre  un 
Lut  avec  sa  lance,  qu'aucun   autre  ne  pût  le  faire  avec  une  flèche. 
Mais  il  n'est  pas  facile  d'indiquer  la  différence  qu'il  y  avait  entre 
ces  deux  espèces  de  lances.    Il    parait    que    celles-ci  étaient   moins 
longues,  plus  légères  et  sans  pointe  au  talon.  Cette  espèce  de  dard 
ou  javelot  était  quelquefois  attaché   vers  le  milieu  à    une  corde  ou 
courroie,  pour  donner  plus  de  facilité  à  le  lancer.  Voy.  le  n.°  11  de  la 
planche   35  pris  des  vases  Grecs  de  ïischbein.  Les  héros  de  la  guerre 
de  Troie  en  portaient  ordinairement    deux.    La    lance    proprement 
dite  ne  dépasse  guères  dans  les  monuraens  la  tête  du  guerrier.  Ainsi 
sa  longueur  ordinaire  pouvait  être  d'environ  un  mètre  et  95  c. ,   ou      Longueur 
de  deux  mètres  et   11   c.  ,  c'est-à-dire  de  six  pieds,  à   six  pieds  et     delala»c3' 
demi  (2,).  On  voit  pourtant  aussi  des  lances  fort-lougues,  dont  l'usage 
était  particulier  aux  guerriers  qui  combattaient    sur    des  chars;   et 
telles  étaient,  à  ce  qu'il  semble,  celles  dont  se  servirent  les  Grecs 
pour  défendre  leurs  vaisseaux,  et  qu?on  appelait  pour  cela  novrôi  (3). 
Il  y  en  avait  aussi  -d'extrêmement  pesantes  ,  et  de  ce  nombre  était 
celle  d'Achille,  qui,  au  rapport  d'Homère,  ne  pouvait  être  maniée 
par  ancun  autre  héros  (4)-  Les  combats  s'engageaient  ordinairement 
à  la  lance  ,  et  les  guerriers  ne  se  servaient  de  leur  épée   que  lors- 
que la  première  s'était  brisée  ,  ou  après  l'avoir  lancée  contre  l'ennemi. 

L'épée  n'était  pas  plus  longue  que  le   bras  d'un  homme.    Elle         fyfy 
allait  en  s'élargissant  un  peu  vers  les  deux  tiers  de  sa  longueur ,  et 

0)  lliad.  IL  y.  544. 

(2)  V.   gncyclop.  méthod.  Antiq.  PI.  f.  I-  pag.  5i. 

(3)  Du  verbe  xovteÎv  }  qui  veut  dire,  pousser  le  navire  pour  le  faire 
aller  en  avant. 

(4)  En  tems  de  paix  la  lance  se  gardait  soigneusement  dans  un  étui, 
ou  dans  une  armoire.  On  lit  dans  le  premier  livre  de  l'Odyssée,  v.  529, 
que  Télémaque  ayant' pris  la  lance  de  Minerve,  la  mit  dans  une  belle 
armoire,  qui  renfermait  d'aujres  lances  à'Uljsse  le  souffrant. 


^7©  Milice 

se  terminait  en  une  pointe  peu  aiguë.  Telle  est  la  forme  qu'a  celle 
des  héros  Grecs,  dans  les  peintures  des  vases  antiques  et  dans  les 
bas-reliefs:  Voy.  les  n.os  4  et  5  de  la  planche  33;  on  pouvait  s'en 
Garde.  servir  pour  frapper  d'estoc  et  de  taille.  La  garde  se  terminait 
par  un  pommeau,  qu'on  appelait  f»»arç<r*  qui  veut  dire  champi- 
gnon, parce  qu'il  en  avait  le  plus  souvent  la  ligure  (1),  ainsi  que 
le  bout  du  fourreau,  qu'on  désignait  aussi  sous  ce  nom.  Ce  four- 
reau était  d'une  largeur  partout  égaie.  Le  n.°  12,  de  la  planche 
35  représente  une  épée  dans  son  fourreau  :  Winckelmann  l'a  co- 
pié d'une  pierre  antique,  sur  laquelle  ce  savant  antiquaire  croit 
voir  Achille  retiré  dans  son  camp.  On  y  aperçoit  cette  épée  accro- 
chée au  tronc  d'un  arbre.   Les  héros  la    portaient    suspendue    à   un 

Baudrier,  baudrier  qui  leur  passait  par  dessus  une  épaule.  Elle  leur  pendait 
ainsi  sous  l'aiselle  gauche  dans  une  position  fort-peu  inclinée,  en- 
sorte  que  la  garde  touchait  la  mamelle  du  même  côté.  Le  ceintu- 
ron était  une  espèce  d'écharpe  ,  ou  même  une  simple  bande  de 
cuir,  comme  il  semble  qu'était  celui  de  l'épée,  dont  Achille  fit 
présent  à  Dioméde  (3).  Cette  écharpe  était  nouée  par  un  des  bouts 
vers  le  bord  ou  l'ouverture  du  fourreau  ,  et  s'y  rattachait  par  l'au- 
tre bout,  après  avoir  passé  par  dessus  l'épaule  droite.  C'est  ainsi 
que  les  guerriers  portent  ordinairement  l'épée  dans  les  statues  an- 
tiques,  et  Winckelmann  en  prend  argument  pour  recommander 
aux  artistes  de  ne  point  s'écarter    de    cet    usage    (3).    Au    fourreau 

Poignard.  était  encore  souvent  suspendu  un  poignard,  dont  les  Grées,  à  ce 
qu'il  semble  ,  se  servaient  rarement  dans  les  combats ,  et  qui  plu- 
tôt leur  tenait  lieu  de  couteau  pour  leurs  besoins  particuliers  :  on 
en  trouve  un  exemple  dans  le  III.6  livre  de  l'Iliade  où  il  est  dit, 
qu'Atride  ayant  tiré  avec  ses  mains  le  couteau  qu'il  portait  toujours 
pendu  au  fourreau  de  son  épée ,  il  coupa  le  poil  de  la  tête  des 
agneaux.  Il  n'est  guères  facile  de  déterminer  la  forme  de  ces  poi- 
gnards, à  cause  de  la  petitesse  des  dimensions  qu'ils  ont  dans  les 
monumens  ,  et  de  la  peine  qu'on  a  à  les  y  distinguer.  Homère  dit 
dans  le  XV. e  livre  de  l'Iliade,  que  tes  beaux  couteaux  dont  les 
Grecs  et  les  Troyens  firent  usage  dans  le  combat  qu'ils  se  donné- 

(1)  V.  Winckelmann.  Mon.  ont.  pag.   167  chap.  VIII. 

(2)  Iliad.  XXIII.  v.  8a5. 

(3)  Il  faut  lire  encore  Montfaucon  sur  l'origine  de  l'épée ,  et  la  ma- 
nière dont  la  portaient  les  Grecs  ,  Anùq.  expl.  T.  IV.  ,  pag.  58  et  suiv. 


de    la    Grèce.  371 

rent  près  des  vaisseaux ,  avaient  le  manche  noir  et  un  pommeau.  Il 
fait  encore  mention  au  même  endroit  ,  des  haches  à  un  où  deux  à  J^f"f[iï 
tranchans ,  et  distingue  clairement  les  unes  des  autres.  Les  premiè-  tranches. 
res  l'avaient  simple  ,  et  les  secondes  double.  Le  n.°  6  de  la  plan- 
che 38  présente  l'image  d'une  de  ces  dernières ,  avec  un  long  man- 
che ;  elle  est  prise  des  Monumens  antiques  de  Winckelmann.  Celle 
du  n.°7  à  manche  court,  est  copiée  des  monnaies  de  Ténédos, 
auxquelles  elle  servait  de  type  (1).  Nous  nous  bornerons  à  ce  peu  de 
mots  sur  les  haches,  parce  que  leur  usage,  ainsi  que  celui  des  mar~ 
teaux  tant  simples  que  doubles  ,  n'était  pas  seulement  propre  aux 
Grecs,   mais  encore  aux  Amazones,  et  autres  peuples  barbares. 

Il  nous  reste  maintenant  à  parler  des  arcs ,  des  flèches  et  des 
carquois,  objets  dont  nous  ne  dirons  que  fort-peu  de  chose,  parce 
qu'ils  sont  très-connus  ,  et  que  leur  forme  est  commune  à  ceux  de  pres- 
que tous  les  peuples  anciens.  Nous  voyons  que  les  Grecs  se  servaient 
particulièrement  de  deux  espèces  d'arc  ;  la  première  était  l'arc  Arcs, 
scythique  ,  qu'Hercule,  selon  la  tradition,  avait  reçu  de  Teutar 
berger  de  Scythie  (a).  Il  était  très-courbé  à  ses  extrémités  et  peu 
au  milieu  ,  ce  qui  lui  donnait  en  quelque  sorte  la  forme  de  la  let- 
tre 2  5  ou  du  sigma  des  Grecs.  Et  en  effet  on  lit  dans  Athénée, 
qu'un  berger  ,  pour  désigner  les  lettres  qui  composaient  le  mot  Thésée  , 
dit  que  la  troisième  ressemblait  à  l'arc  d'un  Scythe.  Tel  est  pré- 
cisément l'arc  qu'on  voit  au  n.°  8  de  la  planche  38,  qui  est  pris 
d'une  pierre  précieuse  du  musée  de  Florence  (3),  où  Hercule  est 
représenté  tuant  à  coups  de  flèches  les  oiseaux  stymphales^  c'est 
aussi  la  forme  de  celui  que  tient  encore  ce  héros,  dans  deux  anciens 
bas-reliefs  de  la  maison  de  plaisance  Albani.  Les  arcs  de  la  seconde 
espèce  étaient  légèrement  courbés  à  leurs  extrémités,  et  si  peu  au 

(  1  )    Gessn.  I.    Tab.  70,  ,  n.°  7. 

(2)  Lycopliron ,  Cassand.  v.  56  et  gi  5.  Theocriti  Scholiastes. 
îdyll.  XIII.  Certains  auteurs  sont  d'avis  que  l'arc  Scythique  avait  la  forme 
d'un  demi  cercle  >  et  allèguent  pour  raison  que  l'ancien  sigma  des  Grecs 
s'écrivait  comme  un  G  ;  mais  dans  le  marbre  sigée  rapporté  par  Chishul , 
et  qui  est  de  la  plus  haute  antiquité ,  le  sigma  est  tracé  comme  une  li- 
gne sinueuse  ,  ou  comme  le  sigma  moderne  ,  et  ressemble  par  conséquent 
à  l'arc  qu'a  Hercule  dans  les  monumens.  Ajoutons  à  cela  que  le  Pont- 
Euxin  a  été  comparé  par  les  anciens  à  un  arç  Scythique,  à  cause  de  l'ir- 
régularité tortueuse  de  ses  rivages. 

(3)  Mus.  Flor.   Gemmae.  Vol.  I.  Tab.  38,  n.°  1. 


af&  Milice 

milieu,  que  souvent  ils  ne  s'écartaient  guères  de  la  lio-ne  droite. 
Tel  est  en  général  l'arc  d'Apollon,  comme  ont  le  voit  par  celui 
du  n.°  9  de  la  planche  38,  qui  est  pris  de  la  statue  capitoline  de 
Leur  madère,  ce  Dieu  ,  citée  aussi  par  Winckelmann.  Les  arcs  étaient  faits  en 
bois  ,  et  quelquefois  de  cornes  de  chèvre  ,  suivant  l'ancien  usage 
des  Scythes:  celui  de  Pandare  ,  dont  on  trouve  la  description  dans 
le  lV.e  livre  de  l'Iliade,  était  en  corne;  mais  les  bouts  de  l'arc  où 
€orde.  s'attachait  la  corde  étaient  ordinairement  en  or.  La  corde  était  faite 
de  crins  de  cheval,  comme  on  peut  le  voir  dans  Esichius,  ou  de 
nerfs  de  bœuf  coupés  dans  leur  longueur  en  filamens  très-minces  (i). 
Pour  bander  l'arc  on  tirait  la  corde  vers  la  mamelle  droite,  à  la 
manière  des  Amazones,  tandis  que  de  nos  jours,  dit  Eustase  ,  on 
la  tire  vers  l'oreille  droite.  Telle  est  en  effet  l'attitude  qu'Homère 
donne    à   Pandare ,    lorsqu'il    le    représente    décochant    une    flèche 

Flèches.  contre  Ménélas.  Les  flèches  étaient  de  jonc  ,  ou  d'un  bois  très-léger. 
On  y  distingue  deux  parties  ,  savoir;  la  pointe  qui  était  le  plus 
souvent  en  cuivre  ,  et  armée  de  petites  dents,  ou  crochue;  et  le 
bout  opposé  ou  talon,  par  lequel  la  flèche  se  lançait,  et  qui  était 
garni  de  plumes  en  guise  d'ailes  ,  pour  donner  à  la  flèche  plus  de 
force  et  de  vitesse ,  et  empêcher  qu'elle  ne  déviât  dans  son  vol. 
Voy.   le  n.°   io  de   la  planche   38  ,    pris    de    celle    qui  a  le  n.°  77 

Carquoh.  dans  le  II.e  vol.  des  vases  de  Mil  lin.  Les  carquois  étaient  chez  les 
anciens,  de  matières  et  de  formes  si  diverses,  qu'il  serait  trop  dif- 
ficile de  vouloir  désigner  dans  ce  nombre  ceux  qui  étaient  parti- 
culiers aux  Grecs.  Il  en  est  de  ronds ,  et  qui  se  terminent  en  pointe 
avec  différentes  sortes  d'ornemens  :  d'autres  ont  un  couvercle  qui 
recouvre  les  flèches;  plusieurs  ressemblent  à  un  obélisque  dressé  sur 
son  sommet  ;  enfin  on  en  voit  qui  renferment  x  non  seulement  les 
flèches  3  mais  l'are  lui  même,  et  sont  faits  en  forme  de  bourse. 
Voy.  le  n.°  11  de  la  planche  ci-dessus,  représentant  le  carquois 
de  Philotecte  ,  d'après  une  pierre  précieuse  du  musée  Stoschiano. 
Le  carquois  se  portait  avec  l'arc  sur  l'épaule.  C'est  ainsi  qu'Ho- 
mère ,  dans  le  I.er  livre  de  l'Iliade  ,  fait  descendre  de  l'Olympe 
Apollon  d'un  air  plein  de  dépit,  portant  sur  son  épaule  son  arc 
et  son  carquois  fermé  de  tous  côtés.  Ce  poète  fait  encore    mention 

Frondes.      des  frondes  (2),  qui  étaient  en  laine,  et  assez    semblables   aux  nô- 


(1)  Iliad    IV.  v.   122. 

(2)  Iliad,  XIII.  Y.  69,9. 


de    l  a    Grèce.  a^S 

très:  car  les  Grecs  donnaient  le  nom  de  fronde  au  diadème,  dont  la 
partie  du  milieu  se  relève  sur  le  front  a  comme  était  celai  de  Ju- 
non  (i).  Enfin  les  héros  fesaient  encore  usage  de  pierres  ,  qu'ils  Pierres. 
lançaient  avec  une  force  capable  de  briser  l'armure  et  les  membres 
de  l'ennemi.  Homère  dit  qu'elles  étaient  quelquefois  d'une  gros- 
seur si  énorme  ,  que  deux  hommes  de  son  tems  n'auraient  pu  les 
porter  (a). 

Il  est  aisé  de  voir  ,  par  tout  ce  que  nous  venons  d'exposer ,  que       Matière 

,  -,  ,    ,  ,  .  ,       -,  «T-r  .  •      -t.  des  armas. 

les  armes  des  héros  étaient  en  cuivre  ,  métal  qu  Homère  indique  Cuwre. 
presque  toujours  pour  être  la  matière  dont  elles  étaient  faites.  Hé- 
siode dit  aussi  qu'elles  étaient  de  ce  métal ,  dont  on  fesait  encore 
usage  dans  la  construction  des  maisons,,  parce  que  le  fer  n'était  pas 
connu  (3).  Pausanias  en  offre  une  foule  d'exemples ,  qu'il  est  inu- 
tile de  rapporter  ici.  Plutarque  dit,  dans  la  vie  de  Thésée,  que  Ci- 
mon  fils  de  Miltiade,  trouva  dans  le  tombeau  de  ce  héros  à  Saros 
ses  armes  d'airain  (4)  parmi  ses  ossemens.  A  l'appui  de  toutes  ces 
observations  ou  peut  encore  citer  ces  deux  vers  de  Lucrèce  : 

Posterius  ferri  çis  est  aerisque  reperla  ; 

Sed  prlus  aeris  erat }  quarn  ferri  cognilus  usus. 

Homère  parle  aussi  en  plusieurs  endroits  de  l'étain.  Ce  métal  com-        Eudlu 
posait  en  partie  la  cuirasse  d'Agamemnon ,  dont  le  poète  donne  la 
description  dans  le  XI.e  livre  de  l'Iliade  ;    et  c'était    également  la 

(i)  Encycl.  mëth.  Antiq.  PL  vol.  I.  pag.  33. 

(2)  Iliad.  V.  v.  3o2.  Relativement  à  la  force  extraordinaire  et  à  la  vi- 
gueur des  héros  Grecs ,  il  faut  lire  les  belles  et  savantes  Observations  sur 
certain^  passages  d'Homère  par  le  Chevalier  L.  Lambertiy  pag  68  et  suiv. 

(3)  Oper.  et  Dier.  v.   149. 

(4)  Ce  serait  néanmoins  s'abuser,  que  de  croire  d'après  cela  que  l'usage 
du  fer  n'était  nullement  connu  du  tems  d'Homère  :  car  en  parlant  du 
bruit  que  le  pieu  enflammé  fit  dans  rœil  d'Ulysse  ,  le  poète  ,  (  v.  3go  et 
suiv.  du  IX.  liv.  de  l'Odyssée  )  ,  le  compare  au  bruissement  d'une  Mche 
rouge  que  le  forgeron  plonge  dans  l'eau  ,  et  il  ajoute  que  telle  est  pré- 
cisément la  force  du  fer ,  en  se  servant  du  mot  <nJip<>v ,  qui  est  le  nom 
de  ce  métal  dans  la  langue  Grecque.  Mais  alors  il  devait  être  encore 
fort  rare ,  comme  nous  le  ferons  voir  ailleurs  ;  et  peut-être  servait-il 
plus  à  la  fabrication  des  instrumens  de  l'agriculture  et  des  métiers,  qu'à 
faire  des  instrumens  de  guerre  :  car  il  serait  bien  possible  que  le  poète 
n'eût  voulu  faire  allusion  ici  qu'à  une  hache  particulière  aux  forgerons 
ou  aux  agriculteurs. 

Europe.  Vol.  I.  32 


274  M  I  L  I  C  B 

matière  dont  étaient  faits  les  jambards  que  Vulcain  fabriqua  pour 
Or;  argent.  Achille.  L'or  et  l'argent  étaient  aussi  employés  à  relever  l'éclat 
des  armes ,  ainsi  que  nous  l'avons  vu  plus  haut  ;  mais  les  guerriers 
qui  portaient  des  armures  faites  de  ces  métaux  précieux ,  sont  dé- 
signés comme  des  hommes  mous  et  efféminés.  Ainsi  Homère  ,  dans 
le  ii. e  livre  de  l'Iliade,  compare  à  une  femmelette  Amphimaque 
qui  était  venu  au  siège  de  Troie  avec  des  armes  tout  éclatantes  d'or. 
Guerriers  Nous  terminerons  cette  partie  de  l'art  militaire  par  la  planche  89, 
où  sont  représentés  deux  chars  d'une  forme  semblable  à  celle  que  nous 
avons  décrite  à  la  pag.  348.  Cette  planche  est  l'ouvrage  de  M.r  Ange 
Monticelli  ?  peintre  auquel  nous  avons  beaucoup  d'obligations  3  qui 
Fa  copiée,  avec  son  talent  ordinaire,  sur  les  vases  antiques  d'Ha- 
milton ,  et  les  monumens  de  Winckelmann.  On  y  voit  les  bou- 
cliers selon  l'usage  des  tems  héroïques,  ayant  une  courroie  lon- 
gue et  coulante ,  avec  laquelle  les  guerriers  pouvaient  se  les  sus- 
pendre au  cou ,  ou  le  rejeter  derrière  leurs  épaules.  Les  chars  y 
sont  représentés  sous  deux  aspects ,  l'un  de  front ,  et  l'autre  par 
derrière ,  pour  qu'on  puisse  mieux  voir  la  manière  dout  on  y  mon- 
tait ,  et  la  position  dans  laquelle  y  étaient  les  combattans.  Le  peintre 
a  feint  qu'un  des  chevaux  s'est  abattu ,  pour  qu'on  pût  distinguer 
plus  aisément  Je  timon.  Le  lecteur  trouvera  dans  cette  planche  à 
se  former  une  idée  précise  des  différentes  armures,  des  brides  des 
chevaux ,  du  timon  des  chars ,  ainsi  que  de  tous  les  autres  objets 
qu'elle  renferme ,  et  qui  y  sont  représentés  avec  la  plus  grande 
clarté. 

Milice  des  Grecs  dans  les  tems  historiques. 

L'esprit  militaire  des  Grecs ,  dans  les  tems  héroïques ,  ne 
différait  pas  beaucoup ,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  remarqué ,  de 
celui  de  nos  chevaliers  errans;  et  la  tactique  militaire  n'avait  pas 
encore  fait  de  grands  progrès  à  cette  époque  ,  car  l'issue  des  ba- 
tailles y  dépendait  plus  de  la  valeur  des  combattans,  que  de  l'art 
La  Grèce  et  de  l'habileté  des  chefs.  Mais  peu  de  siècles  après  la  guerre  de 
de  Tactique.  Troie ,  la  Grèce  vit  se  former  dans  son  sein  une  foule  de  guerriers, 
aussi  distingués  par  leurs  taîens  militaires  que  par  leur  valeur,  et 
qui ,  au  rapport  de  Plutarque  dans  la  vie  de  Timoléon ,  étaient 
recherchés  dans  les  armées  des  autres  nations.  Du  reste  des  peuples 
crui  étaient  allés  à  la  guerre  de  Troie ,  il  se  forma  un  grand  nom- 


de    la    Grèce.  275 

bre  de  petites  républiques,  qui,  bien  que  pressées,  pour  ainsi  dire, 
les  unes  contre  les  autres ,  n'en  avaient  pas  moins  des  lois  et  des 
constitutions  différentes.  L'esprit  de  rivalité  qui  s'ensuivit,  excitait 
quelquefois  entre  elles  des  guerres  sanglantes  pour  la  moindre  cause. 
L'occupation  d'un  bourg,  d'un  champ,  d'une  plage  devenait  le 
sujet,  non  seulement  d'une  querelle,  mais  de  combats  opiniâtres. 
A  ces  dispositions  hostiles  se  joignait  encore  l'amour  de  la  patrie,  qui,  ci/ïa°Zirie. 
dans  les  tems  historiques,  était  devenu  chez  les  Grecs  une  manie 
plutôt  qu'un  sentiment  vertueux.  Elevés  dès  l'enfance  dans  l'art  mi- 
litaire, et  les  guerres  continuelles  qu'ils  se  fesaient  leur  fournissant 
l'occasion  de  s'y  exercer  toujours  d'avantage  ,  ils  ne  tardèrent  pas 
à  surpasser  tous  les  autres  peuples  ,  non  seulement  en  tactique  ,  en 
discipline  et  en  expérience,  mais  encore  en  audace  et  en  cou- 
rage. Faut-il  s'étonner  après  cela  qu'une  poignée  d'hommes  belli- 
queux, ait  souvent  battu  des  armées  nombreuses  et  fourmidables?  De 
tous  les   peuples  de  la  Grèce,    les    Spartiates    furent    celui  qui    se       Ardeur 

d.    .  .  1  ,  ...,.,.  .     ,  ...  guerrière 

istingua   le  plus  par  son  esprit  militaire  :  aussi  toutes  ses  institutions  des  Spartiates. 

et  ses  lois  avaient  elles  la  guerre  pour  objet ,  et  il  comptait  autant 
de  soldats  que  de  citoyens  (1).  Ce  n'est  pourtant  pas  à  dire  pour 
cela  qu'ils  courussent  témérairement  au  devant  des  dangers  et  de 
la  mort;  mais,  dit  Plutarque  dans  la  vie  de  Pelopidas,  il  leur  était 
également  agréable  de  vivre  ou  de  mourir,  pourvu  que  l'un  ou  Vau- 
tre eût  un  motif  louable,  ainsi  que  V atteste  cet  Epicéde  ,  où  l'ora- 
teur s'exprimait  ainsi  :  Ils  moururent  ;  et  la  vie  comme  la  mort  ti' avait 
de  prix  à  leurs  yeux  ,  qu 'autant  quelles  étaient  alliées  l'une  et 
l'autre  à  la  vertu.  Lycurgue  fit  preuve  d'une  grande  sagacité ,  lors-  &;ence 
qu'il  voulut  que  les  jeunes  gens  ne  fussent  pas  seulement  exercés  desXarZtes.. 
au  maniement  des  armes  ,  mais  encore  qu'ils  apprissent ,  dans  ces 
assemblées  populaires  dont  il  fut  l'instituteur ,  toutes  les  ruses  de  la 
guerre  ,  et  la  science  difficile  de  bien  couduire  une  armée:  c'est 
pourquoi  les  Lacédémoniens  ,  dit  encore  Plutarque ,  plus  habiles 
qu' 'aucune  autre  peuple  dans  l'art  de  la  guerre,  s'exerçaient  par- 
ticulièrement à  ne  pas  se  désunir  et  se  confondre  lorsque  leur  or- 
dre de  bataille  venait  à  être  rompu,  et  à  savoir  faire  en  mê- 
me tems  le  capitaine  et  le  soldat  ;  ensorte  qu'en  quelqu' endroit 
qu'Us  fussent  attaqués ,  chacun  fût  aussi  propre  à  commander  qu'à 

(1)  Voyez  ce  que  nous  avons  dit  du  gouvernement  de   Lacédémone 
et  des  lois  de  Lycurgue. 


£76  Milice. 

combattre.  Il  était  résulté  de  là  que,  non  seulement  les  Rois  bar- 
bares et  les  républiques  étrangères  cherchaient  à  avoir  dans  leurs 
armées  quelque  corps  Lacédémonieu  ,  comme  on  le  raconte  de 
Çyrus  le  jeune ,  de  Crésus  Roi  de  Lydie  ,  de  plusieurs  Souverains 
çje  l'Egypte,  ainsi  que  des  Thraces  et.  des  Carthaginois;  mais  encore 
que  les  autres  républiques  de  la  Grèce  même  3  dans  les  grands 
dangers  qui  les  menaçaient ,  avaient  recours  aux  Spartiates  com- 
me à  la  puissance  tutélaire  de  leur  liberté  et  de  leur  gloire.  Lors- 
que la  nation  se  réunissait  contre  quelqu'ennemî  puissant ,  les  Spar- 
tiates formaient  ordinairement  le  nerf  de  l'armée ,  et  en  prenaient 
Valeur       comme  de    droit    \e    commandement  (1).  Les  Athéniens  étaient  les 

des   Athéniens.  .  . .  ,  . .        , 

seuls  qui  pussent  rivaliser  de  courage  avec  eux  ;  mais  ils  leur 
étaient  inférieurs  en  talens  militaires.  Et  en  effet  les  Athéniens 
disputèrent  aux  Spartiates ,  avec  un  sort  tantôt  heureux  et  tan- 
tôt contraire,  la  primauté  de  la  Grèce,  jusqu'à  l'époque  où  la  ce*- 
lèbre  victoire  remportée  par  Conon  près  de  Gnide  ,  leur  assura 
Leur  habileté    l'empire  de  la  mer.  Contens  de  leur  supériorité  dans  la  guerre  sur 

dans  la  guerre  *■  .  »    »      ,  ,  .       ,  ,      .        *"  ,     . 

de  mer.       terre  3  les   Spartiates  laissèrent  depuis  lors  aux  Athéniens  la  gloire 
de  savoir   bien   conduire  des  flottes,  et,  selon  l'expression  de  Xéno- 
phon ,  de  triompher  sur  mer  de  tous  les  autres  peuples.  La  position 
de  FAttique,  en  grande  partie  au    bord  de  la  mer,  invitait  d'elle 
même  les  Athéniens  aux  entreprises  maritimes  :  les  Lacédémoniens 
au  contraire  ,  qui  en  étaient  plus  éloignés,  ne  s'occupaient  que  de  la 
guerre  de  terre,  à  laquelle  ils  étaient  exercés  dès  l'infance,  parce 
que  Lycurgue  leur  avait  interdit  toute  expédition  qui  pût    les  en* 
traîner  dans  des  pays  éloignés  (a).  Chez  ces  deux  peuples  fameux, 
la  milice  formait  un    art  ou  une   science,  qu'on  appelait,   <r??*?*)yU 
x/art        où  la  science  du  capitaine.  On  lit    dans    le    III.0    livre  des    choses 
rtJufnZude  mémorables  de  Socrate,  que  ce  philosophe  s'entretenant  un  jour  avec 
et  en  s^iéme.    jft  £jg  ^Q    j>érïc\és ,  après  avoir  condamné  l'audace  de  certains  ca- 
pitaines qui  se  mettaient  à  la  tète  des  armées  sans  avoir  la  capacité 
nécessaire  pour  cela ,  parle  au  jeune  homme  en  ces  termes  :  Je  suis  bien 

(1)  Tout  ce  qui  est  dit  ici  des  Lacédémoniens  doit  être  pris  dans  un 
sens  général  :  car  la  Grèce  a  encore  eu  d'autres  républiques  qui  sont  par- 
venues à  ce  degré  de  prééminence  par  l'effet  de  quelqu'événement  heu- 
leux  ,  témoins  les  Thébains  qui ,  sous  la  conduite  d'Epaminondas  et  de 
Pélopidas  ,  s'élevèrent  tout  à  coup  ,  de  l'état  le  plus  abject ,  aux  honneurs 
du  premier  rang ,  et  eurent  pour  quelque  tems  une  brillante  existence. 

(2)  Poùer.  Arch.  gmeca,  liv.  III.  c.  I. 


DE     LA     GeÉCE.  2-77 

persuadé  que  tu  ne  ressembles  point  à  ces  sortes  de  gens ,  et  que  tu 
pourrais  rendre  compte  également ,  du  tems  que  tu  as  mis  à  t'ins- 
truire  dans  l'art  de  la  guerre,  comme  de  celui  que  tu  as  employé 
aux  exercices  du  corps:  f imagine  encore  que  lu  auras  appris  de 
ton  père  plusieurs  stratagèmes ,  et  qu'en  outre  tu  en  auras  recueilli 
toi  même  autant  qu'il  t'aura  été  possible.  Vegezius ,  en  parlant  des 
Lacédéraoniens  dans  la  préface  de  son  troisième  livre,  s'exprime 
ainsi  :  L'histoire  des  anciens  peuples  nous  apprend  que  les  Athéniens 

et  les  Lacédémoniens  donnnèrent  des  lois  à  la  Grèce Mais 

Athènes  ne  se  distingua  pas  seulement  par  les  armes ,  elle  cultiva, 
aussi  les  arts  et  les  sciences ,  tandis  que  les  Spartiates  firent  de  la- 
guerre  leur  étude  particulière.  On  prétend  que  ces  deux  peuples  ont 
été  les  premiers  à  nous  instruire  des  événement  militaires  ,  sur  les- 
quels ils  nous  ont  laissé  des  mémoires  ,  et  qu'ils  parvinrent  bientôt 
à  soumettre  à  des  règles  fixes ,  et  a  réduire  en  principes ,  ce  qui  ne 
semblait  dépendre  auparavant  que  de  la  bravoure  et  du  hazard.  De 
là  vint  rétablissement  de  leurs  écoles  de  Tactique  ,  où  l'on  ensei- 
gnait aux  jeunes  gens  les  ruses  de  la  guerre  et  les  différens  ordres 
de  bataille.  Les  autres  peuples  de  la  Grèce  prirent  exemple  sur 
les  Spartiates  et  les  Athéniens ,  et  l'art  militaire  devint  pour  tous 
une  étude,  à  laquelle  ils  donnaient  souvent  la  préférence  sur  tou- 
tes les  autres.  Notre  but  n'étant  pas  de  faire  un  traité  de  cette 
science  3  mais  seulement  de  rechercher  tout  ce  qui  peut  caracté- 
riser le  costume  ,  et  de  le  démontrer  par  les  monumens  3  nous  nous 
dépenserons  d?entrer  dans  trop  de  détails  sur  ce  sujet  ;  et  nous 
bornant  aux  choses  les  plus  importantes ,  nous  ne  ferons  qu'effleu- 
rer ce  que  les  anciens  en  ont  écrit, 

Commençant  donc  par  les  Lacédémoniens  s  nous  observerons  infanterie 
que  leur  principale  force  consistait  dans  l'infanterie  pesamment  ai>  Pol^arE*' 
mée,  que  Lycurgue  avait  partagée  en  six  Polemarchies ,  lesquelles 
avaient  beaucoup  de  rapport  avec  ce  qu'on  appelle  aujourd'hui  ba* 
taillons  (j).  Le  chef  de  chacun  de  ces  corps  s'appelait  Polémarque, 
et  avait  sous  lui  quatre  Locages ,  qui  étaient  à  la  tête  d'autant  de 
compagnies ,  dont  chacune  comprenait  quatre  Erpomothies.    L'JEno?*     Eaomoihieg. 

(i)  V.  Hist.  de  V Académie  R.  des  Inscriptions  etc.  T.  XL.  Mé- 
moire sur  la  guerre  considérée  comme  Science  par  M.  Joly  de  Maizeroy 
Les  mots  Polémarchie  et  Polémaraue  dérivent  du  mot  noùë^èa?  praeliort 
je  fais  la  guerre. 


278  Milice 

mothie  était  de  trente  hommes,  qui  formaient  quatre  files.  Ainsi  la 
troupe  commandée  par  le  Locage  se  composait  de  cent  vingt  hom- 
mes ;  et  il  avait  sous  lui  deux  officiers ,  dont  chacun  commandait 
deux  Enomothies.  Telles  sont  les  divisions  que  donne  Xénophon  dans 
son  livre  de  la  république  de  Sparte,  et  qu'indique  Thucydide  dans 
son  récit  sur  la  première  bataille  de  Mautinée.  Cependant  le  nom- 
bre des  soldats  composans  les  Polémarchies  pouvait  être  plus  ou  moins 
considérable,  selon  la  nature  du  besoin,  mais  sans  qu'il  en  résultât 
jamais  la  moindre  altération  dans  le  système  de  leur  organisation.  Xé- 
nophon parle  aussi  de  l'ordre  que  les  troupes  observaient  dans  leurs 

Campemens.  campemens ,  qui  étaient  ordinairement  de  forme  circulaire,  à  moins 
que  l'armée  ne  fût  appuyée  à  une  montagne  ,  ou  à  un  fleuve  (1). 
Lycurgue  avait  aussi  créé  un  corps  de  cavalerie,  qui  était  partagé 
Ouiami.  en  six  divisions  appelées  Oulami  (a) ,  dont  chacune  formait  un 
escadron.  Une  loi  expresse  donnait  le  commandant  en  chef  de  tou- 
te l'armée  à  l'un  des  deux  Rois,  selon  le  témoignage  de  Xénophon. 
Pouvoir       La  division  des  pouvoirs  à  la  guerre  inspirait  tant  de  craintes,  qu'il 

à  ta  gulne.  était  défendu  aux  deux  Rois  d'y  aller  tous  les  deux  à  la  fois.  Au 
commencement,  l'autorité  des  Rois  était  libre  et  absolue;  mais  de- 
puis le  reproche  fait  à  Agis  d'avoir  accordé  mal  à  propos  une  trêve 
aux  habitans  d'Argos ,  il  fut  décidé  que  cette  autorité  serait  su- 
bordonnée à  un  conseil  composé  d'un  certain  nombre  de  personnes. 
Le  Roi  était  en  outre  sous  la  surveillance  des  Ephores ,  dont  deux 
ne  l'abandonnaient  jamais  durant  la  guerre. 
-jrmèe  Les  Athéniens    fesaient    consister    aussi    leur    principale    force 

t  e/uens.  jang  jeg  Groupes  pesamment  armées.  On  lit  même  dans  Hérodote  , 
qu'à  la  bataille  de  Marathon ,  ils  n'avaient  ni  cavaliers  ni  archers: 
ce  qui  les  fesait  tourner  en  ridicule  par  les  Mèdes ,  dans  l'armée 
desquels  il  y  en  avait  un  si  grand  nombre.  On  ne  vit  d'archers  et 
de  cavaliers  dans  les  troupes  Athéniennes,  qu'après  la  défaite  de  Xer- 
xès  ,  et  encore  au  nombre  seulement  de  trois  cent  de  chaque  sorte, 
selon  le  témoignagne  d'Eschine.  L'état  d'Athènes  étant  divisé  en 
Stratèges,  dix  tribus  :  il  y  avait  aussi  dix  Stratèges  ou  capitaines  à  la  tête  des 
troupes  5  chaque  tribu  étant  jalouse  d'avoir  le  sien  particulier.    Ces 

(1)  Lycurgue  avait  prescrit  qu'on  donnât  aux  camps  la  forme  circu- 
laire ,  afin  d'éviter  les  angles  du  carré  qui  sont  inutiles  %  et  même  une 
cause  de  faiblesse.  V.  Xenop.  de  Lacaed.  Repub. 

(2)  Qvhch^àç  confecCum  agmen ,  troupe  serrée. 


de    la    Grèce.  279 

dix  capitaines  avaient  tour  à  tour   le  commandement  en   chef,  e£ 
pour  un  jour  :  comme  ils  étaient  égaux  en  pouvoir ,  il  était  arrivé 
souvent  que  cinq  étaient  d'un  avis  et  cinq  d'un  autre  ,  ensorfe  que 
les  délibérations  les  plus  importantes  se   trouvaient  ainsi  paralysées. 
Pour  remédier  à  cet  inconvénient,  on  adjoignit  aux  dix  capitaines 
un  Polémarque ,  dont  le  suffrage  avait   la    prépondérance    dans  les     Polémarqn 
conseils  de  guerre.   Les  premiers  étaient  nommés  par  le  peuple  ,  et 
leur  emploi  ne  durait  qu'un  an  ;  c'est  pourquoi  il  n'y  avait  guères 
d'opérations  militaires,  qui  ne  fussent  toujours  achevées  par  de  nou- 
veaux chefs.  Il  ne  faudrait  pas  beaucoup  de  raison nemens  pour  prou- 
ver le  vice  d'un  pareil  système  ,    et  combien    la    constitution   mili- 
taire des  Athéniens  était    inférieure  à    celle    des    Spartiates.   Aussi 
Plutarque  cite-t-il  dans  ses  Jpophtêmes  ce  mot  célèbre  de  Philippe  » 
père  d'Alexandre  le  Grand  :  j'admire  ,  dit-il ,  le  bonheur  des  Athé- 
niens ;  je  ne  leur  ai  trouvé  dans    toute    ma  vie  qu'un  seul  général  9 
qui  est  Parménion  ;    mais,    pour    eux,    ils    savent  s'en    trouver   un 
tous  les  ans.  Les  Stratèges  étaient  obligés  de  rendre  un  compte  ri- 
goureux de  leur  conduite;  c'est    pourquoi  il  fallait,  pour  être  ap- 
pelé au  commandement  des  troupes ,  avoir  des  enfans  et  un  champ 
dans  le  territoire  de   l'Àttique  ,  afin  d'offrir  une   garantie  suffisante 
dans  tout  ce  que  l'homme  peut  avoir  de  plus  cher  et  de    plus  pré- 
cieux. Il  y  avait  cependant  des  cas  extraordinaires  où  l'on  donnait 
le  commandement  de  l'armée  à  un  seul  capitaine  ,  qu'on  appellait 
Avroxpàt&p  ,  ce  dont    on  trouve  plusieurs  exemples  dans  Plutarque. 
Ainsi  Aristide  commandait  en  chef  à  la  bataille  de  Platée,  et  cet 
honneur  fut  décerné  par  le  peuple  à  Phocion  quarante    cinq  fois. 
Après  les  Stratèges  venaient   les    Tassiarques ,    qui  étaient  aussi  au 
nombre  de  dix  ,  comme  les  tribus  :  c'était  à  eux  qu'appartenait  le 
droit  de  donner  les  places  dans  l'armée  ,   de  commander  l'infante- 
rie 3  de  régler  les  marches  ,  d'assurer   les  logemens ,    et  de  chasser 
des  rangs  les  indignes  et  les  coupables.  Les   Stretèges   avaient  sous 
leurs  ordres  deux    Hipparquès ,    ou    commandans    de    cavalerie,  et  Hipparquès  cm, 
ceux-ci  les  Philarques ,  qui  commandaient  un  certain  nombre  d'hom- 
mes à  cheval ,  avec  la  faculté  d'accepter  ceux  qui  leur  convenaient, 
de  les  congédier  et  de  les  renvoyer  selon  les  circostances.  Nous  ne 
voulons  pas  finir  cet  article  sans  dire  quelque  chose  de  l'armée  na- 
vale. Celui  qui  la  commandait  en    chef   s'appelait    Stolarcos  3    qui 
veut  dire  préfet  de  la  floite.  Sa  nomination  était  au  choix  du  peu- 
ple. Mais  ce  préfet  n'était  pas  toujours  seul,  comme  nous  le  voyons 


CommanoLe- 

vient  générai 

et  absolu.. 


Flotte, 


a8o  Milice 

par  l'exemple  d'Alcibiade  ,  de  Nicias  et  de  Lamaohus ,  qui  étaient 
revêtus  d'une  autorité  égale  dans  la  flotte  Athénienne  devant  la 
Sicile  (i).  La  durée  du  commandant  n'était  pas  non  plus  fixée 
et  elle  se  déterminait  suivant  les  événemens  de  la  guerre.  Chaque 
vaisseau  avait  son  capitaine  qui  en  prenait  le  nom.  Ainsi  les  capi- 
Triécarqucs.  taines  des  trirèmes  s'appelaient  Triêcarques.  Il  y  avait  en  outre  sur 
la  flotte  plusieurs  autres  officiers,  dont  l'emploi  était  d'observer  les 
vents  et  les  astres,  de  régler  la  marche  des  vaisseaux,  et  de  com- 
mander aux  nochers  (a)-. 

Il  suit  de  tout  ce  que  nous  venons  de  dire,  que  les  armées  Grec- 
ques n'étant  pas  composées  d'un  grand  nombre  de  soldats  ,  elles  ne 
pouvaient  obtenir  de  succès  qu'à  force  d'art  et  de  valeur.  La  victoire 
remportée  par  Miltiade  avec  dix  mille  hommes  sur  l'armée  des 
Perses,  qui  n'en  avait  pas  moins  de  cent  mille  d'infanterie  et  dix 
mille  de  cavalerie,  convainquit  encore  d'avantage  les  Grecs ,  qu'une 
petite  armée  composée  d'hommes  pleins  d'honneur,  intrépides,  et 
Jjien  commandés,  n'a  rien  à  redouter  d'un  autre  plus  formidable, 
où  ces  conditions  essentielles  ne  se  trouvent  point  (3).  C'est  pour-, 
quoi ,  à  force  de  combiner  les  différons  genres  de  force  ,  de  com- 
parer les  chocs  avec  les  résistances ,  et  de  chercher  à  connaître 
les  règles  et  les  proportions   d'après  lesquelles  on   pouvait  détermi- 

(i)  Nous  parlerons  des  vaisseaux  et  de  la  tactique  maritime  à  l'arti- 
cle de  la  Marine. 

(2)  V.  Potter.   Arch.  graeca ,  liv.  III.   chap.  XIX. 

(3)  Les  Grecs  de  l'Ionie  ,  sujets  de  la  Perse  s'étaient  révoltés.  Da- 
rius ,  après  les  avoir  soumis  de  nouveau,  voulut  se  venger  des  Athéniens, 
qui  leur  avaient  donné  des  secours.  Deux  de  ses  généraux,  Datys  et  Àr- 
tapherne  entrèrent  en  Eubée  avec  deux  cent  mille  hommes,  et  brûlè- 
rent la  ville  d'Erétrie.  Datys  passa  ensuite  dans  l'Attique.  Les  Athéniens 
attendaient  un  renfort  des  Lacédémoniens  ;  cependant  le  danger  allait 
toujours  croissant  ,  et  il  était  déjà  question  de  livrer  bataille  sans  attendre 
ce  secours,  ou  de  se  renfermer  dans  la  ville.  Il  fut  décidé,  sur  la  propo- 
sition de  Miltiade  ,  qu'on  attaquerait  l'ennemi.  L'énorme  supériorité  des 
Persans  en  nombre  n'intimida  pas  ce  grand  homme  ,  et  n'inspira  aucune 
crainte  à  ses  troupes  ,  qui  étaient  composées  d'hommes  choisis  ,  et  déter- 
minés à  périr  plutôt  que  de  porter  des  fers.  Elles  avaient  en  outre  la  plus 
grande  confiance  dans  leur  discipline  ,  et  dans  l'habileté  de  leurs  chefs. 
Miltiade  prit  position  dans  un  lieu  ressére  ,  et  dont  les  accidens  ne  per- 
mettaient pas  à  l'ennemi  de  s'y  étendre.  Les  Persans  furent  défaits ,  et 
cest  de  cette  fameuse  journée  que  date  la  gloire  militaire  des  Grecs. 


de    la    Grecs.  â&r 

net*  le  degré  de  puissance  ,  que  les  causes  physiques  et  morales  peu- 
vent exercer  sur  le  nombre,  sur  l'ordre  et  sur  la  forme,  ils  par- 
vinrent à  créer  un  corps  formidable  ,  connu  sous  le  nom  de  Pha- 
lange (i),  où  l'infanterie  pesamment  armée,  l'infanterie  légère  et 
la  cavalerie  étaient  réunies  dans  les  rapports  les  plus  naturels  et 
les  plus  convenables  aux  tems ,  aux  armes  ^  et  à  la  manière  de  corn- 
ai) L'invention  du  calcul  pour  la  formation  de  la  phalange  est  due 
à  Miltiade  ,  à  Xénophon  ,  à  Agésilas  ,  à  Epaminondas  et  autres  grands 
capitaines  ,  et  non  à  Philippe  de  Macédoine.  Voy.  Mezeroy  ibid.  pag.  5a6. 
Philippe  ne  fit  que  perfectionner  la  phalange  ,  en  lui  donnant  un  aspect 
plus  formidable  ,  et  en  en  fesant  un  corps  stable  et  permanent.  Voici  la  des- 
cription que  fait  Arrien  de  la  phalange  Macédonienne  (  Tactica  c.  XV.  ), 
La  phalange  Macédonienne  présentait  à  l'ennemi  une  image  terrible,  non 
seulement  sous  le  rapport  du  combat,  mais  encore  par  son  aspect.  L'homme 
avec  ses  armes  ny  occupait  pas  un  espace  de  plus  de  deux  coudées.  La 
longueur  de  la  surisse  (  c'était  le  nom  de  la  lance  Macédonienne  )  était 
de  seize  coudées  ,  dont  quatre  se  perdaient  entre  les  mains  et  la  tête 
de  celui  qui  la  tenait ,  et  les  douze  autres  s'' étendaient  au  delà  du  pre- 
mier rang.  Ceux  du  second  n'en  perdaient  que  deux  coudées ,  et  poussaient 
leur  lance  en  avant  jusqu'à  dix  autres  coudées.  Ceux  du  troisième  rang 
la  portaient  à  huit  et  encore  plus  ,  ceux  du  quatrième  à  six ,  enfin  ceux 
du  sixième  à  deux  seulement.  Ainsi  chaque  homme  du  premier  rang 
avait  de  chaque  côté  six  lances ,  qui  s'avançaient  au  devant  de  lui  à 
des  distances  inégales  ,  et  dont  la  résistance  en  lui  servant  comtne  de 
soutien ,  augmentait  encore  l'action  de  ses  propres  forces.  Ceux  du 
sixième  rang  aidaient  ceux  qui  les  précédaient  ,  sinon  avec  leurs  lan- 
ces ,  au  moins  par  leur  propre  poids  ,  et  imprimaient  ainsi  au  choc  de 
la  phalange  une  vigueur  à  laquelle  l'ennemi  ne  pouvait  résister ,  en 
même  tems  qu'ils  mettaient  les  derniers  dans  l'impossibilité  de  fuir.  Dio- 
dore  de  Sicile  (  liv.  XVI.  )  nous  apprend  que  Philippe  imagina  de  per- 
fectionner l'organisation  de  la  phalange  sur  les  anciens  principes  de  guerre  ■> 
qui ,  depuis  la  guerre  de  Troie  ,  étaient  encore  suivis  ,  en  prenant  pour 
guide  l'exemple  des  héros  ,  dont  l'usage  était  de  combattre  pressés  les 
uns  contre  les  autres  ,  et  tenans  leurs  boucliers  joints  ensemble.  Selon 
le  même  Arrien  ,  la  phalange  Macédonienne  était  composée  cle  seize  mille 
trois  cent  quatre  vingt  quatre  hommes  pesamment  armés  ;  d'un  corps  de 
Yélites,  dont  le  nombre  était  la  moitié  de  celui  des  premiers;  et  d'un 
corps  de  cavalerie,,  aussi  moins  nombreux  cle  moitié  que  celui  des  vélites. 
La  composition  de  cette  phalange  était  calculée  clans  de  telles  proportions  , 
qu'elle  pouvait  se  diviser  par  deux  jusqu'à  l'unité  ,  et  doubler  ou  res- 
serrer  son  front  selon  que  le  besoin  l'exigeait. 

Europe.  Vrl.  1.  3g 


des  soldats. 


a8a  Milice 

Diverses  battre.  Nous  nous  dispenserons  de  parler  ici  du  coin*  des  colonnes. 
Ae ia phalange,  du  clsêau  ,  ûa  carré  et  antres  figures  que  la  phalange  pouvait  pren- 
dre devant  l'ennemi ,  selon  le  besoin  et  les  circonstances  ,  et  dont 
on  trouve  la  description  dans  Arrien,  dans  Elien,  dans  Xénophon  , 
et  dans  Végéce  :  nous  dirons  seulement  que  la  phalange  avait  en 
outre  l'avantage  de  réparer  facilement  ses  pertes  ;  car  elle  pouvait 
remplir  de  suite  les  vuides  qu'y  laissaient  les  morts  et  les  blessés  , 
en  leur  substituant  d'autres  soldats  qui  se  succédaient  du  sein  de 
ses  files  profondes  et  bien  serrées  (1).  Aussi,  n'est-il  guères  permis 
de  douter  que  les  phalanges  Grecques  auraient  vaincu,  ou  au  moins 
lassé  les  légions  Romaines  ,  si  les  divisions  de  cette  nation  ,  et  au- 
tres causes  morales,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  n'eussent  occasionné 
des  révolutions ,  qui  firent  passer  la  Grèce  et  l'Asie  sous  le  joug  de 
la  puissance  Romaine. 
Traitement  Dans  les  tems  héroïques,  les  soldats  fesaient  la  guerre  à  leurs 

dépens;  mais  après  que  l'ambition  et  le  désir  des  conquêtes  eurent 
entraîné  les  armées  Grecques  au  delà  de  leurs  frontières  ,  l'Etat 
fut  obligé  de  venir  au  secours  des  soldats  en  leur  assignant  un 
traitement.  A  Sparte,  Lysandre,  au  rapport  de  Plutarque,  avait 
fait  augmenter  la  solde  des  troupes  qui  devaient  marcher  avec  lui 
contre  Cyrus.  Cette  mesure  devint  d'autant  plus  nécessaire  à  Athè- 
nes ,  que  les  habitans  de  cette  ville  étant,  presque  tous  artisans, 
n'avaient  pas  d'autre  moyen  de  subsistance  que  leur  travail  et  leur 
industrie  (a).  Pour  subvenir  aux  frais  de  leur  solde  et  autres  dépen- 

(1)  La  phalange  ,  dit  Arrien  ,  Tactlca  c.  XIII.  ,  demande  quel-' 
quefois  à  être  ordonnée  en  long  avec  une  certaine  aisance  ,  selon  que 
le  terrein  le  permet ,  et  qu'on  le  trouve  avantageuse  :  d'autres  fois  on 
la  resserre  pour  lui    donner   plus    de  consistance  ,  et  imprimer  plus   de 

force  à  son  choc  contre  l'ennemi.  C'est  ainsi  quEpaminondas  disposa 
les  Thébains  à  la  bataille  de  Leuctres  ,  et  les  Béotiens  à  celle  de  Man- 
tinée  }  en  fesant  de  ces  troupes  comme  une  espèce  de  coin ,  qu'il  poussa 
avec  violence  dans  les  rangs  des  Lacédémoniens .  On  se  sert  du  même 
moyen ,  lorsqu'il  s"1  agit  de  repousser  les  attaques  de  l'ennemi,  et  on  l'em- 
ployé avec  succès  contre  les  Sarmates  et  les  Scythes.  On  voit  par  ce  pas- 
sage d' Arrien  ,  que  la  phalange  était  une  espèce  de  machine ,  qui  présen- 
tait plusieurs  fronts  et  prenait  diverses  formes ,  selon  que  l'exigeaient  le 
lieu }  le  tems  et  la  position  de  l'ennemi. 

(2)  Dans  la  république  d'Athènes  ,  le  fantassin  avait  deux  oboles  par 
jour  ,  et  le  cavalier  une  drachme.  Nous  parlerons  ailleurs  de  la  valeur 
des  monnaies  Grecques. 


Sacrifice 

Hymne, 


de    la    Grèce.  â83 

ses  de  guerre  ,  il  y  avait  à  Athènes  un  trésor  pubblic  ,  à  l'insuffi- 
sance duquel  on  suppléait ,  en  teras  de  détresse  ,  par  de  dons  et  même 
par  le  produit  de  la  vente  des  vases  sacrés  et  des  ornemens  des  temples 
et  des  autels.  Lorsque  la  guerre  était  déclarée  3  on  érigeait  dans  le 
forum  un  tribunal  ,  où  les  Tassiarques  et  les  Hipparques  présen- 
taient aux  Stratèges,  ou  au  Polémarque  le  rôle  des  citoyens  qui  avaient  Conscription, 
lage  de  la  conscription,  c'est-à-dire  de  dix  huit  jusqu'à  soixante 
ans.  L'ordre  avec  lequel  se  fesait  cette  conscription  était  tel  ,  que 
personne  ne  pouvait  se  plaindre  d'y  avoir  été  appelé  plus  souvent 
qu'à  son  tour.  A  Lncédétnone ,  où  tout  citoyen  était  soldat,  les  Epho- 
res  fesaient  proclamer  l'âge  de  ceux  qui  devaient  prendre  les  armes, 
ainsi  que  celui  des  individus  qui  devaient  composer  le  corps  des  ar- 
tisans attachés  à  l'armée:  car  les  Lacédémoniens  étaient  dans  l'usage 
d'établir  dans  leurs  camps  des  ateliers  de  tons  les  arts  et  métiers 
qui  leur  étaient  nécessaires  ,  tandis  que  les  Athéniens  et  autres  peu- 
ples n'emportaient  avec  eux  que  les  choses  les  plus  indispensables, 
dans  les  bagages  qui  suivaient  l'armée  sous  la  garde  d'une  escorte  (i). 
Au  moment  de  marcher  à  l'ennemi ,  les  Grecs  fesaient  des  li- 
bations et  des  sacrifices  aux  Dieux,  et  entonnaieut  ensuite  le  Paea- 
na, ou  l'hymne  de  Mars.  Après  la  victoire,  ils  chantaient  le  Paea- 
na   d'Apollon    (a).    Les    Spartiates   surtout  fesaient    précéder    leurs 

(i)  Le  soldat  Grec  portait  avec  lui  ses  vivres  pour  plusieurs  jours. 
Ces  vivres  consistaient  ordinairement  en  viande  salée  ,  en  fromage ,  en 
olives  ,  en  oignons  et  autres  choses  semblables.  A  cet  effet  ,  il  avait  une 
espèce  de  corbeille  ou  de  carnassière  en  osier  ,  appelée  yvliov  ,  ayant  la 
forme  d'un  vase  long  et  très-étroit  aux  deux  bouts.  V.  Svidas  ,  Potter  , 
et  le  Scholiaste  d'Aristophane. 

(2)  Le  Paeana  était  proprement  l'hymne  d'Appollon  ;  et  on  le  nom- 
mait ainsi  ,  soit  en  raison  du  sujet  itala  ,  qui  veut  dire  je  guéris  ,  parce 
que  ce  Dieu  présidait  à  la  santé;  soit  par  analogie  au  mot  ira'uiv  x.  qui 
signifie  battre  ,  parce  qu'Apollon  avait  battu  et  vaincu  le  serpent  Python  ; 
mais  dans  la  suite  on  donna  le  nom  de  Paeana  à  tous  les  cantiques  qu'on 
chantait  de  même  en  l'honneur  des  autres  divinités  ;  et  on  lit  dans  Xéno- 
phon,,  que  les  Spartiates  chantaient  aussi  le  Paeana  à  la  louange  de  Nep- 
tune. Ce  peuple  avait  encore  un  autre  hymne  ,  qu'il  entonnait  à  la  guerre 
en  l'honneur  de  Castor  et  Pollux.  Les  Thébains  et  les  Macédoniens ,  au  mo- 
ment d'en  venir  aux  mains  avec  l'ennemi ,  invoquaient  Mars  ,  non  par  des 
chants  ,  mais  en  poussant  de  grands  cris  ,  selon  l'usage  des  tems  héroï- 
ques. V.  Hist.  de  V ' Acaclém.  R.  des  Inscriptions  etc.  T.  XL.  Mémoire 
sur  la  guerre  considérée  comme  Science  par  M,  Joly  de  Maheroy, 


z$4  M 1UCE 

opérations  militaires  de  tant  de  cérémonies  religieuses  ,  qu'ils  né- 
gligeaient quelquefois  les  choses  les  plus  pressantes  pour  les  celé* 
df^'flTtùus  ^re1'  ^s  ne  se  mettaient  jamais  en  campagne  avant  la  pleine  lune , 
comme  nous  l'avons  déjà  observé  ,  ni  avant  que  leur  Roi  n'eût  im- 
molé à  Jupiter  conducteur  et  aux  autres  Dieux  un  grand  nombre 
de  victimes.  Si  les  auspices  étaient  favorables  ,  le  Périfore  ou  por- 
Feu  sacré,  teur  du  feu ,  prenait  sur  l'autel  un  tison  allumé,  et  marchait  à  la 
tête  de  l'armée  jusqu'à  la  frontière.  Là,  on  fesait  de  nouveaux 
sacrifices  à  Jupiter  et  à  Minerve;  et  après  avoir  encore  pris  les 
auspices,  l'armée  se  remettait  en  marche,  toujours  précédée  du  feu 
sacré.  Les  sacrifices  se  fesaient  aux  premiers  rayons  de  l'aurore  , 
usage  qui  semble  dénoter  dans  les  Lacédémoniens  l'intention  d'être 
les  premiers  à  invoquer  l'assistance  des  Dieux  ,  comme  le  pensent 
Hérodote  et  Xénophon.  Arrivé  près  de  l'ennemi,  on  immolait  une 
chèvre  s  ensuite  les  flûtes  commençaient  à  jouer  :  aussitôt ,  chaque 
combattant,  par  une  loi  expresse  de  Lycnrgue  ,  devait  avoir  une 
couronne.  Les  jeunes  gens,  qui  étaient  désignés  pouf  engager  le  com- 
bat,  avaient  seuls  le  droit  de  pousser  un  cri  de  joie,  et  de  faire 
éclater  les  transports  de  leur  ardeur  guerrière.  Les  autres  soldats, 
depuis  ¥ Enomotarque  jusqu'au  dernier  guerrier,  gardaient  un  pro- 
fond silence.  Toute  1'  armée  brûlait  de  vaincre  ,  et  l'amour  de  la 
patrie  enflammait  tous  les  cœurs.  L'habillement  même  du  soldat 
inspirait  une  espèce  de  terreur,  étant  violet,  c'est-à-dire  d'une  cou- 
leur tirant  sur  le  sang  ,  qui  par  conséquent  ne  permettait  pas  de 
distinguer  si  celui  qui  le  portait  était  blessé  (ij. 

Le  commandement  se  fesait  de  diverses  manières  dans  les  ar- 
mées Grecques  :  tantôt  c'était  le  capitaine  qui  le  donnait  à  haute 
yoix  i  tantôt-il  s?annonçait  au  son  de  la  trompette,  au  bruit  d'un 
bouclier,  ou  par  des  signes  du  corps,  de  la  main,  de  l'épée  ou 
d'une  pique  (a).  Au  signal  du  combat  ,  les  soldats  abaissaient  la 
lance  (  qui  ,  hors  de  là  ,    se    tenait    appuyée    à    l'épaule   droite  )  , 


Silence. 


Signes  du 
commandement 


(i)  V.  Plurarq.  Instib.  Lac.  Dans  les  antiquités  d'Herculanum  tom. 
VII.  planche  III ,  on  voit  la  Pallas  de  Sparte  portant  de  même  un  vête- 
ment de  couleur  violette. 

(2)  On  prétend  que  l'invention  de  plusieurs  signaux  militaires  est 
due  à  Palamède ,  un  des  guerriers  qui  assistèrent  au  siège  de  Troie  :  Or- 
dinem  exercitus ,  dit  Pline  liv.  VII.  chap.  56 ,  signi  dationem  ,  Cesseras , 
yigilias  Palamedes  inveniù  trojanp  beÏÏQr 


.    Signaux 
avec  Le  feu- 


de    la    Grèce.  s85 

et  s'avançaient  lentement  et  bien  serrés  contre  l'ennemi.  Mais  com- 
me il  pouvait  arriver  que  le  désordre  de  la  mêlée  ,  le  bruit  des 
combattans  et  des  chevaux,  la  poussière,  l'éloignement  et  une  foule 
d'autres  circonstances  rendissent  impraticable  ou  inutile  l'u?age  de 
ces  signaux  ,  on  y  suppléait  par  des  feux  de  matières  ligneuses  ou 
bitumineuses ,  qu'on  allumait  de  distance  en  distance,  lî  parait  que 
ce  moyen  était  déjà  connu  du  tems  d'Homère,  comme  l'indique  le 
an.e  vers  du  XVII.6  livre  de  son  Iliade;  et  qu'on  l'employait  en- 
core pour  la  communication  des  nouvelles  d'un  lieu  à  un  autre, 
et  même  à  de  grandes  distances  :  ce  qui  était  une  suite  de  l'ob- 
servation qu'on  avait  faite  ,  que  la  lumière  consistant  dans  le  mou- 
vement d'une  matière  plus  subtile  que  l'air,  elle  se  propage  avec 
plus  de  vitesse  et  toujours  en  ligue  droite  (i).  M;iis  à  l'époque  dont 
nous  parlons  ,  ces  signaux  ne  se  bornaient  pas  simplement  à  fin-*- 
dication  d'une  action:  on  était  déjà  parvenu,  au  dire  de  Polybe  „ 
à  en  former  un  langage  de  convention,  par  le  moyen  duquel  on 
exposait  tout  un  événement ,  sans  rien  laisser  de  vague  ou  d'incer- 
tain dans  l'esprit  de  ceux  auxquels  on  voulait  parler.  Il  serait  trop 
long  d'entrer  ici  dans  le  détail  de  toutes  les  opérations  qui  se  fe- 
saient  successivement,  pour  établir  ce  genre  de  correspondance  en- 
tre les  personnes  qui  voulaient  se  communiquer  leurs  idées  ;  c'est 
pourquoi  nous  nous  contenterons  d'en  exposer  le  plan  matériel.  D'a- 
bord on  rangeait  toutes  les  lettres  de  l'alphabet  sur  quatre  à  cinq  £jJXufseia 
colonnes  s  ou  lignes  disposées  parallèlement  les  unes  au  dessous 
des  autres;  secondement,  celui  qui  devait  donner  le  signal,  com- 
mençait par  désigner  le  rang  de  la  colonne,  où  il  fallait  chercher 


Mêiho 


respojidanue 
militaire. 


(i)  Escliile  nous  donne  la  preuve  la  plus  convaincante  de  cet  usage  dans 
sa  tragédie  d'Agamemnon  Après  avoir  annoncé  la  prise  de  Troie  ,  Clytem- 
nestre  est  priée  par  le  Choeur  de  dire  comment  elle  a  su  cette  nouvelle ,  à 
quoi  elle  répond  ainsi  :  nous  en  sommes  redevables  à  Vulcain;  l'éclat  de  ses 
feux  est;  arrivé  jusqu'à  nous  :  un  signal  a  fait  allumer  un  autre  signal. 
Les  premiers  feux  qui  ont  été  aperçus  sur  le  mont  Ida  ,  ont  fait  allu- 
mer ceux  du  mont  consacré  à  Mercure  dans  Vile  de  Lemnos,  L'éten- 
due des  eaux  qui  sépare  cette  ile  du  mont  Alhos  à  été  b tentât  éclairée 
par  des  flammes  }  et  le  mont  de  Jupiter  a  été  aussitôt  couvert  d'autres 

feux De  longues  traînées  de  lumière ,  sont  arrivées  jusques  sur 

le  mont  Arachnê  (c'était  l'endroit  le  plus  prés  d'Àrgos,  et  du  palais  des 
Atrides  \  Voilà  comment  nous  est  parvenue  la  grande  nouvelle  que  je 
vous  annonce,  y.  Aesch.  Agam.  vers.  289  et  suiv. 


a86  Milice 

ïa  lettre,  qu'il  voulait  indiquer:  cette  colonne  se  désignait  au  moyen 
d'un,  de  deux  ou  trois  flambeaux,  qu'on  élevait  toujours  à  la  gau- 
che ,  selon  que  la  colonne  était  la  première,  la  seconde  ou  la  troi- 
sième ,  et  ainsi  de  suite;  troisièmement  ,  l'attention  de  l'observateur 
étant  ainsi  fixée,,  on  indiquait  la  première  lettre  de  la  colonne  par 
un  flambeau,  la  seconde  par  deux  et  la  troisième  par  trois,  de 
manière  que  le  nombre  des  flambeaux  répondît  parfaitement  au 
numéro  qu'avait  la  lettre  dans  cette  même  colonne.  On  écrivait  alors 
la  lettre  indiquée,  et  continuant  ainsi,  on  parvenait  à  former  des 
syllabes,  des  mots  et  des  phrases  entières.  Celui  qui  fesait  le  signal 
avait  en  outre  un  instrument  géométrique  ,  auquel  étaient  adaptés 
deux  tubes  ,  afin  de  pouvoir  connaître  la  droite  ou  la  gauche  de 
celui  qui  devait  donner  la  réponse  (i).  Avant  de  terminer  ce  pa- 
ragraphe, nous  croyons  à  propos  de  dire  un  mot  d'un  moyen  que 
le  gouvernement  employait ,  pour  transmettre  aux  Généraux  les  or- 
dres qu'il  voulait  tenir  secrets.  On  se  servait  pour  cela  de  courriers 
armés  à  la  légère  ,  qu'on  appelait  Haspo^pô^oi  ,  c'est-à-dire  cour- 
Coumers       tiers  diurnes ,  crui  avaient  l'esprit  fécond  en  stratagèmes,  et  savaient 

diurnes.  l  l  ... 

se  soustraire  à  la  vigilance  de  l'ennemi.  Tel  était  ce  Fidippe  ,  dont 
parle  Cornélius  Nepos  dans  la  vie  de  Miltiade.  On  remettait  à  ces 
courriers  l'ordre,  écrit  de  manière  à  ne  pouvoir  être  lu  que  de 
la  personne  à  laquelle  il  était  adressé.  Les  Lacédémoniens  avaient 
Scutal.  pour  cela  leur  fameux  <™ura/l??,  ainsi  appelé,  du  mot  axiroç  ,  qui 
veut  dire  peau,  parce  qu'ils  consistait  en  une  espèce  de  parchemin 
blanc  ,  de  la  longueur  de  quatre  coudées,  qui  se  roulait  autour  d'un 
bâton  de  la  manière  suivante.  On  prenait  deux  bâtons  noirs,  d'une 
dimension  parfaitement  égale.  On  remettait  un  de  ces  bâtons  au 
Général  au  moment  de  son  départ  pour  l'armée  ,  et  l'autre  restait 
près  des  magistrats.  Lorsqu'il  y  avait  une  communication  à  faire 
au  Général,  on  roulait  autour  de    ce    bâton    un    parchemin    long, 


(i)  Le  témoignage  de  Polybe  ,  historien  judicieux  sans  contredit  et 
exempt  de  tout  supçon  de  mensonge ,  est  confirmé  par  celui  de  Jules 
l'Africain  ,  de  Tite-Live  ,  de  Végéce  et  de  Plutarque  ,  qui  s'accordent  tous 
à  dire  ,  que  les  Romains  fesaient  aussi  usage  de  semblables  signaux.  On  ne 
peut  nier  d'après  cela,  que  l'invention  des  télégraphes ,  qui  a  tant  fait  de 
bruit  de  nos  jours ,  ne  fût  anciennement  connue  des  Grecs.  Il  faut  lire 
à  ce  sujet  le  beau  discours  de  l'abbé  Sallier.  Mémor.  de  Littérat.  de  V A- 
cadém.  Roy.  des  Inscriptions   etc.  Tom.  XIII.  pag.  400- 


de    la    Grèce.  287 

mince,  et  fesaot  beaucoup  de  plis,  sur  lequel  on  écrivait  la  chose 
qu'on  voulait  communiquer.  On  levait  ensuite  ce  parchemin  ,  qui  alors 
ne  présentait  plus  que  des  mots  tronqués,  confus,  et  dénués  de  sens  , 
et  on  l'envoyait  ainsi  au  Général  ,  qui ,  eu  l'appliquant  sur  son  bâ- 
ton ,  retrouvait  chaque  mot  dans  l'ordre  qu'il  avait  été  placé,  et 
lisait  ainsi  ce  qu'on  lui  avait  écrit  (1). 

Les  Grecs  fesaient  encore  usage  d'une  marque  appelée  Çùvâ^/ia  9 
qui  distinguait  la  sentinelle  ,  et  que  les  soldats  portaient  avec  eux  en 
tems  de  guerre  ,  pour  se  reconnaître  dans  la  mêlée.  Sur  cette  marque 
était  écrit  un  augure  ,  ou  le  nom  de  quelque  divinité  ,  ou  même  celui 
du  Général  en  chef.  Mais  elle  donnait  lieu  souvent  aux  incouvéniens. 
les  plus  fâcheux,  soit  par  les  retards  qu'elle  pouvait  occasionner  au 
moment  d'une  action,  soit  par  les  facilités  qu'elle  offrait  à  la  trahi- 
son, comme  il  arriva,  au  rapport  de  Thucydide,  dans  le  combat  entre 
les  Athéniens  et  les  Syracusains.  Les  sentinelles  étaient  de  deux  sor-  Sentinelles, 
tes,  les  unes  diurnes  et  les  autres  nocturnes:  il  y  avait  des  capitaines 
ou  préfets  qui  parcouraient  le  camp  de  nuit  ,  pour  s'assurer  de  leur 
vigilance.  Quelquefois  encore  on  sonnait  tout-à-coup  une  petite  clo- 
che appelée  niman ,  à  laquelle  les  sentinelles  étaient  obligées  de  ré- 
pondre par  un  cri:  sur  quoi  on  peut  voir  Svidas  et  Aristophane  dans 
les  Grenouilles.  Il  était  défendu  aux  sentinelles  de  Sparte  d'avoir  un 
bouclier,  pour  que  la  privation  de  cette  arme  défensive  les  rendît  plus 
attentives  à  ne  pas  se  laisser  surprendre  par  l'ennemi.  Svidas ,  et  le 
Scholiaste  de  Thucydide,  mettent  encore  au  nombre  des  signes  du 
commandement  les  enseignes  militaires  ,  qui  ,  levées ,  étaient  le  si-  Enseigne», 
gnal  du  combat,  et  baissées  celui  de  la  retraite.  Nous  avons  vu 
dans  Homère ,  qu'Agamemnon  agita  en  l'air  un  morceau  de  pour- 
pre pour  rallier  les  soldats.  Dans  les  tems  historiques  ,  l'enseigne 
consistait  en  une  espèce  de  casaque  de  pourpre  ou  autre  cou- 
leur ,  attachée  au  bout  d'une  pique  (a).  Cette  casaque  portait 
l'image  de  quelqu'animal  ,  ou  autre  objet  allégorique  à  la  ville 
à  laquelle  elle  appartenait.  Ainsi  Athènes  avait  sur  ses  ensei- 
gnes une  chouette  et  un  olivier,  parce  qu'elle  était  consacrée  à 
Mercure  ;  à  Thébes  c'était  un  sphinx  en  mémoire  du  fameux 
monstre  tué  par  (Edipe  ;  à  Mécènes  la  lettre    M    des  Grecs,  et    à 

(1)  V.  Potter.  Arch.   Gr.    liv.    III,  cliap.  XIV.  Pindarl    Scholiast. 
Ode  VI.  Olymp.  Plut,  in  Lysandro. 

(2)  Voy.  Potter,  ainsi  que  Polybe  vers  la  iin  de  son  second  livre. 


'a88  «         Milice 

Lacédémone  le  A  (i).  Nous  avons  déjà  vu,  qu'à  l'époque  des  teim 

Trompettes,  h  'roïques  ,  on  ne  connaissait  pas  l'usage  de  la  trompette  dans  les 
combats,  car  Homère  n'en  fait  mention  que  dans  les  comparaisons 
qu'il  prend  du  costume  de  son  teras  ,  comme  le  fait  observer  Eus- 
tase  (a).  Or  ce  Scholiaste  nous  apprend,  que  les  trompettes  en 
usage  chez  les  Anciens  (3)  étaient  de  six  sortes  différentes  ,  sa- 
voir; la  trompette  de  Minerve,  celle  d'Osiris  ,  celle  des  Calâ- 
tes, la  Paphlagonique  ,  la  trompette  des  Médes ,  et  la  Tyrrhé- 
nienne.  Cette  dernière  parait  avoir  été  celle  qui  était    la   plus  usi- 

Trompeue     tée  chez  les  Grecs  (4).  On  raconte  qu'ils  la  tenaient  d'un  Tyrrhé- 

jnwiuenne.    ^^  nomm£   Arcondas,  qui  était  venu  au  secours    des    Héraclides  , 

environ  quatre  vingts  ans  après   la  prise  de  Troie.  Cette    trompette 

était  longue,  droite,  avec  une  ouverture  très-large,  et  elle  rendait 

(i)  Les  anciens  monumens  ne  nous  offrent  aucune  trace  delà  forme 
des  enseignes  militaires  :  car  il  ne  faut  point  prendre  pour  telles  ,  comme 
nous  le  verrons  ailleurs ,  les  banderolles  qu'on  aperçoit  entre  les  mains 
de  quelques  cavaliers  dans  les  peintures  des  vases  Grecs.  Gonon  et  Cléo- 
anène  firent  aussi  usage  d'un  manteau  rouge  attaché  au  bout  d'une  lance 
en  guise  de  signal.  V.  Polyen.  Sbrategem. ,  Conon.  et  Plutarch.  in  Cleo- 
mene.  Gurtius  rapporte  aussi  qu'Alexandre  ,  pour  suppléer  au  son  de  la 
trompette  que  ses  soldats  n'entendaient  pas  bien  ,  perticam  quae  undique 
conspici  possit ,  supra  praetorium  statua.  Ex  qua  signum  eminebab 
pariter  omnibus  conspicuum  ,  et  il  ajoute  que  observabatur  ignis  noctu  , 
fumus  inberdiu,   Liv.  V.  chap.  2.   §.   7. 

(2)  Eustat.  Tom.  II.  pag.    ii5g  lign.   54  et  suiv.  édib.  de  Rome. 

(3)  Avant  l'invention  des  trompettes ,  on  se  servait  de  conques  mari- 
nes ou  de  buccins.  Quum  vero  a  Tyrrhenis  ,  dit  Tzetzè ,  Comment,  in 
Lycophr.  Cassandram ,    invenbae   fuere    tubae  ,  tum    vel  buccinandi  con- 

„  suetudo  per  cochleas  cessavib.  Ce  Scholiaste  croit  néanmoins  que  la  trom- 
pette était  en  usage  dés  la  guerre  de  Troie  ,  induit  en  erreur  sans  doute 
par  le  219e  vers,  du  VI. e  livre  de  l'Iliade.,  où  Homère  prend  une  com- 
paraison du  son  de  la  trompette.  L'opinion  de  Tzetzé  est  combattue  par 
Politi ,  qui,  au  contraire,  loue  Lycophron  de  ce  que  apposite  ad  personam 
Cassandrae  loquentis ,  Heroicorum  ,  seu  Trojanorum  temporum  morem 
sitnpliciter  repraesenbaverib ,  cum ,  ante  inventant  bubam  ,  concha  seu 
buccina  utebantur.  Quod  enim  Homerus  tubae  ebiam  apud  Graeeos 
meminerib ,  non  pro  Trojanis  certe  bemporibus ,  sed  pro  bemporibus  suis 
ipse  esb  locubus.  Ad  Iliad.  E.  pag.   1288  num.  6. 

(4)  Diod.  de  Sic.  liv.  V.  Sophocl.  Scholiast.  dans  Ajac.  ,  v.  i5.  Clé- 
ment d'Alexandrie  Stromabum  liv.  I.er  On  pourrait  encore  joindre  au  té- 
moignage de  ces  écrivains  celui  de  plusieurs  autres. 


Buccin. 


de    la    Grèce.  2,89 

un  son  aigu  et  clair,  auquel  Ulysse  dans  Sophocle  compare  la  voix 
de  Minerve  (1).  Nous  pensons  que  telle  est  celle  dont  se  sert  le 
guerrier  représenté  à  la  planche  XXXVIII  des  peintures  des  vases 
Grecs  de  Millingen ,  vêtu  d'une  chlamyde  et  d'une  tunique  riche- 
ment brodée ,  pour  ranimer  le  courage  des  Grecs  dans  une  bataille 
contre  les  Amazones.  Voy.  le  n.°  1  de  la  planche  4°  (a)«  ^  est 
encore  fait  mention  tlans  Végéce  d'une  autre  espèce  de  trompette, 
qu'il  dit  être  de  cuivre  ou  autre  métal,  et  se  replier  sur  elle  même 
en  forme  de  cercle  (3).  Mais  comme  cet  auteur  parle  de  la  milice 
Romaine,  nous  ne  samious  guères  décider,  si  ce  qu'il  dit  à  ce  sujet 
peut  toujours  s'entendre  des  Grecs:  car  nous  n'avons  trouvé  jusqu'à 
présent  dans  les  monumens  ,  rien  qui  puisse  résoudre  cette  ques- 
tion. Nous  ne  pouvons  donc  rien  dire  de  positif  sur  la  forme  de  la 
trompette  de  Minerve  ,  qu'Eustase  a  été  le  premier  à  nous  désigner. 
Néanmoins  nous  croyons  à  propos  ,  pour  complément  de  nos  recher- 
ches, de  représenter  au  n.°  a,  une  trompette  spirale,  qu'on  voit  Trompette. 
dans  les  peintures  des  vases  d'Hamilton,  et  qui  pourrait  bien  être  sPirale- 
le  buccin  des  Grecs  (4)-  Dans  l'original  ,  le  guerrier  qui  porte  la 
trompette  précède  un  quadrige.  Il  tend  la  main  droite  ,  en  signe 
d'hospitalité  ou  d'amitié  ,  à  un  vieillard  qui  est  assis  sous  un  por- 
tique. Au  bout  de  cette  trompette  pend  un  morceau  d'étoffe  ou  de 
toile ,  dont  on    ne  peut  distinguer  précisément  la  matière  (5). 

(1)  Ajax  Flagell.  vers.   16. 

(2)  On  voit  une  trompette  semblable  à  la  planche  5o  T.  IV  des  va- 
ses d'Hamilton,,  édition  originale.  Or  ces  trompettes  sont  parfaitement  éga- 
les à  celles  qui  se  trouvent  dans  le  Musée  Etrusque  :  d'où  l'on  doit  con- 
clure ,  que  celle  qui  vient  d'être  décrite  ,  est  réelement  la  Tyrrhénienne. 

("5)  Tuba ,  quae  directa  est  appellatur  Buccina  ,  quae  in  semé- 
tlpsam  aereo  circula  flecûbur.  Liv.  III  et  V.  Quant  au  buccin  ,  on  peut 
consulter  Bartolini  De  bibiis  veterum  etc.  liv.  III. ,  et  Bonnani  ,  Cabinet 
Harmonique  ,  pag.  5i  ,  édit.  de  Rome   1723 

(4)  Vol.  IL  planche  106  ,  édition  originale.  Les  guerriers  qui  accom- 
pagnent le  char ,  ont  la  tête  couronnée  de  laurier.  Cette  circonstance  donne 
à  penser,  qu'il  s'agit  ici  d'"  vainqueur  revenant  des  jeux  olympiques. 
Dans  cette  hypothèse,  le  6,.  rier  qui  a  la  trompette,  et  qui  précède  le 
char  ,  pourrait  bien  être  le  porteur  de  la  nouvelle  de  la  victoire  rempor- 
tée par  le  fils  du  vieillard  ,  dont  il  serre  la  main  droite. 

(5)  On  retrouve  cette  même  ligure  à  la  planche  VI.  du  Musée  Etrus- 
que ,  prise  d'un  vase  de  Dempster  (  Etruria  B.eg.  vol.  I.  planche  48  ). 
Bonarotti  est  d'avis ,  que  la  peinture  de  ce  vase  représente  Beiione  Déesse 

Europe.  Vol.  I,  3_ 


29°  Milice 

Divers  autres  Certains  peuples  de  la  Grèce  fesaient  encore  usage  de    divers 

instrument  o 


de  mmk/ue  autres  instrumeos  pour  s'animer  au  combat.  Clément  d'Alexandrie 
dit  que  les  Arcadiens  combattaient  au  son  du  chalumeau  à  sept 
tuyaux,  les  Cretois  à  celui  de  la  lyre,  les  Lacédémoniens  à  ce- 
lui de  la  flûte  (i),  et  les  Siciliens  au  son  du  luth  à  deux  cor- 
des. Le  témoignagne  de  Clément  pourrait  être  confirmé  par  l'au- 
torité de  plusieurs  autres  écrivains,  si  le  sujet  que  nous  traitons 
n'était  pas  aussi  connu.  Les  Grecs  étaient  tellement  persuadés  des 
effets  merveilleux  de  la  musique,  qu'ils  regardaient  cet  art  comme 
«ne  partie  essentielle  de  celui  de  la  guerre.  Aux  sons  des  instru- 
mens  militaires  il  mêlaient  souvent  le  chant  d'hymnes  et  de  chan- 
sons guerrières.  Il  n'est  rien  de  plus  propre  en  effet  à  élever  Pâme 
et  à  enflammer  le  courage,  qu'une  poésie  mâle  et  sublime,  accom- 
pagnée de  l'harmonie  du  chant  et  des  sons.  Telle  est  l'opinion  que 
nous  donne  Horace  de  l'effet  que  produisaient  les  vers  d'Homère 
et  de  Tyrtée  sur  l'ame  des  guerriers: 

.  . Post  hos  insignis  Homerus 

Tyrtaeusque  mares  animos  in  martia  bella 
Versïbus  exacuit  (aj 

des  Etrusques  _,  précédant  la  pompe  d'un  guerrier  -victorieux.  Voici  com- 
ment la  décrit  Passeri  :  Illa  currum  briumphantis  ducis ,  et  pompam 
praecedit,  gale  a ,  pictaque  tunica  insignis.  Sinistra  tenet  tubam ,  in 
pïures  spiras  circumvolutam  ,  e  qua  dependet  pannus  ,  cujus  fimbria  in 
plures  radios  dissecta  est.  Mais  on  a  vu  aux  pag.  78  et  101  de  ce  volume,, 
que  les  vases  ,  improprement  appelés  Etrusques  ,  appartiennent  plus  à  la 
Grèce  qu'à  l'Etrurie.  L'habillement  des  figures  de  ce  même  vase  est  en- 
tièrement Grec.  C'est  pourquoi  nous  ne  croyons  pas  avoir  émis  une  opinion 
bazardée ,  en  disant  que  la  trompette  qu'on  voit  représentée  ici ,  peut 
bien  être  celle  des  Grecs.  Au  reste  ,  si  les  Grecs  tiennent  des  Tyrrhéniens 
l'usage  de  cet  instrument,  il  s'ensuivra  toujours,  que  les  trompettes  qu'on 
voit  dans  les  monumens  Etrusques ,  peuvent  nous  fournir  l'idée  ,  ou  une 
image  de  celles  des  Grecs.  On  trouve  à  la  planche  178  du  Musée  Etrus- 
que, des  buccins  faits  en  forme  de  corne ,  (voy.  la  figure  3  de  la  planche  40). 

(1)  In  Paedagogo  ,  liv.  II.  pag.  164  édit.  1641-  Nous  parlerons  de 
la  forme  de  ces  instrumens  à  l'article  des  beaux  arts. 

(2)  De  Art.  poet.  v.  4.01.  «  Si,  dit  M.r  De-Maizeroy ,  nous  notions 
pas  trop  dominés  par  l'habitude  ,  et  par  cet  esprit  de  prévention  qui  nous 
fait  dédaigner  les  anciens  usages ,  il  y  en  aurait  plusieurs  dont  nous  pour- 
rions faire  une  heureuse  application.    Nos  ancêtres  ,    qui    n'étudiaient  pag 


pyrrhique. 


de    la    Grèce.  2,9 i 

Tout  le  monde  sait  que ,  dans  la  seconde  guerre  de  Messènes ,  les  La-  dg  tf/^sique 
cédémoniens ,  succombant  à  leur  accablement,  ne  furent  enfin  re-  militaire. 
devables  de  la  victoire  qu'à  Tyrtée.  On  trouve  de  semblables  exem- 
ples dans  Thucydide  ,  dans  Xénophon  et  dans  Polybe.  Le  son  des 
flûtes  allégeait  la  fatigue  des  marches  longues  et  précipitées,  raf- 
fermissait les  cœurs  timides,  et,  parla  régularité  de  sa  mesure,  ré- 
glait les  pas  et  les  mouvemens  des  troupes,  de  manière  à  eu  former 
une  espèce  de  danse  (1).  Le  poète  Philocore  dit,  dans  Athénée  ,  que 
les  Lacédémoniens  entraient  en  bataille  d'un  pas  qui  était  mesuré 
sur  le  mètre  des  hymnes  de  Tyrtée,  et  ajoute  qu'eux  seuls  avaient 
conservé  l'usage  de  la  danse  pyrrhique  ,  comme  un  exercice  guer- 
rier (fa).  Cette  danse  ,  dont  quelques  auteurs  font  remonter  l'origine 
jusqu'à  l'époque  du  siège  de  Troie ,  était ,  dit-on  ,  un  des  amuse- 
mens  auxquels  se  livrait  la  jeunesse  Grecque,  pour  charmer  les  en- 
nuis de  ce  long  siège;  elle  consistait  à  marcher  en  cadence,  et  à 
manier  l'épée,  la  lance  et  le  bouclier  en  mesure  et  avec  une  espèce 
d'harmonie  (3).  Elle  avait  en  outre  l'avantage  de  donner  au  corps  de  Dame 
la  force  et  de  l'agilité  ,  et  aux  membres  tout  le  développement  pos- 
sible. On  lit  dans  Strabon  que  Minos  fut  le  premier  à  l'établir  en 

les  anciens  ,  ont  néanmoins  reconnu  comme  eux  la  nécessité  d'exciter  le 
courage  des  guerriers.  Les  moyens  quJils  employaient  pour  cela  ,  quoique 
très-imparfaits  ,  étaient  pris  dans  la  nature  même.  Les  Francs  poussaient 
dans  les  commencemens  des  cris  confus  ,  comme  tous  les  autres  peuples 
barbares.  Chaque  troupe  eut  depuis  un  cri  particulier  ....  Ils  se  mirent 
aussi  à  chanter  ;  et  tel  était ,  par  exemple  ,  le  chant  de  Roland  ,  qui  cé- 
lébrait les  louanges  de  Charlemagne.  Guillaume  le  conquérant  le  fit  en- 
tonner par  son  écuyer  Taillefer  à  la  bataille  de  Hasring  ,  dans  laquelle 
il  défit  Harold  son  compétiteur  au  trône  d'Angleterre.  Gustave  Adol- 
phe ....  était  dans  l'usage  de  faire  entonner  à  ses  soldats,  avant  la  ba- 
taille une  chanson  guerrière  et  animée  qu'il  avait  composée  lui  même  ». 

(1)  Il  est  à  remarquer  que  l'usage  des  flûtes  et  des  hautbois, 
comme  instrumens  de  guerre ,  était  connu  des  Troyens  :  car  Homère  dit 
qu'Agamemnon  entendait  avec  dépit  s'élever  dans  le  camp  Troyen  le  son 
de  ces  instrumens.  Iliad.  liv.  X.  v.    i3. 

(2)  Les  Lacédémoniens  se  servirent  aussi  quelquefois  de  la  trompette  , 
pour  transmettre  à  l'armée  les  ordres  du  chef  qui  la  commandait.  C'est 
ce  qu'ils  firent  dans  le  combat  de  Sélosie  ,  entre  Cléomène  et  Antigone, 
V.  Polyb.  liv.  IL  chap.  64. 

(3)  Hector  semble  aussi  faire  allusion  à  la  danse  guerrière  dans  le 
yill.e  liv.  de  l'Iliade,,  ou  il  dit  qu'il  meut  ses  pieds  au  son  de  Mars. 


S9a  Milice 

Crète,  cent  ans  avant  la  guerre  de  Troie  ;  et  que  Pyrrhus  fils  d'A- 
chille ,  dont  elle  prit  le  nom  ,  ne  fit  qu'imiter  ce  législateur  en 
l'introduisant  parmi  ses  troupes.  Cette  danse  était  d'un  usaee  si 
général  et  si  fréquent,  qu'elle  servait  non  seulement  d'exercice  mili- 
taire dans  les  camps,  mais  encore  de  divertissement  dans  les  théâtres 3 
comme  l'attestent  les  monumens  les  plus  authentiques.  Nous  en  avons 
tracé  une  image  à  la  planche  41,  d'après  une  des  peinture  des 
vases  d'Hamilton  ,  dont  Baxter  a  aussi  fait  mention  (1).  L'armure 
que  Pun  des  guerriers  porte  sur  sa  poitrine  parait  être  composée 
de  trois  plaques  circulaires  et  métalliques ,  et  attachée  au  buste 
avec  deux  courroies  qui  se  croisent  sur  les  épaules ,  et  descendent 
jusqu'au  ceinturon  sur  l'aine  :  deux  autres  courroies  embrassent  la 
cuirasse  au  dessous  de  la  poitrine  ,  et  c'est  ainsi  que  les  Romains 
la  portèrent  dans  la  suite. 

C'était  encore  un  usage  consacré  chez  les  Grecs ,  d'offrir  aux 
Dieux  des  sacrifices  après  la  victoire:  sur  quoi  il  est  bon  d'observer 
avec  Plutarque,  dans  ses  institutions  Laconiques  ,  que  les  avantages 
remportés  sur  l'ennemi  par  la  force  des  armes,  se  célébraient  à 
Sparte  par  le  sacrifice  d'un  coq  seulement  ,  tandis  que  pour  ceux 
qu'on  avait  obtenus  par  la  prudence  ou  la  ruse ,  et  sans  effusion  de 
sang,  on  immolait  un  bœuf  au  Dieu  Mars:  distinction  par  laquelle 
on  vouloit  exprimer,  que  les  victoires  qui  ont  coûté  le  moins  de 
perte  doivent  toujours  être  préférées  (a).  On  vit  aussi  les  Grecs 
Trophée.  élever  des  trophées  sur  les  lieux  où  ils  avaient  vaincu  :  ce  n'était 
d'abord  qu'un  tronc  d'arbre  ,  auquel  étaient  suspendus  un  casque  , 
un  bouclier,  une  cuirasse  et  quelques  lances  brisées.  Ce  tronc  était 
le  plus  souvent  un  pied  d'olivier,  dont  l'emblème  signifiait  que  toute 
guerre  doit  avoir  la  paix  pour  objet.  La  simplicité  des  mœurs  ne  per- 
mit pas  de  long-tems  d'élever  des  trophées  d'un  autre  genre  :  aussi 
blamat-on  la  vanité  des  peuples,  qui  commencèrent  à  en  construire 
en  bronze  et  en  marbre   (3).    L'inscription   qui    les   décorait   était 

(1)  Edit  de  Florence,  vol.  Ier  planche  60.  Baxter  Th  An  Illustra* 
tlon  of  the  Egyptian  ,  Grecian  etc.  costume  etc.  London  _,  Setchel ,  1814  , 
in  4.°  PL  22 

(2)  Porter.   Archaeol.  gr.  liv    III.  ehap.  XII. 

(3)  Les  Eléens  furent  peut-être  les  premiers  d'entre  les  Grecs  à 
élever  un  trophée  en  bronze  ,  à  la  suite  dune  victoire  qu'ils  avait  rem- 
porté sur  les  Spartiates.  (  Voy.  Plutarq.  Ouaest.  Rom.  et  Pausan.  Eliae, 


de   il  a   Grèce.  293 

sans  faste,  et  n'indiquait  que  le  nom  des  vainqueurs  et  des  vaincus, 
ou  celui  de  la  divinité  à  laquelle  le  monument  était  consacré.  Quel- 
quefois aussi  on  bâtît  des  temples  et  des  autels,  en  l'honneur  des 
victoires  qu'on  avait  remportées.  Ainsi  les  Doriens  célébrèrent  leur 
triomphe  sur  les  Achéens,  par  l'érection  d'un  temple  à  Jupiter;  et 
de  même  Alexandre ,  à  son  retour  de  son  expédition  de  l'Inde , 
fit  dresser ,  au  rapport  d'Arrien  ,  des  autels  dont  la  hauteur  sur- 
passait celle  des  tours  les  plus  élevées. 

Les  récompenses  accordées  aux  gens  de  guerre  dans  les  tems  Récompenses? 
historiques,  ne  différaient  guères  de  celles  qui  étaient  en  usage 
dans  les  siècles  héroïques;  elles  se  composaient  de  la  part  que 
chacun  d'eux  avait  dans  le  partage  des  dépouilles  et  des  esclaves  pris 
sur  l'ennemi.  Le  droit  de  la  guerre  était  encore  alors  barbare  et 
cruel:  les  vaincus  étaient  condamnés  à  l'esclavage,  et  les  villes  con- 
quises ruinées  de  fond  en  comble:  conséquence  naturelle,  dit  Go- 
guet  ,  des  maximes  républicaines  qui  dominaient  à  cette  époque 
chez  les  Grecs,  et  leur  inspiraient  une  féroce  antipathie  con- 
tre l'ennemi.  Il  parait,  néanmoins,  cjue  l'usage  de  consacrer  aux  ^f^fff 
Dieux  une  partie  des  dépouilles  ennemies,  fut  plus  généralement  ZnsacilL 
suivi.  On  lit  dans  Hérodote  que ,  d'une  portion  du  butin  fait  sur  aux  Di™x' 
l'armée  innombrable  des  Parses,  Pausanias  fit  faire  à  l'Apollon  de 
Delphes  un  trépied  en  or ,  au  Jupiter  Olympien  une  statue  du 
môme  métal  de  dix  coudées  de  haut,  et  une  de  sept  à  Neptune  (i). 
Les  armes  enlevées  à  l'ennemi  étaient  également  consacrées  aux 
Dieux  et  suspendues  dans  les  temples  (a).  Les  guerriers  fesaient 
même  hommage  des  leurs  propres  à  quelque  divinité ,  lorsqu'ils  pas- 
saient du  tumulte  des  camps  au  repos  de  la  vie  privée.  Mais  avant 
de  placer  ces  armes  dans  les  temples  ,  on  avait  soin  de  les  mettre 
dans  un  état }  qui  ne  permît  point  aux  citoyens  de  s'en  servir  dans 
les  révoltes  et  les  séditions  populaires;  ainsi  l'on  ôtait  aux  boucliers 
la  courroie  par  où  l'on  pouvait  les  saisir  (3).  L'oubli  progressif  des 


(i)    Calliope  ,  liv.  IX.  chap    LXXX. 

(2)  Il  n'y  avait  que  les  Spartiates  ,  au  rapport  d'Elien ,  Var.  Hlst. 
liv.  VI  chap.  VI. ,  auxquels  il  était  défendu  de  dépouiller  les  cadavres 
ennemis  de  leurs  armes  :  défense  au  sujet  de  laquelle  Cléoméne  fit  cette 
réponse  «  Qu'il  ne  convient  pas  de  consacrer  aux  Dieux  les  dépouilles 
des  lâches  ,  ni  d'en  enrichir  un  Spartiate  ». 

(3)  Aristophan.  Equib.  Act.  II.  Se.  IV. 


^94  Milice 

anciennes  maximes  fit  élever  ensuite  aux  grands  capitaines  des  statues 
et  des  colonnes ,  avec  des  inscriptions  qui  annonçaient  leurs  exploits. 
Néanmoins  cet  honneur  ne  fut  accordé  qu'à  un  très-petit  nombre. 
Cimon  l'obtint  entre  autres,  et  il  fut  refusé  à  Miltiade  ainsi  qu'à 
Themistocle.  On  rapporte  môme ,  que  certain  Socar  répondit  en 
pleine  assemblée  à  Miltiade  ,  qui  ne  demandait  qu'une  simple  cou- 
ronne pour  prix  de  ses  victoires:  O  Miltiade ,  tu  obtiendras  ce 
triomphe  ,  lorsque  la  victoire  ne  sera  due  qu'à  toi  seul.  On  était 
pourtant  dans  l'usage  à  Athènes ,  de  placer  à  la  forteresse ,  comme 
dans  un  lieu  sacré,  les  armes  des  braves,  qui  prenaient  alors  le  sur- 
nom de  Cécropides ,  c'est-à-dire  de  citoyens  nés  de  l'ancienne  et 
véritable  race  Athénienne.  La  valeur  se  récompensait  aussi  quel- 
quefois par  le  don  d'une  armure  complette,  comme  l'eut  Alcibiade, 
pour  prix  de  son  expédition  contre  Potidas  dans  sa  première  jeu- 
Entrêe  nesse.  Malgré  que  le  triomphe  ne  fût  point  usité  chez  les  Grecs , 
des  vainqueurs,  les  vainqueurs  ne  laissaient  pas  de  faire  une  entrée  solennelle  dans 
leurs  villes,  avec  une  couronne  sur  la  tête,  en  chantant  des  hym- 
nes, et  en  brandissant  la  lance.  Ils  étaient  suivis  des  vaincus  ,  dont 
les  dépouilles  étaient  données  en  spectacle  au  public.  Il  y  avait  à 
Athènes  des  lois  concernant  les  militaires  qui  avaient  perdu  un 
membre  à  la  guerre,  ainsi  que  pour  les  enfans  de  ceux  qui  avaient 
sacrifié  leur  vie  pour  la  patrie.  Ils  étaient  entretenus  les  uns  et  les 
autres  aux  frais  du  trésor  public,  mais  les  seconds  jusqu'à  l'âge  de 
majorité  seulement  ;  lorsqu'ils  y  étaient  parvenus  ,  on  leur  donnait 
un  armure  3  puis  ils  étaient  présentés  au  peuple  par  un  héraut  , 
et  congédiés  avec  honneur.  Ces  bienfaits  assuraient  à  ceux  qui  en 
jouissaient,  le  droit  d'occuper  les  premières  places  dans  les  specta- 
cles et  les  assemblées  publiques  (i).  Mais,  si  d'un  côté  la  bravoure 
était  généreusement  récompensée  ,  de  l'autre  la  lâcheté  n'était  pas 
moins  sévèrement  punie.  Les  déserteurs  étaient  mis  à  mort  :  le 
soldat  qui  s'était  caché ,  ou  qui  avait  abandonné  son  poste  ou  son 
rang  était  condamné,  par  une  loi  de  Charondas,  à  rester  pendant 
trois  jours  assis  dans  le  forum  en  habits  de  femme.  Il  lui  était  dé- 
fendu de  porter  désormais  une  couronne,  d'entrer  dans  les  temples, 
et  de  paraître  aux  assemblées  publiques  (a).  La  perte  du  bouclier 


Punition 
des  lâches. 


(i)  V.  Hesychium  et    Svidam ,    Vôc.    Adivaxoi.    et    Veschitiem    in 
Ctesiphontem  V.  etiam  Laertium  in  Solone. 

(2}  Demosthenes  Timocratea.  Aeschines  in  Ctesiphontem. 


de    là   Grèce.  2ç5 

emportait  la  peine  d'une  forte  amende,  et  même  de  la  prison  ;  c'est 
pourquoi  on  punissait  aussi  d'une  amende ,  celui  qui  avait  faussement 
accusé  quelqu'un  d'avoir  jeté  son  bouclier.  A  Sparte  surtout ,  on 
traitait  avec  beaucoup  de  rigueur  ceux  qu'avaient  donné  quelque 
preuve  de  faiblesse  et  de  crainte  ,  et  il  y  avait  une  loi  qui  fesait 
au  soldat  un  devoir  de  vaincre  ou  de  mourir.  Le  lâche  ne  pouvait 
paraître  en  public  qu'avec  des  habits  sales  et  déchirés,  et  la  barbe 
coupée  seulement  à  moitié  ;  on  peut  voir  à  cet  égard  la  vie  d'Agé- 
silas  dans  Plutarque.  Il  était  permis  à  tout  le  monde  de  l'outrager 
et  même  de  le  battre  ;  et  le  mariage  contracté  avec  lui  était  frap- 
pé d'infamie.  Le  deshonneur  dont  le  lâche  était  couvert  s'étendait 
sur  toute  sa  famille;  et  sa  mère  même  n'hésitait  pas ,  au  premier  abord, 
de  le  tuer  de  ses  propres  mains,  pour  échapper  à  cette  ignominie, 

Armes ,  machines ,  cavalerie  des  tems  historiques. 

Les  détails  dans  lesquels  nous  sommes  entrés  sur  les  armes  des 
tems  héroïques  s  ne  nous  laissent  que  peu  de  chose  à  dire  mainte- 
nant sur  celles  des  tems  historiques  ;  car ,  à  la  réserve  de  leur  plus  ou 
moins  de  grandeur,  ces  objets  n'ont  éprouvé  que  fort-peu  de  varia- 
tion. A  commencer  par  les  casques ,  on  remarque  qu'ils  conservèrent  Casques, 
toujours  à-peu-près  la  même  forme  ;  mais  les  changemens  qui  se 
firent  clans  leurs  diverses  parties  et  leurs  ornemens  furent  si  mul- 
tipliés ;,  qu'il  serait  difficile  de  les  classer  par  ordre.  Ajoutons  à  cela 
l'embarras  où  l'on  est,  de  pouvoir  distinguer  les  casques  Grecs  des 
Romains.  Dans  les  monumens  des  tems  historiques ,  on  trouve  quel- 
quefois des  casques  avec  le  frontal  qui  parait  avoir  été  mobile.  Tels  Frontal 
sont  ceux  des  n,os  4  et  5  de  la  planche  ^o ,  qui  sont  pris;  le  pre- 
mier des  pierres  gravées  du  Cabinet  de  Florence,  et  le  second  des 
Monumens  antiques  de  Winkelmann.  Ce  docte  antiquaire  croit 
voir  ici  Amphiaraùs  un  des  sept  héros  de  la  ligue  contre  Thébes , 
lequel  était  à  la  fois  poète  et  prêtre  d'Apollon.  Dans  cette  hypo- 
thèse ,  l'auteur  de  ce  petit  monument  qui  est  en  terre  cuite,  au- 
rait donné  au  casque  un  frontal  qui  n'est  point  propre  aux  tems 
héroïques:  anachronisme  dont  on  trouve  plusieurs  exemples  dans  les 
anciens  monumens,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  observé.  Quelque  soit 
au  reste  le  personnage  ici  représenté ,  le  casque  dont-il  s'agit  nous 
offre  plusieurs  particularités  dignes  de  remarque  :  la  première,  c'est  la 
feuille  de  laurier  placée  le  long  de  la  crinière  }  qu'elle  semble  cou- 


mobile  • 


^96  Milice 

ronner.  En  outre,  le  casque  de  notre  bas-relief ',  dit  Winkelmarm  lui 
même ,  parait  expliquer  le  mot  TpitpdXsia ,  TpvtpâXeia  3  employé  par 
Homère,  dont  le  sens  équivaut  au  triplex  juba  ,  qui,  dans  Virgile , 
caractérise  le  casque  de  Turnus  :  car  on  y  aperçoit  deux  rangées  de 
crins  droits  et  coupes  ,  entremêlés  d'autres  crins  longs  ,  qui  retombent 
en  arrière ,  et  qui ,  dans  le  casque  que  Stace  donne  à  Hyppomèdon  , 
étaient  blancs.  La  F  allas  gravée  par  Aspasius  (i)  porte  un  casque 
semblable.  On  voit  distinctement  dans  ce  casque,  ainsi  que  dans  le 
précédent,  et  autres  dont  cet  ouvrage  retrace  les  diverses  formes, 
que  le  frontal  n'est  qu'un  appendice  qui  y  est  joint  par  deux  gou- 
pilles fixés  aux  extrémités,  à  l'aide  desquels  le  guerrier  pouvait  le 
lever  ou  l'abaisser  à  son  gré,  à  peu-près  comme  le  devant  de  cer- 
tains bonnets  usités  de  nos  jours.  Nous  voyons  en  effet  que  cette 
espèce  de  frontal  avait  conservé  chez  les  Grecs  le  nom  de  yeïaaov , 
suggrundium  9  parce  que,  comme  nous  l'avons  dit  à  la  page  i5o, 
et  comme  l'observe  encore  Henri  Etienne  son  usage  était  le  mê- 
me que  celui  des  gouttières  adaptées  aux  toits  des  maisons.  Or , 
comment  le  frontal  ,  fait  ainsi  qu'on  le  voit  dans  les  casques  dont 
nous  parlons,  aurait-il  pu  faire  la  fonction  de  gouttière,  s'il  n'avait 
point  été  construit  et  placé  de  manière  à  pouvoir  s'abaisser  au  be- 
soin ?  Ces  raisons  nous  paraissent  suffisantes ,  pour  démontrer  qu'il  y 
a  tout  lieu  de  croire,  que  l'usage  du  frontal  mobile  existait  aussi  à 
l'époque  dont  il  s'agit  (fi).  Quelquefois  le  casque  avait  encore  deux 

(i)  Monum.  anc.  n.°   108.  seconde  partie  pag.   i43. 

(2)  V.  Henr.  Steph.  Thésaurus  linguae  graecae.  Cet  auteur  nous 
donne  l'étymologie  suivante  du  mot  yeïatrov  :  Suggrunda  ,  s  eu  suggrun- 
dium ,  idest  pars  tecti  prominens  ,  qua  stillicidia  a  parietibus  arcentur  ; 
et  peu  après  il  ajoute  :  metaphorice  capitur  pro  eo  omni  quod  suggrun- 
darnm  in  modum  propendeb ,  c'est  aussi  dans  ce  sens  qu'on  donnait  le 
même  nom  aux  sourcils.  Cet  espèce  de  frontal  est  appelé  visière  mobile 
dans  l'Encyclopédie  méthodique.  Il  est  à  remarquer ,  qu'après  avoir  assuré 
(  Antiq,  Myth.  T.  V.  pag.  85g  )  que  les  casques  des  Grecs  étaient  or- 
dinairement sans  visière  mobile ,  les  auteurs  de  cette  Encyclopédie  en  re- 
présentent, dans  le  I.er  tome  des  planches,  plusieurs  qu'ils  indiquent  comme 
étant  à  visière  mobile.  Nous  avons  cru  plus  à  propos  de  désigner  ces  cas- 
ques avec  le  frontal ,  qui  semble  a'voir  été  mobile  :  car  on  ne  peut  for- 
mer à  cet  égard  que  des  conjectures  ,  à  cause  de  la  difficulté  qu'il  y  a 
de  distinguer  dans  les  monumens,  comment  cette  espèce  de  frontal  était 
fixé   au  casque. 


de    la    Grèce.  397 

plaques  de  chaque  côté,  qui  servaient  à  défendre  les  oreilles  et  Casque» 
les  joues.  Voy.  le  n.°6  pris  des  Monumens  antiques  de  Winckel-  les  plumes  <ac% 
mann.  On  trouve  en  outre  après  la  guerre  de  Troie  des  casques 
avec  des  plumes,  sans  qu'on  puisse  déterminer  l'époque  où  cet  usage 
s'est  introduit.  Une  des  Minerves  du  Capitole  a  son  casque  orné 
de  plumes,  ainsi  qu'une  autre  Minerve  gravée  sur  une  patère  du 
Musée  Etrusque.  Nous  avons  représenté  sous  les  n.os  7  et  et  8,  pris 
des  vases  d'Hamilton  ,  deux  de  ces  casques ,  et  l'on  en  peut  voir 
deux  autres  avec  des  ornemens  semblables  à  la  planche  /\3.  Mais 
nous  ne  finirions  point  cet  article ,  si  nous  voulions  faire  remarquer 
toutes  les  variétés  qui  ont    eu    lieu    dans    les    casques.    Nous    dirons    Casques  avec 

,5  'j.11  *  r-^i      1  tes  oreilles  , 

seulement  qu  on  en  voit  dans  les  monumens  concernans  la  Grèce  les  cornes  et*, 
avec  des  oreilles  longues  et  semblables  à  celles  du  cheval  ,  et  au- 
tres quadrupèdes.,  avec  des  ailes,  avec  des  cornes  (1),  et  même 
d'une  forme  peu  différente  de  celle  des  casques  de  nos  anciens 
chevaliers.  Le  luxe  qui  avait  remplacé  l'antique  simplicité  les  avait 
tellement  surchargés  d'ornemens  et  de  richesses,  qu'on  ne  les  regar- 
dait plus  comme  une  armure  défensive  ,  mais  comme  un  objet  de  pa- 
rure et  de  magnificence.  Néanmoins  celui  des  Lacédémoniens  s'était  Casques 
conservé  dans  son  premier  état,  puisqu'au  dire  de  Thucydide,  il  "  'dé*'"' 
ne  garantissait  pas  suffisamment  la  tête  de  la  pointe  des  flèches. 
Ce  casque  ressemblait  aux  bonnets  des  Dioscores  et  d'Ulysse  ,  et 
le  Scholiaste  de  Thucydide  est  d'avis  qu'il  était  simplement  de 
feutre  (a).  Les  Macédoniens,  quoique  pesamment  armés ,  ne  cessèrent 
pas  non  plus  d'avoir  le  leur  en  cuir.  C'est  pour  cela  ,  qu'au  rapport 
de  Diodore  ,  Alexandre  fut  légèrement  blessé  à  la  tête,  parce  que 
son  casque  n'offrait  pas  assez  de  résistance  aux  coups.  On  lit  pour- 
tant dans  Plutarque,,  que  le  casque  de  ce  conquérant  était  garni,  à 
sa  partie  inférieure,  d'un  collier  de  pierres  précieuses.  Cette  coiffure 


Macédoniens 
ele. 


Cw 


que 


guerrière  n'empêchait  même  pas  que  les  Rois  ne  portassent  en  même     le  diadl 

(1)  On  lit  dans  Plutarque  que  le  casque  du  Roi  Pyrrhus  était  sur- 
monté de  deux  cornes  de  bélier.  On  voit  dans  le  Musée  Capitolin  (  Tora. 
III.  pi.  48  )  une  statue  ,  que  quelques  antiquaires  ont  prise  pour  celle  du 
$oi  Pyrrhus  ,  et  dont  Spallart  a  tiré  un  superbe  casque  ,  qu'il  donne  com- 
me authentique.  Mais  il  a  été  solidement  réfuté  par  Winckelmann ,  Echel 
et  Visconti.  Ce  dernier  antiquaire  croit  reconnaître  au  contraire  le  Dieu 
Mars  dans  cette  statue.  Lens  et  Roceheggiani ,  partageant  l'opinion  vul- 
gaire ,  l'ont  aussi  rapportée  comme  représentant  le  Roi  Pyrrhus. 

(2)  Lens.  Le  costume  etc.  par  Q.  H.  Martini  pag.  77  et  78. 

Europe,  F^qI.  If  3§ 


29B  Milice 

tems  le  diadème  ;  car  Alexandre  ayant  blessé  Lysimaque  au  front 
en  poursuivant  l'ennemi,  délia  son  diadème  pour  bander  sa  plaie  (1), 
On  vit  ensuite  les  Empereurs  Bysantins  avec  des  diadèmes  galeati^ 
ou  des  casques  qui  ont  à  leur  partie  inférieure  un  diadème  ,  enri- 
chi quelquefois  de  perles  et  de  pierres  précieuses,  usage  dont  nous 
avons  déjà  parlé  à  la  page  206.  Mais  ce  fut  principalement  sous- 
Huxeiani  les  successeurs  d'Alexandre  que  la  richesse,  le  luxe  et  la  magni- 
des  successeurs  fïcence    furent    étalés ,  non    seulement    dans    le    casque  3    mais  en- 

d' Alexandre.  iAin  it  ,  ,. 

core  dans  toute  1  armure  :  les  deux  camées  précieux  rapportés  sous 
les  n.°  1  et  a  de  la  planche  fa  nous  en  fournissent  un  exem- 
ple. Nous  avons  déjà  donné  à  la  planche  10  n.°  4  du  costume  des 
Egyptiens,  copie  du  beau  camée  représentant  Ptolémée  II  Phi- 
ladelphie s  avec  Arsinoè  fille  de  Lysimaque ,  sa  première  fem- 
me. «  Les  ornemens  du  casque  et  de  l'armure  ,  dit  Visconti  dans 
son  Iconographie  Grecque  ,  y  sont  dignes  de  remarque.  Un  grand 
serpent  ailé  déploie  ses  replis  sur  la  partie  la  pins  convexe  du 
casque:  c'est  le  serpent  de  Gérés,  divinité  que  les  Grecs  d'Ale- 
xandrie confondaient  avec  l'Isis  des  Egyptiens.  L'astre  Sothis  ,  ou 
la  canicule,  consacré  par  Memphis  à  celte  Déesse,  brille  au  des- 
sus de  la  tête  du  serpent.  Ce  casque  est  ceint  d'une  couronne  de 
laurier.  La  belle  chevelure  de  Philadelphe  ,  qu'un  poète  Grec 
contemporain  chanta  dans  ses  vers,  retombe  en  boucles  ondoyantes 
sur  son  cou  (a).  La  divine  égide  faite  eu  écailles,  et  garnie  de  ser- 
pens ,  lui  tient  lieu  de  cuirasse:  on  y  voit  le  masque  de  la  Gorgo- 
ne ï  et  un  autre  masque  barbu  avec  des  ailes  aux  tempes  :  c'est 
sans  doute  l'image  de  Phobos,  Dieu  de  la  terreur,  qu'Homère  avait 
déjà  placé  sur  cette  fatale  armure  (3) ,  qui  eut  des  temples  à  Ro- 
me ,  et  que  les  Grecs  regardaient  comme  le  fils  et  le  compagnon 
de  Mars  „  (4).  Le  camée  n.°  1  qui  se  voit  dans  le  cabinet  Impé- 
rial de  Vienne ,  n'est  pas  moins  admirable.  Il  représente  égale- 
ment   Philadelphe  ,   mais  moins  jeune  :  ce  qui  donne  à  penser  que 

(1)  Justini  Hist.  Liv.  IV.  chap,  III. 

(2)  Théocr.  Idyl.  XVIII.  v,   io3. 
£3)  Iliad.  V.  v.  ySg. 

(4)  Ce  camée  est  en  pierre  sardonico-onix.  Il  appartenait  jadis  au 
«abinet  des  Princes  Gonzaga  de  Mantoue.,  d'où  il  passa  ensuite  dans  celui 
de  la  Reine  Christine  de  Suéde  ;  il  avait  déjà  était  publié  dans  les  Musées 
Odescalco  et  Romain  }  comme  représentant  les  portraits  d'Alexandre  et  de 
sa  mère  Olympie  :  il  se  trouvait  en  dernier  lieu  dans  le  cabinet  de  l'Im- 
pératrice Joséphine.  Voy,  Visconti  Jcon.  gr.  vol.  III.  pag.  zoq. 


de   la    Grèce.  299 

la  tête  de  femme  qu'on  voit  à  côté,  puisse  être  celle  d'Arsinoé 
sa  sœur,  qu'il  épousa  dans  un  âge  plus  avancé  (1).  Les  choses  à 
remarquer  dans  ce  casque  sont ,  les  appendices  ou  les  joues  qui 
couvrent  la  barbe,  et  sur  lesquelles  est  figurée  la  foudre  3  symbole 
de  la  puissace  royale  ;  et  une  autre  appendice  qui  descend  sur 
le  cou  3  portant  Fempreinte  d'une  tête  de  Pan  ,  qu'il  est  aisé  de 
reconnaître  à  ses  cornes  de  bouc  ,  et  à  sa  barbe  agreste.  Cette 
tête  équivaut  à  celle  du  Dieu  de  la  terreur ,  car  Pan  était  re- 
gardé chez  les  Gentils  comme  la  divinité  d'où  tiraient  leur  ori- 
gine ces  terreurs  ,  qu'on  appelait  paniques.  Le  n.°  a  représente 
le  beau  buste  de  Minerve  en  jaspe  rouge  ,  qui  appartient  aussi  Casque 
au  Cabinet  Impérial  de  Vienne.  Stosch  ,  Winckelmann  et  Eckel  **"  *WW" 
mettent  ce  camée  au  nombre  des  plus  parfaits ,  qui  soient  jamais 
sortis  de  la  main  des  anciens  sculpteurs.  Il  porte  en  lettres  grec- 
ques le  nom  de  l'artiste  ,  qui  est  Aspasisus.  Ce  casque  ne  pourrait 
être  ni  plus  riche,  ni  plus  magnifique.  Le  cimier  est  surmonté  d'un 
sphinx  étendu;  plus  bas  on  voit  un  Pégase  et  un  griphon.  Pausa- 
nias  rapporte  que  le  casque  de  la  fameuse  Minerve  d'Athènes,  ou- 
vrage admirable  de  Phidias,  portait  aussi  un  sphinx  et  un  griphon. 
Minerve  avait  dompté  le  Pégase  avant  d'en  faire  présent  à  Bellé- 
rophon  ,  motif  pour  lequel  ce  cheval  fut  mis  au  nombre  de  ses  at- 
tributs. On  donna  encore  à  cette  Déesse  le  surnom  d'équestre,  pour 
avoir  combattu  ,  dans  la  guerre  des  géans  ,  sur  un  char  traîné  par 
des  chevaux  :  ce  à  quoi  semblent  faire  allusion  les  cinq  chevaux 
représentés  sur  la  partie  du  casque  qui  couvre  le  front. 

Les  Macédoniens  conservèrent  également  l'usage  des  cuirasses  Cuirasses  de  u, 
de  lin  à  plusieurs  doublures  ;  mais  cette  armure  n'était  point  ca^- 
pable  de  parer  les  coups  :  car  on  lit  dans  Plutarque ,  qu'Alexandre  , 
malgré  la  double  cuirasse  de  lin  dont  il  était  couvert,  courut  le  dan- 
ger d'être  percé  d'une  flèche  3  qui  pénétra  bien  avant  dans  son  ar- 
mure. De  même  Iphicrate  ,  comme  nous  l'avons  observé  ,  s'a  perce- 
vant que  les  cuirasses  des  Athéniens  étaient  trop  pesantes,  parce 
qu'elles  étaient  en  fer  ou  en  bronze,  les  fit  faire  en   lin  (2).  Nous 

(0  Voy.  la  description  que  fait  l'illustre  Ekel  de  ce  camée  merveil- 
leux ,  aussi  en  sardonico-onix.    Choix  des  Pierres  gravées  ,  etc.  PI.  X. 

(2)  L'usage  des  cuirasses  de  lin  commença  dès  les  tems  héroïques  , 
comme  nous  l'avons  vu  plus  haut.  Il  faut  lire  à  ce  sujet  la  dissertation  de 
Sigismond  Lebrecht  Hadelich  :  De  lineis  veterum  Heroum  thoracibus , 
et  de  insigni  illorum,  praestantia  in  re  militari.  Actor.  Acad,  Mogunt. 
Tom,  II.  pag.  672. 


3oo  M  ici  ce 

aurons  occasion  de  voir  de  ces  cuirasses,  lorsque  nous  parlerons  des 
exercices  gymnastiques  et  des  jeux  olympiques.  En  attendant,  nous 
en  présenterons  une  image  dans  le  guerrier,,  qu'on  voit  à  la  plan- 
che 43,  debout,  et  s'appuyant  sur  une  lance  à  laquelle  manque  la 
pointe,  peut-être  par  une  négligence  de  l'artiste.  La  forme  même  , 
et  les  plis  de  la  cuirasse  que  ce  guerrier  porte  par  dessus  sa  tu- 
nique 3  dénotent  clairement  que  le  tissu  en  est  de  lin  ou  de  chan- 
vre (1).  L'armure  de  l'autre  guerrier  qui  est  assis  mérite  également 
notre  attention.  Elle  consiste  en  une  tunique  simple  et  unie  ,  à 
laquelle  sont  attachées,  par  le  moyen  de  courroies  qui  tombent  des 
épaules,  trois  morceaux  de  métal  ronds  et  concaves,  qui  semblent 
destinés  à  défendre  le  sein  et  la  poitrine.  Quelquefois  on  trouve 
dans  les  monumens  des  cuirasses  sans  aucun  ornement,  et  faites 
avec  tant  d'art  ,  qu'elle  laissent  apercevoir  le  nu.  Telle  est  proba- 
blement celle  que  nous  avons  rapportée  au  n.°  9  de  la  plauche 
40,  et  qui  est  prise  des  vases  de  Milfin.  Cette  belle  cuirasse  est 
d'autant  plus  remarquable,  qu'on  y  distingue  en  outre  les  couleurs 
Changement    variées  de  la  doublure  (a).   Le    même    Iphicrate    introduisit  encore 

introduit  .  ,  •»  •   i    -       i  i  •  T  •>  •  <  / 

par  iphkrate.  un  changement  dans  I  usage  des  bouchers.  L  ancien  ,  appelé  aspis , 
était  grand,  pesant  et  difficile  à  manier;  il  y  substitua  la  pelta , 
ce  qui  eut  lieu  vers  l'an  III  de  la  CI  Olympiade  ,  environ  374  ans 
avant  l'ère  vulgaire  (3).  Il  est  bon  néanmoins  de  rapporter  l'obser- 
vation que  fait  Arrien  au  sujet  de  cette  innovation  ,  qui  est  que 
©plites ,  les  Grecs  avaient  trois  sortes  de  troupes  savoir  ;  les  Oplites  ,  les 
Peiiastcs.  Psiles  et  les  Peltastes.  «  Les  oplites,  dit-il,  ou  troupes  pesantes,  por- 
taient une  cuirasse,  un  bouclier  long  et  une  pique.    Les    psiles  au 

(1)  Cette  peinture  est  prise  de  la  planche  X.LI.  vol.  i.er  des  vases 
de  Miilin.  Ce  commentateur  habile  est  d'avis  ,  que  le  personnage  qu'on  y 
voit  représenté,  est  Issipile  donnant  à  boire  à  deux  héros  de  la  première 
guerre  de  Thébes.  Ce  ne  serait  pas  là  le  seul  exemple  que  nous  ayons 
d'un  fait  héroïque  ,  exprimé  sous  des  traits  qui  ne  convienent  peut-être 
pas  au  teins  où  il  eut  lieu.  Miilin  observe  que  le  petit  corps  circulaire 
qu'on  aperçoit  dans  le  champ  de  la  peinture  ,  représente  un  gâteau  sa- 
cré ,  ou  un  de  ces  emblèmes  religieux  ou  mistiques  ,  qu'on  rencontre  sou- 
yent  sur  les  vases,  pour    indiquer    qu'ils  ont  servi    aux  initiations. 

(2)  On  trouve  encore  une  cuirasse  semblable  à  la  planche  LV.  du 
i.er  vol.  des  vases  d'Hamilton  ,  édition  de  Naples. 

(3)  Au  sujet  des  HèXtai ,  pehae ,  voy.  la  note  n.°  17  de  Larcher 
gnj  le  premier  livre  de  l'Expédition  de  Çyrus  dans  l'Asie  supérieure, 


de    la    Grèce.  Soi 

contraire  n'avaient  ni  cuirasse,  ni  bouclier  long,  ni  casque  ni  jam- 
barts.  Ils  ne  se  servaient  que  d'armes  propres  à  être  lancées,  telles 
que  Tes  flèches ,  le  javelot,  et  les  pierres  qu'ils  jettaient  avec  la 
fronde  ou  avec  la  main.  Les  peltastes  étaient  des  troupes  plus  lé- 
gères que  les  oplites  ,  et  plus  pesantes  que  les  psiles.  Leur  pelta , 
ou  bouclier,  était  plus  petit  et  plus  léger  que  Vaspis -,  leur  javelot 
moins  grand  et  moins  lourd  que  la  pique  ,  et  plus  pesant  que 
le  javelot  des  psiles  „.  Mais  depuis  l'innovation  dont  nous  venons 
de  parler,  il  n'est  plus  fait  mention  des  oplites  dans  les  troupes 
Grecques,  et  il  semble  même  qu'elles  n'étaient  généralement  com- 
posées alors  que  des  psiles  et  des  peltastes.  Il  parait  aussi  ,  qu'à 
l'exemple  d'Iphicrate^  Cleomène  II  Roi  de  Sparte  opéra  des  ohan- 
gemens  utiles  dans  l'armure  des  Lacédémoniens  :  car  on  lit  dans 
Plutarque  ,  qu'après  avoir  augmenté  le  nombre  des  citoyens  de  cet 
état  par  l'incorporation  des  habitans  les  plus  distingués  des  pays 
voisins,  ce  Roi  créa  un  corps  de  quatre  mille  piétons,  qu'il  exerça 
au  maniement  de  la  sarisse  à  deux  mains,  ou  de  la  lance  longue,  au 
lieu  de  la  lance  ordinaire,  et  à  porter  le  bouclier,  non  avec  des  attaches, 
mais  passé  dans  le  bras.  Or  ces  troupes  n'auraient  pu  se  servir  en 
même  tems  de  la  sarisse  et  du  bouclier,  si  ce  dernier  n'eût  été 
beaucoup  plus  petit  que  celui  dont  les  anciens  fesaient  usage  (i). 
Le  n.°  10  de  la  planche  40  représente  un  bouclier  d'Argos,  qui  Boudin» 
portait  également  le  nom  d'aspis.  Il  est  pris    des    monumens    anti-* 

(1)  M.r  l'abbé  Fourmont ,  dans  le  voyage  qu'il  fit  au  levant  en  1729 
et  1730  ,  découvrit  parmi  les  ruines  du  temple  d'Apollon  à  Amiclée ,  ville 
de  Laconie  ,  située  au  pied  du  Taigéte  ,  trois  boucliers  Spartiates  ,  dont 
deux  étaient  sculptés  en  relief  sur  une  pierre  d'un  gris  obscur ,  et  le  troi- 
sième sur  une  pierre  presque  noire.  Ils  étaient  de  forme  ovale  ,  qui  cepen- 
dant se  terminait  en  pointe  aux  extrémités  de  sa  longueur  ,  à  l'exception 
du  troisième  ,  dont  une  autre  pierre  sur  laquelle  il  était  posé  comme  un 
trophée  ,  ou  comme  un  monument  sépulcral ,  ne  permettait  guéres  de  dis- 
tinguer la  partie  inférieure.  Le  premier  de  ces  boucliers  avait  3  pieds  et 
8  pouces  de  longueur  ,  sur  2  pieds  et  8  pouces  de  largeur  ,  et  6  pouces 
d'épaisseur.  Il  n'avait  qu'une  seule  écbancrure  t  ce  qui  donne  à  présumer 
que  le  guerrier  ne  s'en  servait  que  de  la  main  droite.  A  l'une  des  extré- 
mités était  gravée  la  lettre  a  ,  et  à  l'autre  la  lettre  k,  qui  _,  selon  M.r  Four- 
mont  ,  indiquent  le  mot  aaiun.  Au  milieu  était  une  massue ,  sur  un  des 
côtés  de  laquelle  on  lisait  en  Grec  Archidamus  ,  et  cle  l'autre  Agesilavi 
filius.  Voy.  Y  Histoire  de  V  Académie  Royale  des  Inscriptions  etc.  Tom^ 
?LVI.  pag'   10 1. 


d'An 


Sôa  Milice 

ques  de  Winckelmann  ,  et  laisse  distinguer  suffisamment  la  disposi- 
tion des  anses  ou  liens  ,  par  le  plus  grand  desquels  ,  qui  est  vers 
le  milieu  du  bouclier,  le  guerrier  passait  son  bras ,  et  saisissait  avec 
la  main  l'autre  plus  petit  qui  est  vers  le  bord  (i).  Au  contraire 
dans  les  boucliers  ovales  >  le  plus  grand  de  ces  liens  se  trouvait 
ïdta.  au  bord ,  et  non  au  centre.  La  pelta  était  un  bouclier  petit ,  léger 
et  facile  à  manier  ;  elle  avait  d'un  côté  une  échancrure  ,  qui  lui 
donnait  la  forme  d'une  demi-lune.  Ce  bouclier  était  particulier  aux 
Amazones  et  aux  Thraces  ,  avec  cette  différence  ,  que  celui  des 
Amazones  n'avait  qu'une  échancrure  ,  tandis  que  celui  des  Thraces 
en  avait  deux.  Il  est  inutile  que  nous  en  retracions  ici  la  figure , 
après  ce  que  nous  en  avons  dit  en  parlant  des  Amazones.  Nous 
observerons    seulement    que  les  Grecs ,  ainsi  que  les  autres  peuples 

Emblèmes snr    de  l'antiquité  3  portaient  sur  leurs  boucliers  l'emblème    de    leur  pa- 
ies boucliers.  .  ..        -  .  .   .       .      .  .     ,     '    . 

trie  ou  de  leur  nation.  Ainsi,  les  Athéniens  avaient  pour  la  plupart 
sur  le  leur  une  chouette,  les  Mycéniens  un  lion,  les  troupes  d' A r- 
gos  un  loup ,  les  Macédoniens  et  les  Thessaliens  un  cheval ,  et  les 
Siciliens  la  Triquetra  ,  qui  était  une  figure  composée  de  trois  jam- 
bes,  représentant  les  trois  caps  ou  promontoires  de  la  Sicile.  Au 
lieu  de  cet  emblème,  on  ne  voyait  quelquefois  que  la  lettre  initiale 
du  nom  de  la  ville  à  laquelle  le  guerrier  appartenait;  c'est  pour- 
quoi on  lisait  la  lettre  A  sur  les  boucliers  de  Lacédémone  ,  et  la 
lettre  A  sur  ceux  d'Argos:  d'autres  fois  aussi  ces  lettres  s'y  trouvent 
réunies  avec  les  emblèmes  (a). 
Surisse,  Quant  aux  armes  offensives,  nous  n'avons  rien    à    ajouter  à    ce 

Macédonienne,  que  nous  en  avons  dit  en  parlant  des  tems  héroïques ,  car  leur  for- 
me n'a  pas  changé  dans  les  tems  historiques ,  et  la  différence  des 
unes  aux  autres  ne  consiste  peut-être  que  dans  leur  plus  ou  moins 
de  grandeur.  Par  exemple ,  la  sarisse  ou  lance  Macédonienne  avait 
quatorze  coudées  de   longueur  ,  qui  valent  6  mètres  et  82  cent. ,  et 

(1)  Le  monument  est  en  marbre  ,  et  appartenait  à  la  Maison  de  plai- 
sance Albani.  Il  représente  un  héros  à  genoux ,  tombé  en  défaillance  et 
moribond.  V.  Monum.  ant.  num.    109. 

(2)  Tydée  avait  un  bouclier  auquel ,  d'après  la  description  qu'en  fait 
Escmle ,  étaient  suspendues  des  sonnettes  pour  effrayer  l'ennemi  par  leur 
son.  On  ne  finirait  pas  si  l'on  voulait  faire  mention  de  tous  les  objet9 
étrangers  qui  furent  ajoutés  aux  boucliers  en  guise  d'ornement ,  ou  pour 
d'autres  motifs.  Voy.  les  ouvrages  de  Winkelmann ,  de  Hamilton  ,  de 
Millin  etc. 


de    la    Grèce.  3o3 

ressemblait  par  conséquent  à  celle  appelée  Contus  j  dont  on  se 
servait  sur  les  vaisseaux  pour  en  repousser  l'ennemi ,  comme  nous 
l'avons  déjà  observé.  Ce  serait  ici  le  lieu  de  parler  des  tentes  3  des  for-  Tmtm 
tifications  et  des  machines  de  guerre.  Mais,  d'abord  pour  les  ten- 
tes, nons  n'avons  aucun  monument  authentique,  d'après  lequel  nous 
puissions  nous  en  former  une  idée  précise.  Il  est  néanmoins  proba- 
ble qu'elles  ne  différaient  pas  de  celles  des  autres  peuples,  et  que 
par  conséquent  elles  étaient  composées  de  toile  ou  de  peau ,  comme 
celles  qu'on  voit  sur  la  Table  Iliaque,  malgré  l'anachronisme  qui 
les  y  a  fait  placer  ,  et  que  nous  avons  remarqué  plus  haut  :  d'un 
autre  côté  il  est  également  à  présumer  que  les  Grecs ,  surtout  du 
tems  d'Alexandre  ,  imitèrent  le  luxe  Asiatique  dans  leurs  tentes  : 
car  Trebellius  Pollion  ,  en  parlant  d'Hérode  fils  d'Odenate  Roi 
de  Palmire  ,  dit  que  c'était  l'homme  le  plus  efféminé;  qu'il  af- 
fichait  tout  le  luxe  de  l'orient  et  de  la  Grèce  ;  que  ses  tentes  étaient 
dorées  et  ornées  de  figures  en  broderie  ,  et  qu'enfin  il  imitait  en» 
tout  la  magnificence  des  Perses. 

Les  Grecs  n'avaient  encore  fait  que  très- peu  de  progrès  dans  Fortifications t 
l'art  de  fortifier  et  de  défendre  les  villes.  Il  suffit  de  savoir  qu'Ito-  "ZhùïarT/* 
me  ville  des  Messéniens  dans  le  Péloponnèse ,  soutint  contre  les 
Spartiates  un  siège  de  dix  neuf  ans,  et  qu'elle  ne  dut  point  cette 
longue  résistance  à  ses  fortifications ,  mais  à  l'ignorance  des  assied 
geans  (i),  et  à  l'avantage  de  sa  position  sur  un  mont  escarpé  (a). 
A  cette  époque,  l'architecture  militaire  ne  différait  guères  de  la 
cyclopéenne  dont  nous  avons  déjà  parlé,  et  n'avait  peut-être  gagné 
que  dans  la  coupe  des  pierres  dont  les  murs  étaient  bâtis ,  comme 
on  le  voit  par  les  restes  de  Larisse ,  par  les  descriptions  que  nous 
avons  du  Pyrée  et  de  l'Acropolis  d'Athènes  ,  sur  lesquels  nous 
reviendrons  à  l'article  de  l'architecture.  Il  parait  néanmoins  que 
l'art  et  l'expérience  avaient  appris ,  dans  les  derniers  tems,  à  donner 
aux  tours  une  disposition  qui  était  fort-ingénieuse  ,  et  à  profiter  des 
avantages  du  terrein.  TSious  ne  pouvons  mieux  faire  à  cet  égard  , 
que  de  rapporter  ici  ce  qu'on  lit  dans  Dion  Cassius  au  sujet  du  siège 
de  Bysance  par  Septime  Sévère:  «  Les  Bysantins  firent  des  choses 
"  extraordinaires,  non  seulement  du  vivant  de  Negro  ,  mais  encore 

(i)  La  prise  de  cette  ville  mit  fin  à  la  première  guerre  de  Messéne  j 

la  seconde  année  de  la  XIV.e  olympiade  de  Corèbe  ,  723  ans  avant  notre  ère; 

(2)  Paus.  liv.  IV.  cliap.  IX.  Voyez  Goguet,  III. e  Partie,  liv.  V.  art.  I.er 


3o4  Milice 

«  après  sa  mort.  Leur  ville ,  qui  se  trouvait  dans  la  situation  la 
<t  plus  favorable,  et  par  rapport  à  la  terre  ferme  qu'elle  a  de  cha- 
«  que  côté  ,  et  par  rapport  à  la  mer  qui  passe  au  milieu  3  était  par 
«  la  nature  même  du  Bosphore  extrêmement  forte.  Bâtie  sur  un 
«  lieu  éminent  du  rivage,  elle  dominait  la  mer,  qui  coule  comme 

«  un  torrent  et  baigne  le  promontoire Ses  murs    avaient 

<c  un  parapet  en  grosses  pierres,  de  forme  carrée,  et  liées  ensemble 
«  par  des  crampons  de  fer:  en  dedans  il  y  avait  un  retranchement 
«  et  autres  ouvrages,  dont  l'ensemble  ne  semblait  faire  qu'un  seul 
«  corps  avec  le  mur,  sur  lequel  on  pouvait  se  promener  librement  et 
«  à  couvert.  De  distance  en  distance  s'élevaient  de  hautes  tours,  sur 
«  les  côtés  desquelles  il  y  avait  des  petites  portes  placées  les  unes  en 
«  face  des  autres.  Il  résultait  de  là,  que  ceux  qui  avaient  escaladé 
«  le  mur  se  trouvaient  pris  entre  ces  tours,  parce  que  n'étant  point 
<«  disposées  sur  une  ligne  droite ,  mais  suivant  la  courbure  du  rem- 
«  part ,  et  très-près  les  unes  des  autres ,  ceux  qui  osaient  s'enga- 
«  ger  trop  loin  se  voyaient  bientôt  enveloppés  de  toutes  parts.    Du 

",  côté  de  la  terre  le  mur  était  très-élevé, mais  il  n'en  était  pas 

«  ainsi  du  côté  de  la  mer,  où  les  rochers  sur  lesquels  ce  mur  était 
<«  assis,  et  l'agitation  des  flots  présentaient  une  fortification  natn- 
«  relie.  Les  deux  ports  de  cette  ville  étaient  fermés  avec  des  chai- 

«  nes Sa  force  et  sa  sûreté  ne    consistaient    pas   seulement 

«  dans  ses  remparts  ,  mais  encore  dans  les  machines  de  toutes  sortes 
«  dont  ils  étaient  garnis,  parmi  lesquelles  il  y  en  avait  qui  lan- 
ft  çaient  de  grosses  pierres  et  des  poutres  contre  l'ennemi  qui  s'en 
«  approchait,  et  d'autres  qui  fesaient  pleuvoir  au  loin  sur  lui  une 
<t  grêle  de  pierres,  de  dards  et  de  flèches  ....  Il  y  avait  aussi 
<t  de  ces  machines  armées  de  crochets  qu'on  lançait  soudainement, 
«  et  qui  retirés  précipitamment  enlevaient  les  machines  et  les  vais- 
<i  seaux  de  l'ennemi  (i).   „ 

On  voit  par  ce  passage  que,  dans  les  derniers  tems,  les  Grecs 
savaient  tirer  parti  des  avantages  du  terrein.  Peut-être  que  ces  rocs 
escarpés  qui  s'élèvent  dans  la  Thessalie,  et  auxquels  les  Grecs  mo- 
Météores.  dernes  ont  donné  le  nom  de  Météores,  furent  ce  qui  retarda  le 
plus  les  Macédoniens  et  les  Romains  dans  leurs  conquêtes.  Leur  po- 
sition et  leur  forme  offraient  un  asile  sûr,  d'où,  une  poignée  d'hommes 
y  armés  pouvait  inquiéter  la  marche  et  les  opérations  d'une  armée  nom- 

(i)  Cassii  Dionis  Histor.  Rom.  Hamb,  1862  liv.  LXXIV.  §.  10  et  ji, 


ce    la    Grèce.  3o5 

breuses.  Aujourd'hui  c'est  une  retraite  de  moines;  dans  les  fems  de 
persécution  et  de  révolte  ces  rocs  forment  des  positions  inaccessibles , 
et  des  boulevards  imprenables ,  que  les  armées  Turques  ne  peu- 
vent réduire  que  par  famine.  Les  Grecs  des  terns  historiques  n'avaient  £%«. 
pas  fait  non  plus  de  grands  progrès  dans  Fart  militaire,  et  n'étaient 
guères  portés  à  entreprendre  des  sièges  longs  et  difficiles;  leur  ca- 
ractère inquiet  et  bouillant  leur  fesait  préférer  de  décider  toutrà- 
coup  leurs  guerres  par  une  bataille,  plutôt  que  de  supporter  les  in- 
commodités et  les  fatigues  d'un  siège.  Plutarque  dit,  dans  la  vie  de 
Lysandre,  que  Lycurgue  avait  même  défendu  les  sièges  aux  Lacédémo- 
niens,  comme  étant  une  opération  sans  gloire  et  indigue  d'eux.  Il  ne 
faut  donc  pas  s'étonner,  si,  après  la  bataille  de  Platée,  ils  ne  purent 
jamais  franchir  une  fortification  en  buis,  derrière  laquelle  Mardo- 
nius  s'était  retiré  avec  ses  Perses  (i).  Toute  la  science  des  Grecs , 
en  f.it  de  sièges  ,  consistait  à  entourer  la  ville  ennemie  d'une  pa- 
lissade ou  d'un  retranchement,  pour  se  mettre  à  l'abri  de  toute 
surprise  de  la  part  des  assiégés  ,  et  à  en  faire  autant  du  côté  par 
où  il  était  à  présumer  que  la  ville  put  recevoir  des  vivres  ou  des 
secours.  C'est  ainsi  que,  dans  la  guerre  du  Péloponnèse,  Thucy- 
dide éleva  autour  de  Platée  un  double  mur,  l'un  du  côté  de  la 
ville,  et  l'antre  du  coté  d'Athènes,  pour  mettre  ce  point  à  l'abri 
de  tout  danger  9  et  serra  entre  ces  deux  murs  l'armée  des  as- 
siégeais. Le  seul  stratagème  dont  nous  voyons  qu'on  fit  quelque- 
fois usage  dans  ces  opérations  militaires,  était  de  chercher  à  in- 
cendier la  ville  as-i^gée.  Thucydide  dit  que  les  Péloponnésiens 
essayèrent  de  brûler  Platée  s  au  moyen  d'un  grand  amas  de  bois 
qu'ils  entassèrent  devant  ses  murs,  et  qu'ils  embrasèrent  avec  de  la 
poix  et  du  soufre.  On  prétend  qu'Alcibiade  usa  d'un  semblable 
moyen  contre  Syracuse  (a).  On  fesait  encore  un  autre  usage  du  feu 
contre  les  villes  assiégées:  car  Apollodore  suggère  d'approcher  des 
murs  ennemis  des  caisses  pleines  de  charbon  allumé,  et  dont  l'ac- 
tivité soit  sans  cesse  entretenue  par  l'action  du  soufflet.  Végèce 
parie  d'un  expédient  encore  plus  simple  et  plus  désastreux  :  c'était  de 

(i)  V.  Hérodot.  Kv.  IX.  cliap.  LXIX. 

(2)  Les  anciens  fesaient  encore  usage,  dans  leurs  guerres  maritimes, 
de  navires  remplis  de   matières  inflammables,  qu'ils  poussaient  ensuite  sur    . 
l'ennemi.  C'est  ce  que  firent  les    Tyriens  contre  Alexandre.   Voy.  Arrieft 
liv.  II.   cliap.  XIX, 

Europe.  Vol.  I,  ;j9 


3o6  Milice 

saper  les  fondemens  des  murailles    après  les  avoir    étayées   par  deâ 
pièces  de  bois  ,  et  de    mettre    le  feu    à  ces    étais    qui  entraînaient 
^bientôt  dans  leur  chute  celle  du  mur  qu'ils  soutenaient. 
Machines  Ce  serait  ici  le  lieu  de  parler  des    machines    militaires,   mais 

militaires.         ».  <    i  t  j  1 

deux  raisons  nous  empêchent  d  entamer  pour  le  moment  ce  sujet  : 
la  première  j  c'est  que  nous  n'avons  que  des  notions  vagues  et  très- 
confuses  sur  ces  machines,  car  à  réserve  de  la  colonne  Trajane ,  il 
ne  nous  est  parvenu  aucun  monument  qui  nous  en  ait  conservé  la 
forme  (i);  la  seconde  c'est  qu'elles  ne  diffèrent  point  de  celles  qui 
étaient  en  usage  chez  les  Romains,  et  dont  Yifruve  et  Ammien 
Marcellin  nous  ont  donné  la  description.  Nous  renvoyons  donc  nos 
lecteurs  à  l'article  de  l'art  militaire  des  Romains,  où  nous  traite- 
rons des  machines  de  guerre  des  anciens  (a).  Nous  observerons  seu- 
lement ici  ,  qu'on  ne  sait  rien  de  certain  sur  l'époque  où  les 
Grecs  commencèrent  à  en  faire  usage  :  Thucydide  assure  qu'on 
s'en  servit  pour  la  première  fois  dans  la  guerre  du  Péloponnèse  ; 
d'antres  prétendent  que  ce  fut  Périclés  qui  les  employa  le  premier' 
dans  la  guerre  de  Samos  (3).  Quant  aux  machines  inventée  par 
Archiméde,  nous  en  parlerons  à  l'article  des  sciences  et  de  la 
marine.  Les  mêmes  raisons  nous  déterminent  à  ne  rien  dire  pour 
chars  armés    \e  moment  des  chars  armés  de  faux.  Ils  n'étaient  proprement  usités 

de  faux.  i-n  •  i 

que  chez  les  barbares  et  surtout  les  rersans,  et  il  ne  nous  est  reste 
aucun  monument  qui  nous  en  retrace  l'image.  Nous  savons  pour- 
tant, d'après  les  descriptions  qu'on  en  trouve  dans  les  anciens  écri- 
yains,  que  ces  chars  avaient  deux  grandes  roues,  et  que  leur  circon- 
férence, ainsi  que  l'extrémité  de  l'essieu,  étaient  armées  de  faux.  Le 
bout  du  timon  présentait  également  deux  longues  pointes;  et  de 
grosses  lames  tranchantes  défendaient  le  derrière  du  char,  pour  em- 

(i)  Les  auteurs  de  l'Encyclopédie  méthodique  donnent ,  à  la  pag.  107  , 
la  figure  d'une  balestre  ,  que  Cyriaque  d'Ancone  avait  fait  dessiner  en 
Grèce  sur  un  ancien  monument.  Mais  cette  figure  nous  semble  manquer 
de  l'authenticité  qui  serait  à  désirer  :  les  parties  qui  composent  la  machine 
ne  sont  pas  suffisamment  distinctes ,  et  l'on  ne  voit  point  comment  se  fe- 
sait  le  maniement  de  l'arc. 

(2)  Au  sujet  des  trois  machines  militaires  des  anciens ,  savoir  ;  la  Ca- 
tapulte ,  la  Balestre  etc.  on  peut  encore  consulter  la  savante  Dissertation 
de  M.r  Siberschlag  dans  l'Histoire  de  l'Académie  Royale  des  Sciences  et 
belles  Lettres  de  Berlin.  Année  mdcclx. 

(3)  Voy.  Potter.  Arch.  gr.  liv.  III.  chap.  X. 


de    la    Grèce.  %cj 

pêcher  l'ennemi  d'y  monter.  Mais  Alexandre,  dans  sa  guerre  contre    jkjgjjjjjj 
Darius,  trouva  le  moyen  de    paralyser    l'effet    de  ces  armes  meur-  contre  les  chars 

11  t  1        t    •         armés  de  faux. 

trières,  eu  donnant  l'ordre  à  ses  phalanges  de  s  ouvrir  et  de  lais- 
ser passer  en  silence  les  chars  qui  les  portaient,  s'ils  étaient  pous- 
sés contre  elles  avec  fracas;  et  au  contraire  de  les  acceuillir  à 
grands  cris ,  et  de  chercher  à  épouvanter  tes  chevaux  ,  et  à  les 
blesser  à  coups  de  dards,  s'ils  s'avançaient  sans  bruit  (i).  Curtius 
dit  que  le  premier  expédient  eut  un  heureux  effet  :  car  les  Macé- 
doniens ayante  par  une  évolution  subite,  enveloppé  les  chars,  as- 
saillirent les  chevaux  avec  leurs  longues  piques,  et  mirent  l'armée 
entière  en  déroute.  Le  second  expédient  n'eut  pas  moins  de  succès , 
au  rapport  de  Diodore  }  dans  une  autre  occasion:  les  chevaux  épou- 
vantés par  le  bruit  des  armes  et  les  cris  des  Macédoniens  se  re- 
tournèrent contre  •  l'armée  des  Perses,  et  y  portèrent  le  désordre 
et  le  carnage.  Alexandre  sut  aussi  rendre  inutile  le  secours  des 
éléphans  dans  les  combats.  Lorsque  dans  la  guerre  contre  Porus  Etàpkans 
Roi  des  Indes,  les  Macédoniens  .virent  pour  la  première  fois  ces  les  combats. 
animaux  terribles,  qui  formaient  la  première  ligne  de  l'armée  en- 
nemie ,  ils  en  furent  tellement  épouvantés,  qu'ils  ne  purent  conser- 
ver l'ordre  dans  leurs  phalanges.  Diodore  compare  cette  file  d'élé- 
phans  aux  remparts  flanqués  de  tours  d'une  ville  fortifiée  :  ce  qui 
donne  à  présumer  qu'ils  portaient  sur  leur  clos  des  tours  garnies  de 
soldats  ,  comme  chez  les  Ethiopiens  et  les  Indiens.  Majs  Alexandre 
s'aperçut  bientôt  de  la  faiblesse  de  ces  machines  ambulantes  :  An- 
ceps  auxïlii  genus  ,  disait-il  à  ses  soldats  effrayés  à  l'aspect  des 
éléphans ,  et  in  suos  acrius  furit.  In  hostem  enim  imperio  ,  in  suos 
pavore  agitur  (2).  Ils  les  fit  d'abord  attaquer  avec  des  lances  for- 
tes et  longues;  mais  voyant  que  la  phalange  ne  pouvait  tenir  con- 
tre le  choc  de  ces  animaux  monstrueux  ,  il  fit  marcher  contre 
eux  ses  troupes  légères,  qui  les  accablèrent  d'une  grêle  de  traits., 
les  effrayèrent,  et  rétablirent  ainsi  l'ordre  dans  les  rangs.  Le  hé- 
ros   Macédonien    employa    un    moyen    encore    plus    efficace  ,    pour 

(i)  His  ita  ordinatÀs ,  praécepib  ub ,  si  falcatos  currus  cuin  fre- 
mibu  Barbari  emibberent  ,  ipsi  laxatis  ordinïbus  impebum  occurrenbhun 
silenbio  exciperenb  :  haud  dubius  sine  noxa  transcursuros  ,  si  neino  se 
opponereb;  sin  au&em  sine  fremibu  immisissenb  ,  eos  ipsi  clamore  terre 
renb ,  pavidosque  equos  telis  ubrimque  suffoderenb.  Q.  Gurt.  liv.  IV. 
ebap.  XII.  §•   35. 

(2)  Q.  Gurt.  liv.  VIII.  chap.  XIV.  §.    1.6. 


des  Centaures, 


3o8  Milice 

se  débarasser  des  éléphans  qu'on  lui  opposait,  et  faire  tourner  leur 
force  au  détriment  de  l'ennemi  ,  ce  fut  de  les  faire  blesser  aux 
pieds  avec  des  haches ,  et  à  la  trompe  avec  des  glaives  recourbés 
comme  des  faux  (i).  Cela  n'empêche  pas  cependant  que  les  succes- 
seurs d'Alexandre  n'introduisissent  l'usage  de  ces  animaux  dans  leurs 
armées;  et  l'on  en  vit  chargés  de  tours  parmi  les  troupes  de  Pyr- 
rhus et  d'AntiochuSj  dans  leurs  guerres  contre  les  Romains  (2). 
cwaierie  II  ne  nous  reste  pi  us  à  parler  maintenant  que  de  la  cavalerie 

v'opdue1.mt  proprement  dite.  Nous  avons  déjà  observé  que  l'art  de  monter  à 
cheval ,  quoiqu'encore  ignoré  dans  les  tems  héroïques ,  était  néan- 
moins connu  du  tems  d'Homère.  Il  semble  même  qu'il  était  déjà 
porté  à  un  certain  degré  de  perfection  5  au  moins  dans  l'Asie  mi- 
neure ,  où  ce  poète  composa  vraisemblablement  ses  ouvrages.  Or  il 
se  présente  ici  trois  questions  à  résoudre:  premièrement,  à  qui  doit- 
on  l'invention  ou  l'introduction  de  cet  art  en  Grèce?  secondement , 
quand  l'usage  de  la  cavalerie  a-t-il  commencé  dans  les  années  Grec- 
ques ?  troisièmement,  quel  était  le  caractère  propre  de  cette  cava- 
Fabie  îerie  ?  Laissant  de  côté  ce  que,  d'après  une  simple  tradition  vul- 
gaire, Iginus,  Pline  et  Pausanias  ont  rapporté  sur  l'ancienneté  de 
i'équitation,  dont  les  deux  premiers  font  honneur  à  Bellérophon  ,  nous 
prendrons  pour  commencement  de  nos  recherches  les  Centaures  , 
peuple  de  la  Thessalie  ,  qui  a  été  généralement  regardé  comme 
l'inventeur  de  cet  art:  d'où  est  née,  selon  quelques  érudils,  la  fa- 
ble de  leur  figure  monstrueuse.  Pindare  semble  avoir  été  le  pre- 
mier à  peindre  les  Centaures  comme  des  monstres  moitié  hommes 
et  moitié  chevaux:  ce  qui  les  a  fait  passer  pour  être  les  inventeurs 
de  I'équitation.  Mais  les  Centaures  étaient  représentés  d'une  toute 
autre  manière  dans  les  monumens  antérieurs  à  ce  poète.  Dans  la 
description  qu'il  fait  du  combat  des  Centaures  avec  les  Lapithes , 
retracé  sur  le  bouclier  d'Hercule,  Hésiode  ne  met  d'autre  diffé- 
rence entre  les  uns  et  les  autres  ,  sinon  que  les  Lapithes  portaient 
\m  casque  et  une  cuirasse,  tandis  que  les  Centaures  n'avaient  aucune 
arme  défensive.  Homère,  en  parlant  de  ce  combat,  donne  aux 
Centaures  l'épithète  de  sauvages,  de  monstres  couverts  de  poil,  de 
féroces  montagnards  ,  expressions  qui  n'indiquent  autre  chose  que 
la  rudesse  et  la  férocité  de  ce  peuple  ;  d'où  il  faut    cenclnre   que 

(i)  O.  Curt.  liv.  G.  et  Diod.  liv.  XVII.  chap.  9. 

fa)  V.  Fiorus  liv.  I.cr  chap.  XVIII.  et  T.  Live  liv.  XXXVII.  §.  40. 


r>  e   la    Grèce.  3o9 

la  fable  des  Centaines,  comme  moitié  hommes  et  moitié  chevaux, 
est  postérieure  an  siècle  d'Homère  et  d'Hésiode  ,  qui  n'auraient 
certainement  pas  manqué  d'en  embellir  leurs  poèmes ,  si  elle  leur  eût 
été  connue.  On  lit  eu  outre  dans  Pausanias ,  que  sur  le  fameux  c^;7;^u^, 
coffre  des  Cipsélides,  dont  les  bas-reliefs  appartenaient  au  huitième  de/ec,co^w< 
siècle  avant  l'ère  vulgaire,  on  voyait  le  Centaure  Chiron  représenté 
avec  des  pieds  d'homme  ,  et  semblable ,  non  à  un  homme  qui  est 
en  croupe  sur  un  cheval,  mais  qui  conduit  cet  animal  par  la  bride. 
Ainsi  la  figure  de  ce  Centaure  n'avait  rien  de  commun  avec  Part  de 
monter  à  cheval  :  elle  indiquerait  tout  au  plus  un  homme  qui  panse 
ou  conduit  les  chevaux,  de  la  même  manière  que  la  figure  du  Sa- 
tyre 5  monstre  aux  pieds  de  bouc  ,  annonçait  un  pâtre  ou  gardien 
de  chèvres.  D'après  toutes  ces  remarques ,  on  ne  peut  guères  accor- 
der aux  Centaures,  ou  Thessaliens,  l'honneur  d'avoir  été  les  pre- 
miers à  monter  à  cheval  (i).  Peut-être  que  la  grande  célébrité 
accordée  aux  chevaux  et  aux  cavaliers  Thessaliens  dans  les  tems 
héroïques,  fut  ce  qui  donna  lieu  à  la  fable  des  Centaures,  rappor- 
tée depuis  par  tous  les  poètes  postérieurs  à  Pindare. 

On  ne  peut  guères  non  plus  adopter  l'opinion  de  ceux  qui  ^J^^'ff 
font  remonter  à  une  haute  antiquité  l'art  de  Féquitation  chez  les  re%és*^és 
Grecs,  lorsque  les  monumens  nous  représentent  les  Tyndarides, 
c'est-à-dire  Castor  et  Pollux  ,  à  cheval.  L'antiquité  de  ces  mo- 
numens ne  va  pas  au  de  là  de  la  guerre  de  Messène  ,  car  le 
sculpteur  Baticle  fut  le  premier  qui  représenta  les  Tyndarides 
à  cheval  dans  un  bas-relief  d'Amyclée.  Il  est  bien  vrai  qu'Homère 
donne  à  Castor  iepîthète  de  iartéiapûç  ,  dompteur  de  chevaux? 
mais  il  appelle  aussi  du  même  nom  les  Troyens  qui  combattaient 
sur  des  chars,  et  nous  avons  déjà  vu  dans  quel  sens  il  faut  enten- 
dre chez  ce  poète  le  mot  de  cavalier.  Dans  les    jeux    funèbres    de 

(i)  Le  mot  Centaure  3  qui  dérive  du  grec  Ke^téo  ,  je  combats  ,  et 
ravpcç  ,  taureau ,  signifie  proprement  bouvier,  nom  qui  fut  donné  aux 
compagnons  d'Ixion  ,  parce  qu'ils  reconduisirent  avec  l'aiguillon  à  leurs 
étables  les  bœufs,  que  la  piqûre  des  taons  avait  rendus  furieux.  «  Ce  ne 
fut ,  dit  Fréret ,  que  du  tems  de  Xénophon  ,  qui  vivait  environ  soixante 
ans  avant  Pindare  ,  qu'on  commença  à  prendre  la  fable  des  Centaures 
comme  un  emblème  de  X èquitation  ;  je  ne  saurais  dire  néanmoins  si  cette 
opinion  était  ancienne  :  car  pour  appliquer  la  fable  à  l'art  de  monter  à 
cheval ,  Xénophon  change  le  nom  de  Centaure,  qui  ne  veut  dire  autre 
chose  que  bouvier,  en  celui  à'Hyppocenbaure  inconnu  à  tous  les  anciens 
poètes.  » 


3iO  Milice 

Pélias  ,  qui  étaient  figurés  sur  le  coffre  des  Cipsélides,  on  vovaifc 
Poilux  parmi  ceux  qui  se  disputaient  le  prix  à  la  course  des  chars. 
Pausanias  rapporte,  d'après  une  tradition  des  Eléens ,  que,  dans 
les  jeux  funèbres  de  Pélops  t  Castor  remporta  le  prix  de  la  course 
à  pied,  et  Poilux  celui  du  pugilat.  Enfin  Pindare,  qui  parle  si 
souvent  des  Tyndarides ,  ne  leur  donne  ni  chevaux  ni  chars,  et 
les  fait  toujours  courir  à  pied  ,  en  quoi  il  vante  singulièrement  leur 
légèreté  et  leur  vitesse.  Ces  considérations  nous  portent  à  regarder 
comme  vraisemblable  la  conjecture  de  Fréret ,  qui  n'est  pas  éloigné 
de  croire  que  les  Tyndarides  ,  devenus  après  leur  apothéose  les 
protecteurs  de  la  navigation,  aient  eu  pour  emblème  le  cheval  ma- 
rin, qu'on  joignait  aussi  aux  statues  de  Neptune,  comme  étant  ce- 
lui de  la  navigation  ([).  Ainsi  il  n'est  pas  hors  de  probabilité  que 
les  poètes  et  les  artistes,  oubliant  peu-à-peu  l'ancienne  tradition  , 
aient  fini  pas  substituer  le  cheval  terrestre  au  cheval  marin  ,  lors- 
qu'ils ont  voulu  représenter  Castor  et  Poilux.  On  ne  peut  ajouter 
^iJlbauaieni  également  que  peu  de  foi  à  l'assertion  d'Hérodote  ,  que  les  Amazo- 
ii'ckëLi.  nes  ^u  Thermodon  combattaient  à  cheval  dès  les  tems  héroïques; 
car  Homère  \\en  dit  pas  le  mot,  quoi  qu'il  parle  souvent  de  ces 
femmes  guerrières,  et  de  l'audace  avec  laquelle  elles  avaient  poussé 
leurs  incursions  jusqu'aux  portes  de  Troie.  Il  suit  donc  de  tout  ce 
que  nous  venons  de  dire,  qu'on  ne  peut  encore  déterminer  à  qui 
est  due  l'invention  ou  l'introduction  de  la  cavalerie  en  Grèce. 
Premier  Le   premier  exemple  que  nous  ayons  des  courses  à  cheval  date 

exemple  '  i 

des  courses     de  la  XXXI1Ï.6  olympiade  ,  ou    de  l'olympiade    de  Chorèbe  ,    648 

à  cheval.  „  ,       '.,.  .  r   .  -, 

ans  avant  1ère  vulgaire,  et    îi^o    après  l  innovation    laite    dans  les 
jeux  olympiques   par  Iphitus,  époque  à  laquelle  l'usage  de  ces  cour- 
Monumens     ses  y  fut  introduit  (2).  Le  plus  ancien  monument,  où  l'on  a  vu  des 
équestres.      cavaliers  proprement  dits,  semble  avoir  été  l'énorme  masse  qui  por- 
tait la  statue  d'Apollon  dans  le  temple  d'Amyclée  (3).  Les  reliefs 

(1)  Piecherches  sur  l'ancienneté ,  et  sur  l'origine  de  l'art  de  Vèqui- 
tation  dans  la  Grèce.  Hist.  de  V Acad.  R.  des  Inscriptions.  T.  VII, 
pag.   3i  1   et  sui-v. 

(a)  Pausan.  liv.  V.   394. 

(3)  Cette  statue  ,  au  dire  de  Pausanias  liv.  III.  255  ,  était  très-an- 
cienne ,  et  si  grossièrement  faite  ,  qu'elle  se  ressentait  entièrement  de 
l'enfance  de  la  sculpture  ;  elle  ressemblait  moins  à  un  corps  humain  qu'à 
un  gros  cylindre  :  il  n'y  avait  que  le  visage  ,  les  mains  et  les  pieds  qui 
eussent  une  forme  humaine;  elle  était  en  airain  }  et  avait  trente  coudées 
de  hauteur. 


de   la    Grèce.  3iï 

de  cette  masse  étaient  l'ouvrage  de  Baticle,  et  représentaient  iea 
Tyndarides ,  Anaxias  et  Mnuasinus  leurs  enfans,  tous  à  cheval.  On  y 
voyait  aussi  Méga  petit  et  Nicostrates  fils  de  Mené  las ,  mais  l'un  et 
l'autre  sur  le  même  cheval.  Baticle  vivait  vers  le  teins  de  Crœsus , 
de  Solon ,  de  Thaïes  et  autres  sages  de  la  Grèce;  et  l'on  peut  par 
conséquent  fixer  l'époque  de  ce  monument  à-peu- près  à  l'an  56a 
avant  l'ère  vulgaire.  Les  antiquités  Grecques  nous  offrent  peu  d'au- 
tres raonumens  de  cavaliers  proprement  dits;  et  îa  raison  en  est, 
comme  l'observe  Pline,  que  l'usage  des  statues  équestres  était  fort- 
rare  chez  les  Grecs  (i). 

Nous  n'entrerons  point  ici  dans  la  question  de  savoir,  de  quel 
peuple  les  Grecs  ont  appris  l'art  de  monter  à  cheval  ,  c'est  à  dire 

(i)  Plin.  liv.  XXXIV.  chap.  HI.  Il  semble  qu'on  peut  déduire  des 
monumens  et  du  témoignage  des  anciens  écrivains  ,  que  l'usage  des  chars 
chez  les  Grecs  était  antérieur  à  l'art  de  monter  à  cheval.  Lucrèce  est  d'un 
sentiment  contraire  dans  ces  vers  du  V.e    livre. 

Eb  prius  esb  reperbum  in  equi  conscenclere  cosbas  } 
Et  moderarier  hune  fraeno  dexbraque  uigere  } 
Quam  bijugo  curfu  belli  tenbare  pericla. 

Ce  poète  regardait  donc  l'art  de  conduire  un  char  comme  plus  difficile 
que  celui  de  monter  à  cheval.  »  Mais  ,  comme  l'observe  judicieusement 
Frère t ,  quand  l'opinion  de  Lucrèce  serait  encore  certaine ,  les  raisonnemens 
ne  prouvent  rien  contre  les  faits  ,  et  il  n'est  pas  toujours  vrai  qu'on  ait 
commencé  par  ce  qu'il  y  avait  de  plus  simple.  Les  inventions  sont  géné- 
ralement dues  au  hazard  ,  et  le  hazard  n'est  point  assujéti  aux  procédés 
méthodiques  de  la  Philosophie;  mais  ces  réflexions  sont  indifférentes  dans 
la  question  dont  il  s'agit ,  car  il  est  faux  que  l'art  de  conduire  un  char 
soit  plus  compliqué  que  celui  de  monter  à  cheval  :  l'ardeur  du  cheval  le 
plus  impétueux  est  arrêtée  ,  ou  pour  le  moins  retardée  par  le  poids  du  char 
auquel  il  est  attelé  :  il  est  évident  que  la  manière  la  plus  simple  et  la 
plus  facile  de  se  servir  des  chevaux  ,  et  par  laquelle  on  a  dû  commencer 
a  été  celle  de  les  atteler  à  un  poids,  et  de  les  obliger  à  le  traîner.  Le 
traîneau  doit  avoir  été  le  plus  ancien  de  tous  les  chars  ;  placé  ensuite  sui- 
des rouleaux,  ou  des  cylindres  de  bois,  qui  se  changèrent  dans  la  suite 
en  roues il  s'éleva  peu-à-peu  de  terre  ,  et  parvint  enfin  à  formel- 
le char  des  anciens  à  deux  et  à  quatre  roues.  Ces  chars,  à  en  juger  par 
ce  que  nous  en  ont  laissé  les  écrivains  et  les  monumens  de  l'antiquité  , 
ne  différaient  pas  beaucoup  de  nos  charettes  ,  et  n'exigeaient  pas  un  grand 
savoir  de  la  part  de  ceux  qui  les  conduisaient.  » 


3 12..  Milice 

bi  c'est  des  Scythes  ou  des  Cimmériens ,  cette  question  étant  tout-à- 
fait  étrangère  à  notre  objet:  on  peut  d'ailleurs  consulter  à  cet  égard 
la  savante  Dissertation  de  !M.r  Fréret  qui  se  trouve  dans  le  VIÏ.e 
Première  vol.  de  l'histoire  de  l'Académie  des  Inscriptions.  Ainsi  l'époque  la 
de  ia°oaZ.hrie  plus  ancienne,  où  nous  voyons  qu'il  est  fait  mention  de  la  cavalerie 
leogue.  ^^  |es  Grecs }  ne  remonte  pas  au  de  là  de  la  première  guerre  de 
Messène,  qui  eut  lieu  vers  l'au  74^  avant  l'ère  vulgaire.  Les  Lacédé- 
moniens  et  les  Messéniens  avaient  bien  à  cette  époque  quelque  corps 
de  cavalerie  ,  mais  dans  un  si  mauvais  état  qu'elle  ne  pouvait  leur 
être  d'une  grande  utilité:  car  Pausanias,  de  qui  nous  viennent  tou- 
tes les  relations  concernant  cette  guerre,  dit  que  les  peuples  du 
Péloponnèse  connaissaient  bien  peu  l'art  de  monter  à  cheval.  'C'est 
donc  à  tort  que  certains  écrivains  ont  prétendu,  que  l'origine  de 
cet  art  était  d'une  date  plus  ancienne  en  Laconie,  en  s'appuyant 
du  témoignage  de  Philostrate  de  Cyrène  ,  qui  assurait  que  Lycur- 
gue  avait  formé  les  cavaliers  Spartiates  en  compagnies  de  cinquante 
Ouiams.  hommes  chacune ,  appelées  Oulams,  Mais  ces  cavaliers  n'étaient 
autre  chose  qu'un  corps  de  soldats  distingués  par  leur  bravoure,  et 
nous  n'avons  aucun  moyen  de  prouver  d'une  manière  solide  qu'ils 
combattaient  à  cheval.  Hérodote  et  Thucydide  en  parlant  d'eux 
s'expriment  ainsi;  les  trois  cents  hommes  d'élite ,  qu'on  appelait  à 
Sparte  cavaliers:  mots  qui  donnent  à  présumer  que  ces  soldats 
n'avaient  que  le  nom  de  cavaliers  ,  de  la  même  manière  peut-être 
qu'Homère  qualifie  ainsi  ceux  qui  combattaient  sur  des  chars.  Stra- 
bon  observe  en  effet,  que  selon  les  réglemens  de  Lycurgue  ,  ceux 
qu'on  appelait  à  Sparte  cavaliers  ,  combattaient  à  pied.  On  ne 
trouve  dans  les  institutions  de  ce  législateur  célèbre  rien  qui  ait 
rapport  à  l'art  de  i'équitation  ,  en  quoi  les  Spartiates ,  même  de- 
puis que  l'usage  en  fut  introduit  eu  Grèce,  se  montrèrent  toujours 
bien  inférieurs  aux  autres  Grecs.  La  cavalerie  ne  fut  jamais  qu'en 
très-petit  nombre  dans  tous  les  états  de  la  Grèce.  Il  n'y  en  avait 
point  aux  batailles  de  Marathon  et  de  Platée,  parce  que  la  Thes- 
salie  ,  d'où  se  tiraient  ordinairement  les  chevaux  ,  était  occupée  toute 
entière  par  les  Perses  ,  quoiqu'à  la  dernière  de  ces  batailles  Far- 
inée Grecque  fût  au  moins  de  cent  dix  mille  hommes.  Dans  la  guerre 
du  Péloponnèse,  la  cavalerie  ne  formait  tout  au  plus  que  la  qua- 
rantième partie  de  l'armée  des  Grec;.  Cette  cavalerie  était  tirée  de 
la  Thessalie,  et  le  traitement  des  hommes  qui  la  composaient  était 


de    la    Grèce.  3i3 

si  considérable  que  les  républiques  les  plus  opulentes  ne  pouvaient 
en  fournir  qu'un  petit  nombre  (i). 

Il  serait  encore  inutile  de  vouloir  faire  des  recherches  sur  l'es-      De  qudie 

.  .  espèce  étaient 

pèce  de  chevaux  dont  se  servaient  les  Grecs.  Nous  observerons  seu-  les  chevaux. 
ïement ,  d'abord;  qu'on  voit  dans  les  monumens  des  chevaux  entiers 
et  coupés  ;  secondement  que  les  chevaux  représentés  sur  les  monu- 
raens Grecs,  sont  plus  sveltes  et  plus  beaux  que  ceux  qu'on  voit  sur 
les  monumens  Romains  ;  troisièmement  que  les  uns  et  les  autres  ont 
le  cou  robuste  et  bien  fait,  ce  qui  ajoute  encore  à  l'élégance  de 
leur  encolure  (a).  Dans  les  premiers  de  ces  monumens ,  ces  chevaux 
ont  quelquefois  la  crinière  coupée;  c'est  ainsi  que  sont  représentés 
les  chevaux  du  tyran  Dioméde  ,  dévorant  le  jeune  Abdère,  sur  un 
beau  camée  de  Stosch  publié  par  Winckelmann  ;  et  tels  sont  égale- 
ment les  fameux  chevaux  de  la  place  Saint  Marc  à  Venise.  Cet  usage 
avait  lieu  surtout  dans  les  tems  de  deuil  ,  et  de  calamité.  Ainsi 
les  Thessaliens  coupèrent  la  crinière  de  leurs  chevaux  à  l'occasion 
de  la  mort  de  Péîopidas.  Il  est  bon  d'observer  encore,  que  les  pein- 
tures de  l'antiquité  donnaient  aux  chevaux  la  couleur  la  plus  analo- 
gue à  l'action  qu'ils  voulaient  représenter.  Philostrate,  dans  la  descrip- 
tion qu'il  fait  d'un  tableau  représentant  Pélops  et  Enomaùs ,  dit 
que  les  chevaux  du  second  étaient  noirs  3  pour  dénoter  qu'on  de- 
vait s'en  servir  à  une  trahison  ,  tandis  que  ceux  de  Pélops  étaient 
blancs.  Toutefois  l'usage  de  ferrer  les  chevaux  fut  inconnu  aux  Usage  déferrer 
Grecs  et  aux  Romains.  Fabrettî  qui  avait  examiné  attentivement  tncLnu'àceue 
les  chevaux  de  presque  tous  les  anciens  monumens ,  dit  que  le  seul  éP°9ue- 
pied  qu'il  ait  vu  ferré  se  trouvait  dans  un  bas-relief  du  palais  Maf- 

(i)  Le  sol  de  la  Grèce  généralement  sec  et  aride  ne  fournissait  aux 
chevaux  qu'une  nourriture  rare  et  chétive  ,  ce  qui  fait  qu'ils  y  étaient  en 
petit  nombre  et  fort-chers.  Pline  observe  qu'il  n'y  eut  jamais  en  Grèce 
de  chevaux  indigènes  ni  sauvages.  Les  anciens  poètes  regardèrent  comme 
un  présent  de  Neptune  les  chevaux  les  plus  généreux  et  les  plus  propres 
à  la  guerre  ,  voulant  peut-être  indiquer  par  là  ,  que  ces  chevaux  avaient 
été  conduits  par  mer  de  la  Lybie  et  de  l'Afrique  en  Grèce.  Les  chevaux 
amenés  en  Grèce  y  dégénéraient  aussitôt  faute  de  nourriture  qui  leur 
convint.  La  Thessalie  était  le  seul  pays  qui  pût  en  avoir  _,  encore  y 
étaient-ils  rares  et  d'un  entretien  dispendieux  ,  comme  on  peut  en  juger 
par  le  traitement  qu'on  donnait  aux  cavaliers  Thessaliens. 

(2)  Pollux  veut  que  le  cou  du  cheval  se  courbe  doucement  comme 
celui  du  coq ,  et  qu'il  ne  soit  pas  droit  comme  le  cou  du  bouc.  Liv.  I.CJ' 
Segm.   189. 

Europe.  Kol.  J.  ,jO 


Selle. 


Introduction 
des   étriers. 


Manière 
de  monter 
à  eheval. 


3i4  Milice 

fei ,  représentant  une  chasse  de  l'Empereur  'Gallien;  mais  Winckeî- 
mann  a  reconnu  que  ce  pied  était  une  restauration  moderne.  Ainsi 
l'on  peut  assurer  qu'avant  le  dixième  siècle  on  n'avait  pas  encore 
vu  de  chevaux  ferrés  (i).  On  ignorait  également  l'usage  de  la  selle 
et  des  étriers.  «  L'éducation,  dit  Goguet  ,  l'exercice  et  l'habitude 
avaient  appris  aux  cavaliers  de  cette  époque  à  se  passer  de  ces 
secours  „.  On  montait  les  chevaux  a  nu  ,  comme  le  font  aujourd'hui 
les  Africains:  on  apprit  ensuite  des  peuples  de  l'Asie  à  étendre 
sur  leur  dos  quelque  draperie,  ou  la  peau  de  quelqu'anima!.  Mais 
ce  n'est  que  vers  l'an  340  de  l'ère  vulgaire  ,  qu'il  est  fait  mention  de 
la  selle  proprement  dite.  Zonara  raconte  que  vers  cette  époque  ,  Cons- 
tant fils  de  Constantin  le  Grand,  clans  un  cambat  qui  eut  lieu  entre 
lui  et  Constantin  son  frère  et  son  compétiteur  à  l'empire,  pénétra 
jusqu'à  l'escadron  que  celui-ci  commandait,  et  le  renversa  de  selle. 
Cependant  les  bas-reliefs  de  la  colonne  Théodosierme  sont  le  plus 
ancien  monument  où.  l'on  aperçoive  des  arçons.  On  y  voit  des  che- 
vaux étroitement  harnachés  ,  avec  des  selles  trè-hautes,  assez  sembla- 
bles à  celles  de  nos  anciens  chevaliers,  et  ayant  les  deux  arçons 
bien  distincts.  Voy.  la  planche  47- 

Après  la  selle  vinrent  les  étriers ,  dont  les  bas-reliefs  de  la  mê- 
me colonne  nous  offrent  encore  les  premiers  modèles.  On  prétend 
même  que  le  Traité  de  Tactique  composé  par  l'Empereur  Maurice 
vers  la  fin  du  sixième  siècle  de  notre  ère,  est  le  premier  ouvrage 
où  il  soit  parlé  d'étriers.  Et  en  effet  avant  leur  invention  ,  les  ca- 
valiers Grecs  et  Romains  s'exerçaient  à  s'élancer  à  cheval  avec 
agilité,  en  se  servant  pour  cela  d'un  cheval  de  bois  (a).  Ceux  à 
qui  leur  inhabileté  dans  cet  exercice  ,  leur  âge  ou  leurs  infirmités 
ne  permettaient  point  d'y  monter  d'eux  mêmes,  se  fesaient  aider 
de  quelqu'un  ,  ou  montaient  sur  quelque  pierre ,  ainsi  qu'on  peut  le 
voir  dans  un  bas-relief  du  Parthénon.  11  y  avait  encore  pour  ceux- 
ci  des  chevaux  qui  étaient  dressés  à  se  mettre  à  genoux  ,  comme 
J'atteste  Plutarque ,  dont  le  témoignage  est  encore  confirmé  par 
Jes  ornemens  d'une  lampe  trouvée  dans  les  fouilles  d'Herculanum  (3). 


(1)  V.  Encyel.  met.  PL  antiq.  I.er  vol.  pag.  35.  Les  anciens  étaient 
néanmoins  dans  l'usage  de  ferrer  leurs  mulets  ,  en  leur  enfermant  le  pied 
dans  une  espèce  de  sabot.  Ibid. 

(2)  Nous  parlerons  ailleurs  de  ces  cavaliers  qui  savaient  manier  à'  la 
fois  plusieurs  chevaux ,  sautaient  de  l'un  à  l'autre  ,  et  qu'Amen  appelle 
Amfibbi. 

(3)  Lampes  et  candélabres  pag.  114. 


^.&.mc,x//'^CT. 


de    la     Grèce.  3 1 5 

Xénophon  enseigne  aussi  dans  son  traité  de  l'équitation  la  manière 
de  monter  à  cheval  avec  le  secours  de  la  lance.  Cet  usage  est  re- 
tracé dans  une  pierre  précieuse  du  Musée  Stoschiano  dont  parle 
Winckelraann  ,  et  que  nous  avons  cru  à  propos  de  représenter  sous 
le  n.°  i  de  la  planche  44-  "  0°  Y  vcnt  un  guerrier  tenant  de  la 
«  main  droite  la  bride  d'un  cheval ,  avec  sa  lance  appuyée  à  l'é- 
«  paule  droite  ,  et  posant  son  pied  droit  sur  un  morceau  de  fer 
'«  horizontal  ,  qui  tient  à  la  partie  inférieure  du  manche  de  la 
"  lance  (i)  „.  Nous  nous  bornerons  pour  le  moment  à  repré- 
senter à  la  planche  4-5  deux  cavaliers,  pris  des  peintures  des  va- 
ses antiques  de  Millin  ,  nous  réservant  de  donner  ailleurs  plu- 
sieurs autres  exemples  de  ce  genre.  Le  n.°  i  représente  un  jeune 
homme  ,  qui  ,  vraisemblablement  retourne  vainqueur  des  exercices 
guerriers;  il  porte  une  lance  de  peu  de  longueur,  à  laquelle  est 
suspendue  une  chlamyde,  qui  est  le  prix  de  sa  valeur.  Un  femme 
vêtue  d'un  riche  manteau  va  pour  offrir  une  boisson  an  cheval  et 
au  cavalier.  Le  n.°  2.  est  ainsi  décrit  par  Millin.  «  Le  guerrier 
<«  qu'on  voit  dans  cette  peinture  tient  d'une  main  ses  deux  lances, 
«  et  de  l'autre  son  cheval  par  la  bride:  la  palme  qui  est  près  de 
«  son  bouclier  suspendu  au  mur,  et  le  bandeau  placé  vis-à-vis  de 
"  lui,  donnent  à  présumer  qu'il  a  remporté  le  prix  dans  quelqu'exer- 
«  cice.  Les  brins  de  myrte  épars  à  terre  sont  relatifs  aux  mystè- 
«  res,  et  c'est  probablement  un  initié  qu'on  voit  ici.  Ce  triomphe 
«  allégorique  annonce  que  le  cavalier  a  soutenu  courageusement 
"  les  épreuves  auxquelles  il  a  été  soumis,  et  qu'il  en  est  sorti  vain- 
"  queur.  La  forme  de  sa  cuirasse,  celle  de  sa  ceinture,  et  le  seul 
«  brodequin  qu'il  porte,  méritent  aussi  une  attention  particulière,,. 
Nous  ne  nous  arrêterons  point  à  parler  des  variétés  que  pouvait 
présenter  la  cavalerie  des  Grecs,  attendu  que  nous  n'avons  point 
de  monumens  qui  nous  en  instruisent:  d'ailleurs  cette  cavalerie  ne 
fut  divisée  en  corps  que  très-tard  ,  et  à  l'exemple  de  celle  des  Ro- 
mains ,  dont  nos  lecteurs  pourront  à  cet  égard  consulter  les  usages. 
Nous  observerons  seulement,  quant  à  "la  forme  des  armures,  qu'il 
n'y  avait  point  de  différence  entre  l'infanterie  et  la  cavalerie,  et 
que  cette  dernière  était  de  deux  espèces ,  l'une  pesante  et  l'autre  lé- 
gère. La  première  était  armée  d'épées  et  de  lances  plus  longues  que 
celle  de  l'infanterie,  et  combattait  de  près;  la  seconde  fesait  usage  du 
javelot ,  de  l'arc  et  des  flèches;  elle  combattait  de  loin  ,  et  ne  portait 
point  d'armes  défensives.  On  peut  voir  le  Traité  d'Arrien  à  ce  sujet. 

(1)  Winckelra,  Monura.  ant.  pag.  265. 


3i6 

LES    GUERRIERS. 

TROISIÈME     SÉRIE     DE     L ICO  NOGR.AP  HIE     GRECQUE. 

PORTRAITS 
de  Miltiade  3  de  Thémistocle  et  de  Pyrrhus. 

Rareté  -L  1  ous  pourrions  exposer  ici  une  longue  suite  de    portraits  de 

de  portraits  ...  j->,  .  ,  ,  .  .     .  . ,  .       . 

authentiques,  capitaines  Orecs  qui  se  sont  signales  par  des  exploits  militaires  ,  si 
nous  voulions  nous  conformer  dans  nos  recherches  aux  iconographies 
des  Fulvius  Ursini,  des  Faber,  des  Gronove  et  autres  écrivains. 
Mais  depuis  qu'une  critique  plus  éclairée  nous  a  appris  que  les  por- 
traits de  Gimon  ,  d 'A ratas,  de  Phocion  ,  de  Xénophon ,  d'Epami- 
nondas,  de  Lysandre  ,  et  de  tant  d'autres  capitaines  célèbres  sont 
tous  controuvés,  et  pour  la  plupart  l'ouvrage  d'artistes  du  XVI.e  siè- 
cle, il  ne  nous  en  reste  qu'un  très-petit  nombre  qu'on  puisse  re- 
garder comme  vraiment  antiques  9  et  d'une  authenticité  certaine. 
Prenant  donc  pour  guide  l'illustre  Visconti,  dont  nous  ne  pouvons 
assez  admirer  l'érudition  ni  déplorer  la  perte,  nous  donnerons  seu- 
lement les  portraits  de  Miltiade  et  de  Thémistocle  :  ceux  d'Alci- 
biade,  de  Périclés,  d'Alexandre  et  de  quelques-uns  de  ses  succes- 
seurs ayant  déjà  été  tracés  précédemment  dans  cet  ouvrage.  Nous  y 
joindrons  celui  de  Pyrrhus  Roi  des  Epirotes,  qui  avait  pris  Alexan- 
dre pour  modèle  dans  ses  entreprises  militaires,  et  se  vautait  même 
de  lui  ressembler  de  physionomie. 
Miiûade.  Miltiade  fils  de  Cimon  est  cité  par    Pausanias    comme  le  plus 

ancien  des  bienfaiteurs  de  la  Grèce.  Il  comptait  parmi  ses  ancêtres 
Aiax  et  les  Eacides.  Quoique  citoyen  d'Athènes,  il  avait  obtenu  la 
souveraineté  du  Chersonèse  ,  que  les  Scythes  et  les  Perses  l'obligè- 
rent d'abandonner.  A  son  retour  à  Athènes ,  il  fut  un  des  dix  capi- 
taines élus  par  le  peuple,  pour  commander  l'armée  contre  les  Per- 
ses. A  la  fameuse  journée  de  Marathon  }  il  eut  senl  le  commande- 
ment des  troupes ,  du  consentement  de  ses  collègues.  L'ennemi  fut 
défait,  et  laissa  environ  sept  mille  morts  sur  le  champ  de  bataille. 
Mais  le  héros  de  Marathon  ne  put  se  soustraire  à  l'envie  de  ses 
concitoyens ,  qui  lui  refusèrent  la  couronne  d'olivier  ,  unique  ré- 
compense qu'il  avait  demandée    pour    prix    de    sa   yictoire.    Moins 


de    la    Grec e.  3 j 7 

heureux  dans  l'expédition  maritime  qu'il  fut  chargé  de  conduire 
contre  l'île  de  Paros ,  il  fut  condamné  à  cinquante  talens  d'amende  3 
et  n'ayant  pu  la  payer  ,  il  mourut  en  prison  de  ses  blessures.  On 
lui  éleva  néanmoins  des  statues,  dont  la  plus  fameuse  était  celle 
que  Phidias  exécuta  en  marbre,  et  qu'on  voyait  dans  le  temple 
d'Apollon  à  Delphes,  L.'herme  n.°  1  ,  planche  46  ,  qui  apparie-  $°n  forme. 
nait  auparavant  au  Musée  de  Paris  offre  le  portrait  de  Mittiade* 
On  retrouve  la  même  sérénité  de  regard  3  la  même  disposition  des 
cheveux  et  de  la  barbe  dans  le  buste  de  ce  guerrier  publié  par 
Fulvius  Ursinus  }  au  bas  duquel  on  lisait  cette  inscription  en  ca- 
ractères Grecs  et  carrés  :  Miltiade ,  fils  de  Cimon  ,  Athénien  (1). 
«  Le  casque  qui  sert  de  coiffure  à  cette  tête  ,  dit  Visconti  ,  con- 
firme notre  opinion  sur  le  personnage  qu'elle  représente:  car  la 
partie  qui  descend  sur  le  cou  présente  en  relief  le  taureau  furieux 
de  Crète  3  qui  du  tems  de  Thésée  dévastait  les  campagnes  de  Mara- 
thon ,  où  il  fut  terrassé  par  ce  héros,  et  qui  fut  ensuite  désigné  dans 
la  mythologie  sous  le  nom  de  Taureau  de  Marathon.  Les  habitans 
de  ce  bourg  de  l'Attique  le  prirent  dès  lors  pour  signe  embléma- 
tique de  leur  pays  ,  et  lui  consacrèrent  une  image  en  bronze  dans 
la  citadelle  d'Athènes.  Cet  ornement  du  casque  est  donc  ici  carac- 
téristique, et  sert  à  faire  reconnaître  dans  le  buste  le  vainqueur 
de  Marathon  (3)  „.  On  retrouve  encore  ce  portrait  dans  une  cor- 
naline antique,  qui  existe  dan?  le  cabinet  de  M.r  De  la  Turhie  à 
Turin,  dont  Visconti  fait  aussi  mention,  et  que  nous  avons  repré- 
sentée sous  le  n.°  a.  La  chlamyde  semble  ici  attachée  sur  l'épaule 
gauche  contre  l'usage  ordinaire  ;  mais  il  est  à  remarquer  que  les 
anciens  lytoglyphes  n'avaient  pas  toujours  la  précaution  de  graver 
en  sens  contraire  ,  pour  que  la  gravure  présentât  ensuite  les  objets 
sous  leur  aspect  naturel. 

Thémistocle  doit  être  regardé  comme  le  plus  grand    capitaine    TUmûtociè. 
d'Athènes.  Sans  la  bravoure  et  les  ruses  militaires  de  ce  grand  hom- 
me ,  toute  la  Grèce  serait  tombée  sous  le  joug  des  Perses.    Ii   com- 
mença par  donner  aux    Athéniens  une    force    maritime,  comme  le 
seul  moyen  qu'il    avait   reconnu    propre  à    sauver  la    patrie    contre 

(0  ®n  ignore  ce  qu'est  devenu  l'original  de  cet  herme  en  marbre  et 
d'un  autre  du  même  guerrier ,  aussi  en  marbre  ,  qui  avait  été  découvert 
gur  le  mont  Celius  à  Rome. 

(2)  Arch.  Gr.  T.  I.  pag.  i3i. 


3 1 8  Milice 

l'armée  immense  de  Xèrxès.  Pour  réussir  dans  son  projet ,  il  lui 
fallut  séduire  les  oracles,  gagner  ses  collègues  et  le  commandant 
en  chef  de  la  flotte  de  toute  la  Grèce  coalisée;  il  dut  même  pous- 
ser la  feinte  ,  jusqu'à  se  faire  passer  pour  traître  aux  yeux  de  l'en- 
nemi,  afin  de  l'engager  à  attaquer  les  Grecs  dans  le  seul  endroit 
où  ils  pouvaient  vaincre,  sans  oser  attaquer.  Les  Perses  furent 
complètement  battus ,  et  Athènes  prit  l'empire  sur  toute  la  Grèce. 
Mais  le  vainqueur  de  Sala-mines  eut  pour  récompense  l'exil,  au- 
quel le  condamna  l'ostracisme.  Il  se  réfugia  à  la  cour  d'Àrtaxerxès 
fiis  de  Xerxès ,  qui  le  combla  d'honneurs  et  de  richesses.  La  mort 
le  sauva  de  la  dure  nécessité  de  prendre  les  armes  contre  son  pays; 
il  mourut  à  Magnésie,  ville  d'ïonie,  âgé  de  soixante  cinq  ans. 
Ses  neveux  firent  transporter  secrètement  ses  cendres  à  Athènes , 
et  leur  donnèrent  la  sépulture  dans  un  roc  entouré  de  la  mer  à 
l'entrée  du  Pyrée  (r).  Les  Magnésiens  élevèrent  à  ce  grand  homme 
plusieurs  statues:  la  peinture  et  la  sculpture  ont  plusieurs  fois  fait 
revivre  ses  traits  ,  et  ses  descendans  avaient  même  consacré  son  image 
dans  un  tableau  exposé  au  Parthénon  ,  où  on  le  voyait  encore  du  terns 
de  Pausanias ,  c'est-à-dire  dans  le  deuxième  siècle  de  l'ère  vulgaire. 
âcThZiillocie  Ija  cornaline  n.°  3  présente  encore ,  selon  M.r  Visconti ,  un  portrait 
un/cômioie.  ^e  Thémistocle.  «  Près  de  la  tête,  dit-il,  ou  voit  un  dauphin: 
cet  emblème  de  Neptune  et  de  la  mer  donne  à  présumer  ,  que 
le  héros  Grec  représenté  sur  cette  pierre,  s'était  distingué  dans  la 
marine  ,  et  l'imagination  vole  aussitôt  à  Thémistocle  ,  qui  est  rée- 
llement le  personnage  le  plus  illustre  dans  la  marine  militaire  des 
anciens.  Le  scholiaste  de  Thucydide  écrit  en  effet  que  les  Athé- 
niens avaient  donné  à  Thémistocle  le  surnom  de  lSïâvua%oç ,  c'est- 
$ on  herme.  à-dire  héros  de  la  guerre  navale.  L'herme  du  Musée  du  Vatican, 
n.°  4  i  est  encore  un  portrait  de  Thémistocle.  Visconti  n'est  pas  éloi- 
gné de  croire  que  ce  buste  appartenait  à  l'herme  qui  fut  trouvé  sans 
tête  par  Fulvius  Ursin  ,  et  qui  portait  en  lettres  Grecques  le  nom 
de  Thémistocle.  Quoiqu'il  en  soit  ,  cette  image  a  certainement 
beaucoup  de  ressemblance  avec  celle  dont  nous  venons  de  parler. 
Pyrrhus  Roi  d'Epire  fut  un  des  plus  grands  capitaines  de  l'an- 
Prrrhus.  tiquité.  Ânnibal  avait  pour  lui  la  plus  haute  estime  ,  et  Cicéron 
parle  avec  éloge  d'ouvrages  écrits  par  lui  sur  l'art  de  la  guerre. 
Mais  il  ne  fut  pas  également  grand  dans  l'art  de  gouverner  les  peu- 
Ci)  Voy.  Hérodote  liv.  VIII.  Thucydide  liv.  Ier  Diodore  de  Sicile 
liv.  II.  Cornélius  Nepos,  et  Plutarque, 


de    la    Grèce.  dicj 

pies.  Persécuté  de  la  fortune  presque  dès  son  berceau,  il  conquit, 
perdit  et  reconquit  l'Epire  ,  royaume  qui  loi  appartenait  par  droit 
de  succession.  L'ambition  des  conquêtes  et  l'inconstance  de  ses  vues 
lui  firent  abandonner  plusieurs  fois  les  avantages  du  sort  et  les  rênes 
de  ses  états ,  pour  courir  après  la  gloire  chez  les  nations  étrangères. 
Il  fut  deux  fois  maître  de  la  Macédoine,,  et  se  la  vit  enlever  deux 
fois.  S'étant  allié  avec  les  Tarentins,  sous  le  prétexte  de  vouloir 
mettre  un  frein  à  l'ambition  des  Romains ,  il  conquit  la  Grande 
Grèce  presque  toute  entière;  mais  rebuté  delà  valeur  d'un  ennemi 
que  les  Grecs  n'avaient  pas  encore  assez  connu  5  il  porta  ses  armes 
dans  la  Sicile,  qui  l'appelait  à  sou  secours  contre  les  Carthaginois. 
Devenu  odieux  aux  Syracusains ,  qu'il  traitait  en  sujets  plutôt  qu'en 
alliés,  il  éprouva  une  suite  de  revers  qui  l'obligèrent  à  tourner  ses 
forces  contre  la  Grèce  :  enfin  ,  au  milieu  de  la  mêlée  qui  eut  lieu  dans 
les  rues  d'Argos  entre  ses  troupes  et  celles  d'Àntigone  Gonatas  réunies 
aux  Grecs,  à  Ja  suite  d'une  surprise  qu'il  avait  tentée  contre  cette 
ville, 'il  fut  mortellement  blessé  d'une  tuile  que  lui  lança  une  vieille 
femme  du  haut  de  sa  maison  ,  pour  sauver  son  fils.  Alexandre  II.  lui 
succéda  en  Epire  l'an  37a  avant  l'ère  vulgaire.  Nous  avons  déjà  vu 
que  la  fameuse  statue  capitoline  ,  qu'on  avait  prise  pendant  long- 
tems  pour  l'image  de  Pyrrhus,  était  celle  du  Dieu  de  la  guerre.  Médailles 
M.1'  Visconti  a  découvert  dans  le  Cabinet  de  la  Bibliothèque  de  de  Pr'rhus- 
Paris  une  médaille  précieuse  (  n.°  5  )  ,  où,  d'après  des  raisonnemens 
de  la  plus  grande  probabilité,  il  croit  reconnaître  le  portrait  de 
ce  Monarque.  «  La  légende  ,  dit-il ,  Basileos  Pirrou  (  monnoie  )  du 
Roi  Pyrrhus  le  prouve  assez.  On  voit  en  outre  sur  un  des  côtés  de 
cette  médaille  la  tête  d'un  guerrier  avec  un  casque.  Théfis  montée 
sur  un  cheval  marin,  et  portant  à  son  fils  Achille  le  bouclier  fa- 
briqué par  Vulcain  ,  forme  îe  type  du  revers.  Le  rapport  de  ce 
type  avec  Pyrrhus  issu  du  sang  des  Eacides ,  et  descendant  d'Achil- 
le, semble  être  de  toute  évidence;  et  comme  la  tète  du  guerrier 
qui  est  gravée  sur  l'autre  côté  de  la  médaille  a  tout  l'air  d'un  por- 
trait ,  je  crois  qu'on  peut ,  avec  la  plus  grande  vraisemblance  5  la 
regarder  comme  celle  de  Pyrrhus  „.  Ce  savant  commentateur  ap- 
puyé ensuite  son  opinion  de  conjectures  non  moins  solides,  et  ajoute 
qu'il  n'est  pas  hors  de  probabilité  que  cette  médaille  ait  été  frappée 
chez  les  Bruses ,  peuple  de  la  Grande  Grèce  ,  qui  s'était  ligué 
avec  Pyrrhus  contre  les  Romains  (1). 

(1)  Ieonogr.  Qr.  Vol.  II.  pag.  84. 


a 


3ao  Milice 

Milice  de  V empire  d'Orient  et  des  C-recs  modernes. 

ZêZâmuL  La  ïig"6  Achéene  dont  nous  avons  déjà  parlé  ,  doit    être  con- 

Grecque.  g^érée  comme  le  dernier  effort  de  la  valeur  des  Grecs,  et  presque 
comme  la  lueur  pâle  et  tremblante  d'un  flambeau  prêt  à  s'étein- 
dre. Tombée  sous  la  domination  des  Romains,,  la  Grèce  perdit  tout 
son  courage  et  toute  son  énergie  ;  elle  vit  d'un  œil  tranquille  les 
vainqueurs  s'emparer  de  ces  positions  inexpugnables,  qui  avaient  été 
jadis  la  sauve-garde  de  sa  liberté  et  de  sa  grandeur;  et  elle  de- 
meura spectatrice  indifférente  des  combats  sanglans  que  se  livrèrent 
dans  son  propre  sein  ces  mêmes  conquérans,  pour  l'empire  du  monde 
qu'ils  se  disputaient  entre  eux.  Elle  ne  se  reveilla  pas  de  cette  pro- 
fonde létargie ,  lors  même  que  Bysance  devenue  la  capitale  de  l'empire 
d'Orient,  fit  oublier  l'éclat  et  la  puissance  de  l'ancienne  Rome.  Bien 
plus,  c'est  que  depuis  cette  époque  elle  ne  conserva  plus  rien  de 
Grec  que  le  langage:  car  elle  prit,  pour  ainsi  dire.,  tout  le  costume 
des  Romains,  ainsi  que  leurs  usages:  la  même  imitation  s'introdui- 
sit dans  sa  tactique  militaire  et  dans  son  armée,  où  les  descendans 
des  Tbémistocles  ,  des  Léonidas ,  et  des  Epaminondas  combattaient 
dans  les  mêmes  rangs  à  côté  des  Latins  et  des  Barbares.  Ainsi  nous 
n'avons  rien  à  dire  de  la  milice  des  Grecs  depuis  leur  assujétisse- 
ment  à  la  puissance  Romaine  ;  et  nous  ne  pourrions  ajouter  que  bien 
peu  de  cbose  sur  celle  de  l'empire  Grec,  sans  être  obligés  d'anti- 
ciper sur  ce  que  nous  en  avons  à  dire  à  l'article  du  costume  des 
Romains,  auquel  nous  renvoyons  uos  lecteurs.  D'un  autre  côté,    le 

Manque  manque  presque  total  de  monumens  relatifs  à  ces  deux  époques 
ne  nous  permet  pas  de  nous  arrêter  long-tems  sur  ce  point,  notre 
but  étant  d'offrir  dans  cet  ouvrage  des  images  et  des  figures,  plutôt 
que  des  dissertations  ou  des  recherches,  qui  n'auraient  que  peu  ou 
point  d'importance.  Nous  nous  dispenserons  encore  de  parler  des 
changemens ,  que  la  tactique  et  le  costume  militaire  des  derniers 
tems  de  l'empire  Grec  ont  subis  dans  les  tems  modernes  et  de- 
puis l'invention  de  l'artillerie,  attendu  que  nous  n'avons  aucun  mo- 
nument qui  en  rende  témoignage,  et  que  d'ailleurs  Se  costume  mi- 
litaire devint  presque  uniforme  par  toute  l'Europe  à  cette  époque 
et  depuis  les  croisades  ,  comme  nous  aurons  occasion  de  l'observer 
en  son  lieu.  Cependant  ,  pour  ne  pas  laisser  une,  trop  grande  la- 
cune dans  cette  partie  de  notre  ouvrage  ,  nous    avons  cru  à  propos 


de   la    Grèce.  3a ï 

de  représenter  à  la  planche  47  ,  comme  pour  complément  de  nos 
recherches,  un  fragment  de  la  colonne  Théodosienne  ,  où  l'on  voit    rri€olJonn'  . 

°  '  Theodasienne. 

les  différens  costumes  militaires  des  premiers  siècles  de  l'empire 
Grec.  On  prétend  que  cette  colonne  fut  élevée  à  Gonstantinople  par 
l'Empereur  Arcadius,  en  l'honneur  de  Théodose  le  jeune.  Elle  ne 
diffère  guères  de  la  colonne  Trajane  qu'on  voit  encore  à  Rome, 
et  présente  également  dans  ses  bas-reliefs  un  triomphe,  que  les 
érudits  croient  avoir  été  remporté  par  le  même  Empereur  sur  les 
Scythes  et  les  Goths(i).  Quant  aux  dessins  que  nous  avons  des  bas- 
reliefs  de  cette  colonne,  nous  observerons  d'abord  que  c'est  au  pein- 
tre Gentil  Bellini ,  Vénitien,    que  nous  en  sommes    redevables,  et    GmtUBeiUni 

.     .  .       .  t  *  lève   le  dessin 

voici  comment.  A  la  vue  de  quelques  tableaux  de  Jean  Bellini  que  de  la  colonne 
l'ambassadeur  de  la  république  de  Venise  avait  apportés  avec  lui 
pour  l'ornement  de  son  palais  de  Gonstantinople,  Mahomet  II,  ne 
pouvant  contenir  son  admiration  }  demanda  avec  les  plus  vives  instan- 
ces qu'on  lui  envoyât  ce  peintre.  L'ambassadeur  en  écrivit  aussitôt 
à  son  sénat.  Mais  Jean  ne  voulant  pas  interrompre  les  ouvrages  qu'il 
exécutait  alors  dans  le  Palais  de  Saint  Marc,  et  se  trouvant  d'ail- 
leurs dans  un  âge  déjà  très-avancé,  proposa  de  faire  partir  son  frère 
Gentil  à  sa  place.  Cet  artiste  reçut  de  Mahomet  l'accueil  le  plus 
gracieux,  et  le  portrait  qu'il  fit  de  ce  Monarque  par  le  moyen 
d'une  glace,  le  rendit  à  ses  yeux  et  à  ceux  de  toute  sa  cour  l'ob- 
jet de  la  plus  haute  admiration  :  enfin  les  Turcs,  qui  n'avaient  au- 
cune idée  de  peinture,  le  regardèrent  comme  un  être  surnatu- 
rel. A  la  faveur  de  l'estime  dont  l'honorait  Mahomet  ,  "Gentil 
examina  tous  les  monumeus  des  arts  qui  existaient  encore  à  Gon- 
stantinople ;  et  la  colonne  Théodosienne  ayant  particulièrement 
fixé  son  attention  3  il  obtint  d'en  pouvoir  lever  le  dessin.  Cet  ou- 
vrage précieux  fut  d'abord  transporté  à  Venise,  d'où  il  passa,  après 
bien  des  vicissitudes  ,  à  l'Académie  de  peinture  et  de  sculpture  de 
Paris.  G'est  de    ce    dessin    que    nous    avons    pris    celui    de    la    porte 

(1)  Il  faut  lire  au  sujet  de  cette  colonne  et  des  événemens  qui  y 
sont  représentés  la  Dissertation  du  P.  Claude  François  Menetreio  :  Co- 
lumna  Theodosiana  ,  quant  vulgo  hist.orlatam  vocant ,  ab  Arcadio  Imper. 
ConstantinopoLi  erecbam  in  honorem  Imperatoris  Theodosii  Junioris  a 
Gentile  Bellino  delineata.  Lisez  aussi  Banduri ,  Imperium  orientale  ;  T.  IL 
pag.  5o8  et  suiv.  Cette  colonne  fut  renversée  par  Bajazet  II  pour  cons- 
truire un  bain  à  sa  place.  V.  Hobhouse  -  A  Journey  through  Albania 
etc.  pag.  o,55. 

Europe.  VoL  L  jr 


Saa  Milice 

Porte  d'or.  d'or  ,  que  fit  élever  Théodose  le  Grand ,  après  avoir  défait  le 
tyran  Maxime.  Cette  porte  est  d'une  construction  singulière,  et 
n'a  rien  de  commun  avec  les  arcs  de  triomphe  qu'on  voit  à  Rome. 
L'Empereur  va  pour  passer  dessous.  On  le  reconnaît  à  son  sceptre, 
à  la  richesse  de  l'équipage  de  son  cheval,  et  à  l'aigle  dont  son  cas- 
que est  orné;  mais  on  ne  peut  assurer  précisément  si  ce  personnage 
est  Théodose  même,  ou  Gratien  ,  que  le  premier  avait  élevé  à  l'em- 
pire ,  et  qui  avait  vaincu  les  Allemands  et  les  Goths;  il  est  pré- 
cédé du  préfet  ou  capitaine  des  gardes  qui  est  aussi  à  cheval.  Nous 
laisserons  à  la  curiosité  des  lecteurs  le  soin  d'examiner  les  costumes 
militaires  et  les  armes  que  présente  ce  dessin,  ainsi  que  l'analogie 
ou  la  différence  qu'on  y  observe  avec  ceux  dont  nous  avons  déjà 
donné  la  description. 
Cataphraeies.  Il  y  avait  dans  les  armées  de  l'empire  d'orient  un  corps  de  ca- 

valerie, connu  sous  le  nom  de  Cataphractes ^  qui  était  très-renommé. 
Sa  formation  vient  proprement  des  barbares.  Les  Romains,  au  dire 
de  Tite-Live,  virent  pour  la  première  fois  cette  espèce  de  cavale- 
rie dans  les  troupes  d'Antiochus.  Constance ,  fils  de  Constantin,  fut 
le  premier  à  en  introduire  l'usage  dans  les  armées  de  l'empire. 
Nous  croyons  à  propos  de  rapporter  ici  la  description  qu'en  fait 
Héliodore.  «  C'est  (le  cataphracte)  un  homme  d'élite,  et  qui  doit 
«  être  très-fort  ;  il  a  pour  coiffure  un  armet  qui  n'a  qu'une  seule 
"  ouverture  ,  et  ressemble  par  devant  à  un  visage  d'homme  :  cette 
«  armure  lui  couvre  la  tète  toute  entière ,  à  l'exception  des  yeux, 
»  depnis  le  sommet  jusqu'à  la  nuque.  De  la  main  droite  il  porte  une 
«  longue  lance  armée  au  bout  d'un  fer  aigu;  de  la  gauche  il  gouverne 
«  les  rênes  de  son  cheval.  Une  épée  peud  à  sa  ceinture,  et  tout 
«  son  corps  est  enveloppé  d'une  cuirasse.  Voici  comment  cette  cui- 
«  rasse  était  fabriquée.  On  formait,  avec  du  cuivre  ou  du  fer  ,  des 
«  plaques  carrées,  de  la  grandeur  d'une  palme  en  tous  sens  :  on  dispo- 
«<  .sait  ces  plaques  les  unes  à  côté  des  autres  depuis  le  haut  jusqu'en 
«  bas,  de  manière  que  le  bout  et  les  côtés  de  celles  de  dessus  s'ap- 
»  pliquaient  sur  celles  de  dessous  et  des  côtés  ,  et  ainsi  de  suite.  A 
"  l'endroit  où  se  rapprochaient  les  jointures,  il  y  avait  de  petits  cro- 
«  chets  en  forme  de  hameçon  ,  auxquels  était  agrafée  une  espèce  de  tu- 
«  nique  couverte  d'écaillés  de  poisson ,  qui  ceignait  le  corps  du  cavalier 
"  sans  l'incommoder,  et  sans  le  gêner  dans  aucun  de  ses  mouvemens. 
«  Cette  tunique  avait  des  manches,  et  descendait  du  cou  jusques 
«  sur  les  genoux  ;  elle  était  ouverte    entre  les  cuisses  ,    c'est-à-dire 


de   la    Grèce.  3a3 

«  à  la  partie  qui  posait  sur  les  épaules  du  cheval.  Telle  était  la 
«  forme  de  cette  cuirasse,  dont  la  solidité  pouvait  résister  aux  flè- 
«  ches  et  aux  coups  les  plus  violens.  Les  jambiers  qui  prenaient  de- 
«  puis  le  pied  jusqu'au  genou  ,  tenaient  à  la  cuirasse  ,  et  au  bout 
«  étaient  attachés  des  souliers  aussi  en  fer.  L'armure  du  cheval  était 
«  la  même;  sa  tête  était  couverte  d'une  têtière  en  fer,  et  de  cha- 
«  que  côté  tombait  de  ses  épaules  jusqu'au  ventre  une  couverture  en- 
"  trelacée  de  fer,  qui  lui  servait  de  défense,  et  ne  l'empêchait  pas  de 
«  courir  en  plaine.  Le  cavalier  ainsi  armé  se  trouvait  comme  soudé 
«  sur  son  cheval  :  le  poids  de  son  armure  ne  lui  permettant  pas 
«  d'y  monter  lui  même  ,  il  y  était  placé  par  d'autres.  Au  signal  du 
«  combat,  il  lâchait  les  rênes,  et  dans  sa  course  précipitée  contre 
«  l'ennemi,  il  ressemblait  à  un  homme  de  fer  ,  ou  à  une  statue  mo- 
«  bile  fabriquée  au  marteau.  Un  cordon  attaché  au  cou  du  cava- 
«  lier  retenait  la  lance  à  l'endroit  ou  le  fer  est  long  et  droit  ,  et 
«  à  celui  de  sa  courbure  un  autre  cordon  la  retenait  près  des  cuis- 
«  ses  du  cheval ,  et  servait  en  même  tems  dans  le  combat  à  rendre 
«  l'animal  docile  à  la  main  du  cavalier,  lequel  n'avait  besoin  alors 
«  que  de  tenir  sa  lance  droite  ,  et  de  la  pousser  avec  force  devant 
«  lui,  pour  que  le  coup  en  fût  plus  rude  et  plus  meurtrier.  Rien 
"  ne  résistait  à  l'impétuosité  de  son  choc  ,  et  souvent  d'un  seul  coup 
«  il  abatait  deux  ennemis  (i)„.  Nous  n'avons  aucun  monument  qui 
nous  retrace  l'image  des  Cataphractes  des  empires  Grec  et  Romain  ; 
mais  comme  Constance  avait  introduit  dans  son  armée  cette  espèce 
de  cavalerie  à  l'imitation  des  barbares,  et  pour  qu'il  ne  reste  rien  à 
souhaiter  à  nos  lecteurs  sur  ce  point,  nous  avons  cru  devoir  leur 
présenter  à  la  planche  44  ■>  n-°  a  5  quelques  Cataphractes  de  milices 
auxiliaires  de  l'empire  Romain  ,  qu'on  voit  dans  les  bas-reliefs  de 
la  colonne  Trajane.  Il  est  à  remarquer  ici  que  le  cavalier  n'a  point 
3e  visage  couvert,  et  que  ses  mains  sont  également  nues;  il  n'a  mê- 
me point  de   pique. 

Nous  ne  devons  pas  omettre  non  plus  de  faire  mention  du  La-      Labarum. 
barum ,  espèce  d'étendard,    que  Constantin  le    Grand    avait    donné 
aux  armées  des  deux  empires  pour  enseigne  militaire.    C'était  une 

(1)  Héliodore  ,  sur  les  choses  éthyopiques ,  trad.  de  Léonard  Ghini. 
Vlnegla ,  Gabr.  Giolito  ,  i56o  ,  8°,  liv.  IX.  pag.  a35  et  suiv.  On  ne  trouve 
dans  le  G'ossaire  de  Dufresne  d'autre  explication  du  mot  cataphractus  t 
que  celle  de  thorace  ferreo  indutus. 


3a4  Milice 

longue  pique,  décorée  quelquefois  de  divers  objets,  et  portant  vers 
son  extrémité  supérieure  un  bâton  transversal  ,  d'où  pendait  une 
draperie  couleur  de  pourpre  ,  enrichie  de  pierreries  et  entourée 
d'une  frange.  Au  milieu  était  figurée  en  broderie  la  croix,  ou 
Je  monogramme  composé  des  deux  lettres  Grecques  X.  P.  qui 
indiquent  le  nom  du  Christ  ,  et  d'autres  fois  les  deux  autres 
a.  a  ,  qui  signifient  que  le  Christ  est  le  principe  et  la  fin  de 
toutes  choses.  On  trouve  aussi  des  labarum  qui  avaient  la  forme 
d'un  éventail.  Voyez  les  deux  médailles  de  Constance  ,  (  planche  Ap , 
n.°  3  )  rapportées  par  Banduri.  On  prétend  que  Constantin  donna 
à  ses  troupes  cette  espèce  d'étendard,  après  avoir  vu  dans  les  airs, 
en  marchant  à  la  tète  de  ses  troupes  contre  Maxence  ,  une  croix 
sur  laquelle  ou  lisait  ces  mots  en  Grec:  en  tottq  nika.  In  hoc  (  signo  ) 
vinces ,  et  qu'il  choisit  cinquante  guerriers  des  plus  braves  et  des 
plus  pieux  de  son  armée  pour  le  porter  tour-à-tour.  Les  savans  croient 
voir  dans  ces  guerriers  ceux  que  le  Code  Théodosien  désigne  sous 
le  nom  de  Prœpositi  laborum  (i). 
Feu  grégeois.  Enfin,  et  pour  compléter  ce  que  nous  avions  à  dire  de  l'art  mi- 

litaire de  l'empire  de  Bysauce,  nous  allons  rapporter  les  notions  que 
nous  ont  transmises  les  écrivains  sur  le  feu  grégeois ,  auquel  Constan- 
tinople  fut  plusieurs  fois  redevable  de  son  salut.  Nous  avons  vu  pré- 
cédemment que  les  anciens  ont  toujours  cherché  à  faire  usage  du 
feu  dans  leurs  guerres.  Il  parait  néanmoins  que  c'est  des  peuples 
de  l'orient  qu'est  venue  l'idée  de  produire  des  embrasemens  par  le 
moyen  du  pétrole,  anciennement  appelé  naphte  ,  et  d'autres  matiè- 
res bitumineuses  qui  abondent  dans  ces  contrées.  Dion  raconte  que 
l'Empereur  Sévère  fit  de  vains  efforts  pour  prendre  une  ville  située 
sur  les  confins  de  la  Perse,  parce  que  les  assiégés  brûlèrent,  avec 
du  naphte  qu'Un  lui  jetaient,  ses  machines ,  ainsi  que  les  soldats  qui 
en  étaient  atteints  :  ce  qu'une  ville  de  Médie  avait  déjà  fait  trois 
siècles  auparavant  contre  Lucullus.   Ammien  Mareellin,  Procope  et 

(i)  Peut-être  làbarorum.  Le  labarum  proprement  dit  était  l'étendard 
des  Barbares.  C'est  pourquoi ,  quand  on  le  trouve  sur  les  médailles  des 
Augustes  qui  ont  précédé  Constantin,  au  lieu  de  le  prendre  pour  une  en- 
seigne Piomaine  ,  il  faut  le  regarder  comme  celle  de  quelque  nation  bar- 
bare vaincue  par  l'Empereur ,  en  l'honneur  de  qui  la  médaille  a  été  frap- 
pée. Ainsi  il  serait  inutile  de  rechercher  dans  la  langue  grecque  ou  latine 
Tétymologie  du  mot  labarum.  V.  Du-Fresne  De  Imperator.  Constanùnop. 
etc.  Numismatïbus  Dissertatio  ,  pag.  3g. 


de    la     Grèce.  3ï>,5 

autres  anciens  écrivains  nous  assurent,  que  l'huile,  appelée  incen- 
diaire, se  fesait  en  Médie  et  en  Perse  ([).  L'usage  de  ce  feu  passa 
aussi  chez  les  Arabes  :  car  au  dire  de  l'historien  Elmacin  ,  ils  l'em- 
•  ployèrent  à  un  siège  de  la  Mecque ,  et  Jean  de  Vitry  rapporte 
qu'ils  achetaient  à  un  très-haut  prix  les  eaux  d'une  fontaine  ,  avec 
lesquelles,  au  moyen  de  quelques  ingrédiens  qu'ils  y  mêlaient  , 
ils  fesaient  le  feu  grégeois.  Il  paraîtrait  que  ce  fut  d'eux  que  l'ar- 
chitecte Calliuique  ,  venu  de  Baîbec  en  Grèce  vers  le  milieu 
du  VII.e  siècle,  apprit  la  composition  de  ce  feu;  et  qu'à  la  fa- 
veur de  ses  hôtes  dans  ce  dernier  pays,  il  composa  ou  peut-être 
perfectionna  celui  qui  dans  la  suite  fut  appelé  feu  grégeois.  Les 
écrivains  Bysantins  l'appellent  tantôt  feu  artificiel ,  tantôt  feu  de 
mer  ,  mais  plus  communément  encore  feu  fluide.  Il  existe  un  opus- 
cule qu'on  attribue  à  certain  Marc  Greco  ,  lequel  vivait,  dit-on  , 
vers  l'an    noo,  où  sont  indiqués    les    ingrédiens    qui    entrent    dans       Matières 

1  ~  x  composant 

la  composition  du  feu  grégeois,  ainsi  que  la  manière  de  le  prépa-  &  feu  grégeois. 
rer  :  ces  ingrédiens  sont  du  soufre,  de  la  poix,  du  pétrole,  du 
tartre,  du  sel  décrépité;  et  le  procédé  est  de  faire  bouillir  le  tout 
ensemble  ,  et  d'y  mêler  de  Vétoupe  (a).  Gallinique  fit  usage  pour  la 
première  fois  de  cette  composition  dans  un  combat  naval,  entre 
Constantin  Pogonate  et  les  Savrazins,  près  de  Cysique  sur  PHelles- 
pont.  L'effet  en  fut  si  terrible,  que  la  flotte  ennemie,  portant  envi- 
ron trente  mille  hommes,  fut  entièrement  détruite  par  les  flammes. 
Les  successeurs  de  Constantin   l'employèrent  ensuite    dans    plusieurs 

.  ,  ,  .  T  Le  fou  grégeois 

de  leurs  guerres,  et  toujours  avec  beaucoup  de  succès.   Le  soin  par-    mis  au  nombre 

,.  ,...  .  i,  i,  ,  ,  des  secrets 

ticuher  qu  ils  prirent  toujours  d  en  cacher  le    secret    nous  donne  a      de  PEtau 

(i)  Le  chevalier  Venturi,  que  nous  avons  suivi  dans  nos  recherches 
sur  le  feu  incendiaire,  dit  que  c'est  peut-être  à  l'usage  de  ce  feu  qu'il 
faut  attribuer  ,  ce  que  Philostrates  regarde  comme  l'effet  d'un  prodige  inoui, 
savoir  ;  qu'Hercule  et  Bachus  s' étant  engagés  dans  un  combat  avec 
un  peuple  de  l'Inde  favorisé  du  ciel  ,  ils  furent  assaillis  par  des  tour- 
billons de  feu  et  des  foudres  qui  tombaient  d'en  haut  sur  les  armes  de- 
leurs  troupes.  On  peut  lire  à  cet  égard  le  savant  Mémoire  qu'il  a  fait  in- 
sérer dans  le  VI. e  tome  de  la  Bibliothèque  Italienne  ,  pag.  343  et  suiv. , 
ainsi  qu'un  autre  Mémoire  lu  par  lui  à  l'Institut  R.  le  8  juin   i8i5. 

(2)  Sur  la  composition  du  feu  grégeois  il  faut  lire  en  outre  Alberto 
M.  De  mirabilibus  mundi ,  Valturio  ,  Biringuccio  ,  Cardan  et  autres ,  qui 
pourtant  n'ont  fait  que  copier  ou  répéter  ce  qu'ils  ont  lu  dans  l'opuscule 
de  Marc  Greeo. 


32,6  Milice 

présumer,  que  le  feu  de  Callinique  était  d'une  autre  composition, 
et  plus  meurtrier  que  celui  qu'où  connaissait  en  orient;  et  en  effet 
le  feu  grégeois  fut  mis  par  Constantin  Porphirogenètes  au  nombre 
des  secrets  de  l'Etat.  Cet  Empereur,  dans  un  ouvrage  qu'il  a  écrit 
sur  le  gouvernement  de  l'empire,  dit  à  son  filsRomanus,  que  si  ja- 
mais les  Barbares  viennent  lui  demander  le  feu  grégeois ,  il  leur 
réponde  que  c'est  un  secret  qu'il  ne  peut  communiquer,  parce  que 
l'Ange  qui  l'apporta  à  l'Empereur  Constantin  lui  défendit  de  le 
faire  connaître  à  d'autres,  et  que  ceux  qui  ont  osé  violer  cette  dé- 
fense ont  été  dévorés  par  le  feu  du  ciel.  Les  précautions  de  Por- 
phirogenètes ne  purent  empêcher  cependant  que  les  Barbares  ne 
parvinssent  à  trouver  d'eux  mêmes,  ou  à  découvrir  par  d'autres  le  se- 
Le%  Barbares  cret  de  cette  composition.  Le  P.Daniel,  dans  son  Histoire  du  siège 
*n  usageUSSl  de  Damiette  qui  eut  lieu  vers  l'an  12.49  sous  Saint  Louis,  rapporte 
que  les  Turcs  en  firent  alors  un  usage  terrible.  Ils  lançaient  ,  dit- 
il,  ce  feu  par  le  moyen  d'un  mortier,  et  quelquefois  avec  une  ar- 
balète singulièrement  construite  ,  qu'on  tendait  avec  une  machine 
dont  la  force  était  supérieure  à  celle  de  toute  puissance  humiine. 
Mais  l'invention  de  la  poudre  et  de  l'artillerie  ,  si  funeste  au  genre 
humain  ,  a  fait  tomber  dans  l'oubli  le  feu  grégeois.  Les  effets  de 
]a  poudre  à  canon  ont  bientôt  surpassé  ceux  d'une  composition  , 
qui  ne  pouvait  se  lancer  qu'avec  des  tubes  de  cuir  dans  lesquels 
on  soufflait ,  ou  avec  des  arbalètes,  ou  enfin  avec  d'autres  machines 
très-imparfaites ,  tant  l'homme  a  été  ingénieux  à  créer  de  nou- 
veaux moyens  ,  pour  abréger  son  existence  déjà  si  fragile  et  si  cour- 
te ,  et  sujette  à  une  infinité  de  disgrâces! 
Miiias  Après  les  notions  que  nous  avons  données  précedamment  sur  les 

tockmes.  Grecs  modernes  ,  il  ne  nous  reste  plus  que  fort-peu  de  choses  à  dire 
de  leur  milice  et  de  leurs  usages  militaires.  Confondus  aujourd'hui 
avec  les  hordes  de  l'empire  Ottoman,  ils  ne  nous  présentent  rien 
qui  ne  soit  commun  avec  les  armes  et  l'habillement  militaire  des 
Turcs.  On  peut  comparer  la  Turquie  d'Europe  à  un  pays,  où  les 
eaux  d'un  torrent  impétueux  ont  renversé  les  maisons,  déraciné  les 
forêts,  et  recouvert  le  sol  d'un  sable  aride  ,  qui  laisse  à  peine  aper- 
cevoir la  trace  des  anciennes  habitations,  et  quelques  restes  de  vé- 
gétation dans  des  troncs  d'arbres  et  des  buissons  dispersés  ça-et-là 
sur  sa  surface.  Il  serait  sans  doute  aussi  étrange  qu'inutile  de  vou- 
loir chercher  dans  les  misérables  débris  d'un  peuple  avili  depuis 
tant  de  siècles,  quelqu'étincelle  de  son  "ancienne  valeur,  ou  quel- 


de    la    Grèce.  &&$ 

qu'usage  militaire  qui  le  distingue  de  la  nation  sous  le  joug  de  la- 
quelle il  est  opprimé.  «  La  Morée  ,  dit  M.r  Pouqueville,  lors  que  Morée 
je  me  trouvais  daus  cette  province  qu'on  croyait  la  plus  mena- 
cée ,  outre  une  flotte  formidable  qui  la  protégeait ,  était  encore 
défendue  par  un  corps  de  troupes  de  six  mille  hommes  .... 
Je  vis  arriver  ces  malheureux  ,  qu'on  avait  ramassés  dans  plusieurs 
villes  de  l'empire,  la  plupart  sans  armes,  et  presque  mourans  de 
faim  ....  Quoique  sans  aucune  discipline,  les  Albanais,  (  habi-  Aihanai 
tans  de  la  Macédoine  et  de  l'Epire),  montraient  néanmoins  un 
certain  ordre  dans  leur  milice.  Chacun  de  leurs  corps  était  divisé 
en  chiliades  ,  ou  milliers  commandés  par  un  Bimbachi  ,  ou  chef  de 
mille  hommes,  qui  avait  pour  marque  distinctive  une  tunique  sem- 
blable à  celle  des  Diacres  ,  avec  de  longues  épaulettes  qui  lui  ar- 
rivaient jusqu'au  coude.  Il  y  avait  en  outre  des  capitaines  ,  et  des 
lieutenans  ,  dont  chacun  commandait  un  nombre  indéterminé  de  sol- 
dats. Chaque  homme  ,  au  moment  de  son  enrôlement ,  recevait  à  titre 
d'engagement  une  somme,  avec  laquelle  il  était  obligé  de  pour- 
voir aux  frais  de  son  habillement,  de  son  armement  et  de  son  en- 
tretien ....  Il  est  aisé  d'imaginer  ce  que  doit  être  une  troupe  , 
où  il  n'y  a  ni  contrôles,  ni  caisse,  ni  solde  fixe  li).  Ce  n'est 
qu'un  ramas  d'hommes,  composé  de  gens  braves  et  courageux, 
mais  sans  discipline  ,  sans  ordre  et  sans  tactique  militaire.  Les  paysans 
Albanais  se  font  distinguer  entre  autres  par  leur  agilité,  leur  vi- 
gueur ,  et  leur  habileté  à  manier  le  fusil  et  le  sabre  ;  ils  sont 
d'une  force  et  d'une  hardiesse  étonnantes  lorsqu'ils  combattent  corps 
à  corps  ;  mais  s'ils  ont  le  malheur  d'être  enfoncés  par  un  corps 
de  troupes  réglées  ,  leur  défaite  est  générale  et  complette  „.  Ce- 
pendant les  Albanais  se  sont  acquis  par  leur  bravoure  ,  et  par  la 
forme  même  de  leur  habillement  militaire,  une  grande  réputation 
parmi  les  Turcs;  ce  sont  eux  qui  composent  la  garde  des  Pashas  (a) 
en  Morée  ,  en  Egypte,  en  Syrie,  ainsi  que  dans  les  autres  provinces  Soldai, 
de  l'empire.  Le  n.°   1  de  la  planche  48   représente    un    soldat  Al- 

(1)  Pouqueville.  Voyage  en  Morée  etc.  Paris,  i8o5.  T.  I.  p.  241  et  suiv. 

(2)  M.r  Holland  a  vu  dans  Tile  de  Lipari  un  régiment  Albanais  ,  qui 
avait  été  long-tems  au  service  du  Roi  des  deux  Siciles.  Ce  régiment  fut 
dissous  dans  l'hiver  de  18 12.  Les  troupes  qui  attaquèrent  l'armée  Aglaise 
à  Rosette  dans  la  dernière  expédition  d'Egypte  ,  étaient  composées  en 
grande  partie  d'Albanais.  V.  Holland  ,  Travels  in  the  Jonian  Jsles.  etc. 
X^ondon ,  i8i5,  pag.  n3. 


Alh, 


anais. 


3i>B  M  r  ne  k 

banais:  nous  avons  tâché  de  conserver  dans  ce  portrait ,  non  seule- 
ment l'habillement ,  mais  encore  les  traits  et  rouf  le  caractère  de 
physionomie  qu'il  a  dans  l'original  ,  que  M.r  Hobhouse  a  fait  peindre 
sur  les  lieux  même,  et  sur  lequel  nous  l'avons  copié.  Les  albanais 
Dame  ont  aussi  conservé  une  espèce  de  danse  pyrrhique.  «  Deux  hommes 
des  Albanais,  c'est  ainsi  que  s'exprime  M.r  Pouqueville  ,  armés  d'un  poignard 
s'avancent  à  pas  mesurés,  en  agitant  leurs  armes  d'abord  contra 
eux  mêmes ,  et  ensuite  l'un  contre  l'autre  :  des  sauts  et  des  tours  de 
force  caractérisent  cet  exercice  militaire  ....  En  voyant  cette 
danse,  je  me  crus  transporté  dans  l'ancienne  Sparte,  dont  elle  rap- 
pelle les  jeux  :  j'avoue  que  je  fus  presque  saisi  d'effroi,  lorsqu'à  l'im- 
pétuosité des  mouvemens  je  vis  succéder  une  espèce  de  délire  et 
de  fureur  (i)  „.  Une  autre  danse  qu'on  prendrait  aussi  pour  Spar- 
tiate, et  qui  est  également  en  usage  chez  les  Albanais,  est  celle 
qu'ils  appellent  danse  des  voleurs.  On  vit  chez  les  anciens  Grecs, 
au  rapport  de  Xénophon ,  une  danse  d'un  genre  à  peu-près  sem- 
blable, à  leur  retour  de  leur  expédition  en  Perse.  Cette  danse  s'exé- 
cute ordinairement  en  présence  des  Pashas,  dans  une  salle  éclai- 
rée d'un  petit  nombre  de  bougies  jaunes,  dont  la  lumière  presque 
sépulcrale,  donne  une  couleur  pâle  et  équivoque  aux  spectateurs 
et  aux  objets  sur  qui  elle  se  réfléchit.  Les  danseurs  ayant  le  bras  gau- 
che passé  autour  du  cou  ,  et  tenant  chacun  la  main  droite  dans  la 
ceinture  de  l'autre,  se  donnent  alternativement  des  secousses,  et 
tournent  en  rond  à  pas  mesurés  s  qu'ils  accélèrent  insensiblement , 
jusqu'à  ce  que  leur  mouvement  ait  pris  toute  la  rapidité  possible. 
Lorsque  cette  espèce  de  rotation  est  à  son  plus  haut  degré  de  véhé- 
mence, on  entend  des  cris  sauvages,  qui  se  mêlent  par  intervalle 
aux  sons  bruyans  d'une  musique  barbare.  Vient  alors  quelquefois  la 
danse  pyrrhique  dont  nous  venons  de  parler.  Après  cela,  les  danseurs 
feignent  d'aller  à  la  poursuite  des  voleurs,  et  de  les  arrêter,  et  fer- 
itparûates  ment  le  spectacle  par  une  espèce  de  triomphe.  Mais  les  Spartiates 
modernes,  tiennent  encore  du  caractère  de  leurs  illustres  ancêtres.  Ils  sont 
fiers  et  orgueilleux  :  souvent  on  les  entend  entonner  le  chant  de 
guerre,  et  invoquer  le  secours  de  quelque  puissance  amie  qui  vienne 
briser  leurs  fers.  La  couleur  sombre  de  leurs  vêtemens  ,  la  bâche 
dont  ils  sont  armés,  leur  air  taciturne,  et  le  mépris  farouche  qu'ils 
montrent  pour  leurs  oppresseur? ,  décèlent    en  eux  des    âmes    fières 

(i)  Pouqueville.  Ibid.  pag.  276  et  276,,  et  Holland.  ifcid.  pag.  80, 


de    la    Grèce.  Bù-.g 

et  ardentes ,  qui  n'attendent  qu'un  moment  favorable  pour  secouer 
le  joug;,  et  rendre  tout  son  éclat  à  cette  superbe  Sparte,  dont  ils 
se  vantent  encore  d'être  les  enfans  (i).  A  côté  des  Spartiates  et 
des  Albanais  il  faut  mettre  aussi  les  Gariens  ,  dont  le  pays  fournit  Carient. 
beaucoup  de  soldats.  La  Carie  3  dès  les  tems  les  plus  reculés,  ne 
connaissait  pas  d'autre  métier  que  celui  des  armes.  Ses  habitans , 
nés  en  quelque  sorte  pour  la  milice,  s'enrôlaient  habituellement; 
au  service  de  quiconque  leur  offrait  un  engagement.  Qenus ,  dit 
Pomponius  Mêla,  us  que  eo  quondam  armorum  ,  pugnaeque  amans , 
ut  aliéna  etlain  bella  mercede  ager&t.  Les  descendans  des  Cariens 
ont  conservé  en  cela  tout  le  caractère  de  leurs  ancêtres.  Soldats  de 
profession  ,  ils  abandonnent  volontiers  leurs  foyers  pour  suivre  l'éten- 
dard du  P.jslias  ,  de  l'usurpateur  ou  de  l'aventurier  quelconque  qui 
leur  offre  une  meilleure  solde.  C'est  pourquoi  ils  changent  souvent 
de  maître,  et  se  vantent  de  ne  consulter  dans  toutes  leurs  actions 
que  leur  propre  intérêt:  redoutables  à  leurs  tyrans  même,  ils  jouis- 
sent d'une  liberté  à  laquelle  aspirent  en  vain  les  autres  peuples  de 
la  Grèce.  Leur  état  ou  leur  condition  se  distingue  à  la  forme  de  leur 
turban  qui  est  noir,  et  à  la  couleur  des  rubans  ou  cordons  dont  il 
est  orné:  voy.  les  n.os  a ,  3  et  4  de  la  planche  48,  ainsi  que  le 
cavalier  de  la  même  nation  qui  y  est  représenté.  Ces  trois  figures 
sont  prises  de  la  Ç;3.e  planche  du  voyage  de  Choisseul. 


RELIGION     DES     GRECS. 


Grecqu 


Ici  s'ouvre  un  vaste  champ,  où  les  amateurs  des  beaux  arts  et  Vann 
de  l'archéologie  peuvent  donner  carrière  à  leur  génie,  et  faire  une  Mythologue 
abondante  moisson  de  connaissances  aussi  utiles  qu'agréables.  La  re- 
ligion ,  ou  plutôt  ia  mythologie  des  Grecs  présente  une  suite  con- 
tinue d'idées  ingénieuses,  d'images  riantes,  de  sujets  sublimes,  d'em- 
blèmes, d'allégories,  et  autres  objets  aussi  admirables  parleur  goût 
que  par  leur  variété.  «  Tout  est  en  action  ,  dit  un  illustre  écrivain  9 
tout  respire  dans  ce  monde  enchanté  ,  où  les  êtres  spirituels  ont 
un  corps,  et  les  êtres  matériels  un  âme;  où  les  champs,  les  bois, 
les  fleuves,  les  élémens  ont  leurs  divinités  particulières  :  personnages 

(1)  Voy.  ce  que  nous  avons  déjà  dit  au  sujet  des  Maniottes  ,  pag.  224 
et  ailleurs. 

Europe,  Vol  I.  /'  /p 


030  Religion 

chimériques  sans  doute,  mais  qui,  pour  nous,  sont  devenus  réels  et 
animés ,  par  le  rôle  qu'ils  jouent  dans  les  ouvrages  des  anciens 
poètes  ,  et  les  allusions  que  ne  cessent  d'y  faire  encore  les  écrivains 
modernes  „.  Aussi  n'a-t-on  jamais  fait  que  de  vains  efforts,  toutes 
les  fois  qu'on  a  voulu  renverser  les  Dieux  de  l'Olympe,  et  enlever 
aux  Muses  l'empire  de  la  poésie  et  des  beaux  arts.  Nous  avons  parlé 
assez  au  long,  à  l'article  des  tems  mythologiques  ou  fabuleux,  de 
l'origine  de  la  Mythologie  Grecque,  et  des  allégories  que  certains 
écrivains  ont  cru  y  apercevoir  sous  les  images  et  [m  divers  attributs 
des  Dieux;  c'est  pourquoi  nous  nous  dispenserons  d'entrer  dans  de 
dïfdïvlnïiés  nouveaux  détails  à  ce  sujet  (i).  Nous  ne  voulons  pas  non  plus  passer 
Grecques,  en  revue  la  multitude  infinie  des  divinités  Grecques ,  notre  but  n'étant 
pas  de  nous  arrêter  à  des  recherches  de  pure  curiosité  et  tout-à-fait 
inutiles  ,  mais  de  recueillir  dans  les  monumens  et  les  ouvrages  des 
anciens  tout  ce  qui  peut  nous  donner  une  juste  idée  du  costume  de 
cette  nation,  et  de  n'en  prendre  que  ce  qui  peut  tourner  au  profit 
des  arts.  Les  mêmes  raisons  nous  engagent  à  passer  sous  silence 
l'histoire  particulière  de  chacune  de  ces  divinités:  car  il  n'est  per- 
sonne d'un  esprit  un  peu  cultivé,  qui  n'ait  acquis  quelques  connais- 
sances de  Mythologie  dans  les  nombreux  recueils  que  nous  en  avons. 
DUnsion  Nous  traiterons  donc:  premièrement,  des  divinités  et  de  leurs  atfri- 
de  cette  pâme,  j^g .  secorK]ement  ,  des  temples,  des  autels  et  des  ustensiles  sa- 
crés; troisièmement,  des  prêtres,  des  rites  et  des  sacrifices;  qua- 
trièmement, des  mariages,  des  funérailles  et  des  fêtes  religieuses; 
cinquièmement  des  mystères;  sixièmement  enfin,  des  jeux  et  des 
spectacles  sacrés.  Nous  passerons  ensuite  à  quelques  observations  sur 
la  religion  des  Grecs  modernes. 

Divinités  et  leurs  attributs. 

Religion  Hérodote,  le  plus  ancien  des  historiens  delà  Grèce,  est  celui 

es   easges,         ,  nous  donne  les  notions  les  plus  exactes  sur  la  religion  des  Pe- 
lages, ou  des  anciens  Grecs.  »  Les    Pelages    (2),    dit    il,    lésaient 

(0  Voy.  Paë>-  ^S  et  suïv.  Au  tems  d'Hésiode,  le  nombre  des  divi- 
nités Grecques  se  montait  déjà  à  trente  mille.  Op.  et  Dies ,  liv.  Ier  v.  2.^0. 

(2)  Hérod.  Euterp.  §.  52  et  53.  M.r  Larcher  est  d'avis  que  ces  Pé- 
lasges  sont  probablement  ceux  qui  vinrent  s'établir  dans  l'Atticiue,  1209 
ans  avant  notre  ère  ,  et  qui  en  furent  chassés  47  ans  après. 


de   la    Grèce.  33r 

«  hommage  aux  Dieux  de  tout  ce  qu'on  pouvait  leur  offrir,  comme 
«  je  l'ai  appris  à  Do  loue,  et  leur  adressaient  des  prières;  mais  ils  ne 
«  leur  donnaient  aucun  nom  ni  surnom,  car  ils  ne  les  avaient  jamais 
«  entendu  nommer  individuellement.  Ils  les  appelaient  Dieux  en 
«  général ,  à  cause  de  l'ordre  qu'ils  observaient  dans  les  différentes 
"  parties  de  l'univers  (1)  .  .  .  .  On  a  ignoré  pendant  long-tems  l'ori- 
(i  gine ,  ainsi  que  la  forme  et  la  nature  de  chacun  de  ces  Dieux, 
«  et  s'ils-  avaient  existé  de  tout  tems  :  ce  n'est  que  d'hier,  pour  ainsi 
«  dire  ,  que  nous  en  avons  connaissance.  Homère  et  Hésiode  ne  vi- 
«  vaient  guères  que  quatre  cents  ans  avant  moi.  Or  ce  sont  eux  , 
«  qui  les  premiers  ont  traité  en  vers  de  la  Théogonie;  qui  ont 
«  parlé  des  surnoms  des  Dieux,  de  leur  culte ,  de  leurs  fonctions  ; 
«  et  qui  nous  en  ont  tracé  des  images:  les  autres  poètes,  qui  disent 
«  les  avoir  précédés,  au  moins  à  mon  avis,  ne  sont  venus  qu'après 
«  eux  „.  On  distingue  en  effet  chez  les  anciens  Grecs  trois  religions  Trois  religion 
différentes,  qui  sont  clairement  énoncées  dans  la  Théogonie  d'Hé-  ' "cTecs!"* 
siode.  La  première  est  celle  où  le  Ciel  et  la  Terre  sont  désignés 
comme  souverains  de  l'univers.  Le  poète  leur  donne  un  grand  nom- 
bre d'enfans  ,  qui  sont  les  Dieux  d'Hérodote ,  auxquels  on  n'a  point 
assigné  de  noms ,  qui  ne  tombent  point  sous  nos  sens ,  et  dont  cha- 
cun préside  à  un  des  corps  célestes.  La  seconde  religion  est  celle 
où  Saturne,  qui  n'était  d'abord  que  la  planète  de  ce  nom,  en- 
leva au  Ciel  son  empire ,  et  commença  à  régner  avec  les  autres 
planètes,  qui  toutes  alors  prirent  uu  uom.  La  troisième  enfin  est 
celle  de  Jupiter  et  de  ses  frères,  auxquels  on  a  donné  des  fem- 
mes ,  des  enfans  et  une  descendance ,  qui ,  avec  d'autres  divinités 
inférieures,  ont  peuplé  le  ciel,  la  terre,  la  mer  et  les  enfer*.  C'est 
à  ces  trois  sortes  de  religions,  et  aux  différens  règnes  de  ces  Dieux  , 
que  fait  allusion  Eschile  dans  la  réponse  que  Prométhée  adresse  à 
Mercure,  qui  venait  de  donner  contre   lui  des  ordres  cruels: 

Naperum  imperium  novitii  obtinetis  ,  quinetlam  putatis 
Vos  incolere  arees  nulli  dolori  perçias  :  non  ex  his  ego 

(i)  Le  mot  Qeéç  ,  Dieu  ,  dérive  de  qs  ,  d'où  -vient  TÎOfMi  ,  je  fais: 
ainsi  Dieu  est  celui  qui  a  tout  fait  et  tout  ordonné.  Platon  fait  dériver 
ce  même  mot  Qeâç  de  Ho  ,  qui  veut  dire  je  cours  ,  à  cause  du  mouve- 
ment perpétuel  des  astres  ,  qui  furent  les  premiers  objets  de  l'adoration 
des  anciens  peuples  de  la  Grèce.  Voy.  Larclier ,  Hérod.  Tom.  IL  pag.  282. 


33a 


Religion 


Idoles  , 
inconnues 


Système 
thèoLogique 
d'Homère. 


Reges  duos  excidisse  vidi  ? 
Et  hune  jam  regnantem  tertium  aspiciam 
Turpissimè  et  citissimè.  Nunquid  iibi  videor 
Metuere  et  formidare  novos  Deos  ?  (i) 

L'observation  d'Hérodote,  que  les  Grecs  ne  connaissent ,  pour  ainsi 
dan7iTsUtcms  dire,  que  d'hier  l'origine,  l'immortalité  et  la  forme  de  leurs  Dieux, 
nous  autorise  donc  à  croire,  que  dans  le  culte  des  tems  héroïques, 
l'usage  de  représenter  les  Dieux  sous  des  figures  humaines  et  de 
faire  des  idoles  n'était  pas  connu,  quoiqu'il  régnât  dès  lors  dans 
l'Asie  mineure  l'idolâtrie  la  plus  grossière.  Et  en  effet  Homère , 
historien  aussi  exact  que  grand  poète,  ne  parle  jamais  d'images, 
de  statues  ,  ni  d'aucun  autre  emblème  de  la  divinité  (2,).  Son  système 
théologique  nous  montre  clairement  que  Jupiter  avait  déjà  obtenu 
l'empire  de  l'Olympe;  mais  on  ne  lui  avait  encore  élevé  aucune  sta- 
tue,  pas  même  sur  l'autel  que  les  Grecs  lui  avaient  dressé  dans  leur 
camp.  Tout  ce  qu'on  raconte  des  entreprises  de  Dioméde  ,  d'Ulysse 
et  d'Ajax  pour  enlever  le  fameux  Palladium  ,  n'est  qu'une  fiction 
des  poètes  cycliques  ,  ou  des  poètes  postérieurs  à  Homère.  Les  as- 
sertions d'Apollonius  de  Rhodes,  de  Pausanais ,  de  Diodore  de  Sicile 
et  autres,  ne  peuvent  être  d'aucune  force  contre  l'argument  négatif 
qu'il  est  permis  de  tirer  du  silence  d'Homère  sur  ce  point:  car  si 
les  Grecs  des  tems  héroïques  avaient  professé  le  culte  des  statues  , 
et  si  leurs  Rois  en  avaient  érigé  à  quelques  divinités,  ce  poète 
si  attentif  à  rapporter  tout  ce  qui  tient  à  la  religion,  aurait  d'au- 
tant moins  négligé  d'en  dire  quelque  chose,  qu'il  aurait  pu  trouver 
dans  ces  détails  même  un  moyen  facile  de  répandre  plus  d'agrément 
et  de  variété  dans  ses  poèmes.  Lorsqu'il  parle  de  sacrifices  ou 
d'autels  élevés  en  l'honneur  des  Dieux  ,    il  ne    fait  jamais    mention 

(i)  Aesch.  Prom.  v.  201  et  suiv.  On  peut  lire  ,  au  sujet  des  trois 
religions  des  Grecs  ,  les  belles  dissertations  de  M  r  De-la-Barre  dans  les 
XVI. e   et  XVIII. e  tome    de  VAcad.  R.    des  Inscriptions  etc. 

(2)  M.r  De-Rochefort  observe  judicieusement ,  qu'Homère  distingue 
toujours  le  costume  des  Grecs  de  celui  des  autres  nations ,  et  surtout  des 
peuples  de  l'Asie  mineure  }  chez  lesquels  le  culte  des  idoles  était  déjà  en, 
usage.  Ce  poète  parle  bien  en  effet  des  hommages  que  les  Troyens  ren- 
daient à  la  statue  de  Minerve  ,  mais  nulle  part  il  ne  laisse  apercevoir  cju§ 
£e  même  culte  fut  établi  chez  les  Grecs. 


de    la    Grèce,  333 

d'idoles  ni  de  statues  quelconque:  or  le  silence  d'un  auteur  aussi 
exact ,  doit  avoir  à  cet  égard  toute  la  force  et  l'évidence  d'une  preuve 
affirmative,    comme  l'observe  fort-bien    M.r  de  Rochefort.  Ajoutons      Comment 

ai  -,  .  /-^  f  »     •      .  ,      -|  ..>  -,  les  anciens 

cela,  que  les  anciens  Grecs  étaient  clans  1  usage  de  se  prosterner         Grecs 

devant  les  personnes  auxquelles  ils  demandaient  quelque  grâce  ,  tan-  lelrs'nZux. 
dis  qu'ils  restaient  debout  et  se  contentaient  de  lever  les  mains 
vers  le  ciel  ,  lorsqu'ils  adressaient  aux  Dieux  quelque  prière.  Les 
peuples  idolâtres  se  prosternaient  au  contraire  devant  leurs  divini- 
tés pour  les  adorer;  et  comme  ils  avaient  fait  leurs  statues  à  l'image 
de  l'homme,  ils  s'imaginaient  ne  pouvoir  les  honorer  plus  dignement , 
qu'en  leur  rendant  un  hommage  semblable  à  celui  qu'ils  rendaient 
aux  plus  grands  personnages  (i).  Ainsi  donc,  toute  la  religion  des 
Grecs  clans  les  tems  héroïques  reposait  sur  ce  principe,  qu'on  voit 
dominer  partout  dans  les  poèmes  d'Homère  :  Vïnfluence  de  Dieu, 
sur  les  actions  humaines.  Cest  pour  cela  que  ce  poète  a  placé  à 
la  tête  de  son  Iliade  cette  fameuse  sentence,  d'après  laquelle  il 
attribue  à  la  volonté  de  Jupiter  tous  les  événemens  qu'il  va  raconter: 
Ainsi  s'accomplisse  la  volonté  de  Jupiter.  Adorer  comme  cause  pre-  Leur  croyance. 
mière  l'Etre  Suprême  ,  et  comme  causes  secondaires  ses  nombreux 
agens  répandus  dans  l'univers;  les  invoquer;  leur  offrir  des  sacrifi- 
ces; croire  que  ces  êtres  supérieurs  daignent  s'entretenir  avec  les 
hommes  ,  et  particulièrement  avec  les  Rois  et  avec  les  personna- 
ges qui  se  sont  illustrés  par  leurs  vertus  et  leur  courage  ;  regarder 
les  songes  et  les  phénomènes  célestes  comme  des  avertissemens  des 
Dieux  ;  voilà  eu  quoi  consistait  toute  la  théologie  Grecque  à  cette 
époque  fameuse.  De  ce  même  principe  ,  et  de  la  tradition  confuse 
des  trois  religions  dont  nous  venons  de  parler,  dérivait  peut-être  l'opi- 
nion que  s'étaient  formée  les  Grecs  de  certaines  actions  déshono- 
rantes et  même  brutales  qu'ils  imputaient  à  leurs  Dieux  ,  et  qu'ils 
vénéraient,  sans  cependant  les  imiter.  Les  artistes  doivent  donc  bien 
se  garder  de  faire  entier  dans  leurs  compositions  sur  les  rites  ou  la 
mythologie  des  Grecs,  aucune  statue  ni  emblème  quelconque  de  la 
divinité.  Qu'on  n'objecte  point  à  cela  les  images  des  diviniïés  qu'on 
voyait  figurées  sur  le  bouclier  d'Achille,  car  cet  ouvrage  n'était  pas 
de  ia  main  de  l'homme,  ni  un  objet  de  culte. 

(i)  Voy.  encore  la  Dissertation  de  M.r  Rochefort.  Cet  auteur  observe 
que  les  Romains  même  ne  connurent  que  fort-tard  le  culte  des  statues  , 
qui,  au  dire  a>  Saint  Augustin,  ne  fut  introduit,  chez  eux  que  170  ans. 
après  la  fondation  de  Rome.   Voy.  August.  De  Clvib,  Del. 


3B4  Religion 

Superstitions  Mais  l'imagination  ardente  de  ce  peuple  ,  et  ses  rapports  de  cora- 

eprises°s      merce  avec   les  Egyptiens  et  les  nations  de  l'Asie  ayant  altéré  dans 
plûptT      te  suite  la  simplicité    de    sa    religion,  il    n'y    eut    aucune    sorte  de 
superstition  auquel  il  ne  se  livrât    La  Grèce  se  vit  couverte  de  sta- 
tues,  d'images  et  de  simulacres   de  tous  genres:  des  faiblesses,  des 
vices  honteux,  de  grossières  extravagances  devinrent  des,    objets    de 
culte,  et  servirent  d'argument  aux  compositions  de  Part.  Il  s'écoula 
néanmoins  baucoup    de   tems  depuis  l'époque  de  la  troisième  reli- 
gion, jusqu'à  celle  où  les  Grecs  commencèrent  à  représenter    leurs 
Déitêssous     Dieux  sous  des  formes  humaines.   Leurs  premiers  essais  en  ce  genre 
depîe"rcSy     ne  furent  d'abord  ,  comme  on    'a  vu  chez   les  anciens  Arabes  et  les 

de  colonnes  etc,      .  -i  •     p  i  t  L      i  t 

Amazones,  que  des  p?erres  nuoraies,  des  colonnes  et  des  pierres  de 
figure  carrée ,  conique  ou  pyramidale,  telle  que  fut  la  fameu-e  Vé- 
nus de  Paphos,  dont  Tacite  dit  dans  le  IL9  livre  de  son  Histoire: 
slmulacrum  Deae  non  effigie  humana,  ;  continnus  orbis  laliore  ini- 
lio ,  tenuem  in  ambitwn  ,  rnetae  modo  exurgens.  Les  trente  di- 
vinités qu'on  voyait  encore  dans  la  ville  de  Fera  en  Areadie  du 
tems  de  Pausauias  ,  n'avaient  pour  effigie  que  des  pierres  grossiè- 
rement sculptées.  "  Telles  étaient,  ajoute  Winkelmann  ,  la  Junon 
<t  de  Thespis  et  la  Diane  d'Icare:  la  Diane  Patro,  et  le  Jupiter 
<i  Milichius  à  Sycione  ....  n'étaient  que  des  espèces  de  co- 
«  lonnes.  Bacchus  fut  adoré  sous  la  forme  d'une  colonne  :  l'amour 
«  même  et  les  Grâces  étaient  figurés  par  une  simple  pierre.  C'est 
«  de  là  que  vint  le  mot  xiov ,  qui  veut  dire  colonne,  dont  on  se 
<i  servait  encore  dans  les  plus  beaux  jours  de  la  Grèce,  pour  dési- 
«  gner  une  statue.  Castor  et  Pollux  furent  représentés  à  Sparte  par 
«  deux  morceaux  de  bois  parallèles,  joints  ensemble  par  deux  traver- 
«  ses  aussi  en  bois;  et  cette  configuration  primitive  est  encore  celle 
«  qu'a  aujourd'hui  le  signe  des  Gémeaux  dans  le  Zodiaque  „  (1). 
Hermès  On  plaÇa  ^ans  *a  sulte  sur  ces  pierres  des  espèces  de  têtes  ,  pour 
indiquer  d'une  manière  plus  distincte  les  divinités  qu'elles  représen- 
taient ,  et  alors  elles  prirent  le  nom  d'Hermès.  Pausanias  assure  qu'on 
voyait  de  son  tems  à  Athènes  une  Vénus  Urauie  ainsi  représentée  (a). 

(i)  Winkelmarm,  Histoire  etc.  Tôm.  I.er  pag.  6  et  suiv.  édition  de 
Rome.  Tout  ceci  est  également  confirmé  par  Hérodote  ,  Lucien  ,  Tertul- 
lien  ,  Eusèbe  et  autres  écrivains.  V.  Potter.  Arch.  gr.  Liv.  IL  chap.  IL 
et  Feith.  Antiquit.  homér   Liv.  IL  chap.  IV. 

(2)  Nous  reviendrons  sur  cet  objet  à  l'article  des  beaux  arts  f  et  nous 
j  parlerons  plus  particulièrement  des  hernies  }  ainsi  que  du  passage  qui 
s'en  fit  peu-à-peu  aux  statues  entières. 


de    la    Grèce.  335 

Vers  le  milieu  rie  ses  hernies  on  indiqua  le  sexe,  puis  on  leur  donna 
à  la  partie  supérieure  des  formes  un  peu  plus  approchantes  des  natu- 
relles. Vint  en  fin  Dédale,  qui,  selon    Harpocration  ,   sépara   dans 
les  hermes  une  jambe  de  l'autre  3  et  mit  ainsi  la  dernière  main  aux 
simulacres  des  Dieux.  Depuis  lors ,  on  les  représenta  dans  diverses  posi- 
tions ,  tantôt  droits  ,  tantôt  assis,  ou  ayant  l'air  de  se  mouvoir  (i).  Le 
bois  fut  la  matière  dont  les  Grecs  se  servirent  d'abord  pour  faire  les 
statues  de  leurs  Dieux.  On  y  employa  ensuite  l'ivoire,  et  enfin  di- 
verses espèces  de  métaux  habilement  combinés  avec  l'ivoire  même  et 
autres  matières  précieuses ,  comme  nous  le  verrons  plus  loin.   La  pein- 
ture   rivalisa  de    gloire  avec  la    sculpture  ,  et  prit    dans  la  religion 
le  sujet,  de  ses   compositions  les    plus  gracieuses    et  les  plus  nobles. 
Les  Grecs  représentaient  leurs  divinités  de    diverses  manières 
et  les  modelaient  sur  l'idée  qu'ils  s'en  étaient  formée,  surtout  d'a- 
près les  descriptions  qu'ils  en  trouvaient  dans  Homère.  Us  figuraient 
donc  Jupiter  avec  un  visage  majestueux  et  une  longue  barbe  ,  Apol- 
lon avec  de  longs  cheveux    et  sans    barbe,    Mercure    presqu'encore 
enfant,  Neptune  avec  une  chevelure  bleue,  Minerve  avec  des  yeux 
couleur    d'azur    etc.    Nous    renvoyons  en    cela  nos  lecteurs    aux  ou- 
vrages d'Iconologie,    et    aux    dictionnaires   mythologiques.    Mais    le 
principal  caractère  qui  distinguait  les  formes  des  Dieux  de  celles  de 
l'homme,  était  un  air    de  sublimité  qui  dominait    daas  toutes  leurs 
images,  et  qui  excitait  dans  l'esprit  des  peuples  un  sentiment  mêlé 
d'admiration    et  de    respect.  «    Les  objets    les  plus    sacrés  du  culte 
«  public,  dit  Winkelmann  en  parlant  des  artistes  de  la  Grèce,  sor- 
"  taient  de  leurs  mains  ;  et  pour  qu'ils  inspirassent  plus  de  vénération  , 
«  il  fallait  bien  qu'on   les  crût  modelés  sur  des  formes  d'une  nature 
"  plus  élevée  ,  et  qu'ils  eussent  je  ne  sais  quoi  de  divin  ,  pour  répon- 
«  dre  à  l'idée  sublime  qu'avaient  donnée  des  figures  des  Dieux  les 
«  premiers    fondateurs    des  religions  3    qui  étaient    poètes,  et    dont 

(i)  Arnobe  s'exprime  ainsi  clans  son  H.e  livre  sur  la  position  qu'on 
donnait  aux  divinités  :  Ergo  ,  si  hoc  ita  est,  et  in  sedentibus  signis  Deunt 
sedere  dicendum  est ,  et  in  stantibus  s  tare  ,  in  procurrentibus  currere  , 
jacularier  in  jacentibus  ùela.  Néanmoins  Winkelmann  (  Monum.  anc! 
I.™  Part  pag.  7i  )  est  d'avis,  que  les  artistes  les  plus  anciens  représen- 
taient les  Déesses  assises  :  «  car ,  dit-il  ,  on  voyait  assises  dans  le  temple 
«  de  Junon  à  Elide  les  statues  des  Heures  ,  qui  étaient  l'ouvrage  de  Don- 
ci  elyde  disciple  de  Dypène  etSchillis,  les  plus  anciens  artistes  Grecs  qui 
«  nous  soient  connus  ». 


Origine 
des  idoles. 


Archétype 
des  Grecs 
dans  la 
représentation 
de    leurs 
divinités. 


Sublimité 
des  images 
des  Dieux. 


336  pt  E  l  r  g  i  o  w 

«  l'imagination  féconde  avait  cherché  à  se  surpasser  elle-même  dans 

«    l'exécution  de  ces  sortes  d'ouvrages.  Et  quelle  idée    pouvait-on  se 

«  former  plus  analogue  à  des  Dieux  corporels  ,  et  plus  attrayante  pour 

Leur  jeunesse    u    l'homme,  que    celle  d'une    jeunesse  éternelle   et  d'une  fraicheur 

étemelle.  l  ,J  . 

«  inaltérable,  dont  le  souvenir  nous  natte  encore  si  agréablement, 
«  lors  même  que  nous  touchons  au  terme  de  la  vie  ?  Cette  idée  con- 
«  venait  parfaitement  à  l'immutabilité  de  la  nature  divine:  d'ail- 
«  leurs  cet  air  de  jeunesse  et  de  beauté  dans  les  Dieux  ,  était  plus 
»  propre  à  inspirer  cet  amour  et  cette  tendresse  qui  portent  dans 
«  l'âme  l'ivresse  du  bonheur  ,  dont  le  sentiment  ,  bien  ou  mal  enten- 
«  du,  a  toujours  été  l'objet  de  toutes  les  religions  (i)  „.  Ce  ton  de 
fraicheur  et  de  noblesse  avait  pourtant  ses  gradations ,  selon  le  rang 
de  chaque  divinité  ,  son  sexe  et  les  différons  degrés  dont  le  beau  idéal 
peut  être  susceptible,  le  grand  talent  des  artistes  était  donc  de  sa- 
voir donner  à  leurs  Dieux  ,  cet  air  de  jeunesse  et  de  vigueur,  quel- 
que fût  l'âge,  que  la  tradition  ou  l'opinion  commune  leur  supposait. 
Aussi  «  continue  Wiukelmano  ,  n'aperçoit-on  rien  de  bas  ni  de  vul- 
«  gaire  dans  les  images  des  Dieux  (a).  On  remarque  au  contraire  que 
«  les  artistes  Grecs  ont  donné  à  chacune  de  ces  divinités  des  traits 
«  particuliers  et  tellement  invariables,  qu'on  croirait  que  cette  uni- 
«  for  mi  té  leur  était  prescritte  pas  une  loi.  Le  Jupiter  qui  se  voit  sur 
«■  les  monnaies,  ioniques  et  doriques,  est  parfaitement  semblable  à 
«  celui  des  monnaies  Siciliennes.  Les  têtes  d'Apollon,  de  Mercure, 
«  de  Bacchus ,  de  Liber  Pater ,  et  du  jeune  comme  du  vieux  Her- 
«  cule  ,  sont  absolument  les  mêmes  sur  les  monnaies  ,  les  camées 
a  et  les  statues  (3)  „.  Pour  rendre  l'idée  de  la  spiritualité  de  leur 
être  ,  on  les  représentait  comme  extrêmement  légers  à  la  course. 
Homère  compare  la  marche  de  Junon  à  la  rapidité  de  la  pensée 
d'un  voyageur  ,  qui    repasse  en  un    instant  dans  son   esprit  tous    les 


Leur 

ressemblance. 


Leur  vitesse 
à  la  course. 


(i)  Winek.  Histoire  de  l'art,  du  dessin.  Tom.  I.er  pag.  9.89. 

(a)  On  connaît  l'opinion  d'Epicure  au  sujet  des  Dieux  ,  que  ce  phi- 
losophe disait  avoir  ,  non  un  corps  ,  mais  près  qu'un  corps  ,  non  du  sang  > 
mais  presque  du  sang.  V.  Gic.    De  Naù.  Deor.  Liv.  /.«■   Chap.    XVIII. 

et  XXV. 

(3)  Les  plus  célèbres  d'entre  les  artistes  Grecs  se  vantaient  d'avoir 
emprunté  leurs  modèles  des  divinités  mêmes  ,  en  feignant  qu'elles  leur 
étaient  apparues  sous  les  formes  qu'ils  leur  prêtaient.  Ainsi  Praxitèle  di- 
sait avoir  fait  l'Amour,  tel  qu'il  l'avait  vu  auprès  de  la  belle  Phryné> 
Anthol.  Liv.  IV.  Chap.  XII.  N.  §9. 


djs    la     Grèce.  33^ 

pnys  qu'il  a  vus:  Phérécide  le  Syrien  donnait  aux  Dieux,  au  lieu 
de  jambes,  deux  serpeus ,  pour  exprimer  par  là  que  leurs  mouve- 
mens  sont  si  prompts  et  si  légers,  qu'ils  ne  laissent  aucune  trace. 
Tels  sont  les  caractères  pour  ainsi  dire  communs  à  toutes  les  divi- 
nités. Nous  verrons  quels  sont  leurs  attributs  particuliers ,  dans  la 
description  que  nous  ferons  successivement  de  chacune  d'elles. 

Déité  des  Grecs. 

Homère  ,  dans  le  III. e  livre  de  son  Iliade,  nous  représente  les  Quatre  classe* 

■r-. .  , .        .-,       ,  ,  ,  ,.,P.  A  .  ds  Divinités. 

Dieux  distribues  en  quatre  classes  lorsqu  il  tait  paraître  Agamem- 
non  appelant  en  témoignage  de  son  serment,  d'abord  le  Grand  Ju- 
piter, puis  le  Soleil ,  les  Fleuves,  la  Terre  et  les  Dieux  qui  punis- 
sent les  morts.  Cette  idée  est  fondée  sur  l'opinion  où  étaient  les 
Grecs,  que  l'univers  était  divisé  en  quatre  parties,  à  chacune 
desquelles  était  assignée  une  classe  de  ces  Dieux,  qui,  pour  cette 
raison,  se  distinguaient  en  déités  célestes,  aquatiques,  terrestres  et 
souterraines  ou  infernales.  Mais  comme  une  dissertation  particulière 
sur  chacune  d'elles  serait  aussi  longue  qu'inutile  ,  nous  nous  borne- 
rons à  parler  des  principales  ,  de  manière  pourtant  à  mettre  nos 
lecteurs  dans  le  cas  de  distinguer  nettement  celles  qui  appar- 
tiennent à  chacune  de  ces  classes.  On  comptait  douze  Dieux  priu-  Divinités 
cipaux,  qu'on  appelait  maximi  ,  et  dont  le  culte,  au  raport  dTIé-  suPen^res\ 
rodote  ,  avait  été  transmis  aux  Grecs  par  les  Egyptiens.  Ces  divi- 
nités étaient  Jupiter,  Junon ,  Neptune,  Cérès ,  Mercure,  Vesta  , 
Vulcain  ,  Phébus ,  Mars,  Pallas  ,  Vénus  et  Diane.  Après  elles  ve- 
naient les  divinités  inférieures  ,  dont  le  nombre  était  infini  ,  corn-  Divinités 
me  nous  l'avons  observé  plus  haut  ,  puis  la  troupe  des  Demi-Dieux  Dlnî-hYeux. 
et  des  Héros.  Quoiqu'elles  eussent  toutes  un  séjour  particulier  qu'el- 
les préféraient  à  tout  autre,  nous  les  voyons  cependant,  selon  (es 
idées  mythologiques,  se  rassembler  souvent  sur  le  mont  Olympe,,  qui 
est  pris  quelquefois  par  les  poètes  pour  le  ciel  même  ,  ou  comme 
le  lieu  où  les  Immortels    tenaient  leur  conseil  (r).  Nous  commence- 

(i)  Il  faut  lire  au  sujet  de  l'Olympe  la  savante  conjecture  de  M.r  Mai- 
ran ,  qui  se  trouve  aussi  dans  les  œuvres  de  Cesarotti.,  Florence  ,  Molini , 
et  Landi.  T.  I.er  II. e  Part.  pag.  282.  Cet  auteur  présume  que  l'aurore  bo- 
réale est  ce  qui  a  fait  imaginer  aux  Grecs  ,  que  Jupiter  et  les  autres  Dieux 
tenaient  leur    conseil    sur    l'Olympe.    «L'Olympe    dont    il  s'agit ,    dit-il, 

Europe.  Fol.  I.  43 


Olympe 
ou  conseil 
des  Dieux, 


Jupiter 
el  J unon. 


■     Bébé, 
Ganimède  , 
les  Gi  aces. 


338  Religioet 

rems  donc  par  présenter  à  nos  lecteurs  ces  Divinités  principales,  que 
nous  avons  réunies  à  ce  dessein  dans  la  planche  49:  nous  entrerons 
ensuite  dans  une  dissertation  détaillée  sur  chacune  d'elles  en  parti- 
culier ,  et  nous  parlerons  enfin  des  Demi-dieux.  Ou  pourra  aussi , 
d'après  cette  planche  ,  se  former  une  idée  du  conseil  des  Dieux  , 
ou  de  l'Olympe  ,  tel  que  la  mythologie  et  les  poètes  nous  l'ont  re- 
présenté. Les  figures  qui  la  composent  ont  été  copiées  sur  des 
camées,  et  des  bas-reliefs  antiques,  sur  le  fameux  autel  en  rotonde 
du  Musée  Capitoîin  ,  sur  celui  de  la  Maison  de  plaisance  Albani, 
sur  des  monnaies,  des  vases  Grecs  et  des  ouvrages  sortis  de  la  main 
des  plus  grands  maîtres  (1). 

On  voit  à  la  partie  la  plus  élevée  Jupiter  et  Junon  assis  sur  un 
trône.  On  reconnaît  aisément  le  Monarque  de  l'univers  à  son  front 
large,  et  à  sa  chevelure  ondoyante  comme  la  crinière  du  lion: 
d'une  main  il  tient  un  sceptre,  et  de  l'autre  la  foudre:  un  de  ses 
pieds  est  posé  sur  un  globe  ,  emblème  de  la  domination  qu'il  exerce 
sur  tout  le  monde,  et  l'aigle  ministre  de  ses  volontés  est  à  son 
côté.  Junon  a  la  tête  ceinte  d'un  diadème;  elle  tient  aussi  un 
sceptre  :  un  voile  magnifique  descend  de  sa  tète  sur  ses  épaules 
et  sur  ses  flancs:  son  paon  est  à  ses  pieds.  D'un  côté  sont  Hébé 
et  Ganimède  qui  présentent  l'ambroisie  à  Jupiter,  et  de  l'autre 
les  Grâces  filles  de  ce  Roi  des  Dieux  réunies  en  un  groupe  élé- 
gant :  elles  sont  représentées  nues,  pour  indiquer  que  la  simplicité 

car  il  y  en  a  plus  d'un  dans  la  Grèce  ,  consiste  en  une  chaîne  de  hautes 
montagnes,  qui  s'étendent  au  nord  de  la  Thessalie  et  au  midi  de  la  Ma- 
cédoine ,  et  vont  déclinant  à  l'ouest  de  l'Achaïe  ,  de  Ja  Phocide  ,  et  de 
tout  ce  qui  compose  la  Grèce  proprement  dite,  YHellas ,  et  l'ancienne 
Grèce  ,  pays  fécond  en  idées  poétiques  et  fabuleuses.  L'aurore  boréale, 
qui  n'est  jamais  trop  élevée  à  cette  latitude  ,  et  qui  décline  le  plus  sou- 
vent à  l'ouest,  y  aura  donc  apparu  immédiatement  au  dessus  de  ces 
montagnes,  ou  comme  adhérente  à  leurs  sommets.  Or,  l'arc  lumineux  et 
rayonnant ,  que  ce  phénomène  forme  à  son  extrémité,  aura  été  pris  par  le 
vulgaire  étonné ,  pour  une  marque  non  équivoque  de  la  présence  des 
Dieux;  le  segment  obscur  qu'on  voit  quelquefois  au  dessous,  pour  un 
nuage  majestueux  qui  dérobait  les  Immortels  aux  yeux  des  profanes  ;  et 
les  rayons  de  lumière  couleur  de  feu  qui  s'en  échappaient ,  pour  la  fou- 
dre lancée  par  Jupiter.  Plus  ce  phénomène  aura  été  rare  ,  plus  il  aura 
excité  d'étonnement ,  et  plus  la  tradition  en  aura  conservé  le  souvenir 
§ans  contradiction  ni  doute   ....  » 

(1)  V.  Winkelmann.  Monum.  inédits    N.°  V.  et  VI.   Le   dessin    de. 
pette  planche  est  de  M.r  Ange  Monticelli, 


de   la   Grèce.  339 

et  la  beauté  forment  leur  caractère,  et  que  par  conséquent  elles 
n'ont  pas  besoin  de  vêtement  ni  d'aucun  attribut  qui  les  distin- 
gue,  quoique  les  anciens  Grecs  leur  aient  toujours  dontié  un  ha- 
billement. Au  dessus  de  Jupiter  et  de  Junon  était  Igye  Déesse 
de  la  santé,  qui  est  ie  don  le  pins  précieux  du  ciel.  On  peut  la 
regarder  comme  la  sœur  des  Heures  (i),  qui  forment  ici  deux  grou- 
pes à  chaque  côté  de  la  partie  la  plus  élevée,  parce  que  la  santé 
des  mortels  dépend  ordinairement  de  la  salubrité  des  saisons.  Elles 
étaient  aussi  filles  de  Jupiter,  et  se  voyaient  représentées  sur  son 
trône  avec  les  grâces.  Igye  tient  d'une  main  la  coupe  de  la  santé  , 
et  de  l'autre  le  sceptre  ,  comme  étant  la  divinité  qui  préside  à  la 
médecine.  Autour  de  Jupiter  et  des  Déités  qui  l'environnent  e=t 
le  Zodiaque  ,  emblème  du  ciel  et  du  tems  ,  tel  qu'il  est  figuré  sur 
une  des  pierres  gravées  de  M.r  Mariette  (2).  D'un  côté  au  dessous 
des  Heures  est  Zéphire,  et  de  l'autre  Iris.  Au  desous  de  Jupiter 
parait  le  Destin  ,  à  qui  tous  les  Dieux  sont  soumis.  Il  tient  l'urne 
où  sont  renfermées  les  destinées  des  mortels:  à  sa  droite  sont  les 
Parques  ,  ses  suivantes  ,  et  à  sa  gauche  est  Némésis  ,  Déesse  redou- 
table ,  qui  ,  du  haut  des  cieux  ,  veille  sur  le  monde  ,  préside  à  la 
punition  des  médians*  et  tire  de  l'urne  fatale  les  biens  et  les 
maux.  Après  les  Parques  viennent,  Pan  avec  ses  pieds  de  bouc; 
Morphée  la  tête  couronnée  de  pavots;  Saturne  appelé  par  les  Grecs 
Chronos,  ou  le  tems,  qui  est  courbé  sous  le  poids  des  ans,  et  tient 
dans  sa  main  la  faux,  pour  indiquer  qu'il  moissonne  les  tems  et 
préside  à  l'agriculture;  Proserpine  portant  un  diadème  comme  Reine 
de  l'Averne;  Pluton  avec  son  trident;  Bacchus  avec  son  rhyrse; 
Mars,  Bellone,  Cérès,  Cybèle  ou  Rhée  couronnée  de  tours  et  as- 
sise sur  un  trône  ,  tenant  en  main  dtes  clefs ,  emblème  des  trésors 
qu'elle  cache  dans  le  sein  de  la  terre  ,  dont  elle    est    aussi  le  sym- 


Jsye. 
Les  Heures. 


Zodiaque. 


Zéphire  } 

Iris  , 

De  &  tin. 


Les  Parques  , 
JYémdsis, 


Pan  3 

Morphée  , 
Saturne. 


Proserpine  , 
Pluton  , 
Bacchus  , 

Mars  , 
Bellone  , 

Cérès 
Cybèle  , 


(1)  Winkelmann.   Monum.  inédits  pag    6a. 

(2)  «  C'est  une  grande  coraline  du  Cabinet  du  Roi  parfaitement 
circulaire  ,,  d'un  pouce  et  dix  lignes  environ  de  diamètre  ,  où  l'Olympe 
est  indiqué  par  un  Jupiter  qu'on  voit  en  face  ,  et  qui  est  assis  sur  son. 
trône  ,  ayant  sous  ses  pieds  un  grand  arc  aplati  et  sensiblement  ellipti- 
que, dont  la  largeur  est  partout  uniforme,  comme  l'est  presque  toujours 
celle  du  bord  de  l'Aurore  boréale  Le  Dieu  tient  le  foudre  de  la  main 
gauche  ,  et  une  lance  ou  long  sceptre  de  la  droite  .  ,  .  .  sur  le  contour 
de  la  pierre  est  tracée  une  zone  ou  couronne  concentrique ,  où  sont  mar- 
qués les  douze  signes  du  Zodiaque  ».  Mairan  ,  Conjecture  sur  l'Olympe  etc.  » 


34°  Religion 

mpZl,      boîe  5    l'Océan  ,    Neptune ,    Hercule  ,    Briarée  au  cent    bras  ,    qui 
ffIrZ%3.       fut    destiné  par    Jupiter  à    la  garde    de  l'Olympe  ,  pour    prix   des 
services  cp'il    lui  avait  rendus  dans  la  conjuration    de    Junon  ,  Mi- 
nerve et  Neptune,  comme  le    raconte    Homère.  Après   Némésis  sont 
MnémoUshL'     Ies  Muses   avec  leur  mère    Mnémosiue  la    tète    couverte    d'un  voile 
Pomonce/    riche.  Suivent  Pomone  tenant  d'une  main  une  serpette,  et  de  l'au- 
Vertumne,     tue  une  branche  avec  ses  fruits  ;    Vertumne  avec  sa    corne    d'abon- 
Mercu'e       dance,    Floreavecdes    guirlandes    de  fleurs,    Mercure,    Apollon, 
iw"'      Diane,    Minerve,  Vulcain    qu'on  distingue  à    son   bonnet  et  à  son 
*PZai',      marteau    SLlr    lequel  il  a    les  mains,  l'Abondance,  et    enfin    Vénus 
L'abondance,   avec    l'Amour.  Tel  est    le  tableau  que    nous    présente   la    cour    des 

y  anus,  ■»  I 

Amour.  Immortels.  Nous  passerons  maintenant  à  la  description  de  chacune 
de  ces  Divinités ,  en  prenant  pour  règle  les  monumens  et  le  témoi- 
gnage des  écrivains  les  plus  accrédités  :  ce  qui  nous  obligera  quel- 
quefois à  nous  écarter  de  l'ordre  et  de  la  disposition  des  figures 
que  présente  cette  planche. 
0/ï%;  ^  commencer  par  Jupiter,  le    plus    grand    monument    que  les 

Grecs  eussent  élevé  à  ce  Dieu ,  était  le  fameux  colosse  ,  ouvrage 
sublime  de  Phidias,  composé  d'or  et  d'ivoire,  de  la  hauteur  de  soi- 
xante coudées,  qui  se  voyait  à  Olympie.  Ce  célèbre  sculpteur  avait 
pris  pour  modèle  idéal  le  Jupiter  d'Homère,  qui  est  représenté 
assis  sur  l'Olympe  et  faisant  trembler  l'univers  d'un  mouvement  de 
sa     paupière  (i).    Piine  dit    qu'aucun  artiste    ne   put  jamais  imiter 

(i)  L'admiration  des  Grecs  pour  le  Jupiter  de  Phidias  était  telle, 
qu'ils  régardaient  comme  malheureux  quiconque  ne  l'avait  pas  vu  :  Quae 
dementia^  dit  Epictéte  dans  Arrien  ,  Liv.  I.  Chap.  VI. }  àd  Olympia  pro- 
ficisci  vos ,  ut  Phidiae  opus  spectetis  ,  ac  si  quis  ante  obitum  non  wi- 
âerlt  pro  infortunato  se  ipsum  reputare  ?  Les  joints  qui  liaient  l'ivoire 
employé  clans  cet  ouvrage  admirable  s'étant  dilatés  aven  le  tems  ,  il  fat 
restauré  pas  Damophon  sculpteur  de  Messène.  Caligula  voulait  le  faire 
transporter  à  Rome  ,  mais  il  en  fut  dissuadé  par  les  architectes  ,  qui  dé- 
clarèrent qu'on  ne  pouvait  déplacer  sans  danger  cette  masse  ,  parce  qu'elle 
était  composée  d'or  et  d'ivoire.  Sous  Julien  l'apostat  et  Théodose  le  Grand  , 
les  artistes  accouraient  à  Olympie  pour  en  lever  le  dessin  Le  dernier 
Empereur  la  fit  ensuite  transporter  à  Constantinople  ,  où  elle  fut  la  proie 
d'un  incendie.  On  donnait  à  Jupiter  le  surnom  d'Olympique  ,  parce  qu'il 
régnait  sur  l'Olympe.  Une  autre  statue  de  dix  coudées  de  hauteur  ,  et 
t  toute  en  bronze  ,  lui  avait  été  encore   élevée  à  Olympie  par  tous  les  peu- 

ples de  la  Grèce  j,  qui  avaient  combattu  à  Platée  contre  les  Perses.  Voy. 
l'Hérodote  de  Larchefj  Tom,  VI.   pag.  i4j. 


de    la    Grèce.  34 i 

cette  statue  incomparable  \Jovem  Olympicum*  écrit-il,  quem  nemo 
aemulatur.  "  On  distinguait  dans  cette  grande  composition,  dit 
M.r  Quatremère  j  deux  objets  qui  partageaient  l'admiration  et  les  suf- 
frages des  spectateurs.  Si  d'un  côté  on  était  frappé  de  la  beauté  ma- 
jestueuse du  Dieu,  delà  grandeur  de  son  caractère,  et  delà  subli- 
mité de  l'idéal  appliqué  à  l'imitation  du  corps  humain;  de  l'autre 
on  ne  pouvait  se  lasser  d'admirer  l'ordre,  le  goût,  et  la  variété 
répandus  dans  tous  les  ornemens  qui  formaient  la  décoration  du 
trône,  et  servaient  d'accessoires  au  colosse  „.  Voici  la  description 
qu'en  fait  Pausanîas.  Le  Dieu  ,  fait  en  or  et  en  ivoire ,  est  assis  Statue 
sur  son  trône  ;  sa  tête  est  ornée  d'une  couronne  qui  parait  être  une  Ofy-mpÊn. 
branche  d'olivier  ;  il  porte  dans  sa  main  droite  une  Victoire ,  qui  est 
aussi  en  ivoire  et  en  or  ,  avec  un  bandeau  et  une  couronne  ;  de  la 
gauche  il  tient  un  sceptre  d'un  ouvrage  admirable,  et  composé  de 
toutes  sortes  de  métaux  :  l'oiseau  qui  s'élève  sur  son  casque  est  un 
aigle.  Sa  chaussure  est  également  en  or  ainsi  que  sa  chlamyde  ,  sur 
laquelle  sont  tissues  des  fleurs  de  toute  espèce ,  et  en  particulier  des 
lys.  Son  trône  est  tout  éclatant  d'or  et  de  pierreries  :  l'ébène  et  Son  trône. 
l'ivoire  y  sont  prodigués  ,  et  des  figures  d'animaux  le  décorent  de 
toutes  parts.  Diverses  statues  contribuent  à  son  embellissement  :  à  Ses  omemem. 
chacun  des  quatre  pieds  du  siège  sont  quatre  Victoires  qui  ont  l'air 
de  danser ,  et  deux  autres  au  dessous  :  sur  chacun  des  quatre  pieds 
de  devant  est  un  jeune  Thébain  enlevé  par  un  Sphinx.  Au  dessous 
de  ces  Sphinx ,  Apollon  et  Diane  percent  de  leurs  dards  les  enfans 
de  Niobé.  Entre  les  pieds  passent  quatre  planches  transversales ,  qui 
les  unissent.  On  voit  encore  sur  celle  qui  est  en  face  sept  figures  : 
il  y  en  avait  une  huitième  qui  a  été  effacée  on  ne  sait  pourquoi. 
Ces  figures  représentent  des  combats  d'athlètes  selon  l'ancienne  cou- 
tume .  ...  Le  jeune  homme  qui  se  ceint  la  tête  avec  un  ruban  , 
passe  3  à  la  beauté  de  ses  formes ,  pour  être  Pantarque  d'Elée,  que 
Phidias  aimait  tendrement.  Ce  Pantarque  remporta  la  palme  du 
pugilat  parmi  les  autres  jeunes  gens ,  la  LXXX.e  Olympiade.  On 
distingue  sur  les  autres  planches  les  compagnons  d'Hercule  com- 
battant contre  les  Amazones.  Les  combattans  des  deux  partis  sont 
au  nombre  de  XXIX:  on  remarque  Thésée  parmi  eux.  Le  trône 
n'est  pas  soutenu  par  quatre  pieds  seulement ,  mais  encore  par 
des  colonnes  de  même  hauteur.  S'il  était  permis  de  pénétrer  dessous , 
comme  sous  celui  d'Apollon  à  Amydêe ,  je  n'aurais  pas  manqué 
d'en  examiner  aussi  les  ouvrages  intérieurs.  Mais  ce  trône  est  entouré 


34^  R  E  L  I  G  1  o  n 

d'wrae  espèce  de  cloison  en  forme  de  mur  ,  giti  en.  défend  V accès  aux 
spectateurs.  La  partie  de  cette  cloison  du  côté  de  la  porte  ,  n'est  peinte 
quen  bleu.  Le  pinceau  de  Panène  a  décoré  les  autres  côtés.  Parmi  les 
sujets  qu'l  y  a  représentés  est  Atlas  soutenant  le  ciel  et  la  ferre , 
avec  Hercule  qui  vient  le  soulager  de  ce  fardeau.  On  y  voit  aussi 
Thésée  avec  Pirithoàs.  Suivent  en  outre  les  images  de  l'ancienne 
Grèce  et  de  Salamine  (  cette  dernière  tient  dans  une  main  quel- 
ques proues  de  navires  ) ,  le  combat  d'Hercule  contre  ?e  lion  de 
Némèe ,  le  viol  de  Cassandre  par  Ajax  ,  Hippodamie  fille  d'Mno- 
machus  avec  sa  mère  -,  Prométhée  enchaîné  ,  Hercule  qui  le  regarde , 
enfin  Penthésilée  mourante  avec  Achille  qui  la  soutient,  et  deux 
Hespérides  apportant  des  pommes  du  jardin ,  dont  on  dit  que  la 
garde  leur  était  confiée.  Tout  au  haut  du  trône  ,  et  au  dessus  de 
la  tête  du  Dieu ,  Phidias  a  représenté  d'un  côté  les  trois  Grâces  , 
et  de  Vautre  les  Heures,  que  les  poètes  prétendent  être  aussi  filles 
de  Jupiter.  LIomère  en  parle  en  effet  dans  son  Iliade  ,  et  dit  qu'elles 
avaient  été  mises  comme  en  sentinelle  à  la  garde  du  palais  des 
Base.  Dieux.  Sur  la  base,  ou  le  marchepied,  appelé  par  les  Grecs  ipaviov 
ou  soutien  des  pieds ,  il  y  a  des  lions  d'or ,  entre  lesquels  est  une 
sculpture  qui  représente  le  combat  de  Thésée  contre  les  Amazones , 
combat ,.  qui  fut  le  premier  dans  lequel  les  Athéniens  se  signalèrent 

Piédestal.  contre  des  peuples  étrangers.  .Le  piédestal  sur  lequel  repose  cette 
masse  porte  en  outre  divers  autres  emblèmes  en  or,  qui  servent 
comme  de  complément  à  Vouvrage.  On  voit  le  soleil  prêt  à  monter 
sur  son  char ,  puis  Jupiter  et  Junon  :  près  d'eux  est  une  Grâce  à 
laquelle  Mercure  tend  la  main  :  Vesta  présente  de  même  la  sienne 
à  Mercure.  Après  Vesta  vient  V Amour ,  accourant  pour  recevoir  Vé- 
nus qui  sort  de  la  mer  ,  et  à  qui  la  Déesse  de  la  persuasion  offre 
une  couronne.  On  y  trouve  aussi  Ap  lion  avec  Diane  ,  ainsi  que 
Minerve  et  Hercule.  Tout  en  bas  on  aperçoit  Amphytre  et  Neptune, 
La  Lune ,  à  ce  qu'il  me  semble ,  anime  un  cheval  à  la  course , 
quoique  quelques-uns  soient  d'opinion  que  cette  Déesse  fut  traînée 
par  des  mulets  et  non  par  des  chevaux ,  sur  la  foi  d'un  conte  qui  est 
répandu  dans  le  vulgaire.  Je  sais    que  plusieures  personnes   ont    es- 

Dimemions.  sayé  de  donner  les  dimensions  de  la  statue  de  Jupiter  ;  mais  elles  ne 
semblent  pas  les  avoir  déterminées  avec  beaucoup  d'exactitude,  car 
elles  sont  bien  inférieures  à  ce  quelles  paraissent  aux  yeux  du  spec- 
tateur. On  tient  pour  certain  qae  Phidias  reçut  du  Dieu  lui-même 
un  témoignage  éclatant  de  satisfaction:  car  l'ayant  prié  de  lui  faire 


de    la    Grèce.  34-3 

connaître  par  quelque  signe  si  son  ouvrage  lui  était  agréable ,  la  foudre 
vint,  dit-  on ,  aussitôt  frapper  un  endroit  du  pavé ,  où  l'on  voyait  de 
mon  tems  un  vase  de  bronze  qui  y  avait  été  placé  en  mémoire  de  ce 
prodige.  Le  pavé  vis-à-vis  la  statue  est  en  marbre  noir ,  et  entouré 
d'une  espèce  de  cordon  en  marbre  de  Par  os  qui  forme  un  rebord, 
où  s'arrête  l'huile  qu'on  verse  à  terre  ,  pour  empêcher  que  Vivoire 
ne  soit  endommagée  par  l'humidité  dont  est  imprégné  le  sol  maré- 
cageux d'Olympie.  Le  peuple  de  l'Elide  consacra  à.  la  fabrication 
du  temple  et  de  la  statue  de  Jupiter  les  dépouilles  qu'il  avait  faites 
sur  les  Pisèens  et  leurs  alliés  ....  Que  cette  statue  soit  l'ouvrage 
de  Phidias ,  c'est  ce  dont  on  ne  peut  douter  d'après  cette  inscription 
quon  lit  au  bas:  Phidias  fils  de  Carmides  Athénien  m'a  fait  (i). 

Cette  description  de  Pausanias,  et  le  grand  nombre  de  médail- 
les antiques,  surtout  celles  de  l'Elide  où  le  Jupiter  Olympien,  qui 
est  dans  une  position  presque  semblable  à  celle  que  lui  a  donnée 
Phidias ,  ont  déterminé  M.r  Quatremère  à  représenter  dans  son  grand 
ouvrage  (a)  cette  statue  colossale  assise  sur  un  trône  dans  le  temple 
d'Olympie;  et  c'est  à-peu-près  dans  cette  position  que  nous  l'avons 
aussi  représentée  à  la  planche  5o.  Cet  écrivain  nous  démontre  3  pre- 
mièrement, que  le  fond  du  trône  était  en  bois  (3);  que  le  colosse 
même  avait  pour  ainsi  dire  une  âme  en  bois,  dans  laquelle  toutes 
ses  pièces  étaient  comme  encadrées;  et  que  cet  ouvrage  était  du 
genre  de  ceux  que  les  Grecs  appellaient  toreutiques  ,  et  auxquels 
nous  donnons  le  nom  de  marqueterie;  secondement,  que  selon 
l'usage  constamment  suivi  dans  les  statues  crise  lefantine  3  c'est-à-dire 
composées  d'or  et  d'ivoire,  les  parties  nues,  telles  que  la  tête,  la  poi- 
trine, les  bras  et  les  pieds  étaient  en  ivoire,  mais  que  le  manteau 
qui ,  dans  les  statues  des  Dieux,  ne  couvrait  que  les  cuisses  et  les  jam- 
bes,  (  à  cette  différence  près,  que  celles  de  Déesses  étaient  pour 
l'ordinaire  entièrement  habillées  ),  ainsi  que  les  autres  parties  de 
leur  vêtement,  étaient  en  or;  troisièmement,  que  la  couronne  d'oli^ 

(i)  Pausanias.  Liv.  V.  Chap,  IL 

(2)  Jupiter  Olympien,  pag.  268  et  suiv.  Visconti  prétend  que  ce  se- 
rait peut-être  moins  s'écarter  de  la  vérité  ,  que  de  supposer ,  que  le  Ju- 
piter Olympien  de  Phidias  ,  si  vante  par  toute  V antiquité  ,  aura  fait: 
naître  peu-à-peu  dans  les  artistes  une  telle  envie  de  l'imiter,  qu'ils 
auront  fini  par  regarder  comme  une  espèce  de  délit  tout  ce  qui  pou- 
vait s'en  éloigner.  Mus.   Pio-Clément.  T.  VI.  pag  2. 

(5)  Dion  Chrysostpme  met  le  cèdre  au  nombre  des  bois  que  Phidias 
fit  entrer  dans  la  fabrication  de  son  Jupiter.  Oraù,  12. 


de   Jupiter 
Olympien, 


Ouvrage 
toreuliepe. 


Hauteur 
du  colosse. 


Caractère, 
distinctif 
de  Jupiter. 


Sa 

■physionomie. 


Jupiter 
Eleuthère. 


344  Religion 

vier  dont  était  ceint  le  front  de  Jupiter,  et  les  fleurs  de  son  man- 
teau étaient  d'un  travail  polycromc,  c'est-à-dire  de  l'espèce  de 
ciselure  dont  nous  avons  parlé  dans  la  description  du  bouclier 
d'Achille:  quatrièmement,  à  la  suite  de  raisounemens  déduits  de 
la  hauteur  du  temple  (1),  de  la  grandeur  des  autres  colosses ,  et  de 
diverses  autres  circonstances  rapportées  dans  les  anciens  auteurs , 
M.r  Quatremère  conclut  par  conjecture,  que  le  Jupiter  de  Phidias 
pouvait  avoir  44  pieds  de  hauteur,  considéré  debout  sur  son  trône, 
et  33  seulement  comme  assis;  que  la  partie  du  trône  qui  s'élevait, 
audessus  de  la  tète  du  colosse  devait  bien  en  avoir  de  48  à  5o;  et 
enfin  que  la  largeur  du  siège  entre  les  bras ,  n'avait  pas  moins  de 
12  à   i3  pieds  en  carré. 

Outre  ce  nom  d'Olympique  donné  à  Jupiter,  il  yen  avait  en- 
core d'autres  qui  servaient  à  le  caractériser  suivant  ses  divers  attri- 
buts. Les  plus  connus  sont  ceux  de  Sérapide ,  de  Dodonien ,  â'Egio- 
chus  ,  &' Amman  et  de  Fulminant  (a).  Winkelrnann  prétend  que  dans 
les  têtes  de  Jupiter  ,  quelqu'il  soit,  on  voit  toujours  les  mômes  ca- 
ractères qui  le  dsitinguent  des  autres  divinités ,  etlque  par  conséquent 
on  doit  le  représenter  avec  un  regard  toujours  serein  ,  les  cheveux 
relevés  sur  le  front ,  retombans  en  tresses  de  chaque  côté  ,  et  formant 
de  petites  boucles,  V orbite  de  Vϕl  grande  ?  gracieusement  arrondie , 
et  moins  longue  quelle  ne  Vest  ordinairement ,  pour  donner  plus  d'ou- 
verture à  Tare.  Cet  écrivain  croit  encore  que  les  artistes  Grecs  cher- 
chaient à  exprimer  dans  la  figure  de  Jupiter  toute  la  physionomie 
du  lion  (3).  Mais  M.r  Visconti  observe  que ,  quoique  ces  caractères 

(1)  Strabon  ,  dans  le  VIII. e  livre  de  sa  Géographie,  dit  que  Phidias 
avait  fait  son  Jupiter  assis  ,  et  que  sa  tête  touchait  presque  le  sommet  du 
temple  ,  de  sorte  qu'en  se  levant  il  en  aurait  forcé  le  plafond. 

(2)  Nous  avons  omis  ici  par  brièveté  plusieurs  autres  noms  moins 
importans  ,  tels  que  ceux  d' Aetophore  ,  à'Ercëe  ,  à'Idéen  ,  de  JSicéphore  , 
de  Phissien  etc.  qu'on  rencontre  dans  les  auteurs  Grecs  ,  et  pour  lesquels 
on  peut  avoir  recours  aux  Dictionnaires  de  Mythologie,  et  surtout  à  la 
Galerie  mythologique  de  MiUin. 

(3)  Le  poète  ,  dit- il  ,  Histoire  etc.  T.  I er  pag.  3o6  édit.  de  Rome  , 
semble  avoir  voulu  faire  allusion  à  cette  image  du  lion ,  secouant  sa 
crinière  ,  et  fronçant  sa  paupière  dans  les  accès  de  sa  fureur ,  lors- 
qu'il nous  peint  Jupiter  fesant  trembler  l'Olympe  au  moindre  mouve- 
ment de  sa  chevelure  ou  de  ses  sourcils.  Le  même . écrivain  dit  encore, 
page  286  :  non  content  du  choix  qu'il  a  fait  des  plus  belles  formes 
humaines ,  et  de  l'harmonie  qu'il  a  mise  dans  l'exécution  de  son  ouvra- 


M 


de    h  a    Grèce.  345 

se  rencontrent  souvent  dans  les  têtes  de  Jupiter,  on  ne  peut  pas  dire 
cependant  qu'ils  constituent  absolument  les  traits  propres  et  distinc- 
tifs  de  sa  figure.  Et  en  effet ,  le  regard  de  ce  Roi  des  Dieux  ne  pouvait 
pis  être  serein,  lorsqu'on  le  représentait  comme  Tonnant  et  Vengeur. 
«  Le  Jupiter  Eleuthère ,  dit  le  même  antiquaire  ,  a  une  si  longue  barbe 
«  dans  les  monnoies  de  Syracuse  où  son  effigie  est  supérieurement 
«  faite,  qu'il  diffère  entièrement  de  la  ressemblance  qu'on  lui  donne 
«  ordinairement.  L'autre  Jupiter,  non  moins  beau  ,  qu'on  voit  sur  les 
«  médaillons  desProlémées,  a  la  chevelure  si  négligée,,  qu'au  jugement 
«  de  Wiukelmann,  on  le  prendrait,  plutôt  pour  un  Pluton:  mais  l'ai- 
"  gle  et  la  foudre  du  revers  lèvent  tout  doute  à  cet  égard.  Le  Jupiter 
«  Hellénlen  est  lout-à-fait  sans  barbe,  tant  il  est  difficile  de  fixer  en 
«  cela  de  règles  certaines,  auxquelles ,  soit  à  cause  de  la  distance  des 
"  tems  et  des  lieux  où  ils  ont  vécu  ,  ainsi  que  de  la  diversité  des  éco- 
«  les  qu'ils  ont  fréquentées,  soit  par  l'effet  des  superstitions  et  des 
"  traditions  différentes  qui  leur  ont  servi  de  guide  ,  les  anciens  artis- 
«  tes  n'ont  jamais  pu  se  conformer  „.  Il  parait  néanmoins  que  les  sa- 
vaus  commentateurs  du  Musée  Chiaramonti  sont  de  l'avis  de  Winkel- 
raann:  car  ils  assurent  également  que  dans  les  têtes  de  Jupiter  on 
observe  généralement  un  caractère  ,  qui ,  par  une  espèce  de  conven- 
tion entre  les  artistes,  était  devenu  particulier  au  Souverain  de 
l'Olympe.  «  La  sérénité  de  son  front,  disent-ils ,  est  l'image  de  celle 
«  du  ciel,  et  se  distingue  dans  toutes  ses  têtes,  quoiqu'il  soit  plus  ou 
«  moins  ombragé  de  cheveux  bizarrement  arrangés  ....  Ses  che- 
«  veux  ,  auxquels  Homère  donne  Pépithète  à'ambrosii ,  sont  partagés 
«  eu  grosses  tresses 3  mais  ils  laissent  toujours  apercevoir  sur  le  front 
«  le  trait  caractéristique  de  Jupiter,  judicieusement  remarqué  par 
«  Wiukelmann,  pour  n'être  pas  particulier  à  lui  seul,  mais  encore 
«  à  toute  sa  descendance  (1)  „.  C'est  d'après  ces  considérations ,  que 
nous  allons  passer  à  L'examen  des  divers  portraits  de  Jupiter,  qu'on 
voit   représentés  à   la   planche  5i  suivant  ses  principaux  attributs. 

Le  n,°    r   est  le  Jupiter  Sérapis ,  dont   le    culte  était  passé   de 
la  Grèce  en  Egypte.  Parmi  le  grand  nombre  d'images  qu'on  trouve 

ge  ,  l'artiste  a  voulu  encore  l'embellir  de  tout  ce  que  présente  de  majestueux 
le  plus  noble  des  animaux ,  en  sorte  qu'outre  Vidée  qu'il  parait  avoir  eue 
de  faire  apercevoir  dans  une  figure  humaine  quelques  traits  de  ressem- 
blance avec  celle  d'un  animal ,  il  a  encore  cherché  à  relever  et  à  enno- 
blir par  cette  ressemblance  même  la  figure  de  l'homme  ec  de  la  divinité. 
(1)  Muée  Chiaramonti.  Vol.  I.  pag.    16. 

Europe,  fol.  I.  M 


Jupiter 
Eleulhèra. 


Jupiter 
Helléniea. 


Jupiter 

Sérapis. 


Boisseau, 


Couronne 
de   rayons. 


34*5  Religion 

de  ce  Dieu  dans  les  Musées  et  dans  les  livres  d'Archéologie,  nous 
avons  choisi  celle-ci ,  à  cause  de  certaines  particularités  qu'elle  pré- 
sente, et  parce  qu'elle  appartient  à  un  bel  ouvrage  qui  est  peu  connu 
en  Italie  (1).  C'est  une  petite  statue  en  bronze,  de  la  grandeur  de 
cette  image,  qui  fut  découverte  à  Paramitie  près  Janîna  en  Epire  :  il 
lui  manque  les  deux  bras ,  avec  la  jambe  gauche  ;  mais  on  a  reproduit 
cette  jambe  ainsi  que  le  pied  dans  la  gravure  originale.  Le  reste  est 
parfaitement  conservé  et  d'un  beau  travail  :  les  artistes  y  trouvent  un 
modèle  de  draperie,  qui  réunit  à  la  richesse  beaucoup  d'élégance  et 
de  simplicité.  La  tête  est  surmontée  du  boisseau  ?  qui  est  le  caractère 
distinctif  de  Jupiter  (2),  et  que  les  commentateurs  regardent  comme 
le  symbole  de  l'abondance,  d'après  l'opinion  qui  fesait  aussi  passer 
ce  Dieu  pour  le  soleil ,  de  qui  la  terre  emprunte  toute  sa  fécondité  (3). 
C'est  pour  cela  qu'on  voit  quelquefois  les  têtes  de  Jupiter  Sera  pis 
entourées  de  rayons,  comme  celle  quo  nous  donnons  sous  le  n.°  2, , 
qui  est  de  cette  espèce  de  marbre  appelée  par  les  sculpteurs  petit 
grec,  et  dont  nous  avons  pris  le  dessin  dans  le  VI. e  tome  du  Musée 
Pio-Clémentin.  Ces  rayons  sont  en  bronze  et  d'un  ouvrage  moderne, 
ainsi  que  le  boisseau;  mais  lorsque  ce  buste  fut  découvert,  on  voyait 
au  ruban  qui  ceignait  la  chevelure  sept  fleurs ,  qu'on  pouvait  re- 
garder comme  autant  de  rayons,  qui  en  formaient  une  espèce  de 
couronne  (4).  Les  images  de  Sérapis  présentaient   aussi    quelquefois 


(1)  Spécimens  of  An  tient  Sculpture  Aegyptian  _,  Ebruscan  ,  Greek 
and  Roman  selectecl  from  différent,  collections  in  Great  Britain  by  tbe 
Society  of  Dilettanti  ,  London  ,   1809.  Vol.  I.   PL  LXtII. 

(2)  Millin  est  d'avis  que  le  boisseau  n'est  autre  chose  qu'un  reste 
du  fût  de  la  colonne  ,  sous  la  figure  de  laquelle  ce  Dieu  était  ancienne- 
ment adoré.    Gai.  mytholog.  Vol.  I.  pag.  2o5. 

(3)  Visconti  observe  que  la  couronne  radiée  était  autrefois  un  des 
emblèmes  du  Soleil  ,  ou  de  quelqu'un  ,  qui ,  selon  la  mythologie  ,  lui  ap- 
partenait de  très-près.  Il  remarque  en  outre  ,  que  les  poètes  donnaient 
à  ces  couronnes  douze  rayons  ;  mais  que  les  artistes  préférèrent  le  plus 
souvent  le  nombre  sept,  comme  suffis an t  pour  un  ornement  de  tête, 
et  peut-être  plus  agréable  à  la  vue  ,  en  ce  que  les  rayons  sont  moins 
pressés  ,  et  que  la  parure  est  aussi  plus  simple.  Quelques  écrivains  ont 
pensé  d'après  cela,  que  le  nom  de  Sérapis  vient  du  mot  grec  sairein  }js 
purifie  ,  j 'embellis  ,  parce  que  le  Soleil  purifie  et  embellit  tout. 

(4)  Ou  trouve  dans  le  XLI.  tome  de  Y  Académie  des  Belles  Lettres  , 
î.feie  PI.  N.  II, une  médaille  frappée  à  Alexandrie  sous  le  règne  d'Antonin  , 
au  milieu  de  laquelle  est  un  Jupiter  Sérapis  avec  le  boisseau  ;  il  est 
çntouré  des  sept  planètes  et  du  Zodiaque, 


DE       LA     G  R  JE  C  E.  3^7 

celle  d'un  Cerbère  :  ce  qui  fait  qu'on  le  trouve  aussi  désigné  chez 
les  Mythologistes  sous  le  nom  de  Pluton  Sérapis.  Mais ,  comme 
l'observe  Visconti ,  les  Plutons  absolument  Grecs  en  diffèrent  encore 
par  l'habillement.  Le  n.°  3  est  la  tête  de  Jupiter  Dodonien ,  sculp- 
tée en  marbre  Grec,  et  dont  nous  avons  emprunté  la  copie  du 
Musée  Chiaramonti.  On  a  donné  à  ce  Dieu  le  surnom  de  Dodonien , 
par  allusion  à  fautique  forêt  de  Dodone  qui  lui  était  consacrée  , 
et  dont  les  chênes  rendaient  des  oracles.  C'est  pour  cela  qu'il  a 
la  tête  couronnée  de  chênes  ,  de  la  même  manière  que  l'avait 
l'aigle  comme  Roi  des  oiseaux.  Le  camée  n.°  4  représente  Ju- 
piter Egiochus ,  c'est-à-dire  qui  porte  l'Egide,  arme  redoutable 
dont  se  servit  ce  Dieu  pour  se  défendre  contre  les  Géans.  Cette 
Egide  était  faite  avec  la  peau  de  la  Chèvre  Amalthée  ,  et  par- 
semée en  outre  de  serpens  et  de  Gorgones.  Jupiter  la  porte  ici  sur 
l'épaule  gauche,  et  sa  tête  est  également  couronnée  de  chêne  (1). 
La  médaille  n.°  5  présente  une  tête  de  Jupiter  Ammon ,  Divinité 
originaire  de  Lybie  ou  d'Egypte,  que  les  Grecs  avaient  aussi  ac- 
cueillie chez  eux.  Cette  médaille  est  prise  lde  Spanhemius.,  et  rap- 
portée par  Millin  (2)1  ces  deux  auteurs  croient  qu'elle  a  été  frappée 
à  Mitylène.  Les  cornes  qui  s'élèvent  en  croissant  sur  son  front,  sont 
regardées  par  quelques-uns  comme  l'emblème  du  bouc  ,  sous  la  figure 
duquel  on  dit  que  Jupiter  apparut  à  Bacchus  dans  les  déserts  de  l'A- 
rabie 3  et  dont  il  prit  encore  la  forme  lorsqu'il  fut  assailli  par 
Tiphée;  mais  d'autres  prétendeut  que  ces  cornes  indiquent  seulement 
la  force  des  rayons  du  soleil,  qui  en  effet  sont  très-ardens  dans  la  Ly- 
bie: ce  qui  a  fait  croire  à  quelques  auteurs  qne  Jupiter  Ammon  n'est 
autres  chose  que  le  soleil  (3).  Le  d.°  6  offre  l'image  de  Jupiter 
Tonnant',  voici  la  description  que  Bacci  a  donnée  de  ce  précieux 
camée.  «  Jupiter  y  est  représenté  avec  un  air  majestueux,  mais 
«  bouffi  de  colère  ,  monté  sur  un  char  attelé  de  quatre  chevaux , 
"  et  tenant  dans  la  main  droite  un  sceptre    orné  d'une  fleur  à  son 

(1)  Ce  précieux  camée  appartient  à  la  Bibliothèque  cle  Paris  ,  et  a 
été  l'objet  d'une  savante  dissertation  de  M.    Visconti. 

(2)  Spanhemius.  Dissertât,  de  praestantla  et  usu  Numismatum  etc. 
Londini,   1706.  T.  I.  pag.  297.  Millin.   Gai.  mythol.  T.  I.  N.°  46. 

(3)  Il  en  est  qui  prétendent  que  l'épithète  Ammon  dérive  du  mot 
grec  «^.-,qui  veut  dire  sable  ,  parce  que  le  temple  de  ce  Dieu  s'élevait 
au  milieu  des  sables  de  la  Lybie  ;  d'autres  le  font  dériver  du  nom  d'un 
berger  appelé  Ammon  ,  qui ,  le  premier  ,  bâtit  un  temple  à  Jupiter. 


Jupiter 
Dodoniea. 


Jupiter 
Egïocus. 


Jupiter 
Ammon. 


Japiler 
Toaaant. 


34S  Religion 

«  extrémité,  et  foudroyant  de  la  gauche  deux  géans  qui  ont  par  le 
«  bas  la  forme  de  serpens.  Il  serait  difficile  d'imaginer  des  chevaux 
«  plus  fiers  et  plus  fougueux,  de  caractériser  la  physionomie  de  Ju- 
«  piter  d'une  manière  plus  digne  de  lui,  et  de  donner  aux  géans  un 
«  aspect  plus  terrible  que  celui  qu'ils  montrent  dans  leurs  contorsion? , 
«  et  dans  leurs  figures  menaçantes,  tournées  du  côté  du  Dieu  qui  les 
«  foudroie  (i)  iy  L'un  des  deux  géans,  qui  est  probablement  Por- 
phyrion  et  le  plus  redoutable ,  semble  encore  défier  le  fils  de  Sa- 
turne avec  un  tronc  d'arbre  dont  il  est  armé;  l'autre  est  déjà  étendu 
à  terre,  et  on  lit  près  de  lui  le  nom  d'Athénion  auteur  de  ce  ca- 
mée. Nous  avons  cru  à  propos  de  traiter  un  peu  au  long  des  images 
de  Jupiter,  comme  étant  le  premier  et  le  Souverain  des  Dieux.  Nous 
serons  plus  concis  en  parlant  des  autres  divinités. 
Sunon.  On  voit    au  n.°     r  de    la  planche    5a    la    statue  de    Junon    du 

Musée  Pio-Glémentin  (a).  «  La  grâce  des  contours,  dit  le  célèbre 
«<  Visconti ,  la  beauté  et  la  majesté  du  regard  de  cette  Déesse  ,  qui 
f«  lui  firent  donner  le  surnom  de  po»mç.9  l'élégance  et  la  légèreté 
<ç  des  draperies,  le  fini  du  travail  dans  toutes  ses  parties,  décèlent 

<«  dans  cet  ouvrage  la  main  d'un   grand   artiste  de  la   Grèce 

«  Ce  beau  marbre  n'est  pas  moins  intéressant  pour  la  connaissance 
a  des  anciens  usages  et  de  l'habillement ,  que  sous  le  rapport  de  la 
<i  sculpture.  L'ornement  qui  ceint  le  front  est  digne  d'attention.  Cette 
Son  diadème.  "  espèce  de  couronne,  appelée  vulgairement  diadème,  était  pré- 
«  cisément  celle  que  portaient  les  femmes  Greques ,  qui  selon  Gre- 
<i  vius  leur  donnaient  le  nom  de  çxepâv-at 9  et  que  les  Latins  dési- 
«  gnaient  sous  celui  de  couronnes.  Mais  celles  qui  s'élargissaient 
«  vers  le  milieu  et  se  rétrécissaient  sur  les  côtés,  avaient  une  déno- 
te mination  particulière,  que  nous  ont  conservée  Pollux  et  surtout 
«  Eustase  qui  en  a  fait  la  description;  elles  s'appelaient  ^fev^ovvt , 
»  ou  fronde  ,  parce  qu'au  dire  de  ce  savant  Scholiaste,  elles  étaient 
«  larges  sur  le  front,  et  étroites  sur  les  côtés  où  étaient  les  rubans 
«  pour  les  attacher.  J'ai  cru  qu'un  ornement  qu'on  voit  sur  les  têtes 
a  de  tant  de  statues  et  de  bustes  de  femmes,  et  qui  n'a  jamais  été 
(t  bien  examiné,  pouvait  mériter  un  peu  d'attention.  On  n'en  doit 
»  pas  moins  aux  plis  de  la  tunique  9  et  au  bas  de  la  robe  de  des- 

(j)  Eacci  ,  Memorie  degli  antichi  incisori.  Vol.  I.  XXX. 
(2)  Statue  presque  colossale  ,  de  la  hauteur  de  treize  palmes  Romains. 
&£§  bras  sont  de  réparation  moderne.  Mus.    PiQ-Clém.  T,  Let  ?l  IU 


de    la    Grèce.  3^9 

«  sus,  qui  est  orné  d'une  espèce  de  broderie  rapportée  pour  plu* 
«  d'élégance.  Ces  plis  çroWeç ,  étaient  appelés  par  les  Grecs  stoïides , 
«  et  les  robes  ainsi  pliées  çToûiB&Toi:  Xénophon  fait  mention  d'une 
«  de  ces  robes,  qui  descendait  jusqu'aux  talons.  Pollux  dit  qu'elles 
«  étaient  de  lin  ,  et  que  la  ceinture  dont  on  les  serrait  leur  fesait 
«  prendre  ces  plis.  Les  Grecs  donnaient  à  la  garniture  d'en  bas  le 
«  nom  de  ^èa  ,  instita ,  et  les  Latins  celui  de  segmentum  etc.  „. 
Les  médailles  et  autres  anciens  monumens  représentent  cette  Dées- 
se, tenant  d'une  maiu  une  patère,  et  de  l'autre  un  sceptre,  em- 
blèmes de  la  Reine  des  Dieux  (i).  Le  fameux  autel  triangulaire, 
qu'on  voit  à  la  maison  de  plaisance  Borghese,  offre  l'image  d'une 
Junon  ,  tenant  des  deux  mains  une  tenaille  s  symbole  de  la  guerre, 
parce  qu'on  donnait  quelquefois  aux  aimées  Greques  la  forme  d'une 
grande  tenaille.  On  a  reconnu  néanmoins  cette  figure  pour  être  celle 
de  la  Junon  martiale.  Le  n.°  2  est  la  Junon  de  Samos.  Elle  a  la 
tête  voilée  et  surmontée  du  boisseau,  avec  deux  paons  à  ses  pieds; 
elle  est  dans  le  temple  qu'on  disait  avoir  été  élevé  par  les  Argo- 
nautes ,  et  où  on  l'avait  encore  représentée  les  mains  soutenues  par 
deux  lances  ou  troncs  (2). 

Le  n.°  3  est  une  statue  d'Igée  ou  Igie,  Déesse  de  la  santé: 
elle  est  prise  de  l'ouvrage  de  la  Société  des  Amateurs  de  Londres  : 
le  style  en  est  simple,  grand  et  élégant:  c'est  peut-être  la  copie 
de  quelqu'un  des  beaux  ouvrages  de  Phidias  (3).  Cette  Déesse  se 
voit  dans  quelques  anciens  monumens  couronnée  de  laurier  ,  et  te- 
nant un  sceptre  de  la  main  droite,  comme  souveraine  de  la  méde- 
cine. Elle  a  sur  son  sein  un  serpent  ,  qui  déroule  ses  replis,  et  al- 
longe la   tête  pour  boire  dans  une  coupe  quelle  tient  dans  la  main 


Emblèmes 

de  Junon 


Junon 
de    Sa  i nos. 


Jgée. 


(1)  Winkelmann  caractérise  ainsi  la  Reine  des  Dieux.  Junon  ,  outre 
son  diadème  relevé  en  avant ,  est  encore  aisée  à  reconnaître  à  ses  grands 
yeux  ,  et  à  L'expression  hautaine  de  sa  bouche  ,  dont  les  traits  lui  sont 
tellement  propres  ,  qiûà  un  simple  profil  qui  nous  reste  d'une  tête  de  fem- 
me sur  un  camée  endommagé  du  musée  Strozzï  ,  on  pige  ausitôt  par  L'air 
de  la  bouche  que  c'est  l'image  de  Junon,  Histoire  des  Arts  du  Des.  T. 
I.r  pag.  3 16.  édit  de  Rome. 

(2)  De  camps  ,   Select    Numism.  83. 

(3)  Les  illustres  commentateurs  observent  que  dans  cette  statue, 
toute  belle  qu'elle  est  ,  les  deux  mains  ont  été  restaurées,  ainsi  que  le 
bras  droit  jusqu'au  coude,  avec  la  tête  et  une  partie  du  corps  du  serpent, 
La  statue  est  en  marbre  et  de  grandeur  héroïque. 


Bêlé. 


3oo  Religion 

gauche.  Le  n.°  4  représente  Hebé  caressant  l'aigle  (1).  Elle  porte 
ordinairement  une  couronne  de  fleurs,  et  tient  une  coupe  d'or, 
comme  chargée  de  verser  le  nectar  aux  Dieux  ,  et  de  nourrir  d'am- 
broisie l'aigle  de  Jupiter.  Le  n.°  5  est  un  camée  représentant  Ga- 
Ganimède.  mmède  enlevé  par  l'aigle  du  Roi  des  Dieux.  Sur  une  bande  ,  qui 
figure  la  terre ,  est  un  chien  aboyant  contre  l'oiseau  ravisseur  ,  et  prêt 
à  se  lancer  sur  une  plume  qui  lui  tombe  de  l'aile  droite:  le  jeune 
homme  semble  se  débattre  pour  se  débarrasser  de  ses  serrés  (û).  La 

Mèius.  pierre  n.°  6  offre  une  gravure  de  Phébus  sous  la  forme  du  fameux 
coîoss  ■  de  Rhodes,  qui  avait  soixante-dix  coudées  de  haut;  d'un 
côté  on  voit  ce  Dieu  la  tête  entourée  de  rayons,  emblème  du 
soleil ,  dont  il  était  l'image  :  les  monumens  le  représentent  de  la 
même  manière.  Le  colosse  tient  d'une  main  une  lance,  et  de  l'au- 
tre un  fouet  symbole  de  la  vélocité  du  char  de  Phébus  (3).  Il  est 
bon  d'observer  qu'Apollon  et  Phébus ,  quoique  n'étant  qu'une  même 
divinité,  avaient  néanmois  des  attributs  différens  :  car  sous  le  nom 
de  Phébus  j  on  n'entendait  que  le  soleil  proprement  dit,  c'est  pour- 
quoi on  ne  rapportait  qu'à  Phébus,  et  non  à  Appollon  ,  certains  at- 
tributs tels  que  le  char  lumineux  ,    le  zodiaque    et    autres    sembla- 

■Apzttan  bles.  L'autre  pierre  gravée  n.°  7  représente  Apollon  de  Delphes. 
Il  est  debout  sous  un  laurier,  et  soulève  d'une  main  le  serpent 
Python  qui  présidait,  dit-on,  à  l'oracle  de  Delphes  :  sur  l'autel  est 
un  corbeau,  oiseau  qui  était  aussi  consacré  à  Apollon  (4). 

Cybète.  Le  n.°  1  de  la  planche  53  offre  l'image  de  Cybèle,  quia  pour 

emblèmes,  une  coron  ne  de  tours  ou  de  feuilles  de  chêne ,  par  allusion 
au  gland  dont  les  hommes  fesaient  anciennement  leur  nourriture; 
et  te  tambour,  qui,  selon  quelques  écrivains,  lui  est  donné  comme 
signe  symbolique  du  globe  terrestre,  ayant  au  milieu  la  figure  du 
lion  qui  lui  était  particulièrement  consacré.  On  la  trouve  encore 
représentée  sur  un  char  traîné  par  des  lions:  sur  quoi  on  peut  con- 
sulter les  traités  de  Mythologie.  Elle  est  ordinairement  habillée  de 
vert,  pour  faire  allusion  à  la  végétation  de  la  terre.  De  la  main  gau- 

(1)  Winkelmann ,  Cabinet  de  Stosch.  N.°  174  ;  Schliclitegroll ,  Pier- 
res gravées,   XXXIII.  Millin.   Gai.  myth.  2x8. 

(2)  Schliclitegroll.  Pierres  grav.  de  Stosch  XXXI. 

(3)  Mus.  Florent.  T.  I.  Tab.  LXIV.  9. 

(4).    Ibid.  PL  LXVI.  6.    Le  laurier  pourrait  bien  faire  aussi  allusion 
à  l'ancien  temple  d'Apollon  ?  qui  était  fait  avec  des  feuilles  de  cet  arbre, 


Minerve 
Poîyade.- 


fl'Iùieri'» 
et  Bacchus-, 


D  E     L  A      G  R  É  C  E.  35  I 

che  elle  tient  des  épis  et  des  pavots,  symboles  de  la  fécondité  qui 
appartiennent  aussi  à  Gérés  ;  mais  on  ne  saurait  rien  dire  de  posi- 
tif au  sujet  de  la  tête,  fjr/^lle  porte  dans  l'autre  main  (i).  Le  ca- 
mée n.°2  présente  à  son  milieu  Neptune ,  qu'on  reconnaît  de  suite  Neptune. 
à  la  vigueur  de  ses  membres,  à  la  fierté  de  son  regard,  et  à  la 
position  dans  laquelle  il  est  représenté,  tenant  un  pied  sur  la  cime 
d'un  roc  ,  pour  faire  allusion  à  la  puissance  que  ce  Dieu  exerce 
aussi  sur  la  terre ,  qu'il  ébranle  quelquefois  d'un  coup  de  son  tri- 
dent. Le  cheval  lui  était  particulièrement  consacré;  mais  quant 
aux  autres  figures  qu'on  voit  sur  ce  camée,  nous  ne  saurions  don- 
ner également  aucune  explication  (a).  La  pierre  n.°  3  porte  l'image 
de  Minerve  Polyade ,  protectrice  d'Athènes;  elle  a  l'air  de  marcher 
sous  un  portique  :  de  la  main  gauche  elle  tient  la  lance  et  le  bouclier, 
et  de  la  droite  une  branche  d'olivier,  emblème  de  la  victoire  qu'elle 
remporta  sur  Neptune,  au  sujet  du  nom  adonnera  Athènes  (3).  Le 
camée  n.°4  présente  cette  Déesse  couronnant  Bacchus ,  parce  qu'ayant 
été  chargée,  selon  les  idées  mythologiques,  de  l'éducation  de  ce 
Dieu  pendant  son  enfance  3  elle  le  rendit  si  vaillant,  qu'elle  se 
l'assoccia  pour  commander  avec  elle  dans  la  guerre  contre  Saturne 
et  les  Géans.  C'est  là  le  motif  pour  lequel  Bacchus  est  représenté 
ici  avec  un  paquet  de  flèches  dans  la  main  gauche  (4).  La  pierre 
u.°  5  nous  montre  Vu'cain;  il  a  pour   coiffure  une  espèce  de  bon-      P«fo«'it» 

(i)  Eckel,  Choix  des  Pierres  gravées  du  Cab.  Imp.  etc.  PI  XII. 
Cet  illustre  auteur  nous  avertit  que  ce  camée  est  d'une  belle  exécution  , 
mais  que  le  graveur  a  outrepassé  toute  proportion  dans  les  mains. 

(a).  Ibid.  PL  XIV.  Le  graveur  n'a  également  donné  aucune  grâce 
aux  chevaux  dans  ce  camée  ,  qui  est  aussi  d'un  beau  travail. 

(3)  Mus.  Flor.  T.  IL  PL  LXXVII.  3.  Nous  observerons  en  outre, 
que  les  Grecs  donnaient  à  Minerve  un  air  mâle  et  imposant ,  qui  ,  au  dire 
de  Furnuto ,  se  manifestait  encore  dans  la  couleur  de  ses  yeux  qui  étaient 
bleus.  Le  même  auteur  ajoute  ,  que  son  image  était  toujours  accompagnée 
de  serpens  et  de  chouettes ,  auxquels  elle  ressemblait  par  la  couleur  de 
ses  yeux  :  ce  qui  la  fesait  surnommer  Glaucopide ,  c 'est-à-dire  qui  a 
les  yeux  bleus  comme  la  chouette.  Visconti ,  Mus.  Pio-Glément.  I.  12  dit 
aussi ,  que  les  anciens  qui  avaient  fait  une  étude  particulière  des  pro- 
priétés ,  observaient  que  cette  couleur  était  précisément  celle  des  yeux 
des  animaux  les  plus  belliqueux  et  les  plus  féroces  ;  et  que  par  cette 
raison  ils  la  donnaient  à  P allas ,  qui  était"  sortie  de  la  tête  du  père 
des  Dieux  toute  armée  ,  et  ne  respirant  que  les  combats  et  le  carnage* 

(4)  Eckel.  etc.  PL  XIX. 


d5a  Religion* 

net  semblable  à  celui  qu'on  donne  ordinairement  à  Ulysse;  sa  tu- 
nique est  relevée,  comme  il  l'a  le  plus  souvent  dans  le  monumens 
et  les  médailles  des  anciens,  pour  être  moins  gêné  dans  ses  travaux; 
il  tient  de  la  main  droite  un  marteau  comme  nous  le  représente 
Homère,  et  de  la  gauche,  au  lieu  des  tenailles  qui  sont  ici  à  ses 
pieds,  un  flambeau  allumé,  symbole  du  feu  dont  quelques-uns  lui 
attribuent  la  découverte,  et  peut-être  même  du  mariage  auquel  Eu- 
ripide l'a  fait  quelquefois  présider.  Athènes  lui  rendait  le  même 
culte  qu'à  Prométhée  et  à  Pallas,  avec  lesquels  il  partageait  éga- 
lement les  honneurs  décernés  aux  Lampadophores ,  ou  porteurs  de 
flambeaux,  à  la  suite  de  jeux  dans  lesquels  (es  jeunes  gens,  après 
avoir  allumé  chacun  un  flambeau  à  cet  autel ,  couraient  par  toute 
la  ville,  et  se  disputaient  à  qui  arriverait  le  premier,  et  sans  avoir 
éteint  son  flambeau,  à  un  but  indiqué,  où  le  vainqueur  recevait 
un  prix  (i).  Le  n.°  6  est  la  copie  du  bas-relief  du  fameux  sarcopha- 
ge* Muses,  ge  capitoliu,  où  sont  représentées  les  neuf  Muses.  Nous  ne  pouvons 
mieux  parler  de  ce  monument  qu'en  rapportant  la  savante  descrip- 
tion qu'en  a  faite  Visconti,  et  dans  laquelle  il  a  rectifié  plu- 
sieurs erreurs,  que  sa  sagacité  lui  avait  fait  remarquer  dans  la  plan- 
che du  IV.e  tome  du  Musée  Capitoliu  ,  où  ce  bel  ouvrage  est  retracé. 
ciio.  a  La  Muse  sous  le  num.  i,  dit-il,  sera  Clio  tenant  en  main  un 
«  livre  3  emblème  de  l'histoire.  Le  num.  2,  est  Thalie,  Muse  de  la 
«  comédie;  elle  a  pour  emblèmes  le  masque  mimique,  qu'on  dis- 
"  tingue  à  sa  figure  grotesque,  la  houlette  qui  fait  allusion  à  la  poésie 
«  pastorale,  et  le  cothurne ,  qui  ne  rehausse  point  la  stature  cora- 
Erato.  a  rne  dans  la  tragédie.  Le  num.  3  est  Erato;  elle  a  sur  la  tête 
"  une  espèce  de  coiffe  ou  de  réseau,  telle  que  nous  en  remar- 
a  quons  dans  les  portraits  de  Sapho,  la  nouvelle  Erato  de  la  Gré- 
«  ce  ....  ;  elle  est  représentée  ici  à  la  fois  comme  Muse  de  l'a- 
Euterpe  (l  raour  et  de  la  philosophie.  Le  num.  A  indique  Euterpe  :  des  flûtes 
«  forment  son  caractère  distinctir.  Le.  num.  o  représente  rolymme 
«  concentrée  en  elle-même  comme  Muse  de  la  mémoire;  elle  était 
«  aussi  la  Muse  de  la  fable  et  de  la  pantomime,  motif  pour  lequel 
a  on  la  voit  aussi  avec  un  masque  à  ses  pieds  dans  un  bas-relief 
Therpncore.  «  du  palais  Mattei  .  .  .  .  Au  num.  6  est  Therpsicore  avec  sa  lyre. 
&ûrlme!  «  Le  num.  7  est  Calliope  avec  ses  tablettes,  sur  lesquelles  elle  écrit 
Mécène.     (ç  dps  vers>  Le  num^  8  m0lltre  Urauie  avec  sou  globe.   Eufiu  Mel- 

(1)  Mus.  Florent.  T.  II.  XL.  5, 


de    la   Grèce.  353 

«  pomène  parait  au  num.  9  :  elle  manque  dans  la  gravure  capitoline 
«  de  ses  grands  cothurnes,  qui  forment  ici  le  caractère  distinctif  de 
«  la  tragédie,  ainsi  que  l'a  déjà  observé  Winketmann  dans  la  com- 
«  paraison  qu'il  a  faite  de  l'habillement  de  cette  Muse  avec  celui 
«  d'un  Hercule  protagonista-t r^glque ,  dans  un  beau  bas-relief  de 
«  la  maison  de  plaisance  Panfili ,  rapporté  dans  ses  Monum.  ant, 
«  inédits  sous  le  num.  189.  Son  habillement  théâtral  ceint  d'une 
«  grande  écharpe  ,  son  masque  héroïque,  et  son  attitude  même,  sont 
«  autant  d'objets  à  remarquer  (1)  „.  Ces  figures  ont  beaucoup  de 
ressemblance  avec  les  statues  des  Muses  qui  existent  dans  le  Musée 
Pio-Clémentin  ,  et  avec  les  images  qu'on  en  voit  dans  le  fameux 
bas-relief  de  l'apothéose  d'Homère. 

On  voit  à  la  planche  54  n.°  1  Diane  armée  pour  aller  à  la 
chasse  (a).  Dans  la  peinture  originale  elle  est  suivie  des  Nymphes 
ses  compagnes,  dont  elle  ne  se  distingue  que  par  le  croissant  qu'elle 
porte  sur  la  tête,  leur  habillement  étant  à  peu-près  le  même  que 
celui  de  la  Déesse.  Au  n.°  2,  est  Proserpine  en  longue  tunique  et 
avec  un  grand  peplos  ou  espèce  de  manteau;  elle  a  la  tête  ceinte 
d'un  diadème  parsemé  de  pierreries,  avec  un  collier  et  des  bracelets 
ornés  de  perles.  Le  n.°  3  offre  l'image  de  Cérès  couverte  d'un  voile 
riche,  telle  qu'on  la  voit  ordinairement  dans  les  monumens  :  on 
doit  une  attention  particulière  à  l'instrument  aratoire  qu'elle  porte 
sur  une  épaule,  et  qui  consiste  en  un  gros  bâton,  dont  le  bout 
est  armé  de  six  espèces  de  tranchans.  C'est  peut-être  là  l'instru- 
ment qui  servait  de  charrue  avant  les  progrès  de  l'agriculture  ; 
et  il  indique  que  Gérés  en  est  l'inventrice  (3).  Le  n.°  4  repré- 
sente Iris  planant  dans  les  airs  au  milieu  d'un  cercle  rayon- 
nant: d'une  main  elle  tient  un  flambeau,  et  de  l'autre  le.  dard 
que,  selon  Non  nus ,  elle  porta  à  Lycurgue  par  ordre  de  Junon  , 
et  avec  lequel  ,  au  dire  d'Homère  ,  ce   Roi    de    Thrace    chassa    les 


Cerès. 


Iris. 


(1)  Musée  Pio-Clémentin.  Tom.  I.«  pi.  B.  Ce  bas-relief  est  rapporté 
aussi  dans  le  Musée  Napoléon.  Tom.  I.er   pi.  22. 

(2)  Millin  ,  Peintures  des  'vases  etc.  II.  pi.  LXXVII. 

(5)  Ces  deux  figures  sont  prises  des  peintures  d'un  vase  ,  non  moins 
célèbre  par  sa  beauté ,  que  par  le  sujet  qui  y  est  représenté  ,  et  dont  M.r  Vis- 
conti  nous  a  laissé  une  savante  dissertation.  Ce  précieux  monument  retrace 
l'institution  des  mystères  d'Eleusis  :  l'action  parait  empruntée  toute  entière 
de  l'hymne  à  Gérés  ,  qu'on  attribue  à  Homère.  Millin  ibid.  pi.  XXXI, 
Ce  vase  appartient  à  la  Galerie  du  Prince  Stanislas  Poniatowski. 

Europe.  Vol.  I.  45 


Vénus 
et  Amour. 


Latwie. 


Une 
des  Grâces. 


Morphee. 


Neptune. 


«J04  Religion 

Ménades  (r).  Elîe  a  quelquefois  clans  une  de  ses  mains  le  caducée 
comme  messagère  des  Dieux.  Le  n.°  5  est  pris  des  vases  du  Millin. 
Cet  illustre  antiquaire  croit  voir  ici  la  Vénus  céleste,  qui  était 
aussi  la  Vénus  conjugale  ;  et  dans  l'enfant  qu'elle  embrasse,  l'Amour. 
Cet  embrassement  est  tel  qu'on  le  trouve  décrit  dans  les  poètes  Ero- 
tiques. La  Déesse  est  assise  sur  un  tertre  émaillé  de  fleurs,  et  vê- 
tue d'un  ample  manteau  parsemé  d'étoiles  :  des  pendans  d'oreille  , 
un  collier  et  des  bracelets  composent  sa  parure,  l'enfant  est  nu 
et  n'a  pour  tout  ornement  qu'une  fi!e  de  perles  ou  de  grains  (a). 
Le  n.°  6  représente  Latone  portant  entre  ses  bras  Apollon  et  Diane 
encore  à  la  mamelle.  On  la  voit  dans  la  peinture  originale  fuyant  un 
serpent  monstrueux,  que  la  jalouse  Junon  avait  animé  contre  elle  (3). 
Au  n.°  7  est  une  des  Grâces  richement  habillée  ,  comme  l'étaient 
les  Grâces  dans  les  anciens  monumens  qu'a  vus  Pausanias  (À),  Le 
jeune  homme  qui  va  pour  l'arrêter  est  le  Dieu  du  sommeil,  qui, 
selon  Homère,  était  amoureux  de  la  plus  jeune  de  ces  trois  Déesses. 
Nous  observerons  ici  que  les  anciens  avaient  deux  Morphées,  l'un 
vieux  et  faible,  et  l'autre  jeune  et  robuste.  Ce»  Dieu  porte  attaché 
au  bras  un  bandeau,  emblème  de  la  force,  par  allégorie  à  la  sé- 
duction et  à  la  puissance  de  ses  charmes  auxquels  personne  ne 
peut  résister.  Le  n.°  8  est  Neptune,  qui  est  pris  d'un  bas-relief  en 
terre  cuite  et  d'un  style  très-ancien,  rapporté  par  Baxter  (5);  il 
est  vêtu  du  peplos  ^  qui  était  un  manteau  ample  et  d'une  étofle 
fine  ,  plus  usité  des  femmes  que  des  hommes  et  souvent  riche- 
ment orné:  il  se  repliait  autour  du  corps,  et  s'attachait  avec  une 
boucle  ou  une  agrafe.  Les  têtes  de  Neptune  avaient  beaucoup  de 
ressemblance  avec  celle  de  Jupiter  son  frère.  Winkelmann  ob- 
serve néanmoins  que  la  barbe  du  premier  est  plus  frisée  ,  et  que 
ses  cheveux  sont  différemment  arrangés  sur  son  front  ;  il  ajoute  que 


(1)  Cette  image  est  copiée  sur  les  peintures  d'un  vase  ,  dont  le  su- 
jet est  le  châtiment  de  Lycurgue  Roi  de  Thrace  ,  qui  avait  grièvement 
offensé  Bacchus.  Millingen  ,  Peinture  etc.  pi.  ï. 

(2)  Millin  etc.  T.  I.  pi.  LXV. 

(3)  Tischbein  ,  Pitture  de' n  a  si  antichi.  T.  III.   pi.  IV. 

(4)  Tischb.  ibid.  pi.  XXVII.  On  ne  voit  que  deux  Grâces  dans  la 
peinture  d'où  est  prise  cette  image  ;  et  en  effet ,  les  Athéniens  et  les 
Lacédémoniens  ,  au  dire  de  Pausanias  ,  n'en  reconnaissaient  anciennement 
que  deux. 

(5)  Baxter,  An  illustration  of  the  Egyptian ,  Grecian ,  Roman 
etc.  costume  pi.  V. 


de    la    Grèce.  '   355 

ce  Dieu  se  distingue  surtout  par  la  largeur  de  sa  poitrine  et  la 
vigueur  de  ses  formes  ;  et  que  c'est  pour  cela  qu'il  n'est  pas  repré- 
senté sur  les  pierres  gravées  avec  la  tète  seule  comme  les  autres 
Dieux,  mais  encore  avec  le  buste.  Le  n.°  9  est  pris  d'un  vase  du 
Musée  Vatican 3  qui  a  déjà  été  publié  par  Passer i  :  il  offre  le 
haut  du  corps  d'uue  furie  ,  dont  les  cheveux  sont  entrelacés  de  ser-  Une 

11  i       t  •        i       •  i  des  Furies.. 

pens;  elle  en  serre  un  autre  de  la  main  droite,  et  tient  de  la  gau- 
che un  flambeau.  C'est  aussi  sous  ces  traits  qu'on  représentait  la 
Discorde  (r). 

Le  n.°  x  de  la  planche  55  est  l'image  de  Saturne,  auquel  les  Saturne. 
Grecs  donnaient  encore  lé  nom  de  Chronos,  ou  le  Tems.  II  est  cou- 
vert d'un  manteau  qui  Jui  descend  depuis  la  tête  jusqu'au  genou  , 
et  tient  d'une  main  une  espèce  de  faux  avec  laquelle  il  avait  mu- 
tilé son  père  Uranus  3  et  dont  l'invention  appartient  aux  tems  les 
plus  reculés  :  le  voile  ou  manteau  dont  il  est  revêtu  est  un  em- 
blème allégorique  de  l'obscurité  des  tems  (a).  On  le  voit  représenté 
quelquefois  dans  les  médailles  avec  un  globe  sur  la  tète,  symbole 
de  sa  planète,  et  tenant  un  crocodile  de  la  main  droite,  emblème 
du  tems  qui  dévore  tout.  Le  bas-relief  n.°  a  représente  le  trône  Son  trône. 
de  Saturne ,  monument  fameux  en  marbre  penthélique  ,  d'environ 
deux  mètres  de  longueur  sur  une  hauteur  de  huit  centimètres  ,  que 
]'on  conserve  depuis  long-tenis  dans  la  salle  des  antiquités  du  Louvre 
à  Paris.  Il  se  trouve  sur  le  fonds  d'une  architecture,  qui  semble 
presque  d'ordre  composé.  Le  riche  voile  qui  est  étendu  le  long  du 
trône,  dénote  aussi  l'obscurité  dont  les  tems  sont  enveloppés.  Une 
sphère  est  sur  la  banquette:  le  zodiaque  qui  est  tracé  dessus  indique 
les  révolutions  des  corps  célestes  et  des  saisons.  Il  y  a  deux  Gé- 
nies de  chaque  côté  du  trône;  les  deux  qui  se  trouvent  à  la  gau- 
che du  spectateur  portent  avec  effort  une  espèce  de  faux  énorme, 
qui  a  presque  l'air  d'un  instrument  d'agriculture  à  laquelle  prési- 
dait Saturne.  Les  deux  autres  Génies  sont  mutilés  ,  et  leur  position 
semble  annoncer  qu'ils  portaient  le  sceptre  de  cette  Déité  ,  dont 
on  voit  encore  un  fragment  (3).  Il  ne  manque  pas  de  monumens  de 

(i)  Millingen  ,  Peintur.  anbiq.  etc.  pi.  XXIII. 

(2)  Winkelmarm.  Pierres  gravées  de  Stosch.  ,  p.  24.  N.°  5.  Millin, 
Gai.  myth.  T.  I.  N.°  1.   Acad.  des  Inscr.  T.  I.   p.  279. 

(3)  Monum.  antiq.  du  Musée  Napoléon.  T.  I.  p.  1 3.  Millin,  Monum. 
inédit.  T.  I.  art.  20.  C'est  M.r  Visconti  qui  a  donné  la  première  descrip- 
tion de  ce  monument. 


356  Religion 

ce  genre,  qui  représentent  les  trônes  de  Neptune,  d'Apollon,  de 
Vénus  et  de  Mars  (i).  Il  est  bon  d'observer  que  les  Grecs  étaient 
dans  l'usage  de  mettre  quelquefois  à  la  place  de  la  divinité,  le 
trône  sur  lequel  ils  la  croyaient  assise,  et  invisible  aux  mortels.  Le 
n.°  3  est  pris  du  grand  ouvrage  de  M.r  Quatremère  ,  que  nous  avons 
déjà  cité  plusieurs  fois.    C'est  une  image  de   la  statue   colossale  d'A- 

àAnîitfée.  P°^on  à  Amiclée,  d'après  la  description  que  nous  en  avons  de 
Pausanias.  Le  style  de  cette  statue  était  des  plus  antiques  3  et  appar- 
tenait à  l'époque  où  les  ermes  commencèrent  à  présenter  des  for- 
mes humaines.  Ce  colosse  s'élevait  sur  le  tombeau  d'Hyacinthe, 
qui  avait  la  figure  d'un  autel  ou  d'un  piédestal  ;  on  y  entrait  par 
une  petite  porte  pratiquée  à  l'un  des  côtés  à  l'époque  des  fêtes 
Hyacinthines ,  pour  y  faire  des  libations  funèbres  avant  de  sacrifier 
au  Dieu.  Pausanias  dit,  qu'à  l'exception  de  la  tête,  des  mains 
et  des  pieds,  il  l'essernblait  à  une  colonne  de  bronze.  Il  était  coiffé 
d'un  casque:  d'une  main  il  tenait  un  arc,  et  de  l'autre  une  lance. 
On  le  revêtait  tous  les  ans  d'une  tunique  blanche  :  ce  qui  corri- 
geait les  difformités  de  cette  masse  ,  et  fesait  une  espèce  d'illusion  à 
la  vue.  Dans  des  tems    postérieurs    dont  on    ne  saurait    guères  fixer 

Son  trône,  l'époque,  on  donna  au  colosse  un  trône,  ouvrage  deBaficle,  de  ce 
genre  de  sculpture  en  or,  en  ivoire  et  en  bois  précieux  appelé 
toreutique  ,  et  assez  semblable  au  trône  du  Jupiter  d'Olympie  dont 
nous  avons  parlé  plus  haut  (a).  La  Minerve  du  Parthénon  ,  la  sta- 
tue et  le  trône  de  Bacchus  à  Sycione,  des  trois  grandes  Déesses 
à  Mégalopolis,  d'Esculape  à  Epidaure  ,  ainsi  que  d'autres  divi- 
nités, étaient  aussi  des  ouvrages  toreutiques.  Le  n.°  4  est  une  pierre 
piuici        gravée  du  Musée  de  Florence,  où  est  représenté  Plutou  ou   le  Ju- 

et  Minerve,       ~  '  ' 

piter  Sérapis  et  infernal  ,  avec  Minerve.  Cette  Déesse  va  pour  faire 
une  libation  sur  un  autel,  tandis  que  Pluton  semble  indiquer  par 
un  signe  que  les  flammes,  en  s'élevant  vers  le  ciel,  annoncent 
Cerbère.  un  lîeureux  présage.  Près  de  lui  est  Cerbère  délié  de  ses  chaînes, 
tel  qu'on  le  voit  ordinairement  dans  les  monumens  ,  quand  il  est 
en  présence  de  ce  Dieu  (3).  Les  tètes  de  Pluton  ont  toujours  quei- 

(1)  On  voit  encore  plusieurs  de  ces  trônes ,  savoir;  un  dans  la 
maison  de  plaisance  Ludovisi  à  Rome  ;  un  autre  qui  semble  être  de  Sa- 
turne dans  l'église  de  Notre-Dame  des  miracles  à  Venise  ,  et  deux  de 
Neptune  dans  le  chœur  de  l'église  de  S.1  Vital  de  la  même  ville. 

(2)  Quatremère,  pag.    196  et  suiv. 

(3)  Mus.  Florent,  T.  IL  tab.  LXXII.  N.°  ?.. 


delà    Grèce.  35? 

que  ressemblance  avec  celles  de  ses  deux  frères  Jupiter  et  Neptune; 
mais  Pluton  a  le  regard  plus  sévère,  les  cheveux  plus  épais,  et  la 
barbe   plus   touffue  et   plus  crépue. 

Nous  avons  vu  jusqu'ici  les  principales  Déités  de  la  Grèce; 
et  comme  nous  l'avons  dît  plus  haut,  il  serait  aussi  fastidieux  que 
superflu  de  vouloir  donner  ici  une  image  particulière  de  chacune 
d'elles.  Ajoutons  à  cela  maintenant  que,  de  plusieurs,  les  anciens 
Grecs  ne  uous  ont  transmis  que  le  nom.  C'est  ce  qui  est  arrivé 
à'Fnyo,  Déesse  de  la  guerre,  laquelle  fut  dans  la  suite  adorée  des 
Romains  sous  le  nom  de  Bellone.  Nous  n'avons  également  qu'un 
faible  indice  d' Hsstla  ,  ou  Vesta  Déesse  du  feu,  dans  les  hymnes 
attribués  à  Homère;  elle  présidait  proprement  au  feu  domestique, 
et  était  par  conséquent  l'emblème  de  la  vie  civile  ou  sociale.  Nous 
croyons  inutile  par  la  même  raison  de  parler  des  Dieux  inconnus , 
auxquels  le  Athéniens  rendaient  un  culte,  et  qui  fournirent  à  saint 
Paul  le  sujet  de  l'éloquent  discours  qu'il  prononça  dans  FAréopage 
sur  le  vrai  Dieu  (1).  Nous  aurons  occasion  de  parler  de  quelques  au- 
tres divinités  dans  les  articles  suivans.  En  attendant,  nous  croyons 
à  propos  d'ajouter  à  tout  ce  que  nous  avons  dit  précédemment  les 
observations  suivantes.  Premièrement  ,  le  trône  était  généralement 
un  attribut  des  grandes  divinités,  dont  chacune,  selon  Callima- 
que  et  autres  anciens  écrivains,  avait  son  trône  ou  un  siège  par- 
ticulier dans  l'Olympe:  le  trône  seul  était  un  emblème  de  la 
divinité,  lors  même  qu'il  n'y  avait  point  de  Dieu  assis  dessus.  Se- 
condement, les  grandes  Déesses  ont  pour  la  plupart  le    sfendon  ou 


Dèitès 
qui  n 'étaient 


que    par 
leur  nom. 


Hes  tia 

ou  Vesta. 


Dieux 
inconnus. 


Divers  attributs 
des  divinités. 


Troue. 

Symbole 
des  grandes 

tiéitës. 


Sfendon 
ou  Diadème* 


(i)  Nous  remarquerons  ici  qu'il  y  avait  plusieurs  de  ces  Dieux  incon- 
nus ;  qu'ils  n'avaient  que  des  autels  ,  et  point  de  simulacres.  Et  en  effet 
S.'  Paul  ne  parle  que  de  l'autel  qu'il  avait  vu  en  passant  avec  cette  ins- 
cription ,  Au  Dieu  inconnu.  On  raconte,  qu'à  l'occassion  d'une  maladie  con- 
tagieuse ,  les  Athéniens  appelèrent  à  leur  secours  Epiménide  de  Festos  , 
célèbre  devin.  Cet  Epiménide  purifia  la  ville  de  la  manière  suivante  ;  il 
conduisit  avec  lui  un  certain  nombre  de  brebis  blanches  et  noires  ,  et  quand 
il  fut  prés  de  l'Aréopage  ,  il  les  laissa  libres  ,  et  ordonna  en  même  tems 
qu'on  les  suivît,  et  qu'on  immolât  chacune  d'elles  au  Dieu  •iïpoffiixovTi , 
qui  veut  dire  convenable,  dans  le  lieu  où  elle  aurait  été  arrêtée.  Voilà 
pourquoi  on  rencontre  encore  aujourd'hui  dans  l'Attique  des  autels,  qui 
ne  portent  le  nom  d'aucune  divinité  Ces  autels  furent  élevés  pour  con- 
server la  mémoire  de  cette  expiation  ,  et ,  comme  le  dit  Pausanias  ,  ils  fu- 
rent consacrés  aux  Dieux  inconnus.  V.  Marcher.  Hérocl.  T.  IV.  pag.  3i6. 


// 


358  Religion 

diadème.  Troisièmement  3    les   Déités    se  représentaient    quelquefois 

Ailes.        avec  des  ailes ,  et  cet  attribut  se  donnait  même  à  Minerve,  à  Diane 

et  à  Vénus.  Celles  qui  avaient    quelques    rapports  avec  le    tems    ou 

avec  l'air  avaient  toujours  des  ailes.  Ainsi  la  Nuit  était  figurée  avec 

des  ailes  brunes,  l'Aurore  avec  des  blanches ,    l'Iris    avec    des  ailes 

d'or  etc.,  ce  dont  on  trouve  une  foule  d'exemples  dans  les  peintures 

Voile  flouant.  d'Herculanum.  Quatrièmement,  le  voile  flottant  en  forme  d'arc  sur 

la  tête  était  particulier  aux  divinités  de  la  mer,  et  c'est  ainsi  qu'on 

voit  souvent  représentés  sur  les  marbres ,  sur  les  pierres    gravées    et 

les  médailles,   les  Fleuves,  les  "Néréides,  et  même  la  Vénus  marine, 

comme  pour  exprimer    par    cette    disposition    du   voile    l'action    du 

vent  qui  l'agite  (j).  Cinquièmement,  les  divinités,  principales  surtout , 

avoient  quelquefois  le  nimbe  dont  nous    avons    déjà    parlé  ,    et    que 

les  peintres  figuraient    sous    la    forme    d'un    disque  ,   d'une   lune   ou 

de  rayons  :  souvent  même  on   le  représentait  par  une  lumière  ,    qui 

semblait    sortir    du    corps    de    la    Déitée.    Sixièmement  ,    le   nimbe 

Aureoh.      s3mple,  appelé  auréole  ,  était  encore  le  symbole  des    Dieux   qu'on 

croyait  issus  de  Jupiter.  Septièmement  enfin,  chaque  Dieu  avait  ses 

Couleurs       vêtemens  d'une  couleur  analogue  à  ses  attributs.   «   On    donna,    dit 

CLCS    "GC6ÎTIGÎIS  C  ) 

des  Dieux.  a  Winkelmann,  la  couleur  rouge  à  Jupiter  (a).  Neptune  aurait 
"  dû  avoir  le  vert  de  mer,  qui  était  la  couleur  dont  on  représentait 
«  l'habillement  des  Néréides  :  c'était  aussi  celle  des  bandelettes 
«  dont  étaient  ornées  les  victimes  qu'on  sacrifiait  aux  Divinités  ma- 
«  rines  :  on  peignait  de  la  même  couleur  la  chevelure  des  fleuves 
«  personnifiés  dans  les  ouvrages  des  poètes;  et  tel  était  en  général 
«  l'habillement  des  Nymphes  dans  les  peintures  antiques  ,  que  le 
«  nom  même  de  fNw?^,  Ibptpu  )  leur  vient  des  eaux.  Apollon  a  le 
«  manteau  bleu  ou  violet,  et  Bacchus  qui  devrait  l'avoir  couleur  de 
«  pourpre,  est  souvent  vêtu  de  blanc.  Marzian  Cappella  habille 
«  de  vert  Cybèle  comme  Déesse  de  la  terre,  et  mère  de  la  végéta- 
"  tion  :  Junon  ,  que  le  même  écrivain  nous  représente  avec  un  voile 
«  blanc,  devrait  avoir  ses  vêtemens  de  couleur  bleu-céleste,  par 
«  analogie  à  l'air  dont  elle  est  le  symbole.  Le  manteau  jaune  con- 
«  vient  à  Gérés  ,  comme  étant  de  la  couleur  des  épis  mûrs,  ce  qui 
«  lui  a  fait  donner  l'épithète  de  jaune  par  Homère.  Dans  le  dessin 
«  colorié  d'une  peinture  antique  de  la    Bibliothèque    du    Vatican  , 

(i)  V.  Le  Pitture  antlche  d1  Ercolano.  Vol.  V.  pag.  69. 
(a)  On  donnait  à  Pluton  la  couleur  noire.  Glaudian.  De  raptu  Proserp. 
Liv.  I:  v.  79. 


de    la    Grèce.  35g 

«  publié  par  mol  (i),  Pallas  a  le  manteau,  non  de  couleur  céleste  8 
«  nomme  dans  les  autres  figures  qui  la  représentent,  mais  de  cou- 
rt leur  de  feu,  peut-être  pour  indiquer  son  esprit  belliqueux;  cette 
«  couleur  était  aussi  celle  que  les  Spartiates  adoptaient  en  tems  de 
«  guerre.  Quelques  peintures  d'Herculanum  nous  représentent  Ve- 
rt nus  avec  une  draperie  flottante  de  couleur  d'or,  parsemée  de 
«  nuances  d'un  vert  foncé,  peut-être  par  analogie  à  son  épithète 
«  d'aurea.  On  voit  encore  dans  le  dessin  de  la  peinture  Vaticane  , 
"  dont  nous  venons  de  parler,  une  Naïade  avec  une  robe  de  des- 
«  sous  couleur  d'acier  ou  vert  de  mer,  sous  laquelle  Virgile  a  aussi 
«  peint  le  Tibre;  mais  sa  robe  de  dessus  est  verte,  telle  que  les 
"  Fleuves  l'ont  ordinairement  chez  les  poètes:  ainsi  ces  deux  cou- 
rt leurs  sont  le  symbole  de  l'eau,  avec  cette  différence  que  le  vert 
«  semble  plus  particulier  aux  eaux  qui  coulent  à  travers  les  herbesfa).  „ 
Pour  terminer  ce  premier  article  de  la  religion  des  Grecs  , 
nous  rapporterons  à  la  planche  56  une  peinture,  qui  a  rapport  à 
l'histoire  Mythologique  des  Demi-Dieux.  Elle  est  prise  du  premier  Demi-Dieux. 
volume  des  vases  de  Mil  lin  ,  et  a  pour  sujet  l'onzième  des  travaux 
d'Hercule  ,  ou  l'enlèvement  des  fruits  du  jardin  des  Hespérides  par  Jardin 
ordre  de  son  frère  Eurysthée,  ministre  de  la  colère  de  Junon.  Cette 
précieuse  peinture  représente  donc  le  jardin  de  ces  Nymphes  fa- 
tales. Au  milieu  s'élève  l'arbre  fameux  qui  produisait  des  pommes 
d'or  (3),  et  autour  ^e  son  tronc  est  entortillé  le  terrible  serpent, 
auquel  la  garde  en  était  confiée  (4).  -Les  Mythologistes  racontent 
qu'Hercule  se  saisit  de  ces  pommes,  après  avoir  donné  au  monstre 
une  boisson  qui  l'endormit  d'un  profond  sommeil.  Le  héros  est  re- 
présenté dans  d'autres  monumens  prêt  à  tuer  ce  gardien  redouta- 
it )  Monum.  ant.  inécl.  num.  u3 
(2)    Winkelm.    Histoire   etc.    T.    I.    pag.    4o3. 

(5)  Nous  croyons  inutile  de  rapporter  ici  les  explications  extravagan- 
tes ,  que  les  grammairiens  et  les  sophistes,  tant  anciens  que  modernes ,  ont 
imaginées  au  sujet  de  cette  fable.  Il  suffira  de  dire,  que  les  uns  y  ont 
vu  la  désobéissance  d'Adam  ,  et  d'autres  l'enlèvement  des  troupeaux  des  Cha- 
nanéens  par  Josué.  L'opinion  la  plus  probable  est  celle  qui  faii  dériver 
cette  fable  de  la  découverte  des  oranges  ,  mêlée  à  une  tradition  antique  , 
qui  pLçait  à  l'occident  la  cour  et  les  jardins  du  Soleil. 

(4)  Apollonius  donne  à  ce  serpent  le  nom  de  Laclone  ,  et  dit  qu'il 
avait  cent  têtes,  et  ne  fermait  jamais  les  yeux  au  sommeil;  mais  les  ar- 
tistes ne  le  représentent  ordinairement  qu'avec  deux  têtes  ,  et  c'est  ainsi 
qu'on  le  voit  sur  un  vase  de  la  premièie  collection  d'Hamilton, 


36o  Religion 

Lie  ;  mais  ici  ce  sont  les  Hespérides  elles-mêmes  qui  lui  offrent  les 
pommes  :  circonstance  qui  semble  faire  allusion  à  la  tradition  ,  d'après 
laquelle  Hercule  aurait  reçu  d'Atlas  ces  fruits  admirables,  qu'il 
transporta  en  Grèce,  pour  avoir  sauvé  les  filles  d'Hespérus  de  la 
fureur  du  tyran  Busiris  (i).   Au  dessus  de  ces    figures  est    écrit  en 

Héraclès.  caractères  Grecs  le  nom  de  chacune  de  ces  Nymphes.  Héraclès 
Hercule  tient  un  pied  sur  un  roc ,  position  qui  indique  son  ar- 
rivée dans  un  pays  étranger:  la  peau  du  lion  de  Némée  enveloppe 
ses  épaules  ,  et  est  nouée  par  les  pattes  sur  sa  poitrine  :  son  car- 
quois pend  à  son  côté;  de  sa  main  gauche 3  qui  est  appuyée  sur  sa 
massue,  il  tient  l'arc,  et  va  pour  prendre  de  la  droite  les  pommes 
que  cueille  une  des  Nymphes:  sa  tète  est  ceinte  d'un  bandeau  orne 
d'une  petite  lune.   Les    Hespérides    sont    au    nombre  de    cinq.   Ka- 

Kakpso.  lupso ,  ou  Calipso  donne  à  manger  au  dragon;  elle  est  assise  sous 
une  espèce  d'arbuste  :  sur  son  pied  droit  est  Vlynix ,  espèce  d'oiseau 
de  diverses  couleurs  ,  dont  la  langue  ressemble  à  un  petit  serpent s 
et  qui  servait  aux  enchantemens.  Hermésa  est  celle  qui  cueille  les 
pommes:  près  d'elle  est  un  oiseau  palmipède ,  ou  avec  les  pieds 
plats,,  qui  est  peut-être  le  cygne,  dont  le  chant  serait  probablement 
alîusif  à  celui  des  Hespérides.  Atithéia  5  qui  est  derrière  Calipso 
a  dans  une  main  une  espèce  de  ruban,  symbole  de  l'initiation  (car 
ces  peintures  sont  pour  la  plupart  des  allusions  aux  mystères  reli- 
gieux ),  et  dans  l'autre  une  des  pommes.  Aïolis  regarde  d'un  œil 
émerveillé  ce  qui  se  passe  ,    et  a  la    main    gauche    appuyée    sur  sa 

Néaïsa.  sœur  Anthéia.  Derrière  Hercule  est  Néaisa  ,  portant  un  petit  vase, 
qui  a  pareillement  rapport  à  l'initiation.  Ces  cinq  sœurs  sont  vêtues 
d'une  tunique  courte,  qui  est  recouverte  d'une  plus  longue.  Hermésa, 
A  logis  et  Néaïsa  ont  en  outre  le  peplos.  Ces  vètemens  sont  parsemés 
de  points  on  d'étoiles  ,  avec  un  bord  qui  a  presque  la  forme  d'un 
échiquier.  Le  mot  Asspiirias  ,  qui  veut  dire  Hespérides,  est  écrit 
au  dessus  de  Calypso.  On  voit  en  haut  quatre  Déités  à  demi-figure. 
Les  anciens  peintres  de  la  Grèce  semblent  avoir  adopté  ces  espèces 
de  bustes  ou  de  demi-figures  pour  la  partie  du  tableau  qui  est  au 
dessus  de  l'action  principale,  afin  d'y  introduire  les  personnages 
qu'on  doit  supposer  à  quelque  distance ,  et  qui  ne  sont  que  specta- 
teurs invisibles  de  l'événement.  Us  suppléaient  en  outre  par  là  à 
la  perspective  ,  dont  ils  n'avaient  aucune  connaissance.  C'est   pour- 

(i)  Diod.  de  Sic.  IV.  27. 


Hermésa. 


Àntîiéia. 


Aïogis. 


de    la    Grèce.  36i 

quoi  M.r  Millin  est  d'avis  que  les  quatre  Déités  qu'on  voit  ici  peu- 
vent se  considérer  comme  placées  dans  l'Olympe  ,  ou  sur  quelque 
lieu  élevé  où  elles  se  plaisaient.  Ainsi  la  première  figure  à  gau- 
che, et  près  de  l'arbre,  est  Junon  ,  Hara  ou  Héré;  elle  est  voilée  r  Junon. 
parce  qu'étant  une  des  Déesses  garnélies ,  elle  préside  aux  mariages: 
il  est  bien  naturel  qu'elle  prenne  part  à  l'action ,  car  elle  avait 
eu  ce  fameux  arbre  en  présent  le  jour  de  ses  noces  avec  Jupiter , 
d'ailleurs  la  Déesse  ne  doit  point  être  indifférente  au  succès  qu'aura 
Hercule  dans  cette  entreprise.  Vis-à-vis  d'elle,  et  de  l'autre  côté  de 
l'arbre,  est  Mercure  revêtu  de  la  chlamyde;  il  porte  le  caducée,  Mercure, 
etlepétase,  ou  chapeau  des  voyageurs  qui  retombe  sur  ses  épau- 
les. Près  de  Junon  est  Pan,  suffisamment  caractérisé  par  la  ne- 
brida  ou  peau  de  faon  ,  qui  est  nouée  par  les  pattes  sur  sa  poitrine 
comme  une  chlamyde;  il  a  des  cornes  de  bouc,  une  barbe  épaisse, 
le  visage  velu,  les  narines  gonflées,  les  oreilles  pointues  et  la  physio- 
nomie d'une  brute.  Il  a  été  vraisemblablement  placé  ici  comme 
fils  de  Mercure  ,  et  protecteur  du  pays  riche  en  troupeaux  où 
l'action  est  supposée  se  passer.  Donakis^  une  des  Nymphes  aimée  Donakis. 
de  Pan,  est  derrière  Mercure;  elle  a  comme  Junon  la  tête  ceinte 
d'un  bandeau  parsemé  de  perles.  Cette  peinture  est  d'autant  plus 
précieuse ,  qu'on  lit  au  bas  de  l'arbre  le  nom  de  l'artiste  qui  l'a 
faite,  chose  qui  est  extrêmement  rare.  Assteas  e graphe ,  Astée 
peignait. 


Temples  ,  autels ,  instrumens  sacrés. 

De  tous  tems  les  peuples  ont  été  dans  l'usage  de  rendre  le 
culte  à  la  divinité  dans  des  lieux  ouverts ,  en  plein  air  et  particu- 
lièrement sur  les  montagnes.  On  lit  dans  la  Bible  ,  que  les  idolâ- 
tres, voisins  de  la  Judée,  sacrifiaient  à  leurs  Dieux  sur  des  lieux 
élevés.  Dieu  ordonna  à  Abraham  de  lui  sacrifier  son  fils  sur  une 
haute  montagne.  C'est  pour  cela  que,  chez  les  Grecs,  les  monts  les 
plus  élevés  étaient  consacrés  à  Jupiter  ,  à  Saturne  et  autres  Divi- 
nités. On  trouve  dans  l'hymne  à  Apollon,  dont  Homère  passe  pour 
être  l'auteur,  que  les  sommets  des  montagnes  étaient  également  con- 
sacrés à  ce  Dieu  (i).    Ce  culte  parait  être  dérivé'  de    l'opinion  où 


consac, 
aux  Du 


(i)  Lisez  à  ce  sujet    Poter ,    Arch,  graeca,    et  Comment,  in  Ljco- 
phronis   Cassandram  vers.  42. 

Europe.    Fol,  I.  ^Q 


36s  Religion- 

étaient  les  anciens  ,  que  la  cime  des  monts  étant  plus  près  du  ciel , 
il  était  plus  facile  que  leurs  prières  parvinssent  de  là  jusqu'aux 
Dieux.  Le  même  usage  se  conserva  long-tems  chez  les  Perses,  com- 
me le  rapporte  Hérodote.  C'est  ce  qui  fit  que  lors  de  leur  invasion 
en  Grèce,  ils  brûlèrent  tous  les  temples,  dans  l'idée  que  c'était  une 
impiété  que  de  renfermer  entre  des  murs  la  divinité,  qui  n'avait 
d'autre  demeure  et  d'autre  temple  que  le  monde  entier  ,  et  à  la- 
quelle par  conséquent  l'espace  devait  être  un  champ  libre  et  ou- 
de?'Z?pies.  vert  v1)-  II  n'est  guère?  faci!e  de  fixer  l'époque  où  l'on  commença  à 
bâtir  des  temples,  ni  de  dire  quel  fut  celui  qui  en  éleva  le  pre- 
mier. Templorum-,  dit  Aruobe  3  si  quaeris  audire  qui  s  prior  fuerit 
fabricator  aut  Phoroneus  Jegyptius ,  aut  Merops  tibi  fuisse  mon- 
strabitur ,  aut  ,  ut  tradit  in  Admirandis  Varro,  Jovis  progenies 
Aeacus  (a).  Eusèbe  ,  Lactance  et  Clément  d'Alexandrie  sont  d'avis 
que  les  temples  doivent  leur  origine  à  la  piété  superstitieuse,  qui 
porta  les  peuples  à  élever  des  monumens  somptueux  en  l'honneur  de 
leurs  parens  ,  de  leurs  amis  ou  des  hommes  morts  qui  avaient  bien 
ad lépufcL  mérité  de  la  patrie.  Ainsi  le  temple  de  Pallas ,  dans  la  forteresse  de 
qi/uJTême  Larisse  ,  n'était  d'abord  que  le  sépulcre  d'Acrise ,  de  même  que 
celui  de  Minerve  Polyade  à  Athènes  n'était  anciennement  que 
le  tombeau  d'Eriehtone.  Aussi  trouve-t-on  ,  comme  l'observe  judi- 
cieusement Potter,  que,  dans  les  anciens  écrivains,  les  mots  employés 
proprement  pour  désigner  un  sépulcre  ou  un  monument,  servent 
quelquefois  aussi  pour  indiquer  un  temple.  C'est  dans  ce  sens  que 
Licophron  fait  usage  du  mot  Tvupov  en  parlant  d'un  temple  de 
Junon  (3).  L'Enéide  nous  en  offre  aussi  un  exemple  ,  lorsque  le 
poète  y  dit  : 

tumulum    anliquae    Cereris  3    sedemque   sacratam 

Venimus (4). 

Il  n'y  a  donc  rien  de  surprenant,  d'après  la  remarque  de  Potter, 
que  les  monumens  et  les  tombeaux  aient  été  dans  la  suite  convertis 
en  temples,  puisque  l'usage  était  chez  les  anciens  de  faire  les  priè- 
res, les  sacrifices  et  les  libations  près  d'un  tombeau,  queîqu'eût  été 
d'ailleurs  la  condition  de  celui  dont  il  renfermait  la  cendre. 

(1)  Cic.  De  legibus  ,  liv.  II. 

(2)  Arnob.    Contra  gentes  ,  liv.  VL 

(3)  Lycophr.   Cassandra  vers.  6j3, 

(4)  AeneicL  II.  742. 


chose  che. 
les  anciens* 


de   la    Grèce.  363 

Il  paraîtrait,  d'après  plusieurs  passages  d'Homère  et.  autres  écri-        m  Lit 
vains  de  l'antiquité,  que  dans  les  siècles  héroïques  les  temples    des      héroïque*.  * 
Grecs  étaient  construits  en  bois.  Hérodote  en    parlant  des    Gelons 
dit  que  leurs  temples  étaient  faits    de    cette   matière   comme    ceux 
des  Grecs.  C'est  à  ce  genre  de  construction  sans  doute  qu'il  faut  at- 
tribuer les  incendies  fréquens,  dont  nous  voyons  que  tant  de  temples 
furent  alors  la  proie  en  Grèce:  ce  qui  n'arrivait  que  bien  rarement 
en   Asie,  en  Egypte,  et  en  Etrurie  (i).  L'usage  des  colonnes  en  bois 
semble  encore  s'être  conservé  dans  les  temples,  depuis  qu'on  commença 
à  les  bâtir  en  pierres  et  en  briques:  car  Pausanias  rapporte  que  de 
son  teras  il  y  avait  encore  à  Elide  un  temple  dont  le  toit  s'appuyait 
sur  des  colonnes  de  chêne,  et  il  ajoute  qu'on  voyait  dans  cette  ville   Leur  s  impiété. 
une  colonne  du  même  bois ,  qui  était  derrière  le  temple  de  Junon  (a). 
On  ne  trouve  point  dans  les  écrits  des  anciens  que  ces  temples  fus- 
sent décorés  d'aucun  ornement  d'architecture:  il  parait  même  qu'on 
n'avait  nulle  connaissance  des  arcs,  des  frises,  ni    même    des  bases 
et  des  chapiteax  dans  les  colonnes.  Hésiode  ne  parle   des    colonnes 
que  comme  d'un  simple  support ,  ou  comme  d'un  objet  quelconque 
qui  était  fixe,  et  auquel  on   pouvait  attacher  ou  suspendre  quelque 
chose  (3).  Mais  lorsque  cet  art  fut  sorti  de  l'enfance  chez  les  Grecs,    Magnificence 
le  luxe  et  la  magnificence  furent  recherchés   dans    la    construction      inta££tG 
des  temples  et  des  maisons  des  particuliers,  et  l'on  se  persuada  que     les  Umpks- 
rien  ne   pouvait  être   plus  agréable    aux    Dieux,  que    le  soin  qu'on 
prenait  d'embellir  les  édifices  qui  leur  étaient  consacrés.  Les  Spar- 
tiates seuls  différaient  en  cela  du  reste  des  Grecs:  une  loi  de  Ly- 
curgue  leur  prescrivait  d'honorer  les  Dieux  ayec  le  moins  de  faste 
possible.  Ce  Législateur  interrogé  sur  le  motif  de  cette  loi  répondit, 
qu'il  l'avait  faite  pour  que  le  culte  de    la    divinité    ne    fût    jamais 
négligé,  dans  la  crainte  que  l'avarice  ou  le  besoin  ne   fussent  une 
cause  de  relâchement  envers  elle,  dans  un  pays  où  l'on  fesait  con- 
sister toute  la  dévotion   dans  la  somptuosité  des  temples  et  des  rites  ; 
et  parce  que  rien  ne  pouvait  lui  être  plus  agréable  ,  selon  lui  ,  qu'une 
piété  sincère  ,  simple  et  sans  aucune  pompe. 

(i)  V.  Lebbera  sulV  origine  ,  ed  antichità  deW  archibetbura  al  chia- 
rissimo  ababe  Fea  giureconsulbo  ,  V  autore  delV  opéra  inbibolaba  Rovine 
clell'  antica  città  di  Pesbo.  Cette  lettre  se  trouve  aussi  insérée  dans  le 
IIIe  vol.  de  l'Histoire  de  Winkelmann ,  édit.  de  Rome. 

(2)  Paus.  liv.  V.  chap.  XVI    et  liv.  VI,  chap.  XXIV. 

(3)  Theogon,  vers.  5a2.  et  77g. 


364  Religion 

etLdimenZL.  ^es  temp'es  des  Grecs  étaient  généralement  d'une  figure  carrée, 

de  manière  pourtant  que  leur  longueur  était  le  double  de  leur  lar- 
geur. C'est  d'après  cette  forme  que  Vitruve  a  établi  en  principe, 
qu'un  temple  qui  a  cinq  entre-colonnemens  sur  le  devaut ,  doit  en 
avoir  le  double  sur  les  côtés.  Telles  étaient  les  proportions  du  temple 
de  Jupiter  à  Girgente  en  Sicile.  Pausanias  ne  fait  mention  dans  son 
voyage,  que  d'un  très-petit  nombre  de  temples  ayant  une  voûte  ou  une 
ïnvïûtl.  coup0'®-  De  ce  genre  étaient,  celui  qu'on  voyait  à  Athènes  à  côté  du 
Prytanée,un  autre  à  Epidaure  près  le  temple  d'Esculape,  et  un 
troisième  à  Sparte  où  Jupiter  et  Vénus  avaient  chacun  une  statue  (i). 
Winkelmann  observe  «  que  ces  temples  carrés  n'avaient  en  général 
point  de  fenêtres ,  et  ne  recevaient  de  jour  que  par  la  porte  ,  pour  que 
Temples  leur  intérieur,  qui  était  éclairé  par  des  lampes ,  présentât  un  aspect 
uiwninès.  plus  auguste  (2);  et  il  ajoute  que  les  temples  en  rotonde  étaient 
éclairés  par  le  moyen  d'une  ouverture  circulaire  pratiquée  en  haut, 
comme  on  le  voit  dans  le  Panthéon  (3).  L'opinion  de  ce  savant  an- 
tiquaire sur  ce  point  est  néanmoins  sujette  à  une  grande  difficulté 
relativement  aux  temples  carrés:  ceux  qui  avaient  cette  forme  chez 

(1)  Les  Grecs  donnaient  aux  édifices  en  ronde  l'épithéte  de  Tholoi, 
pour  indiquer  qu'ils  étaient  comme  d'un  seul  jet.  L'Abbé  Fea  observe 
que  les  édifices  à  coupole  étaient  d'un  usage  très-commun  chez  les  Grecs. 
11  ajoute  néanmoins  que  ces  coupoles  étaient  fort-basses  ,  et  avaient  plu- 
tôt l'air  de  voûtes  rondes  ,  que  de  coupoles  de  la  hauteur  et  de  la  forme 
de  celles  qui  ont  été  faites  dans  les  tems  modernes.  Les  plus  anciens 
monumens  qui  nous  donnent  quelqu'idée  des  rotondes  des  Grecs  sont  , 
la  Tour  des  vents ,  et  le  monument  élevé'  à  Lysicrate  qui  sont  tous  les 
deux  à  Athènes.   Voy.  le  Roy  et  Stward. 

(2)  Le  Bar.  Riedesel  ,  Voy.  en  Sic.  Liv.  I.  -pag.  40  ,  observe  aussi 
que  l'ancien  temple  de  la  Concorde  à  Girgente  ,  qui  ne  présente  aucun 
indice  de  fenêtres  ,  ne  pouvait  recevoir  de  jour  que  par  la  porte.  Il  dit 
néanmoins  dans  un  autre  endroit ,  d'avoir  vu  dans  le  couvent  de  S.1  Ni- 
colas un  petit  temple  domestique  très-bien  conservé  ,  qui  avait  une  petite 
fenêtre  à  l'antique. 

(3)  Winkelmann  lui-même  ,  Histoire  etc.  T.  III.  pag.  42  ,  ne  peut 
s'empêcher  de  convenir  que  quelques-uns  de  ces  édifices  ,  mêmes  carrés  , 
étaient  surmontés  de  ces  espèces  de  coupoles ,  auxquelles  les  modernes 
ont  donné  le  nom  de  lanternes.  «  On  voit ,  dit-il;,  cette  lanterne  et  une 
«  coupole  sur  le  tambour  d'un  temple  carré  ,  dont  l'image  est  tracée  sur 
«  le  plus  grand  sarcophage  que  nous  ayons  de  l'antiquité  ,  lequel  se  trouve 
k  aujourd'hui  dans  une  yigne  de  la  maison  Moïrani  près  la  porte  de  S.1  Sé> 
u  ha  g  tien  », 


de     la    Grèce.  365 

Jes  Romains  pouvaient  bien  être  à  la  vérité  suffisamment  éclairés 
par  la  porte,  en  raison  de  leur  peu  d'étendue;  mais  on  ne  peut 
pas  en  dire  autant  de  ceux  des  Grecs ,  dont  quelques-uns  étaient 
fort-grands  et  à  deux  rangs  de  portiques  ou  de  colonnes  :  ce  qui 
fait  supposer  à  M.r  Quatremère,  qu'ils  recevaient  aussi  le  jour  par 
une  ouverture,  ou  espèce  de  lanterne,  comme  nous  le  verrons  bientôt. 
Les  temples  carrés,  dans  des  tems  encore  plus  rapprochés  de  nous,  Leur  plafond. 
étaient  plafonnés  en  bois.  Celui  d'Apollon  à  Delphes  l'était  en 
cipiès,  d'autres  l'étaient  en  cèdre.  Les  temples  de  Sainte  Sophie 
et  des  Apôtres  à  Gonstantinople  avaient  également  leur  plafond  en 
bois  (r).  Leur  intérieur  était  divisé  en  trois  nefs.  Tel  était  celui 
de  Pailas  à  Athènes.  Selon  Lucien,  Porphyre  et  autres  écrivains, 
les  temples  des  anciens  avaient  la  façade  tournée  à  l'orient,  pour 
qu'ils  fussent  éclairés  des  premiers  rayons  du  soleil.  Iginus  dit  que  Luer  position. 
telle  était  en  effet  la  position  des  temples  dans  les  premiers  tems; 
mais  après  il  observe  que  cet  usage  fut  depuis  abandouné ,  et  que 
la  façade  de  ces  édifices  fut  tournée  à  l'occident.  C'est  aussi  le 
précepte  que  donne  Vitruve:  «  Les  temples,  dit  il,  pour  être  si- 
«  tués  convenablement ,  doivent  être  tournés,  à  moins  qu'on  n'ait 
«  des  raison  qui  en  empêchent  ,  de  manière  à  ce  que  la  statue 
«  qui  est  au  fond  regarde  le  couchant ,  et  que  ceux  qui  vont  à 
«  l'autel  pour  y  faire  des  offrandes  s  des  sacrifices,  ou  simplement 
«  leur  prière  aient  en  face  l'orient  et  la  statue  ,  qui  paraîtra 
«  ainsi  avoir  le  yeux  fixés  sur  eux:  c'est  pourquoi  les  autels  doi- 
«  vent  toujours  être  tournés  vers  le  levant.  Si  cependant  la  nature 
«  du  lieu  ne  le  permettait  pas ,  il  faudrait  faire  ensorte  alors  que, 
"  de  ce  temple,  on  découvrit  la  plus  grande  partie  des  édifices  qui 
"  l'environnent;  ou,  s'il  est  situé  sur  le  bord  d'un  fleuve  comme 
«  ceux  d'Egypte,  qu'il  regardât  ce  fleuve;  ou  enfin  s'il  est  près 
«  d'une  voie  publique,  que  les  passans  puissent  le  voir  et  s'incliner 
«   devant  sa   façade   (a)   „. 

(i)  Nous  avons  dit  que  les  temples  carrés  avaient  généralement  le 
plafond  en  bois  ,  car  on  ne  peut  pas  nier  qu'il  n'y  eût  de  ces  temples 
dont  le  plancher  était  voûté  ,  comme  l'était  celui  de  Pailas  à  Athènes. 
y.  Winkelmann. 

(2)  Vitruv.  Liv.  IV.  chap.  V.  Le  Bar.  Riedsel  ,  en  parlant  du  tem- 
ple de  la  Concorde  à  Girgente  dit ,  que  la  porte  du  sanctuaire  est  tournée 
en  effet  vers  le  couchant  ;  mais  que  pour  y  entrer  ,  il  faut  monter  à  la 
colonnade  par  le  côté  opposé.,  et  en  faire  le  tour. 


366 


R. 


ELIGION 


Architecture 
des 

les    klffét 

divinités 


■>  parce  que  ces 
Divinités  se  montrent  aux  mortels  à  découvert  et  brillans  de  lumière 
Dans  ceux  élevés  à  Vénus,  à  Flore,  à  Proserpine  et  aux  Nymphes 
des  fontaines,  il  recomande  l'ordre  Corinthien,  comme  le  plus  gra- 
cieux et  le  plus  analogue  aux  charmes  et  à  l'élégance  de  ces  Divi- 
nités. «  Pour  Junon  ,  Diane,  Bacchus  et  autres  Déités,  ajoute-t-il 
«  on   prendra  le  milieu,  en  fesant  mage  dans    la    construction    de 
«  leurs  temple  de  l'ordre  Ionique  qui  leur  convient,     en    ce    qu'il 
«   participe  de  la    gravité    du    style    Dorique,    et    de  la    grâce    du 
«  Corinthien  „.  Le  même    auteur    divise   ensuite    les    temples    selon 
leurs  formes   ou    leurs  figures.   La   première  ,  qui    est   la  plus  simple 
et  appelée    Naàç  èv  Trapâaratriv  par  les    Grecs,    est    celle    des    tem- 
ples qui  avaieut  des   pilastres    à    leurs    angles,    ou    aux    extrémités 
des    murs    formant    l'enceinte    du    sanctuaire  ,  et  qui    avaient    deux 
colonnes  entre  ces    pilastres.    Leur    frontispice    ou    tambour    devait 
être  en  hauteur  le  neuvième  de  toute  sa    largeur    (i).    La    seconde 
forme  était  celle  des  temples  appelés  Prostiles  (a),   ils  n'avaient  de 
colonnes  que  sur  le  devant  ,  et  tel  était  le  temple  Dorique  de  Gérés 
à  Eleusis.  À  la  troisième    appartenaient    les    temples    Anfiprostiles 
ou  à  double  prostile  ,  qui  avaient  devant  et  derrière  le  même  nom- 
bre de  colonnes  et  le  même  frontispice  ;  à  la  quatrième  les  temples 
Périptères.     Périplères  (3) ,  qui  étasent  entourés  d'un  portique  formé  de  colonnes, 
dont  cinq  sur  le  devant ,  et  onze  de  chaque  côté  et  assez  éloignées 
de  l'édifice,  pour  qu'on  pût  se  promener  commodément  sous  le  port i- 
Dipières.       qUe  .  £  ja  cinqUième  les  Diptères ,  ou  à  deux  rangs  de  colonnes  sur 
les  ailes:  ces  colonnes  étaient  au  nombre  de  huit  sur  chaque  front, 
et  doubles  le  long  des   côtés    du  sanctuaire,  Tel    était   le  temple  de 
Diane  à  Ephèse ,  d'ordre    Ionique.    Cette    forme   était    aussi  à-peu- 
Pseudodiptères.   près  celle    des  temples  appelés    Pseudodiptères  ,    ou    faux    Diptères. 
Ils  avaient  huit  colonnes  sur  chaque  front,  et  quinze  sur  les  côtés, 
y  compris  celles  des  angles:  disposition  qui,  dans  ce  dernier  sens, 
semblait  former  un  double  rang  de    colonnes»    C'est    ainsi    qu'était 


Division 
des  temples 

selon 
leurs  formes. 

Temples 
en  parasiasin. 


Prosuies. 


Anfiprostiles. 


(i)  Cette    forme   est  encore  appelée    par  Vitruve    in  antis.  Il  parait 
néanmoins  qu'elle  était  plus  particulière  aux  Romains  qu'aux  Grecs. 

(2)  De  ftpo  ,  avant ,  et  çrvùoç ,  colonne. 

(3)  De  vtepi ,  autour ,  et   %%ef>ov  ,  ala  ,  c'est-à-dire  ailé  autour. 


Espèces 
des   temples 


Eustyle. 


de    la     Grèce.  367 

Je  temple  de  Diane  à  Magnésie.  Enfin  on  appelait  Jpètres  les  tem-  ipfetres. 
pies  qui  avaient  dix  colonnes  sur  chacun  des  deux  fronts  ,  et  dans 
l'intérieur  un  double  rang  de  ces  mêmes  colonnes  posées  les  unes 
sur  les  autres,  et  assez  distantes  du  mur  pour  former  une  espèce 
de  portique.  On  donnait  à  ces  temples  le  nom  A'Ipètres  (1),  parce 
qu'ils  étaient  sans  toit.  Après  avoir  traité  des  sept  formes  de  temples, 
qu'il  nomme  genres  ou  principes  ,  Vitruve  passe  aux  cinq  espèces 
de  temples  qui  sont,  dit-il;  le  Picnostile ,  ou  à  colonnes  pressées; 
le  Sistyle  où  elles  le  sont  moins;  le  Dlastyle  où  elles  sont  plus 
éloignées;  V  Jréostyle  où  elles  le  sont  encore  davantage,  et  Y  Eustyle 
dont  l'entre-colounement  est  d'une  juste  proportion  (3)  „.  Vitruve 
propose  cette  dernière  espèce  comme  la  meilleure.  «  L'entre-colon- 
neroent  doit  y  être,  continuc-t-il ,  de  la  largeur  de  deux  colonnes 
et  quart:  celui  du  milieu,  tant  sur  le  front  que  sur  le  derrière, 
doit  seul  avoir  trois  colonnes  de  largeur,  pour  en  faciliter  l'accès 
et  donner  un  aspect  imposant  à  sa  façade,  ainsi  qu'au  peristile  qui 
règne  autour  du  sanctuaire  „.  Après  avoir  ainsi  déterminé  la  pro- 
portion de  P Eustyle  ?  ou  de  Pentre-colonnement  moyen  ,  on  pourra 
calculer  aisément  les  dimension  des  autres  espèces,  dont  la  diversité 
ne  consistait  que  dans  le  plus  ou  le  moins  d'espace  qui  régnait  entre 
leur?  entre-colonnemens. 

L'extérieur  des  temples,  et  surtout  le  frontispice  ,  était  ordiuai-     Frontispice. 
rement  décoré   de  statues,  de  bas-reliefs,  et  de    toutes  sortes    d'or- 
nemens  d'architecture,  qui  représentaient  les  divinités  ou  leurs  prin- 
cipaux gestes  (3).  Sur  celui  d'un    temple  de    Saturne,    dont    parle 


(1)  De  STtairpaç  ,  qui  veut  dire  lieu  découvert. 

(2)  La  diversité  des  genres  ,  selon  Vitruve  ,  résulte  de  celle  des  co- 
lonnes et  des  pilastres  dans  leur  position  par  rapport  au  temple  :  la  di- 
versité des  espèces  nait  de  celle  des  entre-colonnemens.  Il  est  inutile 
d'observer  sans  doute  ,  que  l'espèce  se  trouve  toujours  dans  le  genre  ,  c'est- 
à-dire  que  dans  chaque  genre  il  y  a  une  proportion  spéciale  d'entre-colon- 
nemens.  Ainsi  le  temple  Dyptère  peut  être  Eupyle  ,  Sistyle  etc.  On  peut 
voir  dans  l'édition  de  Vitruve  par  Galiani  des  exemples  des  genres  et 
des  espèces.  Nous  croyons  également  inutile  de  donner  l'étymologie  des 
mots  dont  se  sert  cet  auteur  ,  parce  qu'il  ne  faut  avoir  qu'une  légère 
teinture  du  grec  pour  en  comprendre  le  sens. 

(3)  On  a  beaucoup  disputé  sur  l'origine  des  frontispices  et  sur  le 
véritable  sens  du  mot  aeroç  ,  aigle  ,  qui  est  le  nom  qu'on  leur  donne  en 
grec.  Quelques-uns  ont  cru  apercevoir  dans  la  forme  triangulaire  du  fron- 


Architrave. 


368  Religion 

Macrobe,  on  voyait  ries  Tritons  sonnant  de  la  trompette  marine. 
La  naissance  de  Pallas  était  représentée  sur  la  façade  antérieure  du 
temple  que  cette  Déesse  avait  à  Athènes ,  et  sur  celle  de  derrière 
son  fameux  défi  avec  Neptune.  Ces  ouvrages  étaient  des  artistes  les 
plus  célèbres.  Phidias  avait  fait  les  bas-reliefs  du  Parthénon  ;  et 
les  douze  travaux  d'Hercule  retracés  sur  le  frontispice  du  temple 
de  ce  Dieu  à  Thébes ,  étaient  un  des  chefs-d'œuvre  de  Praxitèle. 
Les  corniches  des  frontispices  de  forme  aiguë,  ou  terminée  en 
pointe  ,  étaient,  également  décorés  de  fleurs,  de  feuillages  et  autres 
petits  ornemens.  L'architrave  avait  aussi  les  siens  propres,  qui  se 
plaçaient  ordinairement  dans  les  métopes  de  la  frise.  Ou  suspendait 
quelquefois  aux  métopes  les  boucliers  pris  à  l'ennemi  (i);  et  c'est 
de  cet  usage  qui  vint  celui  d'y  représenter  des  boucliers  en  bas- 
relief,  usage  qui  subsiste  encore  dans  l'ordre  Dorique.  Les  exploits 
de  Thésée  étaient  sculptés  sur  les  métopes  de  son  temple  à  Athè- 
nes. Des  crânes  de  bœuf  ou  de  bélier,  ou  des  instrumens  à  l'usage 
£CumpL  des  sacrifiées  figuraient  également  dans  les  bas-reliefs.  On  montait 
aux  temples  par  des  gradins  ,  qui  étaient  ordinairement  très-hauts. 
Ceux  qu'on  voit  encore  autour  de  l'ancien  temple  de  Girgente  n'ont 
guères  moins  de  trois  palmes  Romains  d'élévation  ,  et  il  ne  parait 
pas  que  ceux  du  temple  de  Thésée  leur  soient,  inférieurs.  Ces  gradins 
étaient  à  la  vérité  incommodes  quand  il  s'agissait  de  les  monter; 
mais  comme  les  temples  n'étaient  pas  assez  grands  pour  contenir 
la  foule  ,  ils  servaient  de  station  et  de  siège  à  ceux  qui  ne  pouvaient 
pas  y  entrer  (2). 

tispîce  l'image  d'une  aigle  ayant  les  ailes  déployées.  Winkelmann  est  d'avis 
que  dans  les  commencemens  on  aura  placé  un  aigle  sur  le  frontispice  des 
temples  ,  parce  qu'ils  étaient  tous  consacrés  à  Jupiter ,  et  que  c'est  de  là 
qu'est  venue  la  dénomination  que  leur  ont  donnée  les  Grecs.  Béger  parait 
être  de  ce  sentiment. 

(1)  Pausanias  raconte  qu'on  voyait  suspendus  dans  le  temple  d'Apol- 
lon à  Delphes  deux  boucliers  d'or ,  faits  [avec  les  dépouilles  qu'on  avait 
prises  aux  Perses  après  la  bataille  de  Marathon. 

(2)  L'usage  de  ces  gradins ,  par  où  l'on  montait  aux  temples  tant  sa- 
crés que  profanes,  était  très-commun  chez  les  anciens.  On  voit  sur  la  Ta- 
ble iliaque  la  mère  et  les  sœurs  d'Hector  assises  et  pleurant  sur  les  gra- 
dins dont  est  entouré  le  sépulcre  du  héros.  Pausanias  rapporte  que  le 
palais  ,  où  s'assemblaient  les  députés  de  la  Phocide  près  de  Delph  es  ,  avait; 
des  gradins  qui  servaient  de  sièges. 


Intérieur 
des  temples. 


Pleroma. 


de    là    Grèce.  36g 

L'intérieur  de  ces  temples  était  généralement  divisé  en  deux 
parties.  La  première  était  la  celle  c'est-à-dire  le  sanctuaire  l'ha- 
bitation du  Dieu,  ou  le  temple  proprement  dit,  qui  s'appelait 
vaoç,  et  où  se  trouvaient  le  simulacre  et  l'autel  de  la  Divinité  à 
laquelle  le  temple  était  consacré;  la  seconde  était  le  Pronaos  ou 
vestibule  ,  c'est-à-dire  la  partie  antérieure  du  temple  ,  avant  d'en- 
trer dans  le  sanctuaire  où  l'on  plaçait  quelquefois  l'autel  et  le  si- 
mulacre de  la  divinité,  surtout  quand  il  s'agissait  de  faire  des  sa- 
crifices en  présence  du  peuple.  Quelques-uns  de  ces  temples  avaient 
deux  vestibules  l'un  à  la  partie  antérieure,  et  l'autre  à  la  partie 
postérieure,  et  ce  dernier  est  ce  que  les  Latins  appelaient  Posticum. 
Dans  le  Pronaos  était  un  vase  en  marbre  ou  de  bronze  rempli 
d'eau  lustrale  ,  dont  on  aspergeait  ceux  qui  étaient  admis  aux  sa- 
crifices et  à  la  célébration  des  rites.  Quelquel-uns  de  ces  temples 
n'avaient  que  le  sanctuaire  absolument  nu  :  dans  d'autres  cet  édi- 
fice était  entouré  d'une  colonnade  appelée  pteroma  ,  qui  veut  dire 
en  quelque  sorte  forme  d'ailes,  et  cette  colonnade  était  simple, 
ou  double  ou  même  faux  double  ,  de  la  manière  que  nous  avons 
dit  qu'elle  était  usitée  dans  la  construction  de  certains  temples. 
Il  y  avait  dans  d'autres  ,  entre  le  sanctuaire  et  le  posticum  un 
lieu  clos  ,  appelé  opisthoclome  ,  où  l'on  conservait  les  offrandes  du  Opisihodomo. 
peuple,  et  quelquefois  le  trésor  de  la  ville  ou  de  l'état.  On  don- 
nait ce  nom  au  trésor  public  d'Athènes  ,  précisément  parce  qu'il 
était  derrière  le  sanctuaire  du  temple  de  Minerve.  Le  mur  du  pro- 
naos à  l'entrée  du  temple  était  souvent  orné  de  peintures  :  celles 
qui  décoraient  le  temple  de  Pallas  à  Platée  représentaient  Ulysse 
vainqueur  des  Procis.  Ces  temples  étaient  quelquefois  au  milieu  d'une 
enceinte  sacrée,  qu'on  appelait. kpov  ,  mot  dont  on  se  servait  aussi 
pour  désigner  un  édifice  sacré.  Hérodote  distingue  en  plusieurs  en- 
droits cette  enceinte  du  temple  qui  y  était  renfermé.  Cet  espace 
était  entouré  de  murs  et  comprenait  des  cours,  un  bocage,  des  fon- 
taines ,  souvent  même  les  habitations  des  prêtres ,  et  enfin  le  tem- 
ple. Pausanias  rapporte  que  dans  l'enceinte  sacrée  du  temple  d'Es- 
cuîape  à  Epidaure  ,  il  y  avait  un  théâtre  qui  l'emportait  sur  tous 
ceux  de  la  Grèce  et  de  Rome  par  la  beauté  de  ses  proportions  (i). 
L'intérieur  des  temples  était  orné  de  tableaux  et  de  peintures  des 
plus  grands  maîtres  :  on  y  voyait  des  statues  en  or  5  en  ivoire  et  en 


Peintures 
du  Pronaos. 


En  ec  in  te 
sacrée. 


Omemens 
intérieurs. 


(0  V.  l'Hérodote  de  Larcher.  T.  ï.  pag.  489. 

Europe,  fol.  I. 


47 


Vénération 
po 


%7°  Religion 

ébène  qui  représentaient  des  Divinités ,  des  Héros  et  quelques  grands 
personnages;  et  la  piété  des  peuples  les  enrichissait  de  dons  pré- 
cieux, et  de  vœux  de  toute  espèce.  Les  Grecs  les  avaient  tellement 
en  vénération,  qu'au  dire  d'Arrien  ,  ils  n'osaient  y  cracher  ni  s'y 
les  temples,  moucher.  Dion  nous  apprend  qu'ils  y  entraient  quelquefois  les  ge- 
noux plies.  Dans  les  tems  de  calamité  publique  les  femmes  se  pros- 
ternaient souvent  sur  le  pavé,  et  le  balayaient  avec  leurs  cheveux. 
Les  temples  étaient  un  asile  sacré  ,  d'où  il  n'était  pas  permis  de 
iVomhre       tirer  même    par   force    ceux    qui   s'y    étaient  réfugiés.    Le   nombre 

des  temples  l  A  •     J  O 

infini.  en  était  infini.  «  Si  l'on  considère  ,  dit  Caylus ,  que  Pausanias 
n'a  pas  parcouru  toutes  les  villes  de  la  Grèce  ,  et  si  aux  beaux 
restes  de  sculpture  dont  il  fait  mention  ,  on  ajoute  les  sept  cent 
treize  temples  qu'il  a  vus,  sans  compter  les  autels,  les  chapel- 
les, les  trésors  des  provinces,  les  portiques,  les  trophées,  les  tom- 
beaux ,  les  rotondes  et  tous  les  monumens  répandus  à  profusion  dans 
les  villes  et  les  bourgs,  on  aura  de  la  peine  à  croire  que  l'époque 
à  laquelle  il  fit  ses  voyages  ait  été  précédée  de  trois  siècles,  pen- 
dant lesquels  les  Romains  ne  firent  que  ravager  et  dépouiller  ce 
beau  pays  de  tout  ce  qu'il  avait  de  plus  précieux  (i)  „. 
Temple  Après  ces  observations  sur  l'origine,  la  forme  et  la  distribution 

'olympien,  des  temples  de  la  Grèce,  nous  allons  parler  de  la  restauration  du 
plus  fameux,  qui  était  celui  du  Jupiter  Olympien  :  chose  que  nous 
croyons  d'autant  plus  à  propos,  que  nous  avons  déjà  donné  la  des- 
cription de  la  statue  colossale  qu'on  admirait  dans  ce  temple.  Dans 
cette  vue  nous  commencerons  par  exposer  ici  celle  que  nous  en  a 
Ses  dimensions,  laissée  Pausanias  (a)."  Ce  temple,  dit-il,  est  d'ordre  Dorique;  il 
«  est  entouré  de  colonnes ,  et  bâti  en  pierres  du  pays.  Sa  hauteur 
"  jusqu'au  frontispice  est  de  63  pieds  ;  il  en  a  q5  de  largeur  ,  et 
«  a3o  de  longueur.  Libon  d'EIée  en  fut  l'architecte.  Il  n'est  point 
"  couvert  en  tuiles,  mais  en  pierres  du  mont  Penthélique  de  la 
«  même    forme.  On  dit  que  l'invention  de  cette  espèce  de   toit  est 

"  due  à  Bizé    de    Naxos A    chaque    extrémité   du    fronton 

«  est  un  grand  vase  en  bronze  doré  ayant  la  forme  d'un  pot ,  et 
«  au  milieu  du  frontispice  s'élève  une  Victoire  aussi  dorée.  Il  y 
"  a  au  dessous  de  cette  statue  un  bouclier  en  or  ,  sur  lequel  est  re- 
«  présentée  une  tète  de  Méduse.  Ce  bouclier  porte  une  inscription  , 

(1)  Caylus,  Rec.  d'antiq,  T.  IL  pag.   108. 

(2)  Paus.  Lib.  V,  Cap.  &, 


de    la    Grèce.  3<j  ï 

a  où  sont  indiqués  les  noms  de  ceux  qui  l'ont  donné  en  offrande  , 

«  et  le   motif  de  ce   don La  bande  qui  passe  sur  le  cou- 

«  tour  des  colonnes  soutient  vingt-un  autres  boucliers  dorés,  qui 
«  y  furent  suspendus  par  Muromius  Général  Romain  ,  après  qu'il 
«  eut  terminé  la  guerre  contre  les  Achéens ,  pris  Corinthe  et  chas- 
«  se  de  cette  ville  ceux  de  ses  habitans  qui  étaient  de  la  faction  Do- 
«  rienne.  Le  fronton  du  devant  présente  l'image  des  préparatifs  de 
«  la  lutte  entre  Pélops  et  Enomaùs  pour  la  course  des  chars.  Le  milieu 
«  du  lympan  est  surmonté  de  la  statue  de  Jupiter.  A  la  droite  de 
«  cette  statue  est  Enomaùs  le  casque  en  tête  ,  et  près  de  lui  Sté- 
«  rope  son  épouse,  une  des  filles  d'Atlas:  Myrtile  ,  cocher  d'E- 
té nomaùs,  est  assis  sur  le  devant  du  char  qui  a  quatre  chevaux  :  près 
«  de  lui  on  voit  deux  hommes  dont  on  ignore  les  noms,  mais  qui 
«  semblent  mis  là  par  Enomaùs,  pour  la  garde  des  chevaux  et  du 
«  char.  On  distingue  vers  l'extrémité  le  Cladée  ,  fleuve  qui  était  le 
«  plus  révéré  des  Eliens  après  l'Alcée.  Les  figures  à  la  gauche  de- 
«  Jupiter  sont  d'abord  Pélops  ,  Hyppodamie  et  le  cocher  de  Pé- 
"  lops,  ensuite  ses  chevaux,  et  deux  hommes  préposés  à  leur  gar- 
«  de.  Ici  le  frontispice  va  en  se  rétrécissant  ,  et  dans  cet  espace 
«  est  représenté  le  fleuve  Alcée.  A  Trezène ,  on  donnait  le  nom 
«  de  Sferos  au  cocher  de  Pélops  ,  mais  l'Essagète  d'Olympie  l'ap- 
»  pelle  Cilla.  Le  frontispice  que  nous  venons  de  décrire  est  l'ou- 
"  vrage  de  Péon  né  à  Menda  ville  de  la  Thrace.  Celui  de  la 
»  façade  de  derrière  a  été  fait  par  xAlcamène,  contemporain  de 
«  Phidias,  et  après  lui  le  plus  grand  statuaire  de  la  Grèce.  Cet 
«  artiste  y  avait  représenté  le  combat  des  Centaures  et  des  Lapitbes 
«  aux  noces  de  Pirithoùs.  Le  héros  est  au  milieu  du  tableau.  Près 
«  de  lui  sont,  d'un  côté  Eurytbion  ,  qui  lui  enleva  son  épouse,  avec 
«  Gênée  qui  se  bat  contre  le  ravisseur;  et  de  l'autre  Thésée  qui 
«  frappe  les  Centaures  à  coups  de  hache.  On  voit  un  de  ces  der- 
«  niers  enlevant  une  jeune  fille  ,  et  un  autre  qui  s'est  saisi  d'un 
«  beau  jeune  homme.  Je  crois  qu'Alcamène  est  l'auteur  de  cet  ou- 
«  vrage:  car  il  avait  appris  dans  les  œuvres  d'Homère,  que  Piri- 
«  thoùs  était  fils  de  Jupiter  ,  et  que  Thésée  était  is-u  de  Pélops 
"  au  quatrième  degré.  Plusieurs  des  travaux  d'Hercule  sont  également 
«  retracés  dans  le  temple  d'Olympie.  On  voit  dans  un  bas-relief 
«  qui  est  au  dessus  d'une  des  portes  la  chasse  du  sanglier  d'Arca- 
«  die  ,  ainsi  que  les  combats  d'Hercule  contre  Dïomède  Roi  de  Thra- 
»  ce  ,  et  contre  Gérion  dans  File  d'Erythée  ;  le  héros  y    est  aussi 


Fronton 
du  devant. 


Fronton 
de  derrière. 


Portes, 


Plan 
du  temple 


373  Religion 

«  représenté  remplaçant  Atlas  sous  le  poids  du  ciel,  et  nettoyant  le 
«  pays  des  Eléens  de  la  fange  dont  il  était  couvert.  Le  bas-relief 
«  qui  était  au  dessus  de  la  porte  de  l'oplsthodome  montrait  Hercule 
"  arrachant  à  une  Amazone  son  bouclier  ,  enlevant  la  biche  de 
«  Diane  ,  renversant  le  taureau  de  Gnosse  ,  tuant  à  coups  de  flè- 
«  ches  les  oiseaux  Stynphalides,  assommant  l'hydre  et  terrassant  le 
«  lion  de  Némée.  En  entrant  dans  le  temple  par  les  portes  de  bron- 
"  ze,  on  voit  à  droite,  et  vis-à-vis  une  colonne,  Tphitus  couronné 
"  par  son  épouse  Eucbirias,  comme  l'indiquent  les  vers  élégiaques 
Naos.  a  qu'on  lit  au  bas  de  ce  monument.  L'intérieur  du  naos  est  décoré 
<i  de  colonnes  et  de  portiques  qui  vont  jusqu'au  sommet  ,  et  sous 
«  lesquels  il  faut  passer  pour  arriver  à  la  statue  de  Jupiter.  Il  y 
«  a  aussi  un  escalier  en  limaçon  qui  conduit  jusqu'au  haut  du  tem- 
«  pie  »,.  Ainsi  cet  édifice  devait  être  de  l'espèce  de  ceux  que  VU 
truve  désigne  sous  le  nom  de  Périptère  Eustyle. 

La  fig.  n.°  1  de  la  planche  57  offre  la  plan  de  ce  temple. 
M.r  Quatremère  observe  qu'à  en  juger  d'après  la  description  qu'en 
a  faite  Pausanias ,  le  plan  ou  le  dessin  ,  à  quelques  petites  différences 
près,  était  le  même  que  celui  du  Parthénou  à  Athènes  (1).  L'inté- 

(1)  «  Les  colonnes  et  les  portiques  intérieurs  (dit  M.r  Quatremère  y 
Jupiter  etc.  pag  25o,  )  qui  décoraient  le  temple  d'Olympie  ,  sont  si  con- 
formes à  ce  que  présentait  l'intérieur  du  Parthénon  ,  où  Spon  et  Weler 
ont  encore  vu  ces  portiques  ,  et  où  Stuard  a  remarqué  la  place  des  co- 
lonnes ,  qu'on  peut  ,  sans  crainte  de  se  tromper  ,  rétablir  comme  nous 
l'avons  fait  le  plan  intérieur  sur  celui  de  Minerve  à  Athènes  ». 

La  distribution  et  les  proportions  du  temple  de  Jupiter  Olympien, 
étaient  à-peu-prés-  les  mêmes  que  celles  du  Parthénon  à  ce  que  nous  as- 
sure M.r  Quatremère  ,  et  pourtant  les  dessins  qu'il  nous  en  donne  ne 
s'accordent  nullement  avec  cette  opinion.  Libon  ,  qui  avait  été  l'architecte 
de  ce  temple  ,  était  antérieur  de  fort-peu  de  tems  à  Périr  lis ,  c'est-à-dire 
à  l'époque  de  la  belle  architecture  Grecque  ,  et  de  la  construction  du  Par- 
thénon par  Ictinus  et  Callicrate.  Les  Grecs  ,  comme  on  le  voit  par  les 
restes  de  ce  temple  et  autres  monumens  ,  ne  donnèrent  jamais  plus  du 
tiers  de  la  colonne  à  la  corniche  de  l'ordre  dorique  :  les  métopes  à 
l'endroit  des  triglyphes  étaient  carrées,  à  l'exception  de  celles  qui  étaient 
sur  les  angles  dans  les  parties  latérales  :  l'espace  qui  séparait  les  colonnes 
et  les  entre-colonnemens  fut  conservé  :  les  colonnes  des  angles  y  étaient 
plus  grosses  que  les  autres  ,  et  les  entre-colonnemens  plus  rapprochés  sur 
ces  mêmes  angles:  ce  qui  donnait  à  l'édifice  plus  de  solidité.  Voyons 
maintenant  combien  M.r  Quatremère  s'est  écarté  de  ce  système.  Il  donna 


D  TT,     LA      OrÈOE.  3^3 

rieur  du  temple  d'OIympie  était  par  conséquent  divisé  en  deux  parties, 
savoir;  l'opisthodome ,  qui  devait  avoir  environ  60  pieds  sur  40  (j)j 
et  le  naos  composé  de  deux  rangs  de  colonnes  à  double  étage  ,  qui 
formaient  tout  autour  deux  portiques ,  l'un  en  bas  et  l'autre  en  haut. 
Le  naos ,  selon  le  même  auteur,  avait  environ  ç5  pieds  de  long  dans 
l'intérieur,  et  il  y  en  avait  un  peu  plus  de  60  entre  ses  colonnes.  Sa 
largeur  d'un  mur  à  l'autre  était  à  peu  près  de  60  pieds,  et  l'espace 
compris  entre  les  colonnes  de  2.0  à  34  pieds  (2).  C'est  dans  cet  empla- 
cement crue  devait  se  trouver  le  trône  de  Jupiter.  Voici  maintenant      indication 

.  ,  ,  >  l  des  parties, 

l'indication  de  chacune  de  ses  parties;  n.°  1  ,  Colonnade  du  pteroma  , 
ou  des  ailes:  2,,  Portique  extérieur:  3,  Escalier  pour  monter  au 
sommet:  4*  Colonnade  intérieure  du  naos:  5,  Portique  intérieur 
du  naos  :  6,  Plan  du  trône:  7,  Enceinte  de  la  balustrade  du 
trône:  8,  Opisthodome:  9,  Pronaos:  10  Postïcum  ou  pronaos 
de  derrière.  Les  figures  sous  le  n.°  2,  de  la  même  planche  repré-  rue  du  temple 
sentent  lte  temple  vu  en  face^et  de  profil  avec  son  toit.  On  aperçoit  et  de  profil. 
au  sommet  l'ouverture  par  où  la  lumière  pénétrait  dans  l'intérieur  : 
car  il  n'est  pas  à  présumer  qu'un  édifice  aussi  vaste,  où  se  trou- 
vaient tant  de  monumens  précieux  ,  et  qui  était  le  plus  grand 
ouvrage  de  Phidias  ,  ne  fût  éclairé  que  par  des  lampes.  Qu'on  Cammm 
n'apporte  point  pour  preuve  du  contraire,  que  les  temples  car- 
rés des  Romains  ne  recevaient  de  jour  que  par  la  porte  ,  car  il 
s'en  fallait  de  beaucoup  qu'ils  fussent  aussi  longs  que  ceux  des 
Grecs  ,    et    l'ouverture  de    la    porte    suffisait    seule    pour    les    éclai- 

à  la  corniche  de  son  temple  les  deux  cinquièmes  de  la  colonne  ,  et  aux 
métopes  le  quart  et  d^mi  de  la  largeur  ;  et  pour  rendre  ces  dernières  éga- 
les entre  elles  ,  il  place  les  triglyphes  où  bon  lui  semble  :  ses  colonnes 
sont  toutes  égales  ,  et  le  même  espace  régne  entre  ses  entre-colonnemens  3 
excepté  que  celui  du  milieu  est  plus  large  ,  ce  qui  n'a  jamais  eu  lieu 
chez  les  Grecs  ,  et  n'est  soutenable  en  aucune  manière.  Le  désir  de  ne 
pas  nous  écarter  de  la  belle  architecture  Grecque  ,  et  en  même  tems  de 
nous  conformer ,  autant  qu'il  est  possible ,  à  la  description  et  aux  dessins 
de  M.r  Quatremére  ,  nous  a  fait  rectifier  dans  les  figures  que  nous  pré- 
sentons ,  ce  qui  nous  a  paru  contraire  au  bon  goût  de  cette  architecture. 

(i)  Pieds  de  Paris.  Le  pied  Grec  était  de  onze  pouces  et  quatre  li- 
gnes et  demies. 

(2)  Dans  cette  dimension  ,  qu'établit  M.r  Quatremére ,  on  a  supposé 
que  le  temple  d'OIympie  était  de  quatre  pieds  moins  grand  que  le  Par. 
îbénon. 


éclairé. 


3y4  Religion 

rer  ([).  Properce  compare  la  clarté  du  temple  d'Olympie  à  celle 
des  cienx  ,  Jovis  Elaei  Coelum  imitata  domus.  Or  ,  comment  aurait- 
on  pu  donner  tant  de  jour  à  cet  édifice,  s'il  ne  l'avait  reçu  que 
parla  porte?  Quelques  écrivains  ont  dit,  pour  résoudre  cette  diffi- 
culté ,  que  le  temple  d'Olympie  était  de  l'espèce  que  Vitruve  ap- 
pelle ipètre  ,  et  que  par  conséquent  il  devait  être  sans  toit  ;  d'où 
ils  ont  encore  inféré,  que  tels  étaient  tous  les  temples  qui  avaient 
deux  rangs  de  colonnes  dans  l'intérieur.  lis  ont  même  prétendu 
trouver  un  argument  en  faveur  de  leur  opinion  dans  ce  passade  de 
Vitruve  même,  où  il  est  dit,  qu^  la  partie  du  milieu  du  temple 
était  sans  toit  et  tout-à-fait  à  découvert,  médium,  sub  d'wo  et  sine 
teclo.  Mais  cette  hypothèse  donne  lieu  à  une  difficulté  encore  plus 
grande  que  la  première:  c'e^t  qu'ils  n'est  guères  vraisemblable  qu'un 
édifice  aussi  magnifique,  dont  l'intérieur  était  composé  de  matières 
précieuses,  et  orné  de  peintures  délicates,  fût  ainsi  exposé  aux 
Hypoièse       intempéries  de  l'atmosphère.  Cette  difficulté  n'est   point  échapée  en 

de  ùLuart.  l  L  '  ' 

effet  au  célèbre  Stuart ,  qui  pour  s'en  tenir  littéralement  aux  paro- 
les de  Vitruve,  et  remédier  en  même  tems  à  cet  inconvénient, 
a  imaginé  que  l'intérieur  de  ce  temple  ,  ainsi  que  celui  du  Par- 
thénon  ,  était  recouvert  d'un  voile  riche  ,  ou  d'un  pavillon  qui 
s'étendait  sur  l'ouverture:  cet  écrivain  croit  pouvoir  appuyer  son 
opinion  du  témoignage  de  certains  auteurs  ,  au  dire  desquels  le  sanc- 
tuaire du  temple  d'Athènes  aurait  été  recouvert  d'un  ample  et  ri- 
che peplos  ,  et  celui  d'Olympie  du  parapetasma  ,  qui  était  aussi 
une  espèce  de  tente  ou  de  pavillon.  Maïs  le  parapetasma  ainsi 
que  toutes  les  couvertures  de  ce  genre  étaient  tendus  verticale- 
ment, parce  qu'ils  avaient  pour  objet  de  cacher  eu  certaines  cir- 
constances l'aspect  des  idoles  et  du  sanctuaire  :  ce  qui  fait  dire  à 
Pausanias  que,  dans  le  ttmple  d'Olympie,  on  les  abaissait  jusques  sur 
le  pavé,  tandis  que  dans  celui  d'Ephèse  ils  étaient  levés  jusqu'au 
plafond  (a).  Il  résulte  au  contraire  de  ce  passage  de  Pausanias  que 

(i)  Les  temples  des  Romains  peuvent  passer  pour  de  grands  édifi- 
ces ,  à  ne  considérer  que  leur  masse  extérieure  ;  mais  ils  deviennent  bien 
petits  en  comparaison  de  ceux  des  Grecs  ,  lorsqu'on  en  juge  par  l'étendue 
de  leur  intérieur.  Le  temple  d'vlssise  a  le  péristile  le  plus  grand  après 
celui  du  Panthéon  ;  mais  l'intérieur  du  sanctuaire  n'a  que  40  pieds  de  lar- 
geur ,  et  pouvait  par  conséquent  être  suffisamment  éclairé  par  la  porte. 
Antolini   Temple  d'Assise. 

(2)  Paus.  Liv.  V.  Ghap.  XII. 


DE    la-     Grec  e.  375 

le  temple  d'Ephèse,  qui  était  ipètre  ,  avait  un  plafond  ,  et  Pline 
parle  en  effet  du  bois  dont  ce  plafond  était  fait  (1)  :  d'où  l'on 
doit  conclure  que  les  temples  désigués  par  Vitruve  sous  la  dénomi- 
nation d'ipètre ,  n'étaient  pas  tous  sans  toit  ou  entièrement  à  dé- 
couvert. Outre  ces  conjectures ,  qui  suffiraient  seules  pour  démontrer 
que  le  temple  d'OIympie  n'était  pas  sans  couverture  ,  on  a  des  ar- 
gumens  positifs  qui  prouvent  que  cet  édifice  avait  effectivement  un 
plafond  et  un  toit.  Strabon  ,  en  parlant  du  colosse  auquel  le  tem- 
ple était  dédié  ,  dit  que  le  Dieu  ,  quoiqu'assis  ,  paraissait  toucher  le 
plafond  avec  sa  tête;  et  il  ajoute  un  peu  plus  bas  que,  s'il  s'était 
levé  j  il  aurait  enfoncé  la  couverture.  Il  semblerait  donc  ,  d'après  ce 
passage  de  Strabon  ,  que  la  partie  du  temple  où  était  placée  l'idole 
avait  d'abord  un  toit  ,  puis  un  plafond  recourbé  ou  arqué  ,  parce 
qu'il  n'aurait  point  écrit  r»  *tpv$î  r?r  h°èy;-,  qui  veut  dire  jusqu'au 
sommet  du  plafond ,  si  ce  plafond  avait  été  tout-à- fait  plat.  Le  mot 
sommet  indique  de  sa  nature  le  point  le  plus  élevé  d'un  arc  ou  d'une 
courbe.  Pausanias  assure  même  que  le  temple  d'OIympie  avait  un 
toit  ou  couverture  en  marbres  penthéliques  taillés  en  forme  de  tui- 
les. Or  comment  concilier  le  témoignage  de  Strabon  et  de  Pausa- 
nias avec  ces  mots  de  Vitruve,  médium  sub  divo  et  sine  tecto?  On 
ne  le  peut  certainement  qu'en  supposant ,  qu'au  milieu  du  plafond, 
il  y  avait  une  grande  ouverture,  qui  correspondait  à  une  sembla- 
ble pratiquée  dans  le  toit.  Vitruve  ne  dit  pas  en  effet  tout  l'inté- 
rieur ,  mais  seulement  le  médium,  le  milieu',  ce  qui  donne  à  croire 
que  la  partie  du  milieu  était  seule  à  découvert.  Gette  supposition 
devient  d'autant  plus  probable,  que  les  temples  qui  avaient  deux 
rangs  de  portiques  dans  l'intérieur,  étaient  plus  propres  à  suppor- 
ter un  plafond  eu  bois,  qu'une  voûte  en  pierre,  surtout  si  l'on  ré- 
fléchit au  talent  particulier  qu'avaient  les  anciens  pour  les  ouvrages 
en  bois,  et  la  construction  de  plafonds  mobiles,  dont  les  pièces 
étaient  jointes  ensemble  avec  un  art  infini  ,  et  pouvaient  se  sépa- 
rer à  volonté.  Il  ne  serait  donc  pas  hors  de  vraisemblance  ,  qu'avec 
un  pareil  moyen  ,  les  Grecs  fussent  parvenus  à  pratiquer  au  sommet 
de  leurs  temples  les  plus  grands,  des  espèces  de  fenêtres  verticales, 
qui  pouvaient  s'ouvrir  et  se  fermer  selon  que  le  besoin  l'exigeait  (a). 


Plafond 

et    toit 

du    temple 

d'OIympie. 


Ouverture 

ou   fenêtre 

verticale 

dans  le  plafond 

et  dans  le  toit- 


(1)  Plin.  Liv.  LXVI.  Chap.  XL. 

(2)  Quatremère  ,  endr.  cit.  et  Mém.  de  l'Institut ,  Classe  d'hisb.  et  de 
Ubtêrab  anc.  T.  III.  De  la  manière  donb  ébaienb  éclairés  les  bemples, 
des  anciens. 


Temple 
de  Cérès 
à  Eleusis. 


Prcmaos 
de    devant 
du    temple 
& 01  fin  pie. 


376  R  E  L  I  C  I  0  îf 

Tout  ceci  est  confirmé  par  un  exemple  que  M.r  Quatremère  em- 
prunte d'un  édifice,  dont  ïa  construction  date  de  la  même  époque 
que  celle  du  temple  d'Olympie.  «  Je  parle,  dit-il,  du  temple  de 
«  Gérés  à  Eleusis,  commencé  par  Ictinus,  continué  par  Cérèbe  et 
«  Métagène  ,  et  dans  le  comble  duquel  Xénocle  pratiqua  les  fenê- 
«  très.  Le  premier  de  ces  artistes  ,  selon  Vitruve ,  avait  seulement 
«  fait  le  sanctuaire,  immani  magnitudine.  Le  second,  au  dire  de 
«■  Plutarque  y  avait  construit  le  premier  rang  de  colonnes  ,  et  le  troi- 

«  sième  le  second  rang Voilà   par    conséquent    un    temple, 

«  qui  étant  intérieurement  à  deux  rangs  de  colonnes  ,  et  ayant  , 
«  selon  l'opinion  commune,  un  des  principaux  caractères  que  Vi- 
«  truve  nomme  ipètre  ,  aurait  dû,  d'après  le  sentiment  des  eriti- 
«  ques  modernes,  être  à  découvert  et  sans  toit  dans  son  intérieur. 
"  Or  ce  temple  qui  ,  selon  la  première  opinion  ....  n'aurait  reçu 
«  la  lumière  que  par  la  porte,  et,  selon  la  seconde,  aurait  dû 
«  avoir  l'intérieur  de  son  naos  tout  à  découvert,  ce  temple,  dis-je,  ne 
«  satisfait  à  aucune  des  deux  hypotèses.  Plutarque  dit  positivement  que 
«  Xénocle  pratiqua  un  œil  ou  une  ouverture  au  comble  ....  fo- 
"  ramen  in  fastigio  aclyti  extruxit.  Le  verbe  xopvfioo  indique  ici  3 
«  non  seulement  le  lieu  élevé  qu'occupait  Vopolon  (  le  trou  ou  Fou- 
«  verture),  mais  encore  il  en  rend  sensible  la  construction.  Le 
«  mot  xopvqHi  signifie  sommité  :  ainsi  donc  fastigiare  foramen  si- 
«  gnifie  pratiquer  une  ouverture  à  la  sommité  ou  au  comble.  Ce 
«  seul  exemple  est  d'une  autorité  suffisante  pour  nous  faire  croire, 
«  que  les  anciens  savaient  pratiquer  des  fenêtres  dans  les  combles, 
«  et  pour  en  supposer  l'existence  là  où  il  semble  qu'elles  étaient 
«  indispensables  „.  Nos  lecteurs  ne  seront  pas  fâchés  que  nous 
nous  soyons  un  peu  arrêtés  sur  une  recherche  qui  intéresse  une  des 
parties  les  plus  importantes  du  costume  Grec  ,  et  peut  répandre  un 
grand  jour  sur  la  construction  des  anciens  temples.  L'ouverture  dont 
nous  venons  de  parler  est  encore  indiquée  à  la  planche  5o  ,  qui 
représente  l'intérieur  du  temple.  On  y  voit  en  outre  les  colonnes 
à  double  rang  ,  le  plafond  cintré,  et  le  parapetasma  ou  tente  ,  qui 
dérobait  le  sanctuaire  à  la  vue   des  profanes. 

Le  n.°  1  de  la  planche  58  offre  le  plan  du  pronaos  de  devant 
du  temple  d'Olympie,  avec  la  restauration  de  son  frontispice  sur 
lequel  sont  représentés  les  préparatifs  pour  la  course  dont  parle 
Pausanias  dans  le  texte  que  nous  venons  de  rapporter.  Les  boucliers 
de  Mummius  sont  retracés    sur  l'architrave.    Quoique  Pausanias    ne 


de    la    Grèce.  3^ 

nous  ait  point  indiqué  dans  sa  description  le  nombre  des  colonnes, 
qui  décoraient  les  façades  et  les  côtés  de  ce  temple  ,  néanmoins , 
sur  l'observation  qu'il  fait  que  son  architecture  était  d'ordre  Dori- 
que, et  d'après  les  dimensions  exactes  qu'il  donne  de  sa  longueur,  de 
sa  largeur  et  de  sa  hauteur  s  on  peut  assurer  sans  crainte  de  se 
tromper,  qu'il  était  octostyle  3  c'est-à-dire  qu'il  avait  huit  colonues 
sur  chacun  de  ses  fronts.  On  voit  au  n.°  a  le  posticum  ou  pronaos  Postiau». 
de  derrière ,  dont  la  coupe  est  présentée  de  manière  à  laisser  voir  la 
partie  qui  est  au  dessous  du  péristîte.  Au  milieu  est  indiquée  la 
porte  de  Vopisthodome  ,  sur  laquelle  ,  comme  sur  celle  du  naos  , 
d'après  la  description  de  Pausanias,  étaient  représentés  les  travaux 
d'Hercule.  Le  combat  des  Centaures  et  des  Lapithes  était  retracé 
sur  le  frontispice  ,  et    l'ouvrage  de  Polyclète. 

Après  cette  dissertation  sur  la  structure  des  temples  de  la  Grè-        jiaeis 
ce  ,  il   nous  reste  à   parler  des  autels  ,  et   des    ustensiles    sacrés  ;  et     et  ZTJs!" 
comme  ces  objets   ne    présentent    que  fort-peu   de    différences    avec 
ceux  des  Romains,  nous  n'en  donnerons  ici  que  des  notions  très-suc- 
cinctes  (i).  Les  autels  variaient  dans    leur    forme  ,    car  on  en    voit 
dans  les  monumens  de  triangulaires,  d'ovales,  de  ronds  et  de  car- 
rés :  ces  deux  dernières  formes  surtout  sont  les  plus    communes    sur 
les  médailles  et  les  marbres  antiques.  Il  est  certain  néanmoins,  que     Leur  forme 
ces  autels ,  dont   l'extrémité    supérieure    arrivait    ordinairement    un    etdmeusi0n' 
peu  au  dessus  de  la  ceinture  de  celui  qui  y  fesait  le  sacrifice,  dif- 
féraient en  hauteur,  selon  le  rang  des  divinités  auxquelles  ils  étaient 
consacrés  (a).  Ceux  des  Divinités  célestes  étaient  extrêmement  éle- 
vés. Celui  de  Jupiter  Olympien  ,  au  dire  de  Pausanias ,  avait  vingt- 

(i)  Le  mot  Autel  chez  les  Romains  indiquait  un  lieu  un  peu  ex- 
haussé de  terre  ,  et  sur  lequel  on  immolait  aux  Dieux  supérieurs  :  motif 
pour  lequel  on  l'appelait  altare  ,  du  mot  hauteur  ,  altitudine.  On  appe- 
lait Arae  ,  les  autels  moins  élevés  ,  sur  lesquels  on  sacrifiait  générale- 
ment aux  Divinités  terrestres  Varron  (  cité  par  Servius  sur  l'Ecl.  V.  ) 
donne  superis  altaria ,  terrestribus  aras  ,  inferis  focos.  Mais  ces  mots  se 
trouvent  néanmoins  employés  souvent  dans  le  même  sens.  Les  Grecs  ap- 
pelaient les  autels  B&^ioi ,  sans  aucune  distinction. 

(2)  V.  Sauhrt ,  De  sacrif.  Gap.  XV.  La  hauteur  commune  des  au- 
tels était  de  deux  à  trois  pieds  Grecs.  Nicomaque  de  Gérase  dit ,  que  les 
autels  les  plus  anciens  ,  et  surtout  les  ioniques  ,  étaient  plus  hauts  que 
larges;  et  que  la  dimension  de  leur  base  n  était  pas  la  même  que  celle 
de  leur  corniche  ou  de  leur  sommité. 

Europe.  Fol.  I,  tu 


BjS  Religion 

deux  pieds  de  hauteur.  Ces  autels  devaient  par  conséquent  être  en- 
tourés de  gradins.  Ceux  des  Divinités  terrestres  étaient  moins  hauts: 
Vitruve  veut  même  que  ceux  de  Vesta  ,  de  la  Terre  et  de  Mer  la 
soient  très-bas.  Les  autels  consacrés  aux  Héros  s'élevaient  à  peine 
au  dessus  du  sol,  et  n'avaient,  selon  le  Scholiaste  d'Euripide,  qu'un 
seul  gradin.  Les  Divinités  souterraines  ou  infernales  avaient  pour 
autels  certaines  fosses,  dans  lesquelles  on  fesait  couler  le  sang  des 
victimes.  Porphire  ajoute,  qu'à  l'Univers,  aux  Nymphes  et  autres 
Divinités  de  ce  genre,  on  sacrifiait  dans  des  antres,  qui  leur  te- 
naient lieu  de  temples  et  d'autels.  Selon  les  préceptes  de  Vitruve  , 
les  autels  devaient  être  tournés  vers  l'orient,  et  toujours  moins  hauts 
que  les  idoles.  Lorsque  le  moment  du  sacrifice  était  arrivé  ,  on 
ouvrait  la  porte  du  naos  ,  pour  que  le  peuple  pût  voir  l'autel  et 
la  victime  :  car  il  n'y  avait  que  les  prêtres  et  les  premiers  ma- 
Leur  madère.  gistrats  qui  pussent  entrer  dans  le  sanctuaire.  Dans  les  tems  recu- 
lés, les  autels  consistaient  en  un  monceau  de  terre,  ou  étaient 
faits  de  gazon,  simplicité  dont  les  poètes  font  souvent  l'éloge.  Ces 
sortes  d'autels  s'élevaient  sous  des  arbres  consacrés  à  la  Divinité  à 
laquelle  ils  étaient  dédiés,  ou  bien  on  les  parait  du  feuillage  de 
ces  arbres.  A  la  terre  dont  ils  étaient  construits  on  substitua  des 
pierres,  des  briques,  des  marbres  et  enfin  les  métaux  les  plus 
précieux.  Il  y  avait  d'autres  autels  qui  étaient  faits  de  la  cendre 
des  holocaustes,  tel  que  celui  de  Jupiter  Olympien  dont  nous  avons 
parlé  plus  haut:  l'autel  d'Apollon  à  Délos  était  en  cornes,  et  ce 
Dieu  passait  pour  avoir  fait  cet  ouvrage  merveilleux  avec  les  cornes 
des  chèvres  sauvages  ,  que  Diane  sa  .sœur  avait  tuées  sur  le  mont 
Cynîhius.  Anciennement  les  autels  carrés  avaient  aussi  des  orne- 
mens  en  corne;  mais  bientôt  le  luxe  succédant  à  la  simplicité  3  on 
substitua  aux  cornes  véritables  des  figures  de  cornes  faites  de  mé- 
taux précieux.  Ces  ornemens  servaient  à  plusieurs  usages;  on  y 
attachait  les  victimes ,  et  l'on  y  suspendait  les  instrumens  sacrés , 
les  couronnes  votives  et  autres  objets  semblables  :  les  dévots  qui  avaient 
le  plus  de  ferveur  les  embrassaient  même  des  deux  mains,  lorsqu'il 
leur  était  permis  d'en  approcher   pour  faire  leurs  prières. 

Il  y  a  aussi  deux  espèces  d'autels  à  distinguer,  quant  à  leur  usage 
et  à  leur  objet,  Les  premiers  s'appelaient  'ûnvpoi ,  apuroi,  c'est-à- 
dire  sans  feu ,  et  on  n'y  fesait  jamais  de  sacrifices  avec  le  feu 
ou  effusion  de  sang.  Tel  était  celui  que  Cécrops  avait  élevé  dans 
FAttique  à  Jupiter  P  et  sur  lequel  on  ne  fesait    que   des   offrandes 


Cornes 
des  autels. 


Deux  espèces 
délite/s, 


de    la    Grèce.  379 

de  gâteaux  ,  ce  législateur  ayant  défendu  ,  au  rapport  de  Pausanias, 
qu'on  y  sacrifiât  aucun  être  vivant;  et  tel  était  encore  un  autre 
autel  qu'on  voyait  à  Délos  près  de  celui  de  cornes  dont  nous  venons 
déparier,  et  qui,  selon  Laerce ,  reçut  l'offrande  de  Pithagore  ,  aux 
yeux  duquel  le  sacrifice  d'un  animal  quelconque  était  un  crimes 
Les  autels  de  la  seconde  espèce  s'appelaient  'fampet  5  c'est-à-dire 
ardens:  on  y  brûlait  les  victimes,  qui,  pour  cette  raison  portaient 
le  nom  de  èV^*, 

La  consécration  des  autels ,  ainsi  que  des  idoles  et  des  temples  àlTtmu? 
se  fesait  solennellement.  La  plus  ancienne  cérémonie  de  ce  genre  des  aulels  ete' 
consistait  en  une  offrande  d'une  marmite  pleine  de  légumes  bouillis. 
Une  femme  habillée  de  diverses  couleurs  portait  cette  marmite  sur 
sa  tète.  Cette  offrande  passait  pour  être  très-agréable  aux  Dieux  , 
parce  qu'elle  se  fesait  en  mémoire  de  ce  qu'ils  s'étaient  nourris  eux- 
mème  de  ces  alimens  sur  la  terre  (1).  Mais  il  s'introduisit  peu-à-peu 
dans  la  célébration  de  ces  cérémonies  de  nouveaux  usages,  qui  va- 
riaient selon  la  nature  des  Divinités.  En  parlant  de  la  consécration 
d'une  idole  de  Jupiter,  Athénée  raporte,  qu'on  s'y  servait  d'un  vase 
neuf  et  à  deux  anses,  à  l'une  desquelles  était  attachée  une  petite 
couronne  de  laine  blanche,  et  à  l'autre  un  ornement  semblable  en 
laine  jaune;  que  dans  la  suite  on  couvrit  ce  vase,  et  qu'enfin  on 
répandit  devant  l'idole  une  libation  appelée  ambroisie,  qui  était  un 
mélange  d'eau ,  de  miel  et  de  toutes  sortes  de  fruits.  Cependant  l'usage 
le  plus  général  dans  ces  consécrations,  était  de  les  accompagner  de 
prières  et  de  sacrifices,  d'orner  de  couronnes  les  statues  et  les  autels , 
de  les  oindre  d'huile,  d'y  apposer  le  nom  de  la  Divinité  à  laquelle 
ils  étaient  dédiés,  d'y  joindre  quelquefois  des  imprécations  terribles 
aux  Dieux  de  l'Averne  contre  ceux  qui  auraient  osé  les  profaner,  et 
enfin  de  les  célébrer  par  des  banquets  et  des  fêtes  magnifiques.  La 
consécration  des  arbres  se  fesait  d'une  manière  à-peu-près  sembla- 
ble :  ce  dont  nous  avons  un  exemple  remarquable  dans  la  XVIII.6 
Idylle  de  Théocrite  ,  où  les  vierges  de  Sparte  promettent  de  consa- 
crer un  arbre  en  l'honneur  d'Hélène  :  «  C'est  nous  qui  les  premières, 
«  pliant  en  couronnes  la  fleur  du  lotos,  irons  la  suspendre  sous  l'om- 
«  bre  du  platane:  c'est  nous  qui  les  premières,  portant  dans  un 
«  vase  d'argent ,  des  essences  parfumées ,  les  verserons  goutte  à  goût» 
«  te,  sous  l'ombre  du  platane:  et  sur  l'écorce ,  (  afin  que  les  voya- 

(1)  Aristopîi.  Scholiast.  Pluto  Act.  V..Scen.  III. 


38o 


Religion 


Autels 
portatifs. 


Autel. 


«  geurs  le  lisent  )  nous  écrirons  en  langue  Dorienne  :  Respectez-moi , 
«  je  suis  L'arbre  d'Hélène  „.  Les  Grecs  se  servaient  aussi  d'autels  por- 
tatifs, qui  étaient  pour  la  plupart  en  bois  ou  en  métal.  On  les  pla- 
çait sous  \e  pronaos,  lorsqu'il  s'agissait  de  faire  quelque  sacrifice  en 
présence  du  peuple,  ou  bien  on  les  transportait  partout  où  l'exi- 
geaient le  besoin  public  et  l'accomplissement  des  rites  de  la  reli- 
gion ;  et  comme  les  actes  les  plus  important  de  la  vie  civile  étaient 
presque  toujours  précédés  de  cérémonies  religieuses,  il  y  avait  sur 
les  vaisseaux,  ainsi  que  dans  les  maisons  particulières,  de  ces  autels, 
et  même  de  petits  temples  destinés  à  cet  usage.  Dans  une  des  pein- 
tures des  vases  de  Mil  lin  représentant  un  combat  des  Amazones  avec 
les  Grecs,  on  voit  près  de  l'image  de  Diane  un  petit  temple  d'une 
forme  semblable  à  celui  d'Ephèse,  et  avec  un  mancbe  de  figure 
presque  circulaire  au  dessus  du  toit  :  ce  qui  dénote  clairement 
qu'il  y  avait  là  un   temple  portatif  de  représenté. 

Deux  raisons  nous  ont  déterminé  à  ne  donner  à  la  planche  5o, 
les  dessins  que  de  six  sortes  d'autels  différens;  la  première,  c'est  qu'il 
n'y  a  aucune  différence  entre  ceux  des  Grecs  et  des  Romains  ;  et 
la  seconde ,  parce  que  nous  nous  proposons  d'en  rapporter  d'autres 
exemples  dans  les  articles  suivans.  Le  n.°  i  représente  un  autel 
carré,  copié  d'après  un  vase  en  terre  cuite  de  la  Bibliothèque  du 
Vatican,  et  rapporté  aussi  par  Winckelmann.  Ce  qu'il  y  a  déplus 
remarquable  dans  cet  autel  est  le  trou  pratiqué  dans  le  tympan, 
feTnL'uons  Par  °"  sortaient  les  liqueurs  employées  aux  libations.  «  Cette  par- 
ei  les  offrandes  a  ticularité,  dit  Winckelmann,  n'a  pas  encore  été  observée,  et 
«  ne  se  trouve  point  dans  le  petit  nombre  d'autels  à  l'usage  de  sa- 
<i  crifice  qui  sont  parvenus  jusqu'à  nous:  je  dis  petit  nombre,  parce. 
«  que  la  plupart  de  ceux  qu'on  regarde  comme  tels  ne  sont  que 
«  des  cippes  sépulcraux  :  ainsi  on  ne  me  fera  point  un  reproche 
a  d'avoir  proposé  un  monument,  qui  nous  apprend  comment  s'écou' 
«  laient  de  dessus  les  autels  les  libations  dont  on  les  arrosait  (i)  ». 

(i)  Winkeïm.  Monum.  ant.  n.°  181.  Cet  auteur  observe  que  «  Mont- 
faucon  ,  en  rapportant  deu*  autres  yases  en  terre  cuite ,  a  pris  les  rigoles 
des  autels  qui  y  sont  représentés  ,  dans  l'un  pour  une  flèche  ,  et  dans 
l'autre  pour  un  cordon  tendu  par  un  anneau  »  ;  et  il  ajoute  un  peu 
plus  bas  que,  «d'après  ce  que  dit  Nicomaque  de  Gèrase ,  savoir,  que 
les  autels  les  plus  antiques ,  et  surtout  les  ioniques  n'avaient  pas  au- 
tant de  largeur  que  de  hauteur  ,  ni  la  base  égale  à  la  corniche  ,  comme 
dans  l'autel  dont  il  s'agit ,  on  ne  peut  pas  croire    que  ce  vase  soit  d'une 


de    la    Grèce.  38 i 

Le  n.°  a  est  un  autel  ,  sur  lequel  on  voit  une  offrande  de  fruits.  Le 
n.°  3  est  un  autel  jamais-ensanglanté  de  l'espèce  de  ceux,  sur  lequels        AuteL 
on'  brûlait  les  victimes,  comme  l'annonce  la  flamme  qui  brûle  dessus: 
ces  deux  autels  sont  pris  des  Lampes  antiques  de  Passeri.  Le  n.°  4 
est  un  autel  rond    d'une    très-belle    forme;  il  a    été    rapporté    par     Autel  rond, 
M.r  Choiseuil-Gouffier,  qui  en  fit  la  découverte  à  l'île  de    Santorin 
dans  une  cbapelle  de  Saint  Etienne,  bâtie  parmi  les  ruines  de  Tera, 
ville  jadis  florissante,  et  qui  n'est  plus  aujourd'hui  qu'un    misérable 
village  (1).  Nous  le  représentons  ici  avec  les  dimensions,  que  cet  il- 
lustre voyageur  lui  donne  dans  son  ouvrage.  Le  n.°  5  est  un    autel 
sur  lequel  on  voit  la  victime  qui  est  déjà  immolée.  Cet  autel  appar-         Autel 
tient  au  Musée  du  Vatican  ,  et  a  aussi  été  rapporté  par  Roccheggiani. 
Le  n.°  6  enfin  est  un  autel  rond  et  décoré  de  belles  figures  en  bas- 
rilief.  Cet  autel  mérite  d'être  particulièrement  remarqué,  parce  qu'il  wee  fe uslfanaux 
laisse  voir  les    canaux  ,  où  l'on  posait    la   poêle    pour  la    consomma-    pJmr  la  ]}fle 

,  _  J  il  des  sacrifices, 

tion  des  sacrifices  ;  il  a  été  découvert  dans  les  fouilles  de  la  maison 
de  plaisance  Panfili ,  et  rapporté  par  Roccheggiani  comme  le  pré- 
cédent. Il  y  a  encore  ici  trois  choses  à  observer;  la  première s  c'est 
que  la  hauteur  des  autels  ronds  devait  être  de  deux  diamètres  et 
demi  environ  de  leur  grosseur  (2);  la  seconde,  que  ces  autels  étaient 
quelquefois  ornés  de  rubans  ou  de  bandelettes  de  laine  de  diverses 
couleurs;  la  troisième,  que  les  bases  des  candélabres  détachées  du 
fût,  ont  été  prises  souvent  pour  des  autels  triangulaires ,  non  seule- 
ment par  les  artistes  ,  mais  encore  par  des  antiquaires  même  :  ce 
à  quoi  doivent  faire  bien  attention  ceux  qui  étudient  le  costume 
Grec  ,  pour  ne   pas  tomber  dans  l'erreur. 

Nous  ne  dirons  également  que  peu  de  chose  des  instrumens  et     instrument 
des  ustensiles  sacrés,  parce  qu'on  les  trouvera  représentés  dans  les  plan- 
ches que  nous  publierons  successivement  sur  tout  ce  qui   concerne 

antiquité  aussi  reculée  ,  et  moins  encore  conclure  avec  Saumaise  ,  que  les 
autels  étaient  pour  l'ordinaire  de  forme  carrée  ou  cubique ,  puisque  l'évi- 
dence prouve  le  contraire. 

(.)  Voy:  en  Grèce,  T.  I.  pag.  37.  «Au  fond  de  la  chapelle,  dit 
l'auteur,  est  un  autel  orné  de  têtes  de  cerf  et  de  guirlandes ,  à  côté  d'une 
belle  statue  de  femme  ».  Il  n'y  a  rien  qui  y  annonce  le  Christianisme ,  ex- 
cepté une  petite  image  enfumée  de  la  Vierge,  que  les  Grecs  ont  placée 
dans  ce  lieu,  après  avoir  mutilé  cette  statue,  dans  la  vue  de  la  rendre 
plus  propre  à  porter  une  lampe. 

(2)  Winckelm.  Monum,  anb.  pag.  252. 


et   ustensiles 

sacrés. 


38a  Religion 

les  sacrifices  et  les  cérémonies  religieuses.  Nuis  ne  voulons  pas 
non  plus  imiter  ces  écrivains,  qui,  pleins  d'admiration  pour  tout 
ce  qui  a  un  caractère  d'antiquité,  ont  cru  apercevoir  des  ustensi- 
les sacrés  dans  tous  les  vases,  et  presque  dans  tous  les  monumens 
qu'ils  ont  eu  occasion  d'examiner.  Ajoutons  à  cela  qu'il  n'y  avait 
que  peu  ou  point  de  différence  entre  ceux  des    Grecs    et    des   Ro- 

Trépieds.  mains.  Nous  commencerons  par  les  trépieds  _,  dont  l'usage  était  très- 
commun  ,  et  la  forme  extrêmement  variée  „  et  nous  ne  parlerons 
que  de  ceux  qui  servaient  aux  fonctions  religieuses.  Le  plus  célè- 
bre de  tous  était  celui  qui  se  trouvait  dans  le  temple  de  Delphes, 
et  sur  lequel  la  prêtresse  d'Apollon,  appelée  Phébade  ou  Pythie,  se 

Trépied  plaçait  pour  rendre  ses  oracles  (i).  Hérodote  rapporte,  qu'avec  le 
ÏÊeiph™.  dixième  du  produit  des  dépouilles  enlevées  aux  Perses,,  les  Grecs 
firent  un  trépied  en  or,  qu'ils  consacrèrent  à  Apollon  de  Del- 
phes; et  il  ajoute  que,  de  son  tems ,  on  voyait  encore  ce  trépied,  qui 
reposait  sur  un  se  .peut  de  bronze  à  trois  têtes.  Il  résulte  de  ce 
passage  d'Hérodote,  que  ce  serpent  était  une  chose  tout-à-fait  dis- 
tincte du  trépied  ,  dont  il  n'était  même  que  le  support  ;  et  que 
par  conséquent  les  antiquaires  qui  ont  cru  que  ce  trépied  avait  la 
forme  d'un  serpent,  se  sont  trompés  d'une  manière  évidente.  Le  té- 
moignage d'Hérodote  s'accorde  à  cet  égard  avec  celui  de  Pansanias* 
qui  dit  que  le  trépied  d'or  consacré  par  les  Grecs  après  la  bataille 
de 'Platée,  était  supporté  par  un  dragon  eu  bronze  (2).  Zozime  rap- 
porte que  Constantin  le  Grand  plaça  dans  J'Hyppodrome  le  trépied 
de  Delphes,  qui  renfermait  en  lui  la  statue  d'Apollon.  Sozomène 
de  Salamine  ajoute,  que  ce  trépied  était  le  même  que  celui  que  les 
Grecs  avaient  consacré  à  Apollon,  après  la  victoire  qu'ils  rempor- 
tèrent sur  les  Perses.  Or  Eusèbe  dit  clairement  que  le  trépied  de 
Delphes,  placé  par  Constantin  dans  l'Hyppodrome ,  était  entouré 
d'un  serpent  qui  l'enveloppait  de  ses  replis  (3).    Il  faut  donc    con- 

(1)  Les  trépieds,  et  en  général  tous  les  ustensiles  à  trois  pieds  étaient 
particulièrement  consacrés  à  Apollon.  On  a  beaucoup  disputé  sur  l'origine 
de  cette  espèce  d'ustensiles.  Quelques-uns  la  font  dériver  du  préjugé  ,  d'après 
lequel  les  anciens  regardaient  comme  mystériux  et  sacré  le  nombre  trois. 
Sosibe  dit  que  le  trépied  fut  consacré  à  Apollon,  comme  le  symbole  des 
trois  cercles ,  dans  lesquels  les  anciens  supposaient  le  ciel  divisé  ,  ou  parce 
que  ce  Dieu  était  appelé  Soleil  dans  les  cieux  ,  Liber  ou  Bacchus  sur 
la  terre  ,  et  Apollon  aux  enfers    V.  Bulenger,  De  oraculis  et  vatibus. 

(2)  Pausan.  In  Phoc.   Lih.   X, 

(3)  Gyllius.   Constantinop.  Topographie,  Liv.  II.   Chap.  XlU. 


de    la    Grèce.  383 

dure  de  là  que  le  trépied  d'or,  sur  lequel  montait  la  Pythie  pour 
rendre  ses  oracles,  était  porté  sur  une  espèce  de  base  ou  de  co- 
lonne spirale ,  qui  se  terminait  par  trois  têtes  de  serpent.  Nous  en 
avons  donné  le  dessin  sous  le  n.  i  de  la  planche  60,  tel  que  Vhe- 
ler,  Banduri  et  Montfaucon  l'ont  représenté.  Les  replis  du  serpent 
en  forment  !a  base ,  qui  va  en  s'élargissant  par  le  bas.  Ses  trois 
têtes  se  séparent  en  haut  à  des  distances  égales,  et  présentent  une 
espèce  de  triangle  propre  à  servir  de  support  à  un  trépied.  Ces  Trépied 
ustensiles  étaient  de  différentes  formes  :  les  uns  avaient  beaucoup  formes'. 
de  solidité  dans  leur  base  et  leurs  côtés;  les  autres  ne  semblaient 
soutenus  que  sur  de  petites  verges  de  métal  ;  il  y  en  avait  qui 
étaient  chargés  d'ornemens  ;  quelques-uns  étaient  de  la  plus  grande 
simplicité;  on  en  voyait  enfin  qui  paraissent  avoir  servi  d'autels, 
comme  l'indique  la  flamme  qui  brûle  dessus;  et  tels  étaient  en  gé- 
néral à  ce  qu'il  semble  les  autels  portatifs  ,  sur  lesquels  se  fesaient 
ordinairement  les  sacrifices  en  plein  air.  Voy.  les  trépieds  sous  les 
n.os  2,  3  et  4  de  la  même  planche,  dont  le  bel  ouvrage  de  M.r  Tho- 
mas Hope  nous  a  fourni  les  modèles  (1).  Le  n.°  5  est  pris  des  mo- 
numens  antiques  de  Winckelmann.  Ce  trépied  semble  appartenir  au  Trépied  avec 
culte  d'Apollon:  car  les  sphinx  qu'on  voit  au  bout  des  supports,,  dessPhinx- 
et  sur  la  conque  qu'Homère  appelle  le  ventre  du  trépied  (2) ,  pour- 
raient bien  être  une  allusion  à  l'obscurité  des  oracles,  qui,  le  plus 
souvent,  n'étaient  pas  moins  énîgraatiques  que  ceux  du  sphinx. 
M.r  Motigez  est  d'avis  que  les  figures  de  femme  sculptées  sur  la 
base  offrent  un  sens  allégorique  aux  théories  de  Délos.  Les  n.os  6  et 
7  représentent  deux  trépieds  richement  décorés,  provenant  des  an- 
tiquités d'Herculanum  ,  auxquelles  appartient  aussi  le  u.°  8  dans 
lequel  est  à  remarquer  le  jeu  de  vis  et  de  charnières  placé  entre  Trépied 
les  pieds ,  et  au  moyen  duquel  le  trépied  peut  être  replié  sur  lui- 
même ,  et  transporté  ou  placé  là  où  l'on  veut. 

Parmi  les  ustensiles  sacrés  il  faut  compter  aussi  les  candélabres  Candélabres. 
ou  chandeliers,  à  l'égard  desquels  nous  observerons  d'abord  ,  qu'il  n'y 
avait  aucune  différence  entre  les  chandeliers  destinés  au  culte  reli- 
gieux ,  et  ceux  qui  servaient  à  l'usage  civil  ou  domestique.  Nous  n'avons 
aucun  exemple  de  candélabres  faits  comme  les  nôtres  pour  porter 
des  cierges.  On  en  conserve  plus  de  cent  dans  le  Musée  d'Hercuia- 

(1)  Costume  of  the  ancients.  London  ,  1 8 12.  Vol.  II.  Plates  2o3,  21 8.1 

(2)  Odvss.  VIII.  437. 


S&f  Religion 

nunij,  et  il  s'en  trouve  un  grand  nombre  d'autres  dans  les  diverses 
collections  d'antiquités  ;  mais  jusqu'à  présent  on  n'en  a  découvert 
aucun  ,  qui  eût  une  douille  ou  un  trou  à  son  extrémité  pour  y  met- 
Lew forme,  tre  le  cierge.  Ils  se  terminent  tous  en  une  espèce  de  vase  propre 
à  contenir  de  l'huile  ,  de  l'encens  ,  du  bitume  et  autres  matières 
combustibles  et  odorantes,  ou  en  une  surface  plate  et  large  faite 
pour  y  recevoir  une  lampe  ,  ou  même  les  poêles  destinées  à  re- 
cueillir ces  matières,  et  quelquefois  encore  les  libations.  Pausa- 
nias  raconte  que  ceux  qui  venaient  consulter  l'oracle  de  Mercure 
à  Patras,  ville  d'Achaïe,  commençaient  par  mettre  de  l'encens  sur 
l'autel  ,  et  versaient  ensuite  de  l'huile  dans  les  lampes  des  candé- 
labres ,  attendu  que  cet  oracle  ne  donnait  ses  réponses  que  de  nuit. 
On  voit  dans  les  monumens  plusieurs  exemples  de  candélabres,  sur 
lesquels  brûle  une  large  flamme  qui  en  embrasse  tout   le  bassin  ou 

Leur  matière,  le  sommet  (1).  Ces  candélabres  étaient  ordinairement  en  métal  et 
d'un  travavail  admirable,  ainsi  que  nous  l'apprend  Cicéron  dans  ses 
Oraisons  contre  Verres.  On  voit  à  la  planche  61  plusieurs  de  ces 
ustensiles.  Le  n.°  i  représente  un  beau  candélabre  en  marbre,  ap- 
partenant autrefois  au  palais  Barberini  ,  et  rapporté  aussi  par  Win- 
ckelmann.  Sur  l'un  des  côtés  de  sa  base  est  gravée  l'image  de  Ve- 
nus tenant  en  main  une  fleur,  emblème  des  jardins  qui  lui  étaient 
aussi  consacrés,  comme  on  le  voit  par  un  passage  de  Philostrates: 
Mars  et  Pallas  sont  représentés  sur  les  deux  autres  côtés.  Les  can- 
délabres,  sous  les  n.os  a  ,  3 ,  4  et  5  sont  pris  de  l'ouvrage  deHope, 
que  nous  avons  cité  plus  haut.  Le  n.°  2,  est  surmonté  d'une  lampe 
ou  poêle  mobile  avec  son  manche  pour  la  prendre  ,  et  un  couver- 
cle qu'on  voit  ici  levé.  Le  n.°  6,  où  sont  figurées  deux  Pallas ,  est 
pri9  d'un  vase  en  terre  cuite  de  style  Grec,  que  possédait  autrefois 
le  chevalier  Piranesi.  Ces  deux  derniers  candélables  sont  aussi  rap- 

des°ca7dë!abres  Vort^s  Par  Poccheggian i.  Winckelmann  observe  que  presque  tous 
les  candélabres  d'Herculanum  n'ont  qu'un  pied  ,  qui  se  divise  gé- 
néralement en  trois  griffes  de  lion.  Au  dessus  du  pied  est  un  dis- 
que partagé  en  plusieurs  bandes,  où  l'on  voit  sculptés  en  bas-relief  des 
ornemens  de  tout  genre.  Le  calice,  ou  l'extrémité  supérieure,  est 
ordinairement  décoré  de  fleurs  ,  de  feuillages ,  quelquefois  de  figu- 
res d'animaux  également  en  bas-relief.  Le  pied  du  plus  grand  can- 
délabre de  la  collection  d'Herculanum  a  un  palme  et  demi  Romain 

(1)  Winckelm.  Monum.  ant.  pag.  186. 


QfJtmif. 


de    la     Grège.  385 

de  diamètre,  et  sept  et  demi  de  hauteur.  «  L'inspection  de  ces  can- 
délabres, dit  Winchelmann,  nous  donne  la  clef  d'un  passage  de 
Vitruve  ,  où  cet  auteur  blâme  le  mauvais  goût  de  son  siècle  ,  en 
parlant  de  colonnes  extrêmement  minces  et  semblables  au  fût  d'un 
candélabre,  dont  l'usage  était  à  la  mode  (1).  Le  n.°  7  représente 
■un  des  candélabres  d'Herculanum  ,  qui  semble  être  un  ouvrage 
Grec,  et  probablement  des  fabriques  d'Egina  (2).  Il  a  environ  deux 
pieds  et  demi  de  France  de  hauteur:  nous  avons  cru  à  propos  d'en 
présenter  séparément  le  disque  sous  le  n.°  8,  et  le  calice  ou  la  par- 
tie supérieure  sous  le  n.°  9  ,  pour  qu'on  en  puisse  mieux  distinguer 
la  forme  et  les  ornemens. 

Parmi  les  ustensiles  sacrés  nous  compterons  en  troisième  lieu  Lampes 
les  lampes,  dont  un  grand  nombre  est  parvenu  jusqu'à  nous.  Les 
antiquaires  les  ont  divisées  en  trois  classes  sons  la  dénomination 
de  lampes  sacrées,  domestiques  et  sépulcrales;  mais,  comme  l'ob- 
serve Montfaucon  ,  il  serait  bien  difficile  d'assigner  à  chacune  d'elles 
une  classe  particulière:  il  parait  même  que  la  variété  de  leur 
forme  dépendait  totalement  du  caprice  des  artistes,  ou  du  goût  des 
personnes  qui  leur  donnaient  la  commisssion  de  les  faire.  Néan- 
moins, on  peut  regarder  comme  appartenant  à  la  classe  des  cho- 
ses sacrées  celles  qui  portent  la  marque  de  leur  destination  ,  ou 
l'empreinte. de  quelque  divinité.  La  plupart  de  ces  lampes  sont  de 
formes  bizarres  et  d'un  travail  soigné,  comme  on  le  voit  par  celles  Lewfom 
qui  nous  restent.  «  Dans  le  nombre  de  celles  en  terre  cuite  ,  dit 
Winckelmann  en  parlant  de  ceux  de  ces  ustensiles  trouvés  dans  les 
ruines  d'Herculanum,  il  en  est  une ,  et  c'est  la  plus  grande  de  tou- 
tes, qui  a  la  forme  d'un  navire  à  sept  becs  de  chaque  côté,  propres 
à  recevoir  un  nombre  égal  de  mèches.  Le  vase  dont  on  se  servait 
pour  verser  l'huile  dans  ces  lampes  de  terre  ressemble  à  une  petite 
nacelle  ronde  ,  dont  le  pont  est  fermé  :  son  bec  se  termine  en  pointe  , 

(1)  Winckelm.  Lettre  sur  les  Découvertes  d'Herculanum.  Dresde  , 
1764  >  pag.  55. 

(2)  On  a  découvert  près  d'Herculanum  une  maison  magnifique  ,  qui 
semble  avoir  appartenu  à  quelque  haut  personnage  ,  grand  amateur  des 
ouvrages  Grecs ,  parce  qu'elle  était  remplie  de  statues  et  autres  objets  faits 
par  des  artistes  de  cette  nation.  On  a  trouvé  aussi  dans  cette  maison  des 
candélabres  en  bronze  avec  le  pied  couronné  d'un  disque.  V.  Antiquités 
d'Herculanum  gra  v.  par  Th.  Piroli ,  avec  une  explication  par  S.  -  Ph. 
Chaude.  Paris,  1806.  Vol.  VI.  PL  43. 

Europe.  Fol.  ï.  4g 


386  Religion 

et  la  partie  opposée  est  une  espèce  de  plat  concave  avec  un  trou 
au  milieu,  par  lequel  on  fesait  couler  dans  la  petite  nacelle  l'huile 
Leur  matière,  dont  on  remplissait  la  lampe  (i)  „.  Les  lampes  étaient  ordinaire- 
ment en  terre  cuite  ou  en  bronze  (2).  «  La  lampe  de  bronze ,  dit 
Arthémidore ,  (  vue  en  songe  )  est  le  présage  des  biens  les  plus  so- 
lides et  des  plus  grands  maux;  la  lampe  en  terre  cuite  moins  „. 
An  bronze  on  joignait  quelquefois  du  plomb  pour  donner  plus  de 
poids  à  la  lampe  ,  comme  nous  l'apprend  le  Scholiaste  d'Aristo- 
phane dans  les  Nuées.  Pausanias  et  Anastase  font  mention  de  lam- 
pes en  or;  Athénée  et  Saint  Augustin  parlent  de  celles  d'argent. 
Passeri  en  rapporte  une  en  verre:  il  parait  néanmoins  que  les  lampes 
de  ce  genre  sont  particulières  au  moyen  âge;  elles  avaient  beau- 
coup de  rapport  avec  les  nôtres  (3).  11  y  en  avait  aussi    en    fer   et 

(i)  Winckelm.  ïbid.  Clément  d'Alexandrie  et  Eusèbe  attribuent  aux 
Egyptiens  l'invention  des  lampes.  Il  parait  néanmoins  que  l'usage  des 
lampes  proprement  dites  n'était  pas  connu  du  tems  de  la  guerre  de  Troie. 
On  lit  dans  le  XVIII.e  livre  de  l'Odyssée  que  la  nuit  étant  venue ,  les 
Procis  allumèrent  dans  le  palais  trois  lumières  pour  qu'elles  y  répandis- 
sent la  clarté  ;  qu'ils  disposèrent  autour  du  bois  sec  ,  dur  }  brisé  avec  le 
fer  ,  et  y  mirent  le  feu.  Télémaque  est  conduit  dans  sa  chambre  par 
Euriclée ,  qui  le  précède  avec  deux  flambeaux  allumés. 

(a)  Par  le  mot  Grec  lampe ,  que  les  latins  exprimaient  par  celui  de 
lur.erna  ,  on  entend  généralement  la  lumière  d'huile.  C'est  pourquoi ,  et 
en  même  tems  pour  plus  de  brièveté  ,  nous  avons  cru  à  propos  de  ne 
faire  aucune  distinction  entre  la  lucerna  simple ,  que  les  Grecs  appelaient 
Mzw ,  et  les  lampes  proprement  dites  ,  qui  se  posaient  sur  les  candéla- 
bres ,  ou  se  suspendaient  par  une  petite  chaîne.  Nous  observerons  seule- 
ment que  chez  les  Grecs  il  est  aussi  fait  mention  de  la  lanterne ,  qu'ils 
appelaient  xv^^z^ ,  parce  que  la  lampe  y  était  renfermée  ;  elle  était  le 
plus  souvent  en  corne  ,  et  faite  de  manière  à  empêcher  que  la  lumière 
ne  s'éteignît  à  l'air  libre.  Quant  aux  diverses  étymologies  de  ces  mots 
lampe  ,  lumière  et  autres  semblables,  il  faut  voir  le  VlII.e  tome  des  An~ 
tiquités  d'Herculanum  pag.  I.  Note  (i)  ,  et  page  263  Note    (i). 

(3)  Voy.  Codin  ,  Qrig.  Çonstantinop.  pag.  ioo ,  et  Jean  Filopono  Aris- 
tot.  Anal.  II.  Les  lampes  de  verre  s'appelaient  chandelles.  V.  Du-Cange 
Gloss.  gr.  laù.  dans  x#*Ji*#  t  candela  et  ignis  sacer.  Varron  fait  aussi  dériver 
du  mot  latin  candela  celui  de  Candelahrum  ;  mais  nous  n'avons  aucun  mo- 
nument ,  d'après  lequel  nous  puissions  nous  former  une  idée  exacte  de  l'u- 
sage des  chandelles  proprement  dites.  On  peut  conjectuter  néanmoins  que 
le  mot  candela  voulant  dire  chez  les  Grecs  et  les  Romains  un  feu  sa- 
cré s  on  appela  candélabres  les  ustensiles  sur  lesquels  ce  feu  était  placé. 


de    la    Grec  e.  887 

en  plomb:  Licefus  en  rapporte  trois  en  marbre  (r).  Mais  les  plus 
communes  sont  celles  en  bronze  et  en  terre  cuite.  L'usage  de  ces 
dernières  doit  avoir  précédé  celui  des  lampes  en  bronze  comme 
étant  d'un  travail  plus  facile  (a).  Cette  antériorité  des  ouvrages  en 
terre  cuite  à  ceux  de  bronze,  a  fait  soupçonner  aux  savans  d'Hercu- 
lanum  et  autres  auteurs,  d'après  l'autorité  d'Athénée  et  de  Casaubo- 
no ,  que  de  là  peut  être  dérivé  le  nom  de  xepâ^ia, ,  qui  a  été 
aussi  donné  aux  vases  d'or  et  d'argent;  de  la  même  manière  que 
celui  de  à?ua,jsa<rrpa  a  fourni  la  dénomination  des  vases  en  métal  des- 
tinés à  contenir  les  parfums. 

La  planche  6a  présente  les  dessins  de  plusieurs  lampes  prises 
du  Musée  d'HercuIanum.  Le  ti.°  1  est  une  lampe  en  terre  cuite 
à  une  seule  mèche  :  on  voit  tracées  dessus  trois  figures  assises  savoir  , 
Jupiter  au  milieu.  Minerve  à  droite,  et  Junon  à  gauche.  Ces  trois 
déités  se  trouvent  souvent  ensemble  dans  tes  anciens  monumens.  Au 
lieu  de  sceptre  Junon  tient  la  corne  d'abondance  ,  peut-être  comme 
la  Déesse  qui  préside  aux  royaumes  et  qui  donne  les  richesses  ; 
elle  est  encore  ainsi  représentée  sur  une  lampe  de  Bellori.  On  re- 
marque dans  cette  dernière,,  le  manche  qui  est  extrêmement  simple, 
et  ordinairement  très-varié  dans  les  lampes;  la  languette  où  est  le 
trou  d'où  sortait  la  mèche,  et  enfin,  dans  Je  cercle,  l'autre  trou 
par  où  Ton  mettait  l'huile  ,  et  qui  était  plus  ou  moins  éloigné  du 
centre ,  pour  éviter  la  confusion  dans  les  figures.  Les  n.os  a  et 
3  présentent  sous  deux  aspects  une  lampe  en  terre  cuite  à  douze 
mèches;  elle  a  pour  ornement  deux  feuilles  de  chêne  d'un  joli  tra- 
vail :  d'où  Ton  peut  conjecturer  qu'elle  servait  au  culte  de  Jupiter 
ou  de  Junon,  à  qui  le  chêne  était  consacré  comme  aux  divinités 
tutéiaires  des  villes.  On  voit  au  milieu  du  n.°  a  une  espèce  de  dou- 
ble barre  par  laquelle  on  suspendait  la  lampe.  Le  n.°  4  repré- 
sente une  lampe  de  bronze  ayant  la  forme  d'une  petite  barque  , 
avec  un  manche  élégant  qui  se  termine  en  tête  de  cigne  :  ornement 
qui  fait  présumer  qu'elle  appartenait  au  culte  de  Vénus.  On  trouve 
dans  les  Musées  beaucoup  de  ces  lampes,  avec  un  manche  repré- 
sentant le  cou  et  la  tête  d'animaux  consacrés  à  quelque  divinité, 
comme  l'était  le  cheval  à  Neptune  ,  le  dauphin  à  ce  même  dieu 
ainsi  qu'à  Apollon,  la  panthère  A  Bacchns,  le  lion  à  Hercule  et  à 


Lampes 
diverses 


Lampe* 
à  douze 
mèches. 


Lampe 
en  forme   de 
petite  barque» 


(1)  Lucern.  VI.  94.  pag.    n  36. 

(2)  plin.  Liv.  XXXV.  chap.  12.  et  Goguet  IL  5. 


388 


R  E  Ll  GIOST 


Mèche. 


lampe  hmcne.  Cybèle.  La  lampe  bUicne  ou  à  deux  mèches,  n.°  5  5  est  peut-être 
Tunique  au  monde,  et  la  plus  remarquable  de  tout  le  musée  d'Her- 
cuîanum  ,  à  cause  de  la  particularité  qu'elle  a,  outre  l'élégance 
de  sa  forme ,  d'avoir  conservé  sa  mèche.  Nous  observerons  cependant 
que  cette  mèche  ne  se  trouvait  point  dans  le  bec  ,  comme  on  la 
voit  dans  la  figure,  mais  dans  l'intérieur  de  la  lampe,  autour  de 
laquelle  s'était  formée  une  croûte  de  cendre  ou  de  terre,  qui  la 
couvrait  toute  entière.  Exempte  dans  cet  état  de  toute  humidité  et 
de  l'influence  de  l'air  extérieur,  cette  mèche  a  pu  se  conserver 
ainsi,  de  la  même  manière  que  les  bonnets  de  laine  qui  servaient 
de  doublure  à  certains  casques  trouvés  dans  les  fouilles  de  Pompeïa  , 
et  qui  étaient  parfaitement  intacts.  Elle  est  de  lin  à  la  vérité  pré- 
paré et  un  peu  tors,  mais  non  filé,  de  sorte  quen  la  doublant , 
elle  dent  à  former  une  corde  imparfaite  à  deux  brins  ,  selon  Fex- 
l  pression  des  académiciens  d'Herculanum  (i).  Les  n.os  6  et  7  repré- 
santent  deux    de    ces    espèces    de    supports    auxquels   on    suspendait 

Lampadaires,  les  lampes,  et  qu'on  appelait  vulgairement  lampadaires.  Nous  ne 
ferons  que  rapporter  la  description  qu'on  en  trouve  à  la  page  3o5 
du  VIÎI.e  vol.  de  ce  Musée.  «  Le  lampadaire  en  bronze  n.°  6  est 
«  d'une  forme  vraiment  curieuse  et  même  bizarre;  il  ressemble  en 

(1)  Voici  comment  s'exprime  l'Académie  d'Herculanum  sur  la  matière 
dont  la  mèche  était  composée.  Que  le  lin  fut;  la  matière  la  plus  générale  <■ 
Vient  usitée  pour  les  mèches  dès  la  plus  haute  antiquité  ,c  est  ce  dont  il 
n'est  guères  possible  de  douter ,  si  Von  admet  que  V usage  de  la  lampe  a 
pris  naissance  en  Egypte ,  et  que  cette  plante  est  originaire  de  ce  pays.,. 
D'un  autre  côté,  le  coton  qui,  au  rapport  de  Pline  ,  se  cultivait  ancien- 
nement sur  les  confins  de  V  Arabie  et  de  V Egypte  ,  n'est  connu  en  Eu- 
rope que  depuis  environ  quatre  siècles  ,  c  est-à-dire  depuis  l 'introduction 
que  les  Arabes  ont  faite  de  sa  culture  en  Espagne.  La  même  Académie 
ajoute  que  les  anciens  se  servaient  aussi  de  chanvre  pour  leurs  mèches , 
et  que  le  bout  de  mèche  qui  reste  encore  dans  un  des  lampes  de  son 
Musée  est  précisément  de  cette  matière.  Elle  pense  même  que  la  mèche 
des  lanternes  devant  se  tenir  droite  dans  un  lamperon  ,  il  fallait  qu'elle 
fut  d'une  substance  un  peu  rigide  comme  le  chanvre.  Mais  les  anciens 
ne  tirèrent  pas  seulement  de  ces  deux  végétaux  ,  le  lin  et  le  chanvre  , 
la  matière  de  leurs  mèches  ,  ils  firent  aussi  servir  à  cet  usage  }  selon 
le  témoignage  de  Dioscoride  (  liv.  V^I.  106  )  ,  et  de  Pline  (  liv.  J£J£P*. 
^3,  le  bouillon-blanc,  appelé  par  les  Grecs  ^xé^af }  par  les  latins  ver- 
bascum  ,  et  même  le  papyrus  comme  il  résulte  clairement  d'un  passage 
de  Végèce  Ç  J)e  re  yeterinaria  lib.  I.  5?  ). 


de    la    Grèce.  38g 

«  quelque  sorte  à  une  colonne  torse  cannelée ,  ou  plutôt  au  tronc 
"  d'un  arbre  noueux  ;  garni  de  branches  et  de  feuilles  _,  dont  le  piédes- 
«  tal  cylindrique  s'appuie  sur  une  plinthe  carrée,  quia  pour  support 
«  des  griffes  de  lion.  De  son  sommet  se  détachent  en  dehors  trois 
«  branches  d'une  forme  non  moins  bizarre ,  d'où  pendent  de  cha- 
«  que  côté  de  jolies  lampes  à  limaçon ,  dans  l'une  desquelles  l'escargot 
<i  sort  un  peu  de  sa  coquille ,  et  dans  l'autre  y  est  entièrement 
«  renfermé.  Le  piédestal  est  tout  aufour  orné  d'un  feston  et  de 
«  deux  têtes  d'e  bœuf;  et  tous  ces  ornernens  ,  aussi  bien  que  ceux 
<«  de  Viconographie  de  la  plinthe  sont  à  Tanna ,  ou  à  la  Damas- 
«  quine  en  argent.  Le  lampadaire  (  n.°  7  )  a  la  forme  d'une  co- 
«  lonne  appuyée  sur  une  plinthe  ou  plan  quadrilatère,  qui  est  égale- 
«  ment  supporté  par  des  griffes  de  lion  posées  sur  un  socle.  Sa  base, 
«  ses  cannelures  et  son  chapiteau  ont  pour  ornement  un  petit  masque, 
«  qui  se  trouve  entre  ses  deux  volutes.  Ou  voit  au  dessus  du  cha- 
«  piteau  quatre  jolis  crochets  ornés  d'arabesques  et  recourbés  en 
«  dehors,  pour  y  suspendre  autant  de  lampes  „.  Le  n.°  8  repré- 
sente une  petite  pincette  pour  moucher  ,  et  le  n.°  9  un  instrument 
crochu  qui  servait  aussi  de  mouchcttes ,  et  peut-être  encore  à  attiser 
le  feu  pour  le  faire  brûler  davantage.  On  trouve  beaucoup  de  ces 
sortes  d'instrumens  dans  le  musée  d'Herculanum,  et  quelquefois  ils 
tiennent  à  la  lampe  même  par  une  petite  chaîne.  Le  n.°  10  offre 
Je  dessin  d'une  lampe  pendante  prise  de  l'ouvrage  de  Hope.  Le 
n.°  11  représente  une  petite  lampe  portative  en  bronze,,  qui  a  aussi 
été  rapportée  par  Roccheggiani.  Nous  n'avons  fait  ici  qu'effleurer 
l'article  des  lampes ,  car  la  multitude  de  formes  différentes  qu'on 
en  trouve  dans  les  musées  ne  permet  pas  de  les  compter  toutes.  Il 
suffira  de  savoir  qu'il  n'y  a  peut-être  pas  d'animal,  de  végétal,  ni 
de  figure  extravagante  ,  que  les  anciens  n'aient  imité  dans  leur  fa^ 
brication.  On  peut  voir  à  cet  égard  les  œuvres  de  Montfaucon,  de 
Passerij  de  Eellori,  de  Ficoroni ,  de  Piranesi ,  et  surtout  le  hui- 
tième volume  du  musée  d'Herculanum. 

Il  ne  nous  reste  plus  maintenant  à  parler  que  des  ustensiles 
dont  on  fesait  usage  pour  les  sacrifices ,  les  libations  et  autres  cé- 
rémonies religieuses.  Malgré  la  description  qu'on  eu  trouve  à  l'ar- 
ticle des  sacrifices  et  des  rites,  dont  nous  rapporterons  bientôt  les 
raonuraens  ,  malgré  la  conformité  qui  existe  à  cet  égard  entre  les 
costumes  Grec  et  Romain  ,  nous  avons  cru  à  propos  de  rapporter 
les  principaux  à  la  planche  63  ,  pour  qu'on  en  pût  mieux  exami- 


Pincettes 
et  moucheltes. 


Lampe 
pendante, 

Lampe 
portative, 


Ustensiles 
sacres. 


390 


Religîok 


Vase  pour 
les  libations. 


Paièree. 


Cassolette 

do  parfums 


Encensoir. 


ner  les  différentes  sortes  ,  la  forme  et  toutes  les  parties.  Le  n.°  1 
qui  est  tiré  du  musée  Capitolin  et  cité  aussi  par  Iloccheggiani  , 
représente  un  vase  pour  les  libations  ,  avec  la  patère  dans  laquelle 
on  versait  du  vase  la  libation.  On  voit  un  grand  nombre  de  ces  pa- 
tères  dans  les  musées.  La  plupart  de  celles  qui  ont  été  trouvées  dans 
les  fouilles  d'Herculanum  semblent  être  d'un  métal  blanc  ,  et  sont 
façonnées  avec  beaucoup  d'art  tant  au  dedans  qu'au  dehors;  elles 
sont  de  forme  circulaire  et  presque  plates,  et  n'ont  qu'un  petit 
creux  pour  contenir  la  libation  ou  le  sang  des  victimes,  usage  au- 
quel elles  étaient  encore  destinées.  Leur  dimension  variait  aussi  selon 
l'emploi  qu'on  en  fesait.  On  voit  gravées  sur  les  unes  les  images  des 
divinités  auxquelles  elles  étaient  consacrées;  les  autres  représentent 
quelque  fait  mythologique  ,  et  toutes  sont  plus  ou  moins  chargées 
de  gravures.  Il  y  en  avait  aussi  avec  le  manche,  telle  que  celle  du 
n.°  a  ,  que  nous  avons  prise  de  l'ouvrage  de  Hope.  Le  n.°  3  re- 
présente une  cassolette  où  l'on  conservait  les  parfums  pour  les  sa- 
crifices ,  et  que  les  latins  appelaient  acerra;  elle  est  prise  d'un  bas- 
relief  du  musée  Capitol  in.  On  trouve  aussi  chez  les  Grecs  le  Thy- 
miaterion  ,  ou  encensoir  ,  qui  était  ordinairement  d'or  ou  d'argent ,  et 
dans  lequel  on  fesait  brûler  de  l'encens  ou  autres  aromates.  On  lit 
dans  Hérodote  qu'Evelton  en  avait  offert  un  de  la  plus  grande  beauté 
dans  le  temple  de  Delphes.  Denis  d'Halicarnasse  dit  que  cette  espèce 
d'ustensile  se  portait  dans  les  pompes  solennelles.  Cependant  il  ne 
nous  est  parvenu  aucun  monument  d'après  lequel  on  puisse  en  déter- 
miner précisément  la  forme.  Montfaucon  en  rapporte  un  qui  avait 
déjà  été  publié  par  M.T  De  la  Chosse;  mais  il  doute  lui-même  qu'il 
ait  appartenu  au  culte  des  Gentils.  Celui  qu'a  publié  Roccheggiani, 
et  que  nous  rapportons  ici  sons  le  n.  4  paraît  être  néanmoins  une 
espèce  d'era-ce^soir ,  si  on  ne  doit  pas  le  regarder  plutôt  comme  une 
simple  acerra  :  il  appartenait  au  musée  Gualtieri,  d'où  il  a  été  trans- 
porté à  Paris.  Le  n.°  5  est  un  vase  dont  on  se  servait  dans  les  mystères 
ou  rites  de  Bacchus,  et  est  pris  des  peintures  d'Herculanum.  Les  n.os  6 
Flambeaux.  et  7  représentent  deux  flambeaux  qui  sont  pris,  l'un  de  l'ouvrage 
de  Hope,  et  l'autre  du  musée  Capitolin.  Ces  flambeaux  étaient  ex- 
trêmement usités  dans  les  cérémonies  sacrées,  même  en  plein  jour: 
leur  forme  était  conique  ,  et  ils  étaient  composés  de  plusieurs  mor- 
ceaux de  bois  joints  dans  leur  longueur ,  et  quelquefois  serrés  par  des 
cercles  placés  à  une  distance  déterminée.  C^ux  qu'on  voit  sur  les 
monuraens  sont  souvent  du  double  de  la  hauteur  des   personnes  qui 


Wase  des- 

Bacchanales. 


de  la  Grège.  391 

les  portent,  ou  des  spectateurs.  Celui  du  n.°  7  est  fait  de  manière 
à  pouvoir  être  fiché  en  terre ,  e*  semble  par  conséquent  appartenir 
à  l'espèce  des  flambeaux  dont  on  fesait  usage  dans  les  fêtes  noc- 
turnes. Le  n.°  8.  présente  un    instrument  dont   se    servaient   les  an-     instrument 

.    .       t  i        1         •       •  t  <■-  1  Pour  immoler. 

ciens  pour  saisir  les  cornes  de  la  victime;  le  n.    g  est  la  massue  avec     les  victimes.. 
laquelle  on  l'assommait;  le  n.°  10  la  hache  ;  le  n.°  11  le  stylet  pour 
l'égorger;  le  n.°   12,  le  couteau  pour  la  découper;  et  enfin  le  n.°  i3 
un  étui  pour  renfermer  ces  deux  dernières  sortes  d'instruraens. 

Nous  ne  croyons  pas  devoir  finir  cet  article  sans  dire  un    mot     Bois  sacrés.. 
des  bois  et  des    champs  sacrés.  Il  est  souvent    parlé  dans  les   écrits 
des  anciens  de  bois  ou  de  bosquets,  au  milieu  desquels  se  trouvaient 
des  chapelles  ou  des  autels  consacrés    à    quelque    divinité:    le    nom 
«As-eï  ;  qui   veut  dire  bois,    fut    même  donné  à  tous  les   sanctuaires: 
Poetœ,  dit  Strabon  ,  propter  consitarum  arborum  juxta  templa  per- 
pétuant consuetudinem .-,  *k<rvi  xaÀovoi  ta  iepà  izâvxa^  omnia  loca  sacra, 
lucos  appellant ,  etiamsi  careant  arboribus  (  1  ).  On  prétend    que  ce    £««/  origine* 
fut  Cadmus  qui  apporta  de  l'orient  en  Grèce  l'usage  de    consacrer 
les  bois  aux  Dieux ,  usage  qui  fut  commun  à  presque  tous  les  peu- 
ples de  l'antiquité,  comme  l'atteste    aussi  la  Bible.    On    donne  plu- 
sieurs raisons  de  son  origine.  Les  uns  la  font  dériver  de  l'état    des 
premiers  hommes  qui    habitaient  les    forêts   et  les    lieux    solitaires  : 
car    la  plupart    des  institutions    sacrées  de    l'antiquité    avaient  leur 
source    dans  les  institutions  civiles  ,  dont  les  hommes  fesaient    l'ap- 
plication aux  Dieux  même.    Sicutl    hominibus  domos ,  dit  Pottero , 
ita   Diis  templa  :  sicut  hominibus  mensas,  ita  Dits  altaria  erigebant 
sacrificia  Deorum  dapes  habebantur  ,  et  quae  humano  victui  inservie- 
bant ,  in  Deorum  quoque  sacris   adhibitas  fuisse  legimus   (a).  D'au» 
très  aperçoivent    la    raison  de     cette  origine    dans    l'attrait  que   les 
bois  ont  naturellement,  surtout  dans  les  pays  chauds,  où  les  arbres 
offrent,  sous  l'épaisseur  d'un  feuillage  verdoyant,  une  ombre    d'au- 
tant plus    agréable,  que  les  bosquets  sacrés  n'étaient    plantés    pour 
ainsi  dire    que  d'arbres    touffus,    bien    rangés   et  d'un  bel    aspect, 
tel   qu'était,  au  dire    d'Hérodote,  le  bocage    dans    lequel  était    le 
fameux  temple  de  Diane.    D'ailleurs  le  silence  des  bois  était  pro- 
pre à  inspirer  aux  hommes  une    religieuse   terreur,  et   à    les   per- 
suader qu'ils  étaient  le  séjour  des  Dieux;  ce  qui  à  fait  dire  à  Pline 

(1)  Strab.   Geog.  liv.  IX. 

(2)  Potter.  Archael.  gr.  Uv.  II  chap.  II 


%a  Religion 

en  parlant  des  forêts  :  Haec  fuere  Numinum  templa ,  priscorum 
ritu  sïmpllcia  rura  etlam  nunc  Deo  praeecellentem  arborum  dicant. 
Nec  ma  gis  auro  fulgentia  atque  ebore  simulacra  ,  quam  lucos  et 
in  ils  ùlentia  ipso,  adoramus  (i).  Ces  bois  sacrés  continuèrent  en- 
core d'être  un  objet  de  vénération  ,  long-tems  après  que  la  simpli- 
cité d'un  culte  presque  champêtre  eut  fait  place  à  la  construction 
de  temples  somptueux  ,  et  à  toute  la  magnificence  dont  furent  ca- 
pables dans  la  suite,  des  villes  parvenues  au  plus  haut  degré  de 
splandeur  et  d'opulence.  Il  était  par  conséquent  défendu  de  cou- 
per aucun  arbre  dans  ces  bosquets  ,  et  tout  le  monde  connaît  la 
peine  à  laquelle  fut  condamné  Erisithion  ,  pour  avoir  tenté  de  cou- 
Asiu  dam  les  per  des  arbres  dans  une  forêt  consacrée  à  Cérès  (z).  Ces  retraites 

étais   sacres.  .  ^     '  ' 

ainsi  que  les  temples  et  les  autels  étaient  inviolables,  et  deve- 
naient un  asile  pour  les  coupables ,  quelque  fut  leur  crime  (3).  Mais 
cet  usage  ayant  donné  lieu  à  des  abus  dangereux  3  il  fut  convenu 
qu^on  y  laisserait  mourir  de  faim  les  criminels  qui  s'y  seraient  réfu- 
giés. A  cet  effet,  on  fermait  sur  eux  les  portes  du  temple,  pour 
que  personne  ne  pût  leur  y  porter  à  manger  ni  à  boire  :  quelque- 
fois on  entourait  les  autels  de  fagots ,  et  on  menaçait  ces  criminels 
d'y  mettre  le  feu  pour  les  obliger  de  s'en  retirer.  C'est  ainsi  qu'Her- 
mione  menaça  de  brûler  l'autel  de  Thétis  ,  près  duquel  Androma- 
que  s'était  réfugiée  (4)-  Outre  ces  bosquets  ,  il  y  avait  encore  des 
champs  sacrés,  champs  consacrés  aux  Dieux,  comme  on  le  voit  dans  Homère,  dans 
Pausanias  et  autres  écrivains.  C'était  daus  ces  champs  que  se  pre- 
naient les  fruits  destinés  eu  offrandes  dans  les  cérémonies  religieu- 
ses (5).  Il  y  avait  aussi  des  terres,  entièrement  vouées  à  quelque 
divinité,  et  qui  étaient,  pour  ainsi  dire,  condamnées  à  une  éternelle 
stérilité.  Tel  fut  le  territoire  de  Cirra  ,  qu'un  décret  des  Amphi- 
trions  frappa  de  proscription  ;  et  telles  furent  encore  les  campagnes 
situées  entre  Mégare  et  l'Attique,  qui  étaient  consacrées  à  la  Déesse 
d'Eleusis  (6). 

(i)  Plin.  Naù.  Hist.  liv.   XII  chap.  I. 

(2)  Callim.  Hymn.  in    Cererem. 

(3)  Plutarq.  in  Solone  ,  et  Pausan.  in  Atticis  ,  et  Achaicis. 

(4)  Eurip.   Androm.  ,  vers.  256. 

(5)  Plaio.  De  legibus  lib    VI 

(6)  Aeschin.  In   Ctesiph.  Thucyd.  liv.  I. 


de   la    Grèce,  .  3g3 

Prêtres  ,  rites  et  sacrifices. 

De  tous  les  peuples  de  l'antiquité  il  n'y  en  a  aucun,  chez  qui  Honneurs 
les  ministres  du  cuite  n'aient  été  comblés  de  biens  et  d'honneurs.  mPréuvt. 
Mais  ce  fut  particulièrement  en  Grèce  que  les  prêtres  furent 
honorés  comme  ayant  seuls  le  droit  ,  non  seulement  d'offrir  aux 
Dieux  les  prières  et  les  sacrifices  dans  toute  la  république  ,  mais 
encore  de  déterminer  la  forme  des  cérémonies  du  culte  et  l'espèce 
des  victimes  à  sacrifier;  d'instruire  le  peuple  dans  les  préceptes  de  la 
religion,  comme  l'observe  Platon;  d'expliquer  les  oracles,,  et  sou- 
vent de  décider,  par  leurs  conseils,  de  la  guerre  et  de  la  paix.  Les 
fonctions  du  sacerdoce  se  trouvaient  même  réunies  anciennement  à 
celles  de  la  royauté.  C'est  ce  qu'on  vit  à  Athènes  après  que  le  gou- 
vernement eut  chaugé  de  forme  :  le  titre  de  Roi  fut  conservé  à 
l'un  des  Archontes  ,  à  cause  de  la  juridiction  qu'il  exerçait  sur  les 
sacrifices  et  les  cérémonies  religieuses.  En  prenant  les  rênes  du  pouvoir 
suprême,  lerdeux  Rois  de  Lacédémone  étaient  revêtus  de  la  dignité  de 
pontifes  de  Jupiter  ,  comme  d'un  titre  qui  donnait  encore  plus  de 
poids  et  d'éclat  à  la  majesté  royale.  C'est  pour  cela  que  les  prêtres 
n'étaient  sujets  à  aucune  autorité  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions. 
Tiresias ,  dans  Sophocle,  déclare  hardiment  à  (Edipe  qu'il  ne  dépend  Leur  «ît£o/i'"- 
pas  de  lui ,  mais  seulement  d'Apollon  le  Dieu  qu'il  sert.  Hérodote 
raconte  que  Telin,  un  des  ancêtres  de  Gélon  Roi  de  Syracuse,  n'eut 
besoin,  pour  faire  rentrer  dans  Gela  les  citoyens  qui  en  étaient 
exilés,  que  de  se  présenter  au  peuple,  et  de  réveiller  en  lui  le 
respect  qu'il  lui  devait  comme  prêtre.  Ces  ministres  sacrés  s'avan- 
çaient quelquefois  sur  les  champs  de  bataille  la  tète  couronnée  de 
laurier,  avec  un  flambeau  à  la  main  droite,  et  par  leur  seule  pré- 
sence suspendaient  les  hostilités.  Dans  le  tumulte  des  factions  et 
des  rixes  populaires,  ils  avaient  le  droit  de  maudire  et  de  décla- 
rer infâmes  ceux  qui  avaient  troublé  l'ordre  public,  et  leur  malé- 
diction frappait  quelquefois  un  peuple  entier.  Philippe,  père  de 
Persée,  et  tous  les  Macédoniens  furent  maudits  par  les  prêtres 
d'Athènes  (1). 

(i)  Tit  Liv.  liv.  XXXI  chap.  44-  Voy.  le  Tome  XXXI.  de  l'His- 
toire de  L'Académie  Royale  des  Inscriptions  etc.  Sur  les  honneurs  ac- 
cordés aux  Prêtres ,  dans  les  religions  profanes. 

Europe.  Fol.  I.  tfo 


3g4  Religion 

ctVmuàïtude  ^  serait  bien . difficile  de  parler  de  tous  les  ordres  des  prêtres 

de  prêtres,  répandus  dans  la  Grèce,  car  ce  pays  doit  moins  se  considérer  com- 
me un  seul  et  même  état ,  que  comme  un  assemblage  de  plusieurs 
républiques,  de  mœurs  et  de  constitutions  tout-à-fait  différentes, 
et  unies  entre  elles  par  une  religion,  qui  était,  à  la  vérité ,  partout 
la  même  quant  au  fond,  mais  dont  la  variété  dans  les  formes  et 
les  rites ,  avait  une  grande  influence  envers  ses  ministres.  La  ma- 
nière dont  ils  étaient  élus,  leurs  fonctions,  leurs  prérogatives, 
leur  grade  ,  leurs  devoirs  présentaient  des  différences  marquan- 
tes selon  la  diversité  des  lieux.  Dans  une  ville  de  FAchaïe  le  sa- 
cerdoce de  Jupiter  se  conférait  à  ceux  qui  avaient  reçu  de  la 
nature  la  plus  belle  physionomie  et  les  plus  belles  formes:  ailleurs 
on  ne  l'accordait  qu'à  la  naissance.  A  Thèbes ,  le  pontife  d'Apollon 
Ismenius  devait  réunir  la  vigueur  et  la  force  à  la  naissance  et  à 
la  beauté.  Dans  certains  pays  la  chasteté  était  un  obstacle  au  sa- 
cerdoce ,  dans  d'autres  elle  était  indispensable.  Chez  les  Mésseniens , 
un  prêtre  qui  avait  perdu  un  fils  ne  pouvait  plus  continuer  l'exer- 
cice de  ses  fonctions.  A  Elatée,  c'était  un  enfant  qui  présidait  au 
culte  de  Minerve.  A  Egide,  la  Terre  avait  un  temple  dont  la  prê- 
tresse devait  être  veuve  ,  et  renoncer  au  mariage  pour  le  reste  de 
ses  jours.  A  Argos,  la  prêtresse  de  Junon  jouissait  d'une  grande  au- 
torité 3  et  donnait  son  nom  aux  années.  Mais  les  ministres  de  Gi- 
bèle  et  de  Bellone  n'étaient  honorés  que  d'une  populace  ignorant 
et  superstitieuse  (i).  Quelques-uns  de  ces  prêtres  étaient  constam- 
ment attachés  au  service  d'un  temple  ,  et  avaient  une  demeure 
fixe;  d'autres  étaient  errans  ,  comme  les  divinités  qu'ils  servaiente, 
et  traînaient  partout  avec  eux  les  misérables  objets  de  leur  culte 
et  de  leur  fanatisme:  enfin,  dit  l'illustre  Bougainville  ,  il  n'est 
pas  possible  de  faire  un  pas  dans  la  Grèce ,  sans  rencontrer  une 
foule  de  variétés  relativement  à  la  religion  et  à  ses  ministres  (a). 
Quoiqu'il  ne  soit  guères  possible  de  ramener  à  un  seul  point  tout 
ce  qui  concerne  le  sacerdoce  des  républiques  de  la  Grèce  ,  nous 
trouverons  néanmoins  à  nous  fixer  une  règle  générale  à  cet  égard  , 
si  9  comme  l'ont  fait  d'autres  écrivains,  nous  voulons  nous  en    tenir 


Prêtres 
$  Athènes. 


(i)  Pausan.  liv.  IV.  chap.  54.  liv.  VII.  chap.  24  ,  25  et  27.  liv.  IX. 
chap.   10.  liv.  X.  chap.  34    Thucydicl.  Hist.  liv.  II. 

(2)  Bougainville  ,  Mémoire  etc.  concernant  les  Ministres  des  Dieux 
à  Athènes.  Hist.  de  VAcad.  R.  des  Inscriptions  etc.  T.  XVIII.  pag.  60  etc. 


de    là    Grège.  3o,5 

à  la  seule  ville  d'Athènes ,  qui  devait  servir  en  cela  de  modèle  à 
toutes  les  antres  villes  de  la  Grèce.  Et  en  effet  «  Athènes,  dit 
lecrivain  que  nous  venons  de  citer,  était  le  centre  de  la  religion 
Grecque,  et  pour  ainsi  dire  le  temple  de  la  Grèce  entière.  11  n'y 
a  jamais  eu  de  peuple  plus  occupé  que  les  Athéniens  du  culte  de 
ses  Dieux:  l'encens  fumait  sans  cesse  sur  leurs  autels,  et  il  n'y 
avait  peut-être  pas  dans  toute  leur  année  un  seul  jour  qui  ne  fût 
sanctifié  par  quelque  fête.  Le  culte  de  leurs  principales  divinités 
s'étendait  dans  toute  la  Grèce  ,  et  souvent  même  au  delà  de  ses  li- 
mites. Athènes  enfin  renfermait  dans  l'enceinte  de  son  territoire 
le  sanctuaire  de  la  gentilité,,  le  fameux  temple  d'Eleusis  „.  Ainsi 
donc,  pour  nous  former  une  idée  suffisante  des  ministres  de  la  re- 
ligion des  Grecs,  nous  n'avons  qu'à  rechercher  ce  qu'était  le  sacer- 
doce chez  les  Athéniens. 

D'abord,  la  constitution  politique  d'Athènes  ne  s'opposait  point 
à  ce  que  les  prêtres  ne  fussent  en  même  tems  élevés  aux  plus  hautes 
dignités  delà  république.  Xénophon,  historien  et  philosophe,  était  à 
la  fois  prêtre  et  grand  capitaine.  Il  remplissait  une  fonction  de  son 
ministère  sacré,  lorsqu'il  reçut  la  nouvelle  de  la  mort  de  son  fils  à 
la  bataille  de  Mantinée.  Muratori  rapporte  une  inscription  qu'il  y 
avait  sur  une  colonne  de  marbre  à  Athènes,  où  il  était  parlé  d'un 
Archonte  qui  réunissait  à  sa  dignité  l'emploi  de  chef  des  Lampa- 
dophorcs  de  Gérés  Eleusine.  On  trouve  dans  Gruter  et  dans  le  tré- 
sor du  même  Muratori  plusieurs  exemples  de  cette  alliance  de 
la  magistrature  avec  le  sacerdoce.  Le  ministère  sacré  n'empêchait 
pas  que  le  prêtre  n'embrassât  aussi  la  profession  des  armes ,  et 
que  la  même  main  ne  pût  verser  le  sang  des  victimes  et  celui 
àes  ennemis  de  l'Etat.  Cal  lia  ministre  de  Cérès  fut  un  des  guer- 
riers qui  se  distinguèrent  le  plus  à  Platée.  Les  Lacédémoniens  firent 
élever  trois  tombeaux  pour  ceux  de  leurs  concitoyens  qui  étaient 
morts  dans  cette  journée;  le  premier  pour  les  prêtres,  le  second 
pour  les  autres  Spartiates,  et  le  troisième  pour  les  Ilotes:  ce  qui 
prouve  que  ce  n'était  pas  seulement  chez  les  Athéniens,  que  les  em- 
plois civils  et  militaires  pouvaient  s'allier  au  sacerdoce.  Il  parait 
néanmoins  que  cette  dernière  dignité  était  incompatible  avec  les 
professions  lucratives  et  mercenaires.  C'est  pourquoi  les  prêtres  avaient 
des  émoîumens  attachés  à  leurs  fonctions.  Outre  un  traitement 
proportionné  à  leur  grade,  ils  avaient  pour  eux  une  portion  des 
victimes,  et  le  logement  dans  l'enceinte  sacrée  où   était  le  temple. 


Alliance 
du  sacerdoce 

avec 
les  emplois 
politiques. 


Traitement 
des  p relies 


3ç6  Religion 

C'est  ce  dont    nous  avons   un    témoignage    non    équivoque    dans    ce 
passage  de    l'oraison    d'Eschine    contre    Ctésiphon.  A    Athènes  ,   dit 
cet  orateur ,  quiconque  exerce  une  fonction  publique  ,    quelque  petite 
quelle  soit ,  doit  rendre  compte  de  l'exercice  de  ses  fonctions  .... 
La  loi  veut  que  les  prêtres    et  le  prêtresses  ,  en  un  mot    tous    ceux 
qui  ne  reçoivent  qu'un  modique  traitement  ,  et  dont   l'emploi  est  de 
faire  des  vœux   au  ciel  pour  votre    salut. ,    soient  tenus    d'en    rendre 
compte.  Ce  traitement  se  composait ,  d'abord  du  produit  des  amen- 
des   auxquelles    étaient    condamnés    les    citoyens    et    même    les    ma- 
gistrats   pour    cause    de    prévarication    ou    d'irrégularité  en    affaires 
administratives ,    amende    dont    une    partie    appartenait    aux    Dieux 
ou    à  leurs  temples  (i);  secondement  des  terres  consacrées  aux  Di- 
vinités, dont    quelques-unes    donnaient    un    revenu  qui  était   affecté 
au  service  des  Dieux.  Telles  furent    les  terres  que  Xénophon    avait 
consacrées  à  la  Diane  d'Ephèse,  après  sa  glorieuse   retraite  des  dix 
mille;  elles  étaient  arrosées  par  un  ruisseau  qui   les  rendait  propres 
à  tous  les  genres  de  culture  ,  et  les  animaux  destinés  aux  sacrifices 
paissaient  dans  les  prés  qui    en  fesaient  partie.    Au  milieu   s'élevait 
un  temple  fait  sur   le  plan  de  celui  d'Ephèse,   lequel  était  entouré 
d'un  bocage  sacré  ,  et  de  jardins  plantés  d'arbres  fruitiers.    A   l'en- 
trée était  une  colonne  portant  cette  inscription  :  Terre  consacrée  à 
Diane.  Cette  terre  était  affermée,  et    le  fermier  en  payait  la  dixme 
à   la    Déesse:    le  surplus    du    prix    de   son    bail   était    employé    aux 
réparations  du  temple,  et  aux  frais  du   culte.   Nicias    avait    donné 
Dons         une  propriété  semblable  au  temple  d'Apollon  à  Délos.  Le  traitement 

volontaires  ,  ,  A  .  ,,  i        •  \      t  •      •       ,        * 

contributions    des  prêtres  &t  toutes  les  autres  dépenses   relatives    a  leur    ministère 
pou/ie  cuite,    se  payaient  encore  avec  les  offrandes  des  dévots,   les  dépouilles  des 
©fuserais j  les  contributions,  les    produits  des  traités  ou  des    conven- 
tions (a),  et    enfin    avec    les    délégations    que    la   république    don- 
nait sur  les  prémices  des   fruits    et    sur    l'état    pour    l'entretien    du 
Administration  culte.  On  voit  néanmoins  par  le  témoignage  d'Eschine  que  les  pré- 

des  revenus  .  ,  .      ,        .  ,  .        .  .  ■       -     .    .      _..  « 

pour  h  cuite,  très  n  étaient  point  dépositaires  ni  administrateurs  des  revenus  sa- 
crés; ils  n'étaient  chargés  que  d'offrir  les  prières,  les  hommages 
des  peuples  et  les  victimes  aux  Divinités    dont    ils  étaient    les    mî^ 

(i)  Démost.  in  Timoc.  Xénoph.  liv.  I.  Ellen. 

(2)  Thucydide  rapporte  que  les  Lépréaites  payaient  tous  les  ans  un 
talent  à  Jupiter  Olympien,  en  vertu  d'un  traité  d'aillance  fait  dans  une 
guerre  entre  eux  et  les  Eléens. 


ds    la    Grèce.  3g7 

.nistres.  Aristote,  en  parlant  des  personnes  attachées  au  service  des 
temples,    fait   mention    des    gardiens    de  l'argent    appartenant    aux 
Dieux  (i).  Il  parait    que  cette    administration  était    confiée  à     des 
gens  de  la    plus   grande   intégrité,    qui    devaient    pourvoir    en    mê- 
me teras    aux    dépenses    ordinaires   du    culte ,  et   à    l'entretien    des 
temples  et  des  prêtres  (a).  C'est  uu  point  de    discussion    parmi    les     Les  prêtres 
savans,  de  savoir  si  les  prêtres  formaient  en  Grèce  comme  à  Rome  pSuZTSîr* 
un  corps  à  part  dans    l'Etat,  et    un    tribunal    ayant    la  juridiction        "  P*r'' 
sur  tout  ce  qui  concernait  le  culte.    Nous  nous   contenterons,  pour 
l'éclaircissement  de  cette  question  ,  de  résumer  les  savantes  observa- 
tions qu'a  faites  JVI.r  De  Bougainvïtle  à  cet  égard  (3).    A    Athènes 
les  piètres  ne  composaient  point  un  ordre  séparé  9  ni  un  corps  réuni 
sous  les  mêmes  lois,  et  avec    un  chef   dont  l'autorité    s'étendît    sur 
tous  ses  membres.  La  dignité  de  souverain    ou   de  grand    pontife  y 
était  inconnue;  et    les  prêtres    fesaient    séparément    le    service    des 
temples,  sans  être  unis  entre  eux  par  aucun    lien.    Il  y  avait  bien 
dans  les  temples  des  Divinités  principales  un  grand  nombre  de  prê- 
tres et  de  ministres  subalternes,  en  raison  de  la  grandeur  de  celle 
qu'on   y  adorait  ou  de  l'importance  du  culte,  sous  la  direction  d'un 
chef  qui  avait   le  titre  de  \p%i£po<rvvi?ç   ou    grand  prêtre    (4);    mais 
les  prêtres  d'une  Déité  n'avaient    aucune    relation  avec   ceux  d'une 
autre  ,  et  aucun  d'eux  n'avait  d'autorité  sur  ses  collègues.  Enfin  ,  on 
ne  connaissait  point  à  Ahtènes  de  pontife  qui  eût  le   titre  de  chef 
ni  aucune  prééminence  dans  toutes  les  cérémonies  du    culte    indis- 
tinctement. Or  si  les  prêtres  ne    formaient    point    un  corps    visible     Ih -n'avaient 
et  distinct,  ils  ne  pouvaient  pas  former  non  plus  un  tribunal,  parce     juridiction. 
que  ne  connaissant  que   les  lois  et  les  usages    du  temple  auquel    ils 
appartenaient,  ils  ignoraient  entièrement  les  réglemens  particuliers 
au  service  des  autres  temples:  ce  qui  a  fait  dire  à  Sigonius ,  qu'une 
des  propriétés  du  sacerdoce  était  de  n'avoir  ni  puissance  ni  juridic- 
tion. Ainsi  les  prêtres  n'étaient  donc  pas  juges  à  Athènes    en    ma- 
tière de  religion  ;  ils  n'avaient  pas  le  droit  de  rechercher,  et  encore 
moins  de  punir  les  coupables  de  sacrilège,  d'impiétés,  de  profanations, 

(1)  Arist.  Politiq.  liv.  VI.  chap.  8. 

(2)  Voy.  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut  sur  Vopistodome. 

(3)  Histoire  de  VAcad.  M.  des  Inscriptions  etct  T,  XVIII.  pag.  7S 
et  suiv. 

(4)  Arist.  Politiq,  Ibid. 


3q&  Religion 

de  blasphèmes  et  autres  délits  contre  la  religion  (i).  Ils  ne  pouvaient 
môme  pas,  sans  un  ordre  du  peuple  ou  du  sénat,  lancer  leur  malé- 
diction ou  i'anathème  contre  les  impies  ;  et  ce  ne  fut  qu'en  vertu  d'un 
pareil  ordre,  qu'ils  anathématisèrent  Alcibiade.  Le  décret  qui  en- 
joignait d'abattre  les  statues  de  Philippe  père  dePersée,  et  de  re- 
garder comme  impurs  et  profanes  les  lieux  où  il  avait  été  élevé 
des  monumens  à  la  gloire  de  ce  Prince  ,  ordonnait  en  même  tems 
aux  prêtres  d'Athènes  de  le  maudire  ainsi  que  ses  enfans,  ses  trou- 
pes et  ses  Etats  3  dans  tous  les  vœux  qu'ils  feraient  pour  le  salut 
Tribunaux     de  cette  ville.  En  examinant  divers  passages  des    écrivains  les     plus 

pour  le  culte.  r  J.  O  r      - 

accrédités,  et  entre  autres  de  Platon,  de    Dérnosthène  ,    d'Eschine 

et  d'Athénée  ,  on   voit   qu'il  y    avait  quatre    tribunaux    par   devant 

lesquels  l'Archonte  Roi   portait  les   causes  en    matière    de    religion. 

Tribunal       Le  premier  était  le  tribunal    des    Héliasies  ,    composé  de    mille  et 

des  Héliastes.  L  _  * 

quelquefois  de  quinze  cents  membres  (2,).  C'est  devant  ce  tribunal 
que  fut  traduite  la  fameuse  Phryné,  qui  était  accusée  d'avoir  profané 
les  mystères  d'Eleusis  :  nous  savons  par  Athénée  qu'elle  dut  à  sa 
beauté  et  à  ses  larmes  d'échapper  à  la  peine  qu'elle  avait  en- 
courue. Les  juges  se  servaient  de  fèves  blanches  et  noires  pour  don- 
ner leur  avis.  Les  noires  avaient  un  trou  et  indiquaient  la  condam- 
nation ;  les  blanches  étaient  entières  et  portaient  le  signe  de  l'ab- 
solution. Ces  fèves  étaient  distribuées  dans  deux  urnes,  l'une  en  cuivre 
qui  contenait  les  blanches ,  et  l'autre  en  bois  où  étaient  les  noires. 
L'Archonte  qui  présidait  au  jugement  comptait  les  unes  et  le  autres, 
et  celle  des  deux  espèces  qui  en  renfermait  le  plus  ,  déterminait  la 
condamnation    ou    l'absolution    de    l'accusé  :    l'égalité    des    suffrages 

(1)  Xénopohon  ,  dans  son  Apologie  de  Socrate  ,  ne  dit  point  qu'il  y 
eût  des  prêtres  parmi  les  juges  de  ce  philosophe.  Les  Ministres  des  Dieux 
ne  paraissaient  que  rarement  dans  les  tribunaux,  et  seulement  comme  ac- 
cusateurs. C'est  en  cette  qualité  que  Gallias  prêtre  de  Gérés  ,  vêtu  de  ses 
habits  sacerdotaux  ,  se  présenta  dans  le  sénat ,  et  y  porta  son  accusation 
contre   Andocide. 

(2)  Le  tribunal  des  Héliastes  était  le  plus  nombreux  qu'il  y  eût  à 
Athènes  ,  et  se  couvoquait  par  les  Thesmothètes  \  il  était  chargé  de  l'in- 
terprétation des  lois  ,  et  de  la  répression  des  atteintes  qui  pouvaient  y  être 
portées  Le  mot  Héllaste  dérive  ,  selon  quelques-uns  du  grec  **.t%#  ,  qui 
veut  dire  j'unis  en  grand  nombre  ;  et  selon  d'autres  du  mot  iX'°Sj  qui  si- 
gnifie soleil ,  parce  que  les  Héliastes  s'assemblaient  dans  un  lieu  ouye-t 
et  en  plein  jour. 


de    La    Grèce.  3qq 

était  en  sa  faveur.  Lorsque  le  jugement  emportait  la  peine  capitale, 
on  remettait  le  coupable  au  tribunal  des    Onze  s ,  qui    était   chargé 
du  soin  de  son  exécution  (i).   Le  second  tribunal  pour    les  affaires      Tribunal 
de  religion    était    l'assemblée    du  peuple.    On    avait    recours    à    ce       " peup  °  ' 
moyen  dans  les  cas  extraordinaires  et  non  prévus  par  la  loi ,  comme 
il  arriva  à  l'occasion   de    la    condamnation    d'Alcibiade.    Le    sénat      du  sénat. 
formait  le  troisième  de  ces  tribunaux  pour  le  jugement  des  délits  qui 
blessaient  les  mystères  d'Eleusis.  Il  s'assemblait  à   Eleusis   même  le 
lendemain  de  la  grande  fête,    et  prenait    connaissance    de    tout    ce 
qui  y  était  arrivé  ;  il  écoutait  les   plaintes  des  prêtres  et  des  parti- 
culiers,  et  prononçait  son  jugement,  qui  était  sans  appel.  Enfin  les 
Eumolpides,  par  une  distinction  particulière  à  cette  famille,  plutôt  <fc,  Eumoipides 
que  par  une  prérogative  du  sacerdoce,  formaient    le  quatrième  tri- 
bunal, qui  exerçait  une  espèce  de  juridiction  sur  les  cérémonies  de 
la  fête  de  Cérès ,  dont  ils  étaient  les   ministres;    mais  leur  autorité 
ne  s'étendait  qu'à  de  légères  transgressions ,  et  à    de  petites    fautes 
qui  n'étaient  point  susceptibles  d'être  portées  au  tribunal  du  peuple 
ou  des  Héliastes  (a).  Il  est  donc  bien    certain    que    les    prêtres    ne 
formaient    point    corporation,  et  n'exerçaient  aucune  juridiction    à 
Athènes  ni  dans  aucune  autre  ville  de    la  Grèce  :  ils    y  jouissaient 
néanmoins  de  beaucoup  d'honneurs,  et   occupaient  le  poste  le  plus 
distingué  dans  les  spectacles  et  dans    les  festins.  Athénée    rapporte 
que    dans    un    banquet  solennel ,  un    philosophe  épicurien  ,    qui  se 
trouvait    par    hazard   revêtu    d'une    dignité   sacerdotale,  eut   la   pre- 
mière place,  de   préférence  à  un  stoïcien,  que  son  grand  âge  et  sa 
réputation  rendaient  également  recommandabie. 

(i)  Les  Onze,  et  %,f,M }  étaient  élus  par  le  peuple.  Chacune  des  dix 
tribus  fournissait  un  juge  à  ce  tribunal  ,  auquel  on  attachait  un  écrivain  ou 
secrétaire ,  y,w*r8is ,  ce  qui  formait  le  nombre  de  onze.  Ce  tribunal  était 
chargé  de  l'arrestation  des  coupables,  et  de  l'exécution  des  sentences  qui 
étaient  rendues  contre  eux. 

(2)  L'Aréopage  même  n'était  pas  un  tribunal  immédiat  et  absolu 
dans  les  affaires  de  culte.  Solon  lui  avait  bien  donné  aussi  quelques  pouvoirs 
sur  la  religion ,  mais  ces  pouvoirs  ne  le  rendaient  que  dépositaire  des  lois. 
Il  n'était  donc  chargé  que  de  veiller  à  ce  qu'il  ne  fût  point  introduit  dans 
l'état  un  nouveau  culte  ,  ni  aucune  cérémonie  qui  ne  dérivât  de  l'ancienne 
religion  ;  mais  son  autorité  ne  s'étendait  point  aux  transgressions  ,  ni  aux 
délits  contre  le  culte  dominant.  Socrate  ne  fut  jugé  par  ce  tribunal  que 
comme  un  novateur,  dont  les  maximes  tendaient  à  introduire  dans  l'état 
une  religion  contraire  au  polithéisme.  S.*  Paul  y  fut  traduit  pour  le  mê- 
me motif.  Voy.  les  mémoires  déjà  cités  de  M.r  de  BougainyiUe. 


4^0  Religion 

Election  Le  sacerdoce  chez    les  anciens  se  tirait  ordinairement  au  sort. 

(.l€S    pi  CCI  es»  5 

on  se  conférait  au  choix,  c'est-à-dire  aux  vœux  du  peuple  (i).  C'est 
ainsi  que  les  Troyens  nommèrent  Théano  prêtresse  de  Minerve 
Lhé^dîi^T  se!on  ,e  témoignage  d'Homère.  Mais  cette  dignité  était  le  plus 
à  Athènes,  souvent  héréditaire  che?  les  Grecs,  et  par  conséquent  inhérente  à 
certaines  familles.  Celles  qui  en  étaient  revêtues  à  Athènes  fessent 
remonter  leur  généalogie,  jusqu'au  tems  où  Thésée  avait  réuni  en 
une  seule  ville  tous  les  bourgs  de  PAttique  ,  c'est-à-dire  à  l'époque 
où  chaque  bourg  ayant  des  usages  et  des  magistrats  particuliers  , 
avait  aussi  un  culte  qui  lui  était  propre,  et  auquel  présidait  une 
famille  destinée  à  en  remplir  les  fonctions.  Ce  caractère  sacerdotal 
se  conserva  dans  ces  familles,  même  après  qu'Athènes  eut  été  cons- 
tituée en  république.  Il  y  en  avait  plusieurs  auxquelles  il  avait  été 
transmis  en  héritage  par  les  fondateurs  de  certaines  fêtes,  ou  par 
ceux  qui  les  avaient  introduites  en  Grèce.  Quelques-uns  le  tenaient 
de  leurs  ancêtre?,  auxquels  il  avait  été  conféré  par  les  anciens 
Rois,  qui  étaient  eu  même  tems  chefs  delà  religion  et  l'Etat.  C'é- 
tait en  mémoire  de  cette  prérogative  royale,  que  le  second  des  Ar- 
chontes avait,  ainsi  que  nous  l'avons  observé  plus  haut ,  le  titre  de  Roi, 
comme  chargé  de  la  surveillance  surtout  ce  qui  concernait  le  culte. 
Roi  et  Reine  Ce  magistrat  portait  une  couronne:  son  épouse  s'appelait  la  Reine 
des  sacrifices,  et  dans  les  grandes  cérémonies  elle  fesait  les  fonc- 
tions des  épouses  des  anciens  Monarques.  Plutarque,  dans  la  vie  de 
l'orateur  Licurgue  surtout  ,  rapporte  plusieurs  particularités  sur  les 
familles  sacerdotales.  Il  y  dit  entre  autres  choses,  que  ces  familles 
ne  s'alliaient  qu'entre  elles,  par  le  mariage  ;  d'où  il  arrivait  que  la 
même  personne  réunissait  quelquefois  en  elle  deux  sacerdoces.  C'est 
ce  qui  se  voyait  à  Athènes  dans  la  famille  des  Eumolpides,  qui 
étaient  prêtres  héréditaires  de  Cérès  Eleusine  comme  descendans 
d'Eumoipus;  et  dans  celle  des  Eutteobutades  ministres  de  Minerve 
et  de  Neptune,  qui  avaient  aussi  hérité  de  leurs  fonctions  comme 
neveux  de  Butés  ancien  Prince  du  sang  royal ,  et  le  premier  pon- 
tife qui  avait  dédié  un  temple  à  Acropolis  à  ces  deux  divinités. 
Formules  On  ne  pouvait  néanmoins  exercer  le  sacerdoce,  même  par  droit 

pour  *  1 

^admission      d'hérédité  ,  qu'après  avoir  rempli  certaines  formalités  prescrittes  par 

au  sacerdoce'  *■  l 

la   loi.  D'abord   il  fallait  que  le  candidat  fût  inscrit,  non  seulement 
dans  la  Curie  à  laquelle  il  appartenait,    mais  encore    dans  le   rôle 

(i)  Platon,  liv.  IV.  De  legibus,  Denys.  d'Halicar.  Antiquib.  liv.  II. 


de  la  Grège.  ^oi 

de  la  population  ,  ou  du  Bourg  où  il  fesait  sa  demeure  (  t).  Le  candidat 
après  avoir  satisfait  à  cette  formalité,  et  justifié  qu'il  appartenait 
à  une  famille  sacerdotale,  pouvait  aspirer  à  la  dignité  de  prêtre, 
pourvu  qu'il  n'eût  exercé  aucune  profession  mercenaire  ou  ignoble; 
qu'il  fût  robuste  3  bien  conformé,  exempt  de  défauts  et  sain  de 
tous  ses  membres;  qu'il  eût  l'exercice  de  toutes  ses  facultés  morales , 
et  fût  d'une  conduite  irréprochable.  La  seconde  formalité  était  la 
consécration  ,  qui  était  accompagnée  de  prières ,  de  vœux  et  de  sacri- 
fices. Les  prêtres  prononçaient  leurs  vœux  devant  Y  Archonte  Roi ,  et  Engagement 
les  prêtresses  devant  la  Reine  des  sacrifices,  comme  nous  l'apprend  dewélres- 
Démosthènes  in  Neaeram.  Parmi  les  engagemens  que  prenait  le 
prêtre  au  moment  de  sa  consécration  ,  le  principal  était  de  mener 
une  vie  chaste ,  sobre  et  tempérante.  Euripide  assure  qu'il  était 
prescrit  aux  ministres  du  Jupiter  de  Crète  de  s'abstenir  non  seule- 
ment de  viande,  mais  encore  de  tout  mets  bouilli  et  recherché. 
On  rapporte  même  que  les  prêtres  de  Cibèle  avaient  recours  à  la 
mutilation  ,  pour  que  leur  chasteté  fût  à  l'abri  de  tout  danger.  Les 
Jérofantes  d'Athènes,  avant  la  célébration  des  grandes  cérémonies , 
fesaient  usage  du  suc  de  ciguë  ou  autres  plantes,  pour  amortir  en 
eux  le  feu  de  la  concupiscence.  On  lit  dans  Eustase  (a)  que  les  prêtres 
se  couchaient  sur  l'herbe  appelée  vyv&ç,  ou  agno  casto ,  comme  étant 
contraire  à  la  génération.  II  n'y  avait  point  de  loi  cependant  qui 
les  obligeât  au  célibat  :  seulement  il  leur  était  défendu,  à  ce  qu'il 
parait,  de  contracter  un  second  mariage,  comme  on  le  voit  par  ce 
passage  de  Servius  dans  ses  commentaires  sur  le  IV. e  livre  de  l'Enéï- 
de  au  sujet  des  prêtresses,  quod  antiqui  repellebant  a  sacerdolio  bis 
nuptias. 

On  ne  peut  rien  dire  de  positif  sur  les  divers  ordres  de  prêtres,    /w,  •rdn. 
chaque  Dieu  en  ayant  plusieurs  selon  le  lieu    et  les    circonstances.      d° prifr"' 

(i)  Les  Athéniens  ,  comme  nous  l'avons  déjà  observé  \  étaient  divisés 
en  tribus:  chaque  tribu  était  composée  de  trois  curies ,  et  chaque  curie 
subdivisée  en  trente  familles.  Le  mot  famille  ne  doit  pas  se  prendre  ici 
dans  le  sens  rigoureux  de  personnes  unies  entre  elles  par  les  liens  du  sang. 
Il  signifie^  un  corps  politique  composé  de  diverses  familles  ,  qui  ,  par  leur 
incorporation  dans  une  même  curie,  avaient  contracté  entre  elles  une  es- 
pèce de  société  :  la  réunion  de  toutes  ces  familles  en  formait  une  générale 
sous  le  nom  de  Peuple  ou  de  Bourg.  Du  tems  de  Thésée  on  comptait  à 
Athènes  quatre  tribus ,  douze  curies  et  trois  cent-soixante  familles. 

(2)  Ad.  Iliacl.  VI.  pag.  768.  Edit.  Basil. 

Europe^  Vol.  I.  g 


402"  Religion 

Nous  ne  ferons  que  remarquer  ici  les  principaux.  Nous  avons  vu 
plus  haut  que  le  caractère  des  grands  prêtres  qui  avaient  la  préé- 
minence sur  les  ministres  inférieurs,  variait  à  Athènes  suivant  les 
Grands  prêtres,  différentes  Divinités.  Dion  Chrisostome  les  appelle  Archontes  des 
prêtres.  Il  y  en  avait,  deux  chez  les  Opuntes;  l'un  qui  présidait  aux 
ministres  des  Dieux  de  l'Olympe,  et  l'autre  à  ceux  de  Petifer  et  des 
Demi-Dieux  (i).  A  Delphes  on  en  comptait  cinq  ,  dont  l'un  présidait 
aux  oracles  et  s'appelait  A(p^top  ,  surnom  qui  fut  donné  par  Ho- 
mère à  Apollon,  et  qui  veut  dire,  celui  qui  rend  les  oracles.   4 près 

îféocores.  ]es  grands  prêtres  viennent  dans  les  écrits  des  anciens  les  Néocores , 
les  Parasites  et  les  Chéruces.  Les  INéocores  étaient  chargés  de  la 
garde  des  temples,  du  soin  de  les  tenir  propres,  d'empêcher  qu'ils 
ne  fussent  profanés,  et  de  pourvoir  à  l'achat  et  à  l'entretien  des  us- 
tensiles sacrés.  Cet  emploi  était  bas  et  vil  dans  son  origine  (a)  ;  mais 
peu  à  peu  il  devint  important,  surtout  depuis  que  la  somptuosité 
des  temples  exigea,  pour  le  remplir,  des  personnes  ri  hes  et  dis- 
tinguées, et  que  les  dépenses  du  culte,  des  fêtes  et  des  jeux  pu- 
blics intéressèrent  tout  un  peuple.  C'est  ce  qui  arriva  particuliè- 
rement à  l'époque  où  les  Grecs  asservis  à  la  domination  Romaine, 
élevèrent  aux  Empereurs  des  temples  et  des  autels ,  et  se  crurent 
honorés  d'en  être  nommés  Néocores.  Mais  alors  ces  Néocores  exer- 
çaient,  selon  Théodoret,  deux  antres  fonctions;  la  première  était 
d'asperger  avec  l'eau  lustrale  ceux  qui  entraient  dans  le  temple; 
la  seconde  de  faire  la  même  aspersion  sur  les  mets  qu'on  servait 
à  la  table  des  Empereurs,  et  d'être  comme  les  Aumôniers  de 
ces  Monarques.  Il  n'en  fut  pas  de  même  du  nom  de  Parasite , 
dont  la  noble  origine  fut  dégradée  par  l'application  qu'on  fit  de  ce 
nom  à  l'homme  d'une  condition  basse    et    méprisable.    Vue    loi    de 

parasites.  Solon  avait  mis  les  Parasites  au  rang  des  dignitaires  les  plus  dis- 
tingués, et  Athénée  parle  d'une  autre  loi  qui  fixait  leur  demeure 
dans  l'enceinte  sacrée.  Ou  appelait  donc  Parasites  chez  les  an- 
cieus  Grecs  les  ministres,  à  qui  appartenait    le  soin  de    choisir  et 

aéruces.      (je  garder  le  froment  destiné  à  l'usage  du  culte    (3).  Les   Chéruces 

(i)  Alex,  ah  Alex.   Génial.  Dier.  lib.  II  cap.  VII. 

(2)  Le  mot  JSéocore  indique  par  lui  même  que  cet  emploi  était  igno- 
ble dans  son  origine  II  dérive  de  m»f ,  qui  veut  dire  temple,  et  de  *«^7»  , 
qui  signifie  balayer. 

(3)  Telle  est  la  définition  qu'Athénée,  Esichius  et  Suidas  donnent 
au  Parasite.  Ce  jnot  est  composé  de  la  particule  *-«/« ,  dessus ,  et  «r#»  , 


de    la    Grège.  ^c3 

n'étaient  proprement  que  des  hérauts  ou  des  crieurs  publics  (i).  Il 
y  en  avait  à  Athènes  de  quatre  classes,  qui  se  vantaient  toutes 
de  descendre  de  Chémce  fils  de  Mercure,  et  de  Pandore  fille  de 
Cécrops;  la  première  était  celle  des  Hérauts  des  mystères;  la  se- 
conde, des  Hérauts  des  jeux  publics;  la  troisième  ,  des  Hérauts  des 
processions  religieuses  ;  et  la  quatrième  ,  des  Hérauts  ou  crieurs  pu- 
blics. A.  ces  quatre  classes ,  ainsi  désignées  par  Pollux  ,  on  peut  ajouter 
une  cinquième,  qu'Ulpien  nomme  les  Hérauts  de  la  guerre.  Ces 
Hérauts  accompagnaient  les  ambassadeurs,  et  les  remplaçaient  mê- 
me en  certains  cas  extraordinaires;  ils  portaient  pour  marque  dis- 
tinctive  le  caducée.  La  plus  noble  de  toutes  ces  classes  était  celle 
des  Hérauts  des  mystères;  et  en  effet  Athènes  avait  une  loi  qui 
prescrivait,  que  deux  hérauts  des  mystères  iraient  tous  les  ans  faire 
les  fonctions  de  Parasites  dans  le  temple  de  Délos.  Il  parait  ,  par 
un  passage  de  Ciidemne,  qu'on  lit  dans  Athénée ,  que  les  Chéruces 
des  mystères  fesaient  encore  l'office  de  ces  ministres  sacrés  appe- 
lés par  les  Romains  Poppi  et  Victimaires  ,  qui  étaient  chargés 
d'immoler  la  victime,  de  l'ouvrir,  de  la  découper  et  de  la  faire 
cuire.  Le  même  auteur  ajoute  qu'ils  remplissaient  encore  l'emploi 
à'échanson  dans  les  banquets  sacrés.  A  Athènes  les  Jérofantes  ,  con- 
jointement avec  les  grands  prêtres,  présidaient  aux  mystères  d'Eleu- 
sis ,  et  à  ceux  de  la  grande  mère  et  de  Bacchus.  Il  y  avait  encore 
les  Orgiofantes  qui  présidaient  aux  orgies  :  espèce  de  sacerdoce  au 
sujet  de  laquelle  il  faut  voir  Montfaucon.  Le  mariage  3  comme 
nous  l'avons  observé  plus  haut  ,  n'était  point  un  obstacle  au  sacer- 
doce. Il  parait  même  que  dans  les  tems  héroïques,  il  n'était  pas  non 


Jérofanies. 


Orgiofantes. 


froment,  comme  gardien  du  filment.  Potter  parle  d'un  passage  de  Dio- 
dore  de  Sinope  rapporté  par  Athénée  ,  duquel  il  résulte  que  certains 
Grecs  ,  qui  étaient  riches  et  puissans  ,  voulurent  avoir  aussi  leurs  Para- 
sites ,  à  l'imitation  d'Hercule,  qui  avait  de  ces  sortes  de  ministres  dans 
tous  les  lieux  de  l'Attique.  Ces  Parasites  n'avaient  rien  autre  à  faire  qu'à 
flatter  les  maîtres  au  dépens  desquels  ils  vivaient,  et  rendirent  par  là 
méprisable  un  nom,  qui  auparavant  était  sacré  et  singulièrement  respecté. 
Pott.  Arch.  gr.  lib.  II.  cap.  IV.  Hist.  de  l' Acad.  des  Inscrip.  T.  XXXI. 
pag.    fii. 

(i)  Quelques-uns  prétendent  que  les  Chéruces  tiraient  leur  nom  du 
verbe  «*pr7m,  qUi  veut  dire  promulguer ,  parce  qu'entre  autres  choses  ils 
étaient  chargés  d'annoncer  les  tems  de  la  célébration  des  fêtes.  Voy. 
Athénée ,  Celius  Rôdighino  ,  Potier  etc. 


4<>4  Religion 

Prêtresses.  p]ns  interdit  aux  prêtresses:  car  on  lit  dans  le  II.8  livre  de  l'Iliade, 
qu'à  Troie,  Theano  femme  d'Anthénor,  présidait  comme  prêtresse  au 
temple  de  Minerve.  Eustaze  est  néanmoins  d'avis  que  dans  la  suite, 
Jes  vierges  étaient  à  peu-près  les  seules  qui  fussent  initiées  aux  mys- 
tères sacrés.  Et  en  effet,,  chez  les  Thespiens,  les  prêtresses  d'Her- 
cule étaient,  au  dire  de  Pausanias ,  obligées  de  garder  la  chasteté  ; 
à  Trezène,  selon  le  même  écrivain,  la  prêtresse  de  Neptune  cessait 
son  ministère  lorsqu'elle  venait  à  se  marier.  Les  auteurs  Grecs  font 
Congrégation    encore  mention  de  jeunes    vierges    consacrées    à  quelcrue    Divinité  „ 

de  vierges.  J  c  il  7 

qui  formaient  une  espèce  de  congrégation.  Telles  étaient  celles  de 
Minerve  à  Athènes.  Elles  n'étaient  que  quatre:  on  les  recevait  de- 
puis l'âge  de  sept  ans  jusqu'à  onze:  deux  d'entre  elles,  prises  dans 
es  familles  les  plus  distinguées,  étaient  chargées  du  soin  honorable 
de  broder  le  voile  de  la  Déesse  (1).  Mais  de  toutes  les  prêtresses  de 
Pythie  la  Grèce  la  plus  célèbre  était   la  Pythie  de  Delphes.  Voici  ce  que 

dit  Diodore  de  Sicile  de  l'origine  de  cette  espèce  de  sacerdoce. 
Il  y  avait  à  Delphes  un  gouffre,  ou  une  grande  crevasse  à  la  sur- 
face de  la  terre.  Un  berger  s'étant  aperçu  que  ses  chèvres,  dès 
qu'elles  s'approcbaient  de  ce  gouffre,  se  mettaient  à  sauter  et  à 
bêler  d'une  manière  étrange ,  eut  la  curiosité  de  s'en  approcher 
lui-même  :  l'esprit  divin  dont  il  fut  tout-à-coup  saisi  lui  fit  pré- 
dire l'avenir.  Le  bruit  de  cet  événement  s'étant  répandu,  il  ac- 
courut beaucoup  de  personnes  sur  le  lieu,  et  autant  il  y  en  eut 
qui  regardèrent  dans  le  gouffre,  autant  furent  animées  de  l'es- 
prit prophétique.  Mais  quelques-unes  s'y  étant  laissé  tomber  dans 
les  transports  violens  dont  elles  étaient  agitées,  on  s'empressa  de 
prévenir  ces  accidens,  en  désignant  une  femme,  qui  seule  aurait 
îe  droit  de  rendre  les  oracles  comme  prêtresse  d'Apollon;  et  pour 
qu'elle  ne  courut  pas  le  risque  de  tomber  elle-même  dans  le  pré- 
cipice, on  inventa  une  machine  à  trois  pieds  sur  laquelle  elle  s'ap- 
puyait au  moment  où  l'esprit  prophétique  venait  s'emparer  d'elle. 
Cette  machine  est  le  fameux  trépied.  D'abord,  le  ministère  de  la 
Pythie  ne  fut  conféré  qu'à  de  jeunes  filles;  mais  une  d'elles  ayant 
été  violée  par  un  homme  qui  était  venu  consulter  l'oracle,  ou  prit 
le  parti  de  ne  L'accorder  dans  la  suite  qu'à  une  femme  qui  n'au- 
rait pas  moins  de  cinquante  ans. 
Habillement  Dans  les  tems  héroïques,   l'habillement  des  prêtres  ne  différait 

**  r  ues'     gHèreg  de  celui  des  Rois.    Mais  dès  que  leur  ministère  vint  à    être 

(i)  Chaussard,  Fêtes  et  Courlis,  de  la  Grèce  etc. 


de    la    Grèce.  4°^ 

considéré  comme  une  charge  distincte  de  toutes  les  autres,  ils 
eurent  un  costume  qui  leur  était  propre.  Tels  étaient  leur  long 
et  riche  manteau ,  ainsi  que  la  tunique  qui  leur  descendait  jus- 
qu'aux pieds.  L'orateur  Lysias  reproche  à  Andocide  d'avoir  imité 
et  révélé  les  mystères  étant  couvert  de  longs  vêtemens  ;  et  PIu- 
tarque  raconte  que  le  devin  Àristandre  ,  qui  précédait  à  cheval 
Alexandre  à  la  bataille  d'Arbelles,  portait  un  manteau  ample  et 
blanc,  et  avait  la  tête  ceinte  d'un  bandeau  doré.  Les  vêtemens  véiemem 
amples,  lonçs  et  de  couleur  blanche  formaient  donc  une  des  mar-   ,    amples, 

»  .      .  longs  et  blancs. 

ques  distinctives  clés  prêtres.  Ces  ministres  sacrés  les  laissaient  flotter 
librement  et  traîner  à  terre  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions.  Les 
prêtres  d'Athènes  portaient  dans  ces  circonstances  des  habits  somp- 
tueux et  magnifiques,  semblables,  au  rapport  d'Athénée,  à  ceux 
qu'Eschile  avait  inventés  pour  les  acteurs  de  la  tragédie.  Ceux  de 
Sparte  les  avaient  au  contraire  simples  et  sans  faste,  tels  qu'ils 
convenaient  aux  mœurs  de  ce  peuple.  Ils  avaient  eu  outre  les  cheveux  longs. 
cheveux  longs.  Arthémidore  dit  que  «  c'est  un  heureux  augure 
que  de  rêver  d'avoir  une  longue  et  belle  chevelure,  comme  la  por- 
tent les  Prêtres,  les  Rois,  les  Magistrats  et  les  Acteurs  „.  On  lit 
aussi  dans  Hérodote  que  les  prêtres,  de  quelque  nation  qu'ils  fus- 
sent, avaient  les  cheveux  longs,  à  l'exception  de  ceux  d'Egypte 
qui  se  rasaient  la  tête.  La  chevelure  longue  était  donc  le  second 
caractère  distinctif  des  prêtres.  Ils  se  ceignaient  le  front  d'un  ban-  Bandeau 
deau  de  la  même  forme,  que  le  diadème  royal,  mais  avec  cette  °u  "'*"' 
différence,  que  la  partie  de  devant  ne  [se  relevait  pas  en  pointe, 
c'est-à-dire  ne  devenait  pas  plus  haute  au  milieu  comme  dans  le 
diadème  proprement  dit.  Philostrates,  en  parlant  d'une  statue  de 
Milon,  dit:  «  Les  Crotoniates  honorèrent  cet  athlète,  en  lui  con^ 
férant  le  sacerdoce  de  Junon.  Il  ne  faut  par  conséquent  pas  s'étonner 
que  la  tête  de  cette  statue  soit  ceinte  d'une  bandelette  (  pitpw  ), 
puisque,  comme  je  viens  de  le  dire,  il  était  prêtre  (i)„.  Saumaise  , 
d'après  Esichius ,  détermine  ainsi  la  différence  qu'il  y  avait  entre 
le  bandeau  des  Rois  et  celui  des  prêtres.  «  Ils  portent  le  çrpocpiov  , 
dont  les  Latins  ont  fait  stroppus  et  Festns  struppus:  ce  dernier  au- 
teur ajoute  que  la  marque  distinctive  des  prêtres  était  le  bandeau 
roulé,  fascia  torlilis.  Ce  bandeau  était  généralement  blanc  et  de 
Jaine.  Dans  les    fonctions    solennelles  3    les  prêtres  portaient  en  ou-     Couronnes. 

(i)  Apollon.  Vita  ,  lib.  IV.  cap.  28. 


4c6  Religion 

fre  des  couronnes  ordinairement  faites  des  feuilles  de  l'arbre  con- 
sacré à  la  Déité  dont  ils  étaient  les  ministres.  Ainsi  ces  couronnes 
étaient  de  laurier  dans  les  sacrifices  d'Apollon  ,  et  de  peuplier 
dans  ceux  d'Hercule.  Ils  se  fesaient  aussi,  dans  les  cas  imposans  , 
une  espèce  de  voile  de  teur  manteau  dont  ils  tiraient  une  partie 
chaussure,  sur  leur  tête.  La  chaussure  des  prêtres  était  blanche  également. 
Eustaze  en  parle  en  plusieurs  endroit  de  son  histoire  tflsmène 
et  Isménie ,  sans  cependant  en  décrire  la  forme.  C'est  la  chaus- 
sure qu'il  donne  à  son  héros  comme  Chéruce.  Appien  rapporte  de 
même  que  le  triumvir  Antoine  passa  l'hiver  en  Egypte  saus  aucune 
marque  de  sa  dignité,  et  portant  une  chaussure  blanche  appelée 
phecaso ,  à  l'usage  des  prêtres  Grecs  et  Egyptiens  (ij.  Les  prêtres 
de  Sparte  étaient  les  seuls  qui  célébrassent  nu-pieds  les  cérémonies 
ciefs.  du  culte.  Il  est  en  outre  parlé  dans  les  anciens  écrivains  de  prêtre* 
qui  tenaient,  d'une  main  des  clefs,  comme  gardiens  du  sanctuaire  et 
interprèles  de  la  volonté  des  Dieux  :  c'est  ainsi  qu'Euripide  repré- 
sente Cassandre  comme  devineresse  et  prôtresse  d'Apollon  (a).  Obser- 
vons enfin    que  dans  les  tems  héroïques,  les  grands  prêtres  étaient 

(i)  M.r  Mongès  observe  judicieusement  que  les  prêtres  Egyptiens 
n'ayant  jamais  fait  usage  de  peaux  d'animaux  pour  leurs  vètemens  ,  on 
peut  conclure  de  ce  passage  d'Appien ,  que  la  chaussure  des  prêtres  Grecs 
n'était  pas  de  laine  ,  mais  de  lin  ou  de  coton.  Le  même  auteur  remarque 
encore  ,  qu'il  y  avait  une  grande  conformité  entre  les  figures  religieuses 
des  Grecs  et  celles  des  Etrusques  :  ce  qui  venait  de  ce  que  ceux-ci  tenaient 
des  Grecs  leur  origine  ,  ou  pour  le  moins  leur  civilisation. 

(2)  Il  est  aussi  fait  mention  dans  la  mythologie  de  Dieux  clavigères. 
Telle  était  Hécate  ,  qui  portait  la  clef  de  l'enfer.  Euripide ,  dans  son  Hyp- 
polite  ,  donne  l'épithète  de  clavigère  à  l'Amour  même  ,  comme  gardien 
du  lit  de  Vénus.  Winckelmann  rapporte  une  pierre  antique  sur  laquelle 
est  gravé  l'Amour,  tenant  de  la  main  gauche  une  massue,  et  portant 
de  la  droite  des  clefs  attachées  ensemble  avec  un  anneau.  Cet  antiquaire 
observe  néanmoins  que  ,  suivant  le  commentaire  du  Scholiaste  d'Euripide  , 
les  Ephésiens  ,  par  ce  mot  K/l^eç  ,  ou  clefs  ,  entendaient  aussi  les  couron- 
nes. Monum.  anb.  pag.  4<>- 

Il  arrive  assez  souvent  de  voir ,  dans  les  décorations  et  représentations 
théâtrales ,  les  prêtres  Grecs  avec  une  éùole ,  ou  espèce  de  bandelette  qui 
leur  tombe  du  cou  jusqu'aux  genoux,  comme  chez  les  prêtres  du  culte 
Catholique.  C'est  un  anachronisme  que  les  artistes  doivent  avoir  soin  d'évi- 
ter :  car  l'étole  des  Gecs  et  des  Romains  n'était  autre  chose  qu'une  tuni- 
que ,  ainsi  que  nous  le  verrons  à  l'article  des  vètemens  et  de  leurs  dif- 
férentes sortes. 


6 


de  Cibèle. 


de    la   Grèce.  4°7 

revêtus  d'une  autorité  presque  royale ,  et  portaient  aussi  le  scep-* 
tre  ou  la  lance  pure.  On  lit  dans  le  premier  livre  de  l'Iliade,  qu'en 
9e  présentant  aux  Grecs,  le  prêtre  Chrysés  avait  dans  ses  mains  la 
mitre  et  le  sceptre  d'Apollon. 

Nous  avons  présenté  à  la  planche  64  six  figures  de  prêtres  Figures 
seulement ,  nous  réservant  d'en  donner  d'autres  aux  articles  suivans. 
Le  n.°  1  représente  un  prêtre  d'ancien  style,  pris  de  la  col- 
lection de  Hope.  Le  n.°  2,  est  une  prêtresse  de  Cérès  ,  tirée  de  la  Prêtresse. 
même  collection;  elle  tient  d'une  main  le  flambeau,  et  de  l'autre 
un  petit  vase  à  peu  près  de  la  forme  d'un  outre  :  ce  qui  donne  à 
présumer  qu'elle  assiste  en  ce  moment  aux  mystères  de  la  Déesse» 
Le  même  auteur  montre  une  autre  prêtresse  de  Cérès,  tenant  d'une 
main  une  poignée  d'épis,  et  de  l'autre  soulevant  son  manteau.  La 
parure  de  sa  tête  est  remarquable  par  le  diadème  dont  elle  est 
ceinte  ,  et  cet  ornement  tient  souvent  la  place  du  simple  bandeau 
sur  la  tête  des  autres  prêtresses:  c'est  pour  cela  que  nous  avons  cru 
devoir  en  rapporter  la  partie  supérieure  sous  le  n.°  3.  La  demi  Prétresse 
figure  n.°  4  représente  Cibèle  ou  une  prêtresse  de  celte  Déesse  : 
car  les  ministres  sacrés  étaient  quelquefois  décorés  des  attributs  de 
leur  Divinité.  Cette  figure  est  prise  d'un  bas-relief  appartenant 
au  musée  Capitolin;  et  quoique  le  style  n'en  soit  pas  très-ancien 
ni  tout-à-fait  Grec,  nous  avons  cru  à  propos  de  la  placer  ici  ,  com- 
me pouvant  jeter  un  grand  jour  sur  les  attributs  de  cette  Déesse  } 
et  sur  les  auteurs  qui  eu  ont  écrit.  "  La  tète  de  notre  Cibèle  ,  dit 
«  Winckelmann  en  parlant  de  cette  figure,  est  ceinte  d'une  brau- 
"  che  d'olivier,  comme  les  prêtres  et  les  prêtresses  étaient  repré- 
«  sentes.  A  cette  couronne  on  voit  suspendus  trois  petits  boucliers 
«  ronds  en  forme  de  médaillons ,  avec  un  petit  buste  en  relief  sur 
«  chacun  d'eux  :  celui  qui  pend  sur  le  front  porte  l'image  d'une 
«  tête  ayqnt  la  barbe,  qui  semble  être  un  Jupiter:  les  deux  autres, 
«  qui  tombent  sur  les  tempes ,  présentent  en  gravure  un  petit  buste 
«*  d'Atis,  l'amant  de  Cibèle:  cette  Déesse  en  a    un  autre  petit  sur 

«  sa  poitrine Ce  dernier  parait  être  celui  que  portaient  les 

«  prêtres  de  Cibèle  ,  et  qui  s'appelait  le  pectoral  npoçryâifiov  ,  comme 
«  on  le  voit  dans  le  portrait  d'un  de  ces  prêtres.  Il  a  la  tête  re- 
«  couverte  d'un  pan  de  son  manteau,  qui  lui  forme  comme  un  voile, 
«  et  l'on  aperçoit  par  dessous  deux  files  de  perles  qui  pendent  der«- 
«  rière  les  oreilles,  ....  Son  cou  est  ceint  d'un  collier,  dont  les 
0  deux  bouts  se    terminent  en  têtes  de   serpens,  qui   tiennent  une 


zjjo8  Religion 

«  espèce  de  pierre  précieuse  :  ce  collier  est  de  la  grosseur  de  ceux 
«  qui,  selon  Lucien,  excédaient  celle  d'une  anguille.  Le  serpent 
«  d'or  que  les  enfans  des  Athéniens  portaient  autour  du  cou  aura 
«  été  semblable  à  ce  collier.  On  voit  dans  sa  main  droite  une  espèce 
«  de  manche  qui  réunit  trois  branches  d'olivier,  au  dessus  du- 
«  quelles  pendent  deux  espèces  de  sistre.  De  la  gauche  elle  tient 
«  une  coquille  cannelée,  dans  laquelle  est  une  pomme  de  pin,  l'un 
«  des  emblèmes  de  Cibèle,  par  allusion  au  pin  sous  lequel  Atis  se 
«  coupa  les  parties  génitales  :  autour  de  ce  fruit  sont  éparses  des 
«  amendes  s  que  cette  Déesse  fît  naître  du  sang  d'Atis.  Cette  co- 
«  quille  semble  être  le  cratère  mystique  ,  appelé  Képvoç,  tel  qu'était 
«  celui  que  la  même  Déesse,  connue  aussi  sous  le  nom  de  Rhée  , 
«  tenait  en  main  ,  et  d'où  elle  a  pris  celui  de  Kepvotp&poç  Oeâ.  De  son 
"  épaule  gauche  pend  sur  le  côté  un  fouet  avec  trois  cordons,  dans 
"  lesquels  sont  enfilés  des  astragales  de  chevreau  ,  semblable  au 
«  fouet  dont  se  frappaient  les  prêtres  de  Cibèle  selon  la  description 
Prêtre        «  qu'en  fait  Apulée  (i)»,.   Le  n.°   5  représente  un    prêtre   de   Bac- 

et  Faune.  chus  avec  un  raune,  ou  peut-être  un  initie  aux  mystères  ou  adora- 
teur de  ce  Dieu;  il  est  pris  d'un  vase  du  musée  Britannique,  et 
rapporté  aussi  par  Baxter:   le  Faune  est  nu;  mais  il  a  sur  le  visage 

Canéphore.  un  masque  armé  de  cornes.  La  Canephore  ou  porteuse  de  corbeilles 
dans  les  cérémonies  sacrées  n.°  6,  est  aussi  rapportée  par  Hope  ,  et 
l'on  en  voit  une  semblable  dans  la  galerie  de  Dresde. 

Aux  rites  sacrés,  mot  sous  lequel    nous  entendons  ici  les  céré- 
monies concernant  le  culte  des  Déités ,  appartiennent  les  lustrations  , 

Lnstration.     les  prières ,  les  vœux  et  les  libations.    La  lustralion    n'était    à  pro- 

(i)  Cette  figure  n'ayant  pas  sur  la  tête  les  tours  qu'on  voit  ordinai- 
rement dans  les  images  de  Cibèle  ,  il  est  à  présumer  que  c'est  plutôt  le 
portrait  d'une  grande  prêtresse  de  cette  Divinité.  Mongez  croit  aussi  voir 
en  elle  un  Archigal ,  car  les  prêtres  de  Cibèle  étant  presque  tous  eu- 
nuques ,  il  n'est  pas  aisé  de  prononcer  sur  le  sexe  de  cette  figure.  On 
ne  peut  pas  non  plus  la  regarder  comme  particulière  à  la  religion  des 
Romains  ,  parce  que  ce  peuple  avait  reçu  des  Grecs  le  culte  de  Cibèle. 
Et  en  effet  Denis  d'Halicarnasse  ,  qui  fut  antérieur  d'un  siècle  à  1ère 
vulgaire  ,  dit  que  jusqu'à  l'époque  où  il  vivait ,  le  sacerdoce  de  ce  culte 
bizarre  n'avait  été  exercé  que  par  des  étrangers.  On  voyait  aussi  quel- 
quefois représentés  avec  un  fouet  à  la  main  les  Dieux  ,  ou  Génies  appelés 
par  les  Grecs  A^ef /x****  ,  qui  chassent  les  maux  ,  et  par  les  Latins  Aver- 
runci  ,  mot  dont  l'origine  semble  être  Egyptienne. 


delà    Grèce.  z|oq 

prement  parler  qu'une  lotion  ,  à  laquelle  les  Grecs  et  tous  les 
peuples  de  l'antiquité  attribuaient  la  propriété  de  laver  les  souil- 
lures de  l'âme  et  du  corps.  On  la  fesait  particulièrement  avant  de 
s'approcher  du  sanctuaire,  ou  de  vaquer  à  la  célébration  des  céré- 
monies religieuses  ,  dans  l'opinion  qu'il  fallait  apporter  une  extrê- 
me pureté  à  l'accomplissement  de  toutes  les  fonctions  qui  tenaient 
à  la  sainteté  de  la  religion.  Ainsi  dans  le  IX.e  livre  de  l'Iliade  , 
Nestor  devant  faire  une  prière  aux  Dieux  pour  l'heureux  succès 
de  l'ambassade  envoyée  à  Achille,  ordonne  qu'on  lui  apporte  de 
l'eau  pour  se  laver  les  mains,  et  qu'on  fasse  silence  ;  et  dans  le 
XVI. e  Achille  se  lave  les  mains  avant  de  prier  pour  le  salut  de 
Patrocle.  La  même  pureté  devait  aussi  régner  dans  les  vêtemens  ; 
c'est  pourquoi  il  est  dit  dans  le  VI. e  livre  de  l'Odyssée,  que  Péné- 
lope priait  vêtue  d'une  robe  fraîchement  lavée.  On  se  servait  ordi- 
nairement d'eau  salée  pour  les  lustrations  ,  dans  la  persuasion  où 
étaient  les  anciens,  au  dire  de  Pror.lus,  qu'elle  renfermait  une  par- 
tie ignée  propre  à  purifier.  Ainsi  dans  le  II. e  livre  de  l'Odyssée  , 
Téléraaque  se  met  à  prier  Minerve  après  s'être  lavé  les  mains 
dans  l'eau  de  la  mer.  Les  lustrations  se  fesaient  quelquefois  aussi 
avec  du  soufre  et  du  feu  ,  comme  on  en  trouve  divers  exemples  dans 
Homère.  Achille  purifia  avec  du  soufre  le  cratère  dans  lequel  il 
devait  faire  la  lustration  ;  et  Ulysse  purifia  de  la  même  manière 
sa  maison  ,  ainsi  qu'il  est  dit  dans  le  XXII. e  livre  de  l'Odyssée. 
C'est  à  ces  différentes  lustrations  qu'Ovide  fait  allusion  dans  ce  vers  : 

Terque  sérient  flammam  ,  ter  aqua  ,  ter  sulphure  lustrât. 

Il  y  avait  un  grand  nombre  de  cas  où  cette  cérémonie  était  iu^ée  Usages 
nécessaire.  iMle  servait  a  purifier  les  hommes  qui  avaient  trempé  leurs 
mains  dans  le  sang,  ou  qui  s'étaient  rendu  coupables  d'adultère, 
d'inceste  ou  de  queîqu'autre  crime  énorme.  Nul  guerrier  ne  pouvait, 
au  sortir  d'une  bataille  }  être  admis  aux  cérémonies  sacrées  avant  de 
s'être  purifié  (i).  La  lustration  avait  lieu  encore  dans  les  calamités  pu- 
bliques, telles  que  la  peste,  la  famine  ,  et  autres  circonstances  graves 

(i)  On  était  dans  l'usage,  à  Athènes,  de  faire  passer  par  une  robe  de 
femme  ceux  qu'on  avait  crus  morts  pendant  quelque  tems.  C'était  une  es- 
pèce de  purification  ,  au  moyen  de  laquelle  ils  étaient  régénérés.  V.  Pott. 
Arch.  gr.  lib.  II.  cap.  IV, 

Europe.  Fol.  I.  5a 


4io  Religion 

qu'il  serait  trop  long  de  rapporter  ici  (i).  Les  souillures  qu'elle 
enlevait  étaient  jetées  à  la  mer,  ou  enfouies    dans   la   terre   comme 

Aspersion,  des  choses  immondes.  On  ne  pouvait  se  présenter  à  la  célébration 
des  sacrifices  qu'après  s'être  aspergé  d'eau  lustrale  ,  qui  se  conser- 
vait,  comme  nous  l'avons  observé  plus  haut,  dans  un  vase  placé  à 
l'entrée  du  temple,  ayant  à  côté  une  branche  de  laurier  ou  d'olivier, 
qui  servait  d'aspersoir  (2).  C'est  pour  cela  qu'un  prêtre  criait  par 
intervalles  que  les  profanes  s'éloignassent ,  c'est-à-dire  ceux  qui  ne 
s'étaient  pas  purifiés  ("3).  Tbéophraste  fait  mention  de  deux  autres 
purifications.  La  première,  dont  il  est  parlé  dans  Lucien,  consis- 
tait à  se  frotter  le  corps  avec  un  oignon;  la  seconde  était  de  porter 
en  procession  un  petit  chien  ;  et  celle-ci  ,  au  rapport  de  Plutarqué, 
était  usitée  dans  presque  toute  la  Grèce. 
Prières.  On   priait   les    Dieux  en    levant    les    yeux    et  les  mains  vers  le 

ciel,  qui  était  regardé  comme  la  demeure  des  immortels,  ou  vers 
la  mer  si  la  Déité  était  marine.  On  trouve  plusieurs  exemples  de 
cet  usage  dans  Homère  et  autres  écrivains  de  l'antiquité.  Celui  de 
se  tenir  la  tête  couverte  en  priant  parait  aussi  avoir  existé  chez 
presque  tous  les  anciens  peuples.  Dans  V  Arnphitrion  de  Plaute , 
un  des  personnages  dit  en  parlant  à  un  autre;  qu'il  avait  coutume 
d'invoquer  les  Dieux   la  tête  couverte,  et  les  mains  pures.  Apulée, 

Adorations,  dans  le  IV. e  livre  des  Métamorphoses,  décrit  aussi  le  signe  dont  se 
servaient  les  anciens  pour  exprimer  le  sentiment  de  leur  adoration 
envers  leurs  divinités:  Frappés ,  dit-il,  de  la  beauté  merveilleuse 
de  Psiché  ,  ils  lui  rendaient  des  hommages  divins  comme  à  Vénus 
même ,  en  portant  leur  main  droite  à  la  bouche,  et  tenant  le  pre- 
mier doigt  joint  au   pouce ,   qui    était  étendu.   Les   anciens    étaient 

(1)  On  lit  dans  le  I.er  livre  de  l'Iliade  ,  que,  pour  appaiser  le  cour- 
roux d'Apollon  ,  Agamemnon  ordonna  qu'on  fit  une  lustration  générale 
dans  l'armée.  Pausanias  dit  qu'elle  eut  pour  objet  de  purifier  les  Grecs  de 
la  peste  qui  les  avait  affligés. 

(a)  Dans  certains  endroits  il  était  défendu  ,  non  seulement  aux  escla- 
ves et  aux  gens  de  service  ,  mais  encore  aux  enfans  illégitimes  d'assister 
aux  cérémonies  religieuses  ;  ils  avaient  néanmoins  accès  dans  le  temple 
d'Hercule  ,  parce  que  ce  Demi- Dieu  était  regardé  comme  bâtard. 

(3)  Voy.  l'hymne  de  Gallimaque  à  Appollon  ,  vers  2.  Le  lieu  sacré 
était  quelquefois  séparé  du  profane  par  une  corde.  C'est  pour  cela  que 
Démosthéne  ,  en  parlant  contre  Aristogiton  ,  appelle  «/rE^y/V,^/™*  .  qui  veut 
dire  séparés  par  une  corde  }  ceux  qui  avaient  été  exclus  des  rites  sacrés, 


de   la   Grèce.  411 

encore  dans  l'usage  de  s'agenouiller  en  priant,  et  de  baiser  la  bou- 
che ,  les  genoux  et  les  pieds  des  images  de  leurs  Déités.  Cicéron  , 
dans  sa  quatrième  oraison  contre  Verres ,  en  parlant  d'un  Hercule  en 
bronze  que  ce  pubiicain  avait  enlevé  aux  Agrigentins ,  dit  n'avoir 
jamais  vu  de  statue  plus  belle  que  celle-là  ,  quoique  rictum  ejus  ac 
menium  paullo  sit  attritius .  quod  in  pre.cïbus ,  et  gratulationibus 
non  soJum  id  venerari ,  verum  étiam  osculari  soient.  Les  Grecs 
avaient  en  outre  coutume  ,  avant  de  prier  ,  de  se  ceindre  la  tête  et 
le  cou  de  feuilles  de  laurier  ou  d'olivier  ,  pour  faire  allusion  à  la 
victoire,  au  bonheur,  à  la  joie,  à  la  paix  et  à  la  bienveillance 
dont  ces  arbres  étaient  les  emblèmes.  On  entortillait  de  laine  ces 
feuilles,  en  mémoire  de  la  simplicité  et  de  l'innocence  des  premiers 
hommes.  Il  faut  voir  l'Archéologie  Grecque  de  Potter  au  sujet  de 
ces  différens  usages.  Dans  les  grandes  calamités ,  les  femmes  cou- 
raient eu  poussant  des  hurlemens ,  comme  des  forcenées ,  autour  des 
simulacres  et  dans  les  temples  ,  dont  elles  nettoyaient  le  pavé  avec 
leurs  cheveux.  Elles  se  couvraient  d'un  grand  voile  pour  prier,  et  eu 
couvraient  quelquefois  les  images  même  de  leurs  Divinités.  L'usage  des 
vœux  était  également  familier  aux  Grecs,  comme  un  moyen  propre 
à  fléchir  en  leur  faveur  la  volonté  des  Dieux.  Ainsi  Nestor  dans 
l'Iliade  fait  à  Minerve  le  vœu  de  lui  sacrifier  neuf  taureaux,  si 
les  Grecs  retournent  heureusement  dans  leur  patrie.  Winckelmann 
rapporte  une  birème  exécutée  en  marbre,  et  il  ajoute,  «  qu'on  pour- 
«  rait  regarder  ce  monument  comme  un  vœu  fait  par  un  guerrier 
«  dans  le  temple  de  la  Fortune  à  Préneste  ,  pour  la  remercier  de 
«  lui  avoir  sauvé  la  vie  dans  un  combat  naval  ,  à  l'exemple  des  an- 
«  ciens  qui  étaient  dans  l'usage  de  dédier  des  barques  et  des  navi- 
"  res  dans  leurs  temples:  ou  dit  même  de  Jason  qu'il  avait  consa- 
«  cré  à  Neptune  le  navire  Argos  (1)  „.  On  fesait  également  hom- 
mage aux  Dieux  des  figures  des  membres  humains,  dont  on  croyait 
avoir  obtenu  d'eux  la  guérison.  A  cette  espèce  de  vœux  appartien- 
nent un  doigt  publié  par  Fabretti,  sur  lequel  est  gravé  un  nom 
qui  est  peut-être  celui  du  donateur ,  et  un  pied  avec  le  serpent 
d'Esculape,  qu'on  voit  dans  le  musée  de  Kircher.  M.r  Fauvel  vice- 
Consul  à  Athènes  3  et  correspondant  de  l'Institut  de  Paris  écrivait 
en  1806  ,  d'avoir  trouvé  dans  les  fouilles  d'Athènes  une  statue  d'ïgie  , 
avec  un  grand  nombre  de  vœux  en  marbre  ,  le  torse  d'un  homme  , 
la  partie  antérieure  du  corps  d'une  femme,  des  oreilles,  des  yeux, 

-  '    (0  Winckelm.  Monum.  antic.  pag,  280. 


4r"2  Religion 

des  pieds  ,  des  mains  et  autres  choses  semblables.  Ces  objets  n'ont 
cependant  pas  tous  un  caractère  propre  et  distinctif ,  et  pour  cela 
nous  nous  abstenons  d'en  représenter  aucun.  Montfaucon  en  adonné 
une  planche  entière;  mais  il  y  a  lieu  de  douter  qu'ils  soient  authen- 
tiques, à  l'exception  du  doigt  de  Fabretti  et  du  pied  d'Esculape , 
dent  nous  venons  de  parler. 
Libations.  La  libation  était  anciennement  une  cérémonie    tout-à-fait    dis- 

tincte des  sacrifices  (i).  Selon  Porphyre,  elle  ne  se  fesait  d'abord 
qu'avec  de  l'eau:  bientôt  on  y  substitua  du  miel,  puis  de  l'huile,  et 
enfin  du  vin:  car  plus  on  remonte  dans  l'antiquité,  plu?  on  trouve 
que  le  culte  des  Dieux  était  simple  et  peu  dispendieux  (a).  Dans 
les  tems  héroïques,  les  libations  se  fesaient  souvent  avec  du  vin, 
comme  on  le  voit  dans  plusieurs  passages  d'Homère.  Néanmoins  on 
conserva  encore,  à  l'égard  de  quelques  Déités,  l'usage  des  libations 
appelées  sobres^  c'ést-à-dire  à  l'eau,  ou  â  l'eau  mêlée  avec  du  vin, 
au  miel  ou  autres  liqueurs.  A  Athènes  on  fesait  ,  au  rapport  de 
Suidas,  des  libations  sobres  aux  Nymphes,  à  Venus  Uranie  ,  aux 
Muses ,  à  l'Aurore  et  an  Soleil.  L'autel  de  Jupiter  même  Traroç  9 
qui  veut  dire  suprême:  n'y  était  jamais  arrosé  de  vin  ni  de  sang. 
Pour  les  libations  on  fesait  usage  de  verres  ou  de  coupes,  qui  étaient 
ordinairement  en  or  chez  les  riches.  Le  plus  fameux  de  ces  vases 
est  celui  dont  Achille  se  servait  exclusivement  pour  faire  ses  liba- 
tions à  Jupiter,  ainsi  qu'il  est.  dit  dans  le  XVï.e  livre  de  l'Iliade. 
Cette  cérémonie  consistait  à  verser  légèrement  des  bords  du  vase, 
une  partie  de  la  liqueur  qu'il  contenait  en  l'honneur  de  la  Déité  3 
et  à  boire  le  reste,  qui  se  partageait  quelquefois  avec  tous  les  assis- 
tans.  Les  libations  sobres  se  fesaient  le  plus  souvent  sans  feu;  c'est- 
à-dire  que  la  liqueur  se  répandait  par  terre  ,  ou  sur  un  autel  sans 
feu  :  telle  est  celle  qui  est  offerte  aux  Euménides  dans  un  monu- 
ment rapporté  par  Winckelmann.  Les  libations  étaient  toujours  ac- 
compagnées de  prières.  Les  Grecs  croyaient  encore  qu'avec  des 
ou  £SaUons,  parfums  ou  fumigations    on  pouvait  honorer    les   Dieux.    Le  vieux 

(i)  Le  mot  libation  dérive  du.  Grec  Xeipe.w ,  qui  veut  dire  répandre, 
auquel  ,  selon  Isidore  ,  correspond  le  mot  latin  Libare ,  répandre  ,  ver- 
ser etc. 

(2)  De  Abstin.  lib.  JI.  Sacrorum  libaminum  maxima  pars  apud 
veteres  sobria  fuit  :  sobria  autem  vocanlur ,  quae  ex  aaua  constant', 
postea  ex  melle  Jîebant ,  auod  ab  apibus  elaboratum  est  in  promptu  ; 
huic  oleum  suççessiù  ;  et  ppst  omnia  vinum  adhiberi  soliturn  est, 


de    la    Grèce.  41 3 

Phénix,  datas  le  IX.e  livre  de  l'Iliade,  en  parlant  des  moyens  d'ap- 
paiser  le  courroux  des  Dieux,  joint  aux  libations  et  aux  prières  les 
parfums  odoriférans.  Pline  est  cependant  d'avis,  que  l'encens  n'était 
point  encore  en  usage  au  tems  de  la  guerre  de  Troie:  lliacis  tem~ 
poribus ,  dit-il,  thure  non  supplicabatur  :  Cedri  tantum  et  citri  suo- 
rum  fructicum  in  sacris  fumo  convolutum  ardorem  verius ,  quant 
odorem  noverant  (i).  Arnobe,  qui  pense  de  même  ,  ajoute  que  les 
anciens  ne  font  aucune  mention  de  l'encens  dans  leurs  écrits.  Aux 
libations  et  aux  parfums  il  faut  encore  réunir  les  gâteaux  ,  ou  fa-  Gdieaux. 
rines  salées  appelées  par  Homère  dvûai  et  ovXo%vt(u  ,  et  par  les  La- 
tins molae  ,  dont  l'offrande  était  regardée  comme  infiniment  agréa- 
ble aux  Dieux.  Elles  étaient  généralement  faites  d'orge  moulu,  et 
de  sel.  Ces  gâteaux  ou  farines  étaient  tellement  en  vénération  }  au 
dire  de  Pline,  qu'on  en  fesait  usage  dans  tous  les  sacrifices,  et 
qu'on  en  saupoudrait  les  autels  et  même  les  ustensiles  sacrés.  Le 
scholiaste  d'Homère  fait  dériver  l'origine  de  ce  rite  ,  de  l'usage  où 
l'on  était  dans  les  tems  les  plus  reculés,  de  ne  faire  aux  Dieux  que 
des  offrandes  de  grains  et  de  fruits. 

Nous  avons  représenté  à  la  planche  65  une  libation  ,  qui  a  Libation  prise 
été  copiée  sur  les  vases  antiques  d'Hamilton.  "  Le  premier  person-  d'Handîcon. 
«  nage  à  main  gauche,  dit  l'illustre  commentateur,,  est  celui  qui 
«  fait  la  cérémonie  ,  comme  l'indique  la  branche  d'olivier  qu'il 
«  tient  dans  la  main  gauche:  car  on  voit,  par  la  description  que 
«  fait  Stace  dans  le  Xll.e  chant  de  la  Thébaïde  de  l'autel  de  la 
«  Clémence  élevé  dans  Athènes,  que  pour  adresser  des  prières  aux 
«  Dieux  il  fallait  avoir  une  branche  de  laurier  ou  d'olivier,  qu'on  ap- 
«  pe liait  uesr^tai.  On  y  attachait  le  plus  souvent  des  bandelettes  appe- 
rt lées  Vittaeet  Stemmata.  La  coupe  qui  se  tenait  de  la  main  droite, 
«  était  destinée  à  recevoir  une  portion  du  vin  dont  on  fesait  la  li- 
"  bation:  on  la  buvait  aussitôt ,  comme  cela  arrivait  quelquefois,  ou 
"  bien  on  l'emportait  chez  soi,  comme    une    chose    sacrée,    et  pro- 

«  pre  à  préserver  de  maladie  ou  de  toute  autre   disgrâce Le 

«  second  personnage  est  un  Prospolos  ou  serviteur ,  qui  tient  de  la 
«  main  gauche  une  espèce  de  plat  contenant  de  l'orge  mêlé  avec  du  sel, 
«  et  de  la  main  droite  un  verre  plein  de  vin.  Le  prêtre  commençait 
"  par  faire  le  tour  de  l'autel,  en  répandant  de  l'orge  en  grain  ou 
«  en  farine,  et  en  aspergeant  le  plus  souvent  d'eau  lustrale  l'autel 

(i)  ffist.  lib.  XIII.  cap.  T. 


4J4  Religion 

m  ainsi  que  les  assistans.  De  l'autre  côté  de  la  colonne  est  le  prê- 
«  tre,  qui  porte  un  vase  aussi  plein  de  vin  pour  être  versé  sur  l'au- 
«  tel  en  récitant  une  prière,  ou  en  chantant  un  hymne  au  son  de 
«  la  double  flûte  dont  joue  le  quatrième  personnage.  La  musique 
«  et  la  danse  accompagnaient  toujours  les  sacrifices  solennels  chez 
«  les  anciens:  le  plus  usité  de  tous  les  instrumens  était  la  flûte; 
"  et  comme  ceux  qui  en  jouaient  avaient  une  portion  des  victimes  , 
«  plusieurs  d'entre  eux  vivaient  de  cette  seule  rétribution  :  ce  qui  a 
«  donné  lieu  à  ce  proverbe  }  dont  on  se  sert  en  pariant  d'un  parasite  : 
«  vivre  en  joueur  de  flûte  .  L'autel  qu'on  voit  dans  cette  planche 
«  n'est  autre  chose  qu'une  colonne  dorique,  au  pied  de  laquelle, 
«  et  du  côté  qu'on  ne  voit  pas ,  est  une  escara  ou  poêle  dont  on 
«  se  servait  lorsque  la  nature  du  sacrifice  l'exigeait;  et  du  côté 
«  qui  est  visible  est  un  souflet  pour  allumer  le  feu.  Cet  autel  était 
«  probablement  dédié  à  Apollon,  qu'on  adorait  dans  certains  pays 
<«  sous  le  nom  de  Gennetor.  Chacun  offrait  à  ce  Dieu  une  libation 
«  à  l'anniversaire  de  sa  naissance  ;  et  c'eût  été  un  délit,  que  d'ôter 
«  ce  jour  là  la  vie  à  un  animal  quelconque  (i)  „.  Nous  croyons 
que  ce  seul  exemple  suffira  ,  pour  donner  à  nos  lecteurs  une  idée 
exacte  de  la  manière  dont  se  fesaient  les  libations,  d'autant  plus 
qu'il  s'agit  d'un  rite  dont  on  trouve  des  représentations  dans  tou- 
tes les  collections. 
Sacrifices.  Nous    nous  dispenserons    également    de    toutes    recherches    sur 

l'origine  des  sacrifices  ,  leur  institution  n'étant  pas  moins  ancienne 
que  les  premiers  peuples.  Nous  nous  bornerons  seulement  à  répéter 
que,  chez  les  Gentils,  les  sacrifices  tenaient  lieu  d'un  banquef  sa- 
cré ,  auquel  on  croyait  qu'intervenaient  les  Dieux  ;  et  comme  ces 
mêmes  Gentils  prêtaient  à  leurs  divinités  les  passions  des  hom- 
mes ,  ils  ne  fesaient  usage  dans  leurs  sacrifices  que  d'animaux 
choisis  ,  et  d'assaisonnemens  propres  à  flatter  le  goût.  Les  sacrifi- 
ces humains  semblent  avoir  été  défendus  chez  les  Grecs  par  la  re- 
ligion et  les  lois:  car  on  croyait  que  Lycaon  avait  été  changé  en 
loup    par  les 'Dieux,  pour  avoir  immolé  une  victime  humaine.    On 

(i)  Peintures  des  vases  antiques  etc.  édition  de  Florence',  vol.  i. 
planche  27.  Cette  libation  est  une  de  celles  qui  se  fesaient  sans  feu.  La 
planche  55  des  mêmes  Peintures  présente  une  libation  avec  l'autel  ,  sur 
lequel  s'élève  la  flamme.  Le  commentateur  est  d'avis  que  cette  libation 
est  faite  à  Vesta  ,  en  l'hbnneur  de  qui  le  feu  devait  brûler  sans  cesse. 
[Vesta  avait  des  autels  dans  presque  toutes  les  maisons, 


Victimes 
humaines. 


de    la    Grèce.  ^iS 

trouve  néanmoins  parmi  eux  quelques  exemples  de  cet  usage  bar- 
bare. Plutarque  rapporte  que,  pour  obtenir  un 'heureux  succès  dans 
îa  guerre  contre  Xerxés ,  Thémistocle  avait  immolé  aux  Dieux  phi- 
sieurs  Persans.  Aristomène  de  Messène  sacrifia  aussi  à  Jupiter  Ito- 
roéte  trois  cents  hommes ,  du  nombre  desquels  était  Théo  pompe  Roi 
de  Sparte.  On  raconte  également  qu'en  Arcadie  on  fit  périr  par  les 
verges  un  grand  nombre  de  vierges  en  l'honneur  de  Bacchus.  Qui 
ne  connaît  les  sacrifices  d'Iphigénie  ,  de  Polixène,  et  des  douze 
jeunes  Troyens  immolés  par  Achille  aux  funérailles  de  Patrocle  ? 
Mais  ces  sacrifices  ne  doivent  être  considérés  que  comme  des  actes 
d'une  vengeance  féroce  ,  ou  des  événement  commandés  par  des  cir- 
constances impérieures ,  et  non  comme  les  effets  d'un  usage  constant 
et  général.  Les  victimes  devaient  être  jeunes ,  saines ,  intactes  et  Qualité* 
sans  défauts  tant  intérieurement  qu'extérieurement.  Diomède  ,  dans  des  victi"'es' 
le  X.e  livre  de  l'Iliade  ,  fait  vœu  à  Pallas  de  lui  sacrifier  une  gé- 
nisse d'un  an  ,  qui  n'ait  pas  encore  porté  le  joug.  Les  Athéniens 
reprochaient  quelquefois  aux  Spartiates  d'offrir  en  sacrifice  des  vic- 
times défectueuses.  Suidas  désigne  six  espèces  d'animaux  comme  Leur  espèce. 
les  plus  usitées  dans  les  sacrifices,  savoir;  le  bœuf  ou  le  taureau, 
la  brebis ,  le  cochon ,  le  chevreau  ,  le  coq  ou  la  poule  ,  et  l'oie. 
Cependant  Homère  ne  parle  que  des  quatre  premières  espèces, 
comme  celles  qui  servaient  le  plus  ordinairement  à  la  nourriture 
des  Héros.  Le  bœuf  passait  pour  être  la  victime  la  plus  agréable 
aux  Dieux:  d'où  vint  l'usage  du  mot  fiovSvreJv  ,  booe  placare  (i),qui 
s'étendait  aux  sacrifices  de  tous  les  autres  animaux.  Cela  ne  veut 
pas  dire  cependant  qu'on  les  sacrifiait  à  toutes  les  Déités  indistincte- 
ment :  car  chacune  d'elles  au  contraire  avait  le  sien  ,  qui  lui  était 
particulièrement  consacré.  Ainsi  on  immolait  à  Jupiter  le  bœuf  ou 
le  taureau  ,  à  Bacchus  le  bouc  3  à  Minerve  la  génisse  ou  la  brebis,  aux 
Dieux  de  l'Averne  la  vache  ,  à  Esculape  le  coq  etc.  etc.  La  vie-  Leur  sexe 
time  devait  être  en  outre  du  sexe,  et  du  naturel  de  la  Divinité  à  el  naLureL 
laquelle  elle  était  offerte.  C'est  pour  cela  qu'on  ne  sacrifiait  à  Mars 

(i)  Une  loi  de  Solon  défendait  aux  Athéniens  de  sacrifier  des  bœufs, 
parce  que  ces  animaux  étaient  les  plus  utiles  à  l'Agriculture  ,  et  comme 
les  compagnons  de  l'homme.  Elien  assure  cependant  que  cette  loi  ne  con- 
cernait que  les  boeufs  élevés  à  la  charrue.  Cet  animal  était  tellement  en 
honneur  chez  les  anciens  pour  les  sacrifices  ,  que  les  pauvres  qui  n'avaient 
pas  le  moyen  d'en  immoler  un  véritable ,  en  offraient  un  de  farine,  qu'on 
appelait  le  septième  bœuf.  Voy.  les  Antichità  d'Erculano.  Bronzi  etc. 
pag.  a3  n,°  4. 


4i6  Religion 

que  des  animaux  Belliqueux  et  féroces,  tels  que  le  taureau.  On  n'im- 
molait également  aux  Dieux  de  PÀverne  que  des  victimes  noires  (i\ 
Les  cornes  des  bœufs  et  des  taureaux  étaient  dorées.  Entre  autres 
preuves  de  la  magnificence  des  Athéniens,  Platon  cite  le  povç  >;pv<roxè- 
Ornemens      povç ,  ou  le  bœuf  aux  cornes  dorées.  Le  bélier ,  le  bouc  et  les  autres  qua- 

âes   victimes-       -  ,  _  ,       1  _.  t       '  * 

drupede  ,  étaient  pares  de  couronnes  faites  avec  les  feuilles  de  l'arbre 
consacré  à  la  Déité,  en  l'honneur  de  laquelle  se  fesait  le  sacrifice. 
On  pouvait  immoler  plusieurs  victimes  en  même  teras  à  une  seule 
Divinité.  La  renommée  a  rendu  célèbres  les  sacrifices  appelés  E%a- 
■tô^fzai  3  dans    lesquels  on  immolait  cent  bœufs,  comme  l'indique   le 

Hécatombe,  mot  même.  Cependant  Vhécatombe  se  composait  quelquefois  de  cent 
victimes  d'une  autre  espèce.  II  est  parlé  dans  le  I.er  livre  de  l'Iliade 
d'un  hécatombe  de  taureaux  ou  de  chèvres,  et  dans  le  XXII. e  d'un 
hécatombe  d'agneaux  premiers-nés.  Les  érudits  n'ont  pas  même  tou- 
jours été  d'accord  sur  le  nombre  de  victimes  composant  Vhécatombe  : 
car  Eustaze  dit  qu'il  y  avait  des  auteurs,  selon  lesquels  elle  était 
seulement  de  vingt-cinq  quadrupèdes,  qui  fesaient  cent  pieds,  et 
que  d'autres  la  prirent  pour  un  nombre  considérable  et  indéfini 
d'animaux.  Les  victimes  inférieures ,  telles  que  les  brebis,  les  agneaux 
et  autres  animaux  semblables  étaient  conduites  à  l'autel  saus  être 
attachées  ;  mais  le  taureau  ,  la  vache  et  autres  de  cette  espèce  se 
tiraient  avec  une  corde  entrelacée  autour  de  leurs  cornes.  Cette  corde 
devait  être  longue,  et  arrangée  de  manière  à  ce  que  la  victime  ne 
parût  point  conduite  avec  violence. 

Cèiémomes  Homère  ,  dans  les  l.er  et  II. e  livres  de  l'Iliade,  ainsi  que  dans 

4ss  sacrifices,      „  ___.  „  T_.r  „     .  ., -.   ■  ,  ,  1  i  •        .  i  ,     / 

les  III.  et  IV.  de  l  Odyssée,  donne  la  description  des  cérémo- 
nies relatives  aux  sacrifices,  qui,  au  dire  de  Denis  d'Halicar- 
nasse  ,  ne  différaient  nullement  de  celles  qui  étaient  en  usage  de 
son  tems  chez  les  Romains.  Premièrement,  les  sacrificateurs  se  la- 
vaient les  mains  avec  l'eau  lustrale,  qui  se  fesait  en  plongeant  dans 
l'eau  un  tison  ardent  pris  sur  l'autel.  Secondement ,  on  répandait  sur 
la  tête  ou  sur  le  dos  de  la  victime  la  farine  ou  mola  salsa  ,  dont 
nous  avons  parlé  plus  haut;  et  cette  cérémonie  était  ce  que  les 
latins  appelaient  proprement  immolare.  Troisièmement,  on  arrachait 
ou  on  coupait  de  la  tête  de  la  victime  quelques  poils,  qu'on  jetait 

(i)  Les  sacrifices  étaient  quelquefois  relatifs  à  la  profession  des  per- 
sonnes par  qui  ils  étaient  faits.  Ainsi ,  selon  Athénée  ,  les  pêcheurs  étaient 
dans  l'usage  d'immoler  un  thon  à  Neptune  ,   après  une  pêche  abondante 


de    la    Grèce.  4'7 

sur  l'autel  :  ce  qui  est  appelé  dans  Homère  la  première  libation. 
Quatrièmement,  on  commençait  les  prières,  sans  lesquelles  on  ne 
pouvait  faire  aucun  sacrifice.  Cinquièmement,  on  fesait  l'immolation 
proprement  dite,  qui  consistait  à  frapper  la  victime  avec  une  hache 
ou  une  massue,  et  à  lui  percer  la  gorge  avec  un  couteau.  On  avait 
soin,  en  égorgeant  la  victime,  de  lui  tourner  la  tête  verè  le  ciel, 
lorsque  le  sacrifice  était  fait  à  une  Déité  céleste;  on  la  tenait  au 
contraire  baissée  vers  la  terre  ,  quand  le  sacrifice  se  fesait  en  l'hon- 
neur des  héros  et  des  défunts.  On  recueillait  le  sang  dans  uu  vase 
appelé  par  Homère  a^iviov.  Après  avoir  écorché  la  victime  on  Fou-  inspection 
vrait ,  et  l'on  en  examinait  bien  les  entrailles.  Si  elles  étaient  es  "utltmei 
trouvées  saines,  d'une  belle  couleur,  en  bon  état  et  à  leur  place, 
c'était  un  signe  d'heureux  augure  ;  si  au  contraire  elles  paraissaient 
affectées  de  quelque  vice  ou  de  maladie  ,  on  les  regardait  comme 
d'un  sinistre  présage.  Cette  inspection  ne  se  fesait  que  sur  le  foie, 
que  les  Grecs  appelaient  pour  cette  raison  le  trépied  des  divina- 
tions (i).  Les  cuisses  recouvertes  de  la  graisse  des  intestins,  avec 
une   petite  portion  de  chacun  des  membres    de    la  victime    saupou- 

(i  Clément  d'Alexandrie  donne  pour  origine  aux  augures  qui  se  ti- 
raient de  l'inspection  des  entrailles  des  victimes ,  une  tradition  fabuleuse  sur 
la  mort  et  les  cendres  de  la  sibylle  de  Delphes.  On  prétendait  que  les 
herbes  dont  la  culture  .était  entretenue  avec  les  cendres  du  corps  de  cette 
sibylle,  communiquaient  le  don  de  prophétie  aux  animaux  qui  en  fesaient 
leur  nourriture.  Mais  il  est  plus  probable  que  cet  usage  vient  de  celui  où 
étaient  les  anciennes  colonies  ,  d'examiner  les  entrailles  des  animaux  dans  les 
pays  où  elles  voulaient  se  fixer,  pour  juger  par  leur  état  de  la  bonté  ou 
de  l'insalubrité  de  l'air  qu'on  y  respirait. 

La  divination  par  Yignispice  ,  ou  inspection  des  flammes  sur  l'autel, 
était  également  d'un  usage  antique  et  célèbre  chez  les  Grecs  La  combus- 
tion qui  donnait  plus  de  fumée  que  de  clarté  ,  la  flamme  qui  se  partageait 
en  deux  sens  opposés  ,  le  feu  qui  semblait  ne  pas  se  diriger  vers  un  seul 
point  ,  étaient  autant  d'indices  de  funeste  présage.  Homère  parle  des  Py- 
romantes ou  Ignispices  dans  l'Iliade  et  l'Odysée.  Thésée  dans  les  Sup- 
plians  d'Euripide  cite  la  pyromancie  au  nombre  des  avantages,  que  les 
états  bien  constitués  tirent  de  la  religion.  Nous  ,  dit-il ,  nous  acquérons  par 
le  feu  sacré  la  connaissance  des  choses  douteuses  ou  cachées  ,  et  les  de- 
vins par  les  entrailles  des  victimes  et  par  le  vol  des  oiseaux.  V.  Bu- 
lenger  De  ratione  divinationis  etc.  lib.  III.  cap.  X.  et  Visconti ,  Obser- 
vations sur  deux  mosaïques  antiques  historiées,  Parme  R.  Typogr.  1788, 
in  8.°  fig° 

Europe.  Fol.  I.  53 


4*8  Religion 

drées  de  farine  et  humectées  de  vin,  étaient  présentées  en  offrande 
à  la  Déité  :  on  fesait  rôtir  le  reste  pour  servir  au  banquet  sacré. 
Les  sacrifices  étaient  généralement  accompagnés  de  musique.  On  ne 
s'y  servait  ,  comme  on  le  voit  par  les  monumens,  que  d'instrumens 
à  vent,  tels  que  la  flûte  simple  et  double,  et  les  trompettes  droi- 
tes et  recourbées.  L'autel  sur  lequel  on  offrait  la  victime  était  jon- 
ché de  verveine  ou  autres  herbes  qu'on  croyait  particulièrement  con- 
sacrées à  la  divinité.  Les  assistans  qui  prenaient  part  au  sacrifice,  ex- 
cepté dans  ceux  qu'on  fesait  aux  Euménides,  devaient  tous  porter  une 
couronne  d'olivier:  il  fallait  également  tenir  de  chaque  main  une 
Lieu  et  tems    branche  d'olivier  pour  prier.  On  ne  fesait  pas  seulement  des  sacri- 

des  sacrifices.  ,  ' l  ,  *  . 

tices  dans  les  temples  et  les  lieux  sacres,  mais  encore  sons  le  toit  do- 
mestique: ce  dont  on  trouve  plusieurs  exemples  dans  Homère.  L'heure 
à  laquelle  il  pouvaient  être  faits  était  néanmoins  marquée:  pour  les 
divinités  de  l'Olympe  c'était  au  lever  du  soleil,  ou  même  en  plein 
jour;  et  pour  celles  de  l' Avertie  ,  à  l'approche  et  quelquefois  dans  le 
milieu  de  la  nuit  :  les  premières  parce  qu'elles  étaient  regardées  comme 
amies  de  la  lumière,  et  les  secondes  des  ténèbres.  Mais  en  voilà  assez 
sur  les  sacrifices ,  car  on  n'en  finirait  pas  si  l'on  voulait  rapporter  tou- 
tes les  particularités,  que  la  diversité  des  pays  et  des  divinités  avait  in- 
Figures  troduitcs  dans  la  religion  des  Grecs.  Nous  terminerons  donc  cet  article 
aufTarijices.  par  l'indication  de  quelques  figures  relatives  aux  sacrifices.  Le  n.°  a 
de  la  planche  65  représente  un  taureau  destiné  à  être  immolé.  Des 
bandelettes  lui  pendent  des  cornes  et  de  la  tête:  on  voit  entre  ses  cor- 
nes un  ornement  qui  semble  être  une  patère  :  cette  figure  est  prise 
d'un  bas-relief  de  la  maison  de  plaisance  Medicis.  Le  n.°  3  est  l'image 
d'un  ministre  avec  les  instrumens  du  sacrifice;  elle  a  été  copiée  sur  un 
autre  bas-relief  conservé  à  Berlin ,  lequel  a  pour  sujet  une  proces- 
sion de  personnes  qui  semblent  aller  à  un  sacrifice.  Enfiu  le  n.°  4 
est  pris  d'un  vase  de  la  Collection  de  Hope ,  et  représente  une 
femme  jouant  de  la  double  flûte:  sa  position  est  précisément  celle 
qu'on  voit  dans  les  monumens  aux  joueurs  d'instrumens  qui  assistent 
aux  cérémonies  religieuses 


DE     LÀ     CrÈCE.  4r9 


Mariages. 


L'union  de  l'homme  et  de  la  femme  est  la  première  et  la  Mariage, 
plus  simple  de  toutes  les  sociétés,  et  celle  que  la  providence  a  des-  ba£slûul°0T 
tinée  à  la  réproduction  de  l'espèce  humaine.  C'est  pourquoi  un 
des  premiers  soins  des  législateurs  a  été  de  créer  pour  le  mariage 
des  lois,  qui  ont  pour  ainsi  dire  fait  de  cette  institution  le  fonde- 
ment de  l'état  politique  des  peuples.  C'est  ce  que  fit  Cécrops 
dans  l'Attique  ,  dont  il  fut  le  premier  législateur.  Il  ne  crut  pas 
de  moyen  plus  propre  à  faire  naître  le  goût  de  la  vie  sociale, 
et  à  répandre  les  bienfaits  de  la  civilisation  dans  ce  pays  encore 
barbare,  qu'en  lui  donnant  une  constitution  dont  le  mariage  fût 
la  base  (i).  Son  exemple  fut  suivi  depuis  par  tous  les  législateurs 
de  la    Grèce.    Mais    ce    penchant    irrésistible,    qui    porte  l'homme  Etal 

à  s'unir  à  la  femme,  exerce  sur  lui  un  empire  d'autant  plus  puissant  ,  ^Zh^fété 
plus  doux  et  plus  attrayant,  que  les  mœurs  sont  plus  simples  et  naissantes. 
moins  dépravées.  Les  lois  positives  n'ont  fait  que  remédier  aux 
suites  de  la  corruption  qui  allait  toujours  croissant  dans  la  société  , 
à  mesure  des  progrès  qu'elle  fesait  dans  la  civilisation.  Et  en  ef- 
fet, l'état  du  mariage  n'est  nulle  part  plus  doux,  plus  heureux, 
et  plus  respecté,  que  chez  les  peuples,  où  les  bonnes  mœurs  ont 
plus  de  force,  que  n'en  ont  ailleurs  les  lois  et  les  constitutions. 
Le  grand  Bacon  observe  judicieusement,  que  lorsqu'il  n'y  aura  plus  Marii 
de  peuples  barbares,  et  que  le  perfectionnement  de  la  civilisa-  da*i 
tion  et  des  arts  aura  amolli  l'espèce  humaine,  les  hommes,  escla- 
ves du  luxe,  renonceront  au  mariage,  dans  la  crainte  de  ne  pas 
avoir  les  moyens  d'entretenir  une  famille;  et  nous  ajouterons,  pour 
jouir  plus  librement  des  agrémens  et  des  plaisirs  que  leur  offrent 
le  luxe  et  la  débauche.  Eu  s'écartant  de  la  simplicité  des  mœurs 
primitives,  l'homme  est  parvenu  à  un  degré  de  licence  et  de  per- 
versité, qui  lui  a  fait  éluder  les  lois  de  la  nature,  et  considérer  le 
mariage  comme  un  joug  incommode  ,  et  comme  un  état  incompati- 
ble avec  son  propre  bonheur.  Tel  est  le  tableau  que  nous  présente 

(i)  Nonnus.  Denis,  liv.  XLI.  yers.  382  et  suiv. 


■Ktgas 
dans  tes  sociétés 
rfectionnéés. 


42<5  Religion 

l'histoire  des  mœurs    de  la    Grèce ,    depuis    l'époque    de    ses  siècles 
héroïques  jusqu'à  celle  de  sa  plus  grande  civilisation. 
Mariages  Dans  ces  premiers  terns ,    les  hommes  dociles    à    la  voix  de  la 

YJroïauiT*    nature  ,  recherchaient   dans  la    société  d'une    épouse  un  allégement 
aux  peines  dont  est  semée  la    vie  humaine   (i).    Homère,   dont  les 
poèmes  nous  ont  conservé  les  préceptes  de    morale  sanctionnés    par 
le  témoignage    des    peuples   qui    y  sont  cités ,  met    dans  la  bouche 
d'Achille,  les  vers  suivans  :  «  L'homme  prudent  et  sensible  conserve 
«  tonte  sa  tendresse  à  la  femme  dont    le  sort  lui  fit  présent  (a)  „. 
Quelle  peinture  séduisante  et  enchanteresse  ne  fait-il   pas  de  la  fé- 
licité conjugale,  dans  les  souhaits  qu'Ulysse  adresse  à  la  fille  d'Al- 
cinoûs  ?  «  Que  les  Dieux  t'accordent  tout  ce  que  tu    peux    souhai- 
«  ter  de  plus  heureux ,  un  époux    chéri ,    d'aimables    enfans  et  les 
"  douceurs  d'une  tendresse  réciproque:    car  il  n'est  pas  de  félicité 
«  plus  grande  ,  que  celle  de    deux    époux    animés  des    mômes  sen- 
«  timens  dans  le    soin    de    leurs    intérêts    domestiques  :    les    pervers 
«  sont  en   proie    à    de    noirs    soucis,    dont    les    bons    et    surtout    les 
«  époux  ,  se  félicitent  d'être  exempts  (3)  „.  Ce  fut  une  institution 
sagement    imaginée    que  celle    des  cérémonies  religieuses,   dont  les 
anciens  législateurs  voulurent  que   le  mariage    fût  précédé  ,  comme 
pour  rendre   ce  lieu  encore  plus  saint  et  plus  inviolable  (4).  C'était 
même  une    opinion   établie    chez    les  Grecs,    que    la    MuseErato, 
à    laquelle    on    attribuait    l'invention    de    la    danse  ,    avait    institué 
ces    cérémonies  ;    et    en   effet  elles    étaient    accompagnées   de  dan- 
Déitês gawéiips.  ses.    Les    principales    divinités    telles   que    Jupiter,    Junon    et    Vé- 
nus   étaient    censées   y    présider:    Minerve   même  et  Diane,  toutes 
vierges  qu'elles    étaient,    les   honoraient   de  leur   protection.  Pausa- 
nias  atteste  qu'à    Lacédémone  ,  on  voyait    une   statue  antique    avec 
cette    inscription  Aeppoiirviç  Upaç  3  de    Vénus  Junon.  Les  mères  des 
jeunes    Lacédémoniennes   promises  en  mariage    lui    fesaient    des  of- 
randes    et    des    sacrifices.    Les    Athéniens   rendaient    anciennement 
les  mêmes  hommages  au    ciel    et   à  la  terre  ,  de  la  faveur  desquels 
ils  fesaieut    dépendre  le  bonheur  des  époux  et  la  fécondité  du  ma- 

(1)  V.  Les  moeurs    des    siècles    héroïques  par   M,    De    Rocheforè, 
Hist.  de  l'Acad.  Roy.  Mémoires.  Tome  XXXVI. 

(2)  Iliad.  IX.  vers.   543. 

(3)  Odyss.  VI.  vers.   180. 

(4)  Thucydid.  liy.  II, 


les  célibataires. 


de    là    Grèce.  42 i 

liage  (i):  c'est  pour  la  même  raison  peut-être  qu'il  était  aussi 
en  honneur  à  la  Muse  Uranie.  Les  Parques  et  les  Grâces  rece- 
vaient de  même  leur  portion  d'hommages  dans  cette  cérémonie , 
en  considération  du  pouvoir  qu'on  leur  attribuait  d'unir  les  cœurs , 
et  de  conserver  l'amour  entre  les  époux  (a).  Le  nombre  des  divinités 
qui  présidaient  aux  mariages,  selon  les  différeus  pays  de  la  Grèce  ^ 
pourrait  s'accroître  encore  de  beaucoup  d'autres ,  qu'on  appelait 
gamelles ,  du  mot  yapoç,  qui  veut  dire  noces  (3).  De  ces  Dieux 
gamélies  le  plus  renommé  est  Hy  menée.  C'était,  selon  le  Scoîiaste  Hyménée. 
d'Homère,  un  beau  jeune  homme  Grec,  auquel  on  avait  décerné 
de  grands  honneurs,  pour  avoir  sauvé  par  sa  valeur  plusieurs  jeunes 
filles  d'Athènes  de  la  lubricité  et  de  la  cruauté  d'une  horde  de 
Pelasges  (4)-  Les  poètes  lui  donnèrent  dans  la  suite  une  origine 
divine,  en  le  déclarant  fils,  les  uns  de  Bacchus  et  de  Vénus  3  les 
autres  d'Apollon  et  de  Calliope  :  quelques-uns  ne  nommèrent  que 
sa  mère,  qu'ils  dirent  être  Uranie  ou  Therpsicore  (5). 

Convaincus  que  toute  la  force  d'un  état  consiste  dans  le  nombre  Lôù  contre 
de  sa  population  ,  les  Grecs  avaieut  décerné  des  peines  sévères,  non 
seulement  contre  ceux  qui  répugnaient  au  mariage,  en  les  regar- 
dant comme  des  hommes  sans  amour  pour  la  patrie  et  qui  refusaient 
de  contribuer  à  sa  grandeur,  mais  même  contre  ceux  qui  tardaient 
trop  long-tems  à  prendre  une  compagne ,  ou  qui  la  prenaient  inha- 
bile à  leur  donner  des  enfans  ;  c'est  pour  cela  qu'à  l'inculpation 
à'agamie  ils  ajoutèrent,  comme  le  dit  Pollux,  celles  (Yopsigamie 
et  de  cacogamie  (6).  Démosthène  nous  apprend  dans  Dinarque ,  qu'à 
Athènes  il  était  défendu  d'élever  à  aucune  dignité  celui  qui  n'avait 

(i)  Proclus  in  Timaeum  Platonis   Comment.  Y. 
O)  Pollux.  liv.  III.  chap.  III. 

(3)  Les  Etymologistes  font  dériver  le  verbe  ya{iea,je  prends  femme , 
de  la  racine  yaa  ,  qui  veut  dire  [engendre  :  le  but  du  mariage  étant 
la  génération  des  enfans.  C'est  pour  cela  que  les  divinités  tutélaires  du 
mariage  s'appelaient  téléies ,  du  mot  grec  rêloç  ,  qui  signifie  fin  ,  but  t 
terme. 

(4)  Ad  Iliad.  2.  vers.  495.  Certains  Etymologistes  font  dériver  le 
mot  Hyménée  de  ces  expressions  â%o  rov  i^io»  vaiew ,  qui  signifient  co- 
habitation ,  parce  que  les  époux  vivent  ensemble  ;  d'autres  du  mot  éptyv  j 
qui  signifie  la  ceinture  virginale. 

(5)  Procl.  ap.  Phot.  Bibl.  pag.  5a4.  Alciphr.  liv.  I.  Ep.   i3. 

(6)  Filangieri:  Scienza  délia  legislazione. 


4^2-  Religion 

ni  femme  ni  enfans ,  ni  propriété,  uniques  gages,  dans  l'esprit  de 
ce  peuple,  de  la  sagesse,  de  îa  prudence  et  de  la  moralité  de  ceux 
qu'il  choisissait  pour  magistrats  et  pour  veiller  à  ses  intérêts  (i). 
Les  lois  de  Sparte  avaient  encore  poussé  plus  loin  la  prévoyance  et 
la  rigueur  à  cet  égard:  car  au  dire  d'Elien,  il  suffisait  d'avoir  trois 
enfans  pour  être  dispensé  du  service  de  garde  ,  et  d'eu  avoir  cinq 
pour  être  exempt  de  toute  charge  publique.  Après  avoir  observé 
dans  la  vie  de  Licurgue  que  les  jeunes  Lacédémoniennes  s'exer- 
çaient nues  à  la  gymnastique ,  afin  d'exciter  encore  davantage  les 
jeunes  gens  à  se  marier,  Plutarque  ajoute  que  ce  grand  législateur 
avait  attaché  une  marque  d'infamie  à  ceux  qui  n'avaient  pas  voulu 
prendre  femme.  «  Il  leur  était  défendu  de  paraître  aux  exercices 
«  de  ces  jeunes  filles,  et  les  magistrats  les  obligeaient  ensuite  de 
«  faire  tout  nus  le  tour  de  la  place,  en  chantant  une  chanson  faite 
<«  contte  eux-mêmes,  et  dans  laquelle  ils  se  déclaraient  justement 
«  punis,  pour  n'avoir  point  obéi  aux  lois.  Ils  étaient  privés  en  outre 
«  du  respect  et  des  honneurs  que  les  jeunes  gens  devaient  rendre 
«  aux  vieillards.  Aussi  n'y  eut-il  personne  qui  blâmât  le  refus  que 
«  certain  jeune  homme  fit  à  Dercillidas,  tout  grand  capitaine  qu'il 
«  était,  de  lui  céder  sa  place,  en  lui  disant:  as-tu  engendré  quel- 
«  qu'un  qui  puisse  aussi  me  la  céder  un  jour?  „  (2,).  Diodore  de 
Sicile  rapporte  qu'Epaminondas  Général  des  Thébains ,  au  moment 
de  mourir  du  coup  mortel  qu'il  avait  reçu  ,  répondit  à  Pélopidas 
qui  lui  disait;  ami  tu  meures  sans  enfans:  non,  j'en  laisse  deux  à  la 
patrie  ,  la  victoire  de  Leuetres  et  celle  de  Mantinée. 
YaàuUè™  ^s  ^es  tems  héroïques  l'adultère  passait  chez  les  Grecs    pour 

îe  crime  le  plus  infâme  et  le  plus  odieux.  Les  terribles  catastro- 
phes d'Atrée  et  Thyeste  ,  d'Egiste  et  autres  qui  ont  été  mises  en 
scène  pour  l'exemple  et  l'effroi  des  adultères,  argument  sublime  et 
inépuisable  d'actions  tragiques,  nous  offrent  une  preuve  de  l'horreur 
qu'inspirait  aux  Grecs  la  violation  du  lit  nuptial.  L'enlèvement 
d'Hélène  épouse  de  Ménélas  alluma  dans  la  Grèce  entière  le  feu 
de  la  vengeance,  et  entraîna  la  ruine  de  Troie.  Les  adultères  étaient 
lapidés,  ou  avaient    les  yeux    arrachés  (3).    Les  lois    n'étaient    pas 

(i)  Potter.  Areh.  gr.  liv.  IV.  chap.  XI.  et  Montfaucon  .  T.  VI.  pag.  2i3. 

(2)  Voy  aussi    Stobeo  ,    De    laud.    Nuptlarum  ,    Sermon.    LXV.    et 
Athénée  Deipnosoph.  liv.  XIII. 

(3)  Iliad.  III.  vers.  67.  Natalis  Cornes  ,  Mytholog.  etc. 


de  la  Grège.  ^2,3 

moins  sévères  à  leur  égard  dans  les  tems  historiques.  Zeleucus  chez 
les  Locriens  les  avait  condamnés  à  cette  dernière  peine  (i):  en  Crète 
on  les  enveloppait  de  laine,  comme  par  allusion  à  leur  mollesse, 
et  dans  cet  état  on  les  conduisait  au  milieu  des  huées  publiques 
en  présence  des  Magistrats ,  qui  les  condamnaient  à  l'ignominie  (a). 
Il  serait  trop-long  de  rapporter  ici  les  divers  genres  de  peines  dont 
on  punissait  l'adultère  dans  chacune  des  républiques  de  la  Grèce. 
Nous  parlerons  seulement  des  Athéniens.  Dans  les  premiers  tems  ils  sMrkS 
n'avaient  aucune  loi  contre  ce  crime.  L'Archonte  Hippomène ,  de-  des ^uer'fenr 
scendant  de  Codrus,  condamna  sa  propre  fille  et  son  amant  à  traîner  fadultér°< 
un  char:  ce  qui  ayant  occasionné  la  mort  de  ce  dernier,  il  fit  en- 
fermer sa  fille  avec  le  cheval  dans  une  prison,  où  elle  mourut  de 
faim  (3).  Dracon  publia  dans  la  suite  une  loi  qui  mettait  l'adul- 
tère à  la  discrétion  de  celui  dont  l'honneur  avait  été  outragé,  et 
il  lui  était  permis  de  le  mutiler,  de  le  tuer,  ou  d'en  tirer  toute 
autre  espèce  de  vengeance  que  bon  lui  semblait  (4).  Cette  loi  fut 
confirmée  par  Solon,  qui  prononça  en  outre  des  peines  pécuniaire? 
selon  les  circonstances  du  délit.  Les  femmes  surprises  en  adultère 
étaient  condamnées  à  l'esclavage,  ou  bien  il  leur  était  défendu  de 
porter  des  vêtemens  riches  et  élégans,  et  si  elles  osaient  paraître 
en  public  avec  un  habillement  recherché  ,  il  était  permis  à  qui  que 
ce  soit  de  les  insulter  et  même  de  les  frapper. 

L'histoire  Greque  ne  nous  offre  aucun  exemple  de  polygamie  PoiISamic. 
proprement  dite.  M.r  de  Rochefort  observe  à  ce  sujet,  qu'Homère 
qui  est  toujours  très-attentif  à  distinguer  le  costume  des  Grecs  de 
celui  des  Barbares ,  donne  bien  plusieurs  femmes  à  Priam ,  mais 
une  seule  aux  Grecs.  C'est  pourquoi,  après  avoir  dit  dans  son  cin- 
quième livre  que  le  Spartiate  Anaxandride  eut  deux  femmes  en 
même  tems ,  Hérodote  se  hâte  d'ajouter  que  cela  était   contraire  à 

(1)  Voler,  Max.  liv.  VI.  chap.  V. 

(2)  Coel.  Rhodig.  Lect.  Antiq.  liv.  XXL  chap.  XLV. 
(5)  Heraclid,  De  Polibic.  Abhen. 

(4)  Voici  ce  que  dit  Potter  au  sujet  de  quelques-unes  de  ces  pei- 
nes :  nimirum  membri  virilis  pilis  avulsis ,  cineribus  ardentibus  pars 
ista  adspergebatur ,  et  rapum  vel  rnullus ,  aut  quidvis  simile  in  anum 
aduherorum  intrudebatur ,  unde  inposterum  evproctoi  dicebantur  Arch. 
gr.  liv.  IV.  chap.  XII. 


4%4  Religion 

l'usage  (i).  Néanmoins  les  Grecs  se  permettaient  quelquefois  de  par- 
tager leur  tendresse  conjugale  avec  quelqu'esclave  ou  concubine; 
mais  l'épouse  était  toujours  traitée  par  eux  avec  égard  comme  la 
femme  légitime  ,  tant  à  cause  de  la  dot  qu'elle  avait  apportée,  que 
par  respect  pour  les  lois  civiles  et  religieuses  qui  avaient  sanctionné 
le  mariage.  Le  divorce  était  également  très-rare  parmi  eux,  et  il 
parait  avoir  été  défendu  par  la  religion  et  les  lois  dès  les  tems 
héroïques.  C'est  pour  cela  que  dans  Euripide,  Médée  transportée 
de  colère  dit  à  Jason  qui  l'avait  répudiée  :  «  Quel  motif  t'excite 
"  à  fouler  ainsi  mes  droits  aux  pieds?  Ne  t'ai-je  pas  rendu  père? 
«  Est-ce  le  désir  de  te  voir  des  enfans  que  te  fait  courir  dans  les 
"  bras  d'une  autre  épouse  ?  Cruel  !    Non  ,    et    tu  le  sens    biens ,  ta 

"  noire  perfidie  n'a  point  d'excuse 

rt  Croit-il,  le  traître,  qu'il  n'y  ait  plus  de  Dieux  clans  l'Olympe, 
«  ou  que  d'autres  lois  aujourd'hui  gouvernent  le  monde  ?  .   .  .  . 

Les  Cretois  s'écartèrent  dans  la  suite  de  ces  principes  vertueux, 
et  en  vinrent  au  point  de  répudier  leurs  femmes  pour  le  moindre 
prétexte.  Le  divorce  n'était  pas  moins  fréquent  à  Athènes,  chez  les 
femmes  aussi  bien  que  chez  les  hommes.  Il  ne  pouvait  néanmoins 
avoir  lieu  qu'après  que  les  époux  avaient  exposé  leurs  raisons  à  l'Ar- 
chonte, et  obtenu  son  approbation.  Dans  ce  cas  le  mari  était  obligé 
de  restituer  à  la  femme  sa  dot  ,  et  de  pourvoir  convenablement  à 
Diisoiuûon     son  entretien  (2.).  A  une  époque  où  les  mœurs  étaient  devenues  moins 

•d'j.  mariage.  x  .  , 

austères,  le  mariage  pouvait  se  rompre  par  le  seul  tait  du  consen- 
tement des  époux,  et  il  leur  était  permis    d'en    contracter    un  se- 

(1)  La  pluralité  des  femmes  semble  néanmoins  avoir  été  permise  dans 
certaines  circonstances  ,  à  la  vérité  fort  rares  ,  telles  qu'une  guerre  san- 
glante ,  une  peste  ou  quelqu'autre  calamité  funeste  à  la  population  ;  c'est 
pourquoi  on  lit  d'Euripide  qu'il  haïssait  mortellement  les  femmes ,  pour 
avoir  été  tourmenté  par  deux  à  la  fois  :  fatalité  qu'on  dit  aussi  avoir  été 
commune  à  Soorate.   Gellius ,  Noct.  A  th.  liv.  XV.  chap.  XIX. 

(2)  Plut,  in  Alcibiad.  et  Demosth.  in  Neaeram.  Ariston  Roi  de 
Lacédémone  fut  le  premier  qui  donna  chez  les  Grecs  l'exemple  de  la  po- 
lygamie et  du  divorce.  N'ayant  point  eu  d'enfans  de  sa  première  femme , 
il  en  prit  un  autre  -,  ce  mariage  n'ayant  pas  été  plus  heureux  que  le  pre- 
mier ,  il  en  prit  une  troisième  ,  et  répudia  la  seconde.  Il  est  bon  d'obser- 
ver néanmoins  qu'Ariston  fut  père  de  Demaratus  ,  qui  vivait  du  tems  de 
Darius ,  c'est-à-dire  à  une  époque  où  les  mœurs  des  Grecs  étaient  déjà 
très-corrompues.  V.  Potter ,  et  De  Roche  fort  loc.  cit. 


de  la  Grège.  42^ 

cond.  Flutarque  nous  cite  un  exemple  de  cet  usage  dans  la  vie  de 
Périclés  9  qui  ne  pouvant  vivre  avec  sa  femme  pour  cause  d'incom- 
patibilité de  caractère,  la  céda  du  consentement  d'elle-même  à  un 
autre  mari.  Il  n'était  pas  défendu  néanmoins  aux  époux  de  contrac-  Secondes  note* 
ter  un  second  mariage  après  la  mort  de  l'un  d'eux.  Mais  ces  exemples 
étaient  rares  chez  les  veuves  dans  les  tems  héroïques,  tant  la  femme 
avait  de  respect  pour  le  serment  de  fidélité  qu'elle  avait  fait  à  son 
premier  époux  !  Ce  fut  ce  respect  pour  l'opinion  et  pour  le  lit 
conjugal,  qui  empêcha  Pénélope  de  céder  aux  instances  et  aux  me- 
naces des  Procris.  Nous  passerons  ici  sous  silence  certains  usages  li- 
centieux  qui  eurent  lieu  chez  les  Grecs  à  l'époque  de  leur  plus 
grande  dépravation  ;  et  nous  tirerons  également,  un  voile  sur  les 
lieux  de  prostitution  qui  furent  permis  par  Solon  même  à  Athè- 
nes, et  dont  il  répugnerait  à  une  âme  honnête  de  faire  ou  d'enten- 
dre la  description.  Nous  observerons  seulement  qu'il  ne  faut  pas 
toujours  regarder  comme  la  preuve  d'un  usage  général  ,  ce  qu'on  ra- 
conte des  déréglemens  et  du  libertinage  de  certaines  femmes:  car 
il  n'est  pas  de  peuple,  quelle  que  soit  d'ailleurs  la  sagesse  de 
ses  institutions  et  de  ses  mœurs,  qui  ne  soit  contraint  souvent  de 
tolérer  les  vices  et  la  conduite  scandaleuse  de  certaines  personnes, 
que  le  frein  de  la  religion  et  des  lois  ne  peut  contenir.  Ainsi  ce 
serait  s'abuser  étrangement,  que  déjuger  d'après  les  mauvaises  actions 
de  quelques  particuliers,  du  costume  général  d'une  nation. 

Par  la  môme  raison  on  ne  doit    point  considérer    comme    d'un       Mariage 
usage  général,  ou  comme  non  défendus  par  les  lois  chez  les  Grecs,    entreprîmes 
les  mariages  entre    proches  parens ,    tels    que  celui  de    Cimon    avec        Parens- 
Elpiuice  sa  propre  sœur.  Ces  mariages    étaient  en   horreur,  et  pas- 
saient pour  être  usités    seulement  chez    les   Barbares  (i):    la    même 
exécration  était  attachée  aux  unions  incestueuses  ,  lors  même  qu'el- 
les n'étaient  qu'un    effet   du   destin.    C'est    ce    dont  nous  offrent   un 
exemple    terrible    les    funestes    catastrophes    d'dEdipe    et    de    Phè- 
dre (a).    On  ne    peut    pas  nier    cependant  qu'il    n'existât  chez    les 


(i)  V.  Euripid.  in  Andromaq.  vers.   173. 

(2)  L'exemple  de  Jupiter  et  de  Junon ,  dit  M.r  De-Rochefort ,  l'un 
et  l'autre  enfans  de  Saturne,  et  cependant  mariés,,  n'autorisait  pas  les  Grecs 
à  l'inceste.  Les  actions  des  Dieux  étaient  toutes  mystérieuses  ,  et  n'avaient 
aucune  influence  sur  les    mœurs   de    l'espèce    humaine.    Les    hommes  ne 

Europe.  Vol.  J.  §| 


pe 
aïix 


4a^  Relicio» 

Begrds        Lacédémoniens  «ne  certaine  liberté   pour  le  mariage    entre  narens 

de  para/ilé.        ti-I'PI  W 

11  était  détendu  entre  ascendans  et  desceudans  eu  ligne  directe,  et 
permis  entre  collatéraux:  ainsi  le  neveu  pouvait  épouser  sa  tante 
et  la  tante  son  neveu,  ce  dont  on  trouve  un  exemple  dans  le  V.* 
livre  d'Hérodote  où  il  est  dit,  qu'Anaxandride  s'était  marié  avec  îa 
fille  de  sa  propre  sœur.  Le  mariage  était  permis  aux  prêtres  même 
dans  les  tems  héroïques.  Chrjfsés  prêtre  d'Apollon  était  père  de  la 
'la£e  charmante  Chryséis.  Le  jeune  Anthénor  avait  pour  épouse  ïhéano 
prêtres,  prêtresse  de  Vulcain.  Les  jeunes  frites  regardaient  comme  une  grande 
disgrâce  d'être  condamnées  à  un  célibat  perpétuel  ,  état  dont  se 
plaint  amèrement  Electre  dans  Sophocle.  Ce  n'est  que  dans  les 
tems  historiques  qu'on  voit  les  prêtresses  obligées  à  mie  continence 
inviolable. 

Les  mariages  ne  pouvaient  se  contracter  chez  les  Grecs  qu'entre 
personnes  d'une  même  ville  ou  «l'une  même  république  (r),  tant 
était  sacré  pour  eux  le  droit  de  cité!  C'est  pourquoi  les  lois  d'Athènes 
condamnaient  à  un  esclavage  perpétuel  les  en  fans  nés  de  mariages 
mixtes. 

II  n'est  pas  aisé  de  déterminer  l'âg*  auquel  on  pouvait  se  marier. 
Cet  âge  variait  à  ce  qu'il  parait,  selon  les  Constitutions  de  cha- 
que état.  A  Sparte  il  fallait  pour  cela  que  le  corps  de  l'homme 
eût  pris  tout  son  accroissement  et  acquis  toute  sa  force  ,  ce  qui 
donne  à  présumer  qu'il  n'y  avait  point  d'âge  fixe  pour  contracter 
ce  lien  (a).  II  parait  qu'à  Athènes  il  fallait  avoir  trente-cinq  ans: 
car  Selon,  qui  avait  partagé  la  vie  humaine  en  dix  semaines,  disait 
que  ce  n'était  qu'à  la  cinquième  que  l'homme  était  propre  à  en- 
gendrer des  enfans  sains  et  vigoureux  (3).  Hésiode  fixe  l'âge  du  ma- 


Mariage 
défendu 


.Âge  poin- 
te mariage 


raisonnaient  pas  alors  comme  le  Careas  de  Térence  ,  qui ,  à  la  vue  d'un 
tablau  représentant  Jupiter  changé  en  pluie  d'or  pour  s'approcher  de  Da- 
paé  ,  s'écrie  : 

At  quem  Deurn  !   Qui  coeli  summa  sonifci  concutib  ? 
Ego  homuncio  hoc  non  facerem  ? 

(i)  Potter.   Arch.  gr.  liv.  IV.  chap.  XI, 

(2)  Xenoph.  de  B.epubl.  Lacaedemon. 

(3)  Censorinus.  De  die  Natali.  chap.  XIV.  Aristote  fixe  à  XXX VII 
ans  l'âge  le  plus  propre  à  la  génération  ,  et  Platon  à  XXX.  Voy.  à  ce  sujet 
l'Hérodote  de  Larcher.,   vol.  VIL  pag.  3o,8  et  485. 


dé    la    Grège,  437 

riage  pour  les  femmes  à  i5  ans  (i),  Aristote  à  i3  3  et.  les  ancien- 
nes lois  d'Athènes  l'avaient  porté  jusqu'à  2,6. 

Le  consentement  des  parens    était  nécessaire  pour  que  le    ma-    Consentement 
riage   fût  légitime.  C'est  pour  cela  que  Héron,  selon  Musée,  dit  a 
Léandre  qu'elle  ne  pouvait  point    l'épouser,    parce   que   ses    parens 
ne  le  voulaient  pas.  Achille  refusa  d'accepter    pour  épouse    la  fille» 
d'Agamemnon  ,   en  disant  (n):  Si  les  Dieux  me  permettent  de  revoir 

mes  Pénates  ,  c'est  Pelée  lui-même  qui  me  choisira  une  épouse 

Les  filles  qui  n'avaient  plus  ni  père  ni  mère,  devaient  obtenir 
l'assentiment  de  leurs  frères ,  de  leurs  oncles  ou  de  leurs  plus  pro- 
ches parens.  Quelquefois  le  mari  même,  sur  le  point  de  mourir,  pro- 
mettait sa  femme  en  mariage  à  un  autre.  Ainsi  le  père  de  Démos- 
thène.,  avant  de  succomber  sous  le  poids  de  ses  infirmités,  promit 
sa  femme  Gléobuîe  à  A  phobus  avec   une  dot  considérable. 

Avant  leur  civilisation  les  Grecs  achetaient  leurs  femmes,  d'où  Dot. 
Aristote  conclut  qu'anciennement  leurs  mœurs  étaient  extrêmement 
barbares  (3).  Mais  c'était  un  usage  établi  dès  les  tems  héroïques, 
que  les  femmes  devaient  apporter  à  leur  mari  une  dot  proportionnée 
à  leur  fortune  et  à  leur  naissance  (4).  A  mesure  que  le  luxe  fit 
des  progrès,  cette  dot  devint  plus  considérable:  ce  qui  fut  la  cause 
de  deux  inconvéniens  ;  l'un,  que  le  nombre  des  mariages  diminua, 
et  l'autre  que  les  épouses  riches  prétendaient  de  commander  au  mari. 
Pour  que  le  défaut  de  fortune  ne  mît  point  d'obstacle  au  mariage  (5) 
Lycurffue  abolit  à   Lacédémone  l'usage    de  la  dot.    Selon  en   fit  de         foh 

3  °  °  de   Lycurgue 

même  à  Athènes,  en  ordonnant  que  les  jeunes  filles  n'apporteraient  <*  de  Soto» 
en  mariage  que  trois  robes,  et  quelques  ustensiles  de  ménage. 
Cependant  3  pour  conserver  ies  fortunes  dans  chaque  famille,  ce 
dernier  législateur  avait  prescrit  en  outre  que  les  filles  uniques  se 
marieraient  avec  leur  plus  proche  parent.  Mais  les  lois  de  l'un  et  de 
l'autre  n'eurent  pas  grand'force  à  cet  égard  :  car  on  lit  dans  PIu- 
tarque  que,  du  tems  de  Lysandre,  les  hommes  ne  regadaient  guè- 

(t)  Oper.  et  Bies.  liv.  II.  vers.  5i6. 

(2)  Iliad.  liv.  IX,  vers.  3g3. 

(3)  Politic.  liv.  II.  chap.  VIII. 

(4)  Euripid.  Andromaq  vers.   147. 

(5)  Justin.  Hlstor.    liv.  III.    chap.    III.    Plutarq.    "Apophthegm..  La*- 
conicis.  Aelian.  Var.  Uistor.  liv.  VI.  chap.  VI. 


Cérémonies 
nuptiales. 

Mariage 
du  lems 
d'Homère. 


Mariages 

des  Spartiates 


Mariages 
des  autres 
peuples. 


42.8  Religion 

res  aux  charmes  et  à  la  vertu  d'une  femme,  et    ne  fesaient    atten- 
tion qu'à  sa  dot.  Il  faut  lire  à  ce  sujet  Phéitius  et  Potter. 

Après  avoir  dit,  en  parlant  du  fameux  bouclier  d' Achille  8 
que  le  Dieu  dont  H  était  l'ouvrage  y  avait  représenté  deux  villes , 
peuplées  d'hommes  de  langage  et  de  visage  différens  ,  Homère  ajoute 
que,  dans  l'une  ou  célébrait  un  mariage,  dont  il  fait  la  descrip- 
tion suivante  :  Dans  Vune  on  célébrait  un  mariage  au  milieu  des 
réjouissances  et  des  festins.  L'épouse ,  au  sortir  du  lit  nuptial ,  était 
accompagnée,  dans  les  rues  à  la  lueur  des  flambeaux ,  et  avec  des 
transports  d'allégresse.  Des  chœurs  de  jeunes  gens  chantaient  des 
hymnes  en  l'honneur  â" Hyménée ,  et  formaient  des  danses  au  son  des 
flûtes  et  des  hautbois ,  tandis  que  les  femmes ,  debout  sur  Je  seuil  de  leurs 
portes,  contemplaient  d'un  œil  émerveillé  la  pompe  de  cette  fête  (1). 
Mai?  dans  les  tems  héroïques,  les  cérémonies  du  mariage  n'étaient  pas 
les  mômes  dans  toute  ta  Grèce.  Les  Spartiates,  dit  Plutarque  dans  la  vie 
de  Lycurgue,  "se  procuraient  leurs  femmes  par  le  rapt,  non  lorsqu'el- 
«  les  étaient  dans  un  âge  encore  tendre  ,  mais  à  la  fleur  et  dans  toute 
«  la  force  de  la  jeunesse.  La  fille  ainsi  enlevée  était  remise  à  une 
«  femme  qui  présidait  aux  mariages:  cette  femme  lui  rasait  aussitôt 
«  les  cheveux  autour  de  la  tête,  et  après  lui  avoir  donné  un  man- 
"  teau  et  mis  une  chaussure  d'homme,  elle  la  laissait  seule  et  sans 
«  lumière  sur  un  tas  de  fourrage.  Venait  ensuite  l'époux,  que  l'usage 
«  du  vin  et  les  plaisirs  n'avaient  point  amolli,  mais  que  la  frugalité 
«  des  repas  publics,  à  laquelle  il  était  accoutumé  dès  l'enfance,  avait 
«  rendu  sobre  et  robuste;  il  lui  déliait,  aussitôt  sa  ceinture,  et  la 
«  prenant  dans  ses  bras  il  la  portait  au  lit.  Après  être  resté  peu 
«  de  tems  avec  elle  ,  il  se  retirait  modestement  pour  aller  passer 
«  le  reste  de  la  nuit  au  lieu  ordinaire  avec  les  autres  jeunes  gens. 
«  Il  continuait  ensuite  de  vivre  avec  eux  comme  auparavant,  et 
a  n'allait  trouver  sou  épouse  qu'en  cachette,  et  en  prenant  bien 
«  garde  de  ne  pas  être  aperçu  dans  la  maison  où  elle  était.  L'épouse 
«  de  son  côté  ne  négligeait  aucun  moyen  de  se  ménager  des  entre- 
nt vues  avec  lui ,  et  il  leur  arrivait  souvent  d'avoir  des  enfans  avant 
et  de  s'être  vus  de  jour  ,}. 

Les  autres  peuples  de  la  Grèce  ajoutèrent  de  nouveaux  rites  à 
ceux  des  tems  héroïques ,  et  donnèrent  plus  de  solennité  aux  cérémo- 
nies du  mariage.  Il  parait  néanmoins,  qu'à  quelque  petite  différence 


(1)  Iliad,  liv.  XVIII.  vers.  490. 


de    la    Grège.  4^9 

près,  tous  s'étaient  conformés  en  cela  aux  usages  d'Athènes.  D'abord  Tem 
il  n'y  avait  point  d'époque  fixe  dans  l'année  pour  la  célébration  esmariases' 
des  mariages.  Les  Athéniens  choisissaient  l'hiver  et  surtout  le  mois 
de  janvier,  comme  le  tems  où  les  pluies  répandaient  la  fécondité 
sur  le  sol  de  l'Attique  :  motif  pour  lequel  ils  l'appelaient  Game- 
lion  (i).  Mais  un  autre  époque,  qui  était  regardée  comme  des  plus 
propices  à  cette  cérémonie,  c'était  celle  de  la  conjonction  du  soleil 
et  de  la  lune,  et  qui  donnait  lieu  aux  fêtes  appelées  Théo  garnie ,  ou 
Noces  des  Dieux  (a),  à  cause  d'un  ancien  préjugé  qui  accordait  à 
la  lune  la  vertu  de  rendre  les  épouses  fécondes.  Avant  le  mariage  Sacrifices 
on  fesait  des  sacrifices,  des  offrandes  et  des  libations  aux  divinités  ^offrandes 
gamélies ,  et  surtout  à  Diane,  à  laquelle  les  jeunes  filles  présen- 
taient des  paniers  de  fruits  et  de  fleurs,  afin  que,  comme  Déesse 
de  la  chasteté,  elle  ne  leur  fût  point  contraire  dans  le  nouvel  état 
où  elles  allaient  passer  (3).  Par  la  même  raison  les  hommes  ne  pou- 
vaient point  se  marier  à  Athènes,  avant  d'avoir  fait  dans  i'Acropolis 
un  sacrifice  à  Minerve,  Déesse  de  la  virginité.  La  veille  de  leur 
mariage  les  époux  fesaient  hommage  de  leur  chevelure  à  Diane,  à 
Minerve,  aux  Parques  ou  à  quelqu'une  des  Déesses  gamélies ,  dont 
il  croyaient  avoir  reçu  un  bienfait  ou  une  faveur  quelconque  (4). 
On  avait  soin  ,  dans  les  sacrifices  qui  se  fesaient  à  cette  occasion  ,  Augures. 
d'ôter  le  fiel  du  corps  des  victimes,  et  de  le  jeter  derrière  l'autel, 
cette  partie  de  l'animal  passant  pour  être  le  siège  de  la  malignité 
et  de  la  colère  (5).  Les  prêtres  examinaient  ensuite  les  entrailles. 
S'ils  y  apercevaient  quelque  chose  de  sinistre  présage,  le  mariage 
était  interdit  comme  contraire  à  la  volonté  des  Dieux.  Il  en  était 
de  même  lorsque  quelqu'autre  signe  de  mauvais  augure  venait  à  se 
manifester  dans  le  temple  durant  la  cérémonie.  Le  vol  de  deux 
colombes  était  du  plus  heureux  présage,  parce  que  ces  oiseaux 
étaient  regardés  comme  l'emblème  de  l'amour  conjugal;  mais  on 
avait  une  opinion  funeste  de  la  corneille    qui  paraissait  seule:    car 


(i)  Olympiodor.  in  Mebeora  Arisbobelis.  Eustathius  in  Iliad.  XVIII. 

(2)   Eurip.  Iphigen.in  Aul.yers.  717.  Pind.  Isthm.  Ode  VIII.  vers.  o,5. 

(5)  Theocrit.  Idyll.  II.  vers.  66.  Cette  cérémonie  s'appelait  ieavy<popeïv , 
porter  les  corbeilles  :  motif  pour  lequel  ces  jeunes  filles  s'appelaient  en- 
core  Canéphores. 

(4)  Pollux.   Onomasb  liv.  III.  cliap.  III.  Pausan.  In  Abbicis  etc. 

(5)  Goel.  Rhodigin,  Lect.  Anbiq.  liy.  XXVIII.  chap.  XXI. 


Habillement 

nuptial. 


Cortège 
dès  époux. 


Banquet 

gamélie. 


^3o  Religion 

c'était  une  preuve  qu'elle  avait    perdu    son  compagnon    fidèle ,    ces 
oiseaux  ayant  l'habitude  de  voler  toujours  ensemble  (i). 

L'habillement  des  époux  était  neuf  et  plus  ou  moins  somptueux 
selon  leur  condition.  L'épouse  portait  un  collier  de  pierres  précieu- 
ses et  un  riche  manteau  broché  en  or.  Les  vôtemens  des  persounes 
qui  assistaient  au  mariage  n'étaient  pas  moins  brillansj  et  c'était 
ordinairement  l'épouse  qui  leur  en  fesait  présent  (a).  Les  époux 
avaient  leurs  cheveux  parfumés  d'essences,  et  pour  coiffure  chacun 
une  couronne  composée  de  pavots  ,  de  roses,  de  myrte  ou  autres  feuil- 
lages consacrés  à  Vénus  (3).  La  maison  où  se  fesait  la  cérémonie 
était  également  ornée  de  guirlandes.  Une  jeune  fille  précédait  l'é- 
pouse, tenant  un  crible,  une  navette,  ou  tout  autre  ustensile  à 
l'usage  des  femmes:  l'épouse  portait  elle-même  un  vase  de  terre 
plein  d'orge,  par  allusion  à  l'engagement  qu'elle  prenait  de  veiller 
aux  soins  du  ménage  (4)-  Vers  îe  commencement  de  la  nuit  on  con- 
duisait l'épouse  sur  un  char  de  la  maison  paternelle  à  celle  de  l'é- 
poux, comme  pour  cacher,  à  la  faveur  des  ténèbres,  la  pudeur  vir- 
ginale (5).  A  l'un  de  ses  côtés  était  assis  l'époux  ,  et  de  l'autre  son 
plus  proche  parent  ou  l'ami  le  plus  intime.  Des  chœurs  de  chan- 
teurs et  de  danseurs  accompagnaient  le  char.  Arrivé  à  la  maison 
de  l'époux  on  en  jettait  les  ptanches  sur  le  feu  s  pour  indiquer  que 
lepouse  ne  retournerait  plus  à  la  maison  paternelle  (6).  A  la  porte  on 
posait  quelques  figues  et  autres  fruits  sur  la  tête  des  époux  ,  com- 
me un  présage  de  l'abondance  dont  ils  allaient  jouir  ,  selon  l'opi- 
nion du  Scoliaste  d'Aristophane. 

Il  y  avait  ensuite  un  repas  splendide  auquel  on  donnait  l'épi- 
thète  de  gamélie.  Un  enfant  couronné  d'aubépine  et  de  chêne  en- 
trait avec  un  panier  plein  de  pain  ,  et  allait  chantant  ïcpvyov  xaxov. 
sïpov  arieivov  ,  f  ai  fui  le  mal,  j'ai  trouvé  le  mieux,  fesant  ainsi  al- 


(i)  Alexand.  Ab.  Alex.   Génial.  Dies. 

(2)  Aristoph.  in  Plut.  vers.  529. 

(3)  Les  Béotiens  portaient  des  couronnes  faites  d'asperge  sauvage , 
qui  était  épineux  et  agréable  au  goût ,  pour  exprimer  que  les  .amans  ne 
peuvent  s'approcher  d'abord  que  difficilement  des  jeunes  filles  ;  mais  qu'ils 
trouvent  ensuite  beaucoup  de  douceur  à  les  posséder  comme  épouses. 

(4)  Pollux.   Onomastic.  liv.  I.  chap.  XII.  et  liv.  III.  chap.  III. 

(5)  Euripid.  in  Helen.  vers.  328.  Svidas  in  Ze-Sfoç.  Lucian.  De  Conv. 

(6)  Chez  les  Rhodiens  ,  le  cortège  de  la  noce  était  précédé  d'uncrieur 
public,  qui  proclamait  à  haute  voix  le  nom  de  l'épouse. 


BE    la    Grèce,  ^3ï 

îusion  au  changement  qui  avait  substitué  le  pain  au  gland  pour  la 
nourriture  de  l'homme,  et  à  l'avantage  qu'a  la  société  conjugale 
sur  la  vie  sauvage.  Alors  commençaient  les  danses,  les  chants  et  les  Danse* 
réjouissances  -,  taudis  qu'un  jeune  homme  se  promenait  autour  de  la 
compagnie  avec  un  gâteau  fait  de  sésame  ,  plante  à  laquelle  on  attri- 
buait la  vertu  de  féconder  (i).  Après  les  danses  les  époux  étaient  con- 
duits au  lit  nuptial  ,  qui  devait  être  recouvert  d'une  riche  étoffe  ou  Lit  nuptial. 
de  rares  pelletteries,  et  parsemé  de  fleurs  odoriférantes  (a).  L'épouse 
se  lavait  auparavant  les  pieds  avec  de  l'eau  de  Callirohé,  une  des 
fontaines  sacrées  de  l'Àttique,  dont  les  Athéniens  se  servaient  à 
cet  effi  t(3).  On  l'accompagnait  ensuite  au  lit  précédée  de  flambeaux  , 
à  l'un  desquels  la  mère  avait  eu  soin  d'attacher  une  bandelette 
ou  un  ruban  (^).  Il  était  encore  d'obligation  pour  les  époux  à 
Athènes ,  après  qu'ils  étaient  renfermés  dans  leur  chambre  ,  de  manger 
ensemble  un  coin  ,  comme  l'emblème  de  la  douceur  qui  doit  régner 
entre  les  époux  (5).  Après  cela  ,  l'époux  détachait  la  ceinture  de 
l'épouse  et  la  dépouillait  de  ses  vètemens.  Pendant  ce  tems  les 
chœurs  de  jeunes  garçons  et  de  jeunes  filles  chantaient  des  hymnes        Hymne 

it  '      '         T-r        -i  1  1         Dr  mi    -  de  l'nyméiiê&f 

a  Hymenee.  Un  des  plus  proches  parens  de  1  époux  veillait  toute 
la  nuit  sur  le  seuil  de  la  porte  ,  pour  empêcher  que  personne  ne 
vint  troubler  le  sommeil  des  nouveaux  époux  (6).  Dès  l'aube  du 
jour  ils  étaient  éveillés  par  les  mêmes  chœurs ,  qui  chantaient  de  nou- 
veau  l'hymne  à  Hyménée  (7).   Les    réjouissances    et  les    festins  du- 

(1)  Scoliast.    in  Aristoplianis  Pacem.  Athenaeus  Deipnosoph.  liv.  X. 

(2)  Les  anciens  Grecs  ne  fesaient  point  usage  d'anneau  à  l'occasion 
du  mariage.  Les  poètes  ont  imaginé  que  Jupiter  avait  permis  à  Hercule 
de  rompre  les  chaînes  de  Prométhée  ,  à  condition  que  ce  dernier  porterait 
tout  le  reste  de  sa  vie  un  anneau  de  fer  ,  auquel  serait  attaché  un  mor- 
ceau de  la  roche  du  Caucase,  où  il  était  enchaîné  Quelques  écrivains  ont 
cru  que  cet  événement  avait  donné  naissance  à  l'usage  des  anneaux.  Mais 
Pline  observe  que  l'histoire  de  Prométhée  n'est  pas  moins  fabuleuse  que 
celle  de  Midas  ,  et  que  de  son  tems  on  ignorait  encore  l'origine  de  cet 
usage.    Et  en  effet  ,  il  n'en  est  jamais  parlé  dans  Homère. 

(3)  Gatull.  De  nuptiis  Pelei  et  Thebidis.  Apollon.  Argonaut.  liv.  lVfi 
■vers.    1 1 41. 

(4)  Liban.  Déclamât.  XXXVII.  Sénèq.   Theb.  Act.  IV.  vers.  63, 
(ô)  Plutarq.  in  Solone  ,  et  in   Conjugal.  Praeceptis. 

(6)  Pollux     Onomast    liv.  III.  chap.   III. 

(7)  Théocrite  ,  dans  Y Hpibhalame  d'Hélène  fait  dire  aux  époux  pas 
le  chœur  des  jeunes  garçons  et  des  jeunes  filles  ;  «  Dormez  dans   le  sein 


JYoces 
de  Thélis 

avec  Pelée. 


Pudeur 

l'épouse* 


Prësens 

des  Dieux, 


43a  Religion 

raient  plusieurs  jours,  pendant  lesquels  les  parena  et  les  amis  Pe- 
saient aux  époux  toutes  sortes  de  présens.  Telles  étaient  les  céré- 
monies qui  accompagnaient  le  mariage  chez  le  Grecs.  Nous  allons 
faire  connaître  maintenant  quelques  autres  rites  de  moindre  impor- 
tance, dans  la  description  des  planches  suivantes  où  sont  représen- 
tées ces  diverses  cérémonies. 

Le  bas-relief  de  la  planche  66  a  pour  sujet  les  noces  de  Thé- 
tis  avec  Pelée  (i).  Voici  la  description  qu'en  donne  Winkelmann. 
«  Pelée  est  le  héros  qu'on  voit  assis  et  nu  de  la  ceinture  en  haut, 
«  à  côté  duquel  est  Thétis,  dont  les  pieds  sont  posés  sur  une  espèce  de 
«  banquette,  marque  distinctive  de  sa  dignité  .  .  .  .  ,  qui  m'a  mis 
a  sur  la  trace  du  sujet  de  ce  marbre.  Thétis  a  le  visage  couvert 
«■  d'un  voile,  comme  si  elle  avait  tiré  une  partie  de  son  vêtement 
"  sur  sa  tète  ,  à  la  manière  des  nouvelles  mariées,  selon  que  nous 
a  les  dépeignent  Théocrife  et  Catulle,  lorsqu'on  voulait  les  repré- 

a  senter  affligées  ou  cachant  leur  pudeur Le  lendemain  du 

«  mariage,  l'épouse  quittait  le  voile  et  se  montrait  à  visage  décou- 
«  vert:  ce  qui  fesait  appeler  ce  jour  chez  les  Grecs  Anacalupterla  , 

«  ou  le  jour  de  dévoilement Les  Dieux  parurent  avec  leurs 

«  présens  aux  noces  de  Péiée  comme  à  celles  de  Gadmus.  Mais  l'ar- 
«  tiste  n'y  a  représenté  que  celui  de  Vulcain  _,  lequel  ne  pouvait 
"  se  dispenser  de  donner  cette  marque  de  reconnaissance  à  Thétis 
«qui  lui  avait  sauvé  la  vie,  lorsque  Jupiter  le  précipita  de  l'OIym- 
a  pe  dans  l'île  de  Leranos.  C'est  pourquoi  il  présente  à  Pelée  le 
«  bouclier  et  l'épée  qui  ne  trompa  jamais  son  courage  ,  et  qui  donna 
"  origine  à  ce  proverbe  :    Il  est  plus  glorieux  que  ne  Vest  Pelée  de 

<■<■  son    épée Pallas  qui  vient  après  Vulcain  offre  aux  époux 

«  un  casque  et  une  lance Ptoiémée  Ephestion  cite  les  noms 

"  des  autres  divinités  qui  honorèrent  de   leur    présence  le    mariage 


a  l'un  de  l'autre  Amour  et  désirs  enchanteurs  ,  puis  reveillez-vous  avec  le 
«  jour.  Loin  de  vous  tout  souci.  Demain  nous  reviendrons  dés  que  le 
«  chantre  des  bois  ,  secouant  son  plumage  sur  la  branche  où  il  a  reposé  , 
«  aura  fait  retentir  de  ses  premiers  accens  les  échos  du  matin.  Et  toi  Hy- 
«  menée  ,  Hyménée  ,  réjouis-toi  du  bonheur  de  ces  époux.  » 

(i)  Ce  bas-relief  est  aussi  rapporté  par  Montfaucon  ,  mais  sans  com- 
mentaire qui  explique  le  fait  qu'on  y  voit  représenté.  Winckelmann  , 
dans  ses  Monumens  antiques,  a  été  le  premier  qui  en  a  cherché  la 
vraie  signification.  Le  bas-relief  fait  partie  d'un  sarcofage  de  la  maison 
de  plaisance  Albani, 


■I 

f 


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r=    ^JL      iijAî^ 


%t    LA     CaIg£  453  . 

§  dont  il  s'agît.  Jupiter  donna  des  ailes  à  Thétis;  Vénus  une  coupe 
à  Pelée,  sur  laquelle  était  gravé  un  petit  amour:  Neptune  lui  fit 
présent  de  deux  chevaux  fameux  par  leur  nom ,  et  Junon  de  la 
chlamyde  ....  Pallas  est  suivie  des  quatre  Heures ,  ou  Déesses 
des  Saisons,  filles  du  Soleil,  et  en  même  teras  Déesses  de  la 
beauté  3  que  Nonnus  fait  aussi  intervenir  aux  noces  de  Cadmus  ? 
et  par  qui  Môschiou  fait  préparer  le  lit  de  Jupiter  et  d'Europe  : 
«  ce  sont  elles  qui  portent  les  présens  pour  la  table.  La  première, 
«  qui  représente  l'hiver,  est  plus  habillée  que  les  autres;  elle  porte 
«  un  lièvre  et  un  oiseau  attachés  à  un  bâton  ,  et  traîne  après  elle 
un  sanglier,  emblème  de  la  chasse  pour  laquelle  l'hiver  est  la 
i  saison  la  plus  favorable.  Elle  précède  les  autres,  parce  que  cette 
saison  est  aussi  la  plus  propre  aux  mariages  ....  Après  elle 
vient  l'Automne  ,  qui  est  moins  vêtue,  tenant  par  une  patte  de 
*  devant  une  chèvre,  et  portant  un  panier  de  fruits  qu'on  appelait 
carpoi  oraioi ,  ou  fruits  mûrs  ,  qui  étaient  de  l'été  et  de  i'automne. 
'(■  Suit  l'été  ,  légèrement  habillé  et  avec  une  guirlande  ,  puis  le  Prin- 
"<  terns,  qui  semble  porter  dans  un  pan  de  son  vêtement  des  petits 
pois  écossés  ,  production  particulière  à  cette  saison,  et  qu'on 
{  voyait  alors  sur  les  tables  des  Grecs,  comme  aujourd'hui  sur  les  nô- 
«  très  ....  Le  Printems  porte  sur  sa  physionomie  et  dans  son 
'<  maintien  un  air  innocent  et  virginal  ,  et  tient  les  yeux  modestement 
baissés  ,  tel  que  les  poètes  nous  dépeignent  les  femmes  non  ma- 
riées ;  il  a  la  chevelure  nouée  sur  le  haut  de  la  tête  comme  les 
jeunes  filles  ....  Après  les  Heures  vient  Hyménée  fils  de  ïherp- 
sicore  5  ayant  une  longue  chevelure  retroussée  ,  et  une  couronne 
de  fleurs  comme  le  dépeint  Ovide  :  il  est  éclairé  par  Hes pénis 
<  également  couronné  de  fleurs,  et  portant  un  flambeau  renversé, 
par  allusion  au  tems  des  cérémonies  et  des  fêtes  nuptiales  ,  qui 
«  se  fesaient  ordinairement  le  soir  ....  La  divinité  qu'on  voit  du 
côté  droit  avec  un  diadème  ,  repoussée  par  un  petit  amour  ,  pour- 
«  rait  représenter  la  Discorde  5  qui  >  pour  se  venger  de  l'affront  de 
'«  n'avoir  point  été  invitée  à  ces  noces,  jeta  dans  la  salle  du  fes- 
;<  tin  la  pomme  d'or  ,  qui  devint  dans  la  suite  la  cause  de  tant  de 
«  querelles  et  de  la  guerre  de  Troie.  On  ne  voit  pas  néanmoins 
que  cette  figure  ressemble  beaucoup  à  la  Déité  de  ce  genre,  dont 
«  Homère  et  Virgile  nous  ont  tracé  le  portrait  ....  d'où  l'on 
c  pourrait  conclure  que  le  sculpteur  a  peut-être  voulu  représenter 
'«  ici  la  Déesse  Thémis ,  qui   empêcha    Jupiter,  Neptune  et  Apol- 

Europe.  Vol.  I.  55 


Heures  . 
et  saisons*. 


ffifâ. 


AatonffTe. 


Eté. 


Hyménëe. 


HespéruSS- 


Thé '/> lis.. 


434  R  KL  16  ï  0  3? 

«  Ion  de  caresser  Thétis ,  dont  ils  étaient  amoureux,  dans  la  crain- 
"  te  qu'il  n'en  naquît  un  fils  plus  grand  que  son  père  (1)  „.  Au 
dessous  du  bas-relief  on  voit  les  deux  côtés  du  sarcophage,  sur 
l'un  desquels  est  un  Neptune  avec  un  monstre  marin  ,  et  sur  l'au- 
tre un  Amour  à  cheval  sur  un  dauphin  ,  et  portant  une  espèee  de 
parasol. 
tfoces  La  planche  67  représente  les   noces   de   Pénélope    et  d'Ulysse, 

âe    Pénélope       /-.         ,  »  ,  -,. 

et  d-Uiysse.  (Quelques-unes  des  hgures  sont  prises  des  vases  d  Hamilton  ,  et  d  au- 
tres des  anciens  bas-reliefs  de  Winckelmann  et  de  Zoega  ,  auxquels 
appartiennent  également  les  parties  accessoires,  ainsi  que  l'archi- 
tecture de  cette  composition  pittoresque.  La  cérémonie  est  celle 
qui  se  fèsâït  immédiatement  avant  de  conduire  les  époux  à  l'ap- 
farfums.  partement  nuptial.  Ulysse  couronné  de  myrte,  et  coiffé  de  son 
bonnet  accoutumé  ,  présente  à  Pénélope  un  vase  contenant  les  es- 
sences dont  il  s'est  déjà  parfumé  ,  et  qu'il  a  destinées  aussi  pour 
elle.  La  robe  de  l'épouse  est  parsemée  de  points  disposés  trois  à 
trois:  nombre  qui,  selon  la  remarque  de  M-FS  Hancarville  et  Ita- 
linski  ,  et  d'après  les  idées  de  Platon,  d'Aristote  et  de  Plutar- 
EmLMmes  que  ,  passait  pour  sacré  ,  et  pour  être  V emblème  de  la  perfection  et 
afecsn  ae-  de  la  création ,  peut-être  parce  qu'en  multipliant  ces  trois  nombres 
par  eux-mêmes ,  on  venait  à  former  un  solide:  tout  ce  qui  a  la  for- 
me de  matière  ou  d'un  corps  étant  jugé  avoir  les  trois  dimensions. 
L'enfant  qui  lave  les  pieds  de  l'épouse  représente  le  Génie  de  la 
fécondité,  et  exprime  en  outre  le  grand  objet  de  l'institution  du 
mariage.  Le  parasol  ,  que  Pénélope  tient  d'une  main,  était,  ainsi 
que  le  marchepied  ^  la  marque  d'une  naissance  illustre  et  d'un  haut 
■Paranjmphe.  rang.  Le  paranymphe  ,  ou,  selon  certains  auteurs,  le  -prêtre,  va 
pour  présenter  la  pomme  aux  époux.  La  femme  qui  préside  au 
mariage  tient  en  main  le  ruban  ,  avec  lequel  on  attachait  la  che- 
velure  de  ['épouse  avant  quelle  entrât  au  lit;  et.  c'était  ordinaire- 
ment la  mère  qui  s'aquittait  de  ce  soin.  Le  héros  debout  devant 
les  époux,  et  qui  tient  un  sceptre  en  main,  est  Icare  père  de 
Pénélope.  L'action  se  passe  dans  le  Parastadium ,  qui,  d'après  la 
description  que  nous  a  donnée  Vitruv    des  maisons  des  Grecs,  étalé 


(x)  Winkelmann.  Monum,.  pag.  i5r.  N.°  III.  Ce  monument  est  aussi 
rapporté  par  Zoega,  Bossi-rilievl  antichi  ,  LU.  et  par  Millin.  Gai.  my- 
lliolog.  N.°  55  ï.  PL  CLII. 


DE     LA     GnÈCE.  4^ 

un  corridor  ouvert ,  communiquant   avec  le    péristîle  ou  le  baîeon  , 
et  qui  se  trouvait  entre  les  deux  chambres  à  coucher. 

La  planche  68  est  prise  des  peintures  d'un  vase  qui  a  été  trouvé  Se&>nd0 
dans  les  ruines  d'Athènes  ,  et  dont  M.r  Wagner,  artiste  d'un  talent 
distingué,  a  communiqué  le  dessin  à  M.1  Millingen  :  la  copie  qu'on 
en  voit  ici  est  parfaitement  conforme  à  l'original.  Le  sujet  qui  y  est 
représenté  peut  être  considéré  comme  divisé  en  trois  parties.  Dans 
celle  de  gauche  est  l'épouse  couverte  du  voile  nuptial,  que  le  pa- 
ranymphe  et  la  femme  qui  préside  au  mariage  accompagnent  à  la 
maison  de  son  époux.  Lorsqu'un  homme  se  remariait,    le  paranvm-         RUesr 

J-  -l  .  particulier^ 

phe  seul  accompagnait  l'épouse,  contre  l'usage  ordinaire,  qui  vou-  aux  veufs. 
lait  qu'elle  le  fût  par  l'époux  et  le  paranymphe.  Il  semble  par 
conséquent  que  le  sujet  dont  il  s'agit  ici  est  un  mariage  en  secon- 
des noces.  Et  en  effets  l'époux  qu'on  voit  dans  la  partie  de  droite 
a  une  barbe  épaisse,  et  parait  déjà  avancé  en  âge.  A  la  lance 
qu'il  tient  en  main  on  le  reconnaît  pour  un  guerrier.  Il  est  à  la 
porte  de  sa  demeure,  attendant  l'arrivée  de  l'épouse ,  tandis  qu'une 
femme  a  l'air  de  l'agacer  par  des  plaisanteries,  comme  cela  arrive 
dans  ces  sortes  d'occasions.  On  voit  au  milieu  deux  Déesses  gamé- 
liesj  avec  Apollon  tenant  une  feuille  de  laurier,  et  Diane  qu'on 
distingue  à  l'arc  et  au  carquois  qu'elle  porte.  L5habillement  des  per- 
sonnages est  ample  et  riche,  comme  il  était  usité  à  Athènes,  dont 
le  climat  est  assez  froid  en  hiver.  M.r  Millingen  observe  à  cet 
égard  ,  que  la  même  sorte  de  vètemens  se  retrouve  sur  les  vases  de 
la  fabrique  de  Nola  ,  qui  était  une  colonie  Athénienne.  La  pein- 
ture que  nous  venons  d'examiner  est  d'autant  plus  précieuse  encore  , 
qu'elle  présente  sur  les  mariages  certaines  particularités ,  qu'on  cher- 
cherait eu  vain  dans  les  autres  monumens. 

Le  principal  but  que  se  proposaient  les  Grecs  en  se  mariant, 
était ,  comme  nous  l'avons  observé  plus  haut  ,  d'avoir  des  enfans.  Dans 
cette  vue,  les  époux  fesaient  des  offrandes  et  des  sacrifices  aux  di- 
vinités qui  présidaient  à  la  génération.  Ces  divinités  étaient  connues' 
des  Athéniens  sous  le  nom  de  Tritopatori ,  qui  veut  dire  troisièmes  »««* 
pères;  mais  il  n  est  gueres  laciie  de  déterminer  1  origine  de  ce 
nom,  ni  de  dire  précisément  quelles  étaient  les  Déités  qu'on  appe- 
lait ainsi.  C'est  pourquoi  nous  renvoyons  nos  lecteurs  à  Suidas,  au 
grand  Etymologique,  à  Favorin,  à  Esichiin  et  à  Porter.  Les  fem- 
mes' en  couche  invoquaient  la  Déesse  Elithyla  ,  qu'on  appelait 
aussi  (bQff.popoç ,  ou  qui  apporte  la  lumière,  laquelle  était  la    même 


4^6  Religion 

que  la    Lucine    des  Latins  (i).  Potter    est   d'avis   que,  sous  le  nom 

à'Elithya  on  entendait  toutes  les  Déesses  qui   présidaient  aux  accou- 

chemens,  entr'autres  Junon  et  ses  filles,  comme  on   le  voit    par  un 

Déesses       passage  du  XLe  livre  de  l'Iliade.  A  côté   de  Junon  on  doit    placer 

tute'atres  I 

mcouchvnens  Lune5  qui  ■>  a«    rapport  des  anciens  philosophes,  avait  beaucoup 

d'influence  sur  la  génération  de  l'espèce  humaine:  on  peut  y  join- 
dre aussi  Diane  et  Proserpine,  parce  que  c'était  la  même  Déesse  qui 
était  honorée  sous  ces  trois  noms.  On  invoquait  ces  Divinités  pour 
en  obtenir  un  accouchement  exempt  de  douleurs  :  ce  qui  était  re- 
gardé comme  une  marque  de  la  faveur  céleste,  et  la  preuve  d'une 
chasteté  particulière.  C'est  pour  cela  que  dans  sa  XVII.e  Idylle, 
Théocrite  dit  que  ce  fut  par  l'effet  d'une  bénédiction  divine, 
que  Bérénice  enfanta  Ptolémée  sans  douleur:  la  naissance  de  ju- 
meaux ou  de  plusieurs  enfans  dans  une  même  couche  ,  était  consi- 
dérée aussi  comme  un  bienfait  des  Dieux  (a).  Les  femmes  en 
couche  tenaient  en  main  une  branche  de  palmier  ,  dans  l'opi- 
nion que  cet  arbre  avait  la  vertu  de  les  soulager,  et  parce  qu'il 
était  regardé  comme  un    signe  de    victoire  et  d'allégresse  (3).  Nous 

4£couc7ieuses.  observerons  ici,  que  les  hommes  seuls  pouvaient  assister  les  femmes 
en  couche,  à  cause  de  la  défense  qui  était  faite  aux  femmes  d'exer- 
cer aucune  partie  de  la  médecine.  Une  certaine  Agnocide  fut  môme 
citée  par  les  médecins  devant  l'Aréopage ,  pour  avoir  accouché 
plusieurs  femmes,  étant  déguisée  en  homme.  Mais- la  loi  qui  inter- 
disait aux  femmes  cette  faculté  fut  abolie  dans  la  suite,  et  il  leur 
fut  permis  de  faire  les  sages-femmes,  comme  nous  l'apprend  lginus. 
A  peine  l'enfant  était-il  né,  qu'on  le  lavait  dans  de  l'eau  très- 
propre.  A  Sparte  on  se  servait  pour  cela  de  vin  ,  pour  juger  de  la 
constitution  physique  du  nouveau-né.  Ou  le  donnait  ensuite  à  la 
nourrice  qui  l'emmaillotait  :  cet  usage  n'était  point  connu  à  Sparte, 
dont  les  institutions  différaient  en  cela  comme  en  tant  d'autres  choses 
de  celles  des  autres  Grecs  (4). 
<$erecau.  A  Athènes    on  enveloppait    l'enfant    dans    une    étoffe ,    sur  la- 

quelle  était  brodée    la  tête  de  la    Gorgone,    par    allusion    au  bou- 

(i)  Anthol.  li?.  III.  chap.    XXIII.    èpigr.    IX.    Nonn.  in  Dionys, 
liv.  XL!  Théocr.  ldyll.  XVII  vers.  6o. 

(2)  Plaut.  Amphitr.  Act.   V-. 

(3)  Théogn.   Gnom.  vers.  5. 

(4)  Voyez  ce  que  nous  avons  dit  du  gouvernement,  pag,  145. 


r*E  la  Ghègë:  ^07 

elier  de  Minerve,  qui,  était  la  Déesse  tutélaire  d'Athènes.  'Le* 
Spartiates  ne  donnèrent  jamais  à  leurs  nouveaux-nés  d'antre  ber- 
ceau qu'un  bouclier  ([).  Chez  les  autres  peuples  de  la  Grèce,  le 
berceau  avait  la  forme  d'un  crible,  à  cause  de  l'idée  d'abondance 
et  de  richesse  qu'on  attachait  à  cet  instrument,  selon  le  témoignage 
du  Scoliaste  de  Calîimaque.  Ce  poète  dit  que  Jupiter  fut  mis  par 
sa  mère  Némésis  sur  un  crible  d'or.  Dans  les  grandes  familles  d'A- 
thènes, on  posait  les  enfans  sur  des  dragons  ou  des  serpens  d'or  , 
en  l'honneur  d'Eridhone  un  de  leurs  anciens  Rois,  qu'on  disait 
avoir  eu  les  pie.ds  comme  des  serpens,  et  avoir  été  confié  par  Minerve 
à  la  garde  de  deux  dragons  (a).  Le  cinquième  jour  après  l'accou-  Jgrêgaim 
chenient  ,  la  sage-femme,  ou  la  personne  qui  en  tenait  lieu,  s'étant    "  "  ' 

lavé  les  mains,  prenait  l'enfant,  et  le  portait  autour  du  foyer:  par 
cette  cérémonie  il  était  comme  agrégé  à  la  famille,  et  mis  sou.: 
la  tutèle  des  Pénates,  auxquels  le  foyer  servait  d'autel:  on  célé- 
brait ce  jour  par  des  réjouissances  et  des  festins ,  et  l'on  y  fesait 
des  présens  à  l'accouchée.  Si  le  nouveau-né  était  un  garçon  ,  on 
décorait  la  porte  de  la  maison  d'une  couronne  d'olivier:  si  c'était 
une  fille,  on  y  suspendait  des  bandelettes  de  laine  pour  indiquer 
le  genre  d'occupations  auquel  la  femme  était  destinée  (3).  Le  hui- 
tième jour  on  donnait  ordinairement  un  nom  à  l'enfant  (4)  ,  et  cette 
nouvelle  cérémonie  était  encore  accompagnée  de  fêtes.  C'était  au  jyont. 
père  à  donner  ce  nom  ,  qui  était  souvent  celui  de  quelqu'un  de  ses 
ancêtres,  ou  d'un  personnage  distingué  par  ses  vertus.  Quelquefois 
il  désignait  le  caractère,  ou  une  action  éclatante  d'un  des  ayeux 
de  l'enfant.  Homère  dit  dans  le  XîX.e  livre  de  l'Odyssée  qu'Ulysse, 
Oiïwo-evç ,  fut  ainsi  appelé  par  allusion  à  la  colère  qui  dominait 
Antolicus  un  de  ses  ayeux.  Le  nom  se  prenait  aussi  de  la  coraple- 
^ion,  du  teint,  de  quelque  marque ,  ou    d'un   accident  quelconque 

(1)  Théocrite  dit  dans  sa  XXV.  Idylle  ,  qu'Alcmème  coucha  ses  deux 
fils  Hercule  et  Iphite  sur  un  bouclier  d'airain  ,  qu'Amphitrion  avait  enlevé 
à  Ptérélas. 

(2)  Euripid.  Joue  ,  vers.   i5 ,  et  1427. 

(3)  Athén.  Deipnosoph.  liv.  IX.  chap.  II. 

(4)  Aristote  explique  dans  Harpocration  le  motif  pour  lequel  on  ne 
donnait  un  nom  à  l'enfant  que  le  huitième  jour  après  sa  naissance  :  cest , 
Oit-il  ,  parce  qiûon  avait  alors  V espoir  au  il  vivrait  :  car  les  enfans  d'une 
complexion  faible  et  malsaine  meurent  ordinairement  avant  le  septiè- 
me jour.  J 


4-38    "  Religion 

que  pouvait  présenter  le  corps  de  l'enfant.  (Edipe  fut  ainsi  nommé 
parce  qu'il  avait  les  pieds  troués.  Le  fils  d'Achille  fut  appelé  Pvr- 
rhusj  parce  qu'il  avait  les  cheveux  roux.  Piutarque  observe  daus 
la  vie  de  Coriolan  ,  que  c'était  un  usage  commun  chez  les  Grecs  et 
les  Romains ,  d'ajouter  au  nom  de  la  personne ,  dans  un  â^e  un  peu 
Sumom.  avancé ,  un  surnom  qui  fît  allusion  à  certaines  choses:  par  exemple; 
aux  actions ,  comme  «  Soter  (  Sauveur),  et  CaUimique  (de  la  belle  vic- 
«  toire  );  à  la  figure  ,  comme  Fiscon  (  Ventru)  et  Qripo  (  Nez-crochu  )  ; 
«  à  la  vertu  ,  comme  Evergètes  (  Bienfaiteur),  et  Philadelphe  (Aimant 
«  ses  frères);  à  la  bonne  fortune,  comme  Endémon  (Bienvenu):  ce 
«  dernier  surnom  fut  donné  au  second  Battus.  Certains  Rois  ont  pris 
«  aussi  leur  surnom  de  mots  piquans  qui  leur  étaient  appliqués  ,  tels 
«  qu'Antîgone  3  qui  fut  appelé  le  Dosone  ,  (  Que  donnera-t-il  ?)  parce 
«  qu'il  s'épuisait  en  promesses  et  ne  donnait  jamais  rien),  et  Ptolé- 
«  mée  qui  fut  surnommé  le  Lamire  (  Babillard  )  „.  Le  quarantième 
jour,  après  lequel  les  dangers  de  l'accouchement  étaient  passés, 
Tessaracostos.  on  célébrait  une  fête  qui  prenait  son  nom,  Tèssaracèstos ,  de  ce 
même  nombre  de  jours.  Après  s'être  purifiée  par  l'ablution  d'usage  , 
l'accouchée  se  rendait  au  temple  de  Diane  pour  y  faire  des  sacri- 
fices ,  en  actions  de  grâces  de  son  heureuse  délivrance  (i).  Les  mères 
consacraient  en  outre  à  cette  Déesse  leurs  ceintures  après  leurs  pre- 
mières couches:  ce  qui  lui  fit  donner  le  nom  de  Avcn&v}?  ,  qui 
délie  les  ceintures  ,  sous  lequel,  au  rapport  du  âcoliaste  d'Apollonius, 
elle  eut  un  temple  à  Athènes. 

Rites  funèbres. 

Fiapeci  11  n'est  pas  de  peuple  sauvage  et  barbare  qui  ne  se  soit  fait  un 

pûur  les  morts:  ,      i        i-  i       i  /       fl  ,/.     .. 

devoir  de  rendre  aux  morts  les  honneurs  de  la  sépulture:  c'était  une 
tache  d'infamie  chez  les  Grecs  que  de  manquer  à  ce  devoir  sacré. 
Soîon  avait  décerné  des  peines  sévères  contre  ceux  qui  fesaient 
quelqu'outrage  à  la    cendre  des  morts  (2).  Aussi  ces  honneurs  s'ap- 

(1)  Gensorin.  De  dis  JV "aboli  chap,  XI. 

(2)  Démost.  Orat.  in  Leptirt,  Plutarq.  in  Solone.  Diodore  de  Si- 
cile est  d'avis  que  Pluton  fut  l'instituteur  des  cérémonies  funèbres  chez 
les  Grecs;  qu'il  y  reçut  pour  cela  des  honneurs  divins,  et  fut  regardé 
dans  la  suite  comme  le  Souverain  des  enfers  ,  selon  l'usage  qui  fesait  met- 
tre alors  au  rang  des  Dieux  tous  ceux  qui  s'étaient  distingués  par  quel- 
qu'invention.  V,  Potter,  Arch,  gr,  liv,  JPT.  chap.  I, 


i>  e    la    Grèce.  4% 

pelaient-ils  chez  les  Grecs  dhcam^  orna ,  et  chez  les  Romains  justa  , 
sancta  ,  comme  pour  exprimer  l'obligation  où  étaient  les  vivans  de 
s'acquitter  de  ce  soin  envers  les  trépassés.  On  ne  doit  pas  être 
étonné  de  l'empressement  des  Grecs  à  cet  égard  ,  à  cause  de  l'opi- 
nion où  ils  étaient,  que  les  âmes  de  ceux  dont  les  corps  n'a- 
vaient point  reçu  la  sépulture  ne  pouvaient  entrer  dans  les  champs 
Elysées  (i),  et  que  par  l'effet  de  cette  disgrâce,  elles  étaient 
condamnées  à  errer  pendant  cent  ans  hors  du  séjour  do  repos 
assigné  aux  mortels.  Les  poètes  anciens  font  souvent  mention  de 
morts  ,  qui  viennent  réclamer  l'accomplissement  de  ces  devoirs 
de  piété  envers  eux.  La  plus  terrible  imprécation  qu'on  pût  for- 
mer contre  quelqu'un  ,  était  de  souhaiter  que  son  cadavre  fût  privé 
de  la  sépulture  ;  et  l'impossibilité  de  rendre  cet  honneur  aux  naufra- 
gés ,  fesait  regarder  ce  genre  de  mort  comme  le  plus  affreux  de 
tous.  C'est  pourquoi  les  navigateurs  qui  se  trouvaient  en  danger  de 
naufrage  s  avaient  soin  d'attacher  à  leur  corps  ce  qu'ils  avaient  de 
plus  précieux  ,  comme  pour  être  la  récompense  de  celui  qui  leur 
donnerait  la  sépulture,  lorsque  les  flots  auraient  jeté  leur  corps 
sur  le  rivage  (a).  Celui  qui  aurait  négligé  ce  soin  envers  un  cada- 
vre qui  se  trouvait  sur  son  passage,  était  exclus  du  commerce  des 
hommes,  ainsi  que  des  cérémonies  religieuses^  et  on  le  regardait 
comme  un  être  immonde  et  sacrilège,  jusqu'à  ce  qu'il  eût  apaisé 
les  Dieux  Mânes  par  les  expiations  prescrittes  en  pareil  cas.  S'il 
n'avait  pas  le  tems  de  s'arrêter  ,  il  lui  suffisait  de  jeter  par  trois 
fois  une  poignée  de  terre  ou  de  poussière  sur  la  tête  du  mort. 
C'était  encore  un  grand  malheur  que  de  mourir  en  pays  étranger  (3) 5 
et  pour  y  remédier,  les  pàrens  ou  les  amis  du  défunt  s'empressaient 
de  faire  transporter  ses  cendres  dans  sa  terre  natale.  Une  des 
peines  auxquelles  on  condamnait  les  t\rrans  ,  les  traîtres  à  la  pa- 
trie ,    et    les    ennemis    publics    et    privés  ,    était    d'empêcher   qu'ils 


OpitHOIt 

des  Grecs 
à  l'égard 
des  morts? 


Leur 

sollicitude 

à  donner 

la  sépulture 

aux  morts. 


(1)  Homère  ,  lllad.  XXIII.  ,  et   Oàyss.  IX.  66.  72. 

(2)  V.  Meurs,  in  Lycophron.    Cassanclram  vers.  367. 

(5)  Antholog.  ïiv.  III.  chap.  XXV.  épigram.  LXXV.  Sophocl.  im 
Electr.  vers.  n34.  Il  est  aussi  parlé  dans  les  anciens  écrivains  du  funus 
larvatum  qu'on  fesait  ,  au  dire  de  Morestello  ,  à  ceux  qui  avaient  péri 
sous  des  ruines,  ou  dont  le  visage  avait  été  tellement  défiguré  par  quel- 
qu'autre  accident,  qu'il  fallait  le  couvrir  d'un- masque  V.  les  Piùture  an  t. 
ai  Ercohmo.  T.  IV.  pag,  3 16.  Note  (4). 


Criminels 

prives  de  la 

sépulture. 


-'MerpTùTt 

'     -tt  laurier 
à  la  porte 
des  mourans. 


ÂtqO    '  Pi  E  L  I  C  I  O  S 

eussent  la  sépulture  clans  leur  patrie.  Les  Athéniens  ne  se  conten- 
tèrent pas  de  donner  la  mort  à  Phocion,  qu'ils  soupçonnaient  cou- 
pable de  trahison  ,  ils  firent  encore  jeter  son  cadavre  hors  des  con- 
fins de  l'Attique.  Les  sacrilèges,  les  criminels  condamnés  à  une 
peine  infamante ,  étaient  également  privés  de  l'honneur  des  funérail- 
les ,  et  leurs  cadavres  étaient  enterrés  en  cachette.  On  en  fesait  de 
même  à  l'égard  des  suicides ,  qu'on  regardait  comme  des  ennemis 
de  Ta  patrie,  pour  s'être  lâchement  donné  la  mort  (i).  On  enterrait 
sans  pompe  et  dans  un  lieu  à  part  ceux  qui  avaient  été  tués  par 
la  foudre  ,  pour  ne  point  souiller  de  leurs  cendres  la  sépulture  com- 
mune ,  dans  la  persuasion  où  l'on  était  qu'ils  avaient  attiré  sur  eux 
le  courroux  du  ciel  (a).  Enfin  le  respect  pour  les  morts  était  porté 
à  un  si  haut  point,  que  dans  les  examens  qui  se  fesaient  aux  can- 
didats pour  être  admis  aux  emplois  publics,  on  leur  demandait 
s'ils  avaient  satisfait  aux  devoirs  des  funérailles  envers  leurs  pro- 
ches ;  et  Fou  notait  d'infamie  celui  qui ,  avant  la  fin  de  son  deuil, 
s'était  livré  aux  amusemens  et  à  la  joie.  Aussi  Démosthène  fit-il  un 
reproche  à  Eschine  ,  d'avoir  assisté  à  un  sacrifice  solennel  ,  vêtu 
d'une  tunique  blanche  et  couronné  de  guirlandes,  avant  que  le  terns 
du  deuil  qu'il  portait  pour  la  mort  de  sa  fille  unique  ne  fût  expiré. 
Les  Grecs  étaient  dans  l'usage  de  placer  devant  la  porte  de 
la  chambre  des  mourans  une  feuille  de  nerprun  et  de  laurier  (3), 
dans  l'opinion  où  ils  étaient  que  le  premier  de  ces  arbustes  avait 
la  propriété  de  chasser  les  démons  ou  les  mauvais  génies;  c'est  pour- 
quoi on  l'appelait  aùefyxaxoç  ^  l'arbre  qui  chasse  les  maux  :  le  second 
avait  pour  objet  d'apaiser  le  Dieu  de  la  médecine,  parce  qu'on 
était  persuadé  qu'Apollon  ne  pouvait  point  faire  de  mal  aux  lieux 
où  était  consacré  le  souvenir  de  sa  chère  Daphné.  Nous  observe- 
rons   cependant  qu'on  attribuait  à  ce   Dieu    les    morts    subites    des 


(i)  Aristote.  Eth.  Nicomaq.  Uv.  V.  chap.  II.  Philostrat.  in  Heroicis  , 
Hérodot.  Uv.  IX.  chap.  LXX.  Platon  (Z)e  legib.  lib.  IX.  )  semble  néan- 
moins excuser  la  faute  de  ceux  qui  se  donnaient  la  mort,  pour  échapper 
à  l'infamie  ou  à  des  malheurs  graves  et  inévitables. 

(2)  Euripid.  Suppl.  vers.  g35.  Arthémidor.  Uv.  II.  chap.  VIII.  Plutar. 
'Sympos.  On  avait  même  en  exécration  les  lieux  qui  avaient  été  frappés 
de  ia  foudre  ,  comme  si  Jupiter  avait  imprimé  sur  eux  une  marque  de 
son  courroux  -,  et  ils  étaient  entourés  d'un  mur  ou  d'une  haie ,  pour  que 
personne  ne  pût  en  approcher.  V.  Plutarq.  dans  Pyrrhus. 

(3)  Laert.  Vita  Bionis  Borïsthenitae  Uv.  IV.  segm.  5?. 


de    la    Grèce.  44  * 

hommes,  et  à  Diane  celles  de  femmes:  opinion  à  laquelle  Homère 
fait  allusion  dans  plusieurs  endroits  de  ses  ouvrages ,  et  que  nous  trou- 
vons inutile  de  rapporter  ici  (i).  On  croyait  aussi,  que  les  person-  Mon  violenté- 
ries  décédées  de  mort  violente  passaient  immédiatement  sous  l'em- 
pire des  Divinités  infernales,  et  que  par  conséquent  nul  ne  pouvait 
être  dégagé  des  liens  de  la  vie  ,  par  ce  genre  de  mort  9  qu'on  ne 
lui  eût  auparavant  arraché  un  cheveu ,  qui  était  consacré  à  ces 
divinités.  Euripide  met  en  scène  la  mort  armée  d'un  glaive,  laquelle 
vient  couper  le  cheveu  d'Alceste,  qui  s'était  dévouée  au  trépas  pour 
son  mari  Admète.  Cette  opinion  semble  tirer  son  origine  d'un  rite 
usité  dans  les  sacrifices,  et  dont  nous  avons  déjà  parlé,  qui  était  l'of- 
frande qu'on  fesait  à  la  Divinité,  comme  prémices  du  sacrifice,  d'une 
touffe  de  poils  arrachés  ,  ou  coupés  sur  le  front  de  la  victime.  Quel- 
ques-uns croyaient  également  que  la  Mort  présentait  de  la  même 
manière  aux  Dieux  infernaux  un  cheveu  de  celui  qui  se  sacrifiait  vo- 
lontairement. Les  malades  eo  danger  de  mort  adressaient  leurs  priè- 
res à  Mercure  ,  comme  à  celui  qui  était  chargé  de  conduire  les 
âmes  au  delà  du  Stix  (a).  Les  parens  et  les  amis  du  mourant  s'ap- 
prochaient de  lui  en  silence  pour  lui  donner  et  recevoir  de  lui  le 
dernier  adieu;  ils  le  pressaient  dans  leurs  bras,  le  baisaient,  et  Dernier  adieu. 
cherchaient  à  recueillir  sur  leurs  lèvres  son  dernier  soupir.  A  l'ins- 
tant de  son  trépas,  on  frappait  des  ustensiles  en  bronze,  dont  le 
bruit,  selon  l'opinion  commune,  et  au  rapport  du  scoliaste  de  Thu- 
cydide, mettait  en  fuite  les  spectres,  les  démons  et  les  mauvais 
génies.  La  mort  et  tout  ce  qui  y  a  rapport  passait  chez  les  Grecs 
pour  être  de  mauvais  augure.  Ils  tâchaient  néanmoins  d'en  rendre 
l'idée  moins  triste  et  moins  affreuse ,  en  l'exprimant  simplement 
par  le  verbe  aicoyhevdai ,  qui  répond  au  denasci  des  latins,  ou  par 
d'autres  mots  analogues  aux  verbes  dormir ,  quitter  la  vie ,  partir  , 
reposer  et  autres  semblables,  qui  étaient  aussi  usités  chez  les  an- 
ciens Chrétiens. 


(i)  Cette  croyance  semble  avoir  pris  son  origine  de  l'influence  que 
les  anciens  attribuaient  aux  planètes  sur  les  choses  humaines  :  car  Apol- 
lon et  Diane  étaient  la  même  chose  que  le  Soleil  et  la  Lune.  V.  Héracl. 
Ponde.  De  Allegor.  Hom.  ed  Heustath.  ad  Iliad.  XIV.  2o5  et  XIX.  5g. 

(2)  Mercure  est  quelquefois  désigné  dans  la  théologie  Grecque  comme 
celui  qui  pèse  les  âmes,  parce  qu'on  lui  attribuait  la  fonction  de  peser 
les  vertus  et  les  vices  des  morts. 

Europe.  Vol  I.  56 


443  Religios 

Désirs  envers  Le  premier  devoir  qu'on  s'empressait  de  rendre  au  mort   étaiÉ 

la  morts.  -  .  . 

de  lui  fermer  les  yeux,  d  abord  pour  ne  pas  laisser  exposé  aux  re- 
gards des  spectateurs  un  objet  hideux;  et  en  second  lieu,  parce  que 
c'était  un  vœu  presque  général  chez  les  anciens,  d'avoir  les  mem- 
bres bien  rangés  en  mourant  :  soin  qui  regardait  le  plus  proche 
de  ses  parens  (i).  C'est  pour  cela  que,  dans  le  onzième  livre  de 
l'Odyssée,  Agamemnon  se  plaint  de  ce  que,  lors  de  son  passage  à 
la  cour  de  Pluton^  Ciitemuestre  ne  lui  a  pas  fermé  les  yeux  et 
la  bouche.  On  couvrait  ensuite  le  visage  du  défunt.  Hyppolite  près 
de  mourir,  prie  son  père  Thésée,  dans  Euripide,  de  lui  rendre 
ce  dernier  devoir.  Avant  que  les  membres  eussent  perdu  tout-à-fait 
leur  couleur  naturelle.,  on  les  étendait  dans  toute  leur  longueur, 
et  c'était  aux  esclaves  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  qu'appartenait  ce 
soin  (a).  On  lavait  le  cadavre,  et  ron  l'oignait  avec  de  l'huile  et  des 
Leur  vëiemcni.  parfums  odoriférans  (3).  Après  cela  on  l'enveloppait  d'abord  dans 
un  simple  manteau  ,  puis  on  le  revêtait  d'une  belle  et  riche  chla- 
myde  blanche,  emblème  de  l'innocence  (4)-  Ainsi  Socrate,  avant 
de  boire  la  cigùe  ,  se  fit  apporter  par  Apoilodore  la  tunique  et 
un  manteau  précieux,  pour  mourir  en  habit  de  funérailles  (5).  Eu- 
fin  on  ornait  le  mort  de  guirlandes  et  de  feuilles  vertes  et  odori- 
férantes, ce  qui  signifiait  qu'il  avait  honorablement  achevé  sa  car- 
êmes des  rière.  Nous  remarquerons  encore  ici  une  autre  différence  dans  les 
usages  des  Lacédémoniens  à  cet  égard.  A  Sparte,  le  législateur  avait 
ordonné  que  les  personnages  distingués  par  leurs  vertus  ou  leurs 
exploits  militaires,  fussent   revêtus  après    leur  mort    d'une    tunique 

(i)  Suétone  cite  un  exemple  mémorable  de  cet  usage  dans  ces  paro- 
les d'Auguste  :  Die  supremo  ,  petlto  speculo  ,  capillum  sibi  comi ,  ac  ma- 
las  labentes  corrigi  praecepit. 

(2)  Euripid.  in  Hippol.  'vers.  786. 

(3)  Pline  dit  dans  le  cliap.  I.  du  XIII. e  livre  de  son  histoire  natu- 
relle ,  que  les  Grecs  ne  commencèrent  à  se  servir  de  parfums  que  du 
tems  d'Alexandre  ,  qu'ils  en  apprirent  l'usage  des  peuples  de  la  Perse. 
Homère  même,  en  parlant  de  celui  d'oindre  les  cadavres  ,  ne  fait  men- 
tion que  de  l'huile.  Mais  Athénée  ,  Deipsonoph.  liv.  XV. ,  prétend  que 
l'huile  d'Homère  est  la  même  chose  que  le  (ivpov  ,  ou  le  parfum  pro- 
prement dit  ,  et  que  Solon  en  avait  permis  aux  Athéniens  l'usage  ,  qui 
n'était  interdit  qu'aux  esclaves. 

(4)  Homer.  Iliacl   XVII.  3o2.   Odyss.  II   96. 

(5)  Laertius  in  Socrate.  Aelianus  Var.  U'ist.  liv.  I  chap.   XVJ. 


Lacédémoniens  ■ 


de   la  Grège.  44^ 

rouge,  qui  ,  comme  nous  l'avons  vu  plus  haut ,  était  l'habit  militaire 
de  ce  peuple;  et  que  les  autres  citoyens  fussent  enterrés  nus.  Le 
même  législateur  avait  en  outre  défendu  pour  eux  l'usage  des  par- 
fums,  pensant  que  ce  serait  une  contradiction  ridicule,  que  d'ha- 
hiller  richement  et  de  parfumer  après  leur  mort ,  ceux  qui  avaient 
souverainement  méprisé  pendant  leur  vie  le  luxe  et  la  mollesse  (i). 
Quant  aux  personnages  marquans,  qui  mouraient  en  pays  étranger, 
leurs  cendres  étaient  recueillies  dans  une  urne  et  transportées  dans 
leur  patrie  pour  y  recevoir  les  mêmes  honneurs,  comme  il  arriva 
de  Deraetrius  et  de  Philopomène,  selon  que  nous  l'apprend  Plutar- 
que.  Après  que  le  cadavre  avait  été  arrangé,  comme  nous  venons  de 
le  dire,  ses  plus  proches  parens  le  posaient  d'abord  à  terre;  en- 
suite ils  le  mettaient  sur  un  brancard  ,  ou  sur  une  litière  appelée 
(pèperpov ,  les  pieds  tournés  vers  la  porte,  pour  indiquer  par  là, 
selon  le  sentiment  du  Scoliaste  d'Homère,  qu'une  fois  sorti  de  la 
maison  il  n'était  plus  pour  y  rentrer.  Jusques  là  on  le  gardait  soi- 
gneusement, pour  qu'il  ne  lui  arrivât  aucun  accident.  Achille  3  dans 
le  XïX.e  livre  de  l'Iliade,  veille  le  corps  de  Patrocle,  pour  em- 
pêcher qu'il  ne  soit  entamé  par  les  mouches  et  les  vers.  Quelques 
momens  avant  l'heure  de  la  sépulture,  on  mettait  dans  la  bou- 
che du  cadavre  une  pièce  de  monnoie  pour  payer  son  passage  à 
Caron,  et  on  plaçait  dans  sa  main  un  gâteau  fait  de  fleur  de  farine 
et  de  miel  ,  pour  calmer  la  fureur  de  Cerbère.  On  attachait  encore 
à  ia  porte  de  la  maison  une  touffe  de  ses  cheveux,  pour  avertir  les 
passans  que  la  famille  qui  l'habitait  était  en  deuil.  Enfin  on  y  pla- 
çait un  vase  d'eau  lustrale,  pour  que  ceux  qui  avaient  touché  ou 
seulement  vu  le  cadavre  pussent  se  purifier  en  sortant.  C'est  pour 
cela  que  dans  l'Alceste  d'Euripide,  le  Chœur  ne  peut  croire  à  la 
mort  de  cette  tendre  épouse  3  en  ne  voyant  aucun  de  ces  signes  à 
la   porte  de   la  cour. 

La  planche  69,  qui  est  prise  d'un  bas-relief  du  musée  Capi- 
tol in  (a),  offre  divers  exemples  de  ces  cérémonies,  dans  la  mort 
de  Méléagre  qoi  y  est  représentée.  Les  Mythoîogistes  ne  s'accor- 
dent point  sur  les  entreprises  et  les  disgrâces  de  ce  héros.  L'artiste 
semble    avoir  suivi  ici  le  récit  qui  se  trouve    dans    le    VIlI.e    livre 


Litière 
ou  brancard. 


Monnoie 

et  gâteau  poiCr 

les  morts» 


Cheveux 
l  eau  lustrale 
sur  la  porte. 


Mon 
de  Wèl&agre.. 


(t)  Aelian.   Var.  Hist.  liv.  VI.  ehap.  VI. 

(1)  Ce  bas-relief  et  le  suivant  décorent  les  deux  façades  d'un    sarco- 
phage. V.  Mus.  Cap.  Tom.  IV.  Tab.  35  et  40. 


444  Religion 

des  Métamorphoses  d'Ovide.  Selon  ce  poète,  (ïïnêe  Roi  de  Calédc- 
nie  ayant  fait,  dans  une  année  d'abondance,  des  sacrifices  à  tous 
les  Dieux  ,  excepté  à  Diane  ,  cette  Déesse ,  pour  s'en  venger  ,  envoya 
un  sanglier  monstrueux  qui  dévasta  toutes  les  campagnes.  Méléagre 
son  fils,  accompagné  d'autres  héros,  et  d'Atalante  fille  de  Jasius  Roi 
d'Argos ,  alla  à  la  chasse  de  ce  sanglier,  et  l'ayant  tué,  il  en 
donna  la  peau  et  la  hure  à  cette  héroïne.  Offensés  de  cette  pré- 
férence ,  Tossée  et  Plésippe  frères  d'Aîtée  mère  de  Méléagre,  as- 
saillirent le  héros,  et  furent  tués  par  loi.  Altée  dans  sa  fureur 
oublie  d'être  mère  ,  et  ne  respire  plus  que  vengeance.  A  la  naissance 
de  Méléagre  ,  les  Parques  avaient  mis  sur  le  feu  un  tison  ,  auquel 
elles  attachèrent  la  destinée  de  ce  Prince;  et  s'étant  mises  à  filer 
la -trame  de  ses  jours,  elles  avaient  prédit  qu'ils  dureraient  au- 
tant que  ce  tison.  Altée  l'ayant  promptement  retiré  du  feu,  n'eut 
rien  de  plus  empressé  que  de  le  garder  pour  conserver  la  vie 
de  son  fils.  Transportée  de  fureur,  elle  remet  au  feu  le  tison  fa- 
tal. Méléagre  se  sent  aussitôt  dévoré  d'une  flamme  intérieure  3  qui 
le  consume  insensiblement ,  comme  le  tison  avec  lequel  il  s'éteint. 
La  partie  de  gauche  du  bas-relief  représente  la  mort  de  Tossée  et 
de  Plésippe,  et  la  vengeance  d'Altée.  Méléagre  tient  sa  chlamyde 
retroussée  sous  les  bras  gauche  à  la  manière  des  chasseurs,  qui }  com- 
me l'observe  Oppian,  étaient  ou  tout-à-fait  nus,  ou  n'avaient  que 
ce  seul  vêtement ,  pour  être  plus  libres  et  plus  agiles  à  la  chas- 
se (i):  cette  chlamyde  leur  servait  même  comme  de  bouclier  con- 
tre les  bêtes  féroces  (a).  Plésippe  est  étendu  à  terre  mortelle- 
ment blessé, »et  cherche  encore  à  arracher  des  mains  de  Méléagre 
les  dépouilles  du  monstre.  Tossée  a  tiré  son  épée ,  et  va  pour 
attaquer  Méléagre,  qui  l'attend  de  pied  ferme  un  couteau  à  la 
main.  Le  rocher  qu'on  aperçoit  est  placé  là  ,  pour  indiquer  que 
cet  événement  tragique  s'est  passé  dans  les  forêts  de  la  Calé- 
donie  :  derrière  ce  rocher  est  Tisiphone ,  qui  tient  de  la  main 
gauche    un    serpent ,  qu'elle  lance  contre    Méléagre  (3).    Derrière 

(r)  On  voit  dans  certains  monumens  Méléagre  en  cothurne  comme 
les  chasseurs  ,  qui  portaient  des  brodequins  pour  ne  pas  se  blesser  les  pieds  ; 
mais  l'artiste  l'a  représenté  ici  les  pieds  nus  ,  forçasse  ne  ignavus  moIUs- 
que  videretur  ,  comme  l'observe  l'illustre  commentateur  du  Musée  Capitoîin. 

(2)  Pollux ,   Qnomast.  liv.  V.  ehap.  5.  segm.   18.   Varro ,   liv.  IV. 

(5)  Tisiphone  était  la  première  et  la  plus  méchante  des  Furies;  c'était 
elle  qui  inspirait  aux  hommes  la  fureur  de  la  vengeance.  On  la  représen- 


bé   la    Grèce.  4^5 

Tossée  on  voit  un  autel  avec  le  feu  ,  sur  lequel  Altée  ,  agitée  de 
même  par  une  furie  ,  tient  le  tison  de  la  main  droite  ,  le  visage 
tourné  en  arrière,  et  le  bras  gauche  levé  ,  comme  pour  se  déro- 
ber la  vue  de  cet  affreux  spectacle.  A  la  partie  opposée  est  Mé- 
ïéagre  étendu  sur  un  lit.  Le  vieil  Oînée  appuyé  sur  un  bâton  tortu       MéUagre 

•    ,  »  .  .-]  ,i  /■>,  i         . .  moribond 

assiste  aux  derniers  soupirs  de  son  malheureux  fils  :  autour  du  lit  w  le  lu. 
sont  les  sœurs  du  héros,  fondant  en  larmes,  les  cheveux  épars ,  le 
sein  découvert  et  avec  tous  les  signes  de  la  plus  arnère  douleur.  A 
coté  du  lit  on  voit  lepée  ,  le  casque  et  le  bouclier,  qui,  au  dire 
de  Pollux  et  d'Oppian  ,  étaient  les  armes  dont  se  servaient  les  chas- 
seurs. Winckelmann  rapporte  un  monument  antique  ,  où  Méléa- 
gre  est  aussi  représenté  avec  un  casque  :  les  chasseurs  ont  de  même 
le  bouclier,  dans  les  peintures  du  sépulcre  des  Nasons  observées 
par  Bellori  (i).  L'artiste  a  figuré  sur  ce  bouclier  la  tête  d'une 
Gorgone,  peut-être  pour  signifier  que  Méléagre  n'était  pas  seule- 
ment brave  à  la  chasse  ,  mais  aussi  à  la  guerre  :  car  ce  fut  un 
des  compagnons  de  Jason  dans  l'expédition  des  Argonautes  ;  peut- 
être  a-t-iî  voulu  par  là  ,  comme  le  suppose  Esichius,  faire  allusion 
à  la  cruelle  fin  de  ce  héros,  qui  était  représentée  sur  la  plupart 
de  sarcophages  sous  l'emblème  de  la  Gorgone.  Une  femme  lui  sou- 
tient la  tête  de  la  main  gauche  ,  et  de  la  droite  lui  met  dans  la 
bouche  la  pièce  de  monnoie  qui  doit  lui  servir  à  payer  son  pas- 
sage pour  traverser  le  fleuve  infernal  (a).  Derrière  (ffiuée  est  une  fera» 

tait  avec  des  serpens  de  la  main,  gauche^  et  tenant  de  la  droite  un  flam- 
beau ,  un  bâton  et  quelquefois  un  fouet.  On  peut  voir  à  cet  égard  la  sa- 
vante dissertation  de  M.r  Boettiger  ,  les  Furies  ,  d'après  les  Poètes  et 
les  Artistes  anciens  ,  Paris  ,  Delalain  etc.  1802,  Nous  croyons  néanmoins 
à  propos  de  rapporter  ici  un  passage  de  cet  écrivain  ,  qui  est  digne  de 
remarque  :  Ce  qui  a  été  dit  jusqu'ici  suffit  pour  justifier  cette  assertion 
de  Lessing ,  que  les  artistes  de  l'antiquité  n'ont  jamais  représenté  les 
Furies  sous  les  formes  effrayantes  ,  que  leur  a  données  Eschile  ;  et  les 
artistes  modernes  devraient  à  cet  égard  imiter  les  anciens  dans  leurs 
ouvrages.  La  licence  poétique  ,  que  le  créateur  de  la  tragédie  chez  les 
Grecs  pouvait  se  permettre  à  l'époque  où  il  vivait ,  ne  doit  pas  servir 
d'autorité  aux  poètes  tragiques  de  nos  jours  ,  qui  travaillent  pour  un 
public  beaucoup  plus  éclairé  et  plus  poli  que  celui    d' Eschile. 

(1)  Monum.  ant.   Tab.  L XXXVIII.  Bellor.     Tab.  XV.  XVII  et 
XXXVIII  Part.  II. 

(2)  Nous  avons  suivi  ici  l'opinion  du  savant  Commentateur  du  Musée 
Capitolin.  Cependant  Bellori  et  Montfaucon ,  dans  la  description  qu'ils  ont 


&ép  Religiok 


y  ■?.  vêtue  d'une  simple  tuniqe,  et  debout,  qui  tient  les  mains  ren- 
* -^rsées  en  arrière,  dans  l'expression  de  la  plus  vive  douleur  et 
fixe  sur  le  mort  des  regards  avides  :  c'est  peut-être  Cléopatre  son 
épouse  dont  parlent  Homère ,  Apollodore  et  Pausanias.  L'autre 
femme  assise,  qui  a  un  air  triste  et  rêveur,  et  un  chien  à  côté 
d'elle,  est  Atalante,  qui,  au  dire  d'Oppian  ,  blessa  le  sanglier  la 
première.  Elie  a,  comme  les  chasseuses,  les  cheveux  noués  sur  le 
sommet  de  la  tête  ,  les  bras  nus  ,  la  tunique  relevée  ,  le  carquois , 
l'arc  ,  avec  des  caleçons  qui  lui  arrivent  jusqu'à  mi-jambe  ,  et  qui 
sont  liés  avec  une  grosse  attache  (i).  Enfin  on  voit  Némésis,  qui 
était  chargée  de  tenir  note  des  actions  des  hommes  et  d'en  juger. 
Elle  a  un  pied  sur  la  roue,  emblème  qu'on  lui  a  donné,  parce 
que,  dans  les  mystères  des  Egyptiens  et  des  Perses,  et  selon  l'opi- 
nion d'A.nacréon  et  de  Plutarque ,  la  roue  était  le  symbole  du 
cours  et  des  vicissitudes  de  la  vie  humaine. 
Transport  Après  toutes  ces  cérémonies,  on  transportait  le  cadavre  au  lieu 

du  cadavre.  .  .,  ,  _ 

de  la  sépulture,  ce  qui  s  appelait  exipopa  (a).  Il  n  est  pas  aisé 
de  déterminer  le  terns  qu'on  devait  le  garder  dans  la  maison.  En 
lisant  dans  le  XXIV.e  livre  de  l'Odyssée,  qu'Achille  fut  pleuré 
pendant  dix-sept  jours  et  dix-sept  nuits,  et  que  le  dix-septième 
jour  son  corpi3  fut  brûlé,  plusieurs  écrivains  ont  cru  que  les  cada- 
vres restaient  le  même  espace  de  tems  dans  le  sein  des  familles  (3). 
Servius  dit  au  contraire,  qu'on  les  brûlait  le  huitième  jour  après 
leur  mort,  et  que  le  neuvième  on  enfermait  leurs  cendres  dans  le 
tombeau.  Mais  ceci  ne  doit  s'entendre  que  des  funérailles  des 
Princes  et  des  magistrats,  dont  la  célébration  se  fesait  avec  beau- 
coup de  pompe.  On  lit  dans  le  IT.e  livre  des  Argonautes  de  Valerius 
Flaccus,  que  les  funérailles  se  fesaient  anciennement  le  troisième 
ou  le  quatrième  jour  après  la  mort  : 

donnée  d'un  bas-relief  où  le  même  sujet  est  représenté ,  ont  cru  recon- 
naître dans  l'objet  que  la  femme  présente  au  héros  ,  un  remède  au  lieu 
d'une  pièce  de  monnoie.  Mais  la  forme  de  cette  pièce  nous  parait  trop 
évidente  pour  en  douter  ;  et  en  effet  elle  convient  bien  davantage  à  l'état 
de  Méléagre  ,  qui  a  ici  les  yeux  fermés  ,  et  semble  n'exister  plus. 

(i)  V.  Pollux ,  Ouomasù,  liv.  V.  chap.  III.  segm.  18.  et  Virg'd. 
vrfEneid.   I.  vers.  34o. 

(a)  De  est(pèpELV  ,  efferre ,  transporter,  emporter  hors.  V.  Kirchmann. 
et  Pott.  Arch.  gr.  liv.  IV.  chap.  IV. 

(3)  Alexan.  ab.  Alexand.   Génial.  Dier.  liv.  III.  chap.  VII. 


D3Ë     LÀ     OïlÈCE,  ^Ar- 


Ab  vero  ornantes  supremo  funus  honore , 
Très  totos  condunt  lugubri  murmure  soles . 
Magnifiée  tumulant  quarto 


Mais  les  pauvres  étaient  inhumés  dès  le  lendemain  de  leur  mort9 
comme  l'annonce  cet  épigramme  de  Callimaque:  Qui  peut  se  flat- 
ter de  prévoir  l'événement  du  lendemain  ?  lorsque  nous ,  o  Carmi  ! 
qui  te  voyions  encore  hier  plein  de  vie,  nous  sommes  réduits  au- 
jourd'hui à  pleurer  sur  ton  tombeau.  Non  :  une  douleur  plus  amère 
que  la  nôtre  n'a  point  déchiré  le  cœur  paternel  de  Diophon  (i). 
On  transportait  le  cadavre  en  plein  jour  au  lieu  de  sa  sépulture,  Tems 
la  nuit  étant  regardée  comme  funeste  à  cette  cérémonie,  à  cause  da  transP9ri~' 
des  Furies  et  des  mauvais  génies,  qui,  dans  l'opinion  du  peuple, 
fuyaient  la  lumière  ,  et  infestaient  la  terre  durant  les  ténèbres.  II  n'y 
avait  que  les  funérailles  des  jeunes  gens ,  et  de  ceux  qu'une  mort  pré- 
maturée avait  frappés,  qui  se  fesaient  à  l'aurore ,  pour  ne  pas  expo- 
ser à  la  lumière  du  soleil  l'image  d'une  perte  qui  causait  les  plus 
vifs  regrets  à  la  patrie  (a).  L'usage  de  porter  des  torches  à  ces  cé- 
rémonies funèbres  s'est  conservé  depuis  dans  celles  qui  se  fesaienfc 
en  plein  jour  :  ce  qui  a  donné  lieu  à  ce  proverbe  employé  par  les 
Grecs  en  parlant  des  vieillards,  qu'ils  s'approchaient  chaque  jour 
du  flambeau  de  leur  vie.  Il  n'en  était  pourtant  pas  ainsi  à  Athènes, 
où  le  transport  des  cadavres  se  fesait  toujours  avant  le  lever  du 
soleil  (3).  On  se  servait  pour  cela  d'un  brancard  ou  d'une  litière  (4), 
et  à  Sparte  d'un  bouclier.  Il  ne  parait  pas  cependant  qu'on  fît  usage 
de  brancard  dans  les  tems  héroïques:  car  on  lit  dans  Homère  que  Pa- 
trocle  fut  transporté  par  les  Myrmidons  sur  leurs  bras ,  et  qu'Achille 
soutenait  sa  tête  (5).   Le  convoi  était  composé  des  parens  et  des  amis 

(1)  Anthol.  liv.  III.  chap.  VI  ëpigram.  58.  Edition  de  Naples ,  1792. 

(2)  C'est  à  cet  usage  que  les  interprètes  de  la  mythologie  attribuent 
l'origine  de  la  fable  de  tant  de  jeunes  gens  enlevés  par  l'Aurore  ,  parce 
que  quand  un  jeune  homme  bien  fait  et  de  belle  espérance  était  enlevé 
par  une  mort  prématurée  ,  on  disait ,  pour  adoucir  le  sentiment  de  cette 
perte  ,  que  l'Aurore  s'était  éprise  d'amour  pour  lui.  V.  Héracl.  Pontic. 
de  Allegor.  Hom. 

(3)  Démost.   Orat.  in  Macart.  Cic.  De  legib.  lib.  IL 

(4)  Euripid.  Alcesb.  vers.  607. 

(5)  Iliad.  XXIII.  ,56. 


44^  Religion 

du  défunt;  et  si  c'était  un  magistrat  ou  quelque  grand  personnage, 
il  s' y  joignait  un  nombre  considérable  d'hommes  et  de  femmes 
sans  cependant  que  les  deux  sexes  y  fussent  confondus  l'un  avec 
l'autre  (i).  Les  assîstans  y  étaient  tous  en  habits  de  deuil.  Les  fu- 
nérailles de  ceux  qui  s'étaient  distingués  par  leur  courage  ou  leurs 
vertus  n'étaient  point  accompagnées  de  cette  marque  de  douleur: 
on  les  célébrait  au  contraire  avec  pompe  ,  comme  si  les  âmes  de 
ces  personnages  avaient  déjà  pris  leur  place  au  rang  des  Dieux. 
Plutarque  rapporte  que  les  obsèques  de  Timoléon  furent  suivis  de 
plusieurs  milliers  d'hommes  et  de  femmes  habillés  en  blanc,  et  avec 
des  couronnes ,  comme  pour  un  jour  de  fête  ,  et  que  celles  d'Ara- 
tus  furent  célébrées  par  des  chants  et  des  danses.  On  voyait  en  ou- 
tre à  ces  pompes  funèbres  des  chars  et  des  hommes  à  cheval.  Le 
cadavre  était  le  plus  souvent  à  la  tête  du  convoi  :  venaient  ensuite 
les  parens  du  défunt,  et  à  quelque  distance  d'eux  le  reste  des  as- 
sîstans, d'abord  les  hommes  qui  avaient,  la  tête  découverte  ,  et  après 
eux  les  femmes.  Si  le  mort  était  un  guerrier  ,  les  soldats  portaient 
leurs  armes  renversées  vers  la  terre.  Au  moment  où  l'on  emportait 
le  cadavre  hors  de  la  maison  ,  la  famille  lui  donnait  le  dernier 
adieu  (a). 

Ces  cérémonies ,  lorsqu'on  voulait  les  célébrer  avec  plus  de 
pompe,  étaient  accompagnées  du  sou  des  flûtes,  et  de  chœurs  d'hom- 
mes et  de  femmes ,  qui  exprimaient  leur  douleur  par  des  larmes 
et  des  chants  funèbres  :  usage  qu'Homère  désigne  par  le  mot  spv^vn 
de  bpiqvEiv  ,  qui  veut  dire  se  plaindre?  pleurer,  I!  parait  néan- 
moins que  cet  appareil  funèbre  n'avait  pas  lieu  aux  funérailles  des 
enfans,  dans  lesquelles,  au  dire  de  Potter ,  on  jouait  au  contraire 
de  la  flûte  phrygienne  ,  dont  les  sons  inspiraient  la  joie  et  l'allé- 
gresse. 
Pompes  De  tous  les  peuples  de   la  Grèce,  les   Athéniens    furent    celui 

des  Athéniens,   chez  lequel  on  rendit  le  plus  d'honneurs  à   ceux  qui  étaient  morts 
en  combattant  pour  la  patrie.  Thucydide    en  donne    la  description 

(i)  Cependant,  il  n'y  avait  que  les  parens  du  défunt,  qui  pussent , 
en  certains  lieux  ,  assister  à  son  convoi  ,  et  cela  peut-être  pour  éviter  le 
désordre  et  des  dépenses  excessives.  Pittacus  en  avait  même  fait  une  loi 
à  Mytilène.  Solon  avait  aussi  prescrit  à  Athènes  ,  qu'aucune  femme  ,  à 
l'exception  des  parentes  du  défunt,  ne  pourrait  intervenir  à  ses  funé- 
railles ,  à  moins  d'être  âgée  de  soixante  ans. 

(2}  Euripid.  ^ilcesL  vers.  609. 


de    la    Grèce.  449 

dans  son  second  livre.  Trois  jours  avant  la  pompe  funèbre,  on  expo- 
sait le  cadavre  sous  une  tente  ,  où  chacun  venait  lui  rendre  les 
derniers  devoirs;  on  l'enfermait  ensuite  dans  un  cercueil  de  cyprès, 
puis  on  le  mettait  sur  un  char  pour  l'emporter.  Chaque  tribu  avait 
son  char  et  son  cercueil;  il  y  avait  encore  un  autre  cercueil  ,  qui  ne 
servait  que  de  cénotaphe  en  mémoire  de  ceux  dont  on  n'avait  pas  re- 
trouvé le  corps.  Une  foule  de  citoyens  et  d'étrangers  accompagnait 
le  convoi.  Les  parens  du  défunt  pleuraient  pendant  ce  tems  sur  le 
lieu  de  la  sépulture:  c'était,  une  espèce  de  cimetière  situé  dans  le 
plus  beau  faubourg  de  la  ville,  où  avaient  été  enterrés  tous  ceux 
qui  étaient  morts  à  l'armée,  à  l'exception  des  guerriers  qui  avaient 
péri  à  Marathon  ,  auxquels  on  avait  donné  la  sépulture  sur  le  champ 
de  bataille  même.  On  recouvrait  de  terre  ie  cadavre,  et  le  persoo-  Eloge  fanèbft 
nage  le  pins  distingué,  ou  le  plus  éloquent  de  l'assemblée,  récitait 
l'éloge  du  défunt.  Périclés  s'acquitta  de  ce  soin  envers  les  citoyens 
qui  étaient  morts  à  la  guerre  de  Samos  ;  et  son  discours  fit  une 
telle  impression  sur  les  esprits,  que  toutes  les  femmes  coururent  l'em- 
brasser, et  lui  posèrent  une  couronne  sur  la  tête,  comme  cela  se 
pratiquait  envers  les  athlètes  qui  revenaient  vainqueurs  dans  leur 
patrie.  Thucydide  nous  a  aussi  conservé ,  dans  son  second  livre,  l'orai- 
son funèbre  que  prononça  le  même  Périclés,  après  la  première  cam- 
pagne de  !a  guerre  du  Péloponnèse  (i). 

Mais  une  des  cérémonies  les  plus  pompeuses  qui  aient  jamais  été  Bûrhev 
faites  en  ce  genre,  ce  sont  sans  contredit  les  funérailles  qu'Alexandre  d 'Eijhesl^- 
fit  célébrer  en  l'honneur  d'Ephestion.  Diodore  de  Sicile  raconte 
que,  pour  construire  le  bûcher  destiné  à  ce  guerrier,  on  abattit 
dix  stades,  ou  cinq  cents  toises  des  murs  de  Babylone:  puis  il 
ajoute,  que  ce  bûcher  était  de  forme  tétragoue  ;  que  chaque  côté 
était  partagé  en  six  zones,  sur  lesquelles  on  voyait  des  proues  de 
navire  représentées  en  or,  des  archers  et  autres  hommes  armés,  des 
tapis  de  pourpre  ,    des    torches  ,   des  couronnes  d'or  au  milieu  ,    un 

(i)  Les  Athéniens  avaient  porté  à  l'excès  le  luxe  dans  leurs  funé- 
railles. Xénophon  ,  qui  réunissait  toutes  les  vertus  morales  aux  plus  grands 
talens  militaires  ,  tint  un  jour  ce  langage  à  ses  enfans  :  Lorsque  je  serai 
mort ,  gardez-vous  de  renfermer  mon  corps  dans  Vor  ou  ï 'argent ,  mais 
rendez-le  à  la  terre.  Quoi  de  plus  désirable  ,  que  d'être  mêlé  à  la  terre, 
qui  produit  et  conserve  de  si  belles  choses  ?  Paroles  pleines  de  sagesse  , 
et  dignes  de  cet  illustre  philosophe, 

Europe.  Vol.  I.  5j 


4^0  Religion  \ 

aigle  au  sommet  et  un  dragon  à  la  base  ;  qu'on  y  avait  figuré  des 
chasses  d'animaux  de  toute  espèce ,  des  combats  de  centaures ,  de 
lions  et  de  taureaux;  et  que  tout  le  bûcher  était  décoré  de  tropbées , 
qui  attestaient  les  victoires  des  Macédoniens,  et  la  défaite  des  Bar- 
bares. Cet  immense  catafalque  avait  plus  de  cent-trente  coudées  de 
hauteur;  il  était  recouvert  de  troncs  de  palmier,  et  sur  le  haut  il 
y  avait  des  figures  de  Sirènes  faites  de  manière  à  pouvoir  contenir 
les  musiciens ,  qui  devaient  chanter  l'éloge  du  défunt.  Le  même  his- 
torien assure  que  la  construction  de  ce  bûcher  coûta  plus  de  douze 
mille  talens,  qui  font  plus  de  soixante-dix  millions  de  notre  mon- 
ciwr fM,èbre  naie.  A  côté  de  ce  monument  de  magnificence  on  peut  placer  le 
char  funèbre,  sur  lequel  fut  transporté  de  Babylone  à  Alexandrie 
le  cadavre  du  héros  Macédonien:  «  machine  étonnante,  dit  un 
illustre  écrivain,  tombeau  des  grandeurs  et  des  vanités  humaines, 
où  gissait  le  corps  immobile  et  glacé  de  ce  conquérant  redoutable, 
dont  l'esprit  ardent  et  inquiet  avait  troublé  le  repos  de  la  moitié 
de  la  terre,  et  se  disposait  déjà  à  troubler  le  reste  „.  Deux  ans 
furent  employés  à  la  construction  de  cette  machine,  dont  le  poids 
était  si  considérable,  qu'il  fallut  y  atteler  soixante-quatre  mulets 
pour  la  traîner.  Nous  nous  bornerons  à  ce  peu  de  mots  sur  ces  deux 
monumens  funèbres,  dont  il  serait  trop-long,  et  même  fastidieux  9 
de  donner  une  description  détaillée.  Il  n'y  aurait  même  pas  d'uti- 
lité à  les  représenter  ici,  attendu  que  leur  dessin  et  leur  cons- 
truction devaient  plutôt  tenir  du  goût  Persan  ou  oriental  ,  que 
de  la  perfection  de  celui  des  Grecs.  Ceux  qui  désireraient  néan- 
moins avoir  des  notions  plus  étendues  à  cet  égard,  pourront  consulter 
ïe  XXXI.e  tome  de  l'histoire  de  l'académie  des  Inscriptions,  ainsi 
que  le  savant  ouvrage  de  Sainte-Croix  (i).  Nous  nous  dispenserons 
également  d'offrir  à  nos  lecteurs  le  dessin  d'un  convoi  funèbre:  car 
d'après  les  observations  critiques  de  M.r  Foggiui,  les  funérailles  qui 
font  le  sujet  des  bas-reliefs  rapportés  par  Montfaucon  et  Santo  Bar- 
toli,  ne  semblent  point  être  dans  le  costume  des  Grecs  ni  des  Romains. 
Il  n'y  a  également  rien  de  bien  intéressant  pour  nous  dans  le  bas- 
relief  Capitolin  ,  où  le  même  Foggini  croit  voir  les  obsèques  de  Mé- 
Mcher.  léagre,  et  qui  du  reste  n'est  pas  d'un  beau  style.  Nous  avons  cru 
devoir   néanmoins    extraire  de  ce   monument    la    figure  n.°  i  de  la 

(i)  Exam.  cjitiq.    des  anciens    Historiens    d'Alexandre   le-Grand. 
sec.  édition ,  pag.  468,  et  5ii. 


funéraire* 


ïs    la    Grèce  ^5  r 

planche  70  ,  comme  propre  à  donner  l'idée  d'un  bûcher  ,  sur 
lequel  une  femme  se  dispose  à  faire  une  libation  funéraire.  Cette  Uhaûon 
femme  tient  dans  la  main  droite  un  vase  rond,  extrêmement  plat, 
qui  semble  destiné  à  contenir  les  parfums  qu'elle  doit  jeter  sur  le 
feu;  elle  a  dans  la  gauche  un  autre  vase,  ou  pour  mieux  dire,  une 
fiole,  dont  le  cou  est  très-étroit,  et  qui  ressemble  beaucoup  aux 
prétendus  vases  lacrymatoires  (1).  Le  n.°  a  de  la  même  planche  est 
pris  d'un  vase  d'Harnilton  ,  et  représente  une  femme  qui  va  célé- 
brer une  cérémonie  funèbre.  M.r  Ttalinski  est  d'avis  que  cette 
femme  est  Erigone  fille  d'Icare,  qui,  à  la  nouvelle  de  la  mort 
de  son  père,  se  pendit  de  désespoir.  «  On  voit,  dit-il,  Erigone 
«  près  de  la  colonne,  qu'elle  avait  fait    dresser    sur  le  cadavre    de 

«  son  père;  elle  y  a  attaché  un  bandeau De    plus    elle    a 

«  parsemé  le  sol  de  branches  de  myrte,  et  fait  une  libation.  Après 
«  s'être  acquittée  de  ces  devoirs  sacrés,  elle  se  dispose  à  s'éloigner 
«  du  lieu  où  est  renfermé  l'objet  de  sa  douleur,  et  tient  déjà  dans 
«  sa  main  l'instrument  qui  doit  y  mettre  fin.  Comme    elle  n'est  ni 

(1)  Nous  disons  aux  prétendus  vases  lacrymatoires ,  car  il  est  bien 
reconnu  aujourd'hui  que  ces  vases  étaient  destinés  à  tout  autre  usage  qu'à 
celui  de  recevoir  des  larmes.  >■>  Ceux  qu'on  trouve  dans  les  urnes  cinérai- 
res et  dans  les  tombeaux  ,  dit  M.r  Mongez  ,  sont  en  verre  ,  ou  en  terre 
cuite.  Leur  grandeur  varie  de  cinq  centimètres  à  trois  décimètres.  Ce 
fut  vers  la  fin  du  XV.e  siècle  qu'on  imagina  que  ces  vases  avaient  servi 
à  recueillir  les  larmes  des  parens  et  des  femmes  payées  pour  pleurer  aux 
funérailles  ,  et  on  leur  donna  un  nom  analogue.  J'ai  fait  voir  dans  ua 
mémoire  que  j'ai  lu  à  l'Institut  la  frivolité  de  cette  opinion  ,  qui  semble 
n'avoir  jamais  eu  d'autre  fondement ,  que  l'explication  littérale  de  ces  phra- 
ses métaphoriques  des  épitaphes  ,  comme  celle-ci  ,  cum  lacrymis  ponere. 
Cette  opinion  fut  renouvellée  depuis  ,  et  pour  la  confirmer  on  a  eu  re- 
cours à  un  bas-relief,  qui  existait  avant  la  révolution  dans  l'église  de  la 
Charité  à  Clermont  en  Auvergne  ,  et  sur  lequel  on  voyait  un  personnage 
assistant  à  des  funérailles  ,  qui  tenait  sous  ses  yeux  un  prétendu  lacry- 
toire.  Mais ,  d'après  l'examen  que  des  antiquaires  et  des  artistes  ont  fait 
du  dessin  de  ce  bas-relief  (  la  pierre  ne  s'étant  plus  retrouvée  ),  il  a  été 
reconnu  que  ce  n'était  point  un  ouvrage  antique  ,  mais  bien  du  XVI. e 
siècle  ,  et  comme  une  conséquence  de  l'opinion  que  j'ai  combattue  ,  (  ainsi 
que  l'avait  déjà  fait  Schœffling  et  Paciaudi  ....  Je  persiste  donc  à 
croire  avec  ces  deux  érudits ,  que  les  vases  appelés  lacrymatoires ,  ont 
servi  à  contenir  les  essences  et  les  parfums ,  qu'on  répandait  sur  Içs  bû- 
chers ou  les  tombeaux. 


^5a  Religion 

«  Reine,  ni  Princesse,  ce  qu'on  lui  voit  à  la  tête  n'est  point  un 
«  diadème,  mais  un  de  ces  rubans,  dont  se  servaient  les  darnes 
«  Athéniennes  pour  lier  leurs  cheveux  ,  et  qui  s'appelaient  cy- 
<i  clades  (i)  „.  Selon  cet  auteur,  la  chose  qu'a  cette  femme  dans  la 
main  serait  la  corde  avec  laquelle  elle  avait  résolu  de  se  pendre; 
mais  Baxter  ne  voit  dans  cette  espèce  de  corde  qu'une  tresse  de 
cheveux,  qu'elle  a  arrachés  de  sa  tête,  ou  que  les  femmes  étaient 
dans  l'usage  de  déposer  sur  le  tombeau  de  ceux  dont  elles  pleuraient 
la  mort.  I!  y  a  encore  ici  deux  choses  à  remarquer  quant  au  cos- 
tume ;  îa  première,  c'est  le  péplum  dont  la  femme  a  la  tète  envelopr- 
pée  ;  la  seconde,  est  la  tunique  noire.  On  ne  trouvera  pas  moins 
beau,  ce  semble,  le  costume  de  la  figure  n.°  3,  qui  représente 
une  femme  allant  pour  remplir  une  fonction  funèbre.  Cette  figure 
appartient  aussi  aux  vases  antiques,  et  se  trouve  également  dans  l'ou- 
vrage de  Hope. 
Deuil.  Les  Grecs  s'interdisaient,  pendant  tout  le  tems  de  leur  deuil! 

les  festins,  la  musique,  la  danse,  les  promenades  publiques,  et 
tout  ce  qui  pouvait  donner  en  eux  l'idée  d'amusement  ou  de  gaie- 
té; ils  se  dépouillaient  de  toute  espèce  d'ornemens  et  de  parure  , 
et  se  revêtaient  d'habits  noirs,  et  d'une  étoffe  grossière.  C'est  pour 
cela  que  Périodes  se  vantait  de  n'avoir  fait  prendre  le  deuil  à 
personne.  Souvent  ils  se  rasaient  la  tète  ,  ou  s'arrachaient  les  che- 
veux ,  qu'ils  jetaient  sur  le  cadavre  ou  le  bûcher  ,  ou  qu'ils  dé- 
posaient sur  le  tombeau  du  défunt  :  cérémonie  dont  l'accomplis- 
sement s'étendait  jusqu'aux  animaux.  Et  en  effet,  on  lit  dans 
Pintarque,  qu'à  la  mort  de  Pé'opidas,  les  Thessaliens  coupèrent  leurs 
cheveux  ,    ainsi  que  les  crinières  de    leut's    chevaux  (a).   Alexandre 

(i)  Vases  etc.  Vol.  II.  PI.   3o.  édit.  de  Florence. 

(2)  Observons  cependant,  qu'en  certains  pays  c'était  un  signe  de  joie 
que  dé  se  raser  la  tête;  et  que  dans  d'autres,  les  femmes  en  deuil  por- 
taient les  cheveux  longs  et  épars  sur  les  épaules.  C'est  ce  qui  fait  dire  à 
Potter ,  qu'il  faut  en  cela  avoir  égaid  aux  usages  particuliers  des  divers 
peuples  :  car  c'était  en  général  une  marque  d'affliction  ,  que  de  se  raser 
ou  de  s'arracher  les  cheveux  soi-même  ,  et  au  contraire  un  signe  d'allé- 
gresse de  se  les  faire  couper  avec  art  et  symétrie  par  un  autre.  Mais  chez 
les  peuples  qui  étaient  dans  l'usage  de  porter  les  cheveux  courts ,  c'était 
une  marque  de  deuil  de  les  laisser  croître  ;  et  au  contraire  c'était  un  si- 
gne d'affliction  de  se  les  faire  couper  ,  chez  les  peuples  qui  les  portaient 
jiiabituellement  longs.  Ainsi,  après  la  prise    de    Tyrèe  par  les  Spartiates^ 


be    la    Grèce.  q53 

ne  se  contenta  pas  de  faire  tondre  les  crinières  des  chevaux  et  des 
mulets  de  son  armée  ,  à  l'occasion  de  la  mort  d'Ephestion  ,  il  vou- 
lut encore  qu'on  abattît  les  merlons  des  murs,  pour  que  ces  villes 
elles-mêmes,  selon  la  réflexion  de  Plutarque  ,  eussent  l'air  de  s'être 
dépouillées  de  leur  chevelure  ,  et  de  déplorer  la  perte  d'un  aussi  grand 
personnage.  A  la  mort  des  magistrats  et  des  citoyens  les  plus  mar- 
quans ,  les  assemblées  publiques ,  les  amusemens  et  les  réjouissances 
étaient  défendus  comme  dans  les  jours  de  fête;  et  les  gymnases, 
les  bains,  et  les  temples  môme  étaient  fermés.  On  était  également 
dans  l'usage  de  se  couvrir  la  tète  de  cendres,  de  se  frapper  la  poitri- 
ne ,  de  s'égratigner  les  joues ,  de  se  rouler  dans  la  poussière  ,  et  môme 
de  se  déchaîner  contre  les  Dieux  ,  contre  leurs  simulacres  et  leurs 
autels,  pour  mieux  exprimer  l'excès  de  sa  douleur.  Ou  ne  pou- 
vait paraître  en  public  que  la  tète  enveloppée  dans  i?n  voile  ou 
dans  le  manteau,  ni  marcher  qu'à  pas  lents  et  mesurés  (i).  Enfin  , 
à  ces  marques  d'affliction  se  mêlaient  des  cris  lugubres,  parmi 
lesquels  on  répétait  quatre  fois  l'interjection  £ ,  d'où  le  Scoliaste 
d'Aristophane  fait  dériver  le  mot  hsyoi  ,  qui  veut  dire  elegiae  ou 
plaintes. 

Les  cadavres  étaient  enterrés,  ou  brûlés.  Cette  coutume  sem-  sépulture, 
ble  néamoins  avoir  varié  selon  la  diversité  des  teins ,  des  lieux  ,  et 
des  opinions  religieuses.  Le  Scoliaste  d'Homère  croit  que  l'usage 
d'enterrer  les  morts  est  bien  antérieur  à  celui  de  les  brûler,  qui 
a  été  introduit  par  Hercule;  et  il  n'est  pas  douteux  que  cet  usage 
n'ait  continué  à  être  suivi  ,  mèrne  à  l'égard  de  ceux  dont  ils  est 
parlé  dans  les  historiens  et  les  poètes,  comme  ayant  été  consumés  par 
les  flammes.  Dans  les  tombeaux  que  l'on  découvre  journellement  aux 
enviions  d'Athènes,  on  trouve  souvent  des  squelettes  entiers  étendus 
sur  un  lit  de  feuilles  d'olivier  ;  quelquefois  même  on  rencontre  dans 
le  même    cimetière    des    tombeaux    avec  des  squelettes    entiers ,    et 

le  gouvernement  d'Argos  ,  de  qui  dépendait  cette  ville ,  ordonna  à  tous 
les  citoyens  de  se  raser  les  cheveux  jusqu'à  ce  qu'elle  eût  été  reprise  ;  et 
les  Spartiates  au  contraire  ,  qui  portaient  les  cheveux  courts  ,  se  les  lais- 
sèrent croître  pour  morguer  leurs  ennemis.  Hérodot.  Ivv,  I.  chap.  82.  Plut, 
in  Lysand.  Alexan.  ab.  Alex,    Génial.  Dier.  liv.   V. 

(1)  Les  Spartiates  ne  montraient  pas  beaucoup  de  douleur  à  la  mort 
de  leurs  proches  ;  mais  à  celle  de  leur  Rois  ,  -  ils  s'attroupaient  hommes , 
femmes  et  esclaves  tous  ensemble  ,  et  se  fesaient  des  blessures  au  front: 
avec  des  aiguilles ,  à  l'usage  des  Barbares, 


ou  combustion. 


4^4  Religion 

d'autres  qui  ne  renferment  que  des  vases  où  sont  des  cendres  et 
des  ossemens  (i).  Athénée  cite,  liv.  Xï  chap.  ï,  un  passage  d'un 
ancien  écrivain ,  qui  s'exprime  ainsi  :  après  que  le  mort  est  étendu 
à  terre,  et  couché  sur  un  Ut  de  feuilles  très-épais ,  on  place  à  côté 
de  lui  divers  mets  ,  quelques  vases  pour  boire ,  et  sur  sa  tête  une 
couronne.  Quoiqu'il  en  soit ,  il  parait  néanmoins  que  du  terns  de 
la  guerre  de  Troie ,  on  était  généralement  dans  l'usage  de  brûler 
les  cadavres.  Eustaze  en  donne  deux  raisons  dans  le  I.er  chant  de 
l'Iliade;  la  première,  c'est  que  le  feu  purgeait  le  corps  de  la  souil- 
lure qu'il  avait  contractée  par  la  mort;  la  seconde,  parce  que  l'âme 
dégagée  par  l'action  du  feu  de  toute  matière  grasse  et  inerte,  pou- 
vait s'envoler  plus  aisément  au  ciel  ,  ou  passer  aux  champs  Elysées  : 
opinion  qui  était  fondée  sur  la  propriété  que  les  anciens  attribuaient 
à  cet  élément,  de  dépouiller  l'âme  humaine  de  toute  matière  abjecte 
s?TSnt  et  corromPne-  Les  bûchers ,  sur  lesquels  on  brûlait  les  cadavres  3 
tbs  cadavres,  et  que  les  Grecs  a ppela ient  Tîvpai  ,  étaient  faits  de  diverses  matiè- 
res et  de  différentes  formes,  selon  que  les  tems ,  le  lieu  et  autres 
circonstances  l'exigeaient.  On  plaçait  le  corps  sur  le  haut  du  bû- 
cher, et  quelquefois  on  brûlait  avec  lui  des  animaux  et  même 
jusqu'à  des  esclaves.  On  versait  sur  la  flamme  du  miel,  de  l'huile, 
des  aromates  et  des  essences  odoriférantes.  On  avait  soin  de  frotter 
le  cadavre  avec  la  graisse  des  animaux,  pour  qu'il  fût  plus  facile- 
ment consumé.  Les  parens  et  les  amis  du  défunt  montaient  sur  le 
bûcher:  c'était  un  devoir  pour  eux  de  souffler  le  feu,  et  de  faire 
dessus  de  continuelles  libations;  ils  s'approchaient  le  plus  qu'ils 
pouvaient  des  flammes,  et  saluaient  le  mort  en  l'appelant  à  grands 
cris  par  son  nom.  Homère  nous  fournit  les  détails  les  plus  intéres- 
sans  à  ce  sujet  dans   le    XXXIÏF.6    livre  de  l'Iliade  ,    où   il    fait  la 

description  des  funérailles  de  Pat  roc  le  : on  éleva  un  grand 

bûcher  qui  avait  cent  pieds  sur  toutes  faces  ,  sur  lequel  on  éten- 
dit le  corps  du  défunt  :  on  immola  devant  des  brebis  noires  et  de 
jeunes  taureaux ,  qui  furent  aussitôt  dépouillés  de  leur  peau  :  l'in- 
vincible Achille  en  prit  la  graisse ,  et  en  frotta  le  cadavre  de  la  tête 
aux  pieds  ;  puis  il  entasse  ces  victimes  s  et  fait  une  libation  d'hui- 
le et  de  miel  contenus  dans  deux  urnes  funéraires.  Il  fait  choi- 
sir en  outre  quatre  de  ses  plus  beaux  coursiers ,  et  deux  cerviers 
parmi  les  neuf  qui  assistaient   à  la    table    de    leurs    maîtres  ,    leur 

(x)  Lettres  de  M.  JPauvel ,  Journ.  Encyclop.  Mars ,  18x2. 


de    la    Grèce.  ^55 

tranche  ta  tète  avec  son  épée ,  et  les  jette  sur  le  bûcher  :  trans- 
porté  de  fureur  il  immole  avec  eux  douze  des  plus  illustres  prison- 
niers Troyens  3  et  lance  leurs  corps  sur  le  bois  ammoncelé  ;  enfina 
le  cœur  gonflé  de  soupirs  et  les  yeux  en  pleurs  il  y  porte  la  flam- 
me ,  et  appelle  par  son  nom  Vami  qu'il  a  perdu  :  adieu  ,  Patrocle , 
adieu  ,  puissent  ces  honneurs  réjouir  ton  ombre  le  noir  Tartare  ! 
On  jetait  aussi  suc  le  bûcher  les  vêtemens  du  défunt,  avec  tout  ce 
qu'il  avait  de  plus  précieux,  et  de  plus  cher  durant  sa  vie(i):  on  y 
jetait  même  ses  armes  lorsque  c'était  un  guerrier.  Aux  funérailles 
des  grands  capitaines,  les  soldats  fesaient  trois  fois  le  tour  du  bû- 
cher en  allant  de  droite  à  gauche,  (  la  marche  en  sens  contraire 
étant  un  signe  d'alleg cesse  ),  et  en  poussant  de  grands  cris  accom- 
pagnés du  son  des  trompettes.  Après  que  tout  était  consumé,  on  étei- 
gnait les  charbons  avec  du  vin ,  dont  on  lavait  aussi  les  ossemens  et 
les  cendres  du  mort,  qui  étaient  recueillis  par  ses  plus  proches  pa-  Comment 
rens,  et  sur  lesquels  ensuite  on  répandait  de  l'huile.  Il  n'était  pas  °i«r0Tm«* 
difficile  de  reconnaître  ses  restes  de  ceux  des  autres  hommes  et  des 
animaux  qui  avaient  été  brûlés  avec  lui,  parce  que,  à  part  les 
prétendus  suaires  d'amiante  et  d'autres  matières  „  le  corps  de  celui 
en  l'honneur  duquel  on  célébrait  les  funérailles,  était  placé,  com- 
me nous  l'avons  déjà  observé,  au  milieu  du  bûcher,  tandis  que  ceux 
des  autres  l'étaient  sur  les  côtés.  Ainsi,  dans  le  même  livre  de 
l'Iliade  ,  Achille  ordonne  qu'on  éteigne  d'abord  le  bûcher  avec  du  vin 
rouge  .  ...  et  qu'ensuite  on  recueille  les  ossemens  de  Patrocle ,  qu'il 
est  bien  aisé  de  distinguer ,  parce  qu'ils  se  trouvent  au  milieu  du  bû- 
cher ;  et  que  ceux  des  autres  hommes  et  des  chevaux ,  qui  ont  été 
brûlés  avec  lui  ,  sont  à  une  des  extrémités.  On  renfermait  ces  os- 
semens et  ces  cendres  dans  des  urnes  de  bois,  de  terre,  de  marbre, 
ou  de  quelque  métal  précieux  selon  la  dignité  du  défunt;  puis  on  Urnes 
recouvrait  l'urne  d'un  voile  ,  et  on  l'ornait  de  fleurs  et  de  guirlan-  flaires. 
des.  Si  le  cadavre  devait  être  enterré  en  entier  ,  on  l'étendait  dans 
son  tombeau  le  visage  tourné  vers  le  ciel,  et  la  tête  à  l'orient.  On 
renfermait  quelquefois  dans  le  même  tombeau  ou  dans  la  même 
urne  ,  les  ossemens  de  deux  ,  trois  et  même  quatre  personnes ,  que  les 
liens  du  sang  ou  de  l'amitié  avaient  étroitement  unies  pendant  leur 


(i)  Lycurgue  avait  ordonné  par  une  loi,  qu'on  ne  pourrait  jeter  sur 
le  bûcher  qu'un  seul  vêtement  rouge,   avec   quelques  branches  d'olivier. 


^56  Religion 

vie.  Ainsi  Admète    demande,    dans    Euripide,    d'être    rais  dans  le 
tombeau  d'Alceste  son  épouse. 

Platon  nous  apprend  que  ,  chez  îes  anciens  Grecs ,  chaque  mai- 
Emplacement    son    avajf  ses  sépulcres  dans  son  enceinte.    Mais  dans  les  tems    nos- 

des  se/nUcres.  l  ~     r 

térieurs,  l'usage  pvévalut  d'enterrer  les  morts  hors  des  villes,  et 
particulièrement  le  long  des  routes  (i).  On  élevait  néanmoins  dans 
les  endroits  les  plus  marquans  des  villes ,  et  même  dans  les  temples, 
des  tombeaux  à  ceux  qui  avaient  bien  mérité  de  la  patrie  :  PIu- 
tarqne  et  Xénophon  nous  en  citent  plusieurs  exemples.  Chaque  fa- 
mille avait  sa  sépulture  particulière  ,  où  l'on  regardait  comme  une 
disgrâce  de  ne  pas  être  enterré.  Résolus  de  vaincre  ou  de  mourir 
dans  la  guerre  des  Messéniens  ,  les  Spartiates  s'attachèrent  au  bras 
droit  une  espèce  de  billet  ou  de  tablette  ,  sur  laquelle  était  inscrit 
3e  nom  de  leur  famille  ,  pour  que  le  corps  de  chacun  d'eux  pût 
être  facilement  reconnu  après  la  bataille,  et  transporté  dans  la  sé- 
pulture de  ses  ancêtres  (2).  Dans  des  tems  plus  éloignés,  les  sé- 
ékur  forme,  pulcres  n'étaient  que  des  fosses  creusées  en  terre  ,  sur  lesquelles  on 
élevait  une  colonne,  on  qu'on  recouvrait  simplement  d'un  tas  de 
terre  ou  de  pierres  en  forme  de  cône  ou  de  monticule,  lorsqu'elles 
renfermaient  le  corps  de  quelque  personnage  marquant.  Mais  l'art  et 
la  magnificence  s'introduisirent  aussi  peu-à-peu  dans  la  construction 
des  tombeaux.  On  les  fit  de  diverses  formes,  et  quelquefois  d'une 
telle  çrandeor  ,  que  les  parens  du  défunt  pouvaient  y  entrer  pour 
pleurer  sur  son  urne  ou  sur  son  cadavre,  comme  l'atteste  Pétrone 
dans  l'histoire  de  la  matrone  d'Ephèse  (3).  On  voit  même  par  di- 
verses inscriptions  Grecques,  dont  Montfaucon  (4)  à  rapporté  quel- 
ques-unes ,  qu'on  pratiquait  quelquefois  dans  ces  tombeaux  des 
appartenons  semblables  à  ceux  qu'habitaient  les  vivans.  Voici  la 
traduction  latine  d'une  de  ces  inscriptions ,  qui  a  été  trouvée  dans 
un  tombeau  à  Smyrne.  Behla hasce  structuras  et  thecas  ,  et 

(1)  Il  faut  pourtant  excepter  de  cet  usage  les  Spartiates,  auxquels 
Lycurgue  avait  permis  d'enterrer  leurs  morts  dans  la  ville  ,  et  même  au- 
tour des  temples ,  pour  leur  ôter  tout  sujet  de  superstition  ,  et  pour  ac- 
coutumer la  jeunesse  à  ne  point  avoir  peur  à  la  vue  clés  cadavres ,  et  mê- 
me à  fouler  aux  pieds  les  tombeaux. 

(2)  Justinus,  lib,  III.  cap.   V. 

(5)  Les  sépultures  souterraines  s'appelaient  en   grec  Hypogaea  ,  qui 
.veut  dire  cavernes  ,  arcs ,  voûtes. 
(4)  Tom.  V.  pag.  67  et  suiv. 


de    la  Grec;  É.  4^7 

tumulum  eocaedificari  jussit ,  nec  non  habitacuta-  adjacentia  3  nempe 
domum.  3  scalam  }  cubiculum^  medianum,  triclinium ,  et  ossuaria  .... 
Excitavit  autem  sïbi ,  conju^i    suo    Syntrophio  ,    et  jfîZiw  dtcfoG  ne- 
potibus  suis.  Vale  et  tu.  On  voit  au  u.°   i  de  la   planche  71  un  de 
ces  tombeaux,   avec  les  niches  où  se  plaçaient  les  urnes  qui  renfer- 
maient les  cendres  et  les  ossemens  des  défunts;  la  découverte  en  a 
été  faite  ,  il  y  a  déjà  plusieurs  années  ,    dans  les  environs    de  Co- 
rinthe.  Une  autre  inscription  nous  apprend  que  les  chambres  et  les 
niches  pratiquées  dans  ces  tombeaux,  étaient  quelquefois  communes 
à  diverses  familles.   Les  épi  ta  plies  portant   l'indication  des    familles 
à  qui  appartenaient  ces  sépultures  étaient  déposées  dans  les  archi- 
ves publiques,  c'est  pourquoi  on  lisait  dans  une  inscription  de  Smyr- 
ne,  qui  était  en   Grec:  cette  épitaphc  a  été  déposée  dans    l'archive 
de  Smyrne.    Souvent  ,   lorsque  le  tombeau  était  souterrain  ,    la    par-      Tombeau 
tie  qui  s'élevait  au  dessus  du  sol   présentait    la    forme  d'un  temple,      de ' umpL. 
On  eu    voyait    encore    des    images    sur    les    cippes    et    autres   monu- 
mens  sépulcraux  ,    après    que    les  lois  eurent  réprimé    les    excès    du 
luxe  dans  les  funérailles;  et  ces  images  représentaient  un  petit  tem- 
ple formé  par  deux  colonnes  qui   soutiennent  un   tympan  ,  et  s'élè- 
vent sur  un   petit  piédestal  (1).  Dans  l'entre-colonnement  on  distin" 
gue  ordinairement   l'image  de   la   personne    à  laquelle  le  monument 
a  été  élevé  ,  avec   les  attributs  qui  lui  étaient  propres  ;    le    guerrier 
était,   représenté  avec  ses  armes  et  des  chevaux,  le  chasseur  avec  des 
chiens,  et  les  femmes  avec  des  miroirs  et  autres  objets    particuliers 
à  leur  sexe  (a).  Ou  peut  voir  un  de  ces  petits  temples  au  n.°  a  de 

(1)  On  peut  voir  plusieurs  de  ces  petits  temples  dans  les  peintures 
des  vases  antiques  ,  et  même  dans  les  bas-reliefs. 

(2)  Pausanias  nous  apprend  que  la  forme  des  tombeaux  variait  chez 
les  différens  peuples  de  la  Grèce.  Il  en  cite  néanmoins  plusieurs  ,  qui  sont 
semblables  à  celui  que  nous  venons  de  décrire.  Cet  auteur  parle  aussi  des 
images  qu'on  était  dans  l'usage  de  tracer  sur  les  tombeaux ,  et  dit  ;  que 
sur  celui  de  Gorëbe  près  Mégare  ,  le  plus  ancien  des  sépulcres  en  mar- 
bre ,  ce  personnage  était  représenté  tuant  Pœna  ;  que  ,  sur  la  route  de  Fa- 
réra  à  Athènes,  on  voyait  un  tombeau ,  que  Praxitèle  avait  décoré  de  la  statue 
d'un  guerrier  avec  son  cheval;  que,  sur  celui  d'Echemus  près  de  Tergée , 
était  figuré  le  combat  d'Echemus  et  d'illus  ;  que  deux  guerriers  morts  sur 
le  champ  de  bataille  étaient  également  représentés  à  cheval  sur  un  tom- 
beau près  Mégare;  enfin,  que  le  monument  était  quelquefois  décoré  de  pein- 
tures ,  comme  l'était  celui  de  Senodicas.  Pline  fut  aussi  mention  d'un  tom- 
beau près  de  Sycione  ,  qui  avait  été  peint  par  Nicomaque.  V.  Millingen. 

Europe.   Vol.  I.  5§ 


^58  Religion 

ïa  planche  71  ,  qui  représente  le  tombeau  ,  ou  le  monument  héro'i 
que  d'un  guerrier:  le  dessin  en  est  pris  d'un  vase  du  Musée  Vati- 
can, qui  a  été  aussi  rapporté  par  Millingen,  Au  milieu  est  l'ima- 
ge du  défunt,  qui  est  vêtu  d'une  simple  chlamyde,  et  tient  en 
main  le  pylée  ,  ou  le  bonnet.  Son  bouclier  et  ses  jambiers  ,  sont 
suspendus  au  mur;  et  l'on  voit  à  ses  pieds  sa  ceinture,  avec  une 
branche  de  laurier  ou  de  myrte.  Le  champ  du  tableau  est  orné 
d'une  fleur,  d'un  pain  sacré  et  d'une    bandelette,    qui    étaient  les 

Sarcophage,  offrandes  d'usage  envers  les  morts  (1).  Le  n.°  1  de  la  planche  73 
représente  la  partie  intérieure  d'un  sarcophage  en  pierre  grise  rap- 
porté par  Choisseul  ,  qui  l'a  remarqué  près  les  ruines  de  Thelmîsse  , 
autrefois  ville  de  la  Carie,  selon  le  témoignage  de  Cicéron  et  d'E- 
tienne le  Bysantin.  Les  parties  latérales  en  sont  beaucoup  plus  lar- 
ges que  celies  de  devant  et  de  derrière.  On  y  aperçoit  une  ouver- 
ture carrée  ,  par  où  l'on  y  introduisait  sans  doute  le  cadavre  ,  et  qui 
se  fermait  probablement  avec  une  pierre.  Ce  monument  nous  prou- 
ve ,  ainsi  que  plusieurs  autres  rapportés  par  le  môme  auteur,  que 
les  anciens  étaient  dans  l'usage  de  donner  à  leurs  tombeaux  la  for- 
me de  leurs  maisons.  On  reconnaît  même  dans    un   des    sarcophages 

Sépulcres      en   pierre  l'imitation  d'un  édifice  en  bois,  où  l'on  distingue  les  mo- 

tClll-GS 

dms  ic  roc.    diilons  et  les  petites  planches  (a).  On  trouve  aussi  près  de  Telmisse 


(1)  Les  offrandes  aux  morts  consistaient  en  gâteaux  de  miel  et  de  fa- 
rine TteXavoi ,  en  fruits  ,  en  fleurs  de  toute  espèce  ,  et  particulièrement  en 
roses,  lys  et  amaranthes,  en  persil,  en  branches  de  myrte  et  de  lau- 
rier ,  en  bandelettes  ou  rubans  de  laine  ,  et  généralement  en  quelle  que  chose 
que  ce  pût  être  ,  pourvu  qu'elle  fut  analogue  à  l'état  ,  à  l'âge  et  aux  oc- 
cupations du  défunt.  V.  Millingen.  Ibid. 

(2)  «  Dans  ces  urnes  de  marbre,  dit  Choisseul  pag.  117,  qu'on  ren- 
contre si  fréquemment  en  Italie  ,  on  distingue  le  toit  avec  ses  divisions  , 
ainsi  que  la  porte  ,  qui  est  fermée  tantôt  entièrement ,  tantôt  à  demi ,  et 
quelquefois  occupée  par  le  Génie  de  la  mort  :  voilà  la  raison  pour  laquelle  , 
dit  l'auteur  des  Mémoires  ,  où  nous  avons  puisé  cette  remarque  (  l'abbé 
Barthélémy,  Mém.  de  Litt.  ,  Tom.  XXVIII.  pag.  £89),  les  tombeaux  sont 
appelés  dans  les  poètes  et  les  inscriptions  maisons  éternelles  ;  et  c'est 
peut-être  aussi  dans  ce  sens    qu'on    doit    entendre    ce    passage    d'Horace  ; 

Jam  te  premet  nox ,  fabulaeque  mânes, 
Et  çlomus  exilis  plutonia. 

Lib.  I.  Od.  IV, 


_|         tftty 


Q$J/;nl-  F 


de    la    Grèce.  ^5o, 

on  roc,  dans  lequel  on  a  taillé  de  grands  sépulcres  plus  ou  moins 
décorés,  dont  le  style  dénote  des  ouvrages  Cirées  dans  le  goût  des 
Egyptiens  et  des  Perses.  Le  n.°  a  de  la  planche  7  a  représente  un 
de  ces  sépulcres ,  avec  les  dimensions  que  Choisseul  lui  a  donnée» 
dans  son  ouvrage.  Il  a  beaucoup  de  ressemblance  avec  ceux  qu'on 
voit  encore  sur  le  mont  Naxi-Rustan  (1)  près  de  Persépolis.  «  L'ordre 
qui  règne  dans  ce  monument,  dit  l'illustre  auteur,  ne  nous  permet 
pas  de  le  croire  très-ancien;  mais  pourtant  on  y  voit  l'effort  qu'on 
a  fait,  pour  lui  donner  un  caractère  sévère  et  convenable  à  l'usage 
auquel  il  était  destiné.  Les  corniches  né  sont  composées  que  de  piè„. 
ces  carrées,  les  modillons  sont  très-forts,  la  frise  est  supprimée,  et 
l'architrave  est  formée  de  deux  corps  extrêmement  pesans:  les  trois 
masses  qui  couronnent  les  angles  du  fronton  ajoutent  encore  de  la 
gravifé  au  monument,  et  approchent  davantage  du  style  Egyptien. 
Le  désir  de  les  imiter  dut  être  en  outre  soutenu  d'une  grande   pa-  ; 

tience  ,  pour  tailler  dans  le  roc  vif  de  pareils  édifices.  La  porte,  qui 
est  parfaitement  sculptée,  n'eut  jamais  d'autre  ouverture  qu'une  des 
petites  planches  on  parties  inférieures,  par  laquelle  on  a  pénétré  dans 
le  roc,  pour  y  former  une  chambre  d'onze  pieds  et  trois  pouces  de 
longueur,  sur  neuf  pieJs  et  deux  pouces  de  profondeur,  et  cinq 
pieds  et  dix  pouces  de  hauteur:  autour  de  cette  chambre  règne  une 
banquette  de  trois  pieds  et  deux  pouces  de  longueur ,  sur  deux   pieds 

et  neuf  pouces  d'élévation L'entrée  du  tombeau  semblait    se 

fermer  avec  une  pierre,  qui  s'encastrait  dans  des  rainures  faites  pour  la 
recevoir,  et  dont  la  superficie  extérieure  repondait  aux  petites  plan- 
ches que  nous  avons  remarquées  à  la  porte.  Sur  la  petite  planche  gauche 
de  cette  porte  est  une  inscription  Grecque,  mais  tellement  endom- 
magée par  le  tems  ,  que,  malgré  toutes  les  peines  que  nous  nous 
donnâmes  pour  la  laver,  il  nous  fut  impossible  de  la  déchiffrer  „. 
L'entrée  étroite  de  ce  monument  semblerait  indiquer  qu'il  n'était 
pas  destiné  à  renfermer  des  sarcophages ,  dont  on  ne  voit  aucun  ves- 
tige, mais  seulement  les  cadavres  ,  ou  les  urnes  qui  contenaient  leurs 
cendres,  et  qu'on  plaçait  peut-être  encore  sur  la  banquette  dont 
il  vient  d'être   parlé. 

Ce  serait  trop  nous  écarter  du  but  de  notre  ouvrage  ,  que  de  vou-  Grand  nombre, 
loir  rapporter  ici  tous  les  sépulcres  et  les  sarcophages  qu'on  voit  dans  e  *«/"»«" «*• 
les  antiquités  Grecques:  car  il  n'est  point  de  voyage  au  Levant,  ni 

(0  Voy-  Ie  Costume  des  Perses.  Asie,  Vol.  III.  pag. 


460  Religion 

de  collection  Archéologique,  où  l'on  ne  trouve  clés  monumens  sépul- 
craux. Il  est  même  à  remarquer  ,  qu'une  grande  partie  des  bas- 
reliefs  conservés  aujourd'hui  dans  les  musées  les  plus  célèbres,  appar- 
tient aux  sarcophages;  et  de  ce  nombre  sont  ceux  que  nous  avons 
représentés  au  n.°  2,  de  la  planche  53  ,  et  à  la  planche  66,  ainsi 
que  beaucoup  d'autres  que  nous  devrons  encore  rapporter  successi- 
Tomheau  vement.  Nous  croyons  néanmoins  devoir  dire  quelque  chose  du  fa- 
meux tombeau  de  Mausole,  que  fit  élever  Arthémise  Reine  de  la 
Carie.  Nous  aurions  une  description  exacte  et  détaillée  de  ce  monu- 
ment dans  l'ouvrage  de  Philon  le  Bysautin,  intitulé  de  Mirabilibus  , 
s'il  était  parvenu  jusqu'à  nous  (1).  Cependant  nous  tâcherons,  d'après 
ce  que  Pline  en  a  écrit  (fa),  d'en  donner  quelqu'idée  à  nos  lecteurs, 
«  Scopas,  dit  cet  écrivain,  eut  pour  rivaux  contemporains  dans  son 
«  art  Briassis,  Timothée  et  Léocare,  dont  il  convient  de  parler  en 
«  même  tems ,  parce  qu'ils  consacrèrent  ensemble  leur  ciseau  à 
«  gloire  de  Mausole  petit  Roi  de  la  Carie  ,  qui  mourut  la  seconde  an- 
«  née  de  la  cent-sixième  Olympiade.  C'est  particulièrement  le  talent 
<i  de  ces  artistes,  qui  a  fait  mettre  ce  monument  au  nombre  des 
«  sept  merveilles  du  monde.  Son  étendue  est  de  soixante-trois  pieds 
«  du  nord  au  midi;  il  en  a  moins  aux  deux  façades,  sa  circonfé- 
(t  rence  est  de  quatre  cent-onze  pieds,  et  sa  hauteur  de  vingt-cinq 
«  coudées.  Il  est  entouré  de  trente-six  colonnes,  et  cette  colonnade 
.«  s'appelle  Ptèron.  La  sculpture  est,  à  l'orient,  de  Scopas;  au  nord, 
a  de  Briassis  ;  au  midi,,  de  Timothée;  et  à  l'occident ,  de  Leocare. 
«  La  reine  Arthémise,  qui  avait  ordonné  la  construction  de  ce 
«  monument,  mourut  avant  qu'il  fut  achevé.  Ces  artistes  ne  lais- 
»  sèrent  pas  néanmoins  de  le  continuer  jusqu'à  sa  fin,  pour  l'hon- 
«  neur  de  leur  art  et  leur  propre  gloire;  ils  semblent  même  en- 
«  core  aujourd'hui  s'y  disputer  la  palme  du  mérite.  Leur  nora- 
fi  bre    s'accrut    d'un    cinquième    artiste  ,    lorsque    sur    le  Ptéron    il 

(1)  Ce  monument  avait  été  aussi  décrit  par  Satyre  et  par  Pythée: 
V.  Vitruv.  liv.  VIL 

(2)  Histor.  natur.  liv.  XXXVI.  chap.  5.  Le  Comte  de  Caylus  avait 
déjà  interprété  ce  passage  de  Pljne  ;  mais  M.r  de  Choisseul  remarqua  plu- 
sieurs erreurs  dans  le  dessin  que  ce  savant  antiquaire  en  avait  liât  faire  : 
erreurs ,  qui  me  semblent,  dit-il,  -provenir  d'une  édition  vicieuse  à  la- 
quelle il  donna  la  préférence.  La  dissertation  de  M.r  de  Caylas  sur  le. 
tombeau  de  Mausole  se  trouve  dans  le  XXVII.e  Tome  des  Mémoires  dç 
littérature  etc. 


!de    la    Grèce.  /,6i 

«  fut    élevé    une  pyramide  d'une  hauteur  égale  à  celle  de  la  par- 
ti tie    inférieure    de    l'édifice  ,    et    composée   de    vingt-quatre   gra- 
«  dins,  qui  vont  en  se  rétrécissant  jusqu'au  sommet,  dont  un  qua- 
"  drige  en  marbre,  ouvrage  de  Pithis,  forme  le  couronnement.  Cette 
«  dernière  partie,  jointe  au  reste  ,  donne  à  tout  l'édifice  cent  pieds 
(i  d'élévation  „.    Toute    cette    masse  avait  donc    la    figure    d'un   pa- 
rallélogramme,  dont    les    principales    façades    avaient    63    pieds  de 
longueur  ;  elle    était    flanquée    de    36  colonst-es ,    qui    devaient  être 
comprises  dans  cette  dimension  ,  selon    l'usage    où    étaient    les    an- 
ciens   de  compter  dans  l'étendue    de  la    façade    des   temples,    non 
seulement  le  côté    du    sanctuaire  ou    naos,  mais    encore    la  largeur 
des    deux    colonnades    latérales    appelées   Ptéron.    «    Pline,    ajoute 
M.r  Choisseul,  dit  que  la  circonférence  totale  était  de  ^n    pieds; 
mais  un  parallélogramme,  dont   les   grands  côtés  auraient  63  pieds, 
serait  bien  loin  de  donner  une  pareille  circonférence  :  il  y  avait  donc 
nécessairement  un  soubassement,  qu'on  peut  dire  suffisamment  connu, 
car  son    étendue  est  déterminée,  et  sa  hauteur  est    le    complément 
des  cent  pieds,  qui  est  celle  de  tout   l'édifice.    Je    le    suppose    fait 
en  gradins,  parce  que  tout  ce  qui  approche  de  la  forme  pyramidale 
devient  plus  probable  dans  cette    espèce    d'édifices,    auxquels    elle 
était  propre,  et  dont  le  style  tirait  son    origine    des    Egyptiens    „. 
C'est  d'après  ces  conjectures  que  M.r  Choisseul  a  tracé  Je  plan    du  pianetfacaèk 
tombeau  de  Mausole,    dont  on  voit  le  dessin  avec  une  des  grandes    d" MaïlsoZ 
façades  sous  le  n.°  3  de  la  planche  72.  Le  même  écrivain  a  remar- 
qué   une  grande    analogie    entre    ce  monument  et  un  autre  qu'il  a 
également  examiné  en  Carie  près  les  ruines  de  Milasa  ;  et  il  ajoute, 
que  la  position  de  celui-ci  à  peu  de  distance  du  premier,  peut  raison- 
nablement faire  soupçonner  qu'on  ait  eu  l'intention  de  rappeler  dans 
sa  construction   la  forme  et  le  style  du  fameux    tombeau    de    Mau- 
sole ,  quoique    d'une  date  bien    postérieure    à    ce    dernier    et    d'un 
ordre  d'architecture  tout  différent,  qui    est    le    Corinthien,    lequel 
était  alors  inconnu  en   Asie,  et  peu  usité    dans    la    Grèce ,    où    on 
ne  l'employait  que  dans  la  construction,  des  temples  des    divinités, 
qu'on  croyait  aimer  particulièrement  le  luxe  et  l'élégance  (1).  Aux 

(t)  «  Il  ne  reste  plus  aucun  vestige  du  tombeau  de  Mausole ,  malgré 
tous  les  soins  que  prit  Arthémise  pour  rendre  éternel  ce  monument  de 
sa  douleur:  peut-être  que  sa  forme  et  sa  solidité  l'auraient  préservé  des 
injures  du  teins  :  il  faut  donc  croire  que  c'est  le  besoin  d'en  employer  les 


^6n  Religion 

Cénotaphes,  monumens  sépulcraux  il  faut  encore  ajouter  les  cénotaphes ,  ou 
tombeaux  vides,  c'est-à-dire  qui  ne  devaient  point  renfermer  de 
cadavres.  Il  y  en  avait  de  deux  sortes;  les  uns  étaient  destinés  à 
ceux  qui  avaient  été  ensevelis  en  d'autres  lieux,  et  tels  étaient  ceux 
d'Achille,  de  Tirésias ,  d'Euripide  et  d'Aristomène  etc.  dont  parle 
Pansanias;  les  autres  étaient  pour  les  naufragés,  et  pour  ceux  qui  étant 
morts  en  pays  étranger  ou  ennemi,  n'avaient  pu  y  recevoir  les  hon- 
neurs de  la  sépulture.  On  croyait  qu'à  la  faveur  de  ces  simulacres 
de  tombeaux  ,  les  âmes  de  ceux  auqueîs  ces  honneurs  n'avaient  pas 
été  rendus ,  pouvaient  passer  dans  les  champs  Elysées,  pourvu  qu'on  les 
eût  appelées  trois  fois.  On  trouve  un  exemple  de  cet  usage  dans  le 
IV/,  livre  de  l'Enéide,  où  le  héros  Troyen  dit  avoir  rempli  ces 
devoirs  envers  Déiphobe. 

Tune  egomet  tûmulum  Rhaet.eô  in  littore  inanem 
Constïtid  ,  et  magna  mânes  ter  voce  vocavi. 


1-ascS  , 
et  lampes 
sépulcrales* 


Matière 
des  urnes 
sépulcrales. 


Théocrite  nous  apprend  dans  sa  XXIV. e  Idylle,  que'  les  tombeaux 
honoraires  se  distinguaient  des  autres  par  un  morceau  de*  bois,  ou 
un  débris  de  navire  appelé  inpiov  ,  qu'on  mettait  dessus. 

L'article  des  funérailles  doit  embrasser  aussi  les  vases  et  les  lam- 
pes sépulcrales,  Les  vases  étaient  de  deux  sortes  ;  les  uns  servaient  à 
renfermer  les  ossemens  et  les  cendres  des  morts;  les  autres  n'étaient 
destinés  qu'à  figurer  dans  les  tombeaux.  Les  vases  ou  urnes  de 
la  première  espèce  étaient  de  formes  très-variées,  et  faits  quel- 
quefois de  manière  à  pouvoir  contenir  un  cadavre  entier  s  ou  au 
moins  tous  ses  ossemens,  qu'on  avait  soin  d'y  ranger  dans  leur  po- 
sition naturelle.  Les  plus  communs  cependant  étaient  les  urnes  ci- 
néraires; elles  étaient  en  or,  en  argent,  en  cuivre,  en  marbre,  en 


matériaux  qui  l'a  fait  détruire.  On  n'a  aucun  indice  sur  l'époque  de  sa 
destruction  -,  mais  il  ne  serait  peut-être  pas  téméraire  d'en  accuser  les  ca- 
valiers de  S.1  Jean,  qui  plus  habiles  dans  le  métier  de  la.  guerre  que  dans 
la  connaissance  des  arts,  ne  songeaient  qu'à  se  mettre  en  état  de  défense 
cpptre  les  attaques  des  Musulmans.  Il  pourrait  bien  se  faire  que  le  château 
(de  "Rhodes)  ait  été  construit  et  souvent  réparé  avec  ces  décombres  pré- 
cieuses. On  voit  en  effet  plusieurs  statues  employées  comme  matériaux  dans 
la  construction  de  ses  murs  ;  et  Thévenot  dit  avoir  vu  dans  l'intérieur 
plusieurs  bas-reliefs  et  quelques  inscriptions  :  il  ne  m'a  pas  été  possible 
d'obtenir  de  l'Aga  la  permission  d'y  entrer  ».  Choias.  Tom.  I.cr  pag.    i5S. 


et  ornemsns. 


de    la    Grèce.  ^63 

terre  cuite  ou  autre  matière,  selon  la  dignité  ,  la  classe  ou  l'état  du 
défunt.  Achille 3  dans  Homère,  renferme  les  ossemens  de  Pafrocle  dans 
un  vase  d'or;  et,  selon  Plutarque  ,  l'urne  du  Roi  Demetrins  était  du 
même  métal.  Les  urnes  en  terre  étaient  pour  les  gens  pauvres  ou  du  bas  * 

peuple,  et  généralement  plus  grandes ,  parce  qu'elles  devaient  renfer- 
mer les  cendres  de  plusieurs  personnnes,  et  quelquefois  d'une  fa- 
mille entière.  Elles  étaient  pour  1'  ordinaire  hautes  et  étroites  vers  Leur  forma 
le  cou:  plusieurs  se  terminent  en  pointe  par  le  bas:  quelques-unes 
ont  des  manches,  et  les  autres  n'en  ont  pas:  la  plupart  sont  sans  or- 
nernens;  on  en  voit  cependant  avec^dès  figures  d'hommes  ou  d'ani- 
maux (i).  Nous  n'avons  cru  devoir  représenter  ici ,.  sous  le  n.°  3  de 
la  planche  71,  qu'un  seul  exemple  de  ces  urnes,  attendu  le  grand 
nombre  qu'on  en  voit  dans  toutes  les  collections  d'antiquités:  nous 
aurons  cependant  occasion  d'en  rapporter  d'autres*  ailleurs.  Cette 
urne,  qui  appartient  à  la  Bibliothèque  Barberiui ,  est  également  ci- 
téefpar  Bartoli  et  Montfaucon;  elle  est  d'un  marbre  précieux  avec 
des  figures  en  bas-relief:  on  l'a  trouvée  pleine  de  cendres  dans  le  tom- 
beau d'Alexandre  Sévère  et  de  Mammée.  La  beauté  de  sa  forme 
et  des  figures  fait  présumer  qu'elle  est  un  ouvrage  Grec  ;  et  la  con- 
formité d'usages  qui  existait  à  cet  égard  entre  les  Grecs  et  les  Ro- 
mains, autorise  à  penser  qu'on  aura  bien  pu  employer  un  vase  de 
fabrique  Grecque  à  cet  objet.  Le  bas-relief  retrace  toute  la  fable 
de  Jupiter  et  Leda  avec  diveres  autres  figures ,  parmi  lesquelles  on 
distingue  une  femme  assise  sous  un  arbre,  et  tenant  de  la  main 
droite  un  flambeau  renversé  vers  la  terre.  Cette  figure  est  peut-être 
l'emblème  de  la  mort:  car  on  voit  souvent  sur  les  tombeaux  ,  de  ces 
images  allégoriques  ou  Génies ,  qui  tiennent  un  flambeau  de  cette 
manière,  ou  qui  font  pour  l'éteindre  contre  terre. 

Les  vases  de  la  seconde  espèce  sont  du  nombre  de  ceux  dont  nous 
avons  parlé  à  la  page     et  dont  nous  traiterons  encore  à  l'article  des     '^Jjf™"* 
Arts.  A  cette  sorte  de  vases  appartiennent   encore    ceux    de   terre  „      ™f«rmow 

11  '     point  de  cèdres 

qui  font  partie  des  collections  de  Hamilthon  ,  de  Millin  ,  de  Mil- 
lingen  et  autres  antiquaires.  Ils  sont  en  grand  nombre  et  de  formes 
extrêmement  variées:  car  ceux  qu'on  plaçait  dans  les  tombeaux 
étaient;  premièrement }  les  vases  qui  avaient  contenu  le  vin,  le 
lait,  l'huile,  et  les  parfums  dont  on  avait  fait    des  libations  sur  le 

(1)  Voy.  Montfauçon  Antiq.  etc.  Tom.  IX.  Beger.  Bonanni  etc. 


Vases 


464  Religion 

mort  pendant  la  cérémonie  des  funérailles  (1);  secondement,  au- 
tant qu'on  peut  le  conjecturer,  les  vases  où  était  l'eau  lustrale  qu'on 
mettait  à  la  porte  de  la  maison  où  se  trouvait  le  défunt;  troisiè- 
mement, les  vases  qui  avaient  servi  dans  le  banquet,  que  les  parens 
et  les  amis  du  mort  donnaient  après  les  obsèques;  quatrièmement,  les 
vases  auxquels  le  défunt  tenait  le  plus,  tels  que  ceux  qui  lui  avaient 
été  décernés  comme  prix  dans  les  jeux  gymnastiques ,  ou  dont  on 
lui  avait  fait  présent  le  jour  de  ses  noces ,  ou  qu'il  avait  reçus  de 
l'amitié  ou  à  titre  d'hospitalité,  et  en  général  tous  ceux  sur  lesquels 
on  lit  Fépithète  Ea?,oç  et  K«/tç,  qui  accompagne  le  plus  souvent 
le  nom  de  la  personne  à  laquelle  le  présent  a  été  fait  (2).  Outre 
ces  vases,  il  en  est  d'autres  qui  paraissent  avoir  été  particulière- 
ment destinés  à  être  placés  dans  les  sépulcres.  Tels  sont  probable- 
ment ceux  sur  lesquels  on  voit  représentés  des  tombeaux,  des  liba- 
tions, et  des  offrandes  funéraires:  souvent  même  on  distingue  dans 
le  nombre  de  ces  dernières,  des  objets  symboliques  et  relatifs  à  l'ini- 
tiation aux  mystères.  Les  vases  se  trouvent  tantôt  rangés  avec  ordre 
dans  les  tombeaux,  et  tantôt  placés  pêle-mêle  ,  et  quelquefois  mê- 
me brisés  :  ce  qui  provient  peut-être  de  la  qualité  de  ces  vases, 
ou  de  l'usage  auquel  ils  servaient.  On  voit  représentés  sous  le  n.°  4 
de  la  planche  71  plusieurs  vases  de  terre,  ainsi  que  des  fioles  de 
verre  et  un  plat  aussi  de  terre  vu  de  profil  et  de  front  3  avec  deux 
petites  idoles  ou  Pénates  de  terre,  divers  ustensiles  domestiques,  et 
Une  inscription  sépulcrale  gravée  sur  le  marbre.  Ces  différens  objets 


(1)  M.1'  Millingen  observe  qu'on  trouve  presque  toujours  les  cadavres 
avec  un  lecithus  ,  ou  vase  d'huile  ou  de  parfums  sur  la  poitrine  ,  selon 
un  usage  dont  fait  mention  Aristophane. 

(2)  Ces  vases  se  posaient  quelquefois  sur  les  tombeaux.  On  lit  dans 
Vitruve  (liv.  IV.  chap.  V.  )  un  témoignage  marquant  de  cet  usage.  Virgo  , 
dit-il  _,  civis  Corinthia  jam  matura  nupùiis ,  implicita  morbo  decessit  : 
-post  sepulturam  ejus  ,  quibus  ea  viva  ,  poculis  delectabatur ,  nubrix  col- 
lecta et  composita  in  calatho  pertulit  ad  monumentum  et  in  summo  col- 
locavit  :  et  uti  ea  permanerent  diutius  sub  divo  ,  tegula  texit.  On  trouve 
quelquefois  des  vases  d'une  autre  espèce  hors  des  sépulcres  ,  et  qui  sont 
probablement  ceux  qu'y  laissaient  les  parens  et  les  amis  du  mort  après 
s'en  être  servis  pour  quelque  libation  ;  et  en  effet  ,  il  est  bien  à  présu- 
mer que  ces  vases  étaient  abandonnés  sur  les  tombeaux  ,  à  cause  de  l'idée 
d'impureté  qu'on  attachait  à  tout  ce  qui  avait  été  employé  à  quelque  cé- 
rémonie expiatoire  ou  funèbre. 


sépulcrales. 


delà   Grèce.  465 

ont  été  trouvés  dans  les  anciens  tombeaux  de  Mégare,  et  sont  rap-       tampe* 
portés  par  Stuart  dans  ses  Antiquités  d'Athènes, 

Il  y  avait  plusieurs  manières  d'honorer  les  tombeaux  ;  d'abord 
en  tenant  des  lampes  allumées  dans  les  ipogées,  qui  étaient  des  sé- 
pulcres faits  en  forme  de  maison  souterraine ,  ou  en  plaçant  ces 
lampes  également  allumées  dans  les  tombeaux  même,  avec  les  autres 
objets  qu'on  était  dans  l'usage  d'y  enfermer.  Ces  lampes  avaient  la 
figure  d'un  œil,  peut-être  par  allusion  à  l'âme  qui  est  la  lumière 
du  corps  ,  et  dont  la  lampe  est  l'emblème  (1).  Voy.  les  deux 
lampes  au  n.°  4  de  la  planche  70,  qui  sont  prises  des  antiquités 
d'Herculanu'm.  Elles  n'avaient,  selon  Pétrone,  qu'une  seule  mèche; 
c'est-pourquoi  Dion  ,  en  parlant  du  souper  funèbre  donné  par  Do- 
rnitieu  ,  dit  qu'il  y  avait  une  petite  lampe  comme  celle  qu'on  sus- 
pend dans  les  sépulcres  (2).  Les  tombeaux  étaient  en  outre  décorés 
de  rubans,  de  touffes  de  cheveux  et  de  toutes  sortes  de  fleurs  et 
de  plantes ,  surtout  (Tache  ,  et  de  guirlandes  faites  avec  des  bran- 
ches d'arbustes  odoriférans,  parmi  lesquels  le  myrte  tenait  le  pre- 
mier rang.  On  y  sacrifiait  aussi  des    victimes    funèbres  ,  telles    que 

(1)  Schiliterus  ,  de  Decim.  Sar.  ,pag.  21 5.  Brunings.  Anb,  Gr.  chap,  3x 
§.    12.  N.°  3.   Paul.  II.  ad  Corinth.  IV.  7. 

(2)  On  doit  regarder  aussi  comme  fabuleux  ce  qu'on  raconte  des 
lampes  qui  ont  été  trouvées  encore  allumées  à  l'ouverture  d'anciens  sépul- 
cres ,  et  qu'on  a  appelées  pour  cette  raison  lampes  perpétuelles  ou  inextingui- 
bles. Cette  opinion  prit  son  origine  de  la  découverte  qui  fut  faite  à  Rome  , 
en  i54o  ,  du  prétendu  tombeau  de  Tulliola  fille  de  Cicéron  ,  dans  lequel  oa 
trouva  ,  dit-on ,  une  lampe  qui  s'éteignit  au  premier  contact  de  l'air.  Mais 
on  n'a  aucun  témoignage  digne  de  foi ,  qui  confirme  cet  événement.  On 
ne  peut  pas  mettre  beaucoup  de  confiance  dans  ceux  de  Pausanias  et  de 
Solin  ,  au  dire  desquels ,  il  y  avait  des  lampes  sacrées  qui  brûlaient  pen- 
dant un  an  ,  attendu  que  leur  assertion  n'est  fondée  que  sur  les  rapports 
d 'autrui,  et  qu'il  est  bien  probable  que  ce  prétendu  phénomène  fût  l'ef- 
fet de  quelque  supercherie.  La  moindre  notion  de  physique  suffirait  pour 
faire  rejeter  toutes  les  chimères  de  ce  genre  :  car  il  n'y  a  pas  d'huile  qui 
ne  se  consume  par  la  combustion  ,  ni  de  mèche  qui  puisse  brûler  long- 
tems  sans  aliment:  l'amiante  même  cesse  de  brûler  lorsqu'il  en  manque. 
Il  n'est  pas  douteux  que  les  prêtres  auront  eu  soin  d'entretenir  secrète- 
ment la  mèche  de  lin  ,  dont  parle  Pausanias  ,  et  qui  restait  allumée  pen- 
dans  un  an  dans  la  lampe  d'or  que  Callimaque  avaient  consacrée  dans  le 
temple  de  Minerve.  V.  Montfaucon  ,  Antiq.  etc.  Vol.  X.  pag.  208.  et 
Encyclop.  method.  Antiquités   Tom.  III.  Articl.  Lampes. 

Europe.  Vtl.  I.  5g 


466  Religion 

des  génisses  et  des  brebis  noires  et  stériles  ,  et  avec  les  mêmes  cé- 
rémonies qui  étaient  en  usage  dans  les  sacrifices  qu'on  fesait  aux 
Divinités  infernales,  pour  exprimer  par  la  couleur  noire  et  la  sté- 
rilité de  ces  victimes,  que  la  lumière  et  la  fécondité  sont  bannies 
Libations.  du  séjour  des  morts.  Mais  ces  sacrifices  étaient  d'un  usage  encore  moins 
fréquent ,  que  les  libations  de  sang  ,  de  miel  ,  de  vin  ,  de  lait ,  d'eau 
et  de  parfums  odoriférans ,  qu'on  fesait  sur  les  tombeaux,  et  qui 
Jeux  funèbres,  étaient  toujours  saupoudrées  de  farine  d'orge.  Si  le  défunt  s'était  illus- 
tré pendant  sa  vie  par  de  grandes  actions  ,  surtout  à  la  guerre,  on 
récitait  son  éloge  funèbre  ,  et  l'on  célébrait  des  jeux  solennels  devant 
son  tombeau.  Tels  furent  ceux  qu'Achille  fit  célébrer  en  l'honneur 
de  Patrocle  ,  et  qui  accompagnèrent  depuis  les  funérailles  de  Mil- 
tiade  ,  de  Brasidas  et  de  Timoléon.  Dans  les  prix  qu'on  distribuait 
aux  vainqueurs,  on  n'omettait  jamais  les  couronnes  d'ache .,  herbe 
consacrée  aux  morts ,  parce  qu'on  la  croyait  née  du  sang  d' Arche- 
more  :  motif  pour  lequel  on  en  fesait  aussi  des  couronnes  aux  vain- 
queurs dans  les  jeux  Néméens }  qui  avaient  été  institués  à  la  mort 
lustrations.  de  cejeune  prince.  Après  les  funérailles  on  fesait  les  lustrations,  dans 
l'idée  d'impureté  qu'on  attachait,  non  seulement  aux  personnes  qui 
y  avaient  assisté,  mais  même  aux  lieux  où  le  cadavre  avait  séjour- 
Banyuets.  né  (i).  Venait  ensuite  le  banquet  que  donnait  la  famille  du  dé- 
funt, pour  que  le  deuil  se  terminât  par  des  réjouissances.  Athénée, 
en  parlant  de  cet  usage  ,  nous  apprend  que  les  mets  qui  tombaient 
accidentellement  de  la  table  étaient  consacrés  au  mort:  on  les  por- 
tait ensuite  sur  son  tombeau  ,  dans  l'opinion  où  l'on  était  qu'il  pou- 
vait les  goûter.  Les  convives  devaient  être  en  tunique  blanche.  La 
célébration  de  toutes  ces  cérémonies  se  fesait  le  neuvième  ou  le  tren- 
tième jour  après  les  funérailles,  et  on  les  renouvellait  à  l'arrivée 
des  parens  ou  des  amis  qui  n'avaient  pu  s'y    trouver  :  ce    renouvel- 

(i)  Les  lustrations  pour  les  morts  ne  différaient  point  de  celles  dont 
nous  avons  déjà  donné  la  description.  Il  est  néanmoins  parlé  dans  Plu- 
îarque  d'une  lustration  particulière  pour  ceux  qui ,  frappés  d'une  mort 
apparente  ,  étaient  revenus  à  la  vie  après  leur  funérailles ,  ou  qui  crus 
morts  en  pays  étranger ,  étaient  retournés  dans  leur  patrie  après  qu'on 
avait  fait  leur  cénotaphe.  On  commençait  par  les  bien  laver ,  puis  on  les 
emmaillottait  comme  les  enfans  qui  viennent  de  naître.  Il  n'y  avait  que 
les  Spartiates  qui  traitaient  de  niaiseries  les  lustrations  funéraires  ,  et  ils 
plaçaient  même  à  côté  des  temples  les  ossemens  des  grands  personnages 
qui  avaient  bien  mérité  de  la  patrie.  V.  Pott.  Arch.  gr.  liv.  IV.  chap.  VIII, 


£>  s    la    Grèce.  467 

ïement ,  au  rapport  d'Athénée  et  d'Esichius  ,  avait  même  lieu  tous 
les  ans  au  mois  d'Antestérion.  Ces  anniversaires  étaient  appelés,  Ne-  Anniversaires 
pépiai  parce  qu'ils  tombaient  aux  fêtes  de  Némésis ,  Déesse,  qui., 
selon  Moscopule  et  Suidas,  présidait  aux  cérémonies  funèbres.  Ce 
dernier  écrivain,  et  môme  Esichius,  Favorinus  et  autres,  assurent 
qu'on  donnait  quelquefois  à  ces  jours  le  nom  de  Tevema,  parce  que 
certains  honneurs  funèbres,  proprement  appelés  Nexvma,  se  célé- 
braient avec  les  mêmes  cérémonies  que  les  jours  de  naissance.  Nous 
avons  rapporté  jusqu'ici  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  important  dans 
les  rites  funèbres  des  Grecs.  Ceux  qui  désireraient  s'instruire  plus 
amplement  sur  cette  matière  ,  pourront  consulter  les  traités  qu'en 
ont  donnés  Potter  et  Nicolaï  (1). 

Nous  ne  voulons  pas  cependant  terminer  cet  article  ,  sans  dire  Aooihéose 
quelque  chose  de  V apothéose  ou  déification,  qui  prit  son  origine  eq.  ou  défk*UoK* 
Grèce  ,  d'où  elle  passa  ensuite  chez  les  Romains.  Dans  les  com- 
mencernens,  l'apothéose  se  bornait  à  mettre  au  nombre  des  héros 
les  hommes  qui  avaient  rendu  de  grands  services  à  la  patrie.  Le 
premier  exemple  qu'on  trouve  de  cet  usage  dans  les  tems  historique? 
est  peut-être  celui  de  Brasidas,  qui  est  rapporté  par  Thucydide. 
Brasidas,  célèbre  capitaine  de  Sparte,  ayant  été  tué  près  Àm- 
phi polis,  fut  inhumé  avec  pompe  par  ses  soldats  dans  le  lieu  le 
plus  éminent  de  la  ville,  où  l'on  fit  ensuite  le  marché.  Les  habi- 
tans  élevèrent  une  enceinte  autour  de  son  tombeau;  ils  lui  rendirent 
les  honneurs  réservés  aux  héros,  décidèrent  qu'il  lui  serait  célébré 
tous  les  ans  des  jeux  et  des  sacrifices^  et  le  considérèrent  toujours 
comme  le  fondateur  de  leur  colonie.  Tels  furent  sans  doute  les  hon- 
neurs qui  accompagnèrent,  comme  nous  venons  de  le  dire  ,  les  funé- 
railles de  Miltiade  et  de  Timoléon.  Mais  dans  la  suite  des  tems, 
et  lorsque  les  mœurs  se  furent  corrompues,  l'adulation  en  vint  au 
point  de  mettre,  non  plus  seulement  au  nombre  des  héros,  mais  au 
rang  des  Dieux  même  les  grands  capitaiues,  les  chefs  illustres  3  en  un 
mot  tous  ceux  qui  s'étaient  distingués  parmi  leurs  concitoyens  :  genre 
de  dérèglement  dans  lequel  les  Athéniens  surpassèrent  tous  les  autres 
peuples  de  la  Grèce.  Tels  furent  encore  les  honneurs  rendus  à 
Ephestion  par  Alexandre.  Non  content  d'avoir  fait  célébrer  les 
funérailles  de  son  ami  avec  toute  la  pompe  imaginable,  ce  con- 
quérant voulut  encore  l  élever  au  rang  des  Dieux.  Les  peuples  s'eu- 

(1)  De  Graecorum  lue  tu  ,  lugentiumque  ritihus  variis. 


$  Homère* 


468  Religion 

pressèrent  aussitôt  de  lui  bâtir  des  temples,  de  lui  dresser  des  au- 
tels et  de  lui  offrir  des  sacrifices.  Toute  l'Asie  célébra  des  fêtes  en 
l'honneur  du  nouveau  Dieu  ,  et  les  sermens  les  plus  solennels  se 
firent  en  son  nom.  Alexandre  et  ses  successeurs  obtinrent  ensuite 
les  mêmes  honneurs.  Les  apothéoses  entrèrent  aussi  dans  le  domaine 
des  beaux  arts  ,  et  l'histoire  nous  en  a  conservé  plusieurs  exemples. 
Vnotiiéose  Le  plus  célèbre  de  tous  est  l'apothéose  d'Homère,  qui  fait  le  sujet 
d'un  bas-relief  en  marbre  sculpté  par  Archeîaùs  de  Prienne  ;  et 
nul  mortel  sans  contredit  ne  fut  plus  digne  d'être  mis  au  rang  des 
Dieux  que  celui ,  Che  le  Muse  lattar  più  ch'altri  mai.  Nous  nous 
sommes  bornés  par  conséquent  à  représenter ,  à  la  planche  78  ,  cette 
seule  apothéose  ,  plutôt  comme  un  des  chefs-d'œuvre  de  l'art,  que 
comme  un  monument  historique  des  cérémonies  usitées  des  Grecs 
dans  leurs  apothéoses,  qui  ne  consistaient  guères  qu'en  jeux  solen- 
nels, en  sacrifices,  en  acclamations  et  en  magnificences.  Ce  monu- 
ment fut  découvert  en  1668  sur  la  voie  Appienne  près  Albano,  dans 
un  lieu  appelé  autrefois  ad  Boùllas }  maintenant  Fratocchie ,  et 
appartenant  aux  Princes  Colonna.  L'Empereur  Claude  y  avait  une 
maison  de  plaisance:  ce  qui  a  fait  naître  l'idée  au  P.  Kircher,  que 
ce  monument  a  été  élevé  par  ordre  de  cet  Empereur,  qui  était 
grand  amateur  de  la  littérature  Grecque  ,  et  surtout  des  ouvrages 
d'Homère.  Le  même  écrivain,  ainsi  que  Cuper,  Spanheim,  Nicolas 
Hinsius  ,  Gronove,  Welstein  ,  Schotti  et  Montfaucon  ,  ont  mis  toute 
leur  érudition  à  illustrer  cette  apothéose,  sans  jamais  en  donner 
une  explication  ,  qui  ne  fût  toujours  sujette  à  quelque  difficulté  (ij. 

(1)  Les  contradictions  des  antiquaires,  dans  les  illustrations  qu'ils  ont 
données  de  ce  monument^  sont  une  preuve  des  difficultés  et  des  erreurs 
auxquelles  l'archéologie  a  toujours  été  sujette.  Nous  croyons  même  à  pro- 
pos de  rapporter  ici  ce  qui  a  été  dit  au  sujet  de  ce  monument  par  les 
auteurs  de  l'Encyclopédie  méthodique.  //  n'est  pas  de  V étude  des  monu- 
mens  antiques  }  ùomme  de  l'étude  des  autres  sciences.  C'est  un  champ 
'vaste  ,  ouvert  aux  conjectures  de  ceux  qui  veulent  s'y  donner  carrière  ; 
et  quelqu'opp osées  qu'elles  soient  entre  elles  ,  pour  peu  qu  elles  soient 
ingénieuses  ,  et  qu'on  sache  les  appuyer  de  quelques  autorités  des  an- 
ciens ,  elles  ne  manquent  guères  de  procurer  à  leurs  auteurs  la  ré- 
putation  qu'ils  espèrent:  réputation  qu'acquièrent  bien  plus  difficile- 
ment ceux  qui  s'attachent  à  des  sciences,  qui  demandent  quelque  chose 
de  plus  que  des  conjectures  et  des  vraisemblances.  Le  célèbre  monu- 
ment de  l' apothéose  d'Homère  en  est  un  exemple  très-convaincant.  Plu- 


de  la  Grège.  ^6g 

C'est  au  célèbre  Ennius  Quirinus  Visconti  qu'il  était  peut-être  ré- 
servé d'interpréter  ce  fameux  bas- relief ,  d'une  manière  qui  satisfît 
pleinement  tous  les  vœux.  A  l'aide  des  critiques  qui  avaient  déjà 
été  faites  sur  les  autres  commentateurs  de  Winkelmann  son  maître  y 
il  a  touché  le  but,  que  personne  n'avait  encore  atteint  avant  lui. 
Nous  ne  ferons  donc  que  rapporter  ici  les  propres  paroles  de  cet 
illustre  antiquaire.  «  La  figure  [n.°  i  représente  Jupiter  avec  le 
«  sceptre,  le  diadème  et  l'aigle:  le  n.°  a  est  Calliope  tenant  en 
«  main  ses  tablettes  (i),  la  première  d'entre  les    Muses,    et    celle 

<«  qui  a  le  plus  de  rapport  avec  Homère La    figure  n.°  3, 

<i  qui  tient  un  volume,  est  Clio  la  Muse  de  l'histoire  :  celle  du  n.° 
«  4,  Ç1"  semble  gesticuler  de  la  main  droite,  et  tient  une  lyre  de 
"  la  gauche  est  Thalie ,  Muse  de  la  comédie  et  des  banquets:  la  ges- 
«  ticulation  est  allusive  à  la  première,  et  la  lyre  aux  seconds.  Le 
«■  n.°  5  représente  Euterpe  avec  ses  pipeaux  et  ses  flûtes.  La  Muse 
»  n.°  6  est  Melpomène  ou  la  tragédie,  qui  est  voilée  et  en  cothur- 
«  nés ,  ainsi  que  l'autre  figure  qu'on  voit  dans  le  plan  inférieur  avec 
H  l'épigraphe  TPArûAIA  :  le  cothurne  tragique  se  fait  remarquer  pour 
«  la  première  fois  aux  pieds  de  cette  figure ,  et  en  détermine  le 
«  sujet.  La  figure  dansante  au  n.°  7  est  Erato,  Muse  des  amours  et 
a  de  !a  danse:  on  ne  sait  trop  à  qui  appartient  la  lyre  qu'on  voit 
«  entre  Erato  et  Euterpe  ;  si  c'est  à  Erato,  notre  bas-relief  s'ac- 
«  corde  en  cela  avec  plusieurs  autres  monumens ,  et  entr'autres  avec 
«  les  peintures  d'Herculanurn  et  les  statues  que  nous  possédons;  si 
«  c'est  à  Euterpe,  cette  lyre  est  un  emblème  tout  à  fait  nouveau, 
«  qui  pourrait  indiquer  avec  les  flûtes,  que  cette  Muse  préside  à  la 
«  musique.  Le  n.°  8  est  Therpsicore  avec  la  lyre  et  l'archet  ;  le 
«  n.°  9  Uranie  avec  un  globe  ,  et  le  n.°  10  Polymnie  Muse  de  la 
«  mémoire,  enveloppée  dans  son  manteau.  Le  n.°  11  représente  Apol- 
«  Ion  Citharède  ou  Musagète  ,  vêtu  de  la  tunique  ortostadie  ,  tenant 
«  de  la  main  droite  un  archet,  et  de  la  gauche  sa  lyre:  à  ses  pieds 
"  est  le  rideau  de  Delphes,  son  arc  et  son  carquois.  Près  de  lui  * 
»  au  n.°  la,  est  la  Pythie:  ce  qu'elle  tient  dans  la  main  droite 
«  n'est  point  un  volume  ,  mais  un    plat ,   sur   lequel   elle   présente 


Jupitet. 

Calliope. 

Clio. 

Thalie. 

Ealerp». 
Melpomène  i 


Eralti 


Therpsicore , 

Uranie  , 
Polymnie, 
Apollon. 

Citharède, 


Pyihie. 


sieurs  savans  antiquaires  l'ont  expliqué ,  chacun  selon  ses  vues.  Leurs 
explications  ,  quoique  fort  différentes  les  unes  des  autres ,  leur  ont  fait 
honneur  à  tous.  Antiq.  mytol.  etc.  Vol.  I.  pag.  240. 

(1)  Tablettes  revêtues  d'une  couche  de  cire,,  appelées  en  Gxecpinacides, 


Olcne  Lfcien. 

Womère. 

1»'  Univers. 

Tems. 

L'Iliade  } 
lîOdjssêe. 


La  Fable. 


4'jo  Religion 

'<  au  Dieu  les  offrandes:  je  crois  que  c'est  Phémone ,  une  des  plus 
i  anciennes  dans  ce  ministère,  et  qui  a  eu  part  à  l'invention  du 
«  vers  hexamètre.  Ces  deux  figures  se  trouvent  dans  l'antre  Co- 
«  ryce  ,  d'où,  les  Muses  ont  pris  aussi  le  nom  de  Nymphes  Corycides 
'<•  La  figure  n.°  i3,  qui  est  devant  le  trépied  est,  selon  Spanhe- 
'«  mius  et  Schott  3  Bias    compatriote  d'Archelaùs  fils   d'Apollonius, 

*  dont  ce  bas-relief  est  l'ouvrage,  comme  L'indiquent  ces  mots  qu'on 
<  lit  au  dessous  de    la    figure    de  Jupiter  APXEAAOS  ATIOAAQNIOT 

EIIOIHSE  nPIHNETS,  Archelaùs  de  Priennc  fils  d'Apollonius  fecit. 
'*  Le  trépied  sur  lequel  il  s'appuye  est  un  présent  que  lui  fit  l'ora- 
'«  cle.  J'ai  exposé  à  la  planche  XXVIII  les  motifs  qui  me  font  présu- 
«  mer  que  ce  peut  être  Olène  Lycieu,  fondateur  de  l'oracle  de  Del- 
phes ,  figuré  sous  l'emblème  du  trépied ,  et  qui  chanta  le  premier  en 
«  vers  hexamètres  (1).  On  voit  dans  le  plan  inférieur  sous  un  portique 
«  orné  de  tapisseries  OMHPOS  ou  Homère,  n.°  16  ,  qui  est  assis  sur  un 
trône  comme  une  Divinité,  à  laquelle  plusieurs  figures  allégoriques 
«  aux  vertus  et  aux  talens  offrent  des  sacrifices;  il  est  couronné  par 
'«  l'Univers  sous  la  figure  d'une  femme,  qui  est  elle-même   couron- 

*  née  de  tours  (  n.°  14  )  ,  avec  l'épigraphe  OIKOÏMENH  qui  est  au 
«  dessous:  au  n.°  i5  est  le  Tems  avec  ses  ailes  XPON02  ,  qui  garde 
'<  soigneusement  les  œuvres  de  ce  poète  immortel.  Au  pied  du 
«  trône  sont  assises,  sous  le  n.°  17,  l'Iliade  3  IAIAS,  ayant  une  épée 
<■  en  main,  et  sous  le  n.°   18  l'Odyssée,  OAIZ2EIA,  avec  un  aplus- 

tre  de  navire.  Autour  du  marche-pied  on  voit  des    rats ,    par  al- 
'«  lusion  à  la  Batrachomiomachie  ,  ou,   comme  d'autres    le    préten- 
dent, aux  censeurs  d'Homère.  Devant  la  figure  du   poète    est   un 
;<  autel  rond  ,  orné  de  bucranes  et  de  festons,    sur    la  plinthe  du- 
i  quel  on  voit  deux  lettres  Greques ,    qui    semblent    être   AA  ,    ou 
AA  .  Dans  le  premier  cas,  c'est,  selon  Schott,  le  chiffre  du  sculp- 
teur Archelaùs  fils  d'Apollonius;  dans  le  second,  ces  lettres  pour- 
raient indiquer  le  nombre  XXXI,   pour  distinguer    ce   bas-relief 
des  autres  ouvrages  du  même    sculpteur,  ou  d'autres  marbres   ap- 
parten'ans  à  une  même  personne,  comme  on  en  a  plusieurs  exem- 
ples. Près  de  l'autel  est  un  bœuf  qui  est  la  victime;  et  au  n.°  19 
est  représentée,  en  habit  de  ministre  avec  un  vase  sacré  et  la  patère , 
la  Fable  sous  la  figure  d'un  jeune  homme,  par  rapport  au    genre 


(1)  Voyez  l'explication  de  cette  même  planche  n.*  XXVIII.  dans  le 
I.er  volume  du  Musée  Pio-Clémenùn. 


DE     LÀ     CrÈCÊ.  âfi  l 

«  du    mot  MÏ0O2    écrit    au    bas,    qui    est    masculin ,    et    qui    veut 

«  dire  fable.   Elle   sacrifie  à   Homère   comme    au   plus   grand  écri- 

«  vain  du  Cycle    mythique.  Au  n.°  20  est  l'Histoire  tenant   un  vo-     L'Histoim 

«Tiurae  avec  l'épigraphe  ISTOPIA  ,  qui  est  une  règle  essentielle  au 

«  poème  épique,  et  plus  qu'à  tout    autre    particulière   à    Homère, 

«  qui  en  est  le  premier  auteur  chez  les  Grecs  :    motif  pour   lequel 

«  il  est  représenté  avec  Hérodote  dans  un  hermés  double  du    Mu- 

<«  sée  Pio-Clémentin.  Au  n.°  2,1  la  Poésie  IIOIHSIS  assiste  au  sacri-      La  Poésie. 

«  fice  ,  tenant  deux  flambeaux  élevés:  on  y  voit  aussi,   n.°  22 ,  la 

«  Tagédie    TPArOAIA  ,    qui    a    un    vaste    champ    dans    les    poèmes    La  Tragédie. 

«  d'Homère;  elle  a  la  tête  voilée,  et  des  cothurnes  aux  pieds.    La 

«  Comédie  ,  KÛMÛAIA  ,  qui  a  de  même  à  moissonner  dans  ces  poèmes,    l*  Comédie. 

"  est  représentée  au  n-°  a3  dans  une  attitude  semblable  ,  mais  avec  un 

«  costume  différent.  Enfin  on  voit  dans  un  même  groupe,  au  n.°  24, 

«  $Y2I2 ,  la  Nature  sous  l'emblème  d'un  enfant ,    que    les  opinions     La  Nature. 

«  et  les  mauvaises  mœurs  n'ont  pas  encore  gâté;  au  n.°  2-5,  APETH, 

«  la  Vertu    qui  lève  la  main    comme    pour    exhorter;    au    n.°  26,     La  Venu. 

«  MNHMH ,  la  Mécoire  toute  concentrée  en  elle  même;  au  n.°  27  ,    La  Mémoire. 

«  niSTIS,  la  Fidélité,  tenant  un  doigt  collé  sur  ses  lèvres ,  et  dans     l*  Fidéiué. 

«  la  main  gauche  Un  cahier  d'écritures  ou  de  mémoires,  par  allusion 

«  à  l'exactitude  d'Homère  dans  les  relations    qu'il    nous    a    laissées 

«  des  actions  et  des  mœurs    antiques;    et    au    n.°    2.8,  la    Sagesse  3     La  Sagesse. 

«  20&IA  ,  qui  est  couverte    d?un    voile,  et  avec  une  main  au   men- 

«  ton  ,  comme  absorbée  dans  la  méditation.  Il  est  à  remarquer  que 

«   les  quatre  dernières  épigraphes  sont  l'une  au  dessous  de    l'autre , 

«•.et  non  deux  à  deux  ,  comme  dans  les  autres  copies  de  ce  marbre 

«  précieux  3J. 

Les  fêtes. 

lrïstotë  nous  apprend  qu'on  ne  connaissait  d'autres  jours  de  iomt  de  fêtes 
fête  chez  les  Grecs,  que  ceux  qui  étaient  consacrés  par  l'usage  aux  chez^sr^cees 
festins  et  aux  réjouissances  après  la  moisson  et  la  vendange  (1).  Ces 
festins  avaient  pour  objet  d'offrir  aux  Dieux  les  prémices  des  récol- 
tes 3  qu'on  regardait  comme  des  effets  de  leur  libéralité.  C'est  pour- 
quoi on  les  appelait  Qoivai ,  ou  eeovai,  parce  qu'on  les  fesait  en  leur 
honneur.  Mais  le  nombre  des  Divinités  s'étant  prodigieusement  ac- 

(1)  Àristot.  Ethic,  ac  Nicomach,  Uv.  VIII.  chap.  IX. 


^2,  Religioh 

cru  dans  la  suite,  et  le  goût  du  luxe,  fruit  de  la  corruption  des 
mœurs ,  ayant  succédé  à  l'antique  frugalité  ,  les  jours  de  fête  se 
multiplièrent  à  l'infini ,  et  se  célébrèrent  avec  une  somptuosité  qui 
ne  connut  plus  de  bornes.  Les  sacrifices  et  les  banquets  furent  ac- 
compagnés de  jeux ,  de  processions  et  de  rites  superstitieux  >  où 
Division  étaient  représentés  les  gestes  des  Dieux  et  des  héros  (i).  On  peut 
Voiscïassèl.  diviser  en  trois  classes  les  fêtes  de  la  Grèce  :  la  première  est  celle 
des  fêtes  qui  étaient  communes  à  toute  la  nation  \  la  seconde  com- 
prend celles  qui  étaient  particulières  à  chaque  peuple  de  la  con- 
fédération; et  à  la  troisième  appartiennent  les  fêtes  domestiques 
ou  privées.  Du  nombre  des  premières  étaient  les  fêtes ,  dont  l'insti- 
tution étaient  fondée  sur  les  besoins  d'une  association  politique,  et 
sur  des  rapports  d'industrie  et  de  commerce.  Les  fêtes  dédiées  aux 
Divinités  du  premier  ordre,  et  celles  consacrées  par  l'usage  étaient 
d'une  obligation  générale  dans  toute  la  Grèce,  et  leur  célébration  avait 
lieu  au  printems,  à  la  moisson  et  aux  vendanges  ;  elles  étaient  insti- 
tuées en  l'honneur  de  Gérés  et  de  Bacchus ,  et  le  peuple  y  venait  en 
plus  grand  nombre  qu'à  toutes  les  autres  (2).  Les  fêtes  qui  se  cé- 
lébraient en  l'honneur  d'Apollon  à  Delphes,  et  de  Jupiter  à  Olym- 
pie  ,  étaient ,  par  une  institution  politique  ,  communes  en  quelque 
sorte  à  toute  la  nation  :  on  y  accourait  de  tous  les  pays  de  la  Grè- 
ce,  et  l'on  pourrait  les  appeler  pour  ainsi  dire  les  fêtes  de  la  confé- 
dération Grecque.  A  la  seconde  espèce  appartenaient  les  fêtes,  que 
chacun  des  peuples  qui  la  composaient  célébrait  en  l'honneur  de 
ses  Déités  tutélaires,  ou  des  héros  avec  qui  il  croyait  avoir  une  rela- 
tion particulière,  ou  en  mémoire  des  grands  événemens  qui  avaient 

(1)  V.  Potier.  Arch.  gr.  liv.  II.  chap.  XIX.  ainsi  que  Meursirrs  et 
Castellano  in   Thés  antiq.  graec.  etc. 

(2)  Les  fêtes  appelées  Adoniennes  ,  qui  se  célébraient  en  l'honneur 
de  Vénus  ,  étaient  communes  à  presque  toutes  les  villes  de  la  Grèce  ;  elles 
duraient  deux  jours ,  dans  le  premier  desquels  on  portait  en  procession  , 
au  son  des  flûtes  et  en  grande  pompe  ,  les  statues  d'Adonis  et  de  Vénus. 
On  y  célébrait  aussi  les  cérémonies  et  les  sacrifices  particuliers  a.'x  rites 
funèbres,  en  mémoire  de  la  mort  d'Adonis,  et  l'on  y  portait  des  vases 
remplis  de  toutes  sortes  d'herbages  et  surtout  de  laitue  ,  par  allusion  au 
lit  de  laitue  ,  sur  lequel  on  croyait  que  Vénus  avait  déposé  Adonis  expi- 
rant. Le  second  jour  était  consacré  à  la  joie  ,  en  reconnaissance  de  la  fa- 
veur que  Proserpihe  avait  accordée  à  Vénus  en  rendant  à  la  vie  son  cher 
Adonis ,  et  en  lui  permettant  de  passer  avec  lui  la  moitié  de  chaque  année. 


de    r, à    Grèce.  4? 3 

illustré  son  propre  pays.    Telles  étaient  les  fêtes  aphrodisiennes  ou        Fàes 

-r-r  r  i  i  f  i  / 1  />•■.»  i  <     t»       i  aphrodisiennes*: 

de  venus ,  donf  la  célébration  se  lésait  a  Amathoute  et  a  Paphos. 
Cynîre,  clans  la  famille  de  qui  on  prenait  les  prêtres  de  cette 
Déesse  ,  en  avait  été  le  fondateur.  Un  des  rites  les  plus  remarqua- 
bles qui  accompagnaient  cette  solennité  ,  était  celui  qui  obligeait 
les  candidats  à  faire  hommage  d'une  pièce  de  monnoie  à  Vénus 
comme  prostituée  ,  eu  échange  de  laquelle  on  leur  donnait  une 
mesure  de  sel  ,  par  allusion  à  la  naissance  de  cette  Déesse  fille 
de  la  mer  ,  et  un  cpaûùov  ,  pour  indiquer  qu'ils  étaient  consacrés 
au  culte  d'une  Déesse  lascive.  Telle  était  encore  la  fête  de  la  fé-  Fêta 
dération  des  Ioniens,  que  les  habitans  de  sept  villes  de  cette  na-  '  x  e/"""  * 
tion  célébraient  en  l'honneur  de  Neptune  dans  un  désert  près  de 
Micala  ;  et  du  même  genre  était  aussi  celle  que  les  Spartiates  cé- 
lébraient en  l'honneur  de  Brasidas,  un  de  leurs  héros.  Les  fêtes 
nuptiales,  généthliaques  et  funèbres,  dont  nous  avons  déjà  parlé, 
composaient  la  dernière  des  trois  classes  que  nous  venons  d'indiquer. 

Les  Athéniens    avaient    plus    de    divinités  ,    et    par   conséquent         Fête» 

-  ,         .-..  ,  ii,-,.  ,    '    ,        des  Athéniens. 

plus  de  letes  que  tous  les  autres  peuples  de  la  Grèce  :  aussi  n  y 
avait-il  presque  pas  de  jour  chez  eux  ,  qui  ne  fût  un  jour  de 
fête  (i).  Démosthène  parle  d'une  loi  qui    défendait    toute  sorte  de     Loi  relative 

...  ,  .  ,  ,  .  ,     .  À       ,  ,  ,  ,  aux  féies, 

travail  dans  ces  solennités ,  qui  suspendait  le  cours  même  de  la 
justice  et  du  commerce,  qui  interdisait  toute  marque  de  deuil,  et 
enjoignait  aux  citoyens  de  se  livrer  uniquement  aux  plaisirs  et  à 
la  joie.  Les  fêtes  avaient  à  Athènes  une  magnificence  ,  qui  pouvait 
les  faire  comparer  à  des  représentations  théâtrales.  Les  frais  en 
étaient  à  la  charge  du  trésor  public.  Les  trésors  des  trente  tyrans  Dépense* 
expulsés  par  Trasibule  furent  destinés  à  cet  objet.  La  république  v°w  k'SiUs' 
étant  rentrée  dans  son  premier  état  de  démocratie,  les  citoyens  les 
plus  riches  dont  on  redoutait  l'opulence,  furent  souvent  obligés  de 
donner  une  grande  partie  de  leurs  biens  pour  les  fêtes  publiques. 
Mais  ce  serait  infinitum  opus ,  dit  Potter,  que  de  vouloir  faire  rénu- 
mération de  toutes  tes  fêtes  de  la  Grèce ,  attendu  qu'il  n'y  avait 
presque  pas  d'homme  qui  eût  bien  mérité  de  la  patrie,  auquel  on 
n'eût  décerné  des  honneurs  de  ce  genre.  Nous  ne  pouvons  donc 
mieux  faire  à  cet  égard,  que  de  renvoyer  nos  lecteurs  aux  ouvra- 
ges de  Meurs }  Castellano  ,  Potter  et  Montfaucon  ,  où  ils  trouveront 
les  principales    fêtes  des    Grecs ,    décrites    avec    beaucoup    d'érudi- 


(i)  Xénoph,  De  Piep.  Athen. 

Europe.  F"el.  I. 


■ope.  Vol.  I.  Q0 


474  H  E  L  I  G  I  o  ts 

tion  (i).  Nous  nous  Bornerons  à  donner  ici  le  détail  de  deux  de 
ces  principales  fêtes  qui  sont,  les  Panathénées  et  les  grandes  Dyo- 
nisiaques  ;  et  nous  dirons  aussi  quelque  chose  des  fêtes  de  Diane 
à  Ephèse. 

Les  fêtes  qui  furent    instituées    par    Ericthone    ou  Orphée   en 
l'honneur  de    Minerve,    Déesse    tutelaire   d'Athènes,  furent   appe- 
lées AS^vaca,  jusqu'à  l'époque  de  la  réunion  de  tous  les  bourgs   de 
l'Attique  par    Thésée,  où    elles  furent    renouvellées    et  augmentées 
sous  le  nom  de  Tlava^vata,    ou    Panathénées.    Dans  le    commence- 
ment ,  leur  durée  était  d'un  seul   jour;   elle    fut  prolongée  ensuite 
de  plusieurs  autres,  et  la  célébration  s'en  fit  avec  toute    la   pompe 
et  la  magnificence  imaginables.  Il  y  en  eut  en  outre  de  deux  sortes: 
Petites        les  grandes  Panathénées ,  qui    avaient    lieu    tous    les  cinq   ans,    et 
anathenees.     commençaieQt  au  XXII  du  mois  Hécatombéon    (a);    et    les   petites 
Panathénées ,  qui    se    fesaient    tous  les    trois    ans,    ou,   selon   quel- 
ques-uns tous  les    ans,    et   commençaient    le  XX  ou   XXI  du  mois 
Targélion  (3).    Il    y    avait    trois   combats  auxquels    présidaient    dix 
personnages,  qui  étaient  élus    par  les    dix  tribus  de    l'Attique.   Le 
Comhat       soir  du  premier  jour  on  fesait  le  combat    des    flambeaux ,    où    figu- 
*m /lambeaux.  rajent  d'abord  des  hommes  à  pied  ,  puis  des  hommes  à  cheval.    Les 
concurrens  étaient  placés    à   des    distances   égales,  entre  l'autel  de 
Prométhée  et  les    murs  de    la  ville.    Le  premier    allumait  le  flam- 
beau sur  l'autel ,  et  le  portait  en  courant  au  second  ,  qui  le  transmet- 
tait de  même  au  troisième,  et  ainsi  de  suite.    Celui   qui  le    laissait 
éteindre  ne  pouvait  plus  concourir.  Il  fallait,  pour  remporter  le   prix  , 
avoir   parcouru  toutes  les  stations.  Le  second  combat  était  celui  des 
.combats  divers.  Athlètes ,  qui    avait  lieu  dans  le  Stade  :  on  peut  rapporter  à  cette 

(i)  11  faut  lire  aussi  l'ouvrage  de  Chaussard ,  Fêtes  et  Courtisannes  de 
la   Grèce.   Supplément  aux  Voyages  d' Anacharsis  et  d '  Anthénor. 

(?,)  ExaTOfipaioy  _,  le  premier  mois  des  Athéniens  ,  qui  commençait 
au  solstice  d'été  ,  et  ainsi  appelé  à  cause  des  hécatombes  qui  se  fesaient 
dans  ce  mois  ;  il  répond  à  la  fin  de  juin  ,  et  à  la  première  partie  de  juil- 
let. V.  Svidas  et  Potter. 

(5)  fèapyviXiav  ,  l'onzième  mois  des  Athéniens,  qui  correspond  à  ce- 
lui d'avril  ,  et  dans  lequel  on  célébrait  les  fêtes  d'Apollon  et  de  Diane, 
ou  ,  selon  quelques  écrivains ,  du  Soleil  et  des  Heures.  On  appelait  ces 
fêtes  Targhélies ,  parce  qu'on  y  portait  dans  certains  vases  appelés  bar- 
gheloe  les  prémices  des  moissons.  La  principale  cérémonie  avait  lieu  le 
dernier  jour  du  mois, 


■ùt    Là    G  île  Ce.  4?S 

lutte  la  danse  Pyrrhique ,  qui  était  exécutée  par  des  enfans  armés  , 
en  mémoire  du  triomphe  de  Minerve  sur  les  enfans  de  Titan.  Le 
troisième  était  un  exercice  de  musique ,  dont  Périclés  était  l'ins- 
tituteur, et  dans  lequel  on  chantait  les  louanges  d'Harmodius  et 
d'Aristogiton  ,  qui  avaient  délivré  la  patrie  de  la  tyrannie  de  Pi- 
sistrate ,  ainsi  que  celles  de  Trasibule,  auquel  les  Athéniens  étaient 
redevables  d'être  affranchis  du  joug  des  trente  tyrans.  A  ce  genre 
d'exercice  appartenait  aussi  le  chant  et  la  pantomime  du  chœur  dont 
nous  parlerons  bientôt,  avec  les  quatre  compositions  poétiques,  dont 
la  dernière  était  du  genre  de  la  satyre.  Chacune  de  ces  fêtes  était 
euivie  d'un  combat  naval  simulé,  qui  se  donnait  près  le  promontoire 
Sunium.  Le  prix  qu'on  donnait  au  vainqueur  dans  tous  ces  jeux 
était  un  vase  d'huile,  (  dont  il  devait  disposer  comme  bon  lui  sem- 
blait sur  le  lieu  même,  attendu  qu'il  n'était  pas  permis  de  le  trans* 
porter  hors  de  là),  et  une  couronne  faite  avec  des  branches  des 
oliviers  de  l'Académie,  qui  étaient  particulièrement  consacrés  à 
Minerve.  Ces  fêtes  se  terminaient  par  un  grand  sacrifice,  pour  le- 
quel chaque  bourg  de  l'Attique  fournissait  un  bœuf.  Il  fallait ,  pour 
assister  à  ces  solennités,  être  en  robe  blanche  et  propre. 

Les  grandes  Panathénées  se  célébraient  à  peu  près  de  la  mê- 
me manière  que  les  petites  ,  mais  avec  plus  de  magnificence.  On 
y  portait  en  procession  le  péplum  ou  voile  de  Minerve,  qui  était 
tissu  exprès  pour  cette  fête  par  la  main  de  jeunes  filles  de  la  plus 
grande  distinction.  C'était  une  espèce  de  rohe  blanche  ,  sans  man- 
ches, et  brochée  en  or.  On  y  voyait  représentés  les  gestes  de  la 
Déese  contre  les  Géans,  avec  les  images  de  Jupiter,  des  héros 
et  des  personnages  qui  s'étaient  illustrés  par  de  grandes  actions,. 
C'est  pour  cela  qu'on  appelait  les  hommes  d'un  haut  mérite  àÇioi 
TtsTckov  ,  c'est-à-dire  dignes  d'être  représentés  en  broderie  sur  la 
robe  de  Minerve.  La  procession  se  fesait  de  la  manière  suivante. 
On  gardait  dans  le  Céramique  hors  de  la  ville  une  espèce  de 
navire  ,  qui  était  destiné  à  cette  solennité,  et  au  mât  duquel  était 
attaché  le  péplum  eu  guise  de  voile:  ce  navire  était  traîné,  à 
l'aide  de  machines  cachées,  jusqu'au  temple  de  Cérès  Eleusîoe  , 
et  de  là  jusqu'à  l'Acropole,  où  on  le  plaçait  sur  la  statue  de 
Minerve  ,  qui  était  couchée  sur  un  lit  de  fleurs.  La  procession 
était  composée  d'hommes  et  de  femmes  de  tout  âge  et  de  tou- 
tes les  conditions.  A  la  tête  marchaient  les  vieillards  des  deux 
sexes  y   portant  des  branches  d'olivier  ;  ils   étaient  suivis  des   jeunes 


Grandes 

PaaaihéuéeSj 


Procession. 


47^  '  Religion 

gens  garnies  de  lances  et  de  boucliers ,  et  accompagnés  des  étran- 
gers établis  dans  l'Attiqne ,  ayant  en  main  un  vase  en  forme  de 
petite  barque,  qui  indiquait  leur  qualité  d'étrangers.  Venaient 
ensuite  les  femmes  avec  les  vdpia-pôpoi,  c'est-à-dire  les  femmes  de 
ces  mêmes  étrangers,  qui  portaient  des  seaux  :  après  elles  on  voyait 
une  troupe  de  jeunes  garçons ,  qui  chantaient  des  hymnes  en  l'hon- 
neur de  la  Déesse^  la  tète  ceinte  de  couronnes  de  millet,  et  vêtus 
de  robes  de  laine  brune,  en  mémoire  de  Goprée  qui  fut  tué,  en 
voulant  écarter  de  l'autel  les  bergers  d'Hercule.  Suivaient  les  Cané- 
phores^qui  étaient  choisies  parmi  les  jeunes  filles  du  plus  haut  rang; 
et  après  elles,  celles  d'une  condition  inférieure,  qui  portaient  des 
parasols  et  de  petits  sièges.  La  procession  était  fermée  par  des  trou- 
pes d'enfans  en  robe  blanche.  On  ouvrait  aussi  les  prisons  dans  ces 
solennités  :  on  distribuait  des  couronnes  d'or  aux  citoyens  qui  avaient 
bien  mérité  de  la  patrie,  et  l'on  chantait  les  poèmes  d'Homère, 
d'après  un  usage  qui  fut  introduit  par  Hipparque  fils  de  Pisistrate. 
Nous  observerons  enfin  qu'on  fesait  dans  ces  Panathénées  ,  ainsi  que 
dans  les  petites ,  des  vœux  et  des  sacrifices  en  l'honneur  des  Pla- 
téens,  en  reconnaissance  de  la  bravoure  avec  laquelle  ils  avaient 
combattu  pour  les  Athéniens  à  la  bataille  de  Marathon.  A  ces  fêtes 
Nomofuiaces.  présidaient  les  Nomofulaces ,  ou  gardiens  des  lois,  le  front  ceint 
d'une  bandelette  blanche  ;  et  les  préparatifs  s'en  fesaient  dans  un 
lieu  destiné  à  cet  effet ,  en  dedans  de  la  porte  Pyrée,  et  près  du 
temple  de  Cérès. 
imagedcs  Les  planches  ^4  et  7^  offrent  l'image  de  la  procession  des  fêtes 

Panathénées.       ■«-»      .    -, -i     ,    ,»  ,     . ,  5  t  •  r  r  <  n    • 

dans  ia  fnse  Panathénées,  telle  qu  on  la  voyait  représentée  sur  la  frise  exte- 
u±ar  icnon.  rjenre  ^j  décorait  le  plafond  du  périptère  du  Parthénon  :  ouvrage 
admirable  pour  ce  qui  regarde  l'art,  et  de  la  plus  haute  importance 
pour  le  costume  (r).  Nous  suivrons  les  traces  de  Stuart  dans  la  descrip- 
tion que  nous  allons  en  donner.  Le  n.°  i  de  la  planche  74  repré- 
sente deux  jeunes  gens ,  prêts  à  monter  à  cheval ,  avec  d'autres  ca- 
CavaVicrs.      valiers  qui  sont  déjà  en  marche.  La  frise ,  sur  une  longueur  de  plus 

(1)  Nous  avons  tracé  ces  planches  d'après  les  dessins  de  Stuart ,  en 
ayant  soin  cependant  de  les  comparer  avec  les  marbres  de  Lord  Elgin 
(  London  ,  Th.  Dar vison  ,  1818  )  ,  et  en  y  ajoutant  les  restaurations  qui 
ont  été  faites  à  ces  marbres.  La  frise  a  3  pieds  4  pouces  de  hauteur  ,  ec 
se  prolonge  tout  autour  de  la  façade  extérieure  du  mur  du  sanctuaire  ,  en- 
sorte  qu'elle  a  au  moins  Ô20  pieds  de  longueur.  V.  les  Antiquités  d'Athè- 
nes de  Stuart ,  édit.  franc.  Tom,  II.  pag.  26. 


ÈE    la     Grèce.  477 

de  60  pieds  de  chaque  côté,  comprenait  les  cavaliers  dont  une  par- 
tie du  cortège  était  composée.  Leur  habillement  présente  trois  dif- 
férences remarquables:  les  uns  portent  la  chlamyde  et  la  tunique; 
les  autres  la  tunique  sans  la  chlamyde  ,  et  les  troisièmes  n'ont  pour 
tout  vêtement  qu'une  draperie  flottante.  Stuart  ne  nous  a  donné  que 
quatre  autres  dessins  de  cette  cavalerie  ,  n.os  2,  s  3  ,  4  et  5  ,  qui  lui 
semblent  comprendre  tous  les  différens  costumes  qu'on  trouve  dans 
l'original.  Le  premier  et  le  dernier  de  ces  numéros  appartiennent 
au  côté  septentrional  du  temple  ,  et  les  deux  autres  au  côté  méri- 
dional. Les  cavaliers  sont  précédés  des  conducteurs  des  chars 3  n.°  6,  Conducteurs 
7  et  o.  Un  remarque  dans  le  dernier  un  jeune  homme  ,  qui  est 
peut-être  un  vainqueur  à  la  course  des  chars,  et  près  de  lui  un 
homme  qui  va  pour  le  couronner.  L'espace  qui  est  entre  ce  dernier 
numéro  et  le  premier  de  la  planche  suivante  offre  un  grand  vide, 
occasionné  par  la  destruction  totale  de  cette  partie  de  la  frise,  le 
n.°  1  de  la  planche  75  représente  trois  scaféphores  ,  ou  hommes  qui  Scaféphores, 
portent  les  navettes,  il  y  a  dans  l'original  une  autre  lacune  con- 
sidérable,  jusqu'au  sacrificateur  et  au  taureau  n.°  a,  qui  appar- 
tient au  front  septentrional  de  la  gouttière,  formant  .l'angle  de  la 
frise  entre  le  nord  et  le  raidi.  Le  n.°  3  présente  l'autre  front  de 
cette  gouttière  angulaire,  et  par  conséquent  l'extrémité  septentrio- 
nale de  la  façade  orientale  du  temple  :  on  y  voit  deux  jeunes  fem- 
mes qui  portent  des  patères.  Au  n*  4  sont  les  Hydriaphores ,  ou  Hydriaphores. 
porteuses  d'eau  avec  des  amphores  ,  précédées  d'une  femme  qui  ap- 
proche la  main  à  un  candélabre  ,  comme  pour  aider  ceux  qui  le 
portent.  Après  une  autre  grande  lacune  la  frise  se  montre  en  une 
seule  masse,  qui  est  la  plus  étendue  et  occupe  presque  tout  Je  mi- 
lieu de  la  façade  orientale:  on  y  voit  un  Dieu  ou  une  Déesse-,  qui 
sont  peut-être  Neptune  et  Gérés  ,  avec  deux  autres  figures  ,  dont 
l'une  est  un  jeune  homme  qui  présente  une  draperie  piiée  en  plu- 
sieurs doubles,  ou  qui  aide  à  la  soutenir  avec  l'autre  figure,  qui  a 
l'air  d'un  homme  occupé  à  l'examiner  bien  attentivement.  Stuart 
croit  que  cette  draperie  pourrait  bien  être  le  péplum.  On  voit  en-  PeP!«m. 
core  dans'  la  même  raassse  la  prêtresse,  qui  pose  une  corbeille  Mlrç** 
sur  la  tête  d'une  jeune  fille,  et  lui  donne  une  torche,  taudis 
qu'une  autre  femme  a  déjà  sur  la  tête  une  corbeille  semblable, 
et  tient  une  tablette  à  la  main  (1).  De  ce  nombre  sont    trois    Déi- 

(1)  Ce  sont   peut-être    les    deux    Canéphores ,  dont   parle.  Pausanias 


47S  Religion" 

tés,  qui  sont  peut-être  Junon  et  Vulcain  qu'on  voit  assis  ,  et  Tris 
qui  est  debout  devant  eux.  Vulcain  semble  être  signalé  ici  par  une 
chaussure  beaucoup  plus  haute  et  plus  grosse  que  l'autre.  Le  n.°  6 
présente  aussi  une  grande  partie  de  la  même  frise  sculptée  dans 
une  seule  masse  :  on  y  voit  assis  Jupiter  5  les  Dio^cures  et  un  héros 

Hiérophantes,  qui  semble  être  Thésée.  Les  figures  en  pied  ont  l'air  de  Hiéro- 
phantes, qui  expliquent  aux  initiés  quelque  mystère  :  car  il  parait, 
d'après  un  passage  de  Proclus  cité  par  Meurs ,  que  certains  mys- 
tères fesaient  partie  de  cette  solennité  (i).  Le  n.°  7  est  une  pièce 
de  la  frise  contigue  à  la  précédente:  on  y  voit  un  autre  Hiéro- 
phante avec  un  initié  ,  ensuite  diverses  femmes ,  qui  sont  peut-être  les 

Ghadephores  Ckadéphores  ,  ou  porteuses  de  parasols,  qui  semblent  ouvrir  la  pro- 
cession. Les  sacrificateurs  et  les  victimes,  n.°  8,  se  trouvent  sur  le 
côté  méridional  du  temple.  Le  n.°  9  représente  quelques  cavaliers 
qui  sont  du  même  côté ,  et  dont  l'habillement  est  différent  de  celui 
des  cavaliers  qu'on  voit  sur  le  côté  septentrional.  Nous  croyons  à 
propos  de  joindre  ici  les  deux  groupes,  n.os  10  et  11,  que  les  édi- 
teurs Français  de  l'ouvrage  de  Stuart  ont  fait  copier  sur  les  des- 
sins originaux  de  M.r  de  Nointel  ,  et  qu'on  trouve  aussi  rapportés 
à  la  I.re  planche  du  III.0  vol.  des  antiquités  de  Montfaucon.  Ils 
servaient  d'ornement  à  deux  métopes  de  la  frise  extérieure  du  tem- 

I^Minervl  pie ,  qui  ont  été  détruites.  La  petite  statue  entre  les  deux  femmes 
en  hois.  bo  jIs  est  probablement  la  copie  de  l'image  que  les  Athéniens 
croyaient  tombée  du  ciel  „  et  que  l'on  conservait  dans  le  temple 
de  Minerve  Poliade.  II  n'est  guères  vraisemblable  en  effet,  qu'on 
plaçât  sur  le  lit  de  fleurs,  dont  parle  Esichius  ,  la  statue  colossale 
de  la  Déesse,  qui  était  un  des  ouvrages  les  plus  admirables  de  Phi- 
dias; il  est  plus  naturel  de  croire  que    c'était    la    petite    statue  de 

Att.  c.  27.  «  Près  du  temple  de  Minerve  Poliade  ,  dit-il ,  habitent  deux 
vierges  ,  que  les  Athéniens  appellent  Canéphores  ,  ou  porteuses  de  cor- 
beilles. Ces  vierges  passent  un  certain  tems  au  service  de  la  Déesse  ;  et 
le  jour  de  sa  fête  ,  elles  vont  au  temple  dans  la  nuit ,  et  y  reçoivent  des 
mains  de  la  prêtresse  de  Minerve  les  corbeilles  ,  qu'elles  mettent  sur  leur 
tête  ,  sans  qu'elles  ,  ni  la  prêtresse  sachent  ce  qu'elles  contiennent  ». 

(1)  «La  fête  dés  Panathénées  semble  destinée  à  présenter  l'image 
de  l'ordre  parfait,,  qui  s'étend  de  l'âme  divine  au  monde  matériel,  et 
en  même  tems  l'action  distincte  et  particulière  des  divers  élémens  :  car  Mi- 
nerve est  en  même  tems  la  Déesse  de  la  sagesse  et  de  la  guerre  ».  Vw- 
«lus  ,A  Comment.  I.  sur  le  Timée. 


©  £    LA    G  R  È  c  e.  ^79 

bois  qu'on  mettait  sur  ce  lit  de  fleurs ,  et  qu'on  la  portait!  ainsi  au 
Parthénon  ,  pour  y  être  exposée  aux  regards  et  à  la  dévotion  de 
ceux  qui  accouraient  à  cette  cérémonie  mystérieuse.  Nous  termine- 
rons ici  la  relation  de  ces  fêtes  célèbres  :  ceux  qui  désireraient  le| 
connaître  plus  en  détail  pourront  consulter  l'ouvrage  que  Meurs  a 
publié  sur  ce  sujet. 

Les  Dyonisiaques ,  ou  fêtes  de  Bacchus,  se  célébraient  dans  Dyoftisia<jues. 
toute  la  Grèce,  mais  plus  particulièrement  encore  à  Athènes;  et 
l'on  en  trouve  dans  le  voyage  d'Anacharsis  une  belle  description  9 
qui  est  tirée  en  partie  de  l'Archéologie  de  Potter.  Ces  fêtes  étaient 
de  diverses  sortes,  savoir;  les  antiques,  les  nouvelles,  les  grandes s 
] es  petites  j  les  urbaines,  les  champêtres ,  celles  d'automne,  celles 
du  printems ,  celles  de  nuit,  celles  de  jour  etc.  Ainsi  le  culte  de 
Bacchus  embrassait  tons  les  tems ,  tous  les  lieux  ,  et  se  reproduisait 
comme  la  Nature  sous  diverses  formes.  Nous  ne  parierons  ici  que 
des  grandes,  dont  la  célébration  avait  lieu  au  printems,  époque  à 
laquelle  les  Athéniens  recevaient  le  tribut  de  leurs  alliés.  On  y  fesait 
aussi  une  procession  ,  où  l'on  représentait  le  triomphe  de  Bacchus 
après  sa  conquête  de  l'Inde.  Les  Bacchantes  y  paraissaient  sous  des  Procession,- 
cléguisemens  divers  et  extravagans.  On  y  voyait  les  Faunes 3  les  Saty-  %  lBac&. 
res  s  Pan  et  Silène  montés  sur  des  ânes ,  ainsi  que  des  hommes  habil- 
lés en  femmes,  avec  des  robes  parsemées  de  taches  blanches ,  et  qui 
leur  descendaient  jusqu'aux  talons.  Les  uns  traînaient  des  boucs  pour 
les  immoler;  d'autres  portaient  des  figures  obscènes  suspendues  à  de 
longues  perches,  et  chantaient  des  hymnes  licencieuses:  on  en  voyait 
qui  déchiraient  les  entrailles  palpitantes  des  victimes  en  appelant 
Bacchus  par  des  cris  affreux,  qui  serraient  des  serpens  dans  leur 
mains  ,  les  entrelaçaient  dans  leurs  cheveux  ,  et  s'en  ceignaient  le 
corps  au  grand  effroi  des  spectateurs.  Les  individus  des  deux  sexes 
et  de  tout  rang  y  étaient  presque  tous  masqués,  et  vêtus  de  peaux 
de  faon  ou  de  chevreau  ,  de  panthères  ou  autres  bêtes  féroces ,  avec 
des  couronnes  de  pampres  ou  de  lierre,  ivres  ou  feignant  de  l'être  3 
et  mêlant  fleurs  cris  au  bruit  des  cymbales,  des  sistres  et  au- 
tres instrumens  de  musique  ,  les  uns  s'abandonnant  à  des  accès  de 
fureur,  les  autres  formant  des  danses  militaires,  dans  lesquelles 
ils  portaient  des  vases  au  lieu  de  boucliers  ,  et  maniaient  en  guise 
de  lance  leurs  thyrses ,  dont  ils  frappaient  les  spectateurs.  Au  mi- 
lieu de  cette  troupe  de  forcenés  marchaient  avec  ordre  les  chœurs 
des  tribus.  Les  Canéphores ,  prises   dans    les    familles   les    plus  dis- 


4^0  R  E  L  I  g  r  o  HT 

tinguées  de  la  ville,  et  le  front  embelli  par  la  pudeur,  por- 
taient sur  leur  tête  les  corbeilles  sacrées,  qui  contenaient  avec  les 
prémices  des  fruits,  des  gâteaux  de  diverses  formes,  des  grains  de 
sel ,  des  feuilles  de  lierre  et  autres  emblèmes  mystérieux.  Il  y  avait 
Licnophores.  aussi  les  Lichnophores ,  ou  pourtours  du  crible  sacré  de  Bacchus  , 
rite  usité  dans  toutes  les  fêtes  et  dans  tous  les  sacrifices  qui  se  fe- 
saient  en  l'honneur  de  ce  Dieu.  Ces  solennités  étaient  en  outre  ac- 
compagnées de  spectacles  et  de  jeux,  dans  lesquels  on  mettait  d'au- 
tant plus  de  magnificence,  qu'au  dire  de  Suidas 3  leur  nombre  pro- 
gressif déterminait  celui  des  années. 
Cuite  Nous  ne  rapporterons  qu'un  seul  monument  concernant  le  fêtes 

e combun'  Dyonisiaques ,  comme  nous  venons  de  le  faire  pour  les  Panathénées  : 
ému  étendu.  caj,  gj  pon  von|ajt  parler  de  tous  les  bas-reliefs,  des  camées  ,et  des 
peintures  qui  ont  rapport  aux  Bacchanales,  et  que  nous  ont  laissés 
les  Grecs  et  les  Romains,  leur  description  exigerait  plusieurs  volu- 
mes. 11  suffira  de  dire  à  cet  égard  ,  que  le  culte  de  Bacchus  a  tou- 
jours éîé  le  sujet  favori  des  artistes  de  l'antiquité  ,  et  que  c'est  de 
là  qu'est  pris  le  plus  grand  nombre  des  peintures  de  leurs  vases. 
La  planche  76  représente  une  Bacchanale,  qui  est  sculptée  sur 
une  de  ces  tines  appelés  A^voi  chez  les  Grecs  ,  et  lacus  on  labra 
Tme  avec  une  chez  les  Romaius,  et  dont  on  se  servait  dans   la  vendange  (r).    Les 

Bacchanale.         ,  .  n  ,  ,  .  ,  .       '  .  -*-*  -  t-» 

dix  figures  les  plus  grandes  représentent  cinq  Jb  aunes  et  cinq  Bac- 
chantes dansans.  Les  Faunes  ont  les  cheveux  hérissés,  des  cornes 
naissantes  et  des  queues  courtes:  au  dessous  de  leur  mâchoire  pen- 
dent deux  espèces  de  glan<îes,  pour  indiquer  peut-être  qu'ils  sont 
de  l'espèce  de  la  chèvre;  il  portent  tous  des  couronnes  de  pin  (2), 

(1)  Ce  bas-relief  est  rapporté  par  Visconti  ,  Mus.  Pio-Clémentin  7. 
IV.  Planeh.  29  et  3o.  Il  sert  d'ornement  à  un  grand  bassin  en  marbre  , 
qui  fut  découvert  en  1777  ,  dans  les  fondemens  de  la  sacristie  du  Vati- 
can. «  Le  bord  supérieur  de  ce  bassin  ,  dit  Visconti  ,  décoré  de  beaux 
ovoles  qui  semblent  l'avoir  terminé  sans  couvert  ,  les  deux  têtes  de  lion 
qui  servent;  d'embellissement  à  deux  ouvertures  par  où  pouvait  s'écouler 
le  jus  des  grappes,  sa  forme  elliptique  même  et  sa  capacité,  donnent 
lieu   de  présumer  qu'il  était  destiné  à  l'usage    des  vendanges  plutôt,  qu'à 

servir    de  sépulcre la    variété    et    l'élégance    qu'on    remarque  dans 

les  figures  des  danseurs,  peuvent  les  faire  regarder  comme  des  copies  fidè- 
les d'originaux  admirables,  que  le  tems  nous  a  ravis. 

(2)  Le  pin  était  cher  à  Pan  dieu  des  Satyres  et  des  Faunes,  et 
c'esi  pour  cela  qu'il  fut  aussi  introduit  dans    les  cérémonies    de    Bacchus. 


bs    la    Grèce.  4&1 

et  autour  de  leurs  membres  des  pardalides ,  ou  peaux  de  panthères 
et  de  tigres.  Leurs  thyrses ,  ain?i  que  ceux  des  Bacchantes  leurs  com- 
pagnes, laissent  voir  au  bout  le  fer  à  découvert ,  tels  qu'on  les  trouve 
décrits  dans  les  guerres  de  l'Inde.  Les  flûtes  à  double  tuyau,  les  hou- 
lettes ,  les  préféricoles  et  les  cymbales  qu'on  y  voit ,  sont  les  attri- 
buts ordinaires  des  adorateurs  de  Bacchus.  «Quatre  des  Bacchantes, 
dit  Visconti  ,  se  tiennent  sur  la  pointe  du  pied  dans  l'action  d'une 
danse,  dont  le  mouvement  animé  et  violent  est  encore  plus  sensible 
dans  quelques-unes,  à  la  position  de  leur  tête  renversée  en  arrière,  et 
dans  toutes  aux  ondulations  de  leur  vêtement.  La  première  joue  des 
cymbales,  et  la  troisième  des  timbales  en  dansant ,  tandis  que  la  se- 
conde relève  délicatement  le  bord  d'un  manteau  court  ,  qui  se  renfle 
sur  ses  épaules.  La  tunique  à  la  Spartiate  de  la  troisième,  sans  cou- 
ture sur  les  fl.incs ,  se  ramasse  d'un  côté  dans  la  rapidité  du  mou- 
vement,  et  lui  laisse,  par  une  idée  bizarre  de  l'artiste,  presque  tout 
le  reste  du  corps  nu.  La  quatrième  semble  exécuter  le  genre  de 
danse  appelé  Cemophoros  ,  en  tenant  de  Ja  main  gauche  le  crible  Cemophoros; 
mystique ,  dans  lequel  on  voit  le  phallus  couvert  d'un  voile  (i).  La 
dernière  figure,  qui  semble  la  Coryphée  du  thyrse  ,  est  peut-être  Coryphée. 
Nysa  ,  la  nourrice  de  Bacchus,  dont  la  figure  colossale  et  mobile 
d'elle-même  par  le  moyen  d'un  secret  mécanisme,  était  pompeuse- 
sement  portée  à  Alexandrie  sur  un  char,  avec  le  même  habillement 
qu'on  lui  voit  ici;  elle  s'y  levait  de  tems  en  tems  debout,  pour  ver- 
ser du  lait  de  Va  fiole  qu'elle  tenait  dans  la  main  droite  ,  et  se  ras- 
seyait ensuite  sur  son  siège:  notre  figure  a  cela  de  différent,  qu'au 
lieu  de  thyrse,  elle  tient  dans  la  main  gauche  un  grand  flambeau, 
dont  l'usage  était  commun  aux  fêtes  de  Cérès  comme  à  celles 
de  Bacchus.  Les  crânes  de  bouc  sculptés  au  bas  du  monument  font 
allusion  aux  sacrifices  qui  se  fesaient  au  tems  des  vendanges.  Les 
Génies  montés  sur  des  panthères  sont  des  Génies  Bacchiques,  et 
les  deux  grandes  têtes  de  lion  indiquent  les  rapports  de  cet  animal 
avec  les  fêtes  Dyonisiaqnes  :  car  le  lion,  qui  était  consacré  à  la  mère 
des  Dieux,   passa  ensuite  dans  les  cérémonies  du  culte  de  Bacchus, 

On  raconte  que  dans  la  pompe  que  célébra  Ptolémée  Philadelphe  en 
l'honneur  de  Bacchus  ,  il  y  avait  cinq  cents  jeunes  filles  portant  des  cou- 
îonnes  d  or  ,  qui  imitaient  des  feuilles  de  pin. 

(i)  Le  crible,  appelé  par  Virgile  mystlca  vannus  Iacchi  (  Géorg.  I. 
v.    166),,  avait  servi  de  berceau  à  Bacchus,  selon  l'usage  antique. 

Europe.  Fol.  1.  61 


'48a  Religion 

qui  se  confondit  avec  celui  de  Cibèle;  il  est  en  outre  l'emblème 
des  transports  de  fureur  qui  agitaient  les  Ménades ,  et  leur  donnaient 
une  force  au  dessus  de  celie  des  animaux  les  plus  redoutables:  motif 
pour  lequel  elles  se  vantaient,  dans  un  épigramme  Grec,  de  revenir 
de  la  chasse  avec  les  têtes  des  lions  qu'elles  avaient  terrassés  „. 
Fêtes  de  Diane  Les  fêtes  qui  se  célébraient  à  Ephèse  en  l'honneur  de  Diane  dif- 

P  se.  £^raîent  peu  (je  ce||es  qUe  nous  venons  cje  décrire  ^  mais  ce  qui  les 
rendait  fameuses  était  moins  la  majesté  des  cérémonies,  que  la  haute 
réputation  de  l'idole  de  la  Déesse,  la  magnificence  de  son  temple, 
et  le  grand  nombre  de  personnes  qui  y  accouraient  de  toutes  les 
parties  de  la  Grèce.  Ces  fêtes  étaient  accompagnées  de  danses  ,  de 
banquets,  de  jeux  de  toute  espèce,  de  sacrifices  et  d'offrandes  de 
gâteaux  faits  avec  du  miel  et  du  fromage,  et  dont  quelques-uns 
avaient  la  figure  d'un  cerf:  on  y  fesait  aussi  des  initiations.  La 
pompe  commençait  par  une  procession  précédée  de  flambeaux,  dont 
la  clarté  imitait  celle  de  la  Lune:  venaient  ensuite  des  musiciens , 
des  chevaux,  des  chiens,,  des  hommes  armés  pour  la  chasse ,  et  enfin 
des  choeurs  de  jeunes  filles  élégamment  vêtues  qui  fermaient  le  cor- 
tège. Ces  jeunes  filles  et  les  hommes  bien  nés  pouvaient  seuls  entrer 
dans  le  temple  (i),  qui  était  un  des  plus  beaux  édifices  de  la 
Temple  Grèce  ,  et  passait  pour  une  des  merveilles  de  l'univers.  Il  fut  incen- 
dié vers  l'an  356  de  notre  ère  par  un  certain  Erostrate ,  qui  ne  se 
porta  à  cet  excès  que  dans  la  vue  d'immortaliser  son  nom.  On 
le  rebâtit  quelques  années  après  sur  les  mêmes  fondemens ,  en  y 
employant  les  colonnes  qui  en  fesaient  auparavant  le  principal  or- 
nement (a).  On  assure  que  les  femmes  d'Ephèse  donnèrent  tout    ce 

(i)  Svidas.  Pollux,  L.  VI.  c.  XI.  Atlien.  L.  XIV.  Hesych.  Etymol. 
Achilles  Tatius  L.  VII, 

(2)  Pline  3  liv.  XXXV.  chap.  XIX.  parle  ainsi  de  ce  temple  :  Ma- 
gnifwentiae  vera  admirabio  extab  templum  Dianae  Ephesiae  ducentis , 
vel  ut  alii  volant ,  quadringentis  viginti  annis  factutn  a  tota  Asia  :  in 
solo  id  palus tri  fecere ,  ne  terrae  motus,  aut  hiatus  timeret.  Rursum  ne 
in  lubrico  atque  instabili  fundamenta  tantae  molis  locarentur ,  calcatis 
ea  substravere  carbonibus ,  dein  velleribus  lanae.  Universo  templo  est 
longitudo  quadringentorum  viginti  quinque  pedum ,  latitudo  ducentorum 
viginti.  Columnae  centum  viginti  septem  a  singulis  regibus  factae  ;  sexa~ 
ginta  pedum  altitudine ,  et  ex  iis  triginta  sex  caelatae.  Selon  Vitruve 
l'architecture  de  ce  temple  était  d'ordre  Ionique  :  Primumque  aedes ,  dit- 
jl ,  Ephesi    Dianae  Jonico  génère  ab   Ctesiphonte  Gnpssio  :  et  Jilio  eju$ 


de    la    Grèce.  ^83 

qu'elles  avaient  de  plus  précieux  pour  son  rétablissement.  Ce  nou- 
veau temple,  selon  les  savantes  conjectures  du  Marquis  Poleni  ? 
était  de  même  grandeur  que  l'ancien,  dont  Pline  nous  fait  connaî- 
tre les  dimensions.  Ainsi  il  devait  avoir  4a^  pieds  grecs  (  envi- 
ron i3o  mètres)  de  longueur,  sur  2,20  (  67  mètres  et  2,  décimè- 
tres) de  largeur,  et  60  (  17  mètres  8  décimètres)  de  hauteur:  le 
plafond,  qui  était  en  cèdre,  était  soutenu  par  lùq  colonnes  d'ordre  ioni- 
que, dont  trente-six  étaient  ciselées,  et  les  portes  étaient  en  cyprès  (ij. 
Ou  voit  sons  le  n.°  1  de  la  planche  77  un  médaillon  d'Adrien  ,  repré- 
sentant le  temple  de  Diane  à  Ephèse,  avec  huit  colonnes  élégan- 
tes, dont  les  bases  sont  ornées  de  statues:  au  milieu  est  l'image  de 
la  Déesse  ,  et  Ton  voit  sur  le  fronton  deux  petites  figures  fesant 
un  sacrifice  sur  un  autel  (z).  Ce  temple  renfermait  une  statue  co- 
lossale, non  moins  célèbre  que  l'édifice  même;  sa  forme  était  pas- 
sée de  l'Egypte  en  Grèce  à  uue  époque  très-reculée,  et  dans  cette        Statue 

,.,,,,  .  ,  ,  -~„  ,       .  de  Diane. 

solennité  on  la  découvrait  aux  yeux  du  peuple.  C  était  un  ouvrage 
de  ceux  qu'on  appelait  polychrome  ,  dont  nous  avons  déjà  parlé.  Cette 
statue  était  une  figure  hiéroglyphique  ,  sous  laquelle  était  repré- 
sentée la  Nature  ,  avec  des  attributs  peu  différons  de  ceux  cVfsis  , 
qui  avait  la  même  signification  chez  les  Egyptiens.  Vitruve  croit 
que  le  fond  ,  ou  Vâtne  ,  en  était  de  cèdre:  Piine  le  fait  d'ébène,  et 
d'autres  écrivains  de  bois  de  vigne.  Le  Consul  Mucianus ,  cité  par 
Pline  (3)  ,  dit  qu'elle  avait  des  ouvertures  par  où  l'on  fesait  couler 
dans  sou  intérieur  de  l'huile  de  nard  ,  ut  medicatus  humor  alat , 
teneatque  juncturas.  C'est  d'après  ce  témoignage,  que  M.r  Quatre- 
mère  croit  pouvoir  conjecturer,  que  les  hiéroglyphes ,  ou  les  parties 
allégoriques  rapportées  sur  ce  simulacre,  étaient  d'ivoire:  cependant 
il  paraîtrait,  d'après  Xénophon  ,  qu'elles  étaient  d'or,  car  cet  écri- 
vain dit  qu'il  avait  consacré  dans  son    petit  temple  de  Chiilon  une 

Metagene  est  ins tituba  :  c/uam  postea  Demetrlus  ipsius  Diaiiae  servus  , 
et  Poenius  Ephesius  dicuntur  perfecisse.  On  lit  dans  Pline  que  ce  temple 
fut  rebâti  sept  fois. 

(1)  Il  faut  voir,  au  sujet  de  ce  temple  fameux,  le  savant  mémoire 
du  Marquis  Poleni  ,  inséré  dans  les  Actes  de  l'Académie  de  Cortona  :  Saggi 
dj,  Dissertazioni ,  tom.   I.  part.  II.  n.°   i5  et   14. 

(2)  Venturi  ,  Mus.  Alb.  L.  XIV.  Est  aussi  rapporté  par  Millin  _, 
Gall.  Myth.  XXX.  109.  Dans  l'exergue  on  lit  JE$ECliiN ,  monnoie  des 
Ephé  siens. 

(3)  Liv.  XVI.  chap.  40. 


4^4  Religion 

statue  de  Diane  semblable  à  celle  d'Ephèse  ,  avec  cette  seule    dif- 
férence que  celle-ci  était  d'or,  et  la  sienne  de  cyprès. 
detfuaTue  Qu'elle    que  fût  la  matière  dont    cette  statue    était    faite,    les 

de  Diane.  images  qui  nous  en  sont  parvenues ,  soit  sur  des  inarbres  ,  soit  sur 
des  pierres  précieuses  ou  des  médailles,  portent  toutes  un  grand  nom- 
bre de  mamelles  sur  la  poitrine  et  même  sur  les  flancs  (i)  ,,  et  ne  dif- 
fèrent entr'elles  que  par  le  nombre  ou  la  nature  des  emblèmes  (a). 
Plusieurs  de  ces  statues  ont  le  visage  et  les  mains  d'un  marbre  noir, 
et  le  reste  du  corps  eu  marbres  de  différentes  couleurs:  ce  qui 
donne  a  présumer,  que  la  Diane  d'Epbèse  avait  en  effet  le  fond ,  ou 
Yâme,  en  ébène  ou  en  bois  noir.  Le  corps  était  ordinairement  par- 
tagé par  bandes,  qui  le  fesaient  paraître  comme  emmailloté.  Ces 
bandes  présentaient  les  attributs  ou  les  emblèmes  de  la  Déesse. 
Le  n.°  a  de  la  plancbe  77  est  une  image  de  Diane  .  gravée  sur 
une  cornaline ,  qui  a  été  publiée  par  Dominique  Rossi,  et  dont 
Alexandre  Maffei  a  donné  la  description  (3).  On  y  voit  toutes 
les  bandes  couvertes  de  mamelles.  Le  savant  commentateur  n'est 
pas  éloigné  de  regarder  ces  bandes  comme  les  signes  hiérogly- 
phiques des  globes  célestes ,  sur  lesquels  se  meuvent  les  planètes. 
C'est  pour  cela ,  ajoute-t-il ,  que  dans  le  fameux  coffre  de  Cyp- 
selus ,  Diane  a  à  sa  droite  le  lion  (animal  qui,  selon  les  mytho- 
îogistes,  participe  de  la  nature  du  Soleil  )  ,  et    à   sa    gauche    une 

(1)  Voici  ce  que  dit  S.1  Jérôme.,  d'ans  l'explication  qu'il  donne  delà 
lettre  de  S.1  Paul  aux  Ephésiens ,  au  sujet  des  mamelles  qu'on  voit  dans 
toutes  les  statues  de  Diane  :  Dianam  ,  dit-il  ,  multimammiam  colebant 
Jlphesii  ;  non  hanc  venatricem ,  quae  arcum  tenet  ,  atque  succincta 
est,  sed  illam  multimammiam ,  quant  Graeci  TtoXvfiaarov  vocant ,  ut 
scilicet  ex  ipsa  quoque  effigie  mentirentur ,  eam  omnium  hestiarum  et 
viventium  esse  nutricem.  Que  la  Diane  d'Ephèse  ne  fût  qu'une  représen- 
tation emblématique  de  la  Nature  ,  c'est  ce  qu'attestent  clairement  les 
inscriptions  Grecques  gravées  au  pied  de  deux  de  ses  statues ,  et  rapportées 
par  Montfaucon.  Elles  signifient  ,  l'une  ;  la  Nature  toute  pleine  de  va- 
riétés ,  mère  de  toutes  choses  ;  et  l'autre  ,  la  Nature  pleine  de  variétés. 

(2)  Barthélémy  est  d'avis ,  que  les  images  de  la  Diane  d'Ephèse 
sont  d'autant  moins  anciennes  qu'elles  sont  plus  chargées  d'ornemens. 
«Sa  statue,  dit-il,  ne  présente  d'abord  qu'une  tète,  des  bras,  des  pieds 
et  un  corps  en  forme  de  gaine.  On  y  a  ensuite  appliqué  les  emblèmes 
des  autres  divinités,  et  surtout  ceux  qui  caractérisent  Isis  ,  Cybèle,  Cérès  t 
etc.   »   Voy.  du   jeune  Anacharsis  etc.  Tom.  VI,  pag.    5oi.  Paris ,   1790. 

(5^)   Gemrne  antiche  figura  te  etc.   Vol,  II.  PI.  62, 


»e  là  Grège.  z|85 
panthère,  moins  dans  la  vue  d'indiquer  la  vertu  du  soleil  sur  la- 
terre  3  que  pour  exprimer  celle  des  autres  planètes  ,  qui  ,  selon  le 
sentiment  de  Probus ,  sont  figurées  par  la  peau  de  la  panthère  à 
cause  de  la  variété  de  ses  taches ,  dans  lesquelles  d'autres  ont  encore 
prétendu  reconnaître  la  terre ,  de  qui  nous  tenons  tant  de  produc- 
tions différentes Ainsi,  le  voile    dont   est   couverte   la  tête 

delà  Déesse  ,  peut  faire  allusion,  soit  aux  ténèbres  de  la  nuit  9 
qu'éclairent  les  rayons  de  la  Lune  ;  soit  à  Vinfluence  bienfesante  des 
rosées  qui  se  répandent  à  sa  clarté  ,  et  contribuent  si  efficacement 
à  la  fertilité  de  la  terre  ;  soit  enfin  aux  opérations  secrètes  de  la- 
nature.  La  couronne  murale  qui  ceint  son  front  annonce  le  règne 
de  la  nature  ;  elle  a  ici  les  pieds  nus  et  dégagés  de  toute  entrave, 
au  lieu  de  les  avoir  chaussés  eZ'ocrées  comme  dans  les  autres  statues 
que  nous  avons  d'elle  :  ce  qui  peut  être  considéré  comme  V expression  de 
sa  bonté  et  de  sa  tendresse  maternelle  envers  les  hommes,  ainsi  que  Va 
observé  Ménétrier  à  l'égard  de  la  statue  de  cette  Divinité  qu'on  voit  dans 
le  palais  Barberini.  Les  cerfs  ,  selon  les  Mythologistes  sont  l'emblème 
de  la  vélocité  de  la  Lune  dans  son  cours  9  et  quelquefois  on  en  fait 
un  des  attributs  de  Diane,  comme  Déesse  deja>  chasse  ;  en  suppo- 
sant qu'elle  représente  ici  la  nature ,  ces  animaux  pourraient  en- 
core se  rapporter  à  elle  comme  emblèmes  de  l'éternité ,  parce  qu'ils 
vivent  long-tems.  Les  bras  de  cette  statue  sont  appuyés  sur  deux 
supports,  comme  cela  se  pratiquait  à  cette  époque  de  L'enfance  de 
l'art,  où  les  artistes  n'osaient  pas  encore  détacher  les  bras  du  corps 
de  la  statue,  ainsi  qu'on  le  voit  pat' ce  passage  de  Minucius  Félix, 
Diana  Ephesia  mammis  multis ,  et  verubus  extructa.  Le  n.°  3  est 
une  statue  de  Diane  d'Ephèse  du  Cabinet  de  Brandebourg  citée 
par  Montfaucon.  Elle  a  sur  la  poitrine  une  écrevisse  couronnée  par 
deux  génies.  Certains  antiquaires  croient  voir  dans  cette  écrevisse 
l'emblème  du  zodiaque,  avec  lequel  la  Lune  a  beaucoup  de  rapports: 
d'autres  la  regardent  comme  une  allusion  à  la  position  maritime 
d'Ephèse.  La  première,  la  quatrième  et  la  cinquième  bandes  sont 
parsemées  de  têtes  de  cerfs  grossièrement  faites:  la  seconde  présente 
des  têtes  de  lions,  et  la  troisième  de  panthères;  Je  voile  qui  la 
couvre  est  l'emblème  de  l'obscurité  qu'elle  dissipe,  ou  de  la  pudeur 
qui  lui  est  si  chère.  La  Diane  du  Musée  Pio-Clémentin  porte  sur 
sa  tête  une  tour,  comme  les  images  de  Cybèle  (i);  elle  a  derrière 

(i)  Dans  quelques  images  de  Diane  on  voit  sous  la    tour    une   cou- 


486  Religion 

la  tête  une  espèce  de  nuage  ou  d'auréole,  qui  est  pput-être  l'em- 
blème du  disque  lunaire,  sur  lequel  on  voit  des  animaux  ailés,  qui 
semblent  être  des  aigles  ou  des  griffons;  elle  a  deux  lions  sur  cha- 
que épaule,  et  sur  la  poitrine  divers  signes  du  Zodiaque,  tels  que 
le  taureau ,  les  gémeaux }  le  cancer  ,  et  quatre  femmes  dont  l'une  a 
des  ailes:  ces  femmes  sont  peut-être  des  emblèmes  des  quatre  saisons 
ou  des  heures;  elle  tient  en  outre  deux  guirlandes,  composées  l'une 
de  divers  fruits,  et  l'autre  de  gland  dont  les  hommes  ont  fait  leur 
première  nourriture.  Le  reste  du  corps,  depuis  les  mamelles  jusqu'aux 
pieds,  est  divisé  en  compartimens  où  sont  représentés  des  bœufs, 
des  cerfs,  des  lions,  des  griffons  et  des  victoires:  des  abeille  et  des 
fleurs  sont  semées  sur  les  côtés,  et  une  partie  du  vêtement  sort  de 
dessous  la  gaine  ou  l'enveloppe,  de  manière  à  laisser  à  découvert 
îa  partie  antérieure  des  pieds  (i), 

Les  mystères. 

Difficulté  11  y  à  une  relation  si  étroite  entre  les  fêtes  et    les   mystères, 

le/mystèrZ,  que  les  uns  se  confondent  souvent  avec  les  autres.  Et  en  effet,  les 
initiations  aux  mystères  feraient  parties  des  cérémonies  religieuses, 
et  l'objet  le  plus  important  des  grandes  solennités.  Mais  comment 
soulever  (e  voile  qui  les  dérobait  aux  yeux  des  profaues  ?  L'obscurité 
dont  ils  sont  enveloppés  a  donné  lieu  à  une  foule  de  systèmes,  qui 
n'ont  peut-être  contribué  qu'à  en  rendre  la  connaissance  plus  diffi- 
cile (a).  Les  anciens  écrivains  ,  et  surtout  les  Apologistes  de  l'église, 

ronne  de  fleurs  ,  surtout  de  roses  et  d'immortelles  ,  peut-être  par  allusion 
à  la  forme  et  à  l'éclat  du  disque  de  la  lune.  V.  Plin.  liv.  XXI.  chap.  a5. 
•t  Lil.  Gyrald. 

(i)  Mus.  Pio-Clément.  i.  32.  Au  sujet  de  Diane  voyez  Ménétrier, 
et  le  VII. e  vol.  du  Trésor  de  Gronove. 

(2)  Suidas  fait  dériver  letymologie  des  mystères  .,  de  ces  mots  d^o  tov 
uvbiv  ro  çrôfia  ,  qui  veulent  dire  fermer  la  bouche  ,  parce  qu'il  était  dé- 
fendu sous  des  peines  terribles  de  révéler  les  secrets  qu'ils  cachaient. 
L'accusation  faite  à  Esehile  d'avoir  révélé  quelques  mystères  dans  ses  tra- 
gédies faillit,  comme  on  le  sait  ,  lui  coûter  la  vie.  Ce  sujet  a  été  traité 
au  long  par  Claséne,  Boulenger  ,  Eggeling ,  Meurs  et  Ménétrier,  dont 
on  trouve  les  ouvrages  dans  le  VII.e  Tome  du  Trésor  de  Gronove.  A  ces 
auteurs  on  peut  joindre  Paw  ,  Boulanger  (  Anbiq.  dèvoil.  )  ,  Fréret  ,  War- 
burton  et  Gébelin.  Mais  l'ouvrage  le  plus  intéressant  à  voir  sur  cette 
matière  est  celui  du  Baron  de  Sainte-Croix  ,  Mémoires  pour  servir  à 
l'histoire  de  la  religion  secrète  des  anciens  peuples  etc.  C'est  celui  que 
nous  avons  particulièrement  pris  pour  guide  dans  nos  recherches. 


se    la    Grèce.  ^87 

nous  ont  néanmoins  laissé  quelques  indices ,  qui  peuvent  nous  aider  à 
pénétrer  le  secret  de  ces  mystères,  sans  qu'il  nous  faille  pour  cela  re- 
courir à  des  hypothèses,  ou  à  des  conjectures  incertaines.  On  demande 
d'abord  ,  quelle  était  l'origine  des  mystères.  Les  plus  anciens  étaient 
ceux  des  Cabires ,  lesquels  avaient  été  institués  dans  la  Samothrace 
à  l'époque  où  les  Pelasges  habitaient  cette  île.  Strabon  nous  ap- 
prend ,  qu'on  appelait  anciennement  Cabires  les  prêtres  Pelasges ,  qui 
introduisirent  en  Samothrace  le  culte  religieux.  Ce  culte  n'eut  dans 
le  commencement  que  deux  Déités  ;  le  Ciel  ,  appelé  en  langage  mys- 
térieux Axieros  ,  qui  veut  dire  digne  d'amour  ou  vénérable,  et  la 
Terre,  Axiokersos,  ou  digne  épouse.  A  ces  deux  Déités  on  donna  dans 
la  suite  une  fille  appelée  Axiokersa ,  et  enfin  on  y  joignit  un  Dieu 
d'un  ordre  inférieur,  connu  sous  le  nom  de  Cadmillus.  Cette  première 
altération  du  culte  chez  les  Samothraces  vint ,  de  ce  qu'ils  avaient 
adopté  les  Divinités  des  Egyptiens  et  des  Phéniciens  (1).  En  conti- 
nuant d'admettre  les  traditions  et  les  cérémonies  étrangères,  ce  peu- 
ple se  servit  du  nom  de  ses  premiers  prêtres ,  c'est-à-dire  des  Cabires 
pour  désigner  ses  anciennes  divinités,  qu'il  confondit  ensuite  avec 
celles  de  la  Grèce.  L'une  de  ces  divinités  devint  Cérès,  l'autre  Pro- 
serpiue  3  la  troisième  Pluton  ,  la  quatrième  Mercure  selon  le  lan- 
gage des  profanes,  tandis  que  pour  les  initiés  celle-ci  était  l' Horus 
de  l'Egypte  ou  Vlacchus  d'Eleusis.  La  'doctrine  orphique  pénétra 
même  dans  la  suite  jusqu'en  Samothrace,  et  depuis  lors  les  Déités 
Cabiriques  y  furent  confondues  avec  Vénus,  avec  Pothon  et  avec 
Phaéton.  Axieros  devint  Phaéton  ,  le  Ciel  ou  la  Lumière;  Axio- 
kersa  Vénus  ou  la  Terre  fécondée  ,  et  le  jeune  Cadmillus  Pothon 
ou  Cupidon.  Les  Dioscures  furent  aussi  mis  au  nombre  des  Divinités 
Cabiriques:  leur  présence  fut  reconnue  par  les  marins  comme  un 
signe  d'heureux  augure  :  le  feu  sacré,  qu'on  appelle  aujourd'hui  feu 
Saint  Elme,  n'était  autre  chose  que  l'apparition  des  Dioscures, 
comme  Déités  Cabiriques.  Athènes  et  plusieurs  autres  villes  adop- 
tèrent le  culte  de  Samothrace;  mais  cette  île  conserva  long-tems 
le  droit  des  initiations,  dont  elle  tirait  beaucoup  de    richesses  (a). 

(1)  Diod.  de  Sic.  liv.  III.  §.  55.  Voyez  aussi  Jablonski  Proleg.  pag.  60. 

(2)  Strabon  parle  des  Cabires  comme  étant  les  ministres  d'Hécate:  quel- 
ques écrivains  les  prennent  pour  les  ministres  de  la  mort;  les  uns  les  font 
fils  de  Vuîcain  ,  d'autres  les  confondent  avec  les  Pénates.  Bochart  tire  de 
ce  nom  l'étymologie  du  mot  Arabe  Cabir  ,  qui  veut  dire  puissance.  Et 
en  effet,  les  Latins  donnaient  aux  Cabires  les  noms  de  DU  patentes  et 
même  DU  socil. 


Mystères 
des  Cabires. 


Déités 
Cabiriques, 


Dactyles  , 

Curetés  , 

Corybantes 

Telchines. 


21  y  bières 
îi'Eleusis, 


4^8  Religion 

Les  Dactyles ,  les  Curetés ,  les  Corybantes  et  les  'Telchines  ont 
beaucoup  de  rapports  avec  les  Gabires,  tant  par  la  conformité  de 
leurs  cérémonies  religieuses,  que  par  l'antiquité  de  leur  institution. 
Ces  prêtres  semblent  aussi  n'avoir  été  dans  le  commencement  que 
les  ministres  du  cuite  du  Ciel  et  de  la  Terre,  et  avoir  eu  beaucoup 
de  part  à  la  civilisation  des  divers  pays  de  la  Grèce;  mais  leur 
religion  primitive  s'étant  insensiblement  altérée ,  par  la  multiplicité 
toujours  croissante  des  Divinités,  par  le  changement  des  mœurs  et 
l'introduction  de  cultes  étrangers  ,  leurs  successeurs  firent  de  l'an- 
cienne doctrine  un  secret,  qui  devint  l'objet  des  initiations  aux 
mystères  en  Crète,  en  Phrygie,à  Rhodes  et  autres  lieux.  Il  arriva 
de  là  ,  comme  des  Cabires,  que  ces  prêtres  furent  confondus  par  les 
profanes  avec  les  Dioscures  et  les  Lares,  et  qu'on  en  fit,  desimpies 
ministres  qu'ils  étaient  de  l'ancien  culte,  des  Divinités  tutéiaires. 
Mais  tous  ces  mystères  furent  en  quelque  sorte  éclipsés  par  la 
célébrité  de  ceux  d'Eleusis  ,  qui  conservèrent  seuls  cette  déno- 
mination ([).  Les  marbres  de  Paros  semblent  faire  remonter  l'é- 
poque de  leur  institution  au  règne  d'Erecthée,  c'est-à-dire  vers 
l'an  1897  avant  l'ère  vulgaire  (a,).  Thucydide  ,  Plutarque,  Apol- 
lodore  ,  Pausanias  et  autres  écrivains  parlent  d'une  guerre ,  qu'Erec- 
thée  Roi  de  1'A.ttiqne  eut  à  soutenir  contre  Eumolpus,  qui  com- 
mandait à  Eleusis.  Les  Eleusiens  se  soumirent  enfin  à  Erecthée, 
à  condition,  dit  Pausanias,  que  le  sacerdoce  de  Cérès  et  de  Pro- 
serpine  serait  conservé  à  Eumolpus  et  à  ses  descendans.  Mais  l'his- 
toire de  Cérès  doit  être  envisagée  sous  deux  aspects  ,  savoir  ;  celui 
de  l'antique  tradition  dans  toute  sa  simplicité,  et  celui  de  la    tra- 


(1)  Les  mystères  d'Eleusis  prirent  comme  les  autres  la  dénomination 
d'Orgies  et  de  Téletes.  Le  mot  orgie  vient  du  grec  opyn  ,  qui  veut  dire 
fougue,  peut-être  parce  que  les  rites  de  Bacchus  ,  qu'on  désignait  parti- 
culièrement sous  ce  nom,  se  célébraient  avec  une  espèce  de  fureur;  ou  , 
comme  le  prétend  Clément  d'Alexandrie,  par  allusion  à  la  colère  que 
Cérès  fit  éclater  contre  Jupiter ,  qu'elle  accusait  d'avoir  favorisé  l'enlève- 
ment de  Proserpine.  Du  mot  opyiu  s'est  formé  celui  de  opyialeiv  ,  dont  se 
sert  Platon  pour  dire  sacrifier.  Les  initiés  s'appelaient  opyiaçrai ,  et  les 
profanes  aovpyiaçroi.  Le  mot  Télete  vient  de  re/loç ,  qui  signifie  fin , 
perfection ,  achèvement ,  parce  que  les  initiés  prenaient  ce  nom  après 
avoir  été  initiés  aux  mystères  les  plus  secrets  ,  qui  étaient  comme  le  com- 
plément des  initiations. 

(2)  V.  Sainte-Croix,  Mémoires  etc.  Sect.  III.  art.  I. 


Ht    LA    G  R  k  fi  E.  zj8c} 

dition  entre-mêlée  de  fables.  Selon  la  tradition  seule,  Cérès  n'est  Cérès selon. 
que  l'Isis  des  Egyptiens,  le  principe  passif,  ou  la  Terre,  mère 
commune  du  genre  humain  (1).  La  connaissance  de  cette  Déité 
fut  apportée  en  Grèce  par  les  iilles  de  Danaus ,  qui  introduisirent 
son  culte  dans  le  Péloponnèse,  d'où,  selon  les  mêmes  marbres  de 
Paros,  il  ne  passa  dans  PAttique  que  vers  l'an  i5ii.  Les  premiers 
habita  os  de  la  Grèce  ne  vivaient  que  de  gland  et  de  fruits  :  l'ac- 
croissement de  la  population  aurait  bientôt  rendu  cette  nourriture 
insuffisante  à  leurs  besoins ,  si  l'agriculture  ne  leur  avait  été  ensei- 
gnée avec  le  culte  de  Cérès.  L'introduction  de  cet  art  amena  le 
partage  des  biens  ,  et  fit  naître  les  lois.  Ces  hommes  grossiers  com- 
mencèrent alors  à  regarder  la  terre  comme  le  moyen  d'une  meil- 
leure existence  ,  et  la  Déesse  qui  la  représentait  fut  bientôt  à  leurs 
yeux  la  législatrice  du  genre  humain  (a).  Triptolème  ,  sous  les  aus- 
pices de  Cérès,  transporta  l'usage  de  l'agriculture,  de  PAttique 
dans  tout  le  reste  de  la  Grèce.  Mais  la  fable  ne  tarda  point  à  se 
mêler  à  la  tradition.  Cérès,  sous  la  figure  d'une  vieille  femme,  par-  Cdrès 
courut  diverses  contrées,  un  flambeau  à  la  main  ,  pour  chercher  sa  sslon  lu fabh 
fille  Proserpine.  Arrivée  chez  les  Eleusiens  ,  au  dire  de  Callima- 
que  ,  elle  s'assit  trois  fois  au  bord  de  la  fontaine  de  Callirhoè,  toute 
couverte  de  poussière  ,  et  n'ayant  bu  ni  mangé  depuis  long-tems. 
La  pierre  qui  lui  avait  servi  de  siège  fut  appelée  Âgelasta  ,  qui 
veut  dire  triste.  Cérès  entra  ensuite  dans  le  palais  de  Celée  Roi  d'E- 
leusis, où  elle  rencontra  la  vieille    Jambe  ,    qui  la  fit  rire    par  ses 

(1)  «Hérodote,  dit  Sainte-Croix,  Diodore  et  tous  les  anciens  auteurs 
attestent  l'identité  de  ces  deux  Déesses:  identité  que  l'étymologie  de  leurs 
noms  rend  encore  plus  certaine.  Les  Egyptiens  avaient  donné  à  la  pre- 
mière le  surnom  de  Mouth ,  qui  veut  dire  mère  :  mot  qui  ne  diffère 
guéres  du  Mau-Tho ,  dont  les  Cophtes  se  servent  pour  désigner  la  mère 
du  monde.  Les  Grecs  appelaient  la  seconde  Demeter,  ou  la  Terre-mère 
qui  est  l'interprétation  littérale  du  mot  Isis  ,  et  est  conforme  à  la  doctrine 
des  mystères)-).  Plutarque  et  Lactance  nous  apprennent  en  outre,  que 
l'histoire  des  courses  de  Cérès  pour  chercher  Proserpine  ,  que  Pluton  avait 
enlevée  ,  ne  diffère  en  rien  de  ce  qu'on  racontait  en  Egypte  d'Osiris  ,  d'Isis 
et  de  Typhon. 

(2)  Les  Grecs  appelèrent  Cérès  Thesmophora  ,  et  Thesmotheta  ,  ou 
Législatrice.  Selon  Esichius  ,  ce  mot  signifie  encore  la  justice  et  les  ora- 
cles ,  dans  l'opinion  où  étaient  les  Grecs  que,  dés  le  tems  de  Deucalion  , 
Cérès  avait  eu  le  don  de  prédire  l'avenir. 

Europe.  Vol.  1-  g2 


490  Pt  ELI  G  10» 

plaisanteries  grossières.  Ayant  été  choisie  pour  être  la  nourrice  Je 
Déraoplion  fils  de  Celée  et  de  Métanire  3  elle  tenait  de  nuit  l'enfant 
sur  le  feu  pour  faire  consumer  sa  substance  mortelle  ,  lorsque  la 
mère  effrayée  à  cette  vue  poussa  un  cri  si  fort,  que  la  Déesse  laissa 
tomber  cet  enfant  dans  les  flammes ,  où  il  fut  aussitôt  réduit  en  cen- 
dres. Pour  se  consoler  de  cette  disgrâce,  Gérés  se  chargea  d'élever  l'aîné 
des  fils  de  Celée  ,  auquel  elle  donna  un  char  attelé  de  dragons  ,  et 
l'envoya  pour  apprendre  aux  hommes  l'art  de  semer  le  froment.  Tel  est 
le  récit  que  fait  à  ce  sujet  Apoliodore:  récit  qui  s'accorde,  à  quel- 
que différence  près,  avec  ce  qui  est  rapporté  plus  au  long  dam 
l'hymne  à  Gérés  qu'on  attribue  à  Homère  (i).  II  est  dit  dans  cette 
hymne  qu'après  avoir  repris  sa  forme  naturelle,  Gérés  ordonna  à 
Celée  de  lui  élever  un  temple  pour  l'institution  de  ses  mystères; 
et  l'auteur  ajoute  que  la  Déesse  ne  quitta  ce  temple  ,  que  quand 
Jupiter  voyant  la  terre  frappée  de  stérilité,  et  craignant  de  per- 
dre les  hommages  des  mortels,  lui  fit  annoncer  par  Isis  qu'elle  re- 
verrait sa  fille:  ce  qui  appaisa  son  ressentiment  contre  ce  Dieu, 
Proserpine  qu'elle  accusait  d'avoir  favorisé  l'enlèvement  de  Proserpine  (a).  Les 
les  mystères  courses  de  cette  Déesse  ayant  pour  but  de  retrouver  sa  fille,  celle- 
ci  avait  aussi  beaucoup  de  part  dans  les  mystères  d'Eleusis.  Pro- 
serpine avait  eu  pour  père  le  Jupiter  fils  de  l'Ether ,  qui,  selon 
Cicéron ,  est  né  dans  l'Arcadie:  allusion  qui  prouve  assez  claire- 
ment, que  le  culte  de  Gérés  et  de  Proserpine  avait  régné  dans  cette 
partie  du  Péloponnèse.  Les  aventures  de  la  fille  de  Cérès  sont  trop 
connues  pour  que  nous  ayons  besoin  d'en  parler  ici.  Nous  observe- 
rons seulement    que  s  de    l'avis    des    écrivains    les    plus    érudits,   on 

(i)  M.r  De-Boze  a  publié  un  bas-relief,  sur  lequel  les  aventures  de 
Gérés  sont  représentées  ,  telles  qu'Apollodore  les  a  rapportées. 

(2)  L'allégorie  parait  fort-claire  dans  ce  dernier  récit,  «  Le  poète , 
dit  Sainte-Croix  ,  donne  évidemment  à  entendre  ,  qu'après  une  longue 
sécheresse  ,  la  terre  recouvra  sa  fécondité  au  moyen  d'une  pluie  abon- 
dante ».  Clément  d'Alexandrie  et  Arnobe  rapportent  certaines  circonstan- 
ces peu  décentes,  qu'ils  avaient  lues  dans  les  anciennes  poésies  Orphiques, 
et  qui  devaient  avoir  lieu  dans  la  célébration  des  mystères.  Une  de  ces 
circonstances  est,  que  Baubo  ou  Baubone  ,  femme  d'Eleusis  ,  offrit  à  Cé- 
rès une  boisson  faite  avec  de  l'orge-;  que  la  Déesse  ayant  refusé  de  la 
prendre  à  cause  de  son  extrême  tristesse  ,  Baubone  irritée  de  ce  refus  lui 
leva  sa  robe  jusqu'au  sexe  qu'elle  mit  à  nu  ;  et  que  la  Déesse  ,  au  lieu 
de  se  fâcher  de  sa  témérité ,  ayala  aussitôt  cette  boisson. 


de   la    Grèce.  49 t 

aperçoit  une  identité  parfaite  entre  l'histoire  de  Proserpine  et  celle 
d'Osiris,  que  les  prêtres  Egyptiens  regardaient  comme  la  substance 
spermatique  ou  fécondante;  et  que  par  conséquent  l'inhumation  de 
ce  Dieu,  qu'Isis  allait  cherchant  de  tous  côtés,  ne  signifie  autre 
chose  que  la  semence  qui  est  cachée  dans  le  sein  de  la  terre.  Et 
en  effet  ,  selon  le  langage  des  nouveaux  Platoniciens  ,  Proserpine 
était  l'emblème  de  tous  les  germes  (i).  Ainsi ,  la  Terre  ou  la  matière 
reçoit  dans  son  sein  tous  les  germes  dont  Proserpine  est  le  symbo- 
le; c'est  pourquoi  cette  Déesse  fut  appelée  Chtonia  ,  qui  veut  dire 
proprement  terrestre  ,  mais  qui,  par  métonymie,  signifia  depuis 
infernale.  Le  culte  de  Gérés  a  beaucoup  de  relation  avec  celui  du 
jeune  lacchus ,  que  la  plupart  des  anciens  écrivains  désignent  sous  lacôhan 
le  nom  de  fils  de  Proserpine,  et  que  quelques-uns  ont,  par  inadver- 
tance, confondu  avec  le  Biochus  de  Thèbea.  Cet  lacchus  tire  aussi 
son  origine  de  l'Egypte,  et  n'est  peut-être  qu'Osiris  même,  selon 
l'usage  où  étaient  les  Grecs,  tantôt  de  confondre  dans  une  seule 
plusieurs  Divinités  étrangères,  et  tantôt  de  faire  d'une  seule,  autant 
d'autres  divinités ,  qu'elle  avait  d'aventures  ou  d'attributs  difFérens.  Ci- 
céron  donne  pour  père  à  laccus  le  Jupiter  d'Arcadie  (2).  Ainsi  donc  le 
culte  d'Iacchus  remonte  en  Arcadie  à  l'époque  de  celui  de  Gérés-, 
dont  il  n'est  jamais  séparé  (3).  Aussi  Pindare  appelle-t-il  lacchus  l'ad- 
joint de  Cérès  (4),  et  Strabon  son  Génie  et  le  directeur  de  ses  mystè- 
res (5).  Il  est  quelquefois  représenté  avec  des  cornes  ,  peut-être  pour 
avoir  enseigné  aux  hommes  à  atteler  les  bœufs  à  la  charrue  (  6).  Le 
plus  souvent  oti  le  voit  dan^  les  bras  de  sa  mère  qui  lui  donne  le  sein  , 
probablement  par  allusion  à  la  terre  qui  nourrit  l'homme  de  ses 
fruits  (7).  Nous  avons  cru  à  propos  de  nous  arrêter  un    peu    sur   le 

(1)  Porphyr.  ap.   Euseb.  Praep.  liv.  III.   pag.    109. 

(2)  Selon  Diodore  de  Sicile  et  Clément  d'Alexandrie,  le  fils  de  Pro- 
serpine fut  mis  en  pièces  par  les  Titans  ,  et  ensuite  rappelé  à  la  vie  par 
Gérés.  Ce  récit  semble  n'être  qu'une  allusion  à  la  mort  d'Osiris,  qui  avait 
été  également  massacré  par  Typhon    (  Voy.  le  costume  des  Egyptiens}. 

(5)  De  Nat.  Deor.  liv.   III.  §.21. 

(4)  Isthm.   Od.  VII. 

(5)  Geogr.  liv.  X.    Clem.  Alex.  Protr.  pag.  54. 
(h)  Diod.  liv.  III.  §    63. 

^(7)  Bochart  dit  que  le  nom  à1  lacchus  est  d'origine  Phénicienne, 
et  signifie  un  enfant  à  la  mamelle.  Fréret  ,  suivant  l'opinion  des  gram- 
mairiens Grecs  ,  fait  dériver  ce  nom  des  cris  Iàcchè ,  Iacché ,  que  les  ini- 
tiés et  les  Bacchantes  répétaient  tour-à-tour.  Et  en  effet  le  mot  ian%eÏP 
Teut  dire  élever  la  voix  et  faire  grand  bruit. 


49a  R  E  L  I  G  I  O  S 

culte  de  ces  trois  Déités ,  pour  arriver  plus  facilement  à  Pexplica- 
tion  des  mystères. 
Cérémonies  On  demande  en  second   lieu  qu'elles  étaient  les  cérémonies  usi- 

des  initiations  _  .....  *-. 

m Samothrace.  tees  dans  les  initiations.  Dans  les  mystères  de  Sarnothrace,  elles  com- 
mençaiant  par  la  purification,  et  par  la  confession  que  le  Candidat 
fesait  de  ses  péchés  à  un  prêtre  appelé  Koes ,  qui  veut  dire  Auditeur  se- 
lou  Fréret  ,  et  auquel  il  devait  promettre  d'être  meilleur  à  l'avenir. 
Les  eufans,  d'après  ce  que  dit  Plutarque  dans  la  vie  d'Alexandre , 
étaient  exempts  de  cette  confession.  Après  avoir  été  purifié,  le 
Myste  ou  Candidat,  ayant  une  couronne  d'olivier  et  une  ceinture 
de  pourpre  (i),  allait  s'asseoir  sur  une  espèce  de  trône,  autour  du- 
quel les  assistans  ou  les  initiés  fesaient  le  cercle  en  se  tenant  par 
la  main,  et  en  chantant  des  h  y  m  mes  accompagnées  de  danses.  Cela 
fini,  on  commençait  la  pompe  itiphallique ,  qui,  selon  Hérodote, 
était  une  allégorie  à  la  mort  cabirique  (a).  Ces  cérémonies  se  cé- 
lébraient de  nuit,  et  l'on  choisissait  même  un  antre  pour  quelques- 
unes  ,  afin  d'être  plus  à  l'abri  de  la  curiosité  des  profanes.  Il  sem- 
ble, d'après  un  passage  d'Hérodote,  qu'on  instruisait  les  initiés  de 
traditions  historiques  concernant  les  Pelasges  et  leur  religion,  et 
surtout  le  culte  des  Me  retires  Phallephores.  Nous  ne  dirons  rien  des 
Dactyles,  des  Curetés,  des  Corybantes  et  des  Telchines ,  dont  les 
initiations  ne  devaient  guères  différer  de  celles  des  Cabires,  et 
dans  lesquelles  la  monstruosité  fut  poussée  ensuite  au  point  de  les 
rendre  méprisables  aux   yeux  même   des    Grecs  (3).    Les    initiations 

(i)  On  dit  qu'Ulisse  fut  le  premier  à  porter  cette  ceinture,  et  qu'avant 
lui  les  candidats  n'avaient  que  de  simples  bandelettes  de  pourpre.  On  at- 
tribuait à  cette  espèce  d'ornement  la  propriété  de  sauver  les  initiés  des 
plus  grands  périls.  Agamemnon  appaisa  la  rébellion  de  ses  troupes  ,  en  se 
présentant  à  elles  sans  autre  marque  distinctive  que  ses  orntmens  cabi- 
iiques.   Schol.  Homer.  I,    334  et  XVI.   ioo. 

(2)  Cadmillus,  le  plus  jeune  des  Cabires,  fut  tué  par  ses  frères, 
qui  s'enfuirent  ensuite  emportant  dans  un  panier  ses  parties  naturelles. 
Sa  tête  fut  enveloppée  dans  une  étoffe  de  pourpre  ,  et  son  corps  ayant 
élé  transporté  en  Asie  sur  un  bouclier,  fut  enterré  au  pied  de  l'Olympe. 
Ce  récit  a  beaucoup  de  rapport  avec  les  aventures  d'Osiris  et  d'Orus,  ainsi 
qu'avec  celles  de  l'Iacchus  d'JEleusis  ,  que  les  profanes  confondaient  aussi 
avec  Cadmillus. 

(3)  Les  successeurs  des  anciens.  Corybantes  arrivèrent  au  point  de  se 
pi  utile  r ,  et  de  porter  en  triomphe  les  preuves  dégoûtantes    de  leur    fré*- 


de   la    Grèce,  /(q3 

aux  mystères  d'Eleusis  furent  les  seules  qui  conservèrent  leur  célé- 
brité ,  c'est  pourquoi  nous  en  parlerons  plus  particulièrement. 

Nous  avons    déjà    vu    combien    il  y    avait    d'espèces    de  prêtres      inhiatiim 
chez    les    Athéniens.    Commençons     par   observer    maintenant,    que      d'E{eusts- 
les   ministres  de    Cérès    formaient    deux    ordres    distincts,    l'un    su- 
périeur  et    l'autre    inférieur.    Le    premier    ordre    se    composait    du 
Hiérophante  ,  du  Dadouque ,  du  Hiérocèryx  ,  et  de  YEpïbome  (i). 
Les    noms    de  Hiérophante  et  de  Mystagogue  étaient   communs  au 
même    prêtre  ,    qui    présidait    aux   cérémonies    secrètes,    et   initiait 
les  candidats   dans    la    connaissances   des  mystères.  Le  Hiérophante    Hiérophante. 
d'Eleusis  ne  pouvait  être  pris  que    daus    un    âge    avancé  ,    et    après 
avoir  passé  par  les  autres  degrés  du  sacerdoce.    Du    moment    où    il 
entrait  en    fonction    il    s'engageait    à    garder    une    chasteté    perpé- 
tuelle ,    et  dans  cette  vue  il  se    frottait  le    corps    avec    du  suc    de 
ciguë.    Le  trône  sur  lequel    il    était  assis ,    la    magnificence    de    ses 
vêtemens  ,  la  gravité  de  son   maintien  ,  la   noblesse  de    sa   physiono- 
mie, sa    longue  chevelure,  et  sa    voix    douce  et    sonore    le    fesaient 
aisément  distinguer  des  autres  prêtres.  Le  Dadouque  se  reconnaissait      Dadouque. 
particulièrement  aux  bandelettes  qui   lui  ceignaient  la  tête,  et  for- 
maient une  espèce  de  diadème  (2,).  C'était  lui  ,  avec  le  Hiérophante 
qui  entonnait  les  hymnes,  et  invoquait  Cérès  et  Proserpine  pour  le 
salut  du  peuple.  Dans  les  processions,  le  Dadouque  précédait  les  ini- 
tiés tenant    à   la  main  un   flambeau,  d'où  il  a    empruuté  son  nom; 
il  était  en  outre  chargé  de  présider  aux  purifications.    Le   Hiéroce-     Hiérocèryx. 
ryx  ,  ou  Héraut  sacré,  éloignait  les   profanes  du    temple  de  Cérès, 
et  dirigeait   dans  les   processions   les  Lampadophores  ,  ou  porteurs  de 
lampes,  comme  on   le  voit  par  un  bas-relief  dont    Spon   et  Wheler 
font  mention.   L'Epibome,  ou  assistant    à   l'autel,  veillait  à  tout  ce       Epibome. 
qui  a   rapport  aux  sacrifices;  et    l'on    croit     pouvoir    conclure    d'un 
passage  d'Apulée,  que  dans  les   processions    il     portait,  comme    les 
prêtres  d'ïsis ,  un  ou  plusieurs   petits  autels.  Outre  les    bandellettes 

rtésie  ,  courant  ainsi  nus  par  les  rues  en  mémoire  de  la  mutilation  qu'avait 
subie  Atys  ,  à  cause  de  la  jalousie  de  la  Terre  sa  mère  ,  c'est-à-dire  de 
Rhée  ou  de  Cybèle. 

(0  Cyriac.  ^incon. -pag.  96.  Mu>utor.  Thesàur.  etc.  pag.  571.  Corsin. 
Jnscr.  Attic.  pag.  27.  Pocock  pag.  57.  Ghandl.  etc.  etc.  V.  Sainte-Croix  etc. 

(2)  Plutarque  dit ,  dans  la  Vie  d'Aristide,  que  le  Dadouque  Callias  fut 
pris  pour  un  Roi  à  la  bataille  de  Marathon,  à  cause  de  la  forme  de  ses 
"bandelettes  cpi  représentaient  un  diadème. 


Piètres 
inférieurs. 


Prêtresses, 


494       '  Religiok 

sacrées,  dont  ils  avaient  le  front  ceint,  ces  prêtres  portaient  tous 
des  couronnes  d'if  et  de  myrte  ,  avec  un  manteau  de  pourpre  et 
une  clef  qui  leur  pendait  derrière  les  épaules,  comme  l'emblème 
du  secret  inviolable  qu'ils  devaient  garder  sur  les  mystères  (i). 
L'ordre  inférieur  des  prêtres  comprenait  Wîacchogogue ,  qui  prési- 
dait aux  Mystes  dans  la  procession  d'Iacchus;  i'Hydrane,  qui  pu- 
rifiait les  Candidats;  le  Spondopohore ,  qui  était  chargé  des  liba- 
tions; le  Pyrphore  ,  qui  portait  le  feu;  le  Licnophore  ,  qui  tenait 
le  crible  mystique,  ainsi  que  plusieurs  autres  ministres  cités  par 
Pollux  et  Esichius,  et  dont  il  est  fait  mention  dans  les  inscriptions 
que  Spon  et  Chandler  ont  recueillies.  Gérés  et  Proserpine  avaient 
aussi  leurs  prêtresses,  auxquelles  on  donna  anciennement  le  nom  de 
Métropoles,  et  dans  la  suite  celui  de  Mélisses  (a).  Ces  prêtresses 
étaient  sous  la  direction  d'une  Hiérophantide  prise  dans  la  fimille 
des  Philléides  ,  à  laquelle  appartenait  le  droit  d'initier  les  fem- 
mes, qui,  selon  S.f  Epiphane3  devaient  se  présenter  nues  à  cette 
cérémonie. 

Les  mystères  se  distinguaient  aussi  en  petits  et  en  grands.  Les 
premiers  se  célébraient  dans  le  mois  à\4ntesterion  ou  de  janvier 
à  Agra  ,  petit  bourg  à  trois  stades  d'Athènes,  où  il  y  avait  un  pe- 
tit temple  sur  les  bords  de  Pllyssus.  C'est  dans  les  eaux  de  cette 
rivière  que  se  fesaient  les  purifications,  qui  étaient  toujours  pré- 
inuuaions      cédées  d'un  jeûne  (3).  Le  Didouque  fesait  ensuite  mettre  au  Candi- 

aux  petits  1,1  i  i  i  •  •  .  . 

mystères.       dat  les  pieds  sur   les  peaux  des  victimes,  qui  avaient  ete    immolées 
à  Jupiter  Meilichios    et  Ctesios.  Après  cela  ,  le  Mystagogue  ,  pour 


Division 
des  mystères, 


(i)   Soph.  Oedip.  Col.  v.    1049-46. 

(2)  Le  nom  de  Metropolis  leur  vint ,  de  ce  que  Cérès  était  regardée 
comme  la  mère  des  villes;  et  celui  de  Mélisse,  ou  du  miel  qui  était 
l'emblème  de  la  mort ,  comme  le  fiel  Tétait  de  la  vie  ,  en  ce  que  Pro- 
serpine présidait  à  la  mort ,  ou  de  Melissa  ,  qui  veut  dire  abeille,  sym- 
bole de  la  chasteté. 

(5)  Une  loi  d'Eumolpus  excluait  des  mystères  d'Eleusis  les  barbares , 
les  étrangers  ,  les  enfans  illégitimes  ,  les  traîtres  à  la  patrie  et  les  escla- 
ves. Les  homicides  pouvaient  y  être  admis  au  moyen  d'une  purification  ,, 
qui  consistait  à  se  frotter  le  corps  avec  le  sang  d'un  jeune  cochon  ,  qui 
était  la  victime  destinée  aux  sacrifices  mystérieux.  On  exigeait  en  outre 
que  les  candidats  n'eussent  commis  aucun  délit ,  et  qu'ils  fussent  chastes 
dans  leurs  discours.  Leur  âme  ,  selon  Porphyrius  ,  devait  égalemeut  être 
exempte  de  toute  passion  violente  ,  comme  s'ils  eussent  été  à  l'article  de 
la  mort. 


© e    la    Grèce.  49(t> 

Rassurer  du  secret,  exigeait  du  Candidat  le  serment  le  plus  ter- 
rible. Clément  d'Alexandrie  donne  à  entendre  quelque  part,  qu'on 
lui  expliquait  certains  termes  énigmatiques,  qui  avaient  presque 
tous  rapport  à  l'agriculture  ,  et  qu'on  lui  prescrivait  aussi  de  ne  pas 
manger  son  propre  cœur  ,  c'est-à-dire  de  ne  pas  s'affliger.  Ces  cé- 
rémonies étaient  suivies  de  l'intronisation  et  de  danses,  comme  dans 
les  initiations  de  la  Samothrace.  Dans  les  petits  mystères,  les  initiés 
ne  prenaient  que  le  nom  de  Mystes  ,  tandis  que  dans  les  grands 
mystères  on  leur  donnait  celui  d' Epoptes  ou  contemplateurs:  aussi 
appelait-on  ceux-ci  Têletes ,  qui  veut  dire  fin  ou  perfection;  et 
les  Mystes,  au  dire  de  Plutarque  dans  la  vie  de  Démosthène ,  ne 
pouvaient  y  être  admis ,  qu'au  bout  d'un  an  au  moins  après  leur  ini- 
tiation aux  petits  mystères. 

Plutarque  nous  apprend  dans  la  vie  d'Alexandre ,  que  les  grands  initiation, 
mystères  commençaient  au  quinze  du  mois  de  Boedromion  ou  d'août ,  "myftèï'et 
et  duraient,  selon  Meurs,  pendant  neuf  jours.  Le  premier  on  ras- 
semblait les  Mystes.  Le  second  jour,  ces  candidats  se  rendaient  en 
procession  au  bord  de  la  mer,  dont  les  eaux  étaient  réputées  lustra- 
les (i),  pour  s'y  purifier.  Le  troisième  était  consacré  au  jeûne  et 
à  des  gémissemens  mystérieux,  par  allusion  aux  gérnissemens  de  Gé- 
rés et  de  Proserpine,  pendant  lequel  tems  les  Candidats  étaient 
couchés  sur  des  lits  mystiques ,  entourés  de  bandelettes  de  pour- 
pre (^).  La  quatrième  on  célébrait  les  sacrifices  et  les  danses  mys- 
tiques, dans  un  pré  émail !é  de  fleurs  autour  de  la  fontaine  Calli- 
rohé  (3).  Le  cinquième  on  ferait  la  procession  des  flambeaux  ,  dans 
laquelle  les  initiés,  après  se  les  êtres  passés  de  l'un  à  l'autre  ,  en- 
traient dans  le  temple  précédés  du  Dadouque,  qui  portait  un  flam- 
beau plus  grand  ,    emblème    de    Phosphore    ou    Lucifer.    Le   sixiè- 

(i)  Athénée  dit  que  Phryné  ,  courtisanne  célèbre ,  choisissait  ordinai- 
rement le  tems  de  cette  procession  pour  se  baigner  dans  la  mer  ,  affec- 
tant ainsi  de  se  montrer  nue  et  les  cheveux  fiottans  ,  comme  Vénus  sor- 
tant du  sein  des  ondes. 

(2)  Clément  d'Alexandrie  rapporte  que  l'initié  prononçait  ces  paroles: 
je  me  suis  introduit  dans  le  lit  nuptial ,  par  allusion  à  Pluton  ;  puis  il 
ajoute  que  tous  ces  rites  étaient  vraiment  dignes  de  la  nuit,  voulant  dé- 
noter par  là  leur  indécence  et  le  tems  de  leur  célébration. 

(3)  Clément  d'Alexandrie  ajoute  qu'il  n'était  pas  permis  cle  toucher 
les  parties  génitales  des  victimes:  la  raison  en  est  aisée  à  deviner,  et 
les  initiés  ne  devaient  pas  l'ignorer,  V.  Sainte-Croix,  pag.   196. 


^ÇjG  Rkligios 

me  était  dédié  à  Iacchus  :  l'image  de  ce  Dieu  couronné  de  myrte  ,. 
et  tenant  dans  la  main  droite  un  flambeau  }  y  était  portée  depuis 
le  Céramique  jusqu'à  Eleusis.  Elle  était  suivie  du  crible,  emblème 
de  la  séparation  des  initiés  d'avec  les  profanes,,  et  du  calathos  ou 
corbeille  mystique  :  ustensiles  dans  lesquels  on  mettait  les  objets 
nécessaires  aux  mystères,  tels  que  le  vin,  le  miel,  l'huile  et  la 
farine  d'orge  dont  on  fesait  une  boisson  appelée  T&vxeov ,  qui  veut 
dire  boisson  mélangée ,  et  en  outre  le  sésame  ,  le  sel  ,  et  quel- 
ques pains  en  forme  de  pyramide,  des  grenades,  et  enfin  une 
espèce  de  phallus.  Les  initiés  répétaient  sans  cesse  et  à  grands  cris 
le  nom  d'Iacchus.  Le  septième  jour  ils  retournaient  à  Athènes.. 
Arrivés  sur  le  pont  du  Céphise.,  les  profanes  qui  les  y  attendaient 
en  foule  leur  adressaient  des  railleries  piquantes,  et  le  plus  sou- 
vent indécentes  (i).  Les  initiés  leur  répondaient  par  d'autres  sarcas- 
mes, et  le  vainqueur  était  couronné  de  bandelettes.  Le  huitième  jour 
était  appelé  Epldawic  ,  et  se  célébrait  en  l'honneur  d'Esculape  , 
qui  n'ayant  pu  participer  à  l'initiation  du  sixième  jour,  obtint  qu'on 
la  répétât  pour  lui:  ce  qui  continua  à  se  faire  depuis  lors,  pour 
tous  ceux  qui  arrivaient  trop  tard.  Enfin  le  neuvième  jour  s'appe- 
lait Plémochoé  ,  du  nom  d'un  vase  de  terre,  dont  le  fond  était 
plat,  et  qui  n'avait  qu'un  seul  manche.  Les  prêtres  remplissaient  ce 
vase  de  vin  ,  dont  ils  fesaient  une  libation  à  Proserpine  en  le  versant 
dans  des  trous  faits  en  terre,  et  disposés  les  uns  au  levant  et  les 
autres  au  couchant;  ils  accompagnaient  cette  libation  de  paroles 
mystérieuses,  en  tournant  leurs  regards  d'abord  vers  le  Ciel  comme 
le  père  ,  puis  vers  la  Terre  comme  la  mère  de  tous  les  êtres.  Le 
lendemain  on  célébrait  les  jeux  gymniques  institués  par  Pandion 
II  fils  de  Gécrops,  et  qui  servaient  comme  de  complément  à  la 
cérémonie  des  mystères.  On  admettait  aussi  les  enfans  à  ces  jeux  , 
et  le  prix  des  vainqueurs  était  une  mesure  d'orge  (a). 
Epoptée.  JJEpoptée,  ou  grande  initiation,  se  fesait  le  sixième  jour  après 

la  procession    d'Iacchus.    Le    Hiérocéryx    commençait   les    cérémo- 
nies par  les  proclamations.    On  demandait    à    chaque  candidat    s'il 

(i)  C'est  delà  qui  vient  le  mot  y  epvpi&LV ,  qui  veut  dire  railler  sur 
un  pont.  Scurrili  et  petulanti  jôco  petere  et  obtrectare.  Valcken.  ad 
Ammon.  L.  III.  chap.    i3. 

(2)  Marm.  Oxon.  Epoch.  17.  Schol.  Pind.  Isthm.  Od.  I.  Olymp.  Od.  IX. 
Inscr.  in  Marm.  Oxon.  pag.  83. 


be    la    Grèce.  497 

avait  mangé  du  pain  :  sa  réponse  affirmative  le  fesait  aussitôt  chas- 
ser comme  profane;  mais  s'il  répondait,  non ,  j'ai  bu  de  la  boisson 
mélangée ,  il  donnait  à  entendre  par  là  d'avoir  participé  aux  pe- 
tits mystères,  et  on  l'admettait  aux  grands.  Il  devait  se  présen- 
ter nu  :  dans  cet  état  on  l'enveloppait  d'une  peau  de  faon  ,  qui  se 
serrait  autour  de  ses  [reins  en  forme  de  ceinture  :  cette  cérémo- 
nie ,  qui  se  fesait  en  secret ,  était  une  allusion  à  l'état  sauvage  des 
premiers  hommes,  et  en  même  tems  à  la  vie  corrompue  et  mortelle 
des  profanes.  Le  Myste,  après  qu'on  lui  avait  ôté  cette  peau,  pre- 
nait une  robe  de  laine  teinte  en  pourpre  :  on  le  couronnait  de 
myrte  3  et  on  le  fesait  asseoir  sur  un  lit  orné  de  bandelettes  de 
pourpre.  Après  cette  cérémonie  on  l'appelait  {taxapioc ,  qui  signifie 
heureux  (i).  Les  portes  du  temple  étaient  toujours  fermées,  et  les 
Mystes  restaient  dans  le  pronaos  en  attendant  qu'on  les  ouvrît  :  pen- 
dant ce  tems,  des  sons  horribles,  des  fantômes  qui  avaient  la  figure 
de  chien,  et  mille  images  monstrueuses  que  la  lueur  des  éclairs 
et  les  éclats  de  la  foudre  rendaient  encore  plus  terribles,  rem- 
plissaient leur  âme  de  trouble  et  d'épouvante.  Enfin  le  Mystagogoe 
ouvrait  les  portes;  la  statue  de  Cérès  paraissait  environnée  d'une 
lumière  flamboyante  produite  par  un  artifice  ;  les  ténèbres  se  dis- 
sipaient ;  l'initié  adorait  la  Déesse  :  on  le  conduisait  ensuite  dans 
des  prés  fleuris  où  il  se  voyait  entouré  de  chœurs  de  musiciens  ,  de 
danseurs  et  de  fantômes  agréables  (a);  après  quoi  il  était  déclaré 
Epopte  ou  contemplateur  (3). 

On  demande  en  troisième  et  dernier  lieu,  qu'elle  éfait  la  doc-       Doctrine 
trine  secrète   des    mystères.    Nous   avons  traité    plus    haut   assez    au 

(i)  Le  ?nyrte  et  la  pourpre  étaient  regardés  comme  les  emblèmes 
de  l'âme  après  la  mort  ,  dans  l'opinion  où  l'on  était  que  les  âmes  des 
initiés  devaient  habiter  un  bois  de  myrthe  ,  et  des  champs  parsemés  de 
rosés  :  c'est  pour  cela  que  le  myrte  et  la  pourpre  furent  pris  pour  les 
emblèmes  de  la  mort ,  et  c'est  de  là  que  vînt  l'usage  de  jeter  des  bran- 
ches de  myrte  et  de  roses  sur  les  tombeaux. 

(2)  Dion.  Crys.  Or.  XII.  Tertul.  adv.  Valent.  Themist.  ap.  Stob. 
Sera.  CCLXXIV.   Schol.  sup.  Oedip.  Col.  v.  675. 

(6)  VEpoptée  ,  au  rapport  de  Sénèque  ,  avait  certaines  cérémonies, 
dont  l'honneur  était  réservé  aux  personnes  qui  assistaient  pour  la  seconde 
fois  aux  mystères  (  Séneq.  NaC.  Quaest  liv.  VII.  chap.  3i  ).  Telle  était, 
à  ce  qu'il  semble  ,  l'inauguration  du  Phallus  ,  dont  parlent  Théodoret , 
Clément  d'Alexandrie  et  Tertullien.  Ce  dernier  assure  que  les  Valentiniens 
avaient  aussi  adopté  cette  cérémonie. 

Europe.  Vol,  1.  q§ 


secrète. 


4ç)8  Religion 

long  du  sens  mystérieux  que  cachaient  les  initiations  aux  mystères 
de  Samothrace.  Nous  aurions  également  la  clef  de  ceux  d'Ephèse , 
'  si  le  terns  ne  nous  avait  pas  ravi  les  livres  qu'on  attribue  à  Or- 
phée et  à  Musée  ,  aiusi  que  ceux  d'Eumolpus ,  d'Arignote  le  py- 
tagoricien  et  de  plusieurs  autres  ,  dont  parlent  les  Pères  de  l'église. 
Ces  mystères  ne  furent  pourtant  pas  toujours  tellement  secrets,  que 
les  profanes  n'aient  pu  avoir  quelque  connaissance  de  leur  doctrine. 
Les  Eclectiques  et  les  nouveaux  Pytagoriciens  se  fesaient  initier  dans 
tous  les  mystères,  et  en  parlaient  continuellement  dans  leurs  écrits. 
Le  pytagoricien  Numenius  les  avait  révélés  aux  profanes.  Tous  ces 
ouvrages  existaient  du  tems  des  Pères  de  l'église  ,  qui  les  avaient 
recherchés  avec  beaucoup  de  soin  (i).  En  examinant  de  plus  près 
la  question  ,  nous  voyons  dans  Diodore  de  Sicile  }  que  les  cérémonies 
des  mytères  étaient  les  mêmes  à  Athènes  qu'en  Egypte  ,  d'où  Or- 
phée les  avait  transportées  en  Grèce,  et  que  la  fable  de  Gérés 
ne  différait  de  celle  d'Isis  que  par  les  noms.  Le  témoignage  de 
cet  historien  semble  conforme  à  l'opinion  d'Hérodote.  Or  les  céré- 
monies de  l'Egypte  n'étaient  que  l'expression  symbolique  d'une 
Cosmoeonie  espèce  de  Cosmogonie  religieuse,  avec  laquelle  on  rendait  raison 
religieuse.  ^e  l'origine  du  monde  ,  de  la  manière  dont  il  est  gouverné  par 
les  Dieux,  des  vicissitudes  de  la  nature,  et  enfin  des  causes  du 
bien  et  du  mal  ,  ou  de  l'admission  des  deux  principes.  On  lit  dans 
Plutarque.,  qu'à  son  retour  de  l'Egypte,  Solon  confirma  ces  rites 
symboliques,  supprima  toutes  les  cérémonies  barbares  et  purifia 
la  ville.  Les  purifications  furent  considérées  dans  la  suite  comme 
le  prélude  des  mystères  (2).  Platon  dit  que,  par  ces  purifications,  on 
était  absous  des  délits  pour  la  vie  et  après  la  mort.  Cette  doctrine 
était  fondée  sur  le  dogme  de  la  Métempsycose ,  dans  l'esprit  du- 
quel les  anciens  philosophes  croyaient  que  l'âme  pouvait  èiie  cou- 
pable de  quelque  délit  même  avant  la  naissance,  comme  on  le  voit 
clairement  par  un  fragment  des  oeuvres  de  Cicéron  ,  que  S/  Augustin 

(i)  Porpliyrius  dit  qu'Origène  connaissait  le  sens  des  mystères.  Eu- 
sèbe  assure  que  S.1  Clément  d'Alexandrie  en  était  parfaitement  instruit. 
Justin  et  Athénagore  laissent  apercevoir  dans  leurs  écrits  qu'ils  y  avaient 
été  initiés.  Or  il  n'est  pas  difficile  que  quelques-uns  des  initiés  ,  après 
s'être  convertis  au  christianisme  ,  aient  révélé  les  secrets  de  ces  mystères 
aux  Apologistes.  Et  en  effet  Théodore  ,  montre  qu'il  n'ignorait  pas  ces 
secrets.  V.  Sainte-Groix  ,  pag.  344- 

(a)   Clam.  4le&.  Strom.  liv.  V.  Schol  4risC.  ad  Plut.  v.  846. 


systèmes    des 

•slagosues.- 


de    la    Grège.  ^99 

nom  a  conservé.  C'est  pourquoi  les  Mystagogues  prétendaient  que  les 
profanes  seraient  précipités  après  leur  mort  dansun  bourbier,  et  ([ne 
les  initiés  habiteraient  au  contraire  un  lieu  de  délices  dans  le  royaume 
de  Pluton  (i).  L'idée  des  deux  principes  donna  naissance  aux  Génies. 
Platon  et  Plutarque  nous  apprennent  que  les  initiés  connaissaient  la 
nature  de  ces  Génies,  et  qu'où  leur  enseignait  également  que  les 
Dieux  se  servaient  d'êtres  célestes  et  terrestres  pour  l'exécution  de 
leurs  volontés.  Ainsi  l'histoire  de  Gérés,  de  Proserpine  ,  et  d'Iaochus , 
qui  a  eu  son  origine  en  Egypte ,  puis  a  été  altérée  en  Grèce,  et  diffère 
par  conséquent  des  traditions  populaires,  formait,  selon  Clément 
d'Alexandrie,  le  sujet  des  mystères;  et  après  que  les  Mystes  aux- 
quels on  l'enseignait  avaient  été  reçus  Epoptes  ,  on  leur  en  donnait  Diffèrent 
l'explication  physique  et  morale,  selon  les  divers  systèmes  de  phi-  f/ySt 
losophie  qui  se  succédèrent  du  tems  des  Mystagogues.  Lorsque  la 
doctrine  des  Eclectiques  ou  nouveaux  Platoniciens  prévalut  parmi 
eux  ,  les  Dieux  ne  furent  plus  considérés  dans  les  mystères  que  comme 
des  forces  nécessairement  unies  à  la  matière:  aussi  ses  sectateurs  di- 
saient-ils que  les  mystères  de  Samothrace  ,  d'Eleusis  etc.  instruis 
saient  plutôt  sur  la  nature  des  choses  que  sur  celle  des  Dieux  (a). 
Selon  ce  système  ,  le  Dadouque  aurait  été  l'image  du  soleil  ,  et  les 
Mystes  celle  de  l'univers  (3).  Il  faut  donc  conclure  de  là  que  les 
mystères  n'étaient  ,  dans  leur  origine  ,  que  de  simples  pratiques  ou 
cérémonies  légales  ;  et  que  dans  la  suite  on  y  joignit  une  doctrine 
secrète  concernant  l'agriculture,  l'établissement  des  lois  et  l'intro- 
duction d'un  nouveau  culte  religieux  ,  qui  menaçait  les  profanes  de 
châtimens  dans  l'autre  vie,  et  promettait  aux  initiés  un  bonheur 
éternel  (4)- 

(i)  Plat.  Phaedon.  Diog  Laerù.  liv.  V.  chap.  II.  Schol.  A ris  t.  Ran. 
v,.  775.  Nous  ne  voulons  pas  prétendre  par  là  cependant ,  que  le  dogme 
des  récompenses  et  des  peines  après  la  mort  fit  partie  de  la  doctrine  secrète; 
car  il  était  déjà  répandu  en  Grèce  dès  les  tems  d'Homère  et  d'Hésiode. 
Peut-être  que  la  seule  origine  de  ce  dogme ,  c'est-à-dire  la  métempsy- 
cose  ,  était  considérée  comme  un  mystère  ,  qui  devait  d'ailleurs  être  aus- 
sitôt révélé  aux  Mystes  ,  ou  aux  initiés  dans  les  petits  mystères. 

(2)  Cicér  De  Nat.  Deor.  L  I.  §  42.  S.1  Clément  d'Alexandrie 
(  Strom.  L.  IV.  )  assure  aussi  que  VEpoptée  était  une  espèce  de  Physiologie. 

(5)  Ap.   S.  Epiph    L.  III    chap.  9.  T.  I.  pag.   iogo, 

(4)  Outre  l'ouvrage  de  Sainte-Croix  sur  les  mystères  d'Eleusis,  il  faut 
encore  lire  celui  de  Meurs  intitulé  Eleusinia  ,  etc. ,  ainsi  que  l'ingénieux  écrit 
de  Warburton  ,   The  Divine  Légation  of  Moses.  Ge  dernier  écrivain  range 


5oo  Religios" 

Thesmophories.  Quelques  écrivains ,  entr'autres  le  célèbre  Millîn  ,  sont    d'avis 

que  les  principales  fêtes  de  Cérès  étaient  les  Thesmophories ,  ou  les 
fêtes  de  Cérès  législatrice:  ce  qui  don  aérait  à  présumer  que  les  mys- 
tères les  plus  secrets  en  fesaient  partie;  d'autres  ont  confondu  les 
Thesmophories  avec  les  fêtes  Eleusienues.  Néanmoins  la  nature  de 
ces  fêtes,  et  les  assertions  des  écrivains  les  plus  accrédités  ne  per- 
mettent pas  de  douter  qu'elles  ne  fussent  particulières  aux  fem- 
mes exclusivement,  quoique  les  cérémonies  n'en  différassent  guè- 
res  de  celles  d'Eleusis.  Les  hommes  n'étaient  point  admis  dans  les 
Thesmophories ,  et  les  fonctions  sacerdotales  y  étaient  remplies  par 
les  Mélisses  dont  nous  avons  parlé  plus  haut  (i).  On  les  célébrait  dans 
le  mois  de  Puanepsion  ,  ou  d'octobre,  et  elles  duraient  cinq  jours. 
Les  femmes  accompagnaient  jusqu'au  Thesmophorion ,  ou  temple 
de  Cérès  Thesmophore  ,  le  Calathos  mystérieux,  qui  était  traîné 
par  quatre  chevaux  blancs,  et  entouré  de  jeunes  filles  portant 
des  cribles  tissus  en  or.  Après  un  sacrifice  expiatoire,  les  initiées 
portaient  de  là  jusqu'à  Eleusis  sur  leur  tête  et  en  procession  le 
livre  des  lois,  en  invoquant  à  haute  voix  C  alli  génie ,  qui,  selon 
l'opinion  de  Villoison  ,  signifie  le  mère  de  la  belle  Proserpine ,  ou 
la  mère  des  fruits  et  des  moissons.  Les  Thesmophories  se  célébraient 
aussi  de  nuit.  Chaque  femme  y  avait  un  flambeau  allumé,  qu'elle 
éteignait  et  rallumait  aussitôt.  Le  Ctéis  était  l'objet  de  la  vénéra- 
tion publique  dans  ces  cérémonies,  et  rappelait  au  souvenir  des 
inîiées  l'aventure  de  Baubone  :  d'où  l'on  peut  conclure  que  toute 
décence  en  était  bannie  (n). 

néanmoins  au  nombre  des  dogmes  secrets  celui  de  l'unité  de  Dieu  ;  et 
Larcher  avait  adopté  son  opinion  dans  sa  première  édition  d'Hérodote. 
M.r  Hancarville  (  Collection  ofEtruscan  etc.  p.  IV.  p.  39  )  est  aussi  d'avis 
qu'on  enseignait  aux  initiés  le  dogme  de  l'unité  de  Dieu,  et  cela  dans 
la  supposition  peu  fondée  où  il  est  que  ce  dogme  a  précédé  le  Sabéismc 
chez  les  Grecs.  Mais  comment  admettre  son  existence  dans  un  pays  où 
le  polythéisme  était  établi  ,  et  où  par  conséquent  il  aurait  été  en  oppo- 
sition manifeste  avec  le  culte  public  ,  avec  la  politique  ,  et  avec  l'intérêt 
des  gouvernemens  et  des  prêtres?  Ajoutons  à  cela  que  les  Apologistes  de 
l'Eglise  n'en  disent  pas  un  mot  ,  malgré  le  grand  avantage  qu'ils  auraient 
pu  tirer  de  cet  argument  contre  la  superstition  même  des  Gentils. 

(1)  y.  Acad.  des  Inscript.  Tom.  XXXIX.  Recherch.  sur  les  Thes- 
mophories. 

(.2)  Thèodoret.  Serm.  VII.  et  XIJ.  T.  IV.  Apollod.  £.  I.  çjiap.  V, 
\dristoph.  Thesmoph.  v.  §37-3.8, 


MAWAUAWAWAWWAUAWAWAVAWAWAWAMMIV 


Gaffo   GalGna  /.-,<■ 


TSKSSMSSmSSSKM 


de  la  Grèce.  Soi 

Maïs  en  voilà  assez  sur  les  mystères.  Voyons  maintenant  quel- 
ques monumens  qui  s'y  rapportent.  Le  premier,  (  plan»  h*  77  n.°  4), 
est  le  revers  d'une  médaille  de  Demetrius  I.er ,  frappée  la  [58.* 
année  de  l'ère  des  Séleueides,  c'est-à-dire  i55  ans  avant  le  Christ. 
Vaillant  et  Eckel  ne  sont  point  d'accord  sur  le  sens  de  son  type: 
il  était  peut-être  réservé  au  célèbre  Visconti  d'en  donner  l'expli- 
cation véritable.  «  J'y  reconnais,  dit-il,  Cérès  ,  appelée  en  Grec 
Dcmêter ,  d'où  s'est  formé  le  nom  de  Demetrius  que  les  ancêtres 
de  ce    Prince    ont    illustré   „.    La    Déesse   qui,    en    enseignant    aux   Cêrès  frugîfèt* 

h.,  .        .  n         •  ,       19  li        1  et  légiféra. 

ommes  I  agriculture   a   perfectionne    l  ouvrage  de  leur  civilisation, 

tient  de  la  main  gauche  une  corne  d'abondance  remplie  des  pro* 
d potions  qu'elle  a  fait  naître,  et  de  Ja  droite  le  burin  avec  le- 
quel elle  grava  les  lois  qu'elle  donna  aux  hommes;  elle  est  repré- 
sentée ici  en  même  tems  comme  f ru  gif era  et  légiféra,  c'est-à-dire 
cultivatrice  et  législatrice  ;  le  pied  de  son  trône  est  décoré  de 
figures  bizarres  :  ce  sont  les  serpens  ailés  qui  ont  transporté  son  char 
d'un  bout  de  la  terre  à  l'autre.  Ces  monstres  immortels  ont  par  en 
haut  le  corps  et  le  vêtement  de  femmes  (1).  Le  n.°  5  de  la  même 
planche  est  un  camée  de  la  Bibliothèque  de  Paris,  sur  lequel  est 
représentée  Cérès  conduisant  ïriptolème  dans  son  char  traîné  par 
des  serpens  ailés,,  Triptolème  tient  dans  un  pan  de  sa  robe  la  se-  Cèrès 
mence  qu  il  doit  répandre  sur  la  terre,  et  Cerès  porte  le  cahier  ou 
volume  renfermant  les  lois  sur  les  propriétés:  belle  allégorie,  dit 
Miliin,  sur  la  nécessité  d'allier  la  législation  à   l'agriculture  (2). 

Pour  compléter  ce  que  nous  avions  à  dire  au  sujet  des  mystè-  Cérémonies 
res',  nous  rapporterons  ici  (  pi.  78  et  79  )  une  des  plus  belles  pein-  £ieusce" 
tures  des  vases  de  l'édition  originale  d'Harnilton ,  où  sont  repré- 
sentées les  cérémonies  d'Eleusis  (3).  Nous  observerons  de  nouveau 
que,  dans  la  célébration  des  mystères,  les  prêtres  figuraient  les 
Déités  au  culte  desquelles  ils  étaient  attachés,  ainsi  que  les  dif- 
férens  personnages  auxquels  se  rapportent  les  événemens  mytholo- 
giques. Apulée,  qui  avait  été  témoin  des  fêtes  de  Bacchus ,  dit 
avoir  vu  dans  les  travestissemens  qui  y  étaient  usités,  âes  hommes 
ayant  pour  chaussure  des  pantoufles    dorées,   avec    de    riches   vête- 

(1)  Iconogr.   Gr.  vol.  IL  pag.  324-  PI   XLVI    N°  a5. 
O)  Miliin.  Gall.  T.  I.  pag.'ôo.  N.°  2.2.0.  Acad.  des  bell.  lettr.  T.  I. 
pag.  276. 

(3)  Collection    of  Etruscan }    Greeh    etc.    Antiquités  etc.    T.  III, 

PL  47. 


502  Religion 

mens  et  des  ornemens  précieux  ,  les  cheveux  relevés  sur  le  sommet 
de  la  tête,  adextis  capite  crinibus ,  et  imitant  la  mollesse  des  femmes 
dans  leurs  mouvement  Gès'homnaes  n'étaient  que  les  images  de--  Gé- 
nies. De  môme  les  deux  sexes  se  travestissaient  dans  les  mystères 
d'E'eusis,  de  manière  à  exprimer  toutes  les  actions  de  Gérés,  de 
Proserp'me  et  d'Iacchus.  Ce  qui  fait  particulièrement  le  prix  de 
cette  peinture,  c'est  qu'on  y  voit  comment  étaient  représentés  les 
événemens  qui  ont  donné  naissance  à  ces  mystères ,  au  sujet  des- 
quels Pausanias  dit  qu'il  n'était  point  permis  à  ceux  qui  n'y  étaient 
pas  initiés  d'en  avoir  connaissance,  ni  même  d'oser  s'en  instruire 
par  curiosité  (i).  Les  oliviers,  dans  les  deux  planches,  indiquent 
le  lieu  de  la  scène  qui  est  l'Attique,  vers  l'extrémité  de  laquelle 
se  trouvait  Eleusis.  Au  milieu  de  la  planche  78  on  voit  le  Puteale , 
ou  couvercle  ayant  la  forme  d'un  vase  renversé,  qui  couvrait  le 
puits  ou  la  fontaine  CaUlrohé  ,  autour  de  laquelle  les  jeunes  fil- 
les se  rassemblaient  pour  danser  et  chanter  des  hymnes  en  l'hon- 
neur de  Gérés.  C'est  au  bord  de  ce  puits  ,  qu'au  dire  de  Callima- 
que,  la  Déesse  s'assit  à  trois  fois  différentes,  lorsqu'accablée  de 
douleur  pour  n'avoir  pu  retrouver  sa  fille,  elle  alla  se  réfugier  chez 
les  Eleudens,  et  selon  d'autres  chez  le  vieux  Celée.  La  Mélisse,  ou 
femme  initiée  qui  la  représente,  annonce  dans  son  maintien  la 
plus  grande  tristesse.  Le  Génie  qui  est  à  côté  d'elle  est  l'Amour, 
qu'on  reconnaît  à  l'indication  et  à  la  boîte  mystique  de  Vénus,  que 
tient  une  femme  qui  est  derrière  lui,  et  plus  encore  à  son  arc 
qu'il  a  l'air  de  présenter  à  la  Déesse,  comme  l'unique  cause  de  son 
accablement,  dont  il  semble  lui  demander  pardon.  Près  de  Cérès 
est  la  vieille  qu' Apollodore  appelle  Iambé  ,  Clément  d'Alexandrie 
Baubo ,  et  Nicandre  Métcinire.  Pour  consoler  la  Déesse,  la  bonne 
vieille  lui  offrit  quelque    chose  à   manger,  qu'elle    refusa:    le    vase 

(1)  Quelqu'un  pourrait  peut-être  demander  comment ,  malgré  les  dé- 
fenses rigoureuses  sur  la  révélation  de  ces  mystères  ,  on  les  avait  néan- 
moins représentés  sur  les  vases  ?  Cette  question  ,  selon  Hancarville  ,  peut 
se  résoudre  en  supposant  que  ces  peintures  sont  l'ouvrage  de  quelques 
initiés.  Il  n'est  pas  hors  de  vraisemblance  non  plus  ,  que  l'obscurité  même 
du  sujet  et  des  allégories,  ait  pu  être  regardée  comme  un  moyen  suffisant 
d'en  tenir  le  sens  caché  aux  artistes  même  qui  les  exécutaient  sur  le 
modèle  qu'on  leur  en  donnait;  de  la  même  manière  que,  de  nos  jours, 
les  Francs-Maçons  se  servaient ,  pour  leurs  décorations ,  de  peintres  qui 
en  ignoraient  le  langage  symbolique ,,  et  ne  pouvaient  par  conséquent 
en  donner  l'explication. 


de  la    Grèce.  Se3" 

renversé  qu'on  voit  à  ses  pieds  indique  l'offre  et  le  refus.  Cette  vieille 
chercha  à  distraire  la  Déesse  de  sa  douleur  en  se  mettant  presque  nue 
devant  elle,  ce  qui  la  fit  rire  en  effet.  C'est  en  mémoire  de  cette 
action  bizarre  que  le  JPecten,  Kr^ç ,  qu'Apulée  appelle  Mundum 
muliebre  fut  mis  comme  un  objet  sacré  dans  les  corbeilles  de  Cérès  9 
de  la  même  manière  qu'on  tenait  le  Phallus  dans  celles  de  Bacchus. 
Ce  Pecten  est  désigné  comme  étant  dans  une  espèce  d'étui  qui  est 
à  côté  du  vase  renversé  (i).  Hyona  ,  femme  d'EIeusius  et  mère  de 
Celée  j  qui  reçut  Cérès  dans  sa  demeure,  est  représentée  sous  la  figure 
qu'on  voit  assise  à  côté  de  Jambe  ou  Métanire.  Celui  qui  parle  à 
Cérès  est  Dioclés,  un  des  jeunes  gens  qu'elle  avait  instruits,  et 
qui,  dans  un  hymne  qu'on  attribue  à  Homère ,  dont  Pausanias  nous 
a  conservé  un  fragment,  est  appelé  izlrfr^oc  ,  fraenator  equorum  : 
la  lance  indique  qu'il  possédait  ce.t  art,  parce  que  les  anciens  se  ser- 
vaient de  cette  arme  pour  monter  à  cheval  -,  comme  nous  l'avons  ob- 
servé ailleurs.  C'est  pour  cela  qu'on  en  voit  toujours  une  dans  les  mains 
de  Castor,  qu'on  croyait  présider  à  l'art  de  î'équitation.  Dans  le 
haut  de  la  peinture  est  Cérès  ,  qui  montre  au  jeune  Triptolème  9 
un  bassin  plein  de  froment,  dont  elle  lui  avait  enseigné  l'usage, 
ainsi  que  l'art  de  le  cultiver.  A  la  planche  79  Cérès  assise  présente 
une  couronne  à  Euuiolpus,,  qui  tient  une  ceinture,  emblème  des 
lois  qu'elle  a  données  aux  hommes.  Derrière  elle,  une  femme  porte 
une  couronne  de  sésame  et  une  feuille  d'olivier,  qui,  avec  Vindi-, 
cation  de  Minerve  dans  la  bulle  placée  sous  la  boîte  mystique, 
comme  dans  celle  qui  est  au  dessus  d'Eumolpus ,  indiquent  le  ter- 
ritoire d'Athènes.  Au  dessous  de  Cérès  on  voit  ^indication  de  Bac- 
chus dans  le  globe:  celle  de  la  Déesse  considérée  comme  Diane, 
se  trouve  au  dessus  de  la  boite  mystique.  Les  ceintures  et  les  bas- 
sins de  froment,  que  tiennent  les  femmes  et  le  Génie,  dénotent  peut- 
être  les  cérémonies  mystérieuses  dont  l'exercice  appartenait  à  la 
famille  des  Eumolpides.  Hancarville  croit  voir  dans  la  figure  car- 
rée ,  qui  est  presqu'au  dessous  de  la  Déesse  ,  la  fameuse  pierre  Age- 
lasto,  AyeXas-roç  Hhp%  ,  qui  veut  dire  risus  expers  saxum ,,  sur  la- 
quelle se  reposa  Cérès,  et  à  laquelle  Ovide  fait  allusion  dans  ces 
deux  vers  du  IV.e  livre  de  ses  Fastes  ; 

Hic  primum  sedit  gelido  maestissima  saxo , 

Illud  Cecropidae  nunc  quoque  triste  çocant. 

(1)  Les  Syracusains  fesaient  le  Pecten   avec   une    pâte    composée  de 
miel    et  de  sésame  ,  qu'Atliénie  désigne  sous  le  nom  de  Mv^oi. 


5o4  Religion 

Jeux  et  spectacles  sacrés. 
Quatre  espèces  Les  priucipaux  jeux  ou  spectacles  publics  étaient    au    nomhre 

de  jeux.  -,  i  i    •  t 

de  quatre:  on  les  appelait  tepoi,  ou  sacres,  parce  qu  ils  avaient  été 
institués  à  la  gloire  des  Dieux  ou  des  héros,  qui  avaient  obtenu  les 
honneurs  de  l "apothéose.  Le  poète  Archias  les  désigne  clairement 
dans  cette  épigrame:  La  Grèce  a  quatre  jeux  qui  sont  tous  sacrés: 
deux  sont  consacrés  à  des  hommes ,  et  les  deux  autres  à  des  Dieux  : 
ceux-ci  sont  Jupiter  et  Apollon:  ceux-là  Palémon  et  Archemore.  On 
y  donne  pour  prix  des  couronnes  d'olivier ,  de  pommier  ,  d'ache  et 
cinq  comhats.  de  pin  (  c  ).  Ces  jeux  étaient  accompagnés  de  cinq  sortes  de  combats 
qui  étaient,  la  course,  le  saut,  le  disque,  le  dard  et  la  lutte  (a). 
La  course.  L'habileté  à  la  course  était  uue  qualité  singulièrement   estimée 

chez  les  Grecs ,  en  ce  qu'elle  donne  aux  hommes  plus  d'aptitude  aux 
exercices  militaires.  Aussi  Homère  donne-t-il  toujours  à  Achille  l'épi- 
thète  de  vite  à  la  course.  On  prétend  que,  pour  se  rendre  plus  pro- 
pres à  cet  exercice,  les  Grecs  fesaient  usage  de  certains  médieametis 
qui  leur  desséchaient  la  rate  ,  dont  ils  regardaient  l'existence  comme 
incompatible  avec  les  mouvemens  du  corps  où  il  fallait  de  la  force 
et  de  la  célérité.  La  course  se  fesait  dans  le  Stade  (3).  Le  signal 
du  départ  se  donnait  au  son  de  la  trompette.  A  la  course  des  hom- 
mes exempts  de  toute  entrave  ,  succédait  celle  d'hommes  armés 
d'un  bouclier,  d'un  casque  et  en  brodequins:  venait  ensuite  la 
course  à  double  stade,  et  enfin  celle  où  les  concurrens  devaient 
parcourir  douze  fois  de  suite  la  même  carrière  dans  toute  sa  lon- 
gueur (4)-  La  course  des  hommes  à   cheval  et  montés  sur  des  chars 

(i)  Anthologie.  Naples  ,  impr.  Pi.   1788,  liv.  I.  Epigr.  1. 

(2)  V.  Anthol.  Ibid.  Epigr.  8. 

(5)  vinciennement  les  courses  se  fesaient  en  pleine  campagne:  on 
destina  ensuite  à  cet  exercice  un  lieu  entouré  d'une  palissade  ,  à  laquelle 
on  substitua  à  la  fin  une  enceinte  de  pierres.  Le  lieu  de  la  course  s'ap- 
pelait Stade  ,  parce  que  sa  longueur  était  originairement  d'une  stade  ,  ou 
de  i25  pas  géométriques.  Le  stade  se  nommait  aussi  Hippodrome ,  des 
mots  iissros  ,  qui  veut  dire  cheval ,  et  ifoftas ,  qui  signifie  course. 

(4)  Pausanias _,  liv.  V.  chap.  24  ,  parle  en  outre  d'une  course  que  les 
jeunes  filles  d'Elide  fesaient  à  Olympie  en  l'honneur  de  Junon  ,  et  à 
laquelle  présidaient  seize  illustres  matrones  choisies  parmi  les  huit  tribus 
des  Eléens.  Les  jeunes  filles  s'élançaient   dans  la   carrière  à    demi    nues, 


de   la   Grèce.  5o5 

se  fesait  aussi,  dans  le  stade,  qu'on  appelait  pour  cette  raison  Hip- 
podrome. Les  plus  riches  citoyens  se  piquaient  d'avoir  les  chevaux 
les  plus  légers  à  la  course.  Des  villes,  des  républiques  et  des  Sou- 
verains aspiraient  souvent  au  prix  de  l'Hippodrome  ;  et  dans  cette 
vue  i!s  recherchaient  les  plus  habiles  cavaliers,  pour  leur  don- 
ner leurs  chevaux  à  monter  (i).  Ces  cavaliers  couraient  quelque- 
fois avec  deux  ou  plusieurs  chevaux  ,  en  sautant  de  l'un  à  l'autre 
au  moment  où  ils  franchissaient  le  but.  Ces  chevaux  s'appelaient 
en  latin  desultorii ,  et  les  cavaliers  dcsul tores  ;  nous  avons  dit  ail- 
leurs quelque  chose  de  ces  derniers.  Il  fallait  pour  cet  exercice 
beaucoup  d'adresse  et  d'habitude,  attendu  qu'on  ne  s'y  servait  ni 
de  selle  ni  d'étriers,  dont  l'usage  n'était  pas  encore  connu.  Les 
chars  étaient  attelés  de  deux,  trois,  quatre  chevaux  et  plus  encore  , 
tous  rangés  de  front.  Ils  devaient  parcourir  douze  fois  l'Hippodro- 
me. L'art  des  conducteurs  consistait  particulièrement  à  tourner  au- 
tour de  la  borne ,  où  le  passage  était  très-étroit  et  d'autant  plus 
difficile  ,  qu'il  fallait  le  franchir  douze  fois  de  suite.  L'amour  de 
la  patrie  ,  et  le  désir  de  l'immortalité  enflammaient  leurs  cœurs 
d'une  généreuse  ardeur.  Ils  n'étaient  vêtus  que  d'une  simple  tuni- 
que fa).  Les  vainqueurs  n'étaient  couronnés  que  le  dernier  jour  des 
fêtes  ou  des  jeux  ,  et  en  attendant  on   leur  donnait  une  palme. 

Dans   l'exercice  du  saut ,  les  athlètes  se  chargeaient  d'un  poids       Le  saut. 
de  métal,  qu'ils  tenaient  sur    leur  tête,    sur  leurs  épaules    ou  dans 
leurs  mains.    Ces    masses    étaient    de   diverses    formes,  mais  le    plus 
souvent   ovales   et  recourbées  au  milieu  ;  elles  étaient  en  outre  per- 

et  les  cheveux  flottans  sur  leurs  épaules.  Celle  qui  avait  remporté  le  prix 
recevait  une  couronne  d'olivier  ;  et  il  lui  était  permis  de  placer  son  por- 
trait dans  le  temple  de  Junon  :  honneur  qui  la  flattait  encore  beaucoup 
plus  que  la  couronne. 

(i)  Philippe,  Roi  de  Macédoine  ,  fut  si  enchanté  d'une  victoire  rem- 
portée en  son  nom  dans  l'Hippodrome  ,  qu'il  pria  la  Fortune  de  tempé- 
rer ses  faveurs  par  quelque  disgrâce  :  car,  vers  la  même  époque,  Parménion 
un  de  ses  Généraux  battit  les  Illyriens  ,  et  sa  femme  Olympie  acoucha 
d'Alexandre. 

(a)  Pausanias  ,  liv.  I.er  chap,  20  ,  rapporte  qu'il  y  avait  dans  l'Hip- 
podrome d'Olympie  un  dauphin  en  bronze  au  milieu  de  la  carrière  ,  avec 
un  aigle  du  même  métal  sur  un  autel  ;  et  qu'au  moment  où  le  signal  de 
la  course  était  donné,  le  dauphin  disparaissait  sous  terre,  tandis  que  l'ai- 
gle déployait  ses  ailes,  et  s'élevait  en  l'air  à.  la  vue  des  spectateurs. 

Europe.   Vol.  I.  6j 


5o6  RlîLIGlOK 

cées  de  plusieurs  trous ,  ou  entourées  d'une  courroie;,  par  où  l'on 
pouvoit  les  saisir;  il  y  en  avait  même  qui  avaient  une  ouverture 
assez  grande  pour  y  passer  les  pieds.  Il  parait  que  les  athlètes  se 
servaient  de  ces  masses  comme  d'un  contre-poids  pour  se  mieux  di- 
riger en  sautant.  On  voit  au  n.°  3  de  le  planche  80  un  de  ces 
sauteurs  j  qui  est  pris  des  peintures  des  vases  d'Hamilton  (1).  C'était 
encore  un  sujet  de  vanité  pour  l'athlète,  de  faite  voir  de  quelle  vi- 
gueur il  était  capable,  malgré  le  poids  dont  il  était  chargé.  L'éten- 
due du  saut  était  marquée  par  une  butte  de  terre.  Cet  exercice 
Le  disque,  se  fesait  au  son  de  la  flûte.  Le  disque  était  une  masse  de  fer,  de 
cuivre  ou  môme  de  pierre  fort- pesa nte  ,  d'une  surface  lisse  et  par 
conséquent  difficile  à  saisir;  il  avait  ordinairement  la  forme  d'une 
lentille,  motif  pour  lequel  Dioseoride  donne  à  ce  légume  le  nom 
de  {jiffxoç  (a).  L'athlète  monté  sur  une  petite  élévation  pratiquée 
à  cet  effet  dans  le  stade,  agitait  circulairement  le  disque  qu'il  te- 
nait à  la  main  ,  et  le  lançait  de  toute  sa  force  :  on  marquait  aussi- 
tôt le  lieu  de  sa  chute,  et  l'athlète  qui  l'avait  lancé  le  plus  loin 
obtenait  le  prix.  Le  disque  représenté  au  n.°4  de  la  planche  80  a 
été  copié  sur  un  bas-relief  de  la  maison  de  Plaisance  Albani  ,  qui  a 
été  aussi  rapporté  par  Winckelmann;  son  diamètre  est  le  tiers  de 
la  hauteur  des  figures  de  ce  bas-relief,  c'est-àrdire  d'environ  c, 
raètr. ,  S96  ,  ou  22  pouces ,  et  son  contour  est  orné  de  cannelures.  Le 

(i)  Hancarville  (  Collection  etc.  T.  IL  p.  164  et  166  )  est  d'avis 
que  cette  figure  -et  autres  semblables  représentent  la  danse  des  hommes 
nus  ,  appelée  Gymnopédie  ,  et  que  l'instrument  qu'on  -voit  dans  les  mains 
du  sauteur  est  une  espèce  de  castagnettes ,  appelées  l^içraç.  Mais  l'at- 
titude de  la  ligure  même  ,  qui  est  celle  d'un  homme  prêt  à  s'élancer  _, 
ainsi  que  la  forme  clés  instrujnens  ,  annoncent  un  athlète  pour  le  saut  , 
et  c'est  aussi  le  sentiment  de  Mercurial ,  et  des  auteurs  de  l'Encyclopé- 
die méthodique. 

(2)  Homère  distingue  deux  espèces  de  disque  :  celui  de  métal  qu'il 
appelle  Eo/Loc  ,  ou  masse;  et  celui  de  pierre  qui  était  percé  ,  et  qu'il 
nomme  Aiffxoç  .  On  a  trouvé  à  Herculanum  un  disque  de  bronze  ,  qui 
a  o,  métr.  217 ,  ou  8  pouces  de  dianiétre  ,  et  o,  mètr.  064,  ou  2  pouces 
d'épaisseur-,  il  a  au  milieu  un  trou  oblong  de  o,  métr.  o54  ,  ou  2  pouces, 
qui  va  en  se  rétrécissant  d'un  côté  ,  et  dans  lequel  on  passait  le  pouce  , 
pour  mieux  saisir  le  disque }  et  le  lancer  avec  plus  de  force.  Visconti 
(  Mus.  Pio-Clément.  vol.  III.  pag.  35  ,  note  [e]  )  observe  avec  raison  ,  contre 
l'avis  des  Scholiastes  d'Homère  ,  de  Ligorius  et  de  Mercurial ,  que  les  monu- 
mens  ne  présentent,  aucun  disque  ainsi  percé  ,  et  avec  une  attache  de  cuir, 


de   la    Grège.  5cj 

n.9  5  de  la  même  planche  offre rl'itnage  du  fameux  Dioscobule  du  Dioscobui* 
Musée  Pio-Clémentin.  «  La  beauté  des  proportions  dans  les  mem- 
«  bres  de  l'athlète,  dit  l'illustre  Visconti  ;  la  simplicité  et  le  natu- 
«  rel  de  son  attitude,  ayant  le  pied  droit  porté  en  avant,  prêt  à 
«  lancer  le  disque  qu'il  tien»  encore  de  la  main  gauche,  avant  de 
«  le  passer  dans  la  droite  qui  doit  le  lancer;  l'attention  peinte 
m  laas  sa  physionomie ,  spaûum  jam  immane  parantis  ,  qui  semble 
«  mesurer  de  l'œil  U  carrière  qu'il  pourra  faire  parcourir  au  bronza 
«  pesant,  ou  le  but  qu'ont  atteint  ses  coucurrens  3  tout  donne  à 
«  cette  figure  une  noblesse  et  une  vérité  d'expression  ,  qu'il  est  dif- 
«  fieile  de  trouver  dans  au -une  autre  de  ce  genre.  Le  disque,  ainsi 

«  que   le  décrit  Lucien,  n'a   ni   trou,   ni   anse,   ni  attache 

(i  Tels  étaient  probablement  les  trois  grands  disques  de  bronze 
«  avec  lesquels  s'essayaient  les  athlè'es  à  Oympie,  où  cet  exerci- 
"  ce    fesait    partie  du  Quinquerziurn    ou  Pentathlum  qu'on    gardait 

«  dans    le    forum    des    Sucions L'athlète    est    absolument 

"  nu La   ténia  ou  bandelette  qui  lui  ceint  le  front  semble  an- 

"  noncer  qu'il  a  remporté  le  prix  ,  ces  sortes  de  diadèmes  étant 
«  la  marque  honorable  dont  on  décorait  ordinairement  les  vain- 
queur^ „.  L'exercice  d»  dard  ,  appelé  en  Grec  Vi-^iç  ,  et  en  Latin  Exercice 
Jaculatio  „  se  fesait  avec  nue  pique  ou  autre  instrument  sembla- 
ble ,  (jui  se  lançait  avec  la  m  'm  on  à  l'aide  d'une  courroie;  et 
quelquefois  il  se  tVsait  aussi  avec  la  flèche ,  ou  bien  encore  avec  le 
dard,  qu'oa  lanç-iit  de  même  à  l'aide  de  l'arc.  Il  y  avait  dans  le 
stade  ua  but  de  marqué,  q  'il  fallait  atteindre  pour  remporter 
le   prix. 

La  lutte  était  de  deux  espèces,  savoir;  le  pugilat,  appelé  Lutte ,,  pugilat. 
par  les  Grecs  tvvjim-xp  ,  et  la  lutte  proprement  dite,  qu'ils  nom- 
maient T(x/l>\  Dans  le  pugilaf,  les  athlètes  se  battaient  à  coups 
de  poing.  D'abord  ils  combattaient  les  mains  et  les  bras  nus  :  vint 
ensuite  l'usage  des  cestes  ,  ou  armures  de  cuir,  qui  enveloppaient 
les  mains  jusqu'au  coude,,  et  quelquefois  jusqu'aux  épaules  (j).  Le 
n.°  6  de  la  planche  80  représente  un  bras  armé  du  ce-te  ,  lequel  a 
été  dessiné  sur  les  bronzes  d'Herculanuin.  Les  athlètes  qui  se  des- 
tinaient au   pugilat  fesaieut  ensorte  de  se    rendre    gras  et  nerveux  , 

(1)  Glém.  d'Alexandrie  ,  Strom  I.  pag  7)on  ,  assure  que  l'usage  du 
Zeste  fut  introduit  par  Amieus  Roi  des  Bébnces  ,  qui  vivait  du  teins  des 
Argonautes. 


5o8  Reliciost 

pour  être  moins  sensible  aux  coups  de  leur  adversaire  (i).  Les  couple! 
se  tiraient  au  sort  ;  et  s'il  y  avait  nombre  impair,  l'athlète  qui  restait 
seul  devait  se  battre  ensuite  contre  les  vainqueurs  des  autres.  Les 
athlètes  déployaient  dans  ces  exercices  toute  la  force  et  l'adresse  dont 
ils  étaient  capables.  Quelquefois  ils  restaient  plusieurs  heures  à  se 
regarder,  chacun  épiant  le  moment  où  son  adversaire  se  montre- 
rait en  quelqu'endroit  à  découvert;  tantôt  ils  agitaient  les  poing* 
avec  un  extrême  rapidité  pour  se  mettre  à  l'abri  de  toute  atteinte, 
et  tantôt  ils  s'attaquaient  brusquement  par  une  grêle  de  coup-  :  il  arri- 
vait quelquefois  que  l'un  esquivait  adroitement  l'effort  de  sou  ad- 
versaire, pour  le  faire  tomber  de  lui-même.  Les  combattaus  se  reti- 
raient meurtris  et  couverts  de  blessures ,  et  l'on  en  emportait  souvent 
de  la  lice  qui  vomissaient  le  sang,  et  à  demi-morts:  spectacle  in- 
digne d'un  peuple  humain  et  civilisé,  et  d'autant  plus  atroce,  qu'on 
admettait  à  ce  genre  de  combat  des  adultes  de  la  première  jeu- 
nesse (a).  Cet  exercice  était  à  la  vérité  le  moins  estimé,  et  les 
athlètes  étaient  le  plus  souvent  de  la  basse  classe  du  peuple.  On 
Lutte  tirait  également  au  sort  les  couples  pour  la  lutte  comme  pour  le 
fr°PduT.en  pugilat.  La  lutte  n'avait  d'abord  pour  but  que  de  disputer  de  la 
force  du  corps,  et  de  voir  lequel  des  deux  adversaires  renverserait 
l'autre;  mais  Thésée,  au  rapport  de  Pausanias ,  fit  ensuite  de  la  lutte 
un  art,  qui  était  assujetti  à  certaines  règles.  Il  fallait,  peur  rem- 
porter le  prix  ,  avoir  renversé  trois  fois  son  adversaire.  On  voyait 
les  lutteurs  tantôt  immobiles  le  front  appuyé  l'un  contre  l'autre, 
tantôt  se  secouer  violemment  et  s'entrelacer  comme  des  serpens,  puis 
reprendre  haleine  un  moment,  se  saisir  de  nouveau  ,  tomber  ensem- 
ble ,  se  rouler  sur  l'arène  et  se  serrant  la  gorge  pour  obliger  l'ad- 

(i)  Les  Latins  donnèrent  par  dérision  aux  femmes  grasses  l'épithête 
de  vugiles  ,  pour  dire  propres  au  pugilat.  Terent  Eunuch.  Ac.  II.  Se.  III. 

Si  quci  est  habiUor  paulla  ,  pugilem  esse  ajunb. 

Quelques  écrivains  parlent  de  Yamphotide  ,  qui  était  une  espèce  de  ca- 
lotte ,  dont  il  semble  que  les  athlètes  se  servaient  quelquefois  pour  se 
mettre  le  crâne  et  les  oreilles  à  l'abri  des  coups  ;  mais  on  n'en  trouv© 
aucun   exemple  dans  les  monumens. 

(2)  Elien  rapporte  qu'un  aLliléte  qui  avait  eu  la  mâchoire  brisée  d'un 
coup  rie  son  adversaire  ,  au  lieu  de  se  retiter  du  combat  eut  le  courage 
d'avaler  ses  dents  :  ce  qui  obligea  son  rival  à  s'avouer  vaincu.  On  peut  voir 
la  belle  description  que  Barthélémy  fait  de  ces  combats  dans  son  voyage 
d'Anaeliarsig. 


de    la    Grèce.  009 

versaire  à  lever  un  doigt  en  signe  de  sa  défaite  (1).  Le  pugilat  se 
fesait  quelquefoi  avec  la  lutte,  et  cet  exercice  prenait  alors  la 
nom  de  Paner  ne,  avec  cette  différence  pourtant,  que  les  combat- 
tans  n'avaient  >as  les  bras  armés  de  cestes  (fi).  Il  était  défendu  % 
sous  des  peines  rigoureuses,  de  tuer  son  adversaire  tant  dans  la  lutte 
<jue  dans  le  pugilat.  Il  y  avait  un  autre  jeu,  appelé  Peniathlo  y 
où  les  concurrent  disputaient  le  prix  dans  les  cinq  genres  d'exerci- 
ces que  nous  venons  de  rapporter.  Pour  l'obtenir,  il  fallait  que 
l'athlète  eût  remporté  la  palme,  au  moins  dans  les  trois  premiers 
exercices  pour  lesquels  il  s'était  présenté.  Le  lieu  où  se  feraient  ces 
jeux  s'appelait  aussi  Palestre,  du  mot  -yraXaicrrr  ,  qui  veut  dire  lutte  (3). 

La   planche   81   offre   le  spectacle  du  Pancrace  (à).  "  Les  deux       Athlètes 

V  r  1  d"  Pariée 

«  jeunes  gens  (  dit  Visconti  dans  l'explication  qu'il  donne  de  ce  bas-      du  =.«<•« 

, .    n  ,  .  .  .  .  Pio-Uêmeritiiir* 

«  rehet  ,  qu  on  voit  nus,  et  qui  semblent  se  mouvoir  avec  autant 
"  de  vigueur  que  de  souplesse  pour  s'attaquer  et  se  défendre,  ne 
<f  sont  point  ,  à  mon  avis,  des  athlètes  pour  le  pugilat,  mais  pour  le 
«  pancrace.  Diverses  circonstances  me  les  font  considérer  comme 
"  tels  :  la  première,  c'est  que  leurs  mains  et  leurs  bras  ne  sont  point 
»  armés  du  ceste ,  instrument  terrible  et  propre  au  pugilat;  la  se- 
<i  conde ,  c'est  de  voir  qu'ils  ne  cherchent  point  à  se  frapper, 
<«  mais  plutôt  à  en  venir  aux  mains  et  à  se  renverser:  action  qui 
«  appartient  an  pnnernre .,  <î'aprés  la  loi  qui  défendait  aux  athlè- 
te tes  de  se  battre  à  coups  de  poing  dans  la  simple  lutte,  et  de 
«  chercher  à  se  renverser  dans  le  pugilat  ,  .  .  .  .  La  manière 
"  dont  il  était  permis  aux  athlètes  de  s'attaquer  dans  le  panera- 
it ce,  prête  évidemment    à    l'attitude    de    celui    de  droite,   l'iuteu- 

a  tion  de    se    servir    des    pieds La     position    de   leurs  bras 

a  levés  indique  parfaitement    cette   espèce   d'escrime  ,  où    les  deux 

(1)  L'athlète  dans  le  pugilat  et  la  lutte  n'était  réputé  vaincu,  que 
quand  il  avait  crié  ou  levé  le  doigt.  C'est  ce  qui  fait  dire  à  Plutar- 
que  ,  que  lçs  Spartiates  détestaient  ces  sortes  d'exercices  ?  à  cause  de  l'in- 
famie qu'ils  trouvaient  à  se  déclarer  vaincu  ,  et  à  céder  la  palme  à  son 
adversaire. 

(2)  Potter  ,  Arch.  gr.  liv.  II.  chap  XXII.  ,  relève  une  erreur 
de  Jérôme  Mercurial ,  qui  distingue  le  Pancrace  en  deux  espèces;  l'une, 
où  les  athlètes  se  tenaient  debout  ;  et  l'autre  où  ils  se  routaient  dans 
l'arène  ,  tandis  que  ces  deux  exercices  n'en  fesaient  qu'un  seul. 

(3)  Nous  parlerons  du  Stade  et  de  la  Palestre  à  l'article  de  Tarchitecture, 

(4)  Mus-ee  Pio-Cjém.entin,  vol.  V.  pi.  XXX.VJ* 


5lO  R  ELIGT03T 

«■  champions  fesaient  pompe  de  tonte  leur  adresse    et   de    leur    hi- 

-    "  bileté,  et  qui  s'exprimait  en  Grec    par  ces   mots  qui  lui    étaient 

«   propres  (  mpaç  aetpm)^  lever  les  bras.  L'art  des  combittans  ,  dan* 

«  cet  exercice,  consistait   particulièrement  à  se  tenir  sur   (a  défen- 

«■  sive  ,  et   la     gloire  du  vainqueur  était    (Ve.a    sortir    3atn  avoir   été 

Touffe        «  touché.  „   L'illustra  corn  nentateor  nous  avertit  d'une  particularité 

des  lutteurs,     dont  on  t rouve   peu  d'exemples  ailleurs „  c'est  la  tonffe   de   cheveux 

qui    parait   nouée  sur   le  cou  des   deux   athlètes  ,  et  dont  l'usage  a  été 

probablement  adopté;  parmi  les  lutteurs,  pour  éviter  d'être  saisis   par 

les  cheveux  dans  la  chaleur  du  combat  (i).  «Tandis  que  la  victoire, 

«  continue    Visconti  ,    se    montre    encore   douteuse    eture    ces   deux 

«  athlètes,    on    en    voit    un   à    droite  ,    occupé    à    s'arranger   sur    la 

«  tète   la  couronne  qu'il- vient    de  recevoir  de  l'agonothète  :    à  côté 

«   de    lui   est    un    héraut   en   robe    retroussée  ,   et   le    front    également 

<t  ceint  d'une   couronne,   lequel   sonne  de   la  trompette    pour  procla- 

«   aier  ensuite   le   nom    du    vainqueur  ....     L'hermès  qui    est    près 

"  des  deux    combattans  est  l'emblème    accoutumé    îles  palestres,  et 

«  de   tous   les  lieux   destinés   aux  jeux   gymniques  „. 

AMètes  Qn   vojt  à.   |a    planohe    8j,   les  fameux     Athlètes    du  'Musée    de 

de  Pancrace  l 

du  m usée      Florence.  Ce  groupé  a  toujours    été    regardé     par   les    artistes  com- 

de  Florence.  . 

me  une  merveille  de  l'art.  Quelques-uns  ont  pensé  que  c'était  un 
ouvrage  de  Céphissodore;  d'antre*  ,  avw  plu«  4e  probabilité,  l'at- 
tribuent à  Miron:  car,  parmi  les  beaux  ouvrages  de  ce  dernier 
artiste,  Pline  cite  ses  Delphlcl  Perithathli  Pancratiastae ,  dont  il 
parle  avec  les  plus  grands  éloges  (2).  Et  en  effet  ,  rien  de  plus 
difficile  et  de  plus  étonnant,  que  l'art  avec  lequel  le  sculpteur 
a  su  introduire  son  ciseau  entre  les  parties  du  corps  où  les  athlètes 
se  touchent,  et,  malgré  la  multiplicité  des  enlacemeiis  que  forment 
leurs  bras  ,  leurs  cuisses  et  leur<  jambes  ,  porter  son  travail  à  un 
aussi  haut  degré  de  perfection  (3);  Pour  donner  une  plus  juste  idée 
de  Ce  monument,  nous  rapporterons  le  passage  suivant  de  Philostrate. 
Les  athlètes  dans  le  Pankrace  ont  un  genre  de  laite  assez  dange- 
reux; c'est  qu'un  des  deux  lutteurs  doit  renverser  sur  le  dos  son  ad- 

(1)  On  ajouta  à  la  statue  de  Néron  cette  touffe  de  cbe veux,  cirrus  à 
Vertice  ,  pour  donner  à  cet  Empereur  le  caractère  d'un  lutteur.  V.  Musée 
Pio-Oém.  Ibid.   Noté  (6)  et  Suétone  ,  Nero  ,  §    55. 

(2)  Liv.   XXXVI    chap    V. 

(5)  Mus.  Florent.  Seat.  Antiq.  pi.  LXXIII.  et  LXXIV. 


î)e    Li    Grèce,  5  ri 

oersaire ,  ce  gwi  ra'erf  pas  facile,  et  le  tenir  enlacé  dans  celte  po- 
sition, de  manière  à  l'obliger  à  demander  quartier.  Il  faut  pour  cela 
qu'il  sache  le  saisir ,  et  V enchaîner  pour  ainsi  dire  dans  tous  les 
sens.  Il  est  permis  en  outre  aux  lutteurs  de  se  donner  du  croc-en- 
jambe  5  et  de  se  forcer  la  ihain  3  pour  se  procurer  un  moyen  de  se 
surprendre  et  de  se  renverser.  Ils  peuvent  même  se  frapper  et  se 
mordre,  pour  arriver  à  ce  but  (i). 

Les  athlètes  combattaient  nus  :  motif    pour    lequel    on  donnait        Nuàue 

,      ,  »  »,,     .    |    ,  ,  .  .  •  des  athlètes. 

a  leurs  combats  1  epithete  de  gymniques,  du  mot  yv^ivoç ,  qui  veut 
dire  nu  :  la  même  raison  avait  fait  appeler  gymnases  les  lieux  où 
se  donnaient  ces  exercices.  C'est  encore  pour  cela  qu'il  était  dé- 
fendu aux  femmes  d'assister  aux  jeux  Olympiques;  et  celle  qui  du- 
rant ces  jeux  aurait  traversé  l'AIphée,  au  bord  auquel  était,  le  Stade 
où  on  les  célébrait,  étail  ,  au  rapport  de  Pausanias ,  précipitée  du 
haut  d'un  rocher.  On  dit  qu'en  instituant  les  jeux  Olympiques, 
Hercule  avait  lui  même  ordonné  que  les  athlètes  y  paraîtraient  nus. 
La  nature  même  de  la  plupart  de  ces  jeux  ,  jointe  à  la  chaleur  du 
climat,  et  au  terus.de  leur  célébration,  qui  était  toujours  au  solstice 
d'été,  rendait  cette  précaution  nécessaire.  .Néanmoins,  dans  les 
premiers  teins  de  cette  institution ,  les  athlètes  avait  soin  de  ca- 
cher ce  que  la  pudeur  défend  de  montrer;  et  pour  cela  ils  se 
servaient  d'une  espèce  d'écharpe  ou  de  ceinture  ,  appelée  dans  Ho- 
mère l<d(ji.a,  et  dont  on  attribuait  l'invention  à  Palestre  fils  de  Mer- 
cure (a).  Mais  cet  usage  ne  dura  ,  selon  Denis  d'Halicarnasse  , 
que  jusqu'à  la  LXXV.e  Olympiade,  époque  à  laquelle  les  Spartia- 
tes ,  au  rapport  de  Thucydide,  commencèrent  à  venir  tout-à-fait 
nus  dans  la  palestre  (3).  Ce  qui  donna  lieu,  dit-on,  à  ce  change- 
rai) Iconum.  Lib.  II.  de  Arrhichio  Athleta.  Le  même  Philostrate 
observe  que  les  Spartiates  seuls  avaient  pris  l'usage  de  se  mordre ,  de  se 
pocher  les  yeux  ,  de  s'enfoncer  les  doigts  dans  les  flancs  et  de  se  serrer 
la  gorge.  On  lit  dans  Plutarque,  qu'un  Spartiate  se  voyant  en  danger  d'être 
renversé  par  son  adversaire  qui  l'avait  pris  à  la  gorge  ,  lui  mordit  le  bras  ; 
et  que  celui-ci  ayant  crié  :  Tu  mords  comme  les  femmes  ,  l'autre  lui  ré- 
pondit  ;  Non  pas  comme  les  femmes  ,   mais  comme  les  lions. 

(2)  Iliad.  XXIII.  687.   Odyss.  XVIII.  65. 

(3)  11  faut  voir  au  sujet  de  la  nudité  des  athlètes  le  premier  volume 
de  YHist.  de  VAcad.  R.  des  Inscriptions  etc.  pag.  10,1  ,  où  Mr.  Bauclelot 
donne  l'interprétation  la  plus  plausible  d'un  passage  de  Denis,  en  subs- 
tituant la  LXXV.e  Olympiade  à  la  XV.» 


5ifà  Religion 

ment  d'usage  fut  l'aventure  d'un  athlète  à  la  course,  nommé  Orsip- 
je,  dont  la  ceinture  se  détacha,  et  qui  s'étant  embarrassé  dans  ce 
lien  en  courant,  tomba  et  resta  mort  sur  la  place.  Acante  Laeé- 
démonien  fut  le  premier  qui  parut  ainsi  nu  aux  jeux  Olympiques. 
Néanmoins,  les  Asiatiques ,  au  rapport  de  Thucydide,  n'adoptè- 
rent jamais  cet  usage  ,  qui  n'existait  pas  uon  plus  chez  les  Romains 
du  tems  de  Denis  d'Halicarnasse.  Il  faut  avouer  pourtant  que  cette 
nudité  absolue  n'avait  lieu  que  pour  la  lutte,  le  pugilat,  le  pancra- 
ce, et  la  course  à  pied.  On  voit  souvent  dans  les  anciens  monumens 
les  Dioscobnles  vêtus  d'une  tunique,  quoique  celui  du  Musée  Pio- 
Clémentin  soit  tout-à-fait  nu.  Les  conducteurs  de  chars,  comme 
nous  l'avons  dit  plus  haut  ,  portaient  aussi  une  légère  tunique  ,  et 
les  champions  pour  le  jet  du  dard  ou  de  la  lance  étaient  habillés 
militairement.  Eustase  remarque  à  ce  sujet  qu'Homère,  observateur 
scrupuleux  des  convenances,  ne  fait  paraître  Agamemnou  qu'à  ce  der- 
nier genre  d'exercice  dans  les  jeux  de  la  pompe  funèbre  de  Patrocle , 
pour  ne  pas  l'exposer,  en  le  dépouillant  de  ses  vêtemens  royaux, 
à  perdre  de  sa  dignité  aux  yeux  des  Grecs.  La  nudité  facilitait  en 
outre  aux  athlètes  l'usage  des  onctions  ,  qu'ils  regardaient  comme 
un  moyen  propre  à  donner  à  leurs  membres  plus  de  souplesse  et 
de  vigueur.  Ces  onctions  se  fesaient  avec  de  l'huile  seule  ou  mêlée 
avec  de  la  cire  et  de  la  poussière  ,  de  manière  à  en  former  une  espèce 
de  pâte  appelée  ceroma  (i).  Les  athlètes  se  fesaient  frotter  par  des 
gens  employés  à  la  Palestre,  qu'ils  appelaient  aXemrm  et  les  Latins 
unctores ,  ou  bien  ils  se  rendaient  ce  service  réciproquement.  Après 
cette  opération,  ils  se  roulaient  quelquefois  dans  la  boue  (^),  et  le 
plus  souvent  se  frottaient  de  poussière  et  de  sable  ,  comme  on  le  voit 
par  un  passage  de  Lucien  ,  pour  donner  à  leur  adversaire  plus  de 
prise  ,  et  empêcher  que  l'huile  ou  la  seur  ne  fît  glisser  la  main  (3). 

(i)  Plin.  Histor.  naturel,  liv.  XXXV.  chap.  XII. 

(2)  Il  parait  que  le  sol  de  la  Palestre  ,  où  se  fesaient  la  lutte  et  le 
pugilat  était  fangeux  ,  tant  pour  donner  aux  athlètes  plus  d'à  plomb  ,  que 
pour  rendre  leurs  chutes  moins  dangereuses.  C'est  pour  cela  que  certains 
philologues  font  dériver  le  mot  to>.h  de    «-»*«;,  qui  veut  dire  fange. 

(3)  La  poussière  de  la  palestre  s'appelait  «<pi ,  qui  veut  dire  toucher, 
manier  ;  c'est  pourquoi,  en  parlant  du  prix  remporté  sans  combattre,  on 
disait  vaincre  »*ùim  ,  sans  -poussière  ,  c'est-à-dire  sans  peine  et  sans  fati- 
gue :  ce  qui  arrivait  quelquefois  à  certains  athlètes  d'une  telle  réputa- 
tion ,  que  personne  n'osait    entrer  en  lice    avec    eux.    C'est    ainsi ,    selon 


de    la    Grèce.  5i3 

Outre  ces  ieux  il  y  en  avait  d'autres  d'un    genre  plus  gai ,  qui        Coursé 

J  J  ni  flambeaux, 

se  célébraient  dans  les  grandes  solemnités  (i).  Telle  était  la  course 
des  flambeaux  ,  dont  nous  avons  parlé  à  l'article  des  Panathénées. 
Elle  se  fesait  particulièrement  à  Corinthe  et  à  Athènes,  non  seu- 
lement aux  fêtes  de  Minerve,  mais  encore  à  celles  de  Vulcain  ,  de 
Prométhée  et  de  Pan.  La  course  qu'on  voit  représentée  à  la  plan- 
che 81  ,  et  dont  le  dessin  est  copié  sur  les  peintures  des  vases  d'Ha- 
rnilton  (a)  ,  est  conforme  aux  descriptions  qu'en  donnent  Pausanias  et 
le  Scoliaste  de  Pindare  (3).  «  A  l'Académie  ,  dit  Pamanias }  on 
"  trouve  un  autel  de  Prométhée  ,  qui  est  le  point  de  départ  pour 
«  la  course  avec  les  flambeaux.  Ces  sortes  de  courses  sont  compo- 
«  sées  de  trois  hommes  ,  ayant  chacun  un  flambeau  allumé  >  qui 
«  courent  à    qui   arrivera  le    premier    à    un  but  marqué  :    le   pre- 

Pliae,  que  triompha  aux  jeux  Olympiques  Diosyppe  ,  célèbre  lutteur }  qui , 
aux  jeux  Néméens  ,  eut  au  contraire  beaucoup  de  peine  à  remporter  la 
victoire  :  Alchimachus  pinxit  Dioxippum  ,  qui  P ancratio  Olympia  f 
citra  pulveris  ùacùum  (  (juod  vocanc  aconiti  )  vicib:  coniti  Nemaea.  Ibid. 
chap.    XI. 

(i)  On  voit ,  par  tout  ce  que  nous  venons  dédire,  que  les  combats 
des  gladiateurs  ,  genre  de  spectacle  tout-à-fait  particulier  aux  Romains , 
n'étaient  point  en  usage  parmi  les  athlètes  de  l'ancienne  Grèce.  Persée  , 
selon  Tite-Live  ,  avait  seulement  fait  connaître  ces  combats  aux  Macédo- 
niens ;  ils  ne  furent  introduits  en  Grèce  que  cinquante  ans  environ  avant 
l'ère  vulgaire  par  la  colonie  Romaine  qui  s'était  établie  à  Corinthe  ,  après 
que  César  eut  relevé  les  mujcs  rie  nette  ville.  Depuis  cette  époque,  pres- 
que tous  les  peuples  de  la  Grèce  adoptèrent  cei-  adieux  spectacle  ,  que 
les  Romains  avaient  emprunté  des  Etrusques.  Peut-être  que  la  seule  dif- 
férence qu'il  y  avait  entre  les  spectacles  des  anciens  Grecs  et  des  Ro- 
mains consistait ,  en  ce  que  les  premiers  n'avaient  point  de  gladiateurs  : 
car  environ  i5o  ans  avant  la  même  ère  ,  les  Romains  avaient  déjà  admis  chez 
eux  les  combats  de  la  course  ,  du  pugilat ,  de  la  lutte  ,  du  disque  etc. 
Il  y  avait  aussi  une  grande  différence  entre  les  gladiateurs  et  les  athlètes. 
Ceux-ci  étaient  des  hommes  libres,  qui  n'auraient  jamais  voulu  s'avilir  à  en- 
trer en  lice  avec  des  esclaves  ;  ils  combattaient  volontairement  et  pour  la 
gloire,  et  jamais  à  mort:  leur  maintien  et  leurs  mouveraens  avaient  une 
dignité  et  une  noblesse  ,  telles  qu'il  convenait  à  des  disciples  et  à  des 
rivaux  de  Mercure  et  d'Hercule  ,  comme  les  appelle  Denis  d'Halicarnasse. 
Les  gladiateurs  au  contraire  étaient  des  esclaves ,  des  barbares  ou  des  hom- 
mes vils  et  infâmes  ,  qui  se  battaient  jusqu'à  la  mort. 

(2)  Pitture  e  v.asi  antichi  etc.   édition  de   Florence  ,    vol.   IL  pi.   2 5. 

(3)  Paus.  liv.  I.  chap.  3o.  Pind.  Olym.  Od.  XIII. 

Europe,   VoL  î,  SS 


5i4  Religion 

«  mîer  qui  l'atteint  est  déclaré  vainqueur  „.  La  course  semble 
avoir  lieu  à  Goriuthe  ,  et  dans  le  tems  de  la  fête  à'EUozia ,  surnom 
que  les  habitans  de  cette  ville  avaient  donné  à  Minerve,  en  l'hon- 
neur d'Ellotis  ou  Ellotide  prêtresse  de  cette  Déesse ,  dans  le  temple 
de  laquelle  cette  prêtresse  fut  brûlée  lors  de  la  prise  de  Corinthe  par- 
les Doriens  (i).  Voici  la  description  que  Ie3  savans  commentateurs 
nous  donnent  de  cette  peinture  «  Le  premier  coureur  est  arrivé  au  but 
avec  son  flambeau  éteint,  qu'il  a  jeté  à  terre:  son  maintien  annonce 
le  dépit.  Le  second  est  proclamé  vainqueur,  et  le  Génie  qui  repré- 
sente la  Victoire  lui  attache  un  bandeau  au  bras  ....  Le  personnage 
en  robe  de  magistrat  est  un  Athlothète ,  on  juge  du  combat;  la  cou- 
ronne qu'il  porte,  semble  faite  d'une  plante  marine  appelée  Alga 
tinctoria,  parce  que  Corinthe  était  sous  la  protection  spéciale  de 
Neptune.  Les  couronnes  des  trois  jeunes  gens  sont  de  feuilles  de 
palmier  ,  et  ressemblent  à  celle  dont  parle  Apulée  ,  en  disant  que  , 
durant  la  cérémonie  de  l'initiation  ,  l'initié  portait  une  couronne 
de  palmier ,  dont  les  feuilles  formaient  des  espèces  de  rayons  autour 
de  sa  tête.  Pausanias  observe  de  même  que  dans  les  jeux  publics  , 
les  concurrens  portaient  le  plus  souvent  des  couronnes  de  palmier,  (a). 
Les  âmes  douces  et  sensibles  se  plaisaient  encore  davantage 
aux  jeux  soéniques ,  et  à  ceux  où  l'on  disputait  du  prix  de  la  poé- 
Jeuxsc4niqv.es,  sie ,  des  beaux  arts  et  même  de  la  beauté.  Les  jeux  scéniques  se 
fesaient  au  théâtre  et  avaient  pour  objet  le  chant  ,et  la  danse. 
Quelquefois  les  chanteurs  et  les  danseurs  se  partagèrent  en  chœurs, 
à  la  tête  de  chacun  desquels  il  y  avait  uu  homme  ,  âgé  au  moins 
de  quarante  ans,  qui  s'appelait  Choregue ,  et  devait  en  faire  les 
frais.  Aristide,  Epaminondas  et  autres  personnages  illustres  se  fe- 
saient un  honneur  d'avoir  été  élus  Choregues.  Aux  Panathénées  cha- 
cune des  tribus  de  l'Attique  envoyait  un  chœur  avec  un  Chore- 
gue à  Athènes.  Le  Choregue  choisissait  les  acteurs,  qu'il  prenait  le 

(i)  Nous  nous  sommes  attachés  à  l'opinion  la  plus  généralement 
adoptée  parmi  les  philologues  sur  le  mot  Ellozia.  On  peut  voir  dans  Pot- 
ter  les  diverses  autres  étymologies  qu'on  lui  a  données ,  Arch.  gr.  liv.  II. 
chap.  XX. 

(2)  Parmi  les  jeux  innocens  ,  et  dont  le  spectacle  était  de  pur  agré- 
ment ,  on  peut  compter  celui  des  coqs  dont  parle  Elien,  l'w.  II.  chap.  XV^llI^ 
qui  se  fesait  tous  les  ans  dans  le  théâtre  d'Athènes  ,  en  mémoire  des  chants 
de  cet  animal ,  que  Thémistocle  regarda  comme  un  heureux  présage  de  la 
YÏQtoire  qu'il  remporta  sur  les  Perses, 


de    la    Grèce.  5i5 

pins  souvent  dans  la  classe  de  jeunes  gens  ;  il  avait  soin  de  se  procurer 
un  boa  joueur  de  flûte  pour  accompagner  leurs  chants ,  et  un  maî- 
tre de  danse  habile  pour  régler  leurs  pas  et  leurs  mouvemens.  Le 
prix  était  ordinairement  un  trépied  ,  qne  les  vainqueurs  consa- 
craient dans  quelque  temple  3  ou  dans  un  édifice  élevé  à  ce  dessein. 
On  lit  dans  la  chronique  de  S.'  Eusèbe  que,  dès  la  XCVI.e  Olym-       Concours 

..,..,,  ,  |         .  i  .»  entre les  joueurs 

piaoe  ,  il   avait  ete  ouvert  un  concours  pour  les  joueurs  de  cor  et  les     œhuirumens 
hérauts  ,  et    que    les    conourrens    montaient   tour-à-tour   à  cet  effet  et  e*  l6,autf* 
sur  un  autel  ,  qui  était  dressé  à  l'entrée  du  stade.  Pollux  parle  d'une  . 
inscription    qu'on   voyait   au   bas  de  la  statue   d'un    certain    Archias, 
qui  avait  remporté  le  prix  aux  jeux  Olympiques  :   cette  inscription  si- 
gnifiait:  JVe  jouant  pas  du  cor,  et  n'ayant  pas  la  corde  au  cou  , 
parce  que   les    hérauts   portaient    autour  du  cou   une  corde    dont   ils 
avaient  soin  ,  selon  Saumaîse  ,  de  se  serrer  la  gorge  avant  d'emboucher 
le  cor  ,  afin  d'empêcher  qu'il  ne   leur  crevât  quelque  veine  dans   les 
efforts  qu'ils  fesaient  pour,  en  tirer  les  sons  les  plus  torts.  C'est  pour- 
quoi Winckelraann  croit  qne  l'éloge  donné  à  l'héraut,  dans  l'inscrip- 
tion que  nous  venons  de  rapporter,  était  ,  dans  un  concours  ouvert 
aux   jeux    Olympiques  à  qui   ferait   le   plus  de  bruit  ,  de  l'avoir  rem- 
porté sur  ses   rivaux    par  sa  voix  seule,  sans  avoir  besoin   de    cor  ni 
de  corde.   Les  simples  concours   pour   le   prix  de   la   poésie  et  de    la       „ 

1  L  l  1  Concours 

musique  vocale  et  instrumentale,  sans  chœurs,  se  fesaient  à  l'Odéon  (  r).   entre  tes  poètes, 
Elien  rapporte  que  ,  dans   la    XCLe  Olympiade,    Euripide    et  Xé- 
noclès    disputèrent    entr'enx    le    prix    du    drame.    Selon     Athénée  , 
Cléomène  entra  en   liée  aux  jeux  Olympiques ,  pour  réciter  quelques 
vers  p^P^'nrai  d'Euipé.Jocie.  Mais  ces  exercices  avaient  particulière- 
ment  lieu  aux  jeux   Py  hiques  ,  qui   se   célébraient    près  de  D-l plies. 
Ou   y  représentait    le  combat    d' Apollon    avec    le  serpent   Python; 
et  le  chant  y  était  divisé  en  cinq   parties,    et  accompagné  du    son 
des  flûtes.  Ce  combat  y  était    encore   figuré   par  une    daine,  qui   se       cw<™« 
divisait  également  en  cinq   parties.    Dans   la   première,   Apollon  me-  pour  La  duaie- 
surait  de   Pceil   l'ennemi   qu'il   allait    atiqner;    dans  la    seconde,  il 
provoquait   le   monstre;    <\\n*   la    troisième    il   engageait    le  combat, 
durant  lequel  le  mètre  i ambiguë  exprimait  le  son  éclatant  des  trorn- 

(i)  Les  poètes  et  les  chanteurs  disputaient  à  la  fois  le  prix  du  chant 
et  de  la  musique  ifistrumenlale  ;  et  pour  cela  ils  s'accompagnaient  de  la 
iyre.  Hésiode  fut  vaincu  ,  dit-on  ,  dans  les  jeux  Pyihiques  ,  pour  n'avoir  pas 
bien  su  jouer  de  cet  instrument, 


5 1 6  Religion 

pettes ,  et  le  grincement  des  dents  du  monstre  blessé  par  les  flèches 
du  Dieu;  dans  la  quatrième ,  le  mètre  spondaique  qui  accompagnait 
les  libations  et  les  sacrifices  annonçait  la  victoire  d'Apollon;  enfin 
dans  la  cinquième  ,  l'action  se  terminait  par  une  danse  gaie,  où  le 
Dieu  était  représenté  dansant  lui-même,  en  mémoire  du  triomphe  qu'il 
Concours      avait  remporté  (i).  Il  y  avait  aussi  des  concours  littéraires  de    tout 

littéraires.  _  .         1.    ,  . 

genre.  Corgias  Leontin  ,  au  rapport  de  Philostrate,  fut  le  premier 
qui  s'annonça  pour  improviser  des  discours  en  public,  sur  quelque 
sujet  que  ce  put  être  ;  et  Suidas  nous  apprend  qu'Hérodote  se  ren- 
dit célèbre  aux  jeux  Olympiques,  par  la  lecture  qu'il  y  fit  des 
neuf  livres  de    son  Histoire.  Delphes  s   Gorinthe  et  Olympie  étaient 

CYâCpZnur°eu.r  *e  tnéatre  d'un  semblable  concours  pour  la  peinture.  Ce  fut  aux 
jeux  Olympiques,  selon  Lucien,  que  se  présenta  iEtion ,  peintre 
fameux  ,  avec  son  tableau  des  noces  d'Alexandre  et  de  Roxane.  Les 
juges  prononcèrent  en  sa  faveur;  et  pour  comble  d'honneur,  Pro- 
xénidas,  qui  présidait  au  concours,  ajouta  aux  autres  prix  la  main 
de  sa  fille  qui  était  à  côté  de  lui,  et  dont  on  admirait  les  charmes. 

ourTnbTauiè  ^n  disputait  aussi  du  prix  de  la  beauté  dans  les  jeux  publics  , 
comme  l'indique  ce  passage  du  XIII.e  livre  d'Athénée  :  Je  n'ignore 
pas  non  plus  le  concours ,  qui  fut  anciennement  ouvert  à  la  beauté 
des  femmes,  par  le  Cypselus  qui  fonda  une  ville  sur  les  bords  de 
V  Alphée.  Quelques  Parrashiens.  qui  vinrent  s'y  fixer  ,  ayant  consacré 
un  bois  et  un  autel  à  Cérès  Eleusine  ,  voulurent  qu'on  célébrai  en 
son  honneur  une  fête ,  où  les  femmes  disputeraient  du  prix  de  la 
beauté  ,  qui  fut  décerné  d'abord  à  Vêpuusc  du  même  Cypselus.  Ce 
concours  a  lieu  encore  de  nos  jours  ,  et  les  femmes  qui  s'y  pré- 
sentent s'appellent   Chrysophones  (a).    Mais  nous  n'en    finirions  pas 

(i)  V.  Jul.  Scaliger.  Poetices  liv.  I.  chap.  XXIII.  et  Pollux  liv.  VI. 
chap.  X.  sect.  V. 

(2)  Plusieurs  écrivains  parlent  de  ce  concours  ,  comme  on  peut  le 
voir  dans  Winckelmann  ,  Storia  délie  arti  del  disegno.  T.  I.  p.  242  et 
suiv.  ,  et  dans  Mengs  ,  qui  s'exprime  ainsi  à  cet  égard  à  la  pag.  96  de 
son  premier  volume.  On  pourrq.it  citer  une  foule  d'exemples  du  cas  que 
cette  nation  délicate  f es  ait  de  la  beauté  ;  mais  qu'il  nous  suffise  de  sa- 
voir que  ,  dès  les  premiers  tems  ,  il  y  avait  à  Elide  un  concours  ou  les 
femmes  se  disputaient  cette  prérogative  ,  et  des  juges  qui  décernaient  le 
prix  à  la  plus  belle.  Des  concours  semblables  étaient  ouverts  à  Sparte , 
à  Naxos  et  autres  lieux.  Les  concurrentes  devaient  exposer  leurs  mé- 
rites devant  des  peintres  et  des  sculpteurs ,  qui  étaient  les  juges  compétent 


de   la   Grège.  5 17 

si  nous  voulions  faire  mention  de  tous  les  genres  d'exercices  qui 
avaient  lieu  dans  les  jeux  de  la  Grèce  ,  et  surtout  si  la  pudeur  nous 
permettait  d'entrer  dans  les  bosquets  et  dans  les  retraites  du  Gnide9 
où  la  volupté  môme  avait  ses  concours,  ses  lois  et  ses    prix  (1). 

Les  jeux  athlétiques  datent  d'une  époque  très-ancienne  :  car  Antiquité, 
dès  l'origine  des  sociétés,  les  hommes  durent  voir  combieu  les  exer-  athiJguts. 
cices  du  corps  pouvaient  contribuer  à  leur  santé  ,  au  développemet 
de  leurs  membres  et  de  leurs  forces ,  et  accroître  leurs  moyens  d'at- 
taque et  de  défense  à  la  guerre.  Dans  le  XXIII.6  livre  de  l'Iliade  ,. 
où  l'on  trouve  la  description  des  jeux  qu'Achille  fit  célébrer  à  la 
mort  de  Patrocle,  il  est  dit  que  Nestor  avait  combattu  dans  sa  jeu- 
nesse aux  exercices  que  les  Epéens  donnèrent  à  Buprase  ,  à  l'occa- 
sion des  funérailles  de  leur  Roi  Amarincée.  Il  paraîtrait,  d'après 
cela,  que  ces  jeux  furent  consacrés  par  la  religion  dès  l'origine  de 
leur  institution.  La  politique  s'en  servit  ensuite  comme  d'un  moyen 
d'émulation,  propre  à  inspirer  le  goût  des  beaux  arts,  et  à  réunir 
par  un  sentiment  commun  d'honneur  national  les  divers  peuples  de 
la  Grèce  ,  qui  était    divisée  en    états  ,    dont    chacun  ,  comme  nous 

en  matière  de  ce  genre;  et  ces  juges  avaient  sous  les  yeux  les  plus  heauoù 
modèles  pour  leur  servir  de  règle  dans  cet  examen.  Anacréon  dit ,  que 
la  Nature  ayant  épuisé  tous  ses  trésors  dans  la  formation  de  V homme 
et  des  autres  animaux  ,  auxquels  elle  a  départi  la  force  ,  l'intelligence  , 
V 'agilité,  ,  f.f.  autres  qualités  précieuses  ,  et  n ayant  plus  rien  à  donner  à 
la  femme  ,  elle  lui  Jîû  présent  Je  la  beauté,   qui  vaut  mieux  seule,  que 

tout  ce  qu'elle    a    accordé    à    l'homme Knfin    ce    peuple  galant 

porta  la  délicatesse  du  sentiment  à  cet  égard,  jusqu'à  imaginer  que  les 
âmes  renfermées  dans  de  beaux  corps  avaient  beaucoup  plus  de  peine 
à  s'en  séparer,  que  celles  qui  habitaient  dans  des  corps  mal  conformés  : 
et  qu  elles  n'en  sortaient  que  par  une  gradation  insensible  ,  comme 
pour  les  laisser  endormis  dans  un  sommeil  doux  et  paisible.  Philostrat. 
Icon.  liv.  I.  chap.  IV.  M.r  Errante  ,  peintre  renommé  ,  a  représenté  le  con- 
cours de  la  beauté  dans  un  grand  tableau  qu'il  a  fait  pour  M.r  le  Comte 
Sommariva  :  ouvrage  qui  se  voit  maintenant  dans  la  belle  maison  de  cam- 
pagne ,  que  M/  Sommariva  possséde  sur  le  lac  de  Como  ,  et  qu'on  peut 
regarder  comme  un  temple  consacré  aux  beaux  arts.  Voyez  l'épitre  qui  a 
été  publiée  à  ce  sujet  en  1807  à  Milan  par  l'Imprimerie  des  éditeurs  des 
Classiques  Italiens. 

(i)  A  la  fête  d'Apollon  de  Philésie  ,  qui  se  célébrait  à  Mégare  prés 
du  tombeau  de  Dioclés  ,  on  donnait  un  prix  à  quiconque  savait  imprimer 
le  baiser  le  plus  âoux.Suidas  ,  Antholog.  liv,  VI.  c.  VIII,  Athén.  liv.  XUI, 


5 1 8  Religion 

l'avons  déjà  observé  ,  avait  ses  lois  et  9es  gouvernemens  differens. 
Mais,  dans  le  nombre  de  ces  exercices  publics  ,  les  jeux  Pythiques , 
Néméens  ,  hthmiques  et  Olympiques  méritent  une  attention  parti- 
culière. L'origine  de  tous  ces  jeux  est  encore  enveloppée  d'épaisses 
ténèbres  ;  et  ce  serait  se  perdre  en  vaines  conjectures,  que  de  vou- 

jeMrPydiiques.  loir  remonter  aux  époques  de  leur  institution.  Les  jeux  Pythiques 
se  célébraient  près  de  Del  pbes  ,  et  en  l'honneur  d'Apollon  ,  qui ,  se- 
lon Ovide,  en  fut  l'instituteur.  Ils  avaient  lieu  tous  les  quatre  ans: 
on  y  disputait  le  prix  dans  des  exercices  analogues  aux  attributs 
de  ce  Dieu,  tels  que  le  chant,  la  musique  instrumentale  et  la 
danse  ;  et  l'on  y  ajouta  dans  la  suite  des  combats  d'athlètes.  Les 
vainqueurs  y  recevaient  pour  prix  quelques  pommes,  que  l'on  con- 
sacrait d'abord  à  Apollon;  mais  Pindare  nous  apprend  qu'on  leur 
y  donnait  aussi  des  couronnes  de  branches   de  laurier  cueillies    sur 

Jeux  Néméens.  le  Parnasse.  Les  jeux  Néméens  se  célébraient  tous  les  trois  ans  à 
Némée.  Les  Gymnasiarques  ou  présidens  devaint  être  citoyens  de  Co- 
rinthe,  d'Argos  ou  de  Gléon  ;  ils  y  paraissaient  en  habits  de  deuil , 
en  mémoire  d'Ofelte ,  appelé  aussi  A  relie  more,  lequel  était  fils 
de  Lycurgue  ,  et  qui  fut  tué  par  un  serpent,  étant  encore  enfant. 
Les  vainqueurs  devaient  également  être  en  deuil  ;  le  prix  qu'ils  y 
recevaient  était  une  couronne  yVache ,  herbe  qu'on  croyait  être  née 
du  sang  d'Arehemore ,  et  par  conséquent  consacrée  aux  cérémo- 
nies des  funérailles.  Les  jeux  fsthmiques  avaient  pris  ce  nom  de 
Jeux  l'Isthme  de  Corinthe  où  on    les  célébrait.   On    prétend   qu'ils   furent 

bHwuqus.  jurtitoéa  par  Glaucus,  en  l'honneur  <)o  Palômon  appelé  aus,i  M  di- 
certe;  mais  qu'étant  tombés  dans  l'oubli,  ils  furent  renouvelles  par 
Théf-ée  en  l'honneur  de  Neptune.  Il  était  défendu  aux  Eléens  d'in- 
tervenir à  ces  jeux  ,  à  cause  des  imprécations  lancées  contre  eux 
par  Molioue  épouse  d'Actor.  On  y  donnait  aux  vainqueurs  une  cou- 
ronne de  pin  ,  qui  fut  changée  dans  la  suite  en  une  couronne 
«Tache  ,  comme  aux  jeux  Néméens  ,  avec  cette  différence  que  Tache 
devait  être  sèrhe  dans  ceux-ci  ,  et  verte  dans  les  autres.  Voyez 
Pausanias,  liv.  1er  des  Corinthiens. 
Jeux  Mais,  de  tous  ces  jeux,  les  plus  célèbres  étaient  les  Olympiques , 

ympiques.  ^^  ^^_  allons  nous  entretenir  particulièrement.  Il  parait,  d'après 
Pausanias,  que  les  Eléens  eux-mêmes  n'étaient  pas  d'accord  sur 
l'origine  de  ces  jeux.  Selon  l'opinion  la  plus  commune,  l'Hercule 
d'Ida  passait  pour  en  être  l'auteur:  c'était  une  tradition  reçue 
chez  les  Eléens,  qu'aussitôt  après  la  naissance  de  Jupiter  en  Elide  > 


de    la    Grèce.  5 19 

époque  à  laquelle  Saturne  avait  déjà  un  temple  à  Olympie,  sa 
rnère  Rhée  confia  le  soin  de  son  éducation  à  cinq  Dactyles,  qu'elle 
avait  fait  venir  pour  cela  de  Crète  en  Elide.  Hercule,  l'aîné 
d'entr'eux  ,  institua  une  course,  dans  laquelle  il  proposa  pour  prix 
uue  couronne  d'olivier.  Il  y  fut  vainqueur  lui-même ,  et  donna  à 
ces  jeux  le  nom  d'Olympiques,  dont  il  voulut  que  la  célébra- 
tion se  fît  tous  les  cinq  ans,  parce  que  ces  Dactyles  étaient  cinq 
frères.  Sfrabon  rejette  ce  récit  comme  fabuleux  ,  et  croit  que 
l'institution  des  jeux  Olympiques  est  postérieure  à  Homère,  en  ce 
que  ce  poète  n'en  fait  jamais  mention.  Quelle  que  soit  leur  ori- 
gine ,  nous  savons  qu'ils  étaient  suspendus  du  teins  de  Pélops ,  lequel 
les  renouvella  en  l'honneur  de  Jupiter.  Après  Pélops  ils  tombèrent 
de  nouveau  dans  l'oubli ,  jusqu'à  Iphytus  contemporain  de  Licur- 
gue  le  législateur.  La  Grèce  était  alors  en  proie  aux  guerres  civi- 
les, et  désolée  par  la  peste.  Iphytus  ayant  consulté  l'oracle  de  Del- 
phes sur  le  moyen  de  remédier  à  ces  terribles  calamités,  en  reçut 
pour  réponse  qu'il  fallait  rétablir  les  jeux  Olympiques.  Il  est  aisé 
de  reconnaître,  dans  cette  réponse,  la  sagesse  et  la  politique  de  ce- 
lui qui  l'obtint:  car  l'unique  moyen  de  réunir  les  factions  de  la 
Grèce,  plus  dangereuses  encore  que  la  peste,  était  sans  contredit 
d'en  détourner  les  esprits  par  la  magnificence  des  spectacles  ,  et 
de  faire  naître  en  eux  l'émulation  et  le  désir  de  la  gloire.  Iphy- 
tus rétablit  en  effet  ces  jeux  vers  l'an  884  avant  l'ère  vulgaire. 
Jasius  de  Tégée  y  remporta  la  victoire  (1)^  et  dès  lors  il  fut 
résolu  qu'on  les  célébrerait  lous  les  quatre  ans:  intervalle  de  tems 
qui  a  donné  naissance  à  la  période  Olympiade.  Mais  ce  ne  fut 
qu'à  la  XXVIII.6  Olympiade  après  la  restauration  d'Iphyîus,  en- 
viron 776  ans  avant  l'ère  vulgaire  ,  qu'on  commença  à  inscrire  les 
noms  des  vainqueurs  sur  des  registres  publics.  Cette  Olympiade  fut 
considérée  pour  cette  raison  comme  la  première  ;  et  c'est  de  cette 
époque  que  les  Grecs  firent  dater  leur  ère  et  leurs  calculs  chronologi- 
ques. On  l'appelle  communément  l'Olympiade  de  Chorèbe ,  parce 
que  ,  selon  Eusèbe  et  les  marbres  de  Paros  }  ce  citoyen  d'Elée  y 
remporta  le  prix  de  la  course  9  la  troisième  année  de  l'Archontat 
d'Eschile. 

(1)  Phlegontis  Tralliani  de  Olympiis  fragm,  ex  éd.  Meursii ,  in 
collectione  operum  ,  êom.  VII.  pag.  12.S.  Eusebii  Chronic.  lib,  I.  Pausan. 
libh   VIII,  }  cap.   XLVIII. 


et  règlement 
dam  les  jeux 
Olympiques. 


02,0  Religion 

Jufs  Les  jeux  Olympiques    se    célébraient    au    solstice    d'été    de   la 

première  année  de  chaque  Olympiade,  et  duraient  cinq  jours.  Ou 
en  fesait  l'ouverture  par  un  grand  sacrifice  à  Jupiter,  et  l'on  y 
observait  le  même  ordre  que  dans  ceux  dont  nous  avons  parlé  plus 
haut.  Ils  étaient  présidés  par  des  juges  appelés  Hellanodices ,  dont  le 
nombre  a  varié  selon  les  tems,  jusqu'à  la  CVIII.e.  Olympiade  qu'il  fut 
fixé  à  dix  ,  nombre  qui  était  encore  le  même  du  tems  de  Pausanias. 
On  pouvait  néanmoins  appeler  de  leurs  décisions  au  sénat  d'Olyrn- 
pie,  par  qui  elles  étaient  quelquefois  annulées  (i).  Le  rang  des 
athlètes  et  leur  disposition  par  couples  y  étaient  tirés  au  sort.  A 
cet  effet,  on  mettait  dans  une  urne  d'argent,  consacrée  à  Jupiter 
de  petites  boules  de  la  grosseur  d'une  fève  ,  dont  deux  portaient  la 
lettre  A  ,  deux  la  lettre  B,  deux  la  lettre  G,  et  ainsi  de  suite  se- 
lon l'alphabet  Grec,  et  le  nombre  de  ceux  qui  s'étaient  présentés 
pour  combattre.  Après  avoir  fait  leur  prière  à  Jupiter,  les  athlètes 
tiraient  chacun  une  de  ces  boules.  Il  leur  était  défendu  de  regar- 
der la  lettre  qu'elle  portait.  Il  y  avait  près  de  l'urne  un  héraut 
tenant  une  baguette  à  la  main,  pour  en  frapper  ceux  qui  auraient 
enfreint  cette  défense.  Un  des  Hellanodices  ,  qu'on  appel  lait  Ali- 
tarque  ,  prenait  la  boule  des  mains  des  athlètes,  qui  se  rangeaient 
successivement  en  cercle  autour  de  lui;  et  après  l'avoir  examinée, 
il  mettait  ensemble  ceux  qui  avaient  tiré  la  même  lettre.  Si  le 
nombre  des  athlètes  était  impair,  celui  dont  la  lettre  n'était  point 
accompagnée  ,  devait  combattre  contre  le  vainqueur:  circonstance 
qui  lui  était  favorable,  en  ce  qu'il  n'avait  a/Taire  qu'à  un  homme 
déjà  fatigué,  tandis  qu'il  était  encore,  lui ,  dans  la  plénitude  de  ses 
forces.  Le  sort  réglait  également  le  lieu  que  les  concurrens  pour  la 
course  devaient  prendre  dans  la  file  qu'ils  formaient  au  point  d'où 

(i)  Hérodote,  Euterp.  liv.  IL  §.  i55  ,  rapporte  que  les  Eléens  com- 
muniquèrent,  par  le  moyen  de  leurs  ambassadeurs,  à  Psammis  Roi  d'E- 
gypte ,  les  réglemens  qu'ils  avaient  établis  pour  les  jeux  Olympiques  ,  dans 
la  persuasion  où  ils  étaient  que  les  Egyptiens  ,  qui  passaient  pour  le  plus 
sage  des  peuples,  n'en  pourraient  faire  de  meilleurs.  Les  juges  à  l'exa- 
men desquels  ces  réglemens  furent  soumis  par  l'ordre  de  Psammis  ,  de- 
mandèrent aux  ambassadeurs,  si  les  Eléens  étaient  aussi  admis  à  concou- 
rir dans  ces  jeux.  Sur  la  réponse  affirmative  des  ambassadeurs  ,  les  juges 
déclarèrent  que  cette  circonstance  était  contraire  à  toutes  les  lois  de  l'équi- 
té ,  parce  qu'il  était  impossible  qu'ils  ne  favorisassent  pas  leurs  concitoyens 
au  dépens  des  autres  Grecs. 


de   la   Grèce.  5a r 

ils  devaient  partir.  Outre  les  Hellanodices  il  y  avait  d'autres  ma- 
gistrats et  des  officiers  inférieurs  :  sur  quoi  l'on  peut  consulter  YJgo 
nostique  de  Du  Faur.  Le  premier  d'entr'eux  était  le  Gymnasiar- 
que  ,  qui  avait  une  autorité  absolue  pour  ce  qui  concernait  la  police 
des  gymnases ,  et  l'ordre  à  observer  parmi  les  athlètes.  Il  portait  en 
signe  de  son  autorité  le  sceptre  ou  la  lance;  et  Pausanias  donne  à 
entendre,    qu'il  était  même  revêtu  du   sacerdoce  (i). 

La  première  condition  qu'on  exigeait  de  ceux  qui  se    présen-      Condition 

^  ,.  1      •  ^,  •  ,        .  ,-,       n  pour  ëire  admit 

taient  pour  entrer  en  lice  aux  jeux  Olympiques ,  était  qu  ils  tussent  ««  concours. 
Grecs  d'origine  ,  c'est-à-dire  descendans  d'Eole  ,  de  Dorus  ou  de  Cutus 
fils  d'Hellenus,  et  petit-fils  de  Deucalion.  Alexandre  lui-même, 
quoique,  descendant  de  Péiée  et  d'Achille,  et  malgré  sa  dignité  de 
Roi  de  Macédoine  et  de  Général  des  Grecs ,  dut  se  soumettre  à  la 
preuve  de  l'Hellénisme  ,  avant  de  pouvoir  introduire  ses  chevaux  dans 
le  stade.  C'est  pourquoi  on  y  voyait  quelquefois  de  simples  citoyens 
disputer  le  prix  aux  plus  grands  Princes,  et  aux  Monarques  mê- 
me de  la  Macédoine  3  de  l'Egypte,  de  Syracuse  et  de  Séleucie. 
Chorèbe ,  au  dire  d'Athenée,  n'était  qu'un  cuisinier.  Les  Grecs 
ne  connurent  jamais  de  titre  au  dessus  de  celui  de  citoyen  de  la 
Grèce  et  d'homme  libre;  ils  regardaient  les  autres  peuples  comme 
des  barbares,  et  n'avaient  que  du  mépris  pour  les  vains  titres  de 
noblesse,  dont  quelques  individus  d'entr'eux  étaient  décorés.  Après 
cette  vérification  de  la  qualité  de  citoyen  ,  les  Hellanodices  requé- 
raient des  concurrens  la  preuve  d'avoir  fait  les  exercices  nécessaires  à 
la  profession  agonostique ,  d'être  en  état  de  paraître  en  lice  avec  hon- 
neur ( ù>)  ,  et  enfin  de  n'être  souillés  d'aucune  tache  d'infamie.  Les 
athlètes  devaient  justifier  de  toutes  ces  qualités  par  serment,  qu'ils 
prêtaient  dans  le  sénat  des  Eléens  devant  la  statue  de  Jupiter,  ap- 
pelé pour  cette  raison  opxioç ,    laquelle  tenait  un  foudre  dans    cha- 

(i)  Il  faut  voir  encore,  au  sujet  des  différens  magistrats  et  officiers 
<3es  Gymnases,  la  savante  Dissertation  de  M.r  Van-Dale,  de  Gymnasiarchis, 

(2)  Parmi  les  exercices  auxquels  les  athlètes  devaient  s'être  préala- 
blement livrés  j  était  celui  de  remuer  avec  la  houe  pendant  trente  jours 
l'arène  du  stade  ,  pour  renforcer  par  ce  travail  leurs  bras  et  leur  poitrine. 
(Test  à  cet  usage  que  fait  allusion  ce  passage  de  Festus  :  Rutrum  tenentis 
iuypnis  est  effigies  in  Capitolio ,  ephebi ,  more  Graecorum  ,  arenam 
rue  nuis  }  exercitationis  gratia.  Winckelmann  y  Monum  pag.  3o, ,  parle  de 
camées  et  de  médailles ,  où  l'on  voit  l'Amour  avec  la  houe  ,  idée  ,  dit-il , 
du  prélude  pour  la  palestre. 

Europe.  Fol.  1.  m 


5aa  Religion 

que  main  ,  pour  épouvanter  les  parjures.  Ils  étaient  également  obli- 
gés de  promettre  par  serment  de  s'abstenir   de    toute    supercherie  5 
et  de  tout  acte  de  brutalité  dans  les  jeux. 
Prix.  Le  cinquième  jour  on  distribuait    les   pris  aux  vainqueurs.    La 

cérémonie  commençait  par  de  pompeux  sacrifices  dans  un  bois  con- 
sacré à  Jupiter,  d'où  les  vainqueurs  une  palme  à  la  main  et  pré- 
cédés des  Hellanodices ,  se  rendaient  en  triomphe  au  théâtre  au 
milieu  des  applaudissemens  d'un  peuple  immense,  et  au  son  des 
flûtes.  Là  ,  on  entonnait  un  hymne  allusif  à  cette  pompeuse  cérémo- 
nie: ensuite  le  président  posait  sur  la  tète  des  champions  une  cou- 
ronne faite  avec  les  branches  d'un  obvier  sauvage,  qui  était  der- 
Hojmturs  rière  le  temple  de  Jupiter  (i).  Les  honneurs  qu'on  rendait  aux 
auxllYuqueurs  vainqueurs  dans  les  jeux  Olympiques  étaient  au  delà  de  tout  ce 
w'"mpiques.X  qu'on  peut  imaginer.  On  les  y  élevait  au  rang  des  Dieux  :  Palma- 
que  nobilis  ,  dit  Horace  ,  Terrarum  Dominos  evehit  ad  Deos.  Cicéron 
nous  apprend  que  le  prix  de  la  palme,  dans  les  jeux  Olympiques, 
était  plus  glorieux  ,  que  ne  l'ont  jamais  été  à  Rome  les  honneurs 
du  triomphe  ou  du  consulat.  Le  vainqueur  à  la  course  des  chars 
donnait  son  nom  à  l'Olympiade.  Les  vainqueurs  jouissaient  en  outre  de 
grands  privilèges.  On  leur  élevait  dans  le  stade  autant  de  statues 
qu'ils  avaient  remporté  de  victoires  ;  leur  nom  ainsi  que  celui  de 
leur  père  étaient  inscrits  dans  les  fastes  publics  (2,)  ,  et  les  poètes 
les  plus  célèbres  chantaient  leurs  louanges.  On  les  reconduisait  dans 
leur  patrie  sur  un  char  de  triomphe;  il  arrivait  même  quelquefois 
qu'on  les  fesait  entrer  dans  la  ville  par  une  brèche  faite  exprès 
dans  la  muraille,  comme  pour  indiquer,  selon  l'avis  de  Plutarque, 
qu'une  ville  qui  avait  d'aussi  vaillans  hommes  n'avait  pas  besoin  de 

(1)  Certains  passages ,  dans  les  anciens  auteurs,  donnent  à  présu- 
mer qu'on  distribuait  quelquefois  aux  vainqueurs  des  couronnes  de  lau- 
rier On  voit  même ,  par  les  monumens ,  qu'ils  recevaient  aussi  pour 
prix  des  vases  etc.  V.  Winckelmann ,  Millin  etc.  A  une  époque  an- 
térieure on  leur  donnait  des  trépieds  en  métal ,  des  chevaux  ,  des  ta- 
lents d'or  ,  des  taureaux ,  de  belles  esclaves  etc.  Voy.  le  XVIII.  livre  de 
ftliade. 

(q.~)  Il  n'y  a  pas  encore  long-tems  qu'on  voyait  à  Athènes  une  inscrip- 
tion, qui,  sans  doute,  avait  été  faite  par  ordre  du  peuple  en  honneur  d'un 
athlète  mort ,  lequel  y  était  qualifié  de  héros.  Euthyme  de  Locres  et  Théa- 
géne  de  Taso  ,  qui  avaient  été  vainqueurs  dans  les  jeux  Olympiques  ,  re- 
çurent les  honneurs  divins. 


de    la    Grège.  5a3 

remparts  (i).  A  Athènes  ,  une  loi  de  Solon  leur  accordait  une  gra- 
tification de  cinq  cents  drachmes  ,  et  dans  la  suite  ils  furent  en- 
tretenus dans  le  Prytanée  au  frais  du  trésor  public.  A  Sparte  ils 
avaient  le  droit  de  combattre  à  côté  du  Roi.  Leur  gloire  rejaillis- 
sait même  jnsques  sur  la  ville  où  ils  avaient  pris  naissance:  aussi 
vit-on  des  villes  montrer  le  plus  grand  désir,  que  quelqu'un  de 
ces  vainqueurs  voulût  s'en  déclarer  citoyen.  Parmi  le  grand  nombre 
d'exemples  qu'on  pourrait  en  donner,  nous  nous  contenterons  du  sui- 
vant. Denis  ,  tyran  de  Syracuse,  voulait  engager ,  pour  une  somme  con- 
sidérable, le  père  d'un  vainqueur  aux  jeux  Olympiques  à  se  déclarer 
citoyen  de  Syracuse;  mais  le  jeune  homme  dédaignant  l'or  du  tyran, 
s'écria  qu'il  était  de  Milet,  et  fit  graver  sous  sa  statue  cette  inscrip- 
tion :  Antipatro  ,  fils  de  Clinopatro  ,  Milésien  ,  le  premier  d'entre  les- 
Ioniens ,  remporta  la  palme  aux  jeux  Olympiques.  Il  y  avait  en  con-  Maures 
séquence  dans  chaque  ville  un  lieu  d'exercices,  auquel  présidaient  de  gymnastique 
les  citoyens  les  plus  distingués ,  et  où  venaient  se  former  les  athlètes. 
Tyrtée,  poète  célèbre,  et  plus  célèbre  encore  pour  avoir  obtenu 
des  Spartiates  le  commandement  dans  la  guerre  contre  les  Messé- 
niens,  n'était  qu'un  simple  maître  de  gymnastique  à  Athènes.  Le 
même  motif  avait  fait  également  décerner  des  prix  aux  jeunes  garçons 
et  même  aux  en-fans  ,  comme  L'attestaient  diverses  statues ,  parmi  le 
grand  nombre  de  celles  qui  fesaient  l'ornement  d'Olympie  (a).  Les 
statues  des  athlètes  étaient  ordinairement  ce  qu'il  y  avait  de  plus 
Jjeau  en  ouvrages  de  sculpture:  car  outre  la    force    et   l'agilité  que 

(i)  Nobiïibus  Atldebis  ,  qui  Olympia  ,  Pythia  ,  Isthmia  ,  Nemaea 
vicissent ,  Graecorum  majores  ita  magnos  honores  constituerunt ,  uti 
non  modo  in  conventu  s  tantes  cum  palma  et  corona  ferant  Laudes  ,  sed 
etiam  cum  revertuntur  in  suas  civïtates  cum  Victoria  ,  triumphantes 
tjuadrigis  in  moenia  et  in  patrias  invehantur.  Vitruve  liv.  IX.  Praef. 
init.  S.1  Jean  Chrysostôme  dit,  Homèl.  jo  ad  Antioch. ,  que  l'athlète 
vainqueur  était  précédé  dans  son  triomphe  de  torches  allumées. 

(2)  Selon  Pausanias  ,  les  prix  pour  la  lutte  et  la  course  des  enfans 
furent  établis  dans  la  XXXVU  e  Olympiade  ;  on  leur  accorda  encore  dans 
la  suite  ceux  du  pugilat,  du  pancrace  et  du  pentathle  Mais  par  une  loi 
des  Eléens,  le  pugilat  et  le  pancrace  leur  furent  défendus,  peut-être 
parce  que  ces  deux  exercices  violens  exposaient  leurs  corps  encore  tendres 
à  de  trop  grands  périls  ,  ou  parce  qu'ils  leur  donnaient  une  vigueur  pré- 
maturée, qui,  selon  Aristote,  les  énervait,  et  ne  leur  laissait  qu'un  tem- 
péramment  faible  dans  la  jeunesse  et  l'âge  viril. 


5a4  Religion 

eet  exercice  donnait  à  toutes  les  parties  du  corps ,  il  eu  dévelop- 
pait encore  et  en  perfectionnait  les  formes.  Aussi  les  artistes  pou- 
vaient-ils choisir  les  plus  beaux  modèles  de  leur  art  dans  les  jeux 
Olympiques  (i). 

p^tno'stTue  ^  ^aut  conver,ir  pourtant  que  l'agonostique  était   bien    déchue 

de  son  auoienne  splendeur  du  teins  d'Euripide  ,  car  ce  poète  parle 
des  athlètes  d'une  manière  bien  désavantageuse  dans  une  pièce  sa- 
tyrique  intitulée  hixôlvxoç  ■zpsro^  dont  Galenus  et  Athénée  nous  ont 

des  athlètes,  conservé  le  fragment  suivant.  «  Parmi  les  maux  infinis  qui  régnent 
'<  en  Grèce,  dit-il,  il  n'en  est  pas  de  plus  funeste  que  le  métier 
«  d'athlète.  D'abord  ces  sortes  de  gens  sont  incapables  de  mener 
«  une  vie  honnête.  Et  en  effet ,  comment  un  homme  qui  n'écoute 
«  que  son  intempérance  ,  et  s'est  rendu  l'esclave  de  son  ventre  ,  se 
«  déterminerait-il  à  travailler  pour  procurer  la  subsistance  à  sa 
«  famille?  Ces  athlètes  sont  du  reste  incapables  de  supporter  la  pau- 
«  vreté  ,  et  de  se  soumettre  aux  caprices  de  la  fortune:  le  man- 
«  que  de  bonnes  mœurs  fait  qu'ils  changent  difficilement  de  ca- 
«  ractère,  même  dans  l'adversité.  Tant  qu'ils  sont  jeunes,  l'éclat  de 
«  leur  renommée  soutient  l'opinion  qui  les  fait  admirer    comme  le 

(i)  Les  athlètes  ne  mangeaient  guères  que  de  la  -viande  de  bœuf  ou 
de  cochon  rôtie  ,  du  fromage  et  du  pain  sans  levain  ;  et  la  qualité  de 
cette  nourritute ,  jointe  à  la  vie  sobre  qu'ils  menaient  avant  d'entrer  en 
lice,  devait  singulièrement  contribuer  à  les  rendre  robustes.  C'est  cette  so- 
briété qui  leur  a  fait  donner  par  S,1  Paul ,  et  par  quelques  pères  de  l'église 
l'épithéte  d'abstinentes.  Mais  hors  des  gymnases ,  ces  athlètes  fesaient 
pompe  au  contraire  d'une  espèce  de  gloutonnerie.  Galenus  dit  qu'un  athlète 
passait  pour  être  frugal,  quand  il  n'avait  mangé  que  deux  livres  de  viande, 
et  du  pain  en  proportion.  L'assertion  de  cet  auteur  à  cet  égard  rend  pro- 
bables les  différens  récits  qu'on  a  faits  de  l'appétit  dévorant  des  athlètes. 
Le  fameux  Milon  de  Grotone  se  contentait  à  peine  de  vingt  livres  de 
viande,  d'une  même  quantité  de  pain,  et  de  trois  congés  ou  mesures  de 
vin ,  qui  fesaient  quinze  pintes  ,  pour  son  repas.  Tout  le  monde  sait  qu'un 
jour  il  porta  sur  ses  épaules  dans  toute  la  longueur  du  stade  un  taureau 
de  quatre  ans,  et  qu'après  l'avoir  assommé  d'un  coup  de  poing,  il  le  man- 
gea tout  entier  dans  un  jour.  Cette  énorme  quantité  de  nourriture  tenait 
les  athlètes  dans  un  état  presque  continuel  d'assoupissement ,  et  Platon  dit 
qu'en  effet  ils  passaient  toute  leur  vie  à  dormir.  Galenus,  après  avoir  ob- 
servé q\iun  gros  ventre  ne  va  jamais  avec  un  esprit  subtil ,  dit  ailleurs 
que  les  athlètes,  uniquemunt  occupés  de  leur  ventre,  s'aperçoivent  à 
peine  d'avoir  une  âme  ,  et  semblent  ignorer  qu'elle  soit  douée  de  raison, 


de   la   Grèce,  5a5 

«  plus  bel  ornement  de  la  patrie.    Mais    lorsqu'ils   sont  vieux ,  ils 

«  ressemblent  à  un  habit  usé  qui  montre  la  corde Je  ne  puis 

«  par  conséquent  approuver  ces  nombreuses  assemblées ,  qui  ont  pour 
«  but  de  donner  de  l'éclat  à  ces  frivoles  amusemens  .  .  . ,  Et  en  effet , 
«  qu'un  homme  soit  habile  à  la  lutte,  léger  à  la  course,  qu'il 
«  sache  lancer  un  disque,  appliquer  un  coup  vigoureux  sur  la  joue 
«  de  son  adversaire,  de  quelle  utilité  la  couronne  qu'il  s'est  ac- 
«  quise  dans  ces  exercices  peut-elle  être  à  la  patrie  ?  Repoussera-t-il 
«  l'ennemi  avec  son  disque,  ou  le  mettra-t-il  en  fuite  par  sa  vi- 
«  tesse  à  la  course,  armé  d'un  bouclier?  „  (r).  Plutarque  compare 
les  athlètes  aux  colonnes  des  gymnases,  moins  par  les  qualités  du 
corps,  que  par  celles  de  l'esprit;  et  il  déclare  même  que  rien  n'a 
plus  contribué  à  énerver  et  à  dégrader  les  Grecs  3  que  leur  goût  pour 
la  gymnastique,  qui  les  avait  rendus  tellement  indifférens  pour  les 
exercices  militaires,  qu'ils  préféraient  le  titre  de  bon  athlète  à  celui 
de  vaillant  soldat  (a).  Enfin  Galenus  fesait  si  peu  de  cas  de  la  gym- 
nastique,  qu'il  refusait  de  la  mettre  au  nombre  des  beaux  arts,  et 
lui  disputait  même  ce  nom,  en  alléguant  qu'elle  l'avait  usurpé,  pour 
en  imposer  plus  facilement  au  peuple  à  l'aide  de  ce  titre  spécieux  (3). 

Nous  pourrions  joindre  encore  à  ce  chapitre  plusieurs  autres  Course 
observations,  à  la  vérité  de  peu  d'importance,  et  qui  ne  donne- 
raient guères  plus  de  lumières  sur  le  sujet  dont  il  s'agit  M).  Nous 
le  terminerons  donc  par  la  description  de  la  planche  8/x ,  où  l'on 
voit  une  course  de  chars  représentée.  Cette  planche  est  prise  du 
1I.C  vol.  des  Peintures  des  vases  antiques  d'Hamilton,  édition  de 
Florence,  PI.  XXV11L,  et  nous  ne  ferons  que  rapporter  les  ex- 
pressions de  ce  savant  commentateur.  «  Ce  furent  trois  femmes,  dit- 
«  il ,  qui  remportèrent  le  prix  de  la  course  des  chars  dans  les  jeux 
«  Olympiques,  savoir  ,  Eurilconide,  Telistica  et  Cinisca.  Les  deux 
«  premières  ne  concoururent  point  en  personne,  leurs  chars  étaient 

(i)  In  Protreptico  ,  chap.  X,,  et  Deipnos.  Liv.  X.  chap.  II. 

(2)  De  tuend.  valetudine. 

(3)  Ad  Thrasybul.  chap    XXXVI. 

(4)  Ceux  qui  désireraient  voir  cette  matière  traitée  plus  amplement 
pourront,  outre  les  ouvrages  que  nous  venons  de  citer,  consulter  les 
Dissertations  de  Burette  et  de  Belley  dans  les  I.er  et  IH.e  tomes  de 
l'histoire  de  Y  Académie  Pioyale  des  inscriptions  et  belles  lettres  ,  ainsi 
que  celles  de  Gédoyn  ,  de  la  Barre  et  Banier ,  ibid.  torn.  IX.  ,  et  de 
Villoison  ibid.  tom.  XXXV  Ht, 


des  char*' 


5a6  Religion 

«  abandonnés  aux  deux  chevaux  dont  ils  étaient  attelés.  La  plan- 
«  che  représente  donc  la  troisième,  qui  guide  elle-même  un  qua- 
rt drige  (i).  C'était  la  sœur  du  grand  Agesilas.  Flatté  de  l'estime 
«  particulière  que  les  Grecs  montraient  pour  ceux  qui  entretenaient 
«  des  chevaux  destinés  à  ce  genre  d'exercice  ,  il  engagea  sa  sœur 
«  à  monter  sur  un  char  pour  disputer  le  prix.  Elle  le  gagna;  et 
«  en  mémoire  de  cette  victoire,  les  Spartiates  lui  élevèrent  un  mo- 
rt nument  près  de  la  promenade  publique,  dans  le  bosquet  des  pla- 
«  tanes  (a).  Cette  princesse  consacra  à  Jupiter  Olympien  des  chevaux 
«  de  bronze,  que  Pausauias  dit  avoir  vus  sous  le  portique  du  tem- 
«  pie  d'Olympie;  ils  n'étaient  pas  de  grandeur  tout-à-fait  naturelle. 
<«  Valckenar,  dans  ses  notes  sur  la  XV.e  Idille  de  Théocrite  ,  cite 
«  une  épigramme  qui  fesait  allusion  à  ces  chevaux  de  bronze.  La 
«  colonne  indique  le  terme  de  la  carrière  (3).  Cinisca  l'a  dépassé, 
«  comme  l'annoncent  les  deux  branches  de  laurier,  dont  l'une  est 
«  sous  les  pieds  des  chevaux,  et  l'autre  au  dessus  des  mains  de  la 
«  Princesse.  Leur  disposition  exprime  clairement  l'objet  que  s'était 
«  proposé  Agesilas ,  qui  était  de  donner  à  entendre  à  ses  concitoyens , 
««  que  ces  succès,  dont  ils  s'enorgueillissaient  tant ,  ne  prouvaient  au- 
"  tre  chose  que  la  vitesse  des  chevaux,  et  l'habileté  de  leur  guide  (4). 

Religion  des  Grecs  modernes. 

Sainteté  Le  flambeau  de  l'évangile  brilla   dans  la  Grèce  avant  d'éclai- 

:  l'ancienne  _  ,  a 

ise  Grecque,  rer  l'Italie.  De  la  chaire  de  S.  Pierre,  qui  s'éleva  d'abord  à  An- 
tioche  ,  sa  lumière  se  propagea  dans  tout  le  Levant.  On  ne  peut 
imaginer  rien  de  plus  grand  ni  de  plus  vénérable  dans  les  premiers 
siècles  de  l'ère  Chrétienne  que  l'église  Grecque  ,  qui  eut  pour  fon- 
dateurs les  Apôtres  mômes ,  et  pour  soutiens  les  Basiles  ,  les  Grégoires  , 
les  Chrysostômes  et  autres  Pères,  dont  les  noms  sont  célèbres  dans  les 
fastes  de  la  religion.  Mais  l'église  Grecque  ne  tarda  pas  à  éprouver 
les  revers,  qui  amenèrent  insensiblement  la  ruine  de  l'état  politique. 


(1)  Plutar.  Apoph.  Laconic.  Paus.  1  C.  On  voit  dans  quelques  monu- 
mens  les  chars  attelés  de  plus  de  quatre  chevaux.  Saintnon  ,  dans  son  grand 
voyage   des  deux  Siciles  ,  en  rapporte  un  qui  est  attelé  de  vingt  chevaux. 

(2)  Paus.  Laconic.  cliap.   XV. 
(5)  Paus.  Eliac.  liv.  V.  chap.  XV. 

(4)  Plut.  Apoph.  Lacon.  tom.  VI.  pag.  746,  èdit.  Reisk. 


de  la  Grecs.  62,7 

En  proie  pendant  long-tems  aux  systèmes  et  aux  disputes  de  ses 
philosophes,  la  Grèce  trouva  enfin  dans  la  morale  de  l'évangile  ce 
que  ces  philosophes  avaient  cherché  vainement.  Mais  l'esprit  de 
controverse,  rebelle  au  joug  de  la  foi  et  aux  vérités  de  l'évangile, 
s'efforça  d'accorder,  avec  les  dogmes  du  Christianisme,  l'ancienne  doc- 
trine des  deux  principes,  c'est-à-dire  du  bon  et  du  mauvais  génie: 
erreur  à  laquelle  les  Grecs  n'ont  j'amais  renoncé  (i),  et  qui  a  été  Les  Grecs 
chez  eux  la  source  d'une  foule  d'hérésies  et  de  sectes,  dont  l'aveu-  du  merveilleux. 
glement  a  perpétué  dans  leur  église  le  goût  du  merveilleux  et  de  la 
fable.  L'histoire  des  Empereurs,  qui,  depuis  Constantin  s'occupèrent 
plus  de  disputes  théologiques  que  d'affaires  politiques,  n'est  à  pro- 
prement parler  que  l'histoire  des  guerres  civiles  et  des  troubles,  qui 
déchirèrent  l'église  Grecque  jusqu'à  son  entière  scission  de  l'église 
Latine.  L'orgueil  des  Patriarches  de  Constantinople ,  qui  s'étaient 
arrogé  le  titre  fastueux  d'Evêques  universels,  l'ignorance  qui  allait 
toujours  croissant  chez  les  Grecs,  la  subtilité  ridicule  de  leurs  dispu- 
tes,  leur  jalousie  et  leur  vanité,  le  mépris  qu'ils  fesaient  des  Latins , 
voilà  quelles  fuient  les  premières  causes  de  cette    funeste    division. 

Ce  ne  fut  néanmoins  que  vers  le  milieu  dû  lX.e  siècle  que  Sckhme 
fut  arboré  l'étendard  du  schisme  par  Phocius,  qui,  quoique  laïc  , 
avait  été  élu  Patriarche  de  Constantinople  le  jour  de  noel  de  l'an 
858.  En  six  jours  il  reçut  tous  les  ordres,  fruit  de  sa  lâche  adula- 
tion envers  l'Empereur  Michel  III,  homme  faible,  ignorant  et  vi- 
cieux, qui  avait  déposé  et  exilé  le  Patriarche  Ignace  ,  pour  se  ven- 
ger des  reproches  que  lui  fesait  ce  vertueux  prélat  sur  le  scandale 
de  sa  vie.  Phocius  joignait  l'art  de  la  dissimulation  et  de  l'hypo- 
crisie la  plus  rafinée  à  beaucoup  d'esprit  et  de  connaissances ,  que 
relevait  encore  en  lui  le  talent  de  l'éloquence.  Il  poussa  la  té- 
mérité jusqu'à  lancer  une  excommunication  contre  le  Pape,  et  à  le 
faire  déposer  dans  un  conciliabule  qu'il  tint  à  Constantinople  en 
866.  Il  prit  alors  le  titre  de  Patriarche  œcuménique ,  et  déclara 
hérétiques  tous  les  Evèques  de  l'église  d'occident,  qui  resteraient 
en  communion  avec  le  siège  de    Rome  (&).  Mais  d'un  côté  la  mo- 

(i)  Guys,  Voy.  litter.  de  la  Grèce.  Tom.  I.  Lettr.  XI. 

(2)  Fleury,  Hist.  Eccles.  H  ne  faut  pas  ajouter  foi  à  l'histoire  du 
schisme  des  Grecs  _,  qu'on  trouve  dans  l'ancienne  Encyclopédie  ,  attendu 
qu'elle  est  l'ouvrage  d'un  incrédule  célèbre ,  qui  n'a  jamais  respecté  les 
vérités  de  l'église  ,  et  n'a  laissé  échapper  aucune  occasion  de  la  calom- 
nier. Encycl.  met.   Théologie.  Tom.  IL  pag   127. 


de  Phocius 


Schisme 
de  Cerularius. 


Croisades. 


Tentatives 
de  Michel 
Palèologue 

pour 
la  réunion. 


Concile 
e  Florence. 


5a8  Relicio» 

dération  des  Papes,  et  de  l'autre  l'intérêt  des  Empereurs  d'orient 
avaient  empêché  que  le  schisme  n'eût  son  entier  effet:  ce  qui  n'ar- 
riva que  vers  le  milieu  du  XI.e  siècle.  Michel  Cerularius,  élu  Patriar- 
che de  Constant inople  sous  le  règne  de  Constantin  Monomacus  et 
le  Pontificat  de  Léon  IX,  fît  aux  Latins  un  sujet  d'inculpation 
de  la  célébration  de  l'Eucharistie  avec  le  pain  azime ,  du  jeûne 
du  samedi  3  de  la  communion  avec  les  Juifs,  et  de  plusieurs  au- 
tres erreurs  supposées.  Le  Pape  répondit ,  et  accusa  à  son  tour 
les  Grecs  d'hérésie,  en  justifiant  l'église  Latine.  Il  envoya  même  à 
Constantinople  quelques  légats,  qui  excommunièrent  le  Patriarche. 
Celui-ci  riposta  par  un  anathême  qu'il  lança  contre  les  légats.  De- 
venu enfin  redoutable  aux  Empereurs  même,  Isaac  Comnène  le  dé- 
posa et  l'envoya  en  exil  ,  où  il  mourut  de  chagrin  l'an    io5q. 

Vers  la  fin  du  XI.e  siècle  commencèrent  les  croisades ,  qui 
envenimèrent  encore  davantage  la  haine  des  Grecs  contre  les  La- 
tins. Ces  derniers  s'étant  emparés  de  Constantinople  mirent  à  la 
tète  de  cette  église  des  prélats  Latins.  Les  Grecs  transportèrent  à 
Nicée  le  siège  de  leurs  Patriarches.  L'Empereur  Michel  Paléolo- 
gue  ayant  repris  cette  ville  en  1260  ,  tenta  de  rétablir  l'union 
avec  l'église  Romaine.  A  cet  effet  il  envoya  des  ambassadeurs 
au  second  Concile  de  Lyon ,  qui  se  tint  en  12.74.  ^s  ambassa- 
deurs présentèrent  une  profession  de  foi  telle  que  le  Pape  la  vou- 
lait, avec  une  lettre  de  vingt-six  Métropolitains  de  l'Asie,  portant 
leur  adhésion  aux  articles  ,  qui  avaient  été  jusqu'alors  la  cause  de 
la  scission  des  deux  églises.  Mais  le  clergé  et  les  moines  de  la  com- 
munion Grecque  paralysèrent  les  efforts  de  l'Empereur.  À  cette 
époque  les  Turcs  s'avançaient  dans  l'Asie  mineure ,  et  poussaient 
l'empire  des  Grecs  vers  sa  ruine.  D^jà  ils  menaçaient  Constantino- 
ple ,  lorsque  l'Empereur  Jean  Paléologue  ,  peut-être  dans  la  seule 
vue  d'obtenir  du  secours  des  Latins,  vint  en  Italie  aveo  le  Patriar- 
che Joseph  et  plusieurs  Evèques  Grecs.  Ils  assista  avec  eux  au  Con- 
cile de  Florence,  qui  eut  lieu  l'an  1^9  sous  Eugène  IV  ,  et  signa 
la  même  profession  de  foi  avec  les  Latins.  Mais  comme  cette  réu- 
nion n'était  qu'une  conséquence  d'intérêts  politiques  ,  elle  n'eut  pas 
l'effet  qu'on  en  attendait.  Le  reste  du  clergé,  les  moines  et  le  peu- 
ple protestèrent  contre  ce  qui  s'était  fait  à  Florence  ,  et  plusieurs 
des  Evêques  même,  qui  avaient  souscrit  à  la  réunion  ,  se  retractèrent. 
Les  Grecs,  toujours  mutins  et  ennemis  des  Latins,  aimèrent  mieux 
subir  le  joug  des  Turcs  que  de  se  réunir  aux  premiers.  Mahomet  II 


de   la    Grèce.  5zg 

s'étant  rendu  maître  de  Gonstantinople  en  i453,  détruisit  totalement 
l'empire  des  Grecs.  Le  Turc  a  laissé  aux  Grecs  le  libre  exercice  Etat 
de  leur  religion;  mais  le  Patriarche  et  les  Evèques  ne  peuvent  met-  toLïesTwet: 
tre  le  pied  sur  leur  juridiction,  qu'au  moyen  d'une  permission  du  Grand 
Seigneur,  qu'ils  n'obtiennent  qu'au  poids  de  l'or:  faveur  des  effets  de 
laquelle  l'insatiable  avarice  des  ministres  de  la  Porte  ne  manque  pas 
de  les  frustrer,  toutes  les  fois  qu'il  se  présente  quelqu'un  pour  l'ache- 
ter à  plus  haut  prix.  Les  Grecs  gémissent  maintenant  dans  les  fers 
d'un  esclavage  réel ,  et  pourtant  l'ignorance  et  la  misère  où  est  plongé 
le  clergé,  semblent  ajouter  encore  à  leur  antipathie  et  à  leur  haine 
contre  l'église  Romaine.  Laissant  à  part  les  nombreuses  dissensions 
qui  ont  agité  l'église  Grecque,  ainsi  que  les  diverses  sectes  de  Grecs 
sidiismatiques  qui  se  sont  propagées  en  Asie,  en  Afrique,  en  Rus- 
sie et  ailleurs,  et  qui  ne  diffèrent  entr'elles  que  par  quelques  cir- 
constances accidentelles  ,  nous  nous  bornerons  à  exposer  en  peu  de 
mots  les  dogmes  qui  sont  regardés  comme  propres  aux  Grecs  schis- 
matîqpes,  après  quoi  nous  parlerous  des  cérémonies  et  des  rites 
particuliers  à  l'église  Grecque  (i). 

(i)  On  comprend  ,  sous  le  nom  A" église  Grecque,  non  seulement  cette 
partie  de  la  Chrétienté  ,  qui  fait  usage  du  grec  littéral  dans  sa  liturgie, 
mais  encore  les  églises  où  le  culte  se  célèbre  en  langue  esclavonne,  quoi- 
qu'elles aient  toujours  conservé  les  coutumes  et  la  discipline  de  l'église 
Grecque  proprement  dite.  Parmi  les  Chrétiens  des  rites  Grec  et  Esclavon  , 
il  en  est,  et  c'est  le  plus  petit  nombre,  qui  reconnaissent  l'autorité  du 
Pape,  et  qu'on  appelle  pour  cela  Grecs  unis.  Ceux  du  rite  esclavon  se 
trouvent  dans  les  états  de  la  maison  d'Autriche,  en  Prusse,  en  Russie, 
et  surtout  dans  les  pays  qui  composaient  anciennement  la  Pologne.  Les 
Catholiques  du  rite  Grec  proprement  dit,  sont  répandus  dans  l'orient, 
dans  la  Turquie  Européenne  ,  et  même  en  Italie  ,  particulièrement  dans 
certaines  contrées  du  royaume  de  Naples.  Les  Grecs  de  l'Italie  ont  un 
Archevêque  ,  qui  réside  à  Rome  dans  le  collège  de  S.*  Athanase.  La  Corse 
a  aussi  une  colonie  Grecque  Catholique  ,  sur  laquelle  Saussin  ,  l'abbé  de 
Germanes  et  autres  écrivains  nous  ont  donné  des  notions  intéressantes. 
Cette  colonie  est  le  reste  des  Lacédémoniens  ,  de  ces  braves  Maniottes  ; 
dont  six  cent,  obligés  de  céder  aux  forces  Ottomannes  qu'ils  avaient  vail- 
lamment combattues,  abandonnèrent  leur  terre  natale  et  se  réfugièrent 
à  Gêne-,  en  1676.  La  république  de  Gênes  leur  donna  un  asile  en  Corse  , 
et  leur  y  procura  du  bétail  et  des  instrumens  d'agriculture  ,  à  l'aide  des- 
quels leurs  descendons  sont  parvenus,  à  fertiliser  les  plaines  de  Vico  prés 
d'Ajaccio.  En   1776,  c'est-à-dire  un    siècle    après    leur    établissement }    iU 

Europe.   Vol,  1.  ,3 


53o  Religion 

Pour  ce  qui  est  des  dogmes,  nous  allons  rapporter  le  cata- 
logue qu'en  a  donné  Caur.us  gentilhomme  Vénitien  et  Archevêque 
de  Corfou  (i),  en  l'accompagnant  cependant  d'observations,  mi- 
ses au  bas  de  la  page,  qui  nous  ont  paru  nécessaires  pour  éclaircîr, 
modifier  et  quelquefois  même  rectifier  les  opinions  de  ce  prélat  , 
Dogme»       dans  les  endroits  où  il  nous  a  semblé  s'écarter  de  la  vérité.  i.°  Les 

des   Grecs         .-,  ,   -,  i  ,  •  t  t  t 

sthumatiqu.es.  Grecs  schismatiques  baptisent  de  nouveau  les  Latins  qui  entrent 
dans  leur  communion  (a).  z.°  Ils  diffèrent  l'administration  du  bap- 
tême jusqu'à  l'âge  de  trois,  quatre,  cinq  et  même  dix-huit  ans  (3). 
3.°  Ils  n'admettent  point  au  nombre  des  sept  sacremens  la  confir- 
mation ni  l'extrême-onction  (4).  4°  ^s   n,ent  l©  purgatoire,   quoi?. 

étaient  au  nombre  d'environ  huit  cent  cinquante  individus.  Ils  consacrent 
avec  le  pain  fermenté,  baptisent  par  immersion,  et  suivent  la  liturgie  de 
S.1  Basile  dans  leurs  fêtes  solennelles,  et  dans  les  autres  celle  de  S.1  Jean. 
Chrysostôme.  Leurs  prêtres  portent  la  barbe  et  sont  mariés.  Grégoire , 
Hist.  des  sectes  Religieuses  ,  Paris,  18 14  ,  Toni.  IL  pag.  270  et  suiv. 
Les  Grecs  proprement  dits,  c'est-à-dire  les  Grecs  de  la  Turquie  Europénne, 
sont  généralement  schismatiques  ,  et  reconnaissent  le  Patriarche  de  Cons- 
tantinople  pour  leur  chef. 

(1)  Ce  catalogue  fut  envoyé  par  Caucus  à  Grégoire  XIII  Souverain 
Pontife.  V.  Picart.  Cérémonies  ,  eu  Coutumes  Religieuses  de  tous  les  peu- 
ples du  Monde.  Tom.  III.  pag.  28  et  suiv.  Nous  avons  cru  devoir  nous 
en  tenir  à  ce  catalogue  ,  comme  le  plus  sévère  ,  et  par  conséquent  le 
moins  susceptible  de  partialité.  On  verra  ,  par  les  notes  dont  nous  l'ac- 
compagneront ,  qu'il  n'y  a  pas  une  grande  différence  entre  la  croyance 
des  Latins  et  celle  des  Grecs  schismatiques. 

(2)  L'assertion  de  Caucus  à  cet  égard  est  trop  générale.  Le  renouvel- 
lement du  baptême  des  Latins  n'a  pas  toujours  lieu  chez  les  Grecs.  De 
l'aveu  des  Grecs  eux-mêmes ,  et  d'après  le  témoignage  d'écrivains  dignes 
de  foi,  ce  renouvellement  est  moins  l'effet  d'une  maxime  ou  de  la  croyance 
commune  ,  que  du  caprice  des  Papas  ,  et  de  leur  haine  contre  les  Latins. 

(3)  Les  Grecs  schismatiques  semblent  regarder  comme  sacrilèges  tou- 
tes les  cérémonies  religieuses  des  Latins.  C'est  peut-être  aussi  pour  cela  qu'ils 
condannent  également  leur  Messe  ,  et  qu'ils  ont  soin  de  laver  leurs  au- 
tels lorsqu'un  prêtre  Latin   y  a  célébré. 

(4)  Il  ne  parait  pas  bien  avéré  que  les  Grecs  n'admettent  pas  la 
confirmation  et  l'extrême-onction  au  nombre  des  sacremens.  La  différence 
des  cérémonies  et  du  tems  où  les  Grecs  administrent  ces  deux  sacremens 
est  peut-être  ce  qui  a  induit  Caucus  en  erreur  à  cet  égard.  Il  n'y  a  rien 
de  certain  en  cela,  si  ce  n'est ,  qu'à  la  différence  des  Latins,  ils  donnent 
la  confirmation   aussitôt  après  le  baptême ,  comme  cela  s'est  toujours  pra- 


de   tÀ    Grèce.  53i 

gae  priant  pour  les  morts.  5.°  Ils  ne  reconnaissent  nullement  la  su- 
prématie du  Souverain  Pontife  >  et  nient  conséquemment  que  l'église 
Romaine  soit  la  véritable  église  Catholique  ;  et  ils  excommunient  tous 
les  ans  au  jeudi  Saint ,  le  Pape  et  les  Evoques  Latins.  6.°  Ils  nient  que 
le  Saint-Esprit  procède  du  Père  et  du  Fils:  néanmoins  ils  croient  à 
la  divinité  du  Saint-Esprit,  et  administrent  le  baptême  au  nom  des  trois 
personnes;  mais  dans  le  signe  de  la  Croix  ils  portent  la  main  de  droite 
à  gauche.  f.°  Ils  ne  reconnaissent  point  la  présence  du  Saint  Sa- 
crament  dans  la  Messe  des  prêtres  Latins,  qui  consacrent  avec  le 
pain  azime ,  selon  l'ancien  usage  de  l'église  Romaine,  qui  a  été 
confirmé  par  le  Concile  de  Florence.  8.°  Ils  prétendent  que  les  pa- 
roles,  dans  lesquelles  les  Latins  font  consister  leur  consécration, 
ne  suffisent  pas  pour  opérer  la  transubstantiation  ,  et  qu'il  faut  pour 
cela  y  ajouter  d'autres  paroles  ,  et  des  bénédictions  prescrittes  par 
les  Pères.  9.0  Ils  soutiennent  qu'on  doit  communier  les  en  fans  sous 
les  deux  espèces,  quoiqu'ils  ne  puissent  encore  avoir  aucune  idée 
de  la  sainteté  du  sacrement:  c'est  pourquoi  ils  leur  donnent  la  com- 
munion aussitôt  après  le  baptême,  et  accusent  d'hérésie  les  Latins 
qui  sont  d'une  opinion  contraire  ;  ils  prétendent  en  outre  qu'il  est 
d'institution  divine  d'administrer  aux  laïcs  la  communion  sous  les 
deux  espèces.  io.°  Ils  disent  que  les  fidèles  une  fois  parvenus  à 
l'âge  de  raison  ,  ne  peuvent  plus  être  obligés  à  faire  tous  les  ans  la 
communion  à  Pâques,  et  que  toute  liberté  de  conscience  doit  leur 
être  laissée  à  cet  égard.  n.°  Ils  ne  montrent  aucune  vénération 
ni  aucun  respect  pour  l'hostie  consacrée  non  seulement  lorsqu'ils 
la  portent  aux  malades,  mais  même  pendant  le  sacrifice  divin;  ils 
la  mettent  dans  une  espèce  de  bourse,  ou  datas  une  petite  boîte 
qu'ils  suspendent  à  un  mur,  tandis  qu'ils  allument  des  lampes  de- 
vant leurs  images  (c).   12.0  Ils  croient  que  l'hostie  consacrée  le  jeudi 

tiqué  dans  l'église  d'orient.  Aussi  est-ce  pour  cela  que  chez  les  Grecs , 
les  simples  prêtres  ont  le  pouvoir  de  donner  la  confirmation.  Il  est  cer- 
tain également  qu'ils  n'attendent  pas  les  derniers  instans  de  la  vie  pour 
recevoir  l'extrême-onction  ;  les  malades  viennent  la  demander  eux-mêmes 
à  l'église  ,  croyant  que  S.1  Jacques  dans  son  Epitre  parle  des  malades  ,  et 
non  de  ceux  qui  sont  à  l'article  de  la  mort.  Nous  tenons  même  de  quel- 
ques Grecs  très-dignes  de  foi ,  que  nous  avons  consultés  sur  ce  point ,  qu'ils 
mettent  la  confirmation  et  l'extrême-onction  au  nombre  des  sacremens. 
(1)  Il  parait  reconnu  aujourd'hui  que  les  Grecs  admettent  la  Tran- 
ssubstantiation dans  l'eucharistie.  Cela  est  attesté  par  la  plupart    des  écri- 


53a  Religion 

saint  a  plus  de  mérite  que  celles  qui  le  sont  les  autres  jours.  i3.* 
Ils  nient  l'indissolubilité  du  mariage  ,  et  le  rompent  en  effet  pour 
des  prétextes  quelquefois  frivoles;  ils  taxent  par  conséquent  d'er- 
reur l'église  Romaine,  dans  laquelle  le  mariage  fie  peut  être  dis- 
sous, pas  même  pour  cause  d'adultère.  i^.°  Us  condamnent  comme 
sacrilège  le  mariage  en  quatrièmes  noces.  i5.°  Ils  ne  célèbrent  point 
les  fêtes  de  la  Vierge,  des  Apôtres  ni  des  autres  Saints  les  jours 
qu'elles  le  sont  dans  l'église  Catholique,  et  rejettent  le  culte  de 
plusieurs  Saints  quoique  très-ancien;  ils  réprouvent  le  culte  des 
images  en  statues  ou  en  bas  reliefs,  tout  en  exposant  dans  leurs, 
églises  des  tableaux  de  Saints,  et  autres  peintures  sacrées.  16. °  Ils 
nient  que  l'usure  soit  un  péché  mortel.  17.0  ils  ne  comptent  pas 
le  sous-Diaconat  an  nombre  des  ordres  supérieurs.  18.0  Ils  ne  re- 
connaissent les  Conciles  œcuméniques  que  jusqu'au  septième,  qui 
est  le  second  de  Nicée  ,  lequel  fut  convoqué  contre  les  adversaires 
du  culte  des  images.   19. °  lis   nient    que    la    confession    auriculaire 


vains  catholiques  et  protestans.  «  M.r  Smith,  protestant  de  l'église  An- 
ce  glicane  ,  (  Picart  ,  ibicl.  pag.  42  ) ,  après  avoir  voyagé  en  Grèce  ,  a 
«  écrit  une  lettre  sur  Y  état  actuel  de  l'église  Grecque  ,  dans  laquelle 
«  il  n'a  pu  s'empêcher  de  convenir  ,  que  la  Transubstantiation  est  re- 
«  connue  par  les  Grecs,  et  même  que  dans  une  confession  de  foi  pu- 
«  bliée  depuis  peu  au  nom  de  toute  l'église  Grecque  ,  le  mot  (xerovaioatç  , 
«  qui  répond  au  mot  Latin  Transnbs  tan  tiatio  ,  est  employé.  Voici  com- 
«  ment  est  conçue  cette  confession.  «  A  peine  le  prêtre  a  récité  la  prière  , 
appelée  l'invocation  du  Saint-Esprit ,  que  s'opère  la  Transubstantiation  j 
que  le  pain  devient  le  vrai  corps  de  Jésus  Christ,  et  le  vin  son  vrai  sang'% 
et  qu'à  la  place  de  ces  deux  substances ,  il  ne  reste  que  les  espèces  ou 
la  simple  apparence.  Quant  à  l'adoration  de  l'Eucharistie  ,  quelques  pro- 
testans prétendent  que  le  culte  des  Grecs  se  rapporte  moins  aux  espèces 
consacrées,  qu'à  Jésus  Christ  qui  est  au  ciel.  Mais  Gabriel,  Archevêque  de 
Philadelphie  ,  dans  un  livre  qu'il  a  écrit  sur  cette  matière  contre  les  La- 
tins ,  lève  toute  espèce  de  doute  sur  l'adoration  de  l'Eucharistie  par  les 
Grecs.  Il  établit  deux  cultes  dans  le  sacrifice  de  la  Messe.  Le  premier 
n'est  qu'une  simple  vénération  qui  se  rend  au  pain  et  au  vin  ,  lorsque 
ces  deux  espèces  ne  sont  encore  que  bénies.  Mais  le  second  ,  qui  a  lieu 
après  la  consécration  ,  est  une  véritable  adoration.  Le  même  prélat  indique 
même  le  tems  où  se  fait  la  dernière  et  la  véritable  adoration,  qui  est  l'instant 
de  la  consécration  des  espèces,  et  celui  où  le  prêtre,  se  présentant  à  la 
porte  du  sanctuaire  crie  £.  tous  les  fidèles  de  s'approcher  avec  foi ,  amour 
et  respect. 


D£   la   Grèce.  533 

soit  de  précepte  divin  ,  et  prétendent  qu'elle  n'est  que  de  droit  posi- 
tif ou  ecclésiastique.  Ils  donnent  par  conséquent  aux  laïcs  la  commu- 
nion ,  sans  exiger  qu'ils  se  soient  confessés  auparavant,  leur  opinion 
étant  que  la  foi  est  la  vraie  et  la  seule  préparatiou  nécessaire  pour 
recevoir  l'Eucharistie  (i).  ao.°  Ils  n'admettent  point  le  jeûne  des  qua- 
tre tems  des  Latins  ,  ni  ceux  qu'observent  ces  derniers  la  veille  des 
fêtes  du  Seigneur,  de  la  Vierge  et  des  Apôtres,  ai.0  Ils  accusent 
les  Latins  d'hérésie  ,  parce  qu'ils  mangent  des  viandes  étouffées  et 
autres  mets  prohibés  par  l'Ancien  Testament.  Tels  sont ,  selon  Cau- 
cus,  les  points  de  doctrine  sur  lesquels  les  Grecs  diffèrent  des  La- 
tins. Nous  avons  laissé  de  côté  plusieurs  autres  articles  du  même 
auteur  ,  qui  sont  évidemment  controuvés  :  nous  avons  préféré  ce- 
pendant son  témoignage  à  celui  de  Léon  Allazius  et  autres  écri- 
vains ,  qui  nous  ont  paru  un  peu  trop  portés  à  concilier  les  deux 
communions. 

L'esprit  de  superstition,  qui  est  un  des  effets  nécessaires  de  Svpersiiiîom 
l'ignorance  des  peuples  et  de  leur  décadence,  se  fait  particulière-  moderne*. 
ment  remarquer  dans  l'attachement,  peut-être  opiniâtre ,  des  Grecs 
modernes  à  leurs  anciens  usages.  Nous  n'en  citerons  qu'un  seul  exem- 
ple :  ce  sont  certaines  fêtes  qu'ils  célèbrent  dans  les  champs,  et 
dont  les  cérémonies  rappellent  les  Bacchanales  des  anciens,  et 
îe  culte  religieux  qu'ils  rendaient  quelquefois  à  un  bosquet  ou 
à  une  fontaine  (a).  Ils  ont  encore  dans  des  cavernes  ,  ou  dans  des 
bois,  des  eaux  expiatoires  3  où  ils  vont  en  foule,  et  dont  ils  boivent 
avec  une  espèce  d'avidité  à  certains  jours  de  l'année  :  puis  ils  at- 
tachent aux  pierres  et  aux  arbres  près  de  ces  fontaines  des  mor- 
ceaux de  toile  où  d'étoffe  ,  en  reconnaissance  de  la  guéridon  qu'ils 
croient  y  avoir  trouvée.  Le  sort  tiré  par  un  enfant  est  le  présage 
certain  de  mille  événemens  heureux.    Le    pétillement  d'une    chan- 

(i)  L'assertion  de  Caucus  à  cet  égard  nous  parait  purement  gratuite. 
Peut-être  étend-il  à  toute  la  nation  ,  par  conjecture ,  une  erreur  particulière 
à  quelques  individus  ?  Peut-être  encore  suit-il  l'opinion  de  quelques  théo- 
logiens Calvinistes,  qui,  dans  le  désir  de  faire  voir  qu'il  existe  une  cer- 
taine conformité  de  foi  entre  leur  secte  et  les  Grecs  schismatiques  ,  attri- 
buent à  ces  derniers  leurs  propres  erreurs.  Ce  qu'il  y  a  de  certain  ,  c'est 
que  la  confession  auriculaire  se  trouve  établie  chez  les  Grecs  schismati- 
ques dés  les  tems  de  S.1  Basile.  V.  Cristoph.  Angel.  De  statu  hodierno 
Graecorum  ,  cap.   XXII. 

(2)  Guys.  J^ov.  Huer,  de  la  Grèce  ,  T.  I.  Lettr.  XL 


534  Religion 

délie  qui  brûle ,  annonce  l'arrivée  d'uue  personne  qu'on  attend 
avec  impatience  (i).  Les  mots  prononcés  au  hazard  ,  surtout  par 
les  enfans ,  sont  recueillis  cQmme  des  oracles.  Le  Grec  qui  craint 
une  disgrâce,  croit  pouvoir  s'en  préserver  en  se  crachant  sur  la 
poitrine.  S'il  veut  se  venger  de  quelqu'un  par  une  espèce  de  malé- 
diction ,  il  crache  contre  lui  (a).  S.'  Jean  Chrysostôme  parle  des 
sistres  et  des  fils  couleur  de  pourpre  que  les  Grecques  de  son  tems 
attachaient  aux  mains  de  leurs  enfans,  pour  les  préserver  de  tout 
accident  fâcheux  ;  il  parle  également  de  l'emploi  qu'elles  Pesaient 
de  la  boue,  des  bains,  des  cendres,  de  la  suie  et  autres  objets, 
pour  éloigner  d'eux  Vœiî  malfesant.  Les  Grecques  modernes  sus- 
pendent encore  aujourd'hui  au  cou  des  enfaus  une  gousse  d'ail,  un 
talisman  ou  quelqu'autre    amulette  (3)  pour  les  soustraire  à  cet  œil 

(i)  Cette  superstition  était  très-commune  chez  les  anciens.  Ovide  en 
fait  mention,  dans  son  épitre  de  Léandre  à  Héro  : 

Sternuit  et  lumen  (  posito  nam  scribimus  Mo  ) 

Sternuit ,  et  nobis  prospéra  signa  dédit. 
Ecce  merum  nutrix  faustos  instillât  in  ignés 

Crasque  erimus  pîures  ,  inquit  ;  et  ipsa  bibit. 

(2)  Thëophraste  ,  dans  ses  caractères  ,  nous  donne  une  idée  des  supers- 
titions des  anciens  Grecs.  //  a  la  faiblesse ,  dit  Théophraste ,  de  purifier 
à  tout  moment  la  maison  où  il  habite.  Il  lui  répugne  de  s"1  asseoir  sur  un 
tombeau  _,  d'assister  aux  funérailles  et  d entrer  dans  la  chambre  d'une 
femme  qui  vient  d' accoucher  ;  lorsqu'il  a  fait  quelque  rêva  il  couru 
aussitôt  consulter  l'interprète  ....  enfin  s'il  voit  une  homme  attaqué 
d'èpilepsie  ,  il  tressaille  d'horreur ,  et  se  crache  sur  la  poitrine  pour 
écarter  de  lui  le  malheur ,  dont  il  se  croit  menacé  par  cette  rencontre. 
L'Empereur  Grec  Constant  II  avait  fait  équiper  une  flotte  pour  se  rendre 
en  Italie;  indigné  de  ce  que  le  peuple  de  Constantinople,  qui  s'était  sou- 
levé contre  lui  ,  ne  voulait  point  laisser  embarquer  avec  lui  ses  enfans 
et  l'Impératrice  ,  il  cracha  contre  la  ville  ,  et  fit  aussitôt  mettre  à  la  voile 
pour  aller  mourir  à  Syracuse.  Les  superstitions  rapportées  pas  Théophraste 
se  retrouvent  encore  chez  les  Grecs  actuels,  et  les  Papas  ont  conservé 
le  pieux  usage  des  purifications ,  qui  leur  est  très-lucratif. 

(5)  Cet  œil  malfesant ,  qui  est  l'Arimane  des  anciens  ,  est  un  dé- 
mon ennemi  de  tout  bien  ,  et  dont  le  seul  nom  fait  trembler  les  plus 
courageux.  Selon  les  Grecs ,  cet  esprit ,  ou  cette  puissance  invisible , 
s'afflige  de  la  prospérité  ,  gémit  des  bons  succès  ,  s'irrite  des  moissons 
abondantes  ,  de  la  fécondité  des  troupeaux  ,  et  va  même  jusqu'à  murmu- 
rer contre  le  ciel  de  la  beauté  et  des  grâces  d'une  jeune  fille.  D'après 
cette  opinion  ,  on  se  garde  bien  de  féliciter  un  père  d'avoir  de  jolis  en- 


de    la    Grèce.  53d 

malfesant.    Les    Grecs    de   nos   jours  n'ont  pas  moins  de    crédulité    Leur  •ré&uiuê 

,  .  '  ,  . .  .  dans  les  songes. 

que  les  anciens  dans  les  songes.  Ils  ont  pour  les  expliquer ,  certaines 
formules  qu'ils  tiennent  par  tradition  de  leurs  ancêtres,  et  qui 
sont  l'héritage  de  quelques  vieilles  femmes,  pour  qui  cet  art  n'est 
pas  une  ressource  médiocre  (i).  L'usage  du  serment  ne  leur  est  Serment. 
pas  moins  familier  qu'aux  anciens  Grecs.  Ils  en  font  pour  les  cho- 
ses les  plus  indifférentes:  ce  qui  a  fait  dire  à  Guys,  que  la  foi 
des  Grecs ,  à  bon  droit    sera    toujours    suspecte    (a).    Les    libations      LUsUom, 

fans.  ....  Tout  bâtiment  Grec  est  pourvu  d'une  gousse  d'ail  renfer- 
mèe  dans  un  petit  sac,  comme  un  préservatif  contre  les  tempêtes;  eu 
ce  petit  sac  est  suspendu  au  bâtiment ,  aussitôt  que  le  capitaine  ,  qui  eti 
est  le  propriétaire,  Va  épousé  en  y  attachant  une  couronne  de  laurier; 
Pouqueville  ,   Voy.  en  Morée.  Tom.  I.  chap.  XXV. 

(i)  La  cre'dulité  dans  les  songes  était  presque  générale  chez  les  an- 
ciens ,  et  l'on  connaît  assez  le  culte  qu'ils  rendaient  à  certaines  Déités 
appelées  DU  somnia tores.  Voyez  l'explication  des  songes  dans  le  Roman 
Grec  de  Théagène  et  Cariclée.  Quelques  vieilles  sibylles ,  quelques  sorciè- 
res décharnées ,  reste  impur  de  ces  magiciennes ,  dont  la  Thessalie  a 
toujours  eu  à  foison  sont  encore  en  possession ,  dans  toute  la  Morée  , 
du  droit  d' expliquer  les  songes  ,  d'interpréter  les  signes  ,  et  de  commen- 
ter tous  les  délires    de  Vimagination Il    est    aisé   de  juger    quel 

doit  être ,  sur  V esprit  ardent  des  femmes  Grecques  ,  l'empire  de  ces  mi- 
sérables aventurières ,  connues  parmi  nous  sous  le  nom  de  Bohémiennes 
ou  Egyptiennes.  Pouq.   ibid. 

(2)  Guys,  Voy.  etc.  Lett.  XXIII.  Pouqueville  (  ibid.  )  dit  qu'en 
Morée  ,  les  plus  hardis  ,  jurent  par  leur  âme  ,  et  par  la  tête  de  leurs 
enfans ,  mais  sans  jamais  oser  prononcer  le  nom  du  Diable.  S'ils  font 
contre  quelqu'un  cette  imprécation  ordinaire  ,  que  le  Diable  t'emporte  , 
ils  tournent  ainsi  leur  phrase  :  que  celui  qui  est  dehors  et  loin  d'ici 
t'emporte.  Cette  modification  ridicule  n'a  cependant  pas  lieu  dans  les 
églises,  où.  le  Diable  ne  peut  entrer.  Ainsi  dans  un  lieu  saint ,  continue 
le  même  voyageur,  j'ai  entendu  quelques  Papas  donner  leurs  ouailles 
au  Diable  ,  se  provoquer ,  s'injurier  avec  le  nom  du  Diable  toujours  dans 
la  bouche  ,  et  s'adresser  mutuellement  V imprécation  d'être  emportés  par 
celui,  dont  ils  dosaient  proférer  le  nom  hors  de  ces  mêmes  églises  .... 
Parmi  les  signes  de  malédiction  usités  des  Grecs ,  te  plus  terrible  est 
la  vue  des  cinq  doigts  en  même  tems.  Cet  usage  nous  explique  un  pas- 
sage de  V  Andria  de  Térence ,  où  un  personnage  dit,  en  Jesant  un  ges- 
te: Ecce  tibi  dono  quinque.  Le  nombre  de  cinq  passe  pour  être  de  si 
mauvais  augure,  qu'on  n'oserait  le  prononcer  dans  une  conversation  ^ 
sans  le  faire  précéder  d'une  excuse.  Il  ne  serait  guéres  facile  de  re-<. 
monter  à  l'origine  d'une  pareille  extravagance. 


536  Religion 

sont  encore  usitées  crez  eux.  M.r  Peysonel ,  Consul  Français  à 
Smyrne,  dans  une  lettre  qu'il  écrit  à  Guys  le  3  octobre  1768, 
dit  avoir  été  témoin  de  cette  cérémonie  à  l'occasion  de  la  mise  en 
mer  d'une  chaloupe  Grecque,  "  Avant  ,  dit-il,  de  mettre  la  main  à 
«  l'œuvre,  le  constructeur  fit  apporter  du  vin,  et  prenant  le  vase 
<t  il  en  arrosa  la  proue  de  la  chaloupe,  en  fesant  des  vœux  pour 
«  la  prospérité  du  voyage  et  du  propriétaire,  puis  il  but  et  fit 
«  boire  tous  les  assistans.  Je  vis  enfin  une  libation  dans  toute  les 
«  formes  „.  La  même  cérémonie  a  lieu  à  la  fin  des  banquets  et 
dans  les  convois  funèbres  (1). 

Il  résulte  de  tout  ce  que  nous  venons  de  dire:  premièrement, 
qu'à  l'exception  des  erreurs  de  dogme  sur  la  procession  du  Saint- 
Esprit ,  et  du  manque  de  soumission  au  Saint  Siège,  la  croyance 
des  Grecs  schismatiques  ne  diffère  pas  beaucoup  de  celle  des  La- 
Fwmarques  tins  et  des  Grecs  orthodoxes;  secondement,  que  l'aversion  des  pre- 
r°'ïe^GrtcT'  miers  pour  l'église  Latine,  vient  peut-être  uniquement  d'un  or- 
modcmes.  gUeji  invétéré,  et  d'une  jalousie  mal  entendue,  qui  a  peut-être  son 
origine  dans  l'arrogance  de  Photius  et  des  autres  Patriarches;  troi- 
sièmement ,  que  les  actes  de  superstition  dont  on  les  accuse,  doivent 
être  attribués  en  grande  partie  au  caractère  même  de  la  nation  , 
sur  qui  l'imagination  et  la  crédulité  exercent  toujours  le  même 
empire.  Ajoutons  à  cela,  qu'il  n'est  pas  de  peuple,  quelque  civi- 
lisé qu'il  soit,  qui  n'ait  ses  superstitions;  qu'il  est  même  certaines 
gens  du  vulgaire  ,  dans  la  communion  catholique,  chez  qui  l'on  voit 
encore  en  usage  des  pratiques  de  ce  genre,  et  qu'il  serait  témé- 
raire de  juger  de  tonte  une  uation  par  un  individu.  «  Du  reste, 
«  comme  l'observe  Guys  ,  ce  serait  mal  connaître  les  Grecs  que 
«  de  s'en  former  une  idée  en  prenant  à  la  lettre  ce  que  Tournefort 
«  et  autres  voyageurs  en  ont  rapporté,  attendu  qu'ils  ne  les  ont 
.  «  vus  de  près  que  dans  les  îles  de  l'Archipel,  où  régnent  une 
«  ignorance  et  une  pauvreté  ,  qui  n'ont  pu  que  leur  donner  une 
«  opinion  désavantageuse  du  reste  de  la  nation.  S'ils  les  avaient  ob- 
<i  serves  avec  plus  de  soin,  ils  en  auraient  conçu  nue  tonte  autre 
"  idée;  ils  auraient  trouvé  parmi  eux,  quoiqu'en  petit  nombre,  de 
«  saçes  Evêques,  des  prêtres  instruits,  et  des  hommes  de  goût  et 
a  de  génie.  J'ai  vu  chez  un  Grec  nommé  Dra go  ,  homme  riche 
«  et  éclairé  9  une  bibliothèque  choisie  „.  Quant    à  la  morale,    les 

(1)  Mémoir.  de  V Acad.  des  Inscriptions.  Tom,  I.  pag.  35 1. 


de    la    Grèce.  53? 

Grecs  suivent  tous  celle  du  Dé<;alogue  et  de  l'Evangile,  et  les  im- 
putations que  leur  fait  Caucus  à  cet  égard  sont  exagérées.  Aussi, 
le  Saint  Siège  ,  malgré  leur  schisme  ,  les  a-t-il  toujours  traités  comme 
enfans  de  l'Eglise,  m  me  depuis  le  Concile  de  Florence.  Paul  III 
appela  à  celui  de  Trente  les  Patriarches  Grecs.  On  lit  dans  l'his- 
toire de  Pallavie.ini,  que  les  Pères,  dans  une  session  de  ce  Concile  3 
déclarèrent  que  les  Grecs  devaient  être  considérés  comme  appelés, 
afin  que  leur  absence  ne  blessât  pas  l'universalité  des  décisions. 
Grégoire  XIII  leur  envoya  des  légats  comme  aux  Catholiques,  pour 
les  engager  à  recevoir  la    rectification   du  Calandrier  Romain  (i). 

Venons  maintenant  à  la  discipline  ecclésiastique  des  Grecs,  Discipline 
qui  n'offre  presque  d'autre  différence  entre  les  schismatiques  et 
les  unis  ,  sinon  que  chez  les  derniers  l'élection  des  Patriarches  et 
des  Evéques  est  faite  par  le  Pape,  et  que  la  simonie  est  portée  à 
l'excès  chez  les  Grecs  qui  sont  sujets  de  l'empire  Ottoman.  Le 
Patriarche  de  Constantinople  est  élu  à  la    pluralité  des  suffrages  dans       Election 

11  ~  du  Patriarche  g 

un  synode  composé  des  Archevêques  et  des  Evéques.  Mais  cette  rftî  Evéques 
élection,  la  plupart  du  tems  est  simoniaque,  attendu  que  ta  préfé- 
rence est  donnée  à  celui  d'entre  les  candidats,  qui  est  le  plus  gé- 
néreux envers  le  Grand  Seigneur:  ce  qui  fait  qu'il  n'est  pas  rare 
de  voir  plusieurs  Patriarches  en  même  tems  (a).  Le  Patriarche  doit 
en  outre  se  montrer  reconnaissant  envers  les  Prélats  qui  lui  ont 
donné  leurs  soutirages  ,  ce  dont  il  se  dédommage  ensuite  en  fesant 
des  Evéques }  qui,  à  leur  tour,  en  font  autant  avec  les  Papas  > 
auxquels  ils  vendent  les  ordres  sacrés  et  les  paroisses.  Les  Papas 
de  leur  côté,  qui   n'ont  ni  traitement  fixe  ni  casuel  (3),    se     récu- 

(i)  Grégoire }  Hisb.  des  sectes  Religieuses.  Tom.  II.  pag.  287,  et 
Àrcudius,  De  concordia   etc.   Liv.   IV.   ehap.   V.   tit.    i3. 

(2)  M.r  de  Nointel ,  ambassadeur  de  France  à  la  Porte ,  dit  qu'en  1671 
il  y  avait  quatre   Patriarches  vivans   De  la  Perpétuité  de  la  Foi,  Tom   111. 

(3)  Le  clergé,  (dit  Caucus  in  Hist.  de  Graecor.  erroribus ,  avec  qui  Pou- 
queville  et  autres  voyageurs  s'accordent),  est  forcé  de  vendre  les  mystères 
divins  dont  il  est  dépositaire.  Et  en  effet  ,  nul  ne  peut  être  admis  à  la 
confession  ,  recevoir  l'absolution,  faire  baptiser  ses  enfans  ,  se  marier  ,  ni 
obtenir  une  excommunication  contre  quelqu'un  ,  (  car  les  Papas  lancent 
l'anathème  pour  le  plus  léger  motif  ),  s'il  n'a  fait  auparavant  son  prix 
avec  les  Papas  ».  Enfin v la  cupidité  de  ces  ministres  envers  leurs  parois- 
siens est  poussée  au  point  ,  qu'ils  ne  jettent  pas  une  goûte  d'eau  bénite 
.sais  en   avoir  été  payés  d'avance. 

Europe.  Fol.  I.  S3 


Entretien 
eu  clersè- 


Mœurs 
des   Evêques, 


538  Relicio* 

pèlent  sur  le  bas  peuple,  auquel  ils  font  payer  l'administration 
des  sacremens.  Le  mariage  est  prohibé  aux  Patriarches  et  aux  Eve- 
ques ,  mais  il  est  permis  aux  prêtres  avant  leur  ordination,  d'après 
un  usage  antique  et  général  de  l'église  d'orient  (i).  Le  clergé  sécu- 
lier pour  l'entretien  desquels  l'église  Grecque  n'a  pas  de  fonds,  n'a 
d'autre  ressource  pour  vivre  que  dans  le  produit  des  taxes  et  la  li- 
béralité des  fidèles.  Chaque  paroisse  est  obligée  de  pourvoir  à  l'en- 
tretien de  son  curé  ;  ^t  à  cet  effet  chaque  famille  donne  un  tant 
par  an  en  argent  ou  en  denrées.  L'Evéque  tire  également  son  trai- 
tement d'une  imposition  sur  son  diocèse,  dont  il  tient,  ou  pour 
mieux  dire,  dont  il  achète  l'investiture  du  Pacha  ou  du  Vizir  qui 
gouverne  la  province.  La  simplicité  des  mœurs  et  du  logement  des 
Evêques  rappelle  celle  des  pasteurs  de  l'église  primitive.  "  Le  luxe, 
«  dit  Pouqueville,  ne  les  entoure  que  dans  les  cérémonies  du  culte. 
«  Sans  cesse  sous  la  surveillance  des  Turcs  qui  les  détestent  ,  ils 
"  sont  obligés,  lors  même  qu'ils  ne  s'en  feraient  pas  un  devoir, 
«  de  mener  une  vie  exempte  de  tout  reproche.  S'ils  perdaient  un© 
"  fois  l'estime  publique,  ce  serait  envahi  qu'ils  chercheraient  à 
«  recouvrer  la  bienveillance  des  Pachas  ,  dont  ils  ont  souvent  oc- 
«  casion  d'appaiser  la  colère.  On  les  voit  parcourir  leur  diocèse 
"  à  pied,  ou  montés  sur  un  âne,  la  crosse  en  main  ....  Empres- 
"  ses  non  seulement  à  consoler  leur  troupeau,  mais  encore  à  le  pro- 
«  téger  par  tous  les  moyens  qui  sont  en  leur  pouvoir,  ils  se  ren- 
«  dent  les  médiateurs  de  toutes    les    contestations  qu'il    convient  de 


(i)  Voici  ce  que  dit  Tournefort  au  sujet  du  mariage  des  prêtres  Grecs. 
«  Il  est  permis  aux  prêtres  de  se  marier  ,  mais  une  seule  fois  en  leur  vie  , 
et  pourvu  qu'ils  le  fassent  avant  leur  ordination.  A  cet  effet  ,  le  Diacre 
qui  est  dans  cette  intention  doit  déclarer  à  un  Papas  en  confession  ,  qu'il 

est  vierge,  et  qu'il  veut  se  marier  avec    une    vierge Après    avoir 

reçu  cette  déclaration  ,  le  confesseur  en  instruit  1  Evêque Le  Dia- 
cre est  marié  ,  et  reçoit  l'ordre  de  la  prêtrise;  mais  alors  il  ne  peut  plus 
contracter  un  second  mariage.  Aussi  a-t-on  soin  de  lui  donner  la  fille  la 
plus  belle  et  la  plus  robuste  du  pays  ,  et  dont  le  tempérament  promette 
une  longue  vie  ».  Mais  ccuk  qui  entrent  dans  les  ordres  sans  s'être  mariés 
gardent  toujours  le  célibat.  Le  peuple  qui  accorde  souvent  son  estime 
aux  privations,  a  plus  de  respect  pour  ces  prêtres  que  pour  ceux  qui  sont 
mariés  ;  mais  les  turcs  qui  ne  jugent  que  l'homme  ,  les  surveillent  avec 
plus  de  rigueur.  Malheur  à  eux  s'ils  étaient  surpris  avec  une  femme.  Pou~ 
quev.  Tom.  I.  Lett.  XXVIII. 


de    la    Grèce.  53g 

«  dérober  à  la  connaissance  des  Turcs  ....  Mais  ces  hommes  évan. 
"  géliques  viennent-ils  à  être  blessés  par  quelqu'Evèque  voisin  dans 
«  les  droits  de  leur  diocèse  ?  L'homme  alors  se  manifeste.  Ils  per- 
«  dent  l'esprit  pacifique  qui  leur  attirait  des  hommages,  oublient 
«  leur  dignité  et  s'abandonnent  aux  excès  les  plus  scandaleux.  Une 
«  des  choses  les  plus  difficiles  à  un  Evoque  Grec  ,  c'est  de  mainte- 
«  nir  l'ordre  et  la  discipline  dans  le  bas  clergé  ,  et  parmi  ces  Pa- 
"  pas  ignorans  et  fanatiques,  dont  le  plus  grand  nombre  est  d'une 
«  dépravation  de  mœurs  qui  déshonore   le  sacerdoce  „. 

Les  moines  jouissent  de  beaucoup  de  considération  chez  les  Moine* 
Grecs.  Leur  vie  est  extrêmement  austère  (i).  Ils  ne  mangent  jamais 
de  viande  ,  sans  cependant  avoir  fait  vœu  de  cette  abstinence  ,  ne 
dorment  que  quatre  heures  ,  et  quelques-uns  deux  seulement  ,  et 
vont  trois  fois  le  jour  prier  à  l'église.  Ceux  qui  ne  se  sont  pas  ap- 
pliqués à  l'étude  travaillent  de  leurs  mains  ,  ensorte  qu'il  n'y  a  pas 
de  couvent ,  où  l'on  ne  trouve  des  ouvriers  en  tous  genres.  Les  moi- 
nes Grecs,  quoique  de  diverses  espèces,  tirent  tous  leur  origine  de 
S.1  Basile,  qu'ils  regardent  comme  leur  père,  et  dont  ils  observent 
rigoureusement  la  règle.  Les  uns,  appelés  Cénobites,  vivent  en 
communauté  sous  la  même  discipline.  Les  autres,  qu'on  nomme 
Cdiôpç>v${ici ,  vivent  à  leur  gré,  comme  l'indique  leur  nom;  avant  de 
prendre  l'habit  ils  payent  au  couvent  une  somme  pour  la  cellule  ,  le 
pain  et  le  vin,  et  sont  exempts  de  tout  exercice  pénible.  Il  en  est 
qui  portent  l'ancien  nom  d' Anachorètes  ,  et  qui  vivent  dans  une  par- 
faite solitude;  ils  habitent  une  petite  cellule  dans  un  lieu  presque 
désert,  cultivent  un  petit  espace  de  terrein  qui  fournit  à  leur  sub- 
sistance ,  et  ne  vont  au  couvent  dont  ils  font  partie  que  les  jours 
de  fête  pour  y  assister  à  l'office  divin.  Ces  moines  sont  tous  connus 
sous  le  nom  de  Calogers  (2).  Ils  n'ont  jamais  subi  de  réforme  ,  Gaiogers 
ce  qui  fait  qu'ils  portent  encore  leur  habit  primitif.  Voici  la  des- 
cription que  Bonanni  et  Picart  nous  donnent  de  leur  habille- 
ment ordinaire.  Il  consiste  en  une   tunique    longue    de   laine   noire 


(i)  Metroph.  Critopnl.  ,  Epit.  Doctr.  Ecclés.    Orient. 

(2)  Quelques-uns  sont  d'avis  que  le  nom  de  Calogers  ne  se  donnait 
anciennement  qu'aux  moines  les  plus  vénérables  par  leur  âge  ,  leur  re- 
traite et  l'austérité  de  leur  vie.  C'est  pourquoi  ils  font  dériver  le  nom 
de  Caloger  de  hu?*oç  ,  qui  signifie  beau,  et  y%p<*ç. ,  qui  veut  dire  vieil- 
lesse. 


Leur 
vêlement-- 


5^0  Religion 

ou  de  couleur  de  poil  de  chameau  ,  qu'ils  se  ceignent  sur  les  reins. 
Sur  cette  tunique  ils  portent  une  robe  également  noire  ,  dont  les 
manches  ont  environ  trois  palme»  de  largeur,  qui  est  ouverte  par 
devant,  avec  une  frange  ou  une  bordure  en  bas  couleur  foncée  ,  et 
qui  peut  se  boutonner.  Ils  ont  pour  coiffure  un  bonnet  noir  de  feut- 
tre  ou  de  laine,  qui  leur  couvre  les  oreilles,  avec  un  grand  capu- 
chon auquel  sont  attachées  deux  bandelettes  d'environ  quatre  dojgts 
de  largeur,  qui  leur  tombent  sur  les  bras,  et  dans  lesquelles  ils 
voyent  une  image  de  la  croix.  Ils  portent  la  barbe  et  les  cheveux 
longs  (i).  Voy.  la  planche  86  n.°  i:  cette  figure  est  également  rap- 
portée par  les  savaus  auteurs  de  l' Histoire  des  ordres  monastiques  , 
religieux  et  militaires  (s).  Ces  écrivains  observent  que  dans  l'ordre 
des  moines  Grecs  il  y  a  trois  différentes  classes;  la  pemière,  qui 
est  celle  des  Novices  appelés  vulgairement  Àrchars  ;  la  seconde 
celle  des  Profès ,  appelés  aussi  Microchèrnes  ;  la  troisième  celle  des 
Mcgalochèmes ,  qui  sont  les  plus  parfaits;  que  chacune  de  ces  clas- 
ses a  son  habillement  particulier,  et  que  cet  habillement  ne  dif- 
fère du  séculier,  que  par  certains  accessoires  ou  marques  distiuctives 
qui  lui  sont  propres.  Les  novices  portent  sur  leur  tunique  une 
espèce  de  robe  qui  leur  descend  jusqu'au  genou ,  et  un  bonnet 
rond  qui  leur  couvre  les  oreilles;  au  lieu  de  sandales  qui  sont  la 
chaussure  des  autres  classes,  ils  ont  des  pantoufles  pointues  comme 
tous  tes  orientaux.  Au  bout  de  trois  ans  ils  prennent  l'habit  de 
profès,  qui  s'appelle  encore  petit  habillement.  Il  a  pour  caractère 
distinctif  une  large  ceinture  qui  serre  la  tunique  sur  les  reiri3  , 
une  calotte  qui  couvre  la  tète  et  les  oreilles,  un  manteau,  une 
espèce  de  capuchon  qui  enveloppe  la  tête,  et  des  sandales  qui 
sont  à*- peu-près  dans  le  genre  de  celles  des  Franciscains  déchaussés. 
L'habillement  des  Mégalochèmes  ,  qu'on  appelle  aus-i  habit  grand 
et  angéljque ,  se  compose  des  vétemens  que  nous  venons  d'indiquer , 
et  de  plus  de  Vanablo  >  qui  est  un  morceau  d'étoffe  de  la  grandeur 
d'une  palme,  lequel  e.-t  suspendu  entre  les  épaules  et  sous  la  tuni- 
qne  ,  par  le  moyen  de  cordons  attachés  aux  quatre  coins,  et  dans 
lesquels  passent  les  bras.  Cette  espèce  de  décoration  porte  l'image 
d'une  croix  ou   quplqu'autre  représentation  relative  à    la   passion  du 

(i)  Bonanni  ,  OrrI/n   Bellgiosor  etc.  Cabalogus  ,  Pars.  I  N.°  XCIII.  , 
(a)  Histoire  des   Ordres  Monastiques  etc.   (par  h  P.  Helyot,  con- 
tlp-uèe  par  le  P.  M'apcimil.  BuUqÇ. 


de    la    Grèce.  f?4i 

Christ.  Leur  manteau,  qui  est  très-ample,  leur  enveloppe  le  haut 
du  corps,  et  se  termine  en  un  capuchon  avec  une  pointe  très-aiguë: 
et  avec  cinq  croix  en  rubans  de  laine,  savoir;  une  sur  le  front,  une 
sur  la   poitrine,  une  sur  le  dos,  et  deux    sur    les  épaules. 

Les  moines  ont  tout  leur  tems  partagé  entre  l'office  divin  et  les  tra-  ^J^4 
vaux  de  l'agriculture:  outre  leur  abstinence  de  la  viande  ,  ils  ont  quatre 
carêmes,  particuliers  à  l'église  Grecque,  qu'ils  observent  scrupuleu-  Carêmes. 
sèment.  Le  premier  et  le  plus  long  de  ces  carêmes  est  celui  qui 
précède  la  Pâque  ,  et  dure  huit  semaines.  La  première,  il  leur  est 
permis  de  manger  du  poisson,  des  œufs,  du  lait  et  du  fromage;  mais 
les  sept  autres  semaines  l'usage  de  ces  mets  leur  est  interdit,  à 
l'exception  cependant  des  espèces  de  poissons  qui  n'ont  pas  de  sang, 
telles  que  les  coquillages  et  autres  semblables.  Ils  ne  mangent  que 
du  pain,  des  fruits,  des  légumes  accommodés  à  l'huile,  et  ne  boi- 
vent que  de  l'eau.  Leur  second  carême  est  celui  des  Apôtres;  il 
commence  huit  jours  après  la  Pentecôte,  et  dure  plus  au  moins,  se- 
lon le  calendrier  des  fêtes  mobiles:  l'usage  du  vin  et  du  poisson  y 
est  permis.  Le  troisième  est  celui  de  l'Assomption  ,  et  dure  quatorze 
jours,  durant  lesquels  il  est  encore  défendu  de  manger  du  poisson, 
excepté  le  dimanche  et  le  jour  de  la  Transfiguration.  Le  quatrième 
est  celui  de  l'Avent,  qui  dure  quarante  jours ,  avec  les  mêmes  pres- 
criptions que  pour  celui  des  Apôtres.  Outre  les  jeûnes  de  carême, 
et  ceux  des  mercredi  et  vendredi  de  chaque  semaine  ,  qui  sont  com- 
muns à  tous  les  Grecs,  les  moines  en  ont  d'autres  que  nous  nous  dis-  Officiers. 
penserons  d'indiquer  ici  (i).  L'office  des  Cénobites  se  fait  à  des  heu- 
res réglées,  depuis  minuit  jusqu'après  le  coucher  du  soleil.  Celui 
de  minuit,  qu'on  appelle  pour  cela  Blesongeiicon  est  un  office  particu- 
lier à  chaque  couvent  ,  et  ne  dure  pas  moins  de  deux  heures.  Quant 
aux  offices  du  jour  ils  sont  tellement  longs,  qu'il  ne  faut  pas  moins 
de  six  heures  pour  les  lire,  et  ils  forment  sis  gros  volumes  in  foglio, 
la  plupart  imprimés  à  Venise.  Les  moines  font  leur  lecture  ordi- 
naire du  texte  de  l'Evangile,  et  des  homélies  des  Sains  Pères. 


(i)  Le  médecin  Spon  ,  en  parlant  des  jeûnes  et  des  jours  maigres 
des  Grecs  dit,  qu'ils  n'ont  guères  dans  toute  l'année  que  cent  trente  jours  , 
où  il  Leur  soit  permis  de  manger  de  la  viande;  et  que  non  seulement 
les  vieillards  et  les  en/ans,  mais  même  les  malades  ne  sont  pas  exempts 
de  ces  Jeûnes,  qui  rendent  les  Grecs  secs  et  bilieux  ...  Malgré  cela  , 
ajouie-t-il,  les  Grecs  sont  emportés  ,  colères  parjures  et  blasphémateurs, , 


54$  Religiotit 

Cowm».  Les  couvens  sont  répandus  en  Morée  ,  dans  l'île  de  Patmos,  et  dans 

TArcadie.  Mais  les  plus  renommés,  et  où  la  discipline  est  moins  aus- 
tère, sont  ceux  du  mont  Athos ,,  qui  emprunte  encore  du  grand  nom- 
bre de  ces  couvens  le  nom  de  Montagne  Sainte  ayio  tope.  Ce  sont 
aussi  les  plus  riches  et  les  plus  puissans,  et  leur  moines  appartiennent/ 
aux  familles  les  plus  distinguées:  les  Calogers  destinés  à  devenir  Pa- 
triarches et  Evêques  viennent  y  faire  leurs  études  et  leur  carrière 
monastique.  Il  arrive  par  conséquent  que  ces  couvens ,  au  lieu  d'être 
l'asile  de  la  paix  et  de  la  concorde ,  sont  au  contraire  un  foyer  d'in- 
trigues et  de  divisions.  Jaloux  de  parvenir  aux  plus  hautes  dignités 
de  l'église,  ces  solitaires  emploient  souvent  en  soins  artificieux  et 
en  simonie  ,  un  tems  qu'ils  devraient  consacrer  à  la  prière.  Il  existe 

Météores,  encore  quelques  autres  couvens  connus  sous  le  nom  de  Météores , 
que  leur  situation  inaccessible  sur  des  rochers  escarpés  dans  un  dis- 
trict de  la  Thessalie  ,  à  environ  trente  lieues  de  Jannina  ,  rend 
peut-être  encore  plus  fameux  que  ceux  du  mont  Athos.  On  ne  peut 
y  monter  que  par  une  échelle  de  cordes,  ou  dans  un  panier  que 
les  moines  tirent  à  eux  avec  une  espèce  de  cabestan.  Voy.  la  plan- 
che 85,  où  est  représentée  une  vue  de  la  Thessalie  avec  un  de  ces 
couvens  (i).  Leur  construction  n'est  pas  moins  misérable  que  la  vie 
des  moines  qu'ils  renferment.  C'est  là  que  sont  relégués  les  Patriar- 
ches que  le  Divan  a  déposés.  Les  moines  de  la  Grèce  vivent  du 
revenu  de  quelques  biens  fonds  que  possèdent  leurs  couvens,  dont 
quelques-uns  du  Mont- Athos  sont  fort-riches;  ou,  à  défaut  de  pro- 
priétés, du  travail  de  leurs  mains,  et  des  aumônes  qu'ils  reçoivent  des 
fidèles.  Dans  cette  vue  les  supérieurs  ont  soin  ,  surtout  dans  les  tems 
de  carême.,  de  charger  leurs  religieux  de  quelque  mission  évangé- 
lique ,    qui  ne  manque  jamais  de  tourner  au   profit  du  couvent  (n). 

(i)  Le  sujet  de  cette  planche  est  pris  du  voyage  fait  par  Henri 
Holland  dans  les  îles  Ioniennes  ,  en  Albanie  ,  en  Thessalie  ,  et  en  Ma- 
cédoine etc.  durant  les  années   1812  et   i8i3. 

(2)  M.r  Pouqueville ,  ibid.  ,  rapporte  d'avoir  rencontré  un  jour  en 
Morée  un  de  ces  Missionnaires  ,  accompagné  de  plusieurs  prêtres  ,  qui 
revenait  d'une  maison  où  il  avait  administré  l'extrême-onction  à  une  fa- 
mille entière  composée  de  gens  tous  en  santé.  Ayant  demandé  la  raison 
d'un  usage  aussi  étrange ,  on  lui  répondit  que  ce  n'était  qu'une  simple 
précaution  qu'avait  prise  cette  famille ,  parce  qu'elle  ne  trouverait  pas 
tous  les  jours  pour  cela  un  homme  aussi  saint  que  celui  qui  lui  avait  ad- 
ministré le  sacrement. 


de  la  Grèce.  $45 

On  trouve  aussi  en  Grèce  quelques  couveiis  de  religieuses ,  qui  Reiigîaeitu 
observent  également  la  règle  de  S.'  Basile.  Ces  religieuses,  ainsi 
que  les  Calogers ,  sont  assujéties  aux  jeûnes,  aux  prières  et  à  toutes 
les  rigueurs  de  la  vie  monastique,  et  vivent  sous  la  direction  d'une 
Abbesse  choisie  par  elles  parmi  les  plus  âgées  et  les  plus  sages  du 
monastère.  Elles  sont  en  outre  sous  la  juridiction  d'un  abbé  de 
Calogers,  qui  leur  donne  un  de  ses  moines  pour  directeur  spirituel. 
Après  avoir  satisfait  aux  devoirs  de  leur  état,  elles  s'occupent  d'ou- 
vrages à  l'aiguille  et  de  broderie.  Les  Turcs  ont  pour  elles  beau- 
coup de  respect ,  et  vont  dans  leurs  couvens  pour  y  acheter  des 
ceintures  et  autres  objets  faits  par  elles.  Les  plus  riches  ont  une 
servante  pour  leurs  besoins,  et  quelques-unes  prennent  en  outre 
avec  elles  une  jeune  fille  }  qu'elles  élèvent  dans  la  piété,  et  dans 
la  pratique  des  devoirs  de  la  religion.  Toutes  portent  le  même  ha-  Lew- 
billement,  qui  est  simplement  de  laine,  et  consiste  en  une  tuni- 
que noire  ,  et  en  un  manteau  de  même  couleur.  Elles  ont  les  bras 
et  les  mains  couverts  jusqu'au  bout  des  doigts  et  les  cheveux  rasés. 
Chacune  a  son  habitation  à  part,  qui  se  compose  de  quelques  cel- 
lules au  rez-de-chaussée  et  au  premier  étage  (i).  On  rencontre 
encore  à  Constantinople  quelques  femmes  nommées  aussi  Calogères , 
et  qui  restées  veuves  portent  en  tête  un  voile  noir,  eu  signe  de  la 
résolution  où  elles  sont  de  ne   plus  se  remarier. 

Passant  ensuite  à  la  liturgie  nous  commencerons  par  les  sa-  Litw-gts, 
cremens;  et  laissant  à  part  toutes  les  cérémonies  qui  sont  commu- 
nes aux  deux  églises,  nous  ne  parlerons  que  de  celles  qui  sont 
particulières  à  l'église  Grecque.  Dans  le  baptême,  le  prêtre  prend  Baptême. 
l'enfant  à  l'entrée  de  l'église.,  l'élève  sur  le  seuil  de  la  porte  ou 
devant  une  image  de  la  Vierge  ,  et  fait  sur  lui  plusieurs  signes  de 
croix:  après  les  exorcismes  d'usage  ,  il  le  plonge  trois  fois  dans  le 
bassin  ,  en  nommant  à  chaque  immersion  une  des    personues    de    la 

(i)  Il  n'y  a  maintenant  en  Grèce  que  fort  peu  de  couvens  de  re- 
ligieuses ,  encore  la  discipline  en  est-elle  très-relâchée,  Ils  occupaient  au- 
trefois les  plus  beaux  sites  de  la  Morée  ;  mais  dans  la  dernière  guerre 
jls  furent  tous  incendiés  par  les  Albanais  V.  Pouqueville  ibid.  Tourne- 
fort  dit  que  la  plupart  des  Calogères  sont  des  Magdelaines  mitigées , 
qui  sur  le  retour  font  vœu  de  pratiquer  des  vertus,  qu'elles  ont  fort 
négligées  dans  leur  jeunesse,  Elles  se  retirent  enfin  dans  un  monas* 
£ère ,  pour  y  mener  une  vie  un  peu  moins  scandaleuse  }  sous  les  yeuoz 
d'une  supérieure. 


5^4  Religion 

Trinité:  rite  dont  îe  sens  est  pour  les  Grecs,  la  mort,  la  ressur- 
rection  et  l'immortalité  du  chrétien.  Les  parens  ont  la  précaution, 
avant   le  baptême,  de  faire    tiédir    l'eau    du    baptistère,    et   de    le 

Confirmation,  parsemer  de  fleurs  odoriférantes.  Aussitôt  après  le  baptême,  le 
prêtre  administre  à  l'enfant  la  confirmation,  dont  la  formule  est 
celle-ci  :  Voici  le  sceau  du  don  du  Saint-Esprit.  En  prononçant 
ces  paroles,  le  prêtre  fait  à  l'enfant  des  onctions  en  forme  de  croix 
sur  le  front,  les  yeux,  le  nez,  la  bouche,  les  oreilles ,  les  mains  et 
les  pieds.  Sept  jours  après  le  baptême,  l'enfant  est  porté  de  nouveau 
à  l'église  pour  y  recevoir  V ablution  :  cérémonie  dans  laquelle  le 
prêtre  lave  la  chemise  de  l'enfant  ,  et  lui  essuyé  le  corps  avec  une 

Confusion,  éponge  (i).  La  confession  des  Grecs  ne  parait  différer  de  celle  des 
Latins  que  par  une  simonie  qui  est  souvent  poussée  au  dernier  ex- 
cès ,  et  par  quelque  pratiques  superstitieuse  dont  l'ignorance  des 
Papas  a  introduit  l'usage  (il).  Les  prêtres  sont  obligés  de  se  confes- 
ser une  fois  par  mois,  et  les  laïcs  une  fois  par  an  au  commence- 
ment du  grand  carême  de  Pâques. 
Mariage.  Le  mariage  est  pour  les  Grecs  modernes ,  comme  il  l'était  chez 

les  anciens  Grecs,  un  des  devoirs  les  plus  sacrés  du  citoyen;  et 
?";  ils  sont  d'autant  plus  jaloux  de  le  remplir,  qu'avec  une  nombreuse 
postérité  ils  espèrent  pouvoir  secouer  un  jour  le  joug  de  leurs  bais 
bares  conquérans.  Ils  ont  conservé  presque  toutes  les  cérémonies 
usitées  chez  leurs  ancêtres  à  l'occasion  du  mariage.  Mais  avant  d'en 
venir  à  la  partie  civile  de  cet  engagement,  il  convient  de  faire 
connaître  les  rites  du  sacrement.  Les  époux  se  présentent  au  prê- 
tre, l'homme  à  droite,  et  la  femme  à  gauche.  Le  prêtre  fait  sur 
eux  quelques  signes  de  croix,  leur  donne  en  main  un  cierge  al- 
lumé, les  encense  en  fesant  la  croix,  et  ensuite  les  conduit  au 
temple.  On   place  sur  la  sainte  table  deux  anneaux  ,  l'un  en  argent 

(i)  Picart,  vol.  III  pag.  70,  parle  d'un  usage  religieux  des  Chrétiens 
de  Syrie  ,  qui  a  beaucoup  de  rapport  avec  le  baptême.  «  Les  Chrétiens  de 
tout  genre,  dit-il',  Grecs,  Nestoriens  ,  Cophies  etc.  "vont  se  baigner  tout 
nus  par  dévotion  dans  îe  Jourdain  ,  en  honneur  de  Jésus  Christ  et  de  son 
baptême.  Là  ,  sans  aucune  distinction  de  sexe  ni  de  sectes  les  hommes 
et  les  femmes  entrent  pêle-même  dans  le  fleuve ,  et  se  font  verser  de 
l'eau  sur  la  tête.  Les  plus  dévots  y  trempent  des  linges,  d'autres  y  rem- 
plissent d'eau  des  bouteilles,  et  même  en   emportent  de  la   vase  etc.  ». 

(2)  Picart,  ibiâ.  ,  pag.  11 5.  Ricaut  dans  la  Préface  de  l'état  de 
l'Eglise  ,  Christoph.  Angélus,  De  statu  Graec.  Allatius  etc. 


de   là   Grège.  54S 

du  côté  droit,  et  l'autre  en  or  du  côté  gauche.  Après  les  prières 
d'usage  entre  le  chœur  et  le  diacre,  pour  le  bonheur  ,  îa  concorde 
et  la  fécondité  des  nouveaux  époux  3  le  prêtre  prend  les  deux 
anneaux  ,  et  prononce  trois  fois  ces  mots  :  j'unis  le  tel  et  la  telle  , 
serviteur  et  servante  de  Dieu  au  nom  du  Père  etc.  Après  avoir 
fait  avec  ces  anneaux  un  signe  de  croix  sur  la  tête  des  époux, 
il  met  l'anneau  d'or  au  doigt  de  l'homme,  et  celui  d'argent  au 
doigt  de  la  femme.  Un  paranymphe  ou  témoin  fait  ensuite  îe 
changement  des  deux  anneaux  ,  tandis  que  le  prêtre  récite  une  lon- 
gue prière,  où  la  vertu  et  la  dignité  de  l'anneau  nuptial,  sont 
mystiquement  comparées  à  celle  des  anneaux  de  Joseph,  de  Trn- 
mar  etc.  Cette  prière  finie,  le  prêtre  en  commence  une  autre  , 
en  même  tems  qu'il  pose  sur  la  tête  de  chacun  des  époux  une  cou- 
ronne de  pampres,  ornée  de  rubans  et  de  dentelles  (i).  Enfin  il 
leur  présente  une  coupe  de  vin  dont  ils  boivent  l'un  et  l'autre  (a), 
après  quoi  il  leur  ôte  les  couronnes  et  leur  donne  la  bénédiction. 
Les  mariages  en  troisièmes  noces  sont  permis  dans  l'église  Grecque  , 
mais  ceux  en  quatrièmes  sont  regardés  comme  une  polygamie  et 
frappés  d'excommunication  (3). 

Venons  maintenant  aux  usages  civils  du  mariage,  qu'il  im-  '  .^  «-w/i 
porte  de  faire  précéder  de  quelques  circonstances  dont  JBpon  à 
été  témoin  à  Athènes  (zj)-  Les  jeunes  filles  ne  sortent  point  de  la 
maison  avant  îe  jour  de  leur  mariage  ,  ensorte  que  les  jeunes  gens 
qui  les  recherchent  ne  peuvent  entier  en  relation  avec  elles,  que 
par  îe  moyen  d'une  parente  ou  d'un  tiers  qui  ait  accès  dans  la  mai- 
son ,  et  à  la  foi  duquel  ils  doivent  s'en  rapporter  (5).  Ainsi  l'amant 

(î)  Tournefort ,  Voy.  au  Levant ,  Lettre  III. 

(2)  On  lit  dans  l'histoire  du  bas  empire  (  T.  IL  pag.  355  )  qu'au 
mariage  de  l'Empereur  Maurice  avec  Cotistantine  fille  de  Tibère  son  pré- 
décesseur }  on  avait  élevé  dans  le  vestibule  du  palais,  derrière  un  ri- 
deau, un  trône  magnifique  d'où  l'épouse  devait  se  montrer  au  peuple. 
Le  rideau  tombe ,  l'Impératrice  parait  à  côté  de  son  époux ,  les  spectateurs 
entonnent  le  chant  de  l'hyménée  ,  et  l'eunuque  ,  qui  avait  accompagné  la 
princesse  ,  verse  du  vin  dans  une  coupe  ,  qu'il  présente  aux    deux  époux. 

(3}  Piicaut ,  État  de  l'église   Grecque  }  Chap.   i5. 

(4)  Spon  ,   Voyages.    Tom,  II.  pag.   i83.  Ediz.   1679. 

(5)  Ces  femmes  3  qui  conservent  encore  l'ancien  nom  de  Proxénètes , 
sont  d'autant  plus  nécessaires ,  que  les  jeunes  filles  étant  toujours  renfer- 
mées dans  le   Gynaeceon  ,  un  homme  ne  peut    se    déterminer  à  prendre 

Europe.  Fol.  I.  6D 


,iu  mariage» 


546  Religion 

Baiïihmtnt    ne  peut  voir  sa  prétendue  qu'après   qu'elle  est  devenue  son  épouse. 

de  l'épouse.  La  veille  de  la  célébration  du  mariage,  la  femme  se  fait  voir  en 
public  marchant  lentement  et  avec  gravité,  et  va  comme  en  triom- 
phe au  bain  ,  soutenue  par  ses  plus  proches  parentes.  Avec  la  mê- 
me lenteur  et  la  même  gravité  elle  est  conduite  par  deux  de 
ses  proches  à  l'église  ,  et  de  là  à  la  maison  de  l'époux  ,  précé- 
dée du  flambeau  d'Hyménée  ,  et  accompagnée  d'un  cortège  qui 
fait  éclater  sa  joie  aux  chants  d'un  épithalame  ,  et  au  son  des  flû- 
tes et  des  tambours  (1).  Parmi  les  ornernens  extravagans  dont  eMe 
est  parée,  elle  porte  une  énorme  couronne  de  filigrane  et  de  per- 
les, dont  le  volume  embarrassant  l'oblige  à  se  tenir  droite  comme 
un  jonc.  Les  cérémonies  nuptiales  sont  accompagnées  d'une  danse  , 
dont  nous  donnerons  ailleurs  la  description.  L'épouse  n'y  parait  que 
voilée.  Ricaut  ajoute  qu'elle  est  conduite  dans  cet  état  par  ses  pa- 
rens  à  la  chambre  nuptiale,  où  l'époux  levant  d'une  main  trem- 
blante le  voile  qui  la  couvre,  voit  pour  la  première  fois  son  visage, 
et  lui  fait  un  baiser.  Le  tremblement  de  l'époux  n'est  que  l'effet 
de  la  crainte  où  il  est  de  découvrir  un  visage  difforme  ou  désagréa- 
ble :  ce  qui  arrive  assez  souvent.  Mais  l'engagement  est  déjà  con- 
tracté, et  ne  peut  plus  être  rompu  que  par  le  divorce.  C'est  sans 
doute  à  cet  usage  qu'il  faut  attribuer  la  facilité  avec  laquelle  on 
Usages  d'une  l'obtient  dans  l'église  Grecque,  moyennant  un  droit  qui  se  paye 
au  Patriarche,  La  planche  87,  n.°  2,,  représente  une  épouse  en 
habits  de  noces  ,  et  assise  sur  une  espèce  de  soplia  (2). 

Voici  encore  quelques  circonstances  qui  nous  rappellent  cer- 
tains usages  particuliers  aux  anciens  Grecs.  Arrivée  à  la  maison  du 
mari  l'épouse  y  est  introduite,    appuyée    sur    les    bras  de  ceux  qui 


Faeilltd 
des  divorces. 


/superstition 
#nùque, 


celle  qui  lui  est  proposée  que  sur  le  rapport  d'autrui  ;  et  dés  qu'amenée 
devant  lui  le  voile  qui  la  couvre  est  tombé  ,  il  se  trouve  engagé  dans 
des  liens  qu'il  ne  peut  plus  rompre. 

(1)  On  trouve  dans  l'ouvrage  de  Guys  (  Voy.  etc.  T.  I.  pag.  243  )., 
une  gravure  qui  offre  l'image  d'une  noce  ,  où  l'on  aperçoit  quelque  res- 
semblance avec  celle ,  qui ,  au  dire  d'Homère,  était  représentée  sur  le 
bouclier  d'Achille.  Dans  les  campagnes  ,  l'épouse  est  conduite  à  la  mai- 
son du  mari  sur  un  char  traîné  par  des  buffles.  Pouqueville  nous  a  aussi 
donné  une  belle  description  d'un  de  ces  mariages  champêtres.  T.  I. 
ichap.  XXIX. 

(2)  Cette  figure  est   prise   de    l'ouvrage    de    Picart    Cérémonies  etc. 
I.  III.  pag.  i32. 


de   la    Grèce.  547 

l'accompagnent,  de  manière  à  ce  que  ses  pieds  ne  touchent  point 
le  seuil  de  la  porte.  Ensuite,  pour  preuve  de  sa  virginité,  elle  doit 
passer  sur  un  crible  sans  le  rompre.  Les  Grecs  sont  toujours  dans 
l'usage  d'orner  ,  le  jour  des  noces  ,  les  portes  de  leurs  maisons  ,  de 
rubans,  de  couronnes  de  fleurs  et  de  feuillages,  et  d'appeler  dans 
la  salle  du  festin,  qui  se  donne  à  cette  occasion  ,  des  danseurs  et  des 
sauteurs  pour  égayer  les  convives:  usage  dont  nous  parlerons  ail- 
leurs. L'épouse  donne  à  chacun  de  ces  derniers,    et   même  à  ceux       Présem 

*  de  eé/jouss; 

qui  viennent  simplement  pour  lui  faire  visite,  une  poignée  de  dra- 
gées*: ce  qui  est  peut-être  une  imitation  des  présens  de  noix  et 
d'amandes  que  fesaient  les  anciens  dans  cette  circonstance ,  pour 
exprimer  que  l'épouse  renonçait  à  tous  les  goût»  de  l'enfance.  L'au- 
teur de  l'Origine  des  lois  assure,  qu'il  est  encore  d'usage  chez  les 
Grecs  d'acheter  en  quelque  sorte  l'épouse  par  des  présens  qui  se 
font  à  ses  païens;  mais  on  ne  doit  voir  en  cela  maintenant  qu'une 
simple  cérémonie:  car  il  n'est  pas  de  Grec  qui  prit  une  femme  pour 
épouse  ,  si  elle  ne    lui    apportait    pas  une    dot    proportionnée  à  sou  Dot, 

état  (1).  La  plus  grande  partie  de  cette  dot  consiste  ordinairement 
en  pierreries  et  en  habits  somptueux  ,  comme  cela  était  chez  les 
anciens  Grecs  (fa).  La  nouvelle  épouse  porte  encore,  comme  alors, 
dans  la  maison    du    mari    le    nom  de  Nimphe. 

Comme  nous  avons  fait  suivre,  dans  la  description  du  cos- 
tume des  anciens  Grecs  ,  l'article  du  mariage  de  celui  des  funé- 
railles, le  même  ordre  exige,  en  traitant  du  costume  des  mo- 
dernes, que  nous  passions  du  sacrement  du  mariage  à  V Extrême- 
Onction  i  appelée  en  Grec  Euchelaion,  c'est-à-dire  huile  de  la  prière. 
Conformément  à  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut  à  ce  sujet,  et 
d'après  le  témoignage  de  Tournefort  ,  l'extrême  onction  se   donne  ; 

(1)  Guys  Voy.  litt.  etc.  T.  T.  pag.  2Z7  N.  (2)  raconte  qu'un  Patriar- 
che Grec  avait  depuis  peu  lancé  une  excommunication  contre  les  pères 
qui  donneraient  en  dot  à  leurs  filles  plus  de  trois  mille  piastres  ,  ou  plus 
de  trois  mille  écus. 

(2)  «  Ces  ornemens  d'or  (  dit  Hermione  dans  Andromaque  )  dont 
a  ma  tête  est  parée ,  et  tous  ces  vêtemens  que  j'ai  ,  ne  sont  pas  des  pré- 
«  sens  d'Achille  ni  de  Pelée  ;  je  les  ai  apportés  de  Sparte  ,  et  ils  m'ont 
«  été  donnés  par  Ménélas  mon  père  avec  une  dot  considérable  ,  pour 
«  que  je  pusse  parler  en  toute  liberté  ».  Clitemnestre  dit  également  dans 
l'Iphigénie.  en  Aulide  :  «  Qu'on  tire  des  chars  les  présans  que  j'apporte 
pour  la  dot  de  ma  fille  », 


5^8  Religion 

i.°  aux  pénitens  et  â  ceux  qui  se  sont  rendus  coupables  de  quel- 
que péché  mortel,  et  dans  ce  cas  elle  s'appelle  aussi  Jpomuron , 
parce  que ,  selon  les  Grecs,  elle  a  son  origine  dans  la  parabole  de 
la  Samaritaine:  motif  pour  lequel  ils  mêlent  à  l'huile  un  peu  de 
vin,  comme  le  lit  le  Samaritain  pour  panser  les  blessures  du  voya- 
geur qui  avait  été  assailli  par  les  voleurs;  a.0  aux  malades,  aux 
infirmes  et  aux  mourans;  et  celle-ci,  qui  est  proprement  l'extrême- 
onction,  est  ordinairement  administrée  par  l'Evêque  assisté  de  sept 
prêtres  (i).  Les  onctions  se  font  d'abord  par  l'Evêque  en  forme  de 
croix  sur  le  front,  le  menton  ,  Jes  joues,  le  dos  et  la  paume  des 
mains  du  malade;  et  pour  cela  il  se  sert  d'une  plume,  ou  d'un  peu 
de  coton  attaché  au  bout  d'une  petite  baguette  qu'il  trempe  dans 
l'huile  sainte.  Les  sept  prêtres  répètent  ensuite  successivement  la 
même  cérémonie,  et  le  plus  distingué  d'entre  eux  pose  l'Evangile 
sur  la  tête  du  malade,  tandis  que  les  autres  lui  tiennent  les  mains. 
Picart  rapporte  que  ces  onctions  se  font  aussi  aux  morts ,  et  à-peu- 

(i)  C'est  ce  qui  devrait  se  faire  aussi  dans  la  liturgie  Grecque.  L'Evê- 
que devrait  être  assisté  de  trois  prêtres  pour  donner  la  confirmation.  Mais 
pette  règle  est  souvent  violée  ,  car  la  confirmation  se  fait  quelquefois  par 
un  seul  et  simple  prêtre.  Les  moines  du  mont  Athos ,  selon  Tournefort , 
avares  et  simoniaques  comme  le  sont  tous  les  ecclésiastiques  Grecs,  soit 
par  l'effet  d'une  corruption  invétérée  ,  soit  à  cause  de  la  misère  et  de 
la  profonde  ignorance  du  peuple,  parcourent  toute  la  Grèce ,  et  vont 
anême  jusqu'en  Russie  u  pour  y  vendre  leurs  saintes  huiles.  Ils  entrent 
dans  les  maisons  ,  écoutent  les  confessions  et  administrent  Pextrême-onc- 
tion  même  aux  gens  en  santé  :  ce  qu'ils  exécutent  en  fesant  au  pénitent 
sur  l'épine  du  dos  un  nombre  d'onctions  égal  à  celui  des  péchés  qu'il 
a  confessés  ,  à  condition  pourtant  que  leur  huile  et  leur  tems  ne  seront 
pas  perdus.  La  moindre  de  ces  onctions  se  paye  un  écu;  celle  qui  se  fait 
pour  les  péchés  de  la  chair  est  beaucoup  plus  chère.  .  ,  .  .  Ceux  qui 
mettent  plus  de  régularité  dans  cette  cérémonie  se  servent  de  l'huile  con- 
sacrée ,  et  prononcent  à  chaque  onction  ces  paroles  du  pseaume  ia3  le  fd 
a  été  rompu ,  et  nous  avons  été  délivrés.  Plus  bas  le  même  auteur  répète  que 
Jes  Grecs  administrent  l'extrême-onction  plus  souvent  aux  gens  en  santé 
qu'aux  malades.  Quant  à  ces  derniers,  continue-t-il ,  ils  se  servent  d'huile 
commune  et  non  bénite  pour  les  onctions,  qu'ils  leur  font  au  front,  aux 
joues,  au  menton,  et  aux  mains;  ils  répandent  ensuite  de  cette  huile 
dans  toute  la  maison,  en  récitant  quelques  prières,  et  en  traçant  avec 
le  coton,  qui  en  est  imbibé  de  grandes  croix  sur  les  murs  et  sur  les  poi> 
fies,  tandis  qu'on  chante  le  pseaume  90  ».   Tourne/.  Voy.  Lettre  1IL 


b«  tÀ  Grèce.  549 

près  de  la  même  manière.  Chacun  des  sept  prêtres  prend  un  mor- 
ceau de  papier  imbibé  d'huile  ,  cm*il  allume ,  et  croit  purifier  ,  par 
cette  espèce  de  sacrifice,  l'âme  du  défunt,  et  la  délivrer  des  pei- 
nes qu'elle  a  méritées  :  usage  superstiteux  qui  rappelle  les  lustra- 
tions  des  anciens.  La  consécration  de  l'huile  pour  l'extrême-onction 
se  fait  le  mercredi  saint  par  l'Evèque,  et  pour  toute  Tannée  :  le 
jeudi  saint ,  le  Patriarche  ou  l'Evèque  donne  l'onction  en  public 
à  tous  les  fidèles,  selon  un  usage  qu'on  croit  établi  dès  les  tems 
de  S.1  Jean  Damascène. 

La  cérémonie  dont  nous  venons  de  parler  nous  conduit  natu-  Funérailles. 
Tellement  à  celle  des  funérailles.  Ces  dernières  paraissent  commen- 
cer à  l'agonie  du  mourant,  et  Ricaut  en  traite  au  long  dans  son 
ouvrage  sur  FEtat  de  V Eglise  Grecque.  On  y  lit  entr'autres  choses, 
que  le  prêtre  ceint  la  tête  du  malade  avec  le  voile  dont  on  couvre 
le  calice  ,  et  qu'il  lui  fait  avaler  un  peu  d'eau  bénite  ,  où  l'on  a 
fait  infuser  quelques  herbes  odoriférantes,  et  qui  a  été  consacrée 
par  l'attouchement  d'u  Crucifix  ou  d'une  image  de  la  Vierge. 
Cette  eau  est  regardée  ^omme  un  remède  propre  à  guérir  les  ma- 
ladies de  l'âme  et  du  corps.  Cest  encore  un  usage  établi  chez  les. 
Grecs  ,  de  chercher  à  rendre  la  santé  aux  malades  ,  en  fesant  à 
Dieu  ou  à  quelque  saint  l'offrande  d'un  œil,  d'un  bras,  d'une  jambe 
etc.,  en  or  ou  en  argent.  Aussitôt  que  l'agonisant  est  expiré ,  toute 
la  maison  retentit  de  sanglots  et  de  cris.  «  Le  corps  du  défunt  ou 
de  la  défunte,  dit  Ricaut,  est  d'abord  soigneusement  lavé,  selon 
l'ancien  Usage  :  on  le  revêt  ensuite  de  ses  plus  beaux  habits  (  car 
les  morts  sont  portés  au  tombeau  le  visage  découvert),  puis  on  l'étend 
sur  le  pavé  ayant  deux  cierges  allumés ,  l'un  à  la  tête  et  l'autre 
aux  pieds  (1).   La  femme,  si  c'est  le   mari   qui  est    mort,    les   en- 

(1)  Les  Grecs  modernes  s'aquittent  avec  empressement  des  devoirs 
des  funérailles  :  usage  dont  ils  paraissent  avoir  hérité  de  leurs  ancêtres  , 
chez  qui  c'était  un  outrage  fait  aux  morts  que  de  les  laisser  long-tems 
sans  leur  donner  la  sépulture.  S'il  s'agit  d'une  jeune  fille,  on  l'habille 
ayec  élégance ,  et  on  lui  ceint  la  tête  dune  couronne  de  fleurs.  Lors- 
qu'on l'emporte  ,  les  femmes  jettent  des  fenêtres  des  roses  et  des  eaux 
de  senteur  sur  son  corps.  Les  anciens  ornaient  les  morts  de  couronnes  de 
fleurs ,  pour  indiquer  qu'ils  avaient  enfin  surmonté  les  dégoûts  et  les  pei- 
nes de  cette  vie:  motif  pour  lequel  ils  donnaient  au  défunt  le  titre 
de  E<rTE(pav0[ipvov  ,  qui  veut  dire  couronné.  Aristophane  fait  dire  à  une 
femme  :  Prends  cette  couronne ,  et  joins-y  cette    autre  :   Caron  t'attend^ 


55g  Religion 

fans ,  les  domestiques ,  les  parens  et  les  amis  entreut  dans  la  cham- 
bre où  est   le    cadavre,    les    habits    déchirés,    s'arrachent    les    che- 
veux ,  se  frappent  la    poitrine ,   et    se    mettent    même  le    visage  en 
CéKPoè       sang  avec  leurs  ongles  ;>.  L'heure  des  funérailles  arrivée,  le  convoi 

funèbre,  .  ,  .  ,      , ,  .  A  . 

se  met  en  marche  précède  d  une  croix.  «  Les  prêtres  et  les  dia- 
cres ,  continue  Ricaut  ,  qui  l'accompagnent  en  récitant  les  prières 
prescrittes  par  l'église,  fout  brûler  l'encens,  et  demandent  à  Dieu 
qu'il  lui  plaise  recevoir  dans  le  séjour  des  élus  l'âme  du  défunt  (i). 
La  femme  (  Ricaut  parle  toujours  des  funérailles  d'un  mari  )  suit 
les  tristes  restes  de  l'époux  qu'elle  chérissait  s  les  yeux  en  pleurs  , 
et  dans  une  si  grande  affliction  ,  qu'à  en  juger  ....  par  ses  lar- 
mes   et  à  ses  cris  ,   on  croirait  qu'elle  veut  forcer  son  âme 

Pleureuses.  à  suivre  celle  de  son  époux  „.  Le  convoi  est  aussi  accompagné 
de  femmes  appelées  pleureuses  qu'on  loue  à  cet  effet,  et  qui  se 
sont  tellement  exercées  à  ce  métier,  qu'elles  imitent  parfaitement 
les  gestes  et    les   transports   de  la    plus   vive    douleur  (a).    Après  la 

Telles  sont  les  couronnes  nuptiales  et  funéraires  qu'on  voit  sur  un  bas- 
relief  de  M.r  de  Peyssonel  ,  où  Memius  mort  et  couronné  par  son  fils , 
et  par  quelques-uns  de  ses  plus  proches  parens ,  couronne  sa  femme 
Neiopolis  qui  était  morte  avant  lui.  Voyez  Caylus ,  Antlq.  Grecques  , 
Pi.  74  ,  et  Guys,  Voyage  etc.  T.  I.  Lett.  XVIII,  Périclés  qui,  au  dire 
de  Plutarque  ,  n'avait  pas  versé  une  seule  larme  à  la  mort  de  la  plupart 
de  ses  enfans  et  de  ses  plus  proches  parens  que  la  peste  avait  moisson- 
nés, répandit  un  torrent  de  larmes  lorsqu'il  dut  poser  la  couronne  de 
fleurs  sur  la  tête  du  dernier  de  ses  enfans  ,  que  la  mort  venait  de  lui 
enlever. 

(1)  L'usage  de  cette  prière  et  de  quelques  autres  donne  à  présumer 
que  si  les  Grecs  n'admettent  point  un  Purgatoire  dans  le  sens  des  Ca- 
tholiques ,  ils  reconnaissent  au  moins  un  lieu  ,  où  les  âmes  des  élus  sont 
plus  au  moins  retenues  ,  avant  de  pouvoir  entrer  dans  le  séjour  des  bien- 
heureux. Ce  lieu ,  selon  les  Chrétiens  d'orient ,  n'est  autre  chose  que 
Y  En  fer ,  c'est-à-dire  une  noire  et  horrible  prison  ,  où  sont  renfermées 
les  âmes  des  pécheurs  ,  et  d'où  les  moins  coupables  peuvent  être  tirées 
par  la  miséricorde    divine.    V.  le  livre    de    Pierre    Arcadius  de    Corcyre  , 

Utrum  àetur  Purgatorium  ,   et   an  illud    sit   per    ignem.    Romae    Typ. 

Congreg.  de  Prop.   1717  in  4° 

(2)  Relativement  à  ces  pleureuses  ,  voyez  Pouqueville  Voyage  en  Mo- 
rée  etc.  T.  I.  chap.  XXX.  où  il  fait  la  description  des  funérailles  d'un 
Geronte  ou  Codia-bachi.  S.1  Jean  Chrysostôme  reproche  aux  Grecs  de 
son  terns  leurs  pleureuses,  et  la  vaine  ostentation  d'un  deuil  le  plus  sou- 


de  Là   CaicE.  55  r 

célébration  de  l'office  des  morts  à  l'église  ,  chacun  des  assistant 
baise  d'abord  le  crucifix  ,  puis  le  mort  à  la  bouche  et  au  front  ; 
on  mange  ensuite  un  petit  morceau  de  pain  ,  et  l'on  boit  un  verre 
de  vin,  en  fesant  des  vœux  pour  le  repos  de  l'âme  du  défunt, 
et  pour  la  consolation  de  sa  famille.  La  cérémonie  se  termine  or-» 
dinairement  par  un  festin  que  donne  le  plus  proche  parent  du  mort  ft 
comme  cela  se  pratiquait  chez  les  anciens  Grecs.  ' 

Telles  sont  en  général  les  cérémonies  qui  accompagnent  les  Beievtptïm 
funérailles;  mais  la  célébration  s'en  fait  avec  plus  ou  moins  de  enterrement. 
pompe,  en  Grèce  comme  ailleurs,  selon  la  condition  du  défunt, 
et  les  moyens  de  sa  famille.  Tournefort ,  en  parlant  des  obsèques 
d'une  riche  dame  de  Milo  ,  dont  il  fut  témoin  ,  dit  que  le  convoi 
était  précédé  de  deux  jeunes  paysans,  dont  chacun  portait  une  croix 
de  bois:  venait  ensuite  un  Papas  en  tunique  blanche,  et  accompagné 
de  quelques  autres  Papas  avec  des  étoles  de  diverses  couleurs.  La  dame 
était  revêtue  de  ses  habits  de  noce,  et  avait  le  visage  découvert. 
Le  mari  suivait  le  corps  d'un  air  profondément  affligé  ,  et  soutenu 
par  des  personnes  de  marque  qui  tâchaient  de  le  consoler,  quoique 
pourtant  quelques-uns  des  spectateurs  dissent  tout  bas  que  son  épouse 
était  morte  des  chagrins  qu'il  lui  avait  causés.  Après  le  mari  ve- 
naient successivement  une  fille  de  la  défunte,  qui  était  grande  et 
bien  faite  ,  ses  sœurs  et  quelques-unes  de  ses  parentes,  les  cheveux 
épars,  et  soutenues  aussi  par  leurs  amies.  Cet  écrivain  observe ,  qu'au 
lieu  des  habits  noirs  que  nous  prenons  dans  ces  sortes  d'occasions, 
les  femmes  Grecques  se  mettent  au  contraire  leurs  plus  beaux  vê- 
temens,  sans  que  ce  contraste  les  empêche  de  se  livrer  à  tous  le3 
transports  de  la  douleur  la  plus  violente.  Lorsque  le  convoi  fut 
arrivé  à  l'église,  les  Papas  récitèrent  à  voix  haute  l'office  des 
morts,  tandis  que  des  prêtres  du  bas  clergé  récitaient  tout  bas  au 
pied  du  cercueil  quelques  pseaumes  de  David.  L'office  fini,  on 
distribua  douze  pains  et  autant  de  flacons  de  vin  à  des  pauvres 
qui  étaient  à  la  porte  de  l'église.  Chacun  des  Papas  eut  dix  sous 
de  Venise,  et  l'Evèque  qui  avait  accompagné  le  corps  reçut  un 
écu  et  demi.  Après  cette  distribution,  l'un  des  Papas  mit  sur  la 
poitrine  de  la  défunte  un    fragment  de  vase  de    terre  ,    sur  lequel 

vent  affecté.  Serm.  62  in  Joann.  Ces  pleureuses  sont  en  outre  chargées 
de  faire  l'éloge  du  défunt  en  l'accompagnant  de  fréquentes  apostrophes 
qu'elles  adressent  tantôt  au  cadavre  et  tantôt  aux  spectateurs. 


55a  Religion 

on  avait  gravé  avec  la  pointe  d'un  couteau  l'image  de  la  Croix 
avec  ces  lettres  initiales  I.  N.  B.  I. ,  qui  signifient  en  latin  Je- 
sus  Nazarenus  Rex  Judœorum.  Cette  cérémonie  fut  suivie  du  der- 
nier adieu  à  la  défunte.  Telles  sont  les  principales  circonstances 
que  remarqua  Tournefort  (i).  Le  tems  de  deuil  chez  les  Grecs, 
est  long,  surtout  pour  les  parens  qui  pleurent  la  mort  d'un  en- 
fant: usage  dont  Torigine  est  très-ancienne  chez  ce  peuple.  On  lit 
en  effet  qu'Eschine  fit  un  crime  à  Deraosthène  d'avoir  paru  en  pu- 
blic, sept  jours  après  la  mort  de  sa  fille,  la  tête  couronnée  de 
fleurs,  et  habillé  de  blanc  comme  les  jours  de  fête;  tant  il  est 
vrai  que  les  Grecs,  de  quelque  côté  qu'on  veuille  les  envisager , 
sont  toujours  les  mêmes.  Nous  avons  omis  dans  la  description  des  céré- 
monies qui  accompagnent  les  fenérailles  des  Grecs  modernes,  quel- 
ques circonstances  d'une  moindre  importance  ,  que  les  curienx  trou- 
veront rapportées  au  long  dans  le  grand  ouvrage  de  Picart. 
Sépultures.  Les  sépultures  des  Grecs,  comme  chez  les  Turcs  et  les  autres 

peuples  de   l'orient,    sont    hors  des  lieux  habités,    et  le    long    des 
grands  chemins  (a).    Quoique   non   entourées    de   murs,  elles    n'en 

(i)  Tournefort  ,  Voy.  au  Levant,  Lett.  3,  observe  que  le  jour  des 
funérailles  on  ne  célèbre  pas  la  messe  des  morts;  mais  que  les  jours  sui- 
•vans  il  s'en  dit  une  quantité  dans  diverses  églises  à  sept  sous  de  Venise 
l'une.  Il  ajoute  qu'à  la  fin  de  la  cérémonie  on  fait  une  distribution  de 
pain,  de  riz  bouilli,  de  vin  et  de  fruits  secs.  Cet  usage,  connu  sous  le 
nom  de  ffvrepva,  ,  est  très-ancien  chez  les  Grecs ,  et  se  renouvelle  avec 
plus  de  solennité  le  vendredi  qui  précède  le  carême  de  l'avent ,  le  ven- 
dredi saint,  et  le  vendredi  avant  la  Pentecôte  ,  qui  sont  les  jours  consacrés 
dans  l'église  Grecque  à  la  commémoration  des  morts.  Ricaut  et  Tourne- 
fort rapportent  en  outre  que  neuf  purs  après  les  funérailles ,  les  parens 
du  défunt  envoient  à  l'église  un  grand  bassin  de  froment  bouilli ,  avec 
des  amendes  ,  des  rasins  secs  ,  des  grenades  ,  du  sésame  et  des  herbes 
odoriférantes  alentour.  Au  milieu  du  bassin  est  un  pain  de  sucre  sur- 
monté d'un  bouquet  de  fleurs  artificielles.  Cette  offrande,  appelée  Colyra  , 
est  faite  pour  rappeler  aux  fidèles  la  résurrection  des  morts ,  suivant 
ces  paroles  du  Rédempteur  chap.  XII  de  l'Evangile  de  S.1  Jean:  Dico 
vobis  ,  nisi  granum  frumenti  cadens  in  terram  mortuum  fuerit ,  ipsum 
œolum  manet;  si  aubem  mortuum  fuerit ,  multum  fructum  affert.  On  lit 
dans  le  voyage  deGuys,Tom.  I.er  pag.  282  ,  une  belle  description  des  fu  • 
nérailles  d'un  jeune    et  riche    Grec  ,  mort  aux  environs  de  Constantin ople. 

(2)  De  cette  manière  la  demeure  des  morts  est  séparée  de  celle 
des  vivans.  Il  était  rigoureusement  défendu,  chez  les  anciens  Grecs  ,  d'en- 


be  la  Grèce.  553 

sont  pas  moins  un  asile  inviolable  et  sacré.  Les  fosses  sont  recou- 
vertes d'une  pierre,  avec  une  épitaphe  et  quelques  orneraens  qui 
indiquent  l'état  et  la  profession  du  défunt.  Ces  épitaphes  respirent 
encore  une  simplicité  antique.  Il  y  a  de  ces  tombeaux  qui  sont 
décorés  de  petites  colonnes,  sur  lesquelles  est  gravé  le  nom  de  celui 
qu'ils  renferment.  L'usage  s'est  perpétué  de  les  entourer  de  jeunes 
ormeaux,  qui  forment  avec  le  tems  de  jolis  bosquets.  Ils  rappellent  en 
quelque  sorte  ce  qu'Homère  fait  dire  à  Andromaque,  que  les  Nym- 
phes des  montagnes  entourèrent  d'ormeaux  le  tombeau  d'Action.  Aux 
fêles  de  Pâques,  que  les  Grecs  célèbrent  par  des  réjouissances, 
des  festins  et  des  danses  publiques,  il  est  un  jour  où  ils  vont  eu 
foule  à  leurs  cimetières,  pour  y  pleurer  leurs  parens ,  leurs  amis, 
et  peut-être  môme  la  perte  de  leur  liberté  (i).  Mais  à  ces  mar- 
ques de  douleur,  il  n'est  pas  rare  de  voir  succéder  des  danses  où 
règne   la  plus  grande  gaieté  (a). 

Nous  avons  déjà  dit  quelque  chose  de  l'eucharistie  ,  et  nous 
en  parlerons  encore  à  l'article  de  la  messe.  Nous  passerons  mainte- 
nant au  sacrement  de  l'ordre;  et  sans  nous  arrêter  aux  petites  va- 
riétés que  l'ignorance  ou  l'esprit  de  nouveauté  ont  introduit  dans 
quelques  églises  Grecques  3  nous  allons  donner  ,  d'après  Ficart,  un 


terrer  les  morts  dans  les  temples  ni  dans  les  villes ,  et  cet  usage  est 
aujourd'hui  généralement  observé  chez  tous  les  peuples  civilisés.  Il  est 
dit  également  dans  les  douze  tables  des  lois  Romaines  :  Hominem  mor- 
tuum  in  urbe  ne  sepelibo  ,  neve  urito.  Strabon  ,  Gèograph.  liv.  16,  en 
parlant  des  Arabes  s'exprime  ainsi:  Morbua  corpora  haud  magis  quant, 
stercus  putant;  (  quo  sensu  Heraclibus  âixlb  ,  cadavera  hpminum  magis 
abjicienda  foras  ,  quam  stercora  )  ;  quapropber  Pièges  etiam  in  sberqui- 
liniis  defodiuntur. 

(1)  Guys  dit  que  les  femmes  Grecques  se  bornent  maintenant  à  s'ar- 
racher les  cheveux  sur  les  tombeaux  de  leurs  parens  et  de  leurs  amis  , 
tandis  qu'autrefois  elles  coupaient  leurs  longues  tresses  ,  comme  pour  faire 
au  défunt  un  sacrifice  de  l'ornement  dont  elles  sont  le  plus  jalouses. 

(2)  Cet  usage  nous  rappelle  le  fameux  paysage  peint  par  le  Pous* 
sin ,  où  l'on  voit  des  bergères  d'Arcaciie  suspendre  tout-à-coup  leurs 
danses  champêtres  à  l'aspect  du  tombeau  d'une  de  leurs  compagnes 
■morte  à  la  fleur  de  son  âge  ,  sur  lequel  elles  lisent  cette  inscriptioa 
«impie  qui  fait  évanouir  leur  gaieté.:  Et  in  Arcadia  ego.  Pouquev.  Voyag 
etc.   T.  I.  Lebb.  XIX. 


Sacrement 
de  r ordre. 


554  Religion 

abrégé  succinct  de  ce  qui  est  rapporté  à  ce  sujet  dans  le  pontifical 
Grec  d'Habert ,  et  dans  VEuchologion  ,  ou  Rituel  de  Goar.  Les 
ordres  mineurs  chez  les  Grecs    sont   ceux,    de   Lecteur,   de   Chan- 

Ordination  tre  ,  et  de  Sous-diacre.  Dans  l'ordination,  le  lecteur  se  présente 
à  l'Evêque  la  tète  nue,  et  avec  l'habillement  de  clerc,  c'est-à- 
dire,  en  habit  noir  et  modeste,  et  si  c'est  un  moine,  avec  l'habit 
appelé  dans  le  pontifical  manclyas  ,  lequel  est  une  espèce  de  man- 
teau qui  descend  jusqu'aux  pieds  (i).  L'évèque  bénit  trois  fois  le 
candidat  ,  auquel  on  coupe  ensuite  les  cheveux  en  forme  de  croix  , 
en  même  tems  qu'on  lui  fait  la  tonsure  cléricale.  Après  cela  le 
candidat,  s'il  n'est  pas  moine,  reçoit  de  l'Evêque  le  Phenolium  , 
mot  par  lequel  on  entend  généralement  la  chasuble,  mais  qui,  se- 
lon Arcudius,  n'est  qu'une  espèce  de  tunique  ou  de  robe  longue. 
L'évèque  fait  de  nouveau  trois  fois  le  signe  de  la  croix  sur  la 
tête  du  candidat ,  lui  impose  les  mains  et  prie  pour  lui  :  ensuite 
il  lui  met  entre  les  mains  l'Ecriture  Sainte,  où  le  nouvel  ordonné 

Oràinaiwi     ^°^  ''re    quelque  verset.  Il  n'y  a    d'autre    différence    entre    l'ordi- 

du,  chamre.  nation  du  lecteur  et  celle  du  chantre,  si  ce  n'est  que  celui-ci 
chante    ce    que    l'autre    ne  fait     que  lire.    Le  Chantre  qui    aspire 

Ordination  au  Sous-Diaconat  se  présente  à  l'Evêque  avec  le  Phenolium  ,  ou 
iuSous-duure.  avec  je  Mandyas  ë\  c>est  un  moine.  Il  reçoit  alors  le  Sticharium, 
espèce  de  tunique  blanche  faite  de  lin,  qui  correspond  à  l'aube 
ou  au  surplis  des  Latins,  et  se  serre  avec  une  ceinture  ou  un  cor- 
don. L'Evêque  se  fait  ensuite  apporter  un  bassin  plein  d'eau  avec 
une  serviette  5  et  après  avoir  fait  trois  fois  le  signe  de  la  croix  sur 
la  tête  de  l'ordinand ,  en  lui  imposant  les  mains  et  en  récitant 
des  prières,  il  lui  met  la  serviette  sur  l'épaule  gauche,  et  lui 
donne  le  bassin.  L'ordinand  baise  ensuite  îa  main  droite  à  l'Evêque, 
et  lui  verse  de  l'eau  sur  les  mains.  Après  cette  cérémonie,  il  re- 
çoit la  bénédiction  ,  et  récite  trois  fois  le  Trisagium  ,  hymne  ainsi 
appelé  parce  qu'il  commence  par  le  mot  anoç ,  ou  saint,  qui  se 
répète  trois  fois.  Les    fonctions   du    Sous-Diacre    consistent    princi- 

(0  Voici  la  description  que  donne  Goar  du  Mandyas  dans  le  Ri- 
tuel Grec.  Mandyas  ....  exterior  est  monachorum  vestis ,  ex  hume  ris 
ad  pedes  usque  defiuens  totum  corpus  ambit ,  et  a  parte  solum  ante* 
riori  est  aperta  :  quant  quidem  Pontifices  retinent ,  quia  sunt  e  mona- 
chorum coetu  assumpti. 


de    la    Grège.  555 

paiement  à  présenter  au  célébrant  l'eau  pour  se  laver  ,  et  la  ser- 
viette pour  s'essuyer.  IL  est  eu  outre  chargé  d'allumer  les  lam- 
pes ,  et  de  veiller  à  ce  que  tout  soit  propre  et  à  sa  place  dans 
l'église. 

Dans  l'ordination  du  Diacre,  on  commence  par  lui  ôter  la  ser-  ord'nmiaa. 
viette  qu'il  porte  sur  l'épaule.  L'ordinand  ,  revêtu  de  la  Daïma-  du  Diacre, 
tique,  qui  est  aussi  une  espèce  de  tunique  blanche,  et  porte  en 
effet  cette  dénomination  dans  certaines  variantes  des  Actes  de 
S.tCyprien,  s'agenouille  ensuite  devant  la  sainte  table,  et  reçoit 
de  FEvèque  l'imposition  des  mains,  accompagnée  de  prières  ana- 
logues. L'Evèque  lui  place  ensuite  VOrario  en  travers  de  l'épaule 
gauche,  et  lui  remet  l'éventail  dont  se  sert  le  diacre  pour  chasser 
les  insectes  de  la  sainte  table  pendant  la  messe,  puis  il  lui  donne 
un  baiser.  Les  autres  diacres  viennent  aussi  embrasser  leur  nou- 
veau confrère,  qui  entre  aussitôt  en  exercice.  Les  fonctions  du  dia- 
cre dans  l'église  Grecque  sont  à-peu-près  les  mômes  que  dans 
l'église  Latine.  L'ordination  du  Prêtre    se    fait  de    la   manière  sui-     „  , 

......  ..  Ordiiiatiou 

vante.  Deux  diacres  conduisent  l'ordinand  aux  portes  saintes,  et  du  ftftw- 
l'y  remettent  entre  les  mains  des  prêtres.  Le  Protopapas,  ou  celui 
qui,  par  ancienneté,  vient  après  lui,  l'accompagnent  trois  fois  au- 
tour de  l'autel  en  chantant  l'hymne  des  martyrs  (j):  cérémonie  qui 
se  fait  également  dans  les  deux  ordinations  précédentes.  L'ordi- 
nand se  met  ensuite  à    genoux:   l'Evoque    lui  fait  plusieurs  fois    le 

(i)  Les  prêtres  ,  dans  l'église  Grecque  comme  dans  la  Latine  ,  se 
divisent  en  séculiers  et  réguliers.  Les  Papas  ne  sont  à  proprement  parler 
que  des  prêtres  séculiers;  et  ils  ne  peuvent  parvenir  qu'à  la  dignité  de 
Protopapas ,  ou  de  Curés- Archiprêtres.  Celle  d'Evêque  ,  d'Archevêque 
et  de  Patriarche  ne  se  confère  en  général  qu'aux  moines  qui  sont  prêtres  9 
ou  aux  prêtres  réguliers.  Ces  derniers  deviennent  ensuite  moines  sacrés 
(  Hièromonaques  ,  )  et  alors  ils  ne  célèbrent  la  messe  que  dans  les  grandes 
solennités.  Le  service  journalier  de  l'église  dans  les  couvens  se  fait  par 
■conséquent  par  quelque  Papas  II  y  a  également  divers  grades  dans  ces 
couvens.  ~V Archimandrite ,  ou  pasteur  ,  qu'on  appelle  aussi  Hegumeno 
ou  chef,  en  est  l'abbé;  le  supérieur  du  couvent  est  pris  au  choix,  et 
ses  fonctions  ne  durent  que  deux  ans.  Les  Archimandrites  sont  sous  la 
juridiction  de  YEscarque  ,  dont  le  .grade  a  beaucoup  de  rapports  ave^c  celui 
de  Général  des  moines  Latins.  Quant  aux  diverses  significations  du  mot 
S£**j>jgO£  il  faut  consulter  Kabert  Pentif.  etc.  pajg*  586. 


556  Religion 

signe  de  la  croix  sur  la  tête  ,  et  lui  impose  la  main  droite  en  pronon- 
çant ces  paroles:  la  Grâce  Divine,  qui  guérit  toujours  les  choses  in- 
firmes ,  et  perfectionne  celles  qui  sont  imparfaites  ,  élève  à  l'ordre 
de  la  prêtrise  le  Révérend  Diacre  IV.  :  prions  donc  etc.:  cette  for- 
mule, à  quelques  variétés  près,  sert  aussi  pour  le  Diaconat.  Les 
devoirs  du  prêtre,  tels  que  la  célébration  de  la  messe,  la  prédica- 
tion etc.  sont  rappelés  dans  une  de  ces  prières.  L'évoque  l'ayant 
fait  lever  lui  met  sur  l'épaule  droite  la  partie  de  dessous  de  YOra- 
rio  (i)  ,  puis  il  lui  donne  V E pimanicium  ou  manipule  (a),  et 
l' Epitrachelium ,  ornement  de  lia  ou  autre  matière,  dont  le  prê- 
tre ,  selon  Habert ,  s'enveloppe  la  tête  ou  simplement  le  cou  ,  et 
qu'Erasme  dans  la  liturgie  de  S.1  Chrysostôme  désigne  sous  le  nom 
de  Cervicale ,  d'autres  sous  celui  de  Collier  et  même  d'étole  (3),  et 


(i)  h' Orario  est  à  proprement  parler  la  marque  distinctive  du  dia- 
conat ,  et  consiste  en  une  espèce  d'étole ,  ou  bande  blanche ,  sur  laquelle 
est  écrit  ou  brodé  trois  fois  le  mot  ayioç ,  qui  signifie  saint ,  et  se 
porte  en  travers  des  épaules  de  droite  à  gauche.  Le  diacre  qui  en  est 
revêtu  en  lève  un  des  bouts  de  la  main  droite  ,  pour  inviter  au  silence 
ou  demander  attention.  Le  mot  orarium  ,  quoique  latin  ,  fut  aussi  adopté 
par  les  Grecs  ,  et  dérive  du  mot  os  ,  ris  ,  qui  veut  dire  bouche  ,  parce 
qu'il  servait  à  l'essuyer  chez  les  Latins.  Voici  comment  Habert  s'explique 
à  ce  sujet,  Pontif  ,  pag.  n.  ^  commuai  igitur  Orario ,  sacrum  nuncu- 
patum  est,  quod  erat  etiam  apud  veteres  non  intégra  ac  tota  vestis  , 
prout  quidam  autumarunt ,  sed  instita  quaedam  ac  fascia  oblongior  hu- 
mero  sinistro  diaconi  imposita ,  supra  Dalmaticam ,  ut  docet  S.  Ger- 
tnanus  in  Theoria  ;  quam  deoctra  prehendere  diaconus  consueverat ,  cum 
solemniter  aliquid  ageret ,  loqueretur  ,  ac  nuntiaret  :  ad  modum  scilicet 
orariarum  ,  quibus  in  altum  sublatis  favere  ,  seu  favoris  signum  obten- 
dere  dicebatur  populus  ,  ut  est   apud  Aureliani  Imperatoris    historicum. 

(2)  Les  prêtres  Grecs  portent  deux  manipules  ,  l'un  au  bras  droit 
sur  lequel  est  représentée  en  peinture  ou  en  broderie  l'image  du  Sau- 
veur ,  et  l'autre  au  bras  gauche.  Ge  n'est  maintenant  qu'aux  Pontifes 
qu'il  est  permis  de  porter  ces  deux  ornemens.  Le  manipule  des  Grecs 
s'appelle  aussi  jxavdvhiov ,  ou  serviette ,  et  les  pètres  s'en  servaient  an- 
ciennement pour  s'essuyer  la  sueur,  et  pour  nétoyer  les  vases  durant  la 
célébration  des  saints  mystères. 

(5)  Y? é tôle  sacerdotale  dont  il  s'agit  ici  est  plus  large  que  V orario  : 
et  n'offre  point  le  mot  ayioç.  Le  prêtre  la  porte  croisée  sur  la  poitrine, 
et  le  Diacre  laisse  flotter  Yorario.  On  entendait  par  le  mot  ètole  chez  les 


de    là    Grèce.  58y. 

qui  est  l'amict  des  prêtres  latins.  Enfin  le  nouveau  prêtre  est  re- 
vêtu du  Phenoïium  proprement  dit,  c'est-à-dire  de  la  chasuble. 
L'Evêque  termine  la  cérémonie  par  baiser  l'autel ,  ce  que  font  aussi 
les  prêtres,  qui  baisent  en  outre  la  main  droite  et  une  joue  à  l'Eve- 
que,  après  quoi  ils  s'embrassent  entr'eux. 

Le  prêtre  qui  doit  être  promu  à  la  dignité  d'Evêque,  est  remis  Ordination 
par  ses  confrères  entre  les  mains  de  deux  prélats,  appelés  apxiepeiï  , 
ou  pontifices  primaril  dans  le  Pontifical.  Après  les  cérémonies  pré- 
liminaires ,  qui  sont  les  mêmes  que  dans  les  ordinations  précéden- 
tes j  le  Chartophylaoc ,  ou  Y  Archiviste ,  présente  au  Patriarche,  ou  à 
son  défaut  à  l'Evêque  consacrant  le  Contacium ,  qui  est  un  petit 
recueil  d'actes,  de  formules  et  autres  choses  semblables  concernant 
le  sacre  d'un  Evêque  (1).  Le  Patriarche  prend  de  la  main  gauche 
le  Contacium  3  et  mettant  la  main  droite  sur  la  tête  de  l'ordînand 
il  lit  la  formule  du  sacre,  puis  il  lui  pose  sur  la  tête  le  livre 
d'Evangiles  ouvert  3  pour  lui  faire  entendre  qu'il  est  sous  le  joug  de 
l'Evangile  (a).  Les  Evêques  assistans ,  dont  le  nombre  n'est  point 
déterminé  dans  l'église  Grecque  pour  cette  ordination,  touchent 
tous  ensemble  ce  livre.  Cette  cérémonie  n'a  lieu  cependant  qu'après 
que  ces  mêmes  Evêques  ont  touché  la  tête  de  l'ordînand  ,  tandis  que 
le  Patriarche  fait  trois  fois  sirr  lui  le  signe  de  la  croix.  Après  avoir 
récité  les  prières  d'usage  ,  que  nous  nous  abstenons  de  rapporter 
pour  plus  de  brièveté  ,  et  remis  l'Evangile  sur  l'autel  3    le  Patriar- 

anciens  Grecs  et  les  Latins  une  robe  de  femme  ou  de  matrone  ;  et  lors- 
qu'ils parlaient  d'ornemens  sacrés,  ils  comprenaient  sous  cette  dénomina- 
tion toute  espèce  d'habits  sacerdotaux  :  c'est  également  dans  ce  sens  que 
le  mot    ètole  est  pris  au  chap.    2.8  de  l'Exode. 

(1)  Voy,  Habert  pontif.  pag.  5g.  Peut-être  que  le  Contacium  n'est 
plus  usité  aujourd'hui.  L'état  présent  des  Grecs  a  ouvert  la  porte  au  dé- 
sordre et  à  la  négligence  dans  toutes  leurs  élections.  C'est  pourquoi  nous 
n'avons  fait  mention  ici  que  des  principales  cérémonies  concernant  les 
ordinations  d'après  le  Pontifical,  non  comme  elles  sont  présentement _, 
mais  comme  elles  devraient  être;  et  nous  en  ferons  de  même  pour  celles 
que  nous  rapporterons  au  sujet  de  la  messe.  Voy.  Picart  Torn.  III. 
pag.    i3a. 

(2)  On  trouve  dans  le  Pont.  Gr, ,  pag,  5g,  un  beau  morceau  de 
S.1  Jean  Chrysostôme  sur  cette  cérémonie. 


558  HeligIon 

che  donne  le  Pal/iwn  à  l'ordinand  (i).  Toutes  ces  cérémonies  sont 
accompagnées  des  chants  du  choeur,  et  suivies  du  baiser  de  paix  dont 
nous  venons  de  parler  à  l'ordre  de  la  prêtrise;  et  elles  se  termi- 
nent par  des  bénédictions ,  dans  le  nombre  desquelles  les  Empereurs 
donnaient  aussi  la  leur.  Le  nouvel  Evoque  reçoit  la  bénédiction  du 
Patriarche,  et  s'assied  ensuite  à  sa  droite  sur  le  siège  épiscopal  (a). 
Nous  passons  sous  silence  plusieurs  autres  cérémonies  moins  impor- 
tantes, qu'on  peut  voir  dans  le  pontifical  d'Habert  ,  et  dans  l'En- 
coiogie  ou  Rituel  de  Goar  ,  pour  nous  arrêter  à  d'autres  circons- 
tances, d'un  plus  grand  intérêt  pour  le  costume.  Premièrement  ,  les 
Evêques,  dans  l'église  Grecque,  ne  donnent  point  la  bénédiction 
de  l'autel,  mais  sur  la  porte  du  sanctuaire,  et  aussitôt  après  la 
communion  générale;  et  les  assistans  la  reçoivent  sans  fléchir  le  ge- 
nou (3).  L'Evêque  en  la  donnant  ne  fait  pas  seulement  le  signe 
de  la  croix,  mais  encore  il  plie  les  doigts  de  manière  à  représenter 
ie  nom  de  Jésus  Christ ,  en  figurant  les  lettres  IG.  XG.  Secondement, 
les  Grecs  ne  font  aucune  onction  dans  la  consécration  des  Prêtres  et 
des  Evêques.  Troisièmement ,  outre  le  pallium  et  les  autres  vêtemens 
sacerdotaux  dont  nous  venons  de  faire  mention,  il  en  est  deux  autres 
particuliers  aux  Evêques,  savoir;  V Epigonaùum ,  appelé  Super gon- 
metropoiiums.  naie  (jang  ja  version  de  la  Liturgie  de  S.!  Ghrysostôme,  lequel  est  une 


Bénédiction 
■épiscopale. 


P Siemens 

propres 

4.VLX  Evêques  , 

au  Patriarche 

et  aux 


(i)  Dans  l'église  Grecque  les  Evêques  ont  tous  le  droit  de  porter 
ïe  pallium.  Les  Grecs  lui  donnaient  le  nom  de  £h[LO<popiov  >  mot  qui 
signifie  en  Latin  humerai  ou  ornement  à  couvrir  les  épaules  ;  il  est  en 
laine  ,  et  regardé  comme  l'emblème  de  la  brebis  égarée  que  trouva  le 
Seigneur  ,  et  qu'il  rapporta  au  bercail  sur  ses  épaules.  L'ancien  pallium  , 
tel  qu'il  est  usité  aujourd'hui  chez  les  Grecs  ,  a  la  forme  d'une  longue 
bande  parsemée  de  croix  ou  d'images  sacrées.  Il  pend  le  long  du  dos  et 
sur  la  poitrine  ,  et  descend  au  dessous  du  genou. 

(2)  Selon  le  Pontifical  Grec  ,  le  trône  de  l'Evêque  était  anciennement 
placé  prés  de  la  sainte  table,  ou  de  l'autel.  C'est  pourquoi  S.1  Athauase 
(  Epist.  ad  solllar.  )  cite  parmi  les  choses  sacrées  la  sainte  table  de  bois  , 
le  trône  et  les  cscabelles  ou  bancs ,  c'est-à-dire  les  sièges  des  prêtres 
qui.  assistent  l'Evêque. 

{5)  Apud  Graec&s  tamen  non  ita  frequens  est  gcnufiexio^  et  quia 
mos  antiquus  standi  in  diebus  dominicis  aliisque  solemnibus  observatur^ 
in  quibus  benedici  solet ,  raro  aut  nunquam  ad  benedictionem  susci- 
pieMdam  populus  ^enujlectit.  Habert,  Pontifie,  pag.  Soi, 


de   la   Grèce.  55o, 

espèce  de  draperie  carrée  qui  pend  des  reins  sur  les  genoux,  et  repré- 
sente, selon  le  Pontifical,  le  linge  avec  lequel  le  Rédempteur  essuya 
les  pieds  à  ses  Apôtres  ;  et  la  chappe ,  appelée  chez  les  Grecs  Mandyas 5 
nom  commun  aux  autres  vêtemens  sacerdotaux  comme  on  l'a  vu 
plus  haut,  laquelle  a  la  forme  de  celle  des  Latins,  mais  diffère 
de  celle  des  simples  prêtres  par  certaines  bandes  rouges  et  blan- 
ches appelées  rivières ,  qui  sont  tissues  dans  toute  sa  longueur.-  Ces 
bandes  se  voient  également  quelquefois  sur  la  tunique  et  autres  vê- 
temens des  Evêques  (i).  Nous  remarquerons  aussi  que  celle  des 
Evêques  est  toute  panemée  de  croix  ,  et  se  nomme  pour  cela  Polys^ 
taurium  ,  qui  veut  dire  tissue  à  plusieurs  croix.  Les  Patriarches  et 
les  Archevêques  ou  Métropolitains  portent  en  outre  une  espèce  de 
camisole  courte  et  sans  manche  appelée  aaxxoç  ,  ou  sac  ,  par  allu- 
sion au  sac  ou  à  la  robe  dont  le  Rédempteur  fut  revêtu  par  dé- 
rision. Le  Polystaur'ium  du  Patriarche  3  outre  ces  croix,  est  encore 
parsemé  de  triangles,  qui  signifient  la  pierre  angulaire  ,  ou  Jésus 
Christ. 

Les  ornemens  sacrés  dont  nous  venons  de  parler  sont  à-peu-près  Anneau, 
les  mêmes  que  chez  les  Latins.  On  pourrait  nous  demander  mainte-  "^L'oT" 
nant  si  les  Evêques  Grecs  portent  comme  ceux-ci  l'anneau,  la  croix 
sur  la  poitrine  >  la  mitre  et  le  bâton  pontifical.  Selon  Pachimère  , 
les  Evêques  d'orient  qui  se  présentèrent  au  Pape  Grégoire  X  en 
qualité  d'ambassadeurs,,  étaient  décorés  de  ces  ornemens.  Cepen- 
dant j,  l'usage  n'en  parait  pas  général  parmi  eux,  excepté  le  bâton, 
et  la  croix  qui,  selon  Goar  s  se  donne  à  l'Evêque  après  le  pallium9 
laquelle  est  remplie  des  reliques,  et  suspendue  à  une  petite  chaîne, 
qui  pour  cela  s'appelle  eyolmov.  Les  Evêques  Grecs  étant  pris  parmi 
les  moines  n'ont  pour  coiffure  que  leur  capuchon:  ce  qui  fait  qu'à 
la  consécration,  au  lieu  de  la  mitre  on  leur  donne  l'Evangile,  se- 
lon  la  Liturgie    de    S.1  Chrysostôme   (a). 


(i)  On  trouve  dans  le  Rituel  Grec  que  ces  bandes  signifient  la 
grâce  de  la  prédication  }  et  qu'on  leur  a  donné  le  nom  de  rivières  ,  par 
allusion  à  ces  paroles  du  Christ  dans  l'Evangile  Qiti  crédit  in  me  ,  flu- 
mina  de  ventre  ejus  fluent  aquae  vivae. 

(2)  Les  Patriarches  d'Alexandrie  portent  néanmoins  la  mitre  ,  peut- 
être  en  mémoire  du  Patriarche  S.*  Cyrile ,  qui  avait  présidé  le  concile 
d'Ephése  à  la  place  du  Pape  Célestin ,  et  s'y  était  montré   avec   tous  les 


56o  Religion 

oïtificlu  L'usage  du  bâton  pontifical ,  qui    est  comme    l'emblème  de    la 

sollicitude  paternelle  et  de  l'autorité  spirituelle,  est  encore  très- 
ancien  chez  les  Grecs  ;  il  n'est  pas  porté  seulement  par  leurs 
Evêques,  mais  encore  par  les  Archimandrites  et  les  Exarques  fdes 
monastères  ;  et  Godin  nous  assure  qu'il  était  anciennement  con- 
féré par  l'Empereur.  Cependant  le  bâton  monastique  est  ordi- 
nairement plus  petit  que  l'épiscopal ,  et  en  ébène  incrustée  d'ivoire 
au  lieu  d'être  en  argent.  Son  extrémité  supérieure  ,  où  pose  la  main  , 
est  surmontée  d'uu  morceau  d'ivoire  ou  autre  matière,  placé  en  tra- 
vers en  forme  de  croix  ,  et  dont  les  deux  bouts  se  recourbent  en 
haut  comme  des  crochets ,  ou  sous  la  figure  de  serpens  qui  se  regar- 
dent l'un  l'autre.  Les  Prélats  Grecs  portent  ce  bâton  en  voyage  et 
même  lorsqu'ils  vont  se  promener.  Voy.  la  planche  86  n.°  i,  où 
est  représenté  le  Patriarche  de  Gonstantinople  au  pied  de  son  trône, 
sans  l'habit  pontifical  ,  et  donnant  sa  bénédiction.  On  voit  encore 
au  n.°  7  de  la  planche  89  ce  Patriarche  en  habit  de  voyage. 
11  est  néanmoins  à  remarquer  que,  dans  certaines  fonctions  ,  l'Evo- 
que porte  un  bâton  fort-long,  et  qui  se  termine  par  une  espèce  de 
pomme  ,  dont  on  peut  voir  la  figure  au  n.°  1  de  la  planche  86  , 
qui  représente  un  Evêque  allant  à  la  bénédiction  des  eaux.  Le 
Patriarche  (  n.°  7  )  est  remarquable  par  les  deux  capuchons  placés 
l'un  sur  l'autre  qui  lui  couvrent  la  tête  ,  et  ont  la  même  forme 
que  ceux  des  rcsoines.  Il  porte  le  Mandyas  ,  et  tient  d'une  main 
îe  chapeau  sur  lequel   est   brodée  une  croix  en  or. 

Election  g003  }es  Empereurs  Grecs   l'élection  du  Patriarche  se  fesait  de 

i»   Palsiarehs.  *■ 

la  manière  suivante.  Les  Archevêques  et  les  Evêques  présentaient 
à  l'Empereur  trois  candidats,  parmi  lesquels  il  nommait  le  nou- 
veau Patriarche.  Le  candidat  élu  était  conduit  devant  l'Empereur , 
qui  était  assis  sur  son  trône,  revêtu  des  ornemens  impériaux,  et 
entouré  de  toute  sa  cour.  Un  des  Grands  le  prenant  par  la  main, 
l'accompagnait  devant  l'estrade  sur  laquelle  s'élevait  le  trône.  Alors 
«o  héraut  présentait  le  bâton  pontifical  à  l'Empereur,  qui,  les 
yeux  fixés  sur  le   Patriarche  ,  prononçait  à  haute  voix  ces  paroles  : 

ornemens  du  Pontife  de  Rome.  Quelques  écrivains  assurent  aussi  que  le 
patriarche  de  Constantinople  ,  pour  affecter  peut-être  une  dignité  sem- 
blable à  celle  du  Pape  ,  porte  la  tiare  surmontée  d'une  couronne  et  de 
quatre  «roix.  V.  Goar  j  Rituel,  pag.  a5o^ 


ôe    la    GrIce.  56 1 

En  vertu  du  pouvoir  qui  nous  a  été  donné  par  la  Très-sainte  Tri- 
nité  ,  vous  êtes  nommé  Archevêque  et  Patriarche  œcuménique  de  Cons* 
tantinople  ,  nouvelle  Rome.  Ces  mots  étaient  suivis  d'acclamations  B 
pendant  lesquelles  le  Patriarche  s'avançant  au  pied  du  trône  rece- 
vait des  mains  du  Monarque  le  bâton  pontifical,  et  allait  ensuite 
se  placer  sur  le  siège  ou  espèce  de  trône,  qui  lui  était  destiné  vis- 
à-vis  celui  de  l'Empereur.  Après  de  nouvelles  acclamations,  le  Pa- 
triarche ,  monté  sur  un  cheval  couvert  d'une  grande  housse  blanche, 
et  suivi  des  Grands  de  la  cour  en  habits  de  cérémonie  ,  était  con- 
duit au  temple  de  Sainte  Sophie.  Là,  en  présence  de  l'Empereur  Son  sacre., 
il  était  sacré  par  l'Archevêque  d'Héraclée,  qui,  dans  les  premiers 
terns  de  l'église  ,  avait  été  métropolitain  de  Bysance  ,  appelée  depuis 
Constantinople.  Le  sacre  se  fesait  à-peu-près  avec  les  mêmes  céré- 
monies que  celui  des  Evêques  ,  excepté  que  devant  le  Patriarche  % 
comme  devant  les  Empereurs ,  on  portait  une  torche  on  une  lampe 
allumée:  cérémonie  qui  a  lieu  également  dans  toutes  les  fonctions- 
patriarchales.  Ce  Patriarche  ,  comme  nous  l'avons  vu  plus  haut  ,  ne 
peut  prendre  possession  de  sa  charge  qu'au  moyen  de  sommes  con- 
sidérables ,  qu'il  est  obligé  de  payer  au  Grand  Seigneur  et  à  ses 
ministres  (i).  Mahomet  II,  qui  rit   la  conquête  de  Constantinople, 

(i)  Voici  quelques  particularités  rapportées  sur  cet  article  par  Picarfe 
Tom.  III.  pag.  76,  et  par  le  P,  Simon,  Biblloth.  Critique  tom,  I.  chap.  a3. 
Le  Patriarche  Metodius  ,  déposé  en  1670  par  l'effet  des  intrigues  de  Par- 
thenius  ,  trouva  le  siège  patriarchal  endetté  d'une  somme  de  plus  de  trois 
cent  mille  écus.  Il  en  remboursa  deux  cent  mille  les  deux  premières  année3 
de  son  pontificat,  c'est-à-dire  depuis  1667  jusqu'à  1670.  Parthenius,  qui 
lui  succéda  ,  fut  obligé  d'en  payer  cent  mille  au  Grand  Seigneur  et  aux 
ministres  ,  et  ses  brigues  lui  en  coûtèrent  cent  mille  autres.  Ainsi  son 
élection  vint  à  lui  coûter  deux  cent  mille  écus,  qui,  avec  les  cent  mille 
dont  Metodius  était  encore  redevable  ,  et  les  intérêts  énormes  de  tout  le 
capital ,  formaient  la  dette  totale  de  l'église.  Dans  ces  sortes  d'occasions  t 
le  Patriarche  fait  des  emprunts  au  40  et  même  au  5o  pour  cent  d'intérêt  j 
et  les  Turcs,  à  peine  remboursés,  s'empressent  de  provoquer  la  nomina- 
tion d'un  autre  métropolitain  pour  lui  offrir  de  l'argent  au  même  prix. 

Le  revenu  du  patriarchat  de  Constantinople  est  d'environ  quarante 
mille  écus  par  an.  Cette  somme  provient,  i.°  de  la  nomination,  ou  pour 
mieux  dire  de  la  vente  des  Evêchés  et  des  bénéfices  vacans  ;  2.0  d'une 
rétribution  annuelle  des  Èvêques ,  des  curés  ,  des  monastères  ,  et  même 
des  simples  prêtres  ,  qui ,  à  Constantinople  ,  payent  au  Patriarche  un  éeu 

Europe.   Vol    J.  ni 


56a  Religion 

avait  accordé  de  grands  honneurs  à  Gennadius,  premier  Patriar- 
che de  Bysance  après  la  conquête.  Il  lui  remit  lui-même  le  bâton 
pastoral,  lui  fit  présent  d'un  riche  pailium,  d'un  cafetan  de  zi- 
beline, qui  dans  le  levant  est  la  tunique  des  Grands,  d'un  cheval 
blanc  ,  et  lui  assura  une  pension  considérable.  Il  lui  permit  en 
outre  d'aller  à  cheval  par  la  ville,  et  de  porter  la  croix  d'or  sur 
le  chapeau  patriarchal  ,  lui  donna  même  quelqu'autorité  sur  le 
temporel  des  Grecs.  Trois  Patriarches  jouirent  successivement  de 
ces  privilèges.  Ioasaf,  le  dernier  d'entr'eux  ,  fut  déposé  par  ordre 
de  Mahomet,  qui  lui  fit  en  même  tems  raser  la  barbe:  ce  qui  est 
une  marque  d'infamie  pour  les  moines  et  les  Evêques  Grecs.  Il  eut 
pour  successeur  un  certain  Marc  Chilo  Carabes,  homme  ignorant  et 

par  an  ;  3.°  de  la  même  taxe  sur  les  mariages  des  Grecs  dans  la  même 
ville ,  taxe  qui  est  du  double  ou  du  triple  lorsqu'il  s'agit  d'un  mariage  en 
secondes  ou  troisièmes  noces;  4.0  de  la  succession  des  prêtres  qui  meurent 
Sans  enfans,  et  dont  le  Patriarche  est  héritier  de  droit;  5.°  des  legs  de  tout 
genre  ,  que  lui  font  quelques  riches  avant  de  mourir  ;  6°  de  plusieurs 
autres  petites  sommes  provenant  des  aumônes,  des  carêmes  et  autres 
causes  ^semblables.  Toutes  ces  ressources  formeraient  un  revenu  considé- 
rable ,  si  le  produit  ne  devait  pas  en  passer  par  tant  de  mains ,  avant 
d'arriver  dans  celles  du  Patriarche. 

Après  lui ,  le  plus  riche  est  le  Patriarche  de  Jérusalem.  Ce  prélat  se 
fait  tous  les  ans  une  forte  somme  au  moyen  du  Feu  Saint ,  qui  est  une 
cérémonie  où  il  y  a  plus  de  bizarrerie  que  de  dévotion.  C'est  une  opinion 
établie  chez  les  Grecs  que  ,  tous  les  ans  au  samedi  saint,  Dieu  envoie 
du  ciel  un  feu  dans  le  saint  sépulcre.  Les  Grecs  s'y  portent  en  foule  pour 
.allumer  à  ce  feu  sacré  un  cierge  ou  une  lampe.  Mais  nul  ne  peut  entrer 
dans  cette  enceinte  qu'en  payant  une  somme  convenue  au  Patriarche.  L'em- 
pressement des  dévots  pour  y  entrer  est  tel,  qu'ils  se  jettent  les  uns  sur 
les  autres,  s'injurient,  se  battent  et  renversent  le  Patriarche  et  les  Evê- 
ques de  sa  suite.  Les  efforts  de  la  garde  Turque  sont  vains  pour  appai- 
ser  le  tumulte  ,  et  la  cérémonie  ne  se  termine  pas  sans  qu'il  y  ait  du 
sang  de  versé,  et  même  quelque  dévot  de  tué.  On  peut  voir  la  descrip- 
tion qu'en  donne  Picart  à  la  pag.  143  de  son  III. e  vol.  Le  plus  pauvre 
des  Patriarches  Grecs  est  celui  d'Antioche.  Le  Patriarche  dAlexandrie 
jouit  d'un  grand  crédit  dans  l'ordre  ecclésiastique  ,  et  se  fait  craindre  par 
sa  censure.  Il  est,  ainsi  que  celui  de  Jérusalem,  moins  exposé  que  celui 
de  Constantinople  à  l'avarice  des  Turcs  ;  aussi  régne-t-il  plus  de  liberté 
4&AS  leur  ékction. 


de    la    Grèce.  563 

plein  d'orgueil  ,  qui  ,  pour  parvenir  au  Patriarchat ,  consentit  non 
seulement  à  renoncer  à  la  pension  ,  mais  même  à  payer  un  tri- 
but au  Grand  Seigneur,  lequel,  dans  son  indignation,  révoqua 
tous  les  privilèges  qui  avaient  été  accordés  à  l'église  Grecque. 
Depuis  lors,  le  Patriarchat  ne  fut  plus  qu'un  objet  de  conquête, 
qui  s'obtenait  par  l'intrigue,  par  la  bassesse,  et  par  la  plus  infâme 
simonie.  Néanmoins  le  Grand  Seigneur  est  encore  dans  l'usage  de 
donner  au  nouveau  Patriarche  une  haquenée,  un  capuchon  noir, 
nn  bâton  pontifical  et  un  cafetan  brodé.  Ce  Patriarche,  suivi  de 
son  clergé,  d'officiers  Turcs  et  d'une  escorte  de  Janissaires,  se  rend 
à  l'église  Patriarchale ,  à  la  porte  de  laquelle  il  est  reçu  par  les 
Métropolitains,  qui  ont  chacun  à  la  main  un  cierge  allumé  (i),  et 
l'introduisent  dans  l'église.  L'Archevêque  d'Héraclée  ,  revêtu  de  ses 
habits  pontificaux  ,  le  prend  par  la  main  ,  le  conduit  à  la  chaire 
patriarchale,  et  le  présente  au  peuple  comme  son  Patriarche  cano- 
niquement  élu.  Après  diverses  prières ,  le  même  Archevêque  lui  re- 
met la  croix  et  les  autres  ornemens  Pontificaux,  aux  acclamations 
réitérées  de  la  multitude.  La  cérémonie  se  termine  par  une  Messe 
qui  est  célébrée  avec  toute  la  pompe  qu'on  y  met  dans  les  plus 
grandes  solennités  (i).  La  cour  du  Patriarche  se  compose  de  plu- 
sieurs dignités  spirituelles  et  temporelles,  dont  Picart  et  Goar  don- 
nent  le  détail. 

(i)  Les  Janissaires  et  les  officiers  Turcs  accompagnent  l'élu ,  moins 
comme  un  Patriarche  que  comme  un  esclave.  Arrivés  à  la  porte  de  l'église  , 
ils  font  lire  quelques  décrets  ,  portant  l'ordre  de  le  reconnaître,  de  pour- 
voir à  son  entretien  ,  et  de  payer  les  dettes  ,  sous  peine  de  la  baston- 
nade ,  de  la  confiscation  des  biens  et  de  l'interdiction. 

(2)  Cyrile  Lucar  ,  dans  une  de  ses  lettres  que  l'auteur  des  Monu- 
mens  authentiques  de  la  religion  des  Grecs  a  fait  imprimer  en  1708  , 
dit  que  le  Patriarche  élu  se  tient  debout  au  milieu  de  l'église  sur  une 
draperie  où  est  représenté  un  aigln  en  peinture  ou  en  broderie.  La  drape- 
rie qui  est  sous  ses  pieds  signifie  qu'il  doit  mépriser  et  fouler  de  même 
aux  pieds  la  gloire  du  monde.  L'aigle  dont  le  vol  est  rapide  et  élevé, 
l'avertit  qu'il  doit  également  s'élever  au  ciel  par  de  saintes  méditations. 
Nous  observerons  en  passant  que  les  Grecs  croient  voir  un  sens  mysti- 
tique  dans  les  moindres  cérémonies  religieuses  :  ce  qui  ne  contribue  pas 
peu  à  les  entretenir  dans  leur  superstition.  Un  de  leurs  Evoques,  par  exem- 
ple ,  prétendait  qu'il  y  avait  cinq  Patriarches  dans  le  corps  de  leur  église  , 
parce  qu'il  y  a  cinq  sens  dans  le  corps  de  l'homme. 


564  Religion 

Esiise.  Avant  de  passer  à  la  cérémonie  de  la  Messe ,  nous   croyons  à 

propos  d'entrer  dans  quelques  détails  sur  la  forme  des  églises  des 
Grecs  et  de  leurs  autels  ,  nous  réservant  d'en  parler  plus  au  long 
et  d'en  présenter  les  dessins,  lorsque  nous  traiterons  de  l'architec- 
ture de  ce  peuple,  Tournefort ,  en  pariant  des  églises  de  Constan- 
tinople  ,  où  l'on  en  comptait  quarante  du  tems  de  Christ  Angelo  , 
dit  «  quelles  sont  généralement  construites  en  forme  de  croix  Grec- 
««  que  ,  c'est-à-dire  carrées.  Le  chœur  est  toujours  du  côté  de  l'orient. 
tt  On  voit  encore  d'anciennes  églises  qui  ont  deux  nefs  avec  le  toit 
«  en  dos  d'âne.  Le  clocher,  qui  est  maintenant  inutile,  attendu 
«  qu'il  n'y  a  plus  de  cloches,  s'élève  entre  les  deux  toits  sur  le 
«  frontispice  (i).  Les  Grecs  ont  conservé  l'usage  des  coupoles  qui 
«  est  fort-ancien  s  et  ne  réussissent  pas  mal  dans  leur  construc- 
«  tion.   ....   Quant  aux  églises  des  monastères  ,  elles  sont  toujours 

«  situées  au  milieu  des    cloîtres La    nef   est    maintenant  la 

«  partie  la  plus  grande  dans  ces  églises  :  les  fidèles  y  restent  de- 
a  bout  ou  assis  sur  des  espèces  de  sièges  adossés  au  mur  ,  et  faits 
«  de  manière  qu'ils  ont  l'air  d'y  être  en  pied  fa)j,.  Près  du  sanc- 
tuaire est  le  lieu  destiné  aux  chantres  et  au  clergé  ,  excepté  pen- 
dant la  messe  ;  ils  y  occupent  dans  l'ordre  de  leur  hiérarchie  trois 
rangs  de  stalles,  dont  deux  sur  les  côtés  et  vis-à-vis  l'une  de  l'autre, 
et  la  troisième  en  face  du  sanctuaire.    La    première  de  ces   stalles, 

Chaire  dans  la  file  de  droite  en  entrant  par  le  sanctuaire,  est  la  chaire 
épiscopale  ;  elle  est  plus  élevée  ,  plus  ornée  et  plus  grande  que  les 
autres,  comme  le  sont  proportionnellement  celles  des  autres  digni- 
taires :  on  y  voit  en  outre  un  pupitre,  sur  lequel  on  lit  les  Saintes 
écritures.  La  nef  est  séparée  du  sanctuaire  par  une  cloison  qui  est 

(i)  L'usage  des  cloches  chez  les  Grecs  ne  remonte  pas  au  delà  de 
l'an  895,  époque  où  un  patricien  de  Venise  en  envoya  quelques-unes  en 
présent  à  l'Empereur  Michel ,  qui  les  fit  placer  sur  la  tour  de  Sainte  So-r  , 
phie.  Avant  cette  époque  on  se  servait  de  pièces  de  bois  ,  de  verges  ou 
lames  de  métal ,  qu'on  frappait  avec  des  marteaux  pour  appeler  les  fidèles 
h  l'église  :  usage  fort-ancien  ,  dont  il  est  fait  mention  dans  les  Actes  du 
VII.e  Concile  œcuménique.  Les  Grecs  ont  dû  le  reprendre  depuis  que  les 
Turcs  leur  ont  défendu  de  se  servir  des  cloches ,  dont  ils  croient  que  le 
son  trouble  le  repos  des  morts.  Voy.  au  n.°  5  de  la  planche  86  ces  es- 
pèces de  cloches  ,  telles  qu'elles  existent  chez  les  Galogers. 

£2)  '£ournefort  t  J^oyag.  au  Levant.  Lettre  ///. 


çpiçecpule. 


de   t   Crece.  565 

peinte  et  dorée.  Cette  cloison  a  trois   portés:    on    appelle   la  porte        Forte» 

•  it        i  •!•  •  r  i        i  •  71  t         du  sanctuaire; 

sainte  celle  du  milieu  qui  est  en  lace  de  la  sainte  tablQ  ou  du 
maître-autel ,  et  elle  ne  s'ouvre  que  dans  les  grandes  solennités , 
lorsque  le  Diacre  sort  pour  lire  l'Evangile  ,  ou  quand  le  Prêtre 
accompagné  du  Diacre  porte  les  espèces  pour  la  consécration  , 
ou  enfin  pour  la  communion  qui  se  fait  à  ^on  entrée.  Les  deux 
portes  latérales ,  moins  grandes  que  la  première,  sont  vis-à-vis  les 
deux  autels  des  côtés,  dont  nous  parlerons  plus  bas.  Le  sanctuaire 
est  la  partie  la  plus  élevée  dans  l'intérieur  de  l'église ,  quoique 
pourtant  il  n'y  eût  anciennement  qu'un  seul  degré  pour  y  monter. 
Il  a  au  fond  la  forme  d'un  demi-cercle,  au  milieu  duquel  est  le 
trône  épiscopal ,  avec  des  sièges  alentour  pour  le  clergé  durant  la 
célébration  de  la  Messe.  Il  y  a  trois  autels  dans  le  sanctuaire. 
On  voit  sur  le  plus  grand  ,  qui  est  au  milieu  ,  des  chandeliers  ,  la 
Croix  et  le  livre  des  Evangiles,  qui  dans  le  rite  Grec  reste  tou- 
jours au  milieu  de  l'autel  ,  et  devant  lequel  brûle  sans  cesse  une 
lampe.  Cet  autel  s'appelle  sainte  table,  et  ne  sert  que  pour  le  Sainte  table* 
service  divin.  Aux  termes  du  Rituel,  il  n'a  proprement  que  la  figure 
d'une  table  à  manger,  soutenue  par  quatre  pieds  ou  espèces  de  co- 
lonnes qui  renferment  des  reliques  de  martyrs,  ensorte  que  le  des- 
sous en  est  parfaitement  libre:  construction  qui  explique  de  quelle 
manière,  au  rapport  de  Socrate  l'historien,  Alexandre,  Patriarche 
d'Alexandrie,  avait  pu  se  mettre  en  prière  sous  la  sainte  table  le 
visage  penché  vers  la  terre,  et  comment  cet  espace  vide  pouvait  offrir 
un  asile.  Le  Rituel  place  aussi  sous  la  sainte  table  le  sacrarium, 
ou  la  piscine  destinée  à  recevoir  l'eau  qui  a  servi  au  prêtre  pour 
se  laver  les  mains,  et  à  nétoyer  les  linges  et  ustensiles  sacrés  (i). 
La  sainte  table  se  trouve  sous  une  espèce  de  tabernacle  ou  de  cou-  TahemacU. 
pôle  soutenue  par  quatre  colonnes  (a)  ,  auxquelles  étaient  attachés 
anciennement  les  rideaux  ou  les   courtines  dont  eile   était  en  vélo  p~ 

(i)  On  lit  dans  Godin  ,  que  Justin  avait  fait  fabriquer  en  or  et  en 
pierres  précieuses  la  piscine  de  Sainte  Sophie  à  Gonstantinople  ,  et  qu'on 
montait  à  la  sainte  table  par  des  degrés  recouverts  en  lames  d'or. 

(2)  Godin  donne  le  nom  de  Ciborium  à  cette  espèce  de  voûte  ou  de 
coupole  ,  et  ajoute  que  Justinien  avait  fait  construire  en  argent  le  ciborium 
et  les  colonnes  qui  lui  servaient  de  support  dans  l'église  de  Sainte  Sophie, 
Telle  est  la  forme  du  maître-autel  de  l'église  de  S.1  Ambroise  à  Milan. 


566  Religion 

pée  :  on  y  voyait  aussi  alors  une  colombe  en  or,  ou  une  petite 
tour  en  argent,  où  l'on  conservait  l'Eucharistie,  qui  est  déposée 
maintenant  dans  un  endroit  appelé  aproipopiov  9  consacré  à  cet  usa- 
ge, et  qui  est  derrière  l'autel.  A  droite  de  la  sainte  table  est  l'au- 

Proihesis.  teï  nommé  Upo^ecnç ,  ou  table  de  la  proposition ,  sur  lequel  se  font 
l'offrande  et  la  bénédiction  du  pain  et  du  vin  ,  et  qui  est  en  face 
d'une  des  petites  portes    du    sanctuaire  (i).    A   gauche,   est  l'autel 

Diaconicon.  appelé  kiaxovbnov  ,  ou  la  table  des  Diacres,  qui  répond  à  la  cré- 
dence  des  Latins,  sur  lequel  on  dépose  les  vases,  les  livres  sacrés 
et  les  habits  sacerdotaux  ,  et  qui  est  vis-à-vis  de  l'autre  petite  porte 
du  sanctuaire. 

Ces  notions  préliminaires  sur  les  églises  et  les  autels  des  Grecs 
étaient  indispensables ,  pour  donner  plus  de  clarté  à  ce  que  nous 
allons  dire  au  sujet  de  îa  Messe.  Nous  suivrons  en  cela  strictement 
la  Liturgie  de  S.'  Chrysostôme  ,  et  nous  ne  nous  arrêterons  qu'aux 
choses  les  plus  essentielles ,  pour  ne  pas  tomber  dans  de  fréquentes 
et  fastidieuses  répétitions,  qui  seraient  inévitables,  s'il  nous  fallait 
entrer  dans  des  explications  sur  les  prières  multipliées  qui  se  font 
avant,  pendant,  et  après  la  Messe,  et  particulièrement  sur  le  sens 
mystique  que  les  Grecs  y  attachent.  Les  préparations  du  sacrement 

Cérémonies     se  font  sur  l'autel  de  la  Prolhesis.    Le  Diacre  y   porte    le  pain  3  le 

préparatoires  m  %  »>i  t        1    t      *  i> 

de  la  ivietse.  vm  ,  la  patène  et  le  calice.  Apres  les  saluts  et  la  bénédiction  ,  le 
prêtre  prend  de  la  main  gauche  le  pain  destiné  à  l'offrande,  et  de 
îa  droite  le  couteau  avec  lequel  il  fait  une  croix  sur  la  partie  con- 
vexe du  pain  ,  qu'il    coupe  ensuite  également  en  forme  de  croix  en 

vonsécra^on.  quatre  endroits,  où  l'on  a  imprimé  avec  un  sceau  les  lettres  initia- 
les ÏC,  XC,  N,  K:  ces  lettres,  dont  le  sens  est  fyçoiç  Xpiroç  Nixà, 
Jésus  Christ  vainquit ,  font  allusion  aux  trois  croix  élevées  par  Cons- 
tantin dans  sa  nouvelle  ville,  et  sur  chacune  desquelles  on  lisait 
ces  paroles  (a).    Voy.    les  n.°*  3  et  4  de    la    planche  88  ,    qui  sont 

(1)  On  ne  célèbre  qu'une  seule  Messe  par  jour  dans  les  églises  Grec- 
ques ,  c'est  pourquoi  on  n'y  voit  qu'un  autel  pour  le  sacrifice  divin  ;  et  si 
pour  un  motif  quelconque  on  y  en  construit  un  second  ,  il  est  totalement 
isolé  ,  ou  entouré  d'un  mur  ,  et  forme  comme  un  oratoire  ,  ou  un  supplé- 
ment fait  au  corps  de  l'église.  L'usage  d'un  seul  autel  chez  les  Grecs  est  très- 
ancien  ,  et  Eusèbe  l'appelle  (lovoysrèç  SrvaiaçTvpiov.  V.  Goar.  Rit  pag.    i5. 

(2)  Les  Grecs  ,  comme  nous  l'avons  observé  ,  font  usage  du  pain  fer- 
menté pour  l'eucharistie.  Ce  pain  est    quelquefois    carré  ,    mais   plus    sou- 


dé   là   Grèce.  56^ 

pris  du  Rituel  Grec  (i).  Le  prêtre  enfonçant  le  couteau  dans  le 
côté  gauche  du  pain ,  au  signal  que  lui  en  fait  le  Diacre  avec1 
YOrario  3  l'élève  en  disant ,  sa  vie  a  été  prise  de  la  terre ,  puis  il 
le  pose  sur  la  patène ,  après  quoi  le  Diacre  lui  dit  ,  immolez  Sei- 
gneur :  aussitôt  il  entame  avec  le  couteau  le  côté  droit  du  pain , 
en  mémoire  de  la  blessure  qu'un  des  soldats  ouvrit  avec  sa  lance 
dans  le  côté  du  Rédempteur;  et  le  Diacre,  par  allusion  au  sang 
et  à  l'eau  qui  sortirent  de  cette  blessure,  verse  immédiatament  l'eau 
et  le  vin  dans  le  calice.  On  tire  ensuite  par  ces  ouvertures  la  mie 
du  pain  ,  dont  on  fait  un  morceau  carré  qui  sert  à  la  consécration. 
Le  célébrant  prend  un  second  pain  ,  qu'il  bénit  en  l'honneur  d» 
la  Vierge,  puis  il  en  prend  un  second  ,  un  troisième  3  un  quatriè- 
me etc.  dont  il  fait  la  môme  chose  en  l'honneur  de  S.1  Jean  Bap- 
tiste ,  des  Prophètes  etc.  :  cérémonie  qu'il  répète  encore  avec  d'au- 
tres pains  ou  fragmens  de  pain  pour  le  Patriarche  ,  pour  l'Evêque 
de  son  diocèse,  pour  les  prêtres,  et  même  pour  les  morts.  Après 
cela  il  vient  encenser  Vastérisque  (a.)  ,    les    linges  qui    enveloppent 

vent  rond  et  un  peu  convexe  sur  un  des  côtés,  de  manière  qu'en  enle- 
vant la  croûte  avec  les  quatre  parties  coupées  ,  on  voit  celle  du  milieu 
ou  la  mie  presque  sous  la  forme  de  l'agneau  divin ,  qui  est  prêt  d'être 
immolé.  Le  couteau  s'appelle  Aopei?  ,  ou  lance ,  en  mémoire  de  cell» 
qui  perça  le  côté  du  Rédempteur.  Le  pain,  selon  Durand  cité  par  Goar, 
devrait  toujours  être  rond  ,  comme  étant  l'image  des  deniers  donnés  à 
Judas  pour  prix  de  sa  trahison.  D'après  le  Rituel,  ce  pain  ne  peut  être 
apprêté  que  par  des  vierges ,  par  les  femmes  des  prêtres  ,  ou  bien  par 
les  Diaconesses  ou  femmes  des  Diacres  ,  pourvu  qu'elles  ne  soient  ni  leg 
unes  ni  les  autres  dans  leurs  cours.  Les  femmes  des  prêtres  et  des  diacres 
ont  dans  l'église  une  place  distinguée  ,  et  prés  du  sanctuaire.  Il  est  à  ob- 
server que  les  femmes  en  général  y  occupent  le  côté  gauche  en  entrant. 
Les  premières  se  font  encore  remarquer  par  la  modestie  de  leur  habille- 
ment }  et  par  un  voile  blanc  qui  leur  ceint  la  tête.  Quant  aux  anciennes 
Diaconesses  ,  qui  formaient  aussi  un  ordre  sacré  et  hiérarchique  chez  les 
Grecs,  il  faut  lire  Goar.  Rit.  pag.  219  et  suiv.  Nous  observerons  encore 
qu'avant  la  consécration  réelle,  les  pains  s'appellent  dons  consacrés  :  nom 
qui  se  donne  à  tout  autre  pain  présenté  par  les  dévots  à  la  Prothèsis  , 
et  qui  se  distribue  au  peuple  après  la  Messe. 

(1)  Nous  avons  cru  aussi  à  propos  de  représenter  dans  la  même 
planche,  sous  les  n.os  5  et  6  ,  la  ligure  du  pain  dont  les  Grecs  Cophtes 
font  usage  dans  l'Eucharistie. 

(2)  Selon  Tourne  fort }    V  Astérisque  est  une  croix  d'argent  ou    autre 


568  Religion 

le  calice  et  la  patène  (i)  ,  et  un  autre  linge  plus  grand  appelé 
Aer  ,  qui  sert  à  couvrir  les  deux  espèces.  Viennent  ensuite  les  priè- 
res qui  accompagnent  l'offertoire  ,  après  lesquelles  le  célébrant  en- 
cense la  Prothésis  ;  puis  ayant  fait  d'autres  prières  et  récité  le 
psaume  L,  il  encense  également  le  chœur,  la  sainte  table  et  le  tem- 
ple. Telles  sont  les  cérémonies  préparatoires  qui  se  font  sur  la 
Prothésis  (a). 

La  translation  de  l'offrande  ou  des  espèces,  de  la  Prothésis  à 
la  sainte  table  ,  se  fait  au  chant  de  l'hymne  appelé  Chérubique  , 
cérémonie  que  le  Patriarche  Germain  ,  qui  vivait  dans  le  VIÏI.C 
siècle,  regarde  comme  une  allusion  à  la  venue  du  Christ  de  Be- 
thanie  }  et  à  son  entrée  dans  Jérusalem.  Les  Grecs  ont  pour  cette 
cérémonie  une  vénération  extraordinaire  ,  et  qui  va  quelquefois  au 
Cérémonie  ^à  ^e  ce^e  <7u'i'3  devraient  avoir  pour  la  consécration  même;  elle 
%*  ia  Messe,    est  précédée  de  plusieurs    autres    que    voici.    Après    les   révérences 

métal  ,  dont  les  bras  sont  recourbés  de  manière  qu'en  la  posant  sur  la 
patène  ,  ou  le  bassin  ,  où  se  trouvent  les  morceaux  de  pain  destinés  à  la 
consécration  ,  elle  tient  soulevé  le  voile  qui  les  couvre,  et  empêche  qu'au- 
cune parcelle  n'y  reste  attachée. 

(i)  La  patène,  êtsxos ,  des  Grecs  est  plus  grande  que  celle  des  La- 
tins, et  a  la  forme  d'un  bassin,  dont  les  bords  sont  un  peu  relevés.  Au 
milieu  sont   gravées  ou    tracées  en  relief  les  lettres  initiales  IG,  XC,  N ,  K. 

(2)  La  véritable  consécration  ne  se  fait  que  sur  la  sainte  table  , 
quoi  qu'il  soit  parlé  de  sacrifice  et  d'immolation  dans  les  cérémonies 
préparatoires:  ce  qni  a  fait  donner  par  quelques-uns  au  pain  de  la 
Prothésis  le  nom  de  corps  mort  de  Jésus  Christ.  Les  Grecs  ,  et  mê- 
me quelques-uns  de  leurs  Patriarches  ont  poussé  l'exagération  du  sens 
mystique  ou  des  allégories,  jusqu'à  nommer  corps  de  la  Vierge  le  pain 
ou  la  portion  de  pain  ,  qui  est  bénite  sur  la  Prothésis  en  son  honneur. 
Certains  érudits,  surtout  parmi  les  Protestans  ,  ont  cru  voir  dans  la  divi- 
sion du  pain  un  usage  emprunté  des  Gentils  ,  qui  partageaient  leurs  vic- 
times en  plusieurs  portions,  dont  ils  gardaient  une  pour  la  Déité.  Il  était 
bien  plus  naturel  de  faire  dériver  cet  usage  des  agapes  ou  banquets  sa- 
crés, que  fesaient  entr'eux  les  premiers  Chrétiens.  Dans  les  monastères  du 
mont  Athos  ,  un  des  religieux  avant  les  repas,  met  devant  L'image  de 
la  Vierge  un  petit  morceau  de  pain  sur  une  assiette.  Après  la  bénédic- 
tion de  la  table.,  on  apporte  ce  morceau  de  pain  à  l'abbé  qui  le  goûte, 
*t  le  passe  ensuite  aux  autres  religieux,  dont  chacun  en  mange  un  peu, 
en   récitant  une  prière  en  l'honneur  de  la  Vierge. 


delà    Grèce.  56g 

d'usage  devant  la  sainte  table,  le  Diacre,  la  tète  inclinée  devant 
Je  célébrant,  et  tenant  son  orario  des  trois  premiers  doigts  de  la 
main  droite  lui  dit,  il  est  tems  de  sacrifier  au  Seigneur ,  bénissez  etc. 
Après  les  bénédictions,  dont  le  Diacre  et  le  chœur  ont  aussi  cha- 
cun la  leur,  on  fait  les  prières  pour  la  paix,  pour  le  salut  des 
fidèles,  pour  le  Patriarche,  pour  l'église  ,  pour  les  Souverains  etc. 
Elles  sont  suivies  de  la  prière  secrète,  de  plusieurs  antiennes,  des 
réponds  (i),  et  de  la  bénédiction  de  Ventrée  sainte  ,  c'est-à-dire 
de  l'orient.  Après  les  saluts  ou  marques  de  vénération  envers  l'E- 
vangile qui  est  posé  sur  l'autel  ,  les  Chantres  entonnent  les  tro- 
paires  ,  qui  sont  des  chants  en  l'honneur  du  saint  ,  dont  on  célèbre 
la  fête.  Ou  chante  ensuite  le  Trisagium;  puis  le  Diacre  rient  sur 
la  porte  sainte  et  dit:  soyez  attentifs,  à  quoi  le  célébrant  ajoute, 
paix  à  tous.  Le  Diacre,  précédé  de  l'encensoir  et  de  cierges  allu- 
més, sort  du  sanctuaire  tenant  le  livre  d'Evangile,  et  monte  à 
VAmbone  pour  en  faire  la  lecture  (a).  Après  l'Evangile  on  fait  les 
prières  pour  les  Cathécumènes.  Le  célébrant  déploie  ensuite  sur  la 
sainte  table  le  corporal  ,  qui  est  un  voile  cane  ,  sur  lequel  s'opè- 
rent les  saints  mystères.  Cette  cérémonie  est  suivie  de  la  translation 
des  deux  espèces  de  la  Prothésis  au  maître-autel.  Le  Diacre  tient 
d'une  main  l'encensoir,  et  porte  sur  une  épaule  VAer,  et  sur  sa 
•tête  la  patène  avec    le   pain:   le  calice  est   porté    par  le    célébrant. 

(i)  Parmi  les  antiennes  nous  remarquerons  celle  que  les  Grecs  ap- 
pellent Tritecto  ,  qui  répond  à  la  tierce  ou  la  sexte  de  l'office  des  Latins  , 
celui  des  Grecs  étant  divisé  en  neuf  chants  ,  dont  deux  ,  le  troisième  et 
le  sixième  qui  forment  le   Tritecto  ,  appartiennent  à  la  Messe. 

(2)  VAmbone  ,  ainsi  appelé  àicb  rov  a'va/îaiveiv  à  cause  des  deux  esca- 
liers par  lesquels  on  y  monte  ,  l'un  à  i'orient  et  l'autre  à  l'occident ,  est 
une  espèce  de  tribune  assez  grande  pour  contenir  plusieurs  personnes  f  c'est 
même  là  que  se  fesait  le  couronnement  des  Empereurs  par  les  Patriar- 
ches, et  les  chantres  l'occupaient  dans  les  grandes  solennités.  Mais  son 
usage  était  particulièrement  destiné  à  la  lecture  de  l'Evangile  ,  aux  ho- 
mélies et  aux  publications.  On  en  vit  aussi  dans  les  églises  Latines  ,  telles 
que  celles  qui  existent  encore  dans  les  églises  de  S.1  Ambroisp  à  Milan  , 
et  de  S.1  Jean  à  Monza.  Anciennement  Yambone  était  hors  du  sanc- 
tuaire ,  et  le  plus  souvent  au  milieu  de  la  grande  nef:  les  Grecs  y  sus- 
pendent quelquefois  une  croix  garnie  de  cierges  allumés  ,  selon  un  usage 
qui  est  très-ancien  chez  eux. 

Europe.  Vol.  J.  yg 


570  Religion 

Ils  sortent  ensemble  de  la  Prothésis  suivis  du  bas  clergé  ,  s'avancent; 
processionnelleraent  par  l'église,  au  milieu  d'un  peuple  qui  donne 
les  démonstrations  de  la  plus  étrange  vénération  ,  et.  entrent  dans 
ïe  sanctuaire  par  la  porte  du  milieu.  Les  espèces  posées  sur  l'autel , 
le  célébrant  en  fait  l'offrande  secrètement.  Après  diverses  prières 
accompagnées  de  révérences  multipliées  ,  on  récite  le  symbole  et 
la  formule  que  les  Latins  appellent  Prœfatio  ,    et  qui  a  pour  objet 

Consécration,  de  disposer  le  peuple  à  être  attentif.  Le  Diacre  lève  l' astérisque  , 
agite  sur  les  espèces  sacrées  l'éventail  ,  dont  on  voit  la  figure  sous 
le  n.°  a  de  la  planche  88:  le  célébrant  les  bénit  en  prononçant  les 
paroles  que  le  Christ  adressa  dans  la  dernière  Cène  à  ses  Apôtres, 
lesquelles  sont  proprement  les  deux  formules  de  la  consécration  com- 
me pour  les  Latins  ,  et  fait  l'élévation  des  deux  espèces.  Après  l'in- 
vocation au  Seigneur  pour  qu'il  fasse  changer  les  espèces  en  son 
corps  et  en  son  sang,  car  les  Grecs  ne  paraissent  pas  bien  persua- 
dés que  la  formule  des  Latins  soit  suffisante  pour  la  consécration  • 
après  diverses  autres  cérémonies  rapportées  dans  le  Pontifical  et 
les  encensemens  prescrits  à  l'autel  et  aux  diptiques  (1),  on  fait  de 
nouveau  la  commémoration  des  vivans  et  des  morts.  Le  Diacre  s'étant 
ceint  Yorario  en  forme  de  croix,  et  se  plaçant  à  la  droite  du  célé- 
brant ,  l'invite  à  partager  le  pain  :  ce  que  fait  ce  dernier  en  le 
divisant  en  quatre  portions,  dont  il  met  une  dans  le  calice,  tandis 

Communion,  que  le  Diacre  y  verse  un  peu  d'eau  tiède.  Le  célébrant  présente 
au  Diacre  une  des  portions  qui  restent  ,  et  communie  ensuite  lui- 
même  sous  les  deux  espèces;  puis  il  donne  le  calice  au  Diacre, 
pour  qu'il  participe  aussi  au  sang  de  J.  C.  Après  quelques  prières 
et  autres  cérémonies ,  le  Diacre  prend  de  nouveau  le  calice,  met 
dessus  la  patène,  qu'il  recouvre  de  Y  astérisque  et  du  voile  ;  et  s'avan- 
çant  dévotement  vers  la  porte  sainte,  il  le  découvre  et  le  montre 
au  peuple  en  prononçant  ces  paroles  :  Approchez-vous  dans  la  crainte 
de  Dieu  et  avec  foi  etc.  Le  célébrant  donne  au  peuple  la  béné-r 
diction,  et  lui  administre    la    communion    sous    les  deux    espèces, 

(1)  Les  diptiques  étaient  des  tablettes  ou  espèce  de  registres ,  sur 
lesquels  étaient  inscrits  les  noms  de  tous  les  fidèles  vivans  et  décédés.  Il 
j  en  avait  de  diverses  sortes.  Il  faut  voir  sur  cela  Habert  Pontif.  Graec. 
pag.  i56  et  suiv-.  Nous  en  présenterons  quelques  dessins  à  l'article  des 
p.eaux  Arts. 


DE     LÀ     C  S  È  G  E.  571 

qu'il  présente  ensemble  dans  une  cuillère  appelée  Labis  par  leg 
Grecs  ,  et  qu'on  voit  représentée  sous  le  n.°  7  de  la  planche  ci- 
dessus  (1).  Selon  le  Pontifical  ,  une  portion  du  pain  eucharistique, 
«oupée  en  forme  de  croix  ,  et  humectée  du  sang  divin  ,  est  mise 
à  part  pour  les  malades.  La  communion  finie  ,  le  célébrant  re- 
tourne à  l'autel  ,  où  après  avoir  fait  ses  actions  de  grâces  ,  et 
replacé  la  patène  sur  la  tête  du  Diacre  ,  il  revient  avec  lui  à  la 
Prothésis. 

Après  la  Messe  ,  le  Prêtre  sort  du  sanctuaire  ,  récite  quelques  nutrib&ion 
prières,  auxquelles  le  chœur  répond  par  une  antienne  qui  corn-  du  pa"1  benb* 
prend  tout  le  psaume  XXXIV. ,  et  fait  au  peuple  la  distribution 
du  pain  béni  ,  qui  est  resté  dans  la  Prothésis,  et  d'où  ont  été 
prises  les  parties  destinées  à  la  consécration  (a).  Enfin  il  dontie  au 
peuple  la  bénédiction  ,  retourne  à  la  Prothésis  où  il  lave  à  trois 
reprises  le  calice,  ensuite  de  quoi  il  passe  à  la  table  ou  autel  ap- 
pelé Diaconicon  ,  et  se  dépouille  des  ornemens  sacrés.  Il  n'est  pas 
nécessaire  sans  doute  d'observer  que  la  célébration  de  la  Messe  se 
fait  avec  plus  ou  moins  de  magnificence ,  selon  la  nature  de  la  fête, 
ou  la  dignité  du  célébraut.  La  cérémonie  ,  au  rapport  de  Ricaut , 
est  suivie  de  la  lecture  de  la  vie  de  quelque  saint  ,  qui  tient  lieu 
de  sermon  ou  d'homélie,  l'usage  de  la  prédication,  selon  Tourne- 
fort  ,  étant  à-peu-près  aboli  chez  les  Grecs.  Le  peuple  est  assis  pen-       'Manière 

(1)  Tournefort  décrit  ainsi  la  communion  des  Laïcs,  «  Le  Papas  met 
le  Rituel  sur  la  tête  du  fidèle  qui  veut  communier,  et  récite  les  prières 
pour  le  pardon  des  péchés  ,  tandis  que  celui-ci  dit  à  voix  basse  :  Je  crois  , 
o  Seigneur ,  et  je  confesse  que  vous  êtes  vraiment  le  fils  du  Dieu  vi- 
vant ,  descendu  sur  la  terre  pour  sauver  les  pécheurs  ,  dont  je  suis  le 
plus  grand. 

(2)  Ce  pain  est  appelé  par  les  Grecs  Avridopov ,  qui  veut  dire  en 
Latin  donum  dono  relatum  ,  ou  don  provenant  d'un  autre  don.  Ils  le 
nomment  encore  pain  divin  et  pain  céleste,  et  le  regardent  comme  une 
représentation  de  la  Sainte  Vierge.  Ils  font  remonter  l'usage  de  la  distri- 
bution du  pain  béni  jusqu'au  tems  des  Apôtres,  et  croient  en  voir  la  preuve 
dans  tous  les  endroits  de  l'ancien  Testament ,  où  il  est  parlé  de  la  fraction 
du  pain.  Ils  le  portent  aux  malades  et  lui  attribuent  la  vertu  d'expier  les 
péchés  véniels  ;  ils  ne  le  mangent  qu'à  jeun,  et  ne  le  révèrent  pas  moins 
que  l'Eucharistie  ,  dont  ils  le  croient  l'ombre  ou  la  représentation.  V.  Ri- 
caut ,  Etat  de  V Eglise  Grecque  ,  chap.  IX. 


Filet. 


572  Religion 

dant  cette  lecture  ,  et  pour  les  prières  il  se  tient  debout  et  tourné 
à  l'orient.  Lorsque  les  fidèles  ont  pris  leur  place  dans  l'église,  ils 
se  découvrent  la  tête  et  font  le  signe  de  la  croix  ,  en  tenant  joints 
ensemble  les  trois  premiers  doigts  de  la  main  droite,  voulant  ex- 
primer par  là  l'unité  de  Dieu  dans  les  trois  personnes  de  la  sainte 
Trinité, 
Année  Les  Grecs    commencent  leur  année    ecclésiastique   au   premier 

septembre,  qu  ils  célèbrent  par  des  danses  et  dans  des  transports 
d'allégresse,  persuadés  que  ces  premières  demostrations  de  joie  sont 
d'un  heureux  présage  pour  toute  l'année.  Leur  plus  grande  fête 
est  celle  de  Pâques.  Ce  jour-là,  et  jusqu'à  la  Pentecôte,  ils  sont 
dans  l'usage  de  s'annoncer  réciproquement  la  résurrection  du  Christ 
en  se  saluant,  et  en  s'embrassant  trois  fois,  les  deux  premières  sur 
les  joues,  et  la  troisième  sur  la  bouche  (1).  La  semaine  sainte  est 
consacrée  aux  exercices  de  pénitence  et  à  la  visite  du  saint  sépul- 
cre ,  à  peu  près  comme  cela  se  pratique  chez  les  Latins.  Le  deux 
septembre  les  ordres  religieux  seuls  célèbrent  la  fête  de  S.  Jean 
Baptiste,  appelé  par  les  Grecs  le  tempérant,  comme  ayant  été  le 
premier,  d'après  le  nouveau  Testament ,  à  donner  l'exemple  du  jeûne. 
Le  vingt-six  du  même  mois  est  consacré  à  la  mémoire  de  S-  Jean 
î'Evangéliste.  Les  Grecs  croient  encore  que  ce  saint  a  été  enlevé 
au  ciel  comme  Hénoc  et  Elie.  Mais  ce  serait  abuser  de  la  patience 
des  lecteurs,  que  de  vouloir  rapporter  ici  toutes  les  fêtes  des  Grecs. 
Christophe  Angelo  n'eri  compte  que  trente-six  comme  les  plus  solen- 

(1)  Les  jours  de  fête  se  partagent  chez  les  Grecs  en  prières  et  en 
divertissemens  de  tout  genre,  qui  finissent  ordinairement  par  des  violen- 
ces et  des  scandales.  Les  moines  ont  aussi  ces  jours  là  leurs  amusemens. 
Tournefort  rapporte  que  ,  pendant  tout  le  dîné  ,  un  d'eux  fait  resonner 
an  vase  de  cuivre  en  le  frappant  à  des  intervalles  égaux  et  en  cadence  , 
avec  le  manche  d'un  couteau  ,  tandis  que  les  autres  moines  en  accompa- 
gnent les  sons  de  leurs  voix  aigres  et  nasales.  Pouqueville  ?  en  parlant 
de  la  fête  de  Pâques  ,  que  précède  leur  carême  le  plus  rigoureux ,  dit  : 
Le  Grec  alors  redevient  homme,  et  reparait  le  même.  Les  agneaux  bénis 
la  veille  et  destinés  au  banquet  sont  mis  à  la  broche  ,  bien  frottés  de 
graisse  et  d'origan  :  la  table  est  dressée  en  plein  air,  on  fait  bombance  toute 
îa  journée ,  et  le  vin  coule  sans  mesure.  La  joie  et  les  chants ,  avant- 
ico'ureurs  de  l'iyress.e  ,  annoncent  que  le  Grec  a  oublié  les  disgrâces  de  son 
^tat  présent». 


il» 


de   la    Grèce.  57a 

nelles,  dont  douze  sont  en  l'honneur  de  J.  C.  et  de  la  Vierge  ,  et 
les  vingt-quatre  autres  en  Phonnenr  de  S.'  Jean  Baptiste,  des  Apô- 
tres et  des  Martyrs.  Mais  la  Liturgie  Greque  en  présente  un  nom- 
bre bien  plus  considérable  :  sur  quoi  on  peut  consulter  le  Calendrier 
Grec  dans  les  ouvrages  de  Ricaut  et  de  Picart ,  ou  mieux  encore 
le  Ménologe  Grec  (1). 

Nous  venons  d'exposer  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  important  £rU^SM 
dans  la  religion  des  Grecs  modernes.  Quant  aux  ornemens  sacrés,  la  Grecs.^ 
gravure  nous  en  donnera  une  idée  plus  juste  ,  que  ne  pourrait  le 
faire  la  plus  exacte  description.  Nous  ne  ferons  donc  qu'indiquer 
simplement  ici  les  figures  que  nous  en  avons  recueillies.  Nous  avons 
déjà  parlé  de  celles  qui  portent  les  n.°<  1  ,  3  et  4  dans  la  plan- 
che 86.  Le  n.°  a  de  la  même  planche  représente  un  Papas  avec 
tous  ses  ornemens  et  avec  sa  chape.  Le  n.°  1  de  la  planche  87 
offre  l'image  d'un  Protopapas  ou  Archiprêtre.  Le  n.°  3  est  un  Papas 
dans  son  costume  ordinaire:  nous  avons  déjà  fait  mention  de  l'épouse 
qu'on  voit  au  n.°  a  :  ces  deux  planches  sont  prises  de  l'ouvrage  de 
Picart.  Te  n.°  1  delà  planche  88  représente  le  Caloger ,  dont  nous 
avons  déjà  décrit  le  vêtement  :  nous  avons  également  parlé  des 
u.os  2  ,  3  ,  4  ,  5  ,  6  et  7  qui  sont  pris  du  Rituel  Grec.  Le  n.°  8 
qui  en  vient  aussi,  et  rapporté  de  même  par  Picart,  représente  un 
Patriarche  ou  un  Evêque  en  habits  pontificaux.  Le  Prélat  tient 
dans  ses  mains  deux  candélabres,  .dont  l'un  à  trois  et  l'autre  à  deux 
cierges,  et  qui  s'appellent  pour  cela,  le  premier  rpùeyptov  et  le 
second  e>ix>ipi~.  Lorsqu'il  célèbre  la  Messe,  il  lève  fréquemment 
ces  deux  candélabres,  et  s'en  sert  aussi  pour  bénir  l'Evangile  et 
le  peuple.  Le  candélabre  à  trois  cierges  fait  allusion  aux  mys- 
tères de  la  Trinité  et  de  l'Unité:  celui  à  deux  cierges  est  l'em- 
blème de  la  nature  divine  et  humaine  de  Jésus  Christ.  Au  dessus 
de  cette  figure,  qu'on  voit  dans  le  Rituel,  est  écrit  en  Grec  'Me- 
todïus  le  saint  1  et  comme  presque  toutes  celles  qui  viennent  après, 
au  dessus  desquelles  est  également  écrit  le  nom  de  quelque  saint 
du  calendrier  Grec,  elle  est  copiée  sur  d'anciennes  peintures,  où 
étaient  représentées    des  images  de  saints.  Au  n.°  1  de  la    planche 

(1)  Menologium  Graecorum ,  j  tissu  Basilli  Imperatoris  Graece 
edltum  ,  munificenbia  etc.  Benedicti  XIII.  in  très  partes  dlvisum  e'ta, 
Urbini }   1727,  fol.0  fig.8 


&74  Religion 

89  est  an  Pontife  avec  le  sac  dont  nous  avons  parlé  plus  haut,  et 
qui  se  parte  flottant  au  commencement  et  à  la  fin  de  la  Messe 
comme  la  chasuble  du  prêtre  (1)  :  on  lit  dessus  ces  mots  Samson 
le  saint.  Les  n.°s  a,  3,  4  et  5  sont  tirés  d'un  manuscritdu  tems 
de  Basile  le  Macédonien,  qui  se  trouve  à  la  Bibliothèque  de  Paris, 
et  contient  les  ouvrages  de  S.f  Grégoire  de  Nazianze.  Le  deux  pre- 
mières figures  représentent  deux  Evêques  ;  l'une  avec  cette  ins- 
cription, Grégoire  le  Saint,  père  du,  théologien,  et  l'autre  avec. 
celle-ci ,  Saint  Grégoire  le  théologien.  La  troisième  porte  le  nom 
de  S.'  Césaire.  La  quatrième  est  une  image  de  femme  avec  le 
nom  de  Sainte  Gorgone.  Le  n.°  6  est  pris  du  Rituel,  et  repré- 
sente un  Pontife  en  Dalmatique,  qui  anciennement  ne  différait  guè- 
res  de  la  chasuble  :  sur  cette  figure  est  écrit  Germain  le  Saint. 
La  n.°  7  tiré  de  même  du  Rituel  ,  est  le  Patriarche  dont  nous 
avons  déjà  donné  le  portrait,  avec  cette  inscription  ,  le  Patriar- 
che Beccos."l\  a  de  remarquable  le  chapeau  avec  la  croix  sur  la 
forme,  ainsi  que  l'espèce  de  coiffure  monastique  en  double  qui  lui 
couvre  la  tête.  C'est  encore  dans  le  Rituel  qu'on  à  pris  les  n.os  8 
9  et  10.  Le  premier  représente  un  Papas,  ou  piètre  séculier  dans  son 
costume  journalier.  De  son  bonnet  pend  un  morceau  d'étoffe  violette 
semblable  à-peu-près  à  la  queue  d'une  colombe ,  que  les  Grecs 
regardent  comme  l'emblème  de  la  puissance  sacerdotale,  qui  dérive 
du  Saint  Esprit;  il  est  suivi  du  clerc  ou  de  son  fils  portant  le  pain 
béni.  Le  n.°  9  est  l'image  du  Diacre  sous  deux  aspects  opposés. 
Le  Diacre  va  pour  prendre  part  à  l'Eucharistie,  et  se  ceint  à 
cet  effet  la  poitrine  avec  Porario  ,  qu'il  portait  auparavant  flottant  et 
passé  en  travers  de  l'épaule  gauche  :  cette  figure  a  pour  inscription, 
Cyrille  le  Saint.  Le  n.°  10  représente  le  Diacre  Macaire  le.  Saint, 
portant  le  pain  de  la  Proihesis  à  la  sainte  table.  Nous  n'avons  pas 
fait  mention  des  couleurs  des  ornemens    sacrés,    les    Grecs    n'ayant 


(1)  Goar  ,  en  parlant  de  cet  habillement  s'exprime  ainsi  :  Illa  vero  hoc 
pacto  in  officii  fine  demissa  ,  dimissionis  populi  ,  omnisque  conventus 
soluti  indlcium  est.  Nunc  autem  in  ingressu  sacerclotem  procedentem 
vircutnamhiens  ,  Chris tum  humana  carne  tectum  ,  ejusque  visibilem  et 
manifestum  in  terras  adventum ,  neenon  et  virtutum  donorumque  cae-, 
Jestium  apparatum  ,  quo  circumarnictus  mundi  oculis  innotuit ,  reprae- 
isentat.  Rit.  pag.  24. 


»î   La    Grèce.  5j& 

maintenant  aucune  règle  fixe  à  cet  égard.  Il  semblerait  pourtant, 
d'après  le  Rituel,  qu'ils  aiment  beaucoup  le  blanc  et  le  rouge, 
comme  les  couleurs  les  plus  estimées  dans  le  Cantique.  Ils  font 
usage  de  la  première  selon  le  même  Rituel  ,  tous  les  jours  de  l'an- 
née, et  du  rouge  en  carême  et  pour  les  funérailles,  cette  couleur 
étant  chez  les  Grecs  une  marque  de  deuil  et  de  pénitence  (i).  Pour 
compléter  cet  article,  nous  avons  représenté  à  la  planche  90  l'in- 
•térieur  de  l'éslise  de  l'Apocalypse  dans  l'île  de    Pathmos.  Elle  est      Eglise  de 

°  r  J  I  ^  ^  P  Apocalypse. 

à  moitié  chemin  d'une  montagne  escarpée,  à  l'entrée  d'une  grotte  , 
qu'on  croit  avoir  servi  d'asile  à  S.1  Jean  l'Evangéliste  lorsqu'il  écri- 
vit l'Apocalypse,  et  est  deservie  par  les  Calogers  (a). 

Nous  ne  croyons  pouvoir  mieux  terminer  l'article  concernant; 
la  religion  des  Grecs  modernes,  qu'en  rapportant  ici  quelques  frag- 
raens  de  l'onzième  lettre  de  M.r  Guys ,  qui  présentent  en  quelque 
sorte  l'abrégé  de  tout  ce  que  nous  venons  de  dire  à  ce  sujet. 

«  Que  vous  dirai-je  ,  M.r,  de  la  religion  de  ce  peuple?  Elle  a  dû 
sans  doute  éprouver  les  mêmes  révolutions,  que  l'Empire  Grec.  Elle 
est  couverte,  ainsi  que  toute  la  nation,  des  ténèbres  épaisses  de 
l'ignorance  et  défigurée  par  un  amas  des  superstitions;  elle  n'a  con- 
servé fidèlement  que  les  cérémonies,  les  ornemens,  et  les  solemni- 
tés,  comme  autant  de  signes  auxquels  on  devait  la  reconnaître. 

«  Comment  en  un  plomb  vil  Vor  pur  s'est-il  changé  (3)  ? 

«  La  religion  d'un  peuple  conduit  par  des  prêtres  qui  ,  pour  la 
plupart,  à  peine  savent  lire,  ne  peut  être  qu'un  culte  extérieur  et 
informe,  une  sombre  et  foible  lueur  qu'on  aperçoit  à  la  place  de  ce 
flambeau  dont  fut  autrefois  éclairée  la  Grèce  ,  et  qui  dissipa  les 
folles  erreurs,  ou  les  ténèbres  du  Paganisme. 

«  L'ignorance  du  clergé  annonce  donc  et  entretient  nécessaire- 
ment celle  de  la  nation.  L'appareil  des  fêtes  et  des  cérémonies  suf- 
fisent au  peuple,  et  ce  peuple  esclave  ,  à  qui  les  Turcs  ont  laissé 
ses  églises,  ses  autels  et  ses  monastères,  ne  demande  et  ne  voit  rien 

(1)  Goar  ,  Rit,  pag.  97,  rapporte  à  ce  sujet  le  passage  suivant  de 
Siméon  le  Thessalonieien  :  Alba  surit  Ma  propter  gratlae  puribatem  et 
lucem:  saepius  autem  jejuniorum  tempore  assumunlur  purpurea ,  eo  quod 
peccatores  oporteab  lugere ,  et  propter  occisum  pro  nobis  Jesum  Christum. 

(2)  V.  Choiss.  Voy.  pittor.  de  la  Grèce.  PI.  S7. 

(3)  Rac,  A  thaï. 


Sjô  RelicioN 

au  fle-là.  Cette  nation  ,  mère  de  polythéisme,  n'ayant  pas  changé  de 
génie,  a  dû  multiplier  les  objets  de  la  dévotion  des  nouveaux  chré- 
tiens,  lorsqu'elle  a  eu  le  bonheur  de  connaître  le  vrai  Dieu.  Livrée 
anciennement  aux  opinions  et  aux  erreurs  de  ses  philosophes  ,  elle 
avait  enfin  trouvé  dans  l'Evangile  et  dans  la  morale  chrétienne,  ce 

que  la  philosophie  cherchait  inutilement ,  en  égarant  les  espris 

L'histoire  de  Empereurs,  qui,  depuis  Constantin,  furent  souvent 
plus  occupés  de  disputes  théoiogiques  que  d'affaires  politiques  de 
l'Empire  ,  n'est  proprement  que  l'Histoire  des  troubles  et  des  guerre9 
civiles  de  la  religion ,  jusqu'à  la  séparation  de  l'église  Grecque  et 
de  la  Latine,  occasionnée  par  l'ambition  du  Patriarche  Michel  Ce- 
rularius  ,  sous  le  Pape  L^on  IX.  Enfin,  le  Clergé  Grec,  nourri 
dans  les  guerres  Eccelésiastiques  et  dans  des  controverses  éternelles  , 
se  tut  devant  le  dernier  conquérant  de  la  Grèce.  Mahomet  II  , 
content  de  nommer  un  Patriarche  ,  en  usant  des  droits  de  la  souve- 
raineté, laissa  par  grâce  à  des  peuples  abattus  et  soumis ,  le  culte  de 
leurs  pères,  et  fit  cesser  toutes  les  disputes  que  le  fanatisme  militaire 
des  Musulmans  ne  comportait  pas:  car  Mahomet,  despote  absolu, 
qui  se  prétendait  inspiré,  n'ayant  établi  sa  religion  que  par  la  ter- 
reur de  ses  armes  „  ordonnait  de  croire  ,  et  ne  voulait  point  d'argumens. 

«  Comment  ,  sous  de  tels  maîtres ,  les  moitiés  et  les  prêtres  Grecs, 
toujours  tremblans,  et  n'ayant  plus  d'occasions  de  s'exercer  à  la  dis- 
pute, ou  de  s'instruire  pour  combattre  les  erreurs  anciennes  et  nou- 
velles ,  auraient-ils   pu  cultiver  la   théologie  et   les  lettres  ? 

<i  Des  jeûnes  austères  et  fiéquens  ,  l'usage  de  prier  en  commun  , 
et  de  s'assembler  à  l'église  avant  le  lever  du  soleil;  la  crainte  de 
3'excommunication ,  et  de  n'être  plus  admis  dans  l'assemblée  des 
fidèles;  enfin  le  plus  grand  respect  pour  le  Patriarche  et  les  Evêques , 
sont  autant  d'usages,  que  les  Grecs  ont  retenus  des  premiers  Chrétiens. 

»  Mais,  pour  remonter  plus  haut  ,  il  faut  voir  les  fêtes  religieu- 
ses qu'ils  célèbrent  à  la  campagne  ;  elles  vous  rappelleront  et  les 
Bacchanales,  et  les  dévotions  des  anciens  pour  une  fontaine  sacrée  9 
pour  une  antique  forêt,  objets  de  vénération   et  de  culte  ».