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PRÉFACE
L'étude de la physionomie, c'est-à-dire des
modifications que les sentiments, les sensations
et les idées impriment à la forme d’un être vivant,
a fixé dès les temps anciens l'attention des artistes,
des poëtes et des philosophes. Bien. plus, l'in-
térêt pratique qu’elle présente dans les relations
Sociales, a fait que nul homme, même parmi les
Plus humbles, n’a pu lui rester étranger. Qui donc,
en effet, n’a analysé, pour son propre usage, les
ellets de la douleur ou de la joie, de là colère ou
de la terreur? qui n'a cherché la vérité derrière
PRÉFACE.
le sourire d’un flatteur ou dans le regard d’un
envieux ?
Mais pour la science physionomique comme
pour la médecine, le désir, ou mieux, l’im périeuse
nécessité d’une application immédiate a pendant
longtemps donné une fausse direction à l'étude
des mouvements d'expression. Les observateurs
ont déserté les voies difficiles de la science pa-
tiente pour se jeter dans un empirisme plus ou
moins heureux et plus ou moins honnête.
Ainsi, l'antiquité, le moyen âge et les temps
plus récents nous ont légué une quantité presque
innombrable d’écrits sur la physionomie; mais
que sont-ils pour là plupart? Ou des séries de
descriptions isolées sur les mouvements qui expri-
ment telle ou telle passion; ou le plus souvent,
hélas! de fallacieux procédés de divination, l’art
trompeur de reconnaître le vrai du faux sur la
figure humaine, ou de prédire à l'inspection des
lignes du visage d’un enfant, les idées et les pas-
sions qui l’agiteront un jour : règles mensongères,
auxquelles l'assurance des affirmations, l’étran-
geté des preuves, parfois l'éclat du style, mais
surtout l'attrait du merveilleux et cette sorte de
vertige que donnent aux esprits faibles les ques-
PRÉFACE. 1
tions insondables, ont pu permettre d'acquérir
une douteuse popularité, mais qui sont à la vraie
Physiognomonique ce qu'est à l'astronomie la
Science des almanachs.
Lorsque, quelques jours avant cette mort sou-
daine qui allait nous consterner tous et dont la
Science portera éternellement le deuil , notre élo-
quent ami nous parlait avec enthousiasme de ces
théories du langage mimique universel tant mé-
ditées par lui, il ne dissimulait point sa crainte
de voir son livre confondu avec les productions
de ces bas imitateurs de Lavater dont l'exploita-
tion fructueuse a, de nos jours, déserté le champ
de foire pour les salons. Mais le nom de l’auteur
ne protêge-t-il pas suffisamment l’œuvre contre
une pareille assimilation, et l'en défendre,
serait-ce point leur faire injure ?
Cependant, les mots qui servent de titre au
livre que nous publions ont été si étrangement
détournés de leur véritable sens, qu’il serait utile
ne
de donner, dans cette préface, une explication
Succincte du but que s’est proposé l’auteur et du
plan général de son ouvrage.
Cette tâche, que la mort a empêché Gratiolet
d'accomplir, nous incombait ; mais nous en avons
ti
PRÉFACE.
pu décliner, au grand bénéfice de tous, la res-
ponsabilité et l'honneur. Dans une conférence
D pa ré = ru
publique, accueillie par des acclamations en-
thousiastes dont les échos de la vieille Sorbonne
gardent encore le souvenir, Gratiolet avait lui-
même résumé, de cette large manière qui n’ap-
partient qu'aux maîtres, les traits principaux de
cette œuvre, fruit des observations et des médi-
tations de plus de vingt années. La dépouillant de
ce qu'une exposition dogmatique peut offrir de
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pénible à des esprits un peu impatients, il avait
su, Sans rien lui enlever de sa précision scienti-
lique, en orner la sévère philosophie par de gra-
cieux et vivants tableaux, décrits avec une verve
pleme de charme et de poésie.
Nous avons placé en tête de notre volume cette
conférence, véritable chef-d'œuvre de science
aimable et solide, où se peint tout entier cet
esprit éminent, chez qui la grâce s’alliait à là
grandeur, pour qui les moindres détails deve-
naient un thème à de hautes pensées, et qui,
jusque dans les plus subtiles analyses, était
échaulfé par cette flamme généreuse qui fait les
orateurs.
La lecture de cette conférence, entraînante
PRÉFACE: | v
Comme cellé d'un roman, expliquera mieux que
tout commentaire la difficulté des problèmes que
S'était posés Gratiolet, et sa manière élevée de
les résoudre. Nous ne croyons cependant pas
inutile d'emprunter à une page inédite de notre
Savant et malheureux ami quelques lignes, qui
Précisent d’une façon bien nette le but et la
méthode :
“ L'étude générale des meuvemenis d’expres-
sion dans l’homme et dans les animaux n’a
conduit à aucune théorie applicable à l’ensemble
des faits. Une multitude d'observations très-
justes en elles-mêmes ont été publiées, mais
« peu de naturalistes se sont occupés
« coordonner d’après des Principes expér
« lement établis. Cette étude mér
de les
imenta-
ite cependant
au plus haut degré l'attention des physiolo -
gistes. Les mouvements d'expression sont en
effet les éléments du langage spontané de
« l’homme et des animaux. Il ne peut donc être
Cindifférent de rechercher quel lien secret unit
«les signes spontanément employés aux choses
«signifiées, c’est-à-dire à l'idée ou au sentiment
«qu'ils manifestent; de montrer comment ces
mn
(signes s’engendrent et comment ils s'associent:
DER ER MENT ENS
PRÉFACE.
de rechercher enfin s’ils résultent d’une manière
nécessaire des conditions intimes de l'organi-
sation des animaux, ou s'ils dépendent d’une
sorte de convention tacite entre tous les ani-
maux d’une même espèce. »
Un mot encore : notre volume se termine par la
notice pleine d’élévation et de cœur que M. Gran-
deau à consacrée à la mémoire de Gratiolet.
L'EDITEUR.
mm
CONFÉRENCE
LA PHYSIONOMIE EN GÉNÉRAL
ERTAUEIN PARTICULIER
SUR
. LA THÉORIE DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION
_ Messieurs,
J'ai eu l'honneur de traiter l’année dernière,
devant vous, de la dignité de la forme humaine.
À cette occasion, j'affirmais que l’homme seul
a le priviléce de cette parole libre et créatrice
qui, donnant un corps à ses pensées les plus abs-
traites, les fait agir et vivre au-delà de lui-même
dans le monde extérieur ; mais je faisais en même
temps remarquer qu'il parle encore un autre
langage, qui lui est commun avec tous les ani-
Maux, Ce langage commun, universel, est celui
de la physionomie et du geste. Il est parlé dès
le commencement des choses; et tant qu'un être
# l
CONFÉRENCE
vivant foulera la surface de la terre, il se mani-
festera, il retentira dans l’espace, il étincellera
comme un rayonnement nécessaire de la vie unie
à la sensibilité.
Le hasard, Messieurs, n’a rien fait dans ce
monde, Ce langage a donc ses lois, et c’est de
ces lois que j'aurai l'honneur de vous entretenir
aujourd’hui. Ges lois sont grandes : elles sont sim-
ples, et comme elles sont écrites en vous, je n’au-
rai besoin, pour vous les rendre sensibles, ni du
secours de la physique, ni de celui de la peinture.
Il me suflira de faire appel à la connaissance que
vous avez de vous-mêmes. C’est en vous, c’est
dans vos souvenirs et dans vos sentiments intimes
que je trouverai mes preuves; c’est dans votre
raison seule que j'espère trouver la justification
de mes paroles.
L’étude de la physionomie est aussi vieille que
l'histoire; mais elle n’a jamais pris chez les an-
ciens le caractère d’une science. À leurs veux
c'était un art empirique de se mettre à l’abri de
l'erreur dans les jugements immédiats qu’on porte
sur les hommes, en devinant les caractères d’a-
près certains signes fournis par la forme exté-
rieure, Aristote nous apprend que, de son temps,
SUR LA PHYSIONOMIE. 3
x
On croyait parvenir à ce résultat, en mettant en
usage trois méthodes peu différentes l’une de
l’autre, et qui avaient pour point de départ com-
mun le principe des ressemblances.
Dans un premier cas, on jugeait du caractère
des hommes d’après leur ressemblance plus ou
moins prochaine avec certains animaux. Le lion,
roi de la force, était le symbole accepté du cou-
rage, de la générosité, du désintéressement ma-
gnanime, et toutes ces qualités devaient être
attribuées à l’homme dont la physionomie rappe-
lait celle du lion; ressembler à une güenon ou à
un macaque, était un signe irrécusable d’étourde-
rie, d’impertinence et de malice : la sordidité était
le partage de ceux dont les traits rappelaient
ceux des pourceaux. Maïs on ne s’arrêta pas à ces
ressemblances générales, et bientôt on osa con-
clure d’après les similitudes partielles les plus
futiles, et j’ajouterai les moins certaines.
Dans un second cas, on réduisait davantage le
champ de la comparaison. On sait que les gran-
des nations, celles surtout dont la race est homo-
gène et pure, se distinguent par un certain nom-
bre de caractères physiques qui les font aisément
reconnaître, et, Le plus souvent, avec ces physio-
CONFÉRENCE
nomies diverses, coïncident des aptitudes et des
tendances morales très-différentes. Quelques phy-
sionomistes anciens attribuaient, en conséquence,
à ceux qui, dans une nation, rappellent les traits
d’une race étrangère, les caractères intellectuels
et moraux de cette race.
Dans un troisième cas, la théorie des ressem-
blances s’appliquait à un champ plus circonscrit
encore, et par conséquent elle offrait peut-être
moins de chances d'erreur. On examinait avec at-
tention les formes, les mouvements, les tics, les
attitudes de ceux que distinguaient exceptionnel
lement certaines vertus, certains talents ou cer-
tains vices ; et l’on attribuait aux personnes qui
leur ressemblaient en quelque chose, les mêmes
vertus, les mêmes talents, les mêmes vices.
Aristote et tous les physionomistes anciens ont
employé simultanément ces trois méthodes, dont le
moyen âge s’empara en y mêlant des billevesées
astrologiques. Il en résulta une foule de petits
ouvrages, qui se répètent les uns les autres avec
une désolante monotonie. Ajoutons que, de tout
temps, les médecins s’en mêlèrent, et firent inter-
venir l'étude des tempéraments. Parmi les auteurs
qui ont écrit sous l'inspiration d’Aristote, le plus
M PRE CREER ;
SUR LA PHYSIONOMIE.
Célèbre, à juste titre, est le Napolitain Porra; son
livre est encore aujourd’hui recherché par les
Curieux. À chaque page de cet ouvrage, le por-
irait d’un homme est mis en parallèle avec celui
de quelque animal, et des indices de ressem-
blances physiques sont pour Porta des signes à
PEU près certains de ressemblance morale.
Vous apercevez, Messieurs, dès l’abord, le vice
de ces méthodes anciennes; Porta lui-même en
Téconnaît l'incertitude : « Ma science, dit-il, est
Conjecturale, et n’atteint pas toujours la fin qu’elle
$e propose. » Nous pourrions aller plus loin, et
Prouver que toute sa théorie est fondée sur des
principes futiles, sur des observation
et ne pouvait conduire
ridicules.
S incertaines,
Le dernier siècle a produit des œuvres meil-
leures, et le nom de LAvATER se présente naturel-
lement ici. |
Le livre de Lavater sur la physionomie, écrit
avec un charme naïf, accompagné de dessins choi-
SiS avec un tact exquis, et publié d’ailleurs avec
le plus grand luxe, acquit dès ses débuts une
Célébrité européenne. I1 est encore aujourd’hui
Populaire; mais c’est bien à tort que l’on dit et
qu'à des ‘conséquences |
CONFÉRENCE
que l’on écrit à tout propos le sysrime de Lava-
ter. La vérité est que Lavater n’a jamais eu de
système. Doué d’une finesse et d’une sensibilité
prodigieuse, une sorte de divination naturelle
dicte ses jugements. Les moindres modifications
de la forme ont pour lui une signification qui
s'impose à son intelligence. Étonné lui-même des
découvertes de son instinct, il les admire, il les
chante; mais des phénomènes qu’il observe, il ne
sait point la théorie; il ne s’en inquiète point : une
physionomie le charme, une autre le repousse et
produit en lui un certain malaise; il n’en sait pas
davantage. En un mot, nous pourrions fort juste-
ment le comparer à un homme qui entend et parie
facilement une langue, sans en connaître la gram-
maire et la genèse philologique.
Le jugement que je porte ici sur Lavater a été
déjà formulé en termes peut-être trop sévères par
deux célèbres naturalistes allemands, MM. Srrx et
Huscure. Nous parlerons peu de M. Spix; il est
moins un physionomiste qu'un crâniologiste à la
manière de Gall et de Carus. Quant à M. Huschke,
il simagine trouver la clef du mystère dans ce
que les naturalistes allemands ont adoré si long-
temps sous le nom de Lor DE POLARITÉ. Les senti-
1
SUR LA PHYSIONOMIE.
ments agréables sont expansifs; les sentiments
OPposés contractifs, si je puis ainsi dire. Telle est
en bref la théorie de M. Huschke; elle me semble
réduire à des termes bien simples une question au
Premier abord très-compliquée. Je doute d’ailleurs
Que les acteurs et les peintres pussent appliquer
avec un bien grand succès le principe qu’il in-
voque. |
Je ne ferai qu’indiquer ici des essais dus à des
Physiologistes célèbres. Cnarces Perr, l’auteur
fameux de la distinction des nerfs moteurs et sen-
sitifs, avait cru pouvoir ranger. dans une classe
distincte tous les nerfs qui concourent aux actions
respiratoires. Or,
Charles Bellen conclut que le principe qui déter-
mine les mouvements respiratoires est le principe
même de la physionomie, :
Il faut pardonner à l'auteur d’une grande dé-
couverte si, justement pénétré de l’importance de
ses travaux, il se fait quelque illusion sur l'étendue
réelle de leurs conséquences. La face n’est pas le
seul organe expressif des passions; loin de là, la
main, le pied de l’homme et des animaux, la
Queue de certains carnassiers, tels que les chiens
suivant lui, tous les mouvements :
de l'expression faciale dépendent de ces nerfs,
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8 CONFÉRENCE
et les chats, ont des expressions qu’on ne saurait
méconnaître. Nous pourrions ajouter qu’il n’est
point de mouvement qui n’ait sa physionomie, et,
dès lors, à moins d'admettre que tous les organes
sont animés par des nerfs respiratoires, il faut
reconnaître que la théorie de Bell est insuffisante
et n'explique ni l’ensemble des phénomènes dont
la physionomie se compose, ni leur véritable ori-
gine.
Un médecin, très-justement renommé, a cru
récemment résoudre le mystère de la langue phy-
sionomique en produisant artificiellement des
mouvements, à l’aide de certains courants élec-
triques très-habilement dirigés. Ces mouvements
peuvent, à la vérité, simuler des expressions;
mais sont-ce là des expressions véritables? L’es-
sence de la physionomie est de raconter les senti-
ments et les passions qui modifient l'être vivant.
Or, comment des mouvements communiqués à mes
muscles par une volonté étrangère pourraient-ils
raconter mes sentiments et mes volontés ? Ils ne
feraient qu’exprimer une idée de l’expérimenta-
teur, me façonnant comme un statuaire façonne
l'argile; produire une expression, déterminer avec
plus de précision les muscles dont la contraction
= - 3 _—_ er
= : = it so sr ur vel de Se Fer Ne
” piétee has vi a æ 3
in OUPS S lc blesse ve era to fonds and er doit:
- É … ce à à
D
SUR LA PHYSIONOMIE. | ©
Modifie alors la forme du visage, est-ce connaître
le Principe vrai et la raison première de ces mou-
Véments ? N'est-ce point oublier trop que la phy-
Sionomie est un langage, et qu’à la raison seule il
àPpartient d'en découvrir les lois ?
Seuls, trois hommes me semblent avoir eu le
sentiment des vraies méthodes : dans le XVIII* siè-
cle, Dineror et ENGEL, et de nos jours M. Cur-
| VREUL. J’aurai occasion de les citer plus loin :
Mais il serait injuste de ne pas rappeler à leur
Suite les grands poètes, les grands artistes , les
grands acteurs, dont l'instinct as dés l’origine,
devancé la théorie des Savants et des philosophes.
J'aurais à ajouter beaucoup à ce que je viens de
dire ; mais cette Conférence ne peut être exclusi-
vément consacrée à la critique : vous attendez,
Messieurs, quelque chose de plus. J'entre donc
immédiatement en matière. Je n’aurai besoin, je
le répète, d'invoquer que la Connaissance intime
que vous avez de vous-mêmes , pour justifier la
théorie que je viens essayer de défendre aujour-
d'hui, théorie d’un langage que vous parlez, que
VOUS interprétez tous » aussi bien, sinon mieux ;
que moi-même,
CONFÉRENCE
Aristote, dont le petit traité sur la physionomie
a servi de base à la plupart des essais publiés de-
puis l’antiquité jusqu'aux temps modernes, à eu
l'honneur d'exprimer le premier un principe dont
les conséquences méritaient d'être mieux déve-
loppées.
Ce qui est durable dans la forme, dit ce grand
philosophe, exprime ce qui est immuable dans la
nature de l'être; ce qui est mobile et fugace dans
cette forme exprime ce qui, dans cette nature, est
contingent et variable. Remarque simple, grande
dans ses résultats, et qui aurait dû l’obliger à di-
viser, dès l’abord, la physiognomique générale en
deux sciences distinctes.
La première de ces sciences à reçu de mon il-
lustre maître HENRI DE BLAINVILLE, le nom de 720r-
phologie. Elle étudie dans le monde vivant l’ordre
sérial des formes ; elle révèle au naturaliste philo-
sophe la véritable nature des êtres qu’ilconsidère;
elle permet au paléontologiste qui découvre dans
les entrailles de la terre les ossements ou les restes
d'animaux que les yeux de l'homme n’ont jamais
vus, de dire, avec certitude, quel rôle chacun
d'eux jouait dans l'harmonie des faunes disparues ;
et, en effet, conçue dans un rapport immédiat et
ons eg
TR PS Li De ter rca deshistenesat hi sg pains ie mo a er eat Due Rs re Se
x RS? |
|
SUR LA PHYSIONOMIE. _
parfait avec le but spécial que tout être créé doit,
par la volonté divine, accomplir en ce monde, la
forme absolue de l'être vivant raconte éloquem-
Ment sa nature ; elle révèle sa place dans le con-
cert de la création.
La seconde de ces sciences, à laquelle je don-
nerai le nom de cinéséologie, a pour objet ces
Mouvements fugaces par lesquels les volontés, les
Passions, les instincts actuels de l'animal sont
traduits dans leurs modifications infinies; ces ex-
Pressions sont très-distinctes, et les anciens ne
l'avaient pas suffisammeut reconnu, de celles que
l'œil du naturaliste lit dans les traits immuables
GR Ra rpm pre
de la forme spécifique ; et, en effet, quel que soit
Un animal et quelle que soit la nature des fonc-
tions qui lui sont imposées, il peut, vous le savez
. ous, éprouver les passions les plus diverses. Une
bête de guerre, un tigre, un lion, se montre
à certains moments aimante et caressante; les
er eaarer
Plus inoffensifs des animaux, les plus doux dans
l'opinion du vulgaire, un mouton, une colombe,
Peuvent éprouver la haine et manifester la colère :
toutes les passions liées à l'essence même de la
Vie, peuvent à différents degrés, se manifester
Chez tous les animaux. Ces passions, en effet, sont
12 CONFÉRENCE
les formes de la sensibilité ; et, pour parler comme
Aristote, c’est en réalité par la sensibilité seule
que tout animal est constitué.
Ce langage universel d'expression, si spontané,
si multiple, si variable qu’il soit en apparence, a
ses règles simples etintelligibles. Ces règles, bien
qu’à chaque instant appliquées, sont cependant
peu connues. Le plus souvent on n’étudie la phy-
sionomie qu'au point de vue d’une divination
égoïste, excusable peut-être quand lesclavage
était dans les mœurs et quand l’homme, acheté
comme on achète un cheval, pouvait avoir, comme
SERRES
;
de
Se GE à 27 DNS
lui, des vices rédhibitoires. Aujourd'hui, elle ne
peut être étudiée au point de vue d’un pareil diag-
nostic : la physionomie est une partie de la science ;
or, le but de la science n’est point de satisfaire
l’égoïsme et la malice, mais d'expliquer les mani-
festations naturelles et, par conséquent, les des-
seins mêmes de Dieu.
Vous m'accorderez, Messieurs, un premier fait.
, C'est qu’il n’y a pas un seul muscle, un seul or-
| gane créé uniquement pour les besoins de l’ex-
pression.Tout org ane, en effet, a en principe un
but extérieur, un but déterminé. Ge but, il le
raconte par sa forme et par son activité propre;
ARS Pb LS 78 dés: 0 mo NE or © IL LS Pr Eee pie PE PR DR Mn nn
. ne
||
Al
{L:
f-
11
1,
SUR LA PHYSIONOMIE. 18
or, vous reconnaîtrez aisément que le degré d’é-
nergie d’un mouvement quelconque fournit des
indications immédiates. Ainsi, l'absence de mou-
Yement dans un appareil extérieur, la flaccidité
de ses muscles, indiquent le repos et, mieux en
Core, un état absolu d’indiflérence ; un mouve-
ment faible exprime une volonté nonchalante, un
mouvement énergique correspond à une volonté
forte; mais un mouvement contrarié, contenu.
indiquera avec plus d’éviden®t encore la volonté
_ Commandant à l'instinct et se dominant elle-
” même. |
Les causes qui déterminent ces mouvements
appartiennent toutes à l’ordre de la sensibilité. Ils
ont la sensibilité pour principe: mais en retour,
_ Serviteurs fidèles, ils favorisent l’action des or-
ganes sensitifs; ils règlent automatiquement et
Maintiennent dans ses limites naturelles le degré
_ de leur action spéciale et, dans certains cas, les
Protégent et même les défendent. Une analyse
rapide des principaux mouvements du visage ren-
dra, je l'espère, évidente la vérité de cette pro-
Position.
L’œil considère un objet et, créé pour la lumière,
‘il se réjouit quand il peut la contempler sans
14 CONFÉRENCE
effort pénible. Dans cette condition, il se dirige,
il s'ouvre doucement, et aucune contraction vio-
lente ne trouble alors la pureté des lignes du vi-
sage : telle est l'attitude de la vision facile; cette
attitude de l’œil est naturellement accompagnée
d'un sentiment de bien-être. On sait combien,
après une longue nuit, la lumière réjouit à la fois
la vie et la pensée.
Mais souvent l’objet que l'œil regarde est peu
distinct, et ce n’est#pas sans difficulté qu'on peut
en reconnaitre les formes. Une vision nette de ces
formes exige une attention plus ou moins vive, et,
modifiées par cette attention même, les lignes
expressives de ces parties du visage qui entourent
l'œil, font deviner un effort plus ou moins grand
et parfois excessif.
M. Chevreul a montré dans un travail récent
que, pour distinguer aisément un objet mêlé à
une foule d'objets différents, mais visibles au
même degré, il est bon de l’isoler, de le circon-
scrire et d’écarter ainsi l'inconvénient qui résulte
de la confusion d’une foule d’impressions égales
et simultanées sur la rétine. On y parvient aisé-
ment en dirigeant son regard dans l’axe d’un tube
étroit dont l’intérieur a été noirci à la lampe. Un
nn in ne io qht mn RO D ns irn
SUR LA PHYSIONOMIE. 15
semblable tube n’est pas à la disposition de
l'homme réduit à ses organes naturels, mais des
mouvements déterminés ont pour but d'en com-
penser l’absence.
Et, en effet, considérez un homme qui cherche
à reconnaître un objet qu'une grande distance
rend pour ainsi dire imperceptible; voyez-vous
ses sourcils se froncer et s’abaisser, ses joues se
soulever, les angles des yeux se plisser et les pau-
‘pières se rapprocher de manière à circonscrire
autant que possible la pupille elle-même ? À mon
Le
sens, ces mouvements ont un but évident, celui
de rétrécir autant que possible l'étendue du champ $
Visuel. É
Ce sont là des attitudes de vision difficile ; elles
se produisent également toutes les fois que l’on
veut distinguer les objets sous l'impression d’une |
lumière trop vive qui éblouit et fatigue l’œil, et
vous n’ignorez pas qu’elles sont, en tout cas, ac-
compagnées par un sentiment d'effort et souvent
de gène douloureuse. Je n’ai pas besoin d’ajouter
que l'œil se dirige en haut pour considérer les
Objets élevés ; en bas pour voir les objets infé-
rieurs ; qu’il se dirige à droite et à gauche pour
voir les objets situés sur les côtés du corps, qu’en-
de da “ii g EU a Sl - 1
5 " m5 Agé ; :
TP SR RO RER TEE PERTE
16 CONFÉRENCE
fin les axes des yeux convergent légèrement quand
il s’agit d'examiner quelque objet très-rapproché.
Mais, Messieurs, les yeux ont parfois une ten-
dance marquée à regarder en arrière: ce regard
est très-facile chez certains animaux timides ,
chez les lièvres et les lapins, par exemple, dont
les yeux situés aux deux extrémités d’un diamètre
iransversal de la tête ont une égale facilité à voir
en avant et en arrière du corps; cette facilité
leur est fort précieuse : car, sans cesse exposés aux
attaques des animaux carnassiers, ils peuvent
ainsi, dans leur fuite éperdue, échapper plus aisé-
ment au danger qui les menace, en mesurant
constamment la distance qui les sépare encore du
renard, du loup ou du chien qui les poursuit,
sans avoir besoin pour cela de retourner la tête:
mais vous conviendrez, Messieurs, que lorsqu'ils
regardent ainsi, ils doivent naturellement éprou-
ver un sentiment de préoccupation fort désa-
gréable.
Le parallélisme des axes oculaires rend chez
l'homme ce regard en arrière absolument impos-
sible. Il est cependant certains cas, et ces cas
sont fréquemment réalisés dans le monde, où les
yeux ont une tendance évidente, bien qu’inutile,
EP RE
SUR LA PHYSIONOMIE. 17
à regarder ainsi ; on les voit alors se porter simul-
Tanément d'un côté ou de l’autre, jusqu'aux limites
extrêmes de ce mouvement, et l’on dirait, passez-
moi cette expression, qu'ils veulent faire le tour
de la tête. Chez les animaux où cette manière de
regarder est facile, elle est un symptôme de timi-
dité, de frayeur ou du moins d'inquiétude; chez
l’homme, elle est un signe de soupçon, de curio- /
sité dissimulée, et parfois elle indique une préoc-
Cupation jalouse qu’on n’ose avouer.
En général, les yeux fixés sur un même objet
déterminent automatiquement des attitudes symé-
tiques du corps. Regarder devant soi un point
fixe est une condition d’équilibre plus facile; si.
ce point, perdant sa fixité, venait à osciller, ce
Mouvement de l’objet, dérangeant la direction des
Yeux, troublerait les conditions intimes de l'équi-
libre primitif et serait une occasion de chute. En
un mot, les tendances précises des yeux déter-
Minent surtout des attitudes symétriques et des
Mouvements en ligne droite.
Des attitudes également symétriques se mani-
festent également à l’occasion des sensations au-
ditives, surtout quand ces ‘sensations sont atten-
tives, chez tous les animaux dont l'oreille est
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_ | FT Dome.
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Es ER
18 ‘ CONFÉRENCE
munie d’un pavillon mobile; qui de vous n’a vu
chez les chiens à oreille droite, chez les chevaux,
ce pavillon se dresser, s'étaler, s'agrandir et se
disposer de la manière la plus favorable pour re-
cueillir les impressions sonores? Souvent alors les
deux pavillons sont dirigés dans le même sens
que les yeux; chez les animaux chasseurs, ils
s'ouvrent en avant; chez les animaux timides
qu’un ennemi poursuit, ils se dirigent simultané-
ment en arrière : toutes ces attitudes sont symé-
triques. Mais une inquiétude quelconque s’est-
elle emparée de l'animal, on voit ces pavillons se
mouvoir en sens inverse l’un de l’autre, comme
pour interroger tous les points de l'horizon. Enfin,
les oreilles s’abaissent, se couchent, s’affaissent
avec le corps tout entier quand le danger vient
d'en haut, quand les serres du vainqueur ont
déjà saisi la victime, ou quand un bruit terrible,
inconnu, à déterminé l’épouvante.
Or, dans, l’homme, les oreilles, je n’ai pas be-
soin d’insister là-dessus, sont presque absolument
immobiles. Leurs pavillons ont à la vérité quel-
ques muscles, mais la volonté semble, surtout
dans les races civilisées, les avoir à peu près ou-
bliés. Symétriques et immobiles, ces pavillons
SUR LA PHYSIONOMIE. 19
Li]
s'ouvrent en sens opposé; l’un surveille à droite,
# je 4 4
l autre surveille à gauche, et dès lors, quand l’au-
dition est attentive, il y a nécessairement prédo-
Minance d'action dans l’une ou l’autre oreille. Le
Cou s'incline alors dans le sens de l'oreille direc-
trice; de ce côté, le coin de la bouche est légè-
rement soulevé et tiré en dehors, et le plus
Souvent alors les yeux dirigés en sens opposés se
Cachent à demi sous la paupière supérieure. Bien
que ces mouvements troublent à certains égards
la symétrie de la face, ils n’altèrent point d’une
Manière sensible l'harmonie des formes quand
l'attention n’exige aucun effort marqué. Telles
Sont les expressions ordinaires d’une audition à la
fois attentive et facile.
Mais quand les sons trop faibles sont difficile-
ment perçus, et surtout, quand les nerfs auditifs
Sont peu sensibles , Le cou se tend avec effort dans
le sens de l’oreille employée ; tous les muscles de
Ce côté de la face expriment cet effort: l’œil se
ferme et se crispe, la narine est tirée en dehors,
le coin de la bouche s'ouvre en une sorte de rictus
qui découvre les canines et même les molaires :
des rides longitudinales sillonnent la joue; on
dirait, en un mot, que tous les muscles de la face
20 CONFÉRENCE
s’elforcent de suppléer à l’insuffisance des muscles
du pavillon, et de cet effort résulte une fort laide
grimace. Gette grimace est fort habituelle aux
vieillards impatients et quinteux, qui ont l'oreille
un peu dure, surtout si le discours qu'ils écoutent
leur est importun ; on les voit se produire éga-
lement quand lé discours leur plaît, mais alors
l'œil du côté intéressé s’ouvre un peu davantage,
celui du côté opposé beaucoup plus; la narine, du
premier côté est froncée, mais l’autre se dilate ;
en un mot, le côté non intéressé sourit. Ces ex-
pressions sont fort connues des mimes habiles, des
grands acteurs comiques. Elles indiquent à la fois
que l’ouie est difficile et pénible, mais que somme
toute l'impression qui à frappé l'oreille est
agréable. Ajoutons qu’elles sont parfois accompa-
gnées par un petit cri, je dirais presque par un
point d'interrogation de la voix, qui porte au plus
haut point d’évidence la signification de ces mou-
vements. On pourrait aisément expliquer pour-
quoi, quand l'audition est à la fois difficile et
désagréable, le cou est violemment étendu sur
des épaules très-abaissées et légèrement reculées
en sens opposé, tandis que si l'impression est
L
agréable, elles sont légèrement voûtées , légère-
SUR LA PHYSIONOMIE. 21
ment soulevées et se meuvent dans le même sens
que l'oreille qui écoute, c’est-à-dire dans le même
sens que le cou. it bent
Ces expressions sont, pour ainsi dire, infinies:
On pourrait parler plusieurs heures sur les modi-
fications que peut éprouver un même mouvement
de l'oreille ou des yeux; mais le temps me man
uerait, et je dois me souvenir d’ailleurs que je
parle à un public athénien, je veux dire à un pu-
blic français, sur la divination duquel je puis
Compter en toute sécurité.
Les organes des sens inférieurs ont des expres-
Sions non moins intelligibles. Voyez comme les
narines se dilatent pour appeler un air pur et
réjouissant ; comme elles se froncent sur les côtés,
Comme elles se relèvent et se rétractent en souf-
flant brusquement, pour repousser une odeur
Mauvaise ; comme elles flairent avec délicatesse,
appelant à petits coups les effluves odorantes
qu'elles veulent à loisir examiner! Ces derniers
Mouvements sont un indice très-significatif d’une
attention de l’esprit analysant une odeur. Ils sont
faciles et francs , si l'odeur est agréable; si, au
Contraire, elle est mauvaise, ils sont-plus contenus.
Le nez se recourbe alors plus fortement; la lèvre
22 CONFÉRENCE
supérieure, légèrement soulevée et gonflée à sa
base, s'apprête à s’appliquer aux ouvertures des
narines comme un véritable opercule; les côtés
du nez sont légèrement plissés. Ces mouvements
sont accompagnés de défiance, d’un sentiment de
doute sur un aliment qu’on à intérêt à connaître,
mais à l'égard duquel on se tient en garde.
De même que l’œil et l'oreille, le nez est à son
tour un directeur du corps tout entier. Ceux de
vous qui ont observé les carnassiers chasseurs,
tels que le chien, n’en peuvent douter. Ces mou-
vements sont, à la vérité, moins prononcés dans
l’homme; mais n’est-il pas certain qu’une odeur
agréable attire la tête, et qu’une odeur mauvaise
la repousse? Le corps se porte en avant dans le
premier cas; il se rejette en arrière et se détourne
dans le second. Mais je m'étends mal à propos sur
des mouvements que chacun de vous a pu obser-
ver sur lui-même.
La bouche, celle de l’homme surtout, à des
mouvements plus variés encore. Elle est un organe
de respiration, de toucher, de gustation et de
trituration ; ajoutons que les dents qui triturent
peuvent devenir, dans certains cas, des armes de
guerre, des armes furieuses. La bouche est enfin
SUR LA PHYSIONOMIE. 23
Un organe de déglutition, et nous devrions ajou-
ter encore un organe modificateur des sons engen-
drés dans le larynx: en sorte qu’elle est naturelle-
Ment chez l’homme l'organe privilégié du langage.
Considérons, en premier lieu, la bouche, en
tant qu’elle est un organe respiratoire. Quand
l’homme respire facilement un air pur, frais, et
que n’altère aucune souillure, la bouche se dilate
légèrement; la lèvre supérieure découvre plus ou
Moins les incisives supérieures, et les coins de la
bouche se relèvent alors avec grâce ; les muscles
qui déterminent ce mouvement agissent en même
temps sur les pommettes des joues et, les relevant,
Soulèvent légèrement l'angle externe des yeux,
qui deviennent un peu obliques. Ge mouvement |
d’une respiration agréable s'appelle le sourire, et |
l'on distin gue dans le langage le sourire des lèvres
et le sourire des yeux; mais ce sourire des yeux
est dans l’homme consécutif au sourire de la
bouche, et ne dépend d'aucun muscle spécial.
Aucun animal mammifère n’a le sourire de la
bouche; mais le sourire des yeux existe dans
les animaux carnassiers, et, ne pouvant dé-
pendre du sourire buccal, il a pour cause dé-
terminante un petit muscle qui agit sur l'angle
: fi
Al
È
È
;
ir
i
Li CONFÉRENCE
externe de l’œil. Les chiens, on le sait, ont ce sou-
rire des yeux au suprême degré.
Le sourire, je le répète, est la forme de la res-
piration libre et heureuse; mais il est des circon-
stances où la respiration est pénible et pleine
d'efforts, soit que l’air manque au poumon, soit
que le poumon manque à l'air; les mouvements
que la bouche exécute alors sont précisément
opposés à ceux du sourire. Dans le sourire, les
coins de la bouche étaient relevés en même temps
que la lèvre supérieure; dans le cas que nous
examinons ici, Ces coins sont, au contraire, forte-
ment tirés vers le cou, et la lèvre inférieure,
entraînée dans ce mouvement, laisse à découvert
| les dents inférieures; en même temps, la lèvre
supérieure cache complétement les dents supé-
rieures, contre lesquelles elle s’applique. Ces mou-
vements ont pour cause immédiate les contractions
de ce muscle peaussier du cou, dont la partie fa-
ciale a recu de l’anatomiste Santorini le nom de
muscle rieur, risortus, sans doute par antiphrase,
car ce prétendu risorius est le muscle de la dys-
pnée mortelle, de l’angoisse et de l’épouvante.
Les lèvres font une petite moue pour toucher
ou pour saisir; elles se pressent contre les dents
SUR LA PHYSIONOMIE 25
incisives pour faire chéminer les liquides sapides ;
elles exécutent en même temps de petits mouve-
ments pour les agiter et favoriser leur contact
vec la pointe si sensible de la langue: ‘elles font
Cheminer à peu près de la même façon les ali-
Ments que les mâchoires ont broyés. Viennent en-
Suite, si l'aliment a été jugé bon, des mouvements
de déglutition, sous l'influence desquels le dessous
de la gorge s’arrondit et se gonfle légèrement.
Quand l’impression sapide est fort agréable, on
Cherche à la faire durer plus longtemps; la déglu-
lition est alors plus lente. Aussi, la respiration ne
Pouvant, en général, s’effectuer pendant qu’on
vale, à la suite de ces mouvements voit-on la bou-
che s’entrouvrir et exécuter un petit mouvement
d'inspiration, qui varie et complète le tableau.
Si l’aliment a peu flatté le goût, alors même
il n’a point encore dépassé le vestibule de la
Cavité buccale, on voit les lèvres se préparer d’a-
Yance à le rejeter. La lèvre inférieure, tirée en
bas, S'allonge en forme de bec d’aiguière pour
lisser s'échapper librement la chose dédaignée;
Si l'impression a été plus vive, il se produit des
Mouvements d'expulsion que je n'ai pas besoin de
décrire en détail. |
CONFÉRENCE
Ici, permettez-moi d'indiquer en passant une
distinction physiologique très simple, mais impor-
tome.
LR
tante à notre point de vue. Il est certain que le
goût est double, et le langage usuel distingue fort
à propos l’avant-goùt qui est plus analytique,
plus intelligent, de l’arrière-goüt, qui s'adresse
surtout à l'instinct. Get arrière-goùt s'exerce
quand les mouvements de déglutition ont déjà
commencé. Il juge en dernier ressort de la nature
des aliments, et surtout du degré de leur conve-
nance avec notre propre nature. Si ce dernier
juge est satisfait, comme le mouvement de déglu-
tition est à la fois doux et franc! Si l'aliment, au
contraire, a déplu à l’arrière-goût, s’il l’a révoité,
l'organisme entier le rejette. Vous connaissez,
Messieurs, les attitudes du vomissement : le larynx
se soulève; la bouche s’ouvre largement; les
lèvres se rétractent, comme si toutes les parties
de l'appareil buccal s’efforçaient d'éviter le con-
tact d’une matière que le sens intime rejette. C'est
là l'expression immédiate d’un suprême dégoût,
d’une horreur profonde; cette expression est
claire pour tous; elle est immédiatement intelli-
gible.
Les organes du toucher ont aussi des mouve-
A ee LA D M en
San
SUR LA PHYSIONOMIE. 24
Ments divers, et ces mouvements ont leur physio-
_nomie, Ils caressent les objets d'où leur viennent
des impressions douces: ils repoussent les sensa-
tions désagréables, ou s’en éloignent avec effort.
Ces mouvements sont si connus qu'il serait super-
Îlu d'y insister.
Peut-être trouverez-vous, Messieurs, que je
M'étends outre mesure sur des choses connues de
VOUS tous ? Mais j'ai eu besoin de vous les rappe-
ler, et mon but sera atteint si je suis parvenu à
VOUS convaincre que ces mouvements automati-
‘fes ou volontaires, qui se produisent dans l’exer-
“ice de nos sensations, sont des expressions natu-
Telles, qui racontent avec une absolue évidence
jusqu’à quel point ces sensations concordent avec
otre propre nature. Je donne à ces mouvements
le nom de mouvements directs où prosboliques.
arrive maintenant à un point plus délicat. On
. “nfond, en général, dans le langage usuel, ces
deux expressions verbales sensation et senti-
* Ment; elles sont cependant bien distinctes. L'objet
de la Sensation est extérieur : le sentiment, sens
intime, à pour objet les profondeurs du corps
Vivant: le plaisir et la douleur nous sont propres;
ous leurs modes sont en nous. Ces propositions
.
|
LA
il
Ê
|
28 CONFÉRENCE
sont démontrées par les découvertes les plus cer-
taines de la pathologie moderne. Dans certaines ma-
ladies nerveuses, les sensations de contact peuvent
se conserver dans un organe devenu compléte-
ment insensible à la douleur et au plaisir; la réci-
proque est également vraie. En principe donc, la
sensation est indépendante du sentiment, et réci- .
proquement. Ils peuvent exister l’un sans l’autre,
quand l’harmonie des fonctions nerveuses a été
troublée ou détruite.
Dans l’état normal, au contraire, il n’est pas de
sensation qui ne réveille un certain sentiment ;
dans l’ordre naturel, le plaisir accompagne les
sensations dont le développement favorise ou
exalte le rayonnement de la vie; en revanche,
toute action nuisible éveille un sentiment de dou-
leur. On loue, on chante le plaisir; on maudit,
on blasphème la douleur; et sans elle, cependant,
qui protégerait le corps? Le plaisir ? on sait trop
qu'il ouvre toutes les portes! Mais, surveillante
toujours éveillée, la douleur crie; elle appelle au
sècours, elle tourmente, elle sonne le tocsin
toutes les fois qu’un danger menace cette vie, ce
bien suprême de tous les animaux. Est-il juste
d’amnistier ainsi le mal, et de n’accuser que sa
SUR LA PHYSIONOMIE 29
Tévélatrice ? En sa qualité de gardienne fidèle, la
douleur à ses titres légitimes; elle entre au même
_titre que le plaisir dans l'harmonie du monde:
Comme lui, elle joue son rôle dans le concert des
actions Conservatrices, comme lui elle est fille de
l'éternelle bonté.
Ainsi, dans l’ordre naturel, toute sensation,
devant être mesurée et jugée, est nécessaire-
Ment accompagnée d’un plaisir ou d’une douleur.
Les sources du plaisir, je n’ai pas besoin d’in-
Sister là-dessus, sont aisément acceptées; les
Gauses de douleur sont, au contraire, rejetées
avec une énergie, une intensité de fureur qui
est pas moins apparente dans l’homme que
dans les animaux carnassiers.
Dès lors, Messieurs, vous distinguerez aisément
_ Se qui, dans l’ordre philosophique, distingue une
Sensation d’un sentiment: la nature des sensa-
tions est d’être essentiellement localisées, et abso-
lument spécialisées dans des organes distincts.
Îl'ya, en effet, des qualités distinctes dans un
Même objet; en tant qu'il est lumineux, nous
le perceyons par l'œil; sonore, par l'oreille:
Odorant, par le nez; sapide, par le goût, tan-
Sible, par les organes du toucher, Le corps ne
: 2.
30 CONFÉRENCE
pouvait obéir que par des organes spéciaux aux
exigences multiples de l'intelligence,
En sera-t-il de même des sentiments? en au-
-cune façon, Messieurs. Si la nature de la sensa-
tion est d'être spécialisée, car les organes des
sens sont essentiellement des organes d’abstrac-
tion et d'analyse, la nature du sentiment, au con-
traire, est de se généraliser. Quand un plaisir
s'éveille à propos d’une sensation quelconque,
l'organisme entier chante sur divers tons un
hymne de satisfaction et de joie; si la douleur en
résulte, au contraire, quel concert de tous les
organes dans la lutte ! quelle unité dans les ten-
dances du corps entier! Comme tous les organes
protestent! comme ils repoussent l'ennemi ! De
ces faits, que l'habitude de la vie vous a rendus
familiers, nous déduirons les conséquences sui-
vantes :
4° Quand un sentiment de plaisir s’éveille à
l’occasion de l’action d’un organe sensitif quel-
conque, tous les organes à leur manière l’accep-
tent, le déclarent bon. Je rendrai la vérité de
cette proposition sensible par un exemple.
Donnez à un petit carnassier, à un petit chat,
par exemple, quelque liquide savoureux et sucré ;
SUR LA PHYSIONOMIE. ei
SSSR :
Voyez-le s'avancer lentement et flairer avec atten-
tion; ses oreilles se dressent; ses yeux, largement
ouverts, expriment le désir; sa langue, impatiente,
léchant les lèvres, caresse et déguste d'avance
l'objet désiré. 11 marche avec précaution, le cou
tendu, Mais, il s’est emparé du liquide embaumé ;
ses lèvres le touchent, il le savoure ; l’objet n’est
plus désiré, il est possédé; le sentiment que cet
objet éveille s'empare de l'organisme entier; le
Petit chat ferme alors les yeux, se considérant
lui-même tout pénétré de plaisir. Il se ramasse
Sur lui-même, il fait le gros dos, il frémit volup-
tueusement, il semble envelopper de ses mem-
bres, son corps, source de jouissances adorées,
Comme pour le mieux posséder; sa tête se retire
doucement entre ses deux épaules, on sent qu'il
cherche à oublier le monde, désormais indifférent
Pour lui; il s’est fait odeur, il s’est fait saveur, et
. Î se renferme en lui-même avec une componction
toute significative. |
2° Ce que je viens de dire du plaisir et des sen-
sations agréablés peut être dit de la douleur.
Un seul organe est directement lésé; cepen-
dant l'organisme entier lutte avec un effort
Suprême, effort tantôt concentré et muet, tantôt
ere
£
u, À
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ne à PR rs pere ssc Sa S SSL TE D ae me pr: Sens e 22 mi FR A nd æ
> pére . ace "
22 CONFÉRENCE :
expansif et manifesté par des cris. Les cris, Mes-
sieurs, sont la voix de l'effort, ils sont la voix de
la lutte contre la douleur.
Si la douleur est sourde et profonde, on voit se
produire des expressions un peu différentes :
l'attention se concentrant sur un point intérieur,
les yeux se ferment parfois; s'ils demeurent ou-
verts, ne se dirigeant plus au dehors, ils devien-
nent divergents et hagards. L'animal qu’une dou-
leur profonde pénètre se retire dans quelque
endroit écarté; il recherche les ténèbres et le
silence. Cependant les douleurs profondes ont
souvent, chez l'homme, une forme expansive. Un
instinct irrésistible de fuite saisit alors le malade,
qui semble vouloir s'échapper de lui-même; des
eflorts terribles d'expulsion se produisent, ses
mains crispées voudraient, pour ainsi dire, arra-
cher du corps ces viscères auxquels la douleur
s’est attachée; sa bouche, rétractée dans l'attitude
du vomissement, exprime l’horrear; ses yeux se
ferment avec effort; mais, d’autres fois, largement
ouverts, ils semblent chercher quelque porte ou-
verte à la fuite. Ces expressions diverses disent
clairement que le corps tout entier fuit et rejette
la douleur; parfois le membre malade la secoue
SUR LA PHYSIONOMIE, 33
comme pour la détacher de lui; considérez un
chat qui s’est brûlé la patte, un enfant qui s’est
pincé le doigt. Mais, Messieurs, je n’en finirais
pas si je voulais multiplier les exemples.
Je me résumerai sur ce point en deux mots : La
société des organes dans le corps vivant est comme
une république parfaite; tous les organes gémis-
_ sent à l’occasion de la douleur d’un seul, tous se
réjouissent quand un seul est dans la joie. Je
donne à ces mouvements homologues qui se pro-
duisent automatiquement dans tous les organes à
l’occasion du plaisir ou de la douleur d’un seul, le
nom de mouvements sympathiques.
_Abordons maintenant, Messieurs, une troisième
classe de mouvements expressifs. |
Nous avons, jusqu'à présent, considéré l’ éréal |
comme vivant au milieu du monde extérieur et des
objets réels. Mais il est un autre monde où il est
également agissant et passif, monde où l’homme
passe peut-être la plus grande partie de sa vie.
Je veux parler du monde individuel, du monde de
l'imagination. |
Ce monde est aussi bien que le monde exté-
rieur une source indéfinie de sensations, de senti-
ments et d'idées. Est-il nécessaire d’insister sur
te
AT.
D 4 TOO mer TR 22
34 CONFÉRENCE
ce point? les rêves n'en sont-ils pas une preuve
frappante et familière ? Mais, dans l’état de veille
même, cette vérité n'est-elle pas évidente ? un
peintre habile voit et parfait en lui-même ces
chefs-d'œuvre dont la réalisation extérieure ne
sera Souvent qu'une image affaiblie ; le musicien
écoute dans ce monde imaginaire des chants in-
connus; le voluptueux s’y enivre de jouissances
idéales; le gourmand y compose les festins les
plus délicats. Plus belles que la réalité, les formes
de ce monde intérieur ont un charme sans pareil,
une fraîcheur sans égale. La beauté y est plus
apparente et plus parfaite, le bonheur plus com-
plet. Ce n’est point du monde extérieur, c’est de
l'imagination qu'est née la poésie.
Si l'imagination est une source intarissable es
sensations et d'images agréables, elle est égale-
ment féconde en épouvantes et en douleurs; elle
a ses haines, ses luttes, ses fureurs. L'homme,
mystère incompréhensible, vit etse meut ainsi
dans l’idée qu'il a du monde. Il se voit lui-même
agissant au milieu de ses rêves, jouissant, espé-
rant, souffrant, et, comme les dieux d'Homère,
aimant ou combattant ses propres créations.
Que dis-je ? pour l'homme ce monde imaginaire
7
UNE
SUR LA PHYSIONOMIE. 35
est le monde immédiat. Quand la nuit à voilé le
le monde réel, il s’illumine d’une lumière plus
vive. C’est le monde des songes,des fantômes, de
l'hallucination et de la folie. C’est aussi le monde
de la méditation, des conceptions poétiques et du
génie.
Si les idées imaginaires sont objectives, ainsi
Que nous venons de l'indiquer; si l’homme en
réalité les voit, les écoute, les flaire, les goûte,
les touche en lui-même, vous concevrez aisément
comment de ces sentiments imaginaires peuvent
naître des sentiments réels; que de craintes dans
les rêves! que d’épouvantes! mais aussi que de
conceptions faciles et charmantes, que de correc-
tifs aux chagrins réels ! à coup sûr il est des som-
meils dont les rêves sont oubliés avec joie, mais
qui, dans sa vie, n’a parfois regretté de s’éveil-
ler ?
Or, entre le corps et l’âme, l’union est si in-
time, que les organes extérieurs eux-mêmes sont
loin d’être indifférents à ces sentiments qui nais-
sent de l'imagination! Quand l'attention est fixée
sur quelque image intérieure, l’œil regarde dans
le vide et s'associe automatiquement à la contem-
plation de l'esprit. Le musicien qui compose sem-
26 CONFÉRENCE
ble écouter. Quel est l'Apicius songeant à quelque
mets préféré qui n’exécute involontairement des
mouvements de dégustation ou d’olfaction satis-
faites ? Enfin les amours, les colères imaginaires
sont traduits dans toutes leurs modifications par
les expressions de l'amour apparent et des colères
qui s'adressent à quelque but extérieur. Je me ré-
sume en disant qu'il est à peu près impossible d'agir
en imagination, sans trahir en un certain degré
par des mouvements extérieurs les actions que
l'esprit exécute en lui-même.
Ces mouvements, que j’appellerai symboliques,
se distinguent cependant de ceux qui ont pour but
un objet extérieur par certains caractères suffi-
samment tranchés. En premier lieu, leur énergie
est habituellement plus faible; en second lieu, le
corps les accomplit automatiquement à l'insu de
celui qui imagine; cette proposition a été rendue
certaine par les expériences de M. Chevreul sur
le pendule oscillateur. Il m'est impossible d'entrer
ici dans l’analyse de ce travail si remarquable;
mais je choisirai, parmi les exemples qui ont été
apportés en preuve par cet auteur célèbre, le fait
suivant que vous avez tous observé.
Cet exemple nous est donné par les joueurs de
1
SUR LA PHYSIONOMIE. 37
billard. Si une bille dévie légèrement de la direc-
tion que le joueur prétend lui imprimer, ne l’avez-
* VOUS pas vu cent fois la pousser du regard, de la
_ tête et mème des épaules, comme si ces mouve-
Ments, purement symboliques, pouvaient rectifier
SOn trajet? Des mouvements non moins significa-
tifs se produisent quand la bille manque d’une
impulsion suffisante. Et, chez les ] Joueurs novices,
ils sont quelquefois accusés au point d’éveiller le
Sourire sur les lèvres des spectateurs.
Le célèbre philosophe leibnitzien, Christian
Wolf, reconnaissait, avec Hippocrate, qu' une sen-
Sation forte éteint et masque en général une sen-
Sation plus faible ; et il comparait les sensations
imaginaires, ou comme le disent assez obscuré-
Ment certains philosophes, les sensations subjec-
lives, à ces sensations de cause extérieure, dont
l'énergie est si faible qu’en les entendant, on
Pourrait croire n’avoir fait que les imaginer; c’est
dire assez que des impressions fortes venues du
Monde extérieur masquent ou obscurcissent fré-
uemment les impressions qui nous viennent de
l'imagination. Ainsi des bruits extérieurs nuisent
à la liberté de la pensée; on imagine bien plus
facilement des formes dans une obscurité profonde
3
38 CONFÉRENCE
qu'au milieu d’une vive lumière, vous imposant,
pour ainsi dire, les formes des objets extérieurs ;
de là des expressions diverses dont le souvenir
peut être aisément évoqué dans votre mémoire.
Le plus souvent l’homme qui veut alors imagi-
ner librement tient ses paupières abaissées. L’œil
regarde cependant et se dirige; mais regardant
dans l'obscurité, il peut satisfaire à sa tendance
symbolique sans nuire à la vivacité des images
intérieures; l'expression est parfois plus accusée
encore ; non-seulement les paupières s’abaissent,
mais la tête s'incline et la main s'applique au
front, moins peut-être pour le soutenir que peur
voiler les yeux. Les anciens considéraient avec
raison cette attitude comme la forme naturelle de
la méditation.
Je ne puis passer sûus silence certaines expres-
sions un peu différentes d’une attention portée
aux choses extérieures. Un homme parle devant
vous, il sollicite votre attention personnelle : s’il
réussit à la captiver, vos yeux franchement ouverts
demeurent fixés sur lui; s’il n’y réussit point, la
politesse tiendra à la vérité vos yeux ouverts, mais
ce ne sera pas sans quelque eflort, votre pensée
étant ailleurs, et l’attention de votre regard se
SUR LA PHYSIONOMIE. 39
fixera non sur votre interlocuteur, mais sur quel-
ue autre point de l’espace situé soit en decà, soit
au delà de lui; le plus souvent les yeux conver-
Sent légèrement. Si alors il porte les yeux sur
Vous, il sentira que vous ne le regardez point,
Que votre regard est distrait, et il en conclura, s’il
à Quelque esprit, que vous ne l’écoutez point.
C’est aussi de cette façon qu’on regarde dans
les grandes préoccupations de l'âme. L’œil ha-
Sard est largement ouvert; mais il ne voit rien, et
Par conséquent ses regards inutiles ne nuisent en
rien à la netteté des images intérieures dont l’es-
Prit est préoccupé. Telle est la physionomie habi-
luelle de la préoccupation. N'admirez-vous pas,
Messieurs, la justesse de cette expression si fami-
lière? Les mouvements de l'oreille, étant moins
distincts que ceux des yeux, sont moins immédia-
tement apparents. Toutefois les mouvements re-
latifs au sens de l’ouïe peuvent se manifester dans :
Un sens symbolique. Par exemple un homme qui
Cherche à se rappeler un air oublié et qui n’y par-
Vient qu'avec peine semble écouter, mais il écoute
à la manière des gens qui ont l’oreille dure, ma-
üière que j'ai décrite plus haut,
Il est enfin, Messieurs, un quatrième ordre de
otre “Frs _—
£ d 2 à dy sis
_ Le pe semer »
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Die
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tm.
40 CONFÉRENCE
mouvements. Ceux-ci n’expriment ni la nature
des sensations, ni celle des images dont la fantai-
sie est occupée, ils sont déterminés dans les hau-
teurs de l'esprit par la raison elle-même; ils ac-
compagnent les actions les plus intimes de la
pensée, qu’ils révèlent sur une face intelligente;
ils racontent dans leurs symboles les jugements
et les sentiments les plus élevés de l’âme.
L'expérience, Messieurs, vous a appris depuis
longtemps qu’une physionomie mobile est un
signe d'intelligence. Vous dites tous les jours un
regard spirituel, une bouche spirituelle, et si l’on
allait jusqu'à dire une main spirituelle, je crois
que cette expression ne vous révolterait pas. Et
en effet, Messieurs, tout mouvement est un lan-
gage dans les animaux, et tel est le rapport intime
de l'esprit avec le corps, que dans l'homme nor-
mal le verbe de l'intelligence se marie incessam-
ment avec la parole de la vie. En effet, de même
qu’il y a des jouissances et des douleurs physiques,
il y a des jouissances et des douleurs morales, et
pour l'esprit lui-même il y a des voluptés qui
naissent de la vérité, et des douleurs que l'erreur
engendre. Au-dessus des sentiments qui naissent
du corps, nous placerons naturellement ceux qui
SUR LA PHYSIONOMIE. 41
A
Proviennent des états et des mouvements de l'âme,
Mais leurs expressions visibles seront analogues.
Elles étaient directes, immédiates dans un pre-
Mier cas, sympathiques dans le second, symboli-
ques dans le troisième, elles mériteront, dans ce
dernier cas le nom d'expressions métaphoriques.
Diderot a dit, dans un de ces petits traités! qui
Sont peut-être ses plus beaux ouvrages : « Re-
Marquez en passant combien le langage du geste
est métaphorique. » Il n’a donné aucun dévelop-
pement à cette idée, mais nous allons essayer d’en
démontrer la justesse. n
Oui, le geste de l'homme est plein de métapho-
res, et instinctivement les animaux en font aussi
Juelques-unes. Ces métaphores s’engendrent na-
turellement, et j’ajouterai ici une remarque im-
Portante, c’est que ces métaphores spontanées du
Seste sont traduites instinctivement chez l’homme
dans les métaphores similaires du langage.
Nous l’avons déjà dit, de nos idées les plus
abstraites naissent des sentiments réels. Le géo-
Mêtre le plus élevé a le sentiment du vrai et le
Sentiment de l'erreur. La vérité convient à la na-
ture de l’âme: elle est une joie, un motif d’adora-
1. Lettres sur les sourds et muets.
42 CONFÉRENCE
tion pour elle ; et pour elle encore l’erreur est un
mal, un sujet d'impatience, de douleur et même
de colère. Elle accepte avec joie le vrai, elle re-
jette avec horreur l'erreur et le mensonge; or, ces
sentiments sont racontés dans un double langage,
dans le langage du verbe et dans celui de la forme
visible. Une proposition philosophique qui agrée
est acceptée, une proposition fausse est rejetée par
les yeux qui se ferment ou se détournent, par le
nez et les lèvres, qui semblent rejeter des odeurs
ou des saveurs mauvaises; par les épaules qui
s’agitent comme pour secouer un joug importun ;
par les bras qui repoussent ; par le corps tout en-
tier qui se rejette en arrière, se détourne ou s’é-
loigne comme il s’éloignerait d’un spectacle indi-
gne d’être vu. On écoute de plus près un homme
dont la conversation vous intéresse, on se rappro-
che de lui, et s’il fait simplement une lecture, on
en vient à placer sa tête à côté de la sienne pour
lire en même temps que lui. Engel a merveilleu-
sement développé ce point; on lui doit une autre
remarque non moins fine que juste.
Examinez avec attention un philosophe, un ma-
thématicien, un poëte, qui, tout en se promenant,
poursuit dans sa pensée quelque trace lumineuse
SUR LA PHYSIONOMIE. 43
—————
et s'élève de degrés en degrés à des vérités, à des
Conceptions sublimes. Voyez comme son œil est
ardemment fixé sous des paupières tantôt joyeu-
sement ouvertes, tantôt à demi abaissées, comme
dans la contemplation imaginaire. Voyez ses na-
rines respirer ou flairer alternativement, ses lèvres
Soûter avec amour les vérités qu’il découvre. Si le
Mouvement des idées est rapide, notre promeneur |
Marche plus vite; s’il devient plus vif encore, la
Marche s'accélère; mais si tout à coup quelque
Obstacle, quelque difficulté suspend ce mouvement
de la pensée, le corps s’arrête pour reprendre sa /
Marche, à l’image de la pensée, aussitôt que l’obs-
tacle à été vaincu; aussi dites-vous naturellement
Qu'un raisonnement marche, ou qu’il ne marche
Pas. 40 ;
Passons à d’autres mouvements et à des méta-
Phores plus visibles encore, métaphores commu
nes au langage oral et au geste.
On écoute un homme, et quand on l’a compris,
On dit très-naturellement : J'entends cela. Dans
le cas contraire, tous les mouvements caractéris-
tiques d’une audition pénible se produisent, et
l'on affirme qu’on n’entend point. Si une descrip-
. ion vous paraît claire, vous dites pareïllement : Je
Re
D re ep ur So ee ee ANS
7
di
D TUE ETS oem ns
A4 CONFÉRENCE
vois cela. Si elle est obcure, vous dites ne la voir
que difficilement, et vos yeux offrent alors toutes
les attitudes d’une vision inquiète et difficile.
Avez-vous l'instinct. d’une solution, vous dites
très-bien : Je sens cela. Je n’ai pas besoin de rap-
peler les gestes de ceux qui cherchent pour ainsi
dire leur route à l’aveugle, au milieu de raison-
nements et de souvenirs confus; leurs yeux se fer-
ment, ils relèvent la tête, et les doigts, étenduset
agités d’un mouvement léger, semblent chercher
à toucher. C’est ainsi que J.-B. Rousseau fait dire
à une vieille incrédule :
Oui, je voudrais connaître,
Toucher au doigt, sentir la vérité.
Toucher au doigt! Mais ne dites-vous pas tous
les jours une vérité tangible, une vérité palpable ?
Un mot encore. Si quelque proposition vous
charme, vous dites la goûter ; vous la rejetez au
contraire des yeux, du nez, de la bouche, des
épaules et de la main, si elle vous est importune;
mais si elle attente à l’ordre moral, les expressions
de la lutte violente sont plus énergiques encore;
ce sont alors les expressions du dégoût physique,
du vomissement, de la dyspnée mortelle; elles
SUR LA PHYSIONOMIE. 45
lee ee à
Prennent, dans ce dernier cas, la forme de l’hor-
réur et de l’épouvante. Les jugements que nous
Porions sur les choses d’art et de style sont accom-
Pagnés par des mouvements analogues.
Parmi tous les exemples que je pourrais en
donner, je choisirai plus spécialement le suivant,
que la plupart d’entre vous connaissent à coup
Sûr : L 5 0
On rencontrait souvent autrefois, et l’on trouve
Encore aujourd’hui quelques-uns de ces lecteurs
délicats dont l'espèce était très-commune au com-
Mencement de ce siècle. J’en ai vu lire quelques-
Uns, il me semble les voir encore. Ils se recueil-
laient doucement, rapprochant autant que possible
leur livre de leurs yeux à demi fermés par un lé-
ser sourire. Cependant, leurs narines semblaient,
Par leurs mouvements, à la lecture de certains
Passages, s’enivrer d’un parfum céleste: mais
Combien plus éloquents encore étaient les mouve-
Ments de leur bouche! Les lèvres, amoureusement
SOuriantes, dégustaient avec délices; de petites
fossettes se dessinaient alors sur les joues, expri-
Mant une attention soutenue et charmée ; puis, à
la suite de ces mouvements, survenait une déglu-
tition satisfaite; on voyait alors notre lecteur se
3,
pertes
g: es =
Mémo. “cn
46 CONFÉRENCE
rengorger légèrement, et la scène se terminait par
un soupir qu’accompagnait parfois un petit appel
de langue tout à fait significatif; tout cela ne vous
dit-il pas que le lecteur charmé, s’enivrait à la fois
de la saveur du style, des ingrédients de la phrase,
des parfums de l’expression ? Or, d’un homme qui
lit ainsi, vous diriez naturellement : C’est un
homme de goût; n'est-ce pas une preuve entre
mille que les métaphores du geste sont parallèles
aux métaphores du langage ?
Des expressions du même ordre se produisent
dans l’ordre moral et dans l’ordre social; d’un
homme qui plait dans le monde on dit métaphori-
quement qu’il est goûté. La bienveillance n’a pas
une autre forme : l’œil doucement dirigé, les na-
rines exécutant de petits mouvements d’olfaction
satisfaite, la bouche exprimant par un sourire
l'éveil d’une vie plus heureuse ; les lèvres agitées
par de petits mouvements de dégustation agréable,
les mains toujours prêtes à recevoir, à serrer dou-
cement, à caresser, et, enfin, le baiser, cette ca-
resse des lèvres qui semble attirer symboliquement
l'âme de l'être aimé. Toutes ces expressions ne
sont-elles pas simples, intelligibles ? en est-il de
plus claires? ne voit-on pas que, dans cette har-
SUR LA PHYSIONOMIE. 47
monie vivante de toute notre matière avec notre
esprit, tous les organes racontent, chacun à sa
Manière, le sentiment dont l’âme est péné-
trée ? |
La joie, qui se mêle facilement à la bienveil-
lance, est l'expression d’une vie complétement :
épanouie ; le sang, circulant plus aisément, colore
les joues; la respiration, plus active, s'accélère
Jusqu'à devenir convulsive, éclatante, et prend le
nom de rire; mais cette convulsion, loin de nuire
aux actions respiratoires, les favorise, et mon Spi-
Tituel maître, Étienne Pariset, pouvait la définir :
_Une promenade joyeuse à l'intérieur de soi-même.
Le corps tout entier s'associe à ces mouvements :
un besoin indicible de marcher, de courir, de sau-
ter, de tourner sur soi-même, agite alors les jeunes
Enfants: toutes ces expressions disent clairement
Combien la vie leur est facile et douce, combien
ils sont heureux d’en célébrer la fête.
Les expressions de la joie, mêlées à celle de la
bienveillance, composent la physionomie de ce
Contentement aimable des bons cœurs, qui vou-
draient associer à leur bonheur tout ce qui les
entoure.
Parmi les animaux, les chiens seuls sont capa-
48 CONFÉRENCE
bles d'exprimer avec une évidente clarté l’amour
et la bienveillance. Ils lèchent en agitant la queue
ceux qu'ils aiment !, ils les contemplent de leurs
yeux ardemment fixés, ils aboient pour solliciter le
regard; ils éveillent par de petits coups de leurs
pattes antérieures l'attention de ceux qu'ils
aiment : rien n’est plus éloquent.
* Les carnassiers de la grande famille des chats
ont aussi quelques expressions de bienveillänce,
mais elles sont douteuses et pour le moins .obs-
cures. D'ailleurs, le chat est souverainement
égoïste. Le chat caressant ferme les yeux; mais,
que dis-je? il ne vous caresse point : la vérité est
qu'il se caresse lui-même en ondulant sous la
main qui le flatte ; tout indique la supériorité du
chien.
| L'amour, dont les expressions mériteraient
d’être attentivement examinées, a des formes très-
diverses : dans quelques-unes de ses formes, il
s'adresse surtout à des perfections idéales. Dans
1. C'est là une expression analogue au baiser de l’homme:
mais le baiser est un mouvement de la bouche considérée comme
organe respiratoire. Le chien lèche; et cette forme, empruntée à
la bouche en tant qu’elle est un organe de la vie nutritive, est
évidemment inférieure.
SR PR De
SUR LA PHYSIONOMIE. s 49
quelques autres, il a pour objet quelque satisfac-
tion égoïste. |
L'amour qui s'adresse aux choses de l’intelli-
gence, à la beauté idéale, à la perfection céleste,
mêle les expressions du désir à celle de l’admira-
tion. Toute l’activité de l'âme se concentre dans
les organes supérieurs des sens, et surtout dans
les yeux, qui semblent vivre seuls ; les autres or-
ganës. du visage s’épanouissent dans une sorte de
dilatation extatique; les narines sont ouvertes,
“Mais la respiration est parfois suspendue. La bou-
che ne goûte plus, elle demeure entr'ouverte et .
Comme figée dans l'attitude de l'inspiration; ce
mouvement est mêlé de joie, et un indice de sou-
rire est ébauché sur les joues, qui soulèvent et
plissent l'angle externe des yeux; parfois, les bras
et le cou sont tendus vers l’objet adoré; mais au
erme d’une admiration souveraine, l'œil vivant
Seul, tous les organes sont oubliés; le corps Îflé-
chit, les bras retombent; la mâchoire inférieure,
abandonnée à son propre poids, s’abaisse, et le
tronc semble n’être maintenu dans l'extension que
Par une sorte de contraction involontaire et cata-
leptique des muscles. L’admiration est alors mê-
lée aux expressions de l’étonnement; l'attention
50 CONFÉRENCE
excessive conduit à peu près aux mêmes expres-
sions, et, comme aller l’a si bien vu, elle peut
également conduire à l’extase.
La seconde forme de l’amour ne produit point
l'extase, et modifie surtout la bouche et Les na-
rines considérées comme organes d’olfaction et de
dégustation avides. Ces mouvements sont surtout
apparents dans les ruminants, et les anciens en
avaient composé la physionomie de leurs sa-
tyres.
L’admiration est un mouvement et une passion
de l’âme : elle ne peut s'exprimer que dans les
organes de l'esprit, je veux dire dans les yeux, et
par les mouvements qui concourent à une audi-
tion attentive. Née de l'intelligence, elle se mani-
feste surtout dans la sphère de ces organes
privilégiés qui fournissent à la pensée ses aliments
immédiats. Les odeurs:et les saveurs s'adressant
surtout à la partie matérielle de l’homme, c’est
dans leurs organes que s'expriment surtout les
passions et les appétits d’un ordre inférieur; mais
_je ne saurais ici m’arrêter plus longtemps sur ce
point. J'insisterai seulement sur un fait qui fera
suffisamment comprendre ma pensée. On ne dit
point : une odeur admirable, une saveur admira-
SUR LA PHYSIONOMIE. | 51
ble; mais vous admirez les harmonies musicales,
Vous admirez les manifestations lumineuses; en
un mot, née de l'intelligence, l'admiration ne
s'adresse qu’à l'intelligence.
J'ai parlé de l’étonnement. L’étonnement peut
être mêlé de joie; je viens d’en signaler les carac-
tères. Il peut être mêlé d’épouvante; dans ce cas,
aux attitudes de l’étonnement s'unissent les
expressions suivantes. Les sourcils se froncent
sur un œil largement ouvert, l'angoisse est expri-
Mée par les coins de la bouche abaissés et rétractés
comme dans ces cas de dyspnée où l’air manque.
à la respiration convulsive. Les pupilles, énormé- | :
Ment dilatées, semblent regarder dans des ténè- Le
bres épaisses; enfin, les narines s’affaissent au / /+
moment de l'inspiration, signe funèbre d’agonie et
de mort imminente. |
En parlant des expressions de la bienveillance,
j'aurais pu dire qu’elle exerce sur les cœurs une
attraction irrésistible. Nous pourrions ajouter que
ses contraires, le dédain, le mépris, la haine, re-
Poussent. Tous les mouvements qui accompagnent
ces passions affirment la justesse de cette remar-
que. Eh! ne voyez-vous pas que dans le mépris
les métaphores du geste expriment une répulsion
ae de - Ed 0 —
52 ° CONFÉRENCE
universelle? Voyez comme les yeux du méprisant
se détournent et regardent de haut! Le nez se
plisse sur les côtés, les narines se relèvent comme
237
cdi
TPE GATE du sié és
EE ge an De DE RER RE EN
pour repousser une odeur importune; la bouche
rejette, crache, vomit, et dans certains cas se
ferme expressément comme pour se mettre en
défense ; le corps se détourne, les mains s’opposent
à l’objet ou à l’idée méprisés avec une énergie
contenue par une sorte de dégoût, tout le corps,
en un mot, rejette métaphoriquement ce que
l'esprit a rejeté.
La haine est une fureur contenue. Les sourcils
se mettent en défense et s’abaissent sur un œil
; ardent, les narines froncées se dilatent, les dents
sont serrées, la respiration profonde est cependant
oppressée par un effort caché. La colère est la
fureur expansive mordant, brisant, déchirant.
Tous les muscles en mouvement font frissonner la
peau, la chevelure se hérisse, bientôt l'excitation
se propage aux viscères eux-mêmes. La voix
elle-même vibre et rugit. Qui de vous ne connaît
ces expressions terribles qui annoncent la folie, la
destruction et la mort?
Il y a des colères directes, des colères symboli-
ques, des colères de l'esprit, et celles-ci se tra-
SUR LA PHYSIONOMIE. 53
duisent par les mouvements qui signalaient les
Premières,
La tristesse est le contraire de la joie. La joie
est l'expression d'une expansion libre de la vie;
la tristesse, au contraire, correspond à un senti-
Ment de dépression générale, d’indifférence, de
dégoût et d’affaissement; la face et le corps expri-
ment ce dégoût et cet affaissement; les yeux,
Presque sans regard, semblent ne sortir qu’à re-
gret de leur atonie; les mouvements respiratoires
Sont à | peine sensibles; la a lèvre inférieure passi-
vement entraînée retombe; la tête inclinée s’af-
faisse sur une épaule; et les chairs du + visage sont
Si flasques, que dans cette attitude oblique de la
tête, la joue inférieure abandonnée à son poids
pend en quelque sorte, tandis que la joue supé-
rieure s’aplatit sur le squelette de la face, et de
ce côté paraît singulièrement amaigrie. Je citerai
en exemple une de ces têtes antiques que les ar-
üisies connaissent sous le nom de fille de Niobé; le
génie de l'artiste avait deviné cette attitude passive
des chairs dont l’expression est surtout frappante
dans la période d’anéantissement du désespoir.
Une analyse des expressions de la prière, dans
leur évolution successive, ferait mieux sentir en-
“
dE in
RE et EN
54 CONFÉRENCE
core cette valeur métaphorique des mouvements
du corps vivant; l’homme qui prie éprouve une
tristesse qu'accompagne un désir. Il a l’idée de la
puissance de celui qu'il implore et en même temps
le sentiment de sa faiblesse relative ; instinctive-
ment, pour rendre plus sensibles cette grandeur et
cette faiblesse, il se fait plus petit, ilse prosterne,
il s’anéantit; dans cet état d’abaissement, ses yeux,
tournés vers celui qu’il implore, semblent regarder
le ciel même. Remarquez, en effet, Messieurs, que
nous associons naturellement l’idée de puissance,
de courage, de générosité et de noblesse à l’idée
de grandeur; quand nous parlons de belles choses,
nous levons métaphoriquement les yeux. Ge qui
enferme une perfection souveraine, vous le nom-
mez sublime; or, le sublime est considéré d’en
bas, le sublime moral aussi bien que le sublime
visible, et les yeux se tournent alors vers le ciel,
source par excellence de la lumière physique et
symbole éclatant de la lumière éternelle.
Ce regard qui s'élève, c’est l’adoration. Or, on
peut adorer Dieu debout, comme on peut debout
considérer le ciel. Mais on ne peut adorer l’homme
qu’en s’abaissant. Voilà pourquoi instinctivement
le suppliant, admirez en passant, Messieurs, l’ad-
SUR LA PHYSIONOMIE. 59
mirable justesse de cette expression, le suppliant
Se prosterne: il étend les mains pour recevoir la
grâce-implorée; bientôt la prière devenant plus
ardente, il les joint comme pour la saisir; est-elle
refusée aux premières instances, le suppliant,
Semblable à un homme qui se noie et s'accroche,
le mot existe métaphoriquement dans la langue,
à quelque branche de salut, crispe avec effort ses
Mains jointes; il les rapproche de sa poitrine
Comme un homme qui se soulève à la force des
bras, et ce mouvement si énergique se passant
dans le vide les fait trembler. Ne VOyez-vous pas,
dans l'excès même de ce mouvement, la lutte
Souveraine de l’homme qui défend son dernier
espoir ? Ajoutez à cela des yeux ardents, la bouche
Contractée par l'angoisse, la poitrine haletante, et
Vous concevrez aisément jusqu'à quel degré
d'énergie terrible peuvent atteindre ces méta-
Phores visibles.
Si ces derniers efforts sont vains, ce drame de
la prière se termine par une quatrième scène,
celle du désespoir. Le désespoir qui s'empare de
l'âme après une lutte inutile paralyse les mouve-
Ments du corps ou du moins ne laisse plus sub-
Sister que les mouvements convulsifs de l’agonie ;
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56 CONFÉRENCE
dans le premier cas, les bras retombent, le corps
s’affaisse, la tête s’incline sur la poitrine, passive
comme dans la mort: dans le second, le corps
lutte encore, la poitrine étoufle, les bras semblent
déchirer des liens invisibles. Qui de vous dans sa
vie n’a vu et compris l'horreur de ces expressions ?
Borné par le temps qui m'est accordé, je ne
saurais, Messieurs, multiplier ici les exemples de
ces métaphores du geste; mais jusqu'ici nous
n'avons parlé que des expressions franches; or,
pour toucher autant que possible à tous les points
principaux, je dois dire quelques mots de cer-
taines expressions mixtes où les contraires sont
associés ; ces expressions sont fréquentes et pres-
que toutes ont une signification mauvaise. Parmi
ces expressions mixtes je signalerai en premier
lieu celle de l'incertitude; état oscillant de l’âme
qui hésite entre deux partis opposés ou seulement
différents l’un de l’autre. Gette hésitation est tra-
duite très-naturellement par des mouvements
alternatifs du corps.
Supposez un chien affamé auquel on présente
quelque pâtée savoureuse. Il se précipite sur elle;
mais elle est trop chaude, elle est bouillante; à
peine y a-t-il touché, qu’il recule subitement;
SUR LA PHYSIONOMIE. 57
mais à mesure qu'il s'éloigne, l'impression et la
crainte s’effaçant, le désir se réveille. Le chien
S’approche de nouveau, bien qu’avec plus de pré-
Cautions ; mais la pâtée n’est pas encore refroidie.
Il recule donc une seconde fois pour se rapprocher
encore, le regard toujours fixé sur l’objet désiré;
ainsi alternativement poussé par son désir et
retenu par la crainte, il oscille entre deux senti-
ments opposés. Ces mouvements d'incertitude
prosbolique traduisent dans un sens métaphorique
les incertitudes de l’esprit dans des circonstances
toutes morales ; mais ces incertitudes sont surtout
propres à certains caractères, rappelant l’apologue
philosophique de l'âne de Buridan. mi-parti entre
deux prés et se laissant mourir de faim, ne pou-
vant se décider à brouter l’un plutôt que l’autre.
[ls laissent passer cette occasion rapide, occasio
Prœceps, qu'il faut savoir, d’une main légère et
décidée, saisir aux cheveux.
Rien n’est plus intéressant pour le physiono-
Miste que de considérer un homme qu’un désir
sollicite, en même temps qu’il est retenu par quel-
que raison cachée. Tantôt le désir est plus fort,
notre homme se décide ; en un instant son parti
est pris, il part. Mais tout à coup les remontrances
Te lp = oo
58 CONFÉRENCE
de la raison deviennent plus vives: il s'arrête
alors et revient sur ses pas. Au bout de quelques
moments il ne tient plus en place, un lutin capri-
cieux le tourmente. Était-il couché, il se lève :
levé, il se recouche; il se tourne sans cesse de
gauche à droite et réciproquement. Tantôt il étend
ses jambes, tantôt il les replie. Il ouvre les yeux
et, l'instant d’après, les referme pour les ouvrir
encore. Îl regardait d’un côté en se fixant à un
avis, soudain son avis change et il se retourne
du côté opposé : de là une inquiétude générale
qui semble retentir dans les nerfs du Système cu-
tané. Il se gratte spécialement au-dessus des
re
Se
RTL TR TE
nue CARE
NS enter tm
ARRET
z
oreilles, bien qu’il n’y éprouve aucune déman-
geaison. Il se ronge les ongles; il piétine, il tourne
Ki}
|
}
sur lui-même, ne pouvant ni agir ni trouver le
repos. Que de gens, hélas! ont été perdus par
cette affreuse folie de l'incertitude !... Mais les
expressions en sont frappantes ; elles intéressent
à la fois le physionomiste philosophe et l'acteur
comique. La peinture et la sculpture, dont les
créations sont immobiles, éprouvent à les rendre
EE
des difficultés qui ne sauraient être vaincues que
par ces artifices que seul peut inventer le génie.
Les expressions ‘mixtes et contradictoires sont
SUR LA PHYSIONOMIE. 59
le plus souvent désagréables et parfois repous-
Santes : telles sont les formes de l’orgueil et de
l'envie. Elles n’ont, à coup sûr, rien d’aimable et
nuisent à la beauté du visage en troublant l’homo-
généité de ses mouvements.
Qu'est-ce que l’orgueil ? Vous m’accorderez,
Messieurs, que c’est un extrême contentement de
Soi-même. L’œil, dédaignant ce qui l'entoure, se
Cache comme dans un rêve; les narines flairent
quelque parfum idéal; la bouche exécute des
Mouvements de déglutition satisfaite : aussi est-il
Connu de vous tous, que les orgueilleux se ren-
Sorgent; ils se redressent avec dignité, et parfois
leur sourcil contracté légèrement exprime une
Sorte de menace à l'adresse de ceux qui pourraient
Méconnaître cette dignité. Ges attitudes sont quel-
Quefois portées au point de rappeler certains oi-
Seaux étalant fièrement leurs grâces, et l’on a pu
dire, sans exagération, que les orgueilleux font la
loue, remarque que les caricaturistes ont fort
habilement exploitée. L'orgueil fait en général
Sourire la bouche; mais ce sourire, dépourvu
d'homogénéité, est légèrement répulsif, les coins.
des lèvres sont insensiblement abaissés, et tous
ces mouvements nous disent clairement qu’au
Re roi SET CT TE D
Re at
RTS d
60 CONFÉRENCE
moment même où se produit cette expression de
dégustation satisfaite dont nous avons parlé, un
sentiment de dédain des choses extérieures accom-
pagne ce contentement intime; en un mot, l’or-
gueilleux se déguste lui-même, mais il goûte peu
les autres, et, quand ces mouvements se produi-
sent sur une tête peu intelligente, ils apparaissent
comme la forme naturelle d’une suprême sottise.
Quand, au contraire, le visage est intelligent et
beau, le tableau peut se modifier en quelques points;
le sourire de la bouche est plus apparent que le
dédain ; si alors l'œil consent à se diriger, à s’ar-
rêter sur autrui, et si en même temps la tête s’in-
cline un peu, ces modifications légères changeront
les formes de l’orgueil simple en une expression
de condescendance, et cette expression deviendra
pour quelques personnes l’indice de la noblesse et
de la dignité. Je pourrais retrouver aisément le
dessin que j'ai essayé de tracer ici dans une foule
de portraits du temps de Louis XIV.
Mais si, au lieu de cette attention, qui exprime
un commencement de bienveillance, des mouve-
ments de légèreté sautillante et étourdie se mêlent
aux mouvements qui racontent métaphoriquement
une satisfaction intime de soi-même, il en résul-
SUR LA PHYSIONOMIE. _61
tera une expression insupportable à tout homme
de bon sens et de goût, celle de fatuité.
Quel que soit le prestige que de semblables ex-
Pressions puissent exercer sur l'opinion des pau-
vres d'esprit qui abondent sur la terre; elles ne
Méritent que le mépris du sage; quelle que soit
l'idée que les modes attachent à ces formes de
l'orgueil dans l’ opinion du vulgaire, ce fantôme
S évanouira devant une physionomie forte, franche
t bienveillante à la fois, exprimant, suivant le
Principe chrétien, une estime des autres égale à
Celle qu’on fait de soi-même. Forme visible d’une
âme parfaite, cette physionomie est belle, au-
dessus de toutes les autres; car la vraie, l’immor-
telle beauté sur la terre n’est rien autre chose que
la perfection de l’âme rendue sensible par la
forme vivante.
J'ai parlé des formes de l’orgueil ; mais, parmi
les expressions mixtes, il en est de plus tristes en-
Core, telles sont celles de l’envie. L’envie est le
désir furieux d’une chose qu’on ne possède pas,
désir mêlé de haine, eu égard à celui qui la pos-
Sède, Haine et désir, y eût-il jamais d'association
Plus discordante ? Mais, comme cette discorde in-
üime est éloquemment exprimée ! Get œil ouvert,
4
62 CONFÉRENCE
ardemment et symboliquement fixé sur l’idée de
chose désirée, mais regardant de côté sous un
sourcil contracté, foudroyant, pour ‘ainsi dire,
celui qui la possède ; ce sourire, ébauché dans les
joues, mais que démentent énergiquement ces
mâchoires qui se contractent, ces narines et ces
lèvres qui répudient; cette respiration agitée,
symbole d’une souffrance, parfois horrible, qui
dessèche les chairs, jaunit le teint et fait rétracter
les mains crispées: tout cela ne raconte-t-il pas
clairement ces tendances incompatibles de l'âme,
troublant l’être dans ses profondeurs les plus in-
times ?
N’admirez-vous pas, Messieurs, cette harmonie
qui lie naturellement le bonheur à la vertu et la
souffrance aux passions mauvaises ?
Je n’insisterai pas sur les expressions du rire
faux : l'ironie est la gaieté de la haine; la moque-
rie est celle du mépris.
Signalons encore un autre exemple d'expres-
sions mixtes, et décrivons la physionomie du
trompeur. |
Le trompeur agit évidemment sous la double
influence d’un intérêt et d’un calcul. Il éprouve
un sentiment et veut paraître en ressentir un autre
SUR LA PHYSIONOMIE. 63
tout contraire. Un sentiment vrai, quel qu’il soit,
à des expressions homogènes et franches: tous les
Mouvements n’expriment alors qu'un même ins-
tinct commun et tout spontané. Or, la simulation
n'étant point instinctive, exige un certain degré
d'attention. Mais l'attention est exclusive dans son
objet ; elle peut, à la vérité, modifier les mouve-
Ments d’un organe, mais ce que cet organe volon-
tairement modifié indique alors est démenti par
des expressions spontanées de tous les autres.
Le trompeur regarde très-rarement en face; son
legard est oblique, ou du moins voilé; s’il désire
Une chose, il feint de s’en éloigner ; mais s’il s’é-
loigne, en effet, une courbe savamment calculée
l'y ramène. On dit fort bien un caractère droit,
Un caractère tortueux; et, en elfet, les détermina-
tions franches vont droit devant elles; le trompeur,
au contraire, comme un renard qui s'approche
d'un poulailler, ondule; il cherche à détourner
l'attention de sa victime pour agir sans être vu,
ni même soupçonné; il caresse d’une main, et
Pendant qu’on croit à la caresse, il poignarde de
l'autre, Boileau dit avec une noble indépendance :
J'appelle un chat un chat, et Rollet un fripon.
CONFÉRENCE
Le langage du trompeur à d’autres allures. Il
flatte celui qu'il veut dépouiller ; il parle d’abord
le langage que, dans la fable du Renard et du
Corbeau, La Fontaine attribue au renard, et quand
sa ruse à réussi, il se moque de sa victime. Quand
homme du peuple est l’objet de sollicitations
doucereuses, sous lesquelles il croit trouver quel-
que intérêt égoïste, il dit très-énergiquement :
« Vous voulez m’entortiller ! » comme s’il devinait
le serpent sous ces caresses; et, en effet, les re-
gardes, la voix et le corps du trompeur ont des on-
dulations félines : il est caressant, son regard vous
endort, ses paroles vous flattent; il exerce sur vous
cette fascination que l'opinion commune attribue
au regard des reptiles. Mais, comédien maître en
tout cela, il n’éblouira point un œil clairvoyant.
En effet, son attention, je le répète, ne peut com-
mander à la fois à tous les traits du corps et du
visage. Ses mouvements sont lents, calculés. Il
vous regarde de côté; de ce côté, la face vous
sourit, l'œil à demi fermé. C’est l’œil du côté op-
posé qui vous regarde, et, de ce côté, la narine
soulevée se moque de vous. Parfois, les deux yeux
vous considèrent; mais la bouche souriante man-
que de symétrie; les ailes du nez vous dédai-
SUR LA PHYSIONOMIE. 65
8nent. Tout cela ne vous dit-il pas clairement le
Mépris du fripon pour l'homme qu'il veut trom-
ber? Expression double de la physionomie : ca-
resse volontaire, calculée, et mépris instinctif et
réel, voilà ce que vous appelez du nom de duplicité.
Je ne puis, Messieurs, multiplier ici les exem-
Ples. Je dépasserais, avec la limite de votre atten-
tion et de mes forces, les bornes d’une conférence.
Mais j’en aurai assez dit, si j'ai pu vous faire com-
Prendre que tous ces mouvements de la physiono-
Mie, qu’ils soient employés dans un sens direct,
Symbolique ou métaphorique, expriment de la fa-
Son la plus simple et la plus naturelle les senti-
Ments qui naissent des sensations, de l’imagina-
ton et de l'intelligence.
Permettez-moi de terminer i quelques re-
Marques nécessaires.
En premier-lieu, il rés ds tous les faits
ue j'ai rappelés, que les sens, l'imagination et la
* Pensée elle-même, si élevée, si abstraite qu’on la
SUppose, ne peuvent s'exercer sans éveiller un ,
Sentiment corrélatif, et que ce sentiment se tra-
SPhères des organes extérieurs, qui le racontent
15-24
" Re PR gi PES EI
* duit directement, sympathiquement, symboli- |
Juement ou métaphoriquement, dans toutes les |
d
1
}
{
#
66 CONFÉRENCE
tous, suivant leur mode d'action propre, comme
si chacun d'eux avait été directement affecté. //
2° Cette proposition est incontestable; mais sa
réciproque n’est pas moins vraie. En effet, les
mouvements et les attitudes du corps, lors même
qu'ils résulteraient de certaines causes fortuites,
éveillent des sentiments corrélatifs, et, par leur
intermédiaire , influent sur les mouvements de
l'imagination et sur les tendances de l'âme elle-
même. Je ne m’arrêterai point à démontrer cette
vérité, que l'étude des phénomènes du sommeil
et du somnambulisme a depuis longtemps mise
hors de doute; mais j’en déduirai une conséquence
utile : si de nos attitudes naissent des instincts,
on comprendra combien la physiologie elle-même
justifie l’importance que, chez les gens honnêtes,
on attache aux bonnes manières ; les bonnes ma-
nières sont les formes de la vertu, et celui qui,
dès l'enfance, a contracté l’accent du bien, ne
parlera jamais facilement le langage du mal.
3° De ce que nous venons d'indiquer, il résulte
clairement que ces formes sont actives sur l’être
qu’elles manifestent. Ajoutons qu’elles sont actives
hors de lui. La vue de la joie inspire l’idée de la
joie, et cette idée, s’emparant de l'âme, rend
SUR LA PHYSIONOMIE. : 6
joyeux; la vue des expressions de la douleur im-
pose une souffrance; elle opprime le cœur, qu’elle
fait palpiter. Fait-on devant vous quelque effort
prolongé, eomme ceux que la toux détermine, .
Vous vous associez sympathiquement à cet effort.
Les philosophes et les physiologistes ont, à l’envi
les uns des autres, apporté des preuves merveil-
leuses de ces sympathies. Malebranche raconte
qu'une jeune servante, assistant un chirurgien
Qui pratiquait une saignée au pied de son maître,
ressentit au moment où la lancette piquait la peau
Une douleur si aiguë à son propre pied, qu’elle ne
: l'eût pas été davantage si on eût opéré sur elle-
même, J'ai, moi-même, été témoin d’un cas pa-
reil, Un jeune élève en droit, assistant pour la
Première fois de sa vie à une opération légère (le
Chirurgien excisait une petite tumeur à l'oreille
d'un malade), ressentit au même instant une dou-
leur si vive à l'oreille, qu'il y porta involontaire-
Ment la main en poussant un cri. Ajoutez que l’in-
justice que subit un autre homme vous révolte; et
remarquez la perfection des langues : ces senti-
ments, ces douleurs communiquées, je dirais
presque contagieuses, s’appellent sympathie, com-
Passion, souffrance avec, où miséré du cœur, mi-
68 CONFÉRENCE
séricorde! Et, en effet, ces expressions de la dou-
leur mordent le cœur; elles troublent les viscères,
et c'est avec raison que, pour exprimer l’insensi-
bilité morale d’un homme, on dit de lui qu’il n’a
pas de cœur, qu’il n’a pas d’entrailles. Gette com-
passion, cette charité s'adresse à tout ce qui souf-
fre; elle s’éveille partout où la douleur crie; elle
se manifeste par le succès toujours croissant de
ces sociétés protectrices qui, à l'honneur de la ci-
vilisation, font une guerre sainte à tous les arti-
sans de la douleur.
Grâce à ces expressions, grâce à ces sympathies
divines, le sentiment de l'humanité s’éveille et
protége le monde. L'animal n’est ému que par les
choses présentes; mais l'intelligence n’a pas de
limites, et les sympathies de l’homme embrassent
l’univers ; et voilà comment, du nord au midi, de
l’orient au couchant, du commencement à la fin
de l’histoire, la force qui opprime, la force bru-
tale est maudite, quand elle ne s’est pas faite la
servante de l’éternelle justice.
SUR LA PHYSIONOMIE. 69
Messieurs,
En terminant cette conférence, trop longue sans
doute, je devrais m’excuser d’avoir tenu si long-
temps votre attention captive; mais votre bien-
Veillance m'a encouragé. Grâce à elle, en vous
| uittant, je pourrai peut-être, sans trop de pré-
| L SOmption, emporter et caresser l’idée que les pro-
Positions qui vous ont été soumises ont été goûtées
Par votre intelligence.
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AVERTISSEMENT
Les mouvements dont la mimique de l'homme
et des animaux se compose, ne réclament l'emploi !
d'aucun muscle spécial, d'aucun appareil particu- |
lier. Ils se produisént comme les mouvements
directs, et cela par les mêmes muscles, par les
_Mêmes nerfs, par les mêmes vaisseaux. Ils ne
diffèrent donc point d'avec ces mouvements d’une
facon essentielle ; mais ils se manifestent dans des
circonstances un peu différentes. Or, il m'a paru
utile d'examiner de près cette classe de mouve-
ments si intéressante et cependant si négligée, et
de déterminer par des observations précises les
règles qui président à leur enchaînement. J'ose
Espérer qu’après avoir exposé ce résumé succinct
-
D]
"4 AVERTISSEMENT.
de mes recherches, je ne paraïtrai pas avoir perdu
mon temps en études oiseuses. Il m’a semblé, en
_effet, qu’en examinant avec soin ces questions
difficiles, je touchais à l’une des sources premières
du langage et par conséquent à l’un des sujets Les
plus importants que l’histoire naturelle, la psycho-
logie et la philosophie esthétique aient à consi-
dérer. Ces raisons seules m’auraient encouragé à
publier le résultat de mes observations. Mais un
autre motif puissant m'y décide. Je ne pense point,
en effet, qu’on puisse complétement refuser son
attention à un sujet que les Lebrun, les Parson,
les Buffon, les Engel, les Camper, les Spix, les
Ch. Bell, n’ont point dédaigné d'examiner, et
auquel un des plus illustres physiciens de notre
siècle, M. Chevreul, a donné une importance
scientifique toute nouvelle en montrant comment
on le peut soumettre au criterium de la méthode
expérimentale.
PDE. LA. PHXSIONOMLIE
ET
DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION
PREMIÈRE PARTIE.
DES MOUVEMENTS PÉRIPHÉRIQUES CONSIDÉRÉS
D'UNE MANIÈRE GÉNÉRALE.
L. — L'observation oblige de distinguer quatre
Sortes de mouvements périphériques, à savoir :
1° Des mouvements organiques. Ges mouve-
_Ments liés en général aux mouvements intérieurs
des viscères, ont essentiellement pour siége les
trames celluleuses et vasculaires ; telles sont les :
lougeurs et les päleurs subites: telles sont ces
Constrictions du derme d’où naît le phénomène
Connu sous le nom de chair de poule.
2° Des mouvements musculaires. Ces mouve-
#
RS du: + | ne
DID RP EN ETON OMMEE
ments, essentiellement actifs, ne sont pas tous
également soumis à l'empire de la volonté. Ils
modifient la surface du corps vivant en deux ma-
nières : premièrement en changeant les attitudes
des muscles et des parties mobiles ; secondement,
en déterminant dans les parties contractées des
dépressions et des saillies plus ou moins considé-
rables, dues au jeu des faisceaux musculaires.
30 Des mouvements consécutifs. Ges mouve-
ments se produisent dans certaines parties, à
l’occasion d’une contraction qui a lieu dans lès
parties voisines. Ces mouvements sont surtout
manifestes dans les parties de la peau soumises
à l’action des muscles peaussiers.
k° Enfin, des mouvements passifs, aboutissant à
des attitudes passives. C'est ainsi qu'un muscle
paralysé retombe et pend. Ces mouvements ne
sont point dus à une action vitale, ils dépendent
de causes extérieures agissant sur des parties
inertes. $
Tous ces mouvements ont des caractères bien
tranchés qu’il importe de distinguer avec soin, et
que les peintres qui visent à l'expression ne sau-
raient trop étudier.
He DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION.
eu
À
DES MOUVEMENTS ORGANIQUES.
IE. — Les mouvements organiques qui ont pour
Siège les trames superficielles comprennent tous
les changements qui ont lieu :
a — dans la coloration de Ia peau;
b— dans son état d'expansion ou de con-
striction.
c — dans sa température :
d — dans celles de ses fonctions qui sont
relatives à l'absorption et à l’exhala-
tion.
Plusieurs causes peuvent influer puissamment
Sur la production de ces mouvements. Parmi ces
Caûses, les unes se rapportent à l’action du
Cœur et des organes respiratoires; d’autres aux
Modifications que les viscères abdominaux éprou-
vent. D'autres enfin se rattachent aux influences
Que le système nerveux exerce directement sur
tous les organes. Ces choses se produisent avec
Œuelque confusion. Je m’eflorcerai de les exposer
avec toute la clarté dont le sujet est susceptible,
78 DE. HA PHYSLONOMIE
Des changements qui surviennent dans la
coloralion de la peau.
HIT. — Ces changements sont trop connus dans
l'espèce humaine pour qu'il soit nécessaire d'y
insister beaucoup. Les plus habituels amènent de
simples alternatives de rougeur et de pâleur. La
rougeur peut présenter des teintes variées. Tantôt
elle est pure et rutilante : c’est la rougeur ärté-
rielle; tantôt elle est mélangée d’une certaine
quantité de noir ou de bleu, et peut passer au
pourpre, au violet, et même au bleu obscur : c’est
la rougeur veineuse. I y à aussi plusieurs sortes
de pâleur. Cest ainsi que nous distinguons la
pâleur simple, la pâleur livide, la pâleur ver-
dâtre, etc.
On observe aussi quelquefois la teinte ictérique ;
l'ictère peut se produire d’une façon subite, sous
l'influence de certaines passions; sous ce point
de vue, on peut le compter au nombre des mani-
festations physionomiques.
De la rougeur et de la pâleur en tant qu'elles sont liées
au mouvement du cœur, du thorax et des poumons.
IV. — Toutes les causes qui, sans altérer le
rhythme et l'harmonie des mouvements du cœur,
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 9
en accélèrent la marche, favorisent la circulation
du sang. Des courants plus riches parcourent alors
les réseaux capillaires, et font prédominer à la
Superficie de la peau la couleur vive du sang ar-
tériel, Cette rougeur légère ne se répand point
uniformément sur toute la surface du corps. Dans
l'homme blanc, elle colore surtout le visage, où
elle peint plus particulièrement les lèvres, les
joues, et jusqu’à un certain point les conjonctives
Palpébrales. Rien de semblable ne se produit chez
les animaux mammifères, même les plus élevés,
et pour retrouver quelque chose d’analogue, il faut
arriver aux oiseaux dont la tête est ornée de ca-
roncules. Mais si la cause de la rougeur est la! /° Vers
même, quelle différence dans les effets ! qu’il y ;
à loin de ces tuméfactions presque variqueuses à Y 47“
Cette expansion douce, à ces teintes harmonieuses
qui sont à juste titre pour les peintres et les
Poëtes le symbole de l'épanouissement et de la
vie !
V. — L'apparition des teintes violettes sur al
face tient à un obstacle quelconque apporté à la
Circulation veineuse. C’est ainsi que, dans le cas
d’un rétrécissement des orifices auriculo-ventri- |
Culaires, les veines se déchargeant difficilement
D aug
80 é DB A CRE FINRS ON VOTRE
de leur contenu, le sang veineux s’accumule dans
les réseaux cutanés, et donne à la peau une teinte
violacée, souvent accompagnée d’une turgescence
presque effrayante. Le même effet pourrait évi-
demment résulter d’un rétrécissement de l’orifice
artériel du cœur droit.
VI. — Cette congestion veineuse est moins im-
minente lorsque les lésions pathologiques, occu-
pant l’orifice aortique, diminuent l'effet général
qui résulte sur la masse du sang de la force im-
pulsive du cœur. La pâleur est la conséquence
ordinaire des rétrécissements qui ont pour siége
l'orifice aortique. Une hypertrophie concentrique
du cœur gauche, en oblitérant en partie la cavité
du ventricule, aurait évidemment un effet ana-
logue. Mais cette lésion, si elle existe, est fort rare,
et d’habiles médecins se refusent à l’admettre.
La pâleur qui accompagne les états asthéni-
ques du cœur est un phénomène facile à expli-
quer. Je crois inutile d'y insister, car les faits
pathologiques ne sont point mon objet essentiel.
Toutefois je ne pouvais absolument les négliger.
Ils nous fournissent, en effet, les seulesbases réelles
sur lesquelles peut être appuyée la démonstration
de la proposition suivante :
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. sl
Les symptômes généraux qu'améne une lésion
du cœur peuvent résulier aussi d'une affection
Spasmodique, qui, exagérant, affaiblissant, trou-
blant les mouvements du cœur, précipite ou ralen-
Lil les mouvements du sang, et par les convulsions
qu'elle détermine crée, dans certains cas, des ob-
Slacles réels à la circulation artérielle et veineuse.
VII, — Cetté proposition, presque évidente par
elle-même, peut être décomposée en quelques
Propositions secondaires.
1° Une excitation légère, éveillant plus vivement
les mouvements du cœur, rend la circulation plus
rapide et colore le visage d’une rougeur arté-
rielle. |
2° Une modification nerveuse, qui détermine \
l’affaiblissement ou la paralysie momentanée du
Cœur, ralentit ou suspend le mouvement général
du sang, et amène une pâleur nécessaire.
3° Un spasme du cœur, qui, n’empêchant point
les mouvements du ventricule gauche, fait néan-
. Moins obstacle au retour du sang veineux, amène
la rougeur violette de la peau et particulièrement
du visage.
4° Si une contraction tétanique rend le cœur
immobile; si le rhythme de ses mouvements se
13,
DE LA PHYSIONOMIE
ralentit par excès d'énergie convulsive, les mou-
vements du sang deviennent plus lents dans toute
l'étendue du système vasculaire, et la surface en-
tière du corps pâlit.
VII. —— Les mouvements du thorax ont sur le
. phénomène de la circulation une influence directe
que l'expérience peut aisément constater.
A. Une inspiration longtemps prolongée amène
une congestion veineuse qui colore plus particuliè-
rement la face et le cou.
En effet, l'inspiration favorise l’entrée du sang
dans le cœur, mais par cela même elle porte en
un certain degré obstacle à sa sortie. Si donc l'in-
spiration se prolonge, il vient, en somme, aux
oreillettes plus de sang qu’il n’en sort des ventri-
cules. Le sang s’accumule en conséquence dans
les cavités veineuses, et donne aux parties les
plus voisines des troncs veineux principaux et du
cœur une teinte plus ou moins violette.
B. Un mouvement d'expiration trop longtemps
prolongé amène rapidement, avec la congestion
veineuse, une cyanose plus où moins générale.
En effet, l'expiration favorise l'émission du ang
artériel ; mais en cela même qu’elle favorise les
mouvements centrifuges, elle doit porter obstacle
DA TU
D CRÉES UN CSS RER
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 83
aux mouvements centripètes. Le sang noir s’accu-
_ mule donc dans le système veineux et le distend
plus ou moins.
GC. Si le mouvement d'expiration est anormale-
Ment combiné avec le mouvement d'inspiration,
la congestion sanguine est portée à son comble,
etes hémorrhagies sont imminentes.
Cette proposition générale comprend deux cir-
Constances distinctes.
1° Le thorax étant maintenu . l'attitude de
l'inspiration, les muscles font effort pour expirer.
Ce mouvement est l'effort (nisus). Il se produit
toutes les fois que, dansle but de résister, le corps
se dispose à produire des mouvements énergiques
et durables.
20 Le thorax étant maintenu dans l'attitude de
l'expiration pax une contraction spasmodique ou
par une paralysie de la glotte, les muscles font
efort pour inspirer. Get état est l'angoisse (an-
gor). I se produit dans un grand nombre d’affec-
tions convulsives, lorsqu'à la suite d’une expira-
tion poussée à l'extrême, la constriction ou l’af-
faissement du larynx portent obstacle à l’intro-
duction de l'air appelé par le thorax, |
La face devient pourpre et même violette dans
d
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F u
nil 4
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CH
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paaneqe er VER,
81 DE LA PHYSIONOMIE
l'effort et dans l'angoisse. Cette congestion s'étend,
dans certains cas, aux veines du cou, de la poi-
trine et des bras. L’habitude de l'effort amène, à
la longue, la dilatation des veines des membres
inférieurs. Je n’insisterai pas davantage sur cette
proposition que l'observation et l'expérience dé-
montrent également. ,
D. Si les mouvements d'inspiration et d'expi-
ration se succèdent avec rapidité, en telle sorte
que la respiration soit simplement accélérée, le
mouvement de la circulation devient alors actif, et
la peau se couvre de teintes plus vives dues à l’a-
bondance du sang artériel.
Gette proposition est évidente par elle-même.
En effet, l'inspiration appelle le sang vers le cœur;
l'expiration favorise, au contraire,’ son émission.
Cette double action, venant en aide aux mouve-
ments du cœur, doit rendre la circulation plus
active, ce que l'observation démontre.
Lorsque l'alternative des mouvements respira-
toires est seulement accélérée, comme cela a lieu
après une course rapide, elle prend le nom d’es-
soufflement (anhelitus). Ge mot est impropre : je
propose de lui substituer celui d'ocypnée. L'ocy-
pnée n’est point l’essoufflement, mais elle lui suc-
LS
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 85
cède en général, etson but est de rétablir la circu-
lation embarrassée après une suite d'efforts avec
lesquels les mouvements respiratoires n’ont pas
été habilement combinés.
IX. — Dans certains cas, l'accélération des
Mouvements respiratoires prend une forme con-
Vülsive. La poitrine et le diaphragme, étant alors
maintenus dans l'attitude de l'inspiration, réa-
Sissent par une sorte d’élasticité active contre de
Petits mouvements expirateurs se succédant en |
Saccades précipitées ; en sorte qu’à une inspiration
Pérpétuelle sont opposées de petites expirations
très-rapprochées l’une de l autre, mais dont aucune
d'est complète.
Cet état est le rêre (cackinnus). Il se compose
d'une suite de petits chocs qui agissent brusque-
Ment, ont sur l’ensemble de la circulation un eflet
ExCitant que ne produisent point au même degré.
les mouvements respiratoires uniformes, et ré-
Veillent la circulation paresseuse, Les heureux
ellets du rire sont assez connus surtout dans les
affections par obstruction, où la congestion vei-
ñéuse est imminente, Aussi dit-on fort exactement
que le rire désopile. Je parte ici du rire normal :
“a ellet, lorsque les expirations saccadées du rire
86 | DE LA PHYSIONOMIE
se succèdent sans interruption, en sorte qu'il n'y
a plus de place pour les mouvements antagonistes,
le rire aboutit aux mêmes eflets qu’une expiration
excessive, et, loin de favoriser la circulation,
il peut, au contraire, amener une congestion dan-
gereuse.
X. — Le contact, et si j'ose le dire ainsi, le
mélange de l'air et du sang étant le but de la cir-
culation, | peut arriver que certains troubles
arrivent dans la circulation, non de quelque ob-
stacle apporté au jeu du thorax où du cœur,
inais de la constitution du poumon lui-même.
Ainsi la respiration est incomplète et difficile :
4° Toutes les fois que l'étendue des surfaces
respiratoires est insuffisante, eu égard à la masse
el à la vitesse du sang qui les parcourt ;
20 Dans tous les cas où, la rétractilité des vési-
cules pulmonaires étant affaiblie, elles ne se vident
pas complétement à chaque inspiration de l'air
altéré qu’elles contiennent.
Le premier cas est souvent un résultat de la
pléthore. C’est ainsi qu’il arrive aux hommes très-
sanguins d’éprouver des essoufflements qu'une
saignée fait cesser aussitôt, Il se produit par une
raison opposée dans l’emphysème pulmonaire et
— rentre mimi Re
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 87
dans l anomalie assez fréquente qui consiste dans
une insuffisance naturelle du poumon.
Le second cas, d'après des expériences très-
précises de M. Longet, a lieu toutes les fois qu'une
lésion des pneumogastriques détruit ou diminue
l influence nécessaire de ces nerfs sur la respira-
tion.
Or, quelle que soit la raison anatomique de
cette insuflisance, elle ne peut porter aucun
obstacle aux mouvements du thorax. L'inspiration
et l'expiration peuvent se succéder en toute li-
berté. De plus, dans l'hypothèse d’une lésion
bornée au poumon, aucune raison directe ne S'Op-
Pose aux mouvements du sang veineux dans le
Cœur; ainsi les causes de congestion veineuse que
Nous avons signalées plus haut, ne se retrouvent
Point ici.
Mais dans l'emphysème pulmonaire, et même
dans le cas d’insuffisance naturelle du poumon, le
Système capillaire de cet organe n'ayant point une
étendue proportionnée à la force du cœur , le sang
que le cœur chasse au travers des réseaux pulmo-
haires, tend à les distendre et à les traverser avec
Une trop grande vitesse. Et ces conditions sont
défavorables : en effet, l'oxygénation complète du
ES
M Fa qe s Ed
:
]
DE LA PHYSIONOMIE
sang dans le poumon suppose une division pous-
sée aussi loin que possible des courants sanguins
qui se répandent sur les surfaces respirantes, et,
en second lieu, un contact de l’air et du sang as-
sez prolongé pour que la saturation soit parfaite.
Or, ces deux conditions fondamentales ne peu-
vent être ici remplies : en effet, les réseaux pul-
monaires offrant au sang chassé par le cœur une
étendue trop restreinte, il n’y perd point l'excès
de sa vitesse acquise, et en même temps qu'il les
parcourt trop rapidement, il tend à les distendre
et les dilate quelquefois jusqu'à la rupture.
Dans le second cas, les circonstances sont plus
défavorables encore, puisque, la quantité d’air pur
introduit dans le poumon diminuant à chaque in-
spiration nouvelle, la transformation üu sang
veineux en sang artériel devient de plus en plus
incomplète, si bien que de part et d'autre des
phénomènes généraux d'asphyxie se développent
lentement.
Dès lors, le sang du cœur gauche, moins oxygé-
né, moins excitant, ne porte plus dans les tissus
la vivacité de ses couleurs rutilantes. Il ny a
nulle part de congestion marquée, mais la produc-
tion de la chaleur animale devient moins active,
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 89
a
l'expansion vitale s’aflaisse, et, le sang laissant
Percer au travers de la peau sa teinte violette, les
tissus superficiels prennent une couleur livide et
grisâtre. En même temps, les inspirations précipi-
iées et profondes auxquelles l’état général du sang
sollicite, faisant fréquemment le vide dans les
veines, la pâleur de la face en est augmentée.
Tous ces phénomènes sont surtout marqués
dans l'espèce humaine et plus particulièrement
dans la race blanche. Chez les animaux mammi-
fères, les causes que nous avons mentionnées n’a-
gissent d’une manière sensible que sur les con-
_ jonctives ou la muqueuse orale.
De la rougeur et de lu pâleur en tant qu’elles dépendent
de l'influence des nerfs sur les éléments de lu peau.
XI. — Le cœur est, à coup sûr, le moteur prin-
Cipal du sang. Mais à son action s'unissent beau-
Coup d'actions accessoires, dont les unes aident à
la circulation, tandis que les autres lui nuisent plus
Où moins, Parmi ces causes, nous avons déjà parlé
des mouvements respiratoires. Mais ces mouve-
Ments sont-ils les seuls qui puissent influer sur la
Coloration de la peau par le sang? Je ne le pense
pas. |
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DE LA PHYSIONOMIE
Et en effet, il est des gens qui ne rougissent ja-
mais ; on peut rougir d'un seul côté seulement; en
outre, tous les tissus ne se prêtent pas également
à la turgescence. En un mot, s’il y a dans ces
effets une part qu'on peut rapporter au cœur et
au thorax, il en est une autre qu’on ne saurait
refuser à l’action des tissus où le sang s’épanche.
XIT, — C'est ainsi qu’il faut tenir compte des
tissus cutanés et de l’élasticité qui leur est propre.
Cette élasticité, qu’on peut considérer comme une
force antagoniste à la force expulsive du cœur,
influe singulièrement sur la circulation. Dans le
cas où l’action du cœur languit, elle repousse le
sang, le chasse des réseaux capillaires et concourt
singulièrement à la production de la pâleur. Dans
les circonstances normales, elle est aux réseaux
capillaires ce qu'est aux artères l’élasticité de leur
tunique fibreuse. et ses réactions salutaires favo-
risent la circulation dans les tissus cutanés.
Nous ne pouvons considérer cette force comme
une propriété invariable du tissu dermoïde. Elle
peut agir, en elet, d’une façon très-différente, la
force impulsive du cœur demeurant d’ailleurs la
même. C’est ainsi qu'une douce chaleur semble
affaiblir la rétractilité du derme vivant. L’élasticité
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 91
des tissus lutte alors d’une façon moins énergique
contre les mouvements expansifs du sang, et ils
se laissent pénétrer par les courants artériels.
L'application du froid rend, au contraire, cette ré- |
tractilité plus manifeste et détermine la COITuga-
tion des tissus. Cette observation bien simple, et
tirée d'actions extérieures, nous donne la clef de
certains phénomènes produits par une action toute
nerveuse en apparence.
XIII. — La chaleur qui pénètre un membre
vivant ne dépend pas seulement du degré de la
température ambiante, loin de la; cette chaleur
résulte surtout d'une cause intérieure qui se ma-
nifeste partout où le mouvement de la vie com-
pose et décompose les matières sur lesquelles son
activité s'exerce. ;
Gette activité est sous la dépendance nécessaire
et immédiate du système nerveux. Ainsi, quand
l’action des nerfs favorise le mouvement de la vie,
une chaleur douce s'engendre dans les parties,
Surgit de leurs profondeurs les plus intimes, et
layonne en quelque sorte de toutes leurs molé-
Cules,
Mais supposons que l’action des nerfs languisse,
le Mouvement vital se ralentit ou s’arrête, la pro-
92 DE A PA ON NIET
duction de la chaleur immédiate est diminuée et
même suspendue, et les parties subissent un
refroidissement d'autant plus général, que les
causes qui le produisent agissent sur les troncs
nerveux eux-mêmes.
Cette chaleur et ce froid de cause interne ont
des effets pareils à ceux que détermine la tempé-
rature ambiante. La chaleur vitale dilate les tis-
sus, le refroidissement intérieur les resserre, et
cette corrugation adynamique que la force répul-
sive des vaisseaux ne peut plus combattre, s’op-
posant à la pénétration du sang dans les tissus,
toute circulation peut finir par $ y arrêter ; comme
cela arrive quelquefois aux extrémités digitales
des sujets affaiblis, et comme on le voit pendant
l'hiver dans les membranes nalatoires des gre-
nouilles engourdies par le froid. Le froid de cause
interne a donc sur l'organisme entier les mêmes
effets que le froid de cause extérieure.
Dès lors, si les causes morales modifient pro-
fondément le système nerveux, si les unes excitent
au plus haut point sa force intérieure, tandis que
d’autres la paralysent, pourquoi s’étonnerait-on
\ de l'influence que les passions exercent sur les tis-
/sus cutanés dont elles font palpiter la surface?
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 93
Mais à quels nerfs attribuer plus particulièrement
celte influence? C’est là une question ardue et à
peu près insoluble dans l’état actuel de la physio-
logie. Les hypothèses de Dugès sur ce point, quel-
que ingénieuses qu’elles paraissent, ne résolvent
point cette grande difficulté.
XIV. — Les mouvements du cœur, du thorax,
du poumon, la qualité du sang, la rétractilité des
tissus, l’excitabilité des nerfs, ne sont pas les seules
causes qui puissent influer sur la coloration de la
peau; les mouvements des viscères abdominaux
ont aussi sur cette coloration une grande influence.
On connaît la couleur jaune des ictériques:; en
général, les affections abdominales amènent dans
la coloration de la peau des modifications sen-
sibles. Ces modifications surviennent le plus sou-
vent d’une manière lente. Mais dans certains cas,
elles se manifestent subitement. Nous reviendrons
dans un moment sur ces choses.
Ainsi l’organisme entier tient les réseaux san-
guins et les trames de la peau sous sa dépen-
dance. Ces systèmes différents en apparence, mais
liés irrévocablement l’un à l’autre sous l'empire
d’une harmonie nécessaire, font retentir ainsi à
la surface du corps un écho de leurs plus secrètes
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22
94 DE ELA PHYSIONOMEE
commotions! Or, comme il est dans l’ordre de la
nature que l'être social le plus intelligent soit
aussi le plus intelligible, cette faculté de rougeur
et de pâleur qui distingue l’homme, est un signe
naturel de sa haute perfectiond et sous ce point
de vue, l’homme blanc nous paraîtra réaliser une
beauté plus grande que l’homme nègre, chez lequel
ces rayonnements de l'intelligence et de la vie
sont, si je l’ose dire ainsi, voilés et obscurcis.
Des mouvements d'expansion et de constriction.
XV. — Après ce que nous venons de dire sur
les causes des mouvements du sang, nous aurions
peu de chose à ajouter : en effet, ces mouvements
de constriction ou d'expansion reconnaissent les
mêmes causes, ou déterminent des effets ana-
logues. Ainsi, l'expansion de la peau se lie en gé-
néral à une coloration sanguine plus vive; sa
constriction à la pâleur. La première est accom-
pagnée d’uüne véritable turgescence, la seconde
amaigrit les traits, qui se rétractent en quelqué
sorte. Ge que nous avons dit (art. XI), nous dis-
pense d’insister sur ce point;
"#
a A Sue, ne
LT DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 95
D
Des variations qui modifient la lempéralure
des organes.
XVI. — Ces variations se présentent sous l’in-
fluence combinée de la rétractilité des tissus, du :
Mouvement nerveux et du mouvement circula-
toire. Partout où la vie languit, la température
S'abaisse. Toutes les causes qui exaltent la vice
. déterminent, au contraire, une production de cha-
leur plus rapide. Ainsi ces trois choses: rougeur,
Xpansion, chaleur, sont-elles à tel point paral-
lèles qu’elles sont presque synonymes.
Des changements qui modifient ou altérent
; les sécrétions.
XVII. — Ces changements à chaque instant
COnstatés sont néanmoins mal connus. Mille causes
Concourent à les produire. Je me bornerai à à Tap-
Peler ici les plus générales. Je crois utile de dis-
tinguer cet article en deux parties. Dans l’une, je
l'aiterai des sécrétions proprement dites, et dans
l'autre, des transsudations. |
T° Des sécrétions. L'histoire des modifications
ue les sécrétions peuvent subir se résume, au
Point de vue des recherches que nous poursuivons;
cu quelques propositions très-générales.
f
ij
M:
M
RS SR dr Eds
di TS TT PISE EE + rer
DE LA PHYSIONOMIE
_——
A. Une trop grande rapidité dans le mouvc-
ment du sang nuit à l’accomplissement de la sé-
crélion.
Gette proposition est rendue probable : 4° par
l'induction anatomique; puisque la nature, en
donnant aux glandes les plus importantes des ar-
tères très-flexueuses, semble indiquer que le sang
y doit ralentir son cours;
90 Par les faits pathologiques : en ellet, dans
les vives ardeurs de la fièvre, quand le sang, solli-
cité par les contractions accélérées du cœur, court
avec une rapidité furieuse, les sécrétions sont
pour quelque temps supprimées.
B. Si le sang, mu sous une pression très-forle,
circule néanmoins avec leñteur dans un organe de
sécrétion par suite de quelque obstacle apporté à
la circulation veineuse, les réseaux capillaires s0
gonflent, et la partie congestionnée devient le siége
d’une sécrétion très-aclive.
C'est ainsi que, suivant une belle remarque de
Fodera, la sécrétion de la salive devient plus ac-
tive après la ligature de la veine jugulaire. Une
simple pression exercée autour du cou fait couler
en plus grande abondance la sueur*du front el
des joues. De même l’ellort, en congestionnant 10
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 37
Système veineux tout entier, détermine une trans-
Piration abondante.
C. Les sécrétions sont appauvries quand le
Sang arrive aux organes d'un mouvement trop
lent et sous une pression trop faible.
Gette proposition est démontrée par les phéno-
mênes qui surviennent dans les cas de débilité du
Cœur et dans l’anémie.
D. Une douce chaleur favorise les sécrétions ;
un froid trop intense les supprime.
Il semble superflu d’insister sur cette proposi-
tion. Elle est vraie, quelle que soit la source de la
Chaleur et la cause du refroidissement. (Voyez
art, XIII). Le
E. St, au moment où une sécrétion s'opère, une
cause quelconque s'oppose à l’excrétion des choses
Sécrétées ; si, de plus, un spasme des conduits ex-
Créteurs comprime les liquides contenus, le mou-
vement de la sécrétion est suspendu, et les. élé-
Ments déjà séparés du sang tendent à rentrer
dans le torrent de la circulation.
Nous rappellerons à ce sujet : 1° les métastases ;
2 les suffusions, telles. que celle de bile ou
d'urine.
F. SŸ des excitations directes sont portées sur
G
D ed
_ SAT eafi
«
ph te ce
eh
“oi le
D
ox" FRA
hi dde dép vu
“à PR Un :
oo
98 DE LA PHYSIONOMIE
un organe sécréleur ou sur ses conduits, en telle
sorte que la sensation de cet organe devienne plus
distincte, la sécrétion est déterminée, el si elle avait
déjà commencé, elle est sensiblement augmentée.
C’est ainsi que la mulsion détermine les ma-.
melles des animaux à sécréter davantage. Lorsque
la source du lait paraît s’épuiser, les jeunes Tü-
minants excitent à coups de tête la mamelle avare.
De même des frictions légères sur la peau favori-
sent son activité et déterminent des transpirations
abondantes.
G. Si l'âme devient attentive à un organe sécré-
teur de manière à le distinguer plus particulié-
rement au milieu des sensations générales qui
naissent de l'organisme entier, celle attention de
l'âme détermine une sécrétion plus active.
Cette proposition est la conséquence d'une
autre proposition beaucoup plus générale sur la“
quelle nous aurons à revenir plus tard, et ne
s'applique d’une manière évidente qu'à un où
deux organes sécréteurs.
H. Les sécrélions s opérent sous Tr influence di
système nerveux tout entier el dépendent de toutes
les causes qui peuvent exalter, affaiblir ou per-
vertir l'action nerveuse;
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 1970)
LE
Une multitude d'observations que tout le monde
a pu faire et des expériences nombreuses dé-
montrent cette proposition. On sait en particulier |
l'influence singulière que les troubles apportés |
dans le système nerveux exercent sur la sécrétion
_ des mamelles, des glandes salivaires, etc.
Les phénomènes qui surviennent alors du côté
des glandes ne sont point une conséquence des
modifications que les actions nerveuses déter-
minent dans l’état des gros vaisseaux et du cœur.
Ils paraissent, au contraire, résulter d’une action
directe et locale. Un homme, dont la moelle épi-
nière avait été tranchée par un coup de feu au-des-
_Sus de la sixième vertèbre dorsale, ne transpirait
plus que par les parties supérieures au point lésé.
Dans un autre cas, le malade, soumis aux consé-
Œuences d’une commotion cérébrale, ne transpirait
plus que d’un seul côté de la tête, en sorte que
cette transpiration était exactement limitée par
la ligne médiane.
La sécrétion de la salive est l’une de celles qui
subissent le plus évidemment cette influence. Les
larmes sont dans le même cas. On sait, en effet,
- vec quelle abondance elles coulent dans la réso-
lution des accès hystériques. 11 ne serait pas sans
net
DEN A PH YSION ONE
intérêt d'examiner avec soin les sensations locales
qui précèdent et accompagnent le moment de leur
production. Malheureusement, cet examen est dif-
ficile dans beaucoup de cas. On ne peut faire de
pareilles observations que sur soi-même, et dans :
le cas où les larmes coulent spontanément; qu'elles
soient déterminées par la tristesse ou par la joie,
on a rarement assez de puissance sur soi-même
pour analyser les circonstances fort délicates où
elles se produisent. Si ma mémoire, en me rappe-
lant l'époque de ma vie où je pleurais, ne me
{rompe pas, les larmes sont toujours précédées
d'une sensation analogue à celle que léblouisse-
_ ment détermine. Aussi suis-]e fort por té à penser
que ces larmes de la tristesse et de la joie résultent
des irradiations réflexes qui parcourent la cin-
quième paire, dont les connexions avec le système
viscéral sont si étendues. Je ferai remarquer, au
surplus, que les mêmes causes qui déterminent
l'éruption des larmes augmentent en même temps
l'énergie de la sécrétion salivaire, et j'ajouterais
des sécrétions nasales, si leur augmentation ne
pouvait être attribuée à l’action directe des larmes
que versent les voies lacrymales sur la muqueuse
olfactive,
tm TR ENERN
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 101
On peut résumer ainsi ces choses : (a) une eæci-
lation trop grande, une faiblesse poussée jusqu'à
la paralysie des organes de la circulation, ta-
rissent les sécrétions. De même une douce chaleur
les favorise, un froid trop intense les supprime.
(b) Dans tous les cas où le mouvement centri-
l uge des artères prédomine sur le mouvement
centripète des veines, les sécrétions sont à la fois
plus rapides et plus abondantes.
_(c) Une excitation locale portée sur un organe
Sécréleur rend la sécrétion plus active. Une exci-
lation directe ou sympathique amène des résuliats
analogues. à
2 Des transsudations. Il est nécessaire de dis-
tinguer avec soin les transsudations d’avec les
sécrétions vraies.
(a). Les sécrétions sont essentiellement actives;
elles exigent pour se produire l'intervention de la
Puissance nerveuse. De plus, chaque organe, dans
l'état normal, a ses affinités électives; autre, en
effet, est la matière de la sueur et de l'urine, autre
est celle des larmes, de la salive, du suc pancréa-
tique ou de la bile; les glandes ne sont point de
Simples filtres retenant certains éléments du sang
: 86 laissant passer les autres : ce sont des filtres ac--
6,
;
}
102 DE LA PHYSIONOMIR
‘tifs qui séparent, il est vrai, certains éléments du
sang, mais modifienten même temps les substances.
séparées pour en faire des composés ou du moins
des mélanges nouveaux. Or, il n'y a rien de sem-
blable dans les transsudations.
(b). En effet, les transsudations se produisent
quand la vie nerveuse s'éteint, quand les vraies
sécrétions sont taries. Elles ne modifient point les
matériaux du sang, dont les principes les plus
ténus s’échappent alors au travers des trames cel-
luleuses, et qu’on voit s’écouler parfois avec une
rapidité effrayante soit de l'intestin, soit de la
peau. C’est ce qu'on observe en particulier chez
les malheureux atteints du choléra asiatique. La
sueur froide des mourants ne paraît pas être
autre chose.
Les transsudations se produisant quand les sé-
crétions sont taries, elles ne paraîtront pas dé-
pendre des mêmes causes. Les sécrétions sont, chez
les animaux mammifères, accompagnées de cha-
leur; la matière des transsudations périphériques
est glacée. Les sécrétions sont liées d’une manière
intime au phénomène de la circulation et au mou-
vement général de la vie; les transsudations appa-
raissent, au contraire, quand les mouvements du
D + ut
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 163
cœur semblent près de s’éteindre, quand le froid
de la mort envahit les membres deveñus insen-
sibles. |
(c). Cependant les transsudations ne peuvent
. être considérées comme un phénomène absolu-
ment passif résultant de l’extinction absolue de la
vie; après la mort absolue, la transsudation s’ar-
rête : un reste de vie ou du moins un reste de
tonicité est donc une condition indispensable à sa
production.
Essayons d'expliquer ces #0 Quand
la force vitale se dissipe, le cœur cessant de
battre, la tunique élastique des artères réagit sans
obstacles; le derme se rétracte et les réseaux
capillaires se vident dans les veines du sang qu'ils
contenaient; les veines s’enflent alors. Elles s’élar-
gissent à mesure que le sang se refroidit, et la
Séparation du caillot et du sérum commence.
Gette expression vulgaire, que le sang se fige dans
les veines, n’est donc point une simple métaphore.
Lorsque, pendant l'hiver, j'essayais d'observer la
circulation sur des grenouilles engourdies par le
froid, je trouvais les globules déformés et le sang
Coagulé dans les réseaux des membranes interdi-
gitales,
TRE RS PP Sr RS CPE LS NN in Se
DE LA PHYSIONOMIE
Or, quand ces phénomènes se produisent, la
transsudation commence. Elle vient, en un mot,
quand la circulation s'arrête, quand le froid de là
mort envahit les parties, quand les tissus der-
moïdes se resserrent. Dès lors, ne pourrait-on pas
la considérer comme un dernier effort des tissus
expulsant les parties les plus ténues d’un sang
refroidi et rendu immobile par l'angoisse, la syn-
cope et la mort?
Je ne me dissimule pas toutes les difficultés que
cette question soulève, et combien ces explica-
tions laissent de lacunes dans l'histoire de ces
phénomènes compliqués. Quoi qu'il en soit, il est
certain qu’ils se rattachent aux derniers mouve-
ments d’une vie qui s'éteint, de vaisseaux qui
meurent : aussi les sueurs froides sont-elles, dans
les maladies, du plus mauvais augure. Sudores
RP ES
frigidi, cum acula febre, morlem; cum mitiori,
Le.
ET
di
3 |
D 1}
Le È
A
y
et
Li.
&
FL
longitudinem morbi significant. (Aph. Hipp.,
sect. IV, 35.)
f7 Or, je n’hésite point à croire que, pareilles aux
re
2
sueurs de l’agonie, les sueurs froides qui glacent
= —
dans l’épouvante, dans l'horreur portée à son
comble, dépendent d’une suspension de la circu-
lation, à laquelle s'ajoutent d’autres effets résultant
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 105
d’un anéantissement momentané de l'influence”
nerveuse. Et en effet, elles accompagnent fré-
quemment la syncope, qui est une mort apparente,
et qui précède toujours la mort réelle.
3° De la nutrition. Une analogie remarquable
rapproche les phénomènes de nutrition des sé-
crétions proprement dites : aussi convient-il d’en
dire ici quelques mots.
Plusieurs causes, au jugement de tous les phy-
siologistes, influent sur l’ensemble des mouve-
ments nutritifs. Les unes dépendent du jeu de
l'appareil circulatoire, d’autres se rattachent aux
actes préliminaires et aux phénomènes intimes
de la respiration, l'état légitime du poumon, du
système vasculaire et du sang étant la condition
nécessaire d’une nutrition normale.
Je n’insisterai point sur ces choses. Elles trou-
vent plus naturellement leur place dans un traité
de physiologie générale. Mais il paraît indispen-
sable de dire ici quelques mots de l'influence que
le système nerveux exerce sur l’ensemble des
actes nutritifs, ce point ayant avec notre objet un
rapport immédiat.
À. Le systéme nerveux influe sur l'ensemble des
fonctions intéstinales,
:
A |
UE
(l!
|
{|
à !
Ÿ à
|
106 DE LA PHYSIONOMIE
Cette influence s'exerce d’une doublé manière,
à savoir : en supprimant, diminuant, exagérant
ou altérant les sécrétions intestinales ; et en second
lieu, en modifiant la contractilité des couches mus-
culaires de l'intestin ou même en les supprimant
tout à fait.
C’est ainsi qu'une émotion nerveuse supprime
la digestion, tarit ou sollicite avec excès les sécré-
tions intestinales et souvent détermine dans l’in-
testin tout entier des spasmés convulsifs.
Nous croyons inutile d’insister sur ces faits, que
nous avons suffisamment exposés tout à l’heure
et qu'une observation vulgaire oblige à admettre.
B. Le système nerveux n'influe pas seulement
sur Les actes digestifs, mais il tient sous sa dé-
pendance le mouvement de nutrilion qui renou-.
velle incessamment les parties vivantes.
Tous les auteurs ne sont pas d'accord touchant
la part d'influence qu'ils attribuent au système
nerveux sur les phénomènes intimes de la nutri-
tion, c’est-à-dire sur ce mouvement qui, rempla-
cant à chaque instant les éléments organiques
anciens par des éléments organiques nouveaux,
semble réaliser au sein de nos tissus une création
perpétuelle.
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 107
Une première question se présente ici : la sec-
tion des nerfs d’un membre influe-t-elle sur la
nutrition de ce membre? Il y a, à cette question,
des réponses contradictoires. Dans un premier
camp se rangent avec quelques physiologistes la
plupart des médecins. Atrophia presso pede sub-
sequitur membra paralytica, dit Kænig. Dans
l’autre camp semblent devoir être rangés d’habiles
expérimentateurs pour lesquels cette influence est
douteuse. ESA
C’est ainsi qu’on a coupé les nerfs cruraux sui
des grenouilles sans que la nutrition du membre
abdominal parût troublée. D'autre part, la .même
Opération, pratiquée sur un mammifère, n'a amené
qu'un amaigrissement momentané du membre
paralysé. La conséquence de ces observations
semble être que les nerfs et la moelle épinière
n’ont sur le phénomène local de la nutrition
qu'une action presque insignifiante.
Mais les faits sur lesquels cette conséquence est
basée et sur la véracité desquels le respect dû au
nom des expérimentateurs ne permet d'élever au-
cun doute, ces faits, dis-je, méritent d’être sou-
mis à une discussion rigoureuse.
Les membres postérieurs d'une grenouille ne
DE LA PHYSIONOMIE
sont point amaigris après la section des nerfs
cruraux : donc, nous dira-t-on, l'influence de Îa
moelle épinière sur la nutrition est insignifiante.
Cette conséquence me paraîtrait éminemment
hasardée. En effet : (a) chez les animaux inférieurs,
et en particulier chez les reptiles, la dépendance
réciproque où sont entre elles les différentes par-
ties du système nerveux est loin d'être aussi abso-
lue que chez les mammifères ; (b) un nerf séparé
de la moelle épinière conserve son excitabilité el
par conséquent son influence, bien plus longtemps
chez les reptiles que chez les mammifères.
Dans le courant d'avril 1843, j'amputai les
deux membres abdominaux d’une tortue grecque.
Huit jours après, quand on irritait leurs nerfs,
les muscles de ces membres se contractaient en-
core. Gette expérience démontre que la propriété
locomotive persiste dans les nerfs indépendam-
ment de leurs connexions avec la moelle épinière.
Or, les expériences de M. Magendie sur la cin-
quième paire font voir également que Îles nerfs
ont par eux-mêmes, indépendamment de l’axe
nerveux, une influence réelle sur la nutrition.
Ainsi un nerf peut vivre, bien que ses rapports
avec la moelle épinière aient été détruits. L'in-
——— = de
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 109
fluence de sa masse propre peut donc suffire à la
vie du membre lésé, surtout dans un reptile.
Il y a chez les animaux inférieurs une ten-
dance à la régénération des parties perdues que
toutes les expériences constatent. Et cette ten-
dance bien connue permet d’élever des doutes
nombreux sur le sens d’un grand nombre d’ex-
périences faites dans le but de mesurer la part
d'influence que les nerfs ont sur la nutrition des
Parties.
Les expériences faites sur les mammifères
semblent au premier abord plus concluantes. Tou-
tefois, en y regardant de plus près, loin d'appuyer
la thèse de la non-influence des nerfs, elles la
combattent. Dans ces expériences, il y a'eu d’a-
bord un amaigrissement notable. La section des
nerfs n’a donc pas été sans influence. Mais, dira-
t-on, cet amaigrissement n’a été que momentané.
Je le veux concéder. Mais qui m’assurera que le
rétablissement de la nutrition n’a pas tenu à quel-
ue phénomène de régénération des nerfs, phé-
homène vulgaire et si habituel qu'à peine est-il
Permis de supposer qu'on puisse absolument le
Prévenir? D'ailleurs, si la moelle épinière n’a pas
été détruite et dans une assez grande étendue,
7
. DE LA PHYSIONOMIE
quel anatomiste serait assez hardi pour assurer
qu'aucun nerf n’a échappé au scalpel de lexpé-
rimentateur ? et qui pourrait dire jusqu’à quel
point l'influence de ces nerfs n’a pas suffi pour
entretenir un reste de vie et de force assimila-
trice ? |
Ces réflexions ne sont point:de pures hypo-
thèses. Au surplus, l'observation clinique ne
parle-t-elle pas assez haut ? Sans. doute toutes
les paralysies n’altèrent pas la nutrition des
membres; mais qui n’a vu dans certains cas des
muscles paralysés par la section de leurs nerfs
pâlir, s’atrophier et disparaître ? qui ne connaît
l’atrophie qu’amène la phthisie dorsale, si bien
que, suivant une expérience commune, les mem-
bres se dessèchent alors ? et ne sait-on pas qu'un
pareil effet se produit souvent dans ces affections
rhumatismales qui paraissent avoir pour siége
certaines parties de la moelle épinière ?
Mais un tableau plus triste se présente à notre
souvenir. N'a-t-on pas vu souvent à la suite de
ces affections comprises sous lenom générique de
myélites, la gangrèñe s'emparer de membres
morts sur un corps encore vivant ? Ne voit-on
pas alors avec elfroi les téguments sphacélés se
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 111
_ détacher, et les chairs entraînées par un ichor
fétide tomber en pourriture? Les eschares ne.
sont-ils pas le cortége terrible des apoplexies, des
vésanies chroniques, et de cette affection insi-
dieuse que notre célèbre M. Esquirol a décrite
sous le nom de paralysie générale ?
Tels sont les effets ordinaires des lésions qui
anéantissent la puissance nerveuse. Les affections
morales déprimantes ont des résultats analogues ;
la tristesse modifie profondément les sécrétions
épidermiques. Rivale de la vieillesse et de la mort,
elle dépouille les fronts qu’elle a touchés. L’hor-.
reur et l’épouvante font parfois en quelques heures
blanchir les cheveux. Les lypémanies altèrent la
crâse des humeurs, dessèchent la peau, déter-
minent des hétéromorphoses, et font naître une
foule d’affections herpétiques. Souvent alors un
Cancer caché se développe lentement et consume
les viscères, symbole terrible du mal dont l'âme
est dévorée.
De ces résultats mortels de la tristesse, rappro=
Chons les heureux effets de la joie, des excitations
vives, de l'espérance qu'amène une foi sans limite,
Leur action vivifiante explique ces prodiges, ces
Suérisons obtenues par des formules et des amu-
ee ne
RER
112 DE LA PHYSIONOMIE
lettes, ces-atrophies combattues par des moyens
puérils, résultats étranges, et réels cependant,
qui entretiennerit dans le peuple ces croyances
superstitieuses que la religion elle-même peut à
peine déraciner. Elle explique aussi les heureux
effets des distractions dans la chlorose et dans la
plupart des états anémiques si fréquents chez
les jeunes filles.
Nous pouvons donc conclure avec une véritable
certitude, que le système nerveux tient sous Sa
dépendance toutes les actions vitales. Cette asser-
tion n'est point neuve, sans doute, mais son im-
portance nous imposait Je devoir de la discuter.
DES MOUVEMENTS MUSCULAIRES, DES MOUVEMENTS
CONSÉCGUTIFS ET DES MOUVEMENTS PASSIFS..
XVIII. — Nous traiterons dans cette partie de
notre travail des mouvements qu’exécutent les
appareils locomoteurs, que ces mouvements soient
volontaires ou involontaires. Qu'il me soit permis,
en premier lieu, d'énoncer quelques propositions
générales si évidentes par elles-mêmes que nous
les donnerons ici comme des axiomes.
Toute contraction musculaire suppose une ac-
tion qui la détermine;
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 113
En conséquence : j
1° Une contraction musculaire faible indique
une action nerveuse peu énergique ;
2° Une contraction puissante et rapide est l’ef-
fet d’une excitation forte et instantanée:
3° Une action musculaire qui dure et aboutit à
l’état de situation fixe, indique une excitation qui
persiste ;
h Le repos absolu d’un muscle est le signe
d'un repos absolu dans les nerfs qui lui sont
propres.
En ce qui touche l'intelligence, ces propositions
peuvent être ainsi transformées.
1° Une contraction musculaire faible indique
une volonté faible et nonchalante :
2° Une contraction musculaire puissante et ra-
pide est l’effet d’une volonté forte et instantanée :
3° Une action musculaire qui dure et aboutit à
l’état de situation fixe, indique une volonté qui
persiste ;
4° Le repos absolu d'un muscle est le signe
d’un repos absolu de la volonté.
Du souffle et de la voix.
XIX, — Le souflle et la voix peuvent se pro-
DE LA PHYSIONOMIE
duire : 4 pendant un mouvement d'inspiration ;
9e pendant le mouvement d'expiration.
4° Le souffle qui se fait entendre pendant
une longue inspiration, est l'aspiration. Le son
qui se produit dans l'angoisse quand l'inspi-
ration a vaincu la résistance du larynx est le
sanglot.
9° Le souffle qui se fait entendre dans une ex-
piration prolongée est le soupir. Le son qui se
panguié au terme de l'effort (V. art. VII, G.) est le
cri. Le son bref et saccadé qui se pr oduit dans le
rire, reçoit plusieurs sens différents. En effet, il
passe tantôt par la bouche ouverte et tantôt par
les fosses nasales.
Il y à donc un rire nasal. Gette manière de
rire n’est pas propre à l'espèce humaine. On la
retrouve ainsi dans les espèces du genre equus.
C’est en effet à proprement parler le hennissement
(hinnitus). I se produit dans un grand nombre
d’affections opposées.
Si le rire nasal retentit dans les fosses ethmoï-
dales, c’est le ricanement (cachinnalio, canchas-
mos). S'il passe à l'ouverture des narines, il a le
caractère particulier du souflle nasäl. Mais si les
fosses nasales sont remplies de larmes, le souffle
ro
—— HN ———
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 115
a.
devient humide et son accentuation est plus na-
Sonnante encore.
Haller et avec lui la plupart des physiologistes
remarquent que la voix du rire emprunte chez
l’homme adulte les voyelles © et À, tandis que
chez les enfants le rire émet les voyelles Æ' et J.
. Or, comme le rire est plus habituel aux femmes
et aux enfants qu'aux hommes, il est plus naturel
que le nom onomatopique du rire soit ZZ7, Si
donc nous donnons à cette syllabe l’accentuation
nasonnante, le nom du rire nasal qui se mêle aux
larmes sera hin. Aussi la syllabe répétée hi hi hi
par laquelle les acteurs comiques français indi-
quent le commencement des larmes me paraît-
elle insuffisante. C’est Aïn, hin, hin, qu'il faudrait
écrire. Pour s’en convaincre, il suffit d'observer
les petits enfants lorsqu'ils commencent à pleurer.
La langue grecque, plus musicale et surtout plus
imitative que la nôtre, a un mot admirable kin-
nuomai (pleurer). L'analogie de ce mot avec le
hinnire des Latins est frappante. Ge même radi-
Cal onomatopique Ain, se retrouve dans le mot
Cachinnus qu’on peut écrire cac-hinnus.
Le radical At qui exprime essentiellement le
°
rire oral se retrouve dans beaucoup de mots
2
4
| !
[4
!l
H
LÉ
L #2
|
LE
L He
116 DE LA PHYSIONOMIE
grecs et latins. Le mot kians le contient, en effet,
bien qu’il soit évidemment détourné de son accep-
tion primitive, car il signifie essentiellement en-
tr'ouvrir la bouche pour respirer. Gette expression
a plus d’une analogie avec le mot ridere, rire.
Pour s’en convaincre, il suffira de faire prononcer
ces mots à un enfant créole. Il ne dira point.
ridere, mais hidere, {ne prononcera point riant,
mais Arant. |
De même, si nous ne nous en tenons pas exclu-
sivement à la prononciation de notre langue, si
nous donnons au g un son guttural et doux, si
nous rappelons en même temps combien peu dans
la prononciation des Grecs modernes le diffère de
li, on sera obligé de reconnaitre le radical ki
jusque dans le verbe gélaô bien que cette étymo-
logie soit dissimulée par la différence de l'ortho-
graphe. Mais nous le retrouvons avec une évidence
nouvelle dans ces mots hilaris (hilarité), et sur-
tout dans le mot ilaros qu’on pourrait, en le
décomposant, traduire par ces mots: X? doux
(hi-laros). |
Ce n’est point sans dessein que j'insiste sur ces
choses. Elles démontrent, en effet, entre la parole
humaine et l'expression primitive du geste, une
LA
analogie qu'on a trop dédaignée peut-être. C’est
là une mine féconde qu’on pourra un jour exploi-
ter avec succès.
Quand le rire passe librement par la bouche, on
dit qu’il éclate. S'il est contenu, il entraîne toutes
les conséquences de l'effort immodéré; la tête se
gonfle à l’excès, on étouffe de rire. ;
Le rire convulsif (N. art. IX) est douloureux. On
cherche donc à le contenir en fermant la bouche,
et ses éclats passent alors par les fosses nasales.
Souvent alors les glandes lacrymales sont en
même temps excitées et des larmes jaillissent des
yeux; aussi cette expression rire aux larmes est-
elle l'expression superlative du rire. Quoi qu’il en
soit, le caractère nasal du rire excessif fait que
dans les langues anciennes on le confond avec le
ricanement (cachinnatio, canchasmos).
Le rire excessif, conduisant à la congestion et
à l'asphyxie, produit l’angoisse et alterne avec le
sanglot. Aussi est-il dans beaucoup de cas difficile
de distinguer certaines expressions de la joie
d'avec celles de la douleur.
Le rire oral est propre à l'espèce humaine et
semble surtout particulier à l'enfance. Il se déve-
loppe alors en roulades et en cadences brillantes.
Fe
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. . 117.
a non A ©
DE LA PHYSIONOMIE
Ce rire franc, spontané, pur, produit un son qui
s'éloigne de ki pour se rapprocher de ha. Dans
l’homme adulte, le rire se mêlant à des expres-
sions étrangères cadence souvent l’interjection ko.
Le rire de la femme se rapproche beaucoup de
celui de l'enfant.
XX. — Disons maintenant quelques mots de
l'effort. L’effort absolu (V. art. VIII, C, À) est muet.
Il presse sans résultat sur la poitrine gonflée,et par
là il détermine une congestion parfois mortelle.
Au premier abord on peut difficilement expliquer
en quoi cette congestion dangereuse peut être
utile à la locomotion.
Essayons de résoudre ce paradoxe.
Je ferai remarquer en premier lieu que l'effort
n’est point utile à la locomotion proprement dite,
mais, au contraire, à l’immobilité active. Il ne peut
être longtemps continué et conduit irrévocable-
ment à un état d’engourdissement et de roideur,
qu'explique aisément la congestion veineuse qui
l'accompagne.
On suppose, en général, que le mouvement de
l'effort a pour but de préparer aux muscles un
point fixe. Gette opinion ne peut être soutenue,
et en effet, l'effort se produit dans certains cas où
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 119
une jambe seule est engagée. Or les muscles des
membres inférieurs sont complétement indépen-
dants du thorax et de la respiration. La théorie
de l'effort est basée sur des faits d’un ordre tout
différent.
a. Tous les animaux à sang froid parmi ceux
dont les globules du sang sont très-grands, c’est-
à-dire les amphibiens et les reptiles, ont la faculté
des mouvements très-longtemps prolongés. En un
mot, pour parler le langage de Barthez, ils pos-
sèdent la force de situation fixe. Leur circulation
est d’ailleurs très-lente, les mouvements de leur
cœur sont par moments suspendus. Ils semblent
même avoir la faculté de ralentir ou d'accélérer à
leur gré les pulsations de cet organe.
b. Parmi les animaux à sang chaud, ceux dont
les artères sont longues et grêles ont des mouve-
ments très-lents ; ils peuvent garder longtemps la
même attitude. Je citerai en particulier les singes
du genre Atèles.
c. Tous les animaux à sang chaud dont les ar-
tères sont grandes et dont le cœur est puissant, ont
la faculté de produire des mouvements énergiques
et rapides. Mais il leur est impossible de garder
longtemps la même attitude active. Leur nature
120 DE LA PHYSIONOMIE
n’est point de continuer longtemps un mouvement,
mais de le répéter souvent. Tels sont les mammi-
fères coureurs et les oiseaux de haut vol.
d. Toutes les fois que, dans un animal à sang
chaud, certaines parties doivent se mouvoir avec
lenteur ou conserver longtemps la même attitude,
la nature ralentit la circulation artérielle dans ces
parties, en divisant dès leur origine les troncs ar-
tériels en longs faisceaux d’artères capillaires.
Cette curieuse disposition a été observée dans les
bradypes, les fourmiliers et certains lémuriens ,
tels que le Lori tardigrade, le stenops grêle, le
tarsier. M. Vrolick l’a vue également aux mem-
bres postérieurs de quelques oiseaux. J'en ai moi-
même constaté l’existence dans la patte de l’écu-
reuil et du rat, qui demeurent longtemps perchés
sur leurs membres postérieurs.
Si nous rapprochons ces faits, nous en tirerons
cette conséquence naturelle que la faculté de pro-
duire des mouvements lents et de garder une atti-
tude fixe est liée à un ralentissement de la circu-
lation artérielle, et que la faculté d'exécuter des
mouvements rapides et souvent répétés est liée, au
contraire, à une accélération du mouvement arté-
réel,
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 121
Or, ainsi que nous l’avons dit plus haut (V. art.
VID), quand la respiration s’exerce librement, la
circulation s'accélère. La circulation languit, au
contraire, quand la respiration est suspendue, et
les réseaux capillaires s’engorgent d’un sang noir \ '
et veineux. YS
Si donc il s'agit de produire des mouvements Ÿ
vifs et rapides, s’il faut les répéter souvent, on :
devra essayer de respirer à pleins poumons. Sa-
voir respirer, c'est savoir courir, nager longtemps.
Et les professeurs d’escrime attachent avec raison ;
une grande importance à donner aux mouvements S
respiratoires une indépendance complète. L-
Faut-il, au contraire, soutenir un grand fardeau, \ >:
garder longtemps la même attitude, lutter en ré- | _
sistant, nous faisons un grand mouvement d’ins- ne
piration, puis nous cessons de respirer; c’est là / |<
la vraie théorie de l’effort continu. 1
Ainsi donc, en nous résumant, l'effort, en ralen- |
Ussant les mouvements du sang, est une des condi-
tions premières de la résistance.
XXI. — Mais si l’effort était continué au-delà
de certaines limites, il amènerait rapidement la
Mort. Quand donc il s’agit de produire une suite
de mouvements prolongés destinés à vaincre suc-
/ d
122 DE LA PHYSIONOMIE
cessivement une résistance, il est nécessaire de
régler le mouvement de l’effort et de le combiner
d'uné certaine manière avec la respiration.
Le mécanisme de cet effort mitigé est bien
connu des marins et des artisans qui l'emploient
à chaque instant d’une façon toute naturelle.
Au moment de produire l'effort, on fait une
grande inspiration qu'on maintient une ou deux
secondes, en attendant le signal du mouvement.
Puis le mouvement commence, et pendant toute
sa durée, on pousse un cri prolongé très-semblable
à un gémissement, mais toutefois plus ferme et
plus accentué.
Ce cri très-caractéristique est un des éléments
essentiels de la gymnastique des boulangers. Il se
compose de deux parties ou de deux sons qu'on
peut écrire ainsi : 00h, heë-chn. La double syllabe
oôh se produit pendant l'inspiration préparatoire,
la diphthongue soufilée heë-ehn, est émise et pro-
longée pendant toute læ durée de l'expiration.
Ce cri appuyé et prolongé produit des effets
analogues à ceux de l'effort, comme le prouve la
congestion des veines du cou. Mais il limite ces
effets en leur donnant une durée déterminée. Je
prie de remarquer qu'il ne se produit jamais quand
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 123
il s’agit seulement de lancer un coup rapide qu'on
retire aussitôt. Le coup de poing du boxeur n'est
accompagné d'aucun cri. Il en est de même de la
riposte du spadassin. Mais le cri keé-ehn accom-
pagne toujours le cri appuyé ou poussé. Le mot
hisser est tiré d’un cri analogue que les gens qui
enlèvent des fardeaux poussent fréquemment. De
même un bücheron inexpérimenté appuie sur le”
coup de sa cognée, et fait entendre chaque fois
le cri heé-ehn, ou plutôt sa contraction hk ou
hâh. Je ne puis m'empêcher de faire remarquer
ici l’analogie frappante qui existe entre ce cri
häh et ces mots hâche, hächer, les seuls mots
peut-être auxquels la langue française ait con-
servé une véritable aspiration. Les mots déivn,
ascia, bien qu'adoucis, ont évidemment une source
analogue.
Ces remarques ne paraîtront point être (je
l'espère du moins) un simple jeu de l'esprit. En
effet, avant d'arriver à leur état abstrait, je dirai
presque algébrique, les paroles de l’homme sont
essentiellement des gestes de la voix. Dans la vie
de l'humanité comme dans celle des individus,
les sentiments ont dû précéder les idées.
XXII, — Si j'ai eu le bonheur d'exposer ces
ae. ro. we
rer
124 DE LA PHYSIONOMIE
choses avec clarté, peut-être me pardonnera-t-on
de considérer comme démontrées les propositions
suivantes :
4° L’effort se produit essentiellement quand on
se prépare à la résistance; cet effort est immobile
el muet.
2° Le cri de l'effort se produit quand, d’une
facon quelconque, on mêle dans la lutte l'action
ou l'attaque à la résistance.
De quelques autres mouvements respiraloires.
XXII. — Nous devons parler maintenant du
gémissement qui ne diffère du cri poussé que par
sa lenteur et sa faiblesse. Les cris d’un lutteur
blessé dont les forces s’épuisent se changent en
gémissements. Un grand nombre d’interjections
imitent ce mouvement spontané de la voix. En
thèse générale, le gémissement est l'effort de la
faiblesse. C’est un dernier indice d'effort quand,
au moment de la syncope et de la mort, le senti-
ment des choses extérieures s'épuise par degrés.
XXIV. — Quelques autres mouvements très-
caractéristiques sont une modification du simple
mouvement d'inspiration. Ainsi quand la circula-
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 125
tion languit, quand un sentiment de torpeur ou
d’engourdissement opprime, comme aux appro-
ches du sommeil ou sous l'influence de l'ennui,
un instinct caché sollicite à de grandes inspira-
tions. Ces inspirations appellent un air excitant,
et de peur que cet air ne s'échauffe au contact
des sinus olfactifs, ce qui rendrait son action
… moins stimulante, l'inspiration s'effectue alors par
la bouche énormément ouverte. Une des choses
_ qui soulagent et excitent le plus dans ce mouve-
ment, est l’impression que l'air froid détermine
en touchant le pharynx. Je ne doute point que
ces nombreuses sympathies de l’arrière-gorge,
sur lesquelles on a, dans ces derniers temps,
essayé de fonder un système nouveau de théra-
peutique, ne jouent dans l’enchainement de ces
phénomènes un rôle important.
Cette grande inspiration diffère du soupir par
sa profondeur et par l’excessive dilatation de la
bouche ; on lui a donné un nom particulier, celui
de bäillement. Ge mouvement est l’un de ceux
auxquels la théorie de M. Huschke sur l'homo-
logie de l'expansion avec l’extension, s’applique
le plus directement. Les animaux, en effet, s’al-
longent en bâillant, ils s'étendent, on peut dire
pe om re
PR TE L
. CE ce
= car = Sie
Pare
RE ES # PR Eye
dan PRRPETERS du intl PR Ce
me
nr
126 DE LA PHYSIONOMIE
même avec quelque apparence de vérité qu’ils
s’étirent.
Tous les animaux ne bâillent pas, ou du moins
quelques-uns bâillent rarement. Après l’homme,
les singes et les animaux carnassiers bâïllent le
plus souvent. J'ai vu bâiller très-caractéristi-
quement des lapins. Je ne crois pas qu’on ait
observé rien de semblable chez les vertébrés
. ovipares. | |
De même qu'un sentiment d’engourdissement
et de stupeur commençante produit le bâïllement,
_ l'angoisse détermine le sanglot. Le sanglot se fait
entendre au moment où, l’inspiration triomphant
de la résistance de la glotte, l'air se précipite dans
le thorax. Souvent alors la tension subite du dia-
phragme, amenant un choc brusque sur l'estomac,
détermine une éructation. Gette combinaison du
sanglot avec le bruit de l’éructation produit le
hoquet ; cette simultanéité fait que les Latins con-
fondent le sanglot et le hoquet sous un même
nom , singultus. De même en grec lygmos est à
la fois sanglot et hoquet.
Pendant le hoquet le diaphragme agit seul, et,
les muscles abdominaux cédant à son action, le
ventre est poussé en avant à chaque hoquet. Si,
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 127
au contraire, les muscles abdominaux résistent ou
se contractent, l'estomac est comprimé entre deux
plans musculaires, il est frappé de deux côtés
opposés, et le vomissement se produit.
Le sanglot , le hoquet et le vomissement sont
ainsi des mouvements du même ordre. J{s for-
ment, en quelque sorte, une même famille de
mouvements, et concourent ensemble à la produc-
tion de phénomènes nombreux. Ils influent, en
“effet, d'une manière directe sur la circulation et
sur la production de la chaleur animale. Ce que
nous avons dit de ces choses nous dispensera d'y
revenir ici.
XXV. — Il y a encore quelques mouvements
liés au phénomène de la respiration, tels que
l'éternüment, la toux et quelques autres sembla-
bles. Le mécanisme de ces mouvements est bien
Connu; et comme ils sont d’un emploi fort rare
dans la mimique naturelle, nous croyons inutile
d’y insister. Ainsi nous renvoyons sur ce point
aux traités de physiologie générale.
Des mouvements spasmodiques, du tremblement
et de la roideur.
XXVI, — On donne le nom de spasmes aux
effets qui se produisent dans certains systèmes,
print A —
128 DE LA PHYSIONOMIE
et plus particulièrement dans les muscles, quand
l'harmonie de la puissance est troublée.
Souvent alors des contractions, des tremble-
ments, des paralysies, des convulsions se pro-
duisent et passent. Tantôt un froid mortel court
sur le corps ; d’autres fois la peau semble brüler.
Il semble alors que le corps soit étranger à l'âme;
elle ne le connaît plus, et, pareille à un aveugle,
elle semble errer çà et là dans les viscères.
C’est ainsi qu’une jeune fille hystérique devient
tout à coup sourde, muette, aveugle et retrouve
un instant après toutes ses facultés. Tantôt elle
bondit avec une force prodigieuse, et tantôt elle
retombe paralysée. Parfois le moindre contact
éveille en elle des douleurs terribles, d'autres
fois elle demeurerait insensible aux plus atroces
lésions ou s’en ferait une volupté; elle iève éveil-
lée, agit, parle , écrit, raisonne en dormant, se
précipite, s’aflaisse, s’oublie, se retrouve, rit,
pleure, vit et meurt cent fois en un jour, passant
alternativement des excitations les plus vives aux
syncopes les plus complètes.
Les spasmes se. produisent naturellement quand
les limites normales du plaisir et de la douleur
ont été dépassées. Aussi comme, dans le détail de
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 129
ces phénomènes, la nature semble ne suivre au-
cune règle, les réactions extrêmes de toutes les
passions se confondent, ce qu’il ne faut point ou-
blier.
XXVIL — La roideur et le tremblement étant
souvent l'effet d’un spasme, l'analyse des circon-
stances où ils se produisent n’est pas toujours
_ aisée. C’est ainsi qu’il parait à peu près impossible
d'expliquer ces tremblements vagues, perpétuels,
Qui agitent certains hommes dès le début de leur
vie. Toutefois, dans beaucoup de cas, on peut.
atteindre à une explication suffisante de ces phé-
nomènes.
Le tremblement consiste soit dans la contrac-
tion involontaire et répétée d’un muscle ou d’un
_ Système de muscles, les autres restant en repos,
Soit dans la contraction involontaire, répétée et
alternative de muscles antagonistes. IL peut être
localisé dans un membre, dans le cou, dans la mâ-
choire inférieure, ou agiter le corps tout entier.
Dans ce dernie: cas, il est évidemment sous l'in-
fluence du système nerveux central et dépend
d’incitations irrégulières dues à des excitations
Morales, à l'action du froid, à des douleurs vives,
à certains poisons. Mais le tremblement localisé
DE LA PHYSIONOMIE
trouve son explication dans une modification locale.
Il est souvent, par exemple, l’une des consé-
quences de la roideur. Or, celle-ci se produit,
entre autres circonstances, toutes les fois que les
muscles antagonistes agissent ensemble, si bien
que les extenseurs et les fléchisseurs sont simul-
tanément contractés. Une trop brusque énergie,
un effort maladroit ou excessif produisent la
roideur, et comme il faut une longue étude pour
apprendre son corps et rendre ses divers mou-
vements indépendants les uns des autres, les pre-
miers mouvements d’un homme qu’on élève à une
gymnastique quelconque sont roides et contrariés.
Le tremblement est, avons-nous dit, dans beau-
coup de cas, l’une des conséquences de la roi-
deur. Si je fléchis mon bras, si les muscles
extenseurs cèdent naturellement à l’action des
fléchisseurs, le mouvement est homogène, il se
développe graduellement, le bras ne tremble pas.
Si, au contraire, en même temps que le bras se
fléchit, les muscles extenseurs font effort pour
l'étendre, le tremblement se produit, et il est
d'autant plus fort que les contractions sont plus
énergiques.
La raison de ce tremblement peut être donnée
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 131
d’une manière suffisante ; je dis suffisante, car les
explications de la science ne sont jamais absolues
et sont toujours basées sur quelque fait que l'ob-
servation et l'expérience démontrent, mais qu'on
ne peut expliquer.
Tout muscle a, dans l'état normal, une puissance
moyenne de contraction qui se produit, si jose le
dire ainsi, spontanément et sans effort senti. Cette
puissance est mesurée au poids du corps en géné-
ral et de chacune de ses parties en particulier.
Aussi, dans l’ordre habituel, le corps est-il mu
Sans effort, sans fatigue. Nous marchons, nous
parlons, nous nous tenons debout sans qu’une
intervention distincte et ressentie de la volonté
Paraisse nécessaire. Si, par exemple, je tends le
bras pour indiquer, je n’ai dans ce moment la
sensation immédiate d'aucun poids.
Mais si j'ajoute au poids habituel du bras un
fardeau exceptionnel, la résistance que ce nouveau
Poids oppose rend nécessaire l'intervention d’une
houvelle quantité de mouvement, quantité va-
fable suivant le degré de force moyenne qu’on
Possède actuellement. Or, le plus souvent, cé
inouvement est tremblé.
Un mouvement peut n’être päs trémblé d’abord
132 DE LA PHYSIONOMIE
et le devenir au bout de quelques instants; en
effet, à mesure que ce mouvement se prolonge, la
fatigue survient et le niveau de la force moyenne
s’abaissant ainsi, l'intervention d'une volonté ac-
tive devient de plus en plus nécessaire.
Ainsi, d’une manière générale, le tremblement
se produit toutes les fois que, une résistance quel-
conque étant opposée à un mouvement, il faut,
pour vaincre cette résistance, faire Intervenir avec
une intention exceptionnelle la puissance motrice.
Donnons, par exemple, une masse équivalente
à enlever à bras tendu à deux hommes de force
inégale. Le plus faible des deux sera obligé de
faire un plus grand effort, et plus cet effort sera
grand , plus les oscillations de son bras tremblant
seront étendues. Par la même raison, un homme
vigoureux et sain a des mouvements fermes et so-
lides, si je puis ainsi dire. Mais pour un homme
malade et dont la force est épuisée, son corps lui-
même est un fardeau. Il ne soulève son bras qu'’a-
vec peine. Par la même raison, un membre que la
volonté maintient dans une attitude quelconque
tremble quand la force de contraction commence
à diminuer.
Aussi est-il impossible de maintenir longtemps
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 133
son bras étendu sans que le tremblement l’enva-
hisse. Deux hommes de force égale, le coude ap-
Puyé sur une table, essayent la puissance de leur
Poignet ; au bout de quelques instants d’efforts
inutiles, leurs bras tremblent convulsivement et
tremblent de plus en plus jusqu'au moment où
toute contraction devient impossible. Ainsi, je le
repète, le tremblement survient dans les muscles
Qui font un effort excessif et prolongé pour vaincre
Une résistance, et cette résistance sera d'autant
Plus ressentie que l’éner rgie moyenne de l'être qui
agit est plus faible. |
Quand la faiblesse est grande, elle se traduit
aussi par des tremblements de la voix. Ces trem-
blements expriment de même la grandeur de l’ef-
tort que fait l’homme affaibli pour mettre l'air en
Vibration dans l'or gane vocal. |
Ces faits nous donnent l'explication immédiate
des tremblements qui accompagnent.la roideur.
En effet, la résistance à un mouvement amène
le tremblement. Or, dans la roideur, les muscles
fléchisseurs et les muscles extenseurs se contrac-
ant à la fois, se résistent réciproquement ; il y a
donc là une double résistance et par conséquent
Une double cause de tremblement. Ce tremblement
8
134 DE LA PHYSIONOMIE
——————
est parfois si rapide qu'il donne l’idée d'une
vibration véritable.
XXVII. — Le tremblement n'arrive dans l'effort
qu'on produit contre une chose résistante que
dans les conditions suivantes :
1° La chose qui résiste est libre et ne fournit
point un point d'appui extérieur ; tel est un poids
que le bras tient suspendu dans Pespace. Dans ce
_cas, l’effort est plus ou moins tremblé.
9 La chose qui résiste est immobile et fixe:
mais les muscles qui s'efforcent sur elle se décom-
posent en plusieurs parties mobiles, les unes par
rapport aux autres. Dans ce cas encore, le mouve-
ment est tremblé. C’est ainsi qu’un athlète, pous-
sant de ses bras étendus contre un rocher, tremble
et vibre pour ainsi dire. Toutefois, on doit remar-
quer que ses mains, s'appuyant immédiatement
sur la base immobile du rocher, sont immobiles
comme elle. Si donc ses bras étaient composés de |
cette main seulement, il ne tremblerait pas, di
moins par cette partie de son corps.
XXIX. — Ces remarques “expliquent pourquoi
la roideur qui saisit les muscles maxillaires aù
moment où la bouche est entr’ouverte, fait trem”
bler les mâchoires et claquer les dents les unes
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 135
contre les autres, tandis que la roideur qui sur-
Vient dans la constriction dominante des mâchoi-
res ne le fait point trembler, les dents inférieures
étant alors fixées contre les dents supérieures.
Toutefois, certains mouvements latéraux sont quel-
| Œuefois possibles et font grincer les dents, ce qui est
une expression puissante d'énergie spasmodique.
Ce mouvement de roideur très-marqué dans les
mâchoires elles-mêmes peut s'étendre à la langue
Qui s'élève alors contre le palais à la manière
d’une lame élastique et plus ou moins rigide. Si,
dans le moment où la langue est ainsi roidie, le
Souffle d’une expiration passe sur elle, certains
Phénomènes se produisent dont l’examen présente
Quelque intérêt.
| © XXX. — Parmi ces phénomènes, le plus immé-
| diat est l'émission d’un bruit vibrant qu'on peut
| écrire ainsi : Rrrr. Ge bruit peut subir naturelle-
__ Ment plusieurs modifications qu'il est utile d'ex-
__ Pliquer. | |
| 1° Si, au moment où le bruit Rrrr est produit, la
lèvre inférieure, légèrement tendue, s’applique
contre les dents inférieures et affleure de son bord
le tranchant des incisives supérieures, le souffle
reçoit alors le caractère labial, et son écoulement
DE LA PHYSIONOMIE
contre la lèvre inférieure produit le bruit #ff. Du
mélange contenu de ces deux bruits résulte un
bruit composé qu'on peut écrire ainsi : Frrr.
20 Si la rétraction du peaussier cervical décou-
vre les dents inférieures, la lèvre n’affleure plus
le tranchant des incisives. Dans ce cas le bruit #
ne se fait plus entendre, et de nouvelles modifica-
tions apparaissent; ainsi (4) tantôt la pointe de
la langue touche aux dents supérieures ; Le souflle
prend alors la valeur d’une dentale, et l’on entend
un bruit particulier : Trrr.
(b) Tantôt la pointe de la langue touche aux
parties moyennes du palais, et l’on entend Île bruit
homogène Rrrr.
(c) Ou bien la langue rétractée touche aux par-
ties postérieures du palais; dans ce cas, le souffle
prend un caractère guttural, et le bruit qui se
produit alors peut s’écrire ainsi : Grrr. Remar-
quons qu’on passe naturellement du premier au
dernier de ces bruits, à mesure que la langue se
rétracte et se retire vers l’arrière-gorge.
XXXI. — Ces quatre bruits : Errr, Trrr, Rrrr,
Grrr, sont les racines primitives et éminemment
naturelles d’une multitude d'expressions ou d’on0-
matopées directes et dérivées. Ainsi :
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 137
De Frrr découlent naturellement les mots
pair, vpicco, opécoopar. Frigus, et en français
les mots frimas, froid, frémir, frayeur, en pro-
cèdent également. Ce même radical se retrouve,
quoique d’une façon moins directe, dans ces mots
fragor, fracas, etc.
De Trrr viennent non moins directement ces
mots Toéuo, 1remor ( tremblement, terreur).
De Àrrr viennent £îyos (froid), qu’il faut pro-
_noncer ainsi rrhigos à cause de l'esprit rude, et
par suite les mots rigor, rigidus (roideur). Ge
mot admirable, horror, vient de la même source,
et comme la corrugation accompagne le frisson,
horridus signifiera en même temps horrible et
hérissé. Les mots rhonchus, é6yxos (ronflement)
ont la même origine; nous ajouterons encore le
mot rugir, et nous pourrions en citer beaucoup
d’autres.
Du radical Grrr, vient le mot gronder, qu'on
applique fort poétiquement au tonnerre.
L’orthographe adoucit la plupart de ces expres-
sions; mais elles ont dans le langage oral une
accentuation qui en rappelle l’origine première.
C’est ainsi que le double À se prononce très-diffé-
remment dans terre et dans {erreur. De même
Se
138 DE LA PHYSIONOMIE
mn
la syllabe ru, dans rugir et dans ruban. Je ferai
même remarquer que dans les mots analogues les
mêmes lettres sont dites de façon à mettre l'ex-
pression à l’unisson de l’idée ; c’est ainsi que l'A
est bien plus rude et vibrant dans frisson que
dans fraicheur; que dis-je? le même mot peut re-
cevoir, suivant les occasions, une prononciation
très-différente. Dans ces deux phrases : Certe
mère gronde son enfant, le tonnerre gronde, VR
du mot gronder est dit de deux manières qu'un
orateur ne confondra jamais.
Un grammairien peut se passer de dire ces cho-
ses, mais un physiologiste les devait au moins
signaler. Homère parle de certaines choses que
les dieux nomment d’une façon et les hommes :
d’une autre. Or, les noms donnés par les dieux ne
sont-ils pas ces expressions mêmes de la nature?
Le moment où elles furent oubliées ne fut-il pas
celui de la confusion ou plutôt de la dispersion
des langues ?
XXXII. — Les expressions dont je viens parler
ne sont pas exclusivement propres à l'espèce hu-
maine. Nous les retrouvons également dans quel-
ques animaux. |
Mammalia pilosa in terra gradiuntur loquen-
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 139
tia, dit admirablement Linnæus. Il ne serait pas
sans intérêt de rechercher où s'arrête ce langage.
Quoi qu’il en soit, cette consonne /? en est un des
principaux éléments. C’est ainsi qu’un chien qui
menace n’aboie point, il gronde. Le chat qui fré-
mit sous les caresses fait entendre un ron/flement.
Dans sa fureur terrible le lion rugit, et le cheval
qui l'entend, vibrant d’épouvante, fait entendre
un souffle rude et saccadé où le bruit Rrrr se pro-
duit avec une énergie proportionnée à son effroi.
Ce bruit remarquable se retrouve encore dans
le grincement du singe, dans le petit cri en trilles
des sajous, et dans celui de quelques rongeurs.
Je ne doute pas que la faculté d'émettre cette
articulation ne puisse être observée dans la plu-
part des animaux mammifères, soit comme expres-
sion de fureur, soit comme résultat de crainte et
d’épouvante.
De quelques bruits qui résulient du tremblement
des peaussiers.
XXXIIIL. — Le tremblement qui agite si fré-
quemment les grands peaussiers des animaux, est
quelquefois volontaire, et plus souvent automati-
que: à l’aide de ce mouvement rapide, quelques-
uns agitent, je dirais presque secouent leur peau
eme er
140 :: DE LA PHYSIONOMIE
comme un manteau. C’est ainsi qu’on voit frémir
la peau des chevaux sous la piqûre d’une mouche
ou sous l'atteinte du fouet. Ils repoussent ainsi
certains diptères, leurs ennemis perpétuels.
Lorsque le mouvement des peaussiers ne suffit
pas, le corps entier leur vient en aide. C’est ainsi
qu’un cheval vicieux s’agite pour se dérober à son
fardeau. Ces mouvements sont toujours accompa-
gnés d’un certain bruit. Mais ce bruit est surtout
marqué chez certains animaux dont les poils, mé-
tamorphosés en piquants, forment une armure
défensive. On doit distinguer le mouvement qui
redresse et hérisse les piquants d'avec celui qui
les agite ; les piquants du hérisson, par exemple,
se redressent, mais demeurent ensuite immobiles.
Ceux du porc-épic, plus faibles à cause de leur
longueur et moins favorablement disposés, se re-
dressent à la fois et s’agitent rapidement. Cette
agitation produit un bruit hétérogène et subit
semblable à un grand frémissement, et ce bruit,
né du choc de leurs armes, défend mieux ces ani-
maux que leurs piqûres ne le pourraient faire. On
peut rapprocher ces bruits de ceux que les din-
dons et les paons produisent lorsqu'ils font vibrer
les plumes de leur queue étalée en roue.
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 141
On n’observe rien de semblable dans les rep-
_tiles, les amphibiens et les poissons. Ces animaux
ne tremblent pas. Je ne terminerai point sans faire
remarquer la grande analogie qui existe entre les
bruits qui résultent de cette cause et la stridula-
tion des insectes.
DE L'ACTION ET DE LA SENSATION.
De l'application des sens en général.
XXXIV. — Les sens révèlent à l'animal l’exis-
tence des choses extérieures. Sans les indications
qu'ils fournissent, il demeurerait isolé du monde,
végétant à peine et s’ignorant lui-même. Lorsque
’être sensible aime, désire, poursuit une chose, il
poursuit bien moins cette chose que les sensations"
qu’elle détermine. ;
Ainsi les sensations sont, dans l’homme du
moins, les causes déterminantes de l’action. Si la
sensation est nulle ou faible, si elle ne correspond
à aucun besoin présent elle sera à peine aperçue. -
Le corps demeurera impassible. Si la sensation est
vive et distincte, elle sollicite des mouvements aü-
tomatiques très-apparents. Si elle est faible, mais
intéressante, tous les mouvements du corps sont
|
on mé à tt
TE ER A
142 à DE LA PHYSIONOMIE
en quelque sorte attirés par elle. Si elle convient
en même temps à la nature de l’être qui sent, si,
en un mot, elle éveille le sentiment du plaisir, le
corps tout entier semble appeler cette sensation;
si elle est au contraire douloureuse, le corps la
repousse et s’en éloigne. Si l’objet qui excite l’at-
tention de l’être sensible réveille des sentiments
agréables par certaines de ses qualités et des sen-
timents désagréables par quelques autres, les
mouvements du corps se décomposent en quelque
sorte en deux directions opposées. Enfin, si la sen-
sation éprouvée est à la fois intéressante et dou-
loureuse, le corps se dirige vers son objet, mais
avec des précautions préliminaires dont l’analyse
est du plus haut intérêt,
On me pardonnera d'entrer à cet égard dans
quelques détails. Je voudrais être bref, mais il ne
faut rien omettre d’essentiel.
XXXV,. — D'une manière générale, le mouve-
ment de l’être sensible vers un objet qui le solli-
cite s'appelle Attention ; si la sollicitation est plus
vive, il reçoit le nom d’Atéraction. La douleur
qu’éveille une sensation mauvaise sollicite deux
mouvements divers, l’un de ces deux mouvements
porte à refuser, l’autre porte à s’éloigner.
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 143
XXXVI. — Ceci posé, parlons en premier lieu
de l’Application de l'œil.
1° Vision facile. — Si une douce lumière vient
à frapper l'œil, l'instinct de voir est éveillé. L’œil
se dirige vers l’objet lumineux, il devient attentif.
Dans cet état, l’œil est bien ouvert, la pupille est
visible dans toute son étendue, et la ligne du
sourcil est ferme et développée. Les deux yeux
sont alors, quand toutefois la chose est possible, à
la fois dirigés vers l’objet, en sorte qu’ils conver-
gent si l'objet est rapproché: s’il s'éloigne, ils de-
viennent de plus en plus parallèles, et s’il vient
tout à coup à disparaître, ils divergent légèrement, .
comme s'ils voulaient le retrouver en embrassant
à la fois un plus grand espace.
90 Vision difiicile. — Si l’objet est fort petit ou
faiblement éclairé, le moyen le plus direct d’en
favoriser la perception est de soustraire la rétine
à toute autre influence, en ne laissant autant que
possible arriver sur elle que les rayons lumineux
qui partent de l’objet. On obtient ce résultat, du
moins d’une manière suffisante, en regardant au
travers d’un tube qui soustrait l’œil à l’action des
rayons lumineux qui viennent dans des directions
différentes. C’est aussi dans ce but que nous fer:
e— ele k
\
TT REP
144 DE LA PHYSIONOMIE
mons à demi les yeux, tandis que la joue, devenue
plus saïllante, forme avec le sourcil contracté une
sorte de rempart infundibuliforme autour de l'œil.
Dans ce moment, la contraction de l’orbiculaire
attire en quelque sorte vers l’œil toutes les parties
de la face. La commissure externe des yeux se
ride, le sourcil se fronce et s’abaisse, les côtés du
nez se couvrent de plis, la narine est tirée consé-
cutivement en haut, et la lèvre supérieure tout
entière étant entraînée dans ce mouvement, les
dents supérieures sont laissées à découvert. En
même temps, les muscles zygomatiques venant en
aide à l’action de l’orbiculaire, les commissures
buccales sont tirées en dehors, et cet ensemble
donne lieu à une grimace où domine un sourire
désagréable.
3° Vision contrariée. 11 peut arriver que, lors-
qu’on regarde un objet, l’œil soit ébloui par une
lumière étrangère venant dans une direction dé-
terminée.
Si cette lumière vient d’en haut, comme cela a
lieu le plus ordinairement, on détruit son in-
fluence nuisible à la netteté de la vision, en plaçant
au-dessus de l’œil une sorte d’écran. Les visières
qu'on met aux coiffures des chasseurs ont surtout
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 145
cette utilité. C’est dans le même but que les sour-
cils s’abaissent vigoureusement au devant de l'œil
et qu’on aide souvent à cette action en étendant
la main au-dessus du visage.
Si la lumière inopportune vient d’un côté seu-
lement, l'œil de ce côté se ferme, et la saillie du
nez protégeant l’autre œil, c'est avec celui-ci
qu’on regarde. |
Si la lumière étrangère vient d’en bas, des rai-
sons semblables veulent que les deux joues sé
lèvent comme un rempart, tandis que le sourcil
s'élève ; ce mouvement, dû surtout à l’action des
zygomatiques, amène des mouvements consécutifs
qu'il est aisé de prévoir.
Il peut arriver que l'impression d’une lumière
vive détermine une sécrétion trop active de larmes.
Ces larmes, coulant en nappes ondulées au devant
de l'œil, rendent la vision moins distincte. De là la
nécessité de les chasser en essuyant fréquemment
le globe oculaire. Le mouvement des paupières
dans l’action de cligner u’a point d’autre but. De
même on se frotte, on s’essuie les yeux au mo-
ment du réveil, afin de rendre la vision plus dis-
tincte. Ainsi le clignement des yeux répond à un
embarras de la vision.
remet
nn pop
eve
Da D ee Ce D TE
DE LA PHYSIONOMIE
he Vision douloureuse. Si l'objet que l'œil re-
garde est trop lumineux ou entouré de trop de
lumière, il produit une sensation douloureuse,
celle de l’éblouissement. L'ouverture oculaire se
| plisse et se contracte, les larmes coulent en abon-
dance ; beaucoup de mouvements accessoires se
| produisent enfin, qui ressemblent tous à ceux de
la vision difficile et de la vision contrariée.
5° Vision nulle. Si l'œil cherche et regarde dans
les ténébres, l’œil s'ouvre démesurément. La pru-
nelle nage dans le blanc de l’œil, la pupille est
alors énormément dilatée.
Tous les mouvements dont nous venons de par-
ler se produisent lorsque les organes de la vue
sont appliqués à un objet unique. Mais il peut
arriver qu'on regarde plusieurs objets à la fois
afin de découvrir s’il existe entre eux certains
rapports géométriques.
G° Vision simultanée. peut arriver, par exem-
ple, qu'on cherche à déterminer si trois points
pris dans l’espace sont en ligne droite. Dans ce
cas, on ferme un des deux yeux et on regarde
exclusivement avec l’autre. C’est ce qu’on appelle
viser. Ce mouvement se produit en général quand
on embrasse plusieurs points à la fois dans une
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 147
certaine étendue. Mais il se produit aussi, dans le
Cas où l’on cherche à découvrir un objet si petit,
qu'on se trouve, pour le regarder d'assez près,
dans la nécessité de n’y appliquer qu’un seul œil
à la fois.
7° Repos de l’œil. Lorsque le sommeil, l’extase
ou la mort éteignent par degrés l’activité senso-
riale , les yeux entraînés par les muscles obliques
s'élèvent et convergent et se cachent ainsi sous la
paupière supérieure. Sous ce point de vue, le
nerf pathétique peut être considéré parmi les nerfs
de l’œil comme l’ultimum moriens. Ce mouve-
ment est l’un de ceux dont l'expression est la plus
puissante.
XXXVII. — Dans l’homme et dans les animaux
dont les orbites sont dirigés en avant, la face tout
entière se. tourne en général vers l’objet. Mais
dans les animaux où les orbites sont divergents,
les yeux ne peuvent s'appliquer commodément à
un même objet ; aussi ces animaux regardent-ils
le plus souvent avec un seul œil. Cette disposition
est fort habituelle aux animaux timides , auxquels
il importe de surveiller l'ennemi pendant la fuite
afin de mieux éviter ses atteintes. Gette tendance
à regarder en arrière sans tourner la tête n’est
RS APR
148 DE LA PHYSIONOMIE
cependant point l'apanage exclusif de ces ani-
maux. Geux-là même dont les orbites ont leurs
axes à peu près parallèles, la présentent aussi
dans quelques cas. Ges axes tendent alors à s'é-
carter, et dans l'impossibilité où la plupart des
animaux se trouvent d'exécuter ce mouvement
d’une façon snffisante, les deux yeux se portent
alternativement à droite et à gauche, et oscillent
entre deux limites infranchissables.
Je ferai voir, dans les paragraphes suivants,
l'importance de ces remarques. Pour le moment,
j'ai dû me contenter de les énoncer.
DE L'APPLICATION DE L'OREILLE.
XXX VIII. — Nous distinguerons naturellement
les animaux qui ont une oreille externe figurée en
pavillon mobile, d'avec ceux qui sont privés de
cet organe, ou chez lesquels il est presque abso-
lument immobile.
À. Animaux dont l'oreille externe est mo-
bile.
jo Si l'animal écoute un son qui résonne en
avant, les pavillons se dressent et porten de ce
Gas b gt
RS
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 149
côté leur ouverture. Si les sons résonnent derrière
l'animal, les deux pavillons se dirigent en arrière.
Si l'animal cherche à distinguer un bruit ou à re-
Connaître sa direction, tandis qu’une des oreilles
se porte en avant, l’autre se tourne en arrière, et
chaque oreille se portant alternativement dans
des directions opposées, elles explorent ainsi l’ho-
rizon.
2° Audition difficile. Les mouvements dont
nous venons de parler se dessinent de plus en
plus quand l'audition est difficile. Les oreilles
Sont non-seulement dressées mais tendues dans
la direction d’où vient le bruit.
3° Audition douloureuse. Si le bruit éveille des
vibrations douloureuses, les deux oreilles se cou-
chent et se replient en quelque sorte vers le cou ;
dans ce cas, la transmission des sons jusqu’à l’o-
reille est rendue moins facile.
h° Audition contrariée. Certaines causes qui
portent obstacle à la netteté de ia perception des
Sons, peuvent tenir à certains états anormaux de
l'oreille, tels qu'une oblitération de la trompe
Eustache par des mucosités attachées à son
orifice interne, ou bien l’obstruction du conduit
externe par une cause quelconque. De ces deux
mm,
NN ONCE COUT PNR ME
ee ee y AP ARS ”
150 DE LA PHYSIONOMIE
ES
causes d’embarras résultent deux mouvements
très-habituels à l'homme. L’un consiste à se pré-
parer à mieux entendre en toussant et en $e rar
clant à plusieurs reprises le gosier. L'autre mou-
vement a pour but de dégager les orifices externes
de l'oreille, soit en secouant la tète pour écarter
les cheveux, soit en les rangeant avec la main,
soit enfin en allant plus profondément chercher
l'obstacle à l'aide d’un doigt introduit dans le con-
duit auditif externe. Remarquons que ce MOouve-
ment qui n’appartient qu'à l’homme à, si j'ose le
dire ainsi, plus de profondeur que les autres. Il
témoigne d’une gène très-grande apportée à l'au-
dition..
B. Animaux dont l'oreille externe esl immo -
bile.
Les animaux qui n'ont point d'oreille externe
mobile et ceux qui n’ont qu'un pavillon rudimen-
taire ne peuvent diriger leurs oreilles elles-mêmes
vers le lieu d’où viennent le bruit ou le son. Dans
ce cas, c’est la surface externe du crâne et de la
face qui fait office de pavillon. Et dans l'impossi-
bililé où l'animal ge trouve de rapprocher à la
fois du même point les deux côtés de la tête, il
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 151
n’écoute que d’une seule oreille à la fois, mais il
les emploie alternativement l’une et l’autre, soit
pour prévenir la fatigue d’une seule oreille, soit
pour les faire participer toutes les deux à de
douces impressions. Ge mouvement est bien mar-
qué chez l’homme et chez certains animaux que
la musique charme, tels que beaucoup d'oiseaux
et de sauriens et peut-être même quelques ophi-
diens.
Dans quelques genres où l'influence de l'homme
a créé des races distinctes, l’oreille subit des mo-
difications très-étendues. C’est ainsi que, tandis
que les chiens à demi-sauvages ont l’oreille droite
et pleine de mouvement, les chiens que la civili-
sation a modifiés ont au contraire l'oreille flasque
‘et pendante. Ils ne peuvent la dresser, mais tout
au plus la soulever en érigeant sa base. Aussi
essaient-ils de compenser cette imperfection en
écoutant de côté, ce qui arrive souvent aux chiens
les plus intelligents. Tout le monde a pu faire ces
remarques, qui, pour être vulgaires, n’en sont pas
moins d'importance.
DE L'EMPLOI DU NEZ.
XXXIX. — Le nez peut être considéré comme
152 DE LA PHYSIONOMIE
organe respiratoire et comme appareil d'olfac-
tion. Les deux ordres de mouvements correspon-
dant à ces deux fonctions sont d’ailleurs inces-
samment combinés.
Chez l’homme les narines sont actives pendant
l'inspiration. Elles se dilatent et s’élèvent légère-
ment chez quelques hommes; la pointe du nez
s’abaisse alors, mais d’une manière insensible.
Pendant l'expiration, les narines sont flasques
et molles, et, repoussées par le souflle, elles se
gonflent légèrement.
Les singes n’ont point les narines mobiles et
ces mouvements n’y sont jamais apparents. Ils le
sont au contraire à l'excès chez quelques mammi-
fères, tels que les chevaux. Chez d'autres animaux,
les narines elles-mêmes sont peu mobiles ; mais,
en revanche, le nez, dans sa totalité, à beaucoup
de mouvement, et souvent il devient alors un
organe de toucher. Les mouvements des narines
sont nuls dans les oiseaux et dans la plupart des
ovipares.
Nous n'avons parlé jusqu'ici que des mouve-
ments habituels. Si la respiration nasale est em-
barrassée par un obstacle, l'animal cherche à re-
jeter cet obstacle par une expiration brusque.
== 5 - - _ : TE Se D ne en TT
NT SO SES a rm jap 2 jp Se pen its CAES 3h ES — à |!
péénas. one gere eh sé PR EU ne 7 mn
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 153
Sn,
| Pendant cette expiration l’homme soulève ses na-
rines, et les côtés du nez se froncent comme pour
| laisser un libre passage aux choses expulsées, Ge
| Mouvement témoigne d’un embarras local.
XL. — Plusieurs de ces mouvements se repro- 4
duisent dans le cas où le nez agit comme organe L.
| d’olfaction.
1° La simple attention du nez en tant qu'organe Li
olfactif s'exprime par une légère dilatation des
narines ; mais lorsque l'attention se prête aux exi-
gences d’une analyse délicate et subtile, ce mou-
vement reçoit quelques modifications intéressantes |
dont l’ensemble caractérise l’action du plaisir.
Dans le flair, le nez se couche légèrement, il se
dilate et une inspiration saccadée fait entrer à
petits coups les effluves odorantes. Dans l’homme,
l’action de flairer a toujours la forme de l’inspi-
ration, Mais il n’en est pas de même dans les ani-
maux.
En effet, chez un grand nombre de mammi-
fères existe un appareil olfactif supplémentaire
qu'a découvert, le premier, le célèbre Jacobson.
| Cet appareil est fort développé dans les herbi-
| vores, où il paraît jouer un rôle important ; et il
| existe aussi, bien qu’à un moindre degré, dans les
9 N
a ne
UE TU
154 DE LA PHYSIONOMIE
joe RUES. RE ES,
animaux carnassiers. On s'assure, par l'expé-
rience, que rien ne peut pénétrer dans cet organe
accessoire que pendant un brusque mouvement
d'expiration. Aussi, certains animaux mêlent-ils
aux mouvements ordinaires du flair, un souflle
nasal assez rude qui n’a, dans l’homme, aucun
analogue. L’organe de Jacobson juge de la nature
des choses odorantes, mais non de la direction
des effluves. 11 contribue à la finesse des percep-
tions, mais il ne concourt point à leur étendue.
90 Olfaction difficile. L'insistance avec laquelle
flaire un animal, indique la difficulté de la per-
ception, ou bien l'intérêt qu’elle inspire. Souvent
les odeurs se dissipant dans l'atmosphère, la re-
cherche de leur origine est un problème subtil.
Certains animaux emploient à sa solution une
finesse singulière. Leur tête se portant en avant,
ils interrogent toutes les directions, toutes les
voies. L'homme n’a qu'un diminutif de ces mou-
vements.
3 Olfaction contrariée. Les causes qui appor-
tent un obstacle à l'exercice de l’olfaction étant
identiques à celles qui empèchent la respiration
nasale, sont combattues de la même façon par des
expirations brusques et expulsives.
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 155
| h° Olfaction douloureuse. Si la chose qui agit
| Sur les fosses nasales détermine des impressions
désagréables ou douloureuses, plusieurs mouve-
ments très-difficiles peuvent se produire. Or, il
faut distinguer trois cas : |
| (a) Les exhalaisons odorantes ont été introduites
| dans les fosses nasales; on s'efforce alors de les |
| rejeter par une expiration brusque. La lèvre supé- |
rieure est presque toujours entraînée dans ce
| mouvement qui ressemble à celui de l’olfaction
contrariée, bien qu’il soit en général plus pro-
longé. C’est là une expression de répulsion.
(b) Les matières qui blessaient le sens de l’ol-
faction ayant été rejetées, on s’efforce d’en pré-
venir l'introduction nouvelle. Dans ce cas, le nez
se recourbe, les narines s'appliquent contre la
cloison, et la lèvre supérieure, relevée par son
releveur propre et refoulée par la lèvre inférieure,
s'applique comme un appareil contre les ouver-
tures nasales. Ce mouvement exprime un refus
formel. |
| = (ec) Une odeur étant mauvaise, on veut néan-
| moins l’analyser. Dans ce cas, on obture à demi
| Son nez, ainsi que nous venons de le dire, et on
_ne laisse passer les inspirations du flair que par
156 DE LA PHYSIONOMIE
une ouverture fort étroite. Ge mouvement résulte
de cet instinct naturel qui porte les êtres à se
protéger; il exprime à la fois le doute, le soupçon,
a répugnance et le dégoût commençant.
XLI. — Tous ces mouvements sont à peu pres
l'apanage exclusif de l’homme, la lèvre supérieure
ne se distinguant d'avec le nez comme appareil
nettement limité que dans l'homme et dans les
vrais primates. Je veux parler ici des singes ex-
clusivement. :
Ces observations sont simples et vulgaires ;
aussi l'insistance avec laquelle je les signale :
pourra-t-elle paraitre au premier abord superflue.
Mais les mouvements habituels sont les princi-
paux éléments de la mimique naturelle, et la ri-
gueur de la méthode expérimentale ne permet
d’en négliger aucun,
DE L'APPLICATION DE LA BOUCHE.
XLII. — La bouche nous apparaît sous un as-
pect multiple.
1° De la bouche considérée comme organe de
préhension. — Les lèvres et les dents étant, chez
la plupart des animaux, les agents principaux de
cette fonction, l’homme lui-même, dans certaines
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 157
OCCasions accessoires, saisit avec les dents et les”
lèvres, et, sous ce point de vue, le type animal
se dessine encore chez lui.
Les mouvements des lèvres comme organes de
préhension sont bien connus. L’homme les pré-
sente à un haut degré, et parmi les primates, ils /
sont surtout marqués chez les singes anthropo-
morphes. Les carnassiers ne saisissent point avec
leurs lèvres ; mais ces organes ont dans ce but un
mouvement très-prononcé dans les herbivores, et
plus particulièrement dans les chevaux.
Les mouvements préhensiles des lèvres sont
_très-significatifs; on les voit alors s’avancer en
pointe en s’écartant légèrement. Dans ce mouve-
ment, la muqueuse se renverse légèrement à l’ex-
térieur. Puis, quand l'animal a saisi l’objet qu’il
désire, il les ramène vers la bouche par un mou-
vement inverse qui fait rentrer en quelque façon
dans cette cavité la face cutanée des lèvres.
Chez un grand nombre d'animaux la langue
aide et supplée à leur action en tant qu'organes
préhensibles; c’est ainsi que les animaux carnas-
siers et les ruminants, parmi lesquels je citerai
plus particulièrement la girafe, en font un fréquent
usage. On retrouve dans l’homme enfant des mou-
“
pit pement ti
oo ht,
158 DE LA PHYSIONOMIE
vements analogues. Mais comme ils rappellent la
voracité brutale des bêtes, les hommes chez les-
quels le sentiment de la moralité s'élève, en pros-
crivent l'emploi.
_ Les lèvres et la langue étant en général des or-
ganes fort délicats et d’une faible énergie motrice,
on conçoit qu'instinctivement elles ne seront
jamais employées à la préhension des objets trop
résistants, ou de ceux qui affectent péniblement la
sensibilité de l'animal ; ainsi l'emploi de la langue
et des lèvres, dans la préhension d’une chose,
indique à la fois que cette chose {latte agréablement
les sens et qu’elle ne peut résister.
Or, si la chose résiste, les dents interviennent
pour saisir avec plus de force. Si elle résiste
passivement comme le font les herbes que broute
le ruminant, les dents et les lèvres agissent à la
fois : mais si la proie est vivante, si elle lutte, les
lèvres s’écartent, et les dents, mises à découvert,
deviennent les agents exclusifs du rapt violent el
de la préhension furieuse.
C’est aussi avec les dents exclusivement que
les carnassiers saisissent et mettent à mort cer-
tains ennemis objet de leur haine, mais dont
odeur les révolte, de peur sans doute que ce con-
_— +
. a qe D | 2
mE Se
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 159
tact impur ne blesse les parties sensibles. Des
mouvements analogues sont quelquefois obser-
vés dans l'espèce humaine.
En nous résumant, l’action de saisir avec les
dents exclusivement correspond à un sentiment de
fureur et de dégoût. |
2 De la bouche en tant que ses mouvements re-
fusent ou rejettent. |
Lorsque l'introduction d’une substance qui ré-
pugne menace l'animal, les lèvres se pincent par
un effet de la contraction de leur orbiculaire;
en outre, les dents se serrent, en sorte que la
bouche est hermétiquement fermée. Cet ensemble
de mouvements se développe chez les enfants
avec une extrême évidence, lorsqu'on essaye de
leur faire prendre un médicament dont la saveur
les révolte.
Si une substance capable de fatiguer où de
blesser l’un des modes de la sensibilité dont la
bouche est le siége, a été introduite, elle est
aussitôt rejetée. Il importe de ne rien omettre
dans l'analyse de ce mouvement.
(a) Si l'impression reçue déplait simplement, ou
mot, s’il s’agit d’une sensation fade ou ennuyeuse,
pour dire plus naturellement ne plaît pas: en un
160 DE LA PHYSIONOMIE
—
on rejette la chose qui la fait naître: mais, dans
l'ordre physiologique, l’action dans un système or-
ganique étant proportionnelle à l'impression reçue,
on rejette cette chose indifférente avec indiffé-
rence, Ce mot de rejeter peut donc paraître trop
fort; il enferme l’idée d’une action trop énergique.
Il vaudrait mieux dire que la bouche ne retient
plus cette chose, qu’elle la laisse s’écouler et se
perdre. Dans ce mouvement empreint d’une su-
prême indifférence, la lèvre inférieure et la mà-
choire elle-même retombent abandonnées à leur
poids. C’est là un exemple entre mille du mouve-
ment passif,
(b) Si la sensation dont il s’agit détermine plus
d'impatience, on rejette avec plus de force. La
lèvre inférieure fait alors saillie comme un bec
d’aiguière, et dans ce mouvement les coins de la
bouche s’abaissent. Ce mouvement est complété
par une respiration soufflée qui chasse sur la lan-
gue ainsi avancée en gouttière la substance qui
éveille le dégoût.
(c) Si l'impression reçue détermine une sorte
de douleur mêlée d'angoisse, si elle se répand sur
toute la muqueuse orale, la salive coule en abon-
dance pour laver en quelque sorte les parties
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 161
souillées de la cavité buccale, et une expiration
brusque, raclante, déblayant l’arrière-gorge, ra-
mène tous les liquides vers la partie antérieure de
la bouche dont l’expuition les chasse. Le mot ex-
puilion exprime dans son sens général ce double
“mouvement ; mais, dans son sens onomatopique, il
imite plus particulièrement le second, tandis que
le mot cracher imite plus particulièrement le
bruit qui se fait entendre dans la gorge pendant
le mouvement préparatoire, | |
En eflet, le bruit qui se fait entendre quand !
nous rejetons des lèvres est naturellement Ft ou
Pit; ces bruits, dans la langue familière, deviennent
des gestes habituels, ils sont, à n’en point douter,
les racines premières des mots Fetidus, Putidus,
Ptusis, etc. Quant au mot français cracher, il dé-
rive bien évidemment du son guttural qui se pro- |
duit dans le temps préparatoire de l’expuition, et |
qu'on peut écrire ainsi : Krrrk. Il correspond au
verbe Krahen des Allemands.
(d) Si l'impression douloureuse ou dégoûtante
a agi sur les nerfs de l’arrière-gorge et de l’isthme
du gosier, les sympathies habituelles de ces nerfs,
déterminent le vomissement.: Dans le vomisse- \
ment, les arcades dentaires s’écartent, les lèvres |
nr ste
162 DE LA PHYSIONOMIE
se rétractent en tout sens de peur d’être souillées
par le contact des matières expulsives, et l'effort
seul de l'estomac chasse par un jet subit les sub-
stances qui révoltent la sensibilité générale.
Ces quatre mouvements ont une signification
évidente. Le premier indique l'ennui, le second et
le troisième le dédain et le dégoût; le quatrième
exprime l'horreur, et, si je puis le dire ainsi, la
révolte de l’organisation tout entière contre une
sensation mauvaise.
3° De la bouche considérée comme organe du
goût et des saveurs agréables.
Si la substance introduite dans la cavité buccale
flatte le sens du goût, lessucs salivaires abondent;
de légers mouvements de mastication se produi-
_sent; la langue cherche instinctivement le corps
sapide jusque sur les lèvres et le promène sur le
palais, et alors surviennent deux ordres de mou-
vements très-curieux que nous allons étudier.
‘ke De la bouche considérée comme organe de
déglutition.
Si l'impression reçue est caressante et agréable,
_elle peut se mêler à un sentiment de faim avide ;
la substance est à peine goûtée qu’elle est aussitôt
avalée et redemandée de nouveau. C'est là le
=
er no onto ec AE mn DT M
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 163
|
|
| mouvement animal qui prédomine chez les en-
| fants et chez les hommes affamés. Quelquefois la
langue est portée hors de la bouche avide et vi- |
brante, elle caresse les lèvres : ces mouvements Ca
expriment le désir impatient. Mais à ce premier | 4
| mode de déglutition, l'intelligence en substitue un |
autre plus savant que j’opposerai à la déglutition
| de l’homme affamé, comme formant avec celle-ci | 4
| le plus étonnant contraste.
| Examinons un habile dégustateur ; après avoir
me
sais
flairé une coupe remplie d’un vin précieux, il la
porte légèrement à ses lèvres qui en saisissent le
bord sans trop anticiper sur lui. Puis il aspire he
avec lenteur une petite quantité du liquide par- Be
fumé : je dis petite, et en effet une quantité trop
grande s’opposerait à l'exécution des mouvements |
que je vais décrire.
Cette petite quantité de vin n’est point immé- 11
diatement avalée. Loin de là, elle est recue dans
le vestibule oral, je veux dire dans l’espace qui
sépare les lèvres d’avec les incisives. Puis les
lèvres se pincent et chassent doucement et par |
une pression mesurée, le liquide qui passe au tra-
vers des interstices des dents et tombe goutte à
goutte sur la pointe de la langue; celle-ci est abais- | |
us
164 DE LA PHYSIONOMIE
sée contre les incisives inférieures, en même temps
que sa partie convexe touche au palais, de ma-
nière à intercepter derrière les arcades dentaires
un espace médiocre. De cette façon chaque goutte
tombant dans ce petit espace est à son tour ana-
lysée, appréciée, savourée, et de légères oscilla-
tions de la langue agitant le liquide introduit
contre le palais, multiplient les contacts et aug-
mentent ainsi l'intensité de l'impression primitive.
À mesure que ces mouvements s'exécutent, les
lèvres de plus en plus tirées en arrière se pressent
doucement contre les arcades alvéolaires, et leurs
coins s'élèvent un peu; deux petites fossettes, où
du moins deux plis légers se dessinent alors à la
partie moyenne des joues; c’est là le prototype du
sourire précieux.
Quand tout ce que les parties antérieures peuvent
percevoir de saveur a été épuisé, le liquide savouré
est porté doucement vers les parties postérieures
de la bouche entre le voile du palais et la base de
la langue. La pointe de la langue est surtout le
juge des saveurs excitantes; mais C'est surtout à
la partie postérieure de la bouche que sont per-
çues les saveurs chatouillantes et suaves. Pendant
ce mouvement qui s'exécute avec d’autant plus de
ET DES MOUVEMENTS D’EXPRESSION. 165
lenteur que le gourmet est plus délicat et plus fin,
le plancher de la bouche se relève et se tend légè-
rement: mais, l’instant d’après, commence une
déglutition très-lente, que l’on exécute en tendant
légèrement le cou. À mesure que la déglutition
s'achève, latête s'incline légèrement etla mâchoire
inférieure se rapproche de l’os hyoïde. Ce mouve-.
_ment n’est point différent de celui par lequel on
se rengorge; et lorsqu'il est continu il produit
une attitude qui a été fort à la mode chez les
femmes à une certaine époque, si on se fie aux
portraits qui nous restent du temps de Louis XIII
et de Louis XIV. |
À ces mouvements en succède un autre qui en
est comme le couronnement. Les lèvres s’entr'ou-
vrent et la bouche se remplit d’air par une aspi-
ration lente. Get air se répand, se dilate ; il dissout
les dernières molécules volatiles du liquide qui
mouille encore la cavité buccale, et les fait goûter
sous une forme nouvelle. Il se peut que la sen-
sation de l’air frais, se mêlant alors aux impressions
rapides , les réveille et leur donne plus de vivacité.
Quoi qu’il en soit, remarquons que ces mouvements
propres à l'espèce humaine et particulièrement
aux races civilisées, accompagnent des sensations
“
ed le
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ET 1. Aer A LR gl Sn Ge on RS ts ts
166 DE LA PHYSIONOMIE
fines , voluptueuses, et aux caresses desquelles l'or-
ganisme entier se délecte. Je dirai en parlant des
mouvements sympathiques quelles expressions se
mêlent à celles-ci; mais n’anticipons point sur ces
choses, |
5 De la bouche en tant qu’organe de respi-
ralion.
La bouche est encore un organe habituel de
respiration. Toutes les fois que la respiration
nasale est insuffisante aux besoins de l'organisme,
l'homme et les animaux respirent par la bouche.
Mais c’est à l'homme surtout que s'appliquent les
choses que je vais dire. Nous verrons en quoi les
propositions que je vais énoncer devront être mo-
difiées en ce qui concerne les animaux,
Nous distinguerons dans l’homme deux modes
de respiration buccale : le mode facile et le mode
difficile. 1 y a donc deux manières de respirer
par la bouche; et ces deux respirations sont dues
au jeu de faisceaux musculaires complétement
différents. |
(a) Respiration facile. La respiration facile a
pour agents principaux les muscles zygomatiques ;
ces muscles élèvent la lèvre supérieure, et attirent
légèrement en haut les commissures de la bouche.
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 167
Dans ce mouvement, la lèvre supérieure vient le
plus souvent affleurer le bord des incisives supé-
rieures. Cela n'arrive cependant pas toujours, la
bouche pouvant s’entr'ouvrir par un écartement
léger des arcades alvéolaires. Ce mouvement est
le sourire. 11 se produit toutes les fois qu'un sen-
liment de plénitude, d'activité et de vie éveille
l'instinct de respirer davantage, non par nécessilé
Mais par plaisir,
Mon but n’est point de distinguer ici entre les
. différentes espèces de sourire; nous y reviendrons
ailleurs. Je parle du sourire simple, qui est essen-
tiellement un mouvement de respiration facile.
(b) Respiration difficile. La respiration difficile
à pour agents les muscles abaisseurs des lèvres, |
tels que le triangulaire et surtout cette terminai-
Son faciale du peaussier cervical, à laquelle on
donne si improprement le nom de risorius. C’est
Muscle {riste qu’on aurait dû l'appeler; et en effet,
n'est-il pas le muscle de la dyspnée, de lhorripi-
lation et de l’an goisse ? Ces muscles agissent toutes
les fois que l'air manque, que les poumons sont
insuffisants , qu’un spasme trouble l'harmonie des
fonctions intérieures. Ils abaissent les angles de
la bouche et rétractent la lèvre inférieure. Remar-
2 DE LA PHYSIONOMIE
quons que ce Mouvement accompagne toujours le
sanglot et coincide avec des impressions doulou-
reuses.
L'opposition des mouvements dont nous venons
de parler n’est bien marquée que dans l'espèce
humaine, à cause de l’angle droit que forme l’axe
de la tête avec l’axe du rachis. Dans les animaux
quadrupèdes où la tête se place de plus en plus:
dans la direction générale de la colonne vertébrale, :
les fibres des zygomatiques deviennent parallèles
à celles du peaussier cervical, et les résultantes de
leurs contractions se confondent.
Il est une remarque que je ne puis omettre ici;
c'est que le zygomatique n’est pas seulement un
muscle de respiration. Chez quelques animaux
éminemment carnassiers, tels que les jelis, il ne
s'insère plus aux commissures des lèvres ; mais il
soulève la lèvre au niveau des canines et agit
surtout dans les cas où il s’agit de découvrir ces
armes terribles. Il a donc ici une acception un
peu différente.
Dans ce cas comme dans celui ou le muscle
canin mêle son action à celle des zygomatiques, il
n'y a plus sourire véritable, mais réctus ; et si à ce
mouvement produit par une grande inspiration se
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 169
mêle un grand abaissement de la lèvre inférieure
et du maxillaire, ce mouvement s’appellera bäille-
ment. Nous avons dit plus haut dans quelles cir-
constances le bäillement se produit.
Le sourire réel et simple, c'est-à-dire ce mou-
vement qui élève l'angle de la bouche, est exclu-
sivement propre à l'espèce humaine. Il n’y à rien
de semblable même dans les singes les plus élevés.
Parmi les carnassiers, les animaux des genres
ursus, canis et hyæna ont certains mouvements
qui rappellent le sourire, mais d’une façon éloi-
gnée et douteuse qui ne permet point la compa-
raison. Au-dessous des animaux mammifères, il
n’y a plus de mobilité dans la face, et partant plus
de sourire possible. Dans ce cas tous les mouve-
ments aboutissent à deux actes opposés, ouvrir et
fermer les mâchoires. Or, il est facile de produire
ces mouvements sur le cadavre; mais les peaussiers
qui agitent la face des animaux mammifères ne
peuvent être imités après la mort absolue par au-
cun moyen mécanique. Rien ne peut réveiller ou
même feindre cette lumière de la vie.
La variété de ces mouvements de la bouche,
Presque toujours combinés à ceux du nez, est
telle que je ne puis songer à les décrire tous. Ge
10
cinquante nd
170 DE LA PHYSIONOMIE
que j’en ai dit suflira du moins pour faire com-
prendre combien ils sont variés, combien leurs
transitions sont délicates et subtiles. J'aurais voulu
n’en omettre aucune, mais ce serait en quelque
sorte me perdre dans l'infini, et les détails dans
lesquels je suis entré paraîtront peut-être déjà
trop étendus.
DE L'APPLICATION DU TOUCHER;
XLIIIL. — La bouche peut être encore consi-
dérée comme organe du toucher. Les lèvres sont,
chez la plupart des animaux, les agens d’un tou-
cher subtil. Souvent, le nez pariage cette haute
prérogative avec la lèvre supérieure qui se confond
alors avec la marge de l’orifice nasal.
Dans l’homme lui-même, les lèvres sont le
siége d’un toucher fort délicat, mais moins fait
pour apprécier la forme des corps que pour
éprouver certaines impressions subtiles. Les sym-
pathies de la cinquième paire, qui fournit aux
lèvres de riches expansions nerveuses, permettent
d'expliquer les effets singuliers .que ce toucher
excite parfois dans tout le système viscérai. Mais
nous expliquerons plus au long ces choses dans la
suite de ce livre.
serpe e
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 164
Du corps tout entier en tant qu'organe du toucher.
XLIV. — Afin de mieux établir les propositions
qui font le sujet de ce paragraphe, il importe de
bien expliquer ici quelles sont les fonctions de la
peau en tant qu'organe de sensation, et comment
ces sensations peuvent influer sur l’ensemble des
mouvements du corps. |
1° En tant qu’organe de sensation, à peau est
essentiellement L organe de la perception de la
température.
En effet, toute action, toute pression, toute
blessure, produisent au summum de la douleur
qu’elles déterminent, une sensation de chaud où
de froid; or, ces sensations elles-mêmes à leurs
extrêmes limites se confondent; en sorte qu'un
froid intense amène une sensation fort semblable
à celle de la brûlure.
20 La faculté d'apprécier la résistance et la
forme des corps n’a point son siége dans la peau,
Mais dans les muscles. |
Er effet: (a) je suppose que mon doigt soit pris
entre deux masses dont l’une est immobile et
l’autre en mouvement, entre les deux mâchoires
d’un étau, par exemple. J’éprouve sans doute une
Ds En —
ME d'oise EE ane RE rocher nr
172 DE LA PHYSIONOMIE
douleur plus ou moins grande; mais quelle que
soit cette douleur, elle ne me donne directement
l’idée d’aucune résistance.
(b) J'applique mon doigt sur un coips dur. Si
toutes les papilles sont uniformément pressées, la
sensation est uniforme, et de cette uniformité nait,
comme conséquence, l’idée d’un corps plus ou
moins poli, mais cette idée n’a jamais la certitude
qu’on lui suppose; elle nait d’un jugement, elle
n’est point primitive; de mème si quelques points
de mon doigt sont plus vivement affectés, je juge
par habitude qu'ilyaen ces points une saillie plus
grande. Mais ce jugement peut être égaré dans
beaucoup de cas: en effet, un point saillant peut
être remplacé par un point en mouvement où même
par un point plus échauffé. Et, dans ces deux cas,
l'idée de saillie se produira également ‘. L'idée de
la résistance nous vient d’autres voies. Qu'est-ce, |
en effet, qu'apprécier une résistance? Cest,
comme ce nom le fait entendre, mesurer la quan-
tité du mouvement nécessaire pour la vaincre.
Dès lors, le sens de la résistance n’est point dans
la peau, mais dans les nerfs musculaires. Un
4. On peut faire à ce sujet l'expérience suivante : AB est une
lame de cristal très - régulièrement percée à son centre d'un
RS ec
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 173
homme dont les muscles sont paralysés n’appré-
cie point les résistances, bien que la sensibilité
Soit complète. <.
(c) Il y à encore dans le sens complet du toucher
Un troisième élément par lequel nous apprécions
dans les corps non plus leur température et leur ré-
Sistance, mais la forme sous laquelle ils sont limités
dans l’espace. C’est là encore une de ces questions
de psychologie desquelles on peut heureusement
trou C dont le diamètre ne doit pas excéder un millimètre. Une
tige métallique cylindrique est adaptée à frottement dans cette
Ouverture, et son extrémité est rigoureusement coupée par le
| e Me
[ JE 5)
: NE E
<
12
Plan FH qui limite supérieurement la lame de cristal. Une pe-.
tite virole E empèche la tige DC de s ani au delà dans l’ou-
Yerture C, É
Les choses étant ainsi disposées, si le doigt est appliqué en C,
les pressions seront uniformes et donneront l'idée d’un corps
10.
RE EE a = nr
RÉ EN ne Eee carnteme ane)
174 DELA PHYSIONOMIE
faire des questions de physique expérimentale.
La proposition principale que nous nous propo-
sons de démontrer ici peut être ainsi formulée :
La forme des corps n’est point directement per-
cue par le sens du toucher en tant qu'il a pour
siége les couches cutanées.
Soit AB un disque de bois ou de métal parfaite-
12
HET AS
pme de
D
ment tourné et poli ; ce disque peut tourner horizon-
talement autour d’un axe de métal CD. L'appa-
plan. Mais si l’on porte à 60° environ la température de la tige
métallique et qu’on recommence l'expérience, l'équilibre de tem-
pérature étant détruit entre la lame de cristal et l'extrémité de
la tige ainsi échauffée, il y aura en C un point plus excitant.
Dès lors, l’uniformité de l'excitation étant détruite, le doigt ap-
pliqué de nouveau ne sentira plus une surface plane, mais une
pointe saillante dans le point qu'occupe l'extrémité de la tige
échauffée. Fa
On obtient le mème résultat et d’une manière encore plus évi-
dente lorsqu'on imprime à la tige DG un rapide mouvement de
rotation sur son axe.
Les mêmes faits peuvent être démontrés en cent manières:
ss
x
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 175
reil étant ainsi disposé, supposons qu'un homme
aveugle ou les yeux bandés vienne toucher du
bout d’un de ses doigts le bord poli du disque ; il:
recevra de ce contact une certaine impression, et,
après que le contact aura cessé, il en conservera
quelque temps le retentissement, ou, si l’on aime
mieux, le souvenir. |
Or, supposons que notre aveugle salepitet de
nouveau le bout de son doigt sur le bord de la
table, je veux dire sur le point qu’il avait primi-
tivement touché; il est clair qu’il recevra de ce
contact une nouvelle impression en tout semblable
äla première.
Cette proposition n’exige aucune démonstration
pour le cas où le disque est demeuré immobile.
Mais admettons qu’il ait silencieusement tourné
Ainsi si, le doigt étant couché sur une table, on pose verticale-
ment une toupie sur sa pulpe, on pourta augmenter à son gré
l'impression que ce contact détermine en faisant tourner plus ou
moins rapidement ia toupie sur son axe. On aura-dans ce cas
l'idée d’une pression plus grande.
Ces expériences permettent de démontrer avec certitude que
certaines idées que nous considérons comme le résultat direct
d’une impression tactile, naissent de nos jugements plutôt que
de nos sensations; que la peau n’apprécie en réalité que le plus
ou moins de chaleur, le plus ou moins de douleur que les nerfs
ressentent, qu’en un mot elles n’apprécient point réellement les
pressions et les résistances.
|
OT ET eee gerin,
176 DELA PHYSIONOMIE.
sur son axe pendant l'intervalle de deux contacts,
il est évident qu’alors le point que le doigt ren-
“contre n’est point nécessairement celui qu’il avait
primitivement touché. Mais si ce point est en tout
semblable au précédent, sil est à la même
distance du corps et dans un même rapport avec
lui, les impressions reçues devront être sem-
blables, et l'intelligence devra conclure à l’iden-
tité de ces points. Ainsi, dans cette sensation nou-
velle, tout sera semblable à la première, et si
souvent que l’expérience soit répétée, elle donnera
toujours et irrévocablement le même résultat,
c'est-à-dire après une sensation une autre sensa-
tion pareille. L’idée de cercle ne sera nulle part.
On peut faire avec le même appareil une autre
expérience non moins concluante. Le doigt étant
appliqué sur le bord de la table, et la main étant
maintenue dans une situation fixe, on fait tourner
le disque sous le doigt qui le touche. Le frotte-
ment que le bord du disque exerce, mettant en
quelque sorte les nerfs cutanés en vibration, fait
naître l’idée d’un mouvement. Mais quelle est la
forme du corps en mouvement? Voilà ce que notre
aveugle ne peut dire. Cette succession uniforme
d’impressions semblables réveille aussi bien en
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 171
lui l'idée d’une ligne droite que celle d’une ligne
courbe. Il serait même impossible de distinguer,
dans ce cas, une convexité d'avec une concavité ,
pour peu que la courbe du disque ou du cercle fût |
étendue. L'expérience démontre aisément tous ces
faits. :
(d) Maintenant, rendons la liberté à notre
aveugle, et demandons-lui quelle figure limite le
corps qu’il a touché. Le procédé qu’il mettra en
usage est simple : il tournera autour de la table,
il décrira, soit avec la main, soit avec le corps
tout entier, des cercles autour d’elle, et par la
comparaisop des mouvements qu’il aura décrits
avec certaines idées abstraites dont son esprit
garde le type et la formule, il dira que cette table
est circulaire.
Or, que découvrirons-nous dans ce jugement ?
Une faculté nouvelle ? Non, sans doute; mais une
faculté admirable que nous employons à chaque
instant, sans daigner lui rendre dans les rangs de
nos facultés principales le haut rang qu’elle oc-
cupe; je veux dire la faculté de sentir n0S MOU-
vements , de sentir nos attitudes et de percevoir
nos parties non-seulement en elles-mêmes , mais
encore dans leurs rapports accidentels avec les
RS RS Se PTE RSS
DE LA PHYSIONOMIE
autres parties de notre corps; en sorte que par
elle nous sentons nos membres, ces membres que
la volonté déplace à chaque instant, au lieu où ils
sont réellement dans l’espace. Cest là, sans doute,
une faculté admirable, et cependant peu de phy-
siologistes en ont parlé. Un habile naturaliste,
M. Hollard, discutant quelques-unes des proposi-
tions fondamentales de la théorie de Ch. Bell, à
fait observer que dans les raies les racines posté
rieures ou sensitives des nerfs rachidiens étaient
égales en volume à leurs racines antérieures ou
motrices, bien que chez ces animaux la peau, sauf
les parties qui dépendent de la cinquème paire,
soit presque absolument dépourvue de nerfs, ceux-
ci se répandant presque en totalité dans les
muscles dont la masse de l’animal se compose.
Cette observation très-juste ne détruit point la
théorie de Bell, mais elle oblige peut-être de ne
point considérer comme absolument synonyme
ces expressions, nerfs cutanés et nerfs sensitifs,
nerfs musculaires et nerfs moteurs. N’y aurait-il
pas ici quelque nouveau mystère à dévoiler, quel-
que nouveau problème qui semble soulever à
T'envi tous les faits dont la science s’est enrichie
pendant ces dernières années.
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 179
Se
Cette recherche a, dès à présent, des bases pré-.
cieuses. En effet, les expériences de M. le pro-
fesseur Flourens ont appris aux physiologistes
que le cervelet n'est point le foyer générateur de
la puissance motrice, mais qu’il en est l’ordonna-
teur, si je puis ainsi dire. D'autre part, M. Foville,
admirant à bon droit les connexions étendues que
les faisceaux postérieurs de la. moelle ont avec le
cervelet, fait de cet organe un centre de sensa-
tions; or, ces deux théories , ou plutôt ces expé- .
riences d’une part et ces inductions de l'autre,
me paraissent conduire an même résultat général,
et que je vais essayer d'expliquer.
4° Le cervelet ne peut être considéré comme.
Organe de sensation cutanée. En ellet, dans tous
les animaux auxquels M. Flourens a enlevé cet
Organe, la sensibilité cutanée est demeurée in-
tacte. a
20 On ne peut supposer davantage que le cer-
velet soit la source de l'excitation motrice. Après
la section du cervelet les mouvements ont encore
une grande énergie, mais ils ne sont plus coor-
donnés. | |
8° La faculté de coordonner les mouvements
est donc la seule qui reste en propre du cervelel ;
180 4 -DE LA PHYSIONOMIE
mais coordonner c’est mesurer, et mesurer c’est
sentir. Le cervelet, organe coordinateur, est donc
aussi un organe de sensation.
- 4° Cr, quel nom donnerons-nous à ces sensa-
tions dont le cervelet est le centre? À priori nous
les nommerons sensations musculaires.
: 5° Noussupposons, en effet, qu’il part des muscles
certains nerfs qui portent au cervelet des impres-
sions qu’il mesure, et suivant lesquelles il règle
l'émission de la puissance motrice. Ce serait donc
pär lui surtout que nous sentons nos membres où
ils sont réellement. C’est là une hypothèse sans
doute, mais une hypothèse infiniment probable.
Malheureusement elle ne peut être démontrée que
par des recherches faites sur l’homme lui-même.
Or, il serait curieux de constater si, dans ces cas
très-rares où des lésions du cervelet détruisent
son influence sur les mouvements, l’homme a
conscience de la position de ses membres dans
l'espace. On conçoit, en effet, qu’à une pareille
question l’homme seul pourrait répondre, et
l’homme échappant en grande partie au domaine
de la physiologie expérimentale, il ne m’est pas
permis pour le moment de rien décider sur ce
point.
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 181
D CEST
Quoi qu’il en soit, l’action générale du toucher
Se compose de trois actions distinctes :
Par la première, nous percevons nos sensalions
cutanées. |
Par la seconde, nous jugeons de l'énergie de
LU III
\
nos mouvements.
Par la troisième, nous apprécions leur direc-
lion. | :
Nous allons essayer de dire quelles modifications
amène dans le corps vivant l’exercice de chacune
de ces facultés. |
Du sens cutané.
XLV. — Le sens cutané peut être envisagé en
Premier lieu comme nous faisant percevoir des
impressions simples , telles que celles du froid et
de la chaleur. Ges impressions peuvent être plus.
ou moins profondes, plus ou moins vives; et quand
elles dépassent certaines limites elles se changent "224
en douleur. Les mouvements qui succèdent natu- 5
rellement à ces impressions sont faciles à inter-
Préter. Si la main touche un corps brûlant, elle
S'en éloigne avec précipitation; si la chaleur qui.
émane du corps touché éveille au contraire des
Sensations agréables, on cherche en quelque sorte
11
182 DELA. PHYSIONOMIE
à les généraliser en appliquant les mains étendues
sur ce corps et en les promenant sur lui: souvent
on oppose alternativement à sa douce influence les
deux faces opposées de la main. Ces mouvements
ont en général un caractère tout particulier d’on-
dulation. Toutefois, s'ils ont pour but de faire
cesser une douleur, ils auront plus de roideur, de
tension, d'insistance. On peut comparer à ce sujet
des enfants lorsque, revenant d’une promenade
d'hiver, ils se jettent en entrant sur un poële, et
lorsque, déjà réchauffés, ils continuent cependant
à se presser autour de lui, retenus par les douces
sensations que sa chaleur détermine. Leurs mou-
vements prennent dans ce cas le caractère d’une
caresse véritable. C'est là, en effet, le prototype de
toute caresse, l’instinct de caresser étant dans son
principe essentiellement égoiste.
Lorsque, au contraire, le contact a produit dans
les organes une douleur très-vive, cette douleur
“porte avec elle un certain caractère d’étrangeté,
elle s'attache en quelque sorte au membre lésé, et
c’est alors un mouvement naturel de secouer ce
membre pour en détacher celte chose étrangère et
ennemie. Ge mouvement n’est pas propre à l'espèce
humaine ; on le retrouve aussi chez les animaux
——— 2e
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 183
dont les membres ont une certaine liberté de mou-
Yements. J'ai vu un caracal qui s'était blessé à la
Patte en lançant inconsidérément un coup de grifle
au travers des barreaux de sa cage, se retirer
Précipitamment sur trois pattes, en agitant ou
Plutôt en secouant la patte endolorie. |
Quelques personnes, donnant à la théorie des
Causes finales une importance exagérée, seront
tentées de supposer que ce mouvement a pour but
d'amortir le sentiment de la douleur en amenant
une congestion sanguine. Ge résultat peut être
Vrai en lui-même, sans être pour cela le but du s
Mouvement que je décris ; d’ailleurs le mouvement
de circumduction serait à cet égard bien mieux
Choisi ; et dans l'hypothèse où se placent les parti-
Sans trop exclusifs des causes finales, il n’est pas
Permis de penser que la nature se proposant un
but, ait pu choisir pour l’atteindre le moyen qui
Y conduit le moins sûrement.
Quoi qu’il en soit, et nous pourrions entasser |
à l'infini des observations analogues, nous con-
Cluons de ces remarques < |
1° Que des sensations de contact capables de :
faire cesser une sensation douloureuse sont pour-
Suiyies ou du moins recherchées avec insistance :
184 DE LA PHYSIONOMIE
2° Que des sensations de contact douces et
agréables sont recherchées pour le plaisir qu’elles
donnent, et sollicitent des caresses :
3° Que des sensations de contact douloureuses
déterminent un sentiment d’aversion instantané,
et, si la douleur persiste, un mouvement de ré-
volte qui porte à s’agiter comme pour détacher
de soi la douleur, ou même à fuir à toute vitesse
comme pour s’en éloigner.
Ces propositions peuvent être ainsi transfor-
mées :
4° Un mouvement tendu des appareils du tou-
cher est relatif à une sensation qu’on désire.
20 Un mouvement ondulatoire et caressant des
organes du toucher, est relatif à une sensation
dont on jouit et qu'on savoure.
3° Un mouvement de révolte dans les membres
vivement agités et secoués, ou un mouvement de
fuite rapide, peuvent répondre à une douleur qu’on
veut automatiquement détacher de soi, ou dont on
voudrait s'éloigner.
XLVI. — On peut encore considérer le sens
cutané sous un autre point de vue : afin de mieux
faire comprendre les phénomènes sur lesquels je
vais appeler l'attention, je demanderai la permis-
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 185
Sion de rappeler une observation que tout le monde
à Pu faire,
On sait que si l’on frappe avec un petit marteau
Sur une lame sonore, ce coup peut avoir deux effets
très-différents.
1° Le coup est appuyé; il frappe et pèse. Dans
ce cas , le son produit est lourd et bref,
20 Le coup est enlevé; il ne touche qu’un seul
instant la lame sonore. Dans ce cas, Le son produit
est large et vibre longtemps.
Quelque chose d’analogue se produit dans les
Ofganes du toucher, surtout dans leurs parties
les plus sensibles, celles qui sont le moins exposées
aux contacts habituels.
Si ces parties sont touchées, même légèrement,
et que le contact dure un certain temps, l’impres-
Sion est plus ou moins vive, mais sa durée est
bornée. |
Si les parties sont touchées ou plutôt légère-
ment eflleurées et que le contact dure à peine,
tous les nerfs touchés entrent pour ainsi dire en
Vibration. |
L’impression reçue semble d'abord pénétrer
Comme un point; puis elle s’élargit et s'étend au-
tour de ce point en zones plus ou moins étendues.
de
TT Men ee agen 6 2
Ë
l
|
DE LA PHYSIONOMIE
Cette sensation est singulière; on ne saurait
dire si c'est un plaisir trop grand ou une sorte de
douleur; elle excite au plus haut point le système
nerveux tout entier. Cette excitation est telle que
si elle est répétée plusieurs fois de suite, elle
jette l'organisme dans un état hystérique accom-
pagné de convulsions utiles parfois, le plus sou-
vent dangereuses et quelquefois mortelles.
La répétition de ces petits contacts sur des parties
très-sensibles constitue le chatouillement. L’être
dans lequel surviennent des réactions hystériques,
est un être chatouïllé. Or, le chatouillement peut
accompagner des sensations agréables et des sen-
sations douloureuses ; et aux unes et aux autres il
donne plus de vivacité et d’étendue, on peut dire
qu’il les porte à un degré suprème.
Tous les nerfs du corps ne sont pas à un égal
degré susceptibles d'être chatouillés. Parmi ceux
qui ressentent surtout cette impression, je citerai
plus particulièrement les expansions terminales de
la cinquième paire et les branches moyennes des
paires rachidiennes, celles qui animent les flancs
de l'animal. Nous ajouterons à ces nerfs ceux des
faces palmaires des mains et des pieds, qu'on peut
considérer en anatomie philosophique comme leurs
LE
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 187
analogues. Dans la cavité buccale certaines parties
Peuvent ressentir à un haut degré l'impression
du chatouillement. Telles sont les rugosités pala-
tines et la face antérieure du voile du palais. Ces
régions méritent d’être attentivement considérées.
Nous venons de dire que certaines impres-
sions agréables peuvent recevoir du chatouillement
plus de force pénétrante et plus de vivacité; de
cette combinaison résulte la volupté, qui associe
en quelque sorte tous les viscères au plaisir res-
senti par un seul organe, et attire à elle toutes
les forces, tous les instincts de l'animal. De là
la passion singulière avec laquelle il recherche
certains contacts. Toutes les espèces de jelis sont
avides de caresses. Les hyènes les appellent avec
fureur, les chiens les invoquent avec une égale
ardeur, quoique avec un peu moins d’égoïsme ;
et en général, les animaux sont d'autant plus
Caressants que leur sensibilité cutanée esi plus
Pxquise.
C’est toujours la partie la plus senrilils de leurs
Corps qui recherche les caresses ou les donne.
Lorsque toute la longueur des flancs et du corps
est sensible, l'animal serpente et rampe sous les
| Caresses: et ces ondulations se propageant le long
me
188 DE LA PHYSIONOMIE
des muscles analogues des segments jusqu'aux
extrémités de lg colonne vertébrale, la queue se
ploie ets agite! ‘Si le corps caressant est immobile,
notre animal se courbant et se développant, amène
successivement à son contact toutes les parties de
son corps. Ges mouvements sont d'autant plus
rapides qu’il s’y joint plus d’impatience et moins
de volupté.
À défaut d'objet caressant, à défaut d’objet à
ni
caresser, l'animal peut arriver à se caresser lui-
même. C'est ainsi que dans l’homme que tour-
mente le besoin de sensations cutanées, le cou
légèrement contracté s'incline sur l'épaule et
glisse en se développant ondulairement sur elle.
Le corps tout entier, courbé d’abord, suit le mou-
vement ondulatoire et se redresse mollement,
tandis que les bras ramenés vers lui pressent les
flancs que leur contact fait frissonner. Ce besoin de
volupté ramène aussi les membres inférieurs contre
le tronc et les fléchit doucement. Ces mouvements
qui accompagnent certaines formes du plaisir
sont trop connus pour qu'il soit nécessaire d’y
insister ; on conviendra qu’ils n’ont rien de com-
mun avec l'expansion que M. Huschkeñçonsidère
comme la forme typique de toutes les passions
a ns
———
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 189
agréables. Nous aurons plus tard cent occasions
de montrer combien d’exagérations renferme son
“. Système.
Nous avons dit plus haut que les sensations
Qui naissent du chatouillement ont avec la douleur
certains points de ressemblance. Elles conduisent
même par des transitions insensibles aux plus ex-
trêmes douleufs. Le chatouillement si limité que
produit la piqûre d’une mouche peut amener une
sorte de fureur. Un cheval frémit davantage sous
_les picotements de l’éperon que sous l'impression
d’une grande blessure.
Le moyen le plus simple de faire cesser ces im-
pressions chatouillantes est de les étendre ou de
leur substituer des douleurs d’un autre genre. Ce
dernier moyen est le plus fréquemment employé.
On éteint la douleur qui résulte du chatouille- ]
ment à l’aide d’une pression énergique, large et |
continue. On lui substitue une autre douleur en
grattant les parties où vibrent en quelque sorte les
nerfs chatouillés. Ces moyens sont très-naturelle-
ment et instinctivement employés. On se gratte
plus particulièrement la tête où les contacts cha-
touillants aboutissent presque toujours à une vive
démangeaison. Mais c’est surtout par de grandes
ie
190 DE LA PHYSIONOMIE
les coudes
pressions exercées sur les flancs avec
que sont combattus les chatouillements qui por-
tent sur les lombes ou sur le thorax.
Le caractère essentiellement irritant des der-
malgies est bien connu. Il faut plus d'énergie
pour demeurer calme sous l'empire d’une déman-
geaison que pendant la durée d’une douleur aiguë.
J'ai déjà cité la piqûre des mouches. Dans les
grandes chaleurs de l'été, leur retour obstiné
éveille une impatience générale qui touche à la
colère. Le moindre mouvement d’un cheveu dé-
termine, dans certains cas, des démangeaisons
insupportables, surtout vers la Tégion temporo-
mastoïdienne, et la facilité avec laquelle ces im-
pressions se produisent fait qu’il suffit de songer
à une cause de démangeaison pour l’éprouver
aussitôt.
Si l’'impatience que la démangeaison sollicite
est contenue ou modérée, l’un des doigts de la
main se porte vers la partie affectée et presse plus
ou moins énergiquement sur elle. Cette action
amortit la douleur et peut procurer un calme né-
cessaire à l'exercice de la pensée. C’est ainsi que
dans les névralgies frontales et dans les odontäl-
gies nous exerçons des pressions sur le front ou
a
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 191
sur les dents douloureuses. En un mot, de même
qu’on arrête en la touchant les vibrations d’une
cloche, de même une pression intense suspend un
instant la douleur.
Mais si l’impatience que la démangeaison amène
n’a pas de frein, l'animal abandonné à son instinct
se gratte avec fureur , il s’excorie, il se déchire.
L'homme fait de même, il imprime jusqu'au sang
ses ongles dans les chaïrs, se guérissant ainsi
d’un supplice par autre supplice. C’est là l'effet et
le signe d'une impatience poussée jusqu'à la
lureur. | l
| Mais, que dis-je, dans certains cas les ongles
ne suffisent plus, les dents se portent alors vers |
la partie affectée, et leurs morsures suppléent à
cette insuffisance. Dans un cas de panaris, on voit
bien souvent le malade chercher à calmer sa dou-
leur en mordant sa main au-dessus du point lésé.
Ce mouvement est habituel, je dirais même con-
stant, chez les personnes dont les doigts ont été
comprimés jusqu’à l’écrasement. Le pt emier mou-
vement est alors de secouer sa main, le second est
de la comprimer au poignet avec la main opposée,
le troisième est de la mordre. Souvent alors, tout
‘ en secouant la main lésée, on mord l’autre main.
#
£
£
:
|
L 1
Là
192 DE LA PHYSIONOMIE
C’est là un exemple entre mille de ces mouvements
de sympathie latérale qui nous occuperont dans
le chapitre suivant. On peut penser que deux im-
pressions égales agissant sur le même nerf, l’une
à son extrémité périphérique, l’autre entre cette
extrémité et le cerveau, celle-ci peut arrêter la
première au passage. Cette hypothèse paraît
prouvée par l’heureux emploi des ligatures dans
les névralgies, par le ralentissement qu’elles amè-
nent dans la marche de l'aura epileptica. Ces ob-
servations peuvent jeter un grand jour sur la
théorie des mouvements que je viens d'indiquer.
Quoi qu'il en soit, ces mouvements répondent à
l'existence de quelque irritation douloureuse qu’il
s'agit d'arrêter.
Du toucher en tant que sens de la résistance.
XLVIT. — Cet élément de la sensation complexe
du toucher par lequel nous mesurons la résistance
que les corps apportent, est mis en jeu d’une ma-
nière fort simple.
Le membre qui touche est tenu aux trois quarts
fléchi et dans un état de situation fixe. La main
ainsi maintenue par sa base s'incline ensuite vers
l'objet qu’on veut apprécier, tous les doigts étant
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 193
étendus et reliés à l'exception d’un seul, le plus
Souvent le imedius, qui s'applique légèrement à
l’objet qu'il touche, suspensä manu. La partie qui
touche est fort à remarquer; on peut la déterminer
à l’aide d’une ligne partant du point central de la
pulpe de la dernière phalange, et coupant le som-
. met de toutes les courbes que décrivent entre ce
point et le sillon unguéal les rangées papillaires.
Ce point une fois appliqué, le doigt fait un effort
lent pour s’abaisser ; il presse avec mesure; et
_Cédant ou pressant ainsi alternativement, oscillant
_ par un mouvement latéral, il nous fait porter un
double jugement sur la résistance . corps et sur
leur immobilité. |
Il est d’une extrême importance, lorsqu’on veut
toucher avec délicatesse, de toucher autant que
possible avec un seul doigt. En effet, plus l’instru-
ment est simple et plus les résultats de son action
Seront immédiatement acceptables, moins, en un
mot, ils exigeront de corrections. Or, on touche
plus particulièrement avec le medius, à cause de
Son caractère dominateur, de sa force relative et
de sa sensibilité. |
En général, le jugement qu’on forme sur le
degré de dureté et de résistance d’un corps n’est
£ L
194 DE LA PHYSIONOMIE
‘ point porté aussitôt après une première expérience.
Cette expérience est le plus souvent répétée plu-
sieurs fois et parfois dans un espace de temps
très-court. C’est cette répétition qu'exprime plus
particulièrement le mot äter. D'ailleurs, cette ré-
pétition d’un acte est la preuve certaine que le
premier n’a pas suffi, que les bases du jugement
sont incomplètes encore, en un mot, qu'il y à
jusqu’à un certain point perplexité dans l'esprit.
Lorsque la force d’un seul doigt n’est pas sufli-
sante pour apprécier la résistance d’un corps très-
lourd, on peut y employer deux doigts, trois
doigts, la main, et enfin le corps tout entier. Ges
efforts peuvent être quelquefois nécessaires. Mais
je ferai remarquer qu’il en est de ces mouvements
comme de ceux des balances : la puissance et la
grandeur des résultats nuisent toujours à leur .
exécution.
Du toucher en tant que sens appréciateur
de la forme.
XLNIII. — Le toucher détermine encore et me-
sure deux choses dans les corps ; à savoir : 1° leurs
dimensions, et 2° leur figure.
4° Nous jugeons immédiatement des dimensions
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 195
. des corps, en les comparant à nos propres dimen-
sions. Ces mots : (4/na) aune, coudée, pied, pouce,
brasse, empan, pas, etc., le font voir assez claire-
ment. La faculté.que nous avons de sentirle degré
d’écartement qui existe entre deux parties définies
de notre corps, nous permettant d'apprécier assez
exactement la valeur des angles qu’elles forment
entre elles, les rend en quelque sorte semblables
à des compas. Aussi M. de Blainville comparait-il
x
très-heureusement la main à un compas à cinq
branches, à l'aide duquel on pourrait mesurer
Plusieurs épaisseurs à la fois. De même les deux
mains figurent assez bien un grand compas
d'épaisseur lorsque leurs pointes fléchies en dedans
sont opposées l’une à l’autre.
2° Mais la figure des corps est sur toutr reconnue
à l’aide d’un mouvement de circumduction cir-
” Conscrivant tous les contours d’un objet. La con-
Science que nous avons du mouvement décrit per-
met de concevoir la forme de l’objet avec une
suffisante exactitude. Les aveugles-nés donnent à
cet égard des preuves d’une extrême habileté ; et
Sans parler du célèbre Ganibasius de Voliterre,
elle peut aller quelquefois jusqu’au prodige. Rien
ne prouve mieux peut-être l'existence des idées
Pr
£
Ù
DE LA PHYSIONOMIE
innées que cette faculté merveilleuse. Mais je ne
veux point discuter sur un point de psychologie
pure qui m'entrainerait trop loin de mon sujet.
Les procédés dont nous venons de parler ne
sont applicables qu’aux objets dont la grandeur,
eu égard à celle de nos organes, est assez consi-
dérable. Mais la figure des corps très-petits est
appréciée par un autre artifice sur lequel je de-
mande la permission de m’arrêter un instant.
XLIX. — Nos doigts ayant une certaine gran-
deur, une grandeur considérable relativement à
certains objets que notre sensation doit atteindre,
l'application d’un organe aussi grossier ne pour-
rait nous donner qu'une idée générale, une es-
quisse de la figure des corps; elle nous laisserait
ignorer l'existence des différences ou des inéga-
lités minimes qui peuvent accidenter leur surface,
elle nous les révélerait tout au plus d’une façon
inadéquate et confuse.
Cette nécessité de distinguer nettement de fort
petites parties a déterminé, sans aucun doute, la
subdivision des troncs nerveux en une multitude
de petits’ nerfs élémentaires indépendants les uns
des autres, et capables de distinguer par cela
même qu’ils sont distincts.
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. , 197
En effet, la superficie de la peau n’est point
semblable à un plan régulier et continu; mais sa
surface est subdivisée en une multitude de petits
compartiments de chacun desquels s'élève une
petite saillie semblable à une sorte de petit doigt
microscopique; et ces petits doigts se multiplient
en foule, dans tous les points où le toucher est le
plus délicat et le plus subtil. |
Leur disposition est fort remarquable, et méri-
terait d’être scrupuleusement comparée dans les
différents animaux, au double point de vue de la
psychologie comparée et de la philosophie zoolo-
gique.
Dans certains points où la sensibilité est vive
mais confuse , ils sont en général semés d’une
façon fort irrégulière. Mais quand la sensation du
toucher se perfectionne, ils se disposent en plates-
bandes d’une grande régularité. Parfois ces plates-
bandes sont rectilignes et parallèles entre elles. Il
ny a point alors de point dominateur sur la
Surface sensible. |
Lorsque, au contraire, un point dominateur
existe, je veux dire un point plus saillant, les ran-
gées de ces petits doigts décrivent autour de ce
Point des courbes plus ou moins spiroïdes.
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198 DE LA PHYSIONOMIE
Parfois le point dominateur est fixe et inva-
riable. Par exemple, à l'extrémité de la dernière
phalange. Dans d’autres cas, le point dominateur
n’est que virtuel ; il n’existe que dans une certaine
attitude. Dans ce cas, les arcs fort irréguliers que
décrivent les papilles sont disposés de telle façon
que le sommet de leurs courbes répond à ce point
virtuel. Ges choses sont faciles à constater quand
on compare la face palmaire de la main de l’homme
à la face palmaire de la main des singes.
Chacun des petits doigts sensibles qui forment
ces arcs est contenu dans un étui épidermique qui.
le protége et le soutient, de telle sorte que l'axe
de chaque papille conservant une direction inva-
riable, aucune d’elles ne peut anticiper sur le do-
maine de l’autre. Ainsi, chaque papille forme un
appareil distinct, etsur la surface tactile des doigts
se trouvent, de cette facon, une multitude de
points déterminés régulièrement espacés, dont
chacun peut recevoir et communiquer des impres-
sions distinctes.
L. — Ceci posé, afin de faire mieux comprendre
le rôle et l'utilité des papilles, il ne sera point mu-
tile de recourir à un exemple dont l'analyse peut
être faite aisément.
me "ee
5 »
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 19)
On sait avec quelle merveilleuse finesse les
aveugles apprécient à l’aide de leurs doigts de
fort petits caractères, au point de pouvoir, dans
certains cas, déchiffrer des écritures imprimées
à l’aide des dépressions légères que les carac-
tères ont laissées dans le papier. Il est facile de
démontrer que cette faculté ne pourrait s'exercer
si la peau était complétement lisse et unie.
n 1
Soit en effet la. courbe dec
C ;
pulpe digitale : si le point G de cette courbe est ap-
À
pliqué à un petit corps quelconque D, il y aura
évidemment une sensation produite. Maïs cette
sensation ne sera pas rigoureusement définie par
les limites du corps D. L'expérience et le raison-
nement démontrent, en effet, que cette courbe sera
ainsi modifiée :
A B 7
æ €
Le
F D E
en sorte que le petit corps D touchant seulement
le point CG, ce contact déterminera cependant
dans la pulpe digitale une dépression infundibuli-
forme dont le diamètre FE sera béaucoup plus
DR. RS ÉE n ER on
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ch T
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RE
200 DB DA DEN SE ON OC NATE
considérable que celui du petit corps D. Ainsi,
l'impression sera jusqu’à un certain point diffuse,
si bien que si l’on touchait à la fois plusieurs
points très-rapprochés , leur distinction devien-
drait impossible, comme on peut le comprendre
par la figure suivante :
les points noirs D représentant les points réelle-
ment touchés et les courbes ponctuées N les zones
d'impression diffuse qui les circonscrivent.
LI.— Ceci posé, admettons maintenant les faits
tels qu'ils existent dans la réalité. Divisons la sur-
face de la pulpe digitale, et hérissons cette pulpe
d'une multitude de petits cônes espacés et con-
tenus dans des tubes épidermiques.
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. | 201
qué sur un très-petit corps, une ou deux papilles
seulement seront affectées par la pression perpen-
diculaire: or, les papilles voisines étant protégées
contre les pressions latérales par les tubes épider-
miques fort épais qui les enveloppent, l'impression
sera très-rigoureusement limitée aux points qui
seront directement touchés. Je parle i ici dans l’hy-
_ pothèse où les papilles seraient considérées comme
très-nerveuses ou très-sensibles.
Mais ces choses seraient bien plus évidentes
encore si, comme beaucoup d’observateurs tendent
à le démontrer, les papilles étaient presque abso-
lument dépourvues de nerfs. On pourrait, en eflet, :
les comparer très-justement à de petites touches
pressant légèrement sur une surface très-sensi-
ble, mais n’y laissant que des impressions limitées.
Ces impressions peuvent être comparées au
bout des doigts à de fort petites distances, à une
ligne de distance suivant M. Weber, et même à
une demi-ligne d’ après Dugès. Mais je puis assu-
rer que chez des personnes fort délicates le pou-
voir de distinguer va beaucoup au delà. En effet,
des expériences souvent répétées m'ont appris
qu’en touchant deux points d’une même rangée
papillaire, séparés seulement par l'orifice d’un
202 DE LA PHYSIONOMIE
conduit sudoripare, les deux contacts sont évi-
demment distingués ; cette distance égale 0,50 à
la pulpe digitale de la dernière phalange du
medius.
LIT. — Il suffit d’avoir sommairement indiqué
ces choses pour montrer combien il importe, quand
il s'agit d'apprécier avec justesse la dimension de
corps très-petits, de les tâter légèrement, suspensé
mat, de manière à ne point altérer la courbure
de la pulpe digitale par des dépressions trop éten-
dues. C’est là, en effet, ce qu’on peut appeler la
perfection dans l'exercice du toucher. Toucher
avec lourdeur, c’est combiner deux contraires,
c'est à la fois exciter une sensation et l’éteindre.
Aussi la finesse du toucher étant un des éléments
principaux de l'adresse, trouve-t-on rarement
cette qualité dans l'esprit de celles qui touchent
sans délicatesse.
Ces faits sur lesquels j’ai insisté à dessein, mon-
trent combien de modifications peut amener dans
les mouvements des bras et des mains l'exercice
du toucher. Ces fines applications de ce sens sem-
blent propres à l'espèce humaine, et, en effet, elles
répondent bien plus aux besoins de l'intelligence
qu'aux mouvements de l'instinct.
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 203
- LHT, — Nous résumons ainsi ces faits :
1° En ce qui touche nos sensations cutanées,
elles‘sont agréables ou désagréables. Les sensa-
üons agréables éveillent l'instinct des caresses ;
les sensations désagréables inspirent l'éloigne-
ment. Elles ont un caractère d’étrangeté, et l’on
exécute des mouvements divers, — soit pour les
repousser, les chasser, les essuyer par le frotte-
ment, si je puis ainsi dire; — soit pour les arrêter
Ou les éteindre par des pressions plus ou moins
énergiques; — soit pour leur substituer quelque
autre douleur. | |
2 En ce qui touche nos jugements sur la ré-
Sistance et la solidité des corps, nous les pesons,
nous les pressons en sens divers et nous intéressons
à ce mouvement un nombre d'organes d’autant
Plus grand que nous voulons apprécier de plus
grandes résistances.
8° Enfin, en ce qui touche la figure des corps,
nous arpentons avec nos mains, semblables à des
COMmpas; nous exécutons des mouvements de Cir-
cumduction, nous mesurons en tout sens les dia-
mètres. Les accidents les plus délicats des surfaces
tangibles sont perçus par une subtile application
du toucher papillaire.
|
nm Pen ne =?
204 DE LA PHYSIONOMIE
D Re
LIV. — Les mouvements de la première classe
correspondent, les uns, à des sensations intérieures,
x
——
à des sentiments de volupté; les autres, à des senti-
ments d’embarras, d'inquiétude et de douleur fa-
ligante.
Les mouvemenls de la seconde classe répondent
à des sentiments généraux d'examen, de doute
et d'analyse.
gr
RS Dm ET
a Re
Enfin, les mouvements de la troisième classe
ont avec ceux de la seconde des rapports évidents ;
Re
RES
mais leur emploi implique l’idée d'une réflexion
plus élevée, d’une intelligence plus grande, d’une
faculté d'observation plus parfaite. Ceux que dé-
terminent l’application du toucher papillaire,
coïncident surtout avec la recherche de choses
très-petites, très-difficiles à limiter, et ne se pro-
duisent jamais que dans le cas d’une attention
|
14
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\É :
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profonde et soutenue.
: DEUXIÈME PARTIE
DES MOUVEMENTS SYMPATHIQUES.
LV. — Je donhe le nom de mouvements sym-
Pathiques ou associés, à une classe de mouvements
qui se produisent dans le corps, non point relati-
| vement à un but extérieur, mais à l’occasion des
La Mouvements d’un organe dont l’action est seule
|. Cbjective ou prosbolique. a
| Cest ainsi que lorsque je regarde avec attention,
tout mon corps s'associe au mouvement de mon
| œil; que ma bouche et mon nez exécutent des
Mouvements involontaires, mais naturels, puis-
qu'ils se reproduisent invariablement chez tous
les animaux d’une même espèce. L'histoire de ces
Mouvements peut être aisément formulée sous
Plusieurs propositions simples, mais générales.
LNVI. — Lorsqu'un organe des sens est affecté el
| Mis en mouvement d’un seul côté du corps, l’or-
12
(ht
:
14
LA
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F)
’
206 DE LA PHYSIONOMIE
gane symétrique est le plus souvent entrainé dans
le sens de ces mouvements;vet les répète en quelque
sorte; toutefois, ces mouvements sont, en général,
moins énergiquement exprimés que les mouvements
directs.
Nul organe ne montre ces choses à un plus haut
degré que l'œil. Si un rayon de lumière vient à
tomber obliquement sur un des yeux, de manière
à ne point affecter directement celui du côté op-
posé, l'œil affecté regarde d'un regard direct, et
l'œil opposé regarde d’un regard sympathique.
Mais le regard sympathique n’a point l'énergie
du regard direct; son mouvenrent est incomplet,
il semble attiré plutôt que dirigé, et sa marche
inégale amène une divergence oculaire souvent
assez sensible. Il est en même temps un peu
moins ouvert que l’œil actif, et sa pupille toujours
un peu moins contractée. En un mot, tous les
/mouvements qu'exécute un seul œil appliqué à la
| | vision sont imités par l’autre œil, mais avec une
| | sorte de paresse relative. On peut penser, à priort,
que l'habitude n’est point sans influence sur ce
phénomène. Ainsi la tendance naturelle qu'on à à
regarder des deux yeux à la fois les objets qui les
affectent simultanément, pourrait donner aux yeux
RS msresreeiie
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 207
l'habitude des mouvements simultanés. En sorte
que dans le cas où un seul œil serait excité, l'autre
œil exécuterait par habitude des mouvements
semblables. Mais l'observation des nouveaux nés {
montre que dès le début de la vie les mouvements
des yeux se correspondent, et par conséquent
l'habitude ne paraît pas avoir dans ce phénomène
une part nécessaire.
LV. — La sympathie Te est moins évi-
dente entre les deux oreïlles; elles sont, en effet, à
Peu près immobiles dans Pespèce humaine, et |
Chez les animaux qui ont de grands pavillons au-
ditifs, la faculté de les mouvoir indépendamment
l'un de L'autre est à peu près universelle. Il est
d'autant plus important de ne pas formuler ici de
règle trop précise, que les deux oreilles, même
dans des positions très-différentes, peuvent être
Cevendant appliquées à l’audition d’un même son.
En sorte que dans beaucoup de cas leurs mouve-
ments pourraient paraître sympathiques plutôt
Par simultanéité que par symétrie. Ç
Les mouvements des oreilles ne laissent donc
Point au premier abord apercevoir leurs sympa
thies; mais, peut-être, pourrait-on rendre ces
SYmpathies apparentes par quelques expériences
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208 DE LA PHYSIONOMIE
décisives. Ces expériences consisteraient à dé-
truire par un moyen quelconque la sensibilité
d’une seule oreille, en ayant soin de ne léser en
aucune façon les nerfs moteurs. Dans ce cas, une
oreille seule étant sensible à l’action des sons, tous
les mouvements que l’oreille sourde exécuterait
pendant l'attention seraient des mouvements sym-
pathiques. Pour que l’expérience fût concluante,
il faudrait choisir de très-jeunes animaux et Les ob-
server ensuite à l’état adulte, on préviendrait ainsi
l'habitude du souvenir, et les résultats seraient
plus évidents. À priori, il est probable que les
mouvements exécutés par l'oreille sourde seraient,
dans ce cas, une imitation plus ou moins exacte
de ceux que l’oreille saine exécuterait d’une ma-
nière directe.
Les mouvements de sympathie latérale sont
assez marqués dans le nez, maïs souvent avec une
telle différence d'intensité dans la narine du côté
qui est seul affecté, que l’autre semble au premier
abord immobile. Mais un peu d'attention suffit
pour démontrer qu’elle ne l’est pas et qu’elle exé-
cute, quoique à un moindre degré, un mouvement
analogue.
Les mouvements dont nous nous occupons ici
f.
ù
se si RS ner mr
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 209
Sont encore moins marqués dans la bouche, dont
‘les deux moitiés se meuvent avec une grande indé-
Pendance.
Les organes du toucher, et les mains en parti-
Culier, présentent souvent des exemples de sym-
Pathie latérale. Nous en avons cité un cas remar-
Œuable (V. art. xLvV1), mais ces mouvements sont
d'autant plus difficiles à apprécier qu’ils se déve-
loppent avec une grande liberté, et n’ont en quel-
Que sorte rien de nécessaire. Il est cependant des
Cas où ces sympathies apparaissent nettement.
de citerai en particulier les débuts des commen-
Gants qui s’exercent sur le piano. On sait la diffi-
Culté qu'ils éprouvent à donner aux mouvements
des deux mains une complète indépendance. Et ce
n'est pas sans peine qu’en exécutant une gamme
ils font coïncider le mouvement du petit doigt de
la main gauche avec celui du pouce de la main
droite, de l'index d’une main avec celui de l’an-
ülaire de l’autre main. Toutes ces choses sont
Vülgaires, si je puis ainsi dire.
Or, il ne paraît pas moins difficile de mouvoir
Les bras avec une complète indépendance, comme
le prouve l'exemple des personnes inexpérimentées
AU essayent de décrire avec leurs mains deux
12.
210 DE LA PHYSIONOMIE
cercles parallèles dans des plans verticaux, mais
par des mouvements inverses, de telle sorte qu’une
main se meut dans un sens et l’autre main en un
sens opposé. La chose n’est point impossible sans
doute, mais elle n’est point naturelle, c'est-à-dire
instinctive. Elle est le fruit de la réflexion, de
l'exercice et de l’habitude.
LVIII. — Lorsqu'un sentiment de volupté, d’im-
patience ou d'activilé intérieure met en jeu une
ou plusieurs régions de la colonne vertébrale, cette
excitation se propage Sympathiquement de segment
en segment homologues jusqu'aux extrémités du
rachis.
Cette sympathie des muscles homologues que
j'oppose à la précédente sous le nom de sympathie
longitudinale, est telle que les mouvements qui
résultent d’un sentiment un peu vif, agitent en
général toute l’étendue d’un même système de
muscles. Or, il est naturel que ce mouvement soit
surtout apparent dans les parties les plus mobiles.
Voilà pourquoi chez certains quadrupèdes à longue
queue, les mouvements ondulatoires de cet organe
sont toujours plus visibles, plus étendus que ceux
du tronc. Ils peuvent même se développer seuls,
trahissant l'énergie d’un sentiment caché, alors
rs me» normes.
de — HE Se - ‘ir ae
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 211
qu'une volonté contraire luttant contre ses impul-
sions, maintient le corps dans une immobilité
- apparente.
À côté de cette sympathie entre organes homo-
logues, se rangent naturellement celles qui se
développent entre des organes analogues, tels que .
le peuvent être la jambe et le bras. Ges sympa-
thies sont naturellement beaucoup plus évidentes
dans les animaux que dans l’homme dont les mou-
vements acquièrent en général le sumanum de
l'indépendance.
LIX. — Lorsqu'un organe des sens est ajfeclé
et mis en mouvement d'une manière quelconque,
les organes annexes peuvent se mouvoir sympathi-
quement, el répéter des mouvements analogues,
chacun dans la sphère de son activité propre.
C’est ainsi par exemple que les oreilles feignent
d'écouter, quand les yeux seuls sont réellement en
jeu; que les narines exécutent certains mouve-
ments, quand le goût savoure quelque impression
délicate. Gette proposition mérite d’être attenti-
vement examinée.
(a) Les sympathies dont nous nous occupons
ici s'exercent surtout entre les organes capables
d’éprouver des impressions d’une nature analogue.
Le
k
41
’:
mn
DE LA PHYSIONOMIE
Nous remarquerons en effet, afin de fixer les
idées, que nos impressions se groupent naturelle-
ment en deux catégories. Les unes déterminent
à la fois des sentiments et des idées claires, les
autres aboutissent surtout à des sentiments et tout
au plus à des idées confuses. Parmi les premières
se rangent les sensations de la vision et de l’ouïe,
parmi les secondes celles de l’olfaction et du goût.
Aussi l'observation nous fait-elle apercevoir un
rapport de sympathie plus intime entre l'œil et
l'oreille, tandis que l’olfaction et le goût ont entre
eux une relation immédiate; l’action simple de
l'œil détermine dans l'oreille des mouvements
sympathiques, tandis qu’elle n’amène dans les
autres organes que quelques mouvements con-
sécutifs. De même les mouvements de l'oreille
influent plus particulièrement sur ceux de l'œil.
Quant aux mouvements des narines et de la bouche,
ils ont entre eux des rapports si intimes, qu’il
serait difficile de mouvoir isolément un de ces
deux appareils; dans l’ordre naturel, leurs mou-
vements sont toujours homologues.
Il est facile de démontrer ces faits par quelques
exemples très-précis; un jeune chien à oreilles
droites, auquel son maître présente de loin quel-
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 213
{{ que viande appétissante, fixe avec ardeur ses YEUX :
«sur cet objet dont il suit tous les mouvements, et
{
pendant que les yeux regardent, les deux oreilles
‘se portent en avant comme si cet objet pouvait être
« entendu. /
L'attention des oreilles sollicite aussi des mou-
vements dans les yeux. Ces mouvements sont
surtout remarquables dans l'espèce humaine ; l'œil
regarde alors en l'air ou de côté : en l'air, si le
bruit qu’on écoute est faible et qu’on le suppose
venir de loin; de côté, sil vient de très-près.
Si l'audition du bruit écouté est facile, Pœil est
modérément ouvert; si elle est difficile, il se place
sympathiquement dans l'attitude de la vision
. pénible.
On trouve un exemple très-curieux de ces sym- ‘
pathies dans la tendance irrésistible qui porte en
général à regarder un orateur, alors qu'on l'écoute,
bien qu’on l’entende parfaitement. Gette tendance
est si impérieuse, que toutes les causes qui la
contrarient embarrassent en même temps le mou-
vement de la pensée. Aussi, devrait-on proscrire
absolument l'interposition des objets opaques entre
le maître et les élèves, dans toutes les salles de
_ cours. Un seul tuyau de poële qui s'élève au mi-
ne & jan met
ps)
. D
eg és SEE _
er te
214 DE LA PHYSIONOMIE
lieu d’un amphithéâtre suffit pour jeter dans l’es-
prit de quelques élèves une sorte d'inquiétude
qui nuit singulièrement à l’intelligence des choses
énoncées par le professeur.
Dans l'ordre des faits ordinaires, la simple
attention de l’œil et de l’oreille ne sollicite dans
les narines et dans les lèvres que des mouvements
insensibles. Mais il n’en est pas ainsi quand l'œil
ou l'oreille, attentifs aux élémentsles plus subtils
de la sensation, cherchent à les distinguer; aussi,
LX. — Toutes les fois que l'œil ou l’oreille sont
employés comme instruments d'analyse subtile, le
nez, la bouche et les mains elles-mêmes, en tant
qu'instruments d'analyse, exécutent sympathique-
ment des mouvements analogues.
C'est ainsi que la recherche par les yeux d’un
fort petit objet qu’on s'efforce de distinguer entre
beaucoup d'objets analogues, est souvent accom-
pagnée de certains mouvements des narines et des
lèvres, dont les uns sont des mouvements de flair
et les autres des mouvements de dégustation pré-
paratoire, qui se passent entre les lèvres, les dents
et la pointe de la langue. Des mouvements ana-
logues se produisent lorsque l'attention de l'oreille
est en jeu.
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 215
LXT. — Réciproquement, lorsque le nez et la
bouche sont employés en tant qu'organes d'analyse
subtile, l'œil et l'oreille exécutent des mouvements
Sympalhiques analogues.
Cette proposition a à peine besoin de démons-
tration. Je suppose qu'il s'agisse ici de saveurs
Qui n'aient point d'influence appréciable sur les
mouvements viscéraux ; qu’il s'agisse par exemple
de découvrir dans un mélange des traces d’alcool ;
l'œil exécute dans ce cas des mouvements pareils
à ceux qui se produisent lorsqu'il s’agit de décou-
vrir de forts petits objets. La tête fait en même
temps mine d'écouter finement et il faut remar-
quer que c’est du côté qui semble écouter que les
mouvements sympathiques de l'œil sont en géné-
ral plus prononcés. |
On peut résumer ainsi ces choses :
Toutes les fois qu'un organe des sens est attentif
à un objet, tous les autres organes donnent sym-
Pathiquement des signes d'attention, et ces sympa-
thies sont en général plus marquées entre les or-
ganes de même espèce qu'entre des organes de
Catégorie différente. 5
LXII. — Dans tous les cas qui nous ont jus-
qu’à présent occupés, il s'agissait de mouve-
—————
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216 DE LA PHYSIONOMIE
ments d'attention simple, concentrés sur des choses
extérieures. Or, il peut arriver que l'attention ait
au contraire pour objet certaines sensations inté-
rieures, certaines modifications organiques succé-
dant à une sensation de cause externe, en un mot
certains sentiments.
C’est ainsi que certaines odeurs éveillent en nous
des sentiments de dégoût ou de volupté. Il en est
de même de certaines saveurs, et, plus particu-
lièrement de celles que perçoivent le palais et
l’arrière-bouche.
Ces sentiments, lorsqu'ils sont agréables, sont
caressés et assimilés, si j'ose le dire ainsi. Autant
l'organisme rejette et secoue la douleur, autant
il appelle à lui le plaisir; il le savoure, il le
médite. La douleur est une étrangère qu’on re-
pousse, mais le sentiment du plaisir s’identifie
avec le sentiment même de la vie ; aussi les mou-
vements de la douleur ont-ils quelque chose d'érup-
tif, tandis que la volupté se manifeste dans un
sens personnel et réfléchi. Elle s’isole du monde
et s’enveloppe avec des joies intimes.
La volupté est comme un écho, un retentisse-
ment sucessif dans tous les viscères de certaines
impressions agréables, enivrantes, analogues au
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. Pile
chatouillement. Ces impressions résultent plus
naturellement du toucher, de l’olfaction et du goût,
que de toute autre sensation. L’œil et l’oreille
peuvent, il est vrai, donner lieu à des impressions
voluptueuses, mais d’une façon moins directe et
moins habituelle ; ils sont, si je puis le dire, plus
près de l’intelligence et moins de la vie organique.
Or, les mouvements sympathiques étant d'autant
plus fréquents dans un organe qu’il est plus natu-
rellement porté à des mouvements directs d’un
ordre analogue, il sera facile d’accepter a priori
les propositions suivantes, que l'observation dé-
Montre ensuite d’une façon évidente.
LXIIL. — 1° Toutes les fois qu'une sensation
née du toucher, du goût ou de l’odorat éveille un
sentiment de volupté, l'être vivant absorbé par la
Contemplation exclusive de ce sentiment repousse
loute autre espèce de sensations, et condamne à
linaction tous les organes qui pourraient jeter à
la traverse de ces douces impressions, des im-
Pressions étrangères.
C’est ainsi que l’action de savourer une odeur
Où une saveur porte à fermer les yeux. Je pourrais
même dire qu’elle oblige de fermer les oreilles:
et, en effet, dans le mouvement de déglutition qui
13
Rs nt "009 ere EN OR nn SE con
va y AR RE " 2 es PP aet SE :
eee
Li
218 DE LA PHYSIONOMIE
accompagne presque toujours la dégustation des
saveurs agréables, certaines modifications de
l'arrière-gorge rendent l'audition à peu près im-
possible.
Dans ce mouvement, l'œil va chercher les ténè-
bres sous la paupière; le muscle pathétique agit
comme dans la défaillance ou dans la mort. Dans
certains cas moins tranchés, les yeux se ferment à
demi et la prunelle se noie sous la paupière supé-
rieure comme si le sommeil arrivait. Ce mouve-
ment est très-marqué pendant l'inspiration qui
suit la déglutition voluptueuse.
Ces choses sont si vraies qu'il serait impossible
peut-être de trouver un homme qui se délectât
sous l'impression d'une odeur ou d’une saveur
sans fermer les yeux au moins à demi, ce que ne
doivent point oublier les peintres. Ces mouvements
des yeux sont les mêmes lorsque la peau est le
| siége de chatouillements agréables. C'est ainsi que
Îles chiens et les chats ferment les yeux sous les
caresses, en même temps qu'ils couchent leurs
oreilles; on sent qu’il ne s’agit point ici de voir ou
d'entendre, mais de savourer.
LXIV. — 2° Si l'œil ou l'oreille est le point de
départ de sensations voluptueuses, celui des deux
mme
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 219
organes qui n'est point actif, loin d’éprouver des
Mouvements sympathiques, demeure immobile, et,
Si je puis ainsi dire, complétement indifférent.
Gette proposition peut être aisément démontrée
en ce qui touche les sensations auditives. Ceux
que l’attrait du spectacle tient éveillés à la repré-
Sentation d’un opéra , plus curieux que véritable-
ment musiciens, ne peuvent passer que pour des
amateurs vulgaires. Les vrais dilettanti, les dé-
lectants, comme les appelle admirablement la
langue italienne, ferment habituellement les yeux
dans ces moments où l'ivresse est plus délicieuse-
ment chatouillante, n’ouvrant les paupières qu'à
la dérobée et retombant aussitôt dans leur rêve.
Car, il faut le remarquer ici, le vrai musicien
écoute moins les sons qui le charment, qu’il ne les
Pense. C’est en lui-même qu’il entend ces chants
que ses émotions intérieures traduisent en une
langue passionnée et vivante. Tout entier au sen-
timent qui l'absorbe, il ne vit plus que par un
Seul sens. le
Mais cette proposition , en ce qui touche l'œil,
est d’une démonstration moins facile. En effet,
bien que certaines impressions suaves et chatouil-
dantes de l'œil soient jusqu'à un certain point
LL AU
Terre
mins. = HR A
220 DE LA PHYSIONOMIE
absorbantes, elles le sont beaucoup moins que les
sensations auditives; quoi qu’il en soit, l’homme
que la couleur charme, arrivé à ce point où la
préoccupation se change en contemplation, de-
viendra sourd à tous les bruits médiocres ; mais
l'oreille à peu près immobile de l’homme ne tra-
duit point ces modifications.
LXV. — 3° Lorsque l’un des deux organes de la
vision ou de l’ouie est le point de départ d’impres-
sions chatouillantes et voluptueuses, il associe à son
action tous les organes dont le jeu sympathique
ne peut contrarter l'action principale.
C’est ainsi que l'attention voluptueuse de l'œil
est accompagnée de mouvements sympathiques de
flair et de dégustation, parmi lesquels les mouve-
ments de déglutition dominent. Rien de plus fré-
quent que de voir une femme savourant les
reflets chatoyants d’une étofle se rengorger et
exécuter une déglutition véritable, mais ce der-
nier mouvement ne se produit jamais dans l'at-
tention voluptueuse de louïe, car il contrarie
J'audition: les actions sympathiques de la bou-
che se résument alors dans un mouvement d’as-
piration.
Les mouvements sympathiques de l'organe gé-
Ses
ET DES MOUVEMENTS D’EXPRESSION. 221
néral du toucher sont très-marqués dans les deux
CaS que nous venons d'examiner. Tout le corps
reçoit alors une sorte d’impulsion ondulatoire et
semble éprouver de délicieuses caresses ; j énonce
lapidement ces faits dont l'analyse m'’entrainerait
à des détails infinis.
LXVI. — Les règles particulières que je viens de
formuler ici s'appliquent uniquement aux cas où
des sensations agréables sont éprouvées. Néan-
Moins, les sensations désagréables déterminent
aussi des mouvements sympathiques. C’est ainsi, :
Pour ne citer qu’un exemple, qu'un son aigre
oblige de fermer les yeux et détermine dans l’ap-
Pareil buccal tous les mouvements de la répulsion
et de l'horreur. Il suffit de signaler ici ces
Choses.
LXVIT.— Mais il n’est pas inutile de nous arrêter
Un instant, et dé dire quelques mots des mouve-
Ments du corps, en tant qu'ils succèdent sympa-
thiquement à des sensations ou viennent en aide
A mouvement principal.
Lorsque nous examinons un objet intéressant, il
6St dans la nature de tendre vers cet objet ou de
s'en rapprocher autant que possible ; c’est là un
acte instinctif auquel le corps tout entier se prête,
DR AD it
mg PT ds mine ==
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292 DE LA PHYSIONOMIE
et qu’on exprime par un mot admirable : attention
(tendere ad).
Il y a une très-grande différence entre les mour-
vements que le corps exécute lorsque l animal re-
garde, suivant que l’objet regardé est immobile ou
mobile.
Je suppose l'objet immobile : l'œil se dirige
vers lui, puis tout le corps s'avance dans la direc-
tion du regard, on pourrait dire qu'il & allonge et
qu'il est attiré. Dans ce mouvement, le corps
s'étend en avant jusqu'où peuvent le permettre
les lois de l'équilibre, en sorte que l'animal, après
avoir établi d'une manière ferme sa base de
sustentation, s’élance autant qu’il le peut au delà
de cette limite.
Mais l'attitude de l’homme est surtout remar-
quable. Le mouvement d'attention étant inconci-
liable avec la station bipède, on le voit alors porter
les mains en avant et s'appuyer sur tous les corps
qu’il trouve à sa portée, substituant à son attitude
habituelle une véritable station quadrupède obli-
que. Gette tendance à se porter en avant, entrai-
nant comme conséquence nécessaire le besoin
d’un appui, explique le danger qu'il y a à regar-
der attentivement un objet éloigné, du bord d'un
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 223
_ toit où de toute autre plate-forme sans balustrade.
Souvent, quand on ne trouve à sa portée aucun
objet dont on puisse faire un point d'appui, les
Mains se posent sur les genoux symétriquement
Îléchis, comme j'essaye de l'indiquer dans la figure
Suivante :
Mais l’objet peut être mobile : dans ce cas, l'œil
fixé vers l’objet le suit, et le corps s’allongeant,
S'inclinant, suit tous les mouvements de l'œil.
Jen donnerai pour exemple les spectateurs d’une
mg à etre mn: - . AT
. QU RP PP SG > di
RE Pr
224 DE LA PHYSIONOMIE
partie de boules. Ges mouvements peuvent s’exé-
cuter en quelque sorte autour d’un centre, les
pieds demeurant immobiles. Mais il peut arriver,
si l'objet qui sollicite l’attention s'éloigne, qu’on
le suive à son insu.
C’est ainsi qu’on raconte d’un mathématicien
fameux, qu'ayant écrit quelques formules dont
l'idée le préoccupait, sur la paroi postérieure
d’une voiture, on le vit, lorsqu'elle eut repris sa
marche, suivre son calcul qui fuyait devant lui,
sans s’éveiller de sa méditation. Je ne puis assurer
que cette histoire soit absolument vraie, mais à
coup sûr elle est absolument selon la raison et
selon la nature,
Les jeunes chiens donnent un exemple assez
évident de mouvements de ce genre lorsqu'ils
guettent les petits oiseaux, courant après eux lors
même que les oiseaux envolés sont hors de leur
portée. Je crois inutile d’insister plus longtemps
sur ces choses.
Ainsi, l'œil suivant le mouvement d’un objet
qui s'éloigne ou se détourne, le corps tout entier
suit le mouvement de l’œil, mais cela d’une ma-
nière bien remarquable : c’est d’abord la tête qui
est attirée, puis le tronc et enfin les jambes, en
eo ce Sn A me 0 . : ne. _. c x
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 225
a
Sorte que l'impression paraît se propager succes-
Sivement et de segments en segments jusqu'à
l'extrémité de la moelle épinière. C’est là, s’il en
fut jamais, un exemple de sympathie longitudi-
nale, Or, ce mode de propagation du mouvement
ä pour conséquence nécessaire de détruire gra-
duellement les conditions de l'équilibre du corps,
et une chute deviendrait inévitable si une jambe
ne la prévenait en se portant tout à coup en
avant, | |
On comprend alors qu’il y ait danger naturel
et imminent à considérer d’une grande hauteur
un .objet en mouvement, quelle que soit d’ail-
leurs sa position dans l’espace. Mais ce danger
est d'autant plus grand que cet objet se meut au-
dessous de l'observateur, parce qu'il sy joint
alors les effets particuliers au vertige. Il y a à cet
égard entre l'œil et le corps de telles sympathies,
que les illusions les plus singulières en résultent.
L’une des plus frappantes est celle qui s'empare
de nous lorsque, penchés sur la rampe d’un pont
Suspendu, par exemple, nous regardons l’eau
Couler au-dessous de nos pieds. On sait que dans
Une certaine condition de notre esprit et de nos
yeux , l’eau paraît réellement couler, tandis que
13,
226 DE LA PHYSIONOMIE
le pont reste immobile; mais cette apparence n'a
rien de nécessaire, et l'instant d’après l’eau
pourra paraître immobile, tandis que le pont sem-
blera courir au-dessus d’elle, et nous nous senti-
rons alors entraînés par un mouvement plus ou
moins rapide. On peut à volonté produire en soi
la conscience de l’une ou l’autre de ces deux im-
pressions; celui des deux objets sur lequel le re-
gardse fixe plus particulièrement prenant toujours
l'apparence du point immobile, à l'égard duquel
tous les autres semblent se mouvoir.
Geci posé, supposons que, penchés sur la
rampe du pont, nous regardons en amont couler
l’eau. Nous penserons courir en avant; mais Si
nous regardons en aval nous croirons marcher à
reculons. Or, chose remarquable, l'illusion n’égare
pas seulement les mouvements de l'esprit, elle
trompe en même temps ce ministre subordonné,
ce demiourgos qui règle à tous les moments de
la vie l'harmonie de nos mouvements, et nous
oscillons alors, pareils à un passager inexpéri-
menté qu'emporte une embarcation rapide. Ainsi,
l'illusion qui fait voir aux yeux le pont en mouve-
ment détermine des effets semblables à ceux
qu'amènerait un mouvement réel; lon a con-
om oo
dr LD ET NES Eee ss : mé
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 227
Science d’une chute imminente, contre laquelle on
essaye de réagir par des mouvements involontaires,
Souvent assez marqués pour être sensibles aux
yeux d’un observateur étranger.
Il est probable que la sensation de tournoie-
ment qu'on éprouve après un mouvement pro-
longé de rotation sur soi-même, entraîne la chute
Par des raisons analogues. En effet, dans ce mo-
ment, tous les objets semblent tourner. Toutefois,
je ne m’exprimerai qu'avec réserve sur ce phéno-
mène qui n’a point été l’objet d'expériences assez
Précises?, À à
L'influence des yeux sur les mouvements du
1. Ces faits s'expliquent aisément si l'on a égard à ces harmo-
hies intérieures qui nous portent instinctivement à maintenir
notre corps, et que M. Chevreul considère comme la conséquence
d'un principe général qui les domine, j'entends parler du prin-
Cipe de stabilité. Ce savant en a fait dernièrement une applica-
tion heureuse à l’explication du phénomène nerveux connu sous
le nom de mal de mer, considéré dans ses rapports avec les causes
Qui le produisent. Ses observations nous seraient ici d’un grand
Secours ; mais comme il se propose de les exposer lui-même, une
prudence respectueuse m’impose l'obligation d’attendre qu'il les
ait publiées, mon premier devoir étant de profiter de ses ensei-
&nements, et non de les devancer en m’exposant à les affaiblir.
2. L'analyse de ce phénomène pourrait conduire à des obser-
Vations du plus haut intérêt. Un homme tourne. sur lui-même les
Yeux ouverts. Au moment où il s'arrête, il lui semble que tous
les objets continuent à tourner devant lui; bien qu’en réalité
gg 2e ;
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HD RARE PRAIRIE
228 ss DH RAS PHNSIONOMIE
corps est prouvée par un grand nombre d’autres
considérations. La science est redevable sur ce
point à M. Ghevreul de plusieurs belles expé-
riences que nous exposerons dans le chapitre sui-
vant, où nous ne ferons réellement que le suivre,
en tirant des principes qu’il a posés les consé-
quences naturelles qui en dérivent.
LXVIIT. — Si le corps est mis sympathiquement
en mouvement par l’action de la lumière sur l'œil,
en revanche :l est arrêté par la sensation des
aucun d'eux ne soit déplacé. Cette remarque m'a fait supposer
qu’il pourrait bien y avoir quelque analogie entre ce phénomène
et l'illusion qui a fait assimiler le mouvement des cils vibra-
tiles dans les Systolides et les Mélicertiens à un mouvement rota-
toire. Une illusion toute pareille se produit lorsqu'on regarde
d’une certaine distance ces cercles de flammes dont certains mar-
chands décorent le soir l’arcade de leurs portiques. C’est un pe-
tit mouvement de détail qui n’amène jamais un grand déplace-
ment, et qui se comçose d’un mouvement simultané de contrac-
tions et de dilatations alternatives dans tous les éléments de la
courbe lumineuse. Toutes les fois que ces conditions sont rem-
plies, l’apparence d’une rotation plus ou moins rapide se produit,
et avec une telle intensité qu’elle trompe les yeux, alors même
que la raison prévenue met l’esprit en garde contre cette illusion.
Ainsi, il me semble probable que dans le cas particulier qui
nous occupe, la sensation de tournoiement. dépend de certaines
oscillations insensibles qui déplacent dans des limites très-étroites,
il est vrai, les axes oculaires.
Or, de cette oscillation de l'œil, résulte nécessairement, dans
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 229
ténèbres. En effet, en posant des limites à l'action
de l'œil, les ténèbres sont une limite aux mouve-
ments du corps. On s’arrête, on recule même, et
la sensation d’un obstacle qui se crée autour de
vous est telle qu’on porte sympathiquement les
Mains en avant comme pour se protéger 1.
LXIX. — Telles sont, en général, les sympathies |
de l’œil et du corps tout entier; il existe entre le
corps et l'organe auditif des sympathies analogues.
Ainsi, |
tous les éléments des images formées sur la rétine, une oscilla-
tion de détail tout à fait pareille à celle qui se produit dans les
roues des Systolides ; il y aura donc là une vague apparence de
rotation. Et, en effet, un peu d’attention suffit pour se convaincre
Que rien ne tourne, mais que les éléments de l’image se meuvent
dans un fort petit espace sans changer de lieu. Cette observation
sera surtout facile si on la répète devant un mur rayé longitudi-
. halement.
Si l’on tourne en tenant les yeux fermés et qu’on les ouvre
Subitement au moment où l’on s'arrête, les objets paraissent éga-
lement tournoyer et toujours dans un sens opposé à celui de la
Totation. L’explication de ce fait repose évidemment ici sur le
même phénomène, jé veux dire l’oscillation insensible des
yeux.
Il reste à démontrer pourquoi les yeux oscillent. C’est là un
Sujet de recherches fort délicates sur lesquelles je me propose de
. Tevenir un jour. Mais ce n’est point ici le lieu d’insister sur ces
choses. os
4. J’emprunte au beau mémoire de M. Arago sur léclipse totale
Es
se Se
me.
en
eee. 2
Ds de ae
rar
DE LA PHYSIONOMIE
Lorsque nous écoutons, le corps tout entier se
porte vers le corps sonore, dans la direction de
l'oreille qui écoute.
Cette remarque est aisée à vérifier. Lorsque
nous regardons avec attention, nous regardons, en
général des deux yeux à La fois, et le corps est
tendu vers l’objet d’une manière symétrique.
Lorsque, au contraire, nous écoutons, nous écou-
tons de côté, le cou étant tendu vers l’objet, et
l’un des pariétaux étant porté parallèlement aux
surfaces vibrantes.
Dans cette position, le corps tout entier se porte
sur un seul genou, celui du côté qui écoute, tandis
que la jambe opposée, plus ou moins tendue,
pousse le corps dans la direction du son. En même
temps, une tendance naturelle à semettre en garde
du 8 juillet 1849, les faits suivants qui sont du même ordre que
celui que je signale ici : « Quatre à cinq pages, «dit M. Arago, »
«ne me suffiraient pas si je voulais reproduire ici tout ce qui
« m'a été raconté concernant des chevaux, des bœufs et des ànes
« qui, attelés à des fardeaux, s’arrélèrent tout court quand l’é-
« clipse totale arriva, se couchèrent et résistèrent obstinément à
« l’action du fouet ou de l’aiguillon (p. 309), à l'instant où le soleil
« disparut entièrement. »
M. Fraisse de Perpignan remarque : « Que les fourmis s’arrè-
« tèrent, mais sans abandonner le fardeau qu’elles trainaient. »
(Voy. Araco, Annuaire du bureau des longitudes, p. 311, 1846.)
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 231
_ contre toute impression étrangère fait qu’une main
s’écarte du corps en faisant le geste de repousser.
Quelquefois, le corps tout entier se maintient dans
_ cette position pénible sans l’aide de la main du côté
dont on écoute, et cette main portée vers l'oreille
fait alors l'usage d’un véritable cornet acoustique.
Nous distinguerons à ces signes l'attention de
l'oreille d'avec celle de l'œil. On sent combien
toute cette mimique est simple et naturelle, et en
232 DE LA PHYSIONONMIE
effet toutes ces observations générales pourraient
être résumées en une seule proposition que nous
formulerons ainsi :
Le corps entier est dirigé vers l’objet senti, et
tendu dans la direction de l'organe du sens qui
révèle l’existence de cet objet.
LXX. — Je ne puis m'empêcher de faire ici
une remarque. C’est que l'attention est fixante de
sa nature, et que pour cette raison elle n’est
jamais sans quelque mélange d'effort. Get effort
suspend pour un instant la respiration. De là ce
besoin urgent de respirer et de bâiller après quel-
ques moments d’une attention soutenue. Cet état
estsouvent très-pénible, etcommeil est instinctif, la
volonté ne le gouverne pas, et les personnes de tra-
vail en sont souvent singulièrement incommodées.
Cette incommodité que chacun a pu ressentir
explique l'impossibilité où certaines personnes, fort
intelligentes d’ailleurs, se trouvent d'étudier des
choses dont l'analyse réclame beaucoup d’atten-
tion et de subtile délicatesse; elles n’ont point
d’haleine au travail et elles l’abandonnent bientôt
parce qu’il est à la fois pour elles une souffrance
et une cause de paralysie. C’est icile cas de remar-
quer combien les règles d'éducation sont grossières
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 233
encore; souvent, en effet, considérant la paresse
comme une sorte d’entité abstraite, comme un
Vice moral, on la punit au lieu de chercher à
la guérir. Cependant, la plupart du temps,
Cette paresse que les châtiments ne peuvent
vaincre tient, lorsqu'elle n’est pas liée à un défaut
d'intelligence ou à une passion dominante, à ce
qu’en s’efforçant de travailler , les enfants oublient
de respirer. J’ai moi-même beaucoup souffert à de”
cet oubli qui croît en général avec la préoccupa-
tion dont on est saisi. Il ne serait pas impossible
d’instituer à cet égard quelques exercices gymnas-
tiques qui préviendraient de tristes résultats. Mais
qu’il me suffise d’énoncer ces choses en passant,
leur analyse me conduirait beaucoup trop loin.
Il est cependant utile d'indiquer à ce propos
combien ces expressions s’efforcer de voir, s’eflor-
cer d'entendre, sont justes en elles-mêmes; en
effet, l'attention est toujours mêlée de quelques
mouvements d’effort qui se traduisent dans quel-
ques mouvements plus ou moins marqués du visage
ou du corps. Mais cet effort se développe sous des
formes un peu différentes dans l'attention de l'œil
et dans celle de l'oreille.
LXXI, — Quand nous cherchons à découvrir un
234 DE LA PHYSIONOMIE
objet fort petit, l'effort est complet dans sa forme.
Nous fermons la bouche avec insistance, la glotte
s'élève et se contracte; et comme les conséquences
de cet effort trop prolongé pourraient altérer la
vision, on s’y reprend à plusieurs fois, cessant de
respirer quand on regarde, et respirant pendant
les intervalles.
La plupart de ces mouvements étant, nous
l’avons dit tout à l'heure, inconciliables avec l’au-
dition, l'effort qui se produit dans l'audition
attentive se borne à une simple suspension des
mouvements respiratoires, en sorte que la bou-
.| che demeure entr’ouverte, hiante, attitude trèes-
expressive qui, se mêlant souvent à des signes ca-
ractéristiques d’impatience, est un des éléments
les plus habituels de la mimique théâtrale.
LXXIL. — Mais il n’est pas hors de propos de
revenir pour un instant sur nos pas et d'étudier
avec plus de détails l'influence que les sensations
auditives ont sur les mouvements du corps.
On sait par expérience vulgaire que les sons les
plus purs ne prennent le caractère musical qu’à
la condition d’être soumis à une certaine mesure
et rangés en un certain ordre. Ils reçoivent de cet
arrangement une puissance nouvelle; puissance
Re pt
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 235
telle, qu’à peine est-il possible de se soustraire
alors à leur influence. L’habitude seule nous em-
pêche d'admirer cette harmonie merveilleuse qui
enchaîne des milliers d'hommes, leur inspire une
_ Volonté commune, les anime d’un même mouve-
ment quand les sons d’une marche guerrière se
font entendre. Chez tous les peuples du monde,
les sons cadencés règlent le mouvement de la
danse et les évolutions des troupes armées. Ces
sons éveillent à la fois l’action et la règlent victo-
rieusement, et leur puissance est telle que des.
gens d'intelligence qui se piquent d’être maîtres :
d'eux-mêmes, s'appliquent vainement à ne point
céder à leurs impulsions dominatrices. e
Ce prodige, cette merveille que la philosophie
et la poésie ont tour à tour célébrée, n’échappe
point à l'analyse de la physiologie rationnelle ;
nous partirons dans nos explications d’un fait
imple et facile à constater. Supposons un homme
plongé dans une préoccupation profonde, et dans
ce moment étranger aux choses extérieures. Qu'un
Son éclatant et subit se fasse entendre ; éveillé
soudainement, il se dresse et demeure fixé dans
un état plus ou moins marqué d'extension et de.
roideur.
mt A D ae NE nie ve +: #
CN NT dede 7 NS Lo péen,
F a 22
236 DE LA PHYSIONOMIE
De ce fait que démontrent l'observation et l’ex-
périence, résultent deux conséquences immédiates:
1° Le son est une cause d’excitation; il arrache
subitement l'organisme au repos.
2° Le son est fixant, si je puis ainsi dire : il dé-
termine une sorte d'extension générale. Or, dans
ce mouvement, en même temps que la tête s'élève,
la jambe s’allonge; de là, une tendance naturelle
à frapper du pied la terre.
Ces choses étant posées, supposons que des
sons se succèdent à intervalles égaux. À chaque
émission nouvelle du son, la tendance au mouve-
ment sera denouveau excitée, le corps se dressera,
le pied pressera sur la terre.
Or, ce qui a lieu dans un homme se produira
également dans un autre homme; ainsi dix
hommes, cent hommes, mille hommes, réunis en
un même lieu, ressentiront l'excitation au même
instant; ils se redresseront à la fois, tous à la fois
frapperont du pied la terre. Si donc ces bruits
cadencés se produisent pendant le mouvement de
la marche, la marche sera réglée, toute cette foule
semblera n'avoir plus qu’un seul corps et qu'une
âme, et c’est dans ce sens qu'on à pu dire avec
beaucoup de justesse : un corps de troupe, un
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 237
corps d'armée. Ainsi, toute une armée sous l’in-
fluence de ces sons, ou de ces bruits, s’avance
d’un même pas. Le rhythme des bruits est-il ra-
pide, la tendance au mouvement se reproduit
souvent, la marche s'accélère. Le rhythme est-il
plus lent, la marche se ralentit d’une façon cor-
respondante.
Ces effets sont relatifs à la marche du son, au
mouvement du rhythme; quelques autres elfets
très-remarquables dépendent de la nature et de
la qualité des sons.
Ainsi, d’une manière générale, un son aigu dé-
termine une excitation plus vive qu’un son moins
élevé, et cette qualité des sons aigus s'explique
aisément si l’on considère les conditions physi-
ques de l’acuité du son. | l
Cette excitation qu’un son élevé détermine est
si vive, qu'on ne peut guère écouter une gamme
ascendante sans élever en même temps le corps,
tandis qu’on s’affaisse par l’effet d’une transition
graduelle d’un son aigu à un son bas. Le premier
éveille, le second déprime ou endort; aussi toute
marche est-elle essentiellement composée de pé-
riodes ascendantes, tandis que le chant des nour-
rices qui endorment les petits enfants se dé-
AS ccm
A ee RME 2 ;
sm RP —
j " -
238 DE LA PHYSIONOMIE
veloppera surtout en périodes descendantes ‘.
Cette influence des sons élevés produit des effets
singuliers dont l’étude serait d’un haut intérêt.
C'est ainsi que dans ces périodes musicales, où les
pas, qu'on me permette cette expression, sont
composés d’un double son, l’un aigu, l’autre plus
bas, la tête s'élève constamment au son aigu et
s'abaisse au son plus bas, en sorte qu’elle exécute
des oscillations obliques de haut en bas, et de
l'oreille qui écoute plus particulièrement vers
l’autre, et cela plus ou moins rapidement, avec
plus ou moins de mollesse suivant que le rhythme
est plus rapide ou plus lent. Si les chants chro-
matiquement prolongés descendent en mourant,
les mouvements du corps sont traînés comme les
sons eux-mêmes, et l'organisme tout entier s’as-
sociant à ces sympathies, les mouvements des
viscères eux-mêmes sont ralentis et le système
nerveux sollicité au sommeil. Ainsi s'expliquent
les singuliers effets de la musique, ces effets op-
posés par lesquels, excitant tour à tour et calmant
1. On peut, à cet égard, comparer deux chants célèbres. Je veux
parler de la Marseillaise et du Chant du Départ. La supériorité
du premier sur le second comme musique guerrière sera sentie
de tout le monde.
* ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 239
les passions, elle s'empare victorieusement de
l'âme elle-même et anéantit toute liberté. Voilà
Pourquoi, sans doute, dans son utopie de répu-
blique parfaite, Platon proscrivait certains modes
Musicaux comme indignes d’être enseignés à des
: hommes libres !.
Nous venons de voir qu’il y a, entre les sons en-
- tendus et les excitations qu'ils amènent, un cer-
tain rapport déterminé par le plus où moins d’a-
Cuité. Ce même rapport existe entre le degré
d’excitation qu’on éprouve et le son qu'on émet.
C’est ainsi que la voix de la joie est haute, celle
de la colère est suraiguë ; de même, la douleur
qui lutte jette des cris perçants, cris dont le ton
S'affaiblit et s’abaisse à mesure que la force s’é-
puise. De même, c’est sur un ton très-haut qu’on
excite la lenteur et la nonchalance; tandis que la
menace, ayant pour but d’affaiblir et de terrifier
1. Je voudrais qu’il me fût permis d’en appeler à ce sujet au
&rand ouvrage que M. Chevreul prépare sur la philosophie des:
Sciences, et qui du point de vue élevé où l’auteur s’est placé,
Pourrait à juste titre être intitulé : L'Histoire naturelle de l'esprit
humain, Ces questions y sont traitées de cette manière large qui
L’appartient qu'aux, maîtres. Plus j’avance dans cette exposition
et plus je regrette de ne pouvoir à chaque instant invoquer cette
&tande autorité.
240 SODHYLA PEYSTONOMIE
à la fois, émet des sons graves et vibrants dont le
timbre retentit et détermine le frisson. Il est évi-
dent que la lenteur apparente de ces sons n’ac-
cuse point alors un défaut d’énergie, mais indique,
au contraire, l’effort d’une puissance qui se mai-
“trise, d’une force contenue t.
Ces remarques donnent immédiatement l’expli-
cation d’un grand nombre de phénomènes; elles
permettent de concevoir comment chaque passion,
parlant une langue spontanée dont l'énergie est
relative à la sienne, produit des intonations capa-
bles d’exciter, dans la mesure même de l’excita-
tion qui les a produites. Ainsi, des cris suraigus,
effets d’une excitation exubérante, éveillent dans
l'être qui les entend une stimulation équivalente,
et sollicitent à la colère. Ils irritent l’homme le
plus grave; au contraire, des sons bas, faibles ,
traînants, attristent, tandis que les sons graves et
vibrants éveillent un instinct de contention et de
Sic quum, squalentibus arvis
_ Æstiferæ Lybies, viso leo cominus hoste
Subsedit dubius, totam dum colligit iram;
Mox ubi se sævæ stimulavit verbere caudæ,
Erexitque jubam, et vasto grave murmur hiatu
Infremuit
(Luc. Pharsaliæ, lib. I).
=.
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 241
retraite que toute l'attitude du os exprime,
dans les animaux qui se menacent.
LXXNI. —Ces choses peuventêtreainsirésumées:
1° Une sensation vive détermine l'émission de
Sons très-aigus. Pareillement des sons aigus éveil-
lent et déterminent une excitation générale pro-
Portionnée à leur acuité. Ge que je dis ici de
lacuité du son peut se dire également de la rapi-
dité du rhythme.
2° Des sons lents, faibles et bas, une voix trai-
Dante, sont l'effet d’une puissance affaiblie et
d'une volonté qui s'éteint. Réciproquement, des
accents faibles, lents, trainants, ralentissent une
action trop vive, calment par degrés les grandes
excitations et sollicitent au sommeil.
3° Des sons bas et vibrants sont l'expression
d’une volonté luttant contre l’éruption imminente
de la voix, ils ont le caractère d’une action rétro-
Stade. L'énergie de leurs vibrations sollicite à
l’action, mais leur gravité impose une sorte d’im-
Mobilité. Or, l’immobilité dans l'action, c’est la
lOideur. Aussi produisent-ils la rigidité du corps,
l'horripilation , le tremblement; leur effet immé-
diat est d'arrêter et de contenir.
Ainsi, par ces trois choses : le rythme, le
14
eee
242 DE LA PHYSIONOMIE
.
ton, le timbre, les animaux entrent dans la com-
munication d’une vie commune, une harmonie
nécessaire s'établit entre eux, et ils vibrent à
l'unisson les uns des autres. Sous ce point de vue;
l'oreille est surtout le sens social, tandis que l'œil
est Le sens de la pensée intérieure et de l’intelli-
gence pure. Aussi les intelligences créées sont-elles
surtout entendement, tandis que l’être infini s’ap-
pelle lumuëre.
LXXIV.— Le jeu des organes de l’olfaction, du
goût et du toucher, amène également dans le corps
tout entier des mouvements sympathiques.
Or, ces mouvements diffèrent singulièrement,
suivant qu’ils répondent à la recherche extérieure
de l’objet, ou à la contemplation intérieure de
l'impression qu’il a produite.
Dans le premier cas, les mouvements se rappro”
chent de ceux de l'attention, leur caractère est-
expansif. Dans le second, ces mouvements on
une grande analogie avec ceux de l'intention, si je
puis me servir dans ce sens de cette expression
remarquable, leur caractere est essentiellement
réfléchi où intuitif ?.
4. Si les néologismes n'étaient pas à redouter dans notre lan”
gue, je serais tenté de proposer ici le mot intentif qui s’opposerait
7 ue "hi SR SO TR
ELLE ere
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION, 243
ee Se A ne
Il y a, à cet égard, entre les mouvements que les
Organes des sens sollicitent, une différence très-
Srande, et cette différence trouve sa raison dans
le mode de leur action, dans leur essence même,
Si je puis ainsi dire.
C'est ainsi que, l'œil, l’oreille, et dans certains
Cas le toucher, nous donnant des sensations, la
nature ou l'habitude de notre intelligence nous
Porte immédiatement à les considérer comme ex-
iérieures. En sorte que, par une illusion singu-
lière, nous nous sentons, nous nous voyons au
Milieu des objets que cette sensation nous repré-
Sente, bien qu’en réalité nous les contemplions en
nous-mêmes, comme la plus simple observation
le démontre.
Ainsi, nous nous imaginons voir bien loin de
Nous, et dans une perspective infinie, les diffé-
rentes choses visibles, les eaux, les forêts, les
Montagnes, le ciel, tandis qu’en réalité nous ne
Contemplons qu’un tableau microscopique peint
Sur notre rétine.
De même, nous entendons bien loin de nous les
Sons d’un cor que l'écho nous renvoie, tandis
vec tant d’évidence au mot attentif. Mais il ne m'est pas permis
de l’employer.
D as a
244 DE LA PHYSIONOMIE
qu’en fait nous n’entendons directement que les
vibrations intérieures de notre bulbe auditif.
Cette illusion, qu’elle résulte d’une disposition
première de la nature ou de l'habitude, a sur nos
mouvements une influence remarquable et néces-
saire ; elle nous porte à sortir en quelque façon de
nous-mêmes ; si bien que l'attention de l’œil et de
l'oreille a, dans sa forme générale, un caractère
évident d'expansion.
Or, il n’en est pas tout à fait ainsi des mouve-
ments d'attention qui accompagnent les sensa-
tions de l’odorat, du goût et certaines sensations
cutanées.
Si le besoin que l’animal ressent éveille le dé-
sir ou l’idée de l’objet qui le doit satisfaire, l'être
exécute des mouvements de recherche dont la
forme estévidemment et nécessairement expansive.
Mais, l’objet une fois trouvé, une fois possédé,
l'animal s’en empare; il l'amène à lui, l’'embrasse,
l'enveloppe, le cache, et tout son corps prend
alors une attitude contractée, égoïste, avare. Il
ferme les yeux, ses oreilles se couchent; il s’ac-
croupit en voûte, et ces mouvements sont d'autant
plus marqués qu’il s’y mêle un nfouvement de
crainte de voir sa proie lui échapper. Puis, ces pre-
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 245
LS |
Miers mouvements passés, l'animal, maître de sa
Proie, commence à la savourer. Il y applique ee
SOn attention, toutes ses forces.
Alors, ainsi que nous l'avons vu plus haut,
C'est moins l’objet lui-même qu'il savoure, que les
Sensations que cet objet détermine. C’est là une
Volupté immédiate qu’il considère en lui-même:
il ne revêt point de ces sensations l'idée d’une
Chose extérieure pour se la mieux représenter; en
réalité, il ne voit que lui-même sentant et savou-
rant, il n’est attentif qu’à ses impressions intimes.
Ges mouvements ne peuvent donc avoir la forme
d’une expansion vers le monde; mais ils expri-
Ment un retour vers soi et se rapprochent singu-
lièrement de ceux qui accompagnent la réflexion,
OU pour m’exprimer plus he la contempla-
tion intérieure.
C’est ainsi que tout homme qui déguste ramène
ses bras contre son corps; sa tête se fléchit, ses
Yeux se ferment à demi, si bien que le mouvement
d'attention se réduit à une extension partielle et à
Peine apparente du corps. Ce que je dis ici du
Soût peut se dire également du sens des odeurs,
$t à certains égards du sens cutané lui-même.
L’analogie singulière qui rapproche de la ré-
14,
DE LA PHYSIONOMIE
flexion ces actes divers a frappé à juste titre les
plus vulgaires observateurs, comme le prouvent
les expressions naturelles du langage familier.
C’est ainsi qu’en ayant égard au mouvement d’ab-
sorption qui les caractérise, le mot rwminer ex-
prime à la fois et d’une manière aussi vraie que
pittoresque la réflexion stupide des brutes et
l'idiotisme majestueux de la pensée intérieure.
LXXV. — Ces observations nous révèlent des
analogies nouvelles entre le sens de l'olfaction,
celui du goût et même celui du toucher, ils se ré-
pondent sympathiquement et leurs actions sont
en quelque sorte inséparables. Aussi voit-on les
enfants qui se régalent d'un mets savoureux, se
caresser l'abdomen, et réciproquement les caresses
cutanées amener un mouvement de déglutition
très-marqué. Les yeux et les oreilles, au contraire,
se ferment alors, l’être se suffisant en quelque
sorte à lui-même et s’isolant du monie extérieur.
Les sensations génitales donnent lieu à des re-
marques analogues ; semblables, en effet, au cha-
touillement, leurs sympathies s’exercent surtout
sur les organes des sens inférieurs. Je citerai, à cet
égard, ces mouvements des narines, des lèvres et
de la langue si habituels aux ruminants et aux
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 247
_ boucs, ces animaux lubriques auxquels les anciens
avaient emprunté la forme idéale de leurs pans et
de leurs satyres. Ces remarques pourraient nous
conduire à des développements infinis; mais je
dois me borner ici aux choses essentielles.
LXXVI.— Les propositions que nous venons de .
: développer s'appliquent avec une grande évidence
aux sensations agréables, et elles semblent égale-
ment convenir aux sensations pénibles, à quelques
exceptions près que nous allons examiner.
En général, toute sensation douloureuse dont le
| Siége est à la périphérie du corps, possède au plus
haut degré le caractère excitant. L'animal, ainsi
que nous l'avons dit plus haut. se révolte contre
cette douleur, il fait effort contre elle et les mu-
marque évidente de cet effort. De même, l'homme
qu'une douleur excessive tourmente s ‘agite avec
. fureur; il essaye par tous les moyens possibles
d'échapper à ses étreintes, de briser ses liens in-
visibles, et tous les mouvements de son corps
rappelant ceux d’un combat suprême, le langage
le moins figuré peut employer avec la plus grande
justesse ces expressions : lutter contre la douleur,
la vaincre, S'en délivrer.
_ gissements ou les clameurs qu’il pousse sont la
2
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ELA
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b FD
DE LA PHYSIONOMIE
Ainsi voit-on les malheureux qu’une grande
douleur possède, se roidir de toutes leurs forces,
serrer les poings et les dents, et pousser avec une
insistance furieuse ; leurs muscles tremblent, leur
corps se couvre de sueur, et les organes des sens
expriment dans la sphère de leur activité une
douleur sympathique. D’autres fois, au terme de
l’impatience et du désespoir, l’homme essaye de se
dépouiller; il déchire ses vêtements comme pour
détacher de soi cette robe de Nessus ; 17 veut s’en-
fuir, il s’élance, il veut en quelque façon sortir
de lui-même, son cou s'étend et se détache des
épaules comme si l’âme voulait s'envoler en
emportant. avec elle la tête, son organe es-
seutiel.
Ceux qui ont éprouvé de grandes et longues
douleurs, telles que les douleurs néphrétiques,
. Savent bien que je n’imagine rien dans cette ex-
position des sympathies de la douleur et que mes
expressions traduisent la réalité. Ainsi les dou-
leurs extrêmes ont, comme la joie, un caractere
essentiellement éruptif; et ce que je dis ici des
douleurs extérieures s'applique également aux
douleurs intimes. De là cette inquiétude, ce be-
soin incessant de changer de lieu, dont sont tour-
e
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 249
Mentés la plupart des malades. Dans l'angoisse
Qui accompagne l'invasion des maladies pestilen-
ielles, le premier mouvement est de s'enfuir.
Toutefois ces faits, bien que vulgaires, 1 ne se pro-
duisent pas toujours.
Et, en effet, certaines douleurs intimes, loin de
Soiliciter des mouvements d’éruption, semblent, au
Contraire, isoler l’être vivant du monde par un re-
tour complet vers lui-même. Cette absorption
Peut-être portée si loin qu’il devient alors insen-
. Sible aux excitations extérieures. Cette forme de la
douleur a donc avec celle de la volupté une sorte
d’analogie. Mais les expressions sympathiques qui
se développent alors ne permettent pas de les
Confondre; en effet, tous les signes de l’indiffé-
rence et du dégoût se développent alors vers le vi-
Sage, et l'abandon du corps est tel qu'il donne
l’idée d’une paralysie générale. Cette forme con-
centrée de la douleur parait surtout se produire
lorsque des lésions profondes, troublant ou arré-
tant l'action des principaux viscères, ébranlent
les bases et les fondements de la vie.
LXXVII. — Telles sont les sympathies qui modi-
fient la surface du corps. Disons maintenant un
mot de celles qui agissent sur les viscères. Il
RS gr Ua
va
Pre
er u PE
à & sa «
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ne
nee ME
SORTE Fe Lier is
rep
ST Te ee PR
250 DE LA PHYSIONOMIE
ER
suffira d’énoncer quelques propositions très-gé-
nérales.
1° Toute cause capable d’exciter le système
nerveux cérébro-spinal sollicite au mouvement,
non-seulement dans le système entier des muscles
Périphériques, maïs encore dans toute l'étendue
du système viscéral.
Ainsi une excitation modérée détermine, en
même temps qu’une tendance au mouvement ex-
térieur, une accélération dans le rhythme des
mouvements du cœur, et dans la succession des
mouvements respiratoires; des observations nom-
breuses permettent d'admettre que les viscères
hypogastriques ressentent en même temps les
effets de cette excitation.
Une excitation excessive capable de solliciter
outre mesure la contraction des muscles périphé-
riques et d'amener la roideur, peut déterminer
dans les muscles viscéraux des contractions spas-
modiques capables de suspendre les fonctions des
organes. C’est ainsi qu'un excès de contraction
tétanique peut arrêter les mouvements du cœur.
Cet effet se produit fréquemment dans le pa-
roxysme de la colère, et détermine une pâleur su-
bite du visage.
a
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 251
Des effets analogues peuvent se produire dans
le système des organes respiratoires, et dans ce.
.Cas la dyspnée et l'angoisse surviennent, soit à
l’occasion d’un spasme du poumon ou d’une con-
traction de la glotte, soit à la suite d’une roideur
tétanique des muscles du thorax. Nous ayons parlé
plus haut des congestions périphériques que ces
différents états déterminent.
Enfin, des effets semblables sont ressentis dans
les viscères hypogastriques, mais l'excitation ex-
cessive de la colère peut-elle amener un spasme
tétanique des conduits biliaires d'où résulterait
une suffusion de bile ? Ces choses ne peuvent être
qu'indiquées ici, mais nous en avons dit assez,
j'ose du moins l’espérer, pour en faire comprendre
l'importance.
2 Toute cause capable d'affaiblir ou de para-
lyser l’action nerveuse agit à la fois sur les sys-
lêmes de la vie animale et sur le système viscéral.
Ainsi, les causes qui ralentissent la production
du mouvement dans les muscles périphériques,
se propagent dans la profondeur des viscères.
Elles ralentissent les mouvements du cœur, para-
lysent l'appareil respiratoire et relâchent les ca-
_Vités hypogastriques. C’est ainsi que les grandes
|
\
\
252 DE LA PHYSIONOMIE
commotions, en même temps qu’elles suspendent
l'innervation dans les muscles volontaires, déter-
minent une sorte de diffluence, d’où résultent des,
effets presque subits chez les natures faibles et
‘impressionnables. Aussi dans beaucoup d’expé-
riences physiologiques, voit-on les animaux ré-
pandre leurs excréments. La plupart des grandes
douleurs sont sympathiquement ressenties dans
les viscères : elles portent au cœur; elles suffo-
quent. Ges choses n’ont pas besoin de commen-
taires,
LXX VIII. — Mais puisque j'ai parlé de commo-
tions, il ne sera pas inutile, je pense, de dire ici
quelques mots d’une de leurs conséquences les
plus habituelles. Je veux parler de l’éconnement,
dont l’analyse trouve ici sa place naturelle.
L'étonnement est la suite ordinaire d’une
grande impression subite, Nous n’essayerons point
d'expliquer à la manière des cartésiens les mou-
vements du fluide nerveux d’où l’étonnement ré-
_Sulte, mais nous essayerons de déterminer expéri-
mentalement dans quelles circonstances il modifie
l’organisation.
Formulons en premier lieu deux règles fonda-
mentales :
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 253
A. Toutes les fois qu'une impression d'une cer-
laine vivacité frappe subitement l'organisme,
la conscience des impressions concomitantes s’uf-
aiblit et peut même s'éleindre d'une manière
complète. |
Gette règle répond à cet aphorisme célèbre
d'Hippocrate : « Duobus doloribus simul obortis
fon in eodemn loco, vehementior obscurat alte-
um. » (Aph. Sect. 2. 49.) Elle domine en patho-
logie toute la théorie des révulsions. On dirait que
l’âme tout entière se concentre alors dans la con-
templation de l'impression dominatrice et qu’elle
_ (St attirée vers un seul organe. C’est ainsi qu'un
_ Son terrible et soudain venant à frapper inopiné-
ment l'oreille, l’œil cesse de regarder et de voir.
Voici la seconde règle expérimentale :
B. Une tendance particulière au mouvement
S’éveille duns les organes dont on «à la conscience
Acluelle, c'est-à-dire sur lesquels l'attention de
l'âme est dirigée. Elle s'éteint au contraire dans
Ceux où ne s'élèvent point des sensations dis-.
Unctes. ; ‘,
C’est ainsi qu’il suffit d’écouter les battements
de son cœur pour les sentir bientôt s’accélérer ;
Nous avons vu plus haut que lorsqu'un organe des
15
k
DRAC RES
PA ERTRE
ï
|
|
|
î|
+
RE ren té oo
254 DH LA PHYSIONOMIE
sens est seul attentif, il dirige et diminue sympa-
thiquement l’action de tous les autres organes.
Toutefois au terme d'une attention absolue,
\ lorsqu'elle est exclusive, absorbante, ces sympa-
thies cessent de se produire; les autres organes
semblent oubliés. Dès lors, des phénomènes de
résolution paralytique se développent de toutes
parts : la bouche, abandonnée à son propre poids,
s’entr'ouvre: les bras retombent, les jambes flé-
chissent, les mouvements du cœur lui-même sont
ralentis, et ce ralentissement peut aller jusqu’à la
syncope.
LXXIX. — Sur ces remarques est basée toute la
théorie de l’étonnement. Je suppose qu’une grande
lumière vienne tout à coup à luire aux yeux
d’un homme et le surprenne au milieu d’une nuit
‘profonde; cette grande impression anéantit la
conscience de toutes Îles sensations étrangères ;
son œil s'ouvre démesurément; mais, en vertu de
la deuxième règle (S LXXVII. B), tout le reste re-
tombe; la mâchoire inférieure s’affaisse, les joues
pendent, et cela d’une manière passive, sans au-
cune apparence de contraction; les lèvres sem-
blent paralysées, la voix s’éteint; en même temps
les bras se détendent et le corps tout entier s’af-
LE
. ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 255
laisse, Ces choses sont grossièrement indiquées
dans la figure suivante.
Dans ce mouvement, toute l’activité de la vie :
Semble s’être concentrée dans l'organe oculaire.
D
|
a. c.
5 le,
%
L'œil s'ouvre d’une manière démesurée ; la pru-
elle, découverte de tous côtés, semble nager
dans le blanc de la conjonctive; enfin la paupière
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aa
256 DE LA PHYSIONOMIE
supérieure et le sourcil, énormément élevés, sont
entraînés par la corrugation du front. Il peut
arriver que ces mouvements se produisent au
milieu d’une stupéfaction telle, que le mouvement
intérieur de la pensée est suspendu. L’étonne-
ment reçoit alors le nom caractéristique de stu-
peur.
Cette résolution subite du mouvement muscu-
laire, cette paralysie ou plutôt cet abandon instan-
tané du corps, ont fait comparer à juste titre
l’étonnement à l’état d'un homme frappé d’un
coup de tonnerre; de là le mot étonné (attonitus),
c'est-à-dire foudroyé.
L’étonnement que produit uñe sensation audi-
tive subite donne lieu à des mouvements analo-
gues, sauf quelques modifications légères; c’est
ainsi que dans ce cas la tête se porte légèrement
de côté, les yeux sont également très-ouverts,
mais leurs axes s’abaissent et convergent. La pu-
pille est le plus souvent énormément dilatée. Le
mouvement de l’œil est alors absolument sypa-
thique, et la dilatation de la pupille indiqie qu'il
est dirigé sans conscience, sans motif qui lui soit
propre. Dans tout le reste du corps, les mouve-
ments passifs de paralysie dominent.
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 251
Cette paralysie ou plutôt cette suspension du
Mouvement vital ne s'étend pas seulement aux
muscles qui accomplissent les actions volontaires,
elle envahit successivement tous les organes de
la vie végétative. Les mouvements respiratoires |
S'arrêtent, le cœur cesse de battre, les actions in-
testinales sont suspendues. De ces différentes
Causes résulie la päleur; toutefois, il ne s'y
Mêle aucun sentiment d'angoisse. 1 n'y à dans
l'étonnement ni dyspnée, ni rigidité, ni douleur.
. Ces choses distinguent l’'étonnement simple d'avec
l’épouvante.
J'insiste à dessein sur ces observations ; j’y re-
Viendrai ailleurs. Quoi qu’il en soit, je dirai par
änticipation qu'il y à orthopnée dans l’épouvante
ét affaissement dans la stupeur. Celle-ci est carac-
térisée par une résolution complète, par une sorte
de syncope des muscles; la rigidité et les
Spasmes tétaniques sont au contraire les signes
habituels de l'effroi; en un mot, l’un est une con-
bulsion, l'autre une paral yste. Ge que les peintres
ne devraient jamais oublier.
LXXX. — Nous résumerons en quelques mots
les propositions générales émises dans ce cha-
Pitre,
en Re PMEre rs
nn es PR CE EST MR
5 - e de æ ve + ce n
nttenn “AreRÉ SV Énteere d'éfetiens Tnt re rhte in Een ee
et
DE LA PHYSIONOMIE
4° Les mouvements directs qu’exécutent les or-
ganes des sens sont accompagnés de mouvements
sympathiques dans tous les organes capables de
ressentir des impressions d’une nature analogue.
‘2% Les sensations réfléchies ne sont accompa-
gnées de mouvements sympathiques que dans les
organes dont l’action ne peut se substituer à l'ac-
tion principale.
3° Les mouvements sympathiques qui pour-
raient empêcher ou contrarier l’action principale
ne se produisent jamais à l’occasion d'une sensa-
tion directe ou prosbolique.
4° Lorsqu'un objet éveille douloureusement la
sensibilité de. l'animal, les mouvements sympa-
ym}
thiques se développent tels qu'ils se produiraient
si les organes des sens étaient le siége d’impres-
sions analogues. La même remarque se reproduit
à l'égard des impressions qui ne sont que gê-
nantes.
5° Lorsqu'un mouvement se produit directe-
ment ou idiopathiquement dans un organe, des
mouvements sympathiques se développent, d’un
côté à l’autre, dans les organes symétriques et,
le long de l'animal, dans toutes les parties homo-
logues des segments vertébraux.
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 259
6° Dans ce cas, le mouvement sympathique ou
_Îmitateur a toujours une énergie inférieure à celle
du mouvement idiopathique. |
7 Si des sympathies générales se produisent,
elles sont en général plus marquées du côté du
Corps qui est primitivement affecté,
8° Toute sensation vive a dans les viscères des
létentissements sympathiques. Ces mouvements,
le plus souvent spasmodiques, se développent chez
les divers individus d’une même espèce sous des
formes très-variées. Toutefois, il est possible d'y
découvrir certaines règles qui, d’une manière gé-
nérale, dominent ce développement.
9% Toute sensation douce est attirante de sa
Nature, mais dans une direction variable: cette
direction diffère en effet suivant que l’objet
éSt extérieur, ou intime et personnel. C’est ainsi
ue la joie dont l'objet est extérieur se déve-
loppe au dehors et rayonne en quelque sorte,
tandis que la volupté dont l’objet est intérieur,
détermine des mouvements dont la forme est
réfléchie.
10° Toute sensation mauvaise est le plus sou-
vent repoussée. Elle détermine en conséquence
des mouvements expulsifs, des mouvements de
RÉ
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|
14
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Terme
260 DE LA PHYSIONOMIE
révolte. Le corps là chasse comme une ennemie
ou comme une étrangère.
11° Toutefois, quand l'attention se porte sur
quelque douleur sourde et profonde, des mouve-
ments de réflexion ou d'absorption peuvent se
mêler à certaines formes expulsives de la douleur
et produisent ainsi une expression mixte qui est
celle de la tristesse.
12° D'une manière générale, l'attention peut être
définie l’application de la volonté à l'examen
d’une chose sensible. Cette application produit
des attitudes fixes et n’est jamais sans quelque
mélange d'effort sympathique.
43° L’attention qu'attire un objet visible porte
à se diriger vers cet objet et à se mouvoir comme
lui. L’attention de l'oreille donne lieu à des re-
marques analogues.
14° L’attention de l’odorat, du goût et du tou-
cher incline le plus souvent à la forme réfléchie
et déterminée, en conséquence des expressions
mixtes où l’expansion et la réflexion dominent
alternativement.
15° Certaines sensations, telles que les sensa-
tions auditives, sont éminemment excitantes et dé-
terminent au mouvement; et suivant qu’elles sont
ER A vero D Pl Vu tpm fn és 6 A dé Sd NC à M di
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 261
Plus ou moins excitantes, elles y déterminent plus
OU moins. De là des variations continuelles dans
la rapidité du mouvement général, dans son in-
tensité, et par conséquent dans le degré de lex.
Pansion corporelle qui répond à l'impression res-
Sentie. :
16° Lorsqu'une impression excessive saisit tout
d’un coup l'organisme, les actions vitales sont sus-
bendues dans les organes sympathiques, et l'on
voit se développer dans le corps entier des sy mp-
tômes d’affaissement et de paralysie.
TROISIEME PARTIE
DES MOUVEMENTS SYMBOLIQUES.
LXXXI. — Les mouvements idiopathiques, les
mouvements consécutifs et les mouvements sym-
pathiques se produisent à l’occasion d’une sensa-
tion venue d’une chose extérieure ou du moins
d’une sensation localisée.
Mais des mouvements analogues peuvent se
produire par des causes un peu différentes, je
veux dire à l’occasion d’un mouvement de l’ima-
gination et de la pensée.
C’est là une conséquence naturelle d’un fait
lrès-remarquable que Wolf a fort habilement dé-
veloppé dans sa psychologie.
Phantasmatis respondent ideæ materiales in
_Cerebro !.
Or, ces images matérielles (ideæ inateriales),
1. Psychol. ration. Sect. I, ch. ui, S 206.
DE LA PHYSIONOMIE
sont des représentations des choses extérieures,
ou, pour m'exprimer plus clairement encore, elles
sont en tout semblables aux idées immédiates
qu’éveillent en nous des sensations actuelles. Il
est donc naturel qu’elles soient #maginées dans
les conditions mêmes où ces sensations se produi-
sent le plus habituellement, et par conséquent
rapportées à quelque chose d’extérieur. C’est ainsi
que nous concevons comme extérieures les choses
visibles que nous imaginons; que nous entendons
hors de nous les sons dont l’idée occupe notre
pensée.
Il est donc naturel qu’en écoutant en nous, nous
fassions mine d'écouter au dehors, qu’en contem-
plant dans notre pensée une image idéale, nous
dirigions nos yeux vers le lieu de l’espace où cette
chose est imaginée ; en un mot que nos idées dé-
terminent des effets à peu de chose près sembla-
bles à ceux que détermine un objet réel, capa-
ble de déterminer des sensations pareilles.
Ainsi, par une illusion irrésistible, l'instinct et
la volonté recherchent au dehors ces objets inté-
rieurs de la pensée, le désir s’y laisse attirer, la
volupté les caresse, la haine les attaque ou les
fuit. |
mo 5 ME
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 265
D Sn
RE
Nous développerons ces faits en quelques pro-
Positions très-générales : | :
Eh est impossible de voir, d'écouter, de
Îlairer, de goûter, de toucher une chose en
imagination sans exécuter en même temps les:
_ Mouvements qui, dans la sphère des actions exté-
rieures, répondent idiopathiquement ou sympa-
thiquement à ces actions diverses.
2° Il est impossible de vouloir, de désirer,
d'agir en un mot par la pensée sur ces images
| extérieures, sans exécuter les mouvements ou du
Moins un indice de ces mouvements qui, dans
Tordre de la vie extérieure, répondent à ces
actions.
Ges propositions sont sommairement démontrées
par lobservation des hommes qui rêvent, des
Somnambules et des hallucinés. Or, nous donne-
rons à ces mouvements qui résultent du jeu de |
l'imagination et de la pensée créatrice, le nom de}
mouvements symboliques.
sm
Ces mouvements symboliques sont une image
des mouvements directs, image adéquate dans
Certains cas, mais le plus souvent incomplète,
ébauchée, Ils en diffèrent d’ailleurs par certains
lraits caractéristiques dans la plupart des cas, et’
gt on or tte mn
266 DE LA PHYSIONOMIE
pour des raisons qu’il n'est pas inutile de déve-
lopper ici.
LXXXIT, — Il y a deux sources de sensations
et de pensées; le monde extérieur et l’imagi-
nation.
De ces deux mondes naissent incessamment,
dans l’état de veille, des impressions simultanées,
quelquefois harmoniques, d’autres fois contraires,
et ces impressions sont dans la vie de l'homme
alternativement dominatrices.
Ainsi, parfois l’imagination l'emporte, ce que
l’on voit surtout dans les hallucinations et dans
l’'extase. Mais le plus souvent et dans l’ordre
habituel des choses, les impressions venues du
monde extérieur dominent, leurs teintes sont plus
accentuées et plus vives et elles obscurcissent jus-
qu'à un certain point les sensations venues du
monde idéal.
Idecæ materiales in motu minusceleri consistunt,
st phantasmati quam si ideæ sensuali respondent,
dit Wolf avec une grande justesse? Hobbes recon-
naît également cette vérité : « Ces images, dit-il,
sont plus confuses quand on est éveillé, parce
qu'alors quelque objet présent remue ou sollicite
continuellement les yeux ou les oreilles, et, en
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 267
us
lenant l'esprit dans un mouvement plus fort,
l'empêche de $ apercevoir d’un mouvement plus
faible. »
Dès lors, la liberté que l’homme possède d’ap-
bliquer à son gré son attention aux choses du
monde et aux choses. de l'imagination implique
en lui l’existence d’une faculté nécessaire, le pou-
voir de faire prédominer à son gré l’une ou l’autre
de ces deux catégories d’impressions. |
Gette faculté met en usage des procédés fort
simples que nous n’aurons aucune peine à ana-
lyser ici.
EXXXIIT. — Je suppose que deux images for-
mées au foyer de deux lentilles, l’une faiblement
éclairée, l’autre pleine de lumière, soient recues
en un même point sur un écran. De ces deux
images, la plus forte éteindra la plus faible;
celle-ci disparaîtra comme la clarté d’une lampe
à la lumière du jour. Or, il est évident que le
Moyen le plus simple de faire apparaître l'image
la plus faible est d’affaiblir l'intensité de la plus
forte ou même de l’intercepter tout à fait.
Deux bruits viennent simultanément frapper
Voréille, L'impression du bruit le plus fort afai-
blira le sentiment du bruit le plus faible, Ainsi,
Se
eme
? 4°
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LE:
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14
je
D rE
268 DE LA PHYSIONOMIE
dans les quartiers populeux, les bruits de la rue
rendent sourd aux conversations particulières.
Que fait-on dans ce cas? on éteint ces bruits im-
portuns, on les intercepte en fermant les fenêtres
et les rideaux des appartements, et le bruit le
plus faible devenant à son tour dominateur, peut
être distingué et clairement entendu.
Ge cas d’une double impression, l’une forte et
l’autre faible, est à chaque instant réalisé dans
l’état de veille.
L’impression forte vient le plus souvent du
monde extérieur; l'impression faible de l’imagi-
nation. Ges deux impressions existent et agissent
simultanément; toutelois, ainsi que nous venons
de le dire, l'impression imaginaire est dissimulée,
ce qui arrive pour plusieurs raisons fort nécessaires
à bien apprécier, à savoir :
40 Par l'effet d'une impression de même ordre
venue du monde extérieur. C'est ainsi qu'il est à
peu près impossible d'imaginer une odeur quand
on en sent une autre. De même peu de gens ont
la faculté de s’abstraire assez pour imaginer ou
simplement retrouver quelque chant familier, au
milieu de l’exécution d’un concert.
2 Par l'effet d'une impression venue du monde
D
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION: 269
es NRESR
exlérieur, bien qu’elle soit d'un ordre différent.
Cest ainsi qu'une grandé douleur, un grand
tumulte, s’emparant de toutes les forces de l’être
sensible, rendent fort difficile l'application de
l'esprit aux sensations intuitives.
3° Par l'effet d'une attention trop vive, portée
à certaines actions que le corps exécute. C’est
ainsi qu’en s'appliquant à quelque travail manuel
fort délicat ou à quelque exercice de gymnastique
| difficile, on ne peut diriger à son gré les mouve-
ments de l'imagination, si bien que la pensée n’a
plus aucune liberté réelle.
LXXXIV. — Il résulte de ces remarques que
la liberté de s'appliquer aux impressionsintuitives
suppose : | FES
1° L'absence de toute impression extérieure
distincte, de même ordre que l’impresssion intui-
live, C’est ainsi qu’en général on imagine mieux
dans les ténèbres des objets visibles; de même
un musicien, quand il se livre à la composition,
recherche en général le silence.
% L'absence de toute impression étrangère trop
vive et surtout de toute impression génante. Des
liens serrés autour du corps, des vêtements trop
justes, nuisent au mouvement de l’imagination:
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270 DE LA PHYSIONOMIE
aussi la plupart des écrivains et des artistes adop-
tent-ils pour le travail une grande liberté de cos-
tume.
8° L'absence de toute espèce d'effort distinct,
exigeant l'intervention spéciale de la volonté. Kt
voilà pourquoi, en général du moins, les sensa-
tions intuitives sont plus distinctes pendant le
sommeil et dans certaines attitudes du repos.
Ges remarques permettent d'expliquer très-na-
turellement pourquoi, dans l'application de l'esprit
aux choses intérieures, l’homme recherche ces
positions où l’équilibre du corps est en quelque
sorte passif, s’asseyant et laissant parfois retom-
ber sa tête sur sa main, le coude étant mollement
appuyé. Dans l’action automatique elle-même,
dans la marche par exemple, l’homme qui imagine
laisse retomber sa tête sur sa poitrine ou la sou-
tient avec sa main. Aussi, dans ce repos du corps,
: dans cette absence presque absolue d’impressions
extérieures, passe-t-on par des degrés insensibles
de l’état de veille à celui de sommeil somnambule
et de la pensée ordinaire aux songes et à l’extase.
Dans cet état, le. mouvement de la pensée con-
tiue souvent l’œuvre commencée pendant la
veille, et c’est ainsi qu’on peut jusqu’à un certain
__n = D ne PRES ” htm
Donne CEE
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 271
point expliquer cette élaboration singulière qui
développe pendant le sommeil les idées qui occu-
Paient l'imagination au moment où l’on s’endort
après des études nocturnes. |
LXXXV. — Lorsque les idées ou les images
dont l'imagination est occupée sollicitent l’atten-
tion, mais sans éveiller aucun sentiment de con-
Venance ou de volupté, on voit se développer en
Premier lieu quelques indices généraux de mou-
vements attentifs. Ainsi, le nez se courbe légère-
ment et flaire, la bouche exécute de petits mouve-
ments de gustation préparatoire; souvent alors les
doigts, pressés les uns contre les autr es, se meu-
vent comme dans l’action du toucher. Si l’atten-
tion aux choses intérieures est plus vive, à ces
mouvements se joignent des mouvements symbo-
liques d'effort. La respiration est suspendue et
des contractions plus ou moins énergiques se des-
_Sinent sous la peau de la face. |
_ L’attitude générale du corps dans le mouve-
ment symbolique est semblable à celle qui se pro-
duit dans le mouvement direct. Ainsi, de même
Qu'on regarde avec les deux yeux, on imagine, si
je puis ainsi dire, des deux yeux à la fois; la tête
Se dirige alors en avant et dans une attitude sy-
CEE RUES M rer ne = re SU NE gage SE
tpm ro
res _ CPE
22 DE LA PHYSIONOMIE
métrique. Pareillement, quand on imagine des
sons, le corps semble écouter : une oreille se
porte en avant et la tête se penche. Ges mouve-
ments sont accompagnés de tous les mouvements
sympathiques qui s'y associent, lorsqu'ils sont
exécutés dans un sens direct et réel.
Toutefois, ces mouvements symboliques d’at-
tention par lesquels l’homme se cherche en.
quelque sorte hors de lui-même, faisant interve-
mir des causes d’excitation nouvelle, sembleraient,
en raison des choses qui ont été plus haut expli-
quées, devoir apporter quelque trouble dans le
développement des sensations imaginaires, en
substituant à des impressions légères et fugaces
des impressions fortes et constantes.
Et il en serait réellement ainsi si la nature, en
donnant satisfaction à ce mouvement d’attention
expansive qui entraine le corps, n'avait en même
temps prévu ces obstacles et institué, dans les
préordinations harmoniques de l'instinct, la solu-
tion du paradoxe.
Elle à en effet instruit l’animal à regarder sans
voir, à écouter sans entendre. Ces choses me pa-
raissent devoir être scrupuleusement examinées.
LXXXVI, — Si, deux images, l’une forte l’autre
Te
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 273
faible, tombant à la fois sur un tableau, nous vou-
lons faire apparaître la plus faible, nous inter-
Ceptons la première au moyen d’un écran. Telle
est la solution que l’homme invente, telle est la
Solution qu'a instituée la nature.
J'imagine en effet et je regarde. Qu’en résulte-
t-il dans mon esprit ? deux impressions simulta--
nées, l’une forte qui vient du monde, l’autre faible
qui vient de l'imagination. Que ferai-je pour rendre
celle-ci apparente ? J’intercepterai au moyen d’un
écran l’image qui vient du monde extérieur,
. j'abaisserai mes paupières au-devant des globes
oculaires.
Or, que fait l'œil dans ces ténèbres? Il con-
temple symboliquement l’objet dont l'imagination
est occupée, il voit surgir dans cet horizon vide
les créations que l'imagination y fait successive-
ment apparaître. Si l’objet de l'imagination est
immobile, l'œil paraîtra fixé sous la paupière. Un
artiste qui ne sent pas ces choses n’atteindra ja-
mais aux secrets les plus élevés de son art.
Tels sont les mouvements les plus habituels
des yeux pendant que l’âme imagine ; toutefois,
il n’est pas indispensable que les yeux soient
fermés pour que l'inagination puisse s'appliquer
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274 DE LA PHYSIONOMIE
à l’idée d’une chose visible; loin de là, on pense
et on imagine souvent les yeux ouverts.
LXXXVIE, — Cette circonstance fait apparaître
des faits nouveaux et du plus haut intérêt.
C'est ainsi qu’on peut constater expérimentale-
ment qu'il est impossible d'imaginer un objet
fort éloigné du corps, sans accommoder symboli-
quement l'œil à cette distance. De même lors-
qu'on imagine un objet très-rapproché, l'œil se
place dans l'attitude de la vision myope.
Un autre fait non moins important est celui-ci.
Lorsque nous imaginons une chose visible, les
yeux étant ouverts, l’êmage intérieure est toujours
supposée dans l’espace en decà ou au delà de tout
objet visible, et les deux yeux s’accommodent sur
ce point. |
Il résulte de ce fait que les objets qui pourraient
détourner l'esprit de la contemplation intérieure,
ne laissent sur la rétine que des impressions con-
fuses Incapables d'occuper l'attention et de laisser
des traces dans la mémoire. On s'explique ainsi
comment un homme qui imagine voit sans les
reconnaitre passer ses meilleurs amis, comment
il se laisse surprendre, comment, lorsque Fimagi-
nation s'applique vivement au sujet d’une lec-
Lo]
si
KA
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION.
—
ture, les caractères du livre se confondent par
Moments sous les yeux, si bien que pour arriver
à les distinguer de nouveau il faut un effort sou-
_ Vent assez pénible surtout lorsque l’œil est fa-
tigué; on s'aperçoit alors que la plupart des ca-
lactères étaient vus doubles, et cette diplopie
Montre évidemment que le point d’accommoda-
tion était changé.
LXXXVIIL, — Les mouvements de l'œil, lorsque
les sensations intuitives ont une certaine vivacité,
Peuvent sympathiquement entraîner tout le COrpPS.
C’est ainsi qu'on se penche en avant, qu'on tend
les bras vers la chose qu’on imagine ; et à son
insu on exécute une foule de mouvements qui ne
Sont qu’un indice de certaines actions relatives à
là chose imaginée.
Ges mouvements sont des mouvements d’attrac-
tion ou de répulsion semblables à peu de chose
Près aux mouvements directs; ils sont accompa-
8nés des mêmes actions sympathiques et modi-
fient le corps d’une facon analogue.
LXXXIX. — L'imagination, en tant qu’elle se
développe sous la forme des sensations auditives,
Produit des mouvements pareils à ceux de l’audi-
tion extérieure; or, ces mouvements donnent lieu
PE CS EE re TE TRE - …
mer
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= = = a = = ” Ép no =
276 DE LA PHYSIONOMIE
à quelques remarques analogues à celles que
nous venons de formuler.
En effet, lorsque nous imaginons des sons,
la tête écoute et se dirige avec une insistance :
plus où moins vive, le cou étant plus ou moins
tendu et les phénomènes de vision difficile qui
accompagnent l'action d'écouter étant d'autant
plus marqués que l'objet est plus éloigné. Mais
rien ne traduit à l'extérieur ces modifications in-
times de l'organe auditif par lesquelles il s’ac-
commode réellement aux distances, comme on
peut s’en convaincre en s’observant attentivement
soi-même, bien que les procédés de cette accom-
modation nous soient, dans l’état actuel de la
physiologie, absolument inconnus.
D'ailleurs, les règles que nous venons de déve-
lopper au sujet de l’œil se retrouvent ici. Vou-
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lons-nous imaginer des sons, nous recherchons
en général le silence, de manière à faire prédo-
miner l'intensité des bruits imaginaires sur l'inten-
sité des bruits réels. Et si nous sommes au milieu
d’un grand bruit, nous fermons nos oreilles enenve-
loppant notre tête denos mains; d’ailleurs, le mou-
vement symbolique d’audition se produit sous ces
apparences dont le vrai sens ne saurait être douteux.
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 277
XCG. — Il n’est pas hors de propos de résoudre
ici quelques objections naturelles et qui reposent
Sur des exceptions qui ne sont pas absolument
lares. Ainsi, certaines personnes d'imagination
recherchent le tumulte, et c’est au milieu d’une
Sorte de fracas que leurs idées se développent
avec plus de force. Mais remarquons à cet égard
Qu'un certain degré d’excitation moyenne est in-
dispensable au mouvement de la pensée, et qu’a-
ant d'imaginer vivement, tout homme doit être
ramené à ce degré d’excitation. C’est ainsi que
l'ivresse exalte quelquefois l'intelligence, tandis
que le plus souvent elle abrutit. Je ne doute
Point que l'excitation qu’éveillent les bruits exté-
ieurs ne puisse produire des effets analogues ;
elle amènera les uns au point d'activité nécessaire,
Mais chez les autres ce point sera dépassé et le
Mouvement de l’âme en sera plus ou moins em-
Pêché. D'ailleurs, remarquons que ces musiciens
Que les bruits extérieurs animent ne recherchent
Point des concerts harmonieux où les chants se
développent d’une façon plus ou moins distincte,
Mais au contraire, les bruits confus et tumul-
lueux des foules, bruits monotones pareils à ceux
de Ia mer, qui affectent, il est vrai, l’organisation
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278 DE LA PHYSIONOMIE
d'une manière générale, mais dans lesquels rien
ne se distingue assez pour préoccuper nécessaire-
ment et dominer le mouvement de la pensée.
Toutefois, il est un cas où l'impression imagi-
paire peut se distinguer et s’accroître au milieu
d’impressions extérieures distinctes, à savoir :
quand elle est de même ordre, et peut se déve-
lopper harmoniquement avec elles. Loin d’en être
alors empêchée, elle sy développe avec plus de
puissance, et c’est en s’accompagnant d’instru-
ments divers que les compositeurs. éveillent leur
génie, la muse descendant, pour ainsi dire,
charmée par ces accords et mêlant ses accents à
ces chants extérieurs; mais ces chants dominent
alors le mouvement de la pensée; elle se meut.
avec eux, portée en quelque sorte sur leur ailes,
et ne crée rien au delà des limites que tracent
autour d'elle les lois souveraines de l’harmonie.
XCI. — Ces remarques tirées d'observations vul-
gaires suffisent pour démontrer d’une manière
générale la liaison naturelle qui unit les mouve-
ments du corps à ceux de la pensée. Mais on s'en
ferait une idée trop incomplète si l’on se bornail
à ces seules remarques; en effet, l'intimité de ces
relations va beaucoup au delà et a été mise dans
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 10
tout son jour par de belles expériences de M. Che-
Vreul, dont je dois résumer ici les principaux ré-
Sultats. |
Ces expériences ont eu pour but d'examiner et
de discuter la vérité de la proposition suivante :
CUn pendule formé d'un corps lourd et d’un
lil flexible oscille lorsqu'on le tient à la main
au-dessus de certains corps, bien que le bras soit
_ immobile. » ns
Au premier abord, cette proposition fut vérifiée
par l’expérience. Un pendule tenu à la main au-
dessus d’une cuve à mercure, décrivit des oscil-
lations faibles d’abord, mais dont l'amplitude
augmenta de plus en plus. Ge premier fait une fois
observé, M. Chevreul se demanda si en interpo-
Sant certains corps entre la surface du mercure et
le pendule en mouvement, ces oscillations s’arré-
teraient. Or, lorsqu'on interposait une plaque de
Verre ou de résine entre le mercure et le pendule
oscillant, on voyait ses mouvements diminuer
d’amplitude et s'arrêter tout à fait.
Ces résultats plusieurs fois obtenus et avec une
Constance singulière, auraient pu induire en erreur
Un esprit peu sévère. Dans les observations précé-
dentes, le pendule avait été tenu suspensä manu :
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BDD Ru Ne € 7 à A
A DUR 2 a
DE LA PHYSIONOMIE
l'influence que cette circonstance pouvait avoir
sur les résultats de ses expériences n’échappa
point à M. CGhevreul. Il crut dès lors devoir com-
mencer une nouvelle série d'observations, en
ayant soin de donner à la main un point d'appui
immobile et fixe. Or, dans ce cas, le pendule ne se
mit point en mouvement ou du moins ses oscilla-
tions ne tardèrent pas à s'arrêter.
« D’après cela, dit M. Chevreul, je devais con-
clure qu'un mouvement musculaire, qui avaitlieu
à mon insu, déterminait le phénomène ; et, ajoute-
t-il, je devais d'autant plus prendre cette opinion
en considération, que j'avais un souvenir, vague à
la vérité, d’avoir été dans un état tout particulier
lorsque mes yeux suivaient les oscillations du pen-
dule, que je tenais à la main. »
Or, de nouvelles expériences lui donnèrent la
conviction qu'il y avait alors en lui une tendance
au mouvement, et, tout involontaire qu’elle lui
semblait être, cette tendance était d'autant plus
satisfaite que le pendule décrivait de plus grands
axes.
Toutes ces observations avaient été faites en
plein jour, les yeux suivant les oscillations du
pendule. L'influence que ces mouvements des
D DE ONE ES ee CITÉ Me Dee ns 7 _—_——— a ue TE
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 281
Yeux pouvait avoir sur les résultats généraux des
expériences, n’échappa point à M. Chevreul; il
crut en conséquence devoir les répéter encore,
Mais cette fois les yeux exactement bandés; et
Chose remarquable, le pendule n’entra point en
Mouvement ou du moins ses oscillations ne tar-
dèrent pas à s'arrêter. Or, en rapprochant les unes
des autres ces différentes expériences, elles don-
nent des résultats précis.
1° Un pendule que l’on tient (suspensä manu),
au-dessus de certains corps, se met en mouvement
et exécute des oscillations dont l'amplitude aug-
mente de plus en plus. |
2° Ce mouvement diminue et s'arrête si l’on
interpose, avec la pensée qu'il s'arrêtera, certains
Corps entre le pendule en mouvement et le corps
au-dessus duquel il oscille. |
3° Il s’arrête nécessairement si l’on donne à la
Main qui tient le pendule un point d'appui solide.
h° 11 s'arrête également si l'observateur à la
Précaution préalable de bander les yeux de
l'homme qui tient le pendule. |
XCII. — Si l’on rapproche le premier fait du
troisième, on demeure convaincu qu'un mouve-
Ment, insensible, il est vrai, du bras qui porte le
J6,
DELA -PHYSIONOMIE
pendule, est la première cause qui le meten mou-
vement.
Le deuxième fait montre que ce mouvement
peut s'arrêter, je ne dis pas sous l'empire de la
volonté, mais lorsqu'on a simplement la pensée
d'essayer si telle chose l'arrêtera.
Le quatrième fait montre l'influence que les mou-
vements oculaires ont sur la production du phé-
nomène et sur l'amplitude des oscillations. Ainsi :
1° Penser qu'un pendule tenu à la main peut
se mouvoir, lui imprime un mouvement, sans
qu’on ait conscience d’un mouvement produit dans
les organes musculaires. |
2° Le pendule une fois mis en oscillation, ses
mouvements deviennent de plus en plus étendus
par l'influence que la vue exerce sur les organes
musculaires. |
La seconde de ces propositions a été, dans le.
chapitre précédent où nous l’avons commentée
par anticipation, le point de départ d’une multi-
tude d'observations particulières que nous croyons
d'une grande importance; mais nous pensons
devoir insister d’une manière toute particulière
sur le premier fait dont M, Chevreul résume
ainsi les conséquences.
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. ess À 28 is
Il y à une liaison intime établie entre l’exécu-
tion de certains mouvements et l’acte de la pensée
qui y est relative, quoique cette pensée ne soit
pointencore la volonté qui commande aux organes
musculaires. |
A. Influence de la pensée sur les mouvements
organiques et sur les mouvements des viscères.
XCIHII. On sait en particulier l'influence que
l'imagination exerce sur les mouvements du cœur.
Un médecin préoccupé de certaines sensations
ressenties du côté du cœur, examinait fréquem-
ment son pouls. Au bout de quelque temps appa- :
rurent tous les symptômes de la cardiopathie la |
plus grave. On lui prescrivit, entre autres choses, |
de ne plus examiner son pouls, et cette seule pré- .
Caution amena sa guérison rapide.
J'ai eu occasion d'observer un fait analogue. .
Un médecin connu par la vivacité de son imagi- |
nation, éprouva après le diner un léger malaise ;
il examina son pouls et crut trouver une ou deux
intermittences; cette circonstance l’inquiéta, il
devint attentif, et plus son attention fut excitée, {
Plus il constata d’intermittences. Gela vint au
Point que de six pulsations il en manquait au moins
Une, Tout à coup, il aperçut dans son gilet un
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DE LA PHYSIONOMIE
bouquet de violettes à moitié desséchées. L'idée
lui vint que l’odeur des violettes avait causé tout
ce désordre, il les jeta loin de lui, et le rhythme
des battements du cœur reprit comme par enchan-
tement sa marche habituelle.
XGIV. On pourrait multiplier les exemples de
ce genre; l'effet de l'imagination sur les mou-
vements intestinaux n’est pas moins remar-
quable.
Qu’après un repas pris avec appétit, quelque
mauvais plaisant fasse naître en le spécifiant l’idée
de quelque aliment révoltant, comme peuvent
| l’être pour certaines personnes un chat substitué
LLC
à un lapin, ou des crapauds servis en place de
grenouilles, cette simple supposition suffira pour
jeter le trouble dans la digestion des personnes
présentes, et ce trouble pourra aller jusqu’à pré-
senter les symptômes d’une indigestion grave ou
même d'un véritable empoisonnement.
N'a-t-on pas vu de même dans les hôpitaux, où
l'a plusieurs fois constaté mon ami M. Cloez, des
. pilules inertes ou absolument innocentes, telles
que des pilules de mie de pain, amener, l’imagi-
nation aidant, des superpurgations véritables. I
est à peine nécessaire d’insister sur ces faits, qui
Er
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 285
se reproduisent à TT instant sous toutes Îles
formes possibles. |
XCV. — [L'imagination influe à un égal degré
Sur toutes les formes du mouvement organique.
_ Aune époque où certaines idées d’association
Mal entendue fermentaient chez les jeunes gens
de nos écoles, un étudiant fut admis à subir les
: épreuves de l'initiation maçonique. L'épreuve im-
Posée fut la suivante : on lui banda les yeux, puis
on se mit en devoir de le saigner. En conséquence,
une ligature fut serrée autour du bras; on fit mine
d'ouvrir la veine et un filet d’eau recu dans une
cuvette imita le bruit du sang qui s'échappe d’une
veine ouverte. Or l'opération, ou plutôt ce simu-
lacre d'opération se prolongeant, on vit au bout
de quelques instants notre homme pâlir, il s’af-
faissa peu à peu et finit par tomber en syncope,
l'idée d’une hémorrhagie amenant ainsi l'effet
‘d’une hémorrhagie réelle.
Raconterai-je ici ces sécrétions exagérées ou
taries, ces constrictions spontanées du derme, ces
Pâleurs subites et tous ces phénomènes si variés
que le mouvement de l'imagination fait apparai-
tre? Ne sait-on pas que les larmes se tarissent aux
Yeux de l'hypocrite qui pense ne pas pleurer
286 DE LA PHYSIONOMIE
assez, tandis que la crainte de trop pleurer les
fait couler en plus grande abondance ? Chacune
des propositions que -j’énonce ici sommairement
pourrait être l’objet d’un long mémoire.
XCVI. — B, L’imagination n’influe pas moins
directement sur les mouvements et sur les sensa-
tions extérieures,
Ainsi, l’idée d’une cause de démangeaison .
éveille des démangeaisons véritables, l’idée vive
d’une douleur la fait réellement éprouver. Au
milieu d’une de nos dernières émeutes, un groupe
de soldats et de gardes nationaux engagé dans la
rue Planche-Mibray demeure pendant quelques
instants exposé à un feu meurtrier et plongeant
de tous les côtés. L’un des combattants recoit à
l’épaule un coup léger d’une balle réfléchie paï
quelque corps environnant et n’y fait d’abord au-
cune attention. Mais le combat fini, un peu de
douleur se faisant ressentir dans le lieu contus, il
a l’idée d’une blessure plus grave, et au même
instant il sent sur le côté de la poitrine comme le
passage d’une lame de sang coulant d’une bles-
sure; il le sent manifestement, et cependant la
peau n'avait pas été entamée.
Voici un autre fait analogue à celui-ci : deux
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 287
étudiants s’aidaient réciproquement dans une dis-
Section. Pendant que l’un d’eux, attentif à ses re-
Cherches, étend le doigt, son compagnon promène
en plaisantant sur ce doigt le. dos d’un scapel.
Notre anatomiste recule aussitôt et pousse un cri
terrible, puis, riant de sa méprise, il avoue avoir
senti le tranchant du fer et une douleur cuisante
Pénétrer jusqu’à l'os. |
. Ajouterai-je que l’idée du froid fait frissonner,
que la vue d’un citron fait éprouver comme un
avant-goût de son acidité et couler abondamment ?
la salive? 1 Ces faits se reproduisent à chaque ins-
tant et sous toutes les formes possibles; ils mon-
trent quelle grande influence peuvent avoir sur
nos sensations les mouvements de notre imagi-
nation et combien la médecine, lorsqu'elle se
borne à l'emploi des moyens naturels, est, en ce
. Qui touche l’homme, incomplète et grossière.
XCVITI. — L’imagination n’a pas sur nos mou-
vements une moindre influence : imaginer qu’on
tremble fait trembler; imaginer qu’on ne peut se
mouvoir paralyse. Montaigne, à son habitude, a
1, On sait que le physiologiste Eberle se procurait abondam=
Ment la salive dont il avait besoin pour ses expériences en occu
Pant son imagination de l’idée d’un fruit trèssacide.
288 DE LA PHYSIONOMIE
très-judicieusement parlé de cette sorte d’im-
puissance qui vient de l’imagination. En un mot,
à chaque instant, à tous les moments de la vie.
l'imagination modifie le corps. Comment ces pro-
diges .n’auraient-ils pas excité l'admiration de
philosophes tels que Malebranche et Boerhaave ?
Mais il importe d'étudier de plus près cette ques-
tion et d’insister sur cette influence singulière
que l'imagination exerce sur nos mouvements.
À. Pour se mouvoir, il n'est pas nécessaire de
vouloir; il suffit de penser d’une manière géné-
rale à un mouvement possible.
Getre proposition est rigoureusement démontrée :
par les expériences de M. Chevreul.
B. Il y à dans toute action volontaire l'effet de
deux volontés distinctes ; l’une subjective et in-
time pousse à l'acte, l’autre immédiate et active
le détermine. Ainsi, je veux marcher d’une ma
nière générale, et cependant, un motif me rete-
nant, je ne marche pas; et si dans ce moment je
viens à marcher, je sens que ma volonté, en dé-
terminant ce mouvement, intervient d’une façon
directe et plus distincte. Toutefois, bien que Îa
volonté efficiente puisse seule produire des mou-
vements adéquats, on ne peut dire que la volonté
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 289
intime , la volonté pensée, soit sans influence sur
les mouvements du corps. Ainsi :
Vouloir en idée éveille, dans celui qui veut,
une tendance irrésistible à l'action ;
Il suffit de penser qu'on exécute une action
Œuelconque pour ébaucher à son insu tous les mou-
vements extérieurs qui ont rapport à cette action ;
Il suffit d'agir par la pensée sur une chose
réelle que suit le regard, pour exécuter automati-
quement un indice de tous les mouvements qui
Ont rapport à cette action.
XCVIII. — Cette dernière proposition est prouvée
par des exemples qui pour être vulgaires n’en sont
Pas moins concluants. Assistons avec M. Che-
nn ES
vreul à une partie de boule ou de billard, suivons
dans ses remarques ce grand observateur; voyez
avec quelle insistance le joueur qui suit du re-
gard sa bille appuie du geste sur elle pour la
ramener dans la direction d’où elle s’écarte, avec
Quelle intensité d’effort il lui trace de l’œil et de
la main un sillon idéal. C’est là à coup sûr un des
plus beaux exemples du mouvement symbolique.
XCIX. — Les mêmes principes dominent toute
une catégorie de gestes qui occupent dans le lan-
Sage un rang important, je veux parler des gestes
ii}
RS ni Me. ANR uns = Mules. dé PERD Ne EL ue : 1
PR disais) si at j ? ” k à ue,
NE SE ù + cenieue
]
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|
290 DE LA PHYSIONOMIE
indicateurs et des gestes advocateurs, si je puis
ainsi dire.
Je suppose qu'un homme me demande son
chemin. Instinctivement mon regard et mon bras,
se dirigeant dans le sens de la voie, tracent la
route qu'il doit parcourir. Mais je n'indique plus
seulement, j’envoie; que dis-je? j’ordonne. Dès
lors, la violence de ma volonté assimile le mes-
sager à un mobile, mon geste le lance en quelque
sorte. Tarde-t-il au gré de mes désirs? Je fais
effort de loin comme pour le pousser. L’orgueil ou
le sentiment de ma dignité enchaînent-ils mon
action dans les limites d’une indication simple,
mon bras est retenu dans une attitude moyenne ;
mais l'effort de la contraction musculaire, le trem-
blement des membres trahissent la volonté in-
flexible et violente cachée sous la forme simple
de l'indication.
C. — S'agit-il au contraire de ramener, d’'ap-
peler à moi un homme éloigné? mon bras tendu
vers lui comme pour l’atteindre, se fléchit et se
rapproche de mon corps comme pour l’attirer à
moi. Plus l'intensité de mon désir est grand, et
plus je répète ce mouvement. Il se modifie d’aïl-
leurs d’une manière très-significative suivant que
———_—_——————
:. ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 291
ne
la personne appelée m’est agréable ou désagréable.
Dans le premier cas, j'attire vers mes yeux, vers
Ma bouche, vers les organes les plus délicats de
là sensation. Dans le second cas, j'attire en tenant
ce que j'attire éloigné de moi; et le geste amène
l’appelé aux pieds de celui qui commande,
Le bras n’est pas seul intéressé dans ce mouve-
ment ; le bras et le corps tout entier y participent
Souvent. Les mouvements de la tête surtout sont
Temarquables; elle se tend alors vers l’homme ou
l'animal qu'on appelle, et, par un mouvement
oblique, le ramène avec efort vers l'épaule op-
Posée. Dans ce mouvement on ferme à demi les
Yeux et on serre les mâchoires en poussant le cri
de l'effort. Ne dirait-on pas qu’on traîne pénible-
Ment avec les dents l'individu tardif dont on
excite la lenteur ?
CI. — La seconde proposition n’est pas moins
facile à démontrer par l'observation. Il suffit de
Penser qu’on païle ou qu'on discute vivement
Pour parler réellement très-haut, Cette tendance
. 6St fort apparente dans les rêves. Le somnambu-
lisme n’est qu'un rêve d'action. Lady Macbeth,
dans le drame effrayant de Shakespeare, erre la
Nuit essuyant ses mains où sa conscience bour-
_— rer nee Se
me.
se
A A EE SES + : 4 :
292 DE LA PHYSIONOMIE
relée voit une tache sanglante; Diderot admire
avec raison ce jeu muet plus éloquent cent fois
que toutes les amplifications possibles. Que sont
les fureurs d’Oreste? Eh! ne devinons-nous pas à
chaque instant, à des traits analogues, les pensées
qui animent nos interlocuteurs? ces choses ne
sont-elles point tous les jours visibles au plus
haut point dans les hallucinés?
CIL.— L'application des principes qu’à formulés
notre illustre guide, M. Chevreul, ne s'étend
pas seulement à ces phénomènes; elle permet
d'expliquer en outre les sympathies naturelles
qui naissent, entre les hommes, des sens et de
l'imagination.
C'est ainsi, pour commencer par les exemples
les plus simples, qu’en assistant à une lutte quel-
conque on s'y mêle symboliquement et presque
à son insu. Il suffit même d’en entendre un récit
animé ; alors l'imagination suivant toutes les péri-
péties du combat, l’automate vivant se meut au
gré des fils cachés qu’elle dirige, et l’on voit se
succéder tour à tour sur le visage du spectateur,
la fureur, l’effroi, la tendresse, la haine, l'effort,
l’abattemeut, la douleur et la joie.
Ces mouvements intérieurs n’étant point satis-
ne
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 293
faits, et complétement neutralisés par l’expansion *
de l’action corporelle et du mouvement extérieur,
il peut arriver. que ces différentes impressions
Soient plus vivement ressenties par les spectateurs
d’une scène émouvante que par les acteurs eux-
mêmes. « Les spectateurs étaient plus inondés de
Sueur que les combattants eux-mêmes, » dit Euri-
pide dans ses Phéniciennes en parlant du combat
d'Étéocle et de Polynice. Ainsi, l’effroi est bien
Plus naturel à ceux qui assistent simplement à un
Combat qu'à ceux qui combattent; et ne voit-on
Pas certains hommes qui ont maintes fois prouvé
dans des combats singuliers leur sangfroid et leur
impassible courage, pâlir et se troubler lorsqu'un
de leurs amis étant engagé dans la lutte, ils en
Sont seulement les témoins?
. CI. — Ne se produit-il pas quelque chose
d'analogue dans l'angoisse réelle que fait éprouver
à , . À
à quelques hommes l'embarras d’un ami ou même
d’un indifférent engagé dans une entreprise hasar-
deuse? Voyez, par exemple, un père assister à un
Examen subi par son fils. Le corps en suspens, la
tête tendue, comme il le suit du regard! Pendant
Que son fils parle, il est immobile, sa respiration
est suspendue; les questions faites au candidat
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294 DE LA PHYSIONOMIE
sont-elles suivies de réponses faciles, le mouve-
ment d'anxieuse attention se résout peu à peu; les
réponses, au contraire, sont-elles pénibles, embar-
rassées, le pauvre père s'associe à cet embarras:
à cet effet, il pousse de la tête et de l'épaule, serre
les dents, serre les poings et agit métaphorique-
mentcomme pour aider à quelque action diflicile‘.
Les examinateurs eux-mêmes, malgré leur lon-
gue habitude, n’échappent point à cette nécessité.
Ne les voit-on pas aussi manifester par tous les
mouvements de leur visage un effort caché, ces-
ser de respirer, et quand enfin le récipiendaire,
ramené à la question, est parvenu quoique avec
peine à une réponse suffisante, mettre un terme à
cet effort par ces mots poussés avec une insistance
caractéristique : « Eh! allons donc!! » et expri-
mer ensuite par toute leur attitude qu'ils se sen-
tent soulagés d’un grand effort et d’un grand
poids ?
Cette influence singulière qui s’établit par l’ima-
gination entre les hommes, est une des bases pre-
mières de la société humaine. Par elle tout homme
1. Tussis violenta si fit in aliquo homine, nullus est quin nixu
quodam conabitur juvare suum amicum. (Boerrh. de morb. nerv-
de sympathia. T..IT, p. 519.)
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 295
digne de ce nom peut dire comme le Chrémès de
Térence : |
« Homo sum; humani nihil a me alienum puto. »
On peut même dire qu’elle est la base de la
Société qui s'établit naturellement entre nous et
les animaux ; société d’autant plus parfaite qu’ils
nous sont, si j'ose le dire ainsi, plus semblables
Par la forme, plus semblables par les tendances
de leur activité physiologique.
Ainsi la vue d’un être joyeux éveillant en nous
l’idée de la joie, nous anime d’une joie symbo-
lique. La vue d’un être souffrant nous faitsouflrir ;
en un mot, nous éprouvons plus ou moins vive-
Ment le contre-coup des passions qui se développent
_ à nos yeux, en y participant plus ou moins sui-
_vant que notre nature est plus ou moins délicate.
CIV. — Malebranche n’a en quelque sorte posé
aucune limite à cette puissance de l'imagination.
« L'expérience, dit-il, nous apprend que, lors-
Que nous considérons avec beaucoup d'attention
Quelqu'un que l’on frappe rudement ou qui à
quelque grande plaie, les esprits se transportent
ävec effort dans les parties de notre corps qui
correspondent à celles que l’on voit blesser dans
Un autre. »
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DE LA PHYSIONOMIE
À ce sujet, il cite l’observation suivante qui lui
a été communiquée :
€ Un homme d'âge étant malade, une jeune
servante de la maison tenait la chandelle comme
on le saignait au pied. Quand elle lui vit donner
le coup de lancette, elle fut saisie d’une telle
appréhension, qu’elle sentit trois ou‘quatre jours
ensuite une douleur si vive au même endroit du
pied, qu’elle fut obligée de garder le lit pendant
ce temps. »
Il explique aïnsi ces influences mystérieuses
que l'imagination d’une mère peut avoir sur la
conformation extérieure ou sur le moral de l’en-
fant.qu’elle porte dans son sein.
Nous ne prétendons pas aflirmer la réalité de
toutes les hypothèses et de toutes les explications
de Malebranche. Toutefois, elles ne sont pas con-
traires au sens général des faits que nous avons
signalés plus haut ; si la vue d’un homme qui se
gratte éveille une démangeaison, si voir ou
entendre bâiller sollicite au bâillement d’une
: . PR , . se .
maniere irrésistible, sera-t-il impossible que
l'imagination frappée de la vue de quelque grande
blessure, ne puisse éveiller en nous le sentiment
d’une blessure analogue ? Je ne l’ai jamais observé
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 297
Sur moi-même‘, mais un de mes parents, alors
élève en droit, ayant vu pour la première fois pra-
tiquer une opération (il s'agissait d’exciser une
tumeur au pavillon de l'oreille), m’a assuré avoir
ressenti au même instant une douleur très-vive à
l'oreille: et cette observation est d'autant plus
_concluante que l’observateur n’était préoccupé
d'aucun système, d’aucune idée préconçue.
1. J'éprouve toutefois avec une grande évidence une sensation.
Symbolique qu’on peut rapprocher de celle-ci. Étant encore en-
fant, comme ma vue avait subi un affaiblissement notable, on
Conseilla l'emploi des conserves. Or, la pression que le poids des
lunettes exerçait sur la partie dorsale du nez m'était à tel point
insupportable qu’il me fût impossible de continuer à en faire
usage. 11 y a vingt ans de cela, eh bien! encore aujourdhui, je
ne puis remarquer des lunettes sur le nez de quelqu'un, sans
éprouver aussitôt et d’une façon désagréable cette sensation qui
Winquiétait si fort autrefois.
Je rapprocherai de ces faits l’angoisse terrible qu'on éprouve
lorsqu'on voit un homme suspendu à une grande hauteur, dans
une position qu’on suppose dangereuse. On participe alors au
danger, on est saisi d’une crainte terrible. Lorsque dans l’exer-
Cice de la corde volante, le voltigeur abandonne tout d’un coup sa
Corde et demeure suspendu par les pieds, la foule des assistants
Pousse un cri simultané, et il n’est pas un homme qui n’éprouve
En soi quelque chose du sentiment d’angoisse qui accompagne
une chute. Quand l’intrépide gymnaste Thévelin suspendu dans
l'espace à la nacelle d’un aérostat y exécute ses tours de gymnas-
tique, l'impression est si terrible qu’un grand nombre de femmes,
ne la pouvant supporter, ferment les yeux et les couvrent instinc-
tivement de leurs mains.
17.
298 DE LA PHYSIONOMIE
GV. — Mais la réalité de l'impression symbo-
liquement ressentie demeurât-elle un fait douteux,
il n'en serait pas de même des mouvements qui
suivent, je ne dis pas l'impression reçue, mais
même la simple idée de cette impression. C'est
ainsi que lorsque nous voyons quelqu'un frappé
d'un grand coup à la tête par exemple, nous por-
tons symboliquement la main à la tête en faisant
un geste de douleur. De même, si nous voyons
quelqu'un se faire quelque brûlure, nous exécu-
tons à peu de chose près les mêmes gestes que
si nous nous étions brûlés nous-mêmes. Les faits
de ce genre sont trop évidents, ils se présentent
trop souvent à l'observation de tous les hommes
pour qu'il soit nécessaire d’y insister,
GVI. — Ces remarques obligent de reconnaître
avec M. Chevreui que la plupart des faits qu’on
rapporte en général à une faculté particulière, je
veux dire à limitation, ne sont, en dernière ana-
lyse, qu'un résultat nécessaire des mouvements
intimes de l'imagination et de la liaison mys-
térieuse qui unit dans une minutieuse harmonie
le jeu intérieur de la pensée au jeu des organes
corporels.
Or, s’il est impossible, et la chose paraîtra, je
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. . 299
l'espère, suffisamment prouvée, d’être saisi d’une
idée vive sans que le corps se mette à l'unisson de
l'idée, on concevra aisément comment la vue ha-
bituelle de certains hommes pousse nécessaire-"
ment à reproduire leurs attitudes et leurs gestes;
comment les tits sont contagieux; comment enfin
les accents se communiquent par des voies lentes
mais sûres, à tel point qu’on peut assurer que le
commerce habituel de chanteurs habiles doit
avoir à la longue sur la qualité de la voix la plus
heureuse influence. Mais que sert d’insister sur
ces choses? n'est-ce pas sur elles que sont basées
ces ressemblances qui s’établissent entre gens
d’une même sorte, ressemblance générale d’où
résulte la physionomie des professions ? Ne dis-
tingue-t-on pas sous un costume analogue le
militaire d’avec le prêtre, le médecin d’avec
l'avocat, le grand seigneur d’avec le plus hautain
financier. Les Français qui ont vécu quelque temps
avec des étrangers ne recoivent-ils pas à leur
insu une marque durable de cette fréquentation ?
Ces choses ne sont-elles pas prouvées par l’obser-
Yation de tous les temps?
Ces remarques permettent aussi de jeter beau-
Coup de jour sur cette belle théorie d'éducation
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300 DE LA PHYSIONOMIE
fondée sur la puissance de l'exemple. De même
que la vue du grand monde porte aux belles ma-
nières, de même la fréquentation des hommes de
bien, des hommes de probité et de courage, con-
duit bien mieux que des préceptes les jeunes gens
à la vertu. Que de choses cachées sous ces simples
observations!
CVIL. — Je me résume en disant :
1° Tous les mouvements qui dans le Corps
résultent directement de l’action des causes occa-
sionnelles extérieures, peuvent résulter également
des mouvements de l'imagination,
2° Toutefois, dans ces cas où les mouvements:
symboliques des organes des sens pourraient mo-
difier d’une manière sensible le mouvement de la
pensée, ces organes sont mus de façon à obéir à
cette tendance au mouvement, sans toutefois
faire intervenir quelque sensation de cause exté-
rieure,
8° Vouloir simplement, dispose à se mouvoir;
penser à une action, dispose à l’exécuter ; avoir la
simple idée d’un mouvement possible, dispose
d'une manière générale au mouvement.
QUATRIÈME PARTIE
DES MOUVEMENTS TROPIQUES OU MÉTAPHORIQUES.
CVIIL. — Saint Thomas a dit avec une grande
Profondeur :
« Intellectus noster secundum stalum præsentem,
nikil intelligit sine phantasmate. »
IL n’est en effet aucune notion, si haut qu’elle
S’élève dans la sphère de l’abstraction, qui puisse
être absolument conçue en soi et indépendam-
ment d’une idée sensuelle à laquelle elle est
Pour ainsi dire. attachée et qui est en réalité
Comme son corps. fs
De cette nécessité générale qui porte l’homme
à incarner, si je puis ainsi dire, ses pensées , ré-
sulte le langage, cet art ingénieux qui sait donner
de-la couleur et du corps aux pensées. Or, de
l'acception de signes communs d'idées entre plu-
Sieurs hommes par suite d’une convention réci-
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. 802 DE LA PHYSIONOMIE
proque résulte ce que nous appelons une lan-
gue.
CIX. — Les signes que l'intelligence fait inter-
venir dans la formation de ce discours intérieur
que l’âme se parle à elle-même dans l'acte de la
pensée, sont essentiellement empruntés à l’ordre
des sensations visuelles et auditives. Quand
l’homme pense sa parole, cette parole est tantôt
visible et tantôt elle est écoutée. Ces choses
qu'une expérience continue nous dit assez claire-
ment, n’ont pas besoin d’être démontrées.
Toutefois, bien que ces deux ordres de sensa-
tions intuitives soient les sources habituelles où
nous puisons, ces signes où nos pensées s’incar-
nent, ces sources ne sont pas les seules, et le
toucher peut, dans certains cas, donner à nos pen-
sées un corps et une base, comme le prouve en
particulier l'exemple du fameux aveugle Saun-
derson. Il raisonnait en effet sur certaines pro-
priétés des figures géométriques avec une pro-
fondeur à laquelle ne pouvaient contribuer les
sensations visuelles qu’il avait toujours ignorées.
Quant aux signes que pourraient fournir le sens
de l’odorat et celui du goût, ils seraient plus dif-
ficilement employés, les notions qui résultent de
————
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 303
leur activité naturelle étant le plus souvent bor-
_ nées, incertaines ou confuses.
CX. — Quoi qu’il en soit, si nous considérons
Surtout ces deux sens dont l’action vient plus
Particulièrement en aide à l'intelligence, il sera
évident pour nous que les analyses ontologiques
des philosophes, et surtout cette distinction pre-
Mière des idées de temps et d'espace, ont été
écrites d'avance dans les préordinations de For-
Sanisation animale. Ainsi les modes et les acci-
dents de l’espace, la forme, l'étendue, le mouve-
ment, sont essentiellement distingués par l'œil,
tandis que l’oreille nous révèle surtout l'existence
des choses, en tant qu’elles sont dans le temps,
et soumises au courant perpétuel de ces flots qui
Viennent et passent'. Or, bien que ces deux sens
4, M. Chevreul a victorieusement démontré le rôle élevé de
l’abstraction considérée comme principe fondamental de la science
ét de l’art. Or, elle n’est pas seulement le principe de ces sciences
Qui se développent dans l'humanité. Elle est encore la source de
la science individuelle, de cette science élémentaire que le mou-
Yement de la vie fait éclore chez tout homme convenablement
Organisé. Considérés comme source de nos connaissances, nos
Sens sont de véritables machines à abstraction, et l’idée la plus
Simple qu’on puisse se former d’un corps, n’est qu’un ensemble
d'abstractions coordonnées dans la conscience par l'instinct, l’ha-
bitude et la raison.
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304 DE LA PHYSIONOMIE
nous donnent simultanément des éléments qu’un
acte spontané de la pensée associe et combine en
une seule idée, nous pouvons néanmoins affirmer
que l'idée que nous avons de l'existence des
choses extérieures et de leur mouvement, nous
vient surtout par les yeux, tandis que l'oreille
parait au fond moins nous instruire que nous
avertir. Aussi les idées qui nous viennent par le
sens de la vue sont-elles plus réelles, plus immé-
diates; mais si le sens de l’ouïe a, sous ce point de
vue, une infériorité relative, en revanche il
exerce sur le développement des sentiments en
général une influence singulière, en telle sorte
qu'en éveillant indirectement une idée, il rend
l'esprit plus attentif à cette idée par le sentiment
corrélatif qu’il existe ; et cette infériorité se trouve
à bien des égards compensée. Aussi, devient-il
par cela même le sens habituel du langage; or,
l'habitude devenant, comme le dit fort justement
le vulgaire, une seconde nature, nous paraissons
souvent écouter les choses que nous pensons,
l’idée du signe se substituant.alors d’une manière
suffisante à la chose signifiée. C’est ainsi qu'en
écoutant la marche et le développement d’un
discours, nous paraissons surtout attentifs aux
É
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 305
sons dont ce discours se compose. Aussi disons-
nous fort naturellement au sujet de certaines
Propositions dont le sens est saisi par l'esprit :
J'entends cela, cette expression j'entends étant
alors synonyme de celle-ci : Je comprends, ce
Que notre belle langue a merveilleusement ex-
primé par ce mot entendement, qu’elle fait syno-
nyme d'intelligence.
Mais si un certain enchainement de signes
Suffit au développement de certaines choses ou de
Certains principes dont l’idée est très-familière à
l'esprit, il n’en est plus ainsi lorsqu'il s’agit de
Pénétrer profondément dans l'analyse de certaines
dhotions plus ou moins compliquées dont l’objet
_ est de l’ordre de ceux que la géométrie considère.
C’est ainsi qu'en raisonnant sur les propriétés
d'un triangle, un géomètre qui n’est point,
comme Saunderson, un aveugle né, attachera son
attention beaucoup moins aux termes du dis-
Cours qu'à la considération de quelque triangle
idéal : aussi les expressions du langage ont-elles
ici pour rôle exclusif d’avertir, l'objet essentiel
de l'esprit étant alors une idée revêtue d’une
forme visible !.
1. Cela est si vrai qu’il n’est pas un seul professeur de géomé-
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DE LA PHYSIONOMIE
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Or, dans ce cas, comment s’exprimera le géo-
mètre lorsqu’arrivé au terme de ces conceptions à
abstraites, il touchera au but où l’ont conduit des
raisonnements exclusifs? Dira-t-il : J’entends cela?
Non sans doute, mais : Je vois cela. Et cette
remarque fait clairement voir, je pense, comment
ces deux expressions j'entends et je vois, fort
analogues d’ailleurs, ne sont cependant pas abso-
lument synonymes.
CXI. — L'exemple de Saunderson montre com-
ment les sensations visuelles faisant défaut à
l'esprit, un exercice plus intelligent du toucher
peut suppléer à cette pauvreté. En effet, ce sens
nous révèle non-seulement la figure sous laquelle
les corps sont circonscrits, mais encore leur ré-
sistance, et de la sorte il nous donne l’idée la plus
prochaine que nous puissions avoir de l’existence
des corps. Dès lors, en acceptant la vérité de
quelque proposition géométrique, Saunderson
n'eût point dit : J'entends cela, nous avons vu
que dans ce cas cette expression ne serait point
exacte; il n’eût point dit non plus : Je vois cela;
trie qui s’avisät d’essayer la démonstration du théorème le plus
simple, tel que celui de la mesure du carré de l’hypoténuse, sans
S’aider d’un crayon et d’une image visible,
re
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 307
—_—_—————__———
mais il eût dit : Je touche cela. Or, Jean-Baptiste
Rousseau comparant implicitement à un aveugle
une vieille femme incrédule, lui fait très-fine-
ment dire dans une de ses épigrammes :
« Oui, je voudrais connaître, |
« Sentir au doigt, toucher la vérité. »
Mais quand, plus attirés que convaincus, nous
sommes plutôt disposés à la foi que dominés par
l'évidence, nous ne disons plus : J'entends, je vois
Ou je touche, ces expressions ayant un sens trop
absolu; nous disons naturellement : Je sens cela, et
il est aisé de voir combien cette expression est
juste et naturelle. Or, nous parlons ici surtout de
ces choses abstraites que le langage présente
aux considérations de l'esprit. Mais il peut arriver
en outre que ces choses nous affectent par quel-
Que rapport nouveau d’où naît un sentiment plus
ou moins vif de convenance, et dans ce cas nous
disons très-naturellement : Je goûte cela, manière
de parler éminemment heureuse et fine qui est
passée dans l'habitude du langage.
CXII. — Ainsi, en nous tenant aux expressions
du langage, nous voyons, nous entendons, nous
touchons les choses et les vérités que l'esprit seul
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308 DE LA PHYSIONOMIE
comprend. Nous sentons celles dont il a la prévi-
sion ; enfin, si elles nous apparaissent non-seule-
ment comme vraies, mais comme bonnes, nous les
goütons. S'agit-il au contraire d’une proposition
fausse, l'esprit s'y refuse, nous en détournons
nos regards, nous y demeurons sourds, nous ÿ
répugnons. La proposition est-elle à la fois fausse
et mauvaise, eile excite l'horreur: nous la cra-
chons et nous la vomissons. Or, ces métonymies
et ces métaphores ne sont pas seulement dans le
langage, elles sont aussi dans le geste.
Ainsi, le simple assentiment se manifeste essen-
tiellement par de légers indices de flair agréable,
de gustation satisfaite. On indiquera par tous les
mouvements de son corps qu’on est caressé par
l'idée. On inclinera la tête en signe de repos ou
de confiance; la négation au contraire est ex-
primée par tous les signes du refus matériel.
Nous refusons de voir et nous fermons métaphori-
quement les yeux. Nous refusons d’entendre et
nous bouchons nos oreilles: nous détournons en
même temps la tête, le nez et la bouche exécutent
tous les mouvements de la répugnance et du
refus. Les mains repoussent ou rejettent, la tète
et les épaules s’agitent comme pour secouer un
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 309
joug pesant; enfin tous les signes de l'horreur et
du dégoût physique, tous les signes d’une impa-
tience poussée à son comble, peuvent se mêler à
ces expressions et sont employés alors dans un
sens figuré. Ç ;
| Quoi de plus simple, quoi de plus naturel que
ce langage? Comment Buffon qui avait eu le pres-
Sentiment de ces choses, n’a-t-il vu dans ces
tropes du geste que des conventions variables
Comme le caprice des hommes ? Il les connaît en
effet, mais il les considère comme un résultat de
la réflexion et de l'habitude ,“tandis qu’elles sont
ce que Leibnitz appelle avec tant de profondeur
automate vivant. (Voy. Buflon, Histoire natu-
relle, t.2, p. 534, in-4°.)
Diderot semble à cet égard s'être rapproché
davantage de la vérité; malheureusement il n’a
pas développé toutes ses idées sur ce point. Mais
il est évident que son esprit était préparé aux
plus subtiles, aux plus délicates analyses. C’est
ainsi que dans sa curieuse lettre sur les sourds et
muets, il fait remarquer en passant combien la
langue des gestes est métaphorique. Il a même
Connu la signification et la source de ces expres-
une conséquence naturelle des lois qui régissent .
D
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310 DE LA PHYSIONOMIE
Érthe
sions métonymiques qui dérivent des sympathies
des organes entre eux.
Il dit en effet :« Qu'entendez-vous par ces ex-
pressions heureuses ?.. Je vous répondrai que ce
sont celles qui sont propres à un sens, au toucher
par exemple, et qui sont métaphoriques en même
temps à un autre sens, comme aux yeux. D'où il
résulte une double lumière pour celui à qui l’on
parle, la lumière vraie et directe de l'expression
et la lumière réfléchie de la métaphore. (Lettre
sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient.) »
Mais nul n’a mieux connu que Engel cette
classe de mouvements, nul n’en a mieux appréciés
l'importance. La théorie de Engel repose tout
entière sur un fait incontestable duquel il à tiré
d’admirables conséquences. Ce fait consiste dans |
une tendance innée de l’âme à rapporter ses idées
intellectuelles aux matérielles, et à imiter par des
modifications matérielles les modifications intel-
lectuelles. Toute l'histoire des mouvements tropi-
ques est en germe dans cette simple observation.
Le travail de Engel à pour titre : Lettres sur le
geste et sur l’action théâtrale. Ge travail presque
oublié aujourd'hui, serait lu avec un grand profit
par les comédiens et les artistes philosophes. Il a
+
Ts
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 311
Été traduit en francais, et cette traduction occupe
Une place honorable dans une collection fort
Curieuse qui à été publiée vers la fin du dernier
Siècle et au commencement de celui-ci sous ce
ütre : Recueil de pièces intéressantes concernant
les antiquités, les beaux-arts, les belles-lettres et la
Philosophie. (Paris, chez Barrois l'aîné, 1787.)
J'aurais eu à peine quelques remarques à ajou-
ter à ces belles recherches si l’auteur n’avait eu
en vue surtout le jeu des comédiens, et n’avait par
Conséquent donné à ses travaux une couleur spé-
Ciale ; ajoutons que l’auteur, ayant choisi la forme
istolaire, ne s’est point cru obligé à cette préci-
ais, tel qu’il est, son ouvrage n’en a pas moins
Une haute valeur, et l’on pourrait s'étonner qu’on
ait pu lui préférer le livre de Lavater, si l’emphase
Vide du style, le verbiage et la malice n’étaient le
Plus souvent estimés dans le monde au dessus de
la raison et même du génie.
CXIII. — J'ai dit en ce qui touche Les. mouve-
Ments métaphoriques les choses les plus essen-
telles. Mais nous ferons sentir encore plus
Vivement ces choses par quelques exemples im-
Portants.
n qu'un sujet vraiment philosophique exige;
D are hé APTE
DE LA PHYSIONOMIE
C'est une tendance invincible de l’homme de
considérer comme choses inséparables la cause
efficiente et le résultat de son activité. Dès lors, la
manière dont une chose nous impressionne nous
fait porter un jugement instinctif sur le degré de
l'effet qu’elle est capable de produire, et récipro-
quement la manière dont un effet nous frappe dé-
termine souvent et domine le jugement que nous
portons sur sa cause; c’est ainsi que l’idée de
puissance et celle de grandeur se développent dans
l'esprit avec une telle analogie qu’elles nous sem-
blent au premier abord identiques.
Ge qui est grand en effet ayant sur nos sens
une plus grande influence, nous sommes naturel®
lement portés à attribuer à ce qui nous affecte paï
sa grandeur, plus d'activité et de puissance, et
nous avons une certaine tendance à figurer la force
sous des proportions colossales, Ne dit-on pas, d’un
homme qui a fait de belles et fortes actions, qu’il
est un grand homme? Si l’on ne racontait de
Pepin le Bref que l'exemple qu’il donna de sa
force prodigieuse, quel peintre, quel historien s’a-
viserait de le supposer petit? N'est-ce pas une dif-
ficulté réelle que de représenter le grand Alexan-
dre, le grand Napoléon avec leur taille historique:
£
———_—_…——
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. _ 813
ee. E
ét n'a-t-on pas à les grandir une extrème ten-
dance? Aussi, les héros des temps fabuleux se pré-
Sentent-ils à notre imagination avec une taille
_Bigantesque. « Quand je lis Homère, disait le célè-
bre Sculpteur Bouchardon, les hommes ont dix
Pieds de haut. » Tels sont à nos yeux dans leurs
Combats prodigieux les guerriers du Tasse et de
PArioste. |
Et en effet, comment échapperait-on à cette
tendance? 11 faut un acte de la réflexion ou l'idée
vive de quelque qualité exceptionnelle occulte
Pour faire acception des petites choses. Concevoir
Une grande puissance dans une petite chose, c’est
distinguer la puissance en tant que notion pure
de l'esprit, c’est en un mot s’élever à une abstrac-
üon véritable. Aussi les gens du peuple ont-ils une
inclination naturelle à mépriser les petits hommes,
là petitesse et la médiocrité de la taille n’impo-
Sant point à l'imagination. L'une des qualités
Physiques les plus importantes d’un chef de
Woupe, c’est d’être grand et large, c’est de domi-
Qer par sa taille les hommes qu’il commande. De
là Encore cette tendance qui pousse les généraux
de cavalerie à choisir des chevaux grands et fou-
Süeux qui, se dressant sur leurs jarrets, élèvent
18
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314 DE LA PHYSIONOMIE
ang
leurs cavaliers comme un étendart. C’est sur des
coursiers prenant cette belle attitude, dit Xéno-
phon, que l’on nous représente les héros et les
dieux. |
À côté de la grandeur considérée comme condi-
Lou 7 Fr
a > RL
TR RE LEP
tion de force, se placent naturellement les signes
immédiats de la force. Tels sont un vaste thorax,
des muscles grands, mobiles et saillants. D’ail-
leurs, cette puissance nous frappera d’autant plus
qu'elle se développera avec moins d’effort. Il est
RER in mt PRES
été à oc te > + + ES
aisé de voir en effet que l'effort naît d’un senti-
ment d’infériorité, et l'instinct saisit spontanément
cette vérité. On sent qu’alors les limites de la
puissance sont proches et qu’elle touche à son
É «
EX
{
|
terme.
Aussi cette apparence d'effort déshonore-t-elle
en quelque sorte l'expression de la dignité hu-
maine. La roideur du corps, des muscles trop
apparents nous frappent beaucoup moins dans
un homme fort que des allures grandes et libres:
&
t
{
44
H
ñ
j
|
une puissance naturelle et spontanée qui a le sen-
timent d'elle-même se développe avec aisance; et
la bonne grâce, cette parure de l’homme qu'ont
anobli l'intelligence et l'éducation, résulte sur-
tout de l’art avec lequel, proportionnant ses mou-
Re Era ue
CC OS
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 315
Vements à l'effet qu’on veut produire, on y em-
Ploie le minimum des organes et des efforts mus-
Culaires que la nature de l’action exige. |
Le sentiment de ces rapports est, dansune autre
Sphère, l’un des guides les plus sûrs de l’orateur
_€t du poëte.
- Annuit, et totum nutu tremefecit olympum.
dit Virgile en parlant de Jupiter. Or, ce dieu
Qui d’un signe de sa tête ébranle le monde,
ne donne-t-il pas l’idée d’une irrésistible puis-
Sance? C’est bien là la force sans limites qui con-
Vient au maître absolu de toutes choses, au père
des dieux et des hommes. .Les dieux inférieurs
auront moins de puissance et déjà ün certain
€ffort se trahit dans les expressions de leur cour-
Toux, dans l’emphase des discours que leur prête
le poëte :
Tantane vos generis tenuit fiducia vestri ?
Jam cœlum terramque, meo sine numine, venti
Miscere, et tantas audetis tollere moles ?
Quos ego! Sed motos præstat componere fluctus.
(Æn., lib. I, v. 132).
Cest en ces termes que Neptune gourmande
er » ' .
DAS Re TN ; me ne Ti
316 DE LA PHYSIONOMIE
les vents révoltés. La puissance souveraine de
l’'Homme-Dieu est exprimée dans l'Évangile par
des termes plus simples : « Alors Jésus parle aux
vents, et dit à la mer : Tais-toi, et aussitôt il se fit
un calme profond, » Quelle majesté, quelle puis-
sance ! On voit bien que rien ne pouvant résister,
l'effort serait ici superflu.
La peinture ne peut toujours s'élever autant
que la parole à ce degré du sublime: certains
Sujets dépassent la sphère de cet art, et ce serait
un acte de génie de ne les point aborder. Cette
admiration inintelligente dont on entoure les
œuvres les plus médiocres de Raphaël ne m'em-
pèchera point, quelle que soit d’ailleurs la per-
fection du dessin, de considérer comme une œuvre
déplorable cette composition célèbre où il a re-
présenté Dieu séparant la lumière des ténèbres.
Ce vieillard furieux poussant du pied et des mains
pour séparer deux épaisses nuées, ne me donne
point l’idée d’une puissance régulatrice et encore
moins d’une puissance infinie. Mais quand j'en-
tends ce passage de la Genèse : Fiat lux, et ut
facta est, l'admiration me ravit et j'ai comme une
révélation de cette puissance infinie qui crée
comme nous pensons !
Sn TT mn yat og RE mn oo
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION, 317
CXIV. — Ainsi les idées de grandeur, de force
et d’aisance, se développent comme choses corré-
latives ; l’une suppose l’autre, et elles sont en
Quelque façon inséparables. De là cette tendance
naturelle qui nous porte à nous croire plus grands
Quand nous nous croyons plus forts. Ce sentiment
fait que tous nos organes se redressent, et nous |
grandissons comme l’idée quenous avons de nous-
mêmes, | |
CXV. — D'ailleurs, ce sentiment de puissance
intime étant le résultat d’une proportion qui s’éta-
blit naturellement entre l’idée générale que nous
avons de notre force et l’idée que nous nous
faisons des obstacles qu’elle peut rencontrer, cette
tendance à se redresser peut encore être conçue
dans un autre sens : l’être intelligent qu’un désir
indéfini agite, ne sent qu'avec peine des limites
Posées à son action, et comme la vue est, si je
lose ainsi dire, la lumière de l’action, un obstacle
àpportéauregard éveille le sentiment d’un pénible
esclavage. On ressent au plus haut point cet effet
dans les pays des montagnes ; si bien qu’en géné-
ral le site le plus beau est celui d’où l’on embrasse
Un plus grand espace, surtout si l'œil errant sur
des ceintures de montagnes, des horizons succes
18.
318 - DE LA PHYSIONOMIE
sifs apparaissent aux regards charmés, comme
les premières zones d’une auréole infinie ! Cette
raison explique l'attrait singulier qui pousse
l’homme à monter toujours, à rechercher les cimes
les plus élevées; or, à mesure qu'il s'élève, son
horizon grandissant et se dilatant pour ainsi dires
cette sympathie du mouvement avec la sensation
oculaire que M. Chevreul a démontrée dans ses
expériences, fait qu’en sentant grandir autour de
soi l’espace, on pense grandir et se dilater soi-
même. Si bien que de la simple idée d'espace,
quand toutefois il ne s’y mêle aucun mouvement
de crainte, résulte nécessairement dans n0$
organes une expansion consécutive.
Or, ces mouvements dont le sens direct ou
symbolique apparaît au premier coup d'œil, se
développent dans un sens métaphorique toutes les
fois que l’âme occupée de grandes idées ou de
grandes choses ouvre ses ailes, pour parler le
magnifique langage de Platon, et s'élève dans la
sphère lumineuse des idées. Le poëte lyrique que
l'inspiration ravit gagne en imagination les hau-
teurs du ciel. Il se sent emporté au-dessus des
horizons visibles et nage dans l'espace comme
l'aigle de Pathmos, et son regard plonge dans
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 819
l'infini. Alors, car ce sentiment est réel, il pense
se détacher de la terre; son corps se dresse, sa
tête s'élève et respire au-dessus des foules, et
cette tendance conduit par des degrés insensibles
à cet état extatique, à ces hallucinations si fré-
Quentes dans l’histoire des mystiques. « Scio ho-
Mminem in Christo ante annos quatuordecim (sive in
COrpore nescio, sive extra corpus nescio, Deus
Scil), raptum hujusmodi usque ad tertium cælum.
(Ép. II aux Corinth., ch. x1r, v. 2.)
C’est encore dans le même sens et par suite des
mêmes lois que nous disons : des pensées éle-
vées, des pensées basses, une âme sublime, une
âme dégradée. Pensons-nous à quelque chose de
grand, que dis-je? à quelques-unes de ces idées
auxquelles nous attachons métaphoriquement
l’épithète de grandes, la liaison qui existe entre
les mouvements du corps et ceux de la pensée
nous porte à notre insu à nous grandir et à nous
gonfler. Un panégyriste racontant les exploits d’un
héros, se dresse de toute sa hauteur, et l’empha-
tique lenteur de ses paroles, un je ne sais quoi de
redondant et de vaste dans le geste, traduisent
Métaphoriquement l’étendue d’une puissance ma-
jestueuse.
320 DE LA PHYSIONOMIE
CXVT. — Ces propositions ne sont pas vraies
seulement quand on les envisage d’une manière
directe, leurs réciproques elles-mêmes sont évi-
dentes. Ainsi :
Instinctivement nous unissons l’idée de fai-
blesse à celle de petitesse. Si nous nous sentons
faibles, nous nous sentons petits ou plutôt nous
nous sentons rapetisser. Le mouvement du corps
suit ce mouvement de la pensée, toutes nos atti-
tudes s’amoindrissent alors et l'organisme entier
se rétracte.
Or, le sentiment de faiblesse n’est pas toujours
primitif, il naît souvent dans un être par l’idée
d'une puissance supérieure à la sienne.
Voilà pourquoi si deux hommes de condition
très-différente, un prince, par exemple, et un
pauvre bourgeois, se trouvent en présence, le sen-
timent de cette différence fait que l’un se redresse
et se gonile, tandis que l’autre s’affaisse et s’a-
moindrit.
Ge mouvement se développe très -naturellement
lorsque l'être qui s’enorgueillit est le plus grand
par la taille, tous les faits étant alors harmoni-
ques et de même signification.
Mais quand l'être qui s’enorgueillit est petit et
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 821
que l’être qui s’humilie est plus grand, l’orgueil
reçoit de cette contradiction un caractère ridicule,
tandis que l'humilité devient, dans ces conditions,
plus vile ou du moins plus pénible.
… GXVIL. — Les faits sur lesquels je viens d’in-
Sister méritaient d’être examinés à part; leur ana-
lyse, rendant nécessaire l’emploi de procédés un
peu subtils, a embarrassé notre marche. Main-
tenant il deviendra plus facile de développer et de
faire admettre les propositions suivantes :
1° L’attention de l'esprit à des idées abstraites
est nécessairement accompagnée" de signes exté-
rieurs d'attention. Ces signes sont modifiés dans
le même sens que ceux de l’attention symbolique.
Il serait superflu d’insister sur cette proposition
dont l'évidence est immédiate.
2 Si l’idée est claire, présente, et, si j'ose le
dire ainsi, en la puissance de l'esprit, le corps est
fixé dans l'attitude de l’attention facile.
| 3° Si l’idée est mal définie, si elle échappe et
fuit comme une ombre, l’esprit semble la suivre
et le corps imite ce mouvement.
Or, il se produit à cet égard des modifications
d’un sens admirable. C’est ainsi que dans l’ana-
lyse d’un problème un peu compliqué, l'œil semble
322 DE LA PHYSIONOMIE
regarder avec insistance et exécute automatique-
ment tous les mouvements qui correspondent à la
vision difficile. Au moment où l'attention cherche
à se fixer, l'œil paraît chercher en même temps
quelque objet fort éloigné du corps. À mesure que
les choses deviennent plus distinctes, cet objet
semble se rapprocher de plus en plus; si bien
qu'au moment où la pensée est arrivée au point
de décomposer l’idée première en ses éléments
les plus subtils, les yeux passent à l'attitude de la
vision myope et convergent avec une intensité
. plus ou moins grande.
| De même un homme attentif à un raisonnement
ardu fait mine d'écouter et d'écouter avec une
scrupuleuse instance, bien que le discours soit
haut et intelligible. Tous les signes de l'audition
difficile se développent alors sur la face, dont
l'expression rappelle celle d’un homme sourd qui
s'efforce d'entendre.
4° Si l’idée est fort compliquée, en même temps
que l'esprit en sent tous les détours, le regard et
le doigt élevé semblent suivre le fil conducteur de
quelque méandre très-compliqué.
En effet, il arrive souvent que dans une démons-
tration la solution ne soit point immédiate et ne
———
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 323
—
Soit aperçue qu'au terme d’une longue série de
Propositions et de démonstrations successives. Le
sentiment d’un mouvement ou d’une progression
S'éveille alors dans l'esprit. « Suivez bien ce rai-
Sonnement, je vous prie, dit Molière. » On le suit
en effet, et lorsque, arrivé au terme du raisonne-
ment, l'esprit en saisit la conséquence, nous disons
communément : J'y suis, m'y voilà, et tout le
corps prend en même temps une attitude de
repos. |
5 « Lorsque l’homme développe ses idées sans
« obstacle, dit Engel, sa marche est plus libre; ,
« quand la série des objets se présente difficile- |
« ment à son esprit, son pas est plus lent. Lors-
€ qu’un doute important s’élève soudain, il s’ar-
« rête tout court. De même, des idées disparates
«amènent une marche irrégulière. Quand on
« change d'idée, on change d’attitude. Si, par
« exemple, cherchant quelques faits intellectuels,
_«un‘homme regarde en bas et ne trouve point,
«ses yeux changeront de direction, il regardera
«en haut, etc. » Ges remarques sont pleines de
génie. |
© 6° Si la marche dé la pensée est embarrassée et
Pénible, un mouvement général d’ embarras retentit
324 DE LA PHYSIONOMIE
dans tous les organes du corps, et des signes d’im-
patience se développent de toutes parts.
C'est ainsi qu’on se gratte la tête ou le corps;
on se frotte les yeux ou on cligne fréquemment,
on se mouche sans besoin, on crache, on secoue
la tête; on se débarrasse d’habits qui ne gènent
en aucune façon.
Ces mouvements se produisent avec plus d’évi-
dence encore quand, au mouvement intérieur de
la pensée, se mêle un travail simultané d’expres-
sions, comme cela a lieu dans une improvisation.
Rien de plus fréquent que de voir alors des per-
sonnes vives, mais dont l’éloquence est moins
rapide que la pensée, se frotter à chaque instant
les yeux, s’essuyer la tête, se moucher, cracher
sans nécessité, signes d’embarras extérieur qui
répondent toujours à ces moments où se produit
dans l’esprit un certain embarras. Un de mes
amis, homme fort intelligent d’ailleurs, a quel-
que peine à développer ses idées dans la conver-
sation. Sitôt que l’expression fait défaut, on le
voit secouer la tête et chasser bruyamment de l’air
par lenez, bien que ses fosses nasales soient d’ail-
leurs absolument libres.
7° L'esprit fait-il un premier effort infructueux;
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. _ 825
FT
on s'apprête à le recommencer. Le corps imite ce
mouvement. On s'arrête, on respire, puis on sem-
ble reprendre son action.
Les habitudes de la vie donnent quelquefois au
geste une forme particulière. Aïnsi, les gens qui
ont l'habitude du dessin font mine d’effacer quel-
Que chose comme pour tracer un nouveau con-
tour, Un musicien, au contraire, frappe du doigt
. Comme pour commander le silence, puis il recom-
mence son raisonnement.
CXVIHI. — Tels sont d’une manière générale les
mouvements qui accompagnent l’action de l'esprit.
Mais ces mouvements sont remarquables surtout
quand l’idée dont l'intelligence estoccupée éveille
en nous des sentiments d’une nature toute par-
ticulière : | |
A Si l'évidence d’une idée lumineuse charme
l'esprit etle ravit dans une contemplation joyeuse,
tous les signes de l’admiration se développent sur
le visage et dans le corps tout entier.
90 Si une solution inattendue se présente à
l'esprit, le corps peut éprouver tous les effets de
l’étonnement. ns
3° Une idée se développe-t-eile en harmonie
avec le sens du bien ? est-elle bonne ? cette idée
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326 DE LA PHYSIONOMIE
nous charme, elle nous caresse et nous applau-
dissons. Que dis-je, nous la respirons, nous la
goûtons, nous l’assimilons, et à tous les signes de
l’assentiment extérieur se mêlent ceux de la dé-
glutition satisfaite.
h° La forme sous laquelle l’idée est présentée
éveille-t-elle dans l'esprit ce sentiment de conve-
nance et d'harmonie qui est l’une des conditions
premières du beau? le charme de l’expression .
peut éveiller des idées parallèles ou analogues à
celles que l’idée sollicite. Souvent même, le sens
abstrait de la pensée n’excitant qu'un sentiment
médiocre, le corps de cette pensée, je veux dire
l'enchaînement des mots, lerhythme de la phrase,
le choix des expressions, pourront affecter très-
vivement etéveiller des impressions très-distinctes
de plaisir et de volupté, de douleur ou de dégoût,
Dans ce cas, ces sentiments sont exprimés par les
mouvements extérieurs qui leur sont relatifs, et
cela dans un détail si fin qu'’analyser ces choses
c'est au premier abord tomber dans la subtilité.
Je prendrai pour exemple un de ces fins con-
naisseurs, un de ces littérateurs délectants, dont
l'espèce qui se perd chaque jour aété si commune
en France au commencement de ce siècle. Suppo-
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. OL
_SOns notre homme attentif à la lecture d’un pas-
Sage où le charme de l'expression, la vivacité du
Mouvement, la suave harmonie du style lui font
apercevoir des perfections merveilleuses; le sen-
_timent de ces perfections l’occupe tout entier; et,
de peur d'en laisser échapper une seule, il lit
avec une lenteur précieuse, relit sa phrase, s’ar-
rêtant à chaque mot et faisant durer par mille ar-
tifices l'impression de ces choses sur l'esprit. Ces
actions, propres aux délicats, ont avec la friandise
du gourmet plus d’analogie; et chose remar-
Quable !'ils en produisent sur le visage toutes les
expressions, tous les mouvements principaux.
Voyez en effet ces mouvements de dégustation
dans les lèvres, ce nez qui flaire, ces yeux à
demi fermés, ces petites fossettes dessinées sur
les joues par un mouvement de déglutition vo-
luptueuse ! et vous demeurerez convaincu que cet
homme ne voit pas, n’entend pas seulement l’idée
lenfermée sous les formes du langage, mais en
léalité la goûte et la savoure, et, ap en cela au
SOurmet, semble moins attentif à l’idée elle-
Même, à la base nutritive de la pensée qu’à la
Säveur du style, aux ingrédients de la phrase,
AUX parfums de l'expression.
DE LA PHYSIONOMIE
Or, d’un homme qui lit ainsi, nous disons na-
turellement : c’est un Lomme de goût. Ainsi cette
figure n’est pas seulement dans le langage, elle
est aussi dans le geste.
On sent bien que des impressions opposées à
celles que je viens de décrire amèneront des mou-
vements inverses, en sorte que des mouvements
d'impatience et de dégoût, seront la conséquence
naturelle de certaines lectures. De même l'indif-
férence de l'esprit se traduira par des mouve-
ments d’indiflérence dans les organes du corps,
le mépris par des signes de rejet, le dégoût et
l'horreur par des mouvements d'expulsion dans
tout l'appareil buccal. Enfin, la négation de l’es-
prit sera traduite dans le corps par des mouve-
ments de refus ou de révolte,
CXIX. — Afin de montrer dans quel détail
merveilleux le mouvement du corps se plie à
toutes les exigences de la pensée, je rapprocherai
de ces faits certains faits analogues, relatifs aux
idées que l’homme se fait de sa personne, à la
manière dont il s’affecte lui-même.
L'homme en effet est souvent son objet à lui-
même, et dans ce retour vers soi, il éprouve dans
certains cas des sentiments de satisfaction et
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 829
d’orgueil, et, dans d’autres cas, de tristesse, de
dégoût de soi-même, d'abandon et d’humilité.
Or, chose remarquable, dans le premier cas, il
se goûte lui-même. Tantôt il se rengorge et exé-
cute le mouvement de la gustation satisfaite.
D’autrefois, c’est le mouvement d'inspiration vo-
luptueuse dont la déglutition du gourmet est
suivie. Des mouvements sympathiques de caresse
individuelle accompagnent souvent ces méta-
Phores, et je ne puis m'empêcher de faire remar-
Quer ici combien les expressions du contentement
intérieur et de la suffisance ont avec ces mouve-
ments de frappante analogie.
Quand à ces signes du contentement se mêlent
ceux de l’orgueil, on voit le corps se redresser et
se gonfler. Ges choses se développent dans un
ordre simple et intelligible. à
La tristesse a des signes diamétralement oppo-
sés ; elle prend la figure du dégoût le plus pro-
fond. Elle laisse par un mouvement naturel la sa-
live s’écouler ; les lèvres retombent, le gosier se
ferme. Tous ces mouvements sont dans le langage :
ne dit-on pas à chaque instant que la tristesse
amène le dégoût de la vie? De même le sentiment
de l'humilité amoindrit. |
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330 DE LA PHYSIONOMIE
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CXX. — Dans la série des faits innombrables
que produit le développement de l’activité hu-
maine, pourrais-je tout embrasser et tout dire ?
Qu'il me suffise d’avoir fait entendre le sens des
propositions que je résume ici :
1° Les mouvements de l'esprit qui sont relatifs
aux idées abstraites, sont toujours accompagnés
de mouvements analogues dans les organes du
Corps.
2° Les sentiments de plaisir ou de douleur,
d'amour ou d’aversion qui sont éveillés à l’occa-
sion d’une idée abstraite, sont accompagnés de
tous les mouvements analogues qu’amène un sen-
timent de même ordre qui se développe dans
l'occasion d’une impression physique directe.
3° Les mouvements analogues se développent
dans le corps, à l’occasion des impressions qu’ex-
cite dans l’âme la propriété même des signes
auxquels l'idée est attachée dans le langage.
A° Les sentiments qu’éveille dans l'être vivant
l'idée de sa propre existence, sont accompagnés
de mouvements physiques analogues à la nature
de ces sentiments.
5° Ces expressions du corps sont toujours iden-
tiques ou du moins parallèles à celles du langage ;
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 331
en sorte que, dans beaucoup de cas, pour tra-
duire une passion dans le dessin d’un visage, il
Suffirait d’imiter directement les figures du lan-
gage et les expressions naturelles par lesquelles
la parole peint métaphoriquement cette passion.
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So creer.
CINQUIÈME PARTIE
APPLICATION DES PRINCIPES PRÉCÉDEMMENT EXPOSÉS.
DE L'EXPRESSION DES PASSIONS D'UNE MANIÈRE GÉNÉRALE.
CXXI. — Des mouvements directs et SyMmpa-
thiques, des mouvements symboliques, des mou-
vements métaphoriques, apparaissent, se SuCCèe-
dent, se mêlent, se combinent en cent manières
et composent la physionomie des passions.
Mon intention n’est point de donner ici une ana-
lyse complète des passions; cette question, d’un
grand intérêt d'ailleurs, m’entraînerait pour le
moment trop loin de mon sujet. Mais parmi ces
passions je prendrai les plus apparentes, et en
montrant de quels mouvements elles sont natu-
rellement accompagnées , je ferai une application
facile des principes qui ont été établis dans le
courant de ce travail.
Nous distinguerons dans cette exposition deux
19,
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M
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334 DE LA PHYSIONOMIE
RSR re à: ja ÉE PIU OS
ordres de passions : 4° des passions homogènes
dont tous les éléments sont harmoniques et de
même signification: 2 des passions hétérogènes
dont les éléments sont de signification contraire.
1° Des passions homogènes.
GXXIL. — Nous rangerons au nombre des pas-
sions homogènes :
AE PSI 40," RS douleur.
ALTO à + 1, En filon
Ea volupté} 2444 L’angoisse.
Le contentement . .:, L’ennui.
La confiance . . . . . Le doute.
RÉOARe. là colère.
L'énergie. . "INR
La Het, à +. = < RMI,
L'orgueil. ‘. , .-, * JUS basses |
L'impudence . . . . . La honte et la timidité.
L'amoueioctisrins "br. . Eine
EARROANT, cire de mépris.
L'admiration. . ,. L’horreur,
La bonté. . . . . . . La méchanceté.
La générosité. . . . . L’avarice.
LÉ COURS, ; - . ,L' peur et l’épouvante.
Nous pourrions pousser beaucoup plus loin cette
énumération; elle diffère beaucoup de celle qui a
1
|
4
ET DES MOUVEMENTS D’EXPRESSION. 335
été proposée par Descartes, et bien que j'aie dû
profiter du travail de ce grand philosophe, il m'a
fallu pour obéir aux exigences de rnon sujet,
accepter une classification un peu différente. Je
Vais essayer de définir tour à tour ces différentes
passions et je démontrerai le rapport naturel qui
existe entre la définition de chacune d'elles et les
mouvements corporels qui l’expriment.
Du Plaisir et de la Douleur.
CXXIHII.— Le plaisir naît d’une excitation douce
qui éveille le sentiment de la vie et sous l’impres-
Sion de laquelle on s’épanouit. Cetépanouissement
se manifeste par des efforts sensibles. C'est ainsi
que le plaisir augmente la force impulsive du
cœur, excite le système nerveux et détermine
ainsi de la chaleur et de la rougeur artérielle. Un
besoin plus actif de respiration s’éveille. La ten-
dance à l’action s'exprime dans tous les muscles,
dans tous les appareils de la sensation; aussi le
plaisir fait-il sourire, ouvrir les yeux, dilater les
narines, Chez beaucoup d'animaux les oreilles se
dressent. La voix devient aussi plus rapide et plus
aiguë. En même temps, la tendance au mouve-
ment que le plaisir excite, porte à s'agiter sans
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TORRENT" ES RE nr eu
mars " res
336 " DE LA PHYSIONOMIE
effort, à courir, à bondir, à agiter ses bras comme
un oiseau ses ailes, lorsqu'il veut s'envoler. Cet
état que le plaisir amène, cette surexcitation douce
de la vie, est la joie.
Quand la joie est très-vive, très-distincte, et
cela arrive plus particulièrement dans l'enfance,
elle détermine dans les viscères des effets sem-
blables à ceux d’un chatouillement agréable et
produit ainsi ces éclats de rire accélérés qui sont
particuliers à cet âge. Ce phénomène est en géné-
ral moins apparent dans l’âge adulte.
La douleur naît d’une sensation anomale qui
éveille le sentiment de la vie, mais sous une forme
étrangère et pénible. Aussi l’organisme repousse-
t-1l la douleur avec une énergie souvent déses-
pérée. Getie action, considérée de près, a tous les
caractères de l'effort. La douleur lutte en effet
| avec une violence proportionnée à la force du pa-
| tient. Considérez un homme qui subit quelque
grande opération. Il produit tous les mouvements
d’une lutte désespérée et pousse des cris affreux
et prolongés; ses veines se congestionnent, sa
Peau se couvrede sueur. Cette tendance aux mou-
vements de l'effort est si marquée qu’il cherche
instinctivement des points d'appui, saisissant la
"
ET DES MOUVEMENTS D’EXPRESSION. 337
Main des personnes qui l'entourent et la serrant
convulsivement. Il est bien à remarquer que les
Personnes de courage se contiennent et ne crient
point ; mais leur attitude est alors celle d’une
résistance obstinée, elles serrent les mâchoires et
les lèvres et cessent absolument de respirer. Aussi
les chirurgiens habiles recommandent-ils alors à
leurs malades de ne point se retenir et de n'avoir
point honte de crier, les cris étant dans ce cas un
moyen d'entretenir un reste de respiration.
Il est d’ailleurs aisé de prévoir que des efforts
de cette nature épuisent s'ils sont trop souvent
répétés. Ils anéantissent les forces par la con-
gestion veineuse qu’ils amènent et tarissent les
Sources de l’activité nerveuse. Aussi, à ces con-
vulsions succède le plus souvent un sentiment
pénible d’épuisement et de faiblesse. Cette fatigue
intérieure, cet abandon qui suit l’excès de la dou-
leur, est la tristesse. Aussi les caractères de la
tristesse sont-ils généralement ceux d’un affaisse-
ment général. La face pâlit, les mouvements du
cœur et du thorax se ralentissent, la vue s’affai-
blit et devient traînante, la peau se refroidit et se
dessèche, le corps se courbe, s’affaisse; enfin
toutes les chairs de la face, entraînées par un mou-
+
Er ms
NE om grrr
ue
qu dE à
338 DE LA PHYSIONOMIE
vement passif, semblent abandonnées à la pesan-
teur, comme l'artiste l’a merveilleusement exprimé
dans les têtes penchées des filles deNiobé. Dans
ce mouvement, la respiration s’arrêtant, les ailes
du nez s’alfaissent et le poids des joues entraine
la paupière inférieure, si bien que celle-ci agis-
sant par continuité sur la paupière supérieure, le
globe de l'œil est découvert au-dessus de la pru-
nelle, tandis que la pupille est recouverte et à
demi voilée. Get effet est rendu plus sensible par
ce mouvement d’élévation de l'œil que détermine
dans les défaillances la prédominance des muscles
obliques supérieurs. Ces choses sont très-faciles à
constater.
GXXIV. — Lorsque la joie ou la douleur sont
subites, elles peuvent exciter au point de détermi-
ner un spasme tétanique du cœur, d’où résulte
une grande et subite päleur. La rougeur succède
en général à cette pâleur aussitôt que le spasme a
cessé. D'autres fois elles produisent l’étonnement
et peuvent dans certains cas amener la défail-
lance et la syncope.
De la Voluplé et de l'Angoisse.
CXXV. — La volupté est une sorte de plaisir
]. |
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 339
Chatouillant dont l'effet court dans les viscères et
rend insensible aux excitations extérieures. Elle
8St donc essentiellement caractérisée par un re-
tour vers soi-même. Nous en avons décrit ailleurs
les principaux effets.
Il n’est pas besoin de rappeler ici que les mou-
. Vements de la volupté peuvent accompagner une
action directe, se développer dans un sens sym-
bolique ou métaphorique, et se montrent dans
ces différentes circonstances sous la même forme.
Gette simple remarque nous épargnera des répé-
ütions et des longueurs.
L'angoisse résulte d’une douleur qui retentit
dans les nerfs viscéraux et trouble plus ou moins
le jeu des intestins, des poumons et du cœur. Cet
État est toujours accompagné d’une dyspnée
intense et d’une extension convulsive du corps. Il
Semble qu'alors les mouvements des viscères étant
Suspendus, l’organisme entier cherche à y sup-
Pléer par des mouvements accessoires des mus-
€les périphériques. C’est ainsi qu’en général l’an-
Soisse précède la mort. Dans cet état, un senti-
ment profond de gêne douloureuse éveille l’idée
de l'esclavage. Ainsi, selon le principe que nous
ons développé en plusieurs lieux, l'angoisse
À
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— io à
nn tp
er
340 DE LA PHYSIONOMIE
pousse les moribonds à se dépouiller de leurs vè-
tements, bien qu'alors la peau soit le plus souvent
glacée. Souvent, presque au moment de mourif
ils veulent se lever et changer de lit : que de fois,
hélas! n’ai-je pas vu ces choses dont l’idée me
saisit douloureusement! |
S1 l’angoisse est subite, elle se change en épou-
vante; on essaye de fuir, de s’arracher à soi-même
et cette tendance sans but et sans regard constitue
l’égarement. C'est ainsi que dans les grandes dou-
leurs on se précipite, on s’échappe, on court au
hasard. Les empoisonnements amènent des effets
analogues; au début d’une invasion, un dés
immodéré de fuir saisit souvent les pestiférés et
les cholériques, et ces effets ne s’observent pas
uniquement dans l'espèce humaine, les animaux
les présentent souvent à un haut degré.
On peut voir ici jusqu'à quel point ces effets
sont opposés à ceux de la volupté. Dans la volupté»
les yeux se ferment à demi, les oreilles s’incl-
nent, le corps est ramené vers lui-même par une
sorte d’enveloppement ondulatoire. Dans lan-
goisse, au contraire, les yeux s'ouvrent démesu”
rément, les oreilles se dressent et le corps tout
entier s’érige. D'ailleurs, l'animal n’a alors la Sen”
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 341
Sation d'aucun objet extérieur, il regarde dans les
ténèbres et ne voit pas. Dans ce cas, les yeux di-
vergent légèrement et la pupille est alors énormé-
ment dilatée. Nous reviendrons tout à l’heure sur
ces choses en parlant de l’épouvante.
Du Contentement et de l'Ennui.
_ CXXVI. — Le contentement est une sorte de
joie tranquille, mêlée d’un sentiment de force in-
térieure et de liberté. Aussi, dans le contentement,
le corps semble grandir; tous les mouvements se
développent avec aisance, la vue se promène sans
effort sur les objets extérieurs, et le léger sourire
de la bouche entr’ouverte indique la liberté des
mouvements respiratoires. On voit alors la face se
Colorer d’une rougeur légère et les joues gonflées
Par le: sourire élever jusqu’à la prunelle la pau-
Pière inférieure. En général, ce mouvement n’est
Pas sans quelque mélange de volupté. Aussi, dans
la plupart des cas, l’homme content se rengorge-
t-il un peu.
L’ennui est une tristesse mêlée d’un sentiment
plus vif de répulsion et de dégoût. Aussi les mou-
Vements d'effort et de révolte sont-ils plus pro-
is.
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+,
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342 DE LA PHYSIONOMIE
noncés dans l'ennui proprement dit que dans la
tristesse. De là cette congestion pénible, cette
oppression qui amène à chaque instant le besoin
de bäiller. Il est fort à remarquer qu’on s'ennuie
plus facilement dans les lieux où l'air n’est pas
renouvelé, tandis qu’il se produit difficilement
sur les montagnes et sur les bords de la mer,
dans tous les lieux enfin où de grandes masses
d'air circulent; de là ce besoin de prendre l'air
qui s'empare de tous ceux que l'ennui a saisis.
L’ennui est donc en soi un commencement de con-
gestion et d’asphyxie. On conçoit dès lors com-
ment toutes les causes qui peuvent directement
ou par sympathie ralentir les mouvements respi-
rateurs, un chant lent et monotone par exemple,
sollicitent irrésistiblement à l'ennui, tandis qu'il
est le plus souvent vaincu par l'influence d’une
musique d'un rhythme rapide et entrainant.
De la Confiance et du Doute.
CXXVIL., — La confiance naît d’un contente-
ment intérieur mêlé d’un sentiment de liberté
indéfinie. L'homme qui marche au grand jour
dans une plaine découverte et sur un terrain uni,
nous donne directement l’expression de la con-
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 343
fiance; la tête haute mais sans roideur, la r'espi-
lation grande et facile, le regard assuré, les na-
lines ouvertes, la bouche souriante, les épaules
dégagées, la marche aisée et libre, tels sont les
Signes les plus habituels de la confiance, Il n’est
Pas nécessaire de rappeler que ces expressions
Peuvent avoir un sens tantôt symbolique tantôt
métaphorique, et dans tous les cas elles seront
les mêmes, sauf les modifications que nous avons
indiquées au chapitre des mouvements symbo-
liques.
La vue, l'apparence, l’idée d’un obstacle dans
la marche du corps ou de l'esprit produit le doute.
Le doute s'arrête à la vue ou à la simple idée de
l'obstacle. Parfois il recule devant cet obstacle
lorsqu'il apparaît comme chose douée d’une acti-
Vité mauvaise. Mais le plus souvent le corps est.
Seulement dévié de sa direction première.
L’obstacle étant nuisible en soi, on a direc-
lement, symboliquement ou métaphoriquement
tendance à se mettre en garde contre lui. Les
Mains se portent en avant et l'œil se met en dé-
fense par certains mouvements du sourcil. Des
Signes de refus ou même de dégoût se dessinent
dans les contractions du nez et des lèvres. Toute-
NP nue
Lies
ie gun
La
244 DE LA PHYSIONOMLE
fois, les yeux demeurant ouverts et attentifs, cette
circonstance permet de distinguer le doute d’avec
le simple refus.
Quand le doute est mêlé de quelque inquiétude
on essaye de tourner l’obstacle et les yeux cher-
chent à droite et à gauche une issue. De là, ces
oscillations furtives de la tête et du corps qui se
porte tantôt sur la jambe droite, tantôt sur la
jambe gauche, mouvements que les mimes popu-
laires emploient avec d'autant plus de succès que
leurs grimaces ne sont au fond que des exagéra-
tions, plus ou moins heureuses, de signes naturels
dont chaque spectateur a en lui le type et
l'imstinct. |
Du Calme et de la Colère.
CXXVIIL — Le calme diffère du contentement
et de l'énergie dont nous parlerons tout à l'heure
par des caractères qui ne permettent point de les
confondre. C’est le repos dans l’action. Une cer-
taine lenteur dans les mouvements, la bouche un
peu pendante, la paupière supérieure haute, Je
corps droit, mais sans aucune espèce de roideuf:
la circulation grande mais lente, la peau plutôt
pâle que colorée, tels sont les signes qui caracie”
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 345
risent en général la physionomie des gens calmes.
Ils en ont en général le front uni et peu de rides
sur le visage. Leurs muscles sont en général peu
apparents; toutefois, le plus souvent, ils ont
l'aspect de la force. La faiblesse rend en effet
nécessaires des efforts habituels, et ces efforts
incompatibles avec un calme réel ne peuvent se
concilier avec les signes généraux qui l’expriment.
Si le calme est le repos dans l’action, la colère
pourrait être à certains égards définie l'action dans
l’action, c’est à la fois une révolte et une poursuite
furieuse; elle court, se précipite, bondit, lutte
avec une rapidité foudroyante, brise et anéantit.
De là une tendance invincible à battre, à casser, à
* déchirer, à mordre, à fouler aux pieds, tendance
qui s’épuise sur toutes choses, même sur les
innocents, que dis-je, sur des êtres inanimés.
La colère, étant le résultat d'une excitation
extrême, accélère en général les mouvements du
cœur et fait rougir la face. Mais souvent cette exci-
tation poussée trop loin détermine un spasme du
cœur qui cesse un instant de battre. Dans ce cas,
la colère fait pâlir. Ainsi la pâleur est le signe
d’une colère poussée à ses limites extrêmes.
La colère amène dans certains cas des spasmes
En ES nr RES
DE LA PHYSIONOMIE
dans les viscères, spasmes d’où résultent tous les
symptômes de l’hystérie et de l'angoisse : c’est
ainsi qu’elle fait tantôt couler les larmes et tantôt
éclater un rire terrible. Souvent l'an goisse est alors
poussée si loin, que la colère paraît au premier
abord ressembler à l’ épouvante; mais, en y regar-
dant de plus près, elle s’en distingue aisément,
en ce que (comme nous le dirons tout à l'heure)
dans l’épouvante le corps se retire en arrière,
tandis que dansla colère ilse porte le plus souvent
en avant. En outre, les pupilles sont toujours
énormément dilatées dans l épouvante, tandis
qu'elles sont toujours contractées dans la colère.
Cette passion se développe sous une forme essen-
tiellement éruptive. En conséquence elle ne peut,
en aucun cas, être contenue sans un effort de la
volonté qui intervient avec plus ou moins d’éner-
gie. De là, deux mouvements opposés, l’un qui
pousse, l’autre qui retient. Les muscles antago-
nistes entrant ainsi simultanément en action, un
tremblement plus ou moins énergique en résulte,
et la voix prend plus ou moins la forme du rugis-
sement.
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. :
De l'Énergie et de la Mollesse.
CXXIX. — N'écrivant point ici pour les
Peintres, je n’insisterai point sur la forme de ces
sentiments. Essentiellement, l'énergie résulte d’un
sentiment très-distinct de sa force, et se traduit
Par des symptômes de tonicité dans les muscles.
Ce sentiment peut se développer quelquefois chez
des personnes qui n’ont, il est vrai, qu’une force
musculaire très-bornée, mais chez lesquelles
l'habitude du commandement à fait naître artifi-
Ciellement un sentiment de puissance. D'ailleurs,
l'énergie n ’a point le caractère éruptif de la colère.
Son attitude est celle de l’action, mais d’une action
Calme et qui se possède; d’une action dominante
Qui n’a pas besoin d'effort pour se produire. Aussi
est-elle accompagnée d’une grande liberté, d’une
&rande aisance de mouvement. Toutefois, la con-
traction apparente de certains muscles, tels que
le sourcilier et le masséter, la netteté ferme du
Mouvement, indiquent la persistance vivace d’une
Volonté toujours prête à se manifester.
| Lorsque l'énergie n’est point éclairée par l’in-
telligence et qu'elle est unie à un caractère
SOupçonneux, elle prend la forme de l’entêtement.
—
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348 - DE LA PHYSIONOMIE
st
On découvre chez l’homme entêté les indices d’un
effort perpétuel. Les yeux sont contractés, la
bouche est pincée, la mâchoire habituellement
serrée; les épaules sont en même temps élevées
et contractées, la tête est enfoncée dans le
thorax, le dos se courbe dans l'attitude de la ré-
sistance, et les poings ont, à se fermer, une ten-
dance habituelle. C’est ainsi que l’entêtement, qui
est une disposition à la résistance intellectuelle;
se traduit par des symptômes de résistance cor-
porelle.
Il y à un caractère opposé à l'énergie et sur-
tout à l’entêtement, caractère toujours prêt à
céder. Les signes de celui-ci sont ceux d’un aban-
don qui laisse tout aller, tout tomber; ce qu’ex-
priment métaphoriquement certains mouvements
des yeux, de la bouche et surtout des mains:
mouvements passifs, attitudes pesantes, affaisse-
ment partiel du corps, tout dénote une noncha-
‘ Jance habituelle, une paresse de l’âme qui semble
à regret intervenir et gouverner son empire.
De la Fierté et de l'Humilité.
}
CXXX. — La fierté diffère de l'énergie par UP
sentiment plus élevé de force relative, elle se ré-
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 349
Sume dans un instinct de domination virtuelle, et
_Sexprime essentiellement dans la hauteur de
l'attitude. Ge sentiment, plus intellectuel que sen-
Suel, influe peu sur les mouvements de la bouche ;
Mais il rend la circulation plus active et détermine
une légère dilatation des narines qui frémissent
aisément. L’attitude de l'œil est ferme et calme,
Seulement un léger mouvement du sourcil et du
front trahit cet excès d'énergie intérieure , cette
Conscience de volonté et de force indomptable
Qui contracte le sourcil du Jupiter antique.
Il n’est pas hors de propos de rappeler ici ce
Que nous avons dit plus haut sur l'association qui
se forme naturellement dans l'esprit entre l’idée .
de puissance et celle de grandeur. L'homme fier
se sent grand, il se dresse de toute sa hauteur, et
. Ce sentiment de sa hauteur se combinant avec un
Pressentiment de petitesse relative dans autrui, il
regarde de haut en bas. Nous avons vu qu'un
Mouvement semblable se produit dans ces mo-
Menis de surexcitation intellectuelle, où la pensée,
brisant en quelque sorte ses chaînes, s'élève et
Plane au-dessus du monde; l’homme inspiré se
ledresse alors dans l'attitude d’une fierté sublime,
Si son regard, embrassant l'horizon, semble do-
20
350 DE LA PHYSIONOMIE
miner d’une incommensurable hauteur la terre
qu’il voit à ses pieds.
Ge mouvement, ce vol de la pensée dominant
tout dans l'organisme, les métaphores dont le
langage est rempli s'expliquent naturellement. On
comprend comment l'aigle et l’épervier sont chez
les anciens le signe symbolique de la divinité; et
ces objets accessoires entraînant la pensée vers
ces hauteurs où l’imagination les figure, ils exal-
tent l’homme le plus froid et le pénètrent d’une
joie sublime ou d’une terreur mystérieuse.
A la fierté, opposons l’humilité. Être humble
c'est se sentir faible et petit. Ge sentiment de re-
titesse porte à s’amoindrir. Se sentir faible oblige
de se mouvoir avec lenteur. Ainsi l'humilité
marche la tête baissée, sa marche est peu assurée,
sa parole est douce et lente; mais cette expression;
semblable en ces choses à la tristesse, en diffère
par une expression plus tranquille des traits el
plus particulièrement de la bouche et des yeux.
De l'Orgueil et de la Bassesse.
CXXXI. — L’orgueil est la fierté ravalée aux
formes de la sottise et du brutal égoïsme. Absorbe
dans une âmoureuse contemplation de soi-même:
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 351
es ee
l'orgueilleux n’a point dans l'attitude cette liberté
noble de l’homme fier. Il ne se redresse pas, il
se roidit ; il ne se dilate point, il se gonfle. L’œil
de l’homme fier plane au loin; l’orgueilleux tient
ses paupières baissées par une indifférence géné-
rale à tout ce qui n’est pas lui. Il se flaire, se
goûte, se savoure lui-même, et, tous ses mouve-
Ments se mêlant, il se dresse comme l’homme
fier et se rengorge comme le voluptueux. Ge mou-
Vement est si caractéristique qu’on prend habi-
tellement pour symbole de l’orgueil les animaux
qui en offrent habituellement Faphatenos, tels
que les dindons et les paons.
La bassesse, qui est l'opposé de l'orgueil, est
une sorte d'humilité calculée, un volontaire abais-
sement de soi-même, un esclavage sollicité et
dont on prend son parti, Elle n’est point un hom-
Mage rendu à des qualités sublimes, c’est, si
j'ose le dire ainsi, l’abaissement volontaire d’un
homme au-dessous de ce qui est bas. Je me sers
de ces métaphores du langage parce qu’elles in-
diquent par avance les métaphores du geste.
L'homme bas exprime en effet la bassesse dans
toute son attitude ; 11 rampe, il s’aplatit, et l’ef-
fort qui se traduit alors dans les muscles, montre à
Da...
vo qe + op ge mn
sm L L à ù
-352 : DE LA PHYSIONOMIE
quel point la bassesse diffère de l'humilité na-
turelle. |
La crainte produisant, comme nous le verrons
tout, à l'heure, des effets analogues à ceux de la
bassesse, un peintre de caractères dont le but
serait de peindre une image de la servilité, devra
bien se garder de donner à l'idole quelque qualité
sublime ou terrible; c’est ainsi qu'il n’y a point
de bassesse devant Dieu. Un petit enfant qui
rampe aux pieds d’un maître courroucé, n’ex-
prime point la bassesse et n’excitera point le
mépris. Un caricaturiste fort spirituel a bien
senti cette vérité; aussi, voulant peindre la bas-
sesse d’un solliciteur, l’a-t-il représenté se cour-
bant devant un homme à tête de paon. Remplacer
cette tête de paon par une tête d’aigle ou de lion, .
eût été manquer absolument le but.
Le peintre fera donc sagement de distinguer
par quelque signe ridicule, par une expression de
sottise et de faiblesse, l’être aux pieds duquel se
traîne la bassesse. Il le rapetissera; et en gran-
dissant l’homme vil qui l'adore, il fera mieux
encore sentir son abaissement.
On ne peut à cet égard trop remarquer lim
pression pénible qu’on éprouve en voyant des
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 353
Valets gigantesques, couverts des insignes d’un
général ou d’un grand seigneur, se traîner et
lamper pour complaire aux caprices d’un enfant
Maussade, comme un sauvage devant son fétiche.
Ge sentiment n’est-il pas la condamnation éter-
nelle de ces modes honteuses, qui, sans grandir
le maître, abaissent davantage le serviteur, qui les
avilissent tous les deux par un égal oubli de
là dignité humaine? Mais ce n’est pas ici le lieu
d'insister sur ces choses.
De l’Impudence, de la Timidité et de la Honte.
CXXXIT. — L'imnpudence est une sorte d’orgueil
Stupide compliqué d’entêtement et de mépris. Des
épaules élevées, la tête au vent, la lèvre dédai-
Sheuse, le regard porté cà et là avec fermeté, mais
Sans attention, tels sont les mouvements habituels
de l'impudence. L'impudent a l'œil ouvert et sec,
il ne rougit point, ses sourcils sont rapprochés, ce
. ui donne aux sourcils naturellement peu écartés
là physionomie de l’impudence. Tout le monde a
dans les souvenirs quelque physionomie de ce
Senret,
1. Inverecundi signa oculus apertus et splendidus. Palpebræ
20.
%
En —
Later or
354 ) DE LA PHYSIONOMIE
La timidité, que nous opposons ici à l'impu-
dence, a avec l'humilité quelques analogies qui
sont loin toutefois d'établir leur identité: il Y
a en effet entre elles cette différence essen-
tielle : l'humilité accepte le sentiment de sa
faiblesse relative et n’y trouve aucune douleur;
la timidité ne fait que le subir, et il en résulte
une sorte d’esclavage pesant et d’embarras pé-
nible qui s'explique métaphoriquement dans toute
l'attitude.
L'analyse des formes de la timidité peut ètre
ramenée à des expressions assez simples; toute-
fois, cette analyse exige une assez grande attention
et une certaine méthode.
Nous avons vu plus haut qu’il suffit de se croire
faible pour s’affaiblir en effet, de craindre l’im-
puissance pour être impuissant. Ce sentiment, s'il
se mêle à un instinct de fierté, fait souffrir, et, 2
volonté luttant contre cet affaiblissement involon-
taire, l'effort qui en résulte ajoute aux phéno-.
mènes généraux de la faiblesse les effets de
roideur : ainsi la timidité fait trembler.
Gette roïdeur n’est pas localisée dans les mem”
-sanguineæ et crassæ; et parum curvus; musculi scapularum sul
EE e 909 Lo-.90 F4 PekkeT:
ysiogn., $ 3, p. 3692, lig: 29. Ed. BekKcC )
Fr Toxrats “jet
sur elevati... (Arist. ph
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. GE
©t
ot
bres seulement, elle s'étend à tous les muscles
respiratoires et particulièrement à ceux du larynx.
Aussi, elle éteint la voix en même temps que la
faculté d’articulation. La timidité produit donc
le bégayement et détermine l’aphonie. |
L’effort étant d’ailleurs suivi de ses effets ordi-
naires, un certain embarras se produit dans la
circulation; la face se congestionne, et le cœur :
luttant contre un PRO ses battements s’accé-
lèrent.
Get état est donc à la fois un malaise et une dou-
ieur qui peut se rapprocher de l'angoisse. Or,
dans le cas d'angoisse, un des mouvements les
plus naturels est l’aversion qui nous éloigne de la
cause de la douleur.
Or, quand cette douleur nous vient surtout par
la vue d’une chose présente, on se soustrait en
partie à son influence, en baissant les yeux et la
tête ou en les détournant; on diminue la vivacité
de l'impression qu’on éprouve, en se tenant éloigné
Ou en s’éloignant par degrés.
La timidité, sous ce point de vue, diffère 4040
cœlo d'avec la bassesse. En effet, la bassesse se:
traîne aux pieds de son idole et s’en rapproche de
plus en plus comme pour rendre son néant plus
DE LA PHYSIONOMIE
visible. Latimidité, au contraire, recule et s'éloigne
comme pour retrouver dans cet éloignement le
sentiment d’une grandeur perdue.
La bassesse se courbe, s'aplatit, ondule et
rampe. Dans la timidité, au contraire, le corps
tout entier se redresse et la tête seule se penche
pour soustraire les yeux à l’influence de l’im-
pression déprimante.
En un mot, la timidité est l'expression d’une
fierté que la nécessité domine. C’est le sentiment
d’une infériorité relative, contre laquelle se révolte
un mouvement d’orgueil.
Ces remarques expliquent comment la plus
haute indépendance se lie souvent à la timidité :
comment l'homme le plus fier, le plus grand dans
*-.un milieu où s’épanouissent librement son génie
et ses aptitudes spéciales, peut être ailleurs d’une
excessive timidité; comment un héros indomptable
dans les batailles, peut trembler dans un salon:
comment enfin le plus sublime orateur peut se
troubler au milieu des futilités d’une conversation
spirituelle : je veux dire de tout ce qu'il y a de
plus vain dans le monde.
‘On confond en général dans le langage la timi-
dité et la honte. Toutefois, ces deux passions dif-
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 857
fèrent sous plusieurs points de vue qu'il est utile
d'examiner ici : |
1° L'homme qu’on surprend dans une position
humiliante ou dans la perpétration d’une action
Coupable éprouve de la honte. La honte résulte.
aussi d’un sentiment très-vif d’infériorité relative.
2° Ce sentiment est vif surtout quand on est
Surpris au grand jour dans une cars humi-
liante.
3° L’homme honteux essaye de se soustraire à
la vue de tous. Il se cache, il s’enveloppe. La lu-
mière le blesse; aussi détourne-t-il la tête en
même temps qu’il se voile les yeux.
4° L'homme honteux cesse de respirer; son
cœur bat avec violence; il rougit, il tremble, il se
Couvre de sueur.
5° L'idée seule d’une action honteuse racontée
au grand jour peut amener chez les personnes
- présentes l'embarras de la honte.
6° Penser à une action honteuse, s’y complaire
et être en même temps regardé, détermine .
honte.
7° Voir commettre une action honteuse et dé-
Sradante fait naître Rens une impression
de honte,
Es
#
Î
|
dt. PR a
258 DE LA PHYSIONOMIE
Ces derniers faits se rattachent de la manière
la plus facile à la théorie du geste telle que M. Che-
vreul l’a conçue.
En ellet, en vertu des règles établies plus haut,
-voir exécuter une action, y penser, c’est avoir une
tendance réelle à l’exécuter, et cette tendance
nous fait malgré nous participer à cette action.
Gette tendance et cette participation seront
d'autant plus vives que l’action qu’on imagine;
quoique humiliante et condamnée, sera cependant
selon la nature, selon certains instincts primitifs
réduits au silence par l'éducation. Ces faits sur
lesquels je ne puis ici m’étendre, sont hors de
doute pour ceux qui savent observer.
Nous avons dit dans quelles circonstances la
honte se produit. Expliquons maintenant plus au
long les effets directs de la honte :
Être vu ou simaginer vu commettant une
action dégradante, conduit à la honte.
Or, la lumière extérieure étant la condition
nécessaire de l’exercice de la vue, la honte déter-
mine en premier lieu l’aversion de la lumière.
Gette aversion morale ou plutôt imaginaire dé-
termine dans les organes visuels toutes les consé-
quences, toutes les modifications d’un embarras
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 359
direct. L'œil ressent véritablement dans ce cas la
haine de la lumière. Il est douloureusement ébloui.
De là une tendance irrésistible à couvrir ses yeux
de ses mains, à détourner la tête, à la courber, à |
là retirer entre les épaules par un mouvement
x
ànalogue à celui qui ramène la tête des tortues |
Sous leur carapace.
Or, un jugement habituel nous apprenant que
naturellement nous pouvons être vus de ceux que
nous voyons, fait que l’homme honteux, pareil à
Certains oiseaux timides, pense, en voyant, être vu
davantage. De là, cette impossibilité de regarder
et de fixer les yeux d'autrui dans la honte. Il suit
aussi très-naturellement de là que l’homme hon-
eux fait la moue.
Au mouvement qui porte l’homme honteux à se
Soustraire à l’action de la lumière, succède un au-
tre mouvement qui le porte à fuir, à se cacher, à
S’envelopper, à se soustraire à tous les yeux.
Ecce ejicis me hodie à facie terræ et à facie
luû abscondar. (Gen., chap. 1v, v. 44.)
{
Les peintres connaissent bien ces mouvements. (
Ils se produisent, chez les petits enfants surtout,
avec une extrême évidence. On les voit alors re-
Culer, se détourner tout en cachant leurs yeux de
|
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À
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A
À
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360 DE LA PHYSIONOMIE
ns
leurs bras, puis se plonger en quelque sorte entre
les bras de leur mère ou de leur nourrice. Or,
cette tendance à fuir, à chercher les ténèbres, à
se cacher dans quelque profondeur inaccessible, à
s’enfoncer sous terre, est en même temps accom-
pagnée d’un désir d’anéantissement. « Timidus
animus, dit fort énergiquement M, Huschke, rece-
dit ab externis in se ipsum, et lubentissime, st
possel, correperet usque ad punctum mathemati-
cum. » (Mimice et phyg. frag., $ 16.) De là une
contraction générale du corps, un retrait carac-
téristique d'où résulte un amoindrissement gé-
néral.
Or, en elle-même, la tendance à fuir porte au
mouvement, c’est-à-dire à l'expansion. La ten-
dance à s’amoindrir produit au contraire la cons-
triction et par conséquent l’immobilité. Mouve-
ments opposés, contradiction réelle qui se résout
de la manière suivante.
Les viscères, moins directement mis à l’em-
pire de la volonté, moins extérieu. subissent
l'impression primitive; le mouvemer xpansif les
domine, ils sont agités avec force, les contrac-
tions du cœur s’accélèrent et leur aptitude aug-
mente.
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 361
Mais en même temps le mouvement de constric-
tion saisit les muscles extérieurs, les. muscles
_ Expirateurs se contractent avec effort, et ces effets
se combinent d’une manière anomale avec ceux
Qui résultent des mouvements du cœur. De là,
une rougeur subite toujours un peu violette; en
Même temps, le corps se couvre de sueur. Ces phé-
nomènes sont surtout apparents dans l’enfance :
€ Widete pueros verecundos quibus factæ
Minæ faciunt ut, demissis oculis, stent ferè quieti
€ impediatur respiratio. Tunc enim statim color
ruber effunditur supra faciem, et mens ita tur-
batur ut confusè tantum respondeant, imd la-
Crymæ excutiantur oculis….(Herm. Boerrh, præ-
lect. acad. de morb. nerv. Ed. Van-Eems. 1764.
Rd, p. 145.) »
Cette tendance à deux mouvements opposés
Produit en même temps dans tout le corps un
Sentiment de & atradiction profonde et d’embarras.
Les membre$ %llicités dans deux directions op-
posées deyi“#ent roïdes. L'homme honteux sent
S'évanouir tue sa force, toute son énergie, toute
Son intelligence, et son imagination fuyant en
quelque sorte et l'emportant loin de lui-même, il
Perd toute présence d’esprit.
362 : DE LA PHYSIONOMIE
Dès lors, toute faculté de discuter et de raison-
ner l’abandonne ; ses réponses s’embarrassent et
se confondent, ses paroles balbutient et meurent
sur ses lèvres, il n’aperçoit plus rien, n'entend
plus rien, son regard se trouble, il tombe dans la
confusion.
La confusion est donc le suprême degré de la
honte. Ce n’est donc pas absolument un pléonasme
que de dire avec notre La Fontaine :
Le corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.
Les critiques de J.-J. Rousseau sur ce point me
paraissent plus pédantes que fondées.
Tels sont, d’une manière générale, les effets de
la honte, l'un des mouvements les plus difficiles à
expliquer d’une manière complète.
De l'Amour et de la Haine.
CXXXIIT. — L'amour est un mouvement qui
nous attire vers un être moral semblable à nous
par certaines quâlités harmoniques avec les
nôtres. Ce rapprochement aboutit à une sorte de
combinaison ou de composé moral d'autant plus
stable que ses éléments ont entre eux une plus :
grande affinité.
>. cs MOUVEMENTS D'EXPRESSION.
| Cette arts Lot avoir sa raison dans certaines
qualités très- différentes.
Les unes, en effet, sont du corps; elles répon-
_ dent à certains besoins physiques; les autres sont
de l'intelligence et répondent aux modes les plus
élevés de l’activité humaine. e
Or, l'amour revêt des formes très- différentes
en tant qu'il peut être excité par le sentiment de
Qualités diverses.
À. La plus noble source de l'amour, c’est la
beauté, ou plutôt, afin de parler d’une manière
plus précise, c’est l’attrait du plaisir que l’admi-
ration détermine. L'amour revêt alors les formes
de l'admiration et se révèle surtout dans le visage
- par des mouvements expressifs des yeux.
Nous avons parlé plus haut de l'admiration ;
l'expression générale de ce mouvementse compose
- de celle de l'attention et de la : joie. L’expression de
l'admiration suprême emprunte de plus quelques
Waits à celle de l’étonnement. Ettandis que le plaisir
dilate encore les yeux, les narines et fait sourire
. l'œil et la lèvre supérieure, un commencement de
. Stupéfaction paralyse la lèvre inférieure qui re-
ie
k _ lombe mollement abandonnée à son propre poids.
_ Le contraste qui résulte de la combinaison de ces
rd
de
2 mn
Em > CR Ai a @ ra tapes ;
——
FT RS
pa > à mm ,
D RO D. SH Gt A LS one
364 DE LA PHYSIONOMIE
ne
deux mouvements est du plus grand effet. Un peu
niais chez l'adulte, il donne à l’admiration des
enfants l’expression d’une simplicité charmante.
Notre adorable peintre Prud'hon a rendu ces
choses d’une façon merveilleuse dans cette com-
position pleine de sentiment, où une petite fille,
recevant “ans sa jupe relevée un nid de petits
chiens queïlui apporte son frère, laisse éclater sa
naïve admiration.
Or, dans l'admiration simple, l'effet principal
de l'impression perçue est une excitation intime
qui fait en quelque sorte rayonner Fâme hors du
corps. Mais dans l'amour admiratif, l’âme est en
même temps retenue par le lien d’un plaisir inté-
rieur. De là, deux expressions opposées ou plutôt
une expression mixte qui mérite d’être analysée.
Dans ce cas, l’œil dirigé vers l’objet aimé se
cache à demi sous la paupière comme dans la
forme méditative de l’amour. En outre, la pau-
pière supérieure coupe la pupille qui se noie sous
l'ombre des cils, et ce mouvement donne aux re-
gards une expression de douce langueur. Souvent
alors les impressions chatouillantes qui parcourent
les viscères montent vers les yeux et font couler
les larmes; de là ces regards humides, ce brillant
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 365
cristallin de l’œil que les anciens considéraient
Comme le signe certain d’une tendance naturelle
à la compassion et à l'amour. Éhetpoves dcot
YhAtquoot xo Aeuxdy poor où imopôuaror xa Tè bia
Gvowbey À évouévor xa dei daxpfoucu où adroi or
ka, quhoyüvaort, (Aristot. Physiognom. $ 3, p. 808,
lig. 33. Ed. Bekker.)
D'ailleurs, cette expression n’est point immo-
bile et son intensité varie. Ainsi tantôt l'expansion
de l’admiration y domine, et tantôt c’est la con-
Centration propre à la volupté. Cette dernière
forme prédomine surtout chez les femmes, et si
elle s’unit à certains mouvements ondulatoires de
la tête, elle donne lieu à cette physionomie cares-
sante qui plait souvent et séduit par la magie
Propre à ce genre d'expressions.
Quand le mouvement d’admiration domine dans
l'amour, le nez et la bouche se dilatent comme
Pour respirer; le visage entier sourit, le corps et
les mains se portent en avant; quand l'impression
de volupté l'emporte, à ces mouvements se mé-
1. Oculi diluti et inundantes se ipsos, vénereum et affectibus
Obnoxium significant. neque dico abjectum tale signum. (Ex
Polemon. physiogn. e grœc. in lat. vers, par Em. Carol. Mon-
tecucollum, p. 31. Mut. 1612.)
je <
reparer. CL ue Le PI RER AEREREEER ER RE ÿ
RE 7 NT LINE
SPP.
PA a er
ESS
ee
366 DE LA PHYSIONOMIE
‘lent certains mouvements symboliques de l’appa-
reil buccal semblables à ceux que déterminent
les saveurs suaves, L’attitude du corps exprime
dans toutes les parties des choses analogues. Les
mêmes formes de mouvements se reproduiront,
soit que l’amour s'adresse à un objet extérieur,
soit qu'il poursuive un objet imaginaire; mais
dans ce dernier cas avec toutes les modifications
propres à la forme symbolique que nous avons
expliquée plus haut.
B. L'amour que l'admiration dirige, né de cette
union sublime de l'intelligence et de la vie, laisse
à l’homme sa grandeur et ne ravale point sa
beauté naturelle. Il n’en est pas de même de cet
amour qu'un appétit brutal aiguillonne; amour
stupide qui se laisse conduire par des émanations
odorantes, par des indices matériels. Aussi, reçoit-
il la forme d’un appétit sordide; des regards
ardents, un besoin furieux d’impressions maté-
rielles qui fait alternativement mouvoir les na-
rines, les lèvres et la langue, tous les indices du
désir matériel composent la physionomie des sa-
tyres. C’est ainsi que Prud’hon, dans cette allé-
gorie où il a peint la Vertu aux prises avec le Vice,
a peint avec raison celui-ci sous la forme d’un
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 367
“homme affamé qui se lèche les lèvres comme à la
vue d’un mets savoureux, De même, des mouve-
‘ments convulsifs de la langue, des appels répétés
des lèvres, des frémissements saccadés du corps,
des aspirations furieuses cherchées dans des di-
rections alternativement opposées, expriment chez
certains ruminants l'invasion de l'amour. Rappe-
lons ici ce besoin de mordre, de manger, de goû-
ter avec passion, de s’enivrer d’émanations odo-
rantes qui semble tourmenter ceux dont s'empare
la fureur érotique.
Ces mouvements sympathiques qui dominent et
éteignent tous les autres dans les formes brutales
de l’amour, ne sont pas complétement étrangers
aux formes plus élevées sous lesquelles cette
passion se développe dans les êtres intelligents.
Mais alors, réduits à leurs indices les plus subtils,
ils semblent en quelque sorte effleurer l’objet
du désir. Get état se trahit par des expresssions
délicates, légères, voltigeantes: tel, dans sa
forme la plus pure, le baiser, qui semble respirer
dans son contact léger, l’âme, la vie de l'être
aimé, pes
Toutefois, si pur que soit l'instinct d’un pareil
Mouvement, sa source n’est point dans l’intelli-
L..
368 DE LA PHYSIONOMIE
gence. Le baiser des mystiques n’est plus qü'uns
signe mort, un contact symbolique, une expres-
sion artificielle. Mais le baiser naturel est toujours
plus ou moins selon la chair. Aussi se concilie-t-il
rarement avec les formes du sublime.
D'ailleurs, il est si difficile de séparer complé-
tement les mouvements de l'intelligence d’avec
ceux du corps, que ces mouvements de la chair se
mêlant aux plus pures aspirations de l'esprit,
altèrent chez certains hommes l'expression de la
dévotion la plus sincère. Toutefois, ces choses ne
sont pas de la piété, elles accompagnent seule-
ment la piété des natures voluptueuses, et ces re-
tentissements des viscères, se mêlant aux chants
de l'esprit, en déparent la céleste harmonie. Si
ce livre était un livre de critique, en examinant
les attitudes préférées des personnes d'église et
leur tendance aux expressions voluptueuses, que
de choses n’aurais-je pas à reprendre? Ne sait-on
pas les raisons cachées qui font, qu’en ceci du
moins, la physionomie des prêtres est en général
moins digne que celle des guerriers?
L’estime est une sorte de contentement relatif
à certaines ‘qualités qu’on apprécie dans une
chose extérieure. L’estime n’est pointaccompagnée
| . ——————_— —
- ÉT DHS MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 369
D RS ee co eee
de volupté, mais de satisfaction, et se traduit par
les expressions de l'attention auxquelles se mêlent
Certains mouvements de gustation et même de
déglutition employés dans un sens métaphorique.
On dit fort bien d’un homme qu’on estime qu'il
est goûté. C’est là un exemple nouveau de l’ho-
mologie des figures du geste avec celles du lan-
gage. | | |
Les contraires de l'amour, de l'estime et de
l'admiration, sont la haine, le mépris et l'horreur,
Le sens dans lequel se développe l'expression de
ces passions peut être indiqué en deux mots :
La haïne est une colère contenue mélée à un
Sentiment prononcé d’aversion. En même temps
que la tête se détourne, l'œil ardent, fixé de côté,
se fronce et menace! \Les dents se découvrent, et
imitent symboliquement l’action de déchirer et de
mordre. Mous ces mouvements, d'après les règles
que nous avons indiquées plus haut, seront plus
Marqués du côté de l’œil qui regarde l'objet de la
haine, et les modifications du visage ne seront
Pointsymétriques. Pendant que ces choses se pas-
sent, le corps se roidit, les poings se ferment, la
i
tête se retire entre les épaules, et la voix incline
au rugissement.
21.
DE LA PHYSIONOMIE
nt
L'expression du mépris s’éloigne de celle de la
colère pour se rapprocher davantage du dégoût.
Le mouvement d’aversion fait que la tête se dé-
tourne en partie et se rejette en arrière: l'œil, les
narines, la bouche, les bras, les jambes même
font mine de rejeter : ces mouvements ne soni
point symétriques, un seul œil étant plus parti-
culièrement intéressé dans ce mouvement d’aver-
sion du corps.
C’est ainsi que, dans le mépris, l'œil qui est le
plus voisin de l’objet, se contracte, si bien qu'on
ne regarde plus qu’avec l'œil opposé défendu par
la saillie du nez. En même temps le dégoût s’ex-
prime par le mouvement des narines, par l’expres-
sion des lèvres, par certains mouvements expulsifs
de la gorge. De là, cette tendance générale à cra-
cher sur l’objet du mépris, ou plutôt à cracher
l'objet lui-même. En un mot, le mépris est la
forme métaphorique du dégoût.
L’horreur morale s'exprime par tous les mou-
vements de l'horreur physique. Elle se hérisse et
vomit. C’est la révolte des viscères contre l'effet
de quelque poison. Nous avons plus haut indiqué
ces mouvements : il suffit, pour rendre l'horreur
morale, deles employer dansun sens métaphorique*
æ® :
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 871
De la Bonté, de la Générosité et du Courage.
La bonté est une sorte de disposition à l'amour,
; sans violence, estime générale plutôt
qu'amour, d’où résulte une satisfaction douce et
continue. C’est un mouvement doux et calme
dont l'expression se rapproche de celle de l'estime,
mais dans un degré tel que le repos des traits en
est à peine altéré. Aussi, la physionomie de la
simple bonté a-t-elle toujours un certain caractère
de mollesse. Un sourire permanent des lèvres
toujours un peu saillantes comme pour caresser
ou goûter, une certaine tendance du corps à s’in-
cliner, à condescendre, une abnégation conti-
nuelle de sa hauteur naturelle, tels sont les traits
principaux de la bonté, traits qui nous rappellent
involontairement le calme et bienveillant visage
du malheureux roi Louis XVI.
Je ne dirai que quelques mots de la générosité
et du courage. Les premiers indices de la puis-
sance ont nécessairement une forme expansive. La
générosité, quoi qu'en ait dit Descartes, n’est point
identique avec l’orgueil. C’est plutôt une sorte de
fierté tempérée par une expression de bienveil-
lance et de confiance joyeuse. Le courage est à
oo —
RUE ec PE RDS on er pres in
372 DE LA PHYSIONOMIE
peine différent de la générosité. Leurs signes pre-
miers sont ceux de l'expansion et de la puissance
vitale. Le corps dressé sans effort, le regard haut
et vaste, les narines larges, les lèvres entr’ouvertes
par un léger sourire, l'allure aisée, la maïche
grande et libre, la respiration vaste et calme, une:
sorte de tonicité générale, tels sont leurs princi-
paux symptômes. Empreint d’une énergie actuelle
plus grande, le courage contracte légèrement les
muscles sourciliers et les masséters. Mais cette
contraction est d'autant plus faible que le courage
est d’un ordre plus élevé. Tel est le courage serein
des héros; ce courage sans colère qui sourit au
milieu des batailles, et brave joyeusement les tour-
ments.
De la Méchanceté, de l’Avarice et de la Peur.
À ces passions qui honorent l’homme, opposons
des sentiments qui le dégradent et disons quel-
ques mots de la méchanceté, de l’avarice et de la
peur. La méchanceté est une sorte de haine géné-
rale et contenue qui stéréotype sur les traits les
stigmates de la fureur et du mépris. Ce mépris
indéfini, cette attitude perpétuelle de dégoût et de
révolte, enfante à la longue tous les caractères
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 378
d’une souffrance intérieure, et tandis que la bonté
épanouit le visage, la méchanceté le contracte et
le ride. Ainsi la mimique de la méchanceté est un
diminutif de celle de la haine.
_ La même analogié qui rapproche le courage de
la générosité, rapproche la peur de l’avarice. Sem-
blables en ceci, du moins, ces deux passions
comme la honte rapetissent le corps, l’amoin-
drissent, rétractent les membres et poussent au
Silence, aux ténèbres, à la solitude. Le lâche qui
- fuit, emporte sa vie comme l’avare son trésor.
Mais la peur est mêlée d’ angoisse, d’une angoisse
Qui fait pâlir et essouflle, tandis que du milieu de
Son anéantissement, l’avarice laisse échapper les
éclairs d’une volupté sordide. C’est une joie mêlée
de peur pareille à celle d’un animal faible . qui
emporte sa proie. Aussi, l'expression de l’avarice,
à cause de sa nature inerte, est-elle une des plus
difficiles à saisir. Toutefois Hobbein, dans son
Judas, l'a merveilleusement rendue. Une expres-
Sion générale de souffrance et de frayeur trem-
blante, un regard furtif, un sourire maigre et
Misérable, mais toutefois empreint d’une certaine
volupté par un mouvement d'attraction qui ramène
Vers le corps tous les organes de la préhension et
CT
374 DE LA PHYSIONOMIE
en particulier les lèvres qui se pincent et s’amin-
cissent, tels sont les signes les plus habituels de
l'avarice.
Mais la peur mérite d’être plus attentivement
considérée. Nous avons expliqué plus haut l’aver-
sion naturelle des êtres animés pour la douleur;
aversion qui s'étend à toutes les causes apparentes
de douleur et de destruction.
Or, ce mouvement d’aversion peut se manifester
en trois manières.
1° On éloigne de soi, on repousse la canse
de la douleur, on lutte énergiquement contre
elle.
2° On s'éloigne de la cause de la douleur.
3° On s’amoindrit, on se réduit, on se réfugie
en soi, on s’enveloppe, on se contracte de toutes
parts comme le font si manifestement les hérisson;
les tortues, les mollusques et un grand nombre
d'animaux articulés.
Le premier cas est haine plutôt que peur. La
peur est plus particulièrement réalisée dans le
second et le troisième.
A. On s'éloigne de la cause de la douleur dan$
deux circonstances trés-différentes, à savoir : 08
s'éloigne à reculons, les yeux étant fixés sul
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 375
l’objet de la peur. Cette manière de se comporter
vis-à-vis l'objet de la peur est particulière aux
animaux dont les yeux peuvent regarder en face
et qui ont en avant leurs moyens de défense. Elle
répond en général à un danger imminent.
Mais le plus souvent, la cause de la douleur est
à tergo, et dans ce cas, l’animal, sans retourner
la tête, s’élance loin d’elle de toute sa vitesse,
préoccupé de l’idée de la mort qu’il sent attachée
à ses pas. Excité par l’aiguillon de la peur, il fuit
sans retourner la tête. Toutefois, ses yeux ne
voient rien devant lui, il se précipite en aveugle,
et en effet, son imagination regardant (qu’on me
permette cette expression), regardant en arrière,
ses yeux suivent symboliquement ce mouvement;
ils divergent, et cette tendance universelle, bien
qu’inutile dans la plupart des animaux, détruit
chez tous ceux dont les axes optiques sont à peu
près parallèles, les conditions de la vision dis-
tincte.
B. La constriction et l’amoindrissement du
corps, le retrait de toutes les parties sont encore
un des effets de la peur. Il semble que l'animal
essaye d'échapper dans tous les sens à la fois au
contact de la douleur. Ce mouvement est tout à
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316 DE LA PHYSIONOMIE
fait indépendant de celui par lequel certains ani-
maux hérissent leurs piquants, bien qu’il puisse
dans certains cas coïncider avec lui. Il ne répond
point essentiellement à un instinct de défense,
mais, si j'ose le dire ainsi, à un instinct de fuite
centripète. Or, bien que les muscles fléchisseurs
aient dans ce mouvement une action prépon-
dérante, on peut dire qu’à certains égards tous
les muscles se contractent à la fois, les muscles
fléchisseurs déterminant la coarctation générale
du corps, mais chaque muscle en particulier y
contribuant dans chaque partie du corps par des
pressions exercées sur les-tissus interstitiels réduc-
tibles.
Gette simultanéité de contraction de tous les
muscles dans la peur explique pourquoi cette pas-
sion fait trembler. Or, la crainte éveillant comme
un avant-goût de la douleur, à ces effets s’ajou-
tent ceux d’une lutte symbolique, lutte anxieuse
qui trouble les mouvements du cœur, entre-
coupe la respiration, éteint les actions organiques
et couvre le corpsd’une transsudation glacée. Ge
froid, ajoutant à la roideur générale, la rend plus
intense encore, et aux frémissements profonds
des organes s'ajoutent les horripilations qui cou-
he + a
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 3
+ |
RS
rent sur le corps comme des flots chassés par la
tempête. +. ,
Dans beaucoup de cas, cette rigidité "et cette
angoisse sont poussées si loin qu’au terme de cette
Convulsion les forces de l’animal se résolvent ets
s’affaissent, les sphincters se relâchent et laissent
échapper la matière des transsudations intestinales,
et la peur livre ainsi à la mort sa victime. Mais le
plus souvent ces mouvements se combinent d’une
façon très-remarquable avec le mouvement de la
fuite; en sorte que, l'expansion se développant
dans les organes essentiels d’une progression
rapide, ceux qui y concourent moins directement
expriment au contraire cette tendance à la con-
Striction et à l’enveloppement que j'ai essayé
d'expliquer il n’y a qu’un instant.
Les chiens qu'on menace nous donnent un fort
bel exemple de cette harmonie contraire, quand
on les voit fuir en ramenant avec effort leur
Œueue entre leursmembres postérieurs, bien qu’ils
Courent à toute vitesse et qu’une extension com-
Plète se développe dans tous les organes essentiels
de la progression. De même un homme que la
Peur saisit, ramène sa tête entre ses épaules
et se courbe tout en courant à toutes jambes. Ces
378 DE LA PHYSIONOMIE
mouvements peuvent subir un grand nombre de
modifications, mais je dois me borner à énoncer ici
les faits principaux.
L'épouvante se rapproche à certains égards de
la peur. Mais c’est une peur convulsive, à la fois
mêlée d’étonnement et d'angoisse. Ainsi. l’épou-
vante paralyse comme l’étonnerhent et roidit
comme l'angoisse. Les principaux symptômes sont
ceux d’une roideur tétaniqué dans le corps et
d'une dyspnée mortelle sur le visage. Tous les
muscles peaussiers se rétractent, le système
pileux s’érige. Le front se ride transversalement,
les sourcils se rapprochent ét s'élèvent, l'œil
s'ouvre d’une façon démesurée, et le muscle
transverse du nez aplatissant les narines, celles-ci
ferment tout passage à la respiration qui s’effectue
alors par la bouche comme celle des asthmatiques,
respiration saccadée, singultueuse, entrecoupée,
incomplète à tel point que l'émission de la voix
devient tout à fait impossible.
Mais un des symptômes les plus effrayants de
l’épouvante, c’est une dilatation si grande de la
pupille que son disque noir semble quelquefois
avoir envahi le cercle entier de l'iris. C’est là son
signe pathognomonique, l'œil semble regarder alors
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 319
dans des ténèbres profondes. Une pupille con-
. Wactée ne convient pas à cette passion. M. Steu-
ben, dans sa Czarine, me paraît avoir parfaite-
Ment saisi ces caractères.
Ge serait peut-être ici le lieu de montrer, comme
Descartes, l'utilité de la peur, et comment elle met
eu jeu les instincts défensifs de l’animal; mais ce
serait aborder un sujet presque sans limites. Qui
pourrait dire, en effet, toutes les ressources dont
la nature a armé ses créatures contre la mort?
Combats acharnés, fuite rapide, stratagèmes
multipliés, quels moyens ne met-elle pas en usage?
Celui-ci menace de la corne ou du pied, de la dent |
Ou des ongles, celui-là prépare sourdement ses
poisons; d’autres fois il répand des humeursinfectes
et sème autour de lui le dégoût et l'horreur. Tel
s’'enveloppe d’une armure impénétrable, tel autre
fait rayonner autour de son corps une forêt de
dards. Guerre infinie, lutte acharnée où chacun
apporte ses armes, ses stratagèmes et, si j'ose le
dire ainsi, son génie particulier; aussi, ne peut-on
songer à découvrir ici quelque loi particulière
dominant tous les faits: ici tout est possible, et
l’inépuisable fécondité de la nature ne semble
Point s'être imposée de règles. ;
380 DE LA PHYSIONOMIE
: Nous avons déjà rappelé les opinions de
M. Huschke qui, prenant pour type et pour point |
de départ les animaux inférieurs, pense que la
flexion et la concentration sont choses homolo-
gues, et considère l'expansion comme synonyme
1
€
d'extension : d’où il a été amené à supposer que
l'extension du corps répond aux affections agréa-
bles ou expansives, tandis que les mouvements
de flexion expriment les affections tristes, dépri-
mantes ou douloureuses.
: Nous avons vu, en parlant de la volupté, com-
bien cette théorie, prise dans un sens trop général,
est erronée. Elle ne le serait pas moins si, regar-
dant avec M. Huschke la flexion et la constriction
comme des actions homologues, on essayait d'ex-
pliquer, à l’aide d’un mouvement général de
flexion, le jeu de tous les organes que les ani-
maux font concourir à leur défense.
Si cette théorie s'applique aisément à certains
cas, elle est incompatible avec beaucoup d’autres,
comme il est facile de s’en convaincre par une
observation immédiate.
La nature a donné à certains animaux une af-
mure formée d’écailles imbriquées; tels sont les
gloméris, les cloportes, et, parmi les mammi-
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 381
fères, les pangolins et les phatagins. Or, si le mou-
vement de flexion qui recourbe ces animaux dans
la peur était leur seul moyen de protection et de
défense, il est évident que ce moyen serait plus
nuisible qu’utile, la courbure du corps devant né-
cessairement amener la divergence des écailles,
et mettre à nu de la sorte une multitude d’inter-
valles vulnérables.
Ainsi, outre le mouvement général de flexion
du corps, nous devons admettre à priori un
mouvement antagoniste qui abaisse les écailles ets
les rapproche les unes des autres.
L'animal ne se protége donc pas parce qu’il se
fléchit, mais parce qu'en même temps il se
fléchit; tous les muscles peaussiers homologues
et antagonistes entrent simultanément en con-
traction sous l'influence de la peur. Ainsi, la loi
de polarité et d’antagonisme que M. Huschke pré-
conise, ne se concilie point rigoureusement avec
les faits. En un mot, flexion et enveloppement ne
sont point synonymes de constriction.
Mais admettons un instant le système de mi-
mique de M. Huschke. Le côté dorsal de l'animal
sera nécessairement le côté de l'extension, et le
côté ventral celui de la flexion. Or, dans cette hy-
PRE De ans Re nr — pese
min”
res Es]
TE AMRTEES R
Le
382 DE LA PHYSIONOMIE
pothèse, comment expliquera-t-on que la peur qui
oblige l'animal de s’envelopper, fasse en même
temps contracter tous les peaussiers dorsaux?
Comment expliquera-t-on ces différences sin-
gulières qu’on observe chez les animaux dont les
uns couchent leurs poils dans la peur, tandis que
d’autres les hérissent? Le porc-épic et le héris-
son érigent, il est vrai, leurs piquants dans la
peur, mais comment se fait-il que le mécanisme
de cette érection diffère au point d'employer des
moyens absolument contraires ?
Que concluons-nous de ces remarques? C'est
qu'il faut simplifier la science par l'observation de
la nature et non par des procédés arbitraires. Or.
l'observation et la simple raison nous apprennent
que le mouvement par lequel nous nous rétrac-
tons, nous nous anéantissons dans la peur, est
différent du. mouvement qui nous porte à la résis-
tance et à la lutte.
La nature, dans ses combinaisons merveilleuses,
peut unir ces deux choses, mais elle ne s’est point
imposé ces règles étroites que certains hommes
ont imaginées, et elle n’a posé à ses créations
d’autres limites que celles du possible.
Les mouvements dont nous avons parlé peuvent
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 383
se développer chez l'homme dans un sens direct,
dans un sens symbolique et dans un sens méta-
Phorique. C’est ainsi qu’une proposition coupable
Nous effraye ; l'annonce ou la menace d’un malheur
Nous épouvante, et cette frayeur, cette épouvante,
Sont accompagnées de tous les symptômes de roi-
deur, de frisson, d'angoisse, de tous les mouve-
. Ments d’aversion ou de défense qui caractérisent
ces passions dans l’ordre des passions directes.
DES PASSIONS MIXTES OU HÉTÉROGÈNES.
Nous mettons au nombre des passions hétéro-
&ène celles qui résultent de deux passions con-
traires qui se développent simultanément dans *
l'esprit. Telles sont :
La compassion.
La vénération.
; Le dédain.
L’hypocrisie.
L’hésitation.
La jalousie et l’envie.
La moquerie.
La ruse.
De la Compassion et de la Vénération.
Nous ne dirons qu'un mot de la compassion,
384 DE LA PHYSIONOMIE
——
qui est un mélange de tristesse et d'amour, et qui
mêle aux expressions d’une douleur symbolique
celle d’une bonté caressante. La vénération est un
composé d’admiration et d’humilité; enfin l’ado-
ration qui s’annihile devant l’objet, mêle aux ex-
pressions passionnées de l’admiration et de l’a-
mour, celle d’une humilité sans limite qui s’oublie
et s’anéantit. Cette tendance à l’amoindrissement
domine toute la théorie des prosternations, des
génuflexions. Quant à l'acte par lequel nous joi-
gnons les mains dans la prière, il se rattache na-
turellement à la série des formes métaphoriques
de la demande et de la supplication. L'analyse
des formes visibles de la prière pourrait donner
lieu à de curieuses remarques.
Le contraste qui résulte de ces combinaisons
hétérogènes apparaît surtout dans les passions
mauvaises.
C'est ainsi que le dédain, composé de l’amour
de soi-même et du mépris d'autrui, détermine
tous les mouvements de l’orgueil et du contente-
ment, mais y mêle certaines expressions de dé-
goût. Ainsi, tandis que le dédaigneux se rengorge
et se déguste, les lèvres semblent se préparer à
l’expuition, l'œil et le nez indiquent l'indifférence
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 385
Ou le mépris d’une chose extérieure; mouvements
Contradictoires, dissonances odieuses qui révol-
tent et sollicitent l’impatience et la colère.
La moquerie est toute voisine du dédain. C’est
un mélange de joie rieuse et de mépris, C’est, si
j'ose le dire ainsi, la joie et l'admiration du dé-
dain, Aussi, son rire éclate-t-il au milieu des ex-
pressions du dégoût ou du moins de l'indifférence.
L'ironie est dans le langage une figure qui
loue pour avilir davantage. De même, tandis que
Certaines expressions du geste semblent exalter
l'objet de l'ironie, d’autres gestes le couvrent de
Mmépris ou de colère. Je ne puis qu’indiquer ici
ces choses dont l'importance exigerait d’autres
développements. C’est aussi un acte d’ironie que
d'élever sur un char triomphal et de couvrir des
insignes d’un héros ceux qu’on expose à la risée
Populaire.
Mélange d'amour et de haine, la jalousie et
l'envie expriment à la fois l'amour et la colère ou
l'aversion. L'envie est un mélange de haine directe
8t d'amour symbolique. Le jaloux, voyant dans
Un même objet le but de son amour et l'obstacle
à cet amour, aime et déteste à la fois. Le plus
Souvent, ces deux mouvements se partagent en
22
E
| 44
L
L
Es
886 DE LA PHYSIONOMIE
mini
quelque sorte les organes de la face et du corps:
les deux contraires s’associant ou plutôt se dispu-
tant cet empire où leur mélange ne produit
qu’une expression tumultueuse.
L'hésitation est une sorte d'oscillation entre le
désir et la crainte. Les jeunes chiens nous en
donnent un exemple curieux, lorsqu'on leur pré-
sente un mets dont l’odeur les allèche mais dont
la chaleur les blesse. Au moment où ils touchent
à l’objet ils sont brülés et reculent. Puis l'impres-
sion de brûlure cessant, l'odeur les sollicite et ils
sont attirés de nouveau. Ils oscillent ainsi, et des
mouvements d'impatience se mêlant à ces oscilla-
tions, il en résulte l’une des expressions les plus
puissantes. Ces phénomènes ne sont pas moins
apparents dans l’espèce humaine. Mais alors los-
cillation peut se produire non-seulement entre
deux sensations, mais encore, si je puis ainsi dire:
entre deux idées.
La ruse est une volonté cachée et réelle, qu'on
dissimule sous les apparences d’une volonté
trompeuse. Voulant aller en un certain lieu, On
feint d’aller ailleurs et l’on y revient par un dé-
tour. De même un assassin caresse celui qu'il V2
frapper. :
ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION. 387
En vertu des règles que nous avons discutées
plus haut, l'intention principale ne peut jamais
être complétement dissimulée. Quelque savant
que soit l’art du fripon, il ne peut complétement
éteindre les rayonnements de l'intention réelle,
et tandis qu’il est attentif à modifier certains or-
_ ganes, celle-ci se fait jour par d’autres voies.
C’est ainsi qu’à des degrés différents, tout trom-
Peur témoigne contre lui-même.
_ Voilà comment la duplicité de la volonté se
traduit par l'ambiguïté d’une expression double
combinant ou plutôt associant deux éléments con-
tradictoires. Aussi, les gens qui savent observer
éprouvent-ils pour ceux qui la présentent une
irrésistible aversion. Un regard caressant que des
Oscillations soudaines rendent par moments médi-
taf, un sourire qui ne meut que les lèvres avec
une expression de mépris dans les narines, des
Mouvements d’orgueil dans le visage et d’humi-
lité dans le corps accompagnent la fausseté et la
bassesse, Je ferai remarquer ici cette irrésistible |
tendance que les fourbes , au nombre desquels se
Tangent les hypocrites, ont à fermer à demiles yeux,
Comme si en dissimulant la direction de leurs re-
Sards ils pouvaient cacher celle de leurs pensées.
DE LA PHYSIONOMIE.
En nous résumant : de l’homogénéité des expres-
sions dans les gestes du corps et du visage, résulle
la physionomie de la franchise; de leur hétérogé-
néité, celle de la duplicité.
Je pourrais pousser beaucoup plus loin ces re-
marques, mais ce serait se perdre dans l'infini.
Mon but n’est point de décrire ici toutes les com-
binaisons que peut réaliser la physionomie de
l’homme et des animaux; j'ai voulu seulement
établir par l'observation et par le langage Îles
bases de ce langage admirable. Les remarques
dont la coordination forme le sujet de ce mémoire
ne donnent, en effet, si je puis ainsi dire, que des
caractères élémentaires qui, se combinant, 56
mêlant en cent manières, en mots, en phrases, en
périodes, racontent les mouvements de l’âme, et
la rendent visible en un certain degré. M'étendre
davantage et poursuivre plus longtemps l’applica-
tion de ces principes, ce serait m’écarter des li-
mites de la physiologie proprement dite, pour
pénétrer dans le domaine de l'aït et de la plus
subtile philosophie.
esprit au moment où je me propose d’esquisser à
mort prématurée. Quelle autre épigraphe en effet
NCITES,E
SUR LA VIE ET LES TRAVAUX
DE
PIERRE GRATIOLET
L'homme est visiblement fait pour
penser; c’est toute sa dignité et tout
son mérite.
( Pensées de Pascal.)
Ce mot célèbre de Pascal se présente à mon
grands traits la vie et les travaux de l’éminent
anatomiste dont la science et l'amitié déplorent la
Pourrait caractériser avec plus de précision l’œu-
vre dont Gratiolet poursuivait encore, il y a quel-
ques jours à peine, la réalisation? Tous ses tra-
vaux, marqués au coin de la philosophie la plus
élevée, décèlent une préoccupation constante :
22, :
et men - rnrrtReee
390 PIERRE GRATIOLET
asseoir les doctrines spiritualistes sur les données
positives de la science. Le but sans cesse présent
à sa vue, dans ses belles recherches sur l’encé-
phale, c’est l'étude des rapports de la fonction
avec l’organe, de la pensée avec la forme, le vo-
lume et la structure du cerveau : la conclusion de
ses méditations profondes, de ses investigations
patientes, de ses délicates dissections, c’est que la
pensée, l’esprit ou lâme — quelque nom qu'on
lui donne —est une essence, l’être par excellence,
et non point un pur phénomène.
Enfin, de ses magnifiques observations sur l’ana-
tomie comparée de l’homme et des singes anthro-
pomorphes, il déduit une nouvelle confirmation
de ses conceptions philosophiques; il nous fait me-
surer la profondeur de l’abîime qui sépare l'homme
de la brute la plus voisine de lui par sa confor-
mation et par son aspect extérieur : il nous mon-
tre l'homme, seul doué de la faculté de faire des
abstractions et de les réaliser par la création de
formes, seul capable de représenter des idées par
des signes matériels. Pour lui, comme pour Pas-
cal, « l'homme est visiblement fait pour penser. »
Des voix plus autorisées que la mienne rappelle-
ront les services éminents que Gratiolet a rendus
SA VIE ET SES TRAVAUX. 391
à l'histoire et à la philosophie naturelles. En écri-
vant cette notice bien imparfaite, je le sens, je-
viens payer mon faible tribut d'admiration et de
respect à la mémoire de l'ami que la mort nous à
si brusquement ravi; je cède au désir de raconter
cette vie si noble, si pure, si bien remplie; de re-
tracer l'existence de cet homme de bien, qui n’a
connu ni la vanité, ni l'envie, ni l'ambition, et
qu’une excessive modestie, jointe à une rare abné-
gation, ont seules empêché d'occuper dans le
monde le rang élevé que ses travaux lui assignent
dans le domaine de la science.
Louis-Pierre Gratiolet est né le 6 juillet 1815,
à Sainte-Foy-la-Grande, petite ville du départe-
ment de la Gironde, où son père exerçait la méde-
cine. Le docteur Gratiolet, allié par son mariage
à l’une des plus anciennes familles nobles du Pé-
rigord, était un homme d’une grande austérité ; il
parlait peu; l’exaltation de ses sentiments reli-
gieux n’était égalée que par l’ardeur de ses con-
victions politiques. Catholique fervent et royaliste
passionné, il dut, vers 1820, quitter Sainte-Foy-
la-Grande à la suite de tracasseries politiques qui
lui rendaient insupportable le séjour de cette
petite ville.
Dee er
PIERRE GRATIOLET
————
Il s'établit à Bordeaux, où s’écoulèrent les pre-
mières années du jeune Pierre. Madame Gratiolet
était une femme intelligente, de mœurs douces et
douée d’une grande affabilité; sa conversation,
empreinte d’une légère teinte de mélancolie, offrait
un charme tout particulier; son fils se plaisait fré-
quémment à rappeler l’heureuse influence qu’elle
avait exercée sur la direction de son esprit, à cet
âge où les impressions, en apparence fugitives,
laissent cependant dans l’âme de l'enfant des
traces ineffaçables.
À son arrivée à Bordeaux, Pierre fut placé dans
une école primaire, tenue par les jésuites; il y
resta quatre ans. En 1824, il entra dans une ins-
titution particulière, dirigée par un homme d’une
vaste érudition, unie à des sentiments religieux
très-prononcés. Ce maître, nommé Laborde, savait
inspirer à ses élèves le goût des fortes études; il
se plaisait à leur donner des compositions en vers
français ou latins, genre dans lequel excellait le
jeune Pierret.
4. M. le docteur Labourdette, condisciple de Gratiolet, a bien
voulu me donner des détails intéressants sur les premières
années d’étude de son camarade; je lui en exprime ma recon-
naissance.
mn An - r.
US
S A VIE ET SES TRAVAUX. 393
Déjà se révélaient chez l'enfant les facultés
puissantes que nous rencontrerons plus tard chez
l’éloquent professeur de la Sorbonne et dans l’é-
légant et correct auteur de l’Anatomie comparée
du Système nerveux. À l’âge de quatorze ans,
Pierre improvisait des discours spirituels et bien
tournés; il écrivait avec goût et témoignait, par
les illustrations dont il couvrait ses cahiers
d'étude, d’une rare aptitude pour le dessin. Tout
en cultivant les lettres, il se sentait déjà entraîné,
par la vocation, vers les sciences naturelles; il
consacrait les jours de congé à parcourir les bois
et les marécages des environs de Bordeaux, pour
recueillir des plantes et collectionner des insectes
qu’il rangeait au retour avec beaucoup de soin
dans des boîtes et dans de petits flacons patiem-
ment étiquetés. Une chose surtout frappait vive-
ment les camarades de Gratiolet : c'était la tour-
nure chevaleresque de son esprit. L'injustice qu’il
a su, durant toute sa vie, Supporter avec tant de
calme alors qu’elle n’atteignait que lui, le révol-
tait profondément lorsqu'il s'agissait des autres.
Brave jusqu’à la témérité, il prit, dès son enfance,
le parti du faible contre le fort; n’écoutant que le
sentiment de la justice et du droit, il oubliait sou-
394 PIERRE - GRATIOLET
vent que la force physique n’égalait pas en lui la
vigueur de l'esprit et la générosité du cœur. Il
succombait fréquemment dans ces petites luttes
inséparables de la vie de collége; mais le bon droit
était de son côté, et, vainqueur ou vaincu, il voyait
chaque jour s’accroître l’affection et l'estime qu’il
inspirait à ses camarades. Cette droiture de carac-
tère, cette haine pour tout ce qui ne lui paraissait
pas juste et honnête, Gratiolet les a conservées
toute sa vie : d’une bonté et d’une bienveillance à
toute épreuve lorsqu'il était seul en jeu, il prenait
avec une ardeur extrême la défense de ses amis
injustement attaqués.
Qu'il me soit permis d’invoquer ici un souvenir
personnel, et de transcrire quelques lignes d’une
lettre qu'il m'écrivait au mois de janvier dernier,
dans ce style aimable, moitié sérieux, moitié en-
joué, dont personne mieux que lui ne possédait le
secret, Après m'avoir exposé l’état d’un débat
scientifique sur lequel il appelait mon attention,
il ajoutait : « Vous jugerez, mon cher ami, de la
« justice des prétentions de X... qui a pour sou-
« tiens et trompettes MM... Mais le public peut
«s’y tromper. Nous sommes de race pure;
«vous avez une lance, je me servirais au be-
SA VIE ET SES TRAVAUX. 395
« soin de ma courte épée. Transperçons, je vous
« prie, ces coquins, ces Sarrasins de bas étage,
« ces mécréants qui prétendent voler les travail-
« leurs consciencieux et empoisonner, de leurs
« mensonges, la croyance publique. » Ce n'est pas
Sans dessein que j'insiste sur ce trait saillant du
caractère de Gratiolet, car cet amour de la vérité:
et de la justice, que nul n’a poussé plus loin que
lui, n’a pas été l’un des moindres obstacles à son
avancement dans la carrière par lui parcourue avec
tant de profit pour la science.
Mais n'anticipons pas sur les événements. En
1829, Pierre partit pour Paris avec sa mère, et.
_ entra au collége Stanislas où il devait terminer ses
études classiques.
Effrayée par les événements de 1830, madame
Gratiolet retourna à Bordeaux peu de temps après
les journées de Juillet, emmenant avec elle son
jeune fils, dont les études furent suspendues jus-
qu'à la fin des vacances. Revenu au collége Sta-
nislas au mois d'octobre de la même année, Gra-
tiolet y suivit régulièrement les cours jusqu’en
1833, époque à laquelle il se présenta au bacca-
lauréat. |
C’est durant ces trois années qu’il noua, avec
396 PIERRE GRATIOLET
rte
quelques hommes, aujourd’hui haut placés dans
les lettres, les sciences et les arts, des relations
d'amitié que la mort seule pouvait rompre‘. En
183%, M. Gratiolet, que les devoirs de sa profes-
sion et plus encore les soins réclamés par la santé
de sa fille avaient retenu jusque-là à Bordeaux,
vint s'établir à Paris pour y suivre les études de
droit de son fils.
Le jeune homme eut, en effet, la pensée d’em-
brasser la carrière du droit; le chagrin que lui
causa la mort de sa sœur, enlevée à l’âge de dix-
huit ans, amena en lui un moment de décourage-
ment profond, et le détourna pour quelques mois
de la voie où sa vocation, mieux comprise, ne
x
devait pas tarder à le faire rentrer. Il ne prit à
l'École de droit que deux inscriptions et, dès
2
l'hiver de 1834, il s’adonnait âvec ardeur à l’étude
des sciences médicales, et spécialement à l’anato-
mie qui fera l’objet des méditations de toute sa
vie.
Deux hommes éminents, M. Étienne Pariset,
le
1. Au collége Stanislas, Gratiolet eut pour condisciples M, 1€
docteur Th. Roussel, M. le conseiller Dauchez, M. Hetzel,
M. Henri Sainte-Claire Deville, M. John Lemoinne, M. Ulysse
Ladet, M. Jean Macé, etc.
SA VIE ET SES TRAVAUX. 397
secrétaire perpétuel de l’Académie de médecine,
et M. de Blainville, professeur au Muséum, de-
vaient, par leurs conseils, par leurs lecons et par
leur amitié, exercer sur Gratiolet une influence
décisive dans la vie d’un savant; c’est sous le pa-
tronage du premier qu’il entra dans la carrière
médicale et qu’il se prépara, par de fortes études,
au concours de l’internat, dont il subit, avec
succès, les épreuves en 1839,
M. Pariset développa, par son enseignement et
par ses conversations, les tendances philoso-
phiques de l'esprit de son jeune ami. Je ne saurais
mieux mettre en lumière la profonde influence de
l’illustre secrétaire perpétuel sur la direction des
idées de Gratiolet, qu’en reproduisant ici la lettre
que le futur professeur de la Sorbonne écrivait à
son maître, en lui envoyant sa thèse de doctorat.
Voici cette dédicace : es
« Un pareil hommage est peu digne de vous, je
« le sais : un essai, écrit en quelques jours d’après
« des matériaux incomplets, mériterait peu le pa-
« tronage de votre nom ; aussi ne l’ai-je point offert
« à mon maître, mais, oserai-je le dire ? à cet ami
« si bon, si éclairé, si bienveillant, qu’on aime
« avec l’esprit et qu'on respecte avec le cœur. Vous
ïü 4 à M ‘4 da. #. Pac M éd J *
te pu à te SR RS en, Dre Le È
RE
e.
398 PIERRE GRATIOLET
m'avez appris à reconnaître, dans la succession
des phénomènes naturels, la trace d’une intelli-
gence qui ne se repose jamais. Occupé sans cesse
de la lecture de ses œuvres, je n’ai point oublié
les principes que j'ai reçus de vous.
« La hardiesse dans les vues, la délicatesse dans
l'analyse, la sagesse dans les conclusions, et, si
j'envisage le style, l'élégance, la force, la préci-
sion, la netteté : tels sont les modèles que vous
me présentez toujours. Si Dieu me donnait d’ac-
« quérir enfin ces qualités précieuses, si je pouvais
« être un jour de quelque utilité aux lettres et aux
« sciences, ma gloire la plus chère serait de penser
« que je continue votre œuvre et que votre élève
est devenu digne de vous,
« Paris, 23 mai 18145!, »
Le vœu de Gratiolet s'est accompli : ces qualités
qu’il énumère avec tant de charme, en s’adressant
à M. Pariset, il les possédait toutes. Qui ne recon-
naîtra, en effet, qu'on ne pourrait louer avec plus
de vérité et d'exactitude les œuvres de l'élève qu’en
4. Cette lettre m'a été communiquée par M. le docteur Lemer-
cier, sous-bibliothécaire au Muséum, ami intine de Gratiolet.
Een PR
SA VIE ET SES TRAVAUX. 399
lui appliquant ce qu’il dit lui-même des écrits de
son maître ?
M. Pariset, avec cette promptitude de jugement
et cette sûreté de coup d'œil que donnent l'expé-
rience et la connaissance des hommes, avait, dès
l'abord, apprécié comme il le méritait le jeune
interne des hôpitaux de Paris: il avait entrevu le
brillant avenir qui pouvait s'ouvrir devant lui, si
une main intelligente lui offrait son appui; il
avait pressenti les services qu’il rendrait à la
science.
À partir du jour où le naturaliste Laurent pré-
Senta Gratiolet au savant médecin de la Salpê-
trière, une amitié toujours croissante unit ces deux
hommes, si bien faits pour se comprendre et pour
s'aimer. Un des premiers témoignages d'estime
que M. Pariset voulut donner à son protégé fut de
le présenter à M. de Blainville, successeur de
Guvier dans la chaire d'anatomie comparée au
Muséum. Les trois premiers travaux de Gratiolet
furent ainsi publiés dans un recueil que venait de
fonder le professeur du Jardin des Plantest, Dès
1842, l'illustre anatomiste l’attachait à son labo-
1. Annales françaises et étrangères d'anatomie et de Physio-
Ogie.
400 PIERRE GRATIOLET
ratoire avec le titre de préparateur (aux appoin-
tements de 900 fr.); il devait conserver ce titre
jusqu’en 1853, époque à laquelle il fut nommé
aide-naturaliste, ce qui portait son traitement
à 1,800 fr. C’est dans ces modestes fonctions que
Gratiolet, livré tout entier au culte le plus désinté-
ressé de la science, devait attendre, jusqu’en 1864,
c’est-à-dire pendant dix-neuf années, une chaire
du haut enseignement qu'aucun naturaliste parmi
ses contemporains n’eût remplie avec plus d'é-
clat que lui; M. de Blainville, heureusement pour
l'honneur de la science française, avait compris
quel concours précieux la parole éloquente ef
élevée de Gratiolet pouvait prêter au haut ensei-
gnement.
Décidé en 1844, par l’état de sa santé, à se faire
suppléer dans sa chaire du Muséum, il jeta tout
naturellement les yeux sur le jeune anatomiste,
dont il avait pour ainsi dire deviné le talent ora-
toire. Plus d’un professeur, en pareille occurrence;
aurait choisi un suppléant dont le succès füt au
moins douteux, un homme auquel une sup-
pléance, se prolongeât-elle dix ans, ne püt créer
de titres sérieux pour l’avenir. Cela ne se voit que
trop souvent.
É
SA VIE ET SES TRAVAUX. 401
M. de Blainville, profondément attaché à son
préparateur, et que la nature élevée de son esprit
mettait d’ailleurs à l’abri de ces _mesquines ré-
flexions, pensa sans doute que l'intérêt de la science
était seul en jeu, et que son devoir, comme titu-
laire, était-de désigner un remplaçant digne de.
lui. 11 fit nommer Gratiolet. J'ai sous les yeux une
lettre datée du 40 juin 1844, qui témoigne assez
quels sentiments divers agitaient, au moment de
cette nomination, l'esprit du futur suppléant. Je
ne résiste pas au plaisir de publier cette aimable
et Spirituelle correspondance.
« Je suis si accablé de travail et d'’ inquiétudes
« que je ne sais plus où trouver un moment pour
« aller te voir, m’excuser de toutes mes impar-
« donnables négligences, et me confesser encore
« de fautes que je commets toujours de nouveau.
« Ricard? à commis une indiscrétion. Je me
_« réservais Le plaisir d’aller moi-même t’'apprendre
« les bonnes intentions de M. de Blainville à mon
1. Je dois la communication de cette lettre à l’obligeance de :
M. le conseiller Dauchez, l’un des amis d’études de Gratiolet,
auquel elle était adressée et qui a bien voulu m autoriser à la
publier, .
2. M. le docteur Ricard, compagnon d'études et ami de Gra-
tiolet.
402 PIERRE GRATIOLET
égard, mais il n’en fait jamais d’autres. Je pen-
sais trouver un moment aujourd'hui pour aller
te dire bonjour à la Cour des comptes; mais
pris entre trente bouquins au moins, je ne puis
parvenir à me débarrasser.
« Tu as oublié, sans doute, ce que c’est qu'un
examen; j’en ai trois à passer dans deux mois”,
et par-dessus le marché .un cours à faire, un
cours à grand orchestre, mon Dieu! avec des
claqueurs et des sifleurs tout prêts. Malgré tout
mon courage, j'ai peur parfois, et la tête me
tourne; en songeant à ce que je devrai dire;
j'oublie même par où je dois commencer. Mes
matériaux presque achevés se mêlent dans ma
tête, et j'ai peine à dégager mon plan enfoui
sous tant de décombres. C'est vraiment une
chose terrible que d'être pris à l’improviste.
Puis, mêler l’histoire des cautères et des vési-
catoires? à des considérations de philosophie
naturelle, poursuivre à grand'peine ce qué
l'anatomie a de plus délicat, systématiser tous
1. Il préparait ses examens de doctorat; les internes des hôpi-
taux ne peuvent, on le sait, se faire recevoir docteurs avant
l'expiration de leurs fonctions, sous peine d’être considérés
comme démissionnaires.
2. Allusion à l’examen de pathologie qu’il préparait.
SA VIE ET SES TRAVAUX. 403
« ces détails et travailler en même temps à dé-
« brouiller le fatras obscur des livres de méde-
« cine que je suis obligé de dévorer; voilà ce
« qui, certainement, me démantibulera la cer-
« velle, si mes amis ne font pas une neuvaine à
« saint Jean pour qu’il me fasse retrouver, comme
« à Astolphe ou à Roland, ma raison perdue.
«Enfin, je vais avoir un public! Je lui parlerai
« gravement de ce que je ne sais pas, de ce qu'on
« ne saura jamais peut-être. Voilà une affaire bien
Cimportante. C’est cependant sur cet amas de
« futilités que je vais peut-être fonder mon avenir!
€ Allons! d'autres lancent leur citadelle dans les
«eaux de la mer, moi, je vais élever la mienne
« sur les nuages. Nous sommes dans le siècle des
« grands aéronautes. Je prie Dieu de me tenir en
« sa sainte et digne garde et de faire que je ne
« me Casse pas le cou. :
« Adieu, mon ami. »
On voit dans quelle situation d'esprit la pro-
position de M. de Blainville trouva Gratiolet et
avec quel plaisir, au fond, il acceptait la perspec-
tive d’un enseignement pour lequel, malgré son
: ne Pere mes MS Bei ere
D A ren mt ts mi ve
este: Fées 7
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Feu ee à a + ee none
' à Srisintée "A re (à dns. ET Last, 2
404 PIERRE GRATIOLET
extrême modestie et sa grande jeunesse, il se sen-
tait bien préparé.
Sa première lecon au Muséum fut un véritable
triomphe, dont les journaux du temps nous ont
gardé le souvenir. Son maître, le digne M. Pari-
set, caché dans un coin de l’amphithéâtre, avait
voulu assister à ce brillant début. Après la teçon,
en face de ce nombreux auditoire enthousiasmé
par les vues élevées et l’éloquente diction du
jeune professeur, il pressa sur son cœur celui au-
quel il avait ouvert la carrière. Des larmes d’at-
tendrissement s’échappaient des yeux du vieil-
lard, qui répondit à son élève surpris et ému de
le voir là: «Je viens écouter mon maitre. »
Longtemps après cette journée, M. Pariset ne
pouvait rappeler le premier succès de Gratiolet
sans une profonde émotion. Les applaudissements
chaleureux qui avaient accueilli le suppléant de
M. de Blainville l’attendaient à chaque nouvelle
leçon ; le succès du cours d'anatomie comparée
allait croissant, et loin d’en prendre ombrage, le
respectable titulaire s’en réjouissait, et ne son
geait qu'aux moyens d'assurer d’une façon défi-
nitive, à celui qui la remplissait avec tant d'éclat
la chaire illustrée autrefois par Cuvier. C’est ainsi
SA VIE ET SES TRAVAUX. 405
que de 1844 à 1850, Gratiolet suppléa constam-
ment M. de Blainville, émerveillant les auditeurs
par le charme de sa parole, non moins qu'il
les surprenaït par l’étendue de ses connaissances
et la profondeur de ses vues, C'est dans le cours
_de cette suppléance, au mois de mai 4848, que
Gratiolet perdit sa mère, devenue veuve depuis
quelques années *, Il chercha dans l'étude, cettecon-
solatrice par excellence, et dans l'amitié de quel-
ques cœurs dévoués, un adoucissement à ce cruel
chagrin. Grâce aux soins empressés de ses, amis,
grâce à ses livres et à son enseignement, il sur-
monta peu à peu la douleur poignante que lui
avait causée cette séparation. Sa croyance iné-
branlable à l'immortalité de l'âme, croyance qui
a seule adouci les dernières heures de son exis-
tence, l’aida aussi puissamment à traverser cette
phase douloureuse de sa vie,
Deux ans après, un nouveau malheur devait
fondre sur lui. Son maître, M. de Blainville, su-
bitement frappé par une attaque d’apoplexie ,
expirait le 1% mai 1850, M. Béclard a retracé en
ces termes, devant l’Académie de médecine, les
derniers moments de l’illustre anatomiste :
1. M. le docteur Gratiolet est mort à Paris le 30 mai 1840.
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PIERRE GRATIOLET
« Les luttes qu'avait soutenues M. de Blain-
ville, le chagrin qu’il ressentit de la perte d’un
petit-neveu qu'il adorait, avaient altéré sa santé.
En 1850, il demanda à être remplacé à la Sor-
bonne. Le suppléant qu’il avait désigné n'ayant
pas été agréé, il déclara qu’il refusait celui qu’on
prétendait lui imposer, et il remonta dans cette
chaire qu’il honoraït depuis près de quarante ans.
Mais il ressentit vivement cette blessure. Il avait
à peine terminé les premières leçons, qu’il voulut
profiter d’un congé de quelques jours pour aller
visiter une de ses nièces dans les environs de
Dieppe.
« Le 1% mai, à dix heures du soir, il quittait la
modeste maison dans laquelle il ne devait pas
rentrer. Au moment où il montait dans un wagon
du chemin de fer, il fut frappé d’une attaque
d’apoplexie foudroyante. Transporté dans une
salle d'attente, il rendit le dernier soupir sans
avoir repris connaissance {. »
1. Éloge de M. de Blainville, prononcé à l’Académie de méde-
cine, le 15 décembre 1863, par J. Béclard, secrétaire annuel de
l’Académie. — Le suppléant qui fut refusé à de Blainville, pour
son cours de la Faculté en 1859, était M. Hollard, professeur à la
Faculté de Poitiers, et, comme Gratiolet, l'élève de l’illustre ana-
tomiste. Le vœu de Blainville était que sa chaire du Muséum ap-
SA VIE ET SES TRAVAUX. 407
En perdant son maître, Gratiolet perdait son
plus ferme appui; s'il avait pu en douter un in-
Stant, les événements n’eussent pas tardé à dis-
siper ses illusions à cet égard. La mort de M, de
Blainville laissait deux chaires vacantes, l’une au
Muséum, l’autre à la Faculté des sciences.
Le successeur naturel de l’éminent anatomiste
est désigné d'une commune voix par le monde
savant. Qui mieux que Gratiolet pouvait continuer
l'œuvre du maître avec lequel, durant huit an-
nées, il avait vécu dans une communauté parfaite
. d'idées philosophiques et scientifiques? Qui, mieux
que lui, pouvait.développer et féconder les doc-
trines du rude et vaillant adversaire de Cuvier?
partint à Gratiolet et celle de la Sorbonne à M. Hollard. 11 avait
fait agréer ce savant en 1849 pour son suppléant dans cette der-
nière chaire, malgré la vive opposition de ses collègues qui pré-
sentaient un candidat, dtjà titulaire de deux chaires du haut en-
seignement. En 1850, M. Hollard ayant eu un véritable succès
dans cette suppléance, de Blainville le présenta de nouveau. Nou-
velle lutte à la Sorbonne contre la proposition de de Blainville,
qui cette fois succombe, et, ne pouvant faire agréer le candidat de
son choix, se décide à remonter dans sa chaire. A la mort inat-
tendue de de Blainville, M. Hollard fut chargé de termirer le
cours de l’année 1850. Le double vœu de M. de Blainville est
resté stérile; Gratiolet est mort sans que le Muséum ait eu l’hon-
neur de le compter au nombre de ses professeurs, et M. Hollard
attend encore la chaire de la Sorbonne.
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408 PIERRE GRATIOLET
L'immense succès des cmq années précédentes ne
devait-il pas d’ailleurs assurer à l’éloquent sup-
pléant la chaire devenue vacante par la mort du
titulaire ? Personne, parmi les auditeurs de Gra-
tiolet, ne pouvait douter un instant de l'issue de
la lutte qui allait s'engager au Muséum et à la
Sorbonne; mais les esprits clairvoyants, les gens
avisés qui, connaissant les petites passions hu-
maines, savent quel obstacle le talent reconnu de
tous, l'indépendance morale, la dignité du carac-
tère peuvent, à un jour donné, mettre à l’avan-
cement d’un homme, ceux-là avaient peu d'espoir.
Seuls ils ne furent pas déçus. De Blainville fut
remplacé au Jardin des Plantes par Duvernoy, et
à la Sorbonne par I. Geoffroy Saint-Hilaire; Gra-
tiolet demeura préparateur au Muséum aux ap-
pointements de 4,800 francs.
Dans les académies, comme dans les chaires du
haut enseignement, comme partout peut-être, les
gens médiocres redoutent toujours de voir s’asseoir
à leurs côtés les hommes supérieurs, comme s'ils
_ne tenaient pas de ces derniers, et de ces derniers
seulement, l'éclat passager qui les environne ! L'il-
lustre directeur du Muséum, dans le dernier adieu
qu'il adressa à l’ami que nous pleurons, déchire
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19
sk SA VIE ET SES TRAVAUX. 409 " Ni
| ni |
un coin du voile et cherche à expliquer à tous 4
| comment Gratiolet avait attendu dix-sept ans une | ; 1) |
chaire du haut enseignement : | 11
«Aujourd’hui, dit M. Ghevreul, que les faits i \
sont si fatalement accomplis, répondons à cette A À
question : comment M. Gratiolet, avec les qualités | di |
brillantes de l’orateur et de l'écrivain, ayant pour à h |
_amis dévoués tous ceux qui l’ont connu ; comment if Ë
cet homme, si heureusement doué pour capter | ï | (
tous les suffrages en les méritant, at-il si long- il l À
temps attendu que la /ortune le favorisât? Au lieu 3 | il
de répondre: « parce qu’elle est aveugle, » cher- À L
| chons-en la véritable cause et nous la trouverons. (ll î
| « Sans doute M. Gratiolet avait la conscience de li, c &
sa force, mais sa conviction des limites étroites de al |
l'esprit et de la science de l’homme lui donnait fl É
| une modestie qui ne fut pas toujours un titre de ; fl |
_ recommandation près de plusieurs de ses juges; h { 4
| car il n'existe que trop de gens pour lesquels | 4
l'assurance est la mesure de mérite! Convenons
encore que la conscience de ses forces, alliée à la
DR
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dignité du caractère, est souvent un obstacle à
l'avancement. Or, la dignité du caractère, Gra-
tiolet l'avait au plus haut degré, et je sais qu’en
plus d'une occasion, faute d’y avoir sacrifié légè- #|
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410 PIERRE GRATIOLET
rement, il n’obtint que tardivement ce que beau-
coup plus tôt il aurait dû avoir Mais, messieurs,
une cause à contribué sans doute encore à la len-
teur de l'avancement de M. Gratiolet dans le
monde, c’est son extrême bonté. Et certes aucune
voix ne me démentira quand je dirai que jamais
l'intérêt personnel ne l’a guidé; que l'amour de
la gloire, et, le dirai-je, l'avancement même de la
science, ont toujours été subordonnés à deux
penchants : obliger le pauvre et donner son temps
à l'amitié qui réclamait sa personne et ses soins.
Voilà ce qu’il a fait durant toute sa vie. »
Je m’associe de grand cœur à cet éloge, et je
pense, avec M. Chevreul, que, chose triste à con-
fesser, les rares qualités et la noblesse de cœur de
Gratiolet ont jeté dans sa laborieuse carrière des
entraves qu'il eût évitées avec ce qu'on nomme
dans le monde de l’habileté, terme dont le syno-
nyme n’est pas toujours indépendance et probité.
Mais je ne puis oublier et je ne veux pas omettre
de rappeler ici que l’un de ses plus grands défauts
aux yeux de la coterie qui l’a si longtemps op-
primé, c'était précisément l'honneur dont il était
le plus jaloux, le titre d’élève et d'ami de M. de
Blainville. La jalousie, et pourquoi le taire, la
SA VIE ET SES TRAVAUX. 411
malveillance qu’avaient excitées dans certaines
âmes le talent supérieur, l’âpre nature du maître,
on les concentra sur l'élève.
Gratiolet, simple et doux, mais ferme et recon-
naissant, continua, sans se plaindre comme sans
fléchir, à remplir ses modestes fonctions de pré-
parateur. L'estime des honnêtes gens et le senti-
ment du devoir accompli le consolaient aisément
de l'injustice des hommes et de la rigueur des évé-
nements.
En 1852, il fut de nouveau chargé d’une sup-
pléance; il remplaça Duvernoy au Collége de
France. Nouvel enseignement, nouveau succès.
Cette fois encore se pressent autour de sa chaire
les auditeurs avides d'entendre sa magnifique pa-
role : le public voit dans cette seconde suppléance,
non moins brillante que la première, un heureux
présage; il espère que Gratiolet s’assoira bientôt
enfin dans l’une des chaires d'anatomie comparée
de Paris. Vain espoir! M. Duvernoy meurt, sa suc-
cession est vivement disputée au Muséum. Des
questions de convenance personnelle, des arran-
gements de famille se mêlent à cette lutte, dont il
semble que toute considération extra-scientifique
devrait être bannie. Bien plus, on va jusqu’à
412 PIERRE GRATIOLET
invoquer des raisons politiques et religieuses
pour combattre la candidature du suppléant de
Duvernoy. Parmi ceux qüi ont intérêt à le voir
succomber dans cette lutte inégale, les uns le re-
présentent comme un révolutionnaire dangereux ;
les autres en font un ultramontain déclaré. Ses
amis, confidents de sa pensée intime, savent com-
bien ces imputations étaient calomnieuses. Comme
tous les esprits à la fois honnêtes et éclairés, Gra-
tiolet chérissait la liberté et ne s’en cachait pas; de
plus, il était spiritualiste et chrétien; mais la
vérité est que sa nature élevée et généreuse répu-
diait avec une égale énergie l'autorité absolue, sous
quelque forme qu’elle se présentât. Son esprit in-
dépendant et droit ne pouvait s’accommoder à
aucun despotisme; l'amour de la justice et de la
vérité, tel fut le guide souverain de sa vie. Ceux
qui, au lendemain du coup d’État, s’efforçaient de
le faire passer pour un révolutionnaire, ceux-là
oubliaient son attitude courageuse et énergique
lors des événements de juin 1848; ils ne se souve-
_naient pas davantage du désintéressement dont il
fit preuve en ces jours difficiles, comme dans
tout le cours de sa carrière‘. Quoi qu’il en soit,
4. Capitaine d'artillerie dans la garde nationale, en juin 1848,
SA VIE ET SES TRAVAUX. 413
les habiles triomphèrent, des mutations eurent
lieu dans le personnel du haut enseignement, et
définitivement Gratiolet ne fut pas nommé.
L'année suivante, à titre sans doute de dédom-
magement, il fut promu au rang d’aide-naturaliste
au Muséum, avec un traitement de 2,400 francs.
En 1854, un grand bonheur l’attendait; cédant
à un attachement qui n’a fini qu'avec sa vie et qui
a rendu si terrible la dernière séparation, Gra-
tiolet se mariait selon son cœur. De cette union,
dans laquelle il ne cherchait que les douceurs de la
vie de famille, sans lui demander la fortune, date
la phase la plus heureuse de son existence, phase
trop courte, hélas! A cette époque aussi com-
mence la. période la plus active de sa vie scienti-
fique. Son grand mémoire sur les Plis cérébraux -
_ du cerveau des Primates, mémoire justement ad-
miré par tous les naturalistes, a été publié dans
cette même année 1854.
Trois ans plus tard parut l’œuvre capitale de sa
vie, son Anatomie comparée du Système nerveux,
livre admirable où Gratiolet a révélé à la fois les
qualités de l'écrivain, du philosophe et de l’ana-
Gratiolet refusa la décoration pour laquelle il avait été proposé,
après l'affaire du petit pont de l'Hôtel-Dieu.
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414 PIERRE GRATIOLET
tomiste à un degré qu’il sera donné à peu
d'hommes d’égaler, à aucun peut-être de ja-
mais surpasser! Get ouvrage est l’un des plus
considérables de la littérature scientifique con-
temporaine, par le nombre et l'exactitude des
observations qu'il renferme, par l’étendue des
horizons qu’il ouvre à la physiologie et à la psy-
chologie, par la manière supérieure dont le sujet
est traité; il suflirait à lui seul pour perpétuer le
nom de son auteur.
De 1857 à 1860, Gratiolet a publié quelques
importants mémoires, parmi lesquels je me bor-
nerai à citer son travail sur le Système vasculaire
des Hirudinées. Les circonstances de la publica-
tion de cette étude me ramènent à parler encore de
la carrière officielle de Gratiolet. À la mort de
I. Geoffroy Saint-Hilaire, l'heure de Ia justice pa-
raît enfin venue. Ses travaux, connus de tout le
monde savant, le font depuis longtemps déjà con-
sidérer comme l'autorité la plus compétente dans
la branche de l’anatomie à l'étude de laquelle il
avait voué sa vie, la connaissance de l’encéphale :
il a pris rang, par ses recherches sur le système
nerveux et sur les fonctions du cerveau, au nombre
des anatomistes les plus distingués de la France et
SA VIE ET SES TRAVAUX. "415
de l'étranger, il semble désormais impossible de
lui fermer a porte du haut enseignement. Grâce
au zèle de quelques amis dout je tairai les noms,
malgré moi, pour ne pas blesser leur modestie,
Gratiolet est enfin présenté en ordre utile par la
Faculté des sciences de Paris, au ministre de l’In-
struction publique, pour succéder à Geoffroy
Saint-Hilaire.
C’est alors qu’il publie, sous la forme d’une
thèse de doctorat, son mémoire sur les Hirudinées.
M. Rouland qui, cinq ans auparavant, lui avait
donné une première marque de sympathie en lui
remettant au Muséum la croix de la Légion d'hon-
neur, s’empresse de le charger du cours de zoolo-
gie à la Faculté des sciences de Paris. A la fin de
1863, ce ministre le nomme titulaire de la chaire
qu’il devait occuper deux années à peine.
Les portes de l’Académie des sciences, si long-
temps fermées à Gratiolet, au grand étonnement
des savants étrangers, ne pouvaient tarder à s’ou-
vrir aussi, en dépit des intrigues des coteries, de-
vant l’auteur de l’Anatomie du Système nerveux.
Tout paraissait sourire enfin à notre excellent
ami, bien résolu à suivre, comme par le passé, le
droit chemin, sans se laisser détourner par des
À
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416 PIERRE GRATIOLET
sentiments qui n’ont jamais trouvé place dans son
âme, la vanité, l’ambition et la haine ; à user de
l'influence que lui donnait sa nouvelle position
pour aider, comme il l'avait fait jusque-là, ceux
qu'il rencontrait sur sa route. Partageant sa vie
entre les affections de la famille, les épanchements
de l’amitié et le culte de la science, il jouissait
pleinement de la douceur de la vie après n’en
avoir trop longtemps connu que l’amertume. Ce
bonheur, hélas! ne devait pas être de longue
durée! Les veilles, l’excès du travail, les préoccu-
pations inséparables d’une existence si pénible
parfois, l'injustice des hommes n’avaient rien fait
perdre à Gratiolet de la sérénité de son âme ni de
l’enjouement de son esprit. Son cœur droit et
noble avait pris le dessus, il avait pardonné beau-
coup et toujours rendu le bien pour le mal, esti-
mant, comme il nous le disait souvent, que le
souverain bien est le contentement de soi-même,
et que presque toujours les hommes sont plus
aveugles que coupables. Mais si cette nature ar-
dente et enthousiaste, généreuse.et vibrante, avait
su trouver. dans la paix intérieure, dans le culte
de la famille, de l’amitié et de la science, un
remède souverain à tous les maux de l’âme, il n’en
SA VIE ET SES TRAVAUX. 417
était pas de même du corps qu'animait ce puis-
sant esprit. |
Il y a trois ans, à la suite de recherches qui
nécessitaient de longues veilles après des journées.
entièrement consacrées aux travaux de dissection,
Gratiolet ressentit les premières atteintes du mal
terrible qui devait l’arracher brusquement à la vie.
Au mépris de ce que la prudence lui commandait,
_ilne put se résoudre à suspendre ses travaux, es-
_ pérant que ses forces ne le trahiraient pas, et qu’il
mènerait à bien l’œuvre commencée et poursui-
vie avec trop d’ardeur. Il semblait en effet ré-
tabli.
Jamais sa parole n'avait été plus précise et plus
_entraîinante que dans cette soirée de la Sorbonne
qui fut pour lui un véritable triomphe. Jamais,
comme l’a si bien dit M. de Ghevreul, « tant de
qualités brillantes et profondes n’ont été réunies
par la philosophie pour faire d’un sujet, ancien=
nement vulgaire (l'étude de la physionomie),
traité souvent par des gens du monde et des ar-
tistes, une œuvre précise, profonde et originale.
C'était le champ du cygne. » La Sorbonne ne de-
vait plus retentir des accents de cette mâle parole,
et l'Académie des sciences ne. devait pas avoir
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418 PIERRE GRATIOLET
l'honneur de compter parmi ses membres l’homme
éminent que nous pleurons..
Le jeudi 16 février, une lugubre nouvelle se ré-
pandit dans Paris. Gratiolet venait d’expirer après
quelques heures d’agonie. Celui que la veille en-
core nous avions quitté plein de santé et de vi-
gueur, n’était plus. Une mort aussi cruelle qu’im-
prévue venait de trancher ces jours si précieux,
d'enlever à une famille éplorée son plus ferme sou-
tien, à la science l’un de ses plus vaillants soldats.
Le mercredi 15 février, à une heure de l’après-
midi, au milieu de ses occupations favorites, dans
ce laboratoire témoin de tant d'admirables re-
cherches, Gratiolet fut pris subitement de vertiges
et d'éblouissements. Chancelant, et déjà frappé
de paralysie, il put à grand’peine regagner sa de-
meure.
Il n'eut pas un seul instant d'illusion sur la gra-
vité de son état; sans espoir de salut, mais coura-
geux et ferme comme toujours, il fit lui-même les
premières prescriptions, pressa contre son cœur
sa femme et ses enfants, qui bientôt n’allaient plus
entendre sa voix chérie, et les recommanda à
quelques amis accourus à son chevet en apprenant
la fatale nouvelle.
SA VIE ET SES TRAVAUX. 419
Quelques heures plus tard sa langue s’embar-
rassa, son intelligence s’obscurcit ; le soir il avait
perdu conaissance, la paralysie marchait à grands
pas. Le 16, à cinq heures du matin, il rendait le
dernier soupir.
Deux jours après, une foule immense, atterrée
par la douleur, accompagnait Gratiolet à sa der-
nière demeure. M. le ministre de l'Instruction pu-
… blique voulut rendre à la mémoire de cet homme
éminent un hommage digne de lui : il décida que
ses funérailles seraient faites aux frais de l'État.
M. Duruy témoigna de sa sympathie pour l’élo-
quent professeur de la Sorbonne, en se joignant à
la foule émue qui encombrait l’église Saint-
Étienne-du-Mont, trop petite pour contenir les
amis de l'homme de bien et les admirateurs du
savant. Jamais douleur plus vraie n’éclata sur le
bord d’une tombe. C’est que la perte que nous
avons faite est immense : la science pleure une de
ses illustrations les plus pures, la jeunesse l’un
de ses maîtres les plus justement aimés, l’amitié
un cœur qu'on ne remplace pas.
Plus heureux encore que bien d’autres, Gra-
tiolet vivra par ses œuvres, il vivra aussi par les
tendres souvenirs qu'il laisse à tous ceux qui l’ont
420 PIERRE GRATIOLET, SA VIE ET SES TRAVAUX.
connu. Il revivra enfin dans ses enfants auxquels
il lègue le plus bel héritage qu’il soit donné à
l'homme de. transmettre à ses descendants,
l'exemple d'une existence qui se résume en trois
mots : honneur, abnégation et science!
15 avril 1865.
TRAVAUX SCIENTIFIQUES
DE
PIERRE GRATIOLET
1839-1865
Une analyse détaillée des découvertes dont Gra-
tiolet a enrichi la science m’entraînerait hors du
cadre que je me suis tracé en écrivant cette notice.
Je me bornerais donc à joindre, sous forme d’ap-
pendice, au pieux hommage que j'ai voulu rendre
à la mémoire d’un ami, la liste de ses principaux
travaux, si je ne trouvais résumés en quelques
pages, avec un talent que le lecteur appréciera
j'en suis certain, l’idée dominante de l’œuvre et
les principaux résultats des recherches de Gra-
tiolet.
Je demande donc à celui qui fut l'élève et l'ami
du savant anatomiste, la permission d'emprunter
quelques pages à la Notice qu’il a publiée dans les
Archives générales de médecine. Je ne saurais à
24
a nan tege annee fan. TE ie cu EDR art 2 2 2 due AO ee
422 TRAVAUX SCIENTIFIQUES
coup sûr dire aussi bien en si peu de mots ce que
les sciences biologiques doivent à Gratiolet.
« Ce qui signale toutes ses œuvres, dit M. le
docteur Bertt, c’est un singulier carac{ère de gran-
deur. Profondément versé dans les sciences méta-
physiques, jouant pour ainsi dire avec les plus
hautes questions de la psychologie, Gratiolet
n'oubliait jamais que la science biologique n'est
qu'une partie de la philosophie. Son puissant
esprit, loin de dédaigner les détails, les cherchait,
mais pour les féconder. Des considérations élevées
lui servaient comme de flambeau dans ses minu-
tieuses recherches, et à la fin de chacun de ses
travaux, on les voit éclater en riches consé-
quences, en lumineux et souvent poétiques
aperçus. Ses études ont toujours été dirigées vers
deux buts philosophiques : d’abord la synthèse
des faits naturels, leur formule statique : aussi la
recherche des types zoologiques était sa préoccu-
pation favorite, et il y excellait; — puis, l'har-
monie de ces faits, leur expression dynamique,
les rapports de l'organe avec l'acte, qu'il inter-
_prétait toujours au point de vue d’un finalisme
élevé.
1. Archives générales de médecine, mars 1865.
DE PIERRE GRATIOLET. 423
« Avec d'aussi grandes qualités d'esprit, de si
hautes visées, on ne doit pas s'étonner que Gra-
tiolet, nature artiste et prime-sautière, mais qui
travaillait à ses heures et méditait longtemps,
n'ait pas manifesté cette activité vulgaire qui en-
combre journaux et comptes rendus de notes sans
valeur et sans liaison. Aussi ses travaux, malgré
leur importance, peuvent être assez facilement
résumés en se plaçant au point de vue des idées
qui les relient.
« Gratiolet croyait profondément à la réalité de
l'espèce, qu’il considérait comme expression in-
carnée d'une volonté créatrice, expression SUSCep-
tible de varier seulement entre des limites d’élas-
ticité peu étendues. Il s’est élevé toute sa vie
contre ces tendances issues des doctrines d'Étienne
Geolfroy-Saint-Hilaire, qui s'efforcent aujourd’hui
de faire considérer les êtres supérieurs comme le :
résultat de la progression continue, indéfinie des
êtres inférieurs. Un des arguments employés par
cette école philosophique est tiré de la simplicité
des animaux qui ont peuplé les couches les plus
anciennes du globe. Quelques-uns de ces types,
témoins des premiers âges du monde, ont encore
aujourd’hui des représentants dans notre faune
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424 TRAVAUX SCIENTIFIQUES
vivante : telles sont les lingules et les térébra-
tules. Gratiolet étudia à fond leur anatomie, et,
dans des travaux qui ont acquis en Angleterre
une juste célébrité, il découvrit ou précisa plu-
sieurs points importants de cette organisation,
dont la complexité et la perfection semblent pro-
tester contre la théorie du progrès spécifique.
C'est à côté de ces recherches sur les brachio-
podes qu’il faut placer son anatomie du système
vasculaire des hirudinées, si remarquable par la
richesse et l'intérêt des détails.
« Des-travaux remarquables sur le système vei-
neux des oiseaux, conçus au point de vue d’un
rapprochement en apparence étrange, mais bien
réel, entre ce type et le type des reptiles, l'ont
amené à démontrer l’exactitude de l'hypothèse de
Jacobson sur l'existence d’une veine porte rénale
chez les oiseaux; il a tiré de ce fait, et de quelques
observations sur la distribution des vaisseaux san-
guins des batraciens à respiration cutanée, des
conséquences physiologiques extrêmement impor-
tantes sur le rôle des poumons, du foie et des
reins. Il a encore découvert l'existence d’une veine
porte propre aux capsules surrénales chez tous les
vertébrés allantoïdiens ovipares. Enfin, relative-
DE PIERRE GRATIOLET. 425
ment à ces Corps surrénaux, c’est à son initiative
que l’on doit le renversement des hypothèses
mises en avant sur le prétendu rôle fondamental
de ces organes singuliers.
« Gitons encore quelques recherches intéres-
santes sur le système vasculaire des mollusques,
où Gratiolet se refusait à voir le signe d’une dé-
gradation sériale; sur le système vasculaire des
bradypes, de l’hippopotame; sur l'organe de Ja-
cobson, l’os intermaxillaire, la reproduction des
_hélices, le développement du crâne en l'absence
du cerveau, etc., et arrivons immédiatement aux
beaux travaux qui ont fait et assureront sa gloire,
à ses travaux sur le système nerveux.
« Des études sur un ensemble d'organes qui
jouent dans les corps animés un rôle primordial
etsi merveilleux convenaient admirablement à son
esprit philosophique. Aussi a-t-il étudié le Sys-
tème nerveux à tous les points de vue : zoologi-
que, anatomique, physiologique et psychologique.
« Quelques mots d’énumération seulement. Au
point de vue zoologique, Gratiolet à appliqué à la
recherche des types mammifères les considérations
tirées de la composition de l’encéphale et de la
disposition des circonvolutions cérébrales, dont
24.
426 TRAVAUX SCIENTIFIQUES
l'un des premiers il a démontré l'importance. Il a
été ainsi conduit à formuler les lois qui président
à la complication de ces sinuosités dans la série
mammalogique, et l'étude des empreintes qu’elles
laissent sur la voûte osseuse du crâne lui a permis
de déterminer la place zoologique de certains ani-
maux fossiles, ou même d'en découvrir de nou-
veaux.
« Au point de vue anatomique il a, en même
temps que R. Wagner, découvert la communica-
tion qu’ont entre elles les cellules de la moëlle
épinière; il a démontré l'épuisement d’arrière
en avant, et la renaissance continuelle des fais-
ceaux postérieurs de cet organe, fait capital en
physiologie. Suivant dans l’encéphale l’épanouis-
sement de la moelle épinière, il y a étudié la
transformation de ses différentes parties, et à
_montré qu’à. cette moelle épinière, qui constitue le
noyau encéphalique, se superposent trois organes
de centralisation : cervelet, tubercules optiques,
cerveau. Gelui-ci fut surtout l’objet de ses médi-
tations. Il décrivit dans la composition de ses hé-
misphères six systèmes de fibres nerveuses, dont
un, propre à l’homme et aux singes, provient du
nerf optique. Enfin, dans son magnifique travail
DE te se GRATIOLET. 427
sur les plis cérébraux de l’homme et des primates,
il établit entre eux une identité typique complète,
mais avec un ordre de développement embryolo-
gique totalement différent.
. « Dans ce mémoire encore, il est amené à la
conception d'un système nouveau de localisation
cérébrale qu'on peut résumer par ces mots : que
le cerveau, un par rapport à l'âme, est multiple
eu égard aux différents appareils du corps. Par
les considérations vers lesquelles Gratiolet aimait
dans cette voie à se sentir attiré, la psychologie
se confond avec la physiologie. Aussi toute une
partie de son livre célèbre sur l'anatomie comparée
du système nerveux dans ses rapports avec l’in-
telligence est consacrée à une analyse comparée
des fonctions de l'intelligence humaine: analyse
nouvelle, où les plus ardus problèmes de la méta-
physique et de la psychologie sont abordés avec
une aisance pleine de grandeur, exposés dans un
style toujours clair et tour à tour concis ou bril-
lant des plus riches couleurs, où l’observation dé-
licate du naturaliste se mêle à la puissante analyse
du philosophe et aux aspirations poétiques d’un
esprit profondément religieux.
« Cet amour pour tout ce qui se rattache à
PAL à UE
séés: cal date,
|
11
498 TRAVAUX SCIENTIFIQUES DE PIERRE GRATIOLET.
l’étude de l’homme en tant qu’être sensible et in-
telligent fit de Gratiolet l’un des membres les plus
actifs de la Société d'anthropologie, qu'il contri-
bua à fonder. Il enrichit ses Bulletins de mémoires
d’une importance capitale sur la manière dont
s’oblitèrent les sutures crâniennes chez les diffé-
rentes races humaines, sur la microcéphalie con-
sidérée dans ses rapports avec la question des ca-
ractères du genre humain, sur les circonvolutions
crâniennes des races inférieures, sur les rapports
duwvolume du cerveau avec le développement de
l'intelligence, etc.; grandes, immenses questions,
à la hauteur desquelles il s'élevait sans eflorts,
car il était semblable à ces oiseaux de haut vol
qui, nés pour planer, nagent dans l'atmosphère
lumineuse, sans qu’on voie même remuer leurs
ailes. »
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
DES
TRAVAUX DE GRATIOLET
1839-1865
4. — Observations sur un cas d'absence pres-
que complet des hémisphères cérébraux, coïn-
” cidant avec une conformation régulière du crâne.
(Ann, franc. et étrang. d'Anat. et de Physiol.,
t. IIL, p. 180, 1839.) ,
2, — Mémoires sur les scissures anomales de
la bouche, et sur le bec de lièvre en particulier.
(Ann. franc. et étrang. d’Anat. et de Physiol.,
t. III, p. 193, 1840.) -
3. — Note sur l'existence et la composition de
l'os intermaxillaire dans l’homme. (Ann. franc.
et étrang., t. IT, p. 207, 1840.)
h. — Recherches sur l’organe de Jacobson.
(Thèse pour le doctorat en médecine, in-h, avec
quatre planches, 1845.)
5. — Sur les zoospermes des hélices et sur les
D Poe ASE
430 INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
métamorphoses qu'ils subissent dans la vésicule
copulatrice, où 15 ont été Géhosés pendant l'ac-
couplement. (Journal de conchyliologie, t. T°”,
p. 116 et 236, 1850.)
6. — Mémoire sur les plis cérébraux de
l'homme et des primates, in-4, avec un atlas de
treize planches in-folio, 1854.
7. — Mémoire sur l’organisation du système
vasculaire de la sangsue médicinale et de l'aulas-
tome vorace, pour servir à l'histoire de la circu-
lation du sang dans les hirudinées bdelliennes.
(Comptes rendus de l'Acad. des Sciences, t. XXXT,
4850.) Thèse pour le doctorat ès-sciences, 1862,
in-h. avec planche.
8. — Observations sur la végétation des plantes
submergées (en commun avec M. Cloëz). (Comptes
rendus, t. XXXI, 1850, et Annales de Chimie et
de Physique, troisième série, t. XXXI, 1550.)
9.— Observations sur les propriétés vénéneuses
que présente l'humeur lactescente sécrétée par
les pustules cutanées des batraciens (en commun
avec M. Cloëz). (Comptes rendus de l’Acad.,
t. XXXIL et t. XXXIV, 1851-1852.)
40. — Recherches sur le système veineux des
reptiles, et sur quelques points de leur système
artériel, (Journal l’Institut, t. XXI, p. 60,
1853.)
DES TRAVAUX DE GRATIOLET, 431
11. — Note sur la veine porte rénale des oi-
seaux, et sur la découverte d’une veine porte
dans leurs capsules surrénales. (Journal lIn-
stitut), t. XXI, p. 386, 1853.)
12. — Note sur l'existence de réseaux admira-
bles analogues à ceux que présentent les artères
des membres des bradypes et de certains lému- .
riens, dans ja région palmaire de l'aile des
chauves-souris et dans le pied de quelques
rongeurs. (Journal l'Institut,t. XXI, p.433, 1853.)
13.— Sur la structure intime de la moelle épi-
nière, (Journal l'Institut, t. XX, p. 272. 1852.)
44. — Comparaison du noyau de l’encéphale
et de la moelle épinière. (Journal l Institut, t. XX,
p. 373, 1852.)
15.— Mémoire sur l'anatomie de la térébratule
australe. (Comptes rendus de l’Acad., t. XXXWII,
1853. — Journal de conchyliologie, huitième nu-
méro, 1857.)
16. — Observations sur un travail de M. Da-
reste ayant pour titre : « Mémoire sur les circon-
volutions du cerveau.» (Comptes rendus de l'Acad.,
t. XXXIV. — fievue zoologique, 1852.) |
47. — Note sur la disposition des plans fibreux
de différents ordres qui entrent dans la composition
de l’hémisphère cérébral. (Bull. de la Société Phi-
lomatique, 1854.)
À oo D me SE A Cr
onde mes en
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
18.— Note sur la découverte d’un plan fibreux
résultant des expansions cérébrales du nerf op-
tique. (Comptes rendus de l’Acad., t. XXXIX,
p. 27h, 1854.)
19,—Notice sur les travaux de Souleyet. (Jour-
nal de conchyliologie, t. IV, 1853.) Gette notice
contient des observations inédites de Gratiolet sur
l'anatomie des mollusques.
20. — Compte rendu des séances de la Société
des sciences médicales pour l’année 1853. (Moni-
teur des hôpitaux, 1856.)
Dans ce compte rendu, Gratiolet résume deux
travaux encore inédits. L'un relatif au sens de la
pression, envisagé dans ses rapports avec l’organi-
sation des phalanges onguéales; l’autre relatif à
Thistoire physiologique des mouvements d’ex-
pression, (Voir pour ce dernier travail le n° 5 de
cette liste.)
94, — Mémoire sur l’encéphale des éléphants.
(Comptes rendus de l’Académie, t. XL, 1853, 1855.)
29, — Mémoire sur la structure du cervelet.
(Journal l'Institut, vol. XXII, p. 184.)
23, — Sur quelques particularités de la myolo-
gie des singes supérieurs, et sur l’organisation de
la main considérée comme organe du toucher dans
ces animaux. (Bull. de la Société philomathique,
p. 68, 1855.)
DES TRAVAUX DE GRATIOLET. 433
2h. — Sur la composition du faisceau posté-
rieur de la moelle épinière et sur la signification
des petits cordons accessoires connus sous le nom
de cordons médians postérieurs. (Bull. de la So-
ciêté philomathique, p. 80, 1855.)
25, — Note sur les effets que détermine l’abla-
tion des corps surrénaux. (Comptes rendus de
d'Acad., t. XL, 1856.)
26.— Note sur le développement de la forme
du crâne humain et sur quelques différences qu’on
observe dans la marche de l’ossification des su-
tures. (Compies rendus de dose . VOL AM
p. 428, 1857.)
27. — Sur quelques différences que présente
l'organisation intime du cerveau dans les animaux
mammifères. (Bull. de la Société des ne
p. 95, 1855.)
28. — Anatomie comparée du cerveau de
. l’homme et des singes, un vol. in-8, avec atlas de
dix planches in-folio, 1857, Paris.
29.— Mémoire sur la microcéphalie considérée
dans ses rapports avec la question des caractères
du genre humain. (Wémoïres de la Société d'an-
thropologie, t. 1, 1860.)
30.— Description de l’encéphale d'un animal
fossile, le cainotherium commun. iso l'Inst.,
t. XXVI, p. 95, 1858.)
[a
Qt
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE.
31. — Note sur l’encéphale de l'oreodon gra-
cilis. (Journal l’Institut. t. XXNIT, 1859.)
32. — Note sur un fragment de crâne trouvé à
Montrouge, près Paris. (Bull. de la Société géol.
de France, t. XV, p. 620, 1859.)
33. — Études anatomiques sur la lingule ana-
tine. (Journal de conchyliologie, 1860.)
3h.— Note sur l’encéphale du gorille. (Comptes
rendus de l’Acad., t. L, 1860.)
35. — Mémoire sur le système vasculaire de
l'hippopotame. (Comptes rendus de l Acad. t. LT,
1860.)
36. — Mémoire sur l’encéphale de lhippopo-
_tame. (Comptes rendus de l’Acad,, 1. ‘EH,
1860.)
37. — Recherches relatives aux mouvements
de rotation sur l'axe du corps que déterminent
certaines lésions du cervelet. (Comptes rendus de
l’Acad., t. LI, 1860.)
38. — De la génération spontanée depuis 1858.
(Moniteur scientifique du docteur Quesneväle, n° 80,
15 avril 1860.)
39.—Sur un crâne d'idiot. (Bull. de la Société
d'anthropologie, t. IN, p. 194, 1863.)
0. — Sur un crâne de Totonaque. (Bull. de la
Société d'anthropologie, t. I‘, p. 562, 1860.)
h1.— Description d’un crâne de Mexicain Toto-
= the dipnaten h af 7 me +
PPS MR NEO EL CAR AMONT ENT 435
naque. (Mém. de lu Société d'anthropologie, t. K°,
p. 300, 1863.)
12. — Mémoire sur la structure des hémis-
phères cérébraux dans l’homme et dans les pri-
mates. (Comptes rendus de l'Acad., t. XL.
4855.)
A3. — Note sur la structure du système ner-
veux. (Comptes rendus de l’Acad., t. XLI, 1855.)
h4. — Comparaison du bras et de la main de
l’homme avec l’avant-bras et la main des grands
singes. (Comptes rendus de l'Acad., t. LIX, 1864.)
A5. — Observations sur un jeune rorqual.
(Comptes rendus de l’Acad., t. LH, 1861.)
A6. — Notice historique sur Félix Dujardin, lue
le 5 avril 1864, à la séance annuelle de la Société
des Amis des sciences.
A7. De l’homme et de sa place dans la créa-
tion. Conférence de la Sorbonne. (Revue des cours
scientifiques du 19 mars 1864. — Revue germa-
nique, n° d'avril 1864.) |
A8. — Observations sur le poids et la forme du
cerveau. (Bull. de la Société d'anthropologie,
1864 passim.)
A9. — Sur la région du front chez l’homme et
les singes anthropomorphes. (Bull. de la Société
d'anthrop., t. V, p. 653, 1864.)
50, — Lettre au rédacteur du Moniteur srien-
25,
Pre > cri. As} (DT rase tif
Sea res TE NTS Je +: "SR R LAURE 1 Rule 0
Le AT nage se À MN Er _ s
436 INDEX BIBLIOGRAPHIQUE.
Lifique-sur la théorie de M. Thury, relative à la loi
de création des sexes. (Moniteur scientifique du
docteur Quesneville, vol. VI, p. 39, 1864.)
51. — Sur la physionomie en général et en
particulier sur la théorie des mouvements d’ex-
pression, Conférence de la Sorbonne. (Revue des
cours scientifiques, n° du 11 février 1865.)
Gette leçon est l'introduction d’un livre que
Gratiolet était sur le point de publier. L'avant-
veille de sa mort, il entretenait son ami Hetzel de
cette publication qu'il projetait depuis plusieurs
années déjà. C'est le manuscrit de cette œuvre
importante qui, retrouvé complet dans ses pa-
piers, constitue le présent livre.
52, — Mémoire sur l'anatomie d'une nouvelle
espèce de singe anthropomorphe, de chimpanzé.
En collaboration avec M. le D: Alix. Ce travail,
complétement terminé au moment de la mort de
Gratiolet, est en cours de publication dans les
nouvelles Archives du Muséum.
|
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L
ANR RENTE A en sn os
DE LA PHYSIONOMIE ET DES MOUVEMENTS D'EXPRESSION
PRÉFACE DES ÉDITEURS . . . … . . . À...
CONFÉRENCE. SUR LA PHYSIONOMIE EN GÉNÉRAL. : à « . .
1e parRTIE. Des mouvements périphériques considérés d’une
manière générale ART RE ae à 0 à
Des changements dans la coloration de la peau.
Des mouvements d'expansion et de sécrétion.
Des variations qui modifient la température des
DRASS ST et 4: SN Re
Des changements qui modifient ou altèrent les
SÉGTÉHONS LES EN PTS
Des mouvements musculaires, des mouvements
consécutifs et des mouvements passifs. .
Du souffle et de ia voix. .". . .
PNEU RE ee 0
De quelques autres mouvements respiratoires. ,
Des mouvements spasmodiques. . . .
(IV TE NE.
De quelques bruits résultant du tremblement
des peaussiers . .
RL Sn 6 nie sr e
TABLE.
Pages.
De l’action et de la Sensation en général. . .
De l'application de l’oreillé. . . . . … . .
De l'emploi du nez
De l'application de læbouche.
De l'application du toucher. . . + + . . .
Du corps tout entier en tant qu’organe du tou-
(ui Nes de APE PONES | NUM QUES
sens cutané. 41.0." »
Du toucher en tant que sens de résistance. . .
Du toucher en tant que sens appréciateur de la
Gin SR RCE" ÆNS
Ie parTie. Des mouvements sympathiques .
IIIe parTIE. Des mouvements symboliques. .
NOTICE SUR LA VIE ET LES TRAVAUX DE PIERRE GRATIOLET .
TRAVAUX SCIENTIFIQUES DE PIERRE CGRATIOER. : : un
141
148
451
156
170
171
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