Bibliotheque de Theologie historique
LA THEOLOGIE DE TERTULLIEN
iţv '
Ont deja pani :
Histoire de la Theologie positive depuis rorigine jusqu'au Concile
de Trente, par Joseph Tcumkl, pretre du diocese de Rennes.
o" edition. — 1 voi. in-8 cavalier, 540 pp. . . . net 6 fr.
La Thâologie catholique au XIX'= siecle, par J. Bellamy, pie-
tre da diocese de Vannes. — 1 volume in-8 cavalier.
352 pp iiei 6 Ir.
Poui' paraîlre prochainement :
La Theologie de saint Paul, par F. Prat, pretre, Membre de la
Commission biblique.
La Thâologie liturgique, par le Reverendissime Dom Cabrol,
abbe de Farnborough.
La Theologie de saint Anselme, par J. V. Bainvel, pretre, pro-
fesseur de theologie ă l'lnstitut catholique de Paris.
TYI'OGF.APHIE FIRIIIX-DIDOT ET C". -• MESNIL (EL'M).
BiBitlOTHfiQDE DE T|lEOItOGIE flISTOţIQUE
PUBUETÎ SOUS T.A DIBECTION DES PROFESSEURS DE THEOI-OGIE
A L ' 1 N S T I T U T C A T H O L I (1 U E UE PARIS
IA THEOLOGIE
DE
TERTULLIEN
ADHfiMAR D'ALES
P li IC T K E
TROISIEME EDITION
PARIS
Gabriel BEAUCHESNE & C", Editeurs
AXC1e:NNE LlBRAIlllE DELHO.MME & BRIGUET
7/7, Riie de Rennes, Jiy
1903
Tous droits reservcs.
DEPOT A LTON : 3, Avenue de l'Archeveche.
IMPRIMATUR
Parisiis, dic 18' novembris 1904
H. ODELIN,
V. g.
INTRODUCTION
Les recherches sur TertiiUien sont â l'ordre du jour en
France : en moins de trois ans ii vient d'etre etudie du
point de vue litteraire, du point de vue politique et moral
et du point de vue archeologique. Deja l'Allemagne lui
avait consacre d'importants travaux, entre lesquels ceux
de M. E. Noeldechcn ' tiennent le premier rang par Te-
tenduo et la variete. Une curiosite si vive s'cxplique par
la valeur originale de l'ceuvre et par son multiple reten-
tissenient dans la tradition de l'Eglise latine. Les secours
ne manquent donc pas â qui entreprend de penetrcr la
pensee du docteur africain. Nous avons aborde la synthese
de sa theologie, et sur ce terrain meme on nous avait de-
vanee. Dans son Gours de Sorbonne (1861-62), oeuvre de
doctrine sure et de raison lumineuse, l'abbe Freppel ~ a
1. Non content d'eci'iro sur TerlulUon un livre capital {TerluUian. (iotfia,
1890), ce savant a disperse dans divers rccueils des memoires parfois tres
etcndus, dont Ia rounion formerait plusicurs volumes. La plupari sout
enumeres par Alb. Ehrliard : Die allchrislliche Litteralur und ilire Ei-for-
achimg von 1884-1900. Erste A/h., die vornicunlscke LiUeratiir. (Freiljurff i.
B., 1900), p. 4'-». 430, 439, 441.
2. Freppel, Cours d'eloqueiwe sacree fail en Sorbonne; TerluUicn, i in-8,
Paris, 1804; 2' ed. 1872. Nous citorons la 1'° cdition.
A cote de cet ouvragc catholique, signalons deux ouvragcs protestants,
THEOI.OGIE DE TERTL'I.LIEX. a
11 THEOLOGIE DE TEETULLIEN.
touche presque toutes Ies questions que souleve la lecture
de TertuUien. et indique Ies solutions vraies, ancore qu'il
sacrifîe quelquefois â un certain optimisme theologique,
prompt â revendiquer pour la tradition des temoignages
precaires. Nous n'avons pas entrepris de refaire ce livre
excellent, mais bien de faire autre chose. Les longuours et
Ies digressions inseparables de l'enseignement oral ne con-
venaient pas â un instrument de travail : notre livre ne
veut etre que cela.
La vie de TertuUien a ete si souvent racontee qu'il suf-
fîra d'en rappeler ici Ies circonstances principales K 11 na-
quit vers l'an 155. Garthaginois, fils d'un centurion, ii
grandit dans le paganisme. Sa jeunesse fut licencieuse '.
Cependant de fortes etudes preparaient, â son insu, le futur
apologiste chretien. A la formation oratoire des ecoles, ii
joignit des connaissances philosophiques, juridiques sur-
tout, et medicales. Dans son âge mur, ii embrassa le chris-
tianisme, avec la fougue d'un temperament africain. II eut
une epousechretienne. Saint Jer6me ajoute qu'il fut pretre.
Sa vie s'ecoula ă Garthage; nous savons d'ailleurs qu'il
connaissait Rome ^. Apres dix ans au moins de luttes pour
l'Eglise et de travaux apostoliques^ un zele intemperant,
complique d'illuminisme, l'entraîna (au plus tard cn 207;
dans la secte de Montan. II ne parait pas y avoir trouve le
repos; mais quinze ans apres la rupture ii combattait I'E-
rcmarquables â divers ogards : A. Neander, Antignoscicus, GeisC des Ter-
iullian und Einloilung indessenSchriflen (p' Aufl., Berlin, 1849), d'ordinairc.
penetrant comme analyse; A. Hauck , TertuUians Leben tind Schriflcu.
(Erlangcn, 1877), plus synthetique et plus complot.
1. Voir saint Jerome, De vir. illml.'o'i; Eusobe, //. E. 2, -i, A.
2. De resurrectione carnu, 59.
3. / De cultu fem. 7.
INTRODUCTION. III
glise avec plus d'âprete que jamais, et Ton na nul indice
d'un rapprochement ulterieur.
L'oeuvre do Tertullien ne nous est pas parvenue entiere,
et Ies textes des traites que nous possedons sont eux-
memes de valeur tres inegale. Un classement et un de-
pouilleraent methodique des manuscrits ont ete entrepris
pour le Corpus scriptorum ecclesiasticormn latinorum
edite pai' rAcademie de Vienne. Ce travail demandera
encoi'e des annees. Donnons ici quelques indications som-
maires sur Ies sources du texte '.
La tradition manuscrite de Tertullien, abstraction faite
de l'Apologetique, se decompose chronologiquement en trois
stratilîcations :
1) La tradition la plus ancienne est rcpresentee par le
manuscrit execute au neuvicme siecle pour Agobard, eve-
que de Lyon [Parisinus 1622, vulgo Agobardinus)-; au-
quel ii faut joindre Ies editions de Gangneius (Paris, 1545),
de Gelenius (Bale, 1550) et de Pamel (Anvers, 1579), quire-
posent sur des mss. de mârae familie (Gangneius) ou ont
recueilli en marge des variantes appartenant â cette classe
de mss. (Gelenius, Pamel). D'apres l'index place en tete,
VAgobardiiius a contenu : Ad naliones lihri II. — De
1, Voir Ooliler, Terlulliani quae supersant onmia, t. I (Leipzig, 1853),
praefatio. — Keifferscheid, Harţei et Wissowa, Corpus scriptorum eccle-
siasticorum latinorum voi. Xr(V^ienne, 1890), praefatio. — D'EmilKroymanii
Quaesliones Tertullianeae criticae (Gottingon, 1893 ct Innsbruck, 189'l);/>te
TcrtiiUians Ueherlieferung in Halien, dans Sitzungsbericlde der Kaiserlichen
Akademie der Wissenschaf ten {Vienne) t. 138, 3 (ISOS) ■.Krilische Vorarhei-
ten fier den III und IV Bând derneuen Tertullian Ausgahe, ibid. t. 1 13, (i
(1900). — C. Callewaert, Le meilleur manuscrit da l'Apologelicum de Ter-
tullien, dans Revue d'/iisloire ei de litleralure reliijieuses, t. 7 (1902)
p. 322-333.
2. Le codex Agohardinus a eto souvent coUationnc depuis le scizieme
siecic. Voir sur ce nis.:ll. Klussmann, TerlulUanearun curarum particulae
Ires (Gotha, 1887).
IV THEOLOGIE DE TERTULLIEX,
praescriptione haereticorum. — Scorpiace. — De testi-
monio animae. — De corona. — De spectaciiUs. — De
idololatria. — De anima. — De oratione. — De cultu
feminarum librill. — Ad uxorem librill. — De exhov-
lalione castitatis. — De carne Christi. — Despe fidelium.
De paradiso. — De virginihiis velandis. — De carne et
anima. — De patienlia. — De paenitentia. — De animae
suhmissione. — De supersiilione saeculi. II est aujour-
d'Iiui mutile : le texte finit au milieu de De carne Christi, c .
10 ; fait d'autant plus regrettable que plusieurs des traites
disparus ne se sont conserves dans aucun autre manuscrit.
2) Une deuxieme couche remonte au onzieme siecle ^
Elle est representee par le Montispessulanus 307, conte-
nant : De patientia. — De carnis resurrectione. — Adv.
Praxeam. — Adv. Valentinianos. — Adv. Marcionem
lihri V. — Apologeticum; et par le Paterniacensis ^d'd
(aujourd'hui â Schlestadt), contenant : De patientia. —
De carne Christi. — De resurrectione carnis. — Adv.
Praxeam. — Adv. Valentinianos. — Adv. Judaeos. —
[Adv. omnes haereses) 2. — De praescriptione haeretico-
rum. — Adv. Hermogeneni. Des renseignements comple-
mentaires sont fournis par la premiere edition de Beatus
Rhenanus (Bale, 1521), pour laquelle l'editeurutilisa, outre
le Paterniacensis un Hirsaugiensis aujourd'hui perdu (le
texte est conforme au Paterniacensis, Ies variantes de
Y Hirsaugiensis sont i^clevees en marge) ; et la troisieme
edition du meme (Râle^ 1539), pour laquelle ildisposa d'une
collation d'un Gorziensis, egalement perdu. — Des 1521,
Rhenanus avait edite, d'apres le seul Hirsaugiensis, Ies
1. Voii' Kroymann, Sitzungsberickte (W'ien), t. 1 13.
2. Ce traito n'est pas de TertuUien.
INTRODUCTION. V
traites suivants : De corona. — Ad martyres. — De pae-
nitentia. — De virginibus velandis. — De cultu femina-
rum. — Ad uxorem. — De fuga. — Ad Scapulam. — De
exhortatione castUatis. — De monogamia. — De pallio.
— Adv. Marcionem.
3) La tradition la plus recente appartient au quinzieme
siecle. Elle est representee par de nombreux mss. ita-
liens ', qui tous se ramenent â deux types : codd. S. Marco
VI, 9 et VI, 10, â la bibliotheque naţionale de Florcnce.
De plus, au second de ces mss. sont etroitement appa-
rentes le Vindobonensis 4194 et le Leydensis 2. Tous
quatre renferment, outre Ies ecrits contenus dans le Moa-
tispessidanus et le Paterniacensis, quelques autres, con-
tenus aussi en pârtie dans Y Agobardinus .
Pour quelques traites, dont tous Ies mss. ont peri, nos
plus anciennes autoritcs sont Ies editeurs du seizieme sie-
cle : Gangneius, Gelcnius, Pamcl pour De jejunio et De
pudicitia; Gangneius et Gelenius pour de baptismo.
A comparer ensemble ces diverses traditions, on trouve
que la plus ancienne, celle de V Agobardinus, merite plus
de conliance. Si l'on peut deja y relever, avec vraisem-
blance, des interpolations et des gloses ~, elle est du
moins, etclle est seule, exemple de refonte intentionnelle.
Les mss. du onzieme siecle presentent deja un texte re-
manie, dont nous sommes peut-etre redevables aux moines
de Gluny'^ Les corrections arbitraires se multiplient dans
1. Voii' Kroymann, SUzungsberkhle, l. \?ji.
2..Voir Kroymann, (Jitaci'iîones Terlulliaiieae crilicae (Innsbruck, 1894).
]). 117 sq ; Silzungsberichte, t. 143, p. 20 sq.
3. Kroymann, Sitiinf/sheric/dc, t. 113, p. 14 sq.; 34 sq. — Les seules
pages do TertuUion oii l'on puisse cont'rontcr los traditions de VAgobar-
dinus et do Cluny sont les premieros du trăite De carne ChrisU (1-10). Cf.
Kroymann, 1. c, p. 20 sq.
THEOLOGIE DE TERTULLIEX.
Ies copies du quinzieine siecle. Les ti-aites que nous a
conserves V Agobardinus sont en somme les seuls ou Fon
puisse se flatter de posseder un texte ă peu pi'es authen-
tique.
La tradition de l'Apologetique doit etre examinee â part.
lîlle repose sur de nombreux mss., notamment sur plu-
sicurs Parisini^ [Parisinus 1623, du dixieme siecle; 1656,
du douzieme; 2616, du quinzieme). Les mss. existants
de l'Apologetique appartiennent tous â une meme familie ;
una autre familie etait representee par un ms. unique, le
Fuldensis, dispăru depuis le seizieme siecle, mais dont
les legons avaient ete consiguees par F'r. Junius dans son
edition de Tertullien (Franeker, 1597), et ont ete mises â
profit par les cditeurs subsequents. II semble qu'il y ait
lieu de faire plus encore, et de prendre le Fuldensis pour
liase dans la constitution du texte 2.
Nous avons signale les principales editions du seizieme
siecle. Pamel (1579) avait utilise, sans beaucoup de dis-
cernement, la eollation de nouveaux mss. Son texte fut
souvent reproduit, jusqu'â la premiere edition de Rigault
(Paris, 1634), qui fait epoque dans l'histoire du texte de
Tertullien. Rigault a le premier reconnu la valeur de VA-
gobardinus, et pris ce manuscrit, quand ii le pouvait,
pour base de sa recension; ii a egalement mis â contri-
bution le Monlispessulanus . De Rigault relevent les edi-
teurs subsequents, y compris Migne : ii faut savoir gre â
ce dernicr d'avoir compile un vaste commentaire. Oehler
(Leipzig, 1851-1854, 3 in-8) marque un progres notable
1. Voir Ochloj-, t. ], |». x sq. — Sur los mss. italiens, Kroymann, Sil-
ninysherichle, t. 138, p. 32-34.
2. Ce resultat nous jiavait acquis, grâcc au remarquable travail de
M. Callcwaert. Ci-dossus, p. ni.
INTHODUCTI0N. VII
sur Rigault; ii dispose de nouvelles ressources critiques,
mais en use avec trop peu de rigueur. Son edition reste
la meilleure, en attondant l'achevement du Tertullien de
Yienne. Le tome P' de cette derniere edition, prepare
par Reifferscheid et publie apres sa mort par Hai^tel et
Wissowa (1890), n'a pas repondu ă toutes Ies esperances ^ ;
on peut augurer mieux du tome 111% qui doit renfermer
Ia plupavt des traites theologiques, et â la preparation
duquel M. Kroymann a prelude par d'importants travaux
sur Ies mss. de Tertullien.
Comme Tertullien s'est beaucoup contredit, un de nos
premiers soins dcvait etre de demeler la clironologie de
ses oeuvres, afin de suivre, autant que possible, l'evolu-
tion de sa pensee. Ce probleme a ete agite maintes fois
depuis trois cents ans, et aujourd'Iiui encore plusieurs
l'estiment insoluble. Nous sommes bien eloignes de ce
pessimisme, et Ies travaux accomplis depuis un demi-siecle
nous paraissent approcher d'une solution definitive ~. Sans
1. M. von Ilartol, qui avait tenu â rospecter, comme editcur, Tcoavre de
Reifferscheid, a consigne sos propres observations dans une serie de mei
moires : Patriatiwhe Studien, inseres aux Sitzvngsberichie de Vienne,
1. 120, 121, 124(1889-91). — Voir encore J. van derVliet, Studia ecclesiaslica,
Pars prior (Leydo, 1801); Kroymann, Quaesliones TerluUianeae criticai;
(Gottingen, 1893; Innsbriick, 1894); H. Gomperz, TertuUianca (Vienne,
189.5).
2. Citons, parmi Ies travaux Ies plus recents : Bonwetsch, Die Schriflen
7'ertuUians nach dor Zeit ihrer Abfassimg (Bonn, 1878); Uarnack, Zur
Chronologic der Schriflen TerluUians, dans Zlschrf. fur Kirchengcschichte,
2,4 (1878); Nocldcchen, Die Ahfassungszeit der Schriften Tertullianx, dans
Texle und Unlersuchungen, 5,2 (1888); Kellner, Chronologiae Tertullia-
neae sujyplemenla (Bonn, 1890); .1. Schmidt, Ein Beitrag zur Clironologie
der Schriften TertuUians und der Proconsuln von Africa, dans Hheini-
iches Museum,A(j (1891) ; Rolffs, Urkunden aus demantitnontanischenKampfc
des Abendlandes, dans 7'. -«. U. 12,4 (1895); Monceaux, Chronologie des
truvres de Tertullien, dans lievue de Philologie, 22 (1898); le meme dans :
Ilistoire lillcraire de l'Afrique chrelienne, t. 1 (Paris 1901) ; enfîn ct surtout :
VIII THKOLOGIIÎ DE TIÎRTULLIEX.
entrer dans le detail de ces discussions, disons pourquoi
nous croyons qu'elles ont ete fcicondes, sinon quant â la
date exacte de tous Ies ecrits de Tertullien — ii faut
sans doute renoncer â la connaîti'e — , du moins quant â
leur succession dans le temps. Cette successioii importe,
presque seule, â notre etude, et nous la croyons a, peu preş
fixee.
Les donnees dont on dispose pour etablir cette chro-
nologie peuvent se ranger sous trois chefs : d'abord les
allusions faites par Tertullien lui-meme â ses propres ou-
vrages ; puis ses allusions â des evenements connus de
l'histoire; enfin l'esprit montaniste, qui caracterise les
ecrits de la derniere periode.
1. La premiere source est de beaucoup la plus abon-
dante et la plus siire, car souvent Tertullien se cite lui-
meme. Nous avons releve les allusions suivantes : qu'on
nous permette de recourir deja aux abreviations qui
nous serviront constamment dans ce livre K
Test. 5 citc Ap. 19 (et Ap. 17 annongait Tast.) — B. J5 cite un
ecrit sur le mame sujet, en grec. — 1 C. /'. 8 citc Sp. — Herm. 1 cite
Praescr. — V. v. 1 cite un ecrit sur le meme sujet, en grec. — 1 .¥.
I citc Praescr. — 3 M. 24 cite : De ape fideJium (perdu): — Val. 16,
cite Herm. — 2 Ji . 9, An. 1,3, 11, 21 , 22, 24 citent : De censu animac
adversus Hermogenem (perdu, mais surement postârieur au trăite
conserve, Herm.) — An. 20 citc De fato (perdu). —An. 21 cite 2 M.
— An. 55 et 5 M. 12 citent : De paradko (perdu). — c. C. 2 cite
Praescr. — c. C.l cite 4 M. ~ c. C. S cite Adv. Apelleiacos (perdu)
— K. C. 12 cite Test. — fi. 2 cite c. C. (et c. C. 25 annoncait 7i). —
R. 2, 14 citent ] et 3M. — fi. 2, 17, 42, 45 citent An. — 5 M. 10 cite
llarnack, Dic Clironoloţ/ic dor altchrislliclwn LlUeralur bis Euscbius, 2
(Xcipzig, 190<1), p. 250-296;
1. On en trouvera l'oxplication p. xiii et xtv. — L'espace nous manque
pour faire ici la preuvc de tous ces faits: presque toujours on la trouvera
chcz Xocldechen, Monceaux ou Harnack.
INTRODUCTIOX. i^
B. — Cor. 6 cite un ecrit sur Ies spectacles, en grec. — Scorp. 5 cite
2 M.—Idol. 13 cite Sp. — Prax. 2 cite Praescr. — Jej. 1 cite Monog.
Independamment des citations expresses, on peut signa-
ler bon nombre d'autres cas oii l'ordre do succession des
divers traites n'est pas douteux. Ainsi :
1 N. 10. 15; 2 N. 13 annoncent l'Apologetique. — Ap. 38 precede
Sp. — Praescr. 45 precede Ies traites contre Ies heresies particulieres
— Pat. 13 precede Fug. et Pud. — Paen. precede Pud. — 1 C. f.
precede Or. 22. — Or. 22 precede V. v. — 1 U.r. 3 precede Fug. —
1 Ux. 7 precede Ex. c. et Monog. — Ilerm. 10 precede et annonce
2 M. 5-10. — Ile.rm. 16 precede et annonce 2 M. 14. — Cor. 1 an-
nonce Scorp. -- Cor. precede Idol. 19 et Fug. — etc.
2. Les dates preoises et Ies allusions distinctes â l'his-
toire contemporaine n'abondent pas sous la plume de
Tertullien. Yoici pourtant des exemples fort notables :
1 iV. 17 : Adliuc Syriac cndavermn odoridus spirant, ad/iue Galliae
Bhodano suo non lavant. — ■ Allusion â Tecrasement des rivaux de
Septime Severe, Pescennius Niger et Albinus. La bataille de Lyon,
qui ensanglanta le Rhone, est du 19 fev. 197.
An. 55 : Perpetua foriinmna marlyr ^uh die passionis ui revela-
tione paradui soios illic commarlyres suos vidit. — Allusion au
martyre de salute Perpetue (7 marş 203).
3 31. 24 : Proxime expunctum est orientali expeditione. Constat
enim ethnicis qitoque tesliljus injudaea per dies XL matutinis tyiomen-
tis civitatem de caelo pependisse. — Souvenlr de rexpedition de
Severe en Orient, 197-198.
I M. 15 : At nune quale est itt Dominus a XII Tiberii Caesaris
revelatus sit, substantia vero ad XV jam Severi imperatoris nulla
omnino comperta sit. — La quinzieme ann6e de Severe repond â
I'annee 207-8 ap. J.-C. Ce texte date rAntimarcion, du moins quant
au 1''"^ livre de la 3'^ edition; la seule qui nous ait ete conservee.
Pal. 2 : Quantum urbium aut produxit aut auxit aut reddiditprae-
sentis imperii triplex virtus, Dea iot Augustis in unum favente. —
Allusion au regne simultane de trois Augustes : Septime Severe et
X THliOLOGIE DE TERTULLIEN.
ses flls, Caracalla ct Geta. Les points extremes de cette periode sont
marqiies par l'association de Geta ă Tcmpire (209) et la mort de
Severe (14 fev. 211).
Scap. 4 : Ipse etiam Severii», pater Anhmini, Chrislianorum
memor fuit. — Pour que Tertullien parle cn ces termes d'Antonin
(Caracalla), ii faut que Caracalla regne seul. DonoluleitreadScapu-
lam est posterieure noii seulementâ la mort de Severe (14 fev. 211),
mais â celle de G6ta (fev. 212). Un autre texto du mfeme ouvrage
permct de preciser encore. Scap. 3 : Sol iile in convenţii Uticensi
extincto paene lumine adeo portentum fuit. II est question ici d'une
eclipse de soleil, que les calculs des astronomes allemands ont
permis de rapporter â la matinee du 14 aout 212. On sait par ail-
leurs que le proconsulat de Tertullus Scapula en Afrique dura de
211 â 213. Donc Tertullien dut ecrire sa lettre dans les derniers
mois de 212.
Mono//. 3 : Cur nan potucrit post Apostolos ideyii Spiriltts superve-
niens... supremam jam carni fibulam imponere, jara non oblique a
imptiis avocans, sed exerte, cnm inagis nune (empus in collecto factum
■-ii, annii circiter CLX exinde prodiictis? — Tertullien a conscience
d'ecrire environ 160 ans api'es la l'" epître de saint Paul aux Corin-
thions, ce qui pormet do fixer aux environs de l'annee 217 la compo-
sition du trăite de monogarnia.
Pud. 1 : Pontifex se. maximus, quod est episcopus episcoporum,
edicit : Ego el moechiae et fornicalionis delicta paenilenlia funcHs
dimilto. Nous aurons occasion de dire comment la decouvcrto des
Philosophuinena a permis do reconnaître le pape Calliste (217-222)
dans Fadversaire vise ici par Tertullien. Le De pudicitia est donc
un de ses derniers ouvrages, et cette apparition tardive ropond
parfaitement â la violcncc do l'inspiration montaniste.
Ces exemples montrent qu'il n'est pas impossible de
relever dans Tertullien des traits d'histoire, et de s'en
servir pour eclairer la chronologie de son ceuvre.
3. Letroisieme criteriura, fourni par le montanisme, doit
etre applique avec prccaution, car les ecrits de la premiere
epoque ne sont pas toujours exempts d'illuminisme ou de
rigorisme, et ceux de la derniere presentent parfois une
INTliOflUCTION. XI
doctrine ortliodoxG. Mais employe subsidiaircment, ii
apporte aux resultats â pcii preş acquis d'ailleurs une
utile coriiirmation. Saint Jer6me nous dit ^ qu'apres avoir
donne dans Ies erreurs de Montan, Tertullien fit frequem-
ment allusion dans sos livres â la nouvelle prophetio, et ii
designe comme specialement diriges contre l'Eglise Ies
traites suivants : De pudicitia, De peisecutione, Dejcju'
iiiis, De monogamia, De ecstasi libri VII. Parmi ces cinq
traites, Ies quatre premiers nous restant, et ils fournissent
une caracteristique fort precise du montanisme de Tertul-
lien. Nous ne nous arreterons pas â prouver ici qu'iîs diffe-
rent profondement de ses traites orthodoxes : cela ressor-
tira surabondamment de notre dernier chapitre. II nous
suffit d'avoir indique provisoirement oii ii faut cherchcr la
marque propre du montanisme. Apres avoir reconnu oîi
aboutit l'auteur, on sera mieux prepare a jalonner Ia marclie
de son esprit.
On concoit que l'emploi simultane de ces divers criteres
puisse dans bien des cas pcrmettre de retablir la serie
chronologique des ecrits de Tertullien. Cest ce qu'a fait
en particidier M. IVoeldeclien, avec une science historique
et pliilologique tres etendue, et avec une ingeniosite
qu'on a le droit de trouver parfois excessive, tant elle
attache do prix aux moindrcs indices. M. Monceaux a re-
pris Ies conclusions de M. Noeldechen, et y a apporte des
modiiications qui nous paraissont tres heureuses. Une
longue familiarite avec l'oîuvrc de Tertullien nous a per-
mis de mettre â l'epreuve la chronologie de M. Monceaux :
nous la lui empruntons avec beaucoup de confiance, en
nous permettant une seule retouche, que nous croyons
1. Saint Jerome, Vir. UI. 53.
XU THiSOLOGIE DE TEIiTULLIEX.
serieusement motivee. II s'agit du trăite De virginibus
velandis, dont on a souvent marque la place parmi Ies
derniers ecrits. Nous y verrions au contraire le premier
de la serie montaniste ^ ; car si la doctrine du Paraclet
s'y affirme energiquement, on ne voit pas que I'auteur ait
encore fait un pas decisif, ni pris position contre l'Eglise.
II parle avec grand respect des fondations apostoliques ;
ii tient ă bien marquer qu'il n'y a pour elies et pour lui
qu'une foi, qu'un bapteme, qu'une Eglise. Les catholi-
ques ne sont pas encore Ies psy chici; ce nom de mepris
et de haine apparaîtra plus tard, dans I'Antimarcion.
Certains details d'exegese nous ramenent vers la periode
orthodoxe du De oratione, en nous eloignant de la pe-
riode montaniste-. Pour ces diverses raisons, nous avons
cru devoir reporter de quelques annees en arrierc ce trăite
du voile des vierges.
Le tableau suivant est, sauf le point que nous venons
de signaler, conforme aux donnees de ^I. Monceaux'*'.
1. Cctteideen'est (raillcurs pas nouvelle ; M. Albert llain;!;, imtre autres.
l'a soutenue ii y a longteitips (Tortutlians Lehen und Srhriflen, p. 109-
SOO); et M. Ilarnack y cat reveiiu (p. 278-279).
2. Volr le cojiiiiientaire do Gal. 1, 1; infr. p. ib'i.
3. 31. Harnack, Chroiwlogie, t. 2 (1904), ari'ive soiisiblcaient aux meines
resultats que M. Monceaux, sauf pour trois traites : 1) Le Deidolulatria serait
ancien, et suivi-ait de preş le De spectaculis; 2) le De c.rhortatione caslikdin
procederait de tres pcu les livres contre Marcion ; .3) ii en serait de meme
du De mrginibus velandis. Sur les deux premiers points, nous avons cru
devoir nous cn tcnirauxconclusionsdo M. Monceaux; curleDe idololatria
reni'erme (19) des declarations sur le service niilitaire, qui s'expliquent
difficilement avânt \c De corona, e\. !c De exliorlatione canUlulisnoufi paraît
renl'ermer des traces vion douteuses ile montanisme. (A.u c. 3, l'exegese de
I Cor. 7, 9; voir inCr., p. 252; — au c. 7, les propos sur la hierarchic).
Quant au De virginibus velandis, nous sommes houreox de voir conliniiee
la date â laquelle nous avait conduit une etudc ind^pendante.
INTRODUCTIOX. XIII
Po PERIODE (JUSQII£ VERS 200 : AVÂNT LE SACERDOCE (?)).
Abrcviations :
Avânt 197 : Liber ad aminim philoso/jhwn.
(Perdu)
Fcv. oa marş 197 : Ad marlyms Mart.
Apres fev. 197 ; Ad nationes libri II' ^ 1. 2 A".
Fin de 197 : Apologeticwn Ap.
Entre 197 et 200 : De teslimonio (mimac ' Test.
2" PERUiDK (200-206 : ViE sacerdotali-:)-
Vers 200 : De speclaculis * Sp.
Adv. Marcionem (1™ 6d., perdue).
De praescripttone. hacreticorum.. . . Pr.,Praescr.
Entre 200 et 206 : De oratione' Or.
De baptismo * B.
De pati.entia Pat.
De paenitenliu Paen.
De cuUu feminaritm libri II 1. 2 C. /'.
Ad uxorem libri II. 1.2 Ux.
.Adv. Ilermogenem II., Ilerm.
Adv. ./udaeos ./.
De cen^u animae. (Perdu).
Adv. Apelleiacos. (Perdu)
De fato. (Perdu)
De paradiso. (Perdu)
De spe fîdelium. (Perdu)
3'' PEKIODE (200-212 : semimontanisme).
Vers 206 : De virgimbus velandts V. v.
207-8 : Adv.. Marcionem libri I-IV 1. 2. 3. 4 M.
209: De pallio Pal.
Entro 208 et 211 .: Adv. Valenlinianos Val.
De anima * An.
De carne Chrkti c. C.
i. I/âsterisque dist/ngue ies traites deja parus dans Ie Corpus l'indobonense
(voi. XX) : .nous Ies citons, sauf a\is contraire, d'apres celle edition. Pour Ies
aulres, nous suivoiis Ocliler.
XIV TIIEOLOGIE DE TERTULLIEN.
Dc resurrecitone carnis R.
Adv. Marcionem liber V. 5 1/.
De exhortalione casHialis Ex. c.
211: De corona Cor.
211 oxi 212 : Scorpiace' Scorp.
De idololatria ' Idol.
Fin 212 : Ad Scapulam. Scaji.
40 PERiODiî (ai'res 213 : montamsmk declare).
213 : De fuga in persecutiotie Fu{/-
Apres 213 : Adv. Praxeam Prax.
De monogamia Monog.
De jejunio * Jej.
De ecstasi libri VII. (Perdu)
Entre 217 et 222 : De pudicitia * Pud.
Les travaux de detail sur Tertullien sont fort nombreux.
Nous ne pouvions songer â les lire tous, et nous ne cite-
rons pas tous ceux que nous avons lus. Rien que nous
dcvions beaucoup â nos devanciers, nous nous somraes
attaohe surtout a commenter Tertullien par lui-mcme.
Son oeuvre lue et relue â la lumiere des interpretes les
plus autorises demeure notre soiirce principale. Quand
elle ne nous fournissait qu'une solution incomplete, nous
avons interroge la tradition anterieure, et d'abord la
tradition romaine, qui reglait la foi de Carthage. Enfm
l'oeuvre de saint GjJ'prien projette sur celle de Tertullien
des clartes trop precieuses pour qu'il fiit possible dc n'en
pas tenir compte. Malgre tant de secours, nous avons du
plus d'une ibis eviter de conclure, et sans doute ii
serait temeraire de pretendre arracher toujours leur der-
nier mot a des textes si obscurs, et, de l'aveu des meil-
leurs juges, souvent encore mal fîxes K
I. Je i'cg'i'cUe vivementden'avoir pu mettre â profit, le torrie III du Cor-
IMTUODUCTION. XV
Pour epargner au lecteur l'illusion d'optique consistant
â projeter sur une epoque Ies conccptions d'un âge
posterieur, nous nous sommes abstenu ordinairement
d'introduire dans notre exposition la terminologie scolas-
tique, dont l'emploi eut constituc unanaclironisme. Parfois
cependant, afin de presenter Ia pensee de Tertullien sous
son vrai jour, ii a fallu esquisser le developpement ulte-
rieur d'une idee theologique. Nous l'avons fait aiissi brie-
vement que possible.
De peur de charger outre mesure ce volume deja trop
lourd, nous n'y joignons pas de bibliographie : on peut
aujourd'hui puiser Ies indications Ies plus abondantcs
dans le livre de Bardenhewer i. Nous citerons d'ailleurs cn
Icur lieu nombre d'etudes consacrees ă Tertullien. Bor-
nons-noiis ici â l'indication de quelqucs abrevialions
usuelles.
A. C. L. Altchristliche Litteratur, par Ad. Harnack. (Leipzig,
1893-1904, 4 in-8).
I.).G.-' Lehrbuch der Dogmongeschichte, 3"' Aufl., par Ad.
Harnack. (Fribourg i. B. 1897).
Dicl. Arch. Dictionnaire darcheologie et de liturgie, public par
dom F. Cabrol. (Paris, 1903 sq.)
Dii-Â. Bibi. Dictionnaire de la liible, publie par F. Vigouroux.
(Paris, 1895 sq.)
THct. Theol. Dictionnaire de tbeologie catholique, public par A.
Vacant ct E. Mangenot. (Paris, 1903 sq.)
/. T. S. Journal of theological studies. (Oxford, 1899 sq.j
pus V'mdobonense. Ce volume est maintenant sous pressc, mais ii eut fallu
I'attendre encore plusieui's mois. Je no mo suiş docido â prendre Ies devants
qu'apres beaucoupd'hesitations etsurl'avis de M. E. Kroymannlui-memo.
Qu'il me pcnnette de le remercier ici pour l'obligeance avec laquelle ii
ni'a tcnu au courant de ses travaux.
1. OUo Bardenhewer : Geschichte der allkirchUrhen IJMeralur, t. 2 (Frei-
biirg i. B. 1903), p. 332-394. — Voir oncoi-e M. Schauz : Geschichte der
romischen Lilteralur, t. 3 (Munchen, 189C), p. 240-302.
XVI THEOLOGIE DE TERTULLIExX.
K. L. Kirchenlexicon, publie par F. Kaiilen. (Fribourg,
1882-1903.)
Revue bibliquc.
Ilcvue du clerge francais.
Realencyclopădic fiir protestantische Theologie und
Kirche, publiee par A. Hauck (Leipzig, 1896 sq.)
Revue d'histoire et de litterature religieuses.
Revue des questions historiques.
Texts and Stiidies, edited by J. A. Robinson (Cam-
bridge, 1891 sq.)
T. u. U., T. U. Texte und Untcrsiichungen herausgegeben von Oscar
von Gebhardt und Adolf Harnack. (Leipzig, 1883
■sq-)
R.
B.
R.
C.
F.
n.
E.
R.
H.
L.
R.
R.
Q
.H.
T.
a.
S.
THfiOLOGIE DE TERTULLIEN
GHvVPITRE PREMIER
DIVINITE DU CHRISTIANISME.
I. APEIigU GENERAL DES PREOVES.
Dans tine page celebre de son Apologetique, Tertullien, en
quote d'arguments pour prouver l'unite de Dieu, s'arrete ă
certaines exclamations populaires qui luiparaissent pleines d'un
sens profond : Gr and Dieu'. Bon Dieu! Plaise ă Dieu! Dieu
le voit. Je recommande a Dieu. Dieu me rendra^. Dans ces
cris de la nature, ii trouve Tindice d'une croyance primordiale,
que le polytheisme a obscurcie sans la supprimer, et un liom-
mage spontane de riiomme â l'auteur de son etre : c'est ce
qu'il appelle le temoignage de l'âme naturellement chretienne.
Plus tard, dans un petit ecrit plus suggestif qu'exact, ii a re-
pris cette idee, en lui donnant de nouveaux developpements.
Le livre du temoignage de Văme^ contient en germe une brân-
cile de l'apologetique, destinee â refleurir de nos jours sous le
nom de methode d'immanence. Tertullien n'a pas cultive ce
germe ; ii s'est contente de montrer, au fond de la creature
raisonnable, Tempreinte irrecusable du Createur. Neanmoins
1. Ap. i;.
2. Au cornmoncemcnt du eh. II, on aura occasiou d'examinor Ic De les-
timonio animae, et d'y signaler des vues fecondes, non sans melange d'er-
rours.
TULOI.OGIE DE TERTULIJEX. 1
2 THfiOLO(UE DE 1 ERTULLIEX.
son argumentation demeufe interessante, parce qu'clle temoi-
gne d'un effort personnel pour accorder une foi deja ferme avec
une raisoii tres active.
Comme un demi-siecle plus tot saint Justin, TertuUien avait
eprouve le fort et le faible de bien des philosophios avânt de se
fixer dans la foi chretienne. Mais tandis que Justin se retour-
nait avec quelque sympatliie vers Ies systemes qu'il avait quit-
tes, TertuUien n'avait retenu de ses meditations personnelles
que defiance et dedain a l'egard des philosophes. II n'a point
assez de sarcasmes pour ces bateleurs, funestes â la verite dont
ils font parade ', pour ces contempteurs des hommes et de la
divinite meme^, pour ces animaux de gloire^, pour ces patriar-
ches de toutes Ies heresies ''. Bien difîerent de son contempo-
rain Clement d'Alexandrie, qui elabora une gnose chretienne
et veut fusionner l'Evangile avec la sagesse antique, TertuUien
aime â confondre et â pitîtiner la science; l'esprit qui circule
dans son oeuvrc est un esprit de reaction, parfois outree, contre
Ies exces de la raison humaine. Cest pourquoi, lorsqu'il cher-
che un temoignage sincere sur l'homme, Dieu et le monde, ii
se detourne de la philosophie : l'âme qu'il interroge, c'est
l'âme du peuple, l'âme ignorante et simple, telle qu'on peut
esperer la trouver ancore seulement dans la rua et â l'atelier"'.
11 la fait comparaître, et deposer en faveur du christianisme
qu'elle ignore. Bien que ce temoignage appelle des rcserves,
l'expression crcce par TertuUien, — testimonium animae na-
turaliter chrislianae — , comme tant d'autres marquees au coin
de son genie, meritait de traverser Ies siecles, semblable ă ces
vieilles medailles qui nous redisent la ponsee des âges lointains.
1. Ap. 4() : Mimice philosophi affcctant veritatem, ot, affcctando cor-
rumpuiit, ut qui gioriam captant. (Texte do Rhcnanus, ilavercamp, Mi-
glie.)
2. 1 Nai. passim.
3. An. 1 : Pliiiosophus, gloriae animal.
4. An. 3 : Philosophi... patriarchae liaercticorum. — Cf. Do praescrip-
tione 7; De resurreclione carnis, passim. Dans ce dornice trăite, Tertul-
lieu fait ses conditions â la raison avânt de l'admettre a temoigner sur Ies
choses de Dieu. 3 : Est quidem et de communibus sensibus sapero in Dei
rebus; sed in testimonium veri, non in adjutorium ialsi; quod sit sccun-
dum divinam, non contra divinani dispositionem.
5. 'fesl. an. 1.
DIVINITK DU CHIiISTIANISME. >J
Ilâtons-noiis d'ajouter que sa foi reposait sur autre chose
qne des observa tions precaires et des inductions hâtives. II sa-
vait que l'âme ne naît pas chretienne, mais le devienl', etle
testirnonium anirnae ne fut jamais pour lui qu'une preface. 11
nous faut etudiei- Ia suite qu'il y donna, et tout d'abord reclier-
cher comment ii etablissait la divinite du christianisme.
Sa demonstration a pour fondement historique Ies livres
des deux Testaments et Ies annalcs de l'Eglise. Uns page capi-
tale ^ eolaire la route a suivre : nous commencerons par la lire
avec soin, car beaucoup des idees de Tertullien s'y trouvent
condeusees.
La foule connaît le Christ comme un homme qui a vecu sous
Tibere, et incline a voir dans Ies chretiens Ies adorateurs d'un
homme : Tertullien se propose de montrer que le Christ est
Dieu. Voici comment ii procede.
Tout d'abord ii rappelle l'histoire de la nation juive, dcposi-
taire d'Ecritures divines, qui annontjaient pour la fin des temps
la venue d'un Fils de Dieu, illuminateur du genrc humain, ini-
tiateur d'uno loi nouvelle et plus sainte, Les Juifs l'attendaient,
ils l'attendent encore, pour n'avoir pas su accueillir en son
temps le don de Dieu. Leur infidelite a regu son châtiment par
la dispersion dont les menagaient les memes Ecritures, et dont
ils sont aujourd'hui frappes. Les chretiens, eux, ont micux Iu
les proplieties. Ils ont reconnu Ie Fils de Dieu : c'est le Verbe,
AoYOţ, raison substantiolle de Dieu, diversement apergu par les
philosophcs stoîciens, engendre de Dieu en unite de substance;
c'est le Christ, Dieu lui-meme, qui, ayant pris une cliairhu-
maine dans le sein d'une viergc, apparut Homme-Dieu. Pour
etrange que cette idee semble au premier abord, elle ne I'est
pas plus que les fables de l'anthropomorphisme : Tertullien
demande au lecteur paien de l'accepter sous benefice d'inven-
taire, en attendant que le christianisme ait produit sas preu-
ves et montre dans la mythologie une simple contrefagon de
sa propre verite. Reprenant alors l'histoire de la nation juive,
1, TesL rm. 1 Nori cs, quod sciam christiana : fiori cnim. non nasci
solet christiana.
2. Ap. 21.
4 THEOLOGIE DF. TERTULLIEX.
ii montre commenl Ies prophetes avaient annonce deux avene-
monts distincts du meme Christ. Le premier avenement s'est
accompli, dans riiumilite d'une condition mortelle; le second
doit s'accomplir â la fin des temps, dans la revelation sublime
de Ia divinite. Ce fut le crime et le malheur des Juif's de ne
croire qu'â l'avenement glorieux. Cependant le Christ a signale
sa venue par des miracles, qu'ils n'ont pu nier. Plutot que de
se rendre, ils l'accuserent de magie. Leurs docteurs, qu'il con-
fondait, se vengercnt en le deferant â Pilate, et arracliant con-
tre lui mie sentence de mort. Les prophetes l'avaient predit,
et lui-meme l'avait repete : ii devait expirer en croix. Sa
mort fut marquec par de nouveaux prodiges ; le troisieme jour,
ii i'essuscitait. Le fait n'a pu etre demenţi, malgre les efforts
des premiers entre les Juifs pour donner le cliange k Topinion.
Le Christ aurait pu se produire devant tout le peuple, et impo-
ser le fait de sa resurrection avec une clarte aveuglante; mais
ii importait de ne pas ravir â la foi son merite; c'est pourquoi
ii se contenta de fournir ă la bonne volonte des motifs sufli-
sants do croire, sans aller jusqu'â contraindre les esprits rebel-
les. Apres quarante jours passes parmi les siens, â les instruire
de la doctrine qu'ils devaient repandre par le monde, le Christ
s'eleva au ciel sur une nuee. Telle est, en raccourci, l'histoire
cvangelique. Au lendemain des evenements, Pilate on ecrivit â
Tibere. Les disciples du Christ l'attesterent aussi. Non con-
tents de braver les persecutions des Juifs, ils porterent la pa-
role de Icur Maître par l'univers entier, et jusque dans Rome,
ou, sous Neron, ils Fimplantercnt avec leur sang. L'apologiste
se reserve de faire deposer, en faveur de la verite chretienne,
les demons eux-memes, ces dieux du paganisme. Si Fon recuse
tant de temoignages, au moins doit-on admettre la sincerite
des chretiens : nul ne doit âtre soupgonne gratuitement de
mentir sur l'objet de son culte, car pareil mensongc implique-
rait une apostasie. Or au milieu meme des supplices que leur
inflige une barbarie aveugle, les chretiens protestent qu'en
suivant la doctrine du Christ ils honorent Dieu. Si Fon no voit
dans le Christ qu'unhomme, et un fondateur de religion comme
tant d'autres, on ne peut pas refuser a son oîuvre le benefice
du droit commun. Sans parler des Juifs, qui honorent Dieu
PJiOPHETIES MESSIAXIQUES. ■'>
selon la loi de Moise, Ies divers peuples de la Grece nomment
Ies liierophantes qui Ies ont instruits : ici Orpliee, lâ Musca,
ailleurs Melampus ou Trophonius; Ies Romains ont Numa. Le
Christ a fait comme tous ces initiateurs celebres, avec cctte
diffcrcnce qu'il avait Ie droit de pretendre ă la divinite, et qu'au
lieu d'apprivoiser dos barbares, ii a ouvert â la verile Ies yeux
d'hommes fort civilises deja. Toutes ces religions doivent etre
jugecs â l'ceuvre. Or tandis que la valeur hors pair de Ia prc-
dication cliretienne eclate dans la reforme des moeurs, Ies au-
tres doctrines clierclient en vain, par des prodiges et des ora-
cles menteurs, â produire l'illusion de la divinite.
En somme trois temoignages sont invoques par Tertullien
touchant la divinite du Christ : temoignage des prophoties de
l'Ancien Testament, temoignage des miracles evangeliques,
temoignage des annales de l'Eglise primitive. Sur ces trois
preuvos, qu'on a vues condensees en un passage de FApologe-
tique, on trouve bien des developpements epars dans ses ecrils,
oii ii nous faut Ies reclierclier.
II. PJiOPHETIES MESSIANIQUES
Tertullien voit dans TAncien Testament la preface de FEvan-
gile. Le Dieu unique, createur du monde \ non content de se
reveler par ses osuvres â toute âme droite, a voulu documenter
surabondamment la foi du genre humain. Cest pourquoi, des
Ies premie rs temps du monde, ii a cnvoye Ies proplietes ^,
liommes justes et remplis de l'Esprit divin, pour enseigncr
l'unite de Dieu, lacreation du monde et de l'homme, la provi-
dence, la loi morale, le jugement, la resurrection des corps,
la vie eternelleet le feu inextinguible. Ces dogmcs sont reveles
de Dieu, veritable Promethee qui s^est fait l'educateur de
Fhomme. Bien des gens en rient; ii fut un temps ou Tertullien
lui-memeen riait; car on ne naîtpas chretien. Maisla parole dos
prophetes demeure, avec le recit des miracles qui Ies accredi-
1. Ap. 17.
2. Ap. 1<S. — Comparer saint .Iustin, 1 Ap. 31 ; rjial. 7.
6 THEOLOGIB DE TERTDLLIEN.
taient. Le recuoildes Ecritures juivcs n'est plus pour personne
un livre ferme : traduiles do l'hcbrcu en grec, par Ies soins de
Ptolemee Philadelphe, elles se trouvent, texte et traduction,
dans lesbibliotheques. Chacun peut Ies aller lire au Serapeum
d'Alexandrie ; on peut encoro Ies aller cntendre dans Ies syna-
gogues, le jour du sabbat. Ainsi l'on trouvera Dieu ; quiconque
voudra s'appliquer k comprendre se verra force de croire ^
Telle est riiistoire de l'A. T. et sa fin providentielle. Reste ă
etablir son autorite humaine et divine.
L'autorite humaine des lettres juives resulte de leur incom-
parable antiquite-. Tertullien s'adresse â des hommes qui ont
le culte des origines lointaines et le respect de la chronologie ;
et ii Ies met au defi de decouvrir, fut-ce dans Ies archives des
temples Ies plus fameux, aucun document qu'on puisse mettre
en parallele avec Ies Livres Saints. MoTse est contemporain
d'Inachus; ii est anterieur de quatre siecles a Danatis, de dix
â la ruine do Troie, donc — du moins selon certains auteurs —
de quinze ă Homere. Les autres prophetes, pour etre posterieurs
ă Moise, n'en sont pas moins les aînes, tout au plus les con-
temporains, des premiers sages, legislateurs et historiens pro-
fanes ^. La preuve en serait longue : ii faudrait interroger les
monuments de l'Egypte , de la Chaldee, de la Phenicie , appeler en
temoignage pour l'Egypte Manetlion, pour la Chaldee Berose,
pour la Phenicie Iliram roi deTyr; puis leurs successeurs, Pto-
lemee de Mendes, Menandre d'Ephese, Demetrius de Phalcre,
1. Qui audierit, in^'enietDeum; qui etiaiu studuerit intellegere, cogetur
et credere.
2. Ap. 19.
3. Le fragment de Fukla, edite en 1597 parFr. Junius d'apres un manus-
crit ujourd'hui perdu, presente des donnees quelque peu differentos. Mo'i'se
aurait vecu 300 ans avânt l'arriveo de Danatis a Argos, 1000 ans avânt la
guerre do Troie, donc bien avânt Saturne qui, avec les Titans attaquait
.lupitor 320 ans .seulement avânt la chute do Troie. Le dernier des prophetes,
Zacharie, est contemporain de Thales, Cresus et Solon. — L'authenticite
do ce fragment a ote souvent niee ; voir Paul do Lagarde, Gatlhig. Gesell-
schaft der Wmensch. hisl. philolog. Klasse, t. 37 (1891) p. 77 .sq. llavoi-camp,
editeur de l'Apologetique (Leyde 1718) considere cette page commeune re-
daction definitive, preparee par Tertullien en vue d'une nouvellc edition.
Recemment, on a fait ressortir l'excellence du manuscrit de Fulda; voir
C. Callewaert, dans Revue d'histoire el de liUerature religieuse, 1902, p.
322-353.
l'UOPHBTIES MESSIANIQUES. 7
le roi Juba, Apion, Thallus et autres, le Juif Josephc, si verse
dans Ies antiquites de sa nation ; consulter aussi Ies chrono-
graplies grecs, passer en revuetoute l'histoirc du monde.
Les cliiiîres donnes par Tertullien prouvent seulcment que
l'erudition alexandrine, dont ii relevait, etait parfois bien courte ' ;
on n'avait pas encore deroule les annales de rEgypte et de
l'Assyrie, et tel detail, qui nous fait sourire, n'eveillait pas la
defiance du lecteur grec ou romain -. Quoi qu'il en soit de leur
valeur absolue, ces assertions relatives k l'anliquite des Ecri-
tures devaient faire impression sur Ies esprits, et atteignaient
le but vise par l'apologiste.
Beaucoup plus grave est Ia question d'autorito divine ou d'ins-
piration ^ ; et si I'on accorde ce dernier point, Tertullien est
prot â laisser de cote Ia chronologie. La grande preuve qu'il
apporte, c'est la realisation des propheties. Ces fleaux qui se
multiplient par le monde, ces villes que la terrc dcvoro, ces îlcs
que la mer engloutit, ces guerres civiles et etrangeres, ces
cliocs do royaumes contre royaumes, ces famines, ces epidemies,
tous ces desastres locaux qui causent tant de morts, ces revo-
lutions politiques qui elevent les humbles et abaisscnt les
grands, cet affaissement general de la juslice, ce progres de
riniquite, cette torpeur pour le bien, ce desordre meme dans
le cours des saisons et dans les elements, cos monstres et ces
prodiges qui derogent aux lois de la nature, ne sont-ils pas
Taccomplissementdes oraclesproplietiques?Les chretiens, qui
les ont chaque jour sous les yeux, y reconnaissent la veracite
de leurs Ecritures, et voient dans cette veracite le cachet du
divin'''; ils s'enhardissent â croire des prophetes si souvent
justifies par les faits.
1. Philon est un exemple illustre de cette ignoi-ance. Voir Jeaii Reville.
Le Logos d'apres Philon d' Alexandrie (Geneve 1877), p. 14 sq.
2. Les chiffres do saint .Iustin (1 Ap. 31) ne sont pas moins fantaisistes.
II attribue aux prophetes 5000, 3000, 2000, 1000 ou 800 ans avânt le Clirist ;
ă David 1500 (ib. 42). — Une chronologie beaucoup plus serieuse est celle
de Tatien (Disc. aux Grecs, 31 : 36-41) qui a interrogc, outro l'antiquite
grcoquo, celles de la Chaldee, do Ia Phenicie et de I'Kgypte, et prouve so-
lidement l'anterioritf' de Moîse â toute litterature grecque. Yoir oncore
saint q'hoophile d'Antioche, Ad .Aulolycwn, 3. lG-29,
3. Ap. 20.
4. Idoneum, opinor, testimonium divinitatis veritas divinationis.
8 THJÎOLOGTE DE TERTULLIEN.
r.e tableau que TertuUien vient de tracer du monde romain
â la fin du ii" siecle ne saurait 6tre accuse d'infidelite. Neanmoins
ii n'est guere de siecle qui, plus ou moins, ne puisse invoquer
de pareils signes, et Fon ne s'expliqueraiţ pas Timportanco
quy attaclie l'apologiste s'il n'etait, comme beaucoup de ses
contemporains, sous Tinfluence des idees qui lui montraient la
fin du monde â breve echance. Ces idees, nous Ies retrouverons
plus d'une fois; constatons qu'ici elles l'ont egare dans une
direction fausse, enle detournant de ce qui avaitune tout autrc
valeur pour l'apologetique chretienne : nous voulons dire Ia vie
et la mort du Christ, decrites dans l'Ancien Testament. Ter-
tuUien y arrive I'instant d'apres. S'adressant ă des paîens qui
connaissont peu Ies prophetes, ii no donne pas prescntement
ă cetle preuve tout le developpement qu'elle comporte; mais
nous sommes en droit d'aller cherclier ce developpement la
ou ii se trouve, c'est-a-dire dans ses livres de controverse
juive et de controverse chretienne.
Le trăite Adversus Judaeos a precisement pour oLjet de re-
cueillir dans l'Ancien Testament Ies traits qui caracterisent
le Messic, et de comparer ă cette image prophetique le per-
sonnage liistorique de Je?us-Clirist. Auteur d'une nouvelle Loi,
heritier d'unnouveau Testament, pretrede nouveaux sacrifices,
purificateur d'une nouvelle circoncision, adorateur d'un sabbat
eternei, tel apparaît le Messie dans Ies prophetes ' . Le Messie
est-il venu? Cest le noeud de la controverse entre clireliens et
juifs. Saint Justin s'etait applique â le trancher, dans Io dia-
logue avecTryphon. Un demi-sieclc apres lui, TertuUien reprit
la meme discussion dans cet ecrjt, auquel peut-utre ii n'a pas
mis la dorniere main ^. Dans I'Antimarcion, Ia meme contro-
1. Jad. C.
2. Voir E.Nocldechcn, Terlidlian's gegen die .ludenauf Einheit, Echt/ieit,
Entstehung, gepriift; dans T. U. t. 12 (1894), 92 pp. Les premi(''i'es pages do
cette etude sont consacrees aux prerniers monuments de la controverse
judcochreti(!nn(! {Dialogiw d' Ariston de Felia, Tesiamenl des douze patriar-
ches, Epître de Barnahri). Puis l'auteur montrc (p. 3 sq.) le lien cti'oit. qui
rattache l'ccuvre de Tei-tulilen au dialogue avec Tryphon.
Un doute plane surl'authenticite desdernierespages adv. Judaeos, âcausc
de leur parente manifeste avec I'Antimarcion. (Voir Ies te.xtes pai'alleles,
disposQCS trcs commodement par Semlcr, Diaserkdio de varia et incerta
PliOPHETIES JIESSIANIQUES. «
verse revet une forme un peu differente : Marcion distinguait
non seulement deux Testaments, mais deux economies divines,
deux dieux, deux Christs. II fallait, l'Ecriture en main, prouver
â cet heretique ridentite de Jesus, le Christ du Nouveau-Tes-
tament, avec le Messie des prophetes. Eiitre Ies deux ouvrages
de Tertullien, Ies points de contact soiit nombreux; nous pui-
scroiis dans l'un et dans l'autre, et pour plus de clarte nous
etablirons quelques categories dans la longue serie des oracles
bibliques.
1" Prophedes concernant le regne da Christ. Îs. 45, 1 sq.;
Ps. 18, 5.
Le Christ est deja venu : Tertullien n'en vevit pour preuve
que Ies conquetes de l'Evangile'. Ce fait, qui s'impose â l'at-
tention du monde entier, est le premier qu'il i"appelle aux Juil's.
indole Ubrorum TertuUiani; roproduit dans Ochlci-, t. :i, ]}. 040 scj). Plusieurs
critiquos supposent que Tertullien s'est copio lui-meme; ainsi Kaye
(Londres, 1845), Grotemeyer (Kempen, 18G5), Noeldeclien, 1. c,., p. 4G sq.
Partisan resolu de rauthenticite totale, M. Noeldechen voit dans la fin du
trăite un rocueil un peu confus de mat^rianx, niis plus tard en oeiivrc
dans l'Antimarcion. D'autrcs pensent que, si Tertullien s'etait copie lui-
meme, ii l'aurait fait avee plus d'independance; ils font observer en ontre
que rAntimarcion, et non le trăite ao!«. Judaeos, senible avoir conservii
la redaction originale, car on n'y trouve pas Ies incorrections et Ies inco-
herences qui distingucnt ce dernier acrit. Neander a pnicise ces conclu-
sions (Anligiioslicus'^, 1849, p. 458-467), en admottant quo la fin du trăite
(9-14) est due â un conipilateur qui a puise surtout dans le 1. y adv. Mar-
cionem. Voir, dans le meme sens : Boehringer (Zurich. 1804), Hauck (Er-
langen, 1877), Corssen (Berlin, 1890), Krueger (1890, Centralblatt n. 45),
Schanz (Miinclien, 1893, Geschichte der rom. Litt. t. 3, p. 200), Einsiedler
(1897, de TertuUiani adversus Judaeos libro, reporise a Noeldeclien), Gcr-
liard Esser (1898, dans le Kirchenlexicon dcFribourg, t. 11, 1416). Au reste,
la question n'est pas d'une importance majcurc. 11 n'y a pas de raison
pour suspecter Ies huit premiers chapitres (la moilloure pârtie du c. 8 : Unde
igitur... praedictas a Damele, est citce comme de Tertullien par saint .!(■-
rome, commentaire in Danielem 9, P. L. 25, 549-551). Dans la pârtie con-
testce (9-14), la plupart des developpements so rctrouvent dans rAntimai--
cion; dono on peut Ies citer comme du Tertullien authentique. Restent
(juelques pages (surtout c. 13 presque entier) dont on ne peut indiqucr
la provenance. — Tout recemment, M. Harnack {Ch.rotiologie der ACL.
2, p. 291) suggerait une solution tres ing(;nieu.se : Ies dei-iiieres pages arff.
Judaeos auraient ete empruntces par Tertullien lui-nirnio a la !'° ou a la
2° edition de son Antimarcion, et mises Ia tcUes quelles, sans souci des
incoherences de detail: notre Antimarcion, qui est une 3" edition, pre-
senterait la redaction definitive.
I. /. 7; 3 .¥. 12. 20.
10 THEOLOGIE DE TERTULI.IEN.
Des Ic jour de la Pentecote, Ies represontants des peuples Ies
plus divers sout entres dans l'Eglise : Parthes, Medcs, Elami-
tes, gens de Mesopotamie, d'Armenie, de Phrygie, de Cappa-
doce, de Pont, d'Asie, de Pampliylie, d'Egypte, de Cyrdnaique,
Romains et Juifs. Tertullien complete Penumeration commonceo
par Ies Actcs des Apotrcs : diverses tribus Getules. une bonne
pârtie de la Mauritanie, toute l'Espagne, plusiedrs nations des
Gaules, Ies Brctons, dans lours retraitcs encore inaccessibles
aux armees romaines mais deja soumises au Clirist, Ies Sar-
mates, Ies Daces, Ies Germains, Ies Scythes, et tant d'autres
peupladcs, tant de provinces et d'îles reculees, dont on ignore
meme Ies noms! Le Christ a penetre lâ; lâ son nom regne; Ies
portes des cites se sont ouvertes devantlui; ii a brise Ies barres
de fer et force Ies battants d'airain. Voilâ ce regne predit par
Ies proplietes: regne spirituel, qui livre au Christ l'acces de
coours fcrraes par Ic demon, regne universel, auquel seul con-
vient la description prophetique. Car Salomon ne regna que
sur Juda, de Dan â Bersabce; Darius sur Ies Babyloniens et
Ies Parthes, Pharaon sur l'Egypte, Nabuchodonosor de l'Inde
ă PEtbiopie ; Alexandre de Macedoine ne posseda guere que
l'Asie; Ies Germains s'arretent ă leurs frontieres. Ies Bre-
tons â rOcean; Ies Maures, los Getules et autres barbares
aux limites posees par Ies armes romaines. Rome elle-meme,
occupee de se defendre contre la barbarie, ne peut reculer Ies
bornes de son empire. Le nom du Christ etend partout ses
conquâtes; partout ii a des croyants, partout des adorateurs,
partout ii regne. Egal k tous, sans i'aveur pour Ies grands
comme sans dedain pour Ies humbles, le Clirist ne fait pas ac-
ception de personnes : partout ii est roi, partout juge, partout
Dieu et Seigneur * .
1. II serait tcm6raii'<^ de prctendre evaluer avec precision la population
chrctienne de rompiro ii la lin du deuxieme siecle ; mais on no peut douter
que Io chiffre n'en fut tros eleve. Les assertlons de Tertullien, nialgro
leul" caractere oratoiro, no sauraient otre negligees, surtout pour l'Afriquc
latine. Memo on faisant la part de l'exageration, ii est evident que le
noinbre oroissant des fidelos inquietait les pa'iens, et pourtant Io sein
qu'ils prenaient de se dissiinuler devait diminuer les alarmes de ceux
qui ne voulaiont pas croire au perii cliretien. — Voir Ap. 1 : Obsessam
vociferantur civitatem : in agriş, in castellis, in insulis christianos: omnem
PROPIIJÎTIES MESSIANIQUES. 11
2" Prophelie des 10 semaines ^ : Dan. 9, i-2. 21-27.
Cette proplietie, qui precise le teraps de la venue du Messie,
avait, pour Ia controverse juive, une importance capitale. Ter-
tullien devait donc en aborder Texeg-ese, comme Tabordaient,
vers le meme temps, saint Hippolyte, Jules Africain, Clement
d'Alexandrie, Origene. Ces commentaircs presentent quantaux
principes et quant aux conclusions, des divcrgences impor-
tantes^. En particulier, saint Hippolyte et Jules Africain s'ins-
pirent d'idees eschatologiques dont le c. 8 adc. Judaeos ne
porte pas la trace.
Voici, d'apres Tertullien, la substance de la proplietie.
II admet G2 1/2 semaines d'annees depuis l'epoque de la
vision jusqu'â la naissance du Clirist; puis 7 1/2 semaines d'an-
nees, qui verront s'accomplir Ia passion du Christ et fîniront ă
la ruine de Jerusalem. La naissance du Christ, arrivee l'an 15
avânt la mort d' Auguste, sera la manifestation de la justice
eternelle; le Saint dos saints, c'est-â-dire Ic Clirist, recevra
Tonction divine; ii mettra Ic sceau ă Ia vision et â Ia prophetie,
c'est-â-dire que, par son avenement et sa mort, Ies oracles an-
ciens recevront leur accomplissement ; ii n'y aura plus de place,
apres lui, pour le ministere proplietique, selon Ia parole de
l'Evangile : Laloietles proplietes jusqu'â. lean-Baptiste. (Mat.
11, 13). Le Christ ayant, par son bapteme, sanctiOe Ies eaux,
concentre en lui-meme tous Ies anciens charismes, met Ie sceau
sexum, actatcni, condicionem, ctiam cUgnitatein transgredi ad hoc nomcn
quasi dotrimento maerent... 37 : Ilesterni sumiis, et vestra omnia imple-
vimus, urbes, insulas, castoUa, municipia, conciliabula, castra ipsa, tribus,
decurias, palatium, senatuni, forum ; sola vobis roliquimus terapia. Possu-
mus dinumerare exercitus vestros : unlus provinciao plures erunt (texte du
codox Fuldensis). — .S'cajo. 2 : Tanta hominuna itiultitudo, pars paone major
civitatis cujusquc, in silentio et modestia agimus, singuli forte noti magis
quam omnes. — H y a plus : Ies fideles etaient parfois effrayes de leui'
nombre, ct so cachaient pour venir â l'egliso. Tertullien, devcnu monta-
niste, flctrit (Fug. 3) ces catholiques trop prudents... qui limide conveniunt
111 ecclesiam,. Dicitis enim : quoniam inconditc convenimus et complures
concun-imus in ecclesiam, quaerimur a nationibus, et timemus ne tiir-
bcntui- nationes. — Voir sur cette question Ilarnaek : Die Mission und
AusbreUung des Christenlhums in den ersten drei JoJirhund,erten. (Leipzig
1902), p. 372.
1. Jud. 8.
2. Voir A. Schlatter : Der Ciironograpli uus dom zehnten Jahre Anlonina.
Dans T. U. 1. 12, 1 (1891).
12 TIIEOLOGIE DE TERTULLIEN.
a la vision et aux propheties, realisees par son avenement. Sa
passion arrive l'an 15 de Tibere, sous Ies consuls L. Rubellius
Geminus et C. Fufms Geminus (an 29 de notre ere). Des lors
Tonction divine s'est retiree de Jerusalem, Ies sacrifices vont
cessei', la viile succombe durant la premiere annee de Vespa-
sien.
Venons au detail du comput. D'abord pour Ies temps qui
precedent le Christ :
Darius 19 ann.
Artaxerxes 41 1
Ochus, qui et Cyrus 24
Argus 1
Darius, qui et Mcdus- cognominatus est. . 21
Alcxarider Macedo 12
Sotcr 35
Philadelphus 38 ■*
Evergetes 25
Philopator 17
Epipiianes 24
Evergetes 2!)
Soter 38
Ptolernaeus. . 37 *
Cleopatra 22,0 m. ■'
Cleopatra cum Augusto 13
Augustus ante Christuin natum 41
437.6 m ;^ 02,5 hebdomades
aunorum.
Pour Ies temps posterieurs a la naissance du Christ :
Augustus ])ost nativitatem Chvistiann. 15
Tiberius 20 7 m. 28 d.
Caligula 3 8» 13 »
.Nero 11 9 » 13 »
Galba 7 » fi
Otho 3
Vitellius 8 » 27
52 a 6 ni.
1. 40 Migne, avec saint .lerornc; 41 Oelilev, Schlatter.
2. Lcs (klitions poi-tent : Melas. Schlatter, p. 16, fait justement observer
que c'est une fausse lecon pour : MHAOI. — Pour Ies annoes de son regne,
22 Migne etc; 21 Oehler, Sclilatter, avec saint Jerome.
3. 39 Migne; 38 Oehler, Schlatter, avec saint Jerânie.
. 4. 38 Migne; 37 Oeliler, Schlatter, avec saint Jerome.
5. 20.6 Migne; 20.5 Oeliler; 22.6 Schlatter {cod/ix FulcUnsis 22..5).
PROPHETIES MESSIANIQUES. 13
soit un total de 7 1/2 semaines d'annees. II se serait donc ecoule
entre la vision de Daniel et l'avenement de Vespasien — ou la
ruine deJerusalem — un total de 70 semaines d'annees, 490 an-
nees.
Quello confîance meritent ces chiffres? Lcur rigueur appa-
rente dissimule de nombreuses erreurs, parmi lesquelles nous
releverons seulement Ies plus importantes.
La date assignee â la vision de Daniel (437 ans et 6 mois
av. J.-C.) est trop recente d'un siecle. Le Darius sous lequel
Daniel vivait captif au sixicme siocle est anterieur de plus de
cent ans au seeond Darius, pere d'Artaxerxes Mnemon : Ter-
tullien a confondu ces deux princes.
Dans la chronologie des temps qui precedent le Christ, cliose
presque incroyable, unc mcme pcriode de 13 ans est enregis-
tree jusqu'â trois fois : d'abord, comme appartenant â Cleopâ-
tre, pviis cornme commune a Cleopâtre et â Auguste, enfin
comme proprc a Auguste. Ce n'est qu'en multipliant ainsi Ies
annees que Tertullien realisc Ies 62 1/2 semaines.
La chronologie des empcreurs romains ne nous roservc
pas de moindres surprises : et ceci est d'autant moins excu-
sablc qu'il s'agit de dates relativement recentes et faciles â
verifier. Dans cette chronologie. Ie regne de Claude ne fîgure
meme pas; Ies autres regncs sont niesures peu exactement.
Voici quels seraient Ies chiffres vrais \
Tiberius -. 22 a. G m. 28 d.
Caligula ?> 10 8
Claudius 13 8 20
Nero 13 7 27
Galba » 7 6
Otho. . . : .. 3 11
En somme Tertullien a retranclie aux successeurs d'Auguste
environ 17 ans, ce qui le conduit ă mettre la ruine de Jeru-
salem en I'an 53 de notre ere, au lieu de I'an 70.
Errone au point de depart, au point d'arrivee, et en beau-
coup de details, ce comput, pour tout dire, ost manque ^.
1. Calculs bascs sur Ies donnees de M. R. Cagiiat, Cours d'epir/raphie
latine-' (1898) p. 179-185.
2. Poui' la comparaison avcc Clement (.Sft'om. 1, 2L), voir Sclilatter l. c.
14 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
30 Prophedes concernant le noni du Christ et sa nativite.
îs. 7, 14-15; 8, 4. — îs. 11, 1 sq. — Mich. 5, 2.
D'apres Isaîe (7,14), le Christ devait s'appeler Emmanucl '.
Or Jesus n'a pas porte ce nom : la-dessus, Ies Juifs triom-
phaicnt. Votre exegese, repond Tei'tullien, a le tort de s'arreter
aux mots : sans doute Jesus n'ş. pas porte le nom d'Emmanuel,
mais ii a realise en sa personne la chose signifiee par ce
nom : Emmanuel, Dieu avec nous.
D'apres le meme prophete (8,4) le Christ devait conquerir
la force de Damas et Ies depouilles de Samarie contre le roi
d'Assyrie^. Mais qu'on examine le contexte : ii est question
d'un enfant qui ne sait encore nommer ni pere ni mere; or
Ies enfants n'ont pas coutume d'entreprendre des conquetes
â main armee. Nous sommes donc evidemment en presence
d'une fîgure. De plus, le prophete parlo d'un signe divin,
et ce signe doit etre la maternite d'une vierge (7,14). Une telle
matornite deroge au cours ordinaire de la nature, et cela meme
la rend apte ă servir de signe divin. Quand los Juifs voiont
dans cette mere une jeune femme quelconque, au lieu d'une
vierge ^ [quasi non virginem, sed juvenculam concepturam et
parituram Scriptura conţineai], ils font evanouir le signe, et
ruincnt le sens de l'oracle '*. Quant â manger le beurre et le
miel (7,15), ii n'y a lâ rien que d'ordinaire pour un enfant :
Tertullien n'attache pas d'importance â ce trăit descriptif.
Les conquetes sur Damas et sur Samarie ofîrent un sens figure.
Africain, ib. p. 20 sq., avec Origene p. 60 sq. Voir encore l'abbe Fabre
d'Envieu. Le livre du prophete Daniel (Paris. 1891) t. 2, 2; p. 1229 sq.
1. J. 9;3M. 12.
2. ./. 9; 3 M. Vi.
3. On ne peut pas conclure da ce trăit que Tertullien connaissait par
lui-meme la version gi-ecque d'Aquila. L'hojbreu nnSvn âvait ctc rendu
par les Septante : ifi KotpOEvo; ; Aquila, Theodotion, Symmaquc ecrivirent :
■}] vEăvic. Mais deja cotte lecon est discutee dans le cUaloguc contre Try-
fhon (67. 71. 84) et dans saint Irenee (3, 21, 1).
4. Tertullien revient ailleurs (c. C. 17) sur cette maternite virginale de
Mărie. Pour l'ormor le corps d'Adam, Dieu avait petri une terre vierge
de toute semence; une mere vierge devait tournirla substance du nouvel
Adam. Mărie seule posscde le secret de cette gcneration : selon le mot du
prophete (îs. .53, 8), elle est ineffable. — Voir/. 13; 3 M. 7.
PROPHETIES MESSIANIQUES. 15
Damas represente l'Arabie, Samarie la gentilite; ii est ques-
tion ici des Mages qui viendront apporterau berceau du Christ,
avec laur or et leurs parfums, rhommage de l'Orient; le roi
d'Assyrie represente Herode, dontles projets homicides serorit
dejoues. Rien n'est plus dans le style de FEcriture que ces
allusions soit â la puissance ct â Ia richesse de l'Orient (Zach.
14, 14; Ps. 71, 15. 10), soit ă l'idolâtrie, pcrsonniiiee dans
telle viile, comme Sodome ou Babylone (îs. 1,10; Ez. 16, •■>;
Îs. 1, 2; 19, 1; cf. Apoc. 17, 5), soit encore aux vicloires spi-
rituelles du Christ ^ (Ps. 44, 3-6; cf. Apoc. 19, 15).
Si le nom d'Emmanuel nefournit point d'armes aux ennemis
du Christ, ses autres noms ne leur sont pas plus favorables ^.
Tout d'abord le nom de Christ signifîe onction, et implique
une relation essentiellc au Dieu qui confere cettc onction. Ce
nom, consacre par I'usage de VA. T., Jesus se l'est approprie;
en se l'appropriant, ii a revendique tout ce que ce nom com-
portait dans la pensee de la nation juive.
Quant au nom de Jesus ^, si la prophetie ne l'applique pas
expressement au Christ, une figure biblique le lui avait nean-
moins predestine. Quand Auses fils de Nave fut choisi par
Dieu poursucceder â Moi'se, cetange du Seigneur, ii echangea
son nom contre celui de .Josue — ou Jesus (Ex. 23, 20 sq; Num.
13, 9. 17). Par lui, Ies enfants d'Israel devaient Hre introduits
dans la terre promise. Ainsi Ies nations egarees dans le de-
sert du siecle, seront-elles introduites par Jesus-Christ, dans
la nouvello terre promise, oîi coulent â flots le lait et le miel,
c'est-â-dire dans reternello vie; elles recevront du nouveau
Josue la circoncision du coeur. Tel est le mystere du nom
de Jesus.
Si ingenieuse et si Iiardie que soit cette exegese, dont Ies
traits principaux existaient avânt Tcrtullien ', on doit recon-
1. J. 9; :î.1/. 14.
2. ;', M. 15.
3. /. !» ; 3 M. 16.
4. Ontrouve dans Ie Dialog ue contre Trypkon, boaucoup plus developpie
(66-84), la discussion i-olativc ala matcrnito virginale. La longue coupure
faite dans Isaie (7, 16-8, 3) est imputaWc â saint Jiistin (Deal. 43.68), ainsi
que l'application de îs. 8, 4 aux Mages (Dial. 77-78;. U a egalement ce
qui concerne le nom de Josue (Dial. 75).
16 THiiOLOGIK DE TERTULLIEN.
naîti'e qu'elle malmene otrangement le texte prophetique.
Ell(ţ passe en effet toute la fin du c. 7 (16-35), et Ie commen-
oement du c. 8 (1-3), pour souder entre eux des fragments dis-
parates. Si Ies premieres paroles (7, 14-15) sont certainement
mossianiques. Ies sulvantes (8, 4) ne se rapportent plus au
■ Christ, mais â un fils du propliete Isaie. Cest par un procede
aussi arbitraire qu'on arrive a transformer en allusion directe
aux Mages ce qui est en realite allusion ă l'expedition de Te-
glatliphalasar, rappelee par FA. T. (4 Reg. 15, 29; 16, 9j.et
attestee aussi par Ies inscriptions cuneiformes '' .
Un autre oracle d'Isaîe (11, 1) '•* promet â la tigc de Jesse
un rameau, puis une fleur sur laquelle se reposeront Ies dons
de FEsprit divin. L'antiquite juive appliquait au Chi'ist cat
oracle, et y retrouvait l'eclio de la parole divine, promettant
â David de mettre sur son trone un roi de sa race (Ps. 131, 11).
Le rameau, c'est la Vierge mere; la fleur, c'est le Clirist, ne
â Bethleem de la race de David, et porte comme tel par Ies
Romains sur le registre du cens.
Le propliete Michee ^ ajoute un dei'nier trăit fort precis,
en nommant Bethleem, lieu predestine â la naissance du
Christ (Mich. 5, 2). Si la prediction ne s'est pas encore accom-
plie, s'ecrie Tertullien, comment s'accomplira-t-elle? II faut
renoncer k voir le Christ, issu de Juda, naître k Bethleem; car
celte viile ne possede plus aucun rejeton d'Israel; Ies environs
memo en sont interdits aux Juifs, reduits â ne plus voir que de
loin la cite royale, comme Isa'ie Favait prophetise. (îs. 1, 7;
33; 17 sq), Ces derniers mots font allusion aux mesures se-
veres d'IIadrien qui, apres avoir rebâti Jerusalem sous Io nom
d'Aelia Capitolina, en intordit Facces aux Juifs. Septime
Severe devait apporter encore de nouvelles restrictions â lour
liberte.
1. Voir Vigouroux, La Biblc el Ies decouvertes modernes, t. 4, p. 109 sq;
Schrader, Keilinschrifien ti. A. T., ad 4 Reg. 15, 29 et 16, 9; CiviUâ cattoUca
t. U, 3p. 419 sq.
2. /. 9; 3 M. 17; cf. 4 M. 36; c. C. 21-2i.'. — Sur ce memo oracle, saint
Justin, Dial. 87.
3. J. 9. 13. — Justii), nial. 78.
I'ROPHETIES MESSIANIQTJES. 17
4" Propheties concernant le caractere du Christ^ : îs. 11,
2; 35, 4-6; 42, 2. 3. 6; 53, 2 sq.
Sur Ia lleur nee de la tige de Jesse se reposeront tous Ies dons
de FEsprit divin : esprit de sagesse et d'intelligence, esprit
de conseil et de force, esprit de sciencc et de pieţe, esprit
de la crainte de Dieu. En se retirant des Jiiifs, la grâce qui
operait dans FA. T. concentrera toute sa vertu sur le rejeton
de David. L'exterieur du Clirist doit etrc humilie (îs. 53) :
Tertullien se refuserait â reconnaitre, en ce premier avene-
ment, un Clirist glorieux ^. L'abjection et la patience mar-
queront, non seulemcnt sa mort, mais toute sa carriere terrestre.
Si David parle [Ps. 44, 3) de sa beaute, de ses triomplies, c'est
au sens allegorique, et pour rappeler Ies conquetes que le
Clirist accomplira par le glaive de la parole. D'ailleurs le
meme prophete l'appelle un ver et non un liomme, Topprobre
de riiumanite et le rebut du peuple (Ps. 21, 7). Homrae de dou-
leurs, agneau destine ă la boucherie, on ne l'entendra point
disputer ni crier; sa yoix ne retentira point dans la rue; ii
n'achevera point le roşeau brise, c'est-k-dire la foi infirme des
Juifs, ii n'eteindra point la meche fumante, c'est-ă-dire l'ardeur
passagere des Gentils (îs. 42). Un doublc rolo de predicateur
(îs. 58, 1-2) etde tliaumaturge (ib. 35, 4-6) lui est devolu; ainsi
doit-il se faire Filluminateur du monde. Le Clirist n'a point
i'ailli â cette mission : Ies Juifs ont si peu conteste Ie caractere
miraculeux de ses oeuvres, qu'ils menagaient de le lapider pour
s'otre permis de Ies accomplir le jour du sabbat (Joan. 5, 18).
o" Propheties de la Passion. Ps. 21; 68; îs. 53.
Quand on leur parle de la passion du Christ, Ies .luifs pro-
testant que Ies propheties n'en disent rien, que d'ailleurs Dieu
ne peut avoir livre son Fils â la mort de la croix, car le crucific
est maudit dans l'Ecriture (Deut. 21, 23; ■*. Tertullien cn appelle
au contexte, qui restreint cette malediction au seul coupable.
Or le Christ devait mourir innocent, selon Ies prophetes (îs.
1. '^M. 17; cf. 5 M. 7. 8. 11. — Compai'er saint Justin, Dial. 13. 24.
87. 114. 118, otc.
2. 3 M. 17 : Si inglorius, siignobilis, si inlionorabilis, meus erit Cliris-
tus : talis cnim habitu et aspectu annuntiabatur.
3. J. 10; 'iM. 18. — Comparer saint Justin, Dial. 94 sq.
TIlEoi.OOIE DE TERTUI.TJEN. 2
18 TIIEOLOGIE DE TERTUI.LIEN.
53, 9; Ps. 34, 12; 68, 5). Et Ies niemes proplietes ont aimonce
dislinctement plusieurs circonstances de sa passion : le cruci-
fiement (Ps. 21, 17), le fiel etle vinaigre (Ps. 68, 22), Ie tirage
au sort des vâtements (Ps. 21, 19). Le Cliristatoutsouffertpour
accomplir Ies prophelies (Mat. 27, 35) '.
Mais le niystere de la croix est si etonnant, et si scandaleux
pour la raison humaine, que Dieu a voulu l'esquisser d'avancc
en de multiples figures ^, qui en facilitent rintelligeiico, mais
ne dispensent pas de rocourir ă la grâce divine. Cest Isaac,
victime de son pere, portant lui-meme le bois de son sacrifice.
Cest Josepli persecute, vendu par ses freres. Cest la race de
.losepli benie par MoYse sous Timage d'un taureau (Deut. 33,
17) : Ies deiix cornes de l'animal figurent Ies deux bras do la
croix, et deja dans la bcnediction de Jacob le Christ etait repre-
sente par un taureau (Gen. 49, 6, Septantej. Cest MoTse, priant
Ies bras etendus pendant que Josue combat Amalec. Cest le
serpent d'airain, guerissant la morsure des aspics. Cest Dieu
qui rcgne, eleve sur le bois (Ps. 95, 10)^. Cest cet enCant qui
porte sur l'epaule le slgne de sa royaute (Îs. 9, 6). Cest ce
bois de malheur que des envieux veulent jeter dans le pain du
juste '. (Jer. 11, 19). Au reste, le seul psaume 21'' renferme
1. TcrtuUien ajoute de- nouvoaiix traits, 4 M. 40-'12 : Ies 30 deniers de
Judas, d'api'es .Mat. 27, 9 (,Jer. 32, 7 sq. 25: Zach. 11, 12 sq), le Christ om-
pourpro de son sang (îs. 63, 1 sq., cf. Gen. 40, 11), le baiser du traître (Îs.
29, 13), le Fils de riioînme venant â la droite do Dieu (Dan. 7, 13 ot l's.
109, 1), sa mise en jiigement (Îs. 3, 13. l'lj, la conjuration des puissances
de CC monde : Koniains avoc Pilate, peuplcs, tiibus d'lsraol, rois en la per-
sonne d'llerode, prinee.s en la porsonno des pnHres (Ps. 2), la captivite du
Christ (Os. 10, 6), l'abandon d'Israel (Ez, 11, 23; Îs. 1, 8), le dernier cri du
Christ en croix (Ps. 3(», 0).
2. Coraparcr saint Justin, Dial. 86. 90. 91.
3. J. 10; 3 M. 19. — Sur cette lecon, que Tertullien a pu empnmter a
Justin (Dial. 73), voir inf. eh. Y, p. 236.
4. Nouveaux traits disporses dans leschapitros suivants : ./. 11 : Le signe
7'«î/, marquant au front ceux qu'epargne la ^'engeance divine (Ez. 9, 4 sq);
,/". 13 : l'arbre de vie, dont le fruit rijouit la terre desolee (Ps. 06, 7 ; Joel
2, 22); la verge do Blo'ise, qui renddoucol'eau amere (Ex. 15, 23-25); le bois
(|u'Elisee fait jeter dans le Jourdain, et qui ramene du fond de l'cau le fer
dos bîicherons (4 Rog. O, 4-7). — Ce qui concerne le signc Tau ne se trouve
pas dans ies partics conservees de saint Justin. — Comparer Ep. de Bar~
nabe, 12.
PROPHETIES MIiSSIANIQUES. 19
touLe la passion* : le Clirist y implore, pour sa detresse, l'as-
sistanoe de son Pere, et deja ii entonnc l'hymne do son
Iriomphe. On y trouve Ies blessures des picds ct des mains, on
y trouve Tangoissc de la mort. Cette description ne convient â
aucun autre descendant de David.
Peut-etre Ies Juifs — telle est la durete de Icur coeur — ne
feront-ils que rire de ces figures. Qu'ils cooutent donc unc
histoire vcridique. Elle fut ecrite d'avance par Isaîe (53) ^. Celui
dont le propliete raconte Ies douleurs ost le mome dont 11 a saluc
plus haut la naissance. A ce recit de la passion, ii ne manque
rien : ni la mort^, ni la sepulture (Îs. 57, 2) ni la resurrection.
Le deuil de la nature k la mort du Clirist avait ete predit par
Amos (8, 9. 101. Et Moise, en prescrivant de par Dieu l'immo-
lation de l'agneau pascal, avait ajoute : c'est la Pâque du Sei-
giicur. Cette parole etait une prophetie de la passion. Au pre-
mier jour des azymes, le Christ a ete immole : desormais Israel
ne peut plus attendre que la captivile et la dispersion predites
par TEsprit-Saiiit.
6° Propheties concernant la resurrection du Christ :Ps. 21,
fin; îs. 57, 2 (Sept.); Ps. 109, 1 ; 71.
Sur ce miracle fondamexital du cliristianisme, le trăite adv.
Judaeos'' releve seulement la fin triompliante du psaume21 '■> et
deux allusions d'Isaie (57, 2 Septanto; 53, 12). La sepulture du
Christ est cachce. Pour avoir livre son âmo ăla mort, ii heritera
de bien des âmes et partag-era d'abondantes depouilles. L'An-
timarcion apporte d'autres details ^ : visite matinale des saintes
femraes au tonibeau (Os. 5, 15; O, 1 sq); apparition des anges
(Îs. 27, 11); mission des apotres (Ps. 18, 5). Tertullien s'attache
surtout k montrer le Clirist ressuscite rappelant Ies propheties
de la Passion (Luc. 24, 25) et projetant sur leurs oracles mecon-
nuslaluniiere de sa propre histoire. David avait predit la resur-
1. Saint Justiu avait longucment comau'uto ce psaumo, Dial. 98-106.
■>. Comparcr saint Justin, JHal. 111.
3. Ajouter, d'apres ./. l:!, la mort eii cioix. Îs. 05, '2 : ExpancU manus
nieas tota dif ad popiiluni contiiniacem ot contradicontcm milii.
4. /. 10:cr. :îl/. 19.
5. Voir saint Justin, Dial. lOfi.
0. 4 M. 4:t.
20 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
rectiondu Christ et son regne eternei, en deuxpsaumesfPs. 109,
1 ; 71) ' . Mais Ies Juifs appliquent le premier de ces psaumes
â Exechias, le second â Salomon. Ala suite de saint Justin'-*,
Tertullien montre que ni l'hisloire d'Ezechias ni celle de Salo-
mon ne justifie de si magnifîques promesses, et ii rcstitue aux
textcs leur sens messianique.
1° Propheties concernant la vocation des Gentils et la repro-
bation des Juifs. Ez. 8, 12-18; 9, 1-6; Deut. 28, 64-66; Ps. 2, 7.
8; Îs. 42, 6.7; Dan. 9, 26.
Desormais point de salut sauf par la passion du Clirist'. 11
faut porter au front ce Taa mysterieux, objet d'une vision
d'Ezecliiei (Ez. 8, 12-18; 9, 1-6). Les Juifs eprouvent Ies effets
de la menaoe proferee par Moi'se (Deut. 28, 64-66) : la venue
du Christ a mis le sceau a la vision et â la prophetie '. Cepen-
dant toutes les nations, emergeant du gouffre de l'erreur'' se
convertissent au Diou crcateur et ă son Clirist. Voici venir ce
regne universel promis â co Christ par Dieu (Ps. 2, 7. 8). Cetto
promesse, qui ne convient pas a David, souverain de la seule
Judee, s'accomplit en celui que l'l'^criture designe comme l'illu-
minateurdu mondeentier ;Is. 42, (i. 7) ^. Aveuglesâ salumiere",
les enfants d'Isracl le seront-ils aussi ă leur propre reprobation ?
Desormais sans onction royale, sans temple (Dan. 9, 26), conti-
nueront-ils â deserter le Seigneur, source d'eau vive, pour se
crcuser des citernes d'ou l'eau fuit, c'est-â-dire pour frequentor
cos synagogues de la dispersion, ou l'Espril-Saint ne reside plus ?
Aujourd'liui les nations ont rejete leurs idoles, selon le mot du
1. 5 M. 9.
■2. Dial. 33. 34. 64. 83.
3. /. 11; 3 M. 20.
4. J. 11. Quoniam impieta est prophetia per adventum ejus, i.e. per na-
tivitatem... et per passlonem..., propterea et Daniel signari visionein et pro-
photen dicobat, ciuoniam Christus est signaculumomniiim prophetarum,
adimplens omnia qua: retro eraiit de eo nuntiata; post eriim adventum
ejus et passioncm ipsius, jam non visio neque prophetcs. Undo firmissime
dicit adventum ejus signare visum et prophetiam.
5. /. 12;3iV/. 21. 22.
G. 3 M. 21. Tertullien eearterinterpretationjuivc qui appliquait ces textes
(Îs. 54, 15; 42, 4 ele.) anx proselytes de la loi mosaîqtie, v. Jiistin. Dial.
122.
7. /. 13; 3i/. 23.
PROPHETIES MESSIANIQUES. 21
prophete (Îs. 2, 20). Dieu a reporte sur elles la grâce que Jerii-
salem a perdue (îs. 3, 1-3; 5, 6). Israel aenseigne aux nations
ă blasphemer le Christ (îs. 52, 5); mais sa terre est desolee,
ses villes reduites en cendres : terrible châtiment dont le me-
naţait l'Ecriture (îs. 1 passim) et qu'appelait deja sur Iui Ie
Christ des proplieties (Ps. .58, 12; îs. 50, 11). Tant do signes
devraient lui ouvrir Ies yeux. Comment peut-il continuer
d'attendre le Clirist, eii presence d'un ordre de clioses qui ne
convient plus a son avenement ?
8" Conclusion contre Ies Juifs.
A la fm de son requisitoiro contre Ies Juifs , Tertullien ramene'
le point sur lequel ils s'obstinent ă fcrmer Ies yeux. L'Ecriture
presente une double serie de textes, repondant â un double
avenement du Christ^, dans l'ignominie d'abord, puis dans la
gloire. La premiere serie comprend toutes Ies propheties de la
passion; ii y a lieu de signaler particulierement Îs. 53; 8, 14;
Ps. 8, 6; 21, 7. Dans la seoonde serie, onvoit poindre la gloire
eternelle du Clirist, prix do ses abaissements volontaires : la
pien'e reprouvee par Ies bâtisscurs est relevee par la main du
divin architecte et devient ime pierre d'angle (îs. 28, 16-';
Ps. 117, 22) ; la roche roulant au flanc de la montagne brise la
statue royale (Dan. 2, 34 sq) ; le Fils de l'homme apparaît sur
Ies nuees conime un roi (Dan. 7, 13. 14) ; tont cede â ses con-
queLes (Ps. 44, 3-5) ; son Pere a mis toutes choses sous ses
pieds (Ps. 8, G-8, cf. Hebr. 2, 7) ; ceux qui l'ontperce le recon-
naisscnt et se frappent la poitrine (Zach. 12, 10; cf. Joan. 19,
37) ; ii a quitte ses haillons sordides et regu un vetement de
gloire (Zach. 3, 3-5) ; ii regne en possession d'un sacerdoce
eternei (Ps. 109, 4; cf. Hebr. 5, 6). Tertullien esquisseun paral-
lele entre ces deux etats du Christ et Ies deux boucs du Levi-
tique (16, 5 sq) '' : bouc emissaire, portant la malediction du
peche, bouc immole, figurant la resurrection spirituelle. Une
fois encore ii inlerpelle Ies .luifs. Vous ne pouvez nier, dit-il,
ni le fait de ce mouvement universel des nations vers Dieu, ni la
1. ./. 14; cf. ;! M. 7.
i. Saint .Iustin, Dial. 31; 1 Ap. 5'i.
3. Sur la pierre, figiire du Christ, voire. V, §3, p. 251.
4. Salnt .Iustin, Dial. 111.
22 TIIJÎOLOGIE DE TEFiTCLLlEX.
realite delaprophetie. An besoinDavidvous fcrmcrait la bouche
(Ps. 2, 7. 8). Or cette prophetie ne saurait viser le regne de Sa-
lomon, restreint au territoire de la Judec et ăla duree d'une vie
d'Jiomme; elle s'applique au Christ seul, qui a regu Ies nalions
en heritage. Cesscz donc d'attendre celui qui est deja venu.
Cette rcvue des propheties messianiques a fait passer sous
nos yeux des developpements de valeur tres inegale : k cote
d'interpretations parfaitement fondecs, ii s'en rencontre de
douteuses, parfois de fausses et de pueriles. Sans essayer un ■
triage qui serait long et complique ^ nolons que la pensee de
Tei'tullien est dans Tensemble tres conforme k celle de saint
Justin : Ies rapprocliements quenous avons faits, et qu'il serait
facile do multiplier, attestentretroite parente des dcux rouvres.
Le trăite adp. Judaeos n'cst pas mome exemptdes marches et
contremarches qui compliquent le dialogue avec Tryphon :
sous une forme plus dense et avec plus de choix, ii reflete une
mome tradition exegetique.
III. MIRACLES KVAXGlilJQUES
L'argument des miracles evangeliques, bien que diffus dans
toute l'cBuvre de Tertullien, n'apparaît qu'au second plan. Les
premiers apologistes avaient observe la meme tactique ; et ii
n'est pas impossible d'en decouvrir les raisons.
Dans les ecrits d'edifîcation ou de controverse chretienne,
ii n'y avait pas lieu d'etablir la divinite de Jesus-Christ : les
fideles connaissaient TF^vangile et pouvaient le relire; les
herctiques, pour la plupart, ne s'attaquaient pas ă ce dogme.
Ecrivant le de baptismo surtout pour llnstruction des cate-
chumenes, Tertullien touche en passant au miracle de Beth-
saîda ^ : mais c'est pour expliquer la verlu sanctifiante de l'eau
baptismale par un rapprochemont avec la piscine probatique.
Arguinentant contre Marcion, ii fait remarquer comment dans
l'Evangile tout se tient, et comment les fragments de preuvcs
1. On trouvci-a quclques exemplos au c. V, S 3.
2. B. 5.
MIRACLES EVANGIÎLIQCES. 23
s'eclairent ruii l'autre \ L'aveugle de Jericho a salue Jesus
fils de David (Luc. 18, 38), et Jesus, apres avoir gueri cet
liomme, passe outre. A quelque temps de lâ, Jesus demande
aux scribes : « Ne dit-on pas que le Christ doit etre fils de
David? Or David dit en un psaume (Ps. 109, 1) : le Seigneur a
dit ă mon Seigneur : Asseyez-vous k ma droite, jusqu'â ce que
je mette vos ennemis sous vos pieds. David appelle le Christ
son Seigneur : comment donc est-il son fils? (Luc. 20, 41. 42). »
C'etait invitcr ses auditeurs â reflechir sur sa personne et sa
mission. Le miracle avait decele en lui quelque chose de sur-
liumain; l'Eeriture montrait dans le Messie plus qu'un homme :
ridentiiication devait se presenter d'elle-meme ă un esprit
droit. IjCS deux scenes evangeliques s'eclairent Tune l'autre,
et ensemble prouvent contre Marcion que Jesus est ])ien le
Christ des prophetes.
Les Juifs devaient avoir l'esprit ouvert surtout aux oracles
messianiques, et Tertullion en use contre eux comniâ d'un
argument ad hominem. Ce n'est pas qu'â l'occasion ii ne
recoure â l'J^^vangile : le souvenir des miracles de Jesus, que
leurs peres n'avaient pu nier, reslait attache au flanc des Juifs
comme un fer aigu, qu'il ne se fait pas faute de retourner dans
la plaie. Ces miracles, dit-il, qu'Jsaie avait predits (îs. 35,5),
que le Christ a operes, vous en doutiez si peu que vous lui
reprochiez de les faire le jour du sabbat : et pour cela vous
vouliez le lapider^. — Mais la controverse juive n'est qu'une
faible part de son ceuvre.
Restcnt les ecrits apologetiques destines aux paîens. Sans
accepter la contradiction d'adversaires qui n'ont pas Iu l'livan-
gile, Tertullien maintient avoc une vigueur intlexible ce
temoignage du miracle, qu'aucune negation ne saurait infirmer.
Les miracles du Christ sont cvidents, nombreux, entoures des
garanties les plus irrecusables •'. On l'a vu chasser d'un mot les
1. 4M. 38.
2. Jiid. 9, fin.
o. Tertullien mentionne a deux rcpriscs {Apoi. 5 et 21) un rapport
officiel adresse a Tibere par Ponce Pliate sur la vie, la niorf eties miracles
(Iu Christ. La seconde fois ii ajoute que Pilate etait clii-<'lien de convic-
tion lorsqu'il ecrivit ce rapport : Ea omnia super Ckristo Pilalm, el ip^e
24 THIÎOLOGIE DE TERTULLIEX.
demons, rendre la vue aux aveugles, la sânte aux lepreux, le
mouvement aux paralytiques, la vie aux morts, commander
meme aux elements, apaiscr leş tempetes, marcher sur Ies
flots, montrer par tant de signes qu'il est le Verbe eternei de
Dieu '. II y avait assurement, dans cetle tranquille aflirmation,
de quoi frapper Ies pai'ens et inviter a la reflexion Ies hommes
de bonne foi.
Mais si Ies miracles du Christ sont incontestables, etait-il
aussi evident que Dieu meme en fut Pauteur? Ne lit-on pas
dans I'Ecriture qu'il doit surgir de faux Christs, investis d'un
pouvoir extraordinaire 2? et comment distinguer des prestiges
de ces imposteurs Ies (jeuvrcs authentiques de Dieu? Quel-
qa'un s'avisera peut-etre, pour otablir le caractere transcen-
dant des miracles du Christ, de revendiquer pour eux le
benefice de la priorite. Mauvaise raison, dit Tertullien. Veut-
on que le Christ se distingue entre Ies thaumaturges par droit
de pi'emier occupant, comme ceux qui se hâtent d'arriver aux
bains pour prendre Ies places"? Non, 11 y a mieux â dire pour
reliausser Ies miracles evangeliques. Leur meilleure garanţie
jam pro sua conscienlia christianus, Cansari lum Tiberio naniiavit. Qu'un
tel document ait existe, on n'a pas le droit de le nior a pi'iori; mais 11
n'a laisse dans riiistoirc qu'une trace doutouso. Nous ]>oss6dons um\
pretendue Icttrc de Pilate â Claudc — et non â Tibero — (texte grec dans
Tlschendorf, Acta apoalol. apocrypka, p. 10, ou dans Lipsius, Acta apostol,
apocrypha, 1, p. I9i>; texte latin dans Tisehendorf, Evangelia opofrypha,
p. 413). Cette pioec i-epond exactemeiit — trop exactcmont — aux indica-
tions de Tertullien, et son caractere apocryphe ne fait aucun doute. Ellc
a du etre composec, au quatrieme ou au cinquieme siecle, â l'aide du
c. 21 de l'Apologetique, dont elle suit presque tous Ies developpements.
Sclon une supposition vraisemblable(voirIIarnack, Chronologie derA.C. L.
. t. 1 (1897), p. COS), le texte grec nous aurait conserve, â quelques iiiots
preş, un lamboau de la version grecque de l'Apologetique, signalce par
Eusebc (//". E. 'i, 2, -l et passim). Le texte latin n'est qu'uno traduction.
Eusebe avoue que la tradition eccl(>siastique ne lui a ricn appris sur des
actes authentiques de Pilate. Saint Justin cn parle ă trois repriscs (l Apoi.
32. 38. 48). L'accord de ces teinoignages avec celui de Tertullien donne ii
penscr qu'ici, comme si souvent ailleurs, Justin est la sourcc unique de
Tertullien. Du moins est-il sur ((ue ni l'un ni Tautre apologisto ne cite
le texte dos Acta Pilati : on ne peut donc afflrmer qu'ils Ies aient lus. —
Voir F. C. Conybeare, Acta Pilati, dans Studia biblica 4, 3 (Oxford, 1896),
p. 59 sq.
1. -4;7. 21.
2. 3 J/. 3: 4 M. 39.
VIE DE l'eglise. 25
est leur conformite avec Ies miracles de FA. T. Dieu avait
prelude, par ses prophetes, aux a3uvres merveilleuses de son
Christ; Ies manifestations de la puissance divine ferment Ies
anneaux d'une meme cliaîne, et l'accord des deux Testaments
prouve mieux que Lout le reste que Jesiis est bien le Christ
predit par Ies prophetes ; ct ici nons touchons au caractere
le plus original de l'argument du miracle, tel que le preseute
Tertullien : ii ne veut pas qu'on Tisele de laprophetie, Ies deux
Testaments devant se servir mutuellement de commentaire.
Entre Ies miracles evangeliques, une place hors lig-ne ap-
partient k la resurrection du Christ ^. Jesus y avait d'ailleurs
prelude par d'autrcs resurrcctions ; mais celle-ci prime cvidem-
ment. A ce faiL fondamental du ohristianisme, ii ne manque
rien : ni une preface proplietique -. ni la prediction plus expli-
cite et reiteree du Christ lui-meme, ni une constatation ecla-
tante. Les angcs l'ont annoncce aux saintes femmes; Jesus
enpersonnese montre aux disciplesd'Emmaus, ii leur reprochc
leur lenteur ă croire en la parole des prophetes et en sa propre
parole. 11 se fait voir et toucher des plus incredules, ii leur
fait observer qu'un csprit n'a point, comme lui, une chair et des
os ^ (Luc. 24, 39), ii mange avec eux. La resurrection corpo-
relle du Christ ne pouvait etre prouvee par des arguments
plus decisifs : Tertullien ciot par cette constatation la lutte
qu'il vient de soutenir, TEvangile en main, contre le docotisme
de Marcion.
IV. VIE DE L EGLISE.
Les annales de l'Eglise offraient ă l'apologiste deux series
de faits, qui lui servent k etablir la divinite de Jesus-Christ :
1. 4 i\I. 43; c. C. 5.
2. Voir ci-dessus, p. o sq.
3. JIarcioii n'avait jias os(3 rctrancliei' de rEvangile un texte si impor-
tant. Mais par une exegese toi-tueuse ii lui faisait dirc le contrairc de ce
qu'il veut dire on realitcî. Au lieu d'entendre : Spirilus ossa non liahet, sicut
me videtis {habentem], ii ontond : Spiriius; ossa non habel, şicul me videlis
(non habentem ossa, sicid el spirilus).
26 THlîOLOGIE BE TEIITULLIEN.
d'une part l'hommage reudu par Ies dcmons â cette divinite,
d'autre part le spectacle de la vertu chretienne.
L'empirc exerce par Ies cliretiens sur Ies demons se mani-
festait dans la delivrance des energumenes. Tertullien eii
parle comme d'une cliose bien connue ' et, identifiant Ies de-
mons aux dieux du paganisine, fait ressortir Timportance de
ce temoignage arrache â Fimpuissance et a la liaine. Amenez,
dit-il aux paîens, devant vos tribunaux Tun de ces hommes
qu'agitc un demon; â la sommation du premier cliretien venu,
le demon se trahira. Amenez maintenant quelqu'un de ceux
qu'anime Tun de vos dieux : Tesprit n'osera mentir au cliretien,
ii confessera qu'il est un demon. De qui nous vient ce pouvoir?
Du Clirist. dont le seul nom fait trenibler Ies demons. Voilă
pourquoi vous Ies voyez sortir furieux, gemissants, des corps
qu'ils possedaient. Vous qui croyez â leurs mensonges, croyez
a Faveu qu'ils font de leur impuissance devant le Clirist. Car
nul ne ment pour sa propre hontc. Deja ces tcmoignages de
vos dieux ont fait plus d'un chretien; ils accreditent nos livres
sacres, ils affermissent l'esperance qui s'y fonde. Ces dieux, k
qui vous prodiguez Ies od'randes et meme le sang cliretien.
attachent trop de prix ă vos dons et â vos liommages pour
s'en priver volontiers, et s'exposer â etre quelque jour exoi'cises
par vous; mais devant la sommation d'un cliretien, qui vcut
vous prouver la verite, ii ne leur est pas permis de mentir.
En presentaiit la vertu morale du christianisme comme une
presomption en faveur de sa divinite ^, Tertullien avait cons-
cience de heurter des prejuges violents. Non seulement on
reprochait aux cliretiens le mystcre de leur vie retiree, leur
eloignemenl des affaires publiques, mais des accusations
monstrueuses avaient cours sur leurs assemblees : ă en croire
certains paiens, rinfanticide, Tantliropopliagie, l'inceste etaient
des rites ordinaires de la liturgie cliretienne. L'apologiste
1. Ap. 23 sq: 40; Praescr. 40; Scorp. 2. 4; 5 M. U. ^ Sur la critiquo do
CC temoignage dos demons, on pout lire : 7'he Uleralure of l/te second
cenlury : Short studies in chrisliaii evidencos (London, 1891); Iccturc 4 :
The miraculous in early christian literature, b}' thc Rev: J. II. Bernard,
p. 150 sq.
2. Ap. 7.
VIE DE l'eglise. 27
releve ces imputations. et relance I'izijure k Ia face des caloni-
niateurs. On nous accuse, dit-il; et sur quelles preuves? De-
puis si longtemps qu'on nous epie, qu'on nous assiege, qu'on
nous trahit, qui donc a jamais surpris ces assemblecs tene-
breuses, devoile ces feslins de cyclopes et de sirenes? Personne.
On nous juge sur des on dit. Les on dit ne prouvent rien.
Cependant quelle idee vous i'aites-vous ^ de ces peres et de ces
meres, qui livreraient leurs enfants au i'er du sacrificateur ?
Ces clioses-lâ repugnent k la nature^. Je me trompe ' : on les
rencontre clioz vous. Pendant longtemps l'Afrique a immole
des enfants â Saturne : offrande bien digne d'un dicu qui, dit-
on, devora sa propre progeniture. Le Mercure de Gaule et
l'Artemis de Tauride reclamaient des victimes liumaines. Que
dis-je? Rome elle-mcme n'a pas ancore renonce k ce genre de
sacrifices, et le sang d'un bestiaire coule regulierement aux
feries latines. Vous avez dresse des autels â tous les vices, et
votre Jupiter donnc l'exemple de l'inceste. Voilă ce qui se
passe chez vous, et vous attaqucz les chretiens!
Non seulement les mceurs connues des cliretiens protestent
contre les accusations dont ils sont l'objet, mais elles etablis-
sent entre eux et la socieLe pai'enne une difference profonde,
tellement profonde qu'on ne peut l'expliquer sans l'intcrven-
tion d'un principe sui'humain. Toile est la these dont Tertul-
lien poursuit la demoiistration en mainte page des livres Ad
nationes et de rApologetiquo.
De tout temps, dit-il, la verite fut persecutee sur terre'*.
La condamnation de Socrate n'eut pas d'autre cause : ce phi-
losoplie, que l'oracle pytliique proclamait le plus sagc des
hommes, cut le couragc de nier les dieux pai'ens : voilă tout
1. Ap. 8.
i. Dans le diaJogue de saint Justin (10), Ti'\-j)lioii declare de liii-iijeme
ne pas croire, â ces calonuiies absurdes : Kspî Sî wv ci TtoXXol îiyo'Jtrtv, oO
rticTEutrat â^iov Tioppw vâp Xc^wp-iiits t^ţ âvOpcoTiivi-,; cfjffew;. — Voir Dlcl.
arc/l,., articlc : Accusations contre les chretiens (Dom Leclcrcq).
3. Ap. 9. — Autre alhision a ces falts, Scorp. 7. Cf. Justin, 2 Apoi. 12;
Taticn, /Jisc. aux Grecs, 29; Theophilc Âd Autolyc. ?>, 15. VoirMarquardt,
Manuel des anliqidtes romaines, trad. fr. t. 12, p. 35().
4. 1 N. 4. — Ce principe reparaît dans l'ApoIogctique (7), appliqu(5 au
christianisme : Cum odio sui coepit veritas. Simul atque apparuit, ini-
mica est.
28 THEOLOGIE DE TEKTULLIEN.
le secret de la haine qii'il suscita, et qui ne fut satisfaite que
par sa mort. Ce qu'on lui reprochait conime un crime, n'etait
pourtant que sagesse. Ainsi Ies chretiens sont-ils poursuivis
tUune haine Immaincment inexplicable. On entend dire : le
brave homme ! mais ii est chretien. Ou encore : qu'il est sage!
mais le voilâ chretien. Ainsi on loue ce qu'on voit, on con-
damne ce qu'on ignore ; et nul ne songe a se demander si ces
qualites, auxquellfes on rend hommage, n'auraient pas pre-
cisement leur source dans le cliristianisme ; et l'on ne reflechit
pas au mystâre de tant de conversions merveilleuses. Des
natures Icgeres, basses, perverses, s'amendent subitement :
on s'en etoune, et c'est tout. Parfois, plutot que de rendre jus-
tice a la foi des chretiens. on entre en lutte avec son propre
interet. Tel mari veillait sur sa femme avec un soin jaloux :
ii ne Ia sut pas plutot gagnee â l'Evangile, qu'il lui permit
tout, aimant mieux voir â son foyer une femme perduc qu'une
chretienne. Tel pere, dont le fils etait devenu irreprochable
en se faisant chretien, le desherita potir ce fait. Tel maître
avait un esclave d'ailleurs indispensable : ii le mit aux fers.
On poursuit la profession de cliristianisme comme un crime.
Et pourtant, â y bien regarder, que comporte-t-elle, sinon des
vertus? Un chretien possede cette premiere sagesse qui em-
peche d'adorer Ies oeuvres frivoles des hommes. II possede la
probite, qui respecte le bien d'autrui. II possede Ia chastete,
qui veille meme sur ses yeux. II possede la charite, qui se
penche sur toutes Ies miseres. II possede la sincerite, par la-
quelle parfois ii se compromet. II possede la liberte pour la-
quelle ii sait mourir. Voulez-vous distinguer Ies chretiens?
Vous Ies reconnaîtrez a ces signes.
Est-ce ă dire que parmi eux ii ne se rencontre jamais de
coupables? \ Assurement non. Mais d'abord Ies coupables ne
sont ni I'universalite ni meme le grand nombre. Or la tache
d'un membre ne souille pas le corps entier, pas plus qu'une
legere nuee n'obscurcit tout le ciel. Do plus, ceux qui se lais-
sent aller au vice mentent â leur profession, et sont d'autant
moins chretiens. Vous-memes en jugez ainsi, quand vous dites :
I. I A'. 5.
VIE DE l'iîglise. 29
D'ou vient qu'un tel est voleur, si Ies chretiens soiit honnetes?
D'ou vient qu'un tel est dur, si Ies chretiens sont compa-
tissants"? Tant s'en faut que le nom de chretien soit une pre-
somption de crime. De meme, parmi coux qui se font appeler
philosophes, en trouve-t-on qui deshonorent la pjiilosophie :
ceux-lă ne sont pas de vrais philosophes. Ainsi plusieurs por-
tent le nom de chretiens qui no vivent pas en chretiens : cenx-
lâ, nous Ies renions, nous Ies rejelons de notre societe, nous
vous Ies rendons. AUez dans Ies prisons V interrogez Ies dos-
siers criminels : parmi tant d'assassins, de voleurs, de debau-
clies, combien en trouverez-vous qui soient en meme temps
signales comme chretiens? Pas un seul. Ceux qu'on empri-
sonne pour cause de christianisme sont exempts des crimes
de droit commun. Ils sont chretiens, et rien autre chose; ou,
s'ils sont quelque chose de plus, ils ont cesse d'etre chretiens.
Cclte innocence de mceurs^, qui nous distingue.prend sa source
dans la crainte de Dieu. Instruits par ce maître parfait, vivant
sous son regard infiniment clairvoyant, nous gardons fidele-
ment sa loi, non pas â la fago-n de ceux qui tremblent sous
un maître humam et sujet â l'aillir; car tant vaut la sagesse
qui prescrit, tant vaut Tautorite qui exige. La loi chretienne
a une plenitude qui n'appartient â aucune autre loi. Ellc ne
dit pas seulement : Vous ne tuerez point, mais : vous ne vous
mettrez pas en colere. EUe ne defend pas seulement Tadultere,
mais jusqu'ă un regard passionne ; elle ne regie pas seulement
Ies actes, mais Ies parolcs; elle ne proscrit pas seulement
l'injustice, mais encore la vengeance. D'ailleurs celte loi se
fait d'autant mieux obeir qu'elle parle d'un Juge â qui rien
n'echappe et d'une sanction eternelle. La crainte de Dieu est
plus elTicace que celle du proconsul.
Le premier precepte de la loi chretienne •', c'est l'amour
de tous Ies hommes sans exception; amour desinteresse, qui
attend de Dieu seul sa recompense ; amour vrai^ qui defend de
vouloir le mal, de le faire, de le dire, meme de le penser. Cet
1. Ap. 44.
2. Ib. 45.
3. Ib. 36.
30 THKOLOGIE DE TF.RTULUEN.
amotir, qui s'etend â tous, est eii meme temps le lien de la
societe chretienne. Tortullien se voit amene â decrire Ies as-
semblees des fideles : devoiler Ia vie de l'Egliso ctait le seul
moyen de reduire au silence la calomnie.
Nous formons, dit-il, un corps ' par l'unite de religion, de
discipline et d'esperance. Nous nous reunissons pour faire
ensemble assaut de prieres h Dieu^. Dieu aime cettc violence.
Nous prions en particulier pour Ies empereurs , pour leurs
ministres , pour Ies puissances, pour le siecle present, pour la
paix, pour la duree du monde. Nous nous reunissons encore
pour relire Ies Ecritures divines, oii nous puisons, selon Ies
tem[)s, des avertissements et des lumieres; toujours cette pa-
role sainte nourrit la foi, releve l'esperance, affermit la con-
fiancc, resserre la discipline en inculquant le precepte. Lâ
encore se font Ies exhortations, Ies corrections ; la se pronon-
cent Ies censures au nom de Dieu. On y juge gravement, se
senlant sous le regard de Dieu; et c'cst une redoutable pre-
somption du jugement futur que l'exclusion de la priere com-
mune, des reunions et de toute participation aux clioses saintes.
Des vioillards president ; eleves ă cet lionneur, non par l'ar-
gent, mais par une vertu eprouvee, car Ies choses do Dieu ne
s'aclietent pas. Si nous avons une caisse, elle n'est point
romplio par ce tribut do l'ambition, qui fcrait de la religion un
trafic. CItacun verso une modique offrande une fois le mois,
ou encore lorsqu'il veut, mais uniquement s'il vcut et s'il peut :
on ne force personne, Ies contributions sont libres. Ces depots
de la pieţe ne sont pas affectcs k des beuveries ou a des bora-
bances malseantes, mais ă l'entretion et â la sepulturo des
indigents , â l'assistance des orplielins des deux sexes, des
vieillards, des naufragess ; enfin ceux qui sontdetenus pour la
foi aux mines, dans Ies îles ou dans Ies prisons, y sont nourris
par la religion qu'ils ont confessee. Ces pratiques cliaritables
ne sont pas le moindre grief de certaines gens contre nous.
« Voycz, disent-ils, comme ils s'aiment! » Le fait est qu'eux
se haissent. Et encore : « Voyez comme ils sont prets â niourir
1. Ap. ",'.).
2. Coniparer saint .Ju.stiu, l Ap. 05 sq.
viK DE L iî<;lise.
Ies uns pour Ies autres ! » Eux sont plus prets â s'entr'egorger.
Quant au nom de freres , dont nous nous appelons , s'ils y
trouvent ă redire, c'cst, je pense, qu'entre eux tous Ies noms
de parentc ne recouvrent que de feints seniiments. Nous n'en
sommcs pas moins vos freres aussi, do par la nature, notre
communc mere ; mais en vous ii n'y a pas grand'cliose d'Iiu-
main, car vous etes de mauvais freres. A combien plus juste
tilre s'appcllent-ils et sont-ils freres, ceux qui reconnaissent
Dieu pour Icur pere commun, qui ont bu un meme esprit sanc-
tifiant, qui du sein d'une meme ignorance ont ouvert Ies yeux
aux rayons d'une meme verite!... Quoi donc? serions-nous
par liasard moins freres parce que nous partageons volontiers?
Le fait est qu'entre nous, tout est commun, excepte Ies femmes.
Chez vous, c'est le contraire.
TertuUien raille sans pitie Ies complaisances de la morale
antique, et Ies orgics de certaines fetes paîennes. Revcnant
aux asscmblees des chretiens : Nous avons, dit-il, des repas
communs; ils s'appellent d'un nom expressif, qui en grec
veut dire amour [agape] ^. I^es pauvres en profitent. II ne s'y
passe rien de bas ni d'immodeste. Avânt la table, on prie
Dieu ; on mange selon sa faini, on boit autant qu'il convient â
la vertu, sans depasser la mesure, car on veut pouvoir adorer
Dieu pendant la nuit ; on converse comme en presence de Dieu.
Apres l'ablution des mains , une fois Ies flambeaux allunies,
chacun est invite â chanter des cantiques pris de la sainte
Ecriture, ou ceux quil a pu composer : la on voit bien s'il a
trop bu. Le repas finit par une autre priere. On se separe, non
par troupes d'assassins, ni en bandes de coureurs ou de de-
bauches, mais comme on est venu, en toute modestie et pudeur,
montrant qu'on sort non pas tant d'un repas que d'une ecole
de vertu.
Les dernieres pages de l'Apologetiquc insistent sur cette
vertu morale du cliristianisme. Et voila, conclut TertuUien-,
les lioninies que vous persecutez, que vous livrez â tous les
supplices. Sans doute nous aimons nos souffrances; nous les
1. 0)1 i'cvienclra sur la qucstiou de Vagape, c. VII, g i p. 309.
2. Ap. 50.
32 THE0L0GI15 DE TERTLLLIEN.
aimons comine le soldat aime la guerre, oiî ii s'engage â con-
tre-coeur parce qu'elle est pleine d'alarmes ot de perils, mais
ou ii ne laisse pas de se battre vaillamment et d'aimer la vie
toire, qui lui apporte gloire et butin. Vos tribunaux sont Ies
champs de bataille oii nous luttons pour la verite ; parfois mort
s'ensuit : c'est notre victoire â nous; elle nous procure la gloire
de plaire ă Dieu et le butin de la vie eternelle. Vous immorta-
lisez Ies Scevola et Ies Regulus qui ont souffcrt pour la patrie,
mais Ies chretiens ne sont pour vous que des insenses. Allez
donc. dignes magistrats ! iînniolez des chretiens : la foule vous
en saura gre. Tourmentez, torturez, condamnez, broyez :
votre iniquite revelera notre innocence, et c'est pourquoi Dieu
vous laisse faire. Recemment, en livrant.une cliretienne au
deshonneur plutot qu'â la dent des lions \ad lenoncrn potius
quam ad leonem), vous avez reconnu que parmi nous la perte
de la chastctc est reputcc plus cruelle que tous Ies supplicos
et que la mort meme. Cependant Ies raffinements de votre
cruaute ne font que donner â notre religion un attrait de plus;
quand votre main nous moissonne , nous nous muUiplions :
le sang cliretien est une senience ' . Vos philosoplies ont fait
moins de disciples par leurs ecrits que Ies cliretiens par leurs
exemples. On vient ă nous par curiosito ; on s'attaclie â nous
par conviction; on souhaite de souffrîr, pour racheter d'un
seul coup loute la grâce de Diou et lavor toutes sos fautcs
dans son sang : car le martyre efface tout. Cest pourquoi
nous benissons vos arrets. Etrange contraste des choses di-
vines et liumaines : quand vous nous condaninez, Dieu nous
absout.
Cetto eloquente peroraison montre cpiclle soduction exer-
gaient sur Ies natures ardentes Ies verLus, la grandeur et Ies
opreuves meme du cbristianismc. Elle donno h l'argument
moral presente par Tertullien son supreme couronnement.
Sans doute bien des cultes paîens avaient fait des fanatiques ;
mais c'etait assurement un spectacle nauyeau qao cctte alliancc
des sentiments Ies plus delicats et Ies plus purs de l'âme liu-
1. Semen est sanguis chrUiianorum. Tel est le lexte exact de co mot
celebre.
CAKACTERE KATIONNEL DE LA FOI. 33
mâine avec une pareille intrepidite devant la mort. Ainsi en
jugea l'elite du paganisme, et elle subil l'ascendant de cette
religion qui, tous Ies jours et dans tous Ies rangs de la societe,
faisait en si grand nombre des vierges et des martyrs. Cest la
on effct l'ai'gument populaire par excellence'. La passion, qui
bouillonne comme une lave ardente dans cette page de Ter-
tullicn, fut-elle rcfroidie, le fait liistorique n'en resterait pas
moins : beaucoup d'hommes et do femmes qui n'etaicnt pas ins-
truits des propheties juives, qui n'avaient pas Iu l'Evangile,
venaiont au christianismâ, subjugues par cette verlu ignoree
du monde paîen; ils embrassaient la foi contre tout interet liu-
main, ils s'y livraient sans reserve, et, en depit de tous Ies
supplices, ils y perscveraient jusqu'â la mort. Le fait a son
eloquence, et l'on ne saurait donner un meilleur commenlaire
au dernier argument de TertuUien.
V. COXCLUSION. — CARACTERE RATIONNEL DE LA FOI
CHlilÎTIBNNE.
L'enquete ă laquelle nous venons de proceder prouve avec
(ividence que, dans la pensee de Tertullien, Tadliesion ă la re-
ligion chretienne est un acte eminemment raisonnable ^. II
n'est peut-âtre pas superflu de le faire observer, car on a par-
fois affirme le contrairc. Sous l'impression de certains para-
doxes oîi se complait sa verve liautaine, on a pu se persuader
que, pour etablir la verile du christianisme, ii tirait argument
1. 'l'crtullien ne nous a pas laisse 1(! r(''Cit de sa proprc conversion au
cliristiani,smo. >Iais ii y a tout Ucu de croire que le spectacle de la vie
chretienne y contribua plus que Ies livres. 11 constate quelque part que
l'Ecrituro sainte n'est pas lue des paiens. Tesl. 1 : Tanto abest ut nostris
lilteris annuant liomiucs, ad quas ncmo venit nisi jam ctiristianus. Los
apolop'istes cViretiens no laissaient pas de renvoycr â l'Ecriture ceux qu'ils
voulaient convaincre. (Deja Aristide parlant â Antoniii, ^p. 16). Mais
leur propre histoire nous Ies montre ebranles dans leur paganisme avânt
le jour oîi ils lurcnt Ies prophetes : tel saint .Iustin, desabusc de toute
philosophie (Dial. avec Tryphon, debut); tel Taticn, revolte par Tiînmora-
lite des culles paîens {Disc. aux Grecs, 29).
2. Voir â ce propo.s G. Esser, Me Seeknlehre TerluUians (Paderborn,
1893) p. 20 sq.
THEOLOGIE DE TERTULLIEN. 3
34 THliOLOr.IE DE TERTULLIEX.
(Ies glorieuses basscsses de l'Evangile, et dvi scandale qui en
resulte pour la raison, et l'on a presente le Credo quia ahsur-
duni comme la derniere ressource de l'apologiste '.
Apres tout, l'argument, pour utre violemment paradoxal, ne
manquerait pas necessairement son but. Et ii est certain qu'on
trouve en plusieurs passages de TertuUien, quelque chose de
semblable. Tels heretiques denient au bapteme d'eau le pou-
voir de remettrc Ies peches : TertuUien leur reprocho de me-
connaître cctte simplicito qui ost le cacliet propre des (Deuvres
divines, et Ies invite â croire d'autant plus qu'ils comprennent
moins^. A Marcion, que scandalisent Ies humiliations du Clirist,
ii reproche d'ignorer cette folie divine qui triomphe de la sa-
gesse humaino; ii l'adjure de ne pas derober â la foi ses hontes
necessaires '. Ce langage est assurement d'un liomme qui
trăite de haut la raison ; mais â parler exactement, on ne peut
pas dire qu'il en ait fait usage pour otablir la verite du chris-
tianisme. Las textes que nous avons cites — et l'on en trouve-
rait difficilement de plus forts — appartiennent tous a des ou-
vrages de controverse chretienne. TertuUien s'adresse, non â
des paiens qui cherchent, mais ă des heretiques, c'est-â-dire
1. Ainsi M. C. Guigticboi'l, Terlullien; L'Ciide sur ses seniiinenis d l'egm'd
de l'empire et da Io, sociele civile (Paris, 1901), p. 250. — Notons â ce
pi'opos que la formule : Credo quia abmrdum no se trouve pas dans
TertuUien; mais on a l'equivalent c. C. 5 : Prorsus credibile est, quia
inopliim est; certum est, quia impossibile. — Nous ne nous arreterons pas
â discutci- le jugemont de M. V. Courdavcaux dans la Revue de ridstoire
des religions, t. 23 (1891), p. 1-35. Dom Cabrol en a depuis longtemps fait
justice (Science calhoUqiie, t. 5, 1891), et ii est superflu d'insister.
2. B. 2 : Quid ergo? Nojineu,ii.j,j^[[mj^ et lavacro dilui niortem? Atquin
00 magis credendum, si, quia mirandnm est, idcirco non creditur. Qualia
enim decet esse opera divina, nisi super oiimem adniirationem? Nos
quoque ipsi miramur, sed quia crodimus. Cetorum incrodulitas miratur,
non credit. — Rapprochcr 2 M. 2 : Nos scimus stultum Doi sapiciUms ho-
minibus et invalidum Dci validius hominibus (1 Cor. 1, 25). Et ita Deus
tune maxime magnus cum homini pusillus et tune ma.\inio optimus
cum homini non bonus et tune maxime unus cum homini duo aut plu-
res. — Et eneore 2 M. 27; 1 M. 21; 5 M. u; /?, 3, lin.
3. c. 6". 5 : Parco unicac spei totius orbis, qui destrais necessarium
dodocus fidci. Quodcumquo Deo indijrnum est, mihi expedit. Salvus sum
si non oonfundar de Domino meo... Ci'ucifixus est Doi l'ilius : non pudct,
(juia puilondum est. Et mortuus est Dei Filius : proi'sus credibile est,
quia ineptum est. Et sepultus resurrcxit : certum cs(, quia impossibile
est.
CARACTEHE lîATIOXNEL BE LA FOI. 35
â des chretiens convaincus de la divinite du Christ, mais portes
k interpreter la revelation divine selon leur fantaisie, et ii Ies
rappelle a la regie de la foi qu'ils ont embrassee '.
Cette observation est de la plus haute importance si l'on veut
apprecier au vrai Ies procedes polemiques de Tertullicn. 11 se
plaît k liumilier Ies superbes qui manquent de dcference envers
Dieu. Sans doute. N'oiiblions pas copendant que, meme avcc
des herctiqnes, le procede est tout exceptionnel, que Tertollien
aime k i'aire appel k la raison, qu'il refuse d'admettre unc as-
sertion nouvelle, si lionorable qu'elle soit poui^ Dieu, â moins
qu'elle ne se presentc avec un cortege de temoignages et de
preuves^. Lorsqu'au lieu de combattre avec Ies lieretiqvies, ii
discute avcc ies infideles, le ton est tout different. Sans doute
on pourrait souhaiter plus d'adrcsse insinuante, moins de rai-
deur et de provocations, plus d'egards pour Ies prejuges paiens.
Mais on ne retrouve plus ces audaoieux defis qui veulent briser
l'orgueil de secte. Tertullien met au contrairc' beaucoup de
soin â s'emjjarer des verites communes sur lesquelles Taccord
est fait ou preş de se faire entre la foi et le bon sens naturel.
Nous en verrons plus d'un exemple, â commencer par l'unite
du Dieu suprâme'^. Quand ii doit proposer la donnec cliretienne
k ceux qui Tignorent, Tertullien ne s'entoure pas seulement de
temoignages jiistoriques, ii recourt aux precautions oratoii'cs,
ii attcnue ce qu'unc doctrine si nouvolle pout avoir d'offensant
pour le sens huniain, ilinsinue que, s'il faut â toute religion
des postulata, ceux de la religion cliretienne ne sont pas Ies
plus durs ă admettre. Doit-il parler de Tlncarnation? 11 ne
craint pas d'evoquer Ic souvcnir de Tantliropomorpliisme paîen' .
1. En quoi ii appiiquo Ic principe genoral ('■nonc(' J'r. fl : Qiiaereiuliui]
ost (lonec inveiiiatî, et c.vedendum ubi invencris, et nihil amplius nisi
custodipiidum quod credidisti,
2. Ainsi Prax. 10 : Nihil Deodiflicilc. Quis lioc ni'sci;it,? V.l iiripossihilia
apud saoculum possibilia apud Dcnm qiiis ignoret'?Et stulta luiuidi clocii
Deus ut confundat sapientia... Plane nihil Deo diflicile. Sed isi tain
abrupte in praesiimptionibus nostris liac scntentia utamur, quidvis de
Deo confmgerc poterimus, quasi fecerit quia facere |iotuorit. Non autom.
quia omnia potest facere, ideo quoque credimdum est illLiin f(>cisse ctiaui
quod non fecerit. Sed an fecerit requirendnni.
3. Ch, n, g 1, p.37 sq.
4. Ap. 21 : Recipite interim hanc fabulani, similis est vi-stris. — C(^
3G TIIJBOLOGIE DE TERTULLIEN,
Doit-il pai'ler de la resurrection corporolle? 11 s'autorise de
ceux qui oiit tant divague surla metcmpsycose'. On ne saurait
exploiter plus audacieusement Ies prejuges de l'adversaire. Ce
langage n'est pas d'un liomme qui veut etre cru sans raisons,
el cru d'autant plus qu'il affirme des choses plus incroyables.
Avânt de se donner au christianisme. Tertullien l'avait me-
connu et raille'-; s'il s'etait ensuite rendu, ii pretendait bien ne
l'avoir fait qu'a bon escient-'. 11 montre une confiance si intre-
pide dans Ies preuves qui Font vaincu qu'il ne craint pas de
promettre la foi â quiconqae voudra bien interroger l'Ecriture
en toute loyaute. Cette confiance, qui sans doutc n'etait pas la
moindre puissance de l'apologiste, acheve de donner son vrai
caractere â la demonstration rationnelle que nous avons es-
quissee. Tertullien croit tellement â la force de la verite chre-
tienno aidee par la grâce divine, qu'apres avoir gravi la ponte
qui mene a la foi, ii. se porto garant du succes pour tous ceux
qui s'y engageront apres lui : Qui audierii, iiweniet Deum;
qui etiam studuerit intellegere, cogetur et credere '' .
procede d'argumcntation n'etait pas nouveau : Tatien en disait autanl aux
Gnţes {Oiscours, 21.) Voir encore saint Justin, 1 Ap. 51.
1. rt.., passim. — Au rostc, ce n'6tait la, encore qu'un lieu commun do
l'apologetiquc.
2. Ap. 18 : Ilaec ct nos risimu.s aliquando. Do voştri.? sumus. Fiunt,
non nascuntur Christiani.
o. Par aillours ii insiste souvont surle caractere dniineînraent rationucl
des ccuvres divines. Paon. 1 : Ros Dei ralio, quia Dcus omnium conditor
nilul non rationc providit. disposuit, ordinavit, niliil non rationo trac-
tari intellegique voliiit. — 1 M. 23 : Sicut naturalia, ita rationalia in Doo
omnia. — An. 10 : Naturale enim raţionale credendum est, quod animac
a primordio sit in,g(!]iituni, a raţionali videlicet auctore. — Mais los rai-
sons de Dieu sont souvent mysterieuses : /;. 3 : Ratio autem divina in
medulla est, non in snperficio, et plerumque aemala nianifestis. — Noan-
dei-, un Juif conVerli au pi-otestantisnie, commente excellemmcnt ces
pai'adoxcs de la foi, que Tertullien avait appris de saint Paul. Antiijnos-
ticus 2, p. 171 ,sq; 370 sq.
4. Ap. 18, fin.
CHAPITRE II
DIEU. — LA TRINITB.
I. EXISTIÎNCE DE DIEU.
L'existence de Dieu^ n'est pas une verite abstruse, ni qui
exige de longs raisonneinents : Tertullien considere ce principe
comme c&rtain. De fait, s'il eut ă combattre plusieiirs sortes
do polytheisme et plusieurs deformations de Ia pensee chre-
tienne, on ne voit pas qu'il ait rencontre sur son chemin un
athee. Aussi ne se montre-t-il pas severe quanl au detail des
preuves. D'ailleurs ii presente une demonstration de Dieu sin-
gulierement populaire et originale.
x\vanttout, ils'empare^ d'un aveu qui echappe au paganisme :
Ia necessito d'un Dieu supreme , source de toute divinite
subalterne. Le syncretisme religieux du deuxiome siecle don-
nait â cet aveu le caractere d'un fait cliaque jour plus actueP:
Tertullien s'en empare comme d'un liommage rendu par la
raison â ce premier Etre qui seul detient la divinite en propre
— manceps divinitatis — ; ct, apres avoir fait ressortir Ies in-
1. Sur robjet de ce chapitre, voir particulierement : Johannes Stier,
Die Golles und Logoslehre Tertullians (Gottingen, 1899, in-S").
■Z. Ap. n.
3. Si-U- Isis, deorttin dearurnqne facies uniformis, voir Apul(;e, Metamor-
pho.'ies, 11, 2 sq. — ^^ Sur le dieu des Stoicienis, Diogene Laerco 7, 1, 147 :
sîvai Ss Tov [J.SV SriiJ.io'jpYov twv o).(ov xai oisTiEp jiarlpa TiâvTuv xoivtoţ te xai to
(ispo; a'JTO'J TO oifj-^oy Sti TtivTwv, 5 xo>,\aî; T:pO(77iyopîxi; 5rpoffOvo[j.âî;E(76ai xaTa
Ti? S-j'/âţAsiţ. — Coinparer Tertullien. ^p. 21-2(j. — Athenagore constatait
deja que toutes Ies croyances convergeaient invinciblenieut au mono-
theisme. {Ambuscade pour Ies chretiens, 7.)
38 TIIEOLOGIE DE TEKTULLIEX.
colicrences du polytheismo '' , ii s'elove â la conception du Dieu
uiiiquG^, lionore par Ies chreticns. Ce Dieu a, par son Verbe
createur, tire du neant ce moiide, ornement de sa majeste. In-
visible, incomprehensible, inestimable, son excellence meme le
dcrobe h nos regards. Rien ne donne de lui une plus liaute idee
que notre impuissance â le concevoir tel qu'il est. Mais en meme
temps sa grandeur s'impose â l'esprit avec une evidence qui
condaro.ne Ies aveugles volontaires. Car ii se revele par sas
ccuvres qui nous enveloppent, qui nous portent, qui nouschar-
ment, qui nous terrifient. 11 se revele par le temoignage de
l'âme elle-meme. Quand l'âme emerge de cette prison du corps
qui l'oppresse, do cesprejuges qui la captivent, de ces passions
qui l'enervent, de cotte idolatrie qui la degrade, de cette ivresse
des sens et de l'esprit, et trouve un instant de lucidite, elle
nomme Dieu, le seul vrai Dieu. Elle s'ecrie : « Grand Dieu!
Bon Dieu! Plaise ă Dieul » Elle atteste sa justice : « Dieu le
voit! Je le recommande ă Dieu! Dieu me le rendra! » Temoi-
gnage d'une âme naturellement chretienne''. Elle crie sponta-
nement vers Dieu, en cherchant du regard non le Capitole,
mais le ciel, ou Dieu reside et d'ou elle descend.
En somrae , Tertullien trouve la revelation de Dieu dans
toute son oeuvre, mais tout particuliercment au fond de Fâme
humaine. L'âme qu'il inten'Oge, ce n'est point l'âme facjonnee
par Ies exercices d'eoole : c'est l'âme telle qu'elle sortit des
mains de Dieu, vierge de toute formation, telle qu'on peut es-
perer la retrouver encore seulement dans la rue et k l'atelier,
l'âme popul ai re '' : son temoignage presente un caractere de
simplicite, de vulgarite, d'universalite qui garantit l'accent de
la nature meme et un echo de Dieu ■'. Or l'âme, venant de Dieu,
1. Ap. -12-16.
2. Ih. 17.
:!. Jb. 17. — Cf. Test. an. 2; An. 11. — Coinpai'cr Minucius l'eli.v, Ocla-
vhis, 18, fiu.
4. Test. 1. Nou earu te advoco quac scholis formata, bibliothocis exer-
citata, academiis et porticibus alticis pasta sapientiam ructas. Te simpli-
ceni etrudoract iuipolitam et idioticam compello, qualcmtc liabent qui te
solam habent, illam ipsam de compito, de trivio, de tcxtrino totam.
5. Test. 5 : Haec testimonia animac quanto ^era tanto simplicia, quanto
simplicia tanto vulgaria, quanto vulgaria tanto communia, quanto com-
niunia tanto naturalia, quanto naturalia tanto divina.
EXISTEXCE DK DIEU. 39
connaît nccessairement Dieu comme Fauteur de son cHre ' . Ce
n'est point la, de la part de Tertallien, une assertion en l'air :
elle reparaît plusieurs fois, et dans des ouvrages de caracteres
tres difîerents^. Le monde estpour louthomme une revelation
immediate de Dieu, du vrai Dieu ; l'âme en est pour elle-meme
une revelation, et nul n'ignore ce premier Ktre : Tertullien
pose le principe comme certain ; ii le considere comme admis
quand ii parle aux persecuteurs. Nous lionorons, dit-il, le Dieu
unique, que vous tous connaissez naturellement, dont vous re-
doutez la foudre, dont vous appreciez Ies bienfaits^. Dans le
discredit general oii etait tombe le pantheon pa'ien ' , ii semble
que ces appels au monotheisme instinctif ne soulevaient aucuno
protestation, et que la conscience populaire s'y reconnaissait.
Mais que valait l'argument? N'y a-t-il pas des reserves â
faire sur la valeur du temoignage, et peut-on bien presenter la
verite cbrelienne comme un simple postulat de la nature rai-
sonnable? Question digne d'un serieux examen.
Tout d'abord constatons que Tertullien n'a jamais pretendu
trouver au fond de l'âme populaire le christianisme integral :
lui-meme dit expressement â cette âme, au debut do son inter-
rogatoire : tu n'es pas, que je sache, clirelienne; car on de-
vientoliretien, on ne nalt pas teP. line s'agitdonc qued'une oer-
taine affinitc avec le christianisme, antericure h toute influence
1 . Tesl. 2. Si... anima a Deo data est, sine dubio datorem suiim uovit.
2. 2 A'. 8 : Deum ego existimo ubique notnm, iibique praesentcni. —
Paen. 5 : Etiam ignorantes Doininnm nulla exceptio tuetur a(t poenani,
quia Deum in aperto constitutuni et vel ox ipsis caolestibus l)onis compre-
liensibilem ignorări non licet. — l. M. 9 : Si esset, notus fuisset. — Quem
constat esse, ex lioe ipso constat quod nunquamfuerit ignotus. — Ih. 10 :
A primordio reiaini, conditor earuni cum ipsis pariter compertus est, ip-
sis ad Iioc probatis ut Deus cognoseere.tur... — Animae cnirn a primordio
conscientia Dei dos est; eadom nec alia et in Aegyptiis et in Syris ot in
Ponticis. — Ih. 18 : (Deum) verum natura jam intelleguiit. — ii. 3 : Quae-
<lam enim et natura nota sunt, ut immortalitas animae penes pluros, ut
Deus noster penes omncs.
3. Scofp.i : Nos unum Deum eolimus, quem ornnes naturaliternostis,
ad cujus fulgura et tonitrua coutremiscitis, ad cujus beneficia gaudetis. —
Cf. 1 M. 17.
4. Voirehez M"''Freppel (t. 1, lecon 4, fin) Ies rapprochcmcuts avec Ju-
venal (Sat. 15) et Seneque {De superslilioiie).
5. Teşi. 1 : Non es, quod sciam, christiana. Fiori enim, non nasci solct
christiana. — Cf. Ap. 18 : Fiunt, non nascuntur christiani.
40 TIIEOLOGIE DE TERTULLIEN.
du dehors. Or dans qes limites, Ie principe invqqjie est vrai et
fecond. Rien de plus legitime que l^appel a la nature, que le
Createur a marquee de son empreii*^ ; ces cris emus qui sor-
tent des profondeurs de Târne k certaines lieure» solennelles
de recueillement peuvent passer pour une revelation authen-
tiqiie de son etrc primitif. Sur ce point donc l'apologiste
triomphe. La revanclie de la raison sur Ies fablcs qui avaient
amuse ou terrorise Ies âges precedents trouve dans sa profes-
sion de foi au vrai Dieu une expression juste et eloquento.
Seulement ii montre un optimisme qui nuit â son argamen-
tation. D'abord ii exagere l'evidence de ces intuitions naturel-
les. De plus ii en exagere la portee, en voulant reconnaître la
nature lâ oul'education agit seule. Non content de decouvrir au
fond de l'âmc populaire la croyance k l'existence de Dieu, ii
croit y decouvrir la croyance au peclie originel ^, ă l'existence
du demon-, â la resurrection corporolle-', et sur ce point f'ait
valoir des observations pueriles : si k propos d'un mort on
se surprend a dire : « 11 est par ti et ii va revenir », ii est clair
que cette facjon de parler n'implique aucune croyance definic au
dogme de la resurrection. Enfin, au premier doute qui surgit
sur la valeur d'un apliorisme populaire, Tertullien s'empresse
d'en appeler k la foi '* : n'est-ce pas avouer qu'il manque d'un
criterium interne pour distinguer la donnoe autlientique de la
nature, des prejugos qui l'obscurcissent?
Ces reservcs faitcs, ii faut reconnaître l'heureux parii que
Tertullien a tire du temoignage de l'âme naturellement chre-
tienne pour etablir l'existence de Dieu. Dieu, sa bonte, sa jus-
1. Test. 2 : Adicis : sed homo malus, se. contraria propositionc obliquo
et figuraliter exprobrans ideo malum homiuom, quia a Deo bono abscos-
serit. — JS'oander. p. 85.
2. Test. 3.
3. /i. 4.
4. R. 3 : Utar ego ct sentontia Platonis alieujus pronuntiantis : omnis
anima inimortalis. Utar et conscionliapopuli, contcstantis Dciim deorum.
Utar-et rcliquis connnunibus scnsibus, qui Dcum judicem pracdicant :
Doiis vidot, et : Deo commendo. At cum aiuat : movtuum quod mortuum,
et : vivc duiii vivis, et : post mortem omnia flniuntur, etiam ipsa, tune
meminero et cor viilgi cincrein a Deo deputatum et ipsani sapientiam
saeculi stultitiam pronuntiatam.
POI.YTHIÎISME. U
tice, voila des objets que Târne atteint ^ par une intuition natu-
relle, par une sorte de divination. Et pourquoi ne serait-elle
pas douee de divination, puisqu'elle-meme ost dans l'honime
un don divin? mirum si a Dco data hornini novit divinare'^'i
Ce mot, est sous la plumede Tertullien, unereminiscencestol'-
cienne^; nous le retrouverons ailleurs ''. Dans la question prc-
sente on peut n'y voir que l'expression un peu forte d'une
pensee au fond tres juste ■'.
IT. UNITE BE DIEU.
L'unite de Dieu, meconnue en tant de manieres, fut pour
Tertullien le sujet de long-ues polemiques. II combattit parti-
culierement le polytbeismc paien, le dualisme materialiste
d'Hermogene, le dualisme scripturairc de Marcion et la gnose
de Valentin.
1° Rappelons pour memoire Ies faciles railleries dont ii aime
â criblcr Ies dieux du paganisme, ct qui remplissent tout le
IP livre ad Nationes. Ces dieux sont d'invention bumaine ''.
Mais l'erreur se retranclie derriere tant d'autoritesl 11 faut en
venir aux mains, et, pour l'aire court, Tapologiste s'attache â
Varron "^ ^ qui a range Ies dieux en trois categories : 1) dieux
1. TesL, 6.
■Z. Tesl., 5.
3. L'illuminisme, stoicien ou montaniste, se traduit pavfois cliez Ter-
tullien par des assertions etranges. II admet que Ia plupart d(îs hoinmes,
ou peu s'en faut, sont inities â la coiinaissance de Diou par des visions.
A?i. 47 : Major paene vis liominum ex visionibus Dcum discunt.
4. Voir c. UI, S 2, p. 12:S. 128.
5. Sur ia portee de ce temoignago rendu a Dieu par IViije», et sur Ies
harmonies du dogme clu-otien avec la nature liuraaine, voir .Ms' Freppel,
t. I, 9" lecon, p. 178-183.' — On a parfois presente Tertullien comme un
pur fideiste, quin'admettraitd'autre connaissancede Dieu que celle qu'on
puise dans l'Ecriturc. (Ainsi Hauschild, Ralion. Psyckoloi/ie undErkennl-
niss Theorie TerUUltans. Frankfurt a. M. 1880, p. 2j. Xous croyons avoir
sufiisamment prouve la fausseto de ce poiut de vue.
0. 2 A'. 1.
7. Voir n. Agaiid, M. Terenlu Varronh anliqirUaliim rerum divinarum
libri 1. 14. 15. 10, Jahrb. f. Klass. Philolor/ie, ii Suppleme.ntband (1898)
p. 40 sq. — Me'' Freppel (t. I, lecon o) esquisse un pai'allele cntre Ter-
tullien ct Ciceron advei'saires du polythoisnie (voir le de natura deorum).
42 THEOLOCIE DE TEKXULLIEN.
de la nature, inventes par Ies philosophes; 2) dieux du mytlie,
crees par Ies poetes; 3) dieux des nations, adoptes par le
peuple.
1) La philosophie n'a pas ete heureuse ^ dans sa reclierche
do la divinite. Elle a puise â bien des sources, meme â celle
dos Ecritures divinos; mais ce qu'elle y avait trouve, elle l'a
corrompu; chaque pliilosoplie a forge des dieux selon sa fan-
taisie. Quelques-uns ont divinise Ies elcments du nionde-, et
tirc de la des generations de dieux. Idee absurde, soit qu'on
dise avec Platou que le monde a ete fait, soit qu'avec Epicure
OII pense qu'il s'est forme sans le concours de personne. Im-
possible d'admettre des dieux qui ne sont pas eterncis, â plus
forte raison des dieux qui vivent et qui meurent. Varron ne
peut echapper k cette dei'niere conception, lui qui considere
Ies aslres comme des animaux parce qu'il ne trouve pas hors
d'eux-memes le principe de leur mouvement. II faut laisser
cette reverie aux Egyptiens, adorateurs d'animaux, et, avec
Zenon, reconnaître que Dieu est distinct de Ia matiere du
monde ^.
D'autres se sont avises d'adorer Ies clements materiels ă
raison des services qu'ils rendent â Thumanite : le soleil parce
qu'il eclaire le jour ct mtîrit Ies moissons, la lunc parce
qu'ello console nos nuits ct guide Ies navigateurs, la terre parce
qu'elle nous porte et nous nourrit, et ainsi du reste : ils s'ar-
retent au phenomene au lieu de remonter â la cause. Pourtant
celui qui entend jouer de la flute en sait gre, non a l'instru-
ment, mais a l'artiste; celui qui se sent blesse s'en prend, non
â la lance, mais â celui qui a porte le coup : de meme â travers
Ies bienfaits de la nature ii faut voir le moteur intelligent, a
qui scul doit aller notre reconnaissance. La condition des astres
montre assez qu'ils ne sont pas dieux '•' : Tertullien n'en veut
Ciceron avait, pai" politique, monage la rcligion cVEtat; Tapologiste clirc-
tion n'6pargnc pas ccttc derniere idole.
1. 2 iV. 2,
2. n>. 3.
3. Ib. 4.
4. Ib. 5.
5. Ib. 6.
POLYTIIEISalE.
43
pour preuvc que Ies eclipses dont ils souffrent. Au demeurant,
cos erreurs de physicions ne soot pas sans queLjue grandeur :
ils ont su du moins ne diviniser quc des etres puissants et
douos d'empire sur la vie humaine.
2) Les dieux crees par la poesie ^ ne meritont pas une longue
consideration. Ces dieux sortent des rangs de rimmanite, qu'ils
deslionoraient par leurs vices. Comment excuser pareil scan-
dale'PPlaton, mieux avise, expulsaitles poetes de sarepublique.
Vous qui gardez les poetes, vous devez croire k leurs fictions;
et si vous y croyez, comment pouvez-vous lionorer de tels
dieux y
3) Rcste l'innombrable armee des dieux populaires -. Cliaque
nation a les siens, et ii faut renoncer â les nommer tous.
f;'Egypte est descendue jusqu'aux cliatş, jusqu'aux crocodiles.
jusqu'a son Anubis •'. L'honneur du pantlieon egyptien est un
homme, Serapis — en qui TertuUien croit reconnaître le pa-
triarche Josepli. Les seuls dieux romains ont ete distribues par
Varron '' en trois categories : cerd, incerţi, electi. Cette classi-
fication dcplaît a TertuUien : ii prefere distinguer communes
ci proprii. Les dieux communs sont les dieux de la naturc et
les dieux du mythe, dont ii vient de parler. Parmi les dieux
propres, on rencontre des lieros divinises, parfois d'asseztristes
lieros, comme Enee, commc Romulus; ă ce pandemonium ii
ne manque pas mcme une prostituBe", Larentina : voila les
dieux romains en bonne compagnie. Les autres sont d'lmmbles
i'onctionnaires ruraux ou domestiques", institues par l'imagi-
nation populaire : Sterculinus prepose aux cngrais^; Faunus
qui. dans le delire, rend des oracles: Sanctus Ie diou hospi-
1. 2 .V. :.
2. Ib. 8,
•'). TertuUien ocrira plus tai'd, hIoL 4 : Ouinia igitur colit huruaiuis
error, jiraeter ipsum otnnium conditoi-eai. — II est ici question particu-
liei-emeiit do 2)antl!eon i-oiiiain. D'ailleurs l'Afrique n'avait pas une moindre
population do dieux. Voii' Dom H. Loclercq, L'Afrique c/irelienne (Pai'is
1004) t. 1, p. 107 sq.
4. Ib. 9.
5. Ib. 10.
6. Ib. 11.
7. Ib. !).
44 THKOLOr.rE de tertullikn.
talier; Conscvius', Fluvionia, Vitumnus, Sentiims, Diespiter,
Candelifera, Postverta, Prosa Carmens, divinites de la con-
ception et de l'enfantement ; Farinus et Locutius, dieux de la
parole enfantine; Cunina, qui veille sur Ies be'rceaux; Levana,
Runcina, Potina, Edula, Slatina, Adeona, Abeona, Domiduca,
qui president h divers actes de l'education pliysique; d'autres
pour la vie morale : Mens, Volumnus, Voleta, Paventiiia, Ve-
nilia, Volupia, Praestitia, Peragenor, Consus; Juvenla est Ia
deesse des jeuries liommes ; Fortuna Barbata celle des hommes
faits; ii y a Ies dieux du mariage : Mutunus, Tutunus, Per-
tunda, Subigus, Prema, etc... La verve de Tertullien est
echaulîee, et Ies brocards se pressent sous sa plume. L'evlic-
merisme surtout en fait Ies i'rais^. On sait qu'Evhemere ^, my-
thographe grec vivant vers l'an 300 avânt Jesus-Clirist, avait,
dans son Histoire sacrec, considere Ies dieux comme des hom-
mes superieurs, divinises par la crainic ou l'admiration de
leurs semblables. Tertullien, qui a recueilli, surtout dans
Varron, des lambeaux de cette histoire, s'en seri pour bafouer
sans merci Ies apotheoses paiennes. Celle de Saturne peut
scrvir de type. Saturne, selon la legende fils de Caelus et de
Terra, mutile son pere Caelus endormi, eţ regne â sa place.
Devenu l'epoux de sa soeur Ops, ii devorc ses enfants mâles,
jusqu'au jour ou Ops reussit ă Ie tromper, en Iui presentant
une pierre au lieu d'un fils nouvcau-ne. Ainsi Jupiter echappa-
t-il ă la mort; ii devait ă son tour detroner Sfon pere. Tertullien
n'ignore pas qu'il existe de cette legende une inlerpretation
allegorique : Saturne, sous le nom grec de Kpovo;, ou plutot de
Xpovo;, est identifie au temps ; Ops deviont une deosse de la
fecondite. Mais qu'est-ce que cela signilie? et qui empechait
d'honorer le temps comme tel? Le temps n'est pas un horame,
el un homme n'est pas le temps. Saturne est un homme, ii a
1.2 A'. 11.
2. Ih. 12. — Ap. 10.
3. Voir 11. (Ift Block, Evhiniere; son livre et sa doctrine (thcse presfiiitcc â
rUniversiui de Liege, 1876). — D'ailleui's Tovtullien ne prononcc pas Ic noni
d'Evhemei'P, et no reproduit que Ies traits generaiix <le sa doctrine. Voir
la legende de Kronos, restituec d'apres le nivthograplie gi'ec. ap. de Block,
p. 32-3'l,
POLYTIJEISME. 45
vccii : Cassius Severus, Cornelius Nepos, Tacite, Diodore et
auti-es archeologues en font foi. Tertullien sait meme en quel
temps ii a vecu, ct quelles contrees ii habita : entre autres,
l'Attique, fiualement Fltalie, ou plutot, commo on disait alors,
l'QSnotrie, ou ii fut accueilli par Janus. Tant ii est vrai que
Saturne fut un liommc, et rion de plus. On imagina rhymen
de Caelus et de Terra pour couvrir le myslere de sa naissance :
Saturne venait on ne sait d'oîi, nul ne pouvait nommer Ies
auteurs de ses jours. Quant â la dale, elle est fixee ă la dixiome
generation apres le deluge par un temoignage antique et sacre :
celui de la Sibylle '. Comme Saturne, .Tupiter fut un homme,
et ainsi des autres dieux.
Si encore on pouvait assigner un fondement ă ces absurdes
apotheoses ! ^ Quoi donc ? Y a-t-il au ciel un maître — manceps
divinilatif! — interesse â s'entourer de creatures pour rehaus-
ser l'eclat de son regne ? Ou bien est-ce leur merite personnel
qui ouvrit le ciel â ces heros ? Ceux dont on connaît le mieux
la vie font peu d'lionneur â l'humanite. Hercule'* a accompli
moins d'exploits que Pompee ou Scipion; ii etait d'ailleurs li-
vre â tous Ies vices. lîsculape fut un cliarlatan et un escroc ;
Thesee un epoux infidele ct ingrat. Des dieux, le paganisme
en a mis partout'' : au ciel, sur terre, dans toutcs Ies situa-
tions do la vie, dans tous Ies emplois, jusque dans Ies mauvais
lieux. Peut-etre on vantera •' ceux auxquels l'humanite doit d'u-
tiles inventions. Mais ce qu'ils ont mis au jour existait avânt
eux, et ii serait plus juste d'en savoir gre â l'auteur de la na-
ture. Ou bien pourquoi pas diviniser Caton qui fit connaître
a Rome le figuier d'Afrique, Pompee (ou LucuUus, Ap., 11) qui
apporta du Pont le cerisier, ettant d'artisans modernes qui sur-
passcnt Ies anciens? Enfin peut-etre on trouvera dans la puis-
1. Cf. Oracles sihyUiiis, 3, 108 sq.
E? ouTtep xaTo;7.Xuop.6ţ im npoTâpou; -y^vs-:' âvofa;,
-/al lîa5!>,Eua£ Kpovoţ, ..
An. 28 on lit que Satui'ne vecut 90U ans apres Molso.
-Z. 2 iV, 13.
3. Ib. 14. •
4. 76. 15.
5. Ib. 10.
46 THKOLOGIE DE TERTULLIEN.
sance de Rome ' une presomption en faveur de ses dievix : c'est
Sterculinus, c'est Mutunus, c'estLarentina quiluiontvalucotte
haute fortune ; Jupiter de Crete, Junon de Carthage, Saturno
d'Italie, Isis d'Egypto, Apollon d'Orient, Minerve dWthenes ont
tralii leurs clients rcspcctifs au profit de Rome. Etrange abandon
de la part de ces dieux ! d'autant qne la victoire ne devait pas
meme respecter leurs temples. De tels faits ne comportent
qu'une cxpiication. Tous ces dieux montrentlant d'indifîerencc
par la seule raison qu'ils n'oxistent pas. Quia nihil sentiunt,
impune laeduntur . II existe une main puissanto, une seule qui
conduit tous Ies evenements de ce monde et qui dispense Ies
royaumes.
Les dieux des nations n'auraient droit qu'au mepris si der-
riore eux ne se cachaient les demons qui, par une usurpation
sacrilege, s'arrogent le culte du au seul vrai Dieu. Telle est
l'origine du polytheisme. Tevtullien aura occasion d'y revenir'-^.
Dans Fassaut donne au paganisme, ii s'est monlre plus puis-
sant railleur que philosoplie exact; sa pensee va gagner en
profondeur dans la lutte contre l'heresie.
2° Hermoşfene^^ heretique turbulent, beau parleur qui se
grise de ses paroles, et croit devoir insulter tout le monde,
peintre qui abuse de son pinceau, chretien qui s'est mărie plus
d'unefois, semeur de doctrines qui ruine le dogme de la crea-
tion. transfuge qui a passe de Tligiise a rAcadomie et au Por-
tique, paraît avoir ete l'un des premiers adversaires de Ter-
tullien. II avait emprunle aux stoi'ciens l'idee d'une matiere
coeternelle â Dieu, et voici comment ii la defendait. Dieu a tirc
le monde'' ou de lui-meme ou du neant ou enfm de quelque
cliose. La premiere hypothese doit etrc rejetee au nom de
1. Ib. 17. -- Ap. 23-27.
2. Voir c. III, S 3, p. 158 sq.
3. 11. 1. — Noeldechen (p. 203-205) signale des points ele contaet entre
la doctrine de cet heretique et celle du philosophe platonisant Numenios
d'Apamee. — TertuUien attaquait deja nommcment Ilerniogeno, Praesţcr.
30 ot 33. II y reviendra An. 3. II. 21. 22. 24. — \oir lirich Ileinlzel,
Hermogenes der Hauptverlreler des philosophischen Dualisnnisi in dcr allen
Kirche. (Berlin, 1902, in-8.)
A. H. 2.
DUALISME D HEnMOGEXE. ^1
rimmutabilite divine ; la seconde est dementie par l'exislence
du mal dans le monde : car un Dieu tres bon n'a rien pu pro-
duire que de bon. Reste Ia troisieme liypotliese : Dieu a Lire le
mondc d'unc matiere preexistante, et cette matiere est le prin-
cipe du mal. A cette raison metaphysiquo. Hermogene ajou-
tait' un autre argument fonde sur Ies attributs relatil's de Dieu.
Dieu, dit-il, a toujours ete non seulement Dieu, mais Seigneur
[Domiiws] . Or la qualite de Seigneur suppose un domaine ac-
tuel. Pour que ce domaine actuel ait toujours pu s'exercer,
ii faut admettre une matiere coeternelle a Dieu.
TertuUien retorque aussitot ce dernier argument-. Que fait
Hermogene, en supposant une matiere eternelle? En realito, ii
insfalle en face de Dieu un autre Dieu, qui ost la matiere, et
par lă ii porte atteinte â la majeste divine. Car cette majesle
s'oppose a tonte communication d'un de ses attributs : or l'e-
ternitc est un attribut propre de Dieu.. En vain Hermogene re-
pliquera-' : je n'accorde pas ă la matiere toute l'essence divine.
Peu importe, repond TertuUien : l'essence divine est un tout
qui n'admet point de partage : des lors quo vous en commu-
niquez quelque cliose â un kive quelconque, oile y passe tout
entiere. Et n'objectez pas que l'Ecriture a dit : Vous etes des
dieux (Ps. 81, 6; cf. .loan. 10, 34)''. 11 s'agit la d'une simple
communication par grâce, et en ce sens ii appartient â Dieu,
mais ă Dieu seul, do faire des dieux. Hermog'ene est d'ailleurs
condamne ■' par tous Ies textes scripturaires ou Dieu i-evendiquo
l'excellence de sanature (Deut. 32, 39. 40; îs. 41, 4 : 44,6 etc).
Si la matiere n'a pas eu de commencemcnt, cile peut reprendre
k son compte tous ccs textes, et s'attribuer tout ce qui fait la
gloire incommunicable de Dieu. Car qui dit eternite, dit in-
depcndance totale, donc infinite". Praesci^ibo non capere ul-
lam dlminutionem et humiliationein quod sit aeternum et in-
natum : quia hoc et Demn facial totus quantiis est, nullo
1. H. 3.
i. Ib. \.
3. /*. 5.
4, Cf. 1 M. 7.
5. ;/. 0.
0. U). 7.
48 THKOLOGIK DE TERTULLIEN.
minorem neque subjectiorem, immo omnibus majorem et
sublimiorem .
Nous touchons ici au sommet des idees de TertuIIion sur
Dieu. De l'eternite ii infere l'aseite, de l'aseite Finfinite. : de lâ
Ies autres attributs decoulent facilement. Une matiere cootcr-
nelle â Dieu serait infmie comme Dieu, Dieu lui-meme. Her-
inogene doit admettre tout cela. II doit ineme aller plus loin
encore'', et mettre la matiere au-dessus de Dieu, puisque Dieu,
dans son operation, depend de la matiere. On ne voit pas que
Dieu puisse se dire maître et seigneur^ d'une matiere eter-
nelle comme lui. S'il n'cstpas maître et seigneur, ii a du l'em-
prunter, ou s'en emparer de vive force : la loi no connaît que
ces trois titrcs de possession : dominio, precario, vi. On a
ecarte le premier : trouvera-t-on Ies deux autres plus con-
venables?
Apres avoir ainsi repousse le second argument d'Hermo-
gcne, Tertullien revient au premier-", et va montrer que l'eter-
nite de la matiere n'offre pas une solution plausible au probleme
du mal. Les heretiques ont imagine cet expedient pour sauver
la responsabilite du Createur. Mais ils ne sauraient echapperâ
ce dilemme : ou bien Dieu, pouvant remedier au mal provonant
de la matiere, ne l'a pas voulu, ou bion, le vovdant, ii ne l'a pas
pu : ii est Tesclave du mal ou son complice. La tentative d'Her-
mogene, pour trouver dans la matiere Ie principe du mal,
eclioue completement ''. Car en proclamant Teternito de la ma-
tiei'e, ii lui assigne une perfection sans limite. Des lors le mal
n'y saurait entrer. D'autre part ii ne s'est pas apergu qu'en
liant le mal â une matiere eternelle ii donnait au mal lui-momo
un caractere invincible, ineluctable : ce qui est bien Ia plus de-
solante des perspectives, et. la plus contraire â la parole de
Dieu, qui nous ordonne de combattre en nous le mal. Mais
pourquoi s'arreter â considerer la matiere eternelle i* La meil-
leure preuve qu'elle ne l'est pas'', c'est qu'elle est soumise au
1. II. s.
2. Ib. <.).
3. /*. 10.
4. Ih. 11.
5. Ib. 12.
DUALisME d'heiîmogene. 49
cliangement. Quoi qu'il en soit, on ne supprime pas la neces-
site de Tintervention divine '. D'ailleurs ii est de la dignite de
Dieu d'agir libremcnt'^. En definitive, tout precede de sa vo-
lonte supreme^. Toute Ia raison qu'a pu avoir Hermogene''
d'admettre l'eternite de la matiere, s'evanouit, puisque par lâ
ii n'arrive pas memc â mettre Dieu liors de cause dans la
question de Torigine du mal, et l'on est ramene ă cette con-
clusion que Dieu a tirc toutes choses du neant. D'ailleurs son
domaine souverain exige une independance absolue'' dans son
mode d'action (Rom. 11, 34. 35). S'il faut assigner un principe
aux ceuvres de Dieu", que ce soit la divine Sagesse, enfantee
par Dieu au debut do ses voies [Prov. 8). Mais ce n'cst point
lâ un principe naateriel, au sens strict. Hermogene a voulu re-
trouver un principe materiei' â la premiere ligne de la Genese,
ou on lit : In principio fecit Deus caelum et terram. Or Ies
mots in principio renferment une simple indication chronolo-
gique; ils ne designent pas plus un principe materiei que, dans
cette plirase : in, principio fecit figulus pelvi.m vel urnam. Ies
memes mots ne designeraient l'argile du potier. Au reste,
l'Ecriture porle : in principia^, non ex principio. La mome
observation vaut pour le debut de l'evangile de saint Jean :
In principio arat Ser mo.
Destrois principes d'operation : " qui facit, quod fit, ex quo
1. //. 13.
■l. Ib. 14.
y. Ib. 15. Memo le mal moral. Et Hermogene lui-meme ecartait la so-
lutioii consistant â (lire qiic le mal etait nccessaire â titre do repoussoir.
15 : Expugnat quarundam argiimeiitationes dicciitium mala iiecessaria
fuisse ad iUumiiiationem boiiorum cx coiitrariis intcUcgcndorum. —
Comment TertuUien explique le mal par la liberte de la creature, voir
c. VI, S 3, p. 269.
4. Ib. 16.
5. Ib. 17.
6. Ib. 18. Quis non hanc potius omnium fontem et originem commen-
det? JIateriam voro material um, non fini subditam, non stătu diversam,
non motu inquletam, non habitu informem , scd insitam et propriam
et compositam et tlecoram, quali Deus potuit eguisse, sui magis quam
alicni egens.
7. Ib. 19.
8. Ib. 20.
9. Sur Toxegcse de ces mots ev âpy.ri, voir Heintzcl, up. cit. p. 37, Anm.
112. Ariston de PcUa et Theophilc d'Antioche (Ad AuUAye. 2, 10) Ies
THKOI.OOIE riE TERTLI.I.IEN. 4
50 THEpLOGIE DE TERTULLIEX.
fit, Ies dcux premiers sont nommes, le troisieme passe sous
silence : c'est qu'il ii'existe pas. L'Ecriture se serait expliquee '
s'il y avait une matiore prcoxistante. Ainsi en est-il dans la
suite du recit de la Genese, oîi l'on voit Dieu travaillant sur
Ia terre qu'il a creee. L'Ecriture ne se tait que sur le neant, et
c'est au neant qu'on arrive, en derniere analyse -, comme point
de depart de I'operation divine. D'ailleurs une presomption ^
en faveur de la creation ex nihilo resultc du futur aneantis-
sement du monde, predit en maints passages de l'Ecrilure. On
ne saurait admettre que. d'une matiere sana commencement,
Dieu ait tire une oeuvre destinee â perir, donc moins parfaite
que son principe. Ilermogene n'aperşoit pas Ies multiples
contradictions ou ii tombe ■'', quand ii essaye de decrire I'ope-
ration divine. Tout autre est la notion fournie par Ies prophetes
ot Ies apotres ^ : lâ du moins apparaissent Ies attributs divins,
sous leurs aspects multiples, que Tertullien designe par Ies
mots : Sophia, Valentia, Sensus, Sermo, Spii-itus, Virt.us. La
nature visible revele Ies perfections invisibles de Dieu (Rom. 1,
20; 11, 33); si l'on remonte k son origine, on voit qu'elle sort
du neant.
La ret'utation d'Hermog'ene, qui pratiquement divinisait la
maliere, a fourni ă Tertullien Toccasion de mettre en lumiore
Ies attributs physiques de Dieu. A propos de Marcion, ii tou-
chera aux attributs moraux.
3° L'lieresie de Marcion, comme celle d'Hermogene, avait
pour point de depart un effort pour resoudre le probleme du
mal ''. Mais tandis qu'IIermogene cherchait â combiner le
avnicul <>xpliqu('s : hi Ao-^tf. JIais ils ne s'etaicnt pas avises d'y chcrcher
un piincipe materiei.
1. //. 21 sq.
2. Ih. t!3.
;!. Ib. ?A.
4. Ib. 35 sq.
5. Ib. 45.
6. Du moins Tertullien presente ainsi la genfese du marcionisme (1 M.
2). Mais ii est fort possible que Ies considerations scripturaires aicut
prime toutes Ies atitres dans la pensee de l'hcretique. Voir siu' ce point
Th. Zahn, Gcschichle des A'. '/'. Kanuus, 1, 2, p. 586.
DUALISME DE MARCIOX. 5l
cliristianisme avcc l'liylozoisme des anciens philosophes,
Maroion ' admettait resolumcnt un dieu distinct, principe du
mal.
Cet armateur de Siuope dans le Pont-, d'abord bienfailevir
do TEglise, puis apostat et. chef de secte â Rome sous le regne
d'Antonin (138-161), avait devoloppe sa doctrine dans le livre,
aujourd'hui perdu, des 'Avriestrei?. oii ii opposait le Nouveau
Testament â l'Ancien ^. 11 admettait pour l'ancrenne Loi, un
dieu rigoureux, createur du monde; pour la nouvelle, un dieu
bon, manifeste cn Jesus-Christ. L'austerite qu'il affectait ut la
fortune de la secte. Au debut du troisicme siocle, Marcion
etait mort; raais ses doctrines demeuraient un danger pour
TEglise. 11 n'est point d'adversaire contre qui Tertullien ait
plus bataille. Non content de lui lancer bien des traits cn pas-
sant, ii le refuta methodiquement jusqu'â trois fois. Nous
possedons sa derniere redaclion, en cinq livres : c'est le plus
etendu, et, au point de vue dogmatique, le plus important de
ses ouvrages. Comme ii reproduit plusieurs dcveloppements
du trăite contre Ilermogene, nous nous attacherons surtout
aux parties originales.
Lo premier livre est une refutation du dualisme marcionite.
Partant de la sentence cvangelique '' : un bon arbre ne saurait
produire que de bons fruits (Mat. 7, 18), Marcion rencontro la
parole d'Isaîe : C'est moi qvii produis le mal (îs. 45,7); ii en
conclut que le Dieu createur de l'A. T. n'est pas l'auteur du
bien. Dans le Clirist, ii trouve au contraire une disposition
toute bienveillantc, et ii en conclut que le Cbrist est une reve-
lation du dieu bon. Avec ce ferment d'lieresie, ii corrompra
tonte la foi. Or la verite chretienne •', repond Tertullien,
declare' expressement : Dieu est un, ou ii n'est pas. En effet,
1. Sur Ia littcraturo marcionite, voii- Haniack, ACL, 1, p. 191 sq. —
Avânt Tertullien, saint Justin avait ccrit un Antimarcion (cite par Ire-
uee, 4,6, 2). Saint Irenee, dans ses livres contre Ies hercsics, faitaussi une
grande part a la controverse marcionite.
2. 1 M. 1.
3. Les alterations que Marcion faisait subir â la parole de Diea seront
signalecs plus loin (eh. IV et V).
4. 1 .V. 2.
5. 1 .1/. 3.
52 TIIEOLOGIK DE TERTULLIEIV.
nous concevons Dieu comme un etre souverain, eternei, qui
ne doit rien ă personne. Un tel etre est necessairement unique :
car par le seul fait d'avoir en face de lui un sccond etre sem-
blable, ii cesserait d'etre souverain. Et qu'on ne parle pas de
deux dieux ' souverains chacun dans sa sphere, comme deux
rois dans leurs royaumes respectifs. Car la souverainete des
rois de la terre est toute relative et finie : l'argument pour
Funite de Dicu repose precisement sur ce que Dieu est un etre
absolument incomparable en sa solitude. Et puis, pourquoi
s'arreter en si beau chemin ^? Si l'on fait tant que d'admettre
deux dieux, pourquoi pas trois, pourquoi pas quatre, pourquoi
pas trente, autant que de marcassins â la truie d'Jînee ? Le gnos-
tique Valentin n'a pas craint d'aller jusquo-lă. Mais, dira-t-on,
Ies dieux de Marcion sont inegaux ^. Tertullien s'empare de
cet aveu quele Createur est Dieu, et pose le dilomme : ou bien
Ies dieux de Marcion different entre eux, et le moindre des
dieux n'est pas un dieu veritable, ou bien ils ne different nullo-
ment et ii n'y a aucune raison de partager entre eux la souve-
rainete. Les marcionites s'on vont repotant qu'ils ont un dieu
nouveau '', et s'en montrent aussi fiers que des enfants d'une
paire de souliers neufs. Mais cette nouveaute meme les con-
damne. Pourquoi les dieux des Gentils, y compris Saturne,
sont-ils de faux dieux, sinon parce que leur divinite eut un
commencement? Dieu n'a pas d'âge, parce qu'il est eternei.
J.'ontends bien, poursuit Tertullien, en quel sens ce dieu est
nouveau ^ : c'est qu'on a reconnu recemment son existence.
Ils oublient qu'un dieu vrai ne saurait etre inconnu. De par la
creation '', le vrai Dieu est connu de tous. II ne faut pas faire
commencer son culte â Moise, d'autant que Mo'ise montre Dieu
connu d'Adam des l'origine du monde. L'âme humaine a regu
en dot la connaissance de Dieu: cette connaissance est au fond
de la creature raisonnable. Le dieu de Marcion n'a rien cree '.
1. 1 .)/. 4.
2. 1 /*. 5.
3. 1 /h. (J-7.
4. 1 Ib. 8.
5. Ib. 0.
(). Ib. 10.
7. Ib. 11.
DUALISME DE MARCION.
Pourquoi? C'etaitpourtant le vrai moyen de se faire connaître.
II scmble meme qu'il eut du croer avec d'autant plus de magni-
ficence qu'il est, d'apres Marcion, au-dessus du Createur. II ne
Ta pas fait. Est-ce faule de vouloir? Est-ce i'aute de puissance?
En tout cas, ce dieu etranger a mauvaise grâce ^ â venir
reclamer I'hommage de rhomme, qui ne le connaît pas et qui
ne Iui doit rien. Cest de sa part effronterie ou malignite.
Quand on Ies presse lă-dcssus, Ies marcionites prennent des
airs dedaigneux -, et se mettent ă medire de la creation,
commc d'une oeuvre peu digne de Dieu. On pourrait se preva-
loir contre eux de cette reponse, et leur demander comment,
malgre tout, ils admettent la divinite du Createur. Mais â quoi
bon? L'humanite tout entiere proteste, pleine de respect pour
la sagesse empreinte dans Ia creation. Elle est si eloignee d'en
medire qu'elle a souvent divinise F oeuvre au lieu de l'ouvrier^.
Le dedain qu'affectent Ies marcionites '' serait d'un orgueil i'ou
s'il etait sincere. Au fond, c'est pure bypocrisie. Mais ii faut
suivre dans le detail " cette theologie bizarre. Le dieu bon s'est
revele par son Christ la douzieme annea de Tibere " ; toutefois
sa propre substance est demeuree inoonnue jusqu'â Fan 15 de
Septime Severe '' . Et quelle complication ! Ce dieu a son
monde et son ciel, superieurs â ceux du Createur : ainsi inter-
vient le lieu, eternei lui aussi, consequemment dieu. Chacun
de ces deux dieux travaille sur une matiere eternelle, conse-
quemment divine. Et Ia matiere soumise â I'operation du
Createur renferme en outre un element eternei lui aussi, le
mal. Cela fait pour l'etage superieur trois dieux : Fouvrier, le
lieu, la matiere ; pour Fetage inferieur, quatre : le Createur, le
lieu, la matiere, le mal. A quoi ii faut ajouter deux Christs :
celui du N. T., qui apparut sous Tibere, et celui de FA. T.,
1. 1 M. 1-2.
2. Jb. 13.
3. Suite do ce developpement. eh. IU, § 1. p. 106. ^
4. 1 M. 14.
5. Ib. 15.
6. Ou la quinziemc, d'apres 1 M. 19 et 4 ii/. 7. Si nos textes sont oxacls,
ii faut admettre qu'ici TertulUen corrige taciternent la donnce inarcionitc.
— Cf. d'ailleurs e. IV, p. 16.5.
7. 207 ap. J. C. Ce texte date rAntimarcion, du moins quant au I" livre
o4 THEOLOCIIÎ DE TERTULLIEN.
que le Createur a promis et qu'on attend toujours. Voilâ donc,
de compte fait, neuf dieux, quoi qu'en dise Marcion. Mais le
marcionisme se ravise \ et assigne â son dieii, comme domaino
propre, Ies choses invisibles, le monde visible apparLenant au
Createur. Comme s'il n'etait pas plus naturel d'attribuer, avec
saint Paul (Col. 1, 16) l'un et l'autrc domaine au Createur,
d'autant que ce Dieu a fait ses preuves dans Ia production du
monde visible, et que la diversite eclate partout dans son
oîuvre (Eccli. 11, 14; Îs. 45,7). — 11 suffit â notro dieu 2, disent
Ies marcionites, d'avoir opere la redemption de Thomme. ■ —
Prouvez donc d'abord qu'il existe; puis nous verrons s'il a
rachete le genre humain. E^n attendant nous refusons d'ad-
mettre que, existant des Forigine des tcmps, ii ne se soit pas
revele, quand l'liomme avait un si prcssant besoin de sccours.
— 11 est vrai, reprennent-ils, notro Dieu no s'est pas revele
des le commencement^, ni par voie do creation, mais ii s'est
manifeste ă son lieure par Jesus-Chrisl. — Ainsi l'Esprit du
salut est descendu du ciel l'an 15 de Tibere, et sous Anlonin
le pieux, c'est-â-dire plus de 115 ans aprcs Tibere, Marcion
l'a fait connaître. Sa pretendue manifestation par le Christ
etait donc jusque-lâ non avenue, car, 11 faut bien le remarquer,
la separalion de la Loi et de l'pA'angile est l'oeuvre propre et
principale de Marcion. Cela, ses disciplcs le nient '* : â Ies
entendre, Marcion ne serait pas un novateur, mais bien le
restaurateur de l'ordre trouble. lls comparent son attitude â
celle de saint Paul, rappelant saint Pierrc et Ies autres colon-
nes de l'apostolat ă la verite de l'Evangile (Gal. 2). Tertullien
proteste : ii admet que, dans cette circonstance, Paul se laissa
entraîner par mie ferveur de neophyte ' â blâmer chez autrui
une condescendance que lui-meme devait imiter plus tard,
mais ii tient k venger la predication de l'Apotre d'uno compa-
1. 1 .1/. IG.
2. n. 17-18.
.3. Ib. 19.
4. n>. 20.
5. Ferventei', ut adliiic neopliytus. — Tertullien admet Ici que, dans cot
cpisode de Ia predication apostolique, saint Paul n'eut pas le beau rolo.
Cf. Neander, p. 123-125. — Plus tard ii adoptera d'autrcsvucs (5M. 3, infr.
eh. IV, § 1, p. 177).
BCALISME DE MAECION. 55
raison et d'un soupQon injurieux. Paul s'etail mis d'accord avec
Ies chefs de l'Eglise pour la propagation de l'Evangile ; scu-
lement ii cruţ devoir rappeler ce qu'on avait parfois semble
meconnaître en pratique : la declieance des rites mosaîques,
annoncee par Ies prophetes. En quoi ii reiidait hommage au
Dieu unique de l'un et de l'autre Testament. Si Paul avait
annonce un dieu nouveau ' , sa predication en garderait la
trace. Or ii n'en est rien. La discipline seule a change; Ies
controverses de ce temps portaient sur des observances et
sur quelques points secondaires de dogme, nou sur Dieu.
iVujourd'hui Ies eglises apostoliques sont unanimes ă honorer
le Createur dans le Christ - : tant la tradition apostolique
condamne Marcion et son dieu nouveau. Mais on ne peut
avoir completement raison de cet Antechrist •' sans le suivrc
sur son propre terrain et examiner de plus preş son dieu.
A ce dieu manque d'abord la bonte. Car ii est reste des
siecles sans agir, laissant l'hommc en proie â bien des
maux. La bonte ne lui est donc pas naturelle. Celle qu'on lui
attribue serait une bonte deraisonnable '' : apres etre demeuree
si longtemps inerte, quand elle s'cxerce enfîn, c'est pourentre-
prendre sur le domaine du Createur et lui soustraire sa crea-
ture, sous pretexte de la sauver. Comment qualifier un tel
procede? Co serait de plus une bonte imparfaite ^ â plus d'un
titre. D'abord parce qu'elle no s'exercc pas en faveur de tous
Ies hommcs : tous ne seront pas sauves. Puis parce que, la oîi
elle s'exerce, elle alteint seulement l'âme et abandonne le
corps. Enfin parce qu'elle livre Lhonime ă toutes Ies incommo-
dites de cette vie. Donc la bonte manque au dieu de Marcion.
Mais la bonte n'cst pas tout " : nous voulons qu'elle s'allie â
bien d'autrcs dispositions, que Ies marcionites renvoient avi
Createur. Nous voulons. non un dieu faineant â la mode
1. 1 .1/. n.
2. Nullam apostolici census occiesiam iuvenias quac nou iii Creatoro
cliristianizet.
3. 1 M. 22.
• 1. rt.23.
Tj. /b. 21.
6. Jb. 25.
5G THKOLOGIE DE TEUTULLIEN.
d'Epicure, mais un dieu capable de volonte, de passion, d'e-
nergie, de colere : voilâ notre Redempteur. Marcion retranclie
tout cela ă son dieu \ Ce dieu porte des lois, mais ne tient
pas la main â leur execution. Outre qu'il joue un personnagc
ridicule '■', ii laisse libre carriere au mal. Rien n'empeche Ies
marcionites de se lancer dans tous Ies desordres, sinon un
reste de crainte. Au fond, ils manquent de sincerite. Ils ne
peuvent s'empeclier de croire qu'il y a une justice et un juge.
Mais quel moyen ^ pour leur dieu bon-enfant de châtier Ies
coupablcs? Aucun autre que de Ies livrer au dieu createur, qui
Ies plongera dans sa gcbonne, â moins qu'il ne pardonne Ies
trahisons commises envers son rival. En somme, ce dieu est
rincoherence meme. On ne voit pas ce qu'opere son bapteme,
ni pourquoi ii soumet k ce rite la cliair, qui, selon Marcion.
n'a pas de salut â esperer. D'autant qu'il met a. ce bapteme ''
des conditions d'unc rigueur excessive. II exige au prealable
la rupture du licn conjugal. II condamne purement et simple-
ment le mariage, sans tenir comptc do son institution divine
(Gen. 1, 28). Ce n'est pas ainsi que l'entendent Ies vrais
chrctiens. Ils distinguent precepte et conseil, et par lâ momo
gardent unc place ă la vcrtu de renoncement. Enfin Marcion
ne propose rien moins que l'extinction du genre Immain :
meurtrier k sa maniere, nouveau Pharaon.
Apres avoir, dans un premier livre, fait le proces du dieu
de Marcion, Tertullien en consacre un second '■' a venger le
Createur, mcconnu par Ies lierctiques. II faut, dil-il, prouver
â ces aveugles qu'il y a un soleil : car oubliant celui qui nous
eclaire, ils lui substituent un soleil de leur invention. Ils en
veulcnt surtout a la bonte du Createur. Cette bonte apparaît
dans son oeuvre ", avec son existence meme. Rlle porto Dieu
a se manifcster par la creation ; avec cette premiere manifes-
tation, le temps commence. Entre autres bienfaits divins^,
1. 1 M. 20.
i. Ib. 27.
?,. Ib. 28.
1. Ib. 29.
5. 2 M. 1-2.
6. Ib. 3.
7. Ib. 4.
DUALISME DE MARCIOX. 57
rhomme regut Io don de la liberte : Tabus qu'il en fit^ des le
paradis terrestre, l'ut cause de sa ruine : ni la bonte de Dieu,
ni sa prescience, ni sa puissance n'est ici en defaut, mais seu-
lement le libre arbitre de Thonime, cree par Dieu responsable
de son choix. Et qu'on n'aille pas attaquer* l'institution meme
du libre arbitre : rien ne convenait plus â l'homme, image de
Dieu, que de regner sur lul-meme. Dieu constitua pour lui
ce fief du libre arbitre, afin de rendre rhomme capable
d'un bien qui lui appartînt en propi*e. Par la, et par lă seu-
lement, Tho-mmc peut pretondre au merite. II y aurait injus-
tice â condamner rinslilution sur Io mal qui, de fail, en est
sorti; on doit au contraire, une fois reconnue la bonte de
l'institution, en accepter Ies consequences. Don o la bonte de
Dieu est sauve ^, et sa prescience et sa puissance. Ceci pose,
la dignite de Dieu et sa constanco dans ses desseins exigent
qu'il n'intervienne pas â chaque instant pour corriger son
02uvre et entravcr le libre jeu des forces qu'il a creees : Mar-
cion, tout le premier, taxerait cette conduite de legerete. A
rhomme donc d'user convenablement du pouvoir mis en ses
mains'' : par lâ ii peut remporter de glorieuses victoires. Mais,
dira-t-on, ii reste que l'âme •', souffle de Dieu, se souille par
le peche ; et la souillure rejaillit sur Dieu meme. Que l'âme
soit un souffle de Dieu *, repond TertuUien, encore n'est-elle
pas Dieu meme; et Ion ne saurait exiger qu'elle reproduisc
rimpeccabilitc de Dieu. L'abus qu'elle fait du libre arbitre de-
meure exclusivement â sa cliarge. Une autre maniere d'atta-
quer Dieu ' consiste â lui reprocher d'avoir cree le diable,
auteur de tout mal. Ici encore ii faut distinguer entre Ies dons
de Dieu qui, chez le diable, sont eminents (cf. Ez. 28, 12 :
le prince de Tyr) et ce que le diable y a ajoute du sien, c'est
k direle mensonge : encore unfruit du libre arbitre. D'ailleurs
1. 2 M. 5.
■L n. 6.
3. Ib. 7.
4. Ib. 8.
5. Ib. 9.
6. Sur la naturc de l'âme, v. cli. III, S 2.
7. 2 M. IO.
58 THIÎOLOGIE DK TEIiTULLIEN,
riiomme pcut, avec Ies memes armes, infliger une defaite liu-
miliante au diable qui Ta vaincu, ct dans cette revanclie la
Providencc divine trouve uno eclatante justification. — Avec
le peche de riiommo apparaît la vengeance de Dieii ' : loin
de s'opposer ă la bonte, la justice en est inseparable, comme
le zele qui poursuit le mal et favorise le bien. Cela suilit â
condamncr ^ le systeme qui, admcttant dcux dieux, attribue
a l'unla bonte, a l'autre la rigueur. Terlullien voit une oeuvre
de justice dans le travail de distinction que Diou, des la crea-
tion, opera entre la lumiere et Ies tenebros, entro Ies divers
elements, entre tous Ies etres differents de nature et de pro-
portions. La bonte produit, la justice partage. La justice a
preside a toute l'oeuvre deDieu. D'ailleurs, depuis l'origine du
mal ^, cile se voit devolu un nouveau role : mise au service
de la boule, elle doit contenir le mal par la crainte du châti-
ment. Contre tant de seductions, le bien seul eut etc desai'mc :
c'est pourquoi Dieu a fait appel ala justice. La justice est la
plenitudc de la divinite, deployant avec ordre toute son ener-
gie bienfaisante. A ce propos, ii faut refuter uno calomnie
des heretiques ''. Abusant de quclques textes scripturaires
(comme Îs. 45, 7) ils font Dieu auteur du mal. En quoi ils
omettentde distinguer le mal de la l'aute, qui a sa sourcc dans
l'inspiration diabolique, du mal de la pcine, qui seul procodc
de Dieu. Le juge est juste, ii est severe 'K En particulier, ii
châtie Ies i'autes des peres dans ies enfants. Et poiirquoi pas?
Si Ies benedictions accordees aux peres s'etendcnt â leur
posterite, pourquoi pas aussi Ies disgrâces? Toutefois cette
rigueur a pris fm avec la loi de crainte : desormais nul
n'est plus châtie que pour ses fautes personnelles (Jer. .31, 29).
Seuls Ies ,luifs portent encore la peine du sang de Jesus ,
qu'eux-mâmes ont appelee sur leurs fils (Mat. 27, 25). Avec
la severite *', ii -faut admettre en Dieu tous Ies accessoires
1.2i/. 11.
2. 76. 12.
3. Ih. 13,
4. Ib. 11.
5. Ib. Io.
(3. Ib. 10.
DUALISME DE MAUCION. 59
de la severite : colere, zele, rigucur. On ne peut pas plus
Ies rcprocher au jugc qu'on ne rcproclie au chirurgien
ses Instruments qui coupcnt et qui brulent. Le Dieu des
chretiens n'est pas un dicu faineant, un ,dieu d'Epicure ou
de Marcion; ii a loutes Ies passions de l'humanite, d'ail-
leurs sans melange d'infirmite liumaine. Ainsi a-t-il egale-
ment •* Ia patience, la misericorde et tous Ies accessoires de
la bonte ; n'en deplaise aux heretiques, qui ne veulent recon-
naître dans le Oeateur rien de tel, malgre tant d'exemples
insignes dans l'A. T. Mais Marcion veut absolument "^ trouvcr
le Createur en faute. II lui reproclie la loi du talion (Ex. 21,
24), simple concession temporaire en vue de Tinteret general
(Deut. 32, 35 ; Rom. 12, 19), destineo â disparaître avec des
preceptes temporaires d'abstinence (Ex. 32, 6), avec Ies sa-
crifices de l'aneienne Loi. Oubliant tous Ies temoignages de
la bonte du Createur^, Ies marcionites, pareils â des seiches'',
ne cessent de vomir de noires calomnies. Parmi Ies points
qu'ils attaquent, Tertullien releve et justifie : la permission
donnee aux Israelites d'emporter Ies vases sacres des Egyp-
tiens, Ia violation du repos sabbatique •' lors de la prise de
Jericho, de pretendues concessions a l'idolâtrie *, en matiere
d'images et de sacrifices, Pinconstance du Dieu d'Israel envers
Ies personnes ', qu'il exalte pour Ies abandonner cnsuite, son
repentir ^, mentionne en divers passages de.l'Ecriture, ses pe-
tilesses et ses ignorances ■', indignes de la majeste divine. Ies
serments oii ii jure par lui-meme '", la dofense f'aite â MoTse
d'interceder pour son peuple coupable, rimmiliation "■ qui le
reduit, dans Ia personne du Christ, aux proportions de l'hu-
1.-2M. 17.
i. Ib. 18.
a Ib. 19.
I. Ib. '20.
5. /*. 21.
0. Ib. 22.
7. Jb. 23.
8. Ib. 24.
9. Ib. 25.
10. Ib. 26.
II. /ft. 27.
60 THEOI.OGIE DE TEUTULLIEN.
manite. Marcion s'applique â relever des contradictions entre
le dieu de l'A. T. et celui du N. T., et c'est do quoi ii remplit
son livre des Antitheses. A son tour, TertoUicn' pourrait relever
des incolierences plus reelles dans Fhistoire du Dieu de Mar-
cion, et composer lui aussi des Antitheses. Mais c'est attachcr
trop dimportancG ^ â nne doctrine qui se dotruit d'elle-m6me.
En effet, soit qu'on parte de la bonte, soit qu'on s'attaclie â
la justice, par Tone et l'autre voie on arrive au Dieu supreme,
en qui tous ces biens se trouvent rcunis. C'est mcme le propre
de Dieu de manifester tour â tour Ies attributs Ies plus con-
traires. Le monde lui-meme ofTre le spectacle de ces diversites,
fondues dans un harmonieux ensenible. Marcion a oubliu de
montrer, k câte d'un Dieu de la lumiere, un dieu des tene-
bros, et de dire que c'etaient lâ deux dieux distincts ! Ces an-
titheses sont en realite le fait d'un ordonnateur supreme.
Les trois derniers livres contre Marcion se rapportant â la
personne du Christ, ii en sera question dans un chapitre sui-
vant.
4° Si le christianisme batard de Marcion affectait certaines
allures scientifiques, la gnose de Valentin''^ appartient tout
entiere â Ia plus nebuleuse theosophie. Saint Irenee lui avait
fait riionneur d'une exposition et d'une discussion ] Tertullien
se contenta d'une .parodie, dont ii emprunta les materiaux ă
l'eveque de Lyon. Nous ne nous attarderons păs â suivre le
developpement d'une doctrine qu'il n'a pas prise au serieux.
Dans les trente Eons du plerome valentinien, on reconnaît
des aspects successifs de l'Etre divin', tires du domaine de
l'abstraction et eleves au rang d'hypostases par des personni-
fications conformes au genie oriental. Le fond du systeme est
un pantheisme idealiste, excluant toute realite distincte de
1. 2 M. 28.
2. Ib. 29.
3.Sources do la litteraturc valcntienne, dans Hai-nack.4 C L. t. 1. p. 171-
184.
4. Le symbollsme valentinien a ete ctudie avec beaucoup de profon-
(lour par Ritter, Histoire de la phikisophie ckretienne, t. 1 (trad. fr., Paris
1844, p. 171-256). — Voir Freppel, sainl Irenee {Vms, 1861), 12' looon; Le-
lianneur, Le trăite de Tertullien contre les Valenliniens (Caon, 1886).
ESSEKCE DIVINE. <jl
Dieu ; la surface, constellee de syzygies, ou couples d'Eons,
justifie le nom de f'ahle milesienne , donne par Tertullien' â
ce roman metaphysique.
Au reste, ce n'est pas chez Tertullien, ni meme chez Irenee,
qu'ilfaut chercbor la verite complete sur Valentin et son ecole;
on Tentrevoit mieux dans Ies trop rares fragments qui nous
restent de ces gnostiques -.
III. lîSSENCE DIVIKE ET ATTRIliUTS DIVINS.
De Fanalyse du livre contre Ilermog-ene et des deux prc-
miers livres contre Marcion, on peut degager Ies principales
doctrines de Tertullien sur Tessence divine et Ies attributs
divins.
L'essence divine est unc, â raison de son excellence incom-
parable ; elle est simple, car tout ce qui est en Dieu est Dieu
meme. Herin. 4 : Quod si Deus est, unicum sit necesse est, ut
iinius sit : aut quid erit unicum et singulare, nisi cui nihil
adaequabitur ? quid principale, nisi quod super omnia, nisi
quod ante omnia et ex quo omnia ? Haec Deus solus ha-
bendo est, et solus habendo unus est. Si alius habuei'it, tot
jam erunt dii quot hahuerint quae Dei sunt.
Dieu est esprit : Tertullien le repete ă diverses reprises
[Ap. 21 : Deus spiritus; Prax. 7 etc.) Mais cette assertion
bien nette se heurte ă d'autres assertions quelque peu deconcer-
tantes : Dieu estcorps, tout ce qui existe est corps. Si roncher-
che ă eclaircir ce que Tertullien entend par esprit. on setrouve
enpresence d'une double serie de textes : l'une oii Ies esprits
sont ranges dans la categorie des corps, l'autre oiileur nature
et leur operation sont decrites en termes d'un materialisme
etonnant^. Commenţons par produire la premiere serie de
textes :
1. An. 23,
2. Voir l'etude penetrante, mais fort avonturoiisc, de JI. E. de Faj-e, dans
Revue de l'histoiredes religions, t. 46 (1902), p. 370-399.
3. Voir sur ceWc question : Pamcl, Paradoxc 15; Petau, Dogmala Iheo-
logica, 1, 2, c. 1, n. 5-7; avcc Ies notes des (kliieurs romains; Le Nourry,
62 THEOLOGIE Di: TEllTULLIEN.
Herm. ou : Nisi fallor, ornnis ros aut corporalis aut incorpoi-alis sit no
cesse est (ut conwidam intcrim csse aliquid inoorporale de substantiis
dumlaxat. cum ipsa substantia corpus sit rei cujusque) : certe post cor-
porale et incorporale nihil tertium. — 5 M. 15, sur 1 Thcss. 5, 23 : Ani-
mam posuit et corpus, tam duas res quam diversas : licct enim ot anima
corpus sit suae qualitatis, sicutet spiritus, cum tamen ct corpus et auima
distincte nominantur, liabet anima suumvocabulum proprium,non egens
communi vocabule corporis; id reliuquitur carni quae, non nominala
proprio, communi utaturnecesseest. Etcnimaliam substantiaminhominc
non video post spiritum ot animam, cui vocabulum corporis accommode-
tur, praeter cariuma. — e. C. 6 : Constat angelos carnem non propriam
gcstasse, utpote naturas substantiae spiritalis, etsi corporis alicujus, sui
tamen gencris, in carnem autem traiisfigurabiles ad tcmpus, ut vidori et
cougredi cum lioiviinibus possent; ib. 11 : Omncquod est, corjius est sui
generis. Niliil est inoorporale nisi quod non est. — R. 33 : Cum enim
utrumquo pi'oponitur, corpus etanimam, ostendi in gehennam, distingui-
tur corpus ab anima, et relinquitur intcUcgi corpus id quod in promptu
sit, caro se. ; cf. ihid, 35. 53. — Prax. 7 : Quis negabit Deum corpus esse,
etsi Dcus spiritus est? Spiritus eniur corpus sui generis in sua effigie.
II rcssort de ces textes que Tertullien emploie le mot corpus
tantât au sens special de corps (par exemple lorsqu'il l'opposc
ârâme), tantot au sens plus general de substance : simple bi-
zari'erie de langage qui peut-6tre n'interesse pas le fond des
choses. Voici maintenant d'autres textes plus embarrassants,
parce que le caractere materiei de l'esprit y semble marque
plus clairement. l*]tudiant, dans le de anima, la substance
spirituelle, Tertullien pose des principcs universels qu'on a
droit d'appliquer â Dieu, car ii ne prevoit aucuiie exception.
Apres avoir rappele ^ que, selon TEcriture, l'âme ne doit
point son origine â la matiero, mais au souffle de Dieu, ii se
separe expressement de Platon -, ArisLote et autres philoso-
phes spiritualiste» qui regardent l'âme comme incorporelle.
II adopte •'. ou peut s'en faut, le concept stoîcien de l'âme
Dissertalio ia Q. S. F. TertuUiani Apolof/elicum, diios ad Nationes lihrus
et unum ad Scapidam, (reproduite dans Migne t. 2ct dans Oehler t. 3), c.
7, art. 3; Freppel,t. 2, lecons 32 et33; G. Esser, /)!'<; Seeleniehre TeriuUianx
(Paderborn, 1893) notammcnt p. 48 sq. Nous aurons plus d'uno occasion de
oiter cette etudo remarquable, qui n'eclaire pas seulement Ia psychologio
de Tertullien, mais toute sa pliilosopliie.
l.An. 3.
2. Ib. 4.
3. Ib. 5.
ESSENXE DIVIXE. 03
souffle corporel, combat Ies objections platoniciennes ', ct
croit trouver dans Tevangile du mauvais riclie - la preuvo
scripturaire que l'âme est un corps. Cette ârae damnee souffre,
dit-il : or rien ne souffz'c, que Ies corps; celle âme bienheu-
reuse jouit : or rien ne jouit, que Ies corps. An. 1 : Per quod
enim punUiir aut fovetur, hoc erit corpua... Igitur si quid
torinenli sive solacii anima praecipil in carcere seu diversorio
inferum, in igni vel in sinu Abrahae, probata erit cor por a-
litas animae. Incorporalitas enim nilul palitur, nan hahans
per quod pati possit, aut si habet, hoc erit corpus. In quan-
tum enim omne corporale passibile est, in tantum quod pas-
sibile est corporale est. Venant a la description de ce corpus
sui generis qu'est l'âme •'', ii lui assig-ne vine attitude, des li-
mites, trois dimensions, et meme, d'apros Ies revelations de
ccrtaine voyante, une figure coloree. Tont cela paraît bien
eloigne de la substance purement spirituelle. En particulier,
ce principe : Omne corporale passibile est, rapproclie de
Tassertion : Deus corpus est, introduit un g*rand desordrc
dans la doctrine sur Dieu. Saint Augustin Tavait parfaite-
ment senti ''', et deja ii chercliait le moyen de resoudre cette
contradiction. Celui dont ii s'avisa revient â prendre corpus
au sens de substance, comme nous l'avons fait plus haut '■' ;
et ce moyen paraît insufiisant. Petau, desireux lui aussi
d'excuser Tertullien, s'est souvenu ă propos d'une belle page
de rAntimarcion, oii est marquee la difîerence qui separe Ies
passions en Dieu des passions de mame nom dans l'homme *'.
1. .1)1.0.
2. Ib. 7.
3. Ib. 9.
•1. U (icrit, De Ginesi adliUerani, 1. 10, c. 25 : Nequc enim arbiti'or cum
ito (lesipuisso ut etiam I)ei naturam passibilem crederet.
5. Saint Augustin, IJe haercsibus ad QuodvuUdeum, 86 : Potuit enim
jiropterca putari corpus Deum dicere, quia nou est nihil, non est iuanitas,
non est corporis vel animae qualitas, sed ubiquo totus et per locorum
spatia nulla partitus, in sua tamen natura atque substantia immutabiliter
pormanct.
0. 2 M. 10. Terlullion s'indigne contre ceux qui ne compi-endraient
pas : Stultissimi qui de humanis divina praejudicant, ut quoniam in )io-
niine corruptoriae condicionis habentur hujusmodi passiones, idcirco et
in Dec ejusdem status oxistimentur Et haec ergo imago censenda est
64 THEOLOCIB DE TERTULLIEN.
Et ii observe justement qu'on peut appliquer la meme distinc-
tionavi mot corpus, selon qvi'il designe Dieuou Târne humaine.
L'ideeestcertainementhGurense,etellefoumituneinterprctalion
plausible pour certains passages d'un antliropomorphismo tres
hardi, par exemple cette description de l'operation divine dans
la producţie n du premier homme^ : Limus in manus Dei,
quaecnmque sunt, pervenit, satis beatus etsi solummodo con-
tactus. Quid enim si nuUo amplius opere stalim ftgmentum
de contacta Dei constitisset P Adeo magna res agebatur, qiia
ista materia exstruebatur. Itaque totiens honoratur quo-
tiens manus Dei patitur, dum tangitur, dum decerpitur, dum
deducitur, dum effingitur. Recogita totum illi Deum occupa-
tum ac deditum, mânu, sensu, opere, consilia, sapientia,
providentia, et ipsa imprimis affectione, quae lineamenla du-
cebat. 11 est bien entendu que ce travail du potier ne doit pas
se prendre au pied de la lettre; nous sommcs donc ici en pre-
senco de simples analogies. La meme observation permet do
comprendre comment Tertullien a ^u'^d.vXevă'ymDeus passibi-
lis. Si Dieu souffre, ce ne sera pas a la fagon de l'homme ^:
[Deus] omnia patitur suo more, quo eum pati condecet, prop-
ter quem homo eadem patitur aeque suo more ^ .
Accordons â Tertullien, comme l'a fait Petau, le benefice
d'une intcrpretationfavorable. Maintenant si Fon veut expliquer
ce quepresente d'insolite son langageau sujet des purs esprits,
ii faut probablement tenircompte de plusieurs influences. D'a-
bordunecertaine impuissanced'espritâconcevoirrimmateriel'.
Dei in homine, quod eosdem inotus et sensus habeat tiumanus animus
quos et Deus, licet non talcs qualcs Deus; pro substantia enim ct status
eorum et exitus distant.
1. R. 6.
2. 2 M. 16.
3. Dans Ies Tractatus Origenis de libris SS. Scripturarum, recemment
odites par Mgr fîatiffol (Paris,1900), ii est question exprofesso de ce genre
d'antiiropomorphisme. Tract.l, p. 1-3. 10. 11.
4. Philon remarque cette faiblcsse de certains esprits, incapables de
concevoir meme Dieu comme immatcriel. De Somn. 1 (Mangey, 1 p. 656) :
HSei yâp Tivx; â|x6>,EÎ; itâvu TCt; qpuo-ei;, w; uf, âOvauOat Oeov «veu <7M[iaT0ţ iTii-
^oy;<jai t6 itapâuav. Plus d'un Pere participe plus ou moins â cette dispo-
sition. Nous connaissons par Ia refutation d'Orig-cne l'ouvragcquc Meliton
avait intitulo : ITepl toO svdMfAaTov sX-iai -riv Qeov. (P. G. 12, 03).
ATTRinUTS DIVIXS.
65
Xoiis aurons plus d'une occasion de Io constater, chez le
l'ougueux polemisLo le metaphysicien n'etait pas ă Ia hautour
du dialecticien, et l'eclat du style voile parfois insuffisamment
le vague des concepts. Puis, agg-ravant ce vice de nature, nn
fond d'education stoîcionne, qui apparaît surtout dans le de
anima. Jamais ii n'a pu s'affranchir completement du materia-
lisme '. Enfin ce realisme d'expression dont ii tire parlbis
de puissants effets, et qui volontiers trancliait le mot, fut-ce
aux dopons de Fidee. Toutes ces causes reunies marquent d'une
cerf&ine grossierete sa conception de l'essencc divine -.
l.DaiLs sa dissertation, d'ailleurs foi't int('ressantc, Die Gollcs tind Lo-
gos Lehre Tertullians, M. Stier s'applique a degager la pcnsec de TertuUicn
de touto attache stoicienne. II constate son materialismc, mais croit pou-
voir l'expliquer suffisammont par des influcnccs jud^ochretiennes : ii y
aurait simple rencontre avcc Ie stoicisme, et non pas einprunt. M. Stier
montre pari'aitement a quellc distance TertuUien fut toujours du mo-
nisme du Portique (Voir en particulier p. 11 sq.); mais ii a tort,
selon nous, do meconnaitre chez rapologisto un fonds d'idces qu'il tenait
de sa premiere education, et qu'il mele inconsciemment ala trame de son
exposition.dogmatique. Si concret qucfut d'ailleurs Iclangage de la Bible,
bien des Juiis entendaient la philosophie spiritualiste, et Philon, cite
dans notre note precedente, n'avait rien de commun avec Ic materialisme.
2. ()n pcut comparer la conception stoîcionne. Voir Diogene Laerce 7,
1, 148. — En particulier Icstoicien Antipater attribuait a Dieu une nature
aerienne : âeposi8?i... oucriav. II est int^ressant de rapprocher l'exegese,
assez ilottante mais toujours. singulicrcment matcrielle, de Tertullien sur
Ies mots Spiritus Vei dans Gen. I, 2. Voir c. V, § 3, p. 247.
M. C. Bigg (/. T. S., 5, avril 1004, p. 468) suppose que Tertullien doit au
montanisme, non sans doute sa doctrine sur la Trinite, mais Ies figures
dont il se sert pour la traduire. Cette-supposition nous parait contraire a
touto vraiseniblancc. Dans le caractere materiei de ces figures, nous
reconnaissons une influence stoicienne, mais nuliement celle de l'illumi-
nismo phrygien. II est vrai que Ie materialismc de Tertullien s'epanouit
surtout dans Ies ecrits de Ia periode montaniste; mais pour expliquer ce
fait, pas n'est besoin de fairc intorvenir la vision et Ia prophetie. Dans
Ies(>crits premontanistes, ori trouve peu de metaphysique, ct le peu qu'on
ti-ouve est deja cmpreint d'un materialisme tres prononce : signalons en
particulier Ies dtivcloppements sur spiritus dans B. 3. 4 et //. 30. 32 (voir
c. V, S 3 p. 248.). Pourtant Tertullien devait surveiller sa plume quandil
refutait le matiirialisme dTIermogene. Quand plus tard il combattra le
spiritualisme platonicien" ou gnostique (notamment dans .4 n. et c. C.), le
i-ealisme de sa pensee s'affirmera sans contrainte. Quant aux figures om-
ployces dans l'rax., elles avaient deja servi aumonismo stoicien. 51. Stier
a ete bien inspire de fairc cctte rcmarque (p. 102) ; mais il oublie qu'elle
conti'ibue â i-uiner sa propre thcorie sur la pretendue ind(';pendance phi-
losopliique de Tei4ullicn.
TIUiOLOGIE DE TERTUr.l.IEN. 5
G6 THEOLOGIE DE TERTCLLIIÎN.
Panni Ies attributs divins ^ celui qui donno la clef de tous
Ies autres, c'est l'aseite. Amene â concevoir Dieu comme la
cause premiere de toute existence, Tertullien le proclame
unique, incomparable, infini en toule sorte do perfections^. II
y a lieu de considerer en parliculier la sagesse divine dans ses
rapports avec la puissance, et la bonte dans ses rapports avec
lajustice.
Tout est raisonnable en Dien, ii est la raison meme^. Ce
principe, tres ferme dans l'esprit de Tertullien, permet de me-
surer au juste la portee de certaines affirmations trancbaiites,
qui semblent n'assigner â sa puissance d'aulres bornes qu'un
bon plaisir sans frein ■*. En realite, l'idee d'une volonte desor-
1. Voii' Stier, op. cit. p. 51 sq.
2. Herm. 7 : Praescribo non capore uUam dimiriutionem et humiliatio-
nem quod sit aetcrnum et iniiatum : quia hoo ct Deum faciat tantum
quantus ost, nullo minoroiii iiequo subjoctiorem, immo omnibus majo-
rcm et sublimiorem.
3. 1 M. 23 : Rationalia in l")eo omnia. — Paen. 1 : Deus oiunium condi-
■tor nihil non rationc providit, diisposuit, ordinavit, nihil non ratione trac-
tari intellegique voluit.
4. c. C. 3 : Dec nihil impossibile nisi quod non vuit. Dans Ie contexte,
ii est question de i'lncarnation : Tertullien concîutdufait âîa possibilite.
— Plus etonnantos sont certaines propositions qui sombleraientsoumettre
au bon plaisir divin ce qui est d'une nccessite absolue. Ainsi Prax. 10 :
Quae instituit Deus, etiam ipse custodit. Ilabeat necessc est Pater Filium,
ut Pater sit, et Filius Patrena ut Filius sit... Hac ratione erit aliquid et
difficile l)eo,idsc. quodcunique nonfecerit,nonquiaiionpotuerit, sedquia
noiuerit. Dei enim posse, velle est, ot non posse, noile; quod autem vo-
luit, et potuit et ostendit. Ergo quia si voluit semetipsum sibi filium
facere, potuit, et quia, si potuit, fccit, tune probabis illum ct potuisso et
voluisse si probaveris illum fccisse. Tertullien pose ici un principe gene-
ral, et en fait l'application aux personnes divines. Le principe general
seul nous interesse ici. II n'y a pas de pere sans lils ni de fiissans pere :
cela tient â Tessencc meme des choses, ct ii est etrango de supposcr que
Dieu ait pose cetto loi librenaont. Quant a l'application au.'s: personnes di-
vines, elle se rattache â cettc conception de la generation temporellc du
Verbe, dont nous nous occuperons au g suivant. Sons une forme plus ge-
nerale, oile se !it deja Prax. 4 : Vide ergo ne tu potius monarcliiam des-
tr'uas, qui dispositioneni et dispensationem ejus evertis in tot nominibus
constitutam jn quot Deus voluit. — Dans une question differente, on
trouve quelque chose de semblable chez saint Irenee, qui n'admet non
plus aucune restriction au pouvoir de Dieu {Ilaer. 4, 38, I) : 'AfsvvTî™
uiripxovTi, u)ţ itpoc iauToM, Tiâ-jTa Suvatâ. Voir aussi un fragment du meme
saint Irt'nce, n. 5 dans Migne, P .G. 7, 1232. Cf. Ziegler, Irenaus der Bis-
c/iof von Lyon (Berlin, 1871) p. 103. — Sur la liberte divine, voir Stier,
p. 41 sq.
ATTRinUTS DIVINS. 67
donnee serait en Dieu un simple non-sens ; l'liypothese d'un
conflit entre la puissance et la sagesse ne se presente pas.
Non moins absurde est riiypothcso d'un conflit reel entre la
bonte etla justice. D'une part c'est labonte qui arme la justice.
m6me la justice vindicative; d'autre part la justice ne poursuit
qu'un but : le regne du bien. La bonte ne va pas plus sans la
justice que la justice sans la bonte \
Tertullien a pose le probleme du mal moral, et montro le
principe de solution dans lelibre arbitre do la creature raison-
nable, inslitution souverainement digne de la creature et de
Dieu. 11 a justifie la Providence qui, par un princijDe d'ordre
superieur, s'interdit toute immixtion indiscrete dans le domaine
de l'homme, et laisse pour un temps libre cours aux forces
qu'elle a creees^.
IV. LA TIUNriB.
A l'extreme oppose des fantaisies valentiniennes et de cette
bizarre efflorescence d'Eons, se place Praxeas, qui insista sur
l'unite divine aupoint de detruire la Trinite. Comme son con-
temporain Noet de Smyrne, Praxeas reduisait la distinction
des personnes â une question de modalite. A Rome, oîi ii fit
ecole, ii dut se heurter â l'enseignement de saint Hippolyte,
le docteur romain de Ia Trinite. Neanmoins ii paraît avoir
exerce quelque influence, probablement grâee ă l'aureole que
1. 2 3f. 11 : Nihil aemulum inali non bonum, sicut ot boni aemuium ni-
lul non iiialum. Igitur quanto raalum injustiţia, tanto bonum justiţia.
Nec spocies solummodo, sed tutela reputanda bonitatis; quia bonitas,
nisi justiţia regatur ut justa sit, non crit bonitas si injusta sit. Nihil enini
bouum quod injustum; bonum autem omnc quodjustum. — Saint Ironoc
avait deja exprime cette itensee sous une forme plus clairo (Haer. 3,
2o, 2).
2. 2 M. 1 : Si enim somol homini permiserat arbitrii libcrtatcm ot po-
testatem, el digne permiserat, sicut ostendimus, utique frucndas eas ex
ipsa institutionis auctoritate permiserat..., igitur consequens erat uti
Dens sexoderet a libertate scmcl concossa homini, id est contincret in se-
metipso et praescientiam et pra,epotcntiam suam, per quas intcrcessisse
potuisset quoniinus homo, niale libertate sua frai adgressus, in periculum
laberotur. Si enim intercessissct, rescidisse_t arbitrii libcrtatcm, quam ra-
tione et bonitate permiserat.
68 Tlliioi.OCIE DE TERTUI-LIEN.
lui avait acquise unc courte confession, peut-etro aussi pour
avoir ouvertles yeux du pape saint Zephyrin sur Ies excentri-
cites des prophetes montanistes, qu'il avait vus a l'oeuvre en
Asie. Ce dernier tort est celui que Tertullien lui pardonno le
moins. Praxoas, dit-il^, accomplit â Rome deux amvres dia-
boliques : i'expulsion de la prophetie et Iintroduction de FIic-
resie; ii mit en fuite le Paraclet et crucifîa le Pere. D'ailleurs,
avec le temps, Praxeas s'etait amendo : meme ii avait signe
une retractation, qui demeurait entie Ies mains des Psychici
(catlioliques). Cependant le ferment antitrinitaire n'avait pas
dispăru de l'Eglise, ou ii devait produire un peu plus tard
riieresie de Sabellius. Tertullien, deja montaniste, servit la
cause de Torthodoxie par un vigoureux ecrit en faveur do la
Trinite ^.
II constate, en debutant, que Ies artifices du diable sont va-
ries. Voici en effet une heresie qui s'introduit sous couleur de
monotheisme. On veut que le Pere lui-meme se soit incarno
dans le sein de Ia Vierge, qu'il soit ne, qu'il ait souffert, que
le Pere soit Jesus-Christ. La tradition chretienne ', au con-
traire, sans abandonner l'unite de Dieu mainticnt l'economie
[disjpensatio, ceconomia] de la Trinite. Elle reconnaît un Fils
de Dieu unique : c'est son Verbe, procedant de lui, par qui
tout aete i'ait (Joan. 1, 3), envoye par le Pere dans le sein de
1. Prax. 1.
2. Prax. 1 : Fruticavorant avenae Praxcanae hic quoque supersemi-
natae: ...ita aliquandiu pci'bypocrisin siibdoia vivacitate latitavit (semen),
et nune denno erupit. Sed et denuo eradieabitur, si voluerit Dominus, in
isto commeatu ; si qno niiniiş, dic suocolligentur omnesadulterae fruges,
et cum ceteris scandalis igni incxtinguibili cremabuntur. — On a sou-
vent cru trouver ici la trace d'un sejour que Pi-axeas aurait fait â Car-
thage (Voir notammont Xoeldechen, dans T. U. 5,2, p. 162, n.6). JIais
ce sejour est de jjure iraagination; en fait on ignore completement qui
importa on Afrique Ies doctrines modalistes sur la Trinite. Le mot com-
«leates, omprunte ala langucdcscamps (congemilitaire) uc designopoint
ici un voyage : sa signification est tcmporelle (laps de temps, rencontre),
comme le prouvent ropposition â die mo, et ia valeur attaciiee d'aiiieurs
â ce mot par Tertullien (Notamment Ap. 32. 46 ; 2 N. 2 ; Paen. 6 ; 2 M. 10 ;
3 M. 9; An. 30. 35; Scorp. 10; Fug. 9, avec la note d'Oehlei'. Cf. Ronsch :
Das N. T. Terlulliani, p. 167; Hoppe : Sijnlax und Stil des Terlullian,
Leipzig, 1903, p. 120). In isto cgramealu veut dire : cctte fois encore.
3. I'rax. 2.
TRINITlî. CONTRE PEAXEAS. 69
la Vierge et ne d'elle, Homme-Dieu, Fils de l'homme et Fils
de Dieu, surnomme Jesus-Christ : qui a souffert, est mort, a
ete enseveli, selon Ies Ecritures, qui a ete ressuscite par le
Pere, et rappele au ciel, ou ii siege â la droite du Pere, qui
doit venir juger Ies vivants et Ies morts, qui a envoye, selon sa
promesse, l'Esprit-Saint ou Paraclet, venu du Pere pour sanc-
tifier dans la foi ceux qui croient au Pere, au Fils et au Saint-
Esprit. Toile est la regie immuable de l'Evangile, anterieure a
tQus Ies lieretiques, dont Praxeas vint hier grossir Ies rangs.
Cette declaration generale, opposee una fois pour toutes aux
heresies quelles qu'elles soient, pourrait suffire, meme dans le
cas present. Meanmoins, Tortullicn consent ă discuter de plus
preş, pour n'avoir pas l'air de condamner l'erreur sans l'enten-
dre. Avânt tout, ii faut redire que l'unite de Dieu n'est pas en
question, puisqu'on admet uno seule substance divine en trois
personnes. Pere, Fils et Saint-Esprit. Trois personnes, non
paria condition, mais par le degre, non par la substance mais
par la forme, non par la puissance mais parl'aspect; une subs-
tance, une condition, une puissance, car ii n'y a qu'un soul
Dieu se communiquant dans la diversile de degre, de forme et
d'aspect, sous Ies noms de Pere, de Fils et de Saint-Esprit'.
Atraversles impuissances d'une terminologie rudimentairo,
on reconnait ici une profession nette du dogme de la Trinite.
Le i-este du trăite n'en est que le devcloppement.
Les simples et Ies maladroits^ — c'est le grand nombro
parmi les fidcles — prennent ombrage du nom de Trinite,
comme s'il cachaitune resurrection du polytheisme. Nousnous
en tenons, disent-ils, a la monarchie. Et les Latins s'en vont
repelant ce nom de monarchie, comme un mot d'ordre qui les
dispense de reflechir. Les Grecs cux-m6mes refusent de com-
prendre l'economie de la Trinite. Mais enfm, que vcut dire
1. Pi'ax. 2 : Sic quoque unus sit oiunia dum ox uno omnia, por substan-
tiac SC. unitatem ; ct nihilominus custocUatur oeconomiae sacramentum,
((iiae luiitatem in ti-initatem disponit, tres dirigens, Patrcni et Filium ot
SpirituniSanctiim.Trftsautem non stătu sedgi-adu,necsubstantiasod forma,
neo potestate sed spccio ; unius autem substantiae ct unius status ot unius
potestatis, quia unus Dens, ex quo et gi-adus işti et formae et spccies in
nomine Patris etFilii ct Spiritus Sancti doputantui'.
2. Prax. ■).
70 THEOL0(;!E DE TERTULUEN,
monarchie ? Unite de pouvoir. Dans un royaume, Tunite de
pouvoir n'est pas detruite par l'associatioii au trone d'un prince
royal, non plus que par Ia designatiou de divers olficiers de Ia
couronne. Ainsi en est-il dans la monarchie divine : ni ces
milliers d'anges qui, sclon PEcrilure (Dan. 7, 10), assistent
au trone de Dieu, ni le Fils et le Saint-Esprit qui, apres le
Pere, participent â la meme substance, ne poi'tent la moin-
dre atteinte â Funite. Ils sont au contraire Ies organes essen-
tiels de cette monarchie. Tout autre est le concept des Valen-
tin et desProdicus, qui erigent en face du Createur d'autres
puissances independantes, par conscquent rivales : ceux-lă
detruisent effectivemont la monarchie. Et comment porterait-
elle atteinte a Ia monarchie ^ cette doctrine selon laquelle
le Fils precede uniquement de la substance du Pere, ne fait
rien sans Ia volonte du Pere, tient du Pere toute puissance ?
Selon la meme doctrine, l'Esprit-Saint procede du Pere par
le Fils. Ceux-la bien plutot portent atteinte a la monarchie
qui en suppriment l'economie et Ies -degres voulus de Dieu.
Mais la monarchie demeure si bien sauve dans la Trinite que,
selon l'Apotre (1 Cor. 15, 24. 25. 28), Ie Fils doit remettre son
royaume au Pere et rentrer lui-meme sous le sceptre paternei.
Ce texte de l'Apotre, d'ailleurs conforme ăl'oracle du psaume
(Ps. 109, Ij suffit a etablir la distinction du Pere et du Fils.
Mais ii faut etudier de plus preş ^, a la lumiere des Ecritures,
tout ce qui concerne le Fils [an sit, etqui sit, et quomodo sit).
Quelques-uns ont cru le reconnaître au debut de la Genese,
dans ces mots : In principia . Mais on n'a pas besoin de cet ar-
gument scripturaire pour le trouver en Dieu avânt l'origine
du monde. Avânt toutes choses, Dieu seul existait. Seul,
mais deja portant on lui sa pensee [ratio, sensus). Cette pen-
see. Ies Grecs Tappellent d'un nom qui signifie aussi parole :
Advoţ. Pour simplifier, Ies Latins ont aussi adopte un terme
unique : Sermo; et ils disent que le Sermo, ou Verbe divin,
etait en Dieu des le commencement. Au fond, assez peu im-
porte qu'on dise ratio ou sermo. Sans doute, par nature, la
1. Prax. A.
2. Ib. 5.
TlilNITE. CONTlîE PRAXEAS. 71
pensee precede Ia parole, et en Dieu meme ii en est ainsi.
Neanmoins, avânt de proferer sa parole, Dieu formait et
disposait en lui-merac sa pcnsce : le resultat de ce travail
etait une parole interieurc. L'homme, image de Dieu, peut
etudier en lui-meme ce phcnomene : lorsqu'il pense, ii parle
sa pensee ; ă son tour, la parole interieure reagit sur Tesprit
qui pense; pensee, parole, doux facteurs associes dans le
travail de la rcilcxion. Or la parole humaine est distincte
du sujet pensant. Tout cela se retrouve en Dieu avec une ve-
rite superieure : ainsi Ton est fonde a dire qu'avant l'origine
du monde Dieu n'etait pas seul, car ii portait en lui-meme
sa pensee, et dans sa pensee sa parole ou Verbe, que par
un travail mental ii rcndait distincte de lui-meme.
Cette meme pensee divine est caracterisee sous le nom
de Sagesse [Sophia)^ au livre des Proverbes (Prov. 8, 22 sq.),
oîi Fon retrouve la scconde personne occupee a former le
dessein des oeuvres de Dieu. Quand Dieu voulut produire
au deliors Ies etres qu'il avait congus en lui-meme par la
pensee et la parole de sa Sagesse, ii commenga par proferer
son Verl)e [Sermo], qui porte cn lui comme elements essen-
tiels la pensee ct la sagesse divine. Le Verbe est l'instrument
des oeuvres de Dieu. Tous ces etres, acheves deja dans Ies
conseils divins, recurent par lui ce qui leur manquait encore :
une existenco indopendante dans leurs essences et substancos
propres. Ainsi le Verbe acquiert un eclat exterieur et une
voix, quand Dieu dit : « Que la lumiere soit. » Cette parole
marque son enfantement complet hors de Dieu, apres plu-
sieurs stadcs prcliminaires : formation de la divine Sagesse
(Prov. 8, 22), generation plus distincte en vue des ceuvres
exterieures (ib. 27), entin filiation du Verbe, le premier-ne
(Col. 1, 15), l'unique (1 Joan. 4, 9), ne du coeur du Pere
(Ps. 44, 1), avânt l'aurore des temps (Ps. 2, 7). Deslorsle Fils
peut emprunter, pour parler au Pere, Ies accents de la divine
Sagesse, principe des ceuvres de Dieu (Prov. 8).
Mais comment ce Verbe mental peut-il âtre une substancc
1. Prax. 0.
2. Ib. 7.
72 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
distincte ? la parole n'est qu'un bruit, et de l'air battu. Ter-
tullien repond ici â ceux que deconcertent d'infimes analo-
gies. L'Ecriture nous donne la plus haute idee de ce Verbe
de Dieu par qui tout a ete fait, qui procede de la subs Lance
divine et a produit ă son tour tant de nobles substances.
Et comment ne serait-il lui-meme qu'un etre vide et denue
de substance, ce Verbe qui etait cn Dieu et qui etait Dieu
(Joan, 1, 1), qui, possedant la forme divine, n'a pas craint de
s'egaler âDieu (Phil. 2, 6)?Est-ce que Dieu n'est pas une subs-
tance? un corps, bien qu'â la maniere des esprits? Concluons :
le Verbe est substance, ii est personne, ii est Fils du Pere et
ii a le premier rang apres lui. Mais on se recrie ^ : ce mode
de generation est une projection (irpoSoV/i) â la maniere de
Valentin, qui de ses Eons lire sans cesse de nouveaux Eons. —
Ne nous arretons pas aux mots, repond TertuUien. Si l'erreur
abuse d'un nom, la verite devra-t-elle pour cela se l'interdire?
Or voici la question : le Verbe de Dieu est-il, oui ou non,
profere ? 11 y a d'ailleurs bien de la difference entre la pensee
de Valentin et la notrc. Valentin met un abîme entre l'Eon
generatcur et le terme engendre : ce dernier ne connaît meme
pas son pere; d'ailleurs ii n'y a rien de plus mal defini que son
mode d'existence. Au contraire dans la Trinite chretienne, le
Fils connaît le Pere (Mat. 11, 27), ii a seul revele le sein du
Pere (Joan. 1, 18), ii a cntendu et vu tout ce C[ui est dans le
Pere, ii parle sur son ordre (Joan. 8, 26), ii fait la volonte du
Pere (Joan. 6, 38) qu'il connaît des le commencement. Et qui
donc connaît ce qui est en Dieu, sinon TEspritmeme qui reside
en Dieu? (1 Cor. 2, 11). 11 est toujours dans le Pere et toujours
en Dieu (Joan. 14, 11; 1, 1). 11 ne fait qu'un avec le Pere, inse-
parable quoique distinct (Joan. 10, 30). Dieu a profere son
Verbe comme la tige profere un rameau, la source un. fleuve,
le soleil un rayon. Tel est le titre de la filiation du Verbe. Or
la tige et le rameau sont deux, bien qu'unis. La source et le
fleuve soni deux, bien qu'inseparables. Le soleil et le rayon
sont deux, bien que se tenant etroitement. Ainsi le Pere et
le Fils sont deux. Le Pere, le Fils et l'Esprit-Saint sont trois :
I. Prax. 8.
TBIXITlî. CONTRIi PRAXIÎAS. 73
l'Esprit-Saint apparaft en troisieme liea, comme le l'ruit sur le
rameau. La divinite du Pere se communique par degres au
Fils etâ l'Esprit-Saint, sans detriment de la monarclue. llfaut
lenir ferme cette union indissoluble ' du Pere, du Fils et du
Saint-Esprit : c'est la clof du langage theologique sur la Tri-
nite. Quelqu'un vient-il k dire : autre est le Pere, autre le
Fils, autre TEsprit-Saint : aussitât un simple se scandalise.
11 a tort : car si entre le Pere et le Fils ii n'y a pas division, ii
y a distinction et inegalito. En voici la preuve. Le Pere est
toute la substance divine, le Fils n'en est qu'un ecoulement
et une pârtie, c'est pourquoi ii dit : « Le Pere est plus grand que
moi » (Joan. 14, 28). On lit d'ailleurs dans le psaume (Ps. 8, 6),
que le Pere abaissa le Fils au dessous des anges. Le Fils est
autre que le Pere. car ii est moindre que le Pere, car ii est
engendre du Pere, car ii est envoye par le Pere, car ii est
produit par le Pere. Pareillemcnt l'Esprit-Saint est autre que
le Fils, car dans l'Evangile (Joan. 14, 16), le Fils promet d'en-
voyer l'Esprit-Saint. Les seuls noms de Pere etde Fils mon-
trent qu'il s'agit de deux porsonnes distinctes. Le Pere n'est
pas plus le Fils ^ que le jour n'est la nuit. Les monarcliiens
coafondent tout, et veulent que le Pere se soit i'ait lui-meme
son propre Fils. Mais ces termes sont correlatifs. Un Pere
suppose un Fils et un Fils supposo un Pere : tel est l'ordre
etabli de Dieu, et qu'il garde lui-meme. En meconnaissant
cette verite, on arrive â ooncevolr un Pere sans Fils et un
Fils sans Pere, enfin une monarchie divine qui ne contient
plus ni Pere ni Fils. On dira peut-etre que rien n'est impos-
siblc k Dieu JMat. 19, 26), que Dieu se plaît â coni'ondre la
sagcsse humaine (1 Cor. 1, 27). Rien de plus vrai. Encorc
ne I'aut-il pas attribuer â Dieu tout ce qui peut nous passer
par l'esprit, ni conclure de la simple possibilite au fait. Par
exemple, Dieu aurait pu donner a l'homme, comme au mi-
lan, des ailes pour voler : ii no l'a pas fait; ii aurait pu
aneantir Praxeas et tous les horetiques : ii ne l'a pas fait.
En Dieu, vouloir et pouvoir, c'est tout un. Mais le vouloir
J. Prax.'d.
2. Ib. 10.
7'1 THEOLOGIE DE TKliTULLIEX.
110 se suppose pas : ii se prouvc. Nous admetti-ons qu'il a pu
et voulu devenir son propre Fils quand vous nous prouverez
qu'il est offectivement dcvenu tel. Cela, vous ne sauriez Ic
prouver ^ . Au contraire nous prouvons par l'Ecriture la filia-
tion du Verbe et la distinction des trois personnes divines.
Tantot le Pere parle au Fils (Ps. 44; 2, 7; 109, 3; îs. 42, 1;
49, 16) ; tantot le Fils parle du Pere (Prov. 8, 22; îs. 61, 1) ou
au Pere (Ps. 70, 18; 3); tant6t le Saint-Esprit parle, â la troi-
sieme personne, du Pere et du Fils (Ps. 109, 1; îs. 45, 1; 53,
1. 2). Dans ces divers textes, autre est la personne qui parle,
auti-e celle â qui elle paric, autre enfin celle dont ii est parle.
La distinction des personnes divines se manifeste encore -
dans d'autres locutions scripturaires. Tantot Diou s'exprime
aupluriel; ainsi lors de la creation de l'-homnie (Gen. 1, 26),
ce sont Ies trois personnes qui tiennent conseil sur cette oeu-
vre ou chacune d'elles doit avoir part. De meme apres la chute
d'Adam (Gen. 3, 22). Tantot le dialogisme est implicite dans
un commandement divin. Par exemple (Gen. 1, 7-16) : le Pere
s'adresse au Verbe, ministre de sa volonte creatrice : s'il etait
seul, au lieu de s'adresser Ie commandement, ii l'executerait.
Mais, dira-t-on, vous pouvez trop '-^ : car vous nous montrcz
dans l'Ecriture non plus un Dieu, mais deux. Tertullien com-
mence par fournir â robjection de nouvelles armes en accu-
mulant Ies textes (Ps. 44, 7. 8; îs. 45, 14;Joan. 1, 1; Ps. 109,
1; is. 53, 1 ; Gen. 19, 24 et meme Ps. 81, 6 et 1). Ensuite il
repond ; Nous lisons l'Ecriture avec discernement, et nous
nous gardons bien de confondre le Pere, le Fils et I'Esprit-
Saint, de direpar exemple avec vous que'le Pere est ne, qu'il
a soufFcrt, ce qui serait contraire ă l'Ecriture. L'Ecriture a
souvent donne separement soit au Pere, soit au Fils, soit au
Saint-Esprit Ies noms de Dieu et de Seigneur; et cela etait
necessaire pour mettre Icur divinite dans tout son jour.
D'ailleurs I'Incarnation oblige Ies chretiens â une plus grande
severitc de langage ''. Pour bien marquer leur position cn
1. Prax. 11.
•2. Ib. 1-2. V. Justin, Dial. 02.
3. II). 13.
4. Ib. 13 : At ubi venit Cliristus ct cognitiis est a nobis, quod ipsc sit
TUIXITE. CONTRE PUAXEA.S. /5
face du polytheismc, ils s'abstiennont d'employer le nom de
Dieu au pluriel. S'il i'aut nommer â lafois le Pere et le Fils,
ils diront, âl'exemple de l'Apotre (Rom. 1, 7) : « Dieu le Pere
et Jesus-Christ Notre-Seigneur. » En parlant du Fils seul, ils
ne verront pas d'inconvenient â dirc avec le meme Apotre
(Rom. 9, 5) :« le Clirist qui est Dieu ». De meme qu'en parlant
du soleil et d'un de ses rayons ils ne diront pas : deux soleils ;
mais d'im rayon considere isolement ils diront fort bien :
le soleil, parce qu'il n'y a pas lieu de l'opposer ă la sourcc.
Une autre preuvc de la distinction des personnes divines se
tire des theophanies de TA. T. '. Tantot Dieu declare que
l'homme ne saurait voir sa face sansmourir (Ex. 33, 20), tantot
ii se montre effectivement â des patriarches et â des proplietes,
— Abraham, Jacob, Isale, Ezecliiel et autres — , qui cependant
ne meurent pas. Que conclure? sinon que ces saints person-
nages n'ont pas vu le Pere en la plenitude de sa majeste. 11
ăpparlientauFilsde se manifester : ainsi le soleil, trop eblouis-
sant dans sa forme propre, se laisse contempler dans le
rayon. Les modalistes, qui repoussent la distiziction du Pere et
du Fils, font appel â d'autres textes oii l'on voit que Dieu se
montra faceâ face â Moi'se (Ex. 33, 11), a Jacob (Gen. 32, 30),
etn'admettentqu'unc seule etmemepersonne, invisible en tant
que Pere, visible en tant que Fils. Tertullien seni la rorco de
l'objection, et commence par ocarter l'hypotliese d'une
apparition du Fils cn sa divinite : car le Fils est, comme Dieu,
tout aussi invisible que le Pere. Les theophanies de l'A. T.
supposent un intermediaire cree. Si Dieu annonce â Aaron et
â Mărie (Num. 12, 6-8) qu'il se montrera aux prophotes en
songe ou en enigme, et non face â face comme ă Moi'se, ce n'est
pas â dire qu'il se soit deja montre face a face â Moîse ; mais
le Fils dcvait se montrer plus tard a MoTse, et c'est dans le
N. T. qu'il faut chercher la realisation de la prophetie : ello
qui numorum rcti'o fecerat, factus socuudus a Tatrc et cum S|)ii'if.u ter-
tius, et jam Pater per ipsum plenius manifestatus, reclactuna est jani
nomen Dei et Domini in unionem : et, quia nationes a multitudine ido-
lorum transircnt ad unicum Deum, ut diffei'cntia constitueretur inter
cultoros uniuset plurimae divinitatis.
1. Prax. 11, cf. .Iustin, Dial. 127.
76 THEOLOGIE DE TERTULLIEX.
s'est accomplie sur la montagne au jour de la Transfîguration
(Luc. 9, 30) ^. Dans l'A. T., le Fils seul apparaissait aux pa-
triarches et aux prophetes : eiicore n'etait-ce qu'en image et en
enigme. Mais la face de Dieu, c'est-â-dire la divinite, est
invisible en elle-meme. Et en ce sens, rien n'empeclie de dire
que le Pere est la face du Fils.
TerluUien croit trouver dans le N. T. la confirmation de
cette exegcse '^. En effet, ii y est question â diverses reprises
du Dieu que nul homme n'a jamais vu ni ne saurait voir ( Joan.
1, 18; 1 Tim. 6, 16;. Ces aflîrmations, qui ne comportent au-
cune restriction meme pour le passe, concernent Ie Pere.
D'autre part, Ies Apotres attestent qu'ils ont vu et touclie le
Verbe de vie, le Clirist (1 Joan. 1, 1; Joan. 1, 14; 1 Cor. 9,
1; 15, o). Us n'ont pas vu le Pere, ce roi immorteldes siecles,
invisible, Dieu solitaire, qui habite une lumiere inaccessible (1
Tim. 1, 17; 6, 16); mais le Fils, en se faisant homme, s'est
fait mortel et accessible ; et si une fois ii a ettî vu des apotres
Pierre, Jacques et Jean dans une lumiere de gloire, cette gloire
ne doit pas etre confondue avec la gloire inaccessible du Pere.
Dans toutes Ies oeuvres exterieures, le Fils seul a păru, agissant
au nom et par la volonte du Pere. A cet effet, ii a regu', des
l'origiue du monde, toute puissance au ciel et sur terre (Mat.
28, 8) ; le Pere a remis en ses mains tout jugement (Joan. 5,
22). II ne faut pas faire commencer ses manifestations avec la
vie de '^Jesus, car le Verbe etait des le commencement. Dans
toutes Ies theoplianies de l'A. T., lui seul intervenait, faisant
pour ainsi dire l'apprentissage de I'Incarnation, faisant aussi
Feducation de rhumanite, qu'il acheminait, par ses manifesta-
tions passageres, vers I'apparition du Verbe incarne; enfm
prenant par avance Ies sentiments et le langage de Fliumanite.
1. Cetti> i<lee singuliero appartient ă saint InJnee, J/aer. 5, 20, 9 :
Et proptor lioc facie ad faciem confabulatus ost cum eo in altitudine
montis, assistcnt<! etiam Elia, quemadmoduni Evantrelium retulit, resti-
tuens in fine pristinam reproniissionera. — I^a rencontrc sur un trăit si
pai'ticuiier ne saui-ait eti'e reffct du liasai'd : Tei'tullion suit ici l'iivequo
de L\T3n, qui d'ailleurs donno lipaucoiip a la prophdtie dans l'explication
des tlieophaniosbibliques(/. c. 5, 20,7-11).
2. Pmx. 15.
:î. Ib. 16.
TRIXITli. CONTliE PIIAXEAS. //
Cest lui qui se prornenail dans le paradis terrestre, clier-
chant Adam, lui qui refermait l'arche sur la familie de Noe,
lui qui se reposait sous le toit d'Abraham, lui qui dans la four-
naise de Babylone apparaissait, comme Fils de Thomnie, aupres
des trois jeunes Israelites ; autant d'actions qu'il faut se garder
d'attribuer au Pere. II ivy a d'aillcurs aucune diffîcultc â croire
que le Fils ait agi au nom du Pere \ qui lui communiquo tout,
meme sonnom(Joan. 5, 43; 17,0; Ps. 117,26). D'autant qu'il dit
expressement : tout ce qui est â mon Pere est â moi (.loan. i(i,
15). En affirmant Funitc de Dieu-, l'Ecriture ne va point contre
Ia distinction des personnes, et elle attribue au Dieu unique Ies
oouvres oii le Fils se fait ministre des volontes paternelles
(Job. 9, 8), avcc autant de droit qu'on rapporte au soleil l'in-
fluenco du rayon.
Cependant Ies monarcliiens se prevalent •'' de quelques
textes oîi le monotheisme est fortement inculque (Deut. 32,
39; Joan. 10, 30; 14, 9-11), et veulent plier ă leur prejuge
unitaire Ies deux Testaments. Etranges exegetes qui suspcn-
dent toute la doctrine a un petit nombre de paroles obscures!
Mais telle est Ia coutumo des heretiques. Tertullien va leur
opposer longuemenf' Ies l^'critures qui etablissent la distinc-
tion des personnes; surtout I'Evangile de saint Jean, ou Io
Christ en appellc perpetuellement a son Pere, puis divers pas ■
sages de saint Mathiou (confession de saint Pierre : Mat. 16,
16. 17; voix du ciel apres la transfiguration : Mat. 17, 5; le
Pater : Mat. 6, 9; l'agonie du Clirist : Mat. 27, 46 sq. etc),
enfin I'Evangile de I'enfance, dans saint Luc. Les adversaires
sont condamnes par Ies passages meme dont ils font le plus
d'ctat. Par exemple, Joan. 10, 30 : Ego et Pater unum su-
nius'^. Le verbe au pluriel suinus suffit a prouver la distinction
des personnes ; et le singulier neutre unum (au lieu du mas-
culin unus) montre une fois de plus l'unite de substance. Ter-
tullien, dans son commcntaire, insiste de preference surl'union
1. Prax. 17.
2. Ib. 18, 19.
3. Ib. -20.
4. Ib. 21-20.
5. Ib. 2-2.
78 THEOLOGIE UE TERTULLIEN,
morale et dynamique ; d'ailleurs l'unite substantielle reparaît
clairement affirmee â propos du Paraclet^ (Joan. 16, 7 ct 14;,
qui regoit sa substance du Fils comme le Fils la regoit du
Pere. L'Evangile- de l'enfance ^ prouve egalement la distinction
du Pere et du Fils. Selon Terlullien, Ies oxpressions : Spiritus
Dei, Virtus Altissimi [Imc. 1,35) designeraient ici le Fils:
Spiritus Dei, Sermo Dei seraient en effet deux noms, Tun de
substance, I'autre d'operation, pour designer l'unique pcrsonne
du Verbe Fils de Dieu ; ii serait donc uniquement question du
sujet de l'Incarnation, ctnullement du principe actif. D'ailleurs
cette singularite d'exegese ne detruit pas la portee de l'argu-
mentquantala distinction des personnes. On peut invoquer en-
core bien d'auti^es textes evang-eliques : Luc. 2, 49; Mat. 11,
25; enfin la formule du bapteme (Mat. 28, 19), â propos de
laquelle Tertullien signale le rite d'une triple immcrsion en
riionneur des trois divines personnes.
Mais voici une autre invention des monarchiens ^. Contraints
Fevidence des textes de distinguer le Fils du Pere, ils rui-
o^
par
nent Teflet de cette distinction en la deplaţant. Cest en cffet
dans l'unique personnc de Jdsus-Christ qu'ils pretendent
trouver d'uncote le Fils, c'est-â-dire l'homme de cliair, Jesus,
d'un autre cote le Pere, Tc'est-k-dire le Dieu spirituel. Io Clirist.
Peut-etre ont-ils appris cela de Valentin qui, lui aussi, dis-
tingue Jesus du Cbrist; assuroment ils ne l'ont pas trouve
dans TEvangile, ou le meme homme qui naît selon la chair est
appele Fils de Dieu. Ici reparaît l'idee, indiquee plus haut,
d'une incarnation de l'Esprit divin. Nous aurons occasion de
revenir sur ce qui concerne la troisieme personne, et sur la
notion precise de Tlncarnation. Commenţons par suivrc Ter-
tullien jusqu'au bout dans sa lutte contre l'idee monar-
chienne.
Apres r)<'>vangile, Ies Actes-* sontappeles en temoignage. Ils
etablissent (Act. 4, 27) que Jesus ost surnomme le Christ
[unctus] parce qu'il est l'oint du Pere : autre preuve que le
1. Prax. 25.
2. Ib. 20.
3. Ih. 27.
4. bl. 28.
TRINITK. CONTUE PRAXIÎAS. /\)
Pere n'est pas le Christ. Saint Pierre proclame cette verile
(Act. 2, 36). Saint Jean trăite raeme de menteur celui qui nie-
rait que Jesus soit le Christ (1 Joan. 2, 22). Saint Paul distingue
k maintes reprises Dieu le Pere et Notre-Seigneur J esus-Christ.
(Rom. 1, 8; Gal. 1, 1, etc). Soit qu'il emploie simultanement
ces deux noms : Jesus-Christ, soit qu'il Ies separe, Jesus, le
Christ representent toujours pour lui l'uniquo personne du
Verbe incarne. II parle du Dieu de Notre-Seigneur Jesus-
Christ (Eph. 1, 17), de ce Dieu qui a rcssuscite le Christ et
ressuscitera pareillement nos corps mortels (Hom. 8, 11). Si
le Pere est mort en la personne du Christ, quel autre Dieu
le ressuscitera ? Mais Ies textes Ies plus decisifs ' sont ceux
qui mentionnent la mort du Christ Fils de Dieu. Saint Paul
ajoute meme (1 Cor. 15, 3) qu'il est mort selon Ies Ecritures.
Or le Christ etant compose de deux substances, l'une divine
et immortelle, l'autre humaine, n'a pu mourir quo selon
l'humanite, selon la cliair. Et ici paraît l'erreur de ceux qui
font mourir le Pere en croix. Le Pere, n'etant que Dieu,
ne pouvait mourir. II ne pouvait non plus porter la male-
diction attachee par la Loi au crucifîe : cette malediction,
le Fils l'avait prise sur lui avec la nature humaine; en
charger le Pere. c'est blasphemer. Ceci condamne Ies Patri-
passiens. Et meme Ies Patricompassiens . Car, par un vain
subterl'uge, rhcrcsie, ne pouvant i'airc pâtir le Pere, le fait
compatir. Mais qu'est-ce que compatir, sinon pâtir avec quel-
c[u'un? Or le Pere est impassible; pareillement le Fils est im-
passible quant â la divinite. II a pâti en tant qu'homme ; mais
l'homme etait en lui separe du Pere, encore quele Dieu ne le fvit
pas. Troublez l'eau d'un fleuve ; la sourcen'en sera pas ncccs-
sairement troublee. Pourtant c'est l'eau de la source qui coule
dans le lit du fleuve, et le fleuve n'est pas separe de la source.
Ainsi en Dieu. Quand meme l'Esprit divin (c'est-â-dire la di-
vinite) auraitpâli dans le Fils, cette passion ne pouvait refluer
jusqu'au Pere. Mais ii n'y a pas lieu de s'arreter â cette hypo-
these; car l'Esprit divin, en tant que tel, n'a pas souffert. En
1. Prax. i!».
2. Ib. 30.
80 THKOLOGIE DE TEIÎTULLIEX.
resume, tandis quc Io Fils souffrait en sa chair, le Pere etait
en lui, mais ne soufîrait pas. Ainsi, proportion gardeo, ii nous
arrivG de souffrir pour Dieu, grâce â l'Esprit divin qui est en
nous, inspirant et soutenant notre confession : cependant
l'Esprit divin ne souiî're pas. Commo dcrnior argument,
Tertullien livre ă la meditation des Patripassiens Ies paro-
les du Christ monrant en croix : « Mon Dicu. pourquoi' m'avez-
Yous abandonne? » Ce n'est pas le Dieu qu'on entend ici, c'est
riiomme qui cric vers la divinito impassible ct inflexible. On
pourrait commenter ce cri par bien des paroles du N. T. (ainsi
Rom. 8, 32) et de TA. T. [ainsi îs. 53, 6); l'abandon qui tor-
ture ici le Clirist n'est point une separation personnelle
d'avec le Porc : c'est l'efîet de la sentence inoxorablc qui
livre son liumanite k la mort. L'lieure venuo do mourir, ii
remet son esprit — c'est-ă-dire son âme Immaine^ — cntre Ies
mains de son Pere, et il expire. Ressuscite ensuite par la
vertu de Dieu, il est monte au ciel : lâ Etienne Ta vu, â la
droite du Pere. Un jour il viendra sur Ies nuees ; en attendant,
il a envoyo l'Esprit-Saint, troisieme personne de la Trinite,
pour la pleine revolation du mystcrc chreticn. Refuser de croire
â la Trinite^, c'est faire acte de judaîsme. Entre Ies Juifs
et nous, il n'y a que ce dogme : lâ est l'ceavre de l'Evangile,
la substance du N. T. Dieu qui deja, sous l'ancienne r>oi, so
faisait annonccr obscurement comme Fils et Saint-Esprit, avait
garde pour Ies tomps nouvcaux cette grando lumiere sur son
etre propre. Qui veut avoir la vie, doit croire au Fils de Dieu.
Tel est dans ses grandes lignes, ce trăite contre Praxoas,
esquisse vigoureuse, bien que parfois incorrectc, do la theolo-
1. 11 n'y ci pas â se mcpr(.'ndre sur le sens d(\ ce texte, cai- io Christ a
une âmc humaino. Voir c. Cil, fin : Kedde igiturChristo lidcm suam, ut,
qui liomo voluerit incedoro, animam quoqiie liumanae condicionis induerit.
— M. Stier paraît pcrdre de vuc ce point, quand il affîrme {Gotles und
Logoslehre Terlullians, p. 27) quc dans le Christ, et dans Io Christ seul,
spiriius et flatus ne font qu'un. D'ailleurs Tertullien parle ici avec peu
de precision : pour designer l'âme humaine, il ne veut pas en general,
du mot spiriius (voir c. 111, § 2, p. 113-118). Probablement ce mot lui etait
impose par l'usage, pourtraduiro Luc, 23, 4G; il n'apas osc employer flalus,
que pourtant il prefere habituellement. Voir 2 M. 9, et An., passim.
2. Prax. 31.
TIÎIXITK. UNITE DE XATUKE. 81
gie catholique sur la Trinite. Nous essaierons d'en degager
Ies conclusions dogmatiques, et de marquei' le role de Tertul-
lien dans le developpement liistoriquo de la doctrine chre-
tieiine sur le Verbe ^
1° L'unite de substance divine, que plusieurs affectaicnt de
croire menacee, est rappelee pour prevenir toute equivoque,
etappuyee sur l'A. et le X. T. (2. 3. 4. 8. 9. 12. 18. 20. 22. 24.
25). Tertullienen precise lanature, 2 : Unius autem substantiae'^
et unius stalus ^ et unius poteslalis, quia unus Deus, ex quo
et gr adus işti et formae et species in nomine Patris et Filii
et Spiritiis Sancti deputantur ; ii indique ce qu'elle oxclut, â
savoir la division, non la distinction des personnes, 9 : noii di-
versitate alium Filiiim ă Patre, sed distributione, nec divisioiie
alium, sed distinctione ; 11 : distincte, inquam, non divise; ii
montre comment elle n'est pas compromise par la pluralitc des
personnes, 18 : Non enini desinit esse qiii habet Filiuni ipse
unicns, suo se. nomine, quotiens sine Filio nominatur, cum
principaliter determinatur iit prima persana, quae ante Filii
nomen erat proponenda, quia Pater ante cognoscitur et post
Patrem Filius nominatur. Igitur unus Deus Pater et absque
eo alias non est. Quod ipse inferens non Filium negai, sed
l.Voir Schnane, Hisloire des dugmes, trad. fr., t. 1. (l'aris, 1886), 1'" pâr-
tie, S 20, 1.
2. Lo mot subslanlia (=; naturc) rej)araît 5. 8. 12. 26. 27. Voir Rev. T. ÎS,
Strong, dans : /. T. S. voi. 3 (oct. 1901) : History ofthe theological terni:
Substance; p. 38. 39. — J, F. Bethune-Baker, ibid. voi. 4 (avril 1903),
p. 440-442 : Tertullian's use uf subslantia, natura and persona. Ce dei'nicr
auteur attire l'attention .sur An. 9. .32 et Prax. 7, ou substanlia se distin-
gue de natura, comme Ie suppot des propriotes : cach is itself a subslan-
tia; each has its own natura. — Ajouter An. 20 : Concludimus omnin,
uaturalia animac ut .substantiva ejus ipsi in&sse ot cum ipşa procodci-e,
atqueprolicere.
3. Le mot stalus, dan.s la langue de Tertullien, signifie nature ou realilc.
— Voir en particuliin- Fug. 4 : Non sensus hominis praejudicat statui
i'erum, sed stalus scnsui. Status enim uniuscujusque eertum quid est,
ct dat sensul Icgem ita senticndi statum sicuti est. Si autem stătu quidcni
bottum quod a Deo venit (nihil enim a Dco non bonum, quia divinum,
quia raţionale), sensul vero malum vidotur, crit status in tuto, sensus in
vitio. Stătu optima res pudicitia et veritas et justiţia, quae a multorum
sensu displicent. — Stalus s'oppose ici â sensus, comme la realite objoc-
tive â l'appreciation subjective.
THEOLOGIE DE TERTULLIE.V. 6
82 THlîOLOGIE DE TERTULLIEN.
alium Deum : ceterum alius a Patre Filiiis hor est; et 25 ;
De meo sumet [Paracletus) inquit, sicut ipse de Patris. Ita
connexus Pati-is in Filio et Filii in Paracleto trcs efficit co-
haerentes alteram ex altero, qui tres unum sunt, non unus.
D'ailleurs, ii s'attache a faire ressortir l'union des volontes ct
des cnergies, 22 : Ego et Pater unum sumus :... unum dicit
neutrali verbo, quod non pertiiiet ad singnlaritatem, sed ad
unitatcm, ad similitudinem, ad conjunctionem Pati'is, qui
Filium diligit, etad ohsequium Filii, qui voi untati Patris obse-
quitur... adeo totum hoc persei'erabat inducere, ut duo tamen
crederentur in una virtute. Pour expliquer la procession dans
l'unite de substance, ii recourt a diverses comparaisons qu'on
rencontrera tout ă Fheure. Dans l'Apologetique, ii avait em-
ploye pour le meme objet la comparaison des flambeaux, deja
classique au deuxieme sieclc*, et quo consacra plus tai'd le
symbole de Nicee. Ap. 21 : Hune ex Deo prolatiim didici-
mus et prolatione generatum et idcirco Filium Dei et Deum
dictum ex unitate suhslantiae. Na?n et Dens spiritus. Et
cum radius ex sole poii'igitur, portio ex summa; sed sol erit
in radio, quia solis est radius, nec separatur substantia
sed extenditur . Ita de Spiritu Spiritus et de Deo Deus ut
lumen de lumine accensum. Manet integra et indefecta ma-
teriae matrix, etsi plures inde traduces qualitatis mutueris :
ita et quod de Deo profectum est, Deus est et Dei Filius, et
unus ambo. Ita et de Spiritu Spiritus et de Deo Deus mo-
dula alternam numerum, gradu, non stătu fecit, et a ma-
trice non recessit sed excessit ^.
2° La trinite de personnes dans l'unite de substance est in-
eulquee avec une precision juridique, au moyen de ce mot
persona, qui demeurera consacre dans l'usage de la theolo-
gie latine. On sait que, dans la vieille langue, ce nomdesignait
un masque de tlieâtre. Par une metonymie facile, on l'appli-
1. Cf . Saint Justin, Dial. (U et 128 : Tatiftii, adv. Gr. 5; ot encoro llippolytc,
adv. Noet. 11.
2. On rencontre chez TertuUien Ies mots consubslantialh (Herm. 44),
vonsufistanlivus (Val. 12. 18. 37) qui repondcnt au grec 6\xoo<)moi, consubs-
tantiel. Ncanmoins ii n'cn fait pas usago dans sa thoologio de la Trinite_
TIHNITE. DISTINCTION DES PERSONNES. 83
qua au sens de role ou de personnage. Les juristos romains
s'en emparerent pour exprimer la personnalite civile. Cest
ainsi qu'on lit dans Ciceron, de oratore 3, 14, 53 : Ut rerum,
ut per-sonariun dignUates ferunl ; ă&wSilQ Digesle (Paul) 1, 5, 1 :
Oînne jus quo atiinur vel ad personas periinet vel ad res vel
ad acliones. Aucun terme se sembla plus convenablc pour
desig-ner les hypostases de la Trinite. A la meme epoque,
saint Hippolyte oxpliquait le dogme en grec au moyen
du mot irpocTMTtov ' , pareillement usite au theâtre. Ter-
tullien raisonne sur les hypostases divines comme sur des
personae civilcs - qu'il oppose les unes aux autres, et ii prouve
leur distinction par cette opposition nicme (3. 4. 5. 7. 8. 9. 10.
11 seq.). L'analogie du verbe humain, une fois admise, met
sur la voie de la propriete liypostatique du Verbe divin, et
Tertullien conclut hardiment, 5 : Possum itaque non temere
praestrtixissc ei tune Deum ante universitalis constitulionem
solum non fuhse, habentem in semetipso proinde rationem
et in ratione Sermonem, quiîm secuxdum a se faceret agi-
tando se. Et encore, 7 : Quaecumque ergo suhstantia Ser-
monis fnit, illam bico i'ehsonam, et illi nomen Filii vindico,
et dum Filium agnosco, secundum a Patre defkxbo. Voici
d'autres comparaisons non moins expressives. Le Fils est
issu du Pere, comme le rameau de la tige, comme le ileuve
de la source, comme le rayon du soleil. Et cette relation
d'origine suffit â fonder la distinction des personnes, 8 :
Haec erit probola veritatis, custos unitatis, qua prolatum di-
cimus Filium a Patre, sed no?i separ atum. Protulit enim
Dens Sermonem... sicut radix fruticem et fons fluvium et sol
1. Saint Hippolyte, c. N(>el.'~i-, M ctc.-D'aillours ce motsetrouve deja
dans saint .Iustin, IHal. S<Sfin, cf. I Ap. 36 sq.
2. M. Sticr (Goiles und Logos Lehre Tertullians, p. 72 sq.) argumontant
contre M. Ilai'naclc, nie laprovonancejuridique de cette expression, etl'in-
flucnce du droit romain sur la christologie de Tertullien : ii dovrait tout
aux Peres apologistes. Nous reconnaissons que Tertullien a surtout mis
cn ceuvre des concepts elabores par les penseurs du douxicme siecle,
mais nous ne croyons pas qu'on puisse contestei' soit l'influcnce prepon-
derante de ce puissant esprit sur la mise en formule do Ia tlieologie occi-
dentale, soit le caractere juridique des e.xpressions qu'il emploie pour pre-
olser la doctrine sur Dieu et le Christ.
84 THEOLOOIE DE TEnxiiLUEN.
radiuni... Nec duhitaverim filium dicere et radicis fruticem
et fontis fluvium. et solîs radium; quia oînnis origo pareiis
est, et omne quod ex origine pro fertur progenies est; multo
magis Sermo Dei, qui etiam proprie nomen Filii accepit...
Omne quod prodit ex aliquo, secundam sit ejus necesse est
de quo prodit, non ideo tamen est separ atum. Secundus au-
tcm uhi est, duo sunt. Et tertius ubi est, tres sunt. Tertius
enim est Spiritus a Deo et Filio, sicut tertius a rădice fructus
ex frutice, et tertius a fonte rivus ex flumine, et tertius a sole
apex ex radio. Nihil tamen. a matrice alienatur, a qua
proprietatea suas ducit. Ha trlnitas per consertos et con-
nexos gradus a Patre decurrens et monarchiae nlhll ohstre-
pit et oeconomiae statum protegit. La Trinite est etablie pai'
cet argument ct d'autres semblables; ainsi, 11 : Non posse
unum atque eundem videri qui loquitur et de quo loquitur et
ad quem loquitur. Parfois ii est vrai l'argument inanque le
but. Ainsi Tertullien s'egare en croyant trouver dans Ies
expressions meme de saint Luc 1, 35 uiie preuve de la dis-
tinction des pei'sonnes. 26 : Spiritus Deus et Sermo Deus,
quia ex Deo, non tamen ipse ex quo est... Multo magis
Virtus Altissimi non erit ipse Altissimus. Mais ailleurs ii
souligne avec justesse et bonheur cette relation d'origine,
meconnue par Ies monarchions (28, et passim) \
3° La procession du Fils est decrite par Tertullien d'une
maniere qui nous paraît fort etrange, et qu'on ne peut bien
comprendre sans le rapprocher desautres anciens tlieologiens
du Verbe.
Laissons de câte Philon, avec lequel ii ne presente que des
1. Les processions divines apparaisscnt dana Ic Iraite contre Praxeas
(4 et 10) eomme volontaires. Voirles textes ciles ci-dessus (p. 66). Bossuet
(6° avertissement aux protestanls, l" p., 31) s'applique â justilior Tei'tuUien :
« LeFilsde Dieu ne procedcpas de son Pere par une effusion aveugle, comme
e rayon procedc du soleil et le fleuve de sa source, mais par intelligence '■
et si vous appelez ici la voionte du Pere pour exclure la necessite, cette
nccessite, que vous voulez exclure, est une necessite aveugle et fatale qui
ne convient point â Dieu ». — Sans contester la justesse de ces observa-
tions, nous croyons qu'une explication complete doit surtout tonir compte
du caractere de la generation lemporelle du Verbe, que Tertullien a seule
en vue, et dont ii va etrc question.
TRINITE. DISTINCTION DES PERSONXES. 8o
ressemblances lointaines. On trouvo bien cliez Philon deux
etats succcssifs du Verbe divin, sinoii deux Verbes distincts :
d'une part l'intelligence divine (âeVoţ Aoţo?), d'autre part une
pensee ouvriere produite par Dieu au-dessous de lui, pour
servir d'intermediaire dans la creation et le gouvernement
du mondo, et qui equivaut â la soinme de toutes Ies idees
particulieres (Ssîoţ Aoyo? y.o<y^.OTCoiMV, votito; xoiiAo;, iţ>yJ-:\j-Kov irapa-
SEiyfjia, ap^ETUTTOq (j-^pay:;, îSla tcov îoswv, TtpoiTOYOVOţ, TipsiSutaxo; 0îou
lloţ) \ Mais cette double conception du Verbe pensant et du
Verbe pense demeuro fort cloignee de celle que nous avons
rencontree chez Tertullien, qui d'ailleurs ne cite jamais le
theosoplie juif.
Tout autre est le concept des apologistes chretiens du
n" siecle, dont Tertullien continue la lignee -. Un trăit com-
1. Cf. Ilonry Soulier, La doctrine du Logos chei Philon d' Alexandrie
(Turin, 1870), p. 63 sq.,p. 71 sq. — Jean \iii\i\\(i, Le Logos d'apres Philon
d' Alexandrie (Geneve, 1877) p. 26 sq. — Zellev, Die Philosophie der Grie-
chen ■', ;r Theil, 2" Abt., (Leipzig, 1881), 2, 3, p. 338-418. — .Tames
Drummond, Philo Judaeus (London, L888) t. 2, bookS, c. 6, p. 156-273.
2. La docti'ine desPeres antcniceens sur la Trinite a oto attaquec par Ies
Sooiniens (volr entre autrcs Christophe Sand, A'ucleus kîstoriae ecclesias-
ticae, Amsterdam 1668) ; dcfendue par rangUcan George BuU dont le li-
vre (Defensio fidei Nicaenae, f ed. Oxford, 1088), malgre des inexactitudes
de detail, merite encore d'etre consulte. Bossuet (d" avertissementaux pro-
testants) lui donna son suffrage. — l'etau avait eu pour Ies Peres antcni-
ceens, en son l. l De Trinitate, des severites qu'il attenua dans sa pi'eface.
(Pour Tertullien, voir ;. 1, 5 etpraef. 5). — On ])eut consulter : Dom Ber-
nard Marechal, Concordance den sainls Peres (Paris, 1739, 2 in-1).;
Newman, Hisloire du developpoment de la doctrine chretienne (trad. fi'.
Paris, 1848) c. 8, s. 1, p. 400 sq. ; Franzclin, De Deo Irino, these 10, seq. ;
Schwane, Hisloire des dogmes, trad.tr. (Paris, 1886) 1. 1. Signalons onfin,
comme souvenir d'une controverse recente, un articlc de la Hecue
des sciences eccUsiastiques, t. 46 (dec. 1882) p. 484-539, oii l'abbo (dcpuis
Mgr) Duchesne releve Ies temerites d'un adversaire, sans d'ailleurs aller
au fond de la question presente.
L'hîstoire du Logos a ete eci'itc par Max Ileinze, Die Lehre voni Logos
in der griechischen I'hilosophie (Oldenburg,, 1872) et par Anathon Aall ;
Geschichle der Logosidee in der grieckischen Philosophie (2 voL, Leipzig,
1896) : voir sur Tertullien, t. 2, p. 371-380. — Nous n'avons pasâontrer ici
dans le detail des influences tres complexes qui detcrndnerent sur ce
poinţ Torientation do la pensee chretienne. On peut lire la dissertation
tres instructive dcM. R. Reitzeustein, Zweireligionsgeschichtliche Fragen,
nach ungedruckten griechischen Texten. (Strassburg, 1901), 2" pârtie,
p. 47 sq. — Kappelons .1. Stier, Die Gotles und Logos Lehre Tertidlians ;
p. 65 sq.
86
TIIEOLOGIE DE TERTULLIHN.
mun k ces Peres est la theoric de la generation temporelle du
Verbe, theorie qui, ebauclieepar saint Justin, reproduite, avec
des nuances diverses, par Tatien et Atlienagorc, trouve sa for-
mule la plus claire dans saint Theopliile d'Antioche, par la
distinction du Xo'yoc IvoidîGsToţ et du Xoyoţ irpotpopixdţ. Pliilon avait
emprunte aux stoiciens cette terminologie, qu'il appliquait â
l'analj'se du verbe humain ; Theophile d'Antioche la transporte
dans le domaine divin. Saint Hippolyte et Tertullien reprirent
la meme donnee, pour Ia developper encore. Chez ce dernier,
le Aoyoţ IvSiaOeToţ (Verbe latent au sein de Dieu) s'appelleBatio;
le Aoyoţ Trpoţ-opixdc (Verbe externe dans la creation) s'appelle
Serino. Sa doctrine peut otre reduite en systeme, et commentee
ă Taide des theologiens grccs; d'ailleurs nous negligorons Ies
details qui separent ces auteurs, pour nous attacher aux parties
communes qui eclairent Ia pcnsce de Tertullien.
1. Eternite du Verbe (Ao'yo? evStaâeTo;, Ratio).
Justin, 1 Ap. 03 : ('0 Tio;) xai Aoy»?
TiptOTOTOXO; WV TQU (-)£ou ital Osoc
Tation, adv. Gr. 5, ed. Schwartz,
p. 5 : 0£og ry ev âp-^^, tyjv Ss o^^yr^i
î.oyoy SuvaiAtv 7tap$tVj9apt,£v. *0 yap
SscnoTT)? Twv 6>.(i>v «Oto; •jnâpx'^v ■'°"
TtavTo; Tj -unoaTao-i; xaxâ [ikv tt]V ţirj-
oe'wu) YeY£v7i(j.EvTiv itoîvi(jtv (j.ovoc^v y.a66
5s TtăiTa o'jva|icc âpaTwv te xkI âopâxMV
[aîiTo; unoaTaatţ] riv ouv aOrtii, Tâ itdvta
<juv aijTw oiâ ),OYtx^; 6'Jvâ^Ecoq auToq
[xaî 6 Aoyo? oc V' ^^ autiŞi], OTiEffxricev.
Athonagore, /.«j. pro Christ. 10 ;
'ES ipX'i? Y"'? ° <H)e6?, voîiţ âiS'.oţ &V,
£ÎXS'' «Oroţ EV iavTm Tov Aofov, âtSiM;
Xoyr/.o? wv.
Theophil. arf .4wioi. 2, 22 : LM
ci.\ffitioL oiYiYEÎTat TOV Adyov, tov ovta
StaTiavTo; EvoîaOsTOv ev xapSt'a Oeov.
Ilpo yap XI YEve'ffâai, toOtov eI-^s ai[i-
6ou>.ov, eauTou vouv xal ^poviqatv ovTa...
'Iwâvvri; XeŢet' ev ap/x, ?]V o Aoyoc, y.aî
6 AoYOţ -^v Ttpo; tov WeoV 6eixvu; oti ev
Tertullien adv. Prnx. 5 : Ante
omilia enim Dcus crat solus, ipso
sibi et mundus et locus et omnia.
Solus autem, quia nihil aliud extrin-
secus praetcr illum. Coterum ne
tune (juidem solus : habebat enim
secum qua.ra habebat in semetipso
rationcm suamsc...
Etsi Deus nonduiu Sermonem
suuni iTiiserat, proindo eum ouin
ipsa et in ipsa ratione intra semet-
ipsura habebat, tacite cogitando et
disponendo scoum quae per Sermo-
nem mox erat rticturus.
Ib. 8 : Sermo crgo et in Patro
semper, sicut dicit (Joan. 14, 11) ;
Ego in I'atre, et apiid Deum sem-
per, sicut scriptum est (Joan. 1, 1) :
Et Sernio crat apud Deum, et nun-
quam separatus a l'atrc aut alius a
Patrc, quia (Joan. 10, 30) : Ego et
Pater unum sumus.
Ib. 13 ; In Evangelio totidetn in-
venics(Joan. 1, 1) : In principie erat
TRINITE.
PROCESSIOX DU l'ILS.
87
Aoyoc.
Hippolyt. adv. Noet. 10 : OuSsv
iCkriV auToş y)V ' aOio; & fiovo? u>v noXuţ
^v oÎjTe yap aXoyoc oOts arjocpo; outs
«SuvaTos oiitE âSoiW.euToţ r,v.
Id. «du. BeroH. 6, attributs du
Verbe : âvap^cla, âvsvyjata, âîiEtp'K,
Sermo, et Sermo erat apud Deuni,
ot Deus crat Sermo. Uniis qui ei-at,
ot alius penes quem erat.
Ib. 27 : Quaerendum quomoUo
Sermo caro sit factus : utrimine
quasi transfîguratus in carne au
indutus carnem? Immo indutus.
Cetcrum Dcum immutabilern et in-
formabilcm crodi necesse est, ut
aeternum... Sermo aiitem Deus.
Ccs temoignages s'accordent en un point, Dieu n'a jamais
ete sans Verbe interieur : aXo^oq. Tertullien fait meme un pas
de plus, en admettant que ce Verbe interieur ou pensee [Ratio]
tend â se produire sous forme de Verbe exterieur [Sermo].
2. Generation du Verbe avânt toute creature
(Ao'yoţ Trpocpoptxo'c, Sermo).
Justin, Vial. 01 : 'Apxtiv upo «iv-
T(J>'J TWV XTl(J[JI.C(T0OV 6 0505 ŢS"fEVvr,y.E
Siivajitv Ttva i'i âauToîJ Xoytxiiv, r;Ti;
v.aX So^a K'jpiQ'j *j7l6 toO ITv£'Jfi,aToţ xoO
'AY'O'J xa^Eitai, tiote Se 0£o?, ttote 6s
Kypio; xal Aiyo?.
76. *}2 : ToOto 10 Toi ovTi âiro ToO
HaTpoi; 7:po6>,¥i6EV Y£Vvvj;j:a Ttpo jravTtov
ToiV 7tO',7]!J.dT(OV (7UV^V Tw IlaTpt, Kat
toOtcj) o na-tvjp npoaioixiXEi, wţ 6 Aoyoţ
6iâ ToO SoXojxwvo? EOrj^wdEv, oxi zat
apxfl T^po TrâvTwv xtov 7rot7][ji,aTwv toOt'
auTo TO yEvvrjjAa {cro ToO 0Eou Eysyev-
Tati(>n, adv. Gr. 5 : ©eXviţiaTt Se x^ţ
a7i>.6Tr,xoq tt'jxoîj Trpo7C7]5ă Aâyoi; * 6 os
Aoyoţ ov xaxâ xevou ^topTQirat; ăpyov
Tipwxoxoxov xou riaxpoţ yivExai. Touxov
io|jiEV xoii xofffjio'j xriv âp^iiv.
Athcnagore, Leg. 10 : 'Epw Sii
ppaxEMV, TtpMxov yevvr.na eîvav xif
Haxpi, oOx <>)? yevo[AEvov,... aXX' wţ xwv
iiXtotMV $u[/.itâvx(<)V... ISî'a xai EVEpyEia
sivat 7rpO(7£X6a)V.
Theophile, ad Autol. 2, 10 : "Evwv o
EV xoî? ISi'ot; oitXâyxvoic, ifivjriuE'i aOxov
.4cto. Prax. 6 : Ut primum Deus
voluit ea quaccum Sophiae Ratione
et Sermone disposuei-at intra se, in
substantias et species suas edere,
ipsum primum protulit Scrmonem,
habentem in se individuas suas
Rationem et Sopliiam, ut per ipsum
flerent universa per <iuem erant
cogitata atque disposita, immo et
facta jam, quantum in Dei scnsu.
lloc enim eis deerat, ut coram quo-
que in suiş speciebus atque. sub-
stantiis cognoscerentur et tenercn-
tur.
•iv o 0£oţ xov EocuxoO Adyov evokxSexov
jiExa x-^ţ EauTou SoţiJaţ E^EpEyŞdtţievoi;
88 THEOLOCIE DE TKRTDLLIEN.
TTOO TMV oXwv. TouTOv Tov Aoyov s<7-/£v Ououpyov T(Sv Oti' aO-coîi yeyevTifJievwv, xaî
6i' a-jTOu tâ itccvTa TtîTtoîrixev .
Ib. 22 : 'Ojioteos -/jOiXriffsv 6 0eo; Troiridai o(ja eSo'AEucaxo , toutov tov Adyov
eyevv/îTE Trpoşoptxov, TrpwTtăToxov iraOT; XTtastoţ, ou '/.svwQst? auTo; tou Aoyou,
â)v>.â Aoyov ysvvvjaa; v.at TtŞ Aoyq) a'JToO Stairavioţ 6[jitX(J5v.
IlippolytC, aciu. .^^oe<. 10 : Twv Se yivofievtov â^'/r\y6■^ -/.al (juiJiSouXov -xai Ipyâ-
Tr,v gysvva Adyov...
Avânt tout, remarquons que ce FerJe profere est le mame
que le Verbe latent docrit dans la precedente serie de textes.
On s'etonne que Petau ait pu ecrire au sujet de Theophile ' :
Duplicem hic Ao^ov statuere videliir... Praeter evSiâOsTov Aoyov
qiiae est ipsa nieiis Palris et essentia, Adyo? est alter et uni~
cits a Patre genitus, quem neque aeternum neque âaoouaiov,
sed minorem putavit Theophilus, velut unroupybv et ministrum,
qui id habet ut sensibus, quando ita Pater voluerit, subiciat
şese ac loco contineatur, quod quidem suminus iile Deus ac
Pater non polest. Hinc illa Joannis : In principia erat Ver~
hum, sic interpretatur ut haec : et Verbum erat apiid Deum,
de IvSia&Erw Ao'yoj căpiat, haec autem : et Deus erat Verbiun, de
irpocpopixw et genitOj quo administro usus est Pater. Quae ut
absurda, ita Iustini, Athenagorae ac Tatiani doctrinae con-
sentanea sunt, et ex platonico dogmate deprompta. — Des re-
miniscences platoniciennes, evoquees mal â propos, ont seules
pu induire le grand exegete â lire dans ces Peres platonisants
ce qu'ils n'ont jamais dit. En effet, dans ces mots : xoîi-cov xov
Aoyov lys'vvvitTs irpoţiopwo'v, le pronom toutov est decisif quant â l'i-
dentite substantielle des deux Verbes ^ ; le mot Eye'wviaE a un sens
proleptique, et la penseepeutse completer ainsi : toutov tov Adyov
lysvvricEv (wtTTE auTov yevstjOoti) iTpocpopijtdv. Le sensindique par Petau
pourrait se rendre : (iTepdv Ttva) Adyov lys'vvYiae (tov) Ttpotpoptudv.
Mais Ies textes que nous avons mis sous Ies yeux du lecteur
sont refractaires k la distinction des deux Verbes. Ceux de
Tatien, d'Athenagore et de saint Hippolyto semblent ă cct
ogardparticulierement lumineux; TertuUien, au premier abord,
1. Petau, Tlicologica dogma/a : de Trinilate 1, 3, 6. — Cf. la ropUquc,
trop acerb(! mais souvent viotoriouse, de l'anglican Gcorgo BuU : Defensio
fiăei Nicaenae, 3, 2. 5. G, surtout 7 ; ou encoro Ies notes de Zaccaria au
texte do l'etau, dans l'fklition de Venise.
2. Lo pronom auTov ne Test pas încins, dans I'autre passago de Thiiopliile.
TRIMTE. • PROCESSION DU FILS. 89
est moins net, parce qu'il multiplie Ies cntites : Sophia, Ratio,
Sermo. Neanmoins on remarquera que toutes ces entites sont
renfermees dans le Sermo ou AoYoţ iipo-f optxoţ [ipsum primum
proUilit Sermonem, habentem in se individuas suas Rationem
et Sophiam) ; et, si compliquee que soit chez lui Fevolution du
Verbe, on y reconnaît la mcme operation decrite par Theopliile :
î'/iM-j... Tov lauTOÎi Ao'yov IvăiâOsTov h xoîq îoîoi; gitXcxY/votţ, lYs'vvr.ssv
Eu quoi consiste precisement cette operation? Autant qu'on
peut apercevoir quelque cliose dans des textes aussi obscurs, ii
semble que nous sommes en presence d'un mouvement qui part
de la divinite pour aboutir ă la creation, et que ce mouvement
presenteun double aspect. D'unepart ii degage Ia personnalite
du Verbe, encore enveloppee au sein de Dieu; d'autre part ii
manifeste ce meme Verbe par la creation. Jusqu'ici nos apolo-
gistes ont surtout mis en lumiere le premier aspect. Les textes
qui nous montrent le Verbe existant eternellement en Dieu ne
permettent guere de le concevoir commc un simple attribut di-
vin. Cest donc une personne, au moins en germe. Hippolyte,
qui insiste plus que personne sur la solitude de Dieu en son
eternite, ajoute que cette solitude n'exclut pas la pluralite :
ouToţ Se [j.dvoq 5n -Kokhq -^v, et TertuUien dit aussi, Prax. 5 : Cete-
rum ne tune quideni solus : habebat enim secuin quarn habe-
bat in semetipso, rationem suam se. Le Aoyoţ IvoiaSexo; peut,
d'apres son nom meme, etre assimile a l'embryon dans le sein
maternei : or l'embrjon a deja sa personnalite, tonte fois ii
n'apparaît pas encore comme distinct. Le jour ou Dieu enfante
son Verbe, une personnalite nouvelle se montre ă cote de lui :
xai ouTwţ Tuapt'sTaTo auxw exspoi; (Hipp). Prax. 5, fin : Possiim ita-
queiion temere praestruxisse et tune Deum ante universitatis
constitulionem solum non fuisse, habentem in semetipso
proinde Rationem et in Ratione Sermonem, quem sccundum
a se faeeret agitando se. Le travail ici decrit degage la per-
sonne, ii ne la fonde pas " .
1. A I'appui de cette maniere de voii-, on peut citerTcrtullien lui-meme,
An. 6, fin : Universa conditio testabitur corpora de corporibus processura
jam illic esse unde procedunt. Secuudum sit neccsseest quod ex alio ost.
Nihil porro ex alio est nisi dum gignilur ; sed tune duo sunt.
90
THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
Le deuxieme aspect de la generation du Verbe ressortira plus
clairement des textessuivants.
3. Enfantement du Verbe dans l'acte de la creation.
Justin, 2 Ap. O : 'O &£ Tîo;, 6
Ao^OQ TTpb Ttov 7T0iyitJ.aTa)v xcd auvwv
itavta exTKje y.al exo(r(j.7](i£. ..
Ilippolyt., ad». A^o««. 10 ; "Ov A6-
yov sx^v ev ăauTw, aopaiov t£ ovia
TW XT[Î^O[l£VCî> x6<7jXW, dpaTOV TTOÎST,
iipoTEpav (pMVriv 96£yY0C''^''0î i'*' f'''^ ^''■
9WT6; ySVVWV, 7ipOVÎX£V TT] XTlTEt Ku-
ptOV, TOV iStOV VOUV, aUT(ţ> [AOVW TrpoTspov
opaTov ovxa, irw 62 yivo[A£V([> xdap-w
aopaTOv ovTaj opaTov Trotît OTiw; 6tâ toîj
^av^vat t5a>v o x6(j[jlgc, auOîjvai ouvyj6^.
— 11. Kai oijTw; iraptaraTO aOrto 'ixe-
poţ, "ETspov §£ XEytov, ou OTjo 6eou;
),e'ţ(o, otXX' w; ţw; âx ţiwTo; vi iio(op £x
itJlYTJ; vi (b; âxTÎva aTto -^iXtoy.
.Wî). Prax. 7 : Tune igitiij' ctiam
ipso Sermo specicm et onialuiii
simm sumit, sonuni et vocftin, cum
tllcit Deus : Fiat lux. Haec est nati-
vitas perfecta Sermonis, dum ex
Deo procedit; conditus ab eo pri-
mum ad cogitatum in nomine So-
phiac(Prov. 8,22) : Itominus condi-
(Ut me initium viai'um. Dehinc ge-
neratus ad cffoctum : Cum pararet
caelum, aderam illi simul. Kxindo
eum Pati'em 1 sibi facicns de quo
procedendo Filius factus est, pri-
mogenitus (Col. 1, 15) ut ante omnia
genitus, et unigenitus (1 .loan. '1,
9), ut solus ex Deo genitus; proprie
de vulva cordis ipsius, secundum
quod Pater ipso testatur (Ps. -14, 1) :
Eructavit cormeum Sermonem op-
timum. Adquem deinceps gaudens
proinde gaudentcm in pcrsona il-
lius (Ps. 2, 7) : Filius mous es tu.
ogo hodie genui te. Et (Ps. 109, 3) :
Ante luciferum genui te. Sie et Fi-
lius ex sua persona proOtetur Pa-
trem in nomine Sophiae : Doniinus
eondidit rne initium viarum in
opera sua.
1. Les editions portent ici părem. Nous n'hesitons pas â lire patrern,
car la parito n'est nuUement en causc, mais bien la paternite. D'ailleurs
ces inots : părem sibi faciens pourraient sans douto avoir un sens si le Pere
etait sujet et le Fils regime ; ils n'en ont pas si Fon renverse les tei'mes. La
pensee est ici exactement la meme que Prax. IO : Pater Filium facil et Pa-
irem Filius; et Ilerra. 3 : Fuit aidem tempus cum et delictum et Filius non fuil,
quod judicem et qui Patrem Dominum faceret. — Cetteleeon nous avait păru
neccssaire. M. Emile Kroymann veut bien nous ecrirequ'il l'a rencoutrcc
dans Fexcellent codex Monlispesndanus (xi° s.) et dans le Florcntinus. On
la trouvera dans son (^dition de Tertullien, oii ii rcstitue ainsi ce passage
exinde eum Patrem sibi faciens de quo procedendo (nascilitr), Filius factus
est.
TfilNITK. — PROCESSIO\ DU FILS. 91
Tertullien est seul k distinguer nettement cette piiase de la
precedente ; mais par cette distinction, la theorie de la genera-
tion temporelle du Verbe atteint son plein developpement, et
ii importe d'y insister, car elle donne la clef d'un langage obs-
cur.
Notons d'abord que la nativite du Verbe, afiirmee ici, est
niee ailleurs. Opposant la natura divine du Clirist â sa nature
humaine, Tertullien s'exprime ainsi c. C. o : Non diceretur
homo Chrisîus sine carne, nee hominis Filius sine aliquo pa-
rente homine, şicul nec Deus sine Spiritu Dei, nec Dci Filius
sine Deo Patre. Ita ulriusque suhstantiae census hoininem et
Deum exhihuit : hinc natum, inde non natum. Entre ce texte
eXPrax. 7, ily a contradiction dans Ies termes. Si l'on essaie
de resoudre cette contradiction, l'idee se presente qu'il s'agit
ici de nativite metapliorique, lâ de nativite reelle. Le Verbe
est eternei, nous le savons; donc ii ne naîtpas reellement. Mais
ii se manifeste hors de Dieu dans le temps, et cette manifesta-
tion peut s'appeler par metaphore une naissance. Une telle in-
terpretation n'est pas arbitraire, car Ies apologistes lui ont
fraye la voie. Saint Justin, commentant Ps. 2, 7, dit ^ : To'te
YEVEdi'* t).u-z<M\i-'^iiyj 'fi-j^is^ix'. zolc, dvOptoTcoiţ, i\ OTOu'fi •^minic, autou £a£).A£
-/îvscOxf Yio'ţ [xou d nu' lyw (jri;j.£pov yeyivvrixd ue. Voila pourquoi,
avânt la parole creatrice, le Verbe est considere comme n'ayant
pas encore quitte le sein de Dieu. On le voit dans saint Justin,
qui parle d'une generation simultanee a la creation. On le voit
mieux encore dans saint Hippolyte, qui note Finstant ou le
Verbe se revele par des ceuvres exterieures, comme celui oii ii
apparaît lui-meme distinct (opatov ttoisî... xai ouTwţ TraptaraTo auTw
ETEpoc). On le voit enfin dans Tertullien, pour qui le mot illumi-
nateur : Fiat lax, marque Fenfantement parfait du Verbe,
II ne faut pas s'y tromper : generation, enfantenienţ, nati-
vite, en tant qu'ils affectent la personne du Verbe, sont pour
Tertullien des metaphores. Consideree de ce point de vue, la
generation du Verbe, selonles theologiens du ii^: sieclc, repond
1. Saint Justin, Vial. 88, fin. — Cette observation ost duc a G. Kull. J)ef.
/id. Nic. 3, 2, a. On peut comparer â son exposition celle de Bossuet,
Cf AvertissemenC aux proleslanls, 1" p., 68 sq.
92 THJÎOLOGIE DE TERTULLIEX.
k ce qui, au temps duconcile de Nicee, s'appelait descente ou
condescendance du Verbe dans la creation : Tcpo? xâ x-cîffpLaTx
auYXKTaSatJi; toî) Aoyou ^ . Mais nous allons voir la pensec se com-
pliquer beaucoup.
Ce qui suit se rapporte ă Tautre aspect, plus intime et plus
mysterieux, de cette meme generation temporelle.
4. Proprie te hypostadqae du Verbe fils de Dieu.
.Iustin, Dia.1. 129 : "O-ut yEyevvjjcSat
Otto tou ITaTpo; toîjto t6 y£vvYiţ;.a irpo
TravTwv (XttXw; TtJ5v %Tt(jjji,âTuv 6 Xoyoţ
sSi^Xo'j, y,al to ysvvoţ^cvov xoO Y£vvwv-
To; âpi6(JKi) £-î£ş6v ecti, Jtă; otjxtcrouv
Tatien, adu. Gr. 5 : HponviSŞ Aoyo?"
6 §£ Aoyo; oOzaTaxevoO x^P^i^^? epyov
îrptoTOTOXOv TOU riaipo^ ytvsxat.
Athenagorc, Leg. 'pro Chr. 10 :
'O riaî; TÎ poij).£TO(i ipw Sta Ppa-/îMV.
-TrpwTov y£vv-/jjj.a eîvai xw Maxpî, oOx
w; y£v6[<,£vov, ... %)X m; xwv uX'.xăiv
;u[i7t(XVXMv... loea xaî âvspysia sivai
TTposXQtov.
Theopli. acî Autolijc. 2, IO :"Exwv
ouv 6 Bsb: xov sayxoO Aoyov âvStaOsxov
$v xoî; i5ioi; aitXây/votţ, eyevvriaev
auTOv [jLsxa xvî; iauTou Xoţica; t^spsu^a-
^£V0; TTpO XtîJV OXWV.
/6. 22 : 'O Aoyoc 6 tou Beou, o; £(jt'.
y-at XVoz auTOu... (-)£oc ouv tov 6 Aoyoq
xat £x 0EOU TC£9uxdJ;...
Ilippolyt., «dl'. xA'ocf. II : IIo'.pîaTaxo
a'jxw £X£po?... O'jxo; 51 voOg o: TtpoSac
£v x6(7[J.w £0£ixvuTo TlaTţ (-)£oO. Ilâvxa
xocvjv5i'auTou,a'jx6;o£tJ'.o^'>^£xlTaxp6c.
Adv. Prax. 5 : Sevmoncm, quem
secundum a se facerot agitando se.
Ib. 7 : Quaeciimquo ergo substan-
tia Sermonis fuit, illam dico pev-
sonam, ct illi nomen Filii vindico,
et, dum Filiuin agnosco, secundum
a Patrc defendo.
Ib. 8 : Omne quod e.x: origine
profertur, progenies est, iiuilto ma-
gis Sermo Dci, qui etiam proprie
iionien Filii aocepit.
1. S. Atlianase, Or. 2 c. Arianos (Migne, 26) 62: Eî Ss xat irpwxo-t oko; tî);
y.xî(7£w; X£y£tai, aXX' ou^ ("^ţ £^t(jOijfi.£vo; xot; ■>cxî(7î;.a<7'. zal ttowtoc aOxtov xaxa
/povov, Tipwxdxo/.o? Xsysxat (Tiwţ yâp, OTto-jys HQvoy£v^j?£axiv auxo;;} aXXa Stdxrjv
7rp6ţ xa XTiTp-axa ffuyxaxaSajrw xo-j Aoyou, xa6' -/îv y.al TtoXXiov y£yov£v ao£Xcpoc...
ib. 64 : Ilafftydp âcrxi ovjXov ort oux£ ot' £ccuiov, w;xx{(7^a a>v, ouT£5tdxor7uyy£v£iav
xwa yax'ouuîav upcţiiăcav xr.v y.xîffiv r/stv, TipMxdxoxo; auxr'; ExXrjftY), âXX' oxi v.oâ
xax' âp/riv jx£v Sriţj.ioupywv 6 Adyo; xâ y.xt'afJiaxa (TuyzaxaSeorixe xoîq ycvrixoîţ, Vva
y£V£ţj6at 6uvy|6y)... Kat 6£ux£pov os TidXtv. oxi xai auyxaxaSdvxo; xou Aoyou uio-
TTo'.EÎTai xa; auxv] -q xxiţric Si' auxou. — Cf. ilohler, Athanasuis,2, p. 51 sq.
TRINITE. PROCESSION DH FILS. 93
Tous ces textes assignent comme fondement â la propriete
hypostatique du Fils sa procession du Pere; tous aussi viseiit
la gencration temporelle telle qu'on l'a vue decrite plus haut,
c'est-â-dire cette operation complexe qui, ebauchee au sein de
Dieu,aboutitâunemanifestation cxterieure dans letemps. Faut-
il croire que Ies Peres du n" sieclc nient la generation eternelle
du Verbe, ou qu'ils Fignorent? Non; seulement ils ne s'en
occupent pas. Certaines de leurs expressions paraissent l'in-
sinuer (par exemple Theopliile 2, 10 : "F./oiv oOv 5 ©so? tov ey.inoZ
Aoyov EvStâOeTOv ev toî? isîoti; (jTtAaY/voii;..., ib. 22 : tov Adyov tov ovxa
âiotTTavToi; IvStâOsTov Iv y.otpSîş Oeou., Tertullien, Prax. 7 : [Sermo]
conditus ah eo primuin ad cogitatum in nomine Sophiae], et
Fon peut dire qu'ils la supposent. En efîet, nous Ies avons
trouves unanimes â ai'firmer l'eternite du Verbe (1* serie de
textes), unanimes â affîrmer Fidentite de ce Verbe eternei avec
le Verbe engendre dans le temps (2" serie), unanimes enfm ă
affîrmer la distinction de ce meme Verbe, engendre dans Ie
temps, d'avec le Pere (4" serie). Maintenant quelle est au juste
la condition du Verbe immanent au sein du Pere? Cest ce
qu'il est bien difficile de preciser, et ce que tous ne semblent
pas avoir congu de la meme maniere. Si la generation dont
ils parlent n'affecte pas Ia substance meme du Verbe, en d'au-
tres termes s'il n'y faut voir qu'une evolution accidentelle, on
doit logiquement conclure que le Verbe, distinct du Pere apres
cette generation temporelle, etait distinct de lui des le com-
mencement'. Nous ne pretendons pas que cette consequence
1. Aussi ne consiclerons-nous pas coinmc demontrablo, quant a rcnsembtc
des Peres apologistes, la proposition de M. Harnack, D. G^ t. 1, ji. 491 :
Erst der Aoyo; npoţopixoţ ist eine vom Vater verschiedene Hypostase, der
Aoyo? £v5id(6£TO; ist Os nicht. — Plus seduisante est celle de M. Pueeli, res-
treinte a Tatien [liecherches sur le discours aux Grecs, Paris, 1903,
p. 55). « Le Logos... etait immanent (en Dieu), mais neformait pas cncore une
pei'sonne distincte. » Neanmoins, avânt d'y souscrire, nousferons obscrver
qu'elle suppose un travail d'amputation, oii briile le talent de l'e-xegete
(ib. p. 56. 114. 115), maisqui laissequelque scrupule au theologien. Qu'avec
MM. de Wilamovvitz, Schwartz et Puech on elague, commc une glose. Ies
mots v.ai 6 Aoyo; Bţ vjv ev a-j-:ş, la plirase en devient assurtimont plus alerte
etplus claire.llais cesniots ne renferment rion qu'on notrouvechez saint
.Justin, !e maître de Tatien; et Arethas Ies lisait dans son manuscrit au
commencement du x« siecle. (Voir Ies scolies, ed. Sckwariz, p. 44, dans
94 THJiOLOGIE DE TERTULLIEN.
ait ete clairement deduite, ni Ies premisses d'oii elle decoule
clairement apergues par tous Ies Peres du ii'' siccle ; consta-
tons seulement que leur point de vue n'ost pas celui de la
theologie posterieure. La theologie posterieure s'est appliquee
â decrire la vie intime de Dieu; Ies preoccupations do cette
epoque etaient d'ordre cosmogonique. De lâ, chez ces Peres,
des assertions qui parfois nous deconcertent, mais dont ii ne
fatidrait pas exagerer la faussete. Achevons de montrer que
tel est le cas de Tertullien^.
Sur la vie intime de Dieu avânt la creation, ii s'exprime ainsi,
Prax. 5 ; Dei dispositio qua fuit ante mundi constitutionem ad
asqiie Filii generationem. Cest dire clairement que la gencra-
tion du Fils, telle qu'il la considere, n'cstpas eternelle en Dieu.
Plus loin, ii montre le Fils apparaissant avec la lumiere au
premier jour du monde, et commenşant alors d'etre associe aux
ceuvres de Dieu. Ib. 12 : Primum quidem, nondiim Filio ap-
parente : Et dixit Deiis : Fiat lux, et facta est. Ipse statim
Sermo lux vera, quae illuminat Jiominem venientem in hune
mundum, et per illurn mundialis quoque lux. Exinde autem
in Sermone, Christo assistente et administrante, Deus voluit
fieri et Dens fecit. Dans le trăite contre Ilermogene, ii declare
positivement que le Fils n'a pas toujours existe. Herm, 3 .•
Fuit autem tempus cum et delictum et Filius non fuit, quod
Jadicem etqui Patrem Dominurn faceret. Et plus loin, Flerm.
18 ; Denique ut necessariam sensit [Deus Sophiam) ad opera
mundi, statim eam condit et generat in semetipso . Dominus,
Ies T. Ij., t. 4, I8&S). — Peut-etre vaut-il mieux s'abstenii- de conclu-
sions trop explicites : la notioii claire ol precise des poi'sonncs divines
appartient ă une theologie moins rudimentairo que celle duu' siecle. Sur
Ies obscurites dont la notion de pcrsonne est envclopp6c dans la pliilo-
sophie grecquc, \oir ZelJer, Die Philosophîe der Griechen'^, 3'" Tlicil,
2"= Abt., p. 365.
l. Ceci a ete bien vu par Dom JIarecUal, Concordance des Saints Peres,
t. 1, Doctrine de TerluUien, 8. i). p. 540. — On ne peut d'ailleurs mecon-
naître dans l'exposition de TertulUen le condit de doctrines disparates,
et en particulier la penetration des idees stoi'ciennes sur la .substance. Voii'
Aall, Geschichte der Logosidee, t. 2, p. 377. Ces incohej-ences sont parfai-
tement mises en lumiere par M. Stier (p. 81 sq.), qui d'ailleurs nous pa-
raît beaucoup trop tranchant sur l'originc temporollc de la personnalite
du Verbe selon Tertullien (p. 85).
TIUNITE. — PliOCiiSSION DU FILS. 05
inquit, condidit me initiwn <,>iaruin suarurn in opera siia :
ante saecula fundavit me, priusquam faceret terram, prius-
quam montes collocarentur; ante omnes auteni colles gene-
ravil mc, prior autem abysso genita siun. Agnoscat ergo
Hermogenes idcirco etiain Sophiam Dei natam et conditam
pracdicari, ne quid innatum et inconditum praeter solum
Deum crederemus. Si enim intra Dominam quod e.v ipso et
in ipso fuit sine initio non fuit, Sophia se. ipsius exinde nata
et condita ex quo in sensii Dei ad opera mundi disponcnda
coepit agitări, multo magis non eapit sine initio quicquam
fuisse quod extra Dominum fuerit. Ce dernier texte, dont on
peut rapproclier Prax. 5, fin, et 6, crea, â vrai dire, una dif-
ficulte serieuse, car ilfait commencer au sein da Dieu l'âvolu-
tion temporelle qui aura pour terme la pleine revelation du
Verbe, au grand jour de la crcation. II faut sans doute voir
dans cette conoeption un effet de ce materialisme instinctii'dont
nous avons deja rencontre des traces, et dont Tertullien n'a
jamais su se degager ^ . Quoi qu'il en soit, ses assertions pro-
cedentes demeurcnt : le Verbe est eternei en Dieu. 11 faut re-
tenir ces assertions pour contrebalancer ou redresser ce qu'il
dit du point de vue de la generation temporelle.
Ce dernier point de vue nous deconcerte ; on ne peut dire
pourtant qu'il soit totalement inadmissible, et lâ-dcssus ii
semble qu'on ait parfois noirci âl'exceslapensee de Tertullien -.
On connaît la celebre formule arienne qui nie l'eternite du
Verbe : ^v 6V oux^v. Cette formule, nous venons de la rencontrer
chez Tertullien [Herm. 3; ; mais avec un tout autre sens, puisque
chez lui elle signifie seulement qu'il y aut un temps ou le Verbe
ne s'etait pas manifeste liors da Dieu, ne pouvait etre appale
le premier-ne de toute creation, n'avait pas acquis ce titre de
Fils de Dieu qui est attache â sa revelation exterieure. La
1. Ocoi-ge BuU, Def. fid. Nic, 3, 10, 4, tente iino autr(> voie d'interpreta-
tion benigne.
2. Petau, Tlieol. dogra., de TrinUato, 1, 5, 2 : (Tertullianus) opinionem
explicat suam, quae ctiani Ariauam haei-esira impietate et absurditate
superat.
o. Rappelons encore Ie mol do l'ep. ă Diognete, 11 : Outo; 6 âsi, 6
96 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
pensee de Tertullien est bizarre quant â Tensemble, et incor-
recte en bien des details ; on ne peut nier cependant qu'elle ne
reilete la pensee theologiquc de son temps, et qu'elle ne differe
de celle d'Arius ' .
4° ha procession du Saint-Esprit occupe dans le trăite contre
Praxeas une bien moindre place que la procession du Fils. La
conception de Tertullien repond au concept grec pluto t qu'au
concept romain. Les Grecs diront que le Saint-Esprit procede
du Pere par le Fils, et Tertullien ecrit, 4 : Spiritum non aliunde
puto quam a Patre per Filium. Plus loin (commentant saint
Jean, 16,14), 25 : De meo sumet, inquit^ sicut ipse de Patre.
ha connexus Patris in Filio et Filii in Parac.leto tres efficit
cohaerentes, alterum ex altero, qui tres unum sint, non uniis.
Les memes comparaisons qui ont servi â jeter quelque lumicre
sur la consubstantialite du Pere et du Fils regoivent un nou-
veau developpement, approprie â la troisieme personne : c'est
le fruit qui naît du rameau, c'est le ruisseau derive du fleuvs,
c'est la splendeur qui termine le rayon. 8 : Tertius enim ext
Spiriius a Deo et Filio, sicut tertius a rădice fractus ex frutice,
et tertius a fonte rivus ex flumine, et tertius a sole apex ex
radio. Nihil tamen a matrice alienatur, a qua proprietates
suas ducit. Ita trinitas per consertos et connexos gradus a
Patre decun-ens et monarchiae nihil ohstrepit et oeconomiae
statum protegit.
On vient de voir Tertullien dislingucr le Saint-Esprit du
Fils. Cette distinction n'est pas tellement ferme dans sa pensee
qu'il ne confonde quelquefois, ainsi qu'il est arrive ă d'autres
Peres anciens ^. Enumerant les trois personncs de la Trinite,
ii s'exprime ainsi, 12 : Pater,... secunda persana Sermo ipsius,
et tertia Spiritus in Sermone. Plus loin, commentant Luc.
1, 35, ii donne cette formule precise des relations entre le Fils
et le Saint Esprit : l'Esprit est la substance du Verbe, le Verbe
est Toperation de l'Esprit, et tous deux ne font qu'un, unum.
1. Dans le trăite De Trinilale attribuo â Novaticn, Icquel offrc de
grandes analogies avec Io traitâ contre Praxeas, la thcorle de la gencra-
tion temporclle du Verbe est abandonnee, et la generation eternello pro-
fessee tres ncttemcnt (§ 31 ).
i. Voii- Petau, De Trinilale, \, 14, 2. 3.
TKIXIT];. LE SAINT-ESPRIT.
97
26 ; Hic Spiritus Bel idem erit Ser mo. Sicutenun Joannedi-
cente (Joan. 1,14) : Sermo caro factus est, Spiritum quoque
intelleglmus in mentione Sermonis, ita et hic Sermonem
quoque agnoscimus in nomine Spiritus. Nam et Spiritus sub-
stantia est Sermonis et Sermo operaţia Spiritus, et duo unum
sunt. II insiste encore sur cette identifîcation dans Ies paroles
suivantes : Ceterum aliumJoannesprofitebiturcarnemfaclum,
alium angelus cariiein futurum, si non et Spiritus Sermo est
et Sermo Spiritus. Et apres avoir bien marquo que TEsprit
n'est pas Dieu (c'est-a-dire Dieu le Pere), suivant son idee jus-
qu'au boutjildecrit Tlncarnation en ces termes ; His itaque
rebus, quodcumque sunt, Spiritu Dei et Sermone et Virtute
collatis in virginem, quod de ea nascitur Filius Dei est. Un
peu plus loin, ii paraît enseigner l'incarnation du Sain-t-Esprit,
27 : De Spiritu Sancto Virgo concepit, etquod concepit, idpepe-
rit;id ergo nasci habebat quod erat conceptum et pariundum,
i. e. Spiritus, cujus et vocabitur nomen Emmanuel, quod est
interpretatum : Nobiscum Deus. II y a ici confusion materielle
entre le principe actif de Ia generation, qui d'apres saint Luc
est le Saint-Esprit, ct le terme de cette generation, qui est Ie
Christ. Cette exegese n'est pas nouvelie : Tcrtullien l'avait
trouvee dans saint Justin *, qui pourtant distingue trois per-
sonnes divines. On lit un peu plus bas, 29 ; Et Spiritus Dei
quod pati possit in Filio, quia non in Patre pateretur sed in
Filio, Pater passus non videretnr. Sed sufficitnihil Spiritum Dei
passum suo nomine; quia, si quid passus est, in Filio quidem
erat-. Dans ces divers textes, l'Esprit de Dieu apparaîtcomme
la divinito communiquoe par le Pere au Fils; c'est toujours
Spiritus In Sermone, Ia troisieme personne ne se degage pas
nettement de la deuxieme ^.
1. Saint Justin, 1 Ap. 'X\ : To lIv£U[xa ouv xai t:y]v o"jva(jLtv Ty;v Trapa xovi
0£oO oî^obj aXXo vor^aai Osiit;, '/) tov Aoţov, o^ xal TrptoToioy-o:; T(a> 0î(p Igi:. —
Cliez saint .Iustin, Ie Saint-Ksprit apparait sous Io nom do io ITvcuiJ.a
TtpoîY-iTixov, comme coniim- dans Ia fonction prophotiquo. (I Ap. l:j. 30.
40. 41. -12. 4-1. 17. 48. 49. 51. etc.)
2. Nous avons conserve I<^ texte do plusicur.s mss., de prefcrenco aux
conjectures de Fulvio Qrsini (reproduite par Rigault, Mignc; d'ailleur.s
excellente comme paraphrase) et d'Oehler.
3. Traces d'un langage semblablc chez Ies preraiers Percs, ap. Pctau,
TIIEOI.OGIE DE TERTLI.LIEN. 7
98 THEOLOCIU DE TIÎRTULLIEN.
Mais ii faut avoir presenle la pensee directrice de Tertullien.
Prax. 26, ii combat certains monarchiens qui, plutot que de
distinguer des personnes dans l'esscnce divine, Ies distin-
guaient en Jesus-Christ, mettanţ d'un câte le Christ, c'est-ă-
dire Dieu, le Pere, TEsprit, de l'autre Jesus, c'est-â-dire
rhomme, la chair. Pour Ies refuter, ii importait de montrcr
la divinite meme, l'Esprit, se faisant chair. L'apologiste croit
decouvrir, dans l'evang-ile meme de rincarnation, ce nom
d'Esprit applique â la personne du Verbe, et ii s'en empare,
sans se preoccuper des complications inextricables introduites
par ce langage dans la theologie de la troisieme personne.
Au reste, rien n'est plus iVequent que cette designation du
Verbe par le nom de Spiritus. Notons : Ap. 21 : Ita de Spiritri
Spiritus et de Deo Deus, ut lumen de lumine accensum ; ib.
23 : Chrislus... venturun... ut Dei Virtiis et Dei Spiritus et
Sei-mo et Sapientia et Ratio et Dei Filius; Or. 1 : Dei Spiri-
tus et Dei Ser/no et Dei Ratio, Sermo Rationis et Ratio Ser-
tnonis et Spiritus utriusque Jesus Christus Dominus Noster;
Or 21; iM. 10; ib. 19 : Aniio XV" Tiberii Christus Jesus
de caelo inanare dignatus est, Spiritus salutaris: 3M. 6. 16;
4il/. 18. 21. 40 : In quo Christo consistere haberet tota subs-
tantia Spiritus, non quasi obventura illi qui semper Spiritus
Deifaerit; c.C. 14. 19 : Verbuin Dei, et cum Verbo Dei Spi-
ritus et in Spiritu Dei Virtus et quicquid Dei est Christus ;
Prax. 14 : Spiritus personae ej'us Christus Dominus ' .
Prax. 29, ii n'en va plus de meme. Tertullien ticnt tete aux
Patripassiens, qui faisaient souffrir le Pere avec le Christ. Pour
mettre le Pere hors de cause, ii observe d'abord que le Fils n'a
souffert que dans sa chair, car la divinite est impassible [Tam
autem incompassibilis Pater est quam impassibilis etiam Fi-
lius, ex ea condicione qua Deus est). En second lieu, quand
meme le Fils e\\t souffert en tant que Dieu, la souffrance ne
pouvait refluerjusqu'au Pere (Ceci est explique par comparai-
son). El pareillement, si l'Esprit de Dieu avait souffert dans le
De Trinilale, i, 14, t-?>. — AjouKîr : Hermas, Pasiear, Sim. 5, (j, 5; Sim.
9, 1, 1 (cf. 9, 12, 2); Theophile d'Antioche, ad A'ulolyc. 2, 10.
1. D'apres Jeremie, Thrcn. 4, 20. — Sur ce texte, voir c. V, § 3, p. 227.
TlilNITE. LE SAINT-ESPEIT. 99
Fils, le Pere fut reste en dehors de cette souffrance. Mais cette
derniere supposition est a ecarter : Sufficit nihil Spirituni Dei
passiim HUO noinine, quia, si quid passus est, in Filio quidem
erat. Ces mots sont fort obscurs. Nous croyons pourtant rc-
connaître dans : Spiritus Dei suo nomine, la personne du Saint-
Ksprit; etl'allusion que fait Tertullien, aussitot apres, a l'habi-
tation du Saint-Esprit dans l'âme juste, s'acoorde avec cette
explication. Le sens serait donc que le Saint-Esprit n'a pas
souffert a titre personnel; toutclbis, demcurant dans le Fils,
ii fut mediatement interesse â sa passion.
II semble d'ailleurs legitime de transportor cette distinction
â la question precedente, et de dire que si le Saint-Esprit in-
tervint dans rincarnation du Verbe autrement que comme
cause efficiente, ce ne fut pas ă titre personnel, suo nomine,
mais par voie de concomitance avec le Verbe. Cette observa-
tion ne suppriine pas toute incoherence dans Ies pages que
nous venons d'analyser; du moins elle permet de dire que Ter-
tullien n'a pas precisement enseigne l'incarnation du Saint-
Esprit.
Une chose certaine est que la personnalite du Saint-Esprit
n'apparaît que tres confusement dans le trăite contre Pra-
xeas ' .
5" Quand on entreprend de preciser la pensee de Tertullien
sur la hierarchie des personnes dinnes, on eprouve un certain
embarras, carles textes se contrediscnt, et fournissent descon-
sidcrants aux avis Ies plus contraires, depuis Toptimisme de
George Bull, k qui la doctrine de Tertullien paraît : cum Ni-
caena fide omnino conspirans-, jusqu'au pessimisme de
M. Harnack, qui y trouve le subordinatianisme le plus mar-
que^. Plusieurs de ces textes ont ete cites dans Ies pages qui
precedent; nous reunirons ici Ies principaux.
1. Dans le Be Trin'Uale attribuc â Novat.ien, on n'apcrcoit plus la divi-
nite du Saint-Esprit {%% 7 ot 31). Aussi l'hci'esie macedonienne s'en fit-elle
une arme. — Quant â. Tertullien, Ies conclusions do M=' Freppel (32° lecon
fin) nous paraissent empreintos d'uii optimisme excessif.
2. Def. fid. Nic. 2, 7.
3. D. G'-'.t. 1, p. 532 : den ausgepragsten Subordinatianismus.
100 -THEOLOGIE DK TERTULLIEN.
Rappelons d'abord que, d'apres la formule meme du dogme
[Prax. 2), Ies Irois personnes divines sont unius substantiae
et unius status et unius polestatis. Cette egulite d'honneur
apparaît encore, 22 (â propos de Joan. 10, 30) : Unum sumus
dicens, ego et Pater, ostendit duos esse quos aequat etjungit;
et 17 (â propos de Joan. 16, 15) : Omnia, inquit, Patris mea
sunt. Cur non et nomina? Cum ergo legis Deuin omnipoten-
tem et Altissimum, et Deum vlrtutum et Regem Israelis, et
Qui est, fide ne per haec Filius etiam demonstretur suo Jure
Deus omnipotens, qua Serino Dei omnipotentis quaque om-
niuin accepit potestatem^ . On peut ajouter 4Af. 25 : Omnia
sihi tradila dicit a Patre. Credas si Creatoris est Christus,
cujus omnia, quia non minori se tradidit omnia Filio Creator ;
et JR. 6 : Et Sermo enim Deus, qui in ef/îgie Dei constitutus
non rapinam existimavit părem esse Deo.
A Tencontre do, ces textes, pleinement conCormos a la foi de
Xicce, on en peut citer d'autrcs qui ont pani indiqucr un par-
tage inegal de la divini te entre Ies trois personnes. Ne nous
arretons pas â ce qu'il y a d'ambigu dans la formule du
dogme, Prax. 2 : tres ... gradu ... forma... specie. Ces expres-
sions marquent l'ordre des processions divines^ et la distinc-
tion des personnes, sans qu'on en puisse rien conclure de
plus. Des controverses posterieures reveleront le besoin d'une
terminologie plus precise; constatons seulement ici Tembarras
du thcologien, oblige de creer sa languc.
Mais voici d'autres assertions plus suspectes. Prax. 9 : Pater
enim iota suhstantia est^ Filius fero derivatio totius et portio,
sicut ipse profitetur (Joan. 14, 28) qnia Pater major me est.
Laplupartdes Percs entendent ce texte evangelique du Christ
considere selon sa nature liumaine. Cependant plusieurs l'ex-
pliquent de la nature divine, en considerant l'ordre des proces-
sions qui donne au Pere une preseance''. Le commentaire de
1. On cite quelquefois Prax. 7; uiais Ie mot părem est docidemeiit uno
fausse lecon. Voir ci-dessus (p. 90).
2. Saint Justiu avait rtit de nierae, 1 Ap. 13 ; 'IrjiroCiv Xoitriov... utov auxoî
3. Yoii-Athanasc, Or. 2 c. Arian ; PSasile, L. 4 c. Eunom., Greg'. î\'az. Or. 4 c.
TRINITli. IIIEIIARCHIE DES PEIiSONNES. 101
Tertullien n'aurait doric rien que de normal, s'il ne i-enfermait
ces expressions etonnantcs : derivaţia totias etportio. On Ies
retrouve encore, 14 (au sujet des theophanies) : Consequens erit
iitinvisibilem Patrem intellegamus pro plenitudine majestatis,
viaibilem vero Filium agnoscamus pro modulo derivationis;
et 26 (au sujet de Luc. 1, 35) : Dicens autem Spiritus Dei,...
non directa Deum nominaris, partianem totius intellegi vo-
luit, quae cestsura erat in Filii nomen. Et plus loin : Quod
Dens Dei tanquam substantiva res, non erit ipse Dens, sed
hactenus Dens qua ex ipsius Dei substantia, qua et substantia
estet ut porţia aliqua totius^ .
La saveur subordinatienne de ces expressions est indeniable.
Toutefois n'oublions pas qu'en Ies employant Tertullien pro-
teste energiquement contre toute doctrine emanatiste qui se-
parerait le Pere du Fils [Prax. 9. 11 et passim; ci-dessus
p. 73). Si le Fils peut s'appeler une portion de la substance
paternelle, ii ne laisse pas d'avoir part â la meme plenitude
(Voir ?>M. 6 : Non negans enim Filium et Spiritum et substan-
tiarn Creatoris esse Christum ejus, coneedas necesse est eos
qui Patrem non agnoverintnec Filium agnoscere paluisse, per
ejusdem suhstanliae condicionem, cujus si pleniludo intellecta
non est, multo magis portio, eerte qua plenitudinis consars).
Les comparaisons connues du soleil et du rayon, de la source
et du lleuve, de la racine et de la tige indiquent comment on peut
essayer de commenter ces passages et d'autres semblables^.
En particulier, pour ce qui concerne les tlieoplianies," ii est
necessaire de preciser la ponsee de Tertullien, si Fon veut lui
etre equitable. 11 n'a nullement pretendu que, selon la divi-
Arian., Chrys. Horn. 74., Hilar. Trin. !), E|)iphano, et autres, ap. Petau,
de 'l'riniiale %, 2. — On pourrait concevoir quolque doute sur la ponsee de
Tertullien, parce qu'il apporto aussitot apres un texte relatif au Verbe
incarne, Ps. 8, 6 : minofatus... modicum quid c'ilra angelos. Mais enrealite,
dans ses nombreuses allusions â ce texte, Tertullien ne considere pas tant
la nature humaine du Clirist que la condUion, du Christ, abaisse cn terr-e.
Par ailleurs ii tlent la nature humaine pour superieure â la nature an-
g(;iiquo (voir 2 M. 8). — Compare/. Prax. l(i, et sin-tout 23 : minoravil Fi-
lium modicum cilra angelos, ad terrani demiltendo. \oiv infra eh. III, g f.,
p. 155.
1. Sur ce concept economique de Ia Trinito, voir Stier, p. 95 sq.
2. Voir les distinctions preciscs do Bull, 2, 7, 5. — ISossuet,/. c.lOet 45.
102 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
nite, le Pere fut seul invisible et le Fils visible; ii dit au con-
traire expressement que le Fils n'est pas moins invisible que
le Pere, Prax. 14 : Dicimus eniin et Filium siio nomine eate-
nus inviaibilem qua Sermo et Spiritus Dei ex substantiae con-
dicionejam nune, et qua Deus et Sei-mo et Spiritus Dei. Mais
ii ajoute, d'accord avec la plupart des Peres antcniceens',
que, dans Ies Theoplianies de l'A. T., le Fils, en sa qualite de
messager du Pere, apparut seul visiblement et preluda ainsi â
rincarnation. A cet effet, le Fils, invisible en sa propre subs-
tance, empruntait des apparences sensibles, et parfois un vrai
corps humain [Prax. 14. 16; 2M. 27; 3 M.9. 10; 5 i¥. 19;
c.C. 6). Cette doctrine, exploitee par Ies Ariens, fut com-
battue par Ies Peres du quatrieme siecle^, et dispărut de l'en-
seignement catholique ; d'ailleurs elle ne merite pas tous Ies
anathemes dont on accablait Tarianisme, d'autant qu'elle
n'exclut pas l'operation commune des trois personnes divines
dans la manifestation d'une seule d'entro oUes. Petau, inter-
prete de la tradition postniceenne, raillo ceux qui ne voient
partout que theophanies du Verbe*. Le fait est que cette
theorie manque de fondement scripturaire ; c'est lâ son plus
grand tort. D'ailleurs elle n'entame pas le concept fonda-
mental de la Trinite.
La formule adequate â la pensee de Terlullien reste difficile
â trouver, et peut-etre ne la faut-il pas clierclier trop precise,
pour cet esprit plus remarquable par la fougue dialectique
1. Saint Justin, 1 Ap. 03; Dial. 56-60; 127; saint Ironeo, 4, 6, 3, 5-7; 4,
20, 4. 5. 11; saint Theopliile, 2, 22; Clement Alox., Paedag. 1, 7. p. 110-
111 (ed. Paris.); Strom. 4, p. 537 ; 5, p. 502; 6, p. 643-044; 7, p. 733; No-
vatien, De Trin. 25. 26.
2. Par exemple saint Ambroise, L. 2 in Lv.cam : Invisibilis enim Pater,
sed et Filius invisibilis secundam divinitatem : Deum enim nemo vidit
unquam. Cum ergo Filius sit Deus, in eo utique quod Dens est Filius non
videtur. — Saint Augustin cite ce texte (Ep. UI), et expose la menie doc-
trine en son livi'e 2 De Trinilale.
3. Petau, De Trin. 8, 2, 13 : Divinaro illos puto qui, quoties insignis
aliqua funcţie agitur, Filii ubique personam introducunt, ac neque per-
sonis ceteris neque angelis prodeundi copiam faciunt. — BuU (4, 3. 15
fin) demeure attaclie aux Peres auteniceens sur la qucstion des appari-
tions du Verbe. — Sur l'exegese de ces theoplianies, voir le R. P. La-
grange, L'Ange de Ja/ive, dans lievue BibUque, 1903, p. 212 sq.
TRINITE. T— HIIÎRAKCHIE DES PEUSONXES. 103
que par la nettete des concepts. On a justement observe^ qu'a-
pres l'eclosion des tlaeories modalistes, sa doctrine sur la Tri-
nitc, oii ii reedite la generation temporelle du Verbe, constituo
un anacbronisme : le fait est qu'il se meut dans le sillage des
anciens apologistes ; ii ne faut pas attendre de lui une iniţia-
tive intelloctuelle assez ferme pour tracer une voie definitive â
travers des idees si liautes et encore si neuves. D'une part ii a
voulu venger, contre ies monarcliiens, la Trinite des personnes
divines ; d'autre part ii craint tout ce qui paraîtrait compromet-
tre la majeste du Dieu unique. Entre ces deux positions bien
sures, ii cherche, avec plus ou moins do bonheur, â marquer
la ligne du dogme. Son langage est tranchant et, â considerer
sa teneur objective, parfois grossierement inexact; mais ces
faiblesses de detail n'atteignent pas le fond du mystere. La
critique doit lui savoir gre d'un efîort genereux, et ne pas por-
ter dans la discussion de ses ecrits Ies precisions dogmatiques
de la theologie postniceenne.
1. Stici-, p. 79.
CIIAPITRE III
LA CREATION. - HOMMES ET ANGES.
I. LA CREATION.
En rechevcliaiit, au chapitre precedent, Ia pensee de Tertul-
lien sur Ies atlributs de Dieu, nous avons rencontre diverses
opinions touchant Forigine du monde, et d'abord celle d'Iiermo-
gene, qui nic la crcation. TertuUien combat celte opinion par
la raison et par rh'criture.
Hermogene peut âtrc considere comme un precurseur de
Manes. La doctrine de la matiere increee, empruntee par lui
aux anciens philosophes, specialement aux stoiciens, avoit pris
entre ses mains une forme nouvelle. 11 insistait sur l'existence
du mal, fait â ses yeux inexplicable dans l'hypothcso d'un
monde sorti tout entier des mains de Dieu; et de ce dualisme
qu'on remarque dans la natura, ii inferait la necessite d'un
double principe : Dieu, auteur du bien, et la matiere, source
du mal.
Or l'eternite est un altribut propre de Dieu : donc proclamer la
matiere eternelle, c'est la diviniser. Ainsi raisonne TertuUien.
II reprouve cette apotheose, et alfirme en termes excellents la
creation ex nihilo ^ : Cum in omni operatione tria sint princip a-
lia : qui facU, et quod fit, et ex quo fit, tria nomina sunt odenda
in legitima operis enarratione : personafactoris, species facti,
forma materiae. Si materia non edetur, ubi et opera et operae
operator eduntur, apparet ex nihilo eum operaUun. Le dogme
1-/^.20.
CREATION. ;105
de la creation, enonce distincteraent au livre des Machabees (2
Mac. 7, 28), ressort d'ailleurs du silence m6mc do l'Ecriture sur
Ia matiei'e premiere de l'operation divine (Gen. 1, 1, sq) ''. Par-
tout ailleurs, Ies Livres saints nous montrent des transforma-
fcions accomplies dans la nature; mais ces transformations
elles-memes supposent une operation iniţiale de Dieu, qui a
donne â la maticre un premier etre -.
Hermogene ajoutait que Dieu s'est toujours appele, non seu-
lement Dieu (Dens), mais Seigneur [Do minus), et que ce nom
exige un domaineactuel, donc une matiere coeternelle â Dieu^.
Tertullien nic ce fait : ii admet qu'il y eut un temps ou Dieu
n'etait pas Seigneur. De meme qu'il commenga d'etre Pere cn
ayant un Fils ', d'etre Juge en evoquant le peche au tribunal
de sa justice, de meme ii commenga d'etre Seigneur en se
creant un domaine. Si Hermogene proteste, Tertullien le presse
par l'Ecriture, et lui montre dans le texte de la Genese l'instant
oii ce domaine de Dieu commenţa : c'est l'instant oii, ayant
achcve le monde, et surtout Thomme, qui en est le roi, Dieu
prit possession de son ouvragc. (Gen. 2, 15). Alors, pour la
premiere fois, on lit dans le texte sacro ce mot : Dominiis.
Enfin — dernier trăit — la maliere eternelle, cchappant â Dieu
par son origine, ne releve pas.de lui; et donc. ne remplit pas Ies
inlentions du pliilosoplie, qui l'assigne â Dieu pour domaine.
Ce mot final porte juste; mais sur Ies autres points, quels
que soieut Ies torts d'IIermogene, ii faut reconnaître que son
adversaire manque le but. D'abord ii n'y a point de parite
entre la denomination de Seigneur, qui apparticnt â Dieu, de
necessite absolue, envers tous Ies etres possibles, et ces deno-
minations de Pere et de Juge, qu'il acquiert dans le temps â
raison de faits particuliers, savoir la generation temporelle du
Verbe " et le peche. Quant a l'argument scripturaire, bien frele
en est la base. Tout d'abord ce mot Dominus, que, dans sa
1. H. 21. 22.
2. //. 33.
;). //. 3.
'4. Sur rintprpretation de ce toxto. voir (-h. II, p.!)4.
5. Nous raisonnons si'lou Io concopt de TertuJlion, cxpliqu(! au chapiti'C
precodent.
106 TUIÎOLOCIE DE TERTULLIEN.
Bible latine, Tertullien lisait pour la premiere foiKS Gen. 2, 15,
apparaît oiize versets plus haut (Gen. 2, 4.) dans notre Vulgate,
sur ce point plus conforme et â l'original hebrai'que et aux
Septante. Nous devions relever ce detail, puisque Tertullien
attaclie ici tant de prix aux mots. Mais au fond, peu importe :
car ^tiSk et mni ne se distinguent pas precisement comme
Deus et Dominus. Ces arguties n'ajoutent rien â la deroute
d'Hermogene, deja- complete sur le terrain metaphysique.
Une doctrine comme celle d'Hermogene, qui retournait aux
anciens philosophes en affirmant l'eternite de la matiere, pou-
vait passer pour exceptionnelle entre Ies heresics. Tertullien le
constate en argumentant contre Marcion'.
L'ecole de Marcion, plus spiritualiste que celle d'Hermo-
gene, conservait la creation, mais la defîgurait en l'attribuant
au Dieu rigoureux de I'Ancien Testament, qui n'a rien de com-
mun avcc Jesus-Clirist. Consequemment elle s'attachait a
deprecier le monde materiei. Tertullien saisit volontiers Focca-
sion de le rehabiliter. Nous nous souvonons, dit-il, des actions
de grâces dues â Dieu notre Createur et Seigneur; nous ne
nous interdisons pas la jouissance de ses dons, mais l'abus : ii
sufîit de garder la temperance^. Les Marcionites raillent l'oîu-
vre du Createur. Beau travail! disent-ils, et bien digne de
Dieu! — Eh! oui, repond Tertullien, raillant â son tour, beau
travail, encore que le monde soit tout entier pour l'homme.
T>es Grecs l'appellent d'un nom fort convenable {xo!rp.o;), qui ne
marque point de mepris, mais une juste admiration^. Les
liommes sont alles jusqu'ă en adorer les elements. Thales divi-
nisait l'eau, Heraclite le feu, Anaximene l'air, Anaximandre
rimmensite du ciel, Strabon le ciel et la terre, Zenon l'air, Pla-
ton les astres, qu'il appelle des dieux ignes. Et en effet, la
grandeur, lapuissance et l'ordre constant qu'on remarque dans
1. A'. 11 : OranCKS lorchaercses, natum et liicturii nuindum a un uont'js, con-
ţi itionem Deo nostro adsci-ibimt.
2. Ap. 42. Ce soln de ne pais deprecier outrc mesure la creation mat('-
rielle est un des traits par lesquels Tertullien differe le plus de Tatien, cs-
prit a d'autres egards si semblable. Voir A. Puech, Recherches sui' le Dis-
cours aux Grecs, de TaCien, p. 67.
3. 1 M. 13.
cniiATiox.
107
le monde ont pu faire croire â Teternite des parties qui le com-
posent. De la Ies mages perses, Ies hierophantcs egyptiens,
Ies gymnosophistes indiens ont tire une religion cosmique.
Au-dessous de ces penseurs, Ies idolâtres vulgaires, quand on
Ies fait rougir de leurs superstitions, se refugient dans le sym-
bolisme, et dcclarent n'adorer que Ies forces de la natni'e :
.lupiter, Junon, Vesta, Ies Camenes, la grande Mere devicnnent
la lumiere, l'air, le feu, l'eau, la terre ; Osiris est identific â la
iiature fecondc ; Mithra, selon ses lions '' , â la nature seclie et
torride. Descendons de ces hauteurs. Une humble ileur de liaie,
une coquille marine, une plume de coq de bruyere, pour ne
rien dire du paon, sont-elles des oouvres d'art meprisables'r
Imitez, si vous le pouvez 2, Ies alveoles de l'abeille, Ies greniers
de la fourni, Ies toiles de Taraignee; luttez avec le moindre de
ces moustiques dont la piqure vous irrite : jusquc dans ces
etres infimes, vous devrez venerer l'oeuvre du Tout-puissant.
Considerez enfin riiomme, cette creature pour laquelle le
Christ, votre Dicu, n'a pas craint de descendre du troisieme
ciel dans ce domaine du Createur, et d'y mourir sur une croix.
Mais ii est d'autres creatures encore que le Christ a lionorees :
ii fait servir l'eau et l'huile a ses sacrements ; le pain au sacre-
ment plus auguste de son corps. En se montrant plus difficile
que son Dieu, le marcionite fait preuve d'un orgueil insoute-
nable. Mais le mopris qu'il afîecte n'est pas sincere. 11 medit
du ciel, et cependant ii lui faut une demeure qui laisse le
cbamp libre â ses regards. 11 medit de la terre , dont son pro-
pre corps est petri, ct ii tourmente le sol pour approvisionner
sa table. II medit de la mer, et ii en fouille Ies profondeurs
pour en tirerune nourriture plus digne de son ascetisme. Qu'on
lui presente une rose, ii oubliera aussitot son mepris pour le
Createur. Hypocrite! quand meme, pour mieux obeir ă Mar-
1. Dans Ic culte de Mithra, Ies iitities du •l" degre s'iippeUu(uit liuns. —
Dcu.x stipulcres rcccmment d('couverts preş do Tripoli, sans doutc ccux de
d(Hixepoux, portent des pcintures represcntant un lion et une lionne bondis-
sants, avec Ies inscriptions : qui leo jacel; — quae lea jacel. (Communica-
tion de M. Clerniont-Gannoau a TAcadcmie des Inscriptions, 20 fev. 1903). —
Voir d'ailleurs Fi-anz Cumont : Textes et monv.ments figures relatifs au cidle
de MUhra. Bi'uxelles, 2 in-4. 18C0-90. passini: notauiment t. I. p. 315 sq.
2. 1 M. 14.
108 TIIIÎOLOGJE DE TERTULLIF.N.
cion, ii se laisserait mourir de faim, le residu de sa substance
appartiendrait encore au Createur. Voilâ comme on medit de
la matiere ; et cependant on vit dans la matiere et on y meurt.
Les memes heretiques, pour ruiner la croyance â la resur-
rection, disaient tout le mal possible de la cliair : TertuUien
en entreprend le panegyrique. II va nous i'alloir rlictoriquer,
dit-il ' : les heretiques nous y forcent, aussi bien qu'â philoso-
pher. Tout d'abord, quelque opinion qu'on professe sur la
creation materielle, on doitavouer que la chair n'existe que par
la permission de Dieu : c'est deja une presomption en sa fa-
veur. Saint Paul nous avertit que la figure de ce monde passe
(1 Cor. 7, 31) ; mais n'oublions pas que, dans ce monde, Thonime
— corps et âme — occupe une place absolument â part : ii en
est roi, par investiture divine. Montons plus haut encore, ct
considerons le dessein de Dieu dans la creation de riiomme.
En petrissant le limon qui devint Adam, Dieu ebaucliait son
Clirist 2 : une si grande ceuvre sufiit â ennoblir la plus vile
matiere. On venere les mains de Phidias, qui ont sculpte en
ivoire Jupiter Olympien : et que penser d'unc operation oîi
Tartisan est Dieu meme? Donc ne prenons point scandale de ce
limon terrestre : Dieuen tire une chair glorieuse. II anime cette
cliair de son souffle ■'. Associee ă I'âmo pour toutes les opera-
tions de la vie physique, intellectuelle, sociale, la chair devient
sa compagne et sa coheritiere, dans le temps d'abord, et
bientot dans Teternite. La raison commune en, temoigne.
Auxyeux de la foi. Ie role de Ia chair grandit encore ■*. L'homme
ne merite que vivant dans la chair. C'est elle qu'atteignent
immediatement Ies rites sacramentaux •' ; elle qui l'ait Ies frais
de tant d'oeuvres saintes : le jeune, la virginite, Ia captivite. Ie
martyre. Si parfois l'Ecriture humilie Ia chair, ailleurs elle la
releve ". 'J'oute chair, ditlsai'e, est une herbe qui passe (îs. 40, 6) ;
1. it. 5.
i. li. (i : Quoflcuniquo oiiim linuis exprimeljatiir, Cluistus cogitabatiir
homo futurus.
3. R. 7.
4. R. 8.
5. Comparer le trăite De la resurrecikm attribin; â saint Justin, S
(P. G. 6, 1586).
6. B. IO.
CRIÎATION. 109
mais Tinstant d' avânt ; toute cliair verra le salut de Dieu [ib., 5).
Dieu s'ecrie en sa colere : Mon esprit ne demeurera point en
ces liommcs de chair (Gen. 6, 3) ; mais par la bouche de Joel :
Je rcpandrai mon Esprit sur toute chair (Joel. 2, 28). L'Apotre
maiidit la chair qui conspire contre l'esprit (Gal. 5, 17); mais
ii s'honore de porter en sa cliair Ies stigmates du Christ. (Gal.
G, 17). II ordonnc aux cliretiens de respecter leurs corps comme
le templcdc Dien (1 Cor. 3, 17; 6, 19), de Ies considerer comme
membres du Christ (1 Cor. 6, 15), de porter Dieu et de le glo-
rifier en leurs corps (1 Cor. 6, 20). Entln — la remarque a son
prix — nul n'est plus cliarnelen sa vie que ces pretendus enne-
mis de la cliair, affranchis de toute crainte parce qu'ils nient la
resurrcction '.
Qaand Tertullien, devenu montanisto, recommandelesjcunes
et xerophagies de la secte, ii a soin de marquer la distance qui
Ies separe des observances marcionites -. L'Apotre, dit-il, ins-
truit par l'Esprit-Saint, a condamne par avance ceux qui
devaient, en haine du Createur, prescrire des abstinences
perpetuelles, comme Marcion, Tatien, et, de nos jours, tel
lieretique pythagorisant. (Rom. 14, 2 sq.). II avait prevu Ies
interdictions et Ies censures qu'inspirerait, non le zele, mais
un mepris hautain, et approuvait qu'on jeunât pour honorcr le
Createur, non pour lui faire injure.
xVinsi Tertullien defendait-il l'cjuuvre divine contre Ies atta-
ques injustes d'un spiritualisme exalte.
D'ailleurs son analyse de l'acte createur, et en general de
I'operation divine, laisse beaucoup â desirer. II a rejete ^ ki
conception grossieredes stoi'ciens, qui se representaient Dieu
passant â travers lamatiore comme le miel â travers Ies rayons.
LA'. 11. Motde. la proph^tesse montanisto l'risca : Carnes sunt, et car-
n(Mii oderunt.
'Z.Jej. 15.
3. //. 44. Comparer la doscription (moins grossiere) de Topcratioii
divine chez Diogene Laiirce, 7, 1, 138 : Tov Se x6(i(iov otoixeTcSai xaxâ vouv
xa: Tipovo'.av, xa6a (py^ffi Xp-jatTTTroţ âv Tto tis^ttxo îispi Tipovoiaţ %a\ ^To(7£lOco^'lo; âv
Tw -iTpiTW uspi 6£(ov, zlz, aTTKv auioO [J-spo; S'.rixovxo; toO vou, xaQâTTEp £ş' ^jxtov
T^: 'l'uxv);. Eia rojctant ce concept, Tertullien s'accorde avec Tatien, Dls-
i-.ours, 1 :nvEO[/,a 6 0so;, oCi oi^xwv 6ta i-^: viXr,ţ, -TivsujiaTwv oe 0),iK<iv xai xwv
110 THEOLOGIE DE TliHTULUEX.
II a rejele pareillement l'idee d'liermogene, reduisant l'opera-
lion divine â une simple action de presence, telle que l'attrac-
tion exercee surle fer par raimant, sur Ies âmes par Ia beaute.
Mais lui-meme ne semble pas apercovoir ce caractere trans-
ccndant qui distingue l'operation du supreme Ouvrier.
Simon le Magicien, Apelleet d'autres heretiques avaientfait
intervenir Ies anges dans le travail de la creation. Tertullien
Ies condamne ă diverses reprises *, parce qu'il n'a trouve dans
l'Ecriture aucune trace d'une telle doctrine ; mais ii n'y voit pas
d'objection metaphysique. En effet, sur Ies apparitions d'anges
dans l'A. T., ii raisonne comme il suit ^. Afin de converser avec
Ies hommcs, ces anges ont emprunte pour un temps des corps
presentant Ies apparences des notres. L'Ecrilure ne dit pas ou
ils Ies ont pris; d'ou l'on doit conclure qulls Ies ont tires du
neant. Et, dira-t-on, pourquoi pas d'une matiere preexistante ?
D'abord parce que l'Ecriture n'en dit rien. Puis parce que la
difficulte ne serait pas moindre. Les anges se sont faits ce
qu'ils n'etaient pas. Croil-on simplifier cette operation en fai-
sant intervenir ime matiere etrangere? Avânt l'existence d'une
chose, il n'y a que le neant de cette chose. Nul ne demande ce
que ces corps sont devenus apres l'apparition : pourquoi re-
chercher ce qu'ils furent avânt? Sortis du .neant, ils y sont
simplement rentres. Si l'on admet que les anges se sont faits
corps, ă fortiori peut-on admettre qu'ils ont fait corps le neant ;
car il faut plus de pouvoir pour clianger vine nature existante
que pour crcer la matiere.
1. .4;!,. i'i; r. C. 8; R. 5: Prax. 19.
2. c. C. li ; Constat angelos carnem non propriam portassc, utpote na-
tura substantiae spiritalis, etsi coi'poris alicujus, sui tamen genoris, in
carnem autom humanain transfigurabilesad tempus vidcrietcongrcdicum
hominibus posse. Igitur cum relatuni non sit unde sumpserint carnem,
relinquitur intellcctui nostro nou dubitare hoc osse proprium angelicae
potostatis, ex nulla materia corpus sibi sumere. Quanto magis, inquis, ex
aliqua"? Certum est. Sed nihil de Jioc constat, quia Scriptura non exhibef .
Gertum qui valent facere semetipsos quod natura non sunt, cur non
valeant ex nuUa sulistantia facere? Si fiunt quod non sunt, cur non ex
00 tîant quod nou est? Quod autem non est cum fit, ex nihilo est. Prop-
terea necrequiritur nec ostcnditur quid postea factum sit corporibus illo-
rum: Quod de nihilo fuit, nihil factum est. Possunt nihil ipsum converterc
in carnem, qiii semetipsos potuerunt convei'tere in carnem. Plus est na-
turam demutai-e (juam facere materiam.
CRKATION.
111
Essayons de debrouiller l'echeveau de ces pcnsees.
L'operation par laquelle un ange se revet d'une forme liu-
maiiie est appclee par Tertullien conversio, changenient. II a
defini ce mot, et admis que, selon racception commune, con-
versio implique cessation d'un terme iniţial et origine d'un
terme final '. Toutefois ii excepte de cette loi generale certains
changements merveilleux, ou un etre nouveau apparaît sans
disparition d'aucun etre precedent ^. L'apparition d'un ange
sous forme humaine en ofTre un exemple ; rincarnation du Verbe
en offre un second ; la descente du Saint-Esprit sous forme de
colombe, un troisiomo. Dans ces operations, le terme iniţial
demeure : donc en parlant ici de conversio (cliangement),
Tertullien commet un abus de mots. II en commct un autre en
appliquant ce terme ă une operation ayant pour point de depart
le neant {nili.il ipsum), c'est-ă-dire ă une creation proprement
dite. Et ce double abus de mots sert de base â un raisonnement
forcc. Si Ton admet, dit-il, le cliangement de l'ange en homme,
â fortiori pcut-on admettre le cliangement du neant en homme
(sans doute parce que le neant offre moins de resistance qu'une
nature deja exisLante). Cet argument â fortiori aurait une valeur
si le cliangement de Tange en homme pouvait detruire la na-
ture angelique. Mais ni Ies adversaires de Tertullien ni Ter-
tullien lui-meme ne l'entendaient ainsi; sa conception laisse
intacte la nature angelique. Donc son ă fortiori peche par la
base. Retenons seulement de cette discussion qu'il admet
l'ange au partage de la vertu creatrice.
Dans le De resurrectione carnis, Tertullien ramene cette
assortion : avânt l'existence d'une chose ii n'y a rien, C[ue le
1. (,'. C. o : Conveili enim inaliud est finis pi-istini. Xon competit ei-go
conversie cui nou competit finis.
i Ib. : Plane natura convertiljilium ea lege est, ne pcrmanoant in co
<4uod converlitur in eis, et ita non permanendo pereant, duin perdunt
convei'tendo quod fuerunt. Sed nihil Deo par est; natura ejus ab oînnium
i'erumcondicione distat. Si ergo quae a Deo distant, a quibus Dous distat,
cum convertuntur amittunt quod fuerunt, ubi erit diversitas divinitatis
a ceteiis rebus, nisi ut contrariuai obtineat, i. e. ut Deus ct in omnia con-
verti possit et qualis est perseverare?... Quod enim angelis inferioribus
Del licuit convcrsis in corpulentiam humanam, ut angeli nihilominus per-
manerent, hoc tu potentiori Deo auferas"?...
112 THEOLOGIE DE TF.RTL LI,IEX.
neant de cette cliose; et ii en tire une conclusiou inattcndue.
Quand bien meme, dit-il, on admettrait avec Ies anciens phi-
losophes une matiere increee, ii resterait vrai que Dieu a tire
toutes clioses du neant : car le monde, comme tel, n'etant pas
(■'labore, on peut dire simplement qu'il n'cxistait pas '. Cest lâ
etrangement jouer sur Ies mots, pour substituer au concept
vrai de la creation un concept batard. Quoi qu'il en soit, Ter-
tullien abandonne ce paralogisme, et renouvollc simplement
sa profession de foi â la creation proprement dile-.
II. l'ho.mme; sa natuke; sa destinee.
Nous ne possedons pas tout ce que Tertullien avait ocrit sur
l'homme.Enparticulier le livre de Foriginc del'âmo [De censii
aniinae), dirige contre le materialisme d'Hermogenc, est perdu ^.
Mais on peut combler en pârtie cette lacune, grâce ă l'impor-
tant trăite De anima qui est vine psycliologie presque complete.
D'autre part, le trăite De resurrectione carnis insiste sur
l'unite essentielle du compose humain. L'antliropologie de Ter-
tullien est donc en somme bien connue'.
Le De anima peut se diviser entrois parties. 11 trăite d'abord
de la nature de Fâme (1-22!, puis de l'origine des âmes i23-41),
1. Ii. 11. Quidam infirmiores... do materia poUus subJacenU voluiit, aU
illo univcrsitatem dedicatam, secundum philosoplios. Porro ctsi ita in vero
Ixaberetur, cum tamcn loiigo alias substaiitias lonseciuc alias specios ex
reformationo matoriao dicerelurprotulissequaiu fuissct ipsa materia, non
minus dcfonderom ex nihilo eum protulisso, si ea protulerat quae oranino
non fuerant. Quo onim interest ex nihilo quid proferri, an ex aliquo, dum
quod non fuit flat, quando etiam non fuisso niliil sit fuisse?
2. Ib. Confide illum totum hoc ex nihilo protulisso, et Dcum nosti lldendo
quod tantum valeat.
3. Cf. An. 1. 3. 11. 21. 22. 21. ^ Schanz, Mm. LUI., 3, p. 294; Ilarnacic,
.l.6'.L.,p. 672.
4. Voii' G. Esser, Die Seelenlehre Terlullians (l'adorborn, IStlS). — Dict.
theoL, art. Ame, t. 1, 986-992 (.J. Bainvel). — Sciiwane, Histoire des dofj-
mes, t. 1, 3° pârtie, §§ 53. 54. 55. — Freppel, Lecons 33 et 31. — Noeldo-
chen, p. 287-320. ^Neander-, p. 355-374. — Boiiedron, Quid semcril dena-
tura animae Tertullianus (Nantes, 1861). — Stoclvl, 'fertuUianus de animae
hu'inanae natura; id. : De Terlulliani doctrina psyc/tolof/ica (Miinster,
1863). — G.-R. Ilauscluld, Tertullians Psychologie und Erkenntnisstheorio
(Franlifurt a. M., 1880).
LHOMME. XATURE DE l'AME. 113
enfîn de la mort et du sommeil, miroir de la mort (42-58).
En abordant ces graves problemes ^ , TerUillien ne se dissi-
mule pas qu'il faudra batailler avec Ies philosoplies. On a
discute sur l'âme jusque dans la prison de Socrate, et Socrate,
au moment de boire la eigue, a voulu, ne fut-ce que pour
braver Ies auteurs de sa mort, affîcher une croyance inebran-
lable h la vio future. On peut se demander si le moment etait
bien choisi et sile temoignage a beaucoup do poids. Car, pour
bien connaîtro la verite, ii faut la lumiere de Dieu, ii faut la
parole du Christ, ii faut l'assistance du Saint-Esprit, ii faut la
grâce du bapteme. Socrate n'avait eu pour maître qu'un demon
familier. Instruit a meilleure ecole, le chretien peut interroger
sur l'âme Celui meme de qui vient l'âme. La pliilosophie - a eu
beau scruter la nature, et parfois demarquer Ies donnces de
la revelation divine : elle n'a fait qu'embrouiller Ies questions.
La medccine sa soeur epaissit encore ces tenebres. Le chretien
s'on tient â ce que Dieu lui enseigne : la reponse est courte et
certaine. II n'est pas d'errcur sur l'âme ^ que la pliilosophie
n'ait appuyee. Pour confondre Hermogene, cet heretique, ii a
suffi â Tertullien d'invoquer l'oracle de la Genese (2, 7j : Dieu
souffla â la face de l'homme un souffle de vie, et l'âme devint
âme vivante, f/âmo est donc proprement un souffle do Dieu :
Dei flatas ''.
II n'y a pas â revenir lâ-dessiis. Instruit par rEcriture'' sur
Lorigine de l'âme et sur sa nature, le chretien se gardera de
dire, avec Platon", qu'elle a toujours existe. II ne dira pas
non plus ', avec Platon, Aristote et autres, que l'âme est incor-
porelle. Sur ce point, la melee est chaude entre philosophes.
Ceux qui croient l'âme corporelle sont le grand nombre : non
seulementles materialistes declares, qui la jugent composee de
feu, comme Hipparque et Iloraclite, d'eau, comme Ilippon et
1. An. 1.
2. Ib. 2.
3. Ib. 3.
4. Comparer Prax. 5 : Es animal raţionale, a raţionali se. artifice non
tantum factus, seci etiam ex substantia ipsius animatus.
5. An. 4.
6. Platon, Phedre, p. 245 D.
7. An. 5.
TIIliOLOGIE DE TERTULI.IEN. 8
114 THEOLOGIE DE TERTXJLUEN.
Thales, do sang, comme Empedocle et Critias, d'atomes, comme
Epicure,nonsoulomentlesperipateticiensdisciplesdeCritolaus,
qui recourent k on ne sait quelle quintessence, mais encore Ies
stoîciens ^ , comme Zerion, qui definit l'âme un esprit iiine au
corps et en conclut qu'elle aussi est corps, comme Cleanthe,
qui croit i-emarquer dans l'âme des enfants la ressemblance
des parents, qui insiste sur Ies relations ctroites existant entre
Ies affections du corps et celles de l'âme, et tire de ces faits
Ia meme conclusion, comme Clirysippe qui ne voit dans la mort
qu'une oessation de contact entre le corps et l'âme. TertuUien
s'approprie, ou peu s'en faut, le concept stoîcien; ii observe
seulement que ies stoîciens disent : esprit ispiriCus), lă oii ies
chretiens disent : souffle [flatus].
Contre la nature corporelle de l'âme ^. Ies platoniciens ap-
portent des raisons plus subtiles que justes. Tout corps, disezit
ils, est anime ou inanime : inanime s'il regoit son mouvement
de l'exterieur, anime s'il se le donne â lui-meme. Or l'âme ne
reşoit pas son mouvement de l'exterieur, n'etant pas inanimee ;
elle ne se meut pas non plus elle-meme, mais bien plutot meut
le corps. Donc elle n'est ni corps inanime ni corps anime.
TertuUien repond que l'âme ne rentre pas dans ces categories.
Elle anime le corps par sa presence; en se retirant, elle le laisse
inanime ; mais Ies noms d'animee ou d'inanimee ne lui con-
viennent pas'''. D'ailleurs ii n'est pas exact de dire que l'âme
ne peut etre mue par un agent extcrieur : le transport pro-
phetique, la folie prouvent le contraire. Or ii n'y a que Ies
corps â etre mus par un agent exterieur. II n'y a non plus que
Ies corps â donner Ie mouvement, et l'âme donne le mouve-
ment au corps : comment pourrait-elle exercer cette j:)ression
1. Chrysippo, ap. Galicii, Hippocralh oi l'lalonis placila : llv£u[/.« <j-jji~
ţuTov yjij.tv (juve^eţ navTî Tip (jwftat! Sviîxov. — Diogene Laerce, 7, 1, 156 :
iioxeî o'auTO!?... Ti'jviJ'UX'iv. .. sîvai to ffu(jipuec rjaiv îtvsufia, oio xa! ijw[ia etvai v.ai
(ieti Tov 6âvaTov imjiivet-j. — Cf. ih., 143, ou Tâme humaiiie est deci'ito
comme une emanation de l'âme du monde : ?Şov âp' 6 7.oit(ji.o;' l\>.^^\>xot os,
0)5 hr^,m EX. Tr.ţ rifiETEpa; «jjuyîj; Ezsîflsv ou(7Vi; aiiO'raâ<j[j.aToţ.
2. An. 6.
3. On Ut, en termos plus clairs, R. 53 : Anima vero, etsi corpus, tamen
quia ipsa est corpus non animatum sed animans potius, animale corpus
non potcst dici, nec fieri quod tacit.
l'hOMME. — NATURE DE l'aME. 115
sur Ies mains, sur Ies pieds, si elle n'avait aucune consis-
tance * ?
Un autre argument plaionicien est tire de la distinction
entre Ies sens corporels et intellectuels. L'ânie, dit-on, n'est
pas un corps, car elle ne tombe que sousles sens intellectuels.
Cette conclusion suppose encore un principe faux : c'est que
l'objet des sens corporels est necessairemcnt corporel. Prin-
cipe demenţi par l'experience : le son, la couleur, l'odeur,
objets incorporels, sont neanmoins perţus par Foule, Ia vue,
lodorat. Et ne dites pas : c'est â raison de leur association â
des corps. Car on vous repondrait aussitot : Tâmc, pareille-
menţ associee a un corps, n'est cependant perşuc que par l'in-
telligence. Donc le principe invoque ne vaut pas.
Encore un argument, dont Ies platoniciens font grand etat.
Les corps veulent une nourriture corporolle ; l'âme se nourrit
de science, objet incorporel. Ici la medecine proteste. Le me-
decin Soranus, auteur de quatre volumes sur l'âme et tres au
l'ait de tout ce qu'en ont dit les pliilosoplies, allirme que l'âme
use d'aliments corporels, qu'il faut lui en l'ournir pour la sus-
tenter et qu'en les lui rel'usant totalement, on l'oblige â sortir
du corps. D'ou ii conclut a sa nature corporclle. D'ailleurs ii
lui refuse l'immortalite ; mais Soranus n'etait pas chretien.
Qu'un philosopho tente la contre-epreuve, el qu'il essaie de
soutenir l'âme d'un mourant avec une infusion de plato-
nisme ou des miettes d'aristotelisme! Et enfin, que dire de
tant d'âmes rustres et barbares, qui, sans avoir jamais par-
ticipe au banquet de la science, font preuve d'un robuste bon
sens, et vivent fort bien sans philosophie? La science est une
parure, ce n'est pas un aliment. Au reste, Tertullien accor-
derait volontiers aux stoiciens que les beaux-arts sont chosc
corporelle ; et si une fois l'on admet l'alimentation corporelle
de l'âme, sa nature corporelle ne saurait faire difficulte.
Mais les pliilosoplies ouvrcnt de grands yeux et ne voient
1. Cet argument et les suivants s'inspirent ele In. phj'siquo stoîcienne.
Diog. Lai'i'co, 7, 1, 56 : jxS^ yi-p tb izo'.ovv aunii i<jzi. — D'ailleurs les 6picu-
riens aiissi aclmettaicnt Faxiome physique dont Tertullien empnmte l'ex-
pression â I.ucrece, 1, 301 : Tangere onim et tangi nisi corpus nulla potest
res (5, Cm. De memc 1 M. 8).
IIQ THEOLOGIE DE TERTULLIEX.
pas plus loin que le bout de leurs pieds. Chrysippe a bien pu
declarer impossible runioii de deux corps * , malgre tant
d'exemples que la nature met chaque jour sous nos yeux. Que
de fois une mere porta dans son sein non seulement un enfant,
mais deux, mais trois! Le droit civil mentionne telle femme
grecque qui mit au monde cinq jumeaux. Ainsi Ies corps so
compenetrent : la generation met tous Ies jours sous nos yeux
cette pretendue impossibilite. Qu'on cesse donc de l'objecter ă
l'association du corps avec l'âme corporelle.
Non content de presser par d'aussi etranges analogies l'e-
cole spiritualiste, Tertullien croit decouvrir- dans l'Evangile
(Luc. 16, 23 sq.) un argument decisif pour la corporeite de
l'âme. L'âme du mauvais riche est torturee par la tlamme; elle
implore pour sa langue dessechee la goutte d'eau qu'y pcut
laisser tomber le doigt du juste Lazare. Qu'est cela, sinon l'in-
dice d'un châtiment corporel ■*? 11 vous plaît d'y voir une fi-
gure. Soit. Lafigure elle-meme depose en faveur de Ia realite.
Car ii faut bien admettre que cette âme est captive, qu'elle
souffre. II faut bien admettre que Ies âmes des patriarches, vi-
sitees par le Christ apres sa mort, etaient quelque chose et
quelque part. Qu'il s'agisse de feu oxi du sein d'Abraham, de
châtiment ou de recompense, l'âme qui en est le sujet existe, et
elle est corps. Car seul un corps est susceptible de ces im-
pressions.
Corps d'une nature a part', assurement; mais entre Ies
corps memes, combien n'observe-t-on pas de diversite? Empe-
1. Chrysippus... duo inunum corpora negavit. — Assertion fort surpre-
nante, car Chrysippe ne niait point, tant s'en faut, la componetration des
corps. Voii' Ies textes cites par J. d'Arnim, Stoicorum veterum fragmenta,
t. 2(Leipz)g, 1902), 2, 1, 11, p. 151 sq.; surtoiit Alexandre d'Aphrodislas, De
mixtione, p. 216 Bruns (ib., p. 1,54-155). La ţiî?i; xa6' "olan etait d'ailleurs
un lieu commun de la ph\'siquc stoîcienne. La lecon ne paraît pas dou-
teuse; j'ai collationn6 sur ce point le codex Agotiardinus, p. 119 recto.
'I'ertullien a vraisemblabloment en vuc I'opinion sto'icienne meutionnee
An. 25, laquolle contestait Tanimation du fetus dans le sein maternei.
2. An. 7.
3. Tertullien n'a pas cnie cette idee : elle est au moins en gcrme dans
saint Irenee, 2, 34, 1. Sous une forme beaucoup moins matiSrielle, on la
retrouve dans Ies recents Tractatus Origenis de libris SS. Scriplurarum,
Tr. 1. p. 7.
4. .in. 8.
l'hOMME. — ■ XATURTÎ DI! l'aMU. 117
docle a ramene tout le sysleme de la natura â deux lois qui se
combattent : attraction et repulsion; tant s'en faut qu'on puisse
espercr reduire tous Ies etres â un typc unique. Contre la na-
ture corporelle de l'âme, on objecte aussi qu'â la mort Ies corps
augmentent de poids, au lieu de diminuer, commc on pourrait
s'y attendre. La pliysique de Soranus a reponse â cela. Quand
on tire un vaisseau hors de la mer, son poids apparent aug-
mente. Niera-t-on pour cela que la mer soit un corps? Pour-
tant la mer portait le navire. A plus forte raison faut-il voir
un corps dans cette âme qui souleve le corps humain par son
energie. D'aillcurs ii y a des corps invisibles, du moins â cer-
tains organes. Le soleil est invisible aux liibous, bien que vi-
sible aux- aigles. vVinsi l'âme, invisible aux yeux du corps,
est-elle visible aux yeux de l'esprit. Saint Jean, dans un trans-
port d'esprit, contempla Ies âmes des martyrs (Apoc. 6, 9).
Quand on dit ' que l'âme est vm corps d'uno nature â part —
sui generis — , on entend bien qu'elle se distingue des autres
corps par certains caracteres accidentels. Mais pour Ies pro-
prietes communes et essentielles des corps, l'âme Ies possede
toutes. Elle a urie disposition [habitus], une limite [terminus) .
trois dimensions ^ [illud trifarîam distantivum, longitudinem
dico et latitudinem et suhlimilatem, quihtis metantur corpora
philosophi). meme une figure distincte [effigies], — n'en de-
plaise â Platon qui proteste au nom de l'immortalite de l'âme
— et une couleur, d'ailleurs tres pale, aerienne. Ici, Tertullien
se refere aux rovelations de certainc voyante montaniste qui,
en extase, aperţut une âme sous forme humaine. II n'ira pas
jusqu'â dire avec Enesideme et Anaximene que l'air est la
substance meme de l'âme ; mais aucun rapprochement n'en
saurait donner une plus juste idee. Soufile de Dieu et vehicule
de l'Esprit — iradnx Spiritus •' — l'âme s'est modolee sur le
1. Ib. u.
2. Diogenc Laerco 7, 1, 135 : Xw^a o'âuTtv, w; priG'.v 'A7rG/.XQoo)po; EV ir^ q:u-
oi/.ţ, TO xpr/îî oiadTaTov, si; [jirixo;, eî; xXaTo;, e'i; fiâOoţ.
3. Ccs niots doivent s'iuterpreterd'apres cequ'onlira An. 11 fin. II s'agit
(le l'Esprit divin, communique au premier honime avec l'âme ct dani; Fâme.
Cf. Scorp. 9 : Cum traduce Spirilus Sandi (applique aux apoti'es). — La
meme conception reparaît : li. 5, lin : Recipit enim ilhim Dei Spiriturn
quem tune de afflatu cjus accepei-at, sed post amiserat per dclietum. —
118 THEOLOGIE DE TEHTULLIEX.
corps qu'elle devait animer, elle s'y est pour ainsi dire con-
cretee, elle s'y est figee comme dans un moule. Ainsi rhomme
interieur a-t-il sas yeux, ses oreilles et tous ses membres, qui
suivent exactement Ies contours de riiomme exterieur, et lui
servent dans ses diverses operations mentales. Voilâ qui
permet de concevoir et la langue du mauvais riche et le doigt
du pauvre et le sein d'Abraham ct Ies âmes des martyrs. Tel
fut forme Adam, tels apres lui tous Ies heritiers de sa double
substance.
Malgre le materialisme surprenant de ces pages \ Tertullien
tient ă la simplicite de Tâme, c'est-ă-dire â son unite substan-
tielle : ce point touche la foi, et Platon a eu raison de le de-
fendre -. Quelques-uns veuicnt distinguer, â cote de I'âmo
[ani/na] un autre element substanticl qui serait l'esprit (spiri-
tiis) : l'âme serait principe devie, l'esprit principe de respira-
tion. Mais ni l'observation attentive de la nature ni meme la
vivisection n'ont fourni de raisons plausibles k l'appui de cette
these. On n'arrive pas ă distinguer, comme phenomenes, la
respiralion et la vie : donc la distinction des principes ne repose
sur rien. L'esprit est â l'âme ce que Ia lumiere est au jour : son
essence meme. Ipsum est enim quid per quod est quid. Toute-
fois ce nom d'esprit, spiritua ^, n'est pas toujours Ie plus con-
venable qu'on puisse employer pour designer l'âme. Cest un
nom d'acle, ii designe l'âme par sa fonction respiratoire.
Flatus est un nom de substance, ii designe l'âme comme
1 M. 28, Tertullien met Marcion au dofi il'espliquer, d'aprcs sa theologic,
comment l'âme crcce rcccvrait un ospritquine viendrait pas du Creatcur;
et 11 ajoute : Suffectura est quodammodo Spirilus anima; ce que Rig-ault
interprete : (anima est) tanquam supposita Spiritul sustinendo. — II. 53 :
Plane accepit et hic Spiritum caro, sed arrabonom ; animac vero non arra-
bonem, şed plenitudinem. — Cette trichotomie est d'ailleurs plus nette
chez d'autres Peres plus anciens. Voir Tatien, Discours, 7. 12; saint
Irenee, 2, 19, 7; 34, 1. — 11 est â peine besoin de faire observer qu'avec
la tricbotomie gnostique, dont ii sera qucstion An. 21, la rencontrc est
puroment verbale.
1. An. 10.
2. Platon onscigne effcctivement la simplicite de Târne raisonnable,
PhedoH, p. 80; Times, p. 35 A. Mais d'autrc part ii admet dans l'homme, au
inoins comme probable {Timee, p. 72 D)la coexistencc do trois âmes, tpia
■!/\>yrn ei'Sj;. Voir Timee, p. 35 A. 69 sq. 77 sq. 89 E.
3. An. 11.
l'hOMMK. — NATUBE DK l'aME. 119
substance nee du souftle de Dieu. En substituant arbitraire-
ment dans l'Ecriture (Gen. 2, 7) ' le moispiriUis au mol flaius,
Ilermogene a fait dire au texte sacre une chose absurde : que
l'Esprit de Dieu, rEsprit-Saint, s'est rendu coupable de peclie :
plutot que d'admcttre cette absurdite, on devait conclure â
1 origine materiellc de l'âme, et c'est precisement ce que vou-
lait Hermogene. Tertullien maintienl la distinction entre
flatus et spiritus, qu'il retrouve dans deux textes d'Isaîe
(îs. 57, 16; 42, 5}. On reservera donc pour la substance de
l'âme le xaoi flatus ^. Le mot spiritus conviendra bien pour
designer un esprit adventice, qui peut s'emparer accidentelle-
ment de l'âme-' : esprit de Dieu en Adam (Gen. 2, 23, cf. Eph.
5, 30), en Saiil (1 Reg. 10, 12); esprit de Satan en Judas
(Joan. 13, 27). D'autres encorc distinguent ' animus (voti?) et
anima : idee diversement compliquee par Anaxagore el Aris-
tote. Animus est proprement le siege de l'energie psychique,
principe actif, en regard A' anima, principe vital passif. Mais
la scission qu'on veut introduire dansl'etre humain est factice,
et l'on n'arrive pas â si bien isoler ces dcux principes que toul
ce qui appartient â l'un n'apgartienne aussi ă l'autre. Des lors
ii suffit de distinguer deux fonctions d'un meme principe. On
gardera le nom d'animus pour designer l'âme dans cerlaines
de ses operations. D'ailleurs le langage commun •', d'accord
avec l'Ecriture, considere Vanima comme le fondement de la
1. l'our Foxegese (Ic ce texte, voir c. V, ^', '■]. \t. 248.
2. Comparcr 2 M. i) : Quiclam onim do gracco interprctantos, iion rcco-
gitata diffei'cntia ncc curata proprietate verborum, pro afflatu spiritum
ponunt, et dant haereticis occasionem Spiritum Dei delicto infuscandi, id
est ipsum Deum... Intellege itaqne afdatum miuoi'em spiritu esse, etsi
de spiritu accidit, ut aurulam ejus, non tamcn spiritum... Capit etiam
imagincm spiritus dicere flatum... Porro imago verităţi non usquocpiaquo
adaequabitur.
■i. La mcme penscie est ainsi rendue dans le trăite de la rcsurrection
attribue â saint Justin, 10 (P. G. ti, 1589) : OTxo? yia to aMfjia 4'uxîi;' itveu-
(jiaxo? ol ■J/uyri oîxoţ. — Tatien distinguait aussi 4'"7'i et EveOfia, mais d'une
autre maniere : pour lui, 4uxo est un esprit lie â la matiere (jiveOjxa OXixov),
itveOixa est un principe superieur, en qui seul reside l'iniago et la ressem-
blance de Dieu (t6 Ss lisîîov t^; ']^yjii, 0eoO ii eixwv xa! ofioÎMdtţ. (Disc. aiix
Grecs, 12).
4. An. 12.
5. Jb. 13.
120 THEOLOGJE DE TERTULLIEX.
personnalite. Cest elle que Dieu instruit dans l'Ecriture, elle
que le Christ est venii sauver. De toute maniere, l'âme est
simple et indissolublo^ Cette simplicite n'empeche pas Ies phi-
losoplies d'ydistinguer des parties, plus ou moins selon Ies
ecoles. Mais Aristote l'observe justement, ce sont moins des
parties que des energies distinctes d'une meme substance [nou
tain partes animae... qiiam vires et efficaciae et operae). Bien
que localisees en diverses parties du corps, ces energies ou fa-
cultcs ne sont pas des membres ou des fractions d'âme [non
enim membra sunt suhstantiae animalis, sed ingenia, utmo-
torium, ut actorium, ut cogitatorium et fii qua in hune modum
distinguunt, ut et ipsi illi quinque notissimi sensus, visus,
auditus, gustus, tactus, odoratus) ; comme l'air dans Torgue
hydraulique d'Archimede, Târne se repand sans se morceler;
c'est un tout indivisible. Sur ces questions, que Ies medecins
developpent a l'infini, Tcrtullien passera vite. Tout d'abord ^ k
la pârtie supcrieure de Tâme ii faut admettre un foyer de vie
ct de sagesse d'oîi part le branle : c'est l'TiyeijioviHov *. Cette fa-
culte reine a son siege dans le ccBur, sclon nombre de philo-
sophes et de medecins, et selon l'Ecriture (Sap. 1, 6; Prov.
24, 12; Mat. 9, 4; Ps. 50, 12; Rom. 10, 10; 1 Joan. 3, 17;
Mat. 5, 28). Platon s'accorde avec la foi' quand ii distingue
dans l'âme deux ordres d'energies et comme deux elements :
element rationnel et element irrationneP. Ou Platon se
trompe, c'est quand ii assigne â l'un et â l'autre element une
meme origine. L'element rationnel appartient seulâ la nature;
car Dieu, auteur de la nature, ne saurait rien produire que de
rationnel. L'element irrationnel est venu s'y ajouter comme
une contre -nature : taro diabolique, fruit du peclie originel.
Platon analyse l'irratiomiel, eLle subdivise en irascible (Ouijiiko'v}
et concupiscible (£TTi6uu.7iTijţov). Or, nous decouvronsl'irascible et
1. An. 14.
'>. An. 15.
?i. Biogene Laorcc 7, 1, 159 : 'Hyeiiovr/.ov S' slvairb y.upiMiaTov Tîjţ 4"JZ"'iîi ^''
io al 9a.vTo:(TÎai xoci al Soţia! yivovTai y.aî obev 6 Xoyo? âvajiejxrsTai' OTtep eîva'. ev
zapSia (Doctrine stoîcicnne).
4, An. IG.
5. Platon, Timee, p. 69 C sq; Republique, 1. 4, i).436 sq; 9, p. 580.
l'hOMME. NATUIiE DE 1,'aME. 121
le concupiscible dans l'âme du Christ, en qui pourtant tout est
rationnel. Cecinous oblige â conclure qu'ennous-memes l'iras-
ciblc et le concupiscible ne sont pas toujours irrationnels. II y
a en effef telle colere et tel deşir que Dieu approuve. Mais
quand la passion entre en lutte avec la raison, alors apparaît
I'jrrationnel, semence diabolique, ivraie jetee dans le cliamp
du Createur (Eph. 2, 3; Mat. 6, 24 ; Joan. 8, 44).
T.a veracite des sens corporels ' a cte attaquee pai- l'Aca-
demic - et d'autres ecoles, defendue avec beaucoup de raison
par Ies sloiciens et surtout Ies epicuriens. De fait, le mensonge
n'est pas dans l'organe : on doit l'imputer â l'âme, qui juge
precipitamment, sur des apparences. Les illusions des sens se
produisent salon des lois fixes, dont la connaissance permet de
lesredresser. Quant aux services qu'ils nous rendent, nul n'a le
droitdeles meconnaître; leschretiens ontmoins que personnele
droit de revoquer en doute leur temoignage, garant de l'histoire
evangelique. En exaltant la connaissance intellectuelle ^ aux
depens do la connaissance sensible ', Platons'est epris desidces
subsistantes, germe de tant d'heresies. Les eons gnostiques
sortirent de lâ. Le platonisme met un abîme entre les sens et
l'intellect. Al'encontre de ccs distinctions arbitraires, TertuUien
aetabli {An. 12) Tidentite substantielle de animus et anima. II
ajoute maintcnant que les sens et l'intellect ne differentquepar
leur objet, corporel pour les premiers, spirituel pourle second.
Sentire, intellegere sont au fond une seule etmeme operation •'.
Exalter outre mesure lintollect est une manoeuvre lierctique,
reprouveepar l'Ecriture (Rom. 1,20), et par Platon meme, qui
invite ă contempler dans le monde visible I'image du monde in-
visible(Plat., Tiin. p. 29sq;,37 sq). L'intellect n'est pas superieur
aux sens, puisqu'ilinvoque leur autoritc, etil n'en est pas separe.
!.^«. 17.
't. Platon, Tlmee, p. 28. 51. .">2.
'.\.An. \H.
4. I'laton, Pkedon,\). 65 sq. etc.
5. Cotte idee se precise et se complete c. C. 12 : Opinor, sensualis est
animae natura. .Adeo niliil animale sine sensu, nilul sensuale sine anima.
Etut impressiusdixerini, animae anima sensus est. — Suivent des CMm-
ples des connaissancos iunees, a l'ăme. Ces cxcmplcs, qu'on retrouve dans
le De lesiimonio anifnae, appartiennent a l'ordre intellectuel.
122 THKOLOGIE DE TERTULLIEN.
puisqu'il en depend dans son operation. A ceux qui ne recon-
naissent â l'cnfant \qu'une âme vegetative {anima) et point
d'intellect, Tertullien repondd'abordqu'ilnefautpas oonfondre
râme humainc avec celle des vegetaux : en sa qualile de souffle
divin, elle doit naître complete, pourvuc de toutes ses energies.
Mais si Fon tient â l'exemple des plantes, ii s'en ai-range fort
bien. 11 y a en cffct dans ies plantes un instinct qui dirige
leur vie et leur croissance : la vigne, le lierre savent cherehor
l'appui qui leur convient. Combien plus Tentant! sa petite
âme naît armee non seulement de sens, mais d'intellect : ii en
donne la preuve des ses premiers cris, C[ui le montrent averti
deja de ses i'utures souffrances. Aussi le Clirrst n'a-t-il pas
dedaigne le temoignagc de l'enfancc : temoignage de la parole
et temoignage du sang. Sclon Scncque -, auteur souvent chro-
tien, l'âme apporte en naissant le germe de tout ce qu'elle sera
plus tard ^. Dieu developpe ce germe. A l'influencc du sol, do
la constitution physique, de Teducation vient s'ajouter l'ac-
tion souveraine de Dieu, contrariee par l'action jalouse du
demon : ainsi parlent Ies chretiens ; le prejuge commun dit :
action aveugle du destin, ct Tertullien se promet do combattrc
ce prejuge dans un autre ecrit. Toutes ces influences ', jointes
ă celle du libre arbitre, suffisent a expliquer la diversite qui
s'introduit dans Ia nature; ii n'y a pas iieu d'imaginer, avec
Valentin, une repartition'primitive des âmes en trois categories ''.
Enfants d'un meme pere, Ies hommes sont differencies d'abord
par le travail de la nature. Survient la grâce divine, qui in-
troduit d'autres differences plus prof'ondes, par l'exercico du
libre arbitre. Si la trilogie valentiniennc a un sens, c'est comme
formule de ce lent travail et non d'une institution primitive.
Tertullien se resume ". L'âme. nee du souffle de Dieu, est
\.An. 19.
'l.An. 20.
3. Seneque, De benef. 4, 6 : Insita sunt nobis omnium artiiunot aetatuni
semina, niagisterque ex oecalto Deus producit ingenia.
i.An.tX.
5. Cf. Val. 17 : Trinitas gencrum ox trinitate causarum, iinum mate-
riale, quod ex passione, aliud animale, qiiod ex conversione. tcrtium spi-
ritale, quod eximaginatione.
(). An. 22. — Defmimus animam Doi llatunatam, immortalem, corpora-
l'homme. — oiii(;iNE DE l'ame. 123
immortelle, corporellc, defigurc definie, simple en sa substance,
intelligente par elle-meme, multiple en ses energies, libre en
son choix, susoeptible de modifications exterieures et de deter-
minations internes, douee de raison, d'empire, de divination,
issue de l'âme unique d'Adam ^.
Ce dernier mot amene â parler ^ de l'origine de l'âme. Sur
cette question, Ies lieretiqiies ont accumule Ies conceplions
bizarres, plusoumoins assaisonnees deplatonisme : migrations
et reminiscences, inspirees du Pliedon ou du Timec ^. Sans
descendre au detail,'il suffira de refuter Platon. Voicilcs raisons
qui le condamn<!nt ''. D'abord ii a donne de Tâmo une idee si
haute et en quelque sorte si divine qu'il ne peut sans contradic-
tion la supposer capablcd'oiibli. En second lieu, ii suppose Ies
idees innees dans l'âme. II doit donc Ies supposer inamissibles,
car nul etre ne depouille sa nature. L'oubli ne peut s'expliquer
ici ni par le temps ni par l'influence du corps, d'autant qu'on
trouve dans l'âme une certaine vevtu divinatrice •' qui ii'avait
pas plus de raisons que la memoire pour resister â l'action du
corps. Du cote de la reminiscence, on ne rencontre pas de
moindres difficultes. (]es reveries platoniciennessur la preexis-
tence des âmes manquent totalement de preuves et ne sont
propres C[u'â enfanter des heresics.
Icm, cfligiatam, substantia simpliccni, do suo sapientem, varie proco-
clentem, liberam arbitrii, accidcntiis obnoxiam, per ingenia mutabilem, ra-
tionalem, dominatricem, divinatricem, ex una redundantem. — Voirl'ex-
cellent commentaire de M. J. Bainvel, Dict. ihâol. I, 980 sq.
1. La distribution de ces developpcmcnts dans l'auvre de Tertullien est
ainsi rcsumee par le P. La Cerda : Dei flatu natara probaverat c. 4 et 11.
Immortalem quoque facit 2. 3. 4.6.1). 14 et infra saepissime 24. 38. 45. 51.
53. 54; porro corporalem5. 6. 7. 8; cffigiatam 9; dein substantia simpliccm
10 et 11 ; de suo sapientem 12 ; varie procedentem 13 sq ; denique rationa-
Icm, dominatricem, divinatricem libro de censu animae proba vit adversus
Ilermogenem, ut modo affirmavit, quamvis et supcrius 16 de raţionali
anima ogit. Et illud dominatricem ad hcgemonicum quodammodo roforri
possit 13. 14, sicutet divinatricem ad 19, ubidevoce flebili infantium augure
incommodorum vitae ; ex una redundantem partim etiam insinuavit supra
et deinceps locupletius tractat per quinque capita succedentia.
2. An. 23.
3. Platon, Phedon,p. 70; 73; Timee, p.43 sq.
4. An.tA.
5. Platon, Timce, p.71E;72; Phedre, p. 2i2C.
124 . THEOLOr.IE DE TERTULLIEN.
Les stoîciens \ et parfois Platon ^, ont pretendu quo l'ani-
mation du fetus se produit sculement lors de la naissatice, avec
la premiere respiration de l'enfant. Tertullien en appelle au te-
moignage des meres : n'est-ce pas un etre vivant qu'elles sentent
tressaillir dans leur sein? Les medecins savent k quoi s'en tenir,
eux qui parfois donnent la mort ă l'enfant pour sauvor la mere.
On invoque â l'encontre une raison puerile : l'animation sepro-
duirait par le contact de l'air froid, et Ik-dessus l'on rapproche
les mots "iu/vî, 'iu/.pov. A ce compte, que deviendraient les enfants
nes sous la zone torride"? Les peuples du midi n'ont pourtant
pas, tant s'en faut, l'esprit moins vif que ceux du nord. Dira-t-
on que deux âmes ne sauraient habiter a la fois dans un mcme
corps? Que penser alors de Socrate qui portait en lui un de-
mon, de Madeleine qui en portait sept, du possede Gerasenien
qui en portait une legion? Au reste Platon a emis ailleurs
(6 Leg. 775 sq) sur le meme sujet des idees plus saincs. Le
cliretien ' s'en tient lâ-dessus â l'Ecriture. Si deux jumeaux
luttentdans le sein de Rebecca, si Jean-Baptiste tressaille â la
venue du Christ, si Ie Clirist se revele au Precurscur ct â sa
mere, c'estqu'ilsvivaient. L'exemple de Jeremien'est pas moins
concluant (Jer. 1, 5). La conception de l'âmeet celle du corps ''
sont rigoureusement simultanees. La parite avec la mort
Texigc : comme la vie cesse paria dissociation des deux subs-
tances, elle a du commencer par leur association. De plus onne
saurait assig-ner la priorite ni a l'une ni a l'autre : l'acte gene-
rateur est un tout indivisible, parlequci toutrhommecstproduit
la fois •'. Ainsi l'hommo tout entier procede d'Adam, sclon le
corps et selon l'âme, Comme du limon primitif sont issus tous
les corps liumains, du soufîle primitif sont issues toutes les
âmes. Tertullien prescnte avec une extreme erudite d'expres-
sion ce traducianisme, dontil demandela preuve âl'experience
meme.
1. .In. 25.
2. Platou, Pheclon,\). 7Gs((.
3. An. 26.
4. Ib. 27.
o. Comparer Diogcno Lacrce 7, 1, 158 : âvSpwitou 5= critipiia, 6 ji.£9irnitv 6
âvOpwro;, \j.t%' uypou (jiiyxtpvS(7eat toî; rii; Ou/_^; jxspEcri xa-a ]j.:y\).'j-i ToCi wv
Ttpoydvwv >,6fou.
l'hOMME. — ORICINE DK l'aME. 125
Ensuite ii se tournc contre la metempsycose ^ . Una super-
cherie de Pythagore accredita cette fablc, que ne recommande
pas mâmc une raison d'analogie ^, et que Texperience dement ^ :
car le nombre des vivants, au lieu de demeurer constant comme
le voudrait la theorie, croit sans cesse. Metempsycose et me-
tensomatose '' : hypotheses invraisemblables si on Ies restreint
â l'humanite, absurdessi on Ies etendaux animaux»; derisoires
comme sanction, d'autant que le sujet sur Icqucl s'exeeutcrait
la sentence a perdu la conscience de scs actcs anterieurs : c'est
un ctre nouveau. Cette justice ne s'eleverait pas meme au
niveau de la justice humaine. II faut un autre jugement; Dicu
se reserve de l'exercer au dernier jour, et en garde le moment
secret, afm de maintenir l'liomme dans une crainte salutaire.
II ne s'cst pas encore trouve d'heretique ^ assez fou pour de-
fendre la metempsycose elendue aux animaux; mais Ia me-
tempsycose restreinte au genre liumain compte des adcptcs.
On connait Ie roman de Simon Ie inagicien ct d'Iiclene. Car-
pocrate ' a erige l'immoralite en systeme. D'apres lui, I'âme
doit ici-bas parcourir Ia serie complete des actes possibles,
sans en excepter Ies plus infâmes; elle recommencera donc
indefiniment de nouvellesexistences jusqu'ă ce qu'elle ait satis-
fait ă ce programme. Carpocrate ne rougit pas d'en appeler a
TEvangilo (Mat. 5, 26). II ne lui manque plus que d'alleguer en
faveur de sa metempsycose l'exemple de Jean-Baptiste, appelo
lilieparle Christ (Mat. 17, 12; 11, 14; cf. Mal. 4, 5). II est vrai
que Jean Baptiste n'etait Elie qu'en figure, comme l'Evangilele
dit expressement i Luc. 1, 17).
Revenant â l'origine de I'âme ^, Tertullien declare que Ie
sexe n'est determine ni par Io corps seul, ni par I'âme seule
comme le voulait Apelle, mais par tous deux â Ia fois : car la
1. An. 28. — Voir Platon, Phedon, p. 70 sq.
2. 76. 29.
3. /6.30.
4. Jb. 31.
5. 76. 32. 33.
0. Ib. 31.
7. 76. 3.5.
8. Ib.
126 THEOLOGIE DE TERTULLIEX.
generation atteint â la fois riiomme tout entier. La subslance
mame d'Eve fut prise, corps et âme, de la substance d'Adam.
II existe une providence divine ' pour l'enfant dans le sein ma-
ternei. A ce propos, la superstition romaine avait imagine une
pleiade de divinites : vVlemona, Nona, Decima, Partula, Lucina,
etc... Les cliretiens, eux, voient des anges autour des ber-
ceaux. L'hommc existe des que son corps est forme ; la loi de
Mo'ise le suppose, dans sa disposition relative a l'avortement
( Ex. 21, 22). La naissance a lieu vers le dixieme mois, quelque-
fois des le septieme : TertuUien cherclie â ces dates des raisons
symboliques ^. L'âme ne croit pas en substance ; mais l'energie
native [ingenium] emmagasinee en elle des l'origine s'etend
avcc le corps qu'elle anime : â peu preş comme un lingot d'or
ou d'argent s'etire et croît en eclat sans changement de subs-
tance. Les facultes •* de l'âme se developpent parallelement â
celles du corps. La puberto se revele dans Tun et l'autre do-
maine. — pubertatem quoque animalem cum carnali — vers
la quatorzieme amiee*'. Au reste, le seul instinct essentiel de
la naturc est celui de l'alimcntation. On aurait tort d'en tirer
argument contre Fimniortalite de l'âme : si l'âme recherche des
aliments, ce n'est pas immediatement pour elle-meme, mais
pour le corps qui lui sert de demeure et dont l'entretien in-
teresse son propre bien-etre. Au reste, que le corps vienne â
se dissoudre, Fâme s'ecliappc, emportant avec elle les attributs
de sa propre substance : immortalite, raison, sens, intellect,
libre arbitre.
La superstition preside ă la naissance des paiens'', et les livre
sans retard aux demons qui sont la, guettant leur proie. So-
crate ne devait pas leur echapper. Mais le christianisme de
Tun des conjoints sanctifie leurs enfants, selon saint Paul
(1 Cor. 7, 14). Par le privilege du sang et par la predestination
1. An. 37.
2. Au sujet de cosvmbolismc, cf. Philon, de opificio mundi, eU. Mangev,
1,29.
3. /*. .^.S.
4. Cf. Pseudoplutarque, Epil. 5, 23 (Diels, Doxographi graeci, p. 434);
Stoboc, ed. Wachsmuth, 1, 317; Diogenc Laerce, 7, 1,55.
5. An. 39.
l'homme. — ORICINE DE l'ame. 127
â la vie cliretienne, ces enfants sont deja candidats de la sain-
tete et du salut. Saint Paul n'a voulu dire que cela : ii a voulu
relever par l'esperance cliretienne ces mariages dont ii recon-
naissait la validite; mais ii n'a pas pretendu nier la taclie
originelle que ces enfants apportent ennaissant (cf. Joan. 3, 5)^
Heritage d'Adam- cette taclie affecte toute âme qui n'a pas
ete regeneree dans le Clirist. Elle ne vient pas precisement de
la chair ; car la cliair n'est qu'un instrument, non pas meme
servile, mais aveugle, comme un calice ou tout autre vase
semblable. Si parfois l'Ecriture la fletrit pour le concours
qu'elle prete k l'âme en certains peches, c'est avec l'intention
d'atteindre l'âme : ainsi reprend-on parfois un subalterne afin
de faire monter plus surement le blâme jusqu'au chef. Le mal
du peclie originel ^ est dans l'âme comme une seconde nature,
qui a le demon pour maître et pour pere. Le bien divin et au-
thentique de la nature s'y trouve, non pas eteint, mais obscurei
et comme voile. Le bapteme lui rend sa premiere splendeur,
et, dans ces noces mystiques de Târne avec l'Esprit Saint, la
chair suit, comme un esclave dotai, le sort de l'âme, Noces
bienheureuses, si l'epouse est fidele!
Reste â parler de la mort ''. Tertullien examine d'abord une
sentence quelque peu sophistique d'Epicure r Quod dissolvitur
sensu caret, et quod sensu caret nihil ad nos; et une autre
sentence de Seneque : Post mortem oînnia finiuntur, etiam
ipsa; qui, pas plus que la precedente ne supprime Ies dechire-
ments de la mort. Puis ii trăite du sommeil •'. Image de la
mort, ce phenomene a un role marque parmi Ies fonctions de
la nature : Ies philosophes l'oublient parfois dans leurs defini-
tions. Les stoiciens semblent avoir rencontre mieux que Ies
autres, en appelant le sommeil : une resolution de la vigueur
sensible ''. II a pour but la refection des forces physiques, but
1. Nous rcviendrons sur ce point, c. VI. §2. p. 265, n. 6.
2. Ân. 10.
3. Ib. 41.
4. Ib. 42.
5. Ib. 43.
6. Diogcno Laerce, 7, 1, 158:T6v5s iinvov YÎvstrSai eK)>'jo^£VO'j toO aîaSriTixoO
tovoM Ttepî To -rjîfjioviy.dv.
128 THEOLOCIE DE TEBTULLIKN.
atteint normalement par un sommeil modere. Le sommeil
d'Adam (Gen. 2, 21 sq) figurait dojâ, dans la pensee de Dieu,
la mort du Christ en croix ; chaque jour le sommeil met sous
nos yeux Timage de notre propre sepulture. Certains faits
etrangos ' do catalepsic ct de caucliemar ont fait croire â une
absence recile de Tâme durant le sommeil : idee fausse, ă
rejeter commc un songe. Mais sur ces accidents du sommeil,
qu'on nomme Ies songes -, ii y a Heu d'exposer la doctrine
chretienne. Quand.le corps s'abandonne au repos, l'ume cesse
d'cn gouverner Ies puissances : privee de cet objet qui Foccupo
d'ordinaire, clic entre en etat d'extase. — Tertullien, qui lisait
dans Ies Septante (Gen. 2, 21; Io mot txuxaatc, a soin de l'aire
remarqaer ce caractere du sommeil mystique d'Adam. —
L'âme continue donc de s'agiter â la fagon d'un gladiateur
sans armes, et ce mouvement produit des visions imaginatives
qui cchappent au controle de la raison. Apres avoir mis en
relief la nature extatique des songes, l'auteur se demande si
Ton peut par Icur moycn connaître l'avenir. Epicure nie abso-
lument. Homere, plus credule, signale aux enfers une porte de
corne pour Ies songes vrais,. et une porte d'ivoire pour Ies
songes menteurs. L'histoire a enregistre des faits remarquables.
Tertullien en cite quclques-uns, et renvoie ă Ilermippe de
Beryte, qui a epuise la question en cinq livres. Avec Ies stoi-
ciens '', ii pense que la divinite a voulu, pour la consolation de
riiomme, cet oracle naturel des songes". Que Ies oracles en
general soient diaboliques, on n'en saurait douter. Mais parmi
Ies songes, ii faut distinguer trois categories ^. D'abord Ies
songes diaboliques : ils sont fort iiombreux : songes parfois
vrais, flatteurs surtout, maisen fin do compte vains, trompeurs,
troublants, ridicules ou immondes. Puis Ies songes envoyes
1. An. 41.
2. fb. 45.
•A.Ib. 46.
4. Voir Ciceroii, De divinatione.
5. La divinatiou par Ies songes ost une des formes de la divination na-
turcUe. Tertullien admet ea outra une divination surnaturelle, qui est un
don de l'Esprit divin. Voir 22 : Dedimus (animae)... et divinationem in-
terdum, seposita quae per Dei gratiam obvcnit ex prophetia.
6. An. 47.
l'iIOM.ME. Dlî LA MOUT. 129
de Dieu, soit â ses serviteurs (Joel, 2, 28), soit meme a ceux qui
ne le connaissent pas (Dan. 2, 1) : songes instructifs et odifiants.
Enfin Ies songes produits par le libre jeu des energies psy-
chiqiies. La saison \ Tattitude, ralimentation exercent sur ks
songes une influence plus ou moins mysterieuse. L'erreur et la
supcrstition se sont glissees Ia : Pythagore inlerdisait Ies feves,
entre autres raisons, ă cause de leur efîet sur le sommeil. Cest
par le jeune que Daniel obtint grâce pour intcrpreter Ies songes
(Dan. 2, 16 sq) ; et certains rituels paiens, par une contrefagoji
des prescriptions divines, preconisent le jeune comme favorable
â roniromancie. Si l'on jeune dans cette pensee, ce sera pour
obtenir que Dieu meme daigne conduire l'âme durant le som-
meil extafique. On pretend quelquefois '^ que Ies eni'ants n'ont
pas de songes : ii suffit d'observer, pendant qu'ils dorment, le
jeu mobile de leur physionomie pour se convaincre du contraire.
Herodote assure que Ies gens de TAtlas ne râvent pas. Mais
qu'en sait-il? Le fait des songes paraît universel.
Universelle aussi est la loi de la mort ^, promulguee par
Dieu meme pour le genre liumain (Gen. 3, 19). En vain Epicurc
revendique l'immortalite pour ceux de sa secte, Menandre le
Samaritain pour ceux qui ontreţu son bapteme ; le Christ lul-
meme n'a pas donnc aux eaux cette vertu. Henoch et Elie, lors-
qu'ils viendront ă la fin des temps combattre l'Anlechrist, ne
seront pas dispenses de mourir. Enfm l'experience a demenţi
Ies promcsscs de Menandre. La mort opere la separation du
corps et de Fâmo '. Pour defendre rimmortalite de Târne, on
invoque parfois des arguments bien precaires. Ainsi Platon,
dans sa Republique ■', parle d'un cadavre protege longtemps
contre la corruption par la presence prolongee de l'dme. Ainsi
Democrite argumente d'un reste de vie vegetative observe
apres la mort dans Ies ongles et Ies cheveux. Mais ii ne saurait
y avoir dans le cadavre aucune l'raction d'âme. L'âme est un
tout indivisible; consequemment aussi la mort. Tcrtullien
1. .1)1. -is.
2. Ib. 4!).
3. Ib. 50.
-1. Ib. 51.
5. Platon, Republique, 1. 10, p. 011 sq.
THEOLOGIE DE TERTULUEN.
130 THEOLOGIE DE TERTULLIKN.
n'ignorc pas Ies faits qu'on allegue a l'eiicontre. Tel corps, sur
lequel on recitait Ies oraisons de TEglise, a remue Ies mains
et pris l'attitude de la priere. Tel autre, dans vin cimeticre, s'est
range pour faire place au corps qu'on deposait â ses cotes. Ces
miracles ne prouvent rien contre le cours certain de la nature.
La mort est tout entiere, ou bien n'est pas. Oîi elle n'est pas,
regne la vie. On ne concoit pas plus un coraprorais entre la vie
et la mort qu'entre le jour et la nuit.
La distinction * entre mort naturelle ou ordinaire et mort
extraordinaire ou violente est une pure affaire de sentiment :
car, en rigueur ii n'y a pas de mort naturelle. Consequence du
pecho, c'est-â-dire d'un accident contre nature, la mort ne va
pas sans un dechirement d'autant plus douloureux que l'union
entre le corps ct l'âme etait plus naturelle et plus douce. Par-
fois, dans sa sortie laborieuse du corps ^, Târne semble s'etein-
dre par degres : illusion, due a la destruction progressive des
organcs qu'elle commandait. Ainsi un cocher paraît defaillir
quand son attelage faiblit. Mais l'âme ne subit en realite aucune
diminution de son etre. Et meme dans cette lutte derniere. â
demi degagee du corps et deja enpossession d'une demi-Iiberte,
ţille acquiert souvent une vue anticipee des choses d'outre-
tombe. Elle s'eveille ă la vie divine, et, selon la destinee qui
l'attend, trcssaille de joia ou frissonne d'epouvante, en aper-
cevant l'ange de Dieu, veritable Mercure evocateur des âmes.
La destinee de l'âme ^ est decrite diversement par Ies phi-
losophes et par Ies chretiens. Les pliilosophes qui croient â
son immortalite, comme Pythagore, Empedocle, Platon, ou du
moins â sa survie jusqu'ă la conflagration de i'univers, comme
les stoîcicns •'', reservent aux seuls sages, c'cst-â-dire â eux-
memes, les sphercs superieures du ciel. Encore Platon n'ad-
met-il au partage de cette gloire que des âmes ayant joint â
la philosophie le culte de la beaute juvenile •'. Quant aux âmes
1. An. 5-2.
2. Ib. 53.
3. Ib. 51.
4. Diogenc Laerce 1, 7, 157 : KXîivOriq \i.hi o5v (cfnirji) Tiiuccţ JitiSta|j.£vei'
[ii/P' '^'1? ^XTupwusio;, XpOdiJinoţ Si Tiiţ Twv odţtov jj.ovov.
o. Watoii, Banguetyp. 203 j Phedre,y>. -MH sq.
l'hOMME. — DE LA MORT. 131
vulgaires, on Ies precipite dans Ies eni'ers. Les enfers de Platon,
decrits dans Ie Phedon \ sont comme le cloaque du monde.
Selon la doctrine chretienne ^ , Ies enfers sont cette denieure
souterrainc ou râme du Christ passa trois jours apres sa mort.
Plus bas s'etendent Ies abîmes destines aux âmes criminelles.
Le Christ no monta pas au ciel avânt d'avoir visite les patriar-
ches eties proplietes, daus ce sejour (Epli. 4, 9; 1 Petr. 3, 19),
ou les justes se reposent dans le sein d'Abraliam * (Luc. 16, 22).
Ceux qui veulent que le ciel s'ouvre sans aucun retard, aux
âmes justes montrent trop d'empressement '' : le Christ est
encore debout, et non pas assis, â la droite de son Pere, la
trompette de l'ange n'a pas encore retenti, le ciel demeure
ferme (1 Tliess. 4, 15. 16). Le paradis (terrostre) n'accueille que
des martyrs. Jean n'a vu sous l'autel que Ies âmes des mar-
tyrs (Apoc. 6, 9); Perpetue, cette femme vaillante, dans sa
revelation du paradis, n'a vu que ses compagnons do supplice.
On doit conclure — et Tertullien a developpe cette conclusion
dans un ecrit special — ■ que toute âme ă qui le martyre n'a pas
ouvert le paradis '■' doit attendre aux enfers le jour du Seigneur :
Omnem animam apud inferos sequestrari in diem Domini.
La descente aux enfers ^ ne peut-elle 6tre differee apres
l'instant de la mort? et n'arrive-t-il jamais qu'une âme sorte
des enfers pour un temps? On a trouve des raisons d'en douter.
L'antiquite a cru que Ies enfers ne s'ouvraient pour l'âme qu'a-
pres la sepulture donnee au corps. Mais sur quel fondement?
1. Phedon, p. 112 sq.
2. An. 55.
3. Dans l'Antimarcion, Tortulli(ui distinguo beaucoup plus clairement,
dos enfers (inferi) v6s,crv<is au crime, ce lieu d'csperance appele Io sein
cl'Abi-aham, oii tous ceux que la foi a rendus iils d'Abraharn se reposent
dans l'attento du dernicr jugement et de Ia pleine recompense. Voici
comuient ii s'oxpriine, 4. M. 34 : Eam itaque i-egionem sinum dico Abra-
hae, etsi non caelestem, sublimioremlamen ini^cris, interim rofrigerium
praebituram animabus justorum, donec consummatio rerum resurrectio-
nem omnium plenitudine mercedis expungat... temporale aliquod anima-
rum fideliumreccptaculum, inquo jam delinietur futui-i imago ac candida
quaedam utriusqiie judicii prospiciatur.
4. Comparer saint Justin, DiaL 80; saint Ireniie, 5, 31, 2.
5. Totaparadisiclavistuussanguisest.Cf.Scorp.]2;5i/.12-Pr -^J-Ap 47
6. .4«. 50. .,-,,..
132 THjiOLOCIE DE TERTCLLIEX.
L'apparition suppliante de Patrocle â Acliille est, dans la pen-
see d'IIomere, une invilation â la pieţe envers Ies morts, et
aussiune condamnation de ceux qui, en differant Ies funerailles
de leurs proches, nourrissent leur propro douleur : on n'en
saurait rien conclure de plus. Eiifîn on apretendu que Ies âmes
victimes d'une mort promaturco ou violente erraient sur terre
jusqu'ă ce qu'elles eussent accompli leur juste nombre d'annees.
L'enseignement chretien fait justice de toutes ces inventions.
L'âme, destinee â retrouver lors de la rosurrection Ie corps
qu'elle vient de quitter, descend aux enfei'S aveo Vage qu'ello
avait â l'instant de la mort. Ni Ies châtiments ne seront differes
a l'âme coupable, ni le repos ă l'âme juste. Mais des magiciens '^
exploitant la credulito publique, ])retendenl evoquer Ies âmes
de ceux qui sont morts avânt le temps (awpoi, PtatoOoîvaToi) el
d'autres âmes encore. Les chretiens seuls tiennent la magie
pour ce qu'elle est : une sorte d'idolâtrie, un piegc tendu par
les demons ■*, desireux de ruiner dans les âmes la croyance au
jugement et â la resurrection. L'A. et le N. T. citent de ces
magiciens evocateurs d'âmes (sorciers de Pharaon, Ex. 7, 12;
Simon et Elymas, Act. 8, 9 sq; 13, 8 sq; pythonisse d'Endor,
1 Reg. 28, 6 sq •*). La foi dejouera les ruses de Satan. Elle ne
1. L'nc oiiinioii assez i'epandue dilîcralt ce repos pouf Ies victimos
d'une movt violente : An. 56. Perinde (nec) extorres inferum, liabebuntur
r/uas vi ereplas arbilranlur, praecipue per alrocitates suppliciorum, cruciş
dico et securis et gladii et ferae. Nec işti porro exitus violenţi quos Justiţia
decernit violentiae vindea:. — Sur ce passage, Bl. H. Weil observe (Etudes
sur l'antiquile grecque, Ilachette 1900, p. 88) : « Nec a ete insore par
Fulvio Orsini; Ies editeurs de Vienne citent cctte conjecture en note; ils
auraient pu la mettre dans le te.Yte, car ollo est ncccssaire. Tortullien
refute l'opinion qui i-eiuse le repos supreme â ceux qui meurent de mort
violente : ii Ies y admet tous, et particuliercment Ies nuirtyrs. 11 ajoute
qu'on no doit pasconsideror comme violente la mort de ceux qui ontete
condamncs par la justice vengeresse de la violence. Cette obscrvation est
ompruntee â Virgilc ou a Ia source oii avait puise Virgile. » Nous sous-
oi'ivons ploincmont â, Ia critiquc te.\tuelle. Quant a la dependance de
Tevtullien a I'egard de Virgile (Eneide, 6), ou des sources de Virgile, au
irioins faut-il en excepter le privilegc des martyrs, â qui leur sang ouvre
le paradis (yl/i. 55). Cest la une idee toute chrctienne.
2. An. 57.
3. Comparer Tatien, Discours, IC.
4. TertuIIien redrcsse ici l'enseignement de saint Justin. On lit dans le
dialogue avee Tryplion (105) que l'âme de Samuel et celles des autres
prophetes etaient effectivement touibees au pouvoir des demons.
l'hOMME. — DE LA MORT. 133
croit pas plus â Tevocation des morts qu'â leur pretendue
apparition dans Ies songes. Nul ne sort des enfers: le mauvais
riche n'obtint pas la permission d'aller avertir ses freres. A
supposer que Dieu accordât parfois cetto permission, ii ne la
livrerait pas â la fantaisie des magiciens ni au liasard des
songes.
En resumc, toutes Ies âmes descendent aux enfers ^ pour y
allendre la resurrection ; elles y trouvent deja des peines et
des rccompenses, et comme Ies arrlies de l'eternite. Pourquoi
pas? Capable par elle-meme de douleur et de joie, capable
meme de triomplier tandis que le corps souffre, comme le
prouve Fexempled'un Mucius, celui d'un Zenon. superieur ă la
douleur physique, l'âme attendra-t-elle d'âtre reunie au corps
pour eprouver Ies effets de la justicc divine"? Non sans doute.
Elle a d'ailleurs ses actes â elle propres, ou le corps n'eut
point de part, et dont elle seule doit rendre compte ; et meme-
dans Ies actes qui lui i'urent commvms avec le corps, elle eut
l'initiative, et donc la premiere responsabilite. Enfîn l'Evan-
gile, parlant de cette prison des enfers, dit que nul n'en sor-
tiră sans avoir solde entierement sa dette (Mat. 5, 25 sq).
Donc pour Ies âmes destinees ă la resurrection bienlieureuse, ii
faut une expiation des moindres fautes. Tortullien ne prononce
pas le mot de purgatoire, mais c'est bien d'un purgatoire qu'il
entend parler -.
!. .4»!. 5<S.
2. An. 58 : Insunima, cumcarccrem illuni, queni Evaugelium demons-
trat, infcros intellcgiiuus, ct iiovissimum qiiadrantem modicum quoqae
delictum inova resuiTCctionis illic luendurn interpretamur, nonio dubita-
bit animam aliquid pensai'C apud infcros, salva resurrectionis plenitudine
per carnem quoquc. — Tertullien invoque ensuite le tcmoignage dos
prophctes montanistcs. On releve d'ailleurs dans ses ccuvres bon nombre
(rallusions phis on moins explicites au purgatoire. An. 35, sur Mat. 5, 20 :
No... judcx te ti-adal angelo c.xccutionis, et iile te in carccrcm mandet in-
fcrnum, unde non dimittaris nisi medico quoquc delicte mora resurrec-
tionis expenso. — o M. 24(developpcment millenariste) : Haec ratio regni
tcrreni (texte de Migne) post cujus miile aimos, intra quam aetatcrn con-
cluditur sanetoruui rosuiTCCtio pro mcritis rnaturius veltardius rcsurgen-
tium,...transferemur in caeleste rcgnum. — 5il/. IO, snr 1 Cor. 15, 50 : Qualc
est autem ut, si anima auctrix operum carnis merebitur Dei regnum per
cxpiationem eoruni quae in corpore admisit, corpus ministrum solunnnodo
in damnatione pcrmaneat? — B.. 42 (sur le meme texte) : Quis enim non
134 THEOLOfilE DE TKRTULLIEN.
Le caractere le plus marque de cette premiere psychologie
chretiennc est l'application de l'auteur ă se tenir sur le terrain
theologique, revocando quaestiones ad Dei litteras (2). Des
le debut, ii a pris son parti des luttes qu'il lui faudrait soutenir
contre Ies philosophes ; meme ii a mis une vraie fierte â Ies
provoquer au nom de la foi, et â denier la competence de la
raison liumaine dans Ies plus graves problemes qui touchent
la nature de riiomme et sa destinee (1. 2).
II s'est pose trois questions : Qu'est-ce que l'âme? d'oi^i
vient-elle? oîi va-t-elle? et ii Ies a resolues toutes trois par un
appel â la Genese.
Aux deux premieres questions, ii a trouve la reponse dans
Ic recit de la ci*eation. L'âme est issue du soufîle de Dieu (3).
dcsiderubit, <lum in carne est, supcrinducre immoi'talitatem et continuare
vitam lucrifacta morte per vicariam demutationeni, ne inferos oxperiatur
nsquo novissimum quadrantem exacturos? — On a rencontre, An.'ol, une
allusion â Ia priere pour Ies morts. En voici une autre, Monog. 10. Une
veuve prie pour son mari defunt : Eaimvero et pro anima ejus orat et
refrigeriuni intorim adpostulat ei et in prinaa resurrectione consortium,
et offert annuis dicbus dorniitionis ejus. — Le privilege du bapteme de
sang (inf. c. VII, S 4, p. 330) !supposeIc purgatoiro ; et TertuIIien, qui cite Ia
vision de saintc Perpetue (An. 55), n'ignorait pas que Ia martyro avait vu
en purgatoire son frere Dinocratc. — {Pasnio Perpetuae, 2. 3. 4). — Plu-
siours do ces textes ont diîjâ 6tc rcîunis par JI. l'abbe Turmei, Ilisloire
de la theoloi/ie posilive depuis l'oriqine jusqu'au concile de Trenle {Paris,
1904), p. 195.
Tout rocemment (,/. T. S. t. 3, juillet 1902, p. 598-601), M. A. J. Mason
contestait lallusion au purgatoire renfermee dans An. 58, et obser-
vait qu'il est question dans cette page de tourrnents pour Ies futurs
damnes, ct de joies pour Ies futurs clus; que si ces derniers souffront,
c'est de n'avoir point part â Ia premiere resurrection. L'une et I'autre
observation renfcrmo une part de vcrite. Car Ies ămes des elus, comme
coUes des damnes, trouvent aux cnfers Ies arrhes de leur eternitc ; de
plus Ies elus ressuscitent plus ou moins tot, selon leursmerites. (Voirsur-
tout 3M. 24.) Noiis reconnaissons que Ia doctrine des arrhes de la re-
surrection est distincte de celle du purgatoire, mais nous nions que cette
deraiere soit absente. II est vrai qu'clle se teinte de millonarisme : Ter-
tuIIien admet detuc resurrections successives, et son purgatoire est preli-
minaire â Ia premiere des dcux resurrections. Mais cette transposition
du dogme no doit pas fairc prendrc le change sur sa pensee qui, sur ce
point, nous paraît tout a fait cat(5gorique. Les elus devront expierjus-
qu'aux moindres fautes, avânt d'dtrc admis a la premiere resurrection,
et leur miUenhun s'en trouvera plus ou moins ccourte, si meme iln'est pas,
pour quelques-uns, totalement supprim^. Qu'est-ce que cette attente dou-
loureuse, sinon un purgatoire ?
I-E TRAITIÎ « DE ANIMA ». 135
Par une exegese d'ailleurs siiigulierement materielle, ii a pre-
cisă la donnee scrip turaire (4 sq) ; ii a meme cru trouver attestee
dans l'Evangile la nature corporelle de Fâme (7). L'âme lui
apparaissait dans Ies Livres saints comme immortelle. Decri-
vant ses proprietes, ii l'a montrce, d'apres saint Jean, visible
aux yeux de l'esprit (8). La revolation privee, venant ici com-
pleter I'Ecriture authentique, lui a fourni des traits d'un rea-
lisme etrange (9). Avec plus de justesse, ii a maintenu, contre
des scissions arbitraires, l'unite substantielle de l'âme (10 sq).
Apres avoir distingue bicn subtilement flatus et spiritus,
souffle et esprit, ii a tire de cette distinction une conclusion
utile, en montrant que l'âme peut devenir le sujet de l'inspira-
tion soit divine, soit diabolique (11). II a reconnu dans l'liomme
une faculte reine, que, d'apres I'Ecriture, ii a cru devoir lo-
caliser dans le ccjeur (15). II a bies vu que la foi oblige a re-
connaître deux ordres d'operations : ordre rationnel et ordre
irrationnel. Mais ii a d'abord păru confondre ce qui, dans
l'irrationnel, est puissance positive, avec l'element negatif, pur
desordre introduit par le peclie (16). Sur cette equivoque ii a
grafie une theorie du peclie originel que nous devrons discuter
plus tard (16; cf. 40. 41). Se souvenant heureusement de la
psychologie du Clirist, ii a redresse son erreur precedente. II a
venge contre le sceplicisme de rAcadomie la veracite des sens
corporels, appeles â poser Ies bases de toute vie intellectuelle,
morale et chretienne (17), et montre le role de la*connaissance
sensible dans l'economie du salut (18). Par un juste sentiment
des prerogatives de l'âme intellectuelle, ii a proteste contre
l'intervention, a l'origine de l'âtre humain, d'un principe vital
inferieur; d'ailleurs ii n'a pas su se garder de quelque exage-
ration sur ies operations intelleotuelles du premier âge (19). 11
a bien compris l'cvolution de l'individu, selon la nature et selon
la grâce, avec l'exercice du libre arbitre.
Revenant â l'origine de l'âme, ii a condamne au nom de la
foi Ies reveries platoniciennes sur la preexistence et la remi-
niscence (24). 11 a produit des temoignages scripturaires qui
prouvent peremptoirement l'animation de l'enfant des le sein
maternei (26; cf. 37); mais ii n'atrouve d'autre explication ăla
genese du compose humain qu'un grossier traducianisme (27).
13(5 THEOLOCIE DE TERTULLIEX.
II a fait le proces de la metempsycose au nom do la raison et au
nom de la justice divine (28-35). II a proclame le genro humain
issu, non sculcment d'un ineme couple primitif, mais du seul
Adam, principe de tous Ies corps et de toutes Ies âmcs : la
pensee d'une creation immediate de l'âme spirituelle ne s'est
pas presontee â son esprit (36). Aux superstitions qui entourent
la naissance des paîens, ii a opposo la foi â une Providence
speciale sur le nouveau-ne (37). II a commenle le mot de saint
Paul reiaţi f aux. cnfants sanctifîes par le christianisme du pere
ou de la mere (39), sans d'ailleurs oublier la tache originelle,
que touto âme apporte en naissant (40) et qui ne disparaîtra
que par le bapleme (41). 11 a rappele que l'âme est xme maî-
tressc et que la chair doit obeir.
Avânt d'attaquer la question des fins dernieres, Torlullien
rencontre sur son cliemin Ia question du sommeil, miroir de
la mort. A cette fonction de la nature, Dieu associa des opera-
tions de grâce, comme dans le sommeil mystique du premier
Adam, figurant la mort du Clirist en croix (43). Les songes
manifcstent parfois l'avenir^ : TertuUien expose lâ-dessus la
doctrine chretienne, avec I'utilite du jeune pour obtenir Ies
Communications de l'Esprit divin (45-48). La mort est histo-
riquement une consequence da peche originel (50-52). La sen-
tence portee par Dieu n'admet pas d'exception. La mort opere
la separation de l'âme et du corps (51). II faut y voir, non
une ruine pour l'âme, mais une delivrance : le don de soconde
vue qu'acquierent parfois les mouranls en fournit la preuve
(53). TertuUien decrit d'apres les Livres saints les enfers,
sans distinguer bien nettement ce lieu d'attente oii l'âme de
Jesus-Christ passa trois jours avec les anciens patriarches, du
lieu de supplice destine aux damnes. Ce qu'il affirme expres-
sement, c'est que le paradis ne s'ouvre pas au moment de la
mort, sauf pour les âmes des martyrs. II cite la vision de saint
). VoirS/7. 2G, l'histoire d'iuio femmo chroticime qui (itait alico au Iheâ-
ti'(>. La nuit suivante un linceul lui fut montre en songo. Quati-o jours
apres elle mourait. — Idul. 15 : Un chretien, pour avoir laisse couronner
sa porto un jour de tete, i-eocit en songe une admonostation severe. —
V. V. 17 ; Une chretienne trop elegante est avortic par un aug(^ d'avoir ă
porter un plus grand yoile.
Liî TnAiri': « de anima ». 137
Jean (Apoc. 6, 9) et celle de la vaillante martyre Perpetue (55).
On ne doit pas croire aux revenants : temoin l'histoire du
mauvais richc (57). Pour Ies âmes destinees a la vie bienheu-
reuse, mais imparfaitcmcnt lavees de leurs faules, Ies enfers
sont un purgatoire (58). T.es revelations du Paraclet, mention-
nees plusieurs fois au cours de l'ouvrage, sont encore invoquees
â l'appui de ce dernier dogme. En terminant, Terlullien se fe-
licite d'avoir efficacement repondu au nom de la foi — ex doc-
trina fidei — â toutcs Ies questions qui ne procedeul pas d'une
vaine curiosite.
Si tlieologique d'allurc que soit le trăite De anima, l'auteur
ne laisse pas de faire maintes fois appel â la philosophio \ ct â
la medecine, s(Bur de Ia pliilosophie. On peut trouver qu'il a
mauvaise grâce, apres avoir signifie â ces deux Sciences qu'il
n'attend rien d'elles et que la foi suffît en toute occurence (2).
II entre neanmoins en lice avec Ies philosophcs, cos patriar-
ches des heretiques, et ii ne dedaigne pas d'emprunter aux di-
verses ecolcs ies armes qu'clles tournent contre Ies ecoles ad-
verses.
Son eclecllsme penclie visiblement vers Ies stoYciens'' : il
leurdoit sa doctrine de l'âine corporelle (5 sq), son attaque des
arguments platoniciens (6). Ies principaux traits dont il decrit
l'âme (9), sa notion de l'yiyeiJiovixdv et la localisation de cette lă-
cuite reine dans le cccur (14. 15). II s'accorde avec eux sur la
veracite des sens (17), sur l'evolution de Tetre humain (20), tout
en ecartant discretement leur fatalisme (21). II rejette leur doc-
trine sur l'apparition tardive de l'âme raisonnable (25! ; mais il
admet leur traducianisme (27), leur conception du sommeil (43)
1. Surla poşition do Tertullien (>n lace de la philosophie, e,t particulie-
rement du stoîcisme, voir G. ]':sscr, Die Seeienlehre TerUdiimu, Intro-
duction, et passim, notammont p. 47.
2. M. Joseph Leblanc [Annales de philosophie chretienne, juillet 1903,
p. 415-424, Le materialisme de Terlullien) refait autremcnt la genese de
ces idees. Tertullien n'aurait jamais ete chercher des convictions chez Ies
stoîcions, mais il aurait ete dupo de son imagination dans l'lnterprctation
de la parabole du mauvais i-iche ct dans celle des visions montanistcs. Ce
role de l'imagination est incontestablc; mais nous le rattachons â des ha-
bitudes d'esprit deja ancienncs, ct nous laissons hors de cause le mon-
tanisme, comme un pur accident. Terlullien ne pretend pas se mcttre â
l'ecole du stoîcisme; mais assurement il en subit Tinfluence.
138 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
et de la mort (5.54). Avec eux ii admet la divination par Ies
songes (22. 46.) Avec eux ii croit ă la survivance de l'âme,
sans toutefois la limiter comme eux au jour de la conflagration
universellc (54). Parmi leurs raaîtres, ii cite Zenon, Cleantlie,
Clirysippe surtout, Posidonius, Seneque. [Seneca saepe nos-
ter, 20) : sans etre lui-meme un adepte du stoîcisme, ii en
avait retcnu plus que de n'importe quelle autre philosophie.
Le grand nom de Platon liante sans cesse la pensee de Ter-
tullion, visiblement partage cntrc l'orgueil d'humilier ce co-
ryphoe de la philosophie et la satisfaction de recueillir chez
lui de precieux temoignages. 11 s'est montrc injuste envers le
maître de Platon, et cette injustice est un lieu commun de sa
polemique ; ne relevons pas Ies insinuations malveillantes rela-
tivcs a la mort de Socrate et Ies perpetuelles allusions â son
demon i'amilicr. Platon a cru â la preexistence des âmes, ii n'a
pas cru â leur nature corporcllc ; ii a ebranle la foi au temoi-
gnage des sens; sa theorie des idees subsistantes a enfante
d'innombrables erreurs; sa doctrine de la migration des âmes
est absurde en metaphysique autant que subversive en morale ;
sa localisation des facultes est arbitraire ; tant sur la naissance
que sur la mort, ses idees manquent de consistance ; ii a ose
elever l'amour de la beaute juvenile ă la hauteur d'une vertu.
Ces critiques, et d'autres encoro, Tertullien Ies formule par-
fois â regret; par contre ii s'emprosse de signaler l'accord de
Platon avec la foi sur l'unite substantielle de l'âme (10) et sur
la distinction du rationnel et de l'irrationnel (16). S'il ne men-
tionne qu'en passant ses idees surla divination (24), c'est peut-
etre par aversion pour son anthropologie : le foie joue un grand
râie dans la mantique platonicienne. C'est peut-etre encore par
prudence : ii devait hesiter â compromettre en compagnie si
suspecte la prophetic montaniste. 11 lui sait gre d'avoir deve-
loppe la croyance â la vie future, d'avoir promis aux âmes Ies
meilleures rimmortalite dans Ies spheres superieures du ciel et
livre Ies âmes coupables aux abîmes infernaux (54). On doit le
croire sincere lorsqu'il dit : je m'afîlige tout de bon de voir tous
Ies heretiques recourir â la boutique de Platon pour se fournir
d'cpices (23); et l'influence preponderante du materialisme
stoîcien ne l'empeche pas de se retourner parfois vers l'ecole
Llî TRĂITE « DE AXIMA )). 139
spiritualiste pour lui demander le vrai commentairc de l'Evan-
gile.
Aristote apparaît Qk et la : allie de Platon dans Ia lutte pouf
la spiritualite de l'âme (5), psychologue subtil dans l'analyse
des facultes humaines (12) et des plienomenes de la vie (19).
Mais ii ne semble pas que TertuUien ait ete tres attire vers Ies
oeuvres du Stagirite. 11 cite avec plus de complaisance Ies an-
ciens sages de la Grece : Pythagore, â qui ii ne pardonne pas
d'avoir invente la nietompsycose, Ileraclite, Anaxagore, Empe-
docle, Anaximene. Epicurc ne devait pas lui plaire, et [e De
anima ne mentionne guere que scs crreurs. jN'eanmoins Fecole
epicurienne est felicitee d'avoir defendu contre l'Academie la
veracite des sens (17). Un poete epicurien, Lucrecc, a formule
un axiome pliysique approuvc par TertuUien, et TertuUien lui
emprunte un liexametre (6).
L'attention qu'il donne â la medecine est un fait d'autant
plus digne d'interât que l'on rcncontre plus rarement ă cette
epoque un chretien verso dans ces etudcs. Le cas du medecin
phrygien x\lexandre, martyrise a Lyon sous Marc Aurele',
doit etre considere comme une exception. Parmi Ies auteurs
cites dans le De anima, on peut s'etonner de ne pas rencontrer
Galien, Toracle de la medecine a Rome au n° siecle ^. Proba-
blement la gloire de Galien etait encore trop jeune, et la bi-
bliollieque de TertuUien trop viciile pour renfermer Ies ecrits
du celebre professeur. Les noms qu'il invoque appartiennent
ă des tomps plus recules : le mcdccin psychologue Soranus ^
etait contemporain de Trajan ; Asclepiade fut l'hote de Mithri-
date; Herophile, ce medecin ou plutot ce boucher qui dissequa
tant d'hommes vivants ', vivait ă Alexandrie sous Ptolemce
Soter. TertuUien porte dans ce domaine, â dofaut d'un esprit
1. Eusebc, //. E. 5, 1, 19. — Voii' Ilarnack, Medicinisches aus cler ăUeslcii
Kirchengeschichie, dans T. U. t. 8, 4, p. 37-50.
2. Noeldechen p. 289. Sur Ies donnees medicalcs du de anima. Harnaek,
/. c. p. 69; 78-88.
3. Sur Soranu.s, voir II. Diels ; Doxographi graoci (Borlin. 1879) p. 203-
214.
4. An. IO : Ilerophilus, iile medicus aut lanius qui sexcentos oxsecuit
ut naturam scrutarotur. — Autres noms de incdcoins, An. 15.
140 THEOLOCIE DE TERTULLIEN.
tres scicntifique, une hardiesse d'investigation que n'arrete au-
cune pvideur. Natura vcneranda est, non erubescenda^ , c'est
son principe.
Considere dans son ensemble, le trăite de l'âme apparaît
comme une grandiose mais grossiere ebauche, ou l'etreinte de
la matiere gene et souvent paralyse Telan de la pensee clire-
tienne^. Affranchi par la lumiere de l'Evangile de beaucoup
d'erreurs ou se debattait la philosophie antique, l'autcur a re-
pudie d'une part Ies reverics platdniciennes de la migration et
de la reminiscence, d'autre part cet evolutionisme stoicien qui
condamnait Ies âmes â perir dans Tembrasement final du
monde. Mais ii n'a reconnu ni la creation immediate de Tâme,
ni Ies exigences de sa nature spirituelle, ni son aptitude â ob-
tenir sa fin des qu'elle se degage du corps. Lie â une pliysique
enfantine qui paraît ignorer meme le principe d'Archimede (8),
lieenoutreăune conception grossiere des choses immaterielles,
ii a imagine Fâme comme un corps â trois dimensions. Nous
avons etudie ailleurs * avec quelque detail ces assertions ctran-
ges, ou ii faut reconnaître l'accent d'un christianisme incontes-
table, aux prises avec une pensee peu metapliysique; l'impres-
sion de materialisme qui s'en degage "^ n'est nulle part plus
forte que dans le De anima, ou Ies attaclies stoYciennes, le
traducianisme, enfin la description la plus concrete et la moins
metapliorique se reunissent pour montrer que Tertullien n'eut
jamais l'idee nette de la substance spirituelle. 11 n'eut pas
davantage Tidee exacte de Tunion substantielle entre l'âme et
le corps : ii assimile cette union â celle du son, de la couleur,
de l'odeur (qualifies par lui d'objets incorporelsi avec le corps
sonore, colore, odorant (6). II l'assimile au sejour de l'enfant
dans le sein maternei (ibid.). II l'assimile encore â I'habitation
du demon dans le corps du possede (25). Ces comparaisons,
1. An. 27.
2. Voir l'excellcnte conclusioii de M. Esser, Dic Seclenlehre TeiiuUians.
p. 232 sq.
3. Ch. II, g 3, p. 62 sq.
4. Mgr Frcppel (33°lecon, t. 2, p. 355. 35C) combat cette impression par
des raisons qui nous paraissent plus genereuses que decisives. Nous sous-
crivons pleinement aux conclusions de M. Bainvel, DkU Iheol. 1, 988. —
Voir encore Stier, op. cit. p. 28 sq.
l'iIOMMK. DE LA RESURIiECTIOX. 141
dont ii ne paraît pas sentir Fimpropriete, montrent assez com-
bien de distinctions lui echappent eii ces matieres. L'aboutis-
sement moral de cette psychologie vaut mieux que le point de
depart : TertuUien a roconnu l'existence du libre arbitre et le
devoir pour cliaque homme de se faire ă lui-meme sa destinde
en cooperant ă la grâoe divine (21). Sur Ies relations de rhomme
avec Dieu, ses vues, malgre des traces d'illuminisme phrygien,
sont liabituellement saines ; ii sait que le peche seul s'interpose
entre l'âme degagec de son corps et Dieu, et non content de
predire aux uns une recompense eternelle, aux autres d'eternels
supplices, ii a compris que l'âme destinee ă la beatitude doit
sulDir une derniere purification, avânt le jugcment definitif qui
mettra riiomme tout entier en possession de sa fin supreme.
Avec ses erreurs et ses lacunes, ce trăite inaugure non sans
grandeur le developpement de la psycbologie chretienne^
L'application severe d"une saine metaphysique aux donnees de
la revelation pourra seule eliminer toutes Ies scories, et ce sera
le travail des siecles.
Dans le De carne Christi, repondant â des Valentiniens qui
voulaient que Târne cut besoin du corps pour prendre connais-
sance d'elle-meme, Tcrtullien exagerc le relief de sa pensee
jusqu'â dire que, dans l'homme, l'âme est tout : In hoc vana
distinctio est, quasî nos seorsum ah anima sîmus, cum totuni
quod suinus anima sil. Denique sine anima nihil sumus, ne
hominis quidem, sed cadaveris nomen- . Cette formule tran-
chante a sa contrepartie dans le de resunectione carnis, ou
l'on voit que toutes Ies operations de l'âme appartiennent a la
chair : Totuni vivere animae carnis est^. Nous allons examinor
1. Pout-etro TertuUien doit-U boaucoup au îispt vţjyx'^? <le saint Justiu,
signale pav Eusebe (H. E. 1, 18, 7). L'espoir qu'on avait conou de retrou-
vcr cet (krit parart evanoui (voir Dicls, Sitzungsberichle der K. Pr. Aliad.
der Wiss. 1891, t. 1, 12 febr. p. 151 sq.). — La psychologie ebauchee par
Tation (Disc. aux Grea, 12, sq. ), qui meconnaît dans Tâme humaine la
rcssemblance naturelle de Dieu et rimmortalitt; nalurclle, a pu fourriir â
TertuUien quelques traits, mais non des meilleurs.
2. c. C 12.
3. II. 7. — Rapprooher 1 M. 24 : Quid est autou» liomo aliud quam caro?
siquidem nomen hominis materia corporalis, non animalis, ab auctore
sortita est.
142 THlîOLOGIE DE TERTDLLIEN'.
ce dernier ecrit, qui precise et complete la doctrine du De
anima, en eclairant d\me belle himiere l'unite substantielle du
compose humain.
Le dogme de la resurrection coi-porelle *, fondement de l'es-
perance chretienne, excite Ies railleries du vulgaire. Et par une
etrange inconsequence, Ies railleurs rendent un culte et offrent
des repas somptueux ă leurs morts qu'ils viennent de bruler.
Les philosophes souvent ne s'elevent pas au-dessus du vulgaire :
Epicure n'attend, apres cette vie, que le neant; Seneque ne
parle pas mieux qu'Epicure. Pytliagore et Platon croient â une
autre vie ; mais ils gâtent cette belle idee par la metempsycose,
malheui'euse caricature de la verite chretienne, Jesus-Christ'^
a autrefois confondu les sadduccens. disciples d'Epicure plutot
que des proplietes ; les heretiques auxquels s'oppose ici Ter-
tullien (Marcion, Basilide, Valentin, Apelle) sont des semi-
sadduceens : ils admettent l'immortalite de l'âme et attaquent
la resurrection de la cliair, comptant bien introduire par cette
breche d'autres erreurs. De fait, rimmortalite de l'âme compte
peu d'adversaires parmi les lieretiques, et des defenseurs meme
parmi les pliilosophes : ainsi Platon. Cest une de ces verites
primordiales -^ sur lesquelles Tertullicn aime ă invoquer le
tcmoignage de l'âme naturcllement chretienne ''. Bien qu'elle
ne s'impose pas â tous avec la meme clarte que l'existence du
vrai Dieu, elle se fait accepter sans trop de peine. II n'en va
pas ainsi de la resurrection corporelle '■'. Sur ce point le prejuge
paien est tres tenace, et l'heresie Iui emprunte volontiers des
armes''. Elle insiste sur Ies hontes de Ia chair, sur son origine
terrestre, sur ses multiples faiblesses, sur ce retour final â la
1. R. 1.
2. Ib. 2.
3. Ib. ;l
1. Quacdam enim et natura nota sunt, ut immortalitas animac pencs
plui'os, ut Deus nostei' pcnes omnes. — Cf. 5 M. 9 : Animam et sapientium
plures divinam vindieantos salvam repromittunt, ot vulgus ipsum ca
praesumptione defunctos colit qua animas eorum manei'c confidit.
5. R. 4.
6. Comparer le trăite de Ia resurrection attribue a saint .Iustin [P. G.,
6,. 1571 sq.) passim.
l'hOMME. DE LA. RESURKECTIOX. 143
terre, qui en fait d'abord un cadavre et bientot un je ne sais
quoi sans nom. On a vu plus haut^ comment, k cette satire de
la chair, TertuUien oppose le panegyrique de la chair. Dieu
abandonnera-t-il â une corruption definitive ce corps qui lui
represente Ies traits de son Christ, ceLte creature qui lui est
cliere â lanţ de titres? On ne saurait le croire sans faire injure
a sa bonte^. D'autres raisons encore militent en faveur de la
resurrection corporelle. D'abord une telle ojuvre ne surpasse
point la puissance divine^. Ceux-lâ doivent en convenir qui
admettent la creation du monde es nihilo, ou meme son elabo-
ration d'une matiere preexistante. Or c'est le grand nombre
parmi Ies heretiques. Celui qui a forme une premiere fois Tetre
liumain, peut â plus forte raison le refaire '. Bien des analogies
naturelles appuient ce raisonnement : c'est le jour sortant de la
nuit, ce sont Ies astres briliant apres une eclipse, c'est le renou-
veau des saisons, c'est la vie vegetale qui germe dans la corrup-
tion, c'est enfin le phenix qui, d'apres l'Ecriture meme*, renaît
de ses cendres. Le Seigneur qui a dit : vous valez mieux que
beaucoup de passereaux, ne saurait faire moins pour l'homme.
Jusqu'ici on n'a vu que des arguments de convenance. Main-
tenant la resurrection corporelle apparaîtra, non seulement
convenable, mais reellement necessaire^, si l'on reflechit que
le jxigement de Dieu doit etre parfait. 11 ne le serait pas si
riiomme n'etait juge tel qu'il a vecu. II faut donc que tout
rhomme, corps et âme, vienno au jugement. Que Ies enne-
mis de la resurrection s'appliquent ^ , pour Ies besoins de
leur cause, â dissoudre l'unite naturelle du compose humain.
Ils n'empeclieront pas que l'âme ne soit, jusque pour ses pen-
1. Voir ci). III, S I, p. 108. — /?. 5-11
2. Cf. .Iustin, De resurr. 8.
3. R. 12.
■■). Cct argument a fortiori n'est pas nouvoau; voir S. .iustin, 1 Apoi.
10; De renirr. 5; Tation, Disc. 6; Athenagore, De resurr. 3 sq; 251 17.
5. R. 13. Sur cet appel â l'Ecriture (Ps. 91, 13) cf. eh. V, § 3, p. _
Ces diverses analogies naturelles (y compris celle du phenix) se retrouvont
dans la Didascalie des Apotres, ecrit du tu'= siecle qui a servi de base â la
redaction des constitutions apostoliques. Voir ia traduction du syriaque
par rabbe F. Nau (Paris, 1902), c. 20. p. 106 sq.
0. R. M.
7. R. 15.
144 THHOLOGIE DE TERTULI.IEX.
sees intimes, associeo au corps. Dieu, en efîet. impute ă l'âme
los secrets mouvements du cceur. Ce viscere caclio est Ia
citadelle de Tâme, et Dieu le prend â pârtie, si l'âme vient â
penser a mal. Ici TertuUien interprete dans un sens tros mate-
riei des tcxtes de l'Ecriture (Mat. 9, 4; 5, 28). II ne reconnaît
pas d'operation mentale qui ne depende du corps : que l'on
place dans le cerveau ou entre Ies deux sourcils ou en tout autre
endroitle siege de la pensee, on doit admettre qu'elle emprunle
Ie ministere d'une puissance corporelle ■• . Temoin le jeu de la
physionomie, indice des emotions de l'âme. L'initiative appar-
tient a l'âme, soit. Mais c'est Icpropre d'une justice parfaite
de ne pas s'en tenir aux principaux responsables, et de rendre
meme k cliaque subalterne^ selon ses oeuvres. Ce nom de su-
balterne^ pourrait sembler impropre, parce que le corps, inca-
pable de se conduire, doit etre considere, non comme un servi-
teur, mais comme u.n instrument. Mais pourquoi l'instrument
lui-meme n'aurait-il point sa juste part de mepris ou d'honneur ?
On maudit et on brise la cpupe d'une sorciere. Ie poignard d'un
aşsassin ; et l'on couronne de fleurs une coupe ennoblie par Ia
joie des banquets, un glaive ensanglante sur le cliamp de bataille.
D'ailleurs le corps n'est pas un instrument quelconque : etroi-
tement uni â l'âme, associc â toutes ses operations, ii I'ait pârtie
integrante de I'etre moral ^ Telle est la doctrine de l'Apotre,
qui impute â la chair Ies fautes commandees par l'âme, et veut
que le chretien glorific et porte Dieu en son corps (1 Thess. 4,
4; 1 Cor. 6, 20). En faveur de la resurrection corporelle '% on
apportera peut-etre encore cette raison que l'âme separee du
corps ne saurait eprouver ni peine ni plaisir. Idee en efîet tres
1. Siquidem in carne et cum carne ct per carnem agitur ab anima
quod agitur in corde... So,d ctsi in oerebro vel in medio superciliorum
discrimine vel ubiubi pliilosopliis placet principalitas sensuuin consecrata
est, quod t^ye^oviuov appellatur, caro erit omne animac cogitatoriuui, Nun-
quam anima sine carne est, quandiu in carne est. Nihil non cum illa agit,
sine qua non est.
2. Ministros facti cujusque deposcit.
3. R. 16.
4. Caro autem ab exordio uteri consata, conformată, congenita animae,
etiam in onini operatione miscetur illi.
5. R. 17.
L'nOMME, OE LA RliSUHnECTlON. 145
repandue, et dont Tertullien s'est fait autrefois le dcfonseur^
Maintenant ii la rejctte ; ii rappelle quc l'âme est un corps d'une
nature ă part, capable d'impressions â lui propres^. T.'âme du
mauvais riche torturee aux enfers, l'âme de Lazare heureuse
dans le sein d'Abraham, sont des exemples probants. Si donc
Ie corps doit etre rendu ă l'âme, ce n'est pas qu'elle en ait
besoin pour sentir, mais c'est qu'autrement la justice divine ne
serait pas satisfaite. Pour Ies actes qui lui furent propres,
pensees, desirs, resolutions, l'âme aura sa peine ou sa recom-
pense âpart; pour coux dont le corps futl'executeur, elle atten-
dra de lui etre reunie. II faut une sanction dont la plenitude ne
le cede en rien k celle du merite ou du demerite. Cette sanction
complete s'exercera seulement apres la resurrcction, d'ailleurs
sans prejudice de ce que l'âme aura du eprouver aux enfers
dans l'attente du dernier jugement^.
1. Ap. 48: Test. 1.
2. Nos autcm animam corjioralem ct hic profiteniur et in suo volumine
probamus, habentem proprium genus substantiae soliditatis, per quam
quid et sentire et pati possit.
3. Avânt de di'ifendre contre Ies heretiqnes la resurrection corporellc,
'reiluUien l'avait aflirmeo en face des paions dans son Apologctiquc (48).
H ne sera pas sans interât de remettrc cette vigoureuse ebauche en regard
du tableau definitif. Colui-ci se distingue par quelques traits, qu'expliquc
soit la diffcrcnce des buts poursuivis, soit Ic progres de la rellcxion cliez
Tapologisto. Voici, dans ses grandes lignes, l'ancien developpemcnt :
Bien des gens croiraicnt volontiei'S ă la metonipsycose, enscignee par
l'ythagore: qu'un chreticn vicnne â parler de resurrection corporelle, on
jette Ies hauts ci'is. Pourtant, si Ies âmes sont destinees a rcntrer dans
(.Ies corps, n'est-il pas plus naturel que ce soit dans ceux qu'eUes ont deja
animes? Dans l'hypothese contraire, on ne voit pas ce que deviont la pci--
sonue. I.es echanges qui se produiraient alors offrcnt matiere â d'inta-
rissablos plaisanteries. Tertullien passc outre, et indiquo la raison decisive
d'attribui'r Ies memes corps aux memes âmcs : c'est la perspective du
jugCHKînt divin. Voilâ pourquoi Dieu reforme la personne humaine; le
corps ost ici necessairc, et l'apologiste en donne deux preuvcs d'inegale
valeuf : I" râme ne peut rien sentir sans etre liee â une matiero stablc :
\eque pali qulcquam potest anima aola sine stabili materia, i. e. carne;
2" conime ellc etait unie au cw-ps pour le merite ou le demerite, elle doit
l'etre aussi pour la sanction. Le fait de la resurrection suppose admis,
reste a indiquer le commont. Et pourquoi scrait-il plus difficile au Crea-
tour de reconstituer l'honime que de le tirer une premiere fois du neant?
Dieu, qui anime de son souffle tout ce qui a vie, peut ranimer une matiere
inerte. II a d'ailleurs marque sa puissance â cet egard dans la succcssion
des nuits et des jours, dans le renouveau des saisons, dans la circulation
de la vio vegetale. Que rhommc se rassure donc : oii qu'oUc soit, sa sub-
THEOI.OCIE DE TERTULLIE.N". 10
146 THIÎOLOGIE BE TEHTULUEX.
En somme, tout concourt ^ â prouver la resurrection cor-
porelle : dignite de la cliair, oranipotcnce divine, analogies
naturelles, exigences du jugement divin. Ces considerations
servent de preface â la preuve scripturaire qui remplit Ies
deux derniers tiers du trăite. Les textes que Tertullien va
produire visent-ils seulement l'âme, comme le pretendent les
heretiques, ou bien aussi Ie corps? Desormais toute la question
est lâ.
Dieu l'a decrete : les morts ressusciteront. Edictum Dei
pendet, resurrectio mortuorurn. Or ce decret vise certaine-
ment le corps. Quand Dieu pronongait sur l'humanite la
sentencc de mort (Gen. 3, 19), ii s'agissaitbien du corps. Quand
le Clirist dit aux Juifs (Joan. 2, 19) : Dctruisez ce temple et
en trois jours je le releyerai, ii parlait de relever ce qu'on
aurait detruit, c'est-â-dire son corps. On doit prcndre les
mots ^ comme ils sonnent, et ne pas se lancer dans les in-
terpretations allegoriques. Sans doule ii y a dans l'Ecriture
des allegories ^, mais pas partoutni â tout propos '. Les textes
nombreux qui concernent la resurrection doivent s'cntendre
sans aucune figure : un point si fondamental pour la doctrine
cliretienne a du etre propose avec una clarte absolue. Im-
possiblc d'y voir "', soit une illumination de l'âme par la grâce
de la foi, soit une g-lorification immediate de cette âme apres
stancc se rotrouvera : Dieu est Io maîlre de tout ot du neant niemc.
Ubicumque resoluius fueris, quaecumquc ie materia deslnixerii, hauserit,
aboleverit, in nihilum prodegcrit, reddel le. Ejus est nihilum ijisii/in cujus
et loliim. Mais peut-âtre faudra-t-il indefmiment mourir et rcnaître ? L'au-
teur de ia uature aurait pu l'etablir ainsi; mais nous savons qu'il ne l'a
pas fait. La meme varieto qu'on remarque dans toute son ccuvrc apparait
jusqiic dans Io partagc de la vie et de la mort. La vie prcsentc nous in-
troduit â un ordrc de choses definiţii", et le dornier jour de ce monde s'a-
chevei'a sur le grand levei- de rideau de l'eternito. Le geuro humain
regenere rocueillera dans une vie nouvelle le fruit de ses ceuvres : Ies elus
preş di; Dieu, transiigures ; Ies damnes livres au fcu vengcur de la justice
divine, feu plus inextinguiblc que celui des volcans.
Nolons encore qu'au dernier livre contre Marcion, Tertullien resumera
son trăite De resurreclione carnis; voir 5 i¥. 9-10.
1. n. 18.
2. n. ia
3. Ib. 20.
4. Ib. 21.
5. Ib. 22.
LHOMME. DE LA RESURREGTION. 14/
Ia mort. En saint Luc (21, 26 sq), le Seigneur decrit Ies sigries
precurseurs de la resurrcction et du jugement. Or ces signes
ne paraissent jjas ancore. Donc cette resurrection spirituelle
dont parlent Ies lieretiques serait prematuree. Saint Paul
parle aux Colossiens (2 et 3) ^ de resurrection spirituelle. Mais
le contexte est clair, ct n'exclut pas la resurrection corpo-
relle. affirmec aillcurs par le meme apotre (Gal. 5, 5; Pliil.
3, 11 sq; Gal. 6, 9; 2 Tim. 1, 18; 1 Tim. 6, 14-15; 1 et 2
Thess. passim), par saint Jean (1 Joan. 3, 2) et par saint Pierre
(Act. 3, 19 sq). L'Apocalypse annonce^ (Apoc. 20) une resurrec-
tion generale pour la. fin du temps, et non la resurrection
spirituelle, qui est de tous Ies jours. D'ailleurs ^ si l'on voulait
l'aire appel a l'exogesc allegorique, ii serait facile de trouver
la resurrection corporelle predite en maint passage des pro-
phetes. Dans la vision d'Ezechiel (Ez. 37), on a plus qu'une
simple allegorie ''. Mais l'heresie s'efforce •' de restreindre â la
restauration d'Israel la portee de cette page prophetique.
Cette interpretation est, sinon fausse, du moins trop exclu-
sive. Elle suppose au contraire la premiere, comme la figure
suppose la realite qui lui sert de type ; et le langage de Dieu
au prophete confirme cette maniere de voir. Ezecliiel, proplie-
tisant avânt la dispersion ", a voulu inculquer la resurrection
de la chair, legon toujours actuelle et souvcnt oubliee. Au reste,
Ies autres prophetes tont echo â sa voix (Mal. 4, 2 sq; îs. 60,
14; 26, 19; 66, .22-24). Pour le comment de la resurrection,
l'on peut se fier â la puissance divine ^.
Apres la prophetic, l'Evangile ^ vient deposer en faveur de
la resurrection corporelle. Quelques-uns se prevalent des
1. /e. 23-21.
2. Ib. 25.
3. Ib. 26-28.
4. Ib. 29. — Voir eh. V. S 3. p. 249.
5. Ib. 30.
6. Ib. 31. — 11 est ii peino besoin de relever cet anachronisnie.
7. Ib. 32. — Toi'tuUien cite ici un texte mysterieux, qu'on a parfois cru
retrouver dans l'Apocalypso (20, 13) et qu'il cornmento par Texemple de
Jonas. En realite le texte appartient au livre d'IIenoch, 61, 5. Voir c. V,
§ 3, p. 225.
8. Ib. 33.
148 THEOLOGIE DE TERTULLIBN.
paraboles pour tourner en allegories tout l'enseignement de
Jesus. Mais on n'a pas le droit d'oublier que Jesus paria
souvent sans figures. Surtout ii pronoiKja des scntences et des
declarations que n'obscurcit aucune parabole. Or ceci est
particulierement vrai du jugement et de la resurrection corpo-
relle, soit qu'il menace (Mat. 1.1, 22-24) soit qu'il promette
(Mat. 10,7; Luc. 14, 14). D'ailleurs ii a dit cxpressement '
qu'il venait sauver ce qui avait peri (Luc. 19, 10; cf. Joan. 6,
39-40). Ce qui avait peri, n'est-ce pas tout l'homme? II faut
que rien n'y manque. La redemption pleniere ne doit pas
plus oublier le corps que Târne. Jesus -dit oncore ^ : Craignez
celui qui peut precipiter dans la gehenne le corps et l'âme
(Mat. 10, 28). Impossible de prendre ici le change, d'autant
que le texte sacre oppose le corps â l'âme. A moins de ressus-
citer, le corps ne saurait tomber dans la gehenne. Et comme
ce fcu vengeur est inextinguible, eternei doit etre le supplice
du corps que la justice divine lui livre, non pour etre consume,
mais pour etre torturo. D'autres paroles du Seigneur confir-
ment cette doctrine (Mat. 10, 29; Joan, 6, 39; Mat. 8, 11 etc)
Repondant aux sadduceens^ (Mat. 22, 23 sq.) qui ne croyaient
pas meme h l'immortalite de l'âme, ii affirme implicitement
que l'Ecriture enseigne la resurrection telle qu'ils la niaient,
c'est-â-dire la resurrection complete. S'il compare la condition
des elus â celle des. anges (Mat. 22, 30), s'il declare que la
chair ne sert de rien ', on ne peut rien conclure de lâ contre
la resurrection : ii n'a voulu que convier ses auditeurs â la
vie de l'esprit. Enfin en ressuscitant des morts •', Jesus a donne
comme Ies arrhes de la resurrection generale, par des miracles
d'ailleurs bien moindres que le miracle de sa propre resurrec-
tion.
Si des evangiles on passe aux ecrits apostoliques ^, on trouve
que Ies apotres, occupes de montrer l'A. T. accompli en Jesus-
1. Ji. 34.
-2. Ih. 35.
3. Ib. 36.
4. Ih. 37.
5. Ib. 38.
6. Jb. 39.
l'hOMME. DE LA RlîsUltRECTIOX. 149
Christ, n'ont introduit, a part le grand fait de la resurrection
du Seigneur, aucun enseigneinent nouveau touchant la resur-
rection. Comme ils ne faisaient que redire ce que tout le
mondc pcnsait lă-dessus, ils n'ont pas eu de contradicteurs,
sauf Ies sadduceens. Paul a confesse sa croyance ă la resur -
reclion de vânt le sanhedrin, entre Ies sadduceens et Ies pha-
risiens (Act. 23, 6), devant Agrippa (ib. 26,8), etă l'Areopage
(ib. 17, 31) oii ii provoquades sourires d'incredulite. II inculque
la meme croyance dans presque toutes ses epîtres. Doncon ne
doit pas s'arreter\ comme font Ies heretiques, â quelques
textos obscurs. Par exemple 2 Cor. 4, 16; 5, 1 sq., ii n'est pas
question d'une ruine deflnitive de Thorame exterieur, mais d'e-
preuves et de souffranccs temporelles, qui developpent la vie
de l'esprit et assurent ă tout rhomme une eternelle recompense .
— 1 Thess. 4, 14 sq., l'Apotre parle de ceux que le dernier
jour trouvera vivants, et qui seront appeles â revetir Fimmor-
talite de la gloire. 11 en est de meme ^ 1 Cor. 15, 51 sq. — • 2
Cor. 5, 6 sq. ^, ii exhorte Ies fideles â mepriser cette terre d'exil
et â fixer leurs regards sur la patrie celeste, oii ils doivent
entrer en corps et en âme; car si nous portons la lumiere de
la foi dans des vases d'argilo, ces vases n'en doivent pas mo ins
etre glorifîes avec le tresor qu'ils renferment. — Eph. 4, 22
sq. '', le vieilhomme, dont l'Apotre veut qu'on se defasse, n'est
point le corps (ou bien, que ces heretiques aillent jusqu'au sui-
cide, pour obeir â l'Apotre!) Ces mots doivent se prendre au
sens moral. De meme Rom. 8, 8 sq. ^, le mot : chair; Rom.
6, 6 * Ies mots : vieil homme, corps de peche : ceux qui, par
lapenitence, mortifieront leurs mauvaises passions, obtiendront
1. R. 40-11.
2. Ib. 42. Pour rassurer sur ce point rimagination du lecteuf, Teftul-
lien fait appel â un souvenir assez curieux. En crcusant Ies fondements
(le rOd^on de Carthage, on venait d'oxhumcr des cadavres conserves
presque intacts aprcs plusieurs siecles : Sed et proxime in ista civiţat(>.
cum Odei fundamenta tot vetcrum sepulturarum sacrilega collocarentur,
quingentorum fere annorum ossa adliuc succida ct capillos oiontes po-
pulus exhorruit.
3. Ib. 43-41.
4. Ib. 4.5.
5. Ib. 46.
0. Ib. 47.
150 TIIEOLOGIE DE TERTULUEN.
la vie eternelle. Devenus citoyens du cicl, ils verront, selon
TApotre (Phil. 3, 20. 21) leurs corps miserabies transfigures a
I'image du corps glorieux du Christ. Enfin, voici qui doit ouvrir
Ies yeux ă ces avcugles volontaires — lucifugae işti scriptura-
riun, — saint Paul ordonne au cliretien de gardei" purs soa
corps et son âme dans l'attente du Seigncur (1 Tliess. 5,23). —
Ras te ancore un texte * dont Ies adversaires usent â tout propos :
Tertullien afait expres de le reserver pour la fin. 1 Cor. 15, 50 :
Caro et sanguis regnum Deihereditate possidere nonpossunt -.
Or lisez le contexte : 1 Cor. 15, 12 sq., la resurrection de
Jesus-CIirist est presentee comme le type de la notre. Qu'esl-
ce donc que la cliair et le sang ', exclus par l'Apotre du
royaume des cieux? Non pas tellcs substances; non pas Ies
eîemcnts de la nature liumaine, qui sont cliez tout homme
ce qu'ils sont dans le Christ; mais bien Ies hommes qui sui-
vent Ies inclinations terrestres (1 Cor. 15, 47 sq). Cest ce quil
dit expressement aux Galates (Gal. 5, 21). D'ailleurs â s'en
tenir â la lettre ' du texte apostolique, ce qui est refuse ă la
chair en tant quc substance, n'est pas precisement la resur-
rection, mais bien le royaume de Dieu, autrement dit la re-
surrection glorieuse. Toute chair ressuscitera; mais pour
entrer en possession de l'heritage celeste, ii faut etre trans-
figure. Ceux qui pretendent'', au nom de saint Paul, exclurc
indistinctement toute chair du royaume de Dieu, n'ont qu'â
lever Ies yeux au cicl : ils y verront, assis â la droite du
Pere, Jesus, Dieu et homme. Verbe eternei el nouvel Adam,
avec sa chair et son sang, plus purs que Ies notres et pourtant
de meme nature. Voilâ le gage de notre resurrection ". Mais
1. R. 48.
2. Sur Texegese de ce verset, cf. eh. V, g :>, p. 252.
3. Ib. 49.
4. Ib. 50.
o. Ib. 51.
(j. Ilic sequester Dei atque hominuin appellatus cx utriusque partis
deposito commisso sibi carnis quoque depositum servat in scmetipso,
an'aboneni summaetotius. Quemadinodum enim nobis arrabonem spiritus
i'oliquit, ita et a nobis arrabonem carnis accepit et vexit in caclum, pignus
totius summae illuc quandoquo redigendae. Securae estote, caro et sanguis :
usurpastis et caelum ct regnum Dei in Cliristo.
l'hOMME. DE LA HESUniiECTION. 151
la chair ne saurait penetror dans ce royaume qu'apres avoir
depouille toute con-uption et revetu Tiînmortalite.
Quello sera la condition des corps giorieux * ? D'apres saint
Paul (1 Cor. 15, 30 sq), Tertullien montre que le corps res-
suscite sera au corps mortal ce que la plante est â Ia semencc.
Dieu a seme un corpus animale |ib. 44) ^, c'est-ă-dire non pas
une âme, comme quelques-uns l'imaginent, mais un corps
vivant^ : tel le corps d'Adam, tel celui du Christ, nouvel
Adam. Or cette vie perissable doit faire place â la vie ple-
nierc de l'csprit. L'element mortel doit etre absorbe par la
vie'', pour que Ic corps revete rimmortalite (ib. 53), non
par une destruction [perdido) ■', mais par un changement
idemutatio) qui lui communiquera une nouvelle maniere d'âtre :
nec alius efficiatur, sed aliud. La justice divine "^ ne s'accom-
moderait pas d'une su^bstitution qui soustrairait l'etre moral
â la recompense ou au châtiment. Mais voici des objections
vulgaires '. Quoi! Ies aveugles, Ies boiteux, Ies paralytiques
rossusciteront avec leurs infirmites"?Nullement. Nous admettons
une rosurrcction complete. Or si Dieu fait tant que de rap-
peler un mort â la vie, sans nul doute ii lui rondra Tintegrite
de ses membres. D'autant que l'impassibilite est un attribut
des corps giorieux. Ils entreront en possession d'un bonheur
sans ombre** (îs. 35, 10; Apoc. 7, 17; 21, 4); donc rien ne
saurait subsister de leurs anciennes infirmites. A qui chcrclie
ici des figures, Ies Livres saints rappellent la conservation
merveilleuse des vetements et des chaussures apportes par Ies
1. R.bi. Voii- ;; M. 10.
2. H. [i3.
3. Comparcr Justin, De resurr. 8 : Ti y^P ^<JT''' o âvOpwjto;, âXX'ri xo ex
>J>u/_>î; xai (7â>[ji.aTOţ auvEaxwţ ?Şov XoYixov; [ir, o'jv y.a6' âautriv «ţu/^ âvBptoTTOc;
oiix. aW âvOpwTTOu crco(ji.a xa),EÎTai. — In'nre 5, (i, O (/'. (l., 7, 1138) presquo
identiquc. — Athonagoro, De resurr. 25 : Ou p.r|V oOSe [iaxapioTiiţ •ifiiyf,^
y.e/topiojjiEVY)? (JMfJ-atoţ (o'r/EÎov âv6ptoTt(iu t;Xo;)' oOSs ^ap xriv Oaxepou toutmv i%
WV (7UV£(7TyiX£V avQpwTTOt; ECTXOTlOUtlSV i^tOyjV T] TsXoţ, aXXaTOU (7VVo(7TWTOţ £| a^JL^OÎV.
Taticn, Disc. 15. — Ep. d Diognite, O : 'EfXExXEiaxai jisv ri ipuyy] tm owpiaxi,
a\Jiiyv. os a'JTr) xo o-wp.a... âSivaxoţ f, ■^^xh sv 8vr,X(5 (jx'OVMjiaxi y.axotv.EÎ.
4. 'li. 54.
5. /6. 55.
6. Jb. 56.
7. 76. 57.
8. Ib. 58.
152 THEOLOGIE DE TEIITULLIEK.
Israelites au desert, celle des trois enfants dans la fournaisc,
celle de Jonas, d'Henoch et d'Elie. Mais, dira-t-on ', Ies mys-
teres de reternite ne concernent pas nos natures mortelles.
Vous vous trompez : 1' Apotre nous declare lieritiers des clioscs
â vcnir (1 Cor. 3,22). N'objectez pas non plus - la grossieretci
des l'onctions corporelles. qui ne sauraient convenir aux elus
de Dieu : la resurrection exige l'integrite des membres, non
leur usage '^ Tel un vieux navire qui ne tient plus la mer,
et qu'on a pourtant remis a neuf, en consideration d'anciens
Services : ainsi le corps'' s'abstiendra-t-il desormais d'actes
qui n'ont plus leur raison d'etre dans le royaumc de Dieu.
Glorieux privilege, auquel participent en quclque mesure, des
cette vie, ccux qui gardent par choix Fabstinence ou la vir-
ginite. Le Seigneur lui-meme " assimile ses clus â des anges
(Mat. 22, 30). Concluons donc** : Toute chair i-essuscilera,
identiquement, integralement ''. Jesus-Christ, mediateur entre
Dieu ct rhomme, a fiance dans sa personne la chair â l'espril.
Lâ oii elle semble perir, elle ne fait reellement que s'eclipser
pour un temps : apres avoir passe par l'eau, par le fou, par
Testomac des betes, par Ies entrailles de laterre, elle reparai-
tra un jour devant Dieu, pour s'entendre couvier â la gloire.
Tellc est la cliarte du salut, apportee h l'liumanite pnr Jesus-
("hrist, et, ajonte Tertullien, commentee en ces dcrnicrs temps
par ref'fusion de la prophetio nouvelle, duo au Paraclet.
Ce trăite de la resurrection corporelle acheve de degager le
concept de l'âme selon TertviUien. L'âme est un moteur subtil
qui penetre tout l'organisme, et dont le principe dirigeantsiege
au cceur. II y a encore loin de ce concept ă la forme substan-
tielle selon Ies scolastiques. Du moins Tertullien a-t-il marque
1. R. 59.
i. Ib. 60.
8. Justin, De resurr. 2-;i.
4. fb. 61.
5. Ib. 62.
6. Ib. 63.
7. Resurget igitur caro, et quiilein omnis, ct quidcm ipsa, et quidem
integra. In deposito est ubicuiuque apud Deum per fulelissimum seques-
trem Dei et liominuiu .Jesum Ctiristurn, qui ethotuiui Deum ct hominom
Deo reddet, carni spiritum ct spiritui carnem.
COMPOSE HUMAIX.
153
avec une grande vigueur l'uhite naturelle du compose liumain * .
II inculque l'association du corps aux operations de l'âme, en des
termos qui pourraient sembler compromettre la pure activite
mentale (15 : Caro erit omne animae cogitatorium). Pourtant
ii tient â reserver cettc activite, puisqu'il assigne une sanction
speciale, avânt le jugcment definitif, aux actes qui precedent
seulement de l'âme (17; cf. An. 58). Mais si l'on excepte le pre-
mier branle parti de rr,yE,u.ovi>tov, ii semble que toutes Ies mani-
festations de Penorgio psychique relevent efTectivement du
compose. Apres d'autrcs sans doute^, mais avec une puissance
superieure, Tertullien a exprime la force de ce lien naturel, que
la mort meme ne brise pas definitivement. Tout n'esl pas d'e-
gale valeur dans scs preuves rationnelles de la resurrection :
mais on doit reconnaître qu'au moins l'argument fonde sur Ies
cxigences de la justice divine part de vues justcs et profondes,
et qu'il s'liarmonise merveilleusement avec le dogme revelo de
Dieu.
La distinction entre le sens materiei du mot chair et son
acceptioo spirituelle ou ascetique, dissipe Ies malentendus accu-
mules par l'heresie et met en lumiere la portee morale du spi-
ritualisme cliretien ^ .
iri. an(;es et demoxs.
Les anges, bons et mauvais, ontun role important cliezTer-
1. Signaloiis encore cette formulo admirable cn sa precision, R. 40 :
Vocabuluin homo consertai'uin substantiarum duarum qiiodam modo
nbula est, sub quo vocabule non possunt esse, nisi coliaerentos.
2. Nous ijossedons deux traites do la resurrection anterieurs â celui de
Teilullicn. L'un nous est parvenu (mutili) sous le nom de saint Justin,
(;t Tertullien l'a cortainenient connu. L'autre est d'Atbenagoi'e. I.a S(>conde
pârtie (12-25) renforme des developpcments tres rcmarquablcs sur le coin-
jjose humain. L'auteur fonde la necessite de la resurrection corporcUo prin-
cipalcmcnt sur Ie dessein de Dieu dans la creation de l'hommc et sur l'unite
naturelle -de l'etre humain (14). 11 releguo au troisienie plan (18 sq) la con-
sideration du jugomont divin, d'autant qu'olle n'est pas d'une application
universcUe : les enfants ne soront pasjugcs sur leurs ttuvres, et pourtant
eux aussi ressusoiteront.
3. Comparer 5 .1/. 10.
154 TIIIÎOLOGIE DE TERTULLIEN.
tullien', comme en general cliez Ies theologiens de cette epoque
primitive. Nous indiquerons briâvement ce qu'il dit de leur
existence, de leur nature, de leur operation et des fonctions que
Dieu coniie aux anges fideles ; puis de l'origine des demons, de
leurs malefices et des exorcismes chretiens.
L'existence de substances spirituelles ou demons a ele admise
par Ies philosophcs^. Socrate obeissait ă Finspiration d'un de-
mon familier, qui s'etait attache a lui des l'enfance : triste maître
s'il eni'ut^. Platon a cru aux anges ''. Memelaconsciencepopu-
laire montre, par Tusage d'imprecations bien connues, sa
croyance au demon ''. Demons grecs, genies latins, sous des
noms divers sont tout un". Les magiciens attestent l'existence
d'esprits bons et mauvais. L'A. et N. T. ne laissent lâ-dessus
aucun doute au chretien.
Sur la nature propre de ces substances spirituelles, reparais-
sentles memes incoherences qui distinguentla doctrine de Ter-
tullien sur Dieu et sur l'âme humaine '. Et meme ici le mate-
rialisme de l'expression s'aggrave : Tertullien enseigne que
l'ange est un esprit materiei, etpar lâ infcrieur ă l'âme humaine,
1. Les tcxtes les plus importants sont Ap. 22. 23. 27.
A consiUtor : Le t\ouriy, JHsscrlaiiu, c. 10, ap. Mignc, t. 1, 867-891. — G.
Bareille, Angelolor/ic d'apres les Peres, (\i\n& Dict. Iheol. 1,1196. — J. Tur-
mei, HiUoire de l' angelologie, dans : A'. H. L. R. t. 3, (1898), t. 4. (1899).
— Pctau, De angelis, 1, 2, 8.
2. Ap. 22.
3. /*; Ap. AQ; An.\. 3!).
4. Ap. 22. Angelos etiam Plato non n(>gavit. — [Demons platonicions,
dans le Banquet, p. 327.)
5. Ap. 22 : Etiam vulgus indoctuin in usum maledicti frequentat. Nam
et Sataiiairi,principem luijns mali generis, proindc de propria conscientia
animae eadeni exeoramenti voce pronuntiat. — Test. 3 : Satanam... in
omni voxalione et aspernatione et delestatione pronuntias, quem nos dici-
mus malitiae angelum, totiiis erroris artificem, totius saeculi intcrpola-
torcm, por quem honio a primordio circumvcntus, ut pracoeptum Dei cxce-
derot, et propterea in mortem datus, oxinde totum gcnus suo semine
infectum suac etiam damnationis traducem fcclt. Sentisigiturperditorom
tiium. — Ainsi, selon Tertullien, l'existence du demon scrait un fait d'in-
tuition immediate.
0. ^p. 32 : Nescitis gonios daemonaesdici, et indc diminutiva voce dao-
monia? An. 39 : Omnibus genii deputantur, quod daemonum nomon
est.
7. Voir eh. II, S 3, p. 62. sq. et eh. III, §2, p. 113. sq.
AXGES ET DlblONS. 155
issue du souffle de Dicu^. Ailleiirs ii en fait un esprit igne^.
Quant aux conditions de l'operation des anges, ii faut remar-
quer d'abord la subtilite deleur essence, qui leurpermet d'agir
invisiblement, insensiblement sur Ies corps et sur Ies âmes-*.
Puis Tagilitc prodigieuse avec laquelle ils se transportent ins-
tantanementenn'importe quellieu: ce voi, privilege desesprits,
produit aisement dans l'opinion des hommes l'illusion de la
divinite '' .
Dieu emploie ses anges ă divers ministeres, de Fordre naturel
et de l'ordre surnaturel. Lâ-dessus la fantaisie heretique s'est
donne carriere : Menandre, Apelle et autres admettent des
anges ouvriers de la creation'': d'autresfont intervenirunange
dans la redemption ''. TertuUien ecarte ces reveries ; mais ii
admet que Ies anges exercent sur l'humanite une action tute-
laire : par exemple ils protegent, plus reellement que Ies dieux
du paganisme, la premiere enfance^. I.es anges sanctifient
l'eau du bapteme : ministere nouveau, auqucl preludait autre-
fois l'ange de Bethsalda**.
Dans l'A. T., on voit des anges se manifester au moyen de
corps humains produits pour la circonstance" : tels furent ceux
1. %M. 8 : Nam etsi angelus qui seduxit, sed liber ctsuae potostatis qui
seductus est, sed imago et similitudo Dei fortior angelo, sed afdatus Dei
gcnorosior spii'itu materiali quo angeli constitcrunt. — TertuUien paraît
dii'e le contrairc lorsqii'il commente Ps. 8, 0. Mais o'est qu'alors ii consi-
dere riiorauio seulenient par le cote materiei. Ainsi c. C. 15 : Ut penes
qucndain ox Valentini factiuncula legi, primo non putant terrenam et liu-
manam Christo substantiam informatam, ne deterior angelis Doininus
deprehendatur, qui non terrenaecarniscxstiterunt. —Voirch. 11, §4, p. 101.
2. rî !if. 9 (sur Ps. 103, 4) : Creator facit augelos spiritus et appai'itorcs
suos ignem flagrantem, tam vere spiritus quam et ignem. — Ccttc ange-
lologie, rappelle Tatien, Disc. avx Grecs, 12 : "Ectiv O'Jv irvcOna Iv xu<jTy)pr7iv,
7TVâ\J[Aa £v ĂYY^^otC, 7tv£\j[J:a £v 9UT0ÎC xat iiSafri, iiv£0[j.a sv av6pa)7T0i;, i^vEu^ia £v
(^(ooiţ... ib. 15 : Ao!i|jiov£; 0£ TTHVTîţ aapKiov jA£v oO x£XT/]'>Ta[, 7rv£upta7r/C7i hi sa-riv
a'jToî; -h; rj-j\j.Ti-t\%\c^ (A)ţ TTupo; y.at aEpoţ.
3. Ap. 22.
1. Ib. Omnis spiritus ales est. lloe angeli et daemoncs. Igitur memento
nbique sunt... Velocitas divinitas creditur, quia substantia ignoratur.
5. An. 23; c. C. 8; K. 5; Prax. 19.
0. c. C. 14.
7. An. 37.
8. B. 4. 5. (i. ~ Voir toutcfois, sur rintcrprctation de cos textes. c. Vil,
S 4, p. 325, n. 4.
ij. 3 M. <). 11; c. C. 3. 0; R. G2.
156 THliOLOGlE DE TEIiTULLIEN.
qui apparurent â Abraliam et ă Lolli. Le Christ lui-meme est
appele, â raison de sa mission divine, l'Ange du grand conseil ^ ;
Ies proplietes et Ies protrcs investis, d'un ministere divin, sont
aussi comparables aux anges ^. Au sortir de ce monde, l'âme
voit apparaître l'ange evocateur des âmes, qui l'introduit dans
son ctcrnite ^.
II s'est trouve un lieretique pour dire que Ies âmes admiscs
dans la gloire deviendraient epouses des anges "^ : rien n'est plus
directement contraire ă la parole du Scigneur, conf'ondant Ies
sadduceens (Mat. 22, 30).
Si Ies anges, executeurs des ordres divins, ontpris quelque-
fois ici-bas Ies dchors de l'humanite, en retour Ies hommes
admis ăla gloire ducielseront appeles ăla condition des anges,
c'est-â-dire alTrancliis des besoins et des miseres de Tlvumanite ''.
Las anges qui entourent le trone de Dieu repâtent sans cesse :
Saint, saint, saint. Candidats â la vie des anges. Ies fideles
doivent prendre ici-bas modele sur ces sublimes adorateurs**.
Comment se produisit la grande defection qui scinda l'ar-
mee angelique en deux camps ?11 faut le dcmandcr k l'Ecriture
sainte. Tertullien s'arreto â un passage de la Genese ou bien
d'autres se heurterent avânt et apres lui '. Onliten effet (Gen.
6, 2) que Ies fils de Dieu (□\nSx'~~"'ji) * s'eprirent des fîlles
1. c.C. 14. cf. îs. O, Gselonles SepUmte. liifr., p. 237.
2. Jud. 9. Par ailleurs, des hommes pervers peu\'ent etre appeles clemons.
.Unşi Cam, c. C. 17 : Eva... concepit in utoro ex diaboli verbo... Enixa est
denique diabolum fratricidam. — Lorsquc Tertullien ecrivait ce mot, Ca-
racalla venait d'assassiner son frere Geta.
3. An. 53.
4. Val. 32.
.0. R. 62.
G. Or. 3.
7. Cf. Ap. 22 ; 2 C. f. 10 : Or. 22 ; 1 C. f. 2. 3. 4. V.v. 7 ; 5 M. 8. 18 ; Idol. 9.
8. D^T7Xn~i;n a ete rendu par Ies Septante : 'Jtoi t-oO %to\i. Tertullien
paraît avoir Iu : âyvcXoi toO 0sw, lecon que prosentent effectivement quel-
ques manuscrits. La legende des anges s'unissant aux flUes des hommes
se retrouve choz Josephe et Piiilon, chez saint Justin (2 Apoi. 5), Atlie-
nagore {Leg. 24), saint Ireneo (4, IG, 2), Clement d'Alexandrie (Strom. 3,
7), saint Methode (De resurr. fr. 3), Origenc (c. Cels. 5, 55; Q. in hepta-
teuch. 1, 3) d'ailleurs hesitant, ainsi qu'Eusebe (Praep. Ev. 5, 4) et .lules
Africain {Chronographia, 2); dans Ies Homelies clemeniines, 8, 13; cliez
ilinuoius FeMx (Octeî). 26), saint Cyprien (Oe hab. virg. 14), Commodicn
(Instr. 3), Lactanco (Div. inst. 2, 15), saint Ambroise [De Noe et arca, 4),-
ANCES ET DEMONS. 157
des liommes. Le peche des anges consisterait â s'etre laisse
seduire par des femmes. Les idees particulieres que Tertullien
professe sur la nature des esprits rend cette conception moins
absurde selon sa philosophie qu'elle ae Test selon d'autres
doctrines plus nettement spiritualistes. II ajoute que de ces
unions monstrueuses naquit une nouvelle lignee de demonft,
reprouvee des l'origine et plus perverse que les anges dechus'.
Confondues dans une meme damnation, les deux generations
diaboliques sonL ligueespourla perte de Thorame. Anime contre
Dieu d'une jalousie furieuse, leur prince^ en vcut particuliere-
ment ă la nature humaine affranchie par le bapteme : d'autant
que ni lui ni les siens n'ont part k la redemption ^.
Cest lui qui anime contre les cliretiens la rage des persecu-
teurs ■'. Parlbis ii se transfigure en ange de lumiere '''. Seduit,
Sulpice Severe {IHsl. sacr. 1, 2). Le point de clopart de cette legende est
vraisemblablement le livro d'Henoch, apocalypse juive du ii" siecle av.
J.-C, ou ont puise la plupart de ces Peres ; la legende y est developpee :
G, 1 a IO, 17. La locution hebraiqu<; dont 11 s'agit designe effcctive-
ment les anges en divers passages do l'Eeriturc (.lob. 1, 6; 2, 1 ; 38, 7 ;
Ps. 28 (29), 1; 88 (89), 7.) Mais oii rcmarquera que tous ces passages ap-
partieanent â dos livres poetiques, on n'en peut rien conclure quant au
Pontateuque. Les exegetes cathoIi{)ues s'accordont g('neralGment â recon-
naitre dans los fils de Dieu les hommes issus de Seth ct dans les fillcs des
hommes les femmes issues de Caîn. — Voir C, Robert : Les fils de Dieu et
les filles de l'homme, R. B. (1895), p. 340-373 et 52.5-.552; H. hnaetvn, Dict.
Bibi., a,vt. Fils de l'homme; do Ilummelauer, in Genesim; J. Turmei,
R. II. L. R., t. 3, p. 295 sq. — Origene protesta Io premier contre cette
legende, qui dispărut d'abord en Orient, plus tard en Occident.
1. Ap. 22 : Quomodo de angelis quibusdam sna sponte corrupti.s cor-
ruptior gens daemonum evaserit, damnata aDco cum gcneris auctoribus
ct cum co qucm diximus principe, apud litteras sanctas ordo cognos-
citur.
2. An. 20 : Diabolus acmulus. — Ap. 27 : Xostcr ob divortium aemulus
otob Dei gratiam invidus. — Paen. 5; Cor. 6. 8. — Test. 3 : Malitiao ange-
lum, totius crroris artificem, totius saeculi interpolatorem. — %G. f. % :
Intcrpolatore naturae. — Sur rcxcellence de Satan avantsa chuto, cf. 2 M.
10. (Commcntaire do Ez. 28, 11-lC.)
D'apres quiîlques textos, ii senilile que le peche do Satan fut orgueil et
impatience. Pat. 5 : Natales impaticntiao in ipso diabolo deprelicndo,
jam tune cum Dominam Deum universa opera quae fecisset, imagini
suae, i. e. homini, subjccisse impatienter tulit. — La perversion des anges
par los filles des hommos no vint qu'ensuite.
3. c. C. 14.
4. Scorp. 1 ; Fug. 2.
5. 5 .¥. 12; An. 57; R. 55.
158 THEOLOGIE Dlî TERTULLIEX.
ii se fait seducteur â son tour. Souvent Ies femmes servant
ses desseins '. Tentateur, pere des heresies ^, ii exerce sous
miile formcs diverses sa nefaste influence. Prince de l'air-*,
ii regne sur ccvix que l'incredulite lui asservit. Dieu de ce
monde, ii a rempli le siecle du mensonge de sa propre divi-
nite •*. Doues d'un certain empire sur la nature materielle'',
Ies demons en usent pour gater Ies moissons, jeter dans
l'air le germe de maladies contagieuses, engendrer des songes
trompeurs ". Pai'fois ils s'introduisent dans Ies corps et en
disposent ă leur gre '. Nuire aux hommes est le but de toutcs
leurs impostures **, de ces prodiges par lesquels ils accreditent
de faux dieux. Toutes Ies formes de divination leur sont bon-
nes ** : evocations de morts, sacrifices d'enfants, prestiges,
chevres parlantes, tables parlantes, etc. — ■ Artifice d'autant
plus perfide qu'il emprunte le masque de la religion. II ny a
pour ainsi dire pas un trăit du christianisme que ces esprits
menteurs n'aient tente des'approprier '*. L'anthropomorphisme
pa'ien est une caricature anticipee de rincarnation ^'. Les ora-
cles et la magie sont une contrefaşon de la proplietie et du
miracle '-. L'euseignement des philosophes a denature bien
des dogmes : ils ont pris â l'Ecriturc le jugement, l'enfer
1. Praeicr. G; 2 6'. f. 10. 11.
2. Praescr. 40; Scorp. 1.
3. 5 M. 17, d'aprcsEph.2,2: Pi'inecps potcstatis aeris. — ib. 18, cFapres
Eph. 6, 12 : Potestates ct muuditenontes tencbrarum istai'um.
4. 5 M. 17 : Deum aevi hujus... Ita enim totum saeculuiu mendacio
divinitatis implevit.
5. Ap. 22.
6. An. 46. 47.
7. An. 25; Sp. 2(5. — Comparei' Tatlen, Disc. aux Grecs, IC sq.
8. Ap. 21 fin; 23; .4 re. 57. — Sur le spiritisiiicdans TortulUen, voir Frop-
pe], t. 2, leton 34", fin.
9. Ap. 23 : Si ct magi pliantasmata edunt et jam dcfunctorum ,infa-
mant aninias, si puoros in cloquiuin oracuU elidunt, si multa niivacula
circulatoriis praestigiis ludunt, si et somnia immittunt, liabentes semcl
invitatorum ang'eloruni et dacmonum assistentera sibi potostatcni, per
quos et caprae et mensae divinare consuevcrunt...
10. Praescr. 40; 1 Ux.fi. 7.
11. Ap. 21 : Ostendimus quomodo Cliristus probetur, et qui pencs vos
ejusmodi fabulas aemulas ad destructioncm veritatis istiusraodi praemi-
nistraverint.
12. Ap. 22 : Aomulantur divinitatcm dum fui-antur divinationem.
AXGIÎS Er DEMONS.
159
de feu (Pyriphlegethon), le paradis (CUamps-Klysees) '. Et
commo on rit de ces fables, le ridicule rejaillit sur la verite.
Las ceremonies pai'ennes copient Ies sacrements divins ^ : le
diablea, dans le culte de Mitlira, sonbapteme, avec promesse
do rcmission des peclies ; ii a son signe, dont Mithra marque
au front ses adeptes ; ii a Toblation du pain; ii a un symbole
de resurrection, ii a sa couronne celeste qu'on achete en pas-
sant sous un glaive. Meme la chastete cliretienne a excite
son emulation : â Rome le flamine dial'' ne se mărie qu'une
fois; le feu de Vesta est confîe a des vierges ; en Achaie,
Junona desprâtresses vierges; âDelphcs, lapythie estvierge.
La Ceres africaine a des pretresses qui, par un raffinement
bizarre, s'arraohent des bras de leur epoux, qui, le sourire
aux levres, installent â leur place d'autres epouses, et s'inter-
disent â jamais jusqu'au baiser de leurs fils. La patience clire-
tienne a aussi ses emules : pauvres souffre-doulours escla-
ves d'un vil interot '' , pretres fanatiques qui se dechirent
pour lionorer leurs divinites •'. Le paganisme a emprunte au
culte du vrai Dieu l'idee d'expiation", Humiliations volontaires
(Ta7retvo'^povr,<jiţ),processions de femmes echevclees etpieds nus,
sacrifices pour obtenir la pluie du ciel ou d'autres faveurs ,
jelines d'Isis ou de Cybele, precedent de la meme sourcc. Pous-
sant sa these â l'extreme, Tertullien pretend retrouver dans
la religionromaine une imitation intentionnelle de laloi mosai'-
que : le formalisme de Numa lui rappelle la morositas judai-
cae legis '.
I. Ap. 47.
^Z.Praescr. 40 : Diabolus... ipsas quoquo rcs saci'ainontoruni diviuoi'um
idolorum mystcriis aemulatur. Tinguit et ipso quosdam...; expositioncm
(Iclictorum de lavacro repromittit...; Mithra signat iUic in frontibus iiii-
litcs suos, celebrat et panis oblationem et imagineni resurrectionis indu-
cil otsub gladio rcdimit coronam. — Cf. Cor. 15. — Yoir Franz Cumout :
Textes et monument.? figures relatifs au culte de Milhra, t. 1, p. 338 sq.
3. Fr. 40. — Tertullien dit : le pontife maxime. De meme 1 Ux. 7; £',/;.
c. 13 ; Monog. 17. Mai.s vraisemblabloment ii a en vue le flamine dial.
Voir •Mar(iuanU et Mommsen, Manuel des antiquites romaines, tnid. fr.,
t. 13, p. 11.
4. Pat. 16.
5. Ap. 25.
6. Jej. 16. — An. 48.
7. Pracscr. 40.
160 THKOLOGIE DE TERTULLIEN.
Les demons ont pour domaine propre Ies pompes du siecle
et iles vains spectacles ^. L'ainpliitlieâlre est proprement l'e-
glise du diable-. fjeur triomplie consiste â usurper riiomniage
du â Dieu et ă se faire adorer â sa place ^. Les dieux du pa-
ganisme ne sont pas autre chose que des demons. Parfois
eux-memes en conviennent; bien â regret sans doute, mais
leur pouvoir de nuire, bien que tres grand, est lie par la vo-
lonte divine. Dieu soumet ces esprits orgueilleux a lapuis-
sance des chreticns, qui les forcent de rendre liommage â la
divinite du Christ et parfois les confondent en presence de
leurs propres adorateurs'. Qu'on amene d'abord un possede
du. demon, puis, par maniere de contre-epreuve, un de ceux
qu'agite l'esprit de la Vierge celeste ou l'esprit d'Esculapc ou
un autre : le premier chretien venu obligera ces energumcnos
a parler, et â confesscr l'idcntite des dieux pai'ens avec les de-
mons. Ces dieux avoueront qu'ils sont des esprits immondes'',
et par avance damnes, bien qu'ils attendontcomme nous le der-
nier jugement.
Cette puissance des exorcismes cliretiens devait etre chose
averee, car Tertullien y fait plus d'une allusion et ne craint
pas d'invoquer sur ce point l'experience des pai'ens pour eta-
blir la verite du christianisme ". Bien qu'entierement â notre
merci et tremblant devant nous, les demons, dit-il, comme
de mechants esclaves, osent parfois narguer leurs maîtres, et
1. Sp. 6. 7. 8. 10. 12. 27. — Ils ont inventc lois pierres precicuses ct autres
cngins de la vaniti' leminino, 1 C. f. 2 sq.
2. Sp. 25.
3. Ap. 21 fin ; 23. 46 ; Praescr. 40; Scap. 2 :o M. 11. — Sup., eh. I, S 4,
p. 26.
4. Ap. 23. Edatur hic aliquis ibidoin sub tribunalibus vostris qucm
ilaemone agi consl.et. .Jiissus a quolibot chri.stiano loqui spiritus iUc tam
,s(\ daemoncm eonfitobitur de vcro quani alibi dominum do falso. Aeque
producatur aliquis o.v his qui do doo pati existimantor...
5. Ib. Renuntiant se immundos spiritus esse... Credite illis cum verum
de se loquuntur, qui mentientibus creditis. Nerao ad suum dcdocus meii-
titur.
6. ,4/). 23 : Adeo nuUa est divinitas ista quam tenetis. — Ib. 27. 32. 37.
16; Test. 3; Scap. 2. 4; Cor. ll,ete. — Parfois cependant Ic demon resis-
tait. Uno femme chrdticnnc, otant aHe:e au theâtre, cn revint possedee.
Quand on voulut chasser Ie demon, cclui-ci repondit â 1' exorciste : Elle
m'appartient ; je l'ai trouvee chez moi (.Sp.26).
ANGES ET DEMOXS. 161
cherchent â mal faire pour tromper leur desespoir. Mais ameiies
â nos pieds ils succombent, et sils nous bravaient de loin, de
prcs ils demandent grâce^ Pour briser leur orgueil, qui as-
pire â confisquer le culte divin, ii suffit d'invoquer le nom du
Christ^.
1. Ap. 27. — On rencontrait aussi chcz Ies Juifs et chez Ies paîcns des
hommes qui faisaient profcssion de chasser Ies demons (Voir Act. Ap.,
1!), 13;, Iustin, 2 Ap. 6; Dial. 85; Irenee, 1, 23; Origene, c. Ceh. 1, 68; Jo-
sephe, Ani. Jud. 8, 2;Lucien, Philopseud. 16). Beaucoup de paîcns ne
distinguaient pas enti'o Ies autours de ces prodiges ; aussi Ies chrotiens
turent-ils en butte â l'accusation de magie, contre laijuellc Tertullien pro-
teste plus d'une îoi%.{.Ap. 23. 35). VoirE. Le Blant, PerseciUeurs elmar-
tyrs (Paris, 1893), c. G, p. 60 sq.
2. Ap. 23.
TH^OLOGIE DE TERTULLIEN. W
GHAPITRE IV
LB GHRIST
On a etudie, dans un chapitre precedent S la preparation
prophetique do Tlncarnation, et produit, d'apres Tertullien,
Ies preuves do la divinite de Jesus-Christ. Dans un autre
chapitre ^, a ete decrite la generation eternelle du Verbe, et
son role dans la Trinite. Reste ă considerer de pliis preş la
personne du Christ. Cest Tobjet des trois derniers livres
contre Marcion, auxquels ii faut joindre le trăite De carne
Christi.
I. LES DIÎUX CURISTS DE MARCION.
Tout d'abord se presente la distinction marcionite des deux
Clirists. L'idee mere de l'heresie marcionite ^ etait, on s'en
souvient, Fantagonisme des deux Testaments. Le Dieu crea-
teur et rigoureux a son Christ, annonce par Ies prophetes de
FA. T., et dont la venue tarde toujours; le dieu debonnaire
du N. T. a le sien '*, qui descendit du ciel en la quinzieme
annee de Tibere, et apparut soudain dans la synagogue de
Capharnaum (Luc. 3, 1 ; 4, 31) : c'est Jesus.
Etpourquoi"'', demande Tertullien, cette apparition soudaine?
U semble plutot que la venue du Christ ait exige quelques
1. Cil. I, p. 3 sq.
2. Ch. l\, p. 84 sq.
3. 3 7W. 1.
4. 4 M. 7.
5. 3 M. 2.
LES DEUX CHRISTS DE MARCIOX. 163
precautions et une sorte de preface. Comme Fils, ii avait besoin
d'etre reconnu par son Pere; comme envoye, d'etre acci'edite
par Celui qui l'envoyait. Dieu n'a pas coutume d'improviser
ainsi, mais d'ordinaire ii prepare et ii annonce. Marcion
repondra^ que Jesus pouvait se passer de ce temoignage, ayant
celui du miracle. 11 oublie que Jesus lui-meme a mis ies siens
en garde contre le miracle. De faux Christs doivent surgir,
qui recourront ă ce meme signe pour seduire Ies hommes
(Mat. 24, 24). Des lors, Jesus peut tout au plus se prevaloir
de la priorite. Encore ce signe se retourne-t-il contre lui, car
Jesus lui-meme s'est laisse prevcnir par le Dieu createur qui
— incontestablement le premier — a produit des miracles par
ses prophetes. En Ies produisant, ii accreditait preş du genre
humain son Clirist ă venir, et par lâ donnait lieu de prendre
pour ce Clirist quiconque viendi^ait investi d'une puissance
miraculeusc. D'autre part, on ne congoit guere ^ un Dieu
faineant qui, apres avoir pendant des siecles souffert en silence
Ies iniquites du Createur, aurait tout d'un coup, premature-
ment, envoye son Clirist Jesus, sans raison plausible, puisque
la venue de l'autre Christ plane toujours sur l'humanite comme
une menace. Au moins aurait-il du attendre la venue de cet
autre Christ, pour lui opposer le sien. Ces preliminaires con-
duisent ^ â l'examen des propheties messianiques, oîi le Christ
du Createur est caracterise par des traits qui ne conviennent
qu'â Jesus. On a suivi plus liaut '' cette demonstration, faite
pour dessiller Ies yeux des Juifs. Voici maintenant-" qui n'est
plus un emprunt au juda'isme, mais du Marcion tout pur, ou
plutot une resurrection d'anciennes heresies, deja reprouvees
par l'apâtre saint Jean. (1 Joan. 4, 2.) On refuse au corps du
Christ toute realite substantielle ; du meme coup on supprime
Ies miracles de Jesus-Christ, sa passion, sa mort, sa resurrec-
tion et la notre : c'est tout le christianisme qui s'ecroule.
Contre cette invention arbitraire, l'Ecriture fournit des argu-
1. 3 M. 3.
2. Ib. 4.
3. Ib. 5.
4. Ch. I, § 2, p. 5 sq.
5. 3 M. 8.
164 THEOLOGIE DE TERTDLLIEN.
ments invincibles. Ils se representeront, plus developpes, dans
le De carne Chrhti, qui est comme un chapitre detaclie du
livre III contre Marcion. Achevons d'abord la lecture du pre-
sent ouvrage. En passant, Tertullien explique ^ le sens de ce
mot Christ, nom propre consacre par l'usage de I'A. T. pour
designer Toint du Dieu createur. Si Ic Dieu du N. T. a eu
besoin de ce nom pour un nouveau Christ, comment expliquer
une telle indigence, et comment qualifier cette usurpation?
L'examen des proplieties messianiques prouve contre Mar-
cion ^ l'identite des deux Clirists : ii prouve aussi contre Ies
Juifs l'inanite des esperances qu'ils nourrissent ancore et que
Marcion encourage. Car Marcion leur promet en ce monde une
restauration d'Israel, et pour l'autre le repos dans le sein
d'Abraliam. Dans ces reves judai'ques de restauration tempo-
relle, Tertullien voit une contrefaţon des promesses divines
relatives au Christ et ă l'Eglise ; promesses dont ii a expose le
sens spirituel dans son ouvrage De spe fidelium. II croit au
regne de miile ans sur terre, dont Ies justes doivent jouir apres
la resurrection, dans la Jerusalem nouvelle descendue du ciel.
Cette cite de Dieu predite par Ezechiel (Ez. 48, 30 sq.), en-
trevue par saint Jean (Apoc. 21, 2 sq.], ii y croit d'autant plus
qu'elle approche, et que, dans une recente expedition d'Orient,
Ies armees romaines Font apergue pendant qnarante jours, le
matin, suspendue entre ciel et terre. Lâ seront accomplies
Ies promesses temporelles de I'A. T. (Gen. 27, 28), sans prc-
judice des promesses eternelles qui ont trouve leur expression
la plus claire dans la bouche du Christ (Luc. 12, 31) et de ses
apotres (i Thess. 4, 17). Nous reviendrons dans un chapitre
ultericur ^ sur ces idees millenaristes, qui se rencontrent chez
plusieurs des plus anciens Pcres.
Le livre IV de l'Antimarcion transporte la lutte sur le terrain
du N. T. Tertullien attaque le livre fameux des Andtheses '',
ou Marcion opposait l'Evangile ă la Loi. Suivant pas â pas le
recit de saint Luc, ii va montrer que tout ce recit, meme
1. 3 M. 15.
2. 3 M. 24.
3. Ch. IX, § 3.
4. 4 M. 1-6.
LES DEUX CHRISTS DE MAIiCIOiX. 165
mutile par l'heresie, demontre, en meme temps que l'accord
des deux Testaments, l'identite de Jesus avec le Christ de la
prophetie ^
Salon Marcion ^, Jesus descend, la quinzieme annee de
Tibere, dans le domaine du Createur (Luc. 3, 1; 4, 31) ^. II
descend, donc 11 apparaît subitement. Qui l'a vu descendre?
Personne. Descente plus mysterieuse que l'ascension de Ro-
mulus. Et pourquoi se produit-ellc en Galilee, plutot que par-
tout ailleurs, plutât que dans Io Pont, patrie de Marcion?
Marcion serait fort en peine de le dire. Mais Ies catholiqucs en
trouvent la raison dans le prophete Isaîe, dont Jesus devait
accomplir l'oracle (îs. 9, 1. 2). II ne vient pas detruire laLoi et
Ies proplietes, mais Ies accomplir (Mat. 5, 17). Effectivement,
11 commence aussitot de rechercher Ies brebis perdues d'Israel
(Mat. 15, 24. 26). 11 enseigne d'abord dans la synagogue de
1. Saint Irence avait ebauche cctto domonstration Haer. 3, 10, 1-5.
2. 4 M. 7.
3. Marcion supprimait Ies deux preiiiiers chapitres de saint Luc, c'est-
ă-dire Fenfanco du Sauvpui'. On i'pviendra au chapitre suivant sur ces
mutilations de Ia parole divine. Notons ici une grave difficulte dans Ia
chronologie evangeliquo de Tortullien. II ecrivait, /. 8 : Tiberii anno XV
imperii passus est Christus, annos habens quasi XXX cum pateretur...
Quae passio hujus exterminii juxta tenipora LXX bcbdomadarum perfecta
est sub Tiberio Caesare, coss. llubellio (iemino et Fufio Gcmino, mense
martio, tcmporibus paschae, dic VIII kal. april., dio I" azymorum. D'ail-
lours Fapostolat du Christ no commenca-qu'en la quinzieme anncc de
Tibere, selon le recit de saint Luc, rappele par TcrtuUien, 4 M. 7. Le
rapprochement de ces deux dates no laisse qu'un temps bion court, qucl-
ques mois â peine, â la predication de I'Evangile, si l'on admet que l'indi-
cation anno XV Tiberii a le meme sens dans Ies deux passages. Mais ii
est possible que Tertullien, sans provenir son lecteur, et peut-etre sans en
avoir conscience, se soit refere â deux chronologies diffcrcntes. La
premiere daterait Ies annees de Tibere de son accession â I'empirc
(19 aoiH 14, mort d'.4.ug-uste) et fournirait pour Ia mort du Christ Ia date
29 do notre ere, correspondant au consulat des deux Geminus. La seconde,
(qui est celle de saint Luc) daterait Ies annees de Tibere de son associa-
tion au pouvoir, enl'an U de notre ere (Cf. Suotone, Tibere, 21; Velleius
2,21), et laisscrait ainsi trois ans pour la predication du Christ. Ceci pour-
rait oxpliquer encore Ies fluctuations que l'on remarque dans Ies indica-
tions de Tertullien, qui date I'apparition du Christ marcionite tantot do
la 15'= annee do Tibere (1 AI. 19 et 4 M. 7), ct tantot de la 12». (1 M. 15. —
Voir ci-dessus, p. 53). — Nous nous bornons â signalorce probleme chro-
nologique; on sait d'aiUeurs quelle incurie Tertullien porto d'ordinaire
en ces questions.
166 TIIEOLOGIE DE TERTXJLLIBN.
Capharnaiim : chose incroj'ablo, on ne le connaît pas, et per-
sonne ne lui dcmande qui ii est. On est emerveille de sa doc-
trine; on loue l'autorite de sa parole : donc ii ne troublait pas
Ies liabitudes d'esprit des croyants. Un possede l'appelle :
Jesus de Nazaretli, saint de Dieu (Luc. 4, 33 sq.). Ce possede
le connaissait donc, ct lui donnait le nieme nom que, d'apres
l'evangile catholique, l'ange avait donne d'avance au fils de
Mărie (Luc. 1, 35; cf. Mat. 1, 21). Jesus lui impose silence,
mais ne l'accuse pas d'avoir menti.
Le Christ du Createur^ devait s'appeler Nazareen, selon Ies
prophetes (Mat. 2, 23). De fait, Jesus grandit a Nazaretli; plus
tard ii y revint precher, mais ii echoua, et faillit meme etre
jete dans un precipice : ceci prouve du moins qu'on ne le pre-
nait pas pour un fantome (Luc. 4, 16-30). La mame verite
ressort avec evidence des guerisons tres reelles qu'il opera
(Luc. 4, 40). 11 guerit, entre autres, de nombreux possedes,
dont plusieurs s'ccriaient : Vous etes le Fils de Dieu (ib. 41).
Jesus Ies faisait taire, voulant etre reconnu des hommes, non
des demons ; et en cette circonstance ii montra toute l'energie
qui convient â un envoye du Createur. 11 annonce l'intention
d'annoncer â d'autres villes le royaume de Dieu (ib. 43), et Fon
ne voit pas qu'il pariat d'un dieu nouveau.
Sans pretendre analyser completcment ce commentaire,
que Tertullien conduit jusqu'au bout de l'evangile de saint
Luc, nous signalerons quclques developpements originaux.
Luc. 5, 10 ^ — Pourquoi Jesus i-ecrute-t-il ses apotres parmi
des pecheurs, sinon pour accomplir l'oracle de Jeremie (16, 16)
sur Ies pcclieurs d'hommes ?
Luc. 5, 12 sq. — Jesus guerit un lepreux en le toucliant.
S'il ne s'inquiete pas de la souillure legale (Num. 5), ce n'est
pas qu'il vcuille braver la Loi (et comment l'eut-il fait, s'il n'a-
vait pas de corps?), mais c'est qu'etant Dieu, ii n'a pas de
souillure â craindre. Elisee, pour guerir le Syrien Naaman,
l'avait envoyer se laver sept fois dans le Jourdain ; Jesus guerit
cet homme par sa seule parole : difference insignifiante , sur
1. 4 M. 8.
2. 4 M. 9.
LES DEUX CHRISTS DE MARCION. 167
laquelle Marcion a tort d'insister. Dans cette ciroonstance,
Jesus rend hommage au sacerdoce mosai'que et â la Loi. Donc
ii ne Ies reprouve pas'.
Luc. 5, 18 sq. ^ — Guerison d'un paralytique. Rapprocher,
pour le cote physique du miracle, îs. 35, 2 ; pour le cote mo-
ral, îs. 53, 12; 1, 18. Bien d'autres passages del'A. T. ont trăit
au pardon des peches et k la misericorde divine. Jesus prend
ici le nom de Fils de Tliomnie, qui confirme la realite de sa
chair, et qui suppose la virginite de Mărie, car le Fils de Dieu
ne peut avoir un homme pour pere. Cette appellation se ren-
contre deja chez le prophete Daniel (3, 92 ; 7, 13) et per-
met d'identifier Jesus au Christ de l'A. T.
Luc. 5, 27^ sq. — La vocation du publicain Levi est pre-
sentee par Marcion comme une reprobation de la Loi. Mais
que fait-il donc du temoignage solennel rendu par le Christ
k Pierre, un homme de la Loi (Mat. 16, 17)"? D'ailleurs ce n'est
pas en vain que le Christ est appele, dans Ies Ecritures, lu-
miere et esperance des nations. II venait Ies appeler toutes
â la foi ; ce qui ne l'empeche pas de reconnaître combien Ies
meilleurs d'entre Ies Juifs etaient plus preş de Dieu que Ies
publicains (Luc. 5, 31).
Luc. 5, 33 sq. — Marcion fait apparaître Jean, comme le
Christ, k l'improviste. Ktrange invention. Tertullien constate
l'accord qui existe entre Jesus et Jean, Tun Christ, l'autre
prophete d'un memeDieu. L'etonnement mame despharisiens,
qui opposaient â la vie commune des apotres l'austerite des
diseiples de Jean, prouve qu'ils ne s'attendaient pas â trouver
une divergence entre Ies deux maîtres. La reponse de Jesus
n'est pas un desaveu de Jean, pas plus qu'elle n'est une repro-
bation de l'A. T. Meme ce nom d'I^poux par lequel ii se
designe, ii l'emprunte aux prophetes (Îs. 61, 10; 49, 18; Cant.
4, 8). Marcion n'a pas compris l'economie des deux Testa-
ments : de l'un â l'autre, ii y a cvolution, progres ; ii y a
distinction, non contradiction. Jusque dans le langage du
1. De meme Lue. !7, 11 (4 M. 35).
2. 4 M. 10.
3. Ih. 11.
168 THEOLOGIE DE TEIiTDLLIEN.
Christ, on retrouve l'inspiration biblique : Aperiam in parabo-
lam os meum (cf. Ps. 77, 2).
Luc. 6, 1 sq. — La question du sabbat ^ ne fournit non plus
aucune arme â l'heresie. D'abord le seul fait qu'on attaqua
Jesus sur ce point, prouvc qu'il ne semblait pas Teunemi-ne
du sabbat. L'eut-il reellement viole, Ie Createur lui-meme
fournissait des precedents. Par ordre divin, l'arche avait ete
portee autour de Jericho pendant huit jours, le sabbat compris.
Dieu avait dit par son prophete : Je hăis vos neomenies et
vos sabbats (îs. 1, 14). Dans une circonstance pressante, Jesus
autorise ses disciples â se mettre au-dessus de Ia Loi ; ii rap-
pelle la conduite tenue dans une circonstance semblable par
David (1 Reg. 21, 6) et affirme que le Fils de rhomme est
maître du sabbat. II guerit des malades le jour du sabbat,
commo Elisee avait gueri le flls de la Sunamite (4 Reg. 4, 23).
Ces exceptions motivees laissent le principe de la Loi intact.
Luc. 6, 12 sq ^. — Chaque trăit de l'histoire (îvangelique
rappelle une prophetie. Jesus prie la nuit sur la montagne
(îs. 40, 9; 52, 7; Nah. 1, 15; Ps. 21, 3) etc. — Les beatitudes '
sont faciles ă commenter par d'innombrables textes de l'A. T.
Beati mendici [sic, d'apres le grec tctu;^o{), cf. Ps. 81^ 3; 9,
18; 112, 7; 1 Reg. 2, 8; îs. 3, 14; 10, 1; 1, 17. — Beali qui
esuritis, cf. îs. o, 26; 65, 13; Ps. 125, 5; îs. 61, 1-3. — Beati
qui plorant, cf. encore Îs. 61. — Beati eritis cum vos odio
hahebunt homines, cf. îs. 51, 7; 52, 5. Ici, Jesus condamne Ies
persecuteurs des prophetes : ii n'est donc pas l'ennemi des
prophetes.
Luc. 6, 24 ' sq. — Vae vobis divitibus, ele. Jesus realise
une menace du Dieu createur (Deut. 30, 19). Ces maledictions
sont, sous forme comminatoire, l'echo des beatitudes. Le Beati
pauperes appelle le Vae divitibus, d'ailleurs prepare par tout
l'A. T. (Deut. 8, 12; îs. 39, 6; Jer. 9, 22 sq ; îs. 3, 15 sq; 5,
14; 10, 33: Ps. 61. li; Am. 6, 4i.
1. 4 M. 12.
2. Ib. 13.
3. Ih. 14.
4. Ib. 15.
LES DEUX CHUtSTS DE MARCIOX. 169
Luc. 6, 27-34'. — Precepte de cliarite. Ici Jesus va posi-
tivement au delâ de la Loi. La Loi autorisait le talion (Ex. 21,
24); Jesus ordonne, si l'on est frappe, de presenter l'autre
joue. Toutefois l'A. T. ne laissait pas de reprouver la haine.
Le talion etait une mesure de prudence, un frein mis, par une
raison d'ordre general, ă l'injustice; non une concession aux
inimities personnelles. D'autre part la patience herolque pre-
conisee par l'Evangile n'otc a la justicc aucun de ses droits :
celui-lk seul a pu la prescrire qui, etant Juge supreme, peut
garantir k cliacun reparation complete (Deut. 32, 35).
Luc. 6, 30 sq. — Jesus etend a tous Ies hommes le precepte
de l'aumone, promulgue pour le seul Israel (Deut. 15, 4). II
n'y a pas d'etrangers dans le peuple chretien (Ps. 2, 8; cf. Os.
1, 6. 9). On doit traiter autrui comme on souhaite d'etre trăite
soi-meme : precepte admirable, mais qui resterait lettre morte
sans le secours d'unc loi qui le commente et le precise : la
loi du Createur. — L'usure est reprouvee ^ : deja l'A. T. in-
vitait â preter sans interet (Ez. 18, 8) ; ainsi accoutumait-il â
se passer meme du capital. Cf. ancore Ez. 18, 7; Deut. 24, 12;
15, 2.
Luc. 6, 35. 36. — Le nom A'enfants de Dieti doit s'entendre
d'un titre nouveau : ressemblance de la misericorde divine,
qui nous rend dignes de Dieu notre pere. Car le Dieu createur
est plein de misericorde (îs. 58, 7; i, 17; Os. G, 6).
Luc. 6, 37 sq. — Le jugement n'appartient qu'â Dieu. Et,
n'en deplaise a Marcion, Ie Christ use deja, dans l'Evangile,
du droit de juger. II se plaint de ceux qui l'appellent : Sei-
gneur, Seigneur, et ne font point sa volonte. A ces paroles
encore, on reconnaît le Dieu createur .
Luc. 7, 1 sq ^. — ■ Par son enseignement, par ses miracles,
Jesus se rattaclie â la tradition des proplietes.
Luc. 7, 19 sq. — • Marcion assure que Jean prit scandale des
miracles de Jesus, et ne le rcconnut pas tout d'abord. Ter-
tullien accorde qu'il y eut comme une depression dans le
1. 4 M. 16.
2. [b. 17.
3. Ib. 18.
170 TIIEOI.OGIE DE TERTULLIEN.
prophetisme de Jean : l'Esprit divin, qui l'avait soutenu dans
son ministere, se concentrait alors en Jesus^. Voilâ pourquoi
Jean eut un moment d'hesitation, et fit interroger Jesus, qui
repondit : Vous connaissez l'Ecriture, voyez mes signes.
Luc. 8, 19-21-. — Voici le grand argument des marcionites
contre la realite de l'Lncarnation : Jesus, dans l'Evangile,
aurait nie sa propre nativite. En effet, averti que sa mere et
ses freres se tenaient dehors, desireux de le voir, ii repond :
« Qui est ma mere et qui sont mes freres ? » l^^trange argument !
11 prouverait bien plutot que, parmi Ies auditeurs de Jesus, nul
ne mettait en doute sa nativite, puisqu'on lui savait une mere.
Mais Ies heretiques supposent que ses interlocuteurs ont voulu
le tenter. Supposition toute gratuite, repond Tertullien :
l'Evangile n'y fait pas allusion, et pourtant ii signale d'ordi-
naire ce genre d'intentions captieuses. (Ainsi Luc. 10, 25; 20,
20.) De plus, supposition invraisemblable. J'ourquoi en effet
tenter Jesus? Pour savoir s'il est ne? Mais on devait bien le
penser, en le voyant homme. Le inoyen n'est pas mome bien
choisipour attcindrece but; carnous naissons tous, et pourtant
beaucoup parmi nous n'ont plus leur mere, ou n'ont pas de
freres. Dites plutot qu'on mettait â l'epreuve sa divinite, qu'on
voulait voir s'il serait dupe d'un mensonge. Mais tout cela
manque de fondement. La vraie interpretation de ce recit est
celle qui ressort des paroles memes du Christ, et de la pref(5-
rence par lui donnee sur ses proches a ceux qui observont la
parole de Dieu. Le Christ enseigne ici aux ouvriers apostoli-
ques le detacliement de la chair et du sang, et ii joint Fexem-
ple au precepte, Acette interpretation litterale de son Evangile,
on peut joindre une interpretation symbolique : cctte mere qui
l'attend au dehors, et ces freres qui ne croientpas â sa'mission,
c'est la synagogue, ce sont Ies Juifs ; ces disciples nouveaux
qui, reunis â l'intericur, ecoutent, croient et s'attacliont au
Christ, figurent l'Eglise.
1. Voir B. 10. Infra, c. VII, § 4, p. 328. Sur le vrai sens de ce pass^ge,
cf. A M. 33 (sur Luc. 16, 16), infra, p. 174, et surtout 5 M. 8 (sur 1 Cor. 12,
8-11), infra, p. 180.
2. 4 M. 19 cf. ib. 26;c. C. 7.
LES J)EVX CHRISTS DE MARCION. 171
Luc. 8, 22 sq. < -^ Tempâte apaisee. On reconnaît le Dieu
qui commande aux flots (passage de la mer Rouge, du Jour-
dain; Ps. 28, 3; Hab. 3, 9; Nah. 1, 4).
Luc. 8, 29 sq. — Legion de demons dans un troupeau de
porcs. Exemple des victoires de Jesus sur Ies puissances spi-
rituelles (Ps. 23, 8). Les demons reconnaissont le Fils du Dieu
vengeur.
Luc. 8, 43 sq. — L'hemorrhoîsse. .lesus feint l'ignorance,
comme Dieu, au paradis terrestro, interrogeant Adam. La foi
cclairee de ceUe femme lui fit comprendre que son attouclie-
mcnt n'etait pas une souillure pour Jesus.
Luc. 9, 10 sq'^ — Multiplication despains. Rappelle d'autres
faits bibliques : les enfants d'Israel nourris dans le desert, Elie
et la veuve de Sarepta (3 Reg. 17), Elisee (4 Reg. 4, 42).
Luc. 9, 18 sq. — Ce miracle provoque la confession de
Pierre, ă laquelle .lesus repond par Tanucnce de sa passion.
La souffrance est d'ailleurs la loi commune des siens. — II ne
faut pas rougir du Christ. Nul ne songe â rougir du Clirist de
Marcion : c'est qu'il n'est pas le vrai Christ des Livres
saints (Ps. 8, 6; 21, 7; îs. 53, 5), le Christ humiiie.
Luc. 9, 28 sq. ^ — La scene de la Transfîguration est ac-
cablante pour Marcion. Jesus converse avec deux prophetes
du Createur, l'un initiateur de l'A. T., Tautre consommateur
du N. T. Comment douter qu'il soit le Christ de ces pro-
phetes? Pierre ne s'y trompe pas. La vision nous est garanţie
par trois tomoins, nombre juridique d'apres la Loi (Deut.
19, 15). Le N. T. regoit, comme l'A., sa consecration sur une
montagne, sous une nuee. Dieu donne â son Fils l'investiture
solennelle (cf. Ps. 2, 7; îs. 50, 10; Deut. 18, 15; îs. 44, 26;
63, 9; Hab. 3, 2. 3; Zach. 4, 3. 14) et accomplit sa promesse
faite k Moi'se (Ex. .33, 12 sq; Num. 12, 6 sq) ''.
Luc. 9, 41 sq". — Le Christ s'emporte contre la generation
incredule qui abuse de sa îonganimite. Colere inexplicable, si.
1. 4M. 20.
2. Ib. 21.
3. Ib. 22.
■1. Cf. Prax. 14; siip. c. 11, p. 75.
.5. 4 M. 23.
172 THEOLOGIE DE TERTULLIEX.
comme le veut Maroion, ii n'est qu'un intrus (£TTsp/oiji.£V3ţ) dans
le domaine du Createur.
Luc. 9, 47 sq. — ■ Jesus aime Ies enfants ; le Createur Ies fait
manger par des ours (4 Reg. 2, 24). Voilâ une antithese un
peu forte. Mais TertuUien ne s'en laisse pas emouvoir ; ii sait
qu'il y a temps pour la bonte et temps pour la justice. Lors-
qu'Israel gemissait eu Egypte, Dieu veillait sur Ies nouvcau-
nes. Quant au dieu de Maroion, ii etouffe Ies enfants avânt le
berceau, puisqu'il reprouve le mariage : ii surpasse en cruaute
Pharaon.
Luc. 9, 51 sq. — Le Createur avait lance le feu du ciel a la
requete d'Elie (4 Reg. 1) ; au contraire Jesus reprend Ies fils
de Zebedee, qui appelaient le feu du ciel sur Ies Samaritains.
Sans doute ; mais l'Ecriture annonţait la maosuetude du Christ
(îs. 42, 2; 3 Reg. 19, 12).
Luc. 9, 57 sq. — Legons donnees â ceux qui s'offraient pour
suivre .lesus. L'un manquait sans doute d'humilite ou de droi-
ture; un autre avait besoin d'apprendre le detachement [cf.
deja Lev. 21,1; Num. 6, 6 et 7) ; un troisieme recoit la defensc
de se retourner, comme jadis Ies fugitifs de Sodome.
Luc. 10, 1 sqL — Mission des 72. Les Israelites sortant
d'Egypte furent invites a emporter les vases precieux des
Egyptiens; les disciples ne doivent rien emporter du tout.
Pourquoi cetto difference? Les premiers allaient au desert, les
scconds dans un pays tres civilise, plein de ressources ; puis
les premiers avaient â se compenser, non les seconds. Les re-
commandations de Jesus renferment d'ailleurs plus d'un trăit
qui rappelle l'A. T., â commencer par l'allusion au royaume
de Dieu qui approche.
Luc. 10, 21 sq ^. — L'elevation du Christ vers son Pere, qui
revele ses mysteres aux petits, n'olfre aucun sens dans l'hypo-
thesemarcionite. Tout s'explique au contraire, si Jesus parle au
Createur. Ce Dieu, qui aime â s'envelopper de mystere (îs. 7,
9; 29, 14; 45, 3; 44, 25), a envoye aux âmes droites son Christ
illuminateur (îs. 42, 6). La parole de Jesus fait echo â laplainte
du Seigneur dans Isa'ie (îs. 1, 3; 63, 3).
1. 4 M. 24.
2. Ib. 25.
LES 0EUX CHIUSTS DE MARCION. 173
Luc. 11, 1 sq^. —Le Pater. Cedant au desir de ses disciples,
Jesus leur enseigne â prier. S'il ne leur enseigne pas tout
d'abord ă quel Dieu doit aller leur priere, c'est que l'idee ne
pouvait venir â personne de prier un autre Dieu que le Crea-
teur, et Ies demandes ne conviennent a nul autre.
Luc. 11, 14 sq. — Expulsion d'un demon. Accusc de chasser
Ies demons par Beelzebub, Jesus prouve qu'il Ies chasse par le
doigt de Dieu, c'est-â-dire par la puissance du Createur. C'est
deja par le doigt de Dieu que Molse (Ex. 8, 19) confondait Ies
mages egypticns.
Luc. 11, 27. 28. — Unei'cmme s'ecrie : « Bienlieureux le sein
qui vous a porte » ; et Jesus repond : « Bienlieureux ceux qui
entendent la parole de Dieu et la mettent en pratique ». II ne
renie point sa mere, mais ii exalte par-dessus tout le merite
de la foi et de la vertu. Cette interpretation confirme le sens
donne plus liaut ă une autre scene evangelique (Luc. 8, 19-21 ;
cf. 4 M. 19).
Luc. 11, 29 sq2. — Jesus reproduit tous Ies traits du Crea-
teur, jusqu'aux pretendues inconsequences qu'on a relevees
dans sa conduite. II n'a d'ailleurs rien d'un revolutionnaire.
Au pharisien, qui s'etonne de Ic voir negliger Ies ablutions
avânt Ies repas, ii suggere l'idee d'une purele preferable â
celle des mains, liommage meilleur rendu au meme Dieu. II
fletrit la morgue de ces docteurs qui s'attaclient â de menues
observances etnogligent la charite, premier precepte de la Loi
(Deut. 6, 5). En tout, ii se montre jaloux de Thonneur de
Dieu [Zelotes].
Luc. 12, 9 sq^. — Ceux qui le renieront devant Ies hommes
seront renies devant Ies anges. Le blaspheme contre le Saint-
Esprit sera puni du feu eternei. Tout cela est d'un juge, et d'un
juge i'igoureux.
Luc. 12, 11. 12. — Amenes devant Ies tribunaux, ses disci-
ples ne doivent pas premcditer leurs reponses, mais Ie meme
Esprit qui jadis contraignit Balaam de parler contre son gre.
Ies inspirera.
1. 4i/. 26.
2. Ib. 27.
3. Ih. 28.
174 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
Luc. 12, 13 sq. — Moise intervenait spontanement dans Ies
querelles; Jesus, invoque comme arbilrc entre deux freros, se
derobe. Pourquoi cette difference? Cest qu'avant tout ii vou-
lait confondre ces freres avares.
Lvic. 12, 22 sq '. — Confiance en la Providencc divine.
Luc. 12, 35 sq. — Vigilance contre Ies attaques du demon.
Luc. 12, 49 sq. — Le Christ est venu jeter le feu sur la terre.
— Dans ces divers developpements, ii montre le caractere d'un
juge. 11 en est de memo dans Ies paraboles suivantes :
Luc. 13 ^. — Grain de seneve ; levain ; porte etroite.
Luc. 14''. — Invites au festin.
Luc. ÎS''. — Brebis perdue, drachme perdue.
Luc. 16, li sq '■'. — Nul ne peut servir deux maîtres. Ce trăit
vise Ies pharisiens, amis de l'argent et, de plus, orgueilleux.
Luc. 16, 16^. — La Loi et Ies proplietes s'arretent ;i Jean;
puis vient la predication du royaume de Dieu. Jean, precurseur
du Christ, est a la frontiere des deux Testaments : en lui le ju-
daîsme expire, le christianisme va commencer. Et que faisait
doncjusque-lâledieu de Marcion? Sans douteil etaitâ l'ecole!
ii attendait, pour se doclarer, de s'etre instruit en voyant faire
le Createur! Croyons plutot qu'une meme puissance divine a
borne le regne de la Loi et des proplietes et inaugure celui de
l'Evangile. Le cielet la terre passeront ; la Loiet Ies prophotes
peuvent passer aussi, mais la parole du Scigneur ne passera
point. Isaie l'avait dit (îs. 40, 8,i et le Christ le repete (Luc.
16, 17; 21, 33).
Luc. 16, 18^. — Moise avait permis Ie divorce (Deut. 24,
1 sq.); Jesus-Christ le reprouve : Marcion ne pouvait manquer
1. Ib. 29.
2. Ib. 30.
3. 76.31.
4. 16. 32.
5. 4 M. 33.
6. Sur ce verset, tres souvent commente par Tertullien, voir en parti-
culier oM. 8. (Infr. p. 180). En outrc : /. 8. Prax. 31. — On constate dans
Ies derniers ecrits montanistes que Ies catholiques retournaient ce verset
contre lui, et s'en servaient pour condamner la norfvelle prophetie {Jej.
2. 11. 12). — Comparer saint Justin. Dial., 51, lin.
7. 4 M. 34. — On reviendra sur la doctrine de cette page, eh. IX, S O, p.
461 sq.
LES DEUX CHlilSTS DE MARCION. 175
derelever cette opposition. Mais ii oublie de prendre la doctrine
du Christ tout entiere. Le Christ ne desavoue pas Moi'se, in-
terprete du Createur; seulement ii le complete. II defend de
renvoyer une epouse pour en prendre une autre ; mais il auto-
rise la separation de corps en cas d'adultere de l'epouse (Mat.
19, 8. 9; 5, 32). Saint Paul va plus loin, puisque, en pareil
cas, il n'autorise pas seulement la, separation de corps, il la
prescrit (1 Cor. 6, 15. 16). La loi du Christ s'accorde pleinement
avec celle de Mo'ise, soit pour autoriser, en cas d'adultere, la
separation de corps, soit pour defendre en toute liypothese le
divorce pur et simple. D'ailleurs, en rappelant le dessein pri-
mitif du Createur, le Christ a loue l'institution du mariage;
Marcion au contrairc la condamne.
Luc. 16, 19 sq. — ■ Mauvais riche. Marcion assigneaux sujets
du Createur une recompense ou un cliâtiment dans Ies enfers,
et reserve le ciel aux iîdeles du Christ ^ . L'Ecriture lui donne
un demenţi.
Luc. 17, 1 sq. -. — Scandale ; pardon des injures. Ici encore
paraît le juge, d'ailleurs plein d'un tendre amour pour Ies
siens. (Cf. Lev. 19, ¥7. 18; Ex. 23,4).
Lac. 17, 11 sq. — ■ Nouvelle guerison de lepreux '•'. En Ies
envoyant vers Ies pretres, Josus marque encore son respect
pour la Loi ; d'autant qu'il y avait parmi eux un Samaritain.
Plus eclaire que ses compagnons, ce Samaritain porte son
hommage â Jesus, vrai temple et vrai pontife du Dieu tout-
puissant.
Luc. 17, 20 sq. — Interroge par Ies pharisiens sur leroyaume
de Dieu, Jesus montre assez par sa reponse qu'il entend parler
de son propre royaume.
Luc. 18, 1 sq. '■. — Perseverance dans la priere. Pharisien
et publicain. Jesus enseigne â prier le Createur.
Luc. 18, 18 sq. — Voie des conseils. En ouvrant cette voie,
Jesus ne ferme pas celle des preceptes, montree par le Crea-
teur.
1. Sur Ies onfers et le sein d'Abraham, voir ci-dessus, eh. III, S2, p 131
2. 4 sM. 35.
3. Cf. 4 M. 9, sur Luc. 5, 12. Sup., p. IGG.
4. 4 M. 36.
176 TIIEOLOGIE DE TERTULLIEN.
Luc. 18, 35 sq. — Aveugle de Jericho. En invoquănt Jesus fils
de David,'cet hommefaisaitacte de foi dans le Christ del'A. T.
Luc, 19, 1 sq. *. — Zacliee. Le salut recompensa Ies couvres
de misericordo qull exergait selon la parole du prophete (Îs.
58, 7).
Luc. 19, 11 sq. — Parabole des mines. Faire fructifier Ies
dons du Createur.
Luc. 20, i sq. ^. — Bapteme de Jean : venu du ciel, c'est-â-
dire du Createur.
Luc. 20, 25 sq. — Denier de Cesar. Rendre â Dieu ce qui
est â Dieu; donc tout rhomme a son Createur.
Luc. 20, 27 sq. — Sadduceens confondus. .lesus se prononce
en fait sur la question du mariage, et afiirmc la resurrection.
Luc. 20, 41 sq. — Le Christ fils de David et son Seigneur.
Le temoignage rendu ă Jesus par l'aveugle de Jericho lui sert
pour confondre Ies Scribes.
Luc. 21 *. — Faux Christs; signes des derniers temps;
persecutions, martyre, salut par la patience; avenement du
Fils de rhomme, son regne eternei : Jesus-Christ reedite en
son propi'c nom ies anciennes prophetiea, (Cf. Zacli. 9, 15 sq
Num. 22-24; Ex. 4, 12; îs. 44, 5; 50, 4; Ps. 9, 19; 115, 15
Zach. 6, 14; Joel 2, 30-31; Hab. 3, 8 sq; Dan. 7, 13; Ps. 2, 8
Îs. 40, 8 ; Deut. 8, 12.) Le tissu evangelique est d'ailleurs si
serre qu'on ne peut songer â y faire deux parts, en attribuant
au Createur la rigueur et Ies châtiments, au dieu marcionite
la ciemence et Ies bienfaits. Les circonstances meme de la
predication du Christ etaient consignees dans l'A. T. (Os. 12,
4; Zach. 14, 4; Îs. 50,4).
Luc. 22-24 ''. — Passion et Resurrection du Christ -'.
Ayant parcouru tout le recit de saint Luc, Tertullien lance â
l'adversaire un dernier sarcasme : J'en suiş fâche pour toi,
Marcion, tu as perdu ta peine. Le Christ Jesus, dans ton evan-
gile, est mien : je retrouve en lui Ie Christ du Createur.
1. 4 31. 37.
2. 76. 38.
3. Ib. 39.
4. Ib. 4043.
5. Voirch. I, p. 17 sq.
LES DEUX CHUISTS DE MARCIOX. 177
L'examen de VApostoUcum marcionite ^ , c'est-â-dire du re-
cueil, egalementmutile, de saintPaul-, remplit le V" livre contre
Marcion. Marcion reconnaît saint Paul pour l'apotre du Christ.
Mais o\x soiit Ies titres de son apostolatV dans Ies Ecritures du
Createur, et Tertullien retrouvo cn Iui l'apotre du Createur,
Epltre aux Galates^. — Tout Ic monde reconnaît l'impor-
tance capitale de celte epître contre Ies ritos judaîques. Elle
trăite ă fond Tabrogation de la Loi ancienne par le Createur,
abrogation predite par Ies proplietes etproclamee par le Christ
(Luc. 16, 16; : dans l'hypothese marcionite, c'etait le casou ja-
mais de notifier la decheance de l'aneien Dieu et l'avenement
du nouveau. Or ii n'en est pas question. Cette epître vise la
substitution d'une economie a une autre, sous l'autorite du
meme Dieu createur. L'erreur des Galates consistait precise-
ment a nier que ce Dieu ait pu defaire son propre ouvrage, et
l'Apotrc s'applique â detruire cette erreur. S'il y avait eu
changement de Dieu, le cliangement d'economie allait de
soi. L'Apâtre pose la question sur son vrai terrain en repro-
chant aux Galates de se laisser entraîner â un autre evangile
(1, 6. 7), ce qui ne veut pas dire â un autre Dieu. 11 rappelle
que l'Evangile du Christ etait promis par Ies prophetes (îs. 40,
9; 52, 7 ; 42, 4. 6). Sur Ies rites mosaiques '', ii confirme le recit
des Actes, attestant que Ies apotres ne crurent pas devoir im-
poser aux fideles un joug que leurs percs n'avaient pu porter
(Act. 15, 5 sq). Paul etait venu â Jerusalem se concerter avec
Pierre et Ies autres apotres; malgre Thumeur ombrageuse de
certains faux freres, qui se donnaient la mission de surveiller
l'Eglise naissante pour l'enchaîner â la Loi, ii ne cruţ pas de-
voir circoncire Tite ; ii ceda r^eanmoins dans le cas de Ti-
mothee'' (Act. 16, 3); ii le fit par mesure de prudence, sans
d'ailleurs aller dans cette voie aussi loin que Pierre, qui tenait
1. 5 M. 1.
2. Surle caractere de VApostoUcum marcionite, voirch. V, §3, p. 227.
3. 5 M. 2.
4. /*. 3.
5. En realitc le texte de saint Paul (Gal. 2, 5) ne venforme pas cetle allu-
sion â Timothee, et Marcion a ici raison contre Tertullien. Voirci-dessous,
ch.V, S3, p. 240.
THEOLOGIE DE TERTULLIEN. 12
178 THEOLOGIK DE TERTULUEN.
â menager toutes Ies susceptibilites juda'i'ques. La divergence
passagere entre Ies deux apotres conccrna l'opportunite d'une
mesure pratique, non l'objet de leur adoration, ni mcnie le
programme de leur apostolat (2, 9. 10). Ils demeurerent d'ac-
cord surle point essentiel : l'homme n'est point justifie par
Ies ceuvres de la Loi, mais par la foi en Jesus-Christ (2, 10).
Par la foi, Abraliam trouva grâce devant Dieu; par la foi, on
devient fils d'Abraham (3, 7) et Fon s'assure une part aux bc-
nedictions qui, dans la personne d'Abraham, furent promises
â toutes Ies nations. En vain Marcion effacera du texte sacre
le nom d'Abraham : il n'ompechera pas que la foi au Christ
ne soit la forme presente de la foi au Createur. Impossible de
marquer plus fortement que n'a fait saint Paul, et l'unitc du plan
divin, et la communaute d'origine entre la loi mosa'ique et
l'Evangile. II compare Ies nations ^ k des enfants, et, sous la
figuro d'unTestament humain, defend le Testament divin (3, 15).
Abraham a reţu Ies promesses ; riieritier, c'est le Clirist.
Quand vint la plenitude des temps, Dieu envoya son Fils pour
emanciper ceux qui portaient encore la tutelle de la Loi (4, 3.4),
pour apporter aux nations Tadoption des enfants de Dieu. De-
sormais il ne faut plus revenir aux elements, c'est-ă-dire aux
pratiques mortes de la Loi, pour lesquelles Dieu, par Ies pro-
phetes, marquait deja son degout (îs, i, 14; Am. 5, 21; Os. 2,
11). En cela, rien de contraire â la dignite du Createur : il
abroge une loi qu'ilavait portee lui-memc, et dont il avait an-
nonce l'abrogation.
Marcion, qui a elague bien d'autres choses dans cette
epître, a oublie d'elaguer une derniere mention d'Abraham
(4, 22). Les deux epouses d'Abraham, l'une esclave, l'autre
libre, figurentla synagogue et l'Eglise. Fils de l'epouse libre,
sachons reconnaître le don de la liberte, qui nous est venu par
le Christ (4, 31). Le seul fait qu'il nous a rendus libres, prouve
que nous lui appartenions, car nul n'affranchit les csclaves
d'autrui. Cette liberte doit etre sans retour (5, 1 sq.) : desor-
mais plus de circoncision que celle du coeur ; l'heure ost â la
foi et a l'amour. L'antique precepte du decalogue(Deut, 6, 5) :
1. 5 .)/. 4.
LES DEUX CHRISTS DE MARCION. 179
« Vous aimerez Dieu de tout votrecceur, de toute votre âmc et
de toutes vos forces, et le prochain comme vous-meme », de-
meure Ie fondement de l'Evangile. Loin de l'abolir, le Christ
condense dans ce precepte unique toute la loi du Createur ; ii
touche â cette loi, non pas tant pour Fabroger que pour l'abrc-
ger ' , avec une maîtrise qui n'appartient qu'au Legislateur en
personne (Gal. 5, 14). II veut q'u'on debute dans la pratique
par la charite fraternelle (6, 2). D'autre part, 11 avertit qu'on
ne se moque pas de Dieu (6, 7). Ici, on depit de Marcion, re-
paraîtle juge. L'Iiomme moissonnera en son temps ce qu'il a
seme. Quant â l'apotre, ii est crucifie avi monde (6, 14),c'est-â-
dire â tout ce qui contredit I'esprit chretien ; ii porte en son
corps Ies stigmaLes du Christ, souvenir de cette humanite
sainte qui ne fut pas fantastique, mais reelle et tangible.
V' Epitre aux Corinthiens ■^. — ■ TertuUien s'arrete d'abord
â cette suscription, que portent aussi Ies autres epîtres de saint
Paul : Gratia vobis etpax a Deo Patre nostro et Domino Jesu
(1, 3). Dans cette formule ii reconnaît, etroitement unis, le
Createur, Pere do toutes clioses, et Jesus, reconciliantl'homme
a son Pere offense. Suit un long developpement sur le mystere
de la croix (i, 17 sq). Ce mystere, impose â notre foi, est une
revanclie de ladivinite meconnue, sur l'orgueil humain. II fallait
confondre cette sagesse du monde qui s'etait detournee de
Dieu (îs. 29, 14) : Voilă pourquoi Dieu resolut de sauver Ies
croyants paria folie meme de Ia predication. Aux Juifs qui re-
clament des signes, aux Grecs epris de science, ii propose le
Christ, cette pierre de scandale (îs. 8, 14; 28, 16). lise plaît â
humilier le sens humain par ces petitesses qui deja se rencon-
trent â chaque page de FA. T. Interprete de la sagesse divine,
FApotre montre ^ (2, 6 sq) commentDieuvoila longtemps sous
des iigures etdes enigmes Ies tresors de sa grâce. II apparte-
nait au Christ, lumierc des nations, de Ies reveler (îs. 42, 6;
45, 3). On ne comprondrait pas ce long silence de la part du
dieu de Marcion ; au contraire, rien de plus naturel de Ia part
1. Xcc dispcndium sed compendium abcoconsecutaest, redacta summa
in unum jam praeceptum.
2. o .l/.'s.
3. 76. 6.
180 THEOLOGIE DE TERTDLLIEN.
du Createur, dont nous connaissons le plan, deroule ă travers
Ies siecles. Les siecles ne lui appartiennent-ils pas, aussi bien
que les astres qui les mesurent? Ce plan, qui doit mener
riiomme â Ia gloire, les princes de ce siecle Font meconnu :
c'est pourquoi ils ont crucifie le Seigneur de gloire (2, 8) ^.
Le Christ est le fondement de tout l'edifice spirituel des
croyants (3, 10 sq), Tilluminateur des tenebres ^ (4, 5), notre
Pâque (5,7), le corps mystique dont les membres sont les fide-
les, rachetes par lui (6, 15 sq), Ia pierre spirituelle dont les
Israelites ont bu l'eau jaillissant au desert (10, 4), le chef de
rhomme ^ (11, 3), le dispensateur des cliarismes, qui, d'apres
Isaîe, devaient se reposer sur lui. Ces charismes, assurement,
n'etaient point chose adventice enlapersonne du Christ, en qui
residetoute la substance de l'Esprit divin. Mais lorsqu'apparut
dans la chair Jesus, fleur sortie de la tige de Jesse, le cours
normal des operations de grâce s'arreta chez les Juifs ; le mi-
nistere de Jean marque la fin de la Loi et des prophetes; Jesus,
concentrant en lui-meme tous les charismes, les repandra,
comme don de joyeux avenement, apres son entree dans la
gloire. (Cf. Ps. 67. 19; Joel 2, 28-29). Que I'on compare l'enu-
meratiOn des charismes dans Isaie (11) et dans saint Paul (12,
8-11) : l'accord estparfait.
La resurrection du Christ ' est le type de la nâtre (15, 22 sq).
Desormais ii regne, par la puissance du Dieu vengeur qui a mis
ses ennemis sous ses pieds (15, 25-27; cf. Ps. 109; 8, 7; 71).
Nouvel Adam "', ii ranimera ceux qu'a tues le premier Adam,
ceux dumoins qui, en fuyant les ceuvres terrestres, les ceuvres
de chair et de sang, se seront reformes â l'image de l'homme
celeste, et auront merite la transfiguration glorieuse (15, 45-55).
En resumant ce commentaire, nous l'avons allege de ce qui
n'est qu'accessoire â la donneechristologique.
1. Par Ies princes de ce monde, TcrtulUen eiitend les puissants de ce
monde, Juifs et Romains, auteurs de la passion du Christ. Sur l'cxegese de
ce verset, voir eh. V, S 3, p. 246.
2. 5 M. 7.
3. 76.8.
4. Ib. 9.
5. Ib. 10.
LES DIÎCX CHRISTS DE MARCION. 181
2" Epître aux Corinthiens \ — Saint Paul debiite ainsi :
Beni soit le Dieu de Notre-Seigneur Jesus-Christ, Pere des
misericordes (1, 3). A qui poutconvenir cette appellation, sinon
au Dieu crealeur, qui apparaîtdans rKcriture comme une source
de benedictions (Gen. 1), comme beni par Ies ceuvres de ses
mains(Dan.3), signale par tant de traits de misericorde(Jon.3. 4;
4Reg. 20; 3 Reg. 21, 29; 2 Reg. 12), qui prefere ă la mort du
pecheur sa conversion (Ez. 33, 11)? Du dieu marcionite,il n'e-
tait pas question avânt la venue du Christ. L'A. T. etait la
lettre qui tvie, le N. T. est Tesprit qui vivifîe (3, 6). Le voile qui
couvrait la face de Moîse figura l'aveuglement des Juifs (3, 16).
II appartient aux cliretiens de contempler â decouvert la gloire
du Seigneur, meconnue par Ies infideles de ce siecle^. Cette
revelation est l'ceuvre de ce meme Dieu qui a dit au commence-
ment : que la lumiere soit, qui a envoye le Christ illuminateur
(4, 6). Les vases de terre ou nous portons le tresor divin (4, 7),
ce sont nos corps que nous tenons du Createur, dans lesquels
nous devons manifester, par notro patience, la vie etla vertudu
Christ (4, 10.11), ranimant en nous l'homme interieur par la
contemplation dos promesses divines (4, 17.18). Nous n'avons
pas ici de demeure permanente ^; mais apres la ruine de
l'homme terrestre, nous attendons un revetcment de gloire
(5, 1.2). Tous doiventetre presentes au tribunal du Christ, en
corps et en âme, poury recevoir le prix deleurs ceuvres (5, 10).
Voilâ pourquoi l'Apotre nous excite ă purifîer en nous toutes
les souillures de la chair et du sang (7, 1). Car l'Eglise, epouse
du Christ, doit etre sans tache (11, 2). En linissant, ii menace,
car le Dieu qu'ilannonce veut etre craint (13).
Epître aux Romaîns ''. — Apres avoir si souvent refute le
ditheisme marcionite, Tertullien eprouve quelque embarras â
revenir encoresurla Loi, pour la revendiquer au nom du Dieu
du N. T. Mais la nature de la controverse l'y oblige. Dans cette
epître aux Romains, Marcion a, plus que partout ailleurs, pra-
tique des trous [foveas] ; neanmoins ii en a laisse subsister plus
1. 5 1/. 11.
i. Sur l'cxdgese de ce verset (4, 4) voir eh. V, § 3, p. 247.
3. 5 M. 12.
4. Ib. 18.
182 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
qu'il n'en faut pour le condamner. Tertullien relevera ces
textes accusateurs.
2, 16. Dieu jugera, selon TEvangile % Ies actions caclieos,
tant des Juifs, sujcts de la Loi, que des Gentils, â qui la nature
tenait lieu de Loi. — 2. 28.29. Circoncision ducoeur, comman-
dee par l'Apotre, apres Jeremie(4, 4) etMoi'se(Deut. 10, 16). —
3; 21 sq; 5, 1. Paix avec Dieu, procuree jadis paria Loi, main-
tenantpar la foi en Jesus-Christ. — 8, 3^. Dieu a envoye son
Fils in similitudinem carnis peccati. Ici le met similîtudo af-
fecte carnis peccati, non precisement carnis. La merveille est
que Dieu a sauve la chair par le moycn d'une cliair de meme
nature, chair tres reelle, d'ailleurs exemple de peche-'. — Le
eh. 9, qui retrace l'histoire des promesses de Dieu â Israel,
avait dispăru de V Apostolicum raSiiciomie; mais 10, 2-4, l'Apâ-
tre rend â Israel temoignage du zele qui Fanime pour son Dieu,
zele qui a seuleraent le tort de n'etre pas regie par la scicnce.
Car en voulant pratiquer une justicede leur choix, Ies Juifs ont
deşerte la justice de Dieu, justice qui devait Ies mener au
Clirist, fm de la Loi pourtous Ies croyants. Les marcionites ne
veulent retenir de ce texte que les reproclies, et oublient les
felicitations qui precedent. Mais rcproches et fehcitations
viennent du meme Dieu. Et cette meconnaissance du Clmst.
qui constitue la faute d'Israel, est conforme aux propheties de
l'A. Ti, donc audessein du Createur. — 11, 33. Emu en presence
de ces grands mysteres, l'Apotre s'ecrie : O profondeur des ri-
chesses et de la sagesse divines! Sa voix fait echo ă celle
d'Isaîe (45, 3; 40, 13). — 14, 10. Cette fois encore, ii finit par
des menaces : tous comparaitront au tribunal du Christ.
1" Epître aux Thessaloniciens ''. — Passant aux petites
epîtres — car estsapor et in paucis, — Tertullien constate que
l'Apotre reproche aux Juifs (1 Thess. 2, 15) d'avoir tue leurs
prophetes. Leurs est une additiondeMarcion; enrealite l'Apo-
tre a dit : le Seigneur et les prophetes. Comprendrait-on ce re-
proche si les prophetes n'etaient les herauts du meme Dieu que
!. Surie vrai sens de ce ^-orsot, Foirch. V, §3, p. 21(i.
2. Ib. 14.
3. Developpemcnt somblable, c. C. 16. Infi-., p. 19:2.
4. 5 M. \x>.
LES DECX CHIiISTS DE MARCION. 183
Jesus? — Le Christ qui doit venir sur Ies nuees (4, 16) est
celui dont parlait Amos (Am. 9, Ci. — L'Esprit qu'il defend
d'eteindre, et Ies proplieties qu'il defend de negliger (5, 19. 20),
ne sont pas ceux de l'A. T.. que son avenement a perimes,
mais un esprit nouveau ct unc pi'ophetie nouvelle, qu'on cher-
chorait en vain dans l'eglise de Marcion.
2'' Epttre aux Thessalo/iiciens ^. — 1, 6-9. Dieu doit venir
arme de la flamme : Marcion eteint cette flamme, qui gene ses
combinaisons. Quoi qu'il en soit, ce Dieu cliâtiera tous ceux
qui n'auront pas obciâ TEvangile. y compris Ies pai'ens, qui ne
Fauront pas connu. Injustice evidente, ă moins que ce Dieu ne
se soit revele par ses ceuvres : or c'est le cas du seul Createur.
— Plus loin (2, 3 sq), voici TAnteclirist. Selon la doctrine ca-
tliolique, on conşoit assez bien ce personnage, fleau envoye de
Dieu pour châtier l'infidelite des hommes. (Voir 1 Joan. 4)"^.
Dans l'hypothese marcionitej son role est l'incoherence meme.
On est tente de Tidentifler au Christ du Createur : par ailleurs,
ii sert ies desseins de l'autre Dieu, et neanmoins emprunte le
secours de Satan, jadis ange du Createur (2, 9). II releve ala
fois de l'un et de Fautre dieu, et l'on n'ai-rive pas â definir sa
position.
Epître aux Ephesiens ^. — • Marcion disait : epître aux Lao-
diceens. Sans discuter ce titre, TertuUien s'attache au majes-
tueux preambule de l'Apâtre : qui dono apu concevoir, pour la
plenitude des temps, ce projet de recapituler toutes clioses dans
le Clirist, au ciel et sur la terre (1, 9. 10)? Aucun autre que le
Maître de toutes choses eţ de tous Ies temps. C'est donc le
Createur qui, apres avoir autrefois promis Ie Christ aux Juifs,
appelle tous Ies hommes, sans distinctionderaces, aupartagede
son Esprit, abondammentrcpandu surtoute chair (Joel, 2, 28). A
ce Pere de gloire, il appartient de communiquer l'Esprit de sa-
gesse, d'illuminer Ies yeux du cceur, d'ouvrir lestresorsde son
heritage saint (Ps. 23, 10 ; îs. 11, 2 ; 42, 19; Ps. 2, 8), de donner
â son Christ, selon sa promesse, l'empire sur toutes Ies nations
1. 51/. 16.
2. Sur l'eschatologie de Tertullien, cf. eh. IX, § 3.
3. 5 M. 17.
184 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
(Ps. 109, 1 ; 8, 7). Les hommes, autrefois enfants de colere,
(2, 3) sont reconcilies â Dieu ; Celui qui les avait crees les fonde
en grâce par le Christ. Desormais plus de Juifs ni de Gentils :
le sang du Christ a rapproche ceux qui gardaient Theritage des
promesses et ceux qui etaient ici-bas sans Dieu; en lui, deux
peuples n'en font plus qu'un (2, 11-14). Concitoyens dessaints,
familiers de Dieu, les fideles, d'ou qu'ils viennent, composent
l'edifice spirituel, fonde sur les apotres etles proplietes, appuye
surlapierre angulairequiest leChrist(2, 19.20 ;cf. Ps. 117, 22).
Pour parler du Christ, FApotre cmprunte aux prophetes ^ leurs
fîgures, guerrieres etautres (Ps. 67, 19; 44, 4; îs. 8,4). L'union
du Christ et de FEglise etait esquissee (5, 22.23) dans le ma-
riage du premier homme, oeuvre du Createur. Les preceptes
morauxde la Loi revivent dans le N. T. Lâ ou l'Apotre parle
du diable (6, 11-13), Marcion voudrait reconnaître le Crcatour.
Mais le texte sacre proteste contre son exegese.
Epître aux Colossiens '^. — • Le Christ est l'image du Dieu
invisible (1, 15-17), le premier-ne de toute creature; par lui
et en lui toutes choses ont ete faites au ciel et sur terre,
etres visibles et invisibles, trdnes, dominations, principautes,
puissances; avânt tous, ii est. A ces traits, comment ne pas
reconnaître le Verbe du Createur? Ce qui suit n'est pas moins
decisif. Dieu a voulu qu'en lui fiit toute plenitude (1, 19); ii a
voulu par lui se reconcilier toutes choses, faisant la paix dans
le sang verse sur la croix. 11 n'y a pas de rcconciliation sans
offense : si donc le Createur se reconcilie sa creature, c'est
que lui-meme avait ete offense. — L'Eglise est le corps du
Christ (1, 24), son corps mystiquc pour lequel ii a livre son
corps de chair. — ■ L'Apotre met les fideles en garde contre
la vanite des lettres profanes (2, 8) : c'est que tout, dans le
Christ, est fait pour confondre les beaux esprits du siecle. —
Que sont les neomenies et les sabbats, sinon une ombre de
l'avenir ;2, 16. 17)? La Loi etait au Christ ce que l'ombre est
au corps.
Epitre aux Philippiens '^. — L'Apotre se rejouit de ce que
1. 5 M. 18.
■2. Ib. 19.
3. Ib. 20.
l'humanite nu christ. 185
sa captivite tourne au profit de FJ&vangile (1, 16. 17), car tout
le monde se mele de precher. II ne semble pas craindre qu'un
zele indiscret vienne â defîgurer le Christ. N'est-ce pas une
preuve que Ies traits du Christ etaient d6s lors fixes et vulga-
rises par Ia prophetie? Le Christ annonce par Ies apotres
etait celui de la prophetie, et nul ne s'y trompait. — Les
marcionites abusaicnt des mots : accepta effigie servi, in simi-
litudine hominis, figura inventus homo (2, 7), pour soutenir
leur docetisme. Mais ces mots n'excluent nullement la realite
de la nature humaine, pas plus qu'au verset precedent (2, 6)
les mots in offi.gie Dei constitutus n'excluent la realite de la
nature divine. — Dans : habens justitiam non...jam quae ex
lege, sed quae per ipsum, se. Ckristum, ex Deo {3, 9), les mar-
cionites cherchaient subtilemcnt une antithese entre le Dieu
de la Loi et celui du Christ. Non moins subtilement, TertuUien
leur montre ou chercher la vraie antithese : elle est entre la Loi
et le Legislateur, abrogateur de sa propre loi.
II. l'HUMASITE du christ. — MARIE
Dans le De carne Christi^, TertuUien fait encore face aux
memes adversaires, mais ils ne sont plus seuls.
Le fait de rincarnation ^ avait etc diversement travesti par
les lieretiques. Marcion deniait au corps du Christ toute
realite ; logique dans ses negations, ii rejetait du meme coup sa
nativite. Ce docetisme părut excessif â quelques-uns de ses
disciples : Apelle se contenta de nier la nativite du Christ;
Valentin, autre deserteur de Tecole marcionite, admit et le
corps du Christ et sa nativite ; seulement ii prit tout au sens
spirituel. Ces dootrines vont directement contre le recit de
saint Luc ^ ; mais on sait que Marcion en avait dechire les pre-
mieres pages. TertuUien commence par lui demander raison
de cette mutilation ; puis ii aborde l'examen des objections que
l'heresie peut elever contre la nativite du Christ.
1. Voir Freppol, t. 2, lefion 35.
2. c. C. 1.
3. Ib. 2.
186 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
Ces objections' ne sauraient porter que sur deux points :
question de possibilite, question de convenance. Rien n'est
impossible k Dieu, sauf ce qu'il ne veut pas. Si donc ii a voulu
naître, ii est ne. Or voici qui tranche Ies doutes : le Clirist a
păru sous Ies traits d'un homme, ct donc donne lieu de croire
â sa nativite. Cette consideration suffit â tout; car s'il ne plai-
sait pas â Dieu de naître, ii ne devait pas lui plaire davan-
tage de laisser croire ă sa nativite. Mais on pretend qu'une
raison decisive s'oppose ă l'Incarnation : c'est l'immutabilite
divine. Le Christ n'a pu se faire liomme qu'en se cliangeant
lui-meme; et tout changement (conversio) implique cessation
d'un premier etat. Or Dieu est eternei, donc immuable. Ter-
tullien repond en elargissant cette notion de cîiangement
[conversio]. Dans Ies cliangements ordinaires, un premier etre
cesse et un autre lui succede. Mais cette loi ne s'applique pas
â Dieu. Meme hors de Dieu, elle n'atteint pas certains clian-
gements merveilleux, ou un nouvel etre apparaît sans elimi-
nation du premier ^. Ainsi voit-on dans l'A. T. des anges
revetir un vrai corps humaiii : tels ceux dont Abraham lava
Ies pieds, tels ceux qui delivraient Lotli des mains des So-
domites, tel celui qui luttait corps â corps avec Jacob. Avaient-
ils cesse, d'etre des anges? NuUement. Si Marcion n'avait pas
rejete l'evangile de saint Jean, ii aurait pu y apprendre que
le Saint-Esprit descendit sur le Seigneur, sous la forme d'une
colombe. II avait pris cette forme, sans pour cela cesser d'etre
TEsprit de Dieu. Et ces corps disparaissent, comme ils ont
apparu, invisiblement. Qu'on ne parle donc plus d'une pre-
tendue impossibilite s'opposant â ce que Dieu prenne un corps
humain.
Mais peut-etre on se rejettera sur la question de conve-
nance^. On insistera sur Ies bassesses de la cliair, on detaillera
l.c. C. 3; ef.3M. 10.
2. Surl'analyse de cette opcration, voir c\\. III, § 1, p. 110. — Le niot de
conversio surprend; mais, daus la pensie de TertuUien, ii designe une
simple assumptio. Voici comme ii paiie (c. C. 3) de I'apparitioii du Saint-
Esprit : Spiritus, cum hoc esset, tam vere erat et columba quam Spiritus,
nec interfecerat substantiam propriam, assumpta substantia extranea.
3.C.C. 4;cf. 3M. II.
l'humaniti': du cunisx. 187
toutes Ies hontes de la generation et de la nativite. Tout cela
n'a pas empeche le Christ d'aimer l'homme tel qu'il est, avec
toutes Ies miseres inherentes ă sa nature, et de s'abaisser
pour lui jusqu'â la mort et â la mort de la croix (Phil. 2, 8).
Vous qui croyez â la redemption, n'avez pas le droit de me-
priser l'homme. Ou bien essayez de nous montrer sans la nati-
vite, sans la chair, cet homme rachete de Dieu'. V'ous ne le
sauriez faire ; et vous voyez que cette meme chair si abjecte,
Dieu la releve de la mort, Dieu la guerit etla regenere, pour
lui faire part de sa gloire. S'il avait piu â Dieu de passer par
le veAtre d'une louve ou de quelque autre animal, on vous
verrait sans doute lui faire la legon et lui dire que cela ne con-
vient pas! Cessez enfin, Marcion, de juger Dieu selon votre
propre sens; mais plutot apprenez de l'Ecriture (1 Cor. 1, 27)
qu'il a choisi la folie du monde pour confondre la sagesse, et
ne vous scandalisez plus de voir un Dieu qui naît, et qui
naît d'une vierge, un Dieu de chair^. La sagesse du siecle
se montre moins delicate, elle qui attribue â ses dieux tant
d'impures metamorphoses. La passion du Christ a aussi ses
folies ^, qui ne le cedent point â celles de la nativite. Marcion
croit-il au crucifiement du Christ ?â sa mort?â saresurrection?
ou ne voit-il dans tout cela qu'une fantasmagorie, et dans la
foi chretienne qu'un leurre ? Reponds-moi, bourreau de la
verite! Je t'adjure de ne pas ravir a l'humanite son unique
esperance, en ravissant â la foi ses hontes necessaires. Ce
qui revolte la raison est precisement le salut du croyant; ne
pas rougir de son Dieu, c'est le triomphe de sa generosite.
Or cet acte de foi, d'autant plus meriloire qu'il courbe l'esprit
sous un joug plus dur, n'a plus ou se prendre, si crucifiement,
mort, sepulture, resurrection du Christ, tout cela n'est que
1. Aut aufer nativitalcm et oxhibc hominem, aut adimo carnem et.
praesta qucm Deus redemit, si haee sunt homo quem Deus redemit. —
Tertullien disait, o M. 11 : Si veritas fuit, caro (uit: si caro fuit, natus
est.
2. C'est ici le licu de rappeler l'admirable developpement du trăite de la
Resurrection, sur le dessein de Dieu dans la oreation du premier homme-
R. 6 : Quodcumque limus exprimebatur, Christus cogitabatur homo
futurus.
3. c. 6". 5; cf 3 J/. 8; 4 M. 42. 43; 5 M. i. 7. 10. 14. 17. 20.
188 THEOLOCIE DE TERTULLIEX.
mirage. II faut tenir ferme â ces verites : le Christ est liomme
et fils de l'homme ; liomme par sa chair, comme ii est Dieu
par l'esprit; fils de la Vierge Mărie par sa chair, comme ii ost,
par l'esprit, fils de Dieu^ Les deux substances unies en sa
personne, l'homme et le Dieu, diiîerent par leur origine et
leurs caracteres. Aux miracles on reconnaît le Dieu; aux souf-
frances, Thomme. La doctrine de Marcion est un mensonge,
qui supprime une moitie du Christ. Et que fait-elle du Christ
ressuscite, presentant aux disciples sos mains et ses pieds
pefces, en leur disant : Voyez si je ne suiş qu'un esprit! (Luc.
24, 39).
Vaincu par l'cvidence, Apelle ^ renonce au docetisme de
son maître, mais persiste â nier la nativito. A l'entendre, le
Christ auraitapparu, comme, dansl'A. T., Ies anges et le Verbe
lui-meme, non avec un corps de meme nature que les notres,
mais avec un corps do matiere siderale. Supposition bizarre et
gratuite, qui en tous cas ne trouve aucun appui dans l'histoire
des theophanies bibliques, car ni les anges ni le Verbe ne ve-
naient pour etre crucifles et mourir. La vio et la mort sont cho-
ses correlatives ; le Christ, destine ă la mort, devait commen-
cer par naître. Apres avoir refute ^ le grand argument marcio-
nite, fonde sur ces paroles du Christ : « Qui est ma mere et qui
sont mes freres? » (Mat. 12, 48 ; Luc. 8, 21), Tertullien revient ''
â ce corps sideral, imagine par Apelle. D'apres cet heretique,
le monde materiei serait l'oeuvre d'un certain ange, qui d'ail-
leurs aurait ensuite fait penitence. Or penitence suppose un
peche. Ainsi le nionde est peche, le ciel est peche, les astres sont
peche, le corps sideral attribue au Christ est peche. Des lors, â
1. Alkei' non tliceretur Jiomo Christus sine carne, noc hominis filius
sine aliquo parcnte iioniinc, sicut ncc Deus sine spiritu Dci, nec Dei
filius sine Deo patre. Ita utriusque substantiae consus hominem et Deum
exhibiiit, hinc natum, inde non natum, hinc carneum, inde spiritalem,
hinc infirmum, inde praefortem, hinc morientem, inde viventem. Quae
proprietas condicioniim, divinae et humanae, aequa utiquo naturae cu-
jusquc veritate dispiincta est, eadem fide et spiritus et carnis... Quid
dimidias mendacio Christum? Totus veritas fuit. — Sur l'union des deux
natures en Jcsus-Christ, comparcr saint Irenee, Haer. 3, 18, 7.
2. c. C. G' Cf. 3 M 9.
3. c. C. 7.' Voir 4 M. 19, supra, p. 170.
4. c. C. 8.
l'iiumanite du christ. 189
quoi bon inventer ce corps special, qui a toiis Ies inconvenients
des notres? Quand saint Paul distingue (1 Cor. 15, 47) Thorame
ancien et terrestre de rhomme nouveau et celeste, ii ne parle
point de corps sideral, mais ii oppose â la chair l'esprit, aux
instinctsterrestres d'Adam la vertu celeste du Christ. D'ailleurs
tout corps porte en lui la marque de son origine. Or on retrouve
en Jesus ' tout ce qui, dans le corps humain, trahit une origine
terrestre : la chair, le sang. Ies muscles, Ies os; seuls, ses pa-
roles et ses actes, sa doctrine et sa puissance, excitaient l'ad-
miration des liommes. Son exterieur fut commun : de la vint
precisement l'etonnement de la f'oule, enpresencede ses mira-
cles. Adefaut des proplieties, qui parlent de son aspect mepri-
sable (Îs. 53 etc), sa passion et Ies opprobres dont ii fut cou-
vert, nous diraient qu'il fut un homme, et non des plus beaux^.
II a connu la faim devant Ie demon. Ia soif devant Ia Samari-
taine. Ies larmes au tombeau de Lazare, le frisson en face de
la mort — car, dit-il, la chair est faible — , enfin l'effusion du
sang : tant ii est vrai que sur son front ne rayonnait pas Fori-
gine celeste imaginee par Apelle.
Selon Ies valentiniens'*, le Christ a pris une caro animalis
(ffSfjia (iu7'.>tov), chair psychique, c'est-â-dire qu'en lui l'âme est
devenue chair. Et pourquoi ce changement? On ne le voit pas
bien, d'autant que, selon Ies memes heretiques, le Christ ve-
nait sauver Ies âmes des hommes, non leurs corps ; or ces
âmes ne sont point caro animalis. Le Christ voulait*, disent
1. c. C. 9.
2. Adeo nec liumanac honestatis corpus fuit. — Cette opinion dosa-
vantageuso touchant l'exterieur du Christ n'est pas tout â fait particuliero
â TertuUien. O'autres Peres ont emis des idees semblablcs, surtout en
commentant îs. 53, 3. — Yoir saint .Iustin, Dial. 85.88.100.121; Clement
d' Alexandrie, Paedar/. 3, 1; Stromat. 2, 5: 3, 17; 6, 17; Origenc c. Ceh.
2, 38; 6, 77. Mais dans la patrologie posterieure, l'opinion contraire est
beaucoup pluscommuno. Voir Petau, de Incarnaiione, 10, 5, II et 12; Va-
vasseur, de forma Ckristi liber (Paris 1G49) ; Fabricius, Codex apocryphus
N. T. (Hambourg 1719), t. 1, 301-302; 3, p. 486; Calmet, Dhserl. de forma
Jeau ChrisH; Ki'aus, Geschichte der christlich. Kunst, t. 1, 177; Ernst von
Dobschiitz : Christusbilder(t. 18 des T. U. Leipzig 1899), BeilageS : Zur
Prosopographie ChrisH. On trouvera une bibliographie abondante dans
dernîer ouvrage, p. 293**.
3. c.C. 10; cf. Val. 27.
4. c. C. 11.
190 THIJOLOGIE DE TERTULUEN.
Ies valentiniens, raanif'cster son âme invisible; ii voulait la
monfrer naissant, mourant, enfin ressuscitant; pour cela, ii
devait en faire un corps. Cest â peu preş comme si, pour bril-
ler, l'on s'entourait de tenebres. Tertullien goute d'autant
moins ce changement de l'âme cn corps que, d'apres sa pliilo-
sopliie, tont ce qui existe est corps ^ ; l'âme du Christ est clle-
meme un corps, de nature speciale. Pour invisible qu'on le
suppose, fallait-il, afin de le rendre visible, le denaturer ou le
travestir? Nul, voulant montrer un corps, ne s'avisera de le
masquer. Or le Christ n'eât pas fait autre chose en donnant ă
son âme Ies apparences de la chair. Quand meme cette âme
serait incorporelle, fallait-il, pour la manifester, la voiler sous
des dehors menteurs, produisant invinciblement l'illusion de
l'humanite? Non, ce n'est pas ainsi qu'on doit concevoir ie
Christ : homme, ii portait en lui une âme comme Ies notres,
non point transformee en chair, mais bien revetue de chair.
Les valentiniens reviennont k la oharge ^ : le Christ, disent-
ils, a voulu reveler l'âme humaine â elle-meme, par le moyen
de la chair. Vous oubliez, repond Tertullien que tout l'homme
est âme. Sans âme, nous sommes moins qu'un homme, un ca-
davre. Or tout l'etre de l'âme, c'est de sentir (ou de connaître).
Comment donc l'âme poui*rait-elle s'ignorer elle-meme, l'âme
humaine surtout, seule raisonnable par nature? elle qui connaît
naturellemont son Auteur, qui connaît sa destinee immortelle?
Ces connaissances innecs de l'âme humaine sont le sujet du
livro De testimonio animae : Tertullien y renvoie son lecteur.
11 conclut : ce que le Christ est venu reveler â l'âme, ce n'est
point l'âme elle-meme, c'est le salut. Donc ne parlons plus de
caro animalis. Apres avoir change l'âmo en corps, les valen-
tiniens n'ont plus qu'â changer le corps en âme^, et la con-
lusion sera complete. Si l'on ne peut plus se fier aux mots, si
l'âme est corps et si le corps est âme, ii faut desesperer des
idees. En realite, ii n'est pas plus question d'âme-chair que de
chair-âme. Dans le Christ, comme en nous, l'âme etait âme et
1. Voir eh. ir, g3,p. 62 sq; cli. III. S 2, P- IW sq-
2. c. C. 12.
3 c. C. 13.
l'hUMAXITE du CHlilST. 191
Ia cliair etait chair; Tune et l'autre apparaît dans l'Evangile
avec ses fonctions propres : l'âme triste jusqu'â la mort dans
la passion (Mat. 26, 38), la chair livree pour le salut du monde
(Joan. 6, 52). Toutes deux ont concouru, selon leur nature, k
l'oeuvre de la Redemption.
Yoici encore une autre invention des valontiniens ' : le Christ
portait en lui un ange. A quoi bon? 11 n'avait pas mission de
son Pere pour sauver Ies anges; quant ă sauver Ies hommes, ii
y suffisait, et n'avait que faire du concours d'un ange. Que si,
dans l'Ecriture, ii est appele Ange du grand conseil -, c'est la
un nona de fonction, ce n'est pas un nom de nature, comme
lorsqu'il s'agitde tel ange, appele Gabriel ou Micliel. De meme
qu'il envoie des scrviteurs, le Pere a pu cnvoyer sonFils; ă ce
titre, le Fils est ange ou messager du Pere ; mais l'Ecriture
exclut l'idee d'un ange present en lui (Ps. 8, 6). Peut-etre quel-
qu'un s'avisera-t-il, avec Ebion, de voir dans le Christ un pur
homme issu de David, et nullcment le Fils de Dieu : alors ii
pourra conccvoir un ange parlant en lui, comme l'ange qui par-
lait interieurcment au prophete Zacharie (Zacli. 1, 9.14). Mais
l'Ecriture met d'ailleurs assez de distance entre le Christ et Ies
anges ou autres onvoyes de Dieu (îs. 63, 9),
Valentin pouvait '* attribuer au Christ une chair spirituelle
{caro spiritalis), ii pouvait lui attribuer n'importe quoi, des
lors qu'il avait resolu de fermer l'oreille â la voix du Christ lui-
meme, se declarant hommo et fils de l'homme (Joan. 8, 40;
Mat. 12, 8), â la voix des prophetes (îs. 53, 3; Jer. 17, 9 ; Dan.
7, 1.3), ă la voix des apotres (1 Tim. 2, 5; Act. 2, 22). Ces te-
moignages auraient du exclure le doute relativement au corps
du Christ; corps liumain etnon spirituel, ni psychique, ni side-
ral, ni imaginaire. Mais Alexandre le valentinien se scandalise
â l'idee que le Christ se soit uni un corps d'origine terrestre,
donc inferieur â la substance angelique. II supposeque sanais-
sance no pouvait echapper â Ia loi de la concupiscence, qui
souille touto naissance humaine. Enfin ii ne comprend pas que,
1. Ib. 11.
2. Is.O. 6(Septante). — Cf. R. P. Lagrange, L'ange de Iahve, dans Ii. B.,
1. 12 (1903), p. 212 sq. Voir infr. c. V, S 3, p. 237.
3. c. C. 15.
192 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
si riiumanite du Clirist et la nâtre ont meme origine, elles
n'aient pas aussi m6mo sort : ii voudrait voir Thomine admis
sans retard â la resurrection et au triomplie celeste. Cet here-
tique parle en pa'ien ; sa foi est aussi vide que l'infidelite paienne,
et elle est plus coupable, car le paîen rend un hommage invo-
lontaire â l'Ecriture dont ii verific Ies oracles, l'heretique en
meconnaît Ies textes ies plus clairs^ (Ps.8. 6; 21; îs. 53).lladmet
rHomme-Dieu et ii rejette rtiomme. II croit â sa mort, et rejette
la corruption, commc si la mort etait autre cliose. II ne souffre
pas de retard ă la resurrection. Prenez patience : le Christ
attend, pour triompher avec ses amis, d'avoir accable ses en-
nemis.
Le meme Alexandre prete aux catholiques le raisonnement
suivant^ : Le Christ devait justifier en lui-meme la chair de
peche ; voilă pourquoi ii a pris une chair d'origine terrestre.
Les catholiques se gardent bien de telles absurdites. D'abord
ils ne disent pas que la propre chair du Christ fut une chair de
peche, cette chair que la foi leur montre assise dans le ciel â
la droite du Pere ct revenant glorieuse au dernier jour. Puis,
comme ils la savent exempte de peche, ils ne parlent pas de sa
justifîcation ; ils distinguent soigneusement la chair et le peche,
la substance et la coulpe^. En realite, selon saint Paul (Rom.
8, 3), Ie Christ a pris une chair semblable â celle qui est en
nous chair de peche ''; et par lâ ii a pu delivrer la notre du
peche. Quant â ceux qui repugnent â croire que Jesus n'eut
pas de pere, ii suffit de leur rappeler l'exemple d'Adam, fait
homme par un mot de Dieu.
La realite de l'lncarnation •' ressort suffisamment de la vie
1. Numquid onim inter illos distat, nisi quod ethnici non credendo
credunt, at hacretici credendo non credunt? — On pcut hesiter sur le
sens de cetto antithcse. Nous avons suivi Neander^, p. 380.
2. c. C. 16.
3. Defendimus autem non carnem peccati evacuatam esso in Christo,
sed peccatum carnis; non materiam, sed naturam; nee substantiam, scd
culpam... cam fuisse carnem in Christo cujus natura est inhomine pcc-
catrix ; et sic in illa peccatum evacuatum, quod in Christo sine peccato
habeatur quae in homine sine peccato non habebatur.
4. Ib. Nostram enim induens, suam fecit ; suam faciens, non peceatri-
cem eam fecit. — Cf. 5 M. 11, ci-dessus, p. 182.
5. c. C. 17.
MAIUE. 193
et de la passion du Christ. Pour achever la demonstration,
Tertullien s'attaclie, dans Ies dernieres pages du De carne
Christi, â prouver que le Christ naquit d'une vierge.
Cette nativite, contraire au cours ordinaire de la nature,
etait un signe promis par Dieu (îs. 7, 14) : signe de la rege-
neration spirituelle apportee par le Dieu incarne â l'humanite,
signe prepare do longuo main par Ies figures do l'A. T.
De meme que le corps d'Adam fut forme d'une terre vierge,
ainsi le Christ, nouvel Adam, devait naître d'une mere vierge.
Eve etait vierge encore quand penetra dans son sein la parole
de mort : Mărie devait etre vierge pour accueillir le Verbe de
vie '. Eve avait cru au serpent : Mărie devait croire ă Gabriel.
Eve, condamnee aux enfantements douloureux, donna le jour
ă Caîn, demon fratricide : Mărie devait mettre au monde Jesus,
frere, victime et sauveur d'lsrael. Mais la grande raison- pour
laquelle le Fils de Dieu ne pouvait avoir ici-bas de pere, c'est
qu'autrement ii ne se distinguerait pas de l'humanite ; ii ne
serait rien de plus que Salomon ou que Jonas (contrairement
ă Mat. 12, 41. 42), et rien h'empecherait d'admettre l'ebio-
nisme. IIomme-Dieu, ii ne precede que de Mărie selon la
chair, que do Dieu selon l'esprit^.
Les valentiniens respcctent la virginite de Mărie ; mais ils
supprimeiit sa maternite. Jouant sur les mots, ils consentent
que le Christ ait passe par le sein de la Vierge, pourvu qu'il
ne doive rien â la substance de la Vierge [do Virgine, non ex
Virgine). Or selon saint Jean (Joan. 1, 14), le Acerbe s'est fait
chair; ii a du pour cela cmprunter une chair etrangere; et on
lit dans le meme evangilc (3, 6) : ce qui naît de la chair est
chair, ce qui naît de l'osprit est esprit. Cette double sentence
convient cminemment â la double generation du Christ, selon
l'esprit et selon la chair. On doit donc croire que, comme selon
1. Tertullien suit ici la trace de salnt Justia, Dial. 100.
2. c. C. 18.
3. Vacabat cnim semen viri apuci habentem Del semen. Itaque sicut
nondum natus ex virgine patrem Detim habere potuit sine hominc matrc
aeque cum de virgine nasceretur potuit matrem habere hominem sine
homine patre. Sic denique homo cum Dco, dum caro hominis cum Spl-
ritu Del; caro sine scmine ex homine, Spiritus cum semino cx Deo.
Tm'OI.OGIE DE TERTriLIEX. 1 j
194 THEOLOGIE DE TERTULLIEX.
l'esprit ii doit sa substance ă Dieu, selon la cliair ii la doit a
rhomme. En vain ^ Ies heretiques falsifient le texte de saint
Jean (Joan. 1, 13) pour y trouver leur race mysterieuse
d'hommes spirituels, qui ecliappent aux lois connues de la
nature. Malheureusement pour eux, tous Ies hommes, y com-
pris Valentin, sont nes conformement â ces lois. Le Seigneur
fait exception en tant quc Verbe, Esprif , Vertu de Dieu. En
tant qu'liomme, ii fait encore exception par le mode de sa
naissance, mais non par la matiere d'oîi son corps a ete tire.
11 n'est point ne du sang, ni du deşir de la cliair et de rhomme,
mais ii est ne de la substance de la chair. En somme, l'E-
vangile nie une seule chose : sa naissance ex concuhitu : sans
cette negation, tout le moiide aurait cru qu'il etait ne â la fagon
des autres liommes. Mais en verite, qu'allait faire la divinite^
dans le sein de la Vierge, sinony prendre une chair, et une chair
comme la notre? Par une exegese tortueusc ^, Ies valentiniens
s'evertuent â faire dire auxtextos que le Clirist est nk per Vir-
ginem, non ex Virgine; in vulva, non ex vulva''. Parce qu'ils
lisent (Mat. 1, 20) : quod in ea nalum est, ils triomphent, ou-
bliant qu'on trouve, quelques vcrsets plus haut : ex qiia nas-
citur Christus^. Saint Paul impose silence â ces grammai-
riens, en disant expressement (Gal. 4, 4) : Misit Deus Filiiim
suum factum ex midiere; ii faut remarquer le mot factiim,
bien plus fort que natum. On ne saurait etre plus precis, ni
mieux s'accorder avec saint Jean (Joan. 1, 14). Deja dans un
psaume (Ps. 21, 10. 11), David faisait parler ainsi le Christ ă
son Pere : Qiiia tu es qui avulsisti me ex ulero matris meae,
et spes mea ah uberibus matris meae, super te sum projectus
ex vulva. Et ab utero matris meae Deus meus es tu. Ter-
1. c. V. 19.
2. Oro vos, si Dci Spiritus non de vulva carnem participaturus dcscen-
dit in vulvam , cur descendit in vulvam :' Dans ce texte, Dei Spiritus designe
la divinite, par une confnsion de nioU, ou d'idees, famUwre â TertuUien.
Voir son exegese de Luc. 1, 3;), Prax. 26. 27. (cli. II. g 4, p. 78.)
■i. c. C. 20.
4. Val. 27 : Per virginom, non ex virgine editum, quia delatus in vij'gi-
nem transmeatorio potius quam gencratorio morc processerit ; per ipsam,
non ex ipsa, non matrem eana, sed viam passus.
5. Vtilgale : de qua natus est Jesus, qui vocatur Christus.
MĂRIE.
195
tullien commente la proplietie, avec une profusion de details
obstelricaux faite pour choquer la delicatesse chretienne.
Si Ies heretiques * trouvent dans cette maternite virginale
trop peu de nouveaute pour la naissance du Christ, et exi-
gent que le Fils de Dieu ne doive rien meme ă une vierge,
ils vont contre Isa'ie, affirmant (Îs. 7, 14) qu'une vierge con-
cevra et enfantera, ils vont contre l'Ange, annonoant ă Mărie
qu'elle concevra par l'operation divine, ils vont contre toutes
Ies Ecritures qui attcstent cette maternite, ils vont contre
.Tean-Baptiste et la mere de Jean-Baptiste, saluant dans Mărie
la veritable mere du Messie; et pour eux, le langage pro-
phetique n'a plus de sens. Si Jesus n'est plus le fds de Mă-
rie, s'il ne plonge pas sa racine dans ses enlrailles virginales.
on ne peut plus dire avec Isaiie (11, i) qae la tige de Jesse a
fleuri, car en vain Mărie sera le rameau sorti de cette tige,
,lcsus n'cn est plus la fleur ni le fruit. On ne peut plus dire
avec David (Ps. 131, 11) que, selon la promesse divine, un roi
de sa race s'est assis sur son tr6ne, car des lors qu'il n'est plus
lils de Mărie, Jesus n'est plus fils de David '^. L'hcrcsie pourra
efîacer le temoignage des demons ^, qui proclament Jesus fils
de David ; mais que fera-t-elle de celui des Apotres? Matliieu,
evangeliste si fidele, naguere familier du Seigneur, a rctrace
au debut de son livre la genealogie de Jesus-Christ, fils de Da-
vid, fils d'Abraliam. 11 conduit cette genealogie, de generation
en generation, jusqu'â la Vierge el jusqu'au Christ, qu'il fait
naitre de la Vierge. Paul, disciple, maître et tcmoin du meme
Evangile, en sa qualite d'apotre du Christ, affirme egalement
que le Christ est fils do David selon la chair (Rom. 1, 3 ; 2 Tim.
2, 8) : fils de David et fils de Mărie; pour le Christ, Pun ne
1. c. C. 1>1.
•2. îb. 22.
'S. On no trouve pas dans l'Evangile cft teruoignago des demons. Jiîsus
fut salue (ils de David paria Chananeenno (Mat. 13, 22), par Ies aveugles
de Jericho (Mat. 20, 30), et par d'autres. Mais Ies demons l'appclaient Fils
de Dicu ; ainsi Mat. 8, 29. Faut-il croire, avec Pamel, â une inadvertance de
Tcrtullien? La Cerda prefere admettre ime allusion â d'autres temoigna-
ges que ccux consignes dans l'Evangile, et rcnvoie â Plutarque : Sur le
silence des; oracles.
196 THEOLOCIE DE TERTULLIEX.
va pas sans Tautre ^ Ailleurs (Gal. 3, 8. 16), Paul dit : fils
d'AlDraliam. Toutes ces affirmations se tiennent : par Mărie,
par David, par Abraliam, la tige de Jesse rojoint Adam; et
voilk comment le Clirist peut etre appele nouvel Adam.
L'oracle de Simeon devait s'accomplir^ : Jesus fut un signe
de contradiction dans sa naissance meme. Dieu l'a donne au
genre humain comme un signe (îs. 7, 14), et ce signe fut me-
connu.
A^ierge dans la conception de son Fils, Mărie ne l'est plus
dans son enfantement; sa virginite, quoi qu'on puisse dirc a
Fencontre, cesse a Finstant oîi elle met au jour un fils •*. Cest
pour elle qu'etait ecrite la parole concernant tous Ies premiers-
nes d'Israel : Oînns masculiniun adaperiens viilvam sancliim
vocahitur Domino (Ex. 13, 2). Pour Ies autres meres, cette
parole etait unc loi; pour elle, c'etait une prophetie, car ii
appartenait au Fils de Dieu de rompre, par sa naissance, le
sceau de sa virginite. Que la naissance de Jesus ait porte at-
teinte a l'integrite de sa mere, Tertullien n'en s'aurait douter '',
car saint Paul raffirme : faclum ex muliere (Gal. 4, 4), non
ex virgine "".
1. Des cxplications aussi iiettes dissipcnt Ies doutes que pourraicnt
inspirer, sur la pensec de Tertullien, certaines assertions plus ou moins
cquivoques. A\). 21 : Del Filius nuUam de impudicitia habet matrern :
etiam quam videlur haboro, non nupserat. — Le mot videlur ne nie pas
la maternite de Mărie, mais ii insiuue assoz obscurement le mode mira-
culeux de cette maternite.
2. c. C. 23.
3. Peporit quac peporit; et si virgo concepit, in pariu suo nupsie. Nam
nupsit ipsa patcfacti corporis lege... — La preposition in, suivie de l'a-
blatif, a ici, comme souvent chez Tertullien, une valeur instrumentale.
Cf. Iloppe, Syntax und Stil des Tertullian, p. 32. 33. — Tertullien avait
dit plus Iiaut : virgo quantum a viro, non virgo quantum a partu. Unc
assertion plus contraire â l'honneur de Mărie se lit V. v. O : Posteriorcm
mulierem... i. <;. virum passam; plus clairement, Monog. 8 : Christum
quidcin virgo enixa ost, semeinuplura puslparlum, ut uterquo titulus sanc-
titatis in Christi ceusu dispungeretur, per matrem et virginem et univi-
i'am. llelvidius avait invoque ce temoignagc de Tertullien; saiut Jer6me
lui rcpondit : Et de Tcrtulliano quidem nihil aniplius dico, quam Ecclesiae
hominem non fuisse. — Rappelons Ies documents ecclesiastiques sur la
virginite de Maric in partu ctpost partum, ap. Dcnzingor, Enchiridiun,
204. 880.
4. Malgrc un texte attribue a Ezecluel, sur lequel Cf. eh. V, S 3, p. 226.
b. Comment Tertullien n'aporeoit41 pas le demenţi que lui donno Isaîe,
HEllESIES CHUISTOLOGIQUES. 197
Le De carne Christi s'acheve ' par uno rcvue des lieresies
christologiques : toutes sont rei'utees d'avance par l'Ecriture.
Marcion distingue deux dieux : Isaîe lui a repondu d'avance
(îs. 45, o). Les Eons de Valentin tombent sous ime autre sen-
tence du meme propliete (îs. 40, 9). Ebion, qui meconnaît la
diviniteduChrist, va contre Ia parole de saint Jean (Joan. 1, 13).
Apelle, ange de la vierge Pliilomene, est reprouve par saint
Paul (Gal. 1, 8). Tous ceux qui nient l'Incarnation sont des
Antechrists (1 Joan. 4, 3). Ceux qui denaturent la cliair du
Christ , comme ceux qui dedoublent sa personnalite , sont
refutes par ses affirmations categoriques, en attendant qu'ils
dans un texte (lu'il a citi; plus (l'ime l'ois, et qu'il citera ancore quelques
lignes plus bas : Ecco Virgo coticipiet el pariet (îs. 7, 14)? et le demenţi,
plus eclatant encoro, que lui-memc s'est donne en distinguant une dou-
ble acccption du mot mulier, l'une opposeo â virgo, l'autre etendue â
tovit Ic sexe feminin? Voir Or. 22; V. v. 4. 5. 6, Dans ce dcrnier passage,
TertuUien commente le meme texte de saint Paul (Gal. 4, 4), et dit preci-
sement le contraire de ce qu'on Ut c. C. 23. U s'oxprimc ainsi, V. v. 6 :
Ex muliere, quam utique yirgincm constat fuisse, licet Ilebion resistat...
Quod si cx virgine natus est, licet ex desponsata, tanien integra, agnosce
mulierem etiam virginem, etiam integram dici.
Du veste la theologie marialcest particulierement faibic chez Tcrtullien.
II y porte oixlinaircment pou de delicatesse (e. C 20). Le seul point qu'il
met hors de doute est la matcrnite divine. II la decrit plusiours fois en
termes excellents, et fait ressortir le role providentiel de la nouvelle
Kve. (Ainsi Ap. 21 : Dei radius... delapsus in virginem quandam ct in
utei'O ejus caro liguratus, nascitur homo Dec mistus; c. C. 17); il prouve
•cette matcrnite de la Vierge par Ia prophetie (Îs. 7, 14; 11, 1; Voir 3 M.
12. 13. 17; sup. cil. I, S 2, p. 14); il la venge contre les subtilites des va-
lentiniens (c. C. 20); il presente la virginitc ante parfum comme un point
de foi, commun aux Eglises de Rome et d'Afrique {Pr. 13 : Verbum...
delatum cx Spiritu Patris Doi et Virtute in virginem Mariam, carnem
factum in utero ejus et ex ea natum exisse ,Jesum Christum; ih. 36).
Mais Ia virginite in pariu, affirmec V. v. O, est ni<§e c. 6'. 23; et on Ut Mo-
nor/. 8, que, post parliim, Maric connut un epoux. TertuUien a parl6 en
bons termes du legs que Jesus fit de saint Jean a sa mere (Praescr. 22).
La scene (tvangelique oii Jesus est reclame par sa mere et ses freres re-
viont deux fois (4 M. 19; c. C. 7). II semblc bien que, dans la pensee de
TertuUien, Ies freres do Jesus soient des fils de Mărie. D'apres c. C. 7,
les freres et la mere se seraient montres, dans cette circonstanco, incr6-
dulcs et iraportuns, et Jesus I'aurait fait sentir par sa reponse : Usus est
Iioc dicto ad pcrcuticndam incredulitatem foris stantium vel ad excutien-
daui iraportunitatom ab opere revocantium.
Sur les lacunes de cette theologie mariale, voir encore Pamcl, Para-
doxes 22 et 23.
l.c. C. 24.
198 THEOLOGIE DE TEliTULLIEX.
le soient par le Clii'ist en personne, venant confondre ses en-
nemis et leur montrer dans la gloire cette meme chair qu'ils
ont crucifiee (Act. 1, 11; Joan. 19, 37).
HI. LE CHHJST dapres tertulliex.
De ces longues analyses, completees par Ies autres ecrits
de Tertullien, se degage une physionomie du Clirist. II est
temps d'en fixer Ies principaux traits.
Ecartant le Christ de Marcion, qui est un fantome d'homme,
le Clirist d'Apelle et celui de Valentin, qui ne sont pas non
plus des hommes, l'un avec son corps sideral, l'autre avec son
corps psychique, Tertullien retablit le Christ des Ecritures,
vraiFilsde Dieuetvrai Filsde Thomnie, compose theandrique,
procedantde Dieu selon l'esprit, et, selon la chair, d'une mere
vierge. En se revetant de cliair, le Verbe n'a rien perdu de sa
divinite, mais ii s'est manifeste dans la cliair. La divinite, par
sa nature, echappe â tout changement : ii n'y a donc pas eu
confusion de deux substances en un tiers produit qui ne serait
ni Dieu ni homme, mais bien conjonction en une personne de
deux substances, dont cliacune accomplit distinctement Ies
actes qui lui sont propres ^ . Le Christ est le consommateur
1. Prax. 27 : Igitur Sormo iu carne, dum et de hoc quaei'endum quo-
niodo Scrmo caro sit factirs, utrumnc quasi transfiguratus in carne an
indutus carnem. Immoindutus.Ccterum Deum immutabilcm et informabi-
lemcredi necesseest,ntaeternuin.Transflguratioauteminterem}5tioostpris-
tini. Omne (>nim quodcumque transflguratur in aliud, desinit esse quod fuc-
rat, et incipitesse quod non erat.Deus autemneque desinit esse neque aliud
potest esse. Sormo autem Deus... Si... Sermo ex transfiguratione et demu-
tatione substantiaecaro factus ost, una jam erit snbstantia Jesus ex dua-
bus, ex carne ct Spiritu, mixtura quaedam, ut electrum ex auro et argento,
et incipit ncc aurum esse, i. c. spiritus, neque argentum, i. e. caro, dum
altorum altcro mutatur et tertium quid effîcitur. Neque ergo Deus erit
Jesus... neque caro liomo... Sed cnim invenimus illum directo et Deunî et
hominem expositum... videmus duplicem statum non confusum, sed con-
junctum in una persona, Deum et hominem .Jesura. ...Et adeo salva est
utriusque proprietassubstantiae, ut et spiritus ras suas egerit in illo, i. e.
virtutes et opera et signa, et caro passionos suas functa sit, esuriens sub
diabolo, sitiens sub Samaritide, dens Lazarum, anxia usque ad mortem.
deniquo et mortua est. Quodsi tertium quid esset ex utroque confusum,
ut electrum, non tam distincta documenta parerent utriusque substantiac.
LE CHIUST DE TEltTUU.IEN. 199
de l'A. T., et l'initiateur du N. T. Loin de venir en ce monde
comme un etranger, ii y vzent comme dans son domaine, pour
recueillir Theritage que son Pere lui destine, pour revelei-
le mystere du plan divin, pour emanciper le genre humain,
osclave du peclie, pour ouvrir le tresor des dons do l'Esprit,
pour nous initier â une grande espcrance, par sa rcsurrection,
type et gage de la ndtre. II a regn, des rorigino du monde,
ce plein pouvoir qu'il vient revcndiquer en son temps; ii a
prelude, par Ies theoplianies de l'A. T., â l'Incarnation, point
de depart de Fere nouvelle. Loin d'avoir le caractere d'une
revolution violente, sa mission est le but vers lequel le Dieu
createur acheminait le monde; cile met le secau â ce grand
dessein qui se deroulait â travers Ies siecles. Elle marque la
transition d'une loi provisoire et imparfaite â une loi meil-
leure, d'observances mortes k un culte vivifie par l'Esprit.
On reconnaît, dans la predication du Christ, l'accent des
prophctes. O Christumetinnovis veterem!* s'ecrie Tertullien,
en le voyant reediterles miracles de l'A. T. A part leprivilege
de la conception virginale, ii ne s'eleve pas, selon la natvire,
au-dessus de l'humanite : ii est homme dans toute la
force du terme, et homme d'un exterieur commun. Selon la
grâce, non seulement ii echappe, en tant que Dieu, â loute
comparaison, mais ii se distingue, en tantqu'liomme, do tous
Ies filsd'Adam parl'immunite de la dechoance communc. Cette
chair qui, dans tous Ies hommes, est chair do peclie, en la pre-
nant, ii l'a rendue exempte depeche^; et par elle, ii a de-
livre tous ceux que le peche infectait des Forigine. Le
Christ est l'Emmanuel, l'illuminateur des nations, le con-
querant des âmes, le pretre catholique ', le pontife autlientique
de Dieu le Pere'', le mediateur entre l'humanite et Dieu '', le
nouvel Adam, le Principe en qui Dieu recapitule toutes choses,
l'Epoux de l'Eglise. II triomphe du monde par le scandale de
sa croix. Parmi Ies traits do sa physionomie morale, tranche
l. 4.V. 21.
% 5i/. 14; c. C. Ui; An. Ki.
3. 4 M. 9 : Ciii-istum .Jesum, catholicum Patris sacerdotcni.
4. 4 M. 35 : Authenticuspontil'ex Doi Patris.
5. R. 51 : Sequester Del atque liominum. Texte cite, eh. III, p. 150.
200 THEOI.OCIE DE TEBTULLIEN.
surtout la patience : vertu divine incarnee en lui, manifestee
par tant d'insignes exemples, depuis sa naissance jusqu'â sa
mort. La croix etait toute sa raison d'etre : avânt de quitter ce
monde, ii a voulu savoiirer ă longs traits la volupte de souf-
frir ' . Les pharisiens auraient du le reconnaître au moins â ce
trăit : una telle patience n'est pas de Thonime. Dans les allu-
sions nombreuses que fait Tertullien aux souffrances du Christ,
vibre une passion ardente. La seule couronne quil permet au
front d'un cliretien, c'cst la couronne d'epincs, mise par les
bourreaux au front du Christ 2.
1. I'at. 3 : Saginari voluptate patientiac discessurus volcbat.
2. Cor. 9. 14.
GIIAPITRE V
L'EGLISE; L'ECRITURE; LA TRADITION
L'ffiuvre du Chrisl en terre se continue par l'Eglise. L'en-
chaîncment des idees nous amene â parler de cet organisme
surnaturel, destine â la conservation et â la propagation de la
vie chretienne. Dans son oeuvre d'evangelisation et dans la lutte
contre l'lieresie, l'Eglise s'appuie sur l'Ecrilure ct la tradition.
II existe ace sujet un document capital : c'est le traitiî de la
Prescription des hâretiques. Nous en donnerons d'abord una
rapide analyse; puis nous degagerons Ies doctrines de Tertul-
lien sur l'Eglise, l'Kcriture et la tradition chretienne '.
i; LE TRAITIÎ DE PRAESCRIPTIONE HAERETICORVM.
Le moi praescriptio, emprunte ă la langue du droit, signifîe
une declaration prealable par laquelle on coupe court aux rai-
sons de la pârtie adverse. C'est donc une fornio particuliere de
Vexceptio juridique. Praescribere, praescriptio se rencontrent
tres souvent sous la plume de Tertullien^. II s'agit d'une fin de
non-rccevoir opposee aux assauts de l'lieresie sur le terrain
scripturaire.
Quelques-uns s'etonnent 3 et se scandalisent de voir l'heresie
dechaînee par le monde. Pourtant l'lieresie a sa raison d'etre,
1. ^'oir Freppcl, t. 2, Iccons 27. 28. 29. — JI. VVinklor : Der TradUions-
begri/f des Urchrislentums bel TerLulUan (Miinchen, 1897).
2. Ainsi IA. 3. 20; 2. A. 1. 2; Ap. 7.47; //. 1; Val. 9; V. v. I; 1 ,)/.
1. 9. 22; 4 M. 38; 5 M. 8. 19; Prax. 2; Pud. 19.
o. Praescr. 1.
202 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
comme Ies maladies, comme Ia fievre^ On ne songe pas
â s'etonner que la fîevre existe ; seulement on s'en garde ; et la
fievre a peu de prise sur Ies corps sains. De meme l'heresie
est sans force contre Ies âmes fermes dans la foi. C'estun vent-
qui cmpoi^te la paille, c'est-â-dire Ies esprits legers, livres aux
assauts de la tentation : le bon grain ne s'en trouve que plus pur
pour entrerdanslesgreniersduSeigneur. Aureste,le Christ^ a
predit ces epreuves (Mat. 7, 15), etl'Apotrea son toura premuni
Ies fideles contre Ies scandales necessaires (1 Cor. 11, 19; 1
Thess. 5, 21). II fallait des lieresies*'' pour rendre possible
le discernement des âmes. L'unite vraie est â ce prix. Dans
presque toutes ses epîtres ■*, saint Paul revient sur la necessite
de fuir ces doctrines frelatees qu'enfante l'independance de
l'esprit et rcmpressement de choisir soi-mâme I'objet de sa
croyance (aipsai;, clioix). Et Ies apâtres ne se permettaient pas
de rien enseigner en leur propre noni : ils ne faisaient que
transmettre fidelement la doctrine reţue du Seigneur, disant
d'avance anatlieme ă tout autre evangile (Gal. 5, 20 ; Tit.
3, 10. 11; Gal. 1,8;.
Doctrines humaines, ou plutot diaboliques *, Ies hcresies
plongent leurs racines dans cettc sagesse du siecle que Ie
Chi'ist est venu confondre. Elles empruntent d'ailleurs des
armes â Ia philosophie. Valentin, le tlieologien des Eons,
avait ete platonicien ; Marcion, l'apâtre du dieu debonnaire, stoî-
cien. L'immortalite de l'âme est niec par Ies epicuri(;ns ; Ia
resurrectioncorporelle par tous Ies philosophes, sans distinc-
tion d'ecoles. Lamaticre a ete divinisee par Zenon; le feu, par
Heraclite. Aristote a mis au service de ces faux docteurs la
dialectique, ouvriere de construction et de destruction, came-
leon de langage, forcee dans ses conjectures, dure dans ses
raisonnements, feconde en disputes, fâchcuse a elle-meme, se
reprenant toujours sans arriver â se satisfaire. De Ia ces fa-
1. Pr. 2.
2. Ib. 3,
3. Ib. 4.
4. Ib. 5.
5. Ib. 6.
6. Ib. 7.
LE TKAITE DE LA PRESCRIPTIOX. 203
bles et genealogies interminables, de lâ ces queslioiis vaines
que l'Apotre ordoime de iuir (1 Tim. 1, 4; Tit. 3, 9; 2 Tim. 2,
17. 23; Col. 2, 8). 11 avait vu â l'ceuvre dans Atheiies cette sa-
gesse humaine qui ne poursuit la verite que pour la trahir,
decliiree elle-meme par sos herosies en miile sectes con-
traires. Et qu'y a-t-il de commun entre Athenes et Jerusalem?
entre 1' Academic et rEg'lise?Notre ecole, c'cst le Portiquede
Salomon ; nous y apprenons â chercher Dicu avec simplicite
de cceur (Sap. 1, 1). Nous n'avons que faire de stoicismo ou de
platonismeou de dialectique, dans le christianisme. Plus de cu-
riosite apres Jesus-C)u*ist; plus do recherches apres l'Evan-
gile. Nous croyons, et cela nous suffit : car notre foi nous ensei-
gne tout d'abord â ne rien croire au dela d'elle.
Sans doute, on lit dans l'Evangile : « Clierchez et vous trou-
verez » (Mat. 7, 7) '' . Mais le Christ parlait ainsi au debut de sa
predication, alors que Pierre ne l'avait pas encore declare Fils
de Dieu, que Jean (le precurseur) lui-mâme hesitait. Cette
parole s'adressait aux Juifs, qui avaient â decouvrir le Clirist :
ii Ies renvoyait â Moise et aux prophetes, en leur disant :
Lisez l'Ecriture : elle rend temoignage de moi (Luc. 16, 29;
Joan. 5, 39). Elle n'etait pas precisementfaite pour Ies apotres,
destines a etre instruits par l'Esprit-Saint, ni pour nous-
memes, qui croyons^ et des lors dcvons nous reposer dans
notre croyancc. Chercbcr ^ est le devoir de qui n'a pas trouve;
mais celui qui, ayant trouve, cherche encore, est un renegat
[negator) envers sa croyance ''. S'il pouvait y avoir lieu ^ d<!
chercher encore quelque part, du moins ce ne serait pas dans
le câmp des heretiques, que nous devons fuir comme ennemis
de la verite ; ct ce ne serait que sur Ies points laisses libres par
1. Pr. 8. — Clement d'Ale.xandric (Slroni. 'j, 3) coi»n)onte le ineme
toxic dans un esprit tout oppose. Cette differonc^o caractorise deux ecoles
de tendanccs tres divorgonles.
2. Pr. 9.
3. /b. 10.
4. Ib. 11. — Saint Irence, ffaer. 5, 20, 2 : Talos sunt onmes haeretici,...
scmper quaerentcs et nunquam verum invcnicntes. Fugere igitur oportot
sententias ipsorun-i...confugere auteni ad Ecclesiam et in ejus sinu edu-
cări et dorninicis Scripturis cnutriri.
5. Pr. 12.
204 " THEOLOGIE BE TERTULLIEN.
Ia regie immuable de notre foi ^ Toute question qui ebranle
lin point de cette regie est entachee d'lieresie ^. D'ailleurs,
pourvu qu'on garde cette regie immuable ^, la recherche
demeure permise. S'il vous plaît de tranclier un doute, d'elu-
cider un point obscur, vous trouverez ă qui parlor : l'Eglise a
ses docteurs. Mais, au fond, mieux vaut ignorer ce qu'on n'a
pas besoin de connaître ''. La curiosite doit passer apres Ia foi;
la gloriole de l'esprit apres le salut de l'âme. Ne rien savoir
contre la regie, c'est savoir tout. Quand meme Ies heretiques
ne seraient pas ies ennemis de Ia verite, la seule contagion do
leur doute serait plelne de danger, et ii faudrait Ies fuir. Mais,
en realite, ils ne feignent le doute que pour insinuer leurs
erreurs dans Ies âmes simples '■'. A peine l'entretien est-il
engage que, cliangcant d'attitude, ils se mettent â defendre
leurs positions, et nous sommes obliges de Ies combattro,
sous peine de paraître renier le Christ. Dans ces matieres de
foi, ils ne manquent pas d'alleguer Ies Ecritures. Que fairc
alors? C'est le point delicat^, que Tertullien a surtout en vue.
II pose un principe que fortifiera tout le reste de son trăite :
Jamais on ne doit admettrc un heretique â discuter sur l'Ecri-
ture. Hune igitur potissimum gradum obstruimus non admil-
tendi eos ad iillam de Scripturis disputationem.
Tactique deja recommandee par l'Apotre ^, qui veut qu'on
tourne le dos au novateur apres un premier avertissement — ■
non apres une discussion (1 Tim. 6, 4 ; Tit. 3, 10) — , et qu'on ne
le trăite pas en chretien *. Tactique dont l'experience m6mc
demontre l'opportunite, car ces discussions sur l'Ecriture ne
produisent rien de bon '. Tel heretique "* rejette certains livres
1. Sur cette reglo de foi — le Credo do Tertullien, — voii' infra, l 4,
p. 250.
2. Pr. 13.
3. Ib. 14.
4. Saint Irenee, 2, 28, 4.
5. Coniparer saint Ireneo, 3, 15. 2.
6. Pr. 15.
7. Ib. 16.
8. Meme langago dans saint Irenee, 2, 31, 1, fin.
9. Saiut Irf^n^e, 3, 2, 1.
iO. Pr. 17. , ,
LE TllAITE DE LA PRESCRIPTION. 205
de TEcriture, tel autre Ies mutile ou Ies interpole ; tel, qui
respecte le texte, pretend l'interpreter ă sa guise. La verite
n'est pas moins compromise par une exegese arbitraire que
par des faux materiels. Le parti pris ne cede pas meme a
Tevidence; l'adversaire s'entete dans Ies memes equivoques,
et tient en ecliec votre soience de TEcriture : l'on s'epuise et
Fon s'irrite sans arriver â s'entendre. L'auditeur de bonne foi ^ ,
en consideration do qui vous aviez accepte le debat, en sort
plus que jamais troublc, se demandant de quel cote est l'liere-
sie. Au lieu d'en appeler ă l'Ecriture ^, mieux valait poser tout
d'abord la question sur son vrai terrain et faire appel au prin-
cipe d'autoritc. A qui appartient la foi? A qui l'Ecriture? Qiii
est qualifie pour enseigncr la doctrine chretienne autlienLique?
Laissant provisoirement de cote-'' toutes Ies controverses sur
la personne du Christ et sur son ceuvre, on peut repondrc :
Jesus-Christ avait choisi douze apotres, cju'il formaitpour etre
Ies docteurs des nations. Apres la defection de l'un d'entre
eux, etant ressuscite, ii confia aux onze autres la mission
d'enseigner Ies nations et de Ies baptiser au nom du Pere et du
Fils et du Saint-Esprit (Mat. 28, 19). Ces apotres, apres s'etre
adjoint Matliias, selon la prophetie de David (Ps. 40, 10 ; 108, 8),
ayant rcgu le don de l'Esprit-Saint, attesterent d'abord ă tra-
vers la Judee leur foi en Jesus-Clirist ; ensuite ils se disper-
serent pour preclier aux nations la meme foi; ils fondercnt des
eglises qui, devenues meres et maîtresses d'autres eglises,
leur ont transmis et transmettent encore tous Ies jours la
semence de la foi'''. Parlâ, ces nouvelles eglises meritent elles-
memes d'etre appelees apostoliques, comme issues des eglises
apostoliques. On roconnaît un etre ă son origine. Toutes ces
eglises n'en font qu'une, car ellcs continuent l'Eglise primi-
tive, fondeepar Ies apotres. L'echange de la paix, l'appellation
de freres. Ies liens d'hospitalite sont maintenus entrc elles par
la tradition d'une doctinne commune. D'oii ce principe, appli-
1. Pr. 18.
2. 76. 19.
3. Ib. 20.
4. Coniparcr saint Ironec, 3, 3.
20G THEOLOGIE DE TEUTULLIEN.
cable â toute controverse ' : Jesus-Clirist ayant confie aux
apotres Io ministere de la predication, ii ne faut pas recevoir
d'autres prcdicateurs que ceux qui tiennent de lui leur mandat
par Fentremise des apotres. Pratiquement, pour avoir la
doctrine apostolique, ii faut la demander â ces memes eglises
que Ies apotres ont fondees et gouvernees, soit de vive voix
soit par leurs lettres. L'accord avec ces eglises, meres et
sources de la foi. est la marque de la verite, car c'est la
marque d'une tradition remontant aux apotres, des apotres au
Clirist, du Clirist ă Dieu. Le desaccord avec ces eglises est le
signe du mensonge, car c'est le desaccord avec Ies apotres,
avec le Clirist, avec Dieu ^. II nous suffit donc de prouver que
nolre regie de foi represente la tradition des Apotres. Or nous
sommes en communion avec Ies eglises apostoliques, leur
doctrine est la notre. II suffit, c'est la marque de la verite.
Precede commode^, assurement. Mais, nous dira-t-on, Ies
apotres ont pu ne pas tout savoir, ou bien ne pas tout dire â
tout le monde indistinctement. A qui fera-t-on croire que le
Seigneur ait cache quelque chose â ces temoins intimes de sa
vie, qu'il destinait â nous instruire, auxquels ii expliquait Ies
paraboles incomprises du vulgaire : â Pierre, â Jean, par
exemple? S'il aprononce cette parole : « J'aurais encore beau-
coup â vous dire, mais vous ne pouvez pas encore le porter »
(Joan. 16, 12), en ajoutant aussitot apres : « Mais quand l'Esprit
de verite viendra, ii vous enseignera toute verite », ii s'engageait
k parfaire l'instruction de ses apotres. La descente du Saint-
Esprit a realise cette promesse, comme en temoignent Ies
Actesdes apotres. Ceux qui rejettent ce livre ' n'appartiennent
pas au Saint-Ksprit; ils n'appartiennent pas non plus â
TEglise, dont ils ne peuvent montrer l'origine. Mais ils aiment
mieux sacrifier des preuves, dont ils ont bcsoin, que de garder
un livre qui condamne leurs erreurs. Pour convaincre Ies
1. Pr. 2L.
2. Saint Irenee, 3, 24, 1 : l'bi oniia Ecciesia Doi, ibi et Spiritus Dei;
et ubi Spiritus Dci, illic Ecciesia et oiiniis gi-atia; Spiritus autcm vo-
ritas.
;"!. Pr. 22.
4. Ce trăit vise Ies mai'clonites (Voir y M. 1.2), ct d'auti-es lieretiques
encore.
LE TRĂITE DE LA PRESCIÎIPTION.
207
apotres d'ignorance ' , ils parlent d'un desaccord doctrinal qui
aurait surgi entre Pierre et Paul (Gal. 2). On pourrait leur
repondre qu'ils se sont mis dans Timpossibilite d'etablir Ies
titres de l'apostolat de Paul, en rejetant le livre des Actes, qui
contient ces titres. Quoi qu'il en soit, le litige portait non sur
une question de doctrine, mais sur une mesure d'ordre pra-
tique -. Paul lui-mâme a mis la doctrine hors de cause ^ en
declarant qu'il se faisait tout â tous, selon Ies circonstances,
Juif avec Ies .luifs, Gentil avec Ies Gentils, afin de Ies gagner
tous au Christ (1 Cor. 9, 20 sq.). Quant aux paroles myste-
rieuses que Paul entendit lorsqu'il fut eleve au troisieme ciel,
on n'a pas k en tenir compte, puisqu'elles etaient, de leur
nature, incommunicables (2 Cor. 12, 2). D'autre part, pretcn-
drc '' que Ies apotres n'ont pas transmis ă l'Eglise la doctrine
integrale, serait deraisonnable. Les textes oîi l'on a voulu
trouver cela (1 Tim. 6, 20; ;13 sq. ; 2 Tim. 2, 2) ont seulement
pour but de premunir les fideles contre les faux apotres. II va
de soi que le Christ n'a pu confier l'administraLion de l'Evan-
gilc qu'a des liommes discrets ''. Mais le meme Seigneur qui a
defendu de jeter des perles aux pourceaux et Ies choses saintes
aux chiens (Mat. 7, G), prcchait lui-meme ouvertement TEvan-
gile (Mat. 10, 27) ; ii recommandait de parler au grand jour et
de crier sur Ies toits. Les apotres n'ont pas failli â ce devoir •*.
Si parfois ils expliquaient dans l'assemblee des fideles ce qu'ils
taisaient aux Juifs et aux Gentils, ils ne laissaient pas de pre-
cher a tout le monde [catholice] la meme foi; ils n'avaient pas
un Dieu et un Christ pour l'Eglise, un autre pour les gens du
dehors, eux qui recommandaient tant l'union des esprits et des
cocurs (1 Cor. 1, 10) et qui devaient mettre ă si haut prix la
simplicite du langage (Mat. 5, 37).
Mais peut-etre "' les eglises ont pris le change sur la predi-
1. Pr. 23.
2. Conversationis fuit vitiuni, nou praedicationis.
3. Pr. 24.
4. Ib. 25.
5. Ib. 20.
6. Comparor saint Irenee, 3, 3, 1; 3, 12, en cntior.
7. Pr. 27.
208 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
cation des apotres ^ ? La veliemence des reproclies udresses
par saiot Paul aux Galates (Gal. 3, 1 ; 5, 7; 1, 6) et aux Corin-
thiens (1 Cor. 3, 1 sq.), a pu donner lieu â cette calomnie
heretique. Mais h cote de ces cglises repreliensibles. on en
trouve d'autres dont saint Paul loue la foi, Ies lumicres et la
bonne vie (Rom. 1, 8) ; et quand ori voit aujourd'hui Ies unes et
Ies autres marcher d'accord, on doit croire que Ies premieres
se sont amendees. Admettons neanmoins - que toutes aient
erre, que le temoignage de l'Apotre tombe k faux, que le
Saint-Esprit, envoye par le Christ pour suppleer ă son absence,
ait trahi sa mission et laisso chaquc oglise croire a l'aventure.
Resterait â expliquer Taccord de toutes ces eglises dans une
meme erreur. Le hasard ne sufiit pas â rendre raison de cette
uniformite; ii devrait y avoir de la diversito dans l'erreur. La
rencontre des eglises dans une meme croyance denote une tra-
dition primitive. Nullus inter multos eventus uniis est exitits^.
Variasse debuerat error doctrinae ecclesiarum. Ceterum quod
apud multos unum invenitur, non est erratum sed traditiun.
Serait-ce â l'origine meme '' de cetle tradition qu'il faudrait
cliercher l'erreur? Plaisaote idee que de presenter Marcion et
Valentin comme des liberateurs de la veritc captive : de con-
damner tant d'evangelisations anterieures, tant d'actes de foi,
tant de milliers de baptemes, tant d'ceuvres, tant de miracles,
tant de cliarismes, tant de sacerdoces, tant de ministeres, tant
de martyres ! Cela pour attribuer la priorite dans la doctrine
â riieresie, que la doctrine en personne condamnait d'avance
(Gal. 1, 8). Et de quand datent ces nouveaux apotres, Marcion,
Apelle, Valentin^? Marcion a voulu desunir Ies deux Testa-
ments : c'est donc qu'il Ies a trouves unis. Valentin a innove
en exegese : c'esl donc que Lexegese exislait avânt lui. Ou
sont Ies miracles qui accreditent ces nouveaux apotres? R n'est
1. Coinparer saint Ir^rKÎe, 3, 12 s(j.
2. Pr. 28.
3. Nous suivons la ponctuation de Panici ct clc Migne, contre Oeliler et
Rigault, qui ponctuent avânt exUus. Variare est un verbe, intransitif
cliezTertuUieu. Pr. 42 : A regulis suiş variant inter se ; Val. 10 : Do patris
scxu ita vaviant; Pal. 1. — V. Hoppo, Syntax uni SUI des TertulUan, p. 3G.
4. Pr. 29.
o. Ib. 30.
LE TRAITK DE LA PRESCRIPTIOX. 209
que juste de reprcndro contre eux la parabole ovangeliquo^ :
Ie Seigneur avait seme dans son cliamp le fromcnt de Ia verile ;
le diable vint ensuite y jelcr l'ivraie de l'heresie. Peut-etre
quelques eglises-, conlemporaines des apotres, abiiseront de
leur anciennete pour usurper le titre d'aposloliques; ii faut
donc une contre-eprcuvo. Invitez-les â produire leurs origines,
â derouler leurs fastes cpiscopaux, remontam jusqu'ă un apo-
tre ou â un disciple des apotres — un disciplo reste avec eux
jusqu'au bout. Cest ainsi que Ies eglises apostoliques mon-
trent leurs titres : Smyrne nomme Polycarpe, etabli par Jean ;
Rome, Clement, ordonne par Pierre; ainsi des autres. Voilă
ce que doivent commencer par faire Ies hereliques. Et qviand
ils l'auront fait, ils n'auront rien gagne ; car leur doctrine,
compărea â celle des apotres, traliit assez son origine etran-
gere. Ces eglises n'ont point notre foi; donc elles ne sont pas
apostoliques -^
Ici Tertullien dresse le catalogue '' des lieresies contempo-
raines des apotres. Saint Paul attaque, 1 Cor. 15, 12, Ies en-
nemis de la resurrection, nouveaux sadduceens, plus ou moins
suivis par Marcion, Apelle, Valentin; — Gal. 5, 2, Ies ebioni-
tes, attaches a la circoncision et â la Loi; — 1 Tim. 4, 3, Ies
ennemis du mariage, precurseurs de Marcion et d' Apelle; —
2 Tim. 2, 18, ceux qui pretendent que la resurrection a deja en
lieu : ainsi feront Ies Valentiniens; — 1 Tim. 1, 4, Ies amateurs
de genealogies infinies : tel sera Valentin, avec son roman
thcologique; — Gal. 4, 3, ceux qui divinisent Ies elements du
monde : tel Hcrmogene. Saint Jean fletrit, Apoc. 2, 20, Ies
nicolaîtes, mangeurs d'idoloth7/ta, et impudiques : cette secte a
reparu avec Caius; — 1 Joan. 4, 3. 4, ceux qui nicnt ITncarna-
tion, comme Marcion, et la divinite de Jcsus, comme Ebion.
Saint Pierre a condamne, Act. 8, la magie en la pcrsonne de
1. l'r. ol.
2. Ib. 32.
3. Comparer sjuit Ireiiee, 1, '20, 2 : Quapi-optcr eis, qui in Eeclesia
sunt, presbyteris obaudire oportct, liis qui... cum episoopatus successiono
cliarisma veritatis cevtum... accepervint; reliquosvero... suspectoshabore.
— Jf>. b, 20, I : Omncs eiiim hi vaide posteriorfis sunt quara episcopi, qui-
bns Apostoli tracliderunt ecclesias.
4. Pr. 33.
THIÎOLOCIE DK TEini;C.LlEN. ] [
210 THIÎOLOGIE DK TEUTL'LLIEN.
Simon. Apres Ies aputres\ l'erreur a pulluki; et, ce qu'on
n'avait pas vii jusque-la, elle s'est attaquee au Creatcur. Ces
lieresies, que Ies apotres n'avaient pas designees nommement,
ils Ies avaient predites ct d'avance condamnees. Contre toute
nouveaute qui surgit^, Ies fidoles n'onl qu'k invoquer la sen-
tenco do Fantiqnite chrotieinie. Leur foi peut se prevaloir d'une
priorite incontestable, apanage de la verite. Parcourez Ies
eglises apostoliques ■*, celles oîi se dressent encore Ies propres
chaires des apolrcs, ou leurs lettres autlientiques font revivro
Teclio de leur voix et Fimage de leurs traits. Eles-vous proclxe
de l'Achaîe? Vous avez Corintlie. Habitez-vous preş de la Ma-
cedoine? Vous avez Pliilippes et Thessalonique. x\llez en Asie,
vous trouvcroz Ephese. L'Italie vous ofîre Rome, ă portee de
Carthage meme. Heurcuse eglise! â qui Ies apotres ont legue
toute leur doctrine avec leur sang, oii Pierrc est associe k la
passion du Seigneur, oii Paul reţoit, par. le glaive, la couronnc
de Jean-Baptiste, ou l'apotre Jean, plonge dans l'huile bouil-
lante, en sort sain et sauf et se voit relegue dans une îlc.
Voyez quelle foi Rome a rcgue, transmise, partagee avec Ies
eg-lises d'Afrique : un seul Seigneur Dieu, createur du monde,
et Jesus-Clirist, ne de la vierge Mărie, Fils du Dieu createur;
la resurrection de la chair. Rome mele k la Loi et aux pro-
phetes Ies ccrits apostoliques; la foi qu'elle boit ă cette
source, elle la scelle par le bapteme d'cau, la revet du Saint-
Ksprit, la nourrlt de l'Eucharistie, l'anime au martyre. Elle
n'admet personne contre cette institution primitive. Les lie-
resies sont sorties do lâ, mais en dementant leur origine. Ainsi
Tolive douce et succulente, ainsi la figue savoureuse engendrent-
elles une tige sauvage. Telle est l'heresie : elle precede du
tronc de l'Eglise, mais elle n'en a plus la seve ; nee d'une se-
mence de verite, mais degeneree enun sauvageon demensonge.
1. Pr. 31.
2. Ib. 35.
3. Ib. 3t>. — Cette page eloquentc est visiblenicnt inspiroo de saint Ire-
ne(>, 3, 3. — Comparer 4 .1/. 5 : Yideamus quod lac a Paulo Corinthii haii-
sorint, ad quam regulam Galatao sint recorrccti, quid legant Philippon-
ses, Ttiessalonicenscs, Ephesii, quid ctiam Romani de proxiaio sonent,
quibus Evarifielnim et Petrus et Paulus sanguine quoque suo signalum
i-eliquerunt. [labemus et Joannis alumnas ecclesias.
LE TRĂITE DE LA PliESClilPTION.
211
Ce qui precede autorise '' â voir dans la revelation divine,
leguee par le Christ aux apotres, par Ies apotres ă l'Eglise,
une propriete privee^. Des lors Ies enfants de l'Eglise ont le
droit de decliner avec Ies heretiques toute contestation sur Ic
terrain des Ecrilures. Sans recourir aux Ecritures, ils prou-
vent qu'elles appartiennent a le\ir mere : ils ont le droit de dire
â tout etranger : Qui otes-vous ? Depuis quand et d'oii vencz-
vous? Intrus, que faites-vous sur mon domaine? Do quel droit,
Marcion, viens-tu faire des coupes dans mes bois? Qui t' au-
torise. Valentin, â detourner l'eau de mes sources? et toi,
Apellc, ă deplacer Ies bornes de mon heritage?et vous autres
ă y semer et â y conduire vos troupeaux? Je suiş chez moi, j'ai
des titres anciens, ils remontent aux origines meme de ce do-
maine. Je suiş riieritier des apotres. Leur testament, leur
fîdeicommis, mon serment garantissent mon droit. Ketirez-
vous : CCS memes apotres vous ont de tout temps desherites,
renies, comme des etrangers, comme des ennemis. P^trangers,
ennemis des apotres. Ies heretiques le sont, par la diver-
site de leur doctrine, que cliacun d'eux s'est faite contre
Ies apotres, en produisant ou rccevant des dogmes de son
clioix.
La diversite de doctrine ne va pas sans falsifîcation des
Ecritures'*, quant â la lettre ou quant au sens. Le moyen, en
efîet, de denalurer la doctrine sans toucher aux textes qui la
renferment ? Inversement, l'integrite de Ia doctrine est liee
cliez nous a Fintegrito des Ecritures. Nous n'y avons rien re-
tranclie, rien ajouto, rien cliange. Elles sont, comme nous,
telles qu'kl'origine, telles qu'avant d'avoir ete altereespar vous.
L'alteration suppose un etat iniţial, et elle a pour auteur des
jaloux, des adversaires. Ainsi Marcion coupe et taille dans Ies
Ecritures. V^alentin, pour etre moins brutal, n'en est que plus
dangereux. Au lieu d'adapterles Ecritures k son idee, il adapte
son idee aux P^critures, maisil retranche etajoute encore plus :
ii retranche le sens des mots, et il ajoute de vaines fantaisies..
1. Pr. 37.
2. Comparer saint IreiKio, o, 4, 1.
3. Pi: 38.
212 THEOLOGIK DE TERTULLIEN.
Voilă Ies artifices du diable ' : ii fallait Ies regarder cn face,
car pour n'etre pas tres profonds, ils ne laissent pas de nuire
â la verite. Les centons sont un genre â la mode, et le diable
y excelie d'autant plus que les lettres divines Iui offrcnt une
plus riclie matiere, Dieu permet qu'il y trouve des armes pour
toutes les lieresies. Cest encore lui qui fausse le sens des Ecri-
tures. Son role consiste k contrefairc Dicu ^ : ii a contrefait
les sacrements; ii contrefait les Ecritures. Les lieresies qu'il
l'omente ne sont qu'une forme de l'idolâtrie.
Le livre de TertuUien ne serait pas complet sans un portrait
des heretiques ^ : les dernieres pages nous les montrent â Vam-
vre. Futiles, terre a terre, sans elevation, sans gravite, sans
autorite, sans discipline, comme la foi qu'ils professent. D'abord
on ne sait parmi eux qui est catechumcne, qui est fidele : pour
les assemblees, pour les logons, pour la priere, tous sont con-
fondus, entre eux et avec les paîens qui peuvent survenir. Ils
ne se font pas scrupule dejeteraux cliiens les choses saintes,
et aux pourccaux leurs perles, d'ailleurs fausses. Sous pretexte
de simplicite, ils font litiere de la discipline, dont ils nous re-
proclient le soin, comme une vaine aiîectation. Ils donnent la
paix a tout venant; les divergences leur importent peu : ils ne
s'accoi'dent que pour combattre la verite. Tous sont enfles d'or-
gueil, tous fontprofession de science. On voit chez les hereti-
ques des catcchumenes formes avânt d'etre instruits-, des fem-
mes sans retenue, qui se mâlent d'enseigner, de discuter,
d'exorciser, de promettre des guerisons, qui sait? mame de
baptiscr ; des ordinations sans preparation, sans serieux, sans
constance. Ils constituent en dignite tanlot des neophytes, tan-
tot des personnes engagees dans les liens du sieclc, tantot nos
apostats, qu'ils tâchent de prendre par l'amour-propre, ne
pouvant les prendre par la verite. "Salle part l'avancement n'est
plus facile que dans le câmp des rebelles, oii l'on merite par
sa seule prosence. Aussi voit-on tel eveque aujourd'hui, tel
autre demain, tel diacre aujourd'hui et demain lecteur, tel pre-
1. Pr. 3iJ.
2. /b. 40.
3. Ib. -11.
l'eglise. 213
tre aujourd'hui et demain laîque : car ils confient meme â des
laîques Ies fonctions sacerdotales. Le ministere dala parole'
ne tend pour eux qu'â la perversion des notres. Comme ils ne
connaissent pas le respect de Tautorite, on ne remarque guere
de schismes parmi eux : mais aussi nuUe cohesion, nul lien doc-
trinal : chacun innove pour son propre compte. Au fond de clia-
que secte on trouvel'anarchie. L'heresie fraie volontiers avec Ies
magiciens^, Ies charlatans. Ies astrologues, Ies philosophcs.
Le devergondage des mffiurs egale celui de Fcsprit. Comment
s'en etonner, chez des liommes qui ont rejete la crainte de Dieu?
L'Eglise catholique'* presente des caracteres tout opposes : lă
on songe au tribunal du Christ, oii ii faudra rendre compte de
tout, et d'abord de sa foi. Que rejiondront ceux qui auront des-
honore par l'heresie cette meme foi qu'ils avaient rcgue viergc
des mains du Christ? Ils ne pourront alleguer leur ignorance;
et Ies Ecritures, qui auraient du Ies premunir contre la seduc-
tion de l'erreur, serviront â Ies condamner.
A cette prescription generale'', dirigee contre toutesles liere-
sies qui invoquent l'Ecriture, Tertullien se propose de joindre
la refutation plus speciale de certaines heresies.
II. L EGLISE.
Lc trăite De la Prescription nous a montre dans un relief
saisissant le magistere souverain de l'Eglise. Eloquemment
affirme par saint Irenee dans ses livres contre Ies heresies ^',
ce dogme prend sous la plume du polemiste africain une forme
plus nette encore et plus incisive.
Heritiere de la doctrine et depositaire des Ecritures, ac-
creditee par le Christ pour Ies garder, Ies authentiquer, Ies
I . Pr. Ai.
'2. Ib. 43.
:). Ib. AA.
A. Ib. 45.
5. Ainsi Haer. 3, preface : l'ro sola vcra ac viviflca tide, quam ab
Apostolis Ecclesia piTcepit ct distribuit filiis suiş. — Coniparer surtout
Pr. 10. ~ Cf. Grpgor Schniitt, Die Apologie dcr drei erslen J ahrhunderte
(Mainz, 1890) 2, 3, 1, p. 121 S(i.)
214 TIIEOLOGIE DE TETÎTULLIEN.
expliquer * , l'Eglisc est la sooitVto des lidolcs cliretiens. Elle
naquit le jour do la Pentecote, comrne eii temoigne le livre des
Actes ^. Apostolique par son origine , elle domourc une et
identique â olle-meme en se propageant, par rinilucnce du
Saint-Esprit, dans l'espace et dans le temps : apostolicite,
unite, deux notes essonticlles de la veritable Eglise-''. Tertul-
lien prononce â deux reprises le mot de catliolicite ''' ; ii insiste
sur cat accord dans la doctrine (jui, pour une societe deja si
repandue, serait inexplicablo sans la communaute d'origine
et de tradition''. L'Eglise catholique est hierarchique ct sainte ^ :
par ces traits, non moins que par Ies precedents, elle se dis-
lingue des eglisos dissidentes , oîi regnent ranarcliie et le
dereglement des mocurs.
Tous ces caracteres, et particulierement la charite qui unit
Ies fideleS; sont mis en lumicre dans une page de l'Apologe-
tique, que nous avons deja rencontree'. Entrc Ies membres
de l'Eglise, le lien social est l'unite de foi, de discipline et
d'osperance. Tertullien a revele ce mystere aux pai'ens; ii le
developpe ailleurs dcvant los tideles, en insistant sur cette
communion des saints qui fait des epreuvcs de cliaque mem-
bre Ies epreuves du corps tout entier : car cliaque membre,
c'est TEglise, et l'l'.glise, c'est le Christ". II s'en souviendra
1. Pr. 'iO. i\.
2. Ih. -22.
fi. ll>. 20 : Toi. ac tantac occlcsiao una ost iUa ab Apostolis in-Lmu, ex
i)Lia omnes.
4. Ilj. 30 ■■ Constat... (.Vlarcionem ot Valentimim) Antoiiiui f(n-e prin-
cipatu... in catholicao primo doctrinam credidisse apud ecclesiani Uo-
naanensem... 2G : Apostoli... regulam fidei catliolicc! in medium profei-i.'-
bant. — Compai'er Mono;/. 2... Paracletuin aliquid tale docuisse qiiod...
novum deputari possit adversus catliolicam ti'aditionem. Autres exeiii-
ples de ces mots 2 M. 17; 3 M. 21. 22; 1 M. 0; Fug. 3. — Bejâ saint
Ignace disait (Smyrn. 8, 2) : r, xa6oXi7.ri iy./j.r.ma..
5. Ib. 28.
6. Ih. 41-13.
7. Ap. 39. Voir eh. I, g 4, p. 30. Corpus sumus do conscientia religionis
et (Usciplinae unitate et spei foedcrc, etc...
8. Paen. 10 : Inter fratres atque conser%os .. communis spes, metus,
gaudium, dolor, passio, quia communis Spiritus de communi Domino et
l*atrc... Non potest corpus do unius membri vexatione laetum agere;
condoleat univorsum et ad remodium conlaboret necesse est. In uno ct
altcro Ecclesia est, Ecclesia vero Christus.
LEGLISE.
215
encore, dans un ecrit de -tendances montanistes, pour inviter
Ies eglises d'Afrique k resserrer Ies liens de la fraternite
chretienne et â s'incliner devant l'autorite des eglises apos-
toliques^ A Forigine, l'Eglise comprenait Ies fondations des
apotres; depuis que ces communautes primitives ont essaime,
elle comprend encore toutes celles qui, ayant reţu d'une eglise
apostolique la semcnee de la foi, sont restees en commuoion
avec l'eglise mero^. Les persecutions sanglantes, en reveillant
l'ardeur de la foi et de la cliarite chretienne, rendent plus
etroite Tunion des cceurs, et plus sensible le caractere ma-
ternei de ri^glise : domina mater Ecclesi'a^.
L'Eglise apparaît dans l'Ecriture sous la figura de l'arche '',
oii Noe ne recueillit pas les animaux impurs. Ailleurs elle
nous est presentee commc Tepouse vierge du Clirist •'. Une con-
ception nouvclle et assez singuliere " se montre â diverses re-
prises chez Tertullien : ii fait consister essentiellement l'Eglise
dans la reunion des trois personnes divinos, cn assignant an
Saint-Esprit un role â part^; et transportant cette conccption
dans le monde Immain , ii voit dans toute reunion de trois
1. V. V. 2 .--Eas ego ecclcsias proijosui quas et ipsi Apostoli vel apostolici
viri condidoi'uat... Una nobis et illis fides, uniis Dcus, idem Ctiristus,
eadem spcs, eadem lavacri sacramcnta, somel dixerin), una Fxclosia
samus.
2. Pr. 32.
3. Mart. 1. — Le nom de moro est encore donne â l'Kglise, 5 M. 4;
Monog. 7 ; Unicus Pater noster Deus et malcr Ecclesia. — Saint Cyprien
dira {De unitate Ecclesiae, 0) : Ilabere jain non potesl Peum patrcm, qui
Ecclesiam non habet matreni.
1. B. 8; rdol. 24.
5. 4 M. 11, 5 M. 12.
6. Moins singuliere assurement quc celle de Valentin, qui fait de l'E-
gliso un Eon de son Plerome. Val. 7. 8. 9. 12.
7. ii. 'O : Cum autem sub tribus et testatio fidei et sponsio salutis pi-
ijnerentur, necessario adieitur Ecclesiae mentio, quoniam ubi tres, i. e.
Pater et Filius et Spiritus Sanetus, ibi Ecclesia, quao trium corpus est.
— Or. 2, au sujet de l'oraison dominicale : Ne mater quidem Ecclesia
praeteritur. Siquidem in Filio et Patrc mater rccognoscitur, de qua cons-
tat et Patris et Filii nomen. — Pud. 21 : Ipsa Ecclesia proprie et princi-
paliter ipse est Spiritus, in quo est Trinitas unius divinitatis. Pater et
Filius et S|)iritus Sanetus. Illam Ecclesiam congrcgat quam Dominus-in
tribus j)osuil. Atque ita exinde etiaiii numerus oranis qui in banc fidem
conspiraverint Ecclesia ab auctore et consecratore censctur.
210 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
personnes, fussent-elles laîques , une eglise ^ Mais l'esprit
niontaniste n'est pas etranger â cette derniere evolution de
sa pensee ; nous n'y insisterons pas presentement.
Entre Ies eglises apostoliques , Rome possede une cer-
taine primaute, â raison de ses relations tres speciales avec
Ies trois apotres Pierre, Paul et Jean. Irenee avait montre
dans ceLte eglise le centre de ralliement des eglises, dans sa
doctrine Ia pierre de touche de Ia tradition catholique-. Ter-
tullien ne s'est pas explique avec autant de precision sur Ia
nature des prerogatives devolues au siege de Rome. Nean-
moins ii releve ^ la primaute de Pierre, fondement de I'Eglise,
depositaire des clefs du royaume des cieux, investi de pleins
pouvoirs pour lier et delier, admis, avec Jean et Jacques, a
contempler Ia gloire du Seigneur, â voir â ses cotes Moise et
Elie, â entendre la voix du Pere celeste qui l'accreditait. Plus
.loin, ce sont Ies gloires propres de l'eglise de Rome qu'il
enumere avec complaisance '' : cile a bu le sang des apotres
Pierre et Paul, ello se rappelle Tepreuve supreme de l'apotre
Jean ; enfin — Tertullien n'a garde de I'oublier — elle est Ia
mere des eglises d'Afrique ; elle apparaît comme le centre de
limite par la doctrine et par l'action. Parmi Ies successeurs
de Pierre, Ie trăite de la Prescription mentionne avec respect
Clement '>, le compagnon des apotres, et Eleutliere'"'. Ter-
tullien ira meme jusqu'a dire que Ie pouvoir des clefs a ete
laisso par le Seigneur â Pierre, et par I'entremise de Pierre a
I'Eglise''. Plus tard sa conviction paraîtra flecliir sur l'etendue
1. Voir le tcxlo proccderit, Pud. ii. De plus Ex. c. 7 : Ubi tros, ibi Ec-
clcsia ost, licct laici.
2. Haer. 3, 3, 2 : Ad hanc cnim ecclesiaiii, proptor potiorem prin-
cipalitatem, nocesse est omnera convenire ecclcsiam, li. e. eos qui sunt
undique fidoles, in qua somper, ab his (pii sunt uiidique, conservata est
ea quae est ab Apostoiis traditio.
3. l'r. 22.
1. Pr. 36. — Cf. '1 M. o.
o. Ib. 32. Olomentem a l'etro ordinatum. Cette assertion ne contredit
pas neccssairomcnt saint Irenee (3, 3, 3) qui nommc Clement comnie le
troisieme successeur de saint Pierre, apres Lin et Anaclet. Clement a pu
etre investi du ministere pastoral par Ies Apotres eux-memes, et n'ac-
C(>der que plus tard au pi-emior rang.
6. Pr. 30 : Sub episcopatu Eleutherii benedicti.
7. Scorp. 10 : Etsi adhuc clausum putas caelum, nienienlo claves ejus
l'jîclise. 217
du pouvoir directeur qui appartient au siege de Rome. Dans
le trăite contre Praxeas, ii raconte, non sans amertume, que
la bienveillance de l'eveque de Rome avait semble autrefois
prometlre la paix aux egiises de Plirygie ' : Ies esperances
qu'il estime justement fondees sur un tel suffrage pour la
eause du montanisme prouvent qu'il lui reconnaissait une va-
leur preponderante. Mais â Fepoque de ses grands ccarts ,
retractant ses assertions precedentes, ii declarera que Pierre
a reţu Ie pouvoir des clofs â titre striotement personnel, et
que ses successeurs n'en ont pas herite'^. Si, dans le mame
ecrit, ii appelle l'eveque de Rome pondfex maximus, epis-
copul episcoporum^ , benedictus papa', ces titres pompeux,
qu'on ne rencontre pas dans ses ouvrages anterieurs, ne sont
destines qu'a lancer Tinjure avec plus de force. Cest alors
qu'il cntreprend de reformer la notion courantc d'Eglise. L'E-
Jiic Domininii ]>etro et per cum Ecclesiao reliquisse, quas liic iinus-
quiscjue intenogatus atquc confcssus ferot secum.
1. Prax. 1 : (Praxeas) tune episcopum lloinanum, agnosccntem jaiu
prophetias Montani, Priscao, Maxiniillae, ot cx ea agnitiono paccm ec-
clesiis Asiae et Phrygiac inferentem... coegit et litteras pacis revocare
jam emissas et a proposito reeipiendorum eharismatum concossare.
2. Pud. 21 : Praesumis ot ad te derivasse solvondi et alligandi potes-
tatem, i. e. ad omnoiii Ecclesiam Petri propinquam? Qualis es, overtens
atquc commutans manifestam Domini intentioncm, pcrisonaliter hoc
Petro eonferentem ?
3. Pi'd. 1. — Dans ce pontifex maximus, cpiscopvs cpiscoporum on a
parfois cru reconnaître, non Ic pontifc romain, mais le primat de Cai'-
itiage. jUnsi cardinal Orsi : Disserlalio hisforica, c/ua oslenditur calhu-
Hcam Ecclesiam Iribus prioribus saeciUis capitalimn criminum reis pacem
et absolutionem nculiquam denegasse. (Milan, 1730) : Jlorcelli, Africa chris-
liana, t. 2 (Brixiae, 1817), p. 31, nomme meme ce primat, Cyrus; Gie-
seler : Lehrhuch der Kirchenţjeschichlc (1844, p. 287). Mais si des titres
aussi pompeux, donnes au pontife romain, paraissent insolites au debut
du troisieme siecle, â plus forte raison le seraient-ils pour le primat de
Carthage. Sainl Cyprien Ies eut repousses , lui qui, dans son discours
d'ouvertureduconcilesur lebaptemedes hcrctiques(e(i. Vindob. 3, 2, p. 436)
fit cetto declaration :*vequo enim quisquam nostrum episcopum se epis-
coporum constituit; et Ies monuments de son episcopat montrent qu'il
etait loin d'avoir la situation d'un patriarche. Voir llarnack : Ueber ver-
iorene Briefe und Aclenslitcke d/ie slch aus der cyprianischen. Briefsamm-
lung ermilteln lassen; dans T. U. 23= Nene Folge 8, 2 (lfl02).Enrm le titre
iVaposloUcvs, que Tertullion lui donne oncore par ironie (Pud. 21), sem-
ble bien designcr le chef d'une eglise apostolique. 11 convicnt eminemment
â l'eveque de Rome, non â celui de Carthage (Kellner, dans K. L. 11, 1409).
4. Ib. 13.
218 THKOLOGIE DE TERTULLIEN.
glise, ce serait proprement et principalement l'Esprit de Dieu,
ronfermant la Trinite des personnes divines ' . Et ii ajoute :
ri'^glise a le pouvoir do remettre Ies peches; mais j'entends
ri'lglise-esprit, par le ministere de l'homme spirituel, non
rEglise-collection d'eveques. A l'epoque de ces brulantes
invoctives, Tertullien avait rompu avec l'unite catholique.
L'usage d'assemblees conciliaires, pour traiter en commun
des questions d'ordre general, est alteste par Tertullien, seu-
lement pour Ies pays de langue grecque ^. Du silence qu'il
garde au sujet de l'Afrique, faut-il conclure quo Carthage
n'avait pas encore, au deuxieme siecle, ses conciles rcgionaux?
Ce serait s'avancer bcaucoup, car des le milieu du troisicme
siecle nous trouvons Finstitution en pleine vigueur, et saint
Cyprien parle d'un trcs ancien concile africain tenu sous
Agrippinus '. Nous ne pouvons dater avec precision l'episcopat
d'Agrippinus, mais ii semble bien difficile de le placer apres
Tertullien''. Tovit ce qu'on peut conclure du temoignage en
question, c'est que Ies premiers conciles africains n'etaient
pas comparables ă cos assemblees plenieres de l'episcopat
oriental, qui pouvaient des lors s'aY)]ielcT /-epraesentatio to-
diis nominis christiani.
Sur Torganisation des communautes cliretiennes, Tertullien
1. Pud. 21 : Ipsa Ecclesia proprie etprincipaliter est Spiritus... El ideo
Ecclesia quidom dclicta donabit, scd Ecclesia Spii'itus per spiritalem tio-
minem, non Ecclesia numorus C]>iscoporuTn. — Volr G. Esser, De piidi-
cilia c. 21 und der Primai des romischen Bischofs; dans Der Katholik,
t. 20 (1902).
2. Jej. 13 : Agiintur... per Graeclas illa certis in locis concilia cx iini-
versis ecclosiis, per quae et altiora quaeque in coraraune tractantur, et
ipsa repracsontatio totius nominis cliristiani magna veneratione celo-
bratur. — Un autre texte est trop vague pour qu'on y puisse fonder au-
cune conclusion ; Pud. 10 : Scriptura T'astoris... ab omni concilio eccle-
siarum, et'am vestrarum, inter apocrypha et falsa judicatur.
3. Cyprien, Ep. 73, 3 : Apud nos autern non nova et rcpentina r(!s est
ut baptizandos censeamus oos qui ab liaereticis ad Ecclcsiam veniunt;
quando anni sint jam naulti et longa aetas ex quo sub Agrippino conve-
nientes in unum episcopi plurimi lioc statuerint. — Cf. Ep. 1, 1 : Cum
jampridem in concilio episcoporum statutum sit.
4. Telle est la conclusion de M. Monceaux, TerUUlien, p. 19. 20. Elle
nous parait tres judicieuse. Dom Leclercq (A frique ohrelienne, t. 1, p. 41,
Paris, 1904) se range au inomc avis. Morcelli (Africa chrisliana, t. 2, p. 9)
osait preciser la date de ce concile, et le placer en 197.
l'ecuse. 219
ne fournit que des renseignements epars. L'eveque occupe le
sommefc de la hicrarchie, avec plein pouvoir pour cnseigner,
gouvernei-, administrer Ies sacrements'. Son ministere repre-
sente excellemment la tradition apostolique : ce sont des
evequcs qiie Ies apotres instituaient pour conduire Ies clire-
lientcs naissantes : avec Polycarpe etabli â Smyrne par saint
Jean, avec Clemenl, ordonne â Rome par saint Pierre, nous
touchons auxorigines de Tepiscopat^. Selon le precepte de saint
Paul, l'eveque doit ne s'etre mărie qu'une fois ^ ; mais ii paraît
que, des le commencementdutroisieme siecle, cette regie souf-
iVaitdes exceptions''. Chef de l'ordre sacerdotal — summus sa-
cerdos — l'eveque est, commetel, ministre ordinairc des sacre-
mcnts : bapteme "" et confirmalion, penitence*', eucharistie ^.
Kn cortains cas, ii use de son autorite pour prescrire â la com-
munautedes jeunes * et autrespratiques. Chacundoit s'incliner
devant Ie pouvoir de l'eveque : l'union des cceurs n'a pas do
pire ennemie que Tambition, mere des schismes".
Au-dessous de l'eveque, le pretre, presbyter, participe au
meme sacerdocc. Son nom indique la maturite de l'âge et de la
vertu. A defaut de l'eveque, le pretre preside l'assemblee des
fideles, distribue rEucharistie^". Jl peut etre delegue pour le
1. B. 17 : Daridi iiui(l(Mu (baptisnii) lKi)j(>t jus suiiimiis sacerdos, ((ui est
episeopus; (Ichuic (ircsbytori ct diaconi, iion faiium sine episcopi aucto-
lilatc, proptor Edclesiao iionorem, quo salvo salva pax est. Alioquin etiani
laicis jus est... Nisi episcopi jam aut pi-esbyteri aut diaconi, vocantui' dis-
centes. — Les laiqucs ne doivent pas s'iiigercr dans Ies fonctions sacer-
dotales : sacerdi italia miinera (Pr. ii), sacerdotale officium (V. v. 9).
9. I'r. 32. .
3. 1 Ux. 7. — Lamemeloi estctenduo âtoutordi'c sacerdotal, /^'x. c. 7 :
Apud nos pleniiis atque insti'uctiiis praescribitur unius matrimonii esse
oportere qui alleguntur in ordiuein sacerdotalem.
4. Monog. 12 : Qnot cnim ct diganii pi-aesident apud \os, insultantes
(itiquc Apostolo.
u. B. 17.
(3. Pud. 18, (in; Levioribus delictis veniam ab (>piscoi)0 consequipotorit.
7. Ap. 39; avec Car. 3.
8. Jej. \Z.
9. B. 17 : Episcopatus aemulatio scliisniatum mater est.
10. Ap. 39: Cor. 3. — Le seul nom de sumtmis sacerdos donne a
l'eveque, prouve qu'on reconnaissait au pi-etre uue pacticipation du incnie
.sacerdocc. Ce point ne peut etre raisonnablenient conteste. Reconnaissons
d'ailleurs qu'attribuer a TeiluUien des idees nettes sur le pouvoir d'oi-dre,
220 TIIEOLOCIE DE TEKTULLIEN.
bapteme. II a grande part au ministere de la parole. Saint
Jerome nous apprend que Tertullien fut pretre de l'eglise de
Carlliage, et nous reconnaissons, dans plusieurs de ses ecrits
ascetiques, des monuments de son zele sacerdotal : tels sont
Ies traites De baptismo, De patientia, De virginihus velandis.
Dans le De anima, on voit une âme favorisec de grâces, d'ail-
leurs fort suspectcs, recourir â sa direction K
Le diacre n'a qu'un role beaucoup plus efface. Mais ii appa-
raît normalement au troisieme degre de la hierarchie^.
En cas de necessite, c'est-â-dire â defaut de pretres et de
diacres, Ies la'iques meme peuvent conferer le bapteme. Les
femmes ne sortiront de la reserve que leur prescrit saint Paul :
elles s'abstiendront de parler dans l'Eglise, d'enseigner, de
baptiser, defaireToblation, d'empieter surledroitdeshommes,
â plus forte raison sur le ministere du pretre. Ces recomman-
dations conviennent memeauxveuves adopteespar l'Eglise.les-
quellesdoiventjoindre arautoritedel'âge celle del'experience^.
Au premier rang des fideles, nous trouvons les glorieux con-
fesseurs de la foi';au-dessous des fideles, les catechumenes^ et
les penitents''. On saislt cliez Tertullien les origines de la pro-
priete ecclesiastique. Constituee par des dons volontaires, elle
a pour principale source les collectes faites dans les assemblees'.
L'Eglise a commence d'acquerir deslieux desepullure(a7-eae;^.
A la fin de sa carriere, Tertullien, sous Tinfluence du monta-
nisme, changera d'atlitude et de langage ă l'cgard de la liie-
rarchie ecclesiastique et du sacerdoce chretien'.
Ic pouvoir de juricliction, et la distinction de ces pouvoirs, serait com-
mcttre un anacfironisrao thoologique.
1. An. 9.
2. B. 17; /'/•. 11 ; l'uy. 11 ; ilonog. 11. — Tertullien signale encorc (/'r.
41) Tofllco de loctcur. — L(>s ev^que.s, les pretres et les diacres ont sculs
mission d'enseigner; B. 17 : Xisi episcopi jam aut presb^'ti'ri aut diaconi,
vocantur discerdes.
3. B. 17; 1'. V. y.
4. Cor. i.
5. Appeles aussi nocicioH, auditores, audientes. Pacn. 6; B. 1.20; /'/•. 41.
6. Paen. 9.
7. Ap. 39.
8. .Scap. 3. — Cf. Ap. 37.
9. V. V. 9; Ex. c. 6. 7; Moiiog.J.li.
L KClilTUUE.
Iir. L EClilTUKE.
221
On sait deja que l'Eglise a regu de Dieu le depot des
Ecritures, source principale de la foi cliretienne. Parmi Ies
queslions qui soposent au sujet des Ecritures, ii y aliou d'exa-
miner Ies suivantes :
1" Inspiration;
2» Canon;
3° Texte;
4» Exegese.
1° Inspiration des Ecritures.
Tcrtullien tient pour divines [divinas] Ies Ecritures de l'A .
T., destinees â l'education surnaturelle du genre humain *. Ce
caractere appartient tout d'abord aux propheties. Dignes par
leur justice et leur innoconce de connaître Dieu, et de le reve-
ler des l'origine des temps, Ies proplietes ont regu a flotsl'Es-
prit divin qui Ies a instruits des verites du salut ^; leurs livres
en sont la charte immuable. On a vu plus haut ^ comment
Tertullien exagerait l'antiquite de Moîse et des autres proplie-
tes. Mais pour etablir leur autorite. cette consideration n'est,
de son propi-e aveu, que secondaire '. II importe davantage de
prouver l'inspiration des proplietes par la verification histo-
rique de leurs oracles. Nous avons longuement developpe
cette preuve, en passant en revue, d'apres Tertullien, Ies pro-
pheties messianiques.
D'autre part, ii admet Ies Evangiles et Ies Epîtres des apotres
sur le pied d'une egalite absolue avec la Eoi et Ies Prophetes.
luiumerant, dans le traile de la Prescription, Ies sources de la
foi pour Teglise romaine, ii s'exprime ainsi'' : [Ista ecclesia]
1. Ap. -iO.
2. Ap. 18: Viroseninijustitlae iniiocoutiadignos Deumnosse etostenclcre
a primordio in sacculum emisit Spiritu dh ino Uumdatos, quo pracdicarcnt
Deum uniciim esso...
3. Ch. I, S 1, p. G.
1. Ap. 20, debut.
5. Pr. 30.
222 rmioLOGiE de teiîtulliek.
legeni et prophelas cum evangelicis et apostolicis litteris inis-
cet; indepotatfidem. L'assimilation duN. T. âTA. T. estdonc
complete '.
Pour etablir le dogme, Tert.ullieu citeconjointement et indif-
feremment l'un et l'autre recueil des Ecritures divines. Ainsi,
combattant Hermogene ^ : Ad originale instrumentam Moysi
provocabo; un peu plus loiri^ : Evangelium ut supplementum
instrumenti ^eteris adhihebo; et ii cite Gen. 1, 1; Joan. 1, 3.
Ailleurs, enumeranlles preuves scripturaires de la resurrection
corporolle '' : Satis haec de prophetico instrumenta, ad evan-
gelia nune provoca; puis : Resurrectionem apostolica quaque
instrumenta- testantur... Exipsius [Pauli] instrumenta capten-
tur argumenta.
Analysant le concept rinspiration, ii menire, derriorc l'ocri-
vain sacre, Dieu qui se fait avec une soUicitudo croissanto le pre-
copteurdc l'humanite. Qîuvre dumeme Dieu qui l'annongaitdans
TA., le N. T. s'en distingue comme le fruit de la semence"' : de
runârautreilyadeveloppemcntd'unmcme germe primitif, ily
a progres, non opposition. L'A. T. promettait, pour la fin dos
temps, une nouvelle et plus abondante effusion deTEsprit divin "
(Joel, 2, 28).Pleinement en vigueur etseul envigueurjusqu'ă la
mission de Jean, ii a ete abroge, quant ă la pârtie rituclle, par
1 . Complete aussi la foi de T(.'rtuUicn â chacuii des ikrivaiiis saci'es. A la
jieuseo d'un desaccord doctrinal ontre saint Paul, et salut Jean, i! se rccrie,
Pud. 19 : Totius sacrameati interest nihll credere ab Joanne conccssuiu
ijuod a Paulo sit denegatuni. — Si partbis 11 declare telle proposition in-
croyablc quaiii raemf'. ou la lirait dans l'Ecriture, ii ne i'ait <-|ue donncr un
lour paradoxal a une pens(;e d'ailleurn orthodox(;. Ainsi Prax. Ui : Se. et
hacc nec de Filio Dcicredcnda fuisse si scripta non esseut, forlasse nou
crodonda do Patre licet scripta.
2. //. 19.
3. Ib. 20.
4. R. 33. 39. 40.
.0. 4 M. 11 : Sic conccdimus soparationem istamperi'el'orinalionom, per
aniplitudineni, per profectum, sicut fructus soparatur a scminc, cum sit
l'ructus ex semine : sic et Evangelium separatur a Lege, dum provehitui'
ex Lege; aliud ab illa, scd non alienum; diversum, sed non contrarium.
6. oM. 11 : Testamentum Kovum non alterius erit quam qui ilkul repro-
misit ; etsi non littera,.at ejus spiritus, boc erit novitas... Etsi littera occidit,
spii'itus vero vivificat, ejus utrunj(|ue est cpii ait : Ego occidani et vivificabo,
porcutiam et sanabo.
l'eCRITUIIE. — CANON. 223
l'avenement de TEvangile '. Reforme sur ce point, sur d'autres
verifie, sur d'autres ancore perfectionne -, l'A. T. pâlitdevant la
pleine lumiere du N. A la lettre morte a succede l'Esprit vivi-
fiant.Saint Paul (Gal. 4, 22) montre dans Ies deuxfîlsd'Abraham
la fîg'ure des deux Testaments -^ Loin de condamner l'un par
l'autre, avec Marcion, ii faut y voir deux manifestations coor-
donnees du meme Dieu, qui a i'ait succeder â la servitude
legale la liberte des enfants de Dieu, emancipes en Jesiis-
Christ.
1''-Canon des Ecritures ''.
On vient de rencontrer plusieurs expressions qui impli-
quent rexisteiice, au temps de Tertullien, d'un double recueil
des Ecritures juivcs et des Ecritures chretiennes. Ces expres-
sions ne sont pas Ies seules. On trouve pour l'A. T. : antiqnis-
sima Tudaeorum instrumenta % thesaurus judaici sacramenti
etinde jam noştri ", i^etus instrumentum '\ lex et prophetae^,
lex et prophelia ^, instrumentum judaicae litteraturae''^\ ar-
mar imn judaicum ^^ ;
pour le N. T. : novum testamentum^-^ evangelicum instru-
mentum ^^ et apostolica instrumenta ^'', evangelicae et aposto-
1. Jud. 8.
2. Or. 1.
3. 5 M. 4.
4. A' consultei" : Vigouroux, art. Canon, dans Dicl. Bibi., t. 2, (1899). —
Loisy, Hisloire du canon de l'A. T. (Paris, 1890). — Riinsch : Das Neim
Testament des TertuUian (Leipzig, 1871), — Loisy : Histoire du canon du
N. T. (Paris, 1891). — Zahn : Geschichte des N. T. lichen Kanons (2 in-8,
Ei-lang en 1888-1890) ;_Gr«nd»'i.ss der Geschichte de N. T. Kanons (Leipzig,
1901). — Batiffol : L Eglise naissante : le canon du N. T., dans R. I',., t. 12
(1901), p. 10-26.
'>. Ap. 21.
(). .Ap. 19.
7. H. 20.
8. Pr. 3G.
9. Or. 1.
10. 1. C. f. 3.
11. 76.
12. Oi: I ; o .1/. 4. IL
l:J. 4. 4/. 2.
14. /,'. 39.
224 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
licae litterae^ , cvangelia et apostoli-, novlciola paratura ^ ;
pour l'ensemble : Scripturae '', divinae scripturae', chris-
tianae litterae^', instrumentum utriusque teslamenti'' , utrius-
que testamenti paratura ^ etc.
Ce double recueil, consacre par l'usage des eglises, remon-
taitcertainementassezhaut dans le passe'-'. L'entreprise de Mar-
cion qui, au milieu du deuxieme siecle, mulilait le N. T. pour
l'opposer â TA., ne se comprendrait pas s'il n'eut trouve Tun
et Pautrc T. arrete quant aux grandes llgnes. D'autre part
l'ecole valenlinienne avait produit des apocryphes, qui trou-
blaient la foi dans sa source ; deja saint Irenee denongait.
dans la secte, un soi-disant evangile de verile ^*'. Menace
par Ies uns dans son integrite, le dep6t des Ecritures l'etait
par d'autres dans sa purete. Un tel ctat de choses avait du
eveiller la sollicitude des pasteurs. Tertullien est l'un des meil-
leurs temoins de ces luttes, au milieu desquelles acheve de se
fixer Ie canon de la Bible.
Les Ecritures juives n'otaient plus pour personne un livre
scelle. On trouvait au Serapeum d'Alexandrie le texte he-
braîque original et la version des Septante : Tertullien y
adresse ^^ les pai'ens dcsireux de s'en instruire, ou bien ii leur
propose d'aller dans les synagogues, oii les Juii's lisent.publi-
quement leurslivres chaque jour de sabbat. Que certainsde ces
livres soient propres aux Juifs hellenisants, ii ne paraît pas le
soupgonner, etTon ne voit pas qu'il ait jamais pratique le texte
hebraique. Aussi ne distinguc-t-il nulle part entre livres proto-
et deuterocanoniques. Au cours de ses luttes doctrinales, ii a
cite presque tous les livres de l'A. T. Dans ses ecrits conser-
1. Pr. 3().
2. Prax. 15.
3. Ay. 47.
4. Ap., Pr. passim.
5. Tesl.b.
6. Pr. 37.
7. Prax. 20.
8. Jej. 11. — Pour plus amplcs details, Cf. Ronsch, p. 47.
9. Voir M«'Batiffol, R. B., t. 12 (1903), p. 24 sq., contre llaniack.
10. Irence, {laer. 3, 11, 9. — ib. 1,20, 1 : 'Aii'jBirrov nXriOo; ditoy.p'jţwv xai
v66wv Ypacpwv, a: aijTol STr/auav, iiapsta^spo'jotv.
11. Ap. 18. Voit" cl-des.sus, c. 1, g 2, p.5.
l'eC1\ITU1I1î. CANON. 225
ves, 011 releve des allusions â tous Ies protocanoniques, sauf
Ruth, Esther et Aggee ' ; â tous Ies dcuterocanoniques, sauf
Tobie et Ies fragments d'Esther ^. 11 cite Ia Sagesse sous le
nom de Salomon, et Baruch sous le nom de Jeremie.
Eii deliors du canon, ii venere et cite plusieurs ibis '*,
comme Ecrilure inspiree, le livre d'Henoch''. Cctte apocalypse
juive, appartenant aux derniers siccles avânt notre ere, n'avait
jamais ete rc^ue dans le canon des .luifs liellenisants. Aussine
fut-elle jamais reguepar l'Eglise. Neanmoins elle jouit, au de-
but de notre ere, d'une certaine vogue, et nous avons vu qu'il
faut y rapporter la legende des anges s'unissant aux filles des
homijies, legende si repandue cliez Ies premiers Peres '■'.
Tertullien n'ignore pas reloignement qu'ont certains fideles
pour ce livre"; mais ii le croit injuste. La question d'autlien-
ticite — ii s'agit de l'attribution au bisaîeul de Xoe — ne l'ar-
1. Autant du moiiis qu'on pciit se lier â rindex, tres souvent l'autif,
d'Oehler.
i. Le relevo de ces allusions ne semblc etre ni complet ni exact chez
M. Loisy (Histolre du canon de VA. T-, p. 76), ni chez M. Vigouroux [Dict.
Bibi. t. 2,p. 163). Sans oser proraettre une statistiquedefinitive, nous avons
repris l'oxamen des textes. Voici ceux qui nous pai'aissent ineritei- d'otre
cit6s :
Allusions â Juditli : 1 M. 7; Monog. 17
Sap. I, 1. (sous le nom de Salomon) : Pr. 7: Val. 2.
1, 6 : An. 15.
(?) Eccii. U, 14 : 1. M. 10.
Baruch, 6, 35 (sous le nom de Jeremie) : Scorp. 8.
Daniel 13 (Histoirc de Suzanne) : Cor. 4.
« 14 (Bel et le Dragon) : Idol. 18.
1 Mac. 2, 41 -. Jud. 4.
2 Mac. 7, 28: //. 21.
3. 1 C. f. 2. 3; 2. C. f. 10; Idol. 4. 15. Enfin Ii. 32 : Ilabes scriplimt : Et
mandabo piscibus maris, et eructabunt ossa quae sunt comesta, et faciam
compaginem ad compaginem ct os ad os. Cetto Ecrilure anonyme paraît
bien etre Ilenoch 61, 5. .Je no sache pas que le texte ait encore ete iden-
tific. — Lo livre d'Henoch est aussi invoque dans VEp. de Barnabe, 16, 5.
Puis parCI(5mcnt d'Alexandrie (/?c%. ea; Script; P. G. 9, 69t). 723).
4. Voir maintenant : Das Buch Henoch hercmsgegeben in Auflrage der
KirchenviXler-Kommisxion der koniglich Preussischen .Akadcmie der Wls-
michaflen; von Joh. Flemming und L. Radermacher (Leipzig, 1001). —
Ees passages cites par Tertullien sont : Henoch 6 ; 7 ; 8 ; 61, 5 ; 82, 1 ; 99, 7.
5. Voir c. III, 8 3, p. 156.
0. IC./'. 3: Scio Scripturam Enoch... non recipi a quibusdam, quia
ncc in armarium Judaicum admittitur.
THEOl.OGIE nE TEliTUI.I.IEN. 15
226 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
rete pas. 11 voit dans la longevite des patriarches de quoi ex-
pliquor suffisamment soit Ia conservation du texte, soit sa
reconstitution apres le deluge. De plus ii trouve â cet ecrit
un caractere|nettement christologique, digne d'etre apprecie
par des chretiens, et soupyonne Ies Juifs de ne l'avoir rejete
qu'ă cause de cela. Enfîn ii ne saurait oublier que l'apotre Jude
a rendu temoignage au livre d'Hcnocli. II le trăite donc comme
Ecriture ', ot lui emprunte des traits contre l'idolâtrie.
A cote des prophctes, Tertullien revendique une place pour
la Sibjile -, que son antiquite incomparable designe comme
un oracle du vrai Dieu. II ajoute que de fausses sibylles ont
păru, contrefaisant rinspiration divine. Les textes qu'il cite a
diverses reprises, se retrouvent dans nos livres sibyllins, com-
pilation-apocaljrptique dont Ies parties les plus anciennos ap-
partiennent au meme cycle que le livre d'Henoch.
11 paraît connaître et citer le quatrieme livre d'Esdras ^ ;
du moins ii accepte '' l'assertion de ce livre (4 Esdr. 14) sur
Ia reconstitution integrale des lîcritures juives par Esdras
apres la captivite.
Enfinl'on rencontredaus ses osuvres diverses citations scrip-
turaires diffîciles ă identifier *, soit qu'il ait eu entre les mains
1. L'iuie des raisons (iu'il oii donrK^ (1 C. f. 3) est mie traduction — tres
libiv, — de 2 Tim. 3, 10 : Legimus omueni scripturam aedificationi habi-
lem divitiitus inspirari. — II est notablo que saint Cypricn ne nommo
plus Uenoch; d'oii Ton peut conclure qu'il avaitete condamne par ie suf-
frage des eglises, dans la premiere moitie du troisieme sicclo. Voir Loisy,
Canon, de l'A. T. p. 78.
2. 2 N. 12 : Nec praetermittam potiora testimonia divinarum litterarum
quibus fides pro antiq uitate superior debetur. Ante enim Sibyllaquamom-
nis littoratura exstitit, illa se. Sibylla, veri vera vates... Cf. Or. Sib. 3,108.
— Ap. 19 (fragment de Fulda) : Habctis et vos sibyllam, quatenus appella-
tione ista vcra vates Doi veri, passim super ceteros, qui vaticinari vide-
bantur, usurpata est, sicut vestrac sibylîae nomen de veritate mentitae.
— Pal. 2, cf. O. S. 3, 363-0 ou 4, 92-3 ou 8. 165-6.
3. Pr. 3, cf. 4 Esdr. 8,20:4 Âî . 16. cf .-[ Esdr. 15, 1.
4. I C. f. 3.
5. Ainsi c. C. 23 : Legimus... apud Ezechielem do vacca illaquae pepe-
rit et non peporit, — Serait-ce Job 21, 10? Ou encore Osee 10, 11, coli. 13,
13? — Saint Epiphane (Haer. 30, 30) cite le meme te.xte sans nommer
Ezechiel : Kaî ziH-cai -fi Sâ\t.xh<i y.aî epoîaiv ou TeTo-ztev. 11 en fait egalonient
l'application â Mărie. Voir Clement d' Alexandrie, Slromal. 7, 16; Fabri-
cius, Codex pseudepigraphus V.T.p. 1118 sq.
L'EClin'L-BE. — CANON. 227
des textcs quc nons ne possedons plus, soit encore qu'il ait
commis une erreur.
La question de canonicite ne se posait pas exactement dans
Ies mumes tcrmes pour Ies Ecrilures de l'A. T. et pour celles
du N. Les prcmieres, garanties par l'usage des synagog'ues,
se presentaient avec l'autorite d'une possession seculaire. Les
secondes, relativement recentes, avaient du conquerir une â
une droil de cite dans les eglises. II y a donc lieu de consi-
derer l'altitudo de Tertullien a l'egard des divers livres du
N. TJ , pour cn deduire un criteriuni de canonicite.
On sait deja qu'il dofend contre Marcion les ovangiles de
saint Matliieu, de saint Marc et de saint Jean, invoquant l'o-
rigine apostolique de ces evangiles, garanţie par le temoi-
gnage des eglises^. II defend, au nom de la mome tradition,
rintesriti; de saint Luc'. II defend les Actes, oii se trouvent
consignes, outre le souvenlr de la descânte du Saint-Esprit
sur les Apotres, Ies titres de l'apostolat de saint Paul''. II
defend une a. une les treize premiorcs epîtres de saint Paut*,
y compris celles que Marcion avait supprimees [1 et 2 Tim,,
1. Cf. Loisy, Canon- du N. T. p. 107 sq.
2. 4 M. 2 : Constituimiis imprimis evangelicum instrumontum Aposto-
los auctores habere, quibushocmunus Evangelii pi'omulgandi ab ipso Do-
mino sit iropositum. Si et apostolicos, non tamen soios, sed cum Apostolis
et post Apostolos, (juoniam praRdicatio Apostolonim suspecta fieri posset
(le glofiae studio, si non adsistat illi auctoi'itas magislrorum, immo Christi,
quao magistros Apostolos fecit... -- ib. 5: Utiqiie constabit id esse ab
Apostolis traditum quod apud ecciosias Apostolorum fuerit saci'osanc-
tum... Eadeni auctoritas ecclesiavum apostolicai'um ceteris quoque patro-
cinabitur (îvangeliis quae proinde per illas et secimdum illas habemus,
Joannis dico <;t Matthaoi, licet et Marcus quod edidit Petri affirmetur,
cujus interpi-(!S Jlarciis. Nani et Lucae digestum Paulo adscribere solent :
capit magistrorum videri quod discipuli promulgarin).
3. 4 M. 7, adfmem — Voir c. IV, g 1, p. KM. — Zalm, 1, 2, 027 s(i. ; id. 2,
2, 455 sq. r restitution do l'evangile marcionite.
4. I'r. 22:.. Probantibus Actis Apostolorum descensumSpiritus sancti.
Quam Scripturam qui non rceipiunt, nec Spiritus .Sancti esse possunt,
qui necdum Spirituni Sanctuin possunt agnosccre discentibus raissum,
sed ncc Ecclesiam se dicant defendere, qui quando ct quibus incunabulis
institutum est hoc corjius probare non habent... — ib. 23 ; Possum et liic
Acta Apostolorum repudiantibus dicere : Prius est ut ostendatis quis iste
Paulus, ct quid ante Apostolum, et quomodo Apostoius... — Cf. 5 M, 1. 2.
5. 5 M. 2, ad finem. — Voir c. IV, % 1, p. 177. — Zahn, 1, 2, 033 sq.; id. 2,
2, 495 sq. : restitution de Vaposlolicum marcionite.
228 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
Tit.), ou falsifiees (toutcs Ies autrcs, sauf Pliilcm.). Seule,
l'epître aux Hcbreux est mise par lui ă un rang inferieur, par-
ce qu'il y voitl'oeuvre personnelle de Barnabe '. 11 cite encore,
comme Ecritures divines, la l'" epître de saint Pierre^, la 1''° de
saint Jean^, l'epître do saint Jude'*; enfin l'Apocalypse, qu'il
attribue expressement ă saint Jean"".
Du rapprocliement de ces divers temoignages, ii ressort
clairement que, dans la pensee de Tertullien, la marque de
canonicite, pour un ecrit duN. T., est son origine aposlolique.
garanţie par le temoignage des eglises''. Cette maniere de voir
s'affirmait dans le trăite de la Prescription'; ii y deraeure
fidele, soit pour recevoir, soit pour excluro Ies livres qui pre-
tendent ă une place dans le recueil officiel des Ecritures chre-
tiennes. Les evangiles de Marc et de Luc, avec Ies Actes des
Apotres, ne derogent qu'apparemment â cette loi, puisque, de
l'aveumemede Tertullien, dans saintMarcet dans saint Luc on
entend la voix do saint Pierre et de saint Paul*. La discussion
relative au titre de l'epître aux Ephesiens, que Marcion intitulait
epître aux Laodiceens, lui fournit roccasion de s'expliquer
avec toute la clarte possible : tout en retablissant le titre tra-
ditionnel, ii declare qu'ă ses yeux cette question des destina-
1. Pud. 20 : Exstat enim et, Baniabae titulus ad Hebraeos, a Deo satis
auctorati viri, ut quem Paulus juxta se constituent in abstinentiae te-
nore (1 Cor. 9, 6)... Et utiquc receptior apud ecclesias epistola Bai-nabae
illo apocrypho Pastore moecliorum. Lâ-dessus, ii cite Hebr. 6, 4-8. — Cette
attribution a Barnabe de l'epître aux Hebreuxse retrouvedans les reccnts
Tractatus Origenis, Tr. 10, p. 108 : SaHclissimus Barnabas... (citation de
Ilebr. 13, 15).
2. Scorp. 12 : Petrus quidem ad Ponticos... (1 Petr. 2, 20; 4, 12); ib. 14
(1 Petr. 2, 13); Or. 20 (1 Petr. 3, 3). — Cf. Riinsch, p. 5o8.
3. Scorp. 12 (l Joan. 3, Uî; 4, 18). et alibi, paa.nm.
4. 1 C. f. 3 (Ep. Jud. 14).
'). Scorp. 12 (Apoe. 2, 12 sq. ; 7, 14); 3 4/. 14 : Joanncs in Apocalypsi
(Ap. 19, Jo);4i/. 5. Parfois ii cite l'Apocalypse, tout court (Fu/jf. 1; Pud.
20); d'oii l'on peut conclure qu'il ne connait pas d'autro apocalypse que
celle de Jean. — L'apocalypse fait pârtie ăeVinslrumenlum Joannis (U.^).
Notons encore qu'olle est presenteo comme plus ancienno que Ia PJoannis
{Fug. 9). Riinsch, p. 529.
6. 4 M. 5, fin : Auctoritatom occlesiarum traditioni .Vpostolorum patro-
cinantem.
7. Pr. 21.
Voir ci-dessus, p. 227, n. 2.
L ECHITUHE. CANON.
229
taires immcdiats ne lire pas â consequence, puisque tout ecrit
emane d'un apotre est, par nature et de droit, destine a l'ins-
truction do touto l'Eglise ' . Et s'il exclut de son canon l'epître
aux Hebreux, c'est que l'auteur presume de cette epître, Bar-
nabe, si venerable soit-il, ne saurait etre considere comme
formant avec saint Paul une seule personne morale-^.
Parmi Ies apocryphes du N. T., le Pasteur d'Hermas attire
particulierement Tuttention de TertuUien-'. II en parle d'abord
avec respect, et, selon loute apparence, comme d'un livre
inspire'' ; plus tard ii le trăite avec un mepris extreme, comme
apocryphe et fauteur d'adultere*. Pour eviter cette evolution
violente, ii lui eiit suffi d'appliquer son crittârium : le Pasteur
ne pouvait se reclamor d'une origine apostolique. Laissant de
cote cette consideration, Tertullien ceda successivement k di-
verses influences. Tout d'abord ii se conforma sans arriere-
pensce â l'eglise romaine, ou le Pasteur avait pris naissance
et jouissait d'une autorite presque egale â celle des Livres
Saints : le. canon dit de Muratori, temoin de l'usage romain
au declin du deuxieme siecle, reflete cet ancien etat de l'opi-
nion*'. Plus tard, une reaction se produisit ă Rome et dans Ies
eglises do sa communion : sans rejeter le Pasteur, on marqua
plus explicitemcnt le rang secondaire qui lui convenait. Ter-
tullien, alors en pleine crise montaniste, prit ombrage de
quelques traits qui lui rappelaient la morale du pape Calliste,
et l'entrainement de la polemique le rendit severe â l'exces
pour Tocuvre, en somme exquise, d'Hermas.
1. 5 M. 17 : Niliil autcm de litiiUs iiiterost, ciiiti ail omnos Apostolus
scripsei'it dum ad quosdam.
-2. Voir p. 228, n. 1.
3. Voii' ÎI»' Batiffol : Ilermas et le probleme moral im deuxieme siecle :
dans /i'. fî., t. 10 (1901), p. 337 sq. ou dans : Etudes d'hiatoire el de Ihco-
logie posilive (Pai-is, 1902), p. 4.5 sq.
4. Or. li) : Hermas illo, cujus scriptuiu fere PasUir inscribitur. — Ce
passage fait allusion a Hermas, Vis. 5, 1.
5. Pud. 10 : Cederem tibi, si scriptura Pastoris, quac sola moochos amat,
ilivino instrumento mernisset ineidi, si non ab omni concilio ecclesia-
rum, ctiam vcsti'arum, inter apocrypha et falsa judicaretur, adultera {^t
ipsa et inde patrona socioram..., ib. 20 : Illo apocrypho Pastorc moecho-
i-um.
6. Ajouter Ie tomoignago de saint Iren6o, qui {Uaer. 4, 20, 2) citc Ic
Pasteur (Mandat. 1) entre la Gonesc et le proplietc Malachic.
230 THEOLOUIE DE TERTULLIEN.
Les Actes de Paul ct de Thecle apparaissent, dans la ques-
tion du bapteme, revendiquant pour les femmes le droit d'en-
seigner et de baptiser^. Tertullien met les fideles en garde
contre cet apocryplie, dA â la supercherie d'un prctro d'Asie
qui flit, pour ce fait, depose de son ofîice.
II mentionne dedaigneusement^ les psaumes de Valentin,
que tel lieretique a l'impudence de citer comme une autorite
respectable : pourtant des cette epoque, lui-meme cite parfois
des propliotes non moins suspects^.
II no sera pas sans interet de comparer le canon de l'eglisc
de Carthage, tel qu'il vient de nous apparaître. au canon de
l'eglise de Rome, tel qu'il ressort du fragment de Muratori.
Le document romain paraît ignorer les deux cpîtrcs do Piorre.
Par contre, ii en accorde deux ă Jean. II incline â rccevoir
l'apocalypse de Pierre. II ignore Topitre aux Hcbreux. Enfln
il mentionne le Pasteur, qu'on peut lire dans l'eglise, non
toutefois au rang des prophetes et des apotres. Presque
identiques sont les indications de saint Irenee'. On voit
qu'entre Rome et Carthage la divergence Ia plus notable
concerne la /•' Petri, reţue, ce semble, en Afrique avânt de
l'etre en Italie''. Demeurent provisoirement liors de I'un et de
l'autre canon : Ep. Jacohi^, Ih Petri, III-^ Joanuis"^.
1. B. 17. — Cf. EuselDC. 11. E. 3, 11); saint Jerâmc, Vir. UI. 1. — Lip-
siiis : Acta apostolorum apocrypha, 2, 1 (1887), p. 424 sq.; Harnack, /J. C.
L., 1, p. 136-137; Chronotogie, 1, 493-505.
■2. c. C. 17. 20. — Cf. Origene In Joh. 21, 11. Citation de psaume valen-
tin ion, Philosophum.ena, 7, .37.
3. Sur la prophetie montanistc, mise au rang des Ecritures divines,
voir c. IX, S 4, p. 451.
4. Voir Loisy, Canon de VA. T. p. 102 sq.
o. L'abscncc, chez Tertullien, do rcference certainc â un ecrit aussi
court quc la //" Petri, ne saurait 6tre tout â fait concluante quant â l'u-
sagc de son eglise. Et peut-etrc faut-il voir, o M. 10, une allusion â 2
.loan. 7, au lieu de 1 .loan. 4, 1.
0. On a cru decouvrir, Adv. Judaeos 2, la trace de l'epître de saint
.lacques (2, 23). Ce i-approchcmcnt reste douteux. Le texte en question
s'expliquc suffisamment par une double allusion â saint Paul (Rom. 3, 4
ou Gal. 3, 0) et a Isaie (41, 8). — Cf. Ronsch, p. 572-574.
7. Les fragments dits deutih'ocanonigiies du N. T. n'apparaissent pas,
du moins avec certitudc, chez Tertullien. Oehler a releve plusieurs allu-
sions â la finale de saint Marc (10, 9-20), mais toutos sont fort douteuses.
Par contre on aurait tort de voir dans Pra.x. 25, ou il cite Joan. 20, 31
L KCIIITURB.
231
3° Texte des Kcriturea ' .
Le texte original, hebra'ique ou grec, des Ecritures, n'etant
accessible qu'k un petit nombre de lidoles, specialement dans
l'Afrique occidentale, de bonne heure on s'occupa de le tra-
duire pour l'usage commun. Tertullien est Tun des premicrs
temoins de ce travail, et cite largementles versionsprimitives.
Ses etudes scripturaires interessent donc au plus liaut point Ies
origines de la Bible latine.
Nullc part on ne voit qu'il se soit preoccupe de recourir â
l'hebreu. II indique bien, ăpropos de Îs. 7, 14-, le sens du mot
Emmanuel [Nohiscuin Dens); mais â coup sur ce trăit ne de-
cele pas un hebraisant. Par contre, ii possedait fort bien le grec,
puisqu'il etait capable d'ecrire des livres en cette langue*;
et ii s'en servait pour l'etude de l'Ecriture sainte. Dans Ies dif-
ficultes de texte, nous le voyons recourir aux Septante pour
l'A. T., au texte original pour le N. T^ Sansfaire intervenir le
commo clausula evangelii, la preuvc qu'il n'aurait pas connu la finale
(d'ailleurs protocanonique) de saint Jeaii. Car An. 50 renfoi'ine une allu-
sion certaino, â Joan. 21, 23.
1. L'histoirc de la Bible aiVicaine viont d'etj'c e.xposee cxcellcmnjent par
Jl. P. Monccaux, Tertullien, 1. 1 c. 3, p. 97-176. Nous ne .saurions I'aire
choixici d'un meilleiir guide. — \'oir encore : Burkitt, 77ie old latin and
the Itala, dans TextH and Studies 4, 3 (1896); Nestlc, Urtext und Ueber-
setzungen der Bihel (Lcipzig-, 1897) ; Io încuie dans Real-EncyclopCidie fiir
Prot. 7'heol., 3,(1897) au mot Bibeliibersetzungen ; Wordsworth, San-
day and Wlnto, Oldlatin biblicul text (Oxford, 1883-88); Wordsworth
and White, Novmn Testamenlum latine tOxtord, 1889-93); Samuel Berger,
IHstoire de la Vulgate (Nancy, 1893); Ronsch, Itala und Vulgata, 2' ed.
Marburg, 1875) ; das Neue Testament Terlullians aiis den Schriften, des-
selben reconstrairt (Lcipzig. 1871); llarnack, Chronologie der A C L,
2p. .301 sq.
2. 3 M. 12.
3. Voir />'. 15; V.v. 1; Co/-. 6.
4. Ainsi 2 M. 9 : Impriniis teucndum quod graeca Scriptura signavit,
affiatum norainans, non spirituni(il s'agit de la nature de l'âmc) ; denieme
An. 11. — 4 M. 14. Beati mendici (sie enim exigit interprotatio vocabuli
quod in graeco est), quoniaiu illorum est i-egnum I)ci. — Monog. ! 1. Sciamus
l)lane non sic cssc in graeco authentico quomodo in usum exiit. — Voir
cncore2i/. 24 sur le mot netâvoia (penifence) ; 4.1/. 1 1 surie mot Liban ; Prax.
5 sur Wyo; et ses deux equivalents latius, rallo etsermo; ib. 8 sur nţoSolri;
Val. 6, desespcrant d'cxpliquor cn latin Ies dotailsdu systemc valentinien!
ii se decide â garder des mots grecs, quitte â traduire entre Ies lignes:
<'mprunts h ia langue pliilosophiquc des Grecs, An. 12. 14. 16. 21. 23. 25. 30!
31. etc. ; citations grecqucs, Scap 4. 5. D'autres traits encore sont d'un
232 THjiOLOGIK DK TERTULLIEN.
miracle dans la genese do la version alexandrine, comme
Ironee ^ et le Pseudojustin -, ii professe pour elle un profond
respect •'. Non content de rappelerles elogesque lui ontdonnes
des Gentils, tels que Menedeme et Aristee, ii affirme le devoir
pour tout chretien de s'en tenir â ce texte, qui doit decider
dans Ies cas douteux ; ii lui reste fidele, meme quand d'autres
l'abandonnent : c'est des Septante que procede son texte latin
de Daniel '' : or la version de ce prophete etant particulierement
fautive dans Ies Septante, plusieurs preferaient cmprunter celle
de Tlieodotion ■', qui prevaudra dans l'usage de l'Eglise. Le
principe durecours au grec, admis par Tertullien, ne sera pas
ebranle par la diffusion des nouvelles versions latines, ct saint
Augustin ne s'en departira pas •■'.
Mais si la controverse necessilait parfois Ie recours au grec,
l'usage liturgique d'une population illettree, dans TAfrique
latine, exigeait imperieusement des textes latins; etl'existence
de ces textes n'est pas seulemont vraisemblable, Tertullien en
fournit la preuve positive. II a repandu dans ses ouvrages d'in-
nombrables citations de l'Ecriture ;sainte : sans doute ii ne
prenait pas la peine de traduire chaque ibis du grec. Nous
savons meme par son propre temoignage qu'il avait entre ies
mains des versions de certains au moins des Livres saints '',
}i(!Ut'niste : //. l'.l; c. C. I ; Monog. 8; Pud. 18. — Oii a peine k conipremln'
que Scmler ait pii attribuer â TertiiUicn un ('loigncment systemaliquc
pour Ies textes grecs. (DisserUUio, ap. Oehler, t. 3, p. 029.)
1. Haer. 3, 21,2.
2. Exliort. aux Grecs, 13.
3. Ap. 18.
4. Burkitt, o;?. r((. p. 67; Monceaux, p. 101. 110.117.
o. L'inlluence (1(> Tlieodotion est mai'iiuee sur saint Irenee (Voir Loisy,
Hisloire du texte et des versions de la BH/le, Ainiens, 1892, i. 2, p. 169) et sur
saint Cyprien. (Monceaux, l. c.) — I'ourtant saint Irenee ne parlo pas en
bons terines de Tluiodotion (Haer. 3, 21, 1).
0. 11 s'exprime ainsi, /Ve doctrina chrisliana, 2, L5 : Latinis quibuslibet
emendandis praeeiadbibeantur, in quibusLXXinlerpretum,quod ad Y.T.
attinet, excellit auctoritas... Libros aut.eni N. T., si quid in latinis varie-
tatibus titubat, graecis cedere oportere non dubium est. — Voir la cu-
ricuse lettre ou Io memo Pere engage saint .Teromc ii donner une traduc-
tion detînitive des Septante, au licu de perdre son temps sur l'hebreu.
Ego sanc te mallcm graecas potius canonicas interpretări Scripturas,
quae LXX interpretuni perliibentur. {Ep. 7) ; P. (1. 33,211).
7. Monceaux, p. 110.
L'BCRITUIiE. TEXTE. 233
car ii Ies cite etles discute : versions de la Genese ^ des evan-
giles de saint Luc^ etde saint Jean'', de l'epître aux Galates'',
dala l''*^auxCorinthiens''.D'ouvenaient ces textes, etde quelle
autorite jouissaient-ils dans l'eglise d'Afriquo ? Tortullien n'a
pas pris soin de nous le dire, et Fon ne peut arriver lă-dessus
qu'â des probabilites.
Quand on songe quels liens etroits rattachaient l'eglise de
Carthago â l'eglise de Rome, on imagine volontievs quc Car-
tliage avait regu de Rome ses Livres saints, avec ses pre-
miers apolres. Mais d'autre part on sait que l'eglise de Rome,
durantdeux siecles environ, paria grec; de plus la propagation
do l'Evangile se faisait au moyen de la parole, plus que des
documents ecrits; entîn ii ne faut pas voir dans la traduc-
tion des Livres saints en langue vulgaire une entroprisc
conduite avec metliode par Ies soins de Tautorite eccle-
siâstiquc; deux siecles plus tard, saint Augustin constate
que tout le mondc y a mis la main " : quiconque savait tant
soit peu Ies deux langues grecque et latine, so mâiait de tra-
duire l'Ecriture, et ii en est resulte d'innombrables essais, de
valeur evidemment tres inegale. Ces traducteurs de rencontre
pouvaient surgir a Cartliage aussi bien qu'a Rome, et si
l'origine africaine des versions citees par Tertullien n'est pas
demontrec, du moins elle n'a rien d'invraisemblable. Quoi qu'il
cn soit, nous trouvons pour la premiere fois Ies Livres saints
aux mains des fidelesdansla Passion des Scillitains, martyriscs
l'an 180 aprcs Jcsus-Christ. Cesconfesseurs, gens de condilion
et d'education moyenne, avaientdans leurbagage Ies evangiles
et Ies opîtres do saint Paul ^ : ii y a tout lieu de croire qu'ils Ies
1 2 M. 9.
2. AM. 14.
3. c.C.l<<);Prax.h. .
4. 5 M. 4.
5. Monoff. 11.
6. De doctrinac/tristiana, 2, 11 : Qui onim Sci'iptuvas ex hebvaca lingua
in graecam vprtenint, niimerari possiint: latini autem interprefes nullo
modo. Ut enini cui(iue primis fidci temporibus in manus venit coclox grae-
ciis, et aliquantuhim facultatis sibi utriiisquc linguae haben» videbatur,
ausLis est interpretări.
l.Passio martyrum SciUitanorum, dans Analccla Bollandiana, t. 8 (1889),
|). 7 : Venerandi libri Icgis divinae et cpistolae Petri apostoli viri justi.
234 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
lisaient en latin. Donc uno bonne pârtie du N. T. etait deja
traduite. Vingt ans apres, Tertullien seme dans ses ecrits d'in-
nombrablcs citations bibliques. II le fait en homme qui ne fient
pas â la lettrc, eties mcnies versets reparaissent souvenl cliez
lui avec des variantes notables ^ : cela ne prouve pas qu'il
n'usait point de versions teutes faites — nous avons vu le con-
traire, — mais cela prouve qu'aucune version ne s'imposait
comme texte offîciel. Un demi-siecle plus tard, saint Cyprien
sentira le besoin de mettre un peu d'ordre dans ce cliaos ; ii
adopteraune version, dont une pârtie au moins paraît avoir ete
ancienne, et donnera personnellement Texemple de la fidelite
â un texte unique. Mais ii n'aura pas le temps ou le pouvoir
d'imposer cctte pratique autour de lui, ct Fanarchic qu'il avait
essayo de combattre reprendra bientot le dessus. La Bible
africaine officielle revee par saint Cyprien n'existera jamais,
et saint Augustin traitera Ies textes avec la meme desinvol-
ture que Tertullien.
Un examen attentif permet de designer avec assurance plu-
sicurs parties de l'Ecriture traduitcs en latin pour Ies fideles
d'Afrique, des le temps de Tertullien. La comparaison avec
— \m ic\tr. ('(liti; par Itobinson {'/'. a. S. 1, 2, Cambridfje, 18!)1) autoriso ii
lire Pauli au lieu de Pelri.
1. Voir Ies textes paralleles cites par Monccaux, p. 108 : Deut. 8, 12-1 1
(Jej. f) et 4 M. 15) ; Ps. 1. 1 (Spect. 3; 4 M. 42; Pud. 18) : Îs. 57, 1.2 {Srorp.
8; 3 M. 22; 4.1/. 28); Act.21, 13 (Scorp. 15; Piig. 0); Koiii.8, 17. 18 (Scorp.
13; 7Î. 40). — Nous ajoutons los suivants :
Ps. 44, 5. ■ — Soptante: 68yiY>iusi <ts 6au|xa(TTâic rj os^^a <tou. ,/. i) : Deducel ic
magnitudo dexlerae tuae; SM.li :Deducet te mirifice dexteratua.
Ps. 44, 6. — On lit ./. 9 : Ense... quem tune cingebatur super femur apud
David, qiiando veniurus in terras ex Dei Palris decreta nuntiabatur ; 3 31.
W : Ense... quem tuncjam cingebatur super femur apud David, quandoque
7ai!'!iurus in terram. Cettederniere version, employee contre un heretique.
renferme une allusion evangelique (Mat. 10, 34 : Xon veni pacem miltere sed
gladium) qu'on ne trouve pas dans la premiere.
îs. 42, 6. • — Septante :"E8(i>xa oe eiţ SiaOijxriv fâvou;, ei; om; £6vmv. J. 12 :
Dedi te in dispositionem gcneris mei, iti lucem gentium; 3 M. 20 : Dedi te in
dispositionem generis in lucem nalionum.
Dan. 7, 14. — IldvTEţ oî laoi, ţiuXat xaî yXioaaai auxio Sou),su(îou(7iv estrcndu,
,/. 14 : Omnes nationes terrae secundum genus et omnis gloria .lervienl illi:
3 M. 7 : Omnes nationes terrae secundum genera et omnis gloria famulabunda
(Noeldechen, T. U. 12, 2, p. 67).
Le livre de Ronsch, Das Neue Testament TertuUian's, fournira d'innoni-
brables n.xemples.
L ECRITURE. TEXTE.
235
saint Cyprien offre â cet egard un exccllcnt criterium •" . II n'est
pas rare en effet que Ies deux aiiteurs citcnt Ies memes lextes
scripturaires en termes â peu presidentiques. Quandccstermes
sont ceux de notre Vulgate, l'accordn'arien de tres signifîcatif:
car Ies transcriptions successives, au cours du moyen aga, ont
eu goneralement pour effet d'alterer Ies citations scripturaires
pour Ies conformer au texte de saint Jeromc. Mais quand ils
s'en ecartent, l'accord des deux docteurs africains sur une legon
singuliere donne â penser qu'ils puiscnt ă la meme source. Or
cela est particulierement frequent pour Ies livres suivants ^ :
quant â l'A. T., Genese, Deuteronome, Ies quatre grands Pro-
phetes, Proverhes, Psaumes; quant au N. T., Evangilea (au
moins saint Luc et saint Jean), principales EpUres de saint
Paul, et, jusqu'ă un certain point. Ades des Apotres. On est
donc i'onde â croire qae ces livres figuraient dans la Bible la-
tine de Tertullien.
Que cette Bible fut ctroitement apparentee aux Septante,
ii est facile de s'en convaincre. Donnons quelques cxemples.
■ Gen. 49, ."i. — Lo texte des Septante : Iuhcmv -/.at Aîui âSeÂcpoî av^Eii)£ain
âSiy.iav Elaipeaew; aOtâiv est renrlu, ./. 10 : Simcon el Levi perfecerunt ini-
quitalem, ex sua secta; 3 M. 18 :... ex sua haeresi. (Voir Nocklechcn, T. U.
12, 2, p. 07.)
Gen. 49, 6. — J. 10 : In r.oncupiscenlia siia subncrvarunt taurum: 3 M.
18 : In coiicupiscenlia sua ceciderunt 'nervos (auro (Septante : £veupo/.oi;7iffav).
La ^'ulgate porte : In voluniale sua suff'oderunt murum.
1. Reg'. 1. 11-'. — Et vinum et ebriamen nun bibet. Ce voeu dcî la mere
de Samuel se lit dans Ies Septante, et non dans la Vulgate.
îs. 3, 10 ^. — Venite, avferamus jiistum quia inutilis est nobis. Ce tcxie, fort
1. Jlonccaux, p. 112 sq.
2. Rapprochoments tres instruclil's ap. Monceaux, p. 113-117. — On a
rapproche aussi quelques textes do la Passio Ferpeluae (ib., p. 114). —
L'epigraphie africaino a fourni. au R. P. Delattre un certain nombre de
textes bibliques (\'oir le Compte rendu dutroisieme congres scientifique in-
ternaţional des catlioliques, Bruxelles, 1894, t. 2, p. 210-212). Jlais cos textes
apparticnncnt au quatricuic ct au cinquicme sicole. — ■ L'incorrection
meme de certains textes cites par Tertullien montre qu'il transcrit un
traductfiur barbare. Ainsi Pud. 13, dans la citation de 2 Cor. 2, 7 ; ce
n'est pas Tei-tullien qui a rendu wtrxe par uti suivi de l'infmitif : uli e
contrarie magis \oi donare ct advocarc (le verbe malitis est une insertion
de Oehler). — Autres exemples ap. Harnack, Chronoloqie, 2, p 301 n 1
3.,/ej. 9.
4. 3 M. 22.
236 THEOLOGIE UE TEUTULLIEN.
eloigne do ia 'Vulgat!;, repond au g-rec dos Scptante, tel que Ic lisait saint
.Iustin {Dial. 137) : Aeyojv yâp xriv Fpaţriv r, Xl-fer Otial autoî;, oti peSouXEuvtai
^OTjXriv Tiovvipdv xft9' sauTwv, £17t:6vt£?, wţ âlriY^n'y^cvTO oi ^KS6oţi.rjXOvTa sTcrjvsyxa'
"ApwţiîV Tov 5:xaiov, otl 3'j(7XpY;a'T05 riţiTv s^tiv, IjaoO £V o.o-/r^ -yj^ 6p.t/ia; y.al £tTc6v-
To; OTCsp iţjieti; EÎpvîo6ai poOXeaOs, eîitovTEţ- A)isco[j.£v tov oîxaiov, oTi ou(î/_pr|5To;
•fijiîv eo-iv. Le texte que Justin api)Orte eii seconil liou est celui quc saint
.Ierome lisait dans Ies Septante, et que prescntent nos manuscrits.
îs. 5, 18 1. — Vae illis qui delicta sua velut prucero funo necUtnt. Repond
aux Septante : Ovaioî Ema7iw[xcvoi ta; â|iapT;'a; ti; (jjfoiviM |iay.p(3. — Vulp; :
Vae qui IrahUis iniqitUalem in fvMicul/h vanitatis.
Îs. 7, 9 ^. — AHsi crediderilis, non intellegetis. Septante : eiv \i:}\ Tf.cTE'jtrriTe,
oCiSe (iii (juvvjTs.. — Vulg : Si non eredidoritis, non pennanebitis.
Îs. 9, 1 ^. — lioc primuni bibilo, cilo facilo, i'epoud au grec des Septante :
ToîJTo TipwTov TtÎE, Ta'/u itotEi. (Cf. Ilieron. in li. 1., /'. L. 24, 124.)
Îs. 57, 2 ''. — Sepullura ejus ablata est e medio. Cetto version, oii Ter-
tuUien trouve unc allusion ă la resurrection du Christ, i'epond libremcnt
au texte des Septante : eo-Tat Iv Eiprjvfj t) xaşT, auToii. EUe s'eeartc notable-
ment du texte original, reproduit plus fidelement par Aq. Sym. Theod.
Îs. 63, 9 ». — Non angelus neque legaius, sed ipse Domintis salvos eos fecil.
Repond au grec des Septante, et differe de la Vulgate.
Cette fidelite â la version alexandrine nous a valti parfois la
conservation de legons importanles.
Ps. 95, 10 f'. — Dominus regnavU a ligno. Lcs mots : a ligno manquent
en liebreu, cn grec et dans la Vulgate ; ni Origene, ni saint Jerome ne ies
connaît. Cepcndaiit saint .Iustin {IHaL 73) affirmc (jue Ies Septante por-
taient : 'OKOptoţ iSa^GÎlvjae-i ano xov ŞuXou, et accuse Ies Juifs d'avoir fait
disparaîtrc cette allusion ii la croix. On la retrouvc dans le psautior grec
de Verone, cliez Lactance, Ai'nobc, saint Augustin, Cassiodore; ell(^ a
pass(! dans le Vexilla Regis :
Impieta sunt quae conciiiil
David fideli carmine
Dicens in nalionibus
Regnavit a ligno Dens ;
et dans la liturgie romaine. Mais la conformit*; de l'hebreu et des ver-
sions ancienncs, qui toutes ignorcnt cette allusion, rend invraisemblable
l'âccusation formiil('e par saint Justin : Ies uiots irM tou lyXou sont plutot
y.Paen. 11.
2. Ap. 21 ; .B. 10: 4 M. 20. 25. 27: 5 M. 11.
3. 4 M. 7.
4. 3 M. 19 ; /. 10.
5. e. C. 14, fin.
a 3 M. 19; J-. 10. 13.
L ECRITURE. — TEXTE. ^-^'
une glose chretieiine. Voii' Corncly, Inlrod. in Lihrus sacros, t. l,p. 280.
îs. 9, 6 1. — Le nom d'Ange du grand conseil, donne au Christ dans Ies
Septanto, n'a point passe daii.s Ia Vulgate; mais ou le trouve chez Tertul-
lion {c. C. 14), commo chez saint Ireneo (3, 16, 3).
Parfois cependaiit Tertullien a omis, chang-e ou ajoute quel-
que chose au texte des Septante :
Deut. 21, 232. — jlfalediclicsomnisquipependeritin Uf/no. Cest ainsi que
Tertullien cite ce te.xte. La nias.sore, Ies Septante ot la Vulgate ont : male-
dccius a Deo. Saint .Iustin {Dial. 89) avait commis la raeme omission que
Tertullien.
Tliren. 4, 20 •'. — Spirilm personae ejus Christus Domintis. Pour Ter-
tullien, le pronom ejus represente Dieu le Pere. îlais on trouve un pro-
nom de 1" personne chez Sept. ; llv£u[;.a ;:poaMKOu f.^wv Xpiaraş Kupio; (saint
.Iustin, 1 Ap. 55 : rfveCfix Ttpâ Tipocrojiro-j :f]jji5>v), Vulg. : Sp'iritus oris noştri,
Chrislus Dominus; ce qui no permetpas d'appliquer ce te.xte â la proces-
sion du Verbe.
Ez. 9, 4*. — Transi per mediam Ilierusalem, et scrihe signum Tau in
frontibus virorum qui gemunt et dolent...; ib. O : Onciies aiderii super quos
est Tau signum, ne accesseritis. Les Septanto parlent bien de signe (<rr,(«.£îov),
mais ne specifient pas quel signe. D'aillours ce passage ne so trouve pas
dans ce qui nous a ete conserve de saint Justin. II y a donc lieu de
croire que Tertullien a sous les yeux une version autrc que les Septante,
peut-âtre celle d'Aquila, qui, ainsi que Theodotion, conserve le Tau.
Osce, 12, 4 ■'. — In templo meo me invenerunt. Xc ropond pas au grec ;
Tertullien a bien merite du N. T., en'denongant les mutila-
tions infligees par Marcion â ceux meme des Livres saints
qu'il ne rejetait pas entierement. On sait que l'heretique sup-
primait l'evangile de l'enfance (Luc. 1-2)''. II avait pris bien
d'autres libertes avec le texte de saint Luc et de saint Paul.
Luc. 10, 25 ''. — Quid faciens vitam aeternam consequar? Marcion a
supprime aeternam, de maniere qu'il est seulement question de longevite,
c'est-ii-dire d'une benediction temporcllc, aux termes de la Loi. (Ex. 20,
12; Deut. O, 2.) Tertullien rctablit le mot supprime.
1. c. C. 14.
2. Paf. 8; 3,1/. 18;/. 10.
3. Prax. 14.
4. J. II.
5. 4 M. 39
6. 4 M. 2. 3.
7. 4 M. 25.
238 THEOLOGIE DE TERTULLIKN.
Gal •• — 3, 14. Marcion supprimait la mcution d'Aljvaham. U suppi-imait
3, 15-25. II soudait un lambeau de 3, 15 (secundiiiii /lominem dico) â 4, 3.
lioin. — Cottc opître avait ete particuliercmcnt inaltraitce par l'lierc-
tiqiie. Tt'rtullien lui oppose le toxtf: integral - : Quantas autem fovoas
in ista voi maxime epistula Mareion fccerit, aulerendo quae voUiit, de
nostfi instnimcnti integritate parebit.
1 Cor. 15, 45 3. — Factiis primus homo Adam in animam vivam, novis-
simux Adam in spiritum vivifieantem. Sur ce verset, Tertullien releve un
faux de Marcion : StuUissimus hacreiicus... Dominum posuit novissimwn
pro novissimo Adam, Faux maladroit, qui trahit l'intention de deferidre
la doctrine des deux Christs, et qui ruine la syniotrie de la pensie.
Eph. 2, 14*. — (Christu^) ipse es(, inquit, pax nontra, qui fecit duo
unum, judaicum se. populumet genlilem, quod prope et quod longe, soltito
medio pariele inimiciliae in carne sua. Marcion avait supprime sua, qui
condamne .son docetisme.
Epli. 2, 20. — Superaedificali super fundamentum apostolorum et pro-
plielarum. Marcion avait supprime et prophelarum., qui montre l'unite du
plan divin â travcrs Ies deux Testaments.
Eph. 3, 8. 9°. — Datam inquit siiii Apostolus gratiam novissimo omnimn,
illuminandi omnes, quae dispensalio sacrameiiti occuUi ah acvis in Deo qui
umnia condidit. Marcion effaoait la preposition in, et faisait Ie Dieu crea-
teur ignorant de ce (tui a 6tc revele aux ministres du dieu nouveau.
Eph. 6, 2. — Obaiidiant et parenlibus filii... hoc est enim primum in pro-
missione praeceptum. Saint Paul no fait ici que reediter un precepte de
l'A. T. (Ex. 20, 12), l(>s derniers mots du texte le constatent : Marcion Ies
avait supprimes.
1 Thess. 2, 15''. — [Judaei) Dominum interfecerunt, et prophetas [suos].
A la faveur sans douto de Tambiguite du texte grec : T»v -/.a: xov Kiiptov
âitoKTEivâvTMV 'Itictouv xalxou; upoţriTac, Marcion avait du insercr un pi'o-
nom i'ell(;chi — Toiiţ (sauTuv) xpocpiiTa; — C(î qui pcrmettait de separer la
cause de .Jesus de celle des prophctes. Tertullien denonco cette interpola-
tion tendancieuse.
Dans le N. T. , Tertullien presentc, comme dans FA. , des legons
particulieres. llintervertit deux demandesdu/'aie/' ^ : celte ano-
malie n'etait sans doiite pas generale en Afrique, car on ne la rc-
1. 5 M. 3. 4.
2. 5 M. 13.
3. 5 M. 10.
4. 5 M. 17.
5. 5 M. 18.
0. 5 M. 15.
7. La 2" ct Ia 3". — {Or. 4 et 5, et, de nouveau, 9). II n'a d'ailleurs pas
cu d'autre occasion de citer ce verset. Mat. 6, 10. — Ronsch, p. 80. 59i-).
l'eCKITUKE. TEXTE. 239
trouve pas chez saint Cyprien qui, Iui aussi, commenta TOraison
dominicalc. — Yoici deux variantes notables du 4'- evangile :
Joan, 1, o. Omnia per Uium facla suni, el sine illu faclum, est nihil '. —
Dans sos nombreuses allusions â co texte, Tertullion omot constammcnt
d'y raltacher Ies mots : quod faclum est. On doit cn conclure que, dans
.sa pensce, ces mots appartenaient â la phi-ase siiivante, contraifemenl,
ă la Vulgate, mais conformemcnt â Taeaucoup de textes anciens (Clement
Alex., Xovatien, de Trin. 13. IG. 21, Ambi-os., Scrm. 14. 20 in Ps.
118; etc...; Vere. Veron. Corb. atarque,Palal. Gal. Gali. Brix. — Ajoiiter
la PeshUlo d'apres F. C. Boi'kitt, dans J. T. S. 4 (april 1903) p. 436-438).
Joau. 3, () 2. — Quod in carne natuiri est, caro est (quia ex carne natum
est): ...el quud de spirilu nalum est, spiritus esl (quiaDeus spiritus est, el ex
Deo natus esl). Les mots mis entre parentheses n'appartiennent pas an
texte saci'ă. Soit qu'ils y eussent cte inscces par un traducteur inconnu,
soit que Tertullien le premier les y ait introduits, la glose (juia Deus spi-
ritus est... fut considerdc par plusieurs Peres (Hilar. Ambr. Vigil. Taps.)
comme ficriture sainte, et on la reti'onve dans diveivs mss. de la Biblo
latine (Vercellensis a etc.) •"■.
Enfin ii lui arrivc de tomber daiîs des bizarreries ou des
erreurs plus ou moins graves, dont les unes lui sont impu-
tables, les autres sont dues, au moins en pârtie, â rincorrec-
tion des textes grecs :
l'rov. 9, 2'*. — Sojjlda jugulavit filios suos . Sept. : 'H ao-ţlo.... saţaŞe toc
SauTrjţ 8u[jiata. Vulg. : Sapientia immolavit viclimas suas. La leşon de Ter-
tullien est liee â une interpretation niystiquc : ii applique ce texte aux
luartyrs, et ajoute : Opto et ipse in filios cjus redigi, al ab ea occidar; oplo
occidi, ut filius fiam. Comparcz saint Augustin, Civ. Dei, 17, 20 : Hic certe
aynosciraus Dei Sapientiam, h. e. Verhura Patri coaelernum, inutero vir-
ginali doniura sibi aedificasse corpus hunianum, et huic, tanquam capiii
membra, Ecclesiam siibjunxisse, marlyrum viclimas immolasse... — Le
niot filios, comme traduction de e-jj^aTa, resto surprenant. Tertullien au-
rait-illn, dans son exemplaire des Scptante : xuiiara (fetus), pour eOnaxa?
l.uc. 12, 51''. — Pulalis venisse me pacem miltere in terram? Non dico
vobis, sed separătionem. Machaeram quidem scriphim est: scd Marcion
emendal, quasi non et separaţia opus sit machaerae. — Tertullien accuse
Marcion d'avoir substilne au mot ţLa^aipOT le mot i\a.\i.tţ<.a\xm . 11 n'a pas
1. //. 20; cf. ib. 18. 22. 45; 5 M. 10; R. o; Prax. 2. T. 14. 1J3. l'.l. 20 21.
2. c. C. 18.
o. Scmler, ap. Oohler, t. 3, p. 637.
4. Scorp. 7.
5. 4 M. 29. Cf. Zalm, X. T. Kanon, 1, p. 004.
240 THKOLOGIE J3E TERTULLIEN.
pris la pcine de se referer â sa propre Bible, et sa inemoirc: le sert mal. Li;
passage parallele de saint Jlatliieu (10, 34) a en cffct [ji,â);atpav, mais tous
!cs textes de saint Luc poi'tent Sia(ji.Epi(îjj.6v.
Joan. 1, 13. — TertiiUien lit ' : Non ex sanguine nei: ex vohwtalc carnis
nec ax vohmtale viri, sed ex Deo natus est; ot ii accuso los valentinicns
d'avoir falsific Ies textes grecs pour adapter k IcLir conccption d'une race
spirituelle d'liommes ces mots qui, en roalite, concerneraient le Clirist. Le
lait est que la meme lecon se rctrouve par deux fois dans la version la-
tine de saint IrenoeS; on l'a sişnalee encore ^ chcz saint Ainbi'oi'so, saint
Augustin et Sulpieo Severe, enfm dans le codex veronensis b des evangi-
los*. On peut doiie croire que, des Ie deuxienui siecle, cette. leeon se trou-
vait dans un certain nombre de textes latins. Quant â l'accusation de
i'aux, fonnulee contre Ies heretiques, rien n'est moins prouve, oţ l'on
peut douter que Tertullîen se soit livre sur ce poiiit a une euquetc; S(''rieuse,
car nos textes grecs portent : aW iv. ©eoîi EyewriOyjcrav, lecon confirmee par
la Vulgate : sedex Deo nati sunt ■• .
Act. 15, 28. 29'». Visumest Spirilui Sanclo el nobis nullum amplius vobis
adicere pondus quain eorum a quibus necesse esC abslineri, a sacrificiis et a
fornicalionibus el sanguine, a quibus observando vos recte ageiis vetanle
Spirilii Sancto. Tertullion croit trouver ici la reprobation de l'idolâtrie,
de la fornication et de l'homicide, c'est-â-dire des trois cas resorves.
Aussi ajoute-t-il aussitot : Siifficit et hic servatum esse moechiae et fornica-
tioni lociim honoris sui inter idulolalriam et homicidium. En realite Ies
mots sacrificiis et sanguine ne visent que Ies idolothyta et los vianrtes
etouffees. (jrec : ăr^ix^'^^^'' EtSwXoOurwv xat a.'iy.oi'^oz v.at hvcxtwv xai Tiopveaic.
— On trouvo la trace de la meme errour dans Iren. (3. 12, 14), Cyprian.
Ambrosiast. Hier. Pacian. et le codex Bezae.
Gal. 2, 3. 5. " — Sed nec Titus, quimecum, erai, cum esset Graecus, coac-
tus est circmncidi... Propter falsos superinducticios jratres, qui subin-
traverant ad specidandam libertatem nostram, quam habemus in Chrislo,
ut nos subigorenl serviluti, ad horara cessimus subjectioni. Cctto version
diflere du texte grec de Marcion.TertuUienreprocheâ l'heretique d'avoir
l'ausse Ies derniersmots par l'insei'tion d'une negation {nec ad horam ces-
simus); ii estime que saint Paul explique ici Ies concessions auxquelles 11 se
1. c. C. Iii.
2. Ireneo, 3, 16, 2; 3, 19, 2. — Peut-etre a-t-on la trace de la meme
lecon cliez saint .Iustin, Dial. 63; 1 Ap. 32; et chez saint Ignace, Smyrn. 1.
3. Voir Sabatier, Bibliorura sacrorum lalinae versiones anliquae, 3,
p. 388 sq.
4. Voir Biancliini, Evangeliarium quadruplex (reproduit dans Migne
P. L. 12, 356). Le codex veronensis est du cinquiemc siecle (Gi'egory, Pro-
legomena in N. T. Tischendorf ^, Leipzig, 1891, p. 954).
5. Voir cependant, pour la defense de la lecon de Tertullion, l'abbo Loisy
dansR. H. L. R. t. 2(1897), p. 142-163.
6. Pud. 12.
7. 5 M. 3.
L ECRITURE.
241
vit amone par egardijour de faux frores, et apresavoir develoi)pe sapensee,
ii conclut : Necsssario igitur cessit ad lenipus, el sic ei fcUio constat Timotheum
circtmicidendi. La negation marqueegalcment danssaint Irenec (3, 13, 3),
Victoi'inus, Ambrosiastcr, Scdulius ct le codex claromontarais'D. Quelques
modernesontpris parti pour Tertullien ' . Neanmoins Ic contexte indiquc
bien claii-ement l'intention, cliez saint Paul, de motiversoii independance
â l'egard des faux freres; on sait d'ailleurs qu'il fut amene â circoncire
Timoth6e (Act. Ici, 3), mais dans le cas present ii rcfuşa de circoneii-e
Tite. La ncg-ation doit Otre maintenue (oî« oxioi dansles princifjaux niss.
grocs BAC ]■: F G K L P; de memo Ies vorsions : vulg. syr. copt. anu.,
plusieurs Peres Latins, Anibr. Ilier. Aug.).
Gal. 3, 20. Omneu enim fUii eslis fidei -. — Le texte grec porte : nâviei;
-fâp viol 0îo\i iaTE S'.a T^ţ TtîffTEw; £'/ XpiffiM 'Iviaou' La Iccon /ilii fidei (au
lieu de fUii Dai) devait se trouver dans Ia version latine employee par
TertuUien, qui ajoutc aussitot : OstendUur quid supra haerelica indus-
tria eraserit, mentionem sa. Ahrahae, qua nos Apostolus filios Ahrahae per
fidem affirmal, secunclum quam mentionem. hic quoqiie filios fidei nolavit.
1 Cor. 7, 393. — TertuUien traduit : Mulier vincta est, in quantum tem-
l'joris vivitvirejus; si autem mortuus fiierll, libera est: cui vuit, nubal,
tantum in Domino. Et ii reproche aux catholiques de denaturer la pensee
de saint Paul, per duarum syHaharum aut caUidam aut simpHcem eversio-
nem, quand ils lui font dire : Si autem dormierit vir ejus, libera est : si
son mari vient ă mourir, au lieu de : si son mari est deja mort; appliquant
au futur ce qui ne convient qu'au passe, et autorisant, non seuloment le
mariage chrcticii d'unc femmo dcvcnuc vcuve dans l'infidelitc, mais le
second mariage d'unc vouve chr(Hienne. La critiquc de TertuUien donne
â penscr qu'il lisait dans son cxemplaii'e de saiut Paul : ik'i Iz y.£xoiij.îiTai
o av/ip: mais Ies textes Io eondamnent; tous portent : liv 6e xoijiviOţ 6 avjip,
l'aoriste, et non Ic parl'ait, du subjonctif. — . La version condamnce par
TertuUien a ete consorvee par saint Cyprien ct par la Vulgate.
2 Cor. 7, 1 ''. — Cite une premiere )'oi.s sons la forme : Hundemus nos
ab inquinamenlo carnis el sanguinis {'!); une seconde fois sous la forme
plus conforme au grec : Emundemus nos uh omnl inquinamenlo carnis et
spiritus.
Phil. 3, 14 ". — La vei'sion : .Ad palmam incri'minalUmis suppose le grec ;
E:t! t6 ŞpaSEÎov ir^c âveyxAria'Sw;.Le texte autlientique i)orte : rât ro ppaSEîov
1. -Morinus, Exercilation. biblic. 2, 1, p. 31; Semler, Dissertatio de varia
et incerta indole librorum Terlulliani, 5. 6. 7 (reproduit dans Ochler
t. 3, p. 029 sq).
2. 5 M: 3. — M. Zahn (Geschlchte des N. T. Kanons, 2, 2, p. .5(3(3;, admct
contre touto vraisemblancc que llai'cion avait corrige le texte grec, pom-
lire : uîoi... 171% m<jzzu>i. — Harnack, Chronologic, x. 2, p. '.Î02.
3. Monog. 11.
4. .5 ,1/, 12 ; Pud. 15.
5. R. 23.
THEOLOOIE DE TKRTUI.l.IEN. Ig
242 THKOLOGIE DE TEUTULLIEN.
T-?,; âvw Y.Xf,aib>;, quo la Vulgate a rcnclu : Ad bravium supernae vocaiionis
(Rigaiilt).
1 Thess. 5, 231. — Cito tantol: avoc une inversion des termos : E( inle-
f/i'Mii corpus vesli'Uiiiet anima c( spinlt<.s sine querela conserventur in prae-
senlia Domini; taritot selon l'ordi-e du texte original : Spirihis noster el
corpus el anima sine querela in adventu Domini el Salulificaloris noştri
Chrisli conserventur.
Hebr. 6, 4-G. — TertuUicn'^ cite ainsi ce texte :. Impossibile esl enirn cos
qui seinei illuminuli sunt el donum caelesle yustaverunl el participaKcrimi
.Spiritum Saaclum et Verbiim Dei dulce gustaverunl, accidente jam aevo
cum exciderinl, rtirsus renovări in paenilenlia.m... — Ori a observe justc-
ment que Ies mots : occidente jam, aevo ne repondcnt nuUement au texte
grec : Suvdijxsis TE p.BXko'noi alâivo?. Scmler, autcur de cettc observation,
pense-" que l'intorpretc a Iu : SOoat p.î/.XovTo; ală'/o;. Toile quelle, lacoujec-
turo ne nous paraît pas plausiblc; mais oile ouvre uno voie que l'on peut
suivrc. Grammaticalement et paloographiquement, la lecon âvivai te hsXXovto;
alwvoc rond niieux oompto du texte latin.
4° Exegese.
En matiere d'exegese, ii est necessaire de distinguer Ies
prinoipes enoncespar TertuUien, et l'application plus ou moins
heureuse qu'il a faite de ces pi'incipcs.
On l'a vu affirmer que rinterprctation des Ecritures, tout
comme leur conservatioii, appartient a l'Eglise liierai^cliique '.
Cest â la tradition apostolique de trancher Ies litiges', et
l'investigation scientifique ne doit pas perdre de vue la regie
immuablo de la foi ''. Les premiers ecrits de TertuUien corro-
borent Ies declarations si explicites du Z^e /»/'aesc/7/)i!«brte sur
le magistere de l'Eglise; et comme en rompant avec le catho-
licisme ii ne depouillera pas ses principes autoritaires, Ia
logique de I'erreur Fentraînera, dans la pratique, ă des con-
tradictions enormes.
II a d'ailleurs, â diverses i'cprises, formule Ies regies d'une
bonne exegose. Avânt tout, ii inculque la necessite de proceder
1. /;. 47; 5jV/. 15.
2. Pud. 20. On sait que TertuUien attribue â saint Barnabe Topitre aux
Hebi'oux.
3. Semler, Disserlalio. ap. Oeldor, t. 3, p. 635.
4. Pr. 11. 38. 31).
5. Ib. 6. 7.
, 0. Ib. 12. 14.
LECUITURE. EXEGESE.
243
du connu â Tinconnu^, du certain a rincertain, et d'expliquer
Ies passages obscurs des Livi'es Saints par l'ensemble des
passages clairs. Les lieretiques font precisement le contraire- :
ils s'attaclient h quelquos mots difficiles, dont ils faussent Ic
sens, et par lă ils corTompcnt toute la doctrine. Les fideles ne
doivent pas s'arreter aux mots, mais s'efforcer de penetrer
l'esprit^. Quand on liesite sur le sens d'un texte de l'A. T.,
ii est naturel d'en dcmander reclaircissement au N., car le
Christ est venu justifier les Prophetes, et les vVpotrcs, deposi-
- taires do sa pensee, sont qualifies pour nous la redire ' . En
tous cas, la parole de Dieu exige de ceux qui l'expliquent un
souverain respect : qu'ils ne se lancent donc pas dans les com-
mentaires hasardeux '■'.
D'ailleurs ii faut tenir compte des figures familieres aux
propliotcs. Avânt d'exposer les oi'acles messianiques, Tertul-
lien fait remarquer " deux procedes ordinaires des voyants :
l'un consiste â enonccr comme passes des faits â vonir, l'autre
h proposer la verite sous forme d'allegories ou de paraboles.
J.'allegorio, loin d'exclure la realite, la suppose et la
confirme : car c'est precisement le propre d'une figure, de re-
presenter quelque cliose de reel. Que l'on prenne au sens spi-
rituel ou figure les prophoties eschatologiques : la fin du
monde n'en sei'a pas moins une verite predite par TEcriture ' .
Cos traits bien reels abondent dans l'A. T., particulierement
les traits pris de la vie du Christ. Ainsi le psaume 21 contient-
1. /)'. ii; Prax. '2G; I'ud. 17 : Pauca miiltis, dubla cei'tis, obscvu-a mani-
l'cstis aiumbraatur.
2. J'rax. 20 : llis tribus capitulis (ts. 45, 5; Joan. 10, 30; 14, 0-11) totum
instrumcntum utriiisquc Testamenli volunt cedere, cum oportoat secun-
duui plura intcllegi pauciora; sed propriuni lioc <;st, omruuin haeretico-
rum... — Pud. 16 : Et hoc soUeruDc pervcrsls ct idiotis haorcticis, jara
ct i)syehicis univcrsis, alicujus capitul! aneipitis occasioce advcrsus exer-
citam sententiarum instrumenti totius ai-mai-i.
3. Scorp. 7 : Verba non sono solo sapiunt, sed et scnsii, nec auribus
tanturamodo audionda sunt, sed et meutibus.
4. Scorp. 9-12.
o. Pud. 9 ; Malumus in Scriptui-is minus, si forte, sapei-e quam contra.
Proindo sensum Domini cu^todire debcmus atquc praoceptum. Non est
lovior transgressio in interpretationc quam in conversatione
0. 3 M. 5; Cf. 13. 14.
7. //. 34.
244 THEOLOCIE DE TERTULLIEN.
ii un recit anticipa de la Passion '. Si donc on fait la part de -
l'allegorie, on se gardera bien de mettre l'allegorie partout.
Nier, par exemple, que la resurrection corporelle soit annoncee,
au sens propre, dans l'Ecriture, ce serait vouloir volatiliser
des textes tres clairs, et parfois rendre impossible Ie sens
meme qu'on pretendrait en tirer-. Assurement beaucoup de
textes scripturaires peuvent s'entendre allegoriquement de la
resurrection •*. Mais ii y en a d'autres. Que la celebre vision
d'Ezechiel (Ez. 37), concerne la restauration d'Israel apres la
captivite, Tertullien le nie; mais ii fait observcr que limage
sous laquelle serait presentee cette restauration, celle d'une
resurrection corporelle, supposerait cette resurrection, et par
lâ meme en fournirait la preuve : meme alors, on ne devrait
pas se departir du sens propre de la prophetie ''. L'interpre-
tation des parabolcs evangeliques exige plus de pradence
encore. Quelques-uns s'autorisentde ces paraboles pour tourner
en allegorie tout Tenscigncment de Jesus; mais l'Evangile
condamne un tel exces ''. On y voit que, si Jesus usait quel-
quef'ois de paraboles, ii ne le faisait pas avec tout le mondc,
ni ă tout propos. 11 reservait d'ordinaire cet enseignement
aux Juifs ; aux disciples, ii parlait sans figures. Et ces paraboles
sont toujours ou bien expliquees par lui, ou eclairees par un
mot de l'evangeliste, ou enfm lumineuses par elles-memes.
L'Evangile renferme d'ailleurs, notamment sur le jugemcnt,
le royaume de Dieu et la resurrection, certaines sentences et
assertions parfaitement categoriques : ii faut Ies prendre ut
sonant, sans y chercher do figures. Par ailleurs, saint Paul,
tout penetre de l'A. T., en reproduit Ies idees et aussi Ies
images '' : c'est ainsi qu'apres David il representc le Christ
sous Ies traits d'un roi guerricr.
Un autre abus de l'exegese allegorique consiste â chercher
1. /;. 20.
'i. 76. 21.
3. Ib. 26 sq.
'). Ib. 30-32.
.5. Ib. 33; cf. Scorp. 11. — Comparer saint Ironiie, sur rintorprctation
des paraboles cH'aiigeliques (//. 2j 27).
6. 5 M. 18.
L ECRITURE. EXKCJESE.
245
(Iu sens aux moindres details '. On prend une peine extreme
pour combiner un systenie que l'on croit ingenieux : mais on
echoue miserablement, comme ces marcliands de ppurpre qui
croient avoir donne â une etoffe une teinte bien uniforme :
ii suilit d'un faux jour pour traliir le defaut de l'ouvrage. Dans
toute parabole, certains traits ne sont lâ que pour la miso en
scene, et n'ont pas d'autre valcur : tout comme dans une
pantomimc l-histrion execute bcaucoup de gestes fort exprcs-
sifs en eux-memes, mais sans rapport avec la donnee princi-
pale du role. Par exemple : pourquoi cent brebis dans la
parabole de Ia brebis perdue? Pourquoi dix draclimes? pour-
quoi un bălai, dans la parabole des drachmes? A sci'uter ces
circonstances indifferentes. on perd de vue la verite essen-
tiello. La raison veut qu'on s'attache aux grandes lignes, qui
seules portent l'enseignement divin.
Ce programme, qu'il tragait d'une main forme, TortuUicn
Ta souvent rempli avec bonlieur. On a pu remarquer deja Ies
qualites, et aussi Ies defaillances, de son exegese. Nous en
resumerons ici Ies principaux caracteres.
Tout d'abord ii convient de signaler le grand merite de sa
polemique contre Marcion. Relevant un ă un Ies argumonts
scripturaires de l'heretique, ii en montre le vice et souvent Ies '
retourne contre Iui. Ainsi :
Luc. 20, o5 -. — Quos vero dignaius sit Deus Ulius aevi possesaîviie et
renurrecKone a mortuis, neque nubere neque nvM. Les marcionites joi-
gnaient les mots Deus illius aevi, ot, Ies appliquant au Dieu du N. T.,
ils usaicnt tle ce te\tc pour battrc en brcche le mariage, comme une vile
institution du Createur : Ut : Filii hv.jus aevi mibimt et nubunlur, de homi-
nibus dicium aii Crealoris nuplias permittentis, se auiem, quos Deus illius
aevi, aller se, dignaius sil resurreclione, jam el hic non nubere, quia non
sini filii hujus aevi. Tertullien retablit la vraic construction, ct montre
qu'il faut joindro : illius aevi possessione; cos mots dependent du verbe
dignaius sil, au memc titre que resurreclione a mortuis. On a peine â
comprendre que les marcionites aicnt pu fausscr a ce point le sens
de leur texte grec : Oî oi y.aTaŞtMOIvxs: tou aîwvo; ey.sîvo'j i^y^lv xai Tîj;
1. Pud. 8. 9.
2. 4. M. 38.
246 THEOLOCIE DE TErtTULUEN.
1 Cor. 2, 8 1. — Tertullien signale un contre-scns de Marcion : Qida su-
bicit (Apo.ilolus) de (jloria noslra, qiiud eam nemo cx principiius /lujiiti
aevi scieril, ceterum si scissent nunquam Dominura gloriae crucifixissent,
argumenlatur haerelicus quod principes hujus aevi Dominum^ allerius se.
Dei Chrislum, cruci confixerint, ut et hoc in ipsum recidat Oreaiurem. Dans
priw.ipibus hujns nevi, Marcion voyait Ies ministres de la haine aveugliţ
du Createur onvers^^^le Christ du dieu rival. D'apros Ies niots sui\'ants(ce;«-
■ rum... crucifixissent), Ies auteurs du crucifiement Turent des instnimcnts
aveugles : or ceci ne convicnt pas aux demons qui, selon l'Evangile, con-
naissaient le Christ lors de sa passion (Mat. 4, 1 sq.; Luc. 4, 34; Luc. U.
21 ; 22, 3) : Ies demons durent travaillcr sciemment a cetţe ccuvre de haine
H de desespoir. D'ailleurs Marcion lui-meme reconnaît que Ies niots prin-
cipes hujus aevi ne dosignent point ici Ies demons. Reste donc qu'ils
designcnt Ies hommes puissants : Ies premiers d'entro Ies .luil's, llerode,
Pilate, le peuple romain. Mais alors Ies raisonnements de Marcion s'e-
croulont, et laissent le champlibro â l'exegese cathoUque.
1 Cor. 4, 9 ■^. — Speetacuhi'in facii sumus mundo et angelis el Iio'minibus.
Marcion voyait dans nnindus le Dcus mundi, c'est-ii-dire le Createur. Ter-
tullien rejette cette intcrprctation arbitraire. II admot que mundo designo
Ies anges et Ies hommes, qui seront ensuite nommes distinctement.
Eph. 2, 3 3. — Fuimiis natura filii iracundicte, sicut et celeri. Tertullien
veut oidever aux marcionitcs l'appui de ce texte, dont ils abusaient pour
fairo du Createur un Dieu de eolere. II montre donc que le uiot ualura
affecte pUi iracundiae, sans affecter precisement filii. Les .Juifs etaient
enfants de Dieu, non par nature, mais par grâce, en vertu de l'adoption
que Dieu avait faite de leurs peres (Crealoris aulem. non natura sunt filii
Judaei, sed allectione pairum); dans iracundiae, il montre une allusion a
la tachc originellc {irae filios ad nalurani retulit, non ad Crealorcm..., dia-
bolo lamen caplante nalurarn, quam et ipsejam infecit delictl semine illato).
— Larestrictiondu sens aux Juifs est arbitraire; sauf ce point, Tertullien
rend bien Ia pcnsee de saint Paul.
II faut reconnaître pourtant que Tertullien ne sort pas tou-
jours victorieux de cette lutte; quelques-unes des interpreta-
tions de Marcion meritent d'otre defendues. Cest le cas pour
les deux suivantes :
Rom. 2, 10 *. — Tertullien s'cxprime ainsi : Judicabil Deus occulta ho-
minum, lam eorum, qui in lege deliquerunt quam eorum qui sine lege, quia
et hi legcm ignorant el natura faciunt quac sunt legis, vtique is Deus ju-
1. 5 M. 6.
2. .5 /*. 7.
3. 5 Ih. 17.
4. 5 /*. 13.
l'eCRITURE, EXEGESE. 247
dicabit cujm sunt el lex el ipsa natura, quae legis est inslar igmranlibus
legem. Judicabit aulem quomodo? Secundum Evangelium, inquit, per
Christim. D'apres cettcexplication, l'fivangile serait le code d'apres Icquel
Dieu jugcra tant Ies Juifs, su.jets de la Loi, que ies Gontils, â qui la na-
ture tient lieu de Loi. ParoiUe justice serait cvidemment ai-bitrairo, car
soiils Ies sujets de rEvanţrile peuvent etre juges sclon l'Evangile; et ilfaut
voir dans Ies mots : secundum Evangelium, non rindication du code qu
reglera le jugenient divin, mais un rappel de rautorite sur laquelle s'ap-
puie saint Paul. Le grec porte : xaTa xo eOaYŢEXio'v [iou, Vulg. secundum
Evangelium meum. II y a lieu do croire que, dans la pensee de l'Apolre,
Io mot important est occuUa hominum. L'ideo de juger Ies actes secrets
devait etro nouvcllc pour bicn des esprits, ct c'est pourquoi saint Pau
(iprouve le bosoiii de s'appuyer sur son Evangile. Voir Cornely, in h. L, p.
139.
2 Cor. 4, 4 1. — In quibus deus aevi hiijiis excaecavit mentes infidelium.
Blarcion joignait Ies mots : deus aevi hujus, et voulait qu'il fut question
du Cr<5atcur. TertuUien, pour oter a l'hcresie l'appui de ce te.vte, admet un
Iiyperbate, ctjoint : mentes infidelium aevi hujus; ii s'agirait des infideles
do ce siecle, c'est-â-dire des .luifs. L'interpretationn'estpasnouvellc: onia
trouve deja dans saint Irenee (3, 7, 1); saint Augustin (c. Faust. 21, 2) la
signale comme plus commune chez Ies Latins. Mais elle fait au texte une
violence inutile. Tcrtulîion lui-menie a senti qu'il ctait plus simple do
s'en tenir â Ia construction de Maroion, cn appliquant Ies mots deus aevi
hujus, non pas au dieu marcionite, mais au demon. (Simpliciori responso
prae mânu erit esse hujus aevi dominum diabolum interprelari, qui dixe-
rit, prophcta referente (îs. 14, 14) : Ero similis AUissimi, ponam in nubi-
bus thronum mcum). I)e fait le demon est appele plusieurs fois, dans le
N. T., prince de ce monde (.loan. 12, .31; 14, 30; 16, 11; Eph. 2, 2; C, 12;
1 Cor. 2, 0). Cette derniere interpretation, connuo de saint Augustin
{e. Fausl. 21, 9; adv. leg. et proph. 2, T), defenduo par saint Cyrillo d'A-
loxandrie ct par saint Thornas (1° l" q. 65 «, 1), a decidement prevalu.
La tendance qui domine dans l'exegese de Tertullien est un
reallsnie parfoisoutre qui lui fait prendre toutes clioses dans un
sens materiei, sinon materialiste, et, selon Ie mot de Bossuet,
corporaliser Ies choses divines. En mame temps qu'elle ost
realiste ă l'exces, cette excgese est etrangement verbale,
c'est-â-dire s'attache aux mots, sans toujours penetrer le sens.
Double tendance bien marquee dans Ies passages suivants :
Gen. 1, 2-. — Spiritus Domini super aquas ferebalur. Dans ce texte,
Tertullien fait de Spiritus Domini tantot l'Esprit divin ct tantotune cr^a-
I. 5 M. 11.
1. iJ. 3. 1; //. 30.
248 THEOLOfilE DE TERTULLIEN.
turc. La pi-emicre int(>i'pretation se rencontre B. 3 : Hahes, honio, im-
primis aetatem venerări aquarum, quod anliqua subslanlia; dehinc digna-
lionc.m, quod divini SpirUus sedes, ţ/ralior se. celeris iunc elermnlis . Nam...
solim liquor, semper materia perfecta, laela, simplex, de suo pura, dignum
voctaculum Deo subiciebat... — ib., 4 : lila jam, tune eliam ipso habilu
praenolabanl ad baplismi figuram Bei SpirUum, qui ah inilio supervec-
labalur super aquas, super aquas intinctorum moraturum. Sanclum autem
uiique super sanclum ferebalur, el ah eo quod superferehatur id quod fere-
batsanclilalem mittuabatur . .. Igilur omnes aquae de prislina originis pra,ero-
galiva sacramentum sanctificalionis consequontur, invocata Deo. Supervenil
enim stalim SpirUus de caelis et aquis superesisancCificanseasdesemeiipso,
et ita sanclificatae vim sanclificandi cornbihunt. — Au contraire, H. 30 :
SingiUatim definiens tenebras, abyssum, spiritum Dei, aquas, nihil con-
fusum nec in confuslone incerlum aestimare facil tarn diversa relatio cer-
torurn et disUnclorura elemeniorum. Hoc quidem ampHus, cum silus pro-
prios eis adscrilnt, tenebras super abyssum, spiritum super aquas, negavit
confusionerii suhstantiarum, quarum demo7istrando disposifionem demons-
travit eliam distinclionem.VXns, clairement, ib., 32 : Eum spiritum conditum
ostendens, qui in terras condilas d.epulabalur, qui super aquas ferebalur,
librator el adflator et animator universitatis, non, ut quidamputanl, ipsum,
Deuni significans spiritum, quia Deus spirilus : neque enim aquae DowA-
num susţinere sufficerent. — Dans Ies fluctuations de cette cxegese sur Ies
mots SpirUus Domini (DiniN mi), une chosi; demeure constante : c'est
Ia tendance â realiser sous une foi-me concrete et matorielle Ies concepts
de Dieu et des choses divines.
Gen. 2, 7^. — Et flavit Deus flaluin vitae in faciem hominîs, et faclus
est liomo in animam, vivo/n. TertuUien maintiont ce texte contr(>
Hcrmogcne, qui substituait au mot flalas le mot spirilus. Ii consent
bion, en vue d'un objet pai'ticulier, â desij^ner l'âme par le nom de spi-
ritus {An. 10, fin : Ita eum de aninia el spiritu agilur, ipsa erit anima spi-
rilus, sicut ipsa dies lux. Ipsum, est enijn quid per quod est quid). Mais cetto
maniere de parler le satisfait mal. An. 11 : Sed ut animam s])iritum di-
cam, praesentis quaestionis ralio compellit, quia spirare alii subsla,nUae
adscribitur. Hoc fium animae vindicamus, quam uniformem et simpliceni.
agnoscimus, spiritum necesse esl certa condicione dicamus, non status no-
mine, sed acte, nec subsianliae tilulo, sed operae, quia spiral, non quia spi-
rilus proprie esl. Cette distinction entre flatus (principe substantiel), et
spirilus (acte de la rcspiration ou de la vio), TertuUien la poui'suit a tra-
vers deu.x textes dlsaie (îs. 57, 16 et 12, 5).
Îs. 57, 16 ^ : Spirilus ex mc prodivit, et jlalum omnem ego feci. — Ib. 42, 5 :
Qui dedit flalum piopulo super lerram el spiritum calcaulibus cam.. — Le pro-
phete montre ici Dieu animanttout de son souffle,etdonnant âtous lesetres
la vie. Lcs Soptante avaient rcndu Thebreu n""! par cvEuna, I'liebreu
1 An. 11.
2. An. 11.
LECRlTUIiK. EXEGESE.
249
naU?; par îrvovi. r)(;jâ saint Ii-enee (5, 12, 2) sorrait de [ires cos mots, et
voyait dans T[v£u[ia l'Ksprit divin, dans jf^ov) Tânie crci'c. >!j\ixTi- Tertiillien,
dcveloppant uno idee indiqueo par lui â propos de (Ion. 2, 7, voit (An.
11) dans Jtv£0(iâ, spiritus, un soutllo qui passe, dans Ttwr,, flalus, un prin-
cipe substantiel de vie; et ii comrncnte ainsi Ies deux textes. Dans Îs. 57,
IG, Ie souffle sorti de Dieu {spiritus; devient chez l'âtre vivant une ânie
(flatus) : anima enim (latus factus ex spirilu. Dans îs. 42, 5, l'ame basse et
charnollc (flalus) est relevee par l'accossion de l'Esprit divin : ainsi cn fut-
il d'Adam lorsqu'il prophetisa (Gen. 2, 23 sq) : Accidentiam spiritus passus
est. Cecidil enim ecsiasis super illura, sandi Spiritus vis operatrix prophe-
Liae. — Le texte sacre n'offre pas de base sunisante a ces hypotheses.
D'aillours la Vulgate a conserve Ia distinction des mots qui existait eu
hâbreu et en grec. Spiritus repond â nlT; flalus repond a nnH';: (le
spiraculum de la Vulgate dans Gen. .5, 7).
Ez. 37 1. — La celebi-e vision des ossements aridespcut-ollo eti'e apportee
oommc preuve scripturairc de Ia resurrection corpoi'elle '? Plusieurs le
contestaient, se fondant sur l'interpretation authentique du texte sacre :
37, 11 ; Fiii hominis, ossa ista omnis domus Israel esl. Intei'prctation qui
parait rostreindre le sens ala restauration d'lsrael. Tertullien montre que,
loin d'excluro l'application â Ia natura humaine, l'application â Israel la
supposc et l'exige; cn effet, Tallegorie divine manquerait de fondenicnt,
si la resurrection corporelle n'etait une croyance etablie dansl'esprit des
.luifs. A'on enim posset de ossibus figura componi, si non id ipsum et ossi-
hus eventurum essel. La resurrection corporelle cşt donc ici supposce ; ello
est affirmce implicitement. Rien de plus naturel que co raisonncment;
il'ailleurs on le retrouve chez d'autres Peres, particulierement chez saint
,ler6me. La vision d'Ezechiel a ete souvent invoqueo commo temoignage
<:n faveur do la resurrection (CIcm. Rom. 1 Cor. 50; .Iustin, I Ap. 52;
Ircn. 5, 15, 1; Origen. in Lev., hom. 7, 2; in Joan. t. 10,20; Didascalie
tfe? ^4 joores, 20 (trad.Nau, p. 100); Cyrill. hierosol. Cato'ii. 18, 15; Epiphan.
Ancor. 99; Ambros. De inlerpell. ,Job et David, I, 5, 15; De Spiritu S., 3,
19, 149; De e.xcessii f'ralris 2, 73, etc... Voir Knabenbauer In E^Lecliielem
(Paris, 1890), p. 379-380). Mais Tertullien ne s'en tient pas Iii : ii ecarte
l'application â Israel comme invraisemblablo ot inopportuno, et rctient
comme sens principal le sens communement rogardo comme implicite et
secondaire. L'originalite de son exegese consiste donc ici dans l'exagera-
tion d'une these juste.
Mat. 9, 4'^ : Quid cogilatis in cordibus vestris nequam? — 5, 28 : Qui
cunspexeritmulieremad concupiscendum, jarnadulteravilin corde. — Dans
ces textes evangeliques, Tertullien croit trouver la preuve d'une partici-
pation du ca?ur, en tant qu'orgâne, aux plus secretos operations de l'âme.
Cest vouloir tirer d'une simple metaphore des doctrincs philosophiques
qui n'y sont pas renfermees. Le memo esprit de reaction oxcessive contre
1. R. 30-32.
2. Ii. 15.
250 TIIEOLOGIE DE TEIlTULLIEPv'.
Texogese allegorique lui fait iiivo<|Lif'r cn faveur de la rcsui'rection corpo-
relle des textes evideiinneiil figurcs ^ (Mat. 10, 29: 8, 11; 13, 42; 25, 30;
22, 12; Apoc. 2, 7). ■ ' '
Ce n'est pas que l'excgoso allegorique fasse totalemctit do-
faut dans l'oeuvre de Tertullieii : on en rencontre d'assez nom-
breux exemples, quelques-uns subtils et forces, d'autres plus
justes, entre lesquels ii s'en trouve de forts beaux. Rappelons
Ies figures bibliques de la croix -; celles de l'eau baptismale •'.
Mais son gout differe profondement de celui d'Origene, et sans
doute sa part d'invention, en ce genre, se reduit â peu de choso.
Gen. 3, 22^. — Ecce Adani factus est lanquamunus ex nobh. Dans cetU';
constatation irritee, TertuUien voit rannoncc iiiisericordieuse de l'adop-
tion divine en .Jesus-Chi'ist.
Ex. 23, 2L^. — Nonien nieuni super Uium devipnt uno aliusion au nom
de .Josue. TertuUien a pu emprunter ii saint Justin (Dlal. 75) cctle adap-
ta tion ingenieuse.
Gen. 49, 27 ; 1 Reg ". — En rojotant l'A. T. et une pârtie du N. T., Marcion
s'est mis dans I'impossibilite d'etablir Ies titres de I'apostolat de saint
Paul. TertuUien lui montre cet apostolat figure dans l'A. T : proplietio do
.Jacob sur la tribu de Benjannn, histoiro de Saiil. Mais surtout ii Je ron-
voie aux Actes des Apotres, oii ii trouvcra mieux que des figures'.
Ez. 28 s. — L'elevation et la chute du prince de Tyr llgurant l'elevation
et la chute du demon.
Dan. 7,13 '. — Dans le FUs de Vhomme, montre au propliete Daniel, Ter-
tuUien rcconnaît le Mcssie. A Tcxemple do .Justin et d'Irenee, ii trouve
dans le nom prophetique, revendiquoi par le Christ, un K'moignago en
faveur de son humanite ; ii deniande a l'Evangile, avec le commentaire
officiel de ce nom, un argument decisif contre le docetismo marcionite.
Mat. 13,6'". — Dansl'ardeurdu solcUqui devore prematurementlajeuiie
plante, TertuUien voit une imagii de la perst'cution.
1. II. 35, lin.
2. Voir ci-dessus, p. 18.
3. B. 9. Ci-dessus, p. 327.
4. 2 M. 25.
5. 3 M. 10.
6. 5i/. 1.
7. Cedernier titre on faveur de saint Paul, cvidemment le plus important
aux yeux de TertuUien, a etc meconnu par îsoeldechen, TcrlalUan,
p. 416-417.
8. 2 .)/. 10.
9. 4 M. 10; ef. 3 M. 7. 24; 4 .¥. 39-41; ,J. 14; c. C. 15.
10. Scorp. 11,
l'eCRITUUE. — EXEGESE. 251
Deut. 33, 17'. — Tauri decor cjus, cormui ■imicornis cornua ejits, in ein
naliones veniilabit parHer ad summum vsque terme. (Bcnediction de
Moîse â la race de Josoph). Apres saint Justin (l)kd. 91), Tertullien appli-
quc CC texte au Oirist, et ii mele dans son explication pliisieurs figures.
I.es deiix cornes !du taurcau representent Ies deux ))ras de la croix : sur
un vaisseau, ne donne-t-on pas ce nom de oorncs aux extrcmites des an-
tcnnes"? Dans la corne unique du rhinoceros, on pcul reconnaîtro le
montant vertical de la ci-oix. De ces deux cornes, l'uno appartient a la
rigueur du Juge, l'autre a la benignite du Sauveur. Ou bien encore elles
ont un double mouvement : l'un pour lancer Ies âmes de la tei'rc au ciel,
par la foi, l'autre pour Ies abattre, par le jugement.
1 Cor. 10,1; ci'. Ex. 17,0; Num. 20,11. — Polra aulcm fuil Chrhlm. Ter-
tullien fait observcr ^ l'importanco de cettc figure biblique, et ses luulti-
j)les aspects : Petra enim Chrisius muUis modis et figvri% ŢtraedĂcatua est.
Cest d'abord la pierre d'ou l'eau jaillit au desert'^; pierre spirituclle,
devenue pour raveuglomont deJIarcion une pierre d'achoppement*. Cest
le glaive de pierre qui donne Ia circoncision du cneur'». Cest cette pierre
de scandalc que fut le Christ pour le monde en son premier avencment ''.
Cest cette pierre d'anglc qu'il dcvait etrc pourl'Eglise '. O'est cette piei-re
que Daniel a vue roulaut de la montagnc et brisant Ies royaumcs du siecle^.
On petit encore signaler chez lui plusieurs sortes de bizar-
reries et d'errenrs exegetiques. Ainsi :
Ps. 91,13 5. — Florehit velul pjioenix. Tertullien allegue ce texte a propos
de la resurrection corporelle : dans le grec ooîvt?, palmier, ii a cru trouver
Ic phcnix. Deja sainl Clement (1 Ep. 25) invoquait la legende (igyptienne
â propos de la resurrection; mais sans se refercr au i>saume. Saint .Ius-
tin cite le texte (Dial. 86), sans commetti-e le contresens.
Ps. 131,11 '1. — Ex fructu ventris (ui {collocabo super thrommi tiium),
devient, par une cxegcso contoui'neo, l'cquivalent precis de : ex frur-tu
ventris fembiae a le ortae.
îs. o, 13. 11 ". — Constitutus est igilur Dorninv.s in judicio. Et staluit m
judicio populam snura. Ipse Dominus injudicium venit cum presbyteriK el ar-
1. 3.V. 18; J. 10.
2. ./. <).
3. B. '.).
■1. 5 -l/. 7.
5. 3i/. 10; /. 9.
0. 3 sM. 7; 4 M. 35; 5 M. 5. 17: J. II.
7. Ib.
8. /b.
9. n. 13.
10. 3 M. 20.
11. J .1/. 12.
252 THEOLOGIE DE TEKTULLIEN.
chonUbm popul/i. Teitullien api)Iiquo au jugcincnt du Seigncur pai- los
pnHres et Ies princes du peuple juif, lors de sa passiou, ce texte, qui vise
en realite le jugcment oxcrce par Io Seigneur contre son peuple coupablo
et ceux qiii l'egarent.
Mat. 7, 7. — Qitaerile el invenietis. — L'esprit raţionaliste [louvait abu-
ser de co texte, contre la foi : Tertullien en restreint l'application aux
Juifs ', ct no consent que de mauvaise grâce â y trouvcr un sens pour Ies
fideles '■'.
Luc. 1, 35'. — Spirilus Dei surperveniet in le, ct Virlus AUiasimi ohum-
brabil le : proplerea quod nascetur ex te sanclum,vocabiiur Filius Dei. —
On sait comment Tertullien voit dans .Spir/iM.? Dei, Virtiis AUissimi Ia so-
conde i)ersoniie de la Trinite. Saint Justin l'avait prcccdi- danscettc voie.
Son exegese n'est pas plus exempte de fluctuations que le
reste de sa doctrine. Voici, k cet egard, quelques-uns des
points Ies plus notablcs :
1 Cor. 7, 9. — Melius est nubere quam uri. — On entend communemont
le moţuri desai-deurs de la concupiscence; Tertullien orthodoxe no parait
pas s'etro licarte sur ce point de l'opinion communc '' ; mais dans sos
<!crits montanistos, ii y voit le fcu do Fenfer " : Velini perlraclare quale
bonum ostendal quod melius est poena, quod non potesl vlderi, honum nisi
pessimo comparalum, ut ideo bonum sil nubere quia deterius sil ardere.
Etil combat l'interpretation deja commune de son temps clicz Ies catlio-
liqucs : (Psychici) '' proplera quoties volunt nubunl, ne moechiae et forni-
cationi succidere cogantur, quod melius esl nubere quam uri. Nimirum
propjter continenliam incontinentia necessarla est, incendium if/nibus exs-
linguetur... — Quihus, oro, ignibus ' deterius est uri, concupiseentiae an
pmenae? Atquin si fornicatlo habet veniam, nonurilur concupiscentia ejus.
Apostoli aulem r/iagis est poenae ignibus providere. Quod si poena est qiiae
urit, ergo veniam non habet fornicalio, quam manet poena.
1 Cor. 15, 50. — Caro et sanguis regnurn Dei hereditate possidere non
possunt. Les Gnostiqucs abusaient de ce texte pour combattre le dogme
de la rosurrcction corporelle. Tertullien Icur repond que IVVputro n'exclut
pas du royaumc des cieu.x la substance de la chair et du sang, mais
l°les vices qui les en rcndaient indiguos;2° lacorruptionprescnte, qui les
on rond incapables. Commo le Cbrist est ressuscite dans sa chair, ainsi
tous les hommcs rcssuscitcront dans leur propre chair, pour etre trait^s
1. Pr. 8.
2. Ib. 9.
3. Prax. 26. — Voir c. III, § 4, p. 78 el 07.
1. 1 Ux. 3. — Ajouter 5 M. 7.
5. Ex. c. 3 ; cf. Monog. 3.
6. Pud. 1.
7. Pud. 16.
l'eCRITURE. — EXEGKSE. 253
spion Icurs oeuvres. Ceux qui veulent (■Ave. reunis au Christ doivcnt pre-
sontement porter cn cux-mS'mes l'image de rhomme celeste ; de plus ils
ne sauraient penctrer dans le royaumo de Dieu qu'apres avoir subi unc
Iransfiguration ct revetu la vei'tu incorruptiblo et immortelle des corps
glorieux. Le texte est donc susceptiblo de deux interpretations, qui ne
s'exclucnt pas, mais se completcnt l'iine l'autrc. Saint Irfinec s'attacliait
a la seconde, qui repond mieux au contexte de saint Paul {Ilaer. 5,
1:5, 3-5); toutefois ii n'ignorait pas la premiere {ib., 9, 3-4; 12, 3; 14, 1).
A son tour TertuUiendonne concurremment Ies deux explications, mais ii
s'attache de preterence <'i la premiere, au moins dans l'Antimarcion (5 M-
10. 14). Dans Ie trăite do la Rcsurrection (R. 18-51), elles se rencontrent
toutes deux : Dumpro merUis disiinclionem resurrecCionis opus subslantiae,
non ffenus, palitur, apparet hinc qitoque cartiem et sanguinem nomine cul-
pae, non subslantiae, arceri a Dei regno, nomime tamen formae resiirgere
in judicium, quio, nou resurganl in regnum... Seci quoriim est adire regnum
Dei, induere oporlebil vini incorruptibililaiis el immorlalilalis, nne qua re-
gnum Dei adire nonpossunt '.
Gal. 4, 4. — Misii Deus Filium suum factura ex muUere. TcrtuUien a
donne de ce texte deux commentaires contradictoires 2. v. v. G : Quam
uiique virginem constat fvisse, licet Hebion resistat. — c. C. 23 : Cum hac
ratione Apostolus non ex virgine sed ex muliere editum Filium Dei pronun-
tiavit, agnovit adaperlae vulvae nuptialem passionem. — Dans le premier
paşsage, ii veut prouver que le nom de mulier est quelquefois donne ii
une vicrge; dans ie second, ii s'appuie sur ce mame mot pour prouver
qu'on cnfantant le Chri.st, Mărio ccssa d'etro vierg-c.
Les fluctuations deviennent plus graves â la fin de sa vie,
alors que, sous l'empire d'une irritation croissante, Tertullien
cherche partout, memc dans l'Ecriture, des raisons pour jus-
tifier Ie changement qui s'cst fait dans son esprit. Cest ainsi
que, â court de textes scripturaires pour justifîer sa reprobation
de la couronne, ii emet cet aphorisme : Tout ce qui n'ost păs
positivement permis est par lă meme reprouve ^. Presse par
ceux qui lui montrent dans la Genese (4, 24) Lamech premier
bigame, ii refuse de croire â la bigamie des patriarches, et
1. li. .50.
2. Cette contradiction nous paraît une raison decisive d'attribuer au
trăite Z)» virginibus velandis unedate plus ancienne qu'on ne le fait souvent
(Noeldeclien, Monceaux). Le developpement concernant le mot mulier ( V.
V. 4-(>) s'accorde a^'cc Or. 22; ii contî'edit le De carne ChriMi, ouvrage iu-
contcstablemcnt montaniste. Si le De virg. vel. etait postericur au De carne
Christi, on serait oblige d'admettre que Tertullien a cliange deux fois <le
pensee, ce qui est peu vraiscmblable. — Cf. Introd., p. xu."
3. Cor. 2 ; Prohibetur quod nou ultro e,st pcrmissum.
254 THKOLOGIE BE TEIiTULLIEN.
affirmG avânt le deluge Lamech n'eut pas d'imitateur : car l'E-
criture n'en dit rien, or Ies fautes que ri'^criture ne fletrit pas
expressement, elle Ies nie ^. Las ouvrages anterieurs de Ter-
tullien foiirniraient d'eolatants dementis â ces assertions
tranchantes. Vers le meme temps , ii formule encore d'excel-
lentes regles pour Tinterpretation des parabolcs evangeliques :
ii veut qu'on s'attache â l'esprit et au sens general, plutot
qu'aux details ^. Mais cette regie, i'ort sage en elle-meme,
vient presentement â l'appui d'une these montaniste. 11 s'agit
d'oter au pecheur repentant Ic benefice des paraboles de mi-
soricorde (brebis errante, draclime perdue, enfant prodigue) ^.
A cet effet, on restreindra ăFinlidele, qui se convertit, Ie sens
de ces paraboles. Tertullien pose en principe que, dans Tinter-
pretation, ii faut se conduire d'apres la doctrine, connue parail-
leurs '' : mais cetto doctrine, lui-meme Ia definit arbitrairement.
Malgre ces taches, et d'autres encore, l'cenvre exegetique
de Tertullien demeure imposante. Dans un temps ou la pre-
dication chretienne clierchait sa voie, ii a donne k la parole
des Ap6tres un dcho puissant et ordinaircment fidele. Moins
aventureux que ses grands contemporains d'Alexandrie, ii an-
nonce plutot, par ses tendances, la future ecole d'Antioclie. Sa
dialectiquo vigoureuse a fait jaillir de l'l'^criture des verites
dont la splendeur Temporte de beaucoup sur Ies ombres repan-
dues ca et Ia parl'instinct materialiste et plus tard par l'esprit
de secte.
IV. LA TKADITION. — LE Crcdo. —
rjlliSCniPTION THEOLOGIQUE.
L'examen des idees de Tertullien sur la tradition apostoli-
que invite a reclierclier d'abord ce qu'il pense de la tradition
1. Monug. 4 : Negat Scriptura qiiod nou notat. —Sui- Ia polvganiie des
patriarches, voir Ies anciennes declarations de Tertullien, 1 Ux. 2.
2. Voir ci-dessus, p. 213.
3. Pud. 7-9. — Voir, sur ces memes paraboles, Paen. 8, ou Ies restrictions
n'apparaissent pas encore.
4. Pud. 9 : Non ex pai'abolis materias cornmentamur, sod cx matcriis
parabolas interpretamur.
THADITION.
255
en general commc sourcc des coiinaissances humaincs. Nous
etudierons ensuite l'apport de la tradition â Ia foi et a la dis-
cipline do l'Eglise. Enfm nous devrons nous arreter ă Targu-
ment de prcscription, crealion originale et hardie qu'il a in-
troduite dans latlieologie, et qui domeurounede ses meilleures
gloires '.
D'une maniere generale, TertuUien n'est pas porte a res-
treindre le role de la tradition. S'il rencontre une verite accre-
ditee dans l'esprit des sages, ii incline, dans son niepris pour
toute philosophie, â y voir l'eclio d'une revelation divine plutot
qu'une conquete de la raison. II aime â repetor que Ies philo -
sophes, Ies legislateurs, Ies poetes n'ont rien lait qu'exploiter
— en l'interpolant et la denaturant — la donnee divine, dont
ils etaient redevables aux prophetes ^. Par le traditionalisme
excessif et le dedain envers la pensee profane, ii rappelle cette
litterature apocryphe qui se reclame du nom de saint Justin.
I/antiquite incomparalile des Livres Saints, du Pentateuque
surtout, est un dogme surlcquel ii paraitn'avoirjamais congu le
moindre doute ; et ii admet sans discussion que de ces livres
procede toute l'education de Thumanite.
Quant a la revelation cliretienne, quiconque veut la connaître
dans sa pureto doit s'adresser aux Eglises apostoliques, qui en
ont reşu le depot. L'accord permanent de ces Eglises sur Ies
fondements de la foi est un fait remarquable, qu'on ne peut
attribuer au liasard. A la verite seule ii appartenait de faire
converger vers une croyance commune tant d'esprits enclins â
crrer chacun dans sa voie^ : Nullus inter multos eventus iinus
est exitus'' : vai'iasse debuerat error doctrinae ecclesiarurn.
Ceteruin, quod apud multos unum invenituv, non est erratum,
sed traditum. Cette loi de probabilite doit orienter Ies cro-
yants. Identique â elle-meme â travers la diversite des temps
et des lieux, telle apparaît la foi traditionnelle, recon-
naissable â sa priorite, puis â son unite. L'heresie presente de
1. \o\\- M. Winkler : Der Traditionsbegriff dea Urchristentums bei
'ferlidlian (Munciieti, 1897), p. 107 sq.
2. 2 A'. 2. 4; Ap. 19. 45. 47 : Test. 6; An. l.
3. Pr. 28. — Voh' Frcppcl, t. 2, lecon 28, p. 222 sq.
4. Texte de Migno. Voii- ci dossus, p. 208.
2o6 THEOLOGIE DE TERTULI.IEN.
tout autres caracteres : nouveaule, inslabilito, absence de se-
rieux et de discipline. Depourvue d'un principe interne de
cohesion, iivree ă toutes Ies influences dissolvantes, elle est
condamnee, par son essence meme, k s'cmietter et ă changer
indefiniment. Le remede â tant de maux est dans le recours â
Timite doctrinale^ Tertullien en donne la formule, d'abord
dans le trăite de la Prescription :
Regula est aiUem fidei ''... illa se. qua crcdiiur tmum omnino Deum esse
nec almm praeler mundi condilorem, qui univorsa de nihilo produxcrit per
Verbitm suum primo omniiim deminsum; id Verbum Filiiim ejus appella-
tum, in nomine Dei varie visiun a patriarchis, in prophetis semper aiiditum,
postremo delalum ex Spirila Palris Dei et Virtute in virginem Mariani,
camera factum in utero ejus et ex ea nalum exisse Jesu/n Christum, exinde
praedicasse novam legem el novam promissiunem reţ/ni caelorum, virlutes
f'ecisse, crucifixum tertia die resurrexisse, in caelos ereptum sedisse ad
dexteram Patris, misisse vicariam vim Spiriius Sancli, qui credentes agat,
venlurimi cum claritate ad sumendos sanctos in vitae aeternae et promisso-
rum caelestium fructum et ad profanos judicandos ir/ni perpetua, facta
ulriusque parlis resuscitatione cum carnis restitutione.
Voici une autre formule beaucoup plus courte :
Regula quidem fidei -'' una omnino est, sola immobilis el irreformabilis,
credendi se. in unicum Deum omnipotenlem, mundi conditorem, et Filium
ejus Jesum Christum, natum ex virgine Măria, cruci fixum sub I'ontio Pi-
lato, tertia die resuscitatum a mortuis, receplum in caelis, sedentem nune
ad dexteram Patris, venturum judkare vivos et nwrtuos per carnis eiiam
resurreclionem.
Une troisieme formule appartient â la periode montaniste :
A'o.s vero '<-'et semper et nune magis, ut instructiores per Paracletum, de-
1. Voii' los objcetions, lUi point de viio protestant, <Uins Neancler, An-
tignosticus'^, p. :!;i5-, Nooldcchcn, p. 200-202. On ne conteste guere que le
trăite de pruescripiione soit une (cuvrc saine et puissaiite. Mais on insiste
sur Ies dil'ficultcs d'application, et sur l'csprit general de cette polcmique
autoritaii'C.
2. Pr. 13. — Une formule tres abrcgec se lit Pr. 36. Ou trou%'era Ies
quatrc textes disposes paralleleuient, pour une etude comparee,'dans le
Dict. Arch; t. 1, p. 617.
3. V. V. 1- — Cett(! Tormule est seule â nientionnor le crucifiemcnt sous
Ponce Pilate.
4. Prax. 2. — llclevons, comme propres a cette formule, Ies mots :
hune passum, hune mortuum et sepultum...
TIlADITrOX.
257
ductorem se. omnis verilalis, iinicum qiiidem Deum credimus, sub hac tamen
dispensalione quara oixovo[i;kv dicimus, ui unici Dei sit el Filius Sermo
Ipsius, (iui ox ipso processerit, per quem omnia facla sunt el sine qtm fac-
tum est nihil. Hune niissum a Patre in virginem el ex ea natum, hominera
el Deum, filium hom/mis el fdium Dei, el cognominalum Jesum Chrislum;
hune passum, hune mortuum el sepulium, secundum Scripluras, el resusci-
talum a Patre el in caelo resumptum şedere ad dexteram Patris, venlurum,
jvdicare vivos el morluos; qul exinde miserit, secundam promissionem
suam, a Palrc Spirilum Sanclum Paraclelum, sanclifieatorem fidei eorum
qui credunl in Palrera el Filium el Spirilum Sanclum.
Parmi ces trois formules * , possodons-nous le texte officiel
du Credo alors en usage dans l'Eglise d'Afrique? Non, sans
doute. La seule coexistence de trois redactions successîves cree
une prcsomption contraire, car elle prouve que Tertullien s'at-
tachait peu â la lettre. A Ies comparer entre elies, on peut
juger que la premiere, des trois la plus complete, aurait aussi
plus de cliances de representer, sous sa forme primitive, notre
ApostoUeum. Mais Ies allusions du debut ăla generation tem-
porelle du Verbe et a ses manifestations diverses sous TA. T.,
Ies allusions de la fin au dernier avenement du Christ, tradui-
sent des preoccupations theologiques familieres ă Tertullien,
et non la foi coihmune des fideles. Ces traits ne conviennent
pas â une piece catechetique. Le meme caractere d'actualite
est encore plus profondement empreint dans la troisieme for-
mule, d'inspiration nettement montaniste. Reste la deuxiemo
formule, plus simple d'allure, et peut-etre extrailc mot â mot
d'un symbole lilurgique. Mais, sans parler d'autres details,
l'absence de toute allusion au Saint-Esprit ne permet pas d'y
rcconnaître un tel symbole dans sa teneur complete -.
1. La premiere a etoeturlioepar .M=' BatiObl, R. B., t. 3(1894), p. 43 sq.
— Voir encoro, sur le symbole des Apotres, S. Baiimer, O. S. B., Das
apostolisc/ie Glaubensbekenntniss , seine Geschichie und sein Inhall (Mayonce,
1893); C. Blumc S. J., Das aposloUsche Glaubensbekenntniss (Fribourg,
1893); Ilarnack (Berlin, 1892); L. llahn, Bibliothek der Symbole {Brei^lau,
1877); Caspari, Quellen :iir Geschichte des Taufsymbols: (Christiania,
1866-1879); A. E. Burn, An Introduclion Io Ihe Creeds and Io Ihe Te Deum
(Londres, 1899); F. Kattenbuscli, Das aposloUsche Symbol (Leipzii;', 1894-
1900).
2. L'allusion au Saint-Esprit ne manque ni au symbole de salnt Irenee
{Haer.\,\0, 1), ni â celuiqu'on apu induire do saint Justin (1 Ap. 61),
ni au symboie tripartite contenii dans Ic.j canons dits de saint llippoljteî
THliOLOGIE DE l'EKrui.l.IEX. 17
258 THliOLOGIE DE TEKTULLIEN.
On remarquera, au dobut de chacune de ces formules, l'al-
lusion â Tunile de Dieu, qui a dispăru de notre Apostolicum \
bien qu'elle se soit coaservee dans d'autres symboles. Par
contre, dans aucune des trois on ne trouvc Ies mots suivants :
Dominum Nostrum — desc.endit ad inferos — sanctam Eccle-
siam catholicam — Sanctorum coinmunionem — ■ remissionem
peccatorum — vitam acternain. — Las allusions â l'Eglise et
a la remission des peclies apparaissent chez saint Cyprien,
lorsqu'il cite le symbole - ; d'oti Fon a pu conclure avec vrai-
semblance qu'elles furent introduites â l'occasion des conlro-
verses qui marquerent le pontificat de Calliste. Pour renconlrer
notre Apostolicum sous sa forme complete, ii faut descendre
jusqu'au sixieme siecle *.
La tradition vivante de l'Eglise n'eclaire pas seulement la foi
des chretiens, elle peat fixer la discipline sur des points oii
l'Ecriture est muette. A cet egard, le trăite De corona rcnfcrme
des declarations importantes, auxquelles on ne peut reprocher
que de s'etre produites liors de propos et pour Ies besoins d'une
mauvaise cause. Tcrtullien considere toute couronne comme
objet idolâtrique, et dit anatheme au soldat chretien qui, dans
unefete militaire, pare son front de laurier. Mis au defî de jus-
tifier par Ies Livres saints une sentence aussi severe, ii repond
que biend'autres observances, pourn'etrepas inscrites dans ces
Ijivres, n'ensontpas moins venerables, ct d'institution divine '.
et usite â Itome poiii' la collation du bapteme au dobut du troisieme siocle
(ed. Achelis, dans T. ii. U. 6. 6, 5 (1891), 124-130, p. 90-97). Voici le texte do
c o symbole, par ailleurstres semblablo â la deuxieme formule do Tertullien:
Credo in Demn Patrem omnipolentem. — Credo in Jesum Chrislum, FUiuni
Dei, quem peperit Măria Virgo ex Spiritu Smicto, qui crucifixus esl sub
Pilato Ponlio, qui mortims est el remrrexil a morluis ieriia die, el ascendit
ad caelos, sedelque ad dexteram, Patris, ct veniet jii-dicaturus vivos et m.or-
tuos. — Credo in Spirilmn Sanctum.
1. Voir, sur co point, Batiffol, l. c. p. 4(J.
2. Ep. 70 : Ipsa interrogatio quae fit in baptismo tcstis est vcritatis.
Nam cum dicimus ; credis in vitam aeterziam et remissionem peccatorum
per sanctam Ecclesiam, intelleginuis remissionem peccatorum non nisi
in Ecclcsia dări, apud haereticos autem, ubi Ecclesia non sit, non posse
peccata dimitti. — L'allusion â la vie otcrnelle ne semblc pas encore
definitivoment acquisc au symbole.
3. Psoudo-augustin, De Symbolo [P. L.39, 2189).
4. Cor. 3 : Hanc (observationem iiiveteratam) si nuUa Scriptura dotcr-
TBADrnox. 259
II cite comme exemples le rite du bapteme, celui de I'eucha-
ristie, Ies offrandes pour Ies morts, Ies fetes des martyrs, la
liturgic du dimanche, celle du temps de Pâques, le soin qu'on
prend de ne pas laisser tomber ă terre une goutte du calice '
ouune miette du pain (eucliaristique), le signe de croix; enfin,
parmi Ies Juifs, le voile des femmes : usage constant, que
pourtant ne stipule aucun texte de l'A. T. La these etait deli-
cate, car preoedemment Tertullien s 'etait trouve en demeure
de reagir contre des coutumes qui pretendaient faire loi. Quand
ii voulut rcformer l'cglise de Cartliage sur le modele de cer-
taines eglises apostoliqvies, et astreindve Ies vierges cliretiennes
ă ne paraître dans l'assemblee des fideles que voilees, on lui
resista au nom de la coutume locale^. 11 prit donc position
contre la coutume au nom de la verite, contre qui, dit-il, rien
ne saurait prescrire : ni le temps, ni l'influence des personnes,
ni le privilege des lieux. Le Christ Notre-Seigneur s'estappele
la verite, non la coutume. La verite est, de soi, eternelle : tant
pis pour ceux qui la meconnaissent. L'heresie est condamnee,
non pas tant par sa nouveaute, que par la verite. Tont ce qui
s'opposc â la verite doit etre tenu pour lieresie, fut-ce une
coutume ancienne. Et apres avoir rappele brievement l'immu-
labilite do. la foi, ii revendique, pour la discipline de l'Eglise,
le droit aa progres. Quand le diable travaillo et developpe sans
cesse son oeuvre d'iniquite, voudra-t-on que l'oeuvre de Dieu
reste stationnaire? Le Paraclet est venu, selon la promesse du
Christ, achever d'illuminer Ies intelligences (Joan. 16, 12) et
minavit, certe oousuetuclo corroboravit, quae sine dubio de tratlilionc
manavit. Quomodo enim u-siirpari quid potsst, si tradituin prius non est?
Etiam iu traditionis obtentu cxigenda ost, inquis, auctoritas scripta. Ergo
quaeraruus an et traditio nisi scripta non debeat recipi...
1. Oa a liosite sur le vrai sens de ce t(;xte. Qu'il s'agisse du calice cu-
charistiqne, cela parait certain d'apres la comparaison avec Ies Canons
d'IIippolyle, 29, 209 : Qui autem distribuit mystcrium quique accipiunt,
rnagna ddigentia caveant ne quicquam in torram decidat, ne potiatur eo
spiritus maiignvis.— Dom Cabrol {Dict. Arch. 1, p. (503) a d^ja rapproche
saint Cyprien, Testim. 3, 91.
2. V. V. 1. — Avec ]\I. Slonceau.x, nons croyons le De virginibus velandis
anterieur au De corona. Les raisons de 51. NoelJechen ă l'encontrc (T. u.
U. 12, p. l^O) ne nous ont pas coiivaiacu.
2G0 TIIEOLOCIE DE TERTULLIEN.
proinouvoir la vie.chretienne. Lâ-dessus, Tertullien se laisse
aller k des assertions montanistes. Reprenant pied sur un ter-
rain plus ferme ^ , ii montrc le voile des vterges consacre par
l'usagedeplusieurs eglises de Grece etd'Orient. Qu'onneparle
donc pas d'importation etrangere : entre nous ii n'y. a qu'une
foi, qu'un Christ, qu'une esperance, qu'un bapteme, en un mot
qu'une Eglise. Pour connaître la pensee complete de Tertullien
en matiere de droit coutumier, ii faut teuir compte de ces pa-
roles, posterieures au De praescriptione, anterieures au De
corona. — Dans ce dernier ecrit, ii fait appel a l'A. T., afin de
montrer, par Ies exemples de Rebecca et de Suzanne, le futur
precepte de saint Paul esquisse par la coutume juive. 11 con-
cluf- : en matiere civile, on admet que la coutume supplee au
defaut de loi; ecrite ou non, elle passe pour le code aulhen-
tique de la raison. Dieu peut emprunter la meme voie pour
manifester sa volonte : ii faut eprouver Ies coutumes; inais,
comme expression de la volonte divine, une tradition autorisee
vaut un texte scripturaire.
Les considerations qui precedent aclievent d'eclairer sous
toutes ses faces l'argument de proscription tlieologique. En
f orgeant pour les luttes de doctrine cette arme â deux tranchants,
Tertullien n'a pas voulu seulement ecarter les heretiques du
terrain scripturaire, ou ils sont des intrus : ii a voulu mettre
aux mains de la verite un precieux criterium. Partant de ce
principe que l'accord des cglises apostoliques n'est pas l'effet
d'un pur hasard, mais l'indice d'une tradition primitive, ii arrive
k conclure qu'en matiere de dogme, possession vaut titre.
Donc tout point considere, k un moment quelconque, par l'en-
semble des eglises, comme appartenant au depot de la revela-
tion, est acquis definitivement k l'enseignement catliolique. On
fermcra la bouche aux dissidents, en leur disant : Nous avons
la verite (prescription de possession). — Votre isolement vous
1. V. V. ■>.
2. Cor. 1 : Consuetudo autem etiam in civilibus rebus pro Joge susci-
pitur cum deficit lex; nec (lilî'ert scriptura an rationo consistat, quando
et legom ratio commendet...
PliESCniPTlON' THEOLCXJIQUlî. 2G1
condamne (proscription ă' unite). — Vous venez Irop tard
(p'rescription d'anciennete) '.
Assurement cette argumentalion souleve, dans la pralique,
des questions fort delicates. Quand trouve-t-on precisement
realise cet accord des eglises, requis pour une preuve propre-
ment dite, ii peut otre difficile de l'appvecier. Mais le principe
est incontestable, et ii suflll a Tertullien de l'avoir pose pour
pouvoir revendiquer une part prepondorante dans le develop-
peinent liistorique du dogme chretien. Place ârcxtremito d'une
chaîne qui compte parmi sos plus proclics anneaux saint Cyprien
et Vincent de Lerins, ii a marque de son csprit juridique le
trăite De unitate Ecclesiae, puis le Coninionitorium. La for-
mule celebre de ce dernier ouvrage^ : Id teneamus quod ubi-
que, quod semper, quod ah omnibus creditam est, ne fait
qu'appliquer, sous une forme precise, le principe du de praes-
eriptione : Quod apud multos nnuin iiivenilur, non est erra-
tum, sed traditam.
1. Voir J. V. Bainvel, L'liglhe; hisloire du dogme; dans ă'laden reli-
gieuses, t. 70 (1897), p. 178.
2. S. Viiicont de Li'iins, Coimi'onitorhim, 2.
CIIAPITRE VI
VIE MORALE ET CHRETIBNNE
I. LOI DIVINE. ACTES HCMAIXS. PRECEPTE ET CONSEIL.
Eclaire sur ses devoirs par l'Ecriture et laTradition, soumis
au magistere de TEglise, le cliretien doit conformer ses actes
â la loi divine. Tertullien a rctrace en divers passages de ses
livres' l'evolution de cotto loi, qui a trouve dans l'lwangile sa
derniere expression concrete.
Renfermee primitivement dans le precepte unique relatif au
fruit d'un certain arbre, la Loi divine contenait des lors en
germe tous Ies preceptes du Dccalogue. Les patriarches, ins-
truits par la nature, connurent et pratiquerent ces preceptes
essentiels, graves par Dieu meme au fond de leurs coeurs : on
s'y conformant, Noe, Abraham, Melchisedech, Henocli, d'autrcs
encore, furent hommes saints et amis de Dieu. Puis Moi'se
donna une loi ecrite sur la pierre : loi encore provisoire, mais,
comme l'annonţaient des lors les prophetes, destinoe âpreparer
l'avenementd'une economie nouvelle et definitive. II appartenoit
a l'Evangile d'abolir la circoncision de la chair, le sabbat, les
anciens sacrifices, et d'inaugurer le regne de l'Esprit. D'ailleurs
FKvangile a consacre les preceptes de la loi naturelle : sur le
fondement ancien, leChrist a eleve un edifice plus liaut^.
En presence de la Loi divine qui commande ^, que fera l'âme
eclairee par la foi? Sousle regard de son Auteur, elle comprond
1. /. 2-6; Paen. 1. i
2. Paen. 3; Cor. G.
3. Paen. 3.
ACTES HUMAINS. 263
qu'il lui faut fuir ce que Dieu defend. Un Etre si parfait ne
saurait haîr que le mal. Or Ies peches sont de deux sortes :
pechcs cxterieurs, consommes avec l'aide du corps; peches
interieurs, ou de l'âme. L'homme, compose de deux substanccs,
peutoffenser Dieu par Tune comme par l'autre; et le plus ou
moins de gravite des peches ne se mesure pas precisement par
la distinction des substances : car l'homme est un, et ii appar-
tient a Dieu. Le corps petri par la main de Dieu, l'âme formee
par son souffle, lui appartiennent â un titre egal ; â un titre egal,
Ies fautes de l'un et de l'autre offensent leur Seigneur. Assocics
dans la vie, dans la mort etdans laresurrection, solidaires l'un
de l'autre, le corps et l'âme encourent ensemble une responsa-
bilite commune : ensemble ils subiront un mame jugement.
L'homme ne voit que Ies apparences ; mais Dieu penetre Ies
replis Ies plus caches, et sa justice ne sait pas fermer Ies yeux.
La racine du mal est dans la volonte. Une fois la part falte du
hasard, de la necessite, de l'ignorance, tout le reste precede de
la volonte. Elle est la grande responsable, comme elle fut la
grande coupable. Les difficultes exterieures, qui peuvent en-
traver ses ordres, ne sauraient la justifier : car elle repond
d'elle-meme, et l'avortement de ses desseins n'excuse pas les
actes qu'elle a poses. Le perfectionnement apporte par Jesus-
Christ â la Loi consiste precisement dans la reprobation des
fautes de la volonte. II qualifie d'adultere un regard passionne :
tant ii est vrai que la simple representation mentale du peclie
constitue un perii, ou trop souvent la volonte succombe. Gouter
interieurement le plaisir inherent au mal, c'est deja le com-
mettre. Ne dites pas : ce n'est qu'un deşir; car on ne doitpas
s'arreter entre le vouloir et l'acte. Vous-memeen conviendrez :
s'agit-il du bien? Un bon deşir ne suffit pas. S'agit-il du mal?
Le deşir ineme est de trop
Cette page ă\\ De paenitentia renferme une theorie complete
des actes humains : Tertullien a su fondre, dans une forte syn-
these, tous ces traits epars dans le N. T. : la Loi divine, raison
supreme de l'obligation morale; la conscience, interprete im-
medial du devoir; le libre arbitre, principe de merite ou de
demerite; la solidarite du corps et de l'âme, fondee sur l'unite
du compose humain; leur association pour la recompense ou
264 THEOLOGIE DE TERTDLLIEX.
le cMtiment, aussibien que pourl'epreuve; l'excellencedelaloi
ohretienne, qui regie Ies plus secrets mouvements du coeur.
lî y a des occasions ou Dieu commando ; ii y en a d'autres oîi
ii conseille. Le bien qu'il permet seulement ă defaut d'un bien
meilleur, n'est pas pleinement un bien, et la tolerance que Dieu
lui accorde n'empeche pas qu'il ne prefere le bien meilleur ^
Une lieure viendra oîi, retractant des distinctions suffisamment
nettes dans ses anciens ecrits, Tertullien meconnaîtra la
volonte permissive, ettransformera le conseil divin en precepte
positif.
Nous aurons â revenir sur plusieurs de ces points. Mais
d'abord ii nous i'aut reprendre ă son origine l'histoire morale
de l'humanite.
II. NATUKE ET GKACE. PECIIE ORIGINEL ET RECJENEUATIOIV.
Commentant, â propos du baptemo-, Ies textes scripturaires
relatifs â la creation de l'homme, Tertullien signale, d'apres
Ies expressions memes de la Genese, une double ressemblance
entre Dieu et Adam : ressemblance de nature [ad imaginem
Dei) et ressemblance de grâce [ad similitudinem ejus). La pre-
miere est indelebile ; la seconde, ruinee par le pechel original,
peut revivre par lebapteme : le sacrament rend â râmeTEsprit-
Saint, principe de cette ressemblance.
1. I Uj-. y. : i'raelatio enini superiorum dissiiasio est infimorum. Non idpo
quid bonum est quia malum non est, nec ideo nialum non est quia non
obest. — Ex. c. 3 : Ex indulgentia est quodcumque permittitur. Quae etsi
sine voluntate non est, quia tamcn aliquam habet causam in illo cui in-
dulgetur, quasi de invita venit voluntate... Secunda item species conside-
randa est purae volimtatis. Vuit nos Deus agere quaedam placita sibi, in
quibus non indulgcntia pati'ocinatur scd disciplina dominatur. Si tanien
alia. istis praeposnit, utiqiie quae magis vuit, dubiumne est ea nobis sec-
tandaesse-quae niavult, cum quae minus vuit, quia alia uiagis vuit, perinde
habenda sunt atque si nolit? Nani oslcndcns quid magis velit, minorom
voluntatom majore delevit.
2. i?. 5 : Restituetur liomo Deoad similitudinem ejus, qui retro ad ima-
ginem Dei fuerat. Imago in effigie, similitudo in aeternitate censetur. Re-
cipit enim illum Dei Spiritum quem tune de adflatu ejus acceperat, sed
post amiserat per delictum. — Ce commentaire de Gen. 1, 26 se trouve
deja chez saint Irence {Haer. b, O, 1).
PECHE OlîIGINEL.
2(35
Dans le peche d'Adam se rencontrcnt plusieurs genres de
malice ^ : impatience, indocilite, gourmandise. Adam coupable
contamina tonte sa race - : le g-erme de mort qu'il portait en lui
se transmet de gencration en generation, par Teflet d'une here-
dite physique. Le trăite De anima decrit' cette tare hereditaire
de l'homme dechu, et l'auteur, sous Tinlluence de reminiscences
platoniciennes, a păru d'abord incliner â scinder l'liomme en
deux parties : un element rationnel, qui vient de Dieu, et un
element irrationnel-, qui viendrait du demon. Mais ayant fait
reflexion que Ies memes puissances naturelles, y compris
l'appetit irascible et concupiscible, existent dans l'âme du
Clirist, en qui tout est parfaitement rationnel et ordonne, ii
renonce â cette psychologie et distinguc plus sagement entre
la nature et le vice de la nature''. La natura, meme sensible,
vient de Dieu : le demon n'a fait qu'y semer le desordre, et
porter Ies facultes scnsibles â s'insurger contre la raison. Ainsi
tout homme nalt enfant de colere, enfant du demon '■'. 11 dcmeure
cxclu du royaume des cieux, tant qu'il ne lui a pas ete donne de
ronaître par l'eau et l'Esprit-Saint (.loan. 3, 5)^. Le desordre
1. Pal. 5; Scorp. 3; Jej. '.i.
2. Ţesl. 3 : Per (Satanaiii) liomo a primordio circiunventus ut prae-
ceptiun Dei exccdi'rct, et proptorca in inoi-teiii datus, cxiiido, totum gcnus
do suo serai ne infectum suac etiam damnationis traducem focit.
3. An. 16 : Irrationalc autem postorius intellogendum ost, ut quod acci-
dent ex sei'pentis instinctu, ipsum iliud transfrressionis admissuii), atque
exinde inolevcrit et coadoleverit in anima ad instarjam-naturalitatis, qui.i,
statitn in natiu'ae priuioixlio accidit. — "Voir Esser, Die Seelenlehre Terlul-
Uanx, p. 104 sq., 211 sq.
4. Ib. : Igitur apud nos non semper ex irrationali consenda sunt indi-^
gnativum et concupiscentivum, quae cerţi sumus in Domino rationaliter
decueurrisse.
5. An. 1(3; 21.
(_!. TertuHien ne fait aucune oxception, oncoi'O qu'avec saint Paul (1 Cor.
7, 14) ii reconnaisse aux enfants d'uu pere ou d'un mere chretienne une
saintete iniţiale, qui Ies fait candidats du baptcnic et du salut, par lepri-
viîege de leur naissanco et le bienlait de leur education : An. 39 : Apostolus
ex sanctificate alterutro sexu sanclos procreări ait, tajii ex seminis prae-
rogativa quain ex institntionis disciplina. Coterum, inquit, immundi
nascerentur, quasi designalos tamen sancHtatis ac per hoc etiam salutis
intellegi volens fidelium filios... — Mais en montrant Ia distance qui se-
pare Ies enfants des fideles de ceux des paiens, VApotve n'a pas pretendu
qu'ils fussent exenipts de latache originelle : alioquin meminerat domi-
nicao definit ionis : .\isi qiih nascoliir ex aqua et SpirUu, non inibit iu
266 TH^OLOCIE DE TEUTCLLIEN.
introduit par Io peclie affecte proprement l'âme : la chair n'est
qu'une servante, ou plutot un instrument. Chair coupable, sans
doute; mais dont la i'aute se borne â executer des ordres : si
parfois l'Ecriture s'en prend k la cliair, ce n'est quc pour
atteindre plus gravement, dans un subalterne, l'âme qui a
commande. ^ Le desordre, ou la contre-nature, d'origine diabo-
lique, se transmet d'âme en âme^, comme un chancre heredi-
taire : le traducianisme de TertuUien se prete parfaitement a
cette conception. Lanature primitive etdivinedemeure.jusqu'au
bapteme, obscurcie et voilee ; au jour du bapteme, le voile
tombe : en ces noces mystiques avecl'Esprit-Saint, l'âme revoit
la lumiere de sa celeste origine; la chair elle-meme passe,
comme un esclave dotai, au service du mame Esprit-Saint.
Noces bienheureuses, si râme est fidele!
Dans ce deveJoppement, d'ailleurs fort expressif, sur le pe-
regnum Dei, i. e. non erit sanclus. — Dans Io. texte quc nous venons do
citcr, le mot alioquin parait avoir ete imo ]>ierre d'achoppcment pour
quelqueslecteurs; aussi croyons-nous devoir prcvenir sur ce point toute
(kjuivoque. Selon Tusago constant de Tertullien, alioquin, en tete de phraso,
signific simplemont : d'ailleurs. ()n trouvera d'autros exemples An. 38;
iî. 17; F. B.o; c. C. 3; Fug. 13; Monog. 11. Entendrc -.horsde cecas(enfant n(î
d'un pere chrcticn ou d'une mere chrotiennc) scrait fairc violcnco au texte,
et surtout au contexte; car Tertullien ajoute aussitot apres une decla-
ration qui ne laissc place a "aueune exception, An. 40 : Ita omnis anima
eo usque in Adam censetur doncc in Christc recensoatur, tamdiu immunda
quandiu recenseatur, peccatrix autem quia immunda. 11 est vrai qu'il
accorde beaucoup au bapteme de deşir, B. 18 : Quid festinat innocens
aetas ad remissionom pcccatorum ? Mais, outre quc Ies pctits cnfants ne
sont pas susceptibles de ce bapteme, on doit romarqucr qu'il ne dit pas :
ad remissionom peccati originalis, mais : ad remissionempeccatortim. Qu'on
relise le contexte du De baptismo, 18, et l'on verra qu'il est question des
peciies achiels. Tertullien veut qu'on ne contracte pas â Ia legere des obli-
gations redoutablos, et que, l'ablution baptismalo etant unique, on la re-
serve pour un âgo ou l'on aura besoin de pardon pour Ies fautes de sa jeu-
nesse. La doctrine que nous avons sig-nalce .1». 39 est exactement celle que
saint .Icrome trouvait daits Tertullien, quoiqu'il ne soit pas facile do dire
en quel endroit. Ep. 85, o {ad Paulinum) : TertuUianus in libris de mono-
gamia(?) disscruit assercns sanctos dici fideliuin filios quod quasi candi-
dau sint fidei et niiUis idololatriae sordibus teneantur. — Sur l'interpriJta-
tion de B. 18 et do An. 39, nous sommes en desaceord avec M. l'abbe
Turmei, /{. H. L. R. t. 6 (1901), p. ld;Histoire de la theologi^ posUive depuis
l'orirjine jusqu'au concile de Trente, p. 89.
1. -Ah. 40.
2. An. 27. 41.
PECIIE ORIGINEL.
267
che originel, ii ne faut pas chercher l'analyse profonde des
scolastiques, qui ecarteront tous Ies accessoires de ce pechc
pour pousserjusqu'a Fessence et montrer en quoi consiste pre-
cisement le mal hereditaire des fils d'Adam : non dans une
tare positive de la nature, mais dans une simple privation,
dans la soustraction d'un frein surnaturel qui, chez Thonime
innocent, elit assure le plein empire de la raison sur Ies fa-
cultes sensibles'. Avec moins de penetration, Tertullien se
borne â considerer| le peche originel dans sa realitc con-
crete, y englobant toutes ces revoltes des sens, que le pcche
traîne ă sa suite. Ce point de vue concret, qui sera enoore celui
de saint Augustin-, laisse intacte la question metaphysique.
D'ailleurs Tertullien admet avec l'Apotre (Rom. 8) la regenc-
ration parfaite de Tliomnio par le Christ. S'il ne distingue
pas encore nettement la coulpe originelle, remise par le
bapteme, du desordre cause par cette coulpe, et qui subsiste
apres le baptâme-*, du moins ii revendique energiquement, â
l'encontre de divers heretiques, le salut pour le corps meme,
ă condition que Ie corps obcisse â la loi de TEsprit '. S'il a cu
quelque peine k se degager de l'antliropologie platonicienne,
ii rencontre neanmoins Ies elements d'une solution vraie, et le
realisme puissant de l'expression ne doit pas faire prendre le
change sur la rectitude essentielle de sa pcnsee.
La regeneration, telle qu'il la decrit*, comprend deux
phases ; la purification de l'âme par Feau baptismale, et la ve-
nue du Saint-Esprit. La premiere phase repond au baptâmc, la
seconde ă la confirmation, qili, dans la liturgie primitive, ne
se detaclie pas encore du bapteme. D'ailleurs, le Saint-Esprit
1. Saint Thomas. q. 4 df, malo, a. 2 corp., ad 4., ad 9; in 2, d. 30, «. 3:
V 2", ?. 82 a. 3. ■ ' '
2. Tcxtes reunis par le P. CVu'. Pcsch, Praelecliones dogmaticae, t. 3
(Fribourg, 1895), Ş 265.
3. Distinction fort nette chcz saint Augustin, v. g. c. Julianum, 6, 13 :
Atlonde quod dico : gratia perfecte hominem noviim facit, quancloquidom
et ad corporis imrnortalitateni plenamquc felicitatom ipsa perducit. Nune
etiam perfecte innovat hominem, quantum attinet ad libei-ationem ab
omnibus peccatis, non quantum ad liberatîonem ab omnibus malis.
4. Ainsi R. 46 : In carne constitutis, secunduni Spiritum tamen degen-
tibuis, salus repromlttitur.
5. B. 6-8.
268 THEOLOGIl! DE TERTULLIEX.
habite normalcment dans l'âme regeneree^ Ainsi en etait-il
du temps meme de Notre-Seigneur : la predication de Je an
Baptiste avait deja pour but de preparer â l'Esprit-Saint une
demeure pure. A propos de co texte : Dii estis (Ps. 81, 6; cf.
Joan. 10, 34), Tertullien montre dans la vie de grâce une par-
ticipation de la creature â la vie divine^. Celle participation
comporte une mesure variable de charismes, tels que le don de
proplictie ct le don des miracles (Cf. îs. 11; 1 Cor. 12)''. Des
avânt l'epoque montaniste, la theologie de Tertullien assigne
un grand role aux charismes''; dans la derniere periode, ce
i-ole grandira demesurement. S'il met Marcion au detl de mon-
trer des charismes dans sa secte, c'est qu'il y voit l'apanage
exclusif et comme le signe distinctif de la verite ■".
Nous reviendrons encore sur le peche originel et la justifi-
cation, â propos du bapteme.
Iir. LE LIBIii: AniilTRE ET LA (MiACE ACTUELLE.
S'il appartient au bapteme de reconcilier avec Dieu l'homme
dechu, le merite personnel est une conquele du libre arbitre
(-0 auTE^oudiov) aide de la grâce. Tertullien a etabli Texistence
du libre arbilre contre Marcion", et aussi contre Ilermogene,
dans ce traile De censu animae, qyie nous n'avons plus''. Cette
verite ressort avec evidence de la situation faite â l'homme par
1. An. 41; Paen. 2 : i^Joannes Domino) lu'acmiiiistrans paonitentiam
dcstinabat purgaiidis mentibus praepositam, uti quicquid error votus in-
quiuasset, quicquid in corde hominis ignorautia contaminassct, id pacni-
tentia verrens ct radens et foras abicicns mundam pectoris domum su-
perventui'o Spiritui Sancto paret, quo se iile cum caclostibus bonis libcns
inferat.
2. //. 5 : Habemus (de Deo aliquid) ct habebimus, sed ab ipso, nori a
nobis. Xam et dei ei'imus, si moruerimus illi esse de quibus praedicavit :
Ego dixi : vos dii estis, et : stetit Deus in ccclesia deorum. Sed ex gratia
ipsius, non ex nostra proprietate, qiiia ipsc est solus qni deos faciat.
3. 4 M 18. 28: 5 M. 8. 17; An. 9; Ea:, c. 4; Şco7'p. 1; Scap. 4.
4. B. 20; Pi: 29.
5. 5 .V. 8.
6. 2 M. 5 sq.
7. An. 1. 21.
LIBRE AlililrUE.
269
la loi de Dieii ' , qu'il s'agisse de la loi primitive ou de la loi
mosaique ou de la loi chretienne : Ies menaces et Ies exhorta-
tions jointes a cette loi n'auraient point de sens si elles ne
s'adressaient â un etre libre. Dieu a mis devant riiomme le
bien ou le mal, la vie ou la mort (Devit. 30,15; Eccli. 15,18); ce
choix offert a la volonte est l'opreuvc du libre arbitre.
La convenance de cette institution apparaît- si Ton considere
le dessein de Dieu createur. II a voulu se procurer rhomniage
intelligent d'un ctre fait â son image et ressemblance. Or ii
manquerait quelqiio chose â cette image el ressemblance si
riiomme ne portait cn lui-meme quelque ombre de cette sou-
veraine independance qui est le propre de la divinite. Sortie
des mains de Dieu, source premiere de tout bien, ii fallait
que la nature humaine imitat en quelque maniere la libre fe-
condite de son Autcur. Dieu y pourvut en constituant au profit
de riiomme ce fief du libre arbitre, ou riiomme produit, par
clioix, un bien qui lui est propre. Cest la gloire du libre ar-
bitre d'adherer spontanement au bien et de fuir spontanement
le mal. Sans cette spontaneite, recompense et châtiment sc-
raient des mots vides de sens : aussi la loi morale prescril-
elle le bien sans contraindre la volonte.
Montrer la legitimite de l'institution, c'est deja repondre â
ceux qui en critiqueraient l'abus^. On n'a pas le droit do re-
procher â Dieu Ies ecarts du libre arbitre : ce serait mecon-
naître la liaute pensee qui a preside â la plus belle do ses oeu-
vres. Une fois poso le principe d'une telle creation, Dieu devail,
pour ne pas se demontir, enchaîner sa prescience et sa toute-
puissance, et acccptcr Ies consequences naturelles de son acte.
De fait, Dieu souffre le peche, comme une defaillance inherente
â la condition do la creature libre '' ; mais en le soufîrant, ii le
cliâtie; d'abord dans le demon, premier auteur de tout mal,
puis dans l'liommc qui cede aux suggestions du demon.
L'homme n'a pas le droit"' de rejeter sur Dieu, ni sur le du-
1. 2 M.b.
2. 2 M. 6.
3. 2 M. 7.
4. 2 M. 9. 10.
5. Ex. c. 2.
270 TIIEOLOGIE DE TEIÎTULLIEN.
mon, ce qui est le fait de sa propre faiblesse. Dire pour s'ex-
cuser : « Dieu Fa voulu», n'irait â rien moins qu'ă ruiner le
principe du gouverncment divin. Et comment Dieu voudrait-il
des actes qu'il del'end sous la menace de cliâtiments eternols?
11 y adonc des actes que Dieu ne veut pas et qu'ilchâtie, comme
ii y a des actes qu'il veut et qu'il recompense par Ie don de la
vie eternelle. En face de cette volonte divine clairement ex-
primec, la volonte humaine demeure libre d'embrasser un
parti ou l'autre. Son choix lui appartient en propre. Ainsi
Adam a-t-il choisi librement. Le demon lui avait presente la
maticre du pecbe, mais n'avait pu l'y contraindrc. La tentation
n'est donc pas une cxcuse suflisante. De toutes fagons, et
quelles que soicnt Ies sollicitations venues de l'exterieur,
riiomme se determine par lui-meme.
Et pourtant Dieu intervient dans ce choix. 11 incline par sa
g'râce le libre arbitre de l'homme ' ; c'est lui qui attire le pe-
cheur â la penitence ; mais le secours qu'il accordc â la priere
liumble, ii le refuse â la presomption. Tertullien decrit elo-
(piemment^ cette lutte do l'âme, entree dans la voie de la peni-
tence, mais sollicilee parl'attrait des plaisirs qu'elle a quittes :
i'ruits atteints deja par la corruption, mais gardant encore
quelque fraîcheur. Cedera-t-elle pour un temps a cet attrait,
en speculant sur le baptcme qui doit solder toutes ses dettes?
Alors elle perd tout droit ă l'assistance divine : car Dieu, qui
souvent appelle des coupables, ne s'est pas engag-e â poursuivre
des ingrats. II faut, en attendant qu'on puisse meriter le titre
d'enfant de Dieu, fairc son possible pour acqucrir ce titre ^.
Unc vraie penitence regoit, avec le bapteme, la grâce dont elle
a besoin pour perseverer ; une penitence mentcuse bâtit sur le
sabie une maison qui menace ruine. La crainte et l'humilite
lionorent Dieu: la presomption l'offense etdetourneses dons ''.
1. Pacn. "2-5.
'2. Pcwn. 6.
3. Paen. 6 : Cum adhuc liberări non moretur ut possimus mereri;
c.-â.-(I. (selon la noto de Rigault, citee par Mignc), cum adhuc non me-
remur ut possimus, divina misericordia sic largiente de suo, moreri. — •
Ce texte supposo la distinction entre le merite de condigno et Io merite
de congruo.
\. Ib. Iile mereri cupit, at luc, utdebitum, sil)i rejjromiltit; iile su-
GEACE ACTUELLE. 271
La grâce, puissance superieure â la nature et capable de
flcchir le libre arbilrc, n'a pas coutumo de le violenter^ Trop
souvent l'homme repousse Ies avancos de Dicu qui le provoque
â dos actes excellents : tel ce riche de IM'A'angile qui ne sut
pas renoncer ă sa fortune (Mat. 19, 16-22). La volonte humaine
s'eloigne alors, pour son malheur, do cette volonte divine,
trop austere pour son courage. Mais Dieu trouve sa meilleure
gloire k procuror â rhomme une revanclie surle demon, auteur
de sa chute^. Clianger des pierres en enfants d'Abraham, i'aire
vomir â la race des vipcres son venin mortcl, voilâ Ies triom-
phes de la grâce ^. De lă Ies confessions glorieuses, Ies morts
lieroi'ques. Tertullien ecrit aux cliretiens prisonniers pour la
foi : Gardez-vous ' de contrister TEsprit-Saint (Eph. 4,30), qui
est entre dans la prison avec vous. S'il n'y etait entre, vous-
meme ne seriez pas oîi vous etes. Voillez donc â le garder tou-
jours avec vous, aţin qu'il vous conduise jusque devant le Sei-
gneur. Vous mc direz que la prison est dure, mome ă des
chretiens'. Mais n'oubliez pas que nous sommes appeles â la
milice du Dieu vivant. Cest un rude metier que celui des ar-
mes : ii faut payer de sa personne en temps de guerre, s'exercer
durant la paix. Donc, martyrs benis, considerez vos souffrances
comme une epreuve pour le corps ct pour l'âme. Songez au
bon combat qu'il va vous falloir soutenir. Vous aurez pour
agonothete le Dieu vivant, pour maître d'armes l'Esprit-Saint,
pour couronnc l'eternite, pour recompense la condition des
anges, le droit do cite celeste, la gloire dans Ies siecles des
siecles. Les atlilotes ont coutumo de s'astreindre ă une rude
discipline pour se preparer a la lutte : ils s'interdisent tous les
j)laisirs, ils peinent et se fatiguent : plus Fentraînement a ete
dur, et mieux ils augurent de la victoire. Pourtant ils n'atten-
lait, hic iiivadit. Quem censeas digiiiorom, nisi emondatiorem? quem
cmondatiorciii, nisi tiiiudioreui et ideivcp vera paenitentia funotum?
1. Monog. 14. — 1 Ux. 8, Tci-tiiUien irict la chastete des veuvcs au-dessus
de celle des ^icrpes, pai-cc que Ic courage s'y affirme mieux : In illa
gralia. ia ista virtus coronatur.
2. tM. 8. 10.
3. An. 21.
4. Mari. 1.
5. Mart. 3.
272 THIÎOLOGIE DE TEIiTULLIKN.
(lent qu'une couronne perissable : ne faites pas moins pour
une couronne eternelle. Considerez la prison comme une pa-
lestre, et preparez-vous : car l'austerite trempe le courage, la
mollesse l'abat. Si l'esprit est prompt, la chair est i'aible^.
Avec une onction qu'il ne connaîtra plus dans ses derniers
ecrits, Tertullien s'applique â fortifier l'esprit contre Ies tra
hisons de la chair. Apres avoir rappele aux candidats du mar-
tyre Ies esperances de l'autre vie, ii emprunte â Fliistoire pro-
fane des cxemples d'hommes ct de femmes qui ont affronte la
mort avec constance : Lucrece, Scevola, Heraclite, Empodocle,
Peregrinus, Didon, meme une courtisane d'Athenes. II rappelle
ces jeunes Lacedemoniens s'offrant â la flagellation devant l'au-
tel, et ne connaissant pas de plus grande gloire que d'expirer
sous Ies coups. Et voilă, s'ecrie-t-il, ce que peut une volonte
ferme, pour le faux briliant d\in point d'lionneur. Fera-t-on
moins pour la perle celeste? Tanli vitrcum; quanti venim
IV. LE PliCHE.
Quant a la classifîcation des peches, on sait que Tertullien
attache une mediocre importanco â la distinction entrc fautes
interieures et exterieures^. Des lors que la volonte est en
cause, le mauvais vouloir donne la mesure de la culpabilite;
culpabilite reelle, quand meme une force etrangere empeche-
rait le vouloir de se traduire en acte 3. Et quelquc part qu'y ait
prise le corps, la fletrissure du peche affecle proprement
râme'.
Une distinction beaucoup plus importante est celle des pe-
ches remissibles et irremissibles. Elle n'apparaîL qu'k l'epoque
1. Mart. 1.
■>. Sup. S i.
3. I'uen. 3 : Voluntas facti origo ost... tanto polioi' ad poenam quaiito
j)rincipalis ad culpain, quae ne tuiic quidem libcratur cum aliqua diffi-
cultas perpetratioiiem ejiis intercipit. Ipsa enim sibi imputatur.
4. B. 4 : Delicta sicut, non in carno coniparent, quia nomo super cutem
portat maculam idololatriae aut stupri aut fraudis, itaojusmodi inspiritu
.sordent, qui est auctor delicti.
LE piicHii. 273
montaniste, dans le De pudicitia, et ii faut tenir conipte de la
difference des temps, pour comprendre Tevolution qui s'est
produite dans Tcsprit de Tertullien.
Lorsque, encore catholique, ii ecrivait le De paenitentia^ ii
marquait ainsi ' le dessein de Dieu dans l'institution d'une
penitence api'es le bapteme : Le demon redouble de liaine et
d'efforts contre le baptise; ii l'observe, I'altaque, Fassiege; ii
tâclie ou de frapper ses regards par la concupiscence de la chair,
ou d'enlacer son âme par Ies attraits du siecle, ou d'ebranier
sa foi par la crainte du pouvoir terrestre, ou de la pervertir
par des doctrines de mensonge. Dieu n'a pas voulu laisser
sans recours cette âmc si exposeo : aussi lui permet-il, apres
le bapteme, d'aller frapper une fois ă la porte do la seconde
penitence. Ces paroles donnent claireraent a enteiidre que
Dieu a mis dans riiglisc un pardon pour des fautes gravcs-,
telles que l'impudicite, l'ambition, l'apostasie ou riierosie.
Un peu plus tard, dans V Antimarcion'^ , Tertullien enumere
sept fautes particulierement graves : ce sont Ies sept peches
capitaux des Gentils, frappes ă mort par le Christ : Septem
maculh capitalium delictorum . . . idololatria, blasphemia, ho-
micidio, adulterio, stupro, falso testiinonio, fraiude. On ne voit
pas qu'il songe encore â Ies exceptcr des pardons de l'Eglise.
J.ors du De pudicitia, sa pensee a l'ait du chemin. II s'appuie
sur saint Jean (1 Joan. 5, 16) pour distinguer deux sortes de
peches : Ies uns remissibleS; Ies autres mortels et irremissi-
bles''. On peut, dit-il, obtenirici-bas le pardon des premiers, si
Ton on fait penitence ; on n'obtiendra pas le pardon des seconds.
Mais alors ii est superflu d'en faire penitence? NuUement : car
ce que l'Eglise ne saurait pardonner, Dieu, toiijours maître de
ses grâces, peut le pardonner â la penitence : ii faut donc faire
effort pour flechir sa justice"*. Lă-dessus, Tertullien entreprend
1. Paen. 7.
■>. Comparor Origene, c. Cek.% 51 {!'. O. 11, 988).
3. 1 M. 9. — Cette Iiisto procecle sans doute de Mat. 15. 19 et de 1 Cor 5
12.
1. Pud. 2. Alia erimt rcmissibilia, alia irromissibiiia. Secundum quod
noruini dubium est alia castigationeia mcreri, alia daiuuationoin.
5. !b. 3.
THEOI.OOIE DE TERTULLIEN. 18
274 THEOLOGIE DE TEIiTUI.LIEJV.
de dresser le cataiogue de ces fautes reservees au seul pardon
divin. Tout d'abord se presentent Ies fautes de la cliair \ Leur
place est, dans TEcriture (Ex. 20, 14) entre l'idolâtfie et Tho-
micide. Stigmatise par le concile aposlolique de Jerusalcm
(Act. 15, 28. 29;^, ce trio indissoluble : idolatrie, impudicite,
hoinicide, est reserve ă une meme damnation. Revenant, apres
delongsdeveloppements, â sa pensie iniţiale, Tez'tuUienobserve^
qu'il y a des fautes venielles, dont la fragilite Immaine ne sau-
rait s'affranchir completement : Qui de nous n'est expose, tous
Ies jours, â se metttre en colere injusteraent, et meme â laisser
le soleil se couclier sur sa colere, â frapper ou â injurier ou ă
jurer temerairement ou â violer un pacte ou â mentir par res-
pect humain ou necessite? Les affaires, Ies emplois, le com-
merce, les repas, nos yeux, nos oreilles nous exposent ă miile
tentations : s'il n'y avait point de pardon pour ces fautes inevi-
tableş, nul ne serait sauve. Telles sont les fautes dont on peut
esperer etre absous par l'intercession du Christ '. 11 y a, au
contraire, des fautes graves et pernicieuses, pour lesquelles le
Christ n'intercedera pas, et que ne commettent pas les enfants
de Dieu. Ici reparaît, avec quelques variantes, la liste de l'An-
timarcion : Graviora et exitiosa, quae veniam non capiant :
homicidiuin, idoîolatria, fraus, negatio, blasphemia, utique
et moechia et fornicatio et si qua alia nolalio tempU Dei'\
1. Pud. 4. sq.
2. Ib. 12. — En realite, le lc.\to du concilo de Jerusalem ne faitpas allu-
sion â l'impudicitc. Nous avons discute plus haut cette faus se!econ.(Voir
c. V, S 3, p. 240.)
3. Pud. 19.
4. Si nulla sit vcnia istoruni, nemini salus competat. Honim ergo crit
venia per exoratorera Patris Christum. — 1! est suporflu do fairc observei'
que cette dosignation des pâclies veniels ne coincide pas totalement avec
celle de la th6ologie ulterieure.
5. Pud. 19. — Dans cette liste, negatio (l'apostasie) a rcmplacc !c fau.x
temoignage; moechia et fornicatio no sont opie des synonymes pour adul-
terium et shiprum. (Voir, sur ces mots, Pud. 4.) — Quant aux derniers mots :
si qua alia violatio lempli Dei, ils viennent apres moechia et fornicatio, pour
designei' les fautes les plus graves contre la ohair, les espâces monstrucu-
sos d'impudicite, que Tertullien distlngue soigncusement de la dcbauche
ordinaire. (Voir Pud. 6. 15.) — M. Ervvin Preuschen [Schriflen de paeniten-
tia und de pudicilia, mit Riicksicht auf die Bussdisziplin untersucht (Gies-
scn, 1890) , p. 31 et p. 35), et â sa suite M. Rolffs (Das fndulgenz-Edict des
rom. liischofs Callist, dans T. U. 11, 3 (1893;, p. 4.5) voient dans cette violatio
CLASSiriCATION DES l'ECHES.
275
Du rapprochement de ces declarations successives, nous ti-
rons Ies conclusions suivantes :
Aujugement de Terlullien ortliodoxe, tous Ies pecbes sont,
de leur nature, rcmissibles par le ministere de ri%lise. Tertul-
licn montanisto disting-ue, en fail, trois categories de peclies :
1. Fautes venielles, n'encourant pas la penitence canonique :
tels sont Ies manquements legcrs envers le prochain.
2. Faiites plus gravcs, encourant une penitence plus ou
moins rigoureuse, d'ailleurs rcmissibles par le ministere de
l'eveque : ce sont des fautes de fragilite, auxquelles nul n'e-
cliappe entierement.
3. Fautes mortelles et irremissibles, pour lesquels la peni-
tence canonique egalait la duree de la vie, sans amener une
rcconciliation exterieure du penitent. Tels surtout Ies trois pe-
clies reservcs entre Ies mortels : idolatrie, impudicitc, homi-
cide*.
Bornons-nous presentement ă ces indications sommaires.
Nous aurons â rechercher ulterieurement sur ces questions la
pensee de l'Eglise, en eludiant d'apres le De paenitentia, la
doctrine de la remission des pecbes '^, et d'apres le Depudicitia
une fante contre la oomrauuautc chretienne (f^egon seincn Tempel, d. h.
gegen die christliche Gemeinde). Sans doiilo ils n'avaient pas prcsents â
l'esprit Ies nombreux dcvcloppements du Depudicitia ou teinplum Dei de-
signe, d'aprfes saint Paul, le corps sanctifie par Ic bapteme, Ic corps du
chretien. Voir sui-tout Pud. IG, ou Tertullien rapporte la Ick nedilualis de
ce temple (1 Cor. 3, IC-IS) et 20, debut. Le templ/t Dei vitialor dont ii est
quostion,Pi(d. 15, est l'inccstueux de Corinthe. — La meme confusiou s'est
gUssee dans un remarquablc article de M. l'abbc Vacandard, /î. C. F. t, 2(1
(1899), p. 578. Xous reviendrons sur ce sujet et produirons Ies tcxtcs, c. IX
S 8, p. 485.
1. Pud. 19 : Moi'talia... irveraissibilia... pro quibus nec oxorare pormit-
titur. — II s'agit evidemment de faut(_^s bien caractorisees selon leur espece.
Par exemple, Tertullien n'a pas en vue ici l'idolâti'ie au sens large : on salt
d'ailleurs qu'il ctend parfois singulierement la notion de ce pech6 (no-
tamment Idol. 2). — Sous une forme moins didactique, licrmas donnait
deja beaucoup d'attention a la distinction dos peches, En principe, ii n'e.x-
cluait personne du pardon divin (Sim. 8, 11, 1. 3); en fait, ii desesperait
des apostats, plutdt couime incapables de penitence que comme aban-
donnes d'en haut (.Sim. 8,6,4; 9, 19, 1). On voit pourtant I'cspoir du par-
don laisse, pour une fois, aux renegats do la derniere perşecution (Sim. 9,
26, 5). — La doctrine dos trois p6ches irremissibles se retrouve, ua.peu
adoucie, cliez Origene, De oratione, 28.
2. C. VII, S o, p. 339.
276 THKOLOGIE DE TERTULLIEX.
la crise de la discipline penitentielle au temps du pape Cal-
liste^.
II y a lieu de signaler encore, chez Tertullien, quelques vues
originales concernant le peclie.
Dans le De patientia, ii expliquo tout le mal moral par l'im-
patience. Ce vice naît dans le diable meme -, le jour ou cet
esprit superbe s'irrite de voir la creation tout entiere soumise
â l'homme. Evc ost touchee par la contagion de sa revolte.
Adam peche doublement par impalience, en resistant au pre-
cepte divin et en cedant â l'assaut diabolique. L'homme dechu
est unc proic livree â l'impatience. Par cile Cai'n devient lio-
micide. Par elle la colere est decliaînce. Un amour impatient
produit l'adultere. L'impatience envers Dieu fait Israel tant de
ibis coupable. Israel porte ses mains sur Ies propbetes pour
ne plus entendre leur voix ; ii Ies porte sur le Seigneur mame
pour se delivrer de savue. La patience est, aucontraire, mere
de toutes Ies vertus ^.
Dans le De idololatria, c'est l'idolâlrie qui resume tous Ies
peches''. L'idolâtre est homicide : car il donne la mort â son
âme. II est adultere ; car il prostitue son adoration aux faux
dieux. II est deloyal; car il detourne du Seigneur son hom-
mage pour le porter sur d'autres objets. La concupiscence du
siecle, la debauche, l'ivresse, I'injustice. la vanite, Ie mensonge
se retrouvent diversement dans l'idolâtrie. Ainsi tous Ies pe-
ches sont dans l'idolâtrie. Mais on peut dire aussi bien que
lidolâtrie est dans tous Ies peches : car quiconque peche, s'e-
leve contre Dieu : or s'elever contre Dieu est Ie propre des de-
mons et esprits impurs, â qui s'adresse Ie culte rendu aux
idoles.
Ces ingenieuses syntheses manquent sans doute de rigueur
theologique, mais non d'eclat ni de puissance oratoire.
II serait trop long de suivre Ia pensee de Tertullien quant au
detail des devoirs. Donnons du moins quelques âchantillons de
sa cusuistique.
1. C. IX, 88, p. 178-491.
i. l'al.b : Natalcs impatientiae in ijiso diabolo deprehendo.
3. /b. 12.
4. Idul. 1. '■>. .
CASUISTJQUE. 277
L'infanticide, reproclie a FEglise comme un meurtre rituel^
lui fournit l'occasion de retorsions vehementes^. II fletrit d'ail-
leurs plusieurs fois'*, au nom de la morale chretiennc, Ies in-
fanticides commis par Ies meres. Mais ii semble permcttro aux
medecins l'embryotomiG '.
11 admet^ qu'en prescrivant de preter sans interet, la Loi
preparait Ies voies a l'Evangile, qui veut qu'on renonce memo
au capital (Luc. 6, 35).
Ureproduit*' la doctrine du presbytre cite par saintirenee',
pour expliquer rautorisation donnee aux Israelites d'emporter
Ies vases precieux des Egyptiens : Ies Israelites avaient droit
a une compensation pour tant d'annees de servitude, sans par-
Icr du sang de leurs enfants.
11 reprouve ia cromation des cadavres, usage barbare qui
insulte aux morts *. La necessite de subir cet usage n'est pas
le moindre inconvenient du metier militaire ".
Usant d'une distinction subtile , ii defend de jurer par le
genie de Cesar et pcrmet de jurer par le salut de Coşar '".
V. VEIiTUS CHIiliTIENMîS.
La morale evangelique se distingue par un caractere de
plenitude et de delicatesse qui communique aux vertus chre-
tiennes une perfection ignorce sousl'ancienneloi^'. MoYse avait
1. 1 A'. 7; Ap. 8.
2. 1 .V. 15; Ap. 9.
3. .Ap.d : Ilomicidii festinatio est prohihere nasci ; noci'cfert natamquis
oripiat animam an nascentem disturbet : homo ost ct qui est futurus; ctiam
fnictus omnis jani in somine est. — V. v. 14 ; Quanta... circa uterum
suum audebit, ne ctiam mater detegatur. — Ex. c. 12 : l'uto nobis non
magis licere nascentem nocere quani et natum.
•1. Ah. 25 : In ipso adiiuc utcro inl'ans trucidatur nccessaria crudelitate.. .
infanticidii offîcio.
5. 4 M. 17.
6. 2 M. 20; 4 M. 24.
7. Ircnec, ITaer. 4. 3(1
8. An. 51; R. 1.
9. Cor. 11.
10. Ap. 32.
11. Ap. 45; Or. 11; paen. 3; 2 C. /'. 2; ./. 3. — Quant aux vertus paien-
278 THEOLOGIE BE TErSTULLIEX.
dit : « Tu ne tueras pas » ; Jesus-Christ ajoute : « Tu ne te
mettras pas en colere ». Moîse reprouvo l'adultere : Jesus-
Christ, Fimprudence du regard. Moîse reprouve Ies actes
mauvais : Jesus-Clirist, Ies paroles mauvaises. Moîse reprouve
l'injustice : Jesus-Christ, la vengeance meme. Moîse defend
rhomicidc : Jesus-Christ, meme un mot amer. En meme
temps, ii devoile de nouvclles perspectives de misericordc^
On lisait dans la Genese que Caîn serait cliâtie sept fois, et
Lamech septante fois sept fois : Jesus-Christ ordonne â Piei're
de pardonner septante fois sepL fois. Aux âmes eprises de per-
fection, ii ouvre, au delâ des preceptes, la voie des conseils'- :
ii invite a distribuer ses biens aux pauvres et k tout quitler
pour le suivre; ii inaugure le regne de la chastete parfaite. II
substitue â Ia circoncision de la chair lacirconcision du coeur ^.
II a donc bien le droit de dire : Je ne suiş pas venu abolir la
Loi et Ies Prophetes, mais Ies parfaire.
La reinc dos vertus chretiennes. c'est la charitâ. Supreme
sacrement do Ia foi, tresor du nom chretien, la charite, sehm
le mot de TApotre, ne saurait l'aillir ''. Tout Ie reste passera :
Ies langues, la science, Ia prophetie; la charite demeure, avcc
la foi et l'esperance. Si le precepte de la charite n'est pas nou-
veau ^, ii fut souvent meconnu '' ; Ies pharisiens s'endispenscnt
pour s'attacher ă des vetilles. En roalite, Tancienne Loi ne re-
commande rien tant que I'amour de Dieu (Deut. 6, 5) et du
prochain (Lev. i'd, 18); Jesus-Christ n'a donc pas cree cet en-
seignement', mais ii a condense toute la Loi dans Ie precepte
unique de I'amour '. L'Apâtre insiste (Gal. 6, 2) sur la neces-
site de traduire cet amour en actes *^. et lui aussi ramene tout
nes, TertuUien n'y croit guere. Voir i C. /. 1 : Quiclrnirum? Perversa sunt
omnia quae Dei non sunt.
1. Or. 7.
-Z. 4 .1/. 36: Ap. 9.
3. iC.f.O: 1 U.r. 2; .7. 3: 5 M. 13.
4. Pat. 12.
5. 4 M. 25.
ii. Ib. 27.
7. 5 M. 4.
8. Ib.
LA CHARITE.
279
â Famour (Rom. 13, 9) '. La description des commiinautes
chretiennes, dans rApologetique ^, et l'cxhortation ad mar-
tyras ^ montrent comment la primitive Eglise entendait la cha-
rite fraternclle. Mais Ia grande nouveaule chretienne, c'est la
palience'''. La Loi ancienne permetlait de se faire justice par
le glaive : oeil pour oeil, dent pour dent (Ex. 21, 24; Lev. 24,
20; Deut. 19, 21) : l'Evangile supprime cette tolerance. Deja
sans doute Ies prophetes invitaient â se reposer sur Dieu du
soin de sa vengeance (Deut. 32, 35), ă considerer Ies emiemis
comme des frereS (Zach. 7, 9. 10). Mais Jesus-Christ ne com-
mande rien moins qu'une patience horoîque. Pour inculquor
au monde une si grande legon, il a fallu son exemple. Le grand
maître de la patience pouvait leguer k ses Apotres, pour etre
semee par le monde entier, cette parole sublime : Aimez vos
ennemis ; benissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux
qui vous persecutent, afin d'etre Ies enfants de votre Pere qui
est aux cieux. L'araour couvre la multitude des peches '' : si
le martyre, soit avânt, soit apres le bapteme, purifie entierc-
ment l'âme et lui ouvre le ciel, c'est qu'il temoigne d'un amour
lieroTque pour Dieu.
Sur la foi et l'esperance, i'aute de pouvoir lire le trăite que
Tertullien avait intitule : De spe fidelium, nous sommes re-
duits ă assembler des textes epars, d'ailleurs sufîisants pour
esquisser une doctrine.
La foi est un assentiment de raison â Dieu qui instruit
l'homme par ses oîuvres '' ou par l'Ecriture '. Assentiment libre,
que trop souvent un aveuglement coupable refuse â Dieu * :
Ies expressions energiqucs par lesquclics Tertullien marque
1. 5if. 14.
3. Ap. 3!).
.3. Mart. I.
1. Pal. 6; 4 M. IO; Ap. 36. 37.
5. Scorp. 6.
G. Ap. 17.
7. Ib. 18.
8. Ih. 17 : Et haec est summa delicti nolenlium recog'noscere queiii
ignorare non possuut.
280 TiHioLOf;!]! de tertulliex.
Tempire de la verite divine sur Ies âmcs de bonne volonte/ne
doivent donc pas se prendre au pied de la lettre, comme si elles
designaient une conlrainte proprement dite. Assentiment, sur-
naturel dans son principe : la lumiere divine est une grâcc,
on don de Dieu aux fideles, hia qnihus credere datuin est ^ ;
on peut repousser ce don, comme le prouve l'exemple des doc-
teurs de la Loi, instruits par .lesus meme-. Donc parmi Ies
preliminaires de Ia foi, figure la bonnc volonte : qui studueriC
intellegere, cogeturet credere^. Assentiment ferme et definiţii,
car ii SC fondc sur une autorite infailliblc. Donc, une fois cet
assentiment pose, ii n'y a pas lieu de poursuivre l'enquete ''' ,
du moins sur le terrain des verites revelees. Cest le proprc
do la curiosile heretique de ne jamais se satisfaire -' ; le croyant
est un liomme qui ne cherche plus. Assentiment eclaire, non
seulement dans ses preliminaires logiques, mais encore dans
ses suites : ii y a en cffct des clioses qu'on ne comprend pas si
l'on ne commence par poser un acte de foi ^. Assentiment digne
de toute fidclitc : au tribunal du Christ, ii fandra rendrc compto
de ce premier don'. L'heretique est un adultere : ii a tralu
cette foi que le Christ lui confia vierme. Sous l'ancienne Loi,
la foi seule faisait des justes ** : sous la loi nouvello, la foi de-
1. I'al. 3, fin. — Dieu doniie iiicme : inilium fidei ipsumque crodulitatu
affeclum {conc. Arausicanum II"'", can. 5, ap. Denzinger, Encliiridion, 148).
CoTni);u'er le mot de Tcrtullien : Qui sluduerU inteUigere.
2. B. 10 : Legis doctores ct Pharisaei... credere nolueriiiit.
3. Ap. 18, fin.
4. Pr. 9 : Unius porro et ccrti instituti infinita inquisitio non potest
csse. Quaerendum ost doncc invenias, ot crcdendum ubi inveneris, et ni-
hil ampliusnisi custodicndum quod credidisti, dum hoc insupcr crcdas,
aliud non esse crcdendum ideoquo nec requirendum, cum id inveneris el
credideris quod ab eo institutum est qui non aliu<l tibi mandat inquiren-
dum quam quod instituit.
ii. Pr. 10 : Ubi enim erit finis quaerendiV ubi static credendi? ubi ex-
punctio inveniendi? etc.
<!. /?. 10 : Vîaptismus ab Joanne denuntiatus jam tune habuit quaestio-
nem, ab ipsoquidem Domino pro positam Pharisaeis, caelestis ne is baptis-
mus csset an vero torrenus? de quo illi non valuerunt constanter res-
pondcre, utpote non intellegentes, quia nec credentes. — Voir le com-
mentaire de Îs. 7, 9 (iVJsJ credideritis, non inlellegelh). Ap. 21 ; 4 M. 20.
2.^). 27; o M. 11.
7. Pr. 44.
8. B. 13: Put. G.
iJespehance. 281
meure une disposition necessaire au bapteme ^ La foi- ne dis-
pense pas des ceuvres : celle d'Abraham duts'affirmer par des
actes heroîques^ ; celle des chreliens doit etre egalement pra-
tique et agissanle'. Quelques-uns, speculant sur leur foi, ne
se genent pas pour commettre le peche ; niais Dieu ne se ge-
nera pas davantage pour Ies mettre en enfer ''.
L'accomplissement des propheties, en affermissant la foi des
chretiens, anime Icur espej-ance'-'. Sortir au plus tot de ce
monde, est â lours yeux le sort le plus enviable '". Ils s'exercent
sur terre ă une vie celeste ', travaillant, selon le precepte de
l'Apotre (1 Cor. 15, 47-48), â reproduirc en eux-memes Ies
traits de .Icsus-Christ. Ainsi Fesperance des biens a venir Ies
souleve au-dessus des realites presentes. A ceux qu'attirent
encore Ies vains spectacles du monde, Tertullien propose Ies
spectacles de la foi, Ies perspectives incomparables de l'espe-
rance chretienne* : aujourd'hui la paix avecDieu,la posses-
sion de la verite, le mepris du siecle, la vraie liberte ; demain"
Favenement triomphant du Seigneur, la joio des anges, la re-
surrection des saints, leregne desjustes, la Jerusalem nouvelle.
A vrai dire, ce ne sont encore lă quo Ies mirages du millena-
risme; mais au delii on decouvre le dernier jugement, la
confusion des nations, l'embrasement de l'univers. Ies abîmes
de feu devorant Ies impies, le triomphe du Christ si longtemps
raille : spectacles grandioses, tels que ni consul ni preteur n'en
donnera jamais. Au delâ enfin, ces joies du ciel, que l'oeil n'a
point vues, que l'oreille n'a point entendues, que le coeur n'a
point senties, mais qu'on atteint par la foi et qu'on goute par
l'esperance.
1. I'aen. 6 : Lavacrum ilUul obsignatio est lidei, qliae fides a paeni-
tontiae fide incipituret commendatur. — Laconfiance de Tertullien dans
la vertu de la foi va meme jusqu'â faire assez bon marche du bapteme. II
conseiUe do le differer, et motive ainsi son avis, B. 18, fin : Fides integia.
secura est de salute.
2. Pat. 6.
o. 5 M. 3. 13.
4. Paen. o.
.0. Ap. 19.
6. Ap. 41.
7. 5 M. 10.
8. Sp. 29.
9. 74.. .30.
282 TIIIÎOLOGIE DE TERTULLIEN.
II reste â parler de certaines vertus auxquelles TertuUien
a consacre des traites speciaux. Telles sont : la patience, la
penitence et la chastete.
Au moment d'ccrire sur \& patience\ ii s'etonnc lui-meme de
sonaudace : peut-llbienaborderuntel sujet, luileplusimpatient
des liommes?Mais ii se consolera en louant un bien dont ii est
depourvu, bien que tout le monde estime, quc Ies philosophes
meme s'accordent â louer, eux d'accord en si peu de clioses.
La patience nous est d'abord recommandee par un exemple in-
signe ^ : celui de Dieu meme, qui verse la lumiere du soleil
sur Ies justes et Ies coupables, qui met Ies elements au service
de tous Ies liommes indistinctement, qui souffre tant d'iniquite
sous le ciel, avcc une longanimite dont plusieurs profitent pour
ne pas croire. Cettc patience divine paraît plus visible encorc''
et, pour ainsi dirc, plus palpable dans riiistoire du Verbe in-
carne. 11 a voulu naître, grandir, âtre meconnu, s'humilier lui-
meme devant Jean, se laisser aborder par le tentateur; on ne
l'a TU ni disputer ni quereller, ii n'a pas eleve Ja voix sur
lesplaces publiques; ii n'a pas acheve Ic roşeau brise ni etcint
la meche fumante. 11 n'a repousse aucun de ceux qui venaient
â lui, ii a mange avec Ies pecheurs, ii a lave Ies pieds de
ses disciples. II a refuse de faire tomber le feu du ciel sur Ia
viile qui l'avait outrage. II a repondu â I'ingratitude par des
bienfaits; ii a souffert parmi Ies siens un traître. II s'cst
laisse mener comme un agneau ăla boucherie, sans ouvrir la
bouclie, lui qui pouvait appeler du ciel des legions d'anges.
II a maudit Ie glaive qui avait frappe Malchus. II s'est laisse
crucifier : c'cst pour cela mame qu'il etait venu. Enfm, avânt
de quitter ce monde, ii a voulu se saouler de souffrance'' : Ies
crachats, Ies fouets, Ies sarcasmes. Ies accoutrements honteux,
la couronne tortui^ante, ii a tout epuise pour faire tout au re-
bours de Timpatiencehumaine. A ces signes du moins, Ies Plia-
risiens auraient du le reconnaître : car une telle patience n'est
1. p-at. 1.
Ib. i.
Jb. 3.
Saginai'i voluptate patientiae disccssiirus volebat.
LA PATIENCE.
283
pas d'un liomme. Scandale pour Ies Gentils, admirable legon
pour Ies fideles, qui voientdans la patience le cachet propre de
la divinite. Sans patience, pas d'obeissance ^ . Or c'est l'obeis-
sance qui merite devant Dieu. Xous si rigoureux â nos sei'-
viteurs, si tyranniques envers des animaux, refuserons-nous
Tobeissance â Dieu, ă qui seul nous la devons? L'impatience
est la source de tout mal - : c'est le fruit propre du demon,
comme la patience est celui de Dieu. L'impatience perditl'ange;
elle perdit la femme, puis l'hommc : Adam, Kve, Cain, tousles
pcclieurs sont ses victimes. Elle enfanta riiomicide, la colcre,
l'adultere, tous Ies crimes, Ies attentats contre Ies prophetes
et enfin contre le Seigneur meme. Au contraire, rien n'est sa-
lutaire comme la patience 3. Elle marclie devant -et derriere
la foi : c'est celle qui rendit meritoire la foi d'Abraham. c'est
elle qui l'eprouva par le sacrifice d'un fils. Encore imparfaite
sous la loi de crainte, elle atteignit son plein developpement
sous la loi d'amour, grâce aux legons donnees par Jesus-Christ :
â ce trăit, on reconnaîti'a Ies enfants du Pere celeste. Mais la
patience doit vaincre bien desobstacles '' : en premier lieu, l'at-
tachement excessif aux biens de la terre. Instruits par le Sei-
gneur, Ies fideles doivent mepriser l'argent. Si on ne sait pas
le perdre sans murmure, comment le donnera-t-on volontiers
aux pauvres"? II faut laisser aux Gentils ces indignes atta-
ches, savoir donner de bon coeur et perdre sans impatience.
Deuxieme obstacle ■' : l'amour-propre, sensible aux blessures.
Le serviteur du Christ doit faire bonne contenance, presenter
l'autre joue â qui le frappe, decourager l'agresseur, s'encoura-
ger par Texemple du Maître, ne pas riposter. La patience a
meme ses charmes : c'est une cuirasse oii Ies traits de l'envie
s'emoussent, et parfois rebondissent vers celui qui Ies a lances.
Troisieme obstacle •■' : l'amouraveugle de nos proclies. Ilarrivo
queleur perte nous trouve inconsolables. Ecoutons donc la pa-
1.
Pa
l. \.
"2.
Ib.
ij.
3.
Ib.
6.
4,
Ib.
■7
5.
Ib.
t.'
(i.
Ib.
1).
284 TIlEOLOGIll DE TERTULLIEN.
role de l'Apotre (1 Thess. 4, 12), etn'imitons pas Ies Gentils qui
pleurent sans esperance; mais consolons-nous par Ia pcnsee
que nos morts nous precedent dans un monde meilleur. Mieux
encore : souhaitons avec l'Apotre (Phil. 1, 23) d'etre reunis â
Jesus-Clirist. Quatrieme obstacle ^ : le deşir de vengeance. La
vengeanco, qu'elle serve la vanite ou Ia haine, est reprouvce
par Ie Scigneur, et bien fou qui lapoursuit : ii usurpe le r6Ic de
Dieu, qui a promis de faire justice (Deut. 32, 35), et ii s'expose
lui-memo â etrojuge severement (Mat. 7, 1). Enfin quels re-
grets ne traînent pas apres elles ces represailles, ou ii est si
facile d'exceder la mesure ! Soyons donc patients en toute occa-
sion - : dans Ies assauts du demon, dans nos propres impru-
dences, dans Ies châtiments que Dieu exerce sur nous et qui
sont reffet do sa grande bienveillancc. Ainsi recueillerons-nous
notre part des beatitudes promises ă la patience. La patience
apprend ă pardonner ■': elle prepare le retourd'un epoux infi-
dele, par la perspective d'un bon accueil : deux ibis profitable et
â celui qu'elle preserve du vice et â celui qu'elle en retire ''.
Les paraboles evangeliques renferment d'admirables exemples
de patience : le bon Pasteur, le pere du prodigue. La patience
engendre la foi, l'esperance, la cliarite surtout. Voila pour
l'âme; mais le corps aussi pratique la patience â sa maniere''.
Par lâ ii satisfait â la justice divine, ii obtient misericorde —
Nabucliodonosor en est une preuve, — ii allire Ia grâce, s'e-
leve â une chastete parfaite, fait face â la persecution, triom-
phe des tourments. Isal'e, coupe en deux, ne cesse de louer Io
Seigneur"; Etienne lapide implore le pardon pour ses bour-
reaux; Job lasse par sa constance l'effort du demon. Telles
sont les ocuvres de la patience. Or, Dieu est un depositaire
fidele', aux mains de qui elle entasse des tresors, siîre de
les retrouver au temps marque. Elle intervient dans loute
1. Pal. 10.
2. !l>. 11.-
3. Ib. 12.
i. Onrcviondra sur CC point âpropos du mariage.
5. Pat. 13.
6. Ib. 14.
7. !b. 15.
LA IMÎNITENCE. 285
bonne action, elle sied ă Loute personne. Elle rcpand sur
l'exterieur une serenite radieuse. L'Esprit do Dieu ne va
point sans la patience. Au rebours de cette patienco chre-
tienne ^ , le diable enseigne parfois ă ses adeptes une fausse pa-
tience, faite d'interot sordide et de soumission rampante, jja-
tience de souffre-douleurs et d'esclavcs. Le chretien offre au
Clirist la mome patience dont le Christ a donno l'exemple : ii
s'immole tout enticr, corps et ;lme, sur do rcssusciter tout
entier.
Ce trăite ascetique preconise donc un ideal tres eleve de per-
fection morale. Tertullien j deploie, avec une eloquence riche
d'onclion et de verve, une plenitude de sens cliretien qui con-
traste etrangement avec Farrogance de ses derniers ecrits.
Le trăite de la penitence, k peu preş contemporain du pre-
cedent, souleve des questions de dogme et do discipline dont
Ies unes se sont deja presentees ^. Ies autres se presenteront
au cours des chapitres suivants^. Bornons-nous ici-aux gene-
ralites concernant la vertu de penitence.
La penitence peut se defînir ' : un mouvement de Târne ex-
cite par le regret d'une resolution precedente ; passio animi
quaedam quae venial de offensa sententiae prioris ^. Ainsi
parlent meme Ies Gentils. Mais ils renversent l'ordre divin, et
f'aussent la notion de la penitence, quand, livres au hasard
de leurs passions, ils se repentent du bien qu'ils ont fait. La
vraie penitence naît de la crainte de Dieu, et tend au salut de
riiomme <'. Dieu meme donna en quelque sorte l'exemple de
la penitence '^, le jour ou ii rapporta la sentence rigoureuse
1. l'al. IG.
i. Ci-dessus, g I, p. 203; ;•', 3, p. i70.
o. c. Vii, S5, et c. IX, (;8.
!. Paen. 1.
'.). Prioris : Beatus Rhenanus, Panici, Rigaull, Migne ; pejoris : Oohler,
a\ !■(• doux mss. — Sur cette definition, comparer 2 M. 24, fin : simplex con-
viu-sio sententiae prioris (aeTâvoia). Ce rapprocliement paraît decisif en
favourdelalecon?9non's,d'ailleurs rccommandee par la suite du developpc-
ment.
6. Paen. -l.
7. Meme idee, 2i¥. 2-1, avec Ies attenuations quc Tertullien sous-entend
ici.
286 TIIEOr.OGIE DE TEUTULLIEN.
portee contre Ia race d'Adam. 11 se choisit im peuple, le combla
de biens, le poursuivit dans ses egarements, lui envoya ses
proplietes, prepara Ies voies du salut par la mission de Jean.
Jean preclia le bapteme de penitcnce, en attendant la venue
du Seigncur. Bien entendu, ii ne s'agit que de la penitence
du peclie ^ Le peclie, autrement dit ce qui deplaît â Dieu,
c'est le mal. Dieu. qui ne peut pas laisser le peche impuni,
offre le pardon k la penitence ^ ; ii offre au naufrage cette
planclie de salut, qui le conduira au port de la clemence di-
vine ; ii declare avec sermentne pas vouloir la mort de l'impie,
mais sa conversion (Ez. 33, 11). Inspiree paria grâcc divine-^
la penitence doit etre sans retour. Car le converti n'a plus
meme la mauvaise excuse de l'ignorance. Celui-lâ fait preuve
de mepris envers Dieu et d'ingratitude, qui, apres avoir essaye
du demon et de Dieu, retourne au demon, comme a un maî-
tre meilleur. La penitence doit etre interieure et sincere, ac-
compagnee de crainte et de respect pour Dieu : sinon, elle
est pure hypocrisie. Ces recommandations, utilcs pour tous,
s'adressentparticulierementaux catechumenes'. Quelques-uns,
â l'approclie du bapteme, eprouvent un regain d'attrait pour
la vie paîenne, et, speculant sur leur pardon j)rochain, pas-
sent en desordre le tcmps qu'ils devraient consacrcr a l'appren-
tissage de la vie chretienne. Coupable presomption, infame
trafic, parlequel on croit tromper Dieu, mais on se trompe soi-
m6me : car le bapteme regu dans ces condiţiona n'est qu'une
chaîne de plus. Quant ă ceux qui, deja baptises, retombent^,
TertuUien hesite ă leur montrer encore ouvert le recours ă
la misericorde divine : n'est-ce pas encourag'er Ies rechutes ?
Les naufrages, echappes au perii de mer, renoncent d'ordi-
naire â courir les aventuros : ainsi devrait faire Fhomme qui a
touche une fois au port de la misericorde. Mais Dieu a voulu
menager une supreme ressource au chretien qui tombe : c'est
1. I'aeH. 3. Yoir ci-dessus g 1, p. 203.
2. Ih. i.
3. Ib. 5.
4. Ib. 6. Voir ci-dessus, «3, p. 270; c. VII, S 4 p. 337.
5. Ih. 7. On reviendra sur ce- devcloppenient (Pac/i. 7-10) â propos du
saci-euKMit de penitence, c. VII, g 5, p. 339 sq..
LA PENITENCE.
287
la secoiide penitence, qui ne se reitere pas. Quc le pechcur
ne SC laisse donc pas abattre. Qu'il se souvienne de tant d'ap-
pels misericordieux que renferme rEcrilure ^ ; appels mena-
yants aussi, mais Dieu ne menace Timpenitence que pour epar-
gner le repentir : Non comminaretur autem non paenitenti,
si non ignosceret paenitenti. Qu'il considere Ies paraboics
evangeliques : la drachme perdue, Ia brebis errante, le prodi-
gue. Nul n'est plus pere que Dieu. Tam pater- nemo, lam pius
nemo. Qu'il entre dans la voie du repentir par Taveu sincere
de sa faute. II faut satisfaire a la justice divine ^ : riiumiliation
exterieure {exomologesis) y aide puissammenl. Elle exige de
la generosite ; mais ii s'agit d'acquitter, par una expiation
temporaire, la dette d'une eternite. Beaucoup se derobcnt pour-
tant ^, ou different par respect liumain. lls ont grand torl : ce
sont des malades qui fuient le medecin; et ils se trompent :
qui donc, dans l'Eglise, triompherait de leur abjecLion ? Les
souffrances d'un membre ne sont-elles pas les souffranccs du
corps tout entier ? Quoi qu'il en soit, ils ne sauraicnt tromper
Dieu ; et en craignant de s'afficher comme pecheurs, ils s'ex-
posent â perir eternellement. Plus deraisonnables ancore '' sont
ceux qui reculent devant l'incommodite corporelle de la peni-
tence publique. Rian ne semble trop delicat ă ces penitents :
et cependant ii n'est fatigue ni avanie que des candidats ne
devorent pour obtenir une cliargel Mais on oublie ces feux de
l'enfer •', dont les volcans mettent sous nos yeux d'effrayantes
et pourtant trop faibles images. — • Tertullien s'arrete : ii est
temps de songer â lui-meme, qui a plus que personne besoin
de penitence.
11 n'est guere de sujet sur lequel Tertullien revienna plus
souvent que la chastete chretienne et les precautions dont ii
faut l'entourer. Deja V Apologetique signalait aiix paiens^le
1. Paen. 8.
2. Ib.'i.
3. Ib. 10.
1. Ib. 11.
5. Ib. 12.
6. Ap. 9 : Nos ab isto eventu diiigentissima et fîdelisslma castitas sep-
sit... Quidam multo securiores totam vim hujus erroris virgine continen-
288 THEOLOGIE DE TEUTULLIEN.
culte de la chastete, inaugure par l'Evangile, et glorifiait la
virginitc, qui fait des vieillards pareils aux enfants.
Le trăite des spectacles insiste sur rimmoralite de ces fetes
paiennes, dont ii faut â tout prix eloigner Ies cliretiens ^ Si
Ton craint de souiller sa bouche ou ses entrailles, en mangeant
des viandes oflertes aux idoles, combien plus doit-on fuir ces
emotions malsaines qui, par Ies yeux et Ies oreilles, penetrcnt
jusqu'â râme etla souillent^! Le tlieâtre est le rendez-vous de
toutes Ies mauvaises passions**. Souvent le succes d'uii acteur
ne tient qu'â l'obscenite de son jeu '. Et ne voit-on pas tous Ies
ans (aux fetes de Flore) des femmes nues sur la scene? Les
genres litteraires, tragedie, comedie, mettent souvent en oeuvre
une donnee scabreuse. A ces constatations trop certaines on
oppose des raisons derisoires'' : l'Ecriture, dit-on, ne reprouvc
nulle part les spectacles. Etquelqu'un ajoutait gravement : les
rayons du soleil et le regard mome de Dieu descendent au
fond des plus immondes cloaques, sans contractor de souillure.
Rien de plus vrai : Dieu voit les lieux infects, comme ii voit les
crimes comrais par les hommes. Mais Dieu est un juge, et les
hommes deviennent trop facilemcnt des coupables. 11 n'y a
entre eux et lui aucune parite. — Le cirque et le tlieâtre sont
des lieux oii Ton perd toute retenue'' et oii l'on ne sait plus
rougir. Neanmoins tel pere de familie, d'ailleurs lionnote, y
conduit sa fille vierge ! Tout y est dangcr pour la paix de l'âme ' :
l'etalage des toilettes, l'entraînement du spectacle attisent le
feu de la passion. Meditera-t-on les oracles de l'Ecriture, parmi
cesvociferations profanes? Le chretien doithai'r^ ces assises des
ennemis du Clirist, cette chaire de pestilence, cette atmosphore
souillee de paroles criminelles. Que parmi ces spectacles ii se
tia depellunt, senes pueri. — Coinparcr V. v. 10 : Viri tot virgincs, tot
spadoncs voluntarii; et Feloge du montani.stc Proculus, Val. 5 : Proculus
noster, virginis sencctae et christianae cloqucntiae dignitas.
1. Voir Freppel, t. 1, loeoii 11.
2. Sp. 13.
3. Ib. 14.
4. Ib. 17.
5. Ib. 20.
0. Ib. 21.
7. Ib. 25.
8. Ib. 27.
LA CHASTETE.
289
rencontre des choses agreables, et meme honnetes, on n'en
peut disconvenir : c'est le miel dont le diable assaisonne un
breuvage de mort. Pour enchanteress'e que soit la coupe, elle
n'en est pas moins empoisonnee.
Les deux livres sur la toilette des femmes sont egalement
pleins d'interet pour le moraliste. S'il y avait, dit Tertullien',
autant de foi sur terre qu'il y a au ciel de gloire en perspective
pour la foi, les femmes ne seraient occupecs qu'â faire peni-
tence pour la faute d'Eve. Mais la sentence divine qui pese sur
le sexe faible ne Iui dessille pas les yeux : la femme demeure
ce qu'elle fut des le commencement, la porte du diable, diaholi
janua, la seductrice de l'homme. Ces colifichets du luxe,
qu'Eve ignorait avânt sa claute, continuent de tenter les fiUes
d'Eve. Et qui donc inventa le luxe', sinon les mauvais anges,
jadis seduits par des femmes, et ainsi tombes du ciel^? Ils in-
duisent les femmes â une vanite d'ou naissent miile fautes.
Destinees ă juger cos anges, les chretiennes doivent se garder
de leurs pieges : sinon, ce sera aux anges dechus de les juger.
Les parures feminines peuvent se repartir en deux categories :
cultus et ornatus. Cullus, c'est le vetement, avec ses acces-
soires : bijoux, etc, compris sousle nom generique de mundus
muliehris''. Ornatus designe le soin de la personne, la coifîure
et tout l'arsenal du parfumeur, pour lequel Tertullien cree un
nom intraduisible : immundus inuliebris. De ces deux gcnres
de parure, le premier sert l'ambition, l'autre sort la prostitution.
— Qu'est-ce, apres tout, que Tor et l'argent"? Des metaux
comme les autres, arraches ă la terre au prix d'un travail mau-
dit, et moins utiles que le fer ou l'airain. Que sont les piorres
1. 1 C. f. 1.
2. Ib. -2.
3. Sur cotte legende, et sur le livro d'Henoch ou Tertullien la lisait, voir
c. III, § 3, p. 15(i; c. V, S 3, p. 225. — Henoch, 8.
4. 1 C. f. 1. — On rencontre aussi divers dctails de toilette ((5toffes
voyantes, pcigncs lins, poudre dentifrice, soin des ongles et du visage),
Paen. 11 : Num crgo in coccino et tyrio pro delictis suppiicare nos con-
decet? Cedo acum crinibus distinguendis et pulverem dcntibus elimandis
et bisulcum aliquid ferri vel acris unguibus repastinandis, si quid ficti
nitoris, si quid coacti ruboris in labia aut genas urgeat.
5. 1 C. f. 5.
THEOl.OGIE DE TERTt'LLIEN. 19
290 THBOLOGIE DE TERTULLIEN.
pi-ecieuses ' ? Des cailloux un peu plus durs. Les pcrles? Des
verrues de coquillages. A moins quo ce ne soient des os fron-
taux de serpents : quel ornement pour la tete d'une chretienne,
qui doit fouler aux pieds le serpent infernal! On estime ces
objets pour leur rarete ^ ; lâ ou ils abondent, ils sont de nul prix,
et des barbares prodiguent l'or et les perles pour les entraves
des csclaves, sur la gaine des epees, jusque sur Ies cliaussures.
Leur rarete seule fait qu'on les reohercho. Les momes couleurs '•'
qui, parminous, passent pour precieuses, alors sont vulgaires.
Et cette peine qu'on prend de teindre les ctofîfes, n'est-elle pas
une sorte d'adultore, une profanalion du don divin? La raatiere
vient de Dieu, sans doute; mais un pareil usage ne pent vonir
que du demon. Ainsi les vains spectacles, ainsi Tidolâtrie abu-
sent-ils de dons divins. Par un etrange renversement de Fordre
providentiel, on s'attache aux objets d'autant plus que Dieu nous
les a refuses pour les donner a d'autres pays. Et le deşir d'a-
voir^ enflamme par l'ambition, engendre des abus monstrueux.
Une femme vaine porte sur soi non seulement des patrimoines,
mais des forets et des îles.
Le ton du moraliste se fait pressant '* pour detourncr les
femmes chretiennes — ancillae Dei vivi, conservae et sorores
meae — d'autres abus non moins coupables et plus humiliants.
La chastete, salut des femmes ct memo des liommes, doit res-
plendir dans Tcxteriour, car les chretions sont les templcs du
Saint-Esprit. Vertu delicate, elle exige, non seulement Tabsence
de tout desordre moral, mais une tenue simple et decente. 11
faut laisser aux femmes paiennes, ignorantes de la vraie vertu,
les dehors seducteurs. Pour une chretienne ■% le deşir de plairo
est non seulement blâmable, mais execrable. Deux fois execra-
ble, et parce qu'il souille l'âme, ou du moins ouvre la porte aux
tentations", et parce qu'il peut devenir pour autrui une occa-
1. 1 C. /'. 6.
•2. Ib. 7.
3. Ib. 8, 9.
4. 2 C. f. 1.
5. Ib. 2.
0. Pi'imo quod non de integra oonscientia venit studium placendi per
ecorem, quem naturaliter invitatorem libidinis scimus... Turn quod
LA CHASTETE. 291
sion de ruine spirituelle ^ . Ne fut-ce que par charite, ou doit se
l'interdire. I.a beaute n'est pas chose mauvaise en soi; neaii-
moins c'cst chose redoutable. On dira : Eh quoi ! ne peut-on
rester chaste en tirant gloire de sa beaute^? Prenez garde :
pour Ies chretiens, toute gloire est maudite, comme un fi-uit
d'orgueil; â plus forte raison, la gloire de la chair. Que le
chretien se glorifîe en sa chair le jour ou elle sera mise en
pieces pour Jesus-Christ. En general, une i'emmc chretienne
SC tiendra sur la reserve. — ■ Pour un instant, TertuUien va
emprunter Ic langage des Gentils ^. Une femme doit so contenter
de plaire a son mari ; or pour cela, elle n'a que faire de parures :
un mari chretien ne reclame point de parure ; un mari pa'ien ne
croit pas â la vertu de sa femme. Ce n'est pas qu'il faille se
donner un exterieur repoussant '' : mais point de fard, ou autres
drogues semblables, avec lesquellcs on corrigerait l'oeuvre du
Createur'*! Ce serait une entreprise diabolique, une injure a
Dieu, une sorte d'apostasie. Commcnt pretendrait-on garder
los commandements de Dieu, si l'on ne respecte pas en soi-
mâmc l'oeuvre de ses mains? Quelques-unes teignent leurs
cheveux ^ en blond, ou en noir (malgre Mat. 5, 36). Quellc honte,
chez une vieille femme! D'autres se frisent", ou, par un autre
defî â l'Evangile (Mat. 6, 27), se chargent d'enormes cliignons,
depouille d'une tete inconnue, peut-etre malpropre, peut-etre
damnoe. Pensent-elles donc ressusciter avec ce fard et ces faux
cheveux"? Tont cet appareil de vanite est maudit. Craignant de
paraître ceder au plaisir d'humilier son public feminin, Tertul-
lemplatioviibus viam aperirc nou debemus... Timor fundamonluiu salutis
est, pracsumptio impedimentum timoris.
1. Pcrit enini iile, simul In tuam formam conoupiorit, ct adinisit jam
in anirao quod concupivit, ct facta cs tu gladius illi...
î. 2 C. f. 3.
3. Ib. 4.
4. Ib.b.
5. Displicet nimirum illis plastica Dei, in ipsis se nimirimi arguunt,
reprehendunt artifîcom omnium. Rcprehenduntenimcuni emendant, cunî
adiciunt, utique ab adversario artifice sumcntes additamenta ista. îs est
diabolus... Quod nascitur, opus Doi est. Ergo quod infingitur, diaboli qo-
gotium est.
6. 2 C. /•. 0.
7. Ib. 7.
292 THEOLOGIE DE TEIiTULLIEJV.
lien s'empresse d'ajouter* qu'en fait de coquetterie beaucoup
d'hommcs sont femmes. Revenaut au luxe des vetements-, ii
fletrit cette forme de vanite qui favorise l'attrait du plaisir, dans
un âge oii l'on pourrait croire Ies passions refroidios. La sim-
plicite est une sauvegarde. Si, parmi Ies femmes chretiennes,
tclle ou telle croyait devoir quelque chose â sa fortune ou a son
rang^, qu'elle ne prenne point do la pretexte pour des toilettes
el'frenees; sinon, c'en est fait doriiumilite chretienne. L'Apâtre
vcut qu'on use de ce raonde comme n'en usant pas (1 Cor. 7, 29) ;
ii faut donc se mortifier en ceci, comme en d'autres choses,
d'autant que la fin des temps approche. Le plan du Createur
condamne ces raffinements ''' : ii n'a point donne aux agncaux
une toison couleur de pourpre, ni perce Ies oreilles des enfanls
pour y introduire des breloques. Quand ii n'aurait point parle
avec tant de vehemence, par ses prophetes, contre le luxe des
vâtements (îs. 3, 18 sq.), ii conviendrait d'user avec reservedes
biens qu'il confio ă notre discretion, â dessein de l'eprouver,
comme parfois un pere de familie eprouve la droiture ou la
discretion de ses serviteurs. Et n allez pas invoquer Ies neces-
sites de la vie ^ : Ies Gentils sont attires liors de chez eux par
des spectacles mondains ou d'autres plaisirs; une chretienne
ne sort que pour des motifs au.steres : visite des malades, as-
sistance au saint sacrifice, audition de la parole divine. Rien
de tout cela ne reclame une mise elegante. Si parfois ii faut
paraître au milieu des Gentils, raison do plus pour Ies edifier
par un cxterieur modeste (Phil. 1, 20; 1 Cor. 6, 20). Peut-etre
dira-t-on : Mais je ne veux pas faire blasphemer le nom de
Dieu (Rom. 2, 24)! Avec de si belles raisons, on pourrait gar-
dor tous ses anciens vices. Sera-ce donc un grand blaspbeme,
si l'on dit : Depuis qu'elle s'est faite chretienne, sa mise esfc
plus pauvre? Faut-il nous regler sur Ies pensees des Gentils,
1. 2 C. f. 8.
2. Ib. 9. ,
3. Si qiias divitiarum vel natalium vel retro dignitatum ratio compel-
lit ita poiupaticas progredi ut sapientiam non videantur consecutae...
4. 2 C. f. 10. — Ce developpeinent reproduit plusieurs idees <le 1 C. f.
2-5. On doit cn conclure que Ies deux livres no forment pas un ouvrage
unique.
5. -2 6'. /■. 11.
LA CHASTETE.
293
OU sur celles de Dieu? La seule chosc qu'il faille eviter k tout
prix^ c'est de devenir une juste cause de blaspheme. Les
femmes chretiennes, qui passent pour les pretresses de la
chastete, affecteront-elles les dehors des courtisanes? De nos
jours, les matrones s'en distinguent a peine. On dirait, dans
sa robe de pourpre, la prostituee des sept collines (Apoc. 17),
ou encore Thamar (Gen. 38, 14 sq.). Ne dites pas : Le temoi-
gnage de Dieu me suffit^ (1 Reg. 16, 7). Non, ii ne doit pas
vous suffire. Vous n'avez pas le droit de pratiquer la vertu
pour vous seulcs : ii vous faut edifîer. Et puis croycz-vous
qu'avec ces habitudes de mollesse vous vous preparez aux
epreuves qui s'annoncent? Craignez que la torture vous trouve
peu aguerries; exercez-vous k une vie plus rude : meditemur
duriora. Voici les robes du martyre qui s'appretcnt, voici les
anges qui viennent cliercher vos âmes. Empruntez les parfums
et les joyaux des prophetes et des apotres, la candeur de la
simplicite, le rouge de la pudeur ; ornez vos yeux de modestie,
vos lovres de silence, pretez Torcille a la parole de Dieu, sou-
mettez votre cou au joug du Clirist. Courbez la tete devant vos
maris, ot vous serez assez belles. Occupez vos mains aux ouvra-
gcs de lainc, fixez vos pieds ă la maison, cela vous dispensera
de les cercler d'or. Revetez la soie do la probite, le lin de Ia
saintete, la pourpre de la cliastete. Ainsi parees, vous auroz
Dieu pour amant.
Non content de marquer son estime et son zelo pour la clias-
tete chretienne, TertuUien lui prescrit des lois rigourouses.
Si, dans le trăite que nous allons rencontrer, n'apparait pas
encore le sectaire qu'il sera plus tard, deja pourtant les ten-
dances extremes de son esprit se revelent par l'eloignement pour
le mariage en general et pour lessecondesnoces en particulier.
Tertullien adresse ă son epouse — dilectissima in Domino
conserva ^ — un testament spirituel, pour le cas oii ii la prece-
derait dans la tombe. Qu'elle ne se remarie pas : ii lui donne
1. 2 C. /". \i. Optcmus tantummodo ne justac blasphemationis c.ausa simus.
Quanto autem magis bksphemabilo est, si, quae sacerdotos pudicitiac
dicimini, impudicarum ritu procedatis cultae et expictae?
2. Ib. 13.
3. 1 Ux. 1.
294 THEOLOGIE DE TEnTLLLIIÎ N .
ce conseil, non par jalousie, mais dans son propre interet.
Dieu, sans doute, a beni l'union de rhomme et de la femme ^ ,
pour peupler la terre. Mais, d'apres Finstitution primitive, un
seul homme s'unissait a une seule femme. La polyg-amie des
patriarches fut toleree pour un temps. Mais celte tolerance
dispărut â l'avenement de la Loi. La Loi elle-meme devait
laisser quelque chose â faire ă l'Evangile. S'il est faux que
Jesus-Christ soit venu abolir le mariago ^, comme le pretendent
certains heretiques ^, on doit pourtant reconnaître que le ma-
riage est permis a titre de moindre bien seulement (1 Cor.
7, 9). Mieux vaut rester libre, comme l'Apotre. Volontiers on
se flatte en repetant que la chair est faible ', et l'on oublie
d'ajouter que Fesprit est fort. Deux attraits surtout rengagent
dans Ies liens du mariage ceux que la mort d'un conjoint avait
affranchis : d'abord la concupiscence de la cliair, puis la con-
cupiscence du siecle. Les chrctiens doivent avoir repudie Tune
et l'autre. Des femmes courageuses triomphent des faiblesses
de la chair, et, une fois veuves, ne veulent plus d'autre epoux
que Jesus-Christ. Pour domincr le siecle, ii ne faut que regar-
der le ciel. On voit enfîn des gens qui se maricnt pour avoir
des enfants ^ : comme si, en des temps si difficiles, on n'avait
p as assez de son âme â sauver ! On se met ainsi sur les bras
un terrible bagage, pour le jour du jugement (cf. Mat. 24, 19 ;
Luc. 21, 23 : Vae praegnantibus et nutricantibus). Les vraies
veuves, que rien ne retarde, seront debout au premier son de
la trompette angelique. Que d'autres imitent, dans leur insou-
ciance, Sodome et Gomorrhe, villes de plaisir et de lucre, en
un sens pourtant plus excusables que nous, qui touclions â la
iîn des temps. Ecoutons donc l'Apotre nous rappeler que
l'heure presse (1 Cor. 7, 29) et qu'il faut user du mariage
comme n'en usant pas. Au moins les veufs doivent-ils se resi-
gner â la continence ^. Le paganisme cite des femmes qui
1. 1 Ux. 2.
■l. 1 Ib. 3.
o, Entrc autres, Marcion. Voir 1 M. 29.
4. 1 Ux. 4.
5. 1 Ib. 5.
6.1/6,6.
LA CHASTETE. 295
eurent ce culte pour la memoire de leurs maris. Souvent des
epoux cliretiens gardentla continence k daterdeleur bapteme :
a plus forte raison peut-on la garder apres la mort d'un epoux.
Satan ne trouve-t-il pas, pour certains sacerdoces pa'iens,
des vierges et des veuves? Pour contrefaire l'ceuvre divine ^
ii inspire aux sicns de ces renoncements : peu lui importe
de perdre Ies hommes par la luxurc ou par Ia continence,
pourvu qu'il arrive â ses fins. Si Dieu nous impose la conti-
nence comme apprentissage de Feternite^, sachons compren-
dre. S'il rompt notre mariage par la mort, reconnaissons la
main de sa Providence, qui nous met cn liberte de le mieux
servir : c'est une bonne fortune k saisir avidement. Les se-
condcs noces sont une decheancc, dans la pensee de l'Apotre,
dans la pensee de l'Eglise qui eloigne de l'autel les remaries ',
dans la pensee des pai'ens meme : le pontife maxime ^ ne se
mărie qu'une fois. Dieu qui, dans l'Ecriture, se declare pro-
tecteur de Ia veuve et de Forplielin •'*, honore la veuve presque
au-dessus de la vierge : peut-ctre parce que sa vertu suppose
plus d'effort personnel. Les veuves bavardes, faineantes, bu-
veuses, curieuses, trahissent tous leurs devoirs ^.
Le trăite du coi'le des vierges tonche un sujet tres particulier.
II s'agissait d'astreindre les vierges chretiennes de Carthage
a ne paraître que voilees dans Fassemblee des fideles. Ter-
tullien, qui s'est deja suscite des embarras cn disant tout haut
lă-dessus sa pensee, n'en reprendrapas moins en latin la these
qu'il a deja soutenue (en grec) ^. II importe en effet de ne pas
1. Sur ccttc contrcfacon delacoiitinencechrotienne, voire. III, §3, p. 159.
2. 1 Ux. 7.
3. Disciplina Ecciesiae et praescriptio Apostoli... digamos non sinit
pracsidero. Ceci concerne surtout Ies eveques (I Tim. 3, 2. 12; Tit. 1, 6).
— Ci-dessus, c. V, § 2, p. 219.
4. Ou plus exactement le flamino dial. Cf. c. III, «5 3, p. 159. — Gf. Apu-
Jee, ed. llildobrand 2,580 : iVuptias secundas repudiarc apud veleres pu-
dicae erat feminae.
5. 1 Ux. 8.
G. Le livre 2 ad Uxorem trăite do la saintete du mariaţc chi-etien Voir
c. Vil, §7, p. 372 sq.
7. V. V. l : Proprium jam negotium passus mcae opinionis, latino quo-
que ostendam virgincs nostras velari oportere ex quo transitum aetatis
suae fecerint. — Deja TertuUien avait parle en faveur du voile des vierges
(Or. 21-22) en des pages qui sont comme une esquisse du present trăite.
296 TIIEOLOGIE DE TERTDLLIEN.
laisser prescrire Ies droits de la verite. Si la regie de foi est
immuable, la discipline progresse. Au reste, dans le cas pre-
sent, ii est facile d'opposer usage â usage ^ . Car si Ic voile des
vicrges est inconnu en Afrique, ii est connu dans diverses
eglises apostoliques, soit grecques soit barbares. Donc on no
peut taxer cet usage d'etranger. En soi, ii est respectable, car
on ne doit pas chercher sa gloire devant Ies hommes. Ces
vierges qui aiment a se montrer ne sont pas de vraies vierges,
et ceux qui Ies approuvent ne valent pas mieux qu'elles.
Autrefois, une heureuse liberte regnait sur ce point^, oomme
sur tant d'autres ; mais l'ennemi du bien n'y trouva pas son
compte : ii anima Ies vierges mondaines contre Ies vierges
modestes, dont la tenue Ies condamnait. Le monde crie au
scandale, parce que cette vertu Fimportune. Et voici qu'on
traîne ă l'cglise ces vierges saintes, on decouvre leurs traits,
on n'a plus d'egards pour leur pudeur. Qu'enfm la verite se
venge : ii en est temps. A I'appui de l'usage nouveau, on in-
voque l'Ecriture ^. On pretend qu'en parlant du voile des
femmes l'Apâtre (1 Cor. 11) a excepte Ies vierges, parce qu'il
ne Ies nomme pas ; et on confirme ce dire'par un autre texte
(1 Cor. 7, 34) oii I'Apotre distingue expressement la femme
mariee [mulier) de Ia vierge [nrgo). Mais lâ ou cette distinction
n'est pas marquee, on n'a pas le droit de I'introduire gratuite-
ment '' ; et en maint autre passage de l'Ecriture, mulier est un
nom generique, applicable meme aux vierges. Ainsi designe-t-il
(Gen. 2) Eve encore vierge ; non, comme on l'a pretendu, par
anticipation, mais bien par allusion â sa condition presente.
Ainsi designe-t-il encore Mărie ^ (Gal. 4, 4; Luc. 1, 28) avec
allusion cxpresse â sa maternite virginale. Que si l'on examinc
une â uue Ies raisons''' pour lesquelles I'Apotre prescrit le
Ce qu'il dit ici donnc â penser qu'il avait du aussi defendre son opinion
en grec. On trouve encore des allusions au voile des femmes ; 2 C. /'. 7:
Cor. 4 (femmes juives); 6.
1. V. V. 2.
2. Ih. 3.
3. Ib. 4.
4. Ib. 5.
5. Ib. 6.
6. Ib. 7.
LA CHASTETE.
297
voile des femmes, on trouve qu'elles conviennent aux vierges,
non moins qu'aux femmes mariees. De ces raisons, Ies unes
concernent immediatement la femme (1 Cor. 11, 5 sq.), Ies
autres concernent Ies anges, qu'il ne faut pas scandaliser ••
(1 Cor. 11, 10). Dans ce passage de saint Paul 2, l'amplitude
du mot mulier repond â celle du mot vir ; comme onne songe
pas â etablir des categories pour vir, ii n'en faut pas faire non
plus pour mulier. Les Corinthiens ont compris, sur cepoint,
la pensee de TAj^otre, aussi leurs vierges portent-elles le voile.
La discipline ecclesiastique ^, severe aux femmes cn general,
lorsqu'elle leur interdit de parler dans l'eglise (1 Cor. 14, 34;
1 Tim. 2, 12) et d'y exercer aucune cliarge, ne fait pas d'excep-
tion pour les vierges. Si tel eveque a confie les fonctions de'
veuve k unc vierge qui n'avait pas vingt ans, une telle con-
duite ne sauraif s'excuser. Selon saint Paul (1 Tim. 5, 9), les
veuves de l'Eglise doivent avoir soixante ans au moins, s'etre
mariees une seule fois, et avoir eleve des fils, de maniere
qu'elles soient aptes â conscillcr. On ne permcttra pas memo
aux vierges un insigne honorifique '''. Sinon, ii faudrait, ă
plus juste titre, l'accorder aux liommes qui gardent la clias-
tete : car leur merite est plus grand. Mais voici que, par un
exces diametralement oppose au precedent ■', quelqaes-uns
veulent etendre le mot de l'Apotre, omnis mulier, aux plus
petites fillettes. En realite, le precepte s'applique ă dater du
jour oii la jeune lille prend conscience de son sexe. Ce mo-
ment etait venu pour Rebecca lorsque, rcncontrant son futur
epoux, elle se voila (Gen. 24, 64). II n'est pas au pouvoir des
parents d'arreter l'oeuvre des annees : elle se montre asscz
dans le cliangement d'extericur et d'allures. La jeune fille
voudrait neanmoins garder le privilege de sa virginite " ; elle
tarde ă prendre le voile. Qu'olle soit donc consequente avec
elle-meme ^, et que, repoussant le voile devant l'Eglise, elle y
1.
Sui
1- cette
idee,
voir c.
III,
S
3,
p
9
V.
V. 8.
3.
Ib.
9.
4.
Ib.
10.
5.
Ib.
11.
0.
Ib.
12.
7.
Ib.
13.
298 THJÎOLOGIE BE TERTULLIEN.
renonce aussi dcvant Ies Gentils : un peu de bravoure ne
messied pas, pour porter haut, devant eux, sa virginite. Mais
on ne l'entend pas ainsi, parce qu'on cherclie sa propre gloire.
x\ l'origine de cette controverse, quelqu'un disait. ^ : « Si vous
otez cela, quel attrait laisserez-vous a la virginite? » Comme
si le nombre des vierges importait, et non leur forvcur! L'E-
glise est necessaire aux vierges, non Ies vierges k TEglisc.
Mais retenons l'aveu : ainsi, l'amour-propre est en cause. Or ii
prepare des chutes lamentables. Un jour vient oii la pretendue
vierge doit cacher autre chosc que sa tete. La charite des
freres, qui Taccueillait volontiers, l'a perdue, et Ies egards
qu'on lui prodiguait lui rendent plus amere la perspective du
deshonneur. Cepcndant Ies f'autes s'ajoutent aux fautes ; elle
ne renonce pas pour cela aux dehors de la virginite. La verite
eclate enfîn : ii ne faudra rien moins que Ies vagissements du
nouveau-ne pour contraindre la malheureuse â se dcclarer.
Faut-il le dire? Celle qui usurpaFlionneur de la virginite chre-
tienne, s'arrete raroment apres un premier desordre. Pourdero-
ber le secret de sa maternite, â quels attentats ne se sera-t-elle
pas portee sur elle-meme "? Peine inutile : Dieu permet qu'en
ces occasions l'enfant vienne a terme, et qu'il reproduise Ies
traits du pere. Voilâ oîi conduit l'imprudence, meme dans
l'assemblee des chretiens : exposee â tant de regards, montree
au doigt, trop choyee, sous l'ardeur des baisers de paix
echanges avec complaisance, la vierge se fait un front d'airain.
La vraie virginite, au contraire, ne redoute rien tant qu'elle-
meme ^ ; elle fuit Ies regards meme des i'emmes, se tient â
l'eeart des tentations, des chuchotements et de l'envie. Dans
la bonne fortune. Ies paîens craignent, dit-on, le sort jaloux ^ :
ce qu'il faut craindre, c'est, d'unc part, la perfidie jalouse du
1. V. V. 14.
2. Ib. 15.
3. Est aliquid etiam apiid ethnicos metuendum, quod fascinum vocant,
infelioiorom laudis et gloriae enormioris eventum. lloo nos interdum
diabolo interpretamur, ipsius est enim boiii odium; interdum Deo depu-
tamus, illius est enim superbiae judiciiim, extoUentis humiles et depri-
mentis clatos. Timebit itaque virgo sanctior, vel in nomine fascini, hinc
adversarium, inde Deum, illius lividuni ingenium, hujus censorium iu-
men, el gaudebit sibi soli et Deo nota.
LA CHASTETE.
299
demon ; d'aulre part, la redoutable lumiere de Dieu. — Ter-
tullien vient de defendre son sentiment' sclon la nature (1-3),
selon TEcrlture (4-8) et salon la discipline de TEglise (9-15) ^.
A l'encontre, on ne saurait alleguer rien de plausible. II
adjure Ies vierges, quel que soit leur âge, de se voiler par
charite pour autrui ^. Qu'elles se fassent un rempart de leur
modestie, qu'elles se contentent de l'exterieur des epouses. Et
ne sont-ellcs pas epouses de Jesus-Christ? — Le dernier mot
s'adresse aux femmes mariees '' : qu'elles renoncent ă ces
coiffurcs ambitieuses qui ne laissent plus de place pour le
voile. Le voile doit descendre assez bas pour rejoindre la robe.
Sinon, elles seront jugees par Ies l'emmes d'Arabie, qui n'ont
qu'un oÂl libre pour se conduire. Telle cliretienne i'ut avertie
en songe par un ange, qui l'engagea â se voiler pour tout de
bon. II y a des femmes qui, â l'eglise, rejcttent leur voile
pendant Ies prieres. II y en a qui s'estiment voilees pour s'etre
mis sur la tete un morceau d'etoffe qui ne Ies cache nullement.
II y en a enfin qui ont de grandes mains et s'en servent pour
cacher leur visage : apres quoi, semblables â des autruches,
elles se croient â couvert de tous Ies regards. II faut se sou-
venir de Dieu et Ie porter dans son coeur : â ce prix, on viten
paix et en grâce avec Jesus-Christ.
Plus d'un trăit, dans ce livre, laisse percer la colere etpres-
quela revolte ^. Pourtant, et malgre Ies frequentes allusions â
Ia nouvelle prophotie, on ne voit pas que Tertullien ait encore
rompu ouvertcment avec I'Eglise. La situation s'aggrave dans
Ies traites De exhortatione castitatis. De monogamia et De
pudicitia, qui concernent aussi la chastete cliretienne, mais
surtout la discipline du mariage et de Ia penitence, alors en vi-
1. V. V. 16.
2. Cette controverse du voile des femmes a son epiloguc Cor. 4, oii
Tertullien fait appel â Ia coutume juive : Apud Judaeos tam sollcmne est
feminis eorum velamen ca pitiş ut inde noscantur.
3. Oro te, sive matcr, sive soror, sive filia virgo, secundum annorum
nomina dixerim, vela caput : si mater, propter filios;si soror, propter
fratres ; si filia, propter patres. Omnes in te aotates periclitantui'.
4. V. V. 17.
5. Voir en particulierla fin du § I, sur Ic Paraclet.
300 TIIIÎOLOGIE DE TERTULLIEN.
gueur dans TEglise de Rome. Nous reviendrons plus loin sur
ces pamphlets montanistes.
Au meme ordre d'idees appartient le trăite du Jeurte, ou
Tertullien accuse Ies psychici (catholiques) d'etre adomies â
la gourmandise \ non moins qu'âia luxure. Laissant provisoi-
rement de câte Ies invectives, nous nous attacherons au prin-
cipe delsi mortification cA/'e^jen/îe, misenlumierepar ce trăite^.
La necessite du jeune resulte d'abord de Ia faute originelle ^,
quifut un acte de gourmandise. La reparation doit se regler
sur l'offense : cela serait clair quand mame le precepte divin
n'interviendrait pas. Mais pourquoi la chair des animaux'',
interdite ă Adam, comme ii ressort du silence de l'Ecriture
(Gen. 1, 29), fut-elle permise â Noe (Gen. 9, 2)? Par une sage
disposition de la Providence, qui, en elargissant la liberte con-
cedee â Thomnie, voulut neanmoins y apporler un tempera-
ment : ii demcura defendu de manger la chair avec son sang.
La loi de Moîse ^ devait encore prescrirc Tabstinence des
viandes immondes, k la fois comme châtiment des murmures
d'Israel dans le desert, et comme epreuve. Que si l'on recher-
clie la raison de ces prescriptions divinos '', la nature meme
repond que la nourriture appesantit l'âme et incline aux vices
de la chair (cf. Ex. 32, 6; Deut. 32, 15; 8, 12 sq.). Le jeune
eleve et porte a Dieu, comme on le voit par Fexemple des pro-
phetes : Moîse, Elie. 11 flechit la colere divine ' : temoinla vic-
toire d'Israel âMaspha, Ie desastre de Sennacherib, le salut de
Ninive. Sodome et Gomorrhe etaient sauvces si elles eussent
recouru au jeune ; Achab y recourut, et Dieu differa son châ-
1. Jej. 1. Sur le jeune au point de vue li'sal, voii- c. VII, S 2, p.313; sur
le montanisme dans ce trăite, voir c. IX, § 7, p. 475.
2. Tertullien avait deja touche ce point dans un passa^e mordant du
De paenilentia, 11 : Exquirito balneas laetioros hortulani marltimivoseccs-
sus, adicito ad sumptum, conquiritoaltilium enormem saginam, dcfaecato
senectutem vini, cumque quis intorrogarit cuinam ea largiaris : Doliqui,
dicito, in Deum, et periclitor in aeternum pcrirc; itaque nune pendeo et
maceror etexcrucior, ut Deum reconciliem mihi, quem delinquondo laesi.
3. Jej. 3.
4. Ib. 4.
5. /*. 5.
C. Ib. 6.
7. Ib. 7.
LE JEUNE.
301
timent. Le jeuneobtientles faveurs divines : ainsiAiine devient
mere de Samuel, Daniel obtieiit la lumiere prophetique. L'E-
vangile louelejetine d'Anne, fille de Phanuel K Le Christ lui-
meme, au sortir du Jourdain, donne l'exemple du jeune le plus
rigoureux. II veut qu'on jeune sans tristesse. 11 ne prometqu'au
ieune la victoire sur certains demons. Dans Ies Actes des Apo-
trcs, on voit le Centurion Corneille jeuner avânt son baptome.
Saint Paul jeune parmi ses grands travaux. L'Ecriture con-
naît aussi l'abstinence d'une categorie determince de mets^;
on peut invoquer en faveur des xerophagies bien des precedenta :
exemple des trois jeunes hommes de Babylone, exemple
de Daniel lui-meme, exemple d'Elie a Bersabee, exemple de
David penitent. Samuel s'abstcnait de vin et de toute bois-
son cnivrante; de mame AarOQ et ses fîls. L'Ecriture Ies en
loue (1 Rog. 1, 11 Sept.; Lev. 10, 9) et rcprouve l'usage con-
traire (Am. 2, 12). Si saint Paul permet â Timothee malade un
peu devin, â titre d'exception, cela meme invite â s'abstcnir en
temps ordinaire. Le jeune 'affermit l'âme pour Ies combats â
vcnir ^. Faute de se preparer, on faiblit honteusement, comme
certain pseudo-martyr, nomme Pristinus, qui menait joyeuse
vie dans sa prison, et qui apostasia au milieu des supplices. On
invoque parfois '', contre l'obligation du jeune, certains textes
de saint Paul (Rom. 14, 20 sq. ; 14, 2 sq). Mais saint Paul n'a
voulu que condamner par avance des heretiques ennemis des
dons du Createur, un Marcion, un Tatien ; ii n'a point parle
contre le jeune. Non seulement l'Ecriture condamne la gourman-
dise », mais elle lamontre châtieepar Dieu (Num. 11 ; 1 Reg. 4,
17 sq; 3 Reg. 13, 21 sq; Luc. 16, 19 sq.). Les paiens eux-memes
ont compris le merite de l'abstinence, et y recourent pour fle-
chir leurs divinites. Quel contraste avec le chretien livre â la
gourmandise! Ce chretien-lâ est Esaii 6, et pire qu'Esau. Car
la gourmandise conduit â la luxure. R faut jeuner, si l'on veut
faire face aux ennemis du salut.
1. Jej. 8.
2. Ib. 9.
3. 76.12.
4. Ib. 15.
o. Ib. 16.
6. Ib. 17.
CHAPITRE VII
PRIERB ET SACREMENTS
I. LE TRĂITE DE LA PRIERE.
La forme de priere qui convient au Nouveau Testament a cte
determinee par Jesus-Christ mame \ II faut prier avec foi; ii
faut prier sans beaucoup de paroles ; ii faut prier decoeur. L'o-
raison dominicale realise ce programme : courte, mais pleine
de sens, elle est comme un abrego de l'Evangile, hreviarium
lotius Evangelii. Tertullien Ia commente au debut du trăite
de Ia priere.
Pater qui in caelis es^. — Ces motssont un acte d'adoration
et un acte de foi, de la foi qui nous fait enfants de Dieu (Joan.
1, 12). Cest le cri de la piote filiale et du respect. En mame
tempsque le Pere, on invoque le Fils, carie Pere etle Fils ne
font qu'un (Joan. 10, 30;. De plus, on honore implicitement
l'Eglise-mere, car oîi ii y a un Pere et un Fils, ii y a une mere ^.
Sanclificetur nomen Uium''. — Le nom de Dieu Ie Pere,
autrefois cache auxhommes, ignore de Moîse mame, nousaete
revele par le Fils (Joan. 5, 43; 12, 28). Toule benediction lui
est due en tout temps et en tout lieu, pour ses bienfaits. A ja-
1. Or. 1. Plus brievement (d'apres saint Luc), 4 M. 20.— Ci. Fug. 2 : le-
gitima oratio. — Sur ce commentaire on peut lire : W. Ilaller, Das Herrn-
r/ebel bei TerluUian, dans Ztsckr. f. prakt. Tkeologie, 12 (1890). p. 327-354.
2. Or. 2. ^ Cf. Prax. 23.
3. Cette parole surprenante devient intelligible quand on se rappelle
quo, pour Tertullien, î'Eglise est premierement et principalemcnt la Tri-
mt6 divine. Voir Ies textes cites. c. V, S 2, p. 215.
4. Or. 3.
OliAlSON DOMIXICALE. 303
mais beni et sanctifie par Ies anges , puisse-t-il Tetre aussi par
iious, candidats a la vie des anges. Tel est l'objet de notre
priere. Qvic le nom de Dievi soit sanctifie en nous, qu'il le soit
en tous.
FiaC voluntas tua in caelis et in terra ^ . — Bien que la volonte
de Dieu soit irresistible, ii y a lieu de prier pour qu'elle ait
son plein effct dans tous Ies hommes. Le ciel et la terre figu-
rent ici Ies hommes, composes d'une âme etd'un corps. Or, â
parler sans fîgure, nous prions pour que cette volonte ait son
effet sur terre, afin de l'avoir au ciel : nous demandons â Dieu
de mettre en nous sa volonte, avec la force de l'accomplir :
substantiam et facultatem voluntatis suae subministret nobis .
Cest la condition de notre salut. Le Christ est venu ici-bas pour
accomplir la volonte de son Pere (Joan. 6, 38 . Son exemple
nous apprend â lutter et â souffrir, au besoin jusqu'â la mort,
pour obeir â Dieu. Lui-meme ne demandait pas autre chose
dans son agonie (Luc. 22, 42 i.
Veniat regnum tuiim '^. — Le regne de Dieu, c'est le plein
accomplisscment de sa volonte en nous ă la fin des temps.
Quelle n'est pas la folie de ceux qui font des vcbux pour la duree
du siecle ! Souhaitons plut6t l'avenement de notre royaute,
la fin de notre esclavage. Avec Ies martyrs, dont le sang orie
venge-ance au ciel (Apoc. 6, 10), redisons : Qu'il arrive, Sei-
gneur, votre rogne, espoir des cliretiens, confusion des Gen-
tils, joie des anges !
Panem noslruin quotidianum da nobis hodie '^. — Aprosles
demandes qui concernent le ciel, celles qui concernentla terre.
1 . Or. 4. On remarqucra que TertuUien intervertit cottc dcmande du
Pater ct la suivante.
2. Ib. 5. — TertuUien tenait un langage tout different, Ap. 39 : Oi-anius...
pro mora finis. C'est qu'alors, s'adressant aux magistrats de rompiro, ii
pr.rlait en citoj'en. Les chretiens consideraiont assez generalement Ic sort
du mondc commelic âceluidorempire: Ap. 32 : Vim maximam universo
orbi imminentem ipsamque clausulam saeeuli acerbitatos horrendas com-
minantem romani imperii commeatu scimus retardari. Leur patriotisme
ne pouvait que souhaiter longue duree â !'un et â l'autre. Mais dans le
De oratione, au lieu du citoyen, nous entendons l'ascete, et bien qu'une
grande distanco le separe du montanisme, on saisit deja Ies premiers
symptomos do l'ovolution qui se fera dans son esprit.
3. Or. 6. — Cf. Jej. 15.
304 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
Nous prions pour demeurer unis au Clirist, pain de vie, et
specialcment pain eucharistique '. De plus, nous prions pour
obtenirîe pain du corps. Le pain sufTit aux fideles; nous ne
demandons que le pain, et pour aujourd'hui seulement, aban-
donnantâ Dieu Ie lendemain (Mat. 6, 34).
Dimitte nobis debita nostra -. — Coupables, nous implorons
le pardon divin. Cest la une exomologesis. Elle est confîante,
car nous savons Dieu plein de misericorde ; elle est genereuse,
car, â son exemple, nous pardonnons Ies premiers, selon l'es-
prit de l'Evangile (Mat. 5, 25; Luc. 6. 37; Mat. 18, 21).
Ne nos inducas in tentationem ■*. — Nous prions Dieu de ne
pas nous laisser succomber â la tentation. La tentation propre-
ment dite a pour auteur le demon. Dieu, sans doute, eprouve
parfois ses serviteurs : ainsi eprouva-t-il la fidelitc d'Abraham,
non sans dessein de preparer Ies voies au precepte qui oblige
de preferer Dieu â ses proches. Les disciples abandonnerent
le Seigneur dans la tentation, pour s'etre laisses aller au som-
meil, aulieu de prier comme ii le Icur avait recommande (Luc.
22, 46). Aussi prions-nous Dieu de nous eloigncrdu mal :
Sed devehe nos a malo.
Tertullicn resume l'oraison dominicale ' : Que de choses en
ces quelques mots! Hommage â Dieu le Pere, attestation de la
foien son nom, ofîrande de soumission â sa volonte, acte d'es-
perance en son regne, imploration du pain de vie, humble aveu
des fautes, appel au secours divin contre les tentations. Etquoi
d'etonnant? 11 n'appartenait qu'â Dieu d'enseigner comment ii
veut qu'on le prie. Ainsi cette priere, composee parlui-mâme,
animee de son esprit, des Tinstant ou elle s'ecliappait des le-
vres du Christ, montait au ciel comme une requete privilegiee
portant au Pere les vceux dictes par le Fils.
Toutefois, en prescrivant cette formule de priere s, le Sci-
1. Tum qiiod et corpus ejus in pane censetur. Voir, sur ce texte, ci-des-
sous, § 6, p. 365.
2. Or. 7. — Cf. Pud. 2.
3. Or. 8. — Cf. Fug. 2 : Mc nos induxeris in tcmptationempermittendo
nos maligne.
4. Or. 9.
5. Ib. 10.
TRĂITE DE LA PlilEIÎlî. 305
gneur n'a pas voulu interdire d'autres domandes plus speciales;
ii y invite mame (Mat. 7, 7 : Petite, et accipietis). Mais ii im-
porte, quand on prie, de ne pas perdre de vue Ies commande-
ments divins. Or voici plusieurs recommandations ^ destinees
â aplanir â la pricre le chemin du ciel. D'abord, ne pas monter
â l'autel avânt d'avoir fait la paix avec ses freres (Mat. 5, 23).
Quc le soleil ne se couche pas sur votro ressentiment (Eph.
4, 26). Bien temeraire celui qui, plutot que de se renoncer sur
ce point, passera le jour sans prier! II faut meme eviter touto
passion troublante -, qui eloignerait l'Esprit-Saint : cet Esprit
d'innocence, de joia et de liberte veut des âmes qui lui res-
semblent. II faut aller a la priere avec une âme pure^. Quant
aux mains, assez peu importe. Ces ablutions frequentes,
auxquelles se complaît la superstition de certains fideles,
rappellent Pilate : triste precedent, qu'il n'est pas besoin
d'imiter. Israel ' a beau se laver chaque jour des pieds ă la tete,
ii ne se purifie point : le sang des prophetes et du Seigneur
meme est â jamais sur ses mains : aussi n'ose-t-il Ies lever au
ciel : Ies chretiens levent Ies mains et Ies ctendent en croix,
en memoire de la passion du Christ. Encore un exemple de
vaine observance '' : quelques-uns croient ne pouvoir prier
qu'apres avoir depose leurs manteaux. Imite des pal'ens —
Tertullien ne suppose pas qu'on invoque l'autorite de saint
Paul confiant son manteau â Carpus (2 Tim. 4, 13) — cet
usage n'a aucune raison d'ctre. Quoi qu'il en soit, Ies trois
jeunes gens de la fournaise furent entendus de Dieu, malgre
leurs sarabares et leurs tiares orientales. II n'y a pas non plus
de raison pour prier assis *, etl'argument qu'on tire du Pasteur
d'Hermas (Vis. 5, 1) est pueril. S'asseoir marque au contraire
peu de respect. Ce qui importe, c'estla modestie et riiumilite'^.
1. Or. 11.
2. Ib. 12.
3. Ib. 13. La mâmo rccoinmandation revet dans VExhortatio casliUdU
(10) une forme originale : Oratio de conscientia procedit : si conscientis
orubescat, erubescit oratio.
4. Ib. 14.
5. Ib. 15.
6. Ib. 16.
7. Ib. 17.
THEOl.OGIE DE TERTULLIEX. 20
306 THEOLOGIE DE TERTDLLIEN.
meme exterieure : Thumble publicam fut justific, mieux que
le pharisien superbe. Pas besoin de grands cris : Ies demons
entendent sans bruit de voix (exemple de l'oracle pythique,
ap. Herodote 1, 47); â plus forte raison, Dieu. Du ventre de Ia
baleine, la priere de Jonas monta jusqu'au ciel. En criant, on
ne fait que gener ses voisins. — Suivent des considerations
particulieres sur divers points de disciplinei En finissant,
Tertullien revient sur l'excellence de la priere ^, cette hostie
spirituelle du Nouveau Testament, qui a remplace Ies anciens
sacrifices, et que doivent porter â l'autel Ies adorateurs en
osprit et en verite. Dieu, qui exige cette priere, ne lui peut
rien refuser •', Deja la priere imparfaite de l'Ancien Testament
operait des merveilles : elle'arretait Ies ravages du fou, des
betes, de Ia faim, dissipait Ies armees ennemies, commandait
aux elements. Que ne fera donc pas la priere enseignce par
Josus-Christ? Cette priere inspirec par la justice accomplit des
miracles de patience, elle detourne la colere du ciel, veille
pour le salut des ennemis, orie grâce pour Ies pcrsecuteurs.
Seule, la priere triomphe de Dieu meme. Essentiellementbien-
faisante, cile no sait que rappcler des portes de la mort Ies
âmes des defunts, restaurer Ies membres infîrmes, guerir Ies
malades, delivrer Ies possedes, ouvrir Ies portes des prisons,
briser Ies fers des innocents. Elle efface Ies pcches, rcpousse
Ies tentations, eteint l'ardeur des persccutions, secourt tousles
besoins spiritucls. La priere est le mur de la foi; elle est unc
arme defensive et offcnsive contre l'ennemi qui nous assiege de
toutes parts. Ne marchons jamais sans cette arme. Soyons
fidelos, le jour aux stations, la nuit aux veilles. Sous Ies
armesdela priere, gardons l'etendard de notre chef, attcndons
la trompette de l'ange. Les anges eiix-memes prient, toute
creature pric; les animaux des champs, ceux des bois fle-
chissent les genoux ; au sortir de leurs etables ou de Icur ta-
nieres, ils regardent le ciel, et chacun â sa fason lire de sa
bouche une musique expressive. Les oiseaux, â leur lever ma-
1. Or. 18-27. Nous y revicndrons au § 3.
2. Ib. 28.
:3. Ib. 29. — Sur cette page de TortuUion, et ses relations avec Fanti-
que Litanie, voir Dom Cabrol, Dict. arch-, t. 1, p. 605.
HTURGIE CIinETIENNE. 307
tinal, s'elevent dans l'air, etendent leurs ailesen croixet disent
quelque chose comme une priere. Bien mieux : le Christa prie.
Gloire au Clirist dans Ies siecles des siecles.
Le trăite De oratione s'acheve sur cet elan mystique, plein
de poesie et de grâce.
11. LA LITUKGIE CHlîl'îTIEXNE.
Nous grouperons ici quelques notions sommaires, surlali-r
turgie de Teglise d'Afrique ^ telle que nous la revelent Ies
ecrits do TerLullien.
1° La Pdque. — Instituee en memoire de Ia passion du
Sauveur, la Pâquo des chretiens se rattacho par un lien etroit
â la Pâque juive. Le Christ avait choisi cette derniere fete pour
consommer son sacrifice; ii etait cet agneau destine ă la bou-
cherie, en qui devait se realiser le symbolisme bibliquc ^. Ter-
tullien admet ' que le Seigneur soulîrit le premier jour des
azymes, avânt la manducation de l'agneau pascal. Ce senti-
ment, fonde sur l'interpretation obvie de saint Jean (Joan. 18,
28) est egalement defendu par Apollinairo d'Hiorapolis, Cle-
ment d' Alexandrie et saint Hippolyte ''. Quant â la celebration
do la Pâque [sollemnia Paschae], elle avait lieu en Afrique,
sclon Ia coutume romaine, non le propre jour du 14 nisan,
mais le dimanche suivant •^ Les fideles passaient en prieres la
nuit du samedi au dimanche ". L'Eglise avait des lors fixe au
1. Xotre plan ne comporte pas un cxpos(5 complet do Fantique liturgic
alVicaine, et nous nous garderons de refaire ce qui a ete si bien fait par
Dom Cabrol, Dict. arch., t. 1, p. 591 sq. Nous ne touclions â la liturgic quo
dans la mesure indispensaiile â rintclligenoe du dogme.
2. 4M. 40 : E tot fcstis Judacorum, Paschae diem elegit. In hoc euim
sacramentura pronuntiarat Moyses: Pascha est Domini. — 5M.7 :Pascha
figura Ghristi per similitudinem sanguinis salutaris et pccoris Christi.
3. ,/. 8. Dio VIU Kal. april., die I azymoruni, quo agnum ut occidercnt
ad vesperam a Moysc fucrat praeceptum. — Ib. 10.
4. Voir Eusebe, //. E. 4, 26; et le Chronicon paschale, ap. Migne P G
',&, p. 80. 81.
5. Jej. 14. — Mais dics paschae (Or. 18) dosigne le jour de la mort du
Christ.
0. 2 Ux. 4.
308 THjioLOGIE DE TERTULLIEN.
temps de Pâques Io bapteme des catecliumencs K TertuUien
nous apprend que Ies solennites pascales etaient precedees par
deux jours de jeiîne^. Elles etaient suivies de rejouissances
qui duraient cinquante jours ^.
2° Le dimanche; sacrifice eucharistique. ■ — Echo affaibli des
joies pascales, Ies solennites du dimanche — dominica sol-
lemnia '' — ■ reunissaicnt Ies fideles pour la cclebration du sa-
crifice eucharistique'-', des exhortations et des prieres. G'etait
l'acte essentiel du culte public, et la grande preoccupation
quand la persecution venait â sevir^. Les paifens avaient re-
marque ces reunions, que ramenait lejour consacre ausoîoil '' :
ot quelques-uns soupQonnaient les chretiens d'adorer cet astre.
Le dimanche, on se serait fait scrupule de jeuner; on ne priait
pas â genoux; on mettait de cote les affairos". L'oblation de
l'Eucharistie, fonction sacerdotale par exoellence ', s'accomplit
regulieremeni le dimanche. Nous verrons d'ailleurs qu'elle
peut se renouveler pendant la somaine, particuliercmont aux
jours de station et â certains anniversaires.
Terlullien n'a pas eu occasion de decrire le sacrifice eucha-
ristique, et cela se comprend : les fideles y assistaient, et devant
les Gentils on evitait d'en parler. Mais ii y fait allusion, comme
a la grande nouveauto chretienne, soit en commentant la pro-
phetie de Malachie (Mal. 1, 11) *" dans ses ecrits polemiques,
soit dans un but d'cdifîcation^'.
1. /;. 19.
2. Or. \8;Jej. 14.
3. Or. 23; B. 19; Cor. 3; Idol. 14.
4. An. 9; Fvg. 14. — Voir Probst : Liturgie der drei ersten .Jakrhun-
derten (Tubingen, 1870) 1, 4. 4, p. 184 sq.
5. 2 C. f. 11. Aut sacrificium ofl'ertur aut Dci sermo administratul'; 3^1/.
22 : In omni loco sacrificium nomini mec offertur, ot sacrificium mun-
dum, gloriao se. rclatio et bencdictio et laus et hynuii.
6. Fitg. 14 : Quomodo dominica soUcmnia celebrabimus?
7. Ap. 16; 1 A'. 13; 2 Ux. 4.
8. Or. 23 ; Cor. 3.
9. V. V. 9; Cor. 3; Ex. c. 7. — D'ailleurs, sclon unc acception moins
relevee, le mot oblalio designe les dons spontanes des fideles en vue du
saint sacrifice : 2 Ux. 9; Ex. c. U ; Monog. 10. Le mome doublo sens se
retrouvcdans le vocabulaire de saint Cvprien, Ep. 12, 2; 15, 1; 34, 1.
10. 3 M. 22; 4 M. 1 ; /. 5. 6.
11. 2 Ux. 9, et passim. — Relevons la mention de l'autel, Or. 19 : Si et
AGAPE. 309
Attenlif au sacrifice de la croix,iIne s'arrctcpasâdevelopper
le symbolisme de l'autel ' ; neanmoins ce symbolisme paraît
implique dans quelques devcloppemcnts, notamment dans Ies
allusions au festin eucharisLique que renfermc le trăite contre
Ies Juifs^. Dans son corps et son sang presents mystiquement,
le Christ, pretre eternei, a laisse â Thumanile un gage de la
redemption consommee ăla croix'.
3° Agape. — Sur cette institution tres discutee '', le tcmoi-
gnagc de Tertullien a une importance capitale.
Signalons d'abord une scrie de textes ou le mot agape de-
signe simplement la charite chretienne :
Mart. 2 : Qicae justa sunt, caro non amittil per curam Ec-
clesiae et agapen fratrum. — Or. 28 : Ilanc [hostiam] de toto
corde devotam, fide pastani, veritate curatam, innocentia
integram, castitate inundam, agape '^ coronatam cum pompa
operam bonorum inter psalmos et hymnos deducere ad Dei
altare debemus. — i?. 9 : Christus..., cum de agape docet,
aquae calicem pauperi ohlatum inter opera dilectionis
probat.
L'usage chretien a donne ce nom â des repas communs, oîi
ad araiu Dei steteris: Or. 28 et Bx. c. 10 : Orationem deducei'e ad altare;
Jcj. 10.
1. Voir F. S.Renz, Dle Geschichlo des Messopfershegriffs, t. ] (Freising,
1901), p. 209 sq. — Si M. Loofs affirme le contraire (Ii. E., art. Abendmahl,
p. 59. 60j, iious ne pouvons nouis l'expliqucrque par la marche regrcssivo
de son doveloppement : ii a commence par etudier saint Cyprion, dorit
ensuite ii retrouve trop lacilemont la pensee chez Tertullien.
2. J. 14 (ou 3 M. 1) : Alter vero (hircus), .pro dclictis oblatus et sacer-
dotibus tantum templi in pabulum datus, secundae repracsentationls ar-
gnmonta signabat, qna dclictis omnibus expiatis sacordotes templi spirita-
lis, i. e. Ecclesiac, doniinicae gratiao quasi visceratione quadam fruerentur,
jejunantibus ceteris a salute. — Voir encore J.o.
;■!. Sur la realite de la presenoc cuchari.stiquc, voir inf. S G, p. 355 sq.
4. On trouvcra une bibliogvaphie abondante dans Dom Leclercq, Dicl.
arc/l., t. 1, 845-818. Signalons en particulier : .1. E. Keating, The Agape
(London, 1901); P. Batiffol, Eludes d'histoire et de theologie positive,
o" ed. Paris 1903 (n'admet pas l'agape distincte de rEucharistie) ; F. X.
Funk, dans Revue d'hisloire eccUsiastique (Louvain), 15 janv. 1903 (rcpond
a l'edition precedente de M^' Batiffol); .1. M. Gillis, The christian Agapi;
dans Calhotic universily buUelin (Washington) oct. 1903; V. Ermoni,
V Agape dans l'^glise p)nmitme (Paris, 1904).
5. Nous lisons agape, avcc le codex Ambrosianus et Ies edd. — Reiffei'-
schcid corrige malheureusement en agapen.
310 THEOLOGIE DE TliRTUI.LlEN.
l'on se proposait, entre autres buts pieux, Io soula^ement des
pauvres. Rappelons Ies grandcs lignes d'une description qui
nous est deja connue ^ .
Ap. 39 : Cenulas nostras, praeterquam sceleris infames,
ut prodigas quoque suggillatis... Cena nostra de nomine ra-
tionem sui ostendit. Id i>ocatur quod dileclio penes Graecos.
Quantiscumque sumptibus constet, lucrum est pietatis nomine
facere sumptum, siquidem inopes qiiosque refrigerio ista
juvamus... Si honesta est caasa convivii, reliquum ordinem
disciplinae de causa aestimale . Quod sit de religionis officio,
nihil vilitatis, nihil immodestiae admittit. Non prius discum-
bitur quam oraţia ad Deum praegustetur . Editur quantum
esurientes capiunt, bibitar quantum pudicis utile est. Ita
saturantur ut qui meminerint etiam per noctein adorandum
Deum sibi esse; ita fabulanlur ut qui sciant Dominum audire.
Post aquam manualem et lumina, ut quisque de Scriptuj-is
sanctis vel de proprio ingenio potest, provocatur in mediuin
Dea canere : hinc probatur quomodo biberit. Aeque oratio
convivium dirimit.
L'agape ctait donc un repas, ou l'on mangeait selon son
appetit ; elle avait lieu â Ia chute du jour. Sur ce point, le nom
de cena, qui designe un repas du soir, serait decisif, quand
meme nous ne verrions pas allumer des flambeaux avânt la
fin de la reunion. Tertullien, qui repousse ici le reproche
d'intemperance, a repousse plus haut ^ d'autres accusations
courantes contre ce repas : accusations d'infanticide et de
1. Voir c. I, g '1, p. 30. — Cette description est souvent conforme, meme
dans le dctail materiei, â celle des canons de saint Uippolyto (32, 164-35,
185) dans T. u. U. t. O, p. 105-111. Citons quolques traits : 32, 104 : Si
agape fit vel cena ab aliquo paupcribus paratur xupiax^ tempore accensus
luccrnao, praesente episcopo surgat diaconus ad acccndendum. 165. Epis-
copus autem orct supcr eos, et cum qui invitavit illos... 167. Missos aiitem
faciat eos, ut separatim rccedant, antcquam tencbrac oboriantur. 108. Psal-
mos rocitent antcquam rccedant... 33, 173. Edant bibantqno ad satietatem,
neque vere ad ebrictatem, sed in divina pracsentia cum laude Dei. —
Voir encore 3-1, 179; 35, 180.
On a cru retrouver l'agape jusquo dans le N. T. : % Petr. 2, 13 ci.fâ.v.aM
B A vulg. syr (bodl). sah. aeth; âTcâTai? N A (corr). C P syr (charkl). arm.
al; — Jud. 12.
2. Ap. 6-9.
AGAPE. 311
promiscuite infame. Un autre ouvrage fournit encore un trăit
precis ^ : comment un mari paîen verra-t-il sans inquielude
sa femme se rendre â ce repas dominical, si mal fame? Cest
bien toujours du meme repas qu'il s'agit; et nous apprenons
que l'agape se celebrait Io soir du dimanche. Enfîn relevons
dans un ecrit montaniste un sarcasme â Tadresse des catho-
liques. Jej. 17 : Apud te agape in caccabis fervct, fides in
culinis ^ caiet, spes in ferculis jacet. Sed majoris est agape,
quia per hanc adulescentes tui cum. suroribus dormiunt. Ter-
tullien a oublie ses anciennes protestations, et l'apologiste se
fait accusateur, en jouant surle double sens du mot agape'''.
Fondee ou non, son accusation suppose que dans l'agape
chretienne la gastronomie pouvait s'introduire, et â sa suite
la luxure ''.
Ces traits conviennent-ils, comme on l'a pu croire, â la
celebration de l'Eucharistie? Voyons comment Tertullien
parle de ce mystere. L'Eucharistie n'etait pas exclusivement
reservee au dimanche, ni au soir : on la celebrait aussi dans
la matinee'^, particulierement Ies jours de station, c'est-ă-dire
1. 2 JJx. 4 : Qiiis (maritus gcntilis) nocturnis convocationibus, si ita
oportuerit, a latere suo adimi libenter feret? Quis denique sollemnibus
Paschae abnoctantem securus sustincbit ? Quis ad convivium dominicuni
illud, quod infamant, sine sua suspicione dimittet"? — Nous distinguons
ici trois sortes de rcunions cliretiennes : des convocations, periodiques
ou non, pour losquelles parfois on dovangait Ic jour; Ies solennites de
Pâques, pour lesqueUes on passait la nuit en pricres; enfin l'agape domi-
nicale, reservee au soir. — Comparer Canons d'Hippolyte, 32, 164 : Si agape
fit, vel ccna ab a.liquo pauperibus paratur x'jpiax^, tempore acccnsus
luccrnae; Ib. 33, 172 : Non sedoat cum ois aliquis cateehumenus in agapis
y.'jpcaxai;.
2. Nous lisons culinis avcc Gangneius, Migne, Oohlcr, contre Gelenius et
Iteifferscheid : culinis.
3. II ajouto que pour faire honneur, selon le precepte apostolique (1 Tini.
5, 17), â l'eveque qui prcside l'assemblee, on lui donne double part.
1. Dans le meme trăite (Jej. 12), Tertullien rcproche aux catholiques
de i)rodigucr Ies victuailles et le vin aux confesseurs de la foi dans Icurs
prisons, risquant d'enerver par la leur constance. En regard de ces abus,
ii convient de remettro le spcctacle edifiant prcsente, l'an 203, par Ies
prisons de Cartbage, oii d'iUustres martyrs transformaicnt en agape
chretienne le dernier repas accorde par la loi romainc aux condamnes.
Acla Perpeiuac, 17 : Cum illa cena ultima, quam liberam vocant, quantum
in ipsis erat, non cenam liberam sed agapen cenarent.
5. Cor. 3 : Eucharistiac saeramentum... etiam antolucanis coetibus..
312 THEOLOGIE BE TEIÎTULLIEN.
le mercredi et le, vendredi ' ; et Tertullien blâmo ceux qui,
pour ne pas rompre leur jeiine, s'abstieiinent de la recevoir.
Ailleurs nous voyons une femme, qui a emporte chez elle
I'Eucharistie, communior le matin, â jeun^. Ces faits consLates
ne prouvent pas qu'il n'y eut jamais de reunion euctiarist'ique
dans l'apres-midi, et Tertullien semble meme dire le contraire •'.
Le silence qu'il garde sur TEucliaristie dans sa description de
l'agape, adressee aux magistrats paîens, n'empeche pas de
croire qu'en certains cas au moins rEucliaristio etait jointe â
l'agape. Mais assurement elle en etait distincte, car nulle part
chez Tertullien la participation au corps du Seigneur ne
presente Ies caracteres d'un repas oîi I'on mange selon son
appetit. Qu'il nous suffise pour le moment de renvoyer ă ce
que nous dirons plus bas sur le mystere de l'autel '' .
De cet expose sommaire, nous concluons que Tertullien
peut etre cite comme temoin d'une agape distincte de I'Eu-
charistie *.
sumimus. — .Comparei- saint Cyprien, Ep. 63, 15 : Si in sacrificiis niatu-
tinis hoc qui.s veretur ne per sapoi'em vini i'eiloleat sanguinom Christi.
1. Or. V.) : Devotiim Deo obseqiiium Eucharistia resolvit, an inagis Deo
obligat? Nonnc soUemnior erit slatio tua, si ot ad aram Dei steteris?
2. 2 Ux. 5.
3. Cor. 3 : Eliam antelucanis coctibus. Le mot eliam sembic indiqiier
que TEucharistie se celebrait aussi en d'autres occasions. Et Ies canons
ci'llij)polytc montrent prccisemont l'Eucliaristie precodant iinm(kiiatement
l'agape dominicale. 32, 16G : Et, necessaria ost pauperibus euctiaristia,
quac est initio missae.
4. Infra, g O, p. 355 sq.
5. Deja Pline signale deux sortcs d'assemblees chretiennes : Ies unos ont
lieu avânt le jour [anlelucani coelus de Tertullien), et sont reniplies par
la priere; ies autres ont lieu le soir du meme jour, et I'on y prend un
repas en commun. Le rapport du gouverneur romain ajoute qu'apres la
prohibition des Iietairi(s par Trajan, Ies clii-etiens ont rcnonce aux reu-
nions du second genre, donc â l'agape; ii ne dit rien des autres, qui
etaient deja, selon toute apparcnce. Ies reunions eucharistiques, et qui
durent se maintenir malgre toutes Ies proliibitions. — Pline, Ep. 10, 96 :
Adfirmabant autem hanc fuisse summam vel culpac suae vel crroris, quod
cssent soliţi stato die ante luccm convenire carmenque Christo quasi Deo
diccre secum inviceni, seque sacramente non in scclus aliquod obstrin-
gere, sed ne furta, ne latrocinia, ne adulteria committerent, ne fidem
fallerent, ne dcpositum appellati abnegarent : quibus peractis morem sibi
disccdcndi fuisse rursusque cocundi ad capiendum cibum, promiscuum
tamen et innoxium, quod ipsum facere desisse post edictum meum quo
STATIOSS.
313
4° Jeânes et stations. — Le trăite du jeîine reproclie aux
catholiques leur immortification ^ L'ancienne Loi avait deter-
mine certains jours de penitence '^ ; mais l'Evangile, dit-on,
n'admet comme jeunes obligatoires quc Ies jours de deuil
pour l'absence de l'Epoux (Mat. 9, 15), c'est-ă-dire le temps qui
s'ecoule entre la mort du Seig-ncur et sa resurrection. Lâ-
dessus Ies catholiques de declarcr quc tous Ies autres jeunes
doivont etre libres. Cependant le mAme trăite prouve ^ que,
cn sus du jeune pascal, on gardait communement certains
jeunes, en particulier ces demi-jeunes appeles stations; que
parfois rneme on jeîmait au pain et â Teau. Mais c'etait affaire
de dev.>tion, et non de precepte. Tertullien se recrie : ainsi
vous accordez ă Ia fantaisie personnelle ce que vous refusez au
precepte divin! D'autre part, ii constate qu'en certains cas Ies
eveques usent de leur autorite pour imposer un jeune â tout
leur troupeau. Donc, d'apres son aveu naeme, ii y avait des
lors dans FEglisc certains jeunes obligatoires. A vrai dire, Ies
occasions en devaient etre rares. Le De oratione poso en
principe ' que, quand un chrelien jefme, la communaute n'en
doit rien savoir.
L'usage des stations, qui apparaît deja dans Hermas -^ prend
secunduni mandata tua hetaorias esse vetueraui. — Cf. TertuUioii, Ap. 2,
analysant Pline.
Dans le Bullelin public par Ilnstitut catholiquc do Touloiise, nous trou-
vons (avril-mai 1904, p. 193 sq.) un examen de Ap. 39, qui foi'cerait la con-
viction s'ii existait par ailleurs dos raisons tros gravos de chercher â cette
page unc interpretation oloigm'O do l'opiniou commune. A vrai dire,
nous n'en connaissons pas. Tertullien n'est que le plus illustre des temoins
de l'agapo, ii n'est pas le seul. Los canons d'IIippolyto en particulier —
quellc qu'en soit la date — decrivenl une agape dont la distinction d'avec
TEucharistio n'est pas douteuse, non plus que son idontitc avec l'agapo
decrito par Tertullien. Ces canons rei)i-esentent une tradition independanK;
de Ap. 39. La rencontre jusquo sur des points de detail — tels que l'usage
d'allumer des llambeaux apres ce repas du soir — niontre que Ies deux
autours font allusion â des choses qu'ils ont vuos. Quclque difficulte qu'on
eprouve d'ailleurs â dtiter l'apparition de l'agap<> et sa disparition dans
l'histoire de l'Eglise, nous n'oserions revoquor cn doute son existencc au
n" siecle.
1. Jej. I.
2. Ib. 2.
3. Ib. 13.
4. Or. 18.
5. Sim. o. 1,1.2: Nr.ffTsuwv xai v.a^r\\i.s.'io<; eî; opo; ti y.ai ei-^apiaTâv tw Kuşi'o)
314 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
une grande importance chez Tertullien. En rapprocliant Ies
diverses allusions eparses dans ses ecrits *, on voit qu'il s'agit
de reunions, avec exercices communs d'humilite {Ta7reivoţ)pov/i<ji<;)
ot jeune. EUes avaient lieu regulierement le mercredi et le
vondredi^. Le jeune, moins severe que celui de la Pâque, ne
se prolongeait pas apres Tlieure de none, du moins chez Ies
catholiques, car Ies montanistes y mettaient plus de rigueur '•'.
Par contre, Ies catholiques jeunaient parfois meme le samedi '',
et Tertullien Ies en blâme : ii n'admet pas le jeune du samedi,
sauf pour la Pâque. Les conciles, qui reunissaient parfois en
grand nombre les eveques des eglises grecques, s'ouvraient
par des jeunes et stations '". La station pouvait se combiner
avec la celebration de l'Eucharistie*', et Tertullien n'approuve
pas ceux qui, en pareil cas, n'approchent pas de l'autel, pour
ne pas rompre le jeune : la station, sanctifice par l'Eucharistie,
n'en sera que meilleure; et ii y a moyen de concilier le jeune
avec la pieţe : c'est, apres avoir reţti le corps du Seigneur, de
le reserver pour se communier plus tard. Le mot statio est
empi'unte auTangage des camps : joyeux ou triste, le soldat
fait son service.
Les xerophagies '', observance propre â la secte monlaniste,
comportaient l'abstinence de viandes, de condiments liquides,
de fruits succulents, de vin; de plus, le retranchement du bain.
Nous apprenons incidemment que les xerophagies monta-
Xeyovca" Tt opQptvo? wSs £),r,VjOa;; "Ort, ^vjaî, Kupts, tyraTÎwva lyjt). Ti, 9>](7Îv,
Icr-ci (jTOTiMv; Syiste-Jw, ţr,|jil, Ktjpis. — Voii' encore Ia Didache, 8, 1.
1. Or. 19. i3;Je,j. 1. 2. 10-14; An. 48: Cor. 11; Fug. 1; 2 Ux. 4.
2. ./ej. 2. 14. Cf. Can. Hippolyt. 20, 154: Diobus jejunii qui constituti
sunt in canonibus, feria IV et VI.
3. /*. 10.
4. Ib. 14.
5. Ib. 13.
(î. Or. 19. — Sur les stations, on peut consulter Gabriel de I'Aubespine,
Observationes, 1, 16.
7. Je,j. 1. 2. 5. 9. II. 15. 10. 17. Dans un ouvragc orthodoxe, Tertullien
faisait allusion â une abstinence semblable, 2 C. f. 9 : Numquid non
aliqui ipsam Dei creaturam sibi interdicunt, abstinontes vino ct anima-
libus esculentis, quorum fructus nuili periciilo aut sollicitudini adjacent,
sed Iiumilitatem animae suae in victus quoque castigationc Dco immo-
lant?
LITURGIE CHRETIENNlî. 315
nistes duraient chaque annee doux semaines en tout, samedis
et dimanches exceptes. Le fait que Ies catholiques trouvaient
cela austere fournit une nouvelle preuvc que le jeune quadra-
gesimal n'etait pas encore en vigueur \
5° Culte des martyis ; anniversaires de morts. — Le paga-
nisme rendait aux morts un culte superstitieux ^ : le christia-
nisme reprouve ces pratiques, mais ii sait lionorer ses morts.
On voit poindre dans Tertullien le culte des martyrs. Par une
allusion ă la vision de saint Jean (Apoc. 6, 9) leurs corps ont
ete places sous l'autel, ou ils reposent en paix, attendant la
justice de Dieu ^. L'anniversaire deleur passion est un jour de
naissance [natalicium) '' : on le fete par l'oblation du saint sa-
crifice. Proportion gardee, la depouille des simples fideles est
l'objet d'egards semblables : on prodigue l'encens pour Ies
sepultures clirctiennes ^; on prie pour Ies morts, surtout en
leur anniversaire [dormitio) ^.
6° Aititude de lapriere. — L'usage est de prier â genoux'.
Cette attitude convient particulierement aux jours de jeune et
de station, oîi l'on s'humilie pour satisfaire â la justice divine.
On ne manquera pas nou plus de se prosterner pour adorer
Dieu k son reveil. Le dimanche, on restera debout ă la priei'e
commune, parce que l'Eglise est en fete; de meme entre Pâques
1. A^oir Vacandard, Les orir/ines du careme; dans /^. C. F. t. 38 (ItiOl)
p. 124 sq.
a. 1 N. 10; Ap.il fin.
3. Scorp. 12 : Scd et intcrim sub altari martyruiii animae placidum
quiescunt, et fidueia ultlonis patlentiam pascunt et indutae stolis candi-
dam claritatiiî usurpant, donec et alii consortium illorum gloriae implc-
ant. — Pour l'attestation de ce culte dans l'eplgraphie primitive de l'Afrique,
voir Dom Cabrol, Dict. arch., I , p. 59-1 sq. ; P. iMonceaux, Saint Cyprien, c. 5 ;
Rabeau, CwWfi des Sainls dans l'Afrique chretienne (Pavis, 1903).
4. Cor. 3 : Oblationes pro defunctis, pro nataliciis annua dio faoimus.
5. Ap. 42; Idol. 11.
6. Monog. 10 (Une veuve prie pour son mari) : Kninivero et pro anima
ejus orat et refrigorium interim adpostulat ei et in prima resurrectione
consortium, et offert annnis diebus dormitionis ejus. — Ex. c. 11. (Un
veuf remarie) : Neque enim pristinam poteris odissc... pro cujus spiritu
postulas, pro qua oblationes annuas reddis... Ergo... offcres produabus,
et commendabis illas duas per sacerdotom... et ascendet saorificium tuurn
libera fronte?
7. Or. 23: Cor. 3.
316 TIIEOLOGIE DE TERTUI.I.IEX.
et la Pentccole ^ On pricra Ies bras etendus '^, non pas avec
raideiir et ostentation, comme Ies paiens, mais moderement,
pour rappeler Taltitude du Christ en croix ; Ies yevix au ciel,
tete nue. Faut-il egalement prier debout le samedi, coramc
quelques-unsle veulent? Sur ce point, Tertullien ne decide pas;
ii attend de la grâce divine une solution qui s'impose â tous.
7° Du teinps et du lieu de lapriere. — 11 faut prier partout •',
selori le precepte de TApotre (1 Tim. 2, 8). Entendez : partout
oii Ies circonstances le conseillcnt ou le commandent. Les
Aputres ont prie, chante en prison ; saint Paul a celebre l'Eu-
charistie â bord d'un vaisseau. II y a d'ailleurs pour la priere
certaines lieuresplus solennellcs '' : tierce rappelle la descânte
du Saint-Esprit ; sextc, la vision de saint Pierre touchant la
vocation des Gentils ; none, la vemie do saint Pierre et de
saint Jean au temple, avec la guerison du paralytique. Cest une
louable pratique d'adorer Dieu trois fois le jour, selon la cou-
tume d'Israol (Dan. 6, 10) : car nous devons hommage aux trois
personnesde la Trinite. II va de soi qu'on priera matin et soir,
avânt les repas, avânt le bain. Si veus recevez un frere ^, ne le
laissez pas partir sans avoir prie avec lui : peut-etre est-ce un
angequi vous visite. Si l'onvousdonnel'hospitalite, reclamezles
dons du ciel avânt ceux de la terrc; h ce signe, on reconnaîtra
votre foi.
8° Signe do croix ". — On a deja vu les cliretiens priant les bras
en croix. En ontre, le signe de croix est attestek diverses reprises
par Tertullien : 2 Ux. 5 : Latebisne tu cum lectulum, cum cor-
pusculum tuumsignasP — ib. 9 : Non furtiva signatio. — Cor.
3 : Ad omnem progressum atque promotum, ad omnem aditum
et exitum, ad vestitum et calciatum, ad lavacra, ad mensas,
ad lumina, ad cubilia, ad sedilia, quacumque nos conversaţia
exercet, frontem cruciş signaculo terimus. — ■ 3 M. 22 : Signum
Tau in frontibus virorum... species cruciş quam portendebat
1. De incme saint Irenee, fragm. 7, /•■. (V. 7,1233.
•2. Ap. 30; Or. 14. 17;cf.t6. 29.
3. Or. 2-1.
4. Or. 25; Jej. 10. — Cf. Canon. Hippol. 2.5, 233 sq.
5. Ih. 2(5.
(). Cf. Canom d'Hvppolyte, 29, 217.
AIîCANE.
517
futuram in froiitibus nostris...; signaculum frontium.
9° AUeluia final <. — Usage excellent : ii fait de la priere
comme une hostie opime, offorte ă Dieu.
10° Baiser de paix -. — Kchange entre Ies fideles apres l'as-
semblee chretienne, le baiser de paix mettait le sceau â la
priere commune. Quelques-uns s'en abstenaient Ies jours de
jeune, et Tertullien Ies en blâme, car par lâ ils se signalaient
comme jeunant, et cela ne convient pas. Mais lors de la Pâque,
le jeune etant de pratique universolle, on supprime le baiser, et
c'estfort bien, car ii n'yaplus lâaucunc singularite.
11° Toilette des femmes ă Feglise ^. — L'Apâtre (1 Cor. 11,5)
obligeait Ies femmes ane paraître dans Tegllse que voilees : la
coutume africaine exemptait de cette loiles vierges, au moins
jusqu'ă leurs fiangailles. On sait comraent Tertullien entreprit
de Ies yastreindre. Ilavait ce point fort a C03ur, puisqu'il devait
le reprendre ex professo dans le trăite De virginibus velandis.
12° Le catechumenat et V arcane ''. — A la fin du deuxieme
siecle, le catechumenat fonctionnait comme institution reguliere
dans l'eglise de Carthage. On n'y donnait le bapteme cju'apres
une periode dlnstruction, sur laquelle nous renseignent Ies
traites du bapteme et de lapenilence''. A cesâmesnovices ", qui
1. Or. Ti.
2. Or. 18. CC. saint .Iustin,/ .4 1*. 05. — Quclqucs mots de Tertullien don-
neraient âentendre quo cot usago n'etait pas toujours saiis inconvenient.
2 Ux. 'l:(Quis maritusgentilis conjugcm suam patietur) alicui fi-atrum ad
osculum convenire? — V. v. 14. (Vii'go) inter amplexus et oscula assidua
concalescit.
3. Or. 20-22. — Voir c. VI, S ii, p. '-295 sq.
4. Sur Varcane, voir : Etnmanuel de Schelstrate : AntiquUas illustrala
(An vers, 1678); De disciplina arcani contra disputationem Ern. Tenlzelii
dissertalio apologetica (Rome, 1085); â l'encontre : Ernest Tenzel, Dissertatio
de disciplina arcani (Wittonberg, 1683). — Brievement : Wandiger, dans
Ic Kirchenlexlcon de Fribourg, t. 2 (1882), art.' Arcandisciplin. — Ms'Ba-^
tiffol (Etudes d'hisloire et de theologie posilive, 3" cd., Paris, 1903 ; ou art.
Arcane, dans le Dicl. thcoL), restreint beaucoup le role de rarcano. On
trouvera dans cet article une bibliograpliie abondante. — Funk, Das Al-
tor der Arcandisciplin: dans Tilbing. Theol. Q. S. 1903, 4, p. 69-90.
5. Voir en particulier D. 1. 20; Paen.Ci; Pr. 41; Cor. 2. 3.
6. Paen. 6 ; Quicquid ergo mediocritas nostra ad paenitentiam semel
capessendarn et perpetue continendam suggererc conata est... praccipue
noviciolis istis imminet qui cum maxime incipiunt divinis sermonibus
aures rigare, quique catuli infantiae adhuc rccentis nec perfectis lumi-
nibus incerta reptant.
318 THliOLOGlE BE TERTDLLIEN.
commcncent d'offrir leurs oreilles ăla rosee des enseignements
divins, etsetraînent comme dejeimcs animaux, Ies yeux encore
mal ouverts a la lumiere, l'Eglise dispensait avcc mesure la
verite dont Dieu a mis le depot en ses mains. On ne Ies ac-
cablait pas, des le premier jour, du poids de tous Ies dogmes ;
et, comme on Ta justement observe \ c'est dans Ies ecoles ca-
techetiques que nous pouvons surprendre Torigine de Varcane,
cette discipline prudente qui reservait aux fideles deja formes
la connaissance complete des mysteres cliretiens. Sur Farcanc
en general et sur la positionpropre â TertuUien, Ies jugements
Ies plus contraires se sont produits. Eflorgons-nous d'eviter
toute Gspece d'equivoque.
Le paganisme avait ses mysteres et ses arcanes, Ies uns sans
doute inoffensifs, Ies autres bizarresou obscenes. TertuUien Ies
a railles - ; ii signale d'ailleurs quelque choso do tout scmblable
chez Ies valentiniens^, ces heretiques solennels qui, pour duper
Ies simples, prenaient des airs d'hieropliantes. L'arcane ainsi
compris n'a evidemment rien do commun avec la discipline de
l'Eglise : Ies docteurs chretiens dcmcuraicnt ce qu'ils etaient
deja du temps de saint Justin "'', toujours prets ă l'aire part de
leur foi aux auditeurs que leuramenait un vrai deşir d'appren-
dre.
Mais le zele de l'evangelisation n'oxclut pas necessairement
la discretionnilaprudence; ii n'empâclie pas de proportionner
Fenseignement â la capacite de l'auditeur et â ses dispositions
prcsentcs. D'autres heretiques supprimaient ces pi^ecautions
indispensables â une bonne catechesc ; TertuUien leur repro-
clie ■' amerement la promiscuite de leurs auditoires, la legorctc
1. Ms' Batiffol, ari, cite.
2. B.% : Idolorum sollemnia vel arcana.
3. Val. 1. — R. 19 : Tacite... lioc sentiunt: Vae qui non, clum in carne
est, cognoverit arcana liacrctica; ih. 63. — Scorp. 10 : Arcana illa Iiaere-
ticoriim sacramcnta.
4. Saint Justin, 1 Apoi. 6 -.Umil [iouXo(j,evM [iaSsiv, w; E8i5ay_67iij,£v, â(p66vwc
TtotpaSioovTS?. "
5. Pr. 41 : Imprinus quis catechumcnus, quis lldelis incertum ost; pa-
riter adeunt, paritcr audiunt, pariter orant, ctiam etlmici, si sui)ervene-
rint; sanctum canibu.s et porcis margaritas, licet non vei-as, jactabimt.
Simplicitatem volunt esse prostrationom disciplinac... Ante sunt perfecţi
catechumeni quam edocti.
ARCANE.
319
deleurs procedes qui confondent fideles et catechumenes, qui
accueillent meme Ies paiens, qui livrent aux cliiens Ies choses
saintes et aux pourceaux Ies perles d'une doctrine d'ailleurs
l'ausse, qui, sous pretexte de simplicite, renversent toutes Ies
regles, qui font des chretiens avânt d'avoir fait des catechu-
menes instruits. Ces traits designent particulierement Ies
marcionites.
iVinsi, tandis qu'il condamne cliez Ies uns l'affectation d'un
arcane ridicule, ii condamne chez Ies autres l'absence de tout
arcane. N'est-ce pas la preuve qu'il admet, enlre ces deux
extremes, un certain arcane chretien? Reste ă en bien defmir
la nature. Avânt tout, montrons ce qu'il n'est pas. Les allu-
sions de Tertullien aux arcanes de la religion juive sont etran-
geres â la question : ii s'agit soit du caractere mysterieux de
ce culte monotlieiste ' pour les Romains qui ne le comprenaicnt
pas, soit de l'obscurite inherente aux propheties do l'A. T.^.
Mais â propos de la predication du Christ, ii prononcele nom
d'arcane^ : Ies apotres etaient inities par le Maître aux arcanes
des paraboles evangeliques, tandis que le peuplc s'arrctait â la
surface. Pourtantle Christ n'avait pas une doctrine esoterique,
reservee k sos disciples intimes. Les apotres n'en eurent pas
non plus : ils precherent sur les toits, comme ils en avaient
regu l'ordre, toute la doctrine qu'ils avaient apprise de Josus.
Cela ne les empechait pourtant pas d'expliquer quelquel'ois
devant un auditoire restreint ce qu'il n'eut pas ete opportun
de dire sur la place publique'''. Apres le Christ, aprcs les
Apotres, l'Eglise devait observer, dans son enseignement, ces
regles d'une prudence elementaire. Serait-ce lâ tout ce qui
1. Ap. 16 : Judaicac religionis arcanis. — Comparer /,'. 21, sur le mys-
tcrc de FAntcclirist : Jam enim arcanum inuiuitatis agitatur.
2. Idol. 5 : Figurao, quao dispositioni alicul arcanao praesti'uebantur.
3. Pr. 22 : Quis igitur integrae raontis credere potcst aliquld eos igno-
rasse quos magistros Dominus d(>dit, individuos habens in comitatu, in
(liscipulatu, in convictu, quibus obscura quaeque seorsum disserebat, illis
dicens datum cssc cognoscero arcana, quae populo intellcgcre non llce-
ret?
4. Pr. 20 : Etsi quaedam inter domcsticos, ut ita dixerim, disserebant,
non tamen ea fuisse credendum est'quac aliam regulam fidel superduce-
rent, diversam et contrariam illi quam catholice in medium proferebant.
320 THIÎOLOGIE DE TEHTULLIEX.
conslitue l'arcane cliretien? Nous ne le croyons pas, ct Ies
textes de Tertullien nous paraissent dire quelque chose de plus.
A priori, on a peine a concevoir quo l'Eglisc ait pu temoigner
â des paiens plus de confiance qu'â des catechumenes ; qu'elle
ait livre sans reserve a des etrangers, ă des ennemis ce qu'ello
dispcnsait avec mesure ă ses enfants. La supposition n'est pas
seulement invraisemblable , Tertullien Tecarte positivement
quand, apres avoir signale Io vi ce de ces reunions oii l'on voit
tideles et catechumenes confondus, ii ajouto ' : Etiam ethnici si
supervenerint. L'arrivee d'un paien, voilâ evidemment ce qui,
dans sa pensee, met le comble au desordre, ce qui, dans une
assemblee chretienne oii tout se passe selon Ies regles, oblige
â suspcndrc Tcxliortation ou la priere. Comment l'Eglise en
etait venue ă se cacher des regards profanes, on Ic oongoit
sans peine, apres un siecle et plus de persecutions. Qu'elle se
cachât, le fait paraît certain; et nous ne voyons pas qu'on
puisse donner une interpretation plus plausible aux textes
qui montrcnt Ies efforts, parfois lieureux, des paiens, pour p6-
netrer le mystere des assemblccs chrotiennes. Rappclons un
passage celebre de l'Apologetique'^ : Cotidie obsidemur, coti-
die prodimur, in ipsis plurimum coelihus et congregationibus
nostris opprimimur. Les rapports incomplets des observateurs
furtifs qui reussissaient ă surprendre les cliretiens en pricres,
ont du accrediter sur leur compte toute sorto do rumeurs
sinistres.
Voici maintenant unefemme chretienne mariee â un paien-*,
1. Pi'. 41. — Le texte a (5te eito plus haut. — Ce sanctum qu'il no faut
pas jeter aux chicns, c'est evidemment aussi, et surtout, la sainte Eucha-
ristie. Comparer Canons d'SJippolyle, 28, 200 : Ceterum clerici caveant
cum soUicitudine ne queraquam ad sumenda sacra mysteria iiiviteut,
nisi soios fideles.
2. Ap. 7. — Au resto, Tentzel lui-meme reconnaît l'arcane chez Tertul-
lien, Pr. 41; 1 ;V. 7; Ap. 7. (Dissertaiio, 7). Schelstrate, dans sa rcponso,
prend acte de ces concessions, et cite de plus 1 Ux. 4. 5.
3. 2 Ux. 5 : Nolite, inquit (Mat. 7, 6), margaritas vestrasporcis jac tare,
ne conculcent eas et convers! vos quoque evertant. Slargaritae vestrae sunt
etiam cotidianae conversationis insignia. Quanto curaveris ea occultare,
tanto suspectiora fcceris et magis captanda gentili curiositati. — Tertul-
lien n'adraot pas qu'une femme ait le droit d'exposor ainsi â la curiosite
d'un paion les choses chretiennes. Ibid. : Hoc est igitur dclictum, quod
gcntiles nostra noverunt.
SACREMEKTS.
321
exposee par consequent— c'est Tertullien qui parle — â jeter
devant ce pourceau ses perles, c'est-â-dire â manifester ses
liabitudes chretiennes. II depeint ainsi cette situation fausse :
« Plus vous prendrez soin de Ies cacher, plus vous donnerez
de soupgons et d'ombrage â la curiosite profane. Comment ne
pas eveiller l'attention quand vous faites le signe de croix sur,
vetre lit, sur vous-meme, quand vous rejetez un soufîle impur
quand vous vous levez trois ibis la nuit pour prier? Ne pas-
sere.z-vous pas pour une sorciore? Votre mari ne saura pas
quellc est cette nourriture que vous goiitez le matin avânt toute
autre, et s'il sait que c'est du pain, ne songera-t-il pas â celui
dorit on medit tant? Et ii se resignera ă ne pas savoir? sans
se plaindre? sans soupQonner un poison? On en voit qui so rc-
signont, oui, mais en attendant leur revanche : ils se joucnt de
leurs femraes, et prennent le temps de connaître leurs secrets,
afin d'en abuser contre elles. »
Sans doute l'Eglise n'a jamais songo ă cacher ses usages et
son culte comme on cache un crime. Mais ii etait naturel
qu'elle voulut derober ies choses saintes aux regards profane s,
et la lecture de Tertullien fortifie pour nous cette impre s-
sion.
IU. SACREMENTS.
Le mot sacramentum^ presonte chez Tertullien plusieurs
acceptions differentes; on peut Ies ramener ă trois princi-
pales.
1° Serment militaire ou consecration : sens ancien et clas-
siquc :
1. M. Albert Roville a etudio le sens du mot sacramentum chez Tertul-
lien, dans la Bibliotheque de l'ecole des Hautes-Eludes, sciences religieuses.
t. 1 (1889), p. 195-204. U reprend Ies choses do plus haut, ct signale deux
acceptions tres anciennes du mot sacramentum, l'unc juridique (depot
consigne par un plaideur cntre Ies mains du pontife : Qui judicio viec-
rat, suum sacramentum a sacro refcrcbat; victi ad aerarium redibat
(Varron); cf. Ciceron, pro Caecina, 33; pro domo, 29; pro Milone, 27);
l'autre, militaire (serment : Cic. Off. 1, 11; Tacite, Hist. 1, 5). 11 assigno'
comme sens fondamental celui de chose sacree.
TH^OLOGIE DE TERTULLrEX. 21
322 TIIEOLOGIE DE TEUTULLIEN.
Mart, 3 : Vocati sumus ad milidam Deivlvijam tune cum
in sacramenti verha rcspondemus. — Sp. 24 : Nemo in castra
hostiiun iransit nisi destitutis signis et sacramentis principiu
sui. Cor. 11 : Credimusne humanum sacramentum divino
Huperduci licere, et in alium dominum responderc post
ChristumP — Scorp. 4; Idol. 19.
2° Regie de foi ou de vie religieuse (sens apparentc au pre-
cedent, avec une nuance de mystere en plus).
Ap. 15, fin : Hoc prius capite, et omnem hinc sacramenti
noştri ordineni haurite, repercussis ante lamen opinionibus
falsis. — Praescr. 20 : Est (ecclesiis apostolicis] communica-
tio pacis et appellatio fraternitatis et contesseratio hospita-
litatis : quae jura non alia ratio regit quam ejusdem sacra-
menti tradiţia; ib. 26; 32. — Pat. 12 : Dilectio summum fidei
sacramentum. — 5 M. 5. — Monog. i\. [sacramentum mono-
gamiae). ■ — Jej. 13. — Pud. 19 : Totius sacramenti interest
nihil credere a Joanne concessmn quod a Paulo sit denega-
tum.
3° Mystere ou symbole. — Les exemples abondent :
Ap. 7 : Sacramente infanticidii. Ap. 47 : Unde haec, oro vas,
philosophis aut poetis tam consimiliaP Nonnisi de nost/'is sa-
cramentis. Si de nostris sacramentis, ut de prioribus, ergo
fideliora sunt nostra magisque credenda. — 1 iV. 16. — /. 9.
11. 13 [sacramentum cruciş] ; Val. 32. 39. — 1 M. 13 ; 2 M. 27 ;
^M. 1. 4. 6. 7. 14. 17. — An. 9. 18 [haereticarum idearum. sa-
cramenta). — Scorp. 9. — Ex. c. 6. 13. — Prax. 2. — Jej. 7. 9.
De cette derniere acception est sortie racceplion plus spe-
ciale de sacrement, au sens technique de la tlieologie clirc-
tienne : car un sacrement est essentiellement un signe myste-
rieux. Quatre des sacrements de la loi nouvelle — bapteme et
confirmation, eucharistie, mariage — sont designes par ce
nom ches! Tertullien.
Bapteme, B. 1 : Felix sacramentum aquae nostrae, quia,
ablutis delictis pristinae caecitatis, in viiam aeternam libera-
mur; ib. 4 : Sacramentum sanctificationis ; 12. 13.
Bapteme et eucliaristie, kM. 34 : Sacramentum baptismatis
et eucharistiae.
Bapteme, confirmation, eucharistie, Pr. 36 : Ecclesia [ro-
SACREMENTS.
323
mana).., fidem... aqua... signat, Sancto Spiritu vestit, Eu-
charislia pascit. — ib. W; IM. 14; B. 8.
Eucharistie, 5 ii/. 8 : Panis et calicis sacramento fam in
Evangelio prohavimus corporis et sanguinis dominici verita-
tem.
Mariagc, "oM. 18 : Sufficit inter ista si Creatorismagna sunt
apud Apostolum sacramenta, minima apud haereticos. Sod
ego autem dico, inquit, in Christum et Ecclesiam. Habet in-
terpretationem, non separationem sacramenti. Oslendit figu-
ram sacramenti ab co praeministratam cujiis erat utique
sacramentum (cf. Eph. 5, 32). — An. 11. — Monog. 5. —
Ajouter : Val. 30.
On ne trouve pas cliez Tertullien le nom de sacrement
applique â la penitence ; toutefois ii est juste d'observer qu'il
la decrit comme une institution exactement parallele au
baptâme, produisant dans Ies âmes regenerees Ies memes
effets que le bapteme produit dans Ies âmes venant â la foi * .
On sait qu'il admet un sacerdoce chreticn^, depositaire de
pouvoirs speciaux pour enseigner, gouverner, administrer
Ies sacrements. La liierarchie â trois degres apparaît en plu-
sieurs de sos ouvragcs. II oppose â l'inconstance et ă la lege-
rete des ordinations Iieretiques le serieux des promotions
ecciesiastiques dans Ia veritable Eglise**. D'ailleurs ii ne nous
renseigne pas sur Ies rites propres de l'ordre, et nous cons-
taterons dans ses ocrits montanistes un changcment complet
d'attitude a l'egard du sacerdoce clirelien.
Ajoutons qu'on n'a releve chez lui aucune allusion â
rextreme-onction ''.
Par contre, ii lui arrive d'enumerer entre Ies sacrements
un rite accessoire du bapteme des adultes, destine â dispa-
raître de la liturgie catholique : ii s'agit de la manducation
symbolique du lait et du mieP.
1. Voir â ce sujet Ies iudicieuses reflcxions de M. l'abbe Vacandard. H,
C. F.. t. U (1898), p. 413.
2. Yoirc. V, S2, p.219.
3. Pr. 41. 43.
4. Malgrc la mention du donum curalîonum, 5 M. 8.
5. 1 M. 14 (Cliristus) nec aquam reprobavit Creatoris, qua suos abluit,
324 THEOLOGIE DE TERTCLLIEX.
IV. BA.PTEME ET CONFIRMATION.
Les rites de rinitiation chretienne ' sont decrils dans le
trăite du bapteme, dedie aux catechumenes et aussi auxfîdeles
insuffisamment instruits^. Certaine Quintilla, vipere apparte-
nant a la secte de Caius, venait de repandre contre le bapome
Son venin lieretique ; a l'encontre de ses insinuations perfîdes,
ii importait de venger la necessite du sacrement et de rappe-
ler aux chretiens que, semblables â Jesus-Clirist, le divin
Poisson^, ils naissent dans l'eau. Tertullien traitera succes-
sivement, 1" de rexcellence du bapteme institue par Jesus-
Christ (1-9) ; 2° de diverscs questions relatives au bapteme
(10-16); 3° enfin de la discipline du bapteme (17-20).
1° Etrange pouvoir de la perversite pour ebranler la foi'',
en- retournant contre elle ce qui doit faire sa force ! Rien ne
scandalise tant les hommes que la simplicite des oeuvres divi-
nes : comme si la simplicite jointe k la puissance n'etait pas
precisement le cacliet du divin! On refuse de reconnaître ă
une simple ablution cette vertu merveilleuse de vivifier I'âme.
Cependant on se laisse eblouir par des rites pa'iens, dont la
ncc oleum quo siios unguit, nec melliset lactis societatem quasuos infanlat,
nec panem quo ipsum corpus suum repracsentat, ctiam in sacramentis
propriis e^ens mendicitatibus Creatoris. — Cor. 3. — Cf. inf. § 4, p. 335.
1. Voir W Duchesne, Originus du culte chrelien, c. 9.
2. B. 1 : Instruens tam eos qui cum maxime formantur, quam et illos
qui, simplicitercrodidisse contenţi, non exploratis rationibus traditionum,
intomptatam probabilem fldem per imperitiam portant.
3. On sait que dans los peintures des catacombes la figuro du poisson ac-
compagno souvent, ou meme romplace, Ic nom du Christ. Une inscription du
cimetiere do Priscille porte : GN OGOi) âT^T^rcJ- Le nom d' 'Ix6u? applique
au Christ se lit encore dans la celebre inscription d'Autun (Pitra, Spici-
legium Solesmense, t. I, p. 557). Ce nom represente les initiales des mots
'I»i(TOîJc Xpt(j-:6; 0EOU TEoţ SwTiîp, qui forment la clef d'un aorosticho re-
cueilli dans les orados sibyllins (1. 8, 216 sq.). — Cf. de Rossi, De chris-
tianis monumenlin r/8uv exhibentibiis, dans Spicilegium Solesm., t. 3,
p. 544-577: Wilpcrt, dans A'uovo bullel. di arch. crisl., 1897, p. 131;
Marucchi, Elâmcnts d'archeologie chreUenne, t. 1, p. 162, 182, 287). On
trouvo deja 1"I-/9'J5 dans la celebre ^pitaphe d'Abercius (Marucchi, ibid.,
p. 294 sq.
4. B. 2. Sur cette page de Tertullien, voir c. I, g 5, p. 34.
BAPTEME.
325
pompe exterieure dissimule mal la vanite. On devrait au
contraire croire d'autant plus qu'il s'agit de choscs plus mer-
veilleuses et plus incroyables : car c'est la conduite ordinaire
de Dieu de confondre par una apparente folie et une apparente
impossibilite la sagesse et la puissance du monde. Mais en-
fm, peut-on bien attribuer tant de vertu â l'eau? ' Pour se
rassurer lâ-dessus, ii ne faut que considerer le grand role
devolu k l'eau dans la creation. Des Torigine du monde, l'Es-
prit de Dieu planait sur Ies eaux (Gen. 1, 2); Ies eaux repa-
raissent ensuite melees â toute l'operation divine. Ainsi con-
sacrees des le commencement par l'Esprit divin qui s'y
reposa, Ies eaux peuvent devenir instrument de sanctifica-
tion 2, par la vertu de Dieu. L'ablution materielle qu'elles
operent sur le corps agit spirituellement dans l'âme, et le
corps participe â cette sanctification.
11 n'y a lâ rien de particulierement incroyable ^. Les Gen-
tils eux-memes, etrangers k rintelligcnce des choses spiri-
tuelles, attribuent des effets semblables aux vaines ablutions
de leurs cultes menteurs. Isis et Mithra ont leurs baptemes;
on va en procession baigner les statues de certaines divinites ;
on asperge d'eau lustrale des villas, des maisons, des temples,
des villes entieres. Aux jeux apollinaires, aux jeux elcusi-
niens, encore des ablutions, soi-disant pour effacer les par-
jures. Apres un homicide, les ancicns prescrivaient des ablu-
tions. N'est-ce pas la preuve que cette vertu purifiante appar-
tient k l'eau, et que, Ik comme ailleurs, le demon contrefait
l'operation divine? Inutile d'enumerer tant d'impurs mysteres
ou l'eau intervient. Si le mauvais ange abiise de cet element,
combien plus l'ange de Dieu doit-il en user? L'ange du
bapteme '' eut un precurseur, dans celui qui agitait la piscine
de Betlisaida. Mais l'eau de cette piscine guerissait seulement
1. B. 3.
2. /*. 4.
3. Ib.ă.
4. Dans cet ange du bapteme, on a reconmi, avec vraisemblance,
rhomme, ministre du sacrement (Cf. Bom Corbinien Thomas, ap. Migne
t. 2, 1160). Voir encore B. 4, fin; 6. Comparer le role assigne par Hermas
au rioifi-ov, âvYE),o; T^; ixeiavotaţ. (Vis. 5, 7; Mand. 12, 4, 7; O, 1 ; Sim. 9, 1,
1; 14, 3; 23, 5; 24,4.).
326 THEOLOGIE DE TERTULUEN.
Ies corps, et pom- un temps, et une seule fois l'an : l'eau du
baptâme gaerit Ies âmes, et pour Feternite, et dos peuples
entiers y ont part cliaque jour. Avec la faute, elle enleve
aussi la peine. Elle rend â Tâme cette ressomblance avec Dieu
par grâce, qui rehausse la ressemblance par nature : car elle
lui rend l'Esprit divin, que le premier liomme avait regu de
la bouche de Dieu, et que le peche avait chasse. Ce n'est
pas que l'ablution baptismale confere immediatement l'Esprit
Saint'; mais en purifiant l'âme, elle la dispose â recevoir cet
Esprit. L'ange qui intervient dans cette purification etait
figure par Jean le precurseur : comme Jean preparait Ies voies
au Christ, ainsi l'ange du bapteme prepare-t-il Ies voies â
l'Esprit-Saint, par l'ablution des peclies, qu'obtient la foi
marquec dusceaude la Trinite ^. Si trois ternoins suffisent pour
garantir une parole quelconque, ă combien plus forte raison
pouvons-nous compter sur la vertu de cette benediction, oîi
Ies trois personnes divines se portent ternoins de notre foi
et garants de notre salut? D'autant que la mention des trois
personnes divines, Pere, Fils et Saint-Esprit, implique la
mention de l'Eglise : car l'Egiise, c'est la Trinite-'.
Au sortir du bain sacramentel, le neophyte regoit I'onction
sainte'', qui rappelle Ies onctions de Tancieunc Loi et le nom
meme du Christ. Tout comme l'ablution baptismale, I'onction
s'accomplit sur le corps, mais elle atteint l'âme.
Puis vient l'imposition des mains, avec la benediction et
l'invocation du Saint-Esprit * : rite figure dans l'A. T. par
1. B. (5.
2. Ablutione delictorura , quam fidcs impetrat obsignata in Patre et
Filio et Spiritu Sancto. Comparez 13 : Obsignatio baptismi, vostimentuni
quodammodo fidei; Paen. G : Lavacrum illud obsignatio est fidci; Sp. 4 :
Âuctoritatcm signaculi noştri; ib. 24: Signaculo fidei; Pr. 36; (Ecclcsia
Romana)... fîdem... aqua signat; Fad. 9 : Signaculum lavacri. Et aussi
Ies exprcssions d'IIemias, Sim. 9, 16, 3 : "EXa6ovo5v y.at oîtoi oi y.£y.oiy,yi(i,Evoi
ţr]v ffypayîSa xoO TloO tou 0eoO' ... orav Ss JiâSv) Ti^v {rşpayîăa, âTtoTÎBsTai tt)'j
vezpios'iv xal âvaXa!/.Sav£i tyiv iŢwiiv. 4. 'H (TBpayi? oîv t6 {iSwp eoTÎv...; ib. 31,
1. 4; Clement, 2 Cor. 7, 0; 8, 6. — Tertullien {Monog. 6) appelle la cir-
concision : testarnenti signaculum.
3. Sur cette idee, voir c. V, S2; P- 215.
4. B. 7.
5. Ib. 8.
BAPTKME. 327
cette bencdiction que Jacob appelait surla teted'Ephraîm et de
Manasse, en croisant scs raains. Donc l'Esprit-Saint descend,
comme jadis la colombe sur le Seigneur : Ies caracteres de
l'Esprit-Saint sont symbolises par cet oiseau sans fiel, image
de simplicite et d'innocence. Apres que le deluge, ce bapterae
du monde, eut lave l'ancienne iniquite, la colombe, sortie de
Tarche, y rapporta la paix avec un rameau d'olivier : c'est
aussi la paix de Dieu qu'apporto k riiomme, emergeant de
la piscine baptismale, l'Esprit-Saint, colombe sortie de l'E-
glise, arcbe du ciel'. Au rcste, cette comparaison du bap-
teme avec le deluge n'est pas hcureuso : car apres le deluge,
le monde retourna â son pcche; aussi est-il destine au feu,
comme aussi tout liomme qui retombe apres le bapteme.
Mais si Ton cherche des analogies de nature ^, des faveurs de la
grâce, des precedenta divins pourmontrer la saintete de l'eau,
l'Ecriture en fournit on abondance. Cost, dans l'A. T., l'eau
de la mer Rouge, affranchissant le peuple de Dieu et submer-
geant ses ennemis ; l'eau de Mara, perdant son amertume au
contact du bois qu'y plonge Moi'se, la source qui coule du ro-
clier pour desalterer Israel dans le desert; dans le N. T., le
bapteme du Christ, le miracle de Cana, l'annonce d'une eau jail-
lissantepourla vie eternelle, le cielpromis pourunverre d'eau,
l'eau du puits oii se rafraîchit Jcsus, Ies flots sur lesquels ii
marcha, le lac qu'il passa souvent, l'eau dont ii lava Ies pieds
des Apotres ; dans la passion meme, l'eau versee sur Ies mains
de Pilate, celle qui coule du cote de Jesus,
2° Suivent diverses questions accessoires concernant le
bapteme. Que valait le bapteme de Jean?^ Venait-il du ciel
ou de la terre? Question deja posee par le Christ aux Pha-
risiens, et non resoluepar eux. Tertullien repond par une dis-
tinction. Ce bapteme etait divin, a considercr son institution;
ii ne l'etait pas, â considerer sa puissance. Car Jean n'etait
, 1. Tertullien n'a pas prononce Ie nom de confirmation. Mais c'est bien
ia confirmation, encore liee au bapteme, qu'il vient de decrire. Autres
allusions : Pr. 36 : (Ecciesia) ... fidem ... Spiritu Sancto vestit; R. 8 : Caro
manus impositionc adumbratur, ut et anima Spiritu illuminetur.
2. B. St.
3. !b. 10.
328 THEOLOGIB DE TEKTULLIBN.
qu'un homme: ii prechait la penitence, ceuvre humaine; ii
ne conferait pas TEsprit-Saint ct la remission des peclies,
dons propres de Dieu; TEspril-Saint ne devait venir qu'a-
preş l'Ascension du Seigneur (Joan. IB, 7). Les disciples de
Jean ignoraient meme l'existence de TEsprit-Saint (Act. 19,
2. 3). II y avait bien chez Jean quelque chose de celeste : c'e-
tait son asprit de proplietie. Mais cet esprit l'abandonna
pour passer tout cntier en Jesus, quand celui-ci inaugura son
ministere public : Jean, qui avait salue Jesus des sa venue en
ce monde, ne possedait plus alors ces grandes lumieres ' : ii
fit demander â Jesus : «Etes-vous celui qui doit venir? » En re-
sume, dans ce bapteme de penitence que conferait Jean, ii
•faut voir une ebauclie de la remission et de la sanctifîcation
operees par le Christ. Jean lui-meme annongait un autre bap-
teme, superieur au sien, bapteme dans l'Esprit-Saint et le feu
;Luc. 3, 16). Bapteme dans l'Esprit-Saint : c'est le bapteme
d'eau, offert par le Christ aux vrais croyants ; bapteme dans
le feu, c'est la damnation, reservee ă la foi mensongere et
faible. L'evangeliste observe que Jesus ne baptisait pas
(Joan. 4, 2) -. Mais ses disciples baptisaient par son ordre,
et cela suffit a verifior la proplietie de Jean-Bapliste. Ce
bapteme, que donnaient alors les disciples, ne differait pas du
bapteme de Jean : le bapteme cliretien ne pouvait exister
encore, puisqu'il devait tenir son efficacite de la passion et de
la rosurrection du Seigneur.
Le Christ ayant affirme la necessite du bapteme pour le salut,
quelques csprits scrupuleux et temeraires observent qu'â ce
compte les Apotres ne seraient pas sauves •'* : caron ne voit pas
qu'ils aient reţu le bapteme chretien, saint Paul excepte. A cette
difliculte, Tertullien oppose d'abord la parole du Seigneur â
Pierre : Qui semel lavit, non habetneceaso rursum(ioan. 13, 10) ;
d'ou ii conclut qu'un seul bapteme suffit en tout etat de cause.
Et on ne peut douter que les Apotres n'aient reiju le bapteme
de Jean, auquel le Seigneur a daigne se soumcttre lui-meme.
1. Sur cette pretendue incredulite de Jean, cf. e. IV, S Ij P- 169-
2. B. 11.
3. Ib. 12.
BAPTEME.
329
Donc Ies Apotres etaient dument baptises. Si quelqu'un ne se
contente pas de cette reponse, Tertullien ajoutera que l'elec-
tiondontles Apotres furentfavorises, etlafamiliarite ou ils vecu-
rent avec le Seigneur peuvent, compter pour un bapteme. Bien
d'autres, sans bapteme, ont entendu de sa bouche cette parole :
« Ta foit'a sauve, tes peches te sont remis. » Commentles Apo-
tres ne l'auraient-ils pas entendue, tout Ies premiers? Mais la
mauvaisevolonteneserendpas encore^. Abraham, objecte-t-on,
fut j.ustifie par sa foi : donc le baptâmc n'est pas necessaire ă
lajustifîcation. Ceraisonnemcntconfonddeux economies, l'une
anterieure, l'autre postcrieurc â la Redemption. Sous la pre-
miere, la foi nue justifiait; mais la nouvellc economic, impo-
sant la foi en Jesus-Christ, requiert le bapteme comme vete-
ment de cette foi (Mat. 28,19; Joan. 3,5). Saint Paul, converti,
se fit baptiser, sur Tordre du Seigneur. Ici , l-'adversaire
en appelle â saint Paul lui-meme, qui declare (l Cor. 1, 17)
n'avoir pas mission pour baptiser. On oublie que, l'instant
d'avant, saint Paul reconnaissait avoir ba2:)tise Gaius, Crispus
et la maison de Steplianas (ib. 14. 16), En tout cas. Ies autres
Apotres avaient, eux, mission expressc pour baptiser. Mais
il y a un tcmps pour chaquo chose, et la predication doit pre-
ceder le baptâme. L'Apotre n'a voulu dire que cela : craignant
de troubler encore une Eglise deja divisee, il s'abstient de
revendiquer pour lui-meme tous Ies ministeres ă la fois ; mais
il n'avait pas moins pouvoir pour baptiser que pour precher.
II n'y a qu'un bapteme ^, selon l'Evangile et selon saint Paul,
comme il n'y a qu'un Dieu et qu'une Eglise dans le ciel.
Que penser donc du bapt6me des heretiques? Que ce n'est
pas le bapteme chretien. Etrangers â la communion de l'E-
glise, ils n'ont ni notre Dieu, ni notre Christ, ni notre bapteme.
Plus clairement : n'ayant pas le bapteme tel qu'il faut l'avoir,
ils ne l'ont pas du tout'. Israel multiplic cliaque jour ses
ablutions avec ses souillures : l'unique bapteme chretien
purific en une fois. Au delâ, il n'y a plus que le bapteme de
1. B. 13.
2. Ib. 14.
3. /*. 15.
4. Laconclusion naturclle de. oette declaration est qu'il faut rcbaptiser
330 THEOLOOIE DE TKRTULLIEX.
sang ^ Ce bapteme, que le Seigneur appelait de ses vceux
(Ltic. 12, 50), couromie le premier. Jesus-Christ, venu par
l'eau et par le sang (1 Joan. 5, 6), baptise dans l'eau, glorifio
dans son sang, fait par Tcau des appeles, par le sang des
elus. Ces deux flots coulent ensemble de son cote ouvert. II
faut SC baigner dans l'eau, il faut porter la dette du sang. Le
bapteme de sang supplee au besoin le bapteme d'eau, et le
rend ă qui l'a perdu -.
3° Un dernier mot, sur la discipline du bapteme ^. Le
ministre ordinaire de ce sacremcnt est l'eveque, place au
sommct de la hierarchie ; puis Ies pretres et Ies diacres, mais
seulement par delegation de l'eveque : car il faut sauvegarder
Ia paixde FEglise. Dans Ies cas de necessite, oii il y va du salut
d'une âme, un laîque mame peut et doit baptiser. Les femmes
se garderont d'usurper des fonctions qui ne leur appartiennent
pas. Une grande prudencc est necessaire aux ministres du
bapteme ''. Le precepte de l'Evangile : « Donnez â qui vous
demande » (Mat. 5, 42) concerne l'aumone, et non la diapen-
les heretiques lorsqu'ils entrcnt dans la v('n'itable Egliso. T<u-tulUen Ic dit,
cxprcssemcnt, Pud. 19 : Apud nos ut etimioo par, immo et super ethni-
cum, haeroticus etiam per baptisma veritatis utroqae nomine purgatus
adinittitur; et l'ou sait que telle fut, au troisiemo siecic, la coutumo dos
eglises d'Afrique. Saint Cyprion, lâ-dessus en conflit avec Kome, rappcUe
une ancienne dccision des cveques africains, assernbles â Carthage sous
Agrippinus (i?p. 73, 3). Dusilonce de TortuUien sur cotte meiue decision,
011 a parfois conclu qu'elle est posterieure au De baptismo, sinon a tous
SCS ecrits. Cette coriclusiou ne s'impose pas : car, avânt la naissance de
la controverse baptismale, TertuUien n'avait pas besoin d'apporter des
autorites cn favour d'une opinion que tout le monde partageait autour
de lui. — Voir cependant c. IX, § 8, ]>. 483, n. 1.
1. B. IG.
2. Hic est baptismus qui lavacrum et non acceptum repraescntat et per-
ditum reddit. — Lajustification par le bapteme de sang est une croyancc
ancienne dans l'Egliso. Implicite chez saint Ignace (Ep. aux Romains),
elle apparaît distinctement chez Mermas, Sim. 9, 28, 3-5. Voir encore
Canons d'Hippolyle, 19, 101 : Catechunienus qui captus et ad martyrium
perductus necatusque est, priusquam baptismum reciporet, cum ceteris
martyribus sepeliatur : est enim baptizatus proprio sanguine. — Autres
temoignages de TertuUien, Scorp. 6 (Infr. c. VIII, § 6, p. 431) ; Pud. 22 :
Sufficiat martyri propria delicta purgasse. Ingraţi voi superbi est in alios
quoque spargere quod pro magiio fuerit consecutus... Martyrium aliud
erit baptisma.
3. B. 17.
4. Ib. 18.
BAPTEME.
331
satioii desacrcments, oulaconscienceest gravement interessee
(Mat. 7, 6; 1 Tim. 5, 22). Dans Ies baptemes si prompts de
l'eunuque de Candace et de saint Paul, ii faut voir des excep-
tions, ou Dieu lui-meme s'est fait caution pour le neophyte.
En general, ii n'est pas a propos de precipitai' le bapteme,
surtout pour Ies enfants, et d'engager temerairement des
parrains, qui pouvent mourir, ou se trouver impiiissants de-
vant le progres du vice. Le Seigneur a dit : « Laissez venir â
moi Ies enfants ». Venir, pour eux, ce sera grandir, ce sera
apprendre ou ils vont; pour devenir chrctiens, qu'ils soient en
âge de connaître le Christ. Pourquoi cot âgo innocent cour-
rait-il â la remission des peches? On apporte plus de cir-
conspection aux affaires du siecle, car on ne laisse pas â ces
enfants la gestion de leurs biens. Attondez donc qu'ils sachcnt
demander le salut; laissez voir que vous l'accordez â leur de-
mande. 11 n'est pas moins necessaire de differer le bapteme
â ceux qui, n'etant pas maries, demeurent exposes aux tenta-
tions de la virginite ou du veuvage. Laissoz-les se marier, ou
s'affermir pour la pratique de la continence. Ceux qui com-
prennent le fardeau du bapteme, craindront Ia reception du
sacrement, plus qu'un delai; Ia foi integre est d'ailleurs sure
du salut \
Pour baptiser 2, nuljour plus convenable que Ia solennite
pascale : on vient alors de commemorer la passion du Christ,
principe de notre regeneration. On peut cncore baptiser Ies
jours suivants, jusqu'a la Pentecote. Au reste, n'importe quel
jour ou quelle heure peut convenir : la solennite differe, non
Ia grâce. II faut se preparer au bapteme^ par la priere. Ic
jeune, Ies agenouillements, Ies veilles, la confession de tous
ses peches, selon l'exempleque donnaient deja Ies disciples de
Jean (Mat. 3, 6) : on doit s'estimer lieureux de n'avoir pas â
1. Fides integra seciira est <le salute. — l>ai- fides inLe<jm, nous eiiteu-
dons avec Rigault, Oehler, etc., la foi loyalc et genorcusc. Cf. Paen. (> :
Prima audicntts inlinctio metus integor. Dom Corbinion Tiiomas (ap.
Migne, t. 2, 1198) entend : foi scclleo par le bapteme, et gardco ensuite
iiiviolablemcnt. Nous ne croyonspas que le contexte autoriso cottc intcr-
pretation. Cf. d'ailleurs p. 215, n. 0.
2. B. 19.
3. Ib. 20.
332 TIIEOLOGIE DE TEIÎTULLIEN.
confcsser publiquement ses iniquites et ses hontes *. En affli-
geant la chair etl'esprit, en meme lemps qu'on satisfait pour
le passe, on pare aux tentations â venir. « Veillez et priez »,
disait le Seigneur, « de peur d'entrer en tentation ». Pour
s'etre endormis malgre cet avertissement, Ies Apotres suc-
comberent. Le Scignour lui-meme, apres son bapleme et son
jeune de quarante jours, fut assailli par la tentation. Mais,
dira-t-on, va-t-il falloir jeuner apres le bapteme? La chose
n'aurait rien que de lonable, si ces jonrs n'appartenaient â la
1. Nobis (/ratulandum esl si non publice confdemur inîquUates aut lur-
pitudines nosiras. Ici le texte est tort controverse. Junius (1597), Oohler,
Reifferscheid orit Iu nune, !â ou nous lisons non, avec Gangneius {lî>15),
Gelenius (1550), Pamel, Rigault, Migne, etc. Comme ii n'existe plus de
manuscrit connu du de hapUsmo, ii faut renonccr ă tranchcr laquestion
par voie d'autorite; mais ii convient de prendre en grande considera-
tion Ies editions de Gangneius et de Gelenius, qui reposent sur le temoi-
gnage direct des niss. Les parlisans do la lecon nune font appel au con-
texte : Simul enim et de prislinis satisfacimus conflictationo carnis et spi-
rilus, et subsecuttiris templallonibus munimenta praestruimus; et ils rai-
sonnont ainsi : Deslors que l'on ecartel'idee d'une humiliation publiquc,
â quelles ceuvres satisfactoires ce contexte ferait-il alkision? — Nous
croyons devoir chercher ces oeuvres satisfactoires un peu plus haut, au
comuiencenient du developpement, la, oii ii est question do prieres, do
jcunes, d'agenouillements, (Ie voillcs, en memo tcmps que do confcssion.
Cest â quoi repondont Ies mots : confliciatio carnis et spiritiis... L'assertion
generale du debut est motivoe par : Simul enim... Quunt ii (A'obis... nostras),
nous y voyons une simple parenthese, qui peut se i'endre ainsi : • Dieu
nous inenage en se contentant d'une confession privec (faite a l'evequc!), ot
nous dcvons nous estimer houreux d'en etre quittes â si bon conipte. »
Pour trouver â la Iccon nune un scnş plausible, ii faudrait cntendre :
Nous devons nous estimer hcureux de'pouvoir des celle vie satisfaire â la
justice divine en nous humiliant par une confession ])ubliquc. Mais nuUe
part, dans Ies documents ecelesiastiquos de ce temps, on ne rencontro la
trace d'une contcssion bUeifrale el publiqiie de tonslcspichw, imposee aux
catcchumenes, ni meme aux fideles. Au contraire cettc hypothese contre-
dit un canon d'IIippolyte, 19, 103 : Tune confitcatur episcopo — huic enim
soli de ipso est impositum onus, — ut episcopuseura approbet, dignumquo
habeat qui fruatur mystcriis. 11 n'est pas question d'autre confession
que cette confession privce, qui est une enquetc sacerdotale avânt d'e-
tre une satisfaction envei's Dieu. Pour ces raisons, nous avons cru de-
voir revenir a la loeon des premiers editcurs, qui a toute chance d'etre
aussi celle des mss. La correction do Junius n'est qu'une conjecture, et
probablement une conjecture maiheureuse. — Contre une autre correc-
tion, de lleraldus, consistant â suppriraer non, voir G. do rAubcspine,
Observationes, 2, 1, 15. — M. von Harţei, qui a discute si serieuse-
ment Ie texte de Reifferscheid (Silzungsberichte der Kaiserl. Akademie
von Wien, 1890), ne s'cst pas prononce sur ce point.
BAPTEME. 333
joie. — En finissant, « Tertullien le pecheur » se recommande
aux prieres des futurs chretiens.
Parmi Ies questions que soulevc ce trăite du bapteme, nous
nous arreterons aux suivantes :
1° Causalite propre du sacrement.
2° Rituel du bapteme et de la confirmation.
3° Diverses sortes de bapteme.
4° Conditions de la justificatioti baptismale.
1" S'attachant au symbolisme de l'ablution baptismale, Ter-
tullien montre dans cette operation materielle l'indice d'un
effet produit invisiblement dans l'âme \ L'eau, consacree una
fois pour toutes â Forigine du monde par FEsprit divin qui
s'y reposa, acquiert, par l'invocation divine, une vertu sanc-
tiflante, et opere, grâce a l'intervention d'un ange, la purifica-
tion de l'âme. Comme elle guerissait Ie corps â Bethsaida,
elle guerit maintenant l'âme ; elle est principe actif dans un
cas comme dans l'autrc. Le concept scolastique de la causa-
lite physique du sacrement ne saurait revetir une forme plus
concrete. Tertullien a marque de son vigoureux realisme cette
explication encore rudimentaire. D'autres lui donneront un
tour metapliysique ; chez lui, elle fait pârtie d'un ensemble
assez grossier ; et le materialisme qui lui fait confondre Ies
esprits avec Ies corps, l'ordre de la grâce meme avec celui
de la nalure, s'est rarement exprime avec plus de naîvete
que dans cette theorie du bapteme. Pourquoi Ies eaux sont-
elles sanctifiantes? Parce que, â l'origine du monde l'Esprit
divin s'y est repose ^ : Solus liquor... dignum vectaculum Deo
suhiciebat. Comment peuvent-elles bien donner la vie aux
âmes? n n'y a pas lieu de s'en etonner, puisque, sur l'ordre
\. B. 4: Oranes aquac de pristlna originis praerogativa sacramentum
sanctificationis cousequuntur invocato Deo. Supcrvcnit enim statim Spi-
i-itus de caslis ot aqiiis superest sanctificans eas de sometipso, ct ita sanc-
tificatae vini sanctificaiidi combibunt... Igitur mcdicatis quodammodo
aquis per angeli interventum, et Spiritus in aqiiis corporaliter diluitur
et caro in eisdem spiritaliter mundatur.
2. B. 3.
334 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
divin, elles produisirent jadis Ies premiers corps vivants ' :
Ordinată dehinc per elementa mundo cum incolae darentur,
primis aquis praeceptum est animas proferre. Primus liquor
quod viveret edidit, ne mirum sit in baptismo si aquae animare
«o(^e7'M««.CommentrEsprit-Saint a-t-il pu sanctifier Ies eaux?
Cest que, vu sa legerete, ii flotte au-dessus d'elles, et, vu sa
subtilile, ii Ies penetre intimement ^ : Sanctum autem utique
super sanctum ferebatur, et ah eo quod superferebatur id
quod ferebat sanctitatem mutuahatur, quoniam subjecta
quaeque materia ejus quae desuper imminet qualitatem ra-
piat necesse est, maxime corporalis spirilalem etpenetrare et
insidere facilem per substantiae suae suhtilitatem. On peut
faire des observations semblables au sujet de la confirmation .
L'opcration du Saint-Esprit dans l'âme est assimilee ă la cir-
culation de l'air dans Ies orgues hydrauliques ^ : Dehinc manus
imponitur per benedictionem advocans et invitans Spiritum
Sanctum. Sane humano ingenio licebit spiritum in aquam
arcessere et concorporationem eorum accommodatis desuper
manibus alio spiritu tantae claritatis animare, Deo autem in
suo organo non licebit per manus sanctas sublimitatem mo-
dulari spiritalem P On ne pouvait recourir â une comparaison
plus gracieusement expressive. Mais le tour particulier qu'elle
revet ici est lie a une conception peu epuree de l'esprit et de
ses operations. Ces remarques semblaient necessaires pour
caracteriser la pensee de Tertullien : on ne l'appreciera exac-
temcnt qu'en la reliant ă l'ensemble de sa doctrine.
2° Quant au rituel du bapteme, Ies indications du de bap-
tismo sont completees par quelques mots du de corona, que
nous i'apporterons ici '' : Ut a baptismate ingrediar, aquam
adituri ihidem, sed et aliquanto prius in ecclesia sub aniistitis
mânu, contestamur nos renuntiare diabolo etpompaeet angclis
1. B.
2. Ib. 4.
o. Ib. 8. — Comparci" An. 14 : Specta portontosissimain Archimcdis
mimificentiani, organum hydraulicum dico... Spiritus... iUicdc tonncnto
aquac aiihelat.
4. Cor. 3.
BAPTEME. 335
ejus. Dehinc ter mei-gitamur, amplius aliquid respondentes
qiiamDominus in Evangelio determinavit. înde suscepti, lactis
et mellis concordiam praeguslamiis, exque ea die lavacro coti-
diana per totam hebdomadem absiinemus, Ces mots resument
de la maniere la plus heureuse le 29° canon dit de saint Ilip-
polyte, ou se trouve retracee la liturgie baptismale de l'Eg'lise
romaine vers l'an 200 : examen prealable et confession devant
l'eveque '; renonciafcion publique ă Satan^; profession de foi
auxtroispersonnes delaTrinite, suivied'une triple immersion'^:
manducation du lait et du miel \ symbole d'unc onfanco renou-
velee dans le Christ.
3° Les idees deTertullien surla nullite du bapteme des liere-
tiques [B. 15) etaient celles de son pays et de son temps. Sans
nous y arreter, remarquons l'energie avec laquelle ii affirme
l'unite, consequemment la non-iterabilite du bapteme chretien.
Surle baptâme de Jean, ilaemisunetheorie singuliere (J3. 11) :
les Apotres, du vivant de leur Maître, n'auraient confere quc
le bapteme de penitence, ainsi que Jean : le bapteme cliretien
ne pouvant exister qu'apres la passion et la resurrection du
Christ. La pensee ne lui est pas venue d'attribuer aux merites
de cette passion un efîet retroactif. Non moins singuliere est la
supposition que (d'apres Joan. 13, 10) un bapteme quel-
conque peut suUire en tout etat de cause [B. 12). 11 s'cn montre
d'ailleurs mal satisfait, et cliercho d'autres expcdients pour
resoudre la dilTiculte concernant les Apotres. Mais comment,
alors quil vient de citer [B. 10) Act. 19, 2. 3, ne s'est-il pas
souvenu que les disciples do Jean, baptises par lui, passent
parunautre bapteme (Act. 19, 5) pour recevoirleSaint-Esprit?
Cette observation suffisait pour ruiner son etrange idee de Tc-
quivalence des deux baptemes. Cost encore une singularite que
Texplication du bapteme de feu par la damnation eternelle
1. Can. Ilippolyl. 20, 102 ^q. — T. u. U. t. 6,p.91.
2. Ib. 108 sq.
3. Ib. 122 sq.
4. Ib. Mlsq. — La dcrniei-c recommandation : abstention du baiu quo-
tidlen pendant Ia semainc qui suit le baptâme, ne se retrouvc pas dans ce
canon.
33G THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
[B. 10). 11 s'exprime avec beaucoup plus de justesse et de bon
heur sur le bapteme de sang, suppleant le bapteme d'eau et,
au besoin, le restaurant [B. 16). Enfm ii accorde beaucoup au
bapteme de deşir [B. 18) ^
Mentionnons ici, â raison de la discipline severe qui le distin-
guait, le bapteme marcionite - : ii obligeait de renoncer au ma-
riage, de rompre mome un mariage contracte.
On parlait encore, dans ce temps-lă, du bapteme des morts.
II paraît resulter du temoignage de saint Paul (1 Cor. 15, 29)
que certains chretiens s'etaient avises de se soumettre eux-
memes aux rites du bapteme, â l'intention de Icurs proches,
non baptises avânt la mort. Sans approuver aucunement leur
conduite, saint Paul, argumentant ac? Aomme/«, constate qu'elle
implique la croyance â la resurrection corporelle. TertuUien
reprodait le raisonnement de l'Apotre ^. D'ailleurs, ii ne dissi-
mule pas son mepris pour cette pratique superstitieuse, et
renvoie ceuxquil'approuveraientărantique calendrier romain :
peut-etre trouveront-ils lâ-dessus, au mois de fevricr [februum,
purificalion) '', des explications que le christianisme ne fournit
pas.
4" La justification baptismale exige deux conditions : la foi
et la convorsion du coîur.
Oa se rappelle que le bapteme est comme le sceau de la foi
— ohsignatio fidei. — Nous avons releve ' des expressions oii
l'on apergoit, bien vague encore, la notion du caractere sacra-
1. Voii' c. VI, .S 2, p. 265, II. 6.
2. 1 M. 28. 29; 4 M. 11. — On trouvera de nouveaux details sur le bap-
teme marcionite dans Epiphane, Haer. 42; ils sont oonfirmes par Ie texte
armenien de Eznig, que nous citons d'aprfes la traduction de M. Ermoni,
Revue de l'Orienl chrelien, t. 1 (1896), p. 473 : « II n'administre pas seule-
ment un bapteme, mais meme trois, apres le pochc ; et pour des enfants qui
sont sur le point de mourir, ii en exhorte d'autres â recevoir le bapteme.
Et dans ses audaces, ii alia meme jusqu'â onlonnor aux femmcs d'adminis-
trcr le bapteme, ce que personne, dans Ies autres sectes, n'avait ordonne
de faire, pas plus que d'administrer un double et triple bapteme, ni d'em-
ployer des femmes pour le sacerdoce. »
3.bMA0;R. 48.
4. Voir Marquardt, Le culte romain, trad. fr., t. 1 (t. 12 du Manuel des
antiquMs romaines), p. 6 et 181.
5. B. 6. Voir p. 326, n. 2.
BAPTEME.
337
mentei, et montre qu'on peut en saisir l'origino dans una tradi-
tion plus ancienne. La foi nue justifiait sous la loi mosaique ;
desormais elle ne justific plus, maiselle appelle ce complement
du bapteme \
Quant â la conversion du coaur, ona vu Ies gages qu'exigeait
l'Eglise ^. II faut revenir ancore sur une page tres importante
d'un autre trăite •'', oii Tcrtullien se preoccupe avec raison d'as-
surerla parfaite sincerite du neopliyte. La ponitence, dit-il, est
le prix auquel Dieu promat le pardon. Un marchand ne regoit
pas une piece de monnaiesans l'examiner sous toutes sesfaces,
pour s'assurer qu'elle est do bon aloi : croit-on que Dieu se
laissera payer de fausse monnaie? Mais peut-etre onveut l'aire
dater sa conversion du jour de son bapteme? Illusion : c'est
avânt le pardon, et sous le grondement de la justice divine,
qu'il faut pleurer sas peches. Le baptome ne saurait suppleer â
ce qui manquedu cote de la penitence. Ce n'est pas qu'une pre-
paration sans g'enerosite compromatta la validite du sacrament
et la purification do Târne '' ; mais elle n'offre aucune garanţie
pour i'avenir. Et qui donc voudrait accordor une seule goutte
d'eau baptimale k un penitent si peu sur? On parvient encore
â surprendre, par do belles paroles, l'indulgence des pretres,
ministres du sacrement; mais on ne saurait tromper Dieu, qui
veille sur son trasor pour ecarter Ies indignes : toutes las tenc-
bres dont on s'enveloppe cedaut ă sa lumiere. Qualques-uns se
flattent de lui arracher un pardon '', et font de sa liberalite une
servitude. Errcur funeste : ils ne profiteront pas de cette justi-
fication epliemere. Tant de chutes, au lendemain du bapteme,
l.B. 13.
■Z. Jb. 20.
3. Paen. 6.
4. ib. : Ncquc ego rcnuo divirumi bendîciuui, i. e. abolitionem delicto-
rum inituris aquam oînniiio salvum esse... Farto quidoni asgredi etprae-
po.situin liujus rci asseverationibus tuis circiiiriduci facilo est : sed Deus
tliesaui'O suo providet, nec sinit obroperc iiidignos.
5. Quidaiu aulem sic opinantur quasi Deus iieccsse habeat praestarc etiam
indignis (piod spopondit, et libei-alitatcm cjus faciunt servitutem... Quis
autem perniittit permansuruni id quod tribuei'it invitus? Nou enim mulţi
postea excidunt? nona uudlis donum illud aufertur? Hi sunt se. quiobre-
punt, qui, paenitontiac lidem aggi-cssi, super arenas domumruituram coUo-
cant.
THIÎOLOGIE DE TERTUI.I.IEN. 2'
338 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
montrentio peu de i'onds qu'oupeut faire surces intrus : l'edi-
flce de leur cliristiaiiisme, bâti sur le sabie, s'ecroule. Donc rien
ne sert de se flatter parce qu'on frequente Ies cateoheses,
comme si des lors on pouvait tout se permettre. II n'y a pas un
Dieu pour Ies baptises, un autre pour Ies catecliumenes. La
conversion a du commencer par un acte de foi en la vertu de Ia
penitence ^ ; le bapteme y inet le sceau. Mais qu'on ne s'y
trompe pas : le bapteme suppose accomplie la purification du
ca3ur : en aucun cas ii ne peut Ia suppleer. II faut au catechu-
mene un premier bapteme : c'est la crainte de Dieu, une crainto
sincere et agissante.
Dans cette exhortation fort bello ot fortpressante, tout n'est
pas egalement clair : Tertullien n'arrlve pas ă distinguer ade-
quatement doux elements de la justification effective : la con-
version actuelle de la volonte, qui depend du penitent, et l'ef-
facoment des anciennes souillures , que le sacrement opere
dans Ies âmes bien disposees. Que ce soient la choses tres
differentes, ii le sait bien; mais son expression ne le dit pas
toujours ^. En fait, ii n'arrive pas a poser nettement Ie cas d'un
faux catechumene qui joueavec le bapteme, — qui ficta accedit,
pour parler la langue de la theologie posterieure. Dans son
effort pour accorder ensemble des verites fragmentaires, ii
raultiplie Ies formules incisives; cet enfantement laboricux
d'une pensee inaohevee a produit un merveilleux deploiement
de rhetorique. Mais pour equilibrer sa doctrine, ii a manque
â Tertullien la notion precise du caractere sacramentel.
Le trăite du bapteme atteignit-il pleinement le but que son
auteur poursuivait? On peut en douter; car s'il venge bien le
sacrement des attaques de I'horesie, finalement ii transige sur Ia
necessite de le recevoir. II encourage Ies delais, comme sans
I . Lavacrum illud obsignatioest lîdoi, quae fidos ajDaenitcntiac iidc inci-
jiituret commondatur. Non ideo abluinuir ut dclirKjuero dosinamus, sod
ijuia desiimus, quoniam jam corde loti sumus. Ilaec enim prima audientis
intinctio est, metus integer.
'l. En particulier cos niots : Abluimw... qida jam corde loU sunws, reii-
ferment une ('quivoque dont pout-etrc Tertullien n'a pas (•,onsci(^nce. f.a
volonte peut etre convortie sans que Ies souilku-os de Tânie soient ef-
facees.
PEKITEXCB. 339
danger pour le salut de l'âme ' : ce langage imprudent devait
aft'ermir beaucoup de catcchumenes dans la disposition d'at-
Lendre la deraiere heure pour contracter Ies redoutables obli-
gaţi ons du bapteme.
PENITENCE.
La penitence — nous envisageons ici le sacrement^ — ■ reste,
comme une deraiere planclic de salut ^ au pecheur qui sombro
aprcs le bapteme. Tertullien, qui vient de parler de la peni-
tence preparatoirc au bapteme, n'aborde ce nouveau sujet ''
qu'avec toute sorte de precautions, tant ii craint d'encourager
l'abus des grâces. 11 insiste surtout sur Timpossibilite de rei-
terer cette seconde penitence "*. Une fois echappe aux orages
du siecle et entre au port de rp^glise, le chretien devrait imi-
ter ces naufrages qui disent â la mer un adieu definitif, et ne
plus tenter desormais la misericorde divine. Mais comme le
demon redouble d'efforts et de rage pour rengager dans le
mal cette âme qui vient de lui etre ravie, Dieu na pas voulu
oter tout espoir au pecheur relaps. Le baptise, sur qui s'est
1. B. 18 : Si (iui poiidus intelle{,'ant baptismi, rnagis timeliunt cousocu-
tioneui quam dilationem : fidesintcgj'a secara est (1(: salute.
•l. Kapijelons ici (cf. sxqj., § 3, p. 323) qu'on ohorchcrait cn vain cliez Ter-
tullien le mot Hacramenlimi,paenitcntiae. Mais nous ponsons reussir â prouver
nuc l'institution dont ii parle est le sacrement de penitence. — Comme le
plan de ce livre aoliiige de morceler ('ette importanţi! question de la peni-
tence, nous indiqucrons oii Ton en peut ressaisir Ies elements disperses :
c. VI, S 4, p. 272, distinction des peches; S 5, p. 285, vertu de penitence ;
c. VII, S '1, P- 337, premiere penitence (celle des catechumenes) ; c. IX, >; 8,
|). 478, rigueurs montanistes.
3. Paen. 4: (Paenitentiam) tu, peceator,... ita invade, ita amplexare ut
iiaufragus alicujus tabulao fidem ; ib. 12 : Istis duabus hnmanae salntis
quasi plancis.
4. Puen. 7. — Le developpement de Tertullien offrc de nonibreux points
de contact avecIIermas,Jtf a«da/. 4,3. Mais, comme onTajustement observe,
llermas paraît avoir en yuc une sorte de jubile ou de mission exception-
nelle. Voir Ms' Hatiffol, Etudes d'huloire et de Iheolor/ie posUive, p.78.
5. Paen. 7 : Scd jam sernol, quia jani secundo; sod amplius nunquam,
quia pro.xime frustra; ib. 9 : Hujus... pacnitentiac seeundaeot unius. —
Comparerles deciarations d'Hermas, Mand. 4, 18 : Totq yxp SouXoi; toO Qbov
liErmoiâ ECTTiv (Jica; 4, 3, 6: Meirâ Ty]v y.î,r;<3-iv sxEtvriv Tv]V jiEyâ),?iv yac aeţiv/jv ctv
TIC EXTiEipaaOci; UTto to\> SiagoXou âjxapT-indij, {itav [/.sravotav eysc.
340 THEOLOGIE DE TEHTOLLIEN.
refermee la porte du grand pardon, trouvera encorc au vesti-
bule de l'Eglise cette porte qu'ouvre la seconde penitence ' : ii
peut y ailor frapper une fois, mais rien qu'une fois : n'est-ce
pas deja beaucoup, et ne doit-il pas s'estimer trop heureux,
apres avoir dissipe une premiere grâce? Si donc ii lui faut
s'acquitter d'une seconde penitence, qu'il ne cede ni au deses-
poir ni â la honte. Mais qu'au retour du mal ii oppose un nou-
veau remede. 11 peut encore satisfaire pour ses fautes, et ii
trouvera Dieu dispose ă recevoir satisfaction. Qu'il medite -
d'une part Ies monaces de l'Esprit-Saint aux eglises (Apoc. 2.
3), menaces qui sont un appel â la penitence; d'autre part, Ies
paraboles missricordieuses do l'Evangile. Qu'il ait la foroe
d'imiter le prodigue par l'aveu franc de sa faute : qui avoue sa
faute, l'attenue ; qui dissimule, l'aggrave.
Plus laborieuse ^ que la penitence des catechumenes, cette
seconde et unique penitence des chretiens doit fournir des
gages plus serieux. Au repentir interieur, ii faut joindre la
discipline exterieure de Vexomologesis ''. Ce mot designe un
aveu fait au Seigneur de nos fautes, non sans doute pour lui
apprendre ce qu'il n'ignore pas, mais pour lui offrir satis-
faction, developper nos regrets, et flechir sa colere ; par une
1. Deus, clausa licet ignoscentiae jaiiua ct intinctionis sera obstructa,
aliquid a<lliuc pcrmisit patere. CoUocavit in vestibulo paenitentiam secun-
dam, quao pulsantibus patefaciat. — Cf. Pud. 15 : postliniinium ccclesias-
ticaopacis. — M. Rolffs {T. U. 11, 3, p. 38) a donne do Paen. 7 uncommen-
taire auqucl nous ne pouvons souscrire : Die Busse nicht an die janua
ecxlesiae, sondern an die janua ignoscentiae geslelll iU. Sous l'empire d'uno
idee preconcue, le docte auteur a, croyons-nous, confondu deux portes.
La, janua i.gnoscgM^iae, o'est laporte du bapteme, elle s'cst refermee âtout
jamais; l'autre, qu'on ne nous nomme pas {aliquid), est cette porte basse
dontla seconde penitence a la garde. L'une et l'autre estd'aillcursjarattft
Ecclesiae. On trouvc la memc distinction dans llermas, qui reserve pour
le pardon baptismal le nom d'ăţea'.i (iţ/noscentia). Mand. 4, 3, 3 : Oî fotp vOv
■KisxtiacLittc. ri ixeXXovTe; KiuToueiv, (iEtâvoiav âjiaptioiv ouv. e-^^oustv, âyscrtv oz
£)(ouai Twv TTooTEptov txixapTtwv aCi-cto^v.
2. Paen. 8.
3. Paen. 9.
4. Exomologesis... qua delictum Domino nostrum confltemur, non qui-
dem ut ignaro, sed quatenus sat.isfactio confcssione disponitur, confes-
siono paenitentia nascitur, paenitentia Deus mitigatur. Itaque exomolo-
gesis prostcrnendi et humiliiicandi hominis disciplina est, conversationem
injungens misericordiae illicem.
PESITENCE.
341
discipline abjecte et liumiliante, Vexomologesis attire la mi-
sericorde d'en haut. Le penitent doit exprimer par sa te-
nue, par tout son genre de vie, le repentir dont ii fait profes-
sion, coucher sur le sac et la cendre, ne plus se laver, livrer
son ftme ala tristesse, compenser ses egarements âforce d'aus-
terites, vivre de pain et d'eau, unir aujeune la priere et Ies
laz'mes, mugir nuit et jour vers le Seigneur, se prosterner de-
vânt Ies pretres, s'agenouillor dcvant Ies amis de Dieu^, sup-
plier tous Ies freres d'interceder pour lui. Ainsi l'on affirme
son repentir, ainsi l'on venge l'honneur de Dieu, ainsi le pe-
cheur promonce contre lui-meme au nom de Dieu irrite, et,
par des souffrances temporcUes, acquitte la dette d'eternels
supplices. Moins on s'epargnera soi-meme, et plus on trouvera
Dieu preţ â epargnor. Mais ii en coute ^ de s'afficher ainsi
comme pecheur : aussi plusieurs reculent, ou se derobent in-
defîniment, semblables k des malades qui, plutot que de de-
couvrir au medecin une plaie humiliante, preferent mourir
dans leur honte. Et pourtant, quand Dieu ofîense reclame sa-
tisfaction, faut-il se montrer delicat"? Encore s'il s'agissait
d'affronter Ies sarcasme s, si quelqu'un dovait triompher de
leur abjection, riiesitation se comprendrait. Mais entre freres,
â qui Dieu le Pere depart un meme Esprit, tout est commun :
esperance, crainte, joie, doulcur, aflliction. Les soufîrances
d'un membre sont les souffrances de tout le corps ; tout le
corps aspire â la guerison, car l'Eglise est dans cliaque mem-
bre, et l'Eglise, c'est Io Christ. Quand donc vous vous pros-
ternez devant les freres, c'est le Christ dont vous embrassez
les genoux, le Christ que vous implorez. Quand les freres
prient sur vous, le Christ souffre, le Christ crie grâce vers sou
î. Caris Dei adgeniculari. — Lo sens que noiisdormons au vorbe adgeni-
culari est le seul que connalsso le Thesaurus linguae lalinae. \l repond au
gi'ec YovuTretsîv. V. d'allleurs Pud. 5: genibus exorant; Cor. 3: de geni-
culis adorare: Scap. 4 : goniculationibus. — Les penitents ombrassaient
les genoux des fideles, en se recommandant â leurs prieres ; aussi a-l-on
parfois pris le change sur le sens propre du mot. Cf. Paen. 10 : Cum te
ad frati'um genua protendis; Pud. 13 : Prosternis... ante viduas, ante
prcsbyteros, omnium lacinias invadentena, omnium vestigia lambentem,
omnium genua dotinentem.
2. Paen. 10.
342 THEOLOGIE DE lEliTULIJEN.
Pere. La priere du Fils est surement exaucee. Que gagneriez-
vous ă vous cacher !* Si voiis reiississez ă eviter le regard des
hommes, pensez-vous Iromper Dieu? Lequel vaut mieux pour
vous? Enfermer en vous-meme le secret de votre condamna-
tion, ou etre absous publiquement?
l^'exoinologese ' decrite par Tertullien ne doit pas etre con-
fondue avec ces coulpes hebdomadaircs qui, au temoignage d(!
la Didache, avaient lieu anciennement dans Ies assemblees do-
minicales, et dont la nature demeure mal eclaircie -. Encore
moins peut-on la confondre avec cette exomologese qui appa-
raît (jâ et la cliez Ies Peres Apostoliques, et qui pouvait n'avoir
que Dieu pour temoin''. Ici nous sommes en presence d'une
institution speciale : lapenitence solennelle, destineeâpreparer
la reconciliation des pccheurs. Tres semblable k lapenitence
qui precede le baptorae '', cette seconde penitence comporte,
elle aussi, un aveu prealable et distinct, fait â l'eveque, des
l'autes qui motiventle recours â Texoniologese. Tertullien, qui
mcntionne la confession preliminaire au baptome, ne dit rien
de cette confession preliminaire â Ia penitence publique ; mais
l'existence d'une telle confession est demontree par ce fait que
1. Voir la d(,'ruiition gentîrale de Vexomologesis, par Tertullien, Or. 7 -.
Exomologcsis est petitio veriiae, qua qui petit veniam delictum confitetur.
— Au fond de toutc exomologese, ii y a I'avcu d'une faute, et un acte do
contrition; Ies formes pcuvont variei- beaucoup. La penitence de Nabu-
cliodonosor est une exomologese (Paen. 12); de meme celle de David(J(y'.
9); de meme Ies austerites de Daniel (Jej. 10). 1/acceptation genereuse de
la souffrance est un gage de vrai rc;pentir, Pal. 15 : Patieiitia... exomolo-
gesin assignat. $
"2. Didache 4, 11 : 'Ev h.Klriairfiirj^i.oXo-(r,ariici ■Kapar.ZMp.a.zi. so'j, xal ou r.po<!-
tkfjar^ im. xpo(j£U'/v)v irou ev suvsioiîaEt uovTipă {Cf. Ep. de Barnabe, 19, 12 :
'E^oiioXoYiiuv) E"' âaapTiaiţ <ro'j. OO ■Konaiiiu^ im upoaEuj(^v Iv <jyv£t8?ictet tco-
VYipă). Did. 14, 1 ; Karâ ■>t'jptaxY]V oi Kuptou (Juva^OEVTS; xXâ<7aT£ ocpTov y.aî eOj^a-
pi<jTif,aaTe, itpuE|o[ioXoy7ioâ(iEvoi xd 7iap«TcTw[iaTa i/[tiov, otim; otaOapa i] Outjîa
■jjiwv fj. — Cette confession n'avait probableraent rien de sacramente!. Je
crois la. reconnaître dans la confession que le pretre et Ies ministres font
â haute voix au piod de l'autel, avânt la messe.
3. Ainsi chez Ilcrmas, Via. 1, 1, 3 : TiGm Ta yovaTa, xai T]p?â(jir,v Tipoasu-
XEij6ai Tip Kvipiip xat E$o|j,o),OYEÎ<7(iat [lou Ta; «jxapxîa? ; ib. 3, 1, 5 : He'i? tk yovaTa
E?«)Ho).o-(o'j[iyiv Tw Kupîw it«>,iv xâ; âţAapTtaţ [iou ui? xai irpoTspov, — Cf. Siin-
9, 23, 4.
4. Sur Ies difforences notablcs qui Fon Si5parent (caractere public, ctc).
voir Gabriel de l'Aubespino, Observaliones i, I.
PENI TEN CE.
343
l'Eglise appliquait un traitement different aux divers peches et
aux divers pcnitents. II fallait eclairer l'eveque, ministre du
sacrament, sur Ies considerants de ce jugement auquel le pe-
nitent avait spontanement recours, et le mettre en mesure de
diriger avec connaissance de cause la procedure sacree : d'oii
la necessite de lui ouvrir la conscicnce. Dans cette enquete sa-
cerdotale, preliminaire â la penitence publique, nous saisissons
Forigine de la penitence privee, destinee â prendre plus tard
un si grand developpement. Necessaire pour le discernement
des penitents, cette confession etait, de sa nature, secrete;
d'ailleurs l'injonction d'une penitence publique avait, en cer-
tains cas, pour effet de porter telles ou telles fautes k la con-
naissance de la communaute. Les faits scandaleux relates par
saint Irenee en fournissent une prcuvc peremptoire '. I/exo-
mologese solennelle obligeait-elle en outre de confesser pu-
bliquement les fautes qu'on avait du devoiler â l'eveque ? On
n'a aucune raison de TafTirmer^. Un certain texte de Tertul-
lien 3 a păru quelquefois renfermor la mention d'une confession
publique exigee des catechumenes : nous avons cite plus liaut
ce texte, mais pour eoarter cette opinion, qui nousparaît reposer
sur une fausse lecture. Or quand meme ii serait prouve quc la
loi de la confession publique existait pour les catechumenes,
ce ne serait pas une raison suilisante d'etendre cette loi aux
fideles penitents. Tertullien, qui fait une peinture si forte des
angoisses de l'exomologese, n'aurait pas neglige un trăit si
propre a son but. On ne trouve pas davantage ce trăit dans la
peinture que trace, un demi-siecle plus tard, saint Cyprien '', et
qui est tres conforme a celle de Tertullien. Retenons donc,
1. Irenec, llaer. 1, G, 3; I, 13, 5.
2. Lo contraire peut meme etre considere corame prouve. Yoir Potau :
De paenitenHae velere in Ecclesia ralione ; appendix ad Epiphanii Pa.na-
riitm (1622). Reproduit dans Migne, P. G. 42, 1037 sq. — Cependant
M. Sweto (/. T. S. 4, ,336) estime que Vexomologesis debutait norraalement
par une confession publique. Les textes, â notre avis, ne so pretent guere
â cette hypotliese, du moins si l'on parle d'une confession obligaloire,
complete et distincte de tous ies peches mortels.
3. B. 20: Nobis gralidandum eU si non publice confilemur imquimes aul
turpUudinex noslra.i. — Au iieu de non, pkisieurstextesont»««c. Sur cette
lecon, voir ci-dessus, p. 332, n. 1.
4. Saint Cyprien, /;« lapsis, 35.
344 THEOLOGIE DE TEUTULUEN.
sansy rien ajouter, Ies donneesdu De paenitenda. Pfiere, jeune,
humiliation publique, tels etaient Ies elements cssentiels de
Texornologese dans Teglise de Carthage, et sans doute, avec
des variantes de detail, dans toutes Ies autres eglises.
Apres avoir determine la nature de cette institution, ii faut
marquer sa place dans la discipline chretienne. Qu'elle fît pâr-
tie integrante d'une action sacramentelle, le fait paralt incon-
testable ' , d'apres le seul temoignage de Tertullien. Nous n'en
citerons pas d'autre; mais on pourrait singulierement fortifier
notre demonstrationen parcouranttoute la tradition cliretienne
primitive. 11 suffira d'appeler l'attention sur trois idces :
1" Lo parallelisme exact qui existe entre Ie bapteme et la se-
condc penitence ;
2° L'efficacite propre de celle-ci ;
3° Les declaraţi ons explicites de Tertullien sur lesconditions
du jugement sacramentel.
i" Le trăite de la penitence comprend deux partios, d'e-
tendue âpeupres egale; la premiere vise, non pas uniquement,
mais principalement, les catecliumenes ; la seconde vise Ies
chretiens pecheurs. Tertullien se propose d'amener les pre-
miers, par vme serie d'epreuves loyalement subies, au seuil du
baptome, qui les introduira dans l'Eglise et dans l'amitie de
Dieu. 11 se propose d'amener les seconds, par une serie d'e-
preuves semblables, au seuil de la seconde penitence, qui les
1. RJ. Lea, — .1 hislory of auricular confession and indulgences in the
latin churc/i (London, 1896, 3 in-8") — , assureque l'Eglise primiţi v(! ne prc-
tcndait exerceraucuno juridiction au for de la consciencc (t. l,c. 3, p. 14),
et ne trouvc dans sa hiorarchic aucuno prctcntion au pouvoir des clefs
avânt l'dpoque do, Tertullien [ib.c. 7. p. 109 sq.); consequemment ii nevoit
dans le sacrement de penitence qu'un produit do Tambition sacerdotale.
Malgre une connaissancc 6tenduc de l'antiquite chretienne, ii n'a pas
î'eussi k rendre sa thosc vraisemblable. Nous ne pouvons la diseuter ici ;
signalons du moins des auteurs protestants qui, par avancc, l'avaient
abondamment refutee .: Er«'in l'reuschen, Tertulliaris Schriften de paeni-
tentia imd de pudicilia, mic Riicksicht auf die BussdiscipUn imlersuc/it
(Giessen, 1890) ; Ernst Rolffs, Das Indulgenz-Edict den romisc/wn Bischofa
Callifit; dans T. u. U. 11 (Leipzig-, 1893). — Depuislors, cette thesc a ete
conipletement ruinee par 31. l'abbe Vacandard, fi. C. />'. annees 1898 et
1899. La valeur sacramentelle do la penitence publique est depuis îoug-
teraps reconnue par la plupart des theologiens catholiques. Voir Suarez,
De paeniienlia, ă. 21, s. 2, n. 9.
PENITENCE. 345
reintegrora au lieu d'oii ils ont eu le maiheur de declioir, et
leur rendra exactement ce qu'ils ont perdu * : Si libi indulgen-
tia Domini accommodat unde restituas quod amiseras, ite-
rato beneficio gratus esto, nedum ampliaLo. On ne saurait diro
plus clairement que la seconde penitence refait l'oeuvre du
bapteme, ruinee par le peche. Des lors qu'on ne songe pas a
contesterla vertu sacramentelle du bapteme, qui justifie l'âme
devant Dieu, ii est logique d'admettre que la seconde peni-
tence justifie aussi devant Dieu, et qu'elle est aussi un sa-
crement. Enfin — la tradition est unanime sur ce point, eu
Orient jusqu'au temps de saint Jean Chrysostome, et plus long-
temps encore en Occident — l'exomologese ne se renouvelait
pas plus que le bapteme ^.
2° Encore plus decisivessontles considerations par lesquelles
Tertullien presse le pecheur en proie a la fausse honte, consi-
derations qu'ilresume ainsi : Lequel vaut mieuxpourvous : en-
fermer en vous-meme le secret de votre condamnation, ou bien
etre acquitte au grand jour •'? Aninalius est damnatuni latere
1. Paen. 7.
2. Nous avons cite (p. 339, n. 5) Ies declarations d'llermas. U serait su-
perflu d'accumuler Ies autorites sur un point aussi clair. Citons Clement
d' Alexandrie, Siro'»?,. 2, 13; Origene, Horn. 15 inLevit., 25; saint Ambroise,
De paenilentia 2, 10; saint Augustin, Ep. 152, 2; 153, 7. — Voir Petau, Do
paenUenliae vaiere in Ecclesia ralione. ap. Migne P. G„ 42, 1027 sq ; Ga-
briel de l'Aubospine, Observaliones 2, 5; Funk, art. nussdiscipUn, K. /,.,
t. 2, p. 15C1 sq ; .M^' Batiffol, Eiudcs d'hisloirc et de theologie positîve,
p. 177 sq.
3. Paen. 10. — Dans son commentaire de ce passage (7'. it. 6". p. 39. 40),
y\. Kolffsreniarque, apresM. Preuschen, que Tertullien ne nientionnc pas
la. sentence d'absolution. Cest vrai, mais ii docvit un jugement, et un ju-
gement n'cst pas complet sans la sentence qui le termine. Si donc uncre-
habilitation exterieure devant l'Eglise, signe et normalement gage de la
rehabilitation intcrieure devant Dieu, n'ost pas mentionnâe cxpressement,
pourtant elle est supposeo. — Avec M. Preuschen, nous ponsons que, au
debut de Paen. 8, Tertullien ne combat pas encore le respect humain,
mais s'attache a detruirc Ies objections de l'esprit avânt colles de la volonte ;
qu'il en veut d'abord â la dcfianeo; le respect humain aura son tour. —
Quant â l'absolution ('piscopale, qu'on ne trouve pas ici, elle apparaît
Pud. 18.
Ce n'est pas ici le Ucu de s'etendre sur la forme de la reconcUiation,
puisque Tertullien n'en parle pas. Sur un point pourtant ii faut recueilliv
son temoignage. D'apres une theorie assez repandue, la rcconciliation
apresexomologcsen'auraitete qu'unc absolution nrealupoenaejepmitcnt
ayant obtenu, des le debut de Texornologese, Fabsolution a reahc ciilpac,
346 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
quam palam absolvi? On ne saurait opposer que des choses de
meme ordre : si donc la condamnation dont ii s'agit est une
condamnation au for inlerieur, racquittement qu'on lui oppose
est aussi un acquittement au for interieur. Or, on en convien-
dra, ii ne peut etre question, pour le coupable, d'enfermer dans
le secret de sa conscience une condamnation au for exterieur,
qui le mettrait au ban de l'Eglise. Donc c'est bien d'une con-
damnation au for interieur que parle Tertullien, donc aussi
d'un acquittement au for interieur, d'un acquittement devant
Dieu : lelle est l'oeuvre du sacrement. Pour qu'elle put s'ac-
complir, ilfallait que le peclieur acceptat, â la face de l'Eglise,
cette procedure humiliante qui le retranchait, pour un temps,
de la communion des fîdeles : le rite exterieur de cette proce-
dure symbolisait sa rehabilitation devant Dieu, comme l'ablu-
par l'impositiou des mains. Cette these est bien etablie pour l'Eglise grec-
quo etpoiu'les tcmps posterieurs âNectaire (Voir deja ilorin, Comraen-
tarius kisloricits de disciplina in adminiUraliune sacramenli paeivUenliae,
Anvers, 1682, 1. 6, c. 24, p. 423). Pour l'Eglise latine, Ies teiiioignages
ne manquent pas non plus a partir de la fin du iv" siecle. (Citons saint
Innocent I, Ep. 6, ad Exnperium Tolosanum, 2; saint Augustin, Ep. 223,
8, ad Jloiioratmn; sRint Leon, Ep. 108, ad 'fheodorum) ; ct nonibre detlieo-
logiens, depuis Amoit, ont affirme quol'absolutiona realu culpao precedait
rirnposition de la peuitence. (Ainsi Wiseman, .S'wr fes docirines de l'Eglise
catholigue. conference 12, sur Ies Indulgences ; ap. Migne, Demonslrations
evangeliques, 15, 1027; E. P. Palmieri, Traclatus depaenitentia,Romo,l879.
Appendix, % 2). Cette maniere de voir se heurte aux textcs de Tertul-
lien, et M. l'abbe Vacandard , qui l'a recomment dofonduc (IHct. IhAoL,
1, 165, 160; 7?. C. /'. t. 16, p.433; t. 21, p. 40), ne dissimule pas cette diffi-
culte. Les penitents dont parle Tertullien portcnt encorc tout le poids
de leurs peches; leur oxomologeso est une probation doulourouse,
non un dernior reglement de compte envcrs la justice divine deja llechic.
Enfin ii prete au pape Calliste ce langage : Ego etmoechiae et fornicaiionis
deticia paemteniia fnnctis dimillo {Pud. 1). Ce paenitentia fiinclis est ti-fes
clair, et on ne nous parle pas d'unc absolution anterieure. On pourrait
neanmoins insister, etdire que ce que Tertullien reproclie â Calliste, c'ost
d'avoir releve ces penitents d'une exomologese qui devait durer autant
que la vie, bien que la faute fut remise. Nous ne'croyons pas que lestextes
se plient â cette intcrpretation, et 11 semble plus naturel d'admettro sur
ce point, comme sur tant d'autres, une evolution de la discipline peui-
tentiello au cours du ui'et du iV" siecle. Peut-etre faut-il la l'airo dater de
saint Cyprien, choz qui on voit(i?p. 18, 1) des lapsi reeonciliesireea;(r«;H(S
par le ministere d'un diacre. Une fois pose le principe d'une reconciliation
purement exterieui'e dans Ies cas urgents ou le pretrc no pouvait pas in-
tervenir el oîi 11 fallait abandonner â Dieu la purification de râme, on con-
coit que l'usage d'une double absolution ait pu s'introduii'e.
PENITENCE.
tion baptismale avait symbollse sa premiere jusiification.
3» Le De paenitentia ne precise pas Ies conditions de la re-
mission des peches; le De pudicitia ost plus explicite. II faut
puiser avec precaution a cette dernicre source, car tandis que
le De paenitentia traduit une pcnsee ortliodoxe, le De pudicitia
s'inspire d'vm niontanisme violent. Toutefois, dans la question
presente, le temoignage de Tertullien montaniste n'a que plus
de valeur. Car ii s'eleve contre Ies pretenlions du pontil'e ro-
main et de Tepiscopat en general ; Ies aveux qui lui cchappe-
ront sur Ies prerogatives des eveques ne seront donc pas
suspects do partialite. Or on y lit prccisement ' : Qnod si cle-
mentia Dei ignorantibas adhuc et infldelibus competit, utique
et paenitentia ad se clemcntiam invitat, salva illa paeniten-
tiae specie post fidem, quae aut levioribus delictis veniam ah
episcopo consequi poterit, aut majorihus et irremissibilihus a
Deo solo. Ce texte concerne la seconde penitence, et ii re-
connaît â l'eveque le pouvoir de pardonner, moyennant peni-
tence, certaines fautes ^, en meme temps qu'il reserve d'autres
fautes plus graves au jugement de Dieu. Sa valeur historique
est irrecusable : Tertullien temoigne ici de l'etatde choses qu'il
a connu avânt sa rupture avec l'Eglise ; ii a vu fonctionner le
tribunal episcopal pour la remission des peches, et le rappro-
chement qu'il etablit entre Ies sentences de l'eveque et celles
de Dieu prouve que l'eveque, tout comme Dieu, pronongait au
for interieur : autrement quelle raison de distinguer deux ca-
tegories de peches? II reserve Ies uns au jugement de Dieu, et
le montanisme n'est pas pour rion dans cette reserve •' ; mais il
a commence par deferer Ies autres au jugement sacramentel,
et lâ on a entendu le theologien orthodoxe. Peu importent Ies
dementis que, dans sa revolte contre la hierarchie catholique,
il se donne â lui-meme quelques pages plus bas : nous avons
rencontre chez Tertullien le pouvoir des clei's, fonctionnant au
1. Pud A?,.
2. Ce pouvoii- ponitentiel (l« l'eveque. est aussi attcste par Ies (Canonii
iVHlppotyle, 'ă, 17 (Priores de la consecration episcopale) : Tribue ctiam
illi, o Domine, episcopatum ct spiritiim c\amcMcm elpotcslal,ema.d remit-
lenda peccala.
o. Voir ci-(lessus, e. VI, g 4, p. 275.
348 THIÎOI.OGIE DE TEliTULLIEN.
for de la conscience. II na pas eu occasion de s'en expliquer
dans sas traites ortliodoxes, mais ii y croyait, et ii s'en est
souvenu plus d'une fois dans ses ecrits montanistes ^
En rosume, l'administratioa du sacrement de penitence,
selon la discipline africaine autemps de Tertullien, comprenait'
trois phases ^ : la premiere, secrete : c'etait comme l'instruc-
tion preparatoire au jugement sacramentel : elle consistait
dans une confession privee, faite â l'eveque. Les deux autres,
publiques : d'abord Texornologcsc, satisfaction exterieure et
protestation de repentir devant Dieu et devant l'Eglise : puis la
sentence episcopale, qui, en mettant fin â la penitence publi-
que, reconciliait k Dieu le penitent bien dispose; obtenant ainsi
son plein effet au for interieur en meme temps qu'au for ex-
terieur.
Assurement, Tertullien nous laisse ignorer bien des clioses.
Par exemple, ii ne fait pas meme allusion ă la facilite relative
de la reconciliation des peiiitents in extremis, et pourtant on
ne peut guere douter que, des lors, l'Eglise ne se relâchât en
pareil cas de sa severite. II cn etait ainsi du temps de saint
1. Ainsi Scorp. 10 : Etsi adhuc clausum putas caelum, memento claves
ejus hic Dominum l^ctro et per cum Ecciesiae reliquisse, quas tiio unus-
quisque interrogatus atque confessus foret socum.
2. Nous arrivons sensiblement aux memes conclusions que M"' I5atiffol
(Etudes d'hisloire et de theoloyie pozitive, Paris, 1902), envers qui nous
sommes heureux de reconnaître nos dcttes. Signalons un scul mot que
nous ne comprenons pas bien, p. 78; ii s'agit de Vexomologese : « proba-
tion publique, qui est tout ensemblc une satisfaction otiforte â Dieu de-
vant l'Eglise par le pecheur, et une supplication adressee â Dieu par
l'Kgliso pour le pecheur. Cette supplication est supposee efflcaco, et par
la Tei'tullien pressent sa verlu sacfamenlelle ». Qu'est-ce â dire? Qu'en ecri-
vant h\ Depaenitentia, Tertullien a expririu! tout ce qu'il sa vait alors de Ia
rcmission des peches, et que les futures donnees du De pudicilla n'etaient
cncore dans soa esprit qu'â l'etat de pressentimont? Non, car un tel pro-
gres dans sa connaissance supposerait dans Ia discipline ecclcsiastiquo
une cvolution incroyable. Le sacrement de penitence etait d'orcs et deja
bien forme dans l'flglise. Mais le lecteur de Tertullien, rcduit au seul
trăite De paenitentia, ne pourrait que pressentir des eclaircissemeiits qu'on
Iui fournira plus tard. Nous osi)crons avoir interprete correctement Ia
pensee du docte prelat. II va sans dire que les ecrits d'une epoque, sur-
lout quand cette epoque a laisse peu de chose, ne livrent pas sur elle le
dernier mot, et nul n'applique avec cette rigueur Ies principes de Ia me-
thode historique.
PENITENCB.
349
Cyprien ', et un canon deNicee - qualifie cette coutume de loi
ancienne et canonique. Mais a nous en tenir a ses ecrits con-
serves, nous pensons avoir indique fidelemcnt Ies grandes
lignes do la discipline penitentielle ^.
Reste unc question tres grave : quelle situation cette dis-
cipline faisait-elle, soit au chretien que des fautes particuliere-
ment inexpiables excluaient des pardons do l'Eglise, soit au
chretien relaps, qui, ayantdejâ use de Vexoinologesis, ne pou-
vait plus y rccourir une seconde fois? A cette question,
Tertullien fournit une multiple reponse.
Toutd'abord, ii ne pretend pas que l'exclusion de la commu-
nion ecclesiastique soit, pour qui meurt dans cet dtat, un gagc
certain de damnation etcrnelle. Dans l'Apologelique, parlant
des excommunies, ii indique bienquela senlence dont ils sont
frappes aux yeux des hommes constitue une redoutablc pre-
1. Saint Cyprien, E/>. 8, 3; 55, 13; ih. :'>(), 8 (Novatien).
2. Canons do Xicee, 13. (Mansi, t. 2, p. 673.) Cf. d'aillours sur ce point
Donys d'Alfxandric, Ep. ă Conon, ap. Pitra, Jus eccles. Graecurum, t. 1,
p. 516, 11. 2; Potau (retractam son ancienne severite; dans : De paenitentia
et reconcilialione veteris Ecclesiae moribiis recepta: diatriba in Synesium.
(Reproduit avee Ies Dogmata Iheologica, ed. Paris 1867, t. 8, p. 443 sq.).
3. Voir Petau, De paenilentiae vetere in Ecclesia ratione (1622), P. G. 42.
p. 1027 sq. — Gabrleldo l'Aubespine, De veleribus Ecclesiae rilibus Obser-
vationurn libri 1 1 (l&^ : ed. 3% Uelmstadii, 1672), 2, 5. — Sirmond, Historia
paenitentiae publicae (1651), Opp-, ed. Paris. 1696, t.4, p. 476 sq., c. 1-2. —
A. BoudinhoM, Sur l'hisitoire de lapenitence, ăpropos d'un ouvrage recent
(H. C. Lea\ dans H. H. L. Ii., t. 2 (1807), p. 306 sq; 496 sq. (Incomplet sur
Poriginc de laconfession). — E. Vacandard, Le pouvoir des clcfs et la con-
fession sacrarnentelle, dans R. C. F. t. 14 (1898), p. 192 sq; p. 399; t. 15,
p. 195; t.16, p. 5;p.421; t. 17 (1899), p. 385; t. 18, p. 142; t. 19, p. 337. (Ac-
cordo beaucoup, â la suite de Funk, â la confession publique. Ce point a
ete releve par le H. P. Harent, Efudes religieuses, t. 80 (1899), p. 577 sq.);
La discipline penilenlicUe dans râglîse primitive, dans li.C. F. t. 20(1899),
p. 566; t. 21, p. 28; du mâmc : Absolulion, au lemps des Peres, dans Dict.
theol. 1, 145-161. — Funk, art. Bussdisciplin, dans le Kirchenlexicon de Fri-
bourg-, t. 2, 1561 sq. (la 1" pârtie traduite par l'abbe Vacandard, R. C. F. 1. 14,
p. 195-207) ; le meme. Zur altchristlichen Bussdisciplin, dans : Kirchenge-
sckichlliche Abhandlungenund 6'ntersuc/Mm,9'en(Paderborn, 1897), l,6,p.i55
sq. (Nous parait exagerer Ia difficulte de Ia reconciliation devant l'Eglise).
— ll.-B. Swete, Penitential discipline in the three firsl centuries dans
/. T. S. voi. 4 (avril 1903), p. 321-337. — P. Pelle, Le tribunal do la peni-
tence devant la theolog ie etl'histoire (Piiris, 1903, in-8). L'auteur se livre a
une vaste onquetc sur l'Iiistoire de la penitonce ; parfois ii semblerait vou-
loir tirer de principos dogmatiques des conclusions qui n'y sont pas sti-
rement renfcrmecs (notamment p. 87).
350 THROLOGIE DE TERTCLUEX.
somption du jugement divin ^ ; mais ii ne va pas plus loin, et
donc suppose que lout espoir n'est pas perdu. Meme aux heures
de sa plus grande severite, ii ne consent pas â damner sans re-
mission le peclieur pour qui TEglise n'a plus de pardon. Si
TEglise ne peut rien pour lui, elle ne l'abandonne pourtant pas
au desespoir : elle l'engage â perseverer dans la penitence ; par
la, ii a chance de llechirDieu, toujours maître de son pardon^^.
En second lieu, ii reste ă ce pecheur la chance du bapteme
de sang, c'est-ă-dire d'une confession hei'Oique, lui ouvrant le
ciel pour prix de sa vie. Tertullien n'a jamais varie non plus sur
cette valeur cxpiatricc du martyro ^. Mais c'etait la une chance
rare, et qui peut-etre tentait peu d'ambitions.
Enfin, â del'aut d'une confession personnelle, ii resle le re-
cours â l'intercession des confesseurs de la foi : l'Eglise en
tenait grand compte, soit pour accorder, soit pour abreger la
penitence canonique. Tertullien a fait deux fois allusion â cet
usage : d'abord au debut, puis tout ii la fin de sa carriere. Ces
allusions ont donne lieu â des commentaires tres divergents : ii
faut s'efforcer de Ies presenter dans leur teneur objective, sans
y rien ajouter ni retrancher.
La premiere allusion se trouve dans l'exhortation aux mar-
tyrs '' : Pacem quidam in Ecclesia non habentes a martyrihus
in carcere exarare consueverunt. Cest la constatation d'un
usage existant : on voit des pecheurs, non enpaix avec l'Eglise,
recourir aux martyrs pour obtenir leur reconciliation. Tertul-
lien n'y trouve pas k redire.
La deuxiome allusion, beaucoup plus longue, appartient au
Depudicitia : elle doit etre acceptee sous benefice d'inventaire,
car c'est la parole d'un ennemi. Tertullien attaque l'eveque de
1. Ap. o'J ; Summum luturi jucUcii pniojudicium est, si quis ita deliquo- ■
rit ut a communicatione orationis et converitus et omnis sancti com-
mcrcii relegetur. ^
2. Pud. 3 : Frustra ag(itur paeniteiitia si cai'et vcnla. Omnis autem pac-
nitentia agenda est... Quantum enim ad illos a quibus pacem humanam
consequitur, frustra agitur; quantum autem ad nos, qui solum Dominum
mominimus delicta conccdore, et utiquc mortalia, non frustra agetur...
Etsi pacem hic non metit, apud Dominum sominat.
3. Voir ci-dessus, % 4, p. 330 ; c. VIII, g 6, p. 431.
4. Mari. 1.
PEXITENCE.
351
Rome, qui pretend remettre des peclies jusquc-lâ reserves a
Dieu. II poursuit ' : Et voici que vous livrez ce merne pouvoir a
vos martyrs. A peine quelqu'un d'entre cux a-t-il, gi*âce a des
geoliers complaisants, revetu de benignes chaînes, aussitot
afJluent Ies adulteres, Ies debauches ; c'est un concert de prieres,
un deluge de larmes, de la part de gens tares; Ies plus em-
presses â payer, pour se faire ouvrir la prison, sont ceux qui ne
pouvent plus paraître â l'eglise. Les pires attentats se com-
mettcnt sur ceshommes, sur ces femmes: les tenebres encou-
ragent le desordro, ct ceux dont on vient implorer la protection
courent grand danger de se perdre. D'autres se font envoyer
aux mines, et en reviennent reconeilies : cependant pour ef-
i'acer les souilluros de ce pretendu martyre, ii cn l'audrait uu
vrai... Et quand vit-on les martyrs, quand vit-on les Apotres
eux-memes disposer de ce qui n'appartient qu'ă Dieu? Qu'il
sufBse au martyr d'expier ses propres peches! Le Christ seul
expie par sa mort les peches d'autrui.
On remarquera le changement qui s'est fait dans l'esprit de
Tertullicn. Toutes les rumeurs malveillantes que FApologe-
lique repoussait avec indignation, le De pudicitia — comme
aussi le De jejunio — ■ les relance ă la face des catlioliques.
Leurs prisons ne sont plus ces retraites oii I'Esprit-Saint cn-
trait avec les benis martyrs, mais le repairc de la debauche.
Quant au reproche qu'il adresse ă l'eveque de Rome : At tu
jam et in martyras tuos effundis liane potestatem, ii prouvc,
selon nous, deux choses : 1° Que le pouvoir des martyrs en
matiere penitentielle avait ote jusque lâ contcnu dans de justes
bornes; 2° Que ce pouvoir ne s'exergait pas independamment
de l'evâque. La premiere proposition ne soulevera guere
d'objcctions; la seconde a ete souvent contestcc, ce qui nous
oblige â y insister quelque peu. L'interet qui s'attachc â cette
question ne peut echapper â personne : ii s'agit de l'originc
des indulgences-.
1. Pud. 22.
2. Bl. Lea {Auricular confession and indulgences, t. 3, ]). 5. n. 3) a ci'u
trouver ici la trace d'un trafic d'indulgcnces : Tertulliaii even says tliat
nien had tlicmselves imprisoned in order to .sell Uhelli to adulterers and
sinners. Deja Oehlcr avait signale Ie trafic, M. Lea y ajoute les libelli. Je
352 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
L'intercession des confesseurs de la foi, aupres de Dieu,
pour leurs freres tombes, n'etait pas chose nouvelle : sous
Marc Aurele, l'Eglise de Lyon avait presente ce spectacle, et
plus d'un renegat avait du aux prieres et aux exhortations
d'un confesseur son retour au chemin du devoir. Empruntons
ici la traduction de M''' Batifîol^
« Grâce aux martyrs, la misericorde du Christ se manifesta :
Ies morts furent vivifîes par Ies vivants, Ies martyrs furent la
grâce des l'aibles : grande fut la joie de la vierge mere (qui
est l'Eglise), en recouvrant vivants ceux qu'elle avait mis au
monde morts. Grâce aux martyrs, en effet, la plupart des
apostats rentraient dans le sein maternei.., reprenaient vie et
reapprenaient ă conl'esser leur foi... Dieu ies ranimait, qui ne
veut point la mort du pecheur, mais qui Taide a se convertir. »
M''' Batifîol continue- : « Cela revient k dire que le martyr,
sacre par TEsprit, disposait d'un pouvoir cxtraordinaire d'inter-
cession aupres de Dieu, pouvoir auquel Ies l'aibles recouraient
pour s'exempter de la procedure de l'exomologese. » Que l'e-
minent historien nous pardonne de ne pas Ic suivre dans ce
commentaire. A'ous ne saurions apercevoir tant de choses dans
la lettre lyonnaise. Nous y voyons bien que des chretiens jus-
que-lă faibles reprirent courage pour confesser leur foi. Mais
cela n'impliquc aucunc allusion â la discipline penitentielle.
Nous ne voyons pas davantage cctte allusion dans Ies textesque
Ms"' Batiffol cite en note^, et que nous reproduirons apres lui :
Mi/ov^o xaGaTcep 2lT£cp«vo? 5 xeXeioc; (AapT'jţ' Kupte, urţ CTTViafiţ auToTţ
T7;v aţiOcpTiav TauTr]v... -KokXa irepl auxolv IjcjrEovtEţ Soixpua irpbţ xbv
llaTEpa, ^oirjv ■^TvjtjavTO, xai ISioxEV auToIţ 7)v xai (J'jv£u.£o((7«vto TOÎţ
■jrXvi'Tt'ov .
ue sais si Taccusation ost fondi;o;lc toxic de TertuUien — ou deRigault,
car c'est â Rigault qu'on doit la conjcctnro : denariis supplex — ine pa-
rait s'entcndro mieux autrcmcnt. Les mots ; Quis marlyr saecuH incola?
denariis sufplex'^ medico obnoxius et feneraloril viscnt le mcmo confes-
seur qui s'est fait mettre en prison pour do l'argent. II }' a bicn ici un
commercc : c'est celui qu'exercent les geoliers. Quant ă celui dont on
soupconne les confesseurs, la preuve no semble pas faite. — Onpeut voir
dans Migne ce que Rigault lui-menio pense de sa propre conjecture.
1. Euscbe, H. E.b, 1, 45. -16., ap. Batiffol, p. 88.
2. M. p. 89.
3. 'I'extes tires d'Eusebe, ff. E. 5, 2. 5. 7.
PEXrXENCE.
353
Si l'on concluait de ce texte que la priere des confesseurs
remettait par clle-meme le peche de leurs freres tombes, ii
i'audrait en conclure au meme titre que la priere de saint
Etienne remettait le peche de ses bourreaux, ce qui ne peut
venir ă l'idee de personne. Nous voyons ici seulement qu'â la
priere des confesseurs Dieu accorda une grâce surabondante,
que Ies renegats y eurent part, et que plusieurs se converti-
rent. Quant aux circonstances de leur reconciliation, avouons
qu'elles nous echappcnt entierement.
Revenons ă Tertullien, et essayons de preciser le sens et
la portee de cette intervention des martyrs, qu'il reprouve, et
que l'eveque de Rome aurait autorisee. M. Rolffs ' a propose
— • d'ailleurs timidement — de reconstruire ainsi Ies mots
essentiels de l'edit pontifical incrimine par Tertullien : Ego et
mcechiae et fornicationis delicta paenitentia functis dimitto...
si veniam a martyre acceperint. M^"^ Batifîol- juge cette re-
construction invraisemblable, et nous doutons comme lui que
le programme pontifical ait pu revetir cette forme trancliante
ct presque scandaleuse. Au contraire, nous accepterions vo-
lontiers cette meme plirase comme resume liistorique de la
ligne do conduite effcctivement suivie par l'eveque de Rome.
De fait, que lisons-nous chez Tertullien? Que certains pe-
clieurs s'arrangeaient pour passer quelque temps aux mines,
et qu'â leur retour ils se vantaient d'avoir reconquis leur place
dans l'Eglise : înde comtnunicatoies revertuntur ; qu'un mar-
tyr, â raison de son union morale avec le Christ, passait pour
investi d'un pouvoir special de pardonncr en son nom : Si
propterea Christus in martyre est ut moechos et fornicatores
rnartyr ahsolvat. Pour oser fonder sur de telles assertions
des conclusions dogmatiques, nous voudrions Ies rencontrer
ailleurs, et sous la plume d'un autre ecrivain. Mais ă la der-
niere page du pamplet le plus violent de Tertullien, melees
aux outrages Ies plus sanglants contre Ies cattioliques, elles
nous paraissent d'un caractere trop evidemment oratoire pour
donner prise ă une discussion serieuse. Relenons que de soi-
1. Ofi. cit. p. 111. 116.
2. Etvdes d'hisloire el de theologie posiHve, p. 101.
TIIEOLOGIE IlF. TERTIIXIEN. ■)3
354 THEOLCXMi; de tehtullien.
disant confesseurs, au retour des mines. le prenaient d'assez
liaut avec l'ev^quo; quc Ies chretiens tombes cn appelaient,
parfois imprudemment, ă I'interccssion des martyrs ; que l'e-
veque de Rome s'etait montre dispose ă en tenir grand compte
dans la reconciliation des penitents. Nous ne saurions aller
plus loin ^ .
Au milieu du lu"^ siecle, la question do l'intercession des
martyrs allait redevenir tres actuelle, et le souvenir des luttes
engagees sous le pontificat de Calliste demeurait trop vivant
â Rome et ă Carthage pour qu'on n'en doive pas retrouver la
trace dans la correspondance de saint Cypriea. Tout en re-
connaissant qu'il ne faut pas vouloir apprendre de cet illustre
eveque tout ce qui se passait au temps de Tertullien, on ne
peut admettre qu'il ait ignore une fluctuation importante qui
se serait produito dans la discipline, k une date si recente.
Or cette correspondance nous montr<; le confcssour Lucianus
pressc d'intervenir en faveur de quelques lapsi; on Io prie
d'obtenir des autres confesseurs, ut laie peccalum reinittant'^ .
Sa reponse ne sera qu'une lettre de rocommandation^ : Peto
lU... exposita causa apud episcopum et facta exomologesi
habeant pacem. II est vrai que d'autres confesseurs y met-
taient moins de formes, et adressaient â l'eveque des mandats
imperatifs, valables pour un nombre indetermine de personnes '■ .
Mais celui-ci ne manque pas de souligner dans sa reponse
l'incorrection du procede, auquel ii oppose un refus categ-o-
rique'' : Audio enim quihusdam in libellos fieri ut dicatur :
« Communicet iile cum suiş »; quod numquam omnino a
mariyrihus factum est, ut incerta et caeca petitio invidiam
nohis postmodum cumulet. Donc saint Cypricn considere la
lettre des martyrs comme une simple petitio; et cependant ii
la declare innacceptable dans sa forme, et contraire â tous Ies
precedents. Sous la plume du primat de Carthage, si verse
1. Voir los judicieiises conclusions de ;M. Fiink, Kirchengeschichlliche
Abhnndlungen, t. 1, p. 181.
i. Saint Cypi-ien, Ep. 21, 3.
3. Ib. 22, '■>.
4. Ib. 23, etc.
b. Ib. 15, 4; cf. 27.
EucHAiiisTiii. 355
dans Ia locture de Tertullien, ot si au fait de la tradition locale
ou romaine, cette reponse peut paraître decisive : Nunquam
omnino factum est. Saint Cyprien ne pensait pas lâ-dessus
auLrement que saint Irenee. Or Ie clcrge de Rome, par Ia
plume de Novatien, lui donna une approbation entiere*.
Rappelons brievement Ies resultats de cette enquete sur Ia
discipline primitive du sacrement de penitence, en Occident.
II existe une penitence sacramentelle, comportant une con-
fession privee, une expiation publique et une reconciliation
cgalement publique. Cette reconciliation, dont l'eveque est Ie
ministre, vaut ă la fois au for intorieur et au for exterieur la
paix avec FEglise etant normalement Ie signe de Ia paix avec
Dieu. Nous n'avons pas rencontrtî l'attestation d'une penitence
sacramentelle totalement privee, et I'existence d'une telle pe-
nitence, ă cette epoque lointaine, paraît difficilement conciliable
avec Ies declaratioHS expresses de Tertullien. qui n'admet
pour le peclieur tombe apres le bapteme, d'autre voie de salut
que I'exomologese publique 2. Sont exceptes des pardons de
liglise Ies peches des chretiens relaps; peut-etre aussi cer-
tams pechosparticulierement graves^. A defaut de pardons de
1 Eghse le recours direct â la misericorde divine demeure
ouvert. Le martyre lave tous Ies peches. L'intercession des
martyrs est dune grande valeur deprecative devant Dieu et
1 bghse admet que, sous certaines conditions dont I'eveaue
demeure juge, leurs merites peuvent etre attribues aux pe-
cheurs, pour ouvrir ou abreger a ceux-ci la penitence cano-
n.que. Dans cette communication des merites. nous avons re
connu 1 origme des indulgences.
EUCHARISTIIi.
La foi de Tertullien k Ia presence reelle de Jesus-Clirist
1 . Saint Cypi-ien, Ep. 30.
■>. Paen. 7 : Piget secimdae, iînmo jam ultimae snpi ^„i.fn,
nom. _ Ce qui suit se rapporte e.xclisiven.ent â a ^e.S ncH^hr""""
3. Ce point n'apparaît pas dans le De paemtenUa mnlllTT^ Pubhque.
le /;. pudicitia; ii se presente donc sous le auspi^es d , ""f * ''^"^
^ous devrons l'examiner de plus preş dans not.rde'.nie.. chapter'"''-
350 THEOLOCIE CE TEIiTULLIEX,
dans l'Eucharistie a ete niee par Ies calvinistes, ct de fait on
rencontre dans ses ecrits plusieurs expressions obscures, qui
donnent prise â l'objection. Mais si Ton a egard ă Tenscmble
de sa doctrine, ii n'est aucune de ces expressions qui ne puisse
et ne doive s'entendre conl'ormcment â la tradition calholique ' .
Nous allons examiner Ies textes Ies plus importants; on peut
Ies repartir en deux serics :
1° Allusions â l'institution de l'Eucharistie.
2° Allusions a la celebration et a la manducation de l'Eucha-
ristie.
1" Allusions ă rinstilution de VEuchaviatie.
1 M . 14 ; Pancni, qiio ipsum corpus suum repraesental.
Le mot repraesentare est par lui-meme susceptible d'une
acception figuree; mais, eomme l'observait deja Bellarmin"-^
contre Ies protestants, Facception reelle est fort latine, et frc-
C[uente chez Tertullien. Comme ii n'existe pas de lexique
complet de notre theologien, on nous saura gre, en matiere
si importante, de prodiiire ici tous Ies exemples du verbe re-
praesentare, et de ses derives, qui existent, â nolre connais-
sance, dans ses oeuvres^. En dressant cette liste, nous avons
ete surpris de voir Io sens reel s'affirmer avec tant d'eclat.
1 N. 12 : Pallaş AUica ot Gtcs l'iiaria, qiiac sine forma rudi palo m solo
staticulo lisiii iiifonnis repraosontatiir. — Ib. IG : Rejiraesentatur iis tola
1. Voir Bellannin, De sacrameiUu Exicharisliae 1. 2, c. 7. — du Pci-roii,
Trăite du sacremenl de l'Eucharistie (Pai-is, 1620). — (Arnauld ct Nicolc),
Perpeluile de la foy de l'Eţ/lise calholique louchant rEiicharisfie, deffendue
contre le livre da sieur Claude, ministre de Charenlon, t. 2 (Paris, 1672);
t.3(1674). — DoUinger, Die Lehre der Eucharislie in den drei ersten Jakrhun-
ierten (JIainz, 1826). — Franzelin, Tractatus de SS. Eucharisliae sacra-
mento et sacrificio (V ed., Home, 1887), thcsc 10. — J. Ilattericli, Der
Ă'onsekrationsmomenl in heiligen Abendmahl (Heidclbcrg, 1896). — F. S.
Rcnz. Die Geschichte des Messopfershet/ri/l's, t. 1 (Frcising, 1901), p. 209-
219. ■
2. Bellai'inin, De sacramenlo Eucharistiae, 2. 7.
3. Plusieui-s de ces exemples ont deja ete cites par Ic Rov. II. B. Swete,
Eucharislie belief in Ihe second and third centuries, dans J. T. S. voi. 3
(janv. 1902) p. 161-177. — Anterieurcment, un auteur luthorien, M. C, L.
Leimbach, avait donnc unc statistiquo âlafiuelle nous sommestres rcde-
vablo, ct qiii n'a presque pas besoin (YbtTn tiom])\(it(iQ[Beitr(lţjezur Abend-
mahlslehro Terliillians; Gotha, 1871).
EUCHAIiISTIE.
357
caussa. — 2 .V. 10 : Ferunt aedituum ojus soliim l'orte in aodc calculis Iii-
<lentem, ut sibi collusorom, qucm noii habebat, ropracsentaret, una nianu
Hcrculis nomine, alia cx sua persona lusum inisse. — Ap. 15 : Corpus
impurum et ad istam artem effeminationcproductumMirnu'vam aliquani
voi Ilerculem repraesentat. — Ib. 10 : Si id colebatur quod aliqiia effigio
rcpraesentabatur. — Ib. 17 : (Deus) inyisibilis est, ctsi videatur; incompre-
lionsibilis, etsi per gratiam repraescntetur. ~ Ib. 48 : Neeessario idem ipse,
qui fuerat. exhibobitur, ut boni seu contrarii meriţi judicium a Dec re-
lerat. Idcoquc repraesentabuntur et corpora. — Sp. 17 : Spurcitiam...
iiiinius ctiam per muliercs repraesentat. — Ib. oO : Haec jam quodammodo
habemus per fldem spiritu imaginante repraosentata. — Pr. 36 : Ijittorae
antUenticae apostolorum recitantur, sonantos -i-ocem et repraesentantcs
l'aclem uniuscujusque. — B. 16 : Hic est baptismus (sanguinis), qui lava-
criiin et non acceptum repraesentat et perdilum roddit. — Pat. 3 : Xon
illi saltem civitati, quae illum rcciperc noluei-at, iratu.s est, cum etiam
discipuU tamcontumeliosooppido caelestos ignes repraesentari volulssent.
— Paen. 3 : Dominus... adulterum non oum soluin definit qui cominus in
alienum matrimoniuin cecidissot, vorum etiam illum qui aspectus concu-
jiiscentia contaminasset : adeo quod proliibetur administrare, satis peri-
culosc aniinus sibi repraesentat et temere per voUintatem expungit effce-
tum. — /. 13 : Exquo intellexerunt quodHoliaespiritusinouni (Hclisaoum)
sit repracsentatus. — 1 M. 6 : Defigimus... Christuni Creatoris pronuntian-
dum; si administravorit dispositiones ejus... si repraesentaverit promis-
siones ejus. '— Ib. 9 ; lloc opponit Marcion, Ilelisaeum quidem materia
eguisse, aquam adliibuisse, et eam scpties, Chrisltim vero verbo solo, et
hoc seniol, functiim, curationeni statini repraesontasse. " — Ib. 12 : Hic
specialis medicinae prophetiam repraesentat. — Ib. 22 : Itaque jam
repraesentans eiim : Hic cstFilius ineus; utique subauditur, quem repro-
misi. — Ib. 23 : Repraesentat Creator ignium plagam llelia postulante. —
Ib. 24 : Christus statiin se illum repraesentaro gostivit quem demonstravc-
rat per Esalam. — Val. 2G : In hoc et Sotcrem animalinn in mundo rcprae-
scntatum. — An.2'> : Spero hujusmodi haereticos Heliac; quoque invadere
exempUim, tanquam in Joanno sic repraesentat! ut metempsycbosi pa-
trocineturpronunliatio Domini. — Ib. 57: In rcsurrectionis oxemplis, cum
Dei virlus sive per prophetas sive per Christuni sive per apostolos, in cor-
poraanimas repraesentat. — //. 2 : Christo... servabatur omnia retro... prae-
dicata rcpraesentare. — /*. 17 : Simplicior quisquefautorsontontiac nostrac
putabit carnem ctiam idcirco repraesentandam csse judicio, quia aliter
anima non căpiat passionem tormenti seu refrigerii. — Ib. 63 : Ut rursus
ox illa (carne) repraesentetur Adam. ^ Idol. 1 : Post alia criniina tam
(>xitiosa, tam devoraloria sakitis... in idolo'.atria condicionem suam it-
praesentant. — Prax. 11 : Psalmi Cliiastum ad Deum verba facicntem
repraesentant. — Monog. 10 : Habet secum animi licontiam, qui omnia
hornini, quac, non habet, iniaginario fructu repraesentat. — Jej. 13 : Si
et ista sollemnia, quibus tune praesens patrocinatus est sermo, nos quo-
que in divcrsis provinciis fungimur in spiritu invicom repraesentati, Jcx
358 TIIEOLOGIE DE TERTULLIEN.
est sacramenti. — Pud. 6 : Ilabemus quidcm et nos ejusdem vetustatis
cxempla pro sententia nostra. nou modo non indulti, verum etiam rc-
praesentati judicii fomioationis. — Ih.W : Nemo sanctus aute Spiritum
Sanctum de caelo repraescntatum, ipsiusdisciplinae determinatorem.
Ces divers exemples peuvent se grouper sous trois chefs :
1° A.cce^iion phy si que : presence reelle; accomplissement
(d'une proptietie); execution (d'une promesse); avenement dti
Christ : Ap. 48 ; Pat. 3 ; /. 13 : 4 M. 6. 9. 12. 22. 23. 24 ; Val. 26;
A/l. 57; R. 2. 17. 63: Pud. 6. 11 : en tout 16 exemples.
' 2" Acception mentale (attenuation du sens precedent) : repre-
sentation imaginative ou intellectuelle: 1 7V. 16; Sp. 30 ;Pr. 36;
Paen. 3: Monog. 10; Jej. 13 : en tout 6 exemples.
3° Acception «lorafo : roprescntation juridique, iconographi-
que ou sceniquc : 1 iV. 12; 2 iV. 10; Ap. 15. 16. 17; Sp. 17;
B. 16; An. 35; Idol. 1; Prax. 11 : 10 exemples.
Completons cette statistique en nous attacliant aux autres
mots de memo racine :
Ap. 23 : De contacta deque afflatu nostro contcinplationc et repraeson-
tationc ignis illius correpti (daemones) etiam de corporibus nostro imperio
exccdunt inviţi et dolentes. — Or. 5 : Ad Dei voluntatem et ad nostram
suspensionem pertinet regni dominici repraesentatio. — /. 14 : Altor vero
(hircus) pro delictis oblatus et sacerdotibus tantnm templi in pabiilum
datus, secimdae rcpraesontationis argumenta signabat, qua delictis oni-
nibus expiaţi sacerdotes templi spiritalis, i. c. Ecclesiae, domiiiicae gratiae
quasi viscerationo quadam fruerentur, jejnnantibus cetei'is a salute. —
3 M. 7 : â pcu preş identiquc au precedent. — Ib. 10 : Si Creator mcus per
rubum quoque et ignem, idem postea per nubem et globuin cum hominc
congressus est, et elementorum corporibus in repraesentationibus sul usus
est, satis liaec oxempla divinae polestatis ostendunt Deum non eguisso.
aut falsae aut verae cai'nis paratura. — Ih. 24: Ut etiam effigiem civitatis
anto repracsentationcm ejus conspectul futuram in signum praedicarit. —
4 M. 10 : Cum redintegratione monibrorum, virium quoque repraesenta-
tioncm pollicebatur. — Ih. 13 : llabes nominisrepraesontationem,... habes
Christiim prophetarum. — Ib. 16 : Facilius enim vim comprimi scit rc-
pracsentatione talionis quam repromissione ultionis. — Ib. 25 : Quae au-
tem fuisset felicitas eorum qui tune videbant quae alii merito vidisse non
poterant, si non erant consecuti repraescntationem eorum quae nunquam
praedicarant. — 5 M. 12 : Tribunal autem nominando ot dispunctionem
boni ac mali operis, utriusque sententiae judicom ostcndit et corporuiu
omnium repraescntationem conlirmavit. — li. 14 : Plenitudinem perfcc-
tionomque judicii non nisi detotius honiinis rcpraescntationo constare
EUCHAIiISTIE.
359
totuiu porro hominom ex utriusque substantiae concretione părere, idcir-
coqiie in utraque exhibendiim quom totuna oporteat judicari. — Ib. 17 :
Dedi igitur adversari© dicere : Ergo quae habct corpuicntiam propriam,
do suo sufficiet ad facultatom passionis et sensus, ut non cgeat repraesen-
tatioue carnis. — Ib. 22 : In agnitione sacramenti fruticat, sed in Domini
repraesentatione floi'escit atque frugcscit. — Ib. 23 : Contemplaţie est
spei in hoc spatio per tidem, non repraescntatio, nec possessio sed exspec-
tatio. — Cor. 15 : Si talos iniagines in visione, quales veritates in reprae-
sentatione? — I'rax. 24 : Suggiilatur Patrem videre desiderans quasi visi-
bilem, ot insti'uitur visibilern eum in Filio fieri cx virtutibus, non ex personae
repraesentatione... Igitur et manifestam facit duarum personarum oonjunc-
tionem, ne Pater scorsum quasi visibilis in conspectu desiderarctur, et ut
Filius repi-aesentator Patris baboretur. — Jcj. 13 : Aguntur... per Graecias
illa certis in locis concilia cx universis ccclesiis, per quaealtiora quaeque
in commune tractantur et ipsa rcpraeseutatio totius nominis christiani
magna veneratione celebratur. — Pud. 14: Certumque est exinde increpi-
tum quidcm sub intcntatione virgae tremuissc, damnatum vero sub rc-
l)raesentatioiie pocnae pcriisse; statim iile tunens plagam abiit, iile luens
poenam.
Appartiennent â racception physique, presque toiis Ies
exemples de repraesentatio : Or. 5 ; /. 14; 3 M. 7. 10. 24; 4
M. 10. 13. 16. 25; 5 M. 12; R. 14. 17. 22. 23; Cor. 15;
Prax. 24; Pud. 14 : en lout 17.
ATacceplion mentale, un seul : Ap. 23.
A l'acception morale, un seul : Jej. 13, avec Funique exemple
de repraesentator, Prax. 24.
En additionnant ces restiltats, nous trouvons fjue, sur 52
exemples de mots de cette familie, 33 presenlent racception
physique; 7 l'acception mentale; 12 Tacception morale. L'ac-
ception physique domine dono de beaucoup; et, cliose tres s;-
gnificative, elle domine particulierement dans Ies ecrits de la
deraiere periode, tcls que l'Antimarcion. L'acception morale
— la seule ouTon puisse voir un symbolisme —ne se presonte
pas meme unc fois sur qiiatre, et elle est tont â fait, absente de
l'Antimarcion : Ies 14 exemples que nous venons de relever
dans cet ouvrage presentent tous sans exception le sens phy-
sique, parfois rehausse tres energiquoment par l'opposition â
efpgies (3 M. 2k),krepromissio (4 M. 16), â visio (5 M. 12; cf.
Cor. 15), comme, dans des ecrits de la meme periode, ii est
encore rehausse par l'opposition k contemplatio [fi. 23), â ?«-
360 THliol.OGIE DE TEIITULLIEN.
tentaţia [Pud. 14). Coci cree incontestablement une forte pre-
somption en faveur de Tacception physique dans 1 M. 14. ^ .
Concluons que, si do l'emploi du mot repraesentare chez
Tertullien on peut tirer un argument ă l'egard de sa doctrine
sur l'Eucliaristie, cet argument est tout en faveur de sa
croyance ăla presence reello de Jcsus-Christ au sacrement ^.
Passons ă Fexamen des autres temoignages.
1 M. 23 : [Dens Marcionis]... super alienum panem alii Deo
gratiarum actionibus fungitur. — Ce texte ne donne lieu â
aucune remarque speciale.
oM. 19 ■*, Tertullien commente Jercmie 11, 19 :
Venite, mittamus lignum inpanem ejus, utique în corpus. Sic
enim Deus in Evangelio quoque vestro r ev elavit panem corpus
suum appellans, ut et hinc jam eum iniellegas corporis sui
figuram pani dedisse, cujus retro corpus in panem prophetes
figuravit, ipso Domino hac sacramentum postea interpreta-
turo.
Le prophete a designe autrefois par Ia figure du pain le
corps de Jesus-Christ. Son oracle domeurait mysterieux; ii
etait reserve au Seigneur lui-meme de Tinterpreter, et de
reveler le mystere de ce pain. Comment cela? Panem corpus
suum appellans, ut et hinc jam eum intellegas corporis sui
figuram pani dedisse. Voila des paroles dont ies sacramentaircs
devaient s'emparer. Mais ii ne faut pas prendre le cliange sur
la valeur An xno% figura, qui, dans la langue de Tertullien,
n'exclut nullement la realite. Rappelons son argumentation
contre le docetisme marcionite, qui abusait de Phil. 2, 6. 7 '' :
Plane de substantia Christi piitanl et hic marcionitae suffru-
1. L'ă I'assio Perpeluae, ocrit carthaginois conteiiiporain de TortulUen,
presente Ic sens physique, 15 : Xon licct praegnantes poenae rcpraescntari ,
le sens mental, 1 : Lectione eorum, quasi repracsentationo rei-uni, et Deus
lionoretur et lionio confortetur.
2. M. Swote constate, comme nous, la predominanoe du sens fort, et
pourtaiit n'admet, \M. 14, qu'un sens affaibU. L'ensemble des te.xtes nouti
amene â une concliision differente.
3. De meuie. saiif quelques variantes, /. 10.
4. 5 M. '20.
EUCIIARISTIli. 361
gări Apostoluin sibi, quodphaniasma carnis fuej-il in Chvisto,
cum dicit qiwd in efftgie Deiconslitnlus non rapinam exis-
timavit pariuri Doo, sed exhausit semetipsum accepta effigie,
servi, non veritate, eti?i similitudine hominis, non inhomine,
et figura inventus honio, non substantia, i. e. non carne, quasi
non et figura et similiUido et effigies suhstantiae qnoque acce-
dant. Bene autem quod et alibi (Col. 1, 15.) Christum imaginem
Deiinvisibilis appellat. Numquid ergo et hic, qua in effigie
eum Dei collocat, aequc non erit Deus Christns vere, si nec
homo vere fuit in effigie hominis constitutus P Utrobique enim
veritas necesse habebit excludi, si effigies et similitudo et fi-
gura pliantasmati vindicabitur . Quod si in effigie et în imagine,
qua Filius Patris, vere Deus, praejudicatum est etiam in
effigie et imagine hominis, qua Filius hominis, vere hominem
inventam. Namet ijiventum ratione posuit, i. e. certissime
hominem. Quod enim invenilur, constat esse. Sic et Deus in-
ventus est per virtutem, sicut homo per carnem. Xous n'avons
pas recule devant cette citation, malgre sa longueur, pn.rce'
qu'elle fixe avec toute la clarte possible un point nolable du
vocabulaire theologique de Tertullien ^ . Achevons d'eclairer le
texte de 3 M. 19, par l'examen d'un autre passage de \ Anti-
marcion sur TEucharistie.
1. Quc ce vocabulaire Uii-mcaio manque de clarte, nous n'y conti-edisons
point. — ii. Swete api)orte un texte ou le mot figura se presento sous un
autre aspect, ^l/ojio.g. 6 : Aliudsuntfigurac, aliud formae. Aliud imas'ines,
aliud deOnitiones. Imagines transeunt adimpletae, definitionos permanent
adimplendae. luiagines prophetant, definitionesgubernant. Quid digamia
illa Abrahac portendat, idem Apostolus edocet, interprotator utriusque
Testament!. -— Volei donc, chez Tertullien, des figiirae i(ui s'opposent a
la rcalite. JIais ii y on a d'autres qu'il montre incluses dans la rcalite. Le
commentaire de Phil. 2, G, peut d'autant moins etre negiige ici qu'il ap-
partient â rAntimarcion. — Cf. d'ailleurs Pud. 14 : Epistplani... per sin-
gulas causas in quosdani (|uasi mancipes earuui figuratam (conforma-
tam), ctc...
Nous trouvons dans Ia R. K. une declaration de M. Loofs a laquelic
nous souscrivons pleinemcnt (art. AhendmaM, liirchenlehre, p. 11) : Olme
symbolische Verhiillung ware die himmlisclie Gabe kein ;x,u5Tyip',ov, ohne
geheimnJssvollen Inhalt das Element kein heiliges Symbol gewesen. Eine
symbolische und eine in gcwissen Sinne realhtische Auffassung dor Abend-
mahlsgabe schlosson sich dessbalb nicht aus. — Mais l'auteur ne tire pas
de ses propres paroles tont ce qu'elles reriferment. quand ii en vicnt ă
commenter Tertullien (76. p. 5!i).
362 THEOLOGllî UE TERTljLLIEN.
4 M. 40, allusion noiivcllc ct plus explicite â la Gene, en
meme lemps qu'a ce m6me texte de Jeremie :
Acceplum panem et. distributiim discipulis corpus sriiim
Uium fecit, hoc est corpus mauin dicendo, i. e. figura corpo-
ris mei. Figura autem non fuisset nisi veritatis esset corpus.
Ceterum vacua res, quod est phanlasma, figuram capere non
posset. Aut si propterea panem corpus sibi finxit quia corpo-
ris carebat veritate^ ergo panem debuit tradere pro nobis.
Faciebat ad vanilatem Marcionis, ut panis crucifigeretur.
Cur autem panem corpus suum appellat, et non magis pe-
ponem, quem Marcion cordis loco habuit? Non intellegens
vetcrem fuisse istam figuram corporis Christi, dicentis per
Hieremiam : Adversum me cogitaverunt cogitatum, dicentes :
Venite, conicianius lignum in panem ejus, se. crucem in cor-
pus ejus. Itaque illuminator antiquitatum quid tune voluerit
significasse panem satis declaravit, corpus suum vocans
panem. Sic et in calicis mentione Testamentum conslituens
' suo sanguine obsignatum, suhstantiam corporis confirmavit.
Nullius enim corporis sanguis potest esse nisi carnis. JSam
et si qua corporis qualitas non carnea opponetur nobis, certe
sanguinem nisi carnea non liabebit. Ita consistet proba tio
corporis de testimonio carnis, probatio carnis de testimonio
sanguinis.
Les mots : Corpus suum Uium f(^cit. expriment fort naturel-
lement la conversion de la substance. Mais ceux qui suivent
aussitot font difficulte : Id est figura corporis mei. Si Fon se
reporte a 3 M. 19, on arrive neaomoins â demeler la pensee de
Tertullieu. Les paroles du Clirist ă la Cene produisent un dou-
ble effet : d'une part elles operent le changement du pain au
corps de Josus-Ghrist, et lâ-dessus Tertullien n'insiste pas,
parce qu'il ne vise pas presentement â etablir le dogme de la
presence reelle; d'autre part elles interpretent l'antique figure
du pain, en montrant presente la realite jadis figuree par ce
pain; et la-dessus Tertullien fait porter tout reffort de son
argumentation, parce cju'il s'agit d'etablir contre les docetes la
realite du corps de Jesus-Clirist. Lâ est pour lui la raison de
faire appel â la figure prophetique : cette figure manquerait
d'objet si le corps de Jesus-Clirist etait purement fantastique ;
EUCIIAniSTIE.
363
Vaciia res, quod est phantasma, figuram capere non potest.
II y a donc equivalence entre Ies deux formules, d'apparencc
assez dissemblables, 3 M. 19 : Corporis sui figuram pani de-
dit, et 4 M. 40 : Panem... corpus suum fecitK L'une et l'autre
signifîe qu'â la derniero Cene le Clirist accomplit l'oracle de
Jeremie, en mettant sous Ies apparencesdu pain la realite de son
corps, que le prophete exprimait autrefois par son langage
fîgure. La profession de foi â la presence du Clirist dans l'Eu-
charistie, pour n'etre pas developpee, n'en est pas moins for-
melle. La consecration du calice donne lieu aux niemes obser-
vations. Ici encore Tertullien trouve et la revelation d'une
antique figure, et une consecration presente ^. Apres avoir evo-
que un double symbolisme biblique (le sang de la grappe, îs.
63, 1 et Gen. 49, 11), ii conclut :
ha et nune sanguinem suum in vino consecravit, qui tune
vinum in sanguine figuravil.
Tune vinum in sanguine figuravil, voilâ l'antique figure;
nune sanguinem suum in vino consecravit, voilâ le sacrement
1. II n'cst pas hoi's de propos cfattiror ici l'attention sur !a notion de
iransfiguralio, solon Tertullien. On lit, Prax. 27 : TransfiguraUo aulem
mterempiio est prislini. Onme enim quod Iransfiguralur in alhid, desinit
esse quod fuerat, el incipit esse quod non erat. La dcfinition qu'on vicnt
de lire oonvieiidrait bien â la transubstantiation. En la formulant, Ter-
tullien se propose de faire observer qu'elle ne convient pas â l'Incarna-
tion du Verbe, car le Verbe, qui ne peut cesser d'etre ce qu'il est (quem
non capii configurări), a du se faire liommc sans d('triment de sa propre
substance, et non pas e.t transfiguratione et demutalione siibslantiae . —
Notons toutefois que .Tertullien ne s'en tient pas toujours a cette defini-
tion. Ainsi R. 55.
2. M. Swetc (1. c. p. 175) a rapproehe justement l'antique forino du ca-
non dans la liturgic occidentale, ap. Pseudoambr. De sacr. 4, 15 : Fac
nobis hanc oblationem... acccptabilem, quod figura est corporis etsangui-
nis D. N. J. C. D'ailleurs ii tire de ce rapprochement des conclusions qui
ne sont pas Ies notres.
3. L'explication que nous avons donnee est conforme a celle du cârd.
Franzeliu, 1. c. Nous transcrirons ici son cominentaire de 3 .1/. 19 : Locu-
tionos Tertulliani : corporis sui figuram pani dare, et Christum di.xisse :
IIoc est corpus meum, i. e. figura corporis mei, nihil aliud sibi volunt
quam quod di.ximus, corpus Christi subspecie panis esse adimplelam figu-
ram veteris lestamcnti, seu antitypum veteris typi. Verba Tertulliani sunt :
IIoc lignum (cruciş) et Hierenriias tibi insinuat, dicturis praedicans .Ju-
daeis : Venite, mittamus lignum in panem ejus : utique în corpus. Sic enim
304 THjioLOGIE DE TERTULLIEX.
5 M. 8 : Panis et calicis sacvamento jam in Evangelio pro-
havimus corporis et sanguinis dominici veritatem, adversus
phantasma Marcionis.
Cette derniore allusion â rEucliaristie, vers la fin de TAnti-
marcion, aclieve de fixer Ic sens et la portee de celles que nous
avons relevees plus liaut. Tertullien n'en voulait qu'au doce-
tisme de Marcion. Pour etablir contre cat heretique la realite
de l'humanite du Christ, ii a fait appel au sacremcnt de rEu-
cliaristie. 11 a montre dans le calice de la nouvelle alliance le
sang du Christ rendant temoig-nage â son corps, et ii a conclu :
le Christ n'est pas un i'antâme. Cet argument, renouvele de saint
Irenee ', n'a de force qu'autant qu'on croit ă la realite du corps
Dens in evangelio quoque vostro... revelavit, panem corpus suuiii appellans,
ut et hincjam oum intcUegas corporis sui figuram pani dedisse (in ultima
ccna dedisse pani corporis sui antitypum seu figuram adimplctam), cujus
retro corpus in panem propheles figuravk, ipso Domino hoc sacramentum
(propheticam adumbrationem futuri; postea interpretaturo per realeni
adimpletionem. — Cf. Wattcricli, op. cit. p. 104.25'.); et surtout Renz, p.
im .sq.
Cette e.xplication diffcre cn un point de l'e.xplication qu'on trouve dans
le livTe de la Perpeluiie de la foi, t. 3, 1. 2, c. l, p. 59, et qui rapportc Ies
mots : Corporis sui figuram pani dedisse, non au moment de la Cene,
mais au temps du prophete Jereuuo.
Enfin uno troisieme e.xplication, proposee par Bellarmin i't du Porron,
consiste â admettre uno hyperbate, et â joindre le sujet hoc (et non le pre-
dicat corpus meum) aux mots : i. o. fiywa corporis mei. De la sorte on evite
toute difficultc, le sens etant ; Ce pain, jadis lîgure de mon corps, j'en
fais presentement mon corps. Ce qui donne a cette e.xplication une reelle
valeur, c'est Ia presencc , chez Tertullien , de semblablcs hyperbates.
Prax. 29 : Dicendo : Christus mortuus ost, id est unctus, id quod unctum
est Tiwrinnm o%tn\A\l, id est carnem. Le Clirist (c'est-a-direl'oint) est mort.
Entendez : ce qui avait ete oint (c'est-a-dire la chair) est mort. Ici Tertullien
a pris soin de se coramonter lui-meme, et de marquer avee toute la clai-te
possible que Ies mots places apres id est se rapporte non au predicat, mais
au sujet.
1. Saint Irenee tirait deja du mystere eucl>aristiqu(^ un argument ad
hominem contre ceux qui niaient la rcsurrection de la cliair. Haer. 5 ,
2, 2 : Si autcm non salvetur haec, vid. nec Dominus sanguine suo redo-
mit nos, neque calix Eucharistiae communicatio sanguinis ejus est, neque
panis quem frangimus communicatio corporis ejus est. Sanguis enim non
est nisi a venis et carnibus, et a roliqua quae est secundum hominem
substantia, qua vere factum est Verbuni Dei. — D'autre part, le menie Pere
present(; ITnoarnation comme la realisation d'une antique figuro, savoir,
ia ci-eation de rhominea l'image de Dieu. 5, 10, 2 : Quando autem caro
Verbum Dei factum (!St, utraque confirmavit : et imaginem enim ostendit
veram, ipse hoc fiens quod erat imago ejus, et similitudineu fîrvnans res-
EUCIIAIilSTIE.
365
et du sang eucharistiques : donc ii attesle la foi de Tertullien.
Pas plus ici qu'ailleurs, Tertullien ne peut etre propose
comme modele d'expression simple et claire. Mais ses aflirma-
tions relalives â la sainte Eucharistie admettent une interpre-
tation concordante, et Ie dogme de Ia presence reelle est â la
base de cette interpretation. La preuve nous paraît faite pour
Ies livres adv. Marcionem.
Or. 6, dans Texplication du Pater :
Eleganter divina sapientia ordine/n orationis instruxit, ut
post caelestia... terrenis quoque necessitaiibus petitioni locuin
faceret... Quanquam panern nostrum quotidianum da nobis
hodie, spiritaliter polius intellegamus. Chrislus enim panis
noster est, qiiia vita Chrislus et vitae panis. Ego snm, inquit,
panis vitae (Joan. 6, 35), et paulo supra : panis est sermo Dei
vivi, qui descendit de caelis (Joan. 6, 33) ; tune quod et cor-
pus ejus in pane censetur : hoc est corpus meum (Mat. 26, 26;
Luc. 22, 19). Itaque petendo panem quotidianum., per petulta-
tem postulamus in Christo et individ uilatem a corpore ejus.
Serrant de preş la pensee de l'auteur, Gabriel de l'Aubcs-
pine^ fait remarquer ici une triple allusion : allusion au pain
ordijiaire [terrenis quoque necessitaiibus] ; allusion â ce pain
spirituel qu'est Jesus-Christ [vita Chrislus et vitae panis] ; enfiu
allusion au corps present sous Ies especes eucharistiques [et
corpus ejus in pane censetur]. Si Ia manducation eucliaristique
du corps de Jesus-Christn'etait qu'une manducation parlafoi, ii
n'y aurait pas lieu de relever en particulier cette presence sa-
cramontelle pour l'opposer â la precedente. II y a donc ici une
allusion distincte â la presence eucliaristique du Christ; mais
l'expression employee par Tertullien appelle un commentaire -.
tituit, consimileni facions liomiiie.m invisibiU l^atri per visibile Verbuiii.
— On voit que Tertullien trouvait, dispcrses dans saint Irc'iiee, Ies trajts de
son argumcntation.
1. Cite dans Migne, P. L. t. 1, 1161. — Observationes , ed. 1672, p. 44y.
2. Neander, p. 156, -îoit dans ces mots : Corpus ejus in pane censetur, la
preuve quc Tertullien n'admettait aucune compenetration des especes
eucharistiques par le corps et le sang du Christ (au sens lutherien de l'im-
panation) : er doch auch keine Art der Durchdringung des Brotes und
Weines mit dem Leib und Blut Christi annahm. Xous y verrions plutot la
preuve qu'il n'admettait pas le symbolisme des sacramentaires.
366 THEOLOGIJ; DE TRRTULI.IEN.
Les mots : Et corpus ejiis in pane censetur, signifient que le
corps du Christ est, lui aussi, range dans la categorie du pain,
que c'est une espece (entre aulres) de pain. lls traduisent une
consequence immediate des paroles prononcees ă la Cene : Hoc
est corpus meuni. De ces mots : et corpus ejus in pane cense-
tur, isoles de leur contexte, on ne pourrait deduire avec preci-
sion la doctrine de TertuUien sur l'Eucliaristie ; mais que le
mot censetur ne soit pas exclusif de la presencc rcelle, cela
resulte surement de la valeur qu'a ce verbe dans la langue de
TertuUien. Presque toujours ii equivaut â referri, numerari (cf.
l'operation romaine duce/zsMs), originem ducere icî. census =
origo : 1 N. 12, Ap. Ii, H. 33, 5 M. 20 etc.) , constare, esse. Pour
faciliter cette constatation, nous mcttrons sousles yeux du lec-
teur la liste de tous les exemples que nous connaissons*, et
nous transcrirons quelques-uns des plus notables.
I N. 8 : Graeei... in Romanorum supcrstitioiiibus censentur, quoniam
quidcm etiam Deos Graeciae Roiaa sollicitavit. — Ib. li. — 2 N. 3. —
Ap. 12 : In mctalla damnamur : inde censentur dii vestri. — Ib. 13. 15. 24.
— Tesl. 5. — Sp. 4 : Quid erit summum ac praecipuum in qno diabolus
ot pompae ct angoH ejus censeantur, quam idololatria? — Ib. G. — Pr.
20 : Orane gonus ad originem suam censeatur necesse csl. — Ib. 21 :
Superest ergo uti dcmonstremus an haoc nostra doctrina,... de apostolo-
ruui traditiono censeatur. — i?. 5 : Ita restituetur homo Deo ad similitu-
(lincni cjiis, qui retro ad imaginem Dei fuerat. Imago in eflipie, similitudo
iu aeternitato censetur. — Pal. 11. — \ C. f. i. — II. 4. :,. 7. 31. 36. —
J. 4 : Dicit enim Isaias propheta : Sabbata vestra odit anima mea. Et
alio loco dicit : Sabbata mea profanastis. Unde dinoscimus sabbatum
temporale esse humanum et sabbatum aeternum censeri divinum. —
Ib. 9. — V. V. 5 : Caro ex carne et os e.\ ossibus vocatur secundum origi-
nem mulior ejus ex cujus substantia incipit censeri, facta uxor. — Ib. 9.
— 1 AI. 3. 8. 25. — 2 M. 3. 16. — 3 M. 17. — 4 M. 34 : Acque adulter cen-
setur qui dimi-ssam a viro du.xerit. — An. 16 : Apud nos non sempcr ex
irrationali comenda sunt indignativuiu ct coiicupiscontivum, quae cerţi
sumus in Domino naturaliter deeucurrissc. — Ib. 20 : Concludimus omnia
naturalia animae, ut substanti^'a ejus, ipsi incsse, et cum ipsa procedere
atque proficerc, ex quo ipsa censetur. — Ib. 25 : Quantae vero nationcs
sub fcrventi.ssimo axe censentur. — IO. 32. 40. — ■ c. C. 22. — Et. c. o. —
Ib. 13: Quanti igilur ot quantae in ecclesiasticis ordinibus de continentia
1. Lcimbach cite et commente la plupart de ces exemples, I!eilrâge,i). 41
sil. — Voir encore Ronsch, Das N. T. TerluUiam, p. 620,
EUCIIARISTIE.
367
cpiiscntur. — Idol. 2 : Si quis existimct adulterium ia osculis et in aiii-
plexibus et in ipsa carnis eongressione consendum. — Prax. 5 : In Deo,
cujus tu quoque imago et siniilitudo censcris. — Ib. 29 : Cum duao sub-
stantiao censeantur in Christo Jesu, divina et liumana. — Mono;/. 4. 5. 6. 11.
— I'itd. 11. — Ib. 13 : iMim spiritum di.xerit (Paulns) qui in Ecclesia cen-
setur. salvum, i. e. ititcgruni, praestanduiu. — Ib. 21.
l*oiir acliever de mettre la pensee de Tertullien dans tout
son jour, nous ne saurions mieux faire que do renvoyer ă saint
Cyprien qui, commentant la meme demande du Pater'', insiste
sur cette manducation du pain eucharistique, par laquelle le
cliretien est incorpore au pain vivant, Jcsus-Clirist.
An. 17 : Non lîcct nohis in dubium sensus istoti devocarc,
ne et in Christo de fide eoruni deliberetur, ne forte dicaiur
quod... senserit... alium postea vini saporem, quod in san-
guinis sui memoriam consccravit. — L'idee que le calice ait
pu acquerir une saveur nouvelle par la consecration, ne serait
pas venue â qui eut vu dans TEucharistie un pur symbole.
Donc ici encoro nous relevons un indice de la croyance au
changement substanticl -.
Par ailleurs, ii faut tenir compte du texte rencontre ci-des-
sus, 4 M. 40 : Sanguinein stium in vino consecravit. Le meme
verbe a servi â decrire la meme operation sous deux aspocts,
ot ii y a equivalencc cntre ies deux phrases : sanguinein suuni
in vino consecraviL = vinuin in sanguinis sui memoriam
consecravil. Si Fon nous dit que le verbe conseerare traduit
fort bien le symbolisme, nous ne le contestons pas; mais
d'autre part nous faisons observer qu'il n'exclut pas la presence
reelle. Qu'on se refere aux exemples suivants :
.l/i. 15 : Jamque omnibus [)lures cliristiani, qui apud Deuin de utroquc
deducininr, et esse |)i'iucipali' in anima et eerto in eoi'poris reccssu con-
1. Saint Cyiîrien, De or. dom. 18.
2. Cela suflit pour qu'on ne puisse jias identifiei* siraplenient 1(> sens du
mot conseerare â celui que presente le meme mot, 1 .V. 1(1 : Seuex de
Saturno, iraberbis de ApoUino, virgo de Diana figni'atur, ct mile.s in JIarte
et in Yulcauo faber feiri consecratur. Quand donc M. Loofs ecrit (//. K.
]). 59) : Biiot und Wein sind bei Tortullian wic bei Cyprian symbolische
Darstellungsfornien des Leibes und Blutes Christi, nous croyons qu'il rend
inadequatcment la pinisee de Tertullien (et de saint Cyprien).
368 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
sccratum. — R- 15 : Sed ctsl in ccrebro vel iu medio supcrcilioruin dis-
ci'imine, vel ubiubi philosophis j)lacet, piincipalitas sensuum consccrata
est, quod ?iys|iov!x^v appellatur. — oM. II ■■ Quod si haec sunt flctilia vasa,
in quibus tanta nos pati dicit, in quibus etiam mortifioationcni circum-
ferimus Dei, sati's ingratus Deus et injustus, si uon et liane substan-
tiam resuscitaturus est, in qua pro fide ejus tanta tolerantur, in qua et
mois Christi circumfertur, in qua et emincntia virtutis consecratur.
On reconnaîtra que consecrari in (suivi de l'ablatif) peut
comporter une presence,une residence effective. II traduit ici le
dogme catholique; ii pourrait traduire aussi la pensee de
Luther, mais pour d'autres raisons nous ecartons cette derniero
interpretation.
2° Allusions a la celebration et ă la manducadon de l'Eu-
charistie.
Dans la pensee de Tertullien, TEucharistie n'est pas autre
chose que le corps et le sang du Clirist : ainsi la designe-t-il,
sans aucune precaution de langage, lorsqu'il Temimere entre
Ies autres sacremcnts. Ainsi li. 8 :
Caro ahluitur ui anima emaculetur ; caro ungitur ut anima
consecretur ; caro signatur ut et anima muniatur; caro
manus impositione adumhratur ut et anima spiritu illuminc-
tur; caro corpore et sanguine Christi vescitur ut et anima de
Deo saginetur '. On remarquera que, dans toute cette enume-
ration, il s'agit d'actions parfaitement physiques et reelles, et
accomplies sur le corps : une ablution [caro ahluitur), une
onotion [caro ungitur], un signe de croix [caro signatur), une
imposition de mains [caro manus impositione adumhratur),
enfm un repas, ou Taliment est le corps et le sang du Clirist
[caro corpore et sanguine Christi ifescitui') ; et, pour prevenir
toute confusion, Tertullien signale chaque fois, â cote de
l'operation corporelle, l'effet spirituel qu'elle figurc et qu'ellc
produit (purification, consccration, protection, illumination et
enfin refection spirituelle). En particulier, il exclut l'idee d'une
1. Comparer le texte, deja cite partiellement, 1 M. 14 : Ule quideni usque
nune nec aquam reprobavit Creatoris, qua suos abluit, nec oleum, quo
suos unguit, nec mollis et lactis societateni, qua suos infantat, nec paneru
quo ipsuni corpus suum repraesontat.
EUCHAIiISTIE.
369
manducation du corps du Clirist par l'âme seule : c'est au
corps qu'il l'attribue expressement, bien quc l'effet spirituel
parvienne ă l'âme : caro eorpore et sanguine Christi vescilur,
ut et anima de Deo saginetuv. II semble diffîcile de marquer
plus distinctoment le dogme de la presence reelle *.
Praescr. ,36 : [Ecclesia romana) fidem... aqua signat,
Sancto Spiritu vestii, Eucharistia pascit.
Or. 19 : De stationum diebus non putant plerique sacrifl-
ciorum orationibus interveniendum, quod staţia solvenda sit
accepta eorpore Domini. Ergo devotum Deo obsequium Eu-
charistia resolvit, an magis Deo obligat? Nonne sollcmnior
erit statio tua, si et ad aram DeisteterisP Accepta eorpore
Domini et reservato, utrumque sah'um est, et parlicipatia
sacrificii et execuţia ofpcii.
Ib. 24 : Paulus in navi corarn omnibus Eucharistiam fecit.
2 Ux. 5 : No}i sciet maritus [othnicus] quid secreta ante
omnem cibnm gustes '^; et si sciverit esse pane/n, non illum
credit esse qui dicitur P
J. 14 ou 3 M. 7 : [Hircus] pro delictis oblatus et sacerdo-
libus tantum templi in p ah uium datus, secundae repraesen-
tationis argumenta signahat, qua delictis omnibus expiatis
sacerdotes templi spiritalis, i. e. Ecclesiae, dominicae gratiae
quasi visceratione quadam fruerentur, Jejunantibus ceteris a
salute ^.
Car. 3 : Eucharistiae sacramenlum, et in tempore nclus et
omnibus mandatum a Domino, etiam antelucanis coeiibus
nec de aliorum mânu. quam praesidcnlium sumimus.
Ib : Calicis aut panis etiam noştri aliquid decuti in terram
anxie patimnr *.
1. Comparer saint Cyprien, Ep. 57, 2, recommandant de donncr l'Eii-
charistic aux lapsi sans attcndre l'heure de Ia mort, pour Ies armer contre
la perseciition : Protoctione sanguinis et corporis Chi'isti miiniamus...
munimento dominicae saturitatis armcmus.
2. On aici ime allusion au jouno oucliaristique. Voir Can. Uippolul- V-K
150. 151 : 28, 205.
3. Le mot visceralio donne â entendre qu'il s'agit, au moins principale-
uiont, du festin cucliaristiqiie.
4. Voir c. V, S 4, p 259. — Can. Hippol. 29, 209 : Qui autem distribuit
mysterium quique accipiunt, magna diligentia caveant ne quicquam in
THEOLOGIE DE TEKTUI.LIEN. 21
370 THEOLOtJIE DE TERTULLIEN.
Idol. 7 : Christianum... eas manus udmoverc corpnri
Domini quae daemoniis corpora confer unt!
Pud. 9 : [Ethnicus conversus] opimitate dominici corporis
vescitur, Eucharistia se.
Nous laissons de cote, comme peu utiles a la question pro-
sente, Ies allusions â Voblatio ^ liturgique.
Ces textes montrent, parfois avec un realisme puissant Ie
respect donl on entourait lluicharistie, comme le vrai corps
du Seigneur. A defaut d'un ensemble aussi lumineux ct aussi
complet que Ies celebres declarations de saint Justin dans sa
premiere apologie^, nous avons des traits epars,.qui ne lais-
sent aucun doute sur la vraie pensee de Tertullien, et permet-
tent de le compter avec certitude parmi Ies lemoins de la foi
catholique â Ia presence recile de Jesus-CHirist dans l'Eucha-
ristio '.
VII. MAllIAGE
Tertullien a beaucoup ecrit sur Ie mariage, et sur aucun
sujet 11 ne s'est tant contredit. D'abord plein de respect pour le
mariage chretien, d'ailleurs peu favorablc aux secondes noces,
ii en vint, sous I'empire du prejuge montaniste, ă combattre
le principe meme de l'union des sexes. Le premier stado seu-
terram deculat, ne potiatur oo spiritus malignus. Saint Cypricn, Testim.
3, 94; Origene, in Exod. homil. 13, 3 (P. G. 12, 391).
1. Voir ci-dessus, g 2, p. 308, n. 9.
2. Saint Justin, 1 Ap. 65-67.
3. Ilarnack, D. G. t. 1, p. 436: Die antignostischen Vater erkannten dass
die geliciligtc Speise aus zwei Dingen bestehe, einem irdisctien (don
Klementen) und eincm liimmlischen (dem wirklichen Lcibe Christi), und
sahen so in dem Sacrament die von den Gnostikern geleugnete Verbin-
dung dor Geistigen mit dem Fleisch und die Auferstehung der von dem
Blutc des Herrn genahrten Fleisches gewahrleistet (.Justin ; Iren. 4, 18, 4-5:
5, 2,2.3; obenso TertuUian, dem falschlich cine symbolisclte Lehre aufge-
blirdet w'ird). — La permanence du pain et du vin dans le sacroment ne
nous paraît nuUement enseignee par Ies Peros en question, et Tertullien
l'exclut quand ii dit (4 M. 4(J) : Corpua Uium suum fecit. Mais nous sous-
erivons pleinement â la derniere assertion de M. Ilarnack : l'liucharistio
est pour Tertullien autre cliose qu'un symbole. — ibicl : Die Untcrsuchungen
i.eimbach's iiber dem Spracligebrauch Tertuliiau's habon dics (iber jeden
Zweifel erhoben.
MARI ACE.
371
Icment de son evolution appartient au present chapitre.
Dieu a beni l'iinion de Thoramo et de la femme% destinee â
peupler la terre; et d'apres sa premiere institution, Eve ne
devait pas connaître d'autre epoux qu'Adam, ni Adam d'autre
epovise qu'Eve. Selon la prophelie d'Adam lui-meme^, ii y
avait la en germe un grand sacrement : Adam et Eve liguraient
le Christ et Ti-lglise (Gen. 2,23; cf. Eph. 5,30 sq.j. Or l'institu-
lion degenera de sa purete primitive : le principe de la mono-
gamie, compromis par la tolerance accordee aux patriarches,
devait etre restaure par la Loi, puis par l'Evangile ; saint Paul
y apporta le dernier porfectionnement. Mais pretendre que le
Christ est vcnu detruire Ic mariage^, ce serait meconnaître le
dessein de Dieu. Le mariage ost un bien, et, comme tel, per-
mis des l'origine. Toutefois ce n'est qu'un moindre bien : aux
âmes genereuses, l'Apotrc propose la continence volontaire
comme un ideal plus eleve.
II etait reserve a riiorcsie de proscrire pratiquement le ma-
riage ' : Marcion n'accordait le bapteme qu'aux vicrges et â
ceux qui promettaient de vivre desormais en vierges"'. Deja
touclie par le montanisme, TertuUien ne laisse pas de protester
contre ces brouillons, qui confondent precepte et conseil. 11
approuve qu'on renonce au mariage, non qu'on en f'asse fi;
qu'on loue la continence, non qu'on llmpose. Contre ceux qui
mediraient du mariage, comme d'une chose honteuse, ii est
prât â le del'endre ouvertement, comme l'ceuvre du Createur.
L'abus qu'on en peut faire n'est pas une raison d'en condamner
le principe; car le meme Dieu qui a dit : Vous ne commettrez
pas d'adultere » (Exod. 20, 14), et : « Vous ne dcsirerez pas la
1. 1 Ux. 2. — Cf. 5 .M. 18; Ex. c. 5.
2. An. 11.
3. 1 Ux. 3 : Prohlbori nuptias imsquam oiiinino legirnus, ut bonum se.
Quid tamen bono isto nielius sit, accipimus ab Apostolo, permittente qui-
dem nubere, sed abstinentiam pi-aefercntc, illud proptor insidias tem-
ptalionum, hoc proptcr angustias temporum.
4. 1 M. 29; 4 M. 34; 5 M. 7. 15; Monog. 1.
5. 1 Af. 29 : Non tinguitur apiul Uium caro, nisi virgo, nisi vidua, nisi
caelebs, nisi divortio baptisma riicrcata, quasi non otiam spadouibus ox
nuptiis nata. Sine dubio c.\ dainiiationo conjugii institutio ista con-
stabit.
372 THEOLOGtE DE TEIiTUI.HEX.
femme de votre prochain » (Deut. 5, 21), a dit aussi : « Ooissez,
multipliez-vous (Gen. 1,28).
Le second livre Ad uxorem fait prcciscment ex professo
l'eloge du mariage chrctien.
L'Apotre, qui autorise le mariage, tout en conseillant la con-
tinence', ajoute expressement que l'on doit se marier dans le
Seigneui-, et pas autrcment : tantum in Domino (1 Cor. 7,39).
Or qui dit mariage dans le Seigneur, dit mariage entre clire-
tiens^. On voit pourtant des fcmmes chreticnnes prendre des
maris infideles; et peut-âtre se flattent-elles de trouver leur
justification dans saint Paul (1 Cor. 7,12 sq)'. Mais saint PauL
ne parle en cet endroit que de mariagcs oontractes dans Tinfi-
delite. L'epoux qui se convertit doit, autant que possible,
garder son epouse ; car la vocation divine est une vocation de
paix, et, qui sait? le fidele pourra gagner l'infidele. II faut donc
perseverer dans l'etat ou l'on fut trouve par la vocation divine :
or cette vocation n'est que pour Ies infideles. Quant aux fideles,
qu'il s'agisse de premieres ou de secondes noces, ils ne se
marieront que dans le Seigneur, c.-ă-d. avec des fideles. Mais,
dira-t-on, d'apres cela, saint Paul ferait au chretien de vieille
date une situation plus dure qu'au neopliyte : ii defend â
celui-lă de prendre une femme infidele, tandis qu'il oblige
celui-ci â garder celle qu'il a ; si le premier doit etre souille
par une femme infidele, pourquoi pas le second? Avec l'aide
de l'Esprit-Saint, Tertullien repondra '' : D'abord Dieu prefere
qu'on ne se mărie pas, si Ton doit rompre ensuite ; puis ii pro-
hibe le divorce, hors Ie cas d'adultere, et loue la continence.
Consequemment le neophyte doit garder son epouse ; le fidele
demeure libre de n'en point prendre. D'apres l'Ecriture, un
mariage contracte dans l'infidelite n'entraîne pas de souillure
pour le converti, car la grâce du bapteme survenant sanctific
son union et Ies fruits qui en pourront naître (1 Cor. 7,14) ; au
contraire le chretien qui prend une femme infidele, n'a plus â
1. 2 Ux. 1.
'i. Ib. 2.
3. II s'agit, dans ce passago, du priviUge patdin.
4. Respondobo, si Spiritus dederit. — Cost presquc la formule de saint
Paul, I Coi-. 7, 40.
MAlilAOE.
373
compter sur le baptenie pour sanctifier son union. Cette union
est donc illegitime^ ; on doit tenirpourexcommunie ce chretien
qui dcshonore par un adultere Ies membres du Christ. Est-il
d'ailleurs rien de plus dang-ereux? Comment ime femme chre-
tienne accordera-t-elle ses devoirs envers un mari paîen avec
ses devoirs envers Dieu? Toutes Ies pratiqucs de la religion
lui deviennent impossibles^; le mari est, dans le menage, un
suppot du demon. La seule necessite de l'introduire dans Ies
secrets de la vie chretienne cree une servitude intolerable ^.
D'ordinaire Ies maris abusent, ot ces unions conduisent â Ia
ruine ou a l'apostasie. Imaginez une cbretienne' obligee de
vivre au milieu de pratiques snperstitieuses, de prendre part
â des assemblees paîennes, d'entendre des chants licencieux ;
autour d'elle, ricn qui lui parle de Dieu ni du Christ, mais
partout objets etrangers, ennemis, damncs, partout pieges
du demon. Les mariages contractes entre Gentils presenlent
aussi ces inconvenients, mais bien attenues''. D'abord on n'a
pas choisi cette situation : Dieu ordonne d'y perscverer. II y a
excuse pour le passe, sanctifîcation pour le present, espoir pour
l'avenir. Pourquoi tournerait-il mal, ce mariage que Dieu ra-
tific, oîi la grâce divine intervicnt? Le grand coup frappe par
la vertu celeste, qui appela l'un des conjoints, remplit l'aiitre
de terreur et force son respect. Temoin d'un si grand changc-
ment, ii devient lui-meme, sous l'empire de la crainte, candidat
â l'appel de Dieu; et souvent la grâce achevera son oeuvre. II
en va tont autrement quand, de son propre choix, une chre-
tienne enfreint la loi de Dieu pour s'unir â un paion. Ce paîen
est suscite du demon pour perdre son opouse. Des lors le ma-
riage doit tournermal : le demon l'a forme^, Dieu l'a condamne
d'avance. Et comment ne le condamnerait-il pas? Parmi les
1. -2 IJx. 3.
->. Ib. 4.
■i. Ib. 5.
1. Ib. Ci.
',. Ib. 7.
C). Ilujusmodi matrimonium... a malo conciliatur, a Domino vcro dam-
natur.— A presser les mots, le role attribuc ici au demon repond exac-
tement â celui de l'E<fIise dans la celebration du mariage chretien, 2 Ux.
9 : Alati'inionii quod Ecclesia conciliat.
374 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
Gentils^, Ies maîtres serieux interdisent ăleurs esclaves de se
raarier hors de leur maison ; la loi romaine livre k la servitude
la personne libro qui continue de vivre avec un esclavc, apres
sommation du maître. Et Ies sommations de l'Apâtrc n'empe-
clieront pas une chretienne de s'unir â un esclave du demon?
Pareille folio trahit Ies defaillances d'une foi livree aux attraits
du siecle. Ces grandes dames clierchent une carriero dignc de
leur ambition. L'Eglise est troj) pauvre : Ies beaux partis s'y
rencontrent rarement, et sont vite enleves. Que faire? Ou trou-
ver un mari qui vous donne des voitures, des mules, et de ces
grands esclaves qui viennent de loin et coutent si cher? Un
mari chretien, fut-il riche, ne se pretară guere â ces fantaisies.
On ira donc demander au demon le mari que Ton reve. Cepen-
dant, voyez ce qui se passe cliez Ies paîens : bien des femmes
nobles et opulentes passent par-dessus toutes Ies considera-
tions de naissance et de fortune pour s'unir â des hommes de
rien, parfois â des eunuques, parfois â leurs affranchis ou ă
leurs esclaves : nul parti n'est trop bas, s'il leur assure une
liberte sans controle. Une chretienne devrait s'inspirer de ces
exemples, estimer, en fait de dot, la foi plus que l'argent, se
souvenir que le royaume des cieux appartient aux pauvres, et
apprecier surtout l'epoux riche selon Dieu.
Mais comment louer dignement le mariage chretien^? ce
mariage dont l'Eglise forme le noeud, que confirme l'oblation
sainte, que scelle la benediction sacerdotale, que Ies anges pu-
blient lă-haut, que le Pere celeste ratifie? Sur terre meme, ii
n'est pas de mariage accompli sans le consentement des pa-
rents-*. Quel sera donc ce mariage de deux fideles, unis par
la communaute d'esperance, de deşir, de discipline, d'obeis-
sance? Freres, etserviteurs d'unmeme maître, ne faisant qu'un
par la chair et par l'esprit, pratiquant ensemble prieres, pros-
trations, jeunes, se soutenant de leurs avis de leurs exhorta-
tions, de leur patience ; ensemble â l'eglisc, ensemble ă la sainte
table, ensemble dans l'epreuve, dans la persecution, dans la
1. 2 Ux. 8.
2. 2 Ux. 9.
3. Nec in terris filii sine consensu parentum recte et jure nubunt.
MARIAGF.. OJO
joie; incapables de se rien cacher, de so fuir, de s'importuner;
libres pour la visite des malades, pour l'assistance des pau-
vres; sans tourment pour l'aumone, sans inquietude pour le
saint sacrifice, sans obstacle pour la ferveur quotidienne ; igno-
rant Ies signes de croix furtifs, Ies felicitalions tremblantes,
Ies benedictions muettes ; faisant assaut de psaumes et d'liym-
nes, rivalisant â qui chantera mieux Ies louanges du Seigneur :
ravi d'un tel spectacle, Ie Christ envoie sa paix aux epoux
chretiens. Ou ils sont tous deux, le Christ est aussi; ou est le
Christ, le demon n'est pas. Voilă Ie mariage dont parlo saint
Paul, Ie seul permis, le seul avantagcux aux fîdeles.
La doctrine de ce livre peut se resumer ainsi : malgre son
culte pour la continence, Tertullien estime hautement Ie ma-
riage chretien. II pousse le respect du lien conjugal jusqu'â ne
rien laisser suhs'ister dn p/'i(>ilege paulin : meme pour Ie ma-
riage contracte dans l'infidelite', iln'admetdo soparation qu'en
cas d'adultere. 11 pousse le respect du fidele jusqu'â declarer
illegitime,entout etat de cause,runion qu'ilpourraitcontracler
avec un infidele'^. Iladmet que la grâce du bapteme sanctific Ie
mariage contracte dans Ia gentilite, et que Diou le ratifie •'.
On devine que Ies mariages mixtes etaient, pour Ies chretien-
nes d'un certain rang, une tentation permanente, dont ii fallait
â tout prix Ies defendre : cette preoccupation inspire â Tertullien
ses paroles Ies plus vehementes '■ ; elle excitcra encore Ia solli-
citude pastorale du pape Calliste et de saint Cyprien.
1. Cest bien d'un tel luariage qu'il est qucstion, 2 f/a. 2 : Rcspondebo...
ante omnia allegans Dominum magis gratum liabere matrimonium non
contrahi quam omnino disjungi; denique divortium prohibct nisi stupri
causa, continentiam vero commendat. Ilaboat igitur iile perseverând!
necessitatem. — Or, nuUe part, pour Tertullien, divorlium n'est autre
chose qu'une separation de corps (Cf. p. 464).
2. Ux. 3 : Fideles gentilium matrinionia subeuntes stupri reos constat
esse. — Sur ce point Tertullien en appelle â l'A. T., Monog. 7 : Et vetus
lex adimit conjugium allophylorum. — Ses prohibitions depassaient la
pensee de l'Eglise. Voir Monog. 11 : Licet ncc hoc psychici curent.
3. 2 Ux. 2 : Socundum Scripturani, qui in matrimonio gentili a (ide
dcprchcndontur, propterea non inquinantur quia cum ipsis alii quoque
sanctificantur... Dei autcm gratia illud sanctificat quod invenit... Ib. 7 :
Ratura est apud Deum matrimonium hujusmodi.
4. Voir Bigelmair : Die Beteiligung cler Chrislen am iiffimllwhcn Leben
in vorconstantinischer Zeit (JIUnchen, 1902), p. 212 sq.
376 THEOLOGIE Dlî TEIITULLIEN.
D'autrc part, on apergoit, deja constitue, le ritual primiţii'
du mariagc proprement clirctien, par ou s'unissent deux
fideles ^ : EJus matrimonii quod Ecclcsia conciliat ^ et con-
firmat ohlaiio 5 et obsignat benedictio. Cest dans l'assemblee
des fideles, avânt l'oblation du saint sacrifice et sous la bene-
diction de l'cveque, que Ies epoux s'cngagent l'un ă l'autre.
Comme tous Ies dons divins, ce mariage est confie â l'Eglise :
ii faut Palier demander au clorgc, depositaire du sacrement ''.
Dans l'Antimarcion, TertuUien fait un pas de plus. Contre
Ies denegations de Theretique, ii maintient encore que Ie ma-
riage a droit â tous Ies respects, comme institue par Ic Crea-
teur, et ii l'oppose â la virginite, non comme le bien au mal,
mais comme un bien â un moindre bien ^. Mais deja Ia these de
l'illegitimitc des secondes noces pour un chreticn est formulee
1. •> Ux. 9. — Voir Bigelmaii-, p. y(i.
2. M. Monceaux, qui dit d'aillours des clioscs fort jiistcs (Terlullien,
p. 24) sur ce mariage dont rEglisc forme le lien, nous paraît cependant
attenuer d'une maniere rcgrettablc le mot conciliat, quand ii parle do
ma,ria°:e conseiUe par l'Eglise. — Quant aux scrupules de i^I. Guignebert
(op. cit., p. 290), qui n'ose reconnaître ici le sacrement de mariage,
avouons que nous ne Ies partageons pas du tout. Rien ne manque, en
veritt', pour faire des e';poux chretiens.
3. Rigault entend ce mot d'une oblation des nouveaux epoux, par Ies
prieres des fideles. Avec Ncandcr (p. 205) et autres, je crois bien plus
natiire! de gardcr au mot ohlaiio le sens qui lui est ordinairc, et d'admet-
tro que Ies epoux sont acteurs dans cettc oblation : ensembie ils presen-
taient leurs dons, destines au saint sacrifice. Cf. sup. p. 308, n. 9.
4. Cost ce que dit plusclairement encore un texte posterieur, Monog. 11 :
Ut igitur in Domino nubas sccundum Legem et Apostolum... postuias ab
episcopo..., a presbyteris et diaconis..., a viduis... Et conjungent vos in
Ecciesia virgine, unius Ghristi unica sponsa. — Cf. Pud. 4 : Penes nos
occultae quoque conjunctiones, i. e. non prius apud Ecclesiam professae,
juxta moechiam et fornicationem judicari periclitantur. — Toutefois ceci
n'oxclut pas absolument la possibilite d'un mariage clandestin.
5. 1 M. 29 : Sine dubio ex damnationo conjugii instituţie ista constabit.
Videamus an justa, non quasi desti'ucluri felicitatem sanctitatis, ut aliqui
^'jcolaitao asscrtorcs libidinis atquc luxuriae, sed qui sanctitatcm sine
nuptiarum damnationo noverimus et sccteniur et praeferamus, non ut
malo bonum, sed ut bono melius. Non enim proicimus sed deponimus
nuptias, nec praescribimus sed;suadcmus sanctitatcm, servantes et bonum
et melius pro viribus cujusquc sectando, tune denique conjugium exserte
defendentes cum inimice accusatur spurcitiae nomine in destructionem
Creatoris, qui proinde conjugium pro rei honestate bencdixit in cremen-
tum gonei-is humani, quemadmodum et universum conditionis in inte-
gros et bonos usus.
MARIACE.
377
dans son esprit comme pârtie integrante de la doctrine mon-
taniste ^ : Nubejidi jam modus poniUir, quem quidem apud
nos spiritalis ratio Paracleto 'auctore defendit, unum in fide
matrimonium praescribens. Ce n'est qu'un trăit en passant,
mais ii nous avertit que noiis ne sommes plus sur le terrain
catholique. Reservons donc pour plus tard Ies autres textes de
rAntimarcion relatifs au mariage, etrevolution ulterieure des
idecs de Tertullien sur ce sacrement.
1. I M. -29.
GHAPITRE VIU
L'EGLISE ET LE SIECLE
Cest en defendant le christianismG contre Ies exces de la
force romainc que Tertullien a conquis sa meilleure gloire, et
V Apologetic um demeure le principal monument de cette pole-
mique. Qîuvre d'un croyant et d'un juriste, ce puissant memoire
portait â la barre des gouverneuvs de provinces une cause deja
perdue au tribunal de l'opinionpaienne. Une premiere ibis, dans
Ies deux livres adNationes, Tertullien s'etait attaque au pre-
juge populaire. Et comme son temperament s'accommodait
mal de Ia defensive, deja le plaidoyer tournait au requisitoire.
La meme pensee reparaît dans l'Apologetique, revetue d'une
forme plus grave, murie, completee, condensee. £n mame
temps qu'il reclame justice pour Ies chretiens opprimes, ii
poursuit l'ecrasement du polytheisme et le triomplie de la
verite chretienne.
Nous relirons ces pages, pour voir d'cnsemble Ies idees du
polemiste. Des ecrits secondaires acheveront d'eclairer, sur des
points de detail, sa conccption des rapports entre TEglise et le
siecle.
I. REVEXDICATIONS CHRKTlIiNNES.
La justice romaine frappe Ies chretiens sans daigner ins-
truire leur cause ' ; pour faire monter jusqu'aux gouverneurs la
1. Al,. 1. ^ Cf. 1 A'. 1.
liEVENDICATIONS CHRETIEXNES. 379
voix de la verite, ils sont reduits â ecrire leur defense. h^trangers
en ce monde, ilsacceptent sansplainte, comme sansetonnement,
la situation qui leur est faite; pourtant ils souhaiteraient qu'on
Ies entendît avânt de Ies condamner, et ils estiment qu'en s'y
pretant, la justice ne s'amoindriraitpas. Cest par cette fiere
declaration que s'ouvre l'Apologetique. La haine dont on pour-
suit le nom chretien est injuste : premier grief qu'ils soumettent
aux magistrats. On peuten croire tant de paîens qui, encessant
d'ignorer Ies chretiens, ont cesse de Ies haVr, et souvent meme
ont grossi leurs rangs. On peut en croire Ies chretiens eux-
mâmes, si fermes devant Ies tribunaux et si differents des vrais
criminels. Fussent-ils coupables ' , pourquoi leur refuserle droit
commun des scelerats ? Aux chretiens seuls on ne permet de
riendirepour leur defense; ce qu'on attend, ce que la haine
publique reclame, c'est Taveu d'un nom, ce n'est pas l'examen
d'une accusation ^. Pour aucun autre criminel on ne s'en tient
lâ : qu'il s'avoue homicide, sacrilege, inceste, ennemi public,
avânt de prononcer la sentence on examinera la qualite du
dolit, sa frequence. Ies circonstances de lieu, de mode, de
temps, de complicite. Rien de tel pour Ies chretiens : l'enquete
meme est interdite. J adis Pline, ayant commence de sevir contre
eux, fut effraye de leur norabre, et consulta Trajan ^ pour en
L. Ap. 2. — Cf. 1 N. 2.3.
2. lUud solum oxspectatur... confessio nominis, iion examinatio crimiiiis.
3. Pline loJeune, Ep. 10, 96 et97 (od.Keil).
Nous n'avons pas â rouvi'ir rinlerminable debat relatif â rautUenticite de
la Icttre de Pline et du rescrit do Trajan. Cependant ii n'est pas hors de
propos de faire ressortir Timportance capitale du temoignage rondu k
cettc correspondance par V Apoloţ/elicum. Moins d'un siecîc apres le pro-
consulat de Bithynio, TertuUien resume la consultation du gouverneur ot
Io rescrit imperial, avoc la fidelite d'un homme qui Ies avaitsous Ies yeux.
L'liypothcse d'un faux en eci'itures officielles, commis et accreditâ au cours
du second siccle, a contre elle toutes Ies vraiscmblances : TertuUien n'a
pas i5te dupc. On ne s'arretera pas davantage a l'idee qu'il paie d'audace
et dupo SCS contempoi-ains : que l'ecbange de vues n'ait jamais eu lieu,
que TertuUien cree de toutes pieccs cette histoire dans un ecrit destini':
aux magistrats imperiaux, qu'il alt puia faire accepter de tout le monde
ctqu'ensuitc ii se soit trouve un faussaire pour rediger, d'apres Ies don-
nees de l'Apologetique, et introduiro dans la correspondance de Pline, Ies
deux lettres qui nous sont parvenues, c'est un echafaudage de suppositions
qui ne soutient pas Ja critique. L'attribution â Pline ot â Trajan du rc-
cueil pris dans son ensemble, n'est plus guere contestec par personno.
380 THEOLOCIE DE TERTULLIEX.
obtenirune direction; ii declara qu'â part la volonte ferme de
ne pas sacrifîer aux dieux, ii n'avait rien trouve au fond des
mysteres chretiens que des reunions oii Ton devance le jour
pour chanter des hymnes au Christ Dieu, pour se lier par une
discipline qui proscrit l'homicide, l'adultere, l'injustice, le par-
jure et Ies autres crimes. Trajan repondit qu'il ne fallait pas
rechercher detelles gens, mais qu'en cas de denonciation, ii Ies
fallait punir. Etrange compromis ! On ne ies rechercliera pas :
ils sont donc innocents. On Ies punira : ils sont donc coupables.
En aucun autre cas, on ne voit la justice pactiser ainsi avec le
crime. Ce n'est pas tout. On applique la question aux autres
criminels pour Ies faire avouer; aux chretiens seuls, pour Ies
faire nier : c'est donc un mensonge qu'on demande. On Ies
soupgonne de tous Ies forfaits, et on Ies torture pour extorquer
un desavctt, aussitot suivi d'acquittement *. C'est lă traliir Ies
lois ; car Ies lois ordonnent de rechercher Ies coupables, non de
leur arracherune protestation d'innocence. Etquiempeche ce
chretien de nier dans lestourments, quitte â se moquer de vous
l'instant d'apres, en retournant â son christianisme? Par un
renversement de toute procedure, on nous torture pour un
surtout (lepnisqu'ellc a renu de l'cpig-raphie ujio conllrniation (':clatant(î
(le nom de P. CalpurniusMacer, ligiit pro praelore on Mcsio d'apres Pline;,
Ep. 10, 42. 43. Gl. 62. 77, rctrouvc dans rinscription de Gyorgyitza cu
Moldavie, C. I. L. t. 3, 77). Restrointo aux deux lettres sur Ies chretiens,
la question est plus delicate, ct a ete resolue n^gativeiuent par plusieiu's
savants francais : Aube, Desjardins, Dupuy, E. llavet, de la Bcrge (quant
au rescrit de Trajan). Les reponsesde M. Boissier (Ilevuc arch., fev. 1876,
et Journal des savants, juin 1879) pouvaiont paraîtro dâcisives. Conclucnt
egalementâl'authcnticitc : Renan (Lesâvangiles, p.476, n. 3) : Neumann (Der
romische Slaat, p.23); Ilarnack {A. €. L., t. 1, p. 860, et Chronologie, t. 1,
p. 2.56); Schun-^ (Geschichte der rom. LUI. t.3, p. 210, et i^'Aufl. t.2, p. 275),
<'(, en general Ies critiquesrecents.Nous reaverroiis au travail solide et com-
plet de M. C. Wilde, De C. Plinii Secundi et imperaloris Trajani epistuUs
nutuis disputatio (Leyde, 1889). M. E. Beaudoin {Rev. historique, 1898, p. 166)
considerait la question commetranchoe. M. C. Guignebert {op. cit., p. 75-94)
, l'a neanmoins reprise, etapresavoir rejete la leltre qui nous cstparvenue,
ii refait (p. 93-94) celle que Pline a âu ecrirc â Trajan. Lelecteur estimcra
sans doute plus sur de s'en tenir au texte traditionnel.
1. Christianum homincm omniuni scelcrum reum, doorum, imporato-
rum, legum, morum, naturac totius inimicum existimas,,et cogis negare,
ut absolvas qucm non potcris absolvere nisi nogaverit. Pr'aevaricaris in
leges... Ideo torquemur confitentes et puniniur persevorantes et absol-
vimur negantes, quia nominis proelium est.
iîEVENDICATIONS CHUETIEXNES. o8l
nom; si nous demeurons fermes, on nous punit; si nous nions,
oix nous absout : tant ii est vrai que le nom seul est en cause ' .
Enfm pourquoi ne pas joindre, dans Ies considerants de l'arret,
â la qualification de cliretien, celle d'homicide ou d'incestucux,
si l'une implique l'autre? Cependant Faveuglement de la haine ^
poursuit ce nom, jusque dans l'expression des eloges arraclies
par le spectacle de la vertu cliretienne. On dira : Voilă un
brave homme; maisunchretien. Voilk un sage : comment donc
s'est-il fait cliretien? Nul ne se demande sile christianismc
n'est pas precisement la source de si belles qualites. Ou bicn
encore, en presence de certains changements merveilleux, on
dira : C'etait une femme legore. C'etait un polisson. Las voilk
chretiens. Ce langage montre bien qu'on regarde la profession
de christianisme comme un gage d'amendemcnt. Mais la haine
l'emporte, et l'on conspire contre son propre interet. Plutot que
de voir a son foyer une epouse cliretienne, un fîls on un servi-
teur chretien, on consent â y voir une femme pordue ou un
vaurien. II n'est pas de sacrifice qu'on ne fasse â cette haine.
Pourtant le nom est inoffensif. CArjs? renfermel'ideed'onction*;
chretien n'est pas plus extraordinaire que platonicien, epicurien,
pythagoricien, ou tel autre nom de secte philosophique.
Apres avoir fletri cette haine injuste, Tapologiste pose
liardiment sa tliese '' : Ies chretiens sont innocents. Non seule-
ment ii prouvera leur innocence, mais, retorquant Ies accusa-
tions, il fera rougir leurs accusateurs. Tout d'abord ii faut
s'expliquer sur le compte des lois. Ces lois, qui leur denient
le droit â l'existence — non licet esse pos — , que valent-elles
et que sont-elles? Expression d'un bon plaisir tyrannique, ou
d'une justice imprescriptible? Si l'on pretend legiferer au nom
de la justice, on doit reconnaître qu'en cas de conflit avec la
1. Saint .Iustin, 1 Ap. 4 : 'Ecp' ^jxmv 5î t6 6vo[jidcm; D.ey/ov Xajigâvexe.
2. Ap. 3; I iV. 4. — Comparor .Sp. a Diognete, 5, 17 : Tm 'lo'jSaîwv m;
ocXXoouXoi T.o\t<xo\i^na.\ v.a.\ \ikq 'E>,),r,voiv Stconovraf xai Ty]v aîtiav -cj); 'iyljpoLc
SiTistv ol [X'.(7o0vte; O'jx £^oucrtv.
3. Outrcl'etymologietir^e de xpia-oi, TertuUien appoi-te celle de y_ţfnaxoi
(bon), en faisant observer qu'ello răpond ă une pronouciation vicieuso
[Chresliani). Cette deraiere etymologic etait dounee par saint Justin, 1.4».
4; la premiere, % Ap. 6.
4. Ap. 4. — Cf. 1 A'. 6.
382 THlîOLOGIE DE TERTULI.IEN.
justice, la loi cesse d'obligcr \ Comme ellc n'est pas tombee
du ciel, ii faut avouer qu'elle est l'ceuvre de I'homme; a>uvre
caduque, ainsi que tant d'autres lois, aujourd'hui condamnees
par le temps. Chaque jour la lumiere de l'experience, pergant
l'antique foret du droit romain, designe â la liache des rescrits
imperiaux et des edits telles et telles lois, qu'il faut âmonder
ou abattre. Hier encore Severe abrogeait Ies lois Papiae, con-
sacrees par des sieeles d'existence. Conibien d'autres encore
debout, mais reservees au meme sort! L'equile seule rend Ies
lois respectables : le jour oîi elles apparaissent iniques, elles
sont justement condamnees. Et que penser de ces lois qui
poursuiventunnom?Lois iniques, lois'absurdes meme, qui, en
frappant le nom, tolerent le crime et bâillonnent la defense.
Une loi doit compte de sa justice a ceux dont elle exige
l'obeissance; la loi est suspecte qui se derobe a l'examen; la
loi est criminelle qui, trouvee mauvaise, reste neanmoins en
vigueur. Si l'on remonte aux origines de la legislation romaine -
contre le christianismc, on rencontre un vieux decret ^ defen-
dant ă V imperator de consacrer un dieu nouveau sans Fappro-
bation du senat. Ainsi en va-t-il chez vous : nul n'est dieu
sans la permission de l'hommc. Or Tibere avait pris l'initiative
d'une mesure introduisant le Christ dans le pantlieon romain ' :
le senat opposa un refus; l'empereur n'en persista pas moins
1. Quodsi, quia non debct, idoo non vultis licere, sine dubio id iion
debet licere quod male fit, et utiquc lioc ipso praejudicatur licere quod
bene fit.
2. Ap. 5.
3. Ce decret date de la republique. Tei'tuUien rappelle Fhistoii'o d'un
certain dieu Alburnus, k qui M. Aemilius, consul et imperator (116 av.
J.-C), voulut consacrer un temple sans l'approbation du Senat. ( Voir oncore
1 N. 10; 1 M. 18).
4. Cette iniţiative de Tibore n'a j>as laisse d'aulre trace dans l'histoire,
et elle est renduc bicn invraisenildablc par ce qu'on sait d'aiUeurs de son
opposition aux cultcs d'Egypte ct de Judee. Voir Sencquc, Ep. 108; Ta-
cite, Ann. 2, 85; Suetone, Tib. 36. — Pcut-etre est-cc la un trăit empruntc
â la legende des Acta Pilaii, â laquelle on a fait allusion c. I, g 3, p. 23,
n. 3. — Voir Braun, Disscrlatio de Tlberii Chrislum in deoriim nuinerum
referendi consilio. (Bonn, 1834). — Tibere et Marc-Aurele legifererent
contre la fausse delation on general, et Ies chretiens leur en surent gre :
ceci peut expliquer Ies egards des apologistes par la mcmoire de ces deux
empereurs.
REVENDICATIONS CHRETIENNES.
383
dans son sentiment, ct menaga de sa colere ceux qui accuse-
raient Ies cliretiens. Les archives de l'empire attestent que
Neron, le premier, sevit dans Rome contre le cliristianisme
naissant : Ies chretiens s'honorent d'avoir etc d'abord frappes
par ce monstrc. Domitien, ce demi-Neron, Ies attaqua aussi ;
puis, par un reste d'humanite, mit lin â ses violences. Et voilâ
ceux qui persecutent les chretiens. Parmi tant d'autres princes
sages, on n'en citerait pas un qui leur ait fait la guerre. 11
existe une lettre de Marc-Aurele attestant qu'en Germanie une
armee epuisee de soif fut desalteree par une pluie miraculeuse,
due aux prieres do soldats chretiens '' . Ce vertueux empereur
n'alla point jusqu'â rapportcr Ies lois existantes contre les
adorateurs du Clirist, mais ii prit soin d'en neutraliser TeiTet,
frappant meme les accusateurs de peines severes ^. Ces lois ne
furent jamais que l'arme de l'impiete, du vice et de la demence.
Trajan leur avait soustrait bien des victimes, en prohibant les
reclicrches. Ni Hadrien ', ce curieux insatiable, ni Vespasien,
si terrible aux Juifs, ni Antonin le Pieux ne furent persecu-
1. Quelque opinion iiu'oii professe d'ailleurs sur le miracle do la leyio
fulminatrix, on ne peut admettre que TertuUien, si preş des evenements,
ait invonto cette lettre. EUo est encore citee par Apollinaire d'IIicrapolis
(ap. Eusebe, H. E. 5, 5, 3) ct par Dion Cassius (71, 8; Xiphiiin, ihid. 9. 10),
qui d'ailleurs prcsente les faits autrement. — Ce souvenir est conserve
par un bas-reliet de la colonne Antotiine. (Cf. H. Marucclu, Elements
d'archeologie chrtHienne, t. 1, p. 32). — Voir Geffken, Das Regentoundcr
im Quadenlande, dans Xeues Jahrh. f. d. klass. AUeH/ium, t. o (1899)
p. 253 sq.
2. On s'etonne du tenioignage rendu iei a Marc-Aurele, dont le regne
vit, â ses d6buts, le niartyre de saint Justin; â la fm, colul des chretiens
de Lyon, peut-etre celui de saintc Cecile. Eusebe parle meme do perse-
cution generale (//. E. 5, praef. et 2, 1), et un rescrit signale dans le Di-
geste (Diff. 43, 19, 30; cf. Paul, Seni. 5, 21, 2) a păru viser les chretiens
(Voir Neumann, Der rOm. Stctal, p. 28 sq. ; C. Guignebert, op. cil., p. 9o sq.).
Mais une persccution generale eiit surement laisse plus de traces, et une
contreverite si absoluo ne se comprendrait pas chez TertuUien, qui tou-
cliait a l'âge d'homme quand mourut Marc Aurele. II senible que cot
empereur ne modifia on rien la lignc de conduite traceo par Trajan aux
gouverneurs de province : son rescrit dans I'affaire de Lj'on (Eus. //. E.
5, I, 47 : Tou? (lev â7toTuij.7tavi(î6yivai, eî 61 tive; âpvoîvTo, TOtJTouţ iTtoXuGîîvat) est
cntierement conforme a Ia pratique de Tline. — Voir P. Allard, Le chris-
tianisme et l'empire romain, 2, 4, p. 57 sq.
3. Sur le rescrit d'Hadi'ien ă Minucius Fundanus, voir C. Callewaert
dans R. H. L. R., 8 (1903), p. 152-189.
384 THEOLOGIE DE TERTULUEN.
teurs. Et maintenant ', religieux defenseurs des lois, repondez :
n'avez-vous rien change aux decisions des ancetres? Ou sont
Ies lois somptuaires? oii sont Ies lois qui proscrivirent Ies pre-
micrs theâtres comme des altentats aux moeiirs? oîi sont Ies
lois qui reglaient le costume selon la condition? oîi sont Ies
lois qui garantissaient la vertu des fcmmes? celles auxquelles
Rome dut de ne pas voir un seul divorce en six siecles? oii
sont Ies lois qui, a l'origine, chasserent, non seulement de
Rome, mais de l'Italie tant de dieux nouveaux : Bacchus,
Serapis, Isis, Harpocrate avcc son cynocepliale Anubis? 11 n'en
est plus question : malgre Ies decisions des ancetres, vous
avez releve Ies autels de tous ces dieux. Vous louez l'antiquite,
mais vous vivez â la mode du jour ^. Avouez-le : sauf quand ii
s'agit de poursuivre Ies chretiens, vous faites bon marclie des
ancetres.
Ces pages — que nous abregeons — paraissent renfermer
la solution d'une question tros debattuc : pour quels faits
precis, et en vertu de quelles lois, Ies chretiens etaient-ils
poursuivis?
De nombreux autcurs ^ rcpondent : Ies cliretiens etaient
poursuivis pour des crimes de droit commun, et en vertu de
lois penales deja en vigueur lors de l'apparition du christia-
nisme. Plusieurs '' complotent cette assertion en ajoutant que
Ies causes chretiennes rclcvaient, non de la juridiction crimi-
nelle ordinaire, mais d'un pouvoir do haute police, dit jua
coercitionis, qui rentrait dans Ies attributions des gouverneurs
de province.
1. Ap. 6; 1 N. 10.
2. Laudatis senipcr antiquitateni, ct nove de dic vivitis.
3. Ainsi Edm. Le Blant, Les perseculevrs et lei marlyrs (Paris, 1893);
ct, dans une oertainc mesure, G. Bolssior, Fin du paganisme, t. 1, appen-
dice 4.
4. Th. Mommsen, Dei' Religionsfrevel nach romischen Rechl, dans
Histor. Zeilschrift, t. 64 (1890), p. 389-429; RQmisches Strafrechl (Loip-
zig, 1890); Linsenmayer, Die Chrislenverfolgungen in rOm. Reiche... dans
Histor. polit. Blatter, t. 127 (1901); R. P. Santi S. J. dans CimUă Catto-
lica, 21 dec. 1901, p. 710 sq.; J. Weiss : Chrislenverfolgung/en (Mtinchen,
1899) ; A. Bigelmair_, Die Beteilung der Chrislen am ofţentlichen Leben in
vorcoiistantinischer Zeii (Munchen, 1902); W. Ramsay, The Church in
the roman empire (6" ed., Londres 1900), p. 207 S(j.
KEVENDICATIONS CHRETIENNES. 385
D'autrcs ' pensent au contraire que la profession de chris-
tianisme constitua de bonne heure un delit special, et que Ies
cliretiens vivaient en fait sous l'empire de lois d'oxception.
Ceux qui professent la premiere opinion rappcllent ^ que
dcpuis longteraps la loi romaine avait arme le magistrat do
penalites tres severes contre Ies delits de sacrilege, de lese-
majeste ^, d'association illicite '•, de magie. Tertullien, tres au
courant de cette legislation, reconnaît que Ies accusations de
sacrilege et de lese-majeste sont tout Ie fond de la cause chre-
tienne; et ces deux points : sacrilege, majeste, forment la
division de son Apologetique ■'. Ce sont d'ailleurs Ies memes
imputations qui reviennent sans cesse dans Ies Actes des
martyrs. Le senat s'etait toujours montre assez hostile aux
religions etrangeres * : le seul fait d'appartenir â une secte
occulte rendait Ies chr^tiens suspects, et Ies livrait, comme
enncmis publics, ă toute la rigueur des lois. On ne voit pas
ce qui manquait, en fait de severite, â ces lois, qui condam-
naient le criminel d'Etat aux bâtes, au bucher, ou pour le
moins ala hache ^. Si, de plus, on tient compte de la large part
1. P. AUard dans La Conlroverse, 1883 et 188 1 ; [Rstoire des perseculions ^,
t. 1 (Paris, lyOc!) ; R. Q. II., t. 59 (1890) ; Le ch.yistianisme et l'empire romain
(Paris, 1897); J. Rambaud, Le droit criminel dans ies Actos des martyrs
(Lyoi>, 1885); De Rossi, ăd^iia II uite ttiiw d'arch. cristiana (1867); C. Cal-
lewaert dans Ilevue d'IIistoire eccUsiasiique,t. i iLouvain, 190i) ot dans
n. Q. II., t. 74 (1903) p. 28-55; t. 76 (1904) p. 5-28.
2. Edm. l.e Blant, up. cil., c. (j, p. 51 sq.
3. Digest., 48, 4, 1 : Ulpianus 1. V1I° de oflicio proconsuHs. Proximum
sacrilcgio crinicn est quod majestatis dicitur. Majestatis autcni crimcn
illud est quod adversus populum romanum vel a<lversus securitatem ejus
<;ommittitur; quo tenetur is ciijus opera dolo malo consilium initum crit
quo... coetus conventnsve Hat.
4. Dig., 47, 22, 2 : Ulpianus 1. VI" de off. proconsul. Quisquis illicitum
(ţoUcgium usurpaverit, ea poena tenetur qua tonentur qui homiiiibus ar-
inatis loca jjublica vel templa occtipasse judicati sunt.
5. Ap. 10 : Sac)-ilegii et majestatis rei coiiveiiimur. Summa hacc causa
immo tota est.
6. Voir le requisitoire du consul contre Ies Bacchanalos {T. Liv. 39
15. 16) ; Ies recommandations de Jlecone a Auguste contre Ies reiigions
etrangeres (Dion Cassius, 3, 36), et autres souvonirs rappeles par M I o
Blant, p. 68. 60._
7. Paul, Seni. o, 29, 1 : Iluiniliores bestiis obiciuntur vel vivi exuruntur-
honestiores capitc puniuntur. '
THEOI.OGIE nE TERTtU.IEX. Jq
386 THEOLOGIE DE TEKTULLIEN.
laîssee au libre arbitre du magistrat ', on se demandera si
vraiment Rome aut bcsoin de forger de nouvelles armes pour
lutter contre le christianisme. Au temoignage de Lactance ^,
Ulpien, au livre VII de son trăite de officio proconsulis, avait
reuni Ies constitutions d'empereurs et eonsultalions de juristes
relatives au delit do christianisme : on peut croire que ce
travail ne nous apprendrait pas grand'cliose sur la legislation
persecutrice, et que Ic Digeste en a conserve presque tous Ies
lambeaux.
L'autre ecole insiste sur ce fait que le nom de cliretien fut
de bonnc lieure inscrit dans la loi, et le debut de V ApologoLique
paraît decisif en sa faveur. L'auteur est un legiste qui parle â
des magistrats, et Ia precision juridique de sod langage ne
permet gaere de douter qu'il ait voulu retracer l'origine et Ies
progres d'une legislation speciale •'.
La procedura contre Ies cliretiens etait en pleine vigueur au
temps de Pline, qui s'excuse de la mal connaître '. Or la
persecution de Domitien n'avait fait que passer : ii est peu
probable qu'elle ait laisse des tracos profondes dans le code.
Reste Neron, demeure dans le souvenir des cliretiens comme
le premier persecuteur, et dont l'histoire, meme profane,
atteste Ies cruautes. II est des lors natural do rattacher â ce
regne Torigine des lois persecutrices, et sur ce point Tertullien
apporte un temoignage formei : parmi tant d'actes de Neron,
un seul demeure on vigueur : celui qui frappe ies cliretiens •'.
U Apologetlque nous livre meme probablement la formule de
1. Le Blant, p. 70.
2. InU. div. 5, 11 : Scclcratissiiai hoiuicidac contra pios jura impia
condiderunt. Nam et constitutioncs sacrilegae ct disputationcs jurispo-
ritorum leguntur injustae. Domitius, de oflicio proconsulis libro VII»,
rescripta principum nefaria collegit, ut docoret quibus poenis affici opor-
teret eos qui se cultores Dei contiterentur.
3. Ap. 5.
4. Plino le ,1., Ep. 10, 96 : Coguitionibus do christianis interfui nun-
quarn : ideo nescio quid aut quatenus aut puniri soleat aut quaeri.
o. 1 N. 7 : Sub Ncrono damnatio Învăluit, ut jam hinc de porsona pcr-
secutoris ponderetis : si pius iile princeps, impii christiani ; si justus, si
eastus, injusti et incest! christiani; si nou hostis publicus, nos publici
hostes; quales simus, damnator ipse domonstravit, utique aemula sibi
pimiens. Et tamen poruiansit erasis onmibus hoc solum institutum noro-
nianuin.
liEVEXDICATION'S CHRETCESNES. 387
cette loi, en relevant cette parole liautaine : Non licet esse
cos \ 11 semble que nous tenions le texte meme dont s'armait
le proconsul : Non licet esse christianos ; et Ies actcs des
martyrs prouvent que bien souvent Tenquete se bornait â
constater quel'inculpe persistaită se dire cliretion^. D'ailleurs,
en vertu d'une assimilation deja aneienne, Ies noms de sacri-
leges et de rebelles i-eparaissaient dans Ies remontrances des
magistrats ■■*, comme equivalents au nom de chretiens; mais
on voit que plus d'un hesitait devant cette assimilation, et
Pline represente avec naîvete cette humanitc du fonctionnaire
encore novice, qui ne sait ce qu'il fautpunir : des crimes averes,
ou le nom, considere comme presomption de crime ■'' ? Enfin le
caractere esceptionnel de cette action judiciaire ressort prin-
cipalement du role qu'y remplit la torture, par laquelle on
veut obtenir, non comme d'ordinaire un aveu franc, mais un
lâche desavcu. A tous ces egards, le temoignage de l'epître
ă Trajan a d'autant plus de valeur qu'il est, pour ainsi dire,
plus impersonnel, qu'il emane d'un fonctionnaire plus scru-
pulcusement soucieux de legalite. Les sommations d'honorcr
Ies dieux et Timage imperiale n'ont qu'un but dans la pensee
du gouverneur de Bithynie : avcrer le delit de christianisme,
et la perseverance dans ce delit, cause des rigueurs de la loi^.
1. Ap. 4. — La mi'iiio formule se retrouve dans les Aotes d'ApoUonios,
martyr du n" siecle, 2:j {Analecta Bollandiana, t. 14 (1895), p. 290) : To
SoYfjia tfiţ (7UY''''-'1™'J etîTlv ypitrTiavoiJ; (i/] E'iva'., et dans Sulpice Scv6ro, Ch'i'on.,
i, 29 : Post ctiam datis logibus rcligio vctabatur, palamque cdictis pro-
positis christianum esse nou licebat.
2. Passion des SciUUains, 2-3; saint Jiistin, 2 Ap. 2.
0. .ictes ds saiiil Cyprlen : Galerius Maxinius... sententiam vix et acgrc
dixit verbis hujusniodi : Diu sacrilega luente vixisti et plurimos nefariae
tibi coiispirationis homincs adgregasti et inimicuni te diis romanis et
religionibus sacris constituisti, cte...
1. Ep. 10, 9o. Nec meilioci'iter haesitavi... nomen ipsum, si (lagitiis
careat, an flagitia cohaerentia nomini puniantur.
5. Ep. 10, 96 : Qni negabant esse se christianos aut fuisso, cum prao-
cunte mo deos appellarent et imagini tuae... ture ac vino siipplioarent,
praeterea maledicerent Chi-isto, quorum nihil possc cogi dicuntur qui sunt
re vera christiani, dimittendos esse pHtavi. — Trajan, dans son rescrit
approuva son proconsul. Or cette procedure est exactemcnt celle que de-
crit â son toui- TcrtuUien, Ap. 2 : In omnibus nos aliter disponitis qnam
ceteros nocentes, ad uimm contendendo ut de eo nomine oxcludamui' :
excludimur enini si facimus quae faciunt non christiani.
388 THEOLOGIE DE TERTULLIEX.
L'examen de l'Apologetique confirme cette observation ' . Que
porte Faccusation? la qualite de cliretien. Que vise l'instruc-
tion? precisement la qualite de cliretien. L'encens offert aux
idoles est un moyen d'epreuve, ce n'est pas le seul ^. Enfin
que mentionne la sentence? la qualite de cliretien, et de clire-
tien perseverant dans sa foi : l'accuse qui abjure se voit aus-
sitot absous. Or aux termes du droit romain, Paccusation doit
specifier la loi enfreinte par l'accuse. Ici le mot christianus,
christianus confessns specific le delit et motive la condamna-
tion. 11 semble donc ditlicile d'echapper k cette conclusion que
Ies verdicts rendus contre Ies chretiens n'etaient pas formules
au noni du droit commun, ni au noni d'un pouvoir discretion-
naire de haute police, mais bien au nom d'une loi d'exception^.
Et de cette loi d'exception, Ies martyrs, et aussi Ies apolo-
gistes, appelaicnt au droit commun.
L'enormite juridique dont l'Eglise soufifrait au deuxieme
siecle suppose une periode d'elaboration, durant laquelle des
haines clairvoyantes ne s'etaient pas fait faute d'ăgiter le
spectre chretien '', et avaient reussi a creer ce crime d'opi-
1. Voii' Callewaoi-t, H. <>. II., 1. c, p. 36 sq., ot Ies faits apportes i)ar Tei--
tuUîon, Ap. 44, Scap. 4. — Ap. 2 : Deniquo quid do taboUa recitatis?
Illum cliristiauum... Christiaaus si niiUius criminis nomen est, valdc
ineptiiin si solius nominis crimcn est. (Texte retabli par M. Callewacrt,
11. H. L. R., 7 (l'J02), p. 334, d'aprcs le codex Fuldensis).
2. U y avait ancore l'epreuve des viandes defcnduos. Ap. îl : Iu tormento
"cliristianoi'um botulos etiam cruore distentos admoveiis, ccrtissimi se.
iUicitum esse peues illos per quod exorbitare eos vultis.
3. Bl. Callewaert (Les premiers chretiens et faccusation de liise-majeste,
dans H. Q. H., t. 76, 1904) nous parait a\'oir olairement litabli contre
Mommsen que la Le.x Julia majestatis ne fournit pas une explication plau-
sible do la proceduro usitee contre les chreltiens, d'autant que les magis-
trata pers(',cuteurs ne s'y referent jamais. Latliese ne sera guere eontestee
pour los temps postorieurs â Dcce ; mais nombrc (l'historiens font encoro
dator de Dece la legislation contre Io christianisiiie. II ost vrai que la loi
(rcmpire cdictee par Dcce coupa court, par sa prccision, aux torgiversa-
tions dos magistrats ; mais en cela consista, croyons-nous, sa principale
innovation .
4. On assiste a la fortnation do la legende clicz Tacite ct Suetone, dor-
dinaire niicux informes. Tacite, qui ne croit pas Ies chretiens coupables
d'avoirinccndio Rome,excuse neaumoins les cruautes exercecs parNcron
adversuî sontes et novissima exempla merilos (Ann. 15, 44). Suetone les
rcgarde comme dos factieiix adonnes â une superstition malfaisante : Ju-
daeos, impulsoro.Chrestoassidiie tuniultuantes, Roma exp\i\it(Claude,2o).
ACCUSATIOXS COATlîE LES CHUETIEXS. 389
nion ^ contre lequel s'acharneront Ies persecuteurs. Aussi Ter-
tullien reeditcra-t-il, pour Ies refuter, toutes Ies vieilles ca-
lomnios, meme celles auxquelles on ne croyait plus guere.
Mais tont d'abord ii a pose la question sur son vrai terrain ju-
ridique, en declarant au pouvoir que le christianisme, comme
tel, se sent meconnu, et qu'il proteste contre une loi d'excep-
tion.
II. ACCUSATIONS CONTRE LES CHUETIENS. IMPIETE.
Venant au detail des accusations ■■^, Tertullien s'occupe
d'abord [Ap. 7-9) des crimes secrets — occulta facinora —
reproclies aux assemblees chretiennes. On representait Ies
agapes'' comme des festins de Thyeste, suivis d'attentats
pareils â celui d'CEdipe. On racontait qu'â Tissue de ces hor-
ribles repas un chien, attache au lampadaire, etait excite â
courir sur la nourriture qu'on lui jetait : Ies tenebres s'ensui-
vaient, et Ia debauche. De 1ou.t cela, quelle preuve? Pas d'autre
que des on dit. La belle rhetorique de Tertullien triomphe dans
la mise en scene'' du neophyte â qui on propose une telle ini-
tiation; puis dans laretorsion'', appuyee sur des faits certains :
cnfants ai'ricains immoles â Saturne, victimes humaines adultes
offertes au Mercure gaulois, sacrifice d'un bestiaire lors des
feries latines, au sein des fainilles romaines infanticides frc-
quentes, breuvages de sang humain montionnes dans Ies his-
Al'llicti suppliciis clu-istiani, genus homiiiuin siiperstitionis uov;u' ac ma-
Iclicac {Neron, 10).
1 . Lo niot est (Ic Jlominsen (/Jiim. Slrafrecht, p. 1 18) : Gesirmungsverbrechen.
M. Boissier, apres avoir constate que l'on cmploj'a contre Ies chretiens Ies
armes de droit coninuin, et sui'tout la loi de majeste, ajouto qii'ils furent
senls ii ne pas benefioier de l'adoucissement que le temps produisit dans
l'application des lois, et demeurcrent jusqu'au bout poursuivis d'une haine
excessivo ctderaisonnable. Rienn'est plusjustoquc cesobservations; juais
l)eut-etro ii rosto quelquc chosc â dire pour resoudre completement la
question juridique.
2. Voii- dans le Dict, arch. l'article de Dom Lecleroq, Accusalions contre
Ies chreliens.
3. Ap. 7; 1 .V. 7.
4. Ib. 8.
5. /*. 9: 1 .V. 1.5. u;
390 TIIEOLOGIE DE TERTULLIEN.
toires et recherclies eiacore par la superstition : bien eloignee
de ces pratiques, la loi chretiennc interdit memc le sang des
animaux. L'inceste, autorise par Texempie de Jupiter, n'est
point rare chez Ies paicris : la loi chretienne se distingue par une
chastete severe.
Les crimcs publics — manifestiora facinora ■ — retiendront
plus longtemps l'apologiste. 11 les groupe sous deux chefs :
crime d'impiete envers les dieux (10-27), crime de lese-majeste
imperiale (28-'i5) \
Sur le chef d'impiete, ii repond simplement que les chretiens
cessent d'lionorer les dieux le jour ou ils s'apergoivenl que ce
ne sont pas des dieux. A ceux qu'ofîenserait son langage, ii
ofîre de faire la preuve, et en appelle â leur propre conscionce ^.
Lâ dessus, satire sangiantc du polytheisme (10-15) : noiis en
avons deja rencontre les principaux traits-', et ii n'y a pas lieu
d'y revenir. En regard de ces dieux menteurs, ii va presenter
le vrai Dieu, le Dieu des cliretiens. Tout d'abord ii refute en
passant unc calomnie (16) : des rumeurs nees d'une anecdote
de Tacite, Hist. 5, 3, accusaient les chretiens d'adorer une tete
d'âne, et tout recemment un miserable avait promene dans
Carthage une caricature representant le Christ avec des oreilles
d'âne, et accompagnee d'une inscription immonde'''. On sait
deja comment, apres avoir sape les bases du polytheisme,
1. Ap. 10 : Dcos, inquitis, noii colitis, ct pro imperatoribiis sacrificia
non penditis... Itaque sacrilegii et iiiajestatis rei convenimur. — Le crimen
sacrilegii repond au nona grec : desoiriţ. (Voir Athenagorc, Ambassade
pour les chretiens, 3). Cest lâ une acception anormale : d'ordinaire sacri-
legium signifie : voi d'objets sacnîs. On rencontre ce sens, Scap. 2 : Nos,
quos sacrilegos existimatis, nec in fiu'to unquam deprehendistis, ncdum
in sacrilegio. Omnes autein, qui templa dispoliant, et per deos jurant et
cosdem colunt, et christiani non sunt ot sacrilegi lamen deprehcnduntur.
— Le crimen sacrilegii reparaiti-a sous divei-s nonis : Ap. 24 : crimen
laesae romanae religionis, irreligiosiiatis elogiuni;2'î : inlentalio laesae di-
vinitaiis; cf. 13 : impii et sacrilegi el irreligiosi erga deos.
2. Ib. : Deos vestros colei'e dcsinimuscx quo illos non esse cognoscinius.
lloc igitur exigcrc debetis, uti probemus non esse illos deos, et idcirco
non colcndos quia tune demum coli debuissent si doi fuisscnt... Appella-
mus et provocanius a vobis ad conscientiam vestram : illanos judicet, illa
nos damnet...
3. C. II, S 2, â propos de 2 iV.
4. Christianoruin Deus onocoetes. — Cf. 1 N. 11. II.
CRIME DE LESE-MAJESTE. 391
Tertullien etablit l'unite de Dieii ; 17-20) <, la divinite de Jesus-
Clirist (21) ^ ct montre dans Ies dieux du paganisme de simples
demons (22-27) •'.
Apres avoir repoussele reprochedimpiote, ilnemanque pas
de le renvoyer ă ses adversaires. L'aUaque dirigee contre le
polytlieisme atteint son point culminant dans une page '' ou ii
montre Ies chretiens prives d'un droit sacre entre tous, celui
d'honorer Dicu solonleur conscience ; et Ie seul vrai Dieu exclu,
par un rcnvcrsement monstrueux, des adorations qu'on pro-
digue ă tous Ies usurpateurs de la divinite.
Ces developpements, tres agressifs mais aussi trcs eloquents,
avaient pourtant moins de prise sur beaucoup d'intelligences
que ceux de la seconde pârtie, pris en plcine vie romaine.
Arrivonsau crime de lese-majeste imperiale.
IU. LES CHRETIENS ET LE POUVOIR I.MPKIUAL.
Le crime de lese-majeste imperiale est lui-mome un crime
de lese-divinite : car dans l'empire romain, i'onde sur une reli-
gion d'Etat, Cesar est dieu, et sans contredit le plus redoute
des dieux. Aussi la tâclie de l'apologiste devient-elle delicate
quand ii entreprend de venger le lo^'alisme chrotien. Car on lui
repondra : par le seul fait que vous deniez au prince Ies lion-
neurs divins, vous vous constituez rebelles. Ceci nous amene
a caracteriser, avec quelque detail, cettc institution du culte
imperiaP, destinee ă peser d'un si grand poids sur Ies desti-
1. C. II, S 1, p.li sq.
2. C. I, § 1, p. 3.
3. C. UI, § 3,p. 153 sq.
4. Ap. 24 : Vidcte enim ne et hoc ad irrcligiositatiseloglumconcun-at,
adimere libertatcm religionis et interdicere optioneni divinitatis, ut non
liceat mihi colcre quom velini, sed cogar colerc quem nolim... Sed nos
soli arcemur a religionis proprietate... Apiid vos quodvis colere jiis est
praetcr Demn vcrum. — Cest tout le fond des livres ad Naliones.
5. Voir la these de l'abbe E. Beurlier, Essai sur le culte renduaux empe-
re-ars romains (Paris, 1890). — Felix Moiniot, Essai sur ihistoire de l'au-
guskilite (Paris, 1805). — F ranz Cuniont, L'eternile des empereurs romains;
dans n. Ii. L. R. , t. 1 (1896), p. 436 sq. — ,Jean RcviUe, Ln reliţ/ ion ă Rome
sous lesSeveres (Pai-is, 188G). — Xoii.s ferons des emprunts a noti'e articJe
392 THIÎOLOGIE DE TERTULiaEN.
nees de l'Etat romain et sur celles de TEglise : dans la pole-
mique de Tertullien, elle occupe une position centrale.
Cest au contact des peuples orientaux que Ies Romains
apprirent â ranger leurs princes parmi Ies dieux. L'Egypte
avait adore Ies Pharaons comme incamalions du dieu Ra; Iu
Perse aussi adora ses rois. Philippe de Macedoine, parvenu
a l'apogee de sa puissance, osa, Io premier entre Ies Grecs,
prctendre aux honneurs divins. Alexandre imita son pere; la
mort mit le sceau â une apotheosc commencee de son vivant
dans le rayonnement d'une prodigieuse conqucte. Lcs generaux
hâritiers de son empire demembfe recueillirent leur part de
ce culte : Ies Seleucides eurent des autels dans Antioche, Ies
Ptolemees dans Alexandrie. Cet exemple ne fut pas perdu
pour Ies autres ^princes d'Orient; et Ies jjroconsuls romains,
gouverneurs de l'Asie ou de I'Afrique, y trouverent des popu-
lations depuis longtemps rompucs â l'adoration de leurs
maîtres. R entrait dans la politique romaine d'exploiter ces
dispositions, et le monde ne demandait qu'â se laisser gagner
au culte des empereurs. Deja Jules Cesar, dans Rome, avait
encourage une adulation sans bornes. 11 aut son char au Capi-
tole, en face de Jupiter, sa statue d'ivoire au cirquc entre Ies
statues des dieux immortels, dans le temple de Quirinus une
autre statue avec llnscription : Deo invicto. 11 eut sa couronne
d'or, semblableâ celle des dieux; ii eut ses sacrifices ct son
temple, avec Marc-Antoine pour flamine. Mort, ct â peine dis-
păru dans Ies flammes d'un bîiclier oi\ Ies matrones jetaient â
l'envi leurs plus precieuses parurcs, il regut du senat et du
peuple le nom de Divus et un nouveau sanctuaire [heroon] .
Une comete qui părut vers ce temps-la fut generalement eon-
sideree comme une manifestation du dieu regu dans TOlympe.
Octave, qui lui succeda, en s'intitulant modestement I)ii>i
filius, se laissait peu a peu hisser sur Ies memes autels. Plus
discret que son rival Sextus Pompcc qui, ecumant alors Ies
mers, se faisait appeler fils de Neptune, et substituait ă la
pourpre des generaux romains une robe d'azur, moins extra-
(li'filiuides relir/ieuses, t. 05 (20 juiii IW):!), p, 737 sq : Le dieu Ciinar cm lemps
de Seplime Severe.
LE DIEU CESAR.
393
vagant que son rival vVntoine, qui paradait dans Athenes
comme un autre Dionysos, h la cour de Cleopâtre comme
rOsiris de cette autre Isis, Octave refusait Ies honneurs divins
dans la capitale de Tempire. Meme apres Actium, et quand ii
eut pris le nom d'Auguste, ii affectaitde mettre entre lui-meme
et Apollon, son dieu favori, une distance que Rome no deman-
dait qu'â oublier. Mais deja la flatterie dos poetes offîciels
s'exprimait sans ambages, et declarait la divinite d'Auguste
reconnaissable a ses exploits, comme Jupiter aux eclats do la
foudre :
Caolo tonantem credidimus Jovem
Regnare : praesens divus habebitur
Augustus, adJGctis Britannis
Imperio gravibusque Persis K
Le vieux culte latin des genies servit de point d'attache â des
rites inspires par la superstition etrangere ; le genie d'Auguste
fut associe aux dieux lares. L'Italie avait devance Rome dans
son zele pour la divinite imperiale. Des villes dataient le com-
mencement de l'annee de la venue d'Auguste en leurs murs.
Naples, Curaes, luidediaientdesjeux quinquennaux. A Pompei,
â Pişe, ii avait des flamines; ă Forum Clodii en Etrurie, un
autel; â Benevent, â Terracine, â Pola, â Verone, â Cremone,
ă Pişe, ă Pouzzoles, des temples. Mais l'Italie n'avait fait que
ceder â la poussee des provinces. L'Asie fut la premiere â bri-
guer la faveur d'elever des sanctuaires au nouveau dieu. Au-
guste y mit pour condition qu'â son nom serait associe celui de
la deesse Rome. Pergame donna l'exemple des l'annee 29 avânt
Jesus-Christ; au cours desannees suivantes, le sol de l'Asie se
couvrit de temples. L'Espagne tarraconaise entradans ce mou-
vement â partir de l'an 26; la Gaule suivit de preş. En l'an 12,
elle fondait, au confluent de la Saone et du Rhone, une fâte
annuelle. Les solennites del'autel lyonnais, organisees par une
loi imperiale, excitaient l'emulation sur d'autres points duter-
ritoire gaulois. Deja la pieţe des peuples ne se contentait plus
d'un culte provincial : chaque municipe voulait avoir le sien.
De Narbonne â Samarie, d' Alexandrie au Bosphorc, les villes
1. lioracc, Od. 3, 5.
394 THEOLOGIK DE TERTULLIKX.
et Ies princes rivalisaient de zele pour offrir a Tempcreur un
somptueux Augusteum. Athenes lui consacrait le temple
qu'elle avait destine â Zeus olympien. On briguait Ies fonctions
de flamine, pour presenter au genic d' Auguste Ies vooux de la
cite; tel souverain, comme Polemon, roi de Pont et du Bos-
phore, ne dedaignait pas Ies fonctions de ce sacerdoce. En
Orient, on aspirait au titre de neocorc, imperial; en Occident,
autour des autels municipaux, se developpait, sous le nom
d'or(5?« augustalis, une bourgeoisie provinciale, pepiniere de
serviteurs devoues pour l'empire. Le culte du prince devenait
le lien ol'ficiel de tous ceux qu'attirait la l'ascinalion de Rome,
et pour ainsi dire la forme autlientique du loyalisme romain.
L'empereur est mort : le senat, gardien attitre de la reli-
gion, a par decret ouvertle ciel, etle pantlieon romain compte
un divus de plus. Reste â celebrer de dignes funerailles. Le
corps, porto sur Ies epaules des plus jcunes senateurs, sera
depose au forum. Devant lui defilera un cortege imposant :
images des ancetres, choaurs de jeunes gens executant des
chants funebres, images en bronze des peuples vaincus, le senat,
Ies chevaliers, la garde pretorienne. Un des prochcs de l'em-
pereur prononcera l'oraison funebre; puis on se remettra en
marclie vers le champ de Marş oii le corps doit etre brule. Du
bucher en flammes s'elancera un aigle, figurant l'âme du de-
funt, et Ion trouvera sans peine un senateur complaisant pour
jurer qu'il avu le (ii>?/s monter auciel. Cette ceremonie funebre
ouvre la serie des nouveaux honneurs que Rome promet â sa
memoire. Desormais associe aux dieux de l'Olympe, ii aura
comme eux sa statue amenee sur un cliar special aux jeux du
cirque ; son nom sera introduit dans Ies formules offîcielles de
serment, et la moindre irreverence envers son image sera
punie comme un sacrilege.
Tel est le spectacle que, sauf quelques variantes et avec des
degres divers d'enthousiasme. Rome vit se reproduire souvent
durant trois siecles. Pour trois ou quatre empereurs sceptiques
sur leur propre divinite — tel Vespasien dont on cite ce mot
amer â l'approclie de la mort : « Je sens que je deviens dieu ' » ,
I. Siietoiio, Vespaaien, 23: Vae, inqnit, puto doiis lîo.
LK DIEU CESAR.
395
— ii y eut un plus grand nombre de fous. Caligula, dans ses
fantaisies mythologiques, părut avoir perdu le sentiment du ri-
dicule dont ii couvrait la majeste imperiale. Tour â tour Her-
culc Castor, Pollux, Dionysos, Mercure, Apollon, ou meme
Junon Diane, Venus, ii devint encore jaloux do Jupiter. On
dut lui apporter de Grece le Zeus d'Olympie, dont ii comptait
remplacer la tete par la sienne propre. Le vaisseau ayant peri
en mer frappe de la foudre, l'empereur voulut, commc le maître
des dieux, avoir son tonnerre, et s'en fit faire un, qu'actionnait
ime machine. Domitien, dans ses lettres officiellcs, s'intitulait
seicneur et dieu. Commode renouvela Ies folies sanguinaires
de Caligula. Fier de ses succes dans Ies cbasses de l'amphi-
theâtre, ii aimait â se montrer en Ilercule pare des depouilles
du lion de Nemee. Parfois, le bon sens public reprenant ses
droits, le senat fletrissait la memoire d'un tyran : Caligula,
Neron, Domitien furent prives de l'apotheose postlmme; Com-
mode ne dut la sienne qu'â la requete de Septime-Scvere; le
nom d'Klagabale fut martele sur ses monuments. Mais souvent
aussi la volonte du prince multiplla Ies divini tes dans sa i'amille :
tel empercur fit voter Ies honneurs celestes ă son pere, tel ă ses
enfanis, tel a son epouse, tel ă sa concubine. Sans doute beau-
coup de ces consccrations furent ephcmeres, et Ies dieux faits
par le senat retomberent dans l'oubli avec le caprice du prince
qui leur avait procure des autcls. Neanmoins cette forme
absurde du polytheisme etait si bion entree dans Ies moeurs
que le christianisme ne lui donna pas de suite le coup de mort.
Le langage des anciennes apotheoses, bien que vide du sens
qu'y attacbait le paganisme officiel, se maintint apres l'edit de
Milan, et la dynastie constantinienno presente encore une
longue serie de divi.
Dans cette debauohe universelle d'adoration, que devenaient
Ies consciences libres ? On en compte peu dans Ies rangs de la
societe paîenne. A peine Feclio de quclques protestations iso-
lees est-il venu jusqu'â nous. On attend le regne de Tibere
pour se scandaliser qu' Auguste ait usurpe tous Ies honneurs
reserves aux dieux ^ Sous Caligula, quelques independants
1. Tacite, Ann. 1, 10.
396 TUliOLOGIIÎ DE TERTULLIEN.
s'abstiennent de jtirer par le genie de l'empereur, et ii leur en
coute la vie ^ Sous Neron, Thraseas se condamne â mort en
marquant son mepris pour la deessc Poppee'^. Pour trouver
des exemples d'oppositions coUectives et publiques, ii nous
faut interroger Ies historiens juifs et chretiens.
Cest un fait assurement remarquable que la capitulation de
la force romaine devant le monotlioisme indomptable d'un petit
peuple. On sait que quand Ies legions entraient ă Jerusalem,
(illes avaient ordre de laisser â Cesaree leurs enseignes sur-
montees d'emblemes idolâtriques. Un chef venait-il, par me-
garde, a enfreindre cette consigne, on savait bien l'avertir, et,
d'ordinaire, ii se rendait ă la premiere observation. Ainsi Ies
Juifs, tant que dura le protectorat romain, fîrent-ils respecter
leur foi et leur temple. La tolerance dont ils jouissaient â Jeru-
salem s'etendait a tout Fempiro, ou Fon n'exigcait d'eux ni
serment, ni sacrifice, et ce dernier privilcge survecut a leur
independance naţionale -^ Un seul incident vint jeter l'alarme
dans la viile sainte. C'etait sous Caligula. Les Grecs d'Alexan-
drie ayant brule quelques synagogucs, installe dans d'autres
l'image de Fempereur, se flatterent d'etoufîer la plainte, et mi-
rent si bien de leur cote Firritable vanite du maître, qu'il reso-
lutde se faire adorcr dans le temple meme de Jerusalem. Philon
a raconte la legation dont, avec plusieurs de ses coreligion-
naires, ii fut charge dans cette circonstancc, et les affronts
dont, â Rome, on l'abreuva. Deja Petronius, legat de Syrie,
avait regu les ordres les plus precis : une colonne doree, sur-
montee de Fimage imperiale, devait etre placee dans le temple ;
sur le socle on ecrirait le nom de Zeus. En vain Petronius, au
perii de sa vie, osa-t-il represcnter qu'on exterminerait les
Juifs plutotquc de les tlecliir; en vain le roi Agrippa, profitant
de la faveur que Caligula lui marquait, essaya-t-il de parler
raison â ce furieux. On pouvait tout craindre, quand le glaive
1. Suetone, Caii;/. 27.
2. Tacite, Ann. 16, 21.
3. Dif/esle, 50, 2, 3 : Eis (iiiijudaicaiii supcrstitionem sequuntur D. So-
vorus ct Antoiiinus lioiiores adipisci pormisenint, sed et necessitates eis
imposuerunt quae siip(>rslilionem eoruiii nou laedcrent. — Les deux eni-
perours ici nomraes soni Soptiine-Severe et son tjls Antonin Caraealla.
LE DIEU CRSAR. 397
de Clierea delivra la terre d'un monstre et mit le saint des
saints a Tabri d'une profanation.
L'histoire des resistances de la conscience chretienne au
culte des Cesars est plus longue etplus sanglante. Desleregne
de Trajan, nous voyons des fideles mis par le debonnaire Pline
en prosence de l'image imperiale, pour offrir de l'encens et du
vin- leur refus est puni de mort^. Au milieu du deuxieme sie-
cle saint Polycarpe, conduit devant le proconsul de Smyrne,
est somme de sauver sa vie par un serment : « Jure par le genie
de l'empereur et maudis le Christ. — Eh! comment maudi-
rais-jc le Clirist qui, depuis quatre-vingt-six ans^ m'a comble
de biens"? » L'instant d'apres, on Fentraînait au bucher. La
premiere annee du regne de Commode (180), â Scillium, en
Afrique, unetroupe deconfesseurs, des liommes etdes femmes,
est amenee au proconsul Saturninus. « Vous pouvez, leur dit
le magistrat, meriter l'indulgence de l'empereur, notre maître,
en rcvenant â des idees saines et en sacrifîant aux dieux tout-
puissants. — Nous n'avons ricn fait, ni rien dit de mal, repond
celui qui paraissait le chef de la troupe. Nous respectons, crai-
gnons et venerons notre empereur, pour qui nous offrons cha-
que jour un sacrifice de louange. — Et nous aussi sommes
religieux, reprend Saturninus. Notre religion est simple : nous
jurons par le genie de l'empereur, notre maître, et offrons des
vTOux pour son salut. Faites-en autant. — J'ignore la puis-
sanco du siecle, dit un autre confesseur, au parler plus rude;
mais je connais le Seigneur, empereur de tous Ies princes et
de tous Ies peuples. » lls perirent par le glaive ■*.
Au temps de Septime-Severe, la persecution sevissait une
fois de plus, et en iVfrique surtout elle fit de nombreuses vic-
times. Les ecrits de Tertullien nous renseignent sur cette
crise ; ils nous font connaitre les sentiments de la communaute
chretienne, le mot d'ordre donne aux fideles par les pasteurs;
ils nous montrent ceux-ci preoccupes de dissiper tous les ma-
lenlendus, de ne fournir aucun pretexte ă la malveillance, at-
1. Pline, A>. 10, 96.
■2. Martyrium Polycarpi, 9, ?,. Ed. Fiink, Patres Aposlulici, t. I, p. mi.
3. Analecta BoUandiana, t. 8 (1889), p. 6-8.
398 THEOLOCIE DE TERTDLLIEN.
tentifs a preciser la limite dos concessions possibles ; en meme
temps ils nous revelent Ies exces, compromettants pour l'Eglise,
de quelques intransigeants.
Prenant l'offensive, â son ordinaire, l'apologiste presse Ies
zelateurs du culte imperial. Vousfaites pour Ccsar, leur dit-il,
ce que vous ne feriez pas pour vos dieux^. Apres tout, vous
avez raison ; car un Cesar vivant vaut mieux que tous ces dieux
morls. Vous le savez bien, et c'est pourquoi, parmi vous, on
se parjure plus volontiers par tous Ies dieux que par le genie
de Cesar. Cependant l'on nous transforme, nous, en criminels
de lese-majeste ^. Vous devriez prouver tout d'abord que ces
demons, invoques par vous, peuvent quelque ohose pour Cesar,
ou pour qui que ce soit. C'est le contraire qui saute aux yeux.
Car, eux-memes, que seraient-ils sans Cesar? Eh bien, s'il faut'
le dire, nous invoquons pour le salut des empereurs •' le Dieu
eternei, le vrai Dieu, le Dieu vivant, dont Ies empereurs memes
mettent la faveur au-dessus de tout. Les empereurs, en effet,
connaissent celui qui leur a departi Tempire et la vie; ils le
connaissent pour le seul Dieu, qui seul les tient en sa puis-
sannce, qui les a places immediatement au-dessous de lui, au-
dessus de tous les dieux, do tous les hommes vivants et morts.
Rien qu'â considerer les bornes de leur empire, ils se sentent sous
la dependance de Dieu : impuissants contre lui, puissants par
lui. Ce Dieu les fit empereurs, comme ii les fit hommes; de
lui precede le pouvoir, comme la vie. Voilâ celui que nous,
cliretiens, prions, les bras etendus. Nous lui demandons pour
les empereurs longue vie, regne tranquille, foyer sAr, armees
vaillantes, senat fidele, peuple loyal, univers en paix. Tels sont
les voeux qu'on peut former pour un homme et pour Cesar.
Nous les adressons a celui qui seul peut les exaucer. Et main-
tenant, venez interrompro notrc priere; appelez â voire aide
ongles de fer, croix, torches ardentes, glaives, betes furieuses :
tous vos supplices trouveront dans une attitude favorable le
chretien qui piie. Courage, dignes magistrats, arrachez-nous
cette âme qui prie Dieu pour l'empereur !
1. Ap. 28.
2. Ib. 21.1.
3. Ib. 30.
LES CHRETIEXS ET LE POUVOIR. 399
Fa quelles raisons de prier pour lui ''i* Tertullien nn indique
trois. D'abord, dit-il, nos Ecritures, parole authentique de
Dieu, Dous en font un devoir. Elles nous obligent, en efîet, de
prier meme pour nos ennemis et pour nos persecuteurs : et qui
donc merite ces noms plus que ceux de par qui l'on nous per-
secute? Mieux encore : Ies Ecritures nous obligent de prier
nommement pour Ies princes, afin d'obtenir la paix. Car, si
etrangers qu'on nous croie aux agitations de ce monde, Ies
coups qui l'ebranlent ne laissent pas de nous atteindre.
Une seconde raison -, encore plus pressante, de prier pour
l'empereur ct pour Rome, c'est llniminence de la fin du monde,
que retarde seule la destinee de Rome ; en prolongeant cettc
destinee par nos prieres, nous arretons Ies iloaux suspendus
sur vos tetes. Nous ne jurons point par le genie de Cesar,
c'est vrai; mais nous jurons par son salut, plus auguste que
tous Ies genies,
En troisieme lieu ', nous prions pour Tempereur parce que
nous v(3n<irons en lui l'elu de Dieu, de notre Dieu : de par ce
choix, ii est notre empereur a un titre bien special, Les voeux
que nous formons pour lui ont d'autant plus de valeur, qu'ils
s'adressent â une majeste toute puissante, qu'ils sortent de
coeurs soumis, et qu'ils respectent la souverainete essentielle
de Dieu sur toute majeste terrestre. Vaudrait-il donc mieux
nous moquer de l'empereur, en lui pretant une divinite â la-
quelle lui-meme ne croit pas et dont ii ne veut pas ?
Assurement, ces trois raisons sont d'incgale valeur. La se-
conde; traduit simplement les preoccupations millenaristes qui
remplissaient alors bien des âmes cliretiennes ; et, si la der-
niere est inattaquable, Tertullien y melc des considerations
peu solides, faisant l'empereur ennemi de sa propre divinite :
supposition toute gratuite, contre laquelle eut proteste plus
d'un Cesar. En vainajoute-t-ilque, pour les triompliateurs mon-
tant au Capitole, rien n'etait plus glorioux que de sentendre
avertir : Tu es homme. En vain evoque-t-il le souycnir d'Au-
1. Ap. 31.
•2. II). :"!2.
3. Jb. 33.
400 THEOLOGIE DE TERTULLIES.
guste, qui no soufîrait pas memele titre indifferent de seigneur :
dominus '. Dopuis Auguste, on avait fait des progres dans l'a-
dulation, et, quand Domitien ou Commode, par exemple, se
laisait appeler dominus, ii entendait bien reclamer riiommage
idolâtrique dont un vrai chreLien se def'endait. L'apologiste
retrouvc tous ses avantages pour opposer au serieux de la
priere chretienne la licence des demonstrations pai'ennes dans
Ies jours de letes imperiales^. Bel liommage, s'ecrie-t-il, en
verite, que ces exliibitions de recliauds et de lits pour Ies sa-
crifices et Ies festins, quc cette transformation de la cite en ta-
verne, ces mares devin repandues sur le sol, ces bandes qui
courent Ies rues, en quete de mauvais coups â faire et de plai-
sirs malsains! Beau spectacle que ces portes couronnees de
laurier, qui donnent a vos demeures l'aspect de mauvais lieux!
Et maintenant, repondez vous-memes, Quirites, plebe dos sept
coliines : la liardiesse de cette langue romaine epargna-t-elle
jamais quclqu'un de vos Cesars? Habitues des bords du Tibre
et des ecoles de bestiaires, repondez : si, en cet instant meme,
on pouvait lire dans vos coeurs, qu'y verrait-on? L'image d'un
autre Ces;-)r, et puis d'un autre encore, offrant au peuple tou-
jours de nouveaux dens dejoyeux avenement. Vous n'en criez
pas avec moins de conviction : « Que Jupiter retranche de
nos annees pour ajouter aux votres! » Mais je quitte la plebe,
cette plebe si acharnee contre Ies chretiens; je passe au se-
nat, aux chevaliers, â l'armee, au palais. Lk du moins, peut-
etre, tout est fidelite, devouement â l'empereur? Et d'oii
donc sortaient Ies Cassius? D'ou donc sortaient, hier encore.
Ies Niger et Ies Albinus, armes contre Severe? D'oîi donc, sor-
taient ceux qui, le fer â la main, epiaient Pertinax entre Ies
deux lauriers? et tant d autres? lls etaient romains, ceux-lâ, et
pas chretiens, car on aime a opposer ces deux noms. Eh bien,
tous ces hommes, ă la veille de leur attentat, sacrifiaicnt pour
le salut de Fempereur, et juraient par son genie, et ne se fai-
saicnt pas faute de traiter d'ennemis publics Ies chretiens.
Examinez Ies survivants de la revolte, ceux qu'on decouvre
1. Ap. ;]'l.
-Z. Ib. 35.
I,ES CIIRKTIEXS ET I-E FOUVOIR.
401
eiicore lous Ies jours, comrne des grappes oublicJcs apres la
vendango des parricides : vous verrez qu'ils cclebraient Ies
Jetes imperiales; mais deja ils pronongaient tout bas le nom
d'un autre maître. Rcpondez-nous donc : qui sont Ies vrais
Romains ' ? Ceux qui cachenl des sentiments hostiles sous le
masqae de la pietc, ou ceux pour qui la fidelite aux empereurs
n'est qu'une forme de l'obeissance due â Dieu?
Cette affirmation du loyalisme cliretion no manquait pas
d'opportuiiite, a une epoque ou le pouvoir ericore mal affermi
de Severe voyait partout des guets-apens. I.e fait est que ni
dans reffort de Pescennius Z^Jiger, brisc en Orient des 194, ni
dans le soulevoment d'Albinus, ecra?e a Lyoa (19 ievrier 197),
on n'avait pu. saisir la main des chretieas. Et pourtant, ii leur
eut ete facile de se faire craindre. Nous ne sommes que d'hier-,
s'ecrie encore Tertullien, et nous vous cnvahissons partout :
Ies cites, Ies îles. Ies châteaux, Ies municipes, Ies assemblees,
Ies camps m6me, Ies tribus. Ies decuries, le palais, le senat, le
forum : nous ne vous laissons que vos temples. Qnels ennemis
ne serions-nous pas, si nous voulions, etant donnes notre nom-
bre et notre mepris de la mort? Que dis-je? 11 nous suffirait,pour
nous venger, de vous abandonner â vous-memes, de nous retirer
dans quelque desert : vous seriezi effrayes de votro solitude.
On aurait tort de voir dans ces dcrniers mots une menace :
l'apologiste ne veut que faire touclier du doigt la puissance
du sentiment religieux qui contenait Ies cliretiens dans l'o-
beissance : ii n'ctait pas plus question d'unc prise d'armes que
d'un exode collectif au desert.
Dans un autre ecrit du meme temps, l'attitude des cbrctiens
au milieu des recentes commotions de l'empire suggere â Ter-
tullien d'eloquentes paroles ^. Ija Syrie, dit-il, est encore em-
pestee de Todeur des cadavres ; en Gaule, le Rhone n'a pas fini
de laver le sang de ses rives. Nous sommes demeures etrangers
aux competitions des partis. Nous ne le sommes pas moins k
cette guerre d'epigrammes qui ne desarme pas. Nous refusons
1. Ap. m.
2. 76. 37.
3. 1 N. 17.
TIIEOLOGIE DE TERTULLIEN. 20
402 THEOLOGIE DE TEllTCLLIEN.
do jurer par le genie de rempereur. D'autres le font sans peine :
ils jurent aussi par Ies dieux, et meme ils se parjurent. La
divinite de Fempereur est un point sur lequel nous ne saurions
transiger.
Ces declarations si nettes n avaient sans doute pas ete en-
tendues, car, quinze ans plus tard, Tertullien Ies reiterait en
termes plus pressants au proconsul Scapula. Le chretien, dit-
il', ne hait aucun hommc, Tempereur moins que personne. II
reconnaît Fempereur pour Felu de son Dieu ; comme tel, ii doit
Faimer, le rcspecter, Fhonorer, vouloir son salut, comme celui
de tout Fempire romain, tant que durera le siecle; car Fempire
durera autant que le siecle. Nous lionorons donc Fempereur,
mais selon notre devoir et son interet, en lui donnant le pre-
mier rang apres Dieu. Nous sacrifions pour le salut de Fempe-
reur; mais c'est a notre Dieu, qui est aussi le sien, que nous
sacrifions, selon Fordre divin, avec une simple priere; priere
d'autant plus cflicace que nous Fadressons au Tout-Puissant.
Apres avoir citc au magistrat des exemples de pcrsecuteurs
frappes par Dieu ^, entre autres ce Claudius Herminianus,
gouverneur de Cappadoce, ronge vivant par Ies vers qui
semblaient jaillir de son corps, et s'ecriant : « Du moins
que Ies chretiens ne le sachent pas ! » Tertullien se defend •*
de vouloir Fintimider. Nous ne cherchons pas â faire peur;
nous n'avons pas peur non plus. Le sentiment qui nous inspire
est Famour que nous portons â tous Ies liommes, et qui nous
fait dcsirer de Ies sauver tous. x\u nom de cet amour, nous vous
avertissons de ne pas lutter contre Dieu : [x^i 06Ofi.a)ţ^Eîv. Assez
d'autres ont su concilier Ies droits de Fhumanite avec Ies de-
voirs de leur charge : voyez ce que vous permet votre cons-
cience, envers des hommes qui ne sont ni des infâmes ni des
rebelles, Ceux qui ont voulu pousser a bout la patience des
chretiens se sont brises*. Arrius Antonius, proconsul d'Asie,
Ies persecutait avec fureur. Un jour, c'est une viile entiere qui
se presente â son tribunal, s'avouant hautement chretienne.
1. Scap. 1. 2.
•2. Ib. 3.
:î. Ib. A. Non t(^ tei'reiiius, qui noc timomus.
1. Ib. o.
LES CHRETIBNS ET LE l'OUVOIR.
403
Hors de lui, le pauvre gouverneur s'ecrie : « Malheureux ! si
« vous lenez âperir.n'avez-vous pas des cordes etdes precipi-
ces?» Scapula voudra-t-il mettre Carthage â feu et â sang?
Avânt de s'engager dans cette voie, qu'il reflechisse : tous Ies
acxGs, tous Ies âges, toutes Ies conditions, jusqu'aux plus ele-
vees, sont representees dans le cliristianisme. Et quand on
aura epuise toutes Ies armes legalcs, rien ne sera fait : car on
ne deracinc pas cette croyancc. Elle puise au contraire dans
la persecution de nouvelles forces et une puissance nouvelle
d'attraction. Non deficiet haec secta.
Jusqu'ici nous n'avons entendu, chez Tertullien, que l'aecent
d"un loyalisrae sincere, et l'examen de ses autres ecrits ne de-
mentirait pas cette conclusion. C'est dans le meme esprit qu'â
diverses reprises * ii a commente la maxime evangelique :
« Rendez â Cesar ce qui est â Cesar et â Dieu ce qui est â
Dieu ». Chez le fougueux orateur, la plainte de l'innocence
opprimec gronde parfois comme une menace. Mais Io in de
vouloir se i'aire craindre, Ies cliretiens ne songeaient qu'â
rendre sensible la puissance du principe surnaturel qui en-
chaînait leurs bras en face de rcpresailles trop faciles et, au
besoin, Ies devouait â une mort volontaire. Si on accepte Ter-
tullien comme un interprete ordinairement fidele de leurs sen-
timents cnvers le pouvoir, on reconnaîtra que Ies chretiens,
intransigeants quant au culte des Cesars, acceptent d'ailleurs
pleinement le principe de l'oboissance civique. Ils n'en de-
placent la base que pour la mettre sous la garde d'une fîdelite
plus haute, celle qu'ils ont vouec a Dieu mame. Cesar a peu â
craindre de tels conspirateurs -.
Comment donc justifîer la guerre inexpiable que Ies Ce-
sars lirent au christianisme, et sur qui faire peser la responsa-
bilite des persecutions sanglantes? M. C. Guignebert, â qui
Ton doit une enqu6te approfondie sur Ies idees politiques de
Tertullien 3, est porte âcharger le christianisme. Nous sommes
d'un avis contraire, et ii faut dire pourquoi.
1. '1 M. 38; Scorp.Xi; Idol. 15; Fug. 12.
2. Voirâce propos Bossuct commentant Tertullien, dans IcCinquieme
averiissement aux protestant), 1. 12. 13. 16. — Freppel, 8" lecon.
3. C. Guignebert, TerluUien; aude sur ses sentimenis a v'egard de Vem-
404 TllEOLOClB DE 'lERTULUEN. ).
Sur le terrain de la legalite, nul doute qiie le christianissie
ne fut condamne d'avance. Mais â moins de souscrire au priii-
cipe du pire despotisme, on doit admettre que toute loi emanee
d'une autorite humaine est essentiellement sujette â revision.
Cest la these liardie peut-etre, assuremont pas tres nouve,
que Tertullien posait au debut de son Apologetique. Avouons
sans dotour ropposition qui cxistait entre la foi chretienne et
le culte de Cesar, devenu en i'ait. au cours des deux derniers
siecles, le fondomentde la constitution romaine. Mais ce fonde-
ment etait-il si necessaire qu'on ne put asseoir sur une autre
base un devouement sincere â TEtat? Tous Ies Romains n'en
jugeaient pas ainsi. La preuve que le serment civique, sous sa
forme reprouvee par la conscience chretienne, n'avait rien
d'essentiel, c'est qu'on en dispensait Ies Juifs'. L'exemple de
cette autre rcligion, egalement monotheiste, egalement in-
transigeante, et qui pourtant. sauf un incident passager sous
Caligula, ne fut guere inquietee, montre que le pouvoir s'ac-
commodait fort bien de Tobeissance passive. Le christianisme
ne reclamait que sa place au soleil de l'empire, ct s'il se fut
contente de l'aire la grimace ^, selon le mot de Tertullien.
devant le culte des Cesars, ii est probable qu'on ne l'eut pas
persecute. Mais ii y avait son proselytisme, contre lequel on
pire el de la socieie civile, p. 145 : « II ii'y a poiiit cncoro outre le christia-
nisme et l'empire de terrain projire â fondcr luio entente. Consciemment
ou non, en depit de ses protestaţi ons, quelle que soit au fond la bonne
volonte qu'il a pout-fitre, Tertullien est un rcvolutionnaire et un ennemi
do l'empire romain, parce que la loi de son Dieu le force â nier Ies prin-
cipes memes de cet empire, et qu'il a place le service rigoureux de ce
Dieu avânt l'oVjeissance civique; parce que sa foi le contraint a etabliv
eutre Ies princes une distinction autrement profonde que celle que Ies
Romains eux-inemcs faisaient entre Ies bons et Ies mauvais empcreurs;
parce qu'il pretend choisir entre Ies onh'cs de la puissance seculiere, et
n'aceepter, parmi Ies lois d'un Etat, en pârtie fondo sur une religion, que
eolles qui peuvent s'aecorder avec une anlro religion tres intolerante. —
Dans notre article cite des Eludes religici'xes, nous avons prescntc (p. Toi
sq.) des reserves sur la m6thode et Ies conclusions de cet ouvrage.
1. Tertullien constate que la loi romaine. tolerait la religion juive, et
que le christianisme a grandi a l'ombrede cette tolorance : Quasisubiim-
braculo insignissimae reliţ/ionis, certe licitae (Ap. 21, debut).
2. 1 .V. 17 : Super hoc eniiu, quod vulgo aiunt, sannam facimus.
LES CHUETIENS ET LE POUVOIU.
405
voulait se premunir; etbien que Septime-Sevore ait proscritdu
meme coup la propagande juive et la propagande cliretienne ^ ,
on ne sauraitassimiler completoment l'une a Pautre. Les Juifs,
hautains dans leur isolement, d'ailleurs brises en tant que
nation des le premier siecle de notre ere, semblaient parfois,
malgre leur renom de proselytisme, plus jaloux de garder pour
eux la loi de Moise que d'en faire part â tout venant. II en allail
autroment de l'apostolat cliretien, qui avait regu pour mot
d'ordrc : « Allez, enseignez toutes Ies nations », et qui, appe-
lant do preference Ies humbles, les delaisses, tous ceux que
Tobscurite de leur condition tenait plus â I'ecart des nouveautes
religieuscs, acquerait chaque jour plus d'ascendant pour les
âmes. Aussitandis que d'autres propagandes s'exerşaient sans
controle, tandis qu'Isis et Mitlira recrutaient chaque jour des
adeptes, avaient conquis leurs autels dans Rome, le senat,
d'ordinaire plus hospitalier aux divinites etrangeres, le peuple,
qui ne croyait pas qu'abondance de dieux put nuire, poursui-
vaient le christianisme d'une haine implacable -. Pour bien
comprendre ce fait, ii f'aut evidemment tenir compte du carac-
tere special de cette propagande, et chercher dans son es-
sence meme ce qui la designait aux rigueurs du pouvoir.
Propagande exclusive et destructrice des idees regues, voilâ
bien le grief qu'enoncent contre le christianisme ceux qui es-
timent qu'il n'y avait de salut pour la societe romaine que dans
Ie mos inajorum, et qu'en touchant â cette arche sainte on
risquait de tout perdre. Mais encore, que valait ce mos mnjo-
riim,ie ne dis pas aux yeux d'un philosophe, mais aux yeux
d'un paien tant soit pou capable de reflechir? De la vieille re-
ligion italique, ii ne restait plus rien. Le dieu Sterquilinus, le
dieu Fabuliuus, la deesse Potina, et tous ces dieux des Indigi-
tamenta, aux dopens desquels Tertullien amuse parfois son
1. Spartien, .b'euere, 17 : In itinenî Palaestinis pluriiiia jura fundavit.
Judaeos fieri sub gravi poeiia vetuit. Idem etiam de christianis sanxit. —
La mesure en question date probablomcnt de l'anmie 202; elle est poste-
rieure â l'ApoIogetiquo. — Voir Kusebe, //. E. G, 2, 2. 3.
2. Comme Tertullien, IIippolyt(î est un temoin de cette haine. Comm. in
Daniol. 1, 23 (35) : Ol 7a? ăvonoi o-j Tta-jov-ra'. Powvte; -/.al)' Tiilmi xa'i /iyovTe;"
aTps ix TJi; yviţ tou; toioutou;' oO rip xoi6?,xov «Oto^î ţviv.
406 THEOLOGIE DE TERTULLIEX. [
lecteur, avaient fait leur temps. Du pantheon romain, resiaVre
par Auguste, ii reslait Ies douze graiids dieux, passablemeBt
bellenises, d'ailleurs bien eclipses par cette foule de dieux
nouveaux qui venaient chaque jour, de l'Orient, leur disputer
des adorateurs. On Ies encensait encore, mais on n'y croyait
plus. Dans ce vague syncretisme auquel Ies âmes inclinaient
de plus en plus sous l'action dissolvante du mysticisme orien-
tal, une seule clioSe restait debout : le culte personnel de Co-
şar. II avait rendu â Rome ce service de rallier Ies ciloyens
autour du Capitole deşerte, de los encliaîner â un passe qui
menagait ruine, et de leur montrer dans un symbole vivant
tout ce qui surnagcait dans le naufrage des anciennes croyances,
des anciens usages, do tout ce qui avait fait la force et la gran-
deur de la chose romaine. Voilâ pourquoi Ies hommes de tra-
dition s'attachaient desesperement â cet imposant debris, avec
une energie qui rappelle l'ânie republicaine d'un Caton :
Non ante rcv(^llai-
Exanimem quam te coiuplectar, Roma, tuumqiu!
Nomen, Jibortas, ct inanom proscquar umbram.
Or, un jour vint oii, sous Ia poussee du cliristianisme gran-
dissant, la statue du dieu părut chanceler sur sa base, aux
yeux de ses adorateurs. Ce jour-lâ, entre le cesarisme paîen,
appuye sur trente legions, et Ie christianisme, arme du seul
Evangile, la guerre fut declaree. Elle devait se terminer par le
triomphe du christianisme. Etait-ce doncun si grand mal pour
l'empire, et Ies habitudes d'esprit que cette nouveaute deran-
geait, valaient-elles tout le sang qu'ellcs ont fait couler ? Poser
une telle question, c'est, semble-t-il, la resoudre. Quoi qu'il en
soit, dans la lutte qui s'ouvrait, le christianisme n'avait pas
cte l'agresseur. Car, s'il disait librement son fait au dieu, ii
demeurait fidele au prince. Non seulement ii n'attaquait pas le
pouvoir, mais ii Iui preparait un fondement plus solide, en
ruinant le mensonge ofiiciel qui avait trop dure deja et qui ne
pouvait durer indefiniment. En osantdire tout haut ce que bien
d'autres pensaient tout bas, Ie christianisme deplagait I'axe de
la vie humaine ; ii substituait a l'adoration d'un homme l'obeis-
sance envers Dieu ; ii ne supprimait pas le patriotisme romain,
LES CHIIETIEXS ET LK POOVOIll.
407
mais ii l'enveloppait et Io rechauffait dans Ies ardeurs d'un
■ sentiment plus large, de cette fraternite chretienne que Ies
paîens eux-memesne pouvaient se deiendre d'admirer. Llieure
n'etait-elle pas venue? C'etait le temps ou des juristes illustres,
Ies Ga'ius, Ies Papinien, brisaient l'etreinte du vieux droit et
mettaient en bonne lumiere la notion d'equite ' ; TertuUien
n'etait que l'echo de ces grands enseignements quand ii consi-
gnait dans una page immortelle ce mot qui ne vieillit pas :
« Une loi injuste ne merite point le respect : legis injustae ho-
nor nullus ^. » On pouvait meme nourrir l'espoir qu'un Cesar
eclaire, un deiste tel que Marc- Aurele, comprenant le neant
de sa propre divinite, y renoncerait de bonne grâce, se deci-
derait â chercher pour le vieil edifice de la constitution ro-
maine an fondement moins fragile, et â depouillcr une aureole
d'emprunt, sinon â incliner son glaive devant la croix. La
tentative incomplete d'un Alexandre-Severe, peu d'annees
apres Septime, montre ce qu'aurait pu etre une telle entre-
prise, conduite par une main ferme. En donnant, ne fut-ce
qu'au nom de la raison, un demenţi solennel k sa divinite,
l'empereur eîit frappe un grand coup ; ii eut tue la vieille reli-
gion d'Etat et venge l'honneur de l'humanite. Eut-il du memc
coup compromis l'empirc? Cest au moins fort douteux. L'his-
toire dit seulement qu'un tel Cesar ne se trouva point. Les
questions que nous posions n'en restent pas moins ouvertes :
Convenait-il d'engager plus longtemps le sort du monde sur
une fiction aussi precaire que degradante? Et ceux qui Ia de-
nongaient meritaient-ils d'etrc jotcs aux lions commc traîtres
envers l'Etat, plutot qu'acclames comme des emancipateurs?
Si l'on resout negativement ces questions, on doit conclurc
que le pouvoir des Cesars n'etait pas fonde â invoquer contre
le cliristianisme grandissant le droit de legitime dcfense.
Quoi qu'il en soit, une jalousie aveugle et pusillanime s'obs-
tinait â reclamer des chretiens l'holocauste que les chretiens
S'obstinaient â refuser. Toutes les protestations de loyalisme
1. Cf. 1*. Kvi'igei', Histoire des sources du droit romain (t. 16 du Ma-
nuel des anliquites roniaines, p. 167-169: — Monceaux, p, 22t).
2. 1 A'. 6.
408 THKOLOCIE DE TERTULLIEN. .
ne scrvaient qu'ă preciser davantage Io terrain d'une oppositioii
irreduotible. C'cst ă briser cette oppositioii que le pagaiiisme\
consacra trois siecles de persocutions, et le paganisme s'y usa. '
Des l'origine du confliL, Ies chretiens avaient prevu ce denoue-
mcnt. Lcs premiers apologistes, Justin, Atlienagore, Meliton,
envisageaient avec un optimisme intrepide l'eventualite d'une
conversion de l'empire au cliristianisme. TertuUien, moins
confiant, ne la mentionne que pour l'ecarter aussitot. « Les
Cesars, dit-il, auraient cru au Clirist' si les Cesars n'etaient
pas necessaires au siecle, ou si des cliretiens avaient pu otre
Cesars » '. Pensee briliante et subtile, dont, sans doutc,
ii ne faut pas trop presser le sens, qui, en tous cas, n'enga-
geait pas ri*]glise, et qui devait etre un jour dcmcntie par les
l'aits. Cette alliance du cliristianisme et du pouvoir qui, au
commencement du troisieme siecle, semblait un reve, fut con-
sommee au quatrieme.
IV. LES CHRETIEXS lîT LA VIE liOMAINE.
Entre la vie romaine et l'esprit chretien, l'opposition^ etait
plus profonde et plus irreconciliablc qu'entre ce meme csprit
et l'exercice du pouvoir imperial. Loin d'attenuer cette opposi-
tion, Terlullien prend quelquefois plaisir â Texasperer. Voici
comment ii justifie les cliretiens sur le chef d'association illi-
cite ■".
L'association chretienne est exemple des inconvenienls
qu'on redoute de la partd'autres associations ''. Si on les pro-
hibe, c'est dans l'interet de la paix publique. On vout evitcr
que lors des elections et deliberations, au Senat, aux assem-
blees, aux jeux, la cite se scinde en deux camps, el que la
1. Ap.n.
2. On peut voii" sur cette opposition Ia peiuturo — un pcusombro — de
Jl. L. Lehanneur, Annales de la faculle des lellres de Caen, 1880, fasc. 'i et
4 : Les chretiens en presence de la sociele anliquc, d'apres TertuUien,
3. Ap. 38. . ,
4. Inter licitas factiones sectam istam deputari oportebat, a qua nihil
tale committitur quale de illioitls factionib.us timeri solet.
LIÎS GHliETlENS ET LA VIE liOMAlKE. 409
passion fasso appel â une violence mcrcenaire. Or Ies chre-
tiens, exempts des ardeurs de Tambition, n'ont pas besoin de
societes; rien ne Ies touche moins que Ies affaires d'iitat :
ils se contentent d'etre citoyens du mondc ' . Ils renonoent ega-
lement aux spectacles, nes de la superstition et pleins de frivo-
liLe. Ils n'ont rien de commun aveo la folie du cirque, l'effron-
terie du tlieâtre, la cruaute de l'arene, la vanito du xyste.
Ces derniers mots sont une esquisse du futur trăite De spec-
laculis. Mais Ies pai'ens n'avaient pas besoin d'etre avertis de
ce qui se passait au cirque et au theâtre. Aussi, apres avoir
demande : Est-ce donc vous offenser que de trouver notre plai-
sir ailleurs? ii passe outre. II prefere s'arreter au tableau des
asseniblees chrctienncs, si meconnues et si calomniecs, de ces
agapes dont le nom meme signifie amour, et ou tout respire la
modestie et la charite ^. II conclut : Ces reuuions meritent
d'etre proscrites si elles ressemblentă toutes celles qu'on pros-
crit, si elles encourent Ies reproches adresses aux factions.
Mais quand nous sommes-nous jamais reunis pour la perte
d'un homme? Nous sommes enscmble ce que nous sommes
isolement, le corps vaut ce que valent Ies individus. Nous ne
blessons personne, nous ne contristons personne. Une reunion
1. Xobi.s ab ornni ^ioi'iaoet dignitatis ai'(!or(î frigcntibus iiuUa ost ik^cos-
sitas coctus nec ulla magis res aliena quam publica. Unam omniuni rom
i)iiblicain agnoscimus, mundum. — Comparer Ep. â IHvgnete, o, 5: IlarpiSo:?
or/.oOfTcv loiaţ, aXÂ* wţ Tiapotxoi" jx£T£'y_o*j^i TiâvTojv (b; iŢoXiTat, xal 7rav8' Otiojas-
voyţj'.v w; ^s'joi" irăfra |ivri Tiaxpi; etîTu avTwv, %at Tcaca TiaTpît; ^ev/i.
■1. y{p. a». Voii" ci-dessus, ch. I, S 4, p. 30. TertuUien a soin de mettrc
on luiiiicre Ies traits comminis aux as.somblecs chretiennes avcc ces colle-
i/ia lenuiorum dont l'c.xistencc etait sanctionnoie par un senatusconsulte.
Voir une inscription de l'an 13G ap. .1. C, C I. L. 14, 2112, 1 : Kaput ex
xi>natusconsnlto populi romani ; Quibus coirc, coUegiumque habore liceat.
Qui stipem menstruam conferre voicnt in fun(ira, in it collegium coeant
eonfcrendi causa unde defuncţi sepeliantur. -- Cf. Diţ/est. 47, 22, 1 : ... Per-
mittitur tcnuioribus stipem menstruam conferre, dum taincn seinei in
niensi; coeant, ne sub praetextu liujusmodi illicitum collegium coeat. —
On remar()uei'a que TertuUien ne fait pas cxpressement appel a ce sena-
lusconsulto sur Ies coUeges fnneraircs ; son argumontation ne tend qu'a
montrev dans l'Eglise une association inoffensivo et bienfaisante, digne
d'etre toleree au mfimc titre que tant d'autres associations non reconnues.
Voir, sur Ap. 39, le commentairo de JI. Waltzing : E lude hiUorique sur Ies
forporalions professiormclies chez Ies Iiomains,t. 1 (Louvain, 1895), p. 310.
410 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
d'liommes honnetes etbons, d'hommespieux etinnocents, n'est
pas tme faction : c'est un senat.
Et (ju'est-ce qu'une faction? ^ Une reunion ou l'on conspire
contre Ies gens de bien, contre le sang innocent. Reservez
donc le nom de factions aux gens dont la haine prend occasion
de tous Ies malheurs publics ponr incriminer Ies chretiens.
Si le Tibre deborda, si le Nil ne dcborde pas, si le ciel est
d'airain, si la terre tremble, s'il se produit une famine ou quel-
que fleau, aussitot on crie : « Les chretiens aux lions ! » Eh
quoi! n'y avait-il pas de fleaux avânt l'apparition duchristia-
nisme? II y en avait, et d'aussi terribles: depuis ces cataclys-
mes qui engloutirent plusieurs îles de la Mediterranee avec
des milliers d'habitants et toute TAtlantide et d'autres terres
encore, jusqu'ă la bataille de Cannes et â la prise de Rome par
les Gaulois. Et jamais les causes n'ont manque : car jamais
riiumanite n'a cesse d'offenser Dieu. Aujourd'hui la justice
divine s'est mame faite moins rigoureuse, precisoment grâce
aux chretiens qui intercedent preş de Dieu pour l'iniquite du
siecle. Ce qui provoque trop reellement la vengeance du ciel ^,
c'est le regne de l'idolâtrie. Mais, dira-t-on, les fleaux n'epar-
gnent pas plus les adorateurs de Dieu que les impies. II est
vrai : Dieu a pour lui Teternite ; ii escompte le dernier juge-
ment ; en attendant, sa Providence est egale k tous. Les fleaux
qu'ilenvoie sont,â nous, chretiens, parfois des avertissements ;
â vous, des châtiments. Apres tout, que nous importe"? Notre
esporance est au-dessus de ce monde. Mais vous, qui n'en
pouvez pas dire autant, montrez vraiment trop de bonte en
continuant vos hommages ă ces dieux qui vous frappent âcause
de nous.
Les calomnios auxquelles vient de repondre Fapologiste
n'avaient aucune vraisemblance aux yeux de paîens eclaires.
Plus specieuses etaient celles qui rcpresentaicnt les chretiens
comme gens de nul rapport pour la societe, infrucCuosi In ne-
sotiis ■* : leur vie retiree devait offrir des armes â leurs enne-
1. Ap. 40; 1 A'. 9.
2. Ib. 41.
3. Ib. 12,
LES CHRETIENS ET LA VIE IlOMAINE. 411
mis. Tertullien aborde cette question delicate. Les chretiens,
dit-il, ne sont pas des brahmes ^ ou des gymnosophistes hin-
dous, ni des sauvages habitant au fond des bois. Ils semelent
â la vie commune ^ en ayant soin d'ailleurs de fuir tout exces.
On les rencontrc au forum, au marche, aux thermes, dans les
boutiques, les ateliers, les hotelleries, lesfoires, sur mer, dans
les camps, aux champs, prenant part aux transactions com-
merciales, mettant leur savoir-faire au service de la socieLc.
Hs ne frequentent point les ceremonies paiennes, c'est vrai,
mais cela ne les empeclie pas d'etre hommes -^ On ne les voit
pas, couronnes de fleurs, ofl'rir de l'encens aux dieux, c'esl
vrai ; mais le commerce des aromates n'y perd rien, car les
sepultures chretiennes en depensent plus quo les sacrifices
palens. Les revenus des temples baissent, c'est vrai ; mais Ic
budget de la charite compense largement ce deficit, et le fisc
n'a pas de meilleurs creanciers que les chretiens. Pourtant, ii
y a des gens qui ont le droit de trouver les chretiens irapro-
ductifs ■'• : ce sont les entremetteurs, les assassins, les em-
poisonneurs, les devinsetles sorciers. Ceuxquin'encouragent
pas de telles professions ne laissent pas de servir utilement la
societe, ne fut-ce qu'k titre d'honnetes gens. Cependant,on
compte pour rien la per te de tant de vies innocentes, devorees
par la persecution '■'. On oublie que les registres des prisons
deposent eloquemmcnt en faveur des chretiens. Parmi tant
d'assassins et de fripons, combien se trouve-t-il de chretiens ?
1 . L'Occident connaissait depais quelque temps rascetisiac des Brahiues.
Voii- Apulce, (id. Itildebrand, 2,60; Clement d' Alexandrie, Stromat. 1, 15
(Migne, 8, 769 B et 781 A), 3, 7 (Migne, 9, 1 164) et autres, ap. Oehler. — Noel-
dcchen, p. 174-175.
•Z. Comparer lip. d Diogneie, 5.
3. I>e langage populairo faisait des chretiens une espece d'hommes â
part, un lerlium genus; cf. 1 A". 8 : Plane tcrtium genus dicimus... utsint
Romani, Judaoi, deliine Cbri-stiani. Scorp. 10. Voir ace propos l'etudi»
minuticuse de Harnack, Die Mission und Ausbreitung des Christentums,
p. 177-204. — Tertullien relancaitl'injure â la face des paîens,en montrant
chez eiix un tertium genus constitue par les eunuques, 1 A'. 20 : Ilabctis
ot vos tcrtium genus, etsi non de tertio ritu, attamen do tertio sexu. Illud
aptius de viro et de feraina viris et feminis junctum. — Cf. le propos d'A-
lexandre-Severc, rapportc- par Lamprido. 23^ 7.
4. ^p.43.
5. Ib. 44.
412 THEOLOGIIÎ DE TEriTULl-IEN.
Pas un: ou si d'aventure ii s'en trouve quelqu'uD, c'est qu'il
a cesse de vivre chretiermement. Instruits par Dieu meme, Ies
cliretiens sont seuls innocents ' . La loi divine poursuit le crime
â une profondeur que n'atteint pas la loi humaine ; elle coupe
la racine du mal, elle possede une autorite incomparable,
grâce â une sanction oternelle. La crainte de Dieu a plus de
l'orce que celle du proconsul.
Les perspectives que ces pages nous ouvrent sur la vie ro-
maine s'eclairent par la lecture des traites moraux. Trois sur-
tout doivent nous arreter ici : De spectaciilis, De corona et De
idololatria.
Ecrit pour l'instruction des catechumoncs, le ti'aite Des
spectacles- est un monument du zele sacerdotal de Tcrtullien.
II s'agissait de premunir les nouveaux fideles ^ contre la seduo-
tion d'un plaisir dangereux et contre les sophismes d'une pas-
sion ingenieuse â se justifîer '. Que le chretien songe au ser-
ment de son baptcme -'. Le jour ou ii descendit dans la piscine
sainte, ii a declare renoncer au demon, â sa pompe, a ses an-
ges; donc, avânt tout, â l'idolâtrie. Or tout, dans les specta-
cles paîens, est idolatrie : leurs origines, qui rappellent quelque
dieu^, leurs noms, egalementempruntesaux dieux '' \ au cir que,
l'appareil ambitieux *, le lieu meme, tout peuple de divinites ^ ;
les allusions mythologiques *"; au theâtre, le regne de Venus
et de Liber''' ; dans les jeux et concours gymniques, le souvenir
1. ApAî).
2. Voir E. Xoeldechen, Terlullian und dns Spielwesen, dans Zischr. /'.
wiss. TheoL 37 (1894); Terlullian und der Agon, dans Nev/:s Jahrb. f.
deutsche Tliool. 3 (1894) ; TorluUian und das Theater, nebsl Anhang : Terlul-
lian und das AmphUheater, dans Zlsch. f. Kirchengeschichle, 15 (1895). '
Qui cum maxime ad Dcum acccditis.
3.
Sp.
1 : (
4.
Sp.
, 2.3
0.
Ib.
4.
0.
Ib.
5.
7.
Ib.
().
8.
Ib.
7.
9.
Ib.
8.
10
. Ib.
. 9.
11
. Ib.
. 10.
I.ES CHRETIENS ET LA VIE ROMAINK. 413
des dicux eponymes de ces jeux ' ; aux combats de gladiateurs,
Ies anciens sacrifices, dont ces combats sont une transforma-
tion -; rampliithcâtre, consacre par plus de ceremonies que
le Capitole, est un pandemonium ou Marş et Diane ticnnent le
premier rang. Comme on s'abstient des viandes offertes aux
idoles ■', a plus forte raison doit-on s'abstenir de ce qui souille
Ies oreilles, Ies yeux et Târne ello-meme. Condamnes par leur
caractere idolâtrique, ces divertissements le sont encore par
leur immoralite '' : ils flattent de honteuses passions. Quel
entraînement ■'^ ! quelle fureur ''l quels scandales'! Le stade
devrait rappeler aux chretiens la chute d'Adam etla victoire du
demon ^ : Palaestrica diaboU negotiuin est. A l'ampliilheâtre,
on va voir couler Ie sang innocent '••. Malgre la seduc-
tion du spectacle, l'opinion humaine est severe aux gens de
theâtre '"' ; la justice divine ne le sera pas moins pour le de-
vergondage inherent a leur profession et la vanitc de leurs
deguisements. Voilâ ces pompes diaboliques auxquelles on a
renonce par le bapteme. Les paîens ne s'y trompent pas ^'^ : Ia
premiere marque â laquelle ils reconnaissent un nouveau chre-
tien, c'est qu'il ne va plus aux spectacles ; s'il y retourne, c'est
undeserteur. Et comment au cirque garder la paix de I'âme^''?
Comment au theâtre garder la cliastete ? Comment mediter Ies
oracles del'Ecriture parmi ces vociferations profancs? On osera
bien, de ces mains qu'on a levees vers Dieu, applaudir un his-
trion; de cette bouche qui a confesse Dieu, dire â quelque au-
I. Sp. 11.
-.2. Ib. U.
3. Ib. 13.
4. Ib. l'l. Cf. ci-dessusVI, g 5, p. 288.
5. Ib. 15.
6. Ib. 10.
7. Ib. 17. 21.
8. Ib. 18.
9. Ib. 19.
10. Ib. 22. — Les Canons d'IIippolyle imposent aux gens de theâtre et de
cirque une attente de quarante jours, avânt de les admottre au cateehu-
menat. (12,67. 08.)
II. Sp. 23.
12. Ib. 21.
13. Ib. 25.
414 TJTEOI,OGIE DE TEinULLlEN.
Ire : eîţ aîoivaq 0.-K aiiovoţ! 11 faut haîr ' cesreunions paîennes oîi
l'on blaspheme le nom de Dieu, oîi chaque jour retentit ce cri :
« Les chretiens aux lions ! » ou se decretent Ies persecutions,
d'oîi procedent les tentations. Quefera le cliretien surpris dans
ce foyer de pag-anisme? A l'lieure ou le demon fait rage dans
l'assemblee, cst-ce que du ciel les anges ne se penchent pas
pour noter qui a profere un blaspheme, qui l'a ecoute, <jui a
prete au demon contre Dieu sa langue, qui ses oreilles? EtFon
ne fuira pas ces assises des ennemis du Christ, cette chaire
depestilence, cette atmosphere saturee de paroles criminelles V
11 y a dans ces spectacles des parties agreables, sans doute, et
meme des parties honnetes. Qu'importe? Cest le miel, dont
le demon parfume la coupe empoisonnee. 11 iaut laisser aux
convives du siecle ces joies malsaines ^ : le chretien trouve
dans sa foi une source de joies meilleures et de spectacles
plus beaux.
Nous venons de voir les chretiens ă la viile; le trăite de la
couronne nous montrc les chretiens dans les camps ^.
Septime-Severe eţait mort â York, en achevant la conquete
de la Grande-Bretagne. A l'occasion du nouveau regne '', les
empereurs Caracalla et Geta accorderent ă l'armee de Lam-
bese une gratification [donativum]. Pour recevoir sa part,
chaque legionnaire se presentait â son tour , couronne de
laurier. Or, voici que l'un d'eux s'avance tout seul, tâte nue,
portant dans sa main une couronne inutile. On se le montre
du doigt, un murmure s'eleve sur les rangs. Le tribun veut
savoir la cause d'une tenue si singuliere : « Je ne puis, repond
le soldat, imiter mes camarades. ■ — Et pourquoi? — Je suiş
chretien. » On l'arrete aussitot, on le depouille de ses insi-
gnes, on lui fait rendre son epee. « Et maintenant, s'ecrie
Tertullien, empourpre par l'espoir de son sang, ayant aux
1. Sp. Ti.
2. 76. 28sq.,cf.ch.VI, S 5, !'• ^81.
3. Voir Bigelmair, op. cit. p. 164 sq.
4. Nous suivons ici M. Noeldechen T. u. U. t. 5, p. J05), et M. ^Wonccaux
(Rev. de Philolof/ie, t. 22(1898) p. 89). — M. Allanl (Persecutions, t. 2, p. 31)
place le fait sousScptinio S(!vcrc, en 198 au liou de 211. Mais lapi'omiere
page du De corona montre <|ue Tertullien etait dc'ja montanisto.
LES CHRETIENS ET LA VIE ROMAINE.
415
pieds la chaussure de l'Evangile, au flanc le glaive de la pa-
role divine, sur toute sa personne l'armure dont parle lapotre
(Eplî. 6, 11], devenu candidat â la couronne du martyre, ii
attend en prison le donativum du Christ ^. » Parmi Ies chre-
tiens, ii n'y eut qu'une voix, sans douto, pour louer le cou-
rage du confesseur. Mais son attitude fut jugee diversement.
Beaucoup n'y virent qu'une provocation inutile, imprudente
meme, et ils ne manquaient pas de bonnes raisons, car enfin,
le seul fait de mettre une couronne sur sa tete ne constituait
pas une apostasie. D'autres louercnt cette intransigeance ,
ct Tertullien devait etre de ceux-lă. Mis au defi de montrer
dans FEcriture la condamnation de la couronne, ii en appelle
â la tradition. Bien d'autres lois, pour n'etre pas consignees
dans l'Ecriture, n'en sont pas moins venerables. Et vit-on
jamais un chretien se couronner? Passant alors au proces de
la couronne en general, Tertullien deploie toutes Ies res-
sources de son erudition profane. Les premieres couronnes
furent decernees aux dieux : c'est un usage entache d'idolâtrie.
Une exageration en appelant une autre, Tauteur s'en prend au
metier des armes. Autrefois ii l'autorisait -; maintenant ii le
reprouve ^, alleguant que le service militaire est incompatible
avec le service du Christ : comment prcter serment ă deux
cliefs â la fois? Si l'on peut excusor ceux que le bapteme a
trouves engages dans la vie des camps, du moins n'absoudra-
t-on pas les chretiens qui s'enrolent dans la milice du siecle.
Ces theories radicales, que Tertullien, deja montanistc,
appuyait d'invectives contre les chefs de l'Eglise, ne devaient
pas prevaloir. Lui-m6me nous est temoin qu'on voyait alors
des clirotiens dans les legions; on continua d'en voir'', et sans
1. Vor. 1.
2. Apoi. 37 : Implevimus... castra ipsa;42 : Xavigamus et nos vobis-
cum, et militaraiis, et rusticamui', et mercatus proiiide miscemus artos
opora nostra publicamus usui vestro. — On voit meme Cor. l'que Ie
soldat de Lambesc encourut les repi-oches do camarades chretiens : Solus
scilicct fortis, inter tot fratres commilitones solus christianus '
;;. Cor. 11.
4. Reconnaissons que les Canons d'Hippolyle tiennent aussi rigueui- aux
soldats. Sur plusieuvs points, ils se roncontrent avec l'auteur du De co-
rona. Can. Hipp, 13, 71 : llomo qui accepit potostatcm occidendi velmi-
416 TIIJÎOLOGIE DE TERTULLIEX.
(loule plus d'un, comme ceux dont Marc Aurele avait fait l'e-
loge dans une lettre au senat, trouva moyen d'accorder Ies
exigencos de sa foi avcc son devoir militaire.
Cest encore ă la periode montaniste qu'il i'aut vraisembla-
blement rapporter le trăite lie l'idolatrie^, ecrit paradoxal et
violent, qui nous livre la derniere pensee de Tertullien sur Ies
conditions de la vie chretienne dans le monde.
On s'imagine parfois -, dit-il en commenşant, que l'idolâtrie
consiste seulement â offrir des victimes ou de l'encens aux
idoles. Cest beaucoup trop en restreindre la notion : a le bien
prendre, toute offense de Dieu est idolatrie. De meme qu'on
peut etre adultere par simple regard, liomicide en paroles, de
meme l'idolâtrie sinsinue partout. Elle est plus vieille que Ies
1(S, nunquam i-ocipiatiir oninino. 72. Qui vcro, cum cssent milites, jussi
sunt pugnarc, cctorum autem ab omni mala loquela abstinuorunt, noque
coronas capitibu.s iinposuorunt, omne sigiium autom adepţi sunt ... (Ic
texte est nuitil('). T."). Ornnis autem homo qui ad gradum praofocturae vel
praecedcntiae, vel potestatis elevatus ornamcnto justitiao, quod est secun-
dum Evangeliuni, non induitui-, hic a grege segregetur, neve episcopus
itoram illo oret. 14, 74. Christianus ne fiat propria voluntate mi Ies, nisi
sit coactus a duce. Ilabeat gladium, caveat tamen ne criminis sanguinis
effusi fiat rcus. 75. Si compertum est, sanguinem ab eo cssc effusum, a pai--
ticipatione mysteriorum abstineat, nisi forte singulari conversion(î mo-
i'um cum lacrimis et planctu corrcctus erit. Attamon ejus donam ne
sit fictum, scd cum timoro Doi. — Mais l'Eglise devait se rclâchor beau-
coup, au cours du 111° siecle, de ces prescriptions severes. On peut regar-
der comme excoptionnolle l'opinion de Lactance qui, lui aussi, interdit
aux chreticns Ie metier des armes {Divin. hist. 6, 20); comme exception-
nellc aussi l'attitude du jeunc Maximilien, mis â mort en Afriquc en
295 poui' refus de service militaire (Acta S. Maximiliani, ap. Ruinart). —
Cf. 1'. AUard, R. Q- H., t. 45 (1889) p. 454 sq. — Lcs dispositions que nous
avons relovees dans Ies canons d'IIippolyte ont dispăru des constitutions
apostoliques, pour faire place â des dispositions tres benignes, Const. Ap.
8, 32 : «TpaxiwTY]ţ TCpocT'.wv oioa<7xsaâa> jir] âSr^sTv, [at; ffuxocpavxstv, dpxETaGat o£
TOÎţ8iSo[jisvot; o'iwvîoic... — H reste vrai quejusqu'au temps de Diocletien on
vit generalementpeu de chreticns dans Ies camps. "V. Ilărnaciv, Die Mhsion
und Aushreitung des Christenthutns, p. 388-389. Mais la prohibition du ser-
vice militaire ne fut jamais qu'une mcsuro locale et temporaire. Voir Bi-
gelmair, p. 173 sq.
1. La ralson decisive â nos ycux est Ie passage relatif au service mili-
taire (19), qui dopasse Ies exagerations dnl)e corona. On ne s'expliquerail
pas ce langagc si Tertullien n'avait deja fait uneclat. Dans le meme sens,
JI. Monceaux, «eu. de Philologie (1898)", p. 89. ,
2. Idol. 1. 2.
LES CHRETIEXS ET LA VIE HOMAINE. 417
idoles ' ; soulement elle a du son principal essor au progres des
arts reprtjsentatifs. Dieu, qui reprouve Tidolâtrie, ne reprouve
pas moins la fabrication des idoles^ (Ex. 20, 4; Deut. 5, 8; He-
noch, 99, 0. 7 ; îs. 44, 8. 20; Ps. :113, 8). Tel statuaire dira^ : Mais
c'est mon gagne pain! — Eh! qu'est-il besoin d'un gagiie-pain ?
Pourjustiiierles compromis, on ose bienciter saintPaul (iCor.
7, 20 ; 1 Thess. 4, 11). Par ce genrc deraisonnements, on justifie-
rait tous ceux qui travaillent do leurs mains, y compris Ies vo-
Icvirs. N'objectez pas non plus le serpent d'airain : ce n'etait
qu'une figure ; d'ailleurs Dieu pouvait, dans un cas particulier,
deroger â la loi que lui-meme avait posee. A defaut des oracles
de l'Ecriture, notre foi, engagec au Clirist, roprouverait cette
industrie. QuoiI vous i'aites des dieux pour ceux qui Ies hono-
i'ent, et vous pretendez ne pas lionorer Ies dieux? Mais vous
leur immolez chaque jour votre talent, votre labeur, votre sa-
gesse, votre salut! Des mains qui fabriquent des idoles'' se
loveront vers Dieu, toucheront le corps du Ciirist? Mieux vau-
drait couper ces mains, salon la parole de l'Evangile. Les arts
decoratifs ■', pour ne pas servir precisement â la fabrication des
idoles, ne laissent pas de cooperer au culte idolâtrique, et
cette cooperation ne peut s'excuser, car l'ouvrier trouvera sans
peine pour son travail un emploi aussi lucratif : la commande
est aussi variee que le caprice de l'homme. Encore faut-il que
l'idolâtrie ne s'emparc pas apres coup d'objets par eux-memes
indifferents : car alors on ne devrait pas preter les mains scien.
ment k leur fabrication. Certaines professions sont essentielle-
ment entachees d'idolâtrie ''. Telle evidemment l'astrologie, in-
vention des anges decbus. Astrologie et magie se tiennent''.
1. Idol. 3.
•2. /Ă. 4.
;!. Ib. 5. 6.
L Ib. 7. — Comparer Canons d'Hippolyle, U, 65.66.
5. Ib. 8. — Tation avait deja reproche â ces arts do so mcttre au ser-
vice de lavanite [Discours, 33.34).
<;. klid. 9.
7. Astrologi, malhemaiici, maţ/i : gens adonnes aux sciences occultes.
Cos mots sont a peu preş syiionymes pour Tcrtullieu. Tatien tenait Ie.
îiiemes professions pour diaboliquos, et envcloppait la medecine dans la
meme reprobation (Discours, 8-U ; lG-18).
TIIEOr.OGIE or, TEKTUI.I.IEN. ■)7
418 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
Jusqu'k l'Evangile, regna une tolerance; Ies mages furent Ies
derniers ă en beneficicr. Depuis lors, la reprobation de Pastro-
logie est complete. Les maîtres d'ecole et professeurs de belle
s
lettrcs font un metior fort dangereux ' , car toute la tradition de
leurs ecoles est impregnee d'idolâtrie : ii leur faut savoir la
mythologie, declinai' la genealogie des dieux, notar les fetes
paîennos, ne fut-ce que pour supputer leurs honoraires. Cepen-
dant la litterature est necessaire â tout, mome â la scionce de
Dieu : aussi ne peut-on l'interdire ă tous les fideles indistincte-
ment. Mais le role de maître est plus delicat que celui de disci-
ple : jamais un cliretien n'assumera le premier ; le second peut
etre permis k quine manquo pas de discernement. S'engagera-t-
on dans le negoce'^ ? II faut craindre lacupidite, racine de tous
Ies maux, puis le mensonge, ministre de Ia cupidite. Admet-
tons qu'il existe un deşir honnete du gain : encore devra-t-on
se garder de l'idolâtrie, fuir tout commerce par lequel on de-
viendrait pourvoyeur des idoles. Si vous vendez des aromates
pour les sepultures chretiennes, comment ne viendra-t-on pas
vous en acheter pour les sacrifices pai'ens? En aucun cas' on ne
peut ooncourir a ce qu'on ne pourrait soi-meme accomplir sans
peclie. On invoquerales necessites de la vie '. Mais ii est trop
tard. Vous avez du delibercr avânt de vous fairo cliretien;
maintenant, reste â compter sur la parole du Scigneur, a met-
tre en pratique ses maximes d'absolu delachement (Mat. 5, 3;
6, 25. 28; Luc. 18, 22; 9, 62; Mat. 6, 24; 16, 24), et ii fuir de
bien loin toute ombre d'idolâtrie. Que dire des fetes paiennes'?
Pour y prendre part, on trouve encore dans saint Paul (Rom. 12,
15; 2 Cor. 6, 14), de beaux pretextes. Cos pretextes ne sont
pas serieux, et FEvangile reprouve cesjoies profanes (Joan. 16,
20). Cest ici le cas de confesser sa foi. Mais ne peut-on s'ac-
1. Idol. 10. — Sur les coriditipns imposees au maître chretien pour
qu'il puisse continuor son cnsoigivement, voir Canons d'Hippolyte, 12, G9. 70.
•l. Idol. 11. — Volr Bigelmaii", p. 293 sq.
3. Conclusion .- NuUa igitur ars, nuUa prolessio, nulla negotiatio (juae
quid aut instruencUs aut fovmandisidoUs administrat, earero poterit titulo
idololatriae ; nisi si aliud omninointerpretamuv idololatriam quam famula-
rum idolorum colendorum.
4. Idol. 12.
5. Ib. 13.
LES CHHETIEAS ET LA VIE liOMAINE. 419
commoder aux usages innocents ' des paiens, pour ne pas Icur
donnoi'lieu de blasphemcr le nom du Clirist? 11 y a des blas-
phcmes dont Dieu ne vous demandera pas compte, et ceux-lâ
sont du nombre. Si vous voulez absolument plaire aux hom-
mcs, vous n'etes plus serviteur du Clirist (Gal. 1, 10; 1 Cor.
10, ;}.3; 9, 22; 5, 10). L'Esprit Saint deteste Ies fetes juives (îs.
1, 14) ; â plus forte raison celles des Gentils. Les Genlils se
gardent bien d'assister avix fetes chveliennes : les chreticns
n^ontrent moins de scrupule, jjar une faiblesse d'autant moins
excusable qu'eux-memes sont plus riches en fetes. Les lanternes
et les lauriers^ dontquelques-unsornent leurs portes aux jours
de fâtes sont, de par Torigine de cetto coutume, un liommagc
idolâtrique aux norabreux genies de la porte. Ceux qui par la
pretendent honorer Cesar font en realite affront a Dieu. Notre
obeissance aux princos doit etrc exemple de toute complaisance
idolâtrique : telle fut l'obeissance destrois freres devant Nabu-
chodonosor, telle Tobeissance de Daniel. Quant aux fetes de fa-
milie ^, prises de loge, fianţailles, noces, imposition de noms,
et antres ceromonies indifferentes, on peut y prendre part, alors
meme qu'elles comporteraient eomme accessoire quelque sa-
crifice; pourvu toutefois que rinvitation ne soit pas faito pour
le sacrifice. Toute participation active au rite idolâtrique''' est
coupable, meme de la part de l'esclave ou de l'affranclii qui
assisto son maître, ou de Tolficier qui assiste son chef. Ce genro
de service excepte, on peut rendre obeissance k un prince infi-
dele. Peut-on egalement accepter des distinctions ou exercer
une autorito ă sa cour, comme jadis un Joseph ou un Daniel V
Question infiniment delicate, vu les dangers ou engagent do
telles fonctions. Un juge chretien ne devra jamais frapper un
autre homme dans sa vie ou dans son honneur. Quand meme
ii se trouverait quelqu'un d'assez fort pour ne jamais pactiser
avec l'idolâtrie dans l'exercice de sa charge, ces lionneurs et
cetto pourpre sont inacceptablcs pour un chretien"'. Les mc-
1. Idol. 14.
2.}b. 15.
3. Ib. 16.
4. Ih. 17.
5. Ib. 18.
420 THEOLOGIE DE TEnXULLIEX.
mes insignes qu'un Joseph et un Daniel pouvaient porter inno-
cemment, comme Ies jeunes Romains portent la pretexte, ont
acquis au contact de I'idolâtrie une signiGcation qui Ies con-
damne ^ De plus Joseph efc Daniel, serviteurs de grands prin-
ces, devaient se plier k leur fantaisie; Ie cliretien n'a d'autre
maîtreque Jesus Christ, dontriiumilite volontaire a condamne
le faste du siecle. II a renonce ă cette pompe diabolique, la-
quelle est idolatrie, haine de Dieu, mensonge. II sacrifiera tout,
s'il le faut, â la gloire du ciel, seul objet de son ambition^.
Ce qui precede condamne deja le metier des armes ^, qui tient
le milieu entre Ies distinctions et Ies charges. Un fidele ne
peut s'enrolcr sous Ies drapeaux, ni un soldat, si humble que
soit son grade, si restreintc que soicnt ses obligations profes-
sionnelles, ne peut etre reţu dans l'Eglise. Impossible en efîet
de preter serment ă deux chefs ', de servir a la fois sous l'eten-
dard du Christ et sous Tetendard du diable, dans le câmp de
la lumiere et dans celui des tenebres; impossible de devoir
sa vie ă la fois k Dieuet â Cesar. On n'a pas le droit d'invoquer
Ies exemples de VA. et du N. T., depuis que le Seigneur,
en desarmant Pierre, a pour jamais ote le glaive aux
mains des chretiens. II faut craindrc I'idolâtrie jusque dans
Ies paroles "^ Si on nomme Ies dieux des nations — parfois
il le faut bien, pour designer le temple d'Esculape, la rue
d'Isis, le protre de Jupiter etc. — , on aura soin de ne pas
Ies traiter comme de vrais dieux. On evitera egalement
Ies formules pa'iennes de serment, telles que : mehercule
ou : me dius fidius. L'ignorănce excuse parfois ; mais en soi la
chose n'est pas exempte d'idolâtrie. Le respect humain ® fait
1. On a vu ci-dossus p. 115, n. 4. Can. Hippolyt. Io, 73 la condamnation
des grades militaircs et chai'ges civiles. Voir pourtant Bigelmair p. 125 sq.
2. A plus forte raison Ies charges de l'Eglise sont-ellcs incompatibles
avec collos du siecle. Tertullion [Praescr. 41) reproche aux heretiques do
constituer endignite desfonctionnaires publics ; Collocant... sacculo obs-
trictos.
3. Idol. 19.
4. Non convenit sacramente divino et humano , signo Christi et signo
diaboli, castris lucis et castris tenebrarum ; non potest una anima duobus
deberi, Deo et Caosari.
5. Idol. 20.
G. Ib. 21.
LES CHKETIENS EX LA VIE ROMAINE. 421
qu'intite k jurer par Ies dieux, on semble acquiescer par son
silence : toute voie est bonne au demon pour insiniier l'idolâ-
tric. Un chretien a qui Ton disait : « Jujjiter vous maudisse ! »
retorqua la malediction : c'etait parler en idolatre. Se laisser
benir par Ies dieux* : encore une forme de complaisance, inex-
cusable chez un chretien. Vous direz : Mais je ne suiş pas
oblige d'afficher ma foi. Je reponds : Vous n'avez pas le droit
de la renier. Celui-lâ renie qui, en quelque fagon que ce soit,
en actes ou en paroles, accepte de passer pour pal'en. On croit
se tirer d'affaire'-^ par une subtilite, de la faţon suivante :
pour s'assurer contre la persecution, on emprunte de l'argent
â des pai'ens, et l'on signe une formule de serment. Puis on se
rassure en disant : J'ai signe, mais je n'ai rien dit. Comme si
le scrmcnt ecrit n'etait pas un serment, et, dans Tespece, une
apostasie! La nature etla conscience protestent. Craignez que
ce billet accusateur ne vous soit rcpresente au jour du juge-
ment.
En resume^, le chretien doit naviguer a travers bien des
ecueils. Mais une foi vigilante saura Ies eviter tous. On a du
reflechir avânt de s'engager : ii n'y a point de place pour Fido-
lâtrie dans l'Eglise de Dieu.
Les pages que nous venons d'analyser {Ap. 38-45, Spect.,
Cor-., Idol.) ne doivent pas etre jugees toutes d'un mcme point
de vue. Car rApologetique s'adresse k des magistrals roinains;
les autres ecrits sont destincs a l'editication des fideles. Cette
difference de but imprime au developpement differents carac-
teres : ici revendication energique, la chaude exliortation. II
faut do plus tenir compte des dates : entre l'Apologetique et le
trăite de Tldolâtrie, la pensee de Tertullien a fait du chemin,
et l'intransigeance montaniste pousse â l'extreme certaines
Solutions pratiques. Ces reserves faites, ii faut reconnaître
qu'au fond le meme esprit circule dans toute l'oouvre du pen-
seur africain. Comment donc apprecier Finfluence de cet esprit
1. Idol. 22.
2. Ib. 23.
3. Ib. 24.
422 THKOLOCIB DE 'lEIlTULLIEN.
sur l'avenir du cliristianisme? îv^oiis voyons en sorame Ies
fidelos poursuivis comme ennemis de Ia societe humaine et
comme ennemis des usages reţus. Dans quelle mesure don-
naient-ils prise â ces reproches, el que vaut la defense de
Tertullien?
Ennemis de la societe, Ies cliretiens l'etaient beaucoup
moins que leurs adversaires ne se plaisaient â le dire. Nous
savons deja que, tout en refusant riiommage idolâtrique, ils
s'inclinaient loyalement devant le pouvoir des Cesars; on leui'
jetait bien â la tete Ies noms de rebelles et de factieux, mais
l'exageration de ces reproclies ctait manifeste. Des le temps,
de Neron, l'opinion publique Ies avait accuses de haine pour
Ie genre liumain ^ ; la meme accusation Ies poursuit encorc
sous Septime-Scvere. Mais ceux qui Ies voyaient si pacifiques,
si serviables, donnant silencieusement Texemple des vertus
sociales, devaicnt en revenir de ces prejuges ; â mesure qu'ils
devenaient mieux connus, Ies cliretiens etaient moins liais
(Ap. 1). En dechirant le voile qui derobait aux yeux des pro-
l'anes Ies assemblees clircticnnes, Tertullien liâtait l'heure de
Ia verite et de la justice. Ce qu'il affirmait, d'anciens pa'i'ens
en grand nombre l'avaient vu et pouvaient Taltestcr [Ap. 39) :
ils pouvaient attester aussi que le lien social du cliristianisme
est vertu et charite. Cette revelation devait discrediter, dans
Ies esprits sinceres, le mot d'ordre de la haine, imputant aux
cliretiens la faute des calamites publiques : si leur religion
est une ecole de vertu, et si le ciel envoie des fleaux pour
châtier le crime, ce n'est pas â eux qu'incornbe la rcsponsabi-
lite du châtiment. Toutefois, ils evitaient do se mâlor aux
grands courants de la vie publique, et leur exil volontaire au
l. Tacite, Ann. 15, 41 ; llaud perinde in crimine incendii quam odio
gcncris huniani conjuncţi sunt (vulg. conviclisant; conjuncţi est la leeon
du Mediceus. Annales de la fac. des lellres de Bordeaux, 1884). Surle sens
de ce texte, voir G. Boissicr, Journal des Savanls, juin 1879, p. (532. Cest
le meme grief qui reparaît souvent cliez Tertullien. Ap. 2 : Cbristianuni
hominem omnium scelcrum reuni, dcorum, imperatorum, legum, moruni,
naturae otius inimicum existimas. — 37 : IIoste.s maluistis vocar« geuc-
ris humani... qui sunnis plane, non generis humani tamen, sed potius
erroi-is
Voir l'article de Dom IjCcIercq, dans DicL arch. t. 1, p. 267.
LES CHRlhlENS ET LA VIE EOMAIMÎ. 423
milieu du monde leur avait fait un rcnom de raisanthropie ;
aspirant au royaume des cieux, ils se tenaient d'autant plus â
l'ecart que l'esprit de l'Evangile Ies avait penelres plus pro-
fondement, et cette abstention devait leur etre reprocliee
comme une trahison envers l'Etat ^ 11 faut reconnaître que
sur CC point la defense n"est pas heureuse. Au lieu de consta-
ter, ce qui sans doute etait vrai, que cette abstention compor-
tait bien des degres, que Ies pensees hcroi'quement simplistes
d'une elite trouvaient un trop sur contrepoids dans l'esprit
pratique du grand nonibre, et qu'enfin le perii cree par I'asce-
tisme chretien etait largement compcnse par ses bienfaits,
Tertullien semble chercher Ies formules Ies plus absolues el
Ies plus cassantcs pour notifier la rupture entre la cile de la
terre et la cite du ciel ; et en declarant que tous Ies chretiens
sans distinction se desinteressent de ce monde, que rien ne Ies
touche moins que Ies affaires d'Etat, il donne raison â ceux
qui voyaient dans cet indifferentisme un danger public.
Quand il rcprouve, comme entacliees d'idolâtrie, Ies manifes-
tations innocentes du loyalisme envers Ies Cesars, il heurte
los sentiments de bien des gens, qui sans doute ornaient de
laurier leur porte sans songer ă mal. Quand il reprouve ab-
solumont le service militaire, il heurte le patriotisme romain.
Quand il reprouve la gestion des affaires publiques, il heurte
le bon sens paion, on meme temps qu'il trahit Ies interets de
la communaute chretienne.
Dans ces tendances, reellement inquietantes pour Ies gens
du dehors, il faut faire la part de l'esprit chretien primitif, la
part de re caractere hautain et intransigeant que fut Tertul-
lien, et cnfin la part du montanisme. L'esprit chretien primitif
poussait tous Ies fideles indistinctement â un detachement
absolu, qu'exaltait encore rattente de la fin prochaine du
monde. Lcs ecrits apostoliques refletent cet etat des âmes, et
renferment des donnees eschatologiques dont une exegese
1. Tertullien a poiirtant ocril, .Ip. 37 : liiiplevimus... senatiiin. Et nous
avons Ies actos d'un senateur romain, mai'tyrise sous Coinmodc (Acta
ApoUoHii graeca, dans Anal. Bolland. 14 (1895); etudes par Theodor
KIettc, dans T. U. 15, 2 (1897) et par Slax l'rinz von Sachson, Mavence
1<*03.
424 THEOLOGIE DE TEUTULL;EN.
imprudente devait abuser. L'adaptatioii de la cite antique aux
preceptes de l'Evangile comportait une scrie de problemes
pratiques, dont la solution complete appartenait au temps :
ceux qui entreprirent de la brusquer ne pouvaient que com-
promettre l'Eglise. Tertvillien n'elait pas homme â s'arreter
en cliemin, et â reculer devant Ies conclusions radicales. Des
lors que l'empire etait condamne ă breve cchcance, quelle
raison de s'attacher â Tempire? II preclia le royaume des
cieux avec une fougue dont un patriotisme ombrag-eux devait
s'alarmer, et porta dans Ies questions nationales un esprit
cosmopolite qui, pour Ies Romainsde sageneration, constituait
un dangereux anachronisme. Deja l'Apologetique renferme
telle declaration malsonnante aux oreilles des citoyens; le
l-raite de I'idolâtrie va bien plus loin dans cettc voie, et s'ii
fut Iu dans Ies milieux paîens, ii dut y susciter de violentes
coleres ^.
Quant aux usages romains, Tertullien a le tort de ne pas
distinguer toujours Ies usages inoffcnsifs et ceux qu'aucune
raison ne saurait excuser. Nous l'avons vu inexorable â cer-
taines exigences de la vie publique ; celles de la vie privee le
trouvcnt, ă quelques egards, plus accommodant : ii ne veut pas
qu'on rompe toute relation d'amitie ou de familie avec Ies
paiens; mais â cote de ces concessions convenables, on ren-
contre des mots bien durs : <c Est-il donc si necessaire de
vivre?De quoi vous plaignez-vous ? II est trop tard, vous
avez diî reflechir avânt de vous faire chretien. » Indifferent
aux choses de l'art, volontiers ii proscrirait en masse tous Ies
artistes. Ilermogene Iui ost â peinc moins odieux comme
1. Toutcfois, CC sei'ait une grande <'rreur de voir dans Tertullien un re-
volutionnaire. Trop profondcment, romain et trop profondement juriste
pour aborder la reforme systematique de la societo oii ii a grandi, on no
peut dire qu'il posscdc en propre un corps de doctrines sociales. Bien
que plcin de respect pour l'elan de generosite qui realisa dans TEgliso
primitive la communaute des bicns, ct d'ailieurs tres energique â incul-
quer le devoir de l'aumone, ii n'a rien d'un socialisto; et le principe
de la fratornite chretienne ne l'a point penetre si avânt qu'il songe ii
supprimer l'osclavage. Par le fond de sa'nature, Tertullien dcmeure po-
litiquementet socialement homme de tradition et d'autoritâ. Ces iJees
ont eto bien mises en lumiero par M. Guignebert, 2" pârtie, eh. 10 a 12.
CHRISTIAMSME ET PHILOSOPHIE. 425
peintre que comme heretique. Pcut-tstre lui reprochait-il â
juste titre d'abuser do son pinoeau ; mais ailleurs nous le voyons
s'en prendre aux meilleures inspirations de l'art chretien :
comme a ces images du bon Pasteur dont on ornait Ies calices ' .
Son requisitoire presente aussi des inconsequences, On sent
qu'il Youdrait interdire en bloc la litterature profane, toute
pleine de mythologie ; neanmoins ii ne le fait pas, de peur
d'oter ă la foi une arme necessaire, et, dans son embarras, ii
recoiirt â cet etrange compromis : le chrelienpourra etudier
Ies belles lettres, ii s'abstiendra de Ies enseigner. Malgre ces
revanches de l'esprit pratique sur le paradoxe auquel trop
souventil sacrilie, la doctrine de Tertullien, prisedans l'ensem-
ble, est dure. II a eu le merite de marquer avec une extreme
vigueurque le chretien ne doit jamais pactiser avec l'idolâtrie;
mais preoccupe d'ecarter l'ombre ,meme d'une cooperation
idolâtrique, ii a eniaco son disciple d'un reseau inextricable
de precaulions.
Ces defaillances partielles ne doivent pas faire meconnaître
lalutte pour un noble et pur ideal. Condamnes parleur vertu
meme ă remplir envers l'idolâtrie le role de censeurs impor-
tuns, Ies chretiens devaient reprouver Ies sacrifices supers-
titieux; ils devaient reprouver des spectacles immoraux et
cruels. Sur ces points oii la conscience ne pouvait transiger,
Tertullien s'est fait l'avocat de la justice et l'interprete de la
conscience chretienne ; d'ailleurs interprete plus loyal qu'exact,
et souvent avocat compromettant.
V. CnUISTIANISMK ET PHILOSOPHIE.
L'apologiste a rempli sa tâche : ii a venge ses chretiens do
reproches injustes, et couronne son plaidoyer par l'afQrmation
quelque peu hautaine de leur innocencc. Mais son but ne
serait pas atteint s"il n'avait fait que prouver aux paîens
I'injustice de leurs preventions : avec la cause de TEglise, ii
1. Pud. 7 ot 10. — Sur Io bon Pasteur dans l'iconographie africaino,
voir Dict. arcli., X. 1, p. 641. 735, ct passiui.
426 THKOLOGIE DE TEIÎTULLIEN.
a pris en main la cause de la verite chi'eticnne, et ii veut
triompher sur toute la ligne. Poursuivant donc le rationalisme
paîen sur le terrain du scepticismc ou ii se rctranche, ii
s'attaclie, dans un epilogue, a elablir le caractere transcen-
dant du christianisme (40-49). Le christianisme est la Verite
absolue, venue de Dieu, divinum negotium; ce n'est pas,
comme le veut Topinion pai'enne, une philosophie entrc
autres '.
Comme toujours, ii argumente ad hominem '■'. Les philo-
sophes, dites-vous, prechent de parole et d'exemple tout ce
(|ue prechent les chretiens : innocence, justice, patience,
sobricte, chastete. D'ouvientdoncque voustraitez difîeremment
les uns et les autres? Qui donc voudrait obliger un philosophe
de sacrifier, de jurer, d'illuminer sa maison cn plein jour?
Libre â eux de deblaterer contre vos dieux, parfois memc
contre les princes; et loin de les condamner aux betes, vo-
lontiers on leur eleve des statucs. Cela se comprend : ils
s'appellent philosoplies, au lieu de s'appolcr chretiens. Le nom
de philosophe ne chasse pas les demons; que dis-je? on
voit des philosophes prodiguer aux demons les honneurs di-
vins. Ces bateleurs de verite courent apres la gloire; les
chretiens, disciples serieux et pratiquesde la verite, n'aspirent
qu'au salut. Sur Dieu, sur la chastete, la probite, la modestie,
l'egalite d'âme, la droiture, la simplicite, les philosophes ne
s'entendent pas, et leurs maximes sont tristement commentees
par leur vie". Quant aux chretiens, assurement nous ne les
1. La premiere partiedel'Apologetiquea d'ailleiirssuffisaminent prouve
que ce n'est pas une religion ontre autres. — I'ource qui suit, couiparer
Jip. ă Diognetg, 7 sq.
2. Ap. 4G. — Surla position pliilosophique de Tertiillien, on peut lire la
thesedcM. A. deMargerie:/>e Q. S. F. Tcrtulliano opusculutn philosophicum
(Orleans, 1855), p. 52-102; ou eucorc Texcellento introduction doM. Esser :
Die Seelenlekre TerluUians (Paderboi'n, 1893).
3. TcrtuUicn, quti nous avons d('!jă vu injuste envers Socrate, no se fait
pas fante d'accueillir ici toutos les anecdotes tâcheuses qui courent sur le
comptc des philosophes. D'aillcurs ii s'inspire de Tatien, Discours m(x
Grea, 2. 3. Ou bien faut-il admettre, avcc II. Ilarnack, que Tatien et
Tertuilien ont puise successivementâ une meme source, qui nous demeuro
incounue? Cette conjecture ingenieuso a obtenu le suffrage do M. Puccli,
Recherches sur le discours aux Grecs, p. 40.
CHRISTIANISME ET PHILOSOPIIIiS
427
croyous pas impeccables, mais pour peu qtrils s'oublient,
nous ne Ies regardons plus commc chretiens; un philosophe,
quoi qu'il fasse, conservera son renom de philosophe. Donc
on n'a pas le droit de confondre philosophe et chretien. Au
reste, Ies philosophes doivent tout ă rEcritnrc ', premier
tresor de toute sagesse. Quel poete, quel sophistc n'a bu ă
la source des prophetes? Lcs philosophes y puiserent aussi:
mais le sens, obscur aux Juifs meme, leur echappa, et ils en
troublerent, par miile inventions, Ies dogmes certains. Dieu,
le monde, Tâme : autant de questions capitales que chacun
d'eux resout ă sa guise. Ils avaient travesti l'A. T.; le N. T.
lui- meme ne devait pas echapper aux entreprises des faus-
saires, qui ont scinde l'unique voie des enseignements divins
en un dedale d'opinions ^. Soit dit pour cmpecher de con-
fondre Ies chretiens avec Ies soctaires qui, en tant de faşons
diverses, maltraitent la verile. 11 i'aut le fairc entendre une
ibis pour toutes â ces faux docteurs : la veritc est une; elle
vient directement du Christ, en passant par ses disciples.
Ceux qui la hai'ssent n'ont t'ait que l'exploiter contre elle-
meme; Ies esprits d'erreur suggeraicnt ces imitations qui
livrent au mepris public le jugement, l'enfer, le paradis et Ies
autres dogmes du christianisme. Rien n'est plus absurde que
la metempsycose -^i et pourtant elle trouve des adeptes. Or,
sous Ies traits de cette caricature, on retrouve la doctrine
de la resurrection corporelle, avec ses perspectiveseffrayantes
sur l'autre vie, avec l'alternative entre la gloire eternclle et
CC feu eternei dont Dieu nous montre l'image danslaflamme
inextinguible des volcans. Ces idees '•, dans la bouche des
chretiens, sont traitees de chimeros: dans la bouche des
philosophes et des poetes, elles paraissent des oracles de
1. Ap. 47. — Oii a deja rencontrc [Ap. 18) ces idees traditionalistes.
Voir c. I, § 2, p. 6 et c. V, § 3, p. 221.
2. Ncc mirura si votus instrumontiim ingenia philosoplionim intoner-
toriint. Ex horum semine etiain nostram hanc noviciolam paraturaivi
vii'i quidam suiş opinionibus ad philosophicas sententias adulteraverunt
et de una via obliquos multos et iiiexplicabiles tramitcs sciderunt. —
Tertullicn vient d'esquisser I'histoire de la griose.
3. Ap. 48. Cette page vigoureuso a cte resumee, c. IU, § 2, p. 145, n. 3.
1. Ap. 49. Ilae sunt quae innobis solis pracsumptiones vocantur.'
428 THEOLOGIE DE TEllTU[.LIIii\.
la science et du genie. Ils recueillent l'admiration et los
lionneurs; nous recueillons la raillerie et Ies châtiments.
Pourtant ces idees s'imposent â nous, et elles nous rendent
meilleurs, par la crainte d'un supplice eternei ou l'espoir
d'une eternelle recompense. Qui donc poursuit unccliimere?
Nous, qui pratiquons la vertu, ou vous qui la condamnez?
Aos doctrines sont ă tout le moins inoffensives ; et Ies doc-
trines vous trouvent d'ordinaire plus toleranta \ S'il en est
qui meritent la risee publique, rien ne saurait justifier Ies
rigueurs que vous excrcez contre nous, aux applaudissements
de la foule : le glaive, le feu, la croix, Ies betes. Cependant
vous n'auriez aucun pouvoir sur nous si nous ne le voulions.
Nous sommes chretiens par notre, libre choix; et ce tte foule,
qui triomphe en nous voyant souffrir, se trompe, car nous
preferons Ia mort â l'apostasie, et le martyre conible nos vooux.
Par cette fiere declaration, Tertullien prend nettement po-
. sition contre la pliilosophie paienne, et repudic toutc solidarito
avec la gnose. Etait-ce une habilete? Oui, sans doule, a tout
prendre ; car mieiix valait pour l'Eglise encourir de franchos
haines que perpetuer des malentendus dangereux. En tout
cas, c'etait unenouveaute; car Ies lettres cliretions du deuxieme
siecle, porteparoles de la communaute persecutee, emprun-
taient volontiers ă la sagesse antique des i'ragments de verite
conformes â l'Evangile ^.
Au reste, Tertullien lui-meme n'a pas entierement rompu
1. Nam et multis aliis similia quibus nuUas poenas irrogatis, vanis ot
fabulosis, inaccusatis et irapunitis ut innoxiis. — Cest sans doute ce trăit
que viseM. Noeldechen, quand ii accuse (p. 182) Tertullien dese mottreen
demi-contradiction avec lui-meme en revendiquant pour Ie christianismo
le droit commundesphilosophies. 11 y aurait quelque injustice a souligner
cette critique.Car en realite, Tertullien ne fait que poursuivrc son argu-
mentation ad hominem, et prouver la transoendance du christianismc
par l'inconsequence meme de ses adversaires, ()ui, ne voyant en lui qu'une
doctrine comme Ies autres, le traitcnt neanmoins autrement que Ies au-
tres. Ce trăit lance en passant ne constituc pas un appel au droit commun
des philosophies, et nous savons que Tertullien n'en veut pas.
2. Ainsi saint Justin, 2^p. 8. 10. 13. — Les apologistes atheniens surtout
se reclamaient de la phdosophic ; 'ASpiavŞ 'AvTMveivM... Motpxtavoi; 'AptffTsiSr,;
9tX6<709o; 'AQvivaîo;. — AuToxpaTopirtv Mapxw AupTîXitj) 'AvTtov(vw v.al Aouxlw
AupvilÎM Ko|j.6S(o r£p(J.avixoîţ ZapjjiaTixo??, to Ss (iş-j-tarov <J>tXo56şoi; (Athena-
gore). — Enfin Tatien signait : 'O xxTâ poipSipo'ji; oJ.oo-otpwv Tatiavo;.
JLlî MAUTYliE.
429
avec leur langage : cette assimilation du christianisme â
une philosopliie, qu'il repousse dans l'Apologetique, ii pa-
raîtra l'acccpter dans le De pallio. On sait l'origine de cette
curieuse apologie personnelle. En quittant la toge romaine
pour le manteau grec, qui etait le vâtcment des pliilosoplies \
Tertullien paraît avoir cause un certain emoi dans Ies cercles
de Carthage : ii y repondit en persiflant Ies rieurs. Plein de
problemcs curieux pour Farclieologue et le linguisle, son petit
tract obscur et quintessencie offre peu â glaner au theologien.
Nous releverons seulement le mot final, ou le christianisme
est defini : une philosophie meilleure ^. Ce mot n'infîrme pas
Ies assertions de l'Apologetique. Tertullien consent â appeler
le christianisme une philosophie. mais ii sous-entend que cette
philosophie surpasse toutcs Ies autres, autant que la verite
revelee de Dieu surpasse toutes Ies combinaisons de la raison
humaine.- Et jamais ii n'eut pour la raison Ies memes egards
qu'un saint Justin, un Clement d' Alexandrie, et Ies autres
adeptes de la pensee grecque.
VI. LE MARTYRE.
On connaît deja la derniere page de l'Apologetique' : defi
jete aux bourreaux, qui ne sauraient, malgre tous leurs sup-
plices, domptor la constance des martyrs. Ce n'est pas sans
dessein que Tertullien finit par cette idee : ii attache une im-
portance capitale â ce temoignage du sang, qui constitue un
1. On abeaucoup discute sur ce cliangcment decostume. Bien d'autros
philosophes au deuxieme siecle, porterent le pallium, cntre autres Marc
Aurele. Saint Justin le portait aussi, apres sa couvorsion au christianisme
(Voir le debut du Dialogue). II est probablc qu'en adoptant le pallium
Tertullien voulait fairo profession d'ascetisme chretien. C'etait une j)rise
d'habil, sclon le mot de M. Boissier {Fin du paganisme,t. 1, 1. 3, c. 1, 2. —
Pour tout ce qui concerne le trăite du manteau, nous ne pouvons mieux
faire que de renvoyer a cette spirituolle etude).
2. Pal. G : Gaude, pallium, et exulta : mclior jam te philosophia di-
gnata est, cx quo cliristianum vestire coepisti.
:>. Ap. 50. Voir c. I, S 4. p. 32. — Saint Justin avait dit, I Ap. 57 : Ou
yâp SsSoîxatiSv Sâvatov... itaOwv tiuv evTau9a xaî -/peiMV f|(j.!xţ pyojisvoi siJepYe
ToOatv, âaUTO-i; SI ţauXo-j; ... Ssixvuo-jo-'.v. — Cf. 1 A\ 18. 19.
430 THBOI.OGIE DE TERTULLIEN.
triomphe moral d'uno grandeur incomparable, et pernicl,
mieux que tout le reste, de mesurer la superiorite du christia-
nisme sur Ies sectes qui le combattent. Non content de livrer
cette idee aiix reflexions des perseciiteurs, ii a voulu la com-
menter ă l'usage des fideles dans un ecrit special, oii nous
trouvons sa theologie du martyre ^ .
11 s'agissait de premunir Ies âmes contre Ies conseils per-
fides de Thcresie -. Le scorpion, flcau des etes, distille sour-
noisement un venin redoutable : ainsi Ies gnostiques et autres
docteurs de mensonge, qu'enfante l'ardeur de la persecution,
ne manquent-ils pas de bons pretextes pour legitimer l'apos-
tasie ^. Contre la piqurc de ces reptiles, Tortullien connaît un
specifique merveillcux Iscorpiace) : c'est la foi, qui ne rccule
pas meme devant le martyre.
II insistera d'abord '• sur la necessile du martyre en oertains
cas. Ces heretiques sont gens â ne pas menager : ii faut Ies
briser pour Ies reduire. Lă-dessus il rappelle Ies anathemcs
divins contre l'idolâtrie jEx. 20, 2 sq; 20, 22 sq; Deut. 6, 4 sq;
il, 27 sq; 12, 2 sq; 12, 30; 13, 1 sq. (i sq. 16 sq; 27, 15; Lev.
19, 4; 25, 55; 26, 1). 11 ne s'arretera pas ă prouver que Dieu
avait le droit de poursuivre l'idolâlrie et de la frapper avec
rigueur '■' ; mais il montrera par l'histoire qvie Dieu a tenu la
main â l'execution de ses ordres (Ex, 32 : le veau d'or; trois
miile Israelites mis â mort par leurs proclios; Niîm. 25 : preş
de Selim, idolatrie avec Ies fllles de Moab; vingt-trois miile
victimes; Judic. 2 : apres Ia mort de Josue, Israel honore Baal
et Astarte; il est livre au glaive de ses ennemis). Ces com-
mandements divins, et leursanction historique, montrentassez
ce que Dieu pense de ridolâtrie". Or l'obligation de n'y pas
tomber conduit au martyre. On voit donc que, contrairement â
ce que disent Ies heretiques, le martyre rentre dans le plan
divin.
i. A couipleter par Ap., passim; Mart.; Cor., passim.
2. Scorp. 1.
3. Voir Irenee 1, 24, 4 sui- Ia eouiplaisance de tiasilidc, qui dispcnsait
do confesser Ie Crucitlo.
4. Scorp. 2.
5. Ib. 3.
G. {fj. 4.
LE MARTYRE. 431
Le martyre est voulu par un Dieu bon' : donc c'est un bien.
11 s'oppose au mal de l'idolâtrie : donc encore c'est un bien.
Cela pourrait suffire â son eloge. Cependant Thorame s'insurge
contre la douleur, comrae un malade contre son medecin.
Pourtant le medecin apporte le salut: et le medecin divin, lors
meme qu'il prescrit la mort, sait la rcndre inoffensive. Le
martyre est un remede salutaire, qu'il faut benir. C'est encore
une arene que Dieu ouvre â la vaillance chretienne-. Pourquoi
Dieu n'aurait-il pas le droit de produire ses athletes, soit pour
(îprouver leurs forces, soit pour stimuler leur emulation? S'ils
meurent en combattant, ils soot assurcs du pardon do leurs
fautes, et obtiennent ainsi la supreme misericorde^. Est-ce la
de la cruaute? Mais l'heresie veut absolument trouver Dieu ho-
micide '' ; cile pretend meme en montrer la preuve dans l'Ecri-
ture (Prov. 9, 2) ''. Or ii ne suffît pas de lire l'Ecriture; ii faut
la comprendre. On accxise Dieu de cruaute, faute de penetrer ses
desseins. II ne trăite pas ses elus autrcment que son propre Fils
(Zach, 13, 9; cf. Rom. 8, 32; 4, 25). Qui osera lui contestcr ce
droit? Les cultes paiens ont bien leurs victimes humaines : pour-
quoi Dieu ne pourrait-il pas reclamer des martyrs. comme vic-
times de choix? En fait, sa volonte â l'egard du martyre est clai-
rement exprimee dans FEcriture". (Ps. 115, 15; Îs, 57, 1.) Et
depuis l'origine du monde, les amis de Dieu sont persecutes :
Abel, les prophetes, les trois enfants de la fournaise, martyrs
sans avoir perdu la vie, et celui qui dovait sceller la Loi et les
1. Scorp. 5.
2. Ib. 6.
o. I'osuit igitur (Deus) secunda solaeia et extrema israesidia, diinica-
lionem martyriietlavacrumsanguinis c.xindc secuturum. De ciijiisfelicitatc
Pavid : Beati quorum dimissae sunt iniquitatcs et quorum lecla sunt
))eccata. Beatus vir cui non imputaverit Deus delictum (Ps. 31, 1. 2).
Proprio cnini martyribus niliil jam roputari potest, quibus in lavacro
ipsa vita deponitur. Sic dilectio operit multitudinem peccatorum (1 Petr.
4, 8), quao Deum se. diligens cx totis viribus suiş, qjiibus in martyrio
doeortat, ex tota anima sua, quam pro Deo ponit, liominem naartyrem
c.xcudit. — Voir sur le bapteme do sang, c. VII, §4, p. 330. — R. 52 :" Alia
caro volatilium, i. e. martyrum, qui ad suporiora conantur, alia pis-
cium, i. c. quibus aqua baptismatis sufficit.
4. Scorp. 7.
5. Sur ce te:
6. Scorp. 8.
432 THEOLOGIE -DE TEIITULLIEN.
proplietes, Jean-Baptiste. II etait dans l'ordro de la Providence
de faire souffrir Ies premiers temoins de la verite, pour l'affer-
missement des croyants k venir. Si de l'A. T. on passe au
N^, on retrouve le meme esprit dans Ies paroles du Christ
(Mat. 5, 10 sq;. 10, 16 sq). Le Clirist exige la confession de son
nom en terre. Si Valentin imagine je ne sais quelle confession
liors de ce monde -, ce n'est point celle dont parle TEvangile,
Les texles evangeliques relatifs au martyre' abondent (Luc.
14, 20; Mat. 10, 39. 19; 25, 36; Luc. 18, 7; Mat. 13, 3 sq).
On na pas Ie droit de les prendre au sens allegorique; sinon,
c'en est l'ait de l'Ecriture. Fîtâ qui donc demander la moelle des
Ecritures ', sinon aux disciples instruits par Jesus meme pour
devenii' nos maîtres dans la foi? Pierre, Jacques, Jean, et
puis Paul? Or on les trouve unanimes sur la doctrine du
martyrc (i Petr. 2, 20 sq; 4, 12 sq; — 1 Joan. 3, 16; 4, 18;
Apoc. 2, 10 sq; 7, 14; 21, 8; — 2 Thess. 1, 4. 5'^; Rom. 5,
3 sq; 8, 17 sq; 35-39; 2 Cor. 11, 23 sq; 12, 10; 4, 8 sq. 16 sq;
Phil. 1, 29-30; 2, 17 sq; 2 Tim. 4, 6 sq; 2, 11 sq; 1, 8. 7).
Tout en ordonnant de rendre â Cesar ce qui appartient â
Cesar, les Apotres rappelaient quo Thonime n'appartient qu'â
Dieu ''. Et quand meme nous ne pourrions pas nous fier
aux ecrits des Apotres, laur vie nous resterait'. Le livre
des Actes n'a pas besoin de commentaire. Cette Mstoire,
que Pierre, Etienne, Jacques, Paul ont ecrite avec leur sang
est la meilleure des exhortations au martyre. Paul, ave.rti par
Agabus que les fers l'attendent, declare n'aspirer qu a Ia mort
pour Ie nom de son Seigneur Jesus-Christ (Act. 21, 13 sq). Si
alors quelque Prodicus ou quelque Valentin avait voulu Tar-
reter, ii aurait entendu de la bouche du disciple Ia meme
parole que le diable entendit de Ia bouche du Maître : « Re-
tire-toi, Satan! » Cette parole, ii l'entendra encore; car tout
1. Scorp. 9.
2. Ib. 10.
3. Ib. U.
4. Ib. 12.
5. Ib. 13.
6. Ib: 14.
7. Ib. 15.
CONCLUSION. 433
le venin de l'heresie est sans force contre des coeurs armes de
la foi.
A l'epoque ou Tertullien ecrivait ce chaleureux plaidoyer
en faveur du martyre, ii etait probablement deja touche par
l'heresie montaniste ' . Mais la liaute idee qu'il s'etait faite du
cliristianisnae navait pas chancele dans son esprit, et ii re-
trouvait, pour le det'endre, des accents dignes de FApologeti-
que.
VII. CONCLUSION.
Resumons l'impression de ces luttes pour l'Eglise contre
le siecle.
Le magistrat romain, charge d'appliquer la loi, ne pouvait
guere manquer de voir dans Ies paroles de Tertullien un defi ;
et plus l'esprit de la loi l'avait penetre profondement, plus ii
devait regarderavec colere le chanipion de la liberte religieuse.
Aux plaintes, parfois energiques, mais en somme respec-
tueuses et deferentes, des premiers apologistes, Tertullien
faisait succeder la sommation hautaine et presque provocante :
c'etait une nouveaute dans la monarchie des Cesars, habitues
ane pas voir discuter leurs ordres; et V Apologeticurn pourrait
bien n'avoir pas ete pour rien dans la recrudescence de perse-
cution qui, peu d'annees apres, inonda l'Afrique de sang^.
Hors des cercles officiels, l'opinion dut etre partagee. La
coalition des vices, des prejuges et des haines entraînait Ies
esprits etroits et Ies coeurs vils ă une guerre sans merci contre
le christianisme. Mais le paganisme liberal ne pouvait man-
1. Scorp. 1 ; Tune Gncstici orumpunt, tune Valentiniani proserpunt
tune omiics martyriorum refragatoveis ebulliunt, calenles et ipsi offenclere'
figerc, occidore. Dans ces marlyriorum refragalores, ii est difficile de no
pas reconnaitre Ies psychici, vises Cor. 1 : Plane superest ut etiam mar-
tyria i'ecusare meditentur qui prophetia.s ejusdom Spiritus Sancti res-
puerunt.
2. L'edit de Severe (Spartien, 17), date de 200 on 202. La persecution (|ui
suivit fut marquee â Carthage par le martyi'c de sainte Perpetue et de
ses compagnons; â Alexandrie, par celui de I.eonidc, pere d'Origeno. Voir
Clement d' Alexandrie, Strom. 2, 20, lin. — Paui Allard, Perseculions t ■'
p. 62 sq. ' ■ ~'
TUEOLOGIE DE TERTUU.IEN. 28
434 THEOLOOIE DE TERTULLIEX.
quer de sentir la force de cette argumentation victorieuse, et
peut-etre quelques nalures elevees y trouverent-elles la reve-
lation d'une grandeur morale ignoree.
Pour Ies fideles, ce fut saiis doute un Iriomplie intime. Car
une voix eloquente portait cn liaut lieu I'expression de leur foi
et de leurs] esperances ; leur conscience applaudissait â une
justification si eclatante, et ils pardonnaient sans peine â leur
avocat des imprudences de langage qui mettaient Ies adver-
saires en fâcheuse posture. Peu propre ă flechir Ies rigueurs
du pouvoir, V Apologeticum l'etait eminemment â raffermir le
moral de la communaute chretienne.
Si, comme on peut le croire, Ia polemique de Tertullien
produisit un effet utile, ce dut otre surtout â Tinterieur de
l'Hglise.
CHAPITRE IX
LE MONTANISME
I. LE -MONTANISME EN OlUENT.
Tandis que Tertullien combattait avec une fierte provocante,
au premier rang ' des defenseurs de TEglise, un mouvement
religieux parti del'Orient troublait profondement Ies chrctien-
tes de l'Afrique latine. Ne dans la Phrygie, au pays des cory-
bantes, rappelantparses manifestations exterieures Ies anciens
cultos orgiaques, ce mouvement avaiteu pour auteur principal
un neopliyte originaire du bourg d'Ardaban en Mysie, Mon-
tan 2, dit le Paraclet ; ii pretendait substituer au gouvernement
regulier de l'P^glise le regne des charismes personnels.
Tres actif durant la periode apostolique, le proplietisme
avait decline âmesure quel'enthousiasme de la premiere heure
l'aisait place â une organisation stable. Le N. T. nous montre â
Toeuvre ^ Agabus, Judas, Silas, Ies filles du diacre Philippe;
1. Sourcos (Io riiistoirc du montanisine : Euscbc, //. E. 5, 3 et 14-19;
•saint Epipliiuio, Haeres. 48. 19; Philosuphumerui,8, 19; 10,25; — Tertul-
lien, passim.
A consulte!' : Bonwetsch, die Gescliichie des Monio.nismus (Erlangen
1881). — Bicli;k, Geschichie des Montanismus (Leipzig, 1883). — lUlgen-
feld, Die Kclxrgeschichte des Urchrislenthums (Leipzig, 1881). — Voigt,
R'ine verschollene Urkunde des anlimontanisliehen Kampfes (Leipzig, 1891).
— Funk, art. Montanismus dans le Kirchcnlexicon de Fribourg^, t. 8, p.
1827-1842. — Uarnack, Chronolor/ie der A . C. L., 1, p. 303-381. — Y. Ermoni,
La crise monlaniste, dans R. Q. II., t. 72 (1902), p. 01-96.
2. Eusebe, //. E. 5, 14 : Tiv \>.ii lr\ TtapâxXvjTOtf MovTavov, lâ; o' ej aCiToCr
Yuvatxa?, TlptdxO.^av xat Ma^îfi,t/,),av.
3. Act. 11, 28; 1.=;, 22. 32; 21, 9. 10. — Cf. Rom. 12, 0; 1 Cor. 11, 4 ; 12, 28;
14, 3; Eph. 2, 20 ; Eph. 1, 11 : Auto; ISmzsv xoi; jisv â7LO(7T6),ou;, to-j; 6e jipo-
ţii-ra;, lou; Sj imf^z'kiatki, to-j; Se notfis'vac xaî SiîatrxâXou;.
436 THEOLOGIE DE TEHTUI-HEX.
la Didache ' assigne encore aux prophetes le premier rang
dans lahierarchie. Parmi Ies heritiers du charisme proplieti-
qvie, nous connaissons^ Ammia de Philadelphie et Quadratus.
Au milieu du deuxieme siecle, ce charisme paraît presque
eteint. Montan pretendit Io ressusciter. Cet herosiarque nous
est depeint '* comme un intrigant, que Tambition avait livre â
l'influencs du demon, et eu qui se manifesta tout â coup un
spirilisme, etrange ^. Les discours violents que, durant ses
extasos, ii tenait contre la tradition cliretienne et la succes-
sion apostoliquc, firent scandalc parmi les fideles d'Asie.
■Tandis que la plupart le tenaient pour un demoniaque, un petit
nombre vii eu lui un vrai prophetc. Par des flatteries adroitesy
melees de remontrances, ii roussit â dominer ses adeptes ; deux
femmes, Maximilla et Priscilla, quitterent leurs epoux ^ pour
le suivre, et bientot presenterent les memes symptomes de
possession diabolique. L'opiscopat s'emut : Zotiqu.e de Co-
mane et Julien d'Apamee voulurent confondre l'esprit qui par-
lait paria bouclie de Maximilla; Sotas d'Acbialos se mit en
devoir de l'exorciser : ils en furent empeclies par les gens de
la secte. Cet esprit disait *■ : « On mc chasse comme un loup
du milieu des brebis; or je ne suiş pas loup, mais verbe, es-
prit et puissance. » A la suite de oombreux synodes tenuspar
les chei's de l'Kglise, les nouveaux prophetes furent excom-
munies. S'il faut en croire des recits qui avaient coars en
Orient, Montan et Maximilla finirent par se pendre ; un cer-
tain Theodote qui; par la puissance du demon, s'elevait dans
les airs, tomba sur le sol et se rompit les membres. Toujours
est-il que les guerres et les ileaux prophetises par les monta-
1. Dki. Vi, 3 : A(oc7£',; xr,v â.r.a.o'jjxi tciî; Tcpoţ'fiTai;- auToi ■yâp EÎaivot ai^'^P-'?
\i\x.ă-). — Ib. 10, 7; 15, 1.
2 Eusebc, //. E. 5, 17, 4. — Quadratus prophetisait sous Trajan, IF. E.
3, 37, 1.
3. La soui'ce principale de ces rcuscignements est l'auteur anonyme de
trois livres k Abercius Marccllus, consulte par Eusobe (H. E. 5, 16. 17).
4. Sur les extases de Montan, voii- fipiphane, Haer. 48, 4 sq. — L'esprit
de Montan se donnait poui- Dicu en personne, Ib. 48, 11.
5. Euscbe, //. E. 5, 16, 9; 18, 3: Touî âvSpa; /iaia),t?rouo-a;. IIw; oîv ei^euSovro
IIp:(jXiX).av Tio:p6£vov a7ţoxa).oiJVT£ţ ;
6. Eusebe, //. E. 5. 10, 17.
LE MONTANISME EN ORIENT. 437
nistesne se produisirent pas autemps voulu, ce qui discredita
leurs charismes. II falliit renoncer ă voir en cux Ies oracles de
l'Esprit-Saint. Maximilla elle-meme avait dit que la prophetie
fînirait avec elle *. A defaut de prophetes, le montanisme pre-
tendait encore montrer des martyrs ^; mais leur heroisme
etait suspect â plus d'un titre, etlcs martyrs de l'Eglise catho-
lique cvitaient soigneusement de se laisser confondre avec
ces fanatiques. Deja dans le passe, la Plirygie paraît avoir ete
le pays des confessions temeraires : c'etait un Phrygien que ce
Quintus, mentionne par le martyre de saint Polycarpe ■*, qui
avait entraîne plusieurs compagnons au martyre, et qui lui-
meme, â la vue des betes, prit peur et apostasia. Un cory-
phee du montanisme, nomme Themison ''', qui s'etait rachete â
prix d'argent, ne s'en croyait pas moins le droit de se posor en
martyr. Le martyr Alexandro '•' n'etait ([u'un apostat, devenu
voleur de grands chemins et incarcere comme tel : une fois en
prison, ii se souvint de sa religion, pour Iui demander Ies
moyens de se tircr d'affaire.
Parmi Ies contemporains de l'heresie phrygienne, Apollo-
nios * l'avait montree â l'ceuvre, dans un ecrit qu'Eusebe eut
entreles mains. D'apres cet aateur, Montan separait Ies epoux,
prescrivait des jeunes, annongait la procliaine apparition de la
Jerusalem celeste, nouloin de Pepuze'' et de Thymium, ce qui
provoqua vers ces villes un vaste exode des populations phry-
giennes. Par ailleurs on nous dit que la secte ne dedaignait
pas l'argent, la toilette et Ic jeu. Nous n'avons pas Ies ecrits
importants diriges contre le montanisme par Apollinaire
d'Hierapolis; ceux de Miltiade^ et de Serapion" d'Antioclic no
1. Epiphaue, Haeres. 4<S, 2 : <I>iax£'. yap t, Kxa' ajxot; 'izfo'j.hr, My.liio.aXa
■r\ Tipocpriţtc, OTi, (fTiGi, (JIET* i[i£ TCpocpîiTtţ o'jy.sTt IffTai, â/.Xâ ouvTeXc'.a.
2. Eiisebe, H. E. 5, 18, 5 sq.
3. Martyr Polycarp. 1.
4. Euscbo, II. E. 5, 16, 17 ; 18, 5.
5. Ib. 5, 18,6-10.
6. Euscbe, II.E.5, 18, 1. Tvjc Sj -/.a-râ iI>pijŢot; xx/.oujievy;; alpjireM;, k/.y.lri<7ia-
oTixoţ dUYYpstţic-j;, (ix^o;?ou(ni; dclzi tots xaiâ tyjv t&puyîccv D-Ey^"'' Evo-TT)aâ[XEvo;
7. Euscbo, II. E. 5, 18, 2; Epiphano, Ilaer. 48, 11.
8. Miltiade, ap. Eusebe, //. E. 5, 17.
9. Serapion d'Antioclie, ap. Euscbe, //. E. 5, 11).
438 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
nous sont connus que par quelques mots. Mais evidemment
une hercsie qui suscitait tant de contradictions n'etait pas ne-
g-ligeable. Les debuts de Montan remontent, selon la version
vraisemblable de saint Epiphane \ â la dix-neuvieme amiee
d'Antonin, 157 de notre ere. Vingt ans plus tard, sous Marc
Aurele, nous trouvons un montaniste, nomme Alcibiade ^,
jusque dans les prisons de Lyon, ou, mele aux autres confes-
seurs de la foi, ii continue â vivrc de pain et d'eau, selon toute
la rigueur de la secte. Celui-ci d'ailleurs n'etait pas opiniâtre :
les representations de ses compagnons l'amenerent ă user, en
esprit do gratitude, des dons du Createur. Mais cette pre-
miere apparition du montanismc en Occident fut, aux yeux
des captifs, un fait assez notable pour qu'ils jugeâssent bon
d'en ecrire aux eglises d'Asie et de Phrygie, en meme temps
qu'au pape Eleuthere.
Une diffusion si rapide ne s'expliquait pas si la predication
montaniste n'avait rencontre des auxiliaires. Parmi <;es auxi-
liaires, qui transformerent en un vaste ensemble religieux le
produit incomplet du sol phrygien, nous signalerons le reve
millenariste, surexcite par la litterature apocalyptique et
sibylline, puis les tendances ascetiques preconisees par divers
apocryplies du N. T.
On sait de quelle faveur a joui, au deuxieme siecle chre-
tien, le livre d'IIenoch '. Lâ meme oH on ne lui donnait pas
place dans le canon des Ecritures, on y reconnaissait Teclio
des prophetes, et volontiers on y cherchait des lumieres sur
les derniers jours du monde. En nous rendant, ii n'y a guere
plus de cinquantc ans, cette apocalypse grandiose ''. l'Abys-
sinie nous a permis de penetrer plus avani dans la pensee des
premieres generations chretiennos. EUos trouvaient lâ, en re-
1. Saint Epiphano, Haer. 48. 1. — Voir Ilarnack, Chronoloqie der ACL
p. 372.
2. Eus. 5, 3. — Los montanistes sont, pour Ies confesseurs de Lyon,
ol a^oi Tov Mcvtavov xal 'AXxtS'.iSriv xKt ©eoooTov.
3. On peut en diro autant, proportion gardee, des autres productions
de l'apocah'ptiquc jiiive : Assomption de ilo'ise, Apocalypse de Barucli,
Psaumos de Salomon, otc.
4. Das Buc/l Ilenoch, horausgeg'cb. von Flemiuing uud Radermacher
(Leipzig, 1901); voir l'introduction par Flemming-.
LE MONTANISME £N OUIIÎNT. 439
S'ard des maledictions preparees au crime, Timage idyllique de
cette terre que Dieu fcra fleurir pour ses elus ' , ou la fecon-
dite des justes n'aura d'egale que celle du sol destine s Ies
nourrir: de cette vallee profonde^ ou ils se reposeront â l'abri
des persecviteurs ; de cette cite de refuge ^ k laquelle se heurte-
rontleschars ennemis. Ellesy voyaient se derouler sous diver-
ses alleo'ories '' des perspectives de bonheur terrestre pour Tliu-
manite vertueuse. Desimagessomblables se renconlrent dans
Ies vers sybillins. Parmi Ies auteurs chretiens •', l'heretique
Cerinthe fut le premier ă Ies transposer, d'ailleurs grossiere-
ment, dans son paradis sensuel ^. Elles figuraient aussi dans
la predication de Papias, dont saint Irenee nous a conserve'
ce souvenir : « Des jours viendront ou naîtront des vignes,
ayant chacune dix miile sarments, et â chaque sarment dix
miile branches, et â chaque branche dix miile verges et â
chaque verge dix miile grappes et a chaque grappe dix miile
grains ; et chaque grain, mis sous le pressoir, donnera vingt-
cinq mesures de vin. Et quand quelqu'un des saints etendra
Ia main vers une grappe, une autre s'ecriera : je suiş une
grappe meilleure, prends moi, rends grâce au Seigneur. Et de
meme Ies grains de froment... » On scrutait TA. et Ic N. T.
pour y trouver la justification de ces reves eschatologiques.
L'epître de Barnabe voit dans Thexameron la preuve symboli-
que que le mondc durera six miile ans jusqu'au regne de Dieu.
Saint Justin trouve dans l'Apocalypse la prophetie d'un regne
du Christ, pendant miile ans, dans Jerusalem **. Saint Irenee ne
fixe pas de chilîre, mais ii s'etend longuement, d'apres Isai'e,
1. Hdnoch, 10, 17-iO.
2. Jb. 5:1
3. Ih. 5(). 57.
4. Allogoric des troupeaux, 90, 29 sq; allegorie des semaines 01-93.
5. Sur li-x phascu successives de l'erreur millenariste, voir Tarticlc ilc
51. V. Krnioni, II. Q. //.,t. 70 (1901); p. 353-388.
fj. Eiisrlio, //. E. 7, io, 3.
7. Saint Irenee, Haer. o, 33, 3.
8. Saint .lusitin, Dud. 80-81. Sur le millenarismc de saint .Iustin, voir
L. Laguiei' dans«. C. F. t. 39 (1904), p. 182-193. — Au dlrc d'Euscbe (//.
E. 6, 7) le chronogra-phe .ludas, dans un travail sur Ies semaincs de Dan ici,
qu'il avait conduit jusqu'ă la dixieme annee de Severe, annoncait l'ap|)a-
rition imminentc de r.Antechrist.
440 THjioLOGIE DE TEUTULLIEN.
sur le regne du Christ et des saints dans Jerusalem, et n'admet
pas qu'on puisse voir lâ unc allegorie. Autant d'indices tres
clairs de l'etat des esprits : la predication montaniste tombait
dans un sol bien prepare.
Aux âmes cnfievrces par l'cspoir millenariste, divers ecrils
moraux olîraient en outre l'aliment d'un encratisme rigoureux.
« Je suiş venu abolir Ies oeuvres de la femme », dit le Seigneur
dans Vevangile selon Ies Egyptiens * . A Salome qui lui de-
mande quand on connaîtra Ies choses touoliant lesquelles elle
a questionne, ii repond : « Quand vous aurez foule aux pieds
le vetement de honte (= le corps), quand le dehors sera
comme le dedans. quand Ies deux ne feront qu'un, le niâle et
la femeile, et qu'il n'y aura plus ni mâle ni femeile. » L'auteur
de la //* Clementis a cite le second'de ces textes - ; ii n'en tire
d'ailleurs qu'une energique exliortation ala chastete'. Mais la
doctrine renfermee dans l'evangile selon Ies Egyptiens devait
etre adoptee dans toute sa rigueur par Tatien et par le valen-
tinien Julius Cassianus, qui proscrivent l'union des sexes ''.
Dans Ies Acta Thoinae '', de jeunes epoux sont invites par Ie
Christ a renoncer au mariage. Le mame esprit se retrouve dans
Ies Acta Pauliet Theclae ", dans Ies Acta Petri cum Simone ' .
L'existence d'un courant asceţi que tres severe, au deuxieme sieclo,
est donc etablie par de nombreuses preuves. Le montanisme,
qui arracliait Ies femmes â leurs maris, abondait dans le sens
do cet ascetismc, et par lâ s'cxplique une pârtie de son succes.
1. Voir Clement d' Alexandru^, S'tromat. 3, G. 9. 13. — Cf. Kesel», Af/ra-
p/ta. Aussercanonische Evangolienfragmente, dans T. v. U- t. 5, 4 (18<S9),
p. '.^04 sq ; E. Nestic, Novi Teslaniend graeci fuipplemenlum, p. 72. 73.
2. Clement, 2 Cor. 12.
3. II me sembic qu'on a pai'l'ois bien exagere Pencratismc de cel, eci'il.
La tjcppayî; dont ii est question â deux reprises (7, 6; 8, G) n'est pas autre
chosequele bapteme, dont ii faut garder la purele sans tachc. (Comparer
Ilermas, Sim. 9, 16, 3. 4; 31. 1. 4). La recommandation relative au temple
dc! Dieu (9, 3) est un echo direct de saint Paul, 1 Cor. 3, IG. Jc ne crois.
pas que le mot iyY.piTîia (15, 1) lui-memc implique un appel â la conţi-
nencc absoluc et universelle.
4. Clement d'Ale.Kandrie, Slrom. 3, 13.
5. Acta Tkomae, ed. M. Bonnot, p. 11 sq; 55 sq.
6. Acla Pauli el Theclae, 5 sq.; ed. Lipsius p. 238 sq.
7. Acla relricuiH Simone, 'ăS. 34, ed. Lipsius, p. 85 sq. —Sur Ies points
ile contact du montanisme avec le marcionisme, voir Noeldechen, p.248.
MONTANISME AFIilCAIN.
441
L'heresie phrygicnne — ■ ri xa^i fbfuya.i; aîpcai? — continua
d'evoluer en Asie sous divers noms au troisieme et quatrieme
siccles. Saint Epiphane cite pour mdmoire Ies Tascodrugites ',
ainsi nommes â cause d'une attitude rituclle qui leur etait
propre : durant la priere, ils appliquaient l'index sur le nez
(Tocs^io; pieu, opouYYoţ nez). Une autre secte issuc du montanisme,
mais notableiueiit differente^, vegeta sous Ies noms de Pepu-
ziens, de Quintllliens, de Priscilliens ou ă'Ai-totyrites, qui
rappellent soit la viile sainte de Pepuze, soit Ies prophetesses
Quintilla et Priscilla, soitenfln l'emploi de painet de fromage
(apTo;, Tupoc) dans la celebration des mysteres. On n'a auoune
raison de croire que ces divagations orientales aient jamais
penetre en Occident : leur histoire est donc tout entiere
etrangere â notre sujet.
II. MOXTANISME AFIilCAIN. EVOLUTIOjX LUES IDEES
DE TERTULLIEN.
Les origincs du montanisme al'ricain demeurent environnees
de tenebres, oii les ecrits de Tertullien ne projettcnt que d'in-
certaines lueurs. Est-ce de Rome que l'influence montaniste,
comme tant d'autres, rayonna sur Carthage? On n'aura pas
de pcine â le crT)ire si l'on reflecliit que deja l'attention du
pape Soter paraît avoir ete atliree sur la secte ^, que son suc-
cesseur Eleuthere en fut entretenu par une lettre des confes-
seurs lyonnais ^ que sous Victor ou sous Zepliyrin Praxeas
vint d'Asie â Rome et reussit â gater les affaires des pro-
phetes ^ ; qu'au temps du meme Zepliyrin le montaniste Pro-
dus enseignait â Rome *■■ et rencontrait un adversaire redoutable
1. E|)ip)iaiic, Hcier. 48, II.
2. Ih. 49, 1 : KuivTi),)vtavoiosiid<),iv,olxo:iITs7:o'JÎiavoixaAO'Ju.£vot, 'ApxaT'jpT-cci;;
it y.al nptuxiy.iavoî ),£y6[isvoi, ol aOtoi p,£v gvte; -/.aTa •l'p-jyai;, y.al ii aOrtov
opix<i(xevo'.' 6if,pr,vTa'. 31 -/.axâ tiva xpdirov. — Ib. 49, 2. :>: 18, 15.
3. Praedeslinatus, 26. 80.
4. Eusebe. H. E. 5. 3.
Tj. Prax. 1 .
(i. Elisebo, H. E. 2, 25. G : '£x-/.X»icr'.ao-;y.o; ivriprâVo; ovo[jiO!, y.ati Zsţuptvov
442 THEOLOCIE DE TJÎRTUI.LIEN.
dans la personne de Ca'ias ; que ce Produs fut personnellement
connu et estime de Tertullien ^.
II y a tout lieu de croire que le montanisme ne se posa point
tout d'abord en rival de la grande Eglise. Ce n'est guere ainsi
que s'acclimatent Ies nouveautes doctrinales au sein du cliri^-
tianisme, et sans doute des infdtrations lentes dans quelques
communautes catholiques preparerent la manifestation ouverte
de l'esprit plirygien. Comme ii avait certains cotes inoffensifs,
editîants mame, ii put passer inapergu, jusqu'au jour ou des
voix autorisees denoncerent le perii et oîi une scission s'opera
entrc Torthodoxie et Ies groupes contamines. Tertullien lui-
meme paraît avoir garde quelque temps une position moyenne,
sollicito d'un c6t6 pav l'altrait de la predication orientale,
retenu del'autre par son attachement â l'Eglise mere. II n'etait
pas seul â compter des amis dans Ies deux camps. Depuis
longtemps on a releve dans la passion do sainte Perpetue ot
de ses compagnonsdestracesd'cspritmontaniste -, etil somble
raisonnable d'admettre que le collecteur anonyme de ces actes
avait subi l'influence de la proplietie nouvelle •'. Nous n'en
dirons pas autant de ces martyrs eux-memes, et Topinion qui
leur attribue un montanisme prononcc, pour repandue qu'elle
'Ptofxatwv ysyovo): iTzityAOTzov' b; Sr; Tlpox/.w t'^; xaxa <X>piJYaţ TrpocfTTafj^ivw yvto[A7;;
âyypacpfo; BLals^Osiţ. .. — 3, 31, 4 i Kat sv Ta) Vato'j 6s, o^' -jipofrQEV âavy]GO-/]ţi£v,
SiaXoyw lIpQx).oţ... — 6, 20, 3 : "H/Qs Se sU 'h^&^ ^aî Fatoij Xoy^wiâ'uo-j avâpoc
6iâ),oyoc, im 'Puţira xatâ Zecpuptvov 77p6; iJpoxXov t^; y.aii (l'piyaţ alps'o-EMC
OE£p[ia;);oOvca>i£i«'.'ri[jiEvoc. — Cf. Ilarnack, .1 C L p. (JOl-OOo.
1. Val. 5 : Proculus noster, vii-ginis scnectae et cJiristianac eloquentiac
dignitas. — On remarquera que Io noiri de Produs est ici associe aux
noms de trois aut(,'urs ortliodoxes : .Iustin, Irenoc, ililtiade.
2. Passio SS. marlyrum Perpeluae el Felicilatis, praol'at. ■. Sod videriul
quiunain virtutcru Spiritus unius saiicti pro aetatibusjudiccnl lemporuni,
cum majora reputanda sint noviciora quaequc ut novissiniiora, secundum
exuberationom gratiao in ultima sacculi spatia decreta (Joci 2, 28. 2'>;
Act. 2, 17. 18). Itaque ot nos qui. sicut propJjetias, ita et visiones novas
pariter repromissas ot agnoscimus ot honoramus, ceterasque virtutes
Spiritus Sancti ad instrumontum Ecclesiao doputanius...; Ih. G, 4 (fin) :
(Gloriam D. N. J. C.) qui magnilicat et lionoriiicat et adorai, uti(iue et
liaec non minus veteribus exempla iu acditicatiou(>m Ecclesiae logere
<lebet, ut novae quoque virtutes unum etouitdem somper Spiritum Sanc-
tum usquc adhuc operări testificoutur.
3. Voir cependant l'argumentation de Ituinart {Proleţjomctia,ij. 7) contre
Valois.
MOXTANISMli AFBICAIN. 443
soit encore ', nous paraît tout a fait insoutenable. Le cardinal
Orsi l'a refutee ^ avec un grand luxe d'erudition, et un pareil
effort n'etait peut-etre pas necessaire. Sainte Perpetue et ses
compagnons ont laisse dans la tradition catholique le souvenir
le plus pur et le plus edifiant ; aucune ombrc ne plane sur laur
orthodoxie. Les eloges de Tertullien *, s'ils etaient seuls,
seraient JListement suspects; mais ceux du diacre Pontius '',
Liographe de saint Cyprien, ne le sont pas, et bien qu'il ne
nomme pas nos martyrs, on ne peut guere douter qu'il ne les
ait cn vue, dans son allusion â une coliection d'actes datant de
cctte meme perseculion. II y a plus : leur culte est atteste dans
l'eglise de Rome au milieu du quatrieme siecle par le calen-
drier philocalien'*. Au cinquieme, saint Augustin prononţait
jusqu'â trois scrmons " De natali Perpeiuae et Felicitatis. Leur
passion ne leur assigne point une place â part entre les martyrs
de la meme persecution; et si elle parle de visions et de pro-
plieties, on n'est pas fonde â voir dans ce fait scul un indice do
montanisme. On a beaucoup insiste sur l'apparition du bon
Pasteur ', et l'on a cru reconnaître, dans la bouchee de fro-
1. Xocldcchcn (p. 213) n'cn doute fias le moins du uiondc. — Voir aussi
T. u. U. 5, 2 p. 17 sq.
%. Orsi, Disserlatio apohc/elica pro SS. Perpeiuae, J-'elicUnlis el sociorum
orlhodoxia (1728); reproduit dans Migne, P. L. t. 'i, p. (il-170.
3. .In. 55 : Perpetua lortissima niartyr sub die passionis in revelatiom»
paradişi soios illic cominartyres suos vidit.
4. Pontius, Vila Cypriimi, 1 : Dururn erat ut, cum majorcs noştri plo-
beis et catechumcnis mart3'riuin consecutis tantum honoris pro martyrii
ipsius v(^neratione tribuerint, ut de passionibus eoruni multa aut ut
propc dixerim pacne cuncta conscripserint, utique ut ad nostram quoque
notitiam qui nondum nati fuimus pervcnirent, Cypriani tanti sacerdotis
et tanti martyris passio praeteriretur.
5. Calendrier dressâ cn 354 par ordre du pape Libci'c. (Publie par le
P. Boucher S. .J., dans son ouvrage Z)e doctrina lemporum, Anvcrs, 1634). On
y lit : i^onh Marlii. Perpeiuae el Felicilalis Africae.
6. Saint Augustin, Serm. 280.281.282 de Tcd. benedictinc.
7. Passio Perpeiuae, 1, 3 ; Et ascendi et vidi spatium liorti immensum,
ot in medio borti sedentem honiinem canum, in habitu pastoris, gran-
dem, ovos mulgentcm; et circumstantes candidaţi milia multa. Et Icvavil
caput et adspe.xit me, et dixit mihi : Bene venisti, x&vov. Et clamavit
me, ct de casco quod mulgebat dedit mihi quasi buccellam, et ego
accepi junctis manibus et manducavi ; et univcrsi circumstantes di.xerunt :
Amen. — Le texte gree edite par Harris etGifford (Londrcs, 1890) porte :
444 THEOLOGIE DE TERTIJLI.IEX.
mag-e qu'il donne ă Perpetue, la communion des anolyriles .
Mais ii convient de rappeler que Ies artotyrites sont â peine
designes, comme une secte orientale, par une allusion do saint
P'.piphanc ', qui d'ailleurs Ies distingue des montaiiistes. Selon
toute apparence, leur secte se constitua tardivcment ; on ne
peut prouver ni qu'il y eut des artotyrites quelque part des
l'annee 203, ni qu'il y en eut en Afrique â une epoque quelcon-
que. De plus, le role exact du laitage dans leur liturgic nous
est mal connu ^ ; et Tertullien, montaniste autlientique et mon-
taniste africain, dans des ouvrages posterieurs de quatre, huit
et quinze ans â cette scene de martyre, multiplie Ies allusions â
l'Eucharistie, â FEucharistie catholique ', sans qu'on puisse
surprendro sous sa plume la moindre allusion aux mysteres
des artotyrites. S'il fallait trouver dans l'antiquito cliretienne
un commentaire authentique ă la vision de Perpetue, nous
le cherclierions plutot en plein catholicisme romain, dans ces
peinturos des catacombes qui representent le bon Pasteur '%
portant une mulctra pleine du lait dont ii abrenvera Ies
fideles. Nous ne croyons pas qu'il faille serrer sur ce point^,
plus que sur Ies autres. Ies details de la vision.
De cette diarression, retenons seulement un fait certain :
l'existence d'une communaute montaniste nettement tranchee
ă Carthage, des le debut du troisieme siecle, n'est aucunement
prouvec; elle a meme contre elle toutes Ies vraisemblances. Le
montanismo africain n'etait pas encore une secte ; c'etait, au sein
du catholicisme, un courant extreme, et rdpute orthodoxe. La
situation se tendit peu apres la persecution; mais jusqu'â cette
date, la propagande montaniste n'avait pas donne beaxu'oup
d'ombrage â l'Eglise.
1. Epiphane, Haer. 49, 1. — Texte cito ci-dcssus, p. Hi.
2. Seulement par Epiphane, Ib. 49, 3.
3. Voir Ies textes cites, c. VII, % 6.
4. Ainsi la peinture celebre du cimetiere de Calliste, reprodiiite par
Marucchi comrae fi'ontispice du t. 2 do ses ElemenU cVarcheolofiic chre-
timne (1900).
5. ,Ie m'etonne que M. Monceaux ait cru devoir s'y arreter (TerluUien,
p. 80). — Le premier auteur qui ait voulu retrouver dans la Passio Per-
petuae la communion des artotyrites est, â ma connaissance, Noesselt :
De vera aetate ac doctrina scriplormn quae mpemint Terlulliani (1757),
§ 47 (ap. Oehler, t. 3, p. 61o).
livOLUTION DES IDEES DE TliliTULLIEN. 445
Esprit exalte, caractere intransigeant, Tertullien devait ac-
cueillir avec faveur unc doctrine faite d'illuminisme et de rigo-
risme. Aussi lanouvelle prophcties'empara-t-elle puissamment
de son âme. On a souvent repete qu'il fut toujours virtuelle-
ment montaniste, et que, bien avânt la crise qui le jeta hors du
catholicisme ' , que meme de tout temps, ii en etait separe d'es-
prit. Si par lâ on cntend seulement dire que de profondes
afîinites entraînaient dans Ies voies de la nouvelle heresie sa
nature ardente, rien n'est plus vrai. Mais nier Tevolution de
son esprit serait aller contre l'evidence meme. Sans reprendre
une demonstration qui aete faite bien des fois ^, nous releverons
brievement, dans ses premiers ecrits. Ies grandes lignes d'un
Antimontan.
A ses debuts, malgre des declarations bienimprudentes sur
l'indifference des chretiens cn matiere politique, ii Ies presen-
tait comme des serviteurs devoues de l'empirc, interesses â sa
conservation, occupes de retarder par leurs prieres la catas-
trophe finale. Dans Ies questions religieuses, ii adherait fer-
mement au principe d'autorite, comme seule garanţie de l'unite
contre Ies ecarts de la pcnsee individuelle, et ii montrait dans
la traditionapostoliquela pierre detouche quipermetde recon-
naître et de denoncer toute nouveautc doctrinale. Compatissant
auxsouffranccs, ii se gardaitbiendereprouver, comme uneapos-
tasie, la fuitedevant lapersecution. S'il eut toujours en haute
estime la perfection de la chastete, ii ne laissait pas de venercr
l'institution divine du mariage, et se bornait ă deconseiller Ies
secondes noces. S'il approuvait le jeune, ii appreciait pourtant
lesdons du Createur, etblâmait Tabstinence hautaine des mar-
cionites. 11 respectait Ies usages autorises dans l'Eglise. II admet-
tait que cette Eglise a des pardons pour toutes Ies fautes, et
1. These poussoe â rcxtrenie dans la dissortation de G. Contnor, Tertul-
liani quae supersunl O'înnia in monlanismo scripta videri (Reproduit par
Oehler, t. 3, p. .511-539). — M. Guignebert en adopte pratiquement Ies
positions, op. cit. Introd. p. vin : « Tertullien a toujours ete virtuellement
montaniste. » ; conclusion, p. 577. « L'Eglise orthodoxe l'a ccarte tout a
fait â partir de sa chute, mais en i-ealite 11 etait virtuellement separe; d'elle
des ses premiers ecrits. »
2. Voir en particulicr : Noesselt, Dispulalio (1757; ap. Migne, t. I, Ochicr
t. 3), et Ies autres travaux citiis dans notre Introduction, p. vii.
446 THliOLOGIE DE TERTULUEN.
que le defaut de penitence, de la part da coupable, met seul
obstacle a ces pardons. II admettait que tous Ies fîdeles ne font
qu'un dans le Christ.
En resume, comme citoyen, comme croyant, comme pretre,
ii s'attachait â FEvangile commente par la pratique de l'Eglise.
Sur tous ces points, nous verrons sa pensce dcvier, â mesure
qu'il s'engagera sur la pente de rilluminisme phryg-ien.
m. LE MILLENARISME.
Comme beaucoup de ses contemporains, Tertullien croyait
â rimminence des derniers temps. Peu d'idees reviennent plus
souvent dans ses ecrits de toute date \ et aucune pârtie de la
doctrine montaniste ne repondait mieux â ses propres aspira-
tions que l'annonce de la prochaine Parousie. Dans un ouvrage
special, intitulo De spe fidelium, ii avait montre le neant des
esperances juives, et prouve que Ies oraoles ou Israel fonde son
attente doivent sentendre allegoriquement du Christ et de
l'Eglise. Cet ouvrage est perdu ; mais on en retrouve la trace
â la derniere page du troisicme livro Adv. Marcioneni ^, oîi le
râve millenariste revet la forme d'un mirage oriental. Apres
avoir etabli la realite du royaume celeste, ii ajoute que
cette realite n'exclut nullement celle d'un royaume du Christ
en terre. Ce dernier royaume doit venir avânt I'autre, pour Ies
justes ressuscites, et ii durară miile ans dans Ia Jerusalem nou-
1. Ap. 32 : Ipsaiu clausulaiii sacculi acerbitates iiorrcndas coniminan-
tcm Romani imperii commeatu scimus relardari — Ifi. 39 : Oramus...
pro mora finis. — Or. 5 : Uliquc ultio illorum a saeoiili fine dii-igituv.
Immo quam celeriter veniat, Domine, regnum tuum, votuni Christiano-
vum, confiisio nationum. — 2 C. f. 9 : Nos sumus in quos decucui'rerunt
l'mes saeculorum. Nos destinaţi a Deo ante numdum in cxtimatione tem-
porali. — 1 Ux. 2 : (Nuptias) Apostolus in cxtremitatibus saoculi aut
o.YCidit rcdundantcs aut composuit inconditas. — Ib. 3 : Et tamen illa
tunccaccitas longe a fmibus saeculi habebatur. —B. 22: Vota nostra sus-
pirant in saeculi hujvis occasum. — Ex. c. 6 : Nune vero sub cxtremitatibus
temporuin compressit (Deus) quod emiserat. — Mmiog. 7 : Crescite et
redundate, ovacuavit extremitas temporum. — I'vd. 1 : Mala magis vin-
cunt, quod ukimorum temporum ratio est.
2. 3 M. 2t.
MILLENAIUSME.
447
velle descendue du ciel : FApotre j fait allusion quand ii parle
de notre droit de cite celeste (Philipp. 3, 20). Montree â Ezechiel
(Ez. 48), puisâ saiiit Jean (Apoc. 21), cette cite est proclie, au
dire des nouveaux prophetes. Elle est si proclie qu'on Fa vue ^ :
des paîens meme Fattestent, au cours d'une recente expedition
d'Orient — vraiscmblablement la campagne de Severe contre
Ies Parthes (197-8) - — , durant quarante jours on apergut le
matin une cite merveilleuse, suspendue entre ciel et torre,
revetue de ses murailles, qui s'evanouissaient au lever du jour.
Commentn'y pas reconnaître cette Jerusalem celeste ou, du-
rant miile ans. Ies jusles jouiront de l'abondance des biens
spirituels, comme compensation des sacrifîces accomplis et des
pertes endurecs pour Dieu?
L'histoire profane est muette sur ce mirage qu'aurait eprouve
Farmee romaine dans le desert de Judee. Toujours est-il que
Tertullien s'enchante par la perspective de ce regne temporel,
qui, selon sa pensee, preludera au regne eternei. Et ii fait re-
marquer une gradation menagee par la Providence : Ies pro-
phetes de FA. T. avaient parle de benedictions temporelles et
de royaume terrestre; ii etait reserve au Seigneur lui-meme
d'eleverles espritsetles creurs vers Ies pensees eternellcs et
vers le royaume des cieux.
A l'epoque ou Tertullien poursuivait avec tant d'ardeur la vi-
sion de la Parousie, le millenarisme de Cerinthe avait deja subi
Ies attaques de Caius. Mais l'exemple recent de saint Justin et
de saint Irenoe prouve qu'un certain millenarisme etait admis
l.Dcniquo proxime expunctum est orientali expeditione. Constat oniui
cthnicis quoque testibus in .Judaea per dies XL matutinis momentis civi-
tatem de caelo pependissc, omni mocniorum liabitu evanescente de pro-
fectu diei, et alias de proximo nuUam. Hanc dicimus excipiondis resur-
rectione sanctis ct rcfovendis omnium bonorinn utique spii-italium copia
in conipensationem eoruni quae insaeculo vel despeximus vel aniisimus
a Deo prospectam. Si<)uidein et justum et Deo dignum ijlic quoque exul-
tare famulos ejus ubi sunt et afllicti in nomine ipsius. llaec ratio regni
terreni, postcujus miile annos, intra quam aetatem concluditur sancto-
i-uni rcsurroctio pro mei'itis maturius vel tardius resurgentium, tune et
numdi destructionc ct judicii conflagratione commissa, demutati in atonio
in angelicam siibstantiam, se. per illud incorruptelae superindumentum,
transferemiir in cacleste regnunr.
2. Voir de Ceulene(;r, Essai sur la vie et le rer/ne de Sepiime-Severe
(Bruxelles, 1880), p. 115 sq.
448 THJiOLOCIE DE TEliTULLIEN.
par bien des catholiqiies. Knergiquement combattues par l'ecole
d' Alexandrie, ces idees seduiront encore ^ Victorin de Pettau,
Lactance, et, pendant un temps, saint Augustin. Origene com-
mencera la defaite des millenaires en faisant prevaloirl'exegese
allegorique des textes qu'ils invoquaient, saint Augustin leur
portera Ies derniers coups.
IV. REGNE DU PARACLET.
Si le montanisme a trouve dans la predication du milleniam
un mot d'ordre commode, sa grande puissance d'expansion dc-
vait etre Ie prophetisme. A quelle epoque cette nouveaule
s'empara-t-elle de l'esprit de TertuUien? II n'est pas impossible
de Ie determiner approximativement. On se rappelle Ies decla-
rations si nettes du De praescriptione sur le devoir de s'attacher
â la tradition apostolique. Au cours de cet ouvrage, TertuUien
cite deux fois ^ le texte de saint Jean ou le Christ promet aus
Apotres d'envoyer le Saint-Esprit (Joan. 16, 13). II Ie commente
en parfait catholique, et ii n'aurait pu le commenter autrement
sans ruiner par la base la these meme qu'il s'etait promis
d'etablir en ecrivant ce livre ^. Cest pourtant â ce meme texte de
1. Voir V. Ermoni, Ii. Q.H. t. 70 (1901), p. oTOsq. — Oiipeutrapprocbcr
do TertuUion Io fragment miUenariste edito d'apres uu msdeJMilanpar
M. G. Mercati (Sludi e TeHi, 11, Rome, 1903) et par M. H. C. Turner
[J. r. S. 5, 18 (jaii. 1904) p. 218 sq.); notamment 14, 1. 14-17; 27-36 (je
cite d'apres le J. T. S.); fragment qu'on a pu attribiicr â Ylctorin de
Pettau.
■2. Pr. 8 : In fine praecipit, vaderent ad doceiidas et tinguendas nationes,
consecuturi mox Spirituin Sanctum Paracleturn, qui illosdeducturus essiM
in omnem veritatem. — Ih. 22 : Dixerat plane aliquando : Multa liabeo
adhuc loqui vobis, sed non potestis inodo ea susţinere, tamen adiciens :
Cum venerit iile Spirilus veritatis, ipse vos deducet in omnem veritateui,
ostendit illos niliil ignorasso quos omnem veritatem eonsecuturos per
Spiritum veritatis promiserat. Et utiquc implevit repromissum, proban-
tibus Actis Apostolorum descensum Spiritus Sancti. — On peut ajouter
Pr. 28.
3. On a pourtant cru decouvrir des traces do montanisme dans Io De
praescriplione. P. Allix {Dis.terialio de Terlulliani vita et scriplis, ap. Oehlor,
t. 3, S 7, p. 65) en voit dans le seul mot charisma : Noc obscure charisma-
tum injccit mentionem Teilullianus, Pr. 29; quani vocem Paracleti disci-
plinam explicans et plaeitaMontani defendens non sine affectationc usur-
KEGXK DU PAHACLET. 449
saint Jean queles monlamstes recouraicnt pour accrediter leur
nouvelle prophetie; et quand Tertullien y reviendra quelques
annees plus tard apres avoir pris contact avec Theresie pliry-
gienne, son point de vue aura bien cliange. Au lieu d'admettre
que le Saint-Esprit a realise la prom.esse du Christ en descen-
dant sur Ies Apotres lejour de la Pentecote, ii retarde sa vemie
jusqu'a l'epoque de Montan. On lit dans le trăite du voile des
viergos ^ :
« Que fait donc le Paraclet, sinon tracor la ligne du devoir,
devoiler le sens desEcritures, reformerlespensees, promouvoir
le bien? Tont suit le progres de l'âge, tout vient en son temps.
11 y a, dit l'Ecclesiaste (Eccl. 3, 17) tenaps pour cliaque chose.
Voyez, dans le monde materiei, comme grandissent Ies fruits.
Tout d'abord ii n'y a qu'une graine, de cette graine nait une
tige, de la tige un arbuste; puis Ies rameaux et le feuillage se
developpent, un arbre apparaît; le bourgeon segonfle et s'ou-
vre pour donner passage â une fleur, de la fleur sort un fruit :
primitivement acre et informe, ce l'ruit se corrige avec le temps
et adoucit sa saveur. De memedansle monde moral — car le
Dieu du monde moral n'est pas autre que celui du monde ma-
teriei — , l'âge primitif appartient â la crainte de Dieu ; avec la
Loi et Ies prophetes, vint l'enfance; l'Evangile apporta Ies ar-
deurs de la jeunesse, aujourd'hui leParaclet signale la maturite :
ii a succede au Christ, et desormais l'humanlte ne connaîtra
plus d'autre maître. »
Cest, pensons-nous, la premiere fois que Tertullien formule
la doctrine montaniste sur le Paraclet. Dans ce trăite du voile
des vierges, malgre sa liardiesse de pensee, ii montre un souci
de ne pas rompre avec le catholicisme^, dont plus tard ii s'af-
pat. — Assiirement, cela n'cst pas une i'aison convaincanto. Qu'U sullîsi!
de renvoypi' a Neandor, qui a pai'faitoment venge, le Ds praescripHone du
soupcon de montanismo, Antignosticus ^, p. 3U sq.
1. V. V. 1 : Quae est ergo Paracleti adnunistratio, nisi haec, quod dis-
ciplina dirigitur, quod Scripturae revelantin-, quod intoUcctus rcformatur,
quod ad meliora proficitur? Nihil sine aet.ite est., omnia tsmpus exspeo
tant... Sic et justiţia... primo fuit in rudimcntis, natura Deuni metuens;-
dchinc per Legem et l'rophetas promovitin infantiam, dehinc per Evan-
gelium effcrbuit in juventutem, nune por Paracletum componitur in
niaturitatem. Hic cril solus a Ciiristo magister et dicondus et verendus.
2. Voir par exemple comme ii parle des Eglises apostoliqucs, V. v. 2 :
THEOLOGIE DE TERTULLIEN. 29
450 THEOLOGIE DE TERTULUEN.
franchira. Maisdejâ ii a fait siennel'idee mere du montanisme,
celle d'une evolution de la revelation cliretienne, destinee ă
parfaire la discipline par une effusion nouvelle du Paraclet
apres l'âge apostolique. Cest pourquoi ce trăite nous paraît,
mieux que tout autre, marquer un tournant dans sa vie. Au-
trefois, quand ii expliquait le plan divin deroule a travers Ies
âges, ii ne soupQonnait pas cette dernierc phase, la phase du
Paraclet ' . Dcsormais ii y reviendra constamment ^. II accuse
Una hobis ct illis lides, unus Dcus, idem Christus, cădem spes, eadcni
lavacri sacramenta, semel dixerim : Una Eccle.sia sumus.
1. Ainsi, 1 Ux. 2 : Xecessarium fuit institiiere quae postea aut amputări
aut temperări mcrercntur. Supervcntura enim Lcx erat. Oportebat enim
Legis adimplendae causas praecucurrisse. Item mox Legi succcdere ha-
bcbat Doi sermocircumcisionem iiiducensspiritalem. Igitur perliccntiam
tune passivam materiaesubsequentium omendationum praeministraban-
tur, quas Dominus Evangelio suo, dehinc Apostolus in extremitatibus
saeculi aut exeidit redundantes aut composuit inconditas.
2. An. 58 (doctrine du purgatoire) : Hoc etiam Paracletus frequentissime
commendavit, si qui sermones ejus ex admissione promissorum charis-
matum admiserit. — B. 63 (resurrection corporeile) : Deus omnipotcns
adversus haec incredulitatis et perversităţi» ingenia providentissima
gratia sua effundens in novissimis diebus de suo Spiritu in omnem car-
nem, in servoş suos et anoiilas, et lidem laborantem resurrectionis car-
naiis animavit et pristina instrumenta manifcstis verborum et sensuuui
luminibus abomni ambiguitatis obscuritate purgavit... Quoniam nec dls-
simulare Spiritum Sanctum oportebat quominus et hujusmodi elo(iuiis
supcrinundaret quac nuUis haereticorum versutiis semina subspargercnt,
immo et veteres eorum cespites vellerent, idcirco jam omnes retro ambi-
guitates et, quas volunt parabolas aperta atquc perspicua totius sacra-
nienti praedicatione discussit per novam prophetiam de Paracleto inun-
.dantem. — Fug. 1 (de la persâcution) : Procuranda cxaminatio penes vos
qui, si forte, Paracletum nonrecipiendo, deductorem omnis veritatis, me-
rito adliuc etiam aliis quaestionibus obnixi estis; — Ib. 14 : Paracletus
nccessarius deductor omnium veritatum, exhortator omnium tolcrantia-
rum. Quem qui.receperunt, neque fugere persecutionem neque redimcre
noverunt, habentes ipsum qui pro nobis erit, sicut locuturus in interro-
gatione, ita juvaturus in passione. — Monoy. 2 : Monogamiae discipli-
nam in iiaeresim exprobrant, nec uila magis ex causa Paracletum ne-
gare coguntur quam dum existitnant novac disciplinae institutorem,
et quidem durissimae illis, ut jam de hoc primum consistendum sit in
generali retractatu, an căpiat Paracletum aliquid tale docuisse quoil
aut novum dcputari possit adversus catholicam traditionem aut onero-
sum adversus levem sarcinam Domini (Lâ-dessus, eitation de Joan. 16, 12.
13)... Ergo, inquis, hac argumcutatione quidvis novum ot onerosum Para-
cleto adscribi'poterit, etsi ab adversario spiritu fuerit. Non utiquo. Ad-
versarius enim spiritus ex diversitate pi'aedicationis appareret, primo
regulam adulterans (idei, et ita ordinem adulterans disciplinae, quia
REGXE DU PARACLET.
451
meme Ies catlioliques de trahir la doctrine des x\p6tres * , parce
qu'ils meconnaissent le Paradat, venu pour couronner la pre-
dication des Apotres. Les catlioliques ne pouvaient manquer de
retourner contre lui un texte qu'il avait souvent commente ^ :
celui qui fixe ă la mission de Jean-Baptiste le terme de Tan-
cienne prophetie (Luc. 16, 16). Sans s'emouvoir de cette con-
tradiction, ii repond hardiment que quand meme le Saint-Es-
pritn'auraitpointparleparla bouclie des prophetes phrygiens
les montanistes auraient pu, au sujet de devoirs si certains
etre â eux-memes leurs propres prophetes.
Desormais, â cote de TA et du N. T., ii admet une nouvelle
source de la revelation divine 3, egale ou plutot superieure en
autorite aux deux premieres, puisqu'au besoin elle doit servir
â reformer l'oîuvre du Christ et des Apotres. Parmi les ora-
cles des nouvcaux prophetes, la plupart sorit ibndus dans ses
developpements oratoires ; ii en est pourtant un petit nombre
cuj us gradus prior est, ojus comiptela antecodit, i. o. lidei, qiiaepriorest
disciplina. — Ib. ;> : Cur non potuerit post Apostolos idem Spiiitus super-
venieiis ad deducendam disciplinam in omnem veritatem per gradus
temporum (secundum quod Ecciesiastes : Tempus omni rei, inquit),
suprcmam jam carni fibulam imponere, jam non obliquo a nuptiis avo-
cam, sed exerte, cum raagis nune tempus in coUecto i'actum sit, annis
circiter CLX exinde productis? — Ib. 14 ; Cur non et Paraclolus abstu-
leritquod Paulus indulsit?... Regnavit duritia cordis usque ad Ciii'istum,
regnaverit ct infirmitas carnis usquc ad Paracletum. Nova Icx abstulitre-
pudium(habuit quod auferrct), nova prophetia secundum matrimonium,
non minus repudiumprioris. — Jej. II :Sedrursus palos terminales figitis
Deo, sicut de gratia, ita de disciplina, sicut de charismatibus, ita et de
sollemnibus. — Voir enoore, sur Joan. 10, 13, Cor. 4 ; Prax. .30.
1. Pud. 12 : Işti... alium Paracletum in Apostolis et per Apostolos re-
ceperunt, quem nec in prophetis propriis aguitum jam nec in Apostolis
[)ossident... Sed non levitcr nobiscum pactus Spiritus Sanctus... Novis-
simi Testament! seiiiper indomutabilis status est.
2. Jej. 2 : Ubi volunt enim, agnoscunt quid sapiat : Lex et prophotac
usque ad .loannem. — /*. 12 : Ut ab Joannc Paraclotus obmutuisset, ct
ipsi nobis prophetae in hanc maxirne causam cxtitissomus... ad praemu-
uiendam per nosmetipsos novissimorum temporum condicionem indi-
cciites omnem iXTca'ioţgiii)'^'.'/ .
3. 3 M. 24 : Qui apud lidem nostram est novae prophetiac sermo. Of.
Philosophum. 8, 19 : RîgXouţ âţiîipo'j- gyovTe; Tilmwni.:, («.tite ta utc' aOcâv
y£kakn<f.v)y. Xâ^i^ xpîvavxeţ. jiviiE toÎ; xpîvai cuvapiivoi; itţ.ooiymts.i... TtAsîov v.
^•t? auTtov ţâdXOVTSţ {t£[ix9-/iy.ivat y) jx vo(iou xaî itooîJr.Twv v.ai x'Sii îuî-ffsî.iwv. —
Clement, Strom. 4, 13, 93; Didyme,/)e rnnitofe.3, 41. — Ilarnack, AC L
C
p. 238-240.
452 THROLOGIE DE TEllTULLIEN.
qu'il rapporte textuellement. Nous Ies reunirons ici, sans com-
mentaire.
lî. II: Dequibus luculenter et Paracletus per prophetidem Priscillam :
Carnes sunt et carnem oderunt. — Ex. c. IO: Item per sanctam prophe-
tidem Priscillam ita evangclizatur, quod sanctus minister sanctimoniam
noverit ministrare. Purificantia enim concordat, ait, et visiones vident,
ot ponentes faciem deorsum etiam voces audiunt manifestas, tam saluta-
res quam et occultas. — Fug. 9: Spiritum vero si consulas... omnespaene
ad martyrium exhortatur, non ad fugam; ut et illius commemorcmur :
Publicaris, inquit, bonum tibi est : qui enim non publicatur in liomini-
bus, publicatur in Domino. Ne confundaris, justiţia te producit in mc-
dium. Quid confunderis, laudem ferens? Potestas fit, cum conspiceris ab
hominibus. Sic et alibi : Nolite in lectulis ncc in aborsibus et febribus
moUibus optare exirc, scd in martyriis, uti gloriflcetur qui passus est pro
vobis. (Cf. An. 55, fm). — Pud. 21 : Ipsum Paracletum in proplietis novis
habeo dicentem : Potest Ecclesia donare delictum, sednon faciam, no et
alia delinquant.
Bien qu'il fasse d'ordinaire appel aux premiers prophetes du
montanisme, comme ii n'admet pas qu'on fixe des bornes ă
l'Esprit divin ^, son illuminisme Tincline â retrouver autour de
lui des rcvelations semblables : d'oii le grand râie devolu aux
cliarismes dans sa theologie de la derniere epoquc. Visions,
extases, songes, cessent d'etre des phenomenes exceptionnels,
pour devenir presque la voie normale des Communications di-
vines. 11 admet quc la plupart des hommes, ou peu s'en faut,
connaissent Dieu par vision ^. 11 est en relations avectelle per-
soane ■' qui, durant la priere commune, le dimanche, est ravie
1. Jej. 11.
2. An. 47 : Major pacne vis hominum c.\ visionibus Deum discunt.
3. An. 9 : Est hodie soror apud nos revclationum charismata sortita,
quas in ecclesia inter dominica sollemnia per ecstasin in spiritu patitur;
convcrsatur cum angeîis, aliquando etiani cum Domino, et videt ct audit
sacramcnta, et quorundam corda dinoscit et medicinas desidorantibus
submittit. Jam vero prout Scripturae leguntur aut psalmi canuntur aut
allocutiones proferuntur aut petitiones delegantur, ita inde materiae vi-
sionibus subministrantur. Forte nescio quid de anima disserueramus, cum
ea soror in spiritu esset. Post transacta sollemnia, dimissa plebe, quo usu
solet nobis renuntiaro quae viderit (nam ot diligentissime digeruntur, ut
etiam probentur), inter cetera, inquit, ostensa est mihi anima corpora-
liter, et spiritus videbatur, sed non inanis ct vacuae qualitatis, immo
quae etiam teneri repromitteret, tenera et lucida et aerii coioris ct forma
REGNE DU PAnACLET.
453
en esprit, converse avec Ies ang-es, avec le Seigneur meme, voit
et entend des choses cachees, lit dans Ies coeurs et suggere des
remedes â qui la consulte. II ne craint pas de fonder sur ces
revelations d'etranges speculations metaphysiques. Telle autre
personne^, pour sa mise trop elegante, a ete admonestee en
songe par un ange, qui a pris la peine de determiner la lon-
gueur de son voile. Ces charismes, qui parfois offrentune res-
semblance frappante avec certains cas modernes de spiritisme,
sont aux yeux de Tertullien l'apanage ^ et le signe distinctif de
la veritable Eglise. Dans sa controverse avec Marcion, ii met
l'heretique au defi de produire de semblables charismes ', et
voit dans son impuissance la condamnation de la secte.
Pour exprimer sa position nouvelle en face du catliolicisme,
ii lui fallait un langage nouveau : par un etrange retour de
ces luttes doctrinalos, ii devait le recevoir du gnosticisme, la
doctrine qu'il avait combattue toute sa vie. Le texte de saint
Paul : L'homme charnel ne comprend pas ce qui procede de
l'Esprit divin (1 Cor. 2, 14]^, avait fourni aux gnostiques une
per omnia humana. Hace visio est, Deus testis et Apostolus charismatum
in Ecciesia futurorum idoneus sponsor.
1. V. V. 17 : Nobis Dominus otiam revelationibus velaminis spatia me-
tatus est. Nam cuidam sorori nostrae angelus in somnis cervices, quasi
applauderet, verberans : Elegantes, inquit, cervices, et nierito nudae!
bonum est usque ad luiiibos a capite veleris, ne et tibi ista cervicum li-
bertas non prosit. — (veleris tous Ies edit., sauf .Junius et Oohier : revc-
leris).
2. 4 M. 22 : Defondimus in causa novae prophctiae ecstasin, i. e. amen-
tiam, convenire. In spiritu ,enim liomo constitutus, praesertim cum glo-
riam Dci conspicit, vel cutn per ipsum Deus loquitur, necesso est e.xcidat
sensu, obumbratus se. virtute divina; de quo inter nos et psychicos
quaestio est.
3. 5 M. 8.
4. 'Fux'.xo; 5sâv6pu7to; ou oex^fai xă roO IIvs'jjxaTocToCi 6eoD.
5- Fragments gnostiques cites dans Migne, P. G. 7. — Valentinien anonyme,
p. 1:.7/ :Ta6e Ticcpiţpo'aifioiţ.IIapâ Se >!"^X'''"''?!''*P°' 81 aapxixoî;, Ttapdc Se xoajit-
""""'l'" T ^'''^'■acleon. Iii., p. 1318 : IN'yvî oh S9i>/ji iatn ("H.) ofioouoious Tivii;
TM oia5oA(j) Xe'yMV âvSptoTrou;, IxEpaş, «>; olovxai oi âvi:' auTou, oiaiaz Tuy/âvovxi,
irap' oij; xcţÂoucri iliux'>«>u; y) TTVE'JUaTiy.ou;. — Ib., 1320. — Voir saint Irenee,
Haer. 1, 5. 6, sur la distinction valontiniennc dSs trois classes d'liom-
mes : yoi-x.oi, ii-jyiMi, •rtvsujji.aTixoi; Tertullien lui-menne, Val. 29 : Choicum
saluţi degeneraturn ad Cain redigunt, animale mediae spei dcUberatum
ad Abel componunt, spiritale certae saluţi praejudicatum in Seth rocon-
dunt.
454 THEOLOGIE DE TERTULLIEX.
appellation pour distinguer d'eux-mcmes, hommes spirifucls,
ces hommes charnels qu'etaient Ies catholiques. Deja popu-
larises par la gnose, Ies noms de TrvsuixaTwoî et de '^uyj.y.oî furent
repris par Ies montanistes : le premier designa Ies disciples
du Paraclet, le second Ies catholiques. A partir de l'Antimar-
cion, Ton rencontre maintes fois sous la plume de Tertullien
ce terme meprisant de psychiciK Contre ces hommes bas et
charnels, fermes k l'Esprit divin, ii entame une lutte sans
merci. Cependant ii lui arrivera encore de se mcler k eux
pour combattre des ennemis communs. Ainsi le trăite contre
Praxeas, qui ne menage pas \es psychici, est destine â soute-
nir, contre l'heresie monarchienne, le dogme de la Trinite- .
V. rUITE DEVANT LA PERSECUTION.
Tertullien paraît avoir souleve lui-meme la question de la
fuite devant la persecution ^. A la premiere page du De corona,
fletrissant ses contradicteurs qu'il accusait de pactiser avec
l'idolâtrie, ii s'ecriait ' : « II ne leur manque plus que de se
derober au martyre, apres avoir rejete Ies propheties de l'Esprit
1. L'oxemple le plus ancien est, peiisons-nous, celui que nous avons ox-
trait do i M. 22. — Voir cncoro Pra.x. 1 : (Praxeas) episcopum romanuni
agnoscentem jam prophetias Montani, Priscillae, Maximillae... coegit et
litteras paeis revocare jam emissas et a pi'oposito recipieudorum charis-
matum concessare... Et nos quideiri jiostca agnitio Paracleti atque defen-
sio disjunxitapsychiois. — Monog. 1; Jej. \.\\;Pud. 6, etc. — On lit ,/e;'. 3
que Dieu envoya â Adam un somnicil cxtalique durant lequel ii prophe-
tisa; au sortir de ce sommeil, ii redevint grossier psychkus. — Parfois
Tertullien emploie dans le meme sens le mot animalis (2 jM. 2); mais d'or-
dinaire ii le reserve aux heretiques (Ibid., et H. 22). Los montanistes sont
appeles spiritales, Monog. 1 : Penes nos autein, quos spiritalos merito dici
facit agnitio spiritalium chavismatuui.
2. On a cru parfois retrouvei- l'influenco montaniste jusque dans la
forme donndo par Tertullien â la doctrine sur Dieu ; mais cette idee nous
paraît pcu soutenable. Voir ci-dessus, c. II, p. 65. — En tous cas ii est fort
oijpose a ces montanistes qui profossaient, dit-on, l'heresie de Noet (Pa-
tripassianisme. — Voir Philomphumena, 8, 19).
3. Sur cette question, voir l'abbe E. Jolyon, La fuiie de la persecution,
pendant Ies trois premiers siecles du chrutianisme. Lyon, 1903, in-8(99 pp-).
— Freppel, t. I, 14" lecon.
4. Cor. 1 : Plane supcrest ut ctiam mai-tyria recusare meditcntur qui
prophetias cjusdem Spiritus Sancti rcspuerunt.
rUITE DEVANT LA PEliSECUTIOX. 455
qui i'ait Ies martyrs! » Et donnant un demenţi eclatant aux
assertions de ses anciens ecrits ^ , ii accusait ces memes conlra-
dicteurs de ne retenir de tout l'Evangile qu'un texte (Mat. 10,
23), celui qui autorisait Ies Apotres ă fuir d'unc viile dans
une autre. Des lors ii meditait un trăite sur Fobligation de
confesser sa foi^. Cest le Scorpiace, ou la question de la
fuito n'est pas encore abordee de front. Le De fuga suivit de
prcs. Eorite sous la menace de la persecution, en reponse
â la question d'un catliolique nommo Fabius *, la consulla-
tion du docteur montaniste est d'une âprete extreme.
Faut-il fuir devant la persecution''? Question actuelle, et
grave, d'autant qu'il ne manque pas de chretiens encore peu
eclaires, faute d'avoir accueilli le Paraclet. Tout d'abord ii y
a lieu de se demander d'oîi vient la persecution : de Dieu
ou du demon? D'unc maniere generale, on sait que rien n'ar-
rive sans la volonte de Dieu. La persecution en particulier
est une epreuve voulue de Dieu, epreuve necessaire pour exa-
miner la foi de ses serviteurs : c'est le van qui separera le fro-
ment des martyrs de la paille des renegats. C'est encore un com-
bat, dont la perspective ranime la ferveur des fideles : donc la
persecution ne vient pas du demon. On objectera ^ que la per-
secution est toute iniquite; or l'iniquito ne saurait venir de
Dieu. Sans doute; mais Dieu, qui se propose d'eprouver ses
serviteurs, fait servir â cette fin l'iniquite du demon. Or c'est
le propre d'un instrument de n'etre mu que par une impul-
sion (îtrangere. Ainsi la persecution vient-elle par le demon,
elle ne vient pas du demon. La puissance du demon sur Ies
serviteurs de Dieu est limitee, comme le prouvent l'exemple
de Job (Job. 1, 12; 2, 6) et celui des Apotres (Luc. 22, 31).
1. Pat. 13 : Si fuga urgeat, ad incommoda fugae caro militat. — 1 Ux.
3 : In persecutionibus melius est ex pormissu fugere de oppido in oppi-
dum quain compreliensum et distortum negare.
2. Cor. 1 : Sod de quaestionibus confessionum alibi docobiiuus.
3. Que Fabius f ut catholique et TertuUien deja montaniste, cela ressort
clairement des mots suivants, Fug. 1 : Procuranda autem examinatio
penes vos qui, si forte, Paracletum non rccipiondo deduotorem omnis
vcritatis, merito adhuc etiam aliis quaestionibus obnixi estis.
4. Fug. 1.
5. Ib. 2.
456 THEOLOGIE DE TERTULLIEX.
Sur Ies siens seulement, ii agit parfois en maîlre. Malgre
tout, l'auteur vrai de la persecution, c'est Dieu \ le Dieu de
la paix et dş la guerre, de la mort et de la vie. Une foi frivole
et froide peut seule en douter.
Ceci pose, ii faut repondre hardiment ^ : on ne doit pas
fuir devant la persecution. La persecution vient do Dieu;
donc elle est bonne, donc la fuir est illicite, car on ne doit
pas se derober a un bien. Cest de plus impossible : car on
ne peut echapper â la volonte de Dieu. Quelqu'un dira ■* :
« Je fais ce qui depend de moi, en fuyant pour eviter l'apos-
tasie; â Dieu, s'il lui plaît, de me ramener dans l'arene ».
Tertullien repond : Si vous considerez voire apostasie commc
sure, vous etes d'avance apostat. Dans le cas contraire, ne
vaut-il pas mieux vous abandonner â Dieu? L'histoire d'un
certain Rufilius'' montre comment la volonte divine esL ineluc-
table : apres avoir fui maintcs fois de place en place, apres
s'etre meme rachete k prix d'argent, alors qu'il croyait n'avoir
rien k craindre, ii se vit tout d'un coup arrete, traînc devant
le juge, mis â la question, brAle vif, et, par la niisericorde de
Dieu, devint ainsi martyr malgre lui. Un fugitif en appelait au
precepte evangelique : « Fuyez de viile en viile » (Mat. 10, 23).
Ce n'est lâ, dit Tertullien, qu'un voile pour couvrir la lâcliete.
Neanmoins, commc ii sent la force de l'objection, ii tâclie de
l'eluder, en restreignant ce precepte, d'aprcs le contexte, a la
personne des Apotres et ă l'evangelisation d'lsraijl. Les temps
sont changes : desormais l'Esprit-Saint, repandu sur tonte
chair, ne souffre plus de bornes a l'apostolat chretien (Ps. 18, 1).
Les Apotres l'ont donne â entcndre lorsquc, repousses par
Israel, ils se sont tournes vers les Gentils et les Samaritains
(Act. 13, 46). Saint Paul lui-meme qui, k sos dobuts, se fit
descendre dans une corbeille pour echapper âses ennemis, par-
venu â la fin de sa carriere, resistait k ceux qui le detour-
naient d'aller â la mort i'Act. 21, 13). D'aillcurs d'autres
1. Fug. 3.
2. Ih. 4.
3. th. o.
4. Rutilius sanctissiniiis martvr.
5. Ib. 6.
FUITE DEVANT LA PEIiSECUTION. 457
preceptes du Seigneur ^ condamnent la fuite devant la perse-
cution : obligation de le confesser devant dans Ies hommes
(Mat. 10, 32), beatitude promise aux persecutes (Mat. 5, 11),
invitation ă tenir ferme jusqu'au bout (Mat. 10, 22). On dira
qii'il a voulu menager la faiblesse humaine. De tels menage-
menls ne sont guere dans ses habitudes : ii n'invitc pas ă
craindre la mort temporelle, mais â la braver (Mat. 10, 28 ;
Luc. 14, 26; Apoc. 21, 8). Ccpendant lui-meme s'est derobe â
la persecution ^. Oui, comme Ies Apotres ; mais dans sa pas-
sion ii ne voulut ni legions d'anges ni meme le glaive de Pierre.
II avoua la faiblesse de la chair; mais seulement, apres avoir
affirme la force de l'esprit. II pria pour eloigner ce calice :
vous pouvez prier k son exemple, mais dcbout, mais sans fuir,
mais en ajoutant comme lui : « Que votre volonte, mon Dieu,
soit faite, et non la micnne. « Le precepte de la fuite n'a pas
ete reedite par Ies Apotres ■', et ii est contraire â leur esprit.
Saint Paul recommande l'assistance des faibles (Rom. 14, 1 :
15, i; I Thess. 5, 14), la fermete (Eph. 4, 27), le bon emploi
du temps (l^^ph. 5, 16) ; ii indique Ies armes qu'il faut opposer
k Tenncmi (Eph. 6, 16; saint Jean loue le devouement frater-
nei et condamne la crainle (1 Joan. 3, 16; 4, 18). L'Esprit, dans
la prophetie nouvclle, recommande le raartyre et non la
fuite. A quoi bon cliercher de vains pretextes '? Faut-il donc
tant craindre la mort? Mieux vaut mourir en combattant que
de lâcher pied sans combat. Mieux vaut renier dans Ies tour-
ments que de fuir^. Au reste, Dieu sait bien ramener Ies fu-
gitifs : temoin Jonas. Tenons-nous donc sous sa main, a tout
evenement. Cette loi convient â tous. Mais qui raffermira Ies
laiques^, si Ies chefs, diacres, pretres, eveques, donnentl'exem-
ple de la dgfection? Mauvais pasteurs, fletris par l'Ancien et le
1. I'iif/. 7.
2. Ib. 8.
3. Ib. f).
4. Ib. 10. ■
5. Lsque adoonc mori luiscruiu est? Moriatur quoquo modo aut victus
aut victor. Nam etsi negando ceeiderit, cum tormcntis tamen proeliatus.
ilalo miserandum quamcrubescondum. Pulchrior est miles in pugna pilc
transmissus quam in fuga salvus.
6. Fuff. 11.
458 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
Nouveau Testament. A eux, moins qu'â personne, ii est per-
mis de fui r devant Ies loups.
Le doute propose par Fabius ne portait quc sur la fuite de-
vant la persecution. En finissant, Tcrtullien aborde une autre
question ', liee a la precedente : peut-on acheter la securite â
prix d'argent? Non, car le radiat n'est qu'une fuite deguisee;
ii y a lâ injure au sang de Jesus-Christ dont a ete paye le salut
de riiomme, refus de confessioo, deni de justice k Dieu; pour
tout dire, apostasie ^. Mieux vaudrait fuir que de se mettre â si
bas prix^. Ce n'est pas lâ rendre â Cesar ce qui est â Coşar et
â Dieu ce qui est a Dieu : l'homme doit a Dieu tout son sang,
pour prix de celui que le Christ a verse. L'Evangilc dit bien de
donner â qui demande ' : mais 11 s'agit la d'aumone, et non de
chantage. Encore si ces marches hontoux restaicnt des cas
isoles! Mais des egllses s'itnposent en massc'-', se font tribu-
taires de gens sans aveu. Qui voudra reconnaître â ce trafic
l'cpiscopat institue par Ies A_p6tres, la paix laissee par le Christ
aux siens? Mais direz-vous, c'en est donc fait do nos reunions " ;
de nos solennites du dimanche? Non, pas encore. Imitez Ies
Apotres: commc eux, comptez sur la foi, non sur l'argent. Si
Fon vous traque pendant le jour, ii vous reste la nuit, ou briile
la lumiere du Christ. Si vous ne pouvez vous reunir â tous Ies
freres, reunissez-vous trois ensemble : vous serez l'Eglise.
Avânt tout, ne l'asservissez pas. Cette doctrine peut paraître
dure : mais le christianisme est intransigeant, ii repousse Ies
timides, et ne veut que des parfaits dans'l'amour. Sa voie est
1. Fug. 12.
2. Pretiuui inloi'i\st: ceterum, sicut fuga redemptio gratuita ost, ita rr-
demptio nuinniaria l'uga ost... Ut autem rodimas liominom tu nummis.
quem sanguine suo redemit Cliristus, quam indignum Doo et dispositio-
nibus cjus, qui Filio suo non pepercitpro te... Apud unum, si forte, con-
fessus es, ergo et apud plures nolendo confitori, ncgasti... Negatio est
etiam martyrii rocusatio.
3. Jam ei'go mclius fugere quam fieri viliorem, si non tanto sibi coiis-
tabit homo quanti constitit Domino.
4. Fug. 13.
5. Massaliter totae ecclesiae tributum sibi irrogaverunt.
6. Fug. 14. Sod quoniodo coUigemus? — Sur le sens de colligemun
(=<7uvâ?oiAev), voir la note d'Oehler.
FUITE BEVAXT LA PERSECUTION. 459
€troite : pour y marcher, on n'a pas de trop des enseignements
et des secours du Paraclet.
Le libelle de la i'uite devant la persecution comprend en
somme deux tlieses : une these principale, dirigee contre la
fuite, et une these secondaire, dirigee conlrc le rachat â prix
d'argent ^ . Malgre l'acccnt d'une incontestable grandeur d'âme,
la double argumentation de Tertullien esL trop visiblement
fausse pour qu'il soit necessaire d'y insister. Signalons dans la
premiere pârtie le sophisme qui transforme une simple per-
mission de Dieu en volonte positive du mal, le fatalisme qui
declare toute volonte divine simplepient ineluctable et supprimc
le râie de la liberte humaine, l'interpretation arbitraire des
textes de l'Ecriture qui genent l'auteur, enfîn l'exageration
oratoire qui va jusqu'â preferer ă une retrăite prudente l'apos-
tasie dans Ies tourmcnts. La seconde pârtie, non moins richc
en effets de style, est encorc plus pauvre de raisons. Apres avoir
prefere l'apostasie â la fuite, ii profere la fuite au rachat : ce
paradoxe a deux etages offre un exemple remarquable des ha-
bitudes outrancieres de son argumentation.
L'intransigeance dont ii se faisait rapotre etait d'ailleurs
nouvelle dans ri'^glise. L'Ecriture ne la commandait pas, et au
cours des premieres persecutions Ies chretiens ne s'etaient pas
fait scrupule de fuir pour rester fideles â Dieu 2. Le point le
plus delicat est assurement celui qui concernait Ies pasteurs,
obliges d'affermir leur troupeau. Mais l'exemple illustre do
saint Polycarpe prouve que Ies chefs memes de l'Eglise ne
croyaient pas toujours trahir leur devoir en se derobant pour
un temps : Ies soldats venus pour arreter Polycarpe ne le trou-
verent pas chez lui, mais durent l'aller chercher dans une petito
maison de campagne oîi ii se tenait cache. Cette arrestation
fut le premier acte d'une confession ou ies contemporains virent
un martyre selon l'Evangile^. Deja passee dans Ies moeurs
1. Notons que Ies montanistes n'avaicnt pas toujours eto si rigides. Le
confosscur Thcmison, d'apres Ie recit d'ApoIlonios, avait obtciiu Ia liberte
â force d'argent (Eusebe, //. E. 5, 18, 5).
2. Jolyon, op. cit. p. 11 sq.
3. Marlyrium Polycarpi, 1, 1 : S^e^ov yip Ttivta ii Tr^oâŢov:»: evsvsTo îva
•fl(i.îv 6 Kupioţ âvio6Ev entSei^ij t6 xaxâ to e.\ia.-^-^k\iO'i jiaprjpiOM.
460 THEOLOGIE DE TERTULUEN.
chretiennes, la meme doctrine trouva ses theoriciens dans
Clement d' Alexandrie ' et dans Origene^. Tous deux avaient
mis en pratique ce qu'ils enseignaient, et leur parole ne semWe
pas avoir fait scandale. Tous deux commentent Mat. 10, 23^.
Clement blâme Ies suicidcs inutiles des fanatiques indiens;
Origene est aussi oppose aux bravades inutiles. En dehors des
cercles montanistes, la severite de Tertullien semble avoir
trouve peu d'approbation. Un demi-siecle plus tard, presque au
mome lieu, saint Cyprien couronnait une retrăite feconde par
un glorieux martyre.
VI. DU MAIilAGE.
Le meme rigorisme, qui reprouvait comme un crime la fuite
devant la persecution, devait s'affirmer encore dans le domaine
de la morale chretienne par plus d'une prohibition arbitraire.
Tout d'abord se presentent Ies entraves apportees â la liberte
du mariage.
A cet ogard, Ies ecrits de Tertullien offraient depuis longtcmps
plus d'une pierre d'attente ă Tedifice montaniste^. On sait
qu'il n'aima jamais Ies secondes noces : plus tard ii en vint â
Ies condamncr absolument. Cette prohibition apparaît dans
l'Antimarcion; Ies deux livres intitules : Exhortation a la
chastete, et de la monogamie la renouvellent et la motivent.
Beaucoup de developpements leur sont communs. Mais le se-.
cond est â la fois plus complet comme argumentation et d'un
montanisme plus prononce.
Des le premier livre de rAntimarcion, Tertullien a pose en
principe que nul no peut etre engage deux fois en sa vie dans
Ies liens du mariage chretien^. II ne songe pas, pour le mo-
1. Clement, Slrom. 4, 4. 10. — .Jolyon, p. 17 sq.
2. Origene, Exhort. ad marlyrimn, 34; in Judicos homil. O, 1; in Matl.
comment. 10, 23; in Joan. comment. 28, 18; c. Celstim, 1, 65; — Jolyon,
p. 39 sq.
3. , Clement, Sirorn. 4, 10; Ongeiic, Exhort. admart. 3'1.
4. Voir c. VII S 7.
5. 1 M. 29 : Nubendi jam modus ponitur, quem quidom apud nos spi-
ritalis ratio Paracleto auctore defendit, unum in fide matrimonium praes-
DU MAltlAGE.
461
ment, k justifier cettc assertion montaniste : c'est â Marcion
qu'il en veut, cl'avoir, par un encratisme absolu, voulu sup-
primer totalement le mariage. II rappelle donc energiquement
que la continence parfaite est affaire de conseil, non de pre-
cepte ^ .
Au quatrieme livre, ii revient^ sur l'indissolubilite du ma-
riage, et trăite la question avec le meme melange d'elevation
morale et de rigorisme arbitraire. Moise permettait le divorce
(Deut. 24, 1) ; Jesus-Christ l'interdit (Luc. 16, 18) : Marcion
avait fait de ce point la matiere d'une de ses antitheses. Ter-
tullien renvoie l'herctique â l'evangile de saint Matliieu (Mat.
19, 8), ou ii trouvera Ies eclaircissements qu'appelle celui de
saint Luc. La durcte de coeur des Juifs avait arraclie ă Moise
la concession du libellus repudii; le Christ rappelle le dessein
primitif du Createur, et montre le vrai caractere de la conces-
sion; mais ii n'inflige â Moise aucun desaveu. Dans une page
bien laborieuse, TertuUien s'attache ă demontrer l'accord des
deux Testaments, soit pour permettre, en cas d'adultere, la
separation de corps, soit pour prohiber, en toute hypothese, le
divorce proprement dit. A interpreter saint Luc par lui-meme.
cribens. — Cest la, bioii reoHemcnt, dans la bouclie do Tertiillieii, uno
assertion nouvelle, quoi qn'on ait pu dire pour le mettrc sur ce point
(l'accord avec lui-meme (Voir K. L., X. 11, p. 1405). On se souvient qu'au -
trcfois ii ne contestait pas absolument â sa femme le droit de prondre , lui
mort, un sccond cpoux cliretien (2 Ux. I). La-dessus, on a suppose que
leur mariage etait antcricur â Icur bapteme, et que sa prohibition des
secondes noces no concerne point ce cas; en d'autres termes, qu'il n'a ja-
mais prohibe qu'une choso : â savoir dese marier deux fois comme chre-
tien. Que la situation do TertuUien ait ete celle qu'on suppose, nous vou-
lons bien le croire, oncoi'e ((ue nous n'en connaissions pas de preuvo.
Mais cela ne supprimepaslacontradiotionentroscsdeclarationssuccessives.
Car dans la question iiresente, TertuUien montaniste ne distinguo pas le
mariage contracte avânt la foi, du mariage contracte entre fldeles : ii
permct Ie mariage chr6tien â ceux-lâ souls que le haptcme a trouves
libres de tout lien. Sur ce point, sa declaration est formelle, Monog. 11 :
Ante fidem soluto ab uxore nonnumorabitur post fidem secunda uxor, quac
post fidem prima est.
1. Ib. : Connubii res non ut mala securem et falcem admittit sanctita-
tis, sed ut matura defungi, ut ipsi sanctităţi rcsorvata, cui caedendo
praestaret messem. Unde jam dicam deum Marcionis, cum matrimonium
ut malum et impudicitiac nogotium reprobat, adversus ipsam facere
sanctitatem, cui videtur studcro.
2. 4 M. 34.
462 THEOLOGIE DE TEKTULLIEN.
on trouve que celui-lă commet un adultere qui renvoie sa femme
pour en prendre vme autre : car le lieti du premier mariage
n'etant pas rompu, toute union Douvelle ne peut etre qu'illegi-
time. Reste, en cas d'adultere, laressource d'une separation de
corps : le Christ l'autorise, et sainl Paul en fait meme un devoir
(1 Cor. 6, 15. IG). Marcion ne peut evidemment pas y trouver
ă redire, lui qui defend aux chreticns d'user du mariag-e. L'ex-
ception stipulcie par Moîso pour le cas d'adultere est mainte-
nue, dans le meme sens, par le Christ (Mat. 5, 32), sans
rupture du lien conjugal. Moîse obligeait celui qui avait fait
violence â une vierge de Ia garder comme epouse (Deut. 22,
28) : ă plus forte raison devait-il se faire le defenseur du ma-
riage librement consenti de part et d'autre. Malachie pai'le
comme Mol'se (Mal. 2, 15). Le Christ suit pas ă pas l'A. T. *
D'une part ii veut le mariage indissoluble, c'est pourquoi ii
prohibe le renvoi d'une epouse; d'autre part ii le veut sans
taclie, c'est pourquoi ii autorise la separation en cas d'adultere.
Quant â la sentence mentionnee par saint Luc (Luc. 16, 18), le
Seigncur i'ut amene â la prononcer par l'allusion qu'il venait
de faire â Jean-Baptiste. .fean avait reproche â Hcrode de vivre
avec la femme qui avait donne une fille k Philippe, frere d'He-
rode. Philippe etait mort; mais la meme loi (Deut. 25) qui eut
fait ă Herode un devoir de susciter uno descendance â un frere
mort sans enfants, lui defendait d'epouser la mere de Salome :
Jean osa fletrir l'adultere, et son zele pour la loi lui couta la
vie. Le Seigneur approuve la protestation de Jean ; pas plus
que le divorce, la mort d'un epoux n'avait pu rendre a Hero-
diade le droit d'epouser son beau-frere.
Tel nous paraît etre le sens general de cette page obscure.
L'^nalyse que nous venons d'en donner appelle plusiours ob-
servations.
Dans son deşir de trouver l'A. T d'accord avec le N., meme
sur des points de legislation positive, Tertullien a denature la
loi du repudium (Deut. 24, 1). 11 la restreint au cas d'adultere
1. Habos itaquc Christum ultro vcstigia ubiquo Crcatoris inoiintem,
tam in pormittendo repudio quam in prohibendo. Habos otiam niiptia-
rum, quoquo velis latere, prospoctorem, quas nec separări vuit, pi'ohibendo
repudium, nec cum macula haberi, tune permittendo divortium.
DU MARIAGE.
463
de la femme ; ainsi entend-il cette clause : eo quod inventiim
sitin illa impudicum negodum. Les Septante traduisent : oti
£&p£v Iv auT^ â(îj(r,[j.ov Ttpayfia, et Foriginal : in n'15? evoque
plutot l'idee d'un defaut physique, sens mieux conserve par
la Vulgate, propter aliquam foeditatem.
De plus, Tertullien suppose que le libellus repudii laissait
subsister le lien conjugal. Cela nous paraît du moins resulter
de l'equation parfaite qu'il etablit sur ce point entre la doctrine
del'A. et du N. T., et de sos declarations expresses : Qiiodsi
ex violentia coactum matrimonium sLubit, quanto magis ex
convenientia voluntarium? Sicut el propheliae aucLoritate :
Uxorem juventutis tuae non dimittes (Mal. 2, 15 ').
L'union d'Herode avec Merodiade ne pouvait etre justifiee
par la loi du levirat [Deut. 25), puisque Herodiade avait donne
une fille â Philippe, Consequemment elle tombait sous la
prohibition generale d'epouser la femme de son frere (Lev. 18,
16;20, 21)^.Mais onn'aaucuneraison de croire avec Tertullien,
qu'IIerodiade fut veuve lorsqu'olle cntra dans la maison d'He-
rode : l'Evangile n'en dit rien, et Josephe dit expressement le
contraire ^.
Enfm Tertullien a cru voir la defense de cohabiter avec une
epouse adultere ''', dans un passage de saint Paul (1 Cor. 6, 15.
16), qui reprouve seulement la fornication.
En cas d'adultere, Tertullien prevoit, et au besoin requiert,
une certaine separation des epoux. Cette separation appelee
1. l'lus claire cncore est Ia declaration suivanle, Monog. 11. Tertullien
i-epond âceux qui lui montraieiit dans saint Paul (1 Cor. 7, 39) l'autorisa-
tion des sccondes noces; ii commcnce par etai)Iir que l'Apotre parlo ici
de veuves et non de femines repudiees, car â ccs dernieres ii n'eut silre-
mcnt pas accorde io mariase, conti-aircunent ă l'ancicn precepte : Hinc
quoque eam demonstrat intellegendani quae et ipsa sic fuerit inventa
soluta a viro, quomodo et vir solutus ab uxorc, per mortem utique, non
per rei)udiuin, facta solutione, quia rcpudialis non permitteretnubere ad-
versus prlstinum praeceptum.
2. Tertullien fait encore allusion â cette prohibition, Monog. 7.
3. Josephe, Ant. Jud. 18, 5, 4 : 'Hpuoiâ; vatJ^^i^a'- 'HpwSţ 'HpwSou toO
fxttâXrjM iraiăt, o? ye'ţovev ex Mapiâţiiir,? x^ţ Toij Iijiwvo? -ou ap);^i£p£'»;, xai aCiTOtţ
SaXwn?! Y'VETat, p.E6' f,; tâ; fovâţ 'HpraSiâţ, im (T'jy/ucei ţpovvjsaca Twv naxpîwv,
'HpwSr) YafiEÎTai toî ivSpo; tm 6[j.0T:axpicp âÎEXatţi, S;a<;Tâ(ja i^wvco;.
1. Cette idee no lui litait sans doute pas particulierc. On voit dans
464 THKOLOCrE DK TfiRTUI-LIEN.
tantot divortium, tantot repudium * , n'est-elle qu'une separa-
tion de corps, ou bien peut-elle entraîner la rupture du lien
conjugal? On a pu so Ic demander -, ct Ic doute s'explique ai-
sement, au sujet d'un texte aussi epineux ■*. Voici neanmoins
des raisons tres fortes de croire que Tertullien n'ajamaishesite
sur l'indissolubilite du mariage.
D'abord ii inculque ce point tros cnergiquement, ailleurs et
ici meme. Son extreme eloignement pour Ies secondes noces
doit faire supposer quil eut parle clair, si jamais ii avait cru
pouvoir Ies autoriser, apres rupture d'un premier mariage. Or
ii ne l'a jamais fait.
De plus ii insiste '', apres saint Paul, sur Fobligation, pour
la femme separee de son mari, de garder la continence, ou de
se reconcilier avec son mari. A cette occasion, ii ne specifie
pas ies causes de la separation, d'oii l'on doit conclure que
Fassertion vaut d'une maniere absolue.
Enfin, — ceci paraît decisif — ii a examine ex professo
riiypothese d'une separation motivee par la faute d'un des con-
joints, et ii a fait ă l'autre une obligation de l'attendre, de
preparer le retour du prodigue, de ne pas nouer d'autres liens,
qui seraient forcement adulteres '■>. II a fait cette declaration
saint Justin (2 Ap. 2) une femmc quittor, par motif do conscience, un
mari coupalole. Cf. encorc Hormas, Mand. 4, 1, 4-6.
1. Une semble pas qu'il y ait de difference tres tranoliee entre ces deux
mots. JHvoiiium exprime une separation de fait ; repudium, la significa-
tion de conge, prevue par Ia loi de Moi'se. Le premier mot so rencontre
particuliercment dans Ies allusions aux textes du N. T. ; le second sup-
pose toujours une allusion â l'A. T.
2. Voir J. Turmei, Histoire de la theologie positive depuis Porigine jus-
qu'au concile de Trente, p. 157, n. 11.
3. Les mots Ies plus embarrassants sont : 0ico onim illum condiciona-
litor nune fecisso divortii prohibitionem, si ideo quis dimittat uxorem
ut aliam ducat... Ita si condicionaliter prohibuit dimittere uxorem, non
in totum proliibuit, et quod non prohibuit in totum, perm isit alias, ubi
causa cessat ob quam prohibuit.
4. o M. 7, conimentairc de 1 Cor. 7, 10. 11 : Cliristus cum praecipit mu-
lierem a viro non discedere, aut si discosserit mânere innuptani aut re-
conoiliari viro, et repudium permisit, quod non in totum prohibuit, et
matrimonium coniirmavit, quod primo votuit disjungi, et, si forte disjuno
tum, voluit reformări.
5. Pal. 12 : (Patientia) paenitentiae ministrat, solitae lapsis subvenire,
cum dlsjuncto matrimonio (ex ea tanien causa qua licet seu viro seu
OV MAlilAGlî, 465
dans un ouvrage orthodoxe, tiu lieu que TAntimarcion est
deja entache de montanisme ; mais on ne peut supposer dans
l'intervalle une evolution qui se serait produito dans son es-
prit contrairement au cours ordinaire de ses pensees, car ii
s'est d'ailleurs constamment acliemine vers la rigueur, non
vers rindulgence.
Ces considerations doivenl faire ecarter l'idec que Tcrtul-
lien ait, â un moment quelcoiique de sa carriere, admis la
logitimite du divorce proprement dit, fut-cepourcause d'adul-
tere. Parmi tant d'erreurs que nous avons relevees dans sa
thcologie du mariage, ii garde intact le merite d'avoir cons-
tamment affirme l'indissolubilite du lien conjugal. Cette aflir-
mation revet meme, dans la page que nous venons d'analyser,
une forme neuve et paradoxale, dont ii faut prendre note.
L'Antimarcion appartient â une periode de crise, oii Tertullicn
reagit contre Tencratisme marcionite, tout en caressant deja
Ies doctrines clieres aux disciples du Paraclet. On a rencontre
un symjjtomo de cat etat d'esprit dans l'assertion relative â
Horodiade : Si Ia veuve de Pliilippe ne pouvait epouser Herode,
c'est qu'elle on etait empechee par le lien de son premier ma-
riage. Pas plus que le divorce, la mort de son epoux ne pouvait
lui rendre â cet egard sa liberte ^ On voit donc poindre ici,
dans un cas particulier, cette doctrine que nous retrouverons
â la base de rargumentation montaniste contre Ies secondes
nocos ^ : la mort ne rompt pas le lien conjugal.
Lfis traites suivants l'inculqueront avec plus d'onergio.
femiiiac ad viduitatis porsovoi'antiam susţineri), iiaec exspectat, liaec
exoptat, haec exorat paeaitentiam quandoque inituris salutem. Quantum
boni utfique confert! Allenim advJ.lerum non facU, alterum emendat. —
Ce sonf Ies mcuies recommaudationsque drvcloppe llermas. Mandat, i, 1,
11 ost piquant de voir TortuUion s'associer au langag'C qu'il i'oprouvera si
fort, Pud. 10.
1. 4 M. IJ4 : Dominus... illicitoiauu matrimoniorura ct adulterii figura
jaculatus est in Ilerodem, adulterum pronuntiaus etiam qui dimissam a
viro duxerit, quo niagis inipietatcm Ilorodis oneraret, qui non minus
morte quam repudio dimissam a viro duxerat.
2. Ainsi Mono;/. O : Si quos Dens conjunxit liomo non separabit repu-
dio, aeque consentaneum est ut quos Deus separavit morte, homo nou
conjungat niatriniouio;... adeo non interest vivo an mortuo viro nubat.
■nuîOI.OOiE DE TERTULLUCN. ."O
460 THEOLOCIE DE TERTULLIEN.
Uexliortatioii ă la chastete s'adresse â un chretien veuf .
Tertullien ne doute pas que sa foi ne Fincline â garder dore-
navant Ia continence; mais aux pensees de la foi, la chair
oppose des raisons specieuses, contre lesquelles ii faut se pre-
munir. Dieu veut notre sanctification. Or ii y a dans la sanc-
tification plusieurs degres. D'abord la virginite conservee
sans tache : c'est du bonheur. Puis la continence embrassee
apres le bapteme : c'est un merite. Enfin la continence gardee
apres la mort d'un premier epoux : c'est un merite et c'est une
gloire. En recherchant le mariage apres que la mort a brise
un premier lien ^, on irait contre une volonte manifeste de Dieu.
Pour se dispenser de faire effort, parfois on cherche â se trom-
per sur la volonte de Dieu : ii faut au contraire s'attacher â
en penetrer le mystore. Telle volonte de sa part n'est qu'une
tolerance ■* ; mais telle autre s'impose comme Texpression du
meilleur : il faut suivre celle-ci et non pas l'autre, car toute
volonte qui, en Dieu, est perimee par une volonte preponde-
rante, doit etre tenue pour nulle. A la lumiere de ces principes,
on peut interprcter correctement la doctrine de saint Paul sur
le mariage. Tout d'abord ii faut remarquer que lâ ou l'Apotre
approuve le mariage, ii exprime sapensee personnelle, non le
precepte divin. Encore ne l'approuve-t-il pas d'une maniere
absolue, mais se borne â le declarer prcfcrable â l'enfer '.
Voilâ comme ii parle aux fîdeles non engages dans Ies liens
du mariage (1 Cor. 7, 9). Otez le terme de comparaison, et
l'approbation disparaît : car le mariage cesse d'etrc un bien :
au fond, ce n'est qu'un moindre mal. Tout comme ii n'est pas
bon d'etre borgne, sinon par comparaison avec un aveugle.
Donc, ăle bien prendre, rien a tirer de ce texte, qui s'adresse
aux seuls fideles presentement exempts des liens du mariage
et ne fait que le leur permcttre. Quant aux secondes noces ^,
l'Apotre Ies reprouve formellement (1 Cor. 7, 27). D'abord ii
avait păru Ies autoriser, quand ii declarait ne pas enoncer un
1. Ex. c. 1.
2.76.2.
3. Ib. 3. — Cf. c. VI, § l,p. 264.
-t. Sur c(îtte interprctation de 1 Cor. 7, 9, voir c. V, §3, p. 252.
u. Ex. c. 4.
DU MAHIAGE. 467
precepte au nom du Seigneur, mais un conseil en son nom
propre (ib. 25). Mais nulle part, ni dans TEvangile ni dans Ies
epîtres desaint Paul, onne trouve Ies secondes noces permises
de par Dieu. Donc elles demeureat interdites ^ D'autant que
FApotre se reprcnd aussitdt, insiste sur Ies inconvenients du
mariage, et finalementle deconseille (ib. 28 sq.). Revenant aux
secondes noces, ii ne Ies interdit pas, mais Ies deconseille,
cettefois au nom del'Esprit-Saint (ib. 39. 40). Voici donc deux
conseils en presenoe : le conseil d'un liomme prudent, qui per-
met Ies secondes noces, et le conseil de l'Esprit-Saint, qui Ies
interdit. Auquel donnora-t-on son assentiment? Un conseil
formule au nom de l'Esprit-Saint vaut un pi'ecepte ^. — ■ Le
mariage doit etrc un ^, d'apres son institution premiere et sa
signifîcation typique. La polygamie simultanee des patriarclies '
a fait son temps : le Createur s'etait reservo de couper et de
tailler dans son ceuvre. Deja l'ancienne Loi '■' interdisait ă ses
pretres Ies secondes noces (Lev. 21, 14). La loi chretienne y
insiste plus encore (Tit. 1,6), et Fon a vu des bigames ;= re-
maries) degrades de leurs fonctions sacerdotales. Commcnt Ies
laîques se pretendraient-ils exempts do cette regle?Ne sont-ils
pasprutres, eux aussi?(Apoc. 1, 6). Cest dans leurs rangsqu'on
recrute Ies pretres : ils ne doivent pas se rendre inhabiles aux
fonctions qui peuvent leur incomber un jour. Donc la regie des
pretres s'applique d'abord aux laiques. Mais selon l'Apâtre
(1 Cor. 6, 12) ", une ohose peut etre licite et n'etre pas bonne.
Sans doute : elle peut meme etre mauvaise, et tel est precise-
ment le cas des secondes noces. Dieu Ies permet imiquement pour
eprouver la vertu des veufs, pour montrer qui saura vaincre Fin-
1. Neque in Kvaagelio neque in ipsius Pauli epistolis ex praocepto Dei
invi?nias pcrmissam nuUrimonii iterationem. Uiideunurn habcndum con-
fîrraatur, quia quod a Domino permissum non invcnitur, id agnoscitur
interdictum. — Le mot UeraMonem est une i'emarqiiable corroction de
Mercerus, admise par Oehler. (Le codex Agobardlnus porte rationera; au
trcs iiăiX. aeparationem, qui ne peut se comprendi'c ici).
'i. Faclum est jam non consilium divini Spii'itus, sed pro ojus majes-
tate praoceptum.
3. Ex. c. 5.
4. Ib. (i.
5. ]Ij. 7.
6. Ib. 8.
468 THEOLOGIE DE TEKTDLUEN.
continence. Si l'on va au fond de la pensee de l'Apotre \ on ne
verra dans Ies secondes noces qu'une forme d'adultere. Car
elles ne vont pas sans concupiscence ; et cette concupiscence
est adultere (Mat. 5, 28). Entre mariage et adultere, ii n'y a
qu'une difference exterieure, un degre de plus ou de moins
dans rillicite : materiellement Tacle est Ie meme. Mais dira-t-
on, avec ce raisonnement vous renversez memc Ies premieres
noces. — • Et pour cause, puisque l'acte pris en lui-meine, ne
differe pas de l'adultere. Par egard pour la faiblesse de
l'homme, Dieu a permis Ies premieres noces : ii faut lui savoir
gre de cette condescendance, et pour cela on ne peut moins
faire que d'ignorer Ies secondes. Ou l)iea va-t-on rouler jus-
qu'aux troisiemes ou aux quatriemes? Au risque d'elre surpris
par le dernier jour, comme jadis furcnt surprises Sodome et
Gomorrhe ! — A ces developpements, ou Ie paralogisme four-
mille, succede ^ un eloquent appel â la cliastete, si precieuse
surtout comme disposition k la priere, recoramandee par l'A.
T. (Lev. 11, 44; Ps. 17, 20), par saint Paul (Rom. 8, 6) et par la
nouvelle prophetie. En regard, le tableau grotesque du veuf re-
marie ^, poursuivi jusqu'au pied de lăutei par un double amour.
Puis l'enumeration des beaux pretextes ' par lesquels on co-
lore le deşir du mariage. Tertullien permet une epouse spi-
rituelle, paree de foi, dotee de paavrete, marquee par Ies ans ;
mâmc il en permet plusieurs. Mais ildetourne de soins inutiles
Ies chretiens qui doivent tendre au ciel. A quoi bon se cliar-
ger d'enfants? Par devouement pour l'Etat? Beau zele! ou
plutât folie que l'Etat est oblige de stimuler par dos lois. Et
quel moyen d'empâcher qu'une epouse devienne mere? L'avor-
tem3nt? Cest un crime. Le choix d'une epouse sterile? On
s'y trompe. II faut rompro avec la cliair '', pour penetrer dans
le ciel.
1. Ex. c. 9. Si ponitus seiisus ejus intorpreteuiur, non aliud dicendum
erit secundum niatrimonium quam species stupi-i. — Avânt TertuUicn,
Athenagore avait dit (Ambassade, 'X\) : 'O -fi? os-jtsoo; (yâtio?) EOrepsjtvi;
E(7Tl ţl,Ot-/£La.
2. Ib. 10.
3. /6. 11.
4. Ib. 12.
o. Ib. l:î.
DU MAUIAGE. 469
Depuis leslivres ăson cpouse, la pensee de Tertullien a fait
beaucoup de cliemin. En attaquant Ies secondes noces, ii a
inconsiderement ebranle le principe des premieres, et plutot
que de roculer devant cette consequence desastreuse, ii a fletri
comme une honte le sacrement dont autrefois ii exaltait la sain-
tete^. 11 a rencontre sur saroute l'exception relative aux clercs,
et plutot que d'y reconnaîti-e une exception, ii a fait peser sur
Ies laiques le i'ardeau des obligations clericales. Le trăite
de la Monogamie ^ ne retracte rien des paradoxes emis dans
l'oxliortation a la cliastete; ii va au contraire plus au fond
des choses, en posant nettement la tliese montaniste (1-3), et
en l'appuyant par TA. T. (4-8), par l'Evangilc (9-10), par saint
Paul (11-13) et par la doctrine du Paraclet (14-17).
Entre Ies heretiqucs ^ (marcionites) qui suppriment le ma-
riage et Ies psychici qui le prodiguent, Ies disciples du Para-
clet, seuls lideles â la loi du Createur, admcttent un seul
mariage, comme un seul Dieu. On leur reproche cela comme
une heresie '' ; Ies voilk donc mis en demeure de prouver que le
Paraclet a pu introduire certaines nouveautes, et des nou-
veautes onereuses. Cela resulte de la parole du Seigneur dans
saint Jean (Joan. \Q, 12 sq.). La monogamie est onereuse ■',
passe. Mais est-elle bien nouvelle? L'invitation â la virginite
se lit dans le N. T. (Mat. 19, 12; 1 Cor. 7, 1. 7) ; donc lors
meme que le Paraclet eut prescrit la contincnce complete, ii
n'eut rien fait d'absolument nouveau. Si le mariage est
tolere, la continence est louee : donc le mariage n'est pas
simplement un bien; c'est plutot un mal; mal sans doutc
moindre que l'enfer : l'Apotre n'a dit que cela , encore
l'a-t-il dit en son propre nom; quant ă l'Esprit-Saint, ii re-
1. S'il no J'aisait que loiiur Lei liiO-ritaniste qui faisait profession de virgi-
nite (Ainsi Val. o : Pj'oculus noster, virginus seueotae et christianao elo-
quentiae clignitas),.soii langage n'aurait rien d'absolumont nouveau (Com-
parer, sui' Ia virginite. Ap. 9). Mais ii est clair que Texliortation a la
chastete va beaucoup plus lom, et que Tertullien se rapprocho des doc-
trines de Marcion.
2. Voir Ilolffs, Anlbnordaiikcher Kampf, dans 7'. U. 12, 4 (189o), p. jJO sq.
3. Moaog, 1. .
4. 76.2.
5. Ib. 3. — Cf. Ex. c. 3.
470 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
commande partout la continence (1 Cor. 7, 40; 1 Joan. 3, 3;
1 Petr. 1, 16;. Pourquoi le mame Esprit, cent soixajite ans
apres Ies Apotres, n'aurait-il pas apporte a Ia loi de Ia cliastete
son dernier couronnement ? Le dessein primitif de Dieu, con-
signe dans FA. T., supposait la monogamie ^ Adam et Eve
garderent exactement cette loi. Le fratricide commis par Cain
ouvrc une ere nouvelle : ce premier liomicide devait avoir pour
pendant Ies secondes noces ^. Successives ou simultanees,
peu importe : le fait est le meme. Violee une premiere fois par
Lamech, l'institution divine se maintint neanmoins cliez Ies
patriarches : avânt le delugc, pcrsonne, sauf Lamech, n'eut si-
multanement deux epouses ă titre egal. La monogamie presida
au repeuplement de la torre apres le deluge : Noe, son epouse,
sesfils ne se marierent qu'une fois. L'institution primitive devait
etrepleinementrestauroe par le Clirist •' : mais bien avânt lui on
en retrouve Ia trace. Abraham ' ne connut qu'une epouse avânt
lacirconcision. Isaac, Josepli, Mo'ise, Aaron perpetuent la tra-
dition de la monogamie. Aux exemples des patriarches,
s'ajoute l'autorite de la Loi ■'. Le fardeau des observances mo-
sai'ques a fait son temps ; mais non pas l'ideal mosaîque de per-
fcction morale et de chastete. La loi dulevirat fut une exception
unique,motivee pardescirconstances speciales : benediction du
Createur au premier couple bumain, exigences de Ia justice
divine qui devait venger sur Ies enfants Ies fautes des peres, igno-
minie attacheealors ălasterilite. Les circonstances ont change;
l'Apotre a invite les fideles â regarder au delk de ce monde,
nul ne porte plus que la pcine de ses propres peches, la steri-
lite, au lieud'ctre vouee a l'ignominie, est invitee au royaume
des cieux. Des lors la veuve n'epousera plus ni Ie frere de son
epoux ni aucun autre homme : l'exception unique, stipulee sur
ce point, est abrogee. La Loi interdisait encore les secondes
1. Ib. -1.
2. At ubv prinium scclus, liomicidiuni, in t'vatvicidio dccUcatum, lam
ilignum secundo loco sceliis non luit quam duae nuptiac. Ncquc cnim
refort diias qiiis uxoi'cs singulas habuei'it, an parilor singulae duas fecerint
Idem nînncrus conjiinctorum et scparatonini.
3. Monog. 5.
4. Ih. 0.'
5. Ib. 7. — Cf. 1 M. :!'l.
DU MARIACE. 471
noces aux pretres (Lev. 21, 13) et aux filles de pretres (ib. 22,
13). Or nous sommes tous pretres de par Jesus-Christ; comme
tels tenus â la monogamie : l'ancienne Loi nous prophetisa dans
la personne de ses pretres. L'Evangile offre des exemples
encore plus eclatants ' : sur Ic seuil meme nous rencontrons
CCS deux pretresses de la saintete chretienne, la monogamie
et la virginite, representees Tune par Zacliarie, l'autre par
Jean son fils. La mere du Christ etait vierge; cile dovait con-
naître un seul epoux api-cs son enfantement ^, pour montrer en
sa personne Ies deuxformes de la saintete. Plus loin, nous trou-
vons Simeon, Ies Apotres, tous vierges^ â Texception de Plerre,
qu'on doit presumer ne s'etre mărie qu'une fois. Et comment
le Christ eîit-il confîe son Eglise â des hommes qui n'auraient
pasdonne Texempledela cliastete?Cene sontlâ, dira-t-on, que
des conjectures.Mais voiciplus''. Jesus-Clirist asupprimelato-
Ieranccdu /Y^rtf^/Mm, etramenelemariageâ son indissolubilite
primitive (Mat. 19, 6 sq.). Des lors, la mort, pas plus que le
renvoi, ne saurait rompre le lien conjugal. Se rcmarier, soit
apres renvoi, soit apres la mort d'un conjoint, c'est commettre
un adultere : devant Dieu, la mort ou le renvoi, c'est tout un.
Vous direz : Mais la femme ne peut plus peclier envers un mari
qui n'est plus. Sans doute, mais elle peche contre elle-meme
et contre son propre corps. Ii y a plus : Ies secondes noces lui
1. MoHOy.. 8.
2. Et Christum quidcm virgo enixa est, semei nuptura post. partum, ut
utorque titulus sarictitatis in Christi ccnsu dispungeretur, per mati-em(!t
vii'gincm et univiram. — Nous avoiis deja releve cette assei'tion, avec la
fletrissure severe de saint Jerâme (c. IV, § 2, p. 196).
3. Ici TertulUcn expHque 1 Cor. 9, 4 sq.
4. Monog. 9. Videanius enim quid sit matrimoniuni apu<l Dcum, et
ita cognoscemus quid sit aeque adulterium. Matrimonium est cum Deus
jungit duos in unam carncni, aut junctos deprehendens in cădem carne
conjunetionem signavit. Adulterium' est cum, quoquo modo disjunctis
duobus, alia caro, immo aliena, miscetur, do qua dici non possit : Hacc
est caro ex carne mea et hoc os ox ossibus meis. Semel enim hoc factum
ct pronuntiatum, sicut ab initio ita et nune in aliam carncm non potcst
convenire. Itaque sine causa dices Deum vivo marito noile repudiatam
alii viro jungi, quasi mortuo velit, quando, si mortuo non tenetur,
proinde nec vivo. Tam repudio matrimonium dirimente quam morte
non tencbitur ci cui per quod tencbatur abruptum est. Cui ergo tenebi-
tur'?Nihil Doo interost, vivo an mortuo viro nubat. Ncque enim in illuni
delinquit, sod In semetipsam.
472 THlioLOGIE DE TEliTUI.LIKN.
sont d'atitant plus inlerdiles ' qu'elle est separee de son mari
par la mort et non par le renvoi. Car le renvoi est un effet ou
une cause de discorde; la mort ne brise pas l'union des cteurs :
elle execute seulement un ordre divin.
Si donc l'epouse renvoyee demcurc neanmoins liee a cet
epoux qui la hait, combien plus la veuve demeure-t-elle liee ă
l'epoux qui ne l'a point abandormee, mais qui Fa precedee dans
la paix? La veuve doit des prieres â son epoux defunt; elle of-
fre, en son anniversaire, des dens qui sont un gage de sa fidc-
lite, sachant bien que tous deux ressu scite ronţ, que, toutenme-
nantla vie des anges, ils se reconnaîtront et qu'ils seront l'un a
Tautre. Comment accorder ce soin avec Tarnour- d'un autre
epoux? Le partage de son coeur serait un adultere. Et â qui
aurait-on recours^ pour la celebration de ce nouveau mariage?
A un eveque, ădesprelres, â des diacres, ades veuves qui n'ont
pu se marier qu'une fois I Que cettei'emmeclioisisseâqui deses
deux maris elle veutetre infidele. Sans doute a tous Ies deux. —
Maintenant, il faut repondre aux textes de saint Paul allegues
par Ies psychici. On doit avoir soin de prendre sa doctrine dans
son cnsemble; et dans son cnsemble cctte doctrine est inconci-
liable avec l'approbaliondes secondes noces. 1 Cor. 7, 39, saint
Paul ecrivait a l'Eglise naissantede Corinthe, encore trop faible
pour porter toute la doctrine. 11 la nourrit de lait, en attendant des
enseignements plus solides. 11 accorde aux neophytes un ma-
riage apres leur couversion — le precedent ne compte pas — ,
mais il a soin d'ajouter que c'est pure tolerance, que Ies i'enimes
chretiennes doivcnt songer au Seigneur plus qu'au mariage, et
pa^ lâ il retracte sa concession ^. De mame, une veuve qui se
coiivertit peut se marier une fois ă un chretien (c'est le sens
d^s mots in Domino)^ mais seulement si elle etait veuve avânt
^a conversion. II arrive qu'on fausse ce texte pour appliquer a
'Tavenir ce qui, dans la pensee de TApotre, ne , concerne que
1. Ib. 10.
2. Monog. 11.
o. Sed hic parcere se dicit illis; alioquin prossiiram carnis subsccutu-
ram prae anfrustiis teniponiin Impedimenta uiatrimonii recusantibus;
(luin potius de Domino sollicitiidincm habondani proiiierendo (luam de
mai-ito. Et ita revocat quod permi.sit.
DU MAIilACE.
473
le passe ' ; ainsi l'on y trouve l'autorisation d'innombrables
mariages. Mais ii n'y a la en realite qu'une reponse particu-
liere de saint Paul â la consultation de neophytes qui lui de-
mandaient comment concilier leur situation presente avec la
foi qu'ils venaient d'embrasser : ainsi doit-on l'enlendre, si
on ne veut pas le trouver en contradictlon avec lui-meme.
On a pretendu aussi '\ par une argumentation « tres subtile »,
restreindre auxclercs le precepte apostolique de lamonogamie.
Mais d'oîi sortent Ies eveques et Ies clercs, sinon des rangs du
peuple cliretien"? Les chretiens sont tous pretres, selon l'Apo-
calypse (Ap. 1, 6; 5, 10), et savent bien s'en souvenir lorsqu'il
s'agit de tenir tete au clerge ; ne l'oublieront-ils que lorsqu'il
s'agirad'assujettir tout le monde â la discipline ecclesiastique?
En edictant ces lois, l'Esprit-Saint n'a voulu que montrer, â
propos des chefs de l'Eglise, ce que doivent etre tous les chre-
tiens. II prevoyait qu'ilse trouverait des geos pour diro : « Aux
eveques tout est permis ». Cette belle morale porte ses fruits :
tel eveque est tombe sous le coup de la loi Scantinia •'. Des
hommes remaries '' osent prosider l'assemblee des fideles, in-
sultant â l'Apotre, ou du moins ne rougissant pas tandis qu'on
lit devant eux cette parole qui les condamne. Si Fon commence
a mettre les eveques en dehors de la loi commune, ii ne faut
pass'arreteren sibeaucliemin, mais supprimor pour les laîques,
avec le precepte de la monogamic, tous les autrcs preceptes
formules pour Ies eveques (1 Tim. 3, 2 sq.). — Mais 1 Tim. 5,
14 ", l'Apotre recommande ouvertement Ies secondes nocesy
Ceci ne concerne que certainesjeimesveuves, converties durant
leur veuvage *'. En leur permettant un mariage chretien, FApotre
a voulu mettre leur foi â couvert, non lâcher Ia bride â toutes
leurs fantaisies. — Rom. 7, 2. 3, FApotre a encore păru auto-
riser les secondes noces. En realite, ii dit tout le contraire.
1. Sur ce point il'exogese, voire. V, S 3, p. -241.
i. Monof/. 12. — Cr. Ex. c. 7.
3. Loi contre l'adultei-e des liommes.
■4. Quot enim et digami praesident apud vos. — Comparer Philosophu-
mena, y, 1^ sur Calliste : 'Etiî touto'j riplavto sîiiT/.oîrot v.i\ TipeaSiiTspoi xaî
oiMovot 5;Yoi[<,otxalTpÎYaiioiya6;aTaff6ai t\% 'Ai.ma-J'-.
5. Ib. 13.
0. lertiiliion n'apporte aucune preuve a Tapiiui de cc;lto assertion.
474 TIuiOLOGIiî DE TERTULLVEX.
D'apres le contexte (ib. 4-6), le Christ ordonne de mourir ăla
Loi. OrlaLoi autorisa Ies secondes noces. Donc ilfauts'en abs-
tenir ' . Enfm quand ii serait prouve ^ que saint Paul a autorise
des fîdeles â se marier deux fois, on ne devrait voir lâ qu'une de
ces concessionstemporaires auxqu'elles ii arecouruen diverses
.circonstances OVct. 16, 3 : circoncisionde Timothee ; 21, 24). Le
repudium avait ete concede par Moise ; Jesus-Christ devait reti-
rer cette concession. A son tour, le Paradei a pu retirer Ies
concessions provisoires de saint Paul, sans qu'on doive en
prendre scandale. La durete de coeur put etre toleree jusqu'au
temps du Christ, rinfîrmite de la chair jusqu'au temps du Para-
clet. Mais ii n'y a pas la moindre heresie ^ â condamner Ies se-
condes noces, comme une espece d'adultere, touten maintenant
l'institution divine du mariage. Et d'ou vient que des gens si
portes au mariage se montrent impitoyables pour d'autres fai-
blesses, pour Tapostasie par exemple ? On est plus excusable de
ceder â la violence des tourments qu'ă l'ardeur de la concupis-
cence '. 11 est plaisant d'entendre pretexter rinfîrmite de la
chair'', quand cette chair suffită tantde mariages. On allegue
encore d'autres excuses qui ne valentpas mieux. Allez donc!
mariez-vous indefiniment! Comme le deluge surprit Sodome
et Gomorrhe, que le dernierjour vous surprenne vous mariant
toujours. Vous serez juges par Ies heros de la chastete *>, non
par ceux de l'A. ou du N. T., mais par une Didon, uneLucrece
et Ies autres heros de la chastete paienne.
Sur aucun autre sujet, Tertullien n'a accumule une telle
somme de paralogismes. Constatons neanmoins une fois de
plus que ses erreurs relatives au mariage se sont produites
toutes dans un meme sens, celui de la rigueur. Dans sa car-
riere militante, Tertullien a exagere de plus d'une maniere
l'indissolubilite du mariage ; ii ne Fa jamais meconnue.
1. n est âpeino utile de souligner Fetrangete de ce raisonnement.
2. Monog. M.
3. Ib. 15.
4. Cot argument ad hominem reparaît, Pud. 22, fin.
5. Monog. 16. — Relovons ici un sarcasme â l'adresse de ceux qui ap-
prouvont la t'uite dans la porsecution. Quid si solitudinem domus ol)-
tendat?Quasi unamulier frequentiam praestet homini ad fugam proximo.
0. rt. 17. — Cf. 1 Ux. 6; E.T. p. 13.
DU JEUNE.
475
Vn. JEUNIi ET AUTRES POIKTS DE DISCIPLINE.
Parmi Ies aulres fruits de l'esprit montaniste, nous rencon-
trons une revendication violente en faveur du jeune. On pouvait
s'attendre, observe Terlullien au debut du de jejanio, â trouver
Ies psychici aussi indulgents â cet egarf qu'ă l'egard des se-
condcs noces : car la gourmandise et la luxurc se tiennent ^
De fait, ils attaquent sur Tun et l'autre point la doctrine du
Paraclet. Le tort de Montan, c'est, â leurs yeux, d'avoir ensei-
cne â user du jeune plus quedu mariage. Sous pretexte que le
N. T. n'a pas sanctionne Ies abstinences mosaiques -, ils en
prennent â leur aise : affranchis de toute observance genante,
ils pratiquent une religion de foi et d'amour, et retournent
contre Ies jeuneurs montanistes Ies dures paroles de l'Apotre
â l'adresse des Galates judaîsants. La discipline montaniste
comportait ' certains jeilnes ă date fixe, des stations souvent
prolong<5es jusqu'au soir, tandis que Ies catholiques rompaient
Ies leurs â la neuvieme heure du jour, des xerophagies, ex-
cluant laviande. Ies condiments liquides, Ies fruits succulents,
le vin, et completant ce regime austere par l'abstention du
bain. Ehquoi! s'ecrie Tertullien ''', est-ce lâ vivre en Galate?
Nous observons dans l'annee deux semaines de xerophagies'',
et encore pas tout entieres, car nous exceptons le samedi et le
dimanchc.
De fait, la mosure n'a rien d'excessif, et Ies reproclies de
1. Jej. 1. — Asiioseo igitur animalem fideni, studio cai'jiis, i(iia tota
constat, tam niultivorantiao quam multinubontiao pronam.
2. Ib. 2.
3. Ib. 1.
4. Ib. 14.
5. Ib. 15. — Boaticoup plus severe paraît avoir eto 1(î jeune du monta-
niste Alcibiade dans Ies prisons de Lyon (Euscbe, //. E. 5, 3, 2) r jtâvu
(xuxjjiTloov piovvToţ pîdv xai (irjSevo? oXm; t6 irpoxepov tisTa/.aixSdtvovxoţ, ocXX' tî apiw.
]i.6^ii^ y.aiiioaTi -/pwfisvou, Tteiptolievou tsxal Iv x^, £Lpy.T5iouTw Siâyetv. II est vrai
c]u'il paraissait y nicttre quelquo orgueil, et c'est dequoi scs coiiipagnons
de cai)tivite Ic reprirent : 'AttgcXw... â7texa),ii«p6ri ott [ir, xaXwţ «oioivi 6 'AX-zi-
PidSin; fJ-r) ypwjAEvo; toT; xTiu^ao-'. xoO Osou xsl âXXoii; x-j-itov try.avSdcXo'j OTioXstTto-
(<.cvo;.
476 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
l'heresie ont pu avoir pour effel de stimuler le zele des catho-
liques pour le jeune. Toujours est-il que la question passionnait
Ies esprits : la secte avait ose, la premiere, legiferer sur un
point que l'Eglise abandonnait ancore â Tinitiative indivi-
duelle ' .
Au sujet de Tobservancc dominicale, on a cru remarquer -
une difference entre le langage de Tertullien ortliodoxe ct celui
de Tertullien montaniste. Ortliodoxe, ii opposait soigneuse-
ment la coutume chretienne â lacoutume juive -^ ; ii insistait sur
le caractere provisoire et symbolique de la prescription rela-
tive au sabbat (Ex. 20, 8sq), et sur Ies derogations autorisees
par Dieu meme ^. Montaniste, ii revient sur la question du re-
pos sabbatique ", et precise la notion des ceuvres serviles ; mais
cest pour ajouter aussitot que Jesus-Christ n'est pas l'ennemi
du sabbat, que sur ce point, commc surtant d'autres,ilestvenu
parfaire la loi du Createur, non l'abolir. Ce langage nouveau a
păru deceler une influence orientale, et Tintention de ne jeter
aucun discredit sur Ies rites propres des montanistes , attaches
au jour du sabbat. Mais quclle que fut la pratique des monta-
nistes d'Orient, ii est indubitable que ceux de Carthage demeu-
raient attaches â l'observance dominicale ^. La ralson du lan-
gage tenu par Tertullien dans l'Antimarcion doit etre chercliee
dans Ies besoins de sa polemicpic : ii fallait oter a l'heretiquc
1. Sur le jcune au point do vue catholiquo, voir c. VI, § 5, p. 300, ct
c. VII, J 2, p. 313. — ii- Rolffs (Urlnmden aus dem anlmonlanislichen
Kampfe des Abendlamies, dans T. u. U. 12, 4 (1895), p. 1-49) clierohe a
etablir que dans Jej-, coiniue dans /'«(i., Tertullien en veutau pape Cal-
liste, et lasuiiposition n'a rien d'invraisemblable, puisquc la communautc
montaniste do (]arthagc etait maivue â Rome ot suspecte d'heresie, Mais
la forme precise donnec â la theso, et surtoiit l'essai de rcconstruction
d'un pretendu edit de Calliste sur le jcCuio, font vraiment trop do part
â la critique divinatoire.
2. Jv'ocideclien, TerluUian, p. 371. 404.
3. Ap. 16; 1 N. Vi.
4. J. 4.
5. 2 M. 21 ; 4 M. 12. 30.
0. Voir la mention des dominica sollemnia, Ah. d; Fug. 14; cf. Cor. 3 :
Die dominico jejunium nefas ducimus; .Jcj. 15 : Duas in anno hcbdoma-
das xerophagiaruni, nec totas, exceptis se. %KhhaXi%el dominlcis, offerimu.s
Deo. Le seul point nottonient montaniste est ici la reprobation du jeunc
.sabbatique.
TIIAITS DE EIGOllISMlî. 477
un pretexte d'opposer l'Evangile â la Loi ; ct rargumentation
n'a pas d'autre but.
On a vu plus liaut ' comment TertuUien eri vint par degres â
reprouver absolument le service mililaire. Cette qucstion est
encore du nombre de celles ou ii fit iiitervenir la nouvclle pro-
phetie'*^. Faut-il en conclure que reloignemcnt pour le metier
des armes etait un caractere propre au montanisme ? On peut
on douter, car le meme esprit se fait jour dans bien d'autres
ecrits, ou le montanisme n'a rien a voir. Xous avons deja cu oc-
casion de citer •"' Ies canons d'Hippolyte, qui refusent aux sol-
dats l'entree de l'Eglise, ct defendent aux cliretiens de se faire
soldats, s'ils n'y sont contraints par la force. Clement d'Alexan-
drie * et Origene ■> parlent comme TertuUien. Quant ăla qucs-
tion du voile des vierges, on est encore moins fonde â y
denoncer l'influence de l'heresie : car si le trăite De virginihua
velandis ^ est entaclie de montanisme, la tliese qui en fait le
fond, et Ies arguments qui l'appuient, se trouvont deja dans le
De oratione "' , ouvrage d'une orthodoxie non suspecte. On pour-
rait citer encore d'autres traits de severite, dont Ia provenance
n'est pas clairement lieretique *. Ce (ju'on peut dire d'une ma-
niere generale, c'est que le montanisme a projete son ombre
sur le trăite de l'idolâtrie, et probablement aggrave plusieurs
1. C. VIII, S 3 i-Xi..
2. Cor. 1.
3. C. VIII, § 4, p. 415, 11. 1. — Lcs deu-x questions poseos par TertulIi<Mi
Idol. 19 (An fidelis ad militiain converti possit, et an miliţia ad fidem ad-
mitti, etiam caligata vel inferior quaeque) sont rcsolues negativement,
Cati. Ilippol., 13, 71 ct 14, 74. L'influence inontaniste est ordinairemcnt
etrangere aux refus do service militairc que Fon constate ca et Ia dans
Ies Actos des martyrs. Citons (d'apres Dom Leclercq, Dicl. arch. t. 1,
p. 291) Tarachus, abandonnant l'armee par respect pour sa foi (Ruinart,
.4cte sincera, ed. 1689, p. 4.57), Maximilicn, preferant la mort ă la cons-
cription (ibid. p. 309), JIarcel {ib. p. 312), Neree et Achillee (S. Damase,
Carmen 35), Felix et Kabor (saint Ambroise, Expos. in Luc. 7. 178), Marin
(Euscbe, //. E. 7, 15), Marcellin {Acta 5S.,2 janv.).
4. Clement, Paedar/. 3. U. (P. G. 8. 633).'
5. Origene, c. Cels. 8, 73. (P. G. 11, 1028).
6. V. V. 1.
7. Or. 21. 22.
8. Sur ies deux points que nous vonons de signaler, JI. V. Ermoui nous
paraît avoir fait un peu erande la part du montanisme. {R. Q. H. t. 72
(1902), p. 85 sq).
478 THEOLOGIE DE TEIITULLIEN.
des Solutions pratiques donnees aux doutes du cliretien qui
naviguo a travers Ies ecueils du siecle.
Arrivons â une question fort grave, celle de la discipline pe-
nitentielle, oii une evolution importante se produlsit du vivant
de Tertullien.
VIII. DE LA PENITEXCE.
En ecrivant le De pudicitia, Tertullien a voulu sligmatiser
l'indulgence de l'eglise romaine, qui absolvait Ies fautes de la
chair. L'acte qui provoqua son ressentiment lut longlemps
attribue au pape Zepliyrin : la decouverte des Philosophumena
(1850) l'a fait restituer, avec grande vraisemblance, au pape
Calliste J217-222). On lit en effet de ce dernier qu'il fut le pre-
mier a flatter Ies passions huniaines en promettant â tous la
reraission des peclies '. Cette affirmation ne se comprendrait
pas si un autre pontife avait prononce, avânt Calliste, Ies pa-
roles rapportees par Tertullien,
Deux parties, de longueur tres inegale : doctrine de la re-
,mission des peches (1-20); du pouvoir episcopal (21-22).
Jl faut desesperer de la chastete chretienne -. Le souve-
rain pontife, eveque des eveques, ose edicterceci : « Je remets,
\j P/iilosophitmena, 9, 12 : Toiau^a 6 yiîr,; -oXjXTitxa; a\j'aG-T,<saTO oiSaaxa-
av^C/M^iXv E7tsv6y)7S, Xe^wv itâaiv \in' auToO aţhodai â(i.apTia?. ■ — Comparer
Tertullien, Pud. 1 : Ponl/if'ex se. maxbnus, qiiod est epkcopus episcoporum,
edicit : Ego et moechiae el fornicationh delicla paenUenUa functis dimiUo.
— L'opinion qui roconnaît ici Calliste, a ete mise en avânt par de Rossi
{Bullettino de arch. crisl. 18(3(3, p. 26); llarnack l'a fait trionipher. {Zeilsclir.
f'iir Kirchengeschichte, 2 {\S7H) p. 582). Elleest aujourd'hui admise presquo
universellement. Voir B. Jungmann, Dissertaliones selectae in Imloriam
ecclesiasiicam, 1 (1880), p 201; Funk, Tiib. Thcol. Quarlahchrift, 1881,
p. 268; Bonwetsch, Geschicfde des Montanismus (1881), p. 42; Noeldechen,
dans 7'. u. U. 5, 2 (1888), p. 132; Preuschen, TcrCullian's Schiften de
paenilentia imd de pudicUia mit Riicksicht auf die Bussdiseiplin untersuchl
(Giessen, 1890); Rolffs, Das Indulgenz-Edict des rOm. Jiischofs Callisl,
Krilisch unlersuchi und reconstruiert; T. u. U. 11, 3 (1893), p. 8. 0; Ba-
tiffol, Eludes d'histoire el de l/ieoloţ/ie posilive, p. 89.
Nous avons ecarte plus liant (e. V, g 2, p. 217, n. 3) l'opinion qui voit
dans ce meme pontife un primat de Carthaee.
2. Pud. 1.
DE LA PENITENCE.
479
apres penitence, Ies peches d'adultere et de foniication. »
Rt ou affichera-t-on cet edit? Sans doute ăla porte des mau-vais
lieux? Non pas, mais on le lira dans l'eglise meme. Indignc
attentat envers l'epouse immaculee du Christ; et, pour Ter-
tullien, nouvelle raison de rompre avec Ies psychici. On l'ac-
cusera de renier son passe : mais ii aime mieux demeurer
fidele ă la verite, avec une elite, que d'errer avec le grand
nombre. Cette chastete chretienne, jadis illustre meme parmi
Ies pal'ens, on a pris ă tâche de la discrediter. Les memes
hommes qui offrent ces faciles pardons, autorisent les se-
condes noces : ils absolvent l'incontinence, apres lui avoir
ote toute excuse par la facilite de multiples mariages. Plus
severes, les disciples du Paraclet ferment la porte de l'eglise
aux bigames; ils la ferment pareillement aux adulteres et
aux debauclies ' .
Comment les psychici en sont-ils venus en cet exces d'in-
dulgence? - Par l'abus des textes scripturaires sur la mi-
sericorde divine. Ils oublient que d'autres textes, non moins
forts, maintiennent les droits imprescriptibles de la justice.
Sans prolonger â ce sujet un debat inutile, l'auteur distingue
d'apres saint Jean (1 Joan. 5, 16) deux sortes de fautes : fautes
remissibles, et fautes mortelles.ou irremissibles, en ce sens
du moins que Dieu s'en est reserve la remission ^. Que l'im-
pudicite soit de ce nombre '', on n'en peut douter, quand on
1. M. Ilugo Koch (Die Bussercnilassung In der abendlandlichen Kirche,
dans Tiihinryer theol. Quarlalsc/irifl, t. 82 (1900), p. 181-53-1) a fort bien
montro qu'il ne s'agit pas ici cl'un renvoi des penitents apres une pârtie
de I'officc divin : l'liypothcse d'une raissa paenUenlium, correspondant ala
missa catechumenorurn, no repose que sur une fausse assimilation. Le
meme auteur reduirait volontiers a de simplcs mctaphores cos cxpres-
sions ■.[oria, limitem liminis (1), pro foribus ecclesiae (3), non modo limine,
verum oînni ecclesiae teclo submovemus (4). Cette pârtie de sa these nous
parait beaucoup moins solide : Tcnsemblo des temoignages de Tertullien
ct autres donne bien plutotâ ontendre que les penitents etaient effective-
ment releguds a la porte de l'eglise, et n'assistaient que de loin â la cele-
bration de l'Eucharistie. — Le nienioire de SI. Koch a ete condeuse pai-
iM. l'abbe Boudinhon : La misaă pnenitenUiim, dans It. H. L. H. 7 (1902)
p. 1 sq.
2. Pud. 2.
3. Ib. 3.
4. Ib.i. 5.
480 THiiOLOGlE DE TBKTCJLUEN.
voit le rang- qu'elle occuppe dans l'Ecriture, entre ridolâtrie
el l'homicidc (Ex. 20, 14). Mais, dira-t-on, l'A. T. ^ offre des
exemples de pardon accorde â rimpudicite, comme â l'idolâ-
trie, a l'apostasie, a l'homicide. Et l'on rappellera Ies nom-
breuses defections du peuple choisi, on rappellera le meurtre
do Nabotli et la penitence d'Acliab, David adultere et homicide,
Lolli et Judas incestueux, Osee s'unissant â une fille de joie,
la polyg'amie des patriarches. Mais en regard de ces exenaples
d'indulgence, lestraits de severite ne manquent pas : ne serait-
ce que l'histoire de ces vingt quatre miile hommes frappes â
la fois pour avoir peche avec Ies filles des Madianites, Au
reste, assez peu importe : c'est au Clirist lui-memc de repondre
pour Ies temps cliretiens : en baptisant l'humanite dans
son sang-, ii arevoqueles anciennes condescendances. On
invoquera encore Ies paraboles de misericorde ^ : la brebis er-
rante, la drachme perdue, le prodigue ■'. Mais toutes ces para-
boles sont relatives â la conversion des Gentils ; l'application
au chretien ne pout provenir que d'une opinion precongue ''.
Pour faire prevaloir cette inlerpretation '', l'on s'evertue â
excuserles fautes des Gentils, si bien que ce ne sont presque
plus des peches. A ce compte, pourquoi Jonas precha-t-il la
penitence dans Ninive? Jean-Baptiste aux soldats? Pourquoi
le Christ a-t-il dit que Tyr et Sidon se fussent converties k sa
voix? II faut laisser _au Pasteur d'HeriTias, ce manuel des
adulteres, ces tours de force exegetiques ''. Tertuliien ecoute
un autre Pasteur, dont FEcriturc lui apprcnd â ne pas jouer
avec la penitence. Les autres exemples evangeliques ^, dont
parfois on tire argument, tels que la peclicrcsse aux pieds de
1. Pud. G.
2. Ib. 7.
?!. Ib. 8.
4. Ib. 9.
5. Ib. 10.
0. Sed hoe voliint psychici iil. Deiisjusti judi;x ejuspeccatoiis paeniten-
tiain malit quam mortom, qiii morteiu paeniteulia maluit. Quod si ita
est, peccando promeromur. Ago tu funambiilo pudicitiao ct oastitatis..-
hacc tu mihi bcuignissimc Dei iutcrpres. — Tertuliien vise particuliere-
nient Ilermas, Mandat. 4, 1.
7. Pud. II.
DE LA PENITENCE. 481
Jesus, la Samaritaine, etc, ne prouvent rien quant k la ques-
tion presente, c'est-â-dire quant a la remission des peches sous
la loi de grâce, mise en vigueur ă la mort de Jesus. Les apo-
tres * non plus n'offrent point de pardon ă la chair souillee
apres le bapteme. Ils ont ilctri particulierement trois peches
(Act. 15, 28) ^ : idolatrie, impudicite, liomicide. Pourquoi,
sinon parce que ce sont lâ des peches irremissibles? Telle
est, de par l'Esprit-Saint et de par les apotres, la discipline
de N. T. Si on ne l'accepte pas, on rctombe do plein droit
sous le joug de la loi mosai'que. Malheur â qui repousse les
avances de l'Esprit! Les psychici soupQonnent •* saint Paul
d'avoir absous dans sa deuxieme epître aux Corinthicns
(2 Cor. 2, 5) le meme inccstueux qu'il avait i'rappe dans la
premiere (1 Cor. 5) ''. Soupţon gratuit : saint Paul eut parle
plus clairement en matiere si grave. L'excommunication pro-
noncee par lui est une sentence definitive, le retranchcment
d'une brebis contaminee, pour sauver le troupeau; tout comme
ailleurs (1 Tim. 1, 20) le retranchcment d'Hymenec et d'A-
lexandre, livres â Satan comme blasphemateurs. Donc le
pardon accorde plus tard ne concerne pas l'incestueux. Au
reste, toute cette premiere epître aux Corinthiens ■' est ecrite
avec du fiel : les discordes qui dechiraient alors cette egliso
avaicnt exige l'intervention de l'Apotre : rencontrant une forni-
cationmonstrueuse, ilfrappe sans merci; âl'egarddes orgueil-
leux, ii commence par menacer, par humilier, puisil pardonne.
Admettre la revocation si prompte d'une sentence aussi grave
1. Pud. 12.
2. NoLis avoiis montre, c. V, \ 3, .p. 240, que cot ai)pel aux Actos repose
sur une fausse lecon.
3. Pud. 13.
4. Cf. R. P. Corncly in 2 Cor. 2, 5 (Paris, 1892) : OînMs Patrcs de iiice.s-
luoso iu sequentc poricopc agi conscntiunt, uno excepto Tertulliano.
Praeter interprctes patristicos {Chrys. Theod. Dam. etc, /!'", Pel. Prim.
Serf, ctc), of. inter alios . Orig. in Ps. 37 hom. 1, 1; S. Greg. Naz. Or. 2,54:
39, 18 etc; S. Isid. Pelus. Ep. 4, 111; Ps.Athan. Synops-S. S. 61; S. Pa-
cian. ad Sympr. op. 3, 18; S. Ambros. de paenit. 1, 17 etc, S. August, c.
cp. Pannen. 3, 1, 3; S. Greg. M. Moral. 33, 8. — Les interpretos modernes
sont presque unanimes dans le meme sens que les Peres. M-'' Batiffol,
p. 93, prond parti pour TertuUion; je regrctto qu'il n'ait pas donne ses
raisons.
5. Pud. 14.
TIIEOI.OGIE DE TERTULLIEX. 31
482 THKOLOGHi JDE TEETULUEN.
scrait Iui imputer trop d'inconstance. D'autant que ', soit dans
cette epître, soit dans toutes Ies autres, ii se montre intransi-
geant pour tout ce qui touchc aux moeurs. Mais, dira-t-on ^ ,
tout cola prouve que l'Apâtre condamne Fimpudicitc, non qu'il
lui 6te toutespoir depardozi. Tertulli'en a prevu cette reponse ;
aussi tient-il en reserve Ies textes de l'A. T. , corrobores par
saintPaul, oul'impudicite estfrappee d'anathemes inexorables.
S'il exislait un pardon prepare pour de telles fautes, apres une
penitence si dure qu'elle ftît, l'Apotre aurait du le dire. II ne
Ta pas dit, mais se contente d'exclure de TEglise Ies coupa-
bles. Dono la penitence dont ii parle en ses epîtres est offerte
aux seuls infideles, non aux chretiens tombes apres le bapteme.
On peut trouver une confirmation de cette doctrine dans ce
que saint Paul dit de lui-meme (1 Tini. 1, 13). Son incredulite
lui a servi d'excuse devant Dieu, alors qu'un fidele eut ete
impardonnable. Apres le bapteme, la penitence peut encore
obtenir de l'eveque le pardon des fautes moindi'es; pour Ies
plus graves, elle n'a plus de recours qu'ă Dieu. Cette doctrine
rigoxxreuse qu'il attribue â saint Paul, Tertullien la retrouve '
dans saint Jean. On a cru decouvrir, Apoc. 2, 20 sq., le pardon
offert ă la fornication ''. Mais ii faudrait prouver d'abord que
cette prophetesse Jezabel, visee par saint Jean, etait deja
parvenue â la vraie foi ; jusque-la on doit supposer que saint
.lean s'efforQait d'amener ă l'Eglise et au bapteme cette femme
heretique : car Ies heretiques peuvent etre purifies par Ie
bapteme, au meme titre que Ies Gentils, et niemo â double
titre •>. Enfîn, si l'on est sur qu'elle etait tombeedans l'heresie
apres avoir vecu de la vie de la foi, ii s'agissait de l'amener
â la penitence pour mottre fin â ses desordres, mais non pour
1. Pud. 15-17.
2. Ib. 18.
3. Ih. 19.
4. A(l angelum Thyatirenoi'urţi Splritus mandat habero so adversus
eiim quod teneret miilierem .Jezabel, quae seprophctin dicit etdocct atque
seducil, sorvos meosadfornicandiiiii et edendum dcidolothytis :otlargltus
sum illi temporis spatiuiii ut paenitentiam inivct, noc vuit cam inire
nomino fornicationis...
5. Haec onim erit pannitontia, quam et nos dcbcri quidem agnoscimus
multo magis, sed de venla Deo rcservamus.
DE LA PEXITEiVCE.
483
lui procurer ici-bas le pardon ^ Car Ies anathemes de saint
Jean sont terribles contre Ies fideles qui tombent dans ces
peches (Apoc. 21, 7 sq ; 22, 14 sq). Les psi/chicin'ont rien non
plus ă tirer de 1 Joan. 1, 7 sq; 2, 1 sq. Saint Jean ne ditpas que
Ie sang du Christ purifle de tout peche Ies fideles ; mais qu'il
a la vertu de preserver de tout peclie ceux qui, une ibis sauc-
tifies, perseverent dans la lumiere de leur bapteme. Jesus-
Clirist s'est fait leur avocat avânt le bapteme : apres le bapteme,
ii se fait leur sauvegarde. Les enfants de Dieu pourront bien
retomber dans ces fautes de fragilite dont nul n'est entiere-
ment exempt et pour lesquelles Io Christ obtient grâce; ils
eviteront ces fautes mortelles pour lesquelles Ic Christ n'in-
tercedc pas, qui sont irremissibles, et pour lesquelles nul ne
doit interceder; savoir : riiomicide, l'idolâtrie, la fraude, l'a-
postasie, le blaspheme, enfin l'adultere, la fornication et toute
autre violation du temple de Dieu '^. Apres les apâtres, Ter-
tullien cite ex redundantia un compagnon des apâtres ', saint
Barnabc. Sous le nom de saint Barnabe, ii apporte en realite
un texte de l'epître aux Hebreiix (6, 4-8), oîi ii croit trouver
contre l'impudique une malediction irrevocable. 11 interprete
dans le meme sens divers symbolismes bibliques : la lepre
(Lev. 13, 12 sq), la maison contaminee (J.ev. 14, 36 sq), la
servante violee (Lev. 19, 20).
II vient d'âtre question de la doctrine des apotres sur Ia
remission des peches '''. Heritiers de la doctrine des apotres,
les chefs de l'Eglise pretendent bien l'âlreaussi deleurpouvoir.
Cest ce quc nie Tertullien ; et ii consacre des dernieres pages
â combattre une telle pretention.
Le pouvoir est un charisme personnel confere par l'Esprit de
Dieu. Jadis cet Esprit investit les apotres, et leur communiqua
le don des miracles. Si \&%psy chici pretendent avoir herite du
1. Apud nos, ut ethnieopar, imino ct super cthnicum, haereticus etiam
per baptisma voritatis utroque nomino purgatus admittitur. — Tertullien
veut doac que l'on rebaptise les horetiqucs. ToutefoifS ii est â notcr que
son assertion ne vaut rigoureusement qu'â I'egard de Tusage montaniste
{Apud nos). Mais cf. c. VII, §4, p. 3-29, ii. 4.
2. Sur Io sens de ce mot, voir ci-dessous, p, 485.
3. Pud. 20.
4. Ib.. 21.
484 THEOLOUIE DE TERTULLIEN.
pouvoir des apotres, qu'ils le prouyent en reeditantles miracles
des pi'ophetes et des apotres. Mais, dit-on, l'Eglise a le pou-
voir de remettre Ies peches. Tertullien n'ose pas le nier, car par
lâ ii se mettrait en opposition avec un oracle de la nouvelle
prophetie. Mais ii va denaturer la notion d'Eglise. D'oîi pen-
sez-vous, demande-t-il â son adversaire, que l'Eglise tienne
ce pouvoir? De l'investiture donnee a Pierre (Mat. 16, 18)?
Erreur. L'investiture donnee a Pierre fut strictement person-
nelle. Et l'usage qu'il fit du pouvoir des clefs, soit poiir ouvrir
par le bapteme le royaume des cieux (Act. '2, 22), soit pour
enchaîner Ananie dans la mort, soit pour delier Ies pieds du
boiteux, soit pour cxonerer Ies Gentils du fardeau de la Loi,
n'a rien de commun avec Tabsolution des peches capitaux
conamis par Ies fideles. Le Seigneur avait dit â Pierre de
pardonner septante fois sept fois au frere qui l'aurait offense ;
ensuite, ii lui confie le pouvoir de lier, c'est-a-dire de retenir.
L'intention du Seigneur est claire : Pierre usera du pouvoir
de delier, pour Ies offenses envers sa propre personne; du
pouvoir de lier, pour Ies offenses envers Dieu. Or le pouvoir
de Pierre est le type de celui que peut recevoir dans l'Eglise
rhomme spirituel, propliete ou apotre. Les psi/chici lîj doiYent
pas pretendre. Car Tl^^glise est proprement et principalement
l'Esprit, c'est-a-dire la Trinite divine, Pere, Fils etSaint-Esprit;
puis Ies fideles qui s'y agregent. Ainsi l'Eglise remettra Ies
peches; mais l'Eglise-Esprit, par le ministere de l'homme spi-
rituel, non l'Eglise coUection d'eveques. Le pouvoir est aux
mains du maître, non du serviteur; de Dieu, non du pretre.
Mais voici qu'â une usurpation le pontife ajoute une impru-
dence ' : ce pouvoir, qui ne lui appartient pas, ii le repand
inconsiderement sur ses martyrs. IHcur attribue un privilege
que jamais martyr ni apâtcejiVTOTendique : celui de remettre
Ies peches d'autrui. Qu'il sufîîse au martyr d'expicr ses fautes
personnelles : n'est-ce pas assez beau? 11 n'appartient qu'au
Fils de Dieu d'expier pour autrui; le bapteme de sang, tout
comme le bapteme d'eau, est une grâce incommunicable. —
Une derniere fois, et comme pour donner le coup de grâce a
1. Pud. 22.
DE LA PENITENCE. 485
l'adversaire, Tertullien rapproche l'impudicite de Fhomicide et
de l'idolâtrie ^ : elle ne merite pas plus d'indulgence. Pour
honteuses que soient Ies cicatrices d'une apostasie arrachee
par Ies tourments, celles de la debauche le sont bien plus.
Revenons, pour le bien cofnprendre, sur un texte quelque
peu enigmatique.
Moechia et fornicatio, et si qua alia violatio templi Dei'^.
— Le rapprochement de ces mots, â la fin de la liste des pe-
ches mortels, ne doit laisser aucun doute sur la vraie pensee
de Tertullien : ii a voulu comprendre sous trois chefs toutes
Ies sortes d'impudicite. Cette pensee n'en a pas moins ete sou-
vent etrangement meconnue^; c'est pourquoi nous croyons
utile de la mettre ici en pleine lumiere, en reunissant Ies di-
vers passages ăw De pudicitia ou templum Dei a, d'apres saint
Paul (1 Cor. 3, 16), le sens tout special de corps humain con-
sacre ă Dieii par le bapteine.
G. ed. Vindob. p. 230, 1. 9 : Exinde caro quaecumque in Christo reliquas
s'ordes prisHnas solvit, alia jam res est, nova emergit, jani non ex seminis
lim.o, non ex concupiscentiae fimo, sed ex aqua pura et Spiritu mundo.
Quid ilaque illam, de pristino excusas'i' Non corpus Chrisli, non mem,bra
Chrisli, non templum Dei vocabatur, cum, veniam moechiae consequebatur.
— • 15, p. 251, 1. 8 : Quiae pars fideli cum infideli? aut quis consensus templo
Dei cum idolis? ... et viderint idola, ipse templi Dei viiialor in templum
Doi convenit. Nam et hic : Vos enim, inquit, estis templum Dei vivi (Allu-
sion â la i-oconciliation de l'incostueux do Coi'intho). — IG, p. 252, 17 :
[Aposlolus in prima Corintidorum) primus omnium, templum Dei dedi
cavit : Non scitis -oos templum Dei esse et in vobis Dominmn habitare? Qui
et templo sanciendo purificandoque aedUualem leriem scripsit : Si quis
templum Dei vitiaverit, vitiabit illum Deus ; templum enim Dei sanctuM
est, quod estis vos... rursus inter cetera, immo et ante cetera, moechos et
fornicalores el molles et masculorum concubilores nngans regnum, Dei con-
1. Ingerain usqiic, in sinum nccessc est ; quaecumque auctoritas, quae-
cumque ratio moocho et forriicatori pacem ecciesiasticam rcddit, cadom
dcbebit et homicidae et idololatrao paenitcntibus subvenire, certe nega-
tori...
2. Pud.. 19.
3. Voir ci-dessus, c. VI, S 4, p. 274, n. 5. — Tertullien (2 Ux. 3) dit
du mariage entre fidele et infidele : Extranei hominis admissio minus
templum Dei violat, minus membra Dei cum membris adulterae com-
m iscet ?
486 THBOLOGIE DE TEBTULLIKN.
secitltiros ; p. 253, 11 : Non scilis corpora vestra membra Chrisli? quia et
Christus Doi tcmplum : Evertite templum hoc, et ego illud in triduo resus-
citaho... Omne delictum qiwd admiseril homo extra corpus est; qid autem
pjrnicatur, in corpus suum peccat... Glorificate et tollite Dominum in cor-
pore vestro. Hoc qui praecipit, vide an ignoverit ei qui dedecoraverit Deum
ci qui dejecerit eum de corpore suo, el qiiidem per incestum. — 18, p. 26(t,
28 : Dicimus ilaque, clementiae divinae si ila esse compelisset demonstra-
tionem sui etiam post fidem lapsis, ita Apostolus diceret : Notiţe commii-
nicare operibus tenebrarum, nisi paenitentiam egerint, et : Cum talibus ne
cihum quidem sumere, nisi posteaquam, caligas fratrum volulando delerse-
rint, et : Qui templum Deivitiaveril, vitiabit Uium Deus, nisi omnium foco-
rum cineres in Ecclesia de capite suo excusserit. — 20, p. 266, 11 : Disci-
plina igittir Apostolorum proprie quidem mstruitac determinat principaliler
sanctilatis omnis erga templum, l)ei antistiteni et ubique de Ecclesia eradi-
cantem omne sacrilegium impudicitiae sine ulla restitutionis mentione. —
21, p. 269, 3 : Quis enim dimittit delicla, ni solus Deus? et utique mor-
tatia, quae in ipsum fuerint admissa et in templum ejus? Nam tibi qua.e
in te reatum, habeant, etiam septuagies septies juheris indulgere in persona
Petri.
11 faut s'atfacher a cette notion du temple de Dieu si Ton
veut penetrer Ia pensee de Tertullien sur Ies peches irremis-
sibles. II Ia livre completement â Ia fin du De pudicHia :
21, p. 270, 28 : {Petro) si praeceperat Dominus etiam septuagies septies
deliquenti in eum fratri indulgere, utique nihil postea aWgare, i. e. reţi-
nere., mandasset, nisi forte ea quae in Dominum, non in fralrem quis ad
miserit. Praojudicaltir enim. non dimittenda in Deum delicla, cum in ho-
mine admissa donantur. — Comparez 12, p. 242, 25 : Satis denegavit
(Spiritus Sanctus) veniam eorum quorum cuslodiam elegii; vindicabit
quae non perinde concessit. Hinc est quod neque idololalrioe neque san-
guini pax ab ecclesiis redditur.
Ainsi Ies peches commis contre Pliomme peuvent etre re-
mis; Ies peches coniTHis^ contc e-J&îeu no le peuvent pas. L'ini-
pudicite, chez un fidele, sera donc irremissible parce qu'elle
outrage Dieu en violant son temple^. A ce titre, elle ost re-
prouvee non moins severement que l'idolâtrie et Thomicidc.
L'Esprit-Saint veille sur Ies corps de ses fidcles : ii châtiera
1. Ccttc malico speciale de l'iinpudicite cliez un (idele est bien iriai'quoe
Pud. 16, ;i propos de 1 Cor. G, 11 : (Apostolus) quanto delicta isl,a ante
lavacrum accepte facit, lanto post lavacrum iiTcriiissibilia constituit.
DE LA PEMTENCE. 487
ceux qui souillent leur propre corps par l'impudicite, comme
ceux qui verseront le sarig d'autrui ' .
Concluons quo la violatio templi Dei n'est pas precisement,
comme on l'a tant repete, une oITense ă la communaute clire-
tienne^.
Ce point eclairci, nous allons considerer l'ensemble du De
pudicitia.
Les elements proprement montanistes de ce livre peuvent
se ramener â deux idees : doctrine des peches irreraissibles ;
doctrine de l'Eglisc-Ksprit, excluant le pouvoir sacerdotal et la
communion des saints. Indiquons le fondement de l'une et de
l'autre.
La doctrine des peches irrcmissibles est appuyee sur l'Ecri-
ture : un texte de saint Jean (1 Joan. 5, 16), de nombreux tex-
tes de saint Paul (en particulier 1 Cor. 3, IG. 17), enfin, sous
le nom de saint Barnabe, un texte de l'epître aux ITebreux
(Ilebr. 6, 4-8). Tertullien, qui en veut surtout â limpudicite,
insiste sur l'impossibilite de separer la cause de ce vice d'avec
celle de l'idolâtrie et de riiomicide, et de rompre un faisceau
que, dans l'Ecriture (Act. 15, 28), Dieu meme a noue. Bien en-
tendu, ii se reclame de la tradition, et considere l'indul-
1. En toute i-igiioui', Tassertiou relative â riiomicide devrail, etre res-
li'einto au nieui-tro (l'uii chrctien. D'auti'c part on peut s'etonnor quc le
blasplieiu(\ offenso directe ă Dieu, soit n'prouvee inoins severemenl quc
d'auti'(!S peches. — Notons enfm que la ehastetc est souvent recommand^c
par les Tei-es apostoliques comme un devoir cnvers le tempUî de Dieu.
Ainsi Ep. Barnab, 4, 11; 2' Clementis, !), 3; Ignat, ad Philadclph. 7, 2.
2. Faut-il faire rcmonter jusqu'â >I. ilarnack la paternitc de la doctrine
relative au traitement special des peches envers l'Eglise'/ Je ne trouve
pas d'explication plus plausiblc â une assertion qui deja surprenait
>!»'■ Batiffol. (^(, d'hist. el de Iheol. positive, p. 78.) Ellc se lit /;. G'^, t. 1,
p. 107 : Die Christonheit wurde dem Urtheilo Gottes vorgreifen, wenn
sie gi'obe Sunder.wieder aufnahme, da sie ihnen die Scligkeit damit ga-
rantiren wiirde. Sie kann daher nur dann Ausgeschlossene ^^'ieder reci-
piren, wenn die Vergehen derselben nicht wider Gott selbst gerichtet
waren, sondern in der Uebcrtretung kirchlicher Gebote rcsp. iu liisslichcn
Vergehungen bestanden hatten. — Cette assertion procede, si je ne me
trompe, des textes suivants : Pud. 2 : Dclicta mundantur quae quis in
iVati-em, non Deum admiserit; 21 : Praejudicatur enim non dimitteuda
in Deuui delicta, cum in houiine admissa donantur. Ea doctrine qu'on a
pu croire eontenue dans ces te.xtes ne serait en tous cas qu'une doctrine
niontaniste. Mais la reficxion suffit â dissiper le mirage.
488 THEOLOGIE DE TERTULLIEX.
gence de Feveque de Rome comme un faiL sans precedent.
Or Ies textes apportes sont tres forts, sans doute, contre le
peche en general et contre l'impudicite en particulier. Mais Ies
anathemes Ies plus graves n'excluent pas Tinvitation au repen-
tir, et TertuUien oublie son commentaire si eloquent des me-
naces divines'' : Non comminaretur autem non paenitenti, si
non ignosceret paenitenti. L'Eglise tenait habituellement ri-
gueur â l'impudicite, commo â l'idolâtrie et ă l'homicide; et
pourtant ii n'est pas impossible de decouvrir, dans la tradition
anterieure â TertuUien, la condamnation des regles absolues po-
sees dans le Depudicitia. Un des faits Ies plus significatifs est la
faveur dont le livre d'Hermas avait joui au deuxieme siecle dans
l'eglise de Rome. Le Pasteur avait des pardons pour la femme
coupable ^ et defendait au mari de lui fermer sa maison, parce
que ce serait Iui fermer la voie du repentir et du pardon. II en
avait, dans certains cas, mâmc pour l'apostasie ^. D'autre part,
Denys de Corinthe (vers 170) posait en regie qu'il faut rece-
voir Ies pecheurs qui se convertissent de n'impo.rte quel ega-
rement, tut-ce de l'heresie'. Clement d' Alexandrie nous mon-
tre un meurtrier absous par l'apâtrc saint Jean"". Origene,
personnellement favorable â la reserve des trois cas, constate
que certaines eglises ne sont pas aussi severes ^. Saint Irenee
parle de femmes admises â l'exomologese apres des desordres
de moeurs ''; de l'heretique Cerdon ^, ebauchant â diverses
1. Paen. 8. — Ne dites pas h TertuUien qiio Dieu prefere la penitence
du pccheur â sa mort : ii sjappliquc â detrjjire ce pi'cjuge des psychici,
Pud. 18 : IIoc enirn fundamentuHi-jopiftiti'nis vestrae usqucquaque pul-
sandum est.
2. Ilcrmas, Mand. 4, 1, 8 : Kal [xyjv, ovjotv, eov [iv) itapaSe^rixat «Otîjv 6 ivifip,
a[jLccpTâvEi v.oX jj,£Ya/-V]v af^apTcav ^auTtp s7ii*77răTai, a.X),o. ocT irapaosxQ^vat tov
^fjLapTr]y,6Ta xac [;,eTo:vooOvra ... 11 : 'Eyw 0'3v, ;p7;<jcv, ou ScSwfAt dfopfAVjv cva auTrj
npSţtc 0'JT<i>; ouvTsXvîTai, «)).« eî; xo |iY;xsTi â[J.apTâvEiv t6v rfi.n.^r{/.6m. llepi
o£T?j; TipoTspa; daaoTÎa^ auToO ăaxiv 6 Suvâfxevoi; tarjiv Souva'.' auTO^ yap i(5ivi
6 £/WV TTOLVTWV XyjV £^OtJ(JLav.
;i.' Sim. 9, 2G, 5.
4. Ap. Eusebc //. E. 4, 23, G : FToX/â 5s tisoI fâţio'J xai âYvsioc;... Tcapiivă,
xai TOij; £| oca; 6' oOv âuoT^TtiiffSw:, î'^TS uXri^p.sXEca; £lt£ j/.yiv o:tp£Tiy,rj; TrXavy;!;,
iTrtaxps^ovTac S£^i&V(76a[ TipouTârTEi.
5. Eusebe, //. E. 3, 23.
6. Origene, De oratione, 28.
7. Saint Irenee, Haer. 1, 6, 3; 1, 13, 5.
8. Ib. 3, 4, 3. ■
DE LA PENITENCE. "489
reprises une penitence qui ne fut jamais complete ; Tertullien
lui-memenous apprend% dans un ouvrage orthodoxc, queMar-
cion l'heresiarque faillit mourir reconcilie avec l'Eglise; et
pourtant, s'il faut en croire l'auteur du livre Adce/^siis omnes
haereses ^, Tapostasie n'ctait que la derniere faute de Marcion :
ii avait encore â expier Ies desordres de sa jeunesse. Tous ces
faits montrent que l'innovation reprochee â Calliste n'ctait pas
si profonde qu'on pourrait le croire^, et doivent faire accueillir
avec une certaine reserve Ies assertions de Tertullien, commc
celles des Philosophumena.
II serait temeraire de vouloir deduire des conclusions fermes
de donnees aussi flottantes, et de pretendre percer toutes Ies
ombres qui entourent pour nous Ies origines de la penitence
dans l'Eglise d'Occident. Voici pourtant ce qu'on entrcvoit. Au
debut du troisieme siecle '', un certain courant rigoriste tondait
â exclure des pardons de l'Eglise Ies pecheurs coupables de fau-
tes particulierement graves, notamment des trois fautes reser-
vees : idolatrie, impudicite, Iiomicide. Que ce courant n'en-
traînât pas toute l'Eglise, nous en avons pour prcuvcs, outre Io
De paenitentia de TcrttiUien, des faits historiques nombreux;
sans pouvoir mesurer son intensito, nous constatons qu'il exis-
1. Praescr. 30 : Marcion pacnitontiani confcssus cura condicioni datao
sibi occurrit, ita pacem rocepturus si cetcros quos perditioni erudisset
Ecclesiae restitueret, morte praeventus est.
2. Pseudotertu!!., Adv. omnes haereses, G : Marcion quidam nomine,
Ponticus genere, episcop! liliiis, propter stuprum cujusdain vir^inis ab
Ecclesiae comniunicatione abjectus. — Cf. Epipliane, Haer. 42, 1.
3. Si toutes Ies dispositions des eanons d'Hippolyle pouvaient ctre da-
tees avec certitude, on aurait Ia encore un ternolgnage fort important.
On lit 15, 76 : Fornîcator vel qui quaestum ex fornicatione quaerit, vel
cinaedus... (suit nne langue liste d'autrcs pecheurs) — Iii onjnes et qui
'similcs sunt his neque in.struendi neque baptizandi sunt, donec ab om-
nibus talibus operibus abstineant... 79. Quodsi post baplismum in iUa,
quae significavimus, criminosa flagilia relapsi invenianlur, ex Ecclesia
expoUaniur donec paenitetUiam egerint cum fletu, jejunio et operibus mi-
sericordiae. — Ce canon apparticnt â une epoipie oii Ies chretiens forni-
cateurs etaient admis â la penitence, et parfois pour un temps limite.
4. îs^ous n'oserions remonter beaucoup plus haut, car cettc tendancc
rigoriste ne parait pas ancionne,, et on ne la considerait pas comme telle
â Rome, deux siccles plus tard. Voir Innocent I, Ep. 6, ad Exuperinm,
5, 6 (/'. L. 20, 493. 499).
490 THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
tait en Afrique ' et â Rome, et que Ies montanistes y entrerent.
Le pontificat de Calliste vit cclater une crise, qui fit prevaloir une
discipline plus clemente â l'egard des impudiques ; trente ans
plus tard, au temps de saint Cyprien, unenouvelle crise amena
un resultat semblable pour Ies lapsi. Des lors le rigorisme, au
moins le rigorisme doctrinal en maticre de penitence, peut etre
considere comme elimine de l'Eglise, et confine dans la secte
novatienne. Au commencement du quatrieme siecle, certains ca-
nons d'Elvire^ presentent encore une afîinite remarquable avec
Ies revendications du De pudicitia : c'est que, dans son isole-
ment, la peninsule iberique restait en arriere du mouvement
qui emportait Rome et Carthage. Encore faut-il bien noter que
ces canons disciplinaires ne touchent paslaquestiondedogme :
inspires par des raisons de prudence, ils n'oiîrent pas trace de
la these montaniste qui posait arbitrairement des bornes aux
pardons de l'Eglise.
La doctrine de Tertullien sur l'Eglise-Esprit procede moins
du travail de sa reflexion que du ressentiment de son orgueil
blesse. En meme temps que sous Fcmpire d'un encratisme
farouche ii se ref'ugie dans un christianisme de plus en plus
ethere, ses demeles avec la hierarcliie le portent â battre en
breche la succession apostolique, si eloquemment defendue
dans le trăite de la Prescription. Dans sa reaction violente
contre le principe catliolique, ii en vient â emprunter le lan-
gage et Ies idees des gnostiques, apres Ies avoir tant combattus.
Cest un concept gnostique que celui de,<iettc Eglise des purs,
mis a tont jamais, par l'adoption di.yine, ă l'abri des fautes
graves ^. L'Esprit divin n'e^t plus-seulement le lien vivant de
1. Saint Cyprien nous apprend que plusieiirs <lc ses predecesseurs
avaient refuso lapaix aux impudiques. lip. 55, 21 : Et quidem apud ante-
ccssores nostros. quidam de episcopis istic in provincia nostra dandam
pacem moecliis non putaverunt, et in totuiri paciiitentiae locum contra
adulteria cluserunt. Non lanien a cocpiscoporum suorum collegio recos-
serunt aut catliolicae Ecclcsiae unitatem vel duritiae vel censurae suao
obstinatione ruporunt, ut, quia apud alios adultcris pax dabatur, qui
non dabat de Ecclcsia separaretur. — I"our Rome, nous avons cite le
texte des Philosophumena, 9, li.
2. Canons d'Elvire, 1. 6. 7; aj). llansi, t. 2, p. 5.
3. Pud. 1<J.
ABOCTISSEMEXT DU MOXTANISME. 491
cette Eglise, ii en constitue le fond meme ' . Nous avons signale -
dans Ies ecrits de TertuUien orthodoxe Ie point d'attache de ces
idees nouvelles ; mais son langage a bien cliange. En meme
temps qu'il refuse aux chefs do l'Eglise tout pouvoir directe-
ment lierite des apotres, ii supprime toute communication de
biens entre Ies fideles. De peur de contredire Ies nouveaux
prophetes, ii n'ose pas denier â l'Eglise le pouvoir de remettre
Ies peches; mais, par une evolution inattendue, ii distingue Ies
peches envers Dieu, matiere du seul pouvoir de lier, des peches
envers l'homme, matiere du seul pouvoir de delier. Cette doc-
trine nouvclle, qui ne se lie â aucune conception anterieure de
TertuUien, n'a pas meme le merite de fournir un criterium sur
pour distinguer Ies peches mortels, dont le De pudicitia vient
de presenter la liste ^.
IX. AliOUTISSEMEXT DU MOÎJTAXISME.
Parvenu au terme de cette evolution, TertuUien se de-
fend encore d'avoir touche au dogme ; mais ii a profondement
altere la discipline, et parmi ces alterations, que nous avons
constatees, plusieurs ont une portee dogmatique. Resumons
donc son ceuvre au cours de cette derniere periode. En annon-
ţant la fin du monde â breve echeance, ii pousse Ies âmes â
un detachement toujours plus grand des choses terrestres. En
ouvrant la porte â la nouvelle prophetie, ii inaugure le regne
arbitraire des charismesindividuels, et par contre-coup ebranle
l'autorite de TA. et du N. T., avec celle de l'Eglise. En obli-
geant le chretien de f'aire face â la persecution, contrairement
â la tradition chreticnne, ii erige Theroisme en loi. En rejetant
Ies secondes noces et medisant des premicres, ii retrecit la
legislation du mariage, fixee par saint Paul, et fausse le dessein
du Createur. En legiferant en matiere de jeune et attaquant
des usages plus ou moins inoffensifs, ii prend une attitude
1. Pud. 21.
2. Voir c. V, 3 2, p. 215, n. 7 {Or. 2 et B. (j).
3. Voir ci-dessus î'obsorvation relative â riiomicide et au blaspheme,
p. 487, 11. 1.
492 THEOLOGIE DE TERTULLIEX.
liautaine et usurpe une autorite qui ne lui appartient pas. En
exceptant certains peches des pardons de l'Kglise, ii se voit
conduit â nier le pouvoir des clefs. En releguant l'Eglise
cliretienne dans la sphere du Paraclct, ii a perdu do vue tont
lien de communion entre Ies membres de cettc Eglise. Ces
innovations ont eu pour effet d'une part d'aggraver l'opposition
deja recile entre l'Eglise et le siecle, d'autre part de substituer
â l'Eglise visible et hierarchique, heritiere de Tenscignement
et du pouvoir des apotres, une Eglise ou ii n'y a plus de sa-
cerdoce, ni d'autre investiture que celle de l'Esprit.
Tel est I'aboutissement logique du mouvement d'emancipa-
tion suscite par la predication montaniste. A ses debuts, et
longtemps ancore apres ses debuts, Tertullien venerait la ma-
jeste du sacerdoce chretien ^. S'il lui arrivededire, apres saint
Pierre (iPet. 2,9) et saint Jean (x\poc. 1,6; 5, 10; 20, 6) que
tout chretien est prâtre ^, ii ne meconnaît pas la distance qui
separe ce sacerdoce large et metaphoriquc du sacerdoce pro-
prement dit, etreserve expressement Ies droits do la hierarchie
ecclesiastique •'. Mais du jour oîi ii prit en main la cause de la
nouvelle prophetie, par laforcedes chosesilse trouva le porte-
parole et le porte-etendard de l'element laique, cn voie d'in-
surrection contre Ies cliefs de l'Eglise. Ceux-ci devinrent de
faux pasteurs '', lions dans la paix, cerfs au combat, toujours
prcts â fuir devant le loup '. L'episcopat ne fut plus que la
1. Sous le pape Zcphyrin, Caîus opposait aii ingritanistc Produs la tra-
ditioa apostolique de Rome. lîusebe, //. E.^l^io, 7 : 'Eyw oi xx xpdreaia
Twv âTtOîjTOAMv îy!u> SEÎ^ai. 'Eiv fM 6sî^inj;"âTţ'$),6eîv ejtl tov BatiHavoJ ■?] iizX ir,'i
oSov T/jv '0(7T(av, £0pYi;7st;Ta Tpoirata T(îiv TauT7]V£Sput7ajAEvtiiv xr^v exxXviffiav. Ter-
tullien ne parlait pas autrcmcnt, Pr. 36. Mais dans Pud. son attitude en-
vors Rome a bien change.
2. Or. 28 : Nos sumus veri adoratores et veri sacerdotes, qui spiritu
orantes spiritu sacrificamusorationem, liostiam Dei propriam et accepta-
bilcm, quam se. requisivit, quam sibi prospcxit. — La priere, hostie
spirituelle de ce sacrifice, n'est pas l'hostic propre du sacrifice eucharis-
tiquo.
3. B. 17 : Dandi quidem (baptismi) liabot jus suramus saeerdos, qui est
cpiscopus; dehinc presbyteri et diaconi, non tamen sine episcopi aucto-
ritate, propter Ecciesiae honorcm, quo salve salva pax ost. — Pal. 4 :
Super omnes apiccs et tutulos saeerdos sug-gestus. — Cor. 3 : Eucharis-
tiae sacramontum... nec de aliorum mânu quam praesidentium sumimus.
4. Cor. 1 : Novi et pastores eorum in pace loones, in proolio cervos.
5. Fug. U.
ABOL'TISSEMENT DU MONTANISME.
493
tyrannie d'un homme * , une odieuse contrefaşon de Finstitu-
tion apostoliquc. Les revendications se precisent dans l'exhor-
tation â la chastete -. « Est-ce que, meme laîques, nous ne
sommes pas pretres? II est ecrit (Apoc. 1, 6) : II nous a faits
royaume, pretres de Dieu son Pere. Entre clercs et laîques,
la difîerence est constituee par Tinvestiture de I'Eglise, qui
lionore les uns d'une preseance. Oîi ii n'y a plus ni assemblee
ni preseance, vous sacrifiez, vous baptisez, vous etes jjretre
pour vous meme, de plein droit. Mais ou se trouvent reunis
trois fidoles, fussent-ils laîques, lâ est I'Eglise. » La meme
conception democratique de I'Eglise se retrouve, plus deve-
loppee, dans le trăite de la monogamie^. Au nom de l'ancienne
Loi et au nom de saint Paul, TertuIIien etend aux simples
fideles le precepte apostolique de la monogamie. « Faudra-t-il
donc, pour le recrutement du clerge, constituer un ordre de
fideles monogames? En matiere de droit ecclesiastique, on
rencontre d'etrangesinconsequenccs. S'agit-il de tenir tete au
clerge? Tous les laîques se levent comme un seul homme, tous
sont pretres, au besoin ils le prouvent par l'Ecriture. S'agit-il
au contraire d'etendre â tous les prescriptions onereuses de
la discipline sacerdotale? aussitot ils deposent les insignes du
saccrdoce, les voila tous egaux, au dernier rang. »
L'ascension de I'element laîque vers les prerogatives du sa-
cerdoce etait le dernier raot des revendications montanistes.
TertuIIien, devenu unniveleur, n'a plus qu'â nier I'Eglise liie-
1. Fug. 13 : Ilanc episcopatul formam Apostoli providcntius condiderunt,
ut regno suo securi frui possent, sub obtcntu procurandi!
2. E.X. c. 7 : Nonne et laici saceixlotes sumus? Scriptum ost : Regnum
(luoque nos et sacerdotes Dec et Patri suo fecit. Dilîerentiani inter ordi-
nem ct plebem constituit Ecclesiao auctoritas, et lionor per ordinis con-
sessuin sanctilicatus. Adeo ubi ecclesiastici ordinis non ost consessiis, et
oiîers et tinguis et sacerdos es tibi solus. ed ubi tros, Ecciesia est, licet
laici,
3. Monog. 7 : Certe sacordotes sumus a Cliristo vocati, monogamiac
debitores, ex pristina Dei lege quae nos tune in suiş saccrdotibus prophe-
tavit. — Ib. 12 : Si non ouincs monogamiae tenentur, undo monogami in
clerum? An ordo aliqui scorsum debebit institui monogamorum, do quo
allectio fiat in clerum? Sed cu)n extollimur et inllamur advorsus clerum,
tune unum omnes sumus, tune omnes sacerdotes, quia sacerdotes nos
Deo et Patri fecit. Cum ad pcraequationem disciplinae sacerdotalis provo-
camur, deponimus infulas, et pares sumus.
494 THEOLOGIE DE TERTULLIRK.
rarchique : ii le fera dans le De piidicitia : FEglise â laquelle ii
reconnaît ancore le pouvoir de remettre Ies peclies n'est plus
qu'une Eglise insaisissable ^ : Ecclesia quidem delicta donabit,
sed Ecclesia Spiritus per spiritalem hominem, non Ecclesia
numerus episcoporum.
1. Pud. 21.
GONGLUSION.
En achevant cette enquete surl'oeuvretheologique de Tertul-
lien, nous essaierons, pour en mieux definir l'inspiration, de
pcnetrer jusqu'â l'âme de l'auteur K
II fut chrelien, au vrai sens du mot, par le coeur et par Fes-
prit : on n'en peut douter, quaiid on le voit, dans l'Apologetique,
se faire avoc tant de plenitude et de verite l'eclio de la conscience
cliretienne, dans le trăite de la Prescription revendiquer si
energiquement le magistere de l'Eglise, et dans ses ecrits
ascetiques precher le detacliement du monde avec uno onction
si persuasive. Et on a lieu de croire qu'il fut chretien par Ie
coîur avânt del'etre parl'esprit : sa natura ardente offrait plus
de prise aux considerations morales qu ă la speculation pure ;
de lâ vientque, quand on detourne ses regards des peintures
de la vie chretienne pour examiner Ies autres parties de son
Apologetique, on y decouvrc, avec surprise, de si reelles fai-
blesses. L'instrument principal de sa conversion ne fut sans
doute ni l'Ancien ni le Nouveau Testament, mais plutot Tas-
cendant d'une vertu qu'il avait raillee avânt de se laisser sub-
juguerpar ellc.
Au lendemain de cette conversion, ii se devoue sans reserve
a la cause de sa foi. Apologiste et apotre, ii deploie Ies ressour-
ces d'un temperament de feu et celles d'une education encyclo-
pedique. Le temperament avait ses defauts, etl'education avait
Ies siens. Doue d'une grande force de reaction, le neophyte
s'eleva d'abord contre Ies hontes morales du paganisme et
1. Nous nous arrotons aux trai ts principaux. On en ti'ouvcra beaucoup
d'autres — parfois discutables— dans Noeldechcn : TerlulHan als Memck
und als Biirger ; Hist. Ztichr., t. 54 (1885), p. 225-260.
496 THEOLOGIE UE TERTULLIEN.
contre le devergondage raţionaliste de la gnose; plus tard, le
pretre honore dans l'Eglise devait s'insurger contre Ies en-
traves mises par la hierarcliie reguliere â sa pensec ou k son
action. Son esprit autoritaire aurait volontiers, par zelepour la
foi, etouffe tonte entreprise de la raison sur le terrain des ve-
rites religieuses ^ : n'y pouvant reussir, ii descendit, â son
corps defendant, dans l'arene theologique. L'emportement
d'une nature exuberante fit sa force et aussi sa faiblesse : la
colere oratoire, qui enflamme ses plus belles pages, prend sa
source dans une âme irritable â Texces et trop asservie k l'im-
pression du moment pour juger de sang-froid. Dialecticien vi-
goureux, styliste incomparable ^, Tertullien ne fut pas un
metaphysicien profond, ni meroe un esprit parfaitement juste.
Rien ne l'eleve moins au-dessus du vulgaire que la surete du
regard intellectuel. L'education en avait fait un juriste instruit ^
et un rheteur puissant : elle ne lui avait donne que des clartes
douteuses sur l'histoire naturelle '•, la chronologie, et bien
d'autres sciences.
Ainsi arme pourlalutte, Tertullien pouvait combattre avec
i'ougue Ies doctrines qui heurtaient de front^sa raison ou sa foi;
ii n'etait pas ă l'abri des surprises de I'erreuXqui exploiterait
liabilement son illuminisme instinctif ou Ies susiqeptibilites de
sa fierte ombrageuse. II pouvait encore moulcr dans un slyle
d'airainles verites qui s'etaientunefois emparees puissamment
de son esprit; ii ne pouvait pas ouvrir ala pensee chretienne
1. Qu'on se rappelle Pr. 7 : Nobis curiositate opus non est post Chris-
turn, iiec inquisitione post Evangelium.
2. Voir yiorden, Die antike Kunstprosa,'^!. 608 sq; H. Iloppe, Synlaxund
Stil des Tortullkm (Leipzig, 1903).
3. La competence de Tertullien en droit romain ne fait de doute pour
persoane; d'ailleurs Eusebe l'affirme (//. E. 2, 2, 4). Voir Mommsen, Der
Religionsfrevelnach riim.Recht, dans Hisl. Ztschrf. 64 (1890), p. 390, Anm. 1.
— Faut-il l'identifier au juriste de menio nom cite pâr Ulpicn, Z>((/. 29. 2.
30. 6? Neumann affirme : Der rom. Slaat und die allgemeine Klrche, 1 (1890),
p. 110 Anm. 3. Ou nie plus comnaunement. Voir entre autres Kruger,
Gesohichte der Quellen und Litt. des rom. Rechls. (Leipzig, 1888), p. 203.
Anrii. 99.
4. Rappelons la fablo du pheni.\: {R. 13), la hyene changeant de sexe
tous Ies ans {Pal. 3), le castor, castrator carnis (1 M. 1). Au reste, ccs
idees se retrouvent ailleurs que chcz Tertullien. II est de son temps.
coNCLusiON. 497
beaucoup de voies neuves et sâres. Avec des allures de genie,
ii fut beaucoup moins initiateur qu'admirable metteur en
oeuvre d'idees elaborees par de plus humbles penseurs, et ii
depasse Ies apologistes du n^ siecle beaucoup plus par la splen-
deur de la forme que par lafecondite des aperşus theologiques.
De fait, on ne voit pas qu'il ait eu, au sein du christia-
nisme, un grand developpement intellectuel ; et I'Apologetique,
qui fut presque son coup d'essai, demeure son chef-d'oeuvre.
On ytrouve, pour presque tous Ies dogmes, Ies formules dcfi-
nitives, queTertuUienne depassera point et que parfois il gâ-
tera. Nul doute qu'il n'ait regu, k son entree dans FEglise, une
excellente catechesc : sous l'influence do la grâce qui l'avait
conduit au bapteme, la semence de vorite deposee dans son
âme produisit tout d'abord ses meilleurs fruits. Dans la pleine
vigueur de son talent et de sa foi, il lansa contre l'heresie en
general un manifeste imperissable, auquel succederent des
monographies d'une inspiration moins sure. La sympathie qui
l'inclinait aux nouveautes phrygiennes perce, discrete d'abord,
dans ses ecrits ascetiques, pour eclater dans l'Antimarcion.
Avânt la rupture ouverte, la lutte fut longue et douloureuse :
son attachcment a l'Eglise, grandi par de glorieux services,
avaittrop de force pour ceder au premier choc. Meme a une
epoque tardive, il se retrouve tout entier pourlancer â Scapula
une apostrophe eloquente, ou venger la Trinite des attaques
de Praxeas. Mais le vieux lutteur portait au flanc une plaie pro-
fonde. Saint Jerome assure que Tertullien fut en buLte aux
mauvais procedes des clercs romains, qu'il rend plus ou moins
responsables de sa chute. Nous ne pouvons pas verifler cette
assertion ; mais il est clair que dos froissements d'amour-pro-
pre s'ajouterent aux tendances montanistes pour accelerer la
crise, et nous constatons Ies ravages produits dans l'âme de
l'irascible apologiste. On Ic savait coutumier des assertions
trancliantes : desormais il s'exaspere sous la contradiction, jus-
qu'ăenoncerles plusmonstrueuxparalogismes. Profondement
aigri, bientot il retourne contre Ies psychici Ies memes calom-
nies que jadis il repoussait avec indignation. Si l'âprete du ca-
ractere fut le facteur principal de cette decadence, nous voyons
que l'espriten subitle contre-coup.
THEOI.OGIE DE TEKTULLIEN. 32
498 THEOLOGIE DE TERTULLIE^V.
L'erreur, qui amoindrit Tertullien, ne ruina pas ă jamais son
autorite. Apres l'apaisement de la tourmente montaniste, on
revint k ses ecrits ', comme â une mine precieuse. Les Grecs,
â l'cxception d'Eusebe, paraissentl'avoirpeuconnu; mais tpute
la tradition latine repete ses formules et releve de sa pensee .
Les Peres duiii'^ siecle evitent de le nommer; mais saint Cy-
prien et Novatien s'en inspirent constamment. Ceux du iv^ et
du v*^ ne craignent plus de prononcer son nom, et melent di-
versement l'eloge et leblâme. Lactance, saint Optat, saint Pa-
cien, saint Ililaire, saint Jerome surtout, saint Augustin,
Vincent de Lerins, pour ne citer que des noms illustres, re-
courent â lui. Ranges parmi les apocryphes dans le decret de
Gelase, seslivres furcnt oublies aumoyon âge. La Renaissance
les remit en honneur. Cat horame qui exorga sur son temps une
influence profonde, et parfois troublante, est redevenu pour
nous un des temoins les plus notables j|e_ l'antique foi. Une
science curieuse des origines aimera''toujours~lbinterroger sur-
les debuts de la theologie occidentale celui que not^e Bossuet
appelait le grave Tertullien.
I. Les tnicos laisscps par Tertullien tlaus lalitteratui'c patristiquo oul
cte, reeiieillies par les anciens (kliteui'S ; de, nos joui'S, avec plus de soiu
par M. Efw. l'i-(uisclien (ap. [larnack, A. C. L, 1 p., 607-687), et beaucoiiji
pluscompletement parM. Ilarnack, dans un aiemoiroârAcadeiuiedeBci--
liii (Silz. BerîchL, 1895, p. 545-579), quilui-mome a besoin d'etro complete.
Nous analyserons, dans un appcndico, la pârtie documentaire de ce tres
docte travail.
APPENDIGE
TERTULLIEN DEVA>;T LES PKRES.
D'apres Harnack, Sitzungsberichte dei- Konigl. Preuss. Aka-
demie der Wissenschaften zu Berlin (1895), p. 561-579.
1. Hippolyle. — Ne iiomnie pas T., niais a du utiliser le trăite Adv.
Apelleiacos dans sa Rofutation des heresies, 7, 12, 38 et Ies traites contre
Hermogene, ib. 8, 4, 17; 10, 28.
2. Minucius Felix. — Sa position ă l'egard de Tertullien demeure mal
eclaircie.
3. AnonymiK depascha computus (datant de '242/3, d'apres c. 22). — Oii
lit c. 17: in tm/slerio noslro, qui sum,us lertium gonus honilnum, allusion pos-
sible â 1 N. 8, ete.
4. Cyprien. — Ni dans Ies traites do Cyi>rien, ni dans sos Icttres ct celle
de sos correspondants, T. n'ost noninx'. Mais on reconnait sa traco dans
De uratione dominica, De bono paiientiae, De habilii virg., Ep. 55. 73, soit pour
la pensee soit pour I'cxpression. Notcr surtout la doctrine sur la Trinite,
le Christ, la ponitcnce, la tradition. Au rosto, Cypi-icn nommait T. son
maître. Cf. Hieronym., V. UI. 53; Ep. 81, 2 Ad Pammach. — Coniparer Cy-
prien, Ep. 55, avec Pud.
5. Novalien. — Les enii)runts â T. sont flagi'ants dans Ies ouvragos —
authentiques ou supposes — do Novatien, et le j)arallelisme dos titros
tres remarquablo :
Novatien : l)c Trinitate — De circumcisione — Do cibis judaicis ■ — De ora-
tione — De bono pudicitiae — De spectaculis — Qtiod idola dii noii sini.
Tertullien : Prax. — De circumcisione (perdu) — De animalibus niundis
el immundis (perdu). — Or. — Pud. — Sp. — Ap.
6. Xyste II, pape. — (?) Auteur possible du trăite pseudocyprianique
Ad Noval'ianum (Harnack, T. U. 13, 1). Cct ecrit utilise Praeecr., sans le
nommer. Comparer Ad Nov. 13 et Pr. 42; Nov. 14 et Pr. 4. On lit, 12 :
Desine unius capiLuli praescriplionc lerrere.
7. Dcnys, pape. — Dans VEp. adv. Sabellianos dont Athanase a conserve
un fragment considei'ablc {Epistola de decretis Nic . Synod., 26), dopendde
Prax. 2-11.
500 THEOLOGIE DE TEIiTULLIEN.
8. Viclorin de Peliau. — Si, comme on a licu do 1(; croire, i! est l'au-
teur du trăite adv. omnes haereses, anncxe â T. De praescr.. a utilisci, ou-
tre le Synlagma d'Hippolyte, T. Adv. Apelleiacos ct Prax.
9. Commodien: — Depend de T., au temoignage do Gcnnade (K. ill. 15),
au moins dans Ia question du millenarisme. Ceei doit visor l'ocrit perdu
De spe fidelium. /
10. PseudoterluUianeum carmen adv. Marcioneml — Date probablement
du ivsiecle, ot s'appuie toutenticrsur rAntiniartion de T.
U. Lactance. — Le premier ă nornmer T., Inst. div. o, 1, 23. — Nom-
broux points do contact avec Ap., Prax., Scap\, rcloves dans l'edition
Brandt. \
12. ffosius de Cordoiie et la formule de Nicee. — .^u rapport de Socrate,
//. E. 3, 7, llosius, dans un sejour â Alexandrie, avânt le concile, s'occupa
d'o'jsîa et d'uTtooTaoiţ. Or ri3(i.(jo-j!7io; est a rapprochor de Prax. 2. 3. 7. 8. 9.
26.
13. Eusebe. — Seul ecrivain grec dont on puisse niRrmcT qu'i! connutT.
Possedait une traduction grccque do l'Apologetiquc — d'aillcurs lointaine
et insuffisante. Voir //. E. 2,2, 4; 2, 25, 4; 3, 20, 9; 3, 33, 3; 5, 5, B.
14. AUercalio Heracliani laici cum Germinio episcopo Sirmiensi. —
Ecrit de l'annee 366, (iditeparCaspari {Kirchenhistorische Anecdota, ISS'S).
On lit, p. 143, une formule de foierapruntee presque mot â mot â Ap. 21.
Et p. 142, on a probablement une rominisccnce de Prax. 2o. — Ne nomnu>
pas T.
15. OplaC de Milcve. — Do schUm. Donai. 1, 9, nomme T. entre autres
assertores ecclesiae calholicae; — ib. 4, 5 : on voit qu'il connaît Marc, Prax.,
c. C, Scorp; — 3, 3 : a Iu Apologet., 29-34.
16. Zenonde Ke'rone.— Rapprochements de textes dans Oelilcr,t. 2, p. 482.
17. Lueifer de Cagliari. — Moriendum essepro Filio Dei, 13, cite Scorp.
5. — Ib. 4, formule christologique inspirce de Or. 1, Ap. 21.
18. Hilairc de Poitiers. — Dans son De Trinitate, depend surtout des
Grccs. Neanmoins a Iu T. De oratione. Note sur Mat. 5, 1 : 'ferlullianus hinc
volumen aplissimum scripserit, sed conseguens error hominis detraxit scrip-
lis probabilibus auctorilatem.
19. Pseudopolycarpe. — Fragm. 2. Allusion prol)ablo k,Pr. 36.
20. Ambrosiaster. — Tandis que ies ecrits authcntiquos d'Ambroisc ne
presentent aucune traco de T., Y Ambrosiaster le nouuno deux fois, in Rom.
5, 14 ct in 1 Cor. 13, 2.
21 'et 22. Paciert de Barcelone et Ies Novatiens de son tomps. — Pacien,
Ep. 1, ti'anscrit plusieurs passages de Paen. DeEp. 3,24, ou peut conclure
qu'il connaît aussi Pud. 21.
23. Philastre. — Ne nomme pas T., mais a du l'utiliser, comme ii rcs-
sort do Haer. 89. 126. 80 (?) surtout 51. 55.
24. AUercalio S. Ambrosii contra eos qui animam nun confilentur esse
factura/n aut ex traduce esse dicunt. — Apocryphe, edite par Caspari (1883).
Contient, p. 229, une allusion probable aulivro perdu Decensu animae adv
Ilermogenem.
TERTULLIEN DEVANT LES PERES. 501
25- Paulua scnex Concordiae. — Ci'. Ilioi-on., V. UI. 53.
26. Nepolianus. — Cf. Hieron., A'p. 60.
27. Chromatius, Jovinus, etc. Cf. Hieron., Ep. 7, 'S.
28. MarceUinus el Anapsychia. Cf. Hieron., Ep. 120, 1.
29. Helvidiua. — Cf. Hieron., arfi' 'Iclvidium.
30. Jerdme. — Cest le grand temoln de TertuUien :
Vir. UI. 4 (cf. (?) 1 C. /■- 3) ; 5 (cf. Pud. 20) ; 7 (cf. D. 17) ; 18 {De spe fide-
lium); 24.40 {De ecslasi}; 53 (capital) signale Pud., Fug., Jej., Monug., De
ecslasi. commo hi'retirnios; 70 (cf. Prax). — Cbronicon, ad ann. 2224; ad
2014(cf. ./. 8). — Ep. 5 {coli. v. IU. 53); 7, 3 (cf. B. 1); 21, 3 (cf. Pud. 9);
22, 2 {Ad aratcum pliUosophum, et âcrits sur la chastete) ; 30, 1 {De anima-
libiis mundifs el Immundis ; De circumcisione); 48, 13. 18 sq. (cf. -l M. 9?)
58, 10; 60; 02, 2;C4,23(fle Aaronventibus); 69, 1 (cf. B. l) ; 70, 5 {Ap., 1.
2 .V.);84,2; 85, 5 (.4n. .39?); 107, I (cf. Ap. 18; Test. 1); 123, 13 (cf. M .);
123, 14 (cf. Ex. c. 12) ; 126, 1 {An.). — De perpetua virginUate B. Marlae
adv. Belvidium, 1/ (cf. V. v. 6 ou c. C. 23 (?) ); 20. — 1 Adv. .Jovinianumt
7-9; 14-16, 18. 19. 25 (cf. Monog. 3-6.8. 13-17); l'S {De angustiu nupliarum) ;
26 {Pr. 36). — 2 Adv. Jovinianum, 15-17 {Jej.). — Adv. VtgUanlium, 8
{Scorp.).[— 2 Adv. Ubros Riifini, 8. 10 {An.): 19. ~3 Adv.libros Riifini, 27;
30 (.!«.). — Commentarioli m Psalmos (Morin, ,4«(?cfl!. Maredsol. 3, 1, 3)
Ml P.s. 1 (cf. Sp. 3); cf. Hieron. ia Mat. 27, 57. — Comment. in Danielem 9
(p. 691 sq. Vall.) tran.scrit une grando pârtie do .1. 8. — Praefal. ad com-
ment. in Abdiam {cÂ. 1 M. 1). — Comment. in Isaiam, 1. 8 praefal., coli.
praefal. ad comraenl. inEph.; 1. llpraefat. (cf. /. 8); I. 18 praef. {de spe
fideliitm) (?). — Comment. in Gal. 1, 8 (cf. Pr. (i (?), c. C. 6 (?) ou adv.
Apelleiacos). — Comment. in TU. l, (> {Monog.). — Hehr.quaest.in Gen. 1, 1
(cf. Prax. .5). — En somme, sont attcstes : ./., Ap., N., Sp., B., C. /'. (?), Pr.,
M.,Scorp., An.,'c. C.,Prax., Fug., V. v. (?), lix. c. Pud., Monog., ,Jej.;
outrc j)lusiciii-.s ocrits perdus.
31. Bu/in. — Connaît Ap., qu'il citfi parfois d'aprcs roriginal dans sa
trad. d'Eusebc; An. (d'api'^s Hieron., 2 Adv. Bufin. 8); attribue â T. Io De
Trinitate de Novatien (Hieron., V. UI. 70): M. (d'aprcs De adulter, libr.
Orig.) ; eut entre Ies mains un exomplaire de T. (Hieron., Ep. 5).
32. Priscillien. — L'aui-ait connu, d'apres Schep.s, opp. Priscill., p. 169.
33. Prudence. — A dîi lire M., c. C, Prax., (?) Pal.
34. 35, .36. — Augustin, Piilage, Julien d'Eclane. — Commc Cj'prien,
Augustin n'aimo pas â citer T., (pas meme 2 De doctr. chriat. 40 (61), parni i
Ies grands ecrivains latins). — Haer. 86 ; la fin des Tertullianistes car-
thaginoi.s (ontrcs dans Io giron de l'Eglise sous l'episcopat d'Augustin).
— Ep. 190, 14 (cf. Prax. 7). — 2 De anima et ejus origine, 5, 9. — 10 De
Genesi ad litt. 25 sq. ou 41 sq. (cf. An. 6. 7); ih. 44 (cf. An. 37). — C. D.
7, 1 (cf. 2 A". 9). — 2 Op. imperf. 178 {An. connu do .lulien). — 3 De jiecc.
mcr. et remins. 10 (= 18) (.4»!. connu de Pâlage).
37. P.feudo-augmtin : Quae.it. V. et A'. T. — Connaît /. 8.
38. Vincent de Lerinx. — Commonitorium, 18 (24). Jugcment important.
39. Leon 1, pape. — Dans son Epistola dogmatica au concilo do Chalce-
502 THEOLOOIE DE TERTULLIEN.
doine (Ep. 28) s'inspire de T., sans le, nommcr. Comparer lEp. 28, 3. 27.
et Prax. 27 ,■ ib. 29 et c. C. 5.
40. Claudicn Mamert. — De stătu animae, debut, eniprunt a Prax. 3.
41. Anonyme africain de 463 (ap. Migne, P. L. 59, 519 sq.), edite par Ba-
luze. — P. 544, souvenir de Ap. 5.
42. Praedeslinatus . — H. 21 (cf. M.}; 26 (cf. De ecstasi, /lre.);86, cf. Au-
gustin, Haer. 86; 60, sur Ies Prooliauistcs (secte docete), Ilarnack signale
un fragment, jusqu'ici non reconnu, de T. (du livre De censu animaeodv.
Hermogensm?), âont on pout rapprochor c. C., passiio.
43. Cesaire d'Arles. — Parait s'inspirer de T. Voir Arnold, Caesarivs
von Arelate (1894), p. 325.
44. Fulgence deliuspe. — De verii, praedest. 3, 21, 33 (cf. Prax. 7).
15. Fulgence Planciade. — Expos. sennon. antiq. ad Chalcid. {6(1. Paris,
1614, p. 653) cite T., de fato (cf. Ţ. lui-meme, An. 20).
46. Gennade de Marseille. — Vir. ill. 15, afflrme quc Comm'odien de-
pend de T. ; 25, sur son millenarisme, d'apres Hieron., Vir. ill. 18.
47. Decret de Gelase. — Range Ies ecrits de T. parnii Ies apocr3'phe.s.
47 b.Caniodore. — Chronic.]}.l4i, ed. Momnisen(suit llieron., Chronic.).
48. Isidore de Seville. — Dans ses Origines, a reproduit de norabreux
passages deT., einpruntes notanmientâ/4iB., A'., Or., Paen., Cor., Idol., Sp.,
Pr.jScorp., B., .lej., Monog., V.v. — Voir Klussmann : Excerpta terltUHa-
neain Isidori ffispal. Elgmol. (Eumhoarg, 1892), ou Preuschcn dans A .C.L.l,
686 sq.
49. Pseudoprimasius. — Preface au comment. in Uebr. (/'. L. 68), sur
i'attribution de cotte Ep. a Barnabc.
50. Notes anonymes au trăite d' .Augustin de haeresihus. — Rcjetees par
Ies Bcncdictins parce qu'elles ne se retrouvent pas dans Ies mss., ees notes
paraissent pourtant de bonne epoque — peut-etro du v s. — ; dans l'une
d'oUos, in H. 24 (par orreur, au Ucu de 23), Ilarnack a reconnu un frag-
ment du trăite pordu Adv. Apclleiacos, precieux pour riiistoire du gnos-
ticisme.
Addenda. — 2. — M. Ilarnack admet aujourd'hui que dans TOctavius,
Minucius Felix a utilise Ap. et N. (Voir Chronologie, t. 2, p. 324-330). Nous
ne pouvons nous ranger â cette opinion, et nous aurons .sans doute oc-
casion d'e.xposer aiUeurs Ies raisons qui nous font regarder TOctavius
comme une des sources oii a puise Tertulien.
5 a. — Les Tractatus Origenis de Uhris SS. Scripturarurn, edites par
M^' Batiffol (Paris, 1900) offrent des points do contact avec T. II y a plus que
des points de contact dans le trăite 17% qui n'est qu'une compilation de Ii.
8. 9. 47. 48. 49. 51. Assurcment Origcne n'a pas piUe TortuUien. Mais ces
emprunts s'expliquent facilement si, pai' exemple, comme on l'a suppose,
ces traites, mis sous le nom d'Origene, sont une production romaine,
contcmporaine de Novatien.
30. — Hieron. Adv. Luciferianos, 8 (P. L. 23, 164) : Etiamsi Scripturao
auctoritas non subesset, totius orbis in liane partem conscnsus instar
TERTULLIEK DEVANT LES PERES.
503
obtinoret. Nain ct uiulta alia, quao per traditionem in ecclesiis observan-
tur, auctoi-itatcm sibi Scripturae ct Lcgis usurpavcrunt, velut in lavacro
ter caput mergitare, deinde egressos lactis et mellis pracgustare*concor-
diani. — Reininisconce evidente de Cor. 3 (Rigault).
PASSAGES DE TERTULLIEN
An. 1
10
11
12
13
14
IS
16
18
19
20
2'2
23
24
2, 112, 113, isri,
154, 255, 268.
113, 13fl, 137.
2, M, 62, 112, 113,
ISi.
62, 113, 135.
62, 113, 115, 135,
137, 138, 13SI.
63,89.114,115,116,
135,137,139,140.
63, 116, 135.
116, 1.35, 140.
63, 81, m, 135,
137, 220, 268, 308,
322, 452, 476.
118, l.?5, 138, l:!<».
46, 112, 117, 118,
135,231,248,323,
371.
119,12), 139, 231.
119.
120, 137, 231, .334.
120, 135, 137, 1.39,
225, 367.
56, 120, 135, 138,
199, 231, 265,, 366.
121, 135, 1.37, 1.3U,
.367.
121, 135, 322.
122, 1.35, 130.
81, 122, 135, 137,
1.38, 157, 366.
46, U2, 118, 122,
1.35,137,141.231,
265, 268, 271.
46, 112, 122, 128.
155, 13».
61, 110, 123, 138.
155, 231.
46, 112, 12.3, 133,
138.
124, 137, 140, 158,
2,31,277, 366.
26
27
28
2î)
30
31
32
33
34
33
36
37
38
39
/lO
Âl
ASt.
13
44
4»
46
47
48
49
80
SI
82
83
86
87
124, 1.35.
124, 135, 137,
266.
45, 125, 1.36.
125, 1.36.
68, 125, 136,
125, 136, 231.
68,81.125,136
125, 1.36.
125, 1.36.
68, 125. 133,
357, 358.
125, 136.
126, 135, 136,
126, 2(JB.
126, 136, 154,
266.
127, 135, 136,
366.
.38, 127, 135,
266, 268.
127.
127, 1.36, 137.
128.
128, 136.
68, 128, 136,
158.
M, 128, 136,
452.
129, 1.36, 159,
129.
129, 1.36, 231.
129, 1.34, 136,
130, 136.
1.30, 136, 1.56.
1.30, 136, 138.
131, 132, 134,
443, 452.
131, 132, 1.37.
132^ 137, 157,
357, S58.
133, 134, 137,
450. .
231.
, 366.
136,
155.
265,
266,
13li,
138,
158,
314.
158,
1.53,
Ap. 1
2
3
4
8
6
7
8
9
10
11
12
13
14
ÎS
16
17
18
19
20
21
23
28
26
10, .378, 422.
.313, 379, 380, .387,
388, 422.
.381.
.381, 387.
23, 382, .383. .386.
310, 384.
26, 27, 201, 310,
320, .322, 389.
27, 277, .310, .389.
27, 277, 278, 287,
310.388,389,46».
44, 385, 390.
37, 45, 390.
38, 366, 390.
38, 366, 390.
38, 390.
38, 322, 357, 358,
366, 390.
.38, 308. 319. 357,
358, 390, 47(i.
1. 5, 38. 279, 357.
358, 391.
5, .36, .39, 221, 224,
'2.32,279,280,391,
427.
6, 223, 226, 255,
281, .391.
7, 221, 391.
3, 4, 5, 23, 24, 35,
61, 82, 98, 158,
160,196,197,223,
236,280,315,366,
391, 404, 408.
154, 155, 156, 157,
1,58, 391.
26, 46, 98, 154,
138,160,161,358,
359, .391.
37, 46, 366, 390,
.391 .
37, 46, 159, 391.
37,46, ,391.
506
THlîOLOGIE UE TERTT3LLIEN.
27 'p6, 154, 157, 160,
161, 3«0, S91.
28 398.
29 398.
30 316, 398.
31 399.
32 68, 15'!, 160, 277,
303, 39S), t,ll6.
33 399.
34 400.
35 161, IlOO.
36 29, 279, 'lOl.
37 11, 160, 220, 279,
401, 415, 422, 'l23.
38 408, 409, 421.
39 30, 214, 219, 220,
279,303,310,313,
350, 409, 421,
422, 446.
40 410, 421.
41 28L 410, 421.
42 106, 315, 410, 415,
421.
43 411, 421.
44 29, 388, 411, 421.
48 29, 255, 277, 412,
421.
46 2, 26, 68, 154, 160.
426.
47 131, 159, 201, 224,
255, 322, 427.
48 145, 146. .357. .',58,
427.
49 427, 428.
50 31, .32, 429.
B. 1 220, 317, 322,
a 34, 318,324.
3 65, 247, 325,
334.
4 65, 155, 247,
322, .325,. 333,
a 22, 117, 155,
325, 366.
6 155, 215, 267,
326, 3.36, 491
7 267, 326.
8 215, 267, 326,
9 250, 251, 309,
10 170, 236. 280,
335, 336.
H 328, 335.
12 .322, ,328, ,335.
13 280, 322, 326,
,337.
14 ,329.
ÎS 231, ,329, ,335.
16 330, 336, ,357,
17 219, 220, 230,
3,30, 492.
18 266, 281, 330, 3,36,
339.
19 308, 331.
20 220, 268, 317, 331,
332, 337, 343.
, C. 1
3
7
8
9
10
11
12
13
14
13
16
17
18
19
20
21
22
33
24
23
185, 232.
185.
66, 111, 155, 186,
266.
186.
25, 34, 91, 187.
62, 102, 110, 155,
188.
170, 188, 197.
110, 155, 188.
189.
189.
62, 80, 189.
121, 141, 190.
190,
98, 155, 156, 157,
191, 2,36, 237,
1,55, 191, 250.
182, 192, 199.
14, 156, 192, 197,
230.
193, 239.
98, 194, 233, 240.
194, 197, 280.
16, 195.
16, 195, 366.
196, 197, 226, 253.
197.
193.
Cor. 1 415, 433, 454, 455,
477, 492.
2 220, 253, 317.
3 219, 258, 259, 308,
311, 312, 315,
316J 317, 324, 3,34,
341,369,476,492.
4 225, 260, 296, 299,
451.
3 415.
6 157, 231, 262, 296.
7 415.
8 157.
9 200.
10 415.
11 160, 277, 314, 322,
415.
12 415.
13 415.
14 200.
ÎS 1.59, ,3,59.
IC.f. 1 289.
2 156, 160, 225, 289,
292.
156, 22:1, 225, 226,
228, -1,^2.
156, 28jl, 292, 366.
289, 2<)2.
290.
290.,
2 C. f. i 278, 290.
2 277, 290.
3 291.
4 291 .
o 291.
6 291.
7 291, 296.
8 157, 292, 308.
9 278, 292, 314, 446.
10 156, 158, 225, 292.
11 158, 292, 308.
12 298.
13 293.
Ex. C. 1 466.
2 269, 466.
3 252, 264, 466, 469.
4 268, 466.
5 366, 371, 467.
6 220, 822, 446, 467.
7 216, 219, 220i 308,
467, 473, 493.
8 467.
9 468.
10 305, 309, 452, 468.
1 1 ,308, 315, 468.
12 277, 468.
13 159, 322, .366, 468,
474.
Fug. 1 228, 314, 450, 455_
2 1.57, 302, ,304, 455 i
3 II, 214, 4,56.
4 81, 456.
o, 456.
6 234, 4.56.
7 457.
8 457.
9 68, 228, 452, 457.
10 457.
11 220, 457, 492.
12 403, 458.
13 266, 458, 493.
"" 14 308, 450, 458, 476.
II. 1 46, 201.
2 46.
2 47, 90, 94, 95, 105.
4 47, 61, 366.
5 47, 268, 366.
6 47.
PASSAGES DE TERTCLLIEN.
507
7 'i7, «0, 366.
20
420.
9 39, 52, 201. 460.
B 'i8.
21
420.
10 39, 52, 98.
9 /l8.
22
421.
11 52.
10 '■«.
23
421.
12 53.
11 li».
24
215, 421.
13 53, 106,322.
12 .')«.
14 53, 107, .323, 356,
13 «).
Jej. 1
300, 313, 314, 454,
360, .368.
14 'lO.
475.
ÎS 53, 165.
18 M.
2
174, .Î13, 314, 451,
16 54, 225.
IG W.
475.
17 39, 54.
17 M.
3
265, .ţnO, 454.
18 .39, .54, 382.
18 'iS, *l, 95, 2.^9.
A
.300.
19 53, 54, 98, 165.
19 49, 222, 2S2.
S
300, .Î14.
20 54.
20 W, 104, 222, .22.'i,
6
234, 300.
21 .55.
2S9.
7
.300, 322.
22 55. 201.
21 50,105,225.
8
301.
23 .36, 55, 66, 360.
22 50, 105, 2S9.
9
235, 301, 314, 322,
24 55, 141.
23 50.
,342.
2S 55, 366.
24 50.
10
.314, .316, .342.
26 56.
23 50.
U
174, 224, 314, 451,
27 56.
26 50.
4.52, 454.
28 56, 118, .336.
27' 50.
12
174, 301, 311, 314.
29 56, 294, 336, 371,
28 50.
451.
376,377,460,461.
29 .50.
13
218, 219, .313, 314,
30 50, 65, 247.
322.357,358,359.
2 M. 1 56.
31 50, .Î66.
14
.307, 308, 314, 475.
2 34, 56, 454.
32 50, 65, 247.
ÎS
109, 301, SOS, 314,
3 56, 366.
33 50, 105, 366.
475, 476.
4 56.
34 50, 243.
16
1,59, .301, 309, 314.
» 57, 268, 269.
3S; 50, 62.
17
301, 311, 314.
6 57, 269.
36 50, 366,
Jud. 1
2
3
8.
230, 262.
262, 277, 278.
7 57, 67, 269.
37 50.
8 57, 101, 155. 271.
38 50.
y 57, 80, 119, 231,
39 50.
40 50.
4
225^ 262, .366, 476.
262, 308, 309.
2S3, 269.
10 57, 68, 157, 250,
41 50.
42 50.
6
7
8, 262. 308.
9, 10.
269, 271.
11 .58,67.
43 59.
12 58.
44 50, 82, 109.
8
9, 11, 12, 1.3, 165,
13 58.
4a 50, 239.
174, 223, .307.
14 58.
9
9, 14, 15, 16, 23,
Idol. 1 276, 357, 358, M6.
156.234.251.322,
366.
18 58.
16 58, 63, 64, .366.
2 275, 276, 367, 416.
17 59, 214.
10
9, 17, 18, 19, 235,
3 417.
2.36,237,251,307,
18 59.
4 225, 417.
360.
9, 18, 20, 237, .322.
19 59.
5 319, 417.
11
20 59, 277.
6 417.
21 59, 476.
7 370, 417.
12
9, 20, 234.
22 59.
13
9, 14,16,18, 19,20,
8 417.
2.36, .322, 357, .358.
23 59.
9 156, 417.
24 59, 231, 285.
14
9, 21, 234, 2.50, 251.
10 418.
309,358,3.59,369.
2S 59, 250.
11 315, 418.
26 59.
12 418.
1 M. 1
51, 201, 496.
27 34, 59, 102, 322.
13 418.
2
50, 51.
28 60.
14 308, 419.
3
51, 366.
29 60.
IB 136, 225, 403, 419.
4
52.
16 419.
o
.52.
3 M. 1 162.
17 419.
6
52.
2 162.
18 225, 419.
7
47, .52. 225.
3 24, 163.
19 322, 416, 420, 477.
8
52, 36(1.
A 163.
508
THEOLOGIE DE TEUTULLIEN.
5 163, 24S.
6 98, 101.
7 V\, 21, 234, 250,
251,309,."i58,:i59,
369.
8 163, 187.
9 68, 102, Iii, 188.
10 102, 186, 358, 359.
11 155, 186, 187.
12 9, 10, 14, 197, 231.
13 14, 197, 243.
14 15, 228, 234, 24.'ţ.
18 15 164.
16 15, 98, 2,50, 251.
17 16, 17, 197, sae.
18 17, 235, 237, 251.
19 18, 19, 236, 360,
361, .%2, .363, .364.
20 9, 10, 20, 2.34, 251.
21 20, 214.
22 20, 214, 2.34, 235.
308, 316.
23 20.
24 1.33, 134, 1«'(, 250,
358,359,446,447,
45).
4M. 1 164, .308.
2 164, 223, 227, 237.
3 164. 237.
A 164.
8 164, 210, 216, 227.
228.
6 164, .357, 358.
7 53, 162, 165, 227,
236.
8 115, 166.
9 l«i, 175, 199, 214,
273, 357, .358.
10 167, 250, 3.58, 359.
11 167, 21,5, 222, 231,
.336.
12 168, 357, ,358, 476.
13 168, .358, 359.
IA 168, 231, 233.
18 168,2.34.
16 169, 226, 279, 358,
.3.59.
17 109, 277.
18 98, 169, 268.
19 170,188,197.
20 171,2.36,280.
21 .34, 98, 171, 199.
22 171, 357, 358, 453,
454.
23 171, 357, .358.
24 172, 277, 357, .3.58.
28 100, 172, 236, 237,
278,280,358,359.
26 170, 173, 302.
27 173, 2.36, 278, 280.
28 173, 234, 268.
29 174, 2.39.
30 174, 476.
31 174.
32 174.
33 170, 174.
34 131, 174, 175, .322,
.366,.371,461,462,
463,464,465,470.
38 167, 175, 199, 251.
36 16, 175, 278.
37 176.
38 23, 176, 201, 245,
403.
39 24, 17(i, 237, 250.
40 18, 98,176, 250, .307,
362, 363, 367,370.
41 18, 176, 250.
42 18, 176, 187, 2.34,
251.
43 19, 25, 176, 187.
5M. 1 177, 206, 227, 250,
322.
2 177, 206, 227.
3 54, 177, 238, 240,
241, 281.
4 178. 187, 215, 223,
233, 2.38, 278, 322.
5 34, 179. 251, 322.
(i 179, 246, 322.
7 17, 180, 187. 246,
251,252,307,322,
371, 464.
8 17, 156, 170, 174,
180, 201, 268,
323, 364, 453.
9 20, 142, 146, 180.
10 133,146, 151, 153,
180, 187, 238, 253,
281. .307, 3.36.
11 17, 26, 160, 181,
222, 223,236,247,
280, .368.
12 131, 157, 181, 215,
241, .358, 359.
13 181, 238, 246, 278,
281..
14 182, 187, 192, 199,
253, 279, 322.
18 62, 182, 238. 242,
371.
16 183, 2.30.
17 158, 183, 187, 229,
238, 246,251,268,
.322.
18 156, 1,58. 184, 238,
244, 323, 371.
19 102, 184, 201, 2.39.
20 184, 187, .3^0, .361,
366.
21 228.
Mari. I 215, 271, 279, .350,
430.
2 309, 430.
3 271, 322, 430.
4 272, 430.
5 430.
6 430.
Mon. 1 371,454,469.
2 214, 450, 469.
3 252, 451, 469.
A 254, 367, 470.
8 323, .367, 470.
6 326, 361, 367, 470.
7 215, 220, 375. 446,
463, 470, 493.
8 196, 197, 232, 471.
9 465, 471.
10 134, 308, 315, 357,
358, 472.
11 220, 2.31, 233, 241,
266, .322, 367, 375,
376,461,463,472.
12 219, 220, 473, 493.
13 473.
14 271, 451, 474.
18 474.
16 474.
17 159,225,474.
1 N. 1 378.
2 379.
3 201, 379.
4 27, .381.
8 28.
6 381,407.
7 277, 320, 386, 389.
8 .366, 411.
9 410.
10 315, 367, 382, 384.
11 .390.
12 3.56, 358, 366.
13 .308, 476.
14 390.
18 277, 389.
16 322, 356, 358, 389.
17 401,404.
18 429.
19 429.
20 201,411.
2 N. 1 41, 201.
2 42, 68, 201, 255.
3 42, ,366.
4 42, 255.
3 42.
PASSAGES DE TEUTULLIEN.
509
6
fl2.
10
214, 287,
341,
.345.
29
208, 268, 448.
7
43.
11
236, 287,
289,
300.
30
46, 208, 214, 216,
8
39, 43.
12
287, 339,
342.
489.
9
43.
31
209.
10
43, 357, 358.
Pal. 1
208, 429.
32
209, 215, 216, 219,
11
43, 44.
2
226, 429.
322.
12
44, 226.
3
429, 496.
33
46, 209.
i;s
45.
A
429, 492.
34
210.
lâ
45.
3
429.
38
210.
is
45.
6
429.
36
197, 210, 216, 221 ,
16
45.
223,224,2,56,322.
17
46.
Pal. 1
3
282.
282.
326,327,357,358.
.369, 492.
Or. 1
2
98, 223, 302.
215, 302, 491.
3
200, 280,
358.
282.
.357,
37
38
211, 224.
211, 242.
3
156, 302.
4
283.
39
212, 242.
A
b
238, .303.
238, .303, 358,
446.
359,
S
6
157, 265
279, 280,
276
281,
283.
283.
40
26, 158, 159, 160,
212, 323.
7
283.
41
212, 21/1, 219, 220,
6
308, 365, 366.
8
237, 283.
317, 218, 320, 323,
7
278, 304, 342.
9
283.
420.
8
S04.
10
284.
42
208, 213, 214.
9
238, 304.
11
284, 3(i6.
43
213, 214, 323.
10
.304.
12
276, 278,
284,
322,
44
213, 280.
11
277, 305.
464.
48
213.
12
.305.
13
284, 455.
i;i
305.
14
284.
Prax. 1
68, 217, -'141,454.
14
305, 316.
18
284, .342.
2
68,69,81,100, 201
18
305.
16
159, 285.
239,256,257,322.
16
229, 305.
3
69, 81, 83.
17
18
19
305, 316.
.307, 308, 313,
308, 312, 314,
317.
369.
Praescr.
2
3
1 201.
202.
202, 226.
4
3
66, 70, 81, 83, 84,
96.
70, 81, 83, 86, 89,
20
228, 317.
4
202.
92, 94, 95, 113,
21
98, 295, 317, 4
77.
3
202.
231, 233, 367. ■
22
156, 197, 253,
295,
6
158, 202,
242.
6
71, 87, 95.
317, 477.
7
2, 202,
225,
242,
7
61, 62, 71, 81, 83,
23
308, .314, 315.
496.
90,91,92,93.100.
24
316, 369.
8
203, 252,
448.
239.
2'j
316.
9
35, 203, 252. 280.
8
72, 81, 83, 84, 86,
26
316.
10
203, 280.
92, 96, 231.
27
317.
11
203.
9
73,81,83,100,101.
28
306, 309, 492.
12
203, 242.
10
35, 66, 73, 83, 84,
29
306, 316.
13
197, 204,
256.
90,91.
Paen. 1
36, 66, 262, 285.
14
204, 242.
11
74, 81, 83, 84, 101,
2
262, 268, 270,
285.
13
204.
357, 358.
3
262, 263, 270,
272,
16
204.
12
74, 81, 94, 96.
277,286, 357
,358.
17
204, 242.
13
74, 86.
i.
270, 286, 339.
18
205.
14
75,98,101,102,171,
5
.39, 157, 270,
281,
19
205, 213
237, 2,39.
286.
20
205, 214
322,
366.
13
76, 224, 239.
6
68, 220, 270,
281,
21
206, 214,
228,
366.
16
76, 101, 102, 222.
286,317,326
,331,
22
197, 206,
214,
216,
17
77, 100.
337, 338.
227, 319, 448.
18
77, 81.
7
273, 286, 339,
340,
23
207, 227.
19
77, 110, 155, 239.
345, 355.
24
131, 207.
20
77, 81, 224, 239,
8
254, 287, 340,
345,
28
207.
243.
488.
26
207, 214,
319,
.322.
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510
TIIKOLOGIE DE TERTULLIEN.
2.4 77, SI, 359.
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514
THEOLOGIE DE TERTULLIEN.
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Judic. 2 430.
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1,11 235,301.
2,8 168.
4.17 301.
10,12. .-. . 119.
16,7 293.
21,6 168.
28,6 132.
2 Reg.
3 Reg.
12....
4,17. .
13,21.
17....
19,12.
21.29.
181.
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171.
172.
181.
'I Reg. 1 172
2,24 172.
4,23 168.
4,42 171.
6,4-7 18.
15,29 16.
16,9 16.
20 181.
Judith 225.
Job 1,6 157.
1,12 4.55.
2,1 157.
2,6 455.
9,8 77.
21,10... . 226.
38,7 157.
Ps. 1,1 234.
2 18.
2, 20, 22, 71, 74, 90, 91,
171.
2,8 20, 22, 169, 176, 18.3.
3 74.
8,6 21, 73, 101, 155, 171,
191, 192.
8,7 21, 180, 184.
8,8 21.
9,18 168.
9,19 176.
17,26 468.
18,1 456.
18,5 9, 19.
21 17, 192, 243.
21,3 168.
21,7 17, 21, 171.
21,10-11.. 194.
21,17.. .. 18.
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28,3 171.
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3,10 235.
3,13 18. 168, 251.
Îs. 3,1/1 18, 168, 251.
3,15 168.
3,18 292.
5.6 21.
5,1/1 168.
5,18 236.
5,26 168.
7,9 172, 236, 280.
7,l'l l.'t, 16, 193, 195, 196,
197, 231.
7,15 l/l, 16.
7,16-8,3.. 1,5, 16.
8,/l l/l, 15, 16, 18.'u
«,l/l 21,179.
9,1 165, 236.
9,2 165.
9,6 18,191,237.
10,1 168.
a0,.33 168.
li'. 180,268.
11,1 «,16, 195, 197.
11,2 17,183.
l'l,l/|. ... 2/l7.
19,1 15.
26,19.... l/l7.
27.11.. ..19.
28,16.... 21,179.
29,13.... 18.
29,1/1.... 172,179.
33.17 16,
35,2..... 167.
.35,/l 17.
35,5 17, 23.
35,6 17.
35,10 151.
.39,6 168.
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516
îs. Îi5,5
45,7
/i5,ia. . . .
46,9
49,16
49,18
50,4
50.10
50,11...
51,7
52,5
52,7
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57.16. . ..
58,1-2...
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61
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■ 61,2-.'5...
61,10.. .
63,1
63,3.. ..
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65,2.. ...
65,13. ..
66^14 . . .
66,22 24.
Jer. 1,5
4,4
9,22
11,19...
16,16. . .
17,9. ...
31,29.. .
.32,7.. ..
32,25...
Threii. 4,20. . . .
Bar. 6,35 . . . .
Ez. 8,12-18.
9,1-3...
9,4 ....
9,5....
9.6. ...
11,23..
16.3...
THEOLOGIE DE TKRTULMEN.
197, 243.
51, 54, 58.
74.
197.
74.
167.
176.
171.
21.
168.
21.168.
168. 177.
17, 19,
192.
17, 74.
189, 191.
171.
80.
14.
18.
19, 167.
20.
234, 431.
19, 234, 236.
119, 248, 249.
17.
169, 176.
168.
74, 168.
168.
167,, .
18, 363.
172.
171, 191, 236.
19., , .
168. ,,
147.
1.47.
124.
182.
168.
18, 360.
166.
191.
58.
18.
18.
98, 237.
225.
20.
20.
18, 20, 2.37.
■in. -
20, 237.
18.
15.
21, 74, 189,
Ez. 18.7-S....
28
28,11 . . . .
28.12... .
28,1.3-16..
33,11 . . . .
.37
.37,11. . ..
48J30. ...
169.
250.
157.
.57, 157.
157.
181, 286.
147, 244, 249.
249.
164.
Dan. 2,1 129.
2,16 129.
2.34 21.
3 181.
3,92 167.
6,10 .316.
7,10 70.
7,13 18, 21, 167, 176, 191,
250.
7,14 21,234.
9,1-2.,... 11.,
9,21-25... 11.
9,26 11, 20.
9,27 11.
13-14.... 225.
Os.
1,6 .. .
1,9 .. .
2,11 . .
5,15 . .
6,1 .. .
6,6 . . .
10,6 . .
10,11 .
169.
169.
178.
19.
19.
169.
18.
226.
12,4 176, 237.
13,13 .... 226.
Joel. 2,22 . . .
2,28
2,29 . . .
2,30-31.
Am. 2,12....
.5,21 . . .
6,4 . . . .
8,9-10..
9!6 . . . .
Jon. 3-4 . . .
Mich. 5,2 .. .
18.
109,129, 180, 183,222.
180.
176.
301.
178.
168.
19.
183.
181.
14, 16.
Nah. 1,4 171.
1,15 168.
Hab. 3,2-3 .
3,8,...
3,9 . . .
171.
176.
171.
Zach. 1,9 191.
INDEX SCRIPTt'KAIIiE.
517
Zach. 1,14 191.
S,S-5 21.
4,3 171;
/|,l'l 171.
6,14 176.
7,9-10.... 279.
9,15 176.
11,12 18. ■
12,10 .... 21.
l.?,9 431.
14,4 176.
14,14.... 15.
Mal. 1,1] ,308.
■2,15 ;i(>2, 463.
4,2 147.
4,5 125.
I JIac. 2,41 22S.
7,28 105,225.
Mat. 1,20 194.
1,21 166.
2,23 166.
3,6 .331.
4,1 246.
5,3 418.
5,10 432.
5,11 457.
5,17 165.
5,23 .305. ■
5,25 133, .304.
5,26 125, 133.
5,28 120, 144, 249. 468.
5,32 175, 462.
5, .36 291.
5,37 207.
5,42 .3.30.
<>,9...... 77,302.
6,10 2.38, 303.
«,11 303, 365.
6,12-13. . . 304.
6,24 121,418.
6,25 418.
(i,27 291.
«,28 418.
«,34 304.
7,1...... 284.
7,6 207,320,331.
7,7 203, 252, .305.
7,15 202.
7,18 5i:
«41 148, 250.
S,29 19.5.
'•>.4 120,144,249.
9,15 31.3.
10,7 148.
10.16.... 4;52.
10,19.... 4,32.
10,2 2.... r,3T,
Mal. 10,23.,.. 455,4,56, 460.
10,27.... 207.
10,28 .... l/,s, 157.
10,29.... 148,149,250.
10,32 .... 457.
10,,34 2:',ti, 240.
10,39 .... 4:i2.
11,13.... 11.
11,1'!.... 125.
11,22-24. 148.
11,25'.... 78.
11,27.... 72.
12,8 191.
12,41-42.. 193.
12,48 .... 188.
13,3 4,32.
13,6 250.
13,42 .... 250.
15,19 273.
15,22 .... 195.
15,24-26. . 165.
16,16 .... 77.
16,17.... 77. 167.
16,18 .... Z,84.
16,24.... 418.
17,5 77.
17,12.... 125.
18,21 .... 804.
19,6 471.
19,S 175, 461.1
19,9 175.
19,12.... 469.
19,16-22.. 271.
19,26 .... 7,-!.
20,30 .... 195.
22,12 .... 2,50.
22.23 .... 148.
22,30 .... 148, 152, 156.
24,19.... 294.
24.24 .... 163.
25,30 .... 250.
25,36 .... 4,32.
26,26 .... 365.
20,38 .... 191.
27,9 18.
27.25 .... 58.
27,.35 .... 18.
27,46 .... 77.
28,8 76.
28,19 .... 78, 205, 329.
Marc, 16,9-20.. 230.
Luc, 1 1.8,5, 237.
1,17 12.5.
1,28 296.
1'35 78, 84, 96, .101, 166,
19'l, 252.
2 185, 237.
2,M 78.
518
THKOLOGIE DE TEKTULLIEN.
Luc. 3,1 162, 1C5.
3,16 S28.
4,16-30.. 16«,
fl,31 162, 165.
4,3.1 166.
4,34 246.
4,40-41... 166.
4,4S 166.
5,10 166.
5,12 166, 175.
5,18 167.
5,27 167.
5,31 167.
5,33 167.
6,1 168.
6,12 168.
6,24 168.
6,27-.34... 169.
6,35 169, 277.
6,,36 169.
6,37 169, 304.
7,1 169.
7,19 169.
8,19-20... 170, 17S.
8,21 170, 173, 188.
8,22 171.
8,29 171.
8,43 171.
9,10 171.
9,18 171.
9,28 171.
9,30 76.
9,41 171.
9,47 172.
9,51 172.
9,57 172.
9,62 418.
10,1 172.
10,21.... 172.
10,25 .... 170, 237.
11.1 173.
11,14 .... 173.
11,21 .... 246.
11,27-28.. 173.
11,2» ... . 173.
12,9 173.
12,11-12.. 173.
12,13.... 174.
12,22.... 174.
12,. 31 164.,
12,35 174.
12,49 174.
12,50 330.
12,51 .... 239.
13-14 .... 174.
14,14.... 148.
14,26 432, 457.
15 174.
16,11 174.
16,16.... 170,174,177,180,451,
Luc. 16,17 174.
16,18.... 174, 461, 462.
16,19.... 175,301.
16,22.... 131.
16,2.3.... 116.
16,29'. . . . 203.
17,1 175.
17,11 175.
17,14 167.
17,20.... 175.
18,1 17,5.
18,7 432.
18,18 .... 175.
18.22 .... 418.
18,35 176.
18,38 23.
19,1 176.
19,10 .... 148.
19,11 176.
20,1 176.
20,20.... 170.
20,25.... 176.
20,27 .... 176.
20,35 .... 245.
20,41 23, 176.
20.42 .... 23.
21 176.
21.23 .... 294.
21.26 147.
21,33.... 174.
22 176.
22.3 246.
2249.... 365.
22,31 .... 455.
22,42.... 303.
22,46.... 304.
23 176.
23.46 80.
24 176.
24.25 19.
24,39 25, 188.
Joan, 1,1 72, 74. 86.
1,3 68, 222, 239.
1,12 302.
1,13 194, 197, 240.
1.14 76, 97. 193, 194.
1,18 72, 76.
2,19 146.
3,5 127, 265, 329.
3,6 193. 239.
4,2 328.
5,18 17.
5,22 76.
5,39 203.
5,43 77, .302.
6J33 . .365.
6,,35 365.
6.38 72, 30.3,
6.39-40... 148.
INDEX SCHIPTUliAIRE.
519
Joan, 6,52 . . .
8,26 . . .
SM ■ ■ ■
S.llll . . .
10,30 . .
•10,34 . .
12,28 . .
12;S1 . .
13.10 . .
l.'i,27 . .
14.9-10.
14.11 ..
l'l.lB . .
14,28 . . ,
14.30..
16,7 . . . ,
16,11...
16,12...
16.13 . . ,
16,14...
16,1.^ . . .
16,20 . . .
17,6....
• 18,28 . . .
19,37 . . .
20.31 , . .
21,23 . . .
Act. 1,11....
2,22 . . . .
2,.36 . . . .
3,19....
4,27 ....
8
8,9
11,28...
13.8 ....
13,46 . . .
15,5 ....
15,22 . . ,
15.28 . . .
15.29 . . .
15.32 . . .
16,3 ....
17,31 ...
19,2-3....
19,,'5
1943. . .
21,9-10...
21,13...,
21,24...,
23,6
26,8
Rom.
1,3
1.7
1,8
1,20
191.
72.
191.
121.
72, 77, 86, 100. 243,
302.
47, 268.
302.
247.
328, 335.
119.
77, 243.
72, 77, 86, 243.
73.
73, 100.
247.
78, 328.
247.
200, 259, 450, 469.
448, 449,451.
7S. 96.
77, 100.
418.
77.
.307.
21, 198.
230.
231.
198.
191. 484.
79.
147.
78.
209.
132.
435.
1.32.
456.
177.
435.
240. 274,481. 487.
240, 274.
435.
177, 241, 474.
149.
328, 335.
335.
161.
435.
234, 432, 456.
474.
149.
149.
181, 2.?8.
190.
Rom. 2,16
2.24 . . . .
2,28-29..
3,4
3,21 . . . .
4.25 ....
5,1
5.3
6,6
7,2-3. . . .
7,4-6
79, 208.
.50,121.
8,3
8,6
8,8 . . . , . .
8,11
8,17
8,18
8,32
8,,35-39. . .
9
9,5
10,2-4....
10,10
11^33....
11, .34-35.
12,6
12.15 . . . .
12,19....
13,9
14,1
14,2
14,10 ....
14,20
15.1
182, 246.
292.
182.
230.
182.
431.
182.
432.
149.
473.
474.
267.
182, 192.
468.
149.
79.
234, 4.32.
234.
80, 431
432.
182.
75.
182.
120.
50, 182.
49.
435.
418.
59.
279.
457.
109, 301.
182.
301.
457.
1 Cor. 1,3.
1,10
179.
207.
1,14 .329.
1,16 329.
1,17 179,329.
1,25....
1,27
2,6
2,8
2.11 ....
2,14 . . . .
3,1
3,10 .
.34.
73, 187.
179, 247.
180, 246.
72.
453.
208.
180.
3,16 275,440,485-7.
3.17 .
3.18 .
3,22.
4,5 . .
4,9..
5,7..
5,10.
5,12 .
6.11 .
109, 275, 487.
275.
152.
180.
246.
481.
180.
419.
273.
486.
520
THKOLOGIE DE TEHTULLIliN.
ICor
. 6,12 . . . .
. 467.
2 Cor. 2.7
235.
6,15 . . . .
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149, 180.
6,9
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151, 180.
6,14
6,17
179.
109.
• Cor.
1,3
181.
2,5
481.
Eph. 1,9-10...
18.3,
INDEX SCHIPTUUAniE.
521
Eph.
1,17
2.2 .
2.3 .
2,11-13.
2,14.
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158, 184, 247.
184.
457. '
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284.
432.
72, 185, 300, 301.
185, 360.
187.
432.
185.
147.
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71, 90, 184, .361.
54, 184.
184.
184.
184.
147.
184, 203.
184.
147.
147.
182, 238.
144.
417.
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151.
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15.
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151.
21.7....
483.
21,8....
432, -457.
22,14 . . .
483.
TABLE ANÂLYTIQUE
Abraham. — Hcritage d'A., 178; sein
d'A., 110, ISl.
Absolution. — SiS-SiS, 'i82.
Accusations contre Ies chrfetiens —
S89-391.
Actes des Apâtres. — Importance de
ce livre, 20«, 207, 227.
Actes humaîns. — 26;î.
Adam. — Ebauche du Christ, 108, 187;
sommeil mystique d'Adam, 128; son
peclie, 26r>, 2(>fi.
Adultfere. — 461-a65, /i79-i88.
Agape. —.'îl, ;iO<»-.ţl,ţ.
Agrippinus. — 218, .^30.
Alexandre le valentinien. — 191, 192,
Allegorie scripturaire. — 146, l!i8,
170, 24S-2.'ir>, 2.5;i.
Ambrosiaster. — 240, 241, 500.
Ame. — Sa nature, 113-12.'î,- son oricine,
12.V127; sa desUnee, 127-l.j.'S. Caractere
du trăita de l'âme, 134-141. L'âme s^-
paree peut souffrir, 145. Rdle de râme,
LVi. Figure de râme, 117, 452.
Amour. — Premier precepte chretien,
29, 30, 31, 179, 278, 279, 402.
Anaximfene. — lOfi, 117, 139.
Anges. — Leur nature et leur opera-
lion, 153, 155 ; peche des anges, 156,
157. Apparilions, 110, 111, 186, 191.
Ange du grand Conseil, 191, 237. Ange
du bapteme, 325.
Anima et animus. — 119.
Animalis. — Acception gnostlque, 189,
190 ; monlaniste, 453, 454.
Animation. — Quand eUe se produit,
124.
Antechrist. — 183.
Anthropomorphisme blblique. — 59,
63, 64.
Anthropomorphisme (paien) etlncar-
nation. — 35, 158.
Antimarcion. — 1" livre, p. 50-56; 2«,
p. 56-60; 3«, p. 162-164; 4», p. 164-176;
5% p. 177-185.
Autimontan chez Tertullien. — 44,
446.
Antitheses de Marcion. — 51, 60, 164
sq. 461.
Aori. ~ 132.
Apelle. — 110, 125, 142, 155, 185, 188,
189, 197, 198, 208, 209, 211.
Apocalyptique juive. — 438. Cf. He-
uoch.
Apocryphes. — 224 ; apoeryphes de VA.
T., 225, 226; du N. T., 24, 229-230, 440.
Apollinaire d'HiSrapolis. — 307, 383,
437.
ApoUonios.adversaire du Montanisme. —
437, 459.
ApoUonios, martyr. — 387, 423.
Apologeticum. — 378 sq. Effet produit,
433, 434.
Apostolicum maroionite. — 177-185,
227.
Apostolious. — 217.
Apulee. — 37, 295, 411.
Aquila. — 14, 236, 237.
Arcane. — 317-321.
Archlmfede. — 140, 334.
Areae. — 220.
Aristee. — 232.
Aristide (l'Apologiste). — .33, 428.
Aristote. — 62, 113, 119, 120, 139, 202.
Arius et Tertullien. — 95, 96, 102.
Artotyrites. — 441,443, 444.
Arts. — Severite de T., 417, 424, 425.
Assemblees ohr^tiennes. — 30, 31,
309-314, 320, 409.
Astrologi. — 417.
Athanase (S.). — 92, 100.
Athănagore. — 37, 86-%, 143, 151, 153,
156, 390, 408, 428, 468.
Attributs divins. — Physiques, 48-50 ;
moraux, 50, 60. Leur lien, leur harmo-
nie, (Hi, 67.
Auguste. — 400.
Augustin (S.). — 63, 102, 232, 233, 239.
241,247,258, 267, 345, .■546, 443, 448,501.
524
THEOLOGIE BE TERTOLLIEN.
Autorite. — Son rSle, en maliere de
controverse, 205.
Avenement du Ghrjst. — 4, 21, WiB,
'l'l7.
Avortement. — 277, 298, ?i68.
Bain. — 31'), S35, 'i75.
Baîser de paix. — 317.
Baptâme. — Son exceUence, 261-268,
S2'i-.S27; bapleme de Jean, 327, 328,
329, S35 ; baptcme des hereliques, 329,
330, 33S, 336 ; bapleme de teu, 328, 335 ;
bapteme de sang, 330, 336, 350, Ml,
/iS'j; bapteme de dcsir, 265, 266, 331,
336; bapteme selonMafCion, 56,336;
bapteme des morts, 336. Symbolisme
de I'ablution bapiismale; rituel du
bapteme. 333-335.
Barnabe (S.). — Auteur presume de
l'Ep. aux Helireux, 228, 229, 483, 487.
Barnabe (Epitre de). - - 8, 18, 225,
flSy, Ii87.
Basilide. — l'r2, /i30.
Bethsaida. — 22, 155, 325.
Biaeothanati. — 132.
Bible africaine. — 231-242.
Boucs du Lâvitique. — 21, 309, .Wg.
Calus. — Adversairc de Produs, 442,
447. 492.
CaSus. — Hertlique, 209, 324.
Calendrier philocalien. — 443.
Calliste ;S.). — x, 258, 346, 375, 473,
476, 478, 489.
Canon des Ecrltures. — A. et N.-T.,
223-224; canou juif, 224-225; N.-T., 227-
230. Criteriutn de i-aiionieite, 227-228.
Garacalla. — x, 156, 396.
Caractere sacramentel. — 326, 336,
338.
Caro animalis. — 189, 190.
Caro pecoati. — 182, 192.
Carpocrate. — 125.
Carthage. — Soii primai, 217. Odeon, 149.
Casuistique. — 277.
Catechumenes. — 220, 317-321, 337-
.338.
Catliolioe, catholicus. — 207, 214.
Causalite sacramentelle. — 333, 334.
Censeri, census. — 365-367.
Cerdon. — 488.
Cesar (Denier de). — 176, 403, 458.
C6sar (Le dieu). — .391-397.
Ghair. — Refiabilitee, contre l'heresic,
108-109. Acception ascelique, 149-150,
153.
Charges publiques. — 419, 420, 423.
Charismes. — 180, 208, 268, 323. Moii-
tauiste ; 448, 430-454, 483, 484.
Gbarite. — 278, 279. Cf. Amour.
Ghastete. — 287-301.
Ghrâtien. — Sens de ce nom, 381.
Christ. — Sa divinite, 3-5; Chri.st dans
la pi oplietie, 9-22; dans rKvaiigile, 22-
25 ct (contre Marcion) 162-176; dans
saint Paul, 176-185,- hunianitedu Chrisi,
185-198; son noni, 14, 15, 164: son carac-
tere, 17; sonâme huniaine, 80; ebauclic
ea Adam, 108, 187; nouvel Adam, 19S;
scandale aux Juifs, 179; extericur liu-
mitie, 189; ses Ijgures bibliqucs. 180;
Ie Christ selou TerluUien, 198-200;
patieuce ijisigne du Christ. 282.
Chronologie de l'A.-T. — 6, 7, 11, 12,
13.
Ghronologle du N.-T. — \, 167, 306.
Ghronologle des oeuvres de Tertul-
lien. — \ii-xty.
Ghrysippe. — 109, 114, 116, 138.
Giceron. — 41, 83, 128.
Circoncision du cceur. — 178, 182.
Gleanthe. — 114, 138.
Clefs (Pouvoir des). — 216,344, 347-349,
484.
Clement d'Alexandrie. — 2, 11, 13(pro-
phetic des semaiues), 102, 1.56, 189, 203,
223, 226, 239, 307, 345, 411, 433, 440 (Ev.
des Egyptiens), 451 (proplietie mouta-
uisle), 460 (f\iite), 477 (niilice), 488.
Clement de Rome (S.). — 216, 219 (i>r-
donne par saint Pierre), 249.
Clementis II» ad Corinthios. — 440
487.
Clementis (Pseudo-) homiliae. — 1.56.
Glercs. — Cf. EpiiK.opiLi, presbyter,
diaconiLt ; hierarciiie; sacerdos; clercs
fuyant devant la perseculion, 454, 457,
459.
Goeur. — Sa l'onctioiv dans i'tiomnie, 144,
249.
CoUectes. — 30, 220, 409.
Collegia. — 385, 409.
Commeatus. — 68.
Gommodien. — 156, 200.
Communion des saints. — 214, ."541,
350-355. Meconnue, 484, 491.
Compensation. — 277.
Compose humain. — Son unite, 143,
144,145, 153,263.
Conciles. — 218.
Gonfesser sa foi. — 430-432, 455.
Confesseurs. — 220, 351-,155, 456.
Confesslon. — Avânt le liapieme, .'i32;
ovant Ia penitenoe publiffue, 342, 344.
Conflrmation. — 322, 326, 327, 334.
Consacrare. — 3(17, 368.
Consell et precepte. — 175, 264, 278.
Contusion, 466, 467.
Consubstantialis, Consubstantivus.
— 82.
TABLE ANALYTIQUE.
525
Gontrefaşon diabolique des choses
divines. — 158, 159, 212, 295, 325.
Conversio (Notion de). — 111, 180.
Gorps glorieux. — 151.
Cosmopolite (Esprit). — 42'i.
Gouronne. — 258, 'ill, 415.
Goutume vaut Ici. — 258-200.
Crainte, foudcmcnt du salut. — 291,
Creation. — Rrvi'le Dieu, 52, 5i. Crea-
U'ur venge contre le.s marcioniles, 5.'i-
59, 106-109. Role dtt Verhe dans Ia
creation, 71.Preuve de la o.reatiou, 104-
lOO. Analyse de Tarte rreateur, 109-112.
Credibile quia ineptum. — ."^4.
Credo, — Formtiles, 250-258.
Cremation. — 277.
Grimes secrets, impiites aux chreticns.
— 25, 27, 389.
Croix. — Mystere de la croix, 18, 179,
251 ; siRiie de croix, SIO.
Gurationum donum. — ;Î2.*5.
Curiosite heretique. — 203, 204.
Cyprien (S.). - 1.5«, 215, 218, 226, 2S2,
234 (sa Bible), 235, 240, 241, 259,201.
308, 309, 312, 330, 343, 346 ct 349 (re-
concilialion in extrcmîx), 354 (interces-
sion dos niartyrs), 307, 309 (Eucliaris-
lie), 370, 375 (mariage), 490 (reconci-
liation des impudiques), 499. Ses Artesi
387. Son biograplie P(]ntius, IM.
Daniel. — - Proplietie des semaincs, 11-
13.
Demons. — Rendeut temoi}2:iiafţ(! au
€liri5t,4,20, 195;leur cxisteuce connue
iiaturellement? 40, 154; îdeiitiques aux
dieux du paganisine, 40; leur origine.
157; Ictu' operation, 158, 159. Contre-
loiit la diviuile, 158, 159, 212, 295, 325.
Gl. Exorcismcs.
Denys de Corintlle. — Sur ia reconri-
liatiou des penitcnts, 488.
Deuterocanoniques. — De l'A.T., 225;
du N. T., 230.
Diaconus. — 220.
Didactie. ~ 314, 342.
Didascalie. — 143, 249.
Dieu. — Son existencc, 37-41; unite de
Dieu defenduc contre le poîytheisme,
41-46; contre Hermogene, 46-50; contre
Marcion, 50-60 ; contre Valentin, 00, 61 ;
esscQcc divine, 61-05 ; attributs divins,
50, 57, 06, 67. Dieu createur,- 104-112.
Dieux romains, 43, 405, 40O; di(;ux
cirangers, 43, 100, 107, ,384, 385, 405.
I .e dieu Cesar, ,392-395.
Digeste. — 83, 385, 380, 396, 409.
Diognete (Ep. â). — 95, 151, 381, 409,
411, 420.
Dion Cassius. — 383, 385.
Discipline. — Son evolution, 2.59; selou
Montan, 449-451, 470,474.
Divination. — 7, 41, 128, l.'i8, 158 (con-
tref'afjon diabolique).
Divinite du Christianisme. — 1.36.
Aperţu des pren\cs,,3-5. — Cf. 426, 428.
Divortium. — 174, 175, 462-465.
Docfitisme. — 163, 170, 185-193, 197.
Dominica solleuinia. — 308, 315, 476.
Dominus. — Nom esseutiel â Dieu, 47,
105, 106. Auguste refusanl ce nom, 400.
Domitien. — 383, 386, 400.
Dualisme. — Voir Hermogene, Marcion.
Ebion, — 197, 209.
Eclectisme philosophique de Tertul-
lieu. — 137 sq.
Ecritures. — Autiquite, 6; inspiration,
7-22, 221-223; canon, 223-230; texte,
231-242; exegi'se, 242-254. Falsificalions
lu'reliques, 211. Yoir PracacripHo, .
Editions de TertuUien. — III, IV, VI,
VII.
Educatlon. — Son ttni\re, 122.
Eglise. — Sa vie, 25-33; caracleres de
l'liglise catholiquc, 213-214; unite, 214,
215, 260, 261 (unite de foi) : maternite,
215; l'Eglise Trinite, 215, 218; l'Eglise
Espwt, 218, et (montaniste; 484, 490
491.
Eglises apostoliques. — 205, 206, 209,
210, 215, 259, 449.
Egypte. — Sa religion, 42, 43, 107, 384.
Eleuthfere (S.). — 216, 438, 441.
Elvire (Canons d'). — 490.
Emmanuei. — 14,
Empedocle. — 114, 116, 130, 139.
Encratisme. ^ CMn. Marcion, 56, 109,
172, 294, 301, 371, 461, 465, 409; rliez
Tatieu, 106, 109, 301; chcz divers au
TI" siecle, 109, 440; chei TertuUien
montanisant, 468, 469, 490.
Enfer de feu. — 116, 159, 252. Cf. Vol-
cans.
Enfers. — 131. Note sur Ies cnfers de
Yirgile, 132.
Eons. — 60, 01, 72, 121, 215.
Epicure. — 42, 114, 127, 129, 138, 1159,
142.
Epiphane (S.). — Sur le nioutanisme,
435-438, 441, 489.
Episcopus. — 219, 330 (ministre du l)ap-
teme), 347 (pouvoir penitentiel); 482-
485, 492-494 (TertuUien insurge contre
i'eptscopat).
Episcopus episcoporum. — 217, 478.
Equitâ. — 382, 407.
Eschatologie. — 281, 446-448.
Esdras (IV= 1.). — 226.
Esperance. — 281.
526
THEOLOGIE BK TEIiTULLIEN.
Sa nature, 61-65, 113-123,134,
Esprit.
155.
Esprit-Saint. — D'apres Ic trai le couUe
Praxcas, «6-99. Sa descente sur los
Ap6tres, 206; sou rflle dans rEgUse,215,
218; son (ipiiration, 2Ii7-2'i9; son se-
joui- dans l'âme, 26fl-268, 327, 33;i. Cf.
Paraclct.
Eternite. — AttribiU propre de Dieu, 47,
48, 104.
Eucharistle. — SacriQce, 308, 309, 311,
.312, 314; sacrenipiil, .335-370 (presence
reelle de Jesus-CJirist).
Eusebe. — Sur une version î^recque de
l'ApoIogetîque, 24; sources de Phisloiie
du montanismc, 435-438. Voir 500, ct
passim.
fivangile. — 22-23. Evangile de Mar-
cion, 164-176, 227. Apocryplies, 224,
440.
EvhĂiuerisme. — 44.
Excoromuuication. — 30, 349, 330,
481 (incestneu-\ de Corinlhe).
Exegfese. - - Prof;ramme de Tei-tullîen,
242-245; controverse marciouitc, 245-
247; lendance realiste et verliale, 247-
250; Iraits d'allejţorie, 250, 251; bizar-
reries et llucluations, 251-253; exeges<î
loonlaiiiste, 232-2.54; limitation arbl-
traire, 203, 436, 484.
Exomologesis. — 340-344, .348; ne se
rcnouvelle pas, 345.
Exorcismes. — 2('>, 160, 161.
Extase. — 128, 432-454.
Factiones. — 408-410.
Faoultâs de l'âme. — 120.
Familie. — Faut-il s'en charger? 468.
Femines. — Reserve qu'elles doivent
garder, 220; toilettes des femmes, 289-
293; Tertullien a son epouse, 293-295
et 372-375.
Fetes paiennes. — 400, 418, 419.
Fidel regula. — 256.
Fld^isme (Accusation de) contre
Tertullien. — .34, 41.
Fides integra. — 331.
Figura. — 360-364.
Fils de David {Christ;. — 23, 176, 193.
Fils de l'liomme. — 18, 21, 167, 176,
191, 230.
Fin du monde attendue. — 8, 303,
446. Voir Mitlenarisme.
Fiunt christiani. — 39.
Flatus et spiritus. — 80, 113, 114, 118,
119, 247-249.
Fleaux imputes aux chretiens. — 410.
Foi chretienne. — Son caractere ra-
tionnel, 33-36. Verlu de foi, 279-281.
Fornication. — 479-488.
Frferes de J6sus. — 170, 188, 1U7.
Fuite devaut la persecution. — 454-
460, 474.
Fulda (Fragment de). — VI, 6.
Gelase (Decret de). — 498, 502.
Geniculatio. — .315, .341.
Gentils (Vocation des). — 20, 21.
Gnose. — 60, 121, 252, 427. Tertullien
prend posillon contre la gnose, 428,
430, 433 ; cf. Valentin, Apelle, Alexan-
dre, Basilide, Prodicus, Heracleon. Pe-
nctration de la gnose dans Ies derniers
ecrits de Tertullien, 453, 490.
Grâoe (Vie de la). — 264-268.
Grâce aotuelle. — 270-271.
Grec. — 231, 232, 239, 241, 242.
Hadrien. — 16, 383.
Haine aveugle du nom ohrfetien. —
28, 381, 405, 422.
Hâbreu. — 231.
Hegemonicon. — 120, 137, 153.
Henoch (Livre d'). — 147,157, 225,226,
289, 438, 439.
Heracleon. — 433.
Heraclite. — 106, 115, 139, 202.
H6râsie. — Son role providentiel, 201,
202; catalogues d'heresies, ]97, 209
portraits d'heretiques, 46, 31, 67, 212,
213, 256, 318, 319, 430.
Hermas (Pastenr d'). — 98, 218, 228,
229 (ce qu'eu pense Tertullien), 230,
275, 305, 313, 325, 326, 330, 339, 340, 342,
343, 464, 463, 480, 488.
Hermippe de Beryte. — 128, 129.
Hermogene. — Son dualisme materia-
liste, 46-30. Sur la r.reation, 104-106,
110; sur l'âme, 112, 113, 119, 209.
Hărode et Jean-Baptiste. -- 462, 463.
Hferodote. — 129, 306.
Heroisme chretien. — 32, 271, 428.
429-433.
Hâroîsme profane. — 133, 272, 474.
Heros de la table. — 43.
Heures canoniques. — 316.
Hierarchie ecclesiastique. — 214,219,
220, 323, .330: attitude nouvelle de Ter-
tullien, 490-494.
Hilaire (S.). — 101, 239, .300.
Hippolyte (S.). — 11. 14, 67, 82, 83,
(Trinite), 86-96 (generation du Verbe),
307 (Pâque), 403, 499. — \ oir Philoso-
phumena.
Hippolyte (Canons d').— 237, 2.39, 310,
311, 313, 314, 316, 320, 330, 332, 333,
347, 369, 413, 415, 416, 417, 418, 477,
489.
Ho mere. — 128 (songes); 132 (mort).
TABLE ANALYTIQUE.
527
Homme. — Sa nature, 112-141 : sa desti
nee, 142-15^.
Hostes generis humani. — hTl.
Hyperbate. — 3fi4.
Ichthys. ~ 324.
Idolatrie. — Son absurdile, 41-46; re-
sume tous Ies peches, 276; trăite de
l'idolâtrie, 41tj-421, 424, 425.
Idolothyta. — 209, 240.
Ignace d'Antioche (S.). — 214, 240,
330, 487.
lUuminisme. — Stoîcien ou monta-
niste, 41, 117, l'il ; surtout, 448-454.
Impatience. — Rosume tous ies pfeciies,
278.
Impudicite. — 479-488.
Incarnation. — 3 ; dans la proplietie,
14-16; polemique, 185-198; dogme, 198-
200.
Inceste. — 26, 27, 389, 390.
Incestueux-de-Gorinthe. — 275, 481.
înde. — Ses religions, 107 ; bralimes et
gymnosopliistes, 411; fanatiques, 460.
Indulgences. — 351-355, 484.
Infanticide. — 26, 27, 277, 389. <:f.
Avorîcmcnt .
Infructuosi in negotiis. — 410, 411.
Innocence des mceurschretiennes. —
28, 29.
Innocent I (S.). — Sur la penilcnc*'.
346, 489.
Inspiration des Ecritures. — 7, 221-
223.
Instrumentum. — 222, 223, 224.
Irânfee (S.). — 14; polemique contre
M.iuxion, 51 ; contre la gnoso, 60, 61. 66,
67, 76 ot 102 (theophanies), 116, 118,
131, 151, 156, 161, 165; surle Gtirist,
188; dans le trăite de Ia Prescription,
203, 204, 205.206, 207,208, 209, 210,211,
213;224,229^ 232,240,241. 244, 247, 249,
250, 257, 277, 316, .343, 355, 364 (Euctla-
rislîe), 370, 439, 442 (norame avec S.
Justin), 453, 488.
Irrationnel. — Tarediabolique,120,121.
Isidore (S.). — 502.
Isls. — Divinite syncretique, 37; 159,325,
405.
Janua Ecclesiae. — 340, Cf. 479.
Jean(S.), Apotre. — Passion, 210,216;
icrits, 222, 228.
Jean (S.) Baptiste. — 167, 169, 170,
174 (Loi ct Prophetes jusqu'a Jean),
176, 180, 203; son baptemc, 327, .329,
335; 451 ; devant Herode, 462.
Jerâme (S.). — 196, 2.30,232, 236, 240,
241, 266, 471, 501 (temoignage capital),
502.
J6sus. — Nom de Jesus, 15; Jesus-Oirist
scinde en Jesus ct (ilirist par certains
monarchiens, 78.
Jeiine. ^ Point de vuc catholique, 300,
301, 313, 314; montaniste, 475, 476.
Josfephe. — 7, 156, 161, 463.
Judaeos (Traitâ adv.). — Question
d'aulhcntieite, 8, 9.
Juifs. — Leur erreur, a, 20-22 ; tolerance
dont ils jouissaient, 396,404, 405.
Jules Africain. — 11, 14, 156.
Juridiques (Connaissances) do Tej'-
tullien. — 83, 150, 201, 378-389, 496.
Justice de Dieu. — Inseparable de la
bonte, 58,59. Cf. discussion contre Mar-
cion, 162-185 passini.
Justilîcation baptismale. — Ses con-
ditions, 336-338.
Justin (S.). — 2, 5, 7, 8, 9-22 passini
(prophetîes messianiques) ; 27, 30, 33,
36, 51; Trinîte, 74, 75, 82; generation
du Verbe, 88-96; iiierarchie des per-
sonnes, 100, 102; (108, 119 : resurrec-
tion); 131, 132, 141, (142, 143, 151, 152,
15.3); 156, 161, 174, 189, 193, (232)i 236,
237, 240, 249 (traits d'exegese), 250, 251,
252, 255J257, 317, 318, 360 (Eucharistie),
381, 387, 408, 428, 42» (philosopliie),
439(niiIIenarisnie), 442 (nomme avec s.
Irenec), 464.
Lactance. — 156, 236, 388, 416, 448 (mil-
lenarisme), 500.
Laîques. — 216; revendicalions mon-
tanisies, 493.
Laodiceens (Ep. aux). — 183, 228.
Lapsi. — .490.
Lector. — 220.
Legio fulminatrix. — 383.
Legis injustae honor nuUus. — 407.
Legislation contre Ies chretiens. —
381-389.
Leon I (S.). — 346, 501.
Leones {Christiani ad). — 32, 410, 414.
Libelli pacis. — 351, 353-355.
Liberte divine. — 48, 49, 66.
Libre arbitre de la oreature. — 57,
67, 122, 141, 263, 268-270.
Limen ecclesiae. — 479. Cf. 340.
Litterature. — 418.
Liturgie. — 307-321.
Logos. — Ratio ou Scrmo, 3, 70, 85, 86,
(litterature du Logos), CT. l'o-be.
Loi divine. — Son evolution, 177, 178,
222, 223, 262; son elTicacile, 412.
Loi mosaîque. — Non desavouee par
Ie Christ, 166, 167, 168, 169, 171, 172;
finit ă Jean, 174, 177, 178; rfeapituleo
parle Christ, 179, 1S4,262, 278. Cf. Sab-
bat, circonciiion.
528
THEOLOGIE DE TERTULLIKN.
Loyalisme chretien. — 398-403.
Lucrfece. — Ui.
Lyon (Bataille de).-i-\, 401.
Lyon (Martyrs de). — 352,438.
Mages. — 1», 418.
Magie. — 132, 158, 213, 385, 417.
Majestatis crimen. — 385. Lex JtUia
mijc.statis, 388.
Mal (Problâme du). — Non resolu par
rtieriisie, 47-49, 50-51. Solulion chră-
lienn(-,51, 67, 26y, 270.
Manuscrits. — iii-vt.
Marc Aurele. — 382, ,383, 428, 429.
Marcion. — Biograpliie, 51, 489; ge-
nrsc de sa doctrine, 50 ; Antithescs, 9,
51, BO etc, lefulation, 22, 23, 51-60,
162-185, 185-188 (docetisme). Encratisme
109, 371 etc, son baptpme, 3.36. Juge-
nient sur son amvre, 208-211. Son texte
des Ecritures, 237-240; son exegese,
24.5-247.
Mariage. — Du point de vue catholique,
293-295, 370-376; montanisle, 377, 460-
474. Saintete du mariage chretien, 372-
375 (rcprobation du mariage mixte);
rite, 376. IndissolubilitS par la mort,
464-474.
Marle. — Sa maternite virginale, 14, 193-
195 ; Tertulîien meconnaît d'ailleurs sa
virgiaite parfaite, 196, 197, 471. Texte
cnigmatique, 226.
Martyre. — Semen est sanguis, 32, 33;
prîvilege des niartyrs, 131 ; bapteme de
sang, 330; iheologie du martyre, 429-
433; pouvoir penitentiel du marlyr, 351-
355, 484; martyrs montanistes, 437.
Matferialisme. — CI. llermogene. --
Traits de niaieriaUsiuc che/. Terluliien,
61-63, 113 118, 137, 140.
Matheinatici. — 417.
Matiere. — Deprecioe par Marcion, ven-
gee par Tertulîien, 106-109.
Maximilla. — 217, 435-437, 454.
Mâdecins. — 113, 115, 139.
Mfeliton (S.). — 64, 408.
Mânandre le Samaritain. — 129, 155.
M6nedfeme. — 232.
M6rite. — 263; merite de congruo ei
de condigno^ 270.
Messie. — Ses traits prophetiques, 3, 4,
8-22.
Metempsycose et resurrection. —
36, 125, 145, 427.
Milice. — 414-416, 420, 477.
Millenarisme. — 133, 134, 164, 438-440,
446-448 (447, mirage).
Miltiade. — 437, 442.
Minucius Felix. — 38, 156, 499, 502.
Miracles Svangeliques. — 22-25, 163,
199.
Mirage. — 447.
Mithra.— 107 (lions), 159(riles), 325,405-
Moeohia. — 274, Cf. Adultere.
Moi'se. — Son anliquite, 6. Cf. Loi de
Moise. — Lesislation du-mariage, 174,
174, 175, 461-463, 470, 471.
Monarchie divine. — 69, 70, 77, 78.
Monogamie primitive. — 253, 254, 371,
461, 467, 470.
Monogamie sacerdotale. — 219, 467,
472, 473, 493,
Monotheisme Instinctif. — 37-,39.
Montan. — 217, 435, 436, 454.
Montanisme. — 435-494. — Cf. .vi; 65
(sur Dieu), 133 (purgaloire), 217 (ori-
ginea), 347 (penitence),414, 415, 421 (ri-
gorisme), 423.
Mort. -- 127-133.
Morts (Priere pour Ies). — 134, 315.
Mos majorum. — 405.
Mulier. ~ 197, 253, 296, 297.
Muratori (Canon de). — 229, 230.
Nativite du Ghrist. — 14-16, 170, 194.
Natura. — 81.
Nature et grâce. — 264.
Negoce. - 411, 418.
N6ron. — 383, 386.
Nicee. — Symbole, 82, 99; canons, 349.
Nioolaiites. — 209.
Noces mystiques. — 127.
Noces (Secondes). — Point de vue ca-
tholique, 293-295; montanisto, 377, 460-
471.
Noet (monarchien). — 67, 454.
Nombre de chretiens. — 10, 11.
Novatien. - De Trinitate, 96, 99, 102,
239; Epp. S49, 355. — Cf. 499.
Oblatio, — 308, 315, 370, 376,
Odâon de Carthage, — 149.
Oeconomia Trinitatis. — 68, 69, 70,
100, 101.
Onocoetes. — 390.
Optat de Mileve (S.). — 500.
Ordinations, — 323,
Origene. — 11, 14, 64, 156, 157 (anges),
161, 189, 230, 236, 249, 273, 275 (reserve
des 3 cas), 345, 370, 448 (defaite du mil-
lenarisme), 460 (l'uite), 477 (milice), 488,
Origenis tractatus. ~ 64, 116, 228, 502.
Pacien (S.). — 240, 500.
Pain de vie. — 365-367.
Pallium. — 429.
Papa. — 217.
Papias. — 439.
Pâque. — 307, 308.
TABLE ANALYTIQUE.
529
Paraboles fevaugâliques. — 244, 245,
coli. 254, 480.
Paraclet. — Cf. Esprii-Saint. — Regne du
Paraclet, 448-454. 456,469, 474, 479, 492.
Paradis. - UI, 1.H2, 159.
Paradoxes ohrStiens. — 34, 36.
Paralogismes. — 253, 254, 456, 457,
459, 468, 474.
Passibile est corporale. — 63, 64.
Passion. — Predite, 17-19; palience du
Clirist, 200, 282.
Pasteor. — CI. Hermas. — Boa Pas-
teur, 425, 443, 444, 480.
Pater. — 302-304. Cf. 238, 239.
Patience. — 282-285.
Patripassiens. — 79, 454.
Paul (S.). — 54, 55, 177-185 (titres de
son apostolat; defense contre Marcion),
203, 207 (accord avec Pierre), 210, 216,
222, 227, 244.
Pax eoolesiastica. — 340, 344, 345, .346,
347, 348, 349, 350-355, 479, 484, 485.
Peche originel. — Comm par le te-
moignage de l'âme? 40; nature, 120-
127, 264-268.
Pfechfes aotuels. — 263 (peches intc-
rieurs et exlerieurs); dislinclion des
pĂchfSs, 272-275; peclies mortels et ir-
rfîmissibles, Î6trf,, 347, 479; trio reserve,
240, 479, 480, 485-490. Peches euvers
l>ieu et envers l'homme, 484, 487, 491.
Penitence. — Vertu, 285-287; premiere
penitence (cateclîumenes), .'137-338 ; se-
conde penitence, au point de vue ca-
lliolique, 339-355 ; monlanisle, 478-491.
Penitence publique, cf. Exomologesis ;
privee, 348, 355. Caractere sacramentel
de la penitence publique, .344-.Vi8.
Penitents. — Lcur condition, 220, 340-
344. Pas de 7nissa paenitentium, 479.
Perpetue (.S'°). — ix, 131 (vision), 235,
311 (agape), 360, 433, 442, 443, 444 (pas
montaniste).
Persecuteurs (Morts de). — 402.
Persecution. — D'oii elle vient, 455,
456. Responsabilitc liistorique des per-
secutions, 403-408.
Peraona. — 81, 82, 83.
Peshitto. — 239.
Philon. — 7, 64, 65, 84, 85 (Logos) , 126, 156
PhUosophes. — 2, 42 (sur la divinite)
113, 137, 158 (ont pillc l'Ecriture), 202
(peres des heresies). Clirislianisme ct
philosophie, 425-429.
Phllosophumena . — 230, 435, 451, 454
473, 478, 489, 490.
Pierre, figura du Christ. — 21, 251.
Pierre (S.). - Conflit avec saint Paul,
54, 177, 178, 207 ; sa primaute, 209, 210,
216; pouvoir des clefs, 216, 484.
THEOLOCIE DE TERTULLtEX.
Pjlate (Actes de). — 23, 24, 382.
Platon. ^ 40, 42, 62, 106, 113, 114, 118,
120, 121, 123, 124, 125, 129, 130, 131,
138 (resume), 142, 154, 202, 203.
Pline. ~ 312, 379, 480 (autlienticite de sa
leltre), .386, 387, 397.
Poetes. — Sur la divinile, 43.
Polycarpe (S.). — 209, 219. 397, 459.
Polygamie des patriarches. — 253,
254, 294, 467.
Polytheisme. — 42-46.
Pontifex maximus. — (Du culte ro-
niain, 1,59, 295). Ghrelien, 217, 478.
Pontius. — Biographe de S. Cyprien,
443.
Posidonius. — 1.38.
Pouvoir. — (Les chr^tiens et le). 391-
408.
Praedestinatus. — 502.
Praescriptio. — 201 ; trăite de la [ires-
criplion, 201-213; valeur de l'argument
de prescription Iheologîque, 260-261.
Praxeas. — 67, 68.
Presbyter. — 219, 220.
Prât â interât. — 277.
Prifere. — 302-307.
Prisoa (ou Prisoilla). — 109, 217, 435,
436, 441, 452, 454.
Prisons. — 29, ,351, 353, 411, 412.
Privilfege paulin. — 372, 375.
Processions divines, — 71, 72, 79, 83
84. Cf. Verbe, Esprit-Saint.
Proculus (ou Proolus). — Montaniste
romain, 288, 441, 442.
Prodicus. — (Inostique, 70, 432.
Prophetes. — 5, 221. Oracles toiichant
le Messie, 8-22, 16/i. Propbetes de Ia
Loi nouYelIe, 435, 436.
Prophetienouvelle (montaniste).— 230,
451 453.
Propriete ecclesiastique. — 220.
Proselytisme ohrâtien. — 405.
Providenoe justifice. — 57, 67, 269,
270.
Pseudotertullien, adv. omnes hae-
reses. ^- IV, 489.
Pseudotertullien, carmen adv. Mar-
cionem. — 500.
Psychici. — 453, 454, et passim.
Puissance divine. — 66.
Purgatoire. — 133, 134, 450 (monta-
niste).
Pythagore. — 125, 130, 139, 142, 145.
Rachat de la persâcution. — 458.
Ratio et Serjno, en Dieu. — 70-72.
86-96.
Rationalia in Deo omnia. — 60.
R6demption. — 199.
Regne du Clirist. —9, 10, 20-22.
31
530
THJiOI.OCIE DE TKliTULLDÎN.
Relaps {Condilion des pechcurs). ~ S45,
. .ViO, 350, .V)ft.
Repraesentare, repraesentatio. —
3r)<J-S60.
Repudium. — UM-hkh, tri\.
R^surrection, ^ Groyanc^ nalurt;lle ?
'ifl. Trăite de la resurrection, 1'42-152;
analogics naturcUes, 143: preuvc ra-
lionnellc, Vi3-yi6; scripturaire, l'i6-152.
ResurrccUon ct glorificalion, 252, 253,
207.
Resurrection du Ghrist. — Propheti-
see, 19, 20; prouvee, 25 ; SCS effets, IHO.
Revendicatlons obrfetiennes. — 3H-
389.
Rigorisme. — 459, 460, /i«l, 477, 478.
Rites mosaiques. — L<;ur dccheancc,
177, 178.
Rome. — u, 400 (souTcnîrs pcrsonnelsî.
Eslise de. Rome, 209, 210,216, 217.
Rufln, — ."«Ol,
Sabbat. — 59, 1«8, 262, 476.
Sabellius. — 68,
Sacerdos. — 199 {Christum Jesum,
catliolicnm Patris sacerdotem), 219,
323, 492, 493 (moiUaniale).
Sacramentum. — 321-323.
Sacrements. — Point de vue catholique,
322-377; montaniste, 460-491.
Sacrifice. — Cf. Eucharislie. — Sacri-
ficcs humains, 27, ,389.
Saorilegium. — 385, 390.
Sagesse de Dieu. — l'rincipe de sos
■voics, 49, 2.39,
Samuel. — lîvocaUon, 132.
Satan. — Sonpeche, 157, 276, Figurc par
le prince de Tyr, 57, 157, 250.
Saturne. — Legende, 44, 45.
Scandale de la oroix. — 34, 179, 187.
Scapula. — X, 402.
Scillitains (Martyrs\ — 233, 234, .387,
.397.
Sâneque. — 39, 122, 127, 1.38, 142, .582.
Sens et intelleot. — 121. Veracile des
sens, ibid.
Septante. — l'l, 156, 224, 231, 232, 234,
2.35, 236, 237.
Sequester. — 150, 199.
Sferapion d'Antlootie. — 437.
Serapis. — 43.
Serment. — 277, 415.
Sermo et Ratio. — 70-72, 80-96.
Sevăre (Septime). — ix, 16, 53, 396,
397, 400,401, 405, 433.
Sexe. — 125.
Sibylle. — 45, 226.
Signaculum. — Crncis, frontium, 316,
317; fidei, lavacri, 326; loslamenli, 326.
Simon le Magicieu. — 110, 125, 210.
SimpUcite des ceuvres divines. —
34, 324.
Sociale (Doctrine). — 424.
Sooiete (Les chreliens et la). — 422-424.
Socrate. — 27, 113, 124, 1.54 (son demon),
426.
Sommeil. — 127-129.
Songes. — 128, 129, 1,56.
Sorauus. - Medecin, 115, 117, 139.
.Soter(S.). —441.
Spartien. — 405, 433.
Spectacles. — Vanilc, immoralite, 136,
288. Traile des spectacles, 412-414.
Spectacles de la loi. — 281.
Spiritisme. — 158, 453.
Spiritus Dei (— Deus, Christus). —
78, 96-98, 194, 252.
Spiritus et flatus. — 80, 118, 119, 2't7-
249.
Stationes. — 313, 314, 475.
Status. — 81.
Stoiciens. - 37, 41, 42, 46, 62, 65, 109.
115, 120, 121, 124, 127, 128, 137, 138^
202, 203.
Subordinatianisme. — 99-102.
Substantia. — 81.
Suetone. - 382, 388, .394, 396.
Sulpice Sevfere. — 157, 240, 387.
Symbolisme. — Cf. Alliigorie. Eau bap-
lismalo, 327.
Symmaque. — 14, 236.
Syncretisme paîen. — 37, 406.
Tacite. — 45, 382, 388, 390, 395, 396, 422.
Tatien. — 7, 27, 33, 36, 82, 86-96, 106,
109, 118, 119, 132, 141, 143, 151, 1.55,
158, 417, 426-428 (sur Ies philosophes).
Tau. — 18, 20, 237, 316.
Taureau. — Figure du Christ en croix,
18, 251.
Tfemoignage de l'âme. — 1,2, 88-41.
Templi Dei violatio. — 274, 275, 483,
485-487.
Tertium genus. — 411.
TertuUien. — Biographie, u; conver-
sion au Christianismc, 33 ; livres ă son
epouse, 293-295 et .372-375; . signe le
traile du bapteme, « TertuUien le pe-
clieur «,33.? ; seduit par ie monlanisme,
441-446; rupture ayec Rome, 450; re-
volte ouverte,478. Empruntsă la gnose,
453, 490. Siuc&ile de son Cliristianisme,
495. Temperament et education ; ju-
riste, stj-liste, 495-496. Lacunes : tiis-
loire intime, 496, 497. Influence pos-
thumc, 498.
Testament (Ancien et Nouveau). —
221-22'j.
Texte (Gritique du). — v-vir, 6, 12, 90,
TABLE ANALYTIQUK.
531
97, 100, 132, 208, 226,285, 309, 311, 332,
343, 352, 388, 'l53, 467.
Thales. — 106, H-'i.
Theodotion. — 14, 232, 236. 237.
Thăophanies bibliques. — 75-77, 101-
102, 188.
Theophile d'Antioche (S.). — 7, 27, 49,
86-96, 98, 102.
Thomas d'Aquln (S.). — 247-267.
Tibere. — 382.
Toilette. — 289-293, 317.
Tradition. — Eii maliere de dugme,
208, 25/1-261; de discipline, 258-260,415.
Traditionalisme. — 6, 221, 255, 427.
Traducianisme. — 124, 266.
Tradux spiritus. — 117.
Trajan. — 379, 380, 383, 387.
Transcendance du Christianisme. —
426-428.
Transnguratio. — 303.
Transflguration du Christ. — 76, 77,
171.
Trichotomie. — Dans l'homtne, 118, 119.
Trlnite. — 67-103. Formule du mystere,
68; unite de subslance, 81-82; distinc-
tion des personnes,82-84;processiondu
Fiis, 84-96; le Saint-Esprit., 96-99; liie-
rarcliie dea personnes, 99-102. Trinite
dans l'Eglise, 215, 218, 484.
Trinitâ gnostique. — 118, 122, 453.
78, 122, 141, 142, 155, 185 (Ie Glirisl),
189-192, 193-194 (Mărie), 197, 198, 202,
20S, 209, 2U (Ecriture;, 214, 215
(Eglise), 224, 230 (apocryphes), 318
(arcane), 432, 433, 440, 433.
Varron. — 41-4'i.
Vases d'Egypte. — 277.
Verbe de Dieu. — 3, 70, 71, 72. Genc-
ration temporelle, 85-96.
Vferite chrâtienne. — 36, 1)3, 203, 427.
Vertus chretiennes. — 30-32, 277, 301,
422.
Vespasien. — 383.
Veuvage. — 294, 295, 297, 315, 468,471,
472.
Victor (S.). — 441.
Vie romaine. — 408425.
Vincent de Lerins. — 261, 501.
Virgile. — Scs enfers, 132.
Virginlte chretienne. - 287, 288, 293-
299. Contrefaţon paîenne, 159; rigo-
rismc monlaniste, 466, 468, 469.
Visions. -- 41, 117, 131 (St Jcan, Per-
petue), 452, 453 (monlaniste).
Voiledes vierges. — 259-260, 295-299,
317, 453.
Voloans, image de l'enfer. — 146, 287,
427.
Xârophagies. — 314, 475, 476.
Ulpien. — 383, 386, 496.
Valentin et valentlniens. — 32, 60.
61 (trăite Adv. Valentinianos), 70, "2,
Zenon de Citium,
202.
Zenon d'Elee. — 133.
Zephyrin (S.). — 68, 441, 478.
i2, 106, 114, 138,
TABLE DES MATIERES
Introductio.v.
CHAPITRE PREMIER
Divinite du christianisme .
I. Apercu general ilcs preuves 1
II. Propheties messianiques 5
III. Miracles evangeliques 22
IV. Vie de FEglise 25
V. Conclusion. — Caractere rationnel de la foi cliretienne 33
CHAPITRE II
Dieu. — La Trinite.
I. Existeiice de Dieu 37
II. Unite de Dieu 41
III. Essence divine et attributs divîns 61
IV. La Trinite 67
CHAPITRE III
La creation. — Hommes et anges.
I. La creation 104
II. L'homme ; sa nature ; sa destinee 1 12
III. Ang'cs et demons 153
534 THEOLOGIE DE TEUTULLIEX.
CHAPITRE IV
Le Christ.
I. Lcs deux Christs de Marcion 162
II. L'liumanite du Christ. — Mărie 185
III. Le Christ selon TertuUien : . . . . 198
CHAPITRE V
L'Eglise ; l'ifecriture ; la Tradition.
I. Le trăite de praescriplione haerelicorum 201
II. Ltglise 213
III. L'Ecritui-e 221
IV. La Tradition. — Le Credo. — Prcscription th(;olof;iquc 251
CHAPITRE VI
Vie morale et chretienne.
I. Loi divine. — Ades humains. — Precepte et conscil 262
II. Nature et grâce. — Pechc originol et regeneration 264
III. Le libre arbitre et Ia grâce actuclle 268
IV. Le peche 272
V. Vortus chreticnnes 277
CHAPITRE VH
Priere et sacrements.
I. Le trăite de la priere 902
II. La liturgie chretienne 307
III. Sacrements 321
IV. Bapteme et conln-malion 324
Y. Penitence 330
VI. Eucharistie 355
VII. Mariage 370
CHAPITRE VHI
L'£glise et le siecle.
I. Hevendications chr<''ticnnes 378
II. Accusations contre Ies chrotiens. — Impiete 389
TABLE DES MATlEliES. 535
III. Les chretiens et le pouvoir imperial 391
IV. Les chrdtiens et la vie romaine 408
V. Christianisme et philosophie 425
VI. Le martyre 429
VII. Conclusion 433
CIIAPITRE IX
Le Montanisme.
I. Le inontaiiisme ett Orient 435
II. Montanisme africain. — Evolution des idecs de Tortullien. . . . 441
III. Le millenarisme 440
IV. Rcgne du Paraelet , 448
V. Fuite dovant la persecution 454
VI. Du mariage 460
VII. .Jeune et autres points de discipline : . . 475
VIU. De la pânitence 478
IX. Aboutissement du montanisme 491
Conclusion 495
Appendice : TertuUien devant les Peres 499
Passages de TertuUien 505
Index scripturaire 513
Table analytique 523
Table des matiâres 533